Skip to main content

Full text of "Les petits Bollandistes : vies des saints de l'Ancien et du Nouveau Testament, des martyrs, des pères, des auteurs sacrés et ecclésiastiques ..., notices sur les congrégations et les ordres religieux, histoire des reliques, des pèlerinages, des dévotions polulaires, ..."

See other formats


"S.  > 


»-^_I 


fMJ  nu 


JOHN  M.  KELLY  LIBRAEY 


Donatedby 
The  Redemptorists  of 
the  Toronto  Province 

from  the  Library  Collection  of 
Holy  Redeemer  Collège,  Windsor 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


m 


H*       x 


«Qfl 


w& 


£&$ 


rS") 


YJ\ 


i§« 


vë*$~K 


jj&è* 


M?       îv# 


*- •  --of  i           V^ 

"5? 

&35 

$M 

H 

; 

wf  -Z  ' 

;-    ,/ 

1; 

ÎM 


^Cfe 


HLL 


r 


&fyfm 


# 


H«y IKBEEKER  UBRARY,  WINpg 


■# 


LES  PETITS  BOLLANDISTES 


VIES  DES  SAINTS 


*— — » 


TOME  DOUZIÈME 


\ 


/ 


/ 


rrtxAry 


Cet  Ouvrage,  aussi  bien  pour  le  plan  $  après  lequel  il  est  conçu  que  pour 
les  matières  qu'il  contient,  et  qui  sont  le  résultat  des  recherches  de  l'Auteur,  est 
la  propriété  de  l'Editeur  qui,  ayant  rempli  les  formalités  légales,  poursuivra 
toute  contrefaçon,  sous  quelque  forme  quelle  se  produise.  L'Editeur  se  réserve 
également  le  droit  de  reproduction  et  de  traduction. 


LES 

PETITS  BOLLANDISTES 

VIES  DES  SAINTS 

de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament 

des  Martyrs,  des  Pères,  des  Auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques 

SES  VÉNÉRABLES  ET  AUTRES  PERSONNES  MORTES  EN  ODEUR  DE  SAINTETÉ 

NOTICES  SUR  LES  CONGRÉGATIONS  ET  LES  ORDRES  RELIGIEUX 

Histoire  des  Reliques,  des  Pèlerinages,  des  Dévotions  populaires,  des  Monuments  dus  à  la  piété 
depuis  le  commencement  du  monde  jusqu'aujourd'hui 

D'APRÈS  LE  PÈRE  GIRY 

dont  le  travail,  pour  les  Vios  qu'il  a  traitées,  forme  le  fond  de  cet  ouvrage 
LES  GRANDS  BOLLANDISTES  QUI  ONT  ÉTÉ  DE  NOUVEAU  INTÉGRALEMENT  ANALYSÉS 

SURIUS,  RIBADENEIRA,  GOQESCARD,  BAILLET,  LES   HAGIOLOGIES   ET  LES  PROPRES  DE  CHAQUE   DIOCÈSE 

tant  de  France  que  de  l'Etranger 
ET  LES  TRAVAUX,   SOIT  ARCHÉOLOGIQUES,  SOIT  HAGIOGRAPHIQUES,  LES  PLUS  RÉCENTS 

Arec  l'histoire  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  delà  Sainte  Vierge,  des  Discours  sur  les  Mystères  et  les  Fêtes 

une  Année  chrétienne 

le  martyrologe  romain,  les  martyrologes  français  et  les  martyrologes  de  tous  les  Ordres  religieux 

une  Table  alphabétique  de  tous  les  Saints  connus,  une  autre  selon  l'ordre  chronologique 

une  antre  de  toutes  les  Matières  répandues  dans  l'Ouvrage,  destinée  aux  Catéchistes,  aux  Prédicateurs,  etc. 

I>ar-    M>x.    ï>aixl    GTJÉRIIST 

CAMÉRIER  DE  SA  SAINTETÉ  LÉON  XIII 


.Gril 

\*7'* 


SEPTIÈME  ÉDITION,  REVUE,  CORRIGÉE  ET  CONSIDERABLEMENT  AUGMENTÉE 
(Huitième  tirage) 


TOME  DOUZIÈME 

DU    3     OCTOBRE    AU    27     OCTOBRE 


PARIS 

BLOUD     ET     BARRAL,     LIBRAIRES-ÉDITEURS 

4,  RUE   MADAME,   ET    RUE  DE   RENNES,  59 

,  / 

1888  4P 

RKYlEKElf ER  LJBRARY,  $&DSÛR 


VIES  DES   SAINTS 


IIP  JOUE  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Rome,  an  qaartier  de  l'Ours-Coiffé  (près  la  porte  Majeure,  où  se  trouve  maintenant  l'église 
de  Sainte-Bibiane),  le  triomphe  de  saint  Candide,  martyr.  —  Le  même  jour,  les  saints  martyrs 
Denis  *,  Fauste,  Caïus,  Pierre,  Paul,  et  quatre  autres,  qui,  ayant  beaucoup  souffert  sous  l'empereur 
Dèce,  méritèrent  la  palme  du  martyre  sous  Valérien,  après  que  le  président  Emihen  leur  eut 
fait  endurer  de  longs  tourments.  265.  —  Dans  l'ancienne  Saxe  (Westphalie),  les  deux  saints  mar- 
tyrs nommés  Ewald,  prêtres,  qui  furent  pris  et  massacrés  par  les  païens,  comme  ils  commençaient 
d'annoncer  Jésus-Christ  dans  ce  pays.  Une  grande  lumière,  qui  parut  durant  plusieurs  nuits,  fit 
connaître  le  lieu  où  ils  étaient,  et  combien  grand  était  leur  mérite  devant  Dieu.  695.  — -  En  Afri- 
que, saint  Maximien,  évêque  de  Bagaye,  qui,  ayant  été  tourmenté  à  plusieurs  reprises  par  les 
Donatistes,  fut  précipité  du  haut  d'une  tour  et  laissé  pour  mort  par  ces  hérétiques.  11  survécut 
néanmoins  et  mourut  dans  la  gloire  d'une  illustre  confession.  iv«  s.  —  En  Palestine,  saint  Hésy- 
que,  confesseur,  disciple  de  saint  Hilarion  et  compagnon  de  ses  pèlerinages*  Vf  s.  —  Au  diocèse 
de  Namur,  en  Belgique,  saint  Gérard,  abbé  *.  959. 

1.  Les  Bollandistes  prétendent  qu'il  s'agit  ici  de  saint  Denis,  évêque  d'Alexandrie  (dont  nous  esquisse- 
rons la  vie  an  17  novembre),  et  donnent  ses  actes  tout  au  long  sous  ce  jour  (tome  n  d'octobre,  p.  8-130), 
mais  tous  les  autres  hagiographes  sont  unanimes  à  refuser  au  saint  Denis  du  martyrologe  romain  d'au- 
jourd'hui la  qualité  d'évêque,  pour  ne  lui  donner  que  celle  de  martyr.  L'empereur  Dèce,  après  lui  avoir 
fait  subir  de  cruelles  tortures,  l'aurait  envoyé  en  exil  dans  les  déserts  de  la  Libye.  Arrêté  de  nouveau, 
quelques  années  après,  pendant  la  persécution  de  Valérien,  il  aurait  été  conduit  devant  le  président  Ëmi- 
lien,  puis  condamné  à  être  décapité.  Ayant  survécu  à  ce  supplice,  on  l'aurait  jeté  dans  un  cachot  où  11 
aurait  langui  pendant  douze  ans,  et  serait  mort  par  suite  des  mauvais  traitements  qu'il  eut  a  subir  pen- 
dant sa  longue  détention. 

2.  Gérard  naquit  à  Stave,  village  situé  dans  le  pays  de  Liège,  et  fut  attaché  longtemps  à  la  cour  de 
Bérenger,  comte  de  Namur,  qu'il  édifia  par  toute  sorte  de  vertus.  Riche  en  biens  patrimoniaux,  il  les  con- 
sacra tous  à  l'extension  de  la  religion  ;  ce  fut  dans  ce  but  qu'il  fit  bâtir,  en  918,  une  église  à  Brogne,  à 
trois  lieues  de  Namur,  et  y  mit  des  chanoines  pour  la  desservir.  Ayant  fait  un  voyage  à  Paris,  il  alla 
visiter  l'abbaye  de  Saint-Denis,  et,  singulièrement  édifié  de  la  ferveur  des  moines  de  cette  maison,  il  les 
pria  de  le  recevoir  parmi  eux.  Les  religieux  le  reçurent  à  bras  ouverts  :  Gérard  fit  profession  dans  cette 
abbaye  et  y  reçut  les  ordres  sacrés.  Dix  ans  après  sa  retraite  à  Saint-Denis  (931),  son  abbé  l'envoya  fon- 
der une  abbaye  dans  sa  terre  de  Brogne;  à  peine  eut-il  achevé  cet  établissement  qu'il  s'enferma  dans  une 
petite  cellule  bâtie  auprès  de  l'église,  pour  y  vivre  en  reclus.  Mais  on  l'arracha  de  sa  solitude,  et  il  fut 
chargé  de  la  réforme  des  abbayes  de  Flandre,  ce  dont  il  s'acquitta  avec  le  plus  grand  succès,  pendant 
vingt-deux  ans.  Sentant  sa  fin  approcher,  il  s'enferma  de  nouveau  dans  sa  cellule,  pour  se  préparer  a  la 
mort.  Dieu  l'appela  à  lui  le  3  octobre  959.  Ses  reliques  se  gardent  encore  aujourd'hui  dans  l'église  de 
Brogne.  —  Godescard,  Mabillon,  Acta  Sanctorum. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  Xli.  1 


S  OCTOBRE. 


MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  d'Angers,  saint  Lô  (Laudus)y  évêque  de  Coutances  et  confesseur,  cité  au  martyrologe 
de  France  du  21  septembre,  où  nous  avons  donné  quelques  détails  sur  sa  vie.  573.  —  Aux  diocèses 
d'Auch  et  de  Tarbes,  saint  Exupère  d'Arreau,  évêque  de  Toulouse  et  confesseur,  dont  nous  avons 
donné  la  vie  au  28  septembre.  415.  —  Au  diocèse  de  Beauvais,  sainte  Romaine,  vierge  et  martyre. 
II8  s  _  aux  diocèses  de  Cambrai  et  de  Chartres,  saint  Piat,  martyr,  dont  nous  avons  donné  la  vie 
au  1"  octobre.  287.  —  Au  diocèse  de  Chàlons-sur-Marne,  saint  Leudomir  ou  Ldmier,  dix-hui- 
tième évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  626.  —  Au  diocèse  de  Cologne,  les  deux  saints  Ewald, 
prêtres  et  martyrs,  cités  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  695.  —  Aux  diocèses  de  Fréjus  et  de 
Marseille,  S.  Cyprten,  évêque  de  l'ancien  siège  de  Toulon  (Telonis  portus,  VarJ  et  martyr.  vie  s. 
—  Au  diocèse  de  Meaux,  saint  Patu  ou  Pattu  (Patusius),  chanoine  de  Saint-Etienne  de  cette  ville 
et  confesseur.  A  la  mort  de  l'évêque  Herlingue,  le  chapitre  de  Meaux  voulut  placer  notre  Saint  sur 
le  siège  épiscopal  de  cette  ville  ;  mais  Pattu  obtint  du  ciel  de  mourir  le  jour  même  de  son  élection. 
Il  y  a,  dans  le  diocèse  de  Meaux,  une  paroisse  de  son  nom  (Saint-Pathus,  Seine-et-Marne,  arron- 
dissement de  Meaux,  canton  de  Dammartin).  vin6  s.—  Au  diocèse  de  Nice,  saint  Agapetou  Agapit  Ier, 
pape  et  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  20  septembre.  536.  —  Au  diocèse  de  Paris, 
saint  Denis  l'Aréopagite,  premier  évêque  de  ce  siège  et  martyr,  dont  nous  donnerons  la  vie  au 
9  octobre.  Ier  s.  —  Au  diocèse  de  Quimper,  saint  Melair  (Meloir,  Mélor,  Meilleur,  Melar),  martyr, 
dont  nous  avons  parlé  assez  longuement  au  martyrologe  de  France  du  1»*  octobre  où  nous  ren- 
voyons nos  lecteurs.  Vers  798.  —  Au  diocèse  de  Rennes,  saint  Suliau  ou  Suliac  (Sulinus),  abbé, 
déjà  cité  au  martyrologe  de  France  du  29  juillet  et  du  1«  octobre.  Nous  avons  donné  au  29  juillet 
d'assez  nombreux  détails  sur  sa  vie.  vi«  s.  —  A  Fontenoy-le-Château  (Vosges,  arrondissement 
d'Epinal,  canton  de  Bains),  au  diocèse  de  Saint-Dié,  sainte  Manne  ou  Menne,  vierge.  n«  s.  — 
Aux  diocèses  de  Lyon,  Tarbes  et  Toulouse,  saint  Wenceslas,  duc  de  Bohème  et  martyr,  dont  nous 
avons  donné  la  vie  au  28  septembre.  936.  —  Au  diocèse  de  Limoges,  saint  Victurnien  (Vertunien 
et  Victôre),  ermite,  dont  nous  avons  parlé  assez  longuement  au  martyrologe  de  France  du  30  sep- 
tembre, vu»  s.  —  Au  diocèse  de  Bourges,  sainte  Montaine  (Montana),  vierge,  abbesse  du  monas- 
tère bénédictin  de  Ferrières  (Bethléem  Ferrariœ),  dont  nous  avons  parlé  au  martyrologe  de  France 
du  1er  octobre,  vin8  s.  —  En  Champagne,  saint  Jovin  ou  Juvin,  ermite  et  confesseur,  honoré  prin- 
cipalement à  Loisy-sur-Marne  (arrondissement  et  canton  de  Vitry-le-François)  où  il  y  a  une  église 
de  son  nom.  Le  village  de  Saint-Juvin  (Ardennes,  arrondissement  de  Vouziers,  canton  de  Grandpré) 
s'est  formé,  croit-on,  autour  d'un  ermitage  de  notre  Saint.  ix«  s.  —  A  Sens,  saint  Ambroise,  dou- 
zième archevêque  de  ce  siège  et  confesseur,  cité  déjà  au  martyrologe  de  France  du  3  septembre,  où 
nous  avons  donné  quelques  détails  sur  sa  vie.  Vers  455.  —  A  Gruyères  (Ardennes,  arrondissement  de 
Mézières,  canton  de  Signy-l'Abbaye),  au  diocèse  de  Reims,  saint  Arnoulf,  martyr,  dont   la  transla- 
tion des  reliques  dans  l'église  abbatiale  de  Mouzon  (Mozomum)  est  indiquée  au  martyrologe  de 
France  du  24  juillet.  901.  -—  A   Troyes,  saint  Gengoul  (Gengou,  Gengoux,  Gigou,  Genf,  Gandoul, 
Gingolph,  Golf;,  martyr,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  11  mai.  760.  —  À  Sarrancolin  (Hautes- 
Pyrénées,  arrondissement  de  Bagnères-de-Bigorre,  canton  d'Arreau),  au  diocèse  de  Tarbes,  saint 
Ebons,  évêque  de  Balbastro  (Aragon)  *.  1104. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  A  Saint-Hubert,  dans  les  forêts  des  Ardennes,  saint 
Bérégise,  qui  fonda  dans  ce  lieu  un  monastère  de  Chanoines  Réguliers  et  qui  en  fut  élu  abbé. 
Observateur  vigilant  de  la  vie  régulière,  il  s'envola  au  ciel  le  2  octobre  ■.  Vers  724.  —  Chez  les 
Chanoines  Réguliers  de  Vienne  :  A  Hereford,  en  Angleterre,  saint  Thomas,  évêque  et  confesseur, 
d'abord  chanoine  régulier,  qui,  après  avoir  souffert  de  nombreux  tourments  pour  avoir  défendu  les 
droits  de  son  Eglise,  mourut  le  2  octobre,  et,  après  sa  mort,  fut  célèbre  par  ses  miracles  3.  1282. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Saint-Sylvestre.  —  Les  saints  Côme  et  Damien,  martyrs, 
dont  il  est  fait  mention  le  28  octobre  *.  286. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Déchaussés  de  la  très-sainte  Trinité.  —  Saint  Wenceslas,  duc 

1.  Il  était  Aquitain  de  naissance.  Attiré  parles  vertus  de  saint  Bertrand  de  Comminges  (Haute- 
Garonne),  il  mourut  dans  cette  ville  ou  il  était  venu  visiter  son  illustre  collègue,  à  son  retour  de  Rome. 
Son  corps,  enseveli  dans  l'église  des  Bénédictins  de  Sarrancolin,  est  encore  de  nos  jours  conservé  dans 
une  châsse  magnifique  de  l'église  de  cette  localité.  Saint  Ebons  est  le  patron  de  Sarrancolin.  —  Notes 
locales. 

2  Voir  le  martyrologe  de  France  du  2  octobre.  -  8.  Voir  sa  vie  au  jour  précédent.  -  4.  Nous  avons 
donné  leur  vie  au  27  septembre. 


MARTYROLOGES.  3 

et  martyr,  dont  la  mémoire  se  célèbre  le  28  septembre  l,  936.  —  Le  samedi  avant  le  second 
dimanche  d'octobre,  fête  de  la  Maternité  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  Mère  du  très-saint 
Rédempteur.  —  Le  samedi  avant  le  troisième  dimanche  d'octobre,  hors  d'Espagne,  Octave  de  la 
Maternité  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Lima,  dans  l'Amérique  méridionale,  le 
bienheureux  Jean  Massias,  espagnol,  qui,  ayant  dit  adieu  à  toutes  les  choses  terrestres,  fut  reli- 
gieux couvers  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  Il  brilla  par  son  humilité  admirable,  sa  patience  et 
l'intégrité  de  sa  vie,  et  fut  célèbre  par  ses  miracles.  1645. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint-François.  —  La  Vigile  de  notre  Père  séraphique 
saint  François.  —  Le  même  jour,  les  saints  Côme  et  Damien,  martyrs,  dont  la  naissance  au  ciel  se 
célèbre  le  27  septembre  2.  286.  —A  Assise,  dans  l'Ombrie,  la  translation  du  corps  de  sainte  Claire, 
vierge,  du  temps  du  pape  Alexandre  IV  (1254-1261),  dans  l'église  Saint-Georges,  nommée  mainte- 
nant Sainte-Claire,  où  le  corps  de  saint  François  avait  reposé  vingt-huit  ans  auparavant,  comme  s'il 
était  bon  que  celui  qui  avait  ouvert  à  sainte  Claire  la  voie  de  la  vie,  lui  préparât  aussi  le  lieu  de  son 
repos  après  sa  mort  ».  1257. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  De  même  que  ci-dessus. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  du  Mont-Carmel.  —  Sainte  Marie- 
Madeleine,  pénitente,  dont  la  naissance  au  ciel  se  célèbre  le  22  juillet  *.  i«  s. 

Martyrologe  de  COrdre  des  Ermites  de  Saint-Augustin.  —  A  Albe,  en  Pannonie,  saint 
Etienne,  roi,  qui,  orné  des  vertus  divines,  convertit  le  premier  les  Hongrois  à  la  foi.  Sa  mémoire 
se  célèbre  le  2  septembre  :  dans  notre  Ordre,  elle  se  fait  aujourd'hui 5.  1038. 

Martyrologe  des  Mineurs-Capucins  de  Saint- François.  —  De  même  que  chez  les  Frères 
Mineurs. 

ADDITIONS   FAITES  D'APRES  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

Au  diocèse  de  Naples,  saint  Festus,  diacre,  et  ses  compagnons,  martyrs  près  de  Pouzzoles 
(Puteoli).  Nous  avons  donné  leur  vie  au  19  septembre,  jour  où  ils  sont  cités  au  martyrologe  romain. 
305.  —  A  Antioche  (Antiochia  ad  Daphnen),  aujourd'hui  Antakieh,  ville  de  la  Turquie  d'Asie 
(Syrie),  saint  Théogène  (Theugène,  Thugène,  Théagène,  Théotiste,  Cheugène,  Théoctiste),  qui 
périt  par  le  feu.  —  En  Afrique,  les  saints  martyrs  Victor,  Urbain  et  Saparge  (Séparge,  Sparge, 
Scaparge).  —  Les  saints  Félix,  Ampon  (Aupon,  Amon,  Ammon)  et  Caste,  martyrs,  cités  par  tous 
les  martyrologes,  sans  plus  de  détails.  —  A  Metten,  au  diocèse  de  Passau  (Batava  Castra,  Baco- 
durum)y  en  Bavière  (Cercle  du  Bas-Danube),  saint  Uthon,  curé  de  Michelsbuch,  fondateur  et  pre- 
mier abbé  de  l'ancienne  abbaye  bénédictine  de  Metten.  Il  desservait  le  petit  village  de  Michelsbuch 
où  il  avait  été  placé  en  qualité  de  pasteur  par  saint  Gamelbert  (27  janvier)  qui  l'avait  baptisé, 
lorsque  tout  le  pays  de  Bavière  devint  le  théâtre  de  la  guerre  que  Charlemagne  fit  aux  Avares  8. 
Uthon  fut  obligé  de  fuir  :  il  gagna  une  solitude  où  il  mena  la  vie  érémitique.  Charlemagne  décou- 
vrit sa  retraite,  s'entretint  quelque  temps  avec  lui  et  finit  par  lui  promettre  les  fonds  nécessaires 
Il  la  construction  d'un  monastère,  s'il  était  assez  heureux  pour  rassembler  autour  de  lui  plusieurs 
disciples  décidés  à  y  mener  la  vie  religieuse.  Dieu  aidant,  Uthon  eut  bientôt  gagné  par  ses  vertus 
des  disciples  nombreux,  et  le  monastère  bénédictin  de  Metten  fut  fondé  (792).  Notre  Saint  en  fut 
élu  abbé,  et  sous  sa  sage  direction,  l'abbaye  naissante  devint  bientôt  célèbre.  Uthon  fut  enseveli 
devant  le  maitre-antel  de  l'église  abbatiale.  Vers  820. 

1.  Voir  sa  vie  an  28  septembre.  —  S.  Voir  au  27  septembre.  —  3.  Nous  avons  donné  sa  vie  an  12  août. 
—  4.  Nous  avons  donné  sa  vie  à  ce  jonr.  —  5.  Voir  sa  vie  au  2  septembre. 

6.  Les  Avares  ou  Abares  étaient  un  peuple  barbare,  originaire  de  la  Tartarie,  de  la  famille  des  Huns. 
Il  était  établi  dans  les  environs  de  l'Altaï  (grande  chaîne  de  montagnes  de  l'Asie  centrale),  lorsqu'il  fût 
attaqué  et  chassé  de  son  territoire  par  une  invasion  des  Chinois,  en  552.  Ceux  qui  échappèrent  se  diri- 
gèrent vers  l'Europe,  franchirent  le  Volga  et  le  Don  en  557,  et  vinrent  bientôt  après  s'établir  sur  l<;s  bords 
du  Danube.  Ils  firent  la  guerre  aux  empereurs  grecs,  et  leur  enlevèrent  la  Dacie  et  la  Pannonie  (582), 
d'oh  ils  se  répandirent  dans  la  Germanie,  an  nord  du  Danube,  et  jusque  dans  l'Italie.  Ils  furent  entière- 
ment subjugués  par  Charlemagne,  de  791  a  799,  et  se  convertirent  au  christianisme.  Mais  le  conquérant 
ne  conserva  que  la  partie  occidentale  de  leur  pays,  située  entre  la  Theiss  et  l'Inn,  et  en  fit  sous  le  nom 
d'Avarie  une  marche  de  l'empire  des  Francs.  Le  reste  fut  occupé  par  les  Madgyars  ou  Hongrois.  Des 
Avares  occupent  encore  aujourd'hui  une  partie  de  la  Circassie,  sur  le  versant  septentrional  du  Caucase, 
entre  l'Aksaî  et  le  mont  Cherdaga.  Ils  forment  environ  12,000  familles,  obéissent  à  un  khan  particulier; 
ils  vivent  de  chasse  et  de  rapine,  et  sont  vassaux  de  la  Russie  dont  ils  ont  formellement  reconnu  l'auto- 
rité en  1859. 


3   OCTOBRE. 


SAINTE  ROMAINE  DE  ROME, 

VIERGE  ET  MARTYRE,  A  BEAUYAIS 


li«  siècle. 


Virgo  cogitât  qu»  Domini  sunt,  ut  sit  sancta  corpore 

et  spiritu. 
La  vierge  s'occupe  de  plaire  à  Dieu  par  la  pureté  du 

corps  et  par  celle  de  l'esprit. 

/  Cor.,  vu,  34. 

Une  famille  îiche  et  encore  idolâtre  de  la  ville  de  Rome  donna  nais- 
sance à  Romaine  vers  la.  fin  du  Ier  siècle.  Touchée  de  bonne  heure  de  la 
grâce  divine,  qui  faisait  des  conquêtes  dans  les  palais  des  grands,  et  jusque 
dans  celui  des  empereurs,  la  jeune  fille  résolut  d'embrasser  le  christia- 
nisme. Une  fois  régénérée  par  les  eaux  vivifiantes  du  baptême,  elle  marcha 
d'un  pas  rapide  dans  les  voies  de  la  perfection  évangélique.  Ayant  reçu  le 
voile  de  la  chasteté  des  mains  du  souverain  Pontife,  elle  distribua  aux 
pauvres  ses  bijoux  et  ses  vêtements  de  prix,  pour  s'attacher  aux  vertus  qui 
ornent  l'âme.  Unie  à  quelques  pieuses  compagnes  qui,  comme  elle,  avaient 
choisi  le  Seigneur  pour  leur  héritage,  elle  mena  une  vie  de  retraite  et  de 
prière.  Ces  vierges  chrétiennes  s'exhortèrent  mutuellement  à  l'amour  de 
Dieu,  et  sauvegardèrent  leur  innocence,  par  le  double  rempart  de  l'humi- 
lité et  de  la  mortification  :  sage  et  salutaire  précaution,  indispensable  aux 
cœurs  jaloux  de  conserver  le  trésor  de  la  pureté  ! 

Alors  d'invincibles  martyrs  soutenaient  de  toutes  parts  des  combats 
héroïques  pour  la  foi  de  Jésus- Christ.  Le  récit  de  leurs  victoires  enflamma 
le  courage  de  Romaine,  et  lui  inspira  le  désir  de  marcher  sur  leurs  traces. 
Avant  quitté  sa  famille  et  sa  patrie,  elle  partit  pour  les  Gaules  avec  onze 
intrépides  compagnes. 

Conduites  par  Jésus-Christ,  dont  elles  étaient  les  glorieuses  servantes, 
les  douze  vierges  suivirent  la  route  illustrée  par  les  prédications  et  les 
miracles  de  saint  Denis,  de  saint  Lucien,  de  saint  Rieul  et  de  plusieurs 
autres  ouvriers  évangéliques,  que  le  bienheureux  pape  Clément  avait  en- 
voyés au-delà  des  Alpes.  La  force  même  de  Dieu  les  soutint  durant  ce 
long  et  périlleux  voyage,  et  les  rendit  inaccessibles  à  la  crainte  comme  à 
la  faiblesse.  Il  y  a  sans  doute  quelque  chose  de  merveilleux  dans  cet  apos- 
tolat de  douze  jeunes  filles,  bravant  toute  sorte  de  dangers  pour  aller  tra- 
vailler au  loin  à  l'accroissement  de  la  sainte  Eglise  ;  mais,  est-ce  que  tout 
n'est  pas  merveilleux  et  divin  dans  l'établissement  du  christianisme  ? 

En  s'avançant  vers  les  contrées  du  Beauvaisis,  Romaine  perdait  de 
temps  en  temps  quelques-unes  de  ses  compagnes  qui  se  séparaient  de  leurs 
amies,  pour  aller  où  l'Esprit  de  Dieu  les  dirigeait.  Lorsqu'elle  entra  dans 
la  ville  de  Beauvais,  il  ne  lui  en  restait  plus  que  deux  :  Léobérie  et  Benoîte, 
qui  s'éloignèrent  à  leur  tour.  Léobérie  souffrit  le  martyre  à  Laon,  et  Benoîte 
à  Origny  *. 

1.  Origny-Sainte-Benolte  (Aisne,  aTondisiement  de  Saint-Quentin,  canton  de  Ribemont). 


SAINTE  ROMAINE   DE  ROME,   VIERGE  ET  MARTYRE.  5 

La  présence  de  Romaine  à  Beauvais  ne  fut  pas  moins  utile  au  ministère 
de  saint  Lucien  qu'aux  fidèles  de  cette  ville.  Par  l'exemple  de  ses  vertus 
et  de  ses  persuasives  exhortations,  elle  commençait  la  conversion  des  ido- 
lâtres :  les  amenant  ensuite  aux  pieds  du  Pontife ,  celui-ci  achevait  son 
œuvre,  et  les  introduisait  par  le  baptême  dans  le  sein  de  l'Eglise.  Elle 
exerça  au  milieu  des  chrétiens  une  mission  de  charité,  de  dévouement  et 
de  sacrifice.  Elle  devint  le  bras  du  faible,  la  coopératrice  des  ouvriers  évan- 
géliques,  la  bienfaisante  providence  de  tous  les  pauvres. 

Après  la  mort  du  glorieux  apôtre  de  Beauvais  et  de  ses  saints  compa- 
gnons, Romaine  fut  l'ange  consolateur  des  fidèles.  Souvent  elle  les  condui- 
sait aux  tombeaux  des  trois  martyrs,  où  elle  allait  prier  avec  eux  pour  le 
triomphe  de  l'Eglise.  Elle  les  quitta  bientôt  pour  entrer  dans  le  repos  éter- 
nel. Ses  exemples,  ses  discours  et  ses  sacrifices  avaient  trop  contribué  aux 
progrès  du  christianisme  dans  la  ville  de  Beauvais,  pour  qu'elle  échappât 
à  la  jalousie  du  démon,  et  à  la  fureur  des  ennemis  de  Jésus-Christ.  Arrêtée 
et  conduite  au  tribunal  des  païens,  la  Sainte  fit  une  confession  publique  de 
sa  foi.  Ses  juges,  pensant  qu'il  leur  serait  facile  de  vaincre  la  résistance 
d'une  faible  fille,  exposèrent  à  ses  yeux  toute  sorte  d'instruments  de  sup- 
plice. Aux  menaces,  ils  firent  succéder  des  promesses  trompeuses.  La  vierge 
demeura  inébranlablement  attachée  au  Sauveur.  Condamnée  à  la  peine 
capitale,  elle  mêla  son  sang  à  celui  de  l'Agneau  mort  pour  le  rachat  des 
hommes,  et  alla  prendre  place  au  sein  des  élus.  Romaine  est  la  première 
qui ,  dans  le  Beauvaisis ,  ait  joint  la  palme  du  martyre  au  lis  de  la  vir- 
ginité. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Les  chrétiens  recueillirent  pieusement  les  dépouilles  de  la  Sainte,  et  les  ensevelirent  avec  hon- 
teor.  Bientôt  elle  reçut  un  culte  public.  Plus  tard,  un  monastère  portant  avec  son  nom  celui  de 
saint  Maxien,  s'éleva  sur  la  colline  de  Montmille.  Sa  gloire  augmenta  avec  les  progrès  du  christia- 
nisme dans  le  Beauvaisis.  Les  habitants  de  ces  contrées,  la  vénérant  sous  les  titres  de  patronne  et 
de  mère,  transportèrent  son  corps  dans  l'église  cathédrale,  où  il  resta  jusqu'au  xie  siècle.  En  1069, 
Guy,  évèque  de  Beauvais,  en  fit  une  solennelle  translation  au  monastère  de  Saint-Quentin,  récem- 
ment fondé  par  ses  soins. 

Les  religieux  de  cette  abbaye  ne  tardèrent  pas  à  éprouver  les  effets  de  la  protection  de  Ro- 
maine. Réduits  à  une  grande  pauvreté,  par  la  disgrâce  et  l'exil  de  Guy,  leur  bienfaiteur,  ils  avaient 
vendu  leur  mobilier,  et  mis  en  dépôt  les  vases  sacrés  et  les  ornements  précieux  de  leur  église,  pour 
se  procurer  les  choses  les  plus  indispensables  à  la  vie.  Dans  cette  extrémité,  ils  eurent  recours  à 
la  puissante  Martyre.  Ayant  pris  la  châsse  qui  renfermait  ses  restes  bénits,  ils  la  portèrent  de  ville 
en  ville,  et  de  village  en  village,  sollicitant,  en  son  nom,  les  aumônes  des  chrétiens.  Romaine  fit 
éclater  pour  eux  le  pouvoir  qu'elle  avait  reçu  de  Dieu.  Aux  environs  de  Mantes  (Seine-et-Oise),  on 
apporta  devant  ses  reliques  un  infortuné,  nommé  Bérenger,  que  d'horribles  souffrances  retenaient 
sur  son  lit  depuis  trois  ans  :  cet  homme,  ayant  invoqué  avec  foi  la  Bienheureuse,  se  trouva  tout  à 
coup  guéri.  Comme  on  le  pressait  de  raconter  la  manière  dont  cette  merveille  s'était  opérée,  il  ré- 
pondit :  «  Je  priais,  à  côté  des  saintes  reliques  de  Romaine,  lorsque  vers  le  milieu  de  la  nuit,  il 
m'a  semblé  voir  la  glorieuse  Martyre  s'approcher  de  moi,  et  chasser  la  maladie  dont  je  souffrais. 
Me  trouvant  délivré  de  mon  infirmité,  je  me  levai  aussitôt,  et,  avec  les  religieux,  je  remerciai  la 
la  bonté  divine  de  m'a  voir  rendu  la  santé  ».  Bérenger  accompagna  les  reliques  de  sa  bienfaitrice, 
dont  il  ne  voulut  plus  se  séparer,  et  consacra  toute  sa  vie  à  l'honorer  et  à  la  prier. 

Après  celte  guérison  miraculeuse,  les  pieux  solliciteurs  passèrent  quelques  jours  à  Mantes  où 
ils  reçurent  d'abondantes  aumônes.  Leur  retour  dans  le  diocèse  de  Beauvais  fut  signalé  par  de  nou- 
velles marques  du  crédit  de  la  vierge  auprès  de  Dieu.  Argenteuil  eut  une  grande  part  aux  béné- 
dictions que  le  Seigneur  répandit  sur  le  passage  du  saint  convoi.  Partout  les  populations  recon- 
nurent ces  faveurs  par  de  généreuses  largesses. 

Lorsque  les  religieux  de  Saint-Quentin  eurent  réintégré  dans  leur  abbaye  la  châsse  de  Ro- 
maine, ils  purent,  a  l'aide  des  secours  qu'ils  avaient  recueillis,  réparer  une  partie  des  maux  que  la 
disgrâce  de  Guy  avait  fait  fondre  sur  leur  communauté.  La  piété  de  Guy  envers  la  Bienheureuse  eut 


-  3   OCTOBRE. 

aussi  sa  récompense  :  il  vit  adoucir  la  rigueur  et  abréger  le  temps  de  ses  épreuves,  bienfait  qu'il 
se  piut  à  attribuer  au  crédit  de  Romaine  auprès  de  Dieu. 

Tiré  de  la  Vie  des  Saints  du  diocèse  de  Béarnais,  par  M.  l'abbé  Sabatler. 


SAINT  LEUDOMIR  OU  LIMIER  DE  LIMOGES, 

DIX-HUITIÈME  ÉVÊQUE  DE  CHÀLONS-SUR-MARNE  ET  CONFESSEUR. 
626.  —  Pape  :  Honoré  I".  —  Roi  de  France  :  Clotaire  II. 

Castitas  habet  pretium  super  gemmas,  et  tenet  soliunt 

super  stellas. 
La  chasteté  est  plus  précieuse  que  les  pierreries,  et 

elle  a  son  trône  au-dessus  des  étoiles  du  firmament. 

Saint  Bonaventure. 

Leudomir  ou  Lumier  naquit,  ainsi  que  son  frère  saint  Elaphe,  dont 
nous  avons  parlé  au  19  août,  à  Limoges,  vers  le  milieu  du  sixième  siècle  ; 
et  il  était  encore  très-jeune  lorsque  celui-ci  monta  sur  le  siège  de  Châlons 
(572).  Léon,  père  de  l'un  et  de  l'autre,  tint,  par  rapport  à  Leudomir,  la 
même  marche  qu'il  avait  suivie  pour  saint  Elaphe  ;  il  lui  donna,  ainsi  qu'il 
la  donnait  à  tous  ses  enfants,  une  éducation  soignée  et  surtout  très- chré- 
tienne, parce  qu'il  était  lui-même  plein  de  religion,  et  adonné  à  la  vertu. 
Ce  jeune  homme  profita  si  bien  de  ses  soins,  que,  dès  ses  plus  tendres 
années,  on  en  vit  sensiblement  paraître  les  heureux  effets  dans  son  main- 
tien, dans  ses  goûts,  ses  inclinations,  ses  jeux  même,  et  toute  sa  conduite. 
Quand,  parvenu  à  l'adolescence,  il  eut  pris  le  parti  de  s'expatrier  pour  aller 
se  réunir  à  son  frère,  son  premier  soin,  en  arrivant  à  Châlons,  fut,  ainsi 
qu'on  devait  l'attendre  d'un  jeune  homme  aussi  pieux,  d'aller  dans  l'église 
cathédrale  de  cette  ville,  dédiée,  comme  celle  de  sa  ville  natale,  à  saint 
Etienne,  premier  martyr,  rendre  ses  devoirs  de  religion  à  Jésus-Christ,  ré- 
sidant au  très-saint  Sacrement  de  l'autel.  Il  espérait  aussi  y  apercevoir  son 
bienheureux  frère,  qu'il  brûlait  d'aborder,  sans  trop  savoir,  à  défaut  d'usage 
du  monde  et  de  hardiesse,  ce  qu'il  devait  faire  pour  y  réussir.  Le  saint 
évêque  traverse  en  effet  son  église.  Aussitôt  que  Leudomir  l'aperçoit,  il 
court,  sans  se  faire  encore  connaître  à  lui,  se  jeter  à  ses  pieds,  et  lui  deman- 
der humblement  sa  bénédiction.  Ensuite  se  relevant,  il  lui  déclare  qu'il  est 
étranger,  fils  d'un  gentilhomme  du  Limousin,  nommé  Léon.  Enfin,  il  s'a- 
voue ouvertement  frère  du  saint  évêque.  Chacun  est  attendri  de  cette  tou- 
chante reconnaissance  :  le  Prélat  surtout  en  verse  des  larmes  de  joie,  et 
dans  le  fond  de  son  cœur  rend  grâces  au  ciel  de  cet  heureux  événement. 
Peu  de  jours  après,  il  pourvoit  aux  moyens  d'achever  l'éducation  du  pieux 
jeune  homme,  dont  il  ne  peut  se  lasser  d'admirer  la  modestie,  la  candeur, 
l'innocence,  et  mille  autres  qualités  aimables,  réunies  en  lui  à  tous  les 
dons  extérieurs  de  la  nature.  Il  le  fait  d'abord  instruire,  encore  plus  qu'il 
ne  l'était,  dans  les  lettres  et  les  sciences  humaines  :  ensuite,  se  défiant 
peut-être  de  l'extrême  tendresse  qu'il  ressentait  pour  lui,  ou,  se  persuadant 
par  un  effet  de  sa  profonde  humilité,  qu'il  n'est  pas  assez  versé  lui-même 
dans  la  science  des  Saints  pour  diriger,  dans  le  chemin  de  la  perfection,  un 


SAINT  LEUDOMIR   OU  LUMTEB.  DE  LIMOGES,   ÉVÊQUE.  7 

jeune  homme  de  si  belle  espérance,  il  l'envoie  à  Gilles,  archevêque  de 
Reims,  son  métropolitain,  son  ami,  son  consécrateur,  afin  qu'il  l'instruise  à 
fond  dans  ïa  loi  de  Dieu  et  la  science  de  la  religion  ;  et,  après  un  temps 
raisonnable,  il  l'ordonne  diacre,  et  l'attache  à  son  église  de  Châlons. 

Ce  fut  alors  que  Leudomir,  entrant  parfaitement  dans  les  vues  de  son 
saint  frère,  et  partageant  sa  tendre  affection  pour  son  diocèse,  ils  firent, 
l'un  et  l'autre,  à  l'église  Saint-Etienne  de  Châlons,  la  généreuse  donation 
de  plusieurs  de  leurs  terres  de  Limoges.  Depuis  cette  époque,  le  jeune  dia- 
cre alla  toujours  croissant  de  vertus  en  vertus  en  la  compagnie  du  saint 
Evêque,  travaillant  avec  zèle  sous  ses  ordres,  le  soulageant  autant  qu'il  le 
pouvait  dans  ses  fonctions,  et  recevant  de  lui,  en  retour,  mille  précieuses 
instructions,  mille  sages  conseils,  et  mille  exemples  édifiants,  qui  ne  s'effa- 
cèrent plus  de  son  souvenir.  Ainsi  la  Providence  disposait-elle  de  loin  saint 
Leudomir  à  monter  sur  le  siège  de  Châlons,  après  la  mort  de  son  frère. 

A  peine  ce  triste  événement  fut-il  connu  dans  cette  ville,  que  la  tristesse 
et  la  consternation  y  furent  à  leur  comble  ainsi  que  dans  tout  le  diocèse. 
Mais  après  la  première  explosion  de  la  douleur  publique,  quand  on  com- 
mença de  songer  à  remplir  le  siège  vacant,  toutes  les  pensées  et  tous  les 
vœux  se  tournèrent  spontanément  vers  notre  Saint,  qu'on  croyait,  avec 
raison,  plus  propre  que  tout  autre,  malgré  sa  jeunesse,  à  réparer  la  perte 
que  l'on  venait  de  faire,  comme  étant  plein  de  l'esprit  du  Prélat  qui  venait 
de  mourir,  et  ayant  été,  durant  plusieurs  années,  imbu  de  sa  doctrine,  té- 
moin de  ses  vertus  et  confident  intime  de  ses  plus  secrètes  pensées.  Sur  ces 
entrefaites,  arrivèrent  à  la  cour  de  Sigebert  les  hommes  de  confiance  char- 
gés de  présenter  à  ce  prince  tes  reliques  de  sainte  Eulalie,  que  saint  Elaphe 
apportait  d'Espagne  lorsqu'il  fut  surpris  par  la  mort.  Le  prince,  en  appre- 
nant le  décès  du  bienheureux  prélat,  témoigne  un  vif  regret  d'une  aussi 
grande  perte,  dont  la  nouvelle  lui  est  confirmée,  au  môme  moment,  par 
une  députation  des  principaux  citoyens  de  Châlons,  qui  viennent  lui  deman- 
der un  évêque.  Pendant  qu'il  délibère  sur  le  choix  de  ce  nouveau  pasteur, 
les  mêmes  députés  lui  présentent  Leudomir,  et  lui  attestent  le  vœu  bien 
prononcé  de  leurs  concitoyens,  d'avoir  le  jeune  diacre  pour  évêque.  Le  roi, 
qui  connaissait  déjà  Leudomir  de  réputation,  lui  donne  de  justes  louanges, 
approuve  le  choix  qu'ont  fait  ses  sujets,  et  consent  à  leur  désir.  Mais,  effrayé 
autant  que  surpris,  Leudomir  se  défend  longtemps  d'accepter  un  si  lourd 
fardeau.  Enfin,  vaincu  par  les  sollicitations  redoublées  de  ses  concitoyens, 
il  cède  à  la  violence  qu'ils  lui  font,  uniquement  par  la  crainte  de  déplaire 
à  Dieu  en  résistant  à  sa  volonté  connue  (587). 

Le  nouvel  Evêque  ne  frustra  pas  les  heureuses  espérances  qu'on  avait 
conçues  de  lui.  A  peine  eut-il  pris  en  main  la  houlette  pastorale,  qu'on  le 
vit,  quoique  si  jeune  encore,  marcher  d'un  pas  ferme  et  invariable  sur  les 
traces  de  son  bienheureux  frère.  Ce  fut,  en  lui,  même  pureté  de  mœurs, 
même  innocence  de  vie,  même  piété  et  même  zèle,  même  assiduité  à  toutes 
les  fonctions  de  la  charge  pastorale,  même  soin  des  malheureux,  même  pro- 
tection accordée  aux  veuves,  aux  orphelins,  et  aux  faibles  opprimés  par  les 
riches  et  les  puissants  du  siècle.  Disons  tout  en  un  seul  mot  :  on  crut  voir 
revivre  en  lui  son  prédécesseur.  Il  était  doué  d'une  simplicité  admirable,  et 
sa  sainteté  était  telle,  que  le  ciel  la  fit  souvent  éclater,  même  de  son  vivant, 
par  des  miracles  ;  mais  il  était  si  humble  que,  pour  éviter  les  louanges  qu'ils 
eussent  pu  lui  attirer,  il  les  opérait  d'ordinaire  par  le  ministère  d'autrui. 
Nous  en  rapporterons  quelques-uns. 

Un  jour  ayant  aperçu  une  pauvre  femme  aveugle,  qui  cherchait  son 


:  3  OCTOBRE. 

chemin  comme  à  tâtons,  et  avait  les  pieds  tout  ensanglantés,  il  en  eut 
pitié  et  appelant  son  diacre  qui  était  un  homme  d'une  vie  sainte  et  exem- 
plaire, «  allez  »,  lui  dit-il  après  avoir  fait  une  courte  prière,  «  et  faites  le 
signe  de  la  croix  sur  les  yeux  de  cette  malheureuse  femme  ».  Le  diacre  fit 
ce  qui  lui  avait  été  ordonné  ;  et  à  l'instant  cette  femme  recouvra  la  vue. 

Leudomir,  une  autre  fois,  arrêta  par  la  force  de  ses  oraisons  le  cours 
d'une  maladie  contagieuse  qui  faisait  de  grands  ravages  dans  un  château 
situé  sur  le  bord  de  la  Marne,  et  dont  les  effets  étaient  si  prompts,  que  ceux 
qui  en  étaient  atteints  étaient  enlevés  en  moins  de  trois  jours.  Il  guérit  plu- 
sieurs fois  des  possédés,  et  entre  autres  une  jeune  fille  distinguée  par  sa  no- 
blesse et  sa  beauté,  que  plusieurs  prêtres  n'avaient  pu  délivrer  par  leurs 
exorcismes.  Tous  ceux  qui  étaient  attaqués  de  la  fièvre  étaient  guéris,  sitôt 
que  le  Saint  avait  prié  pour  eux.  Que  dirons-nous  de  plus  ?  les  animaux 
même,  et  en  particulier  les  oiseaux,  lui  obéissaient  comme  pour  rendre 
témoignage  à  sa  sainteté,  ainsi  que  cela  est  arrivé  à  plusieurs  Saints,  et  spé- 
cialement au  grand  saint  François  d'Assise. 

Parmi  toutes  les  vertus  de  saint  Lumier  brillait  surtout  son  admirable 
chasteté.  Donnons-en  un  exemple  à  jamais  mémorable.  La  nature  lui  avait 
prodigué  tous  ses  dons,  et  les  qualités  de  l'esprit  et  du  cœur,  et  les  agré- 
ments extérieurs  et  tous  les  charmes  du  visasre  •  c'était  un  homme  accom- 
pli. La  reine  Brunehaut,  dont  il  av<i*«,  *o,  comme  son  frère  saint  Elaphe, 
mériter  la  confiance,  ne  fut  pas  indifférente  à  ce  genre  de  mérite,  et  fit  au 
gentilhomme  limousin  l'aveu  de  ses  infâmes  désirs.  Mais  elle  n'éprouva 
qu'un  honteux  refus.  Irritée  au  suprême  degré,  elle  bannit  le  Pontife  de 
son  évêché  et  l'envoya  en  exil.  Il  y  demeura  vingt  ans  :  Clotaire  II  s'étant 
trouvé,  après  la  mort  expiatoire  de  l'indigne  Brunehaut,  paisible  possesseur 
de  toute  la  monarchie  française,  se  hâta  de  le  rappeler  à  Châlons  et  de  le 
rétablir  sur  le  siège  épiscopai  de  cette  ville.  Mais  le  saint  Prélat  vécut 
trop  peu  pour  son  peuple  :  la  terre  n'était  pas  digne  d'une  vertu  si  pure; 
aussi  le  ciel  ne  fit-il  que  la  lui  montrer.  Leudomir  mourut  le  30  septem- 
bre 626. 

Un  tableau  de  l'église  de  Villotte-devant-Saint-Mihiel  (Meuse,  arrondis- 
sement de  Gommercy,  canton  de  Pierrefitte),  dont  saint  Lumier  est  patron, 
représente  notre  Saint  en  crosse  et  en  mitre,  guérissant  une  femme  aveugle. 
—  Trois  vitraux  du  chœur  de  la  même  église  le  montrent  :  4°  En  costume 
de  diacre,  signant  son  acte  de  donation  à  l'église  de  Châlons;  2°  exposant 
aux  habitants  de  cette  ville  les  motifs  qui  le  poussent  à  refuser  la  dignité 
épiscopale  ;  3°  chassant,  pendant  le  saint  sacrifice  de  la  Messe,  le  démon  du 
corps  d'un  possédé. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Le  corps  de  saint  Lumier  fut  déposé  dans  l'église  de  Saint-Jean-Baptiste  de  Châlons-sur-Marne. 
jis-à-vis  de  celui  de  son  frère  saint  Elaphe,  et  de  l'autre  côté  de  la  nef.  Au  xn«  siècle,  Roger  II, 
évoque  de  Châlons,  fit  exhumer  son  corps  pour  le  transporter  dans  l'église  abbatiale  qu'il  venait 
4e  construire  sous  le  titre  de  Toussaints.  Toutes  les  chairs  du  Saint  se  trouvaient  réduites  en 
poussière,  mais  un  de  ses  yeux,  celui  dont  le  regard  sévère  avait  condamné  l'impudique  Brunehaut, 
était  resté  intact  et  conservait  tout  l'éclat  et  toute  la  vivacité  qu'il  avait  eus  autrefois.  Le  nom  vul- 
gaire de  Lumier  date  probablement  de  l'époque  de  ce  prodige  (lumina,  yeux), 
i  n  ,ye,de  Joussaints  conserva  le  corps  de  saint  Lumier  jusqu'au  xvin»  siècle  époque  à 
laquelle  elle  fut  démolie.  Alors  une  partie  assez  considérable  de  ces  précieuses  reliques  fut  trans- 
portée al  église  cathédrale  de  Châlons,  où  le  peuple  vient  aujourd'hui  les  vénérer. 

Les  Bollandistes  nous  apprennent  que  le  tombeau  de  saint  Lumier  fut  glorieux,  que  de  nom- 


SAINTE  MANNE  OU  MENNE,   VIERGE.  9 

breui  miracles  s'y  opérèrent,  et  qu'on  venait  de  fort  loin  implorer  son  assistance  pour  les  enfants 
atteints  de  maladies  de  langueur. 

Le  culte  de  notre  Saint  franchit  les  limites  du  diocèse  de  Châlons.  Nous  avons  déjà  dit  que 
l'église  de  Villotte-devant-Saint-Mihiel,  au  diocèse  de  Verdun,  le  reconnaissait  pour  son  patron. 
M.  l'abbé  Quetsch,  curé  de  cette  paroisse,  nous  écrivait,  le  25  mars  1873  :  «  Avant  la  Révolution, 
l'église  de  Villotte  était  le  but  d'un  pèlerinage  :  on  y  venait  invoquer  saint  Lumier  pour  les  mala- 
dies des  yeux.  —  Nous  avons  une  petite  relique  de  notre  saint  Patron,  c'est  un  fragment  d'os; 
mais  l'authentique  a  été  perdu  pendant  la  tourmente  révolutionnaire.  Voici  une  tradition  relative 
à  son  arrivée  à  Villotte  :  elle  m'a  été  attestée  par  plusieurs  vieillards  de  la  localité,  tous  hommes 
véritablement  dignes  de  foi,  et  par  leurs  sentiments  chrétiens  et  par  leur  position  sociale  dans  le 
village  :  Lorsque  M.  le  curé  de  Villotte,  un  de  mes  prédécesseurs,  était  en  instances  à  Châlons 
pour  obtenir  cette  relique,  un  curé  d'une  paroisse  voisine  se  raillait  de  lui  :  il  perdit  la  vue  en 
punition  de  ce  manque  de  respect,  et  il  ne  la  recouvra  qu'après  une  neuvaine  d'expiation  et  de 
prières  faite  de  concert  avec  son  confrère  de  Villotte.  Cette  relique,  je  l'expose  solennellement  et 
la  fais  baiser  aux  fidèles  deux  fois  par  année  :  le  jour  de  la  fête  patronale  et  le  jour  de  la  fête  des 
saintes  reliques  ». 

Acta  Sanctorum;  Beautés  de  la  Champagne,  par  M.  l'abbé  Boitel;  Vies  des  Saints  du  Limousin,  par 
M.  Labiche  de  Reignefort;  Notes  locales  dues  à  l'obligeance  de  M.  l'abbé  Quetsch,  curé  de  Villotte,  diocèse 
de  Verdun. 


SAINTE  MANNE  OU  MENNE,  VIERGE, 

AU    DIOCÈSE    DE    CHALONS  -  SUR  -  MARNE  (lle  siècle). 

Cette  Sainte  naquit  à  Soulosse,  lieu  peu  éloigné  de  Neufchâteau.  Son  père,  riche  seigneur  issu 
d'une  famille  princière,  se  nommait  Bactius  ou  Baccius,  et  sa  mère  Lintrude  ou  Lientrude.  Elle 
fut  présentée  de  bonne  heure  à  Memmie,  évèque  de  Châlons,  pour  être  baptisée  de  sa  main.  Le 
saint  Pontife,  après  l'avoir  instruit  de  la  doctrine  de  l'Evangile,  lui  conféra  le  baptême,  et  la 
remit  ensuite  à  ses  parents,  en  attendant  qu'elle  pût  recevoir  plus  tard  des  leçons  d'une  plus  haute 
perfection. 

Quand  elle  fut  plus  avancée  en  âge,  on  la  ramena  à  Châlons,  où  elle  fut  placée  par  Memmie 
dans  un  couvent  de  saintes  filles.  Il  venait  souvent  la  visiter,  lui  donnait  tous  ses  soins,  et  faisait 
germer  dans  son  cœur  toutes  les  vertus.  Sa  modestie  était  parfaite.  Tout  le  monde  admirait  ses 
belles  qualités  ;  elle  seule  ne  s'en  doutait  pas.  Elle  eut  bientôt  occasion  de  déployer  une  vertu  fort 
rare,  la  constance.  Ses  parents  l'ayant  retirée  du  couvent  pour  la  présenter  à  la  cour,  elle  y  fut 
recherchée  en  mariage  par  plusieurs  princes.  Son  père  favorisait  leurs  desseins  ;  mais  la  sainte  fille, 
qui  s'était  donnée  à  son  Epoux  céleste,  ne  voulut  jamais  y  consentir.  Aussi  ferma-t-elle  constam- 
ment les  yeux  aux  honneurs,  aux  richesses  et  aux  plaisirs  que  le  monde  s'empressait  de  lui  offrir. 

Cependant  son  père  persistait  à  lui  faire  accepter  la  main  d'un  grand  seigneur  à  qui  il  avait 
même  donné  sa  parole.  Manne,  surprise  de  cette  résolution,  implora  le  secours  de  son  Sauveur,  et, 
par  son  inspiration,  sortit  secrètement  du  château  de  son  père  et  se  dirigea  vers  Châlons.  Pendant 
que  Memmie  célébrait  les  saints  mystères,  Manne  va  se  prosterner  à  ses  pieds,  lui  expose  son  dé- 
sir, déploie  le  voile  qu'elle  a  apporté  et  conjure  le  saint  Pontife  de  la  consacrer  vierge  pour  le 
reste  de  ses  jours.  Etonné  de  cette  proposition,  il  refuse  de  s'y  rendre  sans  le  consentement  de  ses 
parents  ;  mais  tout  à  coup  le  voile  s'élève  insensiblement  dans  l'air  par  le  ministère  des  anges  en 
présence  de  toute  l'assemblée,  comme  pour  être  bénit  de  la  main  même  de  Dieu.  Puis  il  se  ra- 
baisse insensiblement,  et  se  tient  étendu  sur  la  tête  de  la  jeune  fille.  Memmie  connaît  par  ce  pro- 
dige la  volonté  "divine  ;  il  ne  balance  plus,  achève  la  cérémonie  commencée  par  les  anges,  consacre 
Manne  religieuse  et  la  retient  quelque  temps  à  Châlons.  Ses  parents,  instruits  de  tout  ce  qui  s'est 
passé,  se  soumettent  aux  ordres  du  ciel.  v 

Manne  retourna  dans  son  pays  où  elle  resta  jusqu'à  la  mort  de  ses  parents.  Forcée  de  quitter 
la  maison  paternelle  pour  échapper  aux  fureurs  de  la  persécution,  elle  se  rendit  à  Fontenet.  Mais 
elle  vint  se  remettre  sous  la  conduite  de  sainte  Pome,  à  laquelle  elle  succéda  dans  la  direction  des 
Filles-Dieu,  charge  dont  elle  ne  négligea  rien  pour  s'acquitter  dignement  et  qu'elle  exerça  près  de 
douze  ans. 

Dieu  l'honora  de  son  vivant  du  don  des  miracles.  Elle  entra  dans  la  gloire  céleste  le  3  octobre, 


,0  3   OCTOBRE. 

iour  annuel  on  célèbre  sa  fête.  Son  corps  fut  inhumé  auprès  de  celui  de  sainte  Pome.  Il  en  fut 
Cavec "l.  permission  de  Roger  I«,  quarante-troisième  évèque  de  Châlons,  et  transfère  par  Bru- 
no de  Dachsbourg.  devenu  pape  sous  le  nom  de  Léon  IX,  dans  l'église  de  l'abbaye  de  Poussay, 
autrefois  Porsas,  par  corruption  du  premier  vocable  :  Portus-Suavù,  Port-Suave.  Cette  translation 
se  fit  le  15  mai  1036.  Sainte  Manne  est  reconnue  comme  patronne  de  cette  abbaye.  Ces  rehqnes 
avant  été  reconnues  et  déclarées  authentiques,  on  en  a  déposé  quelques  parcelles  dans  la  chapelle 
champêtre  dédiée  à  cette  sainte  vierge,  et  située  dans  un  charmant  petit  vallon,  au  milieu  des 
forêts,  non  loin  du  bourg  de  Blénod-lès-Toul,  dont  elle  dépend. 

Tiré  de  Y  Histoire  du  diocèse  de  Toul  et  de  celui  de  Nancy,  par  M.  l'abbé  Guillaume,  et  des  Beautés  de 
fkistoire  de  la  Champagne,  par  M.  l'abbé  Boitel. 


SAINT  CYPRIEN  DE  MARSEILLE, 

ÊVÊQUE  DE  L'ANCIEN  SIÈGE  DE  TOULON,  DIOCÈSE  DE  FRÉJUS  (VI°  siècle). 

Cyprien,  issu  d'une  noble  et  illustre  famille  de  Marseille,  naquit  vers  la  fin  du  v«  siècle.  Il  fut 
élevé  dans  l'abbaye  de  Saint-Victor  où  il  apprit  les  sciences  et  la  vertu,  et  se  rendit  ensuite  à 
Arles,  auprès  de  saint  Césaire,  qui  le  fit  diacre  de  son  église,  et  le  mena  avec  lui  au  coneile  d'Agde 
(506).  Durant  l'exil  du  saint  évêque,  Cyprien  gouverna  sagement  son  église. 

A  la  mort  de  l'évêque  de  Toulon,  il  fut  élu  pour  lui  succéder,  et  sacré  par  saint  Césaire,  son 
métropolitain.  Il  travailla  avec  le  plus  grand  zèle  à  rétablir  dans  son  diocèse  la  pureté  de  la  foi  et 
des  mœurs,  tâche  difficile  à  cause  de  l'hérésie  arienne  et  du  trouble  des  guerres.  Toujours  étroi- 
tement uni  à  saint  Césaire,  il  eut  part  aux  actes  les  plus  importants  de  cet  illustre  prélat,  et  par- 
tagea les  dangers  et  les  maux  qu'il  eut  à  souffrir  pour  la  vérité  et  la  justice.  Il  assista  avec  lui  à 
plusieurs  conciles,  et  le  remplaça  à  celui  de  Valence,  où  il  combattit  admirablement  les  Semi-Péla- 
giens.  Quand  la  Provence  fut  tombée  au  pouvoir  des  Francs,  Cyprien  regarda  ce  changement  de 
domination  comme  une  faveur  du  ciel  et  en  profita  pour  extirper  l'hérésie  de  son  diocèse.  Il  prit 
part  au  concile  d'Orléans  de  541. 

Après  la  mort  de  saint  Césaire,  son  ami,  il  écrivit  l'histoire  de  ce  saint  prélat.  Il  mourut  ve*s 
le  milieu  du  vi*  siècle,  et  fut  enterré  dans  son  église  où,  dans  la  suite  des  temps,  on  bâtit  une 
magnifique  chapelle  en  son  honneur.  Cette  chapelle  a  subsisté  jusqu'au  temps  du  roi  Henri  IV  t 
saint  Cyprien  a  toujours  été  vénéré  comme  le  patron  et  le  second  titulaire  de  l'église  de  Toulon  : 
on  y  conservait  ses  reliques  avec  vénération. 

Propres  de  Marseille  et  de  Fréjus. 


LES  DEUX  SAINTS  EWALD,  FRÈRES, 

PRÊTRES    ET    MARTYRS    EN    WESTPHALIE    (695). 

Peu  de  temps  après  l'arrivée  de  saint  Willibrord  et  de  ses  compagnons  dans  la  Frise,  sur  la  fia 
du  vu»  siècle,  deux  frères,  anglais  de  naissance,  et  tous  deux  prêtres,  suivirent  leur  exemple  et 
résolurent  d'aller  aussi  prêcher  l'Evangile  aux  idolâtres.  Ils  vinrent  dans  le  pays  des  anciens  Saxons 
(Westphalie).  Avant  leur  départ  pour  venir  en  Germanie,  ils  avaient  voyagé  en  Irlande  pour  se 
perfectionner  dans  les  sciences  et  dans  la  vertu.  Comme  ils  portaient  le  même  nom,  on  les  distingua 
par  la  couleur  de  leurs  cheveux  ;  l'un  s'appelait  Ewald  le  Noir,  et  l'autre  Ewald  le  Blanc.  Le 
premier  était  plus  versé  dans  la  connaissance  de  l'Ecriture,  mais  ils  étaient  tous  deux  également 
remplis  de  ferveur  et  de  zèle. 

Les  anciens  Saxons  d'Allemagne  étaient  alors  gouvernés  par  différents  petits  princes  qui, 
en  temps  de  guerre,  réunissaient  leurs  forces,  et  se  choisissaient  un  commandement  par  la  voie  du 
sort.  Tou3  devaient  ensuite  obéir  à  ce  chef.  La  guerre  finie,  chacun  rentrait  dans  son  premier  état, 


LE  B.   JEAN  MASSIAS  D'ESPAGNE,   RELIGIEUX  DOMINICAIN.  11 

Les  deux  Saints,  eo  entrant  dans  le  pays  des  Saxons,  rencontrèrent  un  fermier  et  le  prièrent  de  les 
conduire  à  celui  qu'il  reconnaissait  pour  son  prince.  Ils  ne  cessèrent,  pendant  le  chemin,  de  priert 
de  réciter  des  psaumes  et  de  chanter  des  hymnes.  Tous  les  jours  ils  offraient  le  saint  sacrifice, 
portaient  avec  eux  des  vases  sacrés  et  une  table  bénite  qui  leur  servait  d'autel.  Les  barbares,  qui 
les  observaient,  craignirent  qu'ils  n'engageassent  le  prince  à  renoncer  au  culte  des  idoles,  et  ils 
formèrent  le  dessein  de  leur  ôter  la  vie.  Ils  tuèrent  sur-le-champ  Ewald  le  Blanc  ;  mais  ils  firent 
souffrir  à  son  frère  des  tourments  longs  et  cruels,  après  quoi  ils  le  mirent  en  pièces.  Le 
prince  du  territoire,  informé  de  ce  qui  venait  de  se  passer,  entra  dans  une  grande  colère,  con- 
damna les  coupables  à  mort,  et  fit  mettre  le  feu  à  leur  village.  Les  corps  des  Martyrs,  qu'on  avait 
jetés  dans  le  Rhin,  furent  miraculeusement  découverts,  et  Tilman  fut  averti,  par  une  vision,  de  les 
retirer.  C'était  un  homme  d'une  haute  naissance,  qui,  après  avoir  porté  les  armes  en  Angleterre, 
avait  embrassé  l'état  monastique,  et  était  en  Allemagne  comme  missionnaire.  S'étant  réuni  à  d'au- 
tres ouvriers  évangéliques,  il  enterra  les  Saints  au  lieu  de  leur  martyre.  Pépin,  duc  des  Francs, 
ayant  eu  connaissance  des  miracles  qui  se  faisaient  à  leur  tombeau,  les  fit  depuis  transporter  hono- 
rablement à  Cologne  ;  on  les  y  garde  encore  aujourd'hui  dans  l'église  de  Saint-Cunibert. 

On  met  le  martyre  de  nos  deux  Saints  entre  les  années  690  et  700  ;  mais  l'opinion  la  plus  pro- 
bable est  qu'ils  souffrirent  en  695.  On  les  honora  d'un  culte  public  immédiatement  après  leur  mort, 
comme  on  le  voit  par  le  martyrologe  de  Bède,  qui  parait  avoir  été  compilé  l'année  suivante.  En 
1074,  saint  Annon,  archevêque  de  Cologne,  fit  transférer  leurs  reliques  dans  l'église  dont  nous 
avons  parlé.  Il  donna  leurs  chefs  à  Frédéric  de  Munster;  mais  ils  ont  disparu  depuis  les  ravages 
sacrilèges  des  Anabaptistes  en  1534.  Les  deux  saints  Ewald  sont  honorés  dans  toute  la  Westphalie 
comme  patrons  du  pays. 

Un  livre,  un  calice  et  une  massue,  tels  sont  les  attributs  de  saint  Ewald  le  Blanc  :  le  livre  et 
le  calice  indiquent  sa  dignité  de  prêtre,  et  la  massue  le  genre  de  supplice  qu'il  endura.  —  Quant 
à  saint  Ewald  le  Noir,  on  le  peint  ordinairement  portant  un  agneau  sur  un  livre  :  peut-être  a-t-on 
voulu  symboliser  la  mansuétude  avec  laquelle  il  accepta  la  mort.  On  lui  met  aussi  l'épée  à  la  main, 
comme  ayant  péri  par  le  glaive.  —  Au-dessus  des  deux  frères,  réunis  en  groupe,  on  représente 
parfois  une  lumière  céleste,  ou  parce  qu'ils  venaient  apporter  aux  Saxons  la  lumière  de  l'Evangile, 
on  à  cause  de  l'éclat  qui  fit  reconnaître  leurs  corps  que  les  idolâtres  avaient  jeté  dans  le  Rhin. 

Acta  Sanctorum;  Propre  de  Cologne;  Godescard;  Caractéristiques  des  Saints. 


LE  B.  JEAN  MASSIAS  D'ESPAGNE,  RELIGIEUX  DOMINICAIN 

AU  MONASTÈRE  DE  SAINTE-MADELEINE  DE  LIMA  (1645). 

Jean  Massias  naquit  dans  l'Estramadure,  le  2  mars  1585  :  Philippe  II  régnait  en  Espagne  et  Gré- 
goire XIII  occupait  le  trône  pontifical.  Le  Bienheureux  perdit  ses  parents  de  bonne  heure,  et  il 
resta  avec  sa  sœur  sous  la  protection  de  ses  oncles.  Aussitôt  qu'il  eut  atteint  l'âge  de  raison,  on 
lui  confia  la  garde  des  troupeaux,  et  au  milieu  des  champs  où  il  les  menait  paître,  il  occupait  son 
temps  à  prier  et  à  méditer.  Il  vit  un  jour  paraître  près  de  lui  un  enfant  d'une  beauté  remarquable, 
qui  lui  dit  :  «  Je  suis  saint  Jean  l'Evangéliste;  Dieu  t'a  confié  à  ma  garde  à  cause  de  ta  piété,  n'aie 
donc  aucune  crainte  ».  Il  expliqua  à  l'enfant,  qui  l'ignorait,  ce  qu'il  était,  et,  lui  apparaissant  de 
nouveau  quelques  jours  après,  il  le  mena  en  esprit  au  ciel,  sa  patrie.  Ces  apparitions  se  renouve- 
lèrent souvent,  et  la  protection  de  son  gardien  se  manifesta  dans  de  nombreuses  circonstances  d'une 
façon  visible  et  miraculeuse. 

Plus  tard,  le  Bienheureux  voyagea;  il  vit  Xérès,  Séville,  et  partit  pour  l'Amérique  avec  un 
marchand  qui  le  prit  à  son  service.  Quand  il  fut  arrivé,  ce  marchand  le  remercia  sous  prétexte 
qu'il  n'était  pas  assez  instruit  pour  remplir  l'office  dont  il  l'avait  chargé.  Jean  Massias  erra  long- 
temps à  travers  l'Amérique,  puis,  enfin,  arriva  à  Lima,  où  Dieu  voulait  le  sanctifier.  Il  avait  fait 
neuf  cents  lieues  à  travers  les  solitudes  et  il  avait  subi  des  privations  incroyables.  A  Lima,  il  reprit 
son  premier  métier;  pendant  deux  ans  Dieu  bénit  et  multiplia  les  troupeaux  du  maître  qui  l'avait 
pris  à  son  service.  Ces  deux  années  écoulées,  le  ciel  inspira  au  Bienheureux  le  désir  d'entrer  chez 
les  Dominicains  :  il  avait  trente-six  ans  quand  il  fut  reçu  au  couvent  de  Sainte-Madeleine  de  Lima. 
Au  mois  de  janvier  1623  il  prononçait  ses  vœux  en  qualité  de  frère  lai,  et  la  charge  de  portier  lui 
était  confiée. 


42  4  OCTOBRE. 

Dès  lors,  frère  Jean  Massias  entra  franchement  dans  la  voie  des  mortifications  et  des  austérités. 
Il  n'accorda  plus  à  son  corps  que  ce  qui  lui  était  absolument  nécessaire  pour  ne  pas  mourir.  Il  se 
donnait  fréquemment  la  discipline,  passait  ses  nuits  en  prières  et  portait  de  rudes  cilices  et  des 
chaînes  de  fer.  Ces  austérités  le  réduisirent  bientôt  à  l'extrémité;  on  le  vit  marcher  tout  courbé  et 
tout  boiteux.  Sur  la  fin  de  sa  vie,  ses  supérieurs  l'ayant  obligé  de  se  traiter  moins  durement  et  de 
laisser  ses  cilices,  il  parvint  à  dérober  une  chaine  qu'il  continua  de  porter. 

Autant  il  était  dur  pour  lui-même,  autant  il  était  doux  et  charitable  envers  les  autres.  Comme 
portier,  il  était  chargé  de  la  distribution  des  aumônes  du  couvent,  et  c'était  plaisir  de  voir  avec 
quelle  amabilité  et  quelle  affabilité  il  traitait  ses  chers  pauvres.  Pour  les  personnes  d'une  condi- 
tion plus  élevée,  que  le  malheur  avait  fait  tomber  dans  l'indigence,  afin  de  leur  éviter  l'humiliation 
de  recevoir  l'aumône  à  la  porte  du  couvent,  il  les  faisait  entrer  dans  une  salle  à  part  où  leur  repas 
était  préparé.  Il  les  servait  à  genoux,  comme  il  eût  servi  Jésus-Christ.  Le  couvent  n'était  pas  riche, 
et  bien  souvent  le  ciel  fit  des  miracles  en  faveur  de  Jean  Massias.  Le  pain  se  multiplia  entre  ses 
mains.  D'autres  fois  il  s'adressait  à  la  sainte  Vierge  qui  lui  indiquait  dans  la  ville  les  personnes 
auxquelles  il  pouvait  demander.  Il  s'y  rendait  et  recevait  toujours  ce  dont  il  avait  besoin.  Quand  il 
éprouvait  quelque  refus,  le  ciel  vengeait  ce  refus  comme  il  arriva  pour  un  marchand  qui  ne  lui 
avait  pas  donné  ce  qu'il  avait  demandé  et  dont  la  maison  resta  complètement  vide  d'acheteurs  jus- 
qu'à ce  qu'il  eut  réparé  sa  faute. 

Souvent  dans  une  chapelle  de  la  sainte  Vierge  où  il  passait  la  nuit  en  prières,  les  âmes  du  pur- 
gatoire lui  apparaissaient  et  le  suppliaient  d'intercéder  pour  elles,  d'offrir  pour  elles  à  Dieu  ses 
austérités.  Alors  le  Bienheureux  redoublait  ses  mortifications  et  ses  prières,  tant  la  charité  em- 
brasait son  cœur.  Quand  l'une  de  ces  âmes  avait  obtenu  sa  délivrance,  elle  venait  le  remercier,  et 
la  joie  de  ses  âmes  parvenues  au  bonheur  du  ciel  était  sa  plus  douce  et  sa  meilleure  récompense. 
Nous  ne  parlerons  pas  des  miracles  que  le  Bienheureux  opéra  pendant  sa  vie;  ils  furent  très  nom- 
breux et  éclatants. 

Enfin  l'heure  de  sa  mort  arriva.  Ce  fut  le  16  septembre  1645  que,  muni  des  sacrements  de 
l'Eglise,  il  rendit  son  âme  à  Dieu.  Il  avait  soixante  ans,  six  mois  et  quinze  jours.  En  1836,  Gré- 
goire XVI  le  béatifia.  L'Ordre  de  Saint-Dominique  célèbre  sa  fête  le  3  octobre. 

Cf.  Rlbadeneira,  Vies  des  Saints  ;  et  l'abbé  Daras,  Petites  fleurs  du  Cloître. 


IVe  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Assise,  dans  l'Ombrie,  la  naissance  au  ciel  de  saint  François,  confesseur,  fondateur  de 
l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  dont  la  vie  toute  sainte  et  pleine  de  miracles  a  été  écrite  par  saint 
Bonaventure.  1226.  —  A  Corinthe,  la  fêle  de  saint  Crispe  et  de  saint  Caïus,  dont  l'Apôtre  saint 
Paul  fait  mention  dans  son  épitre  aux  Corinthiens,  i"  s.  —  En  Egypte,  les  saints  martyrs  Marc 
et  Marcien,  frères,  et  une  multitude  presque  innombrable  d'autres  martyrs  de  tout  sexe  et  de  tout 
âge,  dont  les  uns,  après  avoir  été  battus  de  verges,  les  autres,  après  avoir  souffert  d'horribles  tor- 
tures de  divers  genres,  furent  livrés  aux  flammes;  d'autres  précipités  dans  la  mer;  quelques-uns 
eurent  la  tète  tranchée;  plusieurs  moururent  de  faim;  d'autres  furent  attachés  à  des  gibets;  quel- 
ques-uns, suspendus  la  tète  en  bas  et  les  pieds  en  haut;  tous  obtinrent  la  précieuse  couronne  du 
martyre.  304  ou  305.  —  A  Damas,  saint  Pierre,  évèque  et  martyr,  qui,  étant  accusé  devant  le 
prince  des  Agaréniens  d'avoir  enseigné  la  foi  de  Jésus-Christ,  eut  la  langue,  les  mains  et  les  pieds 
coupés,  et,  en  cet  état,  fut  attaché  à  une  croix  où  il  consomma  son  martyre.  742.  —  A  Alexan- 
drie, les  saints  prêtres  et  diacres,  Caïus,  Fauste,  Eusèbe,  Chérémon,  Lucius  et  leurs  compagnons; 
dont  les  uns  fuient  martyrisés  durant  la  persécution  de  Valérien;  les  autres,  en  servant  les  martyrs 
reçurent  la  récompense  des  martyrs,  m»  s.  -  A  Athènes,  saint  Hiérothée,  disciple  de  l'Apôtre 


MARTYROLOGES.  13 

saint  Paul.  —  A  Bologne,  saint  Pétrone,  évêque  et  confesseur,  qui  se  distingua  par  sa  doctrine, 
ses  miracles  et  sa  sainteté  ».  Vers  450.  —  A  Paris,  sainte  Aure,  vierge.  666. 

MARTYROLOGE  DE  FRANGE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Aux  diocèses  de  Blois,  Dijon,  Meaux,  Paris  et  Verdun,  saint  François  d'Assise,  confesseur,  fon- 
dateur de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  1226.  —  A  Paris, 
saint  Lisbe,  premier  martyr  de  cette  ville.  Il  profita  si  bien  de  la  prédication  de  saint  Denis, 
qu'ayant  embrassé  la  foi  qu'il  annonçait,  il  reçut  de  ses  mains  le  saint  Baptême  et  continua  avant 
lui,  par  une  mort  glorieuse,  la  vérité  du  Christianisme  s.  —-  A  Trêves,  les  saints  martyrs  Thyrse 
et  ses  compagnons,  soldats  de  l'illustre  légion  thébeenne.  Ils  furent  mis  à  mort  par  Tordre  de  Rie- 
tiovare,  et  l'eau  de  la  Moselle  fut  empourprée  de  leur  sang.  Leurs  corps,  retrouvés,  sur  une  ins- 
piration du  ciel,  par  les  chanoines  de  Saint-Paulin  de  Trêves,  furent  ensevelis  avec  respect  dans 
la  crypte  de  cette  église,  où  de  nombreux  miracles  s'opérèrent  dans  la  suite.  —  Au  diocèse  de 
Meaux,  saint  Quintin  (Quinctinus),  martyr  à  Tours  et  natif  de  Villeparisis  (Seine-et-Marne,  arron- 
dissement de  Meaux,  canton  de  Claye).  Il  avait  un  emploi  considérable  sous  Gontran,  sans  qu'on 
puisse  déterminer  si  ce  fut  le  roi  de  ce  nom  (561-593)  ou  Gontran  Boson,  général  du  roi  Sige- 
bert  Ier  (561-575).  Quoi  qu'il  en  soit,  la  maîtresse  de  Gontran  le  sollicita  de  consentir  à  ses  infâmes 
désirs;  mais  elle  trouva  en  lui  un  autre  Joseph.  Furieuse  d'avoir  été  méprisée  et  de  n'avoir  pn 
satisfaire  sa  passion,  elle  le  fit  assassiner.  Quintin  mérita  ainsi  la  double  couronne  du  martyre  et 
de  la  chasteté.  En  1238,  un  de  ses  bras  fut  envoyé  à  Meaux,  où  il  est  conservé  dans  l'église  cathé- 
drale. vie  siècle.  —  A  Verdun,  le  décès  de  saint  Madalvé  ou  Mauve  (Magdalveus),  vingt-troisième 
évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  dont  nous  donnerons  la  vie  au  jour  suivant,  qui  est  celui  que  le 
diocèse  de  Verdun  a  affecté  à  sa  fête.  Vers  777.  —  A  Toul  (Meurthe),  au  diocèse  de  Nancy,  le 
décès  de  saint  Perpet  ou  Perpétue  (Perpetuus),  évêque  (on  ne  sait  de  quel  siège)  et  confes- 
seur 3.  —  A  Moissac  (Tarn-et-Garonne),  au  diocèse  de  Montauban,  saint  Maufroy  (Madelfridus), 
évêque  ou  chorévèque,  «  dont  les  mérites  et  la  sainteté  sont  plus  connus  que  le  siège  épiscopal  où 
il  était  assis  *  ».  —  Sur  la  paroisse  de  Port-Lesney  (Jura,  arrondissement  de  Poligny,  canton  de 
Villers-Farnay),  au  diocèse  de  Saint-Claude,  Notre-Dame  de  Lorette,  dont  le  sanctuaire  fut  fondé  au 
commencement  du  xiv°  siècle  par  le  chevalier  d'Eclans,  assailli  par  une  tempête  furieuse  à  son 
retour  de  la  Terre  Sainte,  et  délivré  miraculeusement  par  l'intercession  de  la  sainte  Vierge  8.  — 
Au  diocèse  d'Autun,  le  vénérable  Widrade,  plus  counu  sous  le  nom  de  Waré,  restaurateur  de  l'ab- 
baye de  Flavigny  (Flaviniacum,  Ordre  de  Saint-Benoit),  au  diocèse  de  Dijon,  et  fondateur  du 
monastère  de  ^airit-Andoche  de  Saulieu  (S.  Andochius  de  Sedeloco),  au  diocèse  d'Autun.  Il  fut 
inhumé  dans  l'église  abbatiale  de  Flavigny.  747.  —  A  Auxerre,  les  saints  martyrs  Marse,  prêtre, 
Corcodome,  diacre,  Jovinien  et  Alexandre,  sous-diacres,  et  un  autre  Jovinien,  lecteur,  compagnons 

1.  Pétrone,  d'une  illustre  famille  romaine,  reçut  a  la  maison  paternelle  une  éducation  distinguée  et 
passa  sa  jeunesse  à  visiter,  pour  se  perfectionner  dans  la  science  des  Saints,  les  anachorètes  qui  habitaient 
les  déserts  de  la  Palestine  et  de  l'Egypte.  De  retour  en  Italie,  il  se  concilia,  par  ses  vertus,  l'estime  de 
tous  ceux  qui  le  connurent,  et  l'évêché  de  Bologne  étant  venu  à  vaquer  par  la  mort  de  saint  Félix,  Pétrone 
fut  choisi  pour  l'occuper  (430;.  Bologne  venait  d'être  désolée  par  les  armées  d'Alaric  ;  le  saint  évêque 
consacra  ses  richesses  et  son  zèle  a  la  relever  de  ses  ruin-s.  Il  y  fonda  ou  répara  de  nombreuses  églises 
«t  l'enrichit  de  précieuses  reliques.  Son  corps  ayant  été  découvert  en  1141,  et  sa  sainteté  ayant  été  con- 
firmée par  plusieurs  miracles,  la  ville  de  Bologne  fit  bâtir  (1211)  une  église  sous  son  invocation  :  elle 
appartient  aujourd'hui  aux  Servîtes.  En  1590  ou  en  bâtit  une  autre  beaucoup  plus  belle  que  la  première  : 
elle  est  desservie  par  un  chapitre  de  chanoines  réguliers.  On  le  représente  tenant  à  la  main  une  petite 
réduction  de  la  cathédrale  et  de  la  fameuse  tour  de  Bologne  (la  Garisendà)  :  c'est  pour  rappeler  qu'il  releva 
cette  ville  de  ses  ruines.  —  Acta  Sanctorum;  Godescard,  Baiilet,  Gennade,  Kufin. 

2.  Cette  mention  est  de  Du  Saussay  et  ne  se  trouve  que  dans  son  martyrologe.  C'est  ce  qui  fait  croire 
aux  Bollandistes  que  Du  Sans  s:iy  l'a  puisée  dans  des  Actes  er  onés  de  saint  Denis.  Nous  ne  l'avons  rap- 
portée que  comme  mémoire  et  sous  bénéfice  d'inventaire.  —  Cf.  Prxtermissi  ad  diem  4  octobris,  tome  il 
d'octobre,  page  325. 

3.  La  mention  est  de  Philippe  Ferrari  (Catalogue  général  des  Saints).  Les  Bollandistes  (Prxtermissi 
du  4  octobre)  déclarent  ne  l'avoir  rencontrée  nulle  part  ailleurs.  Nos  recherches  n'ont  pas  été  plus  heu- 
reuses et  nous  n'avons  maintenu  la  mention  que  comme  mémoire. 

4.  Ce  sont  les  paroles  de  Chastelain,  dans  son  Martyrologe  universel.  Les  Bollandistes  {Prxtermissi 
du  4  octobre)  semblent  faire  fort  peu  de  cas  de  cette  mention  que  nous  n'avons  conservée,  toute  vague 
qu'elle  peut  paraître,  qu'à  défaut  de  documents  plus  sûrs. 

I.  A  ce  sanctuaire  était  annexée  une  confrérie  d'bommes  jadis  fort  célèbre;  le  pèlerinage  l'était  aussi, 
«t  Clément  XI,  en  1703,  accorda  de  nombreuses  indulgences  à  la  visite  de  la  chapelle  de  Lorette.  Elle  fut 
rendue  en  93  et  demeura  de  longues  années  dans  un  état  complet  de  délabrement.  Enfin  elle  arriva  en  la 
possession  d'une  famille  religieuse  qui  la  fit  renaître  de  ses  ruines  et  y  éleva  un  autel  dans  le  style  de 
l'édifice  :  le  4  octobre  1857,  l'évêque  de  Saint-Claude  la  bénit  et  y  célébra,  pour  la  première  fois  depuis  la 
Révolution,  les  saints  mystères.  —  Cf.  Hamon,  Notre-Dame  de  France. 


J4  4   OCTOBRE. 

de  saint  Pèlerin  ou  Pérégrin,  apôtre  des  diocèses  d'Auxerre  et  de  Nevers,  dont  nous  avons  donné 
la  vie  au  16  mai.  303  ou  304. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint-François.  —  A  Assise,  dans  l'Ombrie,  la  naissanee  au 
ciel  du  patriarche  séraphique,  notre  Père  saint  François,  confesseur  et  lévite,  fondateur  des  trois 
Ordres.  Saint  Bonaventure,  cardinal  évêque,  et  élève  de  cet  institut,  a  écrit  fidèlement  sa  Yie  sainte 
et  pleine  de  miracles,  et  le  souverain  pontife  Grégoire  IX  l'a  mis  au  nombre  des  Saints.  1226. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  De  même  que  ci-dessus. 

Martyrologe  des  Mineurs  Capucins  de  Saint-François.  —  A  Assise,  la  naissance  au  ciel  de 
notre  Père  séraphique  saint  François.  1226.  —  La  commémoraison  de  tous  les  frères  de  notre 
Congrégation  qui  reposent  dans  le  Seigneur. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

Au  monastère  d'Anticoli,  dans  les  Etats  de  l'Eglise,  le  décès  du  bienheureux  François  Titelmans 
(Titelmannus),  capucin,  natif  de  Hasselt,  sur  la  Demer  (Limbourg  belge).  Après  avoir  fait  ses 
études  à  l'université  de  Louvain  où  il  obtint  de  brillants  succès,  il  se  rendit  au  couvent  des  Corde- 
liers  de  cette  ville,  où,  son  noviciat  fini,  il  fut  admis  au  nombre  des  élèves  en  théologie  de  cet 
Ordre.  Il  devint  ensuite  professeur  de  philosophie  et  d'Ecriture  sainte,  et  exerça  ces  fonctions  pen- 
dant neuf  ans.  Ayant  entendu  parler  de  la  Réforme  des  Capucins  établie  en  Italie  par  le  Père 
Matthieu  de  Baschi,  il  prit  l'habit  de  cet  Ordre,  et  s'occupa  le  reste  de  sa  vie  à  soigner  les  lépreux 
et  les  autres  malades  dans  l'hôpital  de  Saint-Jacques  de  Rome.  Mais  les  austérités  ruinèrent  bientôt 
sa  santé  et  l'enlevèrent  de  ce  monde  à  l'âge  de  trente-huit  ans.  1537.  —  Au  diocèse  de  Naples, 
saint  François  d'Assise,  fondateur  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce 
jour.  1226.  —  En  Syrie,  sainte  Domnine,  et  ses  deux  filles  les  saintes  Bernice  (Bérinne,  Béré- 
nice) et  Prosdoce,  martyres.  Vers  306.  —  A  Ephèse  (aujourd'hui  Aïa-Solouk),  ville  de  l' Asie- 
Mineure,  saint  Adaucte,  martyr,  et  sa  fille  sainte  Callisthène,  vierge.  Adaucte  était  un  riche  citoyen 
d'Ephèse  :  il  devint  préfet  du  prétoire  sous  l'empereur  Maximin-Daïa  (311-313).  Celui-ci  loi  ayant 
proposé  de  lui  livrer  Callisthène  pour  satisfaire  une  passion  criminelle,  Adaucte  répondit  par  un 
refus  formel.  Irrité,  l'empereur  fit  confisquer  tous  les  biens  d'Adaucte,  et  le  relégua  à  Mélitène 
(aujourd'hui  Malatia,  ville  de  la  Turquie  d'Asie,  dans  le  livah  de  Marach)  où  il  eut  la  tète  tranchée. 
Quant  à  Callisthène,  elle  se  réfugia  à  Nicomédie  (aujourd'hui  Isnikmid,  dans  la  Bithynie)  où  elle 
demeura,  déguisée  sous  des  vêtements  d'homme,  jusqu'à  la  mort  de  Maximin  (313).  Sous  l'empe- 
reur Licinius  Licinianus  (313-324)  elle  vint  à  la  cour,  obtint  l'autorisation  de  ramener  les  restes 
mortels  de  son  père  de  Mélitène  à  Ephèse,  éleva  sur  son  tombeau  un  petit  oratoire  et  y  acheva  ses 
jours  dans  la  pratique  de  toutes  les  vertus.  Commencement  du  iv°  s.  — •  A  Galatz  (Axiopolis), 
ville  de  Moldavie,  sur  le  Danube,  saint  Dase  (Dasius),  cité  sans  plus  de  détails  par  les  apographes 
de  saint  Jérôme.  —  A  Carthage,  ville  ruinée  d'Afrique,  sur  la  côte  septentrionale  de  la  3arltarie 
actuelle,  les  saints  martyrs  Maruse  (Marise,  Maurnse),  Restitut  et  Jules,  cités  à  la  même  source. 
—  Dans  les  solitudes  de  la  Nitrie,  en  Egypte,  saint  Ammon  (Amoun,  Admon,  Ampon,  Aupoa), 
ermite,  fondateur  de  la  vie  monastique  dans  ces  contrées.  Vers  350, 


SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE,    CONFESSEUR.  15 


S.  FRANÇOIS  D'ASSISE,  CONFESSEUR, 

FONDATEUR  DE  L'ORDRE  DES  FRÈRES  MINEURS. 


1182-1226.  —  Papes  :  Lucius  m  ;  Honorius  m.  —  Empereurs  d'Allemagne 
Frédéric  I«r,  Barberousse  ;  Frédéric  H. 


Ego  mendient  non  et  pauper. 

Ps.  XXIX,  18. 

Qui  n'admirerait  la  folie  sublime  et  céleste  de  saint 
François  d'Assise,  qui  lui  fait  établir  ses  richesses 
dans  la  pauvreté,  ses  délices  dans  les  souffrances» 
sa  gloire  dans  la  bassesse  ! 

Bossuet,  Panégyriques* 

Saint  François  naquit  à  Assise,  petite  ville  de  l'Ombrie,  en  Italie,  située 
dans  les  montagnes  des  Apennins,  à  égale  distance  de  Rome  et  de  Lorette, 
Tan  de  grâce  1482,  sous  le  pontificat  de  Lucius  III  et  le  règne  de  Frédéric 
Barberousse.  Son  père,  nommé  Pierre  Bernardone,  était  un  riche  marchand 
de  la  même  ville,  qui  avait  un  commerce  étendu,  surtout  en  France  :  ce 
que  les  nobles  faisaient  en  Italie,  sans  perdre  pour  cela  leur  titre  de  no- 
blesse. Sa  mère,  nommée  Picca,  était  une  dame  d'une  grande  vertu,  bonne 
et  pieuse,  qui  méritait  d'être  la  mère  d'un  Saint.  Lorsqu'elle  fut  près  de 
mettre  ce  fils  au  monde,  elle  fut  longtemps  en  travail  d'enfant  et  dans  des 
douleurs  inconcevables  sans  pouvoir  être  délivrée.  Un  pèlerin  vint  alors  à 
sa  porte  demander  l'aumône,  et,  lorsqu'il  l'eut  reçue,  il  dit  à  celle  qui  la 
lui  avait  apportée,  que,  si  la  dame  du  logis  voulait  être  délivrée,  il  fallait 
qu'elle  se  fît  porter  dans  une  étable,  parce  que  son  enfant  devait  naître  sur 
la  paille.  Elle  obéit  à  ce  conseil,  et  aussitôt  elle  accoucha  heureusement. 
Plusieurs  croient  que  ce  pèlerin  était  un  ange.  On  a  depuis  changé  cette 
étable  en  une  chapelle  sous  le  nom  de  San-Francesco-il-Piccolo,  Saint-Fran- 
çois le  Petit. 

Peu  de  temps  après,  on  pensa  à  le  baptiser,  et  un  second  pèlerin  s'offrit 
pour  le  tenir  sur  les  fonts  baptismaux  :  c'était  un  ange  envoyé  de  Dieu.  On 
lui  donna  le  nom  de  Jean.  Il  changea  depuis  de  nom  et  prit  celui  de  Fran- 
çois, soit  que  son  père,  qui  était  en  France  au  temps  de  sa  naissance,  le  lui 
ait  donné  à  son  retour,  en  souvenir  de  l'accueil  bienveillant  qu'il  avait  reçu 
dans  ce  royaume  ;  soit  que  lui-même  l'ait  voulu  porter  par  une  singulière 
affection  pour  les  Français,  et  parce  qu'il  en  avait  appris  la  langue  en  fort 
peu  de  temps  ;  soit  enfin  que  la  faculté  qu'il  avait  de  parler  français  l'ait 
fait  appeler  François  par  ceux  qui  le  fréquentaient  dans  sa  jeunesse.  Pen- 
dant qu'il  était  encore  à  la  mamelle,  un  troisième  pèlerin  vint  demander  à 
le  voir  et  à  l'embrasser  ;  et,  ayant  prédit  de  grandes  choses  de  lui,  il  avertit 
que  l'enfer  faisait  tous  ses  efforts  pour  le  faire  périr  :  ce  que  le  démon  fut 
obligé  d'avouer  depuis  dans  un  exorcisme. 

Son  éducation  fut  toute  sainte,  et  sa  mère  ne  manqua  pas  de  lui  inspirer 
de  bonne  heure  l'horreur  du  vice  et  l'amour  de  la  vertu.  Il  fut  néanmoins 
prodigue  à  l'excès  dans  sa  jeunesse  ;  il  aimait  la  beauté  des  vêtements,  pa- 
raissait volontiers  avec  éclat  dans  les  fêtes,  traitait  magnifiquement  ses 


16 


4   OCTOBRE. 


compagnons,  et,  ayant  un  pressentiment  qu'il  serait  un  jour  honoré  de  tout 
le  monde,  sans  savoir  comment  ni  pourquoi,  il  faisait  tous  ses  efforts  pour 
l'emporter  sur  ceux  de  son  âge;  mais  tout  mondain  qu'il  était  en  ce 
temps-là,  il  conserva  néanmoins  toujours  inviolablement  la  chasteté.  Ses 
confesseurs  ont  témoigné  qu'il  ne  se  laissa  jamais  emporter  par  une  pensée 
à  un  désir  déshonnête.  De  plus,  il  semblait  que,  selon  la  parole  de  Job,  la 
miséricorde  fût  née  et  eût  pris  croissance  avec  lui.  Il  ne  pouvait  voir  des 
pauvres  sans  être  touché  de  compassion  de  leur  misère  ;  et  comme  son 
père  se  l'était  associé  dans  son  commerce  pour  avoir  part  à  ses  bénéfices, 
il  leur  distribuait  libéralement  une  partie  de  ce  qui  lui  revenait  de  ce 
négoce.  Surtout  il  ne  refusait  jamais  l'aumône  à  ceux  qui  la  lui  deman- 
daient pour  l'amour  de  Dieu  :  ce  mot  de  l'amour  de  Dieu  l'attendrissait 
déjà  si  fort,  qu'il  ne  pouvait  l'entendre  sans  en  être  touché  sensiblement. 
Etant  un  jour  extrêmement  occupé  à  une  vente,  il  en  renvoya  un  sans  lui 
rien  donner  ;  mais  il  n'y  fit  pas  plus  tôt  réflexion  qu'il  courut  après  lui  et 
le  dédommagea  amplement  du  refus  qu'il  lui  avait  fait  essuyer.  Il  promit  à 
Dieu  en  même  temps  de  faire  la  charité,  quand  il  en  aurait  le  moyen,  à 
tous  ceux  qui  la  lui  demanderaient  pour  son  amour  :  ce  qu'il  a  fidèlement 
observé  le  reste  de  ses  jours. 

D'ailleurs,  il  avait  une  douceur  et  une  affabilité  si  grandes,  qu'il  gagnait 
le  cœur  de  tout  le  monde  et  qu'on  le  regardait  dans  Assise  comme  la  perle 
de  la  jeunesse  et  comme  un  homme  qui  ferait  un  jour  la  gloire  de  son  pays 
et  la  consolation  de  toute  la  province.  Il  y  avait  surtout  dans  la  même  ville 
un  habitant  qui,  toutes  les  fois  qu'il  le  rencontrait,  étendait  son  manteau 
pour  lui  servir  de  tapis,  et  se  mettait  même  à  genoux  devant  lui  pour  lui 
témoigner  son  respect  ;  il  disait  que  François  méritait  bien  cet  honneur, 
puisque,  dans  peu  de  temps,  il  serait  vénéré  de  toute  l'Eglise.  Cependant, 
comme  ce  jeune  homme,  encore  plein  de  l'esprit  du  monde,  ne  se  repré- 
sentait que  des  grandeurs  temporelles,  Dieu  voulut  le  gagner  par  une  suite 
de  croix  et  d'afflictions  :  d'abord,  il  permit  que,  dans  une  guerre  entre 
Assise  et  Pérouse,  où  il  voulut  signaler  son  courage  pour  la  défense  de  sa 
patrie,  il  fût  fait  prisonnier  :  cette  captivité  dura  un  an  tout  entier,  pen- 
dant lequel  il  eut  beaucoup  à  souffrir  ;  mais,  bien  loin  de  s'attrister  et  de  se 
laisser  abattre  par  ce  revers,  il  consolait  lui-même  les  compagnons  de 
sa  disgrâce ,  leur  faisant  toujours  espérer  une  prompte  délivrance.  De 
plus,  dès  qu'il  fut  en  liberté,  il  tomba  dangereusement  malade,  ce  qui 
l'obligea  de  se  disposer  à  la  mort  ;  et  ce  fut  alors  qu'il  commença  à  faire 
réflexion  sur  les  vanités  de  sa  vie  passée  et  à  en  concevoir  de  l'horreur.  Il 
ne  quitta  pas  néanmoins  encore  tout  à  fait  l'amour  de  la  propreté  et  de 
l'éclat  des  habits,  dont  il  avait  été  si  rempli.  Dès  qu'il  fut  rétabli  en  santé, 
il  s'habilla  élégamment,  à  son  ordinaire,  afin  de  ne  rien  perdre  de  l'estime 
qu'il  s'était  acquise  parmi  les  jeunes  gens  de  son  âge  ;  mais  il  lit  une  action 
qui  lui  mérita  une  visite  extraordinaire  du  ciel  :  étant  sorti  de  la  ville,  il 
rencontra  un  gentilhomme  de  bonne  mine,  mais  pauvre  et  fort  mal  vêtu, 
se  dépouilla  généreusement  de  ses  habits  et  les  lui  donna.  La  nuit  suivante, 
il  eut  un  songe  mystérieux  dans  lequel  il  vit  un  palais  magnifique  rempli 
d'armes  de  toutes  sortes  marquées  du  signe  de  la  croix.  Il  demanda  aussitôt 
à  qui  ces  richesses  appartenaient,  et  l'esprit  de  Dieu  lui  fit  réponse  que 
c'était  à  lui-même  et  à  ses  soldats.  Il  n'était  pas  encore  assez  expérimenté 
pour  comprendre  le  mystère  de  cette  prophétie.  Il  s'imagina  donc,  dans  sa, 
passion  pour  la  gloire,  qu'il  devait  devenir  un  grand  capitaine  et  remporter 
d'illustres  victoires  qui  le  rendraient  renommé  par  tout  le  monde.  Aussi, 


SAINT  FRANÇOIS   D'ASSISE,    CONFESSEUR.  17 

sachant  que  Gauthier  de  Brienne,  assisté  des  troupes  du  pape  Innocent  et 
de  Philippe-Auguste,  roi  de  France,  était  entré  avec  une  grosse  armée  dans 
la  Pouille  pour  combattre  l'empereur  d'Allemagne,  il  se  mit  en  chemin  dès 
le  grand  matin  pour  lui  offrir  ses  services.  Mais  où  allez-vous,  François? 
La  milice  où  vous  êtes  appelé  n'est  pas  corporelle,  mais  spirituelle  ;  vous 
devez  combattre  le  démon,  le  monde  et  le  péché,  et  non  pas  des  hommes 
semblables  à  vous.  Vos  soldats  ne  seront  pas  armés  de  lances  et  d'épées, 
mais  de  l'esprit  de  pénitence  et  de  mortification.  Aussi,  dès  qu'il  fut  à  Spo- 
lète,  Notre-Seigneur  lui  apparut,  et,  le  traitant  avec  beaucoup  de  familia- 
rité, il  lui  dit  :  «  François,  lequel  des  deux  peut  te  faire  plus  de  bien,  le 
maître  ou  le  serviteur,  le  riche  ou  le  pauvre  ?»  —  «  C'est  assurément  le 
premier  »,  répondit  François.  —  «  Si  cela  est»,  répliqua  Notre-Seigneur, 
«  pourquoi  donc  me  délaisses- tu,  moi  qui  suis  le  Maître  de  toutes  choses  et 
qui  possède  des  richesses  infinies,  pour  t'attacher  à  un  homme  mortel  qui 
n'a  que  la  servitude  et  la  pauvreté  pour  partage?  »  —  «  Ah  1  Seigneur  », 
dit  alors  François,  «  que  voulez-vous  que  je  fasse?  »  —  «  Retourne  en  ton 
pays  »,  ajoute  le  Fils  de  Dieu  ;  «  la  vision  que  tu  as  eue  ne  te  promet  pas 
des  grandeurs  temporelles,  mais  des  grandeurs  spirituelles  ».  Il  obéit  aussi- 
tôt et  s'en  retourna  à  Assise,  mais  tout  autre  qu'il  était  auparavant,  ne  respi- 
rant plus  que  le  mépris  de  lui-même,  le  détachement  du  monde  et  l'amour 
des  biens  célestes.  Peu  de  temps  après,  il  donna  un  festin  d'adieu  à  ses 
compagnons,  et  en  les  reconduisant  hors  de  la  ville,  il  fut  ravi  en  extase  et 
demeura  immobile  au  milieu  du  chemin. 

De  ce  jour,  François  ne  respira  plus  que  pour  les  choses  divines  ;  il  ne 
s'appliquait  presque  plus  à  son  négoce,  et  sortait  souvent  de  la  ville  pour 
goûter  les  douceurs  de  la  solitude.  Etant  un  jour  à  cheval  dans  la  plaine 
au-dessous  d'Assise,  il  rencontra  un  lépreux  qui  lui  fit  tant  d'horreur,  qu'il 
tourna  aussitôt  les  yeux  pour  ne  pas  le  voir,  et  prit  son  chemin  d'un  autre 
côté.  Mais,  se  souvenant  alors  de  la  résolution  qu'il  avait  prise  de  combattre 
en  toutes  choses  les  inclinations  déréglées  de  son  amour-propre,  il  s'arrêta 
tout  court,  mit  pied  à  terre  et  alla  embrasser  ce  malheureux.  Il  lui  fit  en- 
suite l'aumône,  tâcha  de  le  consoler  dans  sa  disgrâce,  puis  remonta  à  che- 
val. Dès  qu'il  eut  fait  quelques  pas,  il  regarda  derrière  lui  pour  le  considérer 
encore  une  fois  ;  mais  il  ne  le  vit  plus,  quoiqu'il  n'y  eût  ni  arbre  ni  maison 
dans  cette  plaine  où  il  pût  s'être  caché.  Il  jugea  donc  que  ce  lépreux  était 
celui  dont  parle  le  prophète  Isaïe,  qui  s'est  revêtu  de  nos  misères  et  de  nos 
maladies  pour  nous  en  guérir;  et  son  cœur  en  ressentit  une  joie  et  une 
consolation  indicibles.  Il  devint  ensuite  plus  assidu  à  la  prière,  et  il  faisait 
ses  plus  grandes  délices  de  contempler  les  perfections  de  Dieu  et  les  plaies 
de  Jésus-Christ  crucifié.  Ce  fut  dans  la  ferveur  de  l'une  de  ces  oraisons  que 
cet  aimable  Sauveur  lui  apparut  dans  le  même  état  où  il  était  sur  l'arbre  de 
la  croix,  et  qu'il  lui  imprima  dans  le  cœur  ces  paroles  de  l'Evangile  :  «  Si 
quelqu'un  veut  venir  après  moi,  qu'il  renonce  à  lui-même,  qu'il  porte  sa 
croix  et  qu'il  me  suive  ».  Et  depuis  cette  apparition  il  avait  un  si  vif  senti- 
ment des  douleurs  de  son  Maître,  qu'il  y  pensait  presque  continuellement, 
et  qu'il  ne  le  faisait  qu'en  versant  des  torrents  de  larmes. 

La  pauvreté,  l'humilité  et  la  charité  envers  les  nécessiteux  furent  ensuite 
ses  plus  chères  vertus  ;  au  lui  de  fuir  comme  auparavant  les  lépreux,  il  les 
allait  chercher  dans  les  hôpitaux,  et  les  ayant  embrassés,  il  les  servait  de  ses 
propres  mains  ;  au  lieu  de  se  contenter,  comme  auparavant,  de  secourir  les 
mendiants  de  ses  aumônes,  il  les  assistait  et  les  soulageait  par  toutes  sortes 
de  ministères  humiliants,  les  déchaussant,  les  couchant,  les  nettoyant,  leur 
Vies  des  Saints.  —  Tomi  XII.  a 


|g  4  OCTOBRE. 

rendant  mille  autres  services.  Les  ecclésiastiques  pauvres  avaient  la  princï- 
pale  part  à  ses  charités.  Il  leur  fournissait  de  quoi  vivre,  et  les  pourvoyait 
aussi  d'ornements  nécessaires  pour  la  célébration  des  saints  mystères. 
L'ardeur  de  sa  dévotion  le  porta  à  aller  à  Rome  visiter  les  tombeaux  des 
Apôtres. 

Arrivé  dans  la  ville  éternelle,  il  alla  se  prosterner  sur  le  pavé  de  Saint- 
Pierre,  devant  l'autel  sacré  où  repose  le  corps  du  pêcheur  de  Galilée.  Ayant 
prié  avec  beaucoup  de  ferveur  et  de  larmes,  il  se  releva  et  vit  avec  peine 
que  les  pèlerins  ne  laissaient  que  de  légères  aumônes  pour  l'achèvement 
et  l'embellissement  du  sanctuaire.  «  Eh  quoi!  »  s'éeria-t-il,  «  la  dévotion  est- 
elle  ainsi  refroidie?  Comment  les  hommes  n'offrent-ils  pas  tout  ce  qu'ils 
ont  et  ne  s'offrent-ils  pas  eux-mêmes,  dans  un  lieu  où  reposent  les  précieux 
restes  du  Prince  des  Apôtres?  Comment  ne  décorent-ils  pas  avec  toute  la 
magnificence  possible  cette  pierre  sur  laquelle  Jésus-Christ  a  fondé  son 
Eglise  ?»  En  disant  ces  mots,  il  prit  tout  l'argent  qu'il  avait  sur  lui  et  le 
jeta  à  pleines  mains  sur  le  marbre  du  saint  tombeau. 

Au  sortir  de  l'église  de  Saint-Pierre,  il  vit  une  foule  de  pauvres  qui 
attendaient  les  effets  de  la  miséricorde  des  passants  ;  il  en  eut  pitié,  et  après 
leur  avoir  distribué  tout  ce  qu'il  avait  d'argent,  il  donna  enfin  son  habit  à 
celui  qui  paraissait  le  plus  nu  et  se  revêtit  de  ses  haillons.  Il  demeura  ainsi 
le  reste  du  jour  à  mendier  et  prier  en  cette  humble  compagnie.  C'est  ainsi 
qu'il  foulait  aux  pieds  l'orgueil  du  monde,  et  qu'il  s'élevait  par  degré  à  la 
perfection  évangélique.  Le  lendemain,  il  reprit  la  route  d'Assise  et  revint 
au  foyer  maternel,  respirant  la  sainte  allégresse  de  la  pénitence.  C'est  là 
que  l'attendait  le  Seigneur  Jésus-Christ,  son  guide  et  sa  récompense,  pour 
lui  manifester  sa  vocation  plus  vivement  qu'il  ne  l'avait  encore  fait  jusqu'à 
ce  jour. 

Un  matin  que  François  méditait  dans  la  campagne  aux  environs  d'Assise, 
il  entra  dans  une  pauvre  église  consacrée  à  saint  Damien,  si  vieille  et  si 
délabrée,  qu'elle  menaçait  ruine.  Là,  prosterné  sur  la  pierre  devant  un  cru- 
cifix, il  prononça  trois  fois,  par  un  mouvement  du  Saint-Esprit,  cette  belle 
et  fervente  prière  qu'il  répéta  souvent  depuis  :  «  Grand  Dieu,  plein  de  gloire, 
et  vous  mon  Seigneur  Jésus-Christ,  je  vous  prie  de  m'éclairer  et  de  dissiper  les 
ténèbres  de  mon  esprit,  de  me  donner  une  foi  pure,  une  ferme  espérance 
et  une  parfaite  charité.  Faites,  ô  mon  Dieu,  que  je  vous  connaisse  si  bien, 
qu'en  toutes  choses  je  n'agisse  jamais  que  selon  vos  lumières  et  conformé- 
ment à  voire  sainte  volonté  ».  Il  disait,  et  les  yeux  baignés  de  larmes,  il 
-regardait  avec  un  grand  amour  l'image  du  Sauveur  en  croix,  quand  tout  à 
coup  une  voix  sortie  du  crucifix  lui  fit  entendre  trois  fois  ces  mystérieuses 
paroles  :  «  Va,  François,  et  répare  ma  maison  que  tu  vois  tomber  en  ruines  ». 
A  cette  voix  du  ciel,  le  saint  jeune  homme  demeure  immobile,  éperdu,  ravi 
dans  une  sorte  d'extase  où  l'effroi  se  mêle  à  l'amour.  Revenu  à  lui,  il  se  de- 
manda quel  était  le  sens  de  ce  divin  appel  ;  trop  humble  pour  croire  que 
Dieu  l'appelait  à  réparer  les  ruines  spirituelles  de  son  Eglise,  il  prit  ces  pa- 
roles dans  leur  sens  matériel,  et  pensa  que  le  Christ  l'invitait  seulement  à 
restaurer  la  vieille  église  de  Saint-Damien. 

Aussitôt,  avec  cette  prompte  et  ardente  obéissance  qu'il  mettait  à  exé- 
cuter les  ordres  d'en  haut,  il  retourne  chez  son  père,  prend  un  paquet  de 
riches  étoffes,  monte  à  cheval  et  court  jusqu'à  Foligno,  où  il  vend  cheval  et 
marchandise.  Puis  il  revient  à  pied  à  Saint-Damien  et  présente  au  prêtre 
qui  desservait  l'église  le  produit  de  cet  heureux  négoce,  comme  l'appelle  saint 
Bonaventure.  Le  chapelain,  craignant  le  courroux  de  l'avare  Bernardone, 


SAINT  FRANÇOIS  D' ASSISE,   CONFESSEUR.  19 

refusa,  malgré  les  instances  de  François,  d'accepter  une  aumône  si  consi- 
dérable. Le  Saint  jeta  alors  avec  mépris  cet  or  inutile  sur  une  des  fenêtres 
du  sanctuaire  et  obtint  seulement  du  pauvre  prêtre  la  permission  de  rester 
quelque  temps  dans  sa  demeure,  près  de  cet  autel  béni  où  le  crucifix  lui 
avait  parlé. 

Son  père,  informé  de  ce  qui  se  passait,  s'emporta  violemment  et  accou- 
rut à  Saint-Damien  pour  l'en  retirer.  Mais  comment  aurait-il  trouvé  celui 
que  la  divine  Providence  avait  résolu  de  tenir  caché  ?  La  muraille  de  la 
chambre  où  il  était  s'amollit  et  s'enfonça,  et  lui  donna  une  retraite  sûre  et 
tranquille  contre  les  recherches  de  ce  père  dénaturé  *.  Ensuite  il  se  retira 
dans  une  grotte  voisine,  où  il  passa  un  mois  entier  dans  une  oraison  et  un 
jeûne  continuels,  vivant  plutôt  du  pain  des  larmes  que  de  celui  qu'il  se  fai- 
sait apporter  en  secret  par  un  serviteur  de  sa  maison.  Cependant  l'onction 
de  la  grâce  se  répandant  de  plus  en  plus  dans  son  cœur,  il  eut  honte  lui- 
même  de  sa  fuite  et  de  se  tenir  caché  comme  un  homme  timide  et  sans 
courage  ;  ainsi,  tout  sale  et  défiguré  qu'il  était,  il  rentra  dans  Assise,  résolu 
de  tout  souffrir  pour  la  gloire  de  Jésus-Christ.  A  son  aspect,  les  murmures, 
les  rires  méprisants,  les  exclamations  de  pitié,  retentirent  de  tous  côtés  : 
«  Il  est  devenu  fou  »,  disait-on;  et-,  parmi  les  insulteurs,  ses  anciens  com- 
pagnons de  fêtes  étaient  au  premier  rang.  Ils  ne  se  trompaient  qu'à  demi  : 
oui,  le  bienheureux  François  était  devenu  fou,  mais  de  la  sainte  et  divine 
folie  de  la  croix,  de  cette  folie  qui  confond  la  sagesse  humaine,  qui,  depuis 
la  crèche  et  le  Calvaire,  mène  royalement  le  monde,  par  la  souffrance  vo- 
lontaire et  le  sacrifice,  de  la  terre  au  ciel,  de  la  mort  à  l'éternelle  vie  ! 
Sourd  à  toutes  les  clameurs,  souriant  à  tous  les  affronts,  il  répondait  au  mal 
par  le  bien,  aux  injures  par  la  prière,  à  la  haine  par  l'amour.  Son  père, 
averti  que  son  fils  était  l'objet  de  la  risée  publique,  accourt  furieux,  se 
jette  sur  François  comme  un  loup  sur  un  innocent  agneau,  l'accable  de 
reproches  et  de  coups,  lui  ordonne  de  quitter  ces  extravagances  et  de  re- 
prendre sa  vie  et  ses  occupations  accoutumées.  Mais  le  voyant  insensible  à 
ses  menaces  comme  à  ses  prières,  il  l'enferme  sous  un  escalier,  dans  un 
recoin  obscur  de  sa  maison,  et  jure  qu'il  l'y  retiendra  prisonnier  tant  qu'il 
n'aura  point  promis  de  changer  de  vie.  François,  soutenu  par  la  voix  de 
Jésus-Christ  qui  lui  avait  révélé  sa  vocation,  souffrait  cruellement  d'affliger 
son  père  et  de  lui  résister  ;  mais  en  même  temps  son  âme  était  remplie 
d'une  joie  toute  céleste  en  pensant  qu'il  expiait  les  fautes  de  sa  jeunesse, 
qu'il  souffrait  persécution  pour  la  justice,  et  il  répétait  avec  ravissement 
cette  parole  de  saint  Pierre  :  «  11  vaut  mieux  obéir  à  Dieu  qu'aux  hom- 
mes !  » 

Profitant  de  la  première  absence  de  son  mari,  sa  mère,  qui  reconnaissait  en 
lui  un  attrait  extraordinaire  delà  grâce,  lui  ouvrit  la  porte  deson  cachot  etlui 
donna  la  liberté  d'aller  où  il  voudrait.  Le  saint  jeune  homme  remercia  sa 
mère,  bénit  Dieu  et  retourna  aussitôt  à  l'église  de  Saint-Damien,  dont  il  avait 
entrepris  la  réparation.  Son  père,  à  son  retour,  en  fut  extrêmement  irrité  ; 
mais,  ayant  trouvé  sur  la  fenêtre  de  cette  église  l'argent  que  le  Saint  y  avait 
jeté,  il  s'apaisa  un  peu.  Enfin  l'évêque  d'Assise  rétablit  l'accord  entre  eux. 
François  renonça,  en  présence  de  ce  prélat,  à  tous  les  biens  auxquels  il  pou- 
vait prétendre  en  vertu  de  son  association  et  de  la  succession  de  ses  parents; 
son  père,  sur  cette  renonciation,  le  laissa  maître  de  lui-même  et  l'aban- 

1.  Cette  muraille  fut  conservée  dans  le  couvent  des  Frères  Mineurs  que  l'on  bâtit  plus  tard  en  cet 
endroit,  et  l'enfoncement  miraculeux  s'y  voit  encore.  On  y  a  peint  dans  le  fond  un  visage  de  saint 
François. 


2Q  4  OCTOBRE. 

donna  à  sa  propre  conduite.  Ce  fut  en  cette  occasion  que  ce  nouveau  pauvre 
de  Jésus-Christ  se  dépouilla  de  ses  habits,  sans  se  rien  réserver  qu'un  cilice 
dont  son  corps  était  couvert,  et,  les  ayant  tous  remis  entre  les  mains  do 
son  père,  il  lui  dit  :  «  Jusqu'à  présent  je  vous  ai  appelé  mon  père;  mais, 
désormais,  je  ne  donnerai  plus  ce  nom  qu'à  Dieu  seul,  et  je  lui  dirai  bien 
plus  librement  que  je  ne  faisais  :  Notre  Père  qui  êtes  aux  cieux,  en  qui  j'ai 
mis  mon  trésor  et  la  foi  de  mon  espérance  ».Les  spectateurs  de  cette  scène, 
saisis  d'une  émotion  profonde,  pleuraient  de  pitié  et  d'admiration.  L'évo- 
que môme  en  fut  si  touché,  qu'il  se  jeta  au  cou  de  François  et  couvrit  de 
son  manteau  sa  sublime  nudité.  Ensuite  il  lui  fît  apporter  l'habit  de  l'un  de 
ses  laboureurs,  et  le  lui  donna.  Le  Saint  le  reçut  volontiers  sous  le  titre 
d'aumône,  et,  l'ayant  fendu  en  forme  de  croix  et  y  ayant  même  figuré  une 
croix  avec  du  ciment,  il  s'en  revêtit  comme  d'une  précieuse  livrée  d'un 
Dieu  pauvre  et  humilié  (1206). 

Avec  cet  habit  il  sortit  d'Assise  et  s'en  alla  dans  la  solitude,  pour  goûter 
plus  profondément  la  joie  de  son  sacrifice,  et  mieux  entendre  la  voix  de  son 
Jésus  bien-aimé.  Tout  en  cheminant,  il  chantait  en- langue  française  les 
louanges  de  Dieu  avec  une  céleste  allégresse.  Passant  par  un  bois,  il  ren- 
contra des  voleurs  qui  lui  demandèrent  qui  il  était  :  a  Je  suis  »,  répondit-il, 
«  le  héraut  du  grand  Roi  ».  Alors,  ces  voleurs  le  battirent  cruellement  et  le 
jetèrent  dans  un  fossé  plein  de  neige,  lui  disant  avec  moquerie  :  «  Tiens-toi 
là,  héraut  de  Dieu  ».  François  crut  avoir  beaucoup  gagné  d'être  ainsi  ou- 
tragé et  maltraité.  Dès  que  ces  voleurs  se  furent  retirés,  il  se  releva  et  con- 
tinua son  chemin,  chantant  encore  plus  haut  et  avec  plus  d'allégresse  des 
hymnes  et  des  cantiques  à  la  louange  de  son  Créateur.  Etant  arrivé  à  un 
monastère,  il  y  demanda  la  charité,  et  la  reçut  comme  un  simple  men- 
diant. De  là  il  vint  à  Gubbio,  où  un  de  ses  amis,  qui  le  reconnut,  lui  donna 
une  petite  tunique  fort  pauvre,  avec  une  ceinture  de  cuir,  un  bourdon  et 
des  souliers  pour  l'équiper  en  pèlerin  et  en  ermite.  Il  avait  alors  vingt-cinq 
ans,  et  il  n'avait  point  encore  d'autre  vue  que  de  se  sanctifier  par  la  pra- 
tique de  l'humilité,  de  la  patience,  de  la  pauvreté  et  de  la  miséricorde  envers 
les  malades.  Ainsi,  il  se  consacra  au  service  des  hôpitaux  et  des  maladre- 
ries;  portant  une  singulière  compassion  aux  lépreux,  il  lavait  humblement 
leurs  pieds,  nettoyait  leurs  ulcères,  demandait  l'aumône  pour  eux,  et  sou- 
vent les  embrassait  pour  les  consoler  dans  leur  peine  et  les  encourager  à 
souffrir  avec  constance.  Cette  charité  ne  fut  pas  sans  miracles;  plusieurs 
furent  guéris  par  son  attouchement,  surtout  un  homme  du  duché  de  Spo- 
lète  qui  avait  tout  le  visage  rongé  par  un  affreux  cancer  qui  le  rendait  hor- 
rible avoir.  «  Je  ne  sais»,  dit  saint  Bonaventure  en  rappelant  ce  trait,  «  ce 
qu'on  doit  le  plus  admirer,  d'un  tel  baiser  ou  d'une  telle  guérison  !  »  C'est 
ainsi  que  François  mettait  en  pratique  ces  paroles,  que  le  Seigneur  lui  avait 
adressées  dans  les  divines  communications  de  la  prière  :  a  Mon  fils,  si  tu 
veux  connaître  ma  volonté,  il  faut  que  tu  méprises  et  que  tu  haïsses  tout 
ce  que  tu  as  aimé  et  désiré  selon  la  chair.  Que  ce  nouveau  sentier  ne  t'ef- 
fraie point  ;  car  si  les  choses  qui  te  plaisent  doivent  te  devenir  amères,  celles 
qui  te  déplaisaient  te  paraîtront  douces  et  agréables  ». 

Lorsqu'il  fut  bien  fondé  dans  l'humilité,  se  souvenant  de  l'ordre  qu'il 
avait  reçu  de  réparer  l'église  de  Saint-Damien,  il  s'en  retourna  à  Assise  ;  et 
ce  qu'il  n'avait  pu  faire  étant  riche,  il  l'exécuta  facilement  dans  l'état  de 
pauvreté  qu'il  avait  embrassé.  Ce  ne  fut  pas  en  fournissant  de  son  bien  de 
grandes  sommes  d'argent,  mais  en  quêtant  aux  portes  des  riches  de  quoi 
rétablir  cet  édifice,  en  y  travaillant  lui-même  comme  un  manœuvre,  en 


SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE,    CONFESSEUR.  21 

portant  sur  ses  épaules  de  la  pierre,  du  bois  et  du  ciment,  et  en  animant  les 
autres  par  son  exemple  à  une  œuvre  si  sainte,  par  l'espérance  de  la  récom- 
pense éternelle.  Voyant  un  jour  François  accablé  sous  le  fardeau  des  pier- 
res qu'il  aidait  à  transporter  de  ses  mains  pour  la  restauration  de  l'église, 
son  frère,  nommé  Ange,  dit  par  moquerie  à  l'un  de  ses  amis  :  «  Va  le  prier 
de  te  vendre  un  peu  de  sa  sueur  ».  —  «  Je  ne  veux  pas  vendre  ma  sueur  aux 
hommes»,  répondit  simplement  François;  «je  la  vendrai  plus  cher  à 
Dieu  ».  Parole  admirable  et  profonde  qui,  comprise  et  méditée, diminuerait 
beaucoup  le  nombre  des  esclaves  du  anonde,  et  accroîtrait  celui  des  servi- 
teurs de  Jésus-Christ  !  Car  ce  divin  Sauveur  seul  a  promis  qu'il  ne  laisserait 
pas  sans  récompense  un  verre  d'eau  donné  en  son  nom,  et  seul  il  est  infail- 
lible dans  ses  promesses.  Le  prêtre  de  Saint-Damien,  touché  de  la  fatigue 
et  du  dénûment  de  l'ouvrier  de  Jésus-Christ,  eut  la  pensée  de  lui  préparer 
un  bon  repas  pour  réparer  ses  forces  quand  il  revenait  le  soir  accablé  des 
labeurs  de  la  journée.  François  accepta  d'abord  cette  charité  ;  mais  bientôt 
il  se  ravisa,  pria  son  hôte  de  ne  plus  s'occuper  de  sa  nourriture,  et,  prenant 
un  plat,  il  s'en  alla  mendier  de  porte  en  porte,  et  s'assit  dans  la  rue  pour 
manger  les  restes  grossiers  qu'on  lui  avait  donnés.  «  Car  c'est  ainsi  » ,  se 
disait-il,  «  que  je  dois  vivre  pour  l'amour  de  Celui  qui  est  né  pauvre,  qui  a 
vécu  pauvrement,  que  l'on  a  attaché  sur  la  croix,  et  qui  a  été  mis  après  sa 
mort  dans  le  sépulcre  d'autrui  ».  Tel  fut  le  genre  de  vie  que  François 
adopta  dès  lors  pour  ne  plus  jamais  le  quitter,  et  c'est  ainsi  qu'il  acheva 
Tannée  1206  dans  la  prière,  le  travail  et  l'absolu  dénûment.  Grâce  aux  abon- 
dantes aumônes  qu'il  avait  recueillies,  il  termina  rapidement  la  restaura- 
tion de  l'église  de  Saint-Damien. 

Le  succès  de  cette  réparation  lui  fit  encore  entreprendre  celle  de  l'église 
de  Saint-Pierre,  qui  était  un  peu  plus  éloignée  de  la  ville  d'Assise,  et  il  n'en 
vint  pas  à  bout  avec  moins  de  promptitude  et  de  bonheur.  Enfin,  comme  il 
yit  que  l'église  de  Notre-Dame  des  Anges,  appelée  de  la  Portioncule,  tom- 
bait en  ruines,  quoiqu'elle  fût  dédiée  en  l'honneur  de  la  Mère  de  Dieu,  et 
que  les  anges  y  fissent  quelquefois  ressentir  leur  protection  ;  et  que  pour 
cela  elle  était  déserte  et  abandonnée,  il  résolut  de  s'appliquer  avec  le  même 
zèle  à  la  réparer.  Dès  le  commencement  de  l'année  4208,  la  chapelle  re- 
trouva son  culte  séculaire  et  servit  de  nouveau  de  tabernacle  au  Saint  des 
Saints,  et  de  but  de  pèlerinage  à  la  piété  des  fidèles.  Saint  Bonaventure  dit 
qu'il  l'aima  plus  que  tous  les  autres  lieux  du  monde,  qu'il  y  commença 
avec  humilité  le  grand  ouvrage  de  sa  perfection,  qu'il  y  fit  des  progrès  ad- 
mirables dans  la  vertu,  qu'il  y  acheva  heureusement  sa  vie,  et  qu'en  mou- 
rant il  le  recommanda  sur  toutes  choses  à  ses  enfants,  comme  un  lieu  pour 
lequel  la  sainte  Vierge  avait  des  égards  tout  particuliers. 

Etant  un  jour  dans  ce  sanctuaire,  il  y  entendit,  à  l'évangile  de  la  messe, 
ces  paroles  de  Notre-Seigneur  à  ses  disciples  :  «  Ne  portez  ni  or,  ni  argent, 
ni  aucune  monnaie  dans  votre  bourse,  ni  sac,  ni  deux  vêtements,  ni  sou- 
liers, ni  bâton  ».  Cette  admirable  leçon  lui  frappa  incontinent  l'esprit  ;  il  la 
prit  comme  prononcée  et  dictée  pour  lui-même,  et,  sans  différer  d'un  mo- 
ment, il  jeta  son  bâton,  se  mit  nu-pieds,  prit  une  corde  au  lieu  de  ceinture, 
donna  sa  bourse  et  tout  l'argent  qu'il  avait,  et,  se  contentant  d'une  simple 
tunique,  il  commença  sérieusement  la  vie  apostolique  et  évangélique  dont 
il  devait  lever  l'étendard  dans  le  monde.  Ensuite,  il  se  mit  à  prêcher  la  pé- 
nitence ;  ce  qu'il  fit  avec  tant  de  ferveur  et  d'onction,  que  plusieurs  pé- 
cheurs, touchés  de  ses  paroles,  se  convertirent  et  lavèrent  dans  leurs  larmes 
les  taches  de  leur  vie  passée.  Plusieurs  même  renoncèrent  au  monde  pour 


22  &  OCTOBRE. 

embrasser  l'état  humble  dont  il  faisait  profession.  Le  premier  fut  le  bien- 
heureux Bernard  de  Quintavalle,  l'un  des  plus  riches  habitants  d'Assise  : 
ayant  vu  de  ses  propres  yeux  saint  François  passer  la  nuit  en  oraison  dans 
une  chambre  où  il  l'avait  prié  de  prendre  un  peu  de  repos,  il  fut  tellement 
ému  de  son  exemple,  qu'il  renonça  à  l'heure  même  à  tous  ses  biens,  et  se 
mit  à  sa  suite.  Le  second  fut  le  bienheureux  Pierre  de  Catane,  chanoine  de 
la  cathédrale  de  la  même  ville,  qui  quitta  généreusement  son  bénéfice  pour 
se  faire  avec  lui  pauvre  de  Jésus-Christ.  Le  troisième  fut  leB.  frère  Gilles, 
que  la  sage  folie  de  la  croix  a,  depuis,  élevé  à  une  si  éminente  perfection. 

En  ce  temps,  Dieu  fit  connaître  à  François,  par  diverses  visions,  qu'il 
l'avait  choisi  pour  fonder  un  grand  Ordre  qui  combattrait  vigoureusement 
la  chair,  le  monde,  le  démon  et  le  péché  ;  qui  remporterait  sur  eux  d'illus- 
tres victoires,  travaillerait  avec  un  heureux  succès  à  la  réformation  des 
mœurs  des  chrétiens,  dont  le  dérèglement  était  devenu  extrême,  et  porte- 
rait la  lumière  de  la  foi  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre.  Ces  assurances 
l'animèrent  à  continuer  ses  prédications  ;  il  envoya  Bernard  avec  Pierre  du 
côté  de  la  Toscane,  et  lui,  avec  frère  Gilles,  parcoururent  la  Marche  d'An- 
c6ne,  exhortant  avec  une  force  merveilleuse  au  détachement  du  monde,  au 
mépris  des  plaisirs  et  des  richesses,  et  à  une  parfaite  conversion  de  cœur  à 
Dieu.  Le  nombre  de  ses  enfants  s'accrut  ensuite  jusqu'à  sept,  et  peu  de 
temps  après  jusqu'à  onze.  Ils  représentaient  avec  lui  le  collège  sacré  des 
douze  Apôtres.  Il  leur  disait,  en  les  envoyant  prêcher  :  «  Allez  annoncer  la 
paix  à  tous  les  hommes,  animez-les  à  la  pénitence,  qui  est  la  seule  voie 
pour  obtenir  le  pardon  des  péchés  ;  soyez  assidus  à  la  prière,  patients  dans 
les  adversités,  infatigables  dans  le  travail,  modestes  et  retenus  dans  vos 
paroles,  graves  et  irrépréhensibles  dans  vos  actions  et  parfaitement  recon- 
naissants des  bienfaits  que  vous  recevrez.  Surtout,  mettez  votre  confiance 
en  Dieu,  et  tenez  pour  certain  que  rien  ne  vous  manquera,  quoique  vous 
marchiez  sans  provision  et  sans  argent  ».  On  ne  les  appelait  encore  ni 
frères,  ni  religieux,  mais  seulement  les  pénitents  d'Assise,  quoique  leur 
bienheureux  Père,  pour  les  éloigner  un  peu  de  leur  pays,  les  eût  alors  trans- 
férés à  un  pauvre  ermitage  abandonné,  dans  un  lieu  nommé  Rivo-Torto  ; 
mais  quand  cet  homme  apostolique  vit  les  faits  surprenants  qu'il  plaisait  à 
la  divine  bonté  d'opérer  par  lui  et  par  cette  sainte  troupe  de  missionnaires 
répandus  de  côté  et  d'autre,  il  souhaita  de  les  voir  tous  ramassés,  pour  en 
faire  un  corps  mieux  lié  et  plus  ferme.  Il  n'envoya  pour  cela  ni  lettres  ni 
messagers;  mais  ayant  représenté  ses  désirs  à  Jésus-Christ,  qui  en  était 
l'auteur,  il  vit  arriver  près  de  lui  tous  ces  ouvriers  évangéliques,  chargés  des 
trophées  qu'ils  avaient  remportés  sur  la  malice  des  hommes  et  les  efforts 
de  l'enfer.  Alors  il  leur  composa  une  Règle  en  termes  simples  :  mettant  la 
pratique  de  l'Evangile  pour  fondement  inébranlable  de  tout  son  édifice  spi- 
rituel, il  y  ajoutait  seulement  quelques  constitutions  nécessaires  à  l'établis- 
sement d'une  vie  commune. 

L'évêque  d'Assise,  qu'il  consultait  souvent  dans  ses  difficultés,  était 
d'avis  qu'il  prît  des  possessions  et  des  rentes  pour  faire  subsister  ses  enfants, 
sans  être  obligés  de  mendier  leur  pain  ;  mais  il  répondit  à  ce  prélat  qu'il 
ne  pouvait  nullement  s'y  résoudre  :  «  Car,  si  nous  avions  du  bien  »,  lui 
dit-il,  «  il  nous  faudrait  des  armes  pour  nous  défendre  des  voleurs  ;  des 
procureurs  et  des  avocats  pour  soutenir  notre  droit  contre  les  chicanes  des 
usurpateurs  ;  des  serviteurs  et  des  servantes  pour  Jaire  valoir  nos  métairies. 
Jugez,  s'il  vous  plaît,  Monseigneur,  quels  désavantages  nous  recevrions  du 
commerce  avec  des  personnes  si  éloignées  de  notre  institut  ».  Ainsi,  il  per- 


SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE,   CONFESSEUR.  23 

sista  courageusement  dans  la  résolution  qu'il  avait  prise ,  d'établir  son 
Ordre  sur  le  fonds  de  la  pauvreté  évangélique.  Il  pensa  ensuite  à  le  faire 
approuver  et  confirmer  par  le  Saint-Siège  ;  aussi,  du  consentement  unanime 
de  ses  enfants,  et  sans  se  munir  d'aucune  recommandation  des  prélats  ni 
des  grands  seigneurs  de  sa  province,  il  vint  à  Rome  vers  le  pape  Innocent  III, 
l'un  des  plus  sages  pontifes  qui  aient  gouverné  l'Eglise.  Il  avait  avec  lui  le 
collège  de  ses  onze  disciples,  et  il  en  conquit  à  Rieti  un  douzième,  qui  fut 
Ange  Tancrède,  brave  gentilhomme  de  cette  ville,  en  lui  disant  seulement, 
au  milieu  du  chemin  où  il  le  rencontra,  qu'il  avait  assez  servi  le  monde,  et 
que  Jésus-Christ  l'appelait  au  Calvaire.  Dans  Rome,  il  logea  à  l'hôpital  de 
Saint-Antoine,  pour  y  recevoir  l'aumône  en  qualité  de  pauvre  et  pour  y 
servir  les  malades.  Peu  de  jours  après  il  alla  parler  au  Pape  au  palais  de 
Latran,  dans  un  lieu  appelé  le  Miroir,  où  il  se  promenait;  mais  Sa  Sainteté, 
qui  avait  alors  l'esprit  occupé  de  plusieurs  grandes  affaires,  ne  le  voulut  pas 
écouter,  et  le  repoussa  même  avec  indignation.  Ce  rebut,  bien  loin  d'affli- 
ger et  de  décourager  François,  le  remplit  au  contraire  de  joie  et  d'espé- 
rance :  il  se  retira  doucement  avec  une  profonde  hnmilité  et  une  modestie 
angélique,  en  recommandant  son  affaire  à  Dieu,  qui  la  lui  avait  inspirée. 
il  ne  fut  pas  frustré  dans  son  attente  :  car,  la  nuit  suivante,  le  Pape,  ayant 
vu  en  songe  un  petit  palmier  qui,  né  à  ses  pieds,  montait  ensuite  à  la  hau- 
teur des  plus  grands  arbres,  connut  à  son  réveil  qu'il  était  la  figure  du 
pauvre  François  qui  s'était  présenté  la  veille  devant  Sa  Sainteté  ;  aussi,  il 
le  fit  venir  près  de  lui,  et,  après  l'avoir  écouté  avec  beaucoup  de  bienveil- 
lance, il  lui  promit  d'examiner  ses  demandes  et  de  lui  être  favorable  eu  ce 
qu'il  pourrait. 

La  plus  grande  difficulté  qu'il  y  remarquait  était  cette  extrême  pauvreté 
qu'il  voulait  établir  dans  son  Ordre  ;  mais  le  cardinal  Jean  de  Saint-Paul, 
évêque  de  Sabine,  remontra  très-sagement  à  Sa  Sainteté  que,  si  cette  con- 
sidération empêchait  la  confirmation  de  la  Règle  de  François,  on  ferait 
voir  par  là  qu'on  n'estimait  pas  l'Evangile,  et  qu'on  n'avait  point  de  res- 
pect pour  les  conseils  de  Jésus-Christ.  D'ailleurs  le  Saint  lui  dit  fort  ingé- 
nieusement que  la  Congrégation  dont  il  lui  demandait  l'approbation,  toute 
pauvre  qu'elle  paraissait,  ayant  épousé  le  Roi  des  rois,  n'aurait  garde  de 
manquer  de  ce  qui  lui  était  nécessaire  pour  nourrir  ses  enfants.  Ainsi,  le 
Pape  se  sentit  incliné  à  entériner  sa  requête  lorsqu'elle  aurait  été  examinée 
par  la  Congrégation  sacrée,  d'autant  plus  qu'il  reconnut  que  le  Saint  était 
ce  pauvre  qu'il  avait  vu  une  nuit  en  songe,  soutenant  sur  ses  épaules  l'église 
Saint-Jean  de  Latran  qui  tombait  en  ruines.  Vision  mystérieuse  qui  a  été 
accomplie  corporellement  et  spirituellement  :  corporellement,  parce  que 
cette  basilique  a  été  rétablie,  ornée  et  enrichie  par  les  papes  Nicolas  IV, 
Sixte  IV  et  Sixte  V,  de  l'Ordre  de  Saint-François;  spirituellement,  parce 
que  l'Eglise  universelle,  figurée  par  ce  temple,  a  été  soutenue  par  les 
exemples,  les  prières  et  la  doctrine  de  ce  grand  Serviteur  de  Dieu,  et  par 
les  travaux  d'une  infinité  de  Martyrs,  de  Docteurs,  de  Confesseurs  et  de 
Vierges  du  même  Ordre. 

Au  bout  de  quelques  jours,  le  sacré  Collège  ayant  dit  dans  son  rapport 
que  les  Règles  et  les  Constitutions  de  saint  François  ne  contenaient  rien 
que  de  saint  et  de  conforme  à  la  doctrine  de  Jésus-Christ,  le  Pape  les  ap- 
prouva de  vive  voix  ;  il  reçut  aussi  lui-même  la  profession  du  bienheureux 
Instituteur  et  de  ses  douze  enfants,  et  l'ayant  établi  premier  ministre  géné- 
ral de  sa  congrégation  naissante,  il  le  consacra  diacre,  donnant  aussi  pou- 
voir à  ses  compagnons  de  porter  la  tonsure  et  la  couronne  cléricale  :  ce 


24  4  OCTOBRE. 

que  quelques  auteurs  expliquent  de  la  collation  des  Ordres  mineurs.  Ainsi, 
cette  sainte  troupe  sortit  de  Rome  chargée  de  faveurs  et  de  bénédictions, 
mais  avec  une  résolution  toute  nouvelle  de  faire  une  guerre  constante 
à  leurs  sens  et  de  porter  partout  l'esprit  de  pénitence  et  de  componction. 
Cependant,  lorsqu'ils  furent  arrivés  à  la  ville  de  Spolète  ,  s'entretenant 
ensemble  des  moyens  d'arriver  à  la  perfection,  ils  mirent  en  délibération 
s'il  ne  leur  serait  pas  plus  expédient  de  se  retirer  dans  une  solitude  pour 
s'y  occuper  entièrement  à  la  contemplation  que  de  s'exposer  à  la  conver- 
sation avec  les  hommes,  qui  est  pleine  de  dangers  et  qui  fait  perdre  aisé- 
ment l'esprit  de  recueillement  et  de  dévotion.  François  consulta  là-dessus 
la  volonté  de  Dieu  par  une  prière  très-fervente,  accompagnée  de  larmes 
et  de  soupirs,  et  il  y  apprit  que  sa  vocation  et  celle  de  ses  enfants  n'était 
pas  de  demeurer  dans  les  déserts,  mais  de  travailler  au  salut  des  âmes  par 
la  prédication  et  par  les  autres  exercices  de  la  vie  apostolique.  Il  déclara  à 
ses  enfants  ce  que  Dieu  lui  en  avait  fait  connaître,  et,  étant  ainsi  assurés 
du  chemin  qu'ils  devaient  tenir,  ils  se  retirèrent  tous  ensemble  dans  leur 
ancienne  demeure,  auprès  des  murs  d'Assise. 

La  pauvreté  de  cette  maison  ne  peut  être  assez  admirée  ;  elle  tombait 
en  ruines,  et  était  si  petite,  qu'à  peine  tous  ses  frères  y  pouvaient  avoir 
leur  place  ;  il  fallut  que  le  saint  Patriarche  écrivît  leurs  noms  sur  les 
planches  pour  marquer  à  chacun  le  lieu  de  sa  retraite.  Ils  y  vivaient  si 
pauvrement  que  les  herbes  crues  qu'ils  trouvaient  dans  la  campagne 
étaient  pour  eux  des  mets  délicieux.  Leur  oraison  était  plus  d'esprit  que 
des  lèvres,  parce  que,  n'ayant  point  encore  de  livres  d'église  pour  chanter 
les  heures  canoniales,  tout  ce  qu'ils  pouvaient  faire  était  de  prier  mentale- 
ment et  de  réciter  l'Oraison  dominicale  et  quelques  psaumes  qu'ils  savaient 
par  cœur.  Leur  principal  livre  était  la  Croix  de  Jésus-Christ,  que  leur  bien- 
heureux père  avait  mise  au  milieu  d'eux.  Ils  étudiaient  continuellement  ce 
grand  livre,  le  feuilletaient  sans  cesse,  en  apprenaient  les  divines  leçons, 
et  c'est  de  là  qu'ils  tiraient  ces  belles  lumières  et  cette  divine  éloquence, 
qui  les  rendaient  plus  redoutables  au  démon  et  aux  pécheurs  que  les  plus 
grands  maîtres  de  la  théologie.  Saint  François  leur  faisait  aussi  fort  souvent 
de  puissantes  exhortations  ;  il  leur  apprenait  la  méthode  de  considérer  et 
de  louer  Dieu  dans  toutes  ses  créatures,  la  révérence  qu'ils  devaient  avoir 
pour  les  prêtres  et  la  soumission  avec  laquelle  ils  devaient  recevoir  toutes 
les  décisions  de  l'Eglise  romaine.  Il  leur  enseignait  aussi  à  se  prosterner 
devant  toutes  les  églises  et  toutes  les  croix,  du  plus  loin  qu'ils  les  aperce- 
vaient, pour  honorer  Jésus-Christ  dans  ces  représentations  extérieures  des 
souffrances  qu'il  a  endurées  pour  notre  amour. 

Il  prenait  tant  de  soins  de  leur  avancement  spirituel,  qu'une  nuit,  se 
trouvant  à  Assise  pour  prêcher  le  lendemain  dans  la  cathédrale,  il  leur 
apparut  dans  leur  pauvre  demeure  en  forme  d'un  globe  de  lumière,  porté 
sur  un  chariot  de  feu  ;  ce  qui  les  éclaira  si  parfaitement,  que  chacun  d'eux 
pénétra  non-seulement  jusqu'au  fond  de  sa  propre  conscience,  mais  aussi 
jusqu'au  plus  secret  de  celles  de  tous  les  autres  ;  convaincus  que  c'était 
leur  saint  Patriarche  qui  se  faisait  voir  à  eux  sous  cette  éclatante  figure, 
ils  reconnurent  en  même  temps  les  grâces  que  Dieu  lui  avait  communi- 
quées pour  leur  conduite.  Nous  avons  vu,  dans  la  vie  de  saint  Antoine  de 
Padoue,  que  depuis  il  apparut  encore  à  Arles,  au  milieu  d'une  assemblée 
de  ses  religieux  où  ce  bienheureux  Confesseur  présidait,  pour  leur  donner 
sa  bénédiclion  et  les  animer  à  ne  rien  ordonner  que  pour  le  plus  grand 
avantage  de  l'observance  régulière. 


SAINT  FRANÇOIS   D' ASSISE,   CONFESSEUR.  25 

Enfin,  comme  il  se  présentait  tous  les  jours  des  personnes  qui  souhai- 
taient d'embrasser  son  institut,  voyant  qu'il  ne  pouvait  pas  les  loger  dans 
la  maison  où  il  était,  il  se  vit  obligé  d'en  chercher  une  plus  grande.  Il 
s'adressa  pour  cela  à  l'évêque  d'Assise  ,  le  suppliant  de  lui  donner  une 
chapelle  où  ils  pussent  célébrer  les  divins  offices  ;  mais  l'évoque  n'en  ayant 
point  alors  à  sa  disposition,  il  eut  recours  aux  Bénédictins  du  Mont-Subazio, 
qui  lui  donnèrent  l'église  de  Notre-Dame  des  Anges  ou  de  la  Portioncule, 
avec  une  petite  maison  attenante,  où  logeait  le  chapelain,  pour  leur  servir 
de  couvent.  Saint  François  accepta  à  la  charge  que  ni  lui  ni  son  Ordre  n'en 
seraient  point  propriétaires,  mais  seulement  usufruitiers.  C'est  pourquoi 
il  ne  manquait  pas,  tous  les  ans,  d'envoyer  aux  Bénédictins  un  petit  panier 
de  poissons,  comme  une  redevance  de  l'héritage  qu'il  tenait  d'eux,  et  ces 
révérends  Pères  lui  donnaient  en  échange ,  par  générosité ,  une  cruche 
d'huile  pour  avoir  part  à  ses  prières. 

Dès  qu'il  fut  en  possession  de  cette  église ,  Notre-Seigneur  l'honora 
d'une  visite,  accompagné  de  sa  très-sainte  Mère  et  d'une  multitude  innom- 
blable  d'esprits  bienheureux,  et  lui  promit,  avec  sa  protection,  un  prodi- 
gieux accroissement  de  sa  congrégation  naissante.  Il  envoya  ensuite  ses 
enfants  en  divers  cantons  pour  continuer  d'annoncer  la  pénitence;  et  ce 
furent  autant  de  pêcheurs  évangéliques,  qui,  par  le  filet  de  leur  prédica- 
tion, lui  attirèrent  un  grand  nombre  de  nouveaux  disciples  pour  les  aider 
eux-mêmes  à  la  conversion  du  monde.  Il  fit  aussi  de  son  côté  beaucoup  de 
conquêtes  dont  la  plupart  furent  miraculeuses  ;  les  principaux  de  ceux 
qui  entrèrent  dans  son  Ordre  furent  Maurice,  Léon,  Ruffin,  Masseo,  Juni- 
père,  Illuminé,  Augustin,  Etienne,  Léonard,  Guy,  Simon  et  Pacifique,  qui 
sont  tous  arrivés  à  une  éminente  sainteté.  Maurice  était  de  l'Ordre  des 
Croisés;  il  tomba  dangereusement  malade  et  fut  obligé  de  se  mettre  à  l'hô- 
pital. Comme  on  désespérait  déjà  de  sa  vie,  saint  François  lui  envoya  un 
morceau  de  pain  trempé  dans  l'huile  qui  brûlait  devant  Notre-Dame;  et  à 
peine  en  eut-il  mangé,  qu'il  se  leva  en  parfaite  santé  pour  embrasser  l'ins- 
titut de  son  insigne  bienfaiteur.  Pacifique  était  un  poète  célèbre,  à  qui 
même  l'empereur  Frédéric  II  avait  donné  le  nom  de  Roi  des  vers.  Il  alla  au 
sermon  de  saint  François,  et  la  force  de  ses  paroles  enflammées,  jointe  à 
la  vision  de  deux  épées  lumineuses  qui  le  croisaient  de  la  tête  jusqu'aux 
pieds  et  depuis  une  main  jusqu'à  l'autre,  le  toucha  tellement,  qu'il  méprisa 
le  vain  exercice  de  la  poésie  pour  se  faire  le  fidèle  imitateur  du  saint 
Patriarche.  Il  reçut  de  lui  le  nom  de  Pacifique,  à  cause  d'un  grand  don  de 
douceur  dont  son  âme  fut  remplie,  et  il  fut  depuis  le  premier  ministre 
provincial  de  France. 

Ces  nouveaux  ouvriers  demandaient  sans  cesse  des  instructions  nou- 
velles ;  mais  la  vie  de  leur  père  leur  était  une  leçon  animée  qui  leur  appre- 
nait l'exercice  des  plus  excellentes  vertus.  Il  était  si  austère  que,  hors  les 
repas  chez  les  séculiers,  qu'il  ne  faisait  que  très-rarement  et  très-sobre- 
ment, et  seulement  pour  les  gagner  à  Dieu,  il  ne  mangeait  presque  jamais 
rien  de  cuit  et  ne  buvait  que  de  l'eau.  Souvent  il  mêlait  de  la  cendre  dans 
ce  qu'il  mangeait.  La  terre  nue  était  son  lit;  il  ne  s'y  couchait  pas,  mais  il 
dormait  assis,  la  tête  seulement  appuyée  sur  une  pierre  ou  sur  un  morceau 
de  bois.  Sa  pauvreté  était  si  extrême,  qu'il  ne  semblait  pas  possible  d'être 
plus  pauvre,  puisque,  excepté  le  sac  dont  il  était  couvert  et  dont  même  il 
n'était  pas  propriétaire,  il  ne  possédait  rien  au  monde.  Il  allait  lui-même 
mendier  pour  sa  communauté,  et  le  faisait  aux  lieux  où  il  était  le  plus 
connu.  On  ne  le  voyait  jamais  oisif,  jamais  ému,  jamais  distrait  et  occupé 


26  4   OCTOBRE. 

des  choses  de  la  terre,  mais  toujours  dans  une  activité,  une  douceur  et  une 
dévotion  merveilleuses.  Il  ne  souffrait  pas  qu'aucun  de  ses  religieux  demeu- 
rât à  rien  faire,  et  il  appela  frères  mouches  ceux  qui  fuyaient  le  travail  ; 
pour  son  corps,  il  le  nommait  frère  âne  ;  en  effet,  il  le  traitait  aussi  dure- 
ment que  l'on  traite  les  ânes.  Il  était  néanmoins  ennemi  des  indiscrétions, 
et  ne  permettait  pas  à  ses  disciples  de  faire  des  pénitences  au-dessus  de 
leurs  forces.  Il  leur  recommandait  d'éviter  l'entretien  avec  les  femmes, 
comme  un  écueil  où  les  personnes  les  plus  spirituelles  font  souvent  de 
tristes  naufrages.  Il  les  exhortait  à  un  grand  amour  pour  Dieu  et  pour 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  et  à  un  zèle  ardent  pour  le  salut  des  pécheurs, 
sentiments  dont  lui-même  était  tout  rempli. 

Ce  serait  une  chose  infinie  de  le  suivre  dans  tous  les  lieux  où  il  porta  la 
semence  de  l'Evangile.  Il  alla  d'abord  à  Pérouse,  où  il  prédit  et  ensuite 
apaisa  une  guerre  très-cruelle  entre  les  nobles  et  le  peuple;  de  là  il  passa  à 
Cortone,  où,  pour  récompense  d'un  grand  nombre  de  conversions  qu'il  y 
fit,  on  lui  donna  un  couvent  à  la  porte  de  la  ville.  On  en  usa  de  même  en- 
vers lui  à  Arezzo  et  à  Florence,  où  il  se  transporta  après  avoir  passé  tout  le 
Carême  dans  une  oraison  continuelle,  et  sans  rien  manger  que  la  moitié 
d'un  petit  pain.  Les  miracles  qu'il  opéra  en  toutes  ces  villes  furent  si 
extraordinaires,  qu'on  ne  l'y  regardait  pas  avec  moins  de  respect  que  si 
c'eût  été  un  ange  descendu  du  ciel.  Il  porta  les  mêmes  bénédictions  à  Pise, 
à  Saint-Médard,  à  Saint-Géminien  et  à  Sarthiane,  et  il  obtint  partout  de 
nouveaux  monastères.  Ce  fut  à  Sarthiane  que  le  démon  lui  apparut  et  le 
sollicita  au  relâchement,  en  lui  disant  que  Dieu  ne  pardonnait  jamais  à  ceux 
qui  se  faisaient  mourir  par  des  pénitences  indiscrètes  ;  après  quoi  il  excita 
en  lui  des  pensées  lascives  et  des  mouvements  déshonnêtes  ;  mais  le  Saint, 
prenant  à  l'heure  même  sa  discipline  de  fer,  se  mit  tout  le  corps  en  sang, 
et  étant  tout  couvert  de  plaies,  il  se  jeta  en  ce  pitoyable  état  au  milieu  des 
neiges,  où  il  demeura  jusqu'à  ce  que  ces  flammes  de  l'impudicité  fussent 
entièrement  éteintes  :  ce  qui  le  rendit  tellement  victorieux  de  son  ennemi, 
qu'il  ne  ressentit  plus  dans  la  suite  de  semblables  atteintes.  Le  Carême  sui- 
vant, il  prêcha  dans  la  cathédrale  d'Assise,  et  il  y  fit  l'admirable  conquête 
de  la  glorieuse  sainte  Claire,  qui  en  enferme  une  infinité  d'autres.  Il  résolut 
ensuite  d'aller  en  Syrie  travailler  à  la  conversion  des  Sarrasins,  et  prit  le 
chemin  de  Rome  pour  en  aller  demander  la  permission  au  Pape.  Les  mer- 
veilles l'accompagnèrent  partout.  A  Alviane,  il  fit  taire  les  hirondelles  qui 
faisaient  du  bruit  durant  sa  prédication,  en  leur  disant  seulement  :  «  Mes 
sœurs  les  hirondelles,  taisez-vous  pendant  que  je  prêche  ».  À  Rome,  il  obtint 
de  Sa  Sainteté  ce  qu'il  voulut,  gagna  d'excellents  hommes  à  son  institut  et 
fonda  un  monastère  de  son  Ordre  :  c'est  aujourd'hui  le  couvent  célèbre  de 
San-Francesco  in  Ripa.  A  Ascoli,  dans  la  Marche  d'Ancône,  un  de  ses 
sermons  attira  trente  jeunes  hommes  des  plus  considérables  à  sa  vie 
pauvre. 

^  Dieu,  qui  lui  avait  inspiré  la  pensée  et  le  désir  d'aller  en  Syrie,  n'en  per- 
mit pas  l'exécution,  parce  que  le  moment  n'en  était  pas  venu.  François 
Rembarqua  ;  mais  il  fut  bientôt  jeté  par  une  tempête  en  Esclavonie,  et  de 
là  contraint  de  revenir  en  Italie.  Peu  de  temps  après,  il  tomba  malade  d'une 
fièvre  lente  qui  le  réduisit  à  une  extrême  langueur.  L'évêque  d'Assise,  qui 
craignait  que  l'Eglise  ne  perdît  trop  tôt  un  si  grand  trésor,  le  fit  trans- 
porter, malgré  toutes  ses  répugnances,  dans  son  palais  épiscopal  pour  Fy 
faire  bien  traiter.  On  ne  peut  s'imaginer  combien  François  fut  confus  et 
humilié  de  ce  traitement.  ïl  ne  s'appelait  alors  que  gourmand,  sensuel  et 


SAINT  FRANÇOTS  D 'ASSISE,    CONFESSEUR.  27 

hypocrite  ;  il  disait  à  ses  enfants  qu'il  ne  méritait  plus  de  porter  le  nom  de 
Frère  Mineur  ;  il  se  déclarait  digne  de  toutes  les  malédictions  des  apostats; 
enfin,  il  porta  son  amour  pour  l'abjection  jusqu'au  point  de  se  faire  traîner 
avec  une  corde  dans  la  ville,  jusqu'au  lieu  des  exécutions  publiques,  pour 
dire  à  tout  le  peuple  qu'il  ne  méritait  point  l'estime  qu'il  avait  pour  lui  et 
les  honneurs  qu'il  lui  rendait,  vu  qu'au  lieu  de  vivre  austèrement  comme  il 
se  persuadait  qu'il  vivait,  il  était  délicatement  nourri  à  la  table  même  de 
leur  évêque.  A  peine  eut-il  repris  un  peu  de  forces,  qu'il  se  mit  en  chemin 
pour  aller  en  Espagne  et  de  là  au  Maroc,  travailler  à  la  conversion  du  Mira- 
molin,  qui  était  Mahomet  le  Vert.  En  passant  par  les  villes  d'Italie,  il  fit  de 
grands  miracles  et  des  conversions  sans  nombre,  et  établit  une  foule  de 
couvents.  A  Foligno,  il  bénit  tellement  la  maison  de  son  hôte,  que  depuis, 
ni  le  feu  ni  la  peste  n'ont  osé  en  approcher.  A  Spolète,  il  changea  entière- 
ment le  cœur  d'un  riche  avare  qui  décriait  partout  son  Ordre,  en  faisant 
seulement  dire  trois  Pater  et  trois  Ave  Maria  pour  lui  par  chacun  de  ses 
religieux.  À  Terni,  il  ressuscita  un  jeune  homme  qui  avait  été  écrasé  par  la 
chute  d'une  muraille,  et  prédit  qu'il  embrasserait  un  jour  son  institut,  ce 
qui  est  arrivé  depuis.  Au  comté  de  Narni,  il  rendit  la  vie  à  un  homme  noyé 
depuis  quatre  jours,  la  santé  à  un  paralytique,  et  changea  de  l'eau  en  vin. 
A  Oriesi,  il  guérit  un  enfant  tellement  contrefait,  que  sa  tête  touchait  à  ses 
pieds.  Que  ne  fit-il  point  encore  à  Saint-Gémini,  à  Saint-Léon,  à  Imola  et 
dans  toutes  les  autres  villes  par  où  il  passa  jusqu'à  son  entrée  en  France? 
Il  était  reçu  partout  comme  un  grand  prophète.  On  lui  offrait  de  tous  côtés 
des  maisons  sans  qu'il  en  demandât,  et  tant  de  personnes  s'empressaient 
pour  être  du  nombre  de  ses  disciples,  qu'elles  étaient  aussitôt  remplies 
d'excellents  sujets.  Son  passage  par  le  Dauphiné  et  la  Provence  fut  court, 
et  il  se  rendit  au  plus  tôt  dans  la  Navarre  et  la  Castille.  Le  roi  Alphonse, 
depuis  grand-père  de  saint  Louis  par  la  reine  Blanche,  sa  fille,  lui  ût  un 
merveilleux  accueil  et  lui  donna  un  couvent  à  Burgos,  qui  fut  la  pépinière 
de  beaucoup  d'autres.  Le  Saint  voulut  enfin  passer  en  Afrique  ;  mais  l'Es- 
prit de  Dieu,  qui  avait  autrefois  empêché  l'apôtre  saint  Paul  de  prêcher 
l'Evangile  en  Bithynie,  empêcha  ce  zélé  missionnaire  de  porter  la  parole 
de  vie  dans  le  Maroc,  qui  était  indigne  d'un  si  grand  bonheur.  Il  tomba 
malade  aux  confins  de  l'Espagne,  et  pendant  sa  maladie,  il  reçut  ordre  du 
ciel  de  retourner  en  Italie.  Il  fit  auparavant  le  pèlerinage  de  Saint-Jacques 
de  Compostelle  ;  il  fit  bâtir  un  couvent  avec  un  trésor  qu'on  trouva  en  terre 
dans  un  lieu  qu'il  avait  indiqué.  Il  en  établit  encore  d'autres  en  revenant, 
tant  en  Portugal  qu'en  Castille,  en  Aragon  et  en  Catalogne,  et  entre  autres 
celui  de  Perpignan,  qui,  depuis,  est  devenu  très-considérable.  Enfin,  il 
fallait  compter  ses  prodiges  par  ses  démarches,  et  ses  nouveaux  établisse- 
ments par  les  séjours  qu'il  faisait  en  chemin.  La  guerre  des  Albigeois  l'em- 
pêcha de  s'arrêter  en  Provence  ;  d'ailleurs,  les  enfants  de  saint  Dominique 
y  prêchant  déjà  avec  un  zèle  et  un  succès  extraordinaires,  il  ne  jugea  pas 
à  propos  de  mettre  la  faux  dans  la  moisson  d'autrui. 

Son  retour  en  Italie,  où  l'on  regrettait  vivement  son  absence,  fut  un 
véritable  triomphe.  On  vint  de  tous  côtés  au-devant  de  lui.  Les  prodiges 
raccompagnèrent  partout.  Le  pain  se  multiplia  pour  sa  nourriture  et  pour 
celle  des  siens,  et  la  puissance  de  Dieu  confondit  d'une  manière  miracu- 
leuse ceux  qui  le  calomnièrent  ou  s'opposèrent  au  progrès  de  son  institut. 
Ayant  fait  de  sages  règlements  dans  son  couvent  de  Notre-Dame  des  Anges, 
il  se  retira  pour  la  première  fois  sur  le  mont  Alverne,  où  le  comte  Orlando, 
qui  le  regardait  comme  son  père,  lui  avait  donné  une  demeure.  Il  y  fut  visité 


2g  4  OCTOBRE. 

danord  parla  sainte  Vierge  accompagnée  de  saint  Jean-Baptiste  et  de  saint 
Jean  l'Evangéliste,  puis  par  Notre-Seigneur  môme,  qui,  s'étant  assis  sur  la 
pierre  où  il  prenait  ordinairement  son  pauvre  repas,  lui  découvrit  de  grands 
secrets,  dont  l'événement  a  depuis  justifié  la  vérité.  On  voit  encore  main- 
tenant cette  pierre  environnée  d'une  grille  de  fer  avec  cette  inscription  : 
«  La  table  de  saint  François,  où  il  a  eu  des  apparitions  admirables,  et  qu'il  a 
consacrée  en  l'arrosant  d'huile  et  disant  :  C'est  ici  l'autel  de  Dieu  ».  Un 
ange  lui  apprit  aussi  que  les  fentes  qu'il  voyait  aux  rochers  y  avaient  été 
faites  au  temps  de  la  Passion  de  Notre-Seigneur  :  ce  qui  lui  donna  un  res- 
pect et  une  dévotion  particuliers  pour  cette  sainte  montagne.  Il  y  convertit 
un  bandit  surnommé  le  Loup,  qui  avait  commis  une  infinité  de  meurtres  et 
de  brigandages,  et  lui  ayant  donné  l'habit  de  son  Ordre,  il  l'appela  Agnello, 
l'agneau,  pour  marquer  son  changement  de  loup  en  agneau.  Il  n'avait 
guère  moins  d'affection  pour  la  vallée  au  bas  de  Fabrian,  appelée  la  Pauvre- 
Vallée,  que  pour  ce  mont.  Il  obtint  le  don  d'une  ancienne  abbaye,  que  des 
religieuses  bénédictines  avaient  abandonnée,  et  y  plaça  de  ses  disciples  ;  et 
la  grande  solitude  de  ce  lieu  faisait  qu'il  s'y  retirait  avec  une  joie  singulière, 
pour  s'y  occuper  à  la  contemplation  des  vérités  éternelles.  Cet  établissement 
fut  suivi  de  beaucoup  d'autres  dans  la  Marche  d'Ancône.  Ce  fut  là  qu'il 
changea,  pour  une  heure,  l'eau  d'une  fontaine  en  de  bon  vin,  afin  de  sou- 
lager la  soif  de  ses  ouvriers  qui  travaillaient  à  son  couvent  de  Bonantis.  Ce 
fut  là  qu'un  de  ses  religieux,  ayant  fait  un  jugement  téméraire  sur  un 
pauvre  malade  qui  demandait  l'aumône  et  dont  François  exaltait  le  mérite, 
il  l'obligea  de  se  dépouiller  de  son  habit,  et  en  cet  état,  de  demander  par- 
don à  ce  pauvre.  Ce  fut  là  qu'un  autre  religieux,  qui  avait  murmuré  contre 
lui,  le  vit  la  nuit  en  oraison  dans  le  coin  d'une  forêt,  où  la  sainte  Vierge 
lui  étant  apparue,  le  caressa,  lui  mit  son  divin  enfant  entre  les  mains  et  lui 
permit  de  l'embrasser  et  de  le  baiser.  Ce  fut  là  qu'un  autre  frère,  encore 
novice,  eut  aussi  le  bonheur  de  le  voir  honoré  de  la  visite  de  Jésus,  de  Marie 
et  des  deux  saints  Jean  :  Jean-Baptiste  et  l'Evangéliste. 

Toutes  ces  choses  arrivèrent  jusqu'en  l'année  1215;  le  concile  de  Latran, 
sous  Innocent  III,  s'étant  ouvert,  saint  François  se  rendit  à  Rome  pour  y 
faire  de  nouveau  approuver  son  Institut.  Nous  avons  dit  que  le  pape  Inno- 
cent III  l'avait  déjà  approuvé  ;  mais  il  ne  l'avait  fait  que  de  vive  voix  et  n'en 
avait  point  fait  expédier  de  bulle,  et  de  plus,  il  n'avait  donné  au  Saint  et  à 
ses  enfants  que  le  nom  de  Prédicateurs  de  la  Pénitence  ;  de  sorte  qu'il  était 
à  propos  d'en  avoir  une  approbation  plus  authentique,  comme  d'un  nouvel 
Ordre  religieux.  Nous  ne  voyons  rien  dans  ce  concile  qui  marque  que  cettô. 
approbation  y  ait  été  donnée  ;  au  contraire,  on  y  trouve  dans  l'article  13 
un  décret  qui  porte  qu'on  se  doit  plutôt  appliquer  à  rétablir  les  anciens 
Ordres  dans  leur  premier  éclat,  qu'à  en  faire  de  nouveaux.  Mais  si  le  Saint 
n'obtint  pas  de  l'assemblée  l'établissement  qu'il  souhaitait,  il  est  certain 
néanmoins  que  les  Pères,  informés  des  fruits  merveilleux  que  ses  religieux 
produisaient  dans  le  monde,  agréèrent  leur  travail,  les  regardant  comme 
de  puissants  missionnaires  et  des  trompettes  éclatantes  de  l'Evangile.  Aussi, 
depuis  ce  temps-là,  l'Ordre  prit  plus  d'accroissement  et  fit  de  plus  grands 
progrès  que  jamais.  Ce  fut  en  cette  année  ou  environ  que  le  bienheureux 
patriarche  bâtit  le  couvent  appelé  maintenant  la  prison  de  Saint- François,  à 
deux  milles  d'Assise  ;  nom  qui  lui  a  été  donné,  parce  que  cet  homme  cé- 
leste s'y  renfermait  souvent  dans  un  oubli  général  de  toutes  les  créatures, 
pour  y  renouveler  sa  ferveur.  On  y  voit  sa  cellule  semblable  à  un  cachot, 
son  lit  de  pierre,  son  chevet  de  bois,  son  crucifix  et  quelques  autres  de  ses 


SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE,   CONFESSEUR.  29 

reliques,  avec  une  fontaine  qu'il  obtint  par  ses  prières,  et  dont  l'eau  est  une 
source  de  miracles. 

Le  30  mai  1216,  ayant  assemblé  un  grand  nombre  de  ses  religieux,  il 
les  envoya  prêcher  en  France,  en  Espagne,  en  Angleterre  et  en  Allemagne, 
où  ils  établirent  de  tous  côtés  des  monastères  qui  sont  des  marques  sensi- 
bles du  succès  de  leurs  prédications.  Pour  lui,  il  fit  encore  un  voyage  à 
Rome,  pour  y  rendre  ses  devoirs  aux  tombeaux  des  bienheureux  Apôtres 
saint  Pierre  et  saint  Paul.  Ce  fut  dans  ce  voyage  que,  se  voyant  auprès  d'un 
ruisseau  avec  un  morceau  de  pain  dur,  noir  et  moisi  pour  tout  repas,  il  ne 
pouvait  assez  exalter  son  bonheur,  et  il  témoigna  à  frère  Masséo,  son  com- 
pagnon, qu'il  se  croyait  plus  riche  que  les  plus  grands  de  la  terre.  11  entra 
ensuite  dans  une  église  voisine  et  demanda  à  Jésus-Christ  avec  tant  d'ardeur 
de  lui  donner,  ainsi  qu'à  ses  enfants,  l'amour  de  la  sainte  pauvreté,  que  son 
visage  semblait  jeter  des  flammes.  11  s'avança  vers  le  frère  Masséo,  les  bras 
ouverts,  le  ciel  dans  les  yeux,  l'appela  à  haute  voix,  lui  communiqua,  en 
soufflant  sur  son  visage,  l'esprit  qui  le  remplissait,  et,  comme  hors  de  lui, 
il  éclata  en  paroles  enflammées,  véritable  hymne  d'amour  pour  la  divine 
pauvreté.  «  Seigneur  Jésus,  montrez-moi  les  voies  de  votre  très-chère  pau- 
vreté !  Ayez  pitié  de  moi  et  de  ma  dame  la  Pauvreté  ;  car  je  l'aime  avec 
tant  d'ardeur,  que  je  ne  puis  trouver  de  repos  sans  elle,  et  vous  savez,  ô 
mon  Dieu,  que  c'est  vous  qui  m'avez  donné  ce  grand  amour.  Elle  est  assise 
dans  la  poussière  du  chemin,  et  ses  amis  passent  devant  elle  avec  mépris. 
Voyez  l'abaissement  de  cette  reine,  ô  Seigneur  Jésus,  ô  vous  qui  êtes  des- 
cendu du  ciel  sur  la  terre  pour  en  faire  votre  épouse  et  pour  avoir  d'elle, 
par  elle  et  en  elle,  des  enfants  parfaits.  Elle  était  dans  l'humilité  du  sein  de 
votre  mère  ;  elle  était  dans  la  crèche  :  comme  un  écuyer  fidèle,  elle  s'est 
tenue  tout  armée  dans  le  grand  combat  que  vous  avez  combattu  pour  notre 
rédemption.  Dans  votre  Passion,  seule,  elle  ne  vous  a  pas  abandonné.  Marie, 
votre  mère,  s'est  arrêtée  au  pied  de  la  croix  ;  mais  la  pauvreté  est  montée 
avec  vous,  elle  vous  a  serré  plus  fort  contre  son  sein.  C'est  elle  qui  a  pré- 
paré avec  amour  les  rudes  clous  qui  ont  percé  vos  mains  et  vos  pieds  ;  et 
lorsque  vous  mouriez  de  soif,  cette  épouse  attentive  vous  faisait  présenter 
du  fiel.  Vous  êtes  mort  dans  l'ardeur  de  ses  embrassements  ;  elle  ne  vous  a 
point  quitté,  ô  Seigneur  Jésus,  elle  n'a  permis  à  votre  corps  de  reposer 
que  dans  un  tombeau  étranger.  C'est  elle  qui  vous  a  réchauffé  au  fond  du 
sépulcre  et  qui  vous  a  fait  sortir  glorieux.  Aussi  vous  l'avez  couronnée  au 
ciel,  et  vous  voulez  qu'elle  marque  les  élus  du  signe  de  la  rédemption.  Oh! 
qui  n'aimerait  la  dame  Pauvreté  au-dessus  de  toutes  les  autres  !  O  très-pau- 
vre Jésus  !  la  grâce  que  je  vous  demande  est  de  me  donner  le  privilège  de 
la  pauvreté.  Je  souhaite  ardemment  d'être  enrichi  de  ce  trésor;  je  vous 
prie  qu'à  moi  et  aux  miens  il  soit  propre  à  jamais  de  ne  pouvoir  rien  pos- 
séder sous  le  ciel  pour  la  gloire  de  votre  nom,  et  de  ne  subsister  pendant 
cette  misérable  vie  que  de  ce  qui  nous  sera  donné  en  aumône  !  » 

Avec  des  discours  et  des  ravissements  pareils,  ils  poursuivirent  leur 
route  et  parvinrent  à  Rome  peu  de  jours  avant  la  mort  du  pape  Inno- 
cent III.  La  protection  accordée  à  saint  François  et  la  reconnaissance  de 
son  Ordre  ont  toujours  été  considérées  comme  une*  des  plus  grandes  œu- 
vres de  ce  grand  pontificat.  Deux  jours  après,  Honorius  III  monta  sur  le 
siège  de  saint  Pierre,  et  François  trouva  dans  le  nouveau  Pape  la  même 
protection  et  le  même  amour.  C'est  dans  ce  séjour  à  Rome  que  le  serviteur 
de  Dieu  rencontra  pour  la  première  fois  saint  Dominique,  pauvre  comme 
lui,  comme  lui  Dénitent  et  dévoré  de  l'amour  des  âmes.  Comme  ils  priaient 


3()  4   OCTOBRE. 

l'un  et  l'autre  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  Jésus-Christ  leur  apparut  assis  à 
la  droite  de  son  Père,  le  visage  irrité,  tenant  à  la  main  trois  traits  enflam- 
més pour  exterminer  les  superbes,  les  avares  et  les  voluptueux.  La  sainte 
Vierge  Marie,  se  jetant  à  ses  pieds,  demanda  miséricorde  pour  ses  enfants 
ingrats,  présenta  au  Seigneur  Dominique  et  François,  comme  capables  de 
réformer  le  monde  et  de  convertir  les  pécheurs  ;  et  le  Sauveur  agréa  cette 
offrande.  Le  lendemain,  dans  la  même  église,  les  deux  Saints,  levant  les 
yeux  l'un  sur  l'autre,  se  reconnurent  sans  s'être  jamais  vus,  s'avancèrent 
d'un  même  mouvement  et  se  tinrent  longtemps  embrassés  sans  rien  dire. 
Enfin  Dominique  rompant  le  silence  :  «  Tu  es  mon  compagnon  et  mon 
frère  »,  dit-il;  «  nous  travaillerons  de  concert.  Demeurons  unis,  et  per- 
sonne ne  pourra  prévaloir  contre  nous  ». 

Les  deux  grands  pauvres  de  Jésus-Christ,  durant  leur  court  séjour  à 
Rome,  s'entretinrent  longtemps  et  souvent  des  choses  divines,  des  remèdes 
à  apporter  aux  âmes  et  aux  nations,  et  ces  mendiants,  méprisés  du  monde, 
se  partagèrent  la  conquête  du  monde.  Ils  prièrent,  ils  pleurèrent  ensem- 
ble, et  Dominique  puisa  dans  l'âme  de  François  un  amour  plus  grand  en- 
core pour  la  sainte  pauvreté.  On  montre  dans  le  couvent  de  Sainte-Sabine, 
sur  le  mont  Aventin,  la  cellule,  aujourd'hui  transformée  en  chapelle,  qui 
fut  pendant  des  nuits  entières  le  témoin  de  leurs  célestes  effusions.  Que  de 
prières,  que  de  larmes,  que  de  cris  d'amour  montèrent  de  cette  pauvre 
cellule  jusqu'au  trône  de  Dieu  l  L'âme  des  deux  Saints  semble  la  remplir  en- 
core, et  le  pèlerin  ne  peut  y  pénétrer  sans  une  profonde  et  religieuse  émotion. 

Saint  François  quitta  Rome  et  se  mit  en  chemin  pour  venir  en  France. 
Etant  aux  portes  de  Sienne,  il  ficha  son  bâton  en  terre,  et,  à  l'heure  même, 
ce  morceau  de  bois  prit  racine  et  se  couvrit  de  fleurs  et  de  feuilles.  Il  devint 
ensuite  un  grand  arbre  qui  a  duré  jusqu'en  1615,  où,  à  force  d'avoir  été 
dépouillé  par  les  pèlerins,  il  se  sécha  :  ce  qui  obligea  de  le  couper.  Depuis, 
il  est  né  de  son  tronc  un  rejeton  que  l'on  conserve  avec  beaucoup  de  res- 
pect, et  que  l'on  a  même  entouré  d'une  grille  de  fer  pour  empêcher  le* 
passants  d'y  toucher.  Le  cardinal  Ugolini,  ayant  rencontré  notre  Saint  à 
Florence,  le  détourna  vivement  de  son  dessein  de  passer  les  monts.  Fran- 
çois en  ressentit  une  grande  peine,  qu'il  déposa  amoureusement  aux  pieds 
du  Sauveur  crucifié.  Il  envoya  à  sa  place  les  frères  Pacifique,  Ange  et  Albert 
de  Pise,  et  revint  à  Sainte-Marie  des  Anges,  heureux  de  passer  aux  yeux 
des  peuples  et  de  ses  propres  fils  pour  un  homme  peu  sage,  changeant  en 
ses  entreprises,  que  Dieu  remettait  en  sa  voie,  mais  qui  ne  savait  pas  s'y 
maintenir  par  lui-même.  L'événement  ne  tarda  pas  à  prouver  la  justesse 
des  conseils  du  cardinal  Ugolini.  L'opposition  que  rencontrent  tous  les  ré- 
formateurs, et  qui  n'avait  pas  manqué  à  l'œuvre  de  François,  se  remua 
vivement  à  Rome  contre  son  Institut,  dont  l'absolue  pauvreté  épouvantait 
les  demi-chrétiens.  Il  en  fut  informé,  et  Dieu  même  daigna  lui  montrer 
dans  un  songe  mystérieux  le  danger,  en  même  temps  que  la  manière  de  le 
conjurer.  Il  vit  dans  son  sommeil  une  petite  poule  noire  aux  pattes  de 
colombe,  laquelle  avait  des  poussins  en  si  grand  nombre  qu'elle  ne  les  pou- 
vait ramasser  sous  ses  ailes,  de  sorte  qu'ils  prenaient  leurs  ébats  à  l'entour 
de  la  poule  et  demeuraient  en  dehors.  A  son  réveil,  il  comprit,  à  la  lumière 
de  l'Esprit-Saint,  que  cette  poule  aux  pattes  de  colombe,  c'était  lui-même, 
homme  simple  et  petit,  et  que,  pour  défendre  son  innombrable  famille,  il 
fallait  un  protecteur  plus  puissant.  Il  résolut  donc  de  retourner  à  Rome 
pour  demander  au  Pape  de  confier  à  un  cardinal  la  défense  et  la  protection 
de  son  Ordre. 


SAINT  FRANÇOIS   D*ASSTSE,   CONFESSEUR.  31 

Ce  cardinal  protecteur  était  tout  désigné  d'avance  :  c'était  son  saint 
ami,  le  cardinal  l'golini,  évoque  d'Ostie,  qui  avait  quitté  Florence  et  était 
de  retour  à  Rome.  Il  accueillit  François  avec  sa  tendresse  accoutumée,  et, 
pour  le  bien  faire  voir  du  pape  Honorius  III  et  du  Sacré  Collège,  il  l'exhorta 
vivement  à  prêcher  devant  cet  illustre  auditoire.  Sa  Sainteté  voulut  elle- 
même  l'entendre.  François  refusa  longtemps  de  monter  dans  cette  première 
chaire  du  monde  ;  mais,  ne  pouvant  plus  s'en  défendre,  il  se  prépara  soi- 
gneusement, contre  sa  coutume,  pour  faire  un  sermon  qui  fût  digne  d'un 
auditoire  si  auguste.  Dieu  fît  voir,  en  cette  occasion,  qu'il  voulait  qu'il  fût 
uniquement  son  organe.  Dès  qu'il  eut  prononcé  son  thème,  il  demeura 
muet  et  ne  se  souvint  plus  de  ce  qu'il  avait  étudié.  La  parole  du  Pape,  qui 
l'exhorta  à  ne  rien  craindre,  ne  fut  pas  capable  de  le  remettre  ;  mais,  lors- 
qu'il se  fut  accusé  publiquement  de  présomption  de  s'être  trop  appuyé  sur 
ses  préparations,  et  que,  s'étant  mis  à  genoux,  il  se  fut  abandonné  à  l'Es- 
prit de  Dieu  pour  dire  ce  qu'il  lui  mettrait  à  la  bouche,  il  fit  un  sermon  si 
puissant  et  si  terrible  sur  la  pénitence,  que  tout  l'auditoire  en  fut  effrayé  et 
touché  de  componction  ;  et,  lorsqu'il  sortit  de  chaire,  il  y  avait  presse  à 
baiser  la  terre  par  où  il  passait.  Il  n'eut  pas  de  peine,  après  cela,  à  obtenir 
ce  qu'il  demandait,  et  Sa  Sainteté  lui  donna  volontiers,  pour  protecteur,  le 
même  cardinal  Ugolini,  évoque  d'Ostie,  qui  fut  depuis  Pape  sous  le  nom  de 
Grégoire  IX. 

Le  26  mai  de  l'année  1219  fut  un  grand  jour  dans  l'histoire  de  l'Ordre 
des  Frères  Mineurs.  C'était  la  fête  de  la  Pentecôte,  et  les  Frères,  arrivant 
de  toutes  les  parties  du  monde,  se  trouvèrent  réunis  à  Sainte-Marie  des 
Anges  pour  assister  au  second  Chapitre  général  qui  devait  s'ouvrir  ce  jour- 
là.  Leur  nombre  dépassa  cinq  mille  :  telle  avait  été  la  merveilleuse  fécon- 
dité de  la  famille  de  saint  François.  On  les  voyait  arriver  par  groupes, 
jeunes  gens  et  vieillards,  vêtus  du  même  habit,  tous  pieds  nus,  respirant  la 
joie  de  la  pauvreté,  et  portant  en  eux  le  trésor  du  divin  amour  :  armée 
admirable,  pacifique  et  conquérante,  désarmée  et  toute-puissante,  des 
pauvres  de  Jésus-Christ.  Le  monastère  de  Sainte-Marie  des  Anges,  dont 
François  et  ses  douze  premiers  disciples  avaient  pris  possession  neuf  ans 
auparavant,  ne  pouvant  abriter  cette  multitude  immense,  on  dressa  dans  la 
campagne  environnante  des  cabanes  faites  de  nattes  de  jonc  et  de  paille  ; 
ce  fut  sous  ces  tentes,  aussi  belles  que  celles  de  l'armée  d'Israël,  que  campa 
l'armée  de  saint  François. 

Le  cardinal  Ugolini  vint  présider  le  Chapitre.  Il  officia  pontificalement 
le  jour  de  la  Pentecôte,  et  voulut  le  soir,  comme  un  général  d'armée,  visi- 
ter les  rangs  des  soldats  de  Jésus-Christ.  Il  les  trouva  rassemblés  par  groupes 
de  cent  ou  de  soixante,  ou  plus  ou  moins.  Ils  s'entretenaient  des  choses 
divines,  de  leur  salut  et  de  la  conquête  du  monde.  A  cette  vue,  le  bon  car- 
dinal, les  yeux  baignés  de  larmes,  dit  à  François  :  «  0  frère,  en  vérité,  voici 
le  camp  du  Seigneur  !  »  Et  François,  ému  comme  lui,  transporté  de  joie, 
de  reconnaissance  et  d'amour,  leva  les  yeux  et  les  mains  vers  le  ciel,  et  les 
reportant  sur  ses  frères  et  ses  fils,  laissa  tomber  de  son  cœur  et  de  ses  lèvres 
des  paroles  vives,  courtes,  enflammées,  dont  l'histoire  nous  a  conservé 
quelques-unes  :  «  Nous  avons  promis  de  grandes  choses;  on  nous  en  a  pro- 
mis de  plus  grandes;  gardons  les  unes,  soupirons  après  les  autres.  Le  plaisir 
est  court,  la  peine  est  éternelle  ;  les  souffrances  sont  légères,  la  gloire  est 
infinie  ;  beaucoup  d'appelés,  peu  d'élus  :  tous  recevront  ce  qu'ils  auront 
mérité.  Par-dessus  tout,  ô  mes  frères,  aimons  la  sainte  Eglise;  prions  pour 
son  exaltation,  et  n'abandonnons  jamais  la  pauvreté.  N'est-il  pas  écrit  : 


32  4  OCTOBRE. 

«  Charge  le  Seigneur  du  soin  de  ta  vie,  et  lui-même  te  nourrira?  »  C'est 
ainsi  que  le  père  exhortait,  consolait,  glorifiait  ses  enfants. 

Suivant  la  parole  de  François,  le  Seigneur  se  chargea  du  soin  de  nourrir 
ces  chers  pauvres.  Ils  étaient  là  cinq  mille,  comme  ceux  qui  jadis  avaient 
suivi  le  Christ  dans  les  plaines  de  la  Judée,  dénués  de  tout  comme  eux, 
mais  comptant  comme  eux  sur  Celui  qui  avait  nourri  ces  multitudes  avec 
cinq  pains  et  deux  poissons.  On  vit  bientôt  affluer  des  environs,  des  cheva- 
liers et  des  paysans,  gens  de  la  ville  et  de  la  campagne,  qui  apportaient  aux 
pauvres  de  Dieu  toutes  les  provisions  nécessaires.  Ces  secours  durèrent  au- 
tant que  le  Chapitre  lui-même,  et  la  charité  de  ceux  qui  donnaient  se 
trouva  aussi  grande  que  la  pauvreté  de  ceux  qui  recevaient.  Une  foule 
nombreuse  de  gens  de  toute  classe,  jeunes  et  vieux,  clercs  et  laïques, 
étaient  venus  par  curiosité  pour  contempler  la  nouveauté  de  ce  spectacle. 
Envoyant  le  dénûment  des  frères,  leur  simplicité,  leur  abandon  compléta 
la  Providence  et  leur  fraternel  amour,  beaucoup  étaient  touchés  jusqu'aux 
larmes.  «  Voilà  »,  se  disaient- ils,  «  qui  montre  bien  que  le  chemin  du  ciel 
est  étroit,  et  qu'il  est  difficile  aux  riches  d'entrer  dans  le  royaume  de  Dieu. 
Nous  nous  flattons  de  faire  notre  salut  en  jouissant  de  la  vie  et  en  prenant 
toutes  nos  aises,  et  ces  bons  frères  se  privent  de  tout  et  tremblent  encore. 
Nous  voudrions  mourir  comme  eux,  mais  nous  ne  voulons  pas  vivre  de 
même  ;  on  meurt  cependant  comme  on  a  vécu  ».  Et  ils  vinrent,  au  nombre 
de  plus  de  cinq  cents,  se  jeter  aux  pieds  de  François  et  lui  demander  de 
les  recevoir  au  nombre  de  ses  frères. 

La  conquête  de  ces  nouveaux  disciples,  l'accroissement  et  le  renouvel- 
lement de  la  ferveur,  de  l'esprit  de  religion  et  de  discipline  dans  les  anciens, 
ne  furent  pas  les  seuls  résultats  de  ce  Chapitre  général.  On  y  fit  de  nou- 
veaux et  importants  statuts  qui  achevèrent  d'imprimer  à  l'Ordre  son  tou- 
chant et  glorieux  caractère.  La  pauvreté  fut  recommandée  dans  la  cons- 
truction des  monastères,  et,  grâce  à  cette  règle,  les  Frères  Mineurs  restèrent 
toujours  dans  le  beau  en  restant  dans  le  simple.  On  décida  que,  tous  les 
samedis,  une  messe  solennelle  serait  célébrée  dans  tous  les  monastères  en 
Thonneur  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  Immaculée  :  et,  par  cette  déci- 
sion, l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  déjà  chevalier  de  la  sainte  pauvreté,  se 
proclama  le  héraut  de  la  très-sainte  Vierge  et  le  propagateur  dans  le  monde 
du  grand  dogme  de  l'Immaculée  Conception.  Il  fut  aussi  décidé  que  dans 
les  offices  des  Frères  Mineurs  il  serait  toujours  fait  une  mention  expresse 
de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  et  par  là,  l'Ordre  de  Saint-François  pro- 
clama et  resserra  encore  les  liens  de  dévouement  absolu  et  de  filial  amour 
qui  l'attachaient  à  l'Eglise  romaine,  mère  et  maîtresse  de  toutes  les 
Eglises. 

Enfin,  les  frères  se  partagèrent  le  monde  pour  y  répandre  le  Verbe  divin 
et  pour  le  conquérir  à  Jésus-Christ.  On  dressa  le  plan  de  cette  campagne 
contre  Satan,  qui  devait  durer  autant  que  sa  puissance,  c'est-à-dire  jusqu'à 
la  fin  des  temps.  Le  pape  Honorius  III,  alors  àViterbe,  donna  l'approbation 
du  Saint-Siège  à  cette  entreprise.  Munis  de  ce  précieux  passeport,  les 
Frères  Mineurs  s'embrassèrent,  se  dirent  adieu,  et  se  dispersèrent  comme 
autrefois  les  Apôtres,  emportant  la  bénédiction  de  leur  père  François. 

Après  avoir  congédié  cette  heureuse  troupe,  François  reprit  son  pre- 
mier dessein  d'aller  en  Syrie,  se  persuadant  qu'il  ne  pouvait  que  gagner 
beaucoup,  puisque,  s'il  n'avait  pas  le  bonheur  de  convertir  le  soudan 
d'Egypte  avec  son  peuple,  il  pouvait  espérer  d'être  mis  à  mort  et  de  remporter 
la  couronne  du  martyre.  Il  prit  avec  lui  onze  religieux  qu'un  enfant  lui 


SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE,  CONFESSEUR  33 

désigna  par  l'esprit  de  Dieu.  Sa  navigation  fut  très-heureuse.  Il  arriva  pre- 
mièrement au  port  d'Acre,  puis  à  celui  de  Damiette,  qui  était  alors  assiégé 
par  les  chrétiens.  Ceux-ci  n'ayant  pas  voulu  écouter  les  avis  prophétiques 
qu'il  leur  donna,  s'en  trouvèrent  très-mal,  et  furent  défaits  dans  une  jour- 
née qui  leur  coûta  bien  du  sang.  Il  passa  de  là  au  camp  des  Sarrasins,  où, 
après  beaucoup  d'outrages  et  de  coups  qu'il  reçut  de  ces  infidèles,  s'étant 
fait  présenter  au  soudan,  il  lui  parla  avec  une  liberté  et  une  force  surpre- 
nantes, s'olïrant  même  de  passer  par  le  feu  pour  lui  faire  voir  la  vérité  de  la 
religion  chrétienne.  La  crainte  humaine  empêcha  ce  prince  de  déférer  aux 
pressantes  instances  qu'il  lui  faisait  de  se  faire  chrétien  ;  mais  il  ne  le 
maltraita  pas,  et  lui  rendit,  au  contraire,  beaucoup  d'honneurs.  Il  lui 
donna  même  permission  de  prêcher  sur  ses  terres  et  de  baptiser  ceux  qu'il 
pourrait  convertir  :  ce  que  François  et  ses  disciples  firent  avec  un  merveil- 
leux succès,  jusqu'à  recevoir  des  Sarrasins  dans  leur  Ordre. 

Ce  fut  alors  que  le  démon,  honteux  de  ces  progrès,  suscita  une  femme 
égyptienne  pour  solliciter  le  saint  homme  au  péché.  Celui-ci  répondit  qu'il 
y  consentait,  mais  qu'il  voulait  lui- même  préparer  une  couche  convenable. 
Il  en  fit  une  avec  des  charbons  embrasés,  se  mit  dessus,  et  lui  dit  :  «  Yoici 
le  remède  de  la  concupiscence  ».  Son  corps  ne  brûla  pas  au  milieu  des 
flammes  ;  mais  la  pécheresse  fut  touchée  de  sa  faute  et  des  autres  crimes 
de  sa  vie  passée  :  elle  ouvrit  les  yeux  à  la  lumière  de  la  foi,  et,  ayant  em- 
brassé le  Christianisme  et  la  profession  de  la  continence,  elle  fut  même 
cause  de  la  conversion  d'un  grand  nombre  de  Mahométans  de  la  ville  où 
elle  demeurait.  Le  Saint,  après  plusieurs  autres  succès  qu'il  eut  en  ce  pays, 
et  surtout  après  qu'un  couvent  tout  entier  de  Bénédictins,  à  Monténégro, 
près  d'Antioche,  avec  l'abbé  et  le  prieur  eurent  embrassé  sa  Règle,  voyant 
que  Dieu  ne  lui  voulait  pas  donner  la  palme  du  martyre,  résolut  de  repas- 
ser en  Europe.  Il  prit  auparavant  congé  du  sultan  Mélédin,  qui  lui  avait 
témoigné  tant  d'amitié,  l'exhortant  de  nouveau  à  abjurer  les  erreurs  de 
Mahomet  et  à  reconnaître  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Une  tradition  pieuse, 
et  qui  ne  manque  pas  de  valeur,  rapporte  que  ces  exhortations  ne  furent 
pas  inutiles,  que  ce  prince  prit  alors  la  résolution  de  faire  un  jour  ce  qu'il 
lui  conseillait  ;  que,  depuis,  il  fut  très-favorable  aux  chrétiens,  ami  de  la 
vérité  et  de  la  justice,  miséricordieux  envers  les  pauvres  et  éloigné  du  vice 
de  l'impureté  ;  et  qu'enfin,  étant  près  de  mourir,  il  fut  visité  par  deux  reli- 
gieux que  saint  François,  qui  était  dans  le  ciel  il  y  avait  déjà  douze  ans, 
lui  envoya,  et  reçut  de  leurs  mains  le  sacrement  du  baptême,  dans  la  grâce 
duquel  il  expira.  Cette  conversion  est  possible,  car  rien  n'est  impossible  à 
Dieu  ;  mais  elle  n'est  pas  vraisemblable,  et  la  tradition  qui  la  rapporte  ne 
repose  pas  sur  des  bases  assez  certaines  pour  qu'on  puisse  y  ajouter  une  foi 
entière. 

Le  serviteur  de  Dieu,  après  avoir  prêché  les  croisés  et  posé  les  fonde- 
ments de  son  Ordre  dans  ces  malheureuses  contrées,  revint  en  Italie,  où  il 
fut  reçu  comme  un  ange  du  ciel  :  on  lui  fit  des  honneurs  incroyables  à 
Venise,  à  Padoue,  à  Bergame,  à  Crémone,  à  Bologne  et  dans  toutes  les 
autres  villes  où  il  passa.  Il  y  opéra  aussi  de  grands  miracles  et  établit  de 
nouveaux  couvents  où  il  n'y  en  avait  point.  Il  changea  l'eau  corrompue 
d'un  puits  en  très-bonne  eau,  à  Crémone,  conjointement  avec  saint  Domi- 
nique ;  il  guérit  un  épileptique  et  un  enfant  qui  avait  perdu  un  œil  à  Bolo- 
gne. Mais  ces  miracles  ne  sont  rien  en  comparaison  de  la  réconciliation  qu'il 
ménagea  entre  deux  gentilshommes  prêts  à  s'égorger.  Trouvant  le  bâtiment 
de  son  couvent  de  Bologne  trop  somptueux,  il  voulait  le  faire  abattre  pour 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  m 


34  4  OCTOBRE. 

en  refaire  un  plus  pauvre,  et  il  l'eût  fait  effectivement,  sans  le  cardinal 
Ugolini,  qui  lui  remontra  que  ce  monastère,  étant  destiné  aux  infirmes, 
devait  avoir  plus  d'étendue  et  de  commodité  que  les  autres.  C'est  ce  que  ce 
grand  ami  de  la  pauvreté  a  fait  en  beaucoup  d'autres  occasions  ;  quand  on 
lui  résistait  sur  ce  point,  il  n'entrait  pas  dans  le  couvent,  et,  par  son  éloi- 
gnement,  il  le  privait  de  sa  bénédiction.  De  Bologne,  il  alla  au  désert  de 
Camaldule,  où  il  passa  trente  jours  dans  la  cellule  de  saint  Romuald,  que 
Ton  appelle  maintenant  de  Saint-François,  et  y  fit  faire  les  exercices  à  ce 
pieux  cardinal,  qui  avait  une  singulière  vénération  pour  son  mérite. Il  vint 
ensuite  dans  ses  couvents  du  duché  de  Spolète,  où  il  vit  de  ses  propres  yeux 
le  relâchement  que  frère  Elie,  son  vicaire  général,  avait  introduit  dans  son 
Ordre  par  une  fausse  prudence  qui  n'était  pas  selon  l'esprit  de  Dieu,  mais 
selon  l'esprit  du  monde.  Dieu  lui  fit  alors  connaître,  par  une  admirable 
vision  d'une  statue,  semblable  à  celle  de  Nabuchodonosor,  les  abus  et  les 
dérèglements  qui  s'introduisaient  dans  sa  Congrégation  par  cette  sagesse  de 
la  chair.  11  en  gémit  longtemps  devant  la  divine  Majesté,  et  après  avoir  fait 
une  sévère  réprimande  à  ce  vicaire,  et  l'avoir  rendu  ridicule  en  se  revêtant 
lui-même  du  bel  habit  qu'il  s'était  fait  faire,  et  le  rejetant  avec  mépris,  il  le 
déposa  de  son  office. 

Son  humilité  le  porta  en  même  temps  à  se  démettre  lui-même  de  sa 
qualité  de  général,  pour  en  revêtir  frère  Pierre  de  Catane,  devant  lequel  il 
se  mit  à  genoux  pour  lui  protester  obéissance.  Cela  n'empêcha  pas  néan- 
moins les  religieux  de  le  reconnaître  toujours  pour  le  général,  ou  plutôt 
pour  un  supérieur  extraordinaire,  au-dessus  des  provinciaux  et  du  général, 
et  ils  l'appelaient  par  excellence  le  Père,  comme  celui  qui  était,  non-seule- 
ment le  fondateur,  mais  aussi  le  soutien  et  l'âme  de  cette  Congrégation 
naissante.  En  effet,  il  exerça  toujours  à  son  égard  l'office  de  chef,  de  méde- 
cin et  de  père.  Combien  était-il  sévère  envers  ceux  qu'il  trouvait  coupables 
de  propriété,  ou  qui  voulaient  avoir  des  meubles  et  des  livres  en  leur  parti- 
culier !  Quelle  aversion  ne  témoignait-il  pas  contre  ces  grands  théologiens 
et  ces  savants  prédicateurs  qui,  sous  ce  prétexte,  voulaient  être  considérés 
et  avoir  des  exemptions,  ou  négligeaient  l'esprit  de  pénitence  et  d'oraison  ! 
Il  n'était  pas  ennemi  de  l'étude,  comme  quelques-uns  de  ces  superbes  le  lui 
imputaient,  et  il  le  fit  bien  voir  par  la  joie  qu'il  ressentit  lorsque  le  grand 
Alexandre  de  Halès  entra  dans  son  Ordre  et  qu'il  ordonna  à  saint  Antoine 
de  Padoue  d'enseigner  la  sainte  doctrine  aux  frères  ;  mais  il  était  ennemi 
de  cette  science  qui  enfle,  d'autant  plus  que  Dieu  lui  avait  fait  connaître 
que  ce  serait  par  l'orgueil  des  savants  indévots  que  son  Ordre  tomberait  en 
décadence  et  perdrait  l'esprit  d'humilité  et  de  simplicité  qui  en  était  toute 
la  force.  Il  disait  souvent  qu'on  se  trompe  en  attribuant  la  conversion  des 
pécheurs  à  ces  prédicateurs  éloquents  qui  ne  parlent  que  par  étude,  et  qui 
ne  font  rien  de  ce  qu'ils  prêchent  aux  autres  ;  mais  qu'il  fallait  attribuer  ces 
prodigieux  mouvements  de  la  grâce  aux  prières,  aux  larmes  et  à  la  sainte 
vie  d'un  grand  nombre  de  personnes  simples,  qui  attirent  du  ciel  cette  bé- 
nédiction. Son  discernement  des  esprits  était  merveilleux.  Il  reconnaissait 
ceux  de  ses  frères  qui  persévéraient  dans  leur  profession,  ceux  qui  y  renon- 
ceraient par  l'apostasie,  et  ceux  mêmes  auxquels  Dieu  ferait  miséricorde, 
ou  qui  mourraient  .misérablement  dans  leur  opiniâtreté  :  les  prédictions 
terribles  qu'il  en  a  faites  ont  toujours  eu  leur  effet.  Il  écrivit  au  général, 
Pierre  de  Catane,  qui  faisait  ses  visites,  une  lettre  admirable  par  laquelle 
il  l'instruisait  de  tous  les  devoirs  d'un  bon  supérieur,  et  surtout  de  l'union 
qu'il  devait  faire  de  la  justice  et  de  la  miséricorde,  pour  pardonner 


SAINT  FRANÇOIS  D' ASSISE,   CONFESSEUR.  35 

aux  pénitents  et  pour  réprimer  l'audace  et  la  rébellion  des  superbes. 

Ce  générai  mourut  ;  comme  les  secours  miraculeux  que  l'on  recevait 
continuellement  à  son  tombeau,  à  Notre-Dame  des  Anges,  y  faisaient  faire 
de  grandes  aumônes,  ce  qui  altérait  l'esprit  de  pauvreté,  François  s'adressa  à 
lui-même,  et  lui  ordonna  de  cesser  de  faire  des  miracles.  Ce  saint  homme  obéit 
aussitôt,  et  on  reconnut,  en  ouvrant  son  sépulcre  pour  le  transporter  ail- 
leurs, qu'il  s'était  mis  à  genoux  pour  recevoir  ce  commandement.  Qui  eût 
dit  que  notre  Saint  eût  mis  en  sa  place  ce  fameux  frère  Elie  qu'il  avait 
déposé  de  son  vicariat,  et  dont  l'esprit  hautain  et  présomptueux  lui  était  in- 
supportable ?  Il  le  fit  néanmoins  par  un  ordre  exprès  de  Dieu,  dont  les 
voies  sont  toujours  droites  et  saintes,  quoique  le  secret  nous  en  soit  impé- 
nétrable ;  et  non-seulement  il  le  fit  général,  mais  il  se  mit  à  ses  pieds  et  lui 
baisa  la  main  comme  à  son  supérieur  légitime.  Il  eut  alors  la  pensée  de  se 
retirer  dans  une  solitude  ;  mais  le  Saint-Esprit  lui  fit  connaître  qu'il  vou- 
lait qu'il  continuât  ses  prédications  ;  comme,  en  effet,  il  le  fit  avec  plus  de 
succès  qu'il  n'avait  jamais  fait.  Ce  qui  est  admirable,  c'est  que  souvent  il 
prêchait  les  animaux  mêmes ,  comme  les  oiseaux,  les  poissons  et  les  agneaux, 
leur  remontrant  les  obligations  qu'ils  avaient  à  Dieu,  et  combien  il  était 
juste  qu'ils  louassent  un  Créateur  si  bon  et  si  magnifique  ;  et  ces  créatures, 
privées  de  raison,  non-seulemeut  l'écoutaient  attentivement,  mais  témoi- 
gnaient aussi,  par  leurs  mouvements,  la  joie  qu'elles  avaient  de  l'entendre, 
puis,  après  le  sermon,  elles  se  servaient  des  moyens  que  la  nature  leur  avait 
donnés  pour  bénir  et  louer  le  Seigneur. 

Il  avait  toujours  de  nouveaux  sujets  de  joie  aussi  bien  que  d'affliction 
et  de  douleur.  C'était  pour  lui  un  bonheur  indicible  d'apprendre,  tantôt 
le  martyre  de  quelques-uns  des  siens  qui  avaient  porté  la  foi  dans  les  pays 
infidèles,  tantôt  la  vie  pure,  sainte  et  éclatante  en  miracles  de  quelques 
autres,  qui  remplissaient  tout  le  monde  de  l'odeur  de  leurs  vertus  ;  mais  il 
avait  une  peine  incroyable  de  voir  le  relâchement  de  plusieurs  autres  qui, 
appuyés  de  l'autorité  d'Elie,  général,  qui  était  un  esprit  fort,  ne  cherchaient 
qu'à  altérer  cette  pauvreté  extrême  dont  il  voulait  que  les  siens  fissent  pro- 
fession. Notre-Seigneur  le  consola  dans  cette  affliction,  l'assurant  qu'il  y 
aurait  toujours  dans  son  Ordre  des  personnes  zélées  pour  l'observance,  en 
considération  desquelles  il  l'aimerait  singulièrement,  et  qu'il  en  serait  le 
protecteur  jusqu'à  la  fin  des  siècles. 

Ce  fut  vers  ce  temps-là  qu'il  obtint  la  célèbre  indulgence  de  la  Portion- 
cule,  dont  nous  avons  parlé  dans  le  discours  sur  la  fête  de  Notre-Dame  des 
Anges  ;  étant  venu  dîner  avec  sainte  Claire,  par  les  instances  qu'elle  lui  en 
fit,  il  fit  un  discours  si  relevé  et  si  mystérieux,  que  tous  les  assistants  et 
lui-même  tombèrent  en  extase  ;  le  lieu  où  ils  étaient  parut  tout  en  feu  :  ce 
qui  y  attira  les  habitants  d'Assise.  Ainsi,  ce  repas  fut  tout  spirituel,  et  il  n'y 
eut  que  l'âme  qui  y  prit  sa  nourriture.  Celui  qu'il  fit  peu  de  temps  après, 
au  réfectoire  avec  frère  Elie,  fut  bien  différent;  ce  général,  ne  pouvant 
souffrir  que  le  Saint  eût  fait  mettre  auprès  de  lui  deux  religieux  fort 
simples,  par  préférence  aux  beaux  génies  et  aux  savants  qui  étaient  dans 
la  communauté,  en  murmurait  en  lui-même,  et  disait  que  ce  bon  homme 
détruisait  l'Ordre,  en  rebutant  les  habiles  gens  pour  favoriser  les  âmes 
basses  et  rampantes  ;  mais  le  Saint,  qui  vit  distinctement  tout  ce  qu'il  rou- 
lait en  son  esprit,  lui  dit,  d'un  ton  épouvantable,  que  c'était  lui-même  qui 
était  le  destructeur  de  la  Compagnie  par  son  orgueil;  mais  que  Dieu  ne 
le  laisserait  pas  sans  châtiment,  parce  qu'il  serait  apostat  et  mourrait  dans 
l'état  déplorable  de  son  apostasie.  L'événement  a  fait  voir  la  vérité  de 


36  4   OCTOBRE. 

cette  prédiction  ;  car  Elie  quitta  l'habit,  et,  s'étant  joint  à  l'empereur  Fré- 
déric, excommunié  de  l'Eglise,  il  mourut  hors  de  la  religion  ;  Dieu  lui  fit 
néanmoins  miséricorde,  lui  donnant  alors  l'esprit  de  pénitence,  en  consi- 
dération des  prières  que  saint  François  avait  faites  pour  lui  durant  le  cours 
de  sa  vie. 

Il  y  avait  déjà  longtemps  que  ce  bienheureux  Patriarche,  voulant  être 
utile  à  tout  le  monde,  avait  institué  son  Tiers  Ordre  pour  les  personnes 
séculières  qui,  sans  quitter  les  engagements  légitimes  de  leur  état,  vou- 
draient mener  dans  le  monde  une  vie  plus  pure  et  plus  parfaite  que  celle 
du  commun  des  chrétiens  II  y  reçut  en  tout  temps  des  hommes ,  des 
femmes  et  des  vierges  de  grand  mérite,  et  l'on  sait  assez  que  ce  Tiers  Ordre 
est  devenu  une  pépinière  de  Saints  et  de  Saintes.  En  Tannée  1222,  il  y  mit 
Mathieu  de  Rubeis,  de  la  maison  des  Ursins,  et,  embrassant  son  fils,  il  lui 
prédit  qu'il  serait  un  jour  pape,  comme  il  l'a  été  sous  le  nom  de  Nicolas  III. 
De  quelque  côté  qu'il  se  tournât,  ce  n'était  partout  que  prodiges.  Il  chan- 
gea les  épines  où  saint  Benoît  s'était  roulé  en  des  roses  d'une  beauté  et 
d'une  odeur  merveilleuses.  A  Gaëte,  un  vaisseau  vint  de  lui-même  le  tirer 
d'une  foule  de  peuple  qui  l'étouffait  sur  le  rivage,  et  lui  servit  ensuite  de 
chaire  pour  prêcher.  Au  même  lieu  et  aux  environs,  il  ressuscita  trois 
morts  ;  et,  s'étant  roulé  sur  des  épines  très-piquantes  pour  éteindre  un 
mouvement  déshonnête  qu'il  avait  ressenti  dans  son  corps ,  il  ôta  pour 
jamais  à  ces  épines  qui  l'avaient  mis  en  sang,  la  faculté  de  piquer.  A  Bari, 
il  se  coucha  sur  un  brasier  ardent  pour  faire  fuir  une  impudique  que  l'em- 
pereur Frédéric  avait  envoyée  afin  d'éprouver  sa  chasteté.  Au  mont  Gar- 
gan,  qu'il  visita  avec  une  dévotion  incroyable  pour  l'amour  qu'il  portait  à 
l'archange  saint  Michel,  il  fit  naître  une  source  d'eau  vive  dans  un  lieu  sec 
et  incapable  d'en  avoir.  A  Gubbio,  il  apprivoisa  un  loup  pour  faire  voir  aux 
habitants  que  leur  dureté  et  leur  impénitence  les  rendaient  pires  que  des 
loups.  Il  fit  aussi  en  divers  endroits  quantité  de  prodiges  sur  les  arbres, 
rendant  fertiles  ceux  qui  étaient  stériles,  et  stériles  ceux  qui  étaient  fer- 
tiles ;  faisant  croître  les  uns  et  empêchant  la  croissance  des  autres,  ou  leur 
faisant  produire  en  hiver  des  feuilles,  des  fleurs  et  des  fruits. 

Après  tant  de  merveilles,  Notre-Seigneur  lui  commanda  de  faire  une 
nouvelle  Règle  plus  courte  et  mieux  ordonnée  que  la  première.  Il  se  retira 
pour  cela  au  couvent  de  Mont-Colombe,  où,  après  un  jeûne  de  quarante 
jours  au  pain  et  à  l'eau,  étant  tout  rempli  de  lumières  célestes,  il  dicta  à 
l'un  de  ses  compagnons  les  ordonnances  que  le  Saint-Esprit  lui  mettait 
dans  la  bouche.  C'est  avec  cette  nouvelle  loi  qu'il  descendit  de  la  montagne 
comme  un  autre  Moïse  :  il  l'apporta  dans  son  couvent,  et  la  mit  entre  les 
mains  du  général  Elie  pour  la  faire  publier  et  observer  dans  tout  l'Ordre. 
Celui-ci,  la  trouvant  trop  austère,  ne  voulait  point  qu'elle  fût  promulguée; 
mais  n'osant  pas  résister  directement  au  bienheureux  fondateur,  il  feignit 
de  l'avoir  perdue.  Alors  le  Saint  retourna  une  seconde  fois  sur  la  montagne, 
et  Notre-Seigneur,  continuant  ses  faveurs  en  son  endroit,  lui  mit  la  même 
règle,  mot  pour  mot,  dans  la  bouche,  pour  la  dicter  et  la  faire  écrire.  Le 
général,  en  ayant  avis,  assembla  plusieurs  supérieurs  de  sa  faction,  et,  avec 
cette  troupe  de  lâches  provinciaux  et  gardiens,  il  le  vint  trouver  pour  lui 
déclarer  qu'ils  ne  recevraient  point  la  règle  qu'il  voulait  leur  donner.  Mais 
ils  furent  surpris  d'entendre  la  voix  de  Jésus-Christ  même  qui  lui  dit  en 
leur  présence,  ces  paroles  distinctes  :  «  François,  cette  règle  n'est  point 
ton  ouvrage,  mais  le  mien;  j'entends  qu'elle  soit  gardée  à  la  lettre,  à  la 
lettre,  à  la  lettre,  sans  glose,  sans  glose,  sans  glose.  Si  quelques-uns  ne  la 


SAINT  FRANÇOIS  D* ASSISE,    CONFESSEUR.  37 

veulent  pas  garder,  qu'ils  soient  rejetés  de  la  Compagnie  comme  des  diffi- 
ciles, des  mutins,  des  scandaleux  et  des  incorrigibles.  Je  sais  la  capacité  de 
l'homme,  et  je  sais  les  grâces  et  les  secours  que  je  veux  lui  donner  ».  Ces 
supérieurs,  saisis  de  frayeur  et  d'épouvante,  tombèrent  par  terre  et  n'o- 
sèrent ouvrir  la  bouche.  Le  Saint  les  releva  et  les  renvoya  en  paix;  puis  il 
les  suivit,  ayant  le  visage  tout  éclatant  de  lumière  par  la  conversation  qu'il 
avait  eue  avec  Dieu.  Il  trouva  encore  de  la  résistance  lorsqu'il  fit  lire  l'or- 
donnance de  ne  rien  posséder  ni  en  commun  ni  en  particulier  ;  mais  étant 
retourné  une  troisième  fois  à  l'oracle  divin,  il  en  apprit  que  les  Frères  ne 
possédant  rien,  ne  manqueraient  néanmoins  de  rien,  parce  qu'ils  auraient 
pour  fonds  le  trésor  inépuisable  de  la  divine  Providence.  Cela  fit  que  cette 
règle  fut  enfin  acceptée,  et  qu'ensuite  elle  fut  approuvée  et  confirmée  par 
une  bulle  du  papeHonorius  III,  le  29  novembre  1223. 

Le  cardinal  Brancaléon  pressa  si  fort  à  Rome  notre  Saint  de  demeurer 
quelques  jours  chez  lui,  qu'après  beaucoup  de  résistance  il  fut  obligé  de 
consentir  à  être  logé  dans  une  tour  abandonnée  de  son  palais  ;  mais  Dieu, 
qui  le  voulait  entièrement  éloigner  de  la  cour  des  grands,  permit  au 
démon  de  le  battre  outrageusement  dès  la  première  nuit  qu'il  y  logea.  Il 
partit  donc  dès  le  lendemain,  avec  la  bénédiction  du  Pape,  pour  aller  pas- 
ser la  fête  de  Noël  dans  son  couvent  de  Grécia.  Ce  fut  auprès  de  ce  couvent 
qu'ayant  fait  faire  une  étable  et  une  crèche,  avec  la  figure  de  l'enfant 
Jésus,  et  y  ayant  fait  venir  un  bœuf  et  un  âne  pour  représenter  le  mystère 
de  sa  naissance,  il  y  dressa  aussi  un  autel  où  on  dit  la  messe  de  minuit.  Il 
servit  de  diacre  à  cette  messe,  et  prêcha  ensuite  sur  les  grandeurs  inef- 
fables de  cet  enfant ,  en  présence  d'une  infinité  de  peuple  qui  y  était 
accouru.  Il  l'appelait  souvent  dans  son  sermon  l'Enfant  de  Bethléem,  et 
mérita,  par  la  ferveur  de  cette  dévotion,  que  cet  aimable  Sauveur,  lui 
apparaissant  sous  une  forme  sensible,  lui  permît  de  l'embrasser  et  lui  don- 
nât mille  baisers.  On  fit  depuis  une  chapelle  au  lieu  où  était  cette  étable, 
laquelle  était  extrêmement  fréquentée  par  les  pèlerins. 

Aussitôt  qu'il  fut  de  retour  à  Assise,  sainte  Claire  et  toutes  ses  reli- 
gieuses le  supplièrent  de  leur  donner  une  règle  comme  il  en  avait  donné 
une  à  ses  religieux.  Il  se  retira  pour  cela  dans  une  solitude  avec  le  cardinal 
Ugolini,  protecteur  de  son  Ordre,  pour  y  recevoir  les  lumières  du  ciel.  Il 
dicta  ensuite  cette  règle  par  inspiration  de  Dieu,  et  ce  cardinal  ne  fit  point 
difficulté  d'être  son  secrétaire  pour  une  chose  si  sainte  et  de  l'écrire  sous 
lui.  Toutes  les  religieuses  la  reçurent  avec  une  soumission  et  une  ferveur 
merveilleuses.  Cependant  le  Saint  fut  longtemps  sans  vouloir  permettre 
que  ses  religieux  se  chargeassent  de  leur  conduite  :  et  il  leur  donna  pour 
visiteur  un  excellent  serviteur  de  Dieu,  de  l'Ordre  de  Cîteaux,  appelé  le 
P.  Ambroise.  Il  craignait  les  désordres  qui  arrivent  de  la  trop  grande 
fréquentation  des  parloirs  et  des  grilles,  et  il  croyait  ne  pouvoir  assez 
détourner  ses  enfants  d'un  écueil  qui  a  été  si  dommageable  à  des  personnes 
fort  spirituelles  ;  mais,  depuis,  il  fut  forcé,  par  le  cardinal  protecteur,  de 
souffrir  que  le  P.  Philippe  Lelong,  de  son  Ordre,  succédât  au  P.  Ambroise 
dans  le  supériorat  du  couvent  de  Saint-Damien. 

Ce  serait  ici  le  lieu  de  parler  de  sa  seconde  retraite  au  mont  Alverne, 
du  Carême  qu'il  y  jeûna  en  l'honneur  de  saint  Michel,  et  des  sacrés  stig- 
mates de  Jésus- Christ  crucifié  qu'il  reçut  par  l'impression  d'un  séraphin 
tout  ardent  et  tout  lumineux,  à  ses  pieds,  à  ses  mains  et  à  son  côté;  mais 
nous  en  avons  déjà  parlé  amplement  au  17  septembre.  Son  retour  au  mont 
Alverne  fut  honoré  de  plusieurs  miracles,  et  on  vit  une  croix  de  lumière 


gg  4  OCTOBRE. 


qui  marchait  devant  lui  pour  signifier  qu'il  était  devenu  tout  ardeur  et  tout 
lumière,  et  un  homme  entièrement  consacré  à  la  croix  de  Jésus.  Il  commit 
néanmoins  une  imperfection  :  étant  allé  heurter  à  la  porte  de  la  cellule  de 
frère  Bernard  de  Quintavalle,  qui  était  dans  une  très-haute  contemplation 
des  vérités  divines,  et  celui-ci  ne  lui  ayant  pas  répondu,  il  en  ressentit 
quelque  trouble  en  lui-même.  Mais  Notre-Seigneur  l'en  reprit  aussitôt,  lui 
demandant  s'il  était  raisonnable  que  ce  saint  homme  quittât  son  Créateur, 
avec  qui  il  avait  l'honneur  de  converser  familièrement,  pour  parler  à  une 
petite  créature  comme  lui.  Cette  réprimande  le  toucha  si  fort,  que,  pour 
se  punir  de  sa  faute,  il  força  depuis  frère  Bernard  de  lui  mettre  le  pied  sur 
la  gorge,  en  le  traitant  de  superbe,  d'orgueilleux  et  de  misérable  ver  de 

terre. 

Les  larmes  qui  coulaient  continuellement  de  ses  yeux  l'avaient  rendu 
aveugle;  mais,  tout  aveugle  qu'il  était,  il  ne  laissait  pas  de  se  faire  con- 
duire ou  porter  dans  les  villes  et  les  villages  d'alentour  pour  y  prêcher  la 
pénitence.  Dans  les  deux  ans  qu'il  survécut  à  l'impression  des  stigmates,  il 
fut  accablé  de  maladies  et  de  douleurs  incroyables.  Mais,  au  plus  fort  de 
ses  douleurs,  il  lui  prenait  des  extases  et  des  ravissements  qui  l'emportaient 
en  esprit  jusque  dans  le  ciel.  Il  donnait  aussi  des  bénédictions  continuelles 
à  Dieu,  le  louant  dans  ses  perfections  infinies  et  dans  toutes  ses  créatures, 
comme  dans  le  soleil,  la  lune,  le  feu,  l'air,  l'eau,  la  terre,  le  froid  et  le 
chaud,  qu'il  appelait  ses  frères  et  ses  sœurs.  Notre-Seigneur,  de  son  côté, 
le  consolait,  tantôt  par  des  apparitions  pleines  d'amour,  tantôt  par  une  mu- 
sique céleste,  tantôt  en  lui  donnant  des  assurances  infaillibles  et  dont  il  ne 
pouvait  nullement  douter,  qu'il  était  du  nombre  des  prédestinés,  tantôt  en 
lui  marquant  précisément  le  temps  et  l'heure  de  sa  mort.  Ses  grandes  ma- 
ladies, et  surtout  sa  douleur  des  yeux,  qui  était  insupportable,  obligèrent 
ses  enfants  de  le  conduire  à  Rieti,  où  était  le  Pape  avec  ses  cardinaux,  afin 
^e  le  faire  voir  par  les  médecins  qui  suivaient  la  cour.  Il  fut  partout  reçu 
avec  des  acclamations  extraordinaires,  et  le  Pape  même  prit  un  soin  parti- 
culier de  sa  guérison.  Lorsqu'on  lui  appliqua  un  cautère  derrière  l'oreille, 
ce  que  l'on  fit  au  couvent  de  Monl-Colombe,  ayant  prié  son  frère  le  feu 
(  c'est  ainsi  qu'il  l'appelait)  de  lui  être  favorable,  il  ne  ressentit  aucune  dou- 
leur. Sa  patience  donnait  de  l'admiration  aux  médecins  et  aux  chirurgiens, 
et  il  les  paya  par  des  miracles  de  la  peine  qu'ils  prenaient  de  le  visiter.  Un 
médecin  lui  ayant  dit  que,  le  pignon  de  sa  maison  se  séparant  du  corps  du 
bâtiment,  il  en  appréhendait  la  ruine,  il  lui  fit  prendre  de  ses  cheveux  pour 
mettre  dans  les  fentes  ;  et  ce  moyen  fut  si  efficace,  que  le  pignon  se  rejoi- 
gnit à  l'heure  même  aux  toits  et  aux  murailles  dont  il  s'était  séparé.  D'ail- 
leurs, cet  homme  admirable,  qui  ne  se  guérissait  pas  lui-même,  guérissait 
souvent  d'autres  malades.  Il  guérit  entre  autres  un  bénéficier  nommé 
Gédéon,  affligé  d'une  horrible  paralysie  qui  lui  avait  contrefait  tous  le* 
membres;  et,  comme  c'était  un  libertin,  il  le  convertit  en  même  temps; 
mais  il  lui  dit  que,  s'il  retournait  dans  ses  désordres,  il  serait  surpris  de 
mort  subite  pour  être  précipité  dans  l'enfer  :  ce  qui  arriva  effectivement; 
car,  ayant  repris  sa  première  vie,  il  fut  tué  sous  les  ruines  de  la  maison  où 
il  était  couché.  Il  faisait  aussi  mille  autres  actions  de  charité  ;  souvent  il 
envoyait  son  manteau,  sa  tunique  et  son  pain  aux  pauvres  qu'il  savait  être 
dans  la  nécessité  ;  il  réconciliait  les  ennemis,  apaisait  les  querelles  allumées 
entre  les  villes,  les  familles  et  les  personnes  particulières  ;  et  surtout  il  réta- 
blit dans  Assise  la  paix  qu'un  grand  démêlé  entre  le  gouverneur  et 
l'évêque,  soutenus  chacun  d'un  fort  parti,  avait  entièrement  ruinée.  Il  pré- 


SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE,   CONFESSEUR.  39 

disait  à  plusieurs  ce  qui  devait  leur  arriver,  afin  d'encourager  les  uns  par 
l'espérance  de  la  divine  miséricorde,  et  d'humilier  les  autres  par  la  vue  des 
châtiments  qui  leur  étaient  destinés.  Il  expliquait  aux  docteurs  les  plus  dif- 
ficiles passages  de  l'Ecriture,  et  leur  faisait  voir,  par  ses  discours  pleins  de 
sagesse,  que  son  ignorance  était  plus  éclairée  que  toute  leur  science,  quelque 
profonde  qu'ils  la  crussent. 

Comme  le  bruit  des  approches  de  sa  mort  se  répandit  partout,  chaque 
ville  souhaitait  d'être  le  lieu  bienheureux  où  cet  astre  s'éclipserait  sur  la 
terre  pour  aller  luire  dans  le  ciel  ;  mais  la  ville  d'Assise  l'emporta  sur  toutes 
les  autres.  On  l'y  amena  avec  bonne  garde,  de  peur  que  ce  trésor  ne  fût 
enlevé  par  les  villes  voisines.  Etant  en  son  couvent  de  la  Portioncule,  il 
donna  d'admirables  instructions  à  ses  enfants  touchant  la  pauvreté  et  la 
confiance  en  la  divine  Providence,  la  manière  de  se  comporter  dans  l'éta- 
blissement et  la  construction  des  nouveaux  couvents,  la  forme  de  recevoir 
et  d'instruire  les  novices,  et  beaucoup  d'autres  points  importants  à  sa  reli- 
gion ;  il  instruisit  aussi  très-excellemment  sainte  Claire  et  ses  filles  par  des 
lettres  pleines  de  l'esprit  de  Dieu.  Enfin,  après  leur  avoir  donné  à  tous  sa 
bénédiction,  il  se  disposa  à  cette  dernière  heure  qui  devait  être  la  première 
de  sa  félicité  éternelle.  Il  reçut  donc  les  sacrements  avec  une  dévotion  digne 
de  la  grandeur  de  sa  loi  et  du  respect  qu'il  avait  pour  ces  sources  vivifiantes 
du  salut  des  hommes.  Ensuite,  voulant  mourir  dans  le  dernier  excès  de  la 
pauvreté,  il  ôta  son  habit,  sortit  de  son  lit  et  se  coucha  sur  la  terre,  afin  de 
pouvoir  dire  avec  Job  :  «  Je  suis  sorti  nu  du  sein  de  ma  mère  et  j'y  retour- 
nerai nu  ».  Il  avait  seulement  sa  main  gauche  sur  la  plaie  de  son  côté,  afin 
de  la  cacher  aux  yeux  des  assistants.  Alors,  celui  qui  servait  de  gardien  lui 
présenta  une  vieille  robe  et  une  corde,  par  aumône,  et  lui  commanda  de 
les  recevoir  en  esprit  d'obéissance  :  il  les  reçut  aussitôt  et  permit  qu'on 
l'en  revêtit;  mais  il  pria  ses  frères,  qu'après  sa  mort  ils  le  laissassent 
quelque  temps  nu  sur  le  plancher,  pour  imiter  plus  exactement  la  pauvreté 
souveraine  de  son  Sauveur  expirant  sur  la  croix.  On  ne  peut  exprimer  la 
joie  qu'il  avait  de  finir  sa  vie  dans  un  dénûment  si  parfait  et  si  universel. 
D'ailleurs,  Notre-Seigneur  le  consolait  admirablement  par  les  nouvelles  as- 
surances qu'il  lui  donnait,  qu'il  allait  jouir  pour  une  éternité  de  sa  présence. 
Ses  enfants  fondaient  en  larmes  autour  de  son  lit.  Il  leur  donna  le  dernier 
salut  par  ces  paroles  :  «  Adieu,  mes  chers  enfants,  demeurez  constamment 
dans  la  crainte  de  Dieu.  Vous  allez  être  éprouvés  par  de  grandes  tenta- 
tions ;  soyez  fermes  dans  vos  bonnes  résolutions  :  je  vous  abandonne  à  la 
miséricorde  du  Seigneur,  vers  qui  je  m'en  vais  ».  Puis,  s'étant  fait  lire 
l'Evangile  de  saint  Jean  qui  commence  par  ces  mots  :  Ante  diem  festumpas- 
chœ,  il  récita  le  psaume  cxlt*,  et  à  ces  paroles,  par  où  il  finit  :  «  Retirez 
mon  âme  de  la  prison  pour  donner  louange  à  votre  nom  ;  les  justes  m'at- 
tendent jusqu'à  ce  que  vous  me  récompensiez  de  mes  travaux  »,  il  baissa 
doucement  la  tête,  ferma  les  yeux  et  rendit  son  esprit  à  Dieu.  Ce  fut  le  sa- 
medi 4  octobre  1226,  la  quarante-cinquième  année  de  son  âge,  la  vingt  et 
unième  de  sa  conversion,  et  la  dix-neuvième  du  commencement  de  son 
Ordre. 

A  la  même  heure,  plusieurs  personnes  eurent  révélation  de  son  bonheur 
et  le  virent  même  monter  dans  le  ciel.  Son  corps  ayant  été  mis  nu  sur  la 
terre  selon  son  désir,  il  parut  si  beau  et  si  éclatant,  qu'on  n'eût  jamais  dit 
que  c'était  ce  corps  qu'il  avait  rendu  noir,  sec  et  défiguré  par  la  rigueur  de 
ses  pénitences  ;  il  exhalait  aussi  une  odeur  admirable  qui  parfumait  tout  le 
lieu.  Une  dame  romaine,  nommée  Jacqueline  de  Settisoli,  apporta,  par 


40  4   OCTOBRE. 

l'ordre  d'un  ange,  un  habit  neuf  pour  le  couvrir.  Elle  lui  avait  été  très-af- 
fectionnée pendant  sa  vie,  et  avait  reçu  de  grandes  grâces  par  ses  instruc- 
tions et  par  l'intercession  de  ses  prières  ;  elle  eut  alors  la  satisfaction  de 
voir  les  plaies  que  le  séraphin  lui  avait  imprimées.  Beaucoup  d'autres  per- 
sonnes les  virent  aussi. 

L'église  d'Assise,  premier  monument  gothique  de  l'Italie,  est  bâtie  sur 
la  croix  et  offre,  dans  sa  partie  inférieure,  la  figure  mystérieuse  du  Tau 
imprimé  sur  le  front  de  saint  François.  Elle  se  divise  en  église  basse  et  en 
église  haute  :  l'église  basse  représente  François  souffrant  et  dans  l'âme  et 
dans  le  corps  ;  l'église  haute  est  le  symbole  de  François  éternellement  glo- 
rifié dans  le  ciel.  —  On  voit  au  Louvre  un  beau  tableau  de  Giotto,  repré- 
sentant la  stigmatisation  de  saint  François.  Dans  le  gradin,  il  y  a  trois  com- 
partiments vraiment  merveilleux,  dont  l'un  représente  François  prêchant 
aux  petits  oiseaux.  — Il  est  aussi  représenté  :  1°  recevant  l'enfant  Jésus  des 
mains  de  la  Vierge  ;  2°  en  extase,  assis,  les  mains  appuyées  sur  une  tête  de 
mort  ;  3°  recevant  une  croix  des  mains  de  l'enfant  Jésus  ;  4°  assis  à  terre, 
tenant  un  crucifix  entre  ses  deux  mains  ;  5°  à  genoux,  tenant  l'enfant  Jésus 
entre  ses  bras  ;  6°  distribuant  les  cordons  de  son  Ordre  à  diverses  personnes; 
7°  ayant  les  pieds  et  les  mains  percés  de  gros  clous.  Près  de  lui  un  mouton, 
image  de  Jésus-Christ  ou  de  la  douceur  ;  8°  en  extase,  soutenu  par  les 
anges  ;  9°  placé  sur  les  nuages  ;  10°  prêchant  des  frères  ;  11°  donnant  la 
main  à  un  loup  qui  lui  présente  la  patte,  pour  rappeler  un  épisode  de  sa 
vie  ;  12°  tenant  deux  branches  de  fleurs;  13°  à  genoux,  méditant;  14°  mou-, 
rant  :  il  est  couché  dans  sa  cellule,  et  près  de  lui  sont  trois  religieux  qui 
l'assistent. 


CULTE  ET  RELIQUES.  —  ÉCRITS.  —  ORDRE  DE  SAINT-FRANÇOIS. 

Les  religieux,  ayant  lavé  et  embaumé  le  corps,  le  revêtirent  d'une  tunique  neuve  ouverte  au 
côté  du  cœur,  et  l'exposèrent  sur  de  riches  tapis  à  la  vénération  des  fidèles.  Son  cœur  et  ses 
entrailles  furent  enlevés  et  déposés  dans  l'église  de  Sainte-Marie  des  Anges.  Son  corps  fut  ensuite 
porté,  au  milieu  des  flambeaux  ardents,  du  chant  des  psaumes  et  des  cantiques  qui  faisaient  une 
mélodie  toute  céleste,  au  couvent  de  Saint-Damien,  qui  était  celui  de  sainte  Claire,  afin  que  cette 
sainte  dame  et  toutes  ses  religieuses  eussent  le  bonheur  et  la  consolation  de  voir  ces  plains  qui 
faisaient  l'étonnement  de  tout  le  monde.  Sainte  Claire  s'efforça  de  tirer  le  clou  d'une  main,  mais 
elle  ne  put  rien  avoir  que  du  sang  qui  coula  de  la  plaie  qu'elle  avait  agitée  ;  de  là,  les  principaux 
habitants  d'Assise  s'étant  eux-mêmes  chargés  de  ce  précieux  fardeau,  le  transportèrent  avec  une 
pompe  incroyable  dans  l'église  de  Saint-Georges,  ces  pieux  citoyens  ne  pouvant  souffrir  qu'il  demeurât 
dehors,  exposé  aux  insultes  et  aux  entreprises  des  villes  voisines.  Il  se  fit  depuis  tant  de  mira- 
cles à  son  tombeau,  que,  deux  ans  après,  le  7  juillet  1228,  Grégoire  IX,  qui  avait  été  le  protec- 
teur de  son  Ordre,  le  canonisa  solennellement  dans  Assise.  Ce  Pape  ne  doutait  point  des  plaies  de 
ses  pieds  et  de  ses  mains,  les  ayant  vues  lui-même  à  découvert  dans  les  entretiens  familiers  qu'il 
avait  eus  avec  lui.  Il  doutait  seulement  de  la  plaie  du  côté  et  de  ce  que  l'on  disait  qu'elle  était 
semblable  à  une  bouche  agréablement  entr'ouverte,  et  qu'il  en  sortait  quelquefois  du  sang  ;  mais  le 
Saint  lui  leva  ce  doute  en  lui  apparaissant,  lui  montrant  cette  même  plaie,  et  en  faisant  couler,  en 
sa  présence,  un  petit  ruisseau  de  sang.  Sa  Sainteté  en  remplit  une  fiole. 

Aussitôt  après  la  canonisation,  on  commença  une  église  magnifique  en  son  honneur,  dans  un 
lieu  que  l'on  appelait  la  colline  d'Enfer,  et  qu'il  avait  choisie  par  humilité  pour  le  lieu  de  sa 
sépulture,  parce  que  c'était  l'endroit  où  l'on  avait  coutume  d'exécuter  les  criminels;  et,  lorsque 
l'église  basse  fut  achevée,  on  y  transporta  son  corps  sacré  le  26  mai  1230  ;  on  l'y  cacha  dans  une 
crypte  afin  de  s'en  assurer  plus  sûrement  la  possession.  L'église  tout  entière,  avec  le  monastère 
attenant,  fut  entièrement  achevée  et  consacrée  par  le  pape  Innocent  IV,  en  1243.  Le  monastère  fut 
appelé  de  ce  jour  le  Sagro-Convento,  le  couvent  sacré  par  excellence,  et  l'église  reçut  le  titre  de 
chapelle  papale.  Voici  la  relation  de  sa  découverte  en  1818,  telle  que  nous  la  trouvons  dans  un 
mémoire  présenté  au  pape  Pie  VII  par  le  révérend  Père  Bonis,  ministre  général  de  l'Ordre  des 
Mineurs  Conventuels. 


SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE,   CONFESSEUR.  41 

«  L'état  dn  corps  de  saint  François  d'Assise  et  le  lieu  qui  le  renfermait  ont  été  pendant  six 
siècles  des  problèmes  qui,  après  avoir  exercé  la  plume  de  plusieurs  écrivains,  n'avaieut  pas  été 
résolus.  Ou  savait  que,  en  1230,  ce  saint  corps  avait  été  enlevé  par  les  habitants  d'Assise  au 
moment  où  on  le  transférait  dans  la  nouvelle  église  bâtie  en  l'honneur  du  serviteur  de  Dieu  sur  la 
colline  d'Enfer,  près  de  cette  ville  :  et  depuis  ce  moment  l'on  n'avait  pu  connaître  la  place  pré- 
cise de  son  tombeau.  Une  tradition,  assez  généralement  répandue  parmi  les  Franciscains,  leur  fai- 
sait croire  que  le  corps  de  leur  saint  fondateur  était  renfermé  dans  une  église  souterraine  située 
sur  cette  colline.  Cette  tradition,  n'étant  appuyée  sur  aucun  fondement  solide,  avait  été  plusieun  ' 
fois  combattue,  et  la  dispute  avait  même  été  assez  sérieuse,  pour  obliger  le  pape  Paul  V  à  défendre 
de  faire  aucune  recherche  pour  trouver  le  corps  de  saint  François.  Cette  défense  était  d'autant  plus 
sage  que  l'on  n'avait  aucune  notion  certaine  sur  l'église  souterraine  où  l'on  prétendait  qu'il  avait  été 
déposé,  ni  les  moyens  d'y  pénétrer.  Cependant  un  certain  personnage  eut,  en  1818,  la  témérité 
d'affirmer  qu'il  était  enterré  dans  cette  église,  et  fut  assez  hardi  pour  donner  do  fausses  indications 
sur  la  manière  d'y  descendre.  Le  ton  d'assurance  avec  lequel  il  parlait  inspira  quelque  confiance, 
et  le  Père  Bonis,  ministre  général  des  Frères  Mineurs  Conventuels  qui  desservent  l'église  de  Saint- 
François,  obtint  du  pape  Pie  VII  la  permission  d'entreprendre  des  fouilles  dans  l'église  basse  pour 
découvrir  le  lieu  que  l'on  indiquait.  On  commença  pendant  la  nuit  du  5  octobre  1818  les  travaux 
que  l'on  faisait  secrètement.  Les  premiers  efforts  furent  infructueux  ;  on  acquit  bientôt  la  certitude 
qu'il  n'existait  pas  d'église  souterraine,  et  que  les  assertions  du  personnage  dont  nous  avons  parlé 
n'avaient  rien  de  commun  avec  la  vérité.  Cependant  le  désir  de  découvrir  le  saint  corps  fit  conti- 
nuer les  travaux  dans  une  autre  partie  de  l'église.  On  crut  mieux  réussir  en  fouillant  sous  les  degrés 
dn  maitre-aute!.  Cette  fois  l'espérance  ne  fut  pas  trompée  ;  on  trouva  d'abord  un  trou  très-étroit 
dont  le  fond  était  rempli  d'un  ciment  si  dur  qu'on  ne  put  l'enlever  qu'avec  des  peines  incroyables. 
Plus  profondément  on  rencontra  deux  murs  qui  conduisirent  à  la  découverte  de  deux  pierres  placées 
l'une  sur  l'autre  et  qui  semblaient  avoii  été  mises  à  dessein  dans  ce  lieu.  Ces  pierres  ayant  été 
brisées,  on  en  trouva  une  troisième  dont  la  position  annonçait  qu'elle  couvrait  un  espace  vide.  On 
perce  celle-ci  avec  précaution,  et  par  l'ouverture  on  voit  une  grille  en  fer.  A  l'aide  d'une  lumière 
on  éclaire  l'intérieur  de  cette  grille  qui  présente  un  squelette  humain  couché  dans  un  cercueil  de 
pierre.  Les  religieux  qui  dirigeaient  les  fouilles  ne  doutèrent  point  que  ce  ne  fût  le  corps  de  saint 
François,  et  leur  joie  fut  aussi  grande  que  leurs  efforts  avaient  été  pénibles,  car,  ce  ne  fut  qu'après 
cinquante-deux  nuits  d'un  travail  opiniâtre  qu'ils  obtinrent  cet  heureux  résultat.  La  découverte  eut 
lieu  la  nuit  du  12  décembre  1818  ;  et  au  moment  même  ceux  qui  se  trouvaient  présents  sentirent 
une  odeur  très-suave  qu'il  s'exhalait  de  l'intérieur  de  la  grille. 

«  Le  premier  soin  du  gardien  du  couvent  de  Saint-François  fut  d'informer  son  supérieur  géné- 
ral, qui  réside  à  Rome,  de  l'heureuse  issue  de  l'entreprise  ;  celui-ci  la  fit  connaître  à  son  tour  an 
souverain  pontife  Pie  VII,  qui,  ayant  ordonné  d'abord  de  laisser  le  corps  saint  dans  la  situation  où 
on  le  trouverait,  nomma  aussitôt  une  commission  composée  des  évoques  d'Assise,  de  Nocera,  de 
Spolète,  de  Pérouse  et  de  Foligno,  pour  en  faire  l'examen  juridique  et  en  constater  l'authenticité  ; 
car  autant  l'Eglise  montre  de  vénération  pour  les  restes  précieux  des  amis  de  Dieu,  autant  prend- 
elle  de  précautions  pour  ne  présenter  que  de  véritables  reliques  à  la  piété  des  fidèles.  Le  Saint- 
Père  s'empressa  d'adresser  à  ces  prélats,  le  8  janvier  1819,  des  lettres  apostoliques  par  lesquelles 
il  leur  dit  que,  désirant  connaître  ce  que  cette  découverte  offre  de  certain,  il  se  confie  à  leur  bonne 
foi  et  à  leur  exactitude  pour  constater  l'identité  du  saint  corps;  il  veut  même  que  chacun  d'eux 
lui  communique  son  opinion  particulière.  Fidèles  à  remplir  les  intentions  du  chef  de  l'Eglise,  les 
cinq  évoques  se  réunirent  sans  délai  à  Assise,  et  commencèrent  les  informations  qu'ils  étaient 
chargés  de  faire.  Ils  ne  se  contentèrent  pas  d'interroger  les  religieux  et  les  ouvriers  qui  avaient 
contribué  à  découvrir  le  cercueil  ;  après  avoir  exigé  d'eux  le  serment,  ils  appelèrent  divers  profes- 
seurs qui  enseignaient  la  physique  et  la  chimie  dans  les  collèges  des  villes  voisines.  On  avait  trouvé 
avec  le  squelette  les  restes  d'un  habit  grossièrement  tissu,  quelques  petites  boules  qui  semblaient 
être  des  grains  de  chapelet,  des  restes  d'un  cordon,  et  huit  pièces  de  monnaie  du  xn«  siècle  ;  ces 
objets  furent  soumis  à  l'examen  des  professeurs  qui  donnèrent  également  leur  avis  sur  la  cristalli- 
sation dont  plusieurs  des  ossements  étaient  couverts.  Des  médecins  et  des  chirurgiens  furent  aussi 
entendus  :  et,  d'après  l'inspection  du  squelette,  ils  jugèrent  que  ce  devait  être  celui  d'un  homme 
de  moyen  âge  et  de  médiocre  stature. 

Ayant  ainsi  pris  tous  les  moyens  que  la  prudence  indiquait  pour  l/ien  connaître  la  vérité,  les  cinq 
évêques  adressèrent  leur  procès-verbal  au  souverain  Pontife,  qui,  à  son  tour,  nomma  une  commis- 
sion pour  examiner  la  procédure.  Cette  commission,  composée  de  cardinaux  et  autres  graves  per- 
sonnages, s'étant  prononcée  de  la  manière  la  plus  favorable,  Pie  VII,  après  un  examen  qu'il  fit 
lui-même  de  la  cause,  donna  enfin,  le  5  septembre  1822,  des  lettres  apostoliques,  en  forme  de 
bref,  pour  déclarer  authentiquement  que  le  corps  trouvé  sous  le  maître-autel  de  la  basilique  de 
Saint-François  à  Assise  est  vraiment  celui  de  ce  saint  patriarche.  Il  y  rapporte  sommairement  la 
manière  dont  ces  saintes  reliques  ont  été  découvertes,  les  précautions  qu'il  a  commandé  de  prendre 
pour  n'être  point  induit  en  erreur,  et  il  bénit  le  Père  de  toute  consolation,  «  rempli  »,  ajoute-t-il, 
«  de  la  vive  espérance  que  l'invention  de  ce  précieux  corps  sera  pour  nous  un  gage  nouveau  et 
singulier  d'une  protection  toute  spéciale  de  ce  grand  Saint,  dans  des  temps  si  difficiles  ».  Le  sou- 


42  4  OCTOBRE. 

verain  Pontife  ordonne  ensuite  que  ce  précieux  dépôt  soit  conservé  intact  dans  le  lieu  où  il  a  été 
trouvé,  et  veut  qu'un  monument  s*nt  élevé  dans  ce  ,;eu  même  à  la  gloire  de  saint  François.  Les 
intentions  de  Pie  Vil  ont  été  remplies  :  un  mausolée  en  marbre  couvre  maintenant  le  caveau  où 
repose  dans  son  ancien  cercueil  le  corps  du  serviteur  de  Dieu.  Quelques  reliques  seulement  en  ont 
été  extraites  par  l'ordre  du  même  Pontife,  pour  être  envoyées  à  l'empereur  d'Autriche  François  II, 
qui  les  a  fait  exposer  à  la  vénération  publique.  La  pitié  filiale  des  Franciscains  envers  leur  saint 
instituteur  et  le  respect  des  habitants  d'Assise  pour  leur  illustre  concitoyen,  ne  se  sont  pas  bornés 
à  un  simple  monument.  On  a  creusé  autour  du  tombeau,  dans  le  roc  vif,  assez  profondément  pour 
obtenir  l'espace  nécessaire  à  une  église  qu'on  y  a  établie  et  qui  a  la  forme  d'une  croix  grecque. 
Le  tombeau  du  Saint  se  trouve  au  milieu  ;  il  est  surmonté  d'un  petit  dôme,  enrichi  de  colonnes  de 
marbre  précieux  et  d'ornements  en  bronze  doré  ;  en  avant  du  monument  se  trouve  le  maitre-autel, 
deux  autres  sont  placés  aux  extrémités  des  croisillons.  Un  large  soupirail,  qui  monte  jusqu'au  sol, 
donne  à  cette  église  souterraine  la  lumière  convenable  ;  elle  est  revêtue  de  divers  marbres  qui 
l'embellissent  ;  immédiatement  au  dessus  se  trouve  l'église  basse  du  couvent,  et  sur  celle-ci  l'église 
haute  ou  supérieure,  vaste  et  belle  basilique,  qui  est  riche  en  peintures  précieuses. 

Tandis  que  l'Eglise  procédait  avec  une  sage  lenteur  à  la  reconnaissance  du  corps  de  saint  Fran- 
çois, le  Seigneur  manifestait  par  des  prodiges  l'authenticité  de  ces  précieux  restes.  Une  religieuse 
Dominicaine,  nommée  sœur  Marie-Louise,  affligée  d'une  tumeur  au  genou  gauche,  dont  elle  souf- 
frait beaucoup,  et  pour  la  guérison  de  laquelle  on  n'avait  employé  aucun  remède,  fut,  dans  le 
mois  de  janvier  1819,  subitement  délivrée  de  cette  infirmité,  par  l'application  qu'elle  fit  d'un  linge 
qui  avait  touché  au  sépulcre  de  saint  François.  Elle  et  quatre  de  ses  compagnes,  interrogées  juri- 
diquement, par  l'ordre  de  l'évêque  de  Foligno,  attestèrent  la  vérité  de  cette  guérison  soudaine. 

«  Joseph  Natalini,  muletier,  habitant  d'Assise,  était  depuis  quatre  ans  tourmenté  d'un  rhuma- 
tisme qui,  dans  le  cours  des  mois  de  janvier  et  février  1818,  devint  si  violent  qu'il  fut  pendant 
tout  ce  temps  retenu  au  lit,  sans  pouvoir  remuer.  Ces  douleurs  furent  encore  plus  grandes  en  1819, 
à  la  même  époque,  et  les  remèdes  qu'un  médecin  lui  avait  indiqués  ne  purent  lui  procurer  aucun 
soulagement.  Une  femme  pieuse  engagea  Natalini  à  se  faire  porter  à  l'église  de  Saint-François.  Il 
y  consentit,  et  se  trouva  au  moment  où  les  évêques  scellaient  la  grille  de  fer  qui  renfermait  le 
saint  corps.  La  pierre  qui  avait  recouvert  le  cercueil  était  déposée  dans  l'église  :  Natalini  s'étend 
sur  cette  pierre  et  réclame  avec  confiance  le  secours  de  saint  François  ;  au  même  instant  toutes  ses 
douleurs  cessent,  il  se  relève  parfaitement  guéri  et  retourne  en  pleine  santé  à*sa  demeure.  C'est 
la  déposition  juridique  qu'il  fit  devant  l'évêque  d'Assise  le  5  juillet  suivant  ;  déposition  qui  fut 
confirmée  par  celle  de  son  médecin  et  de  deux  autres  témoins. 

Le  pape  Léon  XII,  par  son  décret  du  22  juin  1824,  ordonna  qu'à  l'avenir  tout  l'Ordre  de  Saint- 
François  célébrerait  chaque  année,  le  12  décembre,  du  rite  double  majeur,  la  fête  de  l'invention  dt 
corps  de  son  saint  patriarche  ». 

Beaucoup  de  documents  écrits  de  saint  François  sont  parvenus  jusqu'à  nous  :  ce  sont  des 
lettres,  des  discours,  des  traités  ascétiques,  des  entretiens,  des  pensées,  de  courtes  observations, 
des  poésies,  des  pièces  moins  authentiques.  Ils  ont  été  réunis  et  publiés  par  Jean  de  la  Haye, 
S.  Francisci  Opéra,  Pedeponti,  1739,  in-fol.  Ses  poésies  se  trouvent  aussi  dans  le  recueil  inti- 
tulé :  Rime  di  diversi  antichi  autori  Toscani,  Venezia,  1731,  in-8°.  Elles  ont  été  très-souvent 
réimprimées.  On  conteste  qu'elles  soient  toutes  de  saint  François.  Dans  tous  les  cas,  le  plus  célèbre 
de  ces  cantiques,  celui  du  Soleil,  est  incontestablement  de  lui. 

L'Ordre  de  Saint-François  reçut  de  grands  privilèges  de  plusieurs  Papes,  et  notamment  de  la 
bulle  Mare  Magnum,  publiée  par  Sixte  IV  en  1474.  Léon  X  étendit  ces  privilèges,  en  1519,  & 
tous  les  autres  Ordres  mendiants. 

Le  premier  Ordre  de  Saint-François,  qui  a  donné  à  l'église  quarante-cinq  cardinaux  et  cinq 
Papes  :  Nicolas  IV,  Alexandre  V,  Sixte  IV,  Sixte  V,  Clément  XIV,  se  divise  en  religieux  Conven- 
tuels et  en  religieux  de  {'Observance.  L'origine  des  Conventuels  remonte  au  temps  d'Elie  ;  peu  de 
temps  après  la  mort  de  notre  Saint,  ils  obtinrent  de  leurs  généraux,  et  ensuite  des  Papes,  la  per- 
mission de  recevoir  des  rentes  et  des  fondations.  On  les  appela  Conventuels,  parce  qu'ils  vivaient 
dans  de  grands  couvents,  au  lieu  que  ceux  qui  suivaient  la  Règle  dans  toute  sa  pureté  demeuraient 
dans  des  ermitages  ou  dans  des  maisons  basses  et  pauvres  ;  et  ce  fut  ce  zèle  pour  la  Règle  qui 
les  fit  appeler  Obsewantins  ou  Pères  de  YObservance  régulière.  On  donnait  principalement  ce 
nom  à  ceux  qui  suivaient  la  réforme  établie  à  leur  institut  primitif,  et  dont  saint  Bernardin  de 
Sienne  fut  l'auteur  en  1419. 

Les  réformes  de  cet  Ordre  s'étant  multipliées,  Léon  X,  en  1517,  les  réduisit  toutes  à  une,  sous 
la  dénomination  de  Franciscains  réformés,  et  permit  à  chacune  d'avoir  son  général. 

Les  Observanlins  de   France  ont  été  appelés  Cordeliers,  de  la  corde  qui  leur  sert  de  ceinture. 

Parmi  les  Observantins,  quelques  réformes  plus  sévères  se  sont  maintenues,  malgré  l'union 
faite  par  Léon  X,  ou  se  sont  établies  depuis.  On  appelle  ceux-ci  Observantins,  de  Y  Etroite  obser- 
vance. On  distingue  parmi  eux  les  Franciscains  déchaussés  d'Espagne,  sur  lesquels  on  peut  voir 
la  vie  de  saint  Pierre  d'Alcantara  ;  on  les  appelle  en  Italie  Franciscains  réformés.  Ils  forment  une 


SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE,   CONFESSEUR.  43 

congrégation  distincte,  qui  est  surtout  florissante  en  Espagne.  Ils  ont  plusieurs  couvents  en  Italie, 
dont  un  est  à  Rome  sur  le  Mont-Palatin.  Us  en  ont  au  Mexique,  dans  les  lies  Philippines,  etc. 

La  réforme  dite  des  Récollets  fut  établie  en  Espagne  dans  l'année  1500,  par  le  Père  Jean  de 
Guadalupe  ;  elle  fut  reçue  en  Italie  en  1525,  et  en  France  en  1584.  Le  nom  de  Récollets  fut  donné 
à  ces  religieux,  parce  qu'ils  vivaient  dans  des  couveuts  solitaires,  et  qu'ils  faisaient  une  profession 
plus  spéciale  de  la  pratique  de  la  retraite  et  du  recueillement. 

La  réforme  des  Capucins  fut  établie  en  Toscane  en  1525,  par  Matthieu  Baschi  .d'Urbain.  On  ne 
peut,  comme  l'ont  fait  quelques  auteurs,  l'attribuer  à  Bernardin  Ochin,  qui  n'entra  dans  l'Ordre 
qu'en  1534.  Celui-ci  devint  un  célèbre  prédicateur,  et  fut  élu  général  de  son  Ordre  ;  mais  il  apos- 
tasia  depuis  et  embrassa  le  luthérianisme.  Il  prêcha  la  polygamie  par  ses  discours  et  son  exemple, 
et  mourut  misérablement  en  Pologne,  après  s'être  rendu  l'objet  de  l'indignation  publique  par  l'hor- 
rible corruption  de  ses  mœurs. 

Les  Capucins  ont  une  pièce  sur  le  derrière  de  leur  habit,  comme  saint  François  le  recommande 
dans  son  testament.  Ils  portent  la  barbe  longue,  au  lieu  que  saint  François,  selon  Wadding,  Cha- 
lippe,  etc.,  la  portail  extrêmement  courte.  La  réforme  des  Capucins  fut  approuvée  par  Clément  VII 
en  1528.  Les  Capucins  et  les  Récollets  portent  un  habit  de  couleur  brune;  mais  celui  des  Corde- 
liers  conventuels  est  noir.  Le  couvent  d'Assise,  où  saint  François  est  enterré,  appartient  aux  Con- 
ventuels. 

Le  second  Ordre  de  Saint-François  est  celui  des  Clarisses,  sur  lesquelles  on  peut  consulter  la  vie 
de  sainte  Claire.  Sainte  Isabelle,  sœur  de  saint  Louis,  ayant  obtenu  du  pape  Urbain  IV,  en  1263, 
la  permission  d'assigner  des  revenus  fixes  aux  religieuses  de  Sainte-Claire,  qu'elle  avait  établies 
à  Longchamps,  près  de  Paris,  on  donna  le  nom  d'Urbanistes  à  celles  qui  reçurent  la  bulle  du 
louverain  Pontife.  Les  autres  furent  appelées  pauvres  Clarisses.  La  bienheureuse  Collette  Bonnet 
introduisit  une  réforme  austère  dans  plusieurs  maisons  de  ces  dernières. 

La  réforme  des  Capucines  fut  commencée  à  Naples,  en  1558,  par  la  vénérable  mère  Marie- 
Laurence  Longa.  La  duchesse  de  Mercœur  les  établit  à  Paris  en  1602. 

Le  couvent  de  YAve-Maria  de  Paris  était  du  troisième  Ordre  de  Saint-François;  mais  les  reli- 
gieuses qui  le  composaient  ayant  renoncé  à  leurs  revenus  en  1485,  elles  embrassèrent  la  réfonne 
4e  Sainte-Claire,  et  elles  surpassent  en  austérité  toutes  les  autres  réformes  du  même  Ordre. 

Les  religieuses  de  YImmaculêe  Conception  de  la  sainte  Vierge  furent  fondées  à  Tolède,  en 
1484,  par  la  vénérable  Béatrix  de  Sylva,  et  le  pape  Innocent  VIII  approuva  leur  institut  en  1489. 
Le  célèbre  cardinal  Ximenès,  qui  était  lui-même  Franciscain,  les  unit  aux  Clarisses,  dont  elles 
adoptèrent  la  Règle,  mais  avec  certaines  miligations.  Le  pape  Jules  II  donna,  en  1511,  une  Règle 
particulière  aux  Conceptionnistes,  en  les  laissant  toujours  cependant  incorporées  aux  Clarisses. 

Le  troisième  Ordre  de  Saint-François  fut  institué  par  le  Saint  lui-même  en  1221,  àPoggibonzi, 
en  Toscane,  et  à  Carnerio,  dans  la  vallée  de  Spolète.  Il  était  pour  les  personnes  de  l'un  et  de 
l'autre  sexe  engagées  dans  le  monde  et  même  dans  le  mariage,  lesquelles  s'assujétissaient  à  cer- 
taines pratiques  de  piété  compatibles  avec  leur  état,  mais  dont  aucune  n'obligeait  sous  peine  de 
péché.  Ces  exercices  n'étaient  que  des  règles  de  conduite  qui  n'emportaient  ni  vœu  ni  obligation. 
Les  Dominicains,  les  Augustins,  les  Carmes,  les  Minimes  et  les  Servîtes  imitèrent  cet  Institut.  Après 
la  mort  de  saint  François,  plusieurs  personnes  de  ce  troisième  Ordre  se  sont  réunies  en  commu- 
nauté eu  différents  temps  et  en  différents  lieux;  elles  ont  gardé  la  clôture,  et  ont  fait  les  vœux 
solennels  de  pauvreté,  de  chasteté  et  d'obéissance.  Elles  regardent  comme  leur  fondatrice  sainte 
Elisabeth  de  Hongrie,  duchesse  de  Thuringe,  qui  mourut  en  1231.  Cet  Institut  contient  des  per- 
sonnes de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  qui  se  divisent  en  plusieurs  branches,  dont  quelques-unes  se 
consacrent  au  service  des  malades  dans  les  hôpitaux. 

Les  religieuses  appelées  en  Flandre  Sœurs  grises,  portaient  anciennement  un  habit  gris  ;  elles 
ont  quitté  cette  couleur  en  quelques  endroits,  pour  y  substituer  le  blanc,  le  noir,  ou  le  bleu  foncé. 
Elles  font  dans  quelques  maisons  les  vœux  solennels  de  religion;  mais  communément,  elles  s'en 
tiennent  aux  vœux  simples  de  pauvreté,  d'obéissance  et  de  chasteté. 

Les  religieuses  de  ce  troisième  Ordre,  qu'on  appelle  Pénitentes,  furent  instituées  à  Folîgno, 
m  1397,  par  la  bienheureuse  Angèle,  comtesse  de  Civitella,  et  elles  sont  en  fort  grand  nombre.  11 
y  a  dans  les  Pays-Bas  une  réforme  de  cet  institut,  qui  prend  le  nom  de  Récollettines. 

Les  religieux  du  troisième  Ordre  de  Saint- François,  qui  se  consacrèrent  au  service  des  fous  et 
des  autres  malades,  ne  font  pour  la  plupart  que  les  vœux  simples  de  chasteté,  de  pauvreté  et 
d'obéissance  aux  évêques  dans  les  diocèses  desquels  ils  sont  établis,  en  y  ajoutant  celui  de  servir 
tes  malades.  Ils  observent  la  troisième  Règle  in  Saint-François,  et  vivent  dans  les  hôpitaux  ou 
dans  des  sociétés  qu'ils  appellent  familles.  Tels  sont,  en  Espagne,  les  Minimes  infirmiers,  nom- 
més aussi  Obrégons,  de  Bernardin  Obrégon,  ge;.  lhomme  de  Madrid,  qui  fut  leur  fondateur,  et  en 
Flandre,  les  Bons-Fieux  ou  Bons-Fils,  que  cm.i  marchands  remplis  de  piété  fondèrent  à  Armen- 
tières,  à  Lille,  etc. 

Il  y  a  en  quelques  lieux  des  religieux  appelés  Pénitents  du  Tiers  Ordre,  qui  s'occupent  de  Tins- 
kruction  du  peuple  et  des  autres  fonctions  du  ministère,  comme  les  Frères  Mineurs.  On  distingue 
parmi  eux  la  congrégation  dite  de  Picpus.  Elle  fut  instituée  par  Vincent  Mussart,  parisien,  en  1595. 
Les  premiers  membres  de  cette  congrégation  étaient  les  séculiers  du  Tiers  Ordre,  de  l'un  et  de 


44  4  OCTOBRE. 

l'autre  sexe,  qui  s'assemblaient  ensemble.  Leur  premier  monastère  fut  érigé  à  Franconville,  village 
situé  entre  Paris  et  Pontoise.  Le  second,  dont  ils  ont  pris  le  nom,  est  dans  un  lieu  nommé  Pic- 
pus,  au  Faubourg  de  Saint-Antoine,  à  Paris.  Ils  ont  en  France  plus  de  soixante  monastères  qui 
forment  quatre  provinces. 

Les  Frères  Mineurs  eurent  des  établissements  considérables  en  Angleterre.  Saint  François  y 
envoya,  en  1219,  Ange  de  Pise  avec  huit  autres  de  ses  religieux.  Ils  arrivèrent  tous  à  Douvres  en 
1220,  et  fondèrent  un  couvent  à  Cantorbéry;  peu  de  temps  après,  ils  en  fondèrent  un  autre  à  Nor- 
thampton,  qui  devint  fort  célèbre.  Celui  qu'ils  avaient  à  Londres,  près  de  Newgate,  fut  fondé  en 
1306  par  la  reine  Marguerite,  seconde  femme  d'Edouard  I«.  Il  y  avait  une  magnifique  bibliothèque 
qui  avait  été  donnée  aux  religieux,  en  1429,  par  sir  Richard  Whittington,  alors  maire  de  Londres. 
Lorsqu'on  eut  détruit  les  monastères,  on  fit  de  celui  dont  nous  parlons  un  hôpital  où  l'on  élève 
quatre  cents  enfants  dits  Enfants-bleus. 

Les  Franciscains  avaient  en  Angleterre  environ  quatre-vingts  couvents,  indépendamment  de 
ceux  de  femmes  de  leur  Ordre,  qui,  selon  Tanner,  n'étaient  pas  fort  nombreux.  La  principale  mai- 
son des  Clarisses  était  près  d'Aldgate;  elle  fut  bâtie  par  Blanche,  reine  de  Navarre,  et  par 
Edmond,  son  mari,  qui  était  fils  de  Henri  III,  frère  d'Edouard  Ier,  et  comte  de  Lancastre,  de  Lei- 
cester  et  de  Darby.  Ces  Clarisses  étaient  du  nombre  de  celles  qu'on  appelait  Urbanistes.  Outre  le 
nom  de  Clarisses,  on  leur  donnait  encore  celui  de  Minoresses.  On  appelait  leurs  couvents  Mino- 
ries.  Lors  de  la  destruction  des  monastères,  celui  des  Clarisses  dont  il  s'agit  ici  fut  changé  en  un 
magasin  d'armes.  Son  nom  est  resté  à  la  partie  de  la  ville  où  il  était,  et  on  l'a  donné  aux  nou- 
veaux édifices  qui  s'étendent  jusqu'à  la  campagne. 

Si  l'on  veut  bien  connaître  l'état  florissant  dont  jouissaient  les  Franciscains  en  Angleterre,  et 
le  nombre  de  grands  hommes  qu'y  produisit  leur  Ordre,  on  peut  voir  la  bonne  histoire  de  la  pro- 
vince anglaise  de  ces  religieux  ;  le  Père  Davenport,  dans  son  Supplem.  historiœ  provincix 
Anglicans,  et  Stevens,  Monasticon.  Anglic.  t.  Ier,  p.  89  et  seq. 

Cette  ancienne  province  fut  rétablie  par  le  Père  Jean  Jennings,  qui  jeta  les  fondements  du 
célèbre  couvent  des  Franciscains  à  Douai,  vers  l'an  1617.  De  tous  les  religieux  de  cet  Ordre  qui 
ont  fait  revivre  en  eux  l'esprit  de  saint  François  dans  ces  derniers  temps,  il  en  est  peu  qui  aient 
égalé  le  vénérable  Père  Paul  de  Sainte-Madeleine,  ou  Henri  Héart,  comme  on  peut  s'en  convaincre 
par  la  lecture  de  sa  vie  et  par  celle  de  ses  pieux  écrits.  Il  mourut  à  Londres  pour  la  foi,  le 
17  avril  1643. 

Selon  les  Pères  Hélyot  et  Chalippe,  il  y  a  plus  de  sept  mille  couvents  de  Franciscains  du  premier 
et  du  Tiers  Ordre,  et  près  de  cent  vingt  mille  religieux  dans  ces  maisons.  Les  mêmes  auteurs  comp- 
tent, y  comprises  toutes  les  branches  du  second  et  du  Tiers  Ordre,  plus  de  neuf  mille  monastères 
de  Franciscains,  et  vingt-huit  à  trente  mille  religieuses  soumises  aux  supérieurs  de  l'Ordre  de 
Saint-François,  indépendamment  de  celles  qui  sont  soumises  aux  évêques  diocésains.  Leur  nombre 
était  beaucoup  plus  considérable  avant  la  destruction  des  monastères  en  Angleterre  et  dans  les 
royaumes  du  nord.  Sabellicus  comptait,  et  1380,  quinze  cents  maisons  de  Franciscains,  et  quatre- 
vingt-dix  mille  religieux. 

L'office  de  général  dans  l'Ordre  de  Saint-Françoi»  était  anciennement  perpétuel  ;  mais  il  ne  se 
donne  plus  que  pour  six  ans  depuis  1506. 

La  révolution  de  1792  ayant  enveloppé  dans  une  même  ruine  le  trône,  les  autels  et  les  insti' 
tutions  religieuses,  les  Franciscains  partagèrent  le  sort  de  tout  le  clergé  français.  Tout  espoir  de 
rétablissement  semblait  perdu,  quand  tout  à  coup,  en  1849,  le  très-révérend  Père  de  Loretto, 
ministre  général  de  l'Ordre  de  Saint-François,  crut  que  le  moment  favorable  d'agir  était  arrivé,  et 
il  jeta  les  yeux  sur  le  Père  frère  Joseph  Aréso,  missionnaire  de  la  province  de  Navarre  (Espagne), 
qui  pour  lors  se  trouvait  en  Egypte,  et  lui  ordonna  de  partir  pour  la  France  en  qualité  de  com- 
missaire de  Terre-Sainte,  lui  enjoignant  en  même  temps  dans  une  lettre  patente  de  travailler  au 
rétablissement  de  l'Ordre  dans  cette  contrée.  Le  Père  Aréso,  en  arrivant  en  France,  se  rendit  di- 
rectement à  Saint-Palais,  petite  ville  des  Basses-Pyrénées,  où  il  acheta  une  maison  bourgeoise  et 
y  fit  construire  une  chapelle.  Il  fit  ensuite  venir  d'Italie  deux  Pères  espagnols  émigrés,  le  Père 
frère  Jean  Obiéta  et  le  Père  frère  Joseph  Isaguirré,  tous  deux  missionnaires  du  collège  de  Zarauz, 
dans  la  province  de  Guipuscoa  (Espagne).  Il  appela  successivement  à  lui  trois  autres  Pères  espa- 
gnols de  la  province  d'Aragon,  qui  se  trouvaient  dans  le  diocèse  de  Rouen,  dont  le  principal  est 
le  Père  frère  Roch  Claramunt.  Enfin  le  Père  Emmanuel  Béovidé,  avec  un  autre,  vinrent  le  rejoindre 
de  la  province  de  Guipuscoa. 

Pendant  qu'on  travaillait  à  la  maison  de  Saint-Palais  pour  sa  nouvelle  destination,  c'est-a-dire 
pour  devenir  un  collège  de  missionnaires  franciscains,  le  Père  Aréso  rendit  compte  de  sa  mission 
au  très-révérend  Père,  ministre  général,  qui  lui  envoya  l'autorisation  que  notre  Saint-Père  le  Pape 
avait  accordée  pour  l'érection  canonique  dudit  établissement  ainsi  que  la  patente  de  commissaire 
provincial  pour  toute  la  France,  ce  qui  eut  lieu  le  12  juin  1851. 

Le  couvent  de  Saint-Palais,  par  sa  position  près  des  frontières  d'Espagne,  ne  pouvait  guère 
devenir  le  chef-lieu  d'une  province  naissante  et  d'une  aussi  vaste  étendue  que  la  France,  ni  lui 
attirer  des  sujets  ;  le  Père  Aréso,  laissant  le  collège  des  missionnaires  franciscains  de  Saint-Palais 
sous  la  direction  du  révérend  Père  Joseph  Isaguirré,  qui  en  avait  été  nommé  gardien,  vint  à  Paris 


SAINTE  DOMNINE  ET  SES  DEUX  FILLES  BÉRÉNICE  ET  PROSDOCE,  MARTYRES.      45 

pour  y  trouver  des  ressources  et  des  protecteurs,  afin  de  continuer  ses  fondations.  Bien  des  obs- 
tacles s'opposèrent  à  ses  projets.  Après  huit  mois  de  courses  et  de  fatigues,  il  trouva  une  personne 
qui  connut  tout  de  suite  que  son  œuvre  était  très-importante  pour  la  religion  en  France  et  pour 
l'influence  française  en  Orient,  et  spécialement  en  Palestine,  et  qu'il  était  de  l'intérêt  de  cette  na- 
tion d'admettre  les  Franciscains  dans  son  sein  et  de  les  protéger.  Le  Père  Aréso,  appuyé  fortement 
par  cette  personne,  se  présenta  au  ministère  des  affaires  étrangères  et  à  celui  des  cultes.  Il  y 
trouva  des  esprits  bien  disposés  à  faire  réussir  son  entreprise,  sous  le  double  rapport  de  son  in- 
fluence en  Orient  et  du  bien  spirituel  qui  en  résulterait  pour  la  France  elle-même.  Dès  ce  moment 
tout  changea  de  face  et  l'opinion  devint  favorable  à  ses  projets. 

Quelques  jours  après,  M.  Poujoulat,  ancien  représentant  et  auteur  de  plusieurs  excellents 
ouvrages,  qui  avait  fait  le  voyage  de  Palestine,  fit  un  discours  en  faveur  du  rétablissement  des 
Franciscains  en  France,  discours  que  l'on  distribua  à  plusieurs  milliers  d'exemplaires.  Sur  ces 
entrefaites,  le  Père  Aréso  fit  connaître  à  un  grand  nombre  de  membres  de  l'épiscopat  français  le 
motif  de  son  arrivée  en  France  et  le  désir  qu'il  avait  d'y  fonder  des  couvents  de  son  Ordre,  afin 
d'avoir  des  sujets  pour  évaugéliser  en  France,  pour  les  envoyer  au-delà  des  mers,  surtout  en  Pales- 
tine pour  la  garde  des  Lieux-Saints.  Tous  ceux  auxquels  il  s'adressa,  cardinaux,  archevêques  et 
évêques,  lui  répondirent  de  la  manière  la  plus  flatteuse  et  la  plus  encourageante. 

Mgr  de  Salinis,  évêque  d'Amiens,  invita  le  Père  Aréso  à  venir  s'établir  dans  sa  ville  épisco- 
pale.  Le  Père  Aréso  acheta  à  Amiens  même,  pour  servir  de  noviciat,  une  maison  qui  appartenait 
aux  missionnaires  du  Saint-Cœur  de  Marie,  située  faubourg  de  Noyon,  52.  Il  fit  venir  de  Saint- 
Palais  le  Père  frère  Roch  Claramunt  avec  un  novice  ;  quelques  autres  religieux  vinrent  encore  se 
joindre  à  lui.  Le  25  du  mois  d'août  de  l'année  1852  fut  destiné  pour  l'installation  des  Franciscains 
à  Amiens.  Cette  solennité  fut  faite  par  Mgr  le  cardinal  Wiseman,  archevêque  de  Westminster,  qui 
venait  d'arriver  en  cette  ville. 

Deux  ans  après,  une  nouvelle  maison  des  Franciscains  était  fondée  à  Limoges. 

Nous  nous  sommes  servi,  pour  compléter  cette  biographie,  de  la  Vie  de  saint  François  d'Assise,  par 
M.  Chavin  de  Malan  ;  de  V Histoire  populaire  du  Saint,  par  le  comte  Anatole  de  Ségur  ;  de  V Année  fran- 
ciscaine, et  des  Annales  Franciscaines;  des  Analecta  Juris  pontificii  ;  de  Godescard;  du  Dictionnaire 
encyclopédique  de  la  théologie  catholique,  par  Goschler,  et  du  Dictionnaire  des  Ordres  religieux,  publié 
par  l'abbé  Migne. 


SAINTE  DOMNINE  et  ses  DEUX  FILLES  BÉRÉNICE  ■  et  PROSDOCE, 

MARTYRES  EN  SYRIE  (306). 

Au  temps  de  Dioclétien,  vivait  à  Antioche  une  dame  chrétienne  nommée  Domnine,  fort  consi- 
dérée pour  la  noblesse  de  sa  race,  l'étendue  de  ses  richesses,  les  rares  qualités  du  corps  et  de  l'es- 
prit dont  elle  était  douée,  plus  relevée  encore  par  ses  vertus  qui  lui  avaient  acquis  une  merveil- 
leuse réputation.  Elle  avait  deux  filles,  d'une  extraordinaire  beauté,  nommées  Bérénice  et  Prosdoce, 
qu'elle  avait  élevées  avec  grand  soin  dans  la  piété  chrétienne,  et  qui  avaient  admirablement  répondu 
à  son  zèle  et  à  son  amour.  Le  feu  de  la  persécution  étant  venu  à  s'allumer,  Domnine  craignit  tout 
pour  ses  jeunes  filles  :  elle  se  retira  secrètement,  avec  ses  deux  chères  enfants,  à  Edesse,  en  Méso- 
potamie. 

Cependant  un  édit  du  farouche  Maximien  parut,  qui  ordonnait  aux  maris  de  dénoncer  leurs 
femmes,  aux  pères  de  dénoncer  leurs  enfants,  et  aux  enfants  leurs  pères  et  mères.  Le  mari  de 
Domnine,  qui  était  païen,  eut  la  barbarie  d'aller  au  magistrat  dénoncer  sa  femme  et  ses  filles.  On 
les  ramena  vers  Antioche  pour  les  livrer  au  gouverneur. 

Les  trois  chrétiennes,  mettant  leur  confiance  en  Dieu,  ne  firent  aucune  résistance  ;  elles  se 
livrèrent  voloutiers  aux  chaînes  pour  l'amour  du  Sauveur.  Mais  une  grande  frayeur  saisit  Domnine  : 
épouvantée  des  grossiers  déportements  des  soldats  qui  les  conduisaient,  elle  se  mit  à  trembler  pour 
l'honneur  de  ses  filles,  et,  croyant  devoir  préférer  la  mort  à  un  tel  malheur,  elle  les  détermina 
toutes  deux  à  mourir.  Poussées  par  cette  idée  seule,  sans  réfléchir  à  la  défense  de  quitter  de  nous- 
mêmes  la  vie,  nos  trois  captives  résolurent  de  se  délivrer  de  leurs  persécuteurs,  en  se  livrant  à  la 
mort.  Ayant  rencontré  sur  leur  chemin  une  rivière,  elles  formèrent  le  dessein  de  s'y  précipiter. 
Elles  demandèrent  aux  gardes  la  permission  de  se  retirer  à  l'écart,  pour  un  moment  :  ce  qu'elles 

1.  Alias  ;  Bernice,  Bérinne. 


46  4  OCTOBRE. 

obtinrent.  Sans  perdre  un  instant,  elles  arrangèrent  leurs  vêtements  de  la  façon  la  plus  décente 
possible,  et  la  mère  saisissant,  de  Tune  ou  l'autre  main,  chacune  de  ses  filles,  elles  se  précipitèrent 
dans  les  flots,  où  elles  périrent,  sans  se  séparer,  la  mère  au  milieu  de  ses  enfants.  Ce  qui  eut  lieu, 
apparemment  le  4  octobre,  vers  l'an  306. 

Les  corps  des  trois  Martyres  furent  tirés  de  la  rivière,  sans  que  les  efforts  de  l'agonie  ou  l'ac- 
tion du  courant  eussent  rien  changé  à  la  disposition  que  leur  modestie  avait  donnée  à  leurs  vête- 
ments. Ils  furent,  dans  la  suite,  transportés  à  Antioche,  où  saint  Chrysostome  témoigne  qu'ils  étaient 
de  son  temps,  et  où  les  trois  Saintes  étaient  honorées  d'un  culte  public  :  non  que  l'Eglise  approuve 
leur  conduite  de  s'être  donné  à  elles-mêmes  la  mort,  mais  hien  leur  détermination  d'avoir  préféré 
la  mort  au  déshonneur. 

Extrait  de  la  Vie  d'une  Sainte  pour  chaque  jour  de  l'année,  par  M.  l'abbé  Chapia.  —  Cf.  Acta  Sancto- 
rum,  4  octobre;  Godeseard;  saint  Jean  Chrysostome,  Homélies. 


SAINT  AMMON  OU  AMON  \ 

FONDATEUR  DES  ERMITAGES  DE  NITRIE,   EN  EGYPTE  (vers  350). 

Ammon  naquit  en  Egypte  d'âne  famille  noble  et  riche.  Lorsqu'il  eut  atteint  l'âge  de  vingtrdeux 
ans,  ses  tuteurs  et  curateurs  l'obligèrent  de  se  marier  ;  mais  le  jour  même  de  son  mariage  il  lut  à 
sa  femme  l'éloge  que  fait  saint  Paul  de  la  virginité,  et  lui  persuada  facilement  de  s'engager  avec 
lui  à  vivre  dans  une  continence  perpétuelle,  ils  passèrent  dix-huit  ans  dans  la  même  maison,  se 
conduisant  comme  frère  et  sœur,  et  uniquement  occupés  de  l'exercice  de  la  prière  et  de  la  pratique 
des  bonnes  œuvres. 

Ammon  s'exerçait  à  toutes  les  austérités  propres  au  genre  de  vie  qu'il  se  proposait  d'embrasser. 
Il  partageait  le  jour  entre  la  prière  et  le  travail  des  mains.  Son  travail  consistait  à  cultiver  ua 
vaste  jardin  où  il  avait  planté  des  arbrisseaux  nommés  Balsamum,  parce  qu'ils  distillent  le  baume. 
Toute  sa  nourriture  n'était  composée  que  d'herbes  et  de  fruits.  Il  se  retirait  ensuite,  et  donnait  à 
la  prière  une  grande  partie  de  la  nuit. 

Après  la  mort  de  ceux  de  ses  parents  et  de  ses  amis  qui  jusque-là  s'étaient  opposés  à  sa 
retraite,  il  alla  fixer  sa  demeure  sur  la  montagne  de  Nitrie.  Sa  femme,  qui  consentait  à  cette  sépa- 
ration, rassembla  dans  sa  maison  un  grand  nombre  de  vierges  ferventes  qui,  sous  sa  conduite, 
retraçaient  les  austérités  et  les  vertus  des  plus  célèbres  anachorètes. 

Saint  Ammon  fut  le  premier  solitaire  qui  habita  la  montagne  de  Nitrie.  Il  y  passa  vingt-deux 
ans,  et  la  rendit  fort  célèbre  par  sa  sainteté,  ainsi  que  par  les  nombreux  ermitages  qu'il  y  forma, 
et  qu'il  remplit  de  disciples  dignes  de  lui.  Ils  vécurent  tous  d'abord  dans  des  cellules  séparées  ; 
mais  saint  Antoine,  ayant  fait  une  visite  à  Ammon,  lui  conseilla  de  fonder  un  monastère,  et  d'y 
rassembler  une  grande  partie  de  ses  disciples,  sous  la  conduite  d'un  supérieur  expérimenté.  Il 
désigna  lui-même  te  lieu  où  devait  être  bâti  le  monastère,  en  y  plantant  une  croix.  Cassien  le  met 
à  cinq  milles  de  la  ville  de  Nitrie.  Il  y  avait  sur  la  montagne  de  ce  nom,  à  la  fin  du  iv«  siècle,  cin- 
quante monastères  habités  par  cinq  mille  moines.  Saint  Ammon  peupla  aussi  de  ses  disciples  le  désert 
des  Cellules,  qui  était  à  dix  ou  douze  milles  de  la  montagne  de  Nitrie,  mais  toujours  dans  un  seul 
et  même  désert 8. 

Notre  Saint  pratiquait  des  austérités  extraordinaires,  et  n'interrompait  jamais  l'exercice  de  la 
prière.  Au  commencement  de  sa  retraite  dans  le  désert,  il  ne  mangeait  qu'une  fois  le  jour,  sur  le 
soir.  Ses  jeûnes  furent  plus  rigoureux  par  la  suite,  et  il  lui  arrivait  quelquefois  d'être  jusqu'à 
quatre  jours  sans  prendre  aucune  nourriture.  Entre  autres  miracles  qu'il  opéra,  saint  Athanase 
rapporte  le  suivant,  dans  la  vie  de  saint  Antoine  :  Un  jour  qu'il  était  sur  le  point  de  passer  la 
rivière  appelée  Lycus,  les  bords  se  trouvèrent  inondés.  Comme  il  était  avec  Théodore,  un  de  ses 
disciples,  il  lui  dit  de  s'écarter,  afin  qu'il  ne  le  vit  pas  nu  pendant  qu'il  nagerait.  Quoiqu'il  fût 
seul,  il  resta  quelque  temps  pensif,  ne  pouvant  se  déterminer  à  quitter  ses  vêtements,  parce  qu'il 

1.  Alias  :  Amoun,  Admon,  Ampon,  Anpon,  Ammon,  Ammun,  Amos. 

2.  La  montagne  de  Nitrie  était  à  70  lieue?  d'Alexandrie,  au-delà  du  lac  de  Maria  ou  Maréotis,  et  s'é- 
tendait vers  l'Ethiopie. 


MARTYROLOGES.  Al 

ne  lui  était  jamais  arrivé  de  se  voir  nu.  Sa  modestie  et  son  amour  pour  la  pureté  furent  récom- 
pensés ;  il  se  trouva  tout  à  coup  transporté  de  l'autre  côté  de  la  rivière.  Théodore,  étonné,  lui 
demanda  ce  qui  s'était  passé.  11  lui  avoua  le  miracle,  mais  a£rès  lui  avoir  fait  promettre  qu'il  n'en 
dirait  rien  tant  qu'il  vivrait. 

Saint  Ammon  et  saint  Antoine  se  faisaient  de  fréquentes  visites,  afin  de  s'édifier  mutuellement. 
Le  premier  mourut  à  l'âge  de  soixante-deux  ans.  Saint  Antoine,  quoique  éloigné  de  treize  jours  de 
marche,  connut  sa  bienheureuse  mort,  Dieu  lui  ayant  fait  voir  son  âme  monter  au  ciel.  Saint 
Ammon  est  nommé  sous  le  4  octobre  dans  la  plupart  des  ménologes  des  Grecs. 

Acta  Sanctorum,  Godescard,  Baillet,  Tillemont. 


SAINTE  AURE  OU  AUREE,  VIERGE  ET  ABBESSE  A  PARIS  (666). 

Saint  Eloi,  ayant  fondé  dans  sa  propre  maison  un  monastère  en  l'honneur  de  saint  Martial  de 
Limoges,  mit  à  la  tête  de  cette  communauté  sainte  Aure,  fille  de  Maurin  et  de  Quirie.  Saint  Ouea 
a  cru  ne  pouvoir  mieux  faire  son  éloge,  qu'en  disant  qu'elle  était  une  fille  digne  de  Dieu.  Elle  fut 
en  effet  le  modèle  de  ses  sœurs  qu'elle  forma,  par  son  exemple  et  par  de  sages  instructions  puisées 
dans  la  lecture  de  l'Evangile,  à  toutes  les  vertus  chrétiennes  et  religieuses. 

Dieu  fit  éclater  sa  vertu  par  des  miracles  ;  elle  entra  dans  un  four  ardent,  et  en  tira  des  char- 
bons tout  rouges  avec  ses  mains  sans  en  être  brûlée.  Elle  portait  toujours  un  rude  cilice.  L'oraison 
était  son  exercice  continuel  ;  quand  elle  voyait  quelqu'un  dans  la  peine  ou  dans  la  misère,  elle 
s'empressait  aussitôt,  avec  une  charité  infatigable,  de  le  consoler  ou  de  le  secourir. 

Un  an  avant  sa  mort,  saint  Eloi  la  fit  avertir,  par  le  moyen  d'une  vision,  qu'elle  et  la  plupart 
de  ses  religieuses  devaient  se  préparer  à  la  mort.  Elle  en  fut  remplie  de  joie  et  tâcha  d'inspirer 
les  mêmes  sentiments  à  ses  filles,  en  leur  faisant  sentir  la  grandeur  de  la  félicité  dont  elles  joui- 
raient bientôt.  Elle  mourut  le  4  octobre  666,  avec  cent  soixante  de  ses  religieuses,  qui  toutes  furent 
enlevées  par  la  peste. 

Sainte  Aure  fut  enterrée  avec  ses  religieuses  dans  l'église  de  Saint-Paul,  bâtie  hors  de  la  ville. 
Cinq  ans  après,  ses  reliques  furent  transportées  dans  la  ville  et  déposées  dans  l'église  de  Saint- 
If  artial.  Le  3  avril  1402,  on  fit  une  translation  solennelle  de  ses  précieux  restes  ;  on  les  renferma 
dans  une  nouvelle  châsse,  et  on  les  porta  à  l'église  Saint-Paul,  d'où  ils  furent  rapportés  au  monas- 
tère de  Saint-Martial.  La  châsse  était  découverte  et  exposée  à  la  vénération  des  fidèles,  à  la  fête 
de  sainte  Aure  et  aux  deux  fêtes  de  saint  Eloi.  Elle  fut  enlevée  par  les  révolutionnaires  en  1792  ; 
mais  ses  reliques  furent  en  partie  sauvées  et  transportées  en  Normandie,  où  elles  sont  encore. 
L'église  paroissiale  de  Saint-Paul-Saint-Louis,  à  Paris,  en  possède  quelques  fragments. 

Vie  de  saint  Eloi,  par  saint  Ouea  ;  Godoscard  ;  Baillet  ;  Pierre  de  Natalibus. 


Y  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Messine,  en  Sicile,  la  naissance  au  ciel  des  saints  martyrs  Placide,  moine,  disciple  de  saint 
Benoit,  abbé;  Eutvche  et  Victorin  ses  frères;  Flavie,  vierge,  leur  sœur;  Donat;  Firmat,  diacre, 
Fauste,  et  trente  autres  moines,  massacrés  pour  la  foi  de  Jésus-Christ,  par  le  pirate  Manuca.  541. 
—  Le  même  jour,  la  fête  de  saint  Thraséas,  évêque  d'Euménie,  martyrisé  à  Smyrne.  Vers  171.  — 


48  5   OCTOBRE. 

A  Trêves,  saint  Palmace  et  ses  compagnons  *,  martyrisés  durant  la  persécution  de  Dioclétien,  sou» 
le  président  Rictiovare.  302.  —  Le  même  jour,  le  martyre  de  sainte  Charitine,  vierge,  qui,  sous 
l'empereur  Dioclétien  et  le  consulaire  Domitius,  souffrit  le  tourment  du  feu  et  fut  jetée  à  la  mer. 
En  étant  sortie  sans  le  moindre  mal,  elle  eut  les  pieds  et  les  mains  coupés,  et  les  dents  arrachées; 
puis,  s'étant  mise  en  prières,  elle  rendit  l'esprit.  303.  —  A  Auxerre,  le  décès  de  saint  Firmat, 
diacre,  et  de  sainte  Flavienne,  sa  sœur,  vierge.  —  A  Ravenne,  saint  Marcellin,  évèque  et  confes- 
seur. 346.  —  A  Valence,  en  Dauphiné,  saint  Apollinaire,  évêque,  dont  la  vie  a  été  illustrée  par 
beaucoup  de  vertus,  et  la  mort  honorée  de  miracles  éclatants.  Vers  520.  —  Le  même  jour,  saint 
Attilan,  évèque  de  Zamore,  canonisé  par  le  pape  Urbain  II.  1009.  —  A  Léon,  en  Espagne,  saint 
Froilan,  évêque  de  cette  ville,  qui  se  distingua  par  son  zèle  pour  la  propagation  de  l'état  monas- 
tique, par  sa  charité  pour  les  pauvres,  par  ses  autres  vertus  et  par  ses  miracles.  1006.  —  A  Rome, 
sainte  Galla,  veuve,  fille  du  consul  Symmaque;  qui,  après  la  mort  de  son  mari,  se  retira  près 
de  l'église  de  Saint-Pierre  pour  y  passer  le  reste  de  sa  vie  dans  les  exercices  de  la  prière,  de 
l'aumône,  du  jeûne  et  dans  la  pratique  de  toutes  sortes  de  saintes  œuvres.  Sa  très-heureuse  mort 
a  été  décrite  par  le  pape  saint  Grégoire.  Vers  550. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  de  Beauvais,  saint  Simon,  comte  de  Crespy- en-Valois  (Oise)  et  moine.  1082.  —  Aux 
diocèses  de  Cahors  et  de  Saint-Flour,  sainte  Flore  ou  Fleur,  vierge,  citée  au  martyrologe  de 
France  du  11  juin,  jour  de  sa  mort.  1347.  —  Au  diocèse  de  Carcassonne,  saint  Placide  et  ses 
compagnons,  martyrs  à  Messine,  en  Sicile,  et  cités  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  541.  —  Aux 
diocèses  de  Dijon,  de  Chartres  et  de  Poitiers,  les  saints  martyrs  Corneille  et  Cyprien,  dont  nous 
avons  donné  la  vie  au  16  septembre.  252  et  258.  —  A  Amiens,  sainte  Aurée,  abbesse.  vm«  s.  — 
Aux  diocèses  de  Lyon  et  de  Viviers,  saint  Apollinaire,  évêque  de  Valence  et  confesseur,  cité  au 
martyrologe  romain  de  ce  jour.  Vers  520.  —  Au  diocèse  deMende,  sainte  Enimie  (Enémie,  Ermie), 
vierge  et  abbesse.  vn«  s.  —  Au  diocèse  de  Nevers,  saint  Jérôme,  vingt-deuxième  évêque  de  ce 
siège  et  confesseur.  Né  dans  le  Nivernais  de  parents  riches  et  distingués,  il  fut  élu  en  793  pour 
succéder  à  Galdon  (Waldo  ou  Gaud),  et,  malgré  sa  résistance,  il  reçut  la  consécration  épiscopale 
des  mains  de  Bernard,  métropolitain  de  Sens.  Une  longue  série  de  guerres  désastreuses  avait  mis 
le  diocèse  de  Nevers  dans  le  plus  déplorable  état  :  la  plupart  des  églises  avaient  été  pillées,  les 
monastères  avaient  été  dévastés,  la  cathédrale  tombait  en  ruines,  et  des  pauvres  nombreux  récla- 
maient de  prompts  secours.  Jérôme  pourvut  généreusement  à  tous  cesbesoins  nouveaux.  C'est  sous 
son  épiscopat  que  la  cathédrale  de  Nevers  fut  mise  sous  la  protection  de  saint  Cyr  et  de  sainte 
Julitte,  dont  il  obtint  des  reliques  d'Auxerre  (802).  C'est  encore  à  lui  qu'est  dû  l'établissement  du 
monastère  de  Saint-Sauveur  de  Nevers,  et  que  les  paroisses  de  Magny  et  de  Sauvigny-les-Chanoines 
sont  redevables  de  leurs  églises.  Saint  Jérôme  assista  à  un  concile  tenu  à  Tours  (813)  par  l'ordre 
de  Charlemagne  pour  rétablir  la  discipline  ecclésiastique,  et  mourut,  plein  de  mérites  et  de  vertus, 
le  lundi  5  février  *.  815.  —  Au  diocèse  de  Paris,  sainte  Aure  ou  Aurée,  vierge  et  abbesse,  dont 
nous  avons  esquissé  la  vie  au  jour  précédent.  666.  —  Au  diocèse  de  Sens,  saint  Firmat,  diacre  d'Auxerre 
et  confesseur,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  —  AManosque  (Basses-Alpes,  arrondissement 
de  Furcalquier),  au  diocèse  de  Digne,  sainte  Tulle  ou  Tullie,  vierge,  sœur  de  sainte  Consorce,  et 
fille  de  saint  Eucher  de  Lyon.  Vers  430.  —  Au  diocèse  de  Soissons,  saint  Divitien,  troisième 
évèque  de  ce  siège  et  confesseur.  Saint  Sinice,  son  oncle,  le  satra  évêque  de  Soissons,  et  c'est  là 
tout  ce  que  l'histoire  nous  offre  de  certain  sur  lui.  La  tradition  rapporte  qu'on  lui  donna  la  sépul- 
ture dans  l'endroit  où  fut  élevée  depuis  l'église  de  Saint-Crépin.  Vers  320.  — Au  diocèse  de  Stras- 
bourg, sainte  Foi,  vierge  et  martyre  à  Agen,  dont  nous  parlerons  au  jour  suivant.  -—  Au  diocèse 
de  Verdun,  saint  Madalvé  ou  Mauve  (Maydaiveus),  vingt-troisième  évêque  de  ce  siège  et  con- 
fesseur, dont  le  décès  est  marqué  au  martyrologe  de  France  du  jour  précédent.  Vers  777.  —  Dans 

1.  Ce  sont  les  saints  Maxence,  Constance,  Crescence  ou  Crescent,  Justin  ou  Justinien,  Léandre, 
Alexandre,  Soter,  Hormisdas,  Papyre  (Pampine  ou  Patrice),  Constant  et  Jovinien.  Leurs  reliques  furent 
découvertes  vers  l'an  1071  et  distribuées  à  diverses  églises  de  Trêves  et  de  Prague.  —  Acta  Sanctorutn, 
5  octobre. 

2.  0;i  ignore  la  raison  qui  a  fait  transférer  sa  fête  au  5  octobre;  on  peut  présumer  que  ce  fut  à  la  suit© 
d'une  translation.  Le  corps  de  saint  Jérôme  fut  inhumé  dans  l'église  de  Saint-Martin  de  Nevers  ;  avant 
la  Révolution  de  1793,  on  y  voyait  encore  ses  reliques  dans  une  châsse  de  bois  doré.  Mgr  Dulyt  en  fit 
deux  fois  l'ouverture  :  la  première,  lorsqu'il  consacra  le  grand  autel  de  l'église  de  Saint-Victor  (8  novem- 
bre 1615)  ;  la  seconde,  lorsqu'il  fit  la  bénédiction  de  la  chapelle  de  Saint-Bertrand  dans  l'église  du 
prieuré  de  Notre-Dame  de  Faye  (9  octobre  1616).  11  renferma  dans  les  deux  autels  des  reliques  du  saint 
évoque. 

L'église  de  Nolay  possède  plusieurs  portions  assez  considérables  des  reliques  de  saint  Jérôme,  dan» 
deux  reliquaires,  et,  en  outre,  un  os  d'un  bras  du  Saint,  dans  le  Christ  aux  Reliques.  La  cathédrale  de 
Nevers  possède  aussi  un  ossement  de  son  saint  évêque.  —  Mgr  Crosnier,  Ragiologie  Nivernais*. 


MARTYROLOGES.  49 

l'ancienne  abbaye  bénédictine  de  Cluny  (Cluniacum),  au  diocèse  d'Autun,  saint  Aymard,  troisième 
abbé  de  ce  monastère  et  confesseur.  (944.)  Il  eut  le  talent  de  se  faire  aimer  et  l'autorité  de  se 
faire  obéir  de  sa  nombreuse  communauté.  Ayant  perdu  l'usage  des  yeux  et  sentant  que  les  infir- 
mités de  la  vieillesse  ne  lui  permettaient  plus  de  veiller  au  gouvernement  du  monastère,  il  abdi- 
qua en  faveur  de  saint  Mayeul,  et  mourut  neuf  ans  après  son  abdicatioo.  Il  fut  inhumé  à  Cluny, 
dans  l'église  Saint-Pierre-le-Vieux,  derrière  l'autel  de  la  sainte  Vierge.  963.  —  A  Utrecht  (Ultra- 
jectum),  ville  du  royaume  de  Hollande,  saint  Ricfroy  (Rixfridus),  septième  évoque  de  ce  siège  et 
confesseur  *.  —  Au  diocèse  de  Quimper,  saint  Maurice  ou  Moiuz,  fondateur  et  abbé  du  monas- 
tère de  Carnoet.  1191. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  VOrdre  de  Saint-Basile.  —  A  Rome,  sainte  Galla,  veuve,  fille  dn  consul 
Symmaque,  qui,  après  la  mort  de  son  mari,  s'étant  retirée  auprès  de  l'église  Saint-Pierre,  passa 
plusieurs  années  dans  l'exercice  continuel  de  la  prière,  de  l'aumône,  du  jeûne  et  de  toutes  sortes 
de  saintes  œuvres.  Sa  bienheureuse  mort  a  été  décrite  par  le  pape  saint  Grégoire.  Vers  550. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  A  Hereford,  en  Angleterre,  saint  Thomas,  évèqne 
et  confesseur,  d'abord  chanoine  régulier,  qui,  après  avoir  souffert  de  nombreux  tourments  pour 
avoir  défendu  les  droits  de  son  Eglise,  mourut  le  2  octobre,  et,  après  sa  mort,  fut  célèbre  par  ses 
miracles  *.  1282. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît.  —  A  Messine,  en  Sicile,  la  naissance  au  ciel  des 
saints  martyrs  Placide,  moine,  disciple  de  saint  Benoit,  abbé;  Eutyche  etVictorin,  ses  frères;  Fia- 
vie,  vierge,  leur  sœur;  Donat;  Firmat,  diacre;  Fauste  et  trente  autres  moines,  qui  furent  massa- 
crés, pour  la  foi  de  Jésus-Christ,  par  le  pirate  Manuca.  541.  —  Le  même  jour,  saint  Attilan, 
évêque  de  Zamore,  canonisé  par  Urbain  II.  1009.  —  La  naissance  au  ciel  de  saint  Thraséas,  mar- 
tyr à  Smyrne.  173. 

Martyrologe  de  t  Ordre  des  Camaldules.  —  De  même  que  chez  les  Bénédictins. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Vallombreuse.  —  De  même  que  chez  les  Bénédictins. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Cisterciens.  —  De  même  que  chez  les  Bénédictins. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint-François.  —  Dans  la  ville  de  Penna,  au  diocèse  de 
Saint-Jean  de  Firmana,  le  bienheureux  Jean  de  Penna,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs, 
qui  brilla  par  son  esprit  de  pauvreté  et  de  patience,  par  l'austérité  de  sa  vie  et  par  le  don  de  pro- 
phétie et  des  miracles.  Le  pape  Pie  VII  approuva  le  culte  qu'on  lui  rendait  de  temps  immémo- 
rial 8.  1271. 

Martyrologe  de  P  Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  De  même  que  ci-dessus. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint- Augustin.  —  La  mémoire  des  stigmates 
sacrés  dont  saint  François,  instituteur  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  étant  sur  le  mont  Alverne, 
en  Toscane,  reçut  miraculeusement  l'impression  aux  pieds,  aux  mains  et  au  côté.  Cette  fête,  qui 
célèbre  le  17  septembre,  a  été  transférée  à  perpétuité  en  ce  jour  pour  notre  Ordre  *.  1224. 

ADDITIONS  FAITES  D' APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Laubacn  (Labacum),  ville  du  grand-duché  de  Hesse-Darmstadt,  fête  de  l'exposition  solennelle  des 
reliques  de  sainte  Pérégrine,  vierge  et  martyre  à  Rome.  Sous  le  tyran  Maxence  (306-312),  les 
païens  voyant  sa  persistance  à  confesser  Jésus-Christ,  la  frappèrent  à  la  tête  avec  des  verges  de 
fer  au  bout  desquelles  étaient  attachées  des  boules  de  plomb.  Elle  expira  sous  leurs  coups.  Les 
chrétiens  recueillirent  son  sang  dans  un  vase  de  terre,  et  le  déposèrent,  avec  son  corps  mutilé, 
dans  le  cimetière  de  Priscillien.  Le  5  octobre  1660,  ces  saints  ossements  furent  levés  de  terre  et 
transférés  de  Rome  à  Laubacn,  où  on  les  exposa  à  la  vénération  des  fidèles,  dans  l'église  des  Augus- 

1.  Cette  mention  est  d'Arnold  Wion  (Lignum  Vitx).  Les  Bollandistes  refusent  à  Ricfroy  le  titre  de 
Saint,  sons  prétexte  qu'ils  n'ont  trouvé  nulle  part  trace  de  son  culte.  Nous  avons  néanmoins  maintenu 
la  mention  :  d'autres  seront  peut-être  plus  heureux  que  les  Bollandistes  dans  leurs  recherches.  —  Cf. 
Pratermissi  ad  diem  5  octohris. 

2.  Nous  avons  donné  sa  vie  au  2  octobre. 

8.  Le  bienheureux  Jean,  né  au  bourg  dont  il  porte  le  nom,  dans  le  diocèse  de  Fermo,  fut  un  enfant 
de  bénédictions,  favorisé  de  grâces  extraordinaires  dès  sa  première  jeunesse.  Ayant  entendu  prêcher  un 
des  disciples  de  saint  François  sur  le  mépris  du  monde,  il  entra  dans  l'Ordre  séraphlque.  Ses  supérieurs 
l'envoyèrent  en  France  établir  des  monastères  dans  la  Provence  et  le  Languedoc.  Il  y  passa  vingt-cinq 
ans  et  s'attira  l'affcctio»  des  habitants  par  la  sainteté  de  sa  vie.  Le  Seigneur  l'éprouva  par  de  grandes 
peines  intérieures  et  l'en  consola  ensuite  par  l'assurance  qu'il  lui  donna  de  son  bonheur  éternel.  Il  quitta 
•a  patrie  terrestre  pour  la  patrie  du  ciel  le  8  avril  1271.  Le  pape  Pie  VU  *  fixé  sa  fête  au  5  octobre. 

4.  Nous  avons  donné  l'historique  de  cette  fête  au  17  septembre. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  * 


50  5  OCTOBRE. 

tins.  Vers  312.  —  A  Aoste  {Augusta  prxtoria),  ville  du  royaume  d'Italie  (Piémont),  le  bi  enhea» 
reux  Gaf,  evêque  et  confesseur.  Vers  546.  —  A  Bedike,  au  diocèse  de  Paderborn  (Westphalie),  ^aink 
Meinulpbe  (Meinolphe,  Meinott,  Meenolf,  Meee),  diacre,  fondateur  du  monastère  de  Bedike.  il 
naquit  vers  794,  dans  le  voisinage  de  Paderborn,  de  parents  illustres,  et  fut  tenu  sur  les  ton*» 
baptismaux  par  Cbarlemagne  lui-même  qui  se  chargea  de  son  éducation,  et  en  confia  le  sa  m  a 
Hatumar,  premier  évoque  de  Paderborn.  Le  jeune  élève  se  voua  avec  le  plus  grand  succès  à  l'étude 
et  à  la  vie  spirituelle.  Il  fut  bientôt  admis  au  nombre  des  clercs,  et  à  vingt-cinq  ans  il  étaî* 
diacre.  Désireux  de  fake  quelque  chose  pour  le  Seigneur,  il  consacra  ses  richesses  à  la  fondatioa 
d'un  monastère  de  religieuses  auxquelles  il  donna  lui-même  une  règle.  Il  se  voia  ensuite  à  l'ins- 
truction chrétienne  de  ses  compatriotes  :  la  Westphalie  le  regarde  comme  un  de  ses  apôtres.  Il 
mourut  au  milieu  des  fatigues  de  ce  dur  apostolat  ;  son  corps  fut  déposé  dans  l'église  du  monas- 
tère qu'il  avait  fondé  Vers  847.  —  A  Florence,  sur  l'Ame  (Toscane),  le  bienheureux  Pierre 
d'Imola,  chevalier  de  l'Ordre  militaire  de  Saint-Jean  de  Jérusalem  et  prieur  de  la  province  de 
Rome.  Il  mourut  à  Florence  et  fut  inhumé  dans  l'église  de  l'hôpital  Saint-Jacques  in  Corbellino. 
1320.  —  A  Vigevano  {Yigkvanum  Victum-VUe),  ville  d'Italie,  dans  les  anciens  Etats  Sardes 
(intendance  actuelle  de  Novare),  le  bienheureux  Matthieu  Carrieri  de  Mantoue,  confesseur,  de 
l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  cité  au  martyrologe  de  cet  Ordre  du  7  octobre,  jour  où  nous  donne- 
rons quelques  détails  sur  sa  vie.  1470. 


SAINT    APOLLINAIRE, 

ÉVÊQUE  DE  VALENCE  ET  CONFESSEUR 
520.  —  Pape  :  flormisdas.  —  Roi  de  France  :  Childebert  I« 


n  ne  compta  pour  rien  sa  vie  et  son  repos,  pourra 
qu'il  accomplit  avec  courage  le  ministère  qui  lui 
avait  été  confié.  Eloge  du  Saint. 

L'église  de  Valence  était  dans  un  état  déplorable,  lorsque  Dieu  lui  donna 
le  plus  illustre  et  le  plus  saint  de  ses  évêques.  A  cette  époque,  en  effet,  la 
Gaule»  asservie  depuis  longtemps  sous  la  domination  romaine,  était  ravagée 
par  les  peuples  du  Nord,  les  Runs,  les  Alains,  les  Goths,  les  Visigoths,  les 
Francs  et  les  Bourguignons.  La  monarchie  que  fondèrent  ces  derniers,  vers 
Tan  414»  comprenait  la  ville  de  Valence.  Pour  comble  de  malheur,  Maxime, 
évêque  de  cette  ville,  qui  en  occupait  le  siège  depuis  419,  avait  scandalisé 
son  peuple  par  une  vie  déréglée  et  criminelle.  Sa  place  était  restée  vacante 
pendant  un  demi-siècle.  Enfin  il  plut  à  Dieu  de  la  remplir  par  un  saint, 
Apollinaire. 

Il  était  issu  d'une  des  plus  anciennes  et  des  plus  illustres  familles  des 
Gaules.  Il  comptait  parmi  ses  aïeux  des  patriciens,  des  sénateurs,  des  pon- 
tifes, non  moins  célèbres  par  leur  piété  que  par  les  services  qu'ils  avaient 
rendus  à  l'Eglise  et  à  l'Etat.  Il  eut  pour  père  saint  Isique  et  pour  mère  la 
bienheureuse  Audance.  L'un,  revêtu  d'abord  de  la  dignité  sénatoriale,  y 
avait  renoncé  pour  entrer  dans  le  sacerdoce,  et  après  la  mort  de  saint 
Mamert,  vers  Tan  472,  il  fut  élevé  sur  le  siège  de  Vienne,  par  le  mérite 
éclatant  de  ses  vertus,  plus  encore  que  par  l'illustration  de  sa  naissance  ; 
l'autre,  digne  épouse  d'un  Saint,  avait  constamment  offert  en  sa  personne 
l'heureux  assemblage  de  toutes  les  qualités  que  l'on  peut  souhaiter  dans 
une  mère  chrétienne  ;  le  Seigneur  lui  avait  donné  quatre  enfants  :  deux  fils 
et  deux  filles.  L'aînée  de  celles-ci  mourut  jeune  et  n'est  guère  connue  ; 
maisFuscine,  sa  sœur,  a  mérité  de  justes  éloges  par  son  innocence  et  par 
son  amour  pour  la  virginité  ;  elle  marcha,  durant  le  cours  de  toute  sa  vie, 


SAINT  APOLLINAIRE,   ÉVÊQUE   DE  VALENCE   ET  CONFESSEUR.  5f 

sur  les  traces  de  ses  deux  frères,  dont  le  premier,  Apollinaire,  illustra  le 
siège  épiscopal  de  Valence,  et  le  second,  nommé  Avite,  celui  de  la  métro- 
pole de  Vienne.  Consacrée  de  bonne  heure  au  Seigneur,  Fuscine  fut  pour 
les  deux  prélats  l'objet  d'une  tendre  sollicitude. 

Isique  et  Audance  habitaient  Vienne,  et  ce  fut  dans  cette  ville  que 
naquit  saint  Apollinaire,  vers  l'an  453.  De  bonne  heure,  il  se  distingua 
par  sa  candeur,  sa  modestie  ,  sa  piété.  Ses  parents  firent  sa  première 
éducation  ;  mais  Audance  étant  morte  et  Isique  engagé  dans  le  sacer- 
doce, le  petit  Apollinaire  fut  mis  sous  la  conduite  de  saint  Mamert,  arche- 
vêque de  Vienne. 

Saint  Mamert  étant  mort  en  472  et  saint  Isique  lui  ayant  succédé  sur 
le  siège  de  Vienne,  Apollinaire,  qui  touchait  alors  à  sa  vingtième  année  et 
se  préparait  à  la  réception  des  saints  Ordres,  redoubla  de  zèle  et  de  ferveur 
dans  la  pratique  de  toutes  les  vertus.  Son  père  le  jugea  bientôt  digne  d'être 
élevé  au  sacerdoce  et  de  partager  avec  lui  la  sollicitude  pastorale.  Il  l'ap- 
pliqua donc  à  diverses  fonctions  du  ministère  et  eut  le  bonheur  de  le  voir 
s'en  acquitter  avec  tant  de  foi,  de  dévouement  et  de  fruit,  qu'il  reconnut 
dès  lors  que  Dieu  le  destinait  aux  premières  charges  de  l'Eglise. 

Vers  l'année  486,  les  évoques  de  la  province,  après  avoir  en  vain  cher- 
ché un  évêque  capable  de  régénérer  l'Eglise  de  Valence,  jetèrent  les  yeux 
sur  Apollinaire,  âgé  de  trente-trois  ans.  Les  annales  de  l'Eglise  de  Valence 
ne  nous  disent  presque  rien  de  la  vie  de  cet  incomparable  pasteur,  durant 
les  premières  années  de  son  épiscopat  ;  nous  savons  seulement  qu'à  peine 
arrivé  dans  son  diocèse,  il  mit  la  main  à  l'œuvre  avec  autant  de  foi  que  de 
dévouement  et  de  sagesse  ;  qu'il  commença  d'abord  par  réformer  le  clergé, 
au  milieu  duquel  s'étaient  glissés  d'innombrables  abus  ;  qu'il  s'appliqua 
ensuite  à  confondre  l'hérésie,  à  réprimer  les  mauvaises  mœurs,  à  réveiller 
partout  le  zèle  des  bonnes  œuvres,  en  ressuscitant  l'esprit  de  charité  qui 
les  inspire,  et  qu'enfin,  soit  par  ses  prédications,  soit  par  ses  exemples  et  la 
sainteté  de  sa  vie,  il  réussit  à  renouveler  en  peu  de  temps  la  face  de  tout 
son  diocèse.  Cest  ainsi  que  le  siège  épiscopal  de  Valence  recouvra  bientôt 
•son  ancienne  splendeur,  et  que  les  Valentinois  ne  songèrent  plus  qu'à  bénir 
le  nom  d'Apollinaire. 

Le  saint  Prélat  avait  donc  bien  compris  l'importance  et  toute  l'étendue 
de  la  mission  qui  venait  de  lui  être  confiée  ;  il  la  remplissait  avec  un  zèle 
sans  bornes  ;  mais  bientôt  ses  forces  épuisées  trahirent  son  courage,  et  sa 
santé  déclinant  peu  à  peu,  il  tomba  dans  une  maladie  dangereuse.  La  ville 
entière  en  conçut  une  extrême  douleur  ;  la  consternation  fut  générale  ;  on 
se  mit  en  prières,  de  toute  part  on  sollicita  sa  guérison.  Le  malade  guérit, 
et  bientôt  se  trouvant  en  état  de  pouvoir  supporter  le  voyage,  on  le  porta  à 
Vienne,  au  sein  de  sa  famille,  afin  de  hâter  d'une  manière  plus  sûre  son 
entier  rétablissement.  Arrivé  dans  cette  ville,  Apollinaire  n'y  trouva  plus 
son  père,  saint  Isique  ;  ce  pieux  Pontife  était  mort  comblé  de  jours  et  de 
mérites,  et  déjà  plusieurs  miracles  opérés  à  son  tombeau  attestaient  sa 
sainteté  et  la  gloire  dont  il  jouissait  dans  le  ciel.  Sur  le  siège  qu'il  avait 
illustré  par  ses  vertus  venait  d'être  élevé  saint  Avite,  le  second  de  ses  fils  et 
frère  du  saint  évêque  de  Valence. 

Quelque  temps  après,  notre  saint  Prélat  s'éloigna  de  Vienne  et  se  rendit 

Lyon,  on  ne  sait  pour  quel  motif.  A  peine  y  fut-il  arrivé  qu'il  retomba 

malade,  et  en  peu  de  jours  il  se  trouva  réduit  à  la  dernière  extrémité.  Saint 

Vivantiole,  archevêque  de  Lyon,  l'ayant  su,  accourut  auprès  de  lui  promp- 

tement  et  lui  prodigua  toutes  sortes  de  soins;  mais  Apollinaire  n'avait  pas 


52  5   OCTOBRE. 

encore  accompli  sa  mission  ;  Dieu  le  guérit  miraculeusement  et  le  rendit  à 
son  Eglise,  qui  réclamait  avec  larmes  sa  présence  au  milieu  d'elle.  Le  zélé 
Prélat  reprit  avec  une  nouvelle  ardeur  le  cours  de  ses  travaux  apostoliques, 
et  ne  s'éloigna  plus  de  son  diocèse  jusque  vers  l'année  499,  époque  où  il 
fut  invité  à  la  célèbre  conférence  des  évoques  catholiques  de  la  Bourgogne 
avec  les  Ariens,  tenue  à  Lyon  devant  le  roi  Gondebaud. 

Il  confondit  les  Ariens  devant  le  roi,  qui  montra  beaucoup  de  respect 
pour  le  catholicisme,  et  dont  le  fils  et  successeur,  Sigismond,  s'y  convertit. 
Il  prit  avec  saint  Avite  et  beaucoup  d'autres  évoques  de  Gaule  la  défense  du 
pape  Symmaque,  injustement  accusé.  Il  eut  part  à  la  lettre  qu' Avite  adressa 
au  pape  Hormisdas,  pour  adhérer  au  décret  prononcé  par  ce  Pape  contre 
l'hérésie  d'Eutyehès. 

Il  se  distingua  parmi  les  Pères  du  concile  d'Epaône,  présidé  par  saint 
Avite,  archevêque  de  Vienne,  et  saint  Viventiole,  archevêque  de  Lyon. 
Epaône  est  probablement  Saint-Romain-d'Albon,  à  six  lieues  au  midi  de 
Vienne.  On  y  fit  quarante  canons  pour  réformer  l'église  de  Bourgogne. 

Peu  de  temps  après,  il  se  distingua  bien  plus  encore  par  l'énergie  et  la 
fermeté  qu'il  déploya  pour  le  maintien  de  la  sainte  discipline  dans  le  pre- 
mier concile  de  Lyon,  tenu  la  même  année  que  celui  d'Epaône  ou  l'année 
suivante.  Voici  à  quelle  occasion  :  Etienne,  favori,  préfet  du  fisc  ou  tréso- 
rier de  l'épargne  de  Sigismond,  roi  de  Bourgogne,  vivait  dans  un  inceste 
scandaleux  par  le  mariage  qu'il  avait  contracté  avec  Pailadia,  sœur  de  sa 
première  femme.  Ce  mariage  ne  pouvait  être  regardé  comme  une  union 
légitime  par  des  pasteurs  instruits  des  règles  de  l'Eglise.  Etienne,  invité  à  se 
séparer  de  Pailadia,  répondit  par  un  refus.  Les  évêques  des  provinces  de 
Vienne  et  de  Lyon  résolurent  de  faire  cesser  le  scandale  et  s'assemblèrent 
dans  la  dernière  de  ces  villes.  Saint  Apollinaire  y  accourut  avec  Séculace, 
évêque  de  Die,  et  Victor,  évêque  de  Grenoble.  Réunis  au  nombre  de  onze, 
sous  la  présidence  de  saint  Viventiole,  les  prélats,  sans  avoir  égard  au  cré- 
dit du  coupable,  le  retranchèrent  de  la  communion  des  fidèles  et  le  réduisi- 
rent à  la  pénitence,  selon  les  canons  de  l'Eglise  qu'ils  venaient  de  remettre 
en  vigueur  au  concile  d'Epaône.  Etienne,  courroucé  de  cette  mesure  que 
son  aveuglement  n'avait  que  trop  rendue  nécessaire,  se  plaignit  à  Sigismond 
de  la  conduite  des  prélats  comme  d'une  insulte  faite  à  sa  personne  royale. 
Le  prince,  soit  par  faiblesse  pour  son  favori,  soit  par  ignorance  des  règles 
ecclésiastiques,  se  laissa  prévenir,  et  cédant  aux  insinuations  de  son  minis- 
tre, il  prit  hautement  sa  défense,  menaça  les  évêques  de  sa  colère  et  leur 
intima  l'ordre  de  ne  point  sortir  de  Lyon,  qu'ils  n'eussent  rétabli  l'inces- 
tueux dans  la  communion  de  l'Eglise  *.  Mais  les  prélats  surent  montrer 
que,  dignes  successeurs  des  Apôtres,  ils  craignaient  plus  le  Seigneur  que  les 
puissances  de  la  terre  ;  ils  se  réunirent  de  nouveau,  et  après  avoir  confirmé 
la  sentence  d'excommunication  qu'ils  avaient  lancée  contre  Etienne  et  Pai- 
ladia, ils  souscrivirent,  avant  de  se  séparer,  une  convention  remarquable 
dont  voici  la  teneur  : 

«  Après  avoir  pris  tous  ensemble  la  résolution  de  ne  jamais  reconnaître 
le  mariage  incestueux  d'Etienne,  mais  de  nous  opposer  toujours  avec  une 
fermeté  inébranlable  à  des  unions  si  illégitimes,  nous  nous  réunissons  tous 

1.  Quelques  auteurs,  entre  autres  Baîllet,  ont  cru  que  Siçismond  n'était  pas  encore  catholique,  lors- 
qu'il traita  avec  tant  de  rigueur  ies  évêques  qui  avaient  excommunié  son  favori.  Mais  l'opinion  commune 
des  historiens  est  qu'il  avait  abjuré  l'arianisme  bien  avant  cette  époque.  Les  rois  les  plus  pieux  ne  sont 
pas  impeccables.  Sigismond  en  est  la  preuve.  Il  pleura  sa  faute  plus  tard,  ainsi  que  plusieurs  autres  qu'il 
eut  le  malheur  de  commettre  ;  il  les  pleura  sincèrement,  et  l'Eglise  l'a  mis  au  nombre  des  Saints 


SAINT  APOLLINAIRE,  ÉVÊQUE  DE  VALENCE  ET  CONFESSEUR.  53 

encore  pour  convenir  entre  nous  que  si  le  roi  ou  ses  ministres  blâment  ce 
que  nous  venons  de  faire,  s'ils  infligent  le  moindre  châtiment  à  quelque 
prélat  de  l'assemblée,  aussitôt  tous  les  autres  déclareront  vouloir  partager 
ses  peines  ou  ses  souffrances  ;  que  si  le  roi  continue  à  les  menacer  et  se 
sépare  de  leur  communion,  ils  se  retireront  incessamment  dans  quelque 
monastère  et  y  demeureront  jusqu'à  ce  qu'il  lui  plaise  de  se  laisser  fléchir». 

Saint  Apollinaire  fut  celui  qui  se  distingua  le  plus  dans  cette  lutte  mé- 
morable. Aussi  l'orage  tomba-t-il  sur  lui  d'une  manière  plus  sensible. 
Sigismond  lui  adressa  des  reproches  amers  et  le  menaça  de  l'exil  ;  mais  les 
prélats  ayant  pris  la  défense  de  leur  vénérable  collègue,  le  roi  fit  cerner  le 
lieu  où  ils  étaient  assemblés,  et  s'étant  assuré  de  leurs  personnes,  il  ordonna 
de  les  conduire  tous  à  Sardinie,  petite  ville  non  loin  de  Lyon  *.  Ce  traite- 
ment injurieux  n'abattit  point  le  courage  de  nos  confesseurs  ;  ils  se  félici- 
taient, au  contraire,  d'avoir  été  jugés  dignes  de  souffrir  persécution  pour 
la  justice,  et  ils  adoucissaient  les  rigueurs  de  leur  exil  en  se  livrant  à  la 
prière  et  en  s'encourageant  les  uns  les  autres  par  de  pieux  entretiens.  Le 
roi  les  voyant  inflexibles  et  revenu  peu  à  peu  de  ses  odieuses  préventions, 
leur  permit  enfin  de  retourner  dans  leurs  diocèses  ;  mais,  toujours  irrité 
contre  l'évêque  de  Valence,  il  lui  ordonna  de  rester  dans  le  lieu  de  sa  cap- 
tivité. Apollinaire  se  soumit  humblement  ;  quelque  désireux  qu'il  fût  de 
revoir  son  Eglise  où  tout  le  monde  soupirait  après  son  retour,  il  ne  fit  en- 
tendre aucune  parole  de  plainte  et  de  murmure.  Les  autres  prélats  eussent 
volontiers  consenti  à  ne  point  s'éloigner  d'un  collègue  pour  lequel  ils 
avaient  autant  d'estime  que  de  vénération,  mais  Apollinaire  lui-môme  leur 
représenta  les  besoins  de  leurs  ouailles  et  les  pressa  vivement  de  partir, 
leur  demandant  pour  unique  consolation  de  prier  Dieu  pour  lui  avant  de 
le  quitter.  Tous  alors  tombèrent  à  genoux,  et  fondant  en  larmes,  ils  bénirent 
le  Seigneur  de  l'héroïque  générosité  du  saint  Evoque,  et  le  conjurèrent 
d'abréger  le  temps  de  son  exil  ;  puis,  se  jetant  à  son  cou,  ils  l'embrassèrent 
en  pleurant  et  lui  prodiguèrent  toutes  sortes  de  consolations.  Ces  adieux  si 
fraternels  touchèrent  profondément  le  cœur  de  saint  Apollinaire  ;  mais 
quelle  ne  fut  pas  sa  douleur  lorsqu'il  s'aperçut  du  vide  immense  que  le 
départ  des  prélats  avait  fait  autour  de  lui,  et  que,  songeant  aux  besoins  de 
son  Eglise,  il  ne  voyait  aucun  terme  aux  rigueurs  qui  l'en  tenaient  éloigné. 

Le  roi  de  Bourgogne,  en  effet,  semblait  avoir  résolu  de  se  venger  sur  lui 
seul  de  l'inexorable  fermeté  de  tous  les  évoques  qui  avaient  si  justement 
humilié  son  favori.  Apollinaire  manquait  de  tout  dans  le  lieu  de  son  exil, 
il  n'aurait  pas  même  eu  de  l'eau  à  boire  si  Dieu  ne  lui  en  eût  procuré  par 
un  miracle  éclatant.  Renfermé,  sans  doute,  dans  une  enceinte  assez  étroite, 
où  il  n'y  avait  ni  puits,  ni  fontaine,  il  se  mit  en  prière,  et  appelant  un  de 
ses  serviteurs,  il  lui  dit  :  «  Creusez  la  terre  en  cet  endroit,  il  en  jaillira  une 
source,  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit  ».  Ce  qui  se  vérifia  sur- 
le-champ.  La  source  ne  tarit  plus  durant  le  séjour  du  saint  Pontife  en  ce 
lieu.  Mais  aussitôt  après  son  départ,  on  la  vit  se  dessécher  promptement, 
comme  pour  ne  laisser  aucun  doute  sur  la  vérité  du  prodige.  Déjà  un  an 
s'était  écoulé  depuis  que  saint  Apollinaire  gémissait  ainsi  dans  la  prison, 
loin  de  son  troupeau  désolé  et  n'ayant  aucun  espoir  de  délivrance  ;  car 
Sigismond  ne  voulait  même  pas  entendre  parler  de  lui.  Mais  Dieu,  qui  se 
rit  de  la  colère  des  rois  comme  de  leur  puissance,  n'oublia  point  son  ser- 
viteur et  se  chargea  lui-même  de  sa  justification.  Sigismond,  atteint  tout  à 

1.  Cette  ville  est  inconnue  de  nos  jours. 


,54  S    OCTOBRE. 

coup  d'une  maladie  dangereuse,  se  vit  réduit  en  quelques  jours  à  la  der- 
nière extrémité.  Sous  la  main  du  Très-Haut  qui  le  frappe,  le  persécuteur 
ouvre  les  yeux  et  se  souvient  de  l'évoque  de  Valence.  Il  appelle  auprès  de 
lui  la  reine,  son  épouse,  et  lui  ouvrant  son  cœur  déchiré  de  remords,  il  dé- 
savoue les  mauvais  traitements  qu'il  a  fait  subir  au  saint  évêque  et  la  con- 
jure d'envoyer  quelqu'un  auprès  de  lui  pour  solliciter  sa  guérison. 

La  reine,  qui  connaissait  Apollinaire,  et  qui  était  pleine  de  vénération 
pour  ses  vertus,  applaudit  de  grand  cœur  au  vœu  de  l'auguste  malade,  et 
se  dirigeant  bientôt  vers  le  bourg  de  Sardinie,  elle  va  se  jeter  aux  pieds  du 
saint  Evêque,  lui  demande  pardon  pour  le  roi,  son  époux,  et  le  conjure  de 
vouloir  bien  se  rendre  avec  elle  à  la  cour,  où  il  était  attendu  les  bras  ou- 
verts l.  Etonné  de  cette  demande,  le  bienheureux  Pontife  se  recueille 
devant  le  Seigneur,  puis  il  proteste  qu'en  quittant  le  lieu  de  son  exil  il  se 
rendra  à  Valence,  au  sein  de  son  troupeau,  et  non  dans  le  palais  du  roi,  où 
sa  présence  était  inutile.  Cette  réponse  ne  rebuta  point  la  reine  qu'animaient 
une  foi  vive  et  une  confiance  sans  bornes  ;  toujours  prosternée  aux  pieds  de 
saint  Apollinaire  qu'elle  arrose  de  ses  larmes  :  «  Seigneur  »,  lui  dit-elle,  «  si 
vous  ne  voulez  pas  me  suivre  auprès  du  roi,  mon  époux,  daignez  au  moins 
permettre  que  j'emporte  votre  manteau;  je  retendrai  sur  lui,  et  je  suis  assu- 
rée de  sa  guérison  ».  Vaincu  partant  de  larmes  et  de  confiance,  Apollinaire 
se  dépouille  de  son  manteau  et  le  met  entre  les  mains  de  la  pieuse  reine, 
qui,  de  retour  auprès  du  malade,  s'empresse  de  l'en  revêtir  et  a  le  bonheur 
de  lui  procurer  à  l'instant  même  une  guérison,  qui  est  aussi  subite  qu'elle 
est  complète  et  merveilleuse.  Quelques  heures  après,  le  roi  de  Bourgogne 
va  se  prosterner  à  son  tour  aux  pieds  d'Apollinaire,  confessant  avec  douleur 
l'injustice  de  l'exil  auquel  il  Ta  condamné,  et  se  répandant  en  actions  de 
grâces  sur  le  bienfait  qu'il  vient  de  recevoir.  Il  donne  en  même  temps  des 
ordres  pour  faire  conduire  le  saint  prélat  dans  son  diocèse,  et  la  ville  de 
Valence  le  vit  arriver  dans  ses  murs  avant  qu'elle  eût  reçu  la  nouvelle  de 
sa  délivrance  miraculeuse. 

Apollinaire  fut  accueilli  par  les  Valentinois  comme  un  père  par  ses 
enfants,  au  milieu  des  transports  de  la  joie  la  plus  vive  ;  saint  Hilaire  et 
saint  Alhanase  rentrant  dans  leurs  églises,  après  de  grands  et  glorieux 
combats,  n'avaient  pas  été  reçus  avec  plus  d'enthousiasme  et  d'allégresse. 
Tous  les  évêques  de  la  Bourgogne,  et  notamment  ceux  de  la  province  de 
Vienne,  lui  écrivirent  pour  le  féliciter.  Saint  Avite  surtout,  naturellement 
plus  sensible  que  les  autres  au  bonheur  de  son  frère,  lui  exprima  dans  les 
termes  les  plus  affectueux  la  joie  qu'il  en  éprouvait.  Rien  n'est  touchant 
comme  la  lettre  qu'il  lui  écrivit  à  cette  occasion  et  qui  se  trouve  encore 
parmi  celles  qui  nous  restent  de  cet  illustre  prélat. 

Apollinaire  avait  soixante -quatre  ans  lorsqu'il  revint  de  Sardinie,  après 
la  guérison  du  roi  de  Bourgogne  ;  les  rigueurs  de  l'exil  n'avaient  point 
altéré  ses  forces,  ni  affaibli  son  zèle;  il  conservait  toujours  cette  énergie 
qui  était  le  fond  de  son  caractère,  et  jusque  vers  la  fin  de  ses  jours  il  ne 
cessa  de  travailler  avec  ardeur  au  salut  de  ses  ouailles.  A  soixante-sept  ans, 
il  voulut  aller  en  pèlerinage  au  tombeau  de  saint  Genest,  en  Provence,  et 
visiter  en  passant  l'archevêque  d'Arles,  saint  Gésaire,  l'un  de  ses  plus  illus- 
tres amis.  Il  s'embarqua  donc  sur  le  Rhône,  accompagné  d'un  prêtre 
nommé  Salutaris,  d'un  diacre  et  de  quelques  serviteurs.  Le  voyage  fut 
d'abord  assez  heureux  ;  mais  arrivé  près  d'Avignon,  la  barque  dans  laquelle 

1.  Cette  reine,  épouse  de  Sigismond,   s'appelait  Ostrogothe;  elle  était  fille  de  Tbéodoric,  roi  d'Italie; 
«lie  avait  été  convertie  à  la  foi  par  saint  Avite,  archevêque  de  Vienne. 


SAINT  APOLLINAIRE,   ÉVÈQUE  DE  VALENCE  ET  CONFESSEUR.  55 

notre  Saint  s'était  endormi  faillit  être  submergée  par  les  flots.  On  courut 
à  lui  promptement.  Ses  serviteurs  le  réveillèrent,  et  il  leur  dit  :  «  Ne  crai- 
gnez rien,  c'est  la  puissance  du  démon  qui  a  ébranlé  notre  barque,  mais  le 
Seigneur  est  ici,  continuons  notre  route  en  toute  confiance  ».  Au  même 
instant  on  lui  apprit  qu'un  jeune  homme  de  l'équipage,  nommé  Alysius, 
tombé  malade  tout  à  coup,  était  en  proie  à  de  violentes  douleurs.  Apolli- 
naire fit  venir  Salutaris  et  lui  dit  :  «  Allez  prier  auprès  de  ce  malade  et 
vous  le  guérirez  au  nom  du  Seigneur  ».  Salutaris  obéit,  et  le  jeune  homme 
fut  guéri  sur-le-champ.  A  la  vue  de  ce  prodige,  tout  l'équipage  tombant  à 
genoux,  se  mit  en  prières,  et,  depuis  Avignon  jusqu'à  Arles,  on  ne  cessa 
de  bénir  Dieu  du  pouvoir  qu'il  accordait  au  saint  Pontife.  Informé  de  son 
arrivée,  saint  Césaire  accourut  à  sa  rencontre,  suivi  de  plusieurs  magistrats 
et  d'une  foule  nombreuse  ;  il  le  conduisit  comme  en  triomphe  jusqu'à  sa 
demeure,  où,  durant  quelques  jours,  Apollinaire  fut  l'objet  des  attentions 
les  plus  touchantes,  de  l'admiration  et  du  respect  de  tous  ceux  qui  eurent 
le  bonheur  de  l'approcher. 

Parmi  les  personnes  qui  témoignèrent  le  plus  d'empressement  à  le  voir 
se  trouvèrent  deux  de  ses  proches  parents  nommés  Parthénius  et  Ferréol  : 
ils  occupaient  un  rang  très-distingué  dans  le  monde,  et  n'étaient  pas  moins 
recommandantes  par  leur  piété  que  par  l'illustration  de  leur  naissance  ;  ils 
firent  à  notre  Saint  de  magnifiques  présents  ;  mais,  aussitôt  après  leur  dé- 
part, il  voulut  qu'on  les  vendît  et  qu'on  en  donnât  le  prix  aux  pauvres.  Peu 
de  temps  après,  une  dame,  parente  aussi  d'Apollinaire,  vint  se  présenter  à 
lui  et  le  conjura  de  la  suivre  jusqu'à  Marseille  où  sa  famille  résidait.  Ses 
instances  lui  ayant  obtenu  cette  faveur,  le  Saint  embrassa  tendrement  l'ar- 
chevêque d'Arles  et  se  mit  en  route  après  avoir  confié  à  l'un  de  ses  servi- 
teurs une  somme  considérable  pour  les  pauvres  qu'il  rencontrerait  durant 
le  voyage.  Le  serviteur  ayant  reçu  cette  somme,  l'enferma  dans  une  bourse 
qu'il  perdit  en  chemin  ;  désolé  de  ee  contre-temps,  il  alla  tout  en  pleurs 
«n  faire  part  au  diacre  du  saint  évêque  ;  le  diacre  lui  dit  :  «Ayez  confiance, 
le  Saint  a  destiné  cet  argent  aux  pauvres,  il  ne  saurait  se  perdre,  retournez 
sur  vos  pas,  vous  le  retrouverez  ».  Le  serviteur,  rassuré  par  ces  paroles,  se 
mit  à  la  recherche  de  la  bourse,  et,  quelques  heures  après,  il  la  retrouva 
au  milieu  du  chemin  où  elle  semblait  avoir  échappé  jusqu'alors  à  l'œil  de 
tous  les  passants. 

Nous  ne  savons  presque  rien  du  séjour  que  fit  notre  Saint  à  Marseille, 
l'histoire  de  sa  vie  nous  raconte  seulement  qu'il  y  opéra  divers  prodiges, 
<ju'il  guérit,  entre  autres,  un  enfant  sourd  et  muet  que  l'on  disait  être  pos- 
sédé du  démon.  Cependant  les  fatigues  du  voyage,  et  sans  doute  aussi 
l'empressement  des  peuples  à  recourir  à  lui  dans  tous  les  lieux  où  il  s'arrê- 
tait, firent  prendre  à  saint  Apollinaire  la  résolution  de  s'en  retourner  au 
plus  tôt  à  Valence  ;  à  peine  y  fut-il  de  retour  qu'il  eut  un  secret  pressenti- 
ment de  sa  mort,  et  dès  lors  il  ne  s'occupa  plus  d'autre  chose  que  de  l'éter- 
nité. Sa  dernière  maladie  fut  une  suite  non  interrompue  de  pieux  exercices 
et  de  prières  ferventes  :  il  voulut  que  tous  ses  prêtres  fussent  admis  auprès 
de  son  lit  de  douleurs  ;  il  leur  donna  ses  dernières  instructions,  les  bénit 
avec  amour  et  les  pria  de  l'assister  jusqu'à  son  dernier  soupir.  Plusieurs 
miracles  opérés  encore  par  son  intercession  accrurent  la  haute  idée  que 
tout  le  monde  avait  conçue  de  son  crédit  devant  Dieu  ;  c'est  ainsi  que, 
malade  lui-même,  et  touchant  presque  à  l'agonie,  il  guérit  plusieurs  infirmes 
et  délivra  même  deux  personnes  possédées  du  démon.  Quelques  heures 
avant  sa  mort,  son  archidiacre,  nommé  Leubarède,  fut  témoin  d'une  mer- 


56  5  OCTOBRE. 

veille  encore  plus  étonnante.  C'était  pendant  la  nuit  ;  Leubarède  se  rendait 
à  la  cathédrale  pour  assister  à  Matines  ;  chemin  faisant,  il  eut  la  pensée 
d'aller  voir  le  saint  évêque.  Arrivé  au  palais  épiscopal,  il  s'informa  de  son 
état,  et,  apprenant  qu'il  était  seul  dans  sa  chambre,  il  voulut  se  présenter 
à  lui  ;  mais  quelle  ne  fut  pas  sa  surprise ,  lorsque  ayant  entr'ouvert  la 
porte,  il  vit  la  chambre  inondée  de  lumière,  et  le  saint  Pontife  élevant  de 
toutes  ses  forces  ses  mains  au  ciel,  en  soupirant  avec  larmes!  Ebloui  de  cet 
éclat  miraculeux,  Leubarède  n'osa  point  avancer  ;  il  ferma  et  entr'ouvrit 
doucement  la  porte  à  diverses  reprises,  ne  se  lassant  point  d'admirer  un 
spectacle  si  ravissant.  Tout  à  coup  il  aperçut  deux  colonnes  étincelantes  se 
former  peu  à  peu,  l'une  à  droite  et  l'autre  à  gauche  de  l'auguste  malade, 
et  sa  tête  se  couronner  d'une  auréole  dont  les  rayons  étaient  brillants 
comme  ceux  du  soleil.  Le  saint  Pontife  lui  parut  alors  entrer  dans  un 
ravissement  ;  il  faisait  des  efforts  pour  se  soulever  de  son  lit,  tendait  les 
bras,  et  ses  yeux  semblaient  être  fixés  avec  amour  sur  quelqu'un  qui  des- 
cendait du  haut  du  ciel.  A  cette  vue,  l'archidiacre  émerveillé  referma  la 
porte  une  dernière  fois,  et,  se  jetant  à  genoux,  il  bénit  le  Seigneur  de  la 
gloire  qu'il  réservait  à  saint  Apollinaire  ;  le  lendemain,  il  publia  partout  le 
prodige  et  il  excita  dans  la  ville  entière  des  sentiments  d'admiratron  qui 
éclatèrent  bientôt  en  véritables  transports.  Saint  Apollinaire  avait  rendu 
son  âme  à  Dieu,  l'an  de  Noire-Seigneur  520. 

On  le  représente  faisant  jaillir  de  terre  une  source  d'eau  vive.  Nous 
avons  donné  la  raison  de  cette  caractéristique. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Son  corps  fat  d'abord  inhumé  dans  l'église  de  Saint-Pierre  du  Bourg-lès-Valcnce,  célèbre  à 
cette  époque  par  un  monastère  rempli  de  religieux  très-édifiants.  On  le  transféra  plus  tard  dans 
l'église  cathédrale  qui  portait  alors  le  nom  de  Saint-Etienne. 

Celle-ci  ayant  été  reconstruite  en  1095  et  consacrée  solennellement  par  le  pape  Urbain  II,  fut 
dédiée  aux  saints  martyrs  Corneille  et  Cyprien  ;  mais  les  miracles  opérés  au  tombeau  de  saint 
Apollinaire,  dont  le  corps  était  conservé  dans  la  nouvelle  basilique,  et  la  reconnaissance  des  fidèles 
envers  ce  puissant  protecteur,  firent  peu  à  peu  substituer  son  nom  à  celui  des  saints  martyrs,  et, 
dès  le  xn«  siècle,  il  fut  reconnut  pour  l'unique  patron  de  la  cathédrale  et  de  tout  le  diocèse  de 
Valence.  Ces  diverses  translations,  loin  d'altérer  la  confiance  des  peuples  et  leur  respect  pour  les 
reliques  du  saint  évêque,  ravivèrent  puissamment  le  culte  dont  elles  étaient  l'objet.  Partout  où  elles 
furent  déposées,  accoururent  d'innombrables  pèlerins,  et  s'opérèrent  de  nouveaux  prodiges. 

Mais  au  xvi«  siècle  les  Protestants  incendièrent  la  cathédrale  de  Valence  et  jetèrent  dans  le 
Rhône  ses  précieuses  reliques.  Cet  acte  sacrilège,  consommé  en  quelques  heures,  plongea  la  ville 
dans  le  deuil.  Depuis  lors  elle  ne  possède  plus  une  seule  parcelle  des  reliques  de  son  illustre 
patron  ;  mais  elle  conserve  précieusement  le  souvenir  de  ses  bienfaits  et  de  ses  vertus,  l'invoque 
toujours  avec  confiance,  et  par  le  culte  solennel  dont  elle  l'honore  elle  le  place  au  premier  rang 
parmi  les  saints  protecteurs  qui  intercèdent  pour  elle  dans  le  ciel. 

Ce  culte,  dont  l'origine  se  perd  dans  la  nuit  des  siècles  et  remonte  probablement  jusqu'à  la 
ttorj  du  saint  pontife,  a  été  autorisé  depuis  longtemps  par  l'Eglise.  Le  nom  de  saint  Apollinaire 
8e  lit  dans  le  martyrologe  romain  avec  l'éloge  de  ses  vertus  et  celui  de  ses  miracles.  Sa  fête  t 
toujours  été  célébrée  dans  le  diocèse  sous  le  rite  double  de  première  classe,  avec  octave. 

Tiré  de  l'Histoire  hagiologique  du  diocèse  de  Valence,  par  M.  l'abbc  Nadai. 


SAINT  PLACIDE  DE   ROME  ET  SES   COMPAGNONS,  MARTYRS.  57 


SAINT  PLACIDE  DE  ROME  ET  SES  COMPAGNONS, 

MARTYRS  A  MESSINE,  EN  SICILE 
141.  —  Pape  :  Vigile.  —  Roi  de  France  :  Childebert  I«. 


Prxliemur  viriliter,  ut  a  Léo  coronemur  perenniter. 
Combattons  énergiquement,  afin  que  Dieu  nous  cou- 
ronne pour  l'éternité. 

Saint  Bonaventure,  Serm.  xii  Pentec. 

Saint  Placide  appartenait  par  sa  naissance  à  une  des  plus  anciennes  et 
des  plus  illustres  familles  de  Rome.  Son  père,  nommé  Tertullus,  avait 
mérité  d'être  élevé  pour  son  mérite  à  la  dignité  de  patriceet  à  celle  de  pré- 
fet ou  gouverneur  de  la  ville.  Sa  mère  était  aussi  illustre  par  sa  vertu  que 
par  sa  naissance.  Dès  qu'il  eut  atteint  sa  septième  année,  son  père  le  mena 
à  saint  Benoît,  pour  être  élevé  à  Sublac,  sous  sa  conduite.  Il  parut  dès  lors 
à  quel  degré  de  sainteté  il  arriverait  dans  la  suite  :  tout  petit  qu'il  était,  il 
pratiquait  déjà  rigoureusement  les  exercices  de  la  vie  monastique,  et  nul 
n'était  plus  dévot,  plus  humble,  plus  paisible  et  plus  obéissant  que  lui.  Cette 
obéissance  l'ayant  porté  un  jour  à  aller  chercher  de  l'eau  dans  le  lac  voisin 
du  monastère,  il  s'y  laissa  tomber  et  les  flots  l'entraînèrent  au  milieu  du 
lac.  Saint  Bernard,  renfermé  dans  son  monastère,  connut  aussitôt  cet  acci- 
dent; il  appelle  Maur,  et  lui  dit  :  «  Courez  vite,  mon  frère,  l'enfant  est 
tombé  dans  l'eau  ».  Maur  lui  demande  sa  bénédiction  et  s'empresse  d'obéir. 
Il  marche  sur  l'eau  jusqu'à  l'endroit  où  était  Placide,  puis,  le  prenant  par 
les  cheveux,  il  revient  au  bord  du  lac.  A  peine  l'enfant  fut-il  à  terre,  qu'il 
avoua  avoir  vu  sur  sa  tête  l'habit  de  son  bienheureux  abbé,  et  qu'il  lui  pre- 
nait la  main  pour  le  retirer.  Depuis  ce  temps-là,  il  fit  encore  plus  de  pro- 
grès dans  la  vertu,  et  il  devint  si  éminent  en  sainteté,  que  saint  Benoît  ne 
pouvait  le  regarder  qu'avec  admiration.  Il  le  menait  ordinairement  avec 
lui,  lorsqu'il  était  prié  de  faire  quelque  chose  de  miraculeux  ;  comme  lors- 
que ses  religieux,  qui  étaient  sur  une  montagne,  le  prièrent  de  faire  sour- 
dre une  fontaine  dont  ils  avaient  un  extrême  besoin.  Il  le  prit  surtout  pour 
un  de  ses  compagnons,  quand  il  quitta  Sublac  pour  aller  s'établir  au  Mont- 
Cassin . 

Cette  montagne  était  du  domaine  de  Tertullus,  père  de  Placide  ;  mais 
ce  pieux  seigneur  la  donna  irrévocablement  à  saint  Benoît,  avec  quantité 
de  terres,  îles,  bourgs  et  seigneuries  qui  lui  appartenaient.  Il  lui  donna 
aussi  dix-huit  villages  en  Sicile,  avec  leurs  ports,  leurs  bois,  leurs  rivières, 
leurs  étangs,  leurs  moulins,  leurs  chutes  d'eau,  et  sept  mille  esclaves  ayant 
femmes  et  enfants  pour  les  cultiver.  Le  saint  abbé  envoya  son  bien-aimé 
disciple  en  Sicile,  pour  y  établir  un  monastère  et  y  assembler  une  commu- 
nauté religieuse.  En  l'envoyant,  il  lui  donna  de  saintes  instructions  avec  sa 
bénédiction,  et  lui  adjoignit  deux  compagnons  :  Donat  et  Gordien.  Il  fut 
reçu  à  Capoue  par  saint  Germain  ;  à  Bénévent,  par  saint  Martin  ;  à  Ca- 
nosse,  par  saint  Savin,  et  à  Reggic,  en  Calabre,  par  Sisine,  qui  étaient 
évoques  de  ces  villes,  avec  un  respect  et  une  tendresse  extraordinaires.  Il 


58  5   OCTOBRE. 

fit  partout  de  grands  miracles,  dont  il  évitait  la  gloire  en  les  attribuant 
tous  à  son  père,  saint  Benoît.  Il  rendit  la  vue  à  six  ou  sept  aveugles,  dont 
l'un  l'était  dès  sa  naissance.  Il  fit  parler  les  muets,  entendre  les  sourds  et 
marcher  les  boiteux.  Il  guérit  une  foule  de  malades  et  chassa  les  démons 
des  corps  des  possédés. 

Etant  arrivé  à  Messine,  il  y  fut  reçu  par  le  seigneur  Messalin,  ancien 
ami  de  son  père  ;  mais  il  ne  demeura  chez  lui  qu'une  nuit,  parce  que, 
disait-il,  les  religieux  ne  doivent  pas  s'arrêter  dans  la  maison  des  séculiers. 
Il  prit  connaissance  de  toutes  les  possessions  que  son  père  avait  données  à 
son  Ordre,  et  parla  à  tous  les  économes  qui  en  avaient  la  conduite.  Ensuite 
il  bâtit  un  monastère  auprès  du  port  de  Messine,  dont  il  consacra  l'église 
en  l'honneur  de  saint  Jean-Baptiste,  et  où  il  assembla,  en  peu  de  temps, 
plus  de  trente  religieux  pleins  de  ferveur  et  dignes  d'être  les  disciples  d'un 
si  grand  maître.  Son  austérité  était  extrême,  et  elle  allait  beaucoup  au-delà 
de  ce  qui  est  prescrit  par  la  Règle.  Il  ne  buvait  jamais  que  de  l'eau  pure  ;  il 
observait  en  tout  temps  la  rigueur  de  la  vie  de  Carême,  jeûnait  presque 
continuellement,  et  dans  le  Carême  il  ne  mangeait  que  du  pain  et  même 
n'en  mangeait  que  trois  fois  la  semaine  :  le  dimanche,  le  mardi  et  le  jeudi. 
Le  cilice  était  son  habit  ordinaire  ;  il  ne  se  couchait  point  pour  dormir, 
mais  se  contentait  d'un  peu  de  repos,  assis  sur  sa  chaire.  La  charité  seule 
pouvait  lui  ouvrir  la  bouche  et  lui  faire  rompre  le  silence  ;  ses  entretiens 
n'étaient  que  sur  le  mépris  du  monde,  sur  le  détachement  des  choses  de  la 
terre  et  sur  le  pur  amour  de  Dieu.  On  ne  le  vit  jamais  ému,  mais  toujours 
dans  une  douceur,  une  tranquillité  et  une  ouverture  de  cœur  admirables. 
Son  humilité  était  si  parfaite  et  avait  tant  de  charmes,  qu'elle  lui  attirait  le 
cœur  et  l'affection  de  tout  le  monde  ;  il  ne  pouvait  pas  voir  un  pauvre,  qu'il 
ne  s'empressât  de  le  secourir.  Ses  nouveaux  miracles  en  Sicile  furent  si  con- 
sidérables et  en  si  grand  nombre,  qu'il  passa  bientôt  pour  le  thaumaturge 
de  son  siècle.  Il  guérit  une  fois,  par  le  signe  de  la  croix,  tous  les  malades  de 
l'île  que  l'on  avait  assemblés  autour  de  lui,  pour  participer  à  une  bénédic- 
tion si  favorable. 

Au  bout  de  quatre  ans,  les  seigneurs  Eutyche  etVictorin,  ses  frères  puî- 
nés, et  la  vierge  Flavie,  sa  sœur,  étant  informés  de  sa  sainteté  et  des  pro- 
diges sans  nombre  qu'il  faisait  en  Sicile,  désirèrent  ardemment  de  le  voir. 
Ils  partirent  pour  cela  de  Rome,  et,  après  une  heureuse  navigation,  arrivè- 
rent sains  et  saufs  à  Messine.  Ils  ne  purent  reconnaître  Placide  ni  être 
reconnus  de  lui  ;  il  n'avait  que  quelques  années  quand  leur  père  le  mena 
au  monastère  de  Saint-Benoît  ;  mais  ils  ne  furent  pas  longtemps  sans  lui 
donner  des  marques  indubitables  de  ce  qu'ils  étaient.  Il  eut  une  joie 
extrême  de  les  posséder,  par  un  instinct  secret  que  Dieu  lui  donnait  qu'ils 
n'étaient  venus  que  pour  participer  à  la  gloire  de  son  martyre. 

Peu  de  temps  après,  un  corsaire,  venu  probablement  des  côtes  d'Afri- 
que, parcourait  les  côtes  d'Italie  et  de  Sicile,  pour  détruire  les  villes,  les 
châteaux  et  les  églises,  et  forcer  les  chrétiens  d'adorer  l'idole  Moloch.  Son 
armée  était  composée  de  cent  vaisseaux,  tous  bien  armés  et  chargés  de 
nombreux  soldats.  Ayant  pris  terre  au  port  de  Messine,  il  se  saisit  d'abord 
du  monastère  de  Saint-Iean-Baptiste,  et  fit  prisonniers  saint  Placide,  ses 
religieux,  ses  deux  frères  et  sa  sœur,  sans  que  personne  pût  s'échapper, 
excepté  Gordien,  qui  sortit  adroitement  par  une  porte  de  derrière.  Donat, 
l'autre  religieux  qui  était  venu  avec  saint  Placide,  fut  décapité  sans  forme 
de  procès.  Pour  les  autres,  ayant  été  présentés  aux  corsaires,  ils  confessè- 
rent hautement  et  généreusement  Jésus-Christ,  protestant  que  nul  supplice 


SAINT  PLACIDE  DE  ROME  ET  SES  COMPAGNONS,   MARTYRS.  59 

ne  serait  capable  d'arracher  la  foi  de  leurs  cœurs.  Le  tyran,  pour  vaincre 
leur  constance,  les  fit  fouetter  et  torturer  avec  une  cruauté  inouïe  ;  les 
bourreaux  leur  criaient  de  renoncer  à  Jésus-Christ  et  qu'on  les  délivrerait  ; 
mais  ils  souffrirent  ce  tourment  avec  plus  de  joie  qu'ils  n'en  avaient  jamais 
pris  dans  tous  les  divertissements  du  monde  ;  ensuite  on  les  jeta,  les  fers 
aux  pieds  et  les  mains  liées  par  derrière  dans  un  cachot,  sans  leur  donner 
pendant  sept  jours  aucune  nourriture.  Saint  Placide,  durant  ce  temps, 
anima  ses  compagnons  à  la  persévérance  par  des  discours  tout  célestes  dont 
il  les  entretenait  le  jour  et  la  nuit,  et  Notre-Seigneur,  qui  les  soutenait 
sans  aliment,  remplissait  aussi  leur  cœur  d'une  vigueur  et  d'une  consola- 
tion indicibles. 

D'un  autre  côté,  les  barbares,  qui  se  virent  forcés  par  la  tempête  de 
demeurer  quelque  temps  dans  cette  île,  y  causèrent  des  maux  incroyables 
et  y  tuèrent  une  infinité  de  personnes  de  toute  condition,  pour  la  cause  de 
Jésus-Christ.  Pour  ajouter  aussi  aux  peines  de  nos  saints  Martyrs,  tous  les 
jours  ils  les  rouaient  de  coups  de  bâton  ;  mais,  comme  tous  ces  maux  n'é- 
taient pas  capables  de  les  ébranler,  leur  chef  les  fit  pendre  par  les  pieds  et 
fouetter  en  cet  état  par  tous  les  membres,  puis  l'on  fit  une  fumée  horrible 
sous  leur  tête  pour  les  étouffer.  Après  tant  de  supplices,  on  leur  donna  à 
chacun  une  poignée  d'orge  crue  pour  manger,  et  on  leur  fit  mille  belles 
promesses  s'ils  voulaient  abjurer  la  foi  et  embrasser  le  paganisme  ;  mais  ils 
dirent  tous  d'une  voix,  que  quand  on  leur  offrirait  tout  l'empire  du  monde, 
ils  ne  changeraient  pas  de  résolution.  Après  cette  réponse,  ils  furent  rame- 
nés en  prison,  où  Gordien  vint  secrètement  pour  les  féliciter  de  leur  persé- 
vérance et  les  animer  à  tenir  bon  jusqu'à  la  mort.  Saint  Placide  lui  dit  que 
la  divine  Providence  avait  permis  qu'il  s'échappât  pour  donner  la  sépul- 
ture à  leurs  corps  et  pour  faire  connaître  à  la  postérité  leur  martyre  ; 
qu'il  ne  manquât  donc  pas  d'en  informer  saint  Benoît  et  ses  chers  con- 
frères Maur  et  Félicissime.  Il  fut  ensuite  présenté  de  nouveau  devant 
le  chef  des  pirates,  qui,  ne  pouvant  rien  gagner  sur  lui,  le  fit  dépouiller 
pour  la  troisième  fois  avec  ses  compagnons  et  rompre  de  coups  de  bâton. 
Pour  sainte  Flavie,  il  la  fit  torturer  avec  encore  plus  de  cruauté  ;  on  essaya 
môme  d'attenter  à  sa  pudeur,  mais  Dieu  la  protégea. 

Le  tyran  mourait  de  dépit  de  voir  que  sa  cruauté  ne  pouvait  pas  arra- 
cher de  la  bouche  des  généreux  Martyrs  une  seule  parole  d'impatience  ni 
de  mécontentement.  11  les  fit  encore  renfermer,  puis  fustiger  plus  cruelle- 
ment que  jamais,  et  avec  tant  de  barbarie,  que  les  bourreaux  les  laissèrent 
pour  morts  sur  la  place  ;  mais,  Notre-Seigneur  ayant  subitement  fermé  et 
guéri  leurs  plaies,  saint  Placide,  non-seulement  encourageait  ses  compa- 
gnons à  demeurer  constants  jusqu'à  la  fin,  mais  aussi  pressait  le  tyran  et 
les  ministres  de  sa  cruauté  de  se  convertir  et  d'embrasser  le  Christianisme 
pour  être  sauvés;  le  tyran  commanda  qu'on  lui  brisât  les  lèvres  et  les 
mâchoires  à  coups  de  pierres,  et  qu'on  lui  coupât  la  langue  jusqu'à  la 
racine.  Cette  sentence  fut  aussitôt  exécutée  ;  mais  Placide,  par  un  grand 
miracle  de  la  puissance  de  Dieu,  ne  laissa  pas  de  parler,  comme  si  ses 
lèvres,  ses  dents  et  sa  langue  eussent  été  entiers.  Ce  prodige  ne  touchant 
nullement  le  corsaire,  il  inventa  un  nouveau  genre  de  supplice  pour  le  tour- 
menter avec  ses  frères  et  sa  sœur  :  on  les  coucha  à  terre  et  on  leur  laissa 
toute  une  nuit  sur  les  jambes  des  ancres  de  navire  avec  de  grosses  pierres 
par  dessus.  Enfin,  voyant  que  rien  n'était  capable  de  diminuer  leur  fer- 
veur, il  les  condamna,  comme  chrétiens  et  comme  ennemis  de  son  dieu 
Moloch,  à  avoir  la  tête  tranchée  :  ce  qui  fut  exécuté  le  5  octobre  541  ou 


60  5   OCTOBRE. 

542,  qui  était  la  vingt-quatrième  année  de  la  vie  de  saint  Placide.  On  ne 
sait  pas  les  noms  des  religieux  qui  souffrirent  avec  lui  ;  on  connaît  seu- 
lement Fauste  et  Firmat,  diacre,  qui,  avec  Donat,  faisaient  le  nombre  de 
trente-trois. 

Les  barbares,  ne  se  contentant  point  de  les  avoir  fait  mourir  avec  tant 
d'inhumanité,  rasèrent  encore  leur  monastère,  à  la  réserve  de  l'église , 
qu'ils  n'eurent  pas  le  loisir  de  démolir,  quoiqu'ils  l'eussent  profanée  par 
mille  indignités.  Mais  la  justice  divine  ne  laissa  pas  longtemps  leurs  crimes 
impunis  ;  car,  à  peine  furent-ils  au  milieu  du  phare  de  Messine,  d'où  ils 
prétendaient  aller  à  Reggio,  qu'ils  furent  tous  engloutis  dans  les  eaux  par 
une  tempête  qui  s'éleva  subitement  sur  la  mer,  sans  qu'il  s'en  échappât  un 
seul,  ni  des  cent  vaisseaux  qu'ils  avaient,  ni  des  seize  mille  huit  cents  Sar- 
rasins qui  étaient  dedans. 

Les  saints  corps  étant  demeurés  quatre  jours  sur  la  terre  sans  sépulture, 
le  religieux  Gordien ,  que  la  divine  Providence  avait  réservé  pour  leur 
rendre  ce  bon  office,  les  enterra  au  lieu  même  de  leur  martyre,  avec  toute 
la  révérance  qu'il  lui  fut  possible,  excepté  celui  de  saint  Placide  qu'il  mit 
dans  l'église  de  Saint-Jean-Baptiste.  Il  écrivit  aussi  à  saint  Benoît  toute 
l'histoire  de  leur  mort  ;  et  ce  saint  Patriarche,  bien  loin  de  s'en  attris- 
ter, en  conçut  une  joie  souveraine ,  s'estimant  infiniment  heureux  que 
Dieu  voulût  bien  choisir  ses  enfants  pour  en  faire  des  témoins  de  son 
Evangile. 

Il  se  fit  de  grands  miracles  au  sépulcre  de  saint  Placide,  qui  est  le  pre- 
mier martyre  Bénédictin,  et  sa  vénération  s'accrut  beaucoup,  lorsque  de 
nouveaux  religieux,  envoyés  par  saint  Benoît,  rendirent  à  son  église  sa  pre- 
mière splendeur. 

Tous  les  Martyrologes  font  mention  de  ce  glorieux  Martyr,  et  l'Eglise 
en  fait  mémoire  en  son  office. 

On  représente  saint  Placide  :  1°  à  genoux  près  le  trône  de  la  sainte 
Vierge  ;  2°  retiré  de  l'eau,  où  il  se  noyait,  par  saint  Maur  qui  lui  tend  la 
main  ;  3°  debout,  tenant  une  palme  ;  4°  torturé  ;  5°  ayant  la  langue  cou- 
pée ;  6°  recevant  de  la  sainte  Vierge  un  lis  et  une  couronne  de  saint  Joseph, 
tandis  que  l'enfant  Jésus  lui  présente  sa  croix  ;  7°  à  genoux  devant  un 
autel,  la  poitrine  percée  d'un  glaive,  donnant  la  main  à  un  ange  qui  reçoit 
son  sang  dans  un  calice. 

Aeta  Sanctorum  ;  Vie  du  Saint,  par  Gordien,  religieux  bénédictin,  et  Pierre,  religieux  du  Mont-Cassi». 


SAINTE  ÉNIMIE  OU  ÉNÉMIE  \ 

VIERGE  ET  ABBESSE  AU  DIOCÈSE  DE  MENDE 
vii»  siècle. 


Le  premier  do  ton»  les  bonheurs  doit  être  la  paraît 
de  notre  âme.  Saint  Basile  le  Grand. 

Sainte  Enimie  était  fille  de  Glotaire  II,  roi  de  France.  On  rapporte  que, 
dans  ses  premières  années,  lorsqu'on  commençait  à  lui  apprendre  à  lire, 

1.  On  l'appelle  aussi  Ermia  et  Ouziaiie, 


SAINTE    ÉNÏMIE   OU   ÉNÉMIE,    VIERGE   ET   ABBESSE.  61 

Dieu  lui  inspira  ce  passage  des  saintes  Ecritures  :  «  Heureuse  la  nation  qui 
a  son  Dieu  pour  maître  ;  heureux  le  peuple  qu'il  s'est  choisi  pour  son  hé- 
ritage !  »  Il  paraît  que  ces  paroles  se  gravèrent  dès  lors  profondément 
dans  sa  mémoire  et  qu'elle  les  répétait  souvent  sans  trop  les  comprendre 
encore.  Dieu  voulut  sans  doute  montrer  par  là  aux  hommes  quels  des- 
seins de  grâce  et  de  bénédictions  il  avait  formés  sur  cette  bienheureuse 
enfant. 

En  effet,  elle  ne  tarda  pas  à  porter  des  fruits  de  consolation.  A  mesure 
que  sa  raison  se  développa,  on  la  vit  embrasser  tout  ce  qui  regarde  le  ser- 
vice de  Dieu  avec  une  ardeur  toujours  croissante.  L'amour  des  pauvres 
fut  une  de  ses  premières  vertus  :  elle  en  était  sans  cesse  environnée,  et 
aucun  ne  se  retirait  les  mains  vides,  parce  que  les  parents  de  la  jeune 
Sainte  lui  fournissaient  avec  plaisir  de  quoi  satisfaire  sa  pieuse  inclination. 
Mais  il  ne  lui  suffisait  pas  de  distribuer  d'abondantes  aumônes  ;  il  lui  fallait 
en  outre  laver  les  pieds  aux  pauvres  de  Jésus-Christ,  les  visiter  dans  leur 
humble  demeure,  faire  leur  lit  et  panser  leurs  plaies,  même  les  plus  dégoû- 
tantes. Les  beaux  habits  et  les  pierres  précieuses,  dont  les  gens  de  la  cour 
aiment  à  se  parer,  n'étaient  pour  elle  d'aucun  prix  ;  elle  se  contentait  et 
osait  se  contenter  de  la  tenue  la  plus  simple.  Elle  s'exerçait  de  jour  en 
jour  à  mépriser  le  monde  et  ses  vains  attraits;  et  fuyant  la  foule  plus  ou 
moins  brillante  des  courtisans,  elle  allait  fréquemment  au  pied  des  autels 
épancher  son  cœur  virginal  dans  le  sein  de  celui  qu'elle  savait  être  le  meil- 
leur des  époux. 

La  noblesse  de  sa  naissance  et  toutes  les  belles  qualités  qui  brillaient 
en  elle,  la  firent  bientôt  demander  en  mariage  ;  ce  à  quoi  ses  parents  con- 
sentirent et  voulurent  même  la  contraindre.  Les  préparatifs  étaient  déjà 
faits,  et  la  cérémonie  allait  avoir  lieu.  La  nuit  d'auparavant,  la  jeune 
vierge,  se  voyant  sans  ressources  du  côté  des  hommes,  se  retira  dans  ses 
appartements  et  se  mit  à  prier  Dieu  de  tout  son  cœur,  de  ne  pas  permettre 
qu'elle  eût  un  autre  époux  que  lui-même.  Ses  vœux  furent  exaucés.  Au 
moment  où  on  venait  la  chercher  pour  la  cérémonie,  on  la  trouva  toute 
couverte  de  lèpre.  A  cette  nouvelle,  ses  parents  et  ses  amis  furent  saisis  de 
douleur  ;  mais,  de  son  côté,  elle  rendait  de  ferventes  actions  de  grâces  à 
Dieu,  au  fond  de  son  cœur,  pour  la  faveur  insigne  qu'il  venait  de  lui  accor- 
der. On  s'empressa  de  lui  essayer  tous  les  remèdes  de  l'art  pour  obtenir  sa 
guérison,  mais  ils  furent  tous  inutiles.  Dieu  seul  pouvait  faire  disparaître 
une  maladie  dont  il  était  directement  l'auteur. 

Sainte  Enimie  avait  passé  quelques  années  dans  cet  état  de  souffrance 
et  d'humiliation,  réjouissant  Dieu  et  édifiant  tout  le  monde  par  sa  patience 
à  toute  épreuve,  lorsqu'un  Ange  lui  apparut  et  lui  dit  :  «  Dieu  veut  enfin 
vous  rendre  votre  santé  première.  Vous  la  retrouverez  en  allant  vous  laver 
dans  la  fontaine  de  Burle,  en  Gévaudan  ».  Le  lendemain  de  cette  vision, 
elle  en  fit  part  à  ses  parents,  qui  en  furent  grandement  réjouis  et  s'empres- 
sèrent de  lui  fournir  l'argent  nécessaire  pour  le  voyage,  ainsi  qu'un  cortège 
bien  composé  pour  l'accompagner. 

Elle  eut  à  parcourir  un  trajet  de  plus  de  cent  cinquante  lieues,  et  on 
ne  peut  plus  pénible  vers  la  fin,  à  cause  des  montagnes  qui  se  trouvent 
dans  le  Gévaudan  et  dans  les  contrées  voisines.  Enfin,  lorsqu'elle  fut  par- 
venue aux  frontières  du  pays  que  l'Ange  lui  avait  désigné,  elle  s'informa 
du  lieu  où  pouvait  être  la  fontaine  mystérieuse  qui  devait  la  guérir.  Une 
dame  à  qui  elle  s'adressa,  lui  répondit  :  «  J'ignore  complètement  s'il  y  a 
une  fontaine  du  nom  que  vous  lui  donnez.  Tout  ce  que  je  puis  vous  dire, 


62  5   OCTOBRE. 

c'est  qu'à  quelque  distance  d'ici,  il  y  a  une  source  dont  les  eaux  ont  une 
vertu  très-efficace.  Il  peut  se  faire  que  vous  y  trouviez  la  guérison  qui  vous 
a  été  promise  ».  Cette  personne  voulait  lui  parler  du  bourg  de  Bagnols-les- 
Bains,  où  il  y  a  encore  des  eaux  thermales  assez  fréquentées.  D'après  les 
renseignements,  la  source  qu'il  y  avait  ne  lui  avait  pas  été  désignée  sous  le 
nom  de  Fontaine-de-Burle  ;  elle  craignait  avec  raison  que  ce  ne  fût  point 
la  source  où  Dieu  l'envoyait.  C'est  pourquoi,  après  être  arrivée  à  Bagnols- 
Ies-Bains,  et  tandis  que  ses  compagnons  se  délassaient  dans  les  douceurs  du 
sommeil  des  fatigues  d'un  long  et  rude  voyage,  elle  passa  la  nuit  en  prières 
pour  connaître  la  volonté  du  ciel.  Alors  un  ange  lui  apparut  de  nouveau  et 
lui  dit  :  «  Les  eaux  de  Bagnols  ne  sont  pas  celles  qu'il  faut  ;  vous  ne  devez 
pas  être  purifiée  dans  des  bains  de  ce  genre.  Dieu  veut  vous  guérir  par  sa 
propre  vertu,  au  moyen  d'une  eau  froide  orûiïinir?,  ;  il  vous  faut  aller  un 
peu  plus  loin  ».  Elle  s'empressa  d'obéir  à  ce  secor»^  «wdre  du  ciel.  Puis, 
après  avoir  fait  encore  six  à  sept  lieues  du  plus  mauvais  chemin  qu'on  puisse 
voir,  et  comme  elle  se  trouvait  déjà  sur  le  plateau  qui  domine  la  vallée  où 
coule  la  Fontaine-de-Burle,  elle  entendit  prononcer  ce  mot  par  des  bergers. 
Elle  s'approcha  de  ces  hommes  rustiques  et  prit  l'un  d'entre  eux  pour  lui 
servir  de  guide. 

Lorsqu'elle  fut  arrivée  auprès  de  la  fontaine,  elle  se  mit  d'abord  à  ge- 
noux pour  implorer  le  secours  du  Tout-Puissant.  Ensuite,  après  une  longue 
et  fervente  prière,  elle  se  plongea  avec  une  foi  vive  dans  les  eaux  salutaires, 
tandis  que,  au  même  moment,  l'énorme  rocher  qui  s'élevait  en  forme  de 
voûte  au-dessus  de  la  source,  ouvrit  ses  nombreuses  fentes  et  laissa  échap- 
per une  eau  abondante  qui  vint  arroser  la  servante  du  Seigneur.  Ce  prodige 
ne  tarda  pas  à  être  suivi  d'un  plus  grand.  Bientôt  sainte  Enimie  se  sentit  et 
se  trouva  complètement  guérie,  ses  membres  étant  devenus  aussi  purs  et 
aussi  nets  *que  ceux  d'un  petit  enfant,  et  sa  peau  ayant  recouvré  la  blan- 
cheur du  lait  et  de  la  neige.  Dire  quelle  fut  sa  joie  et  celle  de  ses  compa- 
gnons, quelles  actions  de  grâces  ils  rendirent  tous  au  Seigneur  d'une  com- 
mune voix,  serait  chose  impossible. 

Après  cela,  elle  songea  à  reprendre  le  chemin  de  la  capitale,  et  déjà  elle 
se  trouvait  à  une  certaine  distance  du  lieu  où  la  santé  venait  de  lui  être 
rendue,  lorsqu'elle  se  vit  de  nouveau  saisie  de  la  lèpre.  Elle  crut  sans  doute 
que  Dieu  ne  voulait  que  mettre  sa  foi  et  sa  patience  à  l'épreuve  ;  c'est  pour- 
quoi elle  retourna  vers  la  fontaine  mystérieuse,  s'y  plongea  de  nouveau 
avec  confiance  et  y  retrouva  la  santé  comme  la  première  fois.  Elle  en  rendit 
de  nouvelles  actions  de  grâces  à  la  bonté  divine  ;  puis  elle  se  remit  en  route 
pour  regagner  Paris.  Mais  elle  ne  devait  plus  y  retourner.  Dieu  la  voulait 
dans  cette  solitude  lointaine  ;  et  c'est  ce  qu'il  chercha  à  lui  faire  entendre 
en  la  frappant  une  troisième  fois  de  la  lèpre.  En  effet,  à  cette  vue,  elle 
comprit  ce  que  le  Seigneur  attendait  d'elle  et  s'offrit  généreusement  à  faire 
sa  très-sainte  volonté.  D'un  autre  côté,  toujours  pleine  de  confiance,  elle 
alla  se  plonger  encore  dans  les  eaux  de  la  fontaine,  et  cette  fois  la  santé  lui 
fut  rendue  pour  toujours.  Alors,  se  tournant  vers  ceux  qui  l'avaient  accom- 
pagnée, elle  leur  dit  :  «  Le  Dieu  qui  m'a  guérie  veut  évidemment  que  je  le 
serve  en  ces  lieux.  Je  ne  puis  résister  à  sa  volonté  sainte,  et  je  me  sens  le 
courage  de  m'y  conformer.  Quant  à  vous,  que  je  remercie  du  fond  de  mon 
cœur  pour  tous  les  soins  que  vous  avez  bien  voulu  me  donner  durant  mes 
longues  épreuves,  il  vous  est  permis  de  reprendre  le  chemin  de  la  patrie. 
Cependant,  si  quelques-uns  d'entre  vous  voulaient  rester  avec  moi,  j'en  bé- 
nirais Dieu,  les  traitant  désormais,  non  plus  comme  des  serviteurs  et  des 


SAIiNTE  ÉNIMIE   OU  ÉNÉMIE,   VIERGE  ET  ABBESSE.  63 

servantes,  mais  comme  des  frères  et  des  sœurs  ».  Un  langage  si  digne  fut 
loin  d'être  sans  effet.  Tous  les  compagnons  de  sainte  Enimie,  à  peu 
d'exceptions  près,  lui  répondirent  :  «  Nous  voulons  être  exilés  et  souffrir 
avec  vous  en  cette  contrée,  afin  de  pouvoir  régner  un  jour  avec  vous  dans 
le  ciel  ». 

Après  le  départ  de  ceux  des  compagnons  de  la  Sainte  qui  retournèrent 
à  Paris,  et  y  apprirent  au  roi  et  à  la  reine  la  guérison  miraculeuse  de  leur 
fille,  et  la  résolution  quelle  avait  prise  d'obéir  à  la  volonté  de  Dieu  qui  la 
désirait  si  loin  d'eux,  elle  établit  le  mieux  possible  ceux  qui  n'avaient  pas 
voulu  la  quitter  sur  les  bords  du  Tarn  et  auprès  de  la  fontaine  de  Burle  ; 
puis,  gravissant  elle-même  la  montagne  escarpée  qui  est  au-dessus  de  cette 
source,  vers  le  couchant,  elle  y  choisit  pour  le  lieu  de  sa  retraite  une  grotte 
assez  profonde,  ne  gardant  avec  elle  qu'une  jeune  fille  dont  elle  était  la 
marraine  et  à  qui  elle  avait  fait  donner  son  propre  nom. 

Il  est  facile  de  comprendre  quel  fut,  dans  ce  solitaire  et  pénible  séjour, 
le  genre  de  vie  de  notre  sainte  princesse,  ce  qu'elle  eut  à  souffrir  de  l'in- 
tempérie des  saisons  et  du  manque  de  toutes  choses,  mais  aussi  dans  quels 
rapports  intimes  elle  dut  s'établir  entre  son  Dieu,  par  ses  fréquentes  et 
longues  oraisons. 

Aussi,  dans  quelques  années,  le  Seigneur  voulut-il  faire  connaître  au 
monde  combien  cette  innocente  victime  de  son  amour  était  agréable  à  ses 
yeux,  en  lui  donnant  la  vertu  d'opérer  des  prodiges.  Le  bruit  de  sa  sainteté 
s'étant  répandu  au  loin  dans  les  environs,  on  accourut  de  toutes  parts  vers 
son  humble  demeure,  non-seulement  pour  contempler  ses  vertus,  mais  en- 
core pour  obtenir,  par  son  intercession,  des  grâces  extraordinaires.  Les 
anciens  auteurs  de  sa  vie  nous  apprennent  qu'elle  rendit  la  santé  à  un 
nombre  infini  de  malades  de  toutes  sortes,  et  nous  racontent  en  détail  la 
guérison  d'un  lépreux  et  d'un  homme  estropié  d'un  bras  depuis  son  en- 
fance, et  la  résurrection  du  fils  unique  d'une  veuve  qui  s'était  noyé  dans  les 
eaux  du  Tarn. 

D'un  autre  côté,  parmi  les  personnes  qui  allèrent  la  visiter,  il  y  en  eut 
plusieurs  qui,  touchées  par  ses  saintes  instructions,  attirées  par  l'odeur  de 
ses  vertus  et  éclairées  par  la  lumière  d'en  haut,  lui  demandèrent  à  servir 
Dieu  comme  elle  et  auprès  d'elle.  Son  zèle  pour  le  salut  des  âmes  et  pour 
la  gloire  de  Dieu  lui  fît  vaincre  son  humilité  et  accéder  à  d'instantes  prières. 
Elle  se  mit  donc  à  bâtir  un  monastère  auprès  de  la  source  où  Dieu  l'avait 
guérie  de  la  lèpre.  Sa  sainte  entreprise  fut  grandement  éprouvée.  L'esprit 
malin,  furieux  de  voir  s'élever  un  nouvel  asile  à  l'innocence  et  à  la  vertu, 
se  montra  sur  les  lieux  sous  la  forme  d'un  énorme  dragon,  renversant, 
chaque  samedi,  à  l'entrée  delà  nuit,  les  constructions  que  les  ouvriers 
avaient  faites  durant  la  semaine. 

Sur  ces  entrefaites,  elle  reçut  la  visite  de  saint  Hère,  évoque  de  Mende. 
Ce  pieux  prélat  qui,  après  avoir  été  élevé  à  la  dignité  épiscopale,  l'honorait 
par  toute  sorte  de  vertus,  sous*  l'humble  habit  d'un  religieux,  était  venu  à 
son  tour  auprès  de  la  Sainte,  non  pas  tant  pour  s'assurer  de  la  vérité  des 
rapports  qu'on  lui  avait  faits  sur  son  compte,  que  pour  s'édifier  avec  elle  et 
lui  reconi mander  les  divers  besoins  de  son  troupeau.  De  son  côté,  sainte 
Enimie,  le  recevant  comme  un  messager  céleste,  s'empressa  de  lui  ouvrir 
son  âme  et  ne  manqua  pas  de  lui  faire  connaître  ce  qu'elle  avait  à  souffrir 
de  la  part  du  démon.  L'homme  de  Dieu  la  consola,  lui  promit  de  l'aider 
auprès  de  Dieu  par  ses  prières,  et  dans  le  temps  qu'il  passa  en  cet  endroit, 
il  l'honora  de  fréquentes  visites. 


64  5  OCTOBRE. 

Or,  un  jour  qu'il  était  allé  la  voir,  et  pendant  qu'il  se  trouvait  auprès 
d'elle,  le  dragon  infernal,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  s'avança  vers  le  mo- 
nastère pour  continuer  son  œuvre  de  destruction.  A  cette  vue,  la  Sainte, 
affirayée  et  fondant  en  larmes,  implore  le  secours  de  son  père  spirituel.  Le 
saint  prélat,  fort  des  armes  de  sa  foi,  sort  de  la  maison  et  se  dirige  sans 
crainte  vers  le  monstre  menaçant.  Chemin  faisant,  il  rencontre  sous  ses 
pas  deux  morceaux  de  bois,  les  dispose  en  forme  de  croix  et  oppose  ce 
signe  de  l'instrument  de  la  Rédemption  à  l'ennemi  de  notre  salut.  Il  n'en 
faut  pas  davantage  pour  lui  donner  la  victoire  :  à  la  vue  de  la  croix,  le  dra- 
gon revient  sur  ses  pas  et  va  se  cacher  dans  des  gorges  profondes  d'où  on 
ne  le  voit  plus  sortir. 

Dès  lors  il  fut  permis  à  sainte  Enimie  de  mettre  la  dernière  main  à  son 
monastère,  pour  l'achèvement  duquel  saint  Hère  lui  accorda  des  secours 
abondants.  Lorsque  l'édifice  fut  terminé,  ce  même  prélat  alla  en  consacrer 
l'église,  qu'il  plaça  sous  le  vocable  de  la  sainte  Vierge.  Il  fit  encore  la 
môme  cérémonie  dans  un  autre  sanctuaire,  élevé  non  loin  du  premier 
et  dédié  au  Prince  des  Apôtres.  En  môme  temps,  il  donna  le  voile  à  la 
sainte  Princesse,  ainsi  qu'à  ses  compagnes*  et  l'établit  leur  mère  et  leur 
abbesse. 

Dieu  vint  immédiatement  en  aide  à  ce  nouvel  essaim  de  chastes  vierges, 
par  les  largesses  qu'elles  reçurent  de  la  part  de  plusieurs  personnes  nobles 
et  puissantes  de  la  contrée.  Clotaire  II,  père  de  sainte  Enimie,  et  Dago- 
bert  Ier,  son  frère,  lui  constituèrent  également  certains  revenus  fixes  et  lui 
fournirent  d'ailleurs  de  quoi  acheter  plusieurs  propriétés  voisines.  C'est 
ainsi  que  Dieu  a  toujours  pris  soin  de  ces  âmes  confiantes  qui  abandonnent 
toutes  choses  pour  se  consacrer  uniquement  à  son  service. 

Enfin,  après  avoir  fait  passer  sainte  Enimie  par  toute  sorte  d'épreuves, 
pour  purifier  sa  vertu  et  augmenter  ses  mérites,  et  après  que  ses  filles  spi- 
rituelles se  furent  suffisamment  pénétrées  de  son  esprit,  le  Seigneur, 
enviant  en  quelque  sorte  à  la  terre  ce  vase  d'innocence  et  de  pureté,  daigna 
lui  faire  connaître  assez  longtemps  à  l'avance  le  moment  où  elle  aurait  le 
bonheur  de  quitter  ce  misérable  monde,  pour  aller  dans  le  bienheureux 
séjour  marcher  avec  ses  semblables  à  la  suite  de  l'Agneau  sans  tache.  Elle 
garda  cependant  pour  elle  seule  cette  communication  céleste,  se  conten- 
tant de  se  préparer  de  son  mieux  à  être  en  état  de  paraître  devant  son 
divin  Epoux. 

Ce  ne  fut  que  peu  de  temps  avant  sa  mort,  que,  réunissant  ses  bons 
amis  et  ses  pieuses  compagnes,  elle  leur  dit  :  «  Mes  très-chers  frères,  et 
vous,  mes  sœurs  bien-aimées,  j'ai  besoin  de  vous  faire  part  de  la  joie  que 
j'éprouve  ;  le  Seigneur  veut  enfin  me  retirer  du  milieu  des  misères  de  ce 
monde.  Je  suis  à  la  veille  de  ma  mort.  Je  rends  grâces  à  ce  Dieu  de  bonté 
de  ce  qu'il  daigne  m'appeler  au  festin  délicieux  de  son  éternité  ;  je  le 
remercie  pour  la  grande  affliction  qu'il  a  jadis  fait  subir  à  mon  corps,  dans 
mon  jeune  âge,  pour  la  manière  dont  il  m'A  délivrée  de  la  lèpre,  et  de  ce 
qu'il  m'a  retenue  dans  ces  lieux  pour  me  préserver  des  dangers  des  vains 
et  fragiles  honneurs  de  ce  monde.  Je  vous  engage  à  persévérer  vous-mêmes 
dans  vos  généreuses  et  saintes  résolutions;  je  n'ose  pas  vous  dire  :  Imitez 
mes  exemples;  car,  quoique  j'aie  eu  l'honneur  et  le  bonheur  d'être  votre 
mère,  je  n'ai  jamais  été  et  je  ne  suis  encore  que  quelque  chose  de  bien 
petit  et  de  bien  misérable.  Je  ne  puis  que  vous  exhorter  à  combattre  jus- 
qu'à la  fin,  afin  qu'il  vous  soit  donné  un  jour  de  recevoir  des  mains  de  votre 
Epoux  éternel  la  yalme  de  la  virginité,  de  la  patience  et  de  toutes  les  autres 


SAINTE  ENIMIE  OU  ÉNÉMÏE,   VIERGE  ET  ABBESSE.  65 

vertus  qui  vous  conviennent.  C'est  aujourd'hui  enfin  que  je  quitte  cette  vie 
si  courte  et  si  fragile,  pour  passer  dans  cette  région  où  l'on  ne  meurt 
jamais,  pour  aller  contempler  ce  divin  Roi  que  j'ai  recherché,  que  j'ai  dé- 
siré de  tout  mon  cœur;  pour  l'amour  duquel  j'ai  méprisé,  comme  un  vil 
néant,  les  honneurs  de  la  cour  et  les  dignités  que  ma  naissance  aurait  pu 
me  valoir.  Mais,  je  vous  en  supplie,  ne  vous  affligez  pas  trop  de  mon  départ 
d'au  milieu  de  vous.  Au  lieu  de  verser  des  larmes,  vous  devez  au  contraire 
vous  réjouir  de  ce  que  votre  mère  vous  précède  ;  là-haut  je  m'intéresserai 
à  votre  salut,  auprès  de  notre  commun  Maître,  beaucoup  plus  que  je  ne 
puis  le  faire  ici-bas.  J'ai  encore  à  vous  dire  que  ma  mort  sera  bientôt  suivie 
de  celle  de  ma  très-chère  filleule,  qui  porte  le  môme  nom  que  moi.  J'ai 
demandé  pour  moi  et  pour  elle  cette  grâce  à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
et  il  me  l'a  accordée.  Vous  aurez  soin  d'ensevelir  son  corps  dans  le  même 
lieu  que  le  mien  et  de  placer  son  sépulcre  au-dessus  du  mien  ;  car  telle  est 
la  volonté  de  Dieu  » . 

Bientôt  après  ces  touchants  adieux,  l'heure  suprême  arriva  pour  la 
bienheureuse  servante  de  Dieu.  Elle  se  fit  administrer  les  derniers  sacre- 
ments, et  tandis  que,  parmi  ses  filles  spirituelles  qui  l'entouraient,  les  unes 
récitaient  des  psauues,  et  les  autres  fondaient  en  larmes,  elle  rendit  sa 
belle  âme ,  que  les  anges  s'empressèrent  d'aller  présenter  à  son  divin 
Epoux. 

Dieu  ne  tarda  pas  à  manifester  sa  sainteté  :  quand  on  ensevelit  son 
corps,  on  trouva  son  visage  tout  rayonnant  de  lumière,  pendant  que  tous 
ses  autres  membres  semblaient  n'avoir  éprouvé  aucune  altération. 

On  lui  donne  un  serpent  pour  attribut,  parce  qu'elle  passe  pour  avoir 
délivré  le  Gévaudan  de  ces  animaux  dangereux. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Quelque  temps  après  la  mort  de  sainte  Enimie,  le  roi  Dagobert  Ier,  son  frère,  alla  jusqu'en  Gé- 
vaudan, pour  en  apporter  avec  lui  les  précieux  restes  de  sa  bienheureuse  sœur.  Le  dessein  de  ce 
prince  était  de  placer  ce  saint  dépôt  dans  la  basilique  de  Saint-Denis,  près  de  Paris,  qu'il  avait 
grandement  embellie,  et  où  il  avait  réuni  les  reliques  des  Saints  les  plus  illustres  de  son  royaume. 
Mais  la  divine  Providence  n'avait  pas  jugé  à  propos  qu'il  en  fût  ainsi.  Elle  permit  que  Dagobert 
se  trompât,  en  prenant  pour  le  cercueil  de  sa  sœur,  celui  de  sa  filleule  :  erreur  qu'il  est  facile  de 
comprendre,  en  se  rappelant  les  dernières  paroles  de  la  Sainte  à  ses  filles  spirituelles. 

Cependant  le  tombeau  de  sainte  Enimie,  d'abord  sans  doute  si  fréquenté,  finit  par  devenir  inconnu  aux 
fidèles  de  l'endroit  :  ce  qui  eut  lieu  certainement,  parce  qu'on  l'avait  caché ,  soit  de  peur  que  ses 
reliques  ne  fussent  enlevées  d'une  manière  ou  de  l'autre,  comme  cela  faillit  être  exécuté  par  le  roi 
Dagobert,  soit  pour  le  dérober  à  la  profanation  des  Sarrasins,  ou  pour  le  mettre  à  l'abri  des  dé- 
sastres d'une  guerre  quelconque. 

Enfin,  après  un  long  espace  de  temps,  Dieu  daigna  manifester  à  son  peuple  le  plus  précieux 
des  trésors.  Il  se  servit  pour  cela  d'un  saint  religieux,  nommé  Jean.  Ce  vénérable  personnage  fut 
honoré  de  trois  visions  surnaturelles,  où  il  lui  fut  révélé  le  lieu  où  reposait  le  corps  de  la  Sainte, 
ainsi  que  les  indices  auxquels  on  pourrait  le  reconnaître. 

Avant  de  rien  entreprendre,  on  avertit  le  prélat  qui  gouvernait  alors  le  diocèse,  et  on  le  pria 
de  vouloir  bien  présider  aux  recherches.  On  convoqua  aussi  à  cet  effet  les  notabilités  ecclésias- 
tiques des  environs. 

C'était  dans  l'église  même,  construite  par  les  soins  de  sainte  Enimie,  qu'il  s'agissait  de  faire 
des  fouilles.  Quand  tout  le  monde  se  trouva  réuni,  on  commença  par  chanter  une  antienne  Ile  l'of- 
fice des  vierges,  après  cela  on  se  mit  à  creuser  la  terre,  et  bientôt  on  découvrit  un  petit  caveau 
contenant  un  sépulcre  que  l'on  s'empressa  d'ouvrir.  Il  s'y  trouva  en  effet  le  corps  de  la  Sainte,  et 
il  s'en  exhala  une  odeur  si  suave  que  tous  les  assistants  croyaient  éprouver  un  avant-goût  des 
célestes  douceurs.  En  même  temps,  les  cierges  des  acolythes  s'étant  éteints  d'eux-mêmes,  leur 
lumière  fut  remplacée  par  un  nuage  lumineux,  qui  remplit  toute  l'église,  et  avec  une  telle  inten- 
sité que  chacun  pouvait  à  peine  apercevoir  son  voisin.  Et  quand,  après  un  assez  long  intervalle, 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  • 


66  5  OCTOBRE. 

le  nuage  mystérieux  disparut,  les  cierges  se  rallumèrent  encore  d'eux-mêmes.  D'un  autre  côté,  im- 
médiatement après  l'ouverture  du  saint  tombeau,  et  aussitôt  que  l'on  recommença  à  sentir  la  déli- 
cieuse odeur  qui  s'en  exhalait,  tous  les  malades  que  l'on  avait  amenés  se  trouvèrent  parfaitement 
guéris.  Tout  cela  se  passa  au  milieu  des  chants  d'actions  de  grâce  et  des  cris  d'allégresse  de  tout 
un  peuple  transporté  de  joie. 

On  transporta  le  corps  de  la  Sainte  du  Heu  où  l'on  venait  de  le  découvrir,  dans  l'église  d'un 
monastère  construit  récemment  à  la  place  du  premier.  Et  là  Dieu  se  plut  à  manifester  la  sainteté 
de  sa  servante  par  de  nombreux  et  éclatants  miracles. 

Cette  découverte  et  cette  translation  eurent  lieu  le  dix-huitième  jour  du  mois  de  janvier  on  ne 
sait  de  quelle  année.  On  sait  seulement  que  les  reliques  de  la  Sainte  se  trouvaient  dans  le  susdit 
monastère  en  l'an  951. 

A  cette  époque,  comme  longtemps  plus  tard,  les  évoques  de  Mende,  en  leur  qualité  de  souve- 
rains temporels  du  pays,  tenaient  annuellement,  dans  leur  ville  épiscopale,  une  assemblée  composée 
de  notables  de  la  contrée,  pour  s'entendre  avec  eux  sur  la  manière  de  bien  administrer  leur  petit 
Etat;  et,  comme  dans  cet  âge  de  foi  l'on  avait  soin,  avant  tout,  d'implorer  le  secours  et  les  lumières 
d'en  haut,  il  était  prescrit  aux  ecclésiastiques  et  aux  religieux  d'apporter  avec  eux  leurs  plus 
précieuses  reliques.  Cela  fut  cause  que  le  corps  de  sainte  Enimie  fut  plusieurs  fois  transporté  à 
Mende,  où  il  opéra  un  grand  nombre  de  miracles.  Il  y  guérit,  entre  autres  malades,  un  aveugle,  un 
paralytique  et  un  estropié;  et,  la  première  fois  qu'on  l'y  transporta,  l'affluence  fut  si  grande  dans 
la  chapelle  de  Sainte-Colombe  où  on  l'avait  déposée  que,  pour  satisfaire  la  dévotion  des  fidèles, 
on  fut  obligé  de  la  tirer  de  là  et  de  la  porter  en  pleine  campagne,  non  loin  de  la  ville  et  sous 
une  tente  richement  parée. 

L'an  1036,  les  habitants  du  Puy-en-Velay  étant  divisés  par  une  guerre  civile,  Etienne  de 
Mercœur,  leur  évèque,  convoqua  une  assemblée  dans  sa  ville  épiscopale  à  l'effet  d'aviser  aux 
moyens  de  rétablir  la  paix,  y  invita  les  prélats  voisins  et  les  engagea  à  apporter  avec  eux  les 
reliques  de  leurs  Saints  les  plus  renommés  en  fait  de  miracles.  Raymond,  évêque  de  Mende,  s'y 
rendit  avec  la  statue  de  saint  Privât,  patron  de  son  diocèse,  et  avec  quelques-unes  seulement  des 
reliques  du  même  Saint,  dont  le  corps  n'avait  pas  encore  été  trouvé.  Ce  prélat  prit  aussi  avec  lui 
les  reliques  de  sainte  Enimie,  que  les  habitants  du  Puy  reçurent  avec  une  grande  satisfaction,  les 
plaçant  dans  leur  insigne  basilique  de  Notre-Dame.  De  son  côté,  la  Reine  des  vierges,  cédant  en 
quelque  sorte  à  sa  sainte  imitatrice  les  honneurs  de  la  circonstance,  lui  permit  d'opérer  un  grand 
nombre  de  prodiges.  C'est  sans  doute  par  suite  de  ces  merveilles  que  l'évêque  du  Puy  voulut  que 
les  reliques  de  sainte  Enimie  fussent  transférées  au  lieu  même  où  on  allait  tenir  l'assemblée  qui 
devait  remédier  aux  misères  de  ce  temps,  et  Dieu  fit  éclater  encore  davantage,  en  cet  endroit,  la 
puissance  de  sa  bien-aimée  servante. 

Après  que  l'assemblée  eut  terminé  ses  opérations,  et  quand  les  religieux  de  Sainte-Énimie  eurent 
repris  le  corps  de  leur  patronne,  le  lieu  où  ses  reliques  avaient  été  déposées  conserva  une  espèce 
de  vertu  surnaturelle  qui  ne  permettait  à  aucun  être  vivant  de  s'en  approcher  :  ce  qui  fut  cause 
que,  pour  faire  respecter  ce  lieu,  les  habitants  de  l'endroit  le  firent  entourer  d'une  muraille. 

Entre  autres  guérisons  opérées  au  Puy  par  l'intercession  de  sainte  Enimie,  on  cite  celle  de  deux 
dames  aveugles  qui,  si  elles  voulurent  jouir  de  la  grâce  que  la  Sainte  leur  avait  obtenue,  furent 
obligées  de  la  suivre  jusqu'auprès  de  son  sanctuaire,  en  Gévaudan,  et  d'y  passer  le  reste  de  leur 
\ie,  la  cécité  les  reprenant  toutes  les  fois  qu'elles  essayaient  de  regagner  leur  patrie. 

Le  monastère  primitif  de  Sainte-Énimie  fut,  en  951,  cédé  par  Etienne,  évèque  de  Mende,  aux 
religieux  bénédictins  de  Saint-Chaffre,  dans  le  diocèse  du  Puy,  qui  l'ont  possédé  et  habité  jusqu'à 
la  révolution  de  1789.  On  conserve  encore  les  reliques  de  la  Sainte  dans  l'église  paroissiale  du  bourg 
qui  porte  son  nom.  En  1724,  on  avait  aussi  son  voile,  et  on  le  portait  en  procession  dans  les 
calamités  publiques.  On  célèbre  sa  fête,  au  diocèse  de  Mende,  le  5  du  mois  d'octobre,  sous  le  rit 
double.  Les  églises  paroissiales  des  bourgs  de  Sainte-Enimie  et  de  Bagnols-les-Bains  lui  sont 
dédiées. 

Cette  biographie,  qu'a  bien  voulu  nous  fournir  M.  l'abbé  Chaibonnel,  a  été  extraite  d'un  manuscrit  de 
la  Bibliothèque  impériale,  qui  remonte  au  xiv«  siècle  et  contient  trois  vies  de  cette  Sainte,  l'histoire  de 
l'invention  de  son  corps  et  le  récit  de  plusieurs  miracles  opérés  par  son  intercession,  conforme  aux 
Propres  du  diocèse  de  Mende,  de  1619  et  de  1858,  ainsi  qu'à  la  vie  de  la  même  sainte  princesse,  donnée 
par  l'auteur  de  la  Monarchie  sainte,  tome  i™. 


SAINT  MADALVÉ  OU  MAUVE,  ÉVÊQUE  DE  VERDUN. ET  CONFESSEUR.  67 

SAINT  MADALVÉ  OU  MAUVE  \ 

ÉVÊQUE  DE  VERDUN  ET  CONFESSEUR 
777.  — •  Pape  :  Adrien  !•*.  —  Roi  de  France  :  Charlemagne. 


Vert  episcopalem  vitam  sequeris  si  per  zelum  lin- 
guamque  tucan  hos  gui  a  fidei  veritate  dissentiunt 
in  Ecclesix  unitatem  reduxeris. 

Vous  mènerez  une  vie  vraiment  épiscopale  si,  par 
votre  zèle  et  par  vos  discours,  vous  ramenez  au 
sein  de  l'Eglise  ceux  qui  errent  dans  la  foi. 
Saint  Grégoire  le  Grand. 

Madalvé  naquit  au  commencement  du  huitième  siècle  dans  la  ville  de 
Verdun,  de  parents  qui  étaient  officiers  de  l'Eglise  de  cette  ville,  ou  qui  en 
possédaient  des  terres.  Ils  confièrent  l'éducation  de  leur  jeune  fils  à  des 
maîtres  très-pieux  et  très-savants,  sous  lesquels  il  apprit  les  premiers  prin- 
cipes de  la  religion  et  de  la  piété  chrétienne,  avec  les  sciences,  dans  les- 
quels il  fit  en  peu  de  temps  un  progrès  merveilleux.  Il  était  naturellement 
porté  aux  exercices  de  dévotion,  et  avait  un  respect  singulier  pour  les  lieux 
saints,  et  pour  les  personnes  consacrées  à  Dieu.  Son  plus  grand  plaisir  était 
de  les  servir  à  l'autel,  d'assister  aux  offices  divins  et  autres  instructions 
chrétiennes  ;  et  il  avait  plus  de  goût  pour  la  lecture  et  l'étude  de  l'Ecriture 
sainte,  et  des  livres  des  Pères  de  l'Eglise,  qui  en  donnaient  l'intelligence, 
que  pour  les  sciences  humaines,  dans  lesquelles  il  avait  néanmoins  excellé 
et  surpassé  ses  condisciples.  Hugues  de  Flavigny  dit  qu'il  se  rendit  très- 
habile  dans  tous  les  arts  libéraux,  et  en  faisait  un  saint  usage  pour  régler 
ses  mœurs  et  acquérir  la  vraie  sagesse,  qui  le  rendait  agréable  à  Dieu  et  aux 
hommes  ;  qu'il  s'appliqua  ensuite  totalement  à  l'étude  des  divines  Ecri- 
tures, et  qu'en  lisant  cette  maxime  de  l'Apôtre,  «  qu'il  faut  vivre  chaste- 
ment pour  devenir  le  temple  du  Saint-Esprit  »,  il  résolut  d'embrasser  le 
célibat,  et  de  faire  vœu  de  virginité.  Cette  vertu,  qu'il  conserva  pendant 
toute  sa  vie,  fut  l'ornement  principal  de  la  pureté  et  de  l'innocence  de  ses 
mœurs  ;  elle  était  accompagnée  d'une  humilité  et  d'une  modestie  singu- 
lières. Il  macérait  son  corps  et  mortifiait  ses  sens  par  des  abstinences  et  des 
austérités,  qui  l'aidèrent  à  se  rendre  le  maître  de  ses  passions.  Son  obéis- 
sance envers  ses  parents  l'engagea,  contre  son  inclination,  à  suivre  pendant 
quelque  temps  la  cour  de  Pépin  d'Héristal,  qui  loua  sa  modestie  et  admira 
sa  sagesse  dans  un  âge  si  peu  avancé  :  mais  les  caresses  et  les  plaisirs  du 
monde  faisaient  peu  d'impression  sur  son  cœur.  Il  était  plus  puissamment 
attiré  par  la  grâce  qui  l'appelait  à  un  ministère  plus  saint,  et  il  s'y  prépa- 
rait par  la  prière  et  l'étude,  qu'il  ne  discontinua  point  au  milieu  des  agita- 
tions de  la  cour.  La  Providence  divine  lui  fournit  une  occasion  de  s'en 
retirer  ;  alors  Madalvé  revint  à  Verdun  et  demanda  instamment  d'entrer 
dans  la  communauté  des  Clercs  de  l'église  de  Saint-Vannes. 

La  pureté  de  ses  mœurs  et  sa  ferveur  dans  les  exercices  de  piété  firent 

1.  Alias  :  Mauvy,  Mauvis, 


68  5  OCTOBRE. 

bientôt  connaître  qu'il  arriverait  en  peu  de  temps  à  une  haute  perfection 
de  l'état  clérical.  Il  se  priva  de  toutes  les  compagnies  séculières,  vivant  dans 
une  retraite  même  plus  exacte  que  celle  qui  était  prescrite  par  la  Règle, 
et  prenant  de  grandes  précautions  pour  empêcher  ses  sens  et  ses  passions 
de  corrompre  son  âme.  Il  était  toujours  attentif  à  réprimer  les  désirs  de  ia 
chair,  et  nourrissait  son  esprit  par  la  lecture  et  la  méditation  des  vérités 
chrétiennes,  ne  s'occupant  qu'à  la  prière,  à  l'étude  des  saintes  Ecritures  et 
aux  autres  exercices  de  sa  communauté.  Il  distribuait  aux  pauvres  son  riche 
patrimoine,  en  leur  procurant  tous  les  secours  spirituels  et  temporels  que  sa 
charité  pouvait  inventer,  et  la  bonne  odeur  de  sa  vie  très-sainte  s' étant 
répandue,  non-seulement  dans  cette  ville,  mais  encore  dans  toute  la  pro- 
vince, et  jusqu'à  la  cour,  on  demanda  qu'il  fût  ordonné  prêtre,  quoiqu'il 
n'eût  pas  l'âge  prescrit  par  les  saints  Canons,  et,  peu  de  temps  après,  il  fut 
choisi  pour  être  prévôt  ou  abbé  des  clercs  de  l'église  de  Samt-Vannes.  Cette 
communauté  était  alors  comme  le  séminaire  de  ce  diocèse  où  on  formait 
les  jeunes  clercs  aux  exercices  de  leur  état  et  aux  sciences  qu'on  y  ensei- 
gnait. Les  règlements  que  saint  Vannes,  et  plusieurs  autres  évêques  y 
avaient  établis,  souffrirent  de  temps  en  temps  quelques  relâchements  pen- 
dant les  troubles  des  guerres,  qui  en  ruinèrent  une  partie  des  revenus  :  la 
sagesse  de  Madalvé  rendit  à  cette  communauté  son  premier  lustre,  il  en 
augmenta  beaucoup  les  revenus  temporels,  pendant  même  que  ceux  de  la 
cathédrale  dépérissaient  par  les  usurpations  du  comte  Anselin,  et  des  autres 
officiers  de  Charles  Martel  ;  et  il  y  rétablit  la  régularité  ancienne  autant  par 
son  exemple  et  son  exactitude  édifiante  que  par  ses  discours  touchants.  Il 
fît  en  même  temps  refleurir  avec  tant  d'éclat  les  études  qu'il  y  dirigeait, 
qu'on  n'en  parlait  dans  cette  ville,  dans  la  province  et  à  la  cour,  qu'en  fai- 
sant l'éloge  de  ses  vertus  et  de  la  sagesse  de  son  gouvernement.  Ce  fut  ce 
qui  lui  attira  tous  les  suffrages  du  clergé  et  des  gens  de  bien  pour  l'élever 
sur  le  siège  épiscopal,  qui  était  resté  vacant  pendant  quelques  années 
après  la  mort  d'Agronius,  à  cause  des  vexations  du  comte  Anselin. 

Ce  Seigneur,  après  avoir  usurpé  tous  les  revenus  de  l'évêché,  entreprit 
de  s'en  rendre  titulaire  ;  il  se  fit  ordonner  prêtre  pour  se  faire  élire  évêque  : 
mais  le  clergé  lui  résista  toujours  vigoureusement,  et  informa  Charles 
Martel  de  la  triste  situation  où  étai*  alors  l'Eglise  de  Verdun.  Ce  prince, 
étant  venu  en  Austrasie  vers  l'an  735,  après  avoir  chassé  les  Sarrasins  de 
l'Aquitaine,  chargea  Guérin  le  Lorrain,  gouverneur  et  duc  de  Metz,  de  venir 
à  Verdun  pour  réprimer  les  violences  d'Anselin,  et  faire  procéder  à  l'élec- 
tion canonique  d'un  évêque,  lui  déclarant  en  même  temps  que  Madalvé, 
qui  était  de  son  sang,  et  qu'on  lui  avait  proposé  pour  cette  prélature,  lui 
serait  très-agréable.  Guérin  exécuta  fidèlement  sa  commission,  et  Madalvé 
fut  élu  canoniquement  par  les  suffrages  unanimes  de  tout  le  clergé  et  du 
peuple  de  Verdun,  qui  ne  purent  vaincre  sa  résistance  qu'en  employant 
l'autorité  des  évêques  de  la  province.  Il  fut  sacré  par  celui  de  Metz,  qui 
exerçait  la  fonction  de  métropolitain,  le  siège  de  Trêves  étant  alors  occupé 
par  un  clerc  nommé  Milon,  très-décrié  par  la  dissipation  et  le  mauvais 
usage  qu'il  faisait  des  biens  des  deux  métropoles  de  Trêves  et  de  Reims, 
qu'il  administrait  en  même  temps. 

L'Eglise  de  Verdun  était  aussi  alors  dans  un  état  déplorable  ;  on  n'y 
voyait  partout  que  des  restes  du  ravage  des  gens  de  guerre  :  les  églises 
brûlées  et  souillées,  les  clercs  tués  ou  chassés,  et  le  petit  nombre  qui  res- 
tait était  tombé  dans  le  relâchement  et  négligeait  l'office  divin,  cherchant 
à  subsister,  dans  des  emplois  séculiers.  Aussitôt  que  saint  Madalvé  se  vit 


SAINT   MADALVÉ  OU  MAUVE,   ÉVÊQUE  DE  VERDUN  ET  CONFESSEUR.  69 

obligé  d'accepter  la  charge  pastorale  de  cette  Eglise  désolée,  il  ne  songea 
qu'aux  moyens  de  la  rétablir  dans  son  ancienne  splendeur.  Il  convoqua  une 
assemblée  générale  de  son  clergé  et  de  son  peuple  dans  la  cathédrale,  et 
leur  fit  un  discours  touchant  pour  les  exhorter  à  la  pénitence,  en  leur  mon- 
trant la  justice  des  jugements  de  Dieu,  qui  avait  permis  les  calamités  qu'ils 
souffraient,  la  profanation  des  lieux  saints,  les  mauvais  traitements  faits  aux 
ministres  des  autels,  parce  qu'ils  avaient  négligé  les  devoirs  de  la  religion, 
et  qu'ils  n'avaient  point  fidèlement  observé  ses  commandements.  «  Humi- 
lions-nous »,  disait-il,  «  devant  le  Seigneur  qui  nous  frappe.  Il  n'y  a  qu'une 
pénitence  sincère  qui  soit  capable  de  le  fléchir  ».  Le  saint  pasteur  attira  les 
larmes  et  la  componction  de  son  troupeau  encore  plus  efficacement  par 
les  marques  humiliantes  de  pénitence  dont  il  se  revêtit.  Il  ordonna  un 
jeûne  de  plusieurs  jours  et  des  prières  dans  les  églises.  Le  peuple  y  courut 
en  foule  pour  se  confesser,  et  implorer  la  miséricorde  de  Dieu  par  les  sou- 
pirs de  leurs  cœurs  contrits  et  humiliés.  Pendant  que  ce  pieux  évêque  tra- 
vaillait à  la  réconciliation  de  son  peuple,  il  n'était  pas  moins  appliqué  à 
réformer  les  désordres  communs  des  églises  ruinées  ou  abandonnées  par 
les  vexations  qu'elles  avaient  souffertes,  et  par  le  relâchement  et  la  tiédeur 
des  clercs  qui  avaient  cessé  de  les  desservir,  pour  chercher  à  subsister  dans 
des  emplois  séculiers.  Il  commença  à  rappeler  ceux  de  la  cathédrale,  et 
leur  fournit  les  choses  nécessaires  pour  leur  nourriture  et  leur  entretien, 
les  obligeant  de  s'acquitter  avec  exactitude  de  l'office  divin,  le  jour  et  la 
nuit.  Il  fit  ensuite  la  même  chose  dans  les  autres  églises  de  la  ville  et  de 
la  campagne  ;  il  pourvut  aux  besoins  des  prêtres  chargés  de  les  desservir, 
employant  à  ces  dépenses  les  revenus  de  son  patrimoine  et  les  obla- 
tions  des  personnes  pieuses,  qui  l'aidèrent  à  réparer  la  plupart  de  ces 
églises,  ruinées  ou  brûlées  par  les  ennemis,  ou  même  par  les  soldats  de 
Charles  Martel. 

Carloman,  son  fils  et  son  successeur  dans  le  gouvernement  de TAustrasie, 
eut  beaucoup  d'estime  et  d'affection  pour  saint  Madalvé  ;  il  prenait  ses  con- 
seils, et  il  lui  accorda  quelques  sommes  d'argent  pour  l'aider  à  réparer  les 
églises  ruinées  dans  son  diocèse,  lui  faisant  espérer  un  plus  grand  dédom- 
magement lorsque  les  affaires  de  l'Etat  le  permettraient  ;  mais  ce  prince, 
ayant  fini  la  guerre  contre  les  Bavarois  et  les  Saxons,  qu'il  vainquit,  se  fit 
religieux  et  remit,  en  747,  le  gouvernement  de  TAustrasie  à  Pépin  le  Bref, 
son  frère,  qui  fut  sacré  roi  de  tous  les  royaumes  de  France,  réunis  en  une 
seule  monarchie,  dans  une  assemblée  générale  des  Etats,  tenue  à  Soissons 
en  752.  Saint  Madalvé  assista  à  cette  assemblée  ;  le  nouveau  roi,  qui  est  le 
premier  de  ceux  de  la  seconde  race  des  rois  de  France,  lui  promit  de  pro- 
téger l'Eglise  de  Verdun,  et  étant  venu  dans  cette  ville  vers  l'an  755,  avec 
le  pape  Etienne  III,  il  lui  fit  restituer  les  terres  usurpées  sous  Charles  Martel, 
son  père,  et  la  dédommagea  des  pertes  qu'elle  avait  souffertes,  en  lui  don- 
nant les  seigneuries  de  Varnoncourt,  de  Wanau  et  de  Rembercourt  (  Var- 
nonci  curtem,  Vasnaum,  Ramisbatium).  Le  roi  accorda  en  même  temps  plu- 
sieurs grâces  et  immunités  au  clergé  et  au  peuple  de  Verdun,  tant  pour 
reconnaître  les  services  importants  qu'il  avait  reçus  des  évêques  Pepon  et 
Volchise,  que  pour  honorer  les  mérites  et  la  piété  édifiante  de  Madalvé, 
uniquement  attaché  à  Jésus-Christ,  très-éclairé  dans  toutes  les  matières  de 
la  religion,  et  toujours  préparé  à  en  développer  les  difficultés  qu'on  lui 
proposait. 

Ce  très-pieux  et  vigilant  évêque  visitait  continuellement  toutes  les  églises 
de  son  diocèse  :  non-seulement  il  fit  réparer  toutes  celles  qui  avaient  été 


70  5  OCTOBRE. 

ruinées,  il  en  fît  encore  bâtir  un  grand  nombre  de  nouvelles  dans  tous  les 
lieux  où  il  n'y  en  avait  point  auparavant  ;  il  les  orna  le  plus  magnifique- 
ment qu'il  put,  et  les  pourvut  de  bons  ouvriers  évangéliques.  Il  y  régla  l'of- 
fice divin,  qu'il  fit  célébrer  décemment,  y  édifiant  les  peuples  par  son 
exemple ,  par  ses  instructions,  et  en  leur  administrant  les  sacrements, 
lorsque  ses  autres  occupations  nécessaires  le  lui  permettaient.  Il  était  prin- 
cipalement appliqué  à  réformer  le  relâchement  de  son  clergé  qui  avait 
quitté  la  vie  commune,  et  à  guérir  les  plaies  que  les  ravages  des  gens  de 
guerre  avaient  causés  à  la  discipline  de  son  Eglise.  Après  qu'il  eut  rassem- 
blé les  clercs  dispersés,  il  pourvut  à  leur  nourriture  et  à  leur  entretien  dans 
leur  cloître,  où  il  les  fit  rentrer,  et  leur  ordonna  de  vivre  canoniquement. 
La  liaison  d'une  amitié  très-étroite  entre  saint  Madalvé  et  saint  Chrodegand, 
qui  fut  ordonné  évêque  de  Metz  l'an  743,  fait  présumer  que  celui-ci  com- 
posa la  règle  de  la  vie  commune  pour  les  clercs  de  son  Eglise  en  partie  sur 
le  modèle  de  celle  que  saint  Vannes  avait  donnée  au  clergé  de  Verdun,  que 
saint  Paul,  son  successeur,  perfectionna,  et  que  saint  Madalvé  proportionna 
au  temps  fâcheux  dans  lequel  il  la  remit  en  vigueur,  en  obligeant  plus  par- 
ticulièrement ses  clercs  à  l'observance  des  articles  qui  concernaient  la 
pureté  des  mœurs  et  la  célébration  de  l'office  divin.  Ils  n'étaient  astreints 
aux  autres  exercices  de  la  communauté  qu'autant  qu'ils  étaient  jugés  néces- 
saires pour  y  maintenir  l'ordre,  la  paix  et  l'union.  Le  clergé  de  la  cathé- 
drale de  Verdun,  charmé  de  la  douceur  de  son  évêque,  ne  fit  aucune  diffi- 
culté de  se  soumettre  à  ces  règlements  ;  mais  la  plupart  des  chanoines  de 
Metz  refusèrent  de  recevoir  celle  de  saint  Chrodegand,  qui  y  avait  ajouté 
quelques  pratiques  tirées  de  la  règle  des  moines.  La  communauté  des 
clercs  de  Saint-Vannes,  qui  était  gouvernée  par  saint  Madalvé  pendant  les 
grands  troubles  des  guerres  de  Charles  Martel,  ne  s'était  point  relâchée  de 
son  ancienne  discipline,  ni  de  sa  ferveur  dans  l'observance  de  sa  règle  ;  elle 
la  conserva  par  la  sagesse  de  son  saint  prévôt  ou  abbé.  En  effet,  il  l'aimait 
si  tendrement,  que,  depuis  même  qu'il  fut  évêque,  il  ne  voulut  pas  quitter 
cette  charge,  prenant  le  même  soin  de  l'instruction  des  jeunes  clercs.  Quel- 
que fatigantes  que  fussent  ces  fonctions,  il  ne  cessa  pas  les  austérités  ni 
les  exercices  de  pénitence,  qu'il  avait  coutume  de  faire  dans  cette  commu- 
nauté. Il  y  allait  le  plus  souvent  qu'il  pouvait,  tant  pour  sa  sanctification, 
que  pour  animer,  par  son  exemple  et  ses  discours,  la  ferveur  des  jeunes 
clercs.  Il  augmenta  considérablement  les  commodités  et  les  revenus  tem- 
porels de  cette  maison.  Il  lui  donna  en  vue  de  sa  sépulture  la  terre  de 
Rarécourt  (Raherei  curtem)  et  plusieurs  autres  fonds  de  son  patrimoine, 
qui  sont  marqués  dans  les  chartes  de  la  même  église.  Le  zèle  de  saint 
Madalvé  n'était  pas  renfermé  dans  son  diocèse  ;  il  édifia  aussi  les  peuples  de 
l'Aquitaine  par  la  sainteté  de  sa  vie  et  de  sa  doctrine  pendant  plusieurs 
voyages  qu'il  y  fit  pour  aller  visiter  l'abbaye  de  Saint- Amant,  proche  Rho- 
dez,  et  plusieurs  terres  voisines,  appelées  Maderniacus  et  Puliniacus,  qui 
appartenaient  à  l'Eglise  de  Verdun. 

Après  l'incendie  de  son  église  cathédrale,  il  prit  des  mesures  pour  la 
rétablir,  et  aussitôt  que  la  réparation  en  fut  commencée,  il  prit  la  réso- 
lution de  partir  pour  la  Terre-Sainte  après  en  avoir  demandé,  comme 
l'ordonnent  les  Conciles,  la  permission  à  son  métropolitain  et  à  ses  com- 
provinciaux,  auxquels  il  recommanda  son  diocèse  pendant  son  absence. 
Le  clergé  et  le  peuple  de  Verdun  firent  leur  possible  pour  détourner  leur 
saint  pasteur  de  ce  voyage  périlleux  ;  mais  leurs  prières  et  leurs  larmes  ne 
purent  en  différer  l'exécution.  Etant  parti  vers  l'an  7574  il  passa  par  les 


SAINT  MADALVÉ  OU  MAUVE,  ÉVÊQUE  DE  VERDUN  ET  CONFESSEUR.  71 

Alpes,  et  arriva  à  Rome,  où  il  visita  le  tombeau  des  saints  Apôtres  et  les 
cimetières  des  martyrs.  Il  continua  son  voyage  par  le  mont  Gargan,  où  il 
s'arrêta  quelques  jours  pour  satisfaire  sa  dévotion  :  il  y  passa  les  nuits  en 
prières  dans  l'église  de  Saint-Michel  ;  et,  après  y  avoir  offert  le  saint  sacri- 
fice et  communié  tous  les  pèlerins  qui  l'accompagnaient  en  grand  nombre, 
il  s'embarqua  sur  la  mer  :  les  nautoniers  furent  édifiés  en  voyant  l'austé- 
rité de  ses  jeûnes  et  son  assiduité  à  la  prière.  Une  grande  tempête  ayant 
mis  le  vaisseau  en  danger  de  périr,  ils  conjurèrent  le  saint  évêque  d'invo- 
quer le  ciel,  et  au  même  instant  le  calme  fut  rétabli.  Il  aborda  à  Joppé,  et 
après  avoir  couru  de  grands  risques  sur  les  chemins,  il  arriva  à  Jérusalem 
avec  sa  troupe.  Le  patriarche  donna  l'hospitalité  à  notre  saint  évêque,  en 
lui  rendant  tous  les  honneurs  qui  lui  étaient  dus,  et  lui  fit  présent  de  plu- 
sieurs reliques  et  d'un  calice  de  cristal,  qui  était  un  ouvrage  merveilleux, 
que  l'on  conservait  encore  dans  le  trésor  de  l'église  de  Verdun,  du  temps 
de  Bertaire.  Il  visita  avec  une  foi  vive  tous  les  lieux  saints,  où  se  sont 
accomplis  les  mystères  de  notre  rédemption,  arrosant  de  ses  larmes  le  saint 
sépulcre,  et  y  adorant  le  Sauveur  ressuscité.  Aussitôt  qu'il  eut  satisfait  sa 
dévotion,  il  partit  pour  retourner  à  son  église,  où  il  fut  reçu  avec  une  joie 
incroyable  de  son  clergé  et  de  son  peuple  :  il  fut  très-content  de  la  diligence 
des  ouvriers,  qui  avaient  achevé  la  construction  de  son  église  cathédrale, 
et  les  gratifia  d'une  grosse  somme  d'argent.  Il  fit  la  dédicace  de  cette  nou- 
velle église  avec  toute  la  magnificence  possible,  plaça  dans  la  principale 
abside  les  reliques  qu'il  avait  apportées  de  Jérusalem,  et  une  des  deux 
dents  de  sainte  Madeleine,  qu'on  lui  avait  données  à  Ephèse,  et  mit  les 
anciennes  reliques,  qui  étaient  avant  l'incendie  dans  la  crypte  ou  chapelle 
souterraine,  au  côté  droit  de  l'autel  de  la  sainte  Vierge.  Saint  Madalvé  mit 
l'autre  dent  et  les  cheveux  de  sainte  Madeleine  dans  l'église  qu'il  avait  fait 
bâtir,  et  qu'il  dédia  sous  l'invocation  de  cette  Sainte,  dans  laquelle  il  établit 
un  monastère  de  religieuses,  qui  subsistèrent  pendant  environ  deux  cents 
ans.  Les  revenus  de  ce  monastère  ayant  été  perdus  pendant  les  guerres,  et 
l'église  tombant  en  ruines,  elle  fut  rebâtie  plus  belle  et  plus  spacieuse, 
Tan  1018,  par  le  vénérable  Hermenfroy,  archidiacre  de  la  Woëvre,  qui  y 
fonda  le  collège  des  chanoines  de  Sainte-Madeleine.  On  y  expose  encore  à 
présent  tous  les  jours  sur  le  grand  autel,  pendant  la  célébration  de  la  messe 
canoniale,  les  mêmes  reliques  que  saint  Madalvé  y  déposa  dans  la  première 
dédicace  de  cette  église. 

La  sainteté  de  saint  Madalvé  parut  avec  beaucoup  plus  d'éclat  depuis 
son  voyage  de  la  Terre-Sainte  :  il  redoubla  ses  jeûnes  et  les  mortifications 
de  sa  chair,  vivant  comme  un  ange  dans  un  corps  mortel,  et  faisant  de 
plus  grands  efforts  pour  arriver  à  la  perfection  d'un  détachement  général 
de  toutes  les  choses  de  la  terre,  et  d'une  union  continuelle  avec  Dieu.  Les 
exhortations  ordinaires  qu'il  faisait  à  son  clergé  et  à  son  peuple  étaient 
remplies  d'une  onction  nouvelle,  avec  des  expressions  plus  vives,  lorsqu'il 
parlait  des  mystères  de  notre  rédemption,  et  surtout  de  la  Passion  de 
Jésus-Christ.  Bien  loin  de  chercher  le  repos  dans  un  âge  avancé,  il  devint 
plus  infatigable  dans  le  travail,  et  le  continua  avec  plus  d'édification  jus- 
qu'à sa  mort.  Dieu  donna  aussi  un  nouvel  éclat  à  sa  sainteté,  par  les  gué- 
risons  miraculeuses  qu'il  opéra,  et  par  la  délivrance  de  plusieurs  personnes 
possédées  du  démon.  Il  fut  appelé,  en  761,  parle  roi  Pépin,  à  la  dédicace 
de  l'église  de  Gorze.  Son  nom  se  trouve  parmi  ceux  des  évoques  qui  sous- 
crivirent au  concile  d'Attigny,  tenu  en  765.  Saint  Madalvé  fut  attaqué  la 
même  année  de  la  maladie  dont  il  mourut  dans  le  cours  de  la  dernière 


72  5  OCTOBRE. 

visite  de  son  diocèse  ;  il  se  fit  transporter  au  village  de  Neuville,  qui  était 
peu  éloigné,  pour  y  consacrer  l'église  :  il  connut,  pendant  la  cérémonie 
de  cette  dédicace,  que  Dieu  l'appelait  à  une  autre  vie.  La  joie  qui  parut 
alors  sur  son  visage  marquait  celle  de  son  âme.  Brûlant  du  désir  d'être 
avec  Jésus-Christ,  il  le  reçut  comme  viatique  dans  ce  dernier  sacrifice,  et 
expira  peu  après  :  c'était  le  quatrième  jour  d'octobre,  vers  Tan  777. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

La  bonne  odeur  de  la  vie  de  saint  Madalvé,  et  les  signes  qui  firent  connaître  après  sa  mort 
que  son  âme  jouissait  du  bonheur  des  Saints,  attirèrent  aussitôt  sur  son  tombeau  la  vénération 
des  peuples,  qui  y  étaient  exaucés  par  ses  mérites.  Bertaire  et  Hugues  de  Flavigny  assurent  que 
ce  tombeau  ayant  été  découvert  environ  quarante  ans  après  la  mort  de  ce  Saint,  on  y  trouva  son 
corps  sans  aucune  corruption,  comme  s'il  y  eût  été  vivant  :  ce  fut  l'évêque  Austranne  qui  fit  cette 
première  découverte.  Dans  le  ix°  siècle,  Bérard,  qui  gouvernait  cette  église  en  870,  ayant  assem- 
blé sou  clergé  et  son  peuple  pour  lever  ce  saint  corps  de  terre,  il  fut  encore  trouvé  dans  le  même 
état,  paraissant  comme  celui  d'un  homme  endormi,  blanc,  vermeil  et  sans  aucune  tache  ni  signe 
de  mort,  répandant  une  odeur  agréable,  qui  rendit  la  santé  à  plusieurs  malades  et  la  vue  même  à 
des  aveugles.  On  transféra  ce  corps  dans  une  châsse  pour  l'exposer  à  la  vénération  publique. 
L'ancienne  église  de  Saint- Vannes,  qui  conservait  ce  précieux  dépôt,  honorait  saint  Madalvé  comme 
celui  d'entre  ses  patrons  ou  tutélaires  qui  l'a  le  plus  enrichie  par  les  grandes  donations  qu'il  y  fit 
pendant  sa  vie,  et  qu'il  lui  procura  par  ses  mérites  après  sa  mort.  Mathieu,  abbé  de  ce  monastère, 
fit  faire,  en  1477,  une  nouvelle  châsse  ornée  de  lames  d'argent  doré  avec  des  figures  qui  repré- 
sentaient la  vie  et  les  miracles  de  saint  Madalvé.  Cette  châsse  et  les  précieuses  reliques  qu'elle 
renfermait  ont  disparu  pendant  la  Révolution.  L'église  de  Verdun  célèbre  la  fête  de  saint  Madalvé 
le  5  octobre. 

Extrait  de  V Histoire  de  Verdun,  par  Roussel,  et  de  celle  de  M.  l'abbé  Clouet.  —  Cf.  Acta  Sanctorum, 
au  4  octobre. 


SAINT  SIMON  DE  CRESPY-EN-VALOIS, 

MOINE  DE  SAINT-OYEND  ET  CONFESSEUR 
1082.  —  Pape  :  Grégoire  VIL  —  Roi  de  France  :  Philippe  I«*. 


Magna  virtus  paupertas  spontanea,  qua  emitur  ccelum 

sine  pecunia. 
La   pauvreté   volontaire  est  une  sranrte  vertu  avec 

laquelle,  sans  argent,  on  acheté  le  ciel. 
Thomas  à  Kempis. 

Simon  naquit  au  château  de  Crespy-en-Valois  (Oise).  Raoul  ou  Ra- 
dulphe  II  de  Péronne,  son  père,  noble  descendant  de  Gharlemagne,  possé- 
dait les  comtés  du  Valois,  d'Amiens,  de  Péronne,  de  Montdidier,  et  plusieurs 
domaines  dans  la  Champagne.  Ses  richesses  et  sa  puissance  en  faisaient 
un  voisin  redoutable  aux  rois  de  France.  Pour  inspirer  de  bonne  heure  à 
son  fils  l'amour  de  la  vie  guerrière,  Raoul  l'envoya,  encore  enfant,  à  la  cour 
de  Guillaume  le  Conquérant,  duc  de  Normandie.  A  cette  école,  Simon 
puisa  le  goût  des  armes,  et  montra  bientôt  ce  que  l'on  pouvait  attendre 
de  son  courage  et  de  sa  vaillance.  Au  sortir  des  mains  de  Guillaume,  il  fut 
mis  en  possession  du  château  de  Vez,  et  de  revenus  considérables,  qui  lui 
permirent  d'entretenir  une  suite  digne  de  sa  naissance  et  de  son  rang.  Le 


SAINT  SIMON  DE  CRESPY-EN-VALOIS,  MOINE  ET  CONFESSEUB.  73 

roi  Philippe  Ier,  craignant  de  trouver  en  lui  un  adversaire  non  moins  dan- 
gereux que  Raoul,  le  combla  d'honneurs,  et  lui  fit  prendre  place  parmi 
les  barons  de  son  conseil  ;  mais  la  mort  de  Raoul  vint  changer  tout  à  coup 
ses  sentiments  envers  Simon.  L'espoir  de  vaincre  facilement  un  jeune 
homme  de  vingt  ans,  privé  des  conseils  et  de  l'appui  de  son  père,  le  déter- 
mina à  lui  déclarer  la  guerre.  Pour  rendre  plus  certaines  ses  chances  de 
succès,  il  lui  suscita  un  ennemi  puissant,  dansBardoul,  seigneur  de  Broyés, 
beau-frère  de  Simon. 

Pendant  trois  années,  le  fils  de  Raoul  tint  tête  à  l'orage.  Aux  dévasta- 
tions exercées  dans  le  Valois  par  les  troupes  de  Philippe,  il  répondit  en 
mettant  tout  à  feu  et  à  sang,  dans  les  pays  soumis  au  pouvoir  royal.  Cepen- 
dant, Dieu  qui  afflige  le  corps  de  ceux  qu'il  aime,  pour  arriver  à  la  con- 
quête de  leur  âme,  permit  que,  dans  un  combat,  Simon  reçût  une  grave 
blessure.  Mettant  sa  confianœ  dans  la  Vierge  que  nous  invoquons  sous  le 
titre  de  Salut  des  infirmes,  le  courageux  guerrier  l'implora,  et  en  obtint  sa 
guérison.  Le  danger  auquel  il  venait  d'échapper  lui  fit  tourner  ses  pensées 
vers  le  ciel  :  convaincu  de  la  vanité  de  la  gloire  et  de  la  fragilité  des  biens 
de  la  terre,  il  résolut  de  ne  poursuivre  désormais  que  des  honneurs  et  des 
richesses  d'une  éternelle  durée.  La  touche  de  la  grâce  avait  remué  les  fibres 
de  son  âme  ;  elle  en  avait  séparé  les  affections  mondaines,  pour  n'y  laisser 
que  les  saintes  aspirations  de  la  vertu. 

Simon  renonça  donc  à  toute  entreprise  guerrière,  et  ne  pensa  plus  qu'à 
opérer  son  salut  avec  crainte  et  tremblement.  Il  eut  pour  guide,  dans  la 
voie  nouvelle  où  il  venait  d'entrer,  la  main  ferme  et  sûre  du  grand  Pontife 
Grégoire  VII.  Suivant,  avec  une  docilité  d'enfant,  les  sages  conseils  de  cet 
immortel  défenseur  de  la  faiblesse  et  de  la  justice,  il  s'empressa  de  réparer 
les  torts  dont  Raoul  s'était  rendu  coupable.  Les  terres  et  les  domaines 
usurpés  retournèrent  à  leurs  maîtres  légitimes.  Les  pauvres,  les  veuves  et 
les  orphelins  reçurent  d'abondantes  aumônes.  Le  jeune  comte  n'oublia 
point  de  travailler  au  soulagement  de  l'âme  de  son  coupable  père,  qui 
avait  eu  le  malheur  de  mourir  en  dehors  de  la  communion  des  fidèles.  Espé- 
rant que  l'ineffable  miséricorde  du  Seigneur  avait  pardonné  au  repentir 
manifesté  par  Raoul  avant  sa  mort,  il  fonda  un  grand  nombre  de  messes, 
pour  lui  faciliter  l'entrée  du  séjour  de  rafraîchissement,  de  lumière  et  de 
paix. 

La  translation  des  restes  de  Raoul  du  château  de  Montdidier  à  Crespy, 
donna  lieu  au  saint  pénitent  de  faire  de  nouvelles  réflexions  sur  le  néant 
de  la  vie  et  la  vanité  des  espérances  humaines.  A  la  vue  des  traits  de  son 
père  qu'il  avait  voulu  contempler  une  dernière  fois,  et  sur  lesquels  la  mort 
avait  opéré  de  grands  ravages,  il  ne  put  s'empêcher  de  s'écrier  :  «  Est-ce 
donc  bien  ici  le  corps  de  Raoul,  de  ce  guerrier  si  redouté  dans  l'art  des 
sièges?  Voilà  donc  où  aboutit  la  gloire  des  grands  du  monde  !  »  Emu  de  ce 
douloureux  spectacle,  Simon  voulut  se  dérober  aussitôt  aux  honneurs  qui 
l'entouraient,  et  aller  travailler  dans  la  solitude  à  l'acquisition  d'une  gloire 
et  d'une  félicité  solides  et  durables.  Les  plus  nobles  seigneurs  de  ses  Etats 
cherchèrent  à  le  détourner  de  son  projet,  en  l'engageant  dans  les  liens  du 
mariage  ;  mais  cette  tentative  ne  servit  qu'à  accélérer  la  rupture  de  Simon 
avec  le  monde. 

Guillaume  le  Conquérant  lui  offrait  une  de  ses  filles  ;  Alphonse,  roi  d'Es- 
pagne, lui  proposait  une  illustre  princesse,  et  Robert  Guiscard,  duc  de  la 
Pouille,  une  noble  dame  de  sa  maison.  Simon  préféra  la  main  de  la  ver- 
tueuse fille  d'Hildebert,  comte  d'Auvergne.  Dieu  l'avait  guidé  lui-même 


74  5  OCTOBRE. 

dans  ce  choix,  car,  la  nuit  même  de  leurs  noces,  ces  deux  saintes  âmes  se 
rencontrèrent  dans  la  pieuse  pensée  de  garder  la  continence,  elde  se  retirer 
dans  un  cloître.  La  chaste  épouse  de  Simon  se  consacra  pour  toujours  au 
Seigneur,  et  le  comte  alla  édifier  par  sa  pénitence  et  ses  vertus  les  religieux 
de  Saint-Oyend  *. 

Comme  le  nautonier  qui,  rentré  au  port  après  la  tempête,  coule  sa 
barque,  pour  ne  plus  être  tenté  de  s'exposer  aux  périls  de  la  mer,  Simon  se 
défit  de  ses  richesses  et  de  ses  domaines.  Il  en  abandonna  une  partie  à  la 
comtesse  de  Vermandois,  sa  sœur,  et  employa  l'autre  à  bâtir  et  à  doter  des 
monastères.  Le  nouveau  religieux  fit  oublier  à  ses  frères  le  rang  dont  il 
sortait,  ne  leur  laissant  voir  que  son  humilité  et  sa  soumission  aux  moin- 
dres prescriptions  de  la  règle.  Il  avança  si  rapidement  dans  la  perfection  de 
son  saint  état,  qu'en  peu  de  temps  il  fut  trouvé  digne  de  recevoir  l'onction 
sacerdotale. 

Dans  son  monastère,  Simon  portait  un  tendre  et  vif  intérêt  à  sa  patrie. 
Plusieurs  fois,  il  alla  revoir  ses  anciens  sujets,  non  pour  les  défendre, 
comme  autrefois,  contre  les  violences  d'un  puissant  voisin,  mais  pour  les 
préserver  contre  les  attaques  mille  fois  plus  redoutables  de  l'ennemi  du 
salut.  L'ardeur  de  son  zèle,  et  le  haut  ascendant  de  ses  exemples  furent 
couronnés  des  plus  heureux  succès.  En  un  seul  jour,  il  ravit  au  siècle 
soixante  jeunes  gentilshommes  qu'il  dispersa  dans  les  monastères  récem- 
ment élevés  par  ses  soins.  On  raconte  que  sa  présence  au  château  de  Com- 
piègne  frappa  le  roi  et  ses  courtisans  d'une  religieuse  admiration.  Philippe 
ne  reconnut  pas  d'abord,  sous  l'habit  d'un  pauvre  religieux,  l'intrépide  et 
fastueux  comte  de  Crespy.  Un  changement  de  vie  si  prompt  et  si  extraor- 
dinaire lui  fit  concevoir  une  grande  vénération  pour  l'humble  serviteur  de 
Jésus- Christ. 

Désirant  mener  une  vie  plus  solitaire,  Simon  quitta  l'abbaye  de  Saint- 
Oyend,  et  se  retira  dans  les  abruptes  montagnes  de  Mouthe,  au  diocèse  de 
Besançon.  Il  n'y  fut  pas  longtemps  seul  :  la  bonne  odeur  de  ses  vertus  attira 
autour  de  lui  un  grand  nombre  de  religieux.  Ces  lieux  arides  et  sauvages  ne 
tardèrent  pas  à  changer  d'aspect  sous  la  vigoureuse  main  de  ces  infatiga- 
bles travailleurs,  et  retentirent,  le  jour  et  la  nuit,  du  chant  des  saints  can- 
tiques et  des  sublimes  accents  de  la  prière.  Pour  expier  l'orgueil  que  la 
première  place  a\ait  autrefois  allumé  dans  son  cœur,  le  Bienheureux  se 
mettait  volontiers  à  la  dernière.  Il  s'adonnait  de  préférence  aux  exercices 
du  cloître  les  plus  humiliants  et  les  plus  bas.  Il  se  plaisait  à  visiter,  au  fond 
des  forêts,  les  charbonniers  et  les  bûcherons,  auxquels  il  demandait  de 
l'emploi.  Comme  ceux-ci,  ne  le  connaissant  pas,  le  chargeaient  des  plus 
pénibles  travaux,  Simon  acceptait  tout  et  obéissait  à  ces  ouvriers  comme  à 
ses  maîtres. 

Le  Saint  possédait,  à  un  degré  éminent,  le  don  d'éclairer  et  de  pacifier 
les  esprits.  Chargé  par  le  pape  saint  Grégoire  VII  de  missions  importantes 
auprès  des  souverains  de  France  et  d'Angleterre,  il  s'en  acquitta  d'une  ma- 
nière aussi  profitable  à  l'Eglise  qu'aux  peuples.  Ses  avis  étaient  toujours 
accueillis  avec  une  respectueuse  déférence.  Plusieurs  fois,  à  Londres  sur- 
tout, des  courtisans,  frappés  de  ses  austérités  et  de  ses  miracles,  se  jetè- 
rent à  ses  pieds,  résolus  d'effacer  leurs  fautes  dans  les  larmes  de  la  péni- 
tence. 

1.  L'abbaye  de  Saint-Oyend  fut  fondée  au  v*  siècle,  par  saint  Romain,  an  pied  du  mont  Jura.  On  l'ap- 
pelait aussi  Condat.  Vers  635,  saint  Claude  s'étant  démis  de  son  évêché  de  Besançon,  s'y  retira  et  en 
devint  abbé.  Elle  commençai  porter  son  nom  au  xme  siècle.  Elle  jouissait  de  grands  privUéges. 


SAINT  SIMON  DE  CRESPY-EN- VALOIS,  MOINE  ET  CONFESSEUR.  75 

Les  œuvres  merveilleuses  dont  Simon  était  l'instrument  entre  les  mains 
de  Dieu,  ne  firent  qu'augmenter  son  humilité,  et  le  portèrent  à  marcher 
avec  plus  de  ferveur  et  d'amour  dans  la  voie  de  la  mortification.  Afin  de 
s'associer  plus  étroitement  encore  aux  douleurs  que  Jésus-Christ  a  endu- 
rées pour  notre  salut,  et  de  retracer  sa  vie  souffrante  avec  une  fidélité  plus 
parfaite,  il  fit  le  pèlerinage  delà  Terre-Sainte.  Arrivé  à  Jérusalem,  il  se  pré- 
senta, en  habit  de  religieux,  à  l'hospice  du  monastère  de  Josaphat,  gou- 
verné alors  par  le  bienheureux  Hugues,  ancien  profès  de  l'abbaye  de  Saint- 
Arnoul-de-Crespy.  En  exerçant  envers  le  pieux  pèlerin  les  devoirs  de 
l'hospitalité,  Hugues  était  loin  de  penser  qu'il  avait  affaire  au  comte  Simon, 
en  la  présence  duquel  il  s'était  pourtant  trouvé  plus  d'une  fois,  pendant 
son  séjour  à  Grespy.  Lorsqu'il  eut  appris  son  nom,  il  bénit  l'inépuisable 
bonté  de  Dieu  à  l'égard  du  noble  guerrier.  Il  voulait  le  retenir  quelque 
temps  dans  son  monastère  ;  mais  Simon,  ayant  visité  les  lieux  illustrés 
par  la  présence  et  les  douleurs  de  THomme-Dieu,  regagna  la  France,  le 
cœur  rempli  d'une  sainte  componction,  et  riche  des  précieuses  reliques 
que  l'abbé  Hugues  lui  avait  données  pour  le  monastère  de  Saint-Arnoul. 
A  son  retour,  Grégoire  VII  l'appela  de  nouveau  auprès  de  sa  personne,  et 
le  chargea  de  négocier  la  paix  entre  lui  et  Robert  Guiscard,  duc  de  la 
Pouille.  La  mission  de  Simon  réussit  au-delà  des  espérances  du  Pontife. 
L'union  fut  rétablie  entre  Grégoire  et  Robert,  et,  grâce  aux  prières  du 
Saint,  une  peste  qui  décimait  l'armée  du  Chef  de  l'Eglise,  cessa  ses  ra- 
vages. 

Depuis  le  jour  où  Simon  avait  incliné  son  oreille  à  la  voix  du  Seigneur, 
il  avait  acquis  un  immense  poids  de  mérites  ;  aussi,  le  trouvant  mûr  pour 
le  ciel,  Dieu  l'appela-t-il  bientôt  à  lui.  Comme,  pendant  une  nuit,  le  Bien- 
heureux priait  avec  ferveur  dans  la  Confession  de  Saint-Pierre,  il  ressentit 
les  premières  atteintes  d'une  grave  maladie.  Peu  de  temps  après,  il  reçut 
les  sacrements  de  l'Eglise,  avec  une  tendre  dévotion,  des  mains  de  Gré- 
goire VII,  et  mourut  en  odeur  en  sainteté,  le  30  septembre  1082,  à  l'âge 
de  trente  ans.  Le  jour  même  où  il  expirait,  un  autre  saint,  Arnoul,  évêque 
de  Soissons,  recevait  du  ciel  la  révélation  de  sa  mort. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Par  l'ordre  du  Pape,  on  fit  à  l'humble  religieux  des  funérailles  magnifiques.  Trente  confréries 
y  assistèrent,  sans  compter  les  personnages  de  distinction  qui  se  trouvaient  à  Rome.  Son  corps 
fut  inhumé  dans  le  caveau  des  souverains  Pontifes,  honneur  extraordinaire  dont  il  y  avait  peu 
d'exemples.  Mathilde,  reine  d'Angleterre,  lui  érigea  dans  la  ville  de  Rome  un  splendide  monument  : 
commencé  par  les  soins  de  Grégoire  VII,  il  fut  achevé  par  le  pape  Urbain  II.  Ce  dernier  Pontife 
composa,  et  y  fit  graver  les  quatre  dystiques  suivants  : 

Simon  habem  nomen,  majorum  sanguine  claro, 

Francorum  procerum  pars  ego  magna  fui. 
Paupertatis  amans,  patriam  mundumque  reiiqui 

Christum  divitiis  omnibus  anteferens. 
Post  ad  apostolicam  cœlestis  principis  aulam, 

Eximius  tanti  me  patris  egit  amor. 
Quo  duce  promet  ear  tandem  super  astra  levari. 

Hospitor  hic,  sacrât  eonditus  ante<  fores. 

€  Simon  était  mon  nom  :  l'illustre  sang  de  mes  ancêtres  m'avait  donné  rang  parmi  les  princi- 
paux seigneurs  de  la  France  ;  mais,  par  amour  pour  la  pauvreté,  j'ai  quitté  mon  pays  et  le  monde 
entier,  préférant  Jésus-Christ  à  toutes  les  richesses.  Plus  tard,  poussé  par  un  ardent  et  louable 
amour  pour  le  père  des  Pontifes,  je  me  rendis  à  la  cour  du  prince  des  Apôtres  ;  et  c'est  pour 


76  5  OCTOBRE. 

mériter,  par  sa  protection,  d'habiter  les  éternelles  demeures,  que  mes  cendres  reposent  ici,  devant 
ces  portes  sacrées  ». 

Plus  tard  on  transporta  son  corps  à  Bar-sur-Àube,  et  on  le  déposa  dans  l'église  Saint-Pierre, 
dans  une  chapelle  collatérale  à  droite,  où  un  parquet,  qui  date  de  quelques  années  seulement, 
dérobe  ainsi  la  vue  de  sa  tombe. 

A  l'entrée  d'une  ancienne  chapelle  de  Crespy,  dédiée  à  sainte  Marguerite,  et  ruinée  pendant  les 
derniers  sièges  de  cette  ville,  on  voyait  autrefois  un  mausolée  destiné  à  rappeler  ses  vertus,  et  à 
honorer  sa  mémoire. 

Les  miracles  opérés  au  tombeau  de  Simon  portèrent  Grégoire  VII  a  insérer  son  nom  au  cata- 
logue des  Saints.  Son  culte  se  répandit,  en  peu  de  temps,  dans  plusieurs  diocèses  de  France  :  ceux 
de  Beauvais,  de  Troyes,  de  Saint-Claude  et  de  Besançon  le  comptent  encore  au  nombre  de  leurs 
puissants  intercesseurs.  La  paroisse  de  Mouthe,  située  dans  ce  dernier,  conserve  une  partie  de  ses 
reliques,  visitées  tous  les  ans  par  un  grand  nombre  de  fidèles.  Elles  sont  enfermées  dans  un  magni- 
fique reliquaire  en  vermeil,  en  forme  de  bras,  et  orné  de  brillants. 

Extrait  des  Saints  de  Beauvais,  par  M.  l'abbé  Sabatier;  des  Saints  de  Troyes,  par  M.  l'abbé  Defer;  des 
Saints  de  Franche-Comté,  par  les  professeurs  de  Saint-François-Xavier  de  Besançon. 


SAINTE  FLORE   OU  FLEUR,  VIERGE, 

A  L'HOPITAL-BEAULIEU  (HOPITAL-ISSENDOLUS),  AU  DIOCÈSE  DE  CAHORS 
1347.  —  Pape  :  Clément  VI.  —  Roi  de  France  :  Philippe  VI,  de  Valois. 


La  vertn  grandit  et  se  développe  merveilleusement 
au  souffle  du  vent  de  l'adversité  ;  les  épreuves  sont 
le  caractère  des  œuvres  de  Dieu. 

Eloge  de  la  Sainte. 

Au  commencement  du  xrve  siècle  vivaient  à  Maurs  (chef-lieu  de  canton, 
arrondissement  d'Aurillac,  Cantal),  deux  personnages  également  recom- 
mandâmes par  la  noblesse  de  leur  origine  et  par  la  sainteté  de  leur  vie  : 
Pons  de  Corbie  et  son  épouse  Melhors.  Ils  virent  leur  mariage  béni  :  trois 
fils  et  sept  filles  furent  le  fruit  de  leur  union.  Quatre  de  ces  dernières  firent 
profession  religieuse  au  monastère  de  l'Hôpital-Beaulieu.  L'une  d'elles,  ap- 
pelée Flore,  vulgairement  Fleur,  dont  nous  allons  raconter  la  vie,  naquit 
vers  l'année  4309. 

Fleur  embaumée  des  vallées  de  l'Auvergne,  enfant  bénie  de  Dieu,  elle 
devait  pleinement  réaliser  le  sens  prophétique  du  nom  qu'elle  reçut  au 
baptême.  Dieu  l'avait  prévenue  de  grâces  singulières  ;  aussi,  sa  première 
enfance  ne  fut  pas  une  enfance  ordinaire.  Dieu  se  montrait  jaloux  de  cette 
âme,  il  la  voulut  toute  pour  lui.  Ange  d'innocence  et  de  piété,  elle  annonça 
dès  l'âge  le  plus  tendre  ce  qu'elle  serait  un  jour.  Dans  ces  premières  années 
de  la  vie  où  les  enfants  ordinaires  ne  rêvent  que  les  jeux  et  les  divertisse- 
ments, Flore,  déjà  mûre  pour  Dieu,  méprisait  les  jeux  et  tous  les  amuse- 
ments de  l'enfance.  Elle  aimait  à  suivre  sa  pieuse  mère  partout  où  elle 
allait  pour  prier.  C'est  ainsi  qu'on  voyait  la  jeune  Fleur,  sous  la  conduite 
d'une  bonne  mère,  avancer  de  jour  en  jour  dans  l'amour  et  la  pratique  de 
la  prière.  Elle  fuyait  comme  un  péril  la  compagnie  des  jeunes  filles  de  son 
âge,  évitant  de  s'associer  à  leurs  goûts  et  à  leurs  entretiens  frivoles,  mon- 
trant de  bonne  heure,  par  tout  son  maintien  et  la  gravité  de  ses  mœurs,  la 
maturité  de  la  vieillesse;  en  un  mot,  par  la  pratique  de  toutes  les  vertus  et 


SAINTE  FLORE  OU  FLEUR,  VIERGE.  77 

la  perfection  de  sa  vie,  elle  était  de  nom  et  de  fait  une  véritable  fleur. 

Dix-neuf  enfants  de  la  même  noblesse  fréquentaient  la  même  école  et 
se  livraient  ensemble  à  l'étude  des  premiers  éléments  des  lettres.  Flore 
surpassait  toutes  ses  compagnes  par  la  vivacité  de  son  esprit,  sa  pénétration 
facile  et  son  avidité  pour  l'étude.  A  peine  ses  progrès  lui  permirent-ils  de 
lire  couramment  les  heures  canoniales,  qu'elle  en  profita  pour  les  réciter 
dévotement  tous  les  jours.  Elle  avait  un  tel  amour  pour  la  virginité,  elle 
était  si  désireuse  de  la  conserver,  qu'elle  ne  voulait  pas  même  voir  ou  en- 
tendre parler  aucun  homme,  à  plus  forte  raison  ne  voulut-elle  jamais  prêter 
l'oreille  à  aucune  parole  qui  eût  trait  au  mariage.  Elle  avait  son  esprit  tel- 
lement plein  de  Dieu  et  de  sa  sainte  Mère,  que  si  la  conversation  ne  roulait 
pas  sur  Dieu,  la  sainte  Vierge  ou  les  Saints,  on  la  voyait  toujours  distraite, 
tandis  qu'au  contraire  elle  paraissait  heureuse  et  extrêmement  attentive 
?i  on  en  parlait  C'est  ainsi  que,  nourrie  et  élevée  dans  la  piété,  Fleur  acheva 
dans  la  maison  paternelle  sa  quatorzième  année. 

Vers  cette  époque,  son  noble  père,  après  avoir  pris  conseil  de  ses  amis, 
songea  sérieusement  à  un  établissement  terrestre  pour  sa  fille.  Les  plus 
belles  espérances  du  monde  s'ouvraient  devant  elle,  car  elle  était  d'une  rare 
beauté,  et  la  noblesse  de  sa  naissance  lui  promettait  un  brillant  avenir. 
Mais  déjà  depuis  longtemps  Fleur  avait  elle-même  fixé  cet  avenir,  elle  avait 
choisi  le  Seigneur  pour  époux.  Elle  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  des 
desseins  que  son  père  avait  sur  elle.  «  Mon  père  »,  lui  dit-elle,  «  si  vous 
m'aimez  comme  votre  fille,  ne  soyez  plus  en  sollicitude  pour  mon  mariage, 
je  me  suis  fiancée  au  Christ  Jésus,  je  ne  veux  pas  d'autre  époux  que  lui  ; 
aussi,  je  vous  en  prie,  placez-moi  au  plus  tôt  dans  un  monastère  pour  y 
servir  Dieu  plus  librement  ».  Les  parents  de  Flore  mirent  tout  en  œuvre 
pour  éprouver  la  vocation  de  leur  fille,  et  enfin,  désespérant  de  vaincre  sa 
répugnance  au  mariage  :  «  Puisque  »,  dirent-ils,  «  le  Seigneur  l'appelle, 
laissons-la  obéir  à  Dieu  ;  elle  appartient  à  Dieu  plutôt  qu'à  nous  :  une  op- 
position plus  longue  serait  un  crime  ;  il  serait  méséant  pour  nous  de  vou- 
loir détourner  notre  fille  de  se  donner  au  Seigneur  ».  Il  fut  donc  résolu  que 
la  jeune  Flore  entrerait  dans  un  monastère. 

Entre  Figeac  et  le  sanctuaire  de  la  Mère  de  Dieu,  bâti  sur  la  roche  de 
Saint-Amadour,  existait  déjà,  depuis  près  d'un  siècle,  un  monastère  fameux 
appelé  l'Hôpital-Beaulieu,  ou  Beluer.  C'était  l'asile  que  Dieu  avait  préparé 
à  sa  fille  chérie.  Fleur,  libre  désormais  de  se  donner  au  Seigneur,  fait  vio- 
lence à  son  cœur,  s'arrache  d'entre  les  bras  de  ses  parents  et  part.  Jeune 
enfant  de  quinze  ans,  elle  fuit  avec  dédain  le  monde  qui  lui  sourit,  et  s'em- 
presse d'aller  renfermer  dans  la  solitude  les  charmes  trompeurs  d'une 
beauté  qu'elle  redoute.  Elle  entre  au  monastère  de  l'Hôpital-Beaulieu. 

La  charité  pour  les  pauvres  et  les  pèlerins  faisait  le  fond  principal  du 
caractère  propre  de  Flore.  Hospitalière  de  Saint-Jean,  elle  n'était  retenue 
dans  son  extrême  charité  que  par  la  crainte  d'outre-passer  la  mesure; 
quelquefois  même  elle  allait  un  peu  au-delà  des  bornes  qu'une  sage  pru- 
dence impose.  Après  les  épreuves  ordinaires,  elle  fut  admise  à  la  profession 
religieuse,  revêtit  l'habit  de  l'Ordre  de  Saint-Jean  et  fit  les  vœux  solennels. 

Nourrie  du  lait  des  consolations  divines,  elle  ignorait  encore  les  amer- 
tumes de  la  vie  ;  semblable  à  ce  petit  enfant,  aimable  reflet  de  la  candeur 
des  anges,  qui  s'endort  au  sein  maternel,  Fleur  avait  jusque-là  vécu  comme 
endormie  sur  le  sein  de  Dieu.  Privilégiée  dès  le  baptême,  Dieu  l'avait 
jusque-là  comme  bercée  dans  ses  bras  paternels.  Mais  il  faut  des  épreuves 
à  la  sainteté,  et  l'heure  de  l'épreuve  était  venue  pour  la  pauvre  Fleur. 


78  5  OCTOBRE. 

Tout  à  coup,  une  violente  tempête  s'éleva,  un  nuage  sombre  l'enveloppa 
des  plus  épaisses  ténèbres,  Dieu  sembla  pour  un  temps  l'avoir  abandonnée, 
comme  un  faible  jouet,  aux  caprices  du  génie  du  mal.  Peu  de  temps  après 
sa  profession  religieuse,  un  jour  la  jeune  vierge  éprouve  un  trouble  inac- 
coutumé, un  ennemi  invisible  s'impose  à  son  esprit,  une  pensée  en  appa- 
rence lumineuse  lui  présente  le  monastère  sous  un  faux  jour.  Elle  est  subi- 
tement frappée  de  la  richesse  de  ses  habits,  de  l'opulence  du  monastère, 
elle  voit  les  richesses  partout,  la  pauvreté  nulle  part.  Que  deviendra  sa 
vertu  au  milieu  des  plaisirs  que  les  richesses  procurent  ?  Etonnée,  saisie 
d'épouvante,  croyant  voir  l'abîme  là  où  elle  avait  cru  trouver  le  salut,  elle 
s'arrête  subitement  glacée  de  terreur,  et  comprimant  au  fond  de  son  cœur 
la  douleur  profonde  qui  l'accablait  :  «  0  captive  »,  dit-elle,  a  tu  as  rejeté 
avec  mépris  l'habit  séculier,  tu  soupirais  après  la  vie  religieuse,  dans  l'es- 
poir de  faire  pénitence,  et  tu  nJas  eu  en  partage  qu'un  lieu  de  délices.  Que 
deviendras-tu?  Comment  pourras-tu  plaire  à  Jésus-Christ  ?  » 

Obsédée  par  l'esprit  infernal,  telles  étaient  les  réflexions  et  autres  sem- 
blables qu'elle  roulait  dans  son  cœur  ;  cette  pensée  cruelle,  comme  un  trait 
acéré,  y  demeurait  toujours  gravée,  et  toutes  ses  réflexions  aboutissaient  à 
un  abîme  sans  fond  et  sans  issue.  Pendant  qu'elle  était  ainsi  agitée  par  ces 
peines  intérieures,  Dieu  conduisit  au  monastère  de  l'Hôpital-Beaulieu  un 
religieux  d'une  éminente  sainteté.  Elle  alla  aussitôt  le  trouver  :  «  Oh  !  »  lui 
dit-elle,  «  au  milieu  de  cette  grande  abondance  de  tous  les  biens  de  ce 
monde,  que  je  crains  la  damnation  éternelle  de  mon  âme!  »  L'homme  de 
Dieu  lui  répondit  :  «  Déposez  votre  crainte,  ma  fille  ;  fidèle  à  vos  vœux, 
usez  sobrement  de  ces  biens  et  pour  le  strict  nécessaire  seulement,  et  ces 
richesses  mêmes  deviendront  pour  vous  l'occasion  de  bien  grands  mérites. 
Au  lieu  de  vous  affliger,  rendez  plutôt  grâces  au  Dieu  tout-puissant.  Il  a 
soin  de  vous  ;  il  a  largement  pourvu  ce  monastère  des  biens  temporels,  afin 
que  vous  puissiez  plus  efficacement  soulager  les  misères  des  pauvres  et 
subvenir  à  leurs  besoins  ;  car  les  pauvres,  privés  de  secours  convenables, 
oublieraient  facilement  le  service  de  Dieu,  et  embarrassés  comme  par  des 
chaînes  dans  les  difficultés  de  leur  malheureux  sort,  ils  souffriraient  en 
murmurant  leur  pénible  condition,  et  refuseraient  bientôt  à  Dieu  la  sou- 
mission qui  lui  est  due  ;  tandis  qu'au  contraire,  soulagés  par  des  mains 
charitables,  ils  apprennent  à  aimer  le  Créateur,  source  de  toute  charité. 
Pourquoi  donc  vous  affliger?  Ceux  qui,  pourvus  de  l'abondance  de  tous 
les  biens,  méprisent  avec  joie  les  superfluités  de  la  vie,  servent  Dieu  seul, 
refusent  les  douceurs  du  bien-être,  et  n'usent  de  ces  biens  que  pour  obéir 
aux  lois  impérieuses  de  la  nécessité  :  ceux-là  accroissent  leurs  mérites  d'une 
manière  merveilleuse  par  ces  privations  continuelles,  et  fortifient  les  faibles 
par  l'exemple  d'une  si  rare  vertu  ». 

Fleur  recueillit  avec  avidité  ces  paroles  ;  tous  les  flots  de  cette  crainte 
s'évanouirent  pour  faire  place  aux  consolations  les  plus  douces;  elle  com- 
mença à  avancer  plus  rapidement  encore  dans  le  service  de  Dieu,  et  comme 
si  elle  n'eût  connu  personne  sur  la  terre,  désormais  elle  devint  uniquement 
attentive  à  Dieu,  dirigeant  sans  cesse  vers  lui  toutes  ses  pensées  et  toutes 
ses  affections.  La  vie  solitaire  occupait  tellement  cette  âme,  elle  était  telle- 
ment assidue  à  la  méditation  des  choses  célestes,  elle  y  persévérait  avec  tant 
d'ardeur,  qu'elle  paraissait  plutôt  comme  un  ange  descendu  du  ciel,  qu'une 
créature  qui  aurait  jamais  vécu  dans  le  monde.  A  peine  la  jeune  vierge, 
tout  entière  à  Dieu,  avait- elle  reçu  l'esprit  de  cette  vie  nouvelle,  lorsque 
voilà  de  nouveau  que  l'ennemi  acharné  de  toute  sainteté,  le  démon,  est 


SAINTE  FLORE   OU  FLEUR,    VIERGE.  79 

saisi  de  fureur  et  de  rage  ;  il  veut  à  tout  prix  détourner  la  servante  de  Dieu 
de  cette  voie  où  elle  vient  d'entrer,  il  tourne  contre  elle  toutes  ses  machines 
de  guerre  et  toutes  ses  ruses.  Et  d'abord  il  s'attaque  à  son  vœu  de  chasteté  ; 
il  met  devant  ses  yeux  tous  les  plaisirs  opposés  à  cette  angélique  vertu.  A 
ces  affreuses  images  il  joint  la  perfidie  de  ses  mensonges,  et  lui  présente  ces 
brutales  jouissances  comme  convenables,  honnêtes,  utiles;  il  va  même  plus 
loin,  il  veut  lui  en  faire  une  nécessité,  un  ordre  venu  de  Dieu;  il  objecte  à 
l'appui  de  ses  mensonges  l'autorité  de  la  Genèse,  en  particulier  le  passage 
où  Dieu,  s'adressant  à  Adam,  àNoé  et  à  ses  fils,  leur  intime  sa  volonté  : 
Croissez  et  multipliez-vous.  «  Que  ces  horribles  choses  soient  le  partage  des 
mondains  »,  s'écria  la  jeune  vierge,  «  je  le  veux  bien,  mais  pour  des  reli- 
gieuses qui  ont  consacré  à  Dieu  leur  chasteté  par  un  vœu  solennel,  la  pen- 
sée seule  de  ces  choses  obscènes  serait  un  crime.  Mais  toi  qui  ne  peux  rien 
que  par  la  permission  de  Dieu,  retire-toi  bien  loin  de  moi,  ne  cherche  plus 
à  me  séduire  » . 

L'ennemi  repoussé  ne  se  rebute  pas  :  étonné  de  la  vertu  de  cette  jeune 
fille,  il  ajoute  aux  caresses  les  menaces  et  la  terreur.  «  Je  veux  que  tu 
saches  »,  lui  dit-il,  «  qu'il  faudra  bien  que  tu  finisses  par  donner  ton  con- 
sentement au  péché  de  la  chair  et  à  la  perte  de  ta  chasteté,  ou  bien  je  te 
troublerai  tellement  par  mes  assauts  continuels,  je  te  ferai  tant  et  telle- 
ment souffrir  de  peines  de  la  part  des  autres  religieuses,  qu'il  faudra  bien 
enfin  que,  consumée  d'amertume  et  de  tristesse,  tu  finisses  par  tomber 
dans  le  désespoir,  et  par  le  désespoir  dans  les  tourments  de  la  damnation 
éternelle  ».  S'armant  alors  du  signe  de  la  croix,  levant  les  yeux  et  les  mains 
au  ciel,  elle  priait  le  Dieu  tout-puissant,  lui  demandant  aide  et  conseil,  elle 
invoquait  la  sainte  "Vierge,  mère  de  Dieu,  et  ceux  d'entre  les  Saints  qu'elle 
honorait  d'une  dévotion  spéciale,  elle  suppliait  tous  les  Saints,  implorant 
miséricorde.  Ce  long  et  dur  combat  se  terminait  enfin  en  larmes  amères  que 
la  chaste  vierge  répandait  devant  le  Seigneur,  jusqu'au  jour  où,  touché  par 
ses  larmes,  le  Rédempteur  lui  rendit  sa  bienveillance  accoutumée  en  écar- 
tant son  ennemi  acharné,  sans  que  jamais  il  eût  pu  obtenir  d'elle  le  plus 
léger  consentement  ni  lui  nuire  en  aucune  manière.  Les  autres  religieuses 
la  voyaient  avec  peine  accablée  par  la  tristesse  qui  durait  toujours  ;  elles 
ignoraient  le  terrible  combat  qui  se  passait  au  fond  de  son  âme,  et  ses  mou- 
vements des  yeux  et  des  mains  vers  le  ciel,  et  tout  son  maintien,  elles  l'at- 
tribuaient à  la  folie,  et  croyaient  leur  malheureuse  sœur  prise  de  vertige  et 
devenue  folle.  Plusieurs  même  de  ses  compagnes  s'entretenaient  entre  elles 
de  cette  manie  et  de  cette  folie  singulière  ;  et  si  par  hasard  des  moines  ve- 
naient au  monastère,  soit  pour  entendre  leurs  confessions,  soit  pour  leur 
demander  l'hospitalité,  quelques-unes  des  religieuses  avaient  soin  de  prier 
leurs  hôtes  de  reprendre  sévèrement  la  sottise  et  la  démence  de  leur  mal- 
heureuse sœur  devenue  folle. 

A  toutes  les  accusations  et  à  tous  les  reproches,  la  jeune  vierge  répon- 
dait par  le  silence,  gardant  un  secret  inviolable  sur  ses  peines;  elle  répan- 
dait des  larmes  journalières,  indices  de  sa  douleur  intérieure  :  et  souvent, 
à  l'exemple  de  Madeleine,  prosternée  aux  pieds  du  Sauveur,  elle  passait 
les  nuits  en  prières.  C'est  ainsi  qu'au  milieu  des  flots  des  tentations,  ses 
pensées  fixées  sur  Dieu  retenaient  son  âme  toujours  élevée  vers  lui.  Ne 
mettant  jamais  sa  confiance  dans  l'homme  ou  dans  un  bras  de  chair,  elle 
ne  demandait  jamais  à  aucune  créature  consolation  et  secours.  Inutile- 
ment, en  effet,  elle  l'eût  cherché  dans  le  monastère  ;  car  elle  entendait 
toutes  les  sœurs  parler  mal  d'elle  et  ne  recevait  de  toutes  que  de  dures  pa- 


g0  5  OCTOBRE. 

rôles  ;  elles  exerçaient  tous  les  jours  sa  patience  de  mille  manières,  à  cause 
de  cette  démence  et  de  cette  folie  apparente,  et  la  conduisaient  fréquem- 
ment devant  les  religieux  qui  passaient  au  monastère  pour  la  tourner  en 
ridicule  et  se  moquer  d'elle.  Toutes  ces  peines  lui  arrivaient,  à  la  persua- 
sion et  à  l'instigation  de  Satan,  qui  espérait  que,  fatiguée  de  tant  de  luttes, 
elle  finirait  par  tomber  dans  le  désespoir.  Mais  la  grâce  de  Dieu  soutenait 
la  jeune  vierge  ;  elle  lui  donnait  la  force  de  garder  le  silence  au  milieu  de 
ses  peines,  et  de  tout  souffrir  avec  courage  et  de  bon  cœur.  Enfin,  le  misé- 
ricordieux Sauveur,  dont  la  bonté  paraît  pour  toutes  ses  créatures  et  en 
particulier  pour  les  âmes  pures  qui  se  donnent  à  lui,  qui  n'éprouve  ses 
âmes  fidèles  que  pour  les  rendre  meilleures,  n'oubliant  jamais  de  venir  à 
leur  secours  lorsque  leur  affliction  est  à  son  comble,  eut  enfin  pitié  de  la 
pieuse  vierge;  accablée  sous  le  poids  de  tant  de  luttes  et  de  peines,  il  résolut 
de  la  consoler,  et  de  rendre  la  force  à  son  âme  en  la  faisant  participer  aux 
douleurs  ineffables  de  sa  passion. 

Le  Sauveur,  sous  une  forme  sensible,  se  présenta  devant  les  yeux  de  la 
vierge  affligée,  et  frappa  son  esprit  d'une  impression  si  forte  que,  pendant 
environ  trois  mois,  cette  vision  demeura  présente  devant  elle,  sans  qu'elle 
pût  jamais  la  perdre  de  vue.  Il  lui  semblait  porter  dans  ses  entrailles  Jésus- 
Cbrist  attaché  à  la  croix.  Lorsqu'elle  marchait,  ce  fardeau  sacré  paraissait 
l'écraser  comme  d'un  poids  énorme,  elle  souffrait  au  dedans  d'elle-même 
comme  si  les  bras  de  la  croix  du  Sauveur  avaient  intérieurement  disloqué 
sa  poitrine,  et  comme  si  elle-même  eût  été  clouée  sur  la  croix.  Elle  éprou- 
vait souvent  au  côté  droit  une  douleur  extrême,  et  souffrait  aussi  horrible- 
ment que  si  la  lance  l'eût  entr'ouvert  ;  le  sang  s'y  portait  en  si  grande 
abondance,  que  souvent  elle  en  était  comme  étouffée,  alors  qu'elle  était  en 
prière,  et  enfin  il  s'échappait  de  sa  bouche  comme  un  ruisseau  sanglant. 
C'est  ainsi  qu'elle  fut  totalement  changée  en  une  autre,  qu'elle  apprit  à  mou- 
rir à  toutes  choses,  afin  de  ne  vivre  que  pour  Jésus-Christ  seul.  Or,  pendant 
qu'elle  souffrait  ainsi  la  passion  du  Sauveur  par  une  pitié  compatissante,  à 
l'exemple  de  l'apôtre  saint  Paul,  elle  croyait  ne  savoir  autre  chose  que  son 
Sauveur  et  son  Sauveur  crucifié. 

Fleur  n'en  était  que  plus  vigilante  sur  elle-même,  dans  la  crainte  de 
tomber  dans  les  pièges  du  démon,  dont  elle  connaissait  la  malice.  Elle  s'é- 
tudiait à  cacher  son  trésor  au  fond  de  son  cœur  :  mais,  plus  elle  s'efforçait 
de  tenir  étroitement  cachée  la  flamme  de  l'amour  divin  qui  la  consumait, 
plus  la  douleur  devenait  ardente  dans  l'intérieur  de  ce  sanctuaire,  et  cepen- 
dant elle  n'était  pas  sans  mélange  d'une  douceur  intérieure  totalement 
ineffable.  C'est  ainsi  que,  embrasée  de  l'amour  de  Dieu,  consumée  par  le 
désir  le  plus  ardent  des  choses  célestes,  fatiguée  par  tant  de  luttes,  éprou- 
vée par  les  tentations  les  plus  diverses,  Fleur  se  trouva  toute  changée  et 
comme  transformée  en  une  créature  nouvelle.  Elle  attira  sur  elle  les  yeux 
de  son  bien-aimé,  et  Dieu  alors  la  récompensa  tantôt  par  la  ferveur  de  l'es- 
prit, tantôt  par  une  douceur  intérieure,  souvent  même  elle  éprouvait  cor- 
porellement,  par  un  état  plein  de  charmes,  le  bonheur  de  la  grâce  divine. 
D'autres  fois,  éclairant  son  esprit  d'une  lumière  surnaturelle,  Dieu  lui  dé- 
couvrait l'avenir,  et  dévoilait  devant  elle  le  secret  des  choses  les  plus  ca- 
chées. Dans  le  principe,  elle  avait  tellement  à  cœur  de  garder  le  silence  sur 
les  grâces  secrètes  que  Dieu  lui  faisait,  que  lorsqu'elle  pressentait  la  venue 
des  dons  célestes  et  l'arrivée  pacifique  du  Roi  éternel,  qu'elle  allait  rece- 
voir, elle  feignait  d'être  malade,  et  se  faisant  un  rempart  des  rideaux  de  son 
lit,  elle  cachait  à  tous  les  yeux  les  ardeurs  de  l'amour  de  Dieu  qui  la  cou- 


SAINTE  FLORE   OU  FLEUR,   VIERGE.  81 

sumaient  et  le  bonheur  du  ciel  qui  était  au  fond  de  son  cœur.  Cette  heu- 
reuse paix  dont  elle  jouissait  ne  put  échapper  longtemps  à  l'œil  vigilant  de 
Satan,  et  aussitôt  il  chercha  de  nouveau  à  la  troubler  et  à  l'agiter  des  flots 
innombrables  de  tentations  nouvelles.  Mais  Dieu,  qui  avait  suffisamment 
éprouvé  la  fidélité  de  sa  servante  et  la  fermeté  de  son  âme,  vint  aussitôt  à 
son  secours,  de  peur  qu'elle  ne  fût  vaincue  par  ces  tentations  et  ces  tribu- 
lations nouvelles. 

Un  jour,  prosternée  à  genoux,  elle  priait  avec  ferveur  :  à  ses  côtés  parut 
un  ange  du  Seigneur,  armé  d'un  glaive  à  deux  tranchants  ;  l'éclat  et  le 
double  tranchant  de  cette  arme  céleste,  était  le  symbole  fidèle  de  la  parole 
de  Dieu  qui  pénètre  plus  profondément  que  le  glaive  à  deux  tranchants  le 
plus  afilé.  La  jeune  vierge,  prenant  dans  ses  mains  la  poignée  de  ce  glaive 
symbolique,  armée  par  Dieu  lui-même  contre  tous  les  assauts  du  démon, 
elle  apprit  tellement  par  son  expérience  à  mépriser  le  démon,  que  la 
crainte  et  la  terreur  n'eurent  plus  accès  dans  son  cœur;  armée  de  la  parole 
de  Dieu,  elle  repoussait  sans  aucune  peine  les  fantômes  effrayants  et  toutes 
les  ruses  des  malins  esprits,  et  au  dedans  d'elle-même  les  divines  consola- 
tions étaient  comme  une  douce  rosée  pour  son  âme.  Bien  plus,  victorieuse 
dans  ce  combat,  cette  jeune  fille  consacrée  à  Dieu  devint  une  colonne  de 
fer  et  une  ville  forte  :  et  elle  était  tellement  connue  comme  un  arsenal  de 
doctrine  et  de  grâces  célestes,  que  tous  ceux  qui  étaient  affligés  de  peines, 
de  tentations  ou  d'autres  maux,  venaient  aussitôt  la  trouver,  et  grâce  à  ses 
prières  ils  ne  se  retiraient  jamais  qu'heureux  et  contents  et  après  avoir 
obtenu  consolation  et  secours. 

La  réputation  de  la  sainteté  de  Fleur  avait  volé  au  loin;  de  tous  les 
lieux  voisins  et  de  contrées  plus  lointaines,  les  malheureux  recouraient  à 
elle.  Plusieurs  ne  pouvant  se  rendre  au  monastère  exprimaient  par  lettre 
leurs  besoins  à  Fleur  et,  aussitôt,  le  Seigneur,  touché  par  les  prières  de  sa 
servante,  leur  accordait  leur  demande.  Douée  du  don  de  prophétie,  elle 
annonçait  de  la  manière  la  plus  certaine  les  événements  futurs;  éclairée  de 
la  lumière  d'en  haut,  quoique  absente  corporellement,  elle  avait  connais- 
sance des  faits  qui  se  passaient  loin  d'elle,  découvrait  le  secret  des  choses 
les  plus  cachées,  et  ses  extases  et  la  douceur  de  ses  ravissements  se  prolon- 
geaient pendant  un  long  espace  de  temps. 

Le  jour  consacré  par  l'Eglise  à  honorer  tous  les  Saints,  le  premier  no- 
vembre, Dieu  la  favorisa  d'une  grâce  extraordinaire.  Comme  elle  méditait 
ces  paroles  du  disciple  bien-aimé  :  Vidi  turbam  magnam,  etc.:  a  J'ai  vu  une 
grande  foule,  etc.  »,  son  esprit  fut  ravi  au  ciel  ;  elle  demeura  dans  cet  état 
jusqu'aux  secondes  Vêpres  du  jour  où  l'Eglise  fait  la  fête  de  sainte  Cécile, 
vierge  et  martyre.  Elle  passa  vingt-deux  jours  dans  des  rapports  presque 
continuels  avec  les  bienheureux,  rappelant  dans  sa  personne  les  ravisse- 
ments des  premiers  fidèles. 

Enrichie  des  dons  de  la  grâce  céleste,  elle  ajouta  à  sa  vie  admirable 
l'éclat  des  vertus  et  des  miracles.  Jamais  on  ne  remarqua  le  moindre  dérè- 
glement dans  sa  vie,  mais  elle  parut  toujours  agir  avec  poids  et  mesure. 
Elle  éprouvait  une  telle  plénitude  de  grâce  et  une  telle  ferveur  de  l'amour 
divin,  qu'elle-même  ne  pouvait  comprendre  comment  le  cercle  étroit  de 
son  pauvre  cœur  pouvait  contenir  ce  trésor  et  résister  à  l'incendie  qui  le 
consumait.  Souvent,  lorsqu'elle  priait,  Dieu  découvrait  à  sa  servante  les 
joies  éternelles  du  palais  du  ciel  et  y  fixait  les  yeux  de  son  âme  ;  et  si  plus 
tard  elle  cherchait  à  rappeler  à  son  souvenir  ce  qu'elle  avait  vu,  ou  si  on 
l'obligeait  à  l'exprimer  par  la  parole,  au  même  instant  elle  éprouvait  un 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  6 


82  5  OCTOBRE. 

nouveau  ravissement;  une  nouvelle  extase  la  ramenait  au  ciel,  et  il  n'était  pas 
tare  de  la  voir  demeurer  longtemps  immobile  et  comme  si  elle  eût  été  morte. 

Elle  fuyait  l'orgueil  et  la  vaine  gloire  et  donnait  tous  ses  soins  à  la  pra- 
tique de  l'humilité,  la  considérant  comme  la  gardienne  de  la  virginité  et 
de  toutes  les  bonnes  œuvres,  comme  l'école  et  le  fondement  de  la  prière  ; 
c'est  cette  humilité  que  Dieu  récompensait  en  elle  en  la  comblant  de 
grâces  et  de  faveurs.  Dans  ses  entretiens  particuliers  avec  ses  nièces,  avec 
ses  amies  les  plus  familières,  avec  ses  supérieures  ou  avec  les  jeunes  novices 
qui  lui  étaient  confiées,  elle  se  gardait  bien  de  leur  dire  ce  qui  pouvait 
tourner  à  sa  gloire,  mais  elle  cachait  soigneusement  par  le  silence  tout  ce 
qu'il  était  en  son  pouvoir  de  tenir  caché.  Cependant,  lorsqu'elle  croyait 
utile  de  parler,  elle  avait  grand  soin  de  les  instruire  de  toutes  les  pratiques 
pieuses  qui  pouvaient  leur  être  avantageuses  ;  ainsi  elle  leur  demandait,  à 
chacune  en  particulier,  de  quelle  manière  elles  se  conduisaient  dans  leurs 
prières,  puis  elle  leur  enseignait  une  bonne  méthode  pour  prier.  Souvent 
elle  repoussait  par  un  silence  absolu  les  louanges  qu'on  lui  adressait  spon- 
tanément. 

La  pieuse  vierge,  toujours  assidue  à  la  méditation  des  choses  divines  et 
occupée  du  ciel,  adressait  de  ferventes  prières  à  la  bienheureuse  Mère  de 
Dieu,  à  l'archange  Gabriel,  aux  saints  Apôtres,  aux  saintes  Vierges,  au  très- 
saint  évêque  de  Myre,  Nicolas,  modèle  parfait  de  chasteté  et  d'humilité; 
elle  avait  pour  eux  une  dévotion  particulière.  Les  jours  que  l'Eglise  solen- 
nise  en  l'honneur  des  mystères  de  Notre-Seigneur,  ces  jours-là  elle  consi- 
dérait ces  mystères  avec  une  ferveur  toute  spéciale,  et  recevait  du  ciel  des 
lumières  et  des  révélations  extraordinaires.  La  nuit  de  Noël,  elle  contem- 
plait l'Enfant-Dieu  comme  enveloppé  de  langes,  couché  dans  la  crèche  ;  le 
jour  de  la  Purification,  elle  considérait  ce  même  enfant  entre  les  mains  du 
saint  vieillard  Siméon  ;  la  veille  du  jour  que  Notre-Seigneur  mourut,  elle 
puisait  dans  la  céleste  lumière  une  connaissance  si  claire  des  mystères  de 
l'humilité  divine,  de  l'éternelle  sagesse,  de  l'amour  sacré  de  Jésus-Christ, 
qu'on  aurait  dit  que,  présente  elle-même  en  la  compagnie  des  Apôtres,  elle 
voyait  le  divin  Maître  et  entendait  ses  divines  paroles.  Cette  même  nuit  elle 
contemplait  dans  le  jardin  des  Oliviers  l'homme  de  douleurs,  et  un  glaive 
douloureux  traversait  son  âme  affligée.  Le  vendredi  saint,  c'est  à  peine  si 
elle  pouvait  soutenir  le  poids  de  la  douleur  extrême  qui  l'accablait.  Dans 
les  prières  qu'elle  faisait  alors,  cette  même  douleur  la  saisissait  tellement 
tout  entière,  qu'elle  souffrait,  comme  si  ses  pieds  et  ses  mains  eussent  été 
percés  par  des  clous,  et  son  côté  ouvert  par  le  fer  de  la  lance.  Elle  poussait 
des  cris  plaintifs  que  lui  arrachait  le  souvenir  de  la  passion  du  Sauveur,  et 
elle  exprimait  par  ses  soupirs  et  par  ses  larmes  le  sentiment  de  la  douleur 
la  plus  vive,  incapable  d'articuler  une  parole.  Le  jour  de  Pâques,  elle  voyait 
de  ses  propres  yeux  Notre-Seigneur  parlant  aux  saintes  femmes,  et  elle 
écoutait  avidement  toutes  les  paroles  qui  sortaient  de  sa  bouche.  Le  jour 
de  la  fête  de  l'Ascension,  elle  contemplait  Notre-Seigneur  montant  au  ciel 
et  la  bénissant  avec  ses  disciples,  puis  elle  se  retirait  comblée  des  dons  spé- 
ciaux de  la  grâce,  comme  les  Apôtres,  lorsqu'ils  descendaient  de  la  mon- 
tagne des  Oliviers.  Le  jour  de  Pentecôte,  l'Esprit-Saint  la  favorisait  d'une 
joie  spirituelle  et  d'une  consolation  merveilleuse.  Il  lui  arriva  une  fois  qu'au 
moment  où  elle  chantait  l'hymne  :  Veni  creatorSpiritus,  tout  à  coup,  devant 
toutes  les  sœurs  réunies,  son  âme  fut  ravie  au  ciel  et  son  corps  élevé  au- 
dessus  de  terre  de  plus  de  deux  coudées,  et  elle  demeura  ainsi  longtemps 
suspendue  en  l'air. 


SAINTE  FLORE  OU  FLEUR,  VIERGE.  83 

Quand  elle  savait  quelqu'un  dans  la  peine  et  la  tribulation,  aussitôt  elle 
offrait  à  Dieu  pour  eux  ses  humbles  et  saintes  prières,  et  ce  n'était  jamais 
en  vain.  Dans  cette  vie  si  sainte,  on  remarquait  en  particulier  sa  foi  chré- 
tienne, flambeau  de  la  vérité  et  de  la  vertu,  et  sa  dévotion  vraiment  singu- 
lière pour  les  sacrements  de  l'Eglise.  Elle  s'appliquait  avec  un  soin  extrême 
à  faire  l'aveu  de  ses  fautes  dans  le  sacrement  de  pénitence,  et  regardait  la 
confession  comme  un  bain  salutaire  qui  lave  notre  âme  de  ses  souillures. 
Elle  s'approchait  tous  les  jours  de  ce  tribunal  de  Jésus-Christ,  toujours 
avec  une  humilité  et  une  contrition  nouvelle;  elle  sondait  les  plis  de  sa 
conscience  avec  une  subtilité  telle,  que  les  prêtres  les  plus  habiles  auxquels 
elle  faisait  l'aveu  de  ses  fautes,  habituellement  regardaient  comme  des 
traits  admirables  de  vertu  les  prétendus  manquements  qu'elle-même,  en 
gémissant  et  en  pleurant,  venait  soumettre  aux  chefs  de  l'Eglise  comme  de 
grands  crimes.  Elle  regardait  les  prêtres  comme  les  ministres  de  Jésus- 
Christ  et  les  dispensateurs  des  mystères  de  Dieu  ;  elle  avait  pour  eux, 
comme  pour  des  pères,  un  amour  filial,  et  pour  eux  tous  les  jours  elle 
répandait  devant  Dieu  ses  prières. 

Elle  avait  un  attrait  extraordinaire  pour  la  divine  Eucharistie.  Toutes 
les  fois  qu'elle  assistait  au  très-saint  sacrifice  de  la  messe,  elle  pressentait 
l'arrivée  du  Roi  céleste,  et  élevant  son  cœur,  elle  demeurait  jusqu'à  la  fin  de 
la  messe  en  extase  et  comme  privée  de  ses  sens.  Mais  les  jours  surtout  où 
elle  devait  s'approcher  de  la  sainte  Table,  alors  on  la  voyait  comme  brûler 
intérieurement,  comme  toute  consumée  par  l'excès  de  l'amour  et  ravie 
au  ciel. 

La  passion  de  Jésus-Christ  était  un  des  principaux  objets  de  la  dévotion 
de  Fleur.  C'est  là  qu'elle  concevait  un  amour  immense  pour  Jésus-Christ, 
c'est  de  là,  comme  d'une  source  divine,  que  coulaient  dans  son  âme  des 
flots  de  suavité  et  de  consolations  célestes.  Il  n'était  pas  rare  pour  elle  de 
participer  aux  douleurs  et  aux  plaies  du  Sauveur,  et  alors  le  sentiment  de 
la  douleur  qu'elle  éprouvait  devenait  tellement  intense,  qu'il  surpassait  le 
sentiment  de  toute  douleur  naturelle  la  plus  vive.  Considérant  la  prière  et 
l'office  ecclésiastique  comme  un  des  principaux  moyens  pour  arriver  à  une 
vie  parfaite,  elle  employait  tout  son  temps  à  la  prière,  à  la  méditation  et  à 
la  contemplation.  Quoi  qu'elle  fît,  en  chemin,  à  l'ouvrage,  dans  la  maison 
ou  au  dehors,  sans  relâche  elle  priait,  selon  le  conseil  de  l'Apôtre  ;  souvent 
sa  prière  se  prolongeait  très-avant  dans  la  nuit,  et  il  n'était  pas  rare  qu'elle 
y  passât  la  nuit  tout  entière.  Et  ce  qu'il  y  a  de  plus  extraordinaire,  c'est 
que  pendant  plus  de  deux  ou  trois  ans  elle  se  priva  totalement  de  sommeil, 
veillant  et  priant,  selon  la  parole  du  Sauveur,  dans  la  crainte  de  céder  un 
instant  aux  suggestions  du  tentateur  qui  voulait  sa  perte.  Elle  récitait  les 
heures  canoniales  de  l'office  ecclésiastique  avec  une  attention  tellement 
soutenue  de  son  esprit  et  de  son  cœur,  et  avec  une  dévotion  telle,  que  sou- 
vent, dans  la  récitation  de  cet  office  divin,  elle  tombait  en  extase  lorsqu'il 
se  rencontrait  des  versets  propres  à  exciter  l'amour  de  Dieu.  Si  longues 
que  fussent  ses  extases,  jamais  elle  n'omettait  rien  de  l'office  ecclésias- 
tique. Si  par  hasard  elle  laissait  quelque  point  inachevé  de  l'office  aux 
heures  voulues,  fût-ce  de  la  plus  minime  importance,  elle  le  suppléait  en 
toute  diligence.  Elle  enseignait  aux  autres  sœurs  que  jamais  elles  ne  de- 
vaient laisser  l'office  divin,  quand  bien  même  elles  courraient  à  l'odeur  des 
parfums  de  l'époux  céleste,  quand  bien  même  elles  seraient  entrées  dans 
le  sanctuaire  du  ciel  par  la  contemplation  la  plus  sublime. 

La  vie  si  sainte  de  Fleur  s'appuyait  sur  le  désir  le  plus  ardent  de  i'éter- 


g4  5  0CT0BRK. 

nehe  gloire,  et  paraissait  une  vie  plutôt  angélique  qu'humaine.  Elle  éprou- 
vait un  avant-goût  des  choses  divines  par  la  contemplation  la  plus  assidue. 
Elle  soupirait  après  le  jour  de  la  délivrance,  désirant  que  les  liens  du  corps 
venant  à  se  rompre  au  plus  tôt,  son  âme  pût  enfin  sortir  de  cette  vie  pour 
aller  avec  Jésus- Christ.  C'est  à  peine  si  elle  pouvait  prononcer  elle-même 
ou  entendre  prononcer  le  nom  du  ciel  ou  des  choses  divines  sans  tomber 
en  extase,  ce  qui  lui  arrivait  fréquemment  devant  le  prêtre  qui  était  son 
confesseur.  Le  désir  qu'elle  avait  du  ciel  se  renouvelait  si  souvent  dans  son 
cœur,  qu'il  paraissait  entièrement  épuiser  ses  forces.  La  mort,  terrible  au 
reste  des  hommes,  lui  paraissait  aimable  et  pleine  de  charmes.  Elle  ne 
cherchait  qu'à  plaire  à  Dieu,  et  dans  tout  ce  qu'elle  faisait,  elle  n'avait 
d'autre  but  que  de  lui  rendre  gloire.  En  récompense,  Dieu  consolait  sa 
servante  de  mille  manières  ;  il  la  réjouissait,  la  fortifiait  et  l'enrichissait, 
de  tous  les  dons  de  la  grâce  et  des  faveurs  célestes.  Aussi,  lorsqu'elle  était 
en  extase  ou  qu'elle  en  sortait,  elle  était  tellement  unie  à  Dieu,  qu'il 
n'était  pas  rare  de  la  voir  tout  environnée  d'une  lumière  céleste  répan- 
due autour  d'elle,  comme  une  auréole,  et  elle  paraissait  toute  resplendis- 
sante. 

C'est  ainsi  que,  tour  à  tour  éprouvée  par  la  rage  du  démon  et  par  les 
tentations  les  plus  affreuses,  puis,  largement  récompensée  par  la  bonté 
divine,  la  bienheureuse  vierge  Fleur  avait  vu  s'accomplir  les  jours  de  son 
pèlerinage.  Eclairée  d'une  lumière  surnaturelle  sur  ses  destinées  futures, 
depuis  longtemps  elle  connaissait  la  route  par  où  son  âme  devait  s'envoler 
au  ciel  ;  depuis  longtemps,  par  la  pratique  assidue  de  la  contemplation  et 
de  la  prière,  par  ses  ravissements  devenus  habituels,  elle  habitait  plutôt  le 
ciel  que  la  terre.  Déjà  il  lui  avait  été  donné  bien  des  fois  d'entrevoir  les 
splendeurs  de  la  cité  éternelle  ;  en  1327,  peu  de  temps  après  ses  grandes 
épreuves,  elle  s'était  vue  un  moment  revêtue  par  deux  anges  des  vêtements 
de  gloire  qui  lui  étaient  réservés  dans  l'éternité  si  elle  persévérait  ;  et  l'un 
de  ces  esprits  bienheureux  lui  avait  montré  le  trône  éclatant  qui  lui  était 
préparé  dans  les  cieux  pour  récompense  de  son  humilité.  Aussi  appelait- 
elle  de  ses  vœux  les  plus  ardents  l'heure  fortunée  où,  s'échappant  de  sa 
prison  mortelle,  son  âme  irait  posséder  pour  jamais  Dieu,  qu'elle  avait 
tant  aimé  sur  la  terre.  Le  terme  de  sa  vie  approchait,  l'heure  de  la  déli- 
vrance allait  sonner.  Accablée  par  les  austérités,  brisée  par  les  souffrances, 
brûlée  intérieurement  par  l'amour  divin,  un  effort  suprême  allait  rompre 
enfin  les  derniers  liens  qui  la  retenaient  encore.  En  effet,  elle  s'endormit 
doucement  dans  le  Seigneur,  le  11  juin  de  l'année  1347. 

A  peine  la  bienheureuse  Fleur  avait-elle  rendu  le  dernier  soupir,  que 
des  prodiges  éclatants  signalèrent  la  gloire  dont  elle  jouissait  dans  le  ciel. 
Le  Visage  de  la  défunte  jeta  un  éclat  extraordinaire,  et  parut  environné 
d'une  auréole  lumineuse,  devant  une  foule  de  personnes  qui  en  furent 
témoins,  en  même  temps  que  de  tout  son  corps  s'exhalait  l'odeur  la  plus 
suave,  comme  un  parfum  de  lis  et  de  roses. 

On  représente  sainte  Fleur  à  genoux  devant  un  ange  qui  lui  présente 
une  couronne. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Aussitôt  après  la  mort  de  sainte  Fleur,  les  miracles  opérés  par  son  intercession  se  multiplièrent 
tellement  à  son  tombeau,  que  l'on  dut  procéder  à  l'exaltation  solennelle  de  son  corps.  Cette 
mission  fut  confiée  à  Géraud  de  Lentillac,  abbé  de  Figeac,  par  l'évêque  de  Cahors,  Bertrand  de 


SAINTE  FLORE  OU  FLEUR,   VIERGE.  85 

Cardaillac,  le  11  juin  1360.  Au  moment  où  le  tombeau  de  la  Bienheureuse  fut  ouvert,  un  parfum 
de  l'odeur  la  plus  suave  se  répandit  sous  la  forme  d'une  rosée  embaumée  sur  la  foule  du  peuple, 
que  la  nouveauté  de  ce  spectacle  avait  attiré  de  tous  côtés.  Ce  jour-là,  un  grand  nombre  de 
malades  recouvrèrent  la  santé  du  corps,  et  tous  reçurent  des  secours  spirituels  et  abondants  ;  il 
n'y  eut  qu'une  voix  pour  publier  que  ce  parfum  qui  venait  d'embaumer  l'air,  ne  pouvait  venir  que 
de  Dieu  tout- puissant. 

Les  religieux  de  l'Ordre  militaire  de  Saint-Jean  n'oubliaient  jamais  de  l'invoquer  dans  leurs  périls 
sur  la  mer  ;  une  infinité  de  religieuses,  suivant  la  tradition  des  anciennes,  ont  appris  à  la  prier  et 
ont  souvent  éprouvé  le  secours  miraculeux  de  sa  protection  ;  c'est  ainsi  que  le  monastère  de  Beau- 
lieu  a  été  illustré  par  une  suite  non  interrompue  de  miracles  opérés  à  son  tombeau  par  la  misé- 
ricorde de  Dieu  et  l'intercession  de  Marie.  Tel  était,  en  1693,  le  culte  qu'on  lui  rendait.  L'illustre 
vierge  de  l'Hôpital-Beaulieu,  depuis  longtemps  canonisée  par  la  voix  populaire  avec  l'approbation, 
du  moins  tacite,  de  l'autorité  ecclésiastique,  n'était  vulgairement  appelée  que  sainte  Fleur.  Aussi 
déjà  sa  sainteté  était  tellement  reconnue  que  le  Père  Louis  de  Mesplèdes  lui  donne  toujours  le  titre 
de  Bienheureuse  en  1625.  Son  office  fut  inséré  dans  le  bréviaire  cadurcien  imprimé  à  Paris  en 
1746,  par  ordre  de  Bertrand  Duguesclin,  au  5  octobre,  par  une  simple  commémoraison  avec  oraison 
commune  d'une  vierge  sous  ce  titre  :  Commemoratio  sanctse  Flora  virginis,  hospitalis  Belli- 
Loci,  ordinis  sancti  Joannis  Jerosolymitani,  in  territorio  cadurcensi.  Voilà  où  en  était  le  culte 
de  sainte  Fleur  en  1793. 

En  1693,  on  voyait  adossée  à  la  muraille  près  du  grand  autel,  du  côté  vulgairement  appelé  côté 
de  l'épitre,  à  dix  ou  douze  pieds  au-dessus  du  pavé  de  l'église,  une  châsse  de  bois,  convenable- 
ment ornée  au  dehors,  dans  laquelle  étaient  respectueusement  placés  les  ossements  de  cette  vierge. 
Les  cheveux  étaient  encore  adhérents  à  la  tête,  et  autour  des  tempes  on  voyait  encore  la  bande- 
lette blanche  de  lin  aussi  fraîche  que  le  premier  jour  ;  cependant  elle  y  était  depuis  le  jour  de  sa 
sépulture,  c'est-à-dire  depuis  l'année  1347. 

Ces  saintes  reliques  se  conservèrent  dans  cet  état  jusque  vers  la  fin  de  1792.  A  cette  époque 
néfaste  de  notre  histoire,  le  corps  de  sainte  Fleur  était  encore  dans  la  chapelle  du  couvent,  dans  la 
même  châsse  élevée  au-dessus  du  sol,  du  même  côté  de  l'épitre,  les  cheveux  étaient  encore  adhé- 
rents à  sa  tête;  tous  les  ans  on  y  faisait  une  grande  fête,  et  on  y  exposait  ses  saintes  reliques 
enveloppées  dans  une  soie  rouge. 

Tel  était  l'état  où  se  trouvaient  les  reliques  de  sainte  Flore,  lorsque  la  terrible  Révolution  de 
1793  éclata.  Alors  commencèrent  ces  scènes  d'horreur  dont  le  récit  épouvante  encore  après  tant 
d'années  :  le  marteau  démolisseur  s'abattit  sur  l'hospice,  comme  aussi  sur  le  couvent  et  sur  la 
chapelle  ;  tout  fut  pillé,  profané  et  dévasté,  et  pour  que  rien  ne  manquât  à  ce  drame  lugubre,  les 
restes  sacrés  de  Flore  furent  livrés  aux  flammes,  sur  le  seuil  même  de  cette  maison  toute  resplen- 
dissante encore  de  l'éclat  de  ses  vertus  et  de  ses  miracles,  à  cette  même  place  où  elle  avait 
accueilli  avec  tant  de  bonté  les  pauvres  et  les  voyageurs,  où  ses  mains  s'étaient  si  souvent  ouvertes 
pour  répandre  dans  le  sein  de  l'indigence  les  trésors  de  la  charité.  Mais  le  feu  ne  pouvait  brûlei 
ces  ossements  sacrés,  la  tête  virginale  de  Fleur  roulait  toujours  du  milieu  des  flammes  ;  rendus 
plus  furieux  par  l'impuissance  des  éléments  contre  Dieu,  ils  la  rejetaient  dans  le  feu  en  poussant 
d'horribles  blasphèmes.  Le  feu  respecta  même  les  blonds  cheveux  de  Fleur,  qui  n'avaient  jamais 
servi  d'appât  à  la  vanité.  Heureusement,  au  milieu  de  cette  tourbe  de  scélérats,  se  rencontra  un 
homme  de  bien  qui,  passant  par  hasard,  assistait  avec  douleur  à  cet  horrible  drame  ;  il  s'empara 
de  cette  tête  sacrée,  la  conserva  avec  respect,  et  la  déposa  au  monastère  de  la  Visitation  de  Saint- 
Céré.  Les  autres  ossements  furent  dispersés,  et  se  répandirent,  comme  un  précieux  trésor,  dans  les 
familles  chrétiennes  de  la  contrée.  Une  parcelle  de  la  tête  de  Fleur  et  de  ses  cheveux,  recon- 
nue authentique,  en  1866,  par  Mgr  Grimardias,  évèque  de  Cahors,  est  déposée  dans  l'église  d'Is- 
soudun. 

Ainsi  fut  détruit  le  monastère  de  l'Hôpital-Beaulieu  ;  fondé  en  1235  ou  1236,  il  avait  duré 
environ  cinq  cent  cinquante-six  ans.  Les  reliques  de  sainte  Fleur,  déposées  dans  un  lieu  émi- 
nent  de  la  chapelle  le  11  juin  1360,  jetées  dans  le  feu  vers  la  fin  de  1792,  avaient  reposé  dans  le 
lieu  saint,  entourées  de  la  vénération  publique,  pendant  environ  quatre  cent  trente-deux  ans. 

La  gloire  et  le  culte  de  sainte  Fleur  ont  survécu  à  la  ruine  de  son  monastère,  son  souvenir  est 
demeuré  vivant  et  en  honneur  à  l'Hôpital-Beaulieu.  Aujourd'hui  encore,  on  se  plait  au  Baptême  à 
donner  le  nom  de  Fleur  ;  on  l'invoque  dans  les  orages  avec  sainte  Barbe  contre  la  foudre. 

Le  18  novembre  1852,  un  décret  du  Saint-Siège,  approuvant  le  Propre  de  Cahors,  approuva 
aussi  l'office  de  sainte  Flore,  sous  le  rit  semi-double,  avec  le  titre  de  Sainte.  Peu  de  temps  après. 
le  diocèse  de  Saint-Flour  réclama  la  même  faveur,  et  le  29  avril  1858  un  décret  du  pape  Pie  IX  a 
étendu  à  tout  ce  diocèse  le  culte  solennel  de  sainte  Flore.  Trois  ans  après,  en  l'année  1861,  les 
fidèles  ont  pu  de  nouveau  venir  se  prosterner  aux  pieds  des  reliques  de  la  Sainte.  Un  os  presque 
entier  du  tibia  de  la  jambe  avait  été  sauvé,  en  1793,  par  Angélique  Bro,  sœur  converse,  native  de 
l'Hôpital,  et  conservé  par  elle  de  concert  avec  l'aumônier  du  même  monastère,  M.  l'abbé  Surgier» 
prêtre  fidèle.  Ces  précieux  restes,  entourés  de  tous  les  caractères  d'authenticité  désirables,  reconnus 
authentiques  par  Mgr  Bardou  en  1861,  renfermés  dans  une  châsse  en  bois  doré,  munis  des  sceaux 
de  l'évêché  et  de  l'approbation  épiscopale,  furent  exposés  à  la  vénération  publique,  pour  la  pre- 


gg  5   OCTOBRE. 

mière  fois  depuis  1793,  dans  l'église  paroissiale  d'Issendolus,  pendant  toute  l'octave  de  la  Tous- 
saint (1861). 

Depuis  lors,  le  culte  rendu  à  sainte  Fleur  a  fait  des  progrès  rapides  ;  chassée  de  son  monas- 
tère par  la  Révolution,  sainte  Fleur  a  trouvé  un  asile  dans  l'église  paroissiale.  Une  chapelle  lui  a 
été  consacrée  dans  l'église  d'Issendolus,  sa  paroisse  d'adoption.  Tous  les  ans,  le  5  octobre  et  pen- 
dant toute  l'octave,  ses  reliques  sont  publiquement  exposées  à  la  vénération  des  fidèles. 

Extrait  de  la  Vie  de  sainte  Flore  ou  Fleur,  vierge,  par  M.  l'abbé  Cyprien  Lacarrière,  curé  d'Issen- 
dolus. Toulouse,  1871. 


SAINTE  GALLA  DE  ROME,  VEUVE  ET  RECLUSE  (550). 

Galla,  illustre  matrone  romaine,  était  fille  du  patrice  Symmaque,  un  des  hommes  les  plus  fameux 
de  son  siècle  et  l'un  des  derniers  Romains,  qui  fut  la  victime  du  Goth  Théodoric  ;  elle  était  sœur  de 
Rusticienne,  qui  avait  épousé  le  célèbre  Boëce,  autre  victime  du  même  tyran.  Elevée  dans  la  plus 
haute  piété,  elle  épousa,  selon  les  désirs  de  son  père,  un  homme  dont  le  nom  est  resté  inconnu  ; 
mais  elle  demeura  veuve  dans  l'année  même, de  son  mariage.  Pleine  de  jeunesse,  de  vigueur,  de 
beauté,  elle  ne  manqua  point  d'être  recherchée  pour  de  secondes  noces  :  son  âge,  ses  richesses, 
les  sollicitations  pressantes,  tout  semblait  la  porter  à  un  nouveau  mariage.  Mais,  fermant  les  yeux 
au  vain  éclat  du  monde,  elle  y  renonça  sans  balancer  un  instant.  Elle  préféra  l'Epoux  céleste  à 
ceux  que  le  siècle  lui  offrait,  aimant  mieux,  par  les  austérités  de  la  pénitence,  préparer  son  âme 
aux  joies  du  ciel,  que  de  risquer  son  salut  au  milieu  des  satisfactions  d'une  vie  mondaine. 

Galla  quitta  l'habit  séculier  avec  le  deuil  de  son  mari  ;  pénétrée  de  dévotion  pour  les  glorieux 
apôtres  Pierre  et  Paul,  elle  se  fit  bâtir  une  cellule  près  de  leur  tombeau,  sur  le  Vatican,  et  s'y  renferma 
pour  y  vivre  dans  la  simplicité  du  cœur,  passant  les  jours  et  une  partie  des  nuits  en  oraison.  Elle 
n'interrompait  ce  saint  exercice  que  pour  répandre  sa  charité  au  dehors  ;  car  ses  biens,  qui  étaient 
considérables,  devinrent  le  patrimoine  des  pauvres.  Elle  s'était  réservé  la  sainte  pauvreté  et  une  vie 
pleine  des  austérités  de  la  pénitence.  Elle  pratiqua  franchement,  avec  un  courage  héroïque,  toutes 
les  vertus  qui  peuvent  conduire  à  une  parfaite  sainteté. 

Les  évoques  qui  étaient  l'ornement  de  l'Eglise  d'Occident,  et  les  Saints  de  son  siècle,  s'empres- 
saient de  rendre  hommage  à  sa  piété  et  à  sa  ferveur.  Elle  recevait  avec  docilité  les  instructions  que 
lui  donnaient  les  premiers,  qu'elle  vénérait  comme  ses  pères  dans  la  foi;  elle  regardait  les  avis  et 
lgs  exemples  des  autres  comme  un  des  principaux  moyens  de  sanctification  que  lui  fournissait  la 
Providence.  Nous  possédons  encore  l'exhortation  sur  la  viduité,  que  lui  adressa  le  grand  saint  Ful- 
gence,  évêque  de  Ruspe,  du  sein  même  de  son  exil. 

Dieu,  voulant  purifier  de  plus  en  plus  cette  âme  sainte,  et  l'élever  au  point  de  perfection  que 
Supportait  son  mâle  courage,  permit  qu'elle  fût  éprouvée  par  une  horrible  maladie  :  un  cancer  vint 
hi  dévorer  la  poitrine.  Elle  souffrit  les  douleurs  de  cet  ulcère  avec  une  patience  angélique  et  une 
soumission  absolue  aux  desseins  de  Dieu.  Rien  ne  sanctifie  comme  les  souffrances  acceptées  au 
pied  de  la  croix. 

Etant  proche  de  sa  fin,  un  jour  qu'elle  avait  été  fort  tourmentée  de  son  mal,  Galla  vit  l'apôtre 
saint  Pierre  se  présenter  à  elle,  durant  la  nuit,  entre  les  deux  lampes  qu'elle  tenait  allumées  dans  sa 
chambre.  Au  lieu  de  la  troubler,  cette  vision  la  remplit  d'une  joie  secrète.  Elle  pria  hardiment 
l'apôtre  de  lui  dire  si  ses  péchés  étaient  pardonnes.  «  Oui  »,  lui  répondit  saint  Pierre  ;  «  venez 
maintenant  à  Dieu  ».  Elle  demanda  qu'une  religieuse  nommée  Benoîte,  qu'elle  aimait  beaucoup,  y  vînt 
avec  elle.  «  Elle  viendra  »,  répliqua  le  Saint,  «  mais  pas  maintenant;  son  terme  est  encore  à  plus 
de  trente  jours;  vous  aurez  telle  autre  compagne  de  votre  passage  en  l'éternité  ».  Trois  jours  après 
Galla  mourut,  ainsi  que  la  personne  désignée  par  l'apôtre,  et  Benoîte  les  suivit  au  bout  de  deux 
mois.  C'était  vers  550. 

On  la  représente:  1°  faisant  l'aumône  a  des  pauvres;  2°  portant  une  barbe  touffue.  Saint  Gré- 
goire rapporte  que  les  médecins  l'avaient  menacée  de  l'éruption  de  la  barbe,  si  elle  refusait  de 
convoler  a  de  secondes  noces;  elle  n'en  tint  aucun  compte,  et  le  pronostic  se  vérifia;  3°  recevant 
de  la  main  des  anges  une  image  de  Marie,  comme  récompense  de  son  veuvage  ;  4°  ayant  une  vision 
où  saint  Pierre  lui  apparaît  et  l'assure  de  son  salut. 

Cbapia  :  La  Vie  d'une  sainte  pour  chaque  jour  de  Vannée;  Père  Cahier  :  Caractéristiques  des  Saint». 


SAINT  MAURICE  OU  MORIZ,   ABBE.  87 

SAINTE  AURÉE, 

SUPÉRIEURE  DE  RELIGIEUSES,  A  AMIENS  (VU?  siècle). 

Sainte  Ulphe  venait  de  perdre  saint  Domice,  qui  lui  avait  servi  si  longtemps  de  guide  spirituel 
dans  la  solitude  qu'elle  s'était  choisie  à  Boves.  Son  isolement,  qui  lui  inspirait  de  justes  alarmes, 
ne  devait  durer  qu'un  jour.  Le  lendemain  de  l'inhumation  de  Domice  dans  son  ermitage,  sainte 
Ulphe,  selon  son  habitude,  se  rendit  aux  Matines  de  la  cathédrale,  qu'on  chantait  vers  minuit. 
Elle  rencontra  à  ses  abords  une  jeune  fille,  nommée  Aurée  *,  qui  avait  reconnu  la  sainte  solitaire 
à  l'éclat  qui  resplendissait  de  sa  figure,  au  milieu  des  ténèbres  de  la  nuit.  La  jeune  amiénoîse  * 
se  jeta  aux  pieds  de  sainte  Ulphe,  lui  exprima  son  aversion  pour  le  monde,  son  goût  pour  la  soli- 
tude, et  la  supplia  de  l'accepter  pour  compagne  et  pour  fille.  Une  telle  proposition  ne  pouvait 
qu'être  agréée  avec  joie.  Aurée  partagea  donc  la  vie  érémitique  de  la  solitaire  de  Boves,  et,  chaque 
nuit,  elle  l'accompagnait  aux  Matines  de  la  cathédrale. 

Cet  exemple  devait  porter  des  fruits.  Plusieurs  jeunes  filles  d'Amiens  voulurent  consacrer  à  Dieu 
lew  virginité  et  attirer  ainsi  sur  elles  les  grâces  fortifiantes  qui  sont  le  partage  d'une  vie  de  com- 
munauté. Sainte  Ulphe  accueillît  favorablement  leur  demande  ;  mais,  craignant  avec  raison  les  dan- 
gers qui  pouvaient  entourer  ces  jeunes  filles  dans  une  solitude  aussi  complète  que  Tétait  alors  son 
ermitage,  elle  obtint  des  autorités  d'Amiens  la  fondation  d'un  couvent  dans  un  verger  situé  près  du 
Castillon  :  c'est  à  cet  établissement  que  la  rue  des  Vergeaux  doit  son  nom. 

Sainte  Ulphe,  après  avoir  installé  la  communauté  naissante  dans  ce  couvent,  en  confia  la  direc- 
tion à  Aurée  et  retourna  dans  la  solitude  qui  lui  était  si  chère  ;  mais  elle  visitait  souvent  ses  filles 
et,  chaque  jour,  elle  en  emmenait  quelques-unes  avec  elle  pour  les  diriger  dans  la  carrière  de  la 
perfection. 

Un  soir  que  Aurée,  après  les  Complies,  se  livrait  au  sommeil,  elle  vit  en  songe  saint  Domice, 
qui  lui  annonça  que  l'âme  de  sa  mère  spirituelle  venait  d'entrer  en  possession  du  bonheur  céleste. 
Aurée  réveilla  aussitôt  ses  compagnes  et  courut  avec  elles  à  l'ermitage  de  sainte  Ulphe,  où  elle 
trouva  la  solitaire  endormie  du  sommeil  de  la  mort.  Elle  présida  à  son  inhumation,  qui  eut  lieu  vers 
Tan  789,  et  retourna  à  Amiens  continuer  l'oeuvre  à  laquelle  elle  s'était  dévouée.  On  ne  sait  rien  de 
plus  sur  sa  vie. 

Le  chef  de  sainte  Aurée  était  vénéré  à  l'abbaye  cistercienne  du  Paraclet,  fondée  à  Boves  en  1218, 
sur  la  sépulture  de  sainte  Ulphe,  et  transférée  à  Amiens  en  1630.  On  y  célébrait  la  fête  de  sainte 
Aurée,  le  5  octobre,  non  point  qu'on  crût  qu'elle  fût  décédée  ce  jour-là,  mais  parce  que  l'église 
de  Paris  fêtait  à  cette  date  sainte  Aurée,  abbesse  du  monastère  de  Saint-Martial. 

Tiré  de  VHagiographie  du  diocèse  d'Amiens,  par  M.  l'abbé  Corblet. 


SAINT  MAURICE  OU  MORIZ, 

ABBÉ  DES  MONASTÈRES  CISTERCIENS  DE  LANGONET  ET  DE  CARNOET, 
EN  BRETAGNE  (1191). 

Loudéae  est  une  petite  ville  de  Bretagne  (diocèse  de  Saint-Brieuc),  à  laquelle  est  joint  un 
territoire  étendu.  C'est  sur  ce  territoire,  dans  un  village  situé  près  de  la  rivière  d'Oust,  que  na- 
quit saint  Maurice,  sous  le  règne  de  Louis  le  Gros,  vers  l'an  1117.  Son  nom  de  famille  était 
Duault.  Ses  parents,  qui  étaient  pieux,  mais  peu  riches,  le  firent  néanmoins  étudier,  d'abord  à 

1.  Il  ne  faut  point  la  confondre  avec  Aurée,  religieuse  de  Port  et  compagne  de  sainte  Austreberte,  ni 
avec  sainte  Aure,  abbesse  à  Paris,  morte  le  4  octobre  666  et  dont  on  célébrait  la  fête  le  5  octobre.  On 
trouve  encore  dans  les  martyrologes  :  sainte  Aure,  d'Ostie,  martyrisée  au  m»  siècle  (24  août);  sainte  Aure, 
autre  vierge  martyrisée  à  Cordoue  au  ix«  siècle  (17  juillet),  etc. 

2.  Elle  serait  née  à  La  Neuville  d'après  une  tradition  que  mentionne  Pierre  Bernard,  dans  ses  Pèle- 
rinages manuscrits. 


gg  5  OCTOBRE. 

Loudéac  (suivant  la  tradition  du  pays,  qui  désigne  encore  une  maison  de  la  place  publique  comme 
celle  dans  laquelle  il  allait  à  l'école),  puis  à  Paris.  Il  s'appliqua  aux  lettres  avec  tant  de  succès, 
qu'il  mérita  de  recevoir  la  qualité  de  docteur.  Mais  le  malheur  de  tant  d'autres,  qui,  trop  enflés 
de  leur  science,  étaient  tombés  dans  le  précipice,  et  s'étaient  perdus,  lui  fit  préférer  l'humilité  à 
l'élévation.  Il  renonça  donc,  non-seulement  aux  avantages  que  pouvait  lui  procurer  la  science,  et 
à  tous  les  biens  temporels  qu'il  possédait  déjà,  mais  à  sa  volonté  propre;  et  se  dérobant  au  monde 
et  à  ses  amis,  il  alla  prendre  l'habit  de  l'Ordre  de  Citeaux,  dans  l'abbaye  de  Langonet  (Lango- 
nium),  fondée  quelques  années  auparavant,  sur  les  confins  du  diocèse  de  Quimper,  par  le  duc 
Conan  III,  surnommé  le  Gros.  Là,  s'appliquant  uniquement  à  plaire  à  Dieu  seul,  il  allia  la  sim- 
plicité de  la  colombe  avec  la  prudence  du  serpent,  et  une  humble  modestie  avec  la  discrétion  qui 
régnait  dans  toute  sa  conduite. 

Il  n'y  avait  pas  encore  trois  ans  que  Maurice  pratiquait  les  lois  de  son  institut,  lorsque  son 
rare  mérite  engagea  la  communauté  de  Langonet  à  le  choisir  pour  abbé.  Elevé  à  cette  dignité,  il 
fit  voir  encore  plus  d'humilité  et  de  discrétion  qu'il  n'en  avait  eu  jusqu'alors.  Conan  IV,  surnommé 
le  Petit,  duc  de  Bretagne  et  comte  de  Richemond,  attiré  par  la  réputation  de  l'homme  de  Dieu, 
allait  souvent  le  voir,  écoutait  ses  saintes  instructions,  et  suivait  ses  conseils  en  beaucoup  de 
choses.  Ce  fut  à  sa  considération,  et  par  son  avis,  que  le  duc  fonda,  dans  le  même  diocèse  de 
Quimper,  une  nouvelle  abbaye  de  l'Ordre  de  Citeaux,  dans  la  forêt  de  Carnoet,  et  la  paroisse  de 
Clohar,  vers  l'embouchure  de  la  rivière  d'Ellé.  Ce  lieu  était  affreux  et  n'offrait  d'autre  aspect  que 
celui  d'une  vaste  solitude.  Saint  Maurice,  chargé  par  Conan  d'établir  cette  maison,  y  mena  douze 
religieux  de  Langonet  auxquels  se  joignirent  bientôt  de  nouveaux  sujets,  et  devint  leur  abbé.  Le 
duc  mourut  avant  d'avoir  pu  mettre  la  dernière  main  à  son  ouvrage  ;  la  patience  et  l'industrie  de 
Maurice  achevèrent  le  reste  ;  et  la  duchesse  Constance,  fille  de  Conan,  continua  de  favoriser'la 
nouvelle  abbaye  avec  autant  de  bonté  que  son  père.  Il  gouverna  l'abbaye  de  Carnoet  (Camsetum) 
pendant  quinze  ans  ;  une  fièvre  continue  dont  il  fut  attaqué  vint  terminer  sa  sainte  carrière  et  le 
délivra  de  ce  corps  mortel  le  5  octobre  de  l'an  1191- 

II  mourut  entre  les  bras  de  ses  frères,  à  l'âge  d'environ  soixante- quatorze  ans,  après  avoir  reçu 
les  sacrements  de  l'Eglise,  et  fut  enterré  dans  son  monastère,  qui  a  depuis  porté  son  nom  (Saint- 
Maurice  de  Carnoet).  Une  partie  de  l'église  de  cette  maison  subsiste  encore  et  possède  une  portion 
considérable  des  reliques  du  saint  abbé,  qui  furent  levées  de  terre  deux  ans  après  sa  mort.  Elles 
sont  dans  une  châsse  de  bois  peint  divisée  en  deux  parties.  Dans  la  partie  inférieure  se  trouvent 
les  deux  tibias  placés  sur  un  coussin  de  damas  rouge  ;  dans  la  partie  supérieure  on  voit  le  crâne 
également  sur  un  coussin  de  la  même  étoffe.  La  châsse  est  posée  sur  une  table  de  marbre  blanc. 
La  Révolution  a  respecté  ces  précieux  restes,  et  on  les  voit  encore  tels  qu'ils  étaient  avant  la  des- 
truction de  l'abbaye.  La  paroisse  de  Loudéac  possède  une  belle  chapelle  dédiée  à  saint  Maurice, 
située  dans  le  village  même  où  il  prit  naissance  et  qui  porte  aujourd'hui  son  nom.  On  y  conserve 
quelques  reliques  du  Saint  dans  un  bras  de  bois  argenté  et  dans  une  petite  châsse  faite  en  forme 
d'église.  Il  parait  que  cette  chapelle  a  été  autrefois  un  lieu  de  dévotion,  car  on  y  gardait,  il  n'y  a 
pas*encore  longtemps,  la  copie  d'un  bref  d'indulgences  accordées  par  le  pape  Sixte  IV. 

Le  culte  de  saint  Maurice  est  ancien  en  Bretagne  ;  mais  il  ne  parait  pas  qu'il  y  ait  été  très- 
répandu.  Peu  de  temps  après  la  mort  de  ce  serviteur  de  Dieu,  le  chapitre  de  Quimper  demanda  sa 
canonisation  au  Saint-Siège,  et  ne  put  l'obtenir.  Cependant,  sous  le  pape  Honorius  III,  des  mira- 
cles ayant  été  opérés  par  l'intercession  du  Saint,  ce  pontife  nomma  des  juges  pour  en  informer  ; 
mais  leurs  procédures  s'étant  trouvées  irrégulières,  il  s'en  plaignit,  et  la  cause  resta  suspendue. 
Elle  n'a  jamais  été  reprise  ;  néanmoins  le  culte  décerné  d'avance  à  saint  Maurice  subsista  toujours 
en  Bretagne.  Au  commencement  du  xvme  siècle,  le  pape  Clément  XI  permit  à  l'Ordre  de  Citeaux 
d'en  célébrer  la  fête  du  rit  double  majeur,  et  Benoit  XIV,  qui  n'avait  donné  à  Maurice  que  le  titre 
de  vénérable,  dans  son  ouvrage  de  la  Béatification  des  serviteurs  de  Dieu,  fit,  postérieurement 
à  la  publication  de  cet  ouvrage,  insérer  au  13  octobre  le  nom  du  saint  abbé  dans  le  martyrologe 
cistercien. 

Un  rat  et  un  loup,  tels  sont  les  attributs  ordinaires  de  saint  Maurice  de  Carnoet.  Une  pieuse 
légende,  rapportée  par  les  Bollandistes,  lui  attribue  la  gloire  d'avoir  su  délivrer  la  Basse-Bretagne 
de  ces  animaux  incommodes. 

Extrait  des  Saints  de  Bretagne,  par  Dom  Lobineau. 


MARTYROLOGES. 


VF  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

En  Calabre,  saint  Bruno,  confesseur,  instituteur  de  l'Ordre  des  Chartreux.  1101.  — À  Laodicée, 
gaint  Sagar  ou  Sagaris,  évêque  et  martyr,  un  des  anciens  disciples  de  saint  Paul.  Yers  170.  —  A 
Capoue,  la  naissance  au  ciel  des  saints  martyrs  Marcel,  Caste,  Emile  et  Saturnin.  iv«  s.  —  A  Agen, 
la  naissance  au  ciel  de  sainte  Foi,  vierge  et  martyre,  par  l'exemple  de  qui  saint  Caprais  fut  encou- 
ragé au  martyre  et  consomma  heureusement  son  combat  ^Vers  303.—  De  plus,  en  Grèce,  sainte  Erotide, 
martyre,  qui,  embrasée  de  l'amour  de  Jésus-Christ,  triompha  de  la  violence  des  flammes.  Vers  330. 
—  A  Trêves,  la  mémoire  d'une  multitude  presque  innombrable  de  martyrs,  qui,  durant  la  persé- 
cution de  Dioclétien,  endurèrent  divers  genres  de  mort  pour  la  foi  chrétienne,  sous  le  président 
Rictiovare.  287.  —  A  Auxerre,  saint  Romain,  évêque  et  confesseur 2.  Vers  564.  —  A  Oderzo  (Opi* 
iergiumj,  saint  Magne,  évêque,  dont  le  corps  repose  à  Venise.  Vers  660. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVO  ET  AUGMENTÉ. 

Aux  diocèses  de  Cologne,  Meaux,  Paris  et  Saint-Dié,  saint  Bruno,  confesseur,  Instituteur  de 
l'Ordre  des  Chartreux,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  1101.  —  Au  diocèse  de  Mende,  saint 
Géraud  ou  Gérault  (Geraldus),  comte  d'Aurillac  et  confesseur,  dont  nous  donnerons  la  vie  au 
13  octobre.  909.  —  Aux  diocèses  d'Auch,  Bayeux,  Chartres,  Lyon,  Rodez,  Meaux,  Poitiers  et 
Saint-Flour,  sainte  Foi,  vierge  et  martyre  à  Agen,  citée  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  Vers 
303.  —  Dans  l'ancienne  abbaye  bénédictine  de  Bèze  ou  Baise  (Côte-d'Or),  diocèse  primitif  de 
Langres,  diocèse  actuel  de  Dijon,  translation  des  reliques  de  saint  Prudent  ou  Prouents  (Pru- 
dentius),  martyr.  883.  —  A  Agen,  les  saints  Prime  et  Félicien  et  cinq  cents  autres  dont  Dieu  seul 
connaît  les  noms,  compagnons  de  martyre  de  saint  Caprais  et  de  sainte  Foi,  cités  au  martyrologe 
romain  d'aujourd'hui3.  Vers  303.  —  Encore  à  Agen,  saint  Dulcide  (Dulcet,  Doucis),  évêque  de  ce 
siège  et  confesseur,  dont  nous  donnerons  la  vie  au  16  octobre.  Vers  450.  —  A  Apte  (Apta  Juliaf 
Vaucluse),  au  diocèse  d'Avignon,  saint  Amanruèse  ou  Omanruèse,  confesseur,  dont  les  reliques, 
déposées  dans  l'église  cathédrale  de  cette  ville,  étaient  entourées  d'une  grande  vénération  *.  —  Au 
diocèse  de  Limoges,  saint  Pardulphe  ou  Pardoux,  abbé  et  confesseur,  patron  de  Guéret  (Creuse). 
737.  —  A  Trêves,  sainte  Modeste,  vierge,  seconde  abbesse  du  monastère  bénédictin  de  Horren  (Hot^ 
reum).  Elle  est  citée  au  martyrologe  romain  du  4  novembre.  Vers  780.  —  En  Rouergue  (Ruteni- 
cus  pagus,  ancienne  province  de  France,  formant  aujourd'hui  le  département  de  l'Aveyron  et  une 
partie  de  celui  de  Lot-et-Garonne),  sainte  Enimie,  vierge,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  jour 
précédent,  vu»  s.  —  En  Bretagne,  saint  Yvi  (Ywi  ou  Yvieux),  diacre  et  solitaire.  Il  naquit  et  fut 
élevé  dans  la  partie  de  la  Grande-Bretagne  connue  alors  sous  le  nom  de  province  de  Lindisfarne 
(Ecosse,  comté  de  Berwick)  :  son  père  s'appelait  Branon  et  sa  mère  Egida.  Quand  il  eut  perdu  ses 
parents,  Yvi  s'attacha  au  célèbre  saint  Cuthbert,  évêque  de  Lindisfarne  après  avoir  été  prieur  du 
monastère  de  ce  nom  :  il  fut  ordonné  diacre  et  prit  l'habit  religieux.  Ses  vertus  et  ses  miracles  lui 
valurent  bientôt  une  si  haute  réputation,  que,  par  esprit  d'humilité,  il  résolut  de  quitter  sa  patrie 
et  débarqua  sur  la  côte  de  Léon  (diocèse  de  Quimper),  puis,  s'avançant  dans  l'intérieur  des  terres, 
il  s'arrêta  dans  le  canton  qui  forme  aujourd'hui  la  paroisse  de  Saiot-Yvi  (Finistère,  arrondissement 

1.  Voir  sa  vis  et  son  martyre  racontés  avec  ceux  de  saint  Caprais,  au  20  de  ce  mois. 

2.  Ce  pieux  évêque  succéda  à  saint  Eleuthère  (532-561)  et  siégea  trois  ans  et  quelques  Jours.  Les  his- 
toriens du  ix«  siècle  en  font  un  martyr,  en  disant  qu'il  eut  la  tête  tranchée  pour  avoir  généreusement 
défendu  la  foi  catholique;  mais  le  silence  des  martyrologes  sur  cette  qualité  de  martyr  ne  sert  pas  peu  à 
combattre  cette  opinion.  —  Gallia  Christiana  nova.  —  Cf.  Acta  Sanctorum,  an  6  octobre. 

3.  Nous  donnerons  leur  vie  au  20  octobre. 

4.  Ferrari  et  Du  Saussay,  sont  les  seuls  martyrologlstes  qui  fassent  mention  de  saint  Amanruèse.  Les 
Bollandlstes  (Prtstermissi,  au  6  octobre),  assurent  n'avoir  découvert  aucune  trace  de  son  culte. 


90  6   OCTOBRE. 

de  Qnimper,  canton  de  Rosporden),  où  il  passa  le  reste  de  ses  jours  dans  la  pratique  de  toutes  les 
vertus  *.  vne  ou  vme  s.  —  A  Vaison  (Vaucluse),  au  diocèse  d'Avignon,  saint  Barte  (Èarthus, 
Bartius,  Barsius),  successeur  de  saint  Quinide  ou  Quiniz  (15  février  578)  sur  l'ancien  siège  épis- 
copal  de  cette  ville.  Vers  580.  —  Dans  l'ancienne  chartreuse  d'Arvières  en  Valromey  (Vallis  Ro- 
mand), petit  pays  de  France,  compris  aujourd'hui  dans  la  partie  est  du  département  de  l'Ain),  le 
décès  de  saint  Arthaud  de  Sothonod  (Artaldus),  fondateur  de  ce  monastère  et  quarante-huitième 
évêque  de  Belley.  Nous  donnerons  sa  vie  au  jour  suivant,  qui  est  celui  de  sa  fête.  1206.  —  A 
Bourges,  saint  Apollinaire,  vingt-neuvième  évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  célèbre  par  sa  science 
et  sa  sainteté.  Ses  reliques  ont  reposé  longtemps  dans  l'église  de  Saint-Outrille-du-Château 
(S.  Austregisili  de  Castro);  en  1562,  elles  ont  été  profanées  par  les  Calvinistes.  611.  —  A  Ci- 
teaux  (Cistercium),  au  diocèse  de  Dijon,  le  décès  du  bienheureux  Odon,  disciple  de  saint  Robert 
de  Molesme  et  son  coopérateur  dans  la  fondation  du  monastère  de  ce  nom.  1100. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-Basile.  —  L'octave  de  saint  Michel,  archange  *.  —  En  Pi- 
kstine,  saint  Quiriace,  anachorète,  de  l'Ordre  de  Saint-Basile  3.  557. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  En  Calabre,  saint  Bruno,  confesseur,  d'abord  cha- 
noine régulier  de  l'Eglise  de  Reims,  puis  instituteur  de  l'Ordre  des  Chartreux.  1101. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  du  Mont-Carmel.  —  De  même 
que  chez  les  Basiliens. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Carmes  Déchaussés.  —  De  même  que  ci-dessus* 

ADDITIONS  FAITES   D'APRÈS   LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Naples,  le  décès  de  sainte  Marie -Françoise  des  Cinq  Plaies  de  Jésus,  vierge,  du 
Tiers  Ordre  de  Saint-François.  1791.  —  A  Lambach  (Ovilabîs,  Lamôacum),  ville  d'Autriche, 
saint  Adalbéron,  évêque  de  Wurtzbourg  (Herbipolis),  en  Bavière  (Cercle  de  Basse-Franconie),  et 
confesseur.  Il  commença  ses  études  dans  l'école  de  la  cathédrale  de  Wurtzbourg  et  les  acheva  à  la 
célèbre  Université  de  Paris.  A  la  mort  du  pieux  Brunon,  évêque  de  Wurtzbourg,  Adalbéron,  qa, 
ses  grandes  vertus  rendaient  recommandable,  fut  choisi  pour  lui  succéder.  Mais  les  temps  étaien 
mauvais  :  Henri  IV  (1056-1106)  et  Grégoire  VII  (1073-1080)  étaient  en  guerre,  et  la  grande  que- 
relle des  Investitures  *  avait  fait  de  l'Allemagne  le  théâtre  de  toutes  les  horreurs  et  de  toutes  leg 
abominations.  Adalbéron  fut  bientôt  chassé  de  son  siège  :  il  se  retira  à  Lambach,  où  il  consacra 
à  l'érection  d'un  monastère  tout  le  patrimoine  qu'il  avait  en  Bavière,  en  Autriche  et  dans  le  pays 
de  Wurtzbourg.  C'est  là  qu'il  mourut  et  fut  enseveli.  1090.  —  En  Afrique,  les  saints  Rogat,  Satur- 
nin, Faustin  et  Martial,  martyrs.  —  A  Rome  (probablement),  les  saints  martyrs  Janvier  et  Ammone. 
—  A  Gaète  (Cajeta),  ville  de  l'ancien  royaume  de  Naples  (Terre  de  Labour),  saint  Probe,  évèqut 
et  confesseur.  —  A  Sorrento  (Surrentum),  ville  d'Italie,  dans  l'ancien  royaume  de  Naples,  saint 
René  (Renatus),  évêque  et  confesseur.  Ses  Actes  ont  été  entremêlés  de  fables,  et  les  Bollandi&tes, 
qui  les  qualifient  de  prodigieux  (prodigiosa  historié),  semblent  n'y  ajouter  aucune  foi  ;  mais  il  n'en 
a  pas  moins  brillé  par  l'éclat  de  ses  vertus  et  de  ses  miracles.  "Vers  le  milieu  du  ▼•  s.  —  A  Pavie 
(Ticmum),  ville  forte  du  royaume  d'Italie,  sainte  Epiphanie,  vierge,  religieuse  au  monastère  de 
Sainte-Marie  des  Chasses  (S.  Maria  Venationum)  de  cette  ville.  On  croit  qu'elle  était  de  sang 
royal  et  fille  de  Ratchis  (744-749),  roi  des  Lombards.  Vers  795.  —  En  Grèce,  saint  Nicétas,  con- 
fesseur. Né  en  Paphlagonie  (livahs  actuels  de  Rastamouni  et  de  Kiangari,  dans  l'Anatolie),  vers 
763,  il  vint  à  Constantinople  à  l'âge  de  seize  ans,  fut  reçu  à  la  cour  de  Constantin  V  Porphyro- 
génète  (780-797),  y  obtint  bientôt  les  premières  places,  et,  après  quelques  années,  fut  placé  à  M 
tête  de  la  préfecture  de  Sicile.  Cependant,  désireux  de  mener  une  vie  plus  parfaite,  il  prit  l'habit 
religieux  (813),  et  mourut  au  milieu  des  exercices  de  la  vie  monastique.  Vers  838. 

1.  La  Bretagne  n'eut  pas  l'avantage  de  rester  dépositaire  de  la  dépouille  mortelle  du  serviteur  de  Dieu. 
Son  corps  fut  reporté  en  Angleterre  (x*  ou  xi»  siècle),  et  placé  dans  l'église  du  monastère  bénédictin  de 
Wilton  (Wiloduni  cœnobiumj,  dans  le  comté  de  Wilts,  oh  son  culte  a  été  célèbre  jusqu'à  l'époque  de  la 
prétendue  réforme.  —  Saints  de  Bretagne,  par  Dom  Lobineau. 

2.  Voir  au  29  septembre.  —  3.  Il  est  cité  au  martyrologe  romain  du  29  septembre. 

4.  On  connaît  sous  le  nom  de  Querelle  des  Investitures,  une  guerre  célèbre  au  xie  siècle  entre  les  Papes 
et  divers  souverains  de  l'Europe,  et  notamment  de  l'Allemagne,  au  sujet  de  l'investiture  des  bénéfices 
ecclésiastiques  qui,  jusqu'en  1073,  avaient  été  conférés  par  les  empereurs  seuls.  Grégoire  VII  s'éleva  avec 
force  contre  l'investiture  donnée  par  des  laïques,  et  réclama  pour  les  Papes  seuls  le  droit  qu'avaient  jus- 
que-là exercé  les  empereurs.  Telle  fut  l'origine  de  la  querelle  qui  ne  se  termina  qu'en  1122,  sous  le  pape 
Calixte  II,  pac  un  compromis  connu  sous  le  nom  de  Concordat  de  Worms.  Le  Pape  reconnut  à  l'empereur 
Henri  V  le  droit  de  donner  l'investiture  temporelle,  celle  des  biens  séculiers,  se  réservant  l'investiture 
spirituelle,  c'est-à-dire  le  droit  de  conférer  les  titres  ecclésiastiques. 


SAINT  BRUNO  DE  COLOGNE,  PRÊTRE  ET  CONFESSEUR.  91 


SAINT  BRUNO  DE  COLOGNE, 

PRÊTRE  ET  CONFESSEUR,  FONDATEUR  DE  L'ORDRE  DES  CHARTREUX 
1101.  —  Pape  :  Pascal  II.  —  Roi  de  France  :  Philippe  I«. 


Comme  patriarche,  saint  Bruno  ordonne  à  ses  enfants 
un  jeûne  perpétuel  pour  leur  servir  de  nourriture; 
comme  docteur,  il  prescrit  à  ses  disciples  un  si- 
lence continuel  pour  leur  servir  d'entretien;  comme 
général,  il  leur  impose  un  cilice  éternel  pour  leur 
servir  de  vêtement. 

Durand,  Caractères  des  Saints. 

S'il  est  véritable,  comme  dit  Notre-Seigneur,  que  Ton  connaît  l'homme 
par  ses  œuvres,  de  môme  que  Ton  discerne  l'arbre  par  ses  fruits,  quelle 
estime  ne  devons-nous  pas  avoir  du  mérite  de  saint  Bruno,  qui  a  donné  à 
l'Eglise  l'Ordre  sacré  des  Chartreux,  que  nous  pouvons  appeler  le  plus  bel 
ornement  du  Christianisme  et  la  plus  riche  portion  du  troupeau  de  Jésus- 
Christ  !  Cette  parfaite  séparation  du  monde,  cet  esprit  de  retraite  et  de  soli- 
tude, et  cette  mortification  qui  s'y  gardent  inviolablement  des  siècles,  ne 
sont-elles  pas  des  marques  de  la  plénitude  de  la  grâce  et  de  la  sainteté  de 
son  fondateur  ?  Nous  avons  sa  vie  composée  fort  au  long  par  plusieurs  de 
ses  enfants;  mais,  laissant  au  pieux  lecteur,  qui  en  voudra  savoir  tous  les 
événements,  le  soin  d'y  avoir  recours,  nous  nous  contenterons  de  donner 
ici  un  abrégé  de  ses  plus  belles  actions. 

Bruno  d'Hartenfaust  naquit  à  Cologne  dans  la  première  moitié  da 
onzième  siècle.  Le  ciel  jeta  à  profusion  sur  le  berceau  de  cet  enfant  tous 
les  dons  précieux  et  charmants  qui  illustrent  d'ordinaire  les  origines  privi- 
légiées. Grandeur  de  naissance,  grandeur  de  l'esprit,  grandeur  de  la  for- 
tune, grâces  extérieures,  intelligence  claire  et  vigoureuse,  incomparables 
aptitudes  pour  les  sciences,  présents  déjà  magnifiques  que  rehaussait  le  plus 
beau  de  tous,  la  vertu  :  voilà  au  milieu  de  quel  rayonnement  se  développa 
cette  jeune  âme.  Ses  parents  comprirent  de  suite  la  rareté  du  dépôt  confié 
par  Dieu  à  leur  amour.  A  cette  époque  de  foi,  nulle  ambition  de  la  terre 
n'était  capable  de  toucher  une  famille  vraiment  chrétienne;  lorsqu'un 
enfant  pourvu  de  qualités  exceptionnelles  apparaissait  au  foyer  paternel,  le 
suprême  désir  était  de  le  consacrer  au  Seigneur;  on  trouvait  juste  de  rendre 
ce  qui  avait  été  donné.  Bruno  fut  destiné  au  sacerdoce. 

A  quinze  ans,  la  grande  collégiale  de  Saint- Cunibert,  si  célèbre  à  Cologne 
et  dans  toute  l'Allemagne,  ne  comptait  pas  de  plus  brillant  écolier.  L'ar- 
chevêque, saint  Annon,  remarqua  l'adolescent  et  le  nomma  chanoine  mé- 
tropolitain. Bruno,  à  un  âge  si  tendre,  comprit  les  obligations  attachées  à 
cette  haute  faveur.  Il  se  livra  aux  études  sacrées  avec  cette  ardeur  tran- 
quille qui  fuit  les  applaudissements  des  hommes  et  ne  cherche  que  la  soli- 
tude pour  auxiliaire  et  Dieu  pour  témoin;  cependant  sa  jeune  réputation 
perçait  malgré  lui.  Il  craignit  alors  l'enthousiasme  de  sa  ville  natale,  sans 
doute  aussi  les  douceurs  de  la  famille  que  tous  les  Saints  ont  fui,  et  insen- 


92  6  OCTOBRE. 

sible  aux  tendresses  amollissantes  du  toit  paternel  comme  aux  honneurs 
extérieurs,  il  partit  pour  la  France  et  alla  continuer  ses  études  au  collège 
de  Reims. 

Là,  comme  à  Saint-Gunibert,  le  succès  couronna  tous  ses  efforts  ;  cha- 
que examen  du  jeune  étranger  était  un  triomphe,  et  au  milieu  des  enfants 
de  la  plus  brillante  nation  du  monde,  le  fils  de  la  rêveuse  Germanie  mar- 
chait toujours  au  premier  rang.  Ainsi,  la  renommée,  qu'il  fuyait  comme 
une  ennemie,  s'attachait  à  lui  avec  persistance.  Espérant  bientôt  que  son 
absence  avait  suffi  pour  calmer  dans  sa  patrie  le  bruit  importun  qui  entou- 
rait son  nom,  il  revint  à  Cologne  et  s'enferma  dans  la  retraite  pour  se  pré- 
parer à  recevoir  les  saints  ordres. 

Les  honneurs  l'attendaient  encore  au  seuil  de  la  carrière  sacerdotale. 
L'étudiant  chargé  des  lauriers  de  deux  universités  illustres,  le  noble  rejeton 
d'une  antique  maison,  laissa  tomber  à  ses  pieds  les  espérances  du  siècle 
peu  dignes  de  toucher  sa  grande  âme.  Tout  s'effaça  devant  ses  regards  ha- 
bitués à  contempler  les  hauteurs  du  ciel.  Il  était  prêtre  !  quel  honneur 
valait  un  tel  honneur  ?  quelle  gloire  pouvait-il  ambitionner  après  cette 
gloire  suprême  ?  Un  seul  désir,  ardent,  irrésistible,  dévorait  son  cœur  : 
gagner  au  Christ,  son  maître,  les  âmes  rebelles  ou  ignorantes.  On  le  vit 
alors  partir  seul,  sans  argent,  sans  aucun  titre  que  celui  de  prêtre  du  Sei- 
gneur, sans  mission  autre  que  celle  du  zèle,  et  parcourir  les  campagnes  où 
sa  réputation  n'avait  pu  parvenir. 

Ce  difficile  et  admirable  travail  fut  comblé  de  bénédictions.  Bruno, 
dont  l'éloquence  ravissait  les  lettrés,  se  fit  simple  et  oublia  sa  rhétorique 
pour  répandre  la  loi  divine  dans  les  intelligences  quasi  sauvages  du  peuple; 
la  solitude,  les  privations,  le  mépris  de  tous  les  dangers  enivraient  cette 
âme  que  les  applaudissements  de  deux  pays  avaient  laissée  insouciante  et 
froide.  Heureux  de  ce  travail  obscur  qu'il  savait  grand  aux  yeux  de  Dieu, 
il  ne  demandait  rien  de  plus  ;  mais  la  Providence,  qui  voulait  faire  de  ce 
jeune  homme  un  modèle  accompli  dans  toutes  les  situations,  le  rappela  à. 
la  gloire  qu'il  fuyait. 

Bruno  avait  effacé  de  sa  mémoire  les  triomphes  de  l'école  ;  Reims  s'en 
souvenait.  Gervais,  son  archevêque,  prélat  érudit  et  saint,  n'avait  pas  perdu 
de  vue  le  brillant  étudiant,  couronné  tant  de  fois  par  lui.  Il  le  rappela  au 
nom  du  bien  public.  Bruno,  plein  d'une  humble  terreur,  hésita  longtemps. 
Ce  ne  fut  qu'après  bien  des  jours  de  larmes  et  de  prières  qu'il  se  décida  à 
quitter  ses  campagnes  chéries.  Son  retour  à  Reims  fut  salué  par  l'enthou- 
siasme universel.  Gervais  le  nomma  chancelier  des  écoles  du  diocèse  et 
chanoine  théologal.  Ces  hautes  positions  étaient  dignes  de  lui,  il  les  remplit 
avec  cette  perfection  de  zèle,  cette  simplicité  et  cette  douceur  qui  sont  la 
marque  du  vrai  mérite.  On  l'appelait  le  Maître,  et  il  méritait  ce  titre  par 
l'éclat  de  sa  science  ;  on  pouvait  aussi  le  nommer  Père,  tant  sa  bonté  et  sa 
grâce  ravissaient  tous  les  cœurs.  La  savante  école  de  Reims  était  justement 
fière  de  sa  conquête;  le  saint  archevêque  bénissait  le  ciel  qui  lui  avait  rendu 
un  fils  et  un  auxiliaire  ;  les  rares  aptitudes  de  Bruno  s'étendaient  à  tout. 
Bientôt,  à  ses  grands  travaux  scolastiques,  à  sa  charge  de  chancelier,  aux 
exercices  de  piété  que  sa  ferveur  multipliait,  vint  s'ajouter  le  soin  des 
affaires  ecclésiastiques  de  la  province.  Tant  de  labeurs  absorbaient  ses  jours 
et  souvent  ses  nuits,  et  pourtant  il  suffisait  à  tout.  La  vie  des  Saints  est 
pleine  de  ces  merveilles,  la  plus  étonnante  est  cette  multiplication  du  temps 
qu'ils  semblent  opérer  à  leur  gré.  Bruno,  environné  de  gloire  et  d'affec- 
tion, nourrissait  toujours  dans  son  cœur  l'insatiable  désir  de  la  perfection. 


SAINT  BRUNO  DE   COLOGNE,   PRÊTRE  ET  CONFESSEUR.  93 

Le  monde  lui  pesait.  Se  cacher,  fuir  à  jamais  cette  renommée  brillante 
qu'il  n'avait  pas  cherchée,  était  l'objet  constant  de  ses  pensées  secrètes; 
mais  Dieu,  qui  l'avait  montré  aux  hommes  si  grand  dans  la  prospérité, 
voulut,  avant  de  le  prendre  pour  lui  seul,  le  leur  présenter  comme  un  mo- 
dèle de  constance  dans  les  revers.  Gervais  mourut,  et  l'intrus  Manassès 
parvint,  à  force  d'intrigues,  à  lui  succéder.  La  sévère  cour  épiscopale  de 
Reims  devint  bientôt  un  foyer  de  scandales.  Bruno,  qui  semblait  oublier 
depuis  si  longtemps  le  rang  que  sa  vertu  et  ses  lumières  lui  donnaient  dans 
ce  vaste  diocèse,  parut  cette  fois  le  premier  sur  la  brèche  et  se  servit  de 
l'autorité  de  son  nom  pour  former  un  rempart  entre  l'Eglise  menacée  et 
l'indigne  prélat  qui  la  déchirait.  Une  persécution  violente,  des  vexations 
inouïes,  des  voies  de  fait  même,  furent  le  résultat  de  ce  noble  courage.  Il 
supporta  cet  état  de  choses,  si  nouveau  pour  lui,  avec  la  mansuétude  iné- 
branlable qui  accompagne  l'homme  fixé  à  jamais  au-dessus  des  tempêtes 
du  temps.  Tel  on  l'avait  vu  souriant  et  calme  au  milieu  des  frénétiques 
applaudissements  de  la  foule,  tel  il  resta  en  face  de  ses  fureurs.  Il  appela 
de  Rome  un  légat  du  Pape.  Un  concile  s'assembla  à  Autun,  dont  Bruno  fut 
l'âme,  bien  qu'à  cette  époque  il  n'eût  pas  encore  quarante  ans.  Manassès 
condamné  disparut  de  la  scène  et,  après  avoir  fait  un  bruit  si  scandaleux, 
mourut  dans  une  telle  obscurité  que  l'histoire  n'a  pu  découvrir  le  lieu  de 
son  trépas. 

Cette  tourmente  avait  duré  longtemps.  Le  calme  une  fois  rétabli,  l'astre 
de  Reims  parut  briller  d'un  nouvel  éclat.  Le  légat  du  Pape  l'avait  présenté 
à  Rome  comme  le  plus  ferme  champion  des  droits  de  l'Eglise,  le  siège  épis- 
copal  était  vacant,  Bruno  fut  désigné  par  tous  pour  l'occuper  ;  mais  lui, 
qui  avait  bravé  les  persécutions  avec  tant  de  sainte  constance,  ne  put  envi- 
sager de  sang-froid  ce  fardeau  glorieux  si  justement  mérité.  Il  s'enfuit  de 
Reims  après  une  nuit  de  prières  et  de  larmes. 

On  dit  qu'il  vint  à  Paris  et  que  là,  assistant  à  Notre-Dame,  à  l'enterre- 
ment d'un  chanoine  que  la  voix  publique  canonisait  d'avance,  il  lui  fut 
révélé  que  l'infortuné,  au  contraire,  était  damné.  Ce  fait  légendaire  que 
Lesueur  a  immortalisé  dans  une  des  toiles  célèbres,  connues  sous  le  nom  de 
Cloître  de  Saint-Bruno,  n'a  pas  trouvé  créance  près  des  écrivains  sérieux 
qui  ont  écrit  la  vie  du  Saint  ;  du  reste,  Bruno  n'avait  pas  besoin  d'un  mira- 
cle pour  se  consacrer  à  la  vie  religieuse  ;  il  y  avait  longtemps  que  cette 
pensée  germait  dans  son  esprit.  A  Reims,  lors  de  ses  grands  travaux  et  de 
ses  brillants  succès,  il  aimait  à  s'enfermer  dans  l'étroit  enclos  d'un  jardin 
silencieux,  et  là,  entre  ses  deux  amis  privilégiés,  Raoul  le  Vert  et  le  cha- 
noine Fulcius,  il  employait  son  admirable  éloquence  à  tracer  en  traits  en- 
flammés les  charmes  et  les  bienfaits  de  l'existence  monastique.  Ces  deux 
hommes,  confidents  de  ses  secrets  désirs,  semblaient  devoir  être  les  com- 
pagnons de  sa  retraite,  son  cœur  aimant  les  y  conviait.  Gagnés,  en  effet, 
par  l'entraînante  parole  du  Maître,  ils  firent  vœu  de  quitter  le  siècle  à  sa 
suite  ;  mais  Fulcius  voulut  auparavant  aller  à  Rome  ;  il  partit  et  oublia  sa 
promesse  pendant  ce  long  voyage  ;  Raoul  aussi  se  laissa  détourner  par 
d'autres  soins  ;  la  gloire  du  monde  sans  doute  toucha  leur  cœur,  moins 
grand  et  moins  détaché  que  celui  de  Bruno.  Ils  perdirent  ainsi  l'immortel 
honneur  de  partager,  à  ses  côtés,  devant  les  âges  futurs,  l'éclat  de  son 
auréole. 

A  cette  période  de  la  vie  de  Bruno,  les  biographes  semblent  indécis. 
Quelques-uns  prétendent  qu'après  une  courte  retraite  passée  dans  l'attente 
de  ses  compagnons,  il  reprit  le  chemin  de  Reims  et  remonta  dans  sa  chaire 


94  6  OCTOBRE. 

de  théologie.  Le  même  enthousiasme  l'accueillit.  La  foule  se  pressa  de  nou- 
veau, ardente  et  passionnée,  autour  de  son  orateur  favori,  les  mains  prêtes 
aux  applaudissements  et  l'esprit  à  l'admiration  ;  mais  l'illustre  professeur 
semblait  avoir  oublié  les  subtilités  de  la  scolastique  et  répudié  les  fleurs  de 
la  poésie.  Son  front  agrandi  par  les  austérités  s'était  couronné  d'un  rayon 
divin,  ses  yeux  brillant  du  feu  sacré  avaient  entrevu  dans  les  profondeurs 
des  cieux  l'unique  sujet  capable  désormais  d'enflammer  son  génie.  Ses 
auditeurs,  un  moment  surpris,  se  rendirent  à  cette  éloquence  nouvelle  pour 
eux.  Bruno  ne  prêchait  plus  que  les  sublimes  renoncements  et  les  splen- 
deurs de  la  patrie  céleste,  et  il  tenait  encore  sous  le  charme  la  multitude 
frémissante.  «  On  croyait  entendre  Dieu  même  » ,  dit  naïvement  un  vieil 
écrivain.  Les  deux  timides  compagnons  qui  n'avaient  pas  osé  suivre  le  Saint 
dans  l'accomplissement  de  sa  vie  nouvelle  furent  vite  remplacés  ;  plusieurs 
âmes  d'élite,  embrasées  à  leur  tour  du  désir  surnaturel  de  la  perfection, 
résolurent  de  s'attacher  à  ses  pas. 

Bruno  ne  quitta  pas  tout  d'abord  la  Champagne.  Cet  homme  si  savant  et 
si  pieux  avait  l'humilité  de  croire  que  tout  lui  restait  à  apprendre.  Il 
alla  trouver  Robert,  abbé  de  Molesmes,  qui  devint  plus  tard  le  fondateur 
du  grand  Ordre  de  Cîteaux,  et  se  mit  sous  sa  conduite  avec  la  docilité  d'un 
enfant. 

Bruno  était  une  de  ces  âmes  héroïques  qui  ne  s'arrêtent  pas  tant 
qu'elles  croient  apercevoir  à  l'horizon  de  leur  destinée  une  hauteur  à  gra- 
vir. L'amitié  de  Robert  et  le  séjour  à  Molesmes  lui  parurent  des  douceurs 
incompatibles  avec  ses  rêves  de  perfection  absolue.  Il  songeait  au  désert. 
Les  grands  solitaires  d'Egypte  vivant  au  milieu  de  sites  sauvages  et  inexplo- 
rés lui  semblaient  les  seuls  modèles  dignes  de  son  ardent  amour  pour  le 
silence  et  la  contemplation.  Robert,  qui,  de  son  côté,  se  sentait  épris  des 
mêmes  pensées,  se  garda  bien  de  retenir  son  ami.  Ils  cherchèrent  ensemble 
dans  quel  coin  du  monde  la  nature  pouvait  être  assez  âpre  pour  offrir  une 
retraite  inaccessible.  Leurs  regards  se  portèrent  vers  les  Alpes  dauphinoises 
dont  ils  avaient  seulement  ouï  parler.  Ce  fut  une  inspiration. 

Bruno  était  venu  à  Molesmes  avec  six  compagnons  qui,  enflammés  par 
ses  prédications,  avaient  résolu  de  le  suivre  partout.  L'histoire  a  conservé 
ces  noms,  qui  brillèrent  comme  des  étoiles  autour  du  grand  nom  de  leur 
chef.  C'étaient  Lauduin,  Etienne  du  Bourg,  Etienne  de  Die,  Hugues  le  cha- 
pelain, tous  quatre  prêtres  et  nés  dans  les  doux  climats  de  la  Toscane  et 
de  l'Espagne  ;  puis  deux  laïques,  André  et  Guérin.  Bruno  les  réunit  et  leur 
parla  avec  énergie  de  la  vie  austère  qui  les  attendait.  Le  rude  tableau  qu'il 
en  traça  ne  les  ébranla  point,  et  ils  se  déclarèrent  résolus  à  ne  jamais 
l'abandonner.  Le  départ  fut  décidé.  Cet  entretien  solennel  avait  eu  lieu  le 
soir.  Bruno  se  retira  dans  l'église  de  Molesmes  et  passa  toute  la  nuit  en 
oraison.  Vers  le  matin,  vaincu  par  la  fatigue,  il  s'endormit,  les  genoux 
ployés  sur  les  dalles  et  la  tête  appuyée  contre  un  pilier.  Ce  court  sommeil 
du  corps  laissa  son  âme  éveillée  ;  trois  anges  lui  apparurent  et  le  fortifiè- 
rent merveilleusement  en  lui  annonçant  que  Dieu  marcherait  à  ses  côtés 
et  que  son  œuvre  serait  bénie. 

N'est-il  pas  permis  de  croire  que  ces  messagers  célestes  furent  les 
mêmes  qui,  cette  nuit-là,  visitèrent  aussi  le  sommeil  de  saint  Hugues, 
évêque  de  Grenoble,  et  lui  annoncèrent  l'arrivée  prochaine  des  amis  du 
Seigneur?  La  pieuse  et  poétique  tradition  nous  représente  en  effet  le  saint 
prélat  transporté  en  rêve  dans  le  désert  de  la  Chartreuse,  au  milieu  des 
forêts  épaisses  et  des  torrents  impétueux  qui  rendaient  inaccessible  cette 


SAINT  BRUNO  DE  COLOGNE,  PRÊTRE  ET  CONFESSEUR.  95 

partie  sauvage  de  son  diocèse.  Là,  au  fond  des  gorges  menacées  par  les 
avalanches,  un  temple  superbe  s'élevait  tout  à  coup,  et  sept  astres  aux  feux 
étincelants  en  couronnaient  le  faîte.  Hugues  s'éveilla  ému  de  ce  songe  pro- 
phétique et  attendit,  en  priant  Dieu,  l'accomplissement  de  ce  que  sa  foi 
envisageait  comme  une  révélation.  Il  ne  se  fit  pas  attendre  longtemps,  car 
peu  de  jours  après  Bruno  arrivait  et  se  jetait  aux  pieds  de  l'évêque.  Celui- 
ci  avait  suivi  jadis,  à  Reims,  le  cours  de  l'éloquent  professeur  ;  il  le  recon- 
nut avec  une  joie  inexprimable,  et  tout  pénétré  d'admiration  et  de  crainte 
affectueuse,  il  fit  aux  futurs  solitaires  une  peinture  redoutable  du  lieu  qu'il 
avait  entrevu  dans  sa  vision.  A  mesure  qu'il  parlait,  Bruno  et  ses  compa- 
gnons témoignaient  leur  joie,  car  la  description  réalisait  dans  sa  sublime 
horreur  le  site  qu'ils  s'étaient  plu  à  rêver  ;  la  Thébaïde  était  surpassée  par 
ce  nouveau  désert,  au  moins  par  l'âpreté  du  climat.  Après  quelques  jours 
de  repos  au  palais  épiscopal  de  Grenoble,  l'évêque  voulut  lui-même  con- 
duire ses  héroïques  hôtes  au  lieu  de  leur  retraite,  situé,  dans  sa  pensée,  à 
l'endroit  précis  où  il  avait  vu  s'arrêter  les  sept  étoiles. 

Il  fallut  franchir  de  dangereux  précipices,  s'ouvrir  un  difficile  chemin 
à  coups  de  hache  dans  des  bois  d'une  végétation  puissante,  entremêlés  de 
ronces  épaisses  et  d'immenses  fougères.  On  avançait  lentement,  et  plus 
d'une  fois  les  bêtes  sauvages,  jusque-là  paisibles  habitantes  de  ces  lieux,  se 
prirent  à  hurler  autour  des  voyageurs,  comme  pour  leur  apprendre  qu'ils 
auraient  d'autres  ennemis  que  la  nature  à  combattre.  On  arriva  enfin, 
après  mille  dangers,  au  but  de  ce  hardi  pèlerinage.  C'était  là,  au  point  le 
plus  tourmenté  du  désert,  parmi  d'énormes  fragments  de  roches  écroulées 
à  la  suite  des  bouleversements  volcaniques,  que  devait  s'élever  le  nouveau 
temple  à  la  gloire  de  Dieu. 

Hugues  reprit  le  chemin  de  Grenoble,  mais  son  cœur  resta  près  de  ses 
amis.  Tandis  que  Bruno,  au  comble  de  ses  vœux,  jetait  l'ébauche  de  son 
monastère  en  bâtissant  une  chapelle  en  l'honneur  de  la  Mère  de  Dieu,  ap- 
pelée Sancta  Maria  de  Casalibus,  et  des  cabanes  de  branchages,  l'évêque,  par 
de  touchantes  prières,  obtenait  de  ceux  qui  avaient  des  droits  de  propriété 
sur  ces  rudes  montagnes  une  cession  pleine  et  entière  en  faveur  des  nou- 
veaux solitaires.  Il  se  fit  le  procureur  de  ces  hommes  qui  dédaignaient  tout 
soin  matériel,  et  pour  que  rien  en  ce  monde  ne  vînt  troubler  le  silence  de 
leurs  entretiens  célestes,  il  voulut  se  charger  par  la  suite  d'élever  à  ses 
frais  quelques  cellules  de  bois  et  une  église  convenable.  C'est  là  qu'il 
aimait  à  venir  chercher  un  repos  dont  son  âme  aussi  était  avide.  Dépouil- 
lant ses  insignes  épiscopaux  et  oubliant  avec  bonheur  le  rang  où  Dieu  et 
ses  vertus  l'avaient  placé,  il  redevenait  l'écolier  de  Reims  pour  écouter 
encore  les  admirables  leçons  de  son  ancien  maître. 

Le  travail,  la  prière,  un  profond  silence  du  côté  des  hommes,  tel  fut 
pour  Bruno  l'emploi  des  premières  années  de  sa  retraite.  Tout  entier  aux 
pénibles  labeurs  du  défrichement  et  aux  soins  de  sa  famille  spirituelle, 
heureux  surtout  de  se  croire  oublié,  il  fit  du  désert  sa  patrie  et  l'aima 
comme  une  mère  dont  la  prédilection  est  pour  l'enfant  qu'elle  a  eu  le  plus 
de  peine  à  obtenir  et  à  conserver.  Plus  l'homme  s'agite  pour  attirer  les 
regards  de  ses  semblables,  plus  il  s'expose  à  une  dédaigneuse  indifférence  ; 
mais,  au  contraire,  le  monde  se  précipite,  curieux  d'abord,  respectueux  et 
suppliant  ensuite,  au-devant  des  nobles  natures  qui  ne  le  recherchent  pas. 
Dieu  ne  veut  point  qu'il  y  ait  des  grottes  assez  obscures  pour  cacher  à 
jamais  ses  solitaires,  ni  de  couvent  assez  impénétrable  pour  dérober  ses 
Saints  à  nos  regards.  La  renommée  qui  s'attache  à  de  tels  hommes  traverse 


96  6  OCTOBRE, 

les  mers  et  franchit  les  montagnes  à  un  jour  donné,  avec  la  rapidité  de 
l'ouragan.  Ceux  qui  en  sont  l'objet  ont  seuls  le  privilège  de  ne  pas  enten- 
dre ;  ils  se  croient  ensevelis  et  apprennent  tout  à  coup  que,  de  l'Orient  à 
l'Occident,  il  n'est  bruit  que  de  leur  nom.  Bruno  connut  cette  surprise 
amère.  Ses  frères,  qui  avaient  la  douce  habitude  de  le  comtempler  au 
milieu  d'eux  comme  une  vivante  image  de  la  paix  et  du  bonheur,  le  virent 
un  jour  abattu  et  troublé.  Ses  lèvres  éloquentes  ne  trouvaient  plus  une  pa- 
role, et  ses  yeux  versaient  des  larmes  abondantes.  Le  plus  grand  honneur 
qu'une  âme  chrétienne  pût  recevoir  ici-bas  le  menaçait.  L'Eglise  romaine 
l'appelait  à  sa  défense.  Un  des  élèves  de  Bruno,  depuis  chanoine  de  Reims, 
Eudes,  né  à  Châtillon-sur-Marne,  avait  été  élevé  au  trône  pontifical  sous  le 
nom  d'Urbain  II.  Cette  élection  trouva  dans  l'empereur  Henri  IV  un  violent 
adversaire  et  suscita  un  schisme.  L'antipape  Guibert,  soutenu  par  Henri, 
usurpa  les  clefs  et  osa  s'asseoir  à  côté  de  son  souverain  légitime.  Urbain 
persécuté,  en  proie  à  toutes  les  tristesses  que  la  vue  des  maux  de  l'Eglise 
causail  à  son  cœur,  écrivit  à  Bruno  une  lettre  pressante  et  forte  pour 
l'appeler  à  Rome,  où  ses  conseils  et  sa  science  devenaient  indispensables. 
Il  priait  en  ami,  il  ordonnait  en  souverain,  l'hésitation  n'était  pas  permise. 

Bruno  désigna  Lauduin  pour  le  remplacer  et  partit,  le  cœur  brisé. 
L'immense  douleur  de  ses  enfants,  qui  pleuraient  autour  de  lui  et  ne  sem- 
blaient pas  pouvoir  être  consolés,  ajoutait  à  son  déchirement  l'inquiétude 
fondée  de  voir  son  œuvre  comme  sapée  par  la  base.  Malgré  son  humilité,  il 
ne  pouvait  en  effet  se  dissimuler  que  sa  présence  animait  tous  les  courages. 
Lui  de  moins,  qu'allait  devenir  cette  famille  sitôt  orpheline  et  à  peine 
formée  à  des  austérités  presque  surhumaines?  La  joie  du  souverain  Pontife, 
qui  reçut  son  ancien  maître  comme  un  sauveur,  les  honneurs  de  la  cour 
de  Rome,  les  travaux  d'une  polémique  ardente  ne  purent  vaincre  les 
appréhensions  du  solitaire.  Les  Saints  ont  au  fond  du  cœur  une  lampe 
rayonnante,  qui  éclaire  pour  eux  le  secret  de  l'avenir.  Ce  que  Bruno  redou- 
tait arriva.  Peu  de  temps  après  son  installation  au  palais  d'Urbain,  il  apprit 
que  ses  compagnons,  tentés  jusqu'au  vertige,  avaient  abandonné  la  Char- 
treuse. Le  désert  sans  Bruno  leur  était  apparu  dans  son  insurmontable 
horreur.  Les  travaux  avaient  langui  sous  ces  mains  devenues  tout  à  coup 
débiles.  La  psalmodie  qui,  naguère,  montait  vers  le  ciel  avec  tant  d'ardeur 
était  ou  délaissée  ou  interrompue  par  des  sanglots  continuels.  Ce  fut  au 
point  que  le  prieur  Lauduin,  découragé  lui-môme,  se  sentit  sans  force  et 
sans  autorité.  Revoir  Bruno  ou  mourir,  tel  était  le  cri  de  ces  hommes  que 
d'effrayantes  privations  n'avaient  pu  vaincre,  et  qui  tout  à  coup,  perdant  la 
raison  et  presque  la  foi,  succombaient  pour  un  moment  à  une  surprise  du 
cœur.  Lauduin  comprit  qu'il  fallait  céder,  et  il  les  conduisit  lui-même 
à  Rome. 

Bruno  reçut  les  fugitifs  avec  une  tristesse  grave  et  douce,  où  son  âme  se 
révélait  tout  entière  ;  aucun  reproch  e  amer  ne  lui  échappa  :  le  supérieur 
sentait  la  faute,  le  père  pressentait  la  réparation,  et  son  refuge  fut  dans  la 
prière.  Il  demanda  à  Dieu  d'éclairer  lui-même  ces  esprits  d'élite  si  subite- 
ment aveuglés.  Une  telle  mansuétude  porta  bientôt  des  fruits.  Les  pieux 
égarés  comprirent  vite  que  la  nature  avait  cédé  chez  eux  aux  illusions  du 
démon  et  furent  remplis  de  malaise  et  d'inquiétude,  à  la  vue  de  l'existence 
facile  et  sans  but  qu'ils  menaient  à  Rome.  L'exemple  de  Bruno,  qui  soupi- 
rait ardemment  vers  son  retour  à  la  solitude,  ses  entretiens,  la  désappro- 
bation évidente  du  souverain  Pontife  achevèrent  de  verser  dans  leur  cœurs 
une  lumière  salutaire.  Ils  implorèrent  un  pardon  qui  leur  fut  accordé  avec 


SALNT  BRUNO  DE  COLOGNE,  PRÊTRE  ET  CONFESSEUR.  97 

tendresse  et  reprirent  tous  le  chemin  de  la  Chartreuse.  Rendus  plus  fervents 
par  l'épreuve,  ces  colons  du  désert  y  reparurent  aussi  plus  nombreux.  Dieu 
leur  adjoignit  en  route  de  nouveaux  ouvriers.  Ce  sol  aride,  déjà  arrosé  de 
leurs  sueurs,  les  revit  pleurant  de  joie  et  de  repentir.  L'amour  d'un  homme 
les  en  avait  éloignés,  l'amour  de  Dieu  les  y  ramenait,  et  désormais,  au  long 
cours  des  siècles,  la  force  brutale  des  révolutions  devait  seule  être  capable 
de  les  chasser  de  nouveau. 

Le  Saint  faisait  depuis,  par  lettres,  ce  qu'il  ne  pouvait  faire  de  vive  voix. 
Il  les  instruisait  de  toutes  les  pratiques  de  la  vie  solitaire,  les  animait  à 
une  ferme  et  vigoureuse  persévérance,  les  consolait  dans  leurs  peines,  les 
éclairait  dans  leurs  doutes,  et  les  élevait  par  des  discours  tout  célestes  à 
la  contemplation  des  vérités  éternelles.  Enfin,  il  faisait  couler  dans  leur 
cœur  ce  feu  de  l'amour  divin  dont  le  sien  était  tout  pénétré.  Ces  saintes 
instructions,  néanmoins,  n'empêchèrent  pas  une  violente  tentation,  à  la- 
quelle ils  furent  sur  le  point  de  succomber.  Quelques  personnes,  suscitées 
sans  doute  par  le  démon,  à  qui  cet  Ordre  naissant  donnait  de  terribles 
alarmes,  leur  suggérèrent  qu'ils  n'étaient  nullement  dans  la  voie  de  Dieu, 
parce  qu'ils  entreprenaient  une  vie  qui,  étant  beaucoup  au-dessus  de  leurs 
forces,  nuisait  à  leur  santé,  avançait  leurs  jours,  et  les  mettait  ainsi  dans 
l'impuissance  de  servir  l'Eglise.  Ils  se  représentaient  là-dessus  l'horreur  de 
leur  solitude,  la  longueur  de  leurs  jeûnes,  l'éloignement  de  tout  secours 
humain,  et  beaucoup  d'autres  choses  qui  augmentaient  à  tous  moments  la 
perplexité  où  ces  mauvais  conseils  les  avaient  jetés.  Ils  ne  pouvaient,  d'ail- 
leurs, se  résoudre  à  quitter  de  nouveau  un  lieu  où  ils  savaient  que  la  divine 
Bonté  les  avait  appelés.  Mais  Dieu,  qui  ne  permet  pas  que  ses  serviteurs 
soient  tentés  au-dessus  de  leurs  forces,  les  assista  puissamment  dans  ce 
doute,  qui  ne  venait  que  de  la  crainte  qu'ils  avaient  de  lui  déplaire  ;  car, 
un  jour  qu'ils  conféraient  ensemble  sur  ce  sujet,  un  vénérable  vieillard  leur 
apparut  et  dissipa  tout  ce  nuage,  par  l'assurance  qu'il  leur  donna  que  la 
sainte  Vierge,  mère  de  Dieu,  serait  leur  avocate  et  leur  protectrice,  s'ils 
étaient  exacts  à  réciter  tous  les  jours  en  son  honneur  les  sept  heures  de  son 
office.  Alors  la  lumière  succédant  aux  ténèbres,  et  la  joie  à  la  tristesse,  ils 
résolurent  fortement  de  demeurer  jusqu'à  la  mort  dans  leur  désert  et  dans 
leur  manière  de  vivre,  sous  la  protection  de  cette  puissante  Médiatrice  et 
de  saint  Jean-Baptiste,  et  ils  se  persuadèrent  aisément  que  ce  vénérable 
vieillard,  qui  leur  était  apparu,  était  l'apôtre  saint  Pierre,  lorsque,  peu 
de  temps  après,  Urbain  II,  son  successeur,  fit  déposer  au  concile  de  Cler- 
mont  les  heures  de  Notre-Dame  pour  être  récitées  généralement  par  tout 
le  clergé. 

Pendant  que  ces  choses  se  passaient  en  France,  Bruno  sollicitait  de 
toutes  ses  forces,  à  Rome,  la  permission  de  quitter  la  cour  et  de  se  retirer. 
Le  Pape  résista  longtemps  à  ses  prières  et  à  ses  instances  ;  mais,  craignant 
enfin  de  s'opposer  à  la  volonté  de  Dieu  et  à  l'attrait  de  sa  vocation,  il  lui 
donna  pouvoir  de  retourner  à  sa  Chartreuse,  ou  de  se  choisir  toute  autre 
solitude  qu'il  lui  plairait.  On  ne  peut  concevoir  la  joie  que  cette  grâce  lui 
causa.  Il  disait  avec  le  Prophète  :  «  Seigneur,  vous  avez  rompu  mes  liens; 
je  vous  sacrifierai  une  hostie  de  louange  et  j'invoquerai  votre  nom.  Mon  âme 
s'est  sauvée  comme  le  passereau  du  filet  du  chasseur  :  le  filet  s'est  rompu, 
et  j'ai  été  délivré  ».  Mais,  lorsqu'il  se  disposait  à  partir,  un  nouvel  accident, 
auquel  il  ne  s'attendait  pas,  arrêta  encore  son  voyage.  Les  habitants  de 
Reggio,  en  Calabre,  ayant  perdu  leur  archevêque,  jetèrent  les  yeux  sur  lui 
et  le  choisirent  pour  remplir  cette  place  vacante.  Le  Pape  avait  donné  son 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XU.  7 


jjg  6  OCTOBRE. 

consentement  à  cette  élection,  et  avait  même  témoigné  qu'elle  lui  serait 
agréable;  ainsi,  il  souhaitait  qu'elle  eût  son  effet.  Mais  Bruno,  qui  ne  sou- 
pirait qu'après  la  solitude,  fit  tant  auprès  de  Sa  Sainteté,  par  la  sainte  im- 
portunité  de  ses  prières,  qu'il  en  obtint  enfin  la  décharge.  Il  n'y  eut  donc 
plus  rien  qui  l'arrêtât  à  la  cour  de  Rome  et  qui  s'opposât  à  sa  liberté.  Son 
désir  était  de  venir  retrouver  ses  chers  enfants,  qui  se  regardaient  toujours 
comme  orphelins,  étant  séparés  de  la  compagnie  d'un  père  de  si  grand 
mérite  ;  mais,  comme  le  Pape  se  disposait  à  venir  en  France,  et  assez  près 
de  la  Chartreuse,  craignant  qu'il  ne  l'engageât  de  nouveau  à  sa  suite,  ou 
qu'il  ne  le  chargeât  de  quelque  évêché  qu'il  trouverait  vacant,  il  se  priva 
de  cette  consolation  et  se  retira  avec  quelques  autres  disciples,  auxquels  il 
inspira  l'amour  de  la  vie  solitaire,  au  désert  de  la  Tour,  dans  le  diocèse  de 
Squillace,  en  Galabre.  Comme  un  torrent  qui  a  rompu  sa  digue  et  qui  s'est 
mis  en  liberté,  court  avec  plus  d'impétuosité  dans  les  campagnes  qu'il  ne 
faisait  auparavant,  ainsi  Bruno,  se  voyant  délivré  de  l'embarras  des  affaires, 
s'adonna  avec  plus  de  ferveur  que  jamais  aux  exercices  de  la  vie  intérieure 
et  spirituelle.  Quels  étaient  son  austérité,  sa  mortification,  son  détache- 
ment de  toutes  les  choses  d'ici-bas  et  son  union  d'esprit  avec  Dieu  ?  Il  était 
sur  la  terre  comme  s'il  n'eût  plus  eu  de  commerce  avec  la  terre.  Ses  sens 
ne  lui  servaient  que  pour  les  nécessités  indispensables  du  corps  et  pour  les 
offices  de  piété.  Sa  conversation  était  continuellement  dans  le  ciel,  et  il 
jouissait  d'une  paix  et  d'une  tranquillité  d'âme  si  parfaite  qu'il  goûtait 
déjà  par  avance  le  repos  et  les  douceurs  de  l'éternité.  C'est  ce  qui  lui  fai- 
sait donner  à  la  vie  solitaire  ces  grands  éloges  que  nous  lisons  dans  sa 
lettre  à  Raoul,  prévôt,  et,  depuis,  archevêque  de  Reims,  et  qui  le  remplis- 
sait de  ces  sentiments  tout  divins  dont  ses  autres  lettres  et  ses  riches  Com- 
mentaires sur  l'Ecriture  sont  remplis. 

Mais  quelque  effort  qu'il  fît  pour  ne  point  connaître  le  monde  et  pour 
n'en  être  point  connu,  Dieu  permit,  néanmoins,  qu'il  fût  enfin  découvert 
dans  le  secret  de  sa  solitude  :  un  jour,  Roger,  prince  de  Sicile  et  comte  de 
Calabre,  se  divertissait  à  la  chasse  et  aux  environs  de  ce  lieu  de  sainteté  ; 
ses  chiens  étant  arrivés  à  l'endroit  des  cellules  s'arrêtèrent  tout  court  et 
ne  se  mirent  plus  en  peine  de  poursuivre  leur  proie.  Leurs  aboiements 
firent  assez  connaître  qu'ils  avaient  trouvé  quelque  chose  d'extraordinaire. 
Le  comte  s'approcha,  et  il  aperçut  aussitôt  cet  homme  céleste  avec  la 
troupe  de  ses  enfants  qui,  ayant  les  yeux  et  les  mains  élevés  vers  le  ciel, 
sollicitaient  la  divine  bonté  par  leurs  prières.  Il  descendit  en  même  temps 
de  cheval  pour  leur  témoigner  ses  respects,  et,  les  ayant  embrassés,  il  leur 
demanda  qui  ils  étaient  et  ce  qu'ils  faisaient  en  ce  lieu.  Saint  Bruno  le 
satisfit  entièrement  sur  toutes  ses  demandes  ;  et  il  gagna  tellement  son 
affection,  que  ce  prince,  pour  ne  pas  perdre  un  si  grand  trésor  que  Dieu 
lui  avait  envoyé  dans  ses  terres,  lui  donna  et  à  toute  sa  compagnie,  une 
église  appelée  de  Sainte-Marie  et  de  Saint-Etienne,  où,  depuis,  il  lui  ren- 
dait souvent  visite  pour  prendre  ses  avis  sur  les  affaires  les  plus  importantes 
de  son  Etat. 

Sa  bienveillance  et  sa  libéralité  envers  le  Saint  ne  furent  pas  sans  ré- 
compense ;  car,  peu  de  temps  après,  pendant  qu'il  assiégeait  la  ville  de 
Capoue,  un  de  ses  capitaines,  nommé  Serge,  grec  de  nation,  ayant  promis 
pour  une  grande  somme  d'argent  de  le  livrer  avec  son  armée  entre  les 
mains  des  assiégés,  ce  bienheureux  Solitaire,  la  nuit  que  la  trahison  se 
devait  exécuter,  apparut  à  Robert  avec  un  visage  plein  de  respect,  les 
habits  déchirés  et  les  yeux  baignés  de  larmes,  l'avertit  de  se  lever  prompte- 


SAINT  BRUNO  DE  COLOGNE,  PRÊTRE  ET  CONFESSEUR.  99 

ment,  de  prendre  les  armes  et  de  prévenir  ses  ennemis.  Il  obéit  à  cette 
voix,  et  sa  diligence  eut  tout  le  succès  qu'il  en  pouvait  espérer  :  car  Serge, 
se  voyant  découvert,  prit  la  fuite  avec  les  conjurés,  plusieurs  des  assiégés 
furent  tués  ou  blessés,  la  ville  fut  prise,  et,  au  bout  de  cinq  mois,  il  s'en 
retourna  à  son  château  de  Squillace.  Après  son  retour,  il  tomba  dans  une 
grande  maladie  qui  le  tint  quinze  jours  au  lit.  Le  Saint  le  vint  voir  avec 
quatre  de  ses  disciples,  et  le  consola  par  des  discours  tout  célestes.  Roger 
lui  raconta  ce  qui  lui  était  arrivé,  et  comment,  par  son  avis,  il  avait  évité 
la  mort  et  emporté  la  place  qu'il  tenait  assiégée,  a  Ne  m'attribuez  pas 
cette  faveur  »,  lui  dit  Bruno,  «  mais  attribuez-la  à  l'ange  qui  veille  à  la 
conservation  des  princes  ;  c'est  à  lui  après  Dieu  que  Votre  Altesse  en  est 
redevable  » .  Cette  réponse  pleine  d'humilité  n'empêcha  pas  le  comte  de 
lui  en  faire  de  grands  remercîments  et  de  lui  offrir  en  reconnaissance  tous 
les  biens  qui  lui  appartenaient  dans  le  territoire  de  Squillace  ;  mais  Bruno 
refusa  ces  avantages  :  à  peine  consentit-il  à  accepter  le  monastère  de  Saint- 
Jacques,  avec  son  château  et  ses  dépendances,  pour  la  subsistance  de  ses 
religieux. 

Bruno,  qui  avait  été  le  premier  à  répondre  à  l'appel  de  Dieu,  resta  le 
dernier  debout  de  ses  plus  chers  compagnons.  Lauduin  et  la  plupart  des 
Chartreux  venus  de  Rome  moururent  loin  de  leur  maître  chéri.  Il  les  pleura 
avec  cette  effusion  du  cœur  qui  brave  les  glaces  de  l'âge.  Le  pape  Urbain  II 
les  suivit  dans  la  tombe;  Roger  enfin  expira  dans  les  bras  du  religieux  qu'il 
nommait  son  père.  Resté  seul  de  tant  de  grandes  âmes  qui  durent  au  con- 
tact de  la  sienne  une  immortelle  mémoire,  l'illustre  fondateur  comprit  que 
sa  mission  sur  cette  terre  allait  aussi  se  terminer.  L'approche  de  sa  der- 
nière heure  le  trouva  simple,  confiant,  oublieux  de  lui-même  comme  il 
l'avait  toujours  été.  Son  corps  purifié  n'eut  pas  à  subir  de  longues  souf- 
frances, il  s'affaiblit  graduellement  en  laissant  l'esprit  plein  de  vigueur  et 
de  liberté.  Un  dimanche  du  mois  d'octobre  1101,  les  moines  des  deux  mo- 
nastères de  Calabre,  rassemblés  pour  les  adieux,  s'agenouillèrent  émus  et 
recueillis  autour  du  lit  de  planches  couvert  de  cendres  où  leur  père  ache- 
vait de  vivre.  Bruno,  si  près  de  Dieu,  parlait  de  son  amour  et  de  la  gran- 
deur de  la  vocation  monastique  avec  cette  même  voix  éloquente  qui  ravis- 
sait son  siècle.  Un  moment,  ses  forces  semblèrent  l'abandonner,  mais  se 
ranimant  bientôt,  il  commença  d'un  ton  pénétrant  et  distinct  sa  confession 
générale.  Quand  il  eut  fini,  son  âme  avide  d'humiliation  ne  parut  pas  encore 
satisfaite,  il  demanda  à  ses  frères  si,  après  le  récit  d'une  vie  si  misérable, 
ils  ne  le  jugeaient  pas  indigne  de  la  sainte  Eucharistie.  Les  religieux  ne 
répondirent  que  par  des  sanglots.  Ils  le  soulevèrent  dans  leurs  bras,  et  après 
avoir  reçu  avec  une  foi  ardente  le  viatique  suprême,  il  s'endormit  sans  ago- 
nie au  milieu  de  sa  famille  désolée.  Ainsi  le  juste  se  penche  vers  l'éternité 
en  couronnant  son  passé  par  des  actes  d'une  simplicité  sublime,  et  long- 
temps après  lui  les  hommes  reconnaissent  aux  clartés  qu'il  laisse  à  l'hori- 
zon de  l'Eglise  qu'un  astre  vient  de  disparaître.  Notre  âge  contemple 
encore  sa  douce  lumière.  Les  œuvres  de  son  puissant  esprit,  ses  écrits,  ses 
travaux  sur  les  Conciles  n'ont  pas  vieilli;  l'œuvre  de  son  cœur,  l'ordre  qu'il 
a  fondé  reste  vivant  aux  yeux  de  tous  et  se  chargerait  d'assurer  l'immorta- 
lité à  son  nom,  si  notre  ingrat  égoïsme  était  tenté  de  l'oublier. 

Saint  Bruno  est  représenté  :  1°  assis  et  sous  ses  pieds  un  de  ses 
moines  place  un  linge  avec  respect;  2°  debout  sur  le  globe  du  monde;  3° 
en  extase  pendant  sa  prière;  4°  tantôt  dans  sa  grotte,  tantôt  dans  sa  soli- 
tude ;  5°  donnant  sa  règle  à  des  religieux  qui  la  reçoivent  à  genoux;  6°  tenant 


|Q0  6  OCTOBRE. 

une  branche  d'olivier  au  milieu  de  laquelle  Jésus- Christ  en  croix,  près  de 
lui  une  mitre,  une  tête  de  mort  et  une  crosse  ;  7°  tenant  à  la  main  un  cru- 
cifix dont  les  branches  se  terminent  par  des  feuilles;  8°  avec  ses  moines, 
cultivant  les  fleurs  de  la  solitude  ;  9°  à  genoux  et  priant  avec  ses  moines. 

CULTE  ET  RELIQUES.  —  ÉCRITS.  —  ORDRE  DES  CHARTREUX. 

Le  corps  de  saint  Bruno  fut  enterré  dans  le  cimetière  de  l'église  de  Notre-Dame  de  la  Tour,  où 
il  fut  découvert  en  1515.  On  l'y  conserve  encore  avec  beaucoup  de  respect,  et  il  est  l'objet  de  la 
vénération  publique.  La  grande  Chartreuse  possède  une  de  ses  reliques  consistant  en  un  os  du 
bras  :  il  est  renfermé  dans  un  beau  reliquaire  de  bois  doré.  Lors  de  la  translation  de  son  corps, 
en  1515,  le  chef  fut  séparé  et  mis  à  part  dans  un  reliquaire  fort  riche.  11  se  fit  en  cette  occasion 
plusieurs  distributions  de  ces  précieux  restes  auxquels  on  n'avait  point  touché  jusque-là.  La  Char- 
treuse de  Dauphine,  dit  la  Grande-Chartreuse,  obtint  une  partie  de  la  mâchoire  inférieure  avec  deux 
dents  ;  celles  de  Cologne,  lieu  de  la  naissance  du  Saint,  de  Fribourg  et  de  Paris,  obtinrent  chacune 
une  petite  portion  de  ses  précieux  restes. 

Le  pape  Léon  X,  voyant  l'éminente  sainteté  de  saint  Bruno  attestée  par  des  miracles,  permit 
de  réciter  un  office  propre  en  son  honneur,  ce  qui  fut  regardé  comme  une  béatification.  Le  pape 
Grégoire  XV  étendit  sa  fête  au-delà  de  l'Ordre  des  Chartreux,  Gt  insérer  son  office  dans  le  bré- 
viaire romain  et  le  mit  du  rite  semi-double.  Clément  X  réleva  dans  la  suite  au  rite  double. 

Les  œuvres  ^e  saint  Bruno  furent  éditées  à  Paris  en  1524,  par  Josse  Bade.  Elle  furent  réimpri- 
mées à  Cologne  en  1611  et  en  1640.  On  lui  attribue,  mais  à  tort,  un  grand  nombre  de  sermons. 
Ce  sont  autant  de  productions  de  la  plume  de  saint  Brunon,  évêque  de  Segni.  Saint  Bruno  est  l'au- 
teur de  deux  lettres  ;  on  lui  attribue  aussi  un  commentaire  sur  les  Psaumes,  différent  de  celui  de 
l'évèque  de  Segni,  et  un  autre  sur  les  Epitres  de  saint  Paul. 

L'Ordre  des  Chartreux  se  recruta  lentement,  et  ce  ne  fut  que  le  cinquième  prieur  de  la  Char- 
treuse, Guigues,  qui  rédigea  les  coutumes  du  couvent  et  les  communiqua  aux  autres  maisons  de 
l'Ordre.  Ces  coutumes  (consuetudines  Carthusix),  augmentées  par  Bernard  de  Latour  (1258), 
furent  confirmées  un  an  après  par  le  chapitre  général,  revues  et  étendues  en  1368,  1509  et  1681  ; 
alors  seulement,  et  sous  cette  dernière  forme,  elles  furent  ratifiées  par  le  pape  Innocent  XI,  et 
depuis  elles  sont  restées  la  règle  de  l'Ordre  qui,  lui-même,  avait  été  solennellement  confirmé  par 
Alexandre  III,  en  1170. 

Les  Chartreuses  se  composent  de  Pères  et  de  frères  convers.  Ces  deux  classes  de  moines  ob- 
servent la  même  règle,  avec  quelques  différences  dépendant  de  la  diversité  de  leurs  fonctions  et 
de  leur  instruction.  Les  moines  vivent  toujours  isolés,  chacun  dans  une  cellule.  Leur  temps  s'y 
partage  entre  la  méditation,  la  prière  orale  et  le  travail.  C'est  de  ces  cellules  silencieuses  et  oc- 
cupées que  sortirent  de  nombreuses  et  remarquables  copies  des  anciens  classiques,  de  merveilleux 
documents,  d'inimitables  manuscrits.  Les  moines  ne  mangent  ensemble  que  les  jours  de  fêtes  ca- 
pitulâmes, et  le  jour  de  la  mort  d'un  de  leurs  frères,  afin  de  se  donner  de  mutuelles  consolations  ; 
hors  de  là  ils  préparent  eux-mêmes  leur  repas  dans  leurs  cellules,  où  le  cuisinier  commun  leur 
apporte  ce  qui  est  nécessaire.  Ils  ne  se  servent  ni  de  beurre,  ni  d'huile,  ni  de  graisse  ;  le  vin  n'est 
interdit  que  les  jours  de  jeûne.  Ils  peuvent,  avec  la  permission  du  prieur,  afin  que  l'exercice  de 
l'obéissance  se  joigne  à  celui  de  la  mortification,  jeûner  trois  fois  par  semaine  au  pain  et  à  l'eau, 
jeûne  strict  imposé  aux  vigiles  des  huit  fêtes  principales  de  l'Ordre.  Le  jeûne  ordinaire  s'observe 
depuis  l'Exaltation  de  la  Croix  jusqu'à  Pâques,  et  pendant  ce  temps  ils  ne  mangent  qu'une  fois  par 
jour  ;  mais  toute  autre  austérité  est  interdite.  Les  jours  de  chapitre,  les  moines  peuvent  s'entre- 
tenir entre  eux.  Ils  avaient  aussi  autrefois  l'autorisation  de  converser  avec  leurs  hôtes,  mais  cette 
faveur  ne  leur  fut  pas  laissée.  Il  est  permis  de  temps  à  autre  de  travailler  en  commun,  et  de  se 
promener  dans  les  limites  des  domaines  du  monastère.  Les  moines  se  lèvent  à  minuit  pour  assister 
à  la  messe;  le  matin  ils  assistent  à  la  messe  de  communauté,  et  le  soir  à  Vêpres  et  Compiles. 
Chaque  prêtre  peut  dire  quotidiennement  la  messe  dans  l'église  du  couvent. 

Leur  costume  consiste  en  une  chemise  de  laine  grossière  sur  le  corps  et  une  robe  de  bure,  un 
cordon  en  cuir,  un  scapulaire  et  un  capuchon,  le  tout  de  couleur  blanche.  Il  ne  leur  est  pas  permis 
de  mendier.  Les  prieurs  de  chaque  monastère  sont  élus  par  les  moines  ;  un  moine  et  un  frère  lai 
sont  chargés  des  affaires  temporelles  qui ,  dans  le  commencement,  étaient  si  peu  de  chose,  que 
l'Ordre  fut  affranchi  de  toute  charge  ecclésiastique,  par  exemple,  des  contributions  pour  les  croi- 
sâtes, etc.,  etc.  Plus  tard  leurs  possessions  augmentèrent  avec  l'autorisation  des  Papes,  et  leurs 
revenus  furent  consciencieusement  employés  à  des  œuvres  religieuses. 

L'Ordre  des  Chartreux  ne  résista  pas  aussi  bien  à  l'ambition  qu'à  la  mollesse;  dès  1134  il  y  eut 
un  chartreux  cardinal,  et  en  1237  ce  fut  un  chartreux,  évêque  de  Modène,  qui,  en  qualité  de  légat 
du  Pape,  termina  un  différend  entre  l'Ordre  Teutonique  et  le  roi  de  Danemark.  Naturellement  il 
fallait,  pour  remplir  de  pareilles  fonctions,  une  dispense  papale  de  certaines  obligations  de  l'Ordre. 


SAINT  BRUNO  DE  COLOGNE,  PRÊTRE  ET  CONFESSEUR.  101 

En  1141,  les  Chartreux  tinrent  leur  premier  chapitre  général  à  Grenoble.  Tous  les  supérieurs 
y  parurent,  ayant  à  leur  tête  le  prieur  de  la  Chartreuse  priacipale  de  Grenoble.  Ces  chapitres  géné- 
raux étaient  autorisés  à  arrêter  des  dispositions  obligatoires  pour  tout  l'Ordre  et  tenus  à  une 
surveillance  stricte  de  tous  les  couvents.  En  cas  d'urgence,  le  prieur  de  la  principale  chartreuse 
pouvait  décider,  après  avoir  consulté  les  plus  rapprochés;  parfois  même  il  avait  ce  droit  sans  avoir 
pris  l'avis  de  personne. 

Dès  1164,  presque  tous  les  évêques  reconnurent  l'exemption  des  Chartreux  et  leur  soumission 
au  chapitre  général.  La  violation  des  règles  de  l'Ordre  était  punie  par  l'exclusion.  Si  un  supérieur 
n'écoutait  pas  les  avis  du  chapitre  géuéral,  le  prieur  de  la  principale  chartreuse  pouvait,  avec 
l'assentiment  de  l'assemblée,  le  destituer  ;  le  prieur  de  la  chartreuse  principale  était  soumis  à  la 
même  loi.  Aucun  monastère  nouveau  ne  pouvait  être  fondé  sans  l'approbation  du  chapitre  général. 
Le  prieur  général  était  élu  parmi  les  moines  et  les  supérieurs  de  tout  l'Ordre.  En  1254,  on  enleva 
Aux  moines  de  la  principale  chartreuse  le  privilège  de  voter  aux  chapitres  généraux  avec  les  prieurs 
des  autres  chartreuses  ;  un  an  plus  tard,  leur  droit  leur  fut  rendu  sous  la  forme  suivante  :  Le  prieur 
de  la  chartreuse  de  Grenoble  nomme,  avec  cinq  autres  supérieurs,  six  électeurs,  soit  parmi  les 
moines  de  la  maison-mère,  soit  parmi  les  supérieurs  de  toutes  les  maisons,  et  ceux-ci  désignent 
huit  défmiteurs  parmi  eux  ou  parmi  les  autres  moines.  Cette  commission,  présidée  par  le  prieur  de 
la  chartreuse  principale,  a  le  pouvoir  législatif;  mais  non  contre  les  statuts  fondamentaux  de 
l'Ordre.  On  décide  à  la  majorité  des  voix.  Si  le  prieur  est  en  contradiction  avec  elle,  les  dcûniteurs, 
les  autres  supérieurs  des  chartreuses  et  lui  choisissent  chacun  un  arbitre,  et  la  décision  de  ces  trois 
arbitres  est  obligatoire  et  définitive.  Les  adoucissements  de  la  Règle  de  l'Ordre  ne  sont  valables 
qu'après  avoir  été  confirmés  par  trois  assemblées  successives.  Les  novices  font  un  an  de  probation. 
Ceux  qui,  durant  ce  temps,  étaient  reconnus  impropres,  devaient  autrefois  entrer  dans  un  Ordre 
moins  sévère  ;  plus  tard  ils  furent  autorisés  à  rentrer  dans  le  monde.  Les  frères  lais  demeurent  en 
commun  ;  ils  veillent  aux  besoius  du  couvent,  exercent  des  métiers,  cultivent  la  terre,  élèvent  et 
gardent  les  troupeaux. 

Le  nombre  des  Chartreux  de  chaque  maison  fut  fixé  par  Guigues  à  quatorze,  plus  seize  frères 
convers.  Plus  tard  ce  nombre  fut  augmenté  en  proportion  des  propriétés  de  chaque  chartreuse. 
Outre  les  frères  convers  on  prenait  hors  des  possessions  des  Chartreux,  pour  cultiver  la  terre  et 
servir,  des  oblats  {oblati%  redditi).  Le  pape  Grégoire  IX  confirma  cette  coutume  en  1232.  Ces 
oblats  étaient  soumis  à  une  année  de  probation,  faisaient  profession  comme  les  frères  lais,  mais 
observaient  des  Règles  plus  douces,  de  sorte  qu'on  leur  adjoignait  ceux  que  leur  faible  santé  ne 
permettait  pas  de  recevoir  dans  l'Ordre. 

Quant  à  l'histoire  de  cet  Ordre,  dès  1193,  il  se  forma  une  sorte  de  fractionnement,  qui  cepen- 
dant n'en  vint  jamais  à  une  séparation  formelle.  La  sévérité  de  la  Règle  avait  fait  fuir  du  couvent 
de  Luvigny  un  religieux  nommé  Guido,  qui  obtint  du  seigneur  de  Montcorne  un  lieu  fertile  en 
légumes,  où  il  s'établit  avec  plusieurs  frères  et  d'où  ils  reçurent  le  nom  de  Fratres  Caulitx,  en 
Ecosse  de  valle  olerum.  Ces  frères  s'obligèrent  à  l'exacte  observance  de  la  Règle  de  Saint-Benoît, 
avec  quelques-unes  des  Règles  et  avec  le  costume  des  Chartreux.  Innocent  III  leur  accorda  sa  pro- 
tection. Dans  la  suite,  ils  se  propagèrent  en  Ecosse,  où  ils  fondèrent  trois  maisons.  Plus  tard,  trente 
de  leurs  prieurés  dépendirent,  dit-on,  de  la  maison-mère.  Cependant  l'Ordre  des  Chartreux  acquit 
de  l'influence  dans  l'Eglise,  et  l'autorité  du  pape  Alexandre  IV  valut  aux  Chartreux  d'être  admis 
dans  la  plupart  des  pays,  même  à  Rome.  Dès  1360,  il  y  avait  plus  de  deux  cents  couvents  de  Char- 
treux et  de  Chartreuses.  On  faisait  partout  leur  éloge  ;  des  juges,  très-sévères  d'ailleurs,  s'asso- 
ciaient à  ces  louanges,  et  l'on  choisit  souvent  des  Chartreux  comme  visiteurs  des  autres  Ordres. 
Le  schisme  papal  du  xiv»  siècle  divisa  aussi  les  Chartreux  :  les  couvents  italiens  reconnurent 
Urbain  VI.  Les  couvents  français  et  espagnols  se  soumirent  à  Clément  VII  et  à  ses  successeurs,  et 
les  deux  partis  eurent  chacun  leur  général  et  leurs  assemblées.  Après  l'élection  de  Grégoire  XII, 
ils  se  réunirent  de  nouveau  sous  un  même  chef. 

Au  temps  de  sa  plus  grande  prospérité,  l'Ordre  comptait  seize  provinces,  dont  chacune  avait 
deux  visiteurs  élus  par  le  Chapitre  général.  Plusieurs  Ch  artreuses  parvinrent  à  de  grandes  richesses, 
et  acquirent  de  précieux  trésors  d'art  et  de  science.  L'Ordre  des  Chartreux  a  donné  à  l'Eglise  toute 
une  série  de  Saints,  quatre  cardinaux,  soixante-dix  évêques  et  beaucoup  d'écrivains  distingués. 
Durant  la  Révolution  française,  la  Grande -Chartreuse  de  Grenoble  fut  bouleversée,  les  monuments 
des  cardinaux  et  des  Papes  disparurent ,  les  livres  furent  dispersés,  les  peintures  et  les  tableaux 
perdus. 

Voici  la  liste  des  maisons  de  Chartreux  qui  furent  supprimées  dans  le  cours  et  surtout  sur  la 
fin  du  dernier  siècle  :  1°  Anvers  ;  2°  Bois-Saint-Martin,  près  Grandmont;  3°  Bruges;  4°  Bruxelles; 
5°  Capelle,  près  d'Enghien  ;  6°  Gand  ;  7°  Liers,  près  d'Anvers  ;  8°  Nieuport  ;  9°  Louvain  ; 
10°  Tournai;  11°  Milan  ;  12°  la  belle  et  splendide  Chartreuse  de  Pavie  ;  13°  Mantoue  ;  14°  Fri- 
bourg,  en  Brisgau  ;  15°  La  Val-Sainte,  dans  le  diocèse  de  Lausanne  (c'est  dans  cette  maison  que 
Dom  Augustin  de  l'Estrange  établit  les  Trappistes  et  son  édifiante  Réforme);  16°  Padoue  ; 
17°  Parme  ;  18°  Maggiano,  en  Toscane  ;  19°  Vidane,  dans  le  diocèse  de  Bellune  ;  20°  Mayence  ; 
21»  Pontiniani,  près  de  Sienne  ;  22°  Aggspach,  en  Autriche  ;  23°  Brinn,  en  Moravie  ;  24°  Freidnitz, 
«n  Carniole  ;  25°  Gemnico,  dans  le  diocèse  de  Passau  ;  26°  Hildesheim,  dans  la  Basse-Saxe  ; 


|02  6  OCTOBRE. 

27°  Maurbac,  en  Autriche  ;  28°  Olmutz,  en  Moravie  ;  29°  Seitz,  dans  le  diocèse  d'Aquilée  ; 
30»  Snols,  dans  le  Tyrol  ;  31°  Walditz. 

La  suppression  de  tant  de  monastères  fit  que,  dans  les  dernières  années  avant  la  Révolution, 
le  Chapitre  n'était  composé,  pour  ainsi  dire,  que  de  prieurs  français.  De  toutes  les  Chartreuses 
supprimées,  celle  de  Pavie  causait  peut-être  les  plus  vifs  regrets,  et  l'on  voyait  avec  une  peine 
indicible  ce  monument  admirable  d'une  générosité  plus  que  royale,  dont  le  plan  seul  était  et  est 
encore  un  objet  de  curiosité  dans  les  corridors  de  la  Grande-Chartreuse,  enlevé  à  sa  destination.  Il 
vient  de  lui  être  rendu;  des  Chartreux  français  y  sont  rentrés  en  l'année  1843.  A  l'époque 
de  la  Révolution,  presque  tous  les  Chartreux  restèrent  fidèles  aux  lois  de  l'Eglise.  Les  clonres 
de  Saint-Bruno  furent  évacués  comme  tous  les  autres,  et,  en  octobre  1792,  la  Grande-Chartreuse 
resta  déserte.  En  vain  voulut-on  ve  ndre  cet  établissement  d'un  genre  et  d'une  position  tout  spéciaux.  Il 
ne  se  trouva  point  d'acquéreur  d'une  maison  située  dans  l'empire  des  neiges  ou  des  nuages.  Quel- 
ques religieux  s'étaient,  même  du  temps  de  l'empire,  réunis  et  vivaient  en  communauté  à  Romans, 
d'autres  étaient  dans  l'exil.  À  la  Restauration,  la  religion  respira  un  peu,  mais  alors  tout  se  borna 
pour  elle  à  des  espérances.  On  crut  devoir  rendre  aux  Chartreux  une  maison  qui  dépérissait,  faute 
d'habitants,  puisqu'il  fallait  l'esprit  et  la  résignation  des  moines  pour  en  tirer  parti.  Louis  XVIII, 
par  une  ordonnance  du  27  avril  1816,  remit  les  enfants  de  saint  Bruno  en  possession  de  la  Grande- 
Chartreuse.  Des  religieux  revenus  de  l'étranger,  du  monastère  de  la  Part-Dieu,  en  Suisse,  avec  leur 
général,  y  rentrèrent  le  8  juillet  1816.  La  maison,  malgré  sa  pauvreté,  s'est  maintenue  jusqu'à  ce 
jour.  Elle  a  racheté  l'une  des  maisons  enclavées  dans  la  montagne  Carrières,  qu'elle  possédait  jadis; 
l'autre  maison,  Chalais,  a  été  acquise  par  les  Dominicains.  Aujourd'hui  le  nombre  des  religieux 
doîtriers  est  plus  élevé  à  la  Grande-Chartreuse  qu'il  ne  l'était  à  l'époque  de  la  Révolution,  et  le 
supérieur  général  a  déjà  formé  plusieurs  établissements.  Ce  sont  ceux  de  Bosserville,  diocèse  de 
Nancy,  de  Mont-Rieux,  diocèse  de  Fréjus,  et  de  Valbonne,  diocèse  de  Nîmes.  Une  noevelle  Char- 
treuse a  été  formée  à  Mougères,  diocèse  de  Montpellier.  En  Savoie,  la  Chartreuse  du  Reposoir  est 
la  seule  qui  soit  sortie  de  ses  ruines.  En  Piémont,  on  ne  compte  plus  que  celle  de  Turin.  Dans  le 
reste  de  l'Italie,  il  s'en  trouve  encore  huit,  parmi  lesquelles  est  celle  de  Pavie,  qu'on  regarde  comme 
une  des  merveilles  de  l'Italie.  Deux  sont  en  Suisse,  mais  elles  sont  menacées  de  destruction  par 
l'impiété  des  radicaux. 

Depuis  que  les  révérends  Pères  Chartreux  étaient  rentrés  dans  leur  ancienne  solitude,  les  reli» 
gieuses  chartreuses  enviaient  leur  bonheur  et  soupiraient  après  celui  de  rentrer  aussi  elles-mêmes, 
sinon  dans  leurs  anciens  monastères,  du  moins  dans  leur  premier  état.  Elles  commencèrent  d'abord, 
en  1820,  à  se  réunir  à  Saint-Ozier,  paroisse  de  Vinay,  dans  le  département  de  l'Isère  ;  mais  elles 
s'aperçurent  bientôt  que  ce  local  ne  pouvait  pas  leur  convenir  et  qu'elles  n'y  trouvaient  pas 
même  cette  précieuse  solitude  qui  fait  le  charme  et  les  délices  d'une  âme  entièrement  consacrée  à 
Dieu.  Elles  tournèrent  donc  leurs  vues  d'un  autre  côté,  et  le  château  de  Beauregard,  situé  à  une 
demi-Heue  de  Voiron,  à  trois  lieues  et  demie  de  Grenoble  et  de  la  Grande-Chartreuse,  éloigné  de 
toute  habitation,  sembla  leur  offrir  ce  qu'elles  pouvaient  trouver  de  mieux,  à  défaut  d'un  auvent 
en  règle,  pour  y  former  un  établissement  stable  et  analogue  à  leur  genre  de  vie,  peu  différent  de 
celui  des  Chartreux. 

L'incommodité  de  ce  local  et  d'autres  raisons  de  santé  et  de  régularité  ont  déterminé  l'Ordre  de 
faire  acquisition  d'un  nouveau  monastère,  qu'on  a  appelé  depuis  des  Saints-Cœurs  de  Jésus  et  de 
Marie,  situé  à  la  Bastide  Saint-Pierre,  près  Grisolles,  dans  le  diocèse  de  Montauban  (Tarn-et- 
Garonne).  Les  Chartreuses,  animées  d'un  excellent  esprit,  ont  compris  que  Dieu  demandait  d'elles, 
dans  ce  temps  de  calamités,  une  vie  spécialement  réparatrice,  une  vie  de  victimes  généreuses. 
Ainsi,  elles  ne  reçoivent,  dans  ce  monastère,  que  les  filles  qui  ont  de  l'attrait  et  des  dispositions 
convenables  pour  cette  vie  d'anéantissement  :  leurs  exercices  spirituels  sont  plus  longs  que  ceux 
des  monastères  les  plus  rigoureux  ;  leur  vie  est  une  vie  de  prières  continuelles  ;  elles  se  regardent 
humblement  comme  les  députées  spéciales  de  la  sainte  Eglise  pour  essuyer  les  larmes  de  cette 
bonne  mère,  et  pour  demander  pardon  et  miséricorde  pour  tous  les  pécheurs  de  l'univers.  Elles 
font  maigre  toute  leur  vie,  même  dans  les  plus  graves  maladies.  Leur  nourriture,  quoique  frugale, 
est  pourtant  adaptée  à  la  faiblesse  de  leur  sexe. 

Les  postulantes  qui  demandent  à  entrer  dans  un  couvent  de  Chartreuses  doivent  avoir  une  voca- 
tion bien  marquée  pour  la  vie  intérieure  et  anéantie  ;  on  exige  d'elles  une  bonne  voix,  une  consti- 
tution assez  robuste,  l'âge  de  dix-huit  à  vingt-cinq  ans,  excepté  quelques  cas  rares  ;  qu'elles  soient 
saines  d'esprit  et  ne  soient  point  sujettes  à  la  mélancolie.  La  durée  de  la  postulance  en  habit  sécu- 
lier est  d'un  an  ;  le  noviciat,  en  habit  cartulien,  est  aussi  d'une  année,  ce  qui  fait  deux  années  de 
probation. 

Les  prieures  et  les  religieuses  promettent  obéissance  au  Chapitre  général  de  l'Ordre  et  y  envoient 
tous  les  ans  une  nouvelle  promesse  de  soumission.  Les  prieures  sont  encore  tenues  d'obéir  au  Père 
•vicaire,  qui  dirige  leur  maison.  Les  simples  religieuses  et  les  converses  sont  soumises  à  la  prieure 
et  au  vicaire.  Les  monastères  des  Chartreuses  ont  leurs  enceintes  et  leurs  limites  comme  ceux  des 
religieux.  Il  est  défendu  aux  prieures-et  aux  vicaires  d'envoyer  les  religieuses  hors  de  ces  enceintea. 
sans  permission  du  Chapitre  général. 

L'habit  des  Chartreuses  est  une  robe  de  drap  blanc,  une  ceinture,  un  scapulaire  attaché  aux  deux 


SAINTE   MARIE-FRANÇOISE  DES   CINQ  PLAIES  DE  JÉSUS,   VIERGE.  103 

«Mes  par  des  bandes,  un  manteau  blanc  comme  ceux  des  Chartreux  ;  leur  guimpe  et  leur  voile 
sont  semblables  à  ceux  des  autres  religieuses;  elles  ne  parlent  jamais  aux  séculiers,  même  à  leurs 
proches  parentes,  qu'avec  le  voile  baissé,  accompagnées  par  la  prieure  ou  par  quelque  autre  reli- 
gieuse. On  a  cependant  modéré  pour  elles  la  rigidité  du  silence  et  la  solitude  des  cellules. 

Surius;  Dom  Ceillier;  Dom  Rivet,  Histoire  littéraire  de  la  France;  Revue  du  monde  catholique;, 
Godescard  ;  Dictionnaire  des  Ordres  religieux,  édition  Migne,  et  Dictionnaire  encyclopédique  de  la  théo- 
logie catholique,  par  Goschler.  —  Cf.  L'Ordre  des  Chartreux  et  la  Chartreuse  de  Bosserville,  par  M.  l'abbé 
Berseaux. 


Stê  MARIE -FRANÇOISE  DES  CINQ  PLAIES  DE  JÉSUS, 

VIERGE,  DU  TIERS  ORDRE  DE  SAINT-FRANÇOIS  D'ASSISE 
1791.  —  Pape  :  Pie  VI.  —  Roi  de  Naples  :  Ferdinand  IV,  de  Bourbon, 


L'obéissance  est  une  grande  vertu  qui  fait  genqer 
dans  nos  âmes  toutes  les  antres  ;  l'humilité  les 
défend  et  les  garde.  Jean  Trithème. 

Marie-Françoise  naquit  à  Naples  le  25  mars  1715,  d'une  famille  de  condi* 
tion  médiocre.  Elle  fut  baptisée  dans  l'église  paroissiale  des  Saints-Fran- 
çois-et-Matthieu,  et  reçut  les  noms  de  Anna-Maria- Rosa-Nicoletta.  Son  père 
^'appelait  François  Gallo,  et  sa  mère  Barbe  Basinsin. 

Anna-Maria  passa  ses  premières  années  sans  éprouver  aucune  des  fai- 
blesses et  des  inclinations  de  son  âge%  Ennemie  des  divertissements  de  l'en- 
fance, elle  porta  toute  son  attention  à  s'instruire  des  devoirs  de  la  religion  ; 
souvent  elle  offrait  son  petit  déjeuner  à  ses  sœurs  aînées  pour  qu'elles  lui 
apprissent  les  éléments  de  la  foi.  Ses  sacrifices  et  son  zèle  pour  s'instruire 
furent  si  agréables  au  Très-Haut  que,  non-seulement  ses  parents,  mais 
encore  tous  ceux  qui  la  connurent,  ont  toujours  pensé  qu'elle  avait  été 
parfaitement  éclairée  par  le  ministère  de  son  ange  gardien  dont  elle  était 
assistée  d'une  manière  visible.  Devenue  maîtresse  elle-même  à  cette  école, 
elle  se  vit  entourée  de  petites  filles  de  son  âge  qui  venaient  profiter  de  ses 
lumières  ;  elle  les  leur  communiquait  avec  une  clarté  et  une  précision  qui 
faisaient  l'étonnement  de  ses  sœurs  et  de  ses  parents  eux-mêmes.  Elle 
n'avait  pas  atteint  sa  quatrième  année,  que  déjà  l'esprit  d'oraison  s'était 
emparé  de  son  cœur.  Non  contente  des  prières  qu'elle  faisait  en  famille, 
on  la  vit  souvent  seule  pendant  le  jour,  prosternée  aux  pieds  d'un  petit 
autel  dressé  par  ses  mains,  baignée  de  larmes  et  dans  la  posture  de  l'extase  ; 
elle  dérobait  encore  au  sommeil  les  heures  de  la  nuit,  pour  s'entretenir  in- 
timement avec  son  Dieu.  Une  de  ses  sœurs,  qui  dormait  dans  le  même 
appartement,  s'en  apercevait,  mais  pour  ne  point  la  troubler  dans  sa  pro- 
fonde méditation,  elle  feignait  de  ne  rien  voir.  Toutefois,  ce  qui  paraît  le 
plus  admirable,  c'est  que  dès  cet  âge  elle  se  servît  d'instruments  de  péni- 
tence, afin  d'apprendre  à  son  corps  qu'il  était  fait  pour  obéir  et  non  pour 
commander  à  l'esprit,  et  qu'elle  pût  s'abandonner  aux  plus  sublimes  consi- 
dérations sur  la  mort  ou  sur  la  passion  du  Sauveur. 

A  peine  ses  quatre  ans  accomplis,  Anna-Maria  supplia  sa  mère  et  ses 
deux  sœurs  de  la  conduire  à  l'église,  désirant  ardemment  assister  au  saint 
sacrifice  de  la  messe  et  aux  autres  offices  divins.  Devenue  l'objet  de  l'admi- 


|Q4  6  OCTOBRE. 

ration  de  tous,  universellement  regardée  comme  une  sainte,  elle  était  seule 
à  s'ignorer.  Rien  ne  l'affligeait  davantage  que  de  s'entendre  louer  et  appeler 
«  la  petite  sainte  »  :  rien  ne  la  réjouissait  autant  que  de  se  voir  méprisée; 
aussi  devint-elle  un  modèle  admirable  de  toutes  les  vertus  pour  ses  parents 
et  leurs  voisins.  Elle  demanda,  dès  cet  âge,  à  se  présenter  au  tribunal  de  la 
pénitence  ;  sa  mère  le  lui  accorda,  après  l'avoir  recommandée  à  un  saint 
prêtre  de  sa  paroisse.  L'homme  de  Dieu  fut  stupéfait  de  l'entendre  s'ex- 
primer, avec  une  connaissance  si  extraordinaire,  sur  la  doctrine  de  Jésus- 
Christ,  et  de  voir  avec  quelle  rapidité  elle  avait  atteint  le  faîte  de  la  per» 
fection.  Déjà,  à  cette  époque,  la  chère  enfant  désirait  s'asseoir  au  banquet 
eucharistique,  mais  elle  ne  put  l'obtenir  de  son  sage  et  prudent  confesseur, 
avant  l'âge  de  sept  ans.  Ce  fut  pour  elle  un  jour  d'une  consolation  indicible, 
que  celui  où  elle  participa  pour  la  première  fois  au  pain  des  anges.  Des 
torrents  de  larmes  exprimèrent  les  transports  de  sa  joie  de  pouvoir  s'unir 
à  son  Dieu  et  de  l'avoir  pour  hôte.  Son  visage  était  enflammé  comme  un 
charbon  ardent,  et  une  telle  chaleur  se  développa  de  son  corps,  que  ceux 
qui  étaient  auprès  d'elle  en  ressentaient  les  effets.  Ces  transports  extraordi- 
naires et  ce  don  des  larmes  lui  obtinrent,  de  ses  confesseurs  et  directeurs 
spirituels,  la  permission  de  la  communion  quotidienne,  qui  fut  pour  toute 
sa  vie  sa  consolation  dans  ses  peines,  et  les  délices  de  son  cœur.  De  là  cet 
ardent  et  insatiable  amour  envers  le  très-auguste  Sacrement  de  l'autel,  dont 
elle  fut  consumée  sans  interruption  jusqu'aux  derniers  jours  de  sa  vie  ;  de 
là,  cette  constance,  cette  énergie  croissant  toujours  avec  l'âge,  qu'elle  dé- 
ploya contre  les  vains  et  stériles  efforts  de  l'enfer,  une  fois  surtout  qu'elle 
eut  reçu  le  sacrement  de  confirmation. 

Arrivée  à  l'âge  où  les  jeunes  personnes  commencent  à  s'adonner  aux 
travaux  domestiques  et  au  genre  d'occupations  auxquelles  elles  se  desti- 
nent, Anna-Maria  dut,  par  les  ordres  de  son  père,  apprendre  la  fabrication 
des  galons  d'or.  François  G  allô,  qui  connaissait  les  bonnes  dispositions  de 
sa  fille,  voulait  par  là  lui  créer  une  position  avantageuse  et  se  la  rendre 
utile  dans  son  commerce.  La  faiblesse  de  la  complexion  d'Anna-Maria  ne 
correspondait  pas  à  la  longue  et  pénible  tâche  qui  lui  était  imposée,  aussi 
elle  ne  tarda  pas  à  vomir  le  sang  avec  abondance  et  à  contracter  une  fièvre 
violente,  qui  la  réduisit  à  toute  extrémité,  au  point  qu'elle  dut  recevoir  les 
derniers  sacrements.  Elle  s'adressa  alors  à  sa  chère  protectrice,  la  Vierge 
Marie,  et  sa  guérison  fut  regardée  comme  un  miracle. 

Arrachée  à  un  si  grand  danger,  elle  quitta  la  navette  pour  prendre  le 
fuseau  et  filer  l'or,  ce  qui  était  l'occupation  de  sa  mère  et  de  ses  sœurs. 
Elle  sut,  d'une  manière  admirable,  concilier  l'esprit  d'oraison  avec  le  tra- 
vail manuel  que  son  père  lui  imposait,  sans  rien  retrancher  de  ses  pratiques 
habituelles  de  piété  ;  ses  confessions,  ses  communions  et  le  Chemin  de  la 
Croix  qu'elle  faisait  tous  les  jours,  n'en  souffrirent  jamais.  Elle  suppléait, 
pendant  les  autres  heures  de  la  journée,  à  son  travail,  et  quelque  peu  de 
temps  qu'il  lui  restât,  le  soir  arrivé,  elle  se  trouvait  toujours  avoir  dépassé 
ses  sœurs.  Celles-ci  ne  pouvaient  concevoir  une  chose  si  extraordinaire  et 
durent  reconnaître  que  l'Ange  gardien  d'Anna-Maria  l'assistait  dans  sa 
tâche,  afin  qu'elle  fût  plus  libre  de  s'adonner  à  l'oraison.  Elles  comprirent 
aussi  qu'elles  s'efforceraient  en  vain  de  l'égaler,  alors  même  qu'elles  s'occu- 
peraient sans  relâche  la  journée  tout  entière. 

Elle  venait  d'atteindre  sa  seizième  année  ;  la  simplicité  de  ses  mœurs, 
sa  modestie  singulière,  son  maintien,  sa  réserve  dans  les  conversations, 
l'innocence,  l'humilité,  l'ensemble  de  toutes  les  vertus  qui  transpiraient  de 


SAINTE   MARIE-FRANÇOISE   DES   CINQ   PLAIES   DE  JÉSUS,   VIERGE.  105 

sa  conduite,  avaient  charmé  un  riche  jeune  homme,  qui  sollicita  sa  main. 
Le  père,  heureux  de  l'augmentation  de  fortune  que  ce  mariage  semblait  lui 
promettre,  engagea  sa  parole  sans  avoir  consulté  sa  fille.  Il  l'appela  ensuite 
et  lui  communiqua  son  dessein  ;  mais  quelle  ne  fut  pas  sa  surprise  de  l'en- 
tendre lui  répondre  :  «  Mon  père,  il  est  inutile  de  vous  donner  de  la  peine 
à  mon  sujet  sur  ce  point  puisque,  ne  voulant  rien  connaître  du  monde,  j'ai 
déjà,  depuis  longtemps,  résolu  de  prendre  l'habit  religieux  dans  le  Tiers 
Ordre  de  Saint-François  d'Assise,  et  dès  à  présent  je  vous  en  demande  la 
permission  ».  Le  père  n'oublia  rien  pour  la  dissuader  de  son  projet,  et 
employa  tour  à  tour  les  caresses  et  les  menaces.  Mais  la  trouvant  toujours 
plus  ferme,  transporté  de  colère,  il  saisit  une  corde  et  se  mit  à  la  frapper 
sans  pitié,  jusqu'à  ce  que  la  mère  accourût  pour  l'arracher  de  ses  mains. 
Pour  elle,  loin  de  chercher  à  se  soustraire  aux  coups,  elle  se  tenait  im- 
mobile, s'estimant  heureuse  de  souffrir  quelque  chose  pour  l'amour  de 
Jésus-Christ;  elle  offrait,  comme  prémices,  à  son  céleste  Epoux,  les  mau* 
vais  traitements  d'un  père  insensé  qui  refusait  ainsi  de  fiancer  sa  fille  au  Roi 
des  rois  et  de  contracter  avec  lui  une  alliance  spirituelle. 

Son  père  l'enferma  ensuite  dans  une  chambre  où  il  la  laissa  plusieurs 
jours  sans  autre  nourriture  que  du  pain  et  de  l'eau,  défendant  à  sa  mère 
et  à  ses  sœurs  de  la  visiter.  Ainsi  recluse,  elle  consacrait  tout  son  temps  à 
l'oraison,  et  demandait  à  Dieu  de  la  délivrer  de  cette  rude  épreuve,  plus 
affligée  du  trouble  de  sa  famille  que  de  sa  triste  position.  Le  Seigneur  fut 
touché  des  prières  de  sa  servante,  et,  par  le  moyen  du  Père  Théophile, 
Mineur  de  l'Observance  et  grand  serviteur  de  Dieu,  il  éclaira  si  bien  ce 
pauvre  père  que,  de  retour  à  la  maison,  celui-ci  réunit  sa  famille,  avoua 
ses  torts  et  permit  à  Anna-Maria  de  prendre  le  genre  de  vie  qui  lui  plai- 
rait. La  jeune  fille  ne  répondit  point,  les  larmes  lui  étaient  la  parole,  mais 
elle  se  jeta  aux  genoux  de  son  père  et  lui  baisa  la  main  avec  des  transports 
de  reconnaissance  ;  elle  se  retira  ensuite  dans  sa  chambre  pour  remercier 
la  bonté  divine  d'une  si  grande  grâce,  et  ne  pensa  plus  qu'à  se  préparer, 
avec  une  ferveur  extraordinaire,  à  recevoir  l'habit  du  Tiers  Ordre  de  Saint- 
François  d'Assise,  sous  la  direction  des  Pères  Réformés  de  Saint-Pierre 
d'Alcantara.  Le  jour  fixé  pour  l'immolation  de  tout  son  être  au  Seigneur 
fut  le  8  septembre,  jour  où  l'Eglise  célèbre  la  Nativité  de  l'auguste  Mère  de 
Dieu,  la  très-sainte  Vierge  Marie.  Venue  au  monde  sous  la  protection  de 
Marie,  allaitée  par  un  miracle  de  la  sainte  Vierge,  rappelée  à  la  vie,  des 
portes  du  tombeau,  secondée  dans  ses  desseins  et  ses  vœux  les  plus  ardents 
par  le  secours  puissant  de  la  Reine  du  ciel,  à  qui  aurait-elle  dédié  le  jour 
de  son  triomphe,  sinon  à  Marie?  Elle  s'y  prépara  pendant  les  neuf  jours 
qui  précédèrent,  en  redoublant  de  ferveur  ;  elle  s'adonna  sans  relâche  à  la 
prière,  à  la  méditation,  aux  jeûnes,  aux  pénitences  de  tout  genre,  ne  pre- 
nant d'autre  nourriture  que  la  sainte  communion. 

Le  jour  si  désiré  arriva  enfin,  et  aux  pieds  d'un  modeste  autel,  qu'elle 
avait  elle-même  préparé  chez  elle,  elle  fut  admise  dans  les  rangs  des  Ter- 
tiaires du  séraphique  Patriarche,  par  son  directeur,  le  Père  Félix  de  la 
Conception,  prêtre  de  la  Réforme  de  Saint-Pierre  d'Alcantara,  de  la  Pro- 
vince de  Naples,  homme  d'une  remarquable  piété.  En  renonçant  à  tous  les 
biens  terrestres,  elle  prit  le  nom  de  sœur  Marie-Françoise  des  Cinq  Plaies 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ;  ce  fut  en  l'année  4731.  Revêtue  de  l'habit 
religieux,  la  servante  de  Dieu  mit  tous  ses  soins  à  accomplir,  avec  la  plus 
scrupuleuse  exactitude,  les  règles  et  les  usages  du  saint  Institut  qu'elle 
avait  embrassé  ;  jeûnes,  pénitences,  disciplines,  elle  savait  tout  ailier  avec 


406  6  OCTOBRE. 

une  continuelle  oraison.  Il  ne  se  passait  pas  de  jour,  sans  qu'elle  se  rendît 
à  Téglise,  pour  méditer  les  plaies  de  Jésus  crucifié,  en  parcourant  les  sta- 
tions du  Chemin  de  la  Croix  qu'elle  inondait  de  ses  larmes.  Arrivée  à  la 
seconde  ou  troisième  station,  son  cœur  battait  si  violemment,  au  souvenir 
des  souffrances  que  le  Sauveur  avait  endurées  par  amour  pour  nous,  et  elle 
en  ressentait  de  si  fortes  commotions,  que,  épuisée  de  forces  et  privée  de 
ses  sens,  elle  tombait  sur  le  carreau.  Dans  les  commencements,  on  regar- 
dait ces  chutes  comme  l'effet  de  convulsions  ;  cependant,  on  vit  bientôt  son 
confesseur,  averti,  la  rappeler  à  elle-même,  au  nom  de  la  sainte  obéissance, 
en  faisant  sur  elle  le  signe  de  la  croix.  On  comprit  que  la  cause  n'en  était 
point  naturelle  et  qu'il  fallait  attribuer  ces  défaillances  à  une  faveur  ex- 
traordinaire du  ciel,  puisqu'un  ordre  suffisait  pour  la  faire  revenir  à  elle- 
même,  lorsqu'elle  était  hors  de  ses  sens  par  la  violence  de  la  douleur  et  les 
transports  de  son  amour.  Aussi  sa  louange  fut-elle  sur  toutes  les  lèvres,  et 
il  n'y  eut  qu'une  voix  pour  la  proclamer  la  grande  servante  de  Dieu. 

Marie-Françoise,  dont  le  seul  désir  était  de  mener  une  vie  cachée  et 
crucifiée  en  Jésus- Christ,  en  apprenant  l'opinion  du  peuple  à  ce  sujet,  se 
mit  à  demander  instamment  à  son  céleste  Epoux  de  ne  plus  permettre 
qu'elle  éprouvât  de  pareilles  défaillances  en  public  ;  le  Seigneur  l'exauça, 
mais  il  la  dédommagea  amplement  en  particulier.  Pendant  les  méditations 
qu'elle  faisait  sur  la  passion  de  son  divin  Bien- Aimé,  les  jeudis  et  vendredis 
de  chaque  semaine,  surtout  pendant  ceux  du  mois  de  mars,  elle  était  trans- 
formée, tant  à  l'extérieur  qu'à  l'intérieur,  en  une  si  parfaite  copie  de  Jésus- 
Christ,  que  les  mouvements  de  son  corps  semblaient  exprimer  successive- 
ment toutes  les  tortures  et  toutes  les  souffrances  du  Sauveur.  Dieu  joignit 
à  toutes  ces  faveurs  le  don  de  prophétie  et  la  révélation  de  choses  futures 
les  plus  incompréhensibles;  c'est  pourquoi,  malgré  tout  le  soin  et  tous  les 
moyens  qu'elle  prenait  pour  rester  ignorée,  la  renommée  de  sa  sainteté 
croissait  de  jour  en  jour. 

Convaincu  des  grâces  extraordinaires  que  sa  fille  avait  reçues  de  Dieu, 
au  nombre  desquelles  se  trouvaient  le  don  de  prophétie  et  le  don  de  mi- 
racles, et  considérant  la  réputation  de  sainteté  qu'elle  s'était  par  là  uni- 
versellement acquise,  François  Gallo,  poussé  par  sa  cupidité,  voulut  tirer 
avantage  des  mérites  de  Marie-Françoise.  Dans  ce  but  pervers  et  sacrilège, 
il  voulut  l'obliger  à  venir  trouver  une  dame  noble,  qui  désirait  apprendre 
d'elle  si  le  fruit  qu'elle  portait  dans  son  sein  serait  le  fils  qu'elle  attendait 
si  ardemment.  Cette  proposition  et  les  instances  de  son  père  firent  frémir 
d'horreur  Marie-Françoise,  et  se  jetant  à  ses  pieds,  les  yeux  baignés  de 
larmes  :  «  Mon  père  »,  lui  dit-elle,  «  oh!  pour  cela,  non!  pardonnez-moi 
si  je  ne  vous  obéis  pas  ;  je  ne  peux  perdre  mon  âme  en  trompant  ainsi  le 
prochain.  Comment  pourrai-je  me  faire  passer  pour  sainte,  moi  pauvre 
pécheresse?  Béni  soit  celui  qui  prie  pour  moi  ».  Mais  qui  pourrait  atten- 
drir le  cœur  d'un  avare  ?  Le  père  entra  en  fureur  et  se  mit  à  la  flageller 
cruellement  jusqu'à  ce  que  sa  mère  et  ses  sœurs  vinssent  l'arracher  de  ses 
mains  ;  elle  n'opposait  à  tant  de  barbarie  que  le  langage  de  la  patience  et 
du  pardon.  Comme  son  père  continuait  ses  menaces  et  ne  cessait  de  l'ac- 
cabler d'affronts  et  d'outrages,  Marie-Françoise,  se  rendant  au  conseil  et  à 
l'autorité  de  sa  mère,  s'enfuit  de  la  maison  paternelle  et  vint  humblement 
se  jeter  aux  pieds  de  l'évêque,  qui  était  en  même  temps  conseiller  du  tri- 
bunal mixte.  Don  Jules  Torno  était  un  seigneur  d'une  grande  probité  et 
d'une  haute  puissance  ;  il  écouta  le  récit  de  la  servante  de  Dieu  dont  la 
vertu  lui  était  connue,  et  touché  de  compassion,  il  la  consola  ainsi  :  «  Ce 


SALNTS   MARIE -FRANÇOISE    DES   CLNQ   PLAIES   DE  JÉSUS,   VIERGE*.  407 

n'est  rien,  ma  fille,  soyez  sans  crainte,  votre  père  se  laisse  séduire  par  Satan, 
mais  j'y  pourvoirai  »  ;  il  la  fit  ensuite  accompagner  chez  elle  par  ses  servi- 
teurs, et  fit  faire  à  son  père  de  justes  remontrances,  l'avertissant  qu'il  eût 
à  ne  plus  molester  sa  fille,  avec  ses  étranges  et  inconvenantes  prétentions, 
sans  quoi  il  aurait  à  en  rendre  compte.  Ainsi  se  termina  la  persécution  que 
la  bienheureuse  eut  à  subir  de  l'avarice  de  son  père. 

Pour  consoler  Marie-Françoise  dans  ses  tribulations  et  en  adoucir 
l'amertume,  notre  divin  Sauveur  l'honora  de  fréquentes  apparitions.  La 
première  fois  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  lui  apparut,  ce  fut  sur  le 
chemin  qui  conduit  à  l'église  de  Sainte-Lucie  du  Mont,  dite  l'église  des 
Croix.  Son  Bien-Aimé  lui  découvrit  alors  les  secrets  de  son  cœur  divin, 
secrets  connus  d'elle  seule;  mais  elle  avoua  dans  la  suite  qu'elle  s'était 
sentie  comme  transportée  en  dehors  de  ce  monde  et  plongée  dans  un  océan 
d'indicibles  délices  accompagnées  d'un  vif  tressaillement  dans  son  âme.  De 
môme  qu'autrefois  les  disciples  d'Emmaus,  elle  conversait  avec  le  Seigneur 
sans  le  connaître  ;  elle  le  prenait  pour  un  grand  serviteur  de  Dieu  qu'elle 
n'avait  jamais  vu  jusqu'alors,  mais  elle  ne  se  doutait  point  que,  sous  cette 
forme  humaine,  était  caché  l'unique  objet  de  ses  désirs  et  de  son  amour. 
Elle  vint  ensuite  trouver  son  confesseur,  et  celui-ci,  éclairé  intérieurement, 
n'eut  pas  de  peine  à  reconnaître,  d'après  les  indications  de  la  Sainte,  que 
celui  qu'elle  avait  vu  était  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  en  personne.  De  pa- 
reilles apparitions,  au  témoignage  de  sa  fidèle  compagne  sœur  Marie-Félix, 
vinrent  bien  souvent  réjouir  la  servante  de  Dieu. 

Au  milieu  des  ineffables  joies  qu'elles  lui  causaient,  notre  Bienheureuse 
recevait  aussi  fréquemment  la  visite  de  son  ange  gardien.  Elle  avait  pour 
l'ange  tutélaire  une  tendre  dévotion  et  s'efforçait  de  l'inspirer  aux  autres. 
La  présence  presque  continuelle  et  les  fréquents  entretiens  de  cet  esprit 
céleste  lui  procuraient  une  grande  force  et  une  vive  allégresse.  C'était  lui, 
disait- elle,  qui  prenait  sa  défense  contre  les  assauts  que  lui  livrait  son  père, 
et  ses  prières  lui  obtenaient  d'en  haut  les  précieux  et  innombrables  secours 
dont  elle  avait  besoin.  A  son  école  et  par  ses  leçons,  elle  apprit  à  discerner 
les  vraies  apparitions  des  fausses,  et  à  se  tenir  en  garde  contre  les  illusions 
du  démon.  L'ange  lui  donna  pour  règle  de  ce  discernement  de  le  saluer 
toujours,  lorsqu'il  se  présenterait  à  elle,  avec  les  saints  noms  de  Jésus  et  de 
Marie,  l'assurant  qu'elle  trouverait  dans  ces  noms  la  lumière  pour  son  es- 
prit, la  force  pour  son  cœur,  et  un  refuge  assuré  contre  toute  puissance 
ennemie. 

Après  la  mort  de  sa  mère  et  alors  qu'elle  n'avait  pas  encore  cessé  de 
pleurer  cette  perte  douloureuse,  une  nouvelle  épreuve  lui  survint  de  la 
part  de  son  père.  Désireux  de  convoler  à  de  nouvelles  noces,  celui-ci  fit 
peser  sur  Marie-Françoise  tout  le  poids  de  l'entretien  de  sa  famille  ;  elle 
avait  trois  femmes  et  un  homme  à  nourrir  ;  mais  comment  suffire  à  une 
pareille  tâche,  elle  toujours  infirme,  qui  vivait  avec  la  plus  grande  écono- 
mie, aidée  de  la  charité  de  ses  bienfaiteurs!  Ce  n'était  point  assez  pour 
François  Gallo  de  répéter  sans  cesse  à  sa  fille,  que  chez  lui,  qui  ne  travail- 
lait pas  ne  mangeait  pas  ;  ce  n'était  point  assez  pour  ce  père  avare  d'exiger 
d'elle,  pour  le  loyer  de  sa  petite  chambre,  dix  écus  par  an,  somme  que  lui 
fournissaient  son  parrain  et  un  autre  homme  de  bien  qui  s'intéressait  à  elle; 
il  voulait  encore  qu'elle  eût  à  subvenir  à  tous  les  frais  de  la  famille,  pour 
pouvoir  lui-même  atteindre  plus  facilement  le  but  de  ses  désirs.  Marie- 
Françoise  s'excusa,  en  représentant  à  son  père  son  extrême  pauvreté  et 
l'état  malheureux  de  sa  santé  ;  cependant,  tout  ce  que  lui  procurait  la  cha- 


108  6  OCTOBRE. 

rite  elle  le  distribuait  à  sa  famille,  se  réservant  pour  elle-même  un  peu  de 
pain  qu'elle  trempait  dans  de  l'absinthe  par  mortification  ;  elle  ne  cessait, 
malgré  sa  résignation  parfaite,  de  demander  à  Dieu  ses  lumières  et  le  se- 
cours de  sa  grâce.  Les  sœurs  de  Marie-Françoise  ne  possédaient  point  une 
si  héroïque  patience  ;  elles  vinrent  trouver  la  personne  que  leur  père  dési- 
rait épouser,  et  lui  persuadèrent  de  rompre  entièrement  avec  lui.  François 
Gdlo,  se  figurant  que  cette  disgrâce  lui  venait  de  Marie-Françoise,  entra 
dans  une  grande  colère  et  abandonna  la  maison,  en  menaçant  sa  fille  et 
emportant  avec  lui  tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus  précieux.  La  servante  de 
Dieu  se  contenta  de  tourner  ses  regards  vers  le  ciel  et  de  prier  le  Seigneur 
de  venir  à  son  aide. 

Pendant  qu'elle  était  en  oraison,  elle  entendit  tout  à  coup  une  voix  lui 
répéter  par  trois  fois  très-clairement  :  «  Sors,  sors,  Marie-Françoise,  sors 
de  cette  demeure  ».  Elle  ne  savait  quel  parti  prendre,  lorsque  son  confes- 
seur survint  et  lui  enjoignit  de  partir  de  suite.  Il  la  conduisit  lui-même 
chez  un  honnête  négociant,  Marcien  d'Amélio.  Cet  homme,  digne  de  toute 
estime,  l'accueillit  avec  un  bonheur  indicible  ;  il  connaissait  l'innocence  et 
la  sainteté  de  notre  Bienheureuse.  Elle  resta  sept  mois  dans  cette  maison 
hospitalière;  pendant  son  séjour,  de  l'avis  de  son  confesseur,  et  pour  se 
rendre  aux  instances  de  la  dame  Amélio,  elle  tint  sur  les  fonts  du  baptême 
une  des  filles  de  cette  dame  et  fut  marraine  de  l'aînée  au  jour  de  sa  confir- 
mation. Elle  avait  mis  un  zèle  infatigable,  à  instruire  cette  enfant  des  mys- 
tères de  la  foi  et  de  la  doctrine  chrétienne,  employant  en  outre  les  heures 
qui  lui  restaient  aux  plus  vils  offices  de  la  maison.  Les  sept  mois  écoulés, 
elle  prit  un  petit  appartement  dans  la  rue  de  la  Coutellerie,  et  par  l'ordre 
de  son  confesseur,  s'associa  sœur  Marie-Félix  de  la  Passion,  à  laquelle  elle 
avait  elle-même  prédit  depuis  longtemps  qu'elles  s'uniraient  un  jour  pour 
vivre  ensemble  jusqu'à  leur  mort.  Une  fois  avec  sa  compagne,  elle  profita 
du  calme  dont  elle  jouissait  pour  se  livrer  tout  entière  à  la  contemplation, 
à  la  pénitence  et  aux  plus  dures  mortifications.  Mais  Satan  ne  dort  jamais; 
il  ourdit  et  suscita  contre  elle  une  persécution  qui  devait,  pendant  plu- 
sieurs années,  ne  laisser  aucune  trêve  à  son  esprit  et  remplir  son  âme 
d'amertumes  et  d'angoisses. 

Sœur  Marie-Félix  avait  passé  trois  ans,  en  qualité  de  servante,  chez  une 
dame  amie  de  la  Bienheureuse  ;  son  confesseur  lui  avait  ordonné  d'en  sor- 
tir afin  qu'elle  pût,  lui  dit-il,  s'accoutumer  à  porter  la  croix  toute  seule  et 
à  vivre  du  travail  de  ses  mains.  La  dame,  très-satisfaite  de  son  service,  eut 
recours  à  Marie-Françoise,  espérant  pouvoir,  par  son  intervention,  garder 
Marie-Félix  auprès  d'elle.  La  servante  du  Seigneur  s'excusa,  sous  prétexte 
que  les  confesseurs  sont  inspirés  de  Dieu,  et  qu'il  lui  était  impossible  de 
s'opposer  à  l'accomplissement  de  leurs  ordres.  Cette  dame  commença  à 
murmurer  contre  elle,  puis  à  la  calomnier,  et  enfin,  elle  se  déclara  son  im- 
placable ennemie.  Elle  vint  elle-même  trouver  le  cardinal  Spinelli,  alors 
archevêque  de  Naples,  et  lui  représenta  la  servante  de  Dieu  comme  une 
illuminée,  une  sorcière,  une  possédée  du  démon.  Emu  par  de  pareilles  ac- 
cusations, l'archevêque  jugea  prudent  de  soustraire  Marie-Françoise  à  la 
direction  de  ses  confesseurs,  et  ordonna  au  curé  de  Sainte-Marie,  D.  Ignace 
Mostillo,  d'examiner  les  mœurs,  les  habitudes  et  le  caractère  de  l'accusée, 
et  de  l'informer  ensuite  du  jugement  qu'il  en  aurait  porté.  Cet  ecclésias- 
tique, aussi  dur  et  sévère  que  savant  et  habile  à  discerner  les  cœurs,  n'omit 
rien  pour  mettre  aux  plus  dures  épreuves  la  patience,  l'humilité,  l'obéis- 
sance de  la  Bienheureuse,  et  cela  non  pas  pendant  quelques  mois,  mais 


SAINTE  MARTE -FRANÇOISE  DES   CINQ  PLAIES  DE  JÉSUS,   VIERGE.  109 

pendant  sept  années  entières,  au  témoignage  de  la  fidèle  compagne  de 
Marie-Françoise,  qui  la  suivait  toujours  à  l'église  et  qui  fut  témoin  de  tout 
ce  qui  lui  arriva  dans  cet  intervalle. 

Lorsqu'une  si  longue  épreuve  fut  terminée,  il  lui  en  survint  une  autre 
plus  violente  et  plus  cruelle,  de  la  part  de  la  femme  même  de  Marcien 
Amélio,  chez  qui  Marie-Françoise  avait  trouvé  un  asile,  et  dont  elle  avait 
tenu  une  enfant  sur  les  fonts  du  baptême  et  l'autre  à  la  confirmation.  Cette 
dame  était  depuis  quelque  temps  en  différend  avec  son  mari,  au  sujet  d'une 
perte  de  deux  mille  ducats  survenue  dans  leur  commerce,  et  leur  dissen- 
sion domestique  avait  fini  par  les  amener  devant  les  tribunaux.  Ne  sachant 
plus  que  faire  pour  irriter  davantage  son  époux,  et  connaissant  l'estime 
qu'il  avait  pour  Marie-Françoise,  cette  malheureuse,  poussée  par  sa  passion 
et  par  les  conseils  de  ses  parents,  résolut  de  s'en  prendre  à  cette  innocente 
fille.  De  plus  en  plus  irritée,  elle  s'unit  à  la  première  persécutrice  de  la 
Bienheureuse,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  et  toutes  deux  vinrent  en- 
semble trouver  son  père  et  firent  tout  leur  possible  pour  l'irriter  contre  sa 
fille,  l'accusant  de  n'avoir  d'autre  métier  que  celui  de  troubler  les  ménages. 
François  Gallo,  indigné,  résolut  d'aller  ce  jour-là  même  trouver  Marie- 
Françoise  dans  sa  demeure,  pour  décharger  contre  elle  toute  sa  colère. 
Mais,  par  l'inspiration  de  son  ange  gardien,  Marie-Françoise  s'était  réfugiée 
chez  une  de  ses  amies,  Angèle  Furlaccio,  ou  elle  rencontra  son  confesseur  ; 
celui-ci,  pour  la  soustraire  aux  persécutions  soulevées  contre  elle,  résolut 
de  l'envoyer  au  couvent  dit  du  Bon-Chemin. 

Marie-Françoise  s'enferma,  en  effet,  dans  ce  saint  asile,  mais  elle  ne  put 
empêcher  que  son  père  et  ses  sœurs  ne  vinssent  l'y  accabler  d'injures,  ainsi 
qu'une  femme  impudente,  envoyée  par  ses  persécutrices,  au  grand  scan- 
dale des  saintes  filles  qui  habitaient  cette  demeure.  Le  démon,  ne  se  tenant 
pas  pour  satisfait  de  tout  ce  qu'elle  avait  si  patiemment  souffert,  voulut 
encore  changer  cette  retraite  en  un  nouveau  champ  de  bataille  et  lui  livrer 
d'autres  combats.  Deux  des  religieuses,  jalouses  de  voir  que  toute  la  com- 
munauté regardait  Marie-Françoise  comme  une  sainte  et  se  recommandait 
à  ses  prières,  en  éprouvèrent  tant  de  dépit,  que  l'une  d'elles  chercha  à  la 
précipiter  du  haut  d'un  long  escalier,  et,  n'ayant  pu  y  réussir,  lui  jeta  une 
terrine  de  feu  à  la  figure  ;  la  seconde  mit  tout  en  œuvre  pour  la  dénigrer. 
La  Bienheureuse,  pour  éviter  de  pareilles  scènes,  se  tenait  enfermée  dans 
sa  cellule,  mettant  toutes  ses  peines  aux  pieds  de  son  crucifix,  ou  bien  elle 
se  rendait  sans  être  aperçue  dans  la  chapelle  pour  y  adorer  son  Bien-Aimé 
caché  dans  le  tabernacle.  Il  lui  arrivait  quelquefois  d'entrer  à  la  sacristie 
pour  y  baiser  les  ornements  sacrés  et  satisfaire  par  là  l'inexprimable  dévo- 
tion qu'elle  avait  pour  tout  ce  qui  servait  au  divin  sacrifice.  Un  jour  qu'elle 
était  ainsi  occupée,  elle  entendit  une  voix  distincte  lui  dire  :  «  Marie-Fran- 
çoise, fuyez,  fuyez  ».  Elle  prit  cette  voix  pour  celle  de  son  ange  gardien  et 
se  hâta  de  regagner  sa  cellule  ;  elle  y  était  à  peine  arrivée,  qu'un  baril  de 
poudre  vint  à  sauter  dans  le  palais  voisin,  et  l'explosion  fut  telle,  que  la 
sacristie  ayant  été  ensevelie  sous  les  ruines,  elle  dut  regarder  son  salut 
comme  un  miracle.  Pendant  les  sept  mois  qu'elle  passa  dans  cet  asile, 
Marie-Françoise  eut  encore  beaucoup  à  souffrir  de  ses  infirmités  ;  se  trou- 
vant parfois  enflée  des  pieds  à  la  tête,  rien  cependant  ne  pouvait  assouvir 
sa  soif  des  souffrances  ;  sa  résignation  à  la  volonté  divine,  dans  les  plus 
cruelles  douleurs,  la  rendait  bien  conforme  à  son  aimable  Sauveur  crucifié. 
Elle  serait  volontiers  revenue  à  la  maison  paternelle,  quel  que  dût  être  le 
sort  qui  l'y  attendît,  si  son  confesseur  ne  s'y  était  formellement  opposé  ; 


410  6   OCTOBRE. 

mais,  par  sa  direction,  elle  vint  habiter  la  maison  de  la  dame  Candide  Prin- 
cipe, épouse  de  D.  Joseph  de  Mase  ;  c'était  une  femme  d'une  piété  et  d'une 
charité  remarquables. 

Les  tribulations,  les  persécutions  et  les  outrages  étaient  pour  Marie- 
Françoise  autant  de  faveurs  signalées  de  son  divin  Maître  et  autant  de 
sources  de  mérites  personnels.  Sa  soif  des  souffrances  paraissait  insatiable, 
et  on  voyait  clairement  combien  elle  était  persuadée  que  la  devise  de  Jésus- 
Christ  c'est  la  croix,  et  que  nous  ne  pouvons  sans  la  souffrance  être  agréable 
à  Celui  qui  a  voulu  s'appeler  Y  Homme  des  douleurs,  et  dont  l'âme  fut  triste 
jusqu'à  la  mort.  Une  infirmité,  pour  la  servante  de  Dieu,  était  toujours  sui- 
vie d'une  autre.  Pendant  qu'elle  se  trouvait  en  proie  a  de  violentes  douleurs 
d'intestins,  qui  la  mirent  pendant  cinq  jours  en  continuel  danger,  elle  ap- 
prit que  son  père  touchait  à  sa  dernière  heure.  Marie-Françoise  se  mit  à 
pleurer  à  la  pensée  de  la  nouvelle  perte  qu'elle  allait  faire,  et  son  plus  grand 
chagrin  était  de  ne  pouvoir  se  trouver  au  chevet  du  mourant.  Mais  com- 
bien la  charité  est  ingénieuse  !  Elle  fit  si  bien  et  pria  tant  le  Seigneur  qu'elle 
prit  sur  elle  et  obtint  de  souffrir,  à  la  place  de  son  père,  les  douleurs  de  son 
agonie. 

En  1763,  elle  connut  par  révélation  divine  que  l'année  suivante,  le 
royaume  de  Naples  devait  être  désolé  par  une  grande  famine  accompagnée 
d  une  terrible  peste.  Atteinte  elle-même  de  l'épidémie,  dès  le  commence- 
ment de  l'année  1764,  et  bientôt  conduite  aux  portes  du  tombeau,  elle  dut 
recevoir  les  derniers  sacrements  de  l'Eglise.  Elle  resta  pendant  plusieurs 
mois  entre  la  vie  et  la  mort  et  ne  se  rétablit  que  vers  la  fin  de  l'épidémie. 
Elle  s'efforçait  d'inspirer  à  tous  ceux  qui  venaient  la  visiter,  particulière- 
ment aux  prêtres,  la  piété  envers  les  pauvres.  Toutes  les  aumônes  qu'elle 
recevait,  elle  les  consacrait  à  faire  dire  des  messes  pour  les  âmes  du  purga- 
toire, et  elle  s'efforçait  de  gagner  le  plus  d'indulgences  possible,  surtout  le 
jour  de  la  Portioncule,  pendant  lequel  elle  ne  s'éloignait  pas  d'une  église  de 
Franciscains,  afin  de  délivrer  le  plus  grand  nombre  qu'elle  pourrait  de  ces 
âmes  si  dignes  de  compassion.  Lorsque  ses  infirmités  la  retenaient  au  lit, 
elle  suppléait  à  son  impuissance  en  recommandant  aux  prêtres  et  aux  autres 
personnes  qu'elle  voyait,  de  gagner  des  indulgences  à  son  intention,  et  elle 
les  appliquait  toutes  au  soulagement  de  ces  chères  âmes. 

A  tant  d'épreuves  de  tout  genre,  à  tant  de  souffrances  et  de  peines,  le 
Seigneur  en  ajouta  une  nouvelle,  en  affligeant  sa  fidèle  servante  d'une  déso- 
lation d'esprit  qui  la  réduisit  à  l'état  de  squelette.  Elle  passait  les  jours  et 
les  nuits  à  pleurer,  sans  trouver  ni  repos  ni  consolation,  et  ses  troubles 
d'esprit  étaient  tels  qu'elle  avait  continuellement  besoin  de  l'assistance  de 
son  directeur.  Le  pieux  et  dévoué  D.  Jean  Pessiri  était  appelé,  à  toute 
heure,  auprès  d'elle,  pour  lui  prêter  ses  lumières.  Afin  de  pouvoir  plus  faci- 
lement s'acquitter  de  ce  devoir,  il  résolut,  par  inspiration  d'en  haut,  de 
venir  habiter  la  maison  de  la  servante  de  Dieu,  et  ce  fut  pour  ne  plus  la 
quitter  jusqu'à  la  mort  de  la  Sainte.  Cet  apôtre  de  la  charité  espérait,  par 
des  soins  plus  assidus,  pouvoir  apporter  à  cette  âme  affligée  quelque  soula- 
gement au  milieu  de  ses  mortelles  angoisses  ;  mais  Dieu,  qui  voulait  la  faire 
passer  par  le  creuset  des  tribulations,  la  visita  par  une  série  d'afflictions, 
telle  qu'elle  mérita  bien  le  nom  de  martyre  de  la  patience.  En  proie  à  une 
ébullition  de  sang,  elle  avait  pris  inutilement  les  bains  froids  ordonnés  par 
les  médecins  ;  ceux-ci  pensèrent  porter  remède  au  mal,  en  pratiquant  une 
saignée  au  pied.  Le  chirurgien  la  blessa  maladroitement  et,  pendant  cinq 
jours,  elle  souffrit  les  douleurs  les  plus  aiguës  et  de  violents  spasmes.  Son 


SAINTE  MARIE-FRANÇOISE  DES  CINQ   PLAIES  DE  JESUS,   VIERGE.  111 

pied  devint  comme  un  fer  rouge,  et  la  gangrène  s'y  étant  mise,  il  fallut 
couper  et  brûler  dans  les  chairs  vives.  Cependant  la  patiente  ne  pouvait  se 
lasser  de  répéter  :  «  Que  la  volonté  de  Dieu  soit  faite  î  Mon  Dieu,  faites  de 
moi  ce  que  vous  voudrez  !...  Soyez  béni,  mon  Dieu,  pendant  tous  les 
siècles  !  »  On  eût  dit  qu'elle  jouait  avec  le  mal  qui  la  tourmentait,  et  qu'elle 
s'en  faisait  un  motif  d'une  joyeuse  hilarité.  Sa  compagne  ayant,  par  mé- 
garde,  laissé  du  soufre  brûler  trop  longtemps  dans  la  chambre  de  la  Bien- 
heureuse, il  lui  survint  une  toux  violente  qui  lui  occasionna  un  vomisse- 
ment de  sang,  suivi  d'une  telle  inflammation  de  gorge,  que,  pour  l'adoucir, 
elle  dut  porter  un  collier  de  plomb,  pendant  douze  années  entières.  Elle 
remerciait  Dieu  et  le  bénissait  de  cette  nouvelle  croix,  et  la  regardant 
comme  une  marque  de  son  amour,  elle  disait,  avec  un  admirable  sourire  : 
«  Le  Seigneur  m'a  ornée,  comme  son  épouse,  de  ce  collier  de  perles  ». 

«  Oh  !  que  ne  puis-je  mourir  »,  s'écriait  souvent  la  Bienheureuse,  a  que 
ne  puis-je  donner  ma  vie,  comme  témoignage  de  ma  foi  au  grand  mys- 
tère de  la  Très-Sainte  Trinité  !  Que  ne  puis-je,  au  prix  de  mon  sang,  le 
faire  connaître  et  adorer  par  tous  les  hommes  !  »  Elle  ne  commençait 
jamais  aucune  de  ses  oraisons,  sans  avoir  d'abord  récité  un  Gloria  Patri. 
Elle  ne  pouvait  souffrir  que  quelqu'un  récitât,  en  sa  présence,  cette  prière 
sans  être  profondément  incliné,  et  si  quelquefois  sœur  Marie-Félix  omettait 
de  le  faire  par  distraction,  la  Bienheureuse  lui  courbait  elle-même  la  tête 
avec  ses  mains.  Elle  avait  au-dessus  de  son  lit  un  tableau  représentant  ce 
grand  mystère,  et  chaque  fois  qu'elle  recevait  dans  sa  chambre  un  précepte 
d'obéissance,  elle  levait  les  yeux  vers  ce  tableau  pour  lui  demander  la  force 
de  bien  accomplir  ce  qui  lui  était  commandé.  L'adoration  de  la  Très-Sainte 
Trinité  était  la  première  et  la  dernière  action  de  sa  journée.  A  l'approche 
de  la  fête  instituée  par  l'Eglise,  pour  honorer  cet  auguste  mystère,  elle  s'y 
préparait,  pendant  neuf  jours,  avec  une  dévotion  extraordinaire  et  un  pro- 
fond recueillement  uni  aux  jeûnes  et  aux  autres  mortifications.  Elle,  dont 
la  nature  était  si  calme  et  si  douce,  on  la  voyait  s'animer  d'un  saint  zèle, 
le  visage  tout  en  feu,  si  quelqu'un  avait  voulu  discuter  non-seulement  sur 
ce  mystère,  mais  même  surtout  autre,  répondre  sans  égard  pour  personne  : 
«  Il  n'est  point  permis  à  un  vil  ver  de  terre  de  vouloir  scruter  et  com- 
prendre les  mystères  les  plus  sacrés  de  la  sagesse  divine,  sans  une  témé- 
raire présomption;  beaucoup  sont  tombés  dans  l'incrédulité,  et  se  sont 
damnés  pour  toujours,  pour  avoir  voulu  raisonner  sur  les  mystères  ». 

Chaque  vendredi  de  Tannée  était  pour  elle  un  jour  sacré,  en  mémoire 
de  celui  qui  fut  sanctifié  par  la  mort  de  Nôtre  Seigneur  Jésus-Christ;  elle 
le  passait  dans  les  pratiques  de  la  pénitence,  et  d'un  jeûne  très-rigoureux. 
Pendant  la  semaine  sainte,  après  avoir  reçu  la  communion  le  jeudi,  à  la 
messe  solennelle,  elle  ne  prenait  plus  aucune  nourriture  jusqu'au  samedi 
matin,  et  passait  tout  cet  intervalle  à  visiter  trente-trois  sépulcres,  en  l'hon- 
neur des  trente-trois  années  de  la  vie  du  Sauveur.  Notre-Seigneur  récom- 
pensait un  si  vif  et  si  tendre  amour  par  le  privilège  singulier  des  marques 
visibles  de  ses  plaies,  et  en  faisant  participer  son  Epouse  à  tout  ce  qu'il  a 
voulu  souffrir  pour  le  salut  éternel  de  nos  âmes,  dans  les  diverses  parties 
de  sa  Passion. 

Marie-Françoise  avait  une  si  vive  confiance  et  un  si  tendre  amour  envers 
la  Très-Sainte  Vierge,  qu'elle  ne  priait  jamais  sans  avoir  recours  à  elle  ; 
non  contente  de  pratiquer  elle-même  cette  piété  envers  Marie,  elle  s'effor- 
çait de  l'inculquer  aux  autres.  «  Soyez  dévots  »,  disait-elle  à  tout  le  monde, 
«  soyez  vraiment  dévots  à  Marie  et  recommandez-vous  constamment  à 


H 2  6  OCTOBRE. 

elle,  vous  obtiendrez  de  Dieu  toutes  les  grâces  que  vous  désirerez  ».  Il  n'y 
avait  pas  de  coin  dans  sa  maison  où  Marie  ne  fût  représentée  ;  son  image 
se  trouvait  sur  les  murs,  dans  les  embrasures  de  fenêtres,  sur  les  portes, 
dans  les  escaliers  ;  elle  avait  bien  raison  d'en  agir  ainsi,  puisqu'il  n'y  avait 
pas  de  repli  dans  son  cœur  où  le  nom  de  Marie  ne  fût  gravé  profondé- 
ment. La  Servante  de  Dieu  se  préparait  à  toutes  les  fêtes  de  la  bonne  Mère, 
par  des  neuvaines  de  jeûnes,  de  prières  et  de  mortifications,  méditant  les 
divers  privilèges  dont  Dieu  a  honoré  cette  Vierge  incomparable.  Tous  les 
titres  de  Marie  étaient  autant  de  trésors  pour  elle  ;  elle  en  parlait  souvent 
avec  un  amour  capable  d'amollir  le  marbre.  Le  titre  cependant  pour  lequel 
elle  se  sentait  plus  d'attrait,  était  celui  de  Mère  du  divin  Pasteur;  elle 
aimait  à  reconnaître  dans  celle  qui  en  est  honorée,  la  mère  de  son  Epoux, 
de  son  Bien-Aimé,  de  son  Tout.  Elle  s'efforçait  d'en  propager  la  dévotion, 
et  elle  la  fit  répandre  par  ses  amis  au  moyen  de  statues,  d'images  et  de 
livres.  Malade,  elle  voulait  avoir  le  portrait  de  sa  divine  Mère  entre  les 
mains,  et  elle  l'avait  sur-le-champ,  malgré  l'impossibilité  où  elle  se  trou- 
vait de  le  prendre  par  elle-même,  à  cause  de  la  distance,  et  sans  que  per- 
sonne ne  lui  donnât  visiblement.  Ses  jeûnes  de  tous  les  vendredis  et  same- 
dis de  l'année  étaient  offerts  à  Marie  ;  elle  n'omit  jamais,  jusqu'à  sa  mort, 
de  dire,  en  son  honneur,  le  rosaire,  les  litanies  et  d'autres  prières  encore. 
A  peine  sortie  de  son  agonie,  et  lorsqu'il  ne  lui  restait  plus  que  quelques 
heures  à  vivre,  sa  première  pensée  fut  de  tourner  son  regard  vers  sa  tendre 
Mère  et  de  dire  en  son  honneur  cinq  dizaines  de  chapelet. 

Quelqu'un  avait-il  recours  à  la  Bienheureuse,  dans  quelque  nécessité, 
ou  bien  s'y  trouvait-elle  elle-même ,  elle  s'adressait  de  suite  à  la  Très- 
Sainte  Vierge.  Elle  le  faisait  avec  une  confiance  toute  filiale  et  la  priait  de 
l'assurer  sur-le-champ,  par  un  signe  sensible,  que  sa  prière  serait  exaucée  ; 
la  Très-Sainte  Vierge,  sa  bonne  Mère,  se  rendait  à  ses  désirs.  Il  n'y  avait 
pas  de  grâce  qu'elle  n'obtînt  par  Marie  ;  elle  l'appelait  sa  mère,  et  Marie  la 
regardait  bien  comme  sa  fille.  Ame  fortunée,  combien  votre  sort  est  digne 
d'envie  !  Heureuse  d'être  aussi  honorée  par  la  Reine  du  ciel,  trésorière  de 
toutes  les  grâces  de  Jésus!  Mais  comment  obtenir  tant  d'honneur?  Oui, 
soyez  dévots  à  Marie,  répond-elle,  ayez  confiance  en  Dieu  et  en  sa  Mère 
très-sainte,  efforcez-vous  de  ne  jamais  déplaire  à  Marie  en  offensant  Jésus, 
et  alors,  par  Marie,  Dieu  vous  accordera  toutes  ses  grâces.  Elle  le  disait  et 
le  prouvait  par  ses  œuvres,  opérant  par  cette  confiance  les  miracles  les 
plus  extraordinaires. 

Marie-Françoise  avait  une  grande  confiance  et  une  tendre  dévotion 
envers  les  saints  Anges  :  elle  se  préparait  à  célébrer  leurs  fêtes  par  des 
neuvaines,  des  pénitences  et  des  jeûnes  ;  elle  en  parlait  avec  une  affection 
tendre  et  ne  négligeait  rien  pour  inspirer  aux  autres  cette  dévotion.  Aussi 
fut-elle,  pendant  tout  le  cours  de  sa  vie,  favorisée  de  l'assistance  visible  de 
son  Ange  gardien  ;  c'est  lui  qui  l'instruisit  de  la  doctrine  chrétienne,  lui 
qui  la  protégeait  dans  les  périls  spirituels  ou  temporels.  Parce  qu'elle  était 
habituellement  malade,  il  plut  au  Seigneur  de  la  confier  d'une  manière 
spéciale  à  l'archange  Raphaël.  En  1789,  il  lui  apparut  sous  une  forme  d'une 
beauté  extraordinaire;  cette  vue  Causa  une  telle  surprise  à  Marie-Françoise, 
qu'elle  n'avait  plus  de  souffle  pour  parler  ;  la  voyant  dans  cet  état,  l'Ar- 
change lui  annonça  qu'il  était  envoyé  vers  elle  pour  guérir  sa  plaie  du 
côté  ;  en  effet,  le  lendemain  elle  se  trouva  guérie.  Il  l'assista  de  même  dans 
une  autre  circonstance,  où  une  veine  de  la  poitrine  s'était  dilatée,  ce  qui 
l'empêchait  de  faire  le  moindre  effort.  Un  jour,  le  Père  D.  François  Bianchi 


SAINTE  MABIE-FRANÇOISE  DES   CL\Q   PLAIES   DE  JÉSUS,   VIERGE.  1?? 

se  trouvait  avec  elle  lorsqu'il  sentit  un  parfum  tout  céleste;  il  lui  en  de- 
manda la  raison,  et  elle  lui  apprit  que  l'archange  Raphaël  était  au  milieu 
d'eux.  Par  reconnaissance  pour  tous  les  bienfaits  qu'elle  avait  reçus  de  ce 
prince  du  ciel,  elle  voulut,  au  moment  de  sa  mort,  lui  en  témoigner  sa 
gratitude,  en  récitant,*à  haute  voix  et  avec  l'accent  d'une  tendre  dévotion, 
neuf  Gloria  Patri,  pour. rendre  grâces  de  cette  assistance  à  la  Très-Sainte 
Trinité.  Elle  aimait  encore,  d'un  amour  spécial,  l'archange  saint  Michel,  son 
protecteur  et  son  défenseur  contre  les  mauvais  esprits,  ainsi  que  l'archange 
Gabriel,  qui  avait  annoncé  au  monde  le  grand  mystère  de  l'Incarnation  du 
Verbe.  Enfin  elle  vénérait  et  aimait  toutes  les  hiérarchies  des  esprits 
célestes;  ange  elle-même  par  sa  pureté,  il  était  juste  qu'elle  jouît  de  la 
familiarité  et  de  l'amitié  des  Anges. 

Marie-Françoise  brûlait  d'amour  pour  son  Dieu.  La  soif  qu'elle  avait  de 
souffrir  pour  lui,  son  désir  du  martyre,  ses  mortifications  volontaires,  sa 
patience  dans  les  tribulations,  les  maladies  et  les  persécutions,  sa  foi,  son 
espérance,  sa  dévotion  admirable  envers  les  mystères  de  notre  sainte  reli- 
gion, ses  transports  pour  la  sainte  Eucharistie,  sa  tendre  piété  envers  la 
sainte  Vierge,  les  Anges,  les  Saints  et  les  âmes  du  purgatoire,  son  respect 
envers  les  prêtres  et  la  sainte  Eglise,  les  faveurs  dont  son  Bien-Aimé  l'en- 
richit, tout  nous  dit  qu'elle  aimait  d'un  amour  immense  et  héroïque  le 
Père  céleste,  le  Dieu  de  son  âme  et  de  son  cœur.  Cet  amour  était  si  tendre, 
que  souvent,  en  pensant  à  la  bonté  de  Dieu,  elle  versait  des  torrents  de 
larmes  et  en  trempait  son  mouchoir  et  ses  vêtements;  il  était  si  violent 
qu'il  la  privait  de  ses  sens,  la  saisissait  et  la  soulevait  de  terre. 

Les  principaux  caractères  de  la  charité,  dit  saint  Paul,  sont  la  patience 
et  la  bénignité  ;  la  charité  n'est  point  envieuse,  elle  n'est  point  téméraire 
et  précipitée,  elle  ne  s'enfle  point  d'orgueil,  elle  n'est  point  ambitieuse, 
elle  ne  cherche  point  ses  propres  intérêts,  elle  ne  s'irrite  point,  elle  ne 
pense  point  le  mal,  elle  ne  se  réjouit  point  de  l'injustice,  mais  elle  se 
réjouit  de  la  vérité  ;  elle  supporte  tout,  elle  croit  tout,  elle  espère  tout, 
elle  souffre  tout,  sans  jamais  s'éteindre.  Telles  étaient  les  maximes  de  la 
Bienheureuse  ;  voilà  l'école  qui  l'éleva  à  la  sainteté.  Accoutumée,  dès  son 
jeune  âge,  aux  tribulations  et  aux  persécutions,  elle  façonna  si  bien  son 
caractère  à  la  patience  et  à  la  bénignité,  que  ces  vertus  paraissaient  per- 
sonnifiées en  elle.  Il  suffisait  de  l'offenser  pour  acquérir  un  droit  à  ses  bien- 
faits. Il  n'y  avait  pas  de  souffrance  à  laquelle  elle  ne  compatît.  Elle  pouvait 
bien  se  considérer  comme  la  mère  des  pauvres  et  des  affligés,  puisque 
ceux-ci  étaient  ses  frères  les  plus  chers  et  les  plus  tendrement  aimés.  Lui 
demandait-on  l'aumône  pour  l'amour  de  Dieu,  elle  donnait  tout  ce  qu'elle 
avait  sous  la  main,  chemises,  mouchoirs,  linges.  Un  jour  elle  rencontra 
une  pauvre  femme  qui  n'avait  pas  suffisamment  de  vêtements  pour  se  cou- 
vrir, elle  la  fit  venir  chez  elle  et,  ôtant  ses  jupes,  elle  les  lui  donna.  Elle 
donna  de  même  son  matelas  à  un  pauvre  malheureux  qui  n'avait  pas  de 
grabat  pour  dormir,  et  pendant  longtemps  elle  soutint  une  mère  et  ses 
sept  filles,  en  se  privant  elle-même  du  nécessaire.  Elle  vendit  son  habit 
neuf  pour  subvenir  à  la  misère  de  quelques  jeunes  personnes,  et  eut  beau- 
coup à  souffrir  du  froid,  pendant  l'hiver,  manquant  elle-même  de  quoi  se 
couvrir.  Elle  n'avait  pas  plus  tôt  reçu  une  aumône,  qu'elle  l'appliquait  au 
soulagement  des  uns  et  des  autres.  N'avait- elle  plus  rien  à  donner,  notre 
Bienheureuse  se  jetait  aux  pieds  du  Crucifix  et,  saisissant  une  discipline, 
elle  s'ensanglantait  pour  émouvoir  le  cœur  de  son  Dieu  et  en  obtenir  ce 
dont  elle  avait  besoin  pour  les  malheureux;  le  Seigneur  lui  faisait  aussitôt 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII-  8 


|14  6  OCTOBRE . 

trouver  ce  qui  lui  était  nécessaire.  C'est  ainsi  qu'elle  secourut  un  pauvre 
gentilhomme,  en  lui  mettant  secrètement  dans  les  mains  cinquante  ducats, 
à  condition  qu'il  n'en  dirait  pas  un  mot,  même  au  vénérable  Père  Bianchi  ; 
elle  en  donna  encore  trois  cents  à  une  famille  indigente,  et  le  Seigneur 
•Koulut  qu'elle  en  retînt  cent  pour  elle-même,  afin  de  pourvoir  à  ses  besoins 
les  plus  pressants. 

Marie-Françoise  visitait  fréquemment  les  hôpitaux  et,  passant  dans  la 
salle  des  femmes,  elle  faisait  ses  délices  de  se  tenir  auprès  des  malades  les 
plus  repoussantes,  et  de  celles  atteintes  de  maladies  contagieuses  ;  elle 
arrangeait  leurs  lits,  les  soutenait  sur  son  épaule  et  leur  rendait  tous  les 
services  dont  elles  avaient  besoin.  Toutefois  les  premiers  objets  de  sa  cha- 
rité étaient  les  âmes,  et  elle  eut  le  bonheur  d'en  gagner  beaucoup  à  Dieu 
et  d'en  ramener  un  bon  nombre  du  désespoir.  L'amour  de  la  Servante  de 
Dieu  envers  les  âmes  du  purgatoire  était  vraiment  héroïque.  Elle  ne  passait 
pas  de  semaine  sans  se  flageller  jusqu'au  sang  afin  de  les  soulager.  Presque 
tous  ses  jeûnes  de  Tannée  étaient  offerts  à  leur  intention.  Non  contente  de 
gagner  elle-même  le  plus  d'indulgences  possible  en  leur  faveur,  elle  les 
recommandait  encore  aux  autres. 

Notre-Seigneur  voulant  manifester  combien  était  grande  la  pureté  de 
son  épouse  chérie,  faisait  souvent  exhaler  de  son  corps  un  suave  parfum  ; 
ses  habits,  comme  tout  ce  qu'elle  touchait  de  sa  main,  répandaient  une 
odeur  toute  céleste.  Afin  qu'on  ne  pût  douter  que  ce  don  lui  venait  de  son 
Bien-Aimé,  et  par  les  mains  de  Marie  sa  tendre  Mère,  on  observa  constam- 
ment que  ce  parfum  devenait  plus  sensible  aux  fêtes  solennelles  de  la 
sainte  Vierge  et  les  vendredis  de  mars,  jours  où  elle  souffrait  les  mystères 
de  la  passion  de  Jésus-Christ.  Les  gardiens  de  cette  vertu  qui  lui  était  si 
chère,  furent  ses  jeûnes  continuels,  ses  macérations,  ses  disciplines,  ses 
cilices,  l'habitude  de  la  présence  de  Dieu,  l'esprit  d'oraison  avec  lequel  elle 
commença  et  finit  la  vie  de  son  exil.  Tels  sont  les  moyens  qui  nous  condui- 
sent à  remporter  la  victoire  sur  nous-mêmes,  et  qui  obtiennent  du  cœur 
de  Dieu,  qu'il  nous  défende,  quand  il  en  est  besoin,  même  par  des  mira- 
cles. 

La  vertu  qui  trouve  une  grande  répugnance  appuyée  sur  l'orgueil  du 
cœur  humain,  et  qui,  d'après  saint  Grégoire,  tue  la  volonté  propre,  c'est 
l'obéissance.  Voilà  pourquoi  Notre-Seigneur,  voulant  avoir  une  preuve  non 
équivoque  de  notre  amour  pour  lui,  nous  invite  à  lui  offrir  ce  sacrifice  plus 
excellent  à  ses  yeux  que  tous  les  holocaustes  :  Qui  vult  post  me  venire, 
abneget  semetipsum  :  «  Que  celui  qui  veut  venir  après  'moi  se  renonce  lui- 
même  » .  Marie-Françoise  avait  entendu  cette  invitation,  et,  dès  son  pre- 
mier âge,  elle  se  dépouilla  si  bien  de  sa  propre  volonté,  que  l'obéissance 
paraissait  en  elle  plutôt  une  inclination  naturelle  qu'une  vertu  acquise.  On 
lui  demandait  un  jour  quelle  était  la  vertu  qui  lui  plaisait  le  plus  :«  Toutes 
les  vertus  » ,  répondit-elle,  a  me  plaisent,  mais  la  plus  grande  est  celle  de 
se  sentir  comme  anéanti  par  les  résistances  de  la  partie  inférieure  de  l'âme, 
et  de  ne  jamais  s'opposer  néanmoins  à  la  volonté  de  ceux  qui  ont  le  droit 
de  nous  commander  ».  Ce  qu'elle  disait,  elle  le  faisait.  Pour  ce  qui  regarde 
l'obéissance  aux  commandements  de  Dieu  et  de  son  Eglise,  telle  était  la 
maxime  que  la  Servante  du  Seigneur  cherchait  continuellement  à  inculquer 
aux  autres  :  «  Tout  chrétien  »,  disait-elle,  «  est  obligé  de  croire  et  d'obéir 
aveuglément  à  tout  ce  que  la  sainte  Eglise  enseigne,  avec  tout  le  respect 
convenable,  et  personne  ne  doit  jamais  oublier  l'obéissance  et  la  soumis- 
sion dues  au  souverain  Pontife,  dans  tout  ce  qu'il  commande  ».  Afin  de 


SAINTE  MARIE -FRANÇOISE  DES   CINQ  PLAIES  DE  JÉSUS,   VIERGE.  415 

rendre  ses  enseignements  plus  efficaces,  Marie-Françoise  racontait  tout  ce 
que  les  premiers  chrétiens  avaient  enduré  pour  rester  fidèles  à  cette  obéis- 
sance ;  et  elle  le  faisait  avec  tant  d'émotion  et  une  telle  abondance  de  lar- 
mes, que  tous,  à  sa  voix,  se  sentaient  prêts  à  voler  au  martyre  ;  alors,  elle 
qui  le  désirait  si  ardemment,  s'écriait  :  «  Oh  !  l'heureux  sort  que  le  nôtre,  si 
nous  étions  martyrisés  pour  notre  sainte  foi  !  » 

Il  n'y  eut  pas  un  moment,  dans  toute  la  vie  de  la  Bienheureuse,  qui  ne 
fût  occupé  par  la  prière,  l'exercice  de  la  pénitence,  la  tribulation,  la  pra- 
tique de  toutes  les  vertus,  ou  par  les  faveurs  les  plus  singulières  de  son 
céleste  Epoux.  Aussi  l'histoire  de  cette  vie  peut  se  définir  en  un  mot,  une 
agonie  continuelle.  Au  mois  de  mai  1791,  l'état  de  la  Bienheureuse  s'aggra- 
vant  de  plus  en  plus,  elle  alla  passer  quelque  temps  à  la  campagne  de  Don 
Antoine  Cervellini,  située  au-dessus  de  Sainte-Marie  la  Grande.  Le  bienfait 
du  changement  d'air  ne  se  fit  pas  longtemps  sentir  ;  sœur  Marie-Françoise 
fut  bientôt  prise  d'une  toux  violente  qui  eut  les  plus  graves  conséquences  ; 
malgré  toutes  les  ressources  de  l'art,  il  se  produisit  deux  hernies  étran- 
glées, qui,  pendant  vingt-quatre  heures,  lui  causèrent  d'affreux  vomisse- 
ments. Il  ne  se  trouvait  personne  dans  cette  solitude  pour  l'assister,  en 
sorte  que  Don  Pessiri  se  vit  obligé  de  lui  donner  une  absolution  qu'il  croyait 
la  dernière. 

Marie- Françoise  désirait  son  confesseur  et  le  demandait  d'une  voix 
éteinte  ;  Dieu,  qui  écoute  toujours  la  prière  de  ses  serviteurs,  inspira  inté- 
rieurement à  Don  Antoine  de  se  transporter  auprès  de  la  malade,  et  aussi- 
tôt qu'il  fut  arrivé,  il  fit  venir  d'habiles  médecins  et  lui  ordonna,  par  un  pré- 
cepte d'obéissance,  de  consentir  à  l'opération  devenue  nécessaire  pour  la 
sauver.  La  Bienheureuse  se  soumit  à  cet  ordre  et,  étouffée  par  ses  larmes, 
souffrant  des  angoisses  plus  cruelles  que  la  mort,  elle  s'enferma  dans  sa 
douleur  et  laissa  échapper  ces  seules  paroles  :  «  Que  Dieu  soit  béni  !  » 

Marie-Françoise  fut  ensuite  reconduite  à  Naples,  et  au  milieu  des  conti- 
nuelles agonies  qui  l'obligèrent,  depuis  le  mois  de  mai  jusqu'à  la  fin  d'août, 
à  être  sans  cesse  assistée  par  des  prêtres,  elle  voulut  toujours  réciter  avec 
eux  le  Rosaire,  les  litanies,  et  toutes  ses  longues  prières  et  même  se  prépa- 
rer par  une  neuvaine  à  la  fête  de  l'Assomption  de  la  sainte  Vierge.  Ce  jour- 
là,  elle  descendit  de  sa  couche  pour  venir,  dans  son  oratoire,  s'associer  aux 
prières  des  ministres  du  Seigneur  ;  elle  y  fut  prise  tout  à  coup  d'une  dou- 
leur si  violente  dans  un  pied,  que,  ne  pouvant  s'empêcher  d'éclater  en  san- 
glots, elle  dit  à  ces  serviteurs  de  Dieu  :  «  Priez  pour  moi,  misérable  péche- 
resse ;  oh  !  priez  la  très-sainte  Vierge  qu'elle  m'obtienne  de  Jésus-Christ 
miséricorde  et  courage  dans  les  souffrances  que  j'endure  ».  Ils  prièrent,  et 
la  douleur  se  calma.  Délivrée  de  ce  spasme,  elle  devint  ensuite  la  proie 
d'horribles  convulsions  accompagnées  d'un  feu  intérieur  qui  la  dévorait  et 
de  douleurs  aiguës  par  tout  le  corps  ;  ses  pieds  et  ses  jambes  s'enflèrent  ra- 
pidement, au  point  qu'elle  ne  put  plus  garder  le  lit,  et  dut  passer  les  jours 
et  les  nuits  sur  une  chaise,  sans  pouvoir  prendre  aucun  repos.  Sa  patience 
et  sa  constante  conformité  à  la  volonté  de  Dieu,  furent  si  grandes  en  cette 
circonstance,  que,  d'après  l'expression  des  témoins  oculaires,  elles  étaient 
plus  qu'héroïques.  Ses  lèvres  ne  s'ouvraient  que  pour  bénir  et  remercier  le 
Très-Haut,  offrant  au  Père  Eternel  ses  nombreuses  et  douloureuses  crises, 
en  union  avec  les  mérites  infinis  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

On  approchait  de  la  fête  de  la  Nativité  de  Marie,  et  pendant  qu'elle  s'y 
préparait  avec  une  extrême  ferveur,  la  Bienheureuse  fut  prise  d'une  mor 
telle  crampe  d'estomac  ;  il  semblait  qu'elle  fût  traversée  d'un  glaive  acéré, 


416  6  OCTOBRE. 

et  les  convulsions  furent  si  grandes,  les  vomissements  si  violents,  qu'il  sem- 
blait qu'on  lui  arrachait  les  entrailles;  mais  la  Bienheureuse,  laissant 
échapper  les  doux  gémissements  de  la  colombe,  ne  savait  que  répéter  ces 
admirables  paroles  :  «  Que  le  Seigneur  soit  béni  !  »  Le  jour  de  la  fête 
arrivé,  comme  elle  ne  put  quitter  sa  couche,  elle  demanda  d'y  recevoir  la 
sainte  communion,  et  elle  la  reçut  des  mains  de  son  confesseur  avec  un 
recueillement  et  une  dévotion  qui  firent  l'admiration  de  tous  les  assistants. 
Comme  le  mal  croissait  toujours,  et  que  les  convulsions  devenaient  de  plus 
en  plus  fortes,  sœur  Marie-Françoise  désira  recevoir  le  saint  Viatique  et 
l'Extrême-Onction,  le  11  septembre,  fête  du  saint  nom  de  Marie,  bien 
qu'elle  eût  déjà  communié  le  matin.  Le  13,  après  avoir  pareillement  reçu 
son  Bien-Aimé,  tandis  qu'elle  était  crucifiée  sur  son  lit  de  douleurs,  elle  eut 
une  profonde  extase,  pendant  laquelle  elle  vit  s'élever,  du  seuil  de  sa 
chambre  jusqu'au  plafond,  une  grande  croix  nue.  Elle  communiqua  cette 
vision  à  Dom  Antoine  Cervellini,  et  celui-ci  en  fit  part  à  tous  les  prêtres 
qui  se  réunissaient  souvent  dans  son  oratoire,  afin  de  prier  pour  elle  ;  tous 
pensèrent  que  cette  vision  était  un  présage  assuré  de  sa  mort  prochaine. 
Se  souvenant  alors  de  la  puissance  qu'avait  sur  elle  le  précepte  d'obéis- 
sance, et  combien  de  fois  il  avait  suffi  pour  la  rappeler  des  portes  de  la 
mort,  dans  leur  désir  de  la  conserver  pour  le  bien  de  leurs  âmes,  ils  résolu- 
rent de  lui  commander  de  prier  elle-même  le  Seigneur,  qu'il  daignât  la 
laisser  vivre  encore,  pour  sa  plus  grande  gloire  et  l'accroissement  des  mé- 
rites de  sa  Servante.  Le  Père  Toppi  fut  choisi  pour  lui  communiquer  cet 
ordre,  de  la  part  de  toute  l'assemblée.  La  Bienheureuse  obéit  et,  quelque 
pénible  que  lui  fût  devenue  la  vie,  elle  inclina  la  tête  et  offrit  ce  nouvel 
acte  de  soumission  en  union  avec  la  soumission  de  Jésus  sur  la  croix. 

La  maladie  continuait  son  cours,  s'aggravant  de  plus  en  plus;  néan- 
moins, les  serviteurs  de  Dieu,  désirant  toujours  posséder  la  Bienheureuse, 
lui  renouvelaient  sans  cesse  le  précepte  d'obéissance.  Le  5  octobre  elle 
reçut,  avec  sa  ferveur  accoutumée,  la  sainte  communion  qui  était  devenue 
sa  seule  nourriture,  depuis  quelque  temps  ;  pendant  qu'elle  était  toute  re- 
cueillie à  faire  son  action  de  grâces,  elle  fut  ravie  en  extase,  en  présence  de 
plusieurs  personnes  qui  l'entendirent  s'écrier  :  «  Mon  Epoux  bien-aimé, 
vous  êtes  mon  Maître,  faites  de  moi  tout  ce  que  vous  voudrez  ».  C'est  pen- 
dant ce  ravissement,  que  Notre-Seigneur  lui  fit  entendre  qu'il  ne  voulait 
plus  qu'on  lui  donnât  des  préceptes  d'obéissance,  pour  la  retenir  encore 
dans  l'exil  ;  mais  que  tous  devaient  se  conformer  à  sa  divine  volonté.  Reve- 
nue à  elle,  et  se  tournant  vers  Dom  Antoine  Cervellini  qui  lui  rappelait  le 
précepte  qu'elle  avait  reçu:  «Mon  Père»,  lui  dit-elle,  «  ne  me  donnez 
plus  de  préceptes,  parce  que  le  Seigneur  s'en  irrite  ».  —  «  Sœur  Marie- 
Françoise  »,  reprit  le  bon  prêtre,  «  ce  précepte  est  dans  les  mains  de  l'abbé 
Toppi  ».  —  «  Oui  »,  reprit  la  Bienheureuse  ;  «  mais  le  Seigneur  m'a  dit  que 
vous  étiez  mon  confesseur  et  qu'il  voulait  que  j'en  sois  déliée  par  vous  ». 
Puis,  s'adressant  à  François  Borelli  qui  .faisait  des  instances  :  «  François  », 
lui  dit-elle,  «  vous  devriez  avoir  du  scrupule  de  votre  conduite  ;  vous  voyez 
où  j'en  suis  réduite,  ma  pauvre  humanité  est  consumée,  le  Seigneur  m'ap- 
pelle, ces  bons  Pères  me  retiennent  liée  par  l'obéissance,  et  moi  je  suis 
obligée  de  rester  et  de  souffrir.  Dites-leur  donc  qu'ils  ne  me  donnent  plus 
de  préceptes,  et  recommandez  à  Dom  Pessiri  de  se  résigner  à  la  volonté  de 
Dieu».  Son  confesseur,  après  avoir  réfléchi,  s'écria:  «Puisqu'il  en  est 
ainsi,  je  ne  veux  point  déplaire  au  Seigneur,  qu'il  fasse  sa  sainte  volonté, 
et  vous,  sœur  Marie-Françoise,  accomplissez-la.  Je  vous  délie  de  tout  pré- 


SALNTE   MARIE -FRANÇOISE  DES   CL\Q   PLAIES   LE  JÉSUS,    VIERGE.  ii7 

cepte  ».  Il  se  tourna  ensuite  vers  le  Père  Gaétan  Laviosa,  qui  était  présent, 
et  le  pria  de  la  bénir  ;  celui-ci,  Rapprochant  de  son  lit,  la  bénit  en  disant  : 
Benedictio  Dei  omnipotentis  Palris  et  Filii  et  Spiritus  sancti,  descendat  super  te 
et  maneat  semper.  Marie-Françoise  inclina  la  tête  à  ces  paroles,  et  aussitôt, 
saisie  d'une  forte  crise,  elle  tomba  en  agonie. 

C'est  ainsi  que  notre  Bienheureuse  resta  obéissante  à  ses  directeurs  jus- 
qu'à la  mort  ;  elle  ne  pouvait  toucher  à  ses  derniers  moments,  tant  qu'elle 
n'était  point  déliée  du  précepte  qui  la  retenait  à  la  vie  ;  le  Seigneur  voulut 
qu'elle  donnât  par  là  la  preuve  la  plus  éclatante  de  son  amour  pour  cette 
vertu,  qu'elle  avait  aimée  avec  prédilection  pendant  toute  sa  vie,  et  qu'elle 
porta  jusqu'au  point  le  plus  prodigieux  à  sa  mort.  Entrée  en  agonie, Marie- 
Françoise  acheva  de  retracer  en  elle  la  parfaite  image  de  son  divin  Epoux 
crucifié.  Cette  agonie  dura  trois  heures.  Elle  tremblait  dans  tous  ses  mem- 
bres, tous  ses  os  étaient  disloqués.  Douze  prêtres  ou  amis  de  la  Bienheu- 
reuse entouraient  son  lit  et  élevaient  leurs  mains  pour  elle  vers  le  Sei- 
gneur. Son  confesseur  lui  suggérait  les  sentiments  que  son  expérience  lui 
avait  appris  être  les  plus  efficaces  sur  son  cœur.  Tout  à  coup,  la  Servante  de 
Dieu  ouvrit  les  yeux,  et,  les  fixant  au  ciel  d'une  voix  éteinte  et  suppliante, 
elle  répéta  trois  fois  ces  paroles  :  <c  Pardonnez,  ô  mon  Père  bien-aimé,  par- 
donnez, pardonnez  !  »  Ceux  qui  l'entouraient  comprirent  alors  qu'elle  était 
arrivée  à  ce  moment  de  la  passion  de  Jésus- Christ,  où  l'Homme-Dieu  pria 
pour  ses  bourreaux  et  en  leurs  personnes  pour  tous  les  pécheurs  ;  pour 
s'unir  à  ses  prières,  ils  récitèrent  les  litanies  et  des  psaumes.  Quelques  mi- 
nutes après,  d'une  voix  affaiblie  et  plaintive,  elle  cria  de  toutes  ses  forces  : 
«  Père,  aidez-moi,  Père,  aidez-moi,  aidez-moi  !  »  Elle  en  était  au  mysté- 
rieux abandon  qui  fut  le  moment  le  plus  douloureux  de  Jésus  sur  la  croix, 
et  alors  les  assistants  de  prier  avec  plus  de  ferveur  encore,  tandis  qu'elle- 
même  resta  presque  deux  heures  dans  un  profond  silence,  le  gosier  dessé- 
ché et  la  bouche  entr'ouverte.  On  aurait  dit  qu'à  chaque  instant  sœur 
Marie- Françoise  allait  rendre  l'âme  à  son  Créateur,  lorsque,  revenant  de 
son  sommeil  léthargique,  elle  se  mit  à  réciter,  d'une  voix  claire  et  distincte, 
cinq  dizaines  de  chapelet  et  treize  Gloria  Patri,  pour  remercier  la  très- 
sainte  Trinité  de  l'assistance  que  lui  avait  prêtée,  dans  son  agonie,  l'ar- 
change Raphaël. 

Le  6  octobre  1791  arriva  enfin,  il  devait  être  le  dernier  jour  de  sa  vie 
sur  la  terre,  et  le  commencement  de  ces  triomphes  sans  fin,  par  lesquels  la 
bonté  de  Dieu  récompense  les  vertus  et  les  victoires  de  ses  serviteurs.  La 
Bienheureuse  avait  passé  toute  la  nuit  dans  la  même  position,  laissant 
échapper  d'ardents  soupirs,  qu'elle  interrompait  lorsque  Dom  Pessiri  lui 
suggérait  de  pieux  sentiments  sur  la  passion  du  Sauveur.  Le  matin  venu, 
bien  qu'elle  eût  les  yeux  fermés  et  les  dents  serrées,  au  point  de  ressembler 
presque  entièrement  à  un  cadavre,  Dom  Jean  lui  demanda  si  elle  désiraitla 
sainte  communion;  ne  pouvant  répondre,  elle  fit  un  signeaffirmatif.il 
célébra  la  sainte  Messe,  et,  lorsqu'il  présenta  à  Marie-Françoise  son  Epoux 
bien-aimé,  elle  recouvra  toutes  ses  facultés,  adora  profondément  son  Dieu 
caché  sous  la  sainte  hostie,  et  communia.  Ravie  bientôt  en  extase,  elle  se 
prit  à  dire  :  «  La  Madone,  la  Madone  I... Voici  que  ma  Mère  vient  au-devant 
de  moi...  O  ma  Mère  !...  »  La  Bienheureuse,  qui  avait  prédit  qu'elle  quitte- 
rait ce  monde  sans  qu'on  s'en  aperçût,  changea  bientôt  de  couleur,  et  il  ne 
lui  resta  plus  qu'un  souffle  de  vie  à  exhaler.  Dom  Pessiri  alluma  le  cierge 
bénit,  lui  donna  une  dernière  absolution,  et  voulant  s'assurer  si  elle  était 
déjà  morte,  il  lui  présenta  le  crucifix  :  a  Sœur  Marie-Françoise  »,  lui  dit-il, 


118  6  OCTOBRE. 

«  baisez  les  pieds  de  votre  Epoux,  mort  pour  nous  sur  la  croix  ».  Et,  soule- 
vant la  tête,  la  mourante  colla  ses  lèvres  sur  les  pieds  de  son  Sauveur, 
et  après  les  avoir  tendrement  baisés,  retombant  sur  son  oreiller,  elle  expira, 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Aussitôt  que  le  bruit  de  6a  mort  se  fut  répandu,  le  peuple,  dans  un  saint  enthousiasme,  accou- 
rut en  foule  à  sa  maison  et  se  mit  à  crier,  dans  le  transport  de  sa  dévotion  :  «  La  sainte  religieuse 
est  au  ciel,  la  Servante  de  Dien  est  morte  ».  Le  même  jour,  une  femme  qui  s'était  cassé  le  col  du 
fémur  droit  ayant  été  miraculeusement  guérie,  le  bruit  de  ce  miracle  se  répandit  rapidement  dans 
la  ville  de  Naples,  alimenta  la  foi  du  peuple  et  devint  le  principe  d'une  longue  série  de  prodiges 
par  lesquels  Dieu  se  plut  à  honorer  la  mémoire  de  sa  Servante. 

Le  soir  du  7  octobre,  son  corps  fut  religieusement  déposé  dans  son  cercueil  et  processionnel- 
lement  porté  à  l'église  des  Frères  Mineurs  Alcantaristes  de  Sainte-Lucie  du  Mont,  où  on  avait 
préparé  un  caveau  creusé  dans  le  roc,  à  l'intérieur  de  la  chapelle  de  l'Immaculée-Coneeption  de 
la  très-sainte  Vierge.  A  peine  le  corps  fut-il  arrivé  à  l'église,  suivi  d'une  foule  immense  de  fidèles» 
que  le  peuple,  n'écoutant  plus  que  l'impétuosité  de  sa  dévotion,  se  jeta  sur  le  cercueil,  désireux 
de  se  procurer  des  reliques  de  la  Bienheureuse  ;  l'un  enlevait  la  palme,  un  autre  la  couronne  de 
fleurs,  un  autre  coupait  un  morceau  de  son  vêtement,  un  autre  enfin  quelques-uns  de  ses  cheveux. 
Alors  des  soldats  de  la  garde  du  roi  de  Naples  se  pressèrent  autour  du  cercueil  qui  fut  transporté 
dans  une  chapelle  protégée  par  une  grille  en  fer.  Pour  satisfaire  la  dévotion  du  peuple,  on  faisait 
toucher  aux  restes  de  la  Sainte  des  médailles  et  des  chapelets. 

Après  la  reconnaissance  juridique  du  corps,  faite  par  les  officiers  de  la  cour  archiépiscopale,  on 
le  déposa  dans  un  cercueil  de  châtaignier  fermé  à  clef  et  scellé  avec  soin,  puis  placé  dans  une 
autre  caisse  et  ainsi  déposé  dans  le  caveau,  recouvert  d'une  pierre  sépulcrale.  Dieu  se  plut  à  ac- 
corder par  l'intercession  de  sa  servante,  dans  cette  circonstance,  des  grâces  innombrables  ;  mais 
les  plus  précieuses  furent  celles  de  la  conversion  de  beaucoup  de  pécheurs  :  ce  qui  avait  été, 
pendant  toute  sa  vie,  l'objet  des  désirs  et  des  prières  de  sœur  Marie-Françoise. 

Le  18  mai  1803,  elle  fut  déclarée  Vénérable  par  le  pape  Pie  VII.  Le  12  février  1832,  le  pape 
Grégoire  XVI  approuva  par  un  premier  décret  l'héroïcité  de  ses  vertus,  et  un  second  décret  du 
même  Pontife,  en  date  du  28  décembre  1839,  déclara  l'authenticité  incontestable  et  l'excellence 
de  deux  miracles  opérés  par  l'intercession  de  cette  servante  de  Dieu.  Le  20  avril  1840,  un  troi- 
sième décret  établit  qu'on  pouvait  procéder  à  sa  béatification  :  la  cérémonie  fut  célébrée  le 
10  novembre  1843,  et  le  souverain  pontife  Grégoire  XVI  l'inscrivit  au  catalogue  des  Bien- 
heureux. 

De  nouveaux  miracles  ayant  été  opérés  par  son  intercession,  Sa  Sainteté  le  pape  Pie  IX  signa 
la  reprise  de  la  cause  pour  la  canonisation,  et  deux  miracles  furent  proposés  à  l'approbation  de  la 
Sacrée  Congrégation  des  Rites.  Conformément  aux  constitutions  apostoliques,  elle  les  soumit  à  un 
sérieux  examen,  savoir  î  premièrement,  dans  une  assemblée  antipréparatoire,  réunie  le  5  mai  1862, 
ensuite  dans  l'assemblée  préparatoire  du  21  avril  1863,  et  enfin  dans  l'assemblée  générale  tenue  au 
palais  du  Vatican,  le  24  novembre  1863.  Le  17  janvier  1864,  le  pape  Pie  IX  daigna  prononcer  qu'il 
constait  de  deux  miracles  opérés  de  Dieu  par  l'intercession, de  la  bienheureuse  Marie-Françoise. 
Sa  Sainteté  ordonna  de  publier  ce  décret  et  de  l'enregistrer  parmi  les  actes  de  la  Sacrée  Congré- 
gation des  Rites. 

Le  dimanche  24  avril  1864,  Sa  Sainteté  le  pape  Pie  IX  se  rendit  à  l'église  du  collège  Urbain 
de  la  Sacrée-Congrégation  de  la  Propagande,  et  après  avoir  pris  place  sur  son  trône,  on  donna 
lecture  du  décret  par  lequel  Sa  Sainteté  déclare  que  l'on  peut  procéder  en  toute  sûreté  à  la  cano- 
nisation de  la  bienheureuse  Marie-Françoise  des  Cinq  Plaies  de  Jésus,  tertiaire  professe  de  l'Ordre. 
des  Mineurs  de  Saint-Pierre  d'Alcantara,  de  la  province  de  Naples. 

Enfin,  le  29  juin  1867,  le  souverain  Pontife  l'insérait  au  catalogue  des  Saints. 

Tiré  de  la  Vie  de  la  bienheureuse  Marie-Franç6he>  par  1*  R.  P.  Bernard  Laviosa  C.  R.  S.,  traduit» 
de  l'italien  par  le  P.  M.-A.  des  Frères  Mineurs  Capucins. 


SAINT  PARDULPHE  OU  PARDOUX  DE  SARDENT,  ABBÉ.  149 

SAINT  PARDULPHE  OU  PARDOUX  DE  SARDENT, 

ABBÉ  ET  PATRON  DE  GUÉRET 
?37.  —  Pape  :  Grégoire  III.  —  Roi  de  France  :  Charles  Martel 


Exortum  est  in  tenebris  lumen  redis. 
Au  milieu  des   ténèbres  s'est  élevée  la  lumière  pour 
les  cœurs  droits.  Ps.  cxi,  4. 

Le  bienheureux  Pardoux  naquit  au  diocèse  de  Limoges,  dans  un  bourg 
appelé  Sardent  (Creuse,  arrondissement  de  Bourganeuf,  canton  de  Pon- 
tarion),  qui  est  à  trois  lieues  de  Guéret.  Ses  parents  étaient  de  pauvres 
laboureurs,  et  l'enfant  commença  par  garder  les  troupeaux  de  la  maison; 
il  brilla  bientôt  au  milieu  des  autres  enfants  par  sa  douceur,  sa  modestie 
et  sa  grande  piété,  et  ses  vertus  furent  si  précoces,  qu'on  venait  le  voir  dans 
les  champs  et  qu'il  attirait  à  lui  des  personnes  même  d'un  rang  élevé.  Un 
jour  qu'il  se  reposait  sous  un  arbre  avec  ses  jeunes  camarades,  ils  mirent 
le  feu  au  pied,  soit  par  forme  de  jeu,  soit  pour  se  chauffer;  le  vent,  souf- 
flant avec  force,  fit  tomber  l'arbre,  et  tous  les  enfants  prirent  la  fuite,  à 
l'exception  du  jeune  Pardoux,  qui  resta  immobile  en  faisant  le  signe  de  la 
croix.  En  tombant,  une  des  branches  de  l'arbre  lui  fit  à  la  tête  une  grave 
blessure,  qui  lui  occasionna  la  perte  de  la  vue.  Privé  de  la  lumière,  il 
rechercha  avec  plus  d'attrait  qu'auparavant  la  véritable  lumière  des  âmes, 
et  Dieu  le  combla  de  telles  faveurs,  qu'avec  le  don  de  la  parole  et  de  la 
prédication,  il  reçut  le  pouvoir  de  soulager  à  la  fois  les  âmes  et  les  corps;  il 
chassait  les  démons  et  guérissait  les  infirmes  et  les  malades. 

C'était  au  temps  où  Lanstérius,  comte  de  Limoges,  fonda  le  monastère 
de  Guéret  (Waractum),  en  l'honneur  des  saints  apôtres  Pierre  et  Paul.  Après 
avoir  rassemblé  dans  cette  maison  un  certain  nombre  de  moines  pour  y 
chanter  les  louanges  divines,  ce  seigneur  entendit  parler  de  la  sainteté  et 
des  miracles  de  notre  Saint;  il  alla  le  trouver  aussitôt  et  il  obtint  de  lui,  à 
force  d'instances,  qu'il  viendrait  habiter  le  nouvel  établissement.  Pardoux 
y  fut  tout  d'abord  le  modèle  accompli  des  vertus  religieuses,  au  point  qu'il 
fut  bientôt  établi  le  supérieur  et  l'abbé  de  ce  monastère.  11  se  fit  remarquer 
par  sa  pénitence  :  jamais  il  ne  s'approchait  du  feu  pour  se  chauffer;  il  se 
priva  d'une  manière  absolue  de  la  chair  des  animaux;  souvent  il  passait  des 
semaines  entières  en  ne  prenant  qu'un  seul  repas,  et  il  se  servait  d'un  fer 
aigu  pour  mortifier  son  corps.  Ces  dispositions  lui  méritèrent,  pendant  une 
nuit,  la  vision  de  l'archange  saint  Michel,  qui  lui  apparut  et  lui  adressa  ces 
paroles  de  consolation  :  «  Pardoux,  homme  de  Dieu,  levez-vous  prompte- 
ment  et  sans  perdre  de  temps  montez  les  degrés  de  cette  échelle.  Vous 
trouverez  au  sommet  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  vous  recevrez  de  sa 
main  la  couronne  qu'il  a  préparée  à  vos  travaux  et  à  vos  souffrances  ».  Le 
serviteur  de  Dieu  se  lève  aussitôt,  baise  le  lieu  où  il  avait  vu  les  pieds  de 
l'ange  et  prie  avec  d'abondantes  larmes.  Il  comprit  que  Dieu  l'avertissait  de 
persévérer  dans  la  pratique  des  bonnes  œuvres  poux  arriver  un  jour  aux 
récompenses  célestes. 


420  6  OCTOBRE. 

Plusieurs  fois  Dieu  lui  accorda  le  don  des  miracles.  Un  paysan,  appelé 
Germanus,  étant  à  couper  du  bois  dans  une  forêt,  trouva  sous  un  vieil 
arbre  des  champignons,  qu'il  ramassa  pour  les  porter  à  l'homme  de  Dieu. 
Comme  il  se  rendait  vers  lui,  il  rencontra  un  homme  riche,  nommé  Regna- 
rius,  qui,  abusant  de  son  autorité,  lui  enleva  ces  champignons  et  ordonna 
à  son  serviteur  de  les  apprêter  avec  soin  pour  les  servir  quand  viendrait 
l'heure  du  repas.  Il  les  eut  à  peine  goûtés  qu'il  ne  put  les  rejeter  ni  de  la 
bouche  ni  du  gosier,  où  ils  s'étaient  arrêtés;  dans  cette  extrémité,  il  or- 
donna à  l'un  de  ses  serviteurs  d'aller  trouver  Pardoux  afin  de  le  supplier  de 
lui  pardonner  la  faute  qu'il  avait  commise  à  son  égard  et  d'implorer  pour 
lui  la  miséricorde  du  Seigneur.  Le  Saint  alla  prier  dans  son  oratoire  et 
remit  au  serviteur  de  l'eau  et  de  l'huile  bénites  de  ses  mains;  lorsque  ce- 
lui-ci fut  de  retour,  et  que  son  maître  eut  frotté  d'huile  la  partie  souffrante 
et  introduit  de  l'eau  dans  sa  bouche,  les  champignons  sortirent  de  son 
gosier  et  il  recouvra  la  santé. 

Un  forgeron  de  Limoges  était  possédé  du  démon,  et  on  lui  avait  mis  une 
chaîne  au  bras  et  au  cou;  il  fut  conduit  à  l'homme  de  Dieu  par  deux  gar- 
diens, l'un  marchant  en  avant  et  l'autre  le  retenant  par  derrière.  Lorsqu'il 
fut  arrivé  près  du  Saint,  il  se  répandit  en  injures  et  en  outrages  contre  lui, 
en  lui  donnant  les  noms  de  voleur,  de  faussaire  et  de  persécuteur.  Celui-ci, 
plein  de  patience  et  de  charité,  lui  fit  donner  à  boire  et  à  manger;  entrant 
ensuite  dans  son  oratoire,  il  pria  pour  lui,  le  garda  quelques  jours  dans  le 
monastère  et  le  renvoya  complètement  guéri. 

Il  y  avait  à  Tours  un  paralytique  qui,  depuis  cinq  ans,  se  faisait  porter 
sous  le  portique  de  l'église  consacrée  à  saint  Martin,  sans  avoir  pu  obtenir 
sa  guérison.  Pendant  son  sommeil,  il  entendit  une  voix  qui  lui  disait  ; 
«  Lève-toi,  hâte-toi  de  te  rendre  au  territoire  des  Lemovices,  pour  y  trouver 
l'homme  de  Dieu  Pardoux;  par  lui  le  Seigneur  te  rendra  la  santé  ».  Il  fit 
part  de  ce  qu'il  venait  d'entendre  à  un  moine  du  monastère,  qui  le  rapporta 
à  l'abbé  ;  celui-ci  fit  préparer  un  âne  et  ordonna  à  deux  serviteurs  de  con- 
duire le  paralytique  vers  saint  Pardoux.  Lorsqu'il  fut  arrivé,  l'homme  de 
Dieu  fit  sur  lui  le  signe  de  la  croix,  toucha  ses  membres  avec  sa  main  et  le 
renvoya  guéri.  Ces  miracles  ne  sont  pas  les  seuls  qu'il  ait  faits  :  un  grand 
nombre  d'autres  lui  sont  attribués. 

Le  bienheureux  Pardoux  arriva  à  une  grande  vieillesse;  il  atteignit 
presque  sa  quatre-vingtième  année;  son  visage  resplendissait  d'une  douceur 
angélique  et  sa  chevelure  était  devenue  d'une  éclatante  blancheur;  il  n'était 
cependant  affaibli  par  aucune  infirmité,  et  on  croit  même  qu'il  avait  recou- 
vré la  vue.  Un  dimanche,  le  6  octobre  de  l'année  737,  il  sentit  que  sa  mort 
était  prochaine  et  s'endormit  quelques  instants.  Quand  il  fut  réveillé,  il  dit 
à  ses  frères  qui  l'entouraient  :  «  Quelle  est  cette  trompette  que  j'ai  enten- 
due à  la  porte  du  monastère  ?  »  Les  religieux  comprirent  alors  que  le  chœur 
des  anges  allait  recevoir  son  âme  et  l'introduire  dans  les  demeures  célestes. 
A  la  même  heure,  un  de  ses  disciples  entendit  des  voix  qui  chantaient  dans 
le  ciel.  C'était  le  moment  où  le  Saint  rendait  son  âme  à  Dieu. 

On  le  représente  aveugle  et  guérissant  les  aveugles  qui  viennent  à  lui. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Il  fut  enseveli  dans  une  église  voisine,  dédiée  à  saint  Aubin,  et  le  peuple  de  la  contrée  l'a  re- 
gardé depuis  comme  son  patron  et  son  protecteur  à  cause  des  grands  miracles  accomplis  à  son 
tombeau.  Ces  miracles  furent  si  fréquents,  dit  un  ancien  auteur,  qu'il  passait  dans  les  Aquitaine» 


TRANSLATION  DE   SAINT  PRUDENT  OU  PROUENTS,   MARTYR.  121 

pour  un  autre  saint  Martin.  On  garda  avec  un  grand  soin  ses  reliques,  et  les  évêques  de  Limoges 
les  déclarèrent  plusieurs  fois  authentiques,  notamment  dans  les  années  1623  et  1712.  Le  chroni- 
queur Geoffroy  du  Vigeois  dit  qu'elles  furent  portées  à  Sarlat  (Dordogne)  et  de  là  à  Arnac,  vers 
l'an  1028  ;  mais  il  est  probable  que  ce  transport  doit  s'enteHdre  seulement  d'une  partie  du  corps. 
Plusieurs  paroisses  du  Périgord  portent  son  nom,  et  on  voit  une  fontaine  de  ce  même  nom  à  Saint- 
Pardoux-Larivière. 

L'office  et  les  litanies  de  saint  Pardoux,  imprimés  à  Guéret,  en  1635,  sont  d'une  grande  beauté. 
On  y  trouve  cette  belle  antienne  aux  Vêpres  : 

0  lampas  Ecclesiœ,  0  flambeau  de  l'Eglise, 

Gemma  puritatis,  Perle  de  pureté*, 

Spéculum  munditl»,  Miroir  de  chasteté*, 

Cella  sanctitatis,  Sanctuaire  de  sainteté, 

Linea  justiti».  Vêtement  de  justice, 

Exemplar  virtutis,  Modèle  de  vertu, 

Adstanti  famille  Donne  à  tes  enfants  qui  t'implorent 

Fer  opem  salutis.  La  grâce  d'opérer  leur  salut. 

Le  Propre  de  Sarlat  offre,  au  10  octobre,  cette  gracieuse  oraison  du  Saint  :  Deus,  qui  in 
corporali  cœcitate  copioso  spiriius  splendore  beatum  Perdulphum,  confessorem  tuum,  illus- 
trasti  ;  ejus  meritis  et  precibus  cœleste  nobis  lumen  largiter  infunde,  quo  omnes  mundi  fal- 
lacias  detegentes,  ad  œtemam  glorix  tux  claritatem  semper  intendamus.  —  «  0  Dieu,  qui 
n'avez  voulu  priver  saint  Pardoux,  votre  serviteur,  de  la  lumière  du  corps,  que  pour  lui  prodiguer 
celle  de  l'esprit,  répandez  dans  nos  âmes  cette  lumière  précieuse  qui,  nous  faisant  découvrir  toutes 
les  erreurs  dont  ce  monde  est  rempli,  nous  permettra  de  nous  animer  un  jour  dans  l'océan  des 
splendeurs  de  votre  gloire  ». 

Nous  devons  cette  notice  à  l'obligeance  de  M.  l'abbé  Antoine  Ricard  ;  11  l'a  tirée  de  l'ouvrage  Intitulé  : 
La  Vie  et  les  Miracles  de  saint  Pardoux,  par  Couturier  de  la  Prugne.  Guéret,  1721. 


TRANSLATION  DE  SAINT  PRUDENT  OU  PROUENTS,  MARTYR, 

A  L'ABBAYE  DE  BÈZE,  DIOCÈSE  DE  DIJON  (883). 

Saint  Prudent,  d'une  noble  famille  narbonnaise,  fut  engendré  à  la  vie  chrétienne  dès  sa  nais* 
sance  (m«  siècle),  et  reçut  du  ciel,  avec  les  meilleurs  dons  de  l'esprit  et  du  cœur,  un  caractère 
facile  et  une  volonté  résolue.  Il  obtint  de  grands  succès  dans  l'étude  des  lettres,  et  à  voir  la 
sagesse  précoce  de  sa  conduite,  il  n'était  pas  douteux  que  son  âme  fût  le  sanctuaire  de  l'Esprit- 
Saint. 

Honoré  du  diaconat,  il  brilla  dans  l'assemblée  des  fidèles,  comme  un  soleil  à  son  midi,  par 
l'éclat  de  son  enseignement  et  la  sainteté  de  sa  vie  manifestée  par  de  nombreux  miracles.  C'est 
pourquoi  le  démon  furieux  suscita  pour  le  perdre  la  haine  de  ses  suppôts.  Après  l'avoir  chargé  de 
chaînes  et  tourmenté  cruellement,  ils  lui  brisèrent  le  crâne  avec  un  marteau  de  maçon,  le  troisième 
jour  de  septembre. 

Les  bourreaux  arrachèrent  du  sépulcre,  où  les  chrétiens  l'avaient  enseveli,  le  corps  du  martyr, 
et  le  jetèrent  en  pâture  aux  oiseaux  de  proie  et  aux  animaux  immondes.  Mais  Dieu,  qui  garde  les 
os  des  Saints,  en  éloigna  les  bêtes,  et  permit  aux  fidèles  de  le  soustraire  à  la  profanation  et  de 
l'enfouir  secrètement.  Quand  la  paix  luit  sur  l'Eglise,  on  s'empressa  de  mettre  dans  un  tombeau 
les  saintes  reliques  avec  l'instrument  du  martyre  et  d'élever  au  dessus  un  oratoire  ou  église.  Cette 
petite  église  fut  incendiée  par  les  Sarrasins  au  vm«  siècle,  et  ses  revenus  donnés  par  Charles- 
Martel  à  l'un  de  ses  hommes  d'armes.  Or,  en  882,  Geilon,  évèque  de  Langres,  revenant  de  Saint- 
Jacques  de  Compostelle,  s'arrêta  pour  passer  la  nuit  dans  une  hôtellerie,  proche  de  Narbonne, 
et  il  y  apprit  que  saint  Prudent,  martyr,  reposait  dans  une  chapelle  voisine.  Il  s'y  rend  aussitôt 
pour  le  vénérer  et  réciter  Matines  ;  il  ouvre  la  châsse  posée  en  arrière  de  l'autel  et  s'agenouille 
avec  respect.  En  voyant  cette  châsse  qui  tombait  en  poussière  et  les  linges  en  pourriture,  il 
pleura,  et,  dans  sa  douleur,  il  eut  la  pensée  d'emporter  les  reliques  afin  de  les  mieux  honorer  : 
«  0  saint  martyr  »,  dit-il  tout  haut,  «  que  nous  serions  heureux  si  vous  consentiez  à  nous 
suivre  l  » 


122  G  octobue. 

Répondant  à  ce  désir,  le  chapelain  du  prélat,  homme  très-érudit  et  d'une  éloquence  habile,  lui 
représente  que,  vu  l'abandon  des  reliques  dans  une  chapelle  en  ruine  où  l'on  célèbre  une  fois  par 
an  les  saints  mystères,  il  est  permis  de  les  prendre,  avec  l'intention  de  leur  rendre  le  culte  qui 
leur  est  dû.  L'évèque  se  laisse  persuader  et,  sans  plus  de  discussion,  prend  les  ossements  sacrés 
et  se  hâte  vers  la  Bourgogne.  En  arrivant  dans  son  diocèse,  il  annonce  au  peuple  le  trésor  qu'il 
apporte  ;  aussitôt  une  foule  nombreuse  lui  fait  cortège,  et  des  miracles  attestent  la  puissance  du 
martyr  et  sa  joie  d'être  ainsi  glorifié.  Le  6  octobre  883,  le  pieux  évoque  déposa  les  reliques  an 
monastère  de  Bèze,  et  pour  subvenir  aux  dépenses  qu'entraînait  l'affluence  des  pèlerins,  il  concéda 
aux  moines  «  la  prébende  de  Saint-Mamès  de  Lux-le-Haut,  la  chapelle  de  Saint-Marcellin,  Pon- 
tailler  avec  son  église  dédiée  à  saint  Hippolyte,  et  l'église  de  Chaseuil,  menaçant  des  anathèmes 
et  des  peines  éternelles  le  sacrilège  qui  oserait  porter  atteinte  à  ces  donations. 

La  confiance  des  fidèles  fut  magnifiquement  récompensée.  Des  paralytiques,  des  aveugles,  des 
possédés,  de  Beire,  de  Bourberain,  de  Blagny,  de  Fleix,  de  Mantoche,  de  Saint-Seine,  de  Pouilly- 
sur-Vingeanne,  de  Lux,  de  Viévigne,  d'Is-sur-Tille,  d'Echirey,  de  Lantenay,  de  Fleurey,  de  Cour- 
champ  et  d'autres  lieux  sont  guéris  ou  délivrés  ! 

L'église  de  l'abbaye,  quoique  vaste  et  spacieuse,  ne  pouvant  contenir  les  pèlerins,  un  moine, 
Grimerius,  bâtit  sur  un  monticule  voisin  une  chapelle  où  l'abbé  Etienne  déposa  le  buste  du  saint 
martyr,  afin  que  chacun  pût  à  loisir  satisfaire  sa  dévotion,  sans  troubler  le  silence  des  cloîtres  ni 
interrompre  les  offices. 

En  887,  à  l'approche  des  Normands,  les  moines  de  Bèze  transportèrent  le  corps  de  saint  Pru- 
dent à  Saint-Etienne  de  Dijon  et  le  déposèrent  devant  le  maître  autel.  Quand  le  flot  de  l'invasion 
fut  écoulé,  ceux  qui  avaient  échappé  à  la  mort  relevèrent  les  ruines  de  l'abbaye  et  vinrent  rede- 
mander saint  Prudent.  Les  Dijonnais  refusèrent  ;  mais,  contraints  d'obéir  à  l'injonction  de  l'évèque 
diocésain,  Gauthier,  de  Langres,  ils  feignirent  de  se  soumettre,  et,  en  réalité,  ils  donnèrent  le 
corps  de  saint  Silvin. 

Le  secret  gardé,  la  fraude  parut  réussir  ;  mais  un  jour  que  l'évèque  était  à  Dijon,  saint  Pru- 
dent lui  apparut  et  lui  dit  :  a  Eh  quoi  !  pieux  pontife,  demeurez-vous  satisfait  d'un  tel  échange» 
et  vous  plait-il  qu'un  autre  soit  honoré  sous  mon  nom  dans  le  sanctuaire  qu'on  m'a  bâti  et  sur  le 
siège  qu'on  m'a  élevé  ?  »  L'évèque,  surpris,  demande  à  comprendre,  puis  convoque  aussitôt  les 
prêtres  de  Saint-Etienne,  et  après  avoir  blâmé  leur  ruse,  il  les  déclare  frappés  d'anathème  tant 
qu'ils  garderont  les  reliques. 

Les  coupables  ainsi  humiliés  se  mirent  en  devoir  d'obéir,  et  saint  Prudent  fut  reconduit  en 
grande  pompe  de  Dijon  à  Bèze  (931).  Ce  jour-là  un  aveugle  de  Viévigne,  nommé  Aldegaudus, 
recouvra  la  vue. 

Le  8  juin  1116,  le  corps  de  saint  Prudent  fut  porté  aux  grands  plaids  de  Dieu,  tenus  entre  Lux 
et  Til-Châtel,  par  Jocerand,  évêque  de  Langres,  sous  la  présidence  de  Guy  de  Bourgogne,  arche- 
vêque de  Vienne,  qui  fut  pape  sous  le  nom  de  Calixte  II,  pour  mettre  fin  aux  querelles,  aux 
procès  et  autres  maux  dont  souffrait  la  province.  On  le  plaça  sous  un  temple  de  verdure  avec 
d'autres  Saints,  et  il  se  fit  là  plusieurs  grands  miracles. 

Des  parcelles  des  reliques  de  saint  Prudent  ont  été  accordées,  en  1675,  à  l'église  de  Châtillon- 
sur-Seine,  et,  en  1686,  à  la  ville  de  Narbonne. 

Les  reliques  de  saint  Prudent,  celles  de  saint  Silvin  et  de  sainte  Réginilde,  échappées  à  tons 
les  désastres  qui,  de  siècle  en  siècle,  sont  tombés  sur  l'abbaye  de  Bèze,  enrichissent  l'église 
paroissiale. 

Extrait  d«  la  Vie  des  Saints  du  diocèse  de  Dijon,  par  M.  l'abbé  Duplm. 


MARTYROLOGES.  123 


VIIe  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Rome,  sur  la  voie  d'Ardée,  le  décès  de  saint  Marc,  pape  et  confesseur  *.  336.  —  Dans  la 
province  de  Comagène  ou  Euphratésie  (Augusta  Euphratesia),  en  Syrie,  les  saints  martyrs  Serge 
ou  Sierge  (Sergius),  et  Bacq  ou  Bacque  (Bacchus),  nobles  romains,  mis  à  mort  sous  l'empe- 
reur Maximien.  Bacque  fut  si  longtemps  fouetté  avec  des  nerfs  de  bœuf,  que,  ayant  le  corps  tout 
rompu,  il  rendit  l'âme  en  confessant  Jésus-Christ.  Pour  Serge,  on  lui  fit  chausser  des  bottines 
garnies  de  clous  en  dedans,  et,  comme  il  ne  laissait  pas  de  demeurer  ferme  dans  la  foi,  il  fut  con- 
damné à  avoir  la  tête  tranchée  :  le  lieu  où  il  repose,  appelé,  de  son  nom,  Sergiopolis,  est  honoré 
par  un  grand  concours  de  chrétiens  à  cause  des  miracles  qui  s'y  opèrent  300.  — A  Rome,  les  saints 
martyrs  Marcel  et  Apulée.  Ils  s'attachèrent  d'abord  à  Simon  le  Magicien  ;  mais,  voyant  les  miracles 
que  Notre-Seigneur  opérait  par  l'apôtre  saint  Pierre,  ils  quittèrent  cet  imposteur  et  se  soumirent  à 
la  doctrine  apostolique,  et,  après  la  mort  des  Apôtres,  ils  remportèrent  la  couronne  du  martyre 
sous  le  consulaire  Aurélien,  et  furent  enterrés  près  de  la  ville  de  Rome.  i"  s.  —  Dans  la  même 
province  de  Comagène,  sainte  Julie,  vierge,  qui  consomma  son  martyre  sous  le  président  Marcien. 
rvft  s.  —  A  Padoue,  sainte  Justine,  vierge  et  martyre,  qui,  ayant  été  baptisée  par  le  bienheureux 
Prosdocime,  disciple  de  saint  Pierre,  demeurant  fermement  attachée  à  la  foi  de  Jésus-Christ,  fut, 
par  l'ordre  du  président  Maxime,  percée  d'un  coup  d'épée,  et  s'envola  vers  le  Seigneur.  i«»  s.  — 
En  Berri,  saint  Auguste  (vulgairement  saint  Août),  prêtre  et  confesseur.  Vers  560.  —  Au  diocèse 
de  Reims,  saint  Hélain,  prêtre.  vi°  s.  —  Le  même  jour,  la  commémoraison  de  Notre-Dame 
de  la  Victoire,  instituée  par  le»  pape  Pie  V,  en  mémoire  de  l'insigne  victoire  remportée  en  ce  jour 
par  les  chrétiens  sur  les  Turcs,  dans  un  combat  naval,  par  le  secours  de  la  sainte  Vierge  ;  c'est 
pour  le  même  sujet  que  le  pape  Grégoire  XIII  a  décrété  la  célébration  de  la  fête  du  Rosaire,  le 
premier  dimauche  de  ce  mois  *.  1571. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  d'Agen,  les  saints  Prime  et  Félicien,  martyrs,  cités  déjà  au  martyrologe  de  France 
du  jour  précédent,  et  dont  nous  donnerons  la  vie  au  20  octobre,  avec  celle  de  leurs  compagnons. 
Vers  303.  —  Au  diocèse  d'Arras,  saint  Piat  de  Tournai,  martyr,  dont  nous  avons  esquissé  la  notice 
au  1«  octobre.  287.  —  Aux  diocèses  d'Angers,  Chartres,  Mayence,  Paris,  Perpignan  et  Saint-Dié, 
les  saints  Serge  ou  Sierge  et  Bacq  ou  Bacque,  martyrs  en  Syrie,  cités  au  martyrologe  romain  de 
ce  jour.  300.  —  Aux  diocèses  de  Perpignan,  Angers  et  Saint-Dié,  les  saints  Marcel  et  Apulée, 
martyrs  à  Rome,  cités  à  ce  jour  au  même  martyrologe.  Ier  s.  —  Au  diocèse  de  Cambrai,  saint 
Pacifique  de  San-Severino  (Marche  d'Ancône),  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  dont  nous  avons  donné 
la  vie  au  24  septembre.  1721.—  Aux  diocèses  de  Carcassonne,  Châlons,  La  Rochelle  et  Saint-Dié, 
saint  Marc  Ier,  pape  et  confesseur,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  336.  —  Au  diocèse  de 
Limoges,  saint  Pardulphe  ou  Pardoux,  abbé  et  confesseur,  dont  nous  avons  don. i«  la  vie  au  jour 

1.  Marc,  romain  d'origine,  était  fils  de  Prisque;  il  succéda  à  saint  Sylvestre  ï«»,  et  s ,Jgca  huit  mole 
«I  vingt  jours  (18  janvler-7  octobre  336),  sous  le  règne  de  Constantin  le  Grand,  et  pendant  le  consulat  de 
Népotien  et  Faconde.  Il  rendit  un  décret  conférant  a  l'évêqne  d'Ostie  l'usage  du  pallium  et  lo  droit  exclu- 
ait de  aacrer  le  pontife  romain,  promulgua  un©  constitution  relative  à  tous  les  ordres  do  la  hiérarchie 
ecclésiastique,  et  consacra  deux  nouvelles  basilique*,  l'une  sur  la  vole  d'Ardée,  l'autre  dans  l'intérieur  de 
Rome.  En  deux  ordinations,  Marc  imposa  lo>  mains  à  vingt-cinq  prêtres,  six  diacres  et  vingt-sept  évoques. 
On  croit  que  ce  fut  lui  qui  ordonna  de  réciter  à  la  messe,  après  l'Evangile,  le  symbole  de  Nlcéo,  cette 
charte  authentique  et  fondamentale  de  la  i  i.  Saint  Marc  fut  enseveli  sur  la  voie  d'Ardée,  dans  le  cime- 
tière de  Sainte-Balbine,  et  de  là  transport  Oins  l'église  jvixta  Pallar.mis,  aujourd'hui  Saint-Marc,  dont 
il  avait  fait  la  dédicace.  —  Liber  Pontificale  ;  Dunas,  Histoire  générale  de  l'Eglise  catholique,  tome  ix, 
page  325. 

2.  Nous  avons  donné  au  l«f  octol.r::  l'j;i.«t<ni   (:■•  >'e  h\  r-V*  .':<  I1w.«8flr» 


|24  7  OCTOBRE. 

précédent.  737.  —  Au  diocèse  de  Lyon,  saint  Ethère,  successeur  de  saint  Prisque  (586)  sur  le  siège 
archiépiscopal  de  cette  ville  qu'il  tint  pendant  seize  ans  et  qu'il  illustra  par  ses  vertus  l.  602.  — 
Au  diocèse  de  Saint-Dié,  sainte  Libaire,  appelée  vulgairement  Libière  et  Livière  (Leobaria,  Liba- 
ria)y  vierge  et  martyre  à  Grand  (Vosges,  arrondissement  et  canton  de  Neufchâteau).  Elle  est  citée 
aussi  aux  martyrologes  du  8  et  du  12  octobre  a.  361  ou  362.  —  Au  diocèse  de  Saint-Flour,  saint 
Bruno,  prêtre  et  confesseur,  fondateur  de  l'Ordre  des  Chartreux,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au 
jour  précédent.  1101.  —  Au  diocèse  de  Bourges,  saint  Août  ou  Auguste,  prêtre  et  confesseur,  cité 
au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  Vers  560.  —  A  Saintes,  le  décès  de  saint  Pallais  ou  Pal- 
lade,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  vi«  s.  —  A  Toulouse,  l'invention  des  corps  de  saint  Papoul, 
prêtre  et  martyr  dans  le  Lauragais  (3  novembre)  ;  et  des  saints  Honorât  (25  décembre),  Hilaire 
l'Ancien  (20  mai)  et  Sylve  (31  mai),  évêques  de  ce  siège  et  confesseurs.  —  A  Beaune  (Côte-d'Or), 
au  diocèse  de  Dijon,  saint  Pipe  ou  Pipion  (Pipia,  Pipio),  diacre  de  cette  église  et  confesseur,  cité 
au  martyrologe  de  France  du  2  octobre.  —  A  Cléder  (Finistère,  arrondissement  de  Morlaix,  canton 
de  Flouzevedé),  au  diocèse  de  Quimper,  saint  Que,  vulgairement  Ké,  Quay,  Kenan  et  Callédoc 
(Quinocus),  évêque  de  Duleck,  en  Irlande,  puis  solitaire  en  Bretagne.  Il  est  déjà  nommé  aux  mar- 
tyrologes de  Franco  du  12  septembre  et  du  1er  octobre  *.  Vers  495.  —  Dans  l'ancien  diocèse  de 
Mâcon  (Saône-et-Loire),  diocèse  actuel  d'Autun,  saint  Rigaud  (Rigaldus),  dont  les  reliques  se  con- 
servaient autrefois  dans  l'abDaye  bénédictine  de  son  nom  (S.  Rigaldus  de  Ancisa,  fondée  en  1171). 
—  A  Aix,  le  décès  de  samt  Armentaire,  successeur  de  saint  Menesphale  sur  le  siège  archiépiscopal 
d'Aix  dont  il  fut,  croit-on,  le  cinquième  titulaire.  Il  fut  inhumé  dans  l'église  de  Saint-Laurent,  auprès 
de  son  prédécesseur  :  leurs  reliques  furent  plus  tard  transférées  dans  l'église  de  Saint-Sauveur, 
Vers  450.  —  A  Cadenet  (Vaucluse,  arrondissement  d'Apt),  au  diocèse  d'Avignon,  la  sainte  mort  do 
Père  Antoiue  Lequien,  fondateur  des  Sœurs  de  l'Adoration  du  Saint-Sacrement  *.  1676. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  V Ordre  de  Saint-Benoit.  —  A  Padoue,  sainte  Justine,  vierge  et  martyre,  qui, 
ayant  été  baptisée  par  le  bienheureux  Prosdocime,  disciple  de  saint  Pierre,  et  demeurant  attachée 
à  la  foi  de  Jésus-Christ,  fut,  par  l'ordre  du  président  Maxime,  percée  d'un  coup  d'épée  et  s'envola 
au  Seigneur.  Son  corps  repose  dans  le  superbe  monastère  de  notre  Ordre  qui  a  été  bâti  dans  cette 
ville.  Ier  s. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Camaldules.  —  A  Padoue,  sainte  Justine,  vierge  et  martyre. 

1.  Ethère  vécut  d'abord  à  la  cour  de  Contran,  roi  de  Bourgogne,  qui,  confiant  en  sa  haute  sagesse, 
l'avait  choisi  pour  l'un  de  ses  conseillers.  Après  s'être  rendu  recommandable  dans  le  monde,  il  le  fat 
plus  encore  comme  évêque,  par  sa  pieté  et  par  son  zèle  qui  lui  méritèrent  les  plus  grands  éloges  de  la 
part  du  pape  saint  Grégoire  le  Grand.  Ethère  accompagna  en  591,  a  Paris,  le  roi  Contran,  que  Frédé- 
gonde  avait  prié  de  venir  tenir  son  lils  Clotaire  sur  les  fonts  sacrés.  Il  assista  au  baptême  de  ce  jeune 
prince,  alors  figé  de  sept  ans,  lequel  eut  lieu  dans  l'église  paroissiale  de  Nanterre.  Il  conféra  le  diaconat 
et  la  prêtrise  à  saint  Austrégisile  qui  devint  métropolitain  de  Bourges  (13  février  612)  et  à  qui  il  donna 
aussitôt  l'abbaye  de  Saint-Nizier.  En  598,  le  Pape  lui  écrivit,  ainsi  qu'aux  évêques  d'Autun,  d'Arles  et  de 
Vienne,  pour  les  engager  à  la  convocation  d'un  concile  national  destiné  à  apporter  un  remède  aussi  prompt 
qu'efficace  aux  abus  qui  déshonoraient  alors  l'Eglise  de  France,  principalement  à  la  simonie  et  aux  ordi- 
nations prématurées  des  laïques  pour  les  élever  à  l'épiscopat.  En  602,  Ethère  s'adressa  de  nouveau  à  saint 
Grégoire  pour  lui  demander  quelle  était  la  conduite  à  tenir  quand  un  évêque  se  tiouvait  frappé  de  dé- 
mence; mais  il  mourut  cette  même  année  avant  d'avoir  reçu  la  réponse  du  souverain  pontife.  —  Propre 
de  Lyon;  Gallia  Chrisiiana  nova. 

2.  Comme  ses  deux  frères  Elaphe  et  Eucaire,  cette  vierge  chrétienne  versa  son  sang  pour  la  foi,  au 
commencement  du  règne  de  l'empereur  Julien  l'Apostat  (360-363).  La  ville  de  Grand  l'a  choisie  pour  pa- 
tronne. Son  culte  y  a  toujours  été  célèbre  et  ses  reliques  ont  été  conservées  avec  une  vénération  particu- 
lière dans  l'église  qui  lui  est  dédiée.  Elles  y  sont  restées  jusqu'en  1587,  époque  à  laquelle  le  cardinal  de 
Vaudémont  les  fit  transférer  dans  l'abbaye  de  Saint-Léon  de  Toul  pour  les  soustraire  à  l'impiété  des 
soldats  allemands  qui,  pour  lors,  traversaient  le  pays.  Elles  y  demeurèrent  jusqu'à  la  Révolution,  mais 
non  pas  en  totalité.  Mgr  de  Thiard-Bissy  (1687-1697)  sépara  du  corps  de  la  Sainte  une  côte  qu'il  restitua 
aux  habitants  de  Grand.  Déjà  même  et  avant  leur  translation,  des  soustractions  avaient  été  opérées  de 
fragments  des  reliques  de  sainte  Libaire.  L'évêque  Pibon,  qui  gouverna  l'Eglise  de  Toul  de  1070  à  1107, 
ayant  à  consacrer  Pautel-majeur  de  Saint-Mansuy,  déclara  qu'il  avait  à  déposer  sur  cet  autel  des  reliques 
de  cette  Bienheureuse  martyre,  dont  on  célébrait  déjà  la  fête  en  son  diocèse.  —  Note  due  à  l'obligeance 
de  M.  l'abbé  Guillaume,  chanoine,  aumônier  de  la  chapelle  ducale  de  Nancy. 

8.  On  représente  ordinairement  saint  Que  près  d'une  charrue  attelée  de  huit  cerfs.  C'est  un  souvenir 
du  fait  que  voici  :  Un  Jour,  un  cerf  poursuivi  par  des  chasseurs  vint  se  réfugier  auprès  du  Saint.  Le  chas* 
seur  réclama  hautement  une  proie  qui,  prétendait-il,  lui  appartenait.  Que  refusa  de  lui  livrer  l'animal, 
•t,  pour  se  dédommager,  le  seigneur  fit  main  basse  sur  sept  bœufs  et  une  vache  qui  appartenaient  au 
monastère.  Le  lendemain,  huit  cerfs  vinrent  se  présenter  au  Saint  en  compensation  de  la  perte  qu'avait 
faite  son  monastère.  —  Vies  des  Saints  de  la  Bretagne  armoricaine,  par  Albert  le  Grand. 

4.  Leur  mission  est  de  réparer  la  négligence  des  chrétiens  qui  laissent  Notre-Seigueur  Jésus-Christ 
dans  une  désolante  solitude.  La  maison-mère  est  à  Marseille.  —  Note  de  M.  l'abbé  Ricard,  de  Marseille. 


MARTYROLOGES.  125 

i«  g.  —  Le  samedi  avant  îe  second  dimanche  d'octobre,  la  fête  de  la  Maternité  de  la  bienheureuse 
Vierge  Marie.  —  Le  samedi  avant  le  troisième  dimanche  d'octobre,  la  fête  de  la  Pureté  de  la  bien- 
heureuse Vierge  Marie. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Vallombreuse.  —  De  même  que  chez  les  Bénédictins. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Cisterciens.  —  De  même  que  chez  les  Bénédictins. 

Martyrologe  de  V Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Vigevano,  dans  le  duché  de  Milan,  le 
bienheureux  Matthieu  Carrieri  de  Mantoue,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs. 
1470.  —  Dans  la  province  de  Comagène,  en  Syrie,  sainte  Julie,  vierge,  qui  consomma  son  martyre 
sous  le  président  Marcien.  iv«  s. 

Martyrologe  des  bois  Ordres  de  Saint-François.  —  Saint  Henri,  empereur  et  confesseur, 
dont  la  naissance  au  ciel  est  honorée  le  15  juillet  ».  1024. 

Martyrologe  de  UOrdre  des  Servîtes  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie.  —  A  Citta-delle-Pieve 
(Civitas  plebis)>  ville  d'Italie,  dans  les  Etats  de  l'Eglise,  le  bienheureux  Jacques  l'Aumônier,  con- 
fesseur, du  Tiers  Ordre  des  Servites  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  dont  la  mémoire  demeure  en 
bénédiction  parmi  ses  compatriotes. 

Martyrologe  de  UOrdre  de  Saint-Jérôme.  —  L'Octave  de  notre  Père  saint  Jérôme,  prêtre  et 
docteur  2.  420. 

Martyrologe  de  F  Ordre  des  Carmes  Déchaussés,  —  Saint  Bruno,  confesseur,  dont  il  est  fait 
mention  la  veille  de  ce  jour  ».  1101. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  IÏA G 10 GRAPHES. 

A  Crémone,  ville  épiscopale  de  Lombardie,  saint  Gérold  de  Cologne,  pèlerin  et  martyr.  Désireux 
de  s'entretenir  dans  les  sentiments  de  piété  qu'il  avait  manifestés  dès  sa  plus  tendre  enfance,  il 
entreprit  de  visiter  les  saints  lieux  les  plus  connus.  Il  fit  un  pèlerinage  à  saint  Jacqaes  de  Com- 
postelle  (Santiago,  dans  la  Galice),  et  de  là  à  Rome,  au  tombeau  des  Apôtres.  Il  voulut  ensuite  faire 
un  voyage  en  Palestine  :  au-delà  de  Crémone,  il  rencontra  une  épaisse  forêt  où  deux  scélérats, 
guidés  par  l'ambition,  lui  portèrent  plusieurs  coups  mortels,  pensant  qu'il  était  porteur  d'une 
grande  somme  d'argent  *.  1241. —  En  Angleterre,  sainte  Osithe  de  Quarendon  (Osgitha),  martyre. 
Elle  était  fille  de  Fréwal,  prince  de  Mercie,  et  nièce  d'Edithe,  à  laquelle  appartenait  la  ville  et  le 
manoir  d'Ailesbury.  Elevée  dans  la  piété  sous  les  yeux  de  sa  tante  que  ses  vertus  rendaient  singu- 
lièrement recommandable,  elle  fut  mariée  fort  jeune  à  un  roi  des  Est-Angles  ;  mais,  le  jour  même 
de  son  mariage,  elle  obtint  le  consentement  du  prince  pour  vivre  dans  une  virginité  perpétuelle. 
Le  roi  lui  ayant  donné  le  manoir  de  Chick,  elle  y  fit  bâtir  un  monastère  qu'elle  gouverna  plusieurs 
années  avec  une  grande  réputation  de  sainteté.  Durant  les  irruptions  des  Danois,  ces  barbares  lui 
tranchèrent  la  tête  en  haine  de  la  religion  chrétienne  qu'elle  professait 8.  Vers  870.  —  A  Alexan- 
drie d'Egypte,  aujourd'hui  Iskanderieh,  saint  Eumène,  évêque  et  confesseur,  mentionné  dans  les 
martyrologes  d'Abyssinie.  143.  —  A  Capoue  (Vulturnum),  ville  de  l'ancien  royaume  de  Naples 
(Terre  de  Labour),  les  saints  Quart  et  Marcellin,  cités  aux  martyrologes  de  saint  Jérôme.  —  A 
Novare,  ville  forte  d'Italie,  dans  les  anciens  Etats  sardes,  saint  Adelgise,  évêque  de  ce  siège  et 
confesseur.  Il  se  fit  remarquer  par  sa  piété  et  sa  munificence,  enrichit  son  Eglise  de  donations 
considérables,  et  augmenta  les  bénéfices  du  collège  des  Chanoines  de  sa  cathédrale.  Après  avoir 
édifié  son  diocèse  pendant  dix-neuf  ans,  il  s'endormit  dans  le  Seigneur,  plein  de  jours  et  de  mérites» 
et  fut  enseveli  dans  la  basilique  de  Saint-Gaudens.  Vers  850.  — A  Léon  (Legio  Septima  gemina)t 
ville  d'Espagne  (Vieille-Castille),  saint  Martin  de  Zamora,  surnommé  le  Cid  (c'est-à-dire  seigneur), 
premier  abbé  du  monastère  Cistercien  de  Bellefond  ou  Val-Paradis,  cité  au  martyrologe  religieux  du 
jour  suivant.  1152.  —  Au  diocèse  de  Belley,  saint  Arthauo,  évêque  de  ce  siège.  1206. 

1.  Nous  avons  donné  sa  vie  à  ce  jour.  —  9.  Nous  avons  aonné  sa  vie  an  80  septembre.  —  9.  Voir  sa 

biographie  au  6  octobre. 

4.  Quelques  pêcheurs  trouvèrent  le  corps  du  Saint  nageant  dans  son  sang  et  en  firent  la  déclaration  : 
il  fut  enlevé  au  milieu  tf'une  grande  afQuence  de  fidèles  et  déposé  dans  l'église  de  Saint-Vital  de  Cré- 
mone. Ses  ossements  furent  placés  dans  an  tombeau  de  marbre,  au-dessus  duquel  on  éleva  un  autel  en 
son  honneur.  Cologne  obtint  (1652)  une  portion  de  ces  reliques  qui  furent  solennellement  exposées  à  la 
vénération  publique  dans  l'égliso  des  Jésuites.  —  Acta  Sanctorum  ;  Continuateurs  de  Godescard. 

5.  Son  corps  fut  porté  dans  la  suite  à  Allesbury,  oh  il  resta  quarante-six  ans;  on  le  rapporta  ensuite  à 
Chick,  qui  s'appela  dès  lors  Sainte-Oslthe.  On  y  bâtit  sous  l'invocation  de  la  martyre  une  abbaye  de  cha- 
noines réguliers  qui  devint  célèbre  par  les  miracles  opérés  à  la  châsse  de  la  Sainte. 

On  la  représente  :  1*  avec  un  cerf  près  d'elle.  Elle  venait  d'obtenir  de  son  mari  (dit  la  légende  rap- 
portée par  les  Bollandistes),  qu'ils  n'useraient  point  du  mariage,  quand  tout  h  coup  on  annonça  au  roi 
qu'un  cerf  d'une  grandeur  extraordinaire  avait  paru  devant  le  palais.  Aussitôt  il  se  met  en  chasse,  et 
quand  il  revient,  après  plusieurs  jours,  il  trouve  que  son  épouse  a  pris  le  voile  après  s'ô.re  coupé  les  che- 
veux ;  2°  tenant  des  clefs  à  la  main  :  c'est  peut-être  à  cause  du  vocable  de  son  abbaye,  dont  l'église  était 
dédiée  à  saint  Pierre;  3»  portant  sa  tête  entre  les  mains,  après  que  le  glaive  des  Danois  l'eut  séparée  du 
tronc;  4*  ayant  une  couronne  h  ses  pieds,  pour  marquer  qu'elle  a  su  mépriser  les  honneurs  de  la  terre 
pour  vivre  volontairement  dans  l'obscurité  d'un  cloître.  —  G odescard  ;  Acta  Sanctorum  ;  Caractéristiques 
d*s  Saints,  par  le  Père  Cahier. 


126  7    OCTOBRE. 


SAINTE  JUSTINE  DE  PADOUE,  VIERGE  ET  MARTYRE, 

PATRONNE  DE  LA  VILLE  DE  PADOUE 
!•»  siècle. 


L'âme  qui  aime  Dieu  véritablement  méprise  tout* 
excepté  Dieu.  Jean  Trithème. 

Sainte  Justine  naquit  en  Italie,  dans  la  ville  de  Padoue,  vers  le  milieu 
du  Ier  siècle.  Son  père,  nommé  Vitalien,  était  si  considérable  par  la  noblesse 
de  son  sang,  par  l'abondance  de  ses  richesses  et  par  la  gloire  de  son  nom, 
que  l'empereur  le  créa  préfet  de  Padoue.  Sa  mère,  appelée  Prépédigne, 
était  aussi  très-recommandable  par  son  extraction  et  par  ses  vertus.  Tous 
deux  vécurent  dans  les  superstitions  du  paganisme,  jusqu'à  ce  qu'éclairés 
des  lumières  de  l'Evangile,  par  la  prédication  et  les  miracles  de  saint  Pros- 
docime,  que  le  Prince  des  Apôtres  envoya  à  Padoue,  ils  renoncèrent  h 
l'idolâtrie  et  reçurent  le  sacrement  de  la  foi,  qui  les  soumit  entièrement  à 
Jésus-Christ.  Ils  obtinrent  ensuite  dans  leur  stérilité  la  sainte  Justine  qui  a 
été  la  première  martyre  de  l'Eglise  naissante  dans  l'Italie. 

Elle  n'avait  rien  de  l'enfant  que  la  simplicité  et  l'innocence.  Ses  inclina- 
tions étaient  animées  d'une  grâce  si  extraordinaire,  qu'elles  ne  la  portaient 
qu'aux  exercices  de  la  piété  chrétienne.  Elle  s'éloignait  de  tous  les  petits 
divertissements  qui  font  l'occupation  de  cet  âge.  Elle  priait  Dieu  avec  une 
attention  et  une  modestie  qui  surpassaient  tout  ce  que  l'on  voit  dans  les 
autres  enfants.  Ses  parents  appliquèrent  tous  leurs  soins  à  l'élever  dans  la 
crainte  du  Seigneur  et  à  la  faire  instruire  des  plus  pures  maximes  de  notre 
religion.  Saint  Prosdocime  fut  son  maître,  et  il  lui  inspira  un  si  parfait  mé- 
pris du  monde,  que  dès  qu'elle  fut  maîtresse  d'elle-même,  elle  se  donna 
tout  entière  à  Jésus-Christ  par  le  vœu  d'une  perpétuelle  virginité.  Elle  fut 
fidèle  dans  ses  promesses  ;  car,  ni  les  tourments  que  la  nature  appréhende, 
ni  les  honneurs  qui  la  flattent  ne  purent  jamais  lui  faire  changer  de  réso- 
lution. 

Néron  excita  pour  lors  la  première  persécution  contre  l'Eglise  naissante, 
a  et  c'est  notre  gloire  »,  dit  Tertullien,  «  qu'il  soit  à  la  tête  de  nos  persécu- 
teurs » .  Ce  cruel,  attribuant  aux  chrétiens  l'incendie  de  Rome  dont  lui-môme 
était  l'auteur,  les  fit  tourmenter  par  des  supplices  honteux  et  inhumains, 
sans  aucune  distinction  d'âge  ni  de  qualité.  Après  avoir  rempli  Rome  de 
meurtres,  il  voulut  porter  sa  cruauté  plus  loin.  Pour  cet  effet,  il  envoya 
ordre  aux  gouverneurs  des  provinces  de  se  saisir  de  tous  ceux  qui  croyaient 
au  Crucifié,  d'employer  toutes  sortes  de  moyens  pour  les  attirer  au  culte 
des  dieux,  et,  en  cas  de  refus,  de  procéder  contre  eux  avec  une  rigueur 
impitoyable.  Maximien,  qui  avait  succédé  à  Vitalien  dans  le  gouvernement 
de  Padoue,  n'eut  pas  plus  tôt  reçu  ce  mandat  de  l'empereur,  qu'il  exerça 
sur  les  chrétiens  des  cruautés  que  les  Buzire  et  les  Mézence  avaient  igno- 
rées. Les  uns  furent  déchirés  avec  des  peignes  de  fer,  les  autres  jetés  dans 
des  chaudières  d'huile  bouillante  ;  ceux-ci  furent  écrasés  sous  des  pressoirs 
comme  la  vendange,  et  ceux-là  s'enfermèrent  volontairement  dans  des  ca- 


SAINTE  JUSTINE  DE  PADOUE,  VIERGE  ET  MARTYRE.  127 

vernes  et  des  fosses  pour  n'être  point  exposés  à  des  tourments  si  insuppor- 
tables. Justine  se  trouva  enveloppée  dans  cette  sanglante  persécution; 
comme  elle  s'appliquait  continuellement  aux  exercices  de  la  charité 
chrétienne,  entrant  dans  les  prisons  pour  y  adoucir  par  ses  aumônes  les 
nécessités  de  ceux  qui  y  gémissaient  et  pour  les  encourager  à  souffrir  les 
supplices  qu'on  leur  préparait,  Maximien  donna  ordre  de  l'arrêter,  résolu 
de  lui  enlever  ses  biens  et  de  corrompre,  s'il  pouvait,  sa  pureté  et  sa  foi. 

Cet  ordre  ne  fut  pas  longtemps  sans  être  exécuté,  car,  peu  de  jours 
après,  elle  revenait  d'une  maison  de  campagne  où  elle  avait  séjourné  pour 
la  consolation  des  fidèles  qui  s'y  étaient  retirés  ;  et  comme  elle  passait  par 
le  détroit  du  Pont-Marin,  bâti  de  marbre,  près  de  Padoue,  elle  tomba  entre 
les  mains  des  soldats  qui  la  cherchaient.  Ils  lui  accordèrent  quelques  mo- 
ments pour  implorer  le  secours  du  ciel  dans  les  combats  qu'on  lui  prépa- 
rait, et  elle  le  fit  avec  tant  de  ferveur  et  de  succès,  que  le  marbre  où  elle 
s'était  agenouillée  dépouilla  la  dureté  qui  lui  est  naturelle  et  s'amollit 
comme  la  cire  sous  ses  genoux,  de  sorte  qu'il  s'y  fit  deux  creux  que  l'on  voit 
à  Venise  dans  l'église  appelée  Sainte- Justine.  Ce  miracle  n'empêcha  pas 
qu'elle  ne  fût  menée  à  Maximien  pour  être  punie  comme  chrétienne  ;  mais 
ce  tyran  ne  l'eut  pas  plus  tôt  aperçue  qu'il  fut  charmé  de  sa  beauté. 
D'abord,  il  la  flatta,  lui  promit  des  honneurs,  lui  ofirit  des  présents  et,  espé- 
rant en  faire  sa  conquête,  il  employa  contre  elle  tous  les  artifices  propres 
à  ébranler  sa  constance.  Mais  Justine,  animée  de  cet  esprit  qui  fait  les  forts, 
ne  succomba  point  ;  elle  rejeta  les  présents  de  ce  séducteur,  et  ne  fut  tou- 
chée ni  de  ses  flatteries  ni  de  ses  promesses.  Elle  lui  dit  généreusement 
qu'ayant  voué  sa  virginité  au  Fils  de  Dieu,  le  plus  accompli  de  tous  les 
époux,  lui  seul  pouvait  .posséder  ses  inclinations,  et  que  nul  homme  mortel 
ne  partagerait  jamais  son  cœur  avec  lui.  Une  réponse  si  peu  attendue  chan- 
gea l'amour  de  Maximien  en  fureur.  Il  s'emporta  contre  Justine,  la  traita 
d'impie,  de  rebelle  et  d'opiniâtre,  et  la  menaça  des  plus  cruels  supplices  ; 
mais  ni  ses  injures  ni  ses  menaces  ne  firent  aucune  impression  sur  son 
esprit.  C'était  une  jeune  fille  de  seize  ans,  dont  le  courage  était  au-dessus 
de  son  âge  et  de  son  sexe.  Elle  confessa  Jésus-Christ  sans  crainte,  et  témoi- 
gna avec  une  force  incroyable  qu'elle  était  prête  à  être  la  victime  de  Celui 
dont  elle  avait  l'honneur  d'être  l'épouse.  Le  tyran,  irrité  de  ses  discours,  la 
condamna  sur-le-champ  à  la  mort,  et  elle  la  reçut  avec  joie  par  un  coup 
d'épée  qui,  lui  perçant  le  cœur,  la  tira  de  son  exil  et  la  lit  monter  au  ciel 
pour  y  régner  éternellement  avec  son  Bien-Aimé. 

On  la  représente  avec  un  glaive  dans  la  poitrine,  et  tenant  une  palme  et 
un  livre. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Les  chrétiens  enlevèrent  son  corps  sacré,  et  saint  Prosdocime  l'inhuma  honorablement  près  de 
ses  parents,  dans  une  chapelle  qu'il  avait  érigée  en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge  ;  ce  trésor  y  est 
demeuré  caché  jusqu'en  l'an  1177.  A  cette  époque,  Gérard,  évêque  de  Padoue,  accompagné  de  son 
clergé  et  de  tout  le  peuple,  après  une  longue  recherche,  le  trouva  heureusement  et  le  fit  trans- 
porter avec  beaucoup  de  pompe  dans  une  église  qui  porte  aujourd'hui  son  nom  et  qui  est  l'une 
des  plus  magnifiques  de  l'Europe.  Les  créatures  les  plus  insensibles  contribuèrent  à  la  gloire  de 
cette  translation,  car  les  cloches  de  la  ville  sonnèrent  en  même  temps  d'elles-mêmes  pour  honorer, 
par  ce  concert  miraculeux,  les  reliques  d'une  si  illustre  martyre.  La  Sainte  même  fit  connaître  son 
mérite  par  les  miracles  qu'elle  opéra  ;  car  elle  rendit  la  vue  aux  aveugles,  l'ouïe  aux  sourds,  le 
mouvement  aux  paralytiques,  la  santé  à  toutes  sortes  de  malades,  et  elle  continua  de  faire  les 
mêmes  grâces  et  de  plus  grandes  à  ceux  qui  imploraient  son  secours  avec  foi.  Elle  maintint  dans 
l'étroite  observance  les  religieux  de  la  congrégation  du  MontrCassin,  qui  militaient  sous  son  nom  et 


|28  7  OCTOBRE. 

furent  les  gardiens  de  ses  cendres  ;  elle  conserva  la  ville  de  Padoue  qu'elle  avait  arrosée  de  son 
sang  ;  elle  étendit  sa  protection  sur  tout  le  pays  de  Venise,  qui  l'avait  choisie  pour  patronne  et 
qui,  lui  attribuant  toutes  les  victoires  qu'elle  remporta  sur  l'ennemi  des  chrétiens,  fit  graver  sur  sa 
monnaie  ces  paroles  qui  sont  les  marques  de  sa  reconnaissance  :  Memor  ero  tut,  Justina  virgo  : 
«  Illustre  vierge  Justine,  je  ne  vous  oublierai  jamais  »  ;  aussi  bien  que  celles-ci  :  Pax  tibi,  Marce, 
Evangelisia  meus  :  «  Paix  à  vous,  Marc,  mon  évangéliste  »,  joignant  ainsi  dans  un  môme  culte 
la  première  des  martyres  d'Italie,  avec  ce  saint  Evangéliste  que  l'on  croit  avoir  écrit  son  Evangile 
en  latin.  Justine  mourut  l'an  de  Notre-Seigneur  63,  sous  l'empire  de  Néron,  le  7  du  mois  d'oc- 
tobre, jour  célèbre  dans  les  Annales  de  l'Eglise,  par  la  glorieuse  victoire  que  les  armes  de  la 
République  de  Venise  remportèrent  sur  les  Turcs,  sous  la  conduite  de  leur  général  Sébastien 
Venier,  aux  îles  Cursolaires,  près  de  Lépante,  en  l'année  1571.  Le  martyrologe  romain  fait 
mémoire  de  son  martyre  en  ce  même  jour. 

Sa  vie  a  été  écrite  par  Montbritius  et  par  Pierre  de  Natalibus.  Il  en  est  aussi  parlé  dans  les  Actes  da 
saint  Prosdocirae.  Enfin,  le  R.  P.  Dom  Alexis  de  Bue,  religieux  Théatin,  dont  la  piété  et  l'érudition  bril- 
lent dans  ses  savantes  Controverses t  l'a  tirée  de  l'office  des  patrons  de  la  ville  de  Padoue  et  nous  l'a  com- 
muniquée pour  en  faire  un  abrégé. 


SAINT  PALLAIS  OU  PALLADE  \ 

ÉVÊQUE  DE  SAINTES  ET  CONFESSEUR 
vi*  siècle. 


Celui  qui  supporte  patiemment  un  fardeau  qu'on  lui 
impose  porte  sur  ses  épaules  Jésus,  et  Jésus  cru- 
cifié. Thomas  à  Kempis. 

A  la  fin  du  vr9  siècle,  époque  de  sanglantes  perturbations,  on  aime  à 
voir  apparaître  par  intervalles,  dans  l'histoire  de  la  Saintonge,  comme  un 
jour  serein  au  lendemain  d'un  orage,  ou  comme  un  rayon  de  soleil  entre 
deux  nuages  chargés  de  tempêtes,  la  majestueuse  et  douce  figure  de  saint 
Pallais  ou  Pallade,  évoque  de  Saintes.  C'est  un  noble  type  des  évêques  de 
cet  âge,  dont  on  a  dit  avec  justice  qu'ils  ont  formé  la  France  comme  les 
abeilles  forment  leurs  rayons  de  miel.  Nous  les  voyons  apporter  leurs 
lumières  dans  les  conseils  des  rois  mérovingiens,  maintenir  dans  les  Con- 
ciles la  discipline  ecclésiastique  et  la  pureté  de  la  foi,  puis  rentrer  dans  la 
retraite  et  le  silence  pour  reparaître,  aux  jours  des  grandes  solennités  chré- 
tiennes, dans  les  cathédrales  qu'ils  ont  bâties. 

Issu  de  la  famille  des  Pallades,  une  des  plus  nobles  de  l'Auvergne,  le 
père  de  notre  Saint  était  comte  de  Gévaudan.  Le  plus  brillant  avenir  selon 
le  monde  semblait  donc  sourire  au  jeune  Pallais.  A  tous  les  honneurs  du 
siècle,  il  préféra  celui  de  servir  Dieu  et  ses  frères  dans  les  rangs  du  sacer- 
doce. Il  ne  pensait  qu'à  exercer  dans  l'ombre  un  ministère  de  paix  et  de 
charité.  Mais  à  la  mort  de  l'évêque  Didyme,  vers  l'an  570,  les  trois  Ordres 
de  la  ville  de  Saintes  jetèrent  les  yeux  sur  le  jeune  patricien  récemment 
ordonné  prêtre,  comme  le  plus  digne  et  le  plus  capable  de  gouverner  le 
diocèse.  L'influence  des  évêques  était  alors  la  meilleure  sauvegarde  des 
intérêts  temporels  et  spirituels  des  cités. 

Dès  l'an  573,  Pallais  assistait,  avec  trente  autres  évêques,  au  concile 

1.  Alias  :  Palais,  Falaise,  Palaris. 


SAINT  PALLAIS   OU  PALLADE,   ÉVÊQUE  DE   SAINTES   ET  CONFESSEUR.  129 

réuni  à  Paris,  sur  les  instances  de  Gontran,  roi  d'Orléans  et  de  Bourgogne. 
Dans  ce  concile  fut  déposé  Promotus,  nommé  à  l'évêché  de  Châteaudun  par 
Sigebert,  roi  d'Austrasie.  On  s'occupa  ensuite  de  réconcilier  les  rois  Chil- 
péric  et  Sigebert  ;  mais  tous  les  efforts  de  l'épiscopat  venaient  échouer 
devant  l'animosi té  réciproque  des  deux  reines  Frédégonde  et  Brunehaut, 
cause  principale  des  troubles  qui  alors  ensanglantaient  la  France. 

En  579,  saint  Pallais  tint  lui-même  un  synode  ou  concile  à  Saintes.  On 
y  jugea  Nantinus,  comte  d'Angoulême,  coupable  de  violences  et  de  dépré- 
dations sacrilèges  pour  lesquelles  il  était  excommunié.  Gomme  il  manifes- 
tait du  repentir,  il  obtint  son  absolution.  Mais  il  se  livra  de  nouveau  aux 
mêmes  excès,  et  mourut  en  proie  à  un  mal  étrange  dans  lequel  on  a  cru 
reconnaître  les  symptômes  de  la  maladie  connue  au  moyen  âge  sous  le 
nom  de  Feu-Saint- Antoine.  Saint  Grégoire  de  Tours  rapporte,  en  effet,  que 
le  cadavre  de  Nantinus  avait  l'aspect  d'une  chair  brûlée  sur  des  charbons 
ardents. 

Dans  le  but  de  procurer  la  paix  de  l'Eglise  et  de  l'Etat,  saint  Pallais 
écrivit  au  roi  Sigebert.  Mais  les  vicissitudes  politiques  qui  firent  changer 
plusieurs  fois  de  maître  à  la  Saintonge  rendaient  inutile  le  zèle  du  saint 
prélat,  et  lui  firent  encourir  un  jour  la  disgrâce  de  Gontran.  La  vertu  de 
Pallais,  soumise  en  cette  circonstance  à  une  rude  épreuve,  se  démentit  un 
instant.  Les  fautes  des  Saints  nous  montrent  qu'ils  ne  furent  point  d'une 
nature  différente  de  celle  des  autres  hommes;  mais  la  faiblesse  est  toujours 
rachetée  chez  eux  par  la  générosité  de  la  pénitence.  Le  trait  que  nous 
allons  raconter  de  la  vie  de  saint  Pallais  a  été  dénaturé  par  la  mauvaise  foi 
de  certains  écrivains  modernes,  détracteurs  systématiques  de  l'Eglise  et 
du  clergé.  Pour  rétablir  les  faits  dans  toute  leur  vérité,  il  suffira  d'en  em- 
prunter le  récit  à  saint  Grégoire  de  Tours,  témoin  oculaire  et  véridique. 

Glotaire  Ier  avait  eu  un  fils  naturel  nommé  Gondovald,  plus  connu  sous 
le  nom  de  Gondebaud.  A  cette  époque,  les  bâtards  n'étaient  point  exclus  du 
droit  de  succession.  Gondovald  pouvait  donc  prétendre  à  celle  de  Glotaire. 
Dans  cette  vue,  sa  mère  avait  pris  un  soin  particulier  de  son  éducation  et 
l'avait  présenté  à  Childebert,  roi  de  Paris,  comme  son  neveu.  Ce  prince,  qui 
n'avait  point  d'enfants,  fit  élever  Gondovald  et  lui  permit  de  porter  les  che- 
veux longs  comme  les  portaient  les  princes  du  sang  royal.  Clo taire,  l'ayant 
appris,  déclara  que  Gondovald  n'était  pas  son  fils  et  lui  fit  couper  les  che- 
veux. Mais,  à  la  mort  de  Glotaire,  le  jeune  prétendant  laisse  de  nouveau 
croître  sa  chevelure  avec  l'agrément  de  Charibert,  qui  le  reconnaît  pour  son 
frère,  malgré  Sigebert.  Il  passe  alors  en  Orient,  où  il  acquiert  une  fortune 
considérable.  Les  dissensions  des  rois  de  Bourgogne  et  d'Austrasie  facili- 
taient les  desseins  de  quelques  grands  seigneurs  qui  aspiraient  à  l'indépen- 
dance. Afin  de  mieux  exécuter  leurs  projets,  ils  appellent  Gondovald,  et  lui 
offrent  le  trône  d'Aquitaine.  Cette  province,  restée  roniaine  dans  ses  mœurs 
et  ses  institutions,  avait  peu  de  sympathie  pour  la  domination  des  Francs. 
Gondovald  est  proclamé,  à  Brives-la-Gaillarde,  roi  de  tous  le  pays  qui 
s'étend  de  la  Charente  aux  Pyrénées.  Il  se  présente  devant  Périgueux,  dont 
Vévêque  lui  ferme  les  portes;  mais  il  s'empare  de  tout  ce  qui  lui  résiste;  il 
parvient  même  à  gagner  Mummolus,  ancien  général  de  Gontran,  et  Bert- 
chramne,  archevêque  de  Bordeaux.  Il  lui  fut  donc  d'autant  plus  facile  de 
se  faire  reconnaître  par  l'évêque  de  Saintes,  que  ce  prélat  trop  peu  préoc- 
cupé des  débats  politiques  pouvait  fort  bien  ignorer  que  Gontran  eût  dit, 
tantôt  que  Gondovald  était  le  fils  d'un  meunier,  tantôt  qu'il  l'était  d'un  lai- 
nier;  ou,  s'il  le  savait,  il  lui  était  bien  permis  de  penser  que  la  vérité  était 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  9 


130  *   OCTOBRE. 

du  côté  du  prétendant,  proclamé  de  fait  par  la  majorité  des  populations, 
reconnu  par  sa  propre  mère,  par  les  rois  Childebert  et  Charibert  et  tous  les 
leudes,  plutôt  que  du  côté  de  Gontran  trop  intéressé  à  nier  les  faits.  On 
avait  déjà  vu  en  peu  de  temps  la  Saintonge  passer  en  tant  de  mains,  que 
Ton  y  pouvait  ignorer  auquel  il  fallait  obéir.  Du  reste,  Gontran  lui-même 
excusait  Théodore,  évêque  de  Marseille,  qui,  le  premier,  avait  accueilli 
Gondovald.  Saint  Pallais  pouvait  donc  se  croire  autorisé  à  condescendre 
aux  exigences  du  prétendant  en  matières  purement  spirituelles.  Il  s'agissait 
de  donner  un  successeur  à  l'évêque  d'Acqs  qui  venait  de  mourir.  Chilpéric, 
légitime  souverain  de  la  contrée,  exigeait  que  ce  fût  le  comte  Nicetius 
encore  laïque.  Gondovald  et  Mummolus  firent  nommer  le  prêtre  Faustien. 
L'archevêque  de  Bordeaux,  Bertchramne,  souffrant  d'une  ophthalmie,  char- 
gea l'évêque  de  Saintes  de  sacrer  le  nouveau  prélat.  Les  agents  de  Gondo- 
vald, pour  mieux  s'assurer  du  consentement  de  Pallais,  se  saisirent  de  sa 
personne  et  l'emmenèrent  de  force. 

Des  courtisans  de  Gontran  trouvèrent  l'occasion  favorable  pour  desser- 
vir le  saint  évêque  auprès  de  ce  prince.  Pallais  aurait  pu  rejeter  tous  les 
torts  sur  son  métropolitain  ;  il  eut  la  générosité  d'assumer  sur  lui  la  respon- 
sabilité d'un  acte  qui  lui  avait  été  si  impérieusement  extorqué.  Aux  re- 
proches que  lui  adressaient  à  ce  sujet  les  évêques  et  les  leudes  de  la  cour 
d'Orléans,  il  répondait  avec  sa  loyauté  ordinaire  :  «  Mon  métropolitain  était 
affligé  d'une  douloureuse  maladie  des  yeux.  D'un  autre  côté,  maltraité,  ran- 
çonné, et  emmené  de  force  comme  je  le  fus,  je  me  suis  vu  dans  l'impossi- 
bilité de  résister  aux  injonctions  de  celui  qui  se  déclarait  maître  de  toute  la 
Gaule  » .  Malgré  ces  excuses,  Pallais  ne  laissa  pas  d'encourir,  avec  Bert- 
chramne, l'indignation  de  Gontran. 

Peu  après  Gondovald,  vaincu  par  les  rois  de  Bourgogne  et  d'Austrasie, 
tombait  sous  le  poignard  de  ceux  mêmes  qui  l'avaient  acclamé.  Les  évêques 
s'étaient  réunis  à  Tours  pour  se  concerter  sur  les  moyens  de  faire  la  paix 
avec  Gontran.  Ce  prince  arrive  dans  cette  ville  sans  y  être  attendu;  et  saint 
Grégoire,  qui  en  est  évêque,  l'invite  à  un  repas  avec  tous  les  prélats  réunis 
à  Tours  en  cette  circonstance.  Bertchramne  et  Pallais  s'y  étaient  rendus. 
Malgré  les  instances  de  leurs  collègues,  le  roi  exige  que  tous  ceux  qu'il  ne 
connaissait  point  encore  lui  soient  présentés.  Bertchramne  entra.  «  Quel 
est  celui-ci  ?  »  demanda  le  prince,  car  il  ne  l'avait  pas  vu  depuis  longtemps  : 
«  C'est  Bertchramne,  archevêque  de  Bordeaux  »,  répond-on.  Alors  s'adres- 
sant  à  ce  prélat  :  «  Je  vous  suis  reconnaissant  »,  lui  dit  le  roi,  «  de  la  ma- 
nière dont  vous  servez  les  intérêts  de  notre  famille;  car  vous  devez  savoir, 
bien-aimé  père,  que  nous  sommes  parents  par  nos  mères,  et  vous  avez 
appelé  contre  notre  maison  un  étranger  qui  en  a  été  le  fléau  !...  »  Il  fit 
encore  à  Bertchramne  beaucoup  d'autres  reproches  de  ce  genre.  Puis  se 
tournant  vers  l'évêque  de  Saintes  :  «  Quant  à  vous,  Pallais  »,  lui  dit-il,  a  je 
ne  dois  pas  vous  avoir  beaucoup  d'obligation  de  votre  conduite.  Voilà  la 
troisième  fois  que  vous  me  trahissez  ;  ce  qui  est  bien  peu  digne  d'un  évêque. 
Les  messages  que  vous  m'adressiez  sont  pleins  de  duplicité.  Pendant  que 
vous  vous  excusiez  par  vos  lettres,  vous  écriviez  à  mon  frère  pour  l'attirer 
dans  votre  pays.  Mais  Dieu  a  fait  éclater  la  justice  de  ma  cause.  Je  vous 
honorais  comme  un  père  de  l'Eglise,  et  vous  aviez  la  perfidie  d'agir  contre 
moi».  Gontran,  s'adressant  ensuite  à  Nicaise,  évêque  d'Angoulême,  et  à 
Antidius,  évêque  d'Agen  :  «  Et  vous,  très-saints  pères  »,  dit-il,  «  quelles 
mesures  avez- vous  jugé  utile  de  prendre  dans  l'intérêt  du  pays  et  de  notre 
trône  ?  »  Les  prélats  contristés  gardaient  le  silence.  Le  roi,  néanmoins,  se 


SAINT  PALLAIS  OU  PALLADE,   ÉVÊQUE  DE  SAINTES  ET   CONFESSEUR.  131 

lava  les  mains,  demanda  aux  évêques  leur  bénédiction,  et  se  mit  à  table, 
dissimulant  sous  un  visage  serein  et  un  air  de  gaîté  le  ressentiment  qu'il 
venait  de  laisser  éclater. 

Le  dimanche  suivant,  Gontran  vint  à  l'église  pour  assister  à  la  messe 
solennelle.  Tous  les  évoques  avaient  déféré  à  saint  Pallais,  comme  au  plus 
digne,  l'honneur  de  célébrer  les  saints  mystères.  Comme  il  commençait  la 
lecture  de  la  prophétie,  le  roi  demande  le  nom  du  célébrant.  C'est  Pallais, 
lui  dit-on.  —  «  Quoi  !  »  s'écrie-t-il  en  colère,  a  celui  qui  m'a  toujours  été 
infidèle,  qui  m'a  trahi,  c'est  lui  qui  va  prêcher  devant  moi  !  Non,  je  sors 
de  l'église,  pour  ne  pas  entendre  la  prédication  de  mon  ennemi  ».  A  ces 
mots,  il  se  lève  pour  sortir.  Tous  les  prélats,  affligés  de  l'humiliation  de 
leur  frère,  disent  au  roi  :  «  Prince,  nous  l'avons  vu  à  votre  table;  vous  avez 
reçu  sa  bénédiction.  Pourquoi  maintenant  le  roi  ne  veut-il  plus  le  souffrir 
en  sa  présence  ?  Si  nous  eussions  pensé  qu'il  vous  fût  désagréable  à  ce  point, 
nous  l'aurions  éloigné,  et  un  autre  eût  été  désigné  pour  célébrer  la  messe. 
Permettez  au  moins  qu'il  achève  les  cérémonies  commencées.  Plus  tard 
nous  examinerons  les  griefs  que  vous  pouvez  avoir  contre  lui,  et  nous  vous 
ferons  justice  dans  les  formes  canoniques  ».  Pallais,  supportant  cet  affront 
avec  une  rare  humilité,  s'était  retiré  à  la  sacristie.  Mais  le  roi  le  fit  rappe- 
ler, et  il  continua  la  messe. 

Néanmoins,  l'âme  loyale  du  saint  évoque  se  révoltait  en  se  voyant  aban- 
donné à  toute  l'indignation  de  Gontran  par  Bertchramne,  principal  auteur 
de  sa  disgrâce.  Saint  Grégoire  de  Tours  ajoute  que,  invités  de  nouveau  à  la 
table  du  roi,  les  deux  prélats,  au  commencement  du  repas,  se  prirent  de 
querelle,  et  dans  la  chaleur  de  la  discussion  se  laissèrent  emporter  à  des 
injures  réciproques.  Plusieurs  riaient  de  ce  débat;  d'autres,  plus  sensés, 
gémissaient  de  voir  entre'des  prêtres  du  Seigneur  la  discorde  soufflée  par 
l'esprit  infernal.  Bertchramne  et  Pallais  prirent  congé  du  roi,  promettant 
sous  caution  de  comparaître  au  prochain  concile  convoqué  à  Mâcon  pour 
le  10  des  kalendes  de  novembre  (23  octobre). 

A  l'époque  fixée,  continue  saint  Grégoire,  le  concile  s'ouvrit  à  Mâcon. 
Faustien,  ordonné  évêque  d'Acqs  par  ordre  de  Gondovald,  fut  déposé.  L'ar- 
chevêque Bertchramne,  Oreste,  évêque  deBazas,  Pallais,  évêque  de  Saintes, 
qui  avaient  consacré  Faustien,  furent  condamnés  oar  le  concile  à  payer  à  ce 
dernier  une  pension  annuelle  de  cent  sous  d  or  *.  Enfin,  Nicetius  qui, 
encore  laïque,  avait  été  présenté  par  Chilpéric,  fut  élevé  à  l'épiscopat. 

Les  évêques  qui  avaient  embrassé  le  parti  de  Gondovald  eurent  à  se  jus- 
tifier, et  nous  ne  voyons  pas  que  saint  Pallais  ait  eu  à  rendre  compte, 
comme  les  autres,  de  sa  conduite  politique  tant  elle  paraissait  à  l'abri  de 
tout  reproche.  Notre  saint  Evêque  avait  néanmoins  contre  lui*  plusieurs 
membres  de  son  clergé  et  Bertchramne,  son  métropolitain,  qui  ne  ména- 
geaient ni  les  intrigues  ni  les  calomnies.  Ce  dernier  prélat  mourut  à  son 
retour  du  concile.  Saint  Pallais  put  alors  se  faire  rendre  justice.  Les  clercs 
qui  l'avaient  calomnié  furent  dégradés  et  privés  de  leurs  bénéfices,  puis 
livrés  selon  la  rigueur  des  lois  de  l'époque  à  des  châtiments  corporels. 

Dès  lors  l'évêque  de  Saintes  s'appliqua  à  mettre  en  vigueur  dans  son 
diocèse  les  sages  règlements  adoptés  par  le  concile  de  Mâcon  et  devenus  loi 
de  l'Etat  par  la  sanction  royale  dont  ils  avaient  été  revêtus. 

L'année  suivante  (587)  notre  Saint  vit  encore  s'élever  une  nouvelle  tem- 
pête. Le  bruit  avait  été  habilement  répandu  par  ses  ennemis  qu'il  favorisait 

I.  Le  sou  d'or  est  évalué  a  9  fr.  20  e.,  valeur  réelle,  et  à  99  fr.  88  c,  valeur  actuelle. 


§32  7   OCTOBRE. 

secrètement  les  projets  de  Frédégonde  contre  Gontran.  Il  avait,  disait-on, 
donné  asile  à  des  émissaires  de  cette  reine  dans  sa  ville  épiscopale,  et  leur 
avait  fourni  le  moyen  d'arriver  jusqu'en  Espagne  où  ils  se  dirigeaient.  On 
était  alors  en  Carême.  Le  saint  Prélat  se  retirait  habituellement  pendant 
ces  jours  de  pénitence  dans  une  des  îles  deson  diocèse,  où  il  restait  jusqu'à 
la  solennité  du  jeudi  saint.  Au  moment  donc  où  tout  le  peuple  attendait 
son  retour,  Pallais  se  voit  arrêté  en  chemin  par  le  comte  d'Angers  nommé 
Antestius.  Ce  magistrat,  sans  s'informer  de  la  vérité  des  faits  imputés  au 
saint  évêque,  lui  dit  :  «  Vous  n'entrerez  point  à  Saintes  ;  mais  vous  allez 
être  conduit  en  exil,  pour  avoir  accueilli  les  émissaires  de  l'ennemi  de  notre 
roi  ». —  «  J'ignore  ce  que  vous  voulez  dire  »,  réplique  le  Prélat,  «  mais 
comme  nous  sommes  dans  la  semaine  sainte,  rendons-nous  à  la  ville.  Après 
les  fêtes,  vous  pourrez  instruire  l'affaire.  Il  me  sera  d'autant  plus  facile  de 
me  justifier,  qu'il  n'y  a  rien  de  vrai  dans  tout  ce  que  vous  alléguez  ».  — 
«  Point  du  tout  »,  dit  Antestius,  «  vous  ne  mettrez  point  les  pieds  dans  votre 
église,  parce  que  vous  êtes  déclaré  coupable  de  haute  trahison  ».  Là-des- 
sus, il  fait  mettre  les  biens  de  l'église  sous  le  séquestre,  et  livre  au  pillage 
la  maison  de  l'évêque.  En  vain  les  habitants  de  Saintes  supplient  le  comte 
d'attendre  au  moins,  pour  agir,  que  les  fêtes  de  Pâques  soient  passées.  Il 
résiste  longtemps;  mais  sa  cupidité,  le  seul  véritable  motif  qui  le  pousse  à 
traiter  ainsi  notre  Saint,  finit  par  se  trahir.  «  Que  votre  évêque  »,  dit-il, 
«  m'abandonne  par  acte  de  vente  le  domaine  qu'il  possède  aux  environs  de 
Bourges,  et  je  vous  accorde  ce  que  vous  me  demandez  ;  sinon  il  ne  sortira 
de  mes  mains  que  pour  aller  en  exil  ».  Pallais  tenait  moins  à  ses  biens  qu'à 
sa  liberté  ;  il  la  racheta  au  prix  de  son  patrimoine  ;  écrivit  et>igna  un  acte 
de  vente  ;  promit  de  se  justifier  en  présence  du  roi  ;  donna  des  garants  de 
sa  promesse,  et  put  rentrer  dans  Saintes.  Les  fêtes  terminées,  il  se  rend  à  la 
cour  de  Gontran.  Antestius  s'y  présente  aussi  ;  mais  ce  dernier  ne  peut  éta- 
blir aucun  des  faits  dont  il  charge  le  saint  Evêque. 

Le  roi  renvoie  celui-ci  dans  son  diocèse,  et  remet  à  un  prochain  concile 
l'examen  de  cette  affaire.  Dès  lors  la  paix  du  vénérable  Pontife  n'est  plus 
troublée,  et  il  en  profite  pour  restaurer  les  églises  de  son  diocèse  et  en 
construire  de  nouvelles. 

En  589,  son  ami  Grégoire  de  Tours,  à  qui  nous  empruntons  tous  les 
détails  de  cette  histoire,  lui  avait  envoyé,  sur  sa  demande,  des  reliques  de 
saint  Martin.  Pallais  venait,  en  effet,  de  construire  à  ce  glorieux  thauma- 
turge une  basilique  qu'il  désirait  enrichir  de  ces  précieuses  reliques.  Sa 
piété  envers  le  Saint  fut  récompensée  par  les  grâces  signalées  qu'en  obtint 
la  ville  de  Saintes.  Pallais  écrivit  à  son  illustre  ami,  que  déjà  deux  paraly- 
tiques dont  les  pieds  étaient  tout  contractés,  à  peine  entrés  dans  la  nouvelle 
église,  avaient  obtenu  guérison  et  marchaient  librement.  Deux  aveugles 
avaient  aussi  recouvré  la  vue,  et  plus  de  douze  malades  consumés  par  la 
fièvre  quarte  avaient  été  complètement  guéris  *. 

Saint  Grégoire  de  Tours  dit  que  saint  Pallais  fit  reconstruire  l'église 
dédiée  à  saint  Eutrope,  laquelle  «  située  en  dehors  de  la  ville  »,  avait  été 
précédemment  restaurée  par  saint  Léonce  de  Bordeaux. 

1.  On  suppose  que  saint  Pallais  éleva  vers  la  même  époque  une  église  à  saint  Etienne.  Fortnnat,  en 
effet,  félicite  un  prélat  du  nom  de  Pallais  d'avoir  érigé  en  l'honneur  du  saint  diacre  ce  monument  dout  il 
loue  dans  ces  vers  la  magnificence  et  l'imposante  majesté  : 

Hœc  sacra  Palladius  levitae  templa  sacravit  : 
Extct  ut  inde  sibi  non  peritura  domus. 

Mais  avec  l'auteur  d'une  note  relative  a  ee  passage,  nous  sommes  porté  a  croire  que  cette  épltre  s'»- 


SAINT  PALLAIS   OU   PALLÀDE,   ÉVÈQUE   DE   SAINTES  ET   CONFESSEUR.  133 

C'est  là  que  saint  Pallais  fit  la  première  translation  des  restes  précieux 
de  saint  Eutrope.  Il  avait  convoqué,  pour  assister  à  l'ouverture  du  tom- 
beau, les  abbés  des  monastères  voisins.  Deux  d'entre  eux,  en  contemplant 
pieusement  les  reliques  du  Saint,  remarquèrent  avec  surprise  sur  le  crâne 
une  longue  fracture.  Les  malheurs  des  temps  avaient  efTacé  jusqu'au  sou- 
venir du  martyre  de  saint  Eutrope,  et,  comme  rien  ne  pouvait  fixer  à  ce 
sujet  les  incertitudes,  on  l'honorait  seulement  comme  confesseur.  La  nuit 
suivante,  il  apparut  aux  deux  abbés  pendant  leur  sommeil,  et  leur  dit: 
«  La  cicatrice  que  vous  avez  remarquée  à  ma  tête,  est  la  trace  du  coup  de 
hache  qui  a  consommé  mon  martyre  ».  Ce  fut  probablement  à  l'occasion 
de  cette  première  translation  que  le  chef  de  saint  Eutrope  fut  séparé  du 
reste  du  corps,  cour  être  exposé,  dans  l'église  haute,  à  la  vénération  des 
fidèles. 

Saint  Pallais  restaura  également  le  tombeau  de  saint  Martin,  abbé  de 
Saintes,  et  voulut  le  transférer  en  un  lieu  plus  convenable. 

Saint  Grégoire  de  Tours  raconte  un  fait  merveilleux  qui  signala  la  res- 
tauration par  saint  Pallais  de  l'église  dédiée  à  saint  Pierre  par  saint  Vivien, 
et  où  ce  dernier  Saint  était  inhumé.  On  y  vénérait  aussi  le  tombeau  de 
saint  Trojan  placé  dans  une  des  chapelles.  Dans  un  angle  de  cette  chapelle, 
à  la  naissance  d'un  arceau,  se  trouvait  un  très-grand  sarcophage.  Une  an- 
tique tradition  disait  que  c'était  le  tombeau  de  deux  époux,  qui,  dans  les 
jours  qui  suivirent  leur  baptême,  moururent  en  même  temps  dans  l'inno- 
cence, pendant  qu'ils  portaient  encore  les  vêtements  blancs  qui  en  étaient 
le  symbole.  On  les  disait  descendants  de  la  famille  de  saint  Hilaire  de  Poi- 
tiers. Ce  tounbeau  encombrait  l'entrée  de  la  chapelle,  et  il  avait  de  plus 
l'inconvénient  d'empêcher  de  réparer  la  muraille  à  laquelle  il  était  contigu, 
et  que  l'infiltration  des  eaux  pluviales  dégradait  de  jour  en  jour.  Saint  Pal- 
lais avait  fait  préparer  une  autre  place  à  ce  monument.  Le  jour  où  l'on 
devait  l'y  transporter,  plus  de  trois  cents  hommes  se  réunissent  munis  de 
câbles  et  de  leviers.  Ils  s'épuisent  en  efforts  inutiles,  sans  pouvoir  même 
ébranler  le  tombeau.  Les  efforts  redoublent,  la  sueur  inonde  tous  les  fronts, 
rien  n'y  fait.  On  entend  les  cris  redoublés  de  ceux  qui  président  au  travail  ; 
maintes  fois  le  signal  est  donné,  mais  toujours  en  vain.  Le  tombeau  reste 
inébranlable.  Toutes  les  forces  sont  épuisées,  et  déjà  la  nuit  invite  à  prendre 
du  repos.  Dès  le  point  du  jour,  Pallais  n'a  rien  de  plus  pressé  que  d'inviter 
ses  gens  à  le  suivre  à  la  chapelle.  Il  entre  le  premier,  et  quel  n'est  pas  son 
étonnement  de  voir  le  sarcophage  établi  sur  la  nouvelle  base  qu'il  lui  avait 
fait  construire  à  l'emplacement  qu'il  lui  destinait.  Un  cri  d'admiration  et 
de  reconnaissance  s'échappe  du  cœur  du  saint  évêque,  pour  exalter  la  puis- 
sance de  Celui  qui  avait  accompli  si  merveilleusement  ce  qu'aucune  force 
humaine  n'avait  pu  faire.  Personne,  ajoute  saint  Grégoire  de  Tours,  n'a 
jamais  eu  révélation  des  noms  des  deux  époux  dont  ce  tombeau  contenait 
les  restes. 

De  tous  les  évoques  de  Saintes,  saint  Pallais  est  celui  qui  a  le  plus  fait 
pour  le  culte  desSaints  du  diocèse,  dont  il  devait  un  jour  partager  la  gloire. 
Ce  fut  lui  qui  plaça  saint  Vaise  sur  nos  autels.  Depuis  que  le  corps  de  ce 
jeune  martyr  avait  été  inhumé  par  la  piété  de  Francus,  près  des  rives  de  la 

dresse  plutôt  à  Palladius,  archevêque  de  Bourges  qui,  en  effet,  avait  construit  une  église  à  saint  Etienne 
Saint  Grégoire  de  Tours  en  parle  dans  son  Histoire  des  Francs,  tandis  qu'il  ne  dit  rien  de  selle  qu'aurait 
dédiée  au  même  Saint  l'évêque  de  Saintes. 

Les  Annales  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît  et  le  Gallia  Christiana  prétendent  que  la  construction  de 
cette  église  donna  lieu  a  la  première  découverte  du  tombeau  d*  saint  Eutrope.  Rien  ne  prouve  leur 
assertion. 


134  7   OCTOBRE. 

Charente,  des  miracles  n'avaient  cessé  de  s'opérer  à  son  tombeau.  L'évêque 
de  Saintes  jugea  le  moment  venu  de  procéder,  selon  les  formes  usitées 
alors,  à  la  canonisation  de  ce  héros  chrétien.  Des  enquêtes  juridiques  cons- 
tatèrent l'authenticité  de  ses  reliques  et  des  prodiges  qu'il  opérait.  Tous  les 
fidèles  du  diocèse  furent  appelés  à  exprimer  leurs  sentiments  et  leurs  vœux 
relativement  au  culte  du  nouveau  Saint  ;  et  bientôt,  de  l'avis  de  tous,  Pal- 
lais  érigeait  une  église  et  un  monastère  sur  le  tombeau  de  saint  Vaise. 

L'œuvre  la  plus  considérable  de  saint  Pallais  fut  la  construction  d'une 
basilique  dédiée  aux  apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul,  et  aux  saints  mar- 
tyrs Laurent  et  Pancrace.  Les  proportions  de  cet  édifice  étaient  grandioses. 
Elle  renfermait  treize  autels,  dont  neuf  venaient  d'être  dédiés  à  autant  de 
Saints.  Pour  les  quatre  qui  restaient  encore  à  consacrer,  le  pieux  Pontife 
envoya  à  Rome  un  de  ses  prêtres  nommé  Leuparic,  pour  obtenir  du  pape 
saint  Grégoire  des  reliques  des  Saints  en  l'honneur  desquels  ces  autels 
étaient  érigés.  Le  souverain  Pontife  accorda  les  reliques  demandées,  et 
accompagna  ce  don  de  la  lettre  apostolique  suivante  où  il  loue  la  piété  de 
l'évêque  de  Saintes.  On  lui  assigne  pour  date  l'an  596. 

a  Votre  prêtre  Leuparic,  porteur  des  présentes  lettres  » ,  écrit  saint  Gré- 
goire, a  est  venu  nous  faire  connaître  que  votre  fraternité  a  élevé  une  église 
en  l'honneur  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  apôtres,  et  des  saints  martyrs 
Laurent  et  Pancrace,  qu'il  y  a  dans  cette  église  treize  autels,  dont  quatre, 
nous  a-t-on  dit,  ne  sont  pas  encore  consacrés,  parce  que  vous  désirez  y  pla- 
cer, s'il  plaît  à  Dieu,  des  reliques  des  Saints  que  nous  venons  de  nommer. 
Nous  vous  envoyons  donc  les  reliques  demandées,  et  nous  vous  engageons 
à  les  recevoir  et  à  les  placer,  Dieu  aidant,  avec  tout  le  respecj  qui  leur  est 
dû.  Ayez  soin  surtout  de  pourvoir  à  l'entretien  convenable  des  ecclésiasti- 
ques qui  desserviront  les  nouveaux  autels  ». 

Le  pape  saint  Grégoire  avait  en  grande  estime  saint  Pallais.  Il  lui  en 
donne  une  nouvelle  preuve  dans  la  lettre  par  laquelle  il  lui  recommande 
les  missionnaires  envoyés  de  Rome  en  Angleterre  sous  la  conduite  do  saint 
Augustin,  lesquels  devaient  passer  par  Saintes. 

Saint  Grégoire  le  Grand,  saint  Augustin  d'Angleterre  et  saint  Pallais 
moururent  à  peu  près  à  la  même  époque,  environ  vers  l'an  600.  La  bien- 
heureuse mort  du  saint  évêque  de  Saintes  arriva  le  7  octobre,  comme 
l'indiquent  tous  les  martyrologes  et  le  bréviaire  manuscrit  du  xrne  siècle. 
Sa  fête  néanmoins  se  célèbre  le  6  septembre,  selon  un  ancien  usage  adopté 
dans  le  diocèse  et  dans  l'abbaye  de  Notre-Dame  de  Saintes. 

L'église  de  ce  dernier  monastère  fut  fondée  en  1047,  près  du  tombeau 
de  saint  Pallais.  Avant  cette  fondation  existait  une  église  dédiée  à  ce  Saint. 
On  pense  qu'elle  avait  remplacé  l'ancienne  basilique  des  saints  Apôtres 
bâtie  par  lui,  et  dans  laquelle  il  fut  inhumé.  Elle  dépendait  d'une  abbaye 
d'hommes  depuis  longtemps  ruinée,  quand  Geoffroy,  comte  de  Saintonge, 
et  Agnès,  son  épouse,  en  relevèrent  les  bâtiments,  et  y  mirent  des  chanoines 
pour  le  service  de  la  paroisse  et  des  religieuses  de  la  nouvelle  abbaye,  et 
fondèrent  l'église  actuelle  de  Saint-Pallais. 

Des  faveurs  nombreuses  obtenues  à  son  tombeau  y  attiraient  de  nom- 
breux pèlerins.  La  dévotion  des  peuples  le  regardait  comme  un  des  plus 
puissants  protecteurs  de  la  contrée.  Dans  les  temps  de  sécheresse,  la  châsse 
qui  contenait  les  reliques  de  saint  Pallais  était  portée  en  procession  pour 
obtenir  de  la  pluie.  Ce  précieux  trésor  a  été  profané  et  détruit  auxvr3  siècle 
par  le  fanatisme  des  Huguenots. 

Quatre  paroisses  du  diocèse  de  La  Rochelle,  une  de  celui  d'Angoulême, 


SAINT  ARTHAUD,   ÉVÊQUE  DE  BELLET.  135 

d'autres  dans  les  diocèses  de  Bordeaux,  deBayonne,  de  Bourges,  de  Sens,  de 
Moulins,  de  Belîey  et  autres,  sont  placées  sous  le  vocable  du  saint  Pontife. 

Notice  due  à  M.  l'abbé  Grasilier,  aumônier  du  Carmel  de  Saintes.  —  Cf.  Saint  Grégoire  de  Tours, 
Sût.,  1.  vu  et  vin  ;  saint  Grégoire  le  Grand,  1.  v,  ep.  l  et  lu;  Gallia  Christ,  nova,  t.  n,  p.  1058;  le 
P.  Longnevul,  Hist.  de  l'Eglise  gallicane,  t.  ui,passim;  Baillet  et  autres  hagiographes. 


SAINT  ARTHAUD, 

FONDATEUR  DE  LA   CHARTREUSE   D'ARVIÈRES   EN  VALROMEY, 
QUARANTE-HUITIÈME  ÉVÊQUE  DE  BELLEY 

1206.  —  Pape  :  Ianocent  III.  —  Roi  de  France  :  Philippe  H,  Auguste, 

Les  œuvres  sont  plus  puissantes  que  les  paroles,  et 
on  instruit  mieux  par  l'exemple  d'une  bonne  vie 
que  par  des  discours.  Jean  Trithème. 

Saint  Arthaud  naquit  au  château  de  Sothonod,  dans  les  montagnes  du 
Valromey  *,  en  1101.  Sa  mère,  convaincue  qu'elle  avait  mis  au  monde  un 
citoyen  pour  le  ciel  plutôt  qu'un  habitant  pour  la  terre,  regardait  l'éduca- 
tion de  son  enfant  comme  le  premier  de  ses  devoirs.  Elle  lui  avait,  pour 
ainsi  dire,  fait  sucer  la  piété  avec  le  lait.  Dès  qu'il  sut  faire  les  premiers  pas, 
elle  le  menait  elle-même  à  l'église,  et  lui  donnait  l'exemple  d'un  profond 
respect  pour  le  lieu  saint,  pour  la  prière  et  pour  toutes  les  cérémonies  reli- 
gieuses qui  s'y  pratiquent.  Cette  tendre  mère  voulut  lui  inspirer  de  bonne 
heure  cette  charité  pour  les  pauvres  qu'elle  exerçait  elle-même  à  un 
tel  degré  de  perfection  que  le  château  de  Sothonod  était  continuelle- 
ment rempli  de  malheureux  auxquels  elle  prodiguait  la  nourriture,  les 
vêtements,  les  soins  les  plus  assidus,  quelquefois  les  plus  dégoûtants,  lors- 
qu'ils étaient  malades  ou  infirmes.  Elle  accoutumait  son  jeune  fils  a  leur 
rendre  les  petits  services  dont  il  était  capable,  et  faisait  toujours  passer  par 
ses  mains  les  nombreuses  aumônes  qu'elle  leur  distribuait.  C'est  en  jetant 
ainsi  chaque  jour  dans  son  cœur  le  germe  d'une  nouvelle  vertu  qu'elle  par- 
vint à  détruire  en  lui  jusqu'au  moindre  de  ces  légers  défauts  qu'on  pardonne 
trop  facilement  à  l'enfance. 

Le  père  du  jeune  Arthaud,  de  son  côté,  commença  de  bonne  heure  à 
mettre  à  profit  les  dispositions  prématurées  de  son  fils,  afin  de  le  rendre 
capable  de  réaliser  plus  tard  les  espérances  que  sa  famille  en  concevait, 
pour  ajouter  à  son  illustration.  Tous  les  soins  et  toute  l'affection  de  ce 
tendre  père  se  concentraient  en  cet  enfant  bien-aimé,  le  seul  héritier  de 
son  nom  et  de  sa  fortune.  Il  s'empressa  de  lui  faire  apprendre  les  éléments 
des  sciences  profanes  ;  mais  les  succès  qu'il  obtint  dans  ce  nouveau  genre 
d'études,  ne  lui  firent  point  perdre  les  fruits  de  piété  qu'il  avait  recueillis  à 
l'école  de  sa  vertueuse  mère.  Ses  progrès  furent  si  brillants  que  bientôt  il 
n'eut  plus  besoin  de  ses  maîtres  dont  il  égala  la  science,  et  qu'il  surpassa 
en  sainteté.  On  remarqua  dès  lors  en  lui  un  jugement  solide,  des  connais- 
sances variées,  rehaussées  par  une  candeur  d'âme,  une  sage  et  prudente 

1.  Le  Valromey  est  une  vallée  enclavée  dans  le  Bugey,  ancienne  petite  province  de  France.  U  est 
aujourd'hui  compris  dans  la  partie  Est  du  département  de  l'Ain. 


436  ?  OCTOBRE. 

circonspection  dans  toutes  ses  paroles  et  ses  actions,  qualités  qui  en  ont 
fait  un  grand  homme  et  un  grand  saint.  Complaisant,  modeste,  il  était 
agréable  à  tout  le  monde  ;  soumis  à  ses  parents,  il  aimait  à  rester  dans  la 
maison,  occupé  à  la  lecture  des  livres  saints.  Enfin,  dans  un  âge  encore  si 
près  de  l'enfance,  on  voyait  le  jeune  Arthaud  dédaigner  les  amusements 
frivoles  pour  vaquer  à  la  prière  et  à  l'étude.  Ces  heureux  commencements 
d'une  vie  si  parfaite  firent  tenter  à  son  père,  sans  plus  de  délai,  la  réussite 
du  projet  qu'il  formait  d'établir  son  fils  dans  le  monde  d'une  manière  qui 
répondît  à  sa  naissance  et  à  ses  qualités  personnelles.  Les  circonstances 
semblaient  favoriser  ses  desseins,  en  frayant  à  ce  jeune  homme  le  chemin 
des  honneurs  et  des  charges  que  la  voix  de  ses  compatriotes  lui  décernait 
d'avance. 

La  renommée  d'Arthaud  étant  parvenue  aux  oreilles  d'Amédée  III,  qui 
régnait  alors  sur  le  Piémont,  le  Valais,  la  Savoie  et  le  Bugey,  celui-ci  s'em- 
pressa de  l'appeler  auprès  de  sa  personne  pour  lui  faire  faire  l'apprentissage 
des  dignités  qu'il  lui  réservait.  Le  jeune  favori  fut  le  seul  à  ne  pas  se  réjouir 
des  avantages  que  le  monde  et  le  prince  lui  offraient,  car  il  avait  déjà 
appris  par  la  voix  intérieure  de  la  grâce  et  dans  les  méditations  des  saintes 
Ecritures,  que  les  espérances  de  la  terre  sont  trompeuses  et  qu'elles 
n'aboutissent  toutes  qu'au  néant.  Déjà  il  avait  entendu  la  vérité  qui  lui 
répétait  sans  cesse  ces  oracles  :  «  Celui  qui  marche  avec  moi  ne  peut  errer 
dans  les  ténèbres;  celui  qui  porte  mon  joug  trouvera  le  doux  repos  de 
l'âme  ».  Et  déjà,  à  cette  époque,  à  peine  âgé  de  seize  ans,  il  méditait  sa 
retraite  du  monde.  Mais  dans  l'assemblage  de  ses  vertus,  il  avait  fait  entrer 
une  obéissance  sans  bornes  à  ses  parents  ;  se  confiant  donc  aux  sages  dispo- 
sitions de  la  Providence  qui  saurait  bien  le  tirer  de  l'Egypte  pour  le  con- 
duire au  désert,  si  c'était  dans  la  solitude  qu'il  dût  se  sanctifier  et  opérer 
son  salut,  il  se  rendit  à  la  cour  du  prince  Amédée  III,  en  1118,  âgé  de  dix- 
sept  ans.  Une  noble  simplicité,  une  conversation  pleine  de  charmes,  un  air 
prévenant  et  facile,  des  manières  douces  et  polies,  une  instruction  supé- 
rieure à  celle  qu'on  recevait  à  cette  époque,  lui  concilièrent  d'abord  tous 
les  cœurs  et  tous  les  suffrages.  On  n'aurait  point  dit  qu'il  n'avait  apporté  à 
la  cour  que  des  répugnances;  et,  dans  toutes  les  circonstances,  il  sut  allier 
deux  choses  qui  paraissent  incompatibles  :  les  obligations  du  chrétien  et  les 
devoirs  du  courtisan.  Il  savait  plaire  sans  flatter,  désapprouver  les  vices 
sans  choquer  les  personnes.  Liberté  sans  rudesse,  prudence  sans  dissimula- 
tion, complaisance  sans  bassesse,  enjouement  sans  dissipation,  piété  sans 
scrupule,  voilà  le  prodige  qu'il  offrit. à  la  cour  où  sa  sainteté  fut  hautement 
avouée  et  publiquement  respectée. 

Néanmoins  son  penchant  l'entraînait  vers  la  solitude.  Au  milieu  du 
tumulte  de  la  cour,  il  sut  s'en  faire  une  dans  son  cœur  ;  c'est  dans  ce  sanc- 
tuaire qu'il  se  mit  à  l'abri  des  agitations  du  siècle.  Son  âme  était  tellement 
remplie  de  Dieu,  que  le  goût  du  monde  ne  put  s'y  insinuer.  Le  faste  et  la 
pompe  du  siècle  assiégeaient  ses  regards  sans  attirer  son  attention  :  placé  à 
la  source  de  l'opulence  et  des  délices,  la  faveur  de  son  prince  se  présentait 
à  lui  avec  toutes  les  espérances  flatteuses  qui  l'accompagnaient  ;  mais  la 
pauvreté  de  Jésus-Christ  était  son  unique  trésor  et  le  seul  héritage  auquel 
il  aspirât.  Aussi  ce  ne  fut  pas  sans  étonnement  que  le  monde  vit  ce  jeune 
courtisan  fuir  les  richesses  avec  autant  de  soins  que  les  autres  les  recher- 
chent, et  ne  solliciter  de  son  souverain  d'autre  grâce  que  la  permission  de 
refuser  ses  bienfaits.  Les  plaisirs  que  le  siècle  lui  présentait  semblaient 
l'animer  à  la  pénitence.  Pour  se  défendre  contre  leurs  attraits  corrupteurs* 


SAINT   ARTHAUD,   ÉVÊQUE   DE   BELLEY.  137 

il  suivit  le  précepte  de  saint  Paul  et  réduisit  son  corps  sous  la  servitude  de 
son  esprit  qui  était  sans  cesse  appliqué  à  Dieu.  Jésus-Christ  lui  avait  ensei- 
gné que  la  «  cour  des  grands  est  le  séjour  de  la  mollesse  et  des  délices  »  ; 
aussi  ne  fut-ce  point  là  qu'il  choisit  ses  modèles.  Les  yeux  tournés  tantôt 
sur  les  saints  solitaires  qui  habitaient  le  Bugey,  tantôt  sur  les  hommes  qui 
oublient  Dieu  pour  s'occuper  uniquement  de  la  terre,  il  lui  semblait  voir, 
d'un  côté,  le  petit  nombre  des  élus,  et,  de  l'autre,  la  multitude  des  réprou- 
vés. Plein  de  cette  idée  et  poussé  par  cet  oracle  du  Sauveur  :  «  Que  servi- 
rait à  l'homme  de  gagner  le  monde  entier,  s'il  vient  à  perdre  son  âme  I  » 
il  prit  la  résolution  d'abandonner  la  cour  pour  aller  chercher  un  lieu  de 
repos  dans  la  compagnie  des  enfants  de  Saint-Bruno  qui  venait  de  fonder, 
en  Bugey,  les  Chartreuses  de  Portes  et  de  Meyriat,  non  loin  du  château  de 
Sothonod. 

La  confiance  qu'il  avait  en  son  prince  le  porta  à  lui  faire  connaître  son 
dessein.  Amédée  III  était  aussi  pieux  que  vaillant;  aussi,  quoiqu'il  lui  en 
coûtât  beaucoup  de  perdre  Arthaud,  il  ne  voulut  pas  contrarier  la  vocation 
de  son  favori  ;  d'ailleurs,  il  voyait  bien  que  c'était  une  plante  nourrie  par 
la  rosée  de  la  grâce  que  le  souffle  du  monde  et  de  la  cour  ne  pouvait  que 
faner.  Il  était  convaincu  que  ce  n'était  qu'au  désert,  loin  du  contact  des 
hommes,  qu'elle  devait  s'épanouir,  montrer  ses  brillantes  couleurs,  et  rem- 
plir le  sanctuaire  et  l'Eglise  de  son  parfum  suave  et  délicieux.  Dès  qu' Ar- 
thaud fut  assuré  de  l'agrément  du  prince,  il  quitta  la  cour,  n'emportant 
que  sa  vertu  et  les  regrets  de  toutes  les  personnes  qu'il  avait  charmées  pen- 
dant deux  ans  par  ses  manières  aimables,  mais  qu'il  avait  surtout  édifiées 
par  les  exemples  de  la  plus  tendre  piété. 

Depuis  longtemps  il  ayait  formé  le  dessein  d'embrasser  la  vie  des  Char- 
treux, à  cause  de  la  grande  austérité  et  de  la  pauvreté  qu'ils  pratiquaient. 
Ses  regards,  en  sortant  du  tumulte  du  monde,  se  fixèrent  sur  la  montagne 
de  Portes,  en  Bugey,  qui  lui  apparaissait  comme  celle  d'Horeb,  où  le  Sei- 
gneur manifestait  ces  merveilles  à  la  nation  sainte  qu'il  avait  choisie.  Il 
suivit  donc  l'impulsion  que  lui  imprimait  le  souffle  de  l'Esprit-Saint  qui  le 
poussait  dans  cette  maison  où  il  espérait  vivre  retiré  loin  du  tumulte  du 
monde  et,  pour  ainsi  dire,  caché  dans  la  face  de  Dieu.  Bernard  de  Varins, 
fondateur  et  prieur  de  cette  Chartreuse,  homme  d'un  rare  savoir  et  d'une 
grande  piété,  l'accueillit  avec  la  distinction  que  méritaient  non-seulement 
sa  naissance,  mais  encore  sa  vertu  dont  la  renommée  avait  porté  les  éloges 
jusque  dans  ce  désert. 

Les  espérances  qu'il  venait  de  fouler  aux  pieds,  les  biens  et  les  honneurs 
qu'il  sacrifiait  à  la  croix,  sa  jeunesse,  car  il  était  dans  l'âge  des  illusions, 
aussi  favorisé  des  grâces  du  corps  que  de  celles  de  l'esprit  ;  toutes  ces  cir- 
constances furent  cause  que  sa  détermination  fit  du  bruit  dans  les  provinces 
voisines.  Les  uns  applaudissaient  à  cette  démarche,  les  autres  la  traitaient 
de  singulière,  car  il  est  rare  que  ceux  qui  veulent  se  donner  à  Dieu  n'aient  pas 
à  essuyer  le  désavœu,  les  moqueries,  et  souvent  même  la  haine  des  impies. 

Les  parents  d'Arthaud,  quoiqu'ils  eussent  consenti  avec  peine,  il  est 
vrai,  à  sa  détermination,  ne  manquèrent  pas  de  lui  mettre  sous  les  yeux 
les  avantages  qu'il  abandonnait,  sa  témérité  d'embrasser  un  genre  de  vie 
dont  la  rigueur  excédait  ses  forces,  enfin  l'utilité  dont  il  pourrait  être  à  sa 
famille,  qui  fondait  sur  lui  seul  l'espoir  de  se  voir  perpétuer  et  illustrer  de 
plus  en  plus  :  leurs  voisins  et  leurs  amis  s'unirent  à  eux  et  firent  de  concert 
une  attaque  dont  le  but  était  de  rompre  ses  projets  et  de  le  ramener  au 
château  de  Sothonod  ;  mais  le  dégoût  du  monde,  le  désir  de  tout  quitter 


138  7    OCTOBRE. 

pour  ne  servir  que  Dieu  dans  la  solitude,  avaient  jeté  dans  son  cœur  de 
trop  profondes  racines  pour  qu'on  pût  l'ébranler  par  des  motifs  humains. 
Soumis  et  obéissant  à  ses  parents  en  tout  ce  qui  ne  regardait  pas  sa  voca- 
tion, il  ne  croyait  manquer  ni  à  l'amour  ni  à  la  reconnaissance  qu'il  leur 
devait,  en  se  déterminant  à  suivre  l'inspiration  de  l'Esprit-Saint.  Dieu  bénit 
sa  constance,  en  changeant  les  vues  et  les  dispositions  de  ceux  qui  contra- 
riaient sa  résolution.  Ses  parents,  persuadés  que  de  plus  longues  remon- 
trances ne  serviraient  qu'à  contrister  un  fils  qu'ils  aimaient  tendrement, 
finirent  par  l'encourager  dans  ses  pieux  desseins.  Arthaud,  dégagé  des  im- 
portunités  de  sa  famille  et  des  entraves  que  le  monde  avait  mises  à  son 
avancement  dans  les  voies  spirituelles,  entra  dans  la  carrière  de  la  perfec- 
tion, et  sa  marche  fut  si  rapide,  que  bientôt  il  parvint  à  ce  but  difficile  à 
toucher. 

La  piété  exemplaire  des  Chartreux  de  Portes  répandait  de  toutes  parts 
la  bonne  odeur  de  Jésus- Christ,  et  retraçait  la  vie  des  saints  solitaires  de 
l'Egypte  et  celle  des  premiers  disciples  de  saint  Bruno.  Le  nouveau  prosé- 
lyte fut  touché  plutôt  qu'étonné  du  spectacle  d'une  vie  si  différente  de  celle 
des  gens  du  monde  au  milieu  desquels  il  avait  vécu  jusqu'alors.  Après  avoir 
passé  ses  premières  années  à  la  cour  d'un  prince  de  la  terre,  il  demanda  à 
n'avoir  plus  à  servir  que  le  Roi  des  cieux.  Dom  Bernard,  prieur  de  Portes, 
témoin  de  toutes  les  démarches  des  parents  et  amis  d'Arthaud,  en  homme 
prudent,  ne  voulut  pas  se  presser  de  l'admettre  au  noviciat.  Il  sonda  soi- 
gneusement les  dispositions  de  celui  qu'il  voyait  si  plein  d'ardeur  pour 
préférer  les  austérités  du  cloître  aux  commodités  de  la  vie  ;  il  examina  quel 
esprit  le  conduisait,  quelle  fin  il  se  proposait,  si  c'étaient  les  lumières  de  la 
grâce  qui  l'avaient  conduit  au  désert,  ou  des  mécontentements  humains 
qui  l'engageaient  à  se  séparer  du  monde  et  de  ses  parents.  Le  prudent 
Bernard  ne  tarda  pas  à  découvrir  que  les  intentions  les  plus  pures  avaient 
présidé  à  son  choix  de  vie,  et  qu'il  apportait  dans  la  retraite  la  sainteté  que 
les  autres  viennent  y  chercher  :  aussi,  le  temps  des  épreuves  ordinaires 
étant  écoulé,  Arthaud  reçut  l'habit  des  religieux  de  Saint-Bruno  en  l'an- 
née 1120. 

Le  fervent  novice  trouva  sans  peine  à  Portes  des  exemples  et  des  mo- 
dèles, et  il  fut  bientôt  lui-même  l'exemple  et  le  modèle  de  tous  ses  compa- 
gnons qu'il  devança  promptement  dans  la  carrière  où  tous  cherchaient,  à 
l'envi,  à  gagner  la  couronne  de  l'immortalité.  Son  premier  soin,  en  y 
entrant,  avait  été  de  purifier  son  âme  des  plus  légères  taches  qui  eussent 
pu  diminuer,  en  sa  faveur,  les  effusions  de  la  grâce  et  retarder  sa  marche 
rapide  vers  la  perfection.  Avoir  son  contentement,  la  sérénité  de  son  visage 
et  la  facilité  avec  laquelle  il  remplissait  tous  ses  devoirs  religieux,  on  eût 
cru  que  l'état  auquel  il  venait  se  consacrer  avait  été  celui  de  toute  sa  vie. 
Rien  ne  lui  coûtait  dès  qu'il  s'agissait  de  la  règle  qu'il  avait  embrassée  ;  sa 
ferveur  lui  en  aplanissait  les  difficultés,  et  les  peines  se  changeaient  pour 
lui  en  délices.  Il  ne  ressentait  jamais  plus  de  satisfaction  que  lorsque  l'oc- 
casion se  présentait  de  vaincre  l'orgueil  trop  naturel  à  l'homme,  ou  de 
souffrir  quelques  mortifications  pour  témoigner  à  Dieu  qu'il  ne  voulait 
s'attacher  qu'à  sa  croix.  Il  les  lui  offrait,  disait-il,  pour  expier  ses  fautes 
passées  dont  le  souvenir  le  portait  à  se  regarder  comme  un  grand  pécheur. 

La  guerre  qu'Arthaud  commença  à  déclarer  à  son  corps  par  la  péni- 
tence, n'eut  d'autre  terme  que  celui  de  ses  jours,  qui  furent  presque  le 
double  de  ceux  que  Dieu  accorde  ordinairement  au  commun  des  hommes. 
Plus  il  se  sentait  robuste,  moins  il  garda  de  ménagement  pour  assujétir 


SAINT  ARTHAUD,   ÉVÊQUE   DE   BELLEY.  139 

entièrement  ses  sens  à  la  loi  de  l'esprit.  Outre  les  jeûnes  prescrits  et  l'absti- 
nence perpétuelle  qui  s'observe  cbez  les  Chartreux,  il  portait  un  rude  cilice 
qu'il  ne  quittait  que  pour  en  augmenter  les  douleurs  cuissantes  par  de  fré- 
quentes et  longues  flagellations.  Cependant  notre  Saint  avait  appris  que  les 
macérations  infligées  au  corps  ne  sont  qu'une  partie  de  la  véritable  péni- 
tence, et  que  l'humilité  en  est  le  complément  ;  aussi  le  vit-on  toujours, 
malgré  la  noblesse  de  sa  naissance,  disputer  aux  plus  jeunes  novices  les 
fonctions  les  plus  capables  de  révolter  l'araour-propre  ;  il  semblait  même  se 
multiplier  pour  se  charger  iui  seul  de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  pénible  et 
d'humiliant  à  faire  dans  la  maison.  Cette  abnégation  absolue  lui  faisait  re- 
garder l'obéissance  à  ses  supérieurs  comme  la  plus  parfaite  imitation  de 
Jésus- Christ,  qui  a  été  lui-même  obéissant  jusqu'à  la  mort. 

En  admirant  l'abnégation,  la  pénitence,  rhumilité  de  saint  Arthaud, 
nous  n'avons  aperçu,  pour  ainsi  dire,  que  l'extérieur  du  temple  qu'il  avait 
consacré  à  Dieu  dès  son  enfance.  La  prière  est  le  sacrifice  qu'il  y  offrit 
constamment  à  l'Eternel  sur  l'autel  de  son  cœur.  Le  temps  déterminé  par 
la  règle  pour  cet  exercice  ne  lui  suffisait  pas,  il  y  employait  une  partie  de 
la  nuit,  et  les  travaux  manuels  ne  pouvaient  l'en  distraire  ;  son  âme  était 
tout  entière  appliquée  à  Dieu,  et  jamais  l'emploi  de  Marthe  ne  le  détourna 
des  douces  occupations  de  Marie.  Cependant  le  temps  de  sa  probation  s'était 
écoulé,  en  lui  apportant  chaque  jour  un  nouveau  degré  de  perfection  qui 
le  rendait  digne  du  saint  état  qu'il  allait  embrasser  irrévocablement.  Il  vit 
avec  joie  approcher  le  jour  solennel  de  ses  sacrés  engagements.  Ses  prières, 
ses  austérités,  tout  se  ressentait  de  ses  ardents  désirs  et  du  doux  espoir 
d'être  bientôt  fixé  pour  jamais  dans  la  retraite  et  attaché  à  Dieu  par  des 
liens  indissolubles.  De  leor  côté,  ses  supérieurs,  n'ayant  eu  jusqu'alors  à 
admirer  dans  sa  conduite  qu'une  piété  au-dessus  de  toutes  les  épreuves, 
bénissaient  le  Père  des  miséricordes  du  précieux  don  qu'il  leur  faisait. 
Ainsi,  tout  étant  disposé,  le  pieux  novice  prononça  ses  vœux  en  1123,  avec 
la  générosité  d'un  cœur  qui  se  consacre  par  amour  et  qui  recouvre  sa  liberté 
sous  le  joug  de  Jésus-Christ. 

Après  cette  action,  qui  venait  de  mettre  le  comble  à  ses  désirs,  le  pre- 
mier soin  que  lui  inspira  sa  reconnaissance,  fut  de  remercier  la  divine 
Bonté  de  la  prédilection  qu'elle  avait  bien  voulu  lui  accorder,  d'implorer 
son  secours  pour  ne  jamais  oublier  un  si  grand  bienfait,  ni  démentir  la 
sainteté  de  sa  profession.  Il  en  comprenait  tout  le  prix,  et  ce  qu'il  avait 
fait  jusqu'alors  pour  s'y  préparer  ne  fut  plus  regardé  que  comme  un  faible 
apprentissage  de  ce  qu'il  se  proposait  de  pratiquer  dans  la  suite.  Il  fut  un 
homme  nouveau  dans  le  chemin  de  la  perfection  ;  devenu  disciple  de  la 
croix  depuis  qu'il  fut  devenu  religieux,  ses  pénitences  s'accrurent  progres- 
sivement avec  ses  autres  vertus.  Son  lit  servait  de  voile  à  ses  mortifications  ; 
il  le  quittait  pour  passer  à  terre  les  quelques  moments  de  repos  qu'il  ne 
pouvait  refuser  à  la  faiblesse  de  la  nature,  encore  cette  couche  incommode 
était-elle  arrosée  du  sang  qui  coulait  sous  les  instruments  de  ses  rigueurs, 
et  des  larmes  qu'il  répandit  toujours  en  grande  abondance.  Voilà  la  part 
qu'il  faisait  à  son  corps  ;  mais  son  âme  était  un  sanctuaire  où  l'on  voyait  la 
croix  de  Jésus-Christ  élevée  sur  les  ruines  de  tous  les  désirs,  de  toutes  les 
inclinations  de  la  nature.  Il  était  véritablement  comme  l'apôtre,  «  ce  n'était 
pas  lui  qui  vivait,  mais  Jésus-Christ  qui  vivait  en  lui  ». 

Arthaud  n'avait  ni  des  égarements  à  punir,  ni  des  vices  à  déraciner,  ni 
des  passions  sans  cesse  renaissantes  à  terrasser  ;  car  ce  qu'il  appelait  ses 
grands  péchés,  n'étaient  que  des  fautes  bien  légères  dont  l'homme  juste 


440  7   OCTOBRE. 

même  ne  saurait  être  exempt  dans  cette  vie.  La  pénitence  dont  il  affligeait 
son  corps  ne  fut  donc  pas  pour  réparer  la  perte  de  son  innocence,  mais 
pour  la  conserver.  Il  l'avait  aimée  dès  sa  plus  tendre  jeunesse,  et  toujours 
il  sut  la  préserver  des  pièges  qu'elle  rencontre  dans  le  monde  et  surtout  à 
la  cour  où  il  est  si  difficile  de  la  garder  intacte  au  milieu  de  mille  dangers 
qui  l'environnent.  La  prière,  la  dévotion  à  la  sainte  Vierge  qui  est  la  reine 
de  toute  pureté,  la  retraite,  la  fréquente  communion,  la  fuite  du  monde 
dont  le  souffle  corrupteur  est  si  dangereux  pour  une  fleur  si  délicate, 
l'éloignement  des  personnes  d'un  sexe  différent,  précaution  tant  recom- 
mandée par  les  maîtres  de  la  vie  spirituelle  ;  voilà  les  moyens  qu'Arthaud 
avait  mis  en  usage  pour  conserver  sans  souillure  la  robe  d'innocence  qu'il 
avait  reçue  sur  les  fonts  du  baptême. 

Sa  vie  était  donc  une  vie  cachée  en  Jésus-Christ  ;  son  cœur  ne  soupirait 
que  pour  Dieu,  son  esprit  était  sans  cesse  élevé  vers  le  ciel,  et  l'un  et  l'autre 
se  réunissaient  pour  former  ces  élans  d'amour,  ces  ravissements,  ces  extases, 
qui  le  transportaient  quelquefois  hors  de  lui-même.  Les  études  qui  sont 
souvent  un  sujet  de  dissipation,  furent  pour  lui  une  occasion  de  s'avancer 
de  plus  en  plus  dans  la  sainteté.  La  théologie  qui  développe  les  admirables 
perfections  de  Dieu,  qui  parle  surtout  de  ses  bienfaits  envers  les  hommes, 
fut  singulièrement  de  son  goût  ;  il  s'y  appliqua  avec  le  plus  grand  soin,  de 
sorte  que  sa  science  égalant  bientôt  sa  grande  sainteté,  ses  supérieurs  l'ap- 
pelèrent à  la  prêtrise  dès  qu'il  eut  atteint  l'âge  requis  par  les  canons  de 
l'Eglise.  Quelque  pénétré  qu'il  fût  de  son  insuffisance  pour  un  ministère  si 
redoutable,  sa  soumission  l'emporta  sur  sa  profonde  humilité.  Il  ne  pensa 
plus  qu'à  implorer  avec  une  nouvelle  ferveur  le  secours  puissant  de  ce  Dieu 
de  bonté  qui,  par  des  routes  inconnues  à  la  prudence  de  la  chair,  l'avait  si 
heureusement  conduit  au  port  assuré  du  salut. 

Pendant  qu'il  se  préparait  ainsi  à  recevoir  le  caractère  ineffaçable  du 
sacerdoce,  Humbald,  archevêque  de  Lyon,  arriva  en  1125  à  Portes,  pour 
bénir  l'église  de  cette  chartreuse.  Notre  Saint  reçut,  de  cet  illustre  arche- 
vêque, l'imposition  des  mains  et  l'onction  sainte  qui  consacrent  les  mi- 
nistres du  Seigneur.  Humbert  de  Grammont,  évêque  de  Genève,  assistait  à 
cette  cérémonie.  Ce  prélat  ayant  vu  par  lui-même  tout  ce  que  la  renom- 
mée lui  avait  appris  d'Arthaud,  se  lia  avec  lui  d'une  étroite  amitié. 

Parvenu  à  la  sublime  dignité  du  sacerdoce,  le  fervent  religieux  regarda 
son  élévation  comme  un  nouvel  engagement  pour  lui  de  monter  à  une  plus 
haute  perfection.  La  foi  la  plus  vive,  la  piété  la  plus  tendre,  vinrent  ajouter 
encore  à  tout  ce  que  nous  avons  admiré  jusqu'à  présent  dans  une  vie,  ce 
semble,  plus  angélique  qu'humaine.  La  charité,  cette  vertu  céleste,  prit 
dès  lors  surtout  un  tel  accroissement,  qu'on  ne  le  vit  jamais  perdre  l'esprit 
de  recueillement  et  d'oraison  qui  l'unissait  à  son  Créateur  ;  souvent  même 
ses  supérieurs  le  trouvaient  dans  sa  cellule,  immobile  et  plongé  dans  la 
contemplation  des  beautés  et  des  miséricordes  du  Seigneur.  On  aurait  dit, 
en  le  voyant,  qu'il  goûtait  par  avance  les  ineffables  délices  qui  sont  dans  le 
ciel  l'aliment  des  prédestinés.  Il  passait  des  heures  entières  à  genoux  au 
pied  des  autels,  collé  à  la  croix  de  Jésus-Christ,  sans  que  rien  fût  capable 
de  le  distraire.  Mais  c'est  surtout  pendant  la  célébration  des  saints  mystères 
qu'il  sentait  redoubler  les  ardeurs  du  feu  sacré  qui  consumait  son  cœur.  La 
sérénité,  et  on  assure  même,  des  rayons  d'une  lumière  surnaturelle  bril- 
laient sur  son  visage,  et  son  action  de  grâces  était  accompagnée  d'un  tor- 
rent de  larmes  bien  douces  assurément,  puisque  la  reconnaissance  les  faisait 
couler.  La  foi  qui  l'animait  envers  Jésus-Christ  présent  dans  la  sainte  Eu- 


SAINT  ÀRTHAUD,   ÈVÊQUE  DE  BELLET.  141 

charistie  était  si  vive,  que  Dieu  semblait  se  montrer  à  lui  sans  voile  sur  les 
autels.  Si  la  force  du  respect  le  faisait  trembler  à  l'approche  du  sanctuaire, 
l'amour  qui  l'y  entraînait  triomphait  bien  vite  de  cette  crainte,  et  lui  faisait 
comprendre  par  les  plus  tendres  émotions  qu'il  n'était  créé  que  pour  aimer 
Dieu.  En  un  mot,  c'était  le  véritable  prêtre  de  Jésus-Christ.  Son  corps  était 
chaste,  sa  bouche  pure,  son  esprit  éclairé  d'une  lumière  surhumaine,  et  son 
cœur  tout  brûlant  d'un  saint  zèle  pour  sa  sanctification  et  pour  celle  de  ses 
frères  ;  aussi,  par  ses  conseils  et  ses  exhortations  aux  personnes  qui  venaient 
de  toutes  parts  le  consulter  sur  l'affaire  du  salut,  avait-il  allumé  le  feu  de 
l'amour  divin  dans  tout  le  Bugey.  Purifié  par  la  pénitence,  uni  à  Dieu  par 
l'humilité  et  la  prière,  prudent  dans  toutes  ses  démarches,  embrasé  par  la 
charité  qui  avait  consumé  en  lui  tout  ce  qui  est  de  l'homme,  Arthaud  était 
un  religieux  parfait.  Le  divin  architecte  qui  avait  façonné  dans  le  désert 
cette  pierre  précieuse,  la  destinait  à  devenir  le  fondement  d'une  maison 
qui,  pendant  sept  siècles,  sera  l'asile  de  la  piété  et  une  pépinière  de  saints 
anachorètes. 

Humbert  de  Grammont,  évêque  de  Genève,  dont  nous  avons  déjà  parlé, 
pour  satisfaire  ses  désirs  autant  que  ceux  du  prince  Amédée  III,  avait  formé 
le  projet  d'appeler  les  Chartreux  dans  le  Yalromey,  qui  dépendait  alors  de 
son  diocèse.  Les  qualités  éminentes  qu'il  avait  remarquées  dans  notre  Saint, 
lorsqu'il  vint  à  Portes  avec  l'archevêque  de  Lyon,  lui  firent  penser  qu'Ar- 
thaud  était  l'homme  que  la  Providence  avait  'mis  en  réserve  pour  cette 
grande  œuvre.  Héritier  unique  de  la  seigneurie  de  Sothonod,  dont  les  pro- 
priétés s'étendaient  sur  une  grande  partie  des  montagnes  qui  environnaient 
le  château  de  ses  pères,  ce  saint  religieux  pouvait  fournir  un  local  propre 
à  cet  établissement  :  ainsj  disparaissait  la  première  difficulté  ;  lui  seul  était 
à  même  de  dissiper  encore  toutes  les  autres,  parce  que  son  esprit  fort  et 
pénétrant  savait  prévoir  tous  les  obstacles  et  ne  s'en  laissait  jamais  abattre 
quand  il  ne  pouvait  les  éviter,  et  Dieu,  qui  a  promis  d'écouter  la  prière 
fervente,  lui  faisait  trouver  de  la  facilité  où  tout  autre,  moins  accoutumé 
aux  faveurs  du  ciel,  n'aurait  rencontré  que  l'impossible;  d'ailleurs  son  nom, 
sa  réputation,  lui  assuraient  les  libéralités  des  personnages  puissants  qui 
pouvaient  concourir  à  la  fondation  de  cette  nouvelle  maison.  Sur  la  de- 
mande de  l'évêque  de  Genève,  il  fut  choisi  par  Dom  Guigue,  alors  prieur 
de  la  Grande-Chartreuse,  pour  aller  fonder  une  colonie  de  religieux  de 
Saint-Bruno  dans  la  province  du  Yalromey,  à  cinq  lieues  de  Belley.  On 
craignait  que  son  humilité  ne  lui  fît  rejeter  sur  un  autre  l'honneur  qu'on 
lui  décernait,  mais  il  ne  yit  heureusement  dans  Tordre  de  ses  supérieurs 
que  la  voix  de  Dieu  qui  l'appelait  à  de  si  grands  travaux.  Il  sourit  à  l'idée 
qu'il  aurait  plus  de  moyens  de  pratiquer  la  pauvreté  et  la  pénitence.  Cette 
détermination  affligea  beaucoup  les  religieux  de  Portes  qui  allaient  perdre 
un  modèle  si  parfait;  mais  affermi  dans  sa  résolution,  Arthaud  les 
quitta  avec  six  compagnons  et  se  rendit  à  Sothonod  ;  de  là  il  parcourut 
les  montagnes  voisines,  non  pour  trouver  le  lieu  le  plus  agréable,  mais 
celui  qui  paraissait  le  plus  propre  à  rappeler  à  des  religieux  qu'ils  sont 
morts  au  monde  et  qu'ils  ne  doivent  plus  avoir  de  relation  avec  lui.  Il  ne 
chercha  pas  longtemps  :  un  petit  vallon  nommé  Cimetière,  ainsi  appelé, 
sans  doute  à  cause  de  l'aspect  triste  et  sauvage  qu'il  présente,  fut  l'endroit 
qu' Arthaud  choisit  pour  s'enterrer  tout  vivant,  à  une  heure  du  château  où 
il  avait  pris  naissance.  C'est  un  nouvel  Antoine  qui  se  montre  dans  cette 
solitude  hérissée  de  rochers,  de  ronces  et  de  forêts,  mais  qui  va  bientôt 
changer  de  face  sous  la  main  féconde  de  la  religion. 


|42  ?    OCTOBRE. 

La  maison  entreprise  par  saint  Arthaud  fut  bientôt  en  état  de  recevoir 
les  hôtes  qui  venaient  animer  ce  désert  par  leurs  chants  et  leurs  prières, 
parce  qu'elle  fut  construite  sur  une  petite  dimension  et  en  grande  partie 
avec  des  planches,  ressemblant  en  tout  aux  laures  de  la  Thébaïdes  ;  de  telle 
sorte  que  ce  lieu,  qui  était  peu  auparavant  le  repaire  de  bêtes  sauvages, 
devint  la  demeure  de  fervents  anachorètes  qui  s'élevaient  à  une  éminente 
sainteté  à  l'école  de  leur  séraphique  maître.  Ce  pieux  fondateur  voulut  que 
les  cellules  fussent  basses  et  étroites,  pour  rappeler  aux  religieux  qu'ils 
étaient  dans  un  cimetière,  faisant  allusion  au  nom  du  lieu  où  elles  étaient 
bâties ,  et  pour  leur  représenter  sans  cesse  que  l'entrée  du  paradis  est 
étroite. 

Nous  dépeindrions  difficilement  la  vie  admirable  que  ces  saints  religieux 
menèrent  d'abord  dans  leur  solitude.  Engagés  à  un  silence  perpétuel,  toute 
leur  conversation  n'était  qu'avec  Dieu  dans  la  prière  et  la  récitation  des 
psaumes.  Il  semblait  qu'ils  n'eussent  un  corps  que  pour  l'accabler  d'aus- 
térités, couchant  sur  des  planches  ou  des  fagots  ;  encore  interrompaient- 
ils  ce  pénible  sommeil  pour  aller  à  l'église  chanter  Matines  et  vaquer  à 
l'oraison.  La  journée  était  partagée  entre  la  prière  et  le  travail  des  mains; 
leur  jeûne  presque  perpétuel  n'était  soutenu  que  par  un  peu  de  pain  et  des 
légumes  grossièrement  assaisonnés.  Les  chaleurs  de  l'été,  les  rigueurs  de 
l'hiver  n'apportaient  jamais  aucun  adoucissement  à  ces  rudes  pratiques, 
bien  plus  pénibles  que  les  travaux  mêmes  auxquels  sont  condamnés  la  plu- 
part des  chrétiens  qui,  loin  de  les  mettre  à  profit  pour  leur  salut,  mépri- 
sent la  loi  de  l'église  sur  le  jeûne  et  l'abstinence,  sous  prétexte  que  leur 
santé  en  est  altérée.  Pour  s'encourager  à  supporter  tant  de  privations,  les 
disciples  de  saint  Arthaud  n'avaient  qu'à  jeter  les  yeux  sur  leur  maître.  Jl 
ne  savait  se  prévaloir  de  sa  supériorité  que  pour  se  livrer  à  de  plus  rigou- 
reuses pénitences,  pour  choisir  la  cellule  la  plus  incommode,  les  habits  les 
plus  pauvres,  la  nourriture  la  plus  grossière.  Il  leur  faisait  aimer  la  péni- 
tence en  leur  montrant  Jésus-Christ  sur  la  croix,  chérir  la  pauvreté  en  leur 
assurant  la  couronne  immortelle  que  le  Sauveur  a  promise  à  ceux  qui  ont 
le  courage  de  tout  abandonner  pour  le  suivre  au  calvaire. 

Depuis  dix  ans  ces  fervents  religieux  s'exerçaient  à  la  pratique  de  tous 
les  conseils  évangéliques,  loin  du  monde,  mais  près  de  Dieu  qui  fit  plu- 
sieurs prodiges  pour  fournir  à  leur  existence.  La  réputation  de  cette  petite 
colonie  s'était  répandue  au  loin  et  attirait  à  Cimetière  un  grand  nombre  de 
fervents  chrétiens  qui  désiraient  mourir  au  monde  pour  vivre  à  Jésus-Christ. 
La  maison  ne  pouvait  en  contenir  davantage ,  quand  tout  à  coup  un 
incendie,  qui  était  dans  les  vues  de  la  Providence ,  vint  détruire  ce 
pauvre  amas  de  cellules  dont  on  voit  encore  aujourd'hui  des  traces  près 
d'une  petite  source,  en  face  de  la  grange  dite  Cimetière.  Ardutius  de  Fau- 
cigny,  qui  avait  succédé  à  Humbert  de  Grammont  sur  le  siège  épiscopal  de 
Genève,  était  aussi  favorable  aux  Chartreux  que  son  prédécesseur.  Il  vint 
les  visiter,  et  les  trouva  dans  un  tel  état  de  dénûment  et  dans  un  lieu  si 
âpre  et  si  resserré  qu'il  les  engagea  beaucoup  à  construire  une  autre  maison 
plus  spacieuse  et  plus  solide,  dans  un  endroit  moins  rude  et  plus  commode 
pour  les  approvisionnements.  Il  leur  promit  son  secours  et  Tinterventio 
du  prince  de  Savoie,  ainsi  que  la  magnificence  d'autres  grands  person- 
nages. 

Arthaud,  en  homme  prudent  et  réfléchi,  ne  voulut  rien  précipiter  dans 
une  circonstance  aussi  grave.  Il  fit  donc  préalablement  des  démarches  pour 
connaître  la  convenance  du  lieu  indiqué,  pour  assurer  les  moyens  de  cons- 


SAliNT   ARTHAUD,    ÉVÊC'UE   DE   BELLE  Y.  143 

truction,  constater  les  engagements  des  bienfaiteurs  qui  s'offraient  à  l'aider 
dans  cette  entreprise,  afin  de  ne  laisser  aucun  embarras  dans  les  affaires  du 
couvent,  ni  aucune  matière  à  contestation  entre  les  religieux  et  les  pro- 
priétaires voisins.  L'emplacement  qui  fixa  son  choix  fut  sur  la  même  mon- 
tagne à  une  demi-heure,  au  midi  de  Cimetière,  au  nord  du  mont  Colombier, 
le  plus  élevé  de  la  province  du  Bugey,  dans  un  vallon  très-étroit,  sur  le 
plateau  d'un  rocher  taillé  à  pic,  au  pied  duquel  roule  avec  fracas,  à  une 
profondeur  effrayante,  le  torrent  d'Arvières,  dont  la  nouvelle  chartreuse 
prit  le  nom.  L'exposition  pittoresque  de  ce  local  d'où  la  vue  s'étend  sur 
une  partie  du  Valromey  et  du  Bugey,  offrait  une  température  insuppor- 
table ;  les  abords  en  étaient  faciles  par  le  moyen  d'une  route  qui  fut  effec- 
tivement établie  pour  descendre  dans  le  village  de  Lochieu  et  de  là  dans 
tous  les  pays  d'alentour.  Des  forêts  et  des  prairies  très- vastes  assuraient  en 
outre  des  revenus  capables  de  soutenir  un  établissement  qui  allait  devenir 
plus  considérable  que  le  premier. 

L'attachement  que  le  comte  Amédée  III  avait  voué  à  saint  Arthaud, 
pendant  qu'il  était  à  sa  cour,  n'avait  fait  que  s'accroître  à  proportion  de  la 
sainteté  de  son  ancien  favori;  il  saisit  donc  avec  empressement  l'occasion 
de  lui  en  donner  des  preuves,  et  lui  envoya  une  somme  d'argent  considé- 
rable. Déjà  ce  prince  généreux  lui  avait  abandonné  le  terrain  désigné  pour 
bâtir  le  monastère  et  toutes  les  propriétés  circonvoisines,  en  déclarant  qu'il 
faisait  ces  donations  à  Dieu,  à  la  sainte  Vierge  et  aux  Chartreux  d'Arvières» 

Humbert  III,  sire  de  Beaujeu,  ayant  reçu  la  seigneurie  du  Valromey 
avec  la  main  d'Alix,  fille  du  prince  Amédée,  ratifia  également  tout  ce  qu'a- 
vait fait  son  beau-père,  donna  à  la  chartreuse  quelques  terres,  et  la  prit 
sous  sa  protection  spéciale.  On  voit  figurer  parmi  les  illustres  fondateurs 
d'Arvières  :  Ardutius,  évêque  de  Genève  ;  Ponce,  évêque  de  Mâcon  ;  An- 
thelme,  évêque  de  Patras;  Bernard  et  Guillaume,  évêques  de  Belley; 
Pierre,  évêque  de  Glandève.  Plusieurs  riches  seigneurs  du  Bugey,  de  Bresse 
et  de  Savoie,  contribuèrent  à  la  reconstruction  du  monastère.  Les  cha- 
noines de  Belley  et  les  moines  de  Nantua  firent  aussi  preuve  d'une  pieuse 
libéralité  en  cédant  à  cette  maison  des  terres  et  des  droits  qu'ils  possédaient 
en  Valromey  ;  mais  il  faut  compter  parmi  les  principaux  bienfaiteurs  d'Ar- 
vières, saint  Arthaud  lui-même,  qui  lui  céda  tous  ses  biens,  à  l'exception 
du  château  de  Sothonod  et  de  quelques  dépendances  qu'il  laissa  à  sa  sœur 
unique,  mariée  à  Jacques  de  Richelin,  auquel  passa  cette  terre,  apportée 
quelque  temps  après  par  sa  petite-fille  dans  la  famille  de  Seyssel. 

La  construction  de  la  chartreuse  d'Arvières,  poussée  par  des  mains  si 
puissantes  et  si  libérales,  fut  achevée  en  moins  de  quatre  ans,  pendant  les- 
quels les  religieux  eurent  bien  des  maux  à  endurer  au  milieu  des  ruines  de 
leur  première  maison  qu'ils  ne  voulurent  pas  abandonner.  Sur  la  demande 
de  l'évêque  Ardutius,  le  pape  Luce  II,  par  sa  bulle  du  2  mai  1144,  adressée 
à  saint  Arthaud,  désigna  les  limites  qui  devaient  servir  de  clôture  ou  de 
spaciement  aux  religieux,  et  se  déclara  le  protecteur  de  ce  monastère  qu'il 
prit  en  singulière  affection.  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  envoya,  plusieurs 
années  après  la  fondation  de  ce  monastère,  des  offrandes  considérables  à 
saint  Arthaud,  sur  la  sollicitation  de  saint  Hugues,  prieur  de  la  chartreuse 
de  Ouitham,  et  plus  tard  évêque  de  Lincoln,  qui  portait  le  plus  vif  intérêt 
à  cet  établissement. 

La  réputation  de  notre  saint  prieur  eut  bientôt  réuni  autour  de  lui  un 
grand  nombre  de  disciples;  à  cette  école,  ils  n'avaient  qu'à  suivre  Arthaud 
pour  devenir  parfaits.  Préparer  le  cœur  de  ses  religieux  à  servir  Dieu  par 


144  7   OCTOBRE. 

la  pratique  de  la  piété  la  plus  tendre,  leur  apprendre  à  combattre  le  monde 
et  l'enfer,  à  mourir  à  eux-mêmes,  à  être  saints  :  voilà  ce  qu'Arthaud  se 
proposait  dans  son  important  emploi.  Vigilant  sur  tout  ce  qui  pouvait  con- 
cerner leur  état,  son  activité  infatigable  le  rendait  présent  dans  tous  les 
endroits  où  le  devoir  de  sa  charge  le  demandait,  afin  d'examiner  si  toute 
chose  s'y  passait  dans  Tordre.  Ses  lumières  égalaient  son  zèle;  il  distinguait 
aisément  quel  motif  portait  un  novice  à  demander  l'entrée  en  religion,  et 
quelle  victoire  il  avait  à  remporter  sur  son  caractère.  Il  renvoyait  sans 
peine  dans  le  monde  ceux  qu'il  ne  croyait  pas  propres  à  embrasser  le  joug 
aimable  du  Seigneur,  et  à  vivre  dans  la  société  des  Saints. 

La  règle  était,  à  ses  yeux,  un  dépôt  sacré  qui  lui  était  confié,  dont  la 
perte  ou  le  maintien  devait  être  son  ouvrage.  Nous  avons  déjà  vu  qu'il  ne 
la  transgressa  jamais  tandis  qu'il  était  simple  religieux  ;  aussi  veillait-il  à 
la  faire  pratiquer  dans  toute  son  étendue,  dès  qu'il  fut  supérieur;  et  quelle 
que  fût  la  douceur  de  son  gouvernement,  il  était  inflexible  lorsqu'il  s'agis- 
sait de  régularité.  Le  silence  et  la  retraite  sont  l'âme  et  la  vie  des  religieux  : 
il  leur  en  faisait  sentir  la  nécessité  en  comparant  ceux  qui  aiment  le  re- 
cueillement, aux  arbres  plantés  dans  un  lieu  bien  clos,  et  ceux  qui  étaient 
dissipés,  aux  arbres  qui  sont  le  long  des  grands  chemins  :  les  premiers  pro- 
duisent des  fruits  qui  viennent  à  maturité,  et  les  autres,  secoués  sans  cesse 
par  les  passants,  ne  rapportent  rien  à  leurs  maîtres.  Ses  paroles  portaient 
ainsi  avec  elles  la  force,  le  sentiment  et  la  persuasion,  parce  qu'elles  nais- 
saient de  la  charité  et  qu'elles  étaient  appuyées  sur  l'exemple.  S'il  leur 
parlait  de  la  pénitence,  ils  voyaient  en  lui  un  corps  mortifié  et  réduit  en 
servitude  ;  s'il  leur  prêchait  l'humilité,  il  se  mettait  au-dessous  d'eux,  en 
se  les  proposant  pour  modèles,  lui  que  personne  ne  pouvait  égaler.  Il  leur 
enseignait  la  charité  envers  le  prochain  par  les  tendres  soins  qu'il  prenait 
de  tous  ses  disciples,  surtout  des  malades.  Son  attention  le  faisait  des- 
cendre jusqu'aux  moindres  détails,  et  jamais  il  ne  se  retirait  d'auprès  de 
leur  lit  sans  avoir  versé  dans  leur  cœur  de  nouvelles  forces  pour  souffrir 
avec  patience.  Sa  charité  s'étendait  aussi  sur  tous  leurs  besoins  spirituels  : 
dès  qu'il  en  voyait  quelques-uns  plongés  dans  la  tristesse,  il  s'empressait 
de  les  consoler,  de  leur  adoucir  les  peines,  les  dégoûts  qu'ils  pouvaient 
rencontrer  dans  leur  état,  en  leur  montrant  la  récompense  immortelle  qui 
sera  le  terme  heureux  d'une  constante  fidélité.  Il  fortifiait  dans  leur  voca- 
tion ceux  qui  craignaient  de  ne  pas  y  persévérer  ;  il  relevait  leur  courage 
par  le  juste  mépris  du  monde  qu'il  leur  inspirait,  par  le  secours  du  ciel 
qu'il  leur  promettait  d'implorer,  et  par  l'exemple  des  Saints  qu'il  leur 
remettait  sans  cesse  sous  les  yeux  encore  plus  par  ses  actions  que  par  ses 
paroles. 

Sa  sollicitude  était  trop  grande  pour  être  renfermée  dans  les  murs  de 
son  monastère,  elle  s'étendait  sur  les  malheureux  de  tous  les  environs.  Il 
leur  distribuait  chaque  jour  d'abondantes  aumônes  qui  épuisaient  souvent 
les  greniers  du  monastère,  se  reposant,  pour  la  subsistance  des  religieux, 
sur  les  secours  de  la  Providence  qui  ne  lui  manquèrent  jamais.  C'est  sur- 
tout au  milieu  des  pauvres  qu'on  apercevait  sa  patience,  sa  douceur  et  sa 
tendre  charité.  Ce  tendre  père,  c'est  le  nom  qu'ils  lui  donnaient,  adoucis- 
sait ainsi  les  peines  de  leur  indigence  autant  par  l'attention  qu'il  mettait  à 
la  soulager  que  par  les  soulagements  mêmes  qu'il  leur  prodiguait. 

Semblable  à  la  fleur  du  désert  dont  les  parfums  attirent  les  pas  du 
voyageur,  notre  Saint  répand  au  loin  la  bonne  odeur  des  vertus.  Après  la 
mort  de  l'évêque  de  Belley,  le  clergé  et  le  peuple,  d'une  voix  unanime,  qui 


SAINT  AltTHAUD,    ÉVÊQUE   DE  BELLET.  145 

était  celle  de  Dieu,  demandent  Arthaud  pour  leur  prince  spirituel  et  tem- 
porel. La  nouvelle  de  cette  élection  précéda  les  députés  de  Belley,  chargés 
delà  lui  porter.  Le  saint  prieur,  épouvanté  du  fardeau  qu'on  voulait  lui 
imposer,  courut  se  cacher  dans  une  caverne  qu'on  montre  encore  à  présent 
avec  une  espèce  de  vénération  sous  le  nom  de  Balme  l  de  Saint- Arthaud. 
On  la  voit  dans  le  flanc  du  rocher  taillé  à  pic,  sur  lequel  était  bâti  le  mo- 
nastère, à  une  grande  hauteur  au-dessus  du  torrent  qui  se  précipite  en  cet 
endroit,  et  dont  le  mugissement  monotone  rend  encore  cette  grotte  plus 
sauvage  et  plus  triste.  En  vain  les  religieux  et  les  envoyés  le  cherchèrent 
pendant  trois  jours,  plongés  dans  les  angoisses  et  les  larmes.  Dieu  ne  vou- 
lant pas  que  cette  lumière,  qui  devait  jeter  un  si  vif  éclat  dans  son  Eglise, 
demeurât  plus  longtemps  sous  le  boisseau,  la  fit  déjà  briller  d'une  manière 
miraculeuse  aux  yeux  des  députés.  Une  clarté  surnaturelle  les  conduisit 
dans  la  caverne,  où  ils  trouvèrent  Arthaud  profondément  affligé  de  leur 
apparition;  mais  il  n'avait  pour  se  défendre  contre  leurs  instances  que  ses 
soupirs  et  ses  gémissements,  que  le  prétexte  de  son  incapacité  et  de  ses 
forces  affaiblies  sous  le  poids  de  la  vieillesse.  On  ne  se  rendit  point  à  ses 
raisons;  on  le  tira  de  sa  retraite,  on  l'entraîna  à  Belley  où  il  fut  reçu 
comme  un  ange  venant  du  ciel.  Le  peuple  se  précipitait  sur  son  passage, 
le  clergé  lui  tendait  les  bras,  et  l'onction  sainte  ne  tarda  pas  à  lui  donner 
le  pouvoir  de  gouverner  cette  Eglise  consolée  de  la  perte  successive  de 
deux  saints  évoques  qu'elle  voyait  revivre  dans  celui-ci.  Arthaud  ayant 
enfin  reconnu  la  voix  de  Dieu,  prit  le  gouvernement  de  son  diocèse  vers 
la  fin  de  l'année  1188  ou  le  commencement  de  1189  ;  il  n'y  trouva  presque 
rien  à  changer,  presque  rien  à  réformer.  Il  n'aperçut  dans  le  clergé  et  dans 
le  peuple  que  des  vertus  à  soutenir,  et  quel  homme  était  plus  propre  que 
lui  à  raffermir  le  bien  déjà  fait,  à  entretenir  le  feu  dévorant  de  la  charité 
dans  les  prêtres,  et  le  goût  des  études  parmi  les  lévites  ;  à  veiller  sur  les 
vices  pour  les  étouffer  dès  leur  naissance,  à  cimenter  le  règne  de  Dieu 
dans  le  cœur  de  ses  ouailles,  et  à  les  faire  jouir  enfin  de  toutes  les  délices 
que  procure  la  pratique  de  la  religion  ?  Les  travaux  qu'il  s'imposa  étaient 
immenses,  mais  ils  n'étaient  pas  au-dessus  du  zèle  de  l'ouvrier.  Il  parcou- 
rut les  différentes  paroisses  de  son  diocèse  :  c'était  un  astre  bienfaisant  qui 
se  levait  sur  elles  pour  les  éclairer,  et  dont  l'heureuse  influence  donnait 
une  nouvelle  vie,  de  nouvelles  forces  à  l'esprit  religieux.  C'était  un  père 
qui  voyait  ses  enfants  dont  il  était  tendrement  aimé  ;  sa  vue  seule  exaltait 
les  sentiments  de  la  foi,  son  éloquence  persuasive  tarissait  les  procès  et  les 
querelles,  ses  consolantes  paroles  séchaient  les  larmes,  ses  conseils  éclai- 
rés fortifiaient  les  faibles,  sa  vertu  puissante  guérissait  les  malades,  ses 
larges  aumônes  remettaient  la  paix  et  l'abondance  dans  la  chaumière  du 
pauvre. 

Dès  qu'il  était  de  retour  de  ses  courses  apostoliques,  son  palais  devenait 
une  maison  de  charité  où  il  réunissait,  chaque  jour,  un  grand  nombre  de 
malheureux  et  leur  distribuait  lui-môme  la  parole  de  Dieu,  les  vêtements 
et  la  nourriture.  Ce  n'est  pas  à  ceux-là  que  se  bornait  son  zèle,  il  allait 
chercher  les  pécheurs,  et  leur  faisait  des  remontrances  si  douces  et  si  fortes 
en  même  temps,  qu'elles  restaient  rarement  sans  effet,  et  souvent  il  ache- 

1.  Dans  ce  pays,  on  appelle  Balme,  les  cavernes  qui  existent  en  grand  nombre  dans  les  montagnes  du 
Belley.  Le  village  de  la  Balme-sous-Pierre-Châtel,  près  de  Belley,  tire  son  nom  des  grottes  imposantes 
qu'on  voit  sous  le  rocher  qui  porte  l'ancienne  chartreuse  de  Pierre-Châtel.  Le  nom  du  village  de  la  Balme- 
sur-Cerdon,  et  de  l'ancien  château  de  la  Balme»  entre  Cervevrieux  et  Montegra  en  Valromay,  n'a  pas  uue 
autre  origine. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  10 


J4G  7   OCTOBRE. 

vait  leur  conversion  par  ses  prières  et  par  les  rudes  pénitences  qu'il  s'im- 
posait pour  eux.  Sa  sollicitude  ,  comme  celle  de  saint  Paul,  lui  faisait 
prendre  soin  encore  de  toutes  les  églises.  Il  savait  que  la  décence  et  la 
majesté  des  temples  contribuent  puissamment  à  élever  l'âme  et  à  donner 
aux  fidèles  une  grande  idée  du  Maître  qui  les  habite  ;  aussi  dès  qu'il  eut 
réparé  et  embelli  sa  cathédrale,  il  tourna  tous  ses  soins  vers  les  autres 
églises  de  son  diocèse  ;  il  excitait  le  zèle  des  prêtres  et  la  libéralité  des» 
fidèles  pour  qu'elles  fussent  tenues  et  ornées  de  la  manière  la  pins  conve- 
nable au  lieu  saint,  pour  que  les  cérémonies  augustes  de  la  religion  fussent 
célébrées  avec  la  pompe  qui  réveille  dans  les  cœurs  les  sentiments  de  res- 
pect, de  dévotion,  que  nous  avons  si  peu  soin  d'y  entretenir.  Le  temps  qu'il 
n'employait  pas  à  l'administration  de  son  diocèse,  il  le  partageait  entre 
l'étude  de  l'Ecriture  Sainte  et  l'oraison,  en  suivant,  autant  que  ses  devoirs 
le  lui  permettaient,  la  règle  des  Chartreux,  dont  il  n'enfreignit  jamais  le 
précepte  qui  leur  fait  un  devoir  du  jeûne  et  de  l'abstinence  perpétuels. 
Les  honneurs  qui  s'attachaient  à  son  mérite  et  à  son  rang  ne  le  changèrent 
point;  l'éclat  qui  l'environnait  n'altéra  point  son  goût  pour  la  pauvreté; 
la  simplicité  de  ses  meubles,  de  ses  habits,  de  ses  appartements  et  de  sa 
table  lui  rappelait  sa  chère  solitude  d'Arvières  qu'il  allait  visiter  quelque- 
fois, et  dont  il  ne  se  séparait  jamais  qu'avec  regret.  Enfin,  après  deux  ans 
d'un  glorieux  épiscopat,  à  force  de  sollicitations  fondées  sur  son  grand 
âge  et  sur  ses  infirmités,  il  obtint,  en  1190,  du  pape  Clément  III,  la  permis- 
sion de  quitter  son  évêché  pour  rentrer  dans  sa  cellule.  Ni  les  larmes,  ni 
la  désolation  de  ses  ouailles,  ni  son  tendre  attachement  pour  elles,  ne 
purent  le  détourner  du  projet  qu'il  avait  formé  de  passer  le  reste  de  sa  vie 
dans  la  solitude,  pour  mourir  sur  la  cendre  au  milieu  de  ses  frères.  Son 
cœur  paternel  fut  cependant  cruellement  déchiré  à  l'approche  de  cette 
séparation;  mais  accoutumé  depuis  longtemps  à  se  mépriser  lui-même,  il 
pensa  qu'un  autre  évêque  serait  plus  utile  au  troupeau  qu'il  abandonnait; 
que  d'autres  mains  plus  fortes  et  plus  habiles  écarteraient  plus  sûrement 
l'homme  ennemi  du  champ  du  père  de  famille,  et  en  extirperaient  l'ivraie 
qu'il  accusait  son  insouciance  et  sa  paresse  d'y  avoir  laissé  croître. 

Ainsi  raffermi  dans  son  dessein,  Arthaud  donna  la  dernière  preuve  de 
son  attachement  au  bon  peuple  qu'il  quittait,  en  obtenant  de  Dieu  par  ses 
prières  un  successeur  doué  des  qualités  que  l'apôtre  saint  Paul  énumère 
pour  faire  un  saint  évêque  :  ce  fut  Eudes  II,  homme  d'une  grande  piété* 
que  la  douceur  de  son  caractère,  la  bonté  de  son  âme,  rendirent  cher  à 
tout  le  monde,  et  qui  sut,  par  sa  grande  charité,  calmer  les  regrets  univer- 
sels qu'avait  fait  naître  la  retraite  de  son  prédécesseur. 

Arthaud,  rentré  dans  sa  cellule,  rachète  à  force  de  pénitence  le  temps 
qu'il  a  perdu,  dit-il,  dans  le  tumulte  des  affaires,  et  lave  dans  ses  larmes 
et  dans  son  sang  la  poussière  du  siècle  ;  l'âge  ne  lui  a  rien  ôté  de  son  ar- 
deur, lorsqu'il  s'agit  de  l'accomplissement  de  la  Règle  ;  nous  l'avons  vu,  au 
sortir  de  l'adolescence,  commencer  sa  course  dans  la  voie  étroite  des  con- 
seils évangéliques,  et  du  premier  pas  arriver  presque  au  terme.  A  l'âge  de 
quatre-vingt-dix  ans,  il  rentre  dans  cette  première  carrière  comme  simple 
religieux,  après  avoir  honoré  l' épiscopat  par  toutes  sortes  de  vertus,  et 
jusqu'au-delà  d'un  siècle,  il  conserve  toute  la  ferveur,  l'exactitude  scru- 
puleuse, le  courage  actif  et  empressé  des  commençants,  la  piété  tendre, 
la  dévotion  sensible,  la  conscience  timorée,  la  mortification  austère,  la 
soumission  passive  d'un  novice.  Sa  retraite  ne  put  le  mettre  à  l'abri  des 
grands  personnages  de  l'Eglise  et  de  l'Etat  qui  venaient  chercher  auprès 


SAINT   ARTHATJD,   ÉVÊQUE  DE   BELLEY.  447 

de  lui  les  conseils  d'un  vieillard  consommé  en  sagesse  et  en  prudence,  qui 
avait  toujours  vécu  dans  la  réflexion ,  loin  des  intrigues  qui  faussent  le 
jugement  et  corrompent  le  cœur.  On  ne  parlait  que  de  ses  vertus  ;  lui,  au 
contraire,  pensait  être  très-éloigné  de  la  sainteté  à  laquelle  il  croyait 
n'avoir  jamais  assez  travaillé  ;  il  gémissait  sur  ses  fautes,  et  soupirait  pour 
le  ciel  en  se  plaignant,  comme  le  Prophète,  de  la  longueur  de  son  exil, 
dans  le  désir  de  jouir  plus  tôt  de  la  véritable  patrie.  Son  temps  n'était  plus 
employé  qu'à  des  exercices  de  préparation  à  la  mort.  Il  semblait  qu'après 
avoir  donné  pendant  un  siècle  rexemple  d'une  sainte  vie,  Dieu  le  laissât 
encore  cinq  ans  sur  la  terre  pour  nous  apprendre  à  tous  comment  on  doit 
se  préparer  à  ce  terrible  passage,  par  la  prière,  par  les  sacrements  et  les 
actes  d'une  parfaite  résignation  à  la  mort,  qui  est  la  peine  du  péché. 

Quel  que  fût  son  affaiblissement,  on  ne  le  vit  jamais  perdre  la  tranquil- 
lité de  son  âme  ;  plus  il  sentait  ses  forces  diminuer,  plus  il  renouvelait  sa 
soumission  aux  ordres  du  ciel,  et  son  cœur  vivait  tout  entier  dans  un  corps 
presque  éteint.  C'était  une  victime  immolée  par  les  souffrances,  dont  les 
restes  étaient  consumés  par  le  feu  de  la  charité.  Ne  pouvant  plus  célébrer 
les  saints  mystères,  il  participait  néanmoins  tous  les  jours  à  la  sainte  com- 
munion, et  c'est  dans  un  transport  de  reconnaissance,  après  une  action  si 
sainte,  que  son  heure  dernière  lui  fut  révélée  d'en  haut.  La  mort,  en  ce 
moment,  lui  apparut  comme  une  libératrice  qui  venait  briser  ses  chaînes  et 
lui  donner  la  liberté  qu'il  désirait  depuis  si  longtemps,  et  par  des  aspirations 
tirées  des  cantiques  sacrés,  le  saint  vieillard  saluait  sa  jeunesse  renaissante. 
Dans  ce  moment,  .semblable  à  l'arbre  antique  dont  les  branches  penchées 
vers  la  terre  invitent  à  cueillir  les  fruits  dont  elles  sont  chargées,  il  se  tour- 
nait vers  les  compagnons  de  sa  solitude  pour  leur  prodiguer  ses  derniers 
conseils  et  ses  dernières  bénédictions.  «Remerciez,  mes  chers  enfants  », 
leur  répétait-il  sans  cesse,  «  remerciez  le  Dieu  des  miséricordes  qui  vous  a 
délivrés  des  malheurs  de  l'Egypte,  pour  vous  faire  entrer  dans  une  terre  de 
bénédiction.  Demandez-lui  avec  instances  les  grâces  qui  vous  sont  néces- 
saires pour  persévérer  saintement  dans  l'état  que  vous  avez  embrassé  ;  que 
l'Esprit-Saint  soit  votre  lumière  dans  vos  doutes  et  votre  consolateur  dans 
vos  peines  ;  que  la  très-sainte  Vierge,  envers  laquelle  je  vous  recommande 
d'avoir  toujours  une  tendre  dévotion,  soit  votre  protectrice  auprès  de  Dieu  ; 
soyez  toujours  les  vrais  disciples  de  saint  Bruno,  toujours  prêts  à  suivre  les 
préceptes  et  les  conseils  évangéliques  avec  cette  fidélité  dont  il  nous  a  donné 
l'exemple.  Vous  êtes  les  fondateurs  de  cette  maison,  croissez  tous  les  jours 
en  vertus,  afin  que  la  sainteté  s'y  perpétue  d'âge  en  âge  par  les  bonnes  tra- 
ditions que  vous  laisserez  à  ceux  qui  viendront  après  vous  » .  Il  leur  répétait 
ensuite  les  paroles  que  l'Apôtre  bien-aimé  ne  cessait  de  redire  à  ses  disciples 
dans  son  extrême  vieillesse  :  «  Mes  enfants,  aimez-vous  les  uns  les  autres  ; 
que  la  charité  soit  le  lien  qui  vous  unisse  tous  ensemble,  et  tous  ensemble  à 
Jésus-Christ  » .  Après  ces  discours  et  d'autres  semblables,  son  amour  pour 
ceux  qu'il  appelait  ses  enfants  semblait  ranimer  sa  main  défaillante  qui  se 
levait  pour  les  bénir  encore,  ou  plutôt  pour  répandre  sur  eux  les  grâces  du 
ciel.  Ensuite,  comme  le  cygne,  symbole  de  la  pureté,  qui,  dit-on,  annonce 
sa  mort  par  ses  chants,  il  entonnait  des  cantiques  d'allégresse  :  «  Je  me  suis 
réjoui  de  ce  que  l'on  m'a  annoncé  *  nous  irons  dans  la  maison  du  Seigneur. 
Mon  âme  désire  d'aller  à  vous,  *  mon  Dieu  !  comme  le  cerf  altéré  soupire 
après  une  onde  pure.  Je  brûle  d'une  soif  ardente  jusqu'à  ce  que  je  puisse 
l'étancher  dans  la  fontaine  d'eau  vive  qui  est  mon  Dieu  :  quand  paraîtrai-je 
devant  sa  face?  Seigneur,  délivrez  mon  âme  de  la  prison  de  son  corps,  les 


448  ?    OCTOBRE. 

justes  m'attendent  pour  être  témoins  de  la  récompense  que  j'ose  espérer 
de  votre  bonté  » . 

Bernard  II,  évêque  de  Belley,  qui  professait  la  plus  profonde  vénération 
pour  saint  Àrthaud  avec  lequel  il  avait  entretenu  une  étroite  liaison  depuis 
qu'ils  s'étaient  connus  à  Portes,  averti  de  l'état  de  son  ami,  partit  promp- 
tement  pour  Arvières,  accompagné  de  plusieurs  chanoines  de  sa  cathédrale. 
Les  deux  évoques  eurent  ensemble,  sur  le  bonheur  dont  jouissent  les  Saints 
dans  le  ciel,  une  longue  conversation  pendant  laquelle  on  voyait  le  cœur 
du  moribond  se  ranimer  et  palpiter  avec  plus  de  force  ;  son  visage  alors  se 
couvrait  de  douces  larmes,  sa  bouche  adressait  les  paroles  les  plus  affec- 
tueuses à  Jésus  et  à  Marie  ;  les  religieux  environnaient  son  lit  plongés  dans 
la  plus  amère  douleur,  et  le  Saint  leur  disait,  pour  les  consoler  :  «  Pour- 
quoi vous  affliger,  mes  enfants  ?  ne  pleurez  pas  ma  mort,  l'heure  de  mon 
heureux  sommeil  est  arrivée,  voici  le  moment  où  Dieu  va  me  faire  miséri- 
corde ;  d'ailleurs,  j'ai  déjà  trop  vécu,  je  ne  vous  suis  plus  nécessaire  ici- 
bas,  je  vous  serai  plus  utile  dans  le  ciel  »;  et  il  les  bénissait  de  nouveau  en 
leur  recommandant  l'amour  de  la  pauvreté,  l'exercice  de  l'oraison  et  la  pra- 
tique de  la  pénitence.  Sentant  sa  fin  approcher,  il  demanda  les  derniers 
sacrements  qu'il  reçut  avec  les  transports  du  plus  vif  amour  et  de  la  plus 
touchante  reconnaissance,  répondant  lui-môme  à  toutes  les  prières.  Après 
la  sainte  communion,  il  s'entretint  longtemps  avec  l'Auteur  de  la  vie  éter- 
nelle, le  visage  enflammé  et  dans  une  espèce  d'extase.  Mais  revenu  de  cet 
état,  il  supplia  les  religieux  de  le  mettre  sur  le  plancher  couvert  de  cen- 
dres, comme  le  prescrit  la  Règle  des  Chartreux.  La  vue  de  Jésus  mourant 
sur  une  croix,  qu'on  offre  à  ses  regards,  ranime  ses  forces  affaiblies  ;  il  se  met 
sur  ses  genoux  tremblants,  lève  les  bras  et  les  mains  vers  les  cieux  :  il  sem- 
blait prier  encore,  et  il  n'était  plus.  Ainsi  s'éteignit,  le  6  octobre  1206,  ce 
flambeau  qui  avait  éclairé  pendant  plus  d'un  siècle  le  monde,  le  désert  et 
l'Eglise. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Les  restes  mortels  du  grand  serviteur  de  Dieu  furent  déposés  avec  pompe  dans  un  tombeau  de 
pierre,  devant  la  porte  de  l'église  de  la  chartreuse  d'Arvières.  La  bonne  odeur  de  sa  sainteté  pé- 
nétra dans  les  provinces  voisines  et  attira  à  Arvières  un  concours  continuel  de  ûdèles  qui  venaient 
demander  des  grâces  particulières  que  Dieu,  pour  honorer  son  serviteur,  accordait  à  leurs  ferventes 
prières.  Le  bruit  de  ces  merveilles  ne  fit  qu'accroître  la  foule  des  pieux  solliciteurs.  Les  uns  accou- 
raient pour  implorer  des  faveurs  spirituelles  et  temporelles,  les  autres  pour  apporter  au  tombeau 
du  Saint  l'hommage  de  leur  vénération,  et  le  remercier  soit  de  quelque  guérison  miraculeuse,  soit 
de  quelqu'autre  bienfait  signalé  qu'ils  reconnaissaient  avoir  reçu  par  ses  mérites  et  sa  médiation. 
Son  culte  s'établit  ainsi,  et  depuis  lors  on  ne  l'invoqua  presque  jamais  en  vain,  surtout  dans  les 
maladies,  dans  les  temps  calamiteux  de  sécheresse  ou  de  pluie  dont  la  durée  détruisait  l'espérance 
des  laboureurs. 

La  renommée  publiait  chaque  jour  les  noms  des  personnes  infirmes  qui  avaient  obtenu  leur 
guérison,  des  moribonds  qui  avaient  été  rappelés  à  la  santé  en  mettant  leur  confiance  en  saint  Ar- 
thaud; elle  ajoutait  toutes  les  circonstances  qui  constataient  la  vérité  et  l'authenticité  de  ces  faits 
extraordinaires,  lorsque  Mgr  Juste  Guérin,  évêque  de  Genève,  sur  la  pressante  sollicitation  de 
Claude  Rosier,  prieur  de  la  chartreuse  d'Arvières,  et  pour  se  rendre  au  vœu  de  tout  l'Ordre  de 
Saint-Bruno,  résolut  de  faire  la  reconnaissance  du  corps  saint  ;  mais  les  infirmités  de  ce  vénérable 
prélat  ne  lui  permirent  pas  de  présider  cette  cérémonie.  L'illustre  évêque  de  Belley,  Jean  de  Pas- 
selaigue,  fut  chargé  de  représenter  l'évêque  de  Genève  dans  cette  circonstance. 

Le  9  août  1640,  il  se  rendit  à  Arvières,  accompagné  de  Dom  Claude  de  Hée,  prieur  de  la  char- 
treuse de  Pierre-Châtel,  convisiteur  de  la  province,  et  d'un  grand  nombre  d'ecclésiastiques  et  de 
idèles  accourus  de  loin  pour  contempler  le  digne  objet  de  leur  tendre  vénération.  Dieu  qui  veille 
à  la  conservation  des  ossements  de  ses  Saints,  avait  préservé  le  corps  de  son  fidèle  serviteur  de  la 
corruption  du  tombeau.  Lea  applaudissements,  les  cris  de  joie  qu'excita  la  vue  de  ce  trésor  que 


SAINT  AHTHAUD,   ÉVÊQUE  DE  BELLEY.  149 

les  vers  n'avaient  point  détruit,  mêlés  aux  actions  de  grâces  de  ceux  qui  furent  guéris  miraculeu- 
sement, formaient  le  plus  beau  concert  qui  pût  honorer  cette  fête.  Le  corps  saint  fut  remis  dans 
une  châsse  de  bois  précieux,  puis  déposé  de  nouveau  dans  le  même  tombeau  de  pierre,  où  les 
fidèles  vinrent  dès  lors  faire  toucher  des  objets  de  dévotion,  des  linges  qui  s'imprégnaient,  pour 
ainsi  dire,  de  la  vertu  du  Saint,  et  dont  l'application  devenait  une  ressource  pour  les  affligés  et  un 
soulagement  dans  leurs  souffrances.  Mgr  de  Passelaigue  fut  si  frappé  des  merveilles  opérées  par 
l'attouchement  des  reliques  de  saint  Arthaud,  qu'il  sollicita  et  obtint  un  os  considérable  qui  fut 
envoyé  au  couvent  des  Capucins,  à  Belley,  puis  transféré,  en  1645,  dans  l'église  de  Saint-Jean- 
Baptiste. 

Le  nom  de  saint  Arthaud  fut  inséré  dans  le  martyrologe  universel,  et  l'on  en  faisait  mémoire, 
à  Arvières,  le  6  octobre.  La  fête  de  saint  Bruno  qui  tombait  ce  jour-là,  empêchait  que  sa  fête  fût 
célébrée  plus  solennellement  ;  mais  toujours  la  foule  des  fidèles  environna  son  tombeau,  jusqu'au 
moment  où  l'impiété  vint  le  détruire. 

A  cette  époque  malheureuse  où  le  marteau  révolutionnaire  frappait  tout  ce  qui  rappelait  une 
vertu,  les  religieux  d' Arvières  conçurent  des  craintes  plus  vives  encore  pour  la  perte  du  corps  de 
leur  saint  fondateur  que  pour  celle  de  leur  propre  vie.  Avertis  secrètement  de  la  part  des  commis- 
saires nommés  par  le  district  de  Belley  pour  faire  effectuer  l'entière  évacuation  de  leur  couvent, 
ils  prièrent  les  habitants  de  Lochieu,  dont  ils  connaissaient  la  foi  et  les  dispositions  pacifiques,  de 
vouloir  bien  être  les  dépositaires  du  corps  saint.  C'était  souscrire  à  leurs  vœux.  Le  dimanche 
H  juillet  1791,  à  l'issue  de  la  messe  paroissiale,  M.  Crussy,  leur  curé,  à  la  tète  d'une  procession 
accrue  par  la  population  de  tous  les  villages  voisins,  escortée  des  officiers  municipaux  et  d'une 
garde  d'honneur,  monta  à  la  chartreuse  :  les  Pères  les  y  attendaient  en  chantant  les  Vêpres.  Le 
corps  saint,  renfermé  dans  la  châsse  d'ébène  garnie  eu  argent,  fut  remis  à  M.  Crussy  par  les  reli- 
gieux et  porté  par  les  confrères  du  Saint-Sacrement,  dans  l'église  de  Lochieu,  au  milieu  du  res- 
pect et  des  chants  du  peuple  qui  l'accompagnait.  Il  fut  déposé  sur  l'autel  principal  où  les  chrétiens 
restés  fidèles  ne  cessèrent  de  l'environner  d'hommages  et  de  prières  jusqu'au  2  janvier  1794. 

Pendant  que  les  révolutionnaires  se  disputaient  les  richesses  dont  la  piété  avait  environné  la 
châsse,  des  fidèles  s'emparèrent  du  trésor  qu'elle  renfermait,  et,  pour  dérober  cette  proie  à  ces 
hommes  avides,  ils  eurent  l'heureuse  pensée  de  l'enfouir  dans  le  cimetière,  persuadés  que  la  de- 
meure des  morts,  n'offrant  rien  à  la  rapacité  sacrilège  des  profanateurs,  serait  un  lieu  de  sûreté 
pour  ces  restes  sacrés.  Des  précautions  furent  prises  pour  reconnaître  le  lieu  du  dépôt,  dès  que  ls 
Seigneur  aurait  fait  succéder  le  calme  à  la  tempête.  Les  religieux,  dispersés  par  l'orage  révolu- 
tionnaire, avaient  disparu  d'Arvières  ;  leur  maison  fut  pillée,  et  bientôt  elle  n'offrait  plus  qu'un 
amas  de  décombres. 

Dès  son  arrivée  dans  le  diocèse  de  Belley,  Mgr  Dévie  s'était  occupé  de  rendre  aux  reliques  de 
saint  Arthaud  les  honneurs  dont  une  malheureuse  révolution  les  avait  presqu'entièrement  dépouil- 
lées. D'après  ses  ordres,  elles  furent  relevées  de  terre,  le  22  juillet  1824,  par  M.  de  la  Croix,  vi- 
caire-général de  Belley.  Des  témoins,  ceux  même  qui  avaient  caché  le  corps  saint,  furent  entendus 
touchant  le  lieu  et  les  circonstances  de  la  sépulture  qu'ils  en  avaient  faite  dans  le  cimetière.  Muni 
de  ces  renseignements,  M.  de  la  Croix  fit  procéder  à  l'exhumation  en  présence  de  M.  de  Seyssel  de 
Sothonod,  parent  du  Saint  ;  de  M.  Chabanay,  curé  de  Brenaz  ;  de  M.  Colletta,  vicaire  de  Belley, 
qui  l'accompagnait  ;  en  présence  des  autorités  et  de  la  population  de  Lochieu,  augmentée  encore 
par  celle  des  paroisses  voisines  que  le  bruit  de  cette  cérémonie  avait  attirée.  Les  dépositions  préa- 
lables étaient  si  exactes  qu'en  moins  de  quelques  minutes  on  trouva  la  caisse  qui  contenait  les 
ossements  de  saint  Arthaud,  environnée  de  tous  les  indices  donnés  par  les  témoins  signés  au  pro- 
cès-verbal de  cette  cérémonie.  Les  ossements  furent  soigneusement  vérifiés  et  rapprochés  de  ceux 
que  contenait  un  autre  petit  reliquaire  qu'on  voyait  autrefois  sur  l'autel  de  l'église  d  Arvières,  et 
qui  fut  conservé  dans  celle  de  Lochieu  pendant  tout  le  règne  de  la  Terreur. 

L'identité  de  ces  ossements  étant  établie,  ils  furent  renfermés  dans  une  caisse  en  bois  sur 
laquelle  on  apposa  soigneusement  plusieurs  sceaux  en  cire  aux  armes  de  M.  de  La  Croix  d'Azolette. 
Le  dépôt  en  fut  fait  entre  les  mains  de  M.  David,  maire  de  la  commune.  Dès  lors,  Mgr  Dévie  tra- 
vailla encore  avec  plus  de  zèle  à  ranimer  la  dévotion  à  saint  Arthaud  et  à  préparer  la  translation  de 
tes  restes  mortels  dans  l'église  de  Lochieu. 

Pendant  qu'un  ouvrier  distingué  de  la  capitale  confectionnait  la  châsse  en  bronze-vermeil  qui 
devait  recevoir  les  saintes  dépouilles  ;  pendant  que  l'on  préparait  le  mausolée  sur  lequel  elles 
devaient  reposer,  Mgr  Dévie  dressait  un  règlement  pour  organiser  la  Confrérie  de  la  bonne  vie 
et  de  la  bonne  mort,  sous  le  patronage  de  saint  Arthaud.  Des  milliers  de  fidèles  se  firent  inscrire 
sur  le  catalogue  de  cette  société  dont  le  but  est  si  éminemment  religieux.  Le  souverain  pontife 
Pie  Vlll  l'approuva  par  son  bref  du  5  février  1830,  et  voulut  en  outre  accorder  :  1°  Une  indulgence 
plénière  aux  membres  de  cette  Confrérie  le  jour  de  leur  réception;  2°  une  indulgence  plénière  au 
moment  de  leur  mort  ;  3°  une  indulgence  de  soixante  jours  pour  tous  les  actes  de  charité  que  les 
associés  exerceront  les  uns  envers  les  autres.  Par  un  bref,  en  date  du  10  février  de  la  même  année, 
le  Pape  accorda  de  plus  :  1»  Une  indulgence  plénière  à  tous  les  fidèles  qui  communieront  dans 
l'église  de  Lochieu,  le  6  octobre,  jour  de  la  fête  de  saint  Arthaud  ;  2°  une  indulgence  plénière  à 
ceux  et  celles  qui  assisteront  à  la  translation  solennelle  des  reliques,  ou  qui  par  la  suite  commu- 


{50  7   OCTOBRE. 

nieront  dans  l'église  de  Lochieu  le  jour  anniversaire  de  cette  translation,  ou  l'un  des  huit  jours 
qui  précéderont  ;  3°  une  indulgence  de  cinquante  jours  à  toutes  les  personnes,  chaque  fois  qu'elles 
visiteront  la  relique  de  saint  Àrthaud. 

Tout  étant  ainsi  disposé,  Mgr  Dévie  fît  prévenir  que  la  solennité  de  la  translation  aurait  lieu  le 
!3  avril  1830.  La  foule  des  fidèles  accourus  à  cette  cérémonie  fut  immense- Le  prélat,  escorté  d'un 
nombreux  clergé,  s'était  rendu  la  veille  à  Virieux-le-Petit,  et,  dès  le  matin  du  13  avril,  il  se  trans- 
porta à  Lochieu.  La  caisse  qui  contenait  les  reliques  lui  fut  remise  par  M.  David,  maire  de  la 
commune.  Après  avoir  reconnu  que  les  sceaux  apposés  par  M.  de  La  Croix,  le  22  juillet  1824, 
étaient  parfaitement  intacts,  les  commissaires  commis  par  Mgr  l'évêque  ouvrirent  en  sa  présence  le 
coffret,  en  tirèrent  les  ossements  qu'il  renfermait,  et  les  déposèrent  dans  le  reliquaire  en  bronze 
doré  fourni  par  la  commune.  Une  procession  nombreuse  fut  organisée  et  accompagna  les  dépouilles 
mortelles  du  saint  protecteur  du  Valromey,  qui  furent  portées  en  triomphe  dans  tout  le  village  de 
Lochieu.  De  retour  à  l'église,  elles  furent  déposées  sur  le  monument  que  les  habitants  leur  avaient 
fait  préparer  dans  leur  église.  La  cérémonie  fut  terminée  par  une  messe  solennelle  que  célébra 
Mgr  l'évêque  de  Belley.  Depuis  ce  jour  mémorable,  la  foule  des  fidèles  n'a  pas  cessé  d'accourir  à 
la  chapelle  de  Lochieu,  principalement  le  6  octobre,  jour  de  la  fête  du  saint  fondateur  d'Arvières, 
et  le  mardi  après  Pâques,  anniversaire  de  la  translation  dont  nous  venons  de  parler. 

Pour  satisfaire  entièrement  à  la  piété  des  fidèles  et  du  clergé,  Mgr  Dévie  sollicita  du  souverain 
Pontife  l'extension  du  culte  de  saint  Arthaud  dans  tout  son  diocèse,  et  l'autorisation  d'en  faire  l'of- 
fice. D'après  les  règles  établies  par  Urbain  VIII,  le  culte  de  saint  Arthaud,  circonscrit  anciennement 
dans  la  Chartreuse  drArvières  et  dans  la  petite  province  du  Valromey,  ne  pouvait  être  célébré  dans 
tout  le  diocèse  sans  le  consentement  du  chef  de  l'Eglise.  Grégoire  XVI,  par  les  brefs  des  2  juin  et 
6  septembre  1834,  fit  droit  aux  demandes  du  vénérable  évêque  de  Belley,  et  l'office  de  saint  Arthaud 
ne  pouvant  se  faire  le  6  octobre,  à  cause  de  l'occurrence  de  celui  de  saint  Bruno,  fut  fixé  au  7r 
sous  le  rit  semi-double  majeur. 

Extrait  de  Y  Histoire  hagiologique  de  Belley,  par  Mgr  Depéry. 


LES  SAINTS  SERGE  ET  BACQUE  S 

CHEVALIERS    ROMAINS    ET    MARTYRS    (vers    300). 

Serge  et  Bacque  étaient  chevaliers  romains  et  secrétaires  d'Etat  de  l'empereur  Maximien.  Un 
jour,  ce  prince,  étant  allé  dans  la  ville  d'Augusta  (Basse-Syrie),  s'avisa  d'offrir  aux  idoles  un 
sacrifice  solennel,  auquel  il  ordonna  à  tous  ses  officiers  de  se  trouver.  Comme  il  n'y  vit  point  ces 
deux-ci,  il  voulut  savoir  pourquoi  ils  s'en  étaient  absentés  ;  et,  ayant  appri3  de  leur  propre  bouche 
que  c'était  parce  qu'ils  étaient  chrétiens,  il  leur  fit  ôter  sur-le-champ  les  marques  de  leur  dignité, 
les  fit  revêtir  d'habits  de  femme  et  charger  de  gros  colliers  de  fer,  ordonnant  qu'ils  fussent  con- 
duits dans  cet  état  par  toutes  les  rues  de  la  ville,  pour  être  l'objet  de  la  risée  et  des  outrages  du 
peuple.  Après  avoir  souffert  cette  ignominie  avec  joie  et  en  bénissant  Dieu,  ils  furent  ramenés 
devant  l'empereur,  qui,  à  la  sortie  du  temple,  était  revenu  à  son  palais.  Il  employa  toutes  sortes 
d'artifices  pour  les  obliger  de  renoncer  à  leur  foi  ;  mais,  voyant  qu'il  ne  pouvait  altérer  leur  cons- 
tance ni  par  ses  menaces  ni  par  ses  belles  promesses,  il  les  envoya  à  Antiochus,  qui  était  préfet 
de  l'Orient  et  passait  pour  l'homme  le  plus  cruel  et  le  plus  inexorable  de  tout  l'empire  ;  il  espé- 
rait ébranler  leur  grande  fermeté,  tant  par  la  fatigue  des  chemins  et  les  affronts  qu'ils  recevraient 
sur  leur  route,  que  par  la  terreur  qu'ils  auraient  de  tomber  entre  les  mains  de  ce  barbare,  qui 
était  redouté  de  tout  le  monde.  D'ailleurs,  il  voulait  les  humilier  davantage  en  les  renvoyant  de- 
vant le  tribunal  d'un  homme  à  qui  ils  avaient  autrefois  commandé  et  qui  n'avait  obtenu  sa  charge 
que  par  le  crédit  de  Serge  ;  mai9  tout  cela  ne  fut  point  capable  de  les  séparer  de  Notre-Seigneur. 
Ils  firent  pour  son  amour  ce  voyage  avec  plaisir,  et,  se  réjouissant  des  outrages  qu'on  leur  prodi- 
guait, ils  se  soumirent  généreusement  à  l'injustice  d'un  scélérat  qui  était  indigne  d'être  leur  juge. 
Le  lendemain  de  leur  arrivée,  Antiochus  les  fit  comparaître  devant  lui,  et,  après  avoir  inutilement 
tenté  tous  les  moyens  dont  il  se  put  aviser  pour  les  faire  sacrifier  aux  idoles,  il  condamna  Bacque 
à  être  fouetté  par  quatre  bourreaux  ;  ce  qui  fut  exécuté  avec  tant  d'inhumanité,  qu'il  rendit  l'âme 
dans  la  violence  de  ce  supplice.  Au  milieu  des  fouets,  il  entendit  une  voix  céleste  qui  l'invitait  à 
venir  recevoir  la  couronne  de  son  martyre  ;  et  la  nuit  suivante,  il  apparut  à  Serge,  dans  la  prison, 

1.  On  les  appelle  aussi  SIerge  et  Bacq  (Sergius,  BacchusJ. 


SAINT  AUGUSTE  OU  AOUT,  ABBÉ  ET  CONFESSEUR.  151 

et  l'exhorta  à  endurer  constamment  les  tourments  qu'on  lui  préparait,  afin  qu'ayant  été  compa- 
gnons d'armes  et  de  souffrances,  ils  eussent  tous  deux  part  à  un  même  triomphe. 

Ces  tourments  devaient  être  horribles.  Antiochus,  se  voyant  obligé  d'aller  dans  une  autre  ville, 
fit  mettre  à  Serge  des  souliers  dont  les  semelles  étaient  garnies  en  dedans  de  pointes  de  clous,  et 
il  le  contraignit,  avec  cette  cruelle  chaussure,  de  courir  durant  tout  le  chemin  devant  son  chariot. 
La  nuit  suivante,  le  Saint  fut  guéri  de  toutes  ses  blessures  par  le  ministère  d'un  ange  qui  lui 
apparut;  le  préfet,  attribuant  cela  aux  opérations  de  l'art  magique,  lui  fit  endurer  une  seconde 
fois  le  même  supplice.  Enfin,  désespérant  de  le  pouvoir  séduire,  il  le  condamna  à  avoir  la  tête 
tranchée  :  ce  qui  fut  exécuté  le  7  octobre,  vers  l'an  de  grâce  300. 

La  mémoire  de  saint  Serge  a  été  rendue  célèbre  par  tant  de  miracles,  que  non-seulement  les 
chrétiens  allaient  en  pèlerinage  à  son  tombeau,  mais  aussi  les  idolâtres.  Chosroès,  roi  de  Perse, 
fit  présent  à  son  église  d'une  très-belle  croix  d'or,  avec  d'autres  ornements  précieux,  en  recon- 
naissance de  ce  que  la  reine  Sira,  son  épouse,  avait  été  préservée  de  la  mort  dont  elle  était 
menacée  pour  s'être  recommandée  à  ses  prières.  Le  lieu  où  il  souffrit  le  martyre  est  devenu  si 
illustre,  qu'il  s'appelle  maintenant  Sergiopolis,  c'est-à-dire  la  ville  de  Serge.  L'empereur  Justinien 
fit  bâtir  deux  basiliques  en  son  honneur  :  l'une  à  Constantinople  et  l'autre  à  Ptolémaîs.  Il  y  en  a 
encore  une  fort  ancienne  dans  Rome,  sous  son  nom  et  sous  celui  de  saint  Bacque  ;  c'est  un  titre 
de  cardinal.  Le  pape  Grégoire  III  la  fit  réparer.  Quelques-unes  des  reliques  sacrées  de  l'un  et  de 
l'autre  ont  été  transportées  en  France,  savoir  :  une  partie  dans  l'église  de  Notre-Dame  de  Chartres 
et  l'autre  à  Angers,  dans  un  temple  qui  leur  est  consacré  et  dont  le  roi  Clovis  II  est  le  fondateur. 
Saint  Grégoire  de  Tours,  dans  son  Histoire  des  Francs  (livre  vu,  chap.  xxxi),  fait  mention  du 
pouce  de  saint  Serge,  apporté  dans  les  Gaules. 

On  les  représente  avec  les  instruments  de  leur  supplice. 

Tillemont  ;  Théodoret  ;  Grégoire  de  Tour». 


SAINT  AUGUSTE  OU  AOUT, 

ABBÉ  DE  SAINT-SYMPHORIEN  ET  CONFESSEUR  (vers  560)^ 

An  temps  où  Probien  devint  évêque  de  Bourges,  vivait  un  saint  homme,  nommé  Auguste,  vul- 
gairement Août,  qui  avait  fait  partie  de  la  maison  du  précédent  évêque  Désiré  et  dont  les  mains  et 
les  pieds  étaient  tellement  contractés  qu'il  ne  pouvait  passer  d'un  lieu  dans  un  autre  sans  se  traî- 
ner sur  les  coudes  et  les  genoux.  Avec  l'inspiration  de  Dieu  et  le  produit  de  pieuses  aumônes,  il 
avait  fait  bâtir  dans  le  bourg  de  Brives,  voisin  de  Bourges,  en  l'honneur  du  bienheureux  évêque 
Martin,  un  oratoire,  où  il  n'eut  pas  plus  tôt  placé  des  reliques  de  ce  Saint,  qu'il  sentit  ses  membres 
s'étendre  et  se  trouva  complètement  guéri.  Dès  lors,  entouré  de  quelques  moines  et  vivant  lui- 
même  sous  la  règle  monastique,  il  passait  tout  son  temps  en  prières.  Plus  tard,  nommé  abbé  de 
Saint-Symphorien  par  son  évêque,  qui  avait  construit  cette  église  en  vue  des  murailles  de  Bourges, 
et  ne  voulant  pas  cependant  abandonner  les  moines  qu'il  avait  appelés  près  de  lui,  il  leur  donna 
on  prieur  et  gouverna  les  deux  sanctuaires. 

Enfin,  comme  il  demeurait  à  Saint-Symphorien,  saint  Ursin  lui  apparut  dans  une  vision  noc- 
turne et  lui  dit  :  «  Creuse  la  terre  et  cherche  mon  corps,  car  je  suis  Ursin,  le  premier  évêque  de 
cette  ville  ».  —  «  Où  irai-je  a,  répondit  Auguste,  «  où  chercherai-je  votre  tombeau,  dont  j'ignore 
la  place  ?  »  Mais  le  Saint  le  prenant  par  la  main  le  conduisit  à  l'endroit  où  il  se  trouvait,  en  di- 
sant :  «  Mon  corps  repose  sous  les  racines  de  ces  vignes  ».  A  son  réveil,  l'abbé  raconta  sa  vision 
a  l'évêque,  qui  en  fit  peu  de  cas  et  ne  prit  même  pas  la  peine  de  s'informer.  Sur  ces  entrefaites, 
le  bienheureux  saint  Germain,  évêque  de  Paris,  vint  à  Bourges  et  fut  reçu  dans  le  palais  épiscopal. 
Après  le  souper,  comme  il  s'était  retiré  pour  se  livrer  au  sommeil,  saint  Ursin  lui  apparut  en 
même  temps  qu'à  l'abbé,  et  les  conduisit  tous  deux  à  son  sépulcre,  en  les  priant  de  l'ôter  de  cet 
endroit.  S'étant  donc  levés  pour  les  Matines,  ils  se  rencontrèrent  dans  l'église  de  Saint-Sympho- 
rien, puis,  l'office  terminé,  l'évêque  fit  part  de  sa  vision  à  l'abbé  qui,  à  son  tour,  lui  confia  qu'il 
en  avait  eu  une  semblable.  En  conséquence,  la  nuit  suivante,  accompagnés  d'un  seul  clerc  qui  por- 
tait un  cierge,  ils  se  rendirent  au  lieu  indiqué,  fouillèrent  profondément  le  sol  et  trouvèrent  le  cer- 
cueil. Ayant  çnlevé  le  couvercle^  ils  virent  le  corps  du  Saint  dans  l'attitude  d'un  homme  endormi, 


J52  ?   OCTOBRE. 

et  ne  portant  aucune  trace  de  corruption.  Remplis  d'admiration,  ils  replacèrent  le  couvercle,  et, 
le  jour  venu,  racontèrent  à  l'évêque  ce  dont  ils  avaient  été  témoins.  Alors,  ayant  convoqué  les 
abbés  et  tout  le  clergé,  ils  procédèrent  en  grande  cérémonie,  au  milieu  des  chants,  à  l'enlèvement 
du  corps.  Il  fut  enseveli  tout  près  de  l'autel,  où  sa  présence  se  manifesta  depuis  par  des  grâces 
nombreuses.  Auguste  mourut  peu  de  temps  après,  le  7  octobTe,  vers  l'année  560. 

Extrait  des  Pieuses  légendes  du  Berry,  par  M.  Veillât. 


LE  BIENHEUREUX  MATTHIEU  CARRIERI  DE  MANTOUE, 

DE  L'ORDRE  DES  FRÈRES  PRÊCHEURS  (1470). 

Le  bienheureux  Matthieu  Carrieri  naquit  à  Mantoue  sur  la  fin  du  xiv«  siècle.  Après  avoir  passé 
sa  première  jeunesse  dans  l'innocence  et  la  piété,  il  entra  chez  les  Frères  Prêcheurs,  et  lorsqu'il 
eut  fait  ses  vœux,  on  le  charga  d'annoncer  aux  peuples  la  parole  de  Dieu.  Ses  prédications  soute- 
nues par  une  vie  sainte  et  par  de  grandes  austérités,  produisirent  les  plus  consolants  résultats. 
Les  nombreuses  conversions  qu'il  opérait  étendirent  au  loin  sa  réputation,  et  il  fut  obligé  de  prê- 
cher dans  les  principales  villes  d'Italie  pour  répondre  à  l'invitation  des  évèques  et  à  l'empressement 
des  peuples.  Chargé  p»r  ses  supérieurs  de  travailler  à  la  réforme  de  plusieurs  couvents  de  son 
Ordre,  il  y  rétablit  la  discipline  régulière.  11  s'appliquait  à  préparer  des  sujets  pour  la  chaire,  et 
lui-même,  au  milieu  de  ses  autres  occupations,  continuait  de  se  livrer  au  ministère  de  la  parole 
avec  un  fruit  toujours  croissant.  On  cite  parmi  les  conversions  les  plus  éclatantes  qu'il  opéra  celle 
d'une  jeune  dame  nommée  Lucine,  qui  avait  scandalisé  tout  le  pays  par  ses  désordres.  Un  jour 
qu'elle  s'était  rendue  à  l'église  avec  tout  l'étalage  du  luxe  le  plus  recherché,  elle  fut  tellement 
touchée  du  sermon  du  Bienheureux,  qu'on  la  vit  verser  des  pleurs  et  se  frapper  la  poitrine.  Dès 
le  jour  même  le  changement  fut  complet,  et  elle  répara  par  sa  pénitence  les  nombreux  scandales 
qu'elle  avait  donnés  par  sa  conduite.  Des  jeunes  gens  de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  touchés  des 
exhortations  du  Bienheureux,  embrassaient  l'état  religieux.  On  cite,  entre  autres,  la  bienheureuse 
Stéphanie  Quinzani,  dont  il  guida  les  premiers  pas  dans  les  voies  de  la  perfection. 

Cependant  le  démon,  jaloux  du  bien  qu'il  opérait,  lui  suscita  des  ennemis  qui  le  dépeignirent 
au  duc  de  Milan  comme  un  homme  dont  le  zèle  dépassait  les  bornes  de  la  sagesse  chrétienne.  Le 
duc  le  fit  venir  devant  lui  pour  l'engager  à  être  plus  circonspect  dans  ses  prédications;  mais  dès 
qu'il  eut  entendu  les  raisons  que  le  Bienheureux  apportait  pour  sa  justification,  il  lui  permit  de 
prêcher  comme  il  l'entendrait  et  se  recommanda  à  ses  prières.  Alarmé  des  marques  de  respect  et 
de  vénération  qu'on  lui  témoignait,  il  sortit  du  Milanais  pour  s'y  soustraire  et  se  rendit  dans  les 
Etats  de  Venise,  où  Dieu  continua  de  répandre  les  plus  abondantes  bénédictions  sur  ses  travaux. 
Appelé  à  Gênes  par  les  habitants  de  cette  ville,  qui  désiraient  entendre  un  prédicateur  aussi 
célèbre,  et  s'étant  embarqué  pour  Savone,  le  bâtiment  qu'il  montait  fut  pris  par  des  pirates  qui  se 
disposaient  à  réduire  en  esclavage  tous  les  passagers  ;  mais  le  bienheureux  Matthieu,  conduit 
devant  le  chef  de  ces  pirates,  lui  parla  avec  tant  de  grâce  et  de  dignité,  qu'il  en  obtint  sa  liberté 
sans  qu'il  la  demandât.  Parmi  ses  compagnons  d'infortune  se  trouvaient  une  dame  et  sa  tille,  qui 
fondaient  en  larmes  à  la  vue  des  périls  dont  elles  étaient  menacées.  Le  Père  Matthieu,  touché  de 
leur  sort,  réclama  leur  délivrance,  et  comme  sa  demande  était  repoussée,  il  s'offrit  à  prendre  leur 
place.  Le  barbare,  frappé  de  cette  générosité,  leur  rendit  en  sa  considération  la  liberté  ainsi  qu'à 
tous  ceux  qu'il  venait  de  faire  prisonniers.  Parvenu  à  un  âge  avancé,  il  se  retira  au  couvent  de 
Vigevano,  qu'il  avait  réformé,  et  là  il  ne  s'occupait  plus  que  de  se  préparer  à  la  mort,  en  médi- 
tant la  Passion  de  Jésus-Christ.  Un  jour  qu'il  priait  Notre-Seigneur  de  lui  faire  partager  ses  souf- 
frances, il  se  sentit  le  cœur  comme  percé  d'une  flèche  et  éprouva  un  mal  si  violent,  qu'il  en  fut 
réduit  comme  à  l'extrémité.  On  lui  administra  les  derniers  sacrements,  après  quoi  il  mourut  le 
5  octobre  1470.  Les  miracles  opérés  à  son  tombeau  déterminèrent  Sixte  IV  à  autoriser  son  culte, 
qui  fut  approuvé  par  Benoit  XIV  en  1742. 

Vie  du  bienheureux  Matthieu  Carrieri  par  M.  l'abbé  Pe'tin,    prêtre  du   diocèse  de  Saint-Dié.  —  Cf. 

Continuateurs  de  Godescurd. 


MARTYROLOGES.  153 


VIIIe  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

La  fête  de  sainte  Brigitte,  veuve,  qui,  après  plusieurs  pèlerinages  aux  sainte  lieux,  étant 
remplie  de  l'Esprit  de  Dieu,  mourut  à  Rome,  le  23  juillet.  La  translation  de  son  corps  en  Suède 
eut  lieu  la  veille  de  ce  jour.  1373.  —  Le  môme  jour,  le  décès  du  saint  vieillard  Sméon,  qui, 
comme  on  le  lit  dans  l'Evangile,  reçut  Notre-Seigneur  dans  ses  bras.  Vers  l'an  1.  —  A  Césarée  de 
Palestine,  sainte  Réparate,  vierge  et  martyre,  qui,  refusant  de  sacrifier  aux  idoles,  passa  par  divers 
genres  de  tourments  sous  l'empereur  Dèce,  et  mourut  enfin  par  le  glaive.  On  vit  son  âme  sortir  de 
son  corps  et  monter  au  ciel  sous  la  figure  d'une  colombe.  Vers  253.  —  A  Thessalonique,  saint 
Démétrius,  proconsul,  qui,  pour  avoir  opéré  plusieurs  conversions  d'infidèles,  fut  percé  à  coups  de 
lance  par  le  commandement  de  l'empereur  Maximien,  et  consomma  ainsi  son  martyre.  303.  —  Au 
même  lieu,  saint  Nestor,  martyr.  —  A  Séville,  en  Espagne,  saint  Pierre,  martyr.  -—  A  Laodicée, 
saint  Artémon,  prêtre,  qui  reçut  la  couronne  du  martyre  sous  Domitien,  par  le  supplice  du  feu. 
303.  —  A  Origny,  près  de  Laon,  sainte  Bénédicte  ou  Benoîte,  vierge  et  martyre.  362.  —  A 
Ancône,  sainte  Palatiate  et  sainte  Laurence,  qui,  pendant  la  persécution  de  Dioclétien,  furent  menées 
en  exil  par  arrêt  du  président  Dion,  et  y  moururent  de  fatigues  et  de  misères,  iv*  s.  —  A  Rouen, 
saint  Evode  ou  Yved,  évèque  et  confesseur  «,  550.  —  A  Jérusalem,  sainte  Pélagie,  surnommée  la 
Pénitente.  Vers  460. 

MARTYROLOGE   DE   FRANCE,   REVU  ET  AUGMENTE. 

Au  diocèse  de  Paris,  Vigile  des  saints  martyrs  Denis  et  ses  compagnons,  dont  nous  parlerons  au 
jour  suivant.  —  Au  diocèse  de  Soissons,  sainte  Bénédicte  ou  Benoîte,  vierge  et  martyre,  citée  au 
martyrologe  romain  de  ce  jour.  362.  —  Au  diocèse  de  Bourges,  saint  Léopardin,  martyr,  dont 
nous  donnerons  la  vie  au  24  novembre.  —  Au  diocèse  de  Trêves,  saint  Métropole,  que  l'on  croit 
avoir  été  évèque  de  ce  siège  et  martyr.  Vers  304.  —  A  Sens,  sainte  Porcaire  (Porcharia),  vierge 
et  martyre,  qui  ennoblit  sa  chasteté  en  donnant  sa  vie  pour  son  Epoux  céleste,  v»  s.  —  A  Origny- 
Sainte-Benoite  (Aisne,  arrondissement  de  Saint-Quentin,  canton  de  Ribemont),  au  diocèse  de  Sois- 
sons,  sainte  Léobérie,  vierge  et  martyre,  compagne  de  sainte  Bénédicte  ou  Benoîte,  dont  nous 
donnons  la  vie  à  ce  jour.  362.  —  Au  diocèse  d'Autun,  saint  Grat,  évèque  de  l'ancien  siège  de 
Chalon-sur-Saône  et  confesseur,  que  le  pape  Jean  VII  (705-708)  a  mis  au  catalogue  des  Saints  *. 
652.  —  Au  diocèse  de  Chartres,  saint  Calétric  ou  Caltry  (Chaletricus,  Chalactericus),  évèque 
de  ce  siège  et  confesseur.  567.  --  Dans  l'ancienne  abbaye  bénédictine  de  Munster-Bilsen  (Belisia, 
Bellua),  en  Belgique,  saint  Amour  d'Aquitaine,  confesseur.  Il  mena  quelque  temps  la  vie  solitaire 
aux  environs  de  Maëstricht,  où  sa  sainteté  et  ses  miracles  édifièrent  extrêmement  le  peuple.  Son 

1.  Nous  avons  donné  sa  vie  au  8  juillet. 

2.  Saint  Grat,  d'une  des  plus  illustres  familles  du  royaume  de  Bourgogne,  servit  Dieu  avec  ferveur  dès 
son  enfance.  L'humilité  fut  comme  son  caractère  distinctif.  On  le  plaça  sur  le  siège  de  Châlon-sur-SaGne 
vers  le  milieu  du  vu*  siècle.  Il  se  retirait  souvent  dans  une  solitude  située  au-delà  de  la  rivière,  à  l'en- 
droit où  est  présentement  le  faubourg  de  Saint-Laurent.  Il  assista  a  un  concile  qui  se  tint  dans  sa  ville 
épiscopale  entre  les  années  646  et  648.  L'amour  de  la  retraite  augmentant  en  lui  de  plus  en  plus,  il  vou- 
lut renoncer  à  l'épiscopat,  et  mena  même  plusieurs  années  la  vie  d'un  reclus;  mais  comme  son  peuple 
refusait  de  lui  donner  un  successeur,  il  fut  forcé  de  revenir  à  son  église  et  de  reprendre  ses  fonctions. 

Pendant  son  épiscopat,  en  650,  le  1«»  novembre,  s'ouvrit  un  concile  dans  la  basilique  de  Saint- Vincent. 
A  ce  concile,  favorisé  et  facilité  par  Clovis  II,  assistèrent  quarante  évêques,  qui  souscrivirent  à  dix-neuf 
canons  sur  la  discipline  ecclésiastique.  Saint  Grat  mourut  deux  ans  après  (652),  et  fut  enterré  dans  l'é- 
glise Saint-Laurent,  construite  par  lui,  et  qui  était  un  prieuré  dépendant  de  l'abbaye  de  llle-Barbe  (Insula 
Barbara),  près  de  Lyon.  Vers  l'an  977,  on  transféra  son  corps  au  monastère  de  Paray-le-Monial  (Pare- 
dum  monachorumj,  au  diocèse  d'Autun.  Les  reliques  forent  jetées  au  veut  par  les  Calvinistes  en  1562.  — 
Propre  d'Autun. 


454  8  OCTOBRE. 

corps  fut  enterré  à  Bilsen  et  transféré  quelque  temps  après  dans  l'église  abbatiale  de  Munster-Biî- 
sen.  Quelques  hagiographes  l'ont  confondu  (à  tort  ou  à  raison,  nous  ne  saurions  décider)  avec  saint 
Amour  ou  Amateur,  premier  abbé  du  monastère  bénédictin  d'Amorbach,  dont  nous  avons  parlé 
au  17  août.  Epoque  fort  contestée.  —  A  Leuze,  ville  de  Belgique,  sur  la  Dender  (Hainaut),  saint 
Badilon,  moine  de  Vézelay  (Vizeliacum,  Yonne),  puis  abbé  du  monastère  bénédictin  de  Leuze 
(Lutosa).  Il  enrichit  ces  deux  maisons  d'une  partie  des  reliques  de  sainte  Marie-Madeleine  qu'il 
avait  recueillies  en  Provence  à  l'époque  de  l'invasion  des  Sarrasins1.  Vers  871.  —  Dans  l'ancienne 
abbaye  bénédictine  de  Honnecourt  ou  Hunulcurt  (Hunnocurtum,  Hanonia,  Hunnonis  Curia, 
HunnulficurtisJ,  au  diocèse  de  Cambrai,  les  saintes  Valérie  et  Pollène,  sœurs,  qui  conservèrent 
leur  pureté  sans  tache  par  les  exercices  d'une  rigoureuse  pénitence.  Vers  G40.  —  Dans  l'ancienne 
abbaye  bénédictine  de  Wasor  ou  Waulsor  (Valcidorus),  au  diocèse  de  Namur,  translation  (970  ou 
974)  des  reliques  de  saint  Eloque  (Elogue  ou  Eulogue),  second  abbé  de  Lagny-sur-Marne  (Ordre  de 
Saint-Benoît),  au  diocèse  de  Meaux,  cité  au  martyrologe  de  France  du  3  décembre,  vu*  ou  vme  s. 
—  A  Denain  (Nord),  au  diocèse  de  Cambrai,  sainte  Refroy  ou  Renfroie,  vierge,  abbesse  du 
monastère  bénédictin  de  ce  lieu.  Vers  $05.  —  A  Auxerre,  sainte  Pallaie  (Palladio,),  vierge,  com- 
pagne de  sainte  Porcaire,  citée  plus  haut.  v«  s.  —  A  Toul,  sainte  Libaire,  vierge  et  martyre,  dont 
nous  avons  parlé  hier  (note  au  martyrologe  de  France).  —  A  Reims,  translation  de  saint  Remy, 
évêque  de  ce  siège,  dont  cous  avons  donné  la  vie  au  1er  octobre.  533.  —  A  Mont-Saint-Jean  (Côte- 
d'Or,  arrondissement  de  iteaune,  canton  de  Pouilly-en-Montagne),  au  diocèse  de  Dijon,  translation 
de  sainte  Pélagie  d'Antioche  (8  octobre),  de  saint  Julien  d'Alexandrie  (17  février)  et  de  saint 
Macaire  d'Egypte.  Vers  1463.  —  Dans  k  Bretagne  armoricaine,  sainte  Mélarie,  surnommée  Nonne 
ou  Nonnite,  pénitente.  Native  du  pays  de  Galles  et  fille  de  Brécan,  souverain  de  cette  contrée,  elle 
entra  fort  jeune  dans  un  monastère  de  filles.  Sa  beauté  était  remarquable  :  elle  lui  devint  funeste, 
et,  un  jour  qu'elle  allait  faire  un  voyage  de  dévotion,  elle  fut  déshonorée  par  Xantus,  prince  de  là 
Cérétique.  Mélarie  se  retira  dès  lors,  pour  y  faire  pénitence,  dans  l'Armorique  où  elle  mourut  *. 
vi*  s.  —  A  Avignon,  fête  de  l'anniversaire  de  la  Dédicace  miraculeuse  de  l'église  métropolitains 
de  Notre-Dame  des  Doms. 


MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-Basile,  —  A  Jérusalem,  sainte  Pélagie,  surnommée  la  PènU 
tente,  de  l'Ordre  de  Saint-Basile.  Vers  460. 

Martyrologe  de  VOrdre  des  Cisterciens.  —  En  Espagne,  saint  Martin  de  Zamora,  premier 
abbé  de  Val-Paradis,  de  l'Ordre  de  Cîteaux,  célèbre  par  sa  sainteté  et  par  ses  miracles  *.  1152. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Servites  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie.  —  La  naissance  au 
eiel  du  bienheureux  Simon  l'Ancien,  qui,  comme  le  rapporte  l'Evangile,  porta  Jésus  dans  ses  bras. 

ADDITIONS   FAITES  D 'APRÈS   LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES» 

En  Egypte,  sainte  Thaïs,  pénitente,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  3  mars,  avec  celle  de  saint 
Paphnuce  qui  lui  fit  quitter  ses  désordres.  ive  s.  —  En  Angleterre,  sainte  Keyne,  vierge,  fille  de 
Brécan  ou  Braghan,  prince  de  Galles,  et  sœur  de  sainte  Mélarie,  surnommée  Nonne  ou  Nonnite, 
citée  an  martyrologe  de  France  de  ce  jour.  Elle  mena  la  vie  érémitique  dans  une  forêt  du  comté 
de  Somerset,  près  de  Cainsham,  sur  l'Avon.  Plusieurs  endroits  du  pays  de  Galles  offrent  des  monu- 
ments qui  prouvent  que  son  culte  jouissait  autrefois  d'une  grande  popularité.  Fin  du  v°  s.  —  En 
Ecosse,  au  comté  d'Aberdeen  (Devana),  sainte  Triduane  ou  Triduaine,  vierge.  Tout  ce  que  l'on 
sait  de  sa  vie,  c'est  qu'elle  méprisa  une  illustre  naissance  et  des  richesses  considérables  pour 

1.  Il  s'opéra  à  Leuze,  au  tombeau  de  saint  Badilon,  un  grand  nombre  de  guérisons  qui  augmentèrent 
encore  la  haute  opinion  que  l'on  avait  de  sa  vertu.  Les  religieux  de  Leuze  envoyèrent  à  ceux  de  Vézelay 
un  bras  du  saint  abbé,  en  reconnaissance  du  don  qui  leur  avait  été  fait  de  celui  de  sainte  Marie-Madeleine. 
—  M.  l'abbé  Destombes,  Vies  des  Saints  des  diocèses  de  Cambrai  et  cfArras. 

2.  La  tradition  constante  de  la  paroisse  de  Dirinon  (Finistère,  arrondissement  de  Brest,  canton  de 
Landerneau),  au  diocèse  de  Quimper,  est  que  sainte  Mélarie  se  fixa  dans  ce  pays  et  y  demeura  jusqu'à  sa 
mort.  On  montre  des  rochers  où  elle  avait  coutume  d'aller  prier,  et  l'on  croit  y  voir  l'empreinte  de  ses 
genoux.  Elle  fut  inhumée  dans  le  lieu  de  sa  pénitence  qui  a  été  changé  en  une  chapelle  où  l'on  voit  encore 
son  tombeau.  Ses  reliques,  renfermées  dans  une  châsse  d'argent,  sont  conservées  dans  l'église  paroissiale 
de  Dirinon  dont  elle  est  patronne  avec  saint  Divy  ou  David,  son  fils.  Son  tombeau,  en  pierre  de  Kersan- 
ton,  et  qui  paraît  dater  du  xin«  ou  du  xiv«  siècle,  est  élevé  de  deux  pieds  environ  au-dessus  du  sol  de  la 
chapelle.  Chaque  côté  offre  les  statues  des  apôtres  en  bas-relief.  La  statue  de  la  Sainte  est  étendue  sur  la 
pierre  qui  couvre  le  tombeau  ;  ses  pieds  reposent  sur  un  dragon  qui  vomit  des  flammes,  et  elle  tient  nn 
livre  entre  ses  mains.  —  Vies  des  Saints  de  Bretagne,  par  Dom  Lobineau. 

*.  Il  est  déjà  nommé  au  jour  précédent.  (Additions  des  Bollandistes à 


DÉDICACE  DE   NOTRE-DAME  DES  DOMS.  155 

devenir  l'épouse  de  Jésus-Christ  ;  qu'elle  se  distingua  par  son  humilité  et  son  amour  pour  la  péni- 
tence ;  qu'elle  parvint  à  un  haut  degré  de  vertu  et  qu'elle  fut  favorisée  du  don  des  miracles.  vi«  s. 
—  A  Côme,  en  Lombardie,  saint  Félix,  premier  évèque  de  ce  siège  et  confesseur,  cité  au  marty- 
rologe romain  du  14  juillet.  Il  fut  consacré,  vers  375,  par  saint  Ambroise,  évêque  de  Milan,  qui 
fait  son  éloge  dans  plusieurs  de  ses  lettres.  Sur  la  fin  du  rv«  s.  —  A  Antioche  (Antiochin  ad 
Daphnen),  aujourd'hui  Antakieh,  ville  de  la  Turquie  d'Asie  (Syrie),  les  saints  martyrs  Denis, 
évêque,  Janvier,  Faustin  ou  Fastin,  Privât,  Eracle,  Julien,  et  Pélagie  (différente  de  sainte  Pélagie 
la  Pénitente),  cités  au  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  A  Gênes  (Genua),  ville  d'Italie,  dans  les 
Etats  Sardes,  saint  Hugues  ou  Hugon,  prieur  de  l'Ordre  de  Saint-Jean  de  Jérusalem,  homme  d'une 
grande  sainteté,  à  qui  Dieu  accorda  le  don  des  miracles.  On  raconte  que,  comme  un  autre  Moïse,  il 
fit  le  signe  de  la  croix  sur  un  rocher  d'où  sortit  soudain  une  source  miraculeuse  qui  s'appelle  encore  de 
nos  jours  Fontaine  de  Saint-Hugues,  et  dont  l'eau  salutaire  possède  la  vertu  de  guérir  les  malades. 
Il  fut  enseveli  dans  l'église  de  Saint-Jean  de  Gênes  ;  dans  les  prières  publiques  on  porte  proces- 
sionnellement  son  chef  au  travers  des  rues  de  la  ville.  Vers  1230.  —  A  Padoue  (Patavium),  ville 
forte  du  royaume  d'Italie,  le  bienheureux  Company  (Compagnus),  confesseur,  de  l'Ordre  des 
Camaldules,  premier  abbé  du  monastère  de  Notre-Dame  de  Porcia  qu'il  gouverna  pendant  quarante- 
quatre  ans.  Son  corps  fut  déposé  dans  l'église  abbatiale  (1264),  puis  transféré  (1509)  dans  la  basi- 
lique de  Saint-Benoit,  et  enfin  (1575)  dans  l'église  du  monastère  du  bienheureux  Antoine  Pérégrin. 


DEDICACE  DE  NOTRE-DAME  DES  DOMS, 

ÉGLISE  MÉTROPOLITAINE  D'AVIGNON 
l»r  siècle. 


Templum  hoc  sanctum  divx  Matri  Dei  adhuc  vivm 
consecratur  in  honorent. 

Ce  temple  a  été  consacré  sous  l'invocation  de  la 
Mère  de  Dieu,  au  temps  oîi  elle  vivait  encore 
sur  cette  terre  Hymne  de  la  Dédicace. 

Après  la  publication  des  Monuments  inédits  sur  l'apostolat  de  sainte  Marie- 
Madeleine,  par  M.  l'abbé  Faillon,  il  n'est  plus  possible  de  douter  aujour- 
d'hui que  saint  Lazare,  avec  ses  deux  sœurs,  sainte  Marthe  et  sainte  Marie- 
Madeleine,  sainte  Marcelle,  leur  servante,  saint  Maximin  et  saint  Ruf,  dis- 
ciples du  Sauveur,  persécutés  par  les  Juifs,  ne  se  soient  enfuis  de  Judée  ; 
qu'ils  ne  soient  venus  aborder  à  Marseille,  et  de  là  ne  se  soient  répandus 
dans  les  environs  pour  y  prêcher  l'Evangile.  Il  est  également  difficile  de  ne 
pas  admettre  que,  dans  ses  pieuses  excursions,  sainte  Marthe  est  venue  à 
Avignon  ;  qu'elle  y  a  prêché  le  culte  de  Marie  en  même  temps  que  celui  de 
Jésus,  puisque  de  concert  avec  saint  Ruf,  fils  de  Simon  le  Cyrénéen,  et  qui 
fut  premier  évêque  d'Avignon,  elle  y  éleva  un  sanctuaire  en  l'honneur  de  la 
Mère  de  Dieu,  et  que,  selon  la  croyance  générale,  telle  est  la  première  ori- 
gine de  Notre-Dame  des  Doms,  ainsi  appelée  plus  tard  ou  de  ses  chanoine» 
qui  portaient  le  titre  de  dom,  en  latin  domini,  ou  des  dons  qu'on  faisait  à  la 
sainte  Vierge,  domina  a  donisf  ou  du  latin  domust  maison  de  sainte  Marthe 
qui  était  à  côté,  ou  du  mot  celtique  dom  qui  signifie  rocher,  parce  que  l'é- 
glise était  bâtie  sur  le  roc.  Quoi  qu'il  en  soit  de  la  raison  de  cette  appella- 
tion, la  construction  de  l'église  par  sainte  Marthe  est  1°  littéralement  affir- 
mée dans  l'inscription  qui  se  lit  à  l'entrée  de  la  métropole  ;  2°  équivalem- 
ment  énoncée  dans  l'ancienne  hymne  où  l'on  chantait  :  Templum  hoc 
sanctum  divœ  Matri  Dei  adhuc  vivx  consecratur  in  honorem  ;  3°  historique- 


156  8  OCTOBRE. 

ment  proclamée  par  Benoît  XIV,  dans  son  savant  ouvrage  :  De  canonizatione 
sanctorum.  Quidam,  dit-il,  afferunt  exempla  ecclesiarum  ad  honorera  B.  Mariée 
Virginis  adhuc  viventis  constructarum,  in  civitate  videlicet  Avenionensi,  a 
sancta  Martha.  Constantin,  après  sa  conversion  au  christianisme,  ne  trouva 
point  l'œuvre  de  sainte  Marthe  digne  de  son  objet  ;  il  agrandit  ce  sanctuaire 
primitif;  et  il  le  fit  avec  d'autant  plus  de  zèle,  que  c'était  près  de  là,  dans 
la  plaine  qui  s'étend  d'Avignon  à  la  mer,  qu'il  avait  eu  cette  vision  célèbre 
de  la  croix  lumineuse  qui  détermina  sa  conversion. 

En  731 ,  les  Sarrasins  vinrent  saccager  l'église  de  Constantin  ;  mais  de 
785  à  800,  Charlemagne  la  releva  de  ses  ruines,  et  déploya,  dans  cette  cons- 
truction, toutes  les  richesses  de  l'architecture  romano-lombarde.  Il  paraît 
même  qu'il  y  fit  servir  les  restes  de  deux  temples  païens  du  voisinage,  si 
l'on  en  juge  par  le  fronton  du  porche,  dont  l'architecture  a  une  ressem- 
blance frappante  avec  les  monuments  qui  restent  de  la  domination  romaine. 
En  reconnaissance  de  la  pieuse  générosité  du  saint  empereur,  Jésus-Christ, 
dit-on,  vint  en  personne,  au  milieu  de  la  nuit,  consacrer  la  nouvelle  église. 
Des  ministres  sacrés,  qui  étaient  sans  doute  ses  anges,  l'assistaient,  les  uns 
chantant  l'office,  les  autres  faisant  les  cérémonies  ;  et  après  qu'il  eut  accom- 
pli autour  de  la  nef  tout  le  cérémonial  des  dédicaces  solennelles,  il  célébra 
les  divins  mystères,  selon  les  rites  accoutumés,  sur  l'autel  consacré,  qu'on 
croit  communément  avoir  été  l'autel  à  cinq  colonnes  et  à  table  creuse,  de 
la  quatrième  chapelle  à  droite.  Ce  fait  merveilleux  eut  pour  témoin  une 
noble  dame  qui,  par  dévotion  pour  la  sainte  Yierge,  se  rendait  tous  les  ma- 
tins au  sanctuaire  des  Doms,  dès  le  premier  son  de  la  cloche,  et  qui,  cette 
nuit-là,  s'y  était  rendue  peu  après  minuit,  éveillée  par  la  cloche  qui  avait 
sonné  plus  tôt  qu'à  l'ordinaire.  A  l'offertoire,  elle  mit  dans  le  plat  son 
anneau  d'or,  disant  qu'elle  viendrait  le  reprendre,  au  grand  jour,  en  remet- 
tant son  offrande  habituelle  qu'elle  avait  oublié  d'apporter.  Le  ministre  qui 
le  reçut  lui  indiqua  l'endroit  où  elle  le  trouverait,  en  ajoutant  qu'alors  il 
porterait  l'empreinte  de  certains  caractères  qui  étaient  gravés  derrière  Tau- 
tel.  Au  lever  de  l'aurore,  entendant  sonner  l'office  du  chapitre,  cette  dame 
revint  tout  étonnée  à  l'église,  demanda  la  raison  de  ce  second  office  ;  et 
comme  on  ne  voulait  pas  la  croire  sur  ce  qu'elle  disait  du  premier,  elle  en 
donna  pour  preuve  son  anneau,  qui  devait  se  trouver  à  l'endroit  qu'elle 
désigna,  empreint  des  mêmes  caractères  que  portait  le  derrière  de  l'autel1. 
Le  8  octobre,  anniversaire  de  cette  merveilleuse  dédicace,  fut  érigé  en  fête 
d'obligation,  avec  interdiction  de  toute  œuvre  servile  sous  peine  d'excom- 
munication. Ce  jour-là,  dès  quatre  heures  du  matin,  le  son  des  cloches  ap- 
pelait les  fidèles  sur  la  sainte  montagne  ;  et  le  divin  sacrifice  s'offrait  sur  un 
autel  portatif  dressé  au  milieu  du  chœur  en  face  du  maître-autel.  Le  second 
archidiacre  seul  pouvait  pénétrer  dans  le  sanctuaire  avec  le  plus  jeune 

1.  C'est  là  sans  doute  un  récit  étrange  ;  mais  il  est  rapporté  comme  incontesté  par  tous  les  historiens, 
par  Valladier,  homme  d'une  rare  érudition,  critique  habile  et  judicieux,  dans  son  livre  intitulé  :  Oratio- 
nés  latinie  circa  antiquitates  Avenionenses ;  par  le  chanoine  N*»uguier,  dans  son  Histoire  chronologique  de 
l'église  d'Avignon  ;  par  le  Père  Fantoni,  général  des  Carmes,  dans  l'Istoria  délia  citta  d'Avignone.  Les 
contemporains  l'écrivirent  sur  la  pierre,  comme  dans  un  livre  impérissable,  si  quelque  chose  ici-bas  pou- 
vait ne  pas  périr.  Charlemagne  en  fit  sculpter  la  représentation  sur  les  chapiteaux  des  colonnes  qui  sou- 
tenaient le  cloître  de  l'église  ;  on  7  voyait  sculptée  au  milieu  d'un  nimbe  une  main  bénissante,  avec  deux 
doigts  plies  et  les  trois  autres,  le  pouce,  l'index  et  le  médius,  allongés  ;  et  sur  une  pierre,  qui  se  conserve 
encore  au  musée  Calvet,  était  représenté  un  autel  recouvert  d'une  nappe  ornée  de  franges  et  de  broderies 
avec  un  calice  dessus;  et,  en  avant,  un  pontife  en  habits  sacerdotaux  paraissait  célébrer  les  saints  mys- 
tères. Aussi,  en  1316,  le  pape  Jean  XXII,  qui  avait  été  évêque  d'Avignon  avant  son  élévation  au  suprême 
pontificat,  écrivait-il  dans  une  bulle  ces  étonnantes  paroles  :  «  Nous  prenons  à  témoin  le  Dieu  tout-puis- 
sant, que  l'église  de  Sainte-Marie  des  Dons,  comme  on  le  croit  communément,  sans  l'ombre  même  d'un 
«toute,  a  été  consacrée  d'une  manière  miraculeuse  •. 


DÉDICACE  DE  NOTRE-DAME  DES  DOMS.  157 

enfant  de  chœur,  qui  lui  présentait  les  burettes  ;  et  pendant  tout  le  sacri- 
fice, archevêque,  chapitre,  diacre  et  sous-diacre,  tous  se  tenaient  hors  du 
sanctuaire.  Le  célébrant  se  servait  du  calice  qu'avait  légué  Jean  XXII,  avec 
sa  chape  enrichie  de  pierreries,  à  condition  que  l'un  et  l'autre  ne  servi- 
raient que  ce  jour-là.  En  1475,  Sixte  IV  crut  pouvoir  dire  dans  sa  bulle  du 
21  novembre  :  «  Nous  avons  appris  que  l'église  d'Avignon,  illustre  entre  les 
autres  cathédrales  de  ces  contrées,  a  été  fondée  par  sainte  Marthe,  l'hôtesse 
de  Jésus-Christ,  en  l'honneur  de  Notre-Seigneur  et  de  la  glorieuse  Vierge, 
et  qu'elle  a  été  consacrée  par  la  main  de  Dieu  mfcme,  comme  on  le  dit  géné- 
ralement, comme  le  rapportent  les  anciens  et  comme  l'attestent  les  lettres 
de  plusieurs  Pontifes  romains  ».  Au  commencement  du  seizième  siècle,  le 
chapitre  métropolitain  fit  graver  sous  le  narthex  de  Notre-Dame  une  ins- 
cription, où  on  lit  que  «  lorsque  Charlemagne  eut  fait  reconstruire  l'église, 
Jésus-Christ,  ainsi  que  l'enseigne  la  tradition  constante  et  que  le  déclarent 
les  constitutions  des  papes  Jean  XXII  et  Sixte  IV,  la  consacra  de  sa  main 
sacrée  ».  En  1600,  le  prévôt  de  la  cathédrale,  recevant  la  reine  Marie  de 
Médicis,  à  son  passage  par  Avignon,  lui  dit  en  présence  de  toute  sa  cour  et 
des  notables  de  la  cité  :  «  Prions,  Madame,  le  Souverain  Créateur  duquel 
l'éternelle  main  a  bien  voulu  miraculeusement  consacrer  cette  église». 
En  1622,  l'illustre  évêque  de  Vaison,  Monseigneur  de  Suarez,  que  sa 
grande  érudition  fit  nommer  plus  tard  préfet  de  la  bibliothèque  Vaticane, 
écrivait  le  distique  suivant  : 

Num  rata,  quae  nobis  perhibet  veneranda  vêtus  ta  s, 
Quod  fuit  a  Cnristo  adstante  sacrata?  —  Rata. 

En  1701,  le  prévôt  de  la  cathédrale  tenait  le  même  langage  aux  fils  de 
France,  en  les  recevant  solennellement  sous  le  porche  delà  basilique. Ainsi 
parlaient  encore,  en  1708,  Monseigneur  de  Gonteri,  vingt  et  unième  arche- 
vêque d'Avignon,  dans  la  lettre  où  il  rend  compte  à  Clément  XI  de  l'état  de 
son  diocèse  ;  en  1750,  M.  de  Cambis-Velleron  dans  ses  Annales  d'Avignon  ; 
et  quelques  années  plus  tard,  les  doctes  abbés  de  Massillian  et  de  Véras. 
Peut-il  être  une  tradition  plus  continue  et  plus  autorisée  ? 

Aussi  Notre-Dame  des  Domsa-t-elle  toujours  été  en  singulière  vénéra- 
tion. Ce  fut  sous  ses  voûtes  que  siégèrent  pendant  leur  vie,  et  voulurent 
reposer  après  leur  mort,  les  saints  évêques  d'Avignon  :  saint  Ruf,  le  premier 
de  tous,  saint  Maxime,  saint  Agricol  et  saint  Vérédème.  Ce  fut  dans  son 
enceinte  qu'en  1096  Urbain  II  publia  la  Règle  des  chanoines  réguliers  de 
Saint-Augustin.  Peu  après,  Gélase  II  et  Calixte  II  y  célébrèrent  pontificale- 
ment  les  saints  mystères,  Anastase  IV  et  Adrien  IV  en  furent  chanoines 
avant  d'être  élevés  sur  la  chaire  de  saint  Pierre,  et  en  1163,  Alexandre  III  y 
consacra  saint  Anthelme,  évêque  de  Belley.  Cette  illustre  église  vit  prier  à 
son  autel  saint  Rémi  de  Reims,  saint  Mayeul  de  Gluny,  saint  Pons  de  Ville- 
neuve, saint  Hugues  de  Grenoble,  saint  Dominique,  saint  Pierre  de  Luxem- 
bourg, saint  François  de  Borgia,  saint  François  de  Sales,  saint  Pierre  Tho- 
masi,  saint  Bertrand  d'Aquilée,  les  bienheureux  Jean  Soreth  et  Louis  Alle- 
mand, sainte  Catherine  de  Sienne,  sainte  Delphine,  sainte  Colette.  En  1170, 
saint  Bénézet  y  reçut  de  Dieu  l'ordre  de  bâtir  un  pont  sur  le  Rhône,  et  l'an- 
nonça publiquement  ;  en  1322,  Jean  XXII  y  ordonna  la  triple  sonnerie  quo- 
tidienne de  Y  Angélus,  inconnue  jusque-là  à  l'univers  catholique,  et  reçut 
près  du  porche  de  la  cathédrale  l'apparition  célèbre  où  la  Vierge  lui 
ordonna  de  publier,  en  faveur  du  Carmel  et  du  Scapulaire,  la  bulle  Sabba- 
tine.  Plus  tard,  sous  ce  même  porche,  saint  André  Corsini  rendit  miracu- 


458  8  OCTOBRE. 

leusement  la  vue  à  un  aveugle  ;  et  vers  le  commencement  du  quinzième 
siècle,  saint  Vincent  Ferrier  ne  manqua  pas  un  seul  jour,  pendant  les  dix 
années  qu'il  passa  à  Avignon,  d'y  chanter  la  Messe  chaque  matin  à  l'autel  de 
Marie. 

Les  rois,  les  grands  du  monde  rivalisèrent  avec  les  Saints  en  dévotion  à 
Notre-Dame  des  Doms;  et  l'on  vit  s'agenouiller  devant  son  autel,  en  1226, 
Louis  VIII;  en  1324,  Charles  le  Bel;  en  1365,  l'empereur  Charles  IV et  le 
duc  AmédéeVI  de  Savoie;  en  1388,  Charles  VI;  en  1420,  Charles  VII, 
encore  dauphin  ;  en  1516,  François  Ier;  en  1564,  Charles  IX;  en  1574, 
Henri  III;  en  1579,  Catherine  de  Médicis;  en  1600,  Marie  de  Médicis; 
en  1622,  Louis  XIII,  et  en  1660,  Louis  XIV  et  sa  mère,  Anne  d'Au- 
triche. 

Au  quatorzième  siècle,  sept  Papes  y  parurent  dans  toute  la  splendeur  de 
leur  majesté  pontificale:  Clément V,  Jean  XXII,  Benoît  XII,  Clément VI, 
Innocent  VI,  Urbain  V  et  Grégoire  XI,  qui  institua  à  Avignon,  dans  l'église 
des  Cordeliers,  la  fête  de  la  Présentation  de  Notre-Dame.  Quatre  d'entre 
eux  y  furent  couronnés  ;  et  trois  y  choisirent  leur  sépulture.  A  la  même 
époque,  saint  Pierre  Célestin,  saint  Louis  de  Toulouse  et  saint  Thomas 
d'Herdtfort  y  furent  canonisés.  Robert  le  Boiteux  y  fut  couronné  roi  des 
Deux-Siciîes,  et  Hélion  de  Villeneuve  y  fut  consacré  grand  maître  des  che- 
valiers de  Saint-Jean  de  Jérusalem.  La  fête  de  la  Sainte-Trinité,  ainsi  que 
la  fête  de  la  Sainte-Lance  et  des  Saints-Clous,  y  fut  instituée.  La  première 
procession  de  la  Fête-Dieu  y  fut  célébrée  ;  la  guerre  sainte  contre  les  Maures 
d'Afrique  et  les  Sarrasins  d'Espagne  y  fut  publiée  trois  fois  ;  les  rois  Phi- 
lippe le  Bel  et  Pierre  d'Aragon  y  furent  absous  de  l'excommunication 
qu'ils  avaient  encourue  ;  Jean  II  prêta  serment  de  fidélité  au  Pape  et  s'y 
croisa  avec  le  roi  de  Chypre  et  le  roi  de  Danemark.  Enfin,  dans  l'enceinte 
de  cette  basilique  se  sont  tenus  cinquante-trois  conciles  ou  synodes  ;  et  là 
repose  Benoît  XII,  avec  cent  cinquante-sept  cardinaux,  archevêques  et 
évêques,  une  fouie  de  hauts  dignitaires  de  l'Etat  comme  de  l'Eglise, 
entre  lesquels  il  faut  compter  le  vaillant  Crillon,  surnommé  le  brave  des 
braves. 

Cette  église,  si  riche  en  gloire,  est  bâtie  à  mi-flanc  d'un  rocher,  d'où  elle 
domine  toute  la  ville.  Sa  façade,  majestueuse  dans  sa  simplicité,  est  précé- 
dée d'un  porche  à  fronton  triangulaire,  qui  reproduit  un  des  plus  beaux 
morceaux  de  l'arehitecture  romane,  et  suivie  d'une  lourde  tour  carrée,  qui 
est  percée  de  seize  baies,  et  que  couronne  un  balustre  ionique  avec  un  dôme 
de  construction  récente,  sur  la  lanterne  duquel  repose  la  statue  de  la 
Vierge.  L'intérieur  de  l'édifice  réunit  tous  les  genres  d'architecture,  depuis 
la  frise  corinthienne  des  plus  beaux  jours  des  Césars,  jusqu'au  placage 
gréco-roman  du  temps  de  Louis  XV,  quoique  cependant  le  style  roman  y 
prime  avec  toute  la  sévérité  de  ses  lignes  et  la  solidité  de  ses  constructions. 
Il  n'y  a  qu'une  seule  nef,  voûtée  en  berceau  à  tiers-point,  autour  de  laquelle 
courent  de  gracieuses  tribunes  du  dix-septième  siècle.  A  droite  et  à  gau- 
che de  cette  nef,  sont  distribuées  des  chapelles  de  divers  styles  et  de  diver- 
ses grandeurs,  dans  lesquelles  se  trouvent  deux  autels  de  Marie,  ajoutés  à 
Notre-Dame  de  l'Assomption  qui  est  au  maître-autel.  Le  premier  est  Notre- 
Dame  de  Tout-Pouvoir,  à  la  chapelle  Saint-Roch.  C'est  le  plus  fréquenté  de 
tous,  et  la  fête  s'en  célèbre  le  dimanche  qui  suit  Notre-Dame  des  Neiges. 
Sa  statue,  en  pierre  de  Saint-Didier,  est  couverte  d'une  peinture  poly- 
chrome, qu'on  rafraîchit  en  1859  pour  la  porter  en  procession  sur  un  bran- 
card, simulant  l'enceinte  murée  de  la  ville  et  couronnée  de  guirlandes  de  lis. 


DÉDICACE  DE  NOTRE-DAME  DES  DOMS.  159 

Lorsqu'en  1409  on  assiégeait  le  palais  des  Papes  que  défendaient  les  soldats 
de  l'antipape  Pierre  de  Lune,  les  chanoines  la  cachèrent,  comme  leur  trésor 
le  plus  précieux,  dans  l'intérieur  de  la  ville.  Le  second  autel  est  celui  de 
Notre-Dame  des  Doms,  sous  la  rotonde.  C'est  là  que,  devant  une  statue  de 
marbre  de  grandeur  naturelle,  l'association  du  Culte  perpétuel  de  Marie  a 
son  siège  et  ses  assemblées  :  association  pieuse  dont  les  membres  se  parta- 
gent tous  les  jours  de  l'année  et  toutes  les  heures  de  chaque  jour,  pour  se 
succéder  les  uns  aux  autres  aux  pieds  de  la  Mère  de  Dieu,  et  lui  rendre 
ainsi  un  culte  incessant  et  public.  Erigée  au  commencement  du  dernier 
siècle  par  l'archevêque  de  Gonteri,  approuvée  et  enrichie  d'indulgences  en 
1713  par  Clément  XI,  elle  perdit  par  la  peste  de  1721  et  1722  un  grand  nom- 
bre d'associés,  et  ses  exercices  furent  quelque  temps  interrompus.  En  1727, 
l'archevêque  de  Gonteri  la  rétablit  solennellement,  et  fit  lui-même  la  pre- 
mière heure  de  la  Vénération  perpétuelle.  Les  heures  suivantes  furent  rem- 
plies par  le  chapitre  métropolitain,  puis  par  tous  les  fidèles  de  la  ville. 
Interrompue  par  la  Révolution  de  93,  elle  reprit  son  cours  en  1853. 

A  cette  confrérie,  la  cathédrale  joint  encore  la  confrérie  du  Saint-Cœur 
de  Marie,  des  pèlerins  de  Saint-Roch,  des  portefaix  de  Saint-Nicolas,  des 
maçons,  des  serruriers  et  autres  métiers.  On  y  fait,  tous  les  samedis,  les 
exercices  de  l'archiconfrérie  de  Notre-Dame  des  Victoires  ;  on  y  prêche  tout 
le  mois  de  Marie,  ainsi  qu'une  neuvaine  préparatoire  à  la  fête  de  l'Imma- 
culée-Conception  ;  et,  le  8  décembre,  la  fête  se  célèbre  avec  une  solennité 
exceptionnelle.  Enfin,  dans  l'élan  de  son  amour  pour  la  sainte  Vierge,  la 
ville  d'Avignon  a  placé  sur  le  faîte  de  sa  basilique  une  statue  monumen- 
tale de  Marie  Immaculée  ;  et  le  24  octobre  1859,  jour  de  cette  inaugura- 
tion, est  demeuré  un  jour  célèbre  dans  les  annales  de  la  cité.  Sept  évêques 
et  plus  de  cent  mille  personnes  étaient  venus  de  vingt  à  trente  lieues  à  la 
cérémonie  ;  et  depuis  neuf  heures  du  matin  jusqu'à  quatre  heures  du  soir, 
une  immense  procession  se  déroula  dans  toute  la  cité,  à  travers  les  rues  ta- 
pissées de  verdure,  faisant  retentir  les  airs  de  chants  d'allégresse,  de  sym- 
phonies musicales,  de  détonations  militaires,  auxquelles  se  mêlaient  les 
joyeux  carillons  de  toutes  les  cloches.  Ce  fut  un  des  plus  magnifiques  hom- 
mages qu'ait  jamais  reçus  la  Vierge  Immaculée. 

Touché  du  zèle  des  Avignonais  pour  l'honneur  de  la  Mère  de  Dieu, 
Pie  IX  s'est  plu  à  glorifier  Notre-Dame  des  Doms.  Le  21  novembre  1475, 
Sixte  IV  l'avait  érigée  en  métropole.  Le  22  décembre  1854,  Pie  IX  l'éleva  au 
rang  des  basiliques  mineures,  rendit  à  son  chapitre  l'usage  de  la  pourpre 
cardinalice,  et  à  sa  vieille  association  du  Culte  perpétuel,  son  existence  ca- 
nonique. Plus  tard,  il  lui  envoya,  dans  une  châsse  précieuse,  le  corps  entier 
de  sainte  Félicité,  martyre  du  troisième  siècle,  et  lui  accorda  une  induU 
gence  plénière  aux  fêtes  de  Noël,  de  l'Epiphanie,  de  l'Ascension,  de  la  Pen- 
tecôte, de  la  Fête-Dieu,  de  l'Immaculée-Conception,  de  la  Nativité,  de  la 
Présentation,  de  l'Annonciation,  de  la  Visitation,  de  la  Purification  et  de 
l'Assomption  de  la  sainte  Vierge,  ainsi  qu'aux  fêtes  de  saint  Augustin,  de 
saint  Ruf,  de  sainte  Marthe,  de  saint  Grégoire  le  Grand,  de  la  dédicace  mi- 
raculeuse de  la  basilique,  enfin,  chaque  dimanche  de  l'année,  sans  compter 
les  indulgences  partielles  de  trois  cents  jours  pour  chaque  visite  qu'on  y 
fait,  de  sept  ans  et  sept  quarantaines,  si  c'est  le  samedi,  et  de  cinq  cents 
jours  pour  toutes  les  messes  qu'on  y  entend. 

Extrait  de  Notre-Dame  de  France»  par  H.  la  aura"  de  Saint-Sulpica. 


460  8  OCTOBRE. 


SAINTE  BENOITE  DE  HOME,  YIERGE  ET  MARTYRE 

A  ORIGNY,  AU  DIOCÈSE  DE  SOISSONS 

362.  —  Pape  :  Saint  Libère.  —  Empereur  romain  :  Julien  {'Apostat. 

Le  Christ  nous  a  appris  par  les  maux  de  cette  vie  à 
mépriser  les  prospérités  du  siècle. 

Saint  Augustin. 

Sainte  Benoîte  était  fille  d'un  sénateur  romain.  Dès  qu'elle  eut  em- 
brassé la  religion  chrétienne,  elle  méprisa  toutes  les  richesses  et  tous  les 
honneurs  de  la  terre,  et,  ayant  gagné  à  Jésus- Christ  une  douzaine  d'autres 
jeunes  filles,  elle  les  prit  dans  sa  maison  et  mena  avec  elles  une  vie  très- 
pieuse.  Comme  elle  vivait  ainsi  dans  tous  les  exercices  d'une  solide  piété, 
le  bruit  du  triomphe  que  l'illustre  martyr  saint  Quentin  et  ses  compagnons 
avaient  remporté  en  Picardie  et  des  miracles  qui  se  faisaient  par  leur  inter- 
cession, se  répandit  dans  Rome  et  lui  inspira  un  si  grand  désir  d'imiter 
l'exemple  de  ces  nobles  Romains,  que,  se  sentant  animée  d'une  sainte  ar- 
deur, elle  abandonna  son  pays  pour  venir  avec  ses  douzes  compagnes  cher- 
cher le  martyre  dans  les  Gaules.  Après  avoir  traversé  les  Alpes,  elles  firent 
quelque  séjour  dans  les  Gaules  lyonnaises,  d'où  elles  se  rendirent  enfin 
dans  la  capitale  du  Vermandois.  Après  y  avoir  visité  dévotement  les  tom- 
beaux de  leurs  saints  compatriotes,  elles  se  partagèrent  pour  aller  en  divers 
endroits,  travailler  à  la  conversion  des  âmes.  Benoîte,  qui  prit  avec  elle 
Léobérie,  fut  conduite  par  l'Esprit  de  Dieu  à  Origny-sur-Oise,  au  diocèse  de 
Soissons  :  là,  par  l'exemple  de  ses  vertus  et  par  des  exhortations  familières 
qu'elle  faisait  avec  une  admirable  ferveur,  elle  gagna  un  grand  nombre  de 
personnes  à  la  religion  chrétienne.  Sa  retraite  ordinaire  était  dans  une 
petite  cellule  qu'elle  fit  bâtir  sur  une  colline,  hors  le  bourg,  du  côté  de  la 
rivière.  Elle  y  passait  les  nuits  en  prière  et  dans  la  contemplation  des 
vérités  divines,  et,  s'étant,  par  cette  sainte  pratique,  remplie  de  grâces  et 
d'onction,  elle  parcourait  ensuite  les  lieux  voisins  pour  y  répandre  les  lu- 
mières que  le  Saint-Esprit  lui  avait  communiquées. 

Les  nouvelles  conquêtes  qu'elle  faisait  tous  les  jours  à  Jésus-Christ  ne 
purent  demeurer  cachées  au  préfet  de  la  province,  nommé  Matrocle  :  il 
avait  ordre  de  l'empereur  Julien  l'Apostat  de  n'épargner  aucun  fidèle  ;  de 
plus,  il  était  juif  d'origine  et  par  conséquent  ennemi  juré  des  chrétiens.  Il 
ne  fut  donc  pas  plus  tôt  informé  des  conversions  qu'opérait  notre  Sainte,  qu'il 
la  fit  arrêter  et  amener  devant  lui.  Il  employa  d'abord  les  artifices  et  la 
douceur  pour  tâcher  de  la  faire  renoncer  à  Notre-Seigneur  ;  mais,  la  trou- 
vant inébranlable  dans  la  foi  et  insensible  à  toutes  ses  belles  paroles,  il  la  rit 
souffleter  puis  fouetter,  ce  qui  fut  exécuté  avec  tant  de  cruauté,  que  le 
corps  de  cette  innocente  vierge  fut  couvert  d'une  plaie  universelle.  Après 
ce  supplice,  elle  fut  jetée  dans  un  obscur  cachot  pour  y  être  réservée 
à  un  nouveau  tourment.  Mais  à  peine  y  fut-elle  entrée,  qu'un  ange 
tout  brillant  lui  apparut,  et,  après  l'avoir  consolée  et  animée  à  la 
persévérance,  la  guérit  parfaitement  de  toutes  ses  blessures.  Cinquante- 
cinq  personnes  qui  l'avaient  vue  auparavant  dans  ce  pitoyable  état,  la 


SAINTE  BENOÎTE  DE  ROME,  VÎERGE  ET  MARTYRE.  161 

voyant  entièrement  guérie  sans  aucun  remède  humain,  reconnurent  la 
toute-puissance  du  vrai  Dieu  et  embrassèrent  la  religion  chrétienne.  Le 
tyran,  ne  pouvant  souffrir  ces  admirables  progrès,  la  fit  comparaître  une 
seconde  fois  devant  son  tribunal  et  tenta  de  nouveau  de  la  séduire.  Mais, 
n'ayant  pu  faire  aucune  impression  sur  son  cœur,  il  la  fit  mettre  sur  le 
chevalet,  et  après  lui  avoir  fait  endurer  plusieurs  tourments,  il  la  renvoya 
en  prison  en  attendant  qu'il  inventât  quelque  autre  genre  de  supplice. 
L'ange  du  Seigneur  l'y  vint  aussitôt  visiter,  la  remplit  de  joie  par  sa  pré- 
sence, la  guérit  encore  une  fois  de  toutes  ses  plaies,  et  enfin  la  délivra  de 
son  cachot  :  ce  qui  fut  cause  de  la  conversion  d'un  grand  nombre  d'idolâ- 
tres. Mais  le  préfet,  demeurant  toujours  dans  son  aveuglement,  et  déses- 
pérant tout  à  fait  de  pouvoir  vaincre  celle  qui  avait  déjà  triomphé  de  sa 
cruauté,  la  condamna  à  mort  et,  par  une  fureur  détestable,  il  se  fit  son 
bourreau  en  lui  déchargeant  à  l'heure  même  un  coup  de  hache  qui  lui 
trancha  la  tête,  le  8  octobre,  l'an  362  de  l'Incarnation. 

Un  grand  nombre  de  miracles  ayant  été  obtenus  par  l'intercession  de 
notre  Sainte,  nous  allons  en  citer  quelques-uns,  tirés  d'un  livre  très-ancien 
et  très-rare  :  Le  miroir  d'Origny.  Ce  livre  a  toujours  fait  autorité. 

Une  fille  d'Origny,  nommée  Alix,  fut  guérie  d'une  cruelle  maladie  de  dix- 
huit  mois,  au  moment  d'une  visite  à  la  chapelle  existant  alors  en  l'honneur 
de  sainte  Benoîte.  Beaucoup  de  témoins  en  déposèrent.  Mais  l'abbesse 
pleine  de  reconnaissance,  voulant  par  une  démonstration  publique  remer- 
cier Dieu  dans  la  chapelle  de  la  Sainte,  convia  à  accompagner  sa  commu- 
nauté, les  chanoines  du  Chapitre.  Deux  d'entre  eux  refusaient  de  croire  à  la 
guérison  merveilleuse,  et  disaient  qu'ils  n'y  croiraient  que  s'ils  voyaient 
guéri  un  pauvre  homme  du  pays,  nommé  Gauthier.  Ce  malheureux  était 
contrefait,  ingambe,  et  se  traînait  par  terre  pour  demander  l'aumône. 
Conduit  à  la  chapelle  de  la  Sainte,  il  obtint  aussi  sa  guérison.  Cet  homme 
demeura  depuis  au  monastère  où  il  resta  plusieurs  années,  vu  et  connu  de 
tout  le  monde. 

Une  femmedeRegny,àune  lieue  d'Origny,  souffrait  d'un  mal  affreux; 
elle  avait  été  prise  des  douleurs  de  l'enfantement  dans  la  campagne,  seule  et 
sans  secours  pour  la  délivrer,  les  intestins  lui  étaient  sortis,  la  corruption 
s'y  mit,  c'était  une  infection.  Deux  femmes  l'amenèrent  à  l'église  de  l'abbaye 
et  elle  fut  bientôt  complètement  guérie. 

Une  fille  d'un  pays  éloigné  avait  les  jambes  torses  au  point  de  ne  pou- 
voir presque  se  soutenir.  Son  père  l'ayant  conduite  à  l'église  de  l'abbaye, 
elle  y  fit  une  neuvaine  et  recouvra  la  santé. 

Un  orfèvre  de  la  ville  d'Angers  fut  guéri  d'un  grave  accident.  Pendant 
son  sommeil,  il  lui  était  entré  des  vers  dans  les  oreilles.  Il  souffrit  des 
maux  incroyables  pendant  huit  à  neuf  mois.  La  science  et  ses  remèdes 
avaient  été  impuissants.  Il  vint  visiter  l'église  où  reposait  le  corps  de  sainte 
Benoîte,  et  après  plusieurs  démarches  et  prières  près  de  la  châsse  de  la 
Sainte,  il  fut  exaucé,  et  jamais  depuis  il  ne  souffrit  de  son  mal. 

En  1589,  une  pauvre  fille  infirme  et  dont  les  membres  étaient  comme 
disloqués,  fut  guérie  après  une  neuvaine,  peu  de  jours  avant  la  Pentecôte. 
On  la  vit  avec  admiration  assister  à  la  grande  procession  du  mercredi  dans 
l'Octave.  Une  autre  femme  nommée  Marsson,  née  à  Origny,  souffrait  d'une 
enflure  à  la  gorge,  telle  que  la  malheureuse  faisait  horreur  à  voir.  Après  plu- 
sieurs neuvaines,  elle  obtint  enfin  une  entière  guérison  et  vécut  plus  de 
vingt  ans  après  en  parfaite  santé. 

On  représente  sainte  Benoîte  torturée  sur  le  chevalet. 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  || 


|£2  8  OCTOBBE. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Son  corps  fut  enterré  par  les  chrétiens  sur  une  petite  colline  auprès  du  lieu  où  elle  avait 
souffert  le  martyre.  Ce  lieu,  d'après  la  tradition  locale,  est  nommé  encore  aujourd'hui  les  Arbres 
du  Thil.  C'est  un  enclos  de  soixante-cinq  verges,  entouré  d'arbres  et  de  haies  vives.  Ce  lieu  est 
journellement  visité  par  un  grand  nombre  de  personnes  ;  à  certains  jours,  et  même  chaque  diman- 
che, ce  sont  comme  des  processions  de  visiteurs  amenés  par  la  confiance  universelle  en  la  sainte 
patronne  du  pays.  Après  être  demeuré  caché  l'espace  de  trois  cents  ans,  le  corps  fut  heureusement 
découvert  par  le  miracle  suivant  :  Un  aveugle,  qui  demeurait  à  Paris,  ayant  eu  révélation  qu'il 
recouvrerait  la  vue  par  le  mérite  de  sainte  Benoîte,  s'il  se  transportait  au  lieu  où  était  son  corps, 
se  fit  conduire  vers  Origny,  et,  par  une  inspiration  divine,  il  s'arrêta  à  l'endroit  même  où  ce  pré- 
cieux trésor  était  caché.  Il  se  rencontra  alors  en  ce  lieu,  par  une  conduite  particulière  de  la 
Providence,  dix-huit  évoques  de  diverses  provinces,  auxquels  cet  aveugle  découvrit  le  sujet  de 
son  voyage,  et  comment  Dieu  lui  avait  fait  connaître  que,  dans  l'endroit  qu'il  désigna,  en  mettant 
son  bâton  dans  la  terre,  reposait  le  corps  d'une  Sainte  vierge  et  martyre,  par  l'intercession  de 
laquelle  il  devait  être  guéri.  Comme  ces  prélats  parlaient  ensemble  d'y  faire  creuser,  ils  furent 
entièrement  confirmés  dans  ce  dessein  par  l'apparition  d'une  colombe,  qui,  après  avoir  voltigé 
quelque  temps  autour  des  arbres,  vint  se  poser,  en  leur  présence,  à  l'endroit  même  que  l'aveugle 
leur  avait  marqué.  Ils  firent  fouiller  et  on  y  trouva  effectivement  le  corps  de  notre  Sainte  avec 
l'histoire  de  son  martyre.  Il  fut  porté  à  Origny,  dans  une  église  de  Chanoines  réguliers,  dédié  à 
saint  Pierre  ;  elle  a  depuis  été  changée  en  une  célèbre  abbaye  de  religieuses  de  l'Ordre  de  Saint- 
Benoit,  qui  possédait  encore,  avant  93,  les  riches  dépouilles  de  cette  illustre  vierge  ;  d'où  vient 
que  ce  lieu  s'appelle  vulgairement  Origny-sainte-Benoîte. 

Le  26  mai  1246,  il  se  fit  une  translation  solennelle  de  ces  saintes  reliques,  par  Garnier,  évoque 
de  Laor.,  pour  les  mettre  dans  une  châsse  d'argent  qu'Emmeline  de  Mauny,  abbesse  d'Origny  et 
sœur  d'Anselme  de  Mauny,  aussi  évêque  de  Laon,  avait  fait  faire,  excepté  le  chef  qu'il  mit  dans 
un  reliquaire  particulier.  Mais,  comme  cette  châsse  avait  perdu  toute  sa  beauté  pour  avoir  été  sou- 
vent transportée  en  divers  lieux,  à  cause  des  guerres,  tant  civiles  qu'étrangères,  principalement 
durant  celles  des  Huguenots,  qu'elle  demeura  longtemps  cachée  dans  la  terre,  Marie-Catherine  de 
Montluc,  abbesse  de  ce  monastère,  en  fit  faire  une  autre  de  vermeil,  que  l'on  compare,  pour  sa 
magnificence,  sa  grandeur  et  son  art,  à  celle  de  Sainte-Geneviève  de  Paris,  et,  l'an  1619, 
les  précieux  ossements  de  la  Sainte  y  furent  solennellement  déposés  par  le  grand-vicaire  de 
l'évèque  de  Laon. 

La  très-riche  châsse  de  sainte  Benoîte  fut  transportée  à  Saint-Quentin  lors  du  sac  de  l'abbaye 
royale  d'Origny,  avec  les  richesses  et  autres  objets  précieux  qu'elle  possédait.  Deux  voituriers  du 
pays,  requis  pour  transporter  ces  riches  dépouilles,  assistaient  avec  grand  serrement  de  cœur  au 
bris  de  la  magnifique  châsse  ;  ils  s'emparèrent  furtivement  d'un  os  de  l'avant-bras  de  la  Sainte, 
se  le  partagèrent,  et  plus  tard  le  rendirent  à  l'église  d'Origny  ;  on  constata  les  choses  authentiquement, 
les  procès-verbaux  de  l'époque  en  font  foi.  L'église  du  Mont-d'Origny  possède  une  parcelle  des 
précieux  ossements;  c'est,  à  ce  que  l'on  assure,  le  don  d'un  ancien  chanoine  de  Saint-Quentin,  au 
commencement  de  ce  siècle.  C'est  depuis  lors  que  cette  église  fait  aussi  annuellement  une  proces- 
sion aux  Arbres  du  Thil,  en  portant  cette  relique,  le  premier  dimanche  d'octobre. 

A  Origny,  la  procession  solennelle  existe  toujours,  mais  elle  a  été  transférée  au  dimanche 
de  la  Trinité.  Jusqu'à  ces  dernières  années,  on  faisait  aussi,  plus  simplement,  une  petite  proces- 
sion le  mercredi  de  la  Pentecôte.  On  y  voyait  encore  quelques  personnes  venues  de  pays  éloignés. 
On  porte  à  la  grande  procession  ce  que  l'on  possède  des  reliques  de  sainte  Benoîte,  pieuse  sous- 
traction des  deux  voituriers  dont  on  conserve  les  noms,  Moret  et  Paris.  On  porte  aussi  d'autres 
saintes  reliques,  restes  précieux  des  nombreuses  richesses  de  l'abbaye  sous  ce  rapport.  Cette  pro- 
cession est  très-solennelle  ;  une  foule  immense  l'accompagne  et  c'est  une  fête  pour  tout  le  pays. 

Lors  des  guerres  des  Bourguignons  et  des  Espagnols,  la  désolation  était  partout,  la  peste 
décimait  les  populations,  la  plupart  des  maisons  étaient  désertes.  La  châsse  de  sainte  Benoîte  fut 
portée  comme  en  un  lieu  de  refuge  à  Laon,  en  1635,  et  on  remarqua  que  la  peste  épargna  la 
seule  rue  où  elle  était  déposée,  la  rue  du  Bloc,  rue  connue  encore  aujourd'hui  sous  ce  nom  par 
tous  les  anciens  habitants  de  Laon. 

Il  ne  reste  plus  rien  à  Origny  de  la  magnifigue  abbaye  qui  vit  à  sa  tète  des  princesses  du  sang 
royal,  ni  de  son  église  ;  le  terrain  est  encore  reconnaissable  ;  il  est  entouré  de  murailles  avec  la 
même  enceinte,  et  le  peuple  l'appelle  encore  l'Abbaye.  Tout  fut  détruit,  saccagé,  ruiné  avec  une 
passion  furieuse  lors  de  la  révolution  de  93.  La  dernière  abbesse,  Madame  de  Narbonne,  mourut 
sur  la  paille  dans  les  prisons  de  Saint-Quentin. 

Nous  avoua  comploté  le  P.  Giry  avec  de3  Notes  fournies  par  M.  le  curé  d'Origny-S.ùnto-Benoîts. 


SAINTE  PÉLAGIE  d'àNTIOCHE,   PÉNITENTE.  163 

SAINTE  PÉLAGIE  D'ANTIOCHE,  PÉNITENTE. 


Vers  460.  —  Pape  :  Saint  Léon  Ier,  le  Grand.  —  Empereur  d'Orient 
Léon  I",  Y  Ancien  ou  le  Grand. 


Lavatvr  et  mundus  est,  qui  et  preterita  plangit, 
et  flenda  iterum  non  committit. 

Celui  qui  pleure  le  passé  et  évite  désormais  tout  ce 
qui  serait  pour  lui  un  sujet  de  larmes,  trouve  dans 
la  pénitence  un  bain  salutaire  qui  le  purifie. 
Saint  Isidore  d'Espagne. 

Sous  l'empire  de  Théodose  le  Jeune  (408-450),  le  très-saint  patriarche 
d'Antioche ,  Maximien,  assembla  un  Synode  d'évêques  pour  quelques 
affaires  particulières  de  sa  province.  Le  bienheureux  Nonne,  qui,  à  cause 
de  son  éminente  sainteté,  avait  été  tiré  de  sa  vie  solitaire  pour  être  mis  sur 
le  siège  épiscopal  d'Edesse,  étant  du  nombre  de  ces  prélats,  fut  prié  par  les 
autres  de  leur  faire  une  exhortation  spirituelle.  Il  la  fit  à  la  porte  de 
l'église  du  martyr  saint  Julien  ;  pendant  que  ses  auditeurs  étaient  suspen- 
dus à  ses  lèvres,  Pélagie,  la  première  et  la  plus  débauchée  des  comédiennes 
de  la  ville  d'Antioche,  y  passa  élégamment  vêtue,  couverte  de  perles,  d'or 
et  de  pierres  précieuses,  dont  l'éclat  éblouissait  les  yeux  de  tout  le  monde, 
et  suivie  d'une  infinité  d'autres  personnes  qui  étaient  aussi  fort  richement 
parées,  afin  de  rendre  sa  marche  plus  pompeuse.  C'était  une  femme  d'une 
beauté  si  ravissante,  qu'on  ne  pouvait  se  lasser  de  la  considérer  ;  plus  on  la 
regardait,  plus  on  découvrait  de  grâces  et  de  charmes  dans  son  port  et  dans 
son  visage.  Elle  portait  toujours  des  parfums  si  excellents,  qu'elle  embau- 
mait les  lieux  par  où  elle  passait.  Elle  avait  la  tête  nue  et  le  sein  dé- 
couvert avec  une  immodestie  qui  allait  jusqu'à  l'impudence.  En  un  mot,  il 
ne  lui  manquait  rien  pour  s'attirer  des  adorateurs  et  séduire  les  cœurs  les 
moins  sensibles  à  la  volupté.  Dès  que  les  évêques  l'aperçurent  en  cet  état, 
ils  tournèrent  la  tête  d'un  autre  côté  pour  ne  point  la  voir  lorsqu'elle  pas- 
serait, déplorant  en  eux-mêmes  la  perte  de  cette  âme.  Il  n'y  eut  que  le  pré- 
dicateur qui  la  regarda  fixement  et  la  suivit  de  l'œil  le  plus  loin  qu'il  put. 
Après  quoi,  s'adressant  à  ses  confrères,  il  leur  dit,  les  yeux  baignés  de 
larmes  :  «  Avez-vous  considéré  la  beauté  et  les  ornements  de  cette  créa- 
ture ?  Hélas  !  Notre-Seigneur  se  servira  d'elle  pour  condamner  notre  négli- 
gence dans  les  fonctions  de  notre  ministère  :  car,  quel  soin  ne  prend- elle 
pas  à  se  parer  et  à  s'ajuster  pour  plaire  aux  hommes  mortels  ?  Elle  emploie 
tout  son  temps  à  cela,  c'est  toute  l'occupation  de  son  esprit,  de  son  cœur 
et  de  ses  mains.  Elle  est  toujours  appliquée  à  trouver  de  nouvelles  inven- 
tions pour  se  rendre  de  plus  en  plus  agréable,  et  se  faire  aimer  de  ceux  qui 
sont  aujourd'hui,  et  qui  peut-être  ne  seront  plus  demain.  Et  nous,  qui 
avons  un  Dieu  d'une  majesté  infinie,  un  Epoux  immortel  que  les  anges  ne 
cessent  jamais  de  contempler,  dont  le  soleil  et  la  lune  admirent  la  beauté, 
et  qui  a  promis  de  grandes  récompenses  à  ceux  qui  le  serviront  fidèlement  ; 
nous,  qui  sommes  éclairés  de  ces  belles  lumières,  nous  négligeons  l'embel- 
lissement de  nos  âmes;  et,  par  une  lâcheté  insupportable,   les  laissons 


164  8  OCTOBKE. 

toutes  languissantes  et  couvertes  d'une  infinité  de  taches  qui  les  rendent 
hideuses  aux  yeux  de  notre  Père  céleste  ».  Aussitôt  qu'il  eut  fini  de  parler, 
il  se  retira  dans  sa  chambre  ;  là,  s'abandonnant  de  nouveau  aux  gémisse- 
ments, il  se  prosterna  contre  terre  pour  demander  pardon  à  Dieu  de  la 
lâcheté  avec  laquelle  il  l'avait  servi  jusqu'alors  :  «  Pardonnez,  Seigneur  », 
disait-il,  «  à  ce  misérable  pécheur;  j'avoue  que  le  soin  que  prend  cette 
femme  pour  orner  son  corps  surpasse  tout  ce  que  j'ai  fait  pour  embellir 
mon  âme,  quoique  j'aie  si  souvent  l'honneur  de  paraître  à  l'autel  devant 
votre  divine  Majesté.  Elle  a  promis  qu'elle  n'épargnerait  rien  pour  plaire 
aux  hommes,  et  elle  ne  manque  point  à  sa  parole  ;  et  moi,  qui  vous  ai 
promis  tant  de  fois  de  me  rendre  agréable  à  votre  divine  Majesté,  je  chan- 
celle dans  mes  résolutions,  et,  par  une  paresse  que  je  condamne  mainte- 
nant, je  vous  ai  trompé,  et  n'ai  point  eu  le  courage  d'exécuter  ce  que  je 
vous  avais  promis  ». 

Le  dimanche  suivant,  le  bienheureux  Nonne  ayant  été  prié,  par  le 
patriarche,  de  faire  une  instruction  au  peuple  après  l'Evangile,  il  parla 
avec  tant  de  véhémence  de  l'horreur  du  péché,  du  redoutable  jugement  de 
Dieu  et  de  la  récompense  qui  est  préparée  à  ceux  qui  le  servent  durant  leur 
vie,  qu'il  tira  des  larmes  de  tous  les  auditeurs.  Pélagie,  par  un  effet  visible 
de  la  miséricorde  divine  sur  elle,  n'était  jamais  entrée  à  l'église  et  n'y  était 
point  venue  ce  jour-là  dans  le  dessein  de  se  convertir  et  de  quitter  sa  mau- 
vaise vie,  mais  plutôt  pour  voir  et  pour  être  vue.  Cependant,  elle  se  sentit 
si  touchée  des  paroles  du  saint  prélat,  qu'après  avoir  pleuré  amèrement 
ses  péchés  comme  les  autres,  elle  résolut  de  les  expier  par  une  sincère  pé- 
nitence. S'étant  retirée  dans  sa  maison,  elle  lui  écrivit  ce  billet  :  «  Au  saint 
disciple  de  Jésus-Christ,  la  pécheresse  et  la  disciple  du  démon.  J'ai  ouï  dire 
de  votre  Dieu  qu'il  est  descendu  des  cieux,  non  pour  sauver  les  justes,  mais 
les  pécheurs  ;  qu'il  sJest  humilié  jusqu'au  point  de  converser  avec  les.  publi- 
cains,  et  que  même  il  n'a  point  dédaigné  de  s'entretenir  avec  une  femme 
pécheresse  de  Samarie.  Si  vous  êtes  disciple  d'un  tel  Maître,  ne  méprisez 
pas  une  pauvre  pécheresse  qui  désire  vous  parler  pour  se  convertir  ». 
I/évêque  reçut  cette  lettre;  mais,  craignant  que  le  démon  ne  se  servît  de 
l'artifice  de  cette  femme  pour  le  surprendre,  il  lui  fit  cette  réponse  :  «  Qui 
que  vous  soyez,  vous  êtes  connue  de  Dieu,  qui  pénètre  le  fond  de  votre 
cœur  et  l'intention  que  vous  avez  ;  gardez-vous  bien  de  vouloir  tenter  la 
fragilité  d'un  homme  pécheur,  qui  a  l'avantage  d'être  le  serviteur  du  Dieu 
tout-puissant;  si  vous  avez  une  volonté  sincère  de  vous  convertir,  vous 
pouvez  me  venir  voir  en  présence  des  autres  évêques;  car  je  ne  crois  pas 
devoir  vous  accorder  une  audience  particulière  pour  ne  pas  m'exposer  à  la 
malice  du  démon  ». 

Pélagie  n'eut  pas  plus  tôt  lu  ces  paroles,  qu'elle  courut  à  l'église  de 
Saint-Julien  ;  et  là,  trouvant  Nonne  avec  les  autres  évêques  assemblés,  elle 
se  jeta  à  ses  pieds  en  leur  présence,  les  baisa  et  les  arrosa  de  ses  larmes, 
puis  après  avoir  confessé  publiquement  que  toute  sa  vie  n'était  que  péchés, 
elle  le  conjura  d'imiter  la  douceur  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  et 
d'avoir  la  bonté  de  la  faire  chrétienne.  L'évêque  l'ayant  obligée  de  se  lever, 
lui  dit  qu'il  était  défendu  par  les  Canons  de  baptiser  une  pécheresse  publi- 
que, si  elle  ne  donnait  auparavant  des  personnes  qui  justifiassent  qu'elle 
était  fortement  résolue  de  ne  plus  retourner  à  sa  mauvaise  vie.  A  cette  ob- 
jection, elle  se  prosterna  derechef  contre  terre,  et  le  pria  avec  une  ferveur 
admirable  de  ne  point  différer  de  lui  accorder  la  grâce  qu'elle  demandait, 
ajoutant,  que  s'il  refusait  de  la  laver  promptement  dans  les  eaux  salutaires 


SAINTE  PÉLAGIE  D'ANTTOCïïE,  TÉNITENTË.  165 

du  Baptême,  elle  le  rendait  responsable  au  jugement  de  Dieu  du  salut  de 
son  âme.  Ces  paroles  entrecoupées  de  soupirs  ex  de  sanglots,  qu'elle  ani- 
mait d'une  foi  vive,  firent  juger  aux  évoques  que  sa  pénitence  étant  véri- 
table, on  pouvait  se  relâcher  en  sa  faveur  de  la  discipline  ecclésiastique  et 
lui  conférer  le  premier  Sacrement  de  l'Eglise  :  c'est  pourquoi  ils  envoyèrent 
au  patriarche,  pour  lui  demander  des  diaconesses  aux  soins  desquelles  elle 
pût  être  confiée.  Romaine,  qui  tenait  le  premier  rang  entre  elles,  fut  aussi- 
tôt destinée  à  cette  fonction.  S'étant  rendue  au  saint  temple,  elle  y  trouva 
encore  Pélagie  aux  pieds  des  évêques,  d'où  elle  eut  bien  de  la  peine  de  la 
retirer  pour  la  faire  exorciser.  Alors,  le  bienheureux  Nonne  lui  demanda 
son  nom  ;  elle  répondit  que  ses  parents  l'avaient  nommée  Pélagie,  mais 
que  ceux  d'Antioche  la  surnommaient  Marguerite,  à  cause  de  la  grande 
quantité  de  perles  dont  elle  se  paraît  ordinairement  afin  de  plaire  aux 
hommes.  Elle  fut  ensuite  exorcisée,  selon  les  cérémonies  de  l'Eglise,  puis 
l'évoque  lui  conféra  le  Baptême  et  lui  imposa  les  mains  pour  la  confirmer. 
Enfin,  sa  pénitence  parut  si  merveilleuse,  qu'il  jugea  même  à  propos  de  lui 
donner  le  corps  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Après  quoi,  il  la  laissa  à  la 
conduite  de  Romaine  pour  être  plus  amplement  instruite  des  mystères  de 
la  religion. 

Ce  changement  produisit  des  effets  bien  différents  dans  les  esprits.  Les  ser- 
viteurs de  Dieu  en  rendirent  des  actions  de  grâces  à  sa  miséricorde,  et  les 
libertins  ne  cessèrent  de  regretter  la  perte  d'une  créature  dont  les  charmes 
leur  plaisaient  si  fort.  Le  démon  même,  qui  perdait  une  si  belle  conquête, 
fit  entendre  une  voix  horrible  pour  se  plaindre  du  saint  évêque,  qui,  non 
content  de  lui  avoir  ravi  irente  mille  Sarrasins  et  tous  les  habitants  de  la 
ville  d'Héliopolis,  convertis  par  ses  prédications,  lui  enlevait  encore  Péla- 
gie, qui  faisait  sa  plus  grande  gloire.  Aussi,  cet  esprit  de  ténèbres  em- 
ploya-t-il  toutes  sortes  d'artifices  pour  tâcher  de  la  replonger  dans  le 
désordre  ;  mais,  par  le  signe  de  la  croix  que  le  saint  prélat  lui  avait  com- 
mandé de  faire  toutes  les  fois  que  cet  esprit  de  ténèbres  la  tenterait,  elle 
triompha  toujours  de  sa  malice. 

Trois  jours  après  son  baptême,  elle  donna  à  saint  Nonne  tous  ses  habits 
précieux,  son  or,  son  argent,  ses  pierreries  et  tout  ce  qui  avait  servi  à  sa 
vanité,  le  priant  de  les  distribuer  aux  pauvres,  aux  veuves  et  aux  orphelins, 
sans  en  rien  réserver  pour  aucun  usage,  quelque  saint  qu'il  pût  être,  afin 
que  le  fruit  de  ses  crimes  et  les  richesses  d'une  pécheresse  publique  de- 
vinssent un  trésor  de  justice,  pour  réparer  le  scandale  qu'elle  avait  donné 
au  peuple.  Elle  affranchit  aussi  tous  ses  esclaves  de  l'un  et  l'autre  sexe,  les 
exhortant  à  profiter  de  leur  liberté,  non  pas  pour  se  soumettre  à  la  servi- 
tude du  péché  et  de  l'iniquité  du  siècle,  mais  pour  servir  Dieu  et  mener 
une  vie  chrétienne.  Le  huitième  jour  auquel  elle  devait  quitter  la  robe 
blanche  dont  elle  avait  été  revêtue  au  baptême,  elle  prit  un  rude  cilice 
avec  une  mauvaise  tunique  d'homme,  et,  à  l'insu  de  Romaine,  sa  maîtresse 
dans  la  foi,  elle  sortit  secrètement  de  la  ville  d'Antioche  et  se  retira  à  Jéru- 
salem sur  le  mont  des  Oliviers,  où  elle  se  bâtit  une  cellule  qui  ne  recevait 
la  lumière  du  soleil  que  par  une  petite  ouverture.  Elle  y  vécut  pendant 
trois  ou  quatre  ans,  sous  le  nom  de  Pelage,  dans  les  exercices  d'une  parfaite 
pénitence.  Au  bout  de  ce  temps-là,  un  diacre  du  bienheureux  Nonne, 
nommé  Jacques,  vint  visiter  les  saints  lieux,  et,  s'étant  informé,  selon  l'or- 
dre de  son  évêque,  du  solitaire  Pelage,  il  y  trouva  notre  pénitente  dans  cet 
ermitage.  Il  ne  la  reconnut  pas,  parce  qu'elle  était  tellement  exténuée  par 
les  austérités,  qu'il  ne  lui  restait  plus  rien  de  son  ancienne  beauté.  Après 


iC6  8  OCTOBRE, 

lui  avoir  fait  les  recommandations  du  saint  prélat,  il  parcourut  tous  les  mo- 
nastères de  la  Palestine,  où  il  ouït  parler  de  Pelage  comme  d'un  prodige 
de  sainteté.  Cette  haute  estime  qu'on  en  avait,  lui  donna  envie  de  retourner 
à  sa  cellule  pour  avoir  la  consolation  de  lui  parler  encore  une  fois  ;  mais  il 
le  trouva  mort.  Il  en  avertit  les  solitaires,  qui  vinrent  aussitôt  pour  lui 
donner  la  sépulture.  On  fut  bien  étonné  d'apprendre  que  c'était  une  femme, 
et  le  bruit  de  cette  merveille,  qui  se  répandit  à  l'heure  même  dans  les  lieux 
circonvoisins,  attira  à  ses  obsèques  un  grand  nombre  de  religieux  et  de 
vierges  des  monastères  de  Jéricho  et  du  Jourdain  ;  ils  vinrent  en  faire  la 
cérémonie  avec  des  cierges  et  des  lampes  allumées,  rendant  gloire  à  Dieu 
d'avoir  donné  le  courage  à  une  femme  de  faire  une  si  rude  pénitence. 

On  la  représente  :  1°  dans  sa  solitude,  priant  devant  un  crucifix  ;  2°  re- 
cevant les  instructions  d'un  évêque,  puis  se  retirant  dans  un  couvent  ; 
3°  avec  des  vêtements  de  femme  mondaine,  couverte  d'étoffes  richement 
brodées  ;  4°  après  sa  conversion,  revêtue  d'un  costume  noir  et  d'une  gra- 
vité toute  chrétienne  ;  ici  sa  tête  est  entourée  du  nimbe,  attribut  de  sa 
sainteté. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Le  culte  de  sainte  Pélagie  est  devenu  célèbre  en  Orient  et  en  Occident.  Les  Grecs  ont  marqué 
sa  fête  dans  leur  ménologe  au  8  octobre.  Le  martyrologe  romain  et  Usuard  le  mettent  au  même 
jour.  On  prétend  que  son  corps  fut  apporté  en  France,  plusieurs  siècles  après  sa  mort,  et  déposé 
dans  la  royale  et  célèbre  abbaye  de  Jouarre,  au  diocèse  de  Meaux,  abbaye  dont  il  ne  reste  plus 
que  les  tours  de  l'église  et  l'abbatiale.  Mais  dans  l'ancien  cimetière  de  l'église  paroissiale,  on  volt 
encore,  adossée  à  une  chapelle,  une  crypte  magnifique  désignée  sous  le  nom  de  Sainte  Chapelle 
de  Jouarre.  On  descend  d'abord  cinq  marches  et  l'on  se  trouve  dans  un  parvis  soutenu  par  des 
murs  en  terrasse  ;  neuf  autres  marches  introduisent  dans  l'enceinte.  La  voûte  est  soutenue  par  six 
colonnes  corinthiennes,  différentes  de  dessin  t  deux  sont  d'albâtre,  deux  autres  de  porphyre  et 
deux  de  jaspe.  Ce  lieu  servit  d'église  aux  premiers  chrétiens  ;  quelques-uns  même  y  souf- 
frirent le  martyre.  On  y  voit  sept  tombeaux  :  l'un  du  fondateur  de  l'abbaye,  l'autre  de  sainte 
Théodéchile,  première  abbesse  ;  les  autres  de  plusieurs  Saints  ;  parmi  ces  derniers  se  trouvaient 
sans  doute  celui  de  sainte  Pélagie.  Tous  les  ans,  les  populations  affluent  aux  processions  où  l'on 
porte  ces  châsses  vénérées,  que  les  habitants  ont  pu  sauver  des  outrages  de  la  Révolution. 

Cependant  nous  lisons  dans  la  Vie  des  Saints  du  diocèse  de  Dijon,  que  vers  l'an  1463,  des 
reliques  de  sainte  Pélagie,  célèbre  pénitente  d'Antioche,  furent  apportées  de  l'Orient,  avec  des  re- 
liques de  saint  Julien,  martyr  d'Alexandrie,  et  de  saint  Macaire  d'Egypte,  par  les  comtes  d'Arma- 
gnac, seigneurs  du  Mont-Saint-Jean,  et  déposées  dans  l'église  de  ce  bourg,  au  doyenné  actuel  de 
Pouilly.  Conservées  avec  un  soin  jaloux  et  entourées  de  pieux  hommages,  elles  sont,  tous  les  ans, 
fêtées'par  un  concours  empressé  de  prêtres  et  de  fidèles. 

Voir  sa  vie  écrite  par  Jacques,  diacre  d'Héliopolis  et  rapportée  par  Surius;  Baillât;  l'Histoire  d»  /'£'- 
:  ''«*  d'Autun  ;  Vie  des  Saints  de  Dijon,  par  M.  l'abbé  Duplus. 


SAINTE  BRIGITTE  DE  SUÈDE,   VEUVE.  167 

"    *"■         -        -.■..-■...  ■  '  ■■.■■■.■      ■       ■■       .  .■  ■       .jl..     ■ ■: 

SAINTE  BRIGITTE  !  DE  SUÈDE,  VEUVE, 

FONDATRICE  DE  L'ORDRE  DU  SAUVEUR 
1373.  —  Pape  :  Grégoire  XL  -*  Roi  de  France  :  Charles  V,  le  Sage. 


Dum  Christi  rénovât  sxvos  lux  sexta  dolores 
Es  frustra  in  pœnas  ingeniosa  tuas  : 

Eerbam  dente  premis  peramaram,  Diva.palato; 
Mellea  sed  Sponsi  felle  fit  herba  tuil 

Quand  le  sixième  jour  ramène  le  souvenir  de  la  pas- 
sion du  Christ,  c'est  en  vain,  âme  généreuse,  quo 
vous  voudriez  vous  associer  à  ses  douleurs. Vaincue 
par  l'amour  que  vous  portez  à  votre  Epoux,  l'herbe 
amère  que  vous  pressez  sous  vos  dents  perd  son 
fiel  dans  votre  bouche  et  se  change  en  un  miel 
délicieux.  Hugues  Vaillant,  Fasti  sacri. 

L'histoire  donne  de  merveilleux  éloges  aux  ancêtres  de  sainte  Brigitte; 
car  non-seulement  elle  les  compare  à  Abraham  et  à  Tobie,  dont  le  texte 
sacré  parle  si  avantageusement,  mais  encore  elle  leur  fait  une  application 
des  vertus  que  le  Saint-Esprit,  dans  le  livre  de  Y  Ecclésiastique,  attribue  aux 
grands  hommes  de  l'Ancien  Testament.  Mais,  sans  remonter  si  haut  et  nous 
éloigner  si  fort  de  notre  sujet,  nous  nous  contenterons  de  dire  que  son  père, 
nommé  Birger,  qui  tirait  son  origine  des  rois  de  Suède,  était  un  prince 
très-vertueux  et  qui  passait  sa  vie  dans  tous  les  exercices  d'une  solide  piété. 
Il  se  confessait  tous  les  vendredis  avec  une  humilité  profonde,  afin,  disait-il, 
de  recevoir  des  forces  chaque  semaine  pour  soutenir  constamment  les  tem- 
pêtes dont  on  est  sans  cesse  agité  dans  ce  monde  ;  il  fit  le  pèlerinage  de 
Saint- Jacques,  en  Galice,  et  visita  un  grand  nombre  d'autres  lieux  de  dévo- 
tion; il  voulait  aussi  aller  à  Jérusalem,  mais  lorsqu'il  fut  à  Rome,  le  Pape, 
pour  des  raisons  que  son  historien  ne  dit  point,  ne  jugea  pas  à  propos  qu'il 
fît  ce  long  voyage.  Pour  sa  mère,  qui  s'appelait  Sigride,  et  descendait  des 
rois  Goths,  c'était  aussi  une  très-sainte  princesse  ;  elle  avait  un  zèle  extraor- 
dinaire pour  l'ornement  des  églises,  et  elle  en  fit  bâtir  plusieurs  qu'elle  dota 
avec  beaucoup  de  magnificence.  Avant  la  naissance  de  Brigitte,  Sigride  fut 
surprise  sur  mer  d'une  si  furieuse  tempête  que,  sans  le  secours  d'Henri, 
frère  du  roi  de  Suède,  qui  la  sauva  presque  par  miracle,  elle  eût  infaillible- 
ment fait  naufrage  avec  plusieurs  autres  de  son  vaisseau  qui  périrent  dans 
cette  occasion.  La  nuit  suivante,  un  homme  vénérable  lui  apparut  et  lui 
dit  :  «  Dieu  vous  a  sauvé  la  vie  à  cause  de  la  fille  que  vous  portez  dans 
votre  sein,  nourrissez-la  pour  son  amour,  et  chérissez-la  comme  un  présent 
singulier  que  le  ciel  vous  fait  ».  Lorsque  cette  enfant  de  grâce  vint  au 
monde  (1302),  un  saint  prêtre  d'une  vertu  consommée,  curé  d'une  paroisse 
voisine,  et,  depuis,  évêque  en  Suède,  étant  en  oraison,  vit  une  nuée  lumi- 
neuse au  milieu  de  laquelle  était  assise  une  vierge,  tenant  un  livre  à  la 
main,  et  en  même  temps  il  entendit  ces  paroles  :  «  Il  est  né  à  Birger  une 
fille  dont  la  voix  sera  entendue  avec  admiration  de  tout  le  monde  ».  Gepen- 

I.  AUtu  :  Brlglde,  Birgittt,  Birgitta, 


468  8  OCTOBRE. 

dant  elle  fut  trois  ans  sans  pouvoir  parler,  comme  si  elle  eût  été  entière- 
ment muette  ;  mais  au  bout  de  ce  temps,  elle  commença  à  parler,  non  pas 
comme  les  enfants  qui,  à  cet  âge,  ne  font  encore  que  bégayer,  mais  avec 
autant  de  facilité  et  de  netteté  que  les  personnes  les  plus  âgées. 

Après  la  mort  de  sa  mère,  qu'elle  perdit  étant  encore  toute  jeune,  son 
père  la  mit  sous  la  conduite  d'une  de  ses  tantes.  A  l'âge  d'environ  sept  ans, 
elle  vit  dans  sa  chambre  un  autel  sur  lequel  était  la  sainte  Vierge,  revêtue 
d'habits  d'un  éclat  merveilleux,  et  qui,  tenant  une  couronne  de  grand  prix, 
l'invitait  à  s'approcher  et  à  la  venir  recevoir  :  Brigitte  se  leva  aussitôt,  cou- 
rut à  cette  Reine  des  anges,  et  reçut  la  couronne  de  sa  main.  Elle  ressentit 
tant  de  consolation  dans  ce  moment,  qu'elle  en  eut  toute  sa  vie  le  souvenir 
présent.  Depuis  ce  temps-là  elle  pratiqua  la  vertu  avec  une  perfection 
admirable.  Elle  méprisait  toutes  les  choses  de  la  terre,  et  avait  le  cœur 
pénétré  de  la  douceur  des  choses  célestes.  Elle  conservait  la  pureté  de  son 
âme  et  de  son  corps  comme  le  plus  grand  trésor  qu'elle  pût  jamais  possé- 
der. Elle  était  sobre,  modeste,  candide,  humble,  soumise,  et  jouissait  d'une 
merveilleuse  tranquillité  de  conscience.  Sa  patience  était  toujours  accom- 
pagnée d'une  sainte  allégresse,  et  elle  faisait  sans  cesse  quelque  nouveau 
progrès  dans  la  charité.  A  l'âge  de  dix  ans,  ayant  ouï  prêcher  sur  la  passion 
de  Notre-Seigneur,  elle  vit,  la  nuit  suivante,  cet  aimable  Sauveur  dans  le 
même  état  qu'il  était  sur  la  croix,  et  qui  lui  dit  :  «  Regarde,  ma  fille,  de 
quelle  manière  j'ai  été  traité  ».  —  «  Qui  est-ce,  mon  Dieu  »,  s'écria-t-elle, 
«  qui  vous  a  fait  toutes  ces  plaies  ?»  —  «  Ce  sont  ceux  qui  méprisent  mes 
commandements  »,  repartit  Jésus-Christ,  «  et  qui  ne  se  mettent  pas  en 
peine  de  correspondre  à  la  tendresse  de  mon  amour  ».  Cette  vue  si  tou- 
chante fit  une  telle  impression  sur  elle,  qu'elle  ne  pouvait  plus  penser  aux 
mystères  de  la  Passion  sans  verser  des  larmes.  Elle  s'occupait,  pendant  la 
journée,  à  faire  à  l'aiguille  des  ouvrages  d'or  et  de  soie.  La  forte  applica- 
tion qu'elle  avait  continuellement  à  Dieu,  l'empêchait  d'être  fort  attentive 
à  ce  travail;  mais  la  divine  Providence  y  suppléait;  car  on  voyait  quelque- 
fois, auprès  d'elle,  une  jeune  fille  d'une  beauté  extraordinaire  qui  l'aidait. 
Sa  tante  l'ayant  vu  elle-même,  elle  prit  l'ouvrage  que  Brigitte  faisait  alors, 
et  le  conserva  comme  une  précieuse  relique.  Elle  ne  donnait  pas  toute  la 
nuit  au  repos,  mais  souvent  elle  se  relevait  pour  faire  sa  prière  devant  un 
crucifix.  Sa  tante,  appréhendant  qu'il  n'y  eût  de  la  légèreté  dans  cette  con- 
duite, l'en  reprit  et  lui  demanda  pourquoi  elle  faisait  cela  ?  «  Je  me  lève  », 
répondit  notre  Sainte,  «  pour  glorifier  celui  qui  a  la  bonté  de  m'assister  à 
tout  moment,  et,  si  vous  voulez  savoir  qui  il  est,  c'est  Notre-Seigneur  Jé- 
sus-Christ,  que  j'ai  eu  la  consolation  de  voir  il  n'y  a  pas  longtemps  ».  Un 
jour  le  démon  lui  apparut  sous  une  figure  horrible;  mais  Brigitte  ayant  eu 
recours  à  son  crucifix,  obligea  ce  spectre  de  se  retirer,  après  qu'il  lui  eut 
avoué  qu'il  ne  pouvait  lui  faire  aucun  mal  si  Jésus  crucifié  ne  lui  en  don- 
nait la  permission. 

Quand  elle  eut  treize  ans,  son  père  la  maria,  comme  malgré  elle,  à  Wul- 
fon,  prince  de  Néricie,  qui  n'en  avait  que  dix-huit.  Elle  passa  un  an  entier 
avec  son  mari  dans  une  parfaite  continence,  priant  sans  cesse  la  divine 
Bonté  de  lui  faire  connaître  son  bon  plaisir  sur  ce  sujet,  et  de  ne  la  desti- 
ner à  avoir  des  enfants  que  pour  sa  plus  grande  gloire.  Ses  vœux  furent 
heureusement  exaucés;  car,  Dieu  lui  ayant  déclaré  qu'elle  devait  être  mère, 
il  lui  donna  quatre  garçons  et  autant  de  filles,  qui  ont  été  tous  des  fruits 
dignes  du  ciel,  savoir  :  Charles  et  Birger,  qui  décédèrent  en  allant  à  Jéru- 
salem pour  la  guerre  sainte;  Benoît  etGudmar,  qui  moururent  en  bas  âge; 


SAINTE  BRIGITTE  DE  SUEDE,  VEUVE.  169 

Marguerite  et  Cécile,  qui  furent  mariées  et  se  rendirent  des  modèles  de 
vertu  dans  leur  condition;  Ingeburge,  qui  embrassa  la  vie  religieuse,  où  sa 
sainteté  a  éclaté  par  plusieurs  miracles  ;  et  l'illustre  sainte  Catherine  de 
Suède,  dont  nous  avons  donné  la  vie  en  son  lieu.  Dans  Tune  de  ses  couches, 
étant  en  danger  de  mourir,  elle  implora  l'assistance  de  la  sainte  Vierge,  qui 
lui  apparut  aussitôt  sous  la  forme  d'une  dame  richement  parée,  et,  la  tou- 
chant de  la  main,  la  délivra  à  l'heure  même  sans  lui  laisser  aucun  reste 
d'incommodité.  Elle  employa  tous  ses  soins  à  élever  ses  enfants  dans  la 
crainte  de  Dieu  et  à  graver  dans  leur  cœur  les  maximes  de  la  religion  chré- 
tienne. Un  jour,  ayant  su  que  son  fils  avait  oublié  de  jeûner  la  veille  de 
saint  Jean-Baptiste,  elle  en  fut  extrêmement  affligée  et  en  pleura  amère- 
ment :  ce  qui  fut  si  agréable  au  divin  Précurseur,  qu'il  lui  apparut  et  l'as- 
sura qu'en  sa  considération  il  serait  le  protecteur  de  ce  même  fils.  Se  voyant 
un  nombre  suffisant  d'enfants  pour  le  soutien  de  sa  famille,  elle  persuada 
à  son  mari  de  garder  la  continence  le  reste  de  leur  vie,  et  par  ses  pieuses 
exhortations,  elle  le  retira  insensiblement  de  la  cour,  où  il  était  un  des 
premiers  conseillers  du  roi  :  elle  lui  inspira  aussi  la  dévotion  de  réciter  tous 
les  jours  le  petit  office  de  Notre-Dame.  Ce  fut  encore  pour  le  détacher 
entièrement  des  vanités  du  monde,  qu'elle  l'engagea  à  faire  avec  elle  le 
pèlerinage  de  Saint-Jacques,  en  Galice,  dans  lequel  ils  souffrirent  des  peines 
incroyables.  A  leur  retour,  Wulfon  étant  tombé  dangereusement  malade  à 
Arras,  Brigitte  en  eut  une  douleur  extrême;  mais  elle  fut  consolée  par  saint 
Denis,  qui  lui  apparut  et  lui  dit  :  «  Je  suis  Denis,  qui  ai  passé  de  Rome  dans 
les  Gaules  pour  y  prêcher  la  parole  de  Dieu.  Gomme  vous  avez  une  singu- 
lière affection  pour  moi,  je.vous  avertis  que  Dieu  veut  se  faire  connaître  au 
monde  par  votre  moyen,  et  qu'il  vous  a  commise  à  mes  soins;  et,  pour 
signe  de  la  vérité  de  ce  que  je  vous  dis,  votre  mari  ne  mourra  pas  de  cette 
maladie  »  ;  ce  qui  arriva  effectivement.  Les  exhortations  de  cette  vertueuse 
épouse  avaient  fait  une  telle  impression  sur  lui  que,  se  sentant  tout  à  fait 
dégoûté  du  monde,  il  fit  vœu,  quelques  jours  après  son  arrivée  en  Suède, 
de  se  faire  religieux.  La  Bulle  de  la  canonisation  de  notre  Sainte  porte  qu'il 
mourut  avant  de  le  pouvoir  exécuter;  mais  le  Bréviaire  romain  et  l'histo- 
rien dont  s'est  servi  Surius,  disent  qu'il  décéda  saintement  dans  le  monas- 
tère d'Alvastre,  de  l'Ordre  de  Cîteaux  :  et,  en  effet,  sa  mémoire  est  mar- 
quée, dans  le  ménologe  de  l'Ordre,  au  26  juillet. 

Après  la  mort  de  son  mari,  elle  commença  à  mener  une  vie  beaucoup 
plus  parfaite  qu'auparavant  ;  entièrement  maîtresse  de  ses  actions  et  ayant 
fait  le  partage  de  ses  biens  à  tous  ses  enfants,  elle  ne  s'appliqua  plus  qu'aux 
exercices  de  piété  :  elle  changea  aussitôt  d'habit,  et,  sans  avoir  égard  à  sa 
qualité  de  princesse,  elle  en  prit  un  conforme  à  la  vie  pénitente  qu'elle 
avait  résolu  de  continuer  le  reste  de  ses  jours.  Les  gens  du  monde  ne  man- 
quèrent pas  de  condamner  sa  conduite  et  de  la  traiter  d'esprit  faible  ;  mais 
elle  se  moqua  de  leur  jugement  et  leur  répondit  généreusement  :  «Je  n'ai 
pas  commencé  pour  vous,  et  toutes  vos  railleries  ne  me  feront  point  changer 
de  résolution  ».  Comme  les  louanges  des  hommes  ne  la  touchaient  point, 
de  même  leurs  mépris  ne  faisaient  aucune  impression  sur  son  cœur.  Elle 
fut  confirmée  dans  son  pieux  dessein  par  une  vision  où  Notre-Seigneur,  lui 
apparaissant  au  milieu  d'une  nuée  toute  lumineuse,  lui  dit  :  «  Je  suis  votre 
Maître  et  votre  Dieu,  et  je  veux  converser  familièrement  avec  vous;  vous 
serez  mon  épouse,  et  je  me  servirai  de  vous  comme  d'un  canal  pour  faire 
connaître  aux  hommes  des  secrets  qu'ils  ignorent  ;  et,  ce  que  je  vous  dirai 
contribuera  au  salut  de  plusieurs.  Ecoutez  donc  ma  voix,  et  rendez  un 


170  8  OCTOBRE. 

compte  fidèle  à  votre  confesseur  des  mystères  que  je  vous  manifesterai  ». 
Ce  fut  là  le  commencement  de  ses  révélations  ;  et,  depuis  ce  temps-là,  elle 
n'entreprit  plus  rien  que  par  un  mouvement  exprès  du  Saint-Esprit. 
Elle  avait  alors  pour  confesseur  un  célèbre  docteur  en  théologie,  nommé 
Mathias,  qui  était  chanoine  de  la  cathédrale  de  Linkœping. 

Pendant  les  trente  années  qu'elle  survécut  à  son  mari,  elle  ne  porta 
point  de  linge,  sinon  un  voile  dont  elle  se  couvrait  la  tête.  Elle  affligeait 
sa  chair  par  un  cilice  fort  rude,  auquel  elle  ajouta,  en  l'honneur  de  la  très- 
sainte  Trinité,  trois  cordes  faites  de  crin  avec  plusieurs  nœuds  dont  elle  se 
ceignait  si  fort,  qu'elles  lui  perçaient  la  peau.  Elle  avait  encore  d'autres 
instruments  de  mortification  qu'elle  mettait  aux  jambes,  afin  de  souffrir 
dans  toutes  les  parties  de  son  corps.  Son  matelas  n'était  qu'un  simple  tapis 
qu'elle  faisait  étendre  auprès  de  son  lit,  lorsqu'elle  voulait  prendre  un  peu 
de  repos.  On  lui  demanda  un  jour  comment,  en  cet  état,  elle  pouvait  ré- 
sister au  froid,  qui  est  extrême  dans  la  Suède,  et  elle  avoua  qu'elle  sentait 
intérieurement  une  si  grande  ardeur,  qu'elle  était  presque  insensible  à  la 
rigueur  de  l'hiver.  Elle  se  mettait  si  souvent  à  genoux,  tant  le  jour  que  la 
nuit  ;  elle  faisait  un  si  grand  nombre  d'inclinations  et  baisait  tant  de  fois  la 
terre,  qu'on  était  étonné  qu'une  femme  de  sa  qualité  et  d'ailleurs  d'une 
complexion  très-délicate,  pût  résister  à  toutes  ces  austérités.  Tous  les  ven- 
dredis elle  faisait  couler  sur  sa  chair  de  la  cire  d'un  cierge  allumé,  jusqu'à 
ce  qu'elle  l'eût  brûlée  suffisamment  pour  faire  une  plaie  ;  et,  lorsque  la 
plaie  se  guérissait  d'elle-même  avant  le  vendredi  suivant,  elle  la  rouvrait 
avec  ses  ongles,  tant  elle  appréhendait  d'être  sans  quelque  nouvelle  dou- 
leur. Ce  même  jour,  pour  honorer  la  passion  de  Notre-Seigneur,  à  qui  les 
soldats  présentèrent  du  fiel  à  la  croix,  elle  portait  dans  sa  bouche  une  herbe 
très-amère,  appelée  gentiane,  afin  de  participer  autant  qu'elle  pouvait  à 
cette  souffrance  de  son  divin  Maître.  Elle  faisait  la  même  chose  quand  il 
lui  arrivait  de  proférer  quelque  parole  avec  trop  de  précipitation,  expiant 
par  là  les  fautes  légères  de  sa  langue.  Elle  avait  coutume,  dès  son  enfance, 
de  se  confesser  tous  les  vendredis  ;  mais,  depuis  la  mort  de  son  mari,  elle 
se  confessait  plus  souvent,  et  même  quelquefois  plusieurs  fois  le  jour.  Elle 
le  faisait  avec  une  très-profonde  humilité,  et,  quoique  ses  péchés  fussent 
peu  considérables,  elle  en  concevait  pourtant  une  extrême  douleur,  les 
pleurant  plus  amèrement  que  les  autres  ne  pleurent  ordinairement  les  plus 
énormes.  Elle  s'approchait  tous  les  dimanches  et  les  fêtes  solennelles  de  la 
sainte  table,  et  recevait  l'Eucharistie  avec  les  sentiments  de  la  plus  tendre 
dévotion.  Elle  ne  se  contentait  point  de  jeûner  les  jours  commandés 
par  l'Eglise  ;  mais  elle  le  faisait  quatre  fois  la  semaine  et  quantité  d'autres 
jours,  selon  que  la  piété  le  lui  inspirait.  Elle  passait  les  vendredis  au  pain 
et  à  l'eau  et  observait  un  grand  nombre  d'autres  jeûnes  avec  la  même  ri- 
gueur. Enfin,  elle  ne  trouvait  aucune  occasion  de  se  mortifier  qu'elle  n'em- 
brassât avec  une  ferveur  admirable,  persuadée  que  c'était  un  moyen  effi- 
cace de  rendre  son  esprit  capable  des  lumières  dont  Notre-Seigneur  avait 
la  bonté  de  la  favoriser. 

Cette  sévérité  envers  elle-même  ne  l'empêchait  point  d'avoir  une  dou- 
ceur merveilleuse  pour  son  prochain,  et  une  extrême  compassion  pour  les 
pauvres.  Elle  en  nourrissait  douze  chaque  jour,  les  servant  elle-même  à 
table  et  leur  fournissant  tout  ce  qui  leur  était  nécessaire,  et  le  jeudi  elle 
leur  lavait  les  pieds  ;  elle  avait  des  hôpitaux  pour  recevoir  les  malades  et 
les  convalescents,  et  y  entretenait  plusieurs  personnes  chargées  de  les  as- 
sister. Son  estime  pour  la  pauvreté  la  porta  à  se  faire  pauvre  elle-même, 


SAINTE  BRIGITTE  DE  SUàOE,  VEUVE.  171 

en  abandonnant  son  revenu  à  une  personne  à  qui  elle  demandait  l'aumône 
pour  l'amour  de  Jésus-Christ.  Dans  ses  pèlerinages,  elle  était  ravie  de  pou- 
voir manger  avec  les  autres  pauvres.  Elle  ne  rougissait  pas  môme  de  men- 
dier avec  eux,  et  le  pain  qu'elle  recevait  dans  ces  occasions,  elle  le  baisait 
avec  une  tendresse  inconcevable  et  le  préférait  aux  mets  les  plus  délicieux  : 
ce  qu'elle  fit  particulièrement  à  Rome,  à  la  porte  du  monastère  de  Saint- 
Laurent,  dit  in  Panisperna,  de  l'Ordre  de  Sainte-Claire. 

Elle  fit  paraître  son  zèle  pour  le  salut  des  âmes,  non-seulement  par  ses 
discours  édifiants  qui  touchaient  tous  ceux  qui  avaient  le  bonheur  de  l'en- 
tretenir, et  par  les  exemples  de  ses  vertus  qui  la  faisaient  admirer  de  tout 
Je  monde  ;  mais  encore  par  un  grand  nombre  de  lettres  qu'elle  écrivit  à 
toutes  sortes  de  personnes,  comme  à  l'empereur,  aux  rois,  aux  princes,  aux 
religieux  et  au  pape  même,  selon  qu'elle  en  recevait  les  ordres  de  Dieu, 
tantôt  pour  les  avertir  de  la  colère  divine  dont  ils  étaient  menacés  s'ils  ne 
taisaient  pénitence,  tantôt  pour  les  reprendre  doucement  et  avec  modéra- 
tion des  fautes  qu'ils  commettaient  dans  leurs  fonctions,  et  tantôt  pour  les 
porter  à  entreprendre  avec  ferveur  l'ouvrage  de  leur  perfection.  Les  abon- 
dantes lumières  qu'elle  recevait  d'en  haut  ne  faisaient  que  la  rendre  plus 
humble  devant  Dieu  et  devant  les  hommes.  Elle  les  soumettait  au  jugement 
de  son  confesseur  et  des  personnes  éclairées,  de  crainte  de  quelque  illusion. 
Son  obéissance  envers  ceux  qui  avaient  quelque  autorité  sur  elle  était  par- 
faite ;  il  est  marqué  dans  la  bulle  de  sa  canonisation  qu'elle  n'osait  presque 
pas  lever  les  yeux  sans  la  permission  de  son  directeur.  Sa  patience  fut 
invincible  dans  ses  afflictions  et  ses  maladies,  et  elle  les  souffrait  avec  une 
entière  conformité  à  la  volonté  de  Dieu,  sans  se  laisser  aller  aux  plaintes  et 
aux  murmures. 

Parmi  les  révélations  qu'elle  eut,  elle  apprit  de  Jésus-Christ  môme  les 
constitutions  qu'elle  devait  donner  à  soixante  religieuses  qu'elle  avait  as- 
semblées dans  le  monastère  de  Wadstena  ou  Wastein,  fondé  en  1344  par 
ses  libéralités.  Elle  les  proposa  aussi  à  garder  à  vingt-cinq  religieux  qui 
vivaient  sous  la  Règle  de  Saint-Augustin.  Et  ce  fut  là  le  commencement  de 
l'Ordre  que  l'on  a  depuis  appelé  de  Sainte-Brigitte  ou  du  Saint-Sauveur. 
Ces  constitutions  ont  été  approuvées  par  le  Siège  apostolique.  Lorsqu'elle 
eut  séjourné  environ  deux  ans  dans  le  monastère  de  Wadstena,  Notre-Sei- 
gneur  lui  apparut  et  lui  commanda  d'aller  à  Rome,  afin  qu'elle  pût  parti- 
ciper aux  grâces  abondantes  que  tant  de  saints  martyrs  ont  méritées  par 
l'effusion  de  leur  sang  pour  ceux  qui  visitent  cette  ville.  Elle  ne  différa 
point  d'obéir  à  cette  inspiration  ;  mais  abandonnant  au  plus  tôt  son  pays 
et  toutes  ses  connaissances,  elle  entreprit  généreusement  ce  pèlerinage. 
Elle  visita  en  chemin  une  infinité  de  lieux  de  dévotion,  s'exposant  avec  joie 
aux  fatigues  du  chemin,  pour  avoir  la  consolation  de  rendre  ses  respects 
aux  Saints  qui  y  étaient  honorés  ;  et  ses  prières  étaient  toujours  récom- 
pensées par  des  faveurs  extraordinaires  que  Dieu  répandait  dans  son  âme  : 
on  la  vit  souvent  ravie  en  extase. 

A  Rome,  elle  donna  de  grands  exemples  de  vertu.  Elle  allait  souvent  à 
pied  aux  églises  des  stations  dans  les  temps  les  plus  fâcheux,  quoiqu'elle  fût 
déjà  âgée  et  qu'elle  eût  le  corps  tout  exténué  par  ses  grandes  austérités  ; 
et  au  lieu  d'employer  son  bien  à  se  procurer  des  commodités,  elle  le  distri- 
buait aux  pauvres,  dont  elle  prenait  autant  de  soin  que  s'ils  eussent  été  ses 
propres  enfants.  Elle  allait  voir  ceux  qu'elle  savait  être  les  plus  abandonnés 
de  tout  secours  humain,  et  les  assistait  avec  une  charité  infatigable.  On  la 
voyait  dans  les  hôpitaux  rendre  aux  malades  des  services  que  Ton  confie 


172  8  OCTOBRE, 

ordinairement  aux  moindres  serviteurs.  Elle  s'appliquait  toujours  à  ceux 
qui  faisaient  plus  d'horreur,  dans  la  crainte  qu'ils  ne  fussent  pas  si  bien 
traités  que  les  autres  ;  elle  n'appréhendait  point  de  toucher,  de  nettoyei  et 
de  panser  des  plaies  dont  la  seule  vue  faisait  bondir  le  cœur.  Elle  conféra 
aussi  à  Rome  avec  plusieurs  docteurs  et  avec  d'autres  personnes  de  toutes 
sortes  de  conditions,  à  qui  elle  inspira  de  grands  sentiments  pour  Dieu. 
Elle  y  publia  ensuite  quelques  révélations,  qui  firent  avouer  que  Notre-Sei- 
gneur  parlait  par  sa  bouche.  Elle  connaissait  le  fond  des  consciences  et 
découvrait  les  plus  secrets  mouvements  du  cœur  de  ceux  qu'elle  voyait  ; 
elle  avait  une  si  grande  horreur  du  péché,  qu'elle  sentait  exhaler  une  odeur 
insupportable  des  personnes  qui  étaient  en  mauvais  état  ;  mais  elle  se  ser- 
vait utilement  de  toutes  ces  lumières  pour  gagner  leurs  âmes  à  Jésus-Christ, 
en  leur  disant  ce  qu'il  fallait  pour  exciter  en  elles  les  sentiments  d'une  vé- 
ritable conversion.  De  Rome,  elle  fit  divers  autres  pèlerinages,  comme  en 
Sicile,  au  royaume  de  Naples  et  en  d'autres  lieux  de  dévotion  d'Italie,  et 
elle  laissa  partout  des  marques  éclatantes  de  sa  sainteté  :  les  peuples  étaient 
édifiés  et  embaumés  par  la  bonne  odeur  de  ses  vertus. 

Après  tous  ces  voyages,  qui  l'avaient  réduite  à  une  extrême  faiblesse, 
Notre-Seigneur  lui  commanda  de  faire  celui  de  Jérusalem  pour  y  visiter  les 
lieux  sanctifiés  par  les  mystères  de  la  Rédemption  des  hommes.  Il  l'assura 
en  même  temps  qu'il  lui  donnerait  les  forces  nécessaires  pour  le  faire,  et 
qu'il  serait  lui-même  son  guide  et  son  protecteur.  Elle  exécuta  prompte- 
ment  et  fidèlement  cet  ordre  de  son  divin  Epoux  et  se  rendit  dans  la  Pales- 
tine avec  sainte  Catherine,  sa  fille.  Elle  n'omit  aucun  des  endroits  que  le 
Sauveur  a  honorés  de  sa  présence,  et  elle  reçut  partout  des  grâces  toutes 
particulières.  Ce  fut  dans  l'exercice  de  cette  dévotion  que  Dieu  lui  révéla 
quantité  de  choses  touchant  l'état  de  plusieurs  royaumes,  comme  la  déso- 
lation de  celui  de  Chypre  et  la  ruine  entière  de  l'empire  des  Grecs,  à  cause 
de  leur  schisme.  Elle  eut  aussi  la  connaissance  de  diverses  particularités  de 
la  mort  et  de  la  passion  de  Jésus-Christ,  et,  pour  nous  servir  des  termes  de 
l'histoire  de  sa  vie,  elle  mérita  d'y  goûter  la  suavité  des  plaies  de  Notre-Sei- 
gneur et  d'être  souvent  inondée  des  douceurs  ineffables  de  ses  communi- 
cations divines.  A  son  retour,  elle  visita  encore  quelques  églises  d'Italie,  et 
spécialement  celle  d'Ortona,  dans  la  Pouille,  à  cause  des  reliques  de  saint 
Thomas  l'Apôtre.  Elle  désirait  ardemment  en  avoir  quelques-unes,  et  lors- 
qu'elle les  avait  visitées  la  première  fois,  elle  avait  eu  assurance,  dans  une 
vision,  qu'à  la  seconde  elle  obtiendrait  ce  qu'elle  demandait.  En  effet, 
comme  elle  priait  dévotement  devant  ces  mêmes  reliques,  saint  Thomas 
lui  apparut  et  lui  dit  que  le  temps  était  venu  de  lui  donner  ce  qu'elle  désirait 
si  vivement,  et  à  l'heure  même  un  morceau  d'un  ossement  se  détacha  du 
reliquaire,  sans  le  secours  apparent  d'aucune  personne,  et  vint  se  mettre 
entre  ses  mains.  Cette  merveille  est  rapportée  dans  le  chapitre  rv  du 
livre  vn  de  ses  Révélations,  où  le  cardinal  de  Torrecremata,  dans  ses  Notes, 
prouve  qu'il  y  avait  des  reliques  de  cet  Apôtre  dans  cette  église. 

Avant  son  départ  de  Jérusalem,  elle  avait  été  attaquée  d'une  fièvre  et 
d'une  débilité  d'estomac  qui  lui  causèrent  des  douleurs  très-aiguës  pendant 
une  journée  entière.  A  Rome,  sa  maladie  augmenta  beaucoup  et  la  m  na 
enfin  au  tombeau.  Cinq  jours  avant  sa  mort,  Notre-Seigneur  lui  apparut 
pour  la  dernière  fois,  lui  donna  des  assurances  de  son  bonheur  éternel,  lui 
prescrivit  ce  qu'elle  avait  à  faire  jusqu'à  ce  qu'elle  y  arrivât,  lui  marqua 
précisément  cet  heureux  moment,  et  lui  enseigna  de  quelle  manière  elle 
devait  se  faire  ensevelir,  savoir  :  avec  l'habit  des  religieuses  de  l'Ordre 


SAINTE  BRIGITTE  DE  SUÈDE,  VEUVE.  173 

qu'elle  avait  fondé,  quoiqu'elle  ne  l'eût  pas  porté  durant  sa  vie  ;  il  lui  dé- 
couvrit  ce  qui  arriverait  de  son  corps  et  comme  il  serait  transféré  en  Suède, 
à  la  réserve  de  quelque  partie  qui  resterait  à  Rome,  et  lui  dit  enfin  plusieurs 
choses  secrètes  pour  les  déclarer  à  quelques  personnes  particulières.  Au 
bout  de  ce  temps,  voyant  paraître  l'heureux  jour  où  elle  devait  être  déli- 
vrée de  ce  monde  pour  aller  jouir  éternellement  de  la  présence  de  son  cé- 
leste Epoux,  elle  acheva  de  donner  à  Birger  et  à  Catherine,  ses  enfants,  qui 
étaient  avec  elle,  de  beaux  enseignements  pour  la  conduite  de  leur  vie  et 
la  pratique  de  la  vertu,  et  reçut  les  derniers  sacrements  de  l'Eglise  dans 
une  parfaite  liberté  d'esprit  et  un  entier  usage  de  ses  sens.  Enfin,  après 
avoir  adoré  le  corps  de  Jésus- Christ  à  la  messe  que  l'on  célébrait  dans  sa 
chambre,  en  disant  ces  paroles  :  «  Seigneur,  je  recommande  mon  esprit 
entre  vos  mains  »,  elle  rendit  paisiblement  son  âme  à  Dieu  le  23  juillet, 
l'an  du  salut  1373,  étant  plus  que  septuagénaire.  Plusieurs  personnes  eurent 
aussitôt  révélation  de  sa  gloire. 

On  la  représente  :  1°  Priant  devant  un  crucifix,  ou  voyant  Jésus-Christ 
portant  sa  croix  ;  2°  cachant  sous  son  manteau  diverses  figures  de  religieux 
et  religieuses  de  son  Ordre  ;  3°  tenant  une  image  delà  sainte  Vierge  ;  4°  te- 
nant une  croix,  ou  un  livre  et  une  croix. 

CULTE  ET  RELIQUES.  —  SES  ÉCRITS. 

ORDRE   DE    SAINTE  -  BRIGITTE    OU    DU    SAINT  -  SAUVEUR. 

Son  corps  fut  enterré  dans  l'église  des  religieuses  de  Sainte-Claire,  du  monastère  de  Saint- 
Laurent  in  Panispernâ,  sur  le  Viminal.  Outre  quelques  miracles  qu'elle  avait  faits  pendant  sa  vie 
et  ceux  qui  se  firent  à  son  cercueil  avant  sa  sépulture,  il  s'en  fit  un  grand  nombre  à  son  tombeau 
et  ailleurs  à  son  invocation  ;  saint  Antonin  remarque,  entre  autres,  la  résurrection  de  dix  morts. 
L'empereur,  les  rois,  les  princes,  une  infinité  de  prélats  et  de  grands  seigneurs,  et  surtout  la  bien- 
heureuse Catherine,  sa  fille,  poursuivirent  instamment  sa  canonisation,  qui  fut  faite  le  7  octobre 
1391  par  le  pape  Boniface  IX.  Un  an  après  sa  mort,  son  corps,  excepté  un  bras,  fut  transporté, 
par  les  soins  de  ses  enfants,  de  Rome  en  Suède,  où.  il  fut  inhumé  dans  le  monastère  du  Saint- 
Sauveur  de  Wadstena  qu'elle  avait  fondé. 

•  Le  souvenir  de  sainte  Brigitte  est  encore  vivant,  à  Rome,  au  monastère  de  Saint-Laurent  in 
Panispernâ  qu'elle  habita,  aux  catacombes  de  Saint-Sébastien  où  elle  faisait  de  fréquents  pèleri- 
nages, et  à  la  basilique  de  Saint-Paul  où  elle  eut  plusieurs  de  ses  révélations.  Le  crucifix  qui  lui 
parla  est  pieusement  conservé  dans  cette  basilique  :  on  le  découvre  le  premier  de  chaque  mois  et 
le  jour  du  vendredi  saint.  Ce  crucifix,  plus  grand  que  nature,  a  la  tête  fortement  tournée  à  droite, 
et  l'expression  de  la  vie  s'y  trouve  jointe  à  celle  d'une  indicible  douleur. 

Sainte  Brigitte  est  honorée  depuis  plusieurs  siècles  d'un  culte  particulier,  à  Villechaud,  au 
diocèse  de  Nevers  ;  les  anciens  registres  de  la  paroisse  de  Saint-Agnan  de  Cosne  font  mention  de 
deux  fêtes  de  sainte  Brigitte,  l'une  le  8  octobre,  et  l'autre  le  lundi  de  la  Pentecôte.  En  ces  deux 
jours,  une  procession  partait  de  l'église  de  Saint-Agnan  pour  se  rendre  à  Villechaud. 

Dans  cette  chapelle,  on  voit  une  statue  en  pierre  de  la  Sainte,  qui  passe  pour  fort  ancienne,  et 
qui  a  toujours  été  l'objet  d'une  grande  vénération.  A  l'époque  de  la  Révolution,  elle  fut  cachée 
par  une  pieuse  famille,  et  remise  à  sa  place  quand  l'orage  révolutionnaire  fut  dissipé.  Les  deux 
fêtes  de  sainte  Brigitte  se  célèbrent  comme  par  le  passé  dans  le  diocèse  de  Nevers. 

Les  œuvres  de  sainte  Brigitte  contiennent  :  1°  des  Prières  sur  les  souffrances  et  l'amour  de 
Jésus-Christ  ;  2°  sa  Règle  ;  3°  ses  Révélations  ;  4<>  un  Discours  sur  l'excellence  de  la  Vierge  Marie, 
et  quatre  prières  qui  ont  pour  objet  de  remercier  Dieu  des  principaux  mystères  de  la  vie  de  la  sainte 
Vierge  dans  l'incarnation  du  Verbe.  —  Les  Révélations  ont  été  imprimées  à  Lubeck,  en  1491  ;  à 
Nuremberg,  en  1521  ;  à  Rome,  en  1521, 1556,  1606, 1608;  à  Anvers,  en  1611  ;  à  Cologne,  en  1628; 
à  Munich,  en  1680.  Le  cardinal  de  Turrecremata,  chargé  par  le  concile  de  Bâle  d'examiner  ses 
révélations,  en  fit  une  apologie,  dont  la  première  partie  a  été  imprimée  avec  les  révélations.  Le 
pape  Benoit  XIV  s'exprime  ainsi  sur  les  révélations  de  sainte  Brigitte  :  «  L'approbation  de  sem- 
blables révélations  n'emporte  autre  chose,  sinon  que,  après  un  mûr  examen,  il  est  permis  de  les 
publier  pour  l'utilité  des  fidèles...  Quoiqu'elles  ne  méritent  pas  la  même  créance  que  les  vérités  de 


174  8  OCTOBRE. 

la  religion,  on  peut  cependant  les  croire  d'une  foi  humaine,  conformément  aux  règles  de  la  pru- 
dence, selon  lesquelles  elles  sont  probables,  et  appuyées  sur  des  motifs  suffisants  pour  qu'on  les 
croie  pieusement  ». 

Sainte  Brigitte  fonda  à  Wadstena  (Wastein),  dans  le  diocèse  de  Linkœping,  en  Suède,  un  cou- 
vent où  elle  plaça  soixante  religieuses. 

Dans  un  bâtiment  séparé,  elle  réunit  treize  prêtres  religieux,  en  l'honneur  des  apôtres  saint 
Pierre  et  saint  Paul  ;  quatre  diacres,  en  souvenir  des  quatre  grands  docteurs  de  l'Eglise,  saint 
Ambroise,  saint  Augustin,  saint  Grégoire  le  Grand,  saint  Jérôme,  et  enfin  huit  frères  lais,  pour 
administrer  et  soigner  les  affaires  temporelles.  Les  religieuses,  avec  les  frères  lais  et  les  diacres, 
devaient  représenter  les  soixante-douze  disciples  du  Christ.  Elle  nomma  sa  fondation  l'Ordre  du 
Sauveur,  Ordo  Salvatoris,  parce  que,  disait-elle,  le  Sauveur  lui-  en  avait  prescrit  lui-même,  dans 
une  vision,  les  règles  les  plus  importantes.  Pierre  d'Alvastra  les  rédigea,  et  obtint  de  sainte  Bri- 
gitte la  permission  d'y  ajouter  quelques  dispositions  tirées  d'autres  Règles.  La  Sainte  demanda 
l'approbation  de  sa  Règle  à  l'Eglise.  Le  pape  Urbain  V,  en  l'approuvant  (1370),  y  apporta  de 
notables  changements,  et  ne  la  considéra  que  comme  un  statut  particulier  de  l'Ordre,  qui  d'ailleurs 
fut  établi  sur  la  Règle  de  Saint-Augustin. 

D'après  ces  statuts,  cet  Ordre  de  femmes  est  institué  en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge  ;  les 
religieux  sont  chargés  de  pourvoir  aux  besoins  spirituels  des  religieuses,  et  leur  nombre  ne  doit 
pas  dépasser  celui  de  treize,  que  nous  avons  indiqué  plus  haut.  Les  religieuses  ne  peuvent  être 
admises  avant  l'âge  de  dix-huit  ans,  les  religieux  avant  vingt-cinq.  Les  postulants  sont  renvoyés 
trois  fois  pendant  trois  mois,  et  sont  obligés  à  chaque  fois  de  renouveler  leur  demande,  de  sorte 
que  le  postulat  dure  un  an,  pendant  lequel  on  doit  sérieusement  éprouver  sa  vocation. 

Après  l'année  du  postulat,  l'évêque  diocésain  parait  à  la  porte  de  l'église,  et  ce  n'est  qu'après 
avoir  encore  une  fois  formulé  sa  demande  et  avoir  répondu  à  diverses  questions  sur  sa  vie  passée, 
que  la  postulante  est  reçue.  On  porte  devant  elle  un  étendard  rouge,  ayant  un  crucifix  d'un  côté 
et  de  l'autre  l'image  de  la  sainte  Vierge.  L'un  doit  lui  rappeler  la  patience  et  la  pauvreté,  l'autre 
l'humilité  et  la  chasteté.  La  postulante  reste  à  l'entrée  de  l'église  pendant  que  l'évêque  bénit  un 
anneau  et  le  lui  passe  au  doigt.  Alors  l'évêque  dit  la  sainte  Messe.  La  postulante  fait  son  offrande 
à  l'Offertoire,  revient  à  sa  place  jusqu'à  ce  que  le  célébrant,  après  avoir  béni  son  costume,  la 
fasse  chercher  par  deux  prêtres.  Elle  s'avance  pieds  nus,  dépouille  à  un  coin  de  l'autel  ses  habits 
séculiers  et  reçoit  l'habit  de  l'Ordre. 

L'évêque  continue  la  messe,  se  retourne  vers  l'endroit  où  d'ordinaire  les  fiancés  sont  bénis  et 
unis,  place  sur  la  tête  de  la  postulante  la  couronne  des  religieuses  et  termine  le  saint  Sacrifice. 
Lorsqu'il  est  achevé,  la  nouvelle  fiancée  de  Jésus-Christ  se  jette  aux  pieds  de  l'évêque  et  reste 
prosternée  tandis  que  l'évêque  chante  les  litanies  :  puis  l'évêque  la  relève  et  lui  donne  la  commu- 
nion. Pendant  ce  temps,  quatre  religieuses  ont  ouvert  le  couvent,  et  elles  y  portent  sur  un  bran- 
card la  religieuse,  qui  entre  ainsi  dans  le  monastère,  accompagnée  par  l'évêque.  Des  cérémonies 
analogues  ont  lieu  pour  la  réception  d'une  religieuse. 

Les  ordonnances  relatives  au  jeûne  et  à  la  pauvreté  ne  sont  pas  très-sévères.  Le  costume  des 
religieuses  consiste  en  une  robe  grise  avec  un  capuchon  et  un  manteau  de  même  couleur.  Le  man- 
teau est  agrafé  par  un  bouton  de  bois  et  garni  en  hiver  de  peau  de  mouton.  Un  fichu  blanc 
encadre  le  visage,  se  relève  des  deux  côtés,  couronne  le  front  et  s'attache  au  haut  de  la  tête  par 
une  épingle. 

Par-dessus  ce  fichu  elles  portent  un  voile  de  lin  noir,  et  au-dessus  du  voile  une  couronne  de 
toile  blanche  avec  cinq  petites  taches  rouges.  Le  costume  des  Pères  est  de  la  même  couleur  que 
celui  des  religieuses.  Les  prêtres  portent  au  côté  gauche  une  croix  rouge  au  milieu  de  laquelle 
est  une  hostie  blanche;  les  diacres,  un  cercle  avec  une  flamme  rouge,  et  les  frères,  une  croix 
blanche  avec  cinq  taches  de  sang.  Les  religieuses  sont,  pour  le  temporel,  soumises  à  l'abbesse, 
comme  dans  l'Ordre  de  Fontevrault;  elles  sont,  pour  le  spirituel,  sous  la  direction  des  moines. 

Tous  les  couvents  sont  sous  la  dépendance  de  l'évêque  diocésain,  qui  a  droit  de  visite.  L'ab- 
besse doit  veiller  à  la  conservation  de  la  discipline.  Une  tombe  ouverte  dans  le  couvent  et  un 
cercueil  exposé  dans  l'église  doivent  incessamment  rappeler  aux  religieuses  leurs  fins  dernières. 
Leur  habitation  et  celle  des  moines  sont  absolument  séparées  les  unes  des  autres.  L'église  est 
commune,  mais  bâtie  de  manière  que  les  moines  et  les  nonnes  ne  se  voient  pas. 

L'Ordre  ainsi  constitué  se  répandit  surtout  dans  les  Etats  du  Nord,  auxquels  il  rendit  les  plus 
grands  services.  Il  avait  aussi  quelques  maisons  en  France  et  en  Italie,  où  il  possède  encore 
deux  couvents  fort  riches,  dans  l'un  desquels  on  ne  reçoit  que  des  femmes  ou  des  filles  de  haute 
naissance.  Avant  la  révolution  française  et  la  sécularisation  en  Allemagne,  on  trouvait  quelques- 
uns  de  ces  couvents  doubles  en  Flandre  ;  il  y  en  avait  dix  en  Allemagne.  En  Angleterre,  il  n'y 
avait  autrefois  qu'un  couvent  de  l'Ordre,  à  Middlesex,  sur  la  Tamise,  à  dix  milles  de  Londres.  Il 
avait  été  fondé  en  1413  par  Henri  V,  avec  une  magnificence  royale.  Comme  il  offrait  une  proie 
notable,  les  revenus  montant  de  1,700  à  1,900  livres  sterling  (environ  50,000  francs),  il  fut  un 
des  premiers  monastères  pillés  sous  Henri  VIII.  Edouard  VI  le  donna  d'abord  à  Edouard,  duc  de 
Somerset,  duquel  il  passa  au  duc  de  Northu-oaberland.  La  reine  Marie  le  rendit  à  l'abbesse  ;  mais 


LE  SAINT  VIEILLARD  SIMÉON  ET  LA  PROPHÈTESSE  ANNE.  175 

il  fut  de  nouveau  repris  sou3  Elisabeth,  et  les  religieuses  persécutées  se  réfugièrent  à  Malines,  à 
Rouen,  etc.  Enfin  elles  se  fixèrent  à  Lisbonne.  Le  roi  Philippe  et  plusieurs  personnes  pieuses  leur 
fournirent  les  secours  nécessaires  à  leur  établissement,  tandis  qu'une  dame  portugaise,  qui  était 
entrée  dans  leur  Ordre,  leur  donnait  une  de  ses  terres  patrimoniales. 

L'Ordre  de  Sainte-Brigitte  eut  le  malheur  d'avoir  la  plupart  de  ses  couvents  précisément  situés 
dans  des  pays  ravagés  par  le  schisme  du  xvi°  siècle,  et  de  les  voir  ainsi  en  majeure  partie  ruinés 
par  la  Réforme.  Le  seul  couvent  de  Wadstena  parvint,  par  une  espèce  de  miracle,  à  se  maintenir 
assez  longtemps  à  travers  les  troubles  religieux  du  pays  ;  ses  habitants  supportèrent  la  persécution 
et  le  mépris  des  Protestants  avec  une  patience  héroïque,  et  trouvèrent  de  nobles  protecteurs  dans 
Jean  III  et  le  nonce  du  Pape,  le  Père  Possevin.  Sept  religieuses  purent  encore  faire  leurs  vœux 
entre  ses  mains.  Mais  lorsque  le  duc  Charles  de  Sudermanie,  père  de  Gustave-Adolphe,  eut  obtenu 
de  la  diète  de  Suderkœping  (1595)  qu'on  extirperait  de  Suède  les  derniers  vestiges  de  la  papauté, 
le  couvent  de  Wadstena,  le  dernier  et  le  plus  célèbre  des  monastères  de  Suède,  fut  aboli  comme 
les  autres  et  devint  un  chapitre  de  dames  protestantes. 

La  Règle  de  Sainte-Brigitte  subit  alors  de  notables  changements  là  où  elle  put  encore  être 
observée.  Notamment  on  ne  put  plus  obéir  aux  désirs  de  la  sainte  fondatrice  en  ce  qui  concernait 
le  nombre  des  membres  de  l'Ordre  et  leur  soumission  à  la  supérieure,  car  plusieurs  couvents  ne 
comptèrent  que  fort  peu  de  religieuses  et  n'eurent  plus  de  moines.  À  côté  des  pieux  personnages 
qui  ont  honoré  cet  Ordre,  il  a  eu  le  malheur  de  nourrir  dans  son  sein  un  des  fléaux  de  l'Eglise, 
Œcolampade,  qui  était  prêtre  au  couvent  de  Saint-Sauveur,  près  d'Augsbourg. 

Un  culte  spécial  que  Marine  Escobard  avait  pour  sainte  Brigitte  fit  introduire  son  Ordre  à  Val- 
ladolid,  en  Espagne,  dans  la  première  moitié  du  xvii*  siècle.  Elle  projeta,  dans  ce  but,  des 
statuts  particuliers  d'après  les  Règles  de  Sainte-Brigitte  ;  son  confesseur,  le  Père  du  Pont,  les 
rédigea,  et  le  pape  Urbain  VIII  les  approuva.  Ces  Brigittines,  appelées  de  la  Récollection,  obtin- 
rent quatre  couvents  en  Espagne.  Elles  avaient  le  même  costume  que  les  religieuses  de  Suède,  et 
ne  s'en  distinguaient  que  par  une  croix  rouge  sur  leur  voile.  D'autres  prétendent  que  le  premier 
couvent  de  Sainte-Brigitte  fut  fondé  à  Valladolid  par  Elisabeth  de  France,  femme  du  roi  d'Espagne 
Philippe  IV.  Marine  Escobard  mourut  en  1633,  à  Valladolid,  âgée  de  plus  de  quatre-vingts  ans, 
sans  avoir  porté  l'habit  de  l'Ordre. 

Une  association  bien  plus  ancienne  de  vierges  irlandaises  reconnaît  sainte  Brigitte,  patronne  de 
l'Irlande,  comme  «a  fondatrice,  et  pprte  son  nom.  Cet  Ordre  devint  une  pépinière  d'où  sortirent 
plusieurs  autres  couvents  qui  tous  reconnurent  sainte  Brigitte  pour  leur  mère  et  fondatrice. 
Les  religieuses  de  Sainte-Brigitte  d'Irlande  portaient  une  robe  blanche,  un  manteau  noir  et  un 
voile  de  même  couleur. 

On  a  prétendu  qu'il  avait  existé  un  Ordre  de  Chevaliers  de  Sainte-Brigitte  pour  la  défense  de 
l'Eglise  et  l'extirpation  des  hérésies  ;  mais  c'est  une  hypothèse  imaginée  d'après  les  données  gé- 
nérales trouvées  dans  les  révélations  de  la  Sainte  sur  l'armement  et  la  destination  des  chevaliers, 
et  d'où  l'on  a  conclu  qu'elle  avait  institué  un  Ordre  de  ce  genre.  Des  faits  historiques  donnent  un 
formel  démenti  à  l'assertion  de  Hermant,  qui  prétend  que  la  Sainte  créa  en  1366,  en  Suède,  un 
Ordre  de  chevaliers  et  le  pourvut  de  riches  commandeiïes  ;  car,  depuis  1344,  il  n'y  a  plus  de 
traces  de  sainte  Brigitte  en  Suède,  et  immédiatement  avant  sa  mort,  elle  distribua  sa  fortune  à 
ses  enfants.  Si  enfin  il  était  vrai  que  le  pape  Urbain  V  eût  confirmé  cet  Ordre  de  Chevaliers,  cette 
fondation  eût  certainement  été  énumérée  dans  la  bulle  de  canonisation  de  la  Sainte,  qui  mentionne 
l'Ordre  du  Saint-Sauveur. 

Nous  nous  sommes  servi,  pour  compléter  cette  biographie,  de  YHagiologie  Nivernaise,  par  Mgr  Cros- 
nier;  du  Dictionnaire  des  Ordres  religieux,  publié  par  l'abbé  Migne,  et  du  Dictionnaire  encyclopédique  de 
la  théologie  catholique,  par  Goschler. 


LE  SAINT  VIEILLARD  SIMÉON  ET  LA  PROPHÈTESSE  ANNE 

(vers  Tan  1). 

«  Lorsque  le  temps  de  la  Purification,  prescrite  par  la  loi  de  Moïse,  fut  arrivé  »,  écrit  l'Evan- 
géliste  saint  Luc,  «  Marie  et  Joseph  portèrent  l'enfant  à  Jérusalem  pour  le  présenter  au  Seigneur, 
selon  ce  qui  est  écrit  au  livre  de  la  Loi  :  «  Tout  fils  premier-né  sera  la  propriété  sainte  de  Jého- 
vah  »,  et  pour  offrir  le  sacrifice  légal  de  deux  tourterelles  ou  de  deux  jeunes  colombes.  Or,  il  y  avait 
à  Jérusalem  un  homme  juste  et  craignant  Dieu,  nommé  Simcon;  il  vivait  dans  l'attente  de  la  con- 
solation promise  à  Israël.  L'Esprit-Saiut  se  reposait  sur  lui  et  lui  avait  révélé  qu'il  ne  mourrait 


476  8  OCTOBRE. 

point  sans  avoir  vu  le  Christ  du  Seigneur.  Conduit  par  l'inspiration  divine,  il  vint  au  Temple,  à 
l'heure  où  les  parents  de  Jésus  y  entraient,  pour  accomplir  les  cérémonies  légales.  Siméon  prit 
l'enfant  dans  ses  bras  et  bénit  Dieu  en  ces  termes  :  «  Maintenant,  Seigneur,  vous  laisserez  votre 
serviteur  mourir  en  paix,  selon  votre  parole  ;  car  mes  yeux  ont  contemplé  le  Sauveur,  que  vous 
avez  préparé  pour  tous  les  peuples  du  monde  ;  la  lumière  qui  doit  éclairer  les  nations,  la  gloire 
d'Israël  notre  peuple  ».  Joseph  et  Marie  admiraient  en  silence  les  paroles  du  vieillard.  Siméon  les 
bénit  et  dit  à  Marie,  la  mère  de  Jésus  :  «  Voici  que  cet  enfant,  établi  pour  la  ruine  et  la  résurrec- 
tion de  plusieurs  en  Israël,  apparaîtra  comme  un  étendard  de  contradiction.  Un  glaive  transpercera 
votre  âme.  Il  en  sera  ainsi,  pour  que  les  pensées  qui  se  cacheront  au  fond  des  cœurs  soient  mises 
au  jour  ». 

En  ce  même  temps  vivait  Anne,  la  prophétesse,  fille  de  Phanuel,  de  la  tribu  d'Aser.  Elle 
avait  vécut  de  longs  jours.  A  l'époque  de  sa  jeunesse,  ayant  perdu  son  époux,  après  sept  ans  de 
mariage,  elle  était  restée  dans  la  viduité  :  elle  avait  alors  quatre-vingt-quatre  ans.  Elle  ne  quittait 
plus  le  Temple,  servant  Dieu,  nuit  et  jour,  dans  le  jeûne  et  la  prière.  Anne  étant  donc  survenue  en 
cette  circonstance,  louait  elle-même  le  Seigneur  et  parlait  de  l'enfant  à  tous  ceux  qui  attendaient 
ki  rédemption  d'Israël. 

On  prétend  que  les  reliques  de  saint  Siméon  furent  transportées  de  Judée  à  Constantinople,  du 
temps  de  Théodose  le  Jeune  (408-450)  ou  sous  les  règnes  suivants,  et  qu'on  les  y  voyait  au 
vu6  siècle  dans  rae  église  de  Saint-Jacques  le  Mineur,  d'où  elles  auraient  été  transférées  à  Venise 
en  1200.  On  a  longtemps  montré  aux  pèlerins,  dans  la  vallée  de  Josaphat,  près  de  Jérusalem,  un 
monument  qu'on  prétendait  être  le  tombeau  de  ce  saint  vieillard  ;  néanmoins,  au  temps  de  saint 
Grégoire  de  Tours  (539-593),  l'opinion  générale  voulait  qu'il  ait  été  enterré  sur  la  montagne  des 
Oliviers,  avec  le  prêtre  Zacharie,  père  de  saint  Jean-Baptiste,  par  l'apôtre  saint  Jacques  le  Mineur, 
dans  un  tombeau  qu'il  avait  fait  faire  pour  lui-même. 

Un  des  bras  du  saint  vieillard  est  depuis  plusieurs  années  en  Périgord,  à  Ligueux  (Dordogne, 
arrondissement  de  Périgueux,  canton  de  Savignac),  qui  était  avant  la  Révolution  un  grand  monas- 
tère de  Bénédictines  (B.  M.  de  Ligurio). 

La  fête  de  saint  Siméon  s'est  célébrée  à  des  jours  différents.  En  Orient,  on  la  faisait  ordinaire- 
ment le  2  ou  le  3  février.  Les  plus  anciens  martyrologes  de  l'Eglise  d'Occident  la  marquent  au  5  jan- 
vier ;  d'autres  la  mettent  au  2  ou  4  février  ;  quelques-uns  au  9  du  même  mois.  Adon  et  Usuard 
l'ont  mise  au  8  octobre  sans  que  nous  en  sachions  la  raison  :  ils  ont  été  suivis  par  Baronius,  dans 
son  martyrologe  romain. 

On  représente  saint  Siméon  tenant  dans  ses  bras  l'Enfant  Jésus.  Il  est  patron  de  Zara,  en 
Dalmatie. 

L'alilic  Dan-as,  Histoire  générale  de  l'Eglise  catholique;  Baillet;  Notes  locales. 


SAINT  GALÉTRÏG  OU  CALTRY, 

ÉVÊQUE  DE  CHARTRES  ET  CONFESSEUR  (561). 

Saint  Caltry  {Chaletricus,  Chaladericus),  naquit  l'an  529  de  famille  noble;  mais  il  se  rendit 
beaucoup  plus  recommandable  dans  l'Eglise  par  son  mérite  et  sa  piété,  qu'il  ne  pouvait  l'être  dans 
le  monde  par  sa  naissance  ou  ses  richesses.  C'est  ce  qui  porta  saint  Lubin,  évêque  de  Chartres,  à 
lui  conférer  l'ordre  de  la  prêtrise.  Il  vécut  dans  ce  ministère  d'une  manière  si  sainte,  qu'on  ne  dou- 
tait point  qu'il  ne  fût  particulièrement  chéri  de  Dieu,  comme  on  le  voyait  généralement  aimé  et 
respecté  des  hommes.  Il  tomba  malade  quelque  temps  après  son  ordination,  et  le  mal  le  réduisit 
jusqu'aux  dernières  extrémités.  Sa  sœur  Mallegonde,  voyant  que  les  médecins  commençaient  à  dé- 
sespérer de  sa  santé,  députa  en  diligence  vers  saint  Lubin,  qui  était  absent  de  la  ville,  pour  le 
prier  d'envoyer  de  l'huile  bénite.  Le  saint  évêque  voulut  l'apporter  lui-même,  fit  sa  prière  à  Dieu 
et  son  onction  sur  le  malade,  qui  guérit  à  l'instant,  et  si  parfaitement,  qu'il  recouvra  toutes  ses 
forces  presque  en  même  temps  que  la  santé. 

Saint  Lubin  ne  vécut  pas  longtemps  après,  et  saint  Caltry,  tout  jeune  qu'il  était  encore,  n'ayant 
que  vingt-sept  ans,  fut  choisi  par  les  suffrages  communs  du  clergé  et  du  peuple  de  Chartres  pour 
lui  succéder.  Il  marcha  heureusement  sur  les  vestiges  qu'un  si  saint  prédécesseur  lui  avait  laissés. 


i 


SAINTE  VALÉRIE  ET  SAINTE   POLLÈNE,   VIERGES.  1?7 

Fortunat  de  Poitiers  témoigne  qu'il  faisait  paraître  une  douceur  et  une  bonté  toutes  paternelles  dans 
ses  discours  et  dans  toute  sa  conduite.  Il  ajoute  que  son  clergé  avait  une  confiance  toute  particu- 
lière en  lui,  qu'il  était  le  tuteur  des  pupilles,  le  protecteur  des  veuves  délaissées,  le  nourricier  des 
pauvres  ;  qu'il  paissait  son  troupeau  de  la  parole  de  Dieu,  et  qu'il  traitait  toutes  les  maladies  spi- 
rituelles avec  une  charité  admirable.  Il  assista  au  troisième  concile  de  Paris  tenu  l'an  557,  avec 
saint  Germain,  évêque  de  cette  ville,  saint  Prétextât  de  Rouen,  saint  Pair  d'Avranches,  saint  Sam- 
son  et  d'autres  saints  prélats.  Il  se  trouva  encore  neuf  ans  après  au  second  concile  de  Tours  (566), 
assemblé  par  les  soins  de  l'évèque  du  lieu,  saint  Euphrone.  Mais  Dieu  le  retira  du  monde  l'année 
suivante,  dans  un  âge  où  son  Eglise  semblait  devoir  encore  beaucoup  espérer  de  lui.  Il  mourut  à 
Chartres  le  4  octobre  567  et  fut  enseveli  dans  l'église  de  Saint-Serge.  Son  tombeau  (mais  non 
ses  reliques  qui  ont  disparu  à  la  Révolution),  est  conservé  dans  la  crypte  de  la  cathédrale  de 
Chartres. 

Propre  de  Chartres  et  Baillet. 


SAINTE  VALÉRIE  ET  SAINTE  POLLÈNE,  VIERGES  (vers  640). 

Le  monastère  d'Honnecourt  ou  Hunulcurt,  en  Cambrésis  (Hunnocurtum%  Hunnonis  Curià),  où 
vivaient  des  religieux  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit,  possédait  autrefois  les  reliques  de  sainte  Valérie 
et  de  sainte  Pollène,  que  les  hagiographes  tantôt  réunissent  et  tantôt  séparent  dans  leurs  écrits. 
Leur  vie,  remplie  d'incertitudes,  présente  de  grandes  difficultés  que  la  pénurie  de  documents  rend 
presque  insolubles,  et  que  nous  devons  nous  borner  à  exposer. 

Du  Saussay,  dans  son  martyrologe  de  France,  s'exprime  en  ces  termes  :  a  A  Honnecourt,  au  dio- 
cèse de  Cambrai,  on  célèbre"  en  ce  jouf  (8  octobre)  la  fête  des  vierges  Valérie  et  Pollène,  sœurs  du 
saint  martyr  Liéphard,  évêque  de  Cantorbéry.  Elles  l'accompagnèrent  dans  son  pèlerinage  à  Rome, 
imitèrent  ses  vertus,  consacrèrent  au  roi  éternel  la  fleur  de  leur  virginité,  et  par  l'abondance  de 
leurs  larmes,  par  les  cilices,  les  jeûnes,  les  disciplines  et  leurs  prières  assidues,  elles  soumirent  la 
chair  à  l'esprit  et  arrivèrent  au  sommet  de  la  perfection.  Ainsi  fut  enfin  consommée  sur  la  terre  la 
course  de  leur  vie  angélique,  après  laquelle  elles  s'envolèrent  au  séjour  de  l'éternelle  Sion  dans  la 
société  des  esprits  bienheureux.  Leurs  corps  reposèrent  longtemps  dans  le  monastère  que  construisit 
à  Honnecourt  saint  Vindicien,  évêque  de  Cambrai  :  plus  tard,  ils  furent  transportés  à  Saint-Quen- 
tin, d'où  ils  disparurent  durant  les  désastres  de  la  guerre.  La  mémoire  de  ces  saintes  vierges  sub- 
siste néanmoins,  tant  au  monastère  d'Honnecourt  que  dans  l'église  principale  de  Cambrai,  où  sainte 
Valérie  est  encore  honorée  aujourd'hui  (1637),  d'une  collecte  particulière  ». 

Différents  passages  de  cette  citation  sont  rejetés  par  les  meilleurs  auteurs.  Quelques-uns  d'abord, 
tout  en  admettant  que  sainte  Valérie  et  sainte  Pollène  étaient  sœurs  de  saint  Liéphard,  ne  veulent 
point  qu'elles  aient  fait  avec  lui  le  voyage  de  Rome,  car  il  n'en  est  fait  mention  nulle  part,  et  il 
est  probable  d'ailleurs  qu'elles  auraient  péri  dans  la  même  circonstance,  si  elles  s'étaient  trouvées 
dans  sa  société.  Ils  n'admettent  pas  davantage  ce  que  dit  Gazet,  à  savoir,  que  ces  deux  sœurs,  res- 
tées en  Angleterre,  y  apprirent  la  mort  de  leur  frère,  s'embarquèrent  pour  la  France  et  vinrent  à 
Honnecourt  pour  y  vénérer  ses  reliques.  On  voit  en  effet  que  ce  n'est  qu'au  x«  siècle  que  les 
reliques  de  saint  Liéphard  furent  transportées  à  l'abbaye  d'Honnecourt,  par  Fulbert,  évêque  de 
Cambrai. 

De  graves  historiens  vont  même  jusqu'à  douter  si  ces  deux  saintes  sont  véritablement  sœurs  : 
il  semble,  disent-ils,  que  sainte  Pollène  vivait  avant  sainte  Valérie,  puisque  dans  l'acte  de  fonda- 
tion du  monastère  d'Honnecourt,  environ  trente  ans  après  la  mort  de  saint  Liéphard,  les  fondateurs 
demandent  que  l'église  soit  consacrée  à  sainte  Marie,  à  saint  Pierre,  à  saint  Martin  et  à  sainte 
Pollène  :  or,  si  saint  Liéphard,  sainte  Valérie  et  sainte  Pollène  avaient  été  unis  par  les  liens  du 
sang,  s'ils  avaient  vécu  ensemble,  cette  distinction  eût-elle  été  faite?  On  serait  donc  assez  porté  à 
croire  que  sainte  Pollène  n'est  sœur  ni  de  saint  Liéphard,  ni  même  de  sainte  Valérie  ;  qu'ell» 
avait  déjà  un  culte  dans  le  pays  avant  la  fondation  de  l'abbaye  d'Honnecourt  ;  que  dans  la  suite 
ses  reliques,  conservées  avec  les  leurs,  y  furent  honorées  ensemble  et  transportées  à  la  même 
époque  dans  la  ville  de  Saint-Quentin.  C'est  d'après  ces  faits  sans  doute  que,  faute  de  documents, 
prévalut  l'opinion  que  nous  venons  d'examiner. 

Quelques  hagiographes,  entre  autres  Gazet,  disent  que  sainte  Valérie  fut  abbesse  du  monastère 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  12 


178  S  OCTOBRE. 

d'Honnecourt  :  on  peut  croire  qu'elle  gouverna,  la  première,  cette  communauté  naissante,  ou  bien 
qu'à  cause  du  jeune  âge  d'Auriana,  fille  des  fondateurs  Àmalfride  et  Childeberte,  on  la  lui  donna 
pour  aide  et  pour  directrice,  jusqu'à  ce  qu'elle  fut  capable  de  diriger  le  monastère  par  elle-même. 
Les  reliques  de  sainte  Valérie  et  de  sainte  Pollène  périrent  comme  celles  de  saint  Liéphard, 
dans  le  pillage  et  l'incendie  de  Saint-Quentin  (1557),  lors  des  guerres  de  Henri  II,  roi  de  France, 
contre  Philippe  II,  roi  d'Espagne. 

Vie  des  Saints  de  Cambrai  et  d'Arras,  par  M.  l'abbé  Destombes. 


SAINTE  REFROY  OU  RENFROIE  \ 

ABBESSE  DU  MONASTÈRE  BÉNÉDICTIN  DE  DENAIN,  DIOCÈSE  DE  CAMBRAI  (805). 

Le  monastère  bénédictin  de  Denain  (Denaium,  Dononium),  fondé  vers  764,  offre  une  circons- 
tance particulière  et  tout  à  fait  remarquable  :  c'est  qu'il  fut  d'abord  occupé  par  dix  sœurs  qui 
s'étaient  toutes  consacrées  à  Dieu.  Elles  étaient  filles  du  bienheureux  Aldebert,  comte  d'Ostrevent, 
et  de  sainte  Reine.  Voici  les  quelques  détails  que  l'on  trouve  dans  différents  auteurs  sur  sainta 
Renfroie  et  ses  sœurs. 

Le  bienheureux  Aldebert  et  son  épouse  sainte  Reine,  témoins  de  la  piété  de  leurs  enfants,  et 
confidents  de  leurs  plus  chers  désirs,  firent  bâtir  (764)  près  de  l'Escaut,  à  l'endroit  où  se  trouve 
aujourd'hui  la  ville  de  Denain  (Nord),  un  monastère  qui  fut  comme  leur  dot  commune.  La  joie  de 
ces  saintes  filles  fut  grande  quand  leurs  parents  prirent  cette  détermination  :  et,  dès  ce  moment, 
elles  s'appliquèrent  encore  avec  une  nouvelle  ferveur  à  la  pratique  des  vertus  religieuses. 

Les  travaux  aussitôt  entrepris  furent  promptement  terminés,  et  les  dix  religieuses  entrèrent  avec 
joie  dans  le  nouveau  monastère  qui  fut  placé  sous  l'invocation  de  la  très-sainte  Vierge.  On  érigea 
en  même  temps  une  église,  dédiée  à  saint  Martin,  pour  quelques  prêtres  qui  devaient  célébrer  dans 
ce  lieu  les  sacrés  Mystères. 

Sainte  Renfroie,  qui  était  l'aînée,  fut  chargée  de  diriger  elle-même  ses  sœurs  dans  l'observance 
de  la  Règle  qu'elles  s'étaient  imposée.  On  croit  que  c'était  celle  des  Chanoinesses  Régulières.  Ce 
qui  parait  certain,  c'est  que  la  Règle  de  Saint-Benoit  n'y  fut  établie  que  plus  tard,  après  les  inva- 
sion des  Normands.  La  jeune  abbesse  possédait  toutes  les  vertus  et  les  qualités  nécessaires  pour 
l'exercice  de  la  charge  qui  venait  de  lui  être  confiée.  Elle  avait  en  partage  une  aimable  douceur  et 
une  tranquillité  d'âme  qui  la  rendaient  respectable  et  chère  à  tout  le  monde.  Des  auteurs  ont 
avancé  qu'elle  fit  un  voyage  à  Rome  avec  ses  sœurs,  et  que  cinq  d'entre  elles  allèrent  jusqu'à 
Jérusalem,  où  elles  moururent  saintement.  Ce  fait  ne  paraît  pas  appuyé  sur  des  documents  bien 
certains. 

On  ne  connaît  rien  de  plus  touchant  la  vie  de  sainte  Renfroie.  Elle  mourut  vers  l'an  805,  et  fut 
enterrée  dans  l'église  de  Saint-Martin.  On  célébrait  autrefois  sa  fête,  le  18  octobre,  par  un  office 
de  neuf  leçons,  dans  les  diocèses  de  Cambrai  et  d'Arras.  Son  culte  était  aussi  répandu  dans  la  Saxe, 
à  Emerich,  à  Rees,  à  Houppel,  et  dans  la  collégiale  de  Xantes,  au  pays  de  Clèves.  Il  est  probable 
que  les  reliques  de  sainte  Renfroie  furent  transportées,  à  une  époque  quelconque,  dans  ce  pays  où 
sa  communauté  avait  des  domaines,  et  que  telle  est  l'origine  de  ce  culte  qui  lui  était  rendu. 

On  représente  sainte  Refroy  :  1°  tenant  une  église  sur  la  main,  comme  première  supérieure 
du  monastère  de  Denain  ;  2°  en  compagnie  de  ses  parents,  les  saints  Aldebert  et  Reine. 

Vie  des  Saints  de  Cambrai  et  d'Arras,  par  M.  Tabbd  Destombes. 

1.  Alias  :  Ragenfride,  Kefroie,  iiainfrède,  Uainfroy,  Rageinfrèdc,  liaginfredii. 


MARTYROLOGES.  179 


IX0  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Paris,  la  naissance  an  ciel  des  saints  martyrs  Denis  l'Aréopagite,  évêque,  Rustique, 
prêtre,  et  Eleuthère,  diacre.  Denis,  ayant  été  baptisé  par  l'apôtre  saint  Paul,  fut  ordonné  pre- 
mier évêque  d'Athènes.  Il  vint  à  Rome,  et  fut  envoyé  par  saint  Clément,  pape,  dans  les  Gaules 
pour  y  prêcher  l'Evangile  ;  étant  venu  à  Paris  après  qu'il  eut  travaillé  pendant  quelques  années  à 
l'œuvre  qui  lui  avait  été  commise,  il  fut  cruellement  tourmenté,  et  enfin  décapité  avec  ses  compa- 
gnons par  sentence  du  préfet  Fescennin,  et  accomplit  ainsi  son  martyre.  117.  —  Le  même  jour,  la 
mémoire  du  saint  patriarche  Abraham,  père  de  tous  les  croyants.  2191  av.  J.-C.  —  A  Borgo-San- 
Donnino  (Julia  Chysopolis),  dans  le  Parmesan,  sur  la  voie  Claudienne,  saint  Domnin,  martyr,  mi3 
à  mort  sous  l'empereur  Maximien.  Il  voulut  d'abord  éviter  la  rage  des  persécuteurs,  mais,  poursuivi 
par  le  bourreau,  il  fut  percé  d'un  coup  d'épée,  et  mourut  glorieusement.  304.  —  Au  Mont-Cassin, 
saint  Deusdédit,  abbé,  qui,  ayant  été  jeté  en  prison  par  le  tyran  Sicard,  y  mourut  de  faim  et  de 
misère.  834.  —  En  Hainaut,  saint  Ghislain  ou  Guillain,  évêque  et  confesseur,  qui  renonça  à 
l'épiscopat,  pratiqua  la  vie  monastique  dans  un  monastère  construit  par  lui,  et  brilla  par  beau- 
coup de  vertus.  Vers  680.  -<-  A  Valence,  dans  l'Espagne  Tarragonaise,  saint  Louis  Bertrand,  de 
l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  personnage  rempli  de  l'esprit  apostolique,  qui  confirma  par  la  pureté 
de  sa  vie  et  par  plusieurs  miracles  l'Evangile  qu'il  avait  prêché  en  Amérique.  1581.  —  A  Jérusa- 
lem, saint  Andronic  et  sainte  Athanasie  ou  Anastasie,  sa  femme.  iv«  s.  —  A  Antioche,  sainte 
Publie,  abbesse,  qui,  pour  avoir  chanté  avec  ses  religieuses  ces  versets  de  David  :  v  Les  idoles 
des  nations  ne  sont  que  de  l'or  et  de  l'argent  »  ;  et  :  «  Ceux  qui  les  forgent  leur  deviennent  sembla- 
bles »,  pendant  que  Julien  l'Apostat  passait,  fut  meurtrie  de  soufflets  par  l'ordre  de  cet  empereur, 
et  fort  rudement  réprimandée.  IVe  s. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Aux  diocèses  d'Angers,  Arles,  Autun,  Beauvais,  Chàlons,  Blois,  Chartres,  Meaur,  Poitiers,  Reims 
et  Versailles,  saint  Denys  l'Aréopagite  et  ses  compagnons,  martyrs,  cités  au  martyrologe  romain 
de  ce  jour.  117.  —  Au  diocèse  de  Cambrai,  saint  Ghislain,  évêque  et  confesseur,  cité  aujourd'hui 
au  même  martyrologe.  680.  —  A  Paris,  sainte  Larcie,  martyre,  épouse  de  saint  Lisbe,  confesseur, 
et  une  multitude  innombrable  d'autres  Martyrs,  qui  furent  cruellement  massacrés  pour  la  foi,  avec 
saint  Denys  l'Aréopagite  *.  n«  t.  —  A  Metz,  les  saints  Bonnole  ou  Donnole  et  Arnalt  ou  Arnaud, 
évêques  et  confesseurs  2.  —  A  Verdun,  saint  Victor,  évêque  3.  Règne  de  Clovis.  —  Dans  l'ancienne 
abbaye  bénédictine  de  Saint-Ghislain  (Ursidongus),  en  Belgique  (Hainaut),  saint  Lambert  et  saint 
Bellère  (Valère,  Bellire),  confesseurs,  disciples  de  saint  Ghislain  et  ses  auxiliaires  dans  la  prédica- 
tion de  l'Evangile  *.  Vers  700.  —  Au  diocèse  de  Tarbes,  saint  Savin,  anachorète  du  Lavedan 

1.  Les  Bollandistes  rejettent  cette  mention  de  Du  Saussay,  sous  prétexte  qu'elle  ne  se  lit  dans  aucun 
ancien  martyrologe,  et  que  ces  personnages  n'ont  jamais  joui  d'aucune  espèce  de  culte.  —  Cf.  Prxtermissi, 
9  octobre. 

2.  Du  Saussay  et  Ferrari  seuls  en  font  mention.  Les  Bollandistes  les  renient,  à  défaut  de  documents 
plus  sérieux  que  la  simple  assertion  de  ces  deux  martyrologistos.  —  Prxtermissi,  9  octobre. 

3.  Saint  Victor,  évêque  de  Verdun,  est  totalement  inconnu,  et  les  histoires  les  plus  complètes  de  ce 
pays  le  passent  sous  silence.  Le  Propre  du  diocèse  ne  lui  consacre  aucune  mention.  Aussi  partageons- 
nous  entièrement  l'opinion  des  Bollandistes  (Prxtermissi,  au  9  octobre),  qui  sont  d'avis  que  Du  Saussay 
et  Ferrari,  les  auteurs  de  cette  mention  suspecte,  ont  confondu  saint  Vunne  ou  Venne  (appelé  aussi  Viton 
et  VictonJ,  avec  saint  Victor.  Nous  donnerons  au  9  novembre,  la  biographie  de  saint  Vanne.  —  Quant  à 
la  paroisse  Saint- Victor  de  Verdun,  elle  est  sous  le  patronage,  non  pas  de  saint  Victor,  évêque,  mais  de 
saint  Victor,  compagnon  de  saint  Maurice,  et  martyr  de  la  légion  thébéenne.  Nous  en  avons  parlé  au 
22  septembre. 

4.  On  ne  connaît  presque  rien  de  la  vie  de  ces  deux  disciples  de  saint  Ghislain.  Tout  porte  à  croire 


{80  9   OCTOBRE. 

(vallée  de  France,  dans  les  Hautes-Pyrénées  et  l'arrondissement  d'Argelès),  cité  aux  martyrologes 
du  5  août  et  du  11  octobre.  vme  s.  —  Au  même  diocèse,  les  saints  Sylvien  et  Flavien,  diacres, 
ministres  du  même  Savin  du  Lavedan.  vme  s.  —  Près  de  Cambrai,  sainte  011e,  vierge.  Elle  vécut 
probablement  dans  le  petit  hameau  de  Sainte-Olle  (Nord,  commune  de  Cambrai),  où  elle  est  hono- 
rée. L'église,  bâtie  en  son  honneur,  était  autrefois  très-fréquentée  au  neuvième  jour  d'octobre.  On 
ne  sait  rien  de  plus  sur  sa  vie.  ix°,  Xe  ou  xie  s.  —  Au  diocèse  d'Amiens,  translation  des  reliques 
de  saint  Riquier  du  Ponthieu,  abbé  de  Centule  et  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au 
26  avril.  645.  —  A  Orléans,  sainte  Austregilde  ou  Aiga,  princesse  du  sang  des  premiers  rois  de 
France,  et  mère  de  saint  Loup  ou  Leu,  archevêque  de  Sens,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au 
1er  septembre,  vu®  s.  —  Dans  l'ancienne  abbaye  bénédictine  de  Corbie  (Corbeia),  au  diocèse 
d'Amiens,  saint  Théofroy  (Théoffroy,  Thifroi,  Théodefride),  religieux  de  Luxeuil,  au  diocèse  de 
Besançon,  abbé  de  Corbie,  puis  évèque  *.  690.  —  A  Anchin  (Nord),  au  diocèse  de  Cambrai,  saint 
Gosvin  ou  Goswm,  abbé  du  monastère  bénédictin  de  ce  lieu  (Aquiscinctum).  1165.  —  A  Viviers, 
saint  Firmin,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  29  mars.  vi«  s. 
—  Au  diocèse  de  Soissons,  saint  Vulgis  ou  Wulgis,  prêtre  et  confesseur,  solitaire  à  Troesnes,  dont 
nous  avons  donné  la  vie  au  1er  octobre.  550.  —  Au  diocèse  de  Bayeux,  mémoire  de  saint  Riquier 
du  Ponthieu  (Richarius  Pontivi  pagi),  cité  plus  haut  dans  le  même  martyrologe.  645.  —  Au  dio- 
cèse de  Saint-Flour,  saint  Bernard  de  Rodez,  abbé  de  Mont-Sauve  2.  1110.  —  Au  diocèse  d'Autun, 
translation  (1140)  des  reliques  de  saint  Ardaing  ou  Ardan,  treizième  abbé  de  Tournus  et  confes- 
seur, dont  nous  avons  esquissé  la  notice  au  11  février.  1056.  —  A  Longpont,  dans  la  vallée  de 
l'Orge,  diocèse  de  Versailles,  consécration  (1850)  de  l'église  de  Notre-Dame  de  Bonne-Garde,  dont 
nous  avons  parlé  au  8  septembre. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  VOrdre  de  Saint-Basile.  —  A  Antioche,  sainte  Publie,  abbesse,  de  l'Ordre 
de  Saint-Basile,  qui,  pour  avoir  chanté  avec  ses  religieuses  ce  verset  de  David  :  «  Les  idoles  des 
nations  ne  sont  que  de  l'or  et  de  l'argent  »  ;  et  :  «  Ceux  qui  les  font  leur  deviennent  semblables  », 
pendant  que  Julien  l'Apostat  passait,  fut  meurtrie  de  soufflets  par  Tordre  de  cet  empereur,  et  fort 
rudement  réprimandée.  iv«  s. 

qu'ils  étaient  nés  dans  la  Grèce,  et  qu'ils  viraient  dans  le  monastère  que  dirigea  quelque  temps  le  saint 
apôtre.  Il  serait  aussi  permis  de  supposer  qu'ils  faisaient  partie  du  clergé  de  l'Eglise  d'Athènes,  dont  saint 
Ghislain,  selon  l'opinion  de  beaucoup  d'auteurs,  avait  été  nommé  évêque.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  hagio- 
graphes  nous  les  montrent  pour  la  première  fois,  au  moment  oîi  une  voix  de  Dieu  appelle  saint  Ghislain 
dans  le  Hainaut.  Déjà,  à  cette  époque,  il  était  dans  la  ville  de  Kome,  ou  le  Seigneur  lui  avait  d'abord 
ordonné  de  se  rendre  :  11  y  avait  été  suivi  d'un  certain  nombre  de  disciples  qu'il  renvoya  ensuite  dans 
leur  pays.  Pour  Lambert  et  Bellère,  ils  ne  quittèrent  plus  l'homme  de  Dieu  auquel  ils  s'étaient  attachés. 
Ils  le  suivirent  dans  tous  les  lieux,  partageant  ses  fatigues,  ses  œuvres  saintes  et  ses  mérites.  On  croit 
qu'ils  moururent  paisiblement  dans  le  monastère  de  La  Celle  (Saint-Ghislain),  vers  l'an  700. 

Leur  fête,  qui  anciennement  était  célébrée  le  quatrième  dimanche  après  Pâques,  fut,  en  166S,  fixée  au 
80  mai,  par  Jacques  Théodore  do  Brias,  archevêque  de  Cambrai,  sur  la  demande  de  Ghislain  Molle,  abbé 
do  Saint-Ghislain.  —  Acta  Sanctorum. 

1.  Il  résulte  d'un  acte  du  roi  Thierry  I»'  que  Théofroy  fut  évêque,  mais  on  ne  dit  point  de  quelle  ville. 
Suivant  les  Bollandistes  (26  janvier),  ce  serait  d'Alby  ;  nous  avons  adopté  cette  opinion  (Petits  Bollan- 
distes,  tome  Ier,  page  614)  ;  selon  Mabillon,  ce  serait  d'Amiens.  L'histoire  se  tait  entièrement  sur  la  durée 
et  les  Actes  de  son  épiscopat.  Les  érudits  placent  approximativement  sa  mort  vers  l'an  690.  Un  ancien 
martyrologe  de  Corbie,  écrit  au  x8  siècle,  suppose  qu'il  fut  enseveli  dans  ce  monastère  et  que  sa  fête  s'y 
célébrait  le  7  des  ides  d'octobre  (9  octobre).  —  Ci.  Acta  Sanctorum,  apud  Przterm.,  9  octobre  ;  Saints 
de  Franche-Comté,  tome  n,  page  420. 

2.  Bernard,  la  gloire  de  l'Auvergne,  naquit  à  Rodez,  d'une  noble  famille,  l'an  de  Notre-Seigneur  1040. 
Dès  son  bas  âge,  il  se  fit  remarquer  par  la  douceur  de  son  caractère  et  l'innocence  de  ses  mœurs.  Il  étudia 
les  lettres  divines  et  humaines,  par  le  soin  de  ses  pieux  parents  ;  après  quoi,  ayant  obtenu  leur  consen- 
tement, il  dit  adieu  au  monde  et  à  ses  biens  périssables,  et  se  retira  au  monastère  de  Saint-Amance. 

Il  n'aurait  peut-être  pas  trouvé  dans  ce  monastère  la  perfection  et  les  vertus  qu'il  venait  y  chercher, 
s'il  n'avait  rencontré  Gausbert,  fondateur  de  Mont-Sauve,  qui  en  avait  entrepris  la  Réforme.  Si  le  saint 
abbé  échoua  dans  sa  tentative  de  Réforme,  il  eut  du  moins  la  consolation,  quand  il  retourna  à  Mont-Sauve, 
d'emmener  avec  lui,  comme  compagnon  et  comme  disciple,  notre  bienheureux  Bernard.  Saint  Gausbert 
Étant  mort  treize  ans  après  son  retour  a  Mont-Sauve,  les  Chanoines  de  ce  monastère,  obtempérant  aux 
recommandations  de  leur  saint  fondateur,  choisirent  Bernard  à  l'unanimité  pour  lui  succéder.  Il  porta  si 
ioin  la  florissante  prospérité  de  son  monastère,  tant  sous  le  rapport  du  spirituel  que  du  temporel,  qu'il 
mérita  de  partager  avec  saint  Gausbert  le  titre  de  fondateur.  Enfin,  pour  comble  de  mérite,  après  avoir 
administré  sa  charge  d'abbé  pendant  trente  ans,  et  arrivé  à  l'âge  de  soixante-dix  ans,  il  s'endormit  dans 
io  Seigneur,  et  fut  enseveli  dans  son  monastère.  Ses  reliques,  illustrées  par  de  nombreux  miracles  et 
joestamment  entourées  de  la  vénération  des  peuples,  sont  encore  aujourd'hui  très-pieusement  conservées 
oans  l'église  paroissiale  de  Montsalvy  (Cantal,  arrondissement  d'Anrillâc),  au  diocèse  de  Saint-Flour. 
M.  l'abbé  Combartière,  curé  do  Montsalvjr,  nous  écrivait  le  29  mai  1873  :  «  Saint  Bernard  est  le  patron  do 


MAItTYROtOGES.  4SI 

Êlartyrobgû  àe*  Chanoines  Réguliers.  ~  Saint  Denis  l'Aréopagite,  évêque  et  martyr,  qui  fut 
baptisé  par  saint  Paul  et  ordonné  premier  évêque  d'Athènes.  Etant  venu  à  Rome,  il  fut  envoyé 
par  le  bienheureux  pape  Clément  dans  les  Gaules  pour  y  prêcher  l'Evangile.  Arrivé  à  Paris,  après 
y  avoir  travaillé  heureusement  pendant  quelques  années  a  l'œuvre  dont  il  était  chargé,  il  fut  cruel- 
lement tourmenté  et  enfin  décapité,  avec  Rustique,  prêtre,  et  Eleuthère,  diacre,  et  consomma  sob 
martyre.  Son  bras  est  conservé  dans  le  Saint  des  Saints.  Vers  l'an  117. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  DAGIOGRAPHES. 

La  mémoire  de  Sara,  épouse  d'Abraham  et  mère  spirituelle  de  tous  les  croyants.  —  A  Culm, 
ville  des  Etats  Prussiens,  le  bienheureux  Jean  Lobedau  ou  Lobedaw,  confesseur,  de  l'Ordre  de 
Saint-François.  Il  naquit  à  Thorn  de  parents  pieux  qui  rélevèrent  dans  la  crainte  de  Dieu  et  s'ap- 
pliquèrent à  lui  inspirer  dès  sa  plus  tendre  enfance  le  dégoût  des  choses  de  la  terre.  Jean  répondit 
merveilleusement  à  la  voix  de  la  grâce  :  il  se  fit  recevoir  à  Thorn  dans  l'Ordre  de  Saint-François 
et  se  rendit  ensuite  à  Culmsec  où  il  mena  la  vie  religieuse.  Ses  biographes  vantent  principalement 
son  humilité.  Il  mourut  à  Culmsec,  et  fut  enterré  dans  l'église  de  Saint-Jacques.  Les  nombreux 
miracles  qui  s'opérèrent  à  son  tombeau  rendirent  son  nom  célèbre  dans  toute  la  Prusse  :  c'est  ce 
qui  engagea  les  évêques  de  Culmsec  à  le  mettre  au  nombre  des  patrons  du  pays.  1264.  —  A 
Brzeunau  ou  Breaunau  (Breunovia),  en  Bohême,  le  bienheureux  Gonthier  (Guntherus),  moine  de 
Nieder-AHaich  (Bavière),  puis  ermile.  Après  avoir  tout  d'abord  nagé  dans  les  délices  et  mené  une 
vie  déréglée,  il  reconnut  la  vanité  des  choses  terrestres,  prit  l'habit  de  Saint-Benoît  au  monastère 
d'Altaich  (1006),  et  y  avança  rapidement  dans  la  voie  de  la  perfection.  Au  bout  de  deux  ans,  il 
éprouva  le  désir  de  vivre  en  ermite,  et  se  retira  sur  la  montagne  de  Ranzing  (à  un  mille  d'Altaich). 
11  s'établit  ensuite  près  du  village  de  Rinchnach  et  y  fonda  le  monastère  de  ce  nom  (1019).  Saint 
Etienne  Ier,  roi  de  Hongrie  (1000-1038),  l'avait  en  grande  estime,  et  l'appela  même  à  sa  cour, 
mais  Gonthier  se  lassa  bientôt  des  honneurs  qu'on  lui  rendait,  et  regagna  sa  solitude.  Les  moines 
de  Brzeunau  l'y  découvrirent  et  le  pressèrent  plusieurs  fois  de  se  rendre  au  milieu  d'eux  ;  mais  le 
saint  ermite  se  réfugia  sur  une  haute  montagne  qui  s'appelle  encore  de  nos  jours  Gunthersberg. 
C'est  là  qu'il  mourut,  âgé  de  plus  de  quatre-vingt-dix  ans,  après  avoir  servi  Dieu  pendant  trente- 
sept  ans  dans  la  solitude.  1045.  —  A  Augsbourg  (Augusta  Vindelicorum) ,  ville  de  Bavière 
(Cercle  de  Souabe-et-Neubourg),  saint  Adalbéron,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  Il  consacra  st 
jeunesse  aux  sciences  et  à  la  piété  dans  le  monastère  d'Elïwangen  dont  il  devint  abbé.  Witgar, 
évêque  d'Augsbourg,  étant  mort  (887),  la  voix  publique  désigna  Adalbéron  pour  lui  succéder.  % 
gouverna  vingt  ans  son  diocèse  avec  sagesse,  avec  charité  et  sainteté,  s'attira  l'estime  des  empe- 
reurs Arnoul  de  Carinthie  et  Louis  IV  l'Enfant,  et  profita  constamment  de  la  faveur  de  ces  deuç 
princes  pour  augmenter  l'héritage  des  églises  et  des  abbayes.  Son  corps  fut  déposé  dans  l'églis» 
Sainte-Afre  d'Augsbourg.  909.  —  Encore  à  Augsbourg,  saint  Nidgar  (Néodegar,  Niker,  Nitger,  Nid* 
gaire),  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  Ou  croit  qu'il  assista,  en  829,  au  synode  de  Mayence,  ei 
qu'il  commença  la  construction  de  l'église  de  Fùssen,  sur  le  Leck  (Haut-Danube),  élevée  en  l'hon* 
neur  de  saint  Magne.  Son  corps  fut  inhumé  dans  l'église  de  Sainte-Afre.  830  ou  832.  —  A  Alexan^ 
drie  d'Egypte,  aujourd'hui  Iskanderieh  (Basse-Egypte),  saint  Démètre,  évêque  et  confesseur.  Il  tint 
son  siège  pendant  quarante-trois  ans,  et  s'endormit  dans  le  Seigneur,  célèbre  par  ses  miracles.  231. 

—  Les  saints  Attique,  Luddule,  Septime  et  Jules,  martyrs,  cités  par  saint  Jérôme  sans  plus  de  détails, 

—  A  Rome,  les  saints  martyrs  Marcel  et  Marcellin,  Gémin  ou  Génuin,  Nuve  ou  Nive,  et  Primina 
(Primina),  cités  par  le  même.  —  A  Spolète,  sur  la  Maroggia,  en  Italie,  saint  Baractal,  martyr. 
ive  s.  —  A  Citta-di-Castello  (Tifernum  Tiberinum),  ville  de  l'ancien  Etat  ecclésiastique,  saint 
Domnin,  confesseur,  différent  de  son  homonyme  du  martyrologe  romain  de  ce  jour.  Commencement 
du  viie  s.  —  A  San-Gemino,  dans  la  province  de  Spolète,  saint  Gémin,  confesseur,  que  l'on  croit 
avoir  été  religieux  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit.  815.  —  A  Constantinople,  saint  Pierre  de  Galatie, 
moine  et  confesseur,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  saint  Pierre  le  Galate,  ermite,  fêté  U 
l«r  février,  ix»  s. 

Montsalvy  ;  une  chapelle  spéciale  lui  est  dédiée,  dans  notre  église;  c'est  l'abside  de  la  nef  septentria 
nale.  Pendant  tout  le  printemps,  non-seulement  la  paroisse,  mais  presque  tous  les  villages  des  environt 
demandent  des  messes  en  l'honneur  de  saint  Bernard,  pour  la  conservation  des  récoltes.  Nous  possédons» 
dans  une  assez  belle  châsse,  en  brorue  repoussé  et  argenté,  presque  tout  le  corps  de  notre  saint  patron. 
Dans  les  temps  calamiteux,  les  populations  demandent  quo  ces  reliques  soient  portées  en  procession  ;  et( 
quand  nous  annonçons  cette  cérémonie,  l'on  s'y  rend  de  toutes  les  paroisses  voisines,  tant  on  a  conflanc» 
dans  la  protection  du  Saint. 

•  Les  femmes  enceintes  se  recommandent  à  saint  Bernard,  et,  dans  leurs  couches,  elles  sont  tres-heu- 
reuses  d'avoir  quelque  parcelle  de  ses  reliques  ;  ce  qui  leur  est  facile,  vu  que  1°,  vers  1844  ou  1845  v 
Mgr  Jalabert,  vicaire  général,  ouvrit  l'ancienne  châsse  pour  prendre  un  os  destiné  à  la  cathédrale  da 
Saint-Flour,  et  donna  de  petits  os  au  curé  d'alors;  et  2°,  en  1865,  lorsqu'il  s'agit  de  remplacer  l'ancienne 
châsse  par  celle  que  donnait,  sur  le  désir  exprimé  par  feu  sa  mère,  M.  Martin,  notaire  de  la  ville, 
Mgr  l'évêqne  m'autorisa  à  retirer,  pour  les  distribuer,  de  petits  fragments  quo  le  temps  ou  le  frottement 
avait  détachés  ». 


IS2  9  OCTOBRE. 


ABRAM  OU  ABRAHAM  D'UR,  EN  CHALDEE, 

PÈRE  DE  LA  NATION  JUIVE,  ET  SARAÏ  OU  SARA,  SON  ÉPOUSE 
2366-2191  avant  Jésus-Christ. 


Justus  in  sua  fide  vivet. 
Le  Juste  vivra  de  sa  fol. 
Habacuc,  n,  4. 

Lorsque  les  races  de  Sem,  Cham  et  Japhet,fils  de  Noé,  se  furent  partagé 
l'univers,  et  que,  se  frayant  chacun  leur  route,  elles  commencèrent  à  s'éga- 
rer dans  l'erreur,  Dieu  choisit  le  chef  futur  d'un  grand  peuple  pour  en  faire 
aussi  le  chef  et  le  père  des  croyants  :  élection  merveilleuse  qui  avait  pour 
but  de  rendre  la  vérité  plus  stable  parmi  les  hommes  et  plus  manifeste  à 
leurs  yeux,  en  la  fixant  dans  une  famille  et  dans  une  nation,  et  en  lui  don- 
nant une  forme  et  une  expression  sociales. 

Ce  privilégié  illustre,  qui  portait  l'espoir  de  l'avenir,  se  nommait  Abram. 
Il  avait  épousé  Saraï,  fille  de  son  frère  ;  en  ces  temps  primitifs,  la  parenté 
ne  pouvait  pas  empêcher  toutes  les  alliances  qu'elle  empêcherait  aujour- 
d'hui :  c'est  seulement  après  l'universelle  diffusion  du  genre  humain  que 
les  chrétiens  ont  dû  élargir  le  champ  de  leurs  libres  affections,  afin  que 
Tégoïsme,  chassé  des  consciences  par  le  précepte  de  la  charité,  ne  vînt  pas 
se  réfugier  dans  les  familles  sous  le  voile  du  mariage.  Saraï  était  aussi 
appelée  Jescha,  comme  si  on  avait  voulu  dire,  par  ce  mot,  que  sa  beauté 
lui  attirait  tous  les  regards,  sans  doute  parce  que  son  âme  jetait  au  dehors 
cet  éclat  pudique  que  l'harmonie  des  lignes  et  la  pureté  des  traits  ne  peu- 
vent ni  remplacer  ni  couvrir. 

Saraï,  comme  Abram,  descendait  de  Sem,  qui  fut,  selon  la  commune 
opinion,  l'aîné  des  enfants  de  Noé.  Elle  naquit  vers  2020,  environ  huit 
siècles  avant  la  guerre  de  Troie,  peu  de  temps  avant  l'époque  où  les  histo- 
riens profanes  placent  le  règne  de  Sémiramis.  Abram  et  Saraï  habitaient  la 
ville  d'Ur,  en  Chaldée.  Le  pays  était  dès  lors  adonné  à  l'idolâtrie  :  le  feu  y 
recevait  un  culte.  Assurément,  de  toutes  les  lettres  qui  reproduisent  le 
nom  de  Dieu  dans  le  grand  livre  de  la  nature,  la  lumière  des  astres  et  la 
chaleur  du  soleil  étaient  les  plus  apparentes  pour  les  habitants  des  vastes 
plaines  qui  s'étendent  aux  bords  du  Tigre  et  de  l'Euphrate,  sous  un  ciel 
toujours  pur  et  brûlant.  Le  temps  affaiblissant  les  souvenirs  traditionnels, 
et  l'ardeur  des  sens  troublant  la  raison,  ce  qui  n'était  qu'un  signe  fut  pris 
pour  la  réalité  vivante,  et  le  Créateur  disparut,  en  quelque  sorte,  sous  la 
magnificence  de  son  œuvre.  On  adora  le  soleil  et  les  astres  qui  atteignent 
l'homme  de  si  loin,  la  lumière  et  la  chaleur,  dont  il  subit  l'influence  inévi- 
table. Le  feu  devint  l'emblème  général  de  ces  divinités  imaginaires.  Le  vrai 
Dieu  voulut  donc  tirer  Abram  du  milieu  de  ces  erreurs  ;  il  lui  dit  un  jour  i 
«  Quitte  ton  pays,  et  ta  parenté,  et  la  maison  de  ton  père,  et  viens  en  la 
terre  que  je  te  montrerai.  Je  te  ferai  un  grand  peuple...  Je  bénirai  qui  te 
bénira,  je  maudirai  qui  te  maudira,  et  en  toi  seront  bénies  toutes  les  nations 
de  la  terre  ».  Douces  et  honorables  paroles  qui  promettaient  une  gloire  et 


ABRAM  OU  ABRAHAM  D'UR,  ET  SARAÏ  OU  SARA,  SON  ÉPOUSE.      483 

une  postérité  selon  l'esprit  plutôt  encore  qu'une  gloire  et  une  postérité 
selon  la  chair,  et  qui  venaient  à  la  fois  soutenir  l'espoir  de  l'humanité 
déchue  et  l'associer  au  travail  de, sa  propre  réhabilitation. 

Abram  obéit  à  l'appel  d'en  haut  :  il  se  mit  en  marche  avec  Saraï,  avec 
Tharé,  son  père,  et  Loth,  son  neveu.  On  séjourna  quelque  temps  à  Haram, 
ville  de  Mésopotamie  ;  là  Tharé  mourut.  On  continua  la  route  vers  l'ouest, 
en  passant  vers  Damas  ;  s'il  en  faut  croire  les  vieilles  traditions,  Abram 
aurait  exercé  dans  ces  lieux  une  sorte  d'autorité  royale.  Ce  qu'il  y  a  de  cer- 
tain, c'est  que  Damas  se  trouve  sur  la  ligne  que  Ton  mènerait  de  la  Méso- 
potamie à  la  terre  de  Chanaan,  où  se  rendait  le  pèlerin  de  la  foi  ;  c'est  que 
le  souvenir  du  grand  patriarche  remplit  encore  aujourd'hui  tout  l'Orient, 
et  que  la  commune  opinion  lui  attribue  la  fondation  de  Dimschak  ou 
Damas.  Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  récits,  adoptés  d'ailleurs  par  Trogue- 
Pompée  et  les  divers  historiens  de  Syrie,  Abram  poursuivit  son  voyage  et 
arriva  au  sein  d'une  large  vallée  où  fut  bâtie  ensuite  Sichem,  qui  est  deve- 
nue un  faubourg  de  la  ville  actuelle  de  Naplouse  :  terre  maintenant  in- 
culte, mais  toujours  féconde,  suave  et  douce  comme  l'éternelle  jeunesse 
de  sa  verdure,  mélancolique  comme  ses  longs  horizons  et  comme  ses 
ruines. 

Il  y  a  des  hommes  qui  semblent  résumer  dans  leurs  destinées  person- 
nelles le  sort  de  tout  un  peuple,  ou  bien  quelqu'une  des  faces  de  la  vie 
générale  du  monde.  Semblable  aux  générations  humaines,  que  le  temps 
précipite,  le  long  de  ces  rives  changeantes,  vers  un  avenir  mystérieux,  aïeul 
de  l'Arabe  vagabond  et  du  Juif  qui  traîne  sous  tous  les  soleils  son  espérance^ 
indéfinie,  Abram  passait  véritablement  sur  terre  en  voyageur.  La  tente 
qu'il  avait  plantée  la  veille,  il  la  pliait  le  lendemain,  comme  un  exilé  qui 
n'a  pas  de  séjour  permanent  et  qui  cherche  une  patrie.  Des  campagnes  de 
Sichem,  il  descendit  vers  le  sud  de  la  Palestine,  et  bientôt  même  vers 
l'Egypte,  à  cause  de  la  famine  qui  désolait  le  pays  de  Chanaan.  Saraï,  bien 
qu'elle  ne  fût  plus  jeune,  n'avait  pas  encore  reçu  dans  sa  beauté  les 
atteintes  du  temps,  soit  privilège  accordé  à  une  existence  pleine  de  mer- 
veilles, soit  vigueur  naturelle  du  corps  dans  ces  âges  primitifs  où  la  vie  plus 
longue  avait  sans  doute  une  fleur  moins  rapide.  L'hospitalité  fraternelle  où 
les  anciens  peuples  vivaient,  comme  dans  une  douce  et  favorable  atmos- 
phère, pouvait-elle  donc  assez  défendre  Saraï  contre  les  insultes  d'un 
peuple  étranger?  Abram  ne  le  crut  pas  :  «Je  sais  que  tu  es  belle  »,  lui 
dit-il  avec  simplicité,  «  et  que  les  Egyptiens  diront  en  te  voyant  :  «  Elle  est 
«  sa  femme  »,  et  ils  me  tueront  pour  t'avoir.  Fais  donc  connaître,  je  t'en 
prie,  que  tu  es  ma  sœur,  afin  qu'on  me  traite  bien  à  cause  de  toi,  et  qu'on 
me  laisse  la  vie  sauve  en  ta  considération  » .  En  effet,  on  ne  tue  pas  un 
homme  pour  avoir  sa  sœur,  tandis  que  le  faire  périr  est  souvent  la  seule 
ressource  pour  lui  ravir  sa  femme. 

A  peine  le  voyageur  avait-il  franchi  la  frontière  d'Egypte,  que  déjà  le 
roi  était  informé  de  la  beauté  de  Saraï  :  la  race  des  courtisans  a  toujours  été 
savante  et  prompte  à  subodorer  et  à  découvrir  ce  qui  peut  flatter  les  pas- 
sions du  maître.  Saraï  se  vit  enlevée  et  conduite  au  palais.  A  cause  d'elle, 
Abram  fut  traité  avec  égard  ;  on  lui  offrit  en  présent  ce  qui  faisait  la  ri- 
chesse des  siècles  primitifs  et  des  peuples  pasteurs,  de  grands  troupeaux  de 
bœufs  et  de  brebis,  d'ânes  et  de  chameaux,  une  foule  de  serviteurs  et  de 
servantes.  Cependant  des  châtiments  extraordinaires  atteignirent  le  prince 
et  sa  maison.  Eclairé,  par  suite  de  ces  coups  d'en  haut,  sur  la  vérité  des  faits 
qu'on  lui  avait  laissé  ignorer,  il  respecta  Saraï,  âme  droite  et  pure,  qui 


184  9   OCTOBRE. 

s'était  confiée  avec  ingénuité  à  la  Providence  et  que  la  Providence  n'aban- 
donnait pas.  Pharaon  fit  venir  Abram  :  «  De  quelle  sorte  m*âs-tu  traité  ?  » 
dit-il.  «  Pourquoi  ne  m'avoir  pas  averti  que  c'était  ta  femme  ?  D'où  vient 
que  tu  l'as  nommée  ta  sœur,  m'exposant  à  la  prendre  pour  épouse  ?  »  Puis 
il  donna  ordre  à  ses  gens  de  veiller  à  ce  que  l'étranger  ne  souffrît  aucun 
mal  en  quittant  l'Egypte,  et  il  remit  Saraï  entre  ses  mains. 

A  quelque  temps  de  là,  lorsque  Saraï  suivit  Abram  au  pays  de  Gérare, 
dans  l'Arabie  Pétrée,  le  même  incident  survint  avec  des  circonstances  à  peu 
près  semblables  :  Saraï  fut  miraculeusement  protégée  contre  Abimélech  : 
c'était  le  nom  commun  des  chefs  de  la  contrée,  de  même  que  le  nom  de 
Pharaon  était  commun  aux  rois  qui  gouvernaient  l'Egypte. 

Cependant  Abram  quitta  l'Egypte  avec  Saraï  et  tout  ce  qu'il  possédait, 
et  il  rentra  dans  la  Palestine.  Loth,  de  son  côté,  avait  de  grands  biens  aussi. 
Il  leur  fallait,  à  tous  deux,  une  vaste  étendue  de  pays,  de  peur  que  leurs 
troupeaux  ne  vinssent  à  manquer  de  pâturages  et  leurs  gens  à  se  prendre  de 
querelle.  On  se  sépara  :  Loth  choisit  la  partie  orientale  de  la  contrée  et  se 
fixa  sur  les  bords  du  Jourdain,  qui  arrosait  les  plaines  alors  riantes  et  fer- 
tiles de  Sodome  et  de  Gomorrhe  ;  Abram  se  retira  vers  l'Occident  et  habita 
la  vallée  de  Mambré,  qui  est  restée  si  célèbre.  Peu  de  temps  après,  des 
troupes  venues,  comme  on  le  croit,  de  l'empire  d'Assyrie,  et  renforcées  par 
quelques  petits  princes  du  voisinage,  essayèrent  de  soumettre  définitive- 
ment les  rois  de  la  Pentapole,  qui  se  lassaient  d'une  domination  étrangère 
et  refusaient  un  tribut  toujours  payé  depuis  douze  ans.  La  Pentapole  était 
cette  région  occupée  alors  par  les  villes  de  Sodome,  Gomorrhe,  Adama, 
Séboïn  et  Bala,  nommée  aussi  Ségor,  et  où  s'étendent  aujourd'hui  les  flots 
muets  et  pesants  de  la  mer  Morte.  Les  rois  chananéens  furent  battus  et  leurs 
biens  livrés  au  pillage  ;  Loth,  qui  demeurait  parmi  eux  et  leur  avait  porté 
secours,  devint,  avec  toutes  ses  richesses,  la  proie  des  vainqueurs.  Abram 
fut  rapidement  informé  de  ce  désastre  ;  il  ramassa  en  toute  hâte  les  plus 
braves  de  ses  gens,  et,  soutenu  par  quelques  alliés  qu'il  avait  dans  le  pays, 
il  tomba,  pendant  la  nuit,  sur  les  troupes  assyriennes,  les  mit  en  déroute, 
et  ramena  Loth  et  les  captifs  avec  tout  le  butin.  C'est  au  retour  de  cette 
expédition  qu'il  fut  salué  et  béni  par  Melchisédech,  roi  de  la  ville  qui  se 
nomma  plus  tard  Jérusalem,  et  prêtre  du  Très-Haut,  figure  d'un  autre  pon- 
tife et  d'un  autre  monarque  qui  a  purifié  le  monde  par  l'effusion  de  son 
propre  sang,  et  établi  son  règne  sur  les  esprits  et  les  cœurs,  et  qui,  l'Evan- 
gile à  la  main,  est  venu  au-devant  de  l'humanité  pour  l'aider  dans  cette 
course  souffrante  et  ce  combat  laborieux  qu'on  nomme  la  vie. 

Abram  avait  reçu  la  promesse  et  nourrissait  l'espoir  d'une  postérité 
illustre,  et  toutefois  la  vieillesse  arrivait  sans  lui  amener  d'enfants.  «  Lève 
les  yeux  au  ciel  »,  lui  dit  le  Seigneur,  «  et  compte,  si  tu  le  peux,  les  étoi- 
les. Ainsi  sera  ta  race  ».  Le  patriarche  n'eut  pas  moins  foi  en  la  parole 
divine  que  le  jour  où  il  avait  quitté,  sur  un  ordre  d'en  haut,  les  champs  de 
la  Chaldée.  Saraï,  qui  déplorait  sa  longue  stérilité,  n'imagina  pas  qu'elle  dût 
jamais  partager  avec  Abram  le  privilège  et  la  joie  de  revivre  dans  des  fils  ; 
elle  lui  conseilla  donc  d'épouser  Agar,  sa  servante,  selon  l'usage  de  ces 
siècles,  où  la  polygamie  était  tolérée.  Elle  voulait  se  consoler  ainsi  par  une 
maternité  d'emprunt  ;  mais  elle  y  trouva,  au  contraire,  une  source  de  vifs 
chagrins  :  des  rivalités  éclatèrent  entre  les  deux  épouses.  Peut-être  la  triste 
Saraï,  ne  sachant  pas  se  résigner  avec  assez  de  courage,  fut-elle  sévère  et 
exigeante,  comme  la  plupart  de  ceux  que  le  malheur  atteint  ;  peut-être 
aussi  Agar,  oubliant  sa  condition,  se  montra-t-elle  imprudente  et  trop  fière 


i 


ABRAM  OU  ABRAHAM  D'UR,  ET  SARAÏ  OU  SARA,  SON  ÉPOUSE.      48" 

de  sa  fortune,  car  elle  allait  avoir  un  fils.  Bientôt,  en  effet,  elle  donna  le 
jour  à  Ismaël,  le  dur  aïeul  du  peuple  arabe. 

Mais  Ismaël  n'était  pas  l'enfant  de  la  promesse.  Un  jour  donc,  le  Sei- 
gneur apparut  à  Abram,  et  lui  dit  :  «  Je  suis  le  Dieu  tout-puissant  ;  marche 
en  ma  présence  et  sois  parfait.  Je  contracterai  alliance  avec  toi  et  te  mul- 
tiplierai jusqu'à  l'infini...  Je  te  rendrai  chef  de  plusieurs  nations,  et  des  rois 
naîtront  de  ton  sang.  Mon  pacte  avec  toi  et  avec  ta  race,  dans  la  suite  des 
générations,  restera  toujours  durable,  et  je  serai  ton  Dieu  et  le  Dieu  de  ta 
postérité.  A  toi  et  à  tes  descendants,  je  donnerai  en  héritage  éternel  la  terre 
où  tu  passes  en  voyageur,  tout  le  pays  de  Chanaan...  » 

Une  alliance  fut  contractée.  Abram  jura,  pour  lui  et  sa  race,  de  fuir 
l'idolâtrie  et  d'obéir  à  Dieu  avec  une  inviolable  sincérité  ;  il  tint  son  ser- 
ment, mais  sa  race,  à  la  tête  indocile  et  au  cœur  déréglé,  fut  souvent  rap- 
pelée en  vain  à  l'accomplissement  de  ses  obligations.  Dieu  s'engagea,  de 
son  côté,  à  donner  au  vieil  Abram  de  nombreux  descendants,  prémices  et 
symboles  de  ces  générations  croyantes  qui  devaient  briller,  un  jour,  au  fir- 
mament de  l'Eglise,  comme  les  étoiles  dans  l'azur  des  cieux.  Pour  ajouter 
à  sa  parole  une  sanction  expresse  et  laisser  un  monument  indestructible  de 
ces  faits,  Dieu  changea  le  nom  d' Abram,  qui  veut  dire  père  élevé,  en  celui 
d'Abraham,  père  des  multitudes,  et  le  nom  de  Saraï,  qui  signifie  ma  prin- 
cesse, en  celui  de  Sara,  la  princesse  par  excellence,  parce  qu'elle  devait  être 
la  mère  de  plusieurs  peuples.  «  Car  je  la  bénirai  »,  continua  le  Seigneur, 
«  et  tu  auras  d'elle  un  fils  que  je  bénirai  aussi  ;  il  sera  chef  des  nations,  et 
des  princes  sortiront  de  lui  ».  Les  noms  d'Abraham  et  de  Sara,  ainsi  modi- 
fiés, portaient  des  espérances  qui  soutinrent  la  Synagogue  durant  vingt  siè- 
cles, et  qui  eharment  encore  tout  Israël  dispersé  ;  aujourd'hui  que  nous 
avons  recueilli  dans  la  foi  les  bénédictions  qu'ils  exprimaient  prophétique- 
ment, ils  résonnent  avec  douceur  à  toute  oreille  chrétienne,  et  jusqu'à 
l'éternité  ils  seront  sur  les  lèvres  du  genre  humain. 

Etonné  d'entendre  de  si  grandes  choses,  Abraham  se  prosterna  la  face 
contre  terre,  il  sourit  dans  sa  joie  naïve,  et  dit  au  fond  de  son  cœur  :  «  Un 
centenaire  aura-t-il  donc  un  fils,  et  Sara  va-t-elle  enfanter  à  quatre-vingt- 
dix  ans?  Puisse  seulement  Ismaël  vivre  à  nos  yeux  !  »  ajouta-t-il  en  s'adres- 
sant  au  Seigneur.  Son  sourire  ne  venait  pas  de  l'incrédulité  ;  c'était  plutôt 
un  tressaillement  de  reconnaissance  et  de  respect  ;  car  il  savait  bien  que 
Dieu  peut  faire  fleurir  le  désert  et  donner  quelques  rayons  de  plus  à  un 
soleil  d'automne.  Aussi,  loin  de  le  reprendre  comme  d'un  doute,  Dieu  lui 
dit  :  «  Un  fils  te  viendra  de  Sara,  ta  femme,  et  tu  l'appelleras  Isaac  ;  je  ferai 
alliance  avec  lui  et  ses  descendants  pour  l'éternité.  J'ai  aussi  exaucé  tes 
vœux  pour  Ismaël  ;  je  le  bénirai  et  lui  donnerai  de  croître  et  de  multiplier 
à  l'infini  ;  il  sera  père  de  douze  princes  et  chef  d'un  grand  peuple.  Mais 
mon  pacte  n'aura  lieu  qu'en  faveur  d'Isaac,  que  Sara  doit  enfanter  dans  un 
an,  à  pareille  époque».  Alors  la  voix  qui  disait  ces  mots  s'arrêta,  et  la  vision 
s'évanouit. 

Peu  de  temps  après,  par  la  plus  grande  chaleur  du  jour,  Abraham  était 
assis  à  l'entrée  de  sa  tente,  dans  la  vallée  de  Mambré.  Tout  à  coup  il  leva  les 
yeux  du  côté  du  chemin  et  aperçut  trois  hommes  qui  approchaient.  Il  cou- 
rut à  leur  rencontre  et  se  prosterna  devant  eux  jusqu'à  terre,  selon  l'anti- 
que et  orientale  manière  de  saluer.  «  Seigneurs  »,  dit-il,  «  si  j'ai  trouvé 
grâce  devant  vous,  recevez  l'accueil  de  votre  serviteur.  J'apporterai  un  peu 
d'eau  pour  laver  vos  pieds,  et  vous  prendrez  quelque  repos  sous  cet  arbre.  Je 
vous  servirai  un  pou  de  pain  pour  vous  fortifier,  et  vous  continuerez  ensuite 


186  9  OCTOBRE. 

votre  route  ».  On  sait  avec  quelle  religion  l'hospitalité  fut  pratiquée  chez 
les  anciens,  et  surtout  en  Orient,  et  quels  rapports  intimes  et  sacrés  elle  éta- 
blissait entre  les  hommes.  Les  plus  humbles  soins  étaient  généreusement 
accordés  au  voyageur  ;  son  nom  même  ne  lui  était  demandé  qu'après  le 
premier  repas;  à  son  départ,  il  recevait  et  donnait  quelques  présents  comme 
témoignage  d'indissoluble  amitié  :  heureuses  coutumes  qui  assuraient  par- 
tout à  l'étranger  un  pain  presque  aussi  doux  que  le  pain  du  foyer  domesti- 
que, et  qui  lui  faisaient  trouver  dans  ses  hôtes  des  frères  et  des  sœurs, 
chère  image  de  sa  famille  absente  ! 

Les  pèlerins  mystérieux  se  rendirent  à  l'invitation  d'Abraham.  Le  pa- 
triarche entra  dans  sa  tente  et  dit  à  Sara  :  «  Pétris  à  la  hâte  trois  mesures 
de  farine,  et  fais  cuire  des  pains  sous  la  cendre  ».  Il  courut  lui-même  à  son 
troupeau  pour  choisir  ce  qu'il  avait  de  meilleur.  Les  délicatesses  de  la  table 
étaient  alors  ignorées  ;  on  ne  s'appliquait  pas  à  irriter  l'appétit  par  la  diver- 
sité des  aliments  et  par  le  luxe  des  apprêts.  Une  viande  commune,  abon- 
dante, mais  non  pas  variée,  du  lait  et  du  beurre  :  tels  furent  les  mets  offerts 
aux  hôtes  de  Mambré.  Ce  serait  bien  simple  pour  une  époque  de  raffine- 
ment, où  le  prix  des  choses  se  mesure  surtout  à  leur  rareté  ;  mais  ce  fut  un 
festin  magnifique  en  ces  temps  de  vie  modérée  et  frugale,  où  l'homme 
n'avait  pas  encore  soumis  la  faim  même  aux  artifices  de  la  civilisation.  Les 
voyageurs  prirent  leur  repas  sous  l'ombrage  ;  Abraham  se  tenait  debout,  prêt 
à  les  servir  au  besoin. 

Ce  n'étaient  pas  des  hommes  que  ces  étrangers  assis  à  la  table  d'Abra- 
ham :  c'étaient  des  formes  humaines  habitées,  pour  un  moment,  par  des 
esprits  célestes.  Ils  lui  demandèrent  où  était  Sara;  peut-être  les  mœurs  du 
peuple  et  du  pays  interdisaient  à  Sara  de  se  tenir  en  présence  des  étrangers, 
peut-être  aussi  les  soins  de  l'hospitalité  l'appelaient  ailleurs.  Elle  était  peu 
éloignée,  du  reste,  et  les  paroles  de  la  conversation  pouvaient  arriver  jus- 
qu'à son  oreille.  «  Sara  est  dans  sa  tente  »,  répondit  Abraham.  «  Dans  un 
an,  à  pareille  époque  »,  ajouta  l'un  des  augustes  pèlerins,  «  je  reviendrai  te 
visiter,  vous  serez  tous  deux  en  vie,  et  Sara,  ta  femme,  aura  un  fils  ».  Sara 
entendit  ces  mots,  et,  songeant  à  son  grand  âge,  elle  sourit  en  secret  ;  car, 
séparée  des  voyageurs  par  la  porte  de  la  tente,  elle  ne  pouvait  en  être 
aperçue.  Mais  l'un  d'eux,  s'adressant  à  Abraham  :  «  Pourquoi  Sara  a-t-elie 
ri  en  disant  :  Aurai-je  donc  un  fils  h  mon  âge?  Y  a-t-il  rien  de  difficile  à 
Dieu  ?  Je  reviendrai  dans  un  an,  à  pareille  époque  ;  vous  serez  tous  deux  en 
vie,  et  ta  femme  aura  un  fils  ».  Sara,  tout  effrayée  de  la  réprimande: 
«  Je  n'ai  pas  ri»,  dit-elle.  «  Non  pas  »,  reprit  l'interlocuteur,  «  vous  avez 
ri  ».  Sara  regardait  sans  doute  ses  hôtes  comme  de  simples  hommes,  et  son 
sourire  n'eut  rien  d'impie  ;  mais  elle  eut  tort  de  mentir,  parce  qu'on  ne  doit 
jamais  renier  la  vérité,  lors  même  qu'elle  paraît  à  craindre. 

Les  anges  se  levèrent  pour  continuer  leur  voyage  :  Abraham  voulut  les 
reconduire,  et  marcha  quelque  temps  avec  eux.  On  se  dirigeait  vers  la  ville 
de  Sodome.  C'est  en  cette  rencontre  que  le  patriarche  fut  instruit  à  l'avance 
du  châtiment  préparé  aux  habitants  corrompus  de  la  Pentapole,  et  qu'il 
soutint  avec  son  céleste  interlocuteur  ce  dialogue  d'une  familiarité  su- 
blime, où  se  révèle  tout  ce  que  la  Providence  met  de  paternelle  tendresse 
dans  le  gouvernement  du  monde,  et  tout  ce  que  les  hommes  peuvent  met- 
tre de  filiale  confiance  en  Dieu.  Quand  donc  le  Seigneur  eut  prononcé  sa 
menace  :  «S'il  se  trouve  cinquante  justes  dans  la  ville»,  dit  Abraham, 
«  periront-ils  également  ?  »  — -  «  Si  je  trouve  cinquante  justes  dans  Sodome, 
à  cause  d'eux,  je  l'épargnerai  ».  — -  a  J'ai  commencé,  je  parlerai  de  nou- 


ABRAM  OU  ABRAHAM  D*UR,  ET  SARAÏ  OU  SARA,  SON  ÉPOUSE.      187 

veau,  bien  que  je  sois  cendre  et  poussière.  Qu'arrivera-t-il  s'il  y  a  qua- 
rante-cinq justes  ?»  —  «  Je  ne  détruirai  pas  la  ville  ».  —  «  Et  s'il  y  en  a 
quarante  ?»  —  «  Je  ne  frapperai  pas  ».  —  «  Et  trente  ?»  —  a  Je  m'arrê- 
terai ».  —  «  Et  vingt  ?»  —  «  Je  ne  perdrai  point  Sodome  ».  —  «  Et  dix  ?  » 
—  «  Je  pardonnerai  ».  Abraham  garda  le  silence,  la  vision  disparut,  et  il 
revint  à  Mambré. 

Le  soir,  deux  des  voyageurs  arrivèrent  à  Sodome.  Ils  purent  se  con- 
vaincre que  l'iniquité  y  était  portée  à  son  comble  ;  Loth,  qui  leur  offrait  sa 
maison  et  voulait  les  protéger,  eut  peine  à  échapper  aux  plus  graves  insul- 
tes. Us  l'invitèrent  à  quitter  ce  lieu  infâme,  et*  comme  il  hésitait,  ils  l'em- 
menèrent, le  lendemain  matin,  avec  sa  femme  et  ses  filles.  Au  lever  du 
soleil,  Loth  entrait  à  Ségor,  En  ce  moment,  une  effroyable  pluie  de  soufre 
et  de  feu  bondit  sur  les  villes  réprouvées.  Le  sol,  qui  est  bitumineux,  s'en- 
llamma  sans  doute,  après  s'être  déchiré  et  entr'ouvert  sous  les  coups  de  la 
foudre  et  dans  des  ébranlements  intérieurs.  Tout  fut  envahi  et  dévoré  par 
l'incendie.  Au  souvenir  des  malédictions  données  à  la  Pentapole,  Abraham 
était  revenu  à  l'endroit  même  où,  la  veille,  il  avait  laissé  ses  hôtes.  De  là, 
il  vit  s'abîmer  Sodome,  Gomorrhe,  Adama,  Séboïm  et  le  pays  d'alentour  ; 
des  cendres  embrasées  s'élevaient  de  terre  comme  la  fumée  d'une  fournaise 
ardente.  Depuis  ce  jour,  la  vie  n'est  pas  retournée  en  ces  lieux,  et  elle  ne 
peut  y  prendre  racine.  Sur  la  vallée  autrefois  couverte  des  flots  de  tout  un 
peuple,  un  grand  lac  étend  ses  eaux  assoupies,  qui  s'éveillent  à  peine  dans 
les  tempêtes.  On  dit  que  les  poissons  ne  l'habitent  pas,  et  que  les  oiseaux  ne 
volent  jamais  au  dessus.  Du  sel  semé  sur  la  grève,  plus  loin  des  sables  mou- 
vants, çà  et  là  quelques  plantes  qui  croissent  lentement  et  comme  à  regret, 
le  sol  sans  verdure,  l'air  sans  fraîcheur,  la  vallée  sans  bruit  ;  tout  présente 
la  triste  image  de  la  mort. 

Les  jours  prédits  par  le  Seigneur  étaient  arrivés,  et  celui  qui  renouvelle 
la  jeunesse  de  l'aigle  réjouit  enfin  la  vieillesse  de  Sara  en  lui  envoyant  un 
fils.  L'enfant  reçut  le  nom  d'Isaac,  selon  l'ordre  reçu  du  ciel,  et  pour  rap- 
peler que  son  père  avait  souri  à  la  promesse  d'une  postérité  sur  laquelle, 
depuis  longtemps,  il  ne  comptait  plus.  Sara,  faisant  allusion  à  ce  nom  mys- 
térieux :  «  Dieu  m'a  donné  le  sourire  de  joie  »,  dit-elle,  «  et  tout  le  monde, 
en  l'apprenant,  me  sourira  ».  Et,  en  effet,  tous  les  siècles  chrétiens  ont  ho- 
noré, dans  cet  enfant  qui  vint  mettre  un  terme  aux  longues  désolations  de 
Sara,  la  figure  prophétique  de  cet  autre  Isaac  qui,  après  quatre  mille  ans 
d'attente,  apparut  au  milieu  des  nations  frappées  de  stérilité  pour  la  vérité 
et  la  vertu,  et  fit  luire  à  leurs  yeux  l'Evangile  comme  un  rayon  de  lumière 
et  comme  un  sourire  de  charité. 

Sara  nourrit  elle-même  Isaac,  comme  font  toutes  les  mères  qui  savent 
que  la  souffrance  est  un  doux  mystère  où  se  fortifie  la  tendresse,  et  qu'en 
puisant  la  vie  si  près  du  cœur  maternel,  les  enfants  y  trouvent  sans  doute 
quelque  chose  de  plus  généreux  et  de  plus  pur.  Du  reste,  c'était  la  coutume 
des  siècles  primitifs,  parce  que  c'était  Tordre  de  la  nature.  Le  temps  de  se- 
vrer Isaac  étant  venu,  il  y  eut  un  grand  festin  à  Mambré  ;  car,  autrefois,  on 
ne  célébrait  la  naissance  d'un  homme  que  lorsqu'il  avait  échappé  aux  pre- 
miers périls  de  l'existence,  et  qu'il  pouvait  déjà  supporter  des  aliments 
solides  et  paraître  en  convive  à  la  fête  que  la  famille  lui  donnait. 

Ismaël,  fils  d'Agar,  avait  environ  quatorze  ans  de  plus  qu'Isaac,  et  il 
abusait  envers  lui  de  sa  supériorité  d'âge  et  de  force.  Le  cœur  de  Sara  souf- 
frait beaucoup  de  ces  mauvais  traitements  ;  craignant  pour  Isaac  les  suites 
de  ces  antipathies  naissantes,  elle  obtint  le  renvoi  d'Agar  et  d'Ismael.  Les 


4S8  9  OCTOBRE, 

proscrits  se  réfugièrent  dans  l'Arabie  Pétrée.  Abraham,  de  son  côté,  trouva 
l'occasion  de  s'affermir  dans  la  Palestine,  en  faisant  alliance  avec  un  prince 
du  voisinage  nommé  Abimélech ,  peut-être  le  même  qui  lui  avait  donne 
l'hospitalité  à  Gérare.  Abimélech  vint  un  jour  solliciter  l'amitié  du  patriar- 
che :  «Dieu  »,  dit-il,  «  est  avec  toi  dans  tout  ce  que  tu  entreprends.  Jure 
donc,  au  nom  de  Dieu,  que  tu  ne  feras  jamais  de  mal  ni  à  moi,  ni  à  mes 
enfants,  ni  à  ma  race,  mais  que  la  bonté  que  j'ai  eue  pour  toi,  tu  l'auras 
pour  moi  et  pour  le  pays  où  tu  habites  comme  étranger  ».  Abraham  y  con- 
sentit, mais  après  s'être  plaint  des  violences  exercées  contre  ses  gens  parles 
gens  d 'Abimélech  :  il  s'agissait  d'un  puits  dont  on  l'avait  injustement  dé- 
pouillé. C'était  un  légitime  et  grave  sujet  de  mée*/ ^lentement  dans  un  pays 
riche  en  troupeaux,  mais  où  les  rivières  et  la  plui*,  nAit  rares.  Abimélech 
protesta  qu'il  n'avait  jamais  ouï  parler  de  cette  injtcOH*1:  ainsi  la  difficulté 
fut  levée  sans  peine.  On  se  promit  donc  une  amitié  nt»*\,elle,  qui  fut  scel- 
lée, selon  l'usage  antique,  par  le  sang  des  animaux  égorges  :  le  lieu  où  fut 
conclue  cette  alliance  prit  le  nom  de  Bersabée,  c'est-à-dire  puits  du  ser- 
ment. Abraham  y  planta  un  bois  et  y  dressa  un  autel  au  Seigneur  ;  car  alors 
il  n'existait  qu'un  temple  qui  avait  le  firmament  pour  dôme,  le  soleil  pour 
luminaire,  et  la  cime  des  montages  pour  autel  ;  Dieu  se  l'était  bâti  de  sa 
propre  main. 

Toute  vie  a  ses  épreuves,  et  nos  plus  chères  affections  deviennent  sou- 
vent nos  plus  durs  chagrins  ;  mais  aussi  toute  épreuve  a  son  but,  et  la  souf- 
france est  un  élément  de  gloire.  Le  fils  unique  et  bien-aimé  de  Sara  faillit 
lui  être  enlevé  d'une  manière  inattendue  et  tragique  :  une  voix  connue,  la 
voix  du  Seigneur,  demanda  qu'il  fût  sacrifié.  N'était-ce  pas  cruel  et  dérai- 
sonnable de  mettre  à  mort  un  fils  si  longtemps  désiré,  et  sur  qui  reposait 
l'espoir  d'une  postérité  nombreuse  ?  Un  homme  sans  foi  l'eût  pensé  ;  mais 
le  croyant  patriarche  savait  que  Dieu,  souverain  arbitre  de  la  vie  humaine, 
peut  en  marquer  le  terme,  comme  il  en  a  marqué  le  commencement,  et  la 
faire  cesser  par  le  moyen  qu'il  lui  plaît  ;  il  savait  aussi  que  Dieu  règne  sur 
la  mort  non  moins  que  sur  la  vieillesse,  et  retire,  à  son  gré,  des  cendres 
éteintes  du  sépulcre  la  fleur  d'une  jeune  vie,  comme  il  couronne  la  femme 
stérile  des  honneurs  de  la  maternité.  Sara  fut-elle  immédiatement  informée 
de  ce  qui  allait  advenir,  ou  bien  Abraham  voulut-il  lui  épargner  le  specta- 
cle d'un  drame  si  affreux  pour  un  cœur  de  mère  ?  C'est  probablement  cette 
dernière  conclusion  qu'il  faut  tirer  du  silence  des  Ecritures  ;  qui  doute,  en 
effet,  que,  prévenu  de  l'événement  funèbre  qui  devait  clore  les  destinées 
d'isaac,  Sara  ne  lui  eût  donné  un  de  ces  baisers  éclatants  que  les  mères 
attachent  aux  lèvres  de  leurs  fils  au  moment  d'un  suprême  adieu,  et  qui 
retentissent  jusque  dans  la  postérité  la  plus  reculée  ? 

Quoi  qu'il  en  soit,  Abraham  se  prépara  courageusement  à  exécuter  l'or- 
dre qu'il  avait  reçu.  Il  prit  Isaac  avec  deux  jeunes  serviteurs,  et  s'achemina 
vers  le  lieu  du  sacrifice  :  c'était,  au  dire  de  quelques-uns,  la  montagne  de 
Moria,  où  s'éleva  plus  tard  le  temple  de  Salomon  ;  d'autres  pensent  que 
c'était  le  Calvaire,  où  Jésus- Christ  livra  sa  vie.  Merveilleuse  correspondance 
des  figures  qui  prophétisent  avec  tant  de  précision,  et  de  la  réalité  qui  vient 
tout  accomplir  avec  tant  de  plénitude  !  De  Bersabée,  où  demeurait  Abra- 
ham, à  Jérusalem,  où  il  allait,  on  compte  environ  vingt  lieues  ;  il  y  parvint 
après  deux  jours  de  marche.  Sur  l'ordre  de  leur  maître,  les  deux  serviteurs 
s'arrêtèrent  ;  Abraham,  tenant  le  fer  qui  devait  frapper  la  victime  et  le  feu 
qui  devait  la  consumer,  Isaac,  chargé  du  bois  nécessaire  au  sacrifice,  gravi- 
rent ensemble  la  colline  désignée  par  le  ciel.  Cependant  Isaac  disait  à  son 


ABRAM  OU  ABRAHAM  D'UR,   ET  SARAÏ  OU  SARA,   SON  ÉPOUSE.  189 

père  :  «  Voici  le  bois  et  le  feu  ;  mais  où  est  la  victime  pour  l'holocauste  ?  » 

«  Mon  fils  »,  répondit  Abraham,  «  Dieu  lui-même  se  pourvoira  d'une 

victime  pour  l'holocauste  » ,  On  atteignit  enfin  la  cime  de  la  montagne  ; 
des  pierres  furent  disposées  en  autel  ;  le  bois  y  fut  placé  ;  Isaac,  car  c'était 
la  victime,  se  laissa  docilement  lier  sur  le  bûcher  funèbre.  Le  père  avait 
saisi  le  glaive,  il  étendait  la  main,  lorsqu'une  voix  lui  cria  d'en  haut  : 
«  Abraham  î  Abraham  !  »  Le  coup  resta  suspendu,  et  la  voix  reprit  : 
«  N'étends  pas  la  main  sur  le  jeune  homme,  et  ne  lui  fais  aucun  mal.  Je 
sais  que  tu  crains  Dieu,  puisque,  pour  m'obéir,  tu  n'as  point  épargné  ton 
fils  unique...  Je  te  bénirai,  je  multiplierai  ta  race  comme  les  étoiles  du  ciel 
et  comme  le  sable  des  bords  de  la  mer,  et  tes  fils  posséderont  les  villes  de 
leurs  ennemis.  Et  en  ta  postérité  seront  bénies  toutes  les  nations  de  la 
terre,  parce  que  tu  m'as  obéi  ».  Abraham  aperçut  un  bélier  dont  les  cornes 
s'étaient  embarrassées  dans  un  buisson  ;  il  le  prit  pour  l'offrir  en  holocauste 
à  la  place  de  son  fils.  Puis  il  revint  à  Bersabée.  C'est  ainsi  que  les  oracles 
divins,  fréquemment  réitérés,  marquaient  d'une  manière  décisive  la  dynas- 
tie du  Libérateur  annoncé  pour  la  première  fois  aux  exilés  d'Eden,  promis 
ensuite  à  la  race  d'Abraham,  salué  de  loin  par  la  Judée  croyante,  attendu 
par  l'Orient  fidèle  aux  traditions,  par  la  Grèce  amie  de  la  science,  et  par 
tous  les  peuples  que  les  passions  avaient  divisés,  mais  qu'une  force  intime 
retenait  dans  de  communes  espérances.  C'est  encore  ainsi  que  l'offrande 
d'Isaac  immolé  d'intention,  et  l'offrande  des  victimes  immolées  réellement 
dans  les  religions  antiques,  furent  les  ombres  et  les  symboles  d'un  sacrifice 
meilleur,  qui  s'accomplit  il  y  a  dix-huit  siècles,  et  qui,  se  renouvelant 
chaque  jour  à  nos  yeux,  couvre  le  monde  entier  d'un  immense  pardon. 

On  ne  sait  rien  des  dernières  années  de  Sara.  Elle  mourut  fort  avancée 
en  âge,  dans  la  petite  ville  de  Cariath-Arbé,  que  les  Israélites  nommèrent 
Hébron,  lorsqu'ils  eurent  conquis  la  terre  de  Ghanaan. 

Le  vieux  patriarche,  en  perdant  Sara,  répandit  des  larmes,  et,  selon  la 
coutume  qu'on  suivait  en  de  semblables  deuils,  il  resta  quelque  temps  assis 
à  terre  auprès  du  cadavre.  Ce  devoir  rempli,  il  alla  trouver  les  habitants  de 
la  ville  et  leur  dit  :  «  Je  suis  étranger  et  voyageur  parmi  vous  ;  donnez-moi 
le  droit  de  sépulture  ici,  afin  que  j'enterre  celle  qui  m'est  morte  ».  La  piété 
envers  les  morts  est  de  tous  les  siècles,  comme  la  certitude  d'une  autre  vie. 
La  demande  d'Abraham  fut  accueillie  avec  faveur  ;  on  lui  accorda  môme 
de  choisir  entre  les  plus  beaux  sépulcres  pour  y  enterrer  Sara.  Mais  les  tom- 
beaux deviennent  une  chose  sacrée  par  la  présence  des  cendres  chéries  ;  les 
anciens  n'auraient  pas  vu  sans  scandale  qu'on  les  laissât  passer  en  d'autres 
mains,  et  ils  se  consolaient,  d'ailleurs,  par  l'espoir  de  reposer  un  jour  à  côté 
de  leurs  aïeux.  Abraham  voulait  donc  que  le  sépulcre  lui  fût  acquis  par  un 
droit  réel  et  permanent.  «  Si  vous  le  trouvez  convenable  »,  dit-il  aux  habi- 
tants d'Arbé,  «  soyez  mes  intercesseurs  auprès  d'Ephron,  fils  de  Séor,  afin 
qu'il  me  donne  la  caverne  de  Macphéla,  qu'il  possède  à  l'extrémité  de  son 
champ,  et  que,  devant  vous,  il  me  la  cède  en  toute  propriété  pour  le  prix 
qu'elle  vaut  ».  —  «  Non  pas  ainsi,  Seigneur  »,  répondit  généreusement 
Ephron  ;  «  mais  écoute  ce  que  je  vais  te  dire.  Je  t'abandonne,  en  présence 
«les  fils  de  mon  peuple,  le  champ  et  la  caverne  qui  s'y  trouve.  Enterres-y 
celle  que  tu  as  perdue  ».  Abraham  témoigna  sa  reconnaissance;  mais  en 
même  temps  il  insista  pour  obtenir,  au  lieu  d'une  concession  gratuite,  un 
véritable  contrat  de  vente.  Ephron  se  vit  obligé  de  mettre  fin  au  débat. 
«  La  terre  que  tu  demandes  »,  dit-il,  «  vaut  quatre  cents  sicles  d'argent; 
ce  prix  nous  convient  à  tous  deux.  Mais  qu'importe?  »  Alors  Abraham  fit 


190  9  OCTOBRE. 

peser,  aux  yeux  de  la  foule  réunie,  la  quantité  d'argent  indiquée  (à  peu 
près  sept  cent  cinquante  francs,  si  on  s'en  rapporte  aux  savants  qui  ont 
écrit  sur  la  valeur  comparative  des  monnaies  anciennes  et  modernes).  A  ce 
prix,  le  champ  d'Ephron,  la  caverne  qui  s'y  trouvait  *A  les  arbres  environ- 
nants, passèrent  en  la  possession  d'Abraham,  et  les  habitants  de  la  ville 
furent  témoins  et  garants  du  traité  conclu.  Telle  était  la  manière  primitive 
de  faire  et  d'assurer  les  transactions. 

Abraham  plaça  donc  les  restes  de  Sara  dans  la  caverne  qu'il  venait 
d'acheter,  au  midi,  et  non  loin  de  la  ville,  qui,  plus  tard,  fut  appelée 
Hébron  (tribu  de  Juda)  ;  quelques  années  après,  il  y  trouva  lui-même  un 
lieu  de  repos  pour  ses  cendres,  en  attendant  la  Résurrection. 

Le  sacrifice  d'Abraham  était  la  figure  du  sacrifice  de  la  Croix  :  Isaac 
représentait  le  Sauveur,  et  le  bélier,  pris  par  les  cornes  dans  le  buisson, 
était  l'image  de  Notre-Seigneur  couronné  d'épines.  Représentée  dans  les 
catacombes  et  dans  les  lieux  de  réunions  chrétiennes  en  général,  cette 
histoire  avait  pour  but  d'inspirer  aux  fidèles  la  résignation  dans  la  persécu- 
tion, le  courage  dans  le  martyre,  et,  de  plus,  l'amour  et  la  reconnaissance 
envers  l'Agneau  de  Dieu  immolé  pour  le  salut  des  hommes. 

Une  belle  fresque  *  représente  la  première  scène  du  drame,  Abraham 
montrant  du  doigt  le  feu  allumé  sur  un  petit  autel,  et  de  l'autre  côté,  Isaac 
portant  le  bois  du  sacrifice.  Voici  le  type  ordinaire  de  la  seconde  et  princi- 
pale scène  :  Isaac  est  agenouillé,  tantôt  sur  un  autel  ou  au  pied  de  l'autel 
quand  le  feu  y  est  allumé,  tantôt  sur  un  monceau  de  bois,  conformément 
au  récit  de  la  Genèse,  tantôt  sur  la  terre  nue,  tantôt  sur  un  rocher  brut. 
L'autel  se  compose  quelquefois  de  deux  pierres  debout  et  d'une  troisième 
placée  en  travers,  comme  quelques  autels  chrétiens  primitifs.  Les  artistes 
l'ont  figuré  le  plus  souvent  sous  la  forme  des  autels  profanes,  avec  la 
patère  (espèce  de  soucoupe  destinée  à  recevoir  le  sang  des  victimes)  et  le 
sympulum  (vase  des  libations),  sculptés  sur  les  flancs. 

Isaac  est  ordinairement  vêtu  d'une  tunique  simple  et  il  a  les  mains  liées 
derrière  le  dos.  Abraham  tient  une  main  sur  la  tête  de  son  fils,  et  de  l'autre 
élève  le  glaive  prêt  à  le  frapper.  Son  regard  se  porte  en  arrière  sur  une 
main  sortant  d'un  nuage,  laquelle,  dans  les  monuments  chrétiens  en  géné- 
ral, est  le  signe  de  l'intervention  de  Dieu  le  Père  et  de  sa  Providence,  et, 
dans  le  sujet  qui  nous  occupe,  présente  la  main  de  l'ange  arrêtant  le  bras 
du  père  des  croyants.  Abraham  n'a  quelquefois  pour  vêtement  qu'une 
tunique,  libre  ou  ceinte,  très-courte  ou  descendant  jusque  sur  les  pieds  ; 
mais  on  le  trouve  le  plus  souvent  drapé  dans  le  pallium. 

Sara  est  honorée  comme  la  mère  spirituelle  de  tous  les  croyants,  à 
raison  de  sa  confiance  en  Dieu  et  de  son  ferme  courage  à  s'exiler  de  sa 
patrie  et  à  parcourir  une  terre  étrangère  sur  la  foi  d'Abraham  et  par  senti- 
ment de  religion.  Elle  est  honorée  aussi  comme  une  figure  mystérieuse  soit 
de  la  Vierge  Marie,  qui  donna  le  jour  au  véritable  Isaac,  soit  de  l'Eglise 
chrétienne,  dont  les  enfants  égalent  en  nombre  les  étoiles  du  firmament. 
Femme  véritablement  forte,  qui  porta  sans  fléchir  le  poids  des  tribulations; 
épouse  incorruptible,  qui  n'avait  besoin  que  de  son  propre  cœur  pour  se 
trouver  au-dessus  des  périls  où  la  force  des  circonstances  la  jeta  deux  fois  ; 
noble  tige  d'un  grand  peuple,  qui,  depuis  quatre  mille  ans,  se  perpétue 
sans  se  confondre  avec  les  autres  nations  du  globe  :  telle  fut  Sara.  Plusieurs 
traits  de  sa  vie  ont  tenté  le  crayon  ou  le  pinceau  de  maîtres  illustres  : 

1.  Douuée  par  Bolio  et  plus  fidèlement  par  M.  Perret  (vol.  ni,  pi.  20). 


ABRAM  OU  ABRAHAM  D'UR,  ET  SARAÏ  OU  SARA,  SON  ÉPOUSE.  191 

Benedetto  Gastiglione  a  peint  quelques-uns  des  voyages  qu'elle  fit  avec 
Abraham  ;  d'autres  l'ont  représentée  au  moment  où  elle  rit  des  promesses 
de  prochaine  maternité  apportées  par  les  anges.  Ce  dernier  sujet  fut  traité 
par  Raphaël  d'abord  dans  les  Loges  du  Vatican,  puis  dans  une  autre  com- 
position où  l'incrédulité  de  Sara  est  bien  plus  fortement  accusée.  Sébastien 
Bourdon,  de  l'école  française,  a  trouvé  dans  ce  même  sujet  la  matière  d'un 
tableau  remarquable,  qui  ouvre  sa  belle  série  des  Œuvres  de  Miséricorde. 


CULTE  ET  RELIQUES.  —  MONUMENTS. 

La  description  la  plus  complète  que  nous  connaissions  d'Hébron,  lieu  de  la  sépulture  d'Abraham 
et  de  Sara,  est  celle  que  nous  donne  Mgr  Mislin. 

<x  Les  Arabes  appellent  Hébron  El-Khalil,  ville  de  l'ami  de  Dieu.  La  ville  actuelle  est  divisée 
en  trois  parties  ;  celle  du  milieu  est  la  plus  considérable.  Elle  s'élève  en  amphithéâtre  sur  la  col- 
line ;  elle  n'est  pas  entourée  de  murailles  ;  elle  a  quatre  cents  maisons  et  environ  cinq  mille  habi- 
tants, tous  musulmans,  à  l'exception  de  quatre  cents  Israélites  établis  dans  le  bas  de  la  ville.  Son 
altitude  est  de  deux  mille  huit  cent  quarante-deux  pieds  ;  elle  dépasse  de  deux  cent  soixante-trois 
pieds  celle  de  Jérusalem.  L'église  de  Saint-Abraham  est  convertie  en  mosquée,  et  les  musulmans 
l'appellent  :  Medjid-el-Klialil  ;  il  est  interdit  aux  chrétiens  d'y  pénétrer.  Nous  en  avons  un» 
description  que  nous  devons  à  Aly-Bey. 

«  La  sépulture  d'Abraham  et  de  sa  famille  »,  dit-il,  «  est  dans  un  temple  qui  était  jadis 
une  église  grecque.  Pour  y  arriver,  on  monte  un  large  et  bel  escalier,  qui  conduit  à  une  longue 
galerie  d'où  l'on  entre  dans  une  petite  cour  ;  vers  la  gauche,  est  un  portique  appuyé  sur  des 
piliers  carrés.  Le  vestibule  du  temple  a  deux  chambres  ;  l'une  à  droite  qui  contient  le  sépulcre 
d'Abraham,  et  l'autre  à  gauche  qui  contient  celui  de  Sara.  Dans  le  corps  de  l'église,  qui  est  go- 
thique, entre  deux  gros  piliers  à  droite,  on  aperçoit  une  maisonnette  isolée,  dans  laquelle  est  le 
sépulcre  d'Isaac  ;  et  dans  une  autre  maisonnette  pareille,  sur  la  gauche,  celui  de  sa  femme  Rébecca. 
Cette  église,  convertie  en  mosquée,  a  son  méhéreb  ou  tribune  pour  les  prédicateurs  des  vendredis, 
et  une  autre  tribune  pour  les  muddens  ou  chanteurs.  De  l'autre  côté  de  la  cour  est  un  autre  vesti- 
bule qui  a  également  une  chambre  de  chaque  côté.  Dans  celle  de  gauche  est  le  sépulcre  de  Jacob, 
et  dans  celle  de  droite  celui  de  sa  femme  (sans  doute  Lia). 

c  A  l'extrémité  du  portique  du  temple,  sur  la  droite,  une  porte  conduit  à  une  espèce  de  longue 
galerie  qui  sert  encore  de  mosquée.  Tous  les  sépulcres  des  patriarches  sont  couverts  de  riches 
tapis  de  soie  verte,  magnifiquement  brodés  en  or  ;  ceux  de  leurs  femmes  sont  rouges,  également 
brodés.  Les  sultans  de  Constantinople  fournissent  ces  tapis,  qu'on  renouvelle  de  temps  en  temps. 
J'en  comptai  neuf  l'un  sur  l'autre,  au  sépulcre  d'Abraham.  Les  chambres  où  sont  les  tombeaux 
sont  aussi  couvertes  de  riches  tapis.'  L'entrée  en  est  défendue  par  des  grilles  en  fer  et  des  portes 
en  bois  plaquées  en  argent,  avec  des  serrures  et  des  cadenas  de  même  métal.  Pour  le  service  du 
temple  on  compte  plus  de  cent  employés  et  domestiques. 

«  Tout  le  monument  parait  avoir  cent  cinquante  pieds  de  longueur,  sur  quatre-vingts  de  lar- 
geur ;  la  mosquée  a  une  seconde  enceinte  de  murs  élevés,  flanqués  d'anciennes  tours  qui  tombent 
en  ruines  ». 

«  En  sortant  de  la  ville  d'Hébron  »,  ajoute  Mgr  Mislin,  «  en  allant  vers  le  sud,  on  trouve  dans 
la  vallée  trois  ponts  qui  portent  les  noms  d'Abraham,  d'Isaac  et  de  Jacob.  Plusieurs  femmes  y 
puisent  une  eau  claire  et  abondante  ;  je  m'approchai  pour  en  boire  ;  une  jeune  fille  vint  à  ma 
rencontre,  et,  comme  une  autre  Rébecca,  elle  posa  promptemcnt  sur  son  bras  le  vase  en  terre 
qu'elle  portait  sur  sa  tête,  et  me  donna  à  boire  ». 

Le  lieu  où  Abraham  reçut  les  trois  anges,  c'est-à-dire  le  chêne  de  Mambré,  fut  honoré  par  les 
chrétiens  et  même  par  les  Juifs  et  les  païens.  On  a  bâti  une  chapelle  sur  le  mont  Moriah,  qui  fait 
partie  de  celui  de  Sion  ou  du  Calvaire,  parce  que  la  tradition  disait  que  c'était  là  qu'Abraham 
avait  voulu  sacrifier  son  fils. 

«  Le  térébinthe  sous  lequel  Abraham  reçut  les  trois  anges  »,  dit  dom  Calmet,  «  est  très-fameux 
dans  l'antiquité  ».  Josèphe,  dans  son  ouvrage  de  la  Guerre  des  Juifs,  affirme  qu'on  montrait,  à 
quelques  stades  d'Hébron,  un  fort  grand  térébinthe  que  les  peuples  du  pays  croyaient  aussi  ancien 
que  le  monde.  Eusèbe  assure  qu'on  voyait  encore  de  son  temps  le  térébinthe  d'Abraham,  et  que 
les  peuples  des  environs,  chrétiens  ou  gentils,  l'avaient  en  singulière  vénération,  tant  à  cause  de 
la  personne  du  patriarche  qu'à  cause  de  ceux  qu'il  y  reçut.  Eusèbe,  saint  Jérôme,  Sozomène  ont 
parlé  de  ce  térébinthe.  11  n'est  pas  étonnant  que  quelques  récits  fabuleux  se  soient  rattachés  à  ces 
lieux  devenus  si  célèbres  et  où  passèrent  successivement  tant  de  nations  ;  mais  ces  nations  se  sont 
toutes  accordées  dans  la  vénération  pour  Abraham  et  dans  la  pieuse  coutume  de  visiter  les  tom- 
beaux et  les  vestiges  des  saints  patriarches.  Qu'importe,  par  exemple,  au  savant  qui  veut  se  rendre 


492  9  OCTOBRE.     c 

compte  de  la  réalité  de  l'histoire  d'Abraham,  que  le  térébinthe,  dont  on  parle  ici,  soit  identique- 
ment le  même  que  celui  qui  abrita  ce  patriarche,  ou  bien  qu'un  autre  de,  la  même  famiile  et  du 
même  lieu  ait  succédé  à  son  père  ?  Le  fait  essentiel  est  la  fixation  de  l'emplacement  par  une  tra- 
dition ininterrompue  et  le  respect  universel  de  tout  l'Orient  pour  Abraham. 

«  Le  chêne  qu'on  voit  aujourd'hui  »,  dit  Mgr  Mislin,  «  est  à  deux  milles  d'Hébron.  Il  est  a 
l'extrémité  de  la  vallée  de  Mambré,  où  il  y  a  une  source  et  des  ruisseaux  ;  ainsi  on  ne  peut  guère 
douter  qu'il  ne  soit  vers  le  lieu  où  étaient  l'ancien  chêne  et  la  tente  d'Abraham  ;  mais  ce  n'est 
plus  le  même  arbre,  car  il  ne  ressemble  plus  à  la  description  des  anciens  auteurs.  Saint  Jérôme, 
en  parlant.de  sainte  Paule,  dit  qu'elle  a  vu  les  restes  de  ce  chêne  de  Mambré,  tandis  que  celui-ci 
est  un  des  plus  beaux  arbres  que  j'aie  vu,  et  qu'il  est  dans  un  parfait  état  de  conservation.  Il  a 
plus  de  trente  pieds  de  circonférence  à  la  hauteur  de  huit  pieds. 

Extrait  des  Femmes  de  la  Bible,  par  feu  Mgr  Darboy;  du  Dictionnaire  des  Antiquités  chrétiennes,  par 
M.  l'abbd  Martigny  ;  et  de  la  Bible  sans  la  Bible,  par  M.  l'abbé  Gainet. 


SAINT   DENIS   L'AREOPAGITE, 

PREMIER  ÉVÊQUE  D'ATHÈNES  ET  DE  PARIS, 

SAINT  RUSTIQUE   ET  SAINT   ÉLEUTHÈRE,   SES  COMPAGNONS, 

MARTYRS 

Vers  l'an  117.  —  Pape  :  Saint  Alexandre.  —  Empereur  romain  :  Adrien. 


Anceps  carnificis  contremuit  manus  : 
Firma  mente  stetit  nil  metuens  senex. 
Christo,  quem  moriens  prxdicat,  obtulit 
Pulchrum  canitie  caput. 

Tendant  que  tremble  la  main  du  bourreau,  sur  le 
visage  du  vieillard  martyr  rayonne  un  calme  divin. 
Au  Christ  qu'il  prêche  encore  de  sa  voix  mourante, 
il  offre  sa  tête,  belle  de  blancheur. 

Santeuil. 

L'Eglise  et  la  France  n'ont  rien  eu  de  plus  grand  après  les  Apôtres  que 
ce  glorieux  évoque  et  martyr,  qui  a  mérité,  par  la  hauteur  de  ses  connais- 
sances, d'être  surnommé  le  céleste  et  le  divin.  Il  naquit  à  Athènes,  l'une  des 
premières  villes  de  la  Grèce,  dans  la  neuvième  année  du  Fils  de  Dieu.  Ses 
parents  étaient  des  plus  considérables  de  cette  République,  et  ils  eurent 
soin  de  lui  donner  une  bonne  éducation  (autant  que  l'on  en  était  capable 
dans  les  erreurs  du  paganisme  où  ils  étaient  plongés)  et  de  le  faire  avancer 
dans  l'étude  des  lettres.  Lorsqu'il  se  fut  perfectionné  dans  la  rhétorique 
et  la  philosophie,  qui  étaient  en  grande  estime  dans  le  lieu  de  sa  nais- 
sance, il  fit  un  voyage  à  Héliopolis,  en  Egypte,  pour  y  apprendre  les  ma- 
thématiques et  l'astrologie.  Ce  fut  là  que,  à  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  Rap- 
pliquant avec  un  soin  extraordinaire  à  la  considération  des  astres,  avec 
un  sophiste  nommé  Apollophane,  il  vit  cette  éclipse,  surprenante  et  con- 
traire à  la  nature,  du  soleil,  au  temps  de  la  pleine  lune,  lors  de  la  Passion 
du  Fils  de  Dieu.  «  Qu'est-ce  cela?  »  dit-il  à  son  ami,  «  que  peut  signifier  ce 
prodige  si  nouveau  et  si  extraordinaire?  »  —  «  C'est  un  signe  »,  répondit 
le  sophiste,  «  qu'il  y  a  quelque  changement  dans  les  choses  divines  ».  Il 


S.  DENIS  L'aRÉOPAGITE,  %.   RUSTIQUE  ET  S.   ÉLEUTHÈRE,   MARTYRS.          193 

assure  lui-même,  dans  ses  Epîtres  à  saint  Polycarpe,  et  au  môme  Apollo- 
phane,  que  cet  astrologue  lui  avait  fait  cette  réponse  plutôt  par  inspiration 
divine  que  par  les  lumières  d'une  connaissance  naturelle.  Et  pour  lui, 
admirant  de  plus  en  plus  les  merveilles  de  ce  phénomène  dont  il  ne  pouvait 
pénétrer  la  cause,  il  s'écria  :  a  Ou  le  Dieu  de  la  nature  souffre,  ou  toute  la 
machine  du  monde  va  se  détruire  et  retourner  dans  son  ancien  chaos  ». 
Michel  Syngèle  et  Suidas  rapportent  différemment  l'un  et  l'autre  cette 
exclamation  ;  mais  le  sens  est  presque  le  même,  et  nous  y  voyons  toujours 
jjue  Notre-Seigneur  jetait  déjà  dans  son  âme  des  semences  de  sa  conversion 
et  de  sa  vocation  à  la  vie  apostolique. 

Etant  retourné  à  Athènes,  il  y  fut  regardé  comme  un  trésor  d'érudition 
et  de  sagesse,  et  comme  un  sujet  capable  des  principaux  emplois  de  la 
République  ;  il  y  fut,  en  effet,  bientôt  élevé  à  une  des  premières  magistra- 
tures qui  était  celle  des  archontes,  c'est-à-dire  des  neuf  hommes  qui  avaient 
le  gouvernement  de  la  ville.  Saint  Jean  Ghrysostome  et  saint  Ambroise 
disent  qu'il  se  maria  et  que  Damaris,  qui  se  convertit  avec  lui,  selon  le 
témoignage  de  saint  Luc,  aux  Actes  des  Apôtres,  était  sa  femme.  D'autres 
croient  qu'il  est  toujours  demeuré  dans  le  célibat.  Il  s'acquitta  si  digne- 
ment et  avec  une  satisfaction  si  universelle  de  la  charge  qui  lui  avait  été 
donnée,  qu'on  le  choisit  enfin  pour  être  un  des  conseillers  du  célèbre  sénat 
de  l'Aréopage.  Ce  sénat  était  par  toute  la  Grèce  dans  une  très-haute  répu- 
tation d'intégrité  et  de  justice,  et  personne  n'y  avait  entrée  qu'il  n'eût 
donné  longtemps  des  preuves  d'un  parfait  désintéressement  et  d'une  équité 
tout  à  fait  incorruptible.  Il  faut  donc  croire,  ou  que  Denis  était  déjà  âgé 
quand  il  y  entra,  ou  qu'on  remarqua  en  lui,  dans  sa  jeunesse  même,  une 
si  grande  maturité  de  jugement,  et  des  mœurs  si  bien  réglées,  qu'on  se 
persuada  qu'on  pourrait  passer  en  sa  faveur  par-dessus  les  règles  ordi- 
naires. Quelques  auteurs  grecs,  Siméon  Métaphraste  et  Michel  Syngèle, 
assurent  qu'il  fut  même  prince  de  ce  sénat;  et  ce  dernier  ajoute  qu'il  ne 
faut  pas  s'en  étonner,  puisque  non-seulement  il  était  le  plus  éloquent  des 
orateurs,  le  plus  subtil  des  philosophes  et  le  plus  éclairé  des  astronomes, 
mais  qu'il  surpassait  aussi  tous  les  autres  aréopagites  en  noblesse,  en  pru- 
dence et  en  vertu. 

Voilà  ce  que  l'antiquité  nous  apprend  de  Denis,  avant  qu'il  fût  éclairé 
des  lumières  de  l'Evangile.  Pour  sa  conversion,  elle  est  décrite  par  saint 
Luc,  au  chapitre  vir3  des  Actes  des  Apôtres.  Saint  Paul,  étant  venu  à  Athènes 
et  voyant  cette  ville  plus  plongée  que  toutes  les  autres  de  la  Grèce  dans  la 
superstition  et  l'idolâtrie,  s'appliqua  avec  un  zèle  incroyable  à  dissiper  ces 
ténèbres  en  faisant  connaître  la  vérité  d'un  seul  Dieu.  Tantôt  il  prêchait 
les  Juifs  dans  leur  synagogue,  pour  leur  découvrir  l'accomplissement  des 
promesses  de  la  loi  dans  la  venue  de  Jésus-Christ  ;  tantôt  il  abordait  dans 
les  places  publiques  des  Stoïciens,  des  Epicuriens  et  d'autres  philosophes, 
pour  les  convaincre  par  des  raisons  évidentes  de  la  fausseté  du  paganisme 
et  de  la  nécessité  de  reconnaître  un  seul  auteur  de  toutes  choses. 

Ces  philosophes  l'écoutèrent  quelque  temps  avec  patience,  tâchèrent 
d'éluder  par  des  subtilités  la  force  invincible  de  ses  arguments  ;  mais 
voyant  enfin  qu'ils  ne  pouvaient  y  résister  et  que  d'ailleurs  il  leur  annon- 
çait une  doctrine  contraire  aux  principes  de  la  philosophie,  comme  l'in- 
carnation du  Verbe  et  la  résurrection  des  morts,  ils  le  traînèrent  à  l'Aréo- 
page pour  y  être  jugé  et  condamné  comme  un  semeur  de  nouveautés.  Ce 
fut  dans  cet  auguste  théâtre,  où  les  plus  fortes  têtes  de  la  Grèce  étaient 
assemblées,  que  ce  divin  Apôtre  lit  paraître  la  profondeur  de  son  érudition 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  13 


194  9   OCTOBRE. 

et  sa  sagesse  toute  céleste.  Il  prit  pour  sujet  de  son  discours  une  inscrip- 
tion qu'il  avait  trouvée  dans  la  ville,  au-dessus  d'un  autel,  portant  ces 
mots  :  Ignoto  Deo  :  «  Au  Dieu  inconnu  »  ;  et  il  parla  si  excellemment  de  la 
nécessité  de  connaître  et  d'adorer  ce  Dieu,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre, 
qu'ils  ne  connaissaient  point,  et  de  quitter  le  culte  des  idoles  d'or,  d'ar- 
gent, de  pierre  et  de  bois  qu'ils  avaient  adorées  jusqu'alors,  que  plusieurs 
se  rendirent  à  ses  raisons.  Le  principal  de  ceux  qui  s'attachèrent  à  l'Apôtre 
fut  notre  Denis  l'Aréopagite  ;  il  renonça  à  la  superstition  de  l'idolâtrie,  et 
quitta  même  les  emplois  de  la  vie  séculière,  pour  se  faire  un  parfait  dis- 
ciple de  Jésus- Christ.  Ce  fut  un  grand  sujet  d'étonnement  et  en  même 
temps  de  consolation  pour  lui,  lorsqu'il  découvrit,  dans  ses  entretiens  avec 
saint  Paul,  que  l'éclipsé  extraordinaire  qu'il  avait  aperçue  à  Héliopolis,  à 
l'âge  de  vingt-cinq  ans,  et  dont  il  avait  marqué  le  jour,  l'heure  et  le  mo- 
ment, était  justement  arrivée  au  temps  de  la  Passion  du  Sauveur,  comme 
signe  du  deuil  que  toute  la  nature  en  concevait.  Il  fut  merveilleusement 
confirmé  par  cette  rencontre  dans  la  soumission  à  l'Evangile,  dont  il  avait 
déjà  fait  profession,  et  c'est  ce  qui  lui  fait  dire,  dans  son  Epître  à  saint 
Poly carpe,  que  l'éclipsé  qu'il  avait  vue  l'avait  fait  passer  de  l'erreur  à  la 
vérité,  des  ténèbres  à  la  lumière,  de  la  mort  à  la  vie,  et  du  culte  abomi- 
nable des  simulacres  à  la  connaissance  du  vrai  Dieu.  Un  savant  auteur  dit 
que  ce  fut  pour  saint  Denis  que  Notre-Seigneur  conduisit  saint  Paul  à 
Athènes  ;  et  nous  pouvons  ajouter  que  ce  fut  aussi  pour  lui  qu'il  procura 
cette  grande  éclipse  qui  devait,  par  ses  ténèbres,  dissiper  les  siennes  et  le 
faire  entrer  dans  le  beau  jour  du  christianisme. 

Il  eut  de  grands  combats  à  soutenir  dans  les  commencements  de  sa 
conversion  ;  car,  excepté  ceux  qu'une  passion  aveugle  faisait  prétendre  au 
rang  qu'il  possédait  dans  l'Aréopage,  nul  ne  pouvait  voir  qu'avec  d.ouleur 
que  cet  illustre  sénat  fût  privé  d'un  juge  si  intègre  et  si  éclairé.  Ses  parents 
s'opposèrent  de  toutes  leurs  forces  à  sa  résolution  et  tâchèrent  de  l'en 
détourner,  en  lui  remontrant  le  tort  qu'il  faisait  à  toute  sa  famille  et  à  lui- 
même,  en  quittant  une  place  que  les  plus  sages  de  la  République  regar- 
daient comme  l'objet  le  plus  digne  de  leur  ambition.  Mais  la  grâce  de 
Jésus-Christ  fut  plus  forte  en  lui  que  la  nature,  et  rien  ne  fut  capable 
d'ébranler  sa  constance  et  de  lui  faire  abandonner  la  résolution  qu'il  avait 
prise  de  se  conformer  à  la  vie  pauvre  et  humiliée  de  son  Sauveur. 

Comme  il  ne  fut  pas  longtemps  à  être  parfaitement  instruit  de  tous  nos 
mystères,  saint  Paul  lui  conféra  bientôt  le  sacrement  du  Baptême.  Ensuite, 
il  lui  fit  part  de  ces  hautes  lumières  qu'il  avait  reçues  dans  son  ravissement 
au  troisième  ciel,  autant  qu'elles  pouvaient  être  expliquées  par  des  paroles 
sensibles.  Il  le  mena,  pour  cela,  avec  lui  pendant  trois  ans  dans  plusieurs 
de  ses  voyages,  le  forma  aux  vertus  évangéliques  et  aux  travaux  de  la  pré- 
dication. Denis  eut  aussi  pour  maître  et  pour  directeur  le  divin  Hiérothée, 
comme  il  le  témoigne  lui-même  dans  son  livre  des  Noms  divins,  chapitre  n, 
et  il  apprit  de  lui  de  grands  secrets  sur  les  différentes  manières  de  connaître 
Dieu,  sur  l'unité,  la  distinction  et  la  circumincession  des  personnes  divines 
et  sur  d'autres  sujets  très-élevés  et  très-spirituels.  Enfin,  le  nombre  des 
chrétiens  s'étant  augmenté  dans  Athènes,  saint  Paul,  dont  la  sollicitude 
s'étendait  sur  toutes  les  Eglises,  leur  donna  Denis  pour  évêque.  On  ne  peut 
assez  dignement  décrire  sa  conduite  toute  sainte  et  ses  vertus  éminentes 
dans  l'épiscopat.  Il  se  fit  une  image  vivante  de  la  mortification,  du  zèle  et 
de  la  charité  de  l'Apôtre.  Il  traitait  son  corps  avec  une  rigueur  impi- 
toyable. 


S.   DENIS  l'àRÉOP AGITE,    S.   RUSTIQUE  ET  S.    ÉLEUTHÈRE,   MARTYRS.  i95 

Le  jeûne  et  l'abstinence  étaient  son  aliment  le  plus  agréable.  Il  s'ap- 
pliquait assidûment  à  la  lecture,  à  l'oraison  et  à  la  contemplation  des  vé- 
rités éternelles.  La  présence  de  Dieu  faisait  toutes  ses  délices  ;  et  s'élevant 
à  lui  tantôt  par  affirmation,  tantôt  par  négation,  tantôt  par  un  simple  re- 
gard de  sa  majesté  infinie,  sans  nulle  distinction  d'attributs  et  de  perfec- 
tions, tantôt  par  un  goût  et  une  connaissance  expérimentale  de  ce  qu'il  est, 
il  vivait  plus  en  lui  et  de  lui  qu'en  soi-même  et  de  soi-même.  Cette  occu- 
pation intérieure  le  détacha  si  fort  des  sens  et  de  toutes  les  affections  sen- 
sibles, qu'il  devint  un  homme  tout  céleste.  Les  plus  grands  avantages  de  la 
terre  ne  lui  paraissaient  plus  que  comme  de  la  boue.  Jésus-Christ  était  son 
trésor,  et  il  ne  connaissait  plus  d'autre  bien  que  de  le  servir,  de  lui  plaire 
et  de  jouir  éternellement  de  lui.  L'humilité,  la  patience,  la  douceur,  la 
chasteté  et  la  simplicité  de  cœur  étaient  en  lui  dans  un  degré  très-éminent, 
et  il  faisait  toute  son  étude  de  faire  mourir  en  soi  le  vieil  homme,  afin  de 
n'être  plus  revêtu  que  du  nouveau.  Nonobstant  tous  ces  exercices  de  la  vie 
intérieure,  il  ne  laissait  pas  de  s'appliquer  avec  une  vigueur  admirable  à 
tous  les  devoirs  de  la  vie  apostolique.  Il  prêchait  souvent  son  peuple,  et  il  le 
faisait  avec  tant  de  zèle  et  de  feu,  qu'il  enflammait  de  l'amour  divin  tous 
ceux  qui  avaient  le  bonheur  de  l'entendre.  Sa  charité  n'était  pas  renfermée 
dans  les  murs  d'Athènes  ;  il  en  sortait  souvent  pour  aller  porter  aux  envi- 
rons la  lumière  de  l'Evangile,  et  il  grossit,  par  ce  moyen,  si  notablement 
son  troupeau,  qu'il  en  fit  une  des  Eglises  les  plus  considérables  de  la 
Grèce. 

Nous  pouvons  juger  par  ce  qu'il  écrit  dans  son  livre  de  la  Hiérarchie  ec- 
clésiastique, quel  règlement  il  établit  dans  sa  propre  église.  Il  en  fit  comme 
une  copie  de  la  hiérarchie  céleste,  par  la  distinction  qu'il  mit  entre  les 
membres  différents  qui  la  composent.  L'évêque  en  faisait  le  premier  ordre, 
les  prêtres  le  second,  et  les  ministres  ou  diacres  le  troisième.  Il  divisa  aussi 
les  laïques  en  trois  classes  :  la  première  était  celle  des  religieux,  c'est-à-dire 
des  personnes  séparées  du  commerce  du  monde  et  entièrement  dédiées  au 
culte  de  Dieu  ;  la  seconde,  celle  du  peuple  saint  et  fidèle,  lequel,  étant 
encore  dans  l'innocence  du  baptême,  ou  ayant  recouvré  la  grâce  par  l'ex- 
piation de  la  pénitence,  était  jugé  digne  de  la  vue  et  de  la  participation  des 
saints  mystères  ;  et,  sous  ces  deux,  il  en  comprend  une  troisième,  qui  mé- 
rite néanmoins  le  second  rang  :  c'est  celle  des  vierges,  dont  saint  Paul 
parle  avec  tant  d'honneur  au  chapitre  vne  de  sa  première  Epître  aux  Co- 
rinthiens. Il  reste  encore  ceux  qui  n'étaient  pas  admis  à  la  communion  de 
l'Eucharistie,  dont  il  distingue  trois  sortes,  savoir  :  les  pénitents,  que  leurs 
crimes  commis  après  le  Baptême  excluaient  pour  un  temps  de  la  sainte 
Table  ;  les  possédés  ou  énergumènes,  que  Tonne  souffrait  pas  dans  l'église 
pendant  la  célébration  de  la  messe,  à  cause  des  violences  que  les  esprits 
immondes  leur  faisaient  commettre  ;  et  les  catéchumènes  qui,  n'étant  pas 
baptisés,  ne  pouvaient  pas  avoir  part  à  l'aliment  céleste  et  divin  des  fidèles. 
Pour  ces  personnes  si  différentes,  il  marqua  trois  lieux  différents  dans  le 
temple,  qui  répondaient  à  ce  que  nous  appelons  le  chœur,  la  nef  et  le 
porche.  Le  premier  était  pour  l'évêque,  les  prêtres  et  les  lévites,  et  c'était 
là  qu'ils  chantaient  les  louanges  de  Dieu  et  qu'ils  célébraient  les  mystères 
redoutables  de  notre  rédemption.  Le  second  était  pour  les  religieux,  les 
vierges  et  le  peuple,  où  ils  faisaient  leurs  prières,  entendaient  la  parole  de 
Dieu,  et  se  préparaient  à  la  sainte  communion.  Car  en  ce  temps-là  les  reli- 
gieux n'étaient  pas  encore  distingués  du  corps  des  laïques,  et  n'avaient  pas 
des  oratoires  et  des  temples  particuliers  pour  célébrer  les  divins  offices.  Il 


496  9  OCTOBRE. 

y  avait  seulement  pour  eux  un  endroit  séparé  hors  le  chœur,  qui  approchait 
plus  près  de  l'autel  que  celui  où  se  tenait  le  reste  du  peuple.  Enfin,  le 
troisième  était  pour  les  pénitents,  les  énergumènes  et  les  catéchumènes,  où 
Ils  attendaient  avec  impatience  d'être  purifiés,  pour  pouvoir  approcher  de 
la  source  de  toute  pureté,  qui  est  l'Eucharistie.  Ainsi  l'église  d'Athènes  flo- 
rissait  sous  la  conduite  d'un  si  sage  pasteur,  et  était  de  tous  côtés  la  bonne 
odeur  de  Jésus-Christ.  D'ailleurs  ce  saint  Evêque  avait  un  commerce  de 
lettres  avec  les  plus  grands  hommes  du  Christianisme  naissant.  Nous  avons 
encore  celles  qu'il  a  écrites  àTite,  à  Timothée,  à  Polycarpe  et  à  d'autres 
prédicateurs  de  l'Evangile,  qui  sont  pleines  de  l'esprit  de  Dieu  et  de  la 
science  des  Saints.  Quelques  auteurs  même  ont  assuré  qu'il  écrivit  aussi  à 
la  sainte  Vierge,  et  qu'il  eut  le  bonheur  de  la  voir  à  Ephèse,  lorsqu'elle  y 
fit  un  voyage  avec  saint  Jean  l'Evangéliste;  mais  ces  deux  faits  sont  incer- 
tains, et  nous  n'en  avons  point  de  témoignage  dans  l'antiquité. 

Ce  qui  est  plus  assuré,  et  ce  qu'il  nous  apprend  lui-même  dans  son  livre 
des  Noms  divins,  c'est  qu'il  eut  la  consolation  de  se  trouver  à  Jérusalem  au 
temps  de  son  décès  et  d'y  être  témoin  des  merveilles  qui  s'y  passèrent,  avec 
saint  Pierre,  saint  Jacques,  saint  Hiérothée  et  quantité  d'autres  saints  per- 
sonnages qui  s'y  étaient  assemblés,  comme  nous  l'avons  remarqué  dans  le 
discours  sur  la  fête  de  l'Assomption.  Nous  savons  que  ces  paroles  ont  causé 
quelques  discussions  entre  les  savants  :  les  uns  prétendant  qu'il  parlait  de 
la  Mère  de  Dieu,  et  d'autres  qu'il  ne  parlait  que  du  sépulcre  de  Notre-Sei- 
gneur  ;  mais  saint  Juvénal,  saint  André  de  Crète,  saint  Maxime,  martyr, 
saint  Jean  Damascène,  saint  Grégoire  de  Tours,  saint  Ildefonse  et  le  bien- 
heureux Albert  le  Grand,  les  ont  expliquées  de  la  sainte  Vierge. 

Il  n'y  a  que  quelques  auteurs  peu  considérables  qui  les  aient  appliquées 
au  sépulcre  du  Sauveur  ;  le  texte  seul  fait  assez  voir  que  ce  grand  Doc- 
teur a  voulu  nous  apprendre  qu'il  se  trouvait  aux  obsèques  de  cette  divine 
mère.  Voici  comme  il  parle  à  Timothée  dans  l'éloge  admirable  qu'il  fait 
de  saint  Hiérothée.  «  Vous  savez  »,  lui  dit-il,  «  que  lorsque  nous  et  lui- 
même,  et  plusieurs  de  nos  bienheureux  frères,  nous  assemblâmes  pour  voir 
ce  corps  qui  a  donné  le  principe  à  la  vie  et  qui  a  reçu  Dieu  dans  son  sein 
d'une  manière  ineffable,  saint  Hiérothée  était,  après  les  Apôtres,  le  premier 
et  le  plus  excellent  de  ceux  qui  louent  la  divine  bonté  » .  Quel  peut  être  ce 
corps  qui  a  donné  le  principe  à  la  vie  et  qui  a  reçu  Dieu  dans  son  sein  d'une 
manière  si  éminente,  sinon  le  corps  de  l'auguste  Marie,  dont  la  chair  de 
Jésus- Christ  a  été  formée  et  qui  l'a  porté  neuf  mois  dans  son  sein  virginal? 
Pour  le  sépulcre,  ce  serait  une  manière  impropre  que  de  l'appeler  le  corps 
et  de  lui  attribuer  le  principe  de  la  vie  :  car,  bien  qu'il  soit  le  lieu  où  Jésus- 
Christ  a  repris  la  vie,  il  n'a  point,  néanmoins,  concouru  à  cette  merveille, 
et  il  n'en  peut  être  légitimement  appelé  la  cause  ou  le  principe.  D'ailleurs, 
remarque  fort  bien  le  cardinal  Baronius,  les  Apôtres  avaient  souvent  vu  ce 
saint  sépulcre  :  pourquoi  auraient-ils  fait  en  ce  temps  une  assemblée  si 
solennelle  et  si  extraordinaire  pour  le  voir  et  pour  chanter  tout  autour  des 
hymnes  et  des  cantiques  en  l'honneur  de  Dieu?  Au  reste,  quoiqu'on  tienne 
communément  qu'en  cette  occasion  les  Apôtres  furent  transportés  miracu- 
leusement à  Jérusalem  par  le  ministère  des  anges,  nous  n'avons  pourtant 
point  de  preuves  qui  nous  obligent  de  dire  la  même  chose  de  saint  Denis» 
11  peut  s'y  être  rendu  par  les  voies  ordinaires,  à  la  suite  d'une  inspiration 
du  Saint-Esprit,  d'autant  plus  que  le  trajet  d'Athènes  à  Jérusalem,  qui  se 
fait  par  mer,  n'est  pas  de  longue  durée,  et  qu'il  pouvait  alors  être  occupé 
encore  plus  près  à  la  prédication  de  l'Evangile.  Cet  honneur   qu'il  avait 


S.   DENIS   l'aRÉOPAGITE,    S.   RUSTIQUE   ET   S.   ÉLEUTHÈRE,   MARTYRS.  197 

reçu  et  les  merveilles  qu'il  avait  vues,  tant  à  la  mort  qu'à  la  sépulture  de 
notre  Reine,  et  encore  à  son  tombeau  lorsqu'on  l'ouvrit  en  faveur  de  saint 
Thomas,  lui  donna  toute  sa  vie  une  estime,  une  affection  et  un  respect 
particuliers  pour  elle  :  comme  il  paraît  par  l'église  qu'il  fit  bâtir  en  son 
honneur  à  Paris,  et  par  l'amitié  singulière  qu'il  contracta  avec  saint 
Jean,  que  Notre-Seigneur  avait  donné  à  sa  Mère  pour  gardien,  pour  éco- 
nome et  pour  fils. 

Après  son  retour  à  Athènes,  il  s'appliqua  avec  une  ferveur  nouvelle  à 
la  sage  conduite  de  son  diocèse.  Il  réprimait  le  vice  et  le  relâchement  par 
la  sévérité  de  ses  censures,  et  animait  à  la  vertu  par  l'exemple  de  ses  vertus 
et  par  ses  paroles  tout  enflammées.  Il  élevait  les  âmes  aux  plus  éminents 
degrés  de  l'oraison  et  de  l'union  avec  Dieu,  par  une  direction  parfaitement 
éclairée  et  par  une  science  expérimentale  des  conduites  extraordinaires  et 
surnaturelles.  Son  zèle  le  porta  encore  à  faire  plusieurs  missions  pour  dé- 
truire le  culte  des  démons  et  gagner  des  cœurs  à  Jésus-Christ.  Pendant  son 
absence,  un  des  religieux  de  son  église,  Démophile,  animé  d'un  zèle  impa- 
tient et  indiscret,  voyant  un  pécheur  aux  pieds  d'un  prêtre  pour  recevoir 
l'absolution  et  la  pénitence,  et  le  prêtre  disposé  à  les  lui  accorder,  s'irrita 
tellement  contre  tous  les  deux,  qu'après  avoir  reproché  au  prêtre  sa  lâcheté 
et  sa  trop  grande  indulgence  envers  les  impies,  il  se  jeta  sur  le  pénitent, 
l'arracha  violemment  du  tribunal  sacré,  et  le  chassa  bien  loin  à  coups  de 
pied.  Ensuite  il  entra  dans  le  sanctuaire,  où  les  religieux  de  ce  temps-là  ne 
pouvaient  pas  entrer,  et  eut  la  hardiesse  d'en  faire  sortir  le  prêtre,  comme 
un  homme  qui  déshonorait  son  caractère  par  une  condescendance  crimi- 
nelle. Son  aveuglement  fut  si  grand,  que,  croyant  avoir  fait  une  bonne 
action,  il  en  informa  son  évêque  et  lui  en  demanda  l'approbation  ;  le  prêtre, 
de  son  côté,  en  fit  ses  plaintes  comme  d'un  attentat  inouï  et  qui  tournait 
au  déshonneur  de  tout  l'ordre  sacerdotal.  Là- dessus  saint  Denis  écrivit  une 
lettre  admirable  à  Démophile,  après  lui  avoir  remontré  l'énormité  de  sa 
faute,  premièrement  par  plusieurs  exemples  de  douceur,  rapportés  dans 
l'Ecriture,  et  puis  par  la  disproportion  de  son  état  avec  celui  du  prêtre, 
qu'il  avait  eu  la  hardiesse  d'outrager  ;  il  lui  raconta  enfin  un  fait  digne  de 
mémoire,  qui  était  arrivé  à  un  de  ses  disciples  nommé  Garpus.  Celui-ci 
était  un  très-saint  prêtre  qui  jamais  ne  s'approchait  des  saints  autels  sans 
avoir  été  consolé  par  quelque  vision.  Il  arriva  néanmoins  qu'un  certain 
infidèle,  ayant  débauché  et  perverti  un  chrétien,  le  bon  Carpus  en  fut  si 
sensiblement  touché,  qu'il  pria  Dieu  de  faire  tomber  les  foudres  du  ciel 
sur  l'un  et  sur  l'autre  de  ces  impies,  pour  les  exterminer.  Lorsqu'il  eut  fait 
cette  prière,  il  se  coucha  tout  indigné  ;  mais  s'étant  levé  à  minuit,  selon  sa 
coutume,  pour  chanter  les  louanges  de  Dieu,  il  lui  sembla  que  la  maison 
où  il  était  se  fendait  par  le  milieu,  que  le  ciel  s'ouvrait,  que  Jésus- Christ  y 
apparaissait  avec  ses  anges,  et  que  de  son  tribunal  tombait  une  pluie  de  feu 
pour  consumer  tous  les  pécheurs.  Puis  jetant  sa  vue  en  bas,  il  aperçut  une 
horrible  ouverture,  d'où  sortait  une  multitude  de  serpents  qui,  s'entortii- 
lant  dans  les  jambes  de  ces  deux  misérables,  les  entraînaient  dans  le  pré- 
cipice. Ce  spectacle  lui  donna  beaucoup  de  joie,  et  il  lui  tardait  d'en  voir 
la  fin,  par  la  chute  de  l'infidèle  et  de  l'apostat  dans  les  flammes  vengeresses 
de  l'enfer  ;  pendant  qu'il  s'entretenait  dans  ses  désirs,  par  un  zèle  immodéré 
de  la  justice,  ayant  une  seconde  fois  levé  les  yeux  vers  le  ciel,  il  vit  Notre- 
Seigneur  descendre  de  son  trône  et  venir  avec  la  compagnie  de  ses  anges, 
pour  donner  la  main  à  l'un  et  à  l'autre,  afin  de  les  délivrer  de  la  rage  en- 
venimée de  ces  serpents.  Carpus  fut  fort  surpris  d'une  charité  si  contraire 


198  9  OCTOBRE. 

à  sa  rigueur  ;  mais  il  le  fut  bien  davantage  lorsque  Notre-Seigneur,  lui 
adressant  la  parole,  lui  dit  :  a  Frappe-moi  si  tu  veux,  Carpus,  et  décharge 
ta  colère  sur  ma  propre  personne;  je  suis  prêt  à  recevoir  tes  coups  et 
même  à  mourir  une  autre  fois  pour  les  hommes.  Ce  que  je  demande,  ce 
n'est  pas  qu'ils  soient  punis,  mais  qu'ils  cessent  de  pécher  et  de  se  rendre 
dignes  des  peines  éternelles  ».  Ce  fut  assez  dire  pour  corriger  ce  bon  prêtre 
et  pour  lui  faire  concevoir  ce  qui  est  écrit  dans  Ezéchiel,  que  Dieu  ne  veut 
pas  la  mort  du  pécheur,  mais  qu'il  se  convertisse  et  qu'il  vive.  Et,  par  cet 
exemple  que  saint  Denis  avait  appris  de  la  bouche  de  Carpus  même,  dans 
l'île  de  Crète,  où  on  l'avait  fait  évêque,  il  confondit  aussi  le  faux  zèle  de 
Démophile,  et  lui  apprit  qu'il  ne  faut  jamais  rejeter  les  pécheurs  qui  ont 
recours  au  remède  salutaire  de  la  pénitence. 

Si  cette  lettre  eut  un  si  bon  effet,  il  ne  fut  pas  moins  heureux  dans  les 
efforts  qu'il  fît  pour  gagner  Apollophane,  ancien  compagnon  de  ses  études. 
Celui-ci  avait  été  extrêmement  indigné  de  la  conversion  de  saint  Denis,  et 
ne  pouvait  s'empêcher,  dans  les  occasions,  de  s'emporter  avec  furie  et  de 
vomir  mille  injures  contre  lui;  il  l'appelait  un  impie  et  un  parricide,  parce 
qu'il  se  servait  des  sciences  qu'il  avait  puisées  dans  les  écoles  de  la  Grèce 
pour  combattre  les  sentiments  des  Grecs  touchant  la  divinité.  Saint  Poly- 
carpe  fut  souvent  témoin  de  ces  emportements  et  de  ces  excès  ;  il  tâcha  de 
les  arrêter  par  sa  douceur  et  entreprit  même  de  gagner  à  Jésus-Christ  ce 
sophiste,  qui  semblait  n'avoir  de  la  susceptibilité  que  pour  combattre  la 
croyance  et  les  maximes  de  notre  religion.  Mais  comme  la  chose  tirait  en 
longueur  et  qu'ApoIlophane  continuait  toujours  ses  médisances  contre 
notre  Saint,  il  jugea  à  propos  de  lui  en  donner  avis.  C'est  ce  qui  nous  a 
valu  la  lettre  admirable  de  Denis  à  Poîycarpe,  dans  laquelle  il  fournit  à  ce 
saint  prélat  des  armes  toutes-puissantes  pour  surmonter  l'opiniâtreté 
d'Apollophane.  En  effet,  Poîycarpe  s'en  servit  si  avantageusement,  qu'il 
adoucit  enfin  son  esprit  et  qu'il  le  persuada  de  quitter  la  vanité  des  idoles, 
que  toute  la  véritable  philosophie  condamnait,  pour  adorer  un  seul  Dieu 
subsistant  en  trois  Personnes,  et  un  seul  Jésus-Christ,  Sauveur  et  libéra- 
teur du  monde,  la  seconde  de  ces  trois  Personnes.  On  ne  peut  concevoir 
la  joie  que  saint  Denis  ressentit  de  ce  changement.  Il  mit  aussitôt  la  main 
à  la  plume  et  écrivît  à  Apollophane,  pour  lui  témoigner  et  le  féliciter  du 
bonheur  qui  lui  était  arrivé,  de  connaître  et  de  confesser  la  vérité.  Cette 
lettre  est  merveilleuse  et  pleine  d'une  onction  céleste.  Elle  commence  par 
ces  mots  :  a  Je  vous  adresse  maintenant  la  parole,  ô  l'amour  de  mon 
cœur  »,  et  elle  finit  par  ceux-ci  :  «  Maintenant,  je  mourrai  joyeux  en 
Jésus-Christ,  qui  est  mon  être  et  ma  vie,  puisque  vous-même  avez  reçu 
la  vie  ». 

On  ne  sait  pas  précisément  quand  il  écrivit  ces  deux  lettres.  Tout  ce 
que  nous  pouvons  dire  touchant  sa  chronologie,  c'est  qu'il  fut  converti 
l'an  50  du  salut,  environ  à  l'âge  de  quarante  ans,  qu'il  alla  à  Jérusalem  et 
assista  au  trépas  de  la  sainte  Vierge,  l'an  56  ou  57,  et  que  jusqu'au  temps 
de  saint  Clément,  pape,  il  fit  diverses  missions  dans  la  Grèce  et  l'Asie  pour 
la  propagation  de  l'Evangile.  C'est  pendant  cet  intervalle,  auquel  Néron, 
Galba,  Othon,  Vitellius,  Vespasien,  Tite,  Domitien  et  Nerva,  tinrent  succes- 
sivement le  siège  de  l'empire  romain,  qu'il  alla  en  Achaïe,  où  saint  André 
avait  déjà  enduré  le  martyre,  afin  d'y  fortifier  les  nouveaux  fidèles  dans  la 
doctrine  qu'ils  avaient  reçue  de  cet  Apôtre  :  ensuite,  passant  la  mer,  et 
parcourant  une  infinité  de  villes  et  de  bourgades,  qui  étaient  sur  sa  route, 
il  se  rendit  en  Phrygie,  où  il  demeura  quelque  temps  à  Troade  ;  et  enfin 


S.   DENIS  L'ARÉOPAGITE,   S.   RUSTIQUE  ET  S.   ÉLEUTHÈRE,   MARTYRS.  199 

il  vint  à  Lacédémone,  cette  célèbre  émule  d'Athènes,  où  le  cardinal  Baro- 
nius  croit  qu'il  écrivit  à  saint  Jean  l'Evangéliste,  relégué  par  Domitien 
dans  l'île  de  Pathmos,  cette  lettre  prophétique  dans  laquelle  il  l'assure» 
non-seulement  qu'il  sera  délivré  de  son  exil  et  qu'il  retournera  en  Asie, 
mais  aussi  qu'il  y  écrira  son  Evangile  et  qu'ils  auront  la  consolation  de  s'y 
embrasser.  Peu  de  temps  après,  cette  prophétie  commença  de  s'accomplir; 
en  effet,  Domitien  étant  mort,  et  le  Sénat  ayant  cassé  tous  ses  arrêts,  à 
cause  de  leur  trop  grande  cruauté,  saint  Jean  eut  la  liberté  de  sortir  de 
Pathmos,  où  il  avait  composé  son  Apocalypse,  et  de  retourner  à  Ephèse  ; 
saint  Denis  l'y  alla  trouver,  et  ils  eurent  ensemble  une  conversation  toute 
céleste.  Ce  fut  apparemment  dans  cet  entretien  qu'il  conçut  le  dessein  de 
passer  en  Occident,  pour  y  travailler  à  la  ruine  de  l'idolâtrie.  Saint  Jean 
lui  représenta  l'état  déplorable  où  étaient  les  belles  et  riches  provinces  de 
l'Europe,  la  multitude  infinie  des  âmes  qui  s'y  perdaient  tous  les  jours, 
pour  être  privées  de  la  connaissance  des  vérités  et  des  remèdes  du  salut,  le 
peu  d'ouvriers  qui  y  étaient,  pour  arrêter  le  cours  de  tant  de  maux  et  la 
nécessité  d'y  en  envoyer  de  l'Orient,  où  ils  étaient  en  plus  grand  nombre. 
Denis,  tout  âgé  qu'il  était,  car  il  ne  pouvait  pas  avoir  moins  de  soixante- 
dix-huit  ans,  s'offrit  pour  entreprendre  ce  travail  et  aller  trouver  saint 
Clément,  successeur  de  saint  Pierre,  pour  lui  communiquer  son  dessein, 
L'Apôtre  approuva  son  zèle  et  lui  donna  pour  cela  sa  bénédiction. 

Ainsi  notre  Saint,  laissant  pour  son  successeur  à  Athènes  saint  Publius, 
que  saint  Paul  avait  converti  et  baptisé  avec  toute  sa  famille  dans  l'île  de 
Malte,  et  prenant  avec  lui  saint  Rustique,  prêtre,  et  saint  Eleuthère, 
diacre,  traversa  la  mer  et  vint  à  Rome,  où  il  se  présenta  à  saint  Clément, 
disposé  à  aller  où  il  jugerait  plus  à  propos,  travailler  à  la  vigne  du  Fils  de 
Dieu.  Le  saint  Pape  eut  une  joie  incroyable  de  cette  résolution,  sachant  le 
mérite  de  ce  grand  homme,  l'abondance  des  grâces  dont  Notre-Seigneur 
l'avait  comblé,  et  son  éloquence  divine,  capable  de  toucher  les  cœurs  les 
plus  endurcis.  Comme  il  n'y  eut  point  d'ecclésiastique  à  Rome  qui  ne 
souhaitât  de  marcher  sous  l'étendard  d'un  si  brave  capitaine,  il  n'eut  pas 
de  peine  à  lui  former  une  nombreuse  compagnie  de  prédicateurs  aposto- 
liques pour  partir  avec  lui.  Le  champ  de  bataille  qu'il  lui  proposa,  ce 
furent  les  Gaules  avec  une  partie  des  Espagnes,  où  à  la  vérité  saint  Paul 
avait  passé  et  laissé  quelques-uns  de  ses  disciples,  mais  qui,  néanmoins, 
dans  la  plupart  des  provinces,  n'avaient  pas  encore  entendu  parler  de  la 
doctrine  de  l'Evangile.  Pour  les  compagnons  qu'il  lui  donna,  on  n'en  sait 
pas  le  nombre  au  juste.  Cependant  on  pense  qu'il  lui  en  donna  peu  d'a- 
bord, mais  que  dans  la  suite  il  lui  envoya  de  saintes  recrues,  selon  que 
l'espérance  de  la  moisson  augmentait  ou  qu'il  se  présentait  de  nouveaux 
ouvriers  capables  d'un  si  important  ministère.  Ceux  que  l'on  marque  plus 
ordinairement  sont  saint  Rieul,  qui  était  venu  d'Orient,  saint  Marcel,  sur- 
nommé Eugène,  saint  Eutrope,  saint  Lucien,  saint  Nicaise,  saint  Quirin, 
saint  Taurin,  saint  Jonat,  saint  Saintin  et  saint  Antoine. 

Nous  savons  que  quelques  auteurs  du  xvne  siècle  ont  combattu  avec 
beaucoup  d'ardeur  l'histoire  de  la  mission  de  saint  Denis  l'Aréopagite  dans 
les  Gaules  ;  ils  prétendent  que  celui  qui  a  souffert  le  martyre  à  Paris,  et 
que  nous  reconnaissons  pour  notre  apôtre,  n'est  pas  ce  célèbre  disciple  de 
saint  Paul,  mais  un  autre,  bien  plus  récent,  envoyé  seulement  au  temps 
de  l'empereur  Dèce,  et  bien  avant  dans  le  troisième  siècle.  Mais  il  y  a  un 
si  grand  accord  entre  l'Eglise  grecque  et  l'Eglise  romaine,  pour  assurer 
que  notre  saint  Apôtre  est  le  même  que  l'Aréopagite,  comme  Hincmar, 


200  9  OCTOBRE. 

archevêque  de  Reims,  Ta  remarqué  dans  une  lettre  à  l'empereur  Charles 
le  Chauve,  qu'on  ne  peut  sérieusement  le  révoquer  en  doute.  La  tradition 
en  était  déjà  fort  ancienne  sous  le  règne  de  Louis  le  Débonnaire,  père 
du  môme  Charles,  ainsi  qu'il  paraît  par  ce  qu'en  ont  écrit  saint  Fortunat, 
évêque  de  Poitiers  ;  saint  Eugène  II ,  évêque  de  Tolède  ;  le  vénérable 
Bède,  très-savant  dans  l'histoire  ecclésiastique;  saint  Siméon,  surnommé 
Métaphraste,  auteur  célèbre  de  la  Vie  des  Saints;  saint  Méthodius,  pa- 
triarche de  Constantinople  ;  Michel  Syngèle,  prêtre  de  Jérusalem; 
Anastase  le  Bibliothécaire,  l'abbé  Romain,  et  le  Concile  de  Paris,  tenu 
en  825,  dans  une  lettre  au  pape  Eugène  II.  Mais  elle  devint  encore 
plus  certaine  lorsque  Hiiduin,  abbé  de  Saint-Denis,  en  France,  après  une 
recherche  très-exacte,  qu'il  fît  par  l'ordre  exprès  de  l'empereur  Louis  le 
Débonnaire,  en  eut  fait  voir  la  vérité  par  des  témoignages  publics  et  au- 
thentiques, auxquels  il  n'y  eut  point  de  réplique.  Depuis  ce  temps-là,  on  a 
été  plus  de  huit  siècles  dans  la  même  croyance,  sans  que  qui  que  ce  soit 
s'y  soit  opposé.  Tout  le  monde,  au  contraire,  était  très-persuadé  qu'en 
révérant  l'Apôtre  des  Gaules,  on  révérait  le  bienheureux  Aréopagite.  Il  n'y 
avait  que  la  critique  de  notre  temps,  qui  s'est  fait  un  point  d'honneur  de 
raffiner  sur  les  traditions  historiques  les  mieux  reçues,  qui  fût  capable  de 
réveiller  cette  contestation  déjà  jugée  et  assoupie,  et  de  nous  disputer  de 
nouveau  la  gloire  d'avoir  un  si  grand  homme  pour  notre  premier  évêque. 
Mais  quelque  effort  qu'elle  fasse,  elle  ne  détruira  pas  un  sentiment  si  forte- 
ment établi  sur  l'antiquité  et  si  profondément  imprimé  dans  le  cœur  des 
Français.  Il  y  a  véritablement  quelques  difficultés  sur  cette  mission  de  saint 
Denis  l'Aréopagite  en  France,  comme  il  y  en  a  sur  toutes  les  traditions 
anciennes  dont  on  n'a  pas  marqué  assez  exactement  toutes  les  circons- 
tances ;  mais  si  Ton  veut  prendre  la  peine  de  lire  les  savants  auteurs  qui 
ont  écrit  depuis  sur  cette  matière,  entre  autres  Baronius,  Sponde,  Du 
Saussay,  Germain  Miiet,  Hugues  Ménard  et  Noël  Alexandre,  de  l'Ordre  de 
Saint-Dominique,  Mgr  Freppel,  M.  l'abbé  Darras,  M.  Faiilon,  les  PP.  Hal- 
loix,  Lanssel,  Cordier,  Chifflet,  etc.,  on  les  y  trouvera  résolues  avec  beau- 
coup de  lumières  et  d'érudition.  Sur  quel  fondement  a-t-on  voulu  établir 
que  le  saint  Denis  de  Paris  n'est  pas  le  même  que  le  grand  Aréopagite,  dis- 
ciple de  saint  Paul  ?  C'est  que  la  foi  n'a  été  prêchée  dans  les  Gaules  que 
bien  tard  sous  l'empereur  Dèce,  comme  on  prétend  le  recueillir  de  Sulpice 
Sévère  et  de  Grégoire  de  Tours  ;  or,  ce  sentiment  n'est  nullement  soute- 
nable,  car  il  est  contre  toute  vraisemblance.  Quoi  !  l'Evangile  était  porté 
chez  les  Scythes,  les  Brachmanes,  les  Indiens,  les  Ethiopiens  et  les  Maures 
d'Afrique  ;  et  les  Gaules  seules,  qui  sont  à  la  porte  de  Rome,  auraient  été 
à  ce  point  négligées  et  abandonnées  des  Apôtres  et  des  souverains  Pontifes, 
même  en  des  temps  où  l'Eglise  jouissant  de  quelque  trêve  et  n'étant  point 
persécutée  par  les  empereurs  romains,  il  n'y  avait  rien  de  plus  facile  que 
de  les  secourir  ? 

Disons  donc  que  notre  saint  Aréopagite,  étant  muni  de  la  bénédiction 
de  saint  Clément,  partit  de  Rome  et  se  rendit  dans  les  Gaules.  Il  arriva  pre- 
mièrement à  Arles,  où  il  fit  les  grandes  actions  que  nous  avons  marquées 
dans  la  vie  de  saint  Rieul  et  qu'il  n'est  pas  nécessaire  de  répéter  ici.  Avant 
d'en  partir,  il  commença  à  distribuer  sa  petite  troupe  pour  la  prédication 
de  l'Evangile.  Il  laissa  saint  Rieul  à  Arles  et  l'en  nomma  évêque.  Il  envoya 
saint  Eugène  aux  Pyrénées  et  lui  confia  la  conversion  des  Espagnes.  Il  dé- 
puta saint  Eutrope  en  Saintonge,  où  il  avait  fait  un  voyage. 

Pour  lui,  il  s'avança  vers  Paris,  méditant  dans  son  cœur  la  conquête  de 


S.   DENIS  L'ARÉOPAGITE,    S.   RUSTIQUE  ET   S.   ÉLEUTHÈRE,   MARTYRS.  201 

tout  ce  grand  royaume,  non  pas  par  le  fer  et  par  le  feu,  comme  César  l'avait 
conquis,  mais  par  la  force  de  la  parole  de  Dieu  et  en  versant  lui-môme  son 
sang  pour  ceux  qu'il  voulait  acquérir  à  Jésus-Christ.  Alors,  le  reste  de  ses 
missionnaires  se  partagea.  Lucien  fut  destiné  pour  Beauvais;  Nicaise  et 
Quirin,  pour  Rouen;  Taurin,  pour  Evreux;  Joikis,  pour  Chartres;  Saintin, 
pour  Verdun;  et  Antoine  pour  le  pays  Chartrain.  Denis  prit  pour  son  res- 
sort, avec  Rustique  et  Eleuthère,  ses  deux  fidèles  compagnons,  la  ville 
même  de  Paris;  il  y  arriva  par  le  côté  de  la  porte  Saint-Jacques;  il  s'arrêta 
d'abord  à  l'endroit  où  est  l'Université,  et  qui  n'était  encore  qu'un  champ 
en  friche,  ou  un  bois  désert  et  inhabité.  On  s'assembla  bientôt  autour  de 
lui;  il  parla  avec  tant  de  lumière  et  de  vigueur  de  la  vanité  des  idoles  et  de 
la  nécessité  de  reconnaître  un  seul  Dieu,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  et 
un  seul  Jésus-Christ,  sauveur  et  réparateur  du  monde,  qu'il  attira  bientôt 
une  foule  de  personnes  au  Christianisme.  Cet  heureux  succès  lui  fit  prendre 
la  résolution  de  bâtir  quelques  oratoires  au  lieu  de  sa  retraite.  Les  Anti- 
quités de  Paris  en  marquent  quatre.  Le  premier  fut  dédié  en  l'honneur  delà 
très-sainte  Trinité,  et  il  était  au  lieu  où  fut  depuis  l'église  de  Saint-Benoît; 
aussi,  dans  la  chapelle  de  Saint-Denis,  de  cette  église,  on  lisait  encore,  en 
1685,  ces  mots  sur  des  vitraux  :  In  hoc  sacello  sanctus  Dionysius  cœpit  invo- 
care  nomen  sanctœ  Trinitatis  :  a  Saint  Denis  a  commencé  dans  cette  chapelle 
à  invoquer  le  nom  de  la  sainte  Trinité  ».  Le  second  fut  dédié  en  l'honneur 
des  Apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul;  c'est  celui  où  sainte  Geneviève  fai- 
sait souvent  ses  prières,  et  dont  elle  procura  l'augmentation  et  l'embellis- 
sement auprès  du  roi  Clovis  Ier,  et  où  enfin  elle  fut  enterrée  :  ce  qui  lui  a 
fait  prendre  le  titre  de  Sainte-Geneviève.  Le  troisième  fut  dédié  en  l'hon- 
neur de  saint  Etienne,  premier  martyr;  on  l'appelait  encore,  en  1785, 
Saint-Etienne  des  Grecs,  à  cause  de  saint  Denis  et  de  ses  compagnons,  qui 
parlaient  grec  et  étaient  venus  de  Grèce.  Le  quatrième  fut  dédié  en  l'hon- 
neur de  Notre-Dame.  On  l'a  depuis  nommé  Notre-Dame  des  Champs;  les 
religieuses  Carmélites,  filles  de  sainte  Thérèse,  le  possédaient  avant  la  révo- 
lution et  y  renouvelaient  par  leur  innocence  et  leur  ferveur  la  vie  admi- 
rable de  ces  premiers  chrétiens  de  la  ville  de  Paris.  Saint  Denis  y  a  laissé 
une  petite  partie  du  voile  de  la  Vierge,  dont  il  avait  hérité  d'elle  à  l'ouver- 
ture de  son  tombeau,  et  une  de  ses  images  où  elle  était  représentée,  tenant 
son  divin  Enfant  sur  ses  genoux. 

Parmi  ceux  qui  reçurent  de  sa  main  le  vénérable  Sacrement  de  la  régé- 
nération spirituelle,  le  premier  et  le  principal  fut  un  seigneur  parisien, 
nommé  Lisbius;  les  Montmorency  en  font  la  tige  de  leur  illustre  maison; 
d'où  vient  qu'ils  mettaient  ces  mots  dans  leur  cri  de  guerre  :  «  Dieu  aide 
au  premier  chrétien  !  »  Ce  néophyte,  ne  pouvant  assez  reconnaître  les  obli- 
gations qu'il  avait  à  son  maître,  le  pria  d'entrer  dans  la  ville  et  de  venir 
demeurer  chez  lui.  Le  Saint  ne  refusa  pas  cette  occasion  que  la  divine  Pro- 
vidence lui  offrait  pour  faire  de  plus  grandes  conquêtes.  Il  établit  donc  sa 
demeure  dans  l'hôtel  de  Lisbius,  et  en  fit  même  une  église  pour  conférer 
le  Baptême  à  ceux  qui  se  convertissaient  et  pour  célébrer  les  augustes  Mys- 
tères. On  croit  que  cette  église  était  la  paroisse  de  Saint-Barthélémy,  devant 
le  Palais. 

La  présence  de*  ce  grand  prédicateur  et  de  ses  compagnons  avança 
merveilleusement  les  affaires  de  la  religion  dans  l'enceinte  de  Paris.  Il  y 
avait  presse  à  les  venir  entendre,  à  se  mettre  au  rang  des  catéchumènes  et 
à  se  faire  baptiser;  et  l'on  eût  vu  bientôt  toute  la  ville  abjurer  l'idolâtrie  et 
faire  profession  publique  du  Christianisme,  si  Fescenninus,  qui  gouvernait 


202  9  OCTOBRE. 

pour  l'empereur,  n'y  fût  accouru  pour  s'opposer  à  ces  progrès.  Ils  étaient 
si  connus  de  tout  le  monde,  qu'il  n'eut  pas  de  peine  à  les  découvrir  et  à  les 
faire  prendre.  Pendant  qu'ils  étaient  à  son  tribunal,  Larcie,  femme  de  Lis- 
bius,  leur  hôte,  qui  était  toujours  demeurée  opiniâtre  dans  le  paganisme  et 
les  haïssait  à  mort,  à  cause  des  profusions  que  faisait  son  mari  pour  leur 
subsistance  et  celle  des  fidèles,  se  fit  elle-même  leur  accusatrice.  Elle  dé- 
nonça aussi  son  mari  comme  complice  de  leurs  crimes  et  coupable  d'im- 
piété envers  les  dieux  du  pays.  Sur  cette  dénonciation,  Fescenninus  les 
envoya  saisir  et  les  fit  aussitôt  comparaître  devant  lui.  Il  n'épargna  rien 
pour  leur  persuader  de  renoncer  à  Jésus-Christ  et  d'adorer  Mars  et  Mer- 
cure; mais,  les  trouvant  inébranlables  et  disposés  à  endurer  plutôt  mille 
morts  que  de  commettre  cette  impiété,  il  fit  décapiter  sur-le-champ  Lisbius, 
qui  mérita,  par  cette  mort,  le  titre  glorieux  de  premier  chrétien  de  Paris. 
Pour  saint  Denis  et  ses  compagnons,  il  les  fit  jeter  dans  les  cachots  de  la 
prison  voisine,  qu'on  appelait  alors  la  prison  de  Glaucin,  et  que  l'on  a  depuis 
changée  en  une  église  sous  le  nom  de  Saint-Denis  de  la  Chartre.  Cette  pri- 
son ne  fut  pas  pour  eux  une  simple  détention,  mais  un  supplice  :  car  on 
leur  passa  la  tête  dans  de  grosses  pierres  percées  par  le  milieu,  et  on  les  y 
attacha  de  telle  sorte,  qu'ils  étaient  obligés  de  demeurer  toujours  couchés 
par  terre  dans  des  postures  très-pénibles.  On  voyait  encore,  au  xvnr9  siècle, 
une  de  ces  pierres  dans  la  même  église,  comme  témoignage  de  cette  cruauté. 
Peu  de  temps  après,  ce  président  les  fit  revenir  devant  lui;  et,  après  les 
avoir  inutilement  pressés,  tantôt  par  des  promesses,  tantôt  par  des  me- 
naces, de  consentir  à  ses  volontés,  il  les  fit  cruellement  fustiger.  On  ne  peut 
assez  admirer  la  force  et  la  constance  du  grand  saint  Denis,  qui,  âgé  de 
plus  de  cent  ans,  endurait  ce  martyre  avec  autant  de  paix  et  de  tranquil- 
lité que  s'il  eût  été  couché  sur  un  lit  de  roses.  On  lui  déchira  tous  les 
membres  à  coups  de  fouet,  on  lui  découvrit  même  les  os,  et  on  le  baigna 
dans  son  propre  sang.  Cependant  il  ne  se  plaignit  jamais,  et,  s'il  sortit 
quelques  paroles  de  sa  bouche,  ce  ne  furent  que  des  paroles  de  louange  et 
de  bénédiction.  «  Que  ma  langue  »,  disait-il,  «  bénisse  le  Seigneur,  et  que 
toutes  mes  entrailles  soient  employées  à  louer  sa  bonté  ».  Saint  Rustique 
et  saint  Eleuthère,  qui  avaient  part  aux  tourments  de  leur  maître,  imitaient 
aussi  sa  générosité.  Ni  la  violence  des  coups,  ni  les  plaies  réitérées,  ni  le 
sang  qu'ils  voyaient  couler  de  leurs  corps,  ne  furent  capables  d'ébranler 
leur  courage  et  de  les  faire  balancer  dans  leur  résolution.  Le  tyran,  effrayé 
de  cette  persévérance,  les  fit  tous  conduire  en  prison,  espérant  que  la  dou- 
leur de  leurs  blessures,  jointe  à  l'odeur  insupportable  du  lieu,  leur  cause- 
rait enfin  de  l'ennui  et  les  rendrait  plus  soumis  aux  désirs  de  l'empereur; 
mais  il  se  trouva  trompé  dans  son  attente.  Les  souffrances  ne  firent  qu'aug- 
menter leur  ferveur,  et  ils  parurent  le  lendemain  à  son  tribunal  avec  plus 
de  joie  et  de  hardiesse  qu'ils  n'en  avaient  jamais  témoigné.  Fescenninus, 
furieux,  fit  recommencer  sur  eux  le  traitement  du  jour  précédent,  et, 
comme  cette  cruauté  ne  servit  de  rien,  il  s'arma  d'une  nouvelle  rage,  prin- 
cipalement contre  le  saint  Evêque  :  il  le  fit  étendre  sur  un  gril,  sous  lequel 
il  commanda  d'allumer  un  grand  feu.  Nous  laissons  au  lecteur  à  penser 
quel  fut  le  martyre  de  ce  vénérable  vieillard,  lorsque  son  corps,  déjà  tout 
déchiré  et  ensanglanté,  commença  à  sentir  la  rigueur  de  la  flamme  et  à 
brûler.  Il  ne  fit  néanmoins  paraître  aucun  signe  de  tristesse  et  de  mécon- 
tentement; mais,  se  soutenant  dans  ce  supplice  avec  une  fermeté  inébran- 
lable, il  ne  fit  autre  chose  qu'implorer  la  miséricorde  de  Dieu  et  s'immoler 
à  sa  justice.  Les  bourreaux  eurent  ordre  aussitôt  de  le  lever  de  dessus  ce 


S.   DENIS  l'ARÉOPAGITE,   S.   RUSTIQUE  ET  S.   ÉLEUTIIÈRE,   MARTYRS.  203 

lit  pour  être  exposé  à  des  lions;  mais  ces  bêtes  n'ayant  osé  le  toucher,  et 
s'étant  au  contraire  prosternées  devant  lui  pour  lui  lécher  les  pieds,  il  fut 
jeté  dans  un  four  ardent  qui  devait  le  consumer  en  un  moment.  Notre-Sei- 
gneur,  qui  voulait  rendre  son  martyre  encore  plus  éclatant,  le  secourut 
admirablement  en  cette  rencontre.  Il  amortit  l'ardeur  de  ce  four,  et  le  ren- 
dit aussi  frais  et  aussi  agréable  que  la  fournaise  de  Babylone,  lorsque  les 
trois  enfants  y  furent  enfermés.  Denis  y  entra  donc,  mais  il  n'en  reçut  aucun 
dommage,  et  il  en  sortit  en  meilleur  état  qu'il  n'y  était  entré.  Ensuite,  on 
l'attacha  sur  une  croix,  afin  qu'il  eût  l'honneur  d'être  l'image  vivante  de 
Jésus-Christ  crucifié.  Comme  il  avait  pour  la  croix  les  mêmes  inclinations 
que  son  cher  Maître,  il  en  fit  aussi  les  mêmes  usages.  Il  en  fit  un  autel  pour 
se  sacrifier,  une  chaire  pour  prêcher  et  un  trône  pour  régner. 

Le  peuple  s'étant  assemblé  autour  de  lui,  il  saisit  l'occasion  pour  leur 
annoncer  le  mystère  ineffable  de  la  passion  du  Sauveur  et  le  bonheur  qu'elle 
avait  apporté  au  monde  :  et  il  n'eût  pas  moins  fait  de  conversions  sur  cet 
instrument  de  douleur  que  dans  la  chaire  de  son  église,  si  le  président  ne 
l'en  eût  fait  promptement  détacher.  Tout  cela  se  passa  au  milieu  de  la 
place  publique  de  Paris,  qui  était  alors  sur  le  bord  de  la  rivière,  à  la  tête 
de  l'île  du  palais,  au  lieu  où  l'on  a  depuis  bâti  une  église  sous  le  nom  de 
Saint-Denis  du  Pas.  On  dit  que  le  maître-autel  de  cette  église  a  été  dressé 
à  l'endroit  même  où  le  Saint  fut  étendu  sur  le  gril,  et  Ton  y  montrait  aussi 
le  lieu  de  la  fournaise  où  il  fut  jeté. 

Tant  de  différents  supplices  n'ayant  pu  ôter  la  vie  à  nos  saints  Martyrs, 
ils  furent  reconduits  dans  leur  cachot,  avec  quantité  d'autres  chrétiens  qui 
avaient  trop  témoigné  de  zèle  pour  leur  délivrance.  Ce  fut  alors  que  le 
bienheureux  Prélat,  parfaitement  libre  dans  ses  chaînes,  voulut  célébrer, 
pour  la  dernière  fois,  l'auguste  Sacrifice  de  la  messe,  afin  de  fortifier  ses 
chers  enfants  et  de  se  fortifier  lui-même,  par  la  communion  du  corps  de 
Jésus-Christ,  contre  les  combats  qui  leur  restaient  à  endurer.  Mais,  par  une 
insigne  merveille,  lorsqu'il  fut  à  la  fraction  de  l'hostie,  Notre-Seigneur  ap- 
parut visiblement  à  toute  l'assistance,  et,  prenant  de  ses  propres  mains  son 
corps,  qui  était  sur  l'autel,  il  le  lui  donna,  lui  disant  :  o  Recevez  ceci,  mon 
bien-aimé,  et  ne  doutez  point  de  la  récompense  qui  vous  attend,  vous,  et 
tous  ceux  qui  écouteront  votre  paroie.  Vous  combattrez  vaillamment  et 
vous  remporterez  la  victoire.  La  mémoire  de  votre  martyre  sera  immor- 
telle; et,  lorsque  vous  prierez  pour  quelqu'un,  vous  obtiendrez  tout  ce  que 
vous  demanderez  ».  En  même  temps,  la  prison  fut  remplie  d'une  admirable 
lumière,  et  chaque  fidèle  ressentit  en  son  âme  une  ardeur  de  la  foi  et  un 
désir  du  martyre  qui  n'est  pas  concevable.  La  grâce  du  Sauveur  ne  se  borna 
pas  même  à  la  prison;  elle  alla  trouver  dehors  la  malheureuse Larcie,  pour 
qui,  sans  doute,  son  mari  avait  prié  dans  le  ciel,  et  elle  lui  toucha  si  puis- 
samment le  cœur,  qu'elle  en  fît  une  sainte  pénitente. 

Cependant,  le  lendemain  étant  arrivé,  Fescenninus  rappela  pour  la  der- 
nière fois  les  prisonniers,  et,  les  trouvant  aussi  fermes  et  inébranlables  qu'au- 
paravant, après  les  avoir  fait  encore  fouetter,  il  les  condamna  à  avoir  la 
tête  tranchée.  On  les  mena  aussitôt  du  côté  septentrional  de  la  ville,  sur 
une  colline  dédiée  à  Mercure,  que  nous  appelons  maintenant  Montmartre, 
c'est-à-dire  mont  des  Martyrs  :  et  là,  en  présence  d'une  infinité  de  peuple 
qui  fondait  en  larmes,  on  leur  coupa  la  tête  avec  de  petites  haches  émous- 
sées,  afin  de  leur  causer  plus  de  douleur.  Ce  fut  le  9  octobre,  sur  la  fin  de 
l'empire  de  Trajan,  ou  au  commencement  de  celui  d'Adrien,  vers  Tan- 
née 117.  Il  se  fit  en  même  temps  un  horrible  carnage  de  chrétiens,  tant  au 


204  9  OCTOBRE. 

dedans  de  la  ville  qu'aux  environs,  dans  lequel  Larcie,  qui  venait  de  recon- 
naître sa  faute  et  de  se  convertir,  fut  enveloppée.  Elle  n'était  pas  encore 
baptisée;  mais  son  sang,  répandu  pour  Jésus-Christ,  lui  servit  de  Baptême. 

Saint  Denis  ayant  été  ainsi  décapité,  son  corps  se  leva  de  lui-même,  et, 
prenant  sa  tête  entre  ses  mains,  la  porta  en  triomphe  jusqu'au  lieu  où  est  à 
présent  la  ville  de  son  nom,  à  deux  lieues  de  Paris.  Ce  prodige  est  rapporté, 
non-seulement  par  les  auteurs  récents,  mais  aussi  aux  Ménologes  (tes 
Grecs,  et  par  Siméon  Métaphraste,  Méthodius,  Hilduin,  Hugues  de  Saint- 
Victor,  Nicéphore  Calixte,  Cœlius  Rhodiginus  et  beaucoup  d'autres.  Pen- 
dant sa  marche,  des  anges  chantaient  avec  une  mélodie  admirable  :  Gloria 
tibi,  Domine,  et  d'autres  répondaient  :  Alléluia,  alléluia,  alléluia.  Lorsqu'il 
eut  fait  une  lieue,  il  rencontra  une  pieuse  femme  appelée  Catulle,  qu'il 
avait  instruite  dans  la  foi;  entre  ses  mains  il  se  déchargea  du  trésor  inesti- 
mable de  sa  tête  et  tomba  en  même  temps  à  ses  pieds.  Cette  sainte  femme 
eut  une  joie  extraordinaire  d'avoir  été  choisie  par  ce  bienheureux  évêque 
pour  dépositaire  de  ses  reliques.  Elle  les  cacha  soigneusement  dans  sa  mai- 
son, avec  celles  de  saint  Rustique  et  de  saint  Eleuthère,  qu'elle  eut  l'adresse 
et  le  bonheur  de  recouvrer  à  prix  d'argent. 

On  le  représente  recevant  sa  tête  sur  les  mains  et  allant  la  remettre  h 
une  femme  chrétienne  qui  tient  un  linge. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

ABBAYE  DE  SAINT -DENIS.  —  SES  ÉCRITS. 

Sainte  Geneviève,  qui  avait  une  dévotion  merveilleuse  envers  les  saints  Martyrs  et  visitait  sou- 
tent  leurs  sépulcres,  étant  inspirée  de  Dieu  et  prévenue  d'un  secours  extraordinaire  de  sa  Provi- 
dence, fit  bâtir  sur  leurs  tombeaux  une  chapelle  de  pierre,  beaucoup  plus  ample  que  celle  de  bois 
qu'y  avait  fait  bâtir  Catulle.  C'est  celle  où  se  réfugia  Dagobert,  encore  jeune,  pour  éviter  la  colère 
de  Clotaire  II,  son  père,  qui  le  cherchait  pour  le  punir  d'un  outrage  qu'il  avait  fait  à  son  gouver- 
neur. Pendant  qu'il  y  fut,  saint  Denis  lui  apparut  en  songe,  et  lui  promit  de  le  tirer  du  danger  où 
il  était,  s'il  voulait  s'obliger  à  faire  bâtir  en  ce  lieu  une  nouvelle  église  pour  placer  plus  honora- 
blement son  corps  et  celui  de  ses  compagnons.  Dagobert  s'y  engagea,  et,  depuis,  étant  arrivé  à  la 
couronne,  il  s'acquitta  de  son  vœu  avec  toute  la  magnificence  que  l'on  pouvait  attendre  du  zèle  et 
de  la  ferveur  d'un  roi  très-chrétien.  Notre-Seigneur  consacra  lui-même  cette  église  avec  une  troupe 
de  bienheureux  esprits,  la  nuit  même  que  les  évêques  se  disposaient  à  la  cérémonie  de  la  consé- 
cration, et  il  en  fit  donner  l'assurance  par  un  lépreux  qui  s'y  était  caché  et  qu'il  guérit  de  sa 
lèpre  pour  rendre  un  témoignage  assuré  de  cette  insigne  faveur.  Ce  fut  le  24  février  630,  jour  de 
saint  Matthias,  selon  la  supputation  de  Guillaume  de  Nangis.  Ce  prince  fit  aussi  bâtir  un  monastère 
joignant  cette  église,  qu'il  donna  à  des  religieux  Bénédictins,  pour  être  à  perpétuité  les  dépositaires 
et  les  gardiens  des  reliques  de  son  illustre  bienfaiteur;  ainsi  ce  lieu,  qui  n'était  auparavant  qu'un 
petit  bourg,  appelé  le  bourg  de  Catulle,  à  cause  de  cette  pieuse  dame  qui  avait  enseveli  ces  saints 
corps,  est  devenu  une  ville  qui  a  pris  le  nom  de  Saint-Denis. 

Au  milieu  du  xi»  siècle,  les  religieux  de  Saint-Emmeran,  de  Ratisbonne,  ayant  fait  courir  le 
bruit  qu'ils  possédaient  le  vénérable  corps  de  saint  Denis  l'Aréopagite,  et  qu'il  leur  avait  été  donné 
par  le  roi  Arnould,  Henri  Ier,  qui  était  alors  en  France,  fit  faire  une  grande  assemblée  de  prélats 
et  de  princes  à  Saint-Denis,  pour  visiter  sa  châsse  et  s'assurer  de  la  vérité.  Odon,  frère  de  Sa  Ma- 
jesté, la  reine  Adèle,  les  évêques  de  Meaux  et  d'Orléans,  et  quantité  d'abbés  y  assistèrent  ;  la 
châsse  fut  ouverte,  et  l'on  y  trouva  heureusement  tous  les  ossements  du  bienheureux  Martyr,  à  la 
réserve  d'un  que  le  pape  Etienne  III  avait  emporté.  Une  odeur  merveilleuse  sortit  de  ces  précieuses 
reliques,  et  parfuma  toute  l'église.  Le  roi,  ayant  appris  ce  qui  s'était  passé,  vint  lui-même  nu- 
pieds  de  son  palais  de  Paris  à  cette  abbaye,  pour  honorer  cet  illustre  patron  de  la  France.  Un  des 
abbés  obtint  quelques  restes  déjà  tout  usés  des  voiles  dont  les  ossements  avaient  été  enveloppés, 
et,  les  ayant  mis  sur  la  tète  d'un  démoniaque  furieux,  il  le  guérit  en  un  instant. 

Outre  la  célèbre  église  dont  nous  venons  de  parler,  on  en  bâtit  une  autre  au  lieu  même  où  les 
Saints  avaient  été  décapités,  que  l'on  nomma  pour  cela  les  Martyrs,  sur  la  pente  de  la  colline 
appelée  Montmartre,  du  côté  nord  de  Paris.  C'était  au  commencement  un  prieuré  de  l'Ordre  de 
Cluny,  dépendant  de  celui  de  Saint-Martin  des  Champs  ;  mais  le  roi  Louis  le  Gros,  à  la  persuasion 


S.   DENIS  i/ARÉOPAGITE,    S.   RUSTIQUE  ET   S.   ÉLEUTHÈRE,   MARTYRS.         205 

de  la  pieuse  reine  Adèle,  son  épouse,  transféra  les  religieux  de  ce  monastère  à  Saint-Denis  de  la 
Chartre,  dans  l'enceinte  de  Paris,  et  mit  à  Montmartre,  en  leur  place,  des  religieuses  Bénédictines, 
pour  lesquelles  il  fit  élever  une  grande  et  riche  abbaye,  qui  a  toujours  été  gouvernée  par  des 
abbesses  illustres  par  leur  piété  et  par  leur  naissance.  La  nouvelle  église  de  ce  couvent  fut  dé- 
diée par  le  pape  Eugène  III,  qui  avait  été  disciple  de  saint  Bernard  et  qui  eut  en  cette  cérémonie 
le  même  saint  Bernard  pour  diacre,  et  saint  Pierre  le  Vénérable,  abbé  de  Cluny,  pour  sons-diacre. 
On  ne  peut  croire  le  concours  de  peuple  qui  allait  autrefois  continuellement  à  ce  sanctuaire  pour 
y  rendre  ses  vœux  au  glorieux  saint  Denis,  et  pour  y  baiser  la  terre  qui  a  été  baignée  de  son 
sang.  Ce  fut  là  que  saint  Ignace  de  Loyola  mena  ses  premiers  compagnons  pour  s'y  consacrer  à 
Jésus-Christ,  et  y  commencer  son  Ordre.  Les  religieux  de  la  grande  abbaye  de  Saint-Denis  y  por- 
tèrent, tous  les  sept  ans,  le  chef  de  leur  patron  avec  beaucoup  de  pompe  et  de  magnificence. 

Les  Papes,  les  rois  de  France  et  plusieurs  autres  princes  ont  rendu  de  grands  honneurs  à  la 
mémoire  de  ce  glorieux  apôtre  des  Gaules.  Saint  Zacharie,  confirmant  de  sou  pouvoir  apostolique 
l'exemption  que  saint  Landry,  évêque  de  Paris,  avait  donnée  à  son  abbaye,  dit  expressément  qu'il 
le  fait  pour  l'amour  et  en  considération  d'un  si  grand  martyr.  En  gène  III  ne  dédia  l'église  de  Mont- 
martre que  par  un  profond  respect  envers  ce  saint  évêque  qui  en  devait  être  le  patron.  Alexandre  III, 
étant  venu  en  France,  visita  avec  beaucoup  de  dévotion  toutes  les  chapelles  et  les  reliques  de 
l'abbaye  de  Saint-Denis;  ce  qui  donna  occasion  au  remuement  prodigieux  des  ossements  de  saint 
Hippolyte.  Enfin,  le  pape  Etienne  III,  s'étant  réfugié  en  France,  pour  éviter  l'oppression  des 
Lombards,  choisit  sa  demeure  dans  cette  abbaye  ;  puis,  y  étant  tombé  si  malade  que  ses  propres 
domestiques  commençaient  déjà  à  l'abandonner,  il  y  fut  guéri  par  le  même  saint  Denis,  qui  lui 
apparut  avec  saint  Pierre  et  saint  Paul,  et  le  toucha  de  ses  mains  sacrées.  Une  si  grande  faveur 
augmenta  beaucoup  sa  dévotion  envers  ce  médecin  céleste.  Ainsi,  il  demanda  un  ossement  de  son 
corps,  et  l'ayant  obtenu  et  emporté  à  Rome,  il  y  fit  bâtir  en  son  honneur  une  belle  église  qu'il 
destina  pour  les  religieux  grecs.  Il  est  vrai  qu'il  n'eut  pas  le  temps  de  l'achever  ;  mais  Paul  Ier, 
son  frère,  y  mit  la  dernière  main,  et,  pour  satisfaire  à  l'intention  d'Etienne,  il  en  mit  les  Grecs  en 
possession.  On  l'appelait  communément  l'école  ou  le  collège  des  Grecs. 

Nos  rois  ont  commencé  à  honorer  saint  Denis  dès  qu'ils  ont  commencé  d'être  chrétiens.  Clovis 
le  Grand  apprit  cette  dévotion  de  son  épouse,  sainte  Clotilde,  et  l'on  tient  que  c'est  de  lui  qu'est 
venu  cet  ancien  cri  :  Mon  fou  saint  Denis,  qui  veut  dire  :  je  ne  connais  plus  Jupiter,  mais  mon 
Jupiter  est  saint  Denis.  Il  a  été  depuis  changé  en  cet  autre  :  Mont  joie-Saint-Denis.  Clotaire  II 
pardonna  à  son  fils  Dagobert,  contre  lequel  il  était  extrêmement  indigné,  en  considération  de  saint 
Denis,  à  qui  il  avait  eu  recours.  Le  même  Dagobert  ne  se  contenta  pas  de  bâtir  une  superbe  basi- 
lique en  son  honneur  ;  mais  il  fit  faire  aussi  trois  châsses  d'or  fin  et  enrichies  d'une  infinité  de 
perles  précieuses,  dont  on  croit  que  saint  Eloi  fut  l'ouvrier,  pour  enfermer  ses  reliques  et  celles 
de  saint  Rustique  et  de  saint  Eleuthère,  ses  compagnons.  Il  fit  couvrir  d'argent  la  partie  du  toit 
de  l'église  qui  devait  répondre  à  ces  châsses.  Et  pour  témoigner  davantage  son  respect  envers  son 
bienheureux  protecteur,  il  lui  fit  concession  de  son  royaume,  ne  voulant  plus  le  tenir  qu'en  fief  et 
en  hommage  de  lui.  En  foi  de  quoi,  il  mit  sa  propre  couronne  sur  l'autel  de  sa  chapelle,  avec 
quatre  besans  d'or,  comme  un  tribut  qu'il  lui  devait  en  qualité  de  vassal.  Pépin  le  Bref,  pre- 
mier roi  de  la  seconde  race,  avait  tant  d'estime  et  de  vénération  pour  ses  mérites,  qu'il  ne 
voulut  pas  être  enterré  dans  son  église,  mais  seulement  au  dehors,  à  l'exemple  de  Constantin  le 
Grand,  qui,  au  rapport  de  saint  Jean  Chrysostome,  choisit  sa  sépulture  à  la  porte  d'une  église  où 
il  y  avait  des  reliques  de  saint  Pierre.  Charlemagne,  son  fils,  et  le  plus  glorieux  de  nos  rois,  imita 
la  piété  de  Dagobert;  car,  avant  de  sortir  de  France  pour  aller  à  Aix-la-Chapelle,  en  Allemagne,  il 
lui  fit  hommage  de  ses  Etats  par  quelques  pièces  d'argent  qu'il  lui  offrit,  et  par  un  ordre  qu'il 
donna  à  ses  trésoriers  de  lui  payer  tous  les  ans  la  même  redevance.  On  ne  peut  rien  ajouter  aux 
éloges  que  Louis  le  Déhonnaire  lui  donne  dans  sa  lettre  à  l'abbé  Hilduin.  Il  y  fait  un  dénombre- 
ment des  grâces  que  les  rois,  ses  prédécesseurs,  avaient  reçues  de  sa  bienveillance,  et  il  avoue 
que  c'est  par  son  pouvoir  que  lui-même  avait  recouvré  son  royaume,  dont  les  princes,  ses  enfants, 
l'avaient  dépossédé.  Charles  le  Chauve,  dernier  fils  de  Louis  le  Débonnaire,  qu'il  avait  mis  en 
mourant  sous  la  tutelle  de  saint  Denis,  ne  fut  pas  moins  héritier  de  cette  insigne  piété  que  de  sa 
couronne.  Il  eut  toute  sa  vie  une  affection  très-tendre  pour  notre  Saint,  auquel  il  eut  recours  dans 
toutes  les  nécessités  de  son  Etat,  et,  ayant  dissipé  par  son  assistance  une  armée  formidable  de 
Danois  qui  venaient  saccager  la  France,  il  fit  en  reconnaissance  de  grands  présents  à  son  abbaye. 

Le  saint  roi  Robert,  dans  un  acte  authentique  de  plusieurs  donations  qu'il  fait  à  ce  monastère, 
assure  qu'il  y  a  longtemps  qu'il  a  mis  toute  sa  confiance  dans  l'intercession  de  ce  Saint  et  de  ses 
compagnons.  Nous  avons  déjà  remarqué  que  Louis  le  Gros  fit  construire  en  son  honneur  l'abbaye 
de  Montmartre,  près  de  Paris,  et  qu'il  alla  nu-pieds  à  Saint-Denis  pour  y  vénérer  ses  reliques;  mais 
ce  qui  est  plus  remarquable,  c'est  qu'il  présenta  lui-même  ses  épaules  royales  pour  les  porter,  et 
qu'il  ne  crut  pas  faire  tort  à  la  majesté  de  son  empire  de  se  charger  de  ces  précieux  ossements 
qui  doivent  un  jour  participer  à  la  gloire  que  l'âme  de  ce  bienheureux  Martyr  possède  déjà  dans 
le  ciel.  Louis  VII,  dit  le  Jeune,  fils  et  successeur  de  Louis  le  Gros,  se  chargea  du  même  fardeau  ; 
et,  sachant  combien  le  secours  d'un  si  grand  serviteur  de  Dieu  est  puissant  dans  les  armées,  il  ne 
voulut  point  quitter  la  France  pour  marcher  contre  les  Sarrasins,  sans  avoir  imploré  par  beaucoup 


206  9  OCTOBRE. 

de  larmes  sa  puissante  intercession  au  pied  de  ses  autels  et  sans  avoir  reçu  au  même  lieu  les 
étendards  bénits  qui  devaient  servir  de  signal  à  son  armée.  Philippe-Auguste  fit  la  même  chose  ; 
et,  attribuant  à  saint  Denis  tous  les  avantages  qu'il  avait  eus  depuis  dans  la  Terre  Sainte,  il  lui  en 
vint  rendre  des  actions  de  grâces  dans  sa  propre  église.  Saint  Louis,  qui  avait  réuni  en  lui  seul 
toute  la  piété  de  ses  ancêtres,  ne  leur  céda  point  en  ces  pratiques.  Dès  qu'il  fut  sacré,  il  apporta 
sa  couronne  sur  l'autel  de  saint  Denis,  et,  avant  de  passer  en  Palestine  et  en  Afrique,  il  vint  dans 
son  abbaye  l'intéresser  par  son  humilité  et  par  ses  prières  dans  ces  glorieuses  entreprises.  Enfin, 
pour  ne  pas  nous  étendre  davantage,  presque  tous  nos  rois  de  la  troisième  race  et  beaucoup  de  rois 
des  deux  précédentes,  ont  choisi  leur  sépulture  dans  cette  célèbre  basilique  de  Saint-Denis,  et  ils 
lui  ont  donné  tant  d'objets  sacrés  d'un  prix  inestimable,  qu'ils  composaient,  au  xvni°  siècle,  un 
des  plus  riches  trésors  qui  fût  en  Europe.  Le  monastère  de  Saint-Denis  avait  en  dépôt  l'Oriflamme, 
ce  célèbre  étendard  de  couleur  de  feu  et  parsemé  de  flammes  d'or,  que  l'on  croit  avoir  été  envoyé 
du  ciel,  qui  était  originairement  la  bannière  de  l'abbaye  de  Saint-Denis,  et  qui,  après  l'avènement 
des  Capétiens,  devint  la  bannière  de  la  France;  c'est  elle  qui  guidait  les  Français  a  la  victoire  au 
vieux  cri  de  guerre  :  Mont-Joie  et  Saint-Denis. 

Non-seulement  les  rois  de  France,  mais  des  princes  et  d'autres  personnages  furent  aussi  inhumés 
à  Saint-Denis.  Des  évêques  se  retirèrent  souvent  dans  ses  cloîtres  pour  y  finir  leurs  jours.  Nos  rois 
y  firent  souvent  ieur  séjour.  Il  se  tint  plusieurs  assemblées  ou  conciles  à  Saint-Denis,  savoir,  en 
997,  en  1052,  pour  constater  l'authenticité  du  corps  de  saint  Denis.  En  1382,  on  tint  sous  les 
voûtes  de  l'abbaye  une  conférence  au  sujet  des  impôts  dont  l'augmentation  avait  excité  une  sédition 
dans  Paris.  Le  pape  Alexandre  III  permit  à  l'abbé,  vers  l'an  1179,  de  faire  usage  de  la  mitre,  de 
l'anneau  et  des  sandales.  Guillaume  de  Gap  s'en  servit  le  premier.  L'abbé  de  Saint-Denis  était  un 
des  principaux  seigneurs  de  France.  Hugues  Capét  était  abbé  de  Saint-Denis  et  de  Saint-Riquier. 
Cette  antique  abbaye  subit  plusieurs  Réformes,  mais  son  voisinage  de  la  capitale  et  la  protection 
spéciale  des  souverains  la  préservèrent  de  ces  affreux  désastres  dont  tant  d'autres  monastères  furent 
victimes.  Nous  voyons  seulement  les  moines  de  Saint-Denis  s'exiler  de  leur  cloître,  au  temps  des 
guerres  des  Normands,  et  se  réfugier  a  Reims  (de  887  à  890)  avec  les  reliques  de  leur  saint  patron. 

Le  rétablissement  des  commendes  dans  Saint-Denis  au  début  du  xvie  siècle  plaça  successivement 
dans  la  chaire  abbatiale  du  monastère  neuf  princes  de  l'Eglise,  dont  le  cardinal  de  Retz  devait  être 
le  dernier.  Dans  cette  période  de  plus  d'un  siècle,  les  deux  palais  abbatiaux  de  Bourbon  et  de  Lor- 
raine furent  construits  dans  la  clôture  ;  dans  le  même  intervalle  aussi  la  mense  abbatiale  s'accrut 
aux  dépens  de  celle  des  religieux,  le  monastère  s'appauvrit,  et  la  discipline  monastique  ne  garda 
plus  de  sectateurs  dans  l'abbaye  dégénérée.  En  1633,  la  Réforme  de  Saint-Maur  ravivé.',  mais  tar- 
divement, l'esprit  de  la  Règle  et  le  goût  des  lettres.  Cependant,  à  raison  de  son  contact  perpétuel 
avec  le  roi  et  la  cour,  le  monastère,  déjà  ravagé  par  les  Huguenots  pendant  la  guerre  des  trois 
Henri,  fut  de  nouveau  presque  ruiné  durant  les  troubles  de  la  Fronde.  Il  aliénait  ses  domaines  pour 
couvrir  ses  nombreux  emprunts,  et  ses  édifices  tombaient  en  ruines  à  la  mort  de  l'abbé  cardinal 
de  Retz.  L'événement  qui  influa  alors  davantage  sur  l'avenir  de  Saint-Denis  ne  fut  point  le  report 
de  sa  mense  abbatiale  sur  celle  de  la  maison  de  Saint-Cyr,  mais  la  suppression  du  titre  et  de  la 
dignité  de  l'abbé  en  1691.  En  détachant  du  monastère  tout  ce  que,  depuis  tant  de  siècles,  cette 
dignité  avait  réuni  de  prérogatives,  de  privilèges,  de  juridiction  extérieure,  de  suprématie  et  d'au- 
torité sur  cette  abbaye  souveraine,  cet  arrêt  ne  lui  ôtait  qu'un  éclat  toujours  fatal  à  sa  discipline 
et  à  sa  régularité  ;  mais,  en  lui  enlevant  son  chef,  il  la  privait  subitement  de  son  protecteur  obligé 
et  de  la  puissance  la  plus  intéressée  et  la  plus  apte  à  défendre.  Du  reste,  son  temps  était  fini.  La 
Révolution  française,  qui  déjà  grondait  sourdement,  décida  la  chute  de  cet  arbre  chargé  de  siècles, 
mais  bouillonnant  de  jeune  sève  à  cette  heure  où  il  reverdissait. 

C'est  à  l'expiration  du  xvn»  siècle  que  les  Bénédictins  de  Saint-Denis  s'occupèrent  sérieusement 
de  démolir  leur  abbaye  pour  accomplir  la  reconstruction  de  ses  édifices.  La  démolition  du  vieux 
monastère  commença,  en  1700,  sous  le  grand  priorat  de  Dom  Augustin  de  Loo,  et  les  travaux  se 
poursuivirent  sous  seize  autres  grands  prieurs  successifs,  dont  les  plus  actifs  furent  Dom  de  Saint- 
Marthe,  Dom  du  Biez  et  Dom  de  Malaret.  Le  plan  du  nouveau  monastère  est  l'œuvre  de  Robert  de 
Cotte,  élève  du  Hugues  Mansart  ;  celui  des  bâtiments  circulaires  qui  environnent  la  cour  d'honneur 
est  dû  à  un  autre  architecte  son  successeur,  Christofle  père.  Les  dortoirs  du  sud  et  de  l'est,  la 
salle  capitulaire,  le  parlement  et  le  réfectoire  furent  inaugurés  en  décembre  1718;  l'hôtellerie,  après 
1738  ;  la  galerie  du  nord  et  l'infirmerie,  en  1765,  et  les  travaux  accessoires  s'achevaient  en  1786, 
sept  ans  seulement  avant  l'époque  où  les  maîtres  de  ces  demeures  subirent  l'exil  et  la  mort. 

L'année  1789  fut  l'époque  des  premiers  effets  des  passions  populaires  dans  la  ville  de  Saint- 
Denis.  Le  16  septembre  1792,  la  basilique  fut  déclarée  église  paroissiale  par  l'autorité  séculière,  et 
reçut  un  clergé  étranger.  C'est  un  an  plus  tard  seulement  qu'eurent  lieu  le  pillage  et  l'enlèvement 
du^trésor,  le  dépôt  le  plus  rare  et  le  plus  magnifique  qui  fût  alors  en  France.  Un  mois  après,  un 
décret  émané  de  l'autorité  déclarait  que  la  ville  de  Saint-Denis  s'appellerait  dorénavant  Denis- 
Franciade.  Le  6  août  1794,  commença  la  violation  et  la  spoliation  des  tombes  royales.  Ce  sacri- 
lège sans  exemples  se  prolongea  plus  de  deux  mois.  Dans  le  cours  de  cette  année  désastreuse,  la 
basilique  profanée  avait  vu  substituer  dans  ses  murs  les  fêtes  décadaires  aux  cérémonies  chrétiennes. 
Tour  à  tour  temple  de  la  Raison,  dépôt  d'artillerie,  théâtre  de  saltimbanques,  magasin  de  fourrages, 


S.   DENIS  L'ARÉOPAGITE,   S.   RUSTIQUE  ET  S.   ÉLEUTHÈRE,   MARTYRS.  207 

dépouillée  de  ses  vitraux,  de  ses  monuments  et  de  sa  toiture,  elle  recela  quelque  temps  des  mou- 
lins k  bras.  On  en  établit  simultanément  dans  l'intérieur  de  l'abbaye,  devenue  le  siège  du  club 
révolutionnaire  et  des  administrateurs  du  district.  L'année  1795  balaya  ces  envahisseurs,  et  le 
manastère  fut  transformé  en  hôpital  militaire  pour  les  blessés  des  armées  républicaines. 

Aujourd'hui  les  anciens  bâtiments  claustraux  sont  occupés  par  la  maison  d'éducation  des  filles 
des  membres  de  la  légion  d'honneur,  et  la  vénérable  basilique  de  Saint-Denis  brille  k  son  tour  d'un 
nouvel  éclat.  Grâce  à  une  habile  restauration,  à  laquelle  se  sont  empressés  de  concourir  tous  les 
gouvernements  qui  se  sont  succédé  depuis  cinquante  années,  elle  rappelle  aujourd'hui  son  ancienne 
magnificence-  Un  illustre  Chapitre  de  Chanoines,  attaché  k  ce  poste  d'honneur,  est  chargé  de  prier 
sur  les  anciennes  tombes  de  nos  rois. 

Saint  Suibert,  apôtre  des  Frisons,  le  bienheureux  Notger,  évêque  aux  Pays-Bas,  et  sainte  Edithe, 
sœur  de  saint  Edouard,  roi  d'Angleterre  et  martyr,  firent  tous  trois  bâtir  des  églises  magnifiques 
en  son  honneur.  Un  autre  saint  Edouard,  aussi  roi  d'Angleterre  et  confesseur,  fit  présent  à  son 
abbaye  de  France  d'une  seigneurie  fort  considérable  au  comté  d'Oxford  ;  sainte  Brigitte  mérita  que 
ce  glorieux  apôtre  des  Gaules  apparût  pour  lui  déclarer  les  volontés  de  Dieu  sur  sa  personne  et  sur 
celle  du  prince  Wulfon,  son  mari  ;  la  vénérable  Adèle,  femme  de  Louis  le  Gros,  étant  devenue  veuve 
de  ce  roi,  se  retira  à  Montmartre,  où  elle  passa  le  reste  de  sa  vie  dans  le  service  du  Saint. 

Plusieurs  martyrologes,  entre  autres  ceux  d'Usuard  et  l'ancien  romain  de  Rosweide,  marquent 
deux  fois  la  mémoire  de  saint  Denis,  savoir  :  le  3  octobre  à  Athènes,  et  le  9  du  même  mois  à 
Paris.  Mais  il  ne  faut  pas  inférer  de  là  que  celui  d'Athènes  et  celui  de  Paris  sont  deux  Saints  dif- 
férents, comme  on  ne  distingue  pas  beaucoup  d'autres  Saints  qui  sont  marqués  deux  fois  dans  un 
même  martyrologe.  Usuard  en  a  usé  ainsi,  parce  qu'il  a  trouvé  la  fête  de  cet  illustre  Martyr  célé- 
brée par  les  Grecs  et  les  Latins  en  divers  jours  ;  ce  qui  n'est  que  trop  ordinaire  en  une  infinité 
d'autres  Saints. 

On  gardait,  avant  la  Révolution  française,  les  reliques  de  saint  Denis,  de  saint  Rustique  et  de 
saint  Eleuthère  dans  trois  châsses  d'argent,  à  l'abbaye  de  Saint-Denis.  A  cette  époque,  le  trésor  de 
l'abbaye  fut  pillé,  mais  les  saintes  reliques  furent  sauvées  de  la  profanation  par  dom  Warenflot, 
religieux  de  la  maison,  cachées  avec  soin  et  déposées  ensuite  dans  l'église  paroissiale  de  Saint- 
Denis,  en  1795.  Elles  furent  transférées  avec  beaucoup  de  solennité  dans  l'église  de  l'ancienne 
abbaye,  le  26  mai  1819,  et  elles  y  sont  maintenant  conservées  dans  des  châsses  de  bronze  doré. 
L'église  métropolitaine  de  Paris  possède  un  ossement  de  son  saint  fondateur. 

Dans  le  diocèse  de  Soissons,  au  village  de  Longpont  (Longus  pons),  k  trois  lieues  de  Villers- 
Cotterets,  se  conserve  religieusement,  non  pas  caput  integrum,  comme  le  disent  peu  exactement 
les  Bollandistes,  mais  le  crâne  tout  entier  de  saint  Denis  l'Aréopagite,  et  cela  depuis  l'année  1205, 
sans  interruption  ni  conteste. 

Voici  l'origine  et  les  preuves  de  son  existence  dans  l'abbaye  des  Bernardins  de  Longpont. 
Nivelon  Ier  de  Cherizy,  cinquante-neuvième  ou  soixantième  évêque  de  Soissons  (1175-1207)  et 
ancien  chanoine  de  la  cathédrale  de  la  même  ville,  se  croisa  en  1202,  sous  le  règne  de  Philippe- 
Auguste,  accompagna  les  croisés  k  Constantinople  et  joua  un  grand  rôle  dans  cette  expédition 
qui  est  la  quatrième  croisade.  Après  la  prise  de  Constantinople,  il  présida  l'assemblée  des  douze 
électeurs  qui  choisirent  pour  empereur  latin  de  cette  ville  le  seigneur  Baudouin,  comte  de  Flandre 
et  de  Hainaut.  Ce  fut  Tévêque  de  Soissons  qui  le  couronna  dans  l'église  de  Sainte-Sophie.  Nivelon 
profita  de  cette  circonstance  pour  enrichir  de  diverses  reliques  sa  cathédrale  et  plusieurs  églises 
de  son  diocèse.  Il  apporta  lui-même  à  l'abbaye,  apud  Longum  pontem  :  Caput  beati  Dionysii 
Areopagitx,  cum  unâ  cruce  de  ligno  Domini.  Tels  sont  les  propres  termes  qu'on  peut  lire 
encore  à  la  bibliothèque  impériale  de  Paris,  dans  un  manuscrit  du  xme  siècle,  appelé  Rituel  de 
Nivelon.  La  société  archéologique  de  Soissons  Ta  fait  imprimer  en  1856.  Il  forme  un  magnifique 
vol.  in-4°  rouge  et  noir. 

A  partir  de  Constantin,  les  empereurs  grecs  avaient  réuni  beaucoup  de  reliques  dans  la  chapelle 
impériale.  C'est  de  cette  chapelle  même  que  Nivelon  a  tiré  le  chef  de  saint  Denis  l'Aréopagite,  et 
c'est  l'empereur  Baudouin  qui,  par  un  sentiment  de  reconnaissance,  le  lui  a  cédé  avec  beaucoup 
d'autres  reliques.  La  relique  de  Longpont  est  le  crâne,  c'est-à-dire  le  sinciput  ou  le  front,  l'occi- 
put et  les  deux  côtés  sans  aucune  fracture  (sine  ullâ  fractura)  de  saint  Denis.  Les  mots  grecs 
suivants  se  lisent  sur  le  crâne  :  Ke?aX>j  tou  ocyiou  Mowoiov  'Apeo-nayiT.  (Ce  dernier  mot  n'est  pas 
achevé.  L'écriture  parait  très-ancienne.  Il  n'est  pas  étonnant  que  Longpont  ait  eu  la  préfé- 
rence pour  la  possession  de  cette  relique,  les  père  et  mère  de  Nivelon  étant  seigneurs  de  ce 
village. 

Il  est  fait  mention  de  cette  portion  de  tète  dans  tous  les  ouvrages  qui  parlent  de  l'abbaye  de 
Longpont.  On  lit  dans  une  ancienne  prose  :  Nostri  tenent  cœnobitœ  caput  Areopagitœ.  Muldrac, 
dans  son  Chronicon,  imprimé  en  1652,  dit  :  Cœnobium  Longipontis  parte  notabili  capitis 
S.  Dionysii  Areopagitse  exornavit  (Nivelo).  Or,  Muldrac  était  religieux  de  Longpont  depuis 
l'âge  de  seize  ans.  Dans  son  Valois-Royal,  édité  en  1662,  il  dit  :  «  Longpont  se  console  encore 
de  posséder  une  bonne  partie  du  chef  de  saint  Denis,  Aréopagite  ».  Les  bréviaires  du  diocèse, 
celui  de  Charles  Bourlon,  sous  Louis  XIV  ;  celui  de  M.  de  Fitzjames  en  1742  ;  le  bréviaire  de 
Pans  en  1700,  constatent  le  même  fait.  De  plus,  le  général  de  l'Ordre  de  Citeaux  ayant  demandé. 


20R  9  OCTOBRE. 

en  1690,  qu'on  fit  une  reconnaissance  authentique  de  cette  relique,  la  châsse  fut  ouverte  et  on 
trouva  que  tout  était  conforme  à  ce  que  nous  avons  indiqué  plus  haut.  Les  Bollandistes,  dans  le 
2e  tome  d'octobre,  édité  en  1780,  transcrivaient  en  entier  le  procès-verbal  dressé  à  cette  occa- 
sion, et  qui  est  signé  de  noms  connus  dans  la  contrée  :  MM.  Quinquet  et  Lallouette.  VHistoire 
du  Valois,  par  Carlier,  fait  également  mention  de  cette  relique  comme  existant  à  l'abbaye  de 
Longpont. 

A  l'époque  désastreuse  de  la  révolution  de  1793,  le  chef  de  saint  Denis  et  la  petite  châsse  ou 
coffret  qui  le  renfermait  ont  été  sauvés  du  pillage,  cachés  soigneusement  par  la  famille  du  sacris- 
tain et  portier  du  couvent.  C'est  un  fait  qui  est  de  notoriété  publique  dans  le  pays.  Au  rétablis- 
sement du  culte,  ce  précieux  trésor  fut  remis  au  curé  chargé  de  desservir  la  paroisse  de  Long- 
pont,  lequel  l'a  transmis  religieusement  à  ses  successeurs. 

Le  petit  coffret  qui  renferme  encore  aujourd'hui  le  crâne  de  saint  Denis  l'Aréopagite  est  celui-là 
même  qui  l'a  renfermé  depuis  le  xme  siècle.  Sa  structure  porte  tous  les  caractères  de  cette 
époque.  Il  est  en  argent  damasquiné,  d'un  travail  exquis,  long  de  vingt-deux  centimètres  sur 
treize  de  large.  Avant  la  révolution,  ce  coffret  d'argent  était  renfermé  dans  une  autre  châsse 
d'ivoire  artistement  travaillée  et  ornée  de  cristaux  et  de  statuettes  en  argent.  Aujourd'hui  ce  même 
coffret  est  au  milieu  d'une  châsse  de  bois  doré,  de  cinquante-six  centimètres  de  long  sur  trente- 
neuf  de  large.  Le  comble  est  surmonté  d'un  clocheton  terminé  par  une  croix. 

Le  dimanche  4  octobre  1846,  Mgr  Jules-François  de  Simony,  quatre-vingt-treizième  évêque  de 
Soissons,  s'est  transporté  lui-même  à  Longpont,  et  là,  en  présence  d'un  nombreux  clergé  et  des 
divers  membres  de  la  famille  de  M.  le  comte  de  Montesquiou,  il  procéda  à  la  reconnaissance  so- 
lennelle de  la  relique.  Après  l'audition  des  témoins  qui  l'avaient  vénérée  avant  la  révolution  et  de 
ceux  dont  les  parents  avaient  contribué  à  la  soustraire  à  la  profanation,  le  chef  de  saint  Denis 
l'Aréopagite  fut  déclaré  authentique,  procès-verbal  fut  dressé  et  signé  par  l'évêque  et  par  toute  sa 
noble  assistance  ;  enfin  le  sceau  épiscopal  fut  apposé  sur  la  double  châsse  que  l'on  peut  voir 
exposée,  près  de  celle  de  Jean  de  Montmirail,  dans  l'église  du  château  qui  sert  au  culte  parois- 
sial. La  magnifique  église  du  monastère  était  presque  aussi  vaste  que  la  cathédrale  de  Soissons. 
Elle  avait  trois  cent  vingt-huit  pieds  de  long,  quatre-vingt-deux  de  large,  quatre-vingt-quatre 
d'élévation  et  cent  cinquante-cinq  pieds  à  la  croisée.  Ses  majestueuses  ruines  et  les  curiosités  du 
château  attirent  chaque  année  à  Longpont  de  nombreux  visiteurs. 

Les  écrits  qui  nous  restent  de  saint  Denis  sont  :  Ses  livres  de  la  Hiérarchie  céleste,  de  la 
Hiérarchie  ecclésiastique,  des  Noms  divins  et  de  la  Théologie  mystique,  avec  huit  lettres  à 
diverses  personnes  ;  mais  nous  avons  perdu  ce  qu'il  avait  écrit  de  la  théologie  symbolique,  de 
l'âme,  des  hymnes  sacrées,  des  informations  de  la  théologie,  du  juste  jugement  de  Dieu  et  des 
choses  qui  se  connaissent  par  le  sens  ou  par  l'intelligence.  Le  cardinal  Bellarmin,  parlant  de  ceux 
qui  restent,  ne  fait  point  difficulté  de  dire  que  les  hommes  doctes  et  catholiques  tiennent  indubi- 
tablement qu'ils  sont  de  saint  Denis  l'Aréopagite,  et  qu'il  n'y  a  que  les  hérétiques  avec  quelques 
demi-savants  qui  le  nient.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'établir  cette  vérité  historique  :  disons  seule- 
ment que  les  papes  saint  Grégoire  le  Grand,  saint  Martin,  saint  Agathon,  Adrien  et  Nicolas  Ier,  et 
plusieurs  Conciles  généraux  avec  un  grand  nombre  de  Pères  et  de  Docteurs,  entre  autres  saint 
Sophrone,  patriarche  de  Jérusalem,  saint  Anastase  le  Sinaîte,  le  bienheureux  Albert  le  Grand,  saint 
Thomas  et  saint  Bonaventure  lui  ont  attribué  ces  ouvrages.  Il  semble  même  que  Dieu  ait  voulu 
confirmer  cette  vérité  par  des  miracles  :  car,  lorsque  ces  précieux  livres,  dont  l'empereur  Michel 
le  Bègue  envoya  les  manuscrits  à  Louis  le  Débonnaire,  furent  apportés  à  Saint-Denis  par  un  de  ses 
légats,  Théodore,  diacre  et  économe  de  l'Eglise  de  Constantinople,  la  nuit  même  il  se  fit,  par  leur 
vertu,  dix-neuf  guérisons  miraculeuses  sur  des  personnes  fort  connues  et  qui  ne  demeuraient  pas 
loin  de  l'abbaye  ;  deux  siècles  après,  saint  Mayeul,  abbé  de  Cluny,  étant  venu  à  Saint-Denis,  et 
ayant  demandé  le  livre  de  la  Hiérarchie  céleste  pour  le  lire,  la  bougie  qu'il  tenait  à  la  main,  et 
qu'il  laissa  tomber  dessus  par  assoupissement,  s'usa  et  se  consuma  entièrement,  non-seulement  sans 
le  brûler,  mais  même  sans  y  laisser  aucune  tache.  Les  ouvrages  de  saint  Denis  ont  été  traduits  par 
Mgr  Darboy,  archevêque  de  Paris. 

Nous  avons  complété  cette  biographie,  avec  des  Notes  dues  a  M.  Henri  Congnet,  du  chapitre  de  Sois- 
sons, et  avec  l'Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Denis,  par  Mme  Félicie  d'Ayzac.  —  Cf.  Baronius  ;  Siméon 
Métaphraste;  Methodius;  le  R.  P.  Pierre  Halloix,  et  l'abbé  Darras  :  Saint  Denis  VAréopagite,  uu  vol.  ia-8», 
Paris,  Louis  Vives,  1863. 


SAINT   GHISLAIN   OU   GUILLATN,   ÉVÊQUE   D'ATHÈNES.  209 


SAINT  GHISLAIN  OU  GUILLAIN, 

ÉVÊQUE  D'ATHÈNES,  FONDATEUR  DU  MONASTÈRE  DE  LA  CELLE,  EN  BELGIQUE 
680.  —  Pape  :  Agathon.  —  Roi  de  France  :  Thierry  III. 


Sanctorum  prxdicalio  solo  charitatis  ardore  flam- 

mescit. 
C'est  l'ardeur  de  la  charité  seule  qui  enflamme 

la  prédication  des  Saints. 

Saint  Grégoire  le  Grand. 

Le  nom  de  saint  Ghislain  est,  sans  contredit,  un  des  plus  illustres  entre 
tous  ceux  des  apôtres  étrangers  qui  vinrent  prêcher  la  foi  dans  la  Gaule- 
Belgique.  Il  reçut  le  jour  dans  l'Attique,  de  parents  nobles  selon  le  monde 
et  également  distingués  par  leur  vertu.  Tous  les  auteurs  sont  d'accord  sur 
le  lieu  de  sa  naissance,  et  quoique  son  nom  paraisse  plutôt  d'origine  franque 
que  grecque,  ils  disent  qu'il  faut  supposer  ou  que  saint  Ghislain  le  changea 
quand  il  arriva  dans  ce  pays,  ou  bien  qu'il  descendait  d'un  de  ces  Francs 
qui,  pendant  les  invasions  barbares,  s'établirent  dans  la  Grèce,  où  ils  avaient 
été  envoyés  comme  ambassadeurs  par  les  premiers  chefs  mérovingiens.  Son 
heureux  naturel  lui  fit  faire  de  bonne  heure  de  rapides  progrès  dans  les 
études,  et  plus  encore  dans  la  piété,  vers  laquelle  le  portait  son  cœur  inno- 
cent. Il  paraît  que  plus  tard  on  l'envoya  suivre  les  cours  d'Athènes  qui,  bien 
que  déchue  de  son  ancienne  splendeur,  était  toujours  la  mère  des  arts  et 
des  belles-lettres  dans  la  contrée.  Le  jeune  étudiant  y  continua  les  beaux 
exemples  qu'avaient  donnés,  quelques  siècles  auparavant,  saint  Grégoire  de 
Nazianze  et  saint  Basile.  Gomme  eux  il  savait  pratiquer  la  vertu  malgré  les 
séductions  qui  l'environnaient,  et  vivre  d'une  manière  irréprochable  au  mi- 
lieu de  jeunes  gens  livrés  au  vice.  Ne  trouvant  auprès  des  docteurs  de  ces 
écoles,  au  lieu  de  la  vérité  qu'il  cherchait,  qu'une  sagesse  toute  terrestre, 
il  résolut  de  s'attacher  uniquement  à  Dieu  et  embrassa  la  vie  religieuse 
dans  un  monastère  de  l'Ordre  de  Saint-Basile.  On  reçut  avec  joie  ce  jeune 
disciple  qui  portait  l'innocence  empreinte  sur  le  front  et  dont  toute  la  con- 
duite annonçait  un  homme  rempli  de  l'esprit  de  Dieu.  Saint  Ghislain  eut 
promptement  justifié  cette  haute  opinion  qu'on  avait  de  son  mérite  :  à  peine 
fut-il  admis  dans  la  communauté,  qu'on  vit  briller  en  lui  les  plus  belles  qua- 
lités unies  aux  plus  rares  vertus.  D'une  foi  vive  et  inébranlable,  d'une  humi- 
lité qui  le  portait  à  se  mettre  au-dessous  de  tous  ses  frères,  il  était  toujours 
disposé  à  leur  rendre  les  services  de  la  plus  affectueuse  charité.  Ses  paroles 
respiraient  l'amour  de  Dieu,  et  tous  ceux  qui  l'approchaient  trouvaient  dans 
sa  personne  un  charme  innocent  qui  les  attachait  et  les  enflammait  d'ar- 
deur pour  l'imiter.  Aussi  le  nouveau  religieux  faisait-il  la  consolation  de  ses 
frères  dans  le  monastère.  Lui-môme  remerciait  sans  cesse  la  Providence 
qui  lui  avait  inspiré  la  pensée  salutaire  d'embrasser  un  si  saint  état.  Il  trou- 
vait ce  que  son  cœur  avait  souvent  demandé  à  Dieu,  une  vie  réglée  et  con- 
forme en  tout  à  ses  volontés  adorables.  Semblable  à  une  industrieuse 
abeille,  il  cachait  dans  son  cœur  le  miel  composé  des  plus  précieuses  vertus, 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  14 


210  9   OCTOBRE. 

et  offrait  dans  toute  sa  conduite  d'admirables  exemples  d'obéissance  et 
d'humilité.  Ce  doux  parfum  qui  embaumait  son  âme  lui  permettait  de  dire 
comme  le  Roi-prophète  :  «  Vos  paroles  sont  douces  à  ma  bouche,  Seigneur, 
elles  sont  plus  douces  que  le  miel  et  son  rayon  ».  Une  sainteté  si  éminente, 
dans  un  âge  encore  peu  avancé,  fit  impression  sur  l'esprit  des  supérieurs, 
qui  ne  pouvaient  douter  que  Dieu  n'eût  sur  le  jeune  Ghislain  de  grands  des- 
seins. Ils  jugèrent  qu'il  était  digne  d'être  promu  aux  ordres  sacrés,  au  sa- 
cerdoce même,  auquel,  malgré  toutes  les  résistances  de  son  humilité,  il  dut 
se  préparer.  Des  auteurs  pensent  même  qu'il  fut  placé,  quelques  années 
plus  tard,  sur  le  siège  épiscopal  d'Athènes  % 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  circonstance  de  sa  vie  sur  laquelle  les  hagio- 
graphes  ne  s'accordent  pas,  saint  Ghislain  ne  gouverna  pas  longtemps  cette 
église.  Un  jour  qu'il  était  en  prière,  une  vision  lui  fit  connaître  qu'il  devait 
aller  à  Rome  rendre  ses  hommages  aux  saints  Apôtres  et  à  leur  successeur. 
Il  ne  paraît  pas  que  cette  révélation  lui  eût  indiqué  dès  lors  le  pays  de  Hai- 
naut  où  il  vint  ensuite.  Plein  de  confiance  en  Dieu  et  de  soumission  à  sa 
volonté,  il  se  hâta  d'obéir  à  cet  ordre  du  ciel  ;  et  ayant  pris  avec  lui  un  cer- 
tain nombre  de  ses  disciples,  il  se  dirigea  vers  Rome  avec  les  sentiments 
d'un  digne  pèlerin.  Arrivé  dans  la  capitale  du  monde  chrétien,  saint  Ghis- 
lain visita  toutes  les  églises,  les  oratoires  et  les  lieux  sanctifiés  par  les  souf- 
frances des  martyrs.  Prosterné  au  pied  du  tombeau  des  apôtres  saint  Pierre 
et  saint  Paul,  il  leur  rendit  tous  les  témoignages  du  plus  filial  attachement. 
C'est  là  que  le  Seigneur  lui  manifesta  de  nouveau  sa  volonté,  en  lui  disant 
de  passer  les  Alpes  et  les  autres  pays  au  nord  de  ces  montagnes,  jusqu'à  ce 
qu'il  rencontrât  une  province  appelée  Hainaut,  où  il  fixerait  sa  demeure. 
Soumis  aux  desseins  de  Dieu,  le  saint  Apôtre  renvoya  alors  dans  leur  pays 
tous  les  disciples  qui  l'avaient  accompagné,  à  la  réserve  de  deux,  Lambert 
et  Bellère,  avec  qui  il  se  dirigea  vers  les  lieux  que  le  Seigneur  lui  avait  indi- 
qués. En  arrivant  dans  les  contrées  voisines  du  Hainaut,  saint  Ghislain  en- 
tendit prononcer  le  nom  d'un  serviteur  de  Dieu  dont  l'éloge  était  sur  toutes 
les  lèvres.  C'était  saint  Amand,  alors  évoque  de  Maëstrieht,  homme  admi- 
rable par  les  travaux  qu'il  avait  déjà  accomplis  et  les  nombreux  monas- 
tères qu'il  fondait  en  tous  lieux.  Frappé  de  tout  ce  qu'on  disait  de  lui,  saint 
Ghislain  se  dirigea  avec  ses  disciples  vers  ce  saint  Pontife,  qu'il  trouva  dans 
sa  ville  épiscopale.  Après  avoir  conversé  ensemble  et  s'être  édifiés  et  encou- 
ragés mutuellement,  saint  Ghislain  se  retira  et  alla  dans  le  Hainaut  com- 
mencer un  monastère  à  l'endroit  où  l'on  voit  aujourd'hui  la  ville  qui  porte 
son  nom.  Ce  lieu  était  alors  appelé  Ursidongus,  Ursidongue  (retraite  de 
l'ours  ou  de  l'ourse).  Ses  vertus  attirèrent  bientôt  auprès  de  lui  des  habi- 
tants du  pays,  à  qui  il  enseignait  les  principes  de  la  vie  chrétienne.  On  ne 
pouvait  assez  admirer  sa  profonde  humilité,  son  inaltérable  douceur,  sa 
prière  presque  continuelle,  et  son  infatigable  ardeur  au  travail.  Déjà  plu- 
sieurs personnes,  touchées  de  sa  sainteté,  voulaient  s'attacher  à  lui  et  vivre 
sous  sa  conduite  :  tous  se  réjouissaient  en  voyant  s'élever  dans  la  contrée 
un  monastère  qui  serait  dirigé  par  cet  homme  de  Dieu.  Sa  réputation  ne 
tarcla  pas  à  parvenir  jusqu'aux  oreilles  de  saint  Aubert,  évêque  de  Cambrai, 

1.  On  peut  voir  dans  les  Acta  Sanctorum  Belgii,  la  discussion  de  cette  particularité  de  la  vie  de  saint 
Ghislain  sur  laquelle  les  critiqnes  sont  fort  partagés.  Les  raisons  qu'apporte  le  docte  J.  Ghesquière,  qui 
croit  que  saint  Ghislain  n'était  point  évâque,  sont  incontestablement  très-fortes;  d'un  autre  côté,  des 
auteurs  d'un  grand  poids  soutiennent  l'opinion  contraire,  et  c'est  celle  de  toutes  les  églises  qui  font 
l'office  du  Saint  de  temps  immémorial.  S'ils  ne  peuvent  répondre  à  toutes  les  objections  qui  leur  sont 
faites,  ne  semble-t-il  pas  qu'il  serait  bien  difficile  aussi  de  renverser  les  raisons  et  la  tradition  sur  les- 
Guettes  ils  s'appuient  ? 


SAINT  GHISLAIN  OU  GUILLAIN,  ÉVÊQUE  D* ATHÈNES.  211 

dont  ce  lieu  dépendait.  Le  prélat  voulut  connaître  le  pieux  étranger  qui 
instruisait  et  édifiait  ainsi  ses  ouailles.  Il  le  fit  prier  de  venir  auprès  de  lui. 
Saint  Ghislain,  dont  les  désirs  étaient  prévenus  par  cette  demande,  eut  hâte 
de  se  rendre  près  du  vénérable  évêque.  S'étant  mis  en  route,  il  arriva  le 
soir  dans  un  village  appelé  Roisin,  entre  les  villes  actuelles  de  Saint-Ghis- 
lain  et  du  Quesnoy.  Là,  après  avoir  cherché  quelque  temps,  il  trouva  un 
homme  de  bien  qui  s'empressa  de  lui  donner  l'hospitalité.  Le  matin,  au 
moment  où  il  se  disposait  à  continuer  sa  route,  son  hôte  lui  dit  :  «  Mon 
Père,  je  reconnais  que  vos  œuvres  sont  agréables  à  Dieu  ;  je  vous  supplie 
donc  de  vouloir  bien  revenir  chez  moi  lorsque  vous  aurez  terminé  votre 
visite  auprès  de  l'évêque  ».  Cette  demande,  où  se  révélait  la  piété  de  cet 
homme  simple  et  droit,  fut  accueillie  de  saint  Ghislain  avec  joie.  Dieu  plus 
tard  la  récompensera  par  une  guérison  inespérée.  Arrivé  à  Cambrai,  saint 
Ghislain  fut  présenté  à  saint  Aubert  qui  lui  adressa  ces  paroles  :  «  Mon  frère, 
dites-moi  qui  vous  êtes  et  quelle  est  votre  dignité  ?»  —  «  Je  suis  grec  de 
nation  »,  répondit  saint  Ghislain,  «  et  chrétien  par  le  caractère  :  je  suis  né, 
j'ai  été  baptisé  et  élevé  à  Athènes.  C'est  de  cette  ville  que,  par  l'ordre  de 
Dieu,  je  suis  venu  d'abord  à  Rome,  puis  vers  ce  pays.  Dans  un  lieu  placé 
sur  la  rivière  de  Haine  et  qu'on  appelle  Ursidongus,  j'ai  entrepris  de  cons- 
truire, en  l'honneur  de  Dieu,  un  oratoire  dédié  à  saint  Pierre  et  à  saint 
Paul,  et  votre  bonté  a  prévenu  l'intention  que  j'avais  de  me  rendre  auprès 
de  vous,  pour  vous  demander  la  permission  d'achever  cette  œuvre  que  j'a- 
vais commencée  ».  Ces  .paroles  si  sages  firent  impression  sur  le  cœur  du 
saint  évêque  de  Cambrai,  qui  se  sentit  aussitôt  pénétré  de  respect  et  d'af- 
fection pour  le  vertueux  étranger.  Il  l'encouragea  beaucoup  dans  son  en- 
treprise, et  lui  promit  qu'il  irait  le  Visiter  et  bénir  son  oratoire  aussitôt 
qu'il  serait  achevé.  Comblé  de  joie  par  cette  promesse,  saint  Ghislain  se  mit 
en  chemin  pour  revenir  à  Ursidongus.  Selon  la  parole  qu'il  avait  donnée,  il 
s'arrêta  à  Roisin  chez  l'hôte  charitable  qui  l'avait  reçu  à  son  passage  ;  mais 
cet  homme,  dont  l'épouse  commençait  à  ressentir  les  douleurs  de  l'enfante- 
ment, chercha  dans  le  voisinage  et  procura  à  l'homme  de  Dieu  une  habita- 
tion plus  convenable  pour  y  passer  la  nuit.  A  peine  était-il  rentré  dans  sa 
demeure,  qu'il  accourut  tout  éperdu  auprès  de  saint  Ghislain  :  «  Serviteur 
de  Dieu  »,  s'écrie-t-il,  «  venez  au  secours  de  mon  épouse  qui  va  mourir  ; 
daignez  prier  Dieu  pour  elle  ».  Touché  jusqu'au  fond  de  l'âme  par  cette 
voix  suppliante,  le  Saint  lui  répondit  avec  bonté  :  a  Cessez  de  vous  livrer  à 
la  tristesse,  car  quand  vous  rentrerez  chez  vous,  vous  trouverez  votre 
épouse  en  pleine  santé,  et  elle  vous  aura  donné  un  fils  *  ».  La  parole  de 
l'homme  de  Dieu  eut  sur-le-champ  son  accomplissement  ;  ce  qui  causa  une 
joie  inexprimable  dans  toute  la  famille  et  le  village.  Le  Saint  baptisa  lui- 
même  l'enfant,  et  le  père,  afin  de  témoigner  sa  reconnaissance,  donna  une 
partie  de  ses  biens  pour  l'achèvement  de  l'église  de  Saint-Pierre  et  de  Saint- 
Paul  dans  le  nouveau  monastère. 

Revenu  auprès  de  ses  disciples,  saint  Ghislain  acheva  avec  joie  les  tra- 
vaux si  heureusement  commencés.  Puis,  quand  tout  fut  préparé  pour  la 
consécration,  il  envoya  un  message  au  vénérable  évêque  de  Cambrai. 
aPère  »,lui  disait-il,  «  le  temps  approche  où,  comme  vous  l'avez  promis 
à  votre  serviteur.,  vous  daignerez  venir  donner  votre  bénédiction  à  son 
œuvre  ».  Saint  Aubert,  accompagné  de  saint  Amand,  qui  avait  repris  sa  vie 

1.  D'après  la  légende,  le  Saint  donna  sa  ceinture  pour  être  placée  en  forme  de  baudrier  autour  du 
corps  de  la  mère.  De  là,  dit-on,  le  nom  de  Baudri  que  portèrent  tous  les  aînés  de  cette  noble  famille  de 
Boisin. 


212  9   OCTOBRE. 

apostolique,  se  rendit  avec  lui  à  Ursidongus.  Ce  lieu  prit  dès  lors  le  nom  de 
Cella  ou  La  Celle.  Tous  deux  furent  reçus  avec  le  plus  profond  respect  par 
saint  Ghislain  et  les  disciples  réunis  auprès  de  lui.  Au  milieu  d'un  immense 
concours  de  peuple  accouru  pour  assister  à  la  cérémonie,  ils  consacrèrent  à 
Dieu,  sous  les  auspices  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  cette  nouvelle  mai- 
son de  prière,  autour  de  laquelle  s'éleva  dans  la  suite  la  ville  de  Saint-Ghis- 
lain.  Parmi  les  nombreux  assistants  présents  à  cette  solennité,  on  remar- 
quait surtout  le  comte  Mauger,  époux  de  sainte  Vaudru,  qui  prit  alors  la 
résolution  de  se  séparer  du  siècle  pour  s'attacher  uniquement  au  service  de 
Dieu.  Le  Bienheureux  Ghislain,  témoin  de  cette  conversion  éclatante,  l'en- 
couragea de  toutes  les  manières.  Il  fut  aussi  quelque  temps  après  d'un  grand 
secours  à  sainte  Vaudru  pour  l'exécution  d'un  semblable  dessein.  Cette 
sainte  femme,  qui  nourrissait  en  son  cœur  le  désir  de  vivre  dans  le  silence 
et  la  prière,  et  qui  n'avait  pas  été  étrangère  à  la  détermination  de  son 
époux,  profita  de  la  facilité  que  lui  offrait  sa  retraite  pour  se  réfugier  elle- 
même  dans  quelque  solitude.  Saint  Ghislain  lui  donna  les  moyens  d'accom- 
plir cette  résolution,  et  ses  sages  conseils,  en  même  temps  qu'ils  firent  avan- 
cer sainte  Vaudru  dans  la  pratique  des  plus  sublimes  vertus,  augmentèrent 
encore  dans  le  cœur  d'Aldegonde,  sa  sœur,  le  désir  de  l'imiter.  Ce  bonheur 
fut  en  effet  accordé  à  cette  Sainte  quelque  temps  après,  quand  elle  allabâtir 
le  monastère  de  Maubeuge,  où  elle  se  renferma  avec  les  deux  filles  de  sainte 
Vaudru. 

On  ne  connaît  point  le  détail  des  rapports  qu'eurent  ensemble  jusqu'à 
la  fin  de  leur  vie  ces  saintes  âmes,  si  ce  n'est  par  quelques  faits  détachés 
qui  montrent  combien  Dieu  se  plaisait  à  répandre  sur  elles  ses  faveurs.  Les 
auteurs  qui  citent  la  révélation,  dans  laquelle  sainte  Aldegonda  aperçut 
l'âme  du  bienheureux  Amand,  s'envolant  au  ciel  sous  la  forme  d'un  beau 
vieillard  environné  d'une  multitude  joyeuse  et  triomphante,  ajoutent  qu'elle 
rapporta  cette  vision  à  sa  sœur  sainte  Vaudru  et  à  saint  Ghislain.  Celui-ci 
lui  dit  alors  :  «  Si  vous  avez  mérité  de  voir  le  Dieu  du  ciel  couronner  son 
serviteur  Amand,  c'est  pour  votre  bien;  car  sachez  que  la  fin  de  votre  vie 
approche.  Demandez  au  Seigneur  de  vous  envoyer  quelque  infirmité  qui 
achève  de  vous  purifier,  et  vous  prépare  à  recevoir  la  récompense  dont  jouit 
déjà  le  bienheureux  Amand  ».  Jusque  dans  la  plus  extrême  vieillesse,  saint 
Ghislain  allait  de  temps  en  temps  converser  de  choses  spirituelles  avec  la 
vénérable  sainte  Vaudru  ;  et  lorsque  les  infirmités  de  l'âge  ne  permirent 
plus  à  l'un  et  à  l'autre  de  faire  tout  le  trajet  qui  séparait  les  deux  monas- 
tères de  Celle  et  de  Mons,  ils  bâtirent,  d'un  commun  accord,  un  petit  ora- 
toire en  l'honneur  du  saint  martyr  Quentin,  dans  un  lieu  appelé  Quaregnon. 
C'est  là  qu'ils  se  rendirent  quelquefois  à  l'exemple  de  saint  Benoît  et  de  sa 
sœur  sainte  Scholastique,  dont  ils  reproduisaient  parfaitement  la  conduite 
et  la  sainteté. 

Telle  fut  la  vie  de  saint  Ghislain,  ornée  de  toutes  sortes  de  vertus.  Il 
répandit  dans  toute  la  contrée  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ  et  se  montra 
son  véritable  disciple  par  sa  charité  envers  les  pauvres,  son  amour  pour 
Dieu,  et  par  l'accomplissement  fidèle  de  tous  les  devoirs  de  la  vie  religieuse. 
Il  mourut  en  paix  dans  un  âge  avancé,  et  fut  enterré  par  ses  disciples  dans 
l'église  de  son  monastère. 

On  peint  fréquemment  près  de  lui  une  ourse  avec  son  ourson  :  nous 
avons  indiqué  la  raison  de  cette  caractéristique. 


SAINT  GHISLAIN  OU  GUÏLLAIN,   ÉVÊQUE  D*ATHÈNES.  213 


CULTE  ET  RELIQUES.  —  CONFRÉRIE.  —  PÈLERINAGE. 

Son  corps  reposa  dans  1  église  de  son  monastère,  jusqu'à  l'époque  où  Charlemagne  chargea 
l'abbé  Eléfant  d'en  construire  une  autre  plus  spacieuse  et  plus  magnifique.  Halitgaire,  évêque  de 
Cambrai,  la  consacra,  l'an  818,  sous  le  règne  de  Louis  le  Débonnaire.  Le  corps  saint  y  fut  alors 
porté  et  bientôt  après  oublié  à  cause  des  invasions  des  Normands  et  du  découragement  général  qui 
abattait  tous  les  esprits.  Le  monastère  lui-même  resta  en  ruines  jusqu'à  ce  que,  en  929,  un  aveugle, 
averti  pendant  son  sommeil,  se  rendit  auprès  de  ces  décombres  pour  prier  et  y  recouvra  la  vue.  Il 
fit  faire  aussitôt  des  recherches  pour  retrouver  les  reliques  du  Saint  dont  le  culte  reprit  une  nou- 
velle extension.  En  933,  le  monastère  fut  relevé,  mais  cinq  ans  plus  tard  un  incendie  le  réduisit 
encore  en  ruines  :  heureusement  les  reliques  furent  épargnées. 

Ces  reliques  furent  portées  le  22  septembre  1023  à  la  consécration  de  l'église  de  Saint-André, 
du  Cateau,  faite  par  l'évêque  Gérard  de  Florines  ;  en  1030,  à  la  consécration  de  la  cathédrale  de 
Cambrai  ;  en  1064,  à  celle  de  l'église  du  monastère  de  Saint-Sépulcre,  sous  le  bienheureux  Lié- 
bert,  et  en  1070  à  celle  de  l'église  des  apôtres  saints  Pierre  et  Paul,  à  Hasnon.  Tous  ces  faits 
prouvent  d'une  manière  éclatante  le  respect  et  la  dévotion  que  l'on  avait  au  xi9  siècle  pour  ce 
grand  serviteur  de  Dieu.  On  en  trouve  d'autres  témoignages  dans  les  siècles  suivants  :  en  1161,  le 
6  juin,  les  reliques  de  saint  Ghislain  sont  portées  à  Maubeuge  pour  assister  à  la  translation  solen- 
nelle de  celles  de  sainte  Aldegonde  ;  en  1180,  elles  sont  placées  dans  une  nouvelle  châsse  par 
Roger,  évêque  de  Cambrai  ;  en  1491,  le  15  janvier,  l'évêque  de  Cambrai,  Henri  de  Berghes,  les 
visite  et  en  sépare  un  bras  pour  être  présenté  à  la  vénération  publique.  Ce  bras  ayant  disparu 
dans  les  guerres  du  xvi»  siècle,  l'archevêque  de  Cambrai,  Louis  de  Berlaymont,  le  remplaça,  en 
1588,  par  l'autre  bras  qui  fut  exposé  à  la  piété  des  fidèles.  En  1626,  le  jour  de  Saint-Luc,  Fran- 
çoèi  Vander-Burgh,  aussi  archevêque  de  Cambrai,  plaça  dans  une  nouvelle  châsse,  préparée  à  cet 
effet,  une  grande  partie  des  reliques  de  saint  Ghislain,  et  en  1628,  le  jour  de  Saint-Jean  l'évangé- 
liste,  l'abbé  de  Crespin  mit  la.  tète  du  Saint  dans  une  fierté  particulière. 

Enfin,  une  confrérie,  appelée  confrérie  de  la  Charité,  fut  érigée  en  l'honneur  de  saint  Ghis- 
lain, confirmée  en  1120  par  Burchard,  évêque  de  Cambrai,  et  en  1123,  par  le  souverain  pontife 
Callixte  II.  On  l'appela  plus  tard  la  confrérie  de  Saint-Ghislain.  Beaucoup  de  seigneurs  et  de  per- 
sonnes nobles  voulurent  en  faire  partie,  entre  autres  Philippe  IV,  roi  d'Espagne,  et  son  épouse.  Le 
pape  Urbain  VIII,  par  une  bulle  de  l'année  1625,  enrichit  cette  confrérie  de  beaucoup  de  faveurs 
spirituelles.  Les  élèves  du  collège  du  Lys,  en  l'université  de  Louvain,  avaient  adopté  saint  Ghis- 
lain pour  leur  patron  et  célébraient  chaque  année  sa  fête  avec  solennité.  Aujourd'hui  encore,  dans 
l'église  métropolitaine  de  Cambrai,  il  existe  une  confrérie  de  Saint-Ghislain  que  la  piété  des  fidèles 
a  rendue  célèbre.  Peut-être  quelques  documents  authentiques  permettraient-ils  de  la  rattacher  à 
celle  qui  fut  confirmée  en  1120  par  l'évêque  Burchard.  Avant  la  révolution  de  1793,  elle  appar- 
tenait à  la  paroisse  de  Saint-Nicolas  ;  mais  cette  église  ayant  été  détruite,  les  reliques  du  Saint 
ainsi  que  l'association  furent  transportées  à  la  métropole.  Cette  confrérie  est  double  ;  l'une  est 
particulièrement  destinée  aux  jeunes  enfants,  l'autre  aux  grandes  personnes.  Ces  enfants,  quelque 
temps  après  leur  naissance,  sont  apportés  dans  l'église  par  leurs  parents  et  recommandés  à  la  pro- 
tection du  Saint,  afin  qu'il  les  délivre  des  maladies  et  des  dangers  auxquels  ils  sont  exposés  à  cet 
âge.  Si  quelques-uns  d'entre  eux  meurent  dans  les  premières  années  de  l'enfance,  l'association  fait 
chanter  une  messe  dite  des  anges.  Quant  aux  grandes  personnes,  qui  se  mettent  aussi  dans  cette 
confrérie  afin  d'être  délivrées  d'accidents  et  surtout  de  certaines  maladies,  comme  le  mal  caduc  et 
autres  semblables,  leur  nombre  est  aussi  très-considérable.  A  la  mort  de  chaque  associé  on  fait  cé- 
lébrer une  messe  pour  le  repos  de  son  âme.  De  plus,  le  mercredi  de  chaque  semaine,  on  chante 
un  salut  en  l'honneur  du  saint  patron,  et  le  second  dimanche  d'octobre,  sa  fête  est  célébrée  avec 
solennité.  Pendant  l'octave  qui  la  suit,  une  foule  de  pèlerins  de  la  ville  et  des  villages  voisins 
viennent  rendre  leurs  hommages  à  leur  digne  protecteur  et  se  recommander  à  sa  puissante  inter- 
cession. 

Le  village  de  Roisin  est  devenu  un  lieu  de  pèlerinage  à  saint  Ghislain  pour  les  femmes  dont 
les  couches  approchent.  Elles  y  vont  même  quelquefois  après,  quand  elles  ont  été  heureusement 
délivrées.  La  ville  de  Saint-Ghislain  est  aussi  un  lieu  de  pèlerinage  très-fréqnenté.  Les  pauvres 
mères  qui  craignent  pour  la  vie  de  leurs  chers  nourrissons,  les  portent  à  Saint-Ghislain.  Le  prêtre 
récite  sur  eux  l'Evangile,  leur  fait  toucher  les  reliques  du  Saint,  et  souvent,  après  ce  pieux 
voyage,  les  hideuses  convulsions  et  les  frayeurs  naturelles  aux  jeunes  enfants,  surtout  à  l'époque 
de  la  première  dentition,  se  trouvent  apaisées  :  touchant  bienfait  de  la  divine  clémeace  qui  récom- 
pense la  foi  naïve  des  mères  par  le  salut  de  leurs  enlants  ! 

Extrait  des  Saints  de  Cambrai  et  d'Arras,  par  M.  l'abbé  Destombes. 


214  9   OCTOBRE. 


SAINT  SAVIN  DE  BARCELONE, 

ANACHORÈTE    ET    APOTRE    DO    LAVEDAN 
vuie  siècle. 


Je  suis  seul  à  me  connaître,  seul  aussi  je  dois  mesu- 
rer la  peine  à  l'étendue  de  mes  fautes.  Chacun  doit 
faire  ce  qu'il  peut;  je  fais  ce  que  je  dois. 
Maxime  du  Saint. 

Saint  Sa  vin  naquit  en  Espagne,  dans  le  vne  ou  le  vm®  siècle,  d'un  comte 
de  Barcelone,  qui  était,  dit-on,  frère  de  Hentilius,  comte  de  Poitiers  et 
parent  des  rois  de  France,  s'il  faut  en  croire  certains  historiens.  Ayant  perdu 
son  père  de  bonne  heure,  le  jeune  Savin  devint  la  consolation  et  le  seul 
espoir  de  sa  mère  affligée,  qui,  à  son  tour,  entoura  son  enfance  de  ses  plus 
doux  soins,  de  sa  plus  tendre  sollicitude.  Elle  voulut  s'occuper  activement 
elle-même  de  l'éducation  de  son  fils,  afin  de  le  rendre  chaque  jour  plus 
digne  des  hautes  destinées  qui  l'attendaient. 

Ce  fut  donc  à  la  vigilance,  au  dévouement  de  sa  pieuse  mère,  qui  le 
formait  à  la  fois  pour  Dieu  et  pour  le  monde,  qu'il  dut  l'avantage  de  passer 
sa  jeunesse  dans  la  plus  parfaite  innocence.  Les  vertus  que  l'on  remarqua 
en  lui,  dès  sou  enfance,  firent  comprendre  à  quel  degré  de  perfection  il 
parviendrait  dans  la  suite.  Adolescent  encore,  il  se  montrait  déjà  digne  de 
la  puissance  et  des  honneurs  qui  paraissaient  lui  être  destinés.  Il  répondait, 
par  sa  piété  et  par  le  développement  de  son  intelligence,  à  la  sage  et  pieuse 
éducation  que  sa  tendre  mère  lui  faisait  donner  sous  ses  yeux.  Aussi,  le  pre- 
mier usage  qu'il  fit  des  richesses  et  des  grandeurs,  fut  de  soulager  les 
pauvres  et  de  s'adonner  aux  bonnes  œuvres. 

Savin,  sur  qui  la  Providence  avait  des  vues  particulières,  sentit  tout  à 
coup  naître  dans  son  cœur  le  projet  d'aller  visiter  son  oncle  Hentilius, 
comte  de  Poitiers.  Sa  mère,  qui  connaissait  la  haute  renommée  du  comte, 
un  des  plus  grands  seigneurs  de  France,  comprit  facilement  qu'un  voyage 
dans  ce  pays  pourrait  être  très-profitable  à  l'héritier  de  la  puissance  com- 
tale  de  Barcelone,  en  le  mettant  à  même  d'étudier  les  mœurs  de  cette 
grande  nation,  et  de  s'initier,  sous  un  parent  si  distingué,  à  tous  les  secrets 
d'une  administration  qu'il  devait  plus  tard  exercer  lui-même.  La  seule 
pensée  de  se  voir  séparée  pour  longtemps  de  l'unique  objet  de  sa  tendre 
sollicitude  dut  être  bien  sensible  à  son  cœur  maternel  ;  mais  elle  sut  mettre 
l'intérêt  de  son  fils  au-dessus  des  sentiments  de  la  nature,  et  consentit  à  ce 
voyage,  qui  devait,  hélas I  lui  coûter  tant  de  larmes. 

Savin  partit,  le  cœur  brisé  du  regret  de  laisser  sa  mère  dans  la  désola- 
tion ;  mais,  comme  il  obéissait  à  la  grâce  bien  plus  qu'à  son  propre  goût, 
il  se  félicita,  dans  la  suite,  d'avoir  eu  le  courage  de  rompre  si  résolument 
l'unique  lien  qui  eût  pu  le  retenir  dans  le  monde.  Il  se  sépara  donc  de  sa 
mère  en  lui  adressant  un  adieu  qu'il  présumait  bien  devoir  être  le  dernier. 
Comme  son  intention  n'était  pas  d'aller  faire  ce  voyage  pour  s'instruire  des 
usages  du  monde,  ni  pour  satisfaire  sa  curiosité,  il  évita  avec  soin  l'air 


SAINT  SAVIN  DE  BARCELONE,   ANACHORÈTE.  215 

contagieux  des  grandes  villes  qui  devaient  naturellement  se  trouver  sur  son 
passage  ;  il  rechercha  de  préférence  les  solitudes  où  les  disciples  de  saint 
Benoît  avaient  fondé  leurs  monastères,  afin  d'apprendre  d'eux  la  véritable 
science  qui  fait  les  Saints.  Il  traversa  le  comté  de  Foix  et  passa  parla  petite 
ville  du  Mas-d'Azil,  ainsi  que  nous  l'apprennent  les  vieilles  légendes,  et 
arriva  enfin  à  Poitiers,  chez  son  oncle. 

Hentilius  sut  bientôt  apprécier  le  mérite  et  l'intelligence  précoce  de  son 
neveu  ;  et,  sans  tenir  compte  de  l'âge,  il  voulut  lui  donner  une  marque  non 
équivoque  de  la  plus  haute  confiance,  en  le  chargeant  de  l'éducation  de  son 
fils,  héritier  futur  de  sa  puissance.  Ce  bienheureux  enfant  ne  pouvait,  en 
effet,  trouver  un  meilleur  maître  pour  former  en  môme  temps  son  esprit  à 
la  science,  son  cœur  à  la  bravoure  chevaleresque  de  l'époque  et  son  âme  à 
la  plus  solide  piété.  Un  emploi  d'une  si  haute  distinction  pour  un  jeune 
homme  ne  changea  rien  aux  premiers  sentiments  de  Savin.  Ennemi  de  la 
mollesse  et  supérieur  aux  atteintes  de  la  vanité,  il  partageait  son  temps 
entre  la  prière,  les  devoirs  de  son  état  et  le  soin  des  pauvres.  Il  vivait  avec 
simplicité  ;  ses  jeûnes  étaient  rigoureux;  sa  table  frugale.  Comblé  des  bien- 
faits du  comte,  il  aurait  pu  se  donner  le  plaisir  du  luxe  et  des  brillants 
équipages  ;  mais  il  réduisit  toutes  ses  dépenses,  afin  d'augmenter  son  su- 
perflu, qu'il  employait  entièrement  en  œuvres  de  charité,  a  La  vertu  dans 
un  homme  ignorant  »,  dit  un  auteur,  «  paraît  une  marque  d'imbécillité  aux 
jeux  de  l'impie  ;  mais  quand  la  vertu  et  la  science  sont  réunies  dans  le 
même  homme,  cela  impose  aux  plus  scélérats  ».  Aussi  le  jeune  Savin,  qui 
possédait  l'une" et  l'autre,  n'eut  pas  de  peine  à  s'attirer  l'estime  et  la  sym- 
pathie des  officiers  qui  étaient  au  service  de  son  oncle.  C'est  dans  ce  poste 
honorable  qu'il  consacra  tout  son  temps  et  tout  son  zèle  à  éclairer  l'esprit 
de  son  cousin,  en  lui  enseignant  la  plus  pure  doctrine.  Il  sut  pénétrer  ce 
jeune  cœur  des  sentiments  d'une  piété  sincère,  qu'il  lui  inspirait  par  ses 
discours  et  plus  encore  par  ses  exemples. 

Le  fils  de  Hentilius,  docile  à  la  voix  d'un  si  bon  maître,  fit  de  rapides 
progrès,  surtout  dans  la  pratique  de  la  vertu,  que  son  cousin  savait  si  bien 
lui  faire  aimer.  Savin,  avec  cette  douce  parole  qui  persuade  et  qui  entraîne, 
lui  peignait  quelquefois  les  charmes  mystérieux  de  la  retraite  et  les  joies 
pures  de  la  contemplation  ;  d'autres  fois,  il  lui  représentait  les  dangers  si 
fréquents  que  l'on  rencontre  dans  le  monde,  où  d'ailleurs  il  n'y  a  point  de 
situation  qui  n'ait  ses  peines  et  ses  amertumes,  où  le  bonheur  n'est  jamais 
exempt  de  soucis  et  de  chagrins.  Oui,  tout  est  danger  pour  la  vertu  dans  le 
monde,  disait  Savin  :  danger  dans  la  naissance,  qui  usurpe  des  privilèges 
et  des  dispenses  contraires  à  l'esprit  du  christianisme  ;  danger  dans  l'éléva- 
tion, où  l'on  est  exposé  aux  basses  flatteries  et  aux  fausses  louanges  ;  dan- 
ger dans  les  affaires,  dans  les  emplois,  où  il  faut  souvent  opter  entre  la 
conscience  et  la  fortune  ;  danger  dans  l'amitié  môme,  où  l'on  ne  trouve 
parfois  qu'ingratitude,  perfidie,  trahison  ;  danger  dans  les  exemples,  où  le 
vice  perd  son  horreur  par  le  nombre  de  ceux  qui  le  préconisent  ;  danger 
dans  les  richesses,  qui  amènent  le  faste,  le  luxe,  le  jeu,  les  plaisirs  cor- 
rupteurs ;  danger  dans  la  pauvreté,  quand  elle  n'est  pas  chrétiennement 
supportée. 

Tous  ces  dangers  s'offrent  à  la  fois  à  l'imagination  de  Savin.  «  Quittons  », 
<it-il  à  son  cousin,  «  quittons  le  monde,  retirons-nous,  fuyons,  sortons  de 
Babylone,  sauvons  notre  faible  vertu  de  l'air  contagieux  qu'on  y  respire. 
Comment  pourrions-nous  observer  constamment  la  loi  de  Dieu  au  milieu 
d'un  monde  où  tout  engage  à  la  violer;  où  le  vice  environne  et  presse  de 


216  9  OCTOBRE. 

toutes  parts?  Le  plaisir  s'y  présente  partout,  approuvé  par  l'exemple,  ap- 
plaudi par  les  maximes,  consacré  par  les  coutumes  et  par  les  bienséances 
même.  Heureuses  les  âmes  pleines  de  générosité  qui  font  à  Dieu  le  sacrifice 
de  toutes  les  jouissances  mondaines  !  Dans  nos  cœurs  est  renfermé  le  dan- 
gereux foyer,  le  feu  caché  de  la  luxure  ;  le  moindre  souffle  suffit  pour  l'al- 
lumer. Qui  nous  garantira  des  périls  d'un  monde  où  le  crime  est  presque 
nécessaire?  L'état  religieux,  le  cloître.  Derrière  ce  rempart,  que  nous  pla- 
cerons entre  les  hommes  et  nous,  nous  n'aurons  plus  à  craindre  la  conta- 
gion des  scandales  et  des  maximes  d'un  monde  corrompu  » .  Pendant  que 
Savin  parlait  ainsi,  son  cousin  l'écoutait  comme  on  écoute  un  oracle  ;  et 
ces  paroles  firent  une  telle  impression  dans  son  cœur,  que,  se  laissant  aller 
à  la  voix  impérieuse  d'une  vocation  irrésistible,  disant  adieu  à  de  brillantes 
destinées  et  aux  douceurs  de  la  famille,  rompant  avec  le  passé  et  renonçant 
à  l'avenir,  le  jeune  élève  de  Savin  disparut  comme  un  fugitif  de  la  maison 
paternelle.  Honneurs,  richesses,  amis,  parents,  il  avait  tout  quitté  pour 
aller  chercher  dans  un  cloître  la  pauvreté,  l'humilité  profonde  1  C'est  dans 
un  monastère  dédié  à  saint  Martin,  près  de  Poitiers,  qu'il  se  retira  pour 
suivre  la  Règle  de  Saint-Benoît. 

Qui  pourrait  donner  une  idée  du  cruel  chagrin  de  la  comtesse,  privée 
tout  à  coup  d'un  fils,  objet  de  toute  sa  tendresse  et  de  son  orgueil  mater- 
nel? Cette  mère  désolée  va  à  l'instant  trouver  Savin.  Elle  se  jette  à  ses 
pieds;  elle  le  supplie,  avec  une  déchirante  douleur,  de  lui  faire  retrouver 
au  plus  tôt  ce  fils  bien-aimé,  qu'on  avait  confié  à  ses  soins  pour  le  rendre 
digne  des  hautes  destinées  auxquelles  l'appelait  sa  naissance,  et  non  pour 
l'arracher  ainsi  à  sa  famille.  Il  fallait  donc  que  Savin  partît  sans  délai,  et 
qu'il  allât  engager  son  cousin  à  sortir  du  monastère  pour  rentrer  dans  la 
maison  paternelle.  Il  partit  donc  pour  le  monastère  et  fit  appeler  son  cou- 
sin ;  mais,  bien  loin  d'entrer  dans  les  vues  de  la  comtesse,  il  encouragea  le 
jeune  religieux  à  persévérer  dans  sa  première  résolution.  Bien  plus,  aux 
conseils  il  ajouta  l'exemple  ;  ce  même  jour,  on  vit  dans  ce  monastère  les 
deux  cousins,  fils  de  deux  comtes,  revêtus  du  saint  habit  de  bure  de  l'Ordre 
de  Saint-Benoît,  à  qui  le  Seigneur  avait  dit  :  «  Venez,  suivez-moi  ».  Et 
pendant  trois  ans,  dans  les  austérités  du  cloître,  ces  deux  jeunes  amis  qui 
auraient  pu,  environnés  des  honneurs  du  monde,  donner  des  ordres  à  leurs 
vassaux,  se  vouèrent,  par  amour  pour  Jésus-Christ,  à  l'obéissance,  au  silence 
et  à  la  pauvreté. 

Mais  ce  n'était  pas  assez  pour  Savin,  à  qui  l'esprit  de  Dieu  inspirait  le 
désir  d'embrasser  les  saintes  rigueurs  de  la  vie  solitaire.  Il  confia  cette  idée 
à  l'abbé  du  monastère,  qui  n'osa  d'abord  ni  blâmer,  ni  approuver  une  pa- 
reille inspiration,  de  peur  de  contrarier  les  desseins  de  Dieu,  et  peut-être 
aussi  pour  garder  quelque  temps  encore  un  religieux  qui  édifiait  toute  la 
communauté  par  sa  grande  exactitude  à  observer  les  moindres  règles,  et 
qui  donnait  l'exemple  de  toutes  les  vertus.  Cependant,  la  persévérance  de 
Savin  triompha  de  tous  les  délais  et  de  tous  les  obstacles.  Un  jour  enfin,  il 
obtint  la  permission  de  partir  avec  un  seul  compagnon  de  voyage.  Il  dirigea 
ses  pas  vers  les  montagnes  de  Bigorre,  s'abandonnant  à  la  conduite  de  la 
divine  Providence,  qui  fixa  le  terme  de  son  pèlerinage  dans  la  belle  vallée 
du  Lavedan,  au  pied  des  Pyrénées.  En  passant  par  Tarbes,  il  n'oublia  point 
d'aller  s'incliner  avec  respect  devant  l'évêque  qui  occupait  alors  le  siège  de 
saint  Justin  et  de  saint  Fauste.  Il  lui  exposa  son  dessein  et  lui  demanda  son 
agrément  et  sa  bénédiction.  A  trente-six  kilomètres  de  cette  ville,  sur  les 
flancs  de  la  montagne  qui  doûne  sur  la  vallée  du  Lavedan,  se  trouvait  un 


SAINT  SAVIN  DE  BARCELONE,   ANACHORÈTE,  217 

monastère  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît,  qui  avait  été  fondé  sur  les  ruines 
d'un  ancien  château  ou  fort,  d'une  date  bien  reculée,  peut-être  de  l'ère 
gallo-romaine,  comme  semble  l'indiquer  le  nom  de  Palatium-JEmilianum, 
qui  lui  est  resté  jusqu'à  la  mort  de  saint  Savin. 

Après  avoir  reçu  la  bénédiction  et  les  instructions  de  l'évoque  du  dio- 
cèse, ce  fut  vers  cette  solitude  que  notre  pèlerin  dirigea  sa  marche.  Il  se 
présenta  au  monastère,  où  il  fut  cordialement  accueilli  par  Forminius,  qui 
en  était  l'abbé.  Mais,  sachant  bien  déjà  que  la  vie  monastique  n'était  pas 
assez  sévère  pour  lui,  vu  les  desseins  de  perfection  que  le  Seigneur  lui  ins- 
pirait, Savin  résolut  de  s'enfoncer  plus  avant  dans  les  montagnes  pour  y 
embrasser  la  vie  austère  de  l'ermite.  Pour  plus  de  sûreté,  il  ouvrit  son 
cœur  à  Forminius,  en  lui  faisant  part  du  projet  qui  l'avait  amené  dans  ces 
lieux.  L'abbé,  reconnaissant  dans  son  hôte  l'empreinte  d'une  vocation 
divine,  s'empressa  de  le  seconder  dans  sa  résolution  ;  et  ne  pouvant  pas 
garder  auprès  de  lui  un  si  précieux  trésor,  il  voulut  au  moins  le  retenir  dans 
un  lieu  assez  voisin  ;  il  le  conduisit  à  trois  ou  quatre  kilomètres  du  monas- 
tère. Ils  fixèrent  leur  choix  sur  le  plateau  appelé  Pouey-Aspé.  C'est  de  ce 
plateau  qu'on  peut  plonger  ses  regards  dans  la  vallée  pour  en  contempler 
la  richesse  et  la  beauté.  Mais  cette  pensée  dut  être  étrangère  au  choix  de 
Savin.  Ce  qui  lui  rendait  ce  site  préférable  à  tout  autre,  c'est  qu'à  une  cer- 
taine distance,  en  face,  au-dessus  de  la  petite  paroisse  de  Villelongue,  entre 
deux  rochers  qui  couvrent  un  vallon  solitaire,  il  apercevait  un  ermitage 
qui  avait  été  sanctifié  longtemps  auparavant  par  un  jeune  Espagnol,  saint 
Orens.  Ce  fut  donc  sur  le  plateau  de  Pouey-Aspé  que  Savin  résolut  de  passer 
sa  vie,  en  face  des  précieux  et  touchants  souvenirs  qui  faisaient  en  quelque 
sorte  revivre  à  ses  yeux  son  ancien  compatriote.  Il  se  mit  d'abord  à  l'œuvre 
pour  construire  la  cellule  qui  lui  était  indispensable  ;  mais  ce  ne  fut  guère 
qu'un  abri,  encore  mal  assuré,  contre  la  férocité  des  bêtes  des  forêts  voi- 
sines. La  construction  de  cette  modeste  cabane,  qui  n'avait  que  sept  ou 
huit  pieds  de  longueur  sur  quatre  ou  cinq  de  largeur,  et  qui  devait  être 
plutôt  une  dure  prison  qu'une  habitation  ordinaire,  ne  dut  pas  coûter  beau- 
coup de  temps  à  notre  Saint.  Ce  qui  lui  donna  le  plus  de  peine,  ce  fut  le 
transport  des  matériaux,  à  cause  de  la  difficulté  des  sentiers,  qui  étaient 
presque  inaccessibles.  L'abbé  Forminius,  qui  l'avait  sans  doute  aidé  dans  ce 
travail,  laissa  notre  ermite  dans  la  solitude  et  rentra  dans  son  monastère, 
ravi  d'avoir  dans  le  voisinage  un  homme  d'une  si  grande  sainteté.  Souvent 
il  allait  le  visiter  pour  s'édifier  par  l'exemple  de  ses  vertus  toutes  célestes. 

Savin  se  trouvant  encore  trop  bien  logé  dans  son  habitation,  qui  méritait 
pourtant  le  nom  de  misérable  réduit  plutôt  que  de  cellule,  inventa  un  raf- 
finement de  mortification.  Il  creusa  une  fosse,  longue  de  sept  pieds  et  pro- 
fonde de  cinq,  où  il  s'ensevelissait  tout  vivant,  prenant  ainsi  pour  lit  un 
véritable  tombeau,  dans  lequel  l'eau  suintait  de  toutes  parts,  surtout  aux 
temps  pluvieux.  Forminius,  étant  revenu  pour  le  visiter  quelque  temps 
après  leur  première  séparation,  demeura  tout  surpris  de  voir  que  Savin  se 
fût  creusé  cette  tombe  sans  en  avoir  auparavant  manifesté  le  dessein,  et  il 
lui  demanda  le  motif  de  cette  exagération  de  pénitence  :  «  Je  suis  seul  à 
me  connaître  »,  répondit  l'ermite,  «  seul  aussi  je  dois  mesurer  la  peine  à 
l'étendue  de  mes  fautes.  Chacun  doit  faire  ce  qu'il  peut  ;  je  fais  ce  que  je 
dois  :  ut  potes,  fac  quxlibet,  ego  feci  quod  expedit  ».  Là,  comme  autrefois 
Elie  sur  le  mont  Carmel,  notre  Saint  se  livrait  à  la  prière,  à  la  contempla- 
tion et  aux  plus  rudes  pratiques  d'une  vie  mortifiée.  Il  serait  difficile 
d'exprimer  jusqu'à  quel  point  il  porta  l'esprit  d'oraison  et  avec  quel  zèle  il 


218  9  OCTOBRE. 

embrassa  les  plus  rigoureuses  austérités.  Ses  veilles  étaient  longues  et  ses 
jeûnes  à  peu  près  continuels.  Son  occupation  la  plus  ordinaire  était  la  con- 
templation. Revêtu  d'une  simple  robe,  qui  dura  miraculeusement  l'espace 
de  treize  années,  il  marchait  les  pieds  nus  sur  les  pointes  aiguës  des  rochers, 
même  pendant  la  saison  la  plus  rigoureuse.  Seul  dans  cette  retraite  sau- 
vage et  souvent  glacée,  où  sa  cellule,  tremblant  sous  la  violence  continuelle 
des  vents,  le  menaçait  de  l'exposer  sans  défense  à  la  voracité  des  bêtes 
féroces,  qui  abondaient  dans  les  forêts  voisines,  il  gardait  son  âme  inacces- 
sible à  toute  crainte  humaine,  entièrement  absorbée  dans  l'amour  de  Dieu 
et  toute  brûlante  du  désir  d'être  unie  pour  toujours  à  son  bien-aimé-.  Il 
aurait  pris  plutôt  du  poison  que  de  se  rendre  coupable  de  mensonge,  dit  la 
légende.  Il  regardait  le  jurement  comme  un  sacrilège.  Il  n'était  pas  à  l'abri 
des  attaques  du  démon  ;  mais  aidé  de  la  grâce  de  Dieu,  il  surmontait,  par 
la  prière  et  par  la  patience,  les  tentations  qui  venaient  l'assiéger  et  le  dis- 
traire de  ses  saintes  contemplations. 

Quoique  Savin  ne  s'occupât,  à  vrai  dire,  que  des  progrès  spirituels  de 
son  âme,  cependant  les  besoins  physiques  se  faisaient  quelquefois  vivement 
sentir  ;  et  comme,  pendant  les  fortes  chaleurs  de  l'été,  les  eaux  qui  sortaient 
des  fentes  des  rochers  venaient  à  tarir  autour  de  sa  cellule,  les  ardeurs  de 
la  soif  l'obligeaient  à  se  porter  un  peu  plus  loin  pour  aller  puiser  l'eau  qui 
lui  était  nécessaire.  Il  devait  alors  passer  par  la  prairie  d'un  certain  Chro- 
matius,  qui  habitait  le  petit  village  d'Uz,  que  l'on  trouve  à  deux  kilomètres 
environ  de  l'ancien  ermitage.  Un  jour  que  notre  Saint  traversait  cette  prai- 
rie pour  arriver  à  la  source  qui  lui  fournissait  sa  boisson,  le  propriétaire 
inhumain  voulut  au  moins  lui  faire  acheter  cher  ce  faible  soulagement.  Il 
commanda  à  un  homme  de  sa  maison  d'aller  chasser  à  l'instant  ce  trop 
hardi  solitaire,  qui  n'avait  pas  craint  de  s'introduire  dans  sa  propriété.  Cet 
ordre  sauvage  ne  fut  que  trop  bien  exécuté.  Le  domestique,  après  avoir 
injurié  le  Saint,  s'oublia  même  jusqu'à  le  frapper  brutalement.  Mais  Dieu, 
qui  souffre  quelquefois  que  les  justes  soient  éprouvés  par  les  méchants, 
veut  aussi  en  certaines  occasions,  quand  il  le  juge  convenable  dans  sa  sa- 
gesse, prendre  en  main  la  défense  de  l'innocent  opprimé  ;  et  alors  il  laisse 
tomber  sur  le  crime  tout  le  poids  de  sa  malédiction,  afin  de  nous  faire  com- 
prendre que  sa  toute-puissante  justice  amène  toujours,  tôt  ou  tard,  la  glo- 
rification de  la  vertu  et  le  triomphe  de  l'innocence. 

Un  châtiment  providentiel  s'appesantit  soudain  sur  ces  deux  êtres  mé- 
chants qui  avaient  offensé  Dieu  même  dans  un  de  ses  plus  chers  serviteurs, 
et  vint  leur  prouver  qu'on  n'insulte  pas  toujours  impunément  à  la  vertu. 
Celui  qui  avait  frappé  le  Saint  fut  à  l'instant  possédé  du  démon,  tandis  que 
le  maître  perdit,  sur  le  moment  même,  l'usage  de  ses  yeux.  Savin,  dont  la 
charité  était  immense,  fut  désolé  de  voir  qu'il  était  la  cause,  quoique  bien 
innocente,  de  ce  double  malheur.  Il  tomba  aussitôt  à  genoux  et  supplia  le 
Seigneur  de  vouloir  rendre  le  bien  pour  le  mal  à  ce  malheureux  qui  venait 
de  le  traiter  si  indignement.  Ses  prières  désarmèrent  la  vengeance  divine  : 
le  valet  fut  à  l'heure  même  délivré  du  démon  qui  le  possédait,  et  il  ne  put 
s'empêcher  de  reconnaître  qu'il  devait  sa  délivrance  à  Savin  lui-même, 
qu'il  venait  d'outrager  et  de  battre  si  cruellement.  Mais  le  maître,  Chro- 
matius,  qui  avait  commandé  l'outrage,  resta  longtemps  encore  aveugle, 
jusqu'à  ce  qu'ii  fût,  comme  on  le  verra  plus  loin,  guéri  à  son  tour  par  les 
mérites  du  Saint  qu'il  avait  voulu  écarter  de  ses  terres  d'une  manière  si 
brutale.  Par  suite  de  toutes  ces  circonstances,  Savin  se  décida  à  ne  plus 
aller  puiser  de  l'eau  à  cette  fontaine. 


SAINT  SAVIN   DE  BABGELONE,   ANACHORÈTE.  219 

Comme  un  second  Moïse,  mettant  toute  sa  confiance  en  Dieu,  il  frappa 
le  rocher  de  son  bourdon,  et  aussitôt  il  en  jaillit  un  filet  d'eau  vive,  qui 
coule  encore,  mais  assez  faiblement  :  on  dirait  que  cette  source  a  voulu 
suivre  la  décroissance  de  la  naïve  simplicité,  de  la  foi  pure  et  de  la  ferveur 
évangélique  de  nos  premiers  chrétiens.  A  côté  de  cette  fontaine  miracu- 
leuse se  trouve,  taillée  dans  le  roc,  une  petite  niche  à  laquelle  on  arrive  au 
moyen  de  deux  ou  trois  marches  en  pierre. 

Savin,  qui  n'ignorait  pas  qu'on  ne  saurait  véritablement  aimer  Dieu 
sans  aimer  le  prochain,  avait  une  tendre  charité  pour  tous  les  hommes.  Il 
les-portait  tous  pour  ainsi  dire  dans  son  cœur.  Il  aurait  volontiers  sacrifié 
sa  vie  pour  les  assister,  surtout  spirituellement.  Ne  pouvant  plus  partager 
ses  richesses,  puisqu'il  s'était  dépouillé  de  tout,  il  ouvrait  du  moins  sa  cel- 
lule comme  son  cœur  à  tous  les  malheureux  qui  venaient  le  visiter  pour 
trouver  auprès  de  lui  quelque  consolation.  Il  travaillait,  par  ses  exhorta- 
tions, à  détruire  dans  leurs  âmes  le  règne  du  péché,  afin  d'y  établir  celui 
de  la  justice.  L'ingratitude,  les  mauvais  traitements  même,  nous  venons  de 
le  voir,  ne  rebutaient  jamais  son  inépuisable  charité.  Il  regardait  les 
hommes  comme  des  malades  plus  dignes  de  compassion  que  de  colère.  Il 
les  recommandait  à  Dieu  dans  le  silence  de  la  retraite,  et  sollicitait  sans 
cesse  sa  miséricorde  en  leur  faveur.  Jamais  aucun  de  ceux  qui  venaient  le 
voir  ne  le  quittait  sans  avoir  obtenu,  par  son  intercession,  ou  la  santé  du 
corps,  ou  quelque  grâce  encore  plus  précieuse  pour  son  âme. 

Il  serait  bien  difficile  de  rapporter  ici  tous  les  miracles  opérés  par  cet 
illustre  Saint.  On  lit  dans  son  Office,  composé  par  les  religieux  qui  rési- 
daient au  monastère  voisin  de  sa  cellule,  qu'il  avait  fait  un  grand  nombre 
de  miracles  par  lettres.  La  tradition,  qui  a  toujours  aimé  à  perpétuer  en  ce 
pays  le  souvenir  des  prodiges  opérés  par  notre  saint  ermite,  se  trouve  con- 
signée dans  deux  tableaux  à  compartiments,  peints  sur  bois  et  admirés  à 
juste  titre  par  les  connaisseurs.  On  y  voit  les  principaux  traits  de  la  vie  de 
saint  Savin. 

Un  prêtre,  qui  allait  remplir  quelque  fonction  de  son  ministère,  dut 
traverser  le  Gave  de  Cauterets  en  un  point  voisin  de  Pierrefitte.  Dans  le 
trajet,  en  ce  moment  fort  dangereux,  le  cheval  fut  renversé,  et  le  prêtre 
lui-même  tomba  dans  le  torrent.  Il  était  menacé  d'être  bientôt  englouti, 
sinon  broyé  entre  les  rochers  qu'entraînait  la  force  des  eaux  qui,  devenues 
furieuses  à  cause  de  la  fonte  des  neiges,  roulaient  avec  fracas  des  blocs 
énormes  détachés  des  montagnes  voisines.  Dans  un  danger  si  pressant,  le 
prêtre  eut  néanmoins  assez  de  calme  encore  pour  penser  à  mettre  toute  sa 
confiance  en  Dieu  et  pour  se  recommander  aux  prières  du  solitaire  de 
Pouey-Aspé.  Tout  à  coup,  le  prêtre  se  trouve  comme  poussé  vers  le  rivage, 
qu'il  regagne  sain  et  sauf.  Il  voit  avec  étonnement,  sur  ce  même  bord,  son 
cheval  sauvé  miraculeusement  comme  lui-même.  Convaincu  qu'il  ne  devait 
son  salut  qu'aux  prières  de  saint  Savin,  et  plein  de  reconnaissance  pour  ce 
signalé  bienfait,  il  entreprit  immédiatement  r  ascension  de  l'ermitage  pour 
aller  remercier  son  sauveur. 

Une  pauvre  mère,  habitant  la  vallée  même,  et  qui  s'appelait  Gaudentia, 
était  dans  la  désolation  en  voyant  que  son  sein  tan  refusait  la  nourriture 
nécessaire  à  son  petit  enfant,  qu'elle  voulait  pourtant  allaiter  elle-même. 
Après  avoir  inutilement  épuisé  tous  les  moyens  auxquels  elle  pût  naturel- 
lement recourir,  elle  tourna  ses  regards  uniquement  vers  Dieu  ;  mais , 
reconnaissant  son  indignité,  elle  résolut  d'aller  implorer  la  protection  de 
saint  Savin.  Elle  prit  donc  son  enfant  entre  ses  bras,  et,  pleine  de  con- 


220  9   OCTOBRE, 

fiance,  elle  entreprit,  accompagnée  de  son  mari,  le  pèlerinage  de  Pouey- 
Aspé.  Là,  les  larmes  aux  yeux,  et  présentant  à  Savin  l'innocente  et  chétive 
créature,  elle  le  supplie  de  vouloir  sauver  l'objet  de  toute  sa  douleur  et  de 
sa  tendresse.  Le  Saint,  touché  de  compassion,  se  met  en  prières  comme  un 
second  Elysée,  et  aussitôt  Dieu  rend  à  la  mère  ce  que  la  nature  lui  avait  si 
longtemps  refusé.  Dès  ce  moment,  Gaudentia  voit  son  sein  lui  donner  en 
abondance  le  lait  qui  doit  nourrir  son  enfant.  Savin  était  tellement  en- 
flammé de  l'amour  de  Dieu  qu'un  soir,  pour  dissiper  les  ténèbres  de  sa  cel- 
lule, il  n'eut  qu'à  approcher  de  sa  poitrine  un  petit  morceau  de  cierge  qu'il 
tenait  à  la  main  ;  la  flamme  s'y  communiqua  aussitôt,  et,  par  un  double 
miracle,  ce  flambeau  éclaira  toute  la  nuit  sans  se  consumer. 

Le  saint  ermite,  sentant,  un  jour,  que  le  terme  de  son  pèlerinage  en 
cette  vallée  de  larmes  était  enfin  venu,  envoya  quelqu'un  avertir  Forminius 
de  l'extrémité  où  il  se  trouvait.  L'abbé  du  monastère  était  prié  instamment 
de  venir  voir  Savin  dans  la  journée  même,  pour  l'assister  dans  ses  derniers 
moments,  et  lui  donner  encore  sa  bénédiction.  L'abbé,  retenu  sans  doute 
par  des  soins  qui  ne  souffraient  pas  de  retard,  répondit  au  messager  qu'il 
n'irait  voir  le  saint  solitaire  que  le  lendemain.  D'ailleurs,  deux  de  ses  reli- 
gieux, Sylvien  et  Flavien,  assistaient  depuis  quelques  jours  l'ermite  malade 
dans  sa  cellule,  et  on  le  croyait  en  bonne  convalescence.  Saint  Savin  dépê- 
cha un  second  messager  à  Forminius,  avec  prière  de  le  venir  voir  dans  la 
journée,  ajoutant  qu'il  aurait,  le  lendemain,  une  occupation  plus  pressante. 
Le  Saint  voulait  par  là  faire  allusion  à  sa  mort.  Cependant,  Forminius  crut 
pouvoir  attendre  ;  mais  il  se  trompa. 

Pendant  les  treize  années  qu'il  avait  passées  dans  la  solitude,  le  Saint 
n'avait  eu  qu'un  but  :  celui  d'édifier  et  de  sanctifier  la  vallée  du  Lavedan  ; 
ses  vœux,  ses  prières,  ses  macérations  tendirent  constamment  vers  cette 
unique  fin.  Aussi,  avant  de  mourir,  il  voulut  lui-même  se  choisir  un  succes- 
seur qui  devait  avoir  pour  héritage  la  continuation  de  cette  œuvre  de  cha- 
rité qui  était  celle  de  son  cœur.  Après  avoir  disposé  du  peu  qu'il  avait  et 
donné  ses  derniers  conseils  aux  moines  qui  l'assistaient,  saint  Savin  ne 
songea  plus  qu'à  se  préparer  au  bonheur  suprême  de  recevoir,  pour  la  der- 
nière fois,  le  pain  des  anges  qui  devait  lui  servir  de  viatique.  Puis,  les 
mains  tendues  vers  le  ciel,  les  yeux  fixés  sur  l'image  de  son  Sauveur,  il 
s'endormit  du  sommeil  de  la  paix  en  rendant  sa  belle  âme  à  son  Créateur. 

Le  glas  funèbre  des  cloches  du  monastère  et  de  l'église  paroissiale  de 
Saint-Jean  annonça  aux  habitants  de  la  vallée  que  Savin  n'était  plus  Ce  ne 
fut,  dans  tout  le  Lavedan,  qu'un  cri  général  de  douleur  et  de  regrets  :  l'ami 
et  le  bienfaiteur  du  pays,  le  consolateur  des  affligés,  un  saint  ermite,  venait 
d'être  ravi  à  la  terre,  qu'il  avait  édifiée  par  tant  de  vertus  et  de  pénitence. 
Dès  que  Forminius  eut  acquis  la  triste  certitude  de  la  mort  de  Savin,  il 
donna  ses  ordres  pour  faire  transporter  dans  le  monastère  les  restes  mor- 
tels de  ce  grand  serviteur  de  Dieu,  qu'il  regardait  déjà  comme  un  trésor 
de  reliques  bien  précieuses  ;  et,  pendant  qu'on  se  mettait  en  mesure  de  lui 
obéir,  il  se  prépara  lui-même,  ainsi  que  tous  ses  religieux,  pour  aller  rece- 
voir ces  saintes  dépouilles,  à  l'entrée  du  village,  avec  toute  la  pompe  et 
tous  les  honneurs  de  l'Eglise. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Saint  Savin  reçut  la  sépulture  dans  le  monastère  même  du  Palais-Emilien,  où  les  populations 
accoururent  en  foule  de  toutes  parts  pour  accompagner  à  leur  dernière  demeure  et  contempler  une 


SAINT  SAVIN  DE  BARCELONE,   ANACHORÈTE.  221 

fois  encore  les  dépouilles  mortelles  du  saint  ermite.  Un  miracle  authentique,  qui  se  fît  avant 
même  que  son  corps  eût  été  déposé  dans  la  tombe,  prouve  qu'on  ne  met  pas  en  vain  sa  confiance 
dans  la  protection  des  Saints  que  Dieu  vient  de  ravir  à  la  terre. 

Ce  cruel  voisin  qui  avait  si  indignement  fait  outrager  notre  ermite,  et  que  nous  avons  laissé 
sous  le  coup  de  la  vengeance  divine  qui  le  frappa  subitement  de  cécité,  Chromatius,  reconnut 
enfin  sa  faute;  et,  plein  de  repentir  autant  que  de  confiance,  il  s'était  fait  conduire  au  lieu  même 
où  devait  passer  le  corps  du  Saint  en  traversant  le  village  d'Uz.  Quand  le  moment  est  venu,  on 
avertit  Chromatius  ;  il  s'approche  en  tremblant  du  cercueil  ;  il  le  touche  avec  confiance,  en  priant 
le  Saint  de  vouloir  lui  pardonner  sa  brutalité  d'autrefois,  et  aussitôt  ses  yeux  se  rouvrent  miracu- 
leusement à  la  lumière.  Tout  le  cortège  poussait  des  cris  d'admiration  et  de  joie. 

L'office  du  Saint  consacre  la  vérité  de  ce  fait,  et  le  tableau  placé  par  les  soins  des  moines 
dans  la  basilique  en  éternise  la  mémoire  ;  on  voit  encore  aujourd'hui,  sur  la  façade  d'une  maison 
d'Uz,  devant  laquelle  s'arrêta  le  convoi,  une  niche  avec  la  statue  du  Saint,  en  souvenir  de  ce 
même  miracle. 

Plus  tard,  le  précieux  corps  de  saint  Savin  fut  solennellement  déposé  au  fond  de  la  grande 
abside  de  l'église  qui  a  remplacé  le  Palais-Emilien.  C'est  cette  belle  église  du  style  roman  que 
l'on  voit  encore  aujourd'hui,  et  qui  a  mérité  d'être  classée  parmi  les  monuments  historiques  de 
l'Etat. 

Les  habitants  du  lieu,  pleins  de  reconnaissance  et  de  vénération  pour  la  mémoire  du  saint 
anachorète,  firent  construire  une  chapelle  sur  la  place  même  de  son  ermitage,  et  ôtèrent  à  leur 
commune  le  nom  de  Villabencer,  pour  lui  donner  celui  de  Saint-Savin,  qui  lui  est  resté  depuis. 
Cette  chapelle,  qui  a  traversé  tant  de  siècles  et  reçu  tant  de  pèlerinages,  ayant  fini  par  tomber 
en  ruines,  a  été  récemment  reconstruite. 

On  conserve  aussi,  comme  des  reliques,  une  calotte  et  un  peigne  qui,  d'après  une  pieuse  et 
respectable  tradition,  avaient  appartenu  à  Savin.  On  garde  encore  dans  l'église  une  châsse  en 
cuivre  argenté,  qui  renferme  quelques  ossements  de  l'illustre  solitaire.  On  l'expose,  en  certains 
jours  de  fête,  à  la  vénération  des  fidèles,  et  on  la  porte  processionnellement,  dans  l'intérieur  de 
la  paroisse,  le  dimanche  qui  tombe  dans  l'octave  de  la  fête  du  Saint.  La  fête  se  célèbre  le 
il  octobre. 

Le  bruit  des  miracles  opérés  sur  le  tombeau  de  saint  Savin,  qui  servit  longtemps  d'autel,  con- 
formément aux  coutumes  des  premiers  siècles,  attira  de  tous  les  alentours  une  foule  de  pèlerins 
qui  venaient  implorer  l'appui  d'un  si  puissant  protecteur  pour  obtenir  de  Dieu  quelque  grâce 
particulière.  Et  même  aujourd'hui,  après  tant  de  révolutions  et  de  bouleversements,  malgré  l'in- 
différence du  siècle  en  matière  de  religion,  combien  de  femmes  chrétiennes  viennent  encore  s'age- 
nouiller auprès  du  tombeau  du  Saint,  pour  demander  la  conversion  d'un  époux .  qui  passe  sa  vie 
sans  pratiques  religieuses,  la  conservation  d'un  enfant  chéri  qu'une  maladie  dévore,  ou  qui  se 
trouve,  loin  de  sa  famille,  exposé  aux  fureurs  des  tempêtes,  aux  périls  des  combats  !  Beaucoup 
d'étrangers  viennent,  tous  les  ans,  des  établissements  thermaux,  pour  demander,  par  l'intercession 
de  saint  Savin,  quelque  grâce  particulière  pour  eux-mêmes  ou  pour  ceux  qui  leur  sont  chers. 

On  vient  aussi  quelquefois  de  fort  loin  pour  demander  que  le  saint  Sacrifice  soit  célébré  dans 
l'église  où  reposent  ses  saintes  reliques,  avec  la  ferme  espérance  d'obtenir  plus  sûrement  ainsi 
une  faveur  toute  spéciale  que  l'on  désire.  Tantôt,  c'est  la  naissance  d'un  fils  ou  l'heureuse  déli- 
vrance d'une  épouse  qui  est  sur  le  point  de  devenir  mère  ;  tantôt  c'est  la  grâce  de  connaître  sa 
propre  vocation,  sur  laquelle  on  n'a  que  des  obscurités  ou  des  doutes  ;  tantôt  c'est  la  guérison 
d'une  personne  dangereusement  malade,  que  l'on  voudrait  à  tout  prix  conserver  encore. 

Comme  saint  Savin  avait  commencé  sa  carrière  religieuse  à  Poitiers,  dans  le  monastère  de 
Ligngé,  où  il  avait  suivi  son  cousin  pour  y  faire  ses  vœux  et  y  consommer  son  généreux  renon- 
cement aux  plus  belles  espérances  qui  l'attendaient  dans  le  monde,  Mgr  Pie,  évêque  de  Poitiers, 
voulant  donner  une  marque  publique  et  éclatante  de  sa  vénération  pour  les  reliques  du 
bienheureux  solitaire,  est  allé,  en  1851,  faire  un  pèlerinage  à  son  tombeau.  M.  Flurin,  qui  était 
alors  curé  de  la  paroisse,  lui  offrit  quelques  reliques  du  Saint,  que  le  pieux  évêque  accepta  avec 
la  plus  vive  reconnaissance. 

Le  11  mai  1850,  Mgr  Laurence,  évêque  de  Tarbes,  voulant  s'assurer  si  les  reliques  du  Saint 
avaient  été  respectées  par  le  vandalisme  révolutionnaire  de  93,  fit  ouvrir  son  tombeau  en  présence 
d'un  nombreux  clergé.  Après  un  religieux  examen,  il  fut  constaté  que  le  tombeau  était  resté  dans 
l'état  décrit  en  1634  par  F.  Gérard,  visiteur  de  la  Congrégation  de  Saint-Maur  pour  la  province 
d'Aquitaine.  Les  reliques  furent  ensuite  placées  sur  le  grand  autel  et  exposées  à  la  vénération  des 
fidèles,  après  quoi,  ayant  été  scellées  du  sceau  de  l'évêque,  elles  furent  remises  dans  le  tombeau. 

Nous  avons  extrait  cette  biographie  d'une  petite  brochure  intitulée  :  Vie  de  saint  Savin,  anachorète  du 
Lavedan,  par  M.  l'abbé  Abbadie,  curé  de  Saint-Savin.  Tarbes,  1861. 


I 


222  9  OCTOBRE. 


SAINT  GOSWIN  x  DE  DOUAI, 

SEPTIÈME  ABBÉ  DU  MONASTÈRE  D'ANCHIN,  AU  DIOCÈSE  DE  CAMBRAI 
H65.  —  Pape  :  Alexandre  III.  —  Roi  de  France  :  Louis  VII,  le  jeune. 


En  vérité,  il  n'est  pas  d'offrande  plus  dignft  dd  Die» 
que  la  prière.  Saint  Jean  Chrysostome. 

L'un  des  noms  les  plus  illustres  que  revendiquent  à  cette  époque  la 
religion  et  la  science  est  celui  de  saint  Goswin,  septième  abbé  du  monas- 
tère d'Anchin.  Il  naquit  à  Douai,  de  parents  honnêtes,  qui  prirent  soin  de 
son  éducution  et  le  formèrent  de  bonne  heure  à  la  pratique  des  vertus 
chrétiennes.  Un  goût  extraordinaire  pour  l'étude  se  manifesta  en  lui  dès 
ses  plus  tendres  années,  et  lui  fit  faire  en  peu  de  temps  de  rapides  progrès. 
Envoyé  à  Paris  pour  suivre  les  cours  de  la  célèbre  université  de  cette  ville, 
le  vertueux  jeune  homme  se  fit  encore  plus  remarquer  parla  parfaite  inno- 
cence de  sa  conduite  que  par  l'intelligence  avec  laquelle  il  développait  les 
questions  les  plus  difficiles.  Le  disciple  devint  bientôt  maître  à  son  tour,  et 
de  nombreux  élèves  attirés  autant  par  l'aimable  douceur  de  ses  manières 
que  par  l'éclat  de  la  science,  vinrent  écouter  ses  leçons. 

Le  jeune  et  religieux  professeur  avait  soin  d'aller  souvent  puiser  dans 
la  lecture  des  livres  saints  l'esprit  de  foi  et  d'humilité,  sans  lequel  l'homme 
est  bien  exposé  à  s'égarer  dans  les  recherches  curieuses  de  la  science.  Sa 
piété  seule  l'eut  porté  à  suivre  cette  conduite  ;  la  vue  des  premiers  écarts 
d'Abeilard ,  qui  enseignait  en  même  temps  que  lui ,  ne  fit  qu'accroître 
encore  ce  sentiment  dans  son  cœur.  Cet  homme  extraordinaire,  que  ses 
talents  et  ses  connaissances  auraient  pu  rendre  une  des  gloires  de  l'Eglise, 
s'abandonnait  à  cet  esprit  d'orgueil  auquel  résiste  avec  peine  une  âme  qui 
n'est  pas  profondément  religieuse.  Stimulé  de  plus  en  plus  par  un  subtil 
amour-propre  qui  se  cache  souvent  sous  les  apparences  du  zèle,  il  se  per- 
suadait que  les  applaudissements  irréfléchis  de  ses  légers  et  frivoles  audi- 
teurs devaient  l'emporter  sur  la  critique  sage  et  charitable  de  ceux  qui 
ont  reçu  la  mission  de  conserver  le  dépôt  de  la  vérité.  Abeilard  préférait  la 
puérile  satisfaction  de  cette  popularité  d'un  jour  au  plaisir  de  reconnaître 
par  un  noble  aveu  qu'il  s'était  trompé  ;  il  soumettait  au  tribunal  de  sa  rai- 
son, élevée  sans  doute,  mais  bornée  et  faillible  comme  toute  raison  humaine, 
les  dogmes  sacrés  et  les  mystères  redoutables  que  la  raison  ne  peut  atteindre 
et  devant  lesquels  elle  doit  s'incliner. 

Goswin  déplorait  amèrement  ces  écarts  d'un  esprit  qui  ne  savait  point 
reconnaître  et  respecter  les  bornes  de  la  science  humaine.  Il  gémissait  de 
voir  les  doctrines  sacrées  soumises  aux  disputes  de  l'école,  comme  ces  opi- 
nions humaines  que  l'Eglise  laisse  à  la  libre  discussion  des  intelligences. 
Bien  souvent  ses  propres  disciples  l'excitaient  à  prendre  la  parole  contre 
le  novateur  et  à  lui  montrer  la  fausseté  de  son  enseignement  et  sa  témérité. 
Goswin  refusa  longtemps  d'engager  une  lutte  dont  il  prévoyait  peut-être 

X.  Alias  :  Gosvin,  Uossuia. 


SAINT  GOSWIN  DE  DOUAI,    ABBÉ.  223 

l'inutilité.  L'amour-propre  d'Abeilard  était  trop  engagé  et  sa  vertu  trop 
faible  pour  qu'on  pût  espérer  de  lui  une  rétractation  humble  et  sincère. 
Toutefois,  afin  de  montrer  à  cette  jeunesse  avide  et  enthousiaste  qui  envi- 
ronnait la  chaire  du  sophiste,  qu'il  n'y  a  d'enseignement  vrai  que  celui  qui 
est  conforme  à  la  doctrine  de  l'Eglise,  il  prit  la  résolution  d'attaquer  quel- 
ques-unes de  ses  propositions. 

Abeilard  n'était  point  accoutumé  à  la  contradiction.  Gomme  tous  les 
savants  que  l'humble  simplicité  de  la  foi  ne  guide  point,  il  s'irrita  de  voir 
discuter  ses  opinions,  quand  il  discutait  lui-même,  avec  une  imprudente 
audace,  non  des  opinions,  mais  les  dogmes  sacrés  de  la  religion.  La  con- 
troverse entre  les  deux  professeurs  eut  lieu  en  présence  de  leurs  disciples  : 
Abeilard  eût  voulu  la  décliner  ;  il  lui  semblait  honteux  d'être  obligé  de 
disputer  contre  un  jeune  homme  qui  débutait  à  peine  dans  la  carrière  qu'il 
parcourait  déjà  depuis  longtemps.  Toutefois,  sur  les  instances  de  ses  élèves 
il  accepta  le  défi,  et  Goswin  ayant  formulé  une  proposition  contraire  à 
l'une  de  celles  qu'Abeilard  avait  soutenues  précédemment,  celui-ci  répon- 
dit sur-le-champ  pour  soutenir  son  opinion,  et  la  défendre.  Après  cette 
réplique  patiemment  écoutée,  Goswin  présenta  à  son  adversaire  une  suite 
d'arguments  si  logiques,  si  pressants,  de  déductions  si  rigoureuses,  qu'elles 
mettaient  à  nu  la  faiblesse  des  raisonnements  qu'on  lui  avait  opposés.  Sa 
victoire  fut  complète  et  elle  lui  mérita  un  véritable  triomphe  de  la  part  des 
étudiants  qui  le  ramenèrent  au  milieu  des  applaudissements  jusqu'à  sa 
demeure  K 

Ces  ovations  solennelles  et  justement  méritées  n'altérèrent  en  rien  l'hu- 
milité de  Goswin  ;  elles  lui  firent  comprendre  au  contraire,  d'une  manière 
plus  sensible,  les  pièges  cachés  à  l'amour-propre  des  hommes  de  science, 
qui,  au  lieu  de  rechercher  la  récompense  de  leurs  travaux  dans  le  senti- 
ment du  devoir  accompli  pour  Dieu,  vont  la  demander  aux  stériles  applau- 
dissements de  la  foule.  Ce  fut  surtout  alors  que  la  pensée  de  quitter  le 
monde  pour  se  consacrer  à  Dieu,  qui  l'avait  déjà  plus  d'une  fois  préoccupé, 
commença  à  faire  une  plus  profonde  impression  dans  son  âme. 

Après  avoir  terminé  avec  éclat  le  cours  de  ses  études,  saint  Goswin 
revint  à  Douai,  où  son  rare  mérite  le  fit  nommer  presque  aussitôt  chanoine 
du  chapitre  de  Saint-Amé.  Ce  n'était  point  là,  dans  les  desseins  de  Dieu, 
que  devait  se  fixer  le  brillant  philosophe,  l'illustre  antagoniste  d'Abeilard. 
La  providence  le  destinait  à  une  vie  de  retraite  et  de  solitude,  et  elle  lui 
inspira  la  pensée  de  se  rendre  à  Anchin,  dans  l'abbaye  de  Saint-Sauveur, 
où  florissaient  la  régularité  et  l'esprit  de  religion.  En  recevant  le  jeune 
postulant  qui  se  présentait  à  lui,  le  vénérable  Alvise,  alors  abbé  du  monas- 
tère, se  sentit  rempli  de  joie.  Néanmoins,  afin  d'éprouver  sa  vocation,  il 
lui  représenta  de  la  manière  la  plus  frappante  tous  les  sacrifices  qu'impo- 
sait la  vie  religieuse,  l'abnégation  complète  qu'elle  demandait,  et  la  sou- 
mission parfaite  qu'elle  exigeait  de  l'esprit  et  du  cœur. 

Ces  paroles,  écoutées  par  Goswin  avec  une  grande  attention,  ne  firent 
qu'augmenter  dans  son  âme  le  désir  qui  le  portait  à  embrasser  la  vie 
monastique.  Toutefois  il  ne  lui  fut  pas  possible  de  suivre  immédiatement 
cet  attrait,  et  le  démon  sembla  profiter  des  circonstances  qui  motivaient 
ce  délai  pour  presser  le  pieux  jeune  homme  par  toute  sorte  de  tentations. 

1.  Cette  rencontre  de  Goswin  et  d'Abeilard  est  racontée  par  le  moine  Alexandre,  contemporain  de 
Goswin,  dans  un  manuscrit  latin  du  xne  siècle,  dont  l'original,  provenant  d'Anchin,  se  trouve  à  la  biblio- 
thèque publique  de  Douai,  n°  813  du  catalogue.  Voir  le  savant  ouvrage  de  M.  Escallier,  sur  l'abbaye 
i' Anchin. 


224  9  OCTOBRE. 

Il  l'attaqua  donc  de  mille  manières  et  n'omit  aucune  des  ruses  infernales 
par  lesquelles  il  a  coutume  de  tromper  les  hommes.  Surtout  il  chercha  à 
le  gagner  par  cette  gloire  mondaine,  qui  s'attache  à  la  science  et  qui  séduit 
d'autant  plus  facilement  qu'on  est  moins  en  garde  contre  elle.  D'un  autre 
côté,  Goswin  était  très-fortement  sollicité  par  Haimeric,  l'un  de  ses  pre- 
miers maîtres,  à  aller  de  nouveau  à  Paris  où  son  talent  ne  manquerait 
point  de  briller  avec  éclat.  Le  jeune  savant  parut  céder  à  cette  proposition 
et  déjà  môme  il  faisait  avec  Haimeric  ses  dispositions  pour  le  départ,  quand 
celui-ci  tomba  malade  et  mourut.  Goswin  crut  reconnaître  un  avertisse- 
ment du  ciel  dans  cet  événement,  qui  fit  une  vive  impression  sur  son  es- 
prit. Les  sages  conseils  d'Alvise  vinrent  le  confirmer  dans  sa  résolution,  et 
bientôt,  rompant  généreusement  avec  le,  siècle,  il  se  retira  avec  son  frère 
Bernard  au  monastère  d'Anchin. 

Dès  les  premiers  jours  de  sa  consécration  au  Seigneur,  il  se  montra  un 
digne  et  fervent  religieux,  et  l'on  eût  dit  qu'il  ne  se  souvenait  plus  de  sa 
science  et  de  ses  triomphes  passés  que  pour  s'humilier  davantage  devant 
ses  frères.  Comme  toutes  les  vertus  extraordinaires,  celle  de  Goswin  devait 
être  soumise  à  l'épreuve.  Tout  à  coup  le  jeune  novice  se  sentit  attaqué  de 
tentations  et  de  dégoûts.  Les  exercices  de  piété  qui  avaient  pour  lui  autre- 
fois tant  de  charmes,  lui  causaient  maintenant  de  l'ennui,  et  une  vague 
tristesse  lui  ôtaient  cette  joie  intime  de  l'âme  qui  avait  fait  jusque-là  ses 
délices.  Au  milieu  des  perplexités  auxquelles  son  âme  était  exposée,  il 
n'oublia  point  les  armes  spirituelles  que  Dieu  met  entre  les  mains  de  ses 
serviteurs ,  pour  combattre  les  ennemis  du  salut.  Il  se  livra  malgré  ses 
dégoûts  au  saint  exercice  de  la  prière,  et  puisa,  dans  une  lecture  plus  assir- 
due  des  saintes  Ecritures,  des  faveurs  et  des  grâces  abondantes.  En  peu  de 
temps  il  eut  recouvré  le  calme,  la  paix  et  le  bonheur,  pour  ne  plus  les 
perdre  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie. 

Son  noviciat  terminé,  Goswin  reçut  la  prêtrise,  et  fut  choisi  bientôt 
après  pour  remplir  les  fonctions  de  prieur.  Il  s'en  acquitta  avec  succès,  et 
développa  encore  dans  la  communauté  déjà  si  régulière  d'Anchin  la  disci- 
pline religieuse.  Sa  réputation  se  répandit  rapidement  dans  les  monastères 
de  la  contrée,  et  plusieurs  abbés,  frappés  de  son  rare  mérite,  le  prièrent 
devenir  chez  eux  établir  parmi  leurs  religieux  une  sage  réforme.  Aivise  et 
Goswin  s'y  refusèrent  longtemps;  mais  enfin  il  fallut  céder  aux  instances 
pressantes  qui  leur  étaient  faites,  et  l'abbé  d'Anchin  permit  à  son  sage  et 
vénérable  prieur  de  se  rendre  successivement  à  Saint- Crespin  et  à  Saint- 
Médart  de  Soissons.  «  Or  »,  dit  un  chroniqueur  du  temps,  dans  une  méta- 
phore mystique,  «  Goswin  après  avoir  constitué  les  frères  sur  les  solides 
fondements  de  la  foi,  les  renferma  dans  le  cloître  quadrangnlaire  des  quatre 
vertus,  la  prudence,  la  justice,  la  tempérance  et  la  force,  soutenue  par 
d'innombrables  colonnes  d'autres  vertus,  et  plaçant  les  frères  dans  le  réfec- 
toire, à  la  table  des  anges,  il  les  nourrit  et  les  réconforta  de  la  parole  divine  ; 
et  la  doctrine  de  ses  discours  se  répandit  au  loin,  tellement  que  des  étran- 
gers mêmes  étaient  envoyés  pour  y  puiser  des  enseignements  ». 

Pendant  que  G  oswin  opérait  ces  œuvres  importantes,  les  évoques  de  France 
s'assemblaient  en  grand  nombre  à  Sens  pour  examiner  les  erreurs  d'Abei- 
lard  et  les  condamner.  Cet  hérésiarque,  comme  la  plupart  de  ceux  qui 
l'avaient  précédé,  se  rétractait  momentanément  pour  continuer  bientôt 
après  à  répandre  les  mêmes  erreurs.  La  sentence  des  Pères  du  Concile 
ayant  été  confirmée  par  le  pape  Innocent  II,  Abeilard  fut  envoyé  au  mo- 
nastère de  Saint- Médard  de  Soissons  et  confié  à  Goswin,  qui  était  encore 


SAINT  GOSWIN  DE  DOUAI,  ABBÉ.  225 

dans  cette  communauté.  Celui-ci  le  reçut  avec  une  grande  douceur,  lui 
présenta,  de  la  manière  la  plus  propre  à  le  toucher,  les  raisons  qui  devaient 
le  déterminer  à  abandonner  ses  anciennes  doctrines  pour  vivre  désormais 
tranquille  dans  l'obéissance  si  simple  et  si  raisonnable  de  la  foi.  Mais  il  y 
avait  trop  longtemps  qu'Abeilard  écoutait  son  orgueil  et  en  suivait  toutes 
les  aspirations,  pour  qu'il  acceptât  sans  réplique  des  conseils  aussi  sages. 
D'ailleurs  il  lui  répugnait  de  les  recevoir  de  la  bouche  d'un  homme  plus 
jeune  que  lui,  et  regardant  dans  Goswin  son  victorieux  antagoniste  d'au- 
trefois plutôt  que  le  religieux  le  plus  savant  et  le  plus  saint  de  la  contrée, 
il  s'oublia  jusqu'à  laisser  échapper  des  paroles  peu  respectueuses.  Goswin 
toutefois  ne  se  rebuta  point,  et  mêlant  à  la  douceur  une  sage  fermeté,  il 
sut  soumettre  au  joug  de  la  règle  commune  cette  nature  rebelle  et  orgueil- 
leuse. 

Cependant  ces  travaux  et  ces  solitudes  auxquels  venaient  se  joindre  les 
exercices  et  les  austérités  du  cloître  avaient  considérablement  affaibli  la 
santé  du  pieux  réformateur.  Il  craignait  d'une  part  de  ne  pouvoir  achever 
son  œuvre,  s'il  faisait  connaître  son  état  à  l'abbé  Aivise  ;  de  l'autre,  il  sentait 
que  son  mal  augmentait  chaque  jour  et  l'exposait  à  une  mort  assez  pro- 
chaine. Dieu,  pour  le  récompenser,  permit  qu'une  vision  miraculeuse  lui 
rendît  une  santé  dont  il  faisait  un  si  saint  usage.  Une  nuit  donc  que  les 
frères  étaient  allés  prendre  leur  repos,  Goswin  resta  dans  l'église,  selon  sa 
coutume,  occupé  à  la  prière.  Tout  à  coup  il  fut  ravi  comme  en  extase  et 
vit  se  présenter  à  ses  yeux  le  saint  pape  Grégoire  le  Grand,  pour  lequel  il 
avait  une  extrême*  vénération  et  dont  il  lisait  habituellement  les  œuvres. 
Le  pontife  semblait  tenir  dans  ses  mains  un  petit  vase  rempli  d'une  liqueur 
qu'il  présenta  à  Goswin.  «Buvez»,  lui  dit-il,  «  ceci  sera  salutaire.  Ne  crai- 
gnez pas,  cette  boisson  sera  dans  votre  bouche  comme  un  doux  miel  et 
vous  serez  guéri  ».  Goswin  prit  en  effet  le  remède,  puis  la  vision  ayant  dis- 
paru, il  revint  de  son  extase  et  reprit  son  oraison,  sans  plus  ressentir  la 
moindre  douleur  :  il  était  guéri. 

Quand  Goswin  eut  accompli  son  œuvre  à  Saint-Médard  de  Soissons,  il 
se  rendit  au  monastère  de  Saint -Rémi  de  Reims,  dont  l'abbé  l'avait  demandé 
avec  les  plus  vives  instances.  De  retour  à  Anchin  où  Aivise  l'avait  rappelé 
pour  l'établir  prieur  claustral,  il  apprit  qu'il  était  élu  abbé,  presque  en 
même  temps,  par  les  moines  de  l'abbaye  de  Saint-Pierre  de  Ghâlons-sur- 
Marne  et  par  ceux  de  Lobbes.  Mais  c'était  au  monastère  même  d'Anchin 
que  Goswin  devait  remplir  cette  charge  importante.  Aivise,  en  effet,  ayant 
été  appelé  à  cette  époque  à  gouverner  l'église  d'Arras,  privée  de  pasteur  par 
la  mort  de  Lambert  de  Guines,  tous  les  religieux  d'Anchin  choisirent  leur 
sage  et  digne  Prieur  pour  le  remplacer  dans  la  direction  de  l'abbaye  de 
Saint-Sauveur  (1130.) 

Goswin  était  alors  dans  la  force  de  l'âge  :  à  toutes  ses  brillantes  qualités 
il  unissait  une  expérience  consommée  dans  la  conduite  des  hommes  et  la 
connaissance  des  choses  de  Dieu.  Aussi  sa  longue  administration  fut-elle 
très-heureuse  et  l'abbaye  d'Anchin  prospéra-t-elle  sous  son  gouvernement. 
Tous  les  religieux  avaient  pour  lui  une  affection  si  sincère  et  un  respect  si 
profond,  qu'ils  s'attachaient  à  marcher  sur  ses  traces  et  à  pratiquer,  à  son 
exemple,  toutes  les  vertus  de  leur  état.  Que  si  quelquefois  il  était  obligé 
d'adresser  un  reproche  à  quelqu'un,  il  le  faisait  avec  une  douce  fermeté  qui 
rappelait  au  devoir  sans  laisser  aucune  amertume  dans  l'âme.  Tout  dans  sa 
personne  était  simple  et  sans  affectation,  et  il  inspirait  ces  dispositions  à 
ses  frères.  Les  étrangers  eux-mêmes  et  les  hôtes  qu'il  recevait  parfois  étaient 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII..  iS 


226  9  OCTOBRE. 

traités  avec  une  simplicité  qui  relevait  encore  à  leurs  yeux  le  mérite  de 
l'abbé  ;  de  sorte  qu'il  était  aimé  et  vénéré  de  tous  ceux  qui  l'approchaient. 

Plusieurs  guérisons  miraculeuses  que  Dieu  daigna  opérer  à  sa  prière 
augmentèrent  encore  cette  vénération  générale.  On  rapporte  qu'un  jour  de 
dimanche,  tandis  qu'il  célébrait  les  divins  mystères,  dans  une  chapelle 
consacrée  à  saint  Jean  Tévangéliste,  et  en  présence  d'un  grand  nombre  de 
fidèles,  un  aveugle  bien  connu  dans  la  contrée  se  trouva  parmi  les  assistants 
et  se  tint  appuyé  sur  une  petite  porte  de  cet  oratoire.  Tout  à  coup,  au  mo- 
ment où  le  saint  abbé  allait  répéter  pour  la  troisième  fois  Agnus  Dei, 
l'aveugle  élève  la  voix  et  s'écrie  :  «  Dieu  tout-puissant,  assistez-moi,  voilà 
que  je  vois  !  »  11  avait  en  effet  recouvré  la  vue,  et  tous  les  spectateurs,  joi- 
gnant leurs  voix  à  la  sienne,  bénissaient  le  Seigneur  qui  venait  d'opérer  une 
si  étonnante  merveille.  L'humilité  de  saint  Goswin  ne  leur  permit  point  de 
se  livrer  aux  démonstrations  de  respect  que  ce  miracle  les  portait  à  lui 
rendre  :  «  Dieu  »,  disait-il,  «  fait  ses  prodiges  par  qui  il  lui  plaît  et  même 
par  des  animaux  muets  ;  c'est  lui  qui  a  rendu  la  vue  à  cet  aveugle  ». 

Lorsque,  en  1148,  il  se  rendit  au  concile  de  Reims  que  présida  le  pape 
Eugène  III,  et  dans  lequel  furent  condamnées  les  erreurs  de  Gilbert  de  la 
Porée,  évêque  de  Poitiers,  le  Seigneur  daigna  opérer  encore  un  nouveau  et 
touchant  miracle  par  les  mains  de  son  serviteur.  Comme  l'archevêque  de 
Reims  l'avait  invité  inopinément,  et  que  l'époque  fixée  pour  l'ouverture  du 
concile  était  très-rapprochée,  l'abbé  n'avait  eu  que  quelques  heures  pour  se 
préparer  à  ce  long  voyage.  Les  religieux  chargés  de  l'administration  tempo- 
relle étant  absents  en  ce  moment,  saint  Goswin  se  mit  en  chemin  avec  deux 
petites  pièces  de  monnaie  seulement.  Arrivé  auprès  des  bois  du  village  de 
Montigny,  il  donna  l'une  de  ces  pièces  à  un  mendiant  qui  se  présenta  à  lui, 
et  l'autre  à  un  second  mendiant  qui  vint  à  sa  rencontre  un  peu  plus  loin. 
De  nouveaux  pauvres  arrivèrent  encore  après  ces  premiers,  et  le  saint 
homme,  portant  la  main  dans  sa  bourse,  y  trouva  d'autres  pièces  qui  se 
multiplièrent  ainsi  jusqu'à  son  arrivée  à  Reims. 

Là  saint  Goswin  rendit  ses  hommages  au  souverain  Pontife  qui,  de  con- 
cert avec  saint  Bernard,  l'y  avait  fait  appeler,  puis  il  commença,  autant 
que  le  permettaient  ses  occupations  nouvelles  et  les  circonstances,  à  suivre 
les  humbles  et  modestes  pratiques  de  la  vie  religieuse.  Le  concile  terminé, 
les  autres  prélats  se  retirèrent  dans  leurs  églises  ou  abbayes,  mais  l'abbé 
Goswin  fut  retenu  auprès  du  Pape,  qui  le  fit  entrer  dans  son  conseil  privé. 
Il  lui  confia  vers  le  même  temps  la  réforme  des  deux  monastères  de  Saint- 
Corneille  et  de  Saint-Cyprien  de  Compiègne,  où  des  religieux  d'Anchin 
furent  ensuite  envoyés  avec  de  sages  instructions  que  leur  donna  le  digne 
abbé. 

Rentré  dans  sa  communauté,  le  bienheureux  Goswin  continua  de  diriger 
ses  frères  dans  les  voies  de  la  perfection.  Malgré  son  grand  âge  et  ses  infir- 
mités, il  se  montrait  encore  le  plus  fervent  et  le  plus  fidèle  aux  moindres 
prescriptions  de  la  Règle  de  Saint-Benoît.  Dans  les  derniers  mois  de  l'an- 
née 1165,  il  se  sentit  attaqué  d'une  fièvre  violente  dont  les  accès  l'affaiblirent 
beaucoup  en  peu  de  temps.  Quand  le  mal  l'empêchait  de  célébrer  les  di- 
vins mystères,  on  le  voyait  se  traîner  péniblement,  appuyé  sur  les  bras  de 
quelques  religieux,  pour  aller  recevoir  dans  la  chapelle  la  sainte  commu- 
nion. Sentant  lui-même  que  sa  fin  approchait,  il  s'y  prépara  de  la  manière 
la  plus  édifiante.  Selon  la  touchante  pratique  des  abbayes  bénédictines,  il 
se  lit  coucher  sur  un  cilieç,  au  milieu  de  l'église,  en  présence  de  tous  ses 
enfants  réunis  autour  de  lui;  puis  le  vénérable  Hugues^  abbé  de  Saint- 


SAINT  GOSWIN  DE  DOUAI,  ABBÉ.  227 

Amand,  lui  administra  l'Extrême- Onction.  Adressant  ensuite  la  parole  à  ses 
disciples,  il  leur  représenta  les  avantages  précieux  de  la  paix  et  de  la  con- 
corde, à  laquelle  il  les  engageait  d'être  toujours  fidèles.  Il  les  exhorta  pa- 
reillement à  la  pratique  des  vertus  qui  font  le  parfait  religieux,  l'humilité, 
la  chasteté,  la  charité  et  la  miséricorde  envers  les  pauvres.  Il  ajouta  à  ces 
exhortations  les  avis  les  plus  sages  pour  le  choix  de  son  successeur,  afin  que 
tout  se  fît  selon  les  Règles  de  l'Ordre  et  dans  la  plus  grande  tranquillité. 

Reconduit  dans  sa  cellule  après  cette  cérémonie,  qui  arracha  des  larmes 
de  tous  les  yeux,  le  saint  vieillard  se  fit  lire  la  passion  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  pendant  que,  les  regards  fixés  sur  un- crucifix,  il  laissait  aller 
son  âme  à  tous  les  sentiments  pieux  qu'excitait  en  elle  cette  lecture.  Le 
jour  qui  précéda  sa  mort,  il  demanda  à  être  placé  de  nouveau  sur  ce  cilice. 
Comme  il  ne  pouvait  plus  parler,  on  le  vit  lever  les  yeux  et  les  mains  vers 
le  ciel,  quand,  dans  la  lecture  de  la  passion,  on  arriva  à  ces  mots  :  «  Mon 
père,  si  ce  calice  ne  peut  passer  sans  que  je  le  boive,  que  votre  volonté  soit 
faite  »,  voulant  témoigner  ainsi  qu'il  s'unissait  intimement  à  ce  sentiment 
de  l'âme  adorable  du  Sauveur. 

Ce  fut  le  samedi,  neuvième  jour  d'octobre  de  Tan  1165,  que  le  vénérable 
Goswin  rendit  l'esprit,  au  moment  où  arrivaient  de  toutes  parts  au  monas- 
tèse  d'Anchin  des  nobles  et  des  prélats  pour  la  fête  anniversaire  de  la  dédi- 
cace de  l'abbaye.  La  plupart  d'entre  eux  furent  témoins  de  cette  mort  édi- 
fiante, qui  fit  sur  leurs  cœurs  la  plus  salutaire  impression. 

«Le  corps  du  saiat  abbé  »,  continue  l'auteur  de  l'histoire  d'Anchin, 
«  ayant  été  îavéj*  puis  revêtu  de  la  coule  monacale,  et  par  dessus  d'orne- 
ments sacerdotaux  tout  blancs,  fut  porté  à  l'église,  au  milieu  de  chants 
lugubres,  et  déposé  au  milieu  du  chœur  des  chantres,  afin  qu'il  fût  en 
évidence  et  que  chacun  pût  le  contempler.  Il  ne  portait  aucune  trace  de  la 
mort,  et  on  aurait  dit  qu'il  était  seulement  endormi  dans  un  paisible  som- 
meil. Sa  face,  découverte  et  blanche  comme  ses  vêtements,  était  calme,  et 
une  auréole  sacrée  semblait  l'illuminer  et  répandre  un  charme  divin  sur 
tout  ce  petit  corps.  Il  serait  difficile  de  dire  le  nombre  des  fidèles  et  des 
frères  qui  se  pressaient  pour  baiser  ses  pieds  et  ses  mains  vénérables.  Il  fut 
enseveli  à  droite  du  presbytère  de  la  basilique  de  la  bienheureuse  Vierge 
Marie,  mère  de  Dieu,  dans  le  mur,  tout  près  de  l'endroit  où  il  avait  cou- 
tume, pendant  sa  vie,  de  venir  chaque  jour  prier  à  genoux  et  prosterné. 
Voici  la  traduction  de  l'épitaphe  qui  fut  gravée  sur  son  tombeau  :  «  Dans 
cette  petite  urne  est  enfermé  un  homme  de  haut  mérite,  de  vaste  renom- 
mée et  de  profonds  desseins;  vrai  dans  sa  foi,  ferme  dans  son  espoir,  d'une 
charité  ardente,  humble  d'esprit,  prudent  de  langage,  de  main  large  et 
bénigne.  C'était  Marthe  pour  l'action,  et  Marie  pour  son  amour  de  la  pa- 
role de  Dieu.  C'était  Lia  pour  la  fécondité,  Rachelpour  la  méditation,  Jacob 
pour  le  discernement  des  esprits,  Moïse  pour  l'oraison  continuelle,  Phinée 
pour  la  lutte  contre  le  mal.  0  Goswin,  le  neuvième  d'octobre,  qui  fut  ton 
dernier  jour,  te  rangea  parmi  les  neuf  ordres  suprêmes  des  Bienheureux, 
et  nous  gardons  tes  cendres  ici-bas,  nous  trouvons  un  patron  dans  celui  que 
ÏMeu  nous  avait  donné  pour  père  ». 

flous  avons  emprunté  cette  Tia  aux  Vies  des  Saints  des  diocèses  de  Cambrai  et  d'Arras,  par  M.  l'abbe" 

Destombes. 


228  9  OCTOBRE. 


SAINT  LOUIS  BERTRAND  DE  VALENCE, 

DE  L'ORDRE  DE  SAINT-DOMINIQUE 
1581.  —  Pape  :  Grégoire  XIII.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  IL 


Seigneur,  brûlez,  frappez,  ne  m'épargnez  pas  en  ce 
monde  afin  que  je  mérite  d'être  épargné  dans 
l'autre.  Maxime  du  Saint. 

Louis  naquit  à  Valence,  en  Espagne.  Son  père,  Jean-Louis  Bertrand, 
notaire  de  la  même  ville,  et  sa  mère  Jeanne-Angélique  Exarch,  vivaient 
dans  les  pratiques  les  plus  solides  de  la  piété  chrétienne  et  s'étaient  acquis, 
par  leur  sagesse  et  leur  probité,  l'amour  et  l'estime  de  tous  ceux  qui 
avaient  le  bonheur  de  les  connaître. 

Il  fut  l'aîné  de  quatre  garçons  et  de  quatre  filles,  qui  se  sont  tous  ren- 
dus recommandables  par  leurs  vertus.  Le  jour  de  sa  naissance  fut  le  1er  jan- 
vier de  l'année  1526.  Il  reçut  le  baptême  et  les  noms  de  Jean-Louis  sur  les 
mêmes  fonts  où  saint  Vincent  Ferrier  avait  été  baptisé.  Son  enfance  fut  un 
heureux  présage  de  la  sainteté  de  toute  sa  vie.  Dès  l'âge  de  sept  ans,  il 
aimait  la  retraite,  la  mortification  et  l'oraison.  Il  était  si  respectueux  et  si 
obéissant  envers  ses  parents,  si  môBeste  dans  l'école  et  parmi  ses  compa- 
gnons et  si  religieux  dans  les  églises,  qu'on  jugeait  aisément  à  le  voir  que 
la  grâce  le  préparait  à  quelque  chose  d'extraordinaire.  S'étant  mis  sous  la 
conduite  du  révérend  Père  Ambroise  de  Jésus  de  l'Ordre  des  Minimes,  il 
profita  merveilleusement  d'une  si  sage  direction.  Après  la  mort  de  ce  saint 
homme,  Louis  prit  pour  directeur  le  révérend  Père  Laurent  Lopez  d'Ora- 
gna,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  Il  ne  fit  pas  de  moindres  progrès 
sous  cette  nouvelle  conduite  que  sous  la  première.  Dès  lors  il  fréquentait 
les  hôpitaux,  rendait  toutes  sortes  de  services  aux  pauvres  et  aux  malades 
et  passait  les  nuits  presque  tout  entières  en  oraison.  Enfin,  il  se  faisait  un 
modèle  de  vertu  et  une  leçon  vivante  à  toute  la  jeunesse  de  Valence. 

Après  avoir  en  vain  sollicité  de  ses  parents  la  permission  d'entrer  dans 
l'Ordre  de  Saint-Dominique,  il  obtint  enfin  cette  grâce  (1544).  Son  noviciat 
fut  un  exemple  de  toutes  les  vertus  religieuses.  Il  était  le  premier  et  le  plus 
ardent  à  toutes  les  observances  régulières.  Le  silence  était  son  entretien, 
le  jeûne  sa  nourriture,  la  prière  son  divertissement  et  les  œuvres  de  charité 
sa  plus  agréable  occupation. 

Apres  sa  profession,  il  joignit  inséparablement  l'étude  des  sciences  sa- 
crées aux  exercices  religieux.  Son  application  à  Dieu  était  si  parfaite,  qu'on 
le  trouvait  souvent  hors  de  lui-même.  Il  ne  mettait  presque  point  de  me- 
sure à  ses  mortifications  ni  à  ses  pénitences  ;  et  cette  assiduité  à  se  tour- 
menter lui-même  lui  attira  une  grande  maladie.  Lorsqu'il  fut  guéri,  il 
reprit  ses  premiers  exercices  avec  la  même  ardeur  qu'auparavant.  Tant  de 
perfections  jointes  à  une  érudition  très-éminente,  engagèrent  ses  supé- 
rieurs à  lui  faire  recevoir  l'Ordre  de  la  prêtrise  dès  l'âge  de  vingt  et  un  ans. 
Il  s'opposa  de  toutes  ses  forces  à  cette  disposition,  par  un  grand  sentiment 
qu'il  avait  de  son  indignité  ;  mais  cette  résistance  ne  fit  qu'augmenter  l'es- 


SAINT  LOUIS  BERTRAND  DE  VALENCE.  229 

time  que  l'on  avait  de  son  mérite.  Il  dit  sa  première  messe  le  23  octobre 
de  Tannée  1547,  après  toute  la  préparation  qu'exigeait  de  lui  un  mystère 
si  auguste  et  si  redoutable.  Depuis,  il  la  célébrait  tous  les  jours  avec  la 
même  abondance  de  larmes  que  la  première  fois.  On  l'envoya  ensuite  au 
couvent  de  Lombais,  nouvellement  fondé  par  saint  François  de  Borgia,  en- 
core duc  de  Candie,  pour  y  établir  l'observance  régulière  ;  mais  il  en  fut 
bientôt  rappelé  pour  assister  son  père  à  la  mort  :  ce  qu'il  fit  d'une  manière 
digne  de  sa  piété  et  de  sa  reconnaissance.  Il  fit  encore  beaucoup  plus,  pen- 
dant huit  ans,  pour  le  délivrer  des  peines  du  purgatoire,  auxquelles  la 
justice  divine  l'avait  condamné;  car  il  se  condamna  lui-môme,  pour  sa 
délivrance,  à  une  mfinité  de  pénitences  et  de  mortifications  qui  semblaient 
surpasser  toutes  les  forces  de  la  nature. 

Ayant  été  élu  maître  des  novices  en  1551,  on  ne  peut  exprimer  avec 
combien  de  sagesse  et  de  sainteté  il  s'appliquait  aies  bien  élever,  à  en  faire 
des  hommes  de  Dieu  et  des  religieux  pleins  de  l'esprit  de  saint  Dominique. 
Il  mêlait  une  douceur  de  mère  avec  une  rigueur  de  juge  ;  il  ne  leur  par- 
donnait pas  la  moindre  imperfection,  et,  néanmoins,  il  savait  si  bien  les 
gagner,  que  ses  châtiments  mêmes  leur  étaient  plus  agréables  que  les  ca- 
resses et  les  faveurs  de  leurs  meilleurs  amis.  Son  exemple  surpassait  toute 
la  force  et  la  sévérité  de  ses  instructions.  Il  était  si  exact  à  la  pratique  de 
sa  Règle,  qu'on  ne  l'eût  pas  vu  y  manquer  en  un  seul  point.  Il  faisait,  sans 
parler,  des  leçons  très-puissantes  et  très-énergiques  du  silence,  de  la  mo- 
destie, de  la  douceur,  de  la  patience,  de  la  charité,  de  la  mortification  et 
de  toutes  les  autres  vertus,  et  ses  disciples  n'avaient  qu'à  jeter  les  yeux  sur 
lui  pour  apprendre  en  un  instant  tout  ce  qu'ils  étaient  obligés  de  faire. 

Une  peste  qui  désola,  en  1560,  la  ville  et  le  royaume  de  Valence,  obli- 
gea ses  supérieurs  de  l'envoyer  au  couvent  d'Alphaïde  et  de  l'en  établir 
vicaire.  C'était  un  couvent  pauvre  et  solitaire,  où  rien  ne  l'empêchait  de 
s'appliquer  à  l'oraison  et  aux  exercices  de  la  pénitence.  Il  s'y  prépara,  par 
ces  exercices,  au  grand  ministère  de  la  prédication  de  l'Evangile  ;  et  ce  fut 
là  qu'il  commença  à  monter  en  chaire  pour  instruire  les  peuples  et  leur 
enseigner  les  voies  du  salut.  Comme  il  avait  allumé  dans  son  cœur  un 
grand  brasier  de  l'amour  divin,  et  qu'il  ne  commençait  jamais  ses  sermons 
sans  avoir  encore  augmenté  ce  feu  par  la  considération  des  perfections  de 
Dieu  et  des  grâces  inestimables  de  Jésus-Christ,  il  le  communiquait  aisé- 
ment à  tous  ceux  qui  avaient  le  bonheur  de  l'entendre.  Il  fut  doué  dès  lors 
de  l'esprit  de  prophétie,  et  connaissant  par  cet  esprit  tantôt  l'extrême  pau- 
vreté, tantôt  la  mort  prochaine  de  quelques  personnes,  il  pourvut  aux  uns 
par  des  aumônes  secrètes  et  abondantes  et  disposa  les  autres  à  paraître 
devant  Dieu  en  les  pressant  de  se  munir  des  sacrements  de  l'Eglise.  Lorsque 
la  peste  fut  cessée,  on  le  rappela  au  couvent  de  Valence  et  au  même  em- 
ploi de  la  conduite  des  novices  :  mais  cela  ne  l'empêcha  pas  de  continuer 
ses  prédications  apostoliques.  L'Esprit  de  Dieu  l'avait  tellement  rempli 
que,  n'agissant  plus  que  par  ses  lumières  et  ses  mouvements,  il  était  ca- 
pable de  toutes  choses  ;  les  occupations  du  dedans  de  son  monastère  ne 
lui  ôtaient  point  le  temps  nécessaire  pour  le  secours  du  prochain. 

Ce  fut  alors  que  Notre -Seigneur  lui  inspira  le  grand  dessein  de  passer 
aux  Indes  Occidentales  et  dans  le  Pérou,  province  de  l'Amérique,  pour  y  tra- 
vailler à  la  conversion  des  infidèles  et  pour  y  trouver  l'occasion  du  mar- 
tyre, qu'il  désirait  avec  une  ardeur  incroyable.  Ce  dessein  fut  traversé  par 
ses  frères,  ses  parents,  ses  amis  et  plusieurs  religieux  de  son  Ordre,  qui  ne 
pouvaient  souffrir  d'être  privés  de  sa  présence  et  des  assistances  qu'ils  rece- 


230  &  OCTOBRE. 

vaient  de  sa  charité;  mais  l'amour  de  Dieu  et  le  zèle  du  salut  des  âmes  le 
rendirent  victorieux  de  tous  ces  obstacles.  Il  partit  de  Valence  seul,  à  jeun, 
à  pied,  et  une  petite  besace  sur  l'épaule,  où  il  portait  les  livres  et  les  hardes 
que  l'on  avait  jugé  lui  être  nécessaires.  Il  dit  la  messe  dans  une  église  voi- 
sine de  Notre-Dame  ;  là,  dans  la  ferveur  de  son  sacrifice,  il  s'offrit  à  Jésus- 
Christ  pour  endurer  toutes  sortes  de  fatigues  et  de  tourments,  et  la  mort 
même  pour  la  gloire  de  son  nom.  Après  la  messe,  il  renvoya  au  couvent 
tous  les  meubles  qu'il  avait,  afin  de  mieux  imiter  la  pauvreté  des  Apôtres, 
auxquels  Notre-Seigneur  recommande  dans  l'Evangile  de  ne  point  porter 
de  valise.  Son  compagnon  l'ayant  rejoint,  ils  arrivèrent  ensemble  à  Séville, 
où  ils  s'embarquèrent,  avec  d'autres  religieux  du  même  Ordre,  pour  Cartha- 
gène.  En  chemin,  il  guérit  miraculeusement  un  de  ces  missionnaires,  qui 
avait  reçu  une  plaie  mortelle  à  la  tête  par  la  chute  d'un  morceau  de  bois 
qui  tomba  de  la  hune  du  vaisseau.  Dès  qu'il  fut  dans  le  pays,  il  s'appliqua 
au  grand  ministère  du  salut  des  âmes,  auquel  la  divine  Providence  l'appe- 
lait :  d'abord  il  se  servit  d'un  truchement,  parce  qu'il  ne  savait  pas  la  langue 
des  Indiens,  et  que  ces  infidèles  n'en  tendaient  ni  le  latin  ni  l'espagnol;  mais, 
ayant  été  trompé  par  cet  interprète,  qui  donnait  un  sens  contraire  à  ses 
paroles,  il  obtint  de  Dieu  le  don  des  langues;  de  sorte  que,  parlant  son  seul 
espagnol,  il  était  entendu  de  toutes  personnes  de  quelques  pays  et  langues 
qu'elles  fussent.  Ainsi,  il  fit  un  grand  nombre  de  conversions,  selon  les  actes 
du  procès  de  sa  canonisation;  jamais  aucun  prédicateur  n'en  a  fait  une  si 
grande  quantité  parmi  les  Indiens.  Il  joignait  à  la  force  de  ses  discours,  qui 
pénétraient  jusqu'au  fond  des  cœurs,  des  prières  et  des  larmes  continuelles 
aux  pieds  de  la  miséricorde  de  Dieu,  et  une  austérité  que  nous  pouvons  ap- 
peler impitoyable.  Il  demeurait  des  semaines  et  des  mois  entiers  dans  des 
cabanes  champêtres,  dépourvu  de  toutes  les  choses  nécessaires  à  la  vie, 
pour  avoir  plus  de  commodité  de  traiter  avec  les  habitants  du  Pérou  :  il 
faisait  encore  pour  cela  de  longs  voyages  à  pied  et  à  jeun,  sur  des  mon- 
tagnes sèches  et  brûlantes,  dans  les  plus  grandes  chaleurs  de  l'été.  Il  y  eut 
cependant  des  envieux  qui  calomnièrent  son  innocence  et  voulurent  le 
faire  passer  pour  un  hypocrite;  mais  il  les  surmonta  par  sa  patience  et  par 
sa  charité,  et  nulle  de  ses  adversités  ne  fut  capable  de  diminuer  la  ferveur 
de  son  zèle.  Dieu  le  nourrit  quelquefois  par  des  voies  surnaturelles  et  le 
rendit  un  sujet  d'étonnement  et  d'admiration,  soit  par  des  lumières  pro- 
phétiques qu'il  lui  donna,  soit  par  les  miracles  qu'il  lui  fallait  opérer  pour  la 
confirmation  des  vérités  qu'il  publiait. 

Dans  sa  mission  de  Tubera,  il  baptisa  de  sa  main  dix  mille  cinq  cents 
Indiens,  outre  ceux  qu'il  fit  baptiser  par  ses  compagnons,  et  il  les  obligea 
de  brûler  leurs  idoles  avec  les  lieux  de  leurs  abominables  sacrifices.  Le  pre- 
mier auquel  il  conféra  ce  Sacrement  fut  un  moribond  que  son  père  lui 
apporta  par  un  mouvement  de  l'Esprit  de  Dieu,  qui  lui  dit  intérieurement 
que  son  fils  serait  bienheureux  dans  le  ciel  si  saint  Louis  versait  un  peu 
d'eau  sur  sa  tête.  En  effet,  l'enfant  mourut  incontinent  après  son  baptême 
et  fut,  par  ce  moyen,  le  premier  des  Indiens  que  notre  apôtre  gagna  à 
l'éternité  bienheureuse.  Ce  qui  le  rendit  si  puissant  dans  cette  entreprise, 
ce  fut  principalement  sa  vie  plus  angélique  qu'humaine;  car,  nonobstant 
ses  jeûnes  excessifs,  qu'il  continuait  quelquefois  pendant  trois  jours  sans 
prendre  aucun  aliment,  il  se  mettait  souvent  le  corps  tout  en  sang  avec  une 
discipline  de  1er.  Il  avait  tant  de  douceur,  qu'il  charmait  ses  plus  cruels 
ennemis.  Par  ce  moyen,  il  désarma  un  adultère  public,  qui,  pour  se  ven- 
ger de  la  correction  charitable  qu'il  lui  avait  faite,  voulut  l'assommer  d'un 


I 


SAINT  LOUIS   BERTRAND  DE  VALENCE.  231 

coup  de  massue  pendant  qu'il  prêchait  à  ia  porte  de  l'église.  Tout  l'enfer 
se  souleva  pour  arrêter  les  progrès  de  son  zèle  et  de  ses  prédications  apos- 
toliques. Il  suscita  des  femmes  débauchées  pour  le  solliciter  au  mal  et  lui 
faire  perdre  sa  virginité  qu'il  estimait  plus  que  tous  les  trésors  du  monde, 
et  il  souleva  des  séditions  furieuses  contre  lui;  il  le  tenta  de  toutes  les  ma- 
nières capables  d'ébranler  sa  constance  :  et  le  démon  même  lui  apparut 
sous  un  habit  d'ermite  pour  le  détourner  de  travailler  à  la  conversion  de 
ces  idolâtres,  dont  la  brutalité  était  encore  plus  incurable  que  l'infidélité. 
Mais  notre  Saint  surmonta  tous  ces  artifices  par  sa  fermeté  et  par  son  cou- 
rage intrépide,  et  il  n'y  eut  point  de  combats  dont  il  ne  sortît  victorieux, 
et  qui  ne  servissent  à  le  rendre  plus  glorieux  devant  Dieu  et  devant  les 
hommes.  11  ne  lit  pas  moins  dans  ses  missions  de  Gapicoa  et  de  Paluato  que 
dans  celle  de  Tubuta.  Il  ne  voulut  jamais  y  être  servi  par  des  femmes  et 
des  enfants  indiens,  quoique  les  missionnaires  le  souffrissent  sans  scrupule. 
Il  refusa  toujours  constamment  des  rétributions  qu'on  lui  offrit,  soit  pour 
ses  messes,  soit  pour  l'administration  des  Sacrements,  soit  pour  la  sépul- 
ture des  morts  :  ce  qui  le  fit  appeler  le  religieux  de  Dieu.  Tantôt  il  attira 
la  pluie  par  ses  prières  sur  les  terres  sèches  et  près  de  perdre  leur  moisson, 
tantôt  il  la  détourna  de  dessus  sa  tête  et  des  personnes  qui  l'accompa- 
gnaient. Presque  tous  les  habitants  de  ces  deux  provinces  furent  si  touchés 
de  ces  prodiges  et  de  la  pureté  de  sa  vie,  qu'ils  quittèrent  leurs  supersti* 
tions  pour  embrasser  la  foi  catholique.  Quinze  mille  firent  la  même  chose 
à  la  suite  de  ses  exhortations  tout  enflammées  sur  la  montagne  de  Sainte- 
Marthe,  et  quantité  de  Caraïbes,  de  Sépencoa  et  de  Petua  imitèrent  aussi 
leur  ferveur.  Des  païens  à  qui  il  avait  reproché  un  sacrilège,  l'ayant  empoi- 
sonné, le  poison  ne  lui  fit  aucun  mal.  Ce  prodige,  joint  à  la  grande  con- 
fiance du  Serviteur  de  Dieu,  qui  alla  lui-même  au-devant  de  ces  barbares 
lorsqu'ils  vinrent  en  troupe  pour  l'achever,  servit  à  leur  conversion.  Il  les 
catéchisa,  les  baptisa  et  en  fit  de  bons  chrétiens;  il  conféra  ce  Sacrement  à 
un  prêtre  des  idoles  et  à  un  cacique  qui  le  firent  appeler  étant  près  de  mou- 
rir, et  il  les  fortifia  par  le  signe  de  la  croix  contre  les  embûches  du  démon, 
qui  n'épargna  rien  pour  les  pervertir  à  cette  dernière  heure. 

Nous  serions  trop  long  si  nous  voulions  suivre  notre  bienheureux  mis- 
sionnaire à  Ténériffe,  à  Monpox,  à  Turvaco,  dans  l'île  de  Saint-Thomas  et 
aux  autres  lieux  où  il  a  porté  l'Evangile  ;  il  fit  partout  de  belles  prédictions, 
dont  l'événement  a  montré  qu'il  possédait  éminemment  l'esprit  de  prophé- 
tie. Il  guérit  surnaturellement  des  malades  dont  la  santé  était  entièrement 
désespérée.  Il  prit  encore  du  poison  très-violent  sans  en  recevoir  aucune 
incommodité.  En  étendant  les  bras  contre  un  arbre,  il  y  imprima,  comme 
une  cire  molle,  le  signe  salutaire  de  la  croix,  qui  servit  à  désabuser  et  à 
éclairer  plusieurs  infidèles.  On  le  vit  tantôt  élevé  de  terre,  tantôt  couvert 
de  lumière,  et  assisté  de  saint  Ambroise  et  de  saint  Thomas  d'Aquin,  dont 
les  visages  et  les  habits  n'étaient  pas  moins  éclatants  que  les  rayons  du 
soleil.  Enfin,  sa  vie  et  ses  actions  étaient  des  miracles  continuels,  et  chacun 
le  regardait  comme  un  saint  et  comme  un  ange  envoyé  du  ciel  pour  la 
bénédiction  de  l'Amérique. 

Cependant,  plusieurs  raisons  l'obligèrent  de  souhaiter  et  même  de  de- 
mander une  obédience  pour  retourner  en  Espagne.  La  principale  était  que 
la  cruauté,  la  vie  impie  et  débordée,  et  l'avarice  insatiable  de  la  plupart 
des  officiers  espagnols  qui  avaient  commandement  sur  les  Indiens,  étaient 
un  obstacle  insurmontable  à  l'entière  conversion  de  ces  infidèles,  parce 
que,  voyant  dans  ces  commandements  catholiques  une  conduite  tout  oppo- 


232  9  OCTOBRE. 

sée  aux  maximes  qu'on  lui  prêchait,  ils  ne  pouvaient  se  persuader  que 
notre  religion  fût  aussi  sainte  qu'on  tâchait  de  le  leur  faire  comprendre. 

Il  s'embarqua  dès  qu'il  en  eut  obtenu  la  permission  de  ses  supérieurs. 
Après  avoir  apaisé,  par  le  signe  de  la  croix,  une  horrible  tempête  qui  avait 
déjà  rompu  l'antenne  et  le  gouvernail  de  son  vaisseau,  il  arriva  heureuse- 
ment à  Séville  et  de  là  à  Valence,  où  il  fut  reçu  avec  joie  et  avec  un  applau- 
dissement que  l'on  ne  peut  exprimer.  Le  premier  emploi  qu'on  lui  donna, 
fut  celui  de  prieur  du  couvent  de  Saint-Onuphre,  assez  près  de  cette  der- 
nière ville.  Il  fit  éclater  l'esprit  de  prophétie  dont  Dieu  l'avait  favorisé,  soit 
en  pénétrant  les  fautes  les  plus  secrètes  de  ses  religieux,  soit  en  découvrant 
les  besoins  de  plusieurs  personnes  qui  étaient  dans  la  nécessité.  Il  y  multi- 
plia si  prodigieusement  quelques  morceaux  de  pain,  qui  suffisaient  à  peine 
pour  la  nourriture  d'un  religieux,  que  toute  sa  communauté  et  ses  domes- 
tiques en  furent  parfaitement  rassasiés.  Il  fit  des  charités  extraordinaires 
aux  pauvres,  sans  que,  pour  cela,  le  couvent  en  souffrît  aucun  dommage  : 
parce  que  la  Providence  divine  y  pourvoyait  surnaturellement  et  faisait 
trouver  de  l'argent  dans  sa  chambre  sans  que  personne  l'y  eût  apporté. 
Prêchant  le  Carême  à  Moncade,  il  changea  toute  la  face  de  la  ville  :  de 
sorte  que  le  blasphème,  l'impudicité,  le  luxe,  l'ivrognerie  et  le  libertinage 
en  furent  presque  entièrement  bannis.  Lorsque  le  temps  de  son  supériorat 
fut  fini,  on  lui  redonna  à  Valence  la  charge  du  noviciat,  dont  il  s'acquitta 
avec  une  nouvelle  ferveur.  Il  avoua  un  jour  à  un  de  ses  novices  qu'il  avait 
souvent  vu  le  démon,  sous  la  figure  d'un  vilain  Maure,  rôder  autour  des 
chambres  de  ses  frères  pour  les  tenter  et  les  détourner  de  leur  vocation. 

Peu  de  temps  après,  il  fut  élu  prieur  du  même  couvent  de  Valence,  qui 
est  l'un  des  plus  considérables  de  l'Ordre.  Il  était  si  pénétré  de  son  insuffi- 
sance et  de  son  indignité,  qu'il  fit  toutes  sortes  d'efforts  pour  se  décharger 
de  ce  fardeau  ;  mais,  comme  saint  Jérôme  le  disait  autrefois  de  Népotien, 
plus  il  s'opposait  à  son  exaltation,  plus  il  attirait  sur  lui  les  désirs  et  l'a- 
mour de  ses  confrères.  N'ayant  pu  éviter  d'être  confirmé  dans  sa  charge, 
il  se  mit  à  genoux  devant  l'image  de  saint  Vincent  Ferrier,  et  pria  ce  Saint 
d'être  le  véritable,  l'unique  prieur  de  sa  maison,  protestant  qu'il  ne  voulait 
être  que  son  sous-prieur.  Alors  l'image  s'inclina  devant  lui,  l'embrassa  et 
le  releva  de  terre  ;  ce  qui  le  remplit  d'une  grande  confiance  en  Dieu  et 
d'une  vigueur  admirable  dans  l'exercice  de  sa  charge.  Il  prit  aussi  pour 
devise  ces  paroles  de  saint  Paul  :  «  Si  je  voulais  plaire  aux  nommes,  je  ne 
serais  plus  serviteur  de  Jésus-Christ  ».  Ce  fut  principalement  dans  ce 
monastère  qu'il  se  montra  le  modèle  d'un  parfait  supérieur  ;  on  n'en  vit 
jamais  ni  de  plus  charitable  envers  ses  religieux,  ni  de  plus  zélé  pour  leur 
avancement  spirituel,  ni  de  plus  exact  à  tous  les  points  de  l'observance 
régulière,  ni  de  plus  fervent  et  de  plus  pathétique  dans  les  remontrances 
et  les  exhortations  du  Chapitre,  ni  même  de  plus  vigilant  sur  le  temporel 
de  la  maison.  Il  recommandait  surtout  la  charité  commune,  ennemie  de 
la  singularité;  l'occupation  sainte,  contraire  à  l'oisiveté,  l'obéissance  et  la 
fuite  des  conversations  avec  les  séculiers.  Il  veillait  extrêmement  sur  les 
ieunes  religieux,  et  voulait  que  tout  le  temps,  hors  les  heures  nécessaires 
de  relâchement,  fût  partagé  entre  l'oraison  et  l'étude.  Orationi  lectio,  lec- 
tioni  succédât  oratio,  leur  disait-il  après  saint  Jérôme  :  «  Que  la  lecture 
suive  l'oraison,  et  que  l'oraison  suive  immédiatement  la  lecture  ».  Il  faisait 
aussi  de  grandes  charités  aux  pauvres,  ayant  pour  maxime  que  ce  qui  sort 
des  couvents  par  la  porte  pour  les  soulager,  y  rentre  avec  plus  d'abondance 
par  l'église.  Les  prisonniers  pour  dettes  ou  pour  crime  étaient  le  sujet  con- 


SAINT  LOUIS  BERTRAND  DE  VALENCE.  233 

tinuel  de  ses  saints  empressements.  Il  quêtait  pour  les  uns,  sollicitait  pour 
les  autres,  et  n'épargnait  rien  pour  leur  assistance  spirituelle  et  temporelle. 
Il  eut,  durant  ce  même  temps,  de  grandes  et  de  fréquentes  révélations  du 
ciel.  La  disposition  intérieure  des  personnes  qui  l'approchaient  lui  était 
connue  :  ce  qui  faisait  qu'il  souffrait  de  grandes  peines  quand  des  gens  de 
mauvaise  vie  venaient  traiter  de  quelque  affaire  avec  lui.  Il  apprenait  aussi 
fort  souvent  l'état  de  ses  religieux  et  de  ses  amis  qui  venaient  de  mourir, 
afin  d'être  plus  porté  à  les  secourir  dans  leurs  besoins. 

Au  sortir  de  sa  charge  de  prieur,  il  fut  affligé  de  grandes  maladies  qui 
l'accablèrent  de  douleurs  et  le  réduisirent  à  une  maigreur  et  à  une  faiblesse 
si  grandes,  qu'il  faisait  compassion  à  tout  le  monde  ;  mais,  bien  loin  de 
s'en  affliger,  il  en  avait  une  joie  extrême,  et  répétait  continuellement 
devant  Dieu  ces  paroles  de  saint  Augustin  :  Hic  ure,  hic  seca,  ut  in  aeternum 
parcas  :  «  Brûlez-moi,  déchirez-moi,  Seigneur,  en  cette  vie,  afin  de  me  par- 
donner en  l'autre  »;  ou  ces  autres:  Hic  non  parcas,  ut  in  xternum  parcas  : 
«  Ne  me  pardonnez  pas  sur  la  terre,  afin  de  me  pardonner  dans  l'éternité  ». 
Ces  infirmités  n'empêchèrent  pas  qu'il  fût  recherché  et  consulté  de  tout  le 
monde,  et  qu'il  satisfît  à  ceux  qui  le  venaient  trouver,  avec  une  prudence 
et  une  tranquillité  admirables.  On  le  demandait  aussi  très-souvent,  soit  pour 
assister  les  malades  à  la  mort,  soit  pour  prêcher  dans  les  plus  grandes  chai- 
res ;  Dieu  l'a  quelquefois  soutenu  et  fortifié  miraculeusement  pour  donner 
cette  satisfaction  au  peuple,  et,  tout  malade  qu'il  était,  il  guérissait  les  ma- 
lades qu'on  lui  présentait,  en  disant  sur  eux  une  oraison  de  saint  Vincent 
Ferrier.  Il  fut  honoré  dans  le  Cloître,  de  la  visite  de  saint  François,  dont  il 
baisa  les  pieds  ornés  des  stigmates  de  Jésus-Christ  ;  et  de  celle  de  saint  Do- 
minique, qui  lui  permit  seulement  de  baiser  sa  main.  La  nuit  de  Pâques  de 
l'année  1579,  il  eut  une  vision  d'anges  qui  le  remplit  d'une  joie  inexpli- 
cable. Notre-Seigneur  s'est  fait  voir  aussi  à  lui,  tantôt  dans  l'état  de  sa  Pas- 
sion et  tel  qu'il  était  sur  la  croix,  tantôt  dans  une  majesté  souveraine  qui 
éblouissait  toutes  les  grandeurs  et  toutes  les  beautés  du  ciel  et  de  la  terre. 
Il  dit  la  messe  tant  qu'il  pût,  et  quand  son  infirmier  le  priait  de  demeurer 
au  lit  pour  ne  point  augmenter  ses  maux,  il  lui  disait  doucement  :  a  Ne 
craignez  rien,  mon  père,  les  sacrements  de  l'Eglise  ne  tuent  personne  ». 
Lorsqu'il  ne  la  pouvait  pas  dire,  il  ne  manquait  point  de  se  confesser  à  l'or- 
dinaire et  de  communier  avec  une  dévotion  merveilleuse.  Dans  le  plus  fort 
de  son  mal,  il  faisait  deux  heures  d'oraison  réglée;  il  était  toujours  en  la 
présence  de  Dieu  et  avait  continuellement  la  bouche  collée  sur  son  crucifix. 
Le  saint  archevêque  de  Valence,  Jean  de  Ribera,  était  souvent  auprès  de  lui 
et  lui  rendait  les  services  dont  il  avait  besoin. 

Ses  maladies  s'étant  tellement  augmentées ,  qu'il  n'y  avait  plus  d'espé- 
rance de  le  guérir,  il  n'y  eut  personne  de  considérable  dans  Valence  ni  aux 
environs  qui  ne  voulût  avoir  la  consolation  de  le  voir.  Deux  personnes  fu- 
rent même  transportées  miraculeusement  dans  sa  chambre  pour  n'être  pas 
privées  de  ce  bonheur,  savoir  :  une  sainte  religieuse  de  l'Ordre  de  Saint- 
François,  appelée  Angélique  d'Agulon  et  un  seigneur  de  Bulgarie,  qui  était 
tombé  malade  près  de  Valence,  dans  un  voyage  qu'il  faisait  pour  son  diver- 
tissement. Sa  préparation  à  la  mort  fut  admirable.  On  ne  peut  voir  une 
patience  plus  ferme,  une  résignation  à  la  volonté  de  Dieu  plus  générale, 
une  dévotion  plus  tendre  et  plus  constante,  ni  un  désir  de  souffrir  plus  vio- 
lent. Il  prédit  le  jour  de  sa  mort  à  l'archevêque  de  Valence,  au  prieur  de  la 
Chartreuse  de  Porta-Cœli  et  à  quelques  autres.  Saint  Vincent  Ferrier  le 
visita  dans  cette  extrémité  et  lui  fit  concevoir  de  nouvelles  ardeurs  de  l'a- 


234  9  OCTOBRE. 

mour  divin.  Enfin,  après  avoir  reçu  les  sacrements  de  l'Eglise  avec  toute  la 
ferveur  que  l'on  pouvait  souhaiter  dans  un  homme  si  rempli  de  l'Esprit  de 
Dieu,  il  rendit  son  âme  dans  les  transports  et  les  effusions  du  pur  amour, 
le  9  octobre  1581. 

Aussitôt  qu'il  fut  mort,  il  sortit  une  odeur  de  son  corps  qui  embauma 
toute  la  chambre.  On  vit  son  âme  monter  au  ciel  comme  un  rayon  de 
lumière,  et  on  entendit  les  anges  chanter  des  cantiques  avec  une  mélodie 
toute  céleste  ;  il  apparut  lui-même  à  plusieurs  personnes  pour  les  assurer 
de  sa  gloire  ;  tous  les  malades  qui  touchèrent  son  corps  et  une  infinité  d'au- 
tres qui  eurent  recours  à  son  intercession,  reçurent  une  parfaite  guérison. 
La  cathédrale,  les  douze  paroisses  de  la  ville  et  toutes  les  communautés 
religieuses  vinrent  en  procession  lui  rendre  leurs  respects.  On  le  mit  d'abord 
dans  le  caveau  destiné  pour  la  sépulture  des  religieux  d'un  mérite  extraor- 
dinaire ;  mais  six  mois  après  on  le  retrouva  entier,  exhalant  une  odeur 
merveilleuse,  et  on  le  plaça  dans  un  tombeau  élevé  de  terre  qu'on  lui  avait 
préparé  pour  honorer  sa  mémoire.  L'an  1647,  il  fut  trouvé  sans  corrup- 
tion, et  lorsqu'on  l'eut  porté  en  procession  par  toute  la  ville,  on  l'enferma 
dans  une  riche  châsse  d'argent  et  on  le  transféra  dans  une  chapelle  magni- 
fique que  l'on  avait  fait  bâtir  en  son  honneur  ;  ce  fut  après  que  le  pape 
Paul  V  eut  permis  d'en  faire  l'office  en  1608.  Enfin,  le  grand  nombre  des 
miracles  qu'il  n'avait  point  cessé  de  faire  depuis  son  décès  obligea  le  pape 
Clément  X,  en  Tannée  1671,  de  faire  le  décret  de  sa  canonisation. 

On  le  représente  :  1°  Eteignant  un  incendie  ;  2°  tenant  une  croix  ; 
3°  tenant  un  calice  surmonté  d'un  serpent. 

Voir  l'Année  dominicaine,  et  sa  Vie,  par  le  R.  P.  Jean-Baptiste  Feuillet. 


SAINTE  PUBLIE  D'ANTIOCHE,  ABBESSE  (ive  siècle). 

Un  incident  de  la  vie  de  sainte  Publie,  raconté  par  Théodoret,  dans  son  Histoire  ecclésiastique  t 
nous  fournit  les  renseignements  précieux  sur  la  constitution  intérieure  des  communautés  de  vierges 
chrétiennes  au  ive  siècle. 

«  La  ville  d'Antioche  »,  dit  cet  historien,  «  comptait  alors,  parmi  les  modèles  de  vertu  et  de 
charité  que  la  foi  du  Christ  avait  produits  dans  son  sein,  une  noble  veuve  du  nom  do  Publie.  Issue 
d'une  famille  illustre,  elle  avait  perdu  son  époux  à  la  fleur  de  l'âge.  Un  fils,  Jean,  lui  était  resté 
de  cette  union  brisée  prématurément  par  la  mort.  Mais  le  fils  fut  digne  de  sa  mère.  Il  se  consacra 
au  service  de  Dieu,  devint  prêtre,  et  durant  une  longue  carrière  de  dévouement  et  de  saintes 
œuvres,  fut  comme  le  prince  du  clergé  d'Antioche,  bien  que  sa  modestie  lui  eût  fait  refuser  à 
diverses  reprises  de  monter  sur  le  siège  épiscopal,  où  les  suffrages  unanimes  l'avaient  appelé. 
Publie  réunit  dans  sa  demeure  une  communauté  de  vierges  qui  s'engageaient,  par  un  vœu  perpé- 
tuel, à  vivre  dans  la  chasteté  et  l'obéissance.  Sous  la  direction  de  la  noble  veuve,  les  saintes  filles 
vaquaient  à  la  prière  et  chantaient  assidûment  les  louanges  du  Seigneur.  Un  jour,  l'empereur 
apostat  vint  à  passer  devant  cette  pieuse  maison.  Il  entendit  les  voix  des  saintes  filles  qui  psal- 
modiaient, en  alternant  le  chœur.  Il  prêta  l'oreille  à  leurs  chants  et  saisit  ces  paroles  de  David  : 
Simulacra  gentium  argentum  et  aurum,  opéra  manuum  hominum  :  «  Les  idoles  des  nations 
sont  d'argent  et  d'or  ;  elles  sont  l'œuvre  périssable  d'une  main  mortelle  ».  Puis  l'autre  chœur 
reprenait:  Similes  illis  fiant  qui  faciunt  ea,  et  omnes  qui  confidunt  in  eis:  «  Qu'ils  deviennent 
semblables  à  elles,  les  fabricateurs  d'idoles  et  tous  ceux  qui  les  adorent  I  »  Julien  irrité  fit  donner 
l'ordre  aux  vierges  de  se  taire  et  de  ne  plus  renouveler  à  l'avenir  leurs  chants  séditieux.  Publie, 
sans  tenir  compte  de  l'injonction,  fit  chanter  par  toutes  les  voix  le  psaume  lxvii6  :  Exsurgat  Deus 
et  dissipentur  inimici  ejus  :  «  Que  Dieu  se  lève  et  que  ses  ennemis  soient  dispersés  1  »  La  fureur 
de  l'apostat  fut  au  comble.  Il  envoya  saisir  la  maîtresse  du  chœur.  La  vénérable  matronne  comparut 


SOLITAIRES.         235 

devant  lui.  Sans  respect  pour  ses  cheveux  blancs  et  pour  la  sainteté  qui  respirait  sur  son  visage, 
il  la  fit  souffleter  par  les  soldats  de  son  escorte.  L'héroïque  chrétienne  subit  cet  outrage  en  bénis- 
sant le  Seigneur,  et  rentra  dans  sa  retraite,  où  elle  continua  les  chants  pieux  qui  jadis  calmaient 
les  fureurs  de  Saùl,  tandis  qu'ils  surexcitaient  alors  celles  d'un  empereur  apostat  ». 

Extrait  de  V Histoire  générale  de  l'Eglise,  par  M.  l'abbé  Dan-as.  —  Cf.  Théodoret,  Histoire  ecclésias- 
tique, lir.  nr,  chap.  14. 


SAINT  ANDRONIC  D'ALEXANDRIE, 
ET  SAINTE   ATHANASIE   OU   ANASTASIE,    SON   ÉPOUSE, 

SOLITAIRES  (IVe  Siècle). 

Sous  l'empire  du  grand  Théodose  (379-395),  un  jeune  homme  nommé  Andronic,  qui  était 
banquier  de  profession,  épousa,  dans  la  ville  d'Alexandrie,  une  fille  appelée  Athanasie,  dont  le 
père  était  aussi  banquier.  Ils  possédaient  de  grandes  richesses,  mais  ils  en  faisaient  un  très-bon 
usage  ;  leur  piété  les  faisait  aimer  de  tout  le  monde.  Après  avoir  eu  pour  fruit  de  leur  mariage 
un  fils  qu'ils  nommèrent  Jean,  et  une  fille  qu'ils  appelèrent  Marie,  ils  résolurent  de  garder  en- 
semble une  parfaite  continence  ;  ce  qu'ils  observèrent  religieusement  le  reste  de  leur  vie.  La 
divine  Providence  leur  ayant  enlevé,  au  bout  de  douze  ans,  ces  deux  enfants,  qui  étaient  leur  plus 
grand  trésor,  Andronic  se  prosterna  contre  terre  et  en  fit  un  sacrifice  à  la  majesté  de  Dieu,  disant  : 
«  Comme  je  suis  sorti  nu  du-seia  de  ma  mère,  je  sortirai  aussi  nu  de  ce  monde;  Dieu  me  les 
avait  donnés,  il  me  les  a  ôtés  ;  que  sa* sainte  volonté  soit  faite  et  que  son  nom  soit  éternellement 
béni  !  »  Quant  à  Athanasie,  elle  en  fut  inconsolable  ;  et  on  ne  put  jamais  l'empêcher  de  passer  la 
première  nuit  sur  leur  tombeau,  dans  l'église  de  Saint-Julien,  lieu  de  la  sépulture  de  leurs  ancê- 
tres. Comme  elle  y  était  toute  plongée  dans  la  douleur,  cet  illustre  Martyr  lui  apparut,  vêtu  en 
religieux,  et,  l'assurant  que  ses  enfants  étaient  bienheureux  dans  le  ciel,  il  lui  fit  de  grands 
reproches  de  ce  qu'elle  pleurait  si  amèrement  leur  mort,  au  lieu  d'employer  ses  larmes  pour  pleu- 
rer ses  péchés.  Ces  paroles  la  consolèrent  et  loi  firent  avouer  l'inutilité  de  ses  soupirs  ;  mais  elle 
en  fut  en  même  temps  si  touchée  que,  de  retour  en  sa  maison,  elle  pria  son  mari  de  lui  permettre 
de  se  retirer  dans  quelque  monastère  pour  y  mener  une  vie  pénitente,  ainsi  qu'elle  avait  toujours 
eu  dessein  de  le  faire,  quoiqu'elle  n'eût  jamais  osé  lui  en  parler  du  vivant  de  ses  enfants.  Non- 
seulement  Andronic  y  consentit,  mais  il  voulut  lui-même  suivre  son  exemple.  Ils  résolurent  de 
faire  un  voyage  en  Palestine  pour  y  visiter  les  saints  lieux  ;  ayant  affranchi  leurs  esclaves  et  confié 
le  reste  de  leurs  biens  au  père  d'Athanasie,  ils  sortirent  la  nuit  de  la  ville  pour  se  rendre  à  Jéru- 
salem. Après  avoir  adoré  les  endroits  consacrés  par  la  présence  de  Notre-Seigneur,  ils  allèrent  à 
Alexandrie,  où  ils  firent  leurs  dévotions  au  sépulcre  de  saint  Menas,  célèbre  martyr  de  cette  ville. 
Athanasie  y  resta,  et  Andronic  alla  seul  visiter  les  laures  et  les  déserts  de  Scété,  en  Afrique, 
parce  qu'il  n'était  pas  permis  aux  femmes  d'y  entrer.  Ayant  ouï  parler  de  la  sainteté  de  l'abbé 
Daniel,  il  l'alla  trouver  pour  le  consulter  sur  le  dessein  qu'ils  avaient,  sa  femme  et  lui,  de  se 
retirer  dans  quelque  monastère.  Ce  saint  homme  lui  conseilla  de  mener  Athanasie  dans  la  Thé- 
baïde,  et  lui  donna  des  lettres  pour  la  faire  entrer  dans  celui  des  Tébensionites.  En  effet,  en  vertu 
de  cette  recommandation,  elle  y  fut  reçue,  cachant  son  sexe  sous  un  habit  d'homme  et  sous  le 
nom  d!Athanase.  Andronic  retourna  ensuite  vers  le  saint  abbé,  et,  ayant  été  revêtu  de  l'habit  reli- 
gieux, il  demeura  avec  lui  dans  sa  laure.  Ces  deux  époux  vécurent  ainsi  pendant  douze  ans 
séparés  l'un  de  l'autre,  pratiquant  saintement  et  avec  une  ferveur  admirable  tous  les  exercices  de 
la  vie  monastique. 

Au  bout  de  ce  temps,  sans  s'être  rien  communiqué,  ils  obtinrent  respectivement  de  leurs  supé- 
rieurs la  permission  de  faire  le  pèlerinage  de  Jérusalem,  et  se  rencontrèrent  sur  les  chemins. 
Athanasie  reconnut  facilement  son  mari,  mais  lui  ne  la  reconnut  pas,  et  la  prit  pour  un  religieux 
d'Egypte,  tant  elle  avait  le  visage  changé  et  noir  à  cause  de  ses  grandes  austérités.  Ils  se  joigni- 
rent pour  continuer  de  compagnie  leur  voyage,  à  condition,  pourtant,  qu'ils  garderaient  un  profond 
silence  comme  s'ils  eussent  été  seuls.  A  leur  retour  de  Jérusalem  à  Alexandrie,  Athanasie,  qui  ne 
se  faisait  point  connaître,  lui  proposa  de  s'y  arrêter  et  d'y  bâtir  une  cellule  commune  pour  mener 


236  *°  OCTOBRE. 

une  vie  plus  pénitente;  Àndronic  voulut  auparavant  consulter  l'abbé  Daniel,  qui  approuva  ce  des- 
sein. Ainsi,  ces  deux  saints  époux  demeurèrent  ensemble  dans  un  silence  continuel,  ne  pensant 
uniquement  qu'aux  choses  célestes.  Le  saint  abbé  ne  manquait  pas  de  les  visiter  toutes  les  fois 
qu'il  allait  à  l'église  de  Saint-Ménas. 

Un  jour  qu'il  les  vint  voir  à  son  ordinaire,  il  trouva  Atbanasie  à  l'extrémité,  et  si  affligée, 
qu'elle  fondait  en  larmes.  «  Quoi  1  vous  pleurez  »,  lui  dit-il,  «  au  lieu  de  vous  réjouir  de  ce  que 
le  Seigneur  vous  appelle  a  lui  ?»  —  «  Je  ne  pleure  pas  pour  moi  »,  répondit  Athanasie,  «  mais 
pour  mon  compagnon  Andronic,  que  je  laisserai  dans  une  extrême  douleur  ;  c'est  pourquoi  je  vous 
prie  de  prendre  après  ma  mort  un  papier  que  vous  trouverez  sous  ce  qui  me  sert  de  chevet,  de  le 
lire  et  ensuite  de  le  lui  donner  ».  Puis  elle  demanda  la  communion,  et,  après  l'avoir  reçue,  elle 
expira  paisiblement,  pendant  que  l'abbé  et  son  mari  faisaient  les  prières  pour  les  agonisants. 
Incontinent  après  son  décès,  on  reconnut  par  la  lecture  de  son  billet  qu'elle  était  femme  d' An- 
dronic, auquel  elle  ne  s'était  nullement  fait  connaître  pendant  douze  ans  qu'elle  demeura  avec  lui 
dans  la  même  cellule.  Tous  les  religieux  qui  apprirent  cette  merveille  rendirent  mille  actions  de 
grâces  à  Dieu  d'avoir  donné  une  si  grande  constance  à  Athanasie  et  de  l'avoir  rendue  par  ce 
moyen  triomphante  de  la  chair,  du  monde  et  de  l'enfer.  Les  religieux  de  toutes  les  laures  d'Alexan- 
drie, les  habitants  de  la  ville  et  les  solitaires  de  Scété  assistèrent  à  ses  funérailles  avec  des 
palmes,  des  rameaux  et  des  cierges  ardents.  Son  corps  fut  enterré  dans  le  dix-huitième  monastère. 
C'est  ainsi  que  l'on  distinguait  le  grand  nombre  de  maisons  religieuses  qui  étaient  autour  d'Alexan- 
drie. L'abbé  eût  bien  voulu  emmener  Andronic  avec  lui,  mais  la  divine  Providence  ne  le  permit 
pas  ;  car,  quelques  jours  après,  il  suivit  sa  chère  Athanasie,  auprès  de  laquelle  il  fut  enterré. 

Acta  Sanctorum,  9  octobre. 


T  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Rome,  saint  François  de  Borgia,  général  de  la  Compagnie  de  Jésus,  recommandable  par 
l'austérité  de  sa  vie,  par  le  don  d'oraison  et  par  le  courage  avec  lequel  il  refusa  les  premières 
dignités  de  l'Eglise,  comme  il  avait  déjà  rejeté  les  honneurs  du  monde.  1572.  —  Dans  l'île  de  Crète, 
saint  Pinyte,  l'un  des  grands  évoques  de  son  siècle.  Il  gouverna  l'Eglise  de  Gnosse  sous  les  empe- 
reurs Marc-Antonin-Verus  et  Lucius-Aurèle  Commode,  et  laissa  dans  ses  écrits  *,  comme  dans  un  miroir, 
une  vive  représentation  de  lui-même.  Vers  190.  —  A  Cologne,  saint  Géréon  ou  Giron,  martyr,  avec 
trois  cent  dix-huit  autres,  qui,  durant  la  persécution  de  Maximien,  présentèrent  généreusement 
leurs  têtes  au  glaive  pour  la  défense  de  la  vraie  foi.  Vers  287.  —  Près  de  la  même  ville,  saint 
Victor  et  ses  compagnons,  martyrs.  ine  s.  —  A  Bonn,  en  Allemagne,  les  saints  martyrs  Cassius, 
Florent  et  plusieurs  autres.  iv°  s.  —  A  Nicomédie,  les  saints  martyrs  Eulampe,  et  Eulampie,  sa 
sœur.  Celle-ci  ayant  appris  que  son  frère  était  dans  les  tourments  pour  Jésus-Christ,  traversa  la 
foule  en  se  précipitant,  l'embrassa  et  se  fit  la  compagne  de  ses  combats.  Ils  furent  tous  les  deux  jetés 

1.  Saint  Denys,  évêque  de  Corinthe,  écrivit  une  lettre  à  Pinyte,  pour  l'exhorter  à  ne  pas  imposer  aux 
fidèles  le  pesant  fardeau  de  la  continence,  comme  si  elle  eût  été  nécessaire  au  salut,  voulant  qu'il  eti 
égard  à  l'infirmité  du  commun  des  hommes.  Saint  Denys  craignait  sans  donte  que,  par  un  excès  de  zcl<\ 
Pinyte  n'approchât  de  l'erreur  des  Encratites  qui  dépendaient  le  mariage.  Ce  saint  évêque  y  fit  une  réponse 
dans  laquelle,  après  avoir  témoigné  beaucoup  d'estime  et  de  respect  pour  saint  Denys  et  pour  sa  lettre, 
il  l'exhortait,  de  son  côté,  à  donner  une  nourriture  plus  forte  à  ses  peuples,  et  à  leur  écrire  des  lettres  qui 
renfermassent  des  instructions  plus  parfaites,  de  peur  qu'en  les  entretenant  toujours  avec  le  lait,  ils  ne 
vieillissent  dans  l'infirmité  et  la  langueur  des  enfants.  Cette  lettre  a  engagé  Eusfebe,  saint  Jérôme  et 
Baronius  à  mettre  saint  Pinyte  au  nombre  des  écrivains  ecclésiastiques.  —  Dora  Remy  Ceillier,  Histoire 
des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques. 


MARTYROLOGES.  231 

dans  une  chaudière  d'huile  bouillante  ;  mais,  n'en  ayant  ressenti  aucun  mal,  ils  furent  décapités 
avec  deux  cents  autres,  que  le  miracle  de  leur  délivrance  de  la  chaudière  bouillante  avait  convertis 
à  la  foi  de  Jésus-Christ.  303.  —  A  York,  en  Angleterre,  saint  Paulin,  évoque  et  disciple  de  saint 
Grégoire,  pape  ;  envoyé  dans  cette  île  avec  quelques  autres  par  ce  saint  Pontife,  pour  y  prêcher 
l'Evangile,  il  convertit  le  roi  Edwin  et  son  peuple  à  la  religion  chrétienne  *.  644.  —  A  Piombino, 
en  Toscane,  saint  Cerbon  ou  Cerboney,  évêque  et  confesseur,  qui,  au  rapport  de  saint  Grégoire,  fit 
des  miracles  pendant  sa  vie  et  à  sa  mort.  vi«  s.  —  A  Vérone,  un  autre  saint  Cerbon,  évêque.  — 
A  Capoue,  saint  Paulin,  évêque.  851. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Aux  diocèses  de  Châlons  et  de  Rouen,  saint  François  de  Borgia,  troisième  général  de  la  Corn- 
pagnie  de  Jésus,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  1572.  —  Au  diocèse  de  Langres,  fête  de 
la  susception  des  reliques  de  saint  Mammès,  martyr  à  Césarée  de  Cappadoce,  patron  de  la  ville  et 
de  tout  le  diocèse  de  Langres,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  17  août.  Vers  275.  —  Au  diocèse 
de  Mayence,  saint  Victor  et  ses  compagnons,  martyrs,  soldats  de  l'illustre  légion  thébéenne.  me  s. 

—  Dans  le  Hainaut  français,  saint  Venant,  solitaire  et  martyr,  dont  nous  avons  donné  la  vie,  avec 
celle  de  sainte  Isbergue  on  Giselle,  vierge,  au  21  mai.  vme  s.  —  A  Troyes,  sainte  Tanche  de 
Saint-Ouen,  vierge  et  martyre.  637.  —  Aux  diocèses  de  Nantes  et  de  Saint-Brieuc,  saint  Clair, 
premier  évêque  de  Nantes  et  confesseur  *.  m«  s.  —  A  Sens,  saint  Aldric  ou  Audri,  archevêque 
de  ce  siège  et  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  7  juin.  836.  —  Au  diocèse  de  Meaux, 
sainte  Telchide  (Theodolecheldis),  vierge,  première  abbesse  du  monastère  bénédictin  de  Jouarre 
ou  Joras  (Joirum).  Vers  660.  —  Dans  l'archidiocèse  d'Aix,  Arles  et  Embrun,  saint  Virgile,  religieux 
de  Lérins,  abbé  de  Saint-Syraphorien  et  évêque  métropolitain  d'Arles,  dont  nous  avons  donné  la 
vie  au  5  mars.  610.—  Au  diocèse  de  Limoges,  fête  de  la  translation  des  reliques  de  saint  Martial, 
apôtre,  premier  évêque  de  ce  siège,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  30  juin.  i«  s.  —  Au  diocèse 
de  Soissons,  saint  Evode  ou  Yved,  archevêque  de  Rouen  et  confesseur.  Il  est  cité  au  martyrologe 
romain  du  8  octobre,  et  nous  avons  donné  sa  vie  au  8  juillet.  550.  —  Dans  l'ancienne  abbaye 
d'Hastiers  ou  Hastières--  (Hasteriœ),  au  diocèse  de  Namur  (Belgique),  saint  Nonce,  confesseur.  On 
croit  qu'il  fut  un  des  douze  compagnons  venus  d'Irlande  avec  saint  Forannan  (30  avril)  au  monas- 
tère de  Waulsort,  près  de  Dinant,  où  ce  dernier  fut  fait  abbé,  et  que,  lors  de  la  réunion  de  l'ab- 
baye d'Hastiers  à  celle  de  Waulsort  (968),  saint  Nonce  fut  un  des  quatre  prêtres  que  saint  Forannan 
y  envoya  pour  y  exercer  le  saint  ministère.  x°  s.  —  Dans  l'abbaye  cistercienne  de  Saint-Edmond 
de  Pontigny  (Pontigniacum),  dans  l'archidiocèse  de  Sens,  le  bienheureux  Hugoes  de  Maçon, 
cinquante-quatrième  évêque  de  l'ancien  siège  d'Auxerre,  après  avoir  été  moine  de  Citeaux  et  pre- 
mier abbé  de  Pontigny.  1151. —  A  Saint-Malo  (Nièvre,  arrondissement  de  Cosne,  canton  de  Donzy), 
au  diocèse  de  Nevers,  saint  Malo  ou  Malosse,  soldat  de  la  légion  thébéenne  et  martyr,  patron  de 
cette  paroisse.  m«  s. 

1.  Saint  Paulin  passa  en  Angleterre  en  601,  avec  saint  Mollit,  saint  Juste  et  plusieurs  autres  mission- 
naires. Saint  Grégoire  le  Grand  les  y  envoya  tons  pour  être  les  coopérateurs  de  saint  Augustin.  A  son 
arrivée,  Paulin  alla  travailler  dans  le  royaume  de  Kent  ou  ses  prières,  ses  larmes  et  ses  travaux  ne  pro- 
duisirent d'abord  aucun  fruit,  le  ciel  voulant  éprouver  sa  constance  et  sa  fidélité.  Cependant  Edwin,  roi 
de  Northumberland,  se  déclara  dans  la  suite  en  faveur  du  christianisme  :  saint  Paulin  le  baptisa  le  jour 
de  Pâques  de  l'année  627,  à  York,  avec  Osfrid,  son  fils,  et  Hilde,  sa  nièce.  La  conversion  du  roi  fut  suivie 
d'un  grand  nombre  d'autres  :  les  païens  venaient  de  toutes  parts  demander  qu'on  les  instruisit,  et  comme 
les  églises  n'étaient  point  assez  vastes  pour  contenir  tous  les  catéchumènes,  saint  Paulin  les  baptisa  dans 
la  Swale,  près  de  Catarrick. 

Pauliu,  ayant  passé  l'Humber,  prêcha  ensuite  la  foi  aux  habitants  de  Lindsey,  dans  le  royaume  de 
Mercie.  Il  y  baptisa  Blecca,  gouverneur  de  Lincoln,  et  fit  bâtir  dans  cette  ville  une  église  de  pierre  oh  il 
sacra  llonorius,  évêque  de  Cantorbéry,  après  la  mort  de  saint  Juste.  Quand  il  se  vit  obligé  d'abandonner 
l'église  d'York,  il  en  laissa  le  soin  à  Jacques  qu'il  aimait  tendrement  et  qui  continua  son  œuvre  avec 
succès.  Le  roi  Eadbald  engagea  dans  la  suite  l'évêque  Honorius  à  sacrer  Paulin  évêque  de  Rochester. 
Notre  Saint  fut  dix-neuf  ans  évêque,  tant  à  York  qu'à  Rochester.  Lantrane  fit  lever  son  corps  de  terre, 
et  on  le  renferma  dans  une  belle  châsse.  La  fête  de  cette  translation  se  faisait  à  Rochester  le  10  janvier. 

—  Godescard  et  Acta  Sanctorum. 

2.  La  prétention  du  Père  Papebrock  de  confondre  saint  Clair  d'Albi  et  de  Lectonre  (voir  notre  Supplé- 
ment au  tome  vi  :  Les  Apôtres  de  l'Aquitaine),  avec  saint  Clair  de  Nantes,  ne  saurait  tenir  en  présence 
des  monuments  liturgiques  de  l'Eglise  de  Nantes.  Tandis  que  Lectoure  montre  encore  le  lieu  traditionnel 
du  martyre  de  son  apôtre,  Nantes  place  à  Réguiny,  paroisse  du  diocèse  actuel  de  Vannes,  le  lieu  oh  mou- 
rut saint  Clair,  son  premier  évêque-confesseur.  Son  corps  fut  transféré  de  là  à  Nantes  quelques  siècles 
après  sa  mort  ;  mais  quand  les  Normands  commencèrent  à  ravager  la  Bretagne,  il  fut  porté  à  Angers  (878) 
et  déposé  dans  l'église  de  l'abbaye  des  Bénédictins  de  Saint-Aubin,  oh  on  Ta  conservé  dans  une  châsse  de 
vermeil  jusqu'à  la  Révolution. 

L'église  de  Nantes  possédait  le  crâne  de  saint  Clair;  on  montre  quelques  autres  de  ses  reliques  dans 
l'église  paroissiale  de  Réguiny,  dédiée  au  saint  évêque,  et  son  tombeau  dans  une  chapelle  construite  dans 
le  cimetière.  —  Note  du  R.  P.  Aurélien,  des  Célestins  de  France.  —  Cf.  Propre  de  Nantes. 


238  *0  OCTOBRE. 


MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  Au  monastère  de  Bridlington  ou  Burlington  (comté 
d'York),  saint  Jean,  confesseur,  homme  d'une  admirable  vertu  parmi  les  Clercs  Réguliers,  et  prieur 
de  ce  monastère  où  il  se  rendit  célèbre  par  sa  vigilance  et  sa  mansuétude.  1376. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit.  —  A  York,  en  Angleterre,  saint  Paulin,  évêque, 
disciple  de  saint  Grégoire,  pape.  Envoyé  en  ce  pays,  avec  plusieurs  autres,  par  ce  souverain  Pon- 
tife, pour  y  prêcher  l'Evangile,  il  convertit  à  la  foi  de  Jésus-Christ  le  roi  Edwin  et  tous  ses 
sujets.  644. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Camaldules.  —  De  même  que  chez  les  Bénédictins. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Vallombreuse.  —  Au  monastère  de  Passignano,  la  trans- 
lation de  notre  Père  très-saint,  Jean  Gualbert,  abbé.  1073. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Valence,  dans  l'Espagne  Tarragonaise, 
saint  Louis  Bertrand,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  qui,  envoyé  aux  Indes  occidentales,  lorsqu'il 
prêchait  en  Espagnol,  langue  inconnue  aux  Indiens,  convertit  une  multitude  de  personnes  à  la 
foi,  et,  pendant  sa  vie  et  après  sa  mort,  fut  célèbre  par  de  nombreux  miracles.  Pie  V  l'a  placé  au 
nombre  des  Bienheureux,  et  Clément  X  au  nombre  des  Saints  *.  1581. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

En  Afrique,  les  saints  martyrs  Eusèbe,  Eracle  ou  Erade,  Denys  et  Septime  ;  et  les  saintes  Sep- 
timie,  Seconde  et  Salse,  également  martyres.  Ier  s.  —  Dans  l'ancienne  Carthage,  les  saints  Caïce 
(CaitiusJ,  Quintaise,  Septimin,  Venuste,  Béat,  Second,  Donat,  Serène,  Crescent,  Nicet,  Vital  ou  Natal, 
Firmin,  Béracle  et  Eusèbe,  martyrs. —  A  Constantinople,  saint  Bassien  ou  Basien,  confesseur.  Syrien 
de  naissance,  il  vint  à  Constantinople  du  temps  de  l'empereur  Marcien  (450-457),  et  s'acquit,  par  ses 
vertus,  l'estime  de  ce  prince  qui  l'avait  en  grande  vénération.  On  rapporte  qu'il  était  fort  élo- 
quent et  surtout  très-persuasif  :  aussi  se  vit-il  bientôt  entouré  d'un  grand  nombre  de  disciples  qui 
vinrent  apprendre  près  de  lui  la  science  de  la  perfection.  Il  mourut  dans  un  âge  fort  avancé, 
emportant  les  regrets  de  (ous  ceux  qui  l'avaient  connu.  Ver3  455.  —  A  Rimini  (AriminiumJ,  ville 
du  royaume  d'Italie  (province  de  Forli),  le  bienheureux  Robert,  de  la  famille  noble  des  Malatesta, 
qui  régna  en  souveraine  sur  Rimini  et  sur  une  partie  de  la  Romagne  aux  xme,xive  et  xve  siècles. 
Elle  était  issue,  ainsi  que  les  Montefeltri,  de  la  maison  des  comtes  de  Carpagna,  et  avait  pour  chef 
un  seigneur  de  Verucchio,  surnommé  Malatesta  (mauvaise  tète),  qui  fut  choisi,  en  1275,  par  les 
Guelfes  de  Bologne  pour  combattre  les  Gibelins  de  la  Romagne.  On  raconte  du  bienheureux  Robert 
des  traits  admirables.  On  le  surprit  maintes  fois,  quand  il  n'avait  encore  que  cinq  ans,  occupé, 
dans  son  lit,  à  réciter  l'oraison  dominicale,  les  mains  jointes  sur  sa  poitrine.  Ses  parents  lui  deman- 
dèrent plusieurs  fois  ce  qu'il  aimerait  davantage,  dès  qu'Userait  en  âge  de  choisir  un  état. «  Mourir 
pauvre  »,  répondait  invariablement  le  pieux  enfant.  A  dix  ans,  quand  les  aiguillons  de  la  chair 
commençaient  à  se  fsive  sentir  chez  lui,  il  combattait  généreusement  le  démon  avec  les  armes  spi- 
rituelles du  jeûue,  du  cilice  et  de  la  discipline.  Il  lui  répugnait  de  reposer  sur  un  lit  moelleux  et 
passait  quelquefois  les  nuits  entières  étendu  sur  le  plancher  de  sa  chambre.  Les  pauvres  étaient 
ses  amis  ;  il  n'avait  garde  de  toucher  aux  mets  délicats  de  la  table  opulente  de  son  père,  et  se  fai- 
sait un  bonheur  de  distribuer  aux  mendiants  sa  portion.  Quand  il  avait  satisfait  au  précepte  de 
l'aumône,  il  se  retirait  dans  un  coin  du  palais,  pour  converser  avec  Dieu  dans  la  méditation.  A  dix- 
huit  ans,  il  fut  contraint,  par  sa  famille,  de  s'engager  dans  les  liens  du  mariage  ;  mais  il  ne  changea 
rien  à  son  genre  de  vie.  Pour  s'affermir  dans  ses  bonnes  résolutions,  il  entra  dans  le  Tiers  Ordre 
de  Saint-François.  Une  âme  si  belle  fut  bientôt  mûre  pour  le  ciel  :  il  atteignait  sa  vingtième  année 
quand  Dieu  l'appela  à  lui  pour  le  couronner  de  la  couronne  de  gloire  et  d'immortalité.  1432.  — 
Chez  les  Grecs,  la  mémoire  de  Loth,  neveu  d'Abraham,  père  des  Ammonites  et  des  Moabites  2. 

1.  Nous  avons  donné  sa  vie  au  9  octobre. 

2.  Loth,  neveu  d'Abraham  et  natif,  comme  lui,  d'Ur,  en  Chalde'e,  suivit  son  oncle  à  Haran,  puis  dans 
la  terre  de  Chanaan,  mais  le  quitta  pour  se  fixer  à  Sodome.  Battu  et  pris  par  Chodorlahomor,  roi  des 
Elamites,  il  fut  délivré  par  Abraham.  Lorsque  le  Seigneur  voulut  détruire  Sodome,  il  avertit  Loth  de  s'en 
éloigner  avec  «a  famille,  mais  en  leur  défendant  de  regarder  derrière  eux.  La  femme  de  Loth,  ayant 
enfreint  cette  défense,  fut  changée  en  statue  de  sel.  Loth  devint,  par  un  inceste  involontaire,  père  de  Moab 
et  d'Ammon,  chefs  des  Moabites  et  des  Ammonites.  Malgré  cette  imperfection,  nous  n'hésitons  pas  à  le 
ranger  parmi  les  justes,  après  que  saint  Pierre  lui-môme  lni  a  donné  ce  titre  dans  ses  Epitres.  D'ailleurs 
le  martyrologe  d'Adon  et  le  vieux  martyrologe  romain  le  citent  au  10  octobre.  —  Cf.  Baillet  :  Vies  de» 
Suints  de  l'Ancien  Testament. 


SALYf  EULAMP.E  ET  SAINTE  EULAMPIE,   SA  SOEUR,  MARTYRS.  239 

SAINT  EULAMPE  ET  SAINTE  EULAMPIE,  SA  SŒUR, 

MARTYRS  A  NICOMÉfrK,  EN  BITHYNIE 
303.  —  Pape  :  Saint  Caïus.  —  Empereurs  romains  :  Dioclétien  et  Maiimien. 


La  tribulation  fait  connaître  la  foi  de  chacun  :  celui 
qui  faiblit  montre  que  sa  foi  est  fausse  ;  celui  qui 
persévère  montre  que  sa  foi  est  parfaite  et  éprouvée. 
Saint  Bernard. 

Un  jeune  homme,  nommé  Eulampe,  d'une  des  premières  familles  de 
Nicomédie,  ne  pouvant  souffrir  les  outrages  qu'il  voyait  faire  tous  les  jours 
par  les  idolâtres  aux  serviteurs  de  Jésus-Christ,  quitta  sa  patrie  pour  se 
retirer  dans  la  solitude,  afin  qu'éloigné  du  commerce  des  hommes,  il  pût 
mener  une  vie  tranquille  et  travailler  avec  plus  de  liberté  à  l'ouvrage  de  son 
salut  ;  mais  pendant  qu'il  se  purifiait  par  les  exercices  d'une  solide  piété, 
et  surtout  par  une  rigoureuse  abstinence,  il  sentit  son  âme  remplie  d'un  si 
grand  zèle  de  la  gloire  de  Dieu,  que,  comme  un  autre  Elie,  il  abandonna 
son  ermitage  pour  revenir  à  la  ville  combattre  la  vanité  des  idoles.  En  effet, 
à  peine  y  fut-il  entré,  que,  voyant  les  édits  des  empereurs  affichés  de  côté 
et  d'autre,  il  commença  à  se  moquer  des  vains  efforts  que  faisaient  les 
païens  pour  ruiner  la  religion  chrétienne.  Il  n'en  fallut  pas  davantage  pour 
être  aussitôt  saisi,  mené  prisonnier  et  déféré  aux  magistrats  comme  un 
blasphémateur  des  dieux  de  l'empire.  Le  juge  le  fit  donc  comparaître  de- 
vant son  tribunal  ;  et,  après  lui  avoir  fait  de  grands  reproches  de  sa  témérité, 
il  l'exhorta  à  aller  au  temple,  où  l'on  célébrait  une  fête  en  l'honneur  de 
quelque  divinité,  et  d'y  offrir  de  l'encens  ;  autrement,  il  serait  obligé  de  le 
punir  sans  avoir  égard  ni  à  sa  jeunesse  ni  à  sa  qualité.  Rien  ne  put  ébranler 
la  constance  du  saint  Martyr,  qui  s'arma  du  signe  de  la  croix  et  se  moqua 
de  cette  proposition  ;  le  juge  le  fit  dépouiller,  étendre  sur  le  carreau,  et 
commanda  qu'en  cet  état  il  fût  cruellement  battu,  puis  il  le  fit  fouetter 
avec  des  poignées  de  nerfs  fort  déliés,  afin  que  la  douleur  fut  plus  aiguë. 
Ensuite  il  ordonna  qu'on  l'attachât  à  un  poteau  pour  lui  déchirer  le  corps: 
ce  qui  fut  exécuté  avec  tant  d'inhumanité  que,  sa  chair  étant  mise  en  lam- 
beaux, on  lui  voyait  les  os  et  les  entrailles  ;  mais,  au  milieu  de  ces  horribles 
supplices,  Eulampe  demeura  invincible  et  ne  cessa  point  d'appeler  le  vrai 
Dieu  à  son  secours,  afin  qu'il  lui  fît  la  grâce  de  persévérer  dans  les  souf- 
frances. Sa  prière  fut  exaucée,  car  il  endura  tous  ces  tourments  avec  tant 
de  fermeté  d'esprit,  qu'on  eût  dit  qu'il  en  était  plutôt  le  spectateur  que  le 
patient.  Le  tyran,  furieux  que  sa  cruauté  eût  si  peu  de  succès,  lui  fit  atta- 
cher de  petites  cordes  aux  doigts  des  pieds  et  des  mains  et  commanda  aux 
bourreaux  de  les  lui  tirer  avec  violence.  Il  pensait  mourir  dans  cette  exé- 
cution ;  mais,  son  courage  augmentant  au  lieu  de  diminuer,  il  ne  cessa  point 
dans  ses  douleurs  d'invectiver  contre  les  idoles  et  de  montrer  l'impiété  du 
culte  qu'on  leur  rendait.  Cette  persévérance  redoubla  tellement  la  fureur 
du  juge,  qu'il  le  fit  étendre  sur  un  lit  de  fer  ardent,  et,  par  ce  supplice, 
plusieurs  de  ses  membres  furent  consumés  et  toute  sa  chair  tellement 


240  *0  OCTOBRE. 

brûlée,  qu'il  n'était  plus  qu'un  squelette  dont  la  vue  faisait  horreur  aux 
assistants.  Cependant  il  demeura  sur  cette  cruelle  couche  avec  autant  de 
tranquillité  que  s'il  eût  reposé  sur  un  lit  moelleux,  louant  et  bénissant 
Notre-Seigneur  de  l'honneur  qu'il  lui  faisait  de  le  rendre  participant  des 
douleurs  de  sa  Passion. 

Toutes  ces  persécutions  furent  loin  de  diminuer  son  zèle  pour  la  gloire 
de  Jésus-Christ;  il  se  sentit  anime  d'une  si  sainte  ardeur  de  combattre 
encore  plus  fortement  l'idolâtrie,  qu'il  demanda  d'aller  au  temple  dans  le 
dessein  d'y  jeter  par  terre  les  faux  dieux.  Sa  demande  réjouit  extrêmement 
le  tyran,  et  il  l'y  fit  conduire  avec  beaucoup  de  pompe,  s'imaginant  qu'il 
était  enfin  gagné  et  qu'il  allait  sacrifier  aux  idoles  ;  mais  Eulampe  n'y  fut 
pas  plus  tôt  entré,  qu'après  avoir  élevé  son  esprit  au  vrai  Dieu  par  une 
prière  fervente,  il  s'approcha  d'une  fameuse  statue  qui  était  à  sa  droite,  et 
par  sa  seule  parole  il  la  jeta  parterre  et  la  mit  en  poudre.  Ce  prodige  ou- 
vrit les  yeux  à  un  grand  nombre  d'idolâtres  ;  ils  reconnurent  par  là  la  fai- 
blesse et  l'impuissance  des  divinités  qu'ils  adoraient  et  se  convertirent  à  la 
religion  chrétienne.  Le  juge  en  fut  encore  plus  irrité  qu'auparavant;  mais 
sa  colère  en  vint  au  dernier  excès  lorsqu'il  vit  une  jeune  personne  d'une 
ravissante  beauté  fendre  la  foule  et  venir  se  jeter  au  coup  du  Martyr  pour 
l'embrasser  et  lui  protester  qu'elle  ne  le  quitterait  point,  mais  qu'elle  au- 
rait la  gloire  de  mourir  comme  lui  pour  la  défense  de  la  foi  du  vrai  Dieu. 
C'était  sa  sœur,  nommée  Eulampie,  qui,  ayant  appris  les  victoires  de  son 
frère,  était  venue  le  trouver  en  diligence  pour  se  rendre  la  compagne  de  son 
martyre.  Le  tyran  lui  fit  des  menaces  terribles  si  elle  ne  renonçait  à  l'heure 
même  à  sa  religion  ;  mais  elle  lui  fit  cette  généreuse  réponse  :  «  Sachez  que 
je  suis  la  servante  de  Jésus-Christ,  qui  est  toute  ma  vie  et  toute  la  joie  de 
mon  âme,  et  que  mon  plus  grand  désir  est  d'être  immolée  pour  son  amour. 
Faites  donc  allumer  des  feux,  faites  venir  les  bêtes  féroces,  préparez  des 
roues,  affilez  des  couteaux  et  inventez  le  plus  cruel  supplice  qui  fût  jamais, 
je  suis  prête  à  tout  endurer  ;  j'espère  que  je  n'aurai  pas  moins  de  constance 
que  mon  frère,  qui  a  déjà  triomphé  si  glorieusement  de  vos  idoles  :  ne  vous 
flattez  pas  de  la  faiblesse  de  mon  sexe  ni  de  la  délicatesse  de  mon  corps, 
car  je  recevrai  des  forces  du  vrai  Dieu,  qui  me  rendront  victorieuse  de  tous 
vos  tourments  » .  Le  président,  ne  pouvant  souffrir  ce  discours,  la  fit  sur- 
le-champ  souffleter  avec  une  telle  rage,  que  sa  voix  fut  éteinte  et  son  visage 
tout  défiguré  par  le  grand  nombre  de  coups  qu'elle  reçut  ;  mais,  étant  for- 
tifiée par  les  exhortations  de  son  frère,  elle  endura  ce  supplice  avec  une 
patience  admirable.  Il  commanda  ensuite  que  l'un  et  l'autre  fussent  jetés 
dans  une  chaudière  bouillante.  Eulampe  n'attendit  point  que  les  bourreaux 
exécutassent  cet  arrêt,  mais  il  y  entra  généreusement  le  premier,  et  de  là, 
comme  d'un  lieu  de  rafraîchissement,  il  convia  sa  sœur  à  le  suivre,  l'assu- 
rant qu'elle  n'en  recevrait  aucun  mal,  et  qu'au  contraire  elle  y  trouverait 
ces  douceurs  incroyables  dont  il  avait  déjà  l'expérience.  Eulampie  n'eut 
pas  besoin  d'une  plus  longue  exhortation  :  à  ces  paroles,  elle  entra  joyeu- 
sement dans  la  chaudière,  où  elle  chanta  des  cantiques  de  louange  à  la 
Majesté  divine,  avec  son  frère.  La  vue  de  ce  spectacle  convertit  plusieurs 
idolâtres,  et  le  juge  même  commença  à  douter  de  la  religion  de  ses  dieux; 
mais,  fermant  aussitôt  son  cœur  à  ces  premiers  mouvements  de  la  grâce, 
il  persista  dans  son  opiniâtreté,  et,  reprenant  des  sentiments  barbares,  il  fit 
arracher  les  yeux  à  Eulampe  et  suspendre  Eulampie  par  les  cheveux  ;  puis 
il  les  condamna  à  être  brûlés  tout  vifs  dans  une  fournaise  ardente.  Eulampe 
fut  jeté  dedans,  parce  qu'ayant  perdu  les  yeux,  il  ne  put  y  entrer  de  lui- 


SAINTE  TANfcHE  DE  SÀirsT-OUEtf,   VIERGE  ET  MARTYRE.  241 

même  ;  mais  Eulampie  y  courut  comme  à  un  lieu  de  délices.  En  effet,  ils 
n'y  reçurent  point  de  mal  ;  car  les  flammes  se  divisant  en  deux  parts,  firent 
une  espèce  d'arcade,  au  milieu  de  laquelle  ils  demeurèrent  paisiblement, 
comme  s'ils  eussent  été  dans  un  champ  à  se  promener  sur  la  verdure.  A 
cette  nouvelle  merveille,  le  tyran  désespéra  de  pouvoir  fléchir  leur  courage  ; 
c'est  pourquoi  il  eut  recours  au  dernier  supplice  et  les  condamna  tous  deux 
à  être  décapités.  Cette  dernière  sentence  fut  exécutée  sur  Eulampe,  mais 
non  sur  Eulampie,  que  Dieu  appela  à  lui  avant  que  les  bourreaux  missent 
la  main  sur  elle  ;  car  il  n'était  pas  à  propos  que  des  mains  sacrilèges  et 
immondes  touchassent  son  corps,  qui  n'avait  jamais  été  souillé  par  les 
plaisirs  du  monde  ni  par  le  commerce  des  hommes.  Toutefois,  le  marty- 
rologe romain  dit  qu'elle  eut  aussi  la  tête  tranchée,  avec  deux  cents  autres 
personnes,  qui  s'étaient  converties  à  la  vue  des  miracles  dont  nous  avons 
parlé.  Leur  martyre  arriva  environ  l'an  303  de  Notre-Seigneur. 

On  les  représente  plongés  dans  une  chaudière  d'huile  bouillante,  puis 
décapités. 

Tiré  de  Métapbraste,  qui  rapporte  leurs  Actes.  Voir  Surius,  au  tome  v«. 


SAINTE  TANCHE  DE  SAINT-OUEN, 

VIERGE  ET  MARTYRE  AU  DIOCÈSE  DE  TROYES 
637.  —  Pape  :  Honoré  l«'.  —  Roi  de  France  :  Dagobert  I«. 


Une  victime  agréable  à  Jésus-Christ,  c'est  une  vlerg» 
dont  aucune  pensée  mauvaise  n'a  terni  le  cœur, 
dont  aucune  action  impure  n'a  souillé  le  corps. 
Saint  Jérôme. 

La  famille  de  sainte  Tanche,  selon  l'opinion  la  plus  probable,  était  ori- 
ginaire de  Syrie,  et  vint  s'établir  en  Champagne,  dans  les  environs  d'Arcis- 
sur-Aube.  Tanche  naquit  vers  l'an  620,  au  petit  village  de  Saint-Ouen  *, 
près  d'Arcis,  de  parents  illustres  selon  le  monde,  mais  plus  nobles  encore 
par  leurs  vertus  ;  car  la  culture  de  leurs  terres  remplissait,  avec  la  prière  et 
les  bonnes  œuvres,  tous  les  instants  de  leur  vie  précieuse  devant  le  Sei- 
gneur. Leur  premier  soin  fut  de  présenter  leur  enfant  à  l'église  pour  y  rece- 
voir le  baptême,  et  ils  choisirent  un  de  leurs  parents  d'Arcis  pour  la  tenir 
sur  les  fonts  sacrés. 

Elle  annonça  de  bonne  heure  ce  qu'elle  serait  un  jour,  un  lis  au  milieu 
des  épines,  un  ange  parmi  les  hommes.  Modèle  des  jeunes  filles  de  son  âge, 
elle  se  distinguait  par  la  modestie  de  sa  tenue  et  de  son  regard,  par  son 
amour  du  silence  et  de  la  mortification,  par  son  application  aux  lectures 
pieuses  et  à  la  prière,  par  son  obéissance  prompte  et  aveugle  aux  ordres  de 
ses  parents,  par  son  empressement  à  les  soulager  dans  les  soins  du  ménage 
ou  les  travaux  des  champs.  Sa  parole  était  si  douce,  ses  manières  si  préve- 
nantes, son  visage  reflétait  si  vivement  la  pureté  de  son  âme,  qu'il  suffisait 

1.  Le  village  de  Saint-Ouen  {S.  Audoenus)  est  aujourd'hui  dans  la  Marne,  auprès  de  la  petite  vivier» 
du  Puys,  a  44  kilomètres  de  Troycs. 

Vite  des  Saints-.  —  Toaie  XII.  ir> 


242  10  OCTOBRE. 

de  l'approcher  pour  éprouver  l'influence  de  la  vertu.  Comme  l'Esprit-Saint 
la  conduisait,  elle  se  sentit  inspirée  de  marcher  sur  les  traces  de  la  Vierge 
Marie,  de  mépriser  le  monde  avec  ses  amusements  et  ses  vanités,  et  de  con- 
sacrer à  Dieu  sa  jeunesse  et  sa  virginité.  Dès  lors,  l'amour  divin  qui  l'em- 
brasait prit  tous  les  jours  de  nouveaux  développements.  Chacun  de  ses  actes 
était  un  acte  d'amour  ;  chacun  des  battements  de  son  cœur,  un  soupir  brû- 
lant vers  le  ciel. 

Elle  venait  d'atteindre  sa  seizième  année,  quand  son  père  et  sa  mère  furent 
invités  par  son  parrain  à  passer  chez  lui  les  fêtes  de  la  dédicace  de  l'église 
d'Arcis.  Ils  y  allèrent  etlaissèrent  Tanche  à  Saint-Ouen,  pour  garder  la  mai- 
son. Quand  le  parrain  s'aperçut  de  l'absence  de  sa  filleule  :  «  Pourquoi  », 
leur  dit-il,  «  n'avez-vous  pas  amené  celle  que  je  chéris  comme  ma  propre 
fille,  et  dont  les  vertus  font  votre  joie  et  ma  propre  consolation?  Elle  nous 
eût  édifiés  par  ses  pieuses  paroles,  et  eut  partagé  notre  festin  de  famille  ». 
Et  aussitôt,  il  envoya  un  de  ses  valets  avec  deux  chevaux,  pour  amener  la 
jeune  fille. 

A  la  vue  du  serviteur  qui  lui  déclara  la  volonté  de  son  maître  et  le  con- 
sentement de  ses  parents,  Tanche  hésita  quelque  temps.  Devait-elle  entre» 
prendre  ce  voyage,  seule  avec  un  étranger  ?  N'était-il  pas  prudent  de  rester 
à  la  maison?  Cependant  la  volonté  de  ses  parents  était  formelle  ;  ne  pas  s'y 
rendre  était  évidemment  désobéir.  Que  faire  ?  La  pensée  que  cet  homme 
devait  être  sûr  et  fidèle,  puisque  son  maître  l'avait  envoyé,  fixa  enfin  son 
irrésolution.  Elle  se  recommanda  à  Dieu,  se  plaça  sur  la  monture  qui  lui 
était  destinée  et  partit  avec  le  serviteur. 

Ils  avaient  à  peine  parcouru  quelques  kilomètres  que  le  malin  esprit 
s'empara  du  domestique  ;  et,  quand  ils  furent  arrivés  au  lieu  solitaire  appelé 
La  Beigne,  il  lui  dit  clairement  qu'il  désirait  lui  plaire  et  obtenir  ses  fa- 
veurs. Tanche,  étonnée  de  pareils  discours,  lui  représenta  avec  fermeté 
l'audace  d'une  semblable  proposition,  l'injure  qu'il  faisait  à  son  maître  en 
abusant  de  sa  confiance,  surtout  le  crime  horrible  dont  il  voulait  souiller 
son  âme,  et  qui  lui  faisait  perdre  la  crainte  de  Dieu.  Ces  paroles,  bien  capa- 
bles de  faire  rentrer  le  coupable  en  lui-même,  ne  firent  que  redoubler  son 
aveugle  passion,  et  il  osa  même  proférer  des  menaces.  Alors,  la  sainte 
jeune  fille,  voyant  qu'elle  n'avait  aucun  secours  à  espérer  des  nommes  en 
ce  lieu  solitaire,  fit  en  son  cœur  cette  touchante  prière  :  «  0  Dieu,  mon 
Créateur  !  vous  voyez  le  danger  où  je  suis.  Je  jette  les  yeux  de  toutes  parts 
autour  de  moi,  et  je  n'aperçois  personne  qui  vienne  à  mon  aide.  Par  votre 
puissance  et  votre  infinie  miséricorde,  délivrez  mon  corps  et  mon  âme  des 
violences  de  ce  suppôt  de  l'enfer.  Envoyez-moi  votre  Esprit-Saint,  qui  pro- 
tège ma  chasteté.  Ne  permettez  pas  que  la  malice  triomphe  de  ma  faiblesse, 
mais  plutôt  que  j'expire  avec  ma  couronne  virginale,  et  que  j'aille  chanter 
en  compagnie  des  Vierges  prudentes  le  cantique  immortel  de  l'Agneau. 
0  mon  céleste  Epoux,  recevez  mon  âme  et  l'admettez  parmi  vos  esprits 
bienheureux  !  » 

Elle  allait  continuer  sa  prière,  quand  l'infâme  valet,  plus  furieux  que 
jamais  :  «  Que  signifient  »,  s'écrie-t-il,  «  ces  prières  et  ces  larmes  ?  Ou  tu 
vas  sur-le-champ  obéir  à  ma  volonté,  ou  tu  tomberas  percée  de  mon  glaive. 
J'ai  trop  attendu,  j'ai  trop  supplié  ».  —  «  Malheureux  enfant  de  Satan  !  » 
répond  la  Sainte.  «  Quoi  !  ta  passion  t'aveugle  à  ce  point  ?  Ni  mon  innocence, 
ni  l'honneur  de  mes  parents,  ni  la  crainte  de  Dieu  n'ont  d'empire  sur 
ton  âme  !  Je  l'ai  dit,  je  le  répète  :  plutôt  mourir  que  de  consentir  au 
péché  !  » 


SAINTE  TANCHE  DE  SAIiNT-OUEN,   VIERGE  ET  MARTYRE.  243 

Elle  parlait  encore,  que  le  valet  se  précipitait  sur  elle,  cherchant  à  la 
renverser  de  sa  monture.  Mais  plus  prompte  que  l'éclair,  Tanche  saute  du 
côté  opposé,  espérant  échapper  à  la  violence  par  la  fuite.  C'est  en  vain  : 
l'infâme  est  à  sa  poursuite  ;  il  l'atteint  et  une  lutte  s'engage.  Voyant  enfin 
que  la  vertu  est  forte  comme  une  armée  rangée  en  bataille,  le  corrupteur 
ne  se  contient  plus  ;  il  saisit  le  pommeau  de  son  épée  et  en  frappe  inhumai- 
nement le  visage  de  la  vierge.  Le  sang  coule  à  flots  et  épuise  ses  forces  sans 
amoindrir  son  courage.  Elevant  vers  le  ciel  des  regards  pleins  d'amour,  elle 
fléchit  les  genoux,  et  au  même  moment,  sa  tête  tombe  sous  le  glaive  du 
misérable.  Mais  la  peine  suivit  de  près  le  crime.  Le  meurtrier  disparut  aus- 
sitôt. On  dit  que  le  démon  s'en  empara  sur  l'heure.  Ce  qu'il  y  a  de  certain, 
c'est  qu'il  ne  reparut  plus.  Quant  à  la  vierge,  elle  se  lève,  prend  entre  ses 
mains  sa  tête  sanglante  et  s'avance  l'espace  de  deux  kilomètres  jusqu'à  la 
vallée  de  Lhuître.  Arrivée  près  d'un  épais  buisson  d'aubépine,  elle  s'arrête 
et  dépose  son  fardeau.  Tanche  expira  près  du  buisson  où  elle  s'était  arrêtée. 
Après  sa  mort,  il  s'opéra  ungrand  nombre  de  miracles  par  son  intercession. 
En  voici  quelques-uns  : 

Un  jeune  homme  de  BoulOgne-la- Grasse,  fait  prisonnier  parles  infidèles, 
subissait  les  tourments  d'une  horrible  captivité  ;  les  outrages  et  les  mauvais 
traitements  ne  lui  étaient  point  ménagés,  et  il  ne  pouvait  guère  espérer  sa 
délivrance.  Dépourvu  de  tout  secours  humain,  il  se  tourna  vers  le  ciel,  et  se 
souvenant  du  crédit  puissant  de  Tanche  auprès  de  Dieu,  il  conjura  le  Sei- 
gneur, par  les  mérites  et  la  médiation  de  cette  vierge,  de  vouloir  bien  bri- 
ser ses  fers  et  le  rendre  à  la  liberté.  Sa  prière  n'était  pas  achevée,  que  les 
chaînes  tombaient  de  se3  mains.  Croyant  à  peine  à  son  bonheur,  il  vole  à  la 
porte  de  son  cachot  ;  elle  s'ouvre  devant  lui,  il  est  libre.  Il  vint  au  tombeau 
de  la  vierge  rendre  grâces  à  Dieu  de  ce  bienfait  signalé,  et  il  se  plaisait  à 
publier  partout  la  puissance  et  la  bonté  de  sa  libératrice. 

Un  jeune  enfant  de  Vitry  (Marne)  était  tourmenté  d'un  flux  de  sang  que 
les  médecins  ne  pouvaient  arrêter.  Sa  mère  désespérée  apprend  les  guéri- 
sons  merveilleuses  opérées  par  sainte  Tanche  ;  elle  voue  son  enfant  à  la 
vierge  de  Lhuître.  On  l'amène  au  tombeau  de  la  Sainte  ;  on  se  met  en  prières  ; 
mais  loin  de  s'arrêter,  la  maladie  redouble  d'intensité  et  l'enfant  expire. 
Déjà  l'on  disposait  le  linceul,  quand  la  mère,  inspirée  du  ciel,  supplie  qu'on 
mette  d'abord  son  enfant  sur  le  sépulcre  de  la  Sainte.  On  cède  à  ses  larmes  ; 
on  fait  une  procession  ;  on  chante  des  psaumes  et  des  cantiques  ;  on  célè- 
bre une  messe  solennelle.  Le  prêtre  n'avait  pas  terminé  le  saint  sacrifice, 
que  l'enfant  se  lève,  parle  en  présence  de  l'assemblée  stupéfaite,  demande 
de  la  nourriture  et  se  précipite  dans  les  bras  de  sa  mère,  ivre  de  joie  et 
pénétrée  de  reconnaissance. 

Quelques  soldats  de  la  suite  des  comtes  Raoul  et  Daimbert  traversaient 
Lhuître  pour  le  mettre  au  pillage.  Ne  trouvant  dans  les  maisons  ni  vivres, 
ni  argent,  ils  apprirent  que  les  habitants  avaient  tout  transporté  dans  l'é- 
glise pour  soustraire  à  leur  rapacité  le  peu  qu'ils  possédaient.  Ils  demandè- 
rent à  Raoul  la  permission  de  pénétrer  dans  l'église  pour  y  faire  des  recher- 
ches. Le  comte,  plein  de  respect  pour  la  patronne  du  pays,  s'y  opposa  for- 
tement ;  mais  il  ne  put  empêcher  trois  de  ces  pillards  d'assiéger  le  lieu 
saint.  Les  habitants  avaient  mis  à  la  porte  principale  la  châsse  de  sainte 
Tanche,  comme  une  barrière  infranchissable  ;  elle  n'arrêta  point  cependant 
le  premier  des  soldats  qui  enfonça  la  porte  et  passa  outre.  Son  audace  sacri- 
lège reçut  aussitôt  sa  punition,  car  il  tomba  à  la  renverse,  se  fracassa  la  tête 
et  fut  relevé  à  demi  mort.  Un  second  voulut  faire  de  même,  et  subit  le 


$£g  10  OCTOBRE. 

même  châtiment.  Le  troisième,  effrayé  du  sort  de  ses  camarades,  essaya 
d'entrer  à  cheval  par  une  porte  latérale  ;  mais,  ô  prodige  î  voici  que  la 
vierge,  resplendissante  de  gloire  et  de  majesté,  se  présente  à  lui,  saisit  la 
monture  par  la  bride  et  châtie  si  rudement  le  téméraire  cavalier  qu'il  reste 
presque  sans  vie  sur  les  dalles  du  temple.  Revenus  à  eux,  ces  malheureux 
profanateurs  reconnurent  leur  crime  et  prièrent  Dieu  et  la  Sainte  de  le  leur 
pardonner.  Alors  la  bienheureuse  Martyre  leur  apparut  de  nouveau  et  leur 
promit  le  pardon,  s'ils  renonçaient  à  porter  désormais  une  main  sacrilège 
sur  les  choses  saintes.  Ils  s'en  retournèrent  en  parfaite  santé,  et  publièrent 
partout  la  puissance  de  Dieu  et  la  bonté  de  sa  servante  qui,  en  un  instant, 
les  avait  abattus  et  relevés,  châtiés  et  guéris. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Dieu  lui-même  pourvut  à  sa  sépulture  ;  comme  pour  l'illustre  Catherine,  il  chargea  de  ce  soin 
les  anges  dont  la  vierge  avait  si  parfaitement  imité  les  chastes  vertus.  Et  pour  que  son  tombeau 
ne  fût  point  profané  par  la  charrue  du  laboureur  ou  le  séjour  des  animaux,  il  fit  sur-le-champ  pro- 
duire à  la  terre  des  épines  serrées,  des  buissons  épais  et  des  églantiers  touil'us,  voulant  montrer 
aux  hommes  par  ce  miracle  la  puissance  de  la  virginité  et  l'honneur  dont  il  se  plaît  à  la  récom- 
penser. La  nuit,  on  y  apercevait  des  formes  lumineuses  ;  les  malades,  en  passant  par  là,  éprou- 
vaient un  soulagement  subit  ou  une  guérison  complète. 

Cependant  le  culte  de  Tanche  n'était  pas  établi.  Dieu  voulut  faire  rendre  à  sa  servante  les  hon- 
neurs que  méritaient  son  courage  et  sa  vertu.  Il  envoya  une  vision  céleste  à  un  pieux  habitant 
d'Arcis,  et  lui  commanda  par  trois  fois  de  s'acheminer  dans  la  vallée  de  Lhuître  et  d'y  chercher 
le  corps  de  sainte  Tanche.  Longtemps  le  serviteur  de  Dieu  hésita;  ayant  pris  conseil  d'un  saint 
prêtre  qui  habitait  la  même  ville,  et  la  volonté  divine  s'étant  manifestée  de  nouveau,  ils  se  mirsnt 
tous  deux  en  route  sur  un  char  traîné  par  des  bœufs.  Comme  ils  ignoraient  le  lieu  précis  de  la  sé- 
pulture de  Tanche,  ils  se  laissèrent  guider  par  ces  animaux,  qui  les  conduisirent  directement  au 
buisson  sous  lequel  reposaient  les  saintes  dépouilles.  Ils  creusèrent  le  sol  et  ne  tardèrent  pas  à 
découvrir  dans  un  parfait  état  de  conservation  la  tête  et  le  corps  de  la  vierge-martyre.  Ils  s'em- 
pressèrent de  remercier  le  Seigneur  et  se  préparèrent  à  transporter  le  corps  saint  dans  l'église 
d'Arcis.  Mais  ils  ne  furent  pas  plus  tôt  arrivés  devant  l'église  de  Lhuître  que  les  bœufs,  malgré 
l'aiguillon,  refusèrent  obstinément  d'aller  plus  loin.  Ce  prodige  leur  fit  croire  que  la  Sainte  voulait 
reposer  dans  cette  église,  et  ils  se  firent  un  devoir  d'y  laisser  la  précieuse  relique. 

Une  foule  de  prodiges  rendit  bientôt  célèbre  le  tombeau  de  sainte  Tanche.  Les  infirmes  y  re- 
trouvaient la  santé  ;  les  aveugles,  l'usage  de  la  vue  ;  les  boiteux  s'en  retournaient  guéris  ;  les  pos- 
sédés étaient  délivrés  ;  les  prisonniers  qui  se  réclamaient  à  sainte  Tanche  recouvraient  la  liberté, 
et  plus  d'une  fois  la  mort  rendit  ses  victimes. 

Deux  chapelles  furent  élevées  à  Lhuître  en  l'honneur  de  sainte  Tanche.  11  n'en  reste  plus  rien  ; 
mais  sur  l'emplacement  de  l'une  d'elles  a  été  bâtie  la  chapelle  actuelle,  qui,  terminée  le  3  oc- 
tobre 1811,  fut  bénite  le  19  mars  1812.    . 

En  1441,  les  habitants  d'Isles  et  de  Ramerupt,  jaloux  de  l'affiuence  de  pèlerins  qu'attirait  à 
Lhuître  la  réputation  de  sainte  Tanche,  prétendirent  posséder  son  corps  dans  leur  église.  Cette 
affaire  eut  un  tel  retentissement  que  Jean  VII  Léguisé,  soixante-quinzième  évèque  de  Troyes,  se 
rendit  sur  les  lieux  avec  son  officiai  et  son  promoteur,  et,  après  un  examen  sérieux,  reconnut  so- 
lennellement la  présence  des  reliques  authentiques  de  sainte  Tanche,  à  la  chapelle  du  Bouchet 
de  Lhuître.  Cette  sentence  fut  confirmée  par  une  bulle  du  pape  Nicolas  V,  donnée  à  Rome  le 
8  juillet  1442. 

A  une  époque  inconnue,  les  reliques  de  sainte  Tanche  furent  transportées  à  Troyes,  et  son 
chef  était  religieusement  conservé  à  Notre-Dame  des  Nonnains,  dans  un  reliquaire  de  cuivre  doré 
et  argenté,  en  forme  de  tour  ronde.  Les  religieuses  de  ce  monastère  en  célébraient  la  mémoire  le 
17  avril  de  chaque  année.  Une  nouvelle  translation  eut  lieu,  le  20  juillet  1663,  par  M.  Florentin 
de  Hanom  Laminoye,  vicaire  général  de  Mgr  François  Malier  du  Houssay.  Le  chef  de  la  Sainte  fut 
mis  dans  un  riche  reliquaire  d'argent  ciselé,  en  forme  de  vase,  soutenu  par  deux  anges  et  fermé 
dans  sa  partie  supérieure  par  un  cristal  qui  permettait  de  découvrir  la  précieuse  relique.  Elle 
faillit  périr  dans  le  sacrilège  auto-da-fé  qui  eut  lieu  à  la  cathédrale,  en  1793,  de  la  plus  grande 
partie  des  reliques  ;  mais  elle  fut  préservée  par  la  sœur  du  sacristain  de  Saint-Pierre,  Tanche  La- 
breuveux,  de  Lhuître.  Cette  précieuse  épave  fut  restituée  à  l'église  de  Lhuître,  avec  un  authen- 
tique de  M.  Sibille,  évèque  intrus,  occupant  alors  le  siège  de  Troyes.  En  1836,  M.  Roisard,  vicaire 
général,  fit  une  nouvelle  receiiuaisïauce  des  rciùmci  de  sainte  Tanche,  et  le  3  octobre  1840,  Mgr  de 


SAINT  FRANÇOIS  DE  BORGIA,   CONFESSEUR.  245 

Séguin-des-Hons  en  consacra  l'authenticité  par  un  acte  épiscopal,  qui  ne  fut  publié  que  le  10  du 
même  mois,  jour  de  la  fêle  de  la  glorieuse  Martyre.  Enfin,  le  10  octobre  1846,  on  érigea  sur  le 
lieu  même  du  martyre  de  la  vierge,  une  croix  commémorative  et  un  petit  monument  dus  à  la  mu- 
nificence de  M.  Pierre  Martin. 

Encore  aujourd'hui,  le  jour  de  la  fête  patronale  de  Lhuitre,  on  expose  le  modeste  reliquaire 
contenant  le  crâne  de  sainte  Tanche,  et  les  fidèles  des  pays  voisins  vont  en  pèlerinage  vénérer 
ces  restes  précieux,  non-seulement  le  10  octobre,  mais  aussi  les  lundis  de  Pâques  et  de  la 
Pentecôte. 

Une  indulgence  de  quarante  jours  a  été  accordée  à  perpétuité,  par  Mgr  de  Séguin -des-Hons, 
aux  fidèles  qui,  convenablement  disposés,  réciteront  devant  les  reliques  de  la  Sainte,  une  fois  le 
Pater  et  YAve,  et  trois  fois  l'invocation  :  Sainte  Tanche,  priez  pour  nous.  Cette  indulgence 
peut  être  gagnée  trois  fois  l'an  :  1°  le  jour  même  de  la  fête  de  sainte  Tanche  (10  octobre)  ;  2°  le 
dimanche  auquel  est  remise  la  solennité  ;  3°  le  lundi  de  la  Pentecôte. 

La  cathédrale  de  Troyes  conserve  une  faible  portion  des  ossements  de  sainte  Tanche  dans  uu 
petit  reliquaire  où  sont  aussi  ceux  de  sainte  Jule  et  de  sainte  Syre.  Depuis  le  16  mai  1841,  l'église 
de  Vaupoissons  possède  une  partie  du  crâne  de  sainte  Tanche,  qui  en  est  la  patronne. 

Extrait  des  Saints  de  Troyes,  par  M.  l'abbé  Defer. 


SAINT  FRANÇOIS  DE  BORGIA,  CONFESSEUR, 

DUC  DE  GANDIE,    PUIS  TROISIÈME   GÉNÉRAL   DE  LA  COMPAGNIE   DE   JÉSUS 
1572.  —  Pape  :  Saint  Pie  V.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  II. 


Pereat  Me  amor  terrestns,  ut  vivat,  quem  qu&ro, 
cœlestis. 

Peu  m'importe  que  l'amour  des  choses  terrestres 
meure  en  moi,  pourvu  que  l'amour  des  choses 
du  ciel  vive  dans  mon  cœur. 

Maxime  du  Saint. 

Jamais  la  piété  ne  s'est  vue  plus  glorieusement  alliée  avec  la  noblesse  et 
l'éclat  d'une  haute  naissance,  qu'en  saint  François  de  Borgia,  dont  nous 
allons  donner  la  vie.  En  effet,  soit  que  nous  le  considérions  du  côté  de  son 
père,  ou  du  côté  de  sa  mère,  nous  le  verrons  descendre  d'un  grand  nombre 
d'ancêtres  élevés  aux  premières  dignités  du  monde.  Le  pape  Calixte  III, 
appelé  Alphonse  de  Borgia  avant  son  exaltation,  était  son  oncle  au  cin- 
quième degré.  Isabelle  de  Borgia,  sœur  de  ce  Pontife,  épousa  Geoffroy  de 
Borgia,  seigneur  des  plus  considérables  d'Espagne  et  issu  comme  elle  de  la 
maison  royale  d'Aragon.  Ils  eurent  pour  fils  Rodrigue  de  Borgia,  qui  fut  le 
pape  Alexandre  VI.  Ce  Pape  était  marié  avant  d'entrer  dans  les  Ordres,  et 
il  avait  eu,  entre  autres  enfants,  de  Julie  Farnèse,  Jean  II  de  Borgia,  duc  de 
Gandie.  Celui-ci  prit  pour  femme  Marie  Henriquez,  nièce  de  Jean  II,  roi 
d'Aragon  et  de  Castille,  et  il  en  eut  Jean  III  de  Borgia,  duc  de  Gandie. 
Saint  François  de  Borgia  fut  l'aîné  de  ce  dernier  et  de  Jeanne  d'Aragon, 
petite-fille  du  môme  Ferdinand  et  d'Isabelle,  reine  de  Castille,  par  Alphonse, 
leur  fils. 

La  duchesse,  sa  mère,  sentant  des  douleurs  très-violentes  qui  la  mirent 
dans  un  extrême  danger,  eut  recours  à  saint  François  d'Assise,  qu'elle  ré- 
vérait particulièrement,  et  fit  vœu  de  faire  porter  son  nom  à  son  enfant,  s'il 
lui  obtenait  la  grâce  de  le  mettre  heureusement  au  monde.  Son  vœu  fut 
suivi  de  l'effet  que  sa  dévotion  lui  avait  fait  espérer  ;  aussi  elle  accomplit 


^46  W  OCTOBRE. 

religieusement  la  promesse  qu'elle  avait  faite.  Notre  Saint  vint  au  monde 
le  28  octobre  1510,  et  on  lui  donna  au  baptême  le  nom  de  François.  Marie 
Henriquez,  sa  grand'mère,  qui  était  une  très-sainte  princesse,  ne  pouvant 
plus  rien  désirer  au  monde  en  voyant  sa  maison  enrichie  d'un  si  grand  tré- 
sor, se  retira  dans  le  couvent  de  Sainte-Claire  de  Gandie,  où  sa  fille,  tante  de 
François,  vivait  déjà  dans  une  rare  pureté. 

Les  parents  de  ce  bienheureux  enfant  prirent  beaucoup  de  soin  de  son 
éducation.  On  lui  apprit  à  parler  de  Dieu  et  à  le  prier  avant  même  qu'il  eût 
la  raison  entièrement  éclose.  Dès  cet  âge,  il  était  très-instruit  de  nos  mys- 
tères et  les  expliquait  avec  beaucoup  de  netteté.  Le  gouverneur  et  le  pré- 
cepteur qu'on  lui  donna,  trouvèrent  en  lui  une  docilité  merveilleuse  et  une 
disposition  à  apprendre  en  peu  de  temps  tout  ce  qu'il  devait  savoir  pour 
être  un  prince  accompli  et  un  véritable  chrétien.  La  mort  de  sa  mère,  qu'il 
perdit  à  dix  ans,  lui  fut  extrêmement  sensible  ;  mais  il  accompagna  toujours 
ses  larmes  d'une  prière  très-fervente  pour  le  salut  de  son  âme,  et  s'étant 
enfermé  dans  un  lieu  particulier,  il  y  prit  une  rude  discipline  pour  elle,  au 
grand  étonnement  de  ceux  qui  en  eurent  connaissance. 

Peu  de  temps  après,  la  ville  de  Gandie  fut  prise  et  pillée  par  une  troupe 
de  factieux  :  François  n'échappa  qu'avec  peine  à  leur  fureur,  et  il  y  eut 
même  une  espèce  de  miracle  dans  sa  conservation.  On  le  porta  de  là  à 
Saragosse,  où  son  oncle  maternel,  qui  en  était  archevêque,  lui  donna  de 
nouveaux  précepteurs  pour  achever  en  lui  ce  qui  avait  été  si  heureusement 
ébauché  dans  le  palais  de  son  père.  L'âme  de  cet  enfant  était  capable  des 
plus  grandes  choses  ;  et  ceux  qui  furent  commis  à  sa  conduite,  y  firent 
sans  peine  de  nobles  impressions  de  toutes  sortes  de  vertus.  Il  fallut  enfin 
aller  à  la  cour  ;  étant  un  des  plus  grands  seigneurs  d'Espagne  et  l'aîné  de  sa 
maison,  il  lui  était  impossible  de  se  dispenser  de  ce  devoir.  L'air  de  la  cour 
est  fort  dangereux  pour  un  jeune  seigneur  qui  commence  à  le  respirer. 
Borgia,  néanmoins,  sut  y  paraître  comme  les  gens  de  sa  naissance,  sans 
rien  quitter  des  exercices  de  dévotion  auxquels  sa  qualité  de  chrétien 
l'obligeait.  Il  sut  faire  ce  qui  semblait  impossible  à  tant  de  personnes,  c'est- 
à-dire,  joindre  les  lois  du  grand  monde  avec  les  maximes  du  Christianisme; 
et,  bien  qu'il  goûtât  assez  cette  vie  nouvelle,  on  ne  remarqua  point  de 
changement  dans  sa  modestie  ni  dans  ses  autres  pratiques  de  vertu. 

Voyant  ces  rares  qualités,  l'infante  Catherine,  auprès  de  laquelle  on 
l'avait  mis,  et  qui  vint  à  épouser  Jean  III,  roi  de  Portugal,  voulut  l'emme- 
ner avec  elle  ;  mais  le  duc,  son  père,  l'en  empêcha  et  le  fit  revenir  à  Sara- 
gosse. Il  y  étudia  la  philosophie,  après  quoi  il  fut  envoyé  à  la  cour  de 
Charles-Quint.  Notre  jeune  courtisan  y  trouva  bientôt  des  écueils  délicats 
pour  son  innocence.  Comme  il  était  admirablement  bien  fait,  d'un  air 
noble,  d'un  regard  doux  et  agréable,  et  que  d'ailleurs  il  était  naturellement 
porté  à  la  gaîié  et  à  l'enjouement,  il  se  trouva  d'abord  assez  de  personnes 
qui  voulurent  avoir  des  liaisons  avec  lui,  pour  l'engager  dans  les  jeux  et 
mille  autres  légèretés.  Se  sentant  trop  sensible  à  tous  ces  charmes,  il  se 
raidit  vigoureusement  contre  eux,  et,  pour  n'en  être  pas  vaincu,  il  eut 
d'abord  recours  à  Dieu,  puis  il  se  fit  des  lois  toutes  saintes  qui  servirent  de 
frein  à  ses  passions  et  de  mur  de  défense  à  sa  pureté  et  à  son  innocence. 

La  première  loi  qu'il  se  donna,  fut  de  fuir,  autant  qu'il  pourrait,  les 
compagnies  du  beau  inonde,  où  tout  est  dangereux,  et  qui  fait  insensible- 
ment couler  le  poison  de  la  volupté  jusqu'au  fond  du  cœur.  S'il  était  quel- 
quefois obligé  d'y  paraître,  il  se  munissait,  auparavant,  contre  les  pièges 
du  démon  par  les  armes  de  la  prière  et  de  la  mortification,  se  revêtant, 


SAINT  FRANÇOIS  DE  BORGIA,  CONFESSEUR.  247 

pour  cela,  d'un  rude  cilice.  La  seconde  maxime  qu'il  se  prescrivit  fut  de  ne 
jamais  jouer  aux  jeux  de  hasard,  parce  que,  outre  son  argent,  on  y  perd 
encore  trois  choses  incomparablement  plus  précieuses,  qui  sont  :  le  temps, 
l'esprit  de  dévotion  et  la  tranquillité  du  cœur.  Rien  n'était  mieux  réglé 
que  sa  maison  :  on  n'y  jurait  point,  on  n'y  voyait  point  de  débauche,  et  la 
prière  s'y  faisait  exactement  le  soir  et  le  matin  en  commun,  sans  que 
personne  osât  se  dispenser  d'y  assister.  D'ailleurs  il  n'y  avait  point  de  sei- 
gneur à  la  cour  qui  eût  un  train  plus  brillant  et  plus  magnifique  que  lui, 
ni  qui  parût  avec  plus  d'honneur  dans  les  solennités  et  dans  les  assemblées 
publiques. 

L'impératrice,  charmée  de  tant  de  perfections,  lui  fit  épouser  Eléonore 
de  Castro,  de  l'illustre  maison  de  ce  nom  en  Portugal,  demoiselle  pour  qui 
elle  avait  le  plus  d'estime  et  d'affection,  et  qui,  d'ailleurs,  outre  une  très- 
rare  beauté  et  un  esprit  merveilleux,  avait  les  mêmes  inclinations  que  lui 
pour  la  piété.  Il  en  eut  huit  enfants  :  cinq  fils  et  trois  filles,  qui  n'ont  point 
dégénéré  de  la  vertu  de  leurs  parents,  et  qui  se  sont  rendus  fort  considéra- 
bles par  leur  mérite  dans  les  différents  états  où  la  divine  Providence  les  a 
appelés.  L'empereur,  en  considération  de  ce  mariage,  fit  François,  marquis 
de  Lombay  et  grand  écuyer  de  l'impératrice,  et  lui  donna  plus  de  part  que 
jamais  à  ses  bonnes  grâces  :  mais  ce  sage  favori  ne  se  servit  jamais  du  crédit 
qu'il  avait  auprès  de  leurs  majestés  impériales,  que  pour  empêcher  l'injus- 
tice et  pour  favoriser  ceux  que  leur  innocence  et  leur  probité  rendaient 
dignes  d'avancement  ou  de  protection. 

Ses  divertissements  ordinaires  étaient  la  chasse,  la  musique  et  l'étude 
des  mathématiques  ;  et  dans  ces  divertissements,  il  avait  l'adresse  de  se 
mortifier  souvent,  comme  en  arrêtant  l'oiseau  lorsqu'il  était  prêt  à  fondre 
sur  sa  proie  *,  en  interrompant  un  air  qui  lui  semblait  trop  agréable,  et  en 
quittant  un  calcul  qui  lui  donnait  trop  de  plaisir.  Il  servit  utilement 
Charles-Quint  dans  son  entreprise  contre  les  Maures  et  contre  les  Sarrasins 
en  Afrique,  et  il  le  suivit  dans  le  Milanais  pour  appuyer  l'irruption  qu'il 
voulait  faire  en  Provence  ;  mais  plusieurs  choses  commencèrent  à  le  dégofr 
ter  entièrement  des  vaines  occupations  du  monde.  Au  retour  d'Afrique,  il 
eut  une  grande  maladie,  pendant  laquelle  il  se  fit  lire  quelques  livres  spiri- 
tuels ;  il  y  trouva  tant  de  goût  qu'il  résolut  dès  lors  de  n'en  plus  lire  qui 
fussent  tant  soit  peu  profanes.  De  plus,  il  vit  en  Provence  une  étrange 
image  de  la  vanité  des  projets  des  hommes  :  l'armée  de  Charles-Quint  fut 
défaite,  la  plus  grande  partie  de  sa  noblesse,  qu'il  avait  menée  comme  à 
une  victoire  et  à  une  conquête  assurée,  fut  mise  à  mort,  et  cet  empereur 
fut  contraint  de  faire  une  honteuse  retraite,  sans  avoir  pu  prendre  la  ville 
de  Marseille  qu'il  avait  assiégée.  Enfin,  la  mort  de  l'impératrice,  qui  arriva 
à  Tolède  l'an  1539,  acheva  de  le  convaincre  que  toutes  les  grandeurs  de  la 
terre  sont  vaines  et  que  c'est  une  pure  folie  d'y  mettre  son  appui. 

Sa  jeunesse,  sa  beauté,  son  esprit  et  cette  souveraine  dignité  qui  la  re- 
levait au-dessus  de  toutes  les  personnes  de  son  sexe,  l'avaient  portée  au 
plus  haut  degré  de  bonheur  où  la  fortune  puisse  monter;  mais  une  mort 
précipitée  renversa  tout  cet  appareil  et,  de  la  plus  grande  princesse  du 
monde,  n'en  fit  qu'un  cadavre  infect  qu'il  fallut  cacher  dans  un  tombeau. 
liorgia  fut  chargé  de  la  conduire  au  lieu  de  sa  sépulture  et  de  la  remettre 
au  clergé  de  Grenade,  qui  devait  faire  les  cérémonies  de  l'enterrement. 
Pour  rendre  témoignage  que  c'était  elle-même,  il  fit  ouvrir  le  cercueil  de 

1.  Il  s'agit  ici  d'une  chasse  qui  consistait  h  lancer  sur  les  oiseaux  un  faucon  dressé  exprès. 


248  40  OCTOBUE. 

plomb  où  elle  était  ensevelie,  et  alors  son  visage  qui  faisait,  peu  de  temps 
auparavant,  l'admiration  de  son  siècle,  parit  si  hideux  et  si  horrible  avoir, 
que  nul  n'osait  jurer  que  c'était  elle  :  «  Ah  !  »  s'écria  à  l'heure  même  le 
saint  marquis,  <c  je  n'aurai  jamais  d'attachement  pour  aucun  maître  que  la 
mort  me  puisse  ravir,  et  Dieu  seul  sera  l'objet  de  mes  pensées,  de  mes  dé- 
sirs et  de  mon  amour  ».  Il  fut  encore  frappé  par  l'oraison  funèbre  que  le 
grand  serviteur  de  Dieu,  Jean  d'Avila,  prononça  en  cette  occasion  avec  la 
piété  et  l'onction  qui  lui  étaient  ordinaires,  et  par  une  lettre  qu'il  reçut  de 
Tabbesse  de  Sainte-Claire  de  Gandie,  sœur  du  duc  son  père,  laquelle  connut, 
par  révélation,  les  opérations  que  la  grâce  commençait  à  faire  dans  l'âme 
de  notre  Saint,  et  l'exhortait  à  n'en  point  arrêter  le  cours.  Il  demanda  donc 
la  permission  à  l'empereur  de  se  retirer  de  la  cour,  afin  qu'étant  solitaire 
en  sa  maison,  il  pût  s'appliquer  avec  plus  de  commodité  à  la  prière,  à  la 
lecture  et  aux  autres  exercices  spirituels,  qui  détachent  le  cœur  des  choses 
visibles  pour  ne  plus  l'attacher  qu'aux  invisibles. 

L'empereur,  bien  loin  de  lui  accorder  ce  qu'il  demandait,  le  créa  vice- 
roi,  capitaine  général  de  Catalogne  et  chevalier  de  l'Ordre  de  Saint-Jacques; 
puis,  pour  lui  témoigner  davantage  l'estime  qu'il  faisait  de  son  mérite,  il  le 
pourvut  d'une  riche  commanderie  et  d'une  place  dans  son  conseil.  Borgia 
fit  autant  pour  ne  pas  accepter  ces  faveurs,  que  d'autres  eussent  fait  pour 
les  obtenir;  mais,  toutes  ses  excuses  ayant  été  rejetées,  il  fut  obligé  de  se 
rendre  au  plus  tôt  dans  la  Catalogne.  Ce  fut  là  le  premier  théâtre  de  ses 
grandes  actions.  Il  en  extermina  entièrement  les  bandits  qui  l'avaient  déso- 
lée par  leurs  brigandages;  il  remédia  à  tous  les  abus  de  la  justice  et  com- 
prima l'insolence  et  le  libertinage  des  soldats  qui  avaient  coutume  d'exercer 
impunément  toutes  sortes  de  ravages.  Les  pauvres  trouvèrent  en  lui  une 
protection  assurée  contre  l'oppression  des  grands.  Les  vices  scandaleux  en 
furent  bannis  par  la  sagesse  et  par  la  rigueur  de  ses  ordonnances.  Il  est 
incroyable  combien  il  maria  de  pauvres  filles  dont  l'honneur  était  en  dan- 
ger ;  combien  il  tira  de  familles  ruinées  de  la  misère  et  de  la  dernière 
nécessité  ;  combien  il  délivra  de  débiteurs  des  prisons,  en  payant  lui-même 
ce  qu'ils  devaient  ;  combien  il  empêcha  de  procès  en  accommodant  les 
démêlés  des  parties,  et  combien  il  réconcilia  de  personnes  prêtes  à  s'égor- 
ger, partie  par  sa  douceur,  partie  par  le  poids  de  son  autorité. 

S'il  remplissait  si  dignement  les  devoirs  de  vice-roi,  il  ne  s'acquittait 
pas  avec  moins  de  perfection  de  ceux  d'un  véritable  chrétien.  Il  commença 
alors  à  s'appliquer  à  l'oraison  mentale,  et  ayant  passé  par  les  divers  degrés 
de  la  méditation,  il  fut  élevé  à  une  haute  contemplation  des  perfections 
divines.  Il  consacrait  tous  les  matins  quatre  ou  cinq  heures  à  ce  délicieux 
exercice,  et  son  âme  était  si  intimement  unie  à  Dieu,  que  souvent,  au  mi- 
lieu des  emplois  publics  où  sa  qualité  l'engageait,  il  était  contraint  d'en 
sortir  pour  donner  lieu  aux  divins  transports  qui  le  surprenaient.  Il  joignait 
la  mortification  à  l'oraison,  et  son  jeûne  fut  dès  ce  temps-là  si  rigoureux, 
qu'il  passa  premièrement  deux  Carêmes,  puis  une  année  tout  entière  sans 
prendre  autre  chose,  chaque  jour,  qu'un  morceau  de  pain,  un  verre  d'eau 
et  un  peu  d'herbes  ou  de  légumes,  bien  que  sa  table  fût  toujours  très-bien 
servie  pour  les  personnes  de  qualité  qui  y  venaient.  Cette  étrange  absti- 
nence était  accompagnée  de  beaucoup  d'autres  austérités.  Il  portait  le 
cilice,  se  mettait  en  sang  par  de  rudes  disciplines,  veillait  une  partie  de  la 
nuit  pour  donner  plus  de  temps  aux  exercices  spirituels,  examinait  souvent 
sa  conscience  avec  une  sévérité  de  juge,  et  lorsqu'il  se  trouvait  coupable 
de  quelque  faute,  il  était  impitoyable  pour  lui-même  et  se  châtiait  mm 


SAINT  FRANÇOIS  DE  BORGIA,   CONFESSEUR.  249 

miséricorde.  Il  se  soutenait  dans  une  vie  si  contraire  aux  inclinations  de  la 
nature,  par  l'usage  fréquent  des  sacrements  de  la  Pénitence  et  de  l'Eucha- 
ristie, communiant  tous  les  huit  jours  dans  sa  chapelle,  et  les  fêtes  princi- 
pales dans  la  grande  église  de  Barcelone,  pour  l'édification  du  peuple. 
Saint  Ignace  de  Loyola,  qu'il  consulta  par  lettres  sur  cette  fréquentation, 
qui  paraissait  alors  trop  extraordinaire  pour  un  gouverneur  accablé  de 
mille  affaires,  bien  loin  de  l'en  détourner,  lui  manda  qu'il  l'approuvait,  et 
l'exhorta  à  y  persévérer  avec  courage. 

Cependant,  son  père  ayant  été  appelé  à  une  meilleure  vie,  et  l'ayant 
laissé  par  sa  mort  quatrième  duc  de  Gandie,  il  prit  ce  prétexte  pour  de- 
mander à  l'empereur  la  décharge  de  sa  vice-royauté,  afin  d'aller  lui-môme 
gouverner  ses  sujets.  L'empereur  la  lui  accorda,  mais  à  condition  qu'il 
reviendrait  bientôt  à  la  cour  ;  et  pour  l'y  engager  davantage,  il  le  fit  grand- 
maître  de  la  maison  de  l'infante  Marie  de  Portugal,  qui  allait  être  épouse 
de  son  fils  Don  Philippe  ;  il  donna  en  même  temps  à  la  duchesse,  sa  femme, 
le  brevet  pour  être  sa  dame  d'honneur.  Etant  arrivé  à  Gandie,  il  y  fit  un 
bien  incroyable  :  il  y  bâtit  des  monastères,  fonda  des  hôpitaux,  établit  des 
assemblées  de  charité,  tira  de  la  misère  quantité  de  pauvres  et  de  prison- 
niers, régla  la  justice,  soutint  partout  la  religion,  et  se  faisant  lui-même 
un  modèle  de  vertu  et  de  sainteté,  il  porta  la  plupart  de  ses  vassaux  à  une 
vie  réglée  et  aux  exercices  de  la  piété  chrétienne. 

Ce  fut  alors  que  Dieu  permit  que  la  duchesse,  qui  secondait  en  tout  son 
zèle  et  sa  ferveur,  tombât  dangereusement  malade.  Le  duc,  qui  l'aimait 
d'un  amour  sans  égal,  la  voyant  désespérée  des  médecins,  eut  recours  à 
Dieu  pour  lui  demander  sa  guérison.  Après  beaucoup  d'aumônes,  de  péni- 
tences et  de  soupirs,  une  nuit  qu'il  priait  avec  plus  d'ardeur,  il  entendit 
une  voix  céleste  qui  lui  dit  que  la  santé  de  sa  femme  était  à  sa  disposition, 
qu'il  pouvait  choisir  pour  elle  ou  la  vie  ou  la  mort  ;  mais  que,  s'il  choisissait 
la  vie,  ce  ne  serait  ni  son  avantage  ni  celui  de  la  mourante.  A  cette  voix 
miraculeuse  il  entra  dans  un  profond  étonnement  de  la  bonté  de  Notre- 
Seigneur,  et  fondant  en  larmes,  il  s'écria  :  «  Quelle  apparence,  mon  Dieu, 
que  vous  fassiez  ma  volonté  et  que  je  ne  fasse  pas  la  vôtre?  Je  ne  veux  plus 
que  ce  que  vous  voulez.  Je  vous  offre,  non-seulement  la  vie  de  ma  femme, 
mais  aussi  la  mienne  et  celle  de  tous  mes  enfants  ». 

Cette  généreuse  résignation  fut  suivie  du  décès  de  la  duchesse,  qui  fut 
aussi  saint  que  sa  vie  avait  été  pure  et  innocente.  Ensuite  le  duc  ne  pensa 
plus  qu'à  mettre  ordre  aux  affaires  de  sa  maison,  afin  que  rien  ne  pût  l'em- 
pêcher de  quitter  le  monde  et  de  se  consacrer  entièrement  au  service  de 
Dieu.  Il  fit  les  exercices  sous  la  conduite  du  père  Lefèvre,  premier  compa- 
gnon de  saint  Ignace,  que  la  divine  Providence  avait  fait  venir  en  Espagne, 
et  il  en  sortit  si  embrasé  du  feu  de  l'amour  divin,  qu'il  voulait  dès  lors  se 
retirer  dans  un  cloître.  Dans  cette  pensée,  il  consulta  un  savant  religieux 
de  l'Ordre  de  Saint-François,  sur  le  choix  de  la  Congrégation  qu'il  devait 
embrasser  ;  et  ayant  appris  de  sa  bouche  que  Dieu  l'appelait  à  la  Compa- 
gnie de  Jésus,  il  écrivit  au  plus  tôt  à  saint  Ignace,  qui  était  à  Rome,  pour 
lui  demander  la  grâce  d'y  être  reçu.  Le  bienheureux  fondateur  la  lui  ac- 
corda avec  joie,  mais  à  condition  qu'avant  son  entrée  il  prendrait  du  temps 
pour  mettre  ses  enfants  en  état  de  n'avoir  plus  besoin  de  sa  conduite,  ni 
des  soins  de  sa  providence  paternelle.  Cette  condition  était  très-judicieuse; 
cependant  ls  saint  duc,  dont  la  ferveur  ne  pouvait  souffrir  aucun  délai, 
obtint  un  bret  du  Pape,  par  lequel  il  lui  était  permis  de  professer  les  vœux 
de  religion  en  secret  et  devant  peu  de  témoins,  sans  quitter  pour  cela  sa 


250  10  OCTOBRE. 

qualité  do  duc  do  Gandie,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  satisfait  aux  devoirs  d'un 
père  envers  ses  enfants. 

Sa  Sainteté  lui  donna  quatre  ans  pour  s'en  acquitter,  mais  il  ne  lui  en 
fallut  que  trois  ;  il  maria  très-avantageusement  son  fils  aîné  et  deux  de  ses 
filles,  de  l'une  desquelles  sont  descendus  les  princes  qui  ont  régné  depuis 
en  Portugal.  Il  prépara  aussi  de  loin  l'établissement  des  autres,  et  marqua 
les  biens  qu'ils  devaient  avoir  dans  sa  succession.  Il  régla  en  môme  temps 
tous  ses  comptes  et  toutes  ses  autres  affaires  domestiques,  afin  de  ne  laisser 
ni  dettes  ni  procès  dans  sa  famille.  Pendant  cet  intervalle,  il  se  levait  tous 
les  jours  à  deux  heures  du  matin  et  demeurait  en  oraison  jusqu'à  huit 
heures.  Ensuite  il  se  confessait,  entendait  la  messe  et  ne  manquait  jamais 
d'y  communier.  La  communion  était  suivie  d'une  étude  de  théologie,  que 
saint  Ignace  lui  avait  recommandée,  et  il  finissait  enfin  la  matinée  par  une 
première  audience  qu'il  donnait  à  ceux  qui  avaient  affaire  à  lui.  Après  un 
dîner  fort  sobre,  qui  était  néanmoins  son  unique  repas,  il  employait  l'après- 
dînée,  premièrement,  à  une  conférence  spirituelle  avec  ses  enfants  et  toute 
sa  famille,  qu'il  instruisait  des  vérités  de  l'Evangile  ;  ensuite  à  l'étude  des 
Pères  de  l'Eglise  et  des  saints  Canons  ;  en  troisième  lieu,  à  une  seconde  au- 
dience à  laquelle  toutes  sortes  de  personnes,  pauvres  et  riches,  savants  et 
ignorants,  étaient  admis  ;  enfin,  aux  exercices  du  soir,  qui  étaient,  outre 
quelques  prières  vocales,  la  lecture  spirituelle,  le  renouvellement  de  la 
présence  de  Dieu  et  l'examen  de  conscience. 

L'an  du  jubilé  1550,  après  avoir  donné  des  préceptes  d'une  haute  et 
sublime  sagesse  à  Charles  de  Borgia,  son  fils  aîné,  il  partit  pour  Rome, 
accompagné  de  Jean,  son  second  fils,  et  de  trente  de  ses  domestiques.  Il 
fut  reçu  partout  avec  grand  honneur,  et  à  son  entrée  dans  Rome,  les  am- 
bassadeurs des  couronnes  et  plusieurs  cardinaux  vinrent  au-devant  de  lui 
avec  un  magnifique  cortège  de  carrosses  ;  le  Pape  même  lui  demanda  de 
prendre  un  appartement  dans  son  palais  ;  mais  s'étant  excusé,  il  vint  des- 
cendre chez  les  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus,  où,  trouvant  saint  Ignace 
qui  l'attendait  à  la  porte,  il  se  jeta  à  ses  pieds,  et  pleurant  de  joie  de  se  voir 
entre  les  bras  de  son  supérieur,  il  lui  demanda  sa  main  à  baiser  et  sa  béné- 
diction. De  là  il  alla  à  l'audience  de  Sa  Sainteté  Jules  III,  de  qui  il  reçut 
des  témoignages  extraordinaires  d'affection  et  de  bienveillance  ;  de  sorte 
qu'on  était  persuadé  dans  Rome  qu'il  allait  être  cardinal,  comme  deux  de 
ses  frères  qui  l'étaient  déjà.  Mais  il  évita  ce  coup  en  sortant  au  plus  tôt  de 
la  ville,  et  s'en  retournant  en  Espagne  dès  qu'il  eut  gagné  le  jubilé.  Il  n'alla 
pas,  néanmoins,  dans  son  duché  de  Gandie,  qu'il  avait  quitté  pour  tou- 
jours ;  mais,  après  avoir  visité  avec  une  dévotion  singulière  le  château  de 
Loyola,  lieu  de  la  naissance  de  son  père  saint  Ignace,  il  se  retira  à  Ognate, 
petite  ville  voisine,  qui  est  de  la  province  de  Guipuscoa. 

Ce  fut  là  qu'ayant  reçu  les  lettres  de  l'empereur,  par  lesquelles  il  lui 
permettait  de  se  démettre  de  son  duché  en  faveur  du  marquis  de  Lombay, 
son  fils,  il  le  fit  par  un  acte  public  devant  notaire,  et  renonça  en  même 
temps  à  tous  ses  autres  biens  ;  ensuite  il  prit  l'habit  de  jésuite,  reçut  les 
saints  Ordres,  et  dit  sa  première  messe  avec  une  ferveur  et  une  dévotion 
merveilleuses  dans  la  chapelle  du  château  de  Loyola.  Ce  ne  fut  qu'une 
basse  messe  ;  mais  le  lendemain,  pour  contenter  la  dévotion  du  peuple,  il 
célébra  la  seconde  solennellement  au  bourg  de  "Vergara.  La  foule  y  fut  si 
grande,  que  l'église  étant  trop  petite,  il  fallut  élever  un  autel  au  milieu  de 
la  campagne,  et  tant  de  monde  voulut  communier  de  sa  main,  pour  parti- 
ciper aux  indulgences  qu'il  avait  obtenues  du  Pape,  qu'il  ne  put  achever 


SAINT  FRANÇOIS  DE  BORGIA,  CONFESSEUR.  251 

qu'à  trois  heures  après  midi.  Il  prêcha  enfin  d'une  manière  apostolique  qui 
attendrit  et  toucha  tous  les  cœurs.  Les  habitants  d'Ognate,  voulant  conser- 
ver un  si  saint  homme,  lui  donnèrent  à  lui  et  à  sa  compagnie  un  petit  ermi- 
tage hors  de  leurs  portes,  où  il  fit  bâtir  des  cellules  de  bois  si  pauvres  et  si 
étroites,  qu'il  était  aisé  de  voir  que  tout  le  monde,  avec  son  luxe  et  ses  va- 
nités, était  entièrement  mort  en  lui.  Son  plaisir,  dans  cette  maison,  fut  de 
s'y  abaisser  aux  offices  les  plus  bas  et  aux  fonctions  les  plus  humiliantes. 
Il  travaillait  au  jardin,  portait  du  bois  et  de  l'eau  et  servait  à  la  cuisine  ;  il 
allait  par  les  bourgades  faire  la  quête  de  porte  en  porte,  la  besace  sur  les 
épaules,  et  rien  ne  lui  était  plus  insupportable  que  de  voir  qu'on  le  distin- 
guât des  autres,  soit  pour  le  mérite  de  sa  personne,  soit  pour  le  souvenir  de 
ses  grandeurs  passées.  Il  faisait  aussi  le  catéchisme  aux  enfants,  qu'il  as- 
semblait pour  cela  au  son  d'une  clochette. 

Ce  rare  exemple  d'humilité  jeta  l'étonnement  dans  l'esprit  de  tous  ces 
peuples.  Bientôt  sa  solitude  se  changea  en  un  lieu  fort  public.  On  y  venait 
de  tous  côtés  pour  avoir  la  consolation  de  le  voir  ;  et  chacun  en  y  venant 
se  disait  :  «  Allons,  allons  voir  l'homme  du  ciel  ».  Grand  nombre  de  pré- 
lats, de  ducs,  de  seigneurs  et  de  magistrats  voulurent  avoir  part  à  ce  bon- 
heur :  personne  ne  lui  rendit  visite  dans  son  ermitage  qui  ne  s'en  retournât 
meilleur  ;  plusieurs  furent  tellement  touchés  de  la  sainteté  de  ses  discours, 
qu'ils  quittèrent  le  monde  et  entrèrent  dans  la  Compagnie,  à  son  imitation, 
entre  autres  dom  Antoine  de  Cordoue,  son  cousin  germain,  que  le  pape 
Jules  III  était  près  de  faire  cardinal  à  la  nomination  de  Charles-Quint;  dom 
Sanchez  de  Castflle,  dom  Pétro  de  Navarre,  dom  Charles  de  Gusman,  dom 
Barthélémy  Bastamance,  secrétaire  de  dom  Jean  de  Tavora,  cardinal  et 
archevêque  de  Tolède  et  premier  ministre  d'Etat ,  et  quantité  d'autres 
disciples  du  Père  Jean  d'Avila,  tous  illustres  par  leur  naissance  et  par  leurs 
propres  mérites.  L'empereur,  informé  des  incomparables  vertus  de  Fran- 
çois, lui  sollicita  si  puissamment  un  chapeau  de  cardinal  auprès  du  Pape, 
que  la  chose  était  près  d'être  conclue  sans  qu'il  en  sût  rien  ;  mais  saint 
Ignace  l'en  ayant  informé,  il  rompit  encore  ce  coup  par  des  lettres  très- 
humbles  et  très-pressantes  qu'il  écrivit  à  Sa  Sainteté.  Son  désir  était  de 
passer  le  reste  de  ses  jours  dans  l'humilité  de  sa  retraite;  mais  la  divine 
Providence  en  avait  disposé  autrement.  Saint  Ignace  l'envoya  première- 
ment en  Castille,  puis  dans  l'Andalousie,  et  de  là  en  Portugal,  où  il  fit  par- 
tout des  conversions  et  des  conquêtes  merveilleuses.  On  ne  peut  s'imaginer 
l'honneur  et  le  respect  avec  lesquels  il  fut  reçu  en  Portugal,  non-seulement 
des  prélats  et  des  seigneurs,  mais  aussi  du  roi,  de  la  reine,  de  don  Jean, 
leur  fils  et  de  don  Louis,  frère  du  roi.  Il  prêcha  souvent  devant  Leurs  Ma- 
jestés, et  sa  parole  eut  tant  de  succès  à  la  cour,  qu'on  y  vit  un  renouvelle- 
ment de  piété  tout  extraordinaire.  Don  Louis,  qui  avait  déjà  fait  de  grandes 
instances  pour  entrer  dans  la  Compagnie  à  son  exemple,  sans  néanmoins 
pouvoir  l'obtenir  pour  des  raisons  d'Etat  qui  le  rendaient  nécessaire  dans 
le  siècle,  voulut  surtout  l'avoir  pour  son  directeur,  et  il  profita  tellement 
de  ses  instructions,  qu'il  vivait  depuis,  dans  son  palais,  comme  un  religieux 
dans  son  cloître.  De  Lisbonne,  saint  François  passa  à  Evora  et  à  Bragance, 
où  il  ne  travailla  pas  avec  moins  de  succès  pour  la  gloire  de  Dieu  et  pour 
le  salut  des  grands  et  du  peuple. 

De  là  il  repassa  en  Espagne,  et  se  rendit  à  Valladolid,  où  le  prince  don 
Philippe,  régent  du  royaume  pendant  l'absence  de  l'empereur  son  père, 
faisait  sa  demeure  ordinaire.  Il  logea  à  l'hôpital  ;  mais  il  y  fut  visité  de 
tous  les  grands,  et,  par  la  force  de  ses  remontrances,  il  gagna  à  Dieu  le 


252  10  OCTOBRE. 

comte  de  Monterey,  les  deux  fils  du  comte  d'Oropeza,  dom  Pimantel,  un 
des  plus  sages  conseillers  de  Charles-Quint,  et  un  commandeur  de  haute 
distinction,  nommé  Jean  de  la  Moschera,  mais  qui  s'était  rendu  plus  fa- 
meux par  les  désordres  de  sa  vie  scandaleuse  que  par  l'éclat  de  sa  nais- 
sance. Ce  seigneur  déclamait  ordinairement  contre  la  compagnie  de  Jésus, 
ennemie  de  tous  les  vices.  Notre  Saint  alla  le  trouver  chez  lui,  et  s'étant 
jeté  à  ses  pieds  comme  pour  lui  demander  pardon  des  sujets  que  la 
Société  pouvait  lui  avoir  donnés  de  la  décrier,  il  le  désarma  tellement 
qu'il  en  fit  un  homme  réglé,  charitable  et  un  humble  disciple  de  Jésus 
crucifié. 

De  si  heureux  succès  portèrent  saint  Ignace  à  l'établir  son  vicaire-géné- 
ral dans  toute  l'étendue  des  Espagnes,  du  Portugal  et  môme  des  Indes- 
Orientales.  Il  s'excusa  quelque  temps  de  cette  commission,  qui  faisait  une 
extrême  violence  à  son  humilité  ;  mais,  l'obéissance  l'emportant  sur  ses 
répugnances,  il  se  soumit  enfin  aux  désirs  et  à  la  volonté  de  son  supérieur. 
Notre-Seigneur  fit  bien  voir  par  les  grandes  bénédictions  qu'il  donna  à  ses 
travaux,  que  ce  choix  venait  de  lui.  Pendant  le  temps  de  son  gouverne- 
ment, il  n'y  eut  presque  point  de  ville  en  Espagne  ni  en  Portugal  où  il 
n'établit  des  collèges  ou  des  maisons  de  la  Compagnie.  Il  était  secondé 
dans  ses  glorieux  desseins  par  tout  ce  qu'il  y  avait  dans  ces  royaumes  de 
prélats  célèbres  en  doctrine  ou  en  sainteté  ;  de  ce  nombre  étaient  saint 
Thomas  de  Villeneuve,  archevêque  de  Valence,  et  dom  Barthélémy  des 
Martyrs,  archevêque  de  Prague.  Les  plus  grands  seigneurs,  qui  avaient  eu 
pour  la  plupart  des  liaisons  avec  lui,  aussi  bien  que  les  princes  et  les  prin- 
cesses du  sang,  tenaient  à  honneur  de  contribuer  à  ses  saintes  entreprises. 
L'infante  Jeanne ,  qui  était  demeurée  régente  d'Espagne ,  pendant  un 
voyage  que  le  roi  Philippe,  son  frère,  fit  en  Angleterre,  dont  il  avait  épousé 
la  reine,  le  favorisait  en  tout  ce  qu'elle  pouvait.  Elle  s'était  mise  sous  sa 
conduite,  et  elle  faisait  tant  d'état  de  son  mérite,  qu'elle  croyait  qu'il  n'y 
avait  personne  dans  l'Eglise  plus  digne  du  souverain  pontificat  que  lui;  elle 
n'entreprenait  rien  sans  l'avoir  auparavant  consulté. 

La  mort  de  saint  Ignace,  qui  arriva  deux  ans  après  qu'il  l'eut  créé  son 
vicaire-général  en  Espagne,  le  toucha  très-sensiblement  par  la  perte  ines- 
timable qu'elle  causait  à  son  Ordre  et  en  même  temps  à  toute  l'Eglise.  Il 
se  consolait  seulement  sur  l'espérance  qu'un  nouveau  supérieur  le  déchar- 
gerait du  fardeau  que  ce  bienheureux  fondateur  lui  avait  mis  sur  les 
épaules  ;  mais  il  fut  trompé  dans  cette  attente,  car  le  R.  P.  Jacques  Lay- 
nez,  qui  fut  élu  général  en  la  place  de  saint  Ignace,  le  confirma  aussitôt 
dans  sa  charge.  Aussi,  dans  cette  conjoncture  la  Compagnie  eut  besoin,  en 
Espagne,  d'un  chef  de  sa  force  et  de  son  mérite  pour  la  soutenir  contre 
une  persécution  terrible  qui  lui  fut  suscitée  par  les  intrigues  secrètes  des 
hérétiques  et  aussi  de  quelques  communautés  jalouses  de  la  gloire  qu'elle 
s'était  acquise  en  si  peu  de  temps.  Il  souffrit  avec  une  humilité  et  une 
patience  invincibles  les  calomnies  que  l'on  sema  de  tous  côtés  pour  la 
décrier;  se  contentant,  après  s'être  dévoué  à  la  justice  de  Dieu,  pour  por- 
ter lui  seul  tout  l'opprobre,  de  les  détruire  par  une  simple  exposition  de 
l'innocence  des  accusés.  Il  fut  alors  appelé  auprès  de  l'empereur  Charies- 
Quint,  qui  avait  déjà  quitté  l'empire  et  la  royauté  et  s'était  retiré  à  Saint- 
Just,  dans  l'Estramadure,  à  un  monastère  de  Saint-Jérôme.  Il  trouva  ce 
prince  prévenu  contre  les  siens  par  les  mauvaises  impressions  que  leurs 
ennemis  lui  en  avaient  données;  mais  comme  la  médisance,  quelque  effron- 
tée qu'elle  fût,  n'avait  jamais  osé  attaquer  sa  personne >  dont  la  sainteté 


SAINT  FRANÇOIS  DE  BORGIÀ,  CONFESSEUR.  253 

était  révérée  de  toute  l'Espagne,  il  ne  laissa  pas  d'en  être  admirablement 
bien  reçu.  Il  fut  logé  dans  le  monastère,  quoique  les  princes  mêmes  qui 
y  venaient  n'y  fussent  pas  logés  ;  il  eut  plusieurs  audiences  de  Sa  Majesté 
pendant  des  heures  entières,  toujours  couvert,  assis,  et  seul  à  seul  ;  il  le 
détrompa  si  parfaitement  des  accusations  dont  on  avait  voulu  noircir  les 
membres  de  la  Compagnie,  que  Charles,  frappant  son  front  de  sa  main, 
s'écria  :  «  Est-il  bien  possible  qu'on  m'ait  ainsi  osé  mentir?  »  Il  lui  donna 
des  avis  de  grande  importance,  tant  pour  la  bonne  conduite  de  l'Espagne, 
afin  d'en  faire  part  au  roi,  son  fils,  que  pour  son  règlement  particulier,  et 
Charles  les  trouva  si  judicieux,  qu'il  voulut  absolument  les  avoir  par  écrit. 
Ainsi,  personne  n'osant  désapprouver  ce  que  ce  grand  prince  approuvait, 
la  persécution  contre  la  Compagnie  de  Jésus  fut  assoupie  ou  du  moins  sus- 
pendue pour  quelque  temps. 

De  Saint-Just,  saint  François  fut  obligé  d'aller  en  Portugal,  où  la  cour 
était  dans  une  extrême  consternation,  par  la  triste  mort  du  roi  Jean.  Il  fut 
un  ange  de  paix,  qui  fit  adorer  les  volontés  du  ciel  avec  douceur  et  rési- 
gnation, et  la  consolation  qu'il  y  apporta  fut  si  grande,  que  la  reine  même, 
qui  était  la  plus  affligée,  ne  pensa  plus  qu'à  faire  bon  profit  de  cette  croix. 
Il  rendit,  depuis,  plusieurs  visites  à  l'empereur,  dont  la  dernière  fut  pour 
le  disposer  à  la  mort.  Il  fut  un  des  exécuteurs  de  son  testament,  et  il  fit 
ensuite  son  oraison  funèbre,  où,  sans  s'arrêter  aux  vertus  morales  et  aux 
glorieuses  actions  que  ce  prince  avait  eues  en  commun  avec  les  plus  grands 
héros  païens,  il  ne  loua  que  ce  qu'il  avait  eu  de  chrétien  dans  sa  conduite. 

Ce  serait  une  chose  infinie  de  suivre  cet  homme  incomparable  dans 
tous  ses  voyages;  de  décrire  tous  les  établissements  qu'il  y  a  faits,  soit  en 
Espagne,  soit  en  Afrique  pour  instruire  la  jeunesse,  pour  former  les  mis- 
sionnaires, pour  combattre  les  hérétiques  et  les  Maures,  pour  réformer  les 
mœurs  des  fidèles  et  pour  rétablir  la  discipline  ecclésiastique  dans  les  dio- 
cèses d'où  elle  était  presque  entièrement  bannie;  de  représenter  le  fruit  de 
ses  sermons,  de  ses  remontrances  et  de  ses  instructions  familières;  de  mar- 
quer toutes  les  personnes  d'un  mérite  extraordinaire,  qu'il  a  reçues  dans 
sa  Compagnie,  entre  lesquelles,  néanmoins,  nous  ne  devons  pas  omettre  le 
Révérend  Père  François  Tolet,  si  célèbre  par  sa  piété  et  par  son  érudition, 
et,  depuis,  élevé  au  cardinalat;  enfin,  de  faire  le  tableau  des  nouvelles  per- 
sécutions qu'il  a  surmontées  par  son  silence  et  par  sa  patience,  sans  vou- 
loir jamais  accuser  personne,  ni  découvrir  les  noms  de  ses  calomniateurs 
pour  se  justifier.  Ce  qui  est  plus  surprenant,  c'est  que  ce  grand  Saint,  dont 
le  zèle  embrassait  tant  de  provinces,  et  qui  travaillait  en  même  temps  au 
salut  de  l'un  et  de  l'autre  monde;  que  l'on  voyait  toujours  ou  en  chaire, 
prêchant  avec  un  zèle  d'apôtre,  ou  à  la  visite  des  collèges  et  des  maisons 
de  son  Ordre,  ou  dans  le  conseil  des  princes  et  des  prélats,  pour  avancer  la 
gloire  de  Dieu,  l'honneur  de  l'Eglise  et  l'instruction  des  peuples,  ou  dans 
quelques  autres  négociations  de  piété  ;  ce  grand  Saint,  disons-nous,  n'était 
presque  jamais  sans  des  douleurs  violentes,  ou  de  la  goutte,  ou  d'autres 
maladies  qu'il  s'était  attirées  par  ses  austérités  extraordinaires. 

Un  soleil  si  éclatant  n'étant  pas  seulement  pour  éclairer  les  Espagnes, 
on  souhaita  ardemment  de  le  voir  en  Italie.  Il  reçut  donc  ordre  du  Pape  et 
de  son  général,  de  se  transporter  au  plus  tôt  à  Rome,  où  la  divine  Provi- 
dence le  destinait  à  des  emplois  encore  plus  considérables  que  ceux  qu'il 
avait  eus  jusqu'alors.  Il  y  arriva  le  7  septembre  de  l'année  1561,  et,  peu  de 
temps  après,  il  fut  nommé  vicaire-général  en  l'absence  du  Révérend  Père 
Laynez,  que  le  Pape  avait  envoyé  en  France.  Le  zèle,  la  prudence,  la  fer- 


254  iO  OCTOBRE. 

meté,  la  douceur  et  les  autres  vertus  qu'il  fit  paraître  en  ce  nouvel  emploi, 
firent  que,  ce  général  étant  décédé,  il  fut  mis  à  sa  place  avec  l'applaudis- 
sement non-seulement  de  toute  la  Société,  mais  aussi  de  Sa  Sainteté  et  de 
tout  ce  qu'il  y  avait  de  cardinaux  et  de  prélats  à  Rome,  et  môme  de  tous 
les  princes  de  l'Europe.  Saint  François  était  le  seul  qui  en  gémît  devant 
Dieu,  et  qui  s'en  plaignît  devant  les  hommes.  Avant  de  congédier  le  Cha- 
pitre général,  il  voulut  absolument  baiser  les  pieds  de  chacun  des  députés 
en  particulier;  ce  qui  remplit  toute  cette  célèbre  assemblée  composée 
d'une  troupe  d'hommes  admirables  pour  leur  science  et  leur  sainteté,  d'un 
nouveau  respect  pour  un  supérieur  si  humble,  et  si  parfaitement  mort  à 
toutes  les  grandeurs  du  monde. 

On  ne  saurait  dire  combien  la  Compagnie  s'accrut  de  tous  côtés  sous 
son  sage  gouvernement.  Un  nombre  infini  de  grands  personnages  y  entrè- 
rent et  la  rendirent  illustre  par  leur  capacité  en  toutes  sortes  de  disciplines 
et  parleur  insigne  piété.  Il  établit  de  nouvelles  maisons  sans  nombre,  non- 
seulement  en  Italie,  en  France,  en  Espagne,  en  Allemagne  et  en  Pologne, 
mais  aussi  en  Asie,  en  Afrique  et  en  Amérique.  Les  rois  et  les  autres  sou- 
verains lui  écrivaient  continuellement  pour  obtenir  de  lui  des  ouvriers  si 
zélés  et  si  utiles  dans  un  temps  où  la  corruption  de  la  foi  et  des  mœurs  était 
devenue  presque  générale.  Il  y  eut  plusieurs  de  ses  disciples  qui  endurèrent 
le  martyre  après  les  nombreux  travaux  de  l'apostolat.  Enfin,  toute  la  terre 
le  regardait  comme  un  homme  envoyé  du  ciel  pour  procurer  le  salut  de 
toutes  les  nations.  Les  papes  Pie  IV  et  saint  Pie  V  lui  portèrent,  pour  cela, 
une  affection  particulière,  et  ils  ne  pouvaient  se  lasser  de  lui  donner  de 
grands  éloges.  Cependant,  cet  homme  merveilleux  ne  se  regardait  que 
comme  un  membre  inutile  de  l'Eglise  et  comme  un  fardeau  onéreux  à  son 
institut.  Ayant  un  jour  assemblé  les  principaux  Pères,  il  se  jeta  à  leurs 
pieds  et  les  supplia,  les  larmes  aux  yeux,  de  lui  découvrir  ses  faiblesses  et 
de  lui  déclarer  tous  les  manquements  qu'il  faisait  dans  son  office.  Enfin,  il 
n'épargna  rien  pour  s'en  faire  entièrement  décharger. 

Mais  lorsqu'il  y  pensait  le  moins,  le  saint  pape  Pie  V  ajouta  encore  à  sa 
charge  un  voyage  et  une  négociation  de  la  dernière  importance  ;  car,  voyant 
que  le  sultan  Sélim,  après  s'être  rendu  maître  de  l'île  de  Chypre,  menaçait 
toute  la  chrétienté  d'une  désolation  générale  qui  ne  pouvait  être  empêchée 
que  par  une  sainte  ligue  de  tous  les  princes  chrétiens,  il  envoya  le  cardinal 
Commendon  avec  le  Père  François  Tolet  en  Allemagne  pour  la  solliciter 
auprès  de  l'empereur  et  du  roi  de  Pologne,  et  le  cardinal  Bovello  dit 
Alexandrin,  son  neveu,  en  France,  en  Espagne  et  en  Portugal  pour  la  né- 
gocier auprès  des  souverains  de  ces  trois  royaumes,  lui  donnant  pour  adjoint 
et  conseiller  perpétuel  notre  Saint,  avec  ordre  de  le  consulter  et  de  suivre 
ses  avis  en  toutes  choses.  Le  légat  fut  reçu  à  l'entrée  de  la  Catalogne  par 
Ferdinand  de  Borgia,  l'un  des  enfants  de  ce  bienheureux  général,  que  le  roi 
d'Espagne  envoya  exprès  au-devant  de  son  altesse.  Charles  de  Borgia,  duc 
de  Gandie,  son  aîné,  et  François  de  Borgia,  marquis  de  Lombay,  fils  de  ce 
duc,  le  reçurent  à  Valence,  suivis  de  la  fleur  de  la  noblesse  du  pays. 
Tous  les  anciens  vassaux  et  serviteurs  du  Saint,  avec  son  petit-fils,  se 
jetèrent  à  ses  pieds  pour  lui  baiser  les  mains  et  lui  demander  sa  béné- 
diction. 

Lorsqu'il  fut  à  Madrid,  le  roi  Philippe  II  lui  fit  paraître  en  toutes  sortes 
d'occasions  une  grande  estime  et  une  vénération  toute  particulière.  Le  roi 
Don  Sébastien  fit  de  même  en  Portugal ,  et  François  se  servit  avanta- 
geusement de  cette  disposition  pour  ménager  auprès  de  Leurs  Majestés  un 


SAINT  FRANÇOIS  DE  BORGIA,  CONFESSEUR.  2o5 

grand  nombre  d'entreprises  de  la  dernière  importance,  pour  la  conserva- 
tion de  la  foi  et  de  la  piété  et  pour  la  conversion  des  pécheurs  et  des  infi- 
dèles. Il  fit  quelques  nouveaux  établissements  pour  ses  religieux,  et,  visi- 
tant toutes  les  maisons  de  son  Ordre  qui  étaient  sur  sa  route,  il  y  fit  des 
règlements  admirables  pour  y  maintenir  l'observance  et  la  pureté  de  l'es- 
prit de  la  Compagnie.  D'Espagne,  il  passa  en  France  à  la  suite  du  légat,  et 
Charles  IX,  qui  était  à  Blois,  avec  la  reine  Catherine  de  Médicis,  sa  mère,  ne 
l'y  reçut  pas  avec  moins  d'honneur  et  de  tendresse  qu'avaient  fait  les  autres 
souverains  chez  lesquels  il  était  allé.  Cependant,  comme  le  royaume  était 
plein  de  tumulte  et  de  bruits  de  guerre,  et  que  les  Calvinistes  y  faisaient 
tous  les  jours  un  renversement  universel,  il  ne  put  y  obtenir  aucun  secours 
ni  d'hommes  ni  d'argent  contre  les  Turcs.  La  désolation  où  il  vit  nos  pro- 
vinces et  les  lieux  les  plus  saints  et  les  plus  vénérables  de  la  religion  le  tou- 
cha tellement,  qu'ayant  voulu  dire  la  Messe  dans  une  de  ces  églises  pillées 
par  les  hérétiques,  il  fut  saisi  d'une  fièvre  qui  ne  le  quitta  plus.  Il  reprit 
donc  le  chemin  d'Italie,  où  les  ducs  de  Savoie  et  de  Ferrare  le  retinrent 
quelque  temps  chez  eux  pour  lui  faire  recouvrer  sa  santé  ;  mais,  tous  les 
soins  des  médecins  y  étant  inutiles,  il  se  rendit  promptement  par  Lorette  à 
Rome,  pour  avoir  la  consolation  de  mourir  dans  cette  ville  sanctifiée  parle 
sang  de  tant  de  martyrs. 

Quand  on  lui  dit  qu'il  était  dans  la  ville,  il  récita  avec  une  ferveur 
extraordinaire  le  cantique  de  saint  Siméon  :  «  C'est  maintenant,  Seigneur, 
que  vous  délivrerez  votre  serviteur  pour  le  faire  entrer  dans  la  jouissance 
de  votre  paix  » .  Il  remercia  Dieu  de  la  grâce  qu'il  lui  avait  faite  de  demeu- 
rer dans  son  humble  état  de  religieux  sans  être  élevé  aux  grandes  prélatures 
de  l'Eglise,  comme  il  en  avait  été  si  souvent  menacé  ;  il  lui  témoigna  aussi 
une  vive  reconnaissance  de  ce  qu'il  avait  perdu  la  santé  et  qu'il  allait  mou- 
rir par  l'obéissance  qu'il  avait  rendue  au  Saint-Siège  et  dans  le  service  de 
l'Eglise.  Dès  qu'il  fut  entré  dans  la  maison  de  son  Ordre,  les  cardinaux  et 
les  ambassadeurs  vinrent  pour  avoir  la  consolation  de  le  voir,  mais  il  arrêta 
ce  concours  en  priant  qu'on  le  laissât  ménager  le  peu  de  temps  qui  lui  res- 
tait pour  se  bien  préparer  à  la  mort.  Le  pape  Grégoire  XIII,  qui  était  allé  à 
Tivoli,  apprenant  l'extrémité  de  sa  maladie,  en  fut  sensiblement  touché,  et, 
lui  envoyant  l'indulgence  plénière,  il  dit  que  l'Eglise  allait  perdre  un  grand 
serviteur  de  Dieu  et  une  de  ses  plus  fortes  colonnes.  Il  ne  vécut  que  deux 
jours  après  son  arrivée  ;  pendant  ces  deux  jours,  il  ne  perdit  pas  un  moment 
pour  se  disposer  saintement  à  paraître  au  jugement  de  Dieu.  Il  reçut  tous 
les  sacrements  avec  une  dévotion  si  tendre,  qu'elle  ravit  et  charma  tous  les 
assistants.  Il  refusa  absolument  deux  choses  :  l'une,  de  nommer  ni  même 
d'indiquer  son  successeur,  disant  qu'il  avait  assez  d'autres  comptes  à  rendre 
à  Dieu  sans  être  encore  chargé  de  celui-là  ;  l'autre,  de  souffrir  qu'un  peintre 
fît  son  portrait.  Après  une  extase  de  quelques  heures,  où  il  eut  des  assu- 
rances de  son  salut,  il  prédit  à  dom  Thomas  de  Borgia,  son  frère,  qu'il 
serait  évoque,  et  bénit  en  même  temps  tous  ses  enfants  ;  enfin,  étant 
prêt  à  entrer  dans  l'éternité,  il  rendit  à  Dieu  son  âme  toute  chargée  des 
trophées  qu'elle  avait  remportés  sur  le  démon,  la  chair  et  le  péché,  et  toute 
couronnée  de  mérites.  Ce  fut  le  30  septembre  de  l'année  1572,  celle  du 
décès  de  saint  Pie  V,  et  la  soixante-deuxième  de  son  âge. 

Voici  les  principales  caractéristiques  de  saint  François  de  Borgia  :  l°On 
peint  ordinairement  le  chapeau  près  de  lui,  ou  à  ses  pieds,  parce  qu'il  se 
hâta  de  quitter  Rome  sans  bruit,  en  s'apercevant  qu'on  songeait  à  le  faire 
cardinal  ;  2°  on  place  d'ordinaire  près  de  lui  une  tête  de  mort,  coiffée  de  la 


256  10  OCTOBRE. 

couronne  impériale  :  c'est  pour  rappeler  que  son  désir  de  renoncer  au 
monde  lui  vint  à  l'occasion  des  funérailles  de  l'impératrice  Isabelle  ;  3°  on 
le  peint  aussi  en  prières  devant  le  saint  Sacrement,  pour  faire  entendre  qu'il 
était  doué  d'une  dévotion  toute  particulière  pour  la  sainte  Eucharistie  :  en 
compagnie  des  saints  Louis  Bertrand,  Gaétan,  Philippe  Bénizzi,  et  de  sainte 
Rose  de  Lima,  parce  qu'ils  furent  canonisés  simultanément  par  Clément  X 
(1671)  ;  tenant  à  la  main  un  tableau  ou  une  gravure  du  portrait  de  la 
sainte  Vierge,  honoré  à  Sainte -Marie-Majeure,  parce  qu'il  obtint  qu'il  en 
fût  fait  des  reproductions,  et  prit  soin  de  les  répandre  au  loin  en  grand 
nombre,  pour  étendre  le  culte  de  la  Mère  de  Dieu. 

On  l'invoque  à  Lisbonne  contre  les  tremblements  de  terre.  Il  est  patron 
de  Gandie  et  de  Valence,  en  Espagne. 


CULTE  ET  RELIQUES.  —  ECRITS. 

Son  corps  fut  inhumé  dans  l'ancienne  église  de  la  Compagnie,  auprès  de  ceux  de  saint  Ignace 
et  du  révérend  Père  Jacques  Laynez,  ses  deux  prédécesseurs.  Mais  depuis,  par  la  permission  et 
l'autorité  du  pape  Paul  V,  il  a  été  transporté  premièrement  dans  la  sacristie  de  la  même  maison, 
puis  dans  l'église  du  Grand-Jésus,  enfin  dans  la  maison  professe  de  Madrid,  en  Espagne,  par  les 
soins  du  cardinal  duc  de  Lerme  et  du  cardinal  Gaspard  de  Borgia,  ses  petits-fils.  Les  miracles 
insignes  et  sans  nombre  qui  ont  été  faits  à  son  tombeau  et  par  son  intercession  ont  engagé 
Urbain  VIII,  en  1624,  à  le  béatifier,  et  Clément  IX  à  le  canoniser.  Innocent  XI  fixa  sa  fête  au 
10  octobre. 

Saint  François  de  Borgia  a  laissé  quatre  traités,  savoir  : 

1°  Le  Collyre  spirituel,  où  il  examine  1°  combien  la  considération  des  choses  qui  sont  au- 
dessous  de  la  terre  nous  doit  confondre  devant  Dieu  ;  2°  combien  la  considération  des  choses  que 
nous  voyons  sur  la  terre  nous  doit  donner  de  confusion  ;  3°  combien  la  considération  des  choses 
célestes  nous  doit  humilier. 

2°  Des  Exercices  pour  chaque  jour  de  la  semaine. 

3°  Un  Discours  sur  les  larmes  de  Jésus-Christ  sur  Jérusalem. 

4°  Le  Miroir  des  actions  du  chrétien,  où  on  trouve  une  paraphrase  spirituelle  du  cantique  des 
trois  enfants  dans  la  fournaise. 

Ils  ont  été  traduits  de  l'espagnol  en  latin  par  le  Père  Alphonse  Déjà,  jésuite.  Bruxelles,  1675, 
in-folio  ;  M.  l'abbé  Grimes,  dans  son  Esprit  des  Saints,  en  a  donné  un  fort  beau  résumé. 

Nous  nous  sommes  servi,  pour  composer  cet  abrège*,  de  différentes  Vies  du  Saint,  écrites  par  Riba- 
deneira,  Bétencouvt,  le  P.  Verjus.  —  Cf.  Esprit  des  Saints,  par  M.  l'abbé  Grimes. 


SAINTE  THELCHIDE  OU  THÉLÉHILDE,  VIERGE, 

PREMIÈRE  ABBESSE  DE  JOUARRE,   AU  DIOCÈSE  DE   ME  AUX  (vers  660). 

Selon  une  très-ancienne  tradition,  Thelchide  sortait  de  la  première  race  de  nos  rois  ;  elle  était 
sœur  d'Agilbert,  d'abord  évèque  régionnaire  en  Angleterre,  puis  évêque  de  Paris  (666-680).  Ayant 
été  élevée  dans  la  piété,  et  désireuse  de  consacrer  à  Dieu  le  lis  de  sa  virginité,  elle  se  rendit  à 
Faremoutier  (Farse  monasterium,  Ordre  de  Saint- Benoît),  au  diocèse  de  Meaux,  pour  se  former  à 
la  vie  monastique  sous  la  discipline  de  l'illustre  sainte  Fare.  Dans  le  même  temps,  le  bienheureux 
Adon,  frère  de  saint  Ouen  et  parent  de  notre  Sainte,  fonda  le  monastère  de  Jouarre  ou  Joras 
(Jotrum),  non  loin  de  la  Marne,  au  sommet  d'une  colline.  Jouarre  était,  comme  Faremoutier,  un 
monaslère  double  ;  il  comprenait  une  maison  pour  les  hommes,  une  pour  les  filles.  Aimon  rapporte 
que  le  saint  fondateur  quitta  la  cour  de  Dagobert  pour  aller  finir  ses  jours  à  Jouarre.  Cependant 
Thelchide  était  devenue  une  religieuse  accomplie  ;  alors  Adon  la  demanda  à  sainte  Fare  pour  la 
mettre  à  la  tète  des  religieuses  do  Jouarre  en  qualité  de  première  abbesse.  Elle  s'acquitta  de  ses 
fonctions  avec  tant  de  sagesse  et  de  piété,  qu'elle  vit  bientôt  un  grand  nombre  de  religieuses 


LE  B.  HUGUES  DE  MAÇON,   ÉVÊQUE  D'AUXERRE  ET  CONFESSEUR.  257 

accourir  de  tous  côtés  pour  se  placer  sous  sa  direction.  Deux  colonies  principales  sortirent  de  son 
monastère  :  l'une,  sous  la  conduite  de  sainte  Berthe,  fut  appelée  par  sainte  Bathilde  pour  réformer 
le  monastère  bénédictin  de  Chelles  (Calensis  abbatia),  près  de  Paris  ;  l'autre,  sur  la  demande 
de  saint  Drause,  évêque,  alla  fonder  un  monastère  nouveau  à  Soissons  sous  le  nom  de  Sainte- 
Marie. 

Sainte  Thelchide  mourut  vers  l'an  660  ;  elle  fut  ensevelie  à  Jouarre  dans  la  crypte  de  Saint- 
Paul,  auprès  d'Agilbert  et  d'Adon.  Son  tombeau  se  voit  encore  au  même  endroit  avec  cinq  autres. 
Il  porte  une  inscription  en  lettres  initiales,  dont  le  sens  est  que  sa  naissance  était  illustre,  ses  mérites 
éclatants,  sa  vie  d'une  pureté  admirable,  qu'elle  fut  la  mère  du  monastère  de  Jouarre. 

Le  13  octobre  1627,  par  les  soins  de  la  très-pieuse  Jeanne  de  Lorraine,  abbesse  de  Jouarre,  et 
en  présence  de  la  reine  Marie  de  Médicis,  Philippe  Cospéan,  évêque  de  Nantes,  leva  de  terre  les 
restes  des  saintes  abbesses  Thelchide  et  Aguilberte,  et  de  saint  Ebrégisile,  évêque  de  Meaux,  et 
les  transféra  solennellement  dans  la  grande  église  de  Sainte-Marie,  où  elles  furent  conservées  très- 
religieusement  jusqu'à  la  révolution  française.  A  cette  triste  époque,  les  religieuses  de  Jouarre 
ayant  été  dispersées,  les  reliques  ci-dessus  indiquées,  avec  les  autres  qu'on  vénérait  à  Jouarre, 
furent  transférées  à  l'église  Saint-Pierre,  où  elles  sont  encore  aujourd'hui.  On  les  honore  toutes 
ensemble  pendant  l'octave  de  la  Pentecôte,  au  milieu  d'un  grand  concours  de  fidèles.  Les  cryptes 
où  elles  reposaient  autrefois  subsistent  encore.  Elles  sont  remarquables  par  leur  élégance  et  par 
les  colonnes  de  marbre  qui  les  supportent. 

Proprt  de  Meaux. 


LE  BIENHEUREUX  HUGUES  DE  MAÇON, 

ÉVÊQUE  D'AUXERRE  ET  CONFESSEUR  (1151). 


Hugues,  de  l'illustre  maison  des  comtes  de  Mâcon,  fut  le  condisciple  et  l'ami  d'enfance  de  saint 
Bernard.  Après  sa  conversion,  il  se  rendit  à  l'abbaye  de  Citeaux  où  il  reçut  l'habit  monastique  des 
mains  de  l'abbé  Etienne.  Quelque  temps  après  sa  profession  il  fut  envoyé,  à  la  tête  de  douze 
moines,  pour  fonder  l'abbaye  de  Pontigny,  dans  le  diocèse  d'Auxerre.  Cette  maison  devint  comme 
«ne  pépinière  de  saints  prélats  qui  jetèrent  le  plus  vif  éclat  sur  l'Ordre  de  Citeaux.  Hugues  fut  le 
premier  des  Cisterciens  appelé  à  la  dignité  épiscopale  ;  il  monta  sur  le  siège  d'Auxerre  l'an  1137, 
après  avoir  gouverné  pendant  vingt-deux  ans  l'abbaye  de  Pontigny. 

Distingué  par  la  noblesse  de  ses  sentiments,  doué  d'une  patience  merveilleuse,  il  était  plein  de 
fermeté  contre  les  oppresseurs  de  l'Eglise  ou  des  pauvres.  Considérant  que  l'hospitalité  est  l'une 
des  vertus  que  doit  pratiquer  un  évêque,  il  avait  promis  de  l'exercer  lors  de  son  sacre  ;  aussi 
voulut-il  que  sa  maison  fût  comme  une  hôtellerie  pour  les  passants  ;  il  y  préposa  un  religieux  de 
Pontigny  qui  devait,  même  en  l'absence  de  l'évêque,  recevoir  avec  des  égards  particuliers  tous 
ceux  qui  se  présenteraient.  Il  s'appliqua  toute  sa  vie  à  protéger  et  à  soutenir  les  maisons  reli- 
gieuses, à  les  ramener  à  l'observance  de  la  Règle,  et  à  terminer  les  différends  qui  s'élevaient  entre 
elles.  L'Ordre  de  Prémontré  lui  dut  de  grandes  obligations.  Ithier,  clerc  de  la  cathédrale,  lui  ayant 
communiqué  son  dessein  de  faire  venir  des  religieux  de  cet  Ordre,  dans  le  petit  monastère  du  titre 
de  Saint-Marien,  qu'il  venait  de  rebâtir,  au-delà  de  l'Yonne,  il  s'employa  aussitôt  pour  obtenir  de 
l'abbé  de  Prémontré  une  colonie  de  ces  religieux  qu'il  y  établit  en  1138,  et  auxquels  il  donna  les 
vignes  contiguës  à  leur  nouvelle  maison. 

Comme  il  jouissait  d'une  grande  réputation  de  doctrine  et  de  prudence,  il  fut  employé  dans 
beaucoup  de  négociations  importantes  et  très-considéré  dans  les  conciles  auxquels  il  prit  part. 
Nous  le  voyons,  en  1139,  établi  comme  médiateur  entre  Manassès,  évêque  de  Meaux,  et  Risende, 
abbesse  de  Faremoutiers  ;  en  1142,  entre  les  abbayes  de  Flavigny  et  de  Fontenay.  Il  assista  à  la 
dédicace  de  Saint-Jean  de  Besançon,  à  celle  de  1 l'abbaye  de  Fontenay,  et,  en  1144,  à  celle  de 
Saint-Denis,  où  il  consacra  la  chapelle  de  Saint-Pélerin.  Il  fut  alors  commis  par  le  souverain  Pon- 
tife pour  procéder  à  une  enquête  relative  à  la  vie  des  chanoines  réguliers  de  Sainte-Geneviève. 
Conjointement  avec  saint  Bernard,  il  écrivit  au  roi  Louis  VII  pour  le  conjurer  de  mettre  fin  à  la 
guerre,  en  se  réconciliant  avec  le  comte  de  Champagne.  L'église  d'Auxerre  reçut  la  visite  d'En- 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  17 


258  *1  OCTOBBE. 

gène  III  en  1147,  et  Hugues  eut  l'honneur  de  l'accompagner  à  la  dédicace  de  la  cathédrale  de 
Châlons-sur-Marne,  qui  eut  lieu  le  26  octobre  de  la  même  année. 

Le  bienheureux  Hugues  passa  pour  un  des  plus  prudents  et  des  plus  zélés  prélats  de  l'Eglise 
de  France.  Saint  Bernard  lui  donne  le  titre  de  Saint  en  quatre  endroits  de  ses  ouvrages  ;  le  mar- 
tyrologe de  France,  le  ménologe  de  Citeaux  et  celui  des  Bénédictins  le  mentionnent  avec  éloge. 
Un  ancien  ménologe  d'Auxerre  l'appelle  l'honneur  des  évêques,  le  modèle  de  toute  religion,  et 
énumère  les  dons  qu'il  fît  à  sa  cathédrale. 

Hugues  mourut  dans  l'abbaye  de  Pontigny,  le  10  octobre  1151,  et  fut  inhumé  dans  la  chapelle 
primitive  de  ce  monastère  ;  lorsque,  plus  tard,  la  basilique  actuelle  de  Pontigny  fut  terminée,  on 
y  transféra  les  dépouilles  mortelles  du  pieux  évêque.  En  1567,  les  Huguenots  ouvrirent  son  tom- 
beau, et  ayant  trouvé  son  corps  presque  intact  et  revêtu  de  ses  vêtements  pontificaux,  ils  1» 
livrèrent  aux  flammes,  pensant  que  c'était  celui  de  saint  Edme,  que  l'on  conservait  dans  la  même 
église. 

Tiré  de  La  France  pontificale,  par  Fisquet,  et  du  Légendaire  d'Autun,  par  M.  l'abbé  Pequegnot.  -~ 
Ct.  Acta  Sanctorum. 


XIe  JOUR  D'OCTOBItE 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Tarse,  en  Cilicie,  la  fête  des  saints  martyrs  Taraque,  Probe  et  Andronîc  qui,  après  avoii 
langui  longtemps  dans  des  cachots  infects,  et  éprouvé  bien  des  tourments  et  des  supplices  durant 
la  persécution  de  Dioclétien,  pour  avoir  confesse  Jésus-Christ,  eurent  la  tête  tranchée  et  entrèrent 
triomphants  dans  le  séjour  de  la  gloire,  304.  —  Dans  le  Vexin,  le  martyre  des  saints  Nicaise  ou 
Nigaise,  évêque  de  Rouen,  Quirin,  prêtre,  Scubicule,  diacre,  et  Pience,  vierge,  sous  le  président 
Fescenninus.  Ier  et  n°  s. —  Le  même  jour,  le  martyre  des  saints  Anastase,  prêtre,  Placide,  Genès 
et  leurs  compagnons1.  —En  Thébaïde,  saint  Sarmate,  disciple  de  saint  Antoine,  que  les  Sarrasins 
massacrèrent  en  haine  de  Jésus-Christ.  362.  —  A  Besançon,  saint  Germain,  évêque  et  martyr. 
Vers  259.  —  A  Uzès,  saint  Firmin,  évêque  et  confesseur 2.  553.  —  En  Ecosse,  saint  Kenny 
(Cannicus),  abbé.  598.  —  A  Lierre,  en  Belgique  (pro\ince  d'Anvers),  le  décès  de  saint  Gomer 
ou  Gumar,  confesseur.  Vers  774.  —  Dans  le  territoire  de  Rennes,  saint  Emilien,  confesseur.  ixe  s. 
—  A  Tarse,  en  Cilicie,  les  saintes  femmes  Zénaïs  et  Philonille,  sœurs,  proches  parentes  de  saint 
Paul,  selon  la  chair,  et  du  nombre  de  ses  disciples  dans  la  foi.  Ier  s.  —  A  Vérone,  sainte  Placidie, 
vierge.  Vers  460. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  d'Arras,  sainte  Bertille,  citée  au  martyrologe  de  France  du  3  janvier,  et  qu'il  ne 
fout  pas  confondre  avec  sainte  Berthille  (Bertiiie,  Bertille),  veuve,  dont  nous  avons  donné  la  vie 

1.  Voici  la  version  des  Bollandlstes  :  «  En  Sicile  très-probablement,  les  saints  martyrs  Anastase  ou 
Athanase,  prêtre,  Ampode,  Placide,  Fauste,  Janvier,  Martial,  Marcel  et  Juvinien  ». 

2.  A  Karbonne  revient  la  gloire  d'avoir  donné  le  jour  à  saint  Finnin.  Il  fit  son  éducation  sous  la  con- 
duite de  son  oncle  Rorice,  évêque  d'Uzès.  Ce  sage  instituteur  forma  son  esprit  à  la  connaissance  des 
sciences  et  son  cœur  a  la  pratique  de  la  vertu.  Il  remarqua  en  lui  de  si  heureuses  dispositions  qu'il  releva 
à  la  prêtrise  avant  l'âge  exigé  par  les  canons.  Saint  Firmin  n'avait  que  vingt-deux  ans  quand  il  fut  placd 
Sur  le  siège  d'Uzès.  Pour  se  sanctifier  dans  l'exercice  de  ce  ministère  redoutable,  il  eut  recours  à  la  prière 
et  à  la  mortification  et  montra  par  ses  vertus  que  le  choix  que  l'on  avait  fait  de  lui  avait  été  inspiré  d« 
Dieu.  Il  assista  à  différents  Conciles  qui  furent  tenus  à  Paris  et  à  Orléans  et  fit  voir  une  grande  sagesse. 
Sa  réputation  s'étendit  au-delà  des  Gaules  et  se  répandit  en  Italie. Le  poe'te  Arator,  sous-diacre  de  l'Eglise 
romaine,  a  fait  sou  éloge.  {1  mourut  à  l'âge  de  trente-sept  ans,  le  11  octobre  6ô3. 


MARTYROLOGES.  259 

an  18  septembre.  Vers  687.  —  Au  diocèse  d'Albi,  fête  de  l'invention  et  de  la  translation  des  re- 
liques de  saint  Salvi  ou  Sauve,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au 
10  septembre.  586.  —  Au  diocèse  d'Angers,  saint  Florent  de  Bavière,  prêtre  et  confesseur,  patron 
de  Roye,  au  diocèse  d'Amiens,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  22  septembre.  440.  —  Au  diocèse 
d'Auch,  sainte  Foi  d'Agen,  vierge  et  martyre,  dont  nous  donnerons  la  vie  au  20  octobre.  303.  — 
Aux  diocèses  d'Autun,  Montpellier,  Nîmes,  Rodez  et  Viviers,  saint  Firmin  de  Narbonne,  évêque  de 
l'ancien  siège  d'Uzès  (JJcetia)  et  confesseur,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  Vers  560.  — 
Aux  diocèses  de  Bayeux,  Beauvais,  Coutances  et  Versailles,  saint  Nicaise  ou  Nigaise,  évêque  de 
Rouen  et  martyr,  cité  au  martyrologe  romain  d'aujourd'hui.  i«  et  II»  s.  —  Au  diocèse  de  Cambrai, 
saint  Wasnulphe  ou  Wasnon  d'Ecosse,  confesseur,  patron  de  la  ville  de  Condé.  700.  —  Au 
diocèse  de  Chartres,  saint  Bruno,  confesseur,  fondateur  de  l'Ordre  des  Chartreux,  dont  nous  avons 
donné  la  vie  au  6  octobre.  1101.  —  Au  diocèse  de  Fréjus,  saint  Castor  de  Nimes,  fondateur  et 
abbé  de  Mananque  (arrondissement  d'Apt),  puis  évêque  de  l'ancien  siège  d'Apt,  dont  nous  avons 
donné  la  vie  au  21  septembre:  Vers  420.  —  Au  diocèse  de  Langres,  saint  Vinard  ou  Guénard  (Vi- 
nardus),  religieux  K  m»  s.  —  Au  diocèse  de  Limoges,  saint  Marien  (Marein,  Margeain,  Morien, 
Morgeainj,  reclus  et  confesseur,  cité  au  martyrologe  romain  du  19  août  et  au  martyrologe  de 
France  du  19  septembre  ».  vi*  s.  —  Au  diocèse  de  Lyon,  saint  Oyend  ou  Engend  (Eugendus), 
quatrième  abbé  deCondat  et  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  1er  janvier.  510.  —  Au 
diocèse  de  Marseille,  sainte  Eusébie  et  ses  compagnes,  vierges  et  martyres.  —  Aux  diocèses  de 
Meaux  et  de  Nantes,  saint  François  de  Borgia,  confesseur,  duc  de  Gandie  et  troisième  général  de 
la  Compagnie  de  Jésus,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  jour  précédent.  1572.  —  Aux  diocèses  de 
Poitiers  et  de  Tarbes,  saint  Savin  du  Lavedan  (Sabinus),  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie 
au  9  octobre,  vin*  s.  —  Au  diocèse  de  Reims,  sainte  Brigitte  de  Suède,  veuve,  dont  nous  avons 
donné  la  vie  au  8  octobre.  1373.  —  Au  diocèse  de  Rennes,  saint  Clair,  évêque  de  Nantes  et  con- 
fesseur, dont  nous  avons  parlé  au  jour  précédent  (note  1  au  martyrologe  de  France),  m*  s.  —  Au 
diocèse  de  Rouen,  saint  Evode  ou  Yved,  archevêque  de  ce  siège  et  confesseur,  cité  au  martyrologe 
romain  du '8  octobre,  au  martyrologe  de  France  du  10  de  ce  mois,  et  dont  nous  avons  donné  la 
vie  au  8  juillet.  550.  —  Au  diocèse  de  Saint-Flour,  saint  Denys,  premier  évêque  de  Paris  et  mar- 
tyr, dont  nous  avons  donné  la  vie  au  9  octobre.  117.  —  Au  diocèse  de  Sens,  saint  Romain,  évêque 
d'Auxerre  et  confesseur,  cité  au  martyrologe  romain  du  6  octobre,  où  nous  avons  donné  (note  1) 
quelques  détails  sur  sa  vie.  Vers  564.  —  Au  diocèse  de  Strasbourg,  saint  Germain,  évêque  de  Be- 
sançon et  martyr,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  407.  —  Au  diocèse  de  Tours,  saint  Ve- 
nant ou  Venance,  abbé  de  Saint-Martin  de  Tours,  et  confesseur,  dont  nous  donnerons  la  vie  au 
13  octobre.  v«  s.  —  A  Toul,  au  diocèse  actuel  de  Nancy,  les  saintes  Susanne,  Gontrude  et  Oda, 
sœurs  de  sainte  Menne  ou  Manne,  vierge  (3  octobre)  ;  de  sainte  Libaire,  vierge  et  martyre  à  Grand, 
(7  octobre)  ;  de  saint  Elophe,  martyr  près  de  Soulosse  (16  octobre)  ;  et  de  saint  Eucaire,  évêque 
et  martyr,  près  de  Pompey  (22  octobre).  —  A  Jouarre  (Seine-et-Marne),  au  diocèse  de  Meaux, 
saint  Agilbert,  frère  de  sainte  Thelchide  (10  octobre),  apôtre  de  l'Irlande,  puis  évêque  de  Paris*. 
680.  —  A  Cologne,  saint  Bauwo  le  Grand,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  965.  —  Dans  l'an- 

1.  Vinard,  fils  de  Génit,  citoyen  romain,  et  d'Alcie,  vint  au  monde  pendant  la  persécution  de  l'empe- 
reur Dèce,  et  fut  confié  aux  soins  du  pontife  romain  Sixte,  pour  être  instruit  dans  les  lettres,  la  piété  et 
la  religion  ;  ses  progrès  répondirent  parfaitement  au  zèle  de  son  maître.  La  mort  de  sa  mère  ayant  jeté 
son  père  dans  une  tristesse  profonde,  Vinard,  employant  les  efficaces  et  nombreuses  consolations  que 
procure  la  religion,  parvint  à  adoucir  un  chagrin  si  cuisant.  Un  romain  dont  la  fille  était  gravement 
malade  le  supplia  de  la  secourir  par  ses  prières  ;  Vinard  le  fit,  obtint  un  plein  succès  qui  eut  pour  con- 
séquence la  conversion  de  cet  homme  avec  toute  sa  famille.  Les  miracles  que  Dieu  opérait  par  ses  mains 
attirant  sur  lui  l'attention  des  païens,  il  fut  accusé  devant  Dioscore,  de  christianisme  et  de  magie.  Il  sur- 
monta les  menaces  et  les  supplices  dont  on  usa  pour  lui  faire  honorer  les  idoles,  fut  jeté  en  prison  et 
délivré  miraculeusement,  après  qu'il  eut  converti  un  grand  nombre  de  personnes  par  le  spectacle  de  sa 
constance  invincible  dans  la  confession  et  la  défense  de  la  foi  chrétienne.  Ensuite  il  partit  pour  les  Gaules 
et  vint  se  fixer  à  quelques  milles  de  Langres  dans  un  lieu  nommé  Celles.  Il  construisit  là  un  petit  oratoire 
en  l'honneur  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  réunit  autour  de  lui  quelques  disciples  émules  de  sa  piété 
et  de  sa  religion,  et  passa  ainsi  le  reste  de  sa  vie,  jour  et  nuit  en  prières,  opérant  des  miracles  pour  le* 
soulagement  des  misères  humaines,  et  enfin  s'envola  tout  glorieux  dans  le  sein  du  Christ.  —  Propre  de 
Langres. 

2.  Voir  quelques  détails  sur  sa  vie  au  19  août,  tome  x,  page  18,  note  1. 

3.  Agilbert  était  fils  de  Betto,  officier  royal  dont  le  nom  se  trouve  sur  quelques  monnaies  d'or  frappées 
à  Meaux  du  temps  des  rois  mérovingiens,  et  avait  pour  sœur  Thelchide  ou  Théodechilde,  qui  fut  première 
abbesse  de  Jouarre.  Après  avoir  reçu  les  premières  leçons  de  saint  Adon,  fondateur  du  monastère  de 
Jouarre  et  frère  de  saint  Ouen,  il  alla  en  Irlande  pour  enseigner  les  saintes  Ecritures  (vers  640)  :  il  y 
devint  successivement  évêque  de  Dorchester  et  de  Winchester.  De  retour  en  France  à  l'époque  de  la  mort 
d'Importun  (664-666),  évêque  de  Paris,  Agilbert  fut  élu  pour  lui  succéder.  D  gouverna  son  diocèse  avec 
toute  la  charité,  la  vigilance  et  la  capacité  d'un  prélat  plein  de  zèle  et  d'expérience.  Il  était  parvenu  à  une 
grande  vieillesse  quand  il  mourut,  le  11  octobre  680,  à  l'abbaye  de  Jouarre,  où  il  était  allé  voir  sa  sœur. 

On  l'inhuma  dans  le  caveau  de  la  chapelle  de  Saint-Paul,  où  son  tombeau  fut  découvert,  le  5  avril 
1632,  lors  de  l'ouverture  des  tombeaux  de  cet  antique  monastère,  exécutée  en  présence  de  la  reine  Marie 


260  il    OCTOBRE. 

cien  Angoumois,  saint  Grauls  [Gradulphus,  Gratulfus),  confesseur  K  inii*  s.  —  A  Lagny  (Seine- 
et-Marne),  au  diocèse  de  Meaux,  saint  Ansilion,  moine  de  Saint-Pierre  de  Lagny  (Latigniacum 
ad  Matronam)  et  confesseur.  vne  s.  —  Dans  l'ancienne  abbaye  de  Pavilly  (Pauliacum),  au  dio- 
cèse de  Rouen,  sainte  Julienne,  vierge  et  abbesse.  Son  corps  se  gardait  dans  l'église  de  Sainte- 
Àustreberte,  à  Montreuil-sur-Mer  (Bragum  monasterium),  au  diocèse  d'Arras.  viii«  s.  —  Aux 
Pays-Bas,  fête  de  la  translation  de  saint  Hadelin,  abbé  de  Celles,  au  diocèse  de  Liège,  dont  nous 
ayons  donné  la  vie  au  3  février.  696.  —  A  Meaux,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Saintin,  évoque 
de  ce  siège,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  23  septembre.  —  A  Oloron  (Basses-Pyrénées),  au 
diocèse  de  Bayonne,  saint  Grat,  premier  évêque  connu  de  l'ancien  siège  d'Oloron  et  confes- 
seur. vi«  s. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  La  translation  du  corps  de  notre  Père  saint  Au- 
gustin, du  royaume  d'Hippone  à  Cagliari  en  Sardaigne,  par  les  soins  de  saint  Fulgence,  évêque  de 
de  Ruspe.  A  cette  occasion,  Dieu  opéra  de  nombreux  miracles  s.  430. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît. y—  Saint  François  de  Borgia,  confesseur,  dont  il 
est  fait  mention  le  10  octobre  3.  1572. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Camaldules.  —  De  même  que  chez  les  Bénédictins. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Vallombreuse.  —  De  même  que  chez  les  Bénédictins. 

Martyrologe  de  F  Ordre  des  Cisterciens.  —  Sainte  Brigitte,  veuve,  dont  il  est  fait  mention  le 
8  de  ce  mois  *.  1373. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  —  Au  diocèse  d'Arras,  le  martyre  du  bien- 
heureux Léger,  évêque  d'Autun,  qui,  pour  la  défense  de  la  vérité,  endura  diverses  sortes  de  sup- 
plices et  fut  enûn  mis  à  mort,  le  2  de  ce  mois,  par  les  ordres  d'Ebroïn,  maire  du  palais  du  roi 
Thierry  5.  678.  —  De  même,  saint  Warein  ou  Guérin,  frère  du  bienheureux  Léger,  qui  fut  écrasé 
de  pierres e.  669. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint-François.  —  L'octave  de  notre  Père  séraphique  saint 
François  t.  1226. 

Martyrologe  de  VOrdre  des  Frères  Mineurs.  —  De  même  que  ci-dessus. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  du  Mont-Carmel.  — Saint  Bruno, 
confesseur,  dont  il  est  fait  mention  le  6  de  ce  mois8.  1101. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin.  —  De  même  que  chez  les  Cha- 
noines Réguliers. 

Martyrologe  de  r  Ordre  des  Servit  es  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie.  —  De  même  que 
chez  les  Cisterciens. 

Martyrologe  des  Mineurs  Capucins  de  Saint-François.  —  De  même  que  chez  les  Frères 
Mineurs. 

Martyrologe  de  VOrdre  de  Saint-Jérôme,  —  De  même  que  chez  les  Chanoines  Réguliers, 

ADDITIONS  FAITES  D' APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HÀGIOGRAPHES. 

A  Barking,  en  Angleterre  (comté  d'Essex),  sainte  Ethelburge  ou  Edilburge,  abbesse  du  monas- 
tère bénédictin  de  ce  lieu.  C'était  une  princesse  anglo-saxonne,  sœur  de  saint  Erconwald,  évêque 
de  Londres.  Résolue  de  se  consacrer  entièrement  à  Dieu,  elle  quitta  le  monde  dès  sa  jeunesse  et 
fit  généreusement  le  sacrifice  de  tous  les  avantages  qu'elle  pouvait  s'y  promettre.  Saint  Erconwald 
la  fit  depuis  abbesse  du  monastère  qu'il  avait  fondé  à  Barking,  et  il  n'eut  égard  dans  ce  choix  qu'à 
la  vertu  de  sa  sœur.  Ethelburge  précéda  toujours  ses  religieuses  dans  la  voie  de  la  perfection. 
Plusieurs  d'entre  elles  moururent  de  la  peste  en  664.  L'abbesse  fut  une  de  celles  que  le  fléau 
épargna.  Après  sa  mort,  des  marques  visibles  de  la  puissance  divine  attestèrent  qu'elle  jouissait 
de  la  gloire  des  bienheureux.  Son  corps  se  gardait  anciennement  à  Nunnaminstre,  dans  le  comté 
de  Winchester.  Fin  du  vu8  siècle.  —  A  Antioche  {Antiochia  ad  Daphnen),  ville  de  la  Turquie 

de  Médicis,par  Philippe  Cospeau,  évêque  de  Nantes.  Ce  tombeau  qui,  dans  ces  derniers  temps,  a  fixé  l'at- 
tention des  archéologues,  se  voit  encore  dans  la  crypte  de  Saint-Paul,  à  Jouarre,  sous  une  arcade,  an 
nord-ouest  de  l'église.  —  Gallia  Christiana. 

1.  La  mention  a  pour  auteurs  Du  Saussay  et  Chastelain.  Les  Bollandistes  déclarent  ne  pas  oser  insérer 
saint  Grauls  dans  leur  Recueil,  faute  de  documents  sérieux.  On  ne  nous  saura  pas  mauvais  gré  d'avoir 
maintenu  cette  mention  :  aussi  bien  pourra-t-elle  provoquer  les  recherches  des  savants  hagiographes  du 
diocèse  de  La  Rochelle  et  de  Saintes. 

2.  Nous  avons  donné  au  26  août  la  vie  de  saint  Augustin.  —  8.  Voir  sa  vie  au  10  octobre.  —  4.  Nous 
avons  donné  sa  vie  au  8  octobre.  —  5.  Voir  sa  vie  au  2  octobre.  —  6.  Voir,  passim,  dans  la  vie  de  saint 
Léger,  au  2  octobre.  —  7.  Voir  aa  vie  au  4  octobre.  —  8.  Nous  avons  donné  sa  vie  au  6  octobre. 


SAINT  NICAISE  OU  NIGAISE  ET  SES  COMPAGNONS,   MARTYRS.  261 

d'Asie  (Syrie),  saint  Héracle  ou  Eracle,  martyr.  —  En  Ethiopie  (sud  de  l'Egypte),  saint  Michel 
l'Aragave,  moine  et  confesseur,  l'un  des  neuf  principaux  propagateurs  de  la  foi  en  Ethiopie,  iv8  s. 
—  A  Constantinople,  saint  Nectaire,  patriarche  et  confesseur.  Il  fut  élu  (381)  évèque  de  ce  siège 
en  la  place  de  saint  Grégoire  de  'Nazianze,  qui,  à  cause  de  ses  infirmités  continuelles,  s'était  démis 
de  l'épiscopat.  L'empereur  Théodose  avait  eu  beaucoup  de  part  à  l'élection  de  Nectaire;  craignant 
donc  qu'elle  ne  fût  pas  bien  assurée,  parce  qu'elle  n'avait  pas  été  reconnue  de  l'Eglise  romaine,  il 
envoya  des  députés  de  sa  cour  avec  des  évoques  prier  le  pape  Damase  de  la  confirmer.  Saint  Gré- 
goire demeura  toujours  uni  à  Nectaire,  son  successeur,  et  celui-ci  lui  témoigna  de  son  côté  beau- 
coup d'estime  et  d'affection,  l'obligeant  en  tout  ce  qui  dépendait  de  lui.  Nous  avons  de  saint 
Grégoire  une  lettre  à  Nectaire,  où  il  prie  le  patriarche  de  s'opposer  à  la  licence  des  hérétiques  et 
surtout  d'obtenir  de  l'empereur  la  révocation  de  la  permission  que  les  Apollinaristes  avaient  eue 
de  s'assembler.  Nectaire  présida  au  concile  de  Constantinople  (394),  et  mourut  le  27  septembre 
397.  Son  successeur  fut  saint  Jean  Chrysostome.  —  Encore  à  Constantinople,  saint  Sisinne  Ier, 
patriarche.  Après  la  mort  d'Atticus  (10  octobre  425),  il  y  eut  de  grandes  contestations  touchant 
l'élection  de  son  successeur.  Sisinne,  quoique  moins  éloquent  que  Philippe  et  Procle,  sur  qui 
beaucoup  de  personnes  jetaient  les  yeux,  leur  fut  néanmoins  préféré,  parce  qu'il  s'était  rendu 
célèbre  par  sa  piété,  par  sa  chasteté,  et  par  sa  charité  envers  les  pauvres.  Il  fut  ordonné  le 
28  février  426  par  un  grand  nombre  d'évèques  que  l'empereur  Théodose  avait  assemblés  pour  ce 
sujet.  Sisinne  donna  dès  ce  moment  des  preuves  de  son  zèle  pour  la  conservation  de  la  foi  catho- 
lique ;  car  il  écrivit,  conjointement  avec  tous  ces  évoques,  une  lettre  à  Bérinien  de  Perge  et  à 
Amphiloque  de  Side,  contre  l'hérésie  des  Messaliens  qui  s'était  répandue  dans  la  Pamphilie. 
Malheureusement  il  n'occupa  le  siège  de  Constantinople  que  quelques  mois.  L'impie  Nestorius  lui 
succéda.  427.  —  A  Côme,  en  Lombardie,  saint  Eu  pile  d'Utrech,  évèque  de  ce  siège  et  confesseur. 
L'église  de  Saint-Abonde  de  Côme  possède  ses  reliques.  537.  —  A  Albe,  en  Piémont  (Alba 
Pompeià),  saint  Eufrède,  martyr,  vu»  s.  —  Au  monastère  de  Saint-Vincent-sur-le-Volturne,  en 
Italie,  saint  Paldon,  premier  abbé  de  ce  lieu  et  confesseur.  720.  —  A  Salerne,  ville  d'Italie,  dans 
l'ancien  royaume  de  Naples,  saint  Grammace,  évèque  de  ce  siège  et  confesseur.  vm°  s.  —  A 
Verceil,  ville  forte  de  la  Haute-Italie,  dans  l'intendance  de  Novarre,  le  bienheureux  Martin,  con- 
fesseur. 1503.  —  A  Pavie,  le  bienheureux  Alexandre  Sauli,  supérieur  général  des  Barnabites, 
ensuite  évèque  d'Aleria  et  de  Pavie,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  23  avril. 


SAINT  NIGAISE  OU  NIGAISE, 

PREMIER  ARCHEVÊQUE  DE  ROUEN, 
ET  SES  COMPAGNONS,  MARTYRS  A  ECOS,  AU  DIOCÈSE  D'ÉVREUX 

V  et  ii*  siècles. 


Le  devoir,  c'est  une  chose  qu'il  faut  faire,  et  la  fia. 
c'est  le  motif  pour  lequel  elle  doit  être  faite. 
Saint  Augustin,  lib.  iv  contra  Julian.,  c.  8. 

Suivant  la  tradition,  saint  Nicaise,  dont  le  nom  grec  signifie  vainqueur 
ou  victorieux,  vit  le  jour  en  Grèce.  Quelques  historiens  de  sa  vie  ajoutent, 
sur  le  témoignage  des  vieux  manuscrits  trouvés  dans  son  église  de  Meulan, 
qu'il  naquit  à  Athènes  et  qu'il  fut  converti,  avec  le  grand  saint  Denis,  par 
le  savant  discours  que  fit  l'apôtre  saint  Paul  dans  le  sénat  de  l'Aréopage. 
Ils  se  rendirent  ensemble  à  Rome,  où  le  pape  saint  Clément  formait  une 
compagnie  de  saints  missionnaires  pour  la  conquête  des  Gaules.  Saint 
Nicaise  ayant  été  sacré  évèque  par  le  souverain  Pontife,  accompagna  saint 
Denis  jusqu'à  Paris  ;  et  après  avoir  combattu  quelque  temps  dans  cette  cité 
les  erreurs  du  paganisme,  il  se  dirigea  vers  la  métropole  de  Rouen.  Mais 


262  H   OCTOBRE. 

cette  ville,  qui  le  vénère  encore  aujourd'hui  comme  son  premier  Pontife, 
ne  devait  pas  le  voir  dans  ses  murs  ;  le  Bienheureux  trouva  dans  le  Yexin 
la  mort  glorieuse  des  martyrs. 

Nicaise  menait  avec  lui  saint  Quirin  et  saint  Egobille,  dont  on  ne  sait 
pas  bien  le  pays  ni  l'extraction,  mais  qui  étaient  animés  du  même  zèle  que 
lui  pour  le  salut  des  infidèles.  Leurs  premières  stations  furent  à  Conflans- 
Sainte-Honorine,  à  Andrésy  et  à  Triel,  où  ils  firent  quelques  conversions. 
Ensuite,  ils  se  rendirent  au  village  de  Vaux,  près  de  Pontoise,  qui  était 
depuis  quelque  temps  infesté  d'un  horrible  dragon  :  ils  remportèrent  une 
insigne  victoire  sur  ce  monstre  ;  saint  Quirin  le  lia  et  l'amena  devant  le 
peuple  avec  l'étole  de  saint  Nicaise,  et  il  périt  ensuite  à  leurs  pieds.  Les 
Saints  engagèrent  ces  idolâtres  à  renoncer  à  leurs  erreurs  et  à  embrasser 
la  foi  de  Jésus-Christ  :  trois  cent  dix-huit  personnes  reçurent  alors  le  bap- 
tême dans  une  fontaine  que  l'on  appelle  encore  à  présent  la  Fontaine  de 
Saint-Nicaise.  Les  lieux  voisins  eurent  bientôt  part  à  cette  grâce  ;  les  ha- 
bitants de  Meulan,  de  Mantes  et  du  village  de  Monceaux  commencèrent, 
dès  ce  temps,  à  ouvrir  les  yeux  à  la  lumière  de  l'Evangile.  Une  troupe  de 
démons  qui,  cantonnés  dans  une  caverne,  faisaient  des  maux  incroyables 
aux  passants,  furent  chassés  par  nos  apôtres. 

Cependant,  comme  ce  pays  n'était  pas  le  terme  de  la  mission  de  ces 
bienheureux  voyageurs,  ils  passèrent  outre  pour  se  rendre  au  plus  tôt  à 
Rouen.  Lorsqu'ils  furent  à  La  Roche-Guyon,  ils  prêchèrent  avec  tant  d'ef- 
ficacité en  présence  de  Pience,  noble  veuve  de  l'endroit,  qu'elle  se  convertit 
et  voulut  être  régénérée  dans  les  fonts  salutaires  du  baptême.  Par  ce  moyen, 
son  château  fut  ouvert  à  saint  Nicaise  comme  à  un  ange  du  ciel.  Il  y  trouva 
un  prêtre  des  idoles,  nommé  Clair,  déjà  fort  âgé  et  qui  avait  perdu  la  vue. 
Il  le  guérit  et  le  catéchisa,  puis,  lui  ayant  fait  toucher  au  doigt  son  aveu- 
glement spirituel,  encore  plus  déplorable  que  le  corporel,  il  le  porta  à  em- 
brasser le  christianisme.  Plusieurs  païens  imitèrent  son  exemple,  et  nos 
saints  prédicateurs,  en  sortant  de  ce  lieu,  eurent  la  consolation  d'y  laisser 
de  très-grandes  dispositions  pour  la  ruine  entière  de  l'idolâtrie.  Le  démon, 
voyant  son  empire  à  demi  détruit,  excita  contre  les  auteurs  de  sa  défaite 
les  sacrificateurs  des  temples  et  les  principaux  d'entre  le  peuple.  Ceux-ci 
trouvèrent  un  complaisant  exécuteur  de  leurs  projets  homicides,  dans  le 
gouverneur  Fescenninus,  qui  venait  de  répandre  le  sang  de  saint  Denis  et 
de  ses  compagnons  sur  la  colline  de  Montmartre.  -Cet  implacable  persécu- 
teur du  nom  chrétien,  s'étant  mis  à  la  poursuite  de  nos  apôtres  avec  une 
troupe  de  soldats,  les  fit  saisir  par  ses  archers  et  paraître  les  mains  liées  en 
sa  présence.  Il  les  reprit  sévèrement  de  l'entreprise  qu'ils  faisaient  de  ren- 
verser la  religion  des  Romains  pour  en  introduire  dans  le  monde  une  nou- 
velle. Il  les  traita  de  séditieux,  de  rebelles  aux  lois  de  l'Etat,  d'impies, 
d'extravagants  et  de  visionnaires.  Il  les  menaça  des  plus  rigoureux  supplices 
s'ils  n'adoraient  Mars  et  Mercure,  qui  étaient  en  plus  grande  vénération 
parmi  les  Gaulois.  Saint  Nicaise  lui  répondit  admirablement  sur  tous  ces 
chefs,  et  lui  fit  voir  avec  ses  compagnons  la  résolution  inébranlable  où  il 
était,  non-seulement  de  demeurer  jusqu'à  la  mort  dans  le  service  de  Jésus- 
Christ,  mais  aussi  d'annoncer  partout  son  Evangile  et  de  lui  conquérir  sans 
cesse  de  nouveaux  serviteurs.  Ainsi  Fescenninus,  désespérant  de  les  vaincre, 
les  condamna  sur-le-champ  au  fouet  et  à  avoir  la  tête  tranchée  :  ce  qui 
fut  exécuté.  Ce  massacre  se  fit  à  Scamnis  (Ecos),  entre  La  Roche-Guyon  et 
Les  Andelys,  près  de  la  rivière  d'Epte,  au  diocèse  d'Evreux. 

On  représente  saint  Nicaise  :  1°  faisant  mourir,  par  la  force  du  signe  de 


SAINT  NICAISE   OU  MGAISE  ET  SES   COMPAGNONS,   MABTYRS.  263 

la  croix,  le  dragon  de  Vaux;  2°  en  groupe  avec  saint  Quirin  et  saint  Scu- 
bicule,  ses  compagnons  de  martyre  ;  3°  portant  sa  tête  entre  ses  mains, 
après  que  le  bourreau  l'eut  séparée  du  tronc. 

Saint  Nicaise  est  patron  de  Rouen,  du  Vexin  normand,  et  de  Vaux  près 
Meulan. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Les  corps  des  Saints  furent  laissés  sur  la  terre  pour  être  la  proie  des  animaux.  Mais  la  nnit 
suivante  ils  se  levèrent  d'eux-mêmes,  et,  prenant  chacun  leur  propre  tête  entre  leurs  mains,  ili 
passèrent  la  rivière  à  un  gué  inconnu  jusqu'alors,  et  que  l'on  a  depuis  appelé  Gué  de  Saint- 
Nicaise  ;  ils  allèrent  ensuite  se  reposer  dans  une  petite  ilô  nommée  plus  tard  Gasny  »,  et  qui  fait 
aujourd'hui  partie  du  continent.  Pience,  qui  venait  avec  Clair  pour  les  recueillir,  les  suivit,  leur 
rendit  les  devoirs  de  la  sépulture  et  fit  bâtir  un  oratoire  sur  leur  tombeau.  Cette  action,  qui  ne  put 
demeurer  secrète,  fit  connaître  à  son  père,  idolâtre  cruel  et  obstiné,  qu'elle  était  chrétienne.  Il  la 
fit  saisir,  et,  par  l'autorité  que  Fescenninus  lui  donna,  il  la  condamna  premièrement  à  être  déchirée 
à  coups  de  fouet,  puis  il  la  fit  décapiter  avec  le  même  Clair  et  d'autres  chrétiens  qui  avaient  en 
part  à  sa  conversion.  Ses  dépouilles  sacrées,  selon  l'ordre  qu'elle  en  avait  donné,  furent  aussi 
portées  dans  l'île  pour  être  enterrées  avec  saint  Nicaise  et  ses  compagnons. 

Plusieurs  siècles  se  sont  passés  sans  qu'on  ait  touché  à  ces  grands  trésors  ;  mais  saint  Ouen, 
chevalier  de  France,~  ayant  été  élevé  par  ses  mérites  sur  la  chaire  archiépiscopale  de  Rouen,  fit 
bâtir  un  prieuré  au  lieu  où  Us  reposaient,  dépendant  de  l'abbaye  de  Saint-Pierre  et  Saint-Paul  de 
Rouen,  appelée  depuis  de  son  nom,  Saint-Ouen  ;  et,  ne  pouvant  souffrir  que  sa  ville  métropolitaine 
fût  entièrement  privée  des  reliques  de  ses  premiers  apôtres,  il  en  prit  une  partie  qu'il  transféra, 
tant  dans  la  même  église  de  Saint-Pierre  et  Saint-Paul  que  dans  une  autre,  qu'il  fit  édifier  sous  le 
nom  de  Saint-Nicaise.  D'ailleurs,  il  fit  présent  à  Leudebold,  évêque  de  Lisieux,  issu  de  la  maison 
des  seigneurs  de  La  Ttoche-Guyon,  de  plusieurs  ossements  de  sainte  Pience,  de  sa  ceinture  et  de 
quelques  ouvrages  faits  de  sa  main.  Ce  bon  évêque  les  mit  dans  la  chapelle  d'un  château,  nommé 
Saiut-Cande-le-Vieux,  qu'il  avait  à  Rouen  et  qui  est  aussi  devenue  une  paroisse. 

Dans  la  suite  des  temps,  les  reliques  de  nos  saints  Martyrs,  qui  étaient  à  Saint-Ouen,  furent 
transférées  à  Condé,  au  diocèse  de  Paris,  où  Ton  bâtit  encore  une  église  en  l'honneur  de  saint  Nicaise; 
mais,  plusieurs  années  après,  il  s'est  fait  une  translation  du  bras  de  saint  Nicaise,  d'une  grande 
partie  du  corps  de  saint  Quiriu  et  de  quelques  ossements  de  saint  Egobille,  de  Coudé  à  Malmédy. 
Des  auteurs  disent  que  de  Malmédy  ils  furent  transportés  en  Lorraine,  dans  un  monastère  appelé 
le  Val-aux-Moines  ;  et  que  de  là  ils  furent  rapportés  à  Saint-Ouen  de  Rouen,  où,  dans  le  xvi»  siè- 
cle, les  hérétiques  calvinistes  les  profanèrent  et  les  réduisirent  en  cendres  ;  mais  il  y  a  de  l'appa- 
rence que  cela  ne  se  doit  entendre  que  d'une  partie,  et  que  l'autre,  surtout  le  corps  de  saint  Qui- 
rin, est  demeurée  à  Malmédy,  où  sa  mémoire  et  sa  fête  sont  fort  célèbres.  Quaut  aux  reliques  qui 
étaient  demeurées  au  prieuré  de  Gasny,  elles  furent  transférées,  vers  la  fin  du  Xe  siècle,  à  Meulan- 
sur-Seine,  par  Robert,  comte  de  cette  ville,  et  placées  dans  l'église  de  l'île,  dédiée  sous  le  nom 
de  Notre-Dame.  Valéran,  aussi  comte  de  Meulan,  y  fit  faire  depuis  une  église  plus  magnifique,  qui, 
sans  perdre  le  titre  de  la  Vierge,  y  prit  encore  celui  de  Saiat-Nieaise. 

Saint  Nicaise,  apôtre  du  Veiin  français,  n'est  plus  le  patron  de  l'église  paroissiale  de  Meulan  ; 
le  patron  de  cette  église  est  saint  Nicolas,  évêque  de  Myre.  Néanmoins,>aint  Nicaise  y  est  en  grande 
vénération.  Cette  église  possède  des  reliques  notables  de  ce  Saint,  et  quelques-unes  de  sainte 
Pience.  La  châsse  qui  renferme  ces  reliques  est  conservée  dans  l'église  de  Saint-Nicolas;  elle  est 
portée  en  procession  par  la  ville  chaque  année  le  jour  de  l'Ascension,  ainsi  qu'un  certain  nombre 
d'autres  châsses  renfermant  des  reliques  de  différents  Saints.  L'authenticité  de  toutes  ces  reliques 
est  bien  reconnue.  Parmi  ces  châsses,  il  en  est  une  qui  contient  une  relique  de  saint  Gaucher,  né 
à  Meulan,  et  décédé  prêtre  régulier  à  Limoges  ou  aux  environs  de  cette  ville.  La  dévotion  envers 
saint  Nicaise  attire  à  Meulan,  chaque  année,  à  la  fête  de  l'Ascension,  une  foule  considérable  de 
personnes. 

Enfin,  pour  les  reliques  de  sainte  Pience,  la  ville  épiscopale  d'Avranches,  en  Normandie,  et 
celle  de  Meulan-sur-Seine,  dont  nous  venons  de  parler,  se  glorifient  l'une  et  l'autre  d'en  posséder. 
Avant  la  grande  Révolution,  la  paroisse  de  Meulan  possédait  les  reliques,  et  par  conséquent  le  chef 
de  sainte  Pience.  Le  cardinal  de  Rohan,  en  quittant  le  château  de  La  Roche-Guyon  (vers  1830) 
pour  prendre  possession  du  siège  de  Besançon,  emporta  avec  lui,  outre  plusieurs  autres  reliques, 
une  relique  insigne  de  saint  Nicaise  ;  son  successeur,  le  cardinal  Mathieu,  l'a  envoyée  comme  pré- 
sent à  la  cathédrale  d'Evreux,  laquelle  vient  d'en  céder  une  partie  à  l'église  d'Ecos.  A  La  Roche- 

1.  Le  nom  de  Gasny,  qui  est  celui  du  lieu  de.  Uut  sépulture,  vient  du  latin  Vadiniacwn,  mot  composé 
do  Vadum  Nicasii,  le  Gué  de  Saint-Nicaise. 


264  11   OCTOBRE. 

Guyon,  il  n'y  a  aucune  dévotion  ni  fête  en  l'honneur  de  sainte  Pience.  La  chapelle  du  château 
seule,  creusée  dans  la  montagne  à  cinquante  pieds  environ  au-dessous  du  sol,  à  la  place  de  la 
grotte  où  saint  Nicaise,  apôtre  de  cette  contrée,  convertit  sainte  Pience,  conserve  quelques  sou- 
venirs de  ces  deux  Saints. 

La  fête  de  saint  Nicaise  se  célèbre  aujourd'hui  dans  le  diocèse  de  Rouen,  le  deuxième  dimanche 
d'octobre. 

Pour  rectifier  et  compléter  le  P.  Gtry,  nous  nous  sommes  servi  des  Notes  qu'a  bien  voulu  nous  com- 
muniquer M.  Goubert,  ancien  collaborateur  de  M.  Picot  a  l'Ami  de  la  religion;  M.  Ducorps,  curé  de  Meu- 
lan  et  chanoine  honoraire  de  Versailles  ;  M.  l'abbé  Cochet,  de  Rouen  ;  et  M.  Brunel,  curé  de  La  Roche- 
Guyon.  —  Cf.  Vie  du  Saint,  par  Nicolas  Davanne,  etc. 


SAINT  GERMAIN,  ÉVÊQUE  DE  BESANÇON, 

MARTYR  A  GRANDF0NTA1NE,  AU  MÊME  DIOCÈSE 
Vers  259.  —  Pape  :  Saint  Denys.  —  Empereur  romain  :  Valérien. 


Sorti  aguis  irrigati  non  ita  germinant  sicut  Ecclesio, 
si  martyrum  irrigetur  sanguine. 

Les  jardins  qu'arrose  une  eau  abondante  ne  sont  pas 
aussi  fertiles  que  l'Eglise  lorsqu'elle  est  arrosée 
par  le  sang  des  martyrs. 

Saint  Jean  Chrysostome. 

Saint  Germain  succéda  à  saint  Lin  sur  le  siège  de  Besançon,  et  fut 
honoré  comme  lui  de  la  palme  du  martyre.  Il  appartenait  par  sa  naissance 
à  une  des  familles  gallo-romaines  les  plus  anciennes  et  les  plus  distinguées 
de  la  Séquanie.  Ayant  eu  le  bonheur  de  connaître  Jésus-Christ  dès  sa  jeu- 
nesse, il  s'appliqua  à  le  servir  avec  ferveur,  se  fit  remarquer  parmi  les  chré- 
tiens et  mérita  par  ses  vertus  d'être  élevé  au  sacerdoce.  Les  chroniqueurs 
vantent  la  perfection  de  sa  vie  ;  elle  fut  si  grande,  nous  disent-ils,  que  les 
anges  s'approchaient  familièrement  de  sa  personne,  conversaient  avec  lui 
et  le  servaient  à  l'autel  pendant  les  divins  mystères.  Une  sainteté  si  émi- 
nente  lui  valut  plusieurs  fois  les  honneurs  de  la  persécution,  même  avant 
d'être  élevé  à  l'épiscopat  ;  quand  il  fut  revêtu  de  cette  dignité,  sa  foi  n'en 
devint  que  plus  ardente  et  son  ministère  plus  fructueux.  Il  convertit  beau- 
coup de  païens  par  la  grâce  que  Dieu  avait  attachée  à  ses  discours.  Non 
moins  zélé  pour  le  soin  des  autels  que  pour  le  salut  des  âmes,  il  fabriquait 
de  ses  propres  mains  des  vases  précieux,  et  faisait  ainsi  servir  ses  loisirs 
même  à  la  décoration  du  lieu  saint. 

Valérien  venait  de  parvenir  à  l'empire.  Ce  prince,  dans  les  commence- 
ments de  son  règne,  avait  donné  aux  chrétiens  des  marques  particulières  de 
bonté  et  de  clémence  ;  mais  Macrien,  en  qui  il  avait  mis  toute  sa  confiance, 
sut  lui  inspirer  peu  à  peu  la  haine  dont  il  était  animé  contre  la  religion,  et 
changea  ce  maître  bienfaisant  en  un  tyran  redoutable.  Ce  sont  communé- 
ment les  mauvais  ministres  qui  font  les  mauvais  princes.  Saint  Germain  ne 
pouvait  échapper,  dans  ces  jours  d'orage,  aux  recherches  des  persécuteurs. 
Il  comparut  jusqu'à  sept  fois  devant  le  préfet  de  la  province  et  confessa 
héroïquement  le  nom  de  Jésus-Christ.  Dieu,  qui  voulait  le  conserver  encore 
pour  le  bien  de  son  troupeau,  ôta  aux  païens  tantôt  la  volonté,  tantôt  les 
moyens  de  le  perdre.  Quelque  désir  qu'il  eût  de  mourir  dans  les  tourments, 


SAINT  GERMAIN,  ÉVÊQUE  DE  BESANÇON,  MARTYR.  265 

il  crut  cependant  qu'après  avoir  rendu  témoignage  à  la  divinité  du  christia- 
nisme, il  était  de  son  devoir  de  ne  pas  s'exposer  de  lui-môme  au  martyre. 
Telles  étaient  les  règles  de  l'Eglise,  qui  recommande  la  prudence  à  ses  en- 
fants en  même  temps  qu'elle  leur  inspire  le  courage.  Saint  Germain  s'éloi- 
gna donc  de  Besançon,  et  chercha  un  asile  à  Grandfontaine.  Ce  village, 
situé  à  deux  lieues  de  la  ville  épiscopale,  était  alors  un  bourg  fortifié.  L'é- 
voque y  demeura  caché  pendant  quelque  temps,  au  commencement  de  la 
persécution  suscitée  par  Aurélien. 

La  cruauté  de  ce  nouvel  empereur  dépassait  encore  celle  de  son  prédé- 
cesseur. Les  Gaules,  qu'il  avait  gouvernées  en  qualité  de  préfet  sous  le 
règne  précédent,  avaient  ressenti  surtout  les  effets  de  sa  haine  farouche 
contre  les  chrétiens.  Devenu  maître  du  monde,  il  n'en  devint  que  plus  cruel 
et  présida  lui-môme,  dans  la  ville  de  Troyes,  à  l'interrogatoire  et  au  mar- 
tyre de  saint  Patrocle.  Ce  fut  vraisemblablement  dans  la  môme  année  que 
saint  Germain  mourut  pour  la  foi  (259).  Poursuivi  dans  sa  retraite  par  le 
préfet  de  la  province,  il  obtint  enfin  la  grâce  de  signer  de  son  sang  sa 
croyance  à  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Le  bourg  de  Grandfontaine,  qui  lui 
avait  servi  d'asile,  fut  le  théâtre  de  son  martyre.  On  l'avait  surpris  au  milieu 
de  sa  prière, 'et  la  voix  céleste  avec  laquelle  il  s'entretenait  fut  entendue 
même  par  ses  ennemis.  Les  uns,  touchés  de  ce  miracle,  se  convertirent  à 
Jésus-Christ  ;  les  autres,  n'y  voyant  qu'une  conjuration  magique,  se  mon- 
trèrent plus  furieux  encore  qu'auparavant.  Le  Saint  était  à  genoux;  malgré 
les  clameurs  des  païens",  il  demeura  dans  la  même  attitude,  fut  percé.de  flè- 
ches et  ensuite  décapité. 

Quelques  auteurs  fixent  à  l'an  396  la  date  de  cet  événement.  D'autres  ont 
démontré  aisément  que,  d'après  la  teneur  même  de  la  légende,  le  saint 
Martyr  occupa  le  siège  de  Besançon  avant  le  règne  de  Constantin,  durant 
les  persécutions  de  la  primitive  Eglise.  Ce  point  d'histoire  est  jugé  mainte- 
nant. Saint  Germain  vivait  à  la  fin  du  me  siècle,  et  on  doit  lui  donner  le 
troisième  rang  parmi  les  évoques  de  Besançon. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Le  corps  de  saint  Germain  est  précieusement  conservé  à  Baome-les-Dames.  On  peut  croire  que 
l'abbaye  de  Baume  fut  établie  par  Gr.ntran,  roi  de  Bourgogne,  ou  par  son  ministre  Garnier,  en 
exécution  d'une  promesse  sacrée.  Ce  fut  alors  qu'elle  reçut  pour'  apanage  le  corps  de  saint  Ger- 
main, à  la  sollicitation  du  fondateur.  En  effet,  on  n'élevait  guère  d'églises  ou  de  cloîtres  sans  doter 
de  quelques  reliques  insignes  ces  sanctuaires  nouveaux.  En  les  plaçant  sous  la  protection  d'un 
grand  serviteur  de  Dieu,  on  leur  conciliait  les  respects  du  peuple,  et  les  pieuses  libéralités  dont  ils 
étaient  comblés  ne  tardaient  pas  à  les  rendre  très-florissants.  Le  fondateur  de  l'abbaye  de  Baume 
n'eut  pas  de  peine  à  obtenir  de  l'évèque  de  Besançon  le  corps  de  saint  Germain,  en  faveur  du 
monastère  qu'il  venait  de  bâtir.  Les  religieuses,  saintement  jalouses  du  dépôt  sacré  qui  leur  avait 
été  confié,  mirent  beaucoup  de  zèle  à  honorer  les  reliques  de  l'illustre  évèque  et  à  propager  son 
culte  dans  toute  l'étendue  de  leurs  terres.  Sa  fête,  qui  se  célèbre  le  11  octobre,  attirait  dans  l'ab- 
baye un  grand  concours  de  peuple  de  tous  les  villages  environnants.  Mais  saint  Germain  n'était 
invoqué  nulle  part  avec  plus  de  dévotion  que  par  les  habitants  de  Baume.  Sitôt  qu'un  bruit  de 
guerre  ou  une  maladie  contagieuse  commençait  à  répandre  l'effroi  dans  la  ville,  la  population  tout 
entière  se  pressait  aux  portes  du  cloître  pour  invoquer  au  pied  des  autels  la  protection  du  saint 
Martyr.  Quand  les  récoltes  étaient  en  danger  de  se  perdre,  les  fidèles  lui  confiaient  leurs  alarmes 
et  imploraient  encore  son  intercession.  En  1629,  une  fièvre,  dont  les  ravages  s'étendaient  chaque 
jour,  cessa  tout  à  coup  au  milieu  des  prières  publiques.  En  reconnaissance  de  cette  faveur,  qui  fut 
attribuée  à  saint  Germain,  les  habitants  promirent  de  solenniser  tous  les  ans  sa  fête  dans  l'église 
paroissiale.  Ce  vœu  fut  prononcé  le  11  octobre  par  le  maire,  assisté  des  officiers  mmicipaux  et  des 
notables. 

L'esprit  d'incrédulité  qui  domina  à  la  fin  du  siècle  suivant  n'altéra  point  cette  pieuse  confiance. 


266  il    OCTOBRE.     . 

Lorsque  l'abbaye  eut  été  fermée  pendant  les  troubles  révolutionnaires,  les  reliques  de  saint  Ger- 
main, protecteur  de  la  ville,  furent  transportées  dans  l'église  paroissiale,  le  il  octobre  1791,  à  la 
demande  du  conseil,  général  de  la  commune  et  avec  le  concours  de  toutes  les  autorités  du  temps. 
Les  habitants  de  Baume  avaient  sollicité  cette  translation  avec  les  plus  vives  instances.  C'est  ainsi 
que  les  restes  vénérés  de  saint  Germain  ont  survécu  aux  orages  de  la  Révolution  française,  protégé» 
par  la  foi  et  par  la  reconnaissance  de  la  cité.  Ils  sont  encore  aujourd'hui  l'objet  de  la  vénération 
publique,  et  les  habitants  de  Baume  les  regardent  avec  raison  comme  leur  plus  riche  trésor  et  leur 
meilleure  sauvegarde. 

Le  nom  de  saint  Germain  se  trouve  dans  tous  les  martyrologes  de  notre  diocèse  ;  son  office 
fait  encore  partie  de  notre  bréviaire,  et  plusieurs  paroisses  de  Franche-Comté  ont  choisi  ce  saint 
Martyr  pour  patron. 

Tiré  des  Saints  de  Franche-Comté.  —  Cf.  Acta  Sanctorum  :  les  Bollandistes  placent  saint  Germain 
au  v»  siècle.  Nous  ne  les  arons  pas  suivis,  parce  que  des  hagîographes  modernes,  entre  autres  Ferroto 
(Documents  inédits,  tome  n,  page  112),  ont  démontré  la  fausseté  de  cette  date. 


SAINT  TARAQUE,  SAINT  PROBE  ET  SAINT  ANDRONIO 

MARTYRS  A  ANAZARBE,  EN  CILICIE 
804.  —  Pape  :  Saint  Marcellin.  —  Empereurs  romains  :  Dioctétien  et  Maximien. 


Imitez  les  martyrs  :  Ils  ont  triomphé"  des  tyrans  par 
leur  modération  et  leur  patience  ;  et  vous  aussi 
triomphez  de  la  tyrannie  de  vos  passions  par  les 
mêmes  armes.  Saint  Ephrem. 

Le  triomphe  de  ces  trois  martyrs  glorifia  le  nom  de  Dieu  durant  la  per- 
sécution de  Dioclétien.  L'opinion  la  plus  probable  est  que  ce  fut  dans  Tan- 
née 304,  temps  où  les  édits  s'exécutaient  indistinctement  contre  tous  le» 
chrétiens.  Les  actes  de  saint  Taraque,  de  saint  Probe  et  de  saint  Andronic, 
sont  l'un  des  plus  précieux  monuments  de  l'antiquité  ecclésiastique.  Les 
trois  premières  parties  contiennent  les  interrogatoires  que  nos  saints  su- 
birent à  Tarse,  à  Mopsueste  et  à  Anazarbe,  villes  de  Gilicie.  C'est  une  copie 
authentique  des  registres  proconsulaires,  que  les  chrétiens  achetèrent  deux 
cents  deniers  des  notaires  publics.  La  quatrième  partie  est  de  trois  chrétiens 
nommés  Marc,  Félix  et  Vérus,  qui  furent  témoins  oculaires,  enlevèrent 
secrètement  les  corps  des  saints  martyrs,  et  les  enterrèrent  avec  la  résolu- 
tion de  passer  le  reste  de  leur  vie  auprès  du  lieu  où  reposait  ce  précieux 
trésor,  et  de  demander  qu'on  les  enterrât  au  môme  lieu  quand  Dieu  les  au- 
rait appelés  à  lui. 

Taraque,  Probe  et  Andronic  étaient  d'âge  et  de  pays  différents.  Le  pre- 
mier était  romain  d'extraction,  quoique  né  en  Isaurie.  Il  avait  servi  dans 
les  armées  de  l'empire  ;  mais  depuis  il  s'était  retiré,  dans  la  crainte  qu'on 
He  l'obligeât  à  faire  quelque  chose  de  contraire  à  sa  conscience.  Lorsqu'on 
Varrêta,  il  était  âgé  de  soixante-cinq  ans.  Probe,  natif  de  Pamphylie,  avait 
quitté  une  fortune  considérable  afin  de  pouvoir  servir  Jésus-Christ  avec 
plus  de  liberté.  Andronic,  le  plus  jeune  des  trois,  était  d'une  des  princi- 
pales familles  de  la  ville  d'Ephèse.  Ayant  été  arrêtés  tous  trois  à  Pompéio- 
polis,  en  Cilicie,  ils  furent  présentés  à  Numérien  Maxime,  gouverneur  de  la 
province,  lors  de  son  arrivée  dans  cette  ville.  Ce  fonctionnaire  ordonna 
qu'on  les  conduisît  à  Tarse,  où  il  devait  bientôt  se  rendre.  Lorsqu'il  y  fut 


SAINT  TARAQUE,  SAINT  PROBE  ET  SAINT  ANDRONIC,  MARTYRS.      267 

venu,  le  centurion  Bémétrius  fit  paraître  devant  lui  les  trois  confesseurs, 
en  lui  disant  que  c'étaient  ceux  qu'on  lui  avait  déjà  présentés  à  Pompéio- 
polis,  comme  coupables  de  professer  la  religion  impie  des  chrétiens  et 
d'avoir  osé  désobéir  aux  empereurs. 

Maxime,  s'étant  adressé  d'abord  à  Taraque,  lui  demanda  son  nom.  «  Je 
suis  chrétien  »,  répondit  le  martyr.  —  Maxime.  «  Ne  me  parle  pas  de  ton 
impiété,  mais  dis-moi  ton  nom  ».  —  Taraque.  «  Je  suis  chrétien  ».  — 
Maxime.  «  Qu'on  le  frappe  sur  la  bouche,  pour  l'apprendre  à  ne  pas  ré- 
pondre une  chose  pour  l'autre  ».  —  Taraque,  après  avoir  reçu  un  soufflet. 
«  Je  vous  dis  mon  vrai  nom.  Si  vous  voulez  savoir  celui  que  m'ont  donné 
mes  parents,  c'est  Taraque  :  quand  je  portais  les  armes,  on  m'appelait  Vic- 
tor ».  —  Maxime.  «  Quelle  est  ta  profession?  de  quel  pays  es-tu?  »  —  Ta- 
raque. «  Je  suis  d'une  famille  romaine,  mais  né  à  Claudiopolis,  enlsaurie. 
J'étais  soldat  de  profession,  mais  j'ai  quitté  le  service  pour  ma  religion  ». 

—  Maxime.  «  Ton  impiété  t'a  rendu  indigne  de  porter  les  armes;  mais 
comment  as-tu  quitté  le  service?  »  — Taraque.  «  J'ai  demandé  mon  congé 
à  Publion,  mon  capitaine,  et  il  me  l'a  accordé  ».  —  Maxime.  «  En  consi- 
dération de  tes  cheveux  blancs,  je  te  procurerai  la  faveur  et  l'amitié  de 
l'empereur,  si  tu  te  conformes  à  ses  ordres  ;  viens  et  sacrifie  aux  dieux,  à 
l'exemple  même  des  empereurs  ».  —  Taraque.  «  Les  empereurs  sont  trom- 
pés par  les  démons  en  participant  à  un  tel  culte  ».  —  Maxime.  «  Qu'on  lui 
casse  les  mâchoires,  pour  avoir  dit  que  les  empereurs  sont  trompés  ».  — 
Taraque.  «  Oui,  je  le  répète,  ils  sont  hommes,  et  en  cette  qualité  ils  sont 
trompés  »:  —  Maxime.  «  Sacrifie  à  nos  dieux  et  renonce  à  ta  folie  ».  —  Ta- 
raque. «  Je  ne  puis  renoncer  à  la  loi  de  Dieu  ».  — Maxime.  «  Il  n'y  a  d'autre 
loi,  malheureux,  que  celle  à  laquelle  nous  obéissons  ».  —  Taraque.  «  Il  y 
en  a  une  autre,  et  vous  la  transgressez  en  adorant  l'ouvrage  de  vos  mains, 
des  statues  de  bois  ou  de  pierre  ».  —  Maxime.  «  Qu'on  le  frappe  sur  le 
visage,  pour  lui  faire  abandonner  sa  folie  ».  — Taraque.  «  Ce  que  vous  ap- 
pelez folie  est  le  salut  de  mon  âme,  et  je  ne  l'abandonnerai  jamais  ».  — 
Maxime.  «  Je  te  le  ferai  bien  abandonner,  et  je  te  forcerai  de  devenir  sage  ». 

—  Taraque.  —  a  Faites  de  mon  corps  tout  ce  qu'il  vous  plaira,  il  est  en 
votre  pouvoir  ».  —  Maxime.  «  Qu'on  le  dépouille,  et  qu'on  le  frappe  avec 
les  verges  ».  —  Taraque,  tandis  qu'on  le  frappait,  ce  C'est  présentement  que 
vous  me  rendez  véritablement  sage.  Les  coups  que  vous  me  faites  donner 
me  fortifient  ;  ils  augmentent  ma  confiance  en  Dieu  et  en  Jésus-Christ  ».  — 
Maxime.  «  Comment  peux-tu  nier  la  pluralité  des  dieux,  puisque  de  ton 
propre  aveu  tu  en  sers  deux?  N'as-tu  pas  donné  le  nom  de  Dieu  à  une  cer- 
taine personne  appelée  Christ?  »  —  Taraque.  «  Oui,  car  c'est  le  Fils  du 
Dieu  vivant  ;  c'est  l'espérance  des  chrétiens  et  l'auteur  du  salut  de  ceux  qui 
souffrent  pour  l'amour  de  lui  ».  —  Maxime.  «  Renonce  à  cette  extrava- 
gance ;  viens  et  sacrifie  ».  —  Taraque.  «  Je  ne  suis  point  tel  que  vous  pen- 
sez ;  j'ai  soixante-cinq  ans  ;  j'ai  été  élevé  dans  la  vérité  et  je  ne  puis  l'aban- 
donner ».  — Le  centurion  Démétrius,  affectant  un  air  de  pitié,  lui  dit: 
t  Tu  me  fais  compassion  ;  suis  mes  conseils  et  sauve  ta  vie  en  sacrifiant  ». 

—  Taraque.  «  Garde  tes  avis  pour  toi,  ministre  de  Satan  ».  —  Maxime. 
«  Qu'on  le  charge  de  grosses  chaînes,  et  qu'on  le  conduise  en  prison  ». 

Le  centurion  Démétrius  ayant  amené  le  second  en  âge,  Maxime  lui  dit  : 
«  Quel  est  ton  nom?  »  —  Probus.  «  Mon  principal  nom,  celui  qui  m'est  le 
plus  honorable,  est  :  Chrétien  ;  mais  dans  le  monde  on  m'appelle  Probus.  » 
—  Maxime.  «  Quel  est  ton  pays?  quelle  est  ta  famille?  »  —  Probus.  «  Mon 
père  était  de  Thrace  ;  je  suis  plébéien,  né  à  Side  en  Pampbylie,  et  je  pro- 


268  11    OCTOBRE. 

fesse  le  christianisme  ».  —  Maxime.  «  Ton  nom  ne  te  servira  de  rien.  Crois- 
moi,  sacrifie  aux  dieux  pour  mériter  mon  amitié  et  la  faveur  des  empe- 
reurs ».  —  Probus.  «  Tout  cela  m'est  inutile.  Je  possédais  une  fortune 
considérable,  que  j'ai  quittée  pour  servir  le  Dieu  vivant  par  Jésus-Christ  ». 

—  Maxime.  «  Qu'on  lui  ôte  ses  vêtements,  et  qu'après  l'avoir  ceint  on 
l'étende  pour  le  frapper  avec  des  nerfs  de  bœuf  »...  Tandis  qu'on  frappait 
de  la  sorte  le  martyr,  le  centurion  Démétrius  lui  dit  :  «  Aie  pitié  de  toi- 
même,  mon  ami,  vois  la  terre  toute  couverte  de  ton  sang  ».  —  Probus. 
«  Faites  ce  que  vous  voudrez  de  mon  corps,  vos  tourments  sont  pour  moi 
des  parfums  délicieux  ».  —  Maxime.  «  Ta  folie  est  donc  incurable?  que 
peux-tu  espérer?  »  —  Probus.  «  Je  suis  plus  sage  que  vous,  parce  que  je 
n'adore  point  les  démons  ».  — Maxime.  «  Qu'on  le  tourne  et  qu'on  le  frappe 
sur  le  ventre  ».  —  Probus.  «  Seigneur,  mon  Dieu,  assistez  votre  serviteur  ». 

—  Maxime.  «  Demandez-lui  en  le  frappant  où  est  son  protecteur  ».  —  Pro- 
bus. «  Il  m'assiste  et  m'assistera,  car  je  fais  si  peu  de  cas  de  vos  tourments, 
que  je  ne  vous  obéis  point  ».  —  Maxime.  «  Vois,  malheureux,  ton  corps 
déchiré  et  la  terre  toute  couverte  de  ton  sang  ».  —  Probus.  «  Plus  mon 
corps  souffre  pour  Jésus-Christ,  plus  mon  âme  acquiert  de  force  et  de  vi- 
gueur ».  —  Maxime.  «  Mettez-lui  les  fers  aux  pieds  et  aux  mains  ;  qu'on 
lui  étende  les  jambes  dans  les  ceps  jusqu'au  quatrième  trou,  et  qu'on  ne 
permette  à  personne  de  panser  ses  plaies  ». 

Lorsque  le  troisième  des  saints  martyrs  fut  devant  le  tribunal,  Maxime 
lui  dit  :  «  Quel  est  ton  nom  ?»  —  Andronic.  «  Mon  vrai  nom  est  :  Chrétien, 
et  celui  que  je  porte  communément  parmi  les  hommes  est  Andronic  ».  — 
Maxime.  «  Quelle  est  ta  famille  ?»  —  Andronic.  «  Mon  père  est  un  des 
principaux  habitants  d'Ephèse».  — Maxime.  «  Adore  les  dieux,  et  obéis  aux 
empereurs  qui  sont  nos  pères  et  nos  maîtres  ».  —  Andronic.  «  Le  démon 
est  votre  père  quand  vous  faites  ses  œuvres  ».  —  Maxime.  «  Jeune  homme, 
tu  fais  l'insolent;  sais-tu  que  j'ai  des  tourments  tout  prêts  ?»  —  Andronic. 
«  Je  suis  préparé  à  tout  ce  qui  peut  m'arriver  ».  —  Maxime.  «  Qu'on  le 
dépouille,  qu'on  le  ceigne,  et  qu'on  l'étende  sur  le  chevalet  ».  Alors  le  cen- 
turion Démétrius  dit  au  martyr  :  «  Obéis,  mon  ami,  avant  que  l'on  déchire 
ton  corps  ».  —  Andronic.  «  J'aime  mieux  voir  mettre  mon  corps  en  pièces 
que  de  perdre  mon  âme  ».  —  Maxime.  «  Sacrifie,  ou  je  te  condamne  à  une 
mort  cruelle  ».  —  Andronic.  «  Je  n'ai  point  sacrifié  aux  démons  dès  mon 
enfance,  et  je  ne  commencerai  point  aujourd'hui  ».  Athanase,  corniculaire 
ou  contrôleur  de  l'armée,  lui  dit  :  «  Je  suis  assez  âgé  pour  être  ton  père,  et 
j'ai  droit  de  te  donner  des  conseils;  obéis  au  gouverneur  ».  —  Andronic. 
«  L'admirable  avis  que  celui  de  sacrifier  aux  démons  ».  —  Maxime.  «  Misé» 
rable,  nous  verrons  si  tu  es  insensible  aux  tourments.  Quand  tu  les  sentiras, 
tu  renonceras  peut-être  à  ta  folie  ». —  Andronic.  «  Cette  folie  nous  est 
avantageuse,  à  nous  qui  espérons  en  Jésus-Christ.  La  sagesse  du  monde 
conduit  à  la  mort  éternelle  ».  —  Maxime.  «  Tourmentez-le  avec  violence  ». 

—  Andronic.  «  Je  n'ai  fait  aucun  mal,  et  cependant  vous  me  tourmentez 
comme  un  meurtrier.  Je  ne  souffre  que  pour  le  culte  qui  est  dû  au  vrai 
Dieu  ».  —  Maxime.  «  Si  tu  avais  le  moindre  sentiment  de  piété,  tu  adore- 
rais les  dieux  que  les  empereurs  adorent  si  religieusement  ».  —  Andronic. 
«  C'est  une  impiété  d'abandonner  le  vrai  Dieu  pour  adorer  le  bronze  et  le 
marbre  ».  —  Maxime.  «  Tu  oses  dire  que  les  empereurs  sont  coupables 
d'impiété  !  Qu'on  augmente  ses  tourments;  qu'on  lui  pique  les  côtés  ».  — 
Andronic.  «  Je  suis  entre  vos  mains,  et  vous  êtes  le  maître  de  mon  corps  ». 

—  Maxime.  «  Mettez  du  sel  sur  ses  plaies,  et  frottez  ses  côtés  avec  des  mor- 


SAINT  TARAQUE,  SAINT  PROBE  ET  SAINT  ANDRONIC,  MARTYRS.      269 

ceaux  de  tuiles  brisées  ».  —  Andronic.  «  Vos  tourments  ont  procuré  à  mon 
corps  un  vrai  rafraîchissement».  —  Maxime.  «  Jeté  ferai  périr  par  une 
mort  lente  ».  — Andronic.  «  Vos  menaces  ne  m'effraient  point;  mon  cou- 
rage est  au-dessus  de  tout  ce  que  votre  cruauté  vous  fera  imaginer  ».  — 
Maxime.  «  Mettez-lui  des  chaînes  aux  pieds  et  au  cou,  et  gardez-le  dans 
une  prison  élroite  ».  Ainsi  finit  le  premier  interrogatoire.  Les  saints  mar- 
tyrs subirent  le  second  à  Mopsueste,  en  Cilicie,  où  ils  furent  transférés  à  la 
suite  du  gouverneur. 

Flavius-Caius-Numérien-Maxime,  gouverneur  de  Cilicie,  étant  assis  sur 
son  tribunal,  dit  au  centurion  Démétrius  :  «  Que  Ton  m'amène  ces  impies 
qui  suivent  la  religion  des  chrétiens  ».  —  «  Les  voici,  Seigneur  »,  répondit 
le  centurion.  Alors  Maxime  dit  à  Taraque  :  «  On  respecte  la  vieillesse  en 
plusieurs,  parce  que  la  prudence  et  le  jugement  accompagnent  ordinaire- 
ment cet  âge.  Si  tu  as  fait  un  bon  usage  du  temps  que  je  t'ai  laissé,  je  pré- 
sume que  tes  réflexions  t'auront  inspiré  d'autres  seatiments.  C'est  pour 
m'assurer  de  ce  changement  que  je  t'ordonne  de  sacrifier  aux  dieux  ».  — 
Taraque.  «  Je  suis  chrétien,  et  plût  au  ciel  que  vous  et  les  empereurs  quit- 
tassiez votre  aveuglement  pour  embrasser  la  vérité  qui  conduit  à  la  vie  !  » 

—  Maxime.  «  Frappez-lui  les  joues  avec  une  pierre,  et  forcez-le  de  renon- 
cer à  sa  folie  ».  —  Taraque.  «  Cette  folie  est  une  vraie  sagesse  ».  —  Maxime. 
«  Tu  as  toutes  les  dents  cassées,  misérable  :  aie  pitié  de  toi-même,  viens  à 
l'autel,  et  sacrifie  aux  dieux  pour  t'épargner  un  supplice  plus  rigoureux  ». 

—  Taraque.  «  Missiez-vous  mon  corps  en  pièces,  jamais  vous  ne  me  ferez 
changer  de  résolution,  parce  que  c'est  Jésus-Christ  qui  me  donne  la  force 
de  triompher  ».  —  Maxime.  «  Je  saurai  te  guérir  de  ta  folie.  Qu'on  apporte 
des  charbons  ardents,  qu'on  étende  ses  mains  sur  le  feu  jusqu'à  ce  qu'elles 
soient  brûlées  ».  —  Taraque.  «Je  ne  crains  point  un  feu  temporel  dont 
l'activité  passe  bientôt,  mais  je  crains  les  flammes  éternelles  ».  — Maxime. 
«  Vois  tes  mains  toutes  brûlées;  rien  ne  pourra  donc  te  rendre  sage  ?  Sa- 
crifie ».  — Taraque.  «  Si  vous  avez  quelques  autres  tourments,  vous  pouvez 
les  employer  ;  j 'espère  être  capable  de  résister  à  tous  vos  efforts  » .  —  Maxime. 
«  Qu'on  le  pende  par  les  pieds,  et  qu'on  lui  laisse  la  tête  dans  une  fumée 
épaisse  ».  —  Taraque.  «  Après  avoir  supporté  le  feu,  pourrais-je  redouter 
la  fumée  ?  »  — Maxime,  a  Versez-lui  du  vinaigre  et  du  sel  dans  les  narines». 

—  Taraque.  «  Votre  vinaigre  n'a  que  de  la  douceur  pour  moi,  et  votre  sel 
me  paraît  insipide  ».  —  Maxime.  «  Mêlez  de  la  moutarde  avec  le  vinaigre, 
et  les  lui  versez  dans  les  narines  ».  —  Taraque.  «  Vos  ministres  vous  ont 
trompé;  ils  m'ont  donné  du  miel,  au  lieu  de  moutarde».  —  Maxime.  «  Cela 
suffit  pour  le  présent;  j'inventerai  de  nouvelles  tortures  pour  te  faire  re- 
noncer à  ta  folie  ».  — Taraque.  «Vous  me  trouverez  préparé  à  soutenir  vos 
assauts  ».  —  Maxime.  «  Qu'on  le  remette  en  prison,  et  que  l'on  m'en  amène 
un  autre  ». 

Probus  lui  ayant  été  présenté,  il  lui  dit  :  «  Eh  bien  !  as-tu  fait  des  ré- 
flexions ?  es-tu  disposé  à  sacrifier  aux  dieux ,  à  l'exemple  des  empereurs  ?  » 

—  Probus.  «  Je  reparais  devant  vous  avec  une  nouvelle  vigueur.  Les  tour- 
ments que  j'ai  endurés  n'ont  fait  qu'endurcir  mon  corps;  mon  âme  est 
plus  forte  que  jamais,  et  vous  pouvez  en  voir  la  preuve.  J'ai  dans  le  ciel  un 
Dieu  vivant,  que  je  sers  et  que  j'adore  ;  je  n'en  connais  point  d'autre  ».  — 
Maxime.  «  Comment,  misérable,  nos  dieux  ne  sont  pas  vivants?  »  — 
Probus.  «  Eh  !  peut-on  regarder  comme  vivantes  des  statues  de  pierre  et  de 
bois,  qui  sont  l'ouvrage  de  la  main  des  hommes!  Vous  ne  savez  ce  que 
vous  faites,  quand  vous  leur  offrez  des  sacrifices  ».  —  Maxime.  «  Répare  au 


-70  H   OCTOBRE. 

moins  ton  insolence  en  sacrifiant  au  grand  Jupiter  ;  je  n'exigerai  rien  de 
plus  ».  —  Probus.  «  Pouvez-vous  donc  donner  le  nom  de  dieu  à  celui  qui 
s'est  souillé  par  des  adultères,  par  des  incestes,  et  par  d'autres  crimes 
énormes?  »  —  Maxime.  «  Qu'on  lui  frappe  la  bouche  avec  une  pierre,  pour 
l'empêcher  de  blasphémer  ».  —  Probus.  «Pourquoi  me  traiter  ainsi?  Je 
n'ai  dit  de  Jupiter  que  ce  que  savent  ceux  qui  l'adorent.  Je  n'ai  point  blessé 
la  vérité,  je  vous  en  prends  vous-même  à  témoin  ».  —  Maxime.  «  Qu'on 
lui  applique  le  fer  rouge  sur  les  pieds  ».  —  Probus.  «  Votre  feu  n'a  point 
de  chaleur  ;  au  moins  je  n'en  sens  point  l'activité  ».  —  Maxime.  «  Qu'on 
l'étende  sur  le  chevalet,  et  qu'on  le  frappe  sur  le  dos  avec  des  courroies, 
jusqu'à  ce  qu'il  ait  les  épaules  écorchées  ».  — Probus.  «  Tous  vos  efforts 
sont  inutiles  ;  inventez  quelque  nouveau  supplice,  et  vous  verrez  le  pouvoir 
du  Dieu  qui  est  en  moi  et  qui  me  fortifie  ».  —  Maxime.  «  Qu'on  le  rase,  et 
que  l'on  couvre  sa  tête  de  charbons  ardents».  — Probus.  «  Vous  m'avez 
brûlé  la  tête  et  les  pieds,  vous  voyez  cependant  que  je  reste  fidèle  à  mon 
Dieu  et  que  je  méprise  vos  tourments.  Mon  Dieu  me  sauvera.  Vos  dieux  ne 
peuvent  que  perdre  leurs  adorateurs  ».  —  Maxime.  «  Tu  ne  vois  donc  pas 
ceux  qui  les  adorent  autour  de  mon  tribunal,  honorés  des  bons  et  des  em- 
pereurs? Ils  te  regardent  avec  mépris,  toi  et  tes  compagnons  ».  —  Probus. 
«  Croyez- moi,  s'ils  ne  se  repentent,  et  qu'ils  ne  servent  pas  le  Dieu  vivant,  ils 
périront  tous,  parce  que,  contre  le  cri  de  leur  conscience,  ils  adorent  des 
idoles  ».  —  Maxime.  «  Frappez-le  au  visage,  afin  qu'il  apprenne  à  ne  plus 
dire  Dieu,  mais  les  Dieux  ».  —  Probus.  «Vous  me  maltraitez,  vous  défigurez 
injustement  mon  visage,  puisque  je  dis  la  vérité  ».  —  Maxime.  «  Je  te  ferai 
couper  la  langue  pour  mettre  fin  à  tes  blasphèmes  et  te  forcer  à  obéir  ».— 
Probus.  «  Outre  cette  langue,  j'en  ai  une  intérieure  et  immortelle,  sur 
laquelle  vous  n'avez  aucun  pouvoir  ».  —  Maxime.  «  Qu'on  le  conduise  en 
prison,  et  que  l'on  m'amène  le  troisième  ». 

Lorsque  Andronic  fut  venu,  Maxime  lui  dit  :  «  Tes  compagnons  ont 
d'abord  refusé  d'obéir,  et  il  a  fallu  employer  les  tourments  pour  vaincre 
leur  opiniâtreté.  A  la  fin  ils  ont  cédé,  et  ils  seront  libéralement  récompensés 
de  leur  obéissance.  Si  donc  tu  veux  éviter  les  mêmes  tourments,  sacrifie 
aux  dieux,  et  tu  seras  honoré  par  nos  princes.  Mais  si  tu  persistes  dans  ton 
opiniâtreté,  j'en  jure  par  les  dieux  immortels  et  par  les  invincibles  empe- 
reurs, tu  n'échapperas  point  à  ma  juste  indignation  ».  —  Andronic.  «  Pour- 
quoi cherchez-vous  à  me  tromper  en  me  déguisant  la  vérité  ?  Mes  compa- 
gnons n'ont  point  renoncé  au  culte  du  vrai  Dieu  ;  et  quand  bien  même  ils 
l'auraient  fait,  je  ne  me  rendrais  jamais  coupable  d'une  pareille  impiété. 
Le  Dieu  que  j'adore  m'a  revêtu  des  armes  de  la  foi  ;  Jésus-Christ,  mon 
Sauveur,  est  ma  force,  en  sorte  que  je  ne  redoute  ni  votre  pouvoir,  ni  celui 
de  vos  maîtres,  ni  celui  de  vos  dieux.  Vous  pouvez  en  faire  l'épreuve,  en 
me  faisant  souffrir  toutes  les  tortures  que  vous  inspirera  la  cruauté  la  plus 
raffinée  ».  —  Maxime.  «  Qu'on  le  lie  à  des  pieux,  et  qu'on  le  frappe  avec 
des  nerfs  de  bœuf».  — Andronic.  «  Il  n'y  a  rien  de  nouveau  ni  d'extraor- 
dinaire dans  ce  supplice  ».  —  Athanase  lui  dit  :  «  Votre  corps  n'est  qu'une 
plaie  depuis  la  tête  jusqu'aux  pieds,  et  tout  cela  ne  vous  paraît  rien  ?»  — 
Andronic.  «  Ceux  qui  aiment  le  Dieu  vivant,  comptent  pour  rien  un  pareil 
traitement  ».  —  Maxime.  «  Qu'on  lui  frotte  le  dos  avec  du  sel  ».  — An- 
dronic. «  Ordonnez,  je  vous  prie,  qu'on  ne  m'épargne  point;  j'en  serai 
plus  sûrement  préservé  de  la  corruption,  et  plus  en  état  de  supporter  vos 
tourments  ».  —  Maxime.  «  Qu'on  le  tourne,  et  qu'on  le  frappe  sur  le  ventre 
pour  rouvrir  ses  premières  plaies  ».  —  Andronic.  «  Vous  avez  vu,  lorsqu'on 


SAINT  TARAQUE,   SAINT  PROBE  ET  SAINT  ANDRONIC,   MARTYRS.  271 

m'a  conduit  devant  votre  tribunal,  que  j'étais  parfaitement  guéri  des  plaies 
que  j'avais  reçues  dans  mon  premier  interrogatoire;  celui  qui  m'a  guéri 
peut  encore  me  faire  la  môme  grâce  ».  —  Maxime,  s' adressant  aux  gardes 
de  la  prison  :  «  Traîtres  que  vous  êtes,  ne  vous  avais-je  pas  expressément 
défendu  de  laisser  entrer  qui  que  ce  fût  pour  voir  cet  homme  ou  pour 
panser  ses  plaies  ».Le  geôlier  Pégasse  :  «J'en jure  par  votre  grandeur, 
personne  ne  l'a  vu,  personne  n'a  pansé  ses  plaies.  On  l'a  gardé  chargé  de 
chaînes  dans  l'endroit  le  plus  écarté  de  la  prison.  Si  vous  doutez  de  ma 
fidélité,  voilà  ma  tête,  je  consens  à  perdre  la  vie  ».  —  Maxime.  «  Comment 
donc  se  fait-il  qu'on  n'aperçoive  plus  aucune  trace  de  ses  plaies?  »  Le  geô- 
lier. «  J'ignore  comment  il  a  été  guéri  ».  —  Andronic.  «  Aveugle  que  vous 
êtes,  vous  ne  savez  pas  que  le  médecin  qui  m'a  guéri  est  aussi  puissant  qu'il 
est  tendre  et  charitable?  Vous  ne  le  connaissez  point.  Il  guérit  non  par 
l'application  des  remèdes,  mais  par  sa  seule  parole.  Quoiqu'il  habite  le  ciel, 
il  est  présent  partout  ;  mais  encore  une  fois,  vous  ne  le  connaissez  point». 

—  Maxime.  «  Ces  vaines  paroles  ne  te  serviront  de  rien  ;  sacrifie,  ou  c'en  est 
fait  de  toi  ».  —  Andronic.  «  Mes  réponses  sont  toujours  les  mêmes.  Je  ne 
suis  point  un  enfant  pour  céder  aux  menaces  ou  aux  caresses  ».  — Maxime. 
«  Ne  te  flatte  pas  de  l'emporter  sur  moi  ».  —  Andronic.  «  Vous  ne  me  verrez 
jamais  ébranlé  par  vos  menaces».  —  Maxime.  «  Tu  n'auras  pas  impuné- 
ment méprisé  mon  autorité  ».  —  Andronic.  «  Il  ne  sera  pas  dit  non  plus 
que  la  cause  de  Jésus-Christ  ait  succombé  sous  votre  autorité». —  Maxime. 
Qu'on  prépare  de  nouvelles  tortures  pour  la  première  fois  que  je  m'assiérai 
sur  mon  tribunal  ;  en  attendant,  qu'on  le  charge  de  chaînes,  qu'on  le  ren- 
ferme dans  un  cachot,  et  qu'on  ne  permette  à  personne  de  l'y  voir  ». 

Ce  fut  à  Anazarbe,  en  Cilicie,  que  nos  saints  martyrs  subirent  un  troi- 
sième interrogatoire.  Taraque,  qui  comparut  le  premier,  répondit  toujours 
avec  la  même  constance.  «  La  mort  »,  disait-il,  «  mettra  fin  à  mes  com- 
bats, et  commencera  mon  bonheur  ;  de  longs  tourments  me  procureront 
une  plus  grande  récompense  ».  Maxime  l'ayant  fait  attacher  sur  le  chevalet, 
il  lui  dit  :  «  Je  pourrais  réclamer  le  rescrit  de  Dioclétien,  qui  défend  aux 
juges  de  mettre  les  militaires  sur  le  chevalet  ;  mais  je  ne  veux  point  me 
servir  de  mon  privilège,  de  peur  que  vous  ne  me  soupçonniez  de  lâcheté  ». 

—  Maxime.  «  Tu  te  flattes  de  l'espérance  d'être  embaumé  après  ta  mort 
par  les  femmes  chrétiennes  ;  mais  je  saurai  bien  te  priver  de  cet  avantage  ». 

—  Taraque.  «  Vous  pouvez  faire  ce  qu'il  vous  plaira  de  mon  corps  et  pen- 
dant ma  vie  et  après  ma  mort  ».  —  Maxime.  «  Qu'on  lui  déchire  le  visage, 
et  qu'on  lui  coupe  les  lèvres  ».  —  Taraque.  «  En  défigurant  mon  visage, 
vous  avez  ajouté  une  nouvelle  beauté  à  mon  âme.  Fortifié  par  le  divin 
amour,  je  ne  crains  point  toutes  vos  tortures».  —  Maxime.  «  Qu'on  lui 
applique  des  broches  toutes  rouges  sur  les  mamelles,  et  qu'on  lui  coupe 
les  oreilles  ».  —  Taraque.  «  Mon  cœur  n'en  sera  pas  moins  attentif  à  la  pa- 
role de  Dieu  ».  —  Maxime.  «  Qu'on  lui  arrache  la  peau  de  la  tête  et  qu'on 
!a  couvre  de  charbons  ardents  ».  —  Taraque.  «  Me  fissiez-vous  écorcher 
tout  le  corps,  vous  ne  viendriez  point  à  bout  de  me  séparer  de  mon  Dieu  ». 

—  Maxime.  «  Que  l'on  fasse  rougir  les  broches  encore  plus  que  la  première 
fois,  et  qu'on  les  lui  applique  sur  les  côtés  ».  —  Taraque.  «  0  Dieu  du  ciel, 
abaissez  sur  moi  vos  regards,  et  soyez  mon  juge!  »  Maxime  le  renvoya  en 
prison,  le  réservant  pour  les  jeux  du  lendemain.  Il  se  fit  ensuite  amener 
Probus. 

Lorsque  celui-ci  fut  arrivé,  le  gouverneur  l'exhorta  de  nouveau  à  sacri- 
fier. Mais  comme  ses  exhortations  étaient  inutiles,  il  le  fit  lier  et  pendre 


272  **    OCTOBRE. 

par  les  pieds  ;  après  quoi,  on  lui  appliqua  les  broches  toutes  rouges  sur  les 
côtés  et  sur  le  dos.  «  Mon  corps  »,  dit  Probus,  a  est  en  votre  pouvoir. 
Puisse  le  Seigneur  du  ciel  et  de  la  terre  considérer  ma  patience  et  l'humilité 
de  mon  cœur  !  »  —  Maxime.  «  Le  Dieu  que  tu  invoques  t'a  livré  lui- 
même  entre  mes  mains  ».  —  Probus.  «  Il  aime  les  hommes  ».  —  Maxime. 
«  Qu'on  lui  ouvre  la  bouche,  et  qu'on  y  mette  du  vin  et  des  viandes  qui  ont 
été  offerts  aux  dieux».  Probus.  «Voyez,  Seigneur,  la  violence  que  Ton  me 
fait,  et  jugez  ma  cause».  — Maxime.  «Tu  as  mieux  aimé  souffrir  mille 
tourments  que  de  sacrifier,  et  cependant  tu  viens  de  participer  à  nos  sacri- 
fices ))#  —  Probus.  «  Vous  ne  devez  pas  vous  vanter  de  ce  que  vous  m'avez 
fait  faire  contre  ma  volonté  ».  — Maxime.  «  N'importe,  tu  l'as  fait;  promets 
que  tu  le  feras  volontairement,  et  je  te  délivrerai  ».  —  Probus.  «  Sachez 
que  quand  vous  me  forceriez  à  recevoir  dans  ma  bouche  tout  ce  qui  a  été 
offert  sur  vos  autels  abominables,  je  n'en  serais  point  souillé.  Dieu  est 
témoin  de  la  violence  que  je  souffre  "».  —  Maxime.  «  Que  l'on  fasse  rougir 
les  broches,  et  qu'on  lui  brûle  les  jambes.  Eh  bien  !  Probus,  il  n'y  a  aucune 
partie  de  ton  corps  qui  n'ait  eu  son  supplice ,  et  tu  persistes  encore 
dans  ta  folie  ?  Misérable  !  que  peux-tu  espérer?  »  —  Probus.  «  Je  vous  ai 
abandonné  mon  corps,  afin  de  sauver  mon  âme  ».  —  Maxime.  «  Qu'on  fasse 
rougir  des  clous  aigus  et  qu'on  lui  en  perce  les  mains  ».  —  «  Je  vous  rends 
grâces,  ô  mon  Sauveur,  de  ce  que  vous  m'avez  jugé  digne  d'avoir  part  à 
vos  souffrances  !  »  —  Maxime.  «  Le  nombre  des  tourments  que  tu  endures 
ne  fait  qu'augmenter  ta  folie  ».  —  Probus.  «  Plût  à  Dieu  que  vous  ne  fus- 
siez pas  plongé  dans  un  tel  aveuglement  !  »  —  Maxime.  «  Tu  as  perdu 
l'usage  de  tous  tes  membres,  et  tu  te  plains  de  n'avoir  point  encore  été 
privé  de  celui  de  la  vue  !  Piquez-lui  les  yeux,  mais  peu  à  peu,  jusqu'à  ce 
que  vous  lui  ayez  percé  l'organe  de  la  vue  ».  — Probus.  «  Me  voilà  présen- 
tement aveugle.  Vous  m'avez  privé  des  yeux  du  corps,  mais  vous  ne  pouvez 
m'ôter  ceux  de  l'âme  ». —  Maxime.  «Tu  persistes  encore  à  raisonner,  mais 
pense  donc  que  tu  es  condamné  à  un  aveuglement  qui  ne  cessera  point  ».—• 
Probus.  «  Si  vous  connaissiez  l'aveuglement  de  votre  âme,  vous  vous  trou- 
veriez plus  malheureux  que  moi  ».  —  Maxime.  «  Tu  ne  peux  pas  te  servir 
de  ton  corps  plus  qu'un  mort,  et  tu  parles  encore  ?»  —  Probus.  «  Tant  que 
la  chaleur  naturelle  animera  les  restes  que  vous  m'avez  laissés  de  ce  corps, 
je  ne  cesserai  de  parler  de  mon  Dieu,  de  le  bénir  et  de  le  louer  ».  — 
Maxime.  «  Quoi  !  tu  espères  survivre  à  ces  tourments?  Peux- tu  te  flatter 
que  je  te  laisserai  respirer  un  seul  moment?  »  —  Probus.  «  Une  mort 
cruelle  est  tout  ce  que  j'attends  de  vous;  et  je  ne  demande  autre  chose  à 
Dieu,  sinon  la  grâce  de  persévérer  jusqu'à  la  fin  dans  la  confession  de  son 
saint  nom  ».  —  Maxime.  «  Je  te  laisserai  languir  aussi  longtemps  que  le 
mérite  un  impie  tel  que  toi.  Qu'on  l'emporte  d'ici.  Que  l'on  ait  soin  de  bien 
garder  ces  prisonniers,  afin  que  leurs  amis  ne  puissent  les  voir.  Je  les  des- 
tine pour  les  jeux  publics.  Que  l'on  m'amène  Andronic,  qui  est  le  plus  opi- 
niâtre des  trois  » . 

Les  réponses  et  la  conduite  des  martyrs  étaient  en  général  très-respec- 
tueuses envers  les  juges,  quelque  injustes  et  cruels  qu'ils  fussent.  Ce  respect 
envers  les  puissances  est  un  devoir  auquel  ne  manquent  point  ceux  qui  sont 
animés  de  l'esp  ri  t  de  l'Evangile .  Si  dans  certaines  occasions  les  martyrs  ont  paru 
s'écarter  de  cette  règle,  ils  agissaient  par  un  mouvement  extraordinaire  du 
Saint-Esprit.  Saint  Paul  traita  son  juge  de  muraille  blanchie  et  le  menaça  de 
la  colère  de  Dieu.  Quelques  martyrs  suivirent  son  exemple  en  faisant  de  vifs 
reproches  à  leurs  juges.  «  Ils  étaient  patients  dans  les  tourments  »,  dit  saint 


SAINT  TARAQUE,  SAINT  PROBE  ET  SAINT  ANDRONIC,  MARTYRS.      273 

Augustin,  ((  fidèles  dans  leur  confession,  inviolablement  attachés  à  la  vérité 
dans  toutes  leurs  paroles.  Il  est  vrai  qu'ils  lançaient  quelques  traits  du  Sei- 
gneur contre  les  impies  et  qu'ils  les  provoquaient  à  la  colère,  mais  ils  en 
guérissaient  plusieurs  pour  le  salut  » .  C'est  sous  ce  point  de  vue  que  Ton 
doit  considérer  certaines  expressions  que  présentent  les  réponses  de  saint 
Andronic.  Ce  sont  de  justes  reproches  faits  à  l'impiété  des  ministres  de  la 
justice  ;  ce  sont  comme  des  dards  que  Dieu  employait  pour  les  frapper  et 
les  réveiller. 

Le  gouverneur,  pressant  Andronic  d'obéir,  lui  dit  que  ses  deux  compa- 
gnons avaient  à  la  fin  sacrifié  aux  dieux  et  même  aux  empereurs.  «  Vous 
faites  »,  lui  répondit  Andronic,  «  le  personnage  d'un  adorateur  du  dieu  du 
mensonge,  et  je  reconnais  à  cette  imposture  que  les  hommes  ressemblent 
aux  dieux  qu'ils  servent.  Que  Dieu  vous  juge,  ministre  d'iniquité  ».  Maxime 
fit  mettre  le  feu  à  des  rouleaux  de  papier,  avec  lesquels  on  brûla  le  ventre 
du  martyr.  On  lui  brûla  ensuite  les  doigts  avec  des  pointes  aiguës  que  l'on 
avait  fait  rougir.  Le  juge,  voyant  qu'il  ne  pouvait  lui  imposer  silence,  lui 
dit  :  «  Tu  ne  dois  pas  t'attendre  à  mourir  une  fois  ;  tu  vivras  jusqu'au  jour 
marqué  pour  les  jeux,  afin  de  voir  tes  membres  dévorés  les  uns  après  les 
autres  par  des  bêtes  cruelles  ».  —  Andronic.  a  Vous  êtes  plus  barbare  que 
les  tigres  et  plus  avide  de  sang  que  les  meurtriers  les  plus  inhumains  ». 

—  Maxime,  a  Que  l'on  ouvre  sa  bouche  pour  lui  faire  prendre  de  ce  qui  a 
été  immolé  aux  dieux  ».  — Andronic.  «  Voyez,  ô  mon  Dieu,  la  violence 
qu'on  me  fait  ».  — Maxime.  «  Que  diras-tu  maintenant?  Tu  as  goûté  de 
ce  qui  a  été  offert  sur  l'autel.  Te  voilà  initié  dans  les  mystères  des  dieux  ». 

—  Andronic.  «  Sachez,  tyran,  que  l'âme  n'est  point  souillée  pour  souffrir 
involontairement  ce  qu'elle  condamne.  Dieu,  qui  connaît  le  fond  des  cœurs, 
voit  que  le  mien  n'a  point  consenti  à  cette  abomination  ».  —  Maxime. 
«Jusqu'à  quand  ton  imagination  sera-t-elle  séduite  par  cette  frénésie? 
Elle  ne  saura  te  délivrer  de  mes  mains  ».  —  Andronic.  «  Dieu  me  délivrera 
quand  il  lui  plaira  ».  —  Maxime.  «  Voilà  une  nouvelle  extravagance.  Je  te 
ferai  couper  la  langue  pour  te  réduire  au  silence  » .  —  Andronic.  «  Je  vous 
demande  comme  une  grâce  de  faire  couper  ces  lèvres  et  cette  langue  avec 
lesquelles  vous  vous  imaginez  que  j'ai  participé  à  vos  abominables  sacri- 
fices ».  —  Maxime.  «  Qu'on  lui  arrache  les  dents,  et  qu'on  lui  coupe  jusqu'à 
la  racine  .cette  langue  qui  a  proféré  tant  de  blasphèmes  ;  qu'on  les  brûle 
ensuite  et  qu'on  en  jette  les  cendres  au  vent,  afin  que  ni  hommes  ni  femmes 
de  sa  secte  impie  ne  puissent  les  ramasser,  et  les  garder  comme  quelque 
chose  de  saint  et  de  précieux.  Qu'on  le  ramène  en  prison,  en  attendant 
qu'il  soit  dévoré  par  les  bêtes  de  l'amphithéâtre  ». 

Le  troisième  interrogatoire  des  saints  martyrs  étant  fini,  Maxime  envoya 
chercher  le  pontife  Térentien,  qui  avait  l'inspection  des  jeux  publics  et 
des  spectacles,  pour  le  charger  de  donner  le  lendemain  le  divertissement 
des  jeux.  Une  foule  innombrable  de  peuple  se  rendit  à  l'amphithéâtre,  qui 
était  à  un  mille  de  la  ville  d'Anazarbe.  Il  y  périt  beaucoup  de  gladiateurs, 
qui  furent  tués  ou  dévorés  par  les  bêtes.  Les  chrétiens  placés  sur  une  mon- 
tagne voisine  regardaient  ce  qui  se  passait,  attendant  avec  crainte  l'issue 
du  combat  de  leurs  frères.  Enfin  le  gouverneur  chargea  quelques-uns  de 
ses  gardes  d'aller  chercher  les  confesseurs  qui  avaient  été  condamnés  aux 
bêtes.  Leurs  tourments  les  avaient  réduits  dans  un  si  triste  état  qu'ils  ne 
pouvaient  se  soutenir.  On  fut  obligé  de  les  apporter  dans  l'amphithéâtre. 
«Nous  nous  avançâmes  autant  qu'il  nous  fut  possible  »,  dit  l'auteur  de 
leurs  actes,  «  observant  toutefois  de  ne  pas  nous  laisser  apercevoir.  La 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  18 


274  1*    OCTOBRE. 

vue  de  nos  frères  réduits  en  cet  état  fit  couler  nos  larmes  ;  plusieurs  même 
des  spectateurs  ne  purent  s'empêcher  d'en  verser.  A  peine  les  martyrs 
eurent-ils  paru,  qu'il  se  fit  un  grand  silence.  On  murmurait  publiquement 
de  la  barbarie  du  gouverneur.  Il  y  en  eut  plusieurs  qui  abandonnèrent  les 
jeux  et  retournèrent  dans  la  ville.  Le  gouverneur  irrité  fit  garder  toutes 
les  avenues  pour  empêcher  que  l'on  ne  s'échappât,  et  donna  ordre  d'ob- 
server ceux  qui  voudraient  se  retirer,  afin  qu'il  pût  ensuite  les  interroger. 
Il  fit  lâcher  plusieurs  bêtes,  qui,  comme  retenues  par  une  force  invisible, 
n'approchèrent  point  des  martyrs.  Furieux  d'un  spectacle  si  extraordinaire, 
il  fit  battre  ceux  qui  avaient  soin  des  bêtes,  comme  s'ils  eussent  été  d'in- 
telligence avec,  elles.  Ces  malheureux,  qui  se  voyaient  menacés  du  dernier 
supplice,  lâchèrent  un  ours,  qui,  ce  jour-là,  avait  tué  trois  hommes  :  mais 
cet  animal  s'avança  doucement  vers  les  martyrs  et  se  mit  à  lécher  les  pieds 
d'Andronic.  Inutilement  ce  martyr  voulut  le  provoquer.  Maxime,  ne  se 
possédant  plus,  fit  tuer  l'ours  sur-le-champ  aux  pieds  d'Andronic.  Téren- 
tien,  craignant  pour  lui-même,  ordonna  de  lâcher  une  lionne  furieuse.  Les 
rugissements  de  cet  animal  effrayèrent  les  plus  intrépides  des  spectateurs. 
Cependant,  quand  il  fut  auprès  des  martyrs,  qui  étaient  étendus  par  terre, 
il  se  coucha  aux  pieds  de  Taraque  et  les  lécha.  Maxime,  écumant  de  rage, 
le  fit  provoquer.  La  lionne,  devenue  furieuse,  fit  entendre  d'horribles 
rugissements,  et  les  spectateurs  en  furent  si  effrayés  qu'ils  crièrent  qu'il 
fallait  lui  ouvrir  sa  loge.  On  appela  les  confecteurs  ou  gladiateurs,  qui 
achevèrent  les  martyrs.  Maxime  ordonna  que  l'on  mît  leurs  corps  avec 
ceux  des  gladiateurs  qui  avaient  été  tués,  et  les  fit  garder  pendant  la  nuit 
par  six  soldats,  de  peur  que  les  chrétiens  ne  les  enlevassent  :  mais  à  la 
faveur  de  l'obscurité  et  d'un  violent  orage  qui  dispersa  les  gardes,  les 
fidèles  distinguèrent  les  trois  corps  par  l'effet  d'une  clarté  miraculeuse  qui 
les  leur  fit  connaître  ;  ils  les  emportèrent  avec  respect  sur  leurs  épaules, 
et  les  cachèrent  dans  une  caverne  des  montagnes  voisines,  où  il  n'était  pas 
vraisemblable  qu'on  irait  les  chercher.  Le  gouverneur  punit  rigoureuse- 
ment les  gardes  pour  avoir  quitté  leur  poste.  Trois  fervents  chrétiens, 
Félix,  Marcien  et  Yérus,  se  retirèrent  dans  la  caverne,  résolus  d'y  passer 
le  reste  de  leur  vie.  Trois  jours  après  la  mort  de  nos  saints  martyrs,  le  gou- 
verneur partit  d'Anazarbe.  Les  chrétiens  de  cette  ville  envoyèrent  cette 
relation  à  l'église  d'Icône,  en  la  priant  de  la  communiquer  aux  fidèles  de 
Pisidie  et  de  Pamphylie,  pour  leur  édification.  Les  trois  saints  martyrs  con- 
sommèrent leur  sacrifice  le  11  octobre,  jour  auquel  ils  sont  nommés  dans 
les  martyrologes. 

Saint  Taraque  est  représenté  subissant  son  interrogatoire.  Le  juge  lui 
signifie  d'adorer  une  idole  qu'il  lui  montre.  Un  soldat  brutal  tient  une 
pierre  dont  il  va  le  frapper  s'il  refuse.  A  ses  pieds  des  appareils  de  torture. 
—  Les  saints  Probe  et  Andronic  sont  représentés,  tantôt  décapités  après 
plusieurs  tortures,  tantôt  attachés  à  un  poteau  et  la  poitrine  percée  d'un 
glaive.  —  On  les  représente  tous  les  trois,  dans  l'arène,  livrés  aux  bêtes. 

Tiré"  de  1mm  Actes  sincères,  publiés  par  Dora  Ruinart.  Voir  Tillemont,  tome  v,  page  28». 


SAINT   GRAT  LE   LICHOS,   ÉVÊQUE  ET  CONFESSEUR.  275 

SAINT  GRAT  DE  LICHOS, 

PREMIER  ÉVÊQUE  CONNU  DE  L'ANCIEN  SIÈGE  D'OLORON  ET  CONFESSEUR 

▼!•  siècle. 


Martyrio  mqjus  quidquam  est  eharitas  proximi. 
L'amour  du  prochain  est  quelque  chose  de  plus  grand 
que  le  martyre. 

Saint  Jean  Chrysostome,  Homélies. 

Suivant  une  ancienne  et  respectable  tradition,  saint  Grat  naquit  sur  les 
confins  de  la  Soûle,  dans  le  village  de  Lichos  (Basses-Pyrénées,  arrondisse- 
ment d'Orthez,  canton  de  Navarrenx),  où  l'on  montrait  encore,  il  y  a 
moins  de  deux  siècles,  les  ruines  de  sa  maison  natale,  alors  appelée  en 
basque  Gamichelu.  Son  enfance  et  sa  jeunesse  s'écoulèrent  sous  le  feu  de  la 
persécution  d'Euric.  Mais  les  violences  du  prince  arien  n'ébranlèrent  pas 
sa  constance  ;  au  contraire,  comme  un  autre  Tobie,  il  demeura  toujours 
fidèle  à  sa  religion  ;  ses  exemples  et  ses  exhortations  soutinrent  un  grand 
nombre  de  catholiques  dans  la  foi  de  Jésus-Christ,  vrai  Dieu  et  vrai  homme 
tout  ensemble.  Aussi  fut-il  porté  sur  le  trône  épiscopal  par  les  suffrages  du 
clergé  et  du  peuple,  dès  que  l'avènement  d'Alaric  II  eut  rendu  une  certaine 
liberté  aux  Eglises.  Devenu  évêque,  saint  Grat  fit  éclater  dans  toute  sa  con- 
duite les  qualités  les  plus  éminentes.  a  II  fut»,  disent  les  mémoires  de 
l'Eglise  d'Oloron,  «  un  astre  brillant  de  l'Eglise  de  France,  un  prodige  de 
sainteté,  profond  en  humilité,  attaché  au  soin  des  âmes,  austère  en  sa  vie, 
plein  de  charité,  homme  de  miséricorde  et  père  des  pauvres  ». 

Le  nouvel  évêque  eut  à  remplir  les  devoirs  d'une  charge  importante 
que  lui  conférait  la  législation  de  l'époque,  celle  de  défenseur  de  la  cité. 
Oloron  conservait  encore  ce  titre,  comme  le  prouve  la  signature  du  Saint, 
episcopus  de  civitate  Oloron.  Or,  en  ce  temps-là,  chaque  cité  avait  son  défen- 
seur, et  l'usage  avait  prévalu  que  ce  défenseur  fût  l'évêque  lui-même;  la 
loi  wisigothique  reconnaissait  et  cette  charge  et  cet  usage.  Comme  défenseur 
de  la  cité  d'Oloron,  saint  Grat  devait  protéger  son  peuple  contre  les  vexa- 
tions du  fisc  et  de  l'autorité  subalterne,  contre  les  injures  privées  et  le 
despotisme  public,  contre  tous  ses  ennemis,  soit  du  dedans,  soit  du  dehors. 
Il  s'acquitta  de  ces  nobles  fonctions  en  homme  de  cœur  ou,  pour  mieux 
dire,  en  Saint. 

La  religion  surtout  réclamait  son  énergie,  à  cause  des  dangers  que  lui 
faisait  courir  la  secte  Arienne,  maîtresse  du  pays.  Sous  ce  rapport,  il  se 
montra  «  puissant  et  généreux  ennemi  des  Goths  »,  ajoutent  les  mémoires 
que  nous  avons  déjà  cités,  et,  par  sa  vigilance  pastorale,  il  sut  préserver 
son  troupeau  de  la  contagion  de  l'hérésie,  en  attendant  le  secours  que 
d'autres  barbares  venaient  apporter  au  culte  catholique. 

Depuis  quelques  années,  les  Francs  s'étaient  établis  au  nord  et  dans  le 
centre  des  Gaules.  Clovis,  leur  chef,  avait  abjuré  le  paganisme,  reçu  le 
baptême  des  mains  de  saint  Rémi,  et  fondé  une  monarchie  que  l'on  devait 
nommer  un  jour  «  la  fille  aînée  de  l'Eglise  ».  Sous  son  autorité,  les  Gau- 


276  H   OCTOBRE. 

lois,  les  Romains  et  les  Francs,  réunis  en  un  seul  Etat,  ne  connaissaient  et 
ne  pratiquaient  que  la  foi  de  l'Eglise  romaine,  dans  les  pays  situés  au-delà 
de  la  Loire.  Clovis  appelé,  dit-on,  par  les  évêques  méridionaux,  résolut 
d'étendre  l'unité  religieuse  et  politique  jusqu'au  sommet  des  Pyrénées  :  il 
marcha  contre  les  Wisigoths.  Dignes  rivaux  l'un  de  l'autre,  Alaric  et  Clovis 
se  rencontrèrent  aux  champs  de  Vouillé,  dans  le  Poitou.  Le  choc  fut  ter- 
rible pour  Alaric  :  il  périt  de  la  main  même  du  roi  des  Francs  qui,  volant 
de  conquête  en  conquête,  détruisit  le  royaume  de  Toulouse  et  recula  le 
sien  jusqu'aux  dernières  limites  de  la  Novempopulanie  (507).  Alors,  Oloron, 
l'antique  cité  Gallo-Romaine,  devint  une  ville  Gallo-Franque. 

Saint  G  rat  profita  de  ce  changement  pour  cicatriser  les  plaies  de  son 
église,  où  il  fit  refleurir  la  foi  et  les  mœurs  catholiques.  Moins  heureux,  en 
un  sens,  que  son  collègue,  Galactoire  de  Béarn,  qui  avait  été  martyrisé  par 
les  Ariens,  durant  la  dernière  guerre,  l'évêque  d'Oloron  prolongea  ses  jours 
jusqu'à  la  plus  extrême  vieillesse.  Mais,  s'il  n'eut  pas  la  gloire  de  verser  son 
sang  pour  la-défense  de  la  religion,  il  ne  laissa  pas  d'imprimer  dans  tous  les 
cœurs  une  telle  vénération  pour  ses  vertus,  que  la  postérité  le  reconnaît  et 
l'honore  comme  un  Saint,  non  sans  avoir  éprouvé  bien  des  fois  la  puissance 
de  sa  protection.  C'est  le  patron  secondaire  du  diocèse. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Les  reliques  de  saint  Grat,  échappées  au  malheur  des  temps,  reposent  encore  dans  l'église  de 
Sainte-Marie  d'Oloron.  On  célèbre  sa  fête  le  11  octobre.  Avant  la  révolution,  toutes  les  paroisse* 
envoyaient  leurs  magistrats,  bannière  en  tête,  à  la  procession  solennelle  qui  se  faisait  ce  jour-là  ; 
ceux  de  Lichos  y  occupaient  la  première  place,  en  leur  qualité  traditionnelle  de  compatriotes  du 
grand  Saint. 

On  savait,  par  l'ancien  Office  de  saint  Grat,  que  Joseph  de  Révol,  évêque  d'Oloron  et  l'on 
des  plus  grands  prélats  de  son  époque,  retrouva  et  reconnut,  en  1710,  les  reliques  de  son  saint 
prédécesseur,  déposées  dans  une  espèce  d'armoire,  derrière  le  maître-autel  de  la  cathédrale.  Le 
xvme  siècle  s'était  écoulé  dans  un  progrès  constant  de  la  dévotion  oloronaise  pour  le  bien-aimé 
patron,  lorsque  la  révolution  vint  tout  bouleverser.  Inutile  de  rechercher  comment  les  reliques  de 
saint  Grat  furent  soustraites  à  la  profanation  universelle.  Disons  seulement  qu'après  la  restauration 
du  culte,  on  revit  sur  l'autel  de  Sainte-Marie  le  buste  renfermant  le  chef,  ou  plutôt  le  crâne  du 
saint  évêque  et  que,  dans  l'armoire  située  derrière  l'autel,  se  trouva  de  nouveau  une  caisse  rem- 
plie d'ossements  qui  furent  regirdés  comme  les  autres  reliques  de  saint  Grat. 

Au  mois  d'octobre  1844,  Mgr  Lacroix,  évêque  de  Bayonne,  reconnut  par  lui-même  la  relique 
renfermée  dans  le  buste  et  dressa  un  procès-verbal  de  cette  vérification.  Quant  aux  ossements 
contenus  dans  l'armoire  de  derrière  l'autel,  comme  celte  armoire  et  la  caisse  étaient  mal  fermées, 
comme  on  n'exhibait  aucun  document  ni  aucun  témoignage  positifs  sur  l'identité  de  ces  ossements, 
comme  enfin  il  était  avéré  qu'ils  étaient  restés  trop  longtemps  sujets  aux  indiscrétions  d'un  grand 
nombre  de  personnes,  le  savant  prélat  ne  se  crut  pas  en  mesure  de  procéder  à  une  reconnaissance 
rigoureuse  et  se  contenta  de  sceller  de  son  sceau  la  vieille  caisse,  qu'il  confia  à  la  garde  spéciale 
du  curé  de  la  paroisse,  en  attendant  de  nouvelles  lumières. 

Ces  lumières  sont  enfin  venues.  La  Providence  avait  sauvé  du  désastre  général  une  copie  au- 
thentique du  procès-verbal  dressé,  en  1710,  par  Mgr  de  Révol  ;  elle  a  été  retrouvée,  dans  les 
archives  de  l'officialité  métropolitaine  d'Auch,  par  M.  l'abbé  Darré,  vicaire-général,  et  communi- 
quée aux  nouveaux  Bollandistes,  qui  l'ont  insérée  au  cinquante-sixième  volume  des  Acta  Sancto- 
rum.  Découverte  heureuse  au  plus  haut  degré  :  car  ce  procès-verbal  énumère  les  moindres 
circonstances,  et  du  reliquaire  et  des  reliques  ;  pour  ce  qui  concerne  en  particulier  les  ossements 
■vérifiés  en  1710,  ils  sont  tous  signalés,  par  leur  nom  propre,  dans  la  déclaration  du  chirurgien 
appelé  à  les  examiner  sous  la  foi  du  serment,  le  sieur  Marsaing,  qui  porte  le  soin  jusqu'à  désigner, 
un  a  un,  les  ossements,  grands  ou  petits,  qui  manquaient  alors.  Avec  un  tel  document,  il  n'y  avait, 
plus  qu'une  simple  confrontation  à  faire  entre  les  indications  qui  s'y  trouvent  et  le  dépôt  confié, 
depïiis  1844,  à  M.  le  curé  de  Sainte-Marie.  C'est  M.  l'abbé  Menjoulet  que  Mgr  de  Bayonne  a  délé- 
gué pour  faire  toutes  les  constatations  possibles,  d'après  les  sages  règles  de  la  Congrégation  des 
Rites.  Citons  les  propres  paroles  du  vicaire-général  de  Bayonne  : 

«  Le  2  juin  1870,  il  a  été  procédé  à  l'enquête  de  la  manière  suivante.  Avec  M.  l'abbé  Lassalle,, 


SAINTE  EUSÉBIE  ET  SES  COMPAGNES,  VIERGES  ET  MARTYRES.  277 

tore  de  Sainte-Marie,  je  m'étais  adjoint  M.  l'abbé  Salefranque,  chanoine  de  Bayonne,  M.  l'abbé 
Lasserre,  archiprêtre-curé  de  Sainte-Croix  d'Oloron,  et  quelques  autres  prêtres  de  la  ville.  Deux 
habiles  médecins,  MM.  Charles  Crouseilles  et  Emile  Casamayor  avaient  bien  voulu  accepter  la  mis- 
sion de  faire  toutes  les  observations  anatomiques  nécessaires  à  l'enquête. 

«  Le  procès-verbal  sous  les  yeux,  nous  vérifiâmes  sans  peine  l'identité  de  la  caisse,  scellée  en 
4844  par  Mgr  Lacroix.  Après  avoir  rompu  le  sceau,  nous  trouvâmes  dans  l'intérieur  (en  outre  des 
ossements  qui  furent  remis  aux  deux  médecins)  plusieurs  signes  évidents  que  cette  caisse  est  bien 
la  même  dont  parle  le  procès-verbal  de  Joseph  de  Révol  :  elle  est  en  bois  de  noyer  ;  elle  conte- 
nait des  fragments  de  papier  moisi,  où  nous  avons  lu  la  signature  de  l'illustre  évèque,  puis  son 
sceau  sur  cire  rouge,  puis  encore  la  trace  d'un  acte  authentique  attaché  sous  le  couvercle,  puis 
enfin  une  pièce  de  taffetas,  d'un  blanc  roussi  par  le  temps,  et  formellement  mentionné  dans  le 
procès-verbal  de  1710.  Ces  constatations  auxquelles  ont  pris  part  des  ouvriers  spéciaux,  ne  laissent 
subsister  aucun  doute  sur  l'identité  du  reliquaire. 

«  Cependant  les  deux  médecins  finirent  leurs  observations  ;  ils  avaient  mis  les  divers  ossements 
à  leur  place  naturelle  et  en  avaient  dressé  une  liste  complète.  Ce  fut  alors  qu'on  leur  donna  lec- 
ture de  la  déclaration  de  Marsaing,  le  chirurgien  de  1710.  Je  ne  saurais  exprimer  l'émotion  qui 
s'empara  de  l'assistance,  lorsqu'il  fut  constaté,  d'une  part,  qu'aucun  des  ossements  signalés  comme 
manquants  en  1710  ne  se  trouvait  dans  notre  collection,  et,  d'un  autre  côté,  que  tous  les  osse- 
ments qui  s'y  trouvent  encore  sont  expressément  désignés  dans  la  liste  de  Marsaing.  Il  en  manque 
un  certain  nombre  de  ceux  que  porte  cette  liste  ;  mais  leur  absence  est  facilement  expliquée  par 
des  distributions  successives,  depuis  plus  d'un  siècle  et  demi,  et  même  par  de  pieux  larcins  que 
favorisait  l'état  d'une  armoire  et  d'une  caisse  mal  fermées.  Les  principaux  fragments  s'y  trouvent  : 
voila  l'essentiel,  et  cela  suffit  pour  établir  qu'il  n'a  été  fait  aucune  substitution  ;  que,  dès  lors, 
nous  avons  là,  du  moins  en  partie,  les  reliques  reconnues  par  Joseph  de  Révol. 

«  Tel  fut,  en  termes  généraux,  le  résultat  de  la  reconnaissance,  dont  on  ne  manqua  pas  de 
rédiger  un  procès-verbal  en  forme,  et  minutieusement  détaillé.  La  tradition  locale  se  trouva  re- 
nouée aux  yeux  de  toute  l'assistance,  et  nul  ne  voulut  douter  que  l'église  de  Sainte-Marie  ait  la 
gloire  de  posséder  encore  les  restes  vénérés  du  premier  évêque  connu  d'Oloron  ». 

M.  l'abbé  Menjoulet,  dans  Y  Echo  religieux  des  Pyrénées  et  des  Landes. 


SAINTE  EUSEBIE  ET  SES  COMPAGNES, 

VIERGES  ET  MARTYRES  A  MARSEILLE 
vu»  siècle. 


Il  vant  mieux  mourir  en  aimant  Dieu  qne  vivre  en 

l'offensant  :  c'est  la  l'épreuve  du  véritable  amour. 
Saint  Bonaventure. 

A  peu  de  distance  de  la  mer,  et  sur  les  bords  d'une  petite  rivière  appe- 
lée rHuveaune,  il  existait  autrefois,  près  de  Marseille,  un  monastère  célèbre 
et  par  le  nom  de  son  fondateur,  et  par  l'héroïsme  des  religieuses  qui  l'habi- 
taient. Le  lieu  était  admirablement  choisi.  Le  monastère  s'élevait  au  milieu 
d'une  vaste  plaine,  couverte  de  belles  prairies.  On  n'y  voyait  aucune  habi- 
tation humaine.  Partout  le  silence,  partout  le  calme,  c'était  le  repos  du 
désert;  on  aurait  dit  la  Thébaïde.  A  droite  et  à  gauche,  apparaissaient  de 
hautes  collines  couvertes  d'arbres  et  de  verdure,  qui,  séparant  ces  beaux 
lieux  de  la  demeure  des  hommes,  en  faisaient  une  solitude  ravissante.  Une 
rivière  pure  et  limpide  baignait  les  murs  du  monastère,  et  allait,  après 
mille  détours,  porter  à  la  mer  ses  eaux  tranquilles,  image  de  la  vie  humaine, 
qui  s'écoule  lentement  et  va  se  perdre  sans  retour.  Au  loin,  c'est  la  mer, 
qui,  tantôt  paisible  et  unie  comme  une  glace,  réfléchit  l'azur  du  ciel,  tan- 


273  il    OCTOBRE. 

tôt  frappée  par  les  rayons  du  soleil,  brille,  éclate,  étincelle,  ou  paraît  tout 
en  feu;  et  tantôt  poussée  par  les  vents  déchaînés,  s'élève,  s'irrite,  mugit  et 
se  répand  sur  le  rivage,  qu'elle  blanchit  d'écume.  Des  lieux  où  le  monas- 
tère s'élevait,  à  peine  on  découvre  l'azur  des  flots,  et  on  entend  un  léger 
murmure,  comme  pour  apprendre  à  ceux  qui  se  vouent  au  Christ,  qu'ils 
ne  doivent  voir  le  monde  que  de  loin;  que  ses  pompes,  ses  richesses,  sa 
gloire,  doivent  à  peine  être  aperçues,  et  que  le  vain  bruit  dont  il  remplit 
l'univers,  doit  venir  expirer  à  leurs  oreilles. 

C'est  au  milieu  de  cette  belle  nature,  dans  ces  lieux  solitaires,  où 
tout  portait  autrefois  à  la  contemplation,  que  saint  Cassien  fonda  un 
monastère  de  femmes.  Il  fit  encore  mieux  que  de  donner  une  règle 
aux  religieuses  qu'il  établit  sur  les  bords  de  l'Huveaune,  il  leur  donna 
l'esprit  qui  l'animait,  et  il  les  unit  spirituellement  aux  religieux  qu'il 
avait  fondés  sur  le  tombeau  de  saint  Victor.  C'est  à  ce  foyer  d'amour 
de  Dieu,  de  piété,  de  zèle,  de  détachement  du  monde,  que  venaient  se 
ranimer  les  servantes  du  Christ,  et  par  là  elles  maintenaient  parmi  elles 
la  charité,  l'union,  et  les  traditions  du  passé.  Aussi,  dans  ces  siècles 
reculés,  le  monastère  des  religieuses  Cassianites  jeta  le  plus  vif  éclat;  on 
le  citait  comme  un  modèle  de  régularité,  et  elles  étaient  en  tout  les 
dignes  épouses  de  celui  à  qui  elles  avaient  voué  leur  virginité.  Leur  ferveur 
était  si  renommée  qu'elles  attirèrent  l'attention  d'un  grand  pape,  savant 
appréciateur  du  mérite,  saint  Grégoire  le  Grand.  Il  écrivit  à  leur  abbesse 
une  lettre  touchante,  où  l'on  voit  briller  tout  à  la  fois,  la  condescendance 
d'un  père,  la  douceur  du  pontife,  la  piété  du  chrétien. 

Or,  à  la  fin  du  vne  siècle,  vivait  à  Marseille  une  jeune  fille  du  nom  d'Eu- 
sébie,  c'est-à-dire  pieuse.  A  l'âge  de  quatorze  ans,  elle  renonça  au  monde 
et  entra  chez  les  Cassianites.  L'éclat  de  sa  vertu  et  aussi  l'esprit  de  Dieu, 
poussèrent  ses  compagnes  à  la  mettre  à  leur  tête;  elle  devint  par  l'élection 
leur  supérieure,  leur  abbesse,  et  on  la  salua  du  doux  nom  de  mère.  Ce  nom 
lui  était  dû  à  juste  titre,  car  elle  fut  vraiment  leur  mère;  elle  les  enfanta 
pour  le  ciel,  au  milieu  des  larmes  et  des  douleurs,  dans  ce  beau  jour  que 
l'église  nomme  naissance  des  martyrs  :  Natalis. 

Lorsqu'elle  fut  chargée  du  gouvernement  de  son  monastère,  les  temps 
étaient  bien  difficiles.  Le  nom  chrétien  avait  perdu  son  éclat.  Nos  princes 
ne  présentaient  plus  ni  talents,  ni  vigueur,  ni  courage,  et  se  laissaient, 
presque  sans  combattre,  arracher  leur  couronne  et  enlever  leurs  peuples. 
Une  nation  cruelle  et  puissante  s'était  jetée  sur  l'Europe;  elle  pillait,  sacca- 
geait, immolait,  et  promenait  dans  tout  le  Midi,  la  flamme  et  le  glaive.  Rien 
ne  pouvait  résister  à  sa  fureur.  La  croix  pâlissait  devant  le  croissant.  Déjà 
l'Espagne  appartenait  aux  Sarrasins,  ils  convoitaient  notre  France.  Ils  fran- 
chissent les  Pyrénées,  se  répandent  comme  un  torrent  dans  nos  provinces, 
s'emparent  de  nos  villes  fortes,  et  viennent  même  camper  aux  portes  de 
la  Provence.  Les  ravages  qu'ils  firent  et  les  cruautés  qu'ils  commirent  sont 
au-dessus  de  toute  expression.  Les  monastères  étaient  pillés,  dévastés,  in- 
cendiés, et  les  hôtes  paisibles  qu'ils  recelaient,  massacrés  sans  pitié.  Les 
églises  étaient  rasées,  et  les  prêtres,  poursuivis  sans  relâche,  ne  savaient 
plus  où  abriter  leurs  têtes.  Chaque  jour  on  apprenait  quelque  nouveau 
désastre,  et  on  ne  vivait  plus  que  dans  le  trouble,  la  crainte  et  les  larmes. 

Les  compagnes  de  sainte  Eusébie  ne  devaient  pas  sans  être  émues 
apprendre  ces  tristes  nouvelles.  La  crainte  et  l'effroi  glaçaient  leur  âme« 
Timides  colombes,  exposées  sans  défense  à  la  serre  cruelle  des  ravisseurs, 
elles  craignaient  à  chaque  instant  de  voir  l'ennemi  se  jeter  sur  elles  et  les 


SAINTE  EUSÉBIE  ET  SES   COMPAGNES,   VIERGES  ET  MARTYRES.  279 

arracher  de  leur  asile.  Mais,  Eusébie,  sans  doute  par  ses  douces  paroles,  les 
ranimait,  les  consolait,  faisait  luire  à  leurs  yeux  l'espérance  des  biens  éter- 
nels, et  la  paix  descendait  dans  leurs  âmes.  Tout  à  coup  éclate  une  ter- 
rible nouvelle,  Lérins  est  devenu  la  proie  des  Sarrasins.  Le  sang  des  mar- 
tyrs a  inondé  la  terre,  le  glaive  n'a  rien  épargné.  Il  nous  semble  alors  voir 
Eusébie,  perdant  tout  espoir  de  sauver  sa  vie  et  ne  pensant  plus  qu'au  ciel, 
rassembler  autour  d'elle  ses  compagnes  tremblantes,  les  disposer  à  donner 
leur  vie  pour  celui  qu'elles  chérissaient. 

Cependant  tout  espoir  n'était  pas  perdu.  Marseille,  ville  immense  et  bien 
défendue,  environnée  de  fortes  murailles,  et  ayant  des  troupes  exercées, 
pouvait  opposer  une  longue  résistance,  inspirer  même  la  crainte  aux  Sarra- 
sins, et  leur  défendre  son  approche.  Mais  bientôt  cet  espoir  s'évanouit.  Le 
gouverneur  de  la  Provence,  Mauront,  âme  portée  à  la  jalousie,  à  la  haine, 
à  la  vengeance,  à  toutes  les  noires  passions,  ne  craint  pas  de  trahir  sa  pa- 
trie et  de  la  livrer  à  ses  ennemis.  Il  appelle  les  Sarrasins  ;  il  leur  ouvre  les 
portes  de  Marseille.  Un  carnage  horrible  commence  dans  cette  malheureuse 
cité.  Partout  la  triste  image  de  la  guerre,  partout  du  sang  et  des  cadavres  ; 
les  maisons  sont  pillées,  tout  ce  qu'il  y  a  de  richesse  devient  la  proie  du 
vainqueur.  Un  horrible  tumulte  s'élève,  les  plaintes  des  mourants,  les  cris 
des  blessés,  les  blasphèmes  des  ennemis  du  Christ,  frappent  les  airs.  La 
flamme  est  attachée  à  mille  endroits,  bientôt  un  vaste  incendie  s'allume  ; 
on  fuit  à  la  hâte,  on  se  dérobe  à  tant  de  misères,  on  gagne  les  montagnes,  les 
chemins  sont  remplis  de  fugitifs,  que  poursuivent  de  farouches  soldats. 
Sainte  Eusébie  et  ses  compagnes  ne  purent  voir  sans  frémir  la  désolation  de 
leur  patrie  et  elles  connurent  par  là  le  triste  sort  qui  les  attendait.  Per- 
sonne n'a  songé  à  elles  au  milieu  de  leur  solitude  ;  personne  qui  vole  à  leur 
défense.  Comment  éviter  les  ennemis  de  leur  foi  ?  Où  fuir  ?  Qù  se  cacher  ?  Se 
jetteront- elles  dans  les  chemins  et  iront- elles  chercher  dans  quelque  terre 
lointaine  une  nouvelle  patrie,  un  nouvel  asile  ;  mais  ne  savent-elles  pas  que 
les  sicaires  sont  partout,  et  que  partout  leurs  flèches  meurtrières  sauront 
les  atteindre?  Iront-elles  se  cacher  dans  les  montagnes?  Mais  elles  y  péri- 
ront bientôt  de  froid,  de  faim,  et  de  misère;  et  à  quoi  bon  retarder  leur 
martyre?  Imploreront-elles  le  secours  de  leurs  concitoyens  et  de  leurs 
frères,  et  iront-elles  grossir  les  troupes  des  fugitifs  ?  Mais  n'est-ce  pas  expo- 
ser leur  vertu,  et  manquer  à  la  fidélité  qu'elles  ont  jurée  à  leur  divin  Epoux  ? 
Elles  demeurent,  elles  attendent,  elles  jettent  souvent  sur  la  vaste  plaine 
des  regards  inquiets,  pour  savoir  si  on  ne  voit  pas  flotter  au  loin  les  éten- 
dards des  Maures. 

Un  jour,  elles  découvrent  une  soldatesque  effrénée  qui  se  porte  en  tu- 
multe sur  le  monastère.  Le  jour  suprême  était  venu.  Eusébie  rassemble 
autour  d'elle  ses  compagnes,  les  mène  aux  pieds  des  saints  autels,  et  répan- 
dant toutes  ensemble  et  leur  cœur  et  leurs  larmes,  en  présence  de  leur 
Dieu,  elles  le  supplient  de  leur  inspirer  la  force  et  le  courage  de  faire,  s'il  le 
faut,  le  dernier  sacrifice.  Tout  à  coup,  le  Dieu  qui  avait  autrefois  inspiré 
Eléazar  Machabée,  et  lui  avait  communiqué  la  force  de  braver  et  de  recher- 
cher même  les  périls  ;  celui  qui  avait  autrefois  dans  Alexandrie  poussé  une 
vierge  célèbre,  Apollonie,  à  un  acte  héroïque,  s'empare  de  l'esprit  d'Eu- 
sébie.  Pensant  à  la  jeunesse,  à  la  beauté  de  la  plupart  de  ses  compagnes, 
elle  craint  que  le  glaive  ne  les  épargne,  que  l'ennemi,  tristement  humain, 
ne  les  emporte  sur  ses  vaisseaux,  et  qu'elles  n'aillent  faire  l'ornement  et  la 
joie  de  quelque  chef  barbare.  Elle  se  lève  au  milieu  d'elles,  leur  inspire  ses 
craintes,  rappelle  à  leur  souvenir  la  promesse  solennelle  qui  les  lie  au 


280  11   OCTOBRE. 

Christ,  leur  parle  avec  horreur  des  hordes  sauvages  qui  déjà  se  précipitent 
sur  leur  asile,  leur  retrace  la  servitude  dans  laquelle  elles  gémiront,  les 
maux  dont  elles  seront  les  victimes,  les  injures  dont  on  les  accablera,  la 
honte  éternelle  qui  s'attachera  à  leur  nom,  si  l'infidèle  les  entraîne  à  sa 
suite.  Quand  elle  voit  qu'elles  sont  remplies  du  feu  qui  l'anime,  qu'autour 
d'elle  les  sanglots  éclatent,  les  larmes  coulent,  et  que  des  murmures  d'ap- 
probation accueillent  chacune  de  ses  paroles  :  «  Courage,  ô  mes  compagnes, 
6  vierges,  courage,  encore  quelques  heures  de  combat  et  la  victoire  nous 
appartient.  La  mort  vaut  mieux  que  le  déshonneur  ;  les  tourments,  les  souf- 
frances, le  martyre,  je  les  préfère  à  la  honte  ;  aussi,  je  prie  votre  Dieu  et  le 
mien  de  veiller  sur  nos  âmes,  et  je  le  supplie  de  nous  arracher  la  vie.  Je  lui 
demande  pour  nous  toutes  une  mort  glorieuse.  Dans  le  triste  état  où  nous 
sommes  réduites,  nous  devons  redouter  la  vie  comme  le  plus  grand  de  tous 
nos  malheurs  ;  j'espère  que  l'Epoux  sacré  ne  nous  laissera  pas  au  moment 
de  la  tribulation,  qu'il  volera  à  notre  aide,  quand  nous  n'avons  plus  de  res- 
source, et  que  les  fiers  ennemis  de  son  nom  triomphent  et  l'insultent.  Le 
Christ  vous  soutient,  le  Christ  vous  ranime,  le  Christ  vous  parle  par  ma 
bouche,  écoutez  sa  voix.  Sacrifiez  cette  beauté  périssable  qui  peut  ruiner 
tos  âmes,  immolez  vos  charmes,  arrachez  de  vos  visages  ces  grâces  trom- 
peuses, afin  que  l'ennemi,  en  violant  notre  asile,  au  lieu  d'y  trouver  ce 
beautés  qu'il  recherche,  ne  puisse  plus  y  découvrir  que  des  objets  d'hor 
reur  ;  et  ainsi  serez-vous  délivrées,  échapperez-vous  à  votre  perte.  Imitez- 
moi,  suivez  les  traces  que  je  vous  montre,  afin  que  bientôt  nous  puissions 
toutes  ensemble  passer  dans  une  vie  meilleure,  où  nous  célébrerons  notre 
Dieu,  où  nous  chanterons  éternellement  ses  louanges  ».  Un  air  divin  était 
répandu  sur  ses  traits.  Elle  prend  à  l'instant  un  instrument  tranchant,  le 
porte  à  son  visage,  et  mutile  avec  force  et  son  nez  et  ses  lèvres.  Le  sang 
coule  en  abondance  sur  son  visage  et  rougit  ses  vêtements.  A  la  vue  de  son 
courage  un  cri  général  de  pitié  s'élève  autour  d'elle,  et  une  vive  ardeur  pé- 
nètre toutes  les  âmes.  Ses  compagnes  s'empressent  de  l'imiter.  Déjà  toutes 
ont  fait  passer  sur  leur  visage  le  fer  tranchant,  et  toutes  ces  vierges  ensan- 
glantées, répandant  leur  sang,  prémices  de  leur  martyre,  mais  ne  jetant 
pas  une  larme,  attendent  tranquillement  leurs  meurtriers.  Elles  n'étaient 
plus  pour  la  terre  que  des  objets  de  dégoût  et  d'horreur,  mais  aux  yeux  de 
l'Epoux  et  des  saints  anges,  quelles  touchantes  beautés  elles  revêtirent,  de 
quelles  grâces  elles  brillèrent  ! 

Déjà  les  Maures  sont  aux  portes  du  monastère  ;  leurs  cris  de  rage,  leurs 
chants  impies,  le  bruit  des  armes,  le  son  du  clairon,  viennent  frapper  les 
oreilles  des  épouses  du  Christ,  qui  tressaillent  tout  à  la  fois  et  de  joie  et 
d'épouvante.  Ils  s'applaudissent  par  avance  de  leur  butin  ;  chacun  déjà  dans 
son  esprit  se  choisit  une  épouse.  Ils  pénètrent  dans  le  monastère,  sur  leur 
visage  et  dans  leurs  yeux  brille  une  joie  féroce,  ils  arrivent  à  l'endroit  où  se 
trouvaient  Eusébie  et  ses  compagnes.  Ils  reculent  d'horreur,  ils  frémissent 
au  triste  spectacle  qui  frappe  leurs  yeux.  Se  voyant  ainsi  déçus  dans  leurs 
espérances,  ils  ouvrent  leur  âme  à  la  vengeance,  à  la  fureur,  à  la  rage.  Ils 
tirent  le  glaive,  ils  immolent  sans  pitié  autour  des  saints  autels  ces  ten- 
dres vierges  qui  s'y  étaient  réfugiées  comme  dans  leur  dernier  asile.  Elles 
ne  poussèrent  aucune  plainte,  on  n'entendit  aucun  murmure,  et,  au  nom- 
bre de  quarante,  elle  subirent  avec  bonheur  la  mort  qui  mettait  un  terme 
à  leurs  angoisses,  et  commençait  leur  gloire  éternelle. 


SAINT  GOMER.  OU   GUMAR  d'eMBLEHEM,   CONFESSEUR.  281 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Deux  ans  après  le  martyre  d'Eusébie,  toute  la  puissance  conjurée  des  Maures  vient  expirer  dans 
les  plaines  de  Tours.  Charles-Martel  les  combat,  les  terrasse,  les  taille  en  pièces,  et  anéantit  pour 
toujours  en  France  l'empire  des  Maures.  Le  sol  français  fut  bientôt  purifié  de  leurs  débris.  Quand 
la  paix  eut  été  rendue  aux  chrétiens,  on  s'empressa  de  recueillir  les  ossements  d'Eusébie  et  de  ses 
compagnes.  Un  tombeau  magnifique  reçut  ces  précieuses  reliques.  Elles  furent  vénérées  de  tous  les 
chrétiens  dans  le  souterrain  de  Saint- Victor,  auprès  de  l'autel  principal.  Sur  le  tombeau  fut  placée 
une  pierre,  qui  portait  une  inscription  touchante  et  empreinte  de  la  naïveté  de  ces  siècles  de  foi. 
La  voici  en  entier,  avec  la  traduction  : 

Hic  requiescet  in  pace  Eusebia  religiosa 

Magna  ancella  Domini 
Qui  in  sxculo  ab  heneunte  mtate  sud  vixit 
Secolares  annus  XI III  et  ubi  à  Domino 
Electa  est  in  monasterio  S.  C.  S.  Cyrici 
Servivet  annus  quinquaginta  recesset  sub 
Die  pridie  kall.  octobris,  indione  sextâ. 

Ici  repose  en  paix  Eusébie  religieuse 

Grande  servante  du  Seigneur, 

Qui  passa  depuis  sa  naissance 

Quatorze  ans  dans  le  monde,  et  y  fut  choisie  de  Dieu 

Pour  le  monastère  de  Saint-Cassien  et  de  Saint-Cyrice. 

Elle  y  servit  Dieu  pendant  cinquante  ans,  elle  mourut 

La  veille  des  kalendes  d'octobre,  indiction  sixième. 

An  bas  de  l'inscription  est  gravé  un  symbole  touchant,  que  l'on  rencontre  fréquemment  dans 
les  catacombes.  C'est  un  calice  où  viennent  s'abreuver  deux  colombes.  On  aura  voulu  figurer  ce  vin 
mystérieux  qui  engendre  les  vierges,  ou  plutôt  désigner  le  repos  éternel,  la  paix,  le  bonheur,  qu'au- 
ront acquis  Eusébie  et  ses  compagnes  après  avoir  bu  à  la  coupe  de  l'amertume  et  des  souffrances. 
C'est  l'unique  monument  qui  rappelle  aux  générations  le  dévouement  d'Eusébie.  Autrefois,  quand  il 
existait  encore  quelques  débris  du  passé,  dans  une  communauté  qui  appartenait  à  l'Ordre  religieux 
d'Eusébie,  chaque  fois  qu'une  jeune  novice  recevait  le  voile  mystérieux,  emblème  de  l'innocence, 
on  lui  rappelait  solennellement  l'héroïsme  d'Eusébie  et  de  ses  compagnes,  et  on  lui  demandait  si 
elle  oserait  déployer  le  même  courage. 

Maintenant  rien  ne  rappelle  plus  aux  Marseillais  ces  précieux  souvenirs.  Les  cendres  d'Eusébie 
et  de  ses  compagnes  ont  été  jetées  au  vent,  son  tombeau  a  été  arraché  des  lieux  qu'il  occupait. 
La  pierre  tumulaire  même  n'a  pas  été  respectée,  elle  orne  aujourd'hui  le  musée  de  Marseille. 

Cette  notice,  due  a  M.  l'abbé  J.-B.  Magnan,  est  extraite  du  Conseiller  catholique,  de  Marseille. 


SAINT  GOMER  OD  GUMAR  D'EMBLEHEM, 

CONFESSEUR,  AU  DIOCÈSE  DE  MALÎNES 
Î74.  —  Pape  :  Adrien  Ier.  —  Roi  de  France  :  Charlemagne. 


L'humilité    d'une   âme   est  d'autant  plus   précieuse 
qu'elle  sort  de   la   source  de   l'amour  ou    de  la 
racine  de  la  ferveur. 

Richard  de  Saint-Victor. 

Gomer,  appelé  aussi  Gommaire,  naquit  à  Emblehem,  près  de  Lierre,  au 
diocèse  actuel  de  Malines,  vers  le  commencement  du  viue  siècle.  Ses  pa- 


282  11    OCTOBRE. 

rents,  qui  étaient  également  nobles,  riches  et  pieux,  relevèrent  dans  la 
pratique  des  maximes  de  l'Evangile.  L'enfance  et  la  jeunesse  de  notre  Saint 
se  passèrent  dans  l'innocence;  il  était  pieux,  doux,  affable  et  plein  de  com- 
passion pour  les  malheureux.  Pépin,  étant  devenu,  de  maire  du  palais,  roi 
des  Francs,  le  fit  venir  à  la  cour.  Gomer  sut  y  conserver  son  innocence; 
fidèle  à  tous  ses  devoirs,  il  n'avait  aucun  des  vices  qui  sont  si  communs 
parmi  les  courtisans.  Le  jeûne  et  la  prière  le  fortifiaient  contre  la  corrup- 
tion générale;  il  était  généreux,  et  en  quelque  sorte  prodigue,  quand  il 
s'agissait  d'assister  ceux  qui  étaient  dans  le  besoin.  Loin  de  faire  le  moindre 
tort  à  son  prochain,  il  cherchait  à  faire  du  bien  à  tout  le  monde.  Pépin, 
qui,  malgré  ses  défauts,  savait  rendre  justice  au  mérite,  lui  confia  les  places 
les  plus  importantes  ;  il  lui  proposa  même  un  parti  considérable  pour  la 
naissance  et  la  fortune,  dans  la  personne  de  Gwinmarie  :  le  mariage  fut 
bientôt  conclu  et  célébré. 

Peu  de  temps  après  leur  mariage,  Gomer  fut  obligé  de  suivre  le  prince 
à  la  guerre,  et  de  laisser  ainsi  sa  maison  sous  la  conduite  de  sa  femme. 
Mais  il  s'en  fallait  de  beaucoup  que  Gwinmarie  ressemblât  à  Gomer;  c'était 
une  femme  vaine ,  capricieuse  ,  d'un  caractère  intraitable.  Sa  conduite 
devint  pour  son  mari  une  source  continuelle  d'épreuves  bien  sensibles  et 
bien  mortifiantes.  Gomer  souffrait  sans  se  plaindre,  n'attendant  que  de 
Dieu  sa  consolation.  Il  employa  tous  les  moyens  possibles  pour  gagner  celle 
qui,  malgré  tous  ses  travers,  lui  était  unie  par  les  liens  les  plus  sacrés;  mais 
tous  ses  efforts  furent  inutiles.  Ayant  été  obligé  de  suivre  le  roi  Pépin  dans 
les  différentes  guerres  qu'il  fit  en  Lombardie,  en  Saxe  et  en  Aquitaine,  il 
fut  nécessairement  éloigné  d'elle  pendant  l'espace  de  huit  ans.  A  son 
retour,  ses  peines  devinrent  encore  plus  grandes.  11  trouva  les  affaires  de  sa 
maison  dans  l'état  le  plus  déplorable.  Ses  domestiques,  ses  fermiers  et  ses 
vassaux  se  plaignirent  des  indignes  traitements  qu'ils  avaient  eu  à  souffrir. 
Il  leur  accorda  à  tous  la  satisfaction  qu'ils  demandaient. 

Etant  parti  pour  visiter  Rome,  notre  Saint,  un  soir,  crut  pouvoir  faire 
couper  un  arbre,  sur  le  bord  d'une  forêt,  pour  reposer  sa  tête.  Le  proprié- 
taire l'injuria,  le  menaça  à  cause  du  dommage  qu'il  lui  avait  causé.  Gomer 
s'excusa  humblement  et  promit  de  le  réparer.  En  effet,  il  passa  la  nuit  en 
prières,  et  le  lendemain  matin  il  unit  les  deux  parties  de  l'arbre,  qui  devint 
tout  à  coup  aussi  vigoureux  qu'il  était.  Le  propriétaire  étant  revenu,  et 
voyant  son  arbre  sur  pied  et  plein  de  verdure  comme  auparavant,  admira 
la  vertu  de  Gomer,  et,  ne  se  croyant  pas  digne  de  posséder  une  terre  où 
un  si  saint  homme  avait  campé,  il  la  lui  donna  avec  l'arbre  qui  était 
dedans.  Un  ange  apparut  aussi  à  notre  saint  Confesseur,  et  lui  déclara  que 
ce  n'était  pas  la  volonté  de  Dieu  qu'il  allât  à  Rome  ;  mais  ce  qu'il  exigeait 
de  lui,  c'était  que,  dans  sa  terre  de  Nivesdonck,  il  bâtît  un  ermitage  pour 
lui  servir  de  retraite  pendant  sa  vie  et  de  sépulture  après  sa  mort.  Le  Saint 
obéit  aux  ordres  du  ciel,  bâtit  une  église  en  l'honneur  de  saint  Pierre, 
avec  un  ermitage,  et  choisit  ce  lieu  pour  sa  demeure. 

Il  ne  quitta  pas  pour  cela  le  soin  de  sa  famille  :  il  allait  de  temps  en 
temps  à  sa  terre  d'Emblehem,  où  il  rendait  aux  pauvres  et  aux  malheureux 
tous  les  devoirs  de  la  charité  chrétienne.  Il  revêtait  les  uns,  et  donnait  à 
boire  et  à  manger  à  ceux  qui  avaient  faim  et  soif.  Il  avait  un  soin  extraor- 
dinaire des  malades,  et  ne  souffrait  pas  qu'ils  manquassent  de  rien.  Il  rece- 
vait les  pèlerins  et  les  traitait  avec  toute  sorte  de  bienveillance  ;  il  assistait 
les  veuves  et  se  faisait  leur  protecteur.  Enfin  il  était  le  père  commun  de 
toutes  les  personnes  qui  étaient  dans  la  nécessité. 


SAINT  GOMER  OU  GUMAR  D'EMBLEHEM,   CONFESSEUR.  285 

Cependant,  loin  d'imiter  de  si  beaux  exemples,  Gwinmarie  continuait 
ses  mauvais  traitements  envers  ses  serviteurs.  Un  jour  que  ses  moisson- 
neurs étaient  tourmentés  de  la  soif,  elle  ne  voulut  pas  souffrir  qu'ils 
prissent  un  moment  de  relâche  pour  aller  se  rafraîchir.  Mais  le  saint 
homme,  qui  vint  à  passer  par  là,  frappa  la  terre  de  son  bâton,  et  fit  jaillir, 
pour  les  désaltérer,  une  source  que  l'on  voit  encore  aujourd'hui  au  village 
d'Emblehem.  Sa  femme  fut  saisie  d'une  fièvre  si  violente  qu'elle  était  sur 
le  point  de  mourir.  Elle  en  fit  avertir  le  Saint,  qui  lui  rendit  au  plus  tôt 
la  santé  par  le  signe  de  la  croix  et  lui  fit  prendre  un  verre  d'eau  qu'il  lui 
présenta  de  sa  propre  main.  Par  ses  bontés  et  plus  encore  par  ses  prières, 
il  la  convertit  entièrement  :  Gwinmarie  passa  dans  les  exercices  de  la  péni- 
tence le  reste  de  sa  vie  et  mourut  de  la  mort  des  justes. 

Saint  Rumold,  qui  avait  quitté  l'évêché  de  Dublin,  en  Irlande,  pour 
venir  dans  les  Pays-Bas,  éclairait  toutes  ces  provinces  par  sa  doctrine 
et  par  ses  exemples.  Il  lia  une  si  étroite  amitié  avec  notre  Saint,  que, 
pour  avoir  plus  de  liberté  de  s'entretenir  avec  lui  des  choses  divines, 
il  marqua  un  lieu,  appelé  Stadek,  entre  la  demeure  de  l'un  et  de  l'autre  oè 
tous  deux  devaient  se  trouver  à  jour  nommé  pour  cette  pieuse  conférence. 
La  première  fois  qu'ils  s'y  assemblèrent,  les  bâtons  secs  qu'ils  avaient  appor- 
tés à  la  main  prirent  racine  et  portèrent  des  fleurs  et  des  feuilles.  Tout  le 
voisinage  fut  extrêmement  édifié  de  leur  union.  Il  se  faisait  un  grand  con- 
cours de  peuple  toutes  les  fois  qu'ils  s'assemblaient.  Enfin,  on  bâtit  en  cet 
endroit  un  oratoire,  où,  au  jour  de  la  conférence,  on  célébrait  les  saints 
Mystères.  Saint  Gomer  mourut  dans  la  paix  et  dans  le  baiser  du  Seigneur, 
le  14  octobre,  vers  l'an  774. 

Il  est  représenté  conférant  avec  saint  Rumold  sur  des  questions  reli- 
gieuses. Il  tient  un  bâton  qui  pousse  des  feuilles  comme  celui  de  son  com- 
pagnon. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Son  corps  fat  d'abord  inhumé  dans  l'église  d'Emblehem,  où  il  était  décédé  ;  mais,  Dieu  ayant 
révélé  à  une  sainte  religieuse,  nommée  Vrachilde,  qu'il  devait  être  enterré  dans  l'église  de  Saint- 
Pierre,  auprès  de  son  ermitage,  on  le  mit  dans  un  bateau  pour  l'y  transporter.  Et  alors  le  bateau 
monta  de  lui-même,  sans  voile,  sans  rames  et  sans  batelier,  contre  le  cours  de  l'eau,  jusqu'à  ce 
qu'il  fût  arrivé  au  lieu  que  la  divine  Providence  lui  avait  marqué.  Ce  lieu,  appelé  Nivesdonck,  fut 
peu  après  nommé  Ledo  ou  Ledi.  C'est  le  nom  qu'on  lui  donne  dans  le  partage  du  royaume  qui  se 
fit  en  870  sous  Lothaire,  roi  d'Austrasie.  Enfin,  l'affluence  des  fidèles,  que  la  piété  y  attira  pour 
honorer  la  mémoire  de  saint  Gomer,  donna  naissance  à  la  ville  de  Lierre. 

Les  reliques  du  Saint  furent  conservées  pendant  plusieurs  siècles  dans  la  chapelle  qu'il  avait 
fcatie.  Elles  furent  transférées  ensuite  dans  la  belle  église  collégiale  de  Saint-Jean,  qui  prit  le  nom 
de  Saint-Gomer,  et  qui  est  aujourd'hui  comme  autrefois  l'église  paroissiale.  Ces  reliques,  dont 
l'authenticité  fut  constatée  en  1804,  par  l'archevêque  de  Malines,  Jean-Armand  de  Roquelaure, 
sont  conservées  dans  une  magnifique  chasse  d'argent,  faite  en  1682,  chef-d'œuvre  de  ciselure  et 
d'ornementation,  que  l'esprit  religieux  des  Lierrois  à  su  dérober  à  la  cupidité  des  révolutionnaires 
du  dernier  siècle. 

Acte  SanctoruMi  Surius  ;  Godoscul 


284  il   OCTOBRE. 


SAINTE  BERTILLE,  VEUVE, 

RECLUSE  A  MÀRCEUIL,  AU  DIOCÈSE  D'ARRAS  (vers  687). 

Bertille,  proche  parente  de  saint  Adalbaud,  sortait  d'une  famille  illustre  parmi  les  Francs  par 
sa  noblesse  et  ses  grands  biens,  mais  beaucoup  plus  illustre  encore  par  sa  piété  chrétienne.  Elevée 
par  ses  parents  avec  le  plus  grand  soin,  elle  montra  elle-même  une  rare  piété  dès  ses  plus  jeunes 
années.  Devenue  grande,  elle  faisait  ses  délices  de  s'entretenir  des  choses  saintes,  de  vaquer  à 
l'oraison,  d'entendre  et  de  méditer  la  parole  de  Dieu,  et  de  subvenir  aux  besoins  des  pauvres  par 
tous  les  moyens  qui  étaient  en  son  pouvoir.  Dans  son  mépris  pour  les  pompes  mondaines,  elle 
n'usait  des  splendides  vêtements  que  comportait  sa  condition,  que  lorsqu'elle  s'y  voyait  poussée 
par  une  absolue  nécessité.  Elle  fut  longtemps  et  ardemment  recherchée  en  mariage  par  un  jeune 
homme  nommé  Guthland,  que  sa  noblesse  et  la  pureté  de  ses  mœu?s  rendaient  également  remar- 
quable ;  Bertille  résista  longtemps  à  ses  vœux,  et  ce  ne  fut  qu'à  force  d'instances  et  de  prières 
que  ses  parents  la  firent  se  résoudre  à  lui  donner  sa  main  ;  car  c'était  le  Christ  seul  qu'elle  sou- 
haitait pour  son  Epoux  ;  la  vie  solitaire  et  cachée  en  Dieu,  c'était  tout  le  bonheur  auquel  elle  aspi- 
rait en  ce  monde. 

Dans  l'état  conjugal,  elle  ne  changea  rien  à  son  ancienne  manière  de  vivre,  en  sorte  que  son 
mari,  entraîné  par  ce  salutaire  exemple,  et  rempli  d'admiration  pour  sa  sainteté,  se  porta  de  lui- 
même  à  l'imitation  des  pieux  exercices  qu'il  lui  voyait  pratiquer,  et  consentit  à  vivre  avec  elle 
dans  la  plus  parfaite  continence.  Dieu  ayant  tiré  Guthland  de  ce  monde,  Bertille  se  livra  avec  une 
nouvelle  ardeur  à  la  pratique  des  bonnes  œuvres.  Tous  les  biens  dont  elle  avait  hérité  tant  de  son 
mari  que  de  ses  parents,  elle  les  distribua  à  divers  monastères  et  collèges  de  Chanoines,  à  la 
réserve  d'une  petite  propriété  nommée  Marœuil  (Pas-de-Calais,  arrondissement  et  canton  d'Arras), 
qu'elle  donna  même  plus  tard  à  Notre-Dame  et  à  l'évèque  d'Arras,  n'en  conservant  que  l'usufruit. 
Elle  bâtit  en  ce  même  endroit,  à  ses  frais,  une  basilique  en  l'honneur  de  saint  Arnaud,  près  de 
laquelle  elle  se  fit  faire  une  petite  habitation  qui  avait  une  entrée  dans  l'église,  pour  vaquer  plus 
librement  au  culte  de  l'Epoux  céleste.  Elle  y  passa  plusieurs  années  dans  la  solitude,  la  pénitence, 
et  surtout  dans  l'exercice  continuel  de  l'oraison,  jusqu'à  ce  qu'une  nuit,  rentrée  dans  sa  demeure 
après  des  prières  plus  longues,  et  fatiguée  de  veiller,  elle  y  fut  saisie  d'une  maladie  qui  la  con- 
duisit au  tombeau. 

Son  corps  vénérable,  enterré  dans  l'église  de  Marœuil,  y  reposa  pendant  environ  quatre  cents 
ans.  En  1081,  Gérard  II,  évêque  d'Arras  et  de  Cambrai,  cédant  aux  pieux  désirs  du  peuple  et  du 
clergé,  délégua  des  abbés  pour  le  lever  de  terre.  Dans  la  suite  il  fut  plusieurs  fois  transféré  par 
autorisation  épiscopale,  et  en  ces  derniers  temps,  la  paix  ayant  été  rendue  aux  églises  de  France, 
il  a  été  heureusement  reporté  à  Marœuil,  où  il  est  encore  aujourd'hui  l'objet  de  la  vénération 
publique. 

Propre  d'Arras. 


SAINT  WASNULPHE  OU  WASNON  D'ECOSSE, 

PATRON    DE    CONDÉ,    AU    DIOCÈSE    DE    CAMBRAI  (vers   700). 

Les  religieux  habitants  de  Condé  (Nord)  honorent  d'un  culte  particulier,  depuis  près  de  douze 
siècles,  l'apôtre  saint  Wasnon,  qui  vint  prêcher  la  foi  à  leurs  pères.  Il  est  à  regretter  que  les  Actes 
de  sa  vie,  s'ils  ont  existé,  aient  été  perdus  :  ils  pourraient  nous  révéler  bien  des  traits  admirables 
de  charité  et  de  dévouement.  Rappelons  du  moins  ce  qu'en  ont  dit  les  plus  anciens  auteurs. 

Saint  Wasnon  était  né  dans  les  montagnes  de  l'Ecosse,  et,  comme  les  autres  missionnaires  qui 
sortirent  de  ces  contrées,  il  avait  passé  les  premières  années  de  sa  vie  dans  quelque  monastère 
pour  s'y  former  à  la  science  et  à  la  sainteté.  Appelé  dans  les  Gaules  par  cette  voix  de  la  Provi- 
dence, qui  se  faisait  entendre  alors  si  souvent  aux  fervents  religieux  dont  était  remplie  l'Ile  des 


SAINT  WASKULPHE   OU  WASNON  D'ECOSSE.  285 

Saints,  il  aborda  dans  les  provinces  du  Nord  qu'il  allait  commencer  à  édifier  par  l'exemple  de  toutes 
les  vertus.  D'après  le  récit  de  certains  auteurs,  saint  Wasnon  aurait  accompagné  Mauger,  plus 
connu  sous  le  nom  de  saint  Vincent,  à  son  retour  de  l'Irlande,  où,  dit-on,  il  avait  été  envoyé  par 
Dagobert,  et  il  l'aurait  suivi,  ainsi  que  les  saints  Fursy,  Ultan,  Foillan,  Adalgise,  Etton  et  d'autres 
encore,  dans  ces  contrées.  Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  circonstances  qui  précèdent  son  arrivée  au 
milieu  de  nous,  c'est  bien  vers  le  milieu  du  vu*  siècle  qu'on  le  rencontre  au  monastère  de  La  Celle 
(Belgique),  qu'avait  construit  le  vénérable  saint  Ghislain,  venu  aussi  d'Athènes  dans  le  Ilainaut  à  la 
voix  de  Dieu.  Auparavant  saint  Wasnon  parait  avoir  vécu  quelque  temps  dans  la  forêt  de  la  Thié- 
rache,  en  Picardie,  mais  il  serait  difficile  de  dire  s'il  a  évangélisé  les  peuples  de  ce  pays.  On  ignore 
pareillement  les  raisons  qui  déterminèrent  son  apparition  dans  l'abbaye  de  la  Celle,  qui  lui  servit 
comme  de  retraite  à  l'époque  où  il  commença  ses  premières  prédications  dans  le  pays  de  Condé. 
A  s'en  tenir  aux  termes  vagues  et  peu  tranchés  des  plus  anciens  hagiographes,  il  est  visible 
que  saint  Wasnon  a  été  l'apôtre  de  cette  partie  du  Hainaut  qu'il  dut  souvent  parcourir,  et  que 
plus  tard  saint  Amand,  qui  était  comme  le  père  et  le  maître  de  ces  courageux  missionnaires,  lui 
confia,  d'une  manière  spéciale,  la  direction  du  monastère  de  Sainte-Marie  de  Condé,  fondé  par  ses 
soins. 

Saint  Wasnon  est  cité  parmi  les  évêques,  les  missionnaires  et  les  abbés  qui  se  réunissaient  a 
diverses  époques  dans  le  monastère  d'Hautmont  (Nord),  auprès  du  bienheureux  Vincent,  pour 
s'entretenir  pieusement  des  vérités  de  la  religion  et  des  moyens  de  gagner  les  âmes  à  Jésus-Christ. 
Il  travailla  avec  ardeur  à  cette  œuvre  sainte  jusqu'aux  derniers  jours  de  sa  vie,  prêchant  l'Evan- 
gile avec  zèle,  s'efforçant  de  déraciner  les  anciennes  coutumes  et  pratiques  du  paganisme,  et 
dirigeant  dans  les  voies  de  la  perfection  les  saintes  filles  qui  s'étaient  consacrées  à  Dieu  dans 
l'abbaye  de  Sainte-Marie,  à  Condé.  C'est  là  qu'il  remit  paisiblement  son  âme  à  Dieu,  vers  l'an- 
née 700. 

La  fête  de  saint  Wasnon  remonte  à  la  plus  haute  antiquité,  et  on  la  voit  célébrée  non-seule- 
ment dans  l'église  de  Cambrai,  mais  encore  dans  celles  d'Arras,  de  Liège,  d'Utrecht  et  de  Leuze. 
Nous  ne  parlons  point  de  celle  de  Condé,  qui  l'a  toujours  honoré  comme  son  patron  spécial  et 
le  défenseur  de  la  cité.  Ses  reliques,  renfermées  dans  une  châsse  en  argent,  y  reposaient  dans  le 
sanctuaire  :  elles  doivent  avoir  été  levées  de  terre  au  moins  avant  le  ix«  siècle,  puisqu'on  les  voit 
transportées  à  Saint-Omer,  avec  celles  de  beaucoup  d'autres  Saints,  pour  les  soustraire  à  la  fureur 
des  Normands  (881).  Elles  y  restèrent  quarante  ans,  et  furent  alors  rapportées  dans  l'église  et  le 
monastère  qu'on  avait  relevés  de  leurs  ruines. 

Selon  la  coutume  du  moyen  âge,  le  corps  de  saint  Wasnon  fut  présent  à  plusieurs  consécra- 
tions d'église  ;  entre  autres  à  celle  de  l'abbaye  de  Saint-André,  du  Câteau,  faite  en  1021,  par 
Gérard  Ier,  de  Florines,  évêque  de  Cambrai,  et  en  1070,  à  celle  d'une  église  du  pays  d'Ostrevent, 
faite  par  les  évêques  saint  Liébert  de  Cambrai  et  Radbode  de  Tournai.  D'Outreman  rapporte  aussi, 
dans  son  Histoire  de  Valenciennes,  que  ces  reliques  assistaient  avec  beaucoup  d'autres  à  la 
procession  établie  en  l'honneur  de  Notre-Dame  du  saint  Cordon.  Hugues  Doignies,  suffragant  de 
Jean  de  Bourgogne,  évêque  de  Cambrai,  les  visita  le  23  juillet  1431  :  Louis  de  Barlayrnont,  arche- 
vêque de  ce  même  diocèse,  le  fit  pareillement  le  27  mars  1586,  huit  ans  après  qu'elles  eurent  été 
profanées  par  les  Calvinistes.  Les  actes  qui  rappellent  ces  deux  cérémonies  donnent  à  saint  Wasnon 
le  titre  d'évèque.  Si  quelques  expressions  des  anciens  hagiographes  expriment  un  doute  à  cet 
égard,  on  peut  dire,  ce  semble,  que  la  tradition  de  toutes  les  églises  qui  ont  fait  sa  fête  ou  qui  la 
font  encore,  dirime  la  controverse  et  permet  de  considérer  ce  Saint  comme  un  des  évêques  mis- 
sionnaires, si  nombreux  à  cette  époque  dans  les  provinces  du  nord  de  la  France. 

Saint  Wasnon  est  généralement  invoqué  pour  la  guérison  des  maladies  ;  mais  on  a  plus  spécia- 
lement recours  à  lui  contre  la  foudre,  l'orage  et  les  incendies.  Cette  dévotion,  déjà  ancienne  au 
xve  siècle,  s'est  surtout  répandue  parmi  le  peuple  depuis  le  15  octobre  1430,  jour  où  l'église 
collégiale  de  Condé  ayant  été  consumée  par  un  incendie,  on  trouva,  près  du  maître  autel  renversé, 
les  reliques  du  Saint  intactes  et  bien  conservées. 

Aujourd'hui  encore,  dans  les  moments  de  danger,  le  peuple  de  Condé  et  des  pays  voisins  a 
recours  avec  confiance  à  saint  Wasnon.  On  trouve  dans  cette  ville  une  compagnie  d'arbalétriers 
qui  l'a  choisi  pour  son  patron.  Sa  fête,  autrefois  fixée  au  1er  octobre,  se  célèbre  maintenant,  dans 
le  diocèse  de  Cambrai,  le  11  du  même  mois. 

Acta  Sanctorum  Beîgii,  traduction  de  II.  l'abbé  Destombe*. 


286  11    OCTOBRE. 


SAINT  BRUNO  LE  GRAND, 

ARCHEVÊQUE  DE  COLOGNE  ET  CONFESSEUR  (965). 

Saint  Bruno  le  Grand  eut  pour  père  Henri  l'Oiseleur  et  pour  mère  sainte  Mathilde.  11  naquit 
en  925,  fut  confié  dès  l'âge  de  quatre  ans  à  Baudri,  évèque  d'Utrecht,  et  fit  de  rapides  progrèf 
dans  les  sciences  et  la  piété.  Son  intelligence  était  à  la  hauteur  de  toutes  les  connaissances  et  il 
fut  en  peu  de  temps  très-versé  dans  la  littérature  grecque  et  latine.  Il  acheva  ses  études  sous  Rather, 
l'un  des  hommes  les  plus  célèbres  de  son  temps.  En  927,  il  se  rendit  à  la  cour,  mandé  par  son 
frère  Othon  qui  venait  de  monter  sur  le  trône,  et  il  y  fit  preuve  de  sagesse,  de  piété  et  d'un  grand 
esprit  de  justice.  Les  heures  qu'il  pouvait  dérober  a  la  prière  il  les  consacrait  à  l'étude  des  clas- 
siques. Il  obtint  les  succès  les  plus  brillants,  mais  n'en  fut  pas  ébloui.  Loin  de  se  laisser  prendre 
à  la  flatterie,  écueil  auquel  bien  peu  échappent,  il  trouva  dans  les  louanges  dont  on  le  comblait 
un  motif  de  s'humilier  et  de  se  défier  de  ses  propres  forces. 

En  950,  saint  Bruno  embrassait  l'état  ecclésiastique  et,  en  953,  il  était  nommé  archevêque  de 
Cologne.  Il  fut  enveloppé  dans  les  troubles  qui  eurent  lieu  en  Allemagne  à  cette  époque.  Il  devint 
duc  de  Lorraine  à  la  place  de  son  frère,  obligé  de  reculer  devant  les  ennemis  qui  lui  faisaient  la 
guerre.  Quand  il  eut  fait  renouveler  aux  Lorrains  leur  serment  de  fidélité,  il  écrivit  au  pape 
Agapit  II  pour  l'assurer  de  sa  fidélité,  et  le  Pape,  en  retour,  lui  envoya  le  pallium  et  loi  accorda 
plusieurs  privilèges.  Saint  Bruno  déploya  une  granae  sollicitude  pour  le  gouvernement  de  son  dio- 
cèse, mais  il  porta  surtout  son  attention  sur  les  communautés  religieuses  qu'il  fit  fleurir  et  prospérer 
et  dans  lesquelles  il  ramena  la  ferveur.  Il  avait  une  activité  infatigable  et  suffisait  à  tout.  Il  se 
donnait  si  entièrement  à  chaque  détail  de  son  administration  qu'on  eût  dit  qu'il  n'avait  à  s'occuper 
que  de  cette  affaire.  Les  soins  du  gouvernement  ne  lui  firent  jamais  négliger  ni  oublier  son  trou- 
peau. Sa  sage  conduite  le  faisait  aimer  des  bons  et  craindre  des  méchants.  Un  des  objets  de  sa 
sollicitude  était  surtout  de  donner  de  saints  pasteurs  aux  églises  qui  se  trouvaient  sous  sa  juri- 
diction. 

A  sa  grande  joie  il  parvint  à  amener  une  réconciliation  sincère  entre  Ludolphe,  son  nevea, 
cause  de  tous  les  troubles,  et  l'empereur  Othon,  son  frère,  qui,  en  965,  revint  en  Allemagne  après 
s'être  acquis  la  réputation  d'un  guerrier  habile  et  avoir  remporté  sur  ses  ennemis  de  brillantes 
victoires.  Il  passa  le  Carême  à  Mayence  avec  Bruno  dans  les  exercices  de  la  piété  ;  puis  ils  se  ren- 
dirent à  Cologne  où  ils  entrèrent  en  triomphe,  et  après  avoir  célébré  ensemble  les  fêtes  de  la 
Pentecôte  ils  se  séparèrent  en  pleurant.  Othon  partait  pour  le  nord  de  l'Allemagne  où  l'appelaient 
les  affaires  de  l'Etat,  et  saint  Bruno  allait  à  Coropiègne  afin  d'aplanir  à  l'avantage  de  l'Eglise  et  de 
l'Etat  des  difficultés  encore  pendantes.  Atteint  en  chemin  d'une  fièvre  violente,  il  se  fit  transporter 
à  Reims  où  il  expira  en  965.  Son  corps  fut  reporté  à  Cologne  où  il  fut  inhumé  dans  l'église  de 
Saint-Pantaléon.  Le  Saint  avait  fait  un  testament  par  lequel  toute  sa  fortune  étai-  consacrée  à  des 
œuvres  pies.  On  peut  voir  ce  testament  dans  les  Bollandistes. 

Aeta  Sanctormfh 


MARTYROLOGES.  287 


XIT  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Rome,  les  saints  martyrs  Evagre,  Priscien  et  leurs  compagnons.  —  A  Ravenne,  sur  la  voie 
Laurentine,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Ediste  ou  Hédiste,  martyr.  303.  —  En  Lycie,  sainte 
Domnine,  martyre  sous  l'empereur  Dioclétien  *.  Vers  303.  —  En  Afrique»  les  saints  confesseurs  et 
martyrs,  au  nombre  de  quatre  mille  neuf  cent  soixante-dix,  persécutés  par  les  Vandales,  sous 
Hunéric,  roi  arien.  Parmi  eux  étaient  des  évêques,  des  prêtres,  des  diacres  auxquels  s'étaient 
réunis  un  grand  nombre  de  chrétiens  de  toutes  les  conditions.  Il  furent  tous  déportés  dans  un 
affreux  désert  pour  la  défense  des  vérités  catholiques.  Les  Maures  qui  les  conduisaient  les  trai- 
taient d'une  manière  cruelle  ;  ils  piquaient  les  uns  avec  leurs  javelines,  pour  les  forcer  à  courir  ; 
ils  meurtrissaient  les  autres  à  coups  de  pierres.  Ils  en  lièrent  plusieurs  par  les  pieds,  et,  les 
traînant  comme  des  corps  morts  dans  des  chemins  raboteux,  ils  leur  déchiraient  tous  les  membres. 
Enfin,  ils  les  tourmentèrent  de  tant  de  manières  qu'ils  leur  firent  remporter  à  tous  la  couronne  du 
martyre.  Parmi  eux  se  trouvaient  les  évêques  Félix  et  Cyprien.  Vers  485.  —  A  Cilly,  en  Panno- 
nie,  saint  Maximilien,  évêque  de  Lorch"*.  Vers  284.  —  A  York,  en  Angleterre,  saint  Wilprid, 
évoque  et  confesseur.  709.  —  A  Milan,  saint  Monas,  évêque.  Pendant  qu'on  s'occupait  de  l'élection 
d'un  évêque,  il  fut  environné  d'une  lumière  céleste,  signe  miraculeux  qui  le  désigna  aux  suffrages 
et  le  fit  monter  sur  le  siège  épiscopal  de  cette  ville.  249.  —  A  Vérone,  saint  Salvin,  évêque  3. 
Vers  562.  —  En  Syrie,  saint  Eustache,  prêtre  et  confesseur.  —  A  Ascoli,  dans  la  Marche  d'An- 
cône,  saint  Séraphin  de  Monte-Granaro,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Capucins,  illustre  par  la 
sainteté  de  sa  vie  et  par  son  humilité.  Le  souverain  pontife  Clément  XIII  le  mit  au  rang  des 
Saints.  1604. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  d'Arras,  saint  Venant,  solitaire  et  martyr,  cité  déjà  au  martyrologe  de  France  du 
10  octobre,  et  dont  nous  avons  donné  la  vie  avec  celle  de  sainte  Isbergue  ou  Giselle,  au  21  mai. 
vin»  s.  —  A  Saint-Céré  (Lot,  arrondissement  de  Figeac),  et  dans  tout  le  diocèse  de  Cahors,  sainte 
Spérie  (Espérie,  Spère,  Exupérie),  vierge  et  martyre,  patronne  de  Saint-Céré.  760.  —  Au  dio- 
cèse de  Chartres,  sainte  Brigitte  de  Suède,  veuve,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  8  octobre. 
1373.  —  Au  diocèse  de  Clermont,  saint  Géraud  ou  Gérault,  comte  d'Aurillac  et  confesseur,  dont 
nous  donnerons  la  vie  au  13  octobre.  909.  —  Au  diocèse  de  Limoges,  saint  François  de  Borgia, 
confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  10  octobre.  1572.  —Au  diocèse  de  Lyon,  saint  Wil- 
frid,  évêque  d'York  et  confesseur,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  709.  —  Au  diocèse  de 

1.  Les  Bollandistes  attaquent  la  version  du  martyrologe  romain.  •  Il  ne  faut  pas  lire  »,  disent-ils,  «  en 
Lycie,  mais  à  Anazarbe  (aujourd'hui  Anzarba),  en  Cilicie,  sous  le  préfet  Lysias  ;  les  Menées  grecques  favo- 
risent cette  version  ».  —  Il  ne  faut  pas  confondre  cette  sainte  Domnine,  martyre  à  Anazarbe,  avec  son 
homonyme,  martyre  en  Syrie,  et  dont  nous  avons  esquissé  la  notice  au  4  octobre,  avec  celle-  de  ses  deux 
filles,  les  saintes  Bérénice  et  Prosdoce. 

3.  Maximilien,  premier  évêque  connu  de  Lorch  on  Laurach  (LauriacvmJ,  en  Autriche,  naquit  a  Cilley 
<m  Cilly  (Claudia  CeleiaJ,  dans  la  Styrie,  et  fut  confié,  à  l'âge  de  sept  ans,  a  un  pieux  ecclésiastique 
nommé  Oranius  qui  se  chargea  de  son  éducation. Le  jeune  élève  fit  des  progrès  merveilleux  dans  la  piété; 
«es  vertus  rélevèrent  sur  le  siège  de  Lorch  qu'il  illustra  jusqu'à  l'époque  de  la  persécution  de  Numérien 
(284).  Evalisius,  son  préfet  dans  la  Norique,  publia  à  Cilley  un  édit  sévère  par  lequel  il  ordonnait  de 
sacrifier  aux  idoles.  Maximilien  résista  avec  constance,  et  son  courage  fut  couronné  du  martyre.  On  montre 
encore,  à  l'extérieur  des  murs  de  la  ville,  la  place  oh  il  fut  décapité.  Les  chrétiens  portèrent  pendant  la 
nuit  son  corps  dans  un  tombeau  commun,  d'où  saint  Rupert  le  fit  transférer  à  Lorch.  Sous  Henri  II  (1002- 
1024),  ses  reliques  furent  transportées  à  Passau  (Bavière,  Cercle  du  Bas-Danube),  oh  elles  sont  encore 
honorées  aujourd'hui.  —  Cf.  Continuateurs  de  Godescard  et  Acta  Sanctorum. 

8.  Ses  reliques  reposent  dans  l'église  Saint-Etienne  de  Vérone.  —  Acta  Sanctorum. 


288  42  OCTOBRE. 

Strasbourg,  sainte  Walburge,  vierge  et  abbesse,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  ie»  mai.  778.  — 
Au  diocèse  de  Tarbes,  saint  Gaudens,  martyr  au  diocèse  de  Toulouse,  dont  nous  avons  esquissé  la 
notice  au  30  août.  475.  —  Au  diocèse  de  Tours,  saint  Clair,  évèque  de  Nantes  et  confesseur.  Nous 
en  avons  parlé  au  10  octobre  (note  1  au  martyrologe  de  France),  m»  s.  —  Au  diocèse  de  Reims, 
saint  Donatien  ou  Donat,  huitième  archevêque  de  ce  siège  et  confesseur,  cité  au  martyrologe  ro- 
main du  14  octobre,  jour  où  nous  donnerons  quelques  détails  sur  sa  vie.  389.  —  Au  diocèse  de 
Langres,  fête  de  l'Octave  de  la  susception  des  Reliques  de  saint  Mammès,  martyr  à  Césarée  de 
Cappadoce,  patron  de  la  ville  et  du  diocèse  de  Langres,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  17  août. 
Vers  275.  —  A  Cologne,  saint  Pantale,  premier  éveque  de  Bâle  et  martyr  «.  Vers  553.  —  A  Vence 
(Alpes-Maritimes)^  au  diocèse  de  Grasse,  le  sacre  de  saint  Véran,  l'un  des  plus  illustres  évêques 
de  cet  antique  siège.  Il  est  nommé  au  martyrologe  de  France  du  10  et  du  9  septembre  ;  nous 
avons  donné  à  ce  dernier  jour  quelques  détails  sur  sa  vie.  Vers  480.  —  A  Bourges,  saint  Pion  ou 
Opion  (Opio),  prêtre  et  confesseur  *.  —  A  Maaseick  ou  Maeseyck,  ville  de  Belgique  (Limbourg),  les 
saintes  Herlinde  et  Relinde  (Renelle,  Reinilde),  vierges,  abbesses  de  Eike  (entre  Maastricht  et  Ru- 
remonde),  citées  déjà  au  martyrologe  de  France  du  6  février  et  du  22  mars.  Nous  avons  donné  à 
ce  dernier  jour  (note  3  au  martyrologe,  page  592),  quelques  détails  sur  leur  vie.  Vers  745.  —  En 
Lorraine,  sainte  Libaire  (Libière,  Livière),  vierge  et  martyre  à  Grand,  au  diocèse  de  Saint-Dié, 
déjà  citée  au  martyrologe  de  France  du  7  et  du  8  octobre.  Nous  avons  donné  à  ce  premier  jour 
quelques  détails  sur  sa  vie.  361  ou  362.  —  Au  diocèse  de  Tarbes,  saint  Gérin  d'Aureillan  (Gin- 
nus),  martyr 3.  Entre  466  et  484.  —  A  Amiens,  fête  de  la  translation  (1853)  des  reliques  de  sainte 
Theudosie,  martyre  *.  m»  s. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Chanoines  Réguliers.  —  A  Piombino,  en  Toscane,  saint  Cerboa 
oo  Cerboney,  évêque  de  Piombino  et  confesseur,  d'abord  chanoine  régulier,  qui,  au  rapport  de 

1.  Pantale  ou  Pantule  dut  a  sa  science  et  a  ses  vertus  d'être  élevé  à  l'épiscopat.  Ses  travaux  aposto- 
liques convertirent  la  plupart  des  idolâtres  qui  avoisinaient  les  bords  du  Rhin  :  il  Joignait  au  zèle  d'un  mis- 
sionnaire le  courage  d'un  Martyr.  Les  Huns  ayant  fait  une  invasion  dans  le  pays,  il  mit  ordre  aux  affaires 
de  son  Eglise  et  chercha  à  se  préserver  de  la  fureur  de  ces  barbares,  qui  l'arrêtèrent  et  le  mirent  a  mort 
avec  sainte  Ursule  et  ses  compagnes,  vers  l'an  553.  Son  corps  fut  inhumé  a  Cologne  dans  l'église  des 
Machabées,  oh  l'on  conserva  ses  reliques  pendant  longtemps.  Son  chef  fut  transféré  dans  la  cathédrale  de 
Bâle,  et  il  y  resta  jusqu'à  la  prétendue  Réforme.  Il  était  le  patron  de  sa  ville  épiscopale,  ainsi  que  de  cette 
partie  de  la  Haute-Alsace  qui  dépendait  du  diocèse  de  Bâle.  —  L'abbé  Pétin,  Vie  des  Saints. 

2.  Les  Bollandistes  rangent  parmi  leurs  Prstermissi  cette  mention  du  martyrologiste  français,  sous 
prétexte  qu'ils  n'ont  pas  réussi  à  s'édifier  sur  le  culte  rendu  a  saint  Pion  ou  Opion.  Peut-être  n'avalent- 
ils  pas  sous  la  main  le  Bréviaire  de  Bourges  de  1734,  où  notre  Saint  est  mentionné.  Cette  autorité  n'est 
pas  suspecte,  car  on  sait  que  ce  Bréviaire  a  révisé  ses  lé/çendes  d'une  façon  trop  absolue,  et  fatale  surtout 
aux  traditions  du  Bas-Berry.  —  Cf.  Veillât,  Légendes  du  Berry;  et  la  Nova  Bibliotheca  du  Père  Labbe. 

S.  On  sait  peu  de  chose  de  saint  Gérin  d'Aureillan.  Sous  la  domination  des  Goths  ariens  qui  ravagèrent 
le  midi  des  Gaules,  il  fut  martyrisé  à  la  même  époque  que  saint  Gaudens  et  sainte  Libérate.  On  trouve 
dans  de  vieux  manuscrits  que  «  saint  Gérin  fut  décapité  à  Tarbes  sur  le  pont  de  l'Adour.  Sa  tête  tombée 
dans  ce  fleuve  fut  emportée  par  les  eaux.  Une  femme  du  village  d'Aureillan,  depuis  longtemps  aveugle, 
lavait  des  herbes  dans  les  eaux  du  fleuve.  Elle  rencontra  entre  ses  mains  la  tête  du  saint  Martyr  dont  le 
seul  attouchement  lui  rendit  subitement  la  vue.  Les  habitants  d'Aureillan,  témoins  du  prodige,  se  procu- 
rèrent le  corps  du  saint  compatriote  et  lui  bâtirent  une  chapelle  oh  ce  précieux  trésor  fut  longtemps  con- 
servé avec  vénération.  Saint  Gérin  devint  le  patron  d'Aureillan,  bourg  d'environ  quinze  cents  âmes  aux 
portes  de  Tarbes  ».  —  Notes  locales. 

4.  On  découvrit  à  Rome,  le  1«*  avril  1842,  dans  les  catacombes  de  Sainte-Hermès,  près  de  la  Via  Sala- 
ria, les  restes  d'une  chrétienne,  accompagnés  des  objets  qu'une  opinion  accréditée  considère  comme  les 
signes  indicatifs  du  martyre  (un  vase  de  terre,  oh  l'on  remarque,  &  l'intérieur,  des  restes  de  sang),  avec 
une  plaque  de  marbre  portant  cette  inscription  :  A  Aurélie  Theudosie,  très-douce  et  incomparable  femme. 
Aurélius  Optatus  à  son  épouse  très-innocente,  déposée  ici  la  veille  des  calendes  de  décembre,  de  nation 
amiénoise. 

Mgr  de  Salinis,  avisé  du  fait  de  cette  découverte,  songea  à  faire  rentrer  dans  sa  patrie  la  sainte  Amié- 
noise dont  le  corps  avait  été  concédé  à  Mgr  Pallavacini  qui  l'avait  emporté  à  Gênes.  Ses  négociations 
aboutirent  et,  le  9  octobre  1853,  les  reliques  arrivèrent  à  Amiens;  le  12  du  même  mois  eut  lieu  la  céré- 
monie de  la  translation,  la  plus  grandiose  dont  ait  jamais  été  témoin  la  ville  d'Amiens.  Les  reliques  de 
sainte  Theudosie,  renfermées  dans  une  châsse,  style  du  xnr»  siècle,  sont  exposées  dans  la  chapelle  de 
la  cathe'drale  qui  porte  son  nom  et  qui  était  antérieurement  sous  le  vocable  de  Saint-Augustin.  Une  relique 
de  la  Sainte  fut  transférée  (16  octobre  1855)  à  l'église  Saint-Leu.  D'autres  fragments  moins  importants 
ont  été  donnés  aux  communautés  d'Amiens  et  à  un  grand  nombre  d'églises  paroissiales.  Sainte  Theudosie 
est  spécialement  honorée  à  Montmarquet,  annexe  de  La  Fresnoy.  Une  église  du  diocèse  de  Poitiers  lui  a 
été  consacrée. 

Le  souverain  Pontife  avait  autorisé  Mgr  de  Salinis  à  faire  célébrer  annuellement,  dans  tout  son  dio- 
cèse, la  fête  de  sainte  Theudosie,  au  jour  qu'il  voudrait  choisir.  Une  ordonnance  épiscopale  du  3  octobre 
1855  fixe  cette  solennité  au  12  octobre  quand  cette  date  tombe  un  dimanche,  et,  dans  les  autres  cas,  tu 
dimanche  qui  suit  le  12  octobre.  —  M.  l'abbé  Corblet,  Haaioaraphie  d'Amiens,  tome  in,  page  526. 


MARTYROLOGES.  289 

saint  Grégoire,  brilla  par  de  nombreux  miracles  pendant  sa  vie  et  après  sa  mort,  qui  arriva  le 
10  octobre,  vie  s. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  —  A  Bologne,  le  bienheureux  Jacques  d'Uxn 
(Jacques  l'Allemand),  laïque,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  que  Dieu  rendit  agréable  au  ciel  et 
admirable  à  la  terre  par  la  pratique  des  vertus  héroïques,  et  particulièrement  de  l'humilité.  1491. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint-François.  —  A  Ascoli,  dans  la  Marche  d'Ancône,  le 
bienheureux  Séraphin,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Mineurs  Capucins,  remarquable  par  la  sainteté 
de  sa  vie  et  son  humilité.  Le  souverain  pontife  Clément  XIII  l'a  inscrit  aux  Fastes  des  Saints.  1604. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  De  même  que  ci-dessus. 

Martyrologe  de  l Ordre  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  du  Mont  Carmel.  —  Saint  Ana- 
clet,  pape  et  martyr,  dont  la  naissance  au  ciel  se  célèbre  le  13  juillet  *.  96. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin.  —  Saint  Laurent  Justinien,  premier 
patriarche  de  Venise,  qui  illustra  par  la  gloire  de  ses  miracles  et  de  ses  vertus  la  chaire  pontifi- 
cale à  laquelle  il  monta  malgré  lui  le  5  septembre.  Sa  naissance  au  cie2  arriva  le  8  janvier,  mais 
sa  fête  est  transférée  à  ce  jour  par  notre  Ordre  2.  1455. 

Martyrologe  des  Mineurs  Capucins  de  Saint-François.  —  De  même  que  chez  les  Frères 
Mineurs. 

ADDITIONS   FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

En  Angleterre,  saint  Edwin,  roi  de  Northumbrie  et  martyr.  633.  —  A  Mortara,  ville  d'Italie 
(Piémont),  et  à  Novare,  les  saints  Amie  et  Amèle,  martyrs.  Parmi  les  guerriers  qui  suivaient 
Charlemagne  sur  la  terre  d'Italie,  où  il  porta  ses  conquêtes,  ces  deux  jeunes  adolescents,  de  noble 
race,  se  faisaient  remarquer  entre  tous  par  leur  piété  vive  et  l'ardeur  de  leur  courage.  Nés  le  même 
jour  de  familles  différentes  et  sans  aucune  relation  de  parenté,  ils  furent  baptisés  à  la  même 
heure  ;  ils  avaient  même  visage,  même  taille,  même  démarche,  au  point  qu'on  ne  pouvait  les  dis- 
tinguer l'un  de  l'autre.-- Toujours  ensemble  à  l'armée,  à  l'église,  i\s  pratiquaient  les  mêmes  œuvres 
de  charité  chrétienne,  secourant  les  pauvres  et  les  prisonniers,  passant  les  nuits  en  prière,  obser- 
vant les  mêmes  jeûnes,  mortifiant  leurs  corps  par  le  cilice,  élevant  leur  âme  par  l'oraison  faite  en 
commun.  Les  deux  amis  recherchaient  par-dessus  tout  la  gloire  du  soldat  chrétien  ;  ils  voulaient 
mourir  en  combattant  les  ennemis  de  Dieu  et  de  l'Eglise,  les  Saxons  païens  et  les  Lombards  oppres- 
seurs du  Saint-Siège.  Tel  était  l'héroïque  martyre  auquel  ils  se  préparaient  et  qu'ils  rencontrèrent 
dans  les  plaines  de  Novare,  dans  une  bataille  contre  les  troupes  de  Didier.  Charlemagne  voulut  que 
la  même  tombe  réunit  dans  la  mort  ces  deux  frères  d'armes  si  unis  durant  leur  vie.  L'église  de 
Novare  reçut  ce  précieux  dépôt  ;  les  nombreux  miracles  opérés  depuis  par  l'intercession  des  deux 
eoldats  du  Christ  ont  fait  inscrire  leurs  noms  au  catalogue  des  Saints  3.  Vers  773.  —  A  Lodi 
Vecchio  (Laus  Pompeia),  village  de  Lombardie,  saint  Julien,  évêque  de  cet  ancien  siège  et  con- 
fesseur. Au  xme  siècle,  après  la  destruction  de  Laus  Pompeia  par  les  Milanais,  ses  reliques 
furent  transférées  dans  la  nouvelle  ville  de  Lodi  (bâtie  en  1158  par  l'empereur  Frédéric,  près  des 
ruines  de  l'antique  cité  fondée  par  Pompée).  Vers  324.  —  A  Plaisance  (Placentia),  en  Italie, 
saint  Opile,  diacre  et  confesseur.  On  rapporte  qu'on  le  vit  plusieurs  fois  converser  avec  les  anges. 
Dieu  lui  accorda  le  don  des  miracles  ;  il  guérit  des  malades  et  délivra  des  possédés.  Comblé  de 
mérites,  il  s'endormit  dans  le  Seigneur  le  4  des  ides  d'octobre,  et  fut  enseveli  dans  l'église  Saint- 
Antonin  de  Plaisance,  où  il  s'exhala  longtemps  de  son  corps  un  parfum  délicieux.  ve  s.  —  A  Slane 
(Sleptensis  Civitas),  dans  la  province  de  Lagénie  ou  Leinster  et  le  comté  d'East-Meath,  en 
Irlande,  saint  Fièque  (Fiec,  Fiac,  Fiag),  évêque  de  l'ancien  siège  de  Slane  et  confesseur.  Il  fut 
baptisé  et  promu  aux  ordres  sacrés  par  saint  Patrice,  apôtre  de  l'Irlande,  qui  le  chargea  ensuite  du 
gouvernement  spirituel  de  toute  la  Lagénie.  Il  y  bâtit  des  églises  et  des  monastères,  v«  s.  —  A 
Pavie  (Ticinum),  ville  forte  du  royaume  d'Italie,  sur  le  Tessin,  saint  Rodobald  II,  évêque  de  ce 
siège  et  confesseur.  Il  administra  son  diocèse  pendant  vingt-quatre  ans,  et  dépensa  généreusement 
son  riche  patrimoine  en  faveur  de  son  Eglise.  Son  tombeau  enrichit  les  cryptes  de  la  cathédrale 
de  Pavie.  1254. 

1.  Voir  sa  vie  au  13  juillet.  —  2.  Nous  avons  donné  sa  vie  au  5  septembre. 
8.  L'abbé  Darras,  Histoire  générale  de  l'Eglise  catholique,  tome  xvn,  page  524. 


Vfvs  des  Saints.  —  Towk  XII.  19 


290  12   OCTOBRE. 


SAINT  EDWIN  OU  EDOUIN, 

ROI  DE  NORTHUMBRIE  ET  MARTYR,  PATRON  D'YORK 
633.  —  Pape  :  Honoré  Ier. 


La  preuve  la  plus  éclatante  de  la  vertu  des  rois, 
c'est  que  leur  autorité  assure  au  peuple  la  paix,  a 
l'Eglise  la  tranquillité,  a  la  religion  un  accroisse- 
ment agréable  au  Seigneur. 

Jean  de  Salisbury. 

Redwald,  roi  des  Est-Angles,  avait  denné  asile  au  fils  encore  enfant 
d'Ella,  roi  des  Déïriens,  détrôné  par  son  beau-frère  le  terrible  Ethelfrid, 
roi  des  Berniciens  ;  ce  jeune  prince,  nommé  Edwin,  avait  grandi  auprès  de 
Redwald  qui  lui  avait  même  donné  sa  fille  en  mariage.  Ethelfrid,  voyant 
en  lui  un  rival  ou  un  successeur,  employa  tour  à  tour  auprès  de  Redwald 
la  menace  et  la  corruption  pour  se  faire  livrer  le  royal  exilé.  Le  prince  est- 
anglien  était  au  moment  de  céder,  quand  un  des  amis  d'Edwin  vint  de  nuit 
l'informer  du  danger  qu'il  courait  et  lui  offrit  de  le  conduire  dans  un 
refuge,  où  ni  Redwald  ni  Ethelfrid  ne  sauraient  le  découvrir.  «  Non  », 
répondit  le  jeune  et  généreux  exilé,  «  je  te  remercie  de  ta  bonne  volonté  ; 
mais  je  n'en  ferai  rien.  A  quoi  bon  recommencer  à  errer  en  vagabond, 
comme  je  l'ai  trop  fait,  à  travers  toutes  les  régions  de  l'île  ?  S'il  me  faut 
mourir,  que  ce  soit  plutôt  de  la  main  de  ce  grand  roi  que  d'une  main  plus 
vulgaire!  »  Cependant,  ému  et  attristé,  il  sortit  et  alla  s'asseoir  sur  une 
pierre  devant  le  palais,  où  il  resta  longtemps  seul  dans  l'obscurité,  en  proie 
à  une  poignante  incertitude.  Tout  à  coup  il  vit  paraître  devant  lui,  au  mi- 
lieu des  ténèbres,  un  homme  dont  le  visage  et  le  costume  lui  étaient  incon- 
nus, qui  lui  demanda  ce  qu'il  faisait  là,  seul,  la  nuit,  et  ajouta  :  «  Que 
promettrais-tu  à  celui  qui  te  délivrerait  de  ta  tristesse,  en  détournant  Red- 
wald de  te  livrer  à  tes  ennemis  ou  de  te  faire  aucun  mal?  »  —  «  Tout  ce 
qui  sera  jamais  en  mon  pouvoir  »,  répondit  Edwin.  —  «  Et  si  »,  continua 
l'inconnu,  «  on  te  promettait  de  te  faire  roi,  et  roi  plus  puissant  que  tous 
tes  ancêtres  et  que  tous  les  autres  rois  anglais?  »  Edwin  promit  de  nouveau 
que  sa  reconnaissance  serait  à  la  hauteur  d'un  tel  bienfait.  Alors  l'étranger  : 
«  Et  si  celui  qui  t'aura  exactement  prédit  de  si  grands  biens  te  donne  des 
conseils  plus  utiles  pour  ton  salut  et  ta  vie  qu'aucun  de  tes  pères  ou  de  tes 
proches  n'en  a  jamais  reçu,  consens-tu  à  les  suivre?  »  L'exilé  jura  qu'il 
obéirait  en  tout  à  celui  qui  le  tirerait  d'un  si  grand  péril  pour  le  faire  roi. 
Aussitôt  l'inconnu  lui  posa  la  main  droite  sur  la  tête  en  disant  :  a  Quand 
un  pareil  signe  se  représentera  à  toi,  rappelle-toi  ce  moment,  tes  discours 
et  ta  promesse  » . 

Sur  quoi  il  disparut  si  subitement,  qu'Edwin  crut  avoir  eu  affaire  non  à 
un  homme,  mais  à  un  esprit.  Un  instant  après  son  ami  accourut  lui  an- 
noncer qu'il  n'y  avait  plus  rien  à  craindre  pour  lui,  et  que  le  roi  Redwald, 
ayant  confié  son  projet  à  la  reine,  avait  été  détourné  par  elle  de  cette  tra- 
hison. Cette  princesse,  dont  le  nom  a  été  malheureusement  oublié,  était, 
comme  la  plupart  des  Anglo-Saxonnes,  toute-puissante  sur  le  cœur  de  son 


SAINT  EDWIN   OU  EDOUIN,  ROI  ET  MARTYR.  291 

époux.  Elle  lui  montra  qu'il  serait  indigne  de  vendre  à  prix  d'or  son  âme, 
et,  qui  plus  est,  son  honneur,  qu'elle  tenait  pour  la  plus  précieuse  de  toutes 
les  parures. 

Grâce  aux  inspirations  généreuses  de  la  reine,  non-seulement  Redwald 
ne  livra  pas  le  prince  réfugié,  mais  ayant  renvoyé  les  ambassadeurs  chargés 
des  riches  cadeaux  d'Ethelfrid,  il  lui  déclara  la  guerre.  Ethelfrid  défait  et 
tué,  Edwin  fut  établi  roi  en  Northumbrie  par  son  protecteur  Redwald,  de- 
venu le  chef  de  la  fédération  anglo-saxonne.  Comme  son  beau-frère  Ethel- 
frid, Edwin  régna  sur  les  deux  royaumes  réunis  de  Deïra  et  de  Bernicie  ; 
puis,  comme  lui,  il  fit  une  guerre  vigoureuse  aux  Bretons  de  Cambrie. 
Devenu  ainsi  le  chef  redouté  des  Angles  du  Nord,  il  se  vit  recherché  et  ad- 
miré par  les  Angles  de  l'Est  qui,  à  la  mort  de  leur  roi  Redwald,  lui  offrirent 
la  royauté.  Mais  Edwin  aima  mieux  payer  de  retour  la  protection  qu'il 
avait  reçue  de  Redwald  [et  de  sa  femme,  en  laissant  à  leur  fils  le  royaume 
d'Est-Anglie.  Il  se  réserva  toutefois  la  suzeraineté  militaire  que  Redwald 
avait  exercée  avec  le  titre  de  Bretwalda,  qui  avait  passé  du  roi  de  Kent  au 
roi  d'Est-Anglie,  mais  qui,  à  partir  d'Edwin,  ne  devait  plus  être  séparée  de 
la  royauté  northumbrienne. 

Parvenu  à  cette  élévation  inespérée  et  privé  par  la  mort  de  sa  première 
femme,  fille  du  roi  d'Est-Anglie,  il  en  chercha  une  autre,  et  fit  demander 
en  mariage  la  sœur  du  roi  de  Kent,  la  fille  d'Ethelbert  et  de  Berthe,  des- 
cendante de  Hengist  ef  d'Odin  par  son  père,  et  de  sainte  Clotilde  par  sa 
mère.  Elle  s'appelait  Ethelburge  *.  Son  frère  Eadbald,  ramené  à  la  foi 
chrétienne  par  l'archevêque  Laurent,  repoussa  d'abord  là  demande  du  roi 
de  Northumbrie.  Il  répondit  qu'il  ne  lui  était  pas  permis  de  donner  une 
vierge  chrétienne  à  un  païen,  de  peur  de  profaner  la  foi  et  les  sacrements 
du  vrai  Dieu,  en  la  faisant  cohabiter  avec  un  roi  étranger  à  son  culte.  Loin 
d'être  offensé  de  ce  refus,  Edwin  promit  que  si  on  lui  accordait  la  prin- 
cesse, il  ne  ferait  rien  contre  la  foi  qu'elle  professait,  et  que  tout  au  con- 
traire elle  pourrait  pratiquer  librement  sa  religion  avec  tous  ceux  qui  l'ac- 
compagneraient, hommes  ou  femmes,  prêtres  ou  laïques.  Il  ajouta  que 
lui-même  ne  refuserait  pas  d'embrasser  la  religion  de  sa  femme,  si,  après 
l'avoir  fait  examiner  par  les  sages  de  son  conseil,  il  la  reconnaissait  pour 
plus  sainte  et  plus  digne  de  Dieu. 

C'était  à  ces  conditions  que  sa  mère,  Berthe,  avait  quitté  son  pays  et  sa 
famille  mérovingienne  pour  franchir  la  mer  et  venir  épouser  le  roi  de  Kent. 
La  conversion  de  ce  royaume  avait  été  le  prix  de  son  sacrifice.  Ethelburge, 
destinée  comme  sa  mère,  et  plus  encore  qu'elle,  à  être  l'initiatrice  chré- 
tienne de  tout  un  peuple,  suivit  l'exemple  maternel.  Elle  nous  fournit  une 
nouvelle  preuve  du  grand  rôle  de  la  femme  dans  l'histoire  des  races  ger- 
maniques, du  noble  et  touchant  empire  que  ces  races  lui  attribuaient.  En 
Angleterre  comme  en  France,  comme  partout,  c'est  toujours  par  la  ferveur 
et  le  dévouement  de  la  femme  chrétienne  que  sont  entamées  ou  consom- 
mées les  victoires  de  l'Eglise.  Mais  la  royale  vierge  ne  fut  livrée  aux  Nor- 
thumbriens  que  sous  la  garde  d'un  évêque,  chargé  de  la  préserver  de  toute 
pollution  païenne,  par  ses  exhortations  et  aussi  par  la  célébration  quoti- 
dienne des  célestes  mystères.  Cet  évêque,  nommé  Paulin,  était  encore  un 
de  ces  moines  romains  qui  avaient  été  envoyés  par  le  pape  saint  Grégoire 
pour  servir  de  coadjuteurs  à  Augustin.  Arrivé  avec  Ethelburge  dans  le 
royaume  d'Edwin,  après  les  avoir  mariés,  il  voulut  encore  que  toute  cette 

1.  C'est-à-dire  noble  protectrice;   car  ce  mot  d'Ethel,  oui  revient  si  souvent  dans  les  noms  «oglo- 
taxons,  n'est  que  le  mot  allemand,  edel,  noble. 


292  12  OCTOBRE. 

nation  inconnue,  où  il  venait  de  planter  sa  tente,  pût  devenir  l'épouse  du 
Christ.  Il  travailla  donc  de  toutes  ses  forces  pour  ajouter  quelques  néo- 
phytes northumbriens  au  petit  troupeau  de  fidèles  qui  avaient  accompagné 
la  reine.  Mais  ces  efforts  furent  longtemps  infructueux  ;  on  le  laissait  prê- 
cher et  on  ne  se  convertissait  pas. 

Cependant,  les  successeurs  de  Grégoire  veillaient  sur  son  œuvre  avec 
cette  merveilleuse  et  infatigable  persévérance  qui  est  le  propre  du  Saint- 
Siège.  Boniface  V  adressa  au  roi  et  à  la  reine  de  Northumbrie  deux  épîtres 
qui  rappellent  celles  de  Grégoire  au  roi  et  à  la  reine  de  Kent.  Il  exhortait 
celui  qu'il  appela  le  glorieux  roi  des  Anglais  à  suivre  l'exemple  de  tant 
d'autres  empereurs  et  rois,  et  surtout  de  son  beau-frère  Eadbald,  en  se  sou- 
mettant à  la  grandeur  du  vrai  Dieu,  et  à  ne  pas  se  laisser  séparer  dans 
l'avenir  de  cette  chère  moitié  de  lui-même,  qui  avait  déjà  reçu  par  le  bap- 
tême le  gage  de  l'éternité  bienheureuse.  Il  conjurait  la  reine  de  ne  négliger 
aucun  effort  pour  amollir  et  enflammer  le  cœur  dur  et  froid  de  son  mari, 
pour  lui  faire  comprendre  la  beauté  des  mystères  auxquels  elle  croyait,  et 
l'admirable  salaire  qu'elle  avait  reçu  de  sa  propre  renaissance  ;  afin  que 
ceux  dont  l'amour  humain  n'avait  fait  qu'un  seul  corps  ici-bas  demeurassent 
unis  dans  l'autre  vie  par  une  union  indissoluble.  A  ses  lettres  il  joignait 
quelques  modestes  présents,  qui  témoignent  assurément  ou  de  sa  pauvreté 
ou  de  la  simplicité  du  temps  :  pour  le  roi,  une  chemise  de  lin  ornée  de 
broderie  d'or  et  un  manteau  de  laine  d'Orient  ;  pour  la  reine,  un  miroir 
d'argent  et  un  peigne  d'ivoire  ;  pour  tous  deux,  les  bénédictions  de  leur 
protecteur  saint  Pierre. 

Mais  ni  les  lettres  du  Pape,  ni  les  sermons  de  l'évêque,  ni  les  instances 
de  la  reine  ne  suffisaient  pour  triompher  des  incertitudes  d'Edwin.  Un  évé- 
nement providentiel  vint  l'ébranler  sans  le  vaincre  absolument.  Le  jour  de 
Pâques  qui  suivit  son  mariage,  un  sicaire  envoyé  par  le  roi  des  Saxons  de 
l'Ouest  pénétra  auprès  du  roi,  et  sous  prétexte  de  lui  communiquer  un 
message  de  son  maître,  essaya  de  le  frapper  avec  un  poignard  empoisonné 
à  double  tranchant  qu'il  tenait  caché  sous  son  habit.  Entraîné  par  ce  dé- 
vouement héroïque  pour  leurs  princes,  qui  se  mêlait  chez  tous  les  barbares 
germaniques  à  de  si  continuels  attentats  contre  eux,  un  seigneur  nommé 
Lilla,  n'ayant  pas  de  bouclier  sous  la  main,  se  jeta  lui-même  entre  son  roi 
et  l'assassin,  qui  avait  frappé  avec  tant  de  force,  que  son  fer  alla  atteindre 
Edwin  même  à  travers  le  corps  de  son  fidèle  ami.  Dans  la  nuit  même  de 
cette  principale  fête  des  chrétiens,  la  reine  accoucha  d'une  fille.  Pendant 
qu'Edwin  rendait  grâces  à  ses  dieux  de  la  naissance  de  cette  enfant,  l'évêque 
Paulin  commença  de  son  côté  à  remercier  Notre-Seigneur,  en  affirmant  au 
roi  que  c'était  lui  qui,  par  ses  prières  au  vrai  Dieu,  avait  obtenu  que  la 
reine  enfantât  pour  la  première  fois  sans  accident  et  presque  sans  douleur. 
Le  roi,  moins  ému  du  danger  mortel  qu'il  venait  d'éviter  que  de  la  joie 
d'être  père  sans  que  la  vie  de  sa  chère  Ethelburge  eût  été  compromise,  fut 
charmé  des  paroles  de  Paulin,  et  lui  promit  de  renoncer  aux  idoles  pour 
servir  le  Christ,  si  le  Christ  lui  accordait  la  vie  et  la  victoire  dans  la  guerre 
qu'il  allait  entreprendre  contre  le  roi  qui  avait  voulu  le  faire  assassiner. 
Comme  gage  de  sa  bonne  foi,  il  donna  à  l'évêque  l'enfant  qui  venait  de 
naître  pour  la  consacrer  au  Christ.  Cette  nouveau-née  du  roi,  qui  fut  la  pre- 
mière chrétienne  de  la  nation  northumbrienne,  fut  baptisée  le  jour  de  la 
Pentecôte  avec  onze  personnes  de  sa  maison.  On  la  nomma  Eanflède  :  elle 
était  destinée,  comme  la  plupart  des  princesses  anglo-saxonnes,  à  n'être  pas 
sans  influence  sur  le  sort  de  son  pays. 


SAINT  EDWIN   OU  EDOUIN,   ROI  ET  MARTYR.  293 

Edwin  sortit  vainqueur  de  la  lutte  contre  le  roi  coupable.  Revenu  en 
Northumbrie,  et  bien  que  depuis  sa  promesse  il  eût  cessé  d'adorer  les  idoles, 
il  ne  voulut  pas  recevoir  sur-le-champ  et  sans  autre  réflexion  les  sacrements 
de  la  foi  chrétienne.  Mais  il  se  faisait  donner  plus  exactement  par  l'évêque 
Paulin  ce  que  Bède  appelle  les  raisons  de  croire.  Il  conférait  souvent  avec 
les  plus  sages  et  les  plus  instruits  de  sa  noblesse  sur  le  parti  qu'ils  lui  con- 
seillaient de  prendre.  Enfin,  comme  il  était  naturellement  sagace  et  réfléchi, 
il  passait  de  longues  heures  dans  la  solitude,  la  bouche  close,  mais  discu- 
tant au  fond  de  son  cœur  beaucoup  de  choses,  et  examinant  sans  relâche 
quelle  était  la  religion  qu'il  fallait  préférer. 

Cependant,  Paulin  voyait  le  temps  s'écouler  sans  que  la  parole  de  Dieu 
qu'il  prêchait  fût  écoutée,  et  sans  qu'Edwin  pût  se  décider  à  courber  la 
hauteur  de  son  intelligence  devant  l'humilité  vivifiante  de  la  croix.  Informé 
de  la  prophétie  et  de  la  promesse  qui  avaient  terminé  l'exil  du  roi,  il  crut 
le  moment  arrivé  de  les  lui  rappeler.  Un  jour  donc  qu'Edwin  était  assis 
tout  seul  à  méditer,  dans  le  secret  de  son  cœur,  sur  la  religion  qu'il  lui 
faudrait  suivre,  l'évêque  entra  tout  à  coup  et  lui  posa  la  main  droite  sur  la 
tête,  comme  l'avait  fait  l'inconnu  de  sa  vision,  en  lui  demandant  s'il  recon- 
naissait ce  signe.  Le  roi,  tremblant,  voulut  se  jeter  aux  pieds  de  Paulin, 
qui  le  releva  et  lui  dit  doucement  :  «  Eh  bien,  vous  voilà  délivré  des  enne- 
mis que  vous  redoutiez  par  la  bonté  de  Dieu.  Vous  voilà,  de  plus,  pourvu 
par  lui  du  royaume  que  vous  désiriez.  Souvenez-vous  d'accomplir^ votre 
troisième  promesse,  qui  vous  oblige  à  recevoir  la  foi  et  à  garder  ses  com- 
mandements. C'est  ainsi  seulement,  qu'après  avoir  été  comblé  de  la  faveur 
divine  ici-bas,  vous  pourrez  entrer  avec  Dieu  en  participation  du  royaume 
céleste  ».  —  «  Oui  »,  répondit  enfin  Edwin,  «  je  le  sens  ;  je  dois  et  je  veux 
être  chrétien  ».  Mais,  toujours  fidèle  à  son  caractère  mesuré,  il  ne  stipula 
que  pour  lui-même  ;  il  dit  qu'il  en  conférerait  avec  les  grands  nobles,  ses 
amis,  et  avec  ses  conseillers,  afin  que  s'ils  se  décidaient  à  croire  comme 
lui,  ils  fussent  tous  ensemble  consacrés  au  Christ  dans  la  fontaine  de  la  vie. 

Tous  ayant  été  unanimes  pour  reconnaître  la  fausseté  du  culte  rendu 
aux  dieux,  aussitôt  le  roi  déclara  publiquement  qu'il  adhérait  à  l'évangile 
prêché  par  Paulin,  qu'il  renonçait  à  l'idolâtrie  et  qu'il  adoptait  la  foi  du 
Christ.  Toute  la  noblesse  northumbrienne  et  une  grande  partie  du  peuple 
suivirent  l'exemple  du  roi,  qui  se  fit  baptiser  solennellement  le  jour  de 
Pâques  (627)  par  Paulin,  à  York,  dans  une  église  en  bois,  bâtie  à  la  hâte 
pendant  qu'on  le  préparait  au  baptême.  Aussitôt  après,  il  fit  construire 
autour  de  ce  sanctuaire  improvisé  une  grande  église  en  pierre  qu'il  n'eut 
pas  le  temps  d'achever,  mais  qui  est  devenue  depuis  l'admirable  Minster 
d'York  et  la  métropole  du  nord  de  l'Angleterre.  Les  Northumbriens  en 
avaient  fait  leur  capitale,  et  Edwin  y  constitua  le  siège  de  l'épiscopat  dont 
son  maître  Paulin  était  revêtu.  Ainsi  se  trouva  réalisé  le  grand  dessein  de 
Grégoire,  qui,  trente  ans  auparavant,  dès  le  début  de  la  mission  anglaise, 
avait  prescrit  à  Augustin  d'envoyer  un  évêque  à  York  et  de  lui  conférer  le 
caractère  de  métropolitain  des  douze  évêchés  suffragants  dont  il  rêvait  déjà 
la  fondation  dans  le  nord  du  pays  conquis  par  les  Anglo-Saxons. 

Pendant  six  années,  le  roi  et  l'évêque  travaillèrent  de  concert  à  la  con- 
version du  peuple  northumbrien,  et  môme  de  la  population  anglaise  des 
régions  voisines.  Les  chefs  de  la  noblesse  et  les  principaux  serviteurs  du 
roi  se  firent  baptiser  les  premiers,  avec  les  fils  du  premier  mariage  d'Edwin. 
L'exemple  d'un  roi  était  d'ailleurs  loin  de  suffire,  chez  les  Anglo-Saxons, 
pour  déterminer  la  conversion  de  tout  un  peuple,  et,  pas  plus  qu'Ethelbert 


294.  12  OCTOBRE. 

et  Augustin,  le  premier  roi  chrétien  et  le  premier  évêque  des  Northum- 
briens  ne  songèrent  à  employer  la  contrainte.  Il  leur  fallut  sans  doute  plus 
d'un  effort  pour  surmonter  la  rudesse,  l'ignorance  ou  l'indifférence  des 
Saxons  païens.  Mais  les  consolations  aussi  abondaient,  car  la  ferveur  de  ce 
pauvre  peuple  et  sa  soif  du  baptême  étaient  souvent  prodigieuses.  Paulin 
étant  venu  avec  le  roi  et  la  reine,  qui  l'accompagnaient  maintes  fois  pen- 
dant ses  missions,  dans  une  certaine  villa  royale,  tout  à  fait  au  nord,  ils 
durent  tous  les  trois  y  demeurer  trente-six  jours  de  suite,  et  pendant  tout 
ce  temps,  l'évêque  ne  faisait  autre  chose  du  matin  au  soir  que  de  catéchiser 
îa  foule  qui  affluait  de  tous  les  villages  d'alentour,  puis  de  la  baptiser  dans 
la  rivière  qui  coulait  tout  auprès. 

Le  pape  Honorius  écrivit  au  roi  Edwin  pour  le  féliciter  de  sa  conver- 
sion, ainsi  que  de  l'ardeur  et  de  la  sincérité  de  sa  foi,  et  pour  l'exhorter  à 
beaucoup  lire  les  œuvres  de  saint  Grégoire,  qu'il  appelle  le  prédicateur  des 
Anglais  et  qu'il  recommande  au  roi  de  prendre  pour  perpétuel  intercesseur 
auprès  de  Dieu,  Mais  quand  cette  lettre  arriva  en  Angleterre,  Edwin  n'était 
déjà  plus.  Les  six  années  qui  s'écoulèrent  depuis  sa  conversion  jusqu'à  sa 
mort  comptent  assurément  parmi  les  plus  glorieuses  et  les  plus  heureuses 
qu'il  ait  été  donné  à  aucun  prince  anglo-saxon  de  connaître.  Il  plaça  rapi- 
dement la  Northumbrie  à  la  tête  de  l'Heptarchie.  Au  midi,  son  zèle  ardent 
pour  la  foi  qu'il  avait  embrassée  après  de  si  mûres  réflexions  dé- 
bordait jusque  sur  les  populations  qui,  sans  être  soumises  à  son  autorité 
directe,  appartenaient  à  la  même  race  que  ses  sujets.  Les  Est-Angles  ou 
Anglais  orientaux,  lui  avaient  offert  de  régner  sur  eux  et  il  avait  refusé. 
Mais  il  usa  de  son  ascendant  sur  le  jeune  roi,  qui  lui  devait  sa  couronne, 
pour  le  déterminer  à  embrasser  la  religion  chrétienne  avec  tout  son 
pays.  Eorpwald  expiait  ainsi  l'apostasie  de  son  père,  et  Edwin  payait 
ainsi  la  rançon  de  la  généreuse  pitié  que  la  royauté  est-anglienne  avait 
prodiguée  à  sa  jeunesse  et  à  son  exil.  Au  nord,  il  étendit  et  consolida  la 
domination  anglo-saxonne  jusqu'à  l'isthme  qui  séparait  la  Calédonie  de  la 
Bretagne.  Il  a  laissé  une  trace  ineffaçable  de  son  règne  dans  le  nom  de  la 
forteresse  construite  par  lui  sur  le  rocher  qui  dominait  dès  lors  l'embou- 
chure du  Forth  et  qui  dresse  encore  ses  flancs  sombres  et  alpestres,  véri- 
table Acropole  du  nord  barbare,  au  sein  de  la  grande  et  pittoresque  ville 
d'Edimbourg  (Edwin's  burgh).  A  l'ouest,  il  continua,  avec  moins  de  férocité 
qu'Ethelfrid,  mais  avec  non  moins  de  bravoure  et  de  succès,  la  lutte  contre 
les  Bretons  de  Gambrie  ;  il  les  poursuivit  jusque  dans  les  îles  du  détroit  qui 
séparent  la  Grande-Bretagne  de  l'Irlande  ;  il  s'empara  de  l'île  de  Man  et 
de  cette  autre  île  qui  avait  été  le  dernier  abri  des  Druides  contre  la  domi- 
nation romaine,  et  qui,  à  partir  de  la  conquête  d'Edwin,  prit  le  nom  de  la 
race  victorieuse  des  Angles,  Angles-ey.  A  l'intérieur  de  ses  Etats,  il  fit 
régner  une  paix  et  une  sécurité  si  inconnue  avant  et  après  son  règne  qu'elle 
passa  en  proverbe,  car  on  se  disait  que,  du  temps  d'Edwin,  une  femme 
avec  son  enfant  nouveau-né  aurait  pu  traverser  l'Angleterre  de  la  mer 
d'Irlande  à  la  mer  du  Nord  sans  rencontrer  quelqu'un  qui  lui  fît  le  moindre 
tort.  On  lui  savait  gré  de  ce  soin  si  minutieux  du  bien-être  de  ses  sujets, 
qui  le  portait  à  faire  suspendre  auprès  des  fontaines  sur  les  grands  che- 
mins des  coupes  en  cuivre  pour  que  les  passants  pussent  boire  à  leur  aise, 
sans  que  personne  songeât  à  les  voler,  soit  par  crainte,  soit  par  amour  du 
roi.  Aussi  personne  ne  lui  reprochait  la  pompe  inusitée  qui  signalait  son 
cortège,  non-seulement  quand  il  allait  à  la  guerre,  mais  lorsqu'il  chevau- 
chait paisiblement  à  travers  les  villes  et  les  provinces,  en  faisant  porter 


SAINT  EDWIN  OU  EDOUIN,   ROI  ET  MARTYR.  295 

au-devant  de  lui  et  au  milieu  des  bannières  militaires  la  lance  surmontée 
d'une  grande  touffe  de  plumes  que  les  Saxons  avaient  empruntée  aux 
légions  romaines  et  dont  ils  avaient  fait  l'étendard  sacré  du  Bretwalda  et 
le  signe  de  la  domination  suprême  dans  leur  confédération.  Mais  toute 
cette  grandeur  et  cette  prospérité  allaient  s'engloutir  dans  une  catastrophe 
subite. 

Il  y  avait  d'autres  Angles  que  ceux  de  Northumbrie  et  d'Est- Anglie  déjà 
adoucis  ou  entamés  par  l'influence  chrétienne  ;  il  y  avait  les  Angles  de  la 
Mercie,  c'est-à-dire  de  la  grande  région  centrale  qui  s'étendait  de  l'Humber 
à  la  Tamise.  Le  royaume  de  Mercie  était  le  dernier  Etat  né  de  la  conquête 
anglo-saxonne  ;  il  avait  été  fondé  par  ceux  des  envahisseurs  qui,  trouvant 
toutes  les  places  prises  sur  le  littoral  oriental  et  méridional  de  l'île,  s'é- 
taient trouvés  contraints  de  s'enfoncer  dans  l'intérieur.  Il  devint  le  centre 
de  la  résistance  païenne  et  de  ses  retours  offensifs  contre  la  propagande 
chrétienne.  Les  païens  de  Mercie  trouvèrent  un  chef  formidable  dans  la 
personne  de  Penda,  issu  de  race  royale,  mais  enflammé  de  toutes  les  pas- 
sions de  la  barbarie  et  surtout  dévoré  de  jalousie  contre  la  fortune  d'Edwin 
et  la  puissance  des  Northumbriens.  Depuis  la  conversion  d'Edwin,  ces 
instincts  farouches  s'étaient  renforcés  par  le  fanatisme.  Penda  et  les  Mer- 
ciens  restaient  fidèles  au  culte  d'Odin  dont  tous  les  rois  saxons  se  croyaient 
les  descendants.  Edwin  et  les  Northumbriens  n'étaient  plus  à  leurs  yeux 
que  des  traîtres  et  des  apostats.  Mais  chose  plus  surprenante,  les  habitants 
primitifs  de  l'île,  les  Bretons  chrétiens,  plus  nombreux  en  Mercie  que  dans 
tout  autre  royaume  anglo-saxon,  partageaient  et  excitaient  la  haine  des 
païens  saxons  contre  les  néophytes  de  la  même  race.  Ces  vieux  chrétiens, 
toujours  exaspérés  contre  les  envahisseurs  de  leur  île,  ne  tenaient  aucun 
compte  de  la  foi  des  Angles  convertis  et  ne  voulaient  à  aucun  titre  entrer 
en  communion  avec  eux.  Les  Bretons  de  Cambrie,  restés  indépendants, 
mais  toujours  menacés,  vaincus  et  humiliés  depuis  près  d'un  siècle  par 
Ida,  Ethelfrid  et  Edwin,  professaient  et  nourrissaient  leur  antipathie  avec 
encore  plus  de  fureur  que  les  autres.  Leur  chef,  Ceadwalla  ou  Cadwallon, 
le  dernier  héros  de  la  race  celtique  en  Bretagne,  d'abord  vaincu  par  Edwin 
et  forcé  de  se  réfugier  en  Irlande  et  en  Armorique,  en  était  revenu  avec 
un  redoublement  de  rage  et  des  auxiliaires  de  race  celtique  pour  reprendre 
la  lutte  contre  les  Northumbriens.  Il  réussit  à  faire  alliance  avec  Penda 
contre  l'ennemi  commun.  Sous  ces  deux  chefs,  une  immense  armée,  où 
les  Bretons  chrétiens  de  Cambrie  coudoyaient  les  païens  de  Mercie,  enva- 
hit la  Northumbrie.  Edwin  les  attendait  à  Hatûeld,  sur  la  frontière  méri- 
dionale de  son  royaume.  Il  y  fut  écrasé.  Il  périt  glorieusement  les  armes  à 
la  main,  à  peine  âgé  de  quarante-huit  ans,  d'une  mort  qui  lui  a  mérité 
d'être  compté  parmi  les  martyrs,  le  14  octobre  633.  Le  corps  du  saint  roi 
fut  enterré  à  Whitby  ;  mais  sa  tête  le  fut  dans  le  porche  de  l'église  qu'il 
avait  fait  bâtir  à  York.  Il  a  le  titre  de  martyr  dans  le  martyrologe  de  Flo- 
rus  et  dans  tous  les  calendriers  d'Angleterre.  On  voit  par  le  catalogue  de 
Sped,  qu'il  était  patron  titulaire  de  deux  anciennes  églises  bâties  l'une 
à  Londres  et  l'autre  à  Brève,  dans  la  province  de  Somerset. 

De  Montalembert,  Les  Moines  d'Occident;  Acta  Sanctorum;  Godescard. 


296  *2  OCTOBRE. 


SAINT  WILFRID  OU  WILFERDER  D'ANGLETERRE, 

ARCHEVÊQUE  D'YORK  ET  CONFESSEUR 
709.  —  Pape  :  Constantin.  —  Roi  de  Northumberland  :  Osred. 


L'ennemi  peut  bien,  par  ses  persécutions,  affliger  les 
justes;  les  réduire,  jamais. 

Hugues  de  Saint-Victor. 

Ce  bienheureux  prélat  naquit  en  Angleterre,  Tan  de  Notre-Seigneur 
634,  Edbauld  régnant  dans  le  royaume  de  Kent,  et  saint  Oswald  dans  celui 
de  Northumberland.  Lorsqu'il  vint  au  monde,  il  parut,  sur  la  maison  de 
son  père,  une  colonne  de  feu  qui  éclairait  toute  la  rue,  sans  néanmoins 
causer  aucun  dommage  :  ce  qui  fut  pris  pour  un  présage  qu'il  devait  être 
un  jour  une  lumière  éclatante  de  l'Eglise.  Ayant  donné,  dans  son  enfance, 
des  marques  d'un  naturel  tout  porté  à  la  vertu,  il  fut  envoyé,  par  son  père, 
à  la  cour  de  la  reine  Eanflède,  femme  du  roi  Oswi,  successeur  d'Oswald. 
Cette  princesse  le  reçut  avec  beaucoup  de  bonté  ;  et,  remarquant  en  lui  le 
désir  d'une  vie  retirée,  elle  le  fit  entrer,  à  l'âge  de  quatorze  ans,  dans  le 
monastère  de  Lindisfarne.  Il  y  vécut  quelques  années  dans  une  grande 
piété,  sans  néanmoins  avoir  encore  la  tonsure  monacale.  Il  apprit  le  psau- 
tier de  David  et  commença  à  étudier  les  livres  sacrés  ;  mais,  voyant  que  les 
religieux  de  cette  maison,  qui  étaient  écossais,  ne  lui  enseignaient  pas  les 
voies  les  plus  sûres  de  la  perfection,  il  résolut  d'aller  à  Rome  pour  s'en 
faire  instruire  et  apprendre,  en  même  temps,  les  cérémonies  ecclésiastiques 
et  toutes  les  choses  qui  concernaient  la  régularité. 

Eanflède,  sa  protectrice,  et  Ercombert,  roi  de  Kent,  auxquels  il  com- 
muniqua son  dessein,  l'ayant  joint  pour  cela  à  saint  Benoît  Biscop,  il  se  mit 
aussitôt  en  chemin  avec  lui.  En  passant  à  Lyon,  il  y  salua  l'archevêque 
saint  Chamond.  Ce  prélat,  reconnaissant  d'abord,  et  à  la  seule  vue,  ce  jeune 
homme  que  la  nature  et  la  grâce  avaient  travaillé  à  rendre  parfait,  voulut 
le  retenir  auprès  de  lui,  et  lui  fit  de  grandes  offres  pour  l'engager  à  s'éta- 
blir en  France.  Mais  Wilfrid,  qui  n'avait  point  d'autre  pensée  que  de  se 
donner  entièrement  à  Jésus-Christ,  le  remercia  de  l'honneur  qu'il  lui  faisait 
et  continua  son  voyage. 

Dès  qu'il  fut  à  Rome,  sous  le  pontificat  de  Martin  Ier,  il  visita  le  tombeau 
de  saint  Pierre,  et  obtint  de  lui  une  grande  ouverture  d'esprit  pour  appren- 
dre ce  qu'il  voulait  savoir,  et  une  expression  facile  pour  pouvoir  redire  aux 
peuples  d'Angleterre  ce  qu'il  aurait  appris.  Dieu,  qui  le  conduisait,  l'adressa 
à  un  saint  homme  nommé  Boniface,  archidiacre  et  conseiller  du  Saint- 
Siège,  qui  lui  interpréta  solidement  les  quatre  Evangiles,  lui  développa  les 
difficultés  du  cycle  pascal  et  lui  montra  plusieurs  autres  choses  qu'il  n'avait 
pu  apprendre  en  son  pays.  S'étant  fait  ainsi  instruire  de  ce  qu'il  s'était 
proposé,  il  reprit  le  chemin  d'Angleterre  et  se  rendit  auparavant  à  Lyon, 
auprès  du  saint  archevêque  qui  lui  avait  témoigné  tant  de  bienveillance.  Il 
ne  le  trouva  pas  moins  affectionné  pour  lui  qu'à  son  premier  passage  ;  aussi 
il  demeura  trois  ans  auprès  de  lui,  et  reçut  de  ses  mains  la  tonsure  cléri- 


SALNT   WILFRID   OU  WILFERDER,   ARCHEVÊQUE   D'YORK.  297 

cale,  pour  se  disposer  à  entrer  dans  les  Ordres  sacrés.  C'était  le  dessein  du 
saint  prélat  de  l'y  avancer  et  même  de  le  faire  son  successeur  et  son  héri- 
tier; mais  la  mort  violente  qu'il  endura  bientôt  après  pour  la  justice  arrêta 
l'exécution  de  ce  projet.  Wilfrid  voulait  mourir  avec  lui,  pour  avoir  sa  part 
à  la  gloire  du  martyre  ;  cependant,  comme  les  sicaires  d'Ebroin  reconnu- 
rent qu'il  était  étranger,  ils  ne  lui  firent  aucun  mal.  Il  revint  donc  en  Angle- 
terre, et,  par  la  faveur  et  le  secours  d'Alcfrid,  roi  des  Berniciens,  il  bâtit  un 
monastère  à  Stamford,  et  prit  possession  de  celui  de  Rippon,  qui  était  au- 
paravant occupé  par  des  religieux  écossais.  On  connut  bientôt  dans  cet  em- 
ploi l'éminence  de  sa  vertu  et  de  sa  sagesse. 

Il  reçut  les  Ordres  sacrés  des  mains  d'Agilbert,  évêque  des  West-Saxons. 
Il  se  distingua  dans  une  célèbre  conférence  tenue  dans  le  monastère  de 
Sainte-Hilde,  à  Streaneshalch,  aujourd'hui  Whitby,  en  présence  des  rois 
Oswi  et  Alcfrid,  fils  du  premier  (664),  sur  le  temps  de  la  célébration  de  la 
Pâque  ;  les  Scots  et  les  Bretons  voulaient  suivre  la  coutume  d'Orient  ; 
notre  Saint  y  défendit  vivement  la  coutume  romaine.  Rien  de  plus  remar- 
quable que  l'endroit  de  la  discussion  où  les  deux  partis  reconnaissent  éga- 
lement, en  principe,  l'autorité  du  Saint-Siège.  "Wilfrid,  faisant  remarquer 
que  Jésus-Christ  avait  dit  à  saint  Pierre  :  «  Vous  êtes  Pierre,  etc.  »,  aussi- 
tôt Oswi  dit  :  «  Reconnaissez-vous  tous  de  part  et  d'autre  que  Jésus-Christ 
adressa  ces  paroles  à  saint  Pierre,  et  qu'en  les  lui  adressant  il  lui  donna  les 
clefs  du  royaume  des  cieux  ?»  —  «  Oui  »,  répondirent-ils,  «  nous  le  recon- 
naissons ».  —  «  Eh  bien!  «reprit  le  roi,  «  je  déclare  que  je  ne  veux  pas 
m'opposer  à  celui  qui  garde  la  porte  du  ciel,  et  que  je  me  propose  d'obéir 
à  ses  ordres,  de  peur  que  cette  porte  ne  me  soit  fermée  ».  La  résolution  du 
roi  fut  approuvée  par  toute  l'assemblée.  Nommé  évêque  d'York,  et  sacré 
en  France,  saint  Wilfrid  ne  put  occuper  ce  siège  que  plus  tard,  en  669. 

Dès  qu'il  fut  en  possession  de  son  Eglise,  il  s'employa  avec  un  zèle 
incroyable  à  la  policer.  Il  y  introduisit  la  fréquentation  des  Sacrements,  la 
récitation  des  divins  offices,  l'usage  des  cérémonies  ecclésiastiques  et  de  la 
prédication  de  la  parole  de  Dieu,  et  eut  soin  de  former  les  mœurs  des 
fidèles  sur  les  règles  infaillibles  de  l'Evangile  :  de  sorte  que  son  diocèse 
prit  incontinent  une  autre  face. 

Son  zèle  pour  les  lois  de  l'Eglise  lui  attira  la  haine  d'Egfrid,  second  fils 
d'Oswi.  Indignement  persécuté  par  ce  prince,  il  s'embarqua  pour  Rome  ; 
mais  à  peine  fut-il  en  mer,  qu'une  tempête  le  jeta  sur  les  côtes  de  la  Frise. 
C'était  assurément  la  divine  Providence  qui  l'y  conduisait.  Il  y  fut  reçu 
avec  bienveillance  par  le  roi  Adalgise  et  par  tous  ses  peuples,  bien  qu'ido- 
lâtres. Il  y  prêcha  Jésus-Christ,  et  il  eut  le  bonheur  d'en  baptiser  plusieurs 
milliers,  et  de  frayer  ainsi  le  chemin  à  saint  Willibrord  pour  y  établir  une 
nouvelle  église.  Après  avoir  passé  l'hiver  dans  ce  pays,  il  se  rendit  à  Rome, 
où  le  pape  saint  Agathon  lui  donna  toutes  sortes  de  témoignages  d'estime 
et  de  bienveillance.  Sa  cause  fut  examinée  dans  une  assemblée  d'évêques, 
et  son  innocence  y  parut  avec  tant  d'éclat,  qu'il  fut  rétabli  sans  aucune  dif- 
ficulté dans  la  possession  de  son  siège.  On  le  renvoya  donc  en  Angleterre 
pour  y  continuer  l'exercice  de  sa  charge;  mais,  le  roi  ne  voulant  pas  lui 
donner  entrée  dans  ses  Etats,  il  alla  chez  les  Anglo-Saxons,  pour  les  éclai- 
rer de  la  lumière  de  l'Evangile.  Ses  prédications  eurent  tout  le  succès  qu'il 
pouvait  prétendre.  Non-seulement  il  en  baptisa  un  grand  nombre,  mais  il  y 
en  eut  aussi  plusieurs  qu'il  éleva  à  la  perfection  chrétienne  et  qu'il  fit  entrer 
dans  la  voie  des  conseils  évangéliques.  Il  établit  en  cette  contrée  les  mo- 
nastères de  Bosenham  et  de  Selsey.  Outre  qu'il  combla  les  Barbares  de 


298  12  OCTOBRE. 

bénédictions  spirituelles,  il  attira  sur  eux  toutes  sortes  de  bénédictions 
temporelles  ;  il  les  délivra  surtout  du  fléau  de  la  famine  qu'une  longue  sé- 
cheresse leur  avait  causée  ;  il  leur  procura,  par  ses  prières,  une  pluie  abon- 
dante qui  rendit  à  leurs  terres  une  heureuse  fertilité. 

Cependant  Egfrid  étant  mort,  son  frère  et  successeur,  Alcfrid,  rappela 
notre  Saint,  en  686,  dans  son  diocèse.  Il  ne  put. le  gouverner  longtemps; 
obligé  de  défendre  les  lois  ecclésiastiques  contre  le  nouveau  roi,  comme  il 
l'avait  fait  contre  ses  prédécesseurs,  il  fut  encore  exilé,  cinq  ans  après  son 
rétablissement.  Ce  bannissement  n'était  pas  moins  injuste  que  le  premier; 
Jean  VII,  qui  était  assis  sur  le  siège  de  saint  Pierre,  le  déclara  tel  en  plein 
synode  ;  et  ne  pouvant  souffrir  qu'un  tel  pasteur  fût  séparé  de  son  trou- 
peau, il  donna  un  bref  apostolique,  par  lequel  il  ordonnait  son  rétablisse- 
ment. Avec  ce  bref,  Wilfrid,  qui  s'était  retiré  à  Rome,  revint  en  France 
pour  repasser  dans  son  pays.  Etant  à  Meaux,  il  tomba  s*  grièvement  ma- 
lade, qu'on  ne  croyait  pas  qu'il  pût  guérir  ;  mais  Dieu  lui  envoya  l'archange 
saint  Michel,  qui  le  consola,  le  fortifia  et  le  remit  en  parfaite  santé.  Quand 
il  fut  de  retour  en  Angleterre,  Brithwald,  archevêque  de  Gantorbéry,  et 
Ethelred,  qui,  après  avoir  quitté  la  couronne  pour  embrasser  la  vie  reli- 
gieuse, avait  été  fait  abbé  de  Barney,  unirent  leurs  efforts  pour  le  réconci- 
lier avec  son  prince  et  pour  obtenir  l'exécution  du  jugement  du  souverain 
Pontife  ;  mais  ce  fut  inutilement.  Dieu  permit,  pour  la  plus  grande  perfec- 
tion de  notre  Saint,  que  sa  persécution  durât  autant  que  la  vie  du  roi 
Alcfrid,  et  qu'il  ne  pût  remonter  sur  son  siège  que  sous  le  règne  d'Osred, 
son  fils,  qui  lui  succéda.  Alors  il  s'appliqua  avec  plus  de  ferveur  et  de  tran- 
quillité à  la  contemplation  des  vérités  éternelles  et  à  dresser  les  comptes 
de  toute  sa  vie  pour  paraître  au  jugement  de  Dieu  ;  ce  qu'il  faisait  ordinai- 
rement dans  le  monastère  d'Undalum  (aujourd'hui  Oundla).  Enfin,  Dieu 
voulant  le  récompenser  de  ses  travaux  et  de  ses  souffrances,  il  rendit  son 
esprit  dans  ce  môme  monastère,  le  24  avril  709,  au  milieu  de  la  troupe  des 
saints  religieux  qu'il  y  avait  assemblés,  et  son  corps  fut  porté  dans  son  an- 
cien couvent  de  Rippon. 

Ce  monastère  ayant  été  détruit  dans  la  suite,  ses  reliques  furent  trans- 
férées en  grande  partie  dans  la  cathédrale  de  Cantorbéry,  et  déposées  sous 
le  principal  autel  de  cette  église,  en  959.  Lanfranc  les  fit  renfermer  dans 
une  châsse,  et  saint  Anselme  les  mit  au  nord  du  même  autel,  le  12  octobre. 
On  commença  dès  lors  à  célébrer  en  ce  jour  la  principale  fête  du  Saint,  qui 
s'était  faite  précédemment  le  24  avril,  comme  on  le  voit  par  l'ancien  missel 
de  l'église  britannique,  qui  se  garde  à  Jumiéges  ;  par  l'ancien  calendrier 
de  saint  Maxime  ;  par  le  martyrologe  en  vers  de  Bède ,  qu'a  publié 
d'Achéry,  et  par  les  anciens  martyrologes  anglais.  On  dit  que  les  reliques 
de  saint  Wilfrid  sont  présentement  auprès  du  tombeau  du  célèbre  cardinal 
Polus. 

On  le  représente  ressuscitant  un  enfant  pour  lui  donner  le  baptême. 

Le  P.  Giry  avait  composé  son  récit  d'après  Bede  ;  nous  l'avons  complété  arec  les  Bollandistes,  Peck» 
Histoire  de  Stamford,  Ling&rd,  et  surtout  Alban  Butler. 


SAINTE   SPERIE,    VIERGE   ET   MARTYRE.  290 

SAINTE  SPÉRIE  \  VIERGE  ET  MARTYRE, 

PATRONNE   DE   SAINT-CÉRÉ,    AU   DIOCÈSE   DE  CAHORS 
760.  —  Pape  :  Paul  I".  —  Roi  de  France  :  Pépin  le  Bref. 


Le  cœur  trouve  son  repos  quand  il  s»  fixe  par  ta 
désir  dans  l'amour  de  Dieu. 

Hugues  de  Saint-  Victor. 

La  bienheureuse  Spérie  naquit,  vers  l'an  740,  au  château  de  Saint-Sérène, 
qui  était  bâti  sur  le  sommet  d'une  montagne  de  môme  nom,  située  sur  la 
rive  droite  de  la  Bave,  dans  le  Quercy,  et  sur  les  ruines  duquel  s'élève  au- 
jourd'hui la  petite  ville  de  Saint-Céré  (Lot,  arrondissement  de  Figeac).  Son 
père  s'appelait  Sérène,  et  sa  mère  Blandine,  femme  aussi  recommandable 
par  sa  vertu  que  par  sa  noblesse.  Elle  reçut  sous  les  yeux  mêmes  de  ses 
parents  une  éducation  conforme  à  sa  naissance  et  au  rang  qu'elle  devait 
occuper  dans  le  monde.  La  beauté  qu'elle  avait  reçue  de  la  nature  et  à  qui 
la  vertu  prêtait  de  nouveaux  charmes,  augmentant  avec  l'âge,  faisait  l'ad- 
miration de  toute  la  contrée,  et  le  sujet  le  plus  ordinaire  des  entretiens. 
Tout  le  monde  louait  sa  modestie  dans  le  maintien,  et  cet  amour  pour 
Dieu  qui  reluisait  dans  toutes  ses  paroles  et  ses  démarches  ;  son  cœur  en  fut 
si  embrasé,  qu'elle  forma  dès  l'âge  de  quatorze  ans  la  résolution  de  se  dé- 
tacher de  tous  les  objets  terrestres,  et  de  ne  vivre  que  pour  lui. 

Lorsque  Spérie  fut  en  âge  d'être  mariée,  plusieurs  nobles  du  voisinage 
jetèrent  les  yeux  sur  elle  pour  en  faire  la  demande  à  ses  parents  ;  mais  la 
Sainte,  fortifiée  dans  sa  première  résolution,  à  la  vue  des  dangers  qu'elle 
apercevait  dans  le  siècle,  afin  de  se  mettre  à  l'abri  de  leurs  importunes  re- 
cherches, fit  vœu  de  perpétuelle  virginité.  Tout  entière  à  Jésus-Christ,  son 
divin  époux,  elle  ne  s'occupa  dès  ce  moment  qu'à  lui  plaire  et  à  contempler 
ses  infinies  perfections  ;  elle  le  louait  au  lever  de  l'aurore,  en  lui  adressant 
ses  premiers  soupirs,  et,  lorsque  le  sommeil  de  la  nuit  venait  interrompre 
ses  exercices  de  dévotion,  elle  Le  remerciait  humblement  de  ses  bienfaits 
et  s'endormait  en  paix  et  à  l'ombre  de  ses  ailes.  Ainsi,  pendant  que  la  jeune 
vierge  menait  sur  la  terre  une  vie  plus  digne  des  anges  que, des  hommes,  la 
mort  ravit,  presque  dans  le  même  temps,  son  père  et  sa  mère  qui  la  lais* 
sèrent,  avec  son  frère  Clarus,  héritière  de  leur  riche  et  vaste  patrimoine. 

A  cette  époque,  où  l'autorité  royale  était  presque  anéantie  en  France, 
un  grand  nombre  de  seigneurs  en  avaient  profité  pour  se  rendre  indépen- 
dants, et  se  faire  mutuellement  la  guerre.  Le  frère  de  Spérie  se  vit  bientôt 
en  butte  aux  outrages  et  aux  menaces  d'un  jeune  seigneur  nommé  Hélidius, 
qui  était  son  proche  parent.  Pour  mettre  un  terme  à  leurs  hostilités,  quel- 
ques seigneurs  voisins  qui  étaient  demeurés  étrangers  à  toutes  ces  dissen- 
sions, proposèrent  et  parvinrent  à  faire  adopter  un  accommodement, 
d'après  lequel  Hélidius  devait  épouser  Spérie.  A  cette  proposition  qui  lui 
fut  transmise  par  Clarus,  la  bienheureuse,  saisie  de  trouble  et  d'étonnement, 
lève  au  ciel  ses  yeux  baignés  de  larmes,  quitte  SOn  frère  sans  lui  rien  ré- 

V  Alias  ;  Espérie,  Spère,  Exupérto. 


300  12  OCTOBRE. 

pondre,  et  court  s'enfermer  dans  sa  chambre,  où,  après  s'être  livrée  quelque 
temps  aux  sanglots,  elle  fit  à  Dieu  cette  prière  :  «  Seigneur,  qui  seul  con- 
naissez le  lien  indissoluble  qui  m'a  pour  toujours  unie  à  vous,  voyez  les 
angoisses  et  les  périls  qui  m'environnent  de  toutes  parts,  et  soyez  dans  ce 
moment  mon  refuge,  mon  conseil  et  ma  force  ».  Après  cette  courte  mais 
ardente  prière,  elle  se  sentit  inspirée  de  renouveler  son  vœu  et  de  se  retirer 
dans  quelque  solitude  où  elle  offrirait  en  paix  le  perpétuel  holocauste  de 
son  cœur. 

Obéissante  à  la  voix  de  son  époux  qui  l'appelait  au  désert,  Spérie  quitte 
ses  riches  habits,  ces  superbes  atours  auxquels  sa  haute  condition  l'avait 
jusque-là  condamnée,  et  qu'elle  avait  toujours  envisagés  comme  l'écueil 
de  sa  profonde  humilité,  se  travestit  en  paysanne,  afin  de  n'être  pas  re- 
connue, et,  accompagnée  d'une  suivante  qui  portait  quelques  vivres,  elle 
quitte  secrètement  le  château,  descend  en  diligence  la  rude  montagne  de 
Saint-Sérène,  traverse  la  Bave  qui  en  baigne  le  pied,  et  entre  dans  la  vaste 
solitude  de  Leyme  *  où,  après  avoir  erré  quelquesjours,  elle  fixa  sa  retraite. 
Ce  fut  dans  cette  horrible  forêt  que  l'Esprit  de  Dieu  conduisit  les  pas  de  la 
vierge  où,  venant  de  quitter  les  appartements  dorés  de  ses  ancêtres,  elle  se 
logea  dans  le  tronc  d'un  vieux  chêne  qui  la  garantissait  des  injures  de  l'air 
et  lui  servait  de  temple  où  elle  passait  une  grande  partie  des  nuits  à  veiller 
et  à  prier,  et,  pendant  le  court  espace  de  temps  que  la  Sainte  accordait  au 
sommeil,  elle  reposait  sur  un  lit  de  mousse  et  de  feuillages  qu'elle  y  avait 
amoncelés.  Accoutumée  à  vivre  splendidement  et  à  converser  avec  des  per- 
sonnes de  distinction,  la  jeune  Spérie  mortifiait  son  corps  délicat  par  des 
jeûnes  rigoureux,  et  n'avait,  dans  cette  sombre  et  silencieuse  forêt,  d'autre 
compagnie  que  celle  des  bêtes  sauvages,  ni  d'autres  délassements  que  le 
chant  des  cantiques  divins  embellis  des  accents  d'une  voix  mélodieuse  à 
laquelle  répondaient  les  échos  de  la  solitude. 

La  fidèle  compagne  de  sa  fuite,  après  avoir  soigneusement  remarqué 
l'arbre  et  les  lieux  environnants,  retourna  à  Saint-Sérène,  d'où  elle  lui 
apportait,  à  des  temps  marqués,  une  partie  de  la  nourriture  qui  lui  était 
nécessaire,  et  ne  révéla  qu'après  la  mort  de  la  Sainte,  les  merveilles  dont 
elle  seule  fut  témoin. 

Au  milieu  de  ces  austérités,  l'ennemi  du  salut,  qui  multiplie  les  atta- 
ques et  en  redouble  la  violence  à  proportion  de  la  fermeté  et  des  résistances 
que  lui  opposent  les  élus,  venait  de  temps  en  temps  troubler  l'imagination 
de  la  Vierge  :  tantôt  il  lui  représentait  que  sa  retraite  au  désert  était  peut- 
être  l'effet  d'une  illusion,  que  la  virginité  n'était  ni  la  meilleure  voie  ni  la 
plus  sûre  pour  le  salut,  parce  que  le  Créateur  avait  ordonné  aux  premiers 
habitants  de  la  terre  de  croître  et  de  se  multiplier,  que  c'était  agir  contre 
ses  vues  de  ne  pas  se  prêter  au  mariage  arrêté  avec  Hélidius  qui  la  rendrait 
mère  d'une  nombreuse  famille  qui  serait  élevée  dans  la  crainte  du  Seigneur, 
qu'elle  seule  ne  pourrait  jamais  lui  rendre  autant  de  gloire  qu'une  nom- 
breuse prospérité,  et  que,  si  tout  le  monde  gardait  le  célibat,  la  terre  serait 
bientôt  réduite  en  solitude  ;  tantôt  il  rappelait  à  sa  mémoire  toutes  les 
déplorables  circonstances  de  la  dernière  guerre  prête  à  se  rallumer,  si  elle 
persistait  dans  sa  résolution  ;  qu'elle  serait  responsable  de  tout  le  sang  qui 

1.  Leyme  ou  l'Herme,  est  dérivé  du  mot  latin  Eremus,  qui  veut  dire  désert.  On  appelait  alors  Leyme, 
ou  le  désert,  toute  cette  étendue  de  pays  qui  forme  aujourd'hui  les  paroisses  de  Saint-Vincent,  Bannes, 
Leyme,  la  partie  septentrionale  d'Aynac  et  celle  qui  est  au  midi  de  Saint-Céré.  Dans  la  suite,  le  nom  de 
Leyme  fut  restreint  au  seul  monastère  de  l'Ordre  de  Cîteaux  qui  fat  fondé  dans  cette  forêt,  environ  cin- 
quante ans  après  la  mort  de  sainte  Spérie  :  on  attribue  avec  beaucoup  de  vraisemblance  cette  fondation 
à  Louis,  Toi  d'Aquitaine,  un  des  fils  de  Chailemagne. 


SAINTE  SPÉRIE,    VIERGE  ET  MARTYRE.  301 

allait  être  répandu,  de  tous  les  incendies  et  brigandages  qui  pourraient  se 
commettre,  et  que,  quand  même  elle  se  sentirait  de  l'attrait  pour  le  célibat, 
Ce  goût  particulier  devait  être  sacrifié  au  bien  public. 

A  toutes  ces  suggestions  du  malin  esprit,  la  Sainte  opposait  de  ferventes 
prières,  invoquant  les  noms  sacrés  des  personnes  divines  et  imprimant  sur 
son  front  le  signe  auguste  de  notre  rédemption  :  «  Non»,  s'écriait-elle 
quelquefois,  «  je  n'ai  pas  été  conduite  au  désert  par  un  esprit  d'erreur, 
puisque  je  ne  m'y  suis  retirée  que  pour  conserver  cette  chasteté  que  j'ai 
vouée  à  Jésus-Christ,  et,  en  prononçant  ce  vœu,  je  n'ai  fait  qu'obéir  à  cette 
douce  invitation  qu'il  me  semblait  entendre  depuis  mon  enfance  :  «  Ma 
fille,  donne-moi  ton  cœur  ».  Le  mariage  est  bon  et  saint,  sans  doute,  mais 
l'état  auquel  il  a  daigné  m'appeler  est  encore  plus  parfait  et  plus  agréable 
au  Seigneur,  puisqu'il  le  compare  à  la  vie  que  mènent  les  anges  dans  le 
ciel,  et  que,  pour  l'honorer,  il  a  voulu  naître  d'une  vierge  et  choisir  pour 
bien-aimé  un  apôtre  vierge.  En  ordonnant  à  nos  premiers  parents  de  se 
multiplier,  il  n'a  donc  pas  soumis  chacun  de  leurs  descendants  à  la  même 
loi.  Je  me  suis  irrévocablement  engagée  à  n'aimer  que  vous,  ô  mon  Dieu, 
et  vous  m'êtes  témoin  que,  si  je  refuse  la  main  d'Hélidius,  c'est  pour  ne 
pas  rompre  le  vœu  que  j'ai  fait  de  mon  propre  et  libre  choix.  Rien  au 
monde  ne  pourra  désormais  me  détacher  de  votre  service  auquel  je  me 
suis  consacrée  tout  entière;  oui,  plutôt  mourir  que  de  jeter  un  regard 
profane  vers  ce  monde  que  je  m'estime  mille  fois  heureuse  d'avoir  aban- 
donné ».  C'est  ainsi  que  la  vierge  Spérie  vécut  au  désert  depuis  la  mi-juillet 
jusqu'au  douze  octobre. 

Cependant  Clarus,  après  la  fuite  précipitée  de  sa  sœur  qui  était  partie 
sans  lui  communiquer  son  dessein,  fut  en  d'étranges  perplexités  :  il  pensa 
d'abord  qu'éprise  de  quelqu'autre  jeune  chevalier,  elle  avait  pris  la  fuite 
afin  d'éviter  les  recherches  d'Hélidius  pour  lequel  elle  avait  toujours  mon- 
tré de  l'éloignement.  Pour  rendre  donc  à  son  cousin  les  bons  offices  qu'il 
lui  avait  promis,  Clarus  parcourut  les  montagnes  de  l'Auvergne,  les  quar- 
tiers du  Quercy,  du  Rouergue  et  du  Limousin,  visita  toutes  les  villes  et 
châteaux  où  il  soupçonnait  que  Spérie  pouvait  s'être  réfugiée  ;  mais  per- 
sonne ne  put  lui  en  donner  aucune  nouvelle,  et  tout  le  monde  demeurait 
étonné  d'un  départ  si  extraordinaire.  Après  trois  mois  de  courses  inutiles, 
Clarus  revint  chez  lui  plus  chagrin  et  plus  agité  que  jamais,  croyant  qu'elle 
s'était  peut-être  donné  la  mort  pour  ne  pas  tomber  sous  le  pouvoir  d'un 
homme  qui  jusqu'alors  avait  fait  tant  de  mal  à  leur  famille. 

Quelque  temps  après,  de  concert  avec  Hélidius,  il  réunit  tous  ses  vas- 
saux pour  explorer  avec  eux  les  forêts  voisines  où  il  pensait  qu'elle  s'était 
réfugiée.  Ils  avaient  déjà  parcouru  les  deux  tiers  de  la  forêt,  et  le  soleil 
avait  fait  la  moitié  de  sa  course,  lorsque  l'un  d'eux,  pressé  de  la  soif,  ren- 
contre une  rigole  où  coulait  une  eau  pure  ;  voulant  se  désaltérer  à  la  source 
même  qu'il  jugea  n'être  pas  éloignée,  l'espion  se  mit  à  suivre  le  canal  qui 
le  conduisit  auprès  d'un  chêne  d'une  grosseur  remarquable  ;  après  qu'il  eut 
étanché  sa  soif,  continuant  sa  tâche,  il  avance  la  tête  vers  l'ouverture  du 
chêne,  ô  surprise  !  il  y  voit  Spérie  à  genoux,  les  yeux  au  ciel,  et  priant  si 
attentivement  qu'elle  ne  l'aperçut  pas.  Il  revient  sur  ses  pas  sans  lui  avoir 
adressé  la  parole  et  court  en  porter  la  nouvelle  à  Clarus  qui  s'écria  avec 
l'accent  de  la  joie  :  «  Spérie  est  trouvée  »  ;  ce  cri,  répété  de  proche  en  proche, 
arrive  en  un  instant  aux  oreilles  d'Hélidius,  qui  était  à  l'extrémité  de  la 
forêt.  Les  recherches  cessent  aussitôt,  tous  les  vassaux  impatients  de  revoir 
la  fille  et  la  sœur  de  leur  seigneur,  se  réunissent  à  leursxhefs  qui,  guidés  par 


302  1%   OCTOBRE. 

Fauteur  de  la  découverte,  se  rendent  au  chêne  où  ils  trouvent  la  vierge 
encore  en  oraison  :  elle  était  si  étrangement  défigurée  par  les  jeûnes  et  les 
austérités,  les  vieux  habits  qu'elle  portait  déguisaient  tellement  sa  physio- 
nomie, qu'ils  eurent  d'abord  quelque  peine  à  la  reconnaître.  Clarus  la  sup- 
plia avec  larmes  de  revenir  à  la  maison  paternelle  et  de  donner  sa  main  à 
Hélidius,  pour  mettre  à  leur  réconciliation  le  sceau  de  l'union  conjugale. 

Mais  Spérie  immobile  ne  laissa  échapper  aucun  signe  de  trouble  ou  d'é- 
motion, annonçant  par  son  maintien  le  calme  de  son  âme  et  la  fermeté  de 
sa  résolution  ;  puis  avec  un  visage  où  régnaient  la  sérénité  et  la  douceur, 
elle  répondit  :  «  Très-cher  frère,  si  depuis  longtemps  je  n'avais  renoncé  au 
monde,  les  raisons  que  vous  alléguez  contre  ma  retraite  seraient  suffisantes 
pour  m'engager  à  rentrer  chez  vous,  afin  d'y  mener  le  genre  de  vie  que 
vous  me  proposez  ;  mais  ayant  par  un  vœu  secret  promis  de  n'avoir  d'autre 
époux  que  mon  Sauveur  Jésus,  je  ne  puis  plus  renCrer  dans  le  commerce  du 
monde  que  j'ai  abandonné  avec  juste  raison  ;  car,  vous  le  savez,  la  vertu 
sans  cesse  exposée  à  ses  mépris,  ou  au  torrent  de  ses  mauvais  exemples, 
court  risque  d'y  faire  naufrage.  Ah  !  s'il  vous  était  donné  de  goûter  combien 
est  douce  la  vie  solitaire  que  je  mène,  loin  d'en  blâmer  l'austérité,  vous  la 
préféreriez  à  tous  les  bruyants  plaisirs  du  siècle. 

«  Jetez  les  yeux  sur  ces  hêtres  dont  la  cime  parait  toucher  aux  nues,sur 
ces  chênes,  sur  ces  châtaigniers  qui  étendent  leurs  branches  et  balancent 
leurs  rameaux  chargés  de  fruits  ;  là  se  jouent  les  agiles  écureuils,  là  des 
milliers  d'oiseaux  chantent  les  louanges  du  Créateur  et  font  entendre  les 
plus  agréables  concerts.  Comparez  ces  êtres  animés  à  ceux  que  les  peintres 
ont  essayé  de  représenter  dans  vos  salons  ;  voyez  ces  arbres,  ces  rochers,  ces 
fontaines  en  réalité,  de  combien  surpassent-ils  ceux  que  les  artistes  ont  pla- 
cés dans  vos  appartements  ;  mais  ce  qui  est  ici  plus  attrayant  que  tous  ces 
magnifiques  spectacles,  c'est  que  j'y  jouis  d'un  repos  intérieur,  d'une  tran- 
quillité d'âme  inconnus  à  ceux  qui  se  laissent  emporter  aux  agitations  et 
aux  sollicitudes  du  siècle.  Laissez-moi  donc  en  paix,  cher  frère,  dans  cette 
solitude  où  je  me  crois  la  plus  heureuse  de  la  terre  ». 

Clarus,  outré  de  voir  sa  sœur  persévérer  dans  ses  refus  qu'il  croyait  fon- 
dés sur  des  motifs  controuvés,  donnant  un  libre  cours  à  l'indignation  qu'il 
avait  d'abord  su  contenir  dans  son  cœur,  éclata  en  ces  termes  :  «  Je  ne  me 
paie  point  des  sottes  rêveries  d'un  cerveau  dérangé  ;  votre  sort  dépend  de 
ma  volonté  ;  à  l'âge  où  vous  êtes,  il  ne  vous  appartient  pas  de  choisir  ;  je 
l'ai  fait  pour  vous,  il  ne  vous  reste  qu'à  obéir  ;  le  mariage  avec  Hélidius 
vous  convient,  que  cela  suffise  ;  manifestez  ici  votre  adhésion,  ou  bien  rési- 
gnez-vous à  souffrir  tous  les  maux  que  ma  juste  colère  pourra  vous  susciter, 
et,  si  les  plus  rudes  traitements  ne  peuvent  vaincre  votre  opiniâtreté,  je  ne 
serai  plus  pour  vous  ce  frère  qui  vous  aimait  si  tendrement  ;  comptez  que 
je  serai  votre  bourreau,  et  que  de  ma  propre  main  je  répandrai  votre  sang 
pour  vous  faire  expier  tous  les  chagrins  que  vous  me  causez  ». 

«  Le  sang  que  vous  menacez  de  verser  » ,  dit  Spérie  d'une  voix  ferme  et 
avec  un  visage  assuré,  «  ne  m'appartient  pas,  il  est  à  Jésus-Christ  auquel  je 
l'ai  consacré  ;  je  m'estimerais  heureuse  de  le  répandre  jusqu'à  la  dernière 
goutte,  s'il  doit  procurer  sa  gloire  et  vous  montrer  jusqu'où  peut  porter 
l'amour  divin  dont  ce  sang  est  tout  enflammé  ;  je  sais  qu'un  moment  d'af- 
fliction me  procurerait  une  gloire  incomparable  et  qui  n'aura  jamais  de  fin. 
Si  votre  colère  ne  peut  être  assouvie  que  par  ma  mort,  abandonnez -vous  à 
sa  brutale  impulsion,  mais  sachez,  malheureux!  que  ce  moment  de  ven- 
geance vous  coûtera  une  éternité  de  supplices  ». 


SAINTE   SPÉRIE,   VIERGE  ET   MARTYRE.  303 

A  celte  réponse  pleine  d'énergie,  le  frère  furieux  et  plus  emporté  qu'au- 
paravant, se  tourne  vers  Hélidius  :  «  Vengeons  »,  dit-il,  «  cher  cousin,  ven- 
geons tous  deux  cette  injure  qui  nous  est  commune  ;  je  te  l'ai  promis  et  je 
tiendrai  ma  parole  :  ma  sœur  sera  ton  épouse  de  gré  ou  de  force  ;  elle  va  te 
le  promettre,  ou  bien  tu  la  verras  tomber  morte  à  mes  pieds  ».  —  Hélidius, 
alternativement  en  proie  aux  accès  de  l'amour  et  de  la  rage,  rompit  enfin 
le  silence  :  «  Il  faut  te  résoudre  à  me  donner  satisfaction  » ,  dit-il  en  s'a- 
dressant  à  Spérie,  «  ou  bien  mon  amour  va  se  changer  en  cruauté,  et  cette 
tête  où  tu  as  conçu  ce  mépris  va  être  abattue  ;  en  deux  mots  :  où  tu  seras 
mon  épouse,  ou  tu  ne  le  seras  d'aucun  ».  —  «  Oui  »,  répondit-elle,  «  je 
serais  à  vous,  Hélidius,  si  je  devais  être  l'épouse  d'un  homme  mortel  ;  mais 
je  ne  puis  être  et  ne  serai  jamais  alliée  qu'à  Jésus  auquel  j'ai  donné  mon 
cœur  et  ma  vie  ».  En  disant  ces  mots,  elle  se  retira  à  l'écart,  se  mit  à  ge- 
noux, leva  les  yeux  au  ciel,  et  fit  à  Dieu  cette  prière  :  «  Seigneur,  c'est  en 
vous  que  j'ai  espéré  depuis  mon  enfance,  ne  permettez  pas  que  je  sois  con- 
fondue, mais  prêtez  une  oreille  attentive  à  mes  humbles  prières;  soyez  mon 
protecteur,  mon  refuge  et  ma  force,  délivrez-moi  des  pièges  que  viennent 
me  tendre  les  ennemis  de  mon  salut;  Seigneur,  je  remets  mon  âme  entre 
vos  mains  » . 

Alors  Hélidius,  poussé  par  la  fureur  et  le  désespoir,  s'avance  à  grands 
pas,  prend  d'une  main  la  Sainte  par  les  cheveux,  et  de  l'autre  lui  décharge 
sur  la  tête  un  rude  coup  de  cimeterre.  Son  sang  innocent  coule  en  abon- 
dance ;  son  corps,  ses  habits  en  sont  teints,  la  terre  en  est  arrosée,  il  rejaillit 
même  sur  les  meurtriers  qui  ont  encore  la  férocité  de  contempler  quelques 
instants  la  victime  de  leur  barbarie  ;  mais  "bientôt  l'effroi  s'empare  de  leur 
âme,  ils  prennent  la  fuite  à  travers  la  forêt,  et  vont  se  cacher  dans  les  mon- 
tagnes de  l'Auvergne  et  du  Quercy,  jusqu'à  ce  que,  par  ordre  de  Vaïfre, 
duc  d'Aquitaine,  ils  furent  arrêtés  et  punis  du  dernier  supplice. 

On  rapporte  que  la  Sainte  releva  de  ses  deux  mains  la  tête  qui  avait  été 
séparée  du  tronc,  qu'elle  la  porta  depuis  le  lieu  de  son  martyre  jusqu'à  la 
fontaine  auprès  de  laquelle  son  corps  fut  enseveli  et  qui  depuis  a  retenu  le 
nom  de  Fontaine  de  sainte  Spérie  ;  on  voit  aujourd'hui  ce  précieux  monument 
conservé  depuis  plus  de  mille  ans  avec  un  soin  religieux  dans  une  crypte, 
sous  le  pavé  de  l'église  paroissiale  de  Saint-Céré.  Le  ruisseau  sur  les  bords 
duquel  fut  commise  cette  atrocité,  fut  longtemps  appelé  le  Ruisseau  des 
Barbares  *,  en  mémoire  de  cette  barbare  action. 

Ainsi  mourut  sainte  Spérie,  âgée  d'environ  vingt  ans,  l'an  de  Jésus- 
Christ  760,  le  12  octobre,  jour  auquel  dans  le  diocèse  on  a  toujours  depuis 
fait  l'office  de  la  Sainte. 

Un  tableau  d'une  assez  grande  dimension  placé  dans  la  nef  de  l'église 
de  Saint-Çéré,  près  l'autel  de  Saint-Jacques,  représente  d'un  côté  la  Vierge 
Marie  en  pleurs,  se  tenant  debout  aux  pieds  d'un  grand  Christ,  et  de  l'autre 
le  tronc  de  sainte  Spérie,  à  genoux,  tenant  à  la  main  droite  sa  tête  ensan- 
glantée. Elle  est  encore  représentée  sortant  de  la  forêt,  sa  tête  à  la  main, 
sur  une  de  ces  vieilles  tapisseries  qui  couvrent  les  murailles  latérales  du 
chœur.  L'ancien  écussondu  banc  des  marguillers,  encadré  aujourd'hui  dans 
le  nouveau  banc  de  l'œuvre,  montre,  en  demi-bosse,  le  tronc  de  sainte 
Spérie  debout,  tenant  sa  tête  entre  ses  mains. 

1.  Le  ruisseau  que  l'on  appela  longtemps  Barbare  ou  Barbara,  et  qui,  dans  l'idiome  vulgaire,  porte 
aujourd'hui  le  nom  de  Riou  de  la  Bro,  dérivé,  comme  on  voit,  de  l'ancien  Rivo  Barbaro,  prend  sa  source 
au  haut  de  la  paroisse  de  Saint-Jean-Lespinasse,  et  coulant  du  midi  au  nord,  passe  auprès  des  villages 
de  la  Blancherie,  la  Négrie,  la  Maynaidie,  Narbonnez,  partage  le  faubourg  appelé  la  Croix-de-Lagarde  et 


304  12  OCTOBRE, 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Peu  après  la  mort  de  sainte  Spérie,  dont  le  corps  fut  enseveli  auprès  de  la  fontaine  qui  depuis 
a  porté  son  nom,  on  bâtit  une  chapelle  qui  comprenait  le  tombeau  et  la  fontaine  entre  ses  murs, 
pour  y  célébrer  tous  les  ans  le  jour  de  son  martyre,  et  satisfaire  la  dévotion  de  ceux  qui  s'y  ren- 
daient sans  cesse  afin  d'obtenir  par  son  intercession  la  santé  du  corps  ou  les  grâces  spirituelles  dont 
ils  pouvaient  avoir  besoin.  Le  bruit  des  merveilles  qui  s'opéraient  tous  les  jours  à  Sainte-Spérie 
augmenta  de  plus  en  plus  ce  concours,  et,  avec  les  offrandes  que  les  chrétiens  y  déposaient,  on  fit 
construire  des  hôtelleries  pour  loger  une  partie  de  ceux  qui  venaient  visiter  le  tombeau  de  la  Sainte. 
L'affluence  des  pèlerins  qui  lui  étaient  dévoués  et  dont  le  nombre  allait  toujours  croissant  fit  que 
l'on  essarta  le  terrain  attenant  à  la  chapelle,  pour  y  bâtir  des  maisons.  La  chapelle  étant  devenue 
bientôt  insuffisante  pour  contenir  les  nombreux  habitants  du  bourg  ouïes  étrangers,  on  fit  construire 
sur  le  même  lieu  une  grande  église  en  l'honneur  et  sous  l'invocation  de  sainte  Spérie.  L'église  avec 
la  bourgade  qui  en  dépendait  fut  dans  la  suite  cédée  aux  religieux  bénédictins  de  Carennac  ;  enfin 
l'industrie  et  le  commerce  succédant  insensiblement  à  tous  ces  mouvements  qu'inspirait  la  piété,  la 
bonté  du  terrain  que  la  culture  rendait  tous  les  jours  plus  fertile,  donnèrent  l'accroissement  à  cette 
ville  qui  a  retenu  le  nom  de  Sainte-Spérie  jusqu'au  xvn°  siècle  et  qu'elle  quitta  après  que  la  châ- 
tellenie  de  Saint-Sérène  ou  Saint-Seren,  comme  on  l'écrivait  dans  le  moyen  âge,  ayant  passé  à  la 
maison  de  Turenne,  le  château  cessa  d'être  habité,  le  siège  de  la  justice  fut  transféré  à  la  ville  de 
Sainte-Spérie  qui  se  trouvait  dans  ses  dépendances  et  conserva  toujours  le  nom  de  châtellenie  de 
Saint-Seren  ;  cette  dénomination  passa  insensiblement  des  actes  judiciaires  ou  notariés  dans  la 
bouche  du  public  qui  bientôt  oublia  cette  translation  et  s'accoutuma  à  donner  à  la  ville  le  nom 
qu'il  trouvait  dans  les  aetes  publics,  ôta  à  la  ville  de  Sainte-Spérie  son  vrai  nom  pour  lui  substituer 
celui  de  l'ancien  château  qu'on  a  même  quelque  peine  à  retrouver  dans  la  manière  actuelle  d'écrire 
Saint-Céré.  C'est  ainsi  que  la  Sainte  a, comblé  de  faveurs  la  ville  qui  lui  doit  sa  naissance. 

Depuis  bien  longtemps  l'église  de  Sainte-Spérie  ne  possède  plus  les  reliques  de  sa  patronne. 
Une  tradition  orale  assez  unanime  et  quelques  manuscrits  des  derniers  siècles,  qui  ne  citent  aucun 
garant,  portent  que  les  Anglais  les  enlevèrent  lorsqu'ils  furent  forcés  d'évacuer  le  Quercy  et  qu'ils 
les  laissèrent  en  Espagne.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  résulte  de  documents  divers  :  i°  Que  les  reliques 
de  sainte  Spérie  Sérène  ont  existé  au  monastère  de  Lesterps,  alors  au  diocèse  de  Limoges,  aujourd'hui 
Lesterps,  diocèse  d'Angoulème.  La  patronne  de  Saint-Céré  étant  la  seule  qui  ait  porté  ces  noms, 
et  aucune  autre  Sainte  portant  le  nom  de  Spérie  ou  celui  de  Sérène  ne  se  trouvant  dans  le  mar- 
tyrologe romain,  il  devient  à  peu  près  certain  que  ces  reliques  étaient  celles  de  sainte  Spérie  de 
Saint-Sérène,  fille  de  Sérène  ;  car,  d'après  tous  les  écrits  concernant  cette  Sainte,  Spérie  était 
son  nom  de  baptême  et  Sérène  est  employé  pour  désigner  le  nom  de  sa  famille  ou  le  lieu  d'où 
elle  était.  De  plus,  il  est  constant  que  sa  famille,  le  château  et  la  seigneurie  ont  porté  le  nom  de 
Saint-Serenus  tant  qu'on  a  écrit  les  Actes  en  latin,  et  celui  de  Saint-Séren  lorsqu'on  a  commencé 
à  les  écrire  en  français.  Il  est  donc  naturel  de  penser  que  ces  reliques  ayant  été  laissées  à  Les- 
terps par  les  Anglais,  au  lieu  de  continuer  à  les  nommer  reliques  de  sainte  Spérie  Sérène,  on  s'y 
habitua  peu  à  peu  à  les  nommer,  par  abréviation.,  reliques  de  sainte  Sérène;  2°  Les  Anglais  ayant 
été  définitivement  chassés  du  Quercy  en  1451,  c'est  vraisemblablement  cette  année-là  que  les  reli- 
ques de  sainte  Spérie  furent  ravies  à  la  paroisse  de  Saint-Céré  et  portées  à  l'abbaye  de  Lesterps  ; 
c'était  le  chemin  à  peu  près  direct  pour  aller  du  Quercy  en  Angleterre  ;  3°  La  ville  de  Poitiers  ayant 
été  assiégée  par  les  Calvinistes  en  1569,  il  s'ensuit  que  l'église  de  Lesterps  et  les  reliques  qu'elle 
contenait  furent  brûlées  à  cette  époque,  et  que  malheureusement  nous  ne  pouvons  plus  conserver 
l'espoir  de  les  retrouver. 

Nous  avons  extrait  cette  biographie  de  la  Vie  de  sainte  Spérie,  par  M.  l'abbé  Paramelle,  et  de  Notes 
inédites  dues  à  l'obligeance  du  même  auteur. 


LE  BIENHEUREUX  JACQUES  D'ULM  OU  L'ALLEMAND, 

RELIGIEUX  DOMINICAIN  A  BOLOGNE  (1491). 

Fra  Giacomo  ou  le  bienheureux  Jacques  d'Ulm,  naquit  en  cette  dernière  ville,  l'an  1407,  d'une 
honorable  famille  de  négociants.  Dans  sa  jeunesse,  nous  dit  Fra  Ambrogino,  son  élève  et  le  plus 
ancien  écrivain  de  sa  vie,  notre  Bienheureux  s'adonna  aux  arts  mécaniques  pour  lesquels  il  avait 

se  jette  dans  la  Bave  a  peu  près   vis-a-vis  le  centre   de  la  ville  de  Saint-Céré.   On  s'est  fréquemment 
occupé  à  ramasser  des  paillettes  d'or  que  traîne  ce  ruisseau. 


SAINT  SÉRAPHIN  DE  MONTE-GRANARO,  FRÈRE  LAI.  305 

une  aptitude  extraordinaire,  et  aussi  à  la  peinture  sur  verre  dans  laquelle  ses  compatriotes  avaient 
acquis  une  grande  réputation.  A  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  pris  du  saint  désir  de  vénérer  le  tombeau 
du  Prince  des  Apôtres,  il  partit  pour  Rome;  et  là,  sur  cette  terre  baignée  par  le  sang  de  tant  de 
martyrs,  il  éprouva,  parait-il,  de  si  douces  et  si  grandes  consolations  qu'il  résolut  d'y  passer  sa 
vie  entière.  Mais  l'argent  étant  venu  à  lui  manquer,  il  alla  à  Naples  s'enrôler  dans  les  armées 
d'Alphonse,  roi  d'Aragon,  et  quelques  mois  plus  tard  combattit  vaillamment  à  la  bataille  où  ce 
malheureux  prince  perdit  la  couronne  et  la  liberté.  Après  quatre  années  de  service,  pendant  les- 
quelles il  sut  gagner  la  confiance  de  ses  chefs  et  l'estime  de  ses  frères  d'armes  par  son  courage 
et  sa  bonne  conduite,  dégoûté  de  la  vie  licencieuse  des  camps,  il  quitta  l'armée  et,  pour  gagner 
honorablement  sa  vie,  mit  son  intelligence  et  ses  bras  à  la  disposition  d'un  bourgeois  de  Capoue. 
L'an  1440,  se  sentant  violemment  tourmenté  du  désir  si  légitime  d'embrasser  son  vieux  père  et  de 
revoir  sa  chère  patrie  dont  il  était  absent  depuis  sept  ans,  il  reprit  la  route  de  la  Germanie  ;  déjà 
il  était  arrivé  à  Bologne  et  pensait  à  poursuivre  son  chemin,  lorsque  tout  à  coup,  un  jour  qu'il 
priait  avec  ferveur  devant  le  tombeau  de  saint  Dominique  et  plaçait  son  long  et  périlleux  voyage 
sous  la  protection  de  ce  grand  patriarche,  il  entendit  au  fond  de  son  cœur  une  voix  mystérieuse 
qui  l'exhortait  à  sacrifier  la  patrie  terrestre  et  à  se  vouer  entièrement  à  la  conquête  de  la  patrie 
céleste.  Aussitôt  notre  Bienheureux,  comprenant  d'où  venait  cette  voix,  frappa  à  la  porte  du  cou- 
vent de  Saint-Dominique,  demanda  humblement  à  revêtir  l'habit  des  frères  lais,  et  l'obtint  ;  il  avait 
alors  trente-quatre  ans. 

Pendant  les  cinquante  années  qu'il  vécut  encore  dans  l'Ordre,  il  s'y  distingua  par  la  pra- 
tique des  plus  hautes  vertus,  et  se  montra  toujours  aussi  bon  religieux  qu'il  avait  été  bon  soldat. 
Il  mourut  le  11  octobre  1491,  à  l'âge  de  quatre-vingt-quatre  ans.  Léon  XII,  l'an  1825,  l'inscrivit 
au  nombre  des  Bienheureux,  et  l'Eglise  honore  sa  mémoire  le  12  octobre. 

Disons  un  mot  de  ses  œuvres  artistiques.  —  En  revêtant  l'habit  de  saint  Dominique,  notre 
Bienheureux  dut  se  remettre  à  la  peinture  sur  verre  dont  il  avait  abandonné  la  pratique  depuis 
une  dizaine  d'années,  o'est-à-dire  depuis  qu'il  avait  quitté  sa  ville  natale.  Il  fut  chargé  par  ses 
supérieurs  d'orner  de  vitraux  l'église  et  le  couvent  ;  et  en  cette  circonstance,  dit  la  chronique,  il 
s'acquit  une  grande  réputation  ;  mais  malheureusement  presque  tous  ses  travaux,  tant  loués  par 
les  contemporains,  ont  disparu,  et  il  ne  reste  plus  de  lui  qu'un  petit  médaillon  à  l'entrée  d'un  des 
dortoirs  du  couvent;  il  représente  Jésus  sur  la  croix  entre  Marie  sa  mère  et  Jean  son  disciple 
bien-aimé.  Toutefois,  les  beaux  vitraux  qu'il  exécuta  pour  la  grande  basilique  de  Sainte-Pétrone 
et  pour  l'oratoire  de  la  bienheureuse  Hélène,  dans  le  palais  Bentivoglio,  à  Bologne,  subsistent 
encore.  Il  suffit  de  les  examiner  pour  juger  du  talent  prodigieux  de  leur  auteur,  et  comprendre  la 
place  honorable  à  laquelle  il  a  droit,  à  côté  des  plus  grands  maîtres  en  cette  branche  de  l'art.  Le 
bienheureux  Jacques  trouva  en  outre,  le  premier,  le  moyen  de  donner  au  verre  une  teinte  jaune 
diaphane  en  employant  l'oxide  d'argent  ;  si  donc  aujourd'hui  les  peintres  sur  verre  connaissent  ce 
procédé  si  longtemps  cherché  et  l'ont  adopté,  c'est  à  notre  bienheureux  qu'ils  en  sont  redevables. 

En  mourant,  le  bienheureux  Jacques  d'Ulm  laissa  dans  le  cloître  deux  élèves  :  Fra  Ambrogino, 
l'historien  de  sa  vie,  et  Fra  Anastasio,  lesquels  héritèrent  non-seulement  de  ses  talents  et  de  ses 
procédés,  mais  encore  de  ses  vertus,  et  jetèrent  un  nouvel  éclat  sur  le  couvent  de  Saint-Domi- 
nique de  Bologne. 

On  le  représente  près  d'un  four  à  vitraux,  pour  indiquer  l'art  qu'il  exerça  dans  sou  Ordre.  Ou 
le  peint  aussi  parfois  une  croix  à  la  main,  à  cause  de  sa  dévotion  pour  la  passion  de  Notre- 
Seigneur. 

Extrait  de  Y  Année  Dominicaine. 


SAINT   SÉRAPHIN    DE   MONTE-GRANARO, 

FRÈRE  LAI  DE  L'ORDRE  DES  CAPUCINS  (1604). 

L'année  1540  vit  naître  à  Monte-Granaro,  dans  la  Marche  d'Ancône,  saint  Séraphin.  Ses  parents 
étaient  dénués  des  biens  de  la  fortune,  mais  riches  en  vertu.  Sa  mère  surtout  était  si  pieuse  que 
tout  le  monde  l'admirait  et  que  les  femmes  se  la  proposaient  pour  modèle.  Elle  déposa  dans  le 
cœur  de  son  fils  les  germes  de  toutes  les  vertus,  et  Félix,  somme  on  l'avait  nommé  au  Baptême, 
sut  répondre  aux  soins  que  se  donnait  sa  mère  pour  le  former  à  la  vertu.  On  ne  voyait  dans  aoa 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  20 


306  M    OCTOBRE. 

extérieur  et  sa  conduite  rien  de  puéril.  Il  aimait  la  prière,  et,  connaissant  déjà  le  prix  du  temps» 
il  n'en  laissait  perdre  aucune  parcelle.  Son  père,  pauvre  maçon,  plaça  de  bonne  heure  son  fils  chez 
un  paysan  pour  garder  les  bestiaux.  Le  jeune  serviteur  de  Dieu  eut  dès  lors  tout  le  temps  de  se 
livrer  à  la  prière.  Il  avait  gravé  une  croix  sur  un  chêne,  et  devant  cette  croix  il  passait  des  heures 
en  adoration  ;  ce  qui  ne  l'empêchait  pas  de  remplir  son  emploi  avec  la  plus  grande  fidélité.  Le  soir, 
quand  il  était  rentré,  il  prenait  peu  de  nourriture,  et,  après  avoir  donné  quelques  heures  au  som- 
meil, il  se  levait  et  passait  le  reste  de  la  nuit  à  converser  avec  son  Sauveur. 

Le  temps  des  épreuves  était  venu.  La  mort  venait  de  lui  ravir  son  père.  Obligé  de  rentrer  à  la 
maison  paternelle,  il  eut  à  obéir  à  son  frère  dont  le  caractère  était  violent  et  colère.  Ce  frère  était 
maçon:  il  voulut  apprendre  ce  métier  à  Félix,  et,  sans  pitié  pour  son  âge,  il  le  traita  comme  une 
bête  de  somme,  sans  qu'une  plainte  sortit  jamais  de  la  bouche  de  celui  qui  était  l'objet  de  tant  de 
duretés.  Cette  situation  se  prolongea  pendant  plusieurs  années.  A  seize  ans,  ayant  entendu  lire  le 
livre  de  Denis  le  Chartreux  sur  les  fins  dernières,  Séraphin  prit  la  résolution,  pour  sauver  son  âme 
et  échapper  aux  dangers  que  l'on  court  dans  le  monde,  d'entrer  chez  les  Capucins.  Il  se  rendit  au 
couvent  de  Tolentino  où  il  prit  le  nom  de  Séraphin,  sous  lequel  il  est  connu.  Il  avait  dix-huit  ans, 
et  il  comprit  qu'il  n'était  pas  entré  dans  un  Ordre  religieux  pour  pratiquer  la  vertu,  mais  pour 
atteindre  à  la  perfection.  Il  fit  des  progrès  si  rapides  que  ses  frères  en  étaient  étonnés.  Au  bout 
d'un  an  il  fut  admis  à  prononcer  ses  vœux.  Ce  fut  pour  lui  l'occasion  d'une  telle  joie  que  ce  jour- 
là  il  baisait  les  pieds  de  tous  les  Pères.  Dès  loi*  il  s  appliqua  à  établir  en  lui  une  pureté  parfaite 
de  conscience  et  à  éviter  tout  ce  qui  pourrait  la  ternir  ;  il  redoutait  les  péchés  les  plus  légers  et 
les  avait  en  horreur.  En  récompense  il  obtint  en  abondance  les  lumières  du  ciel  et  devint  bientôt 
fort  habile  dans  la  science  des  Saints.  Il  avait  le  cœur  embrasé  des  flammes  de  l'amour  divin,  et, 
un  jour  que  pendant  une  récréation  on  l'obligea  de  monter  en  chaire  pour  adresser  la  parole  à  ses 
frères,  il  sut  trouver  de  tels  accents  que  les  religieux  touchés  et  émerveillés  bénirent  Dieu  de  ce 
qu'il  avait  donné  une  foi  si  vive  et  tant  de  ferveur  à  ce  pauvre  frère.  L'amour  de  Dieu  était  sa  vie; 
il  aurait  voulu  donner  son  sang  pour  prouver  à  Dieu  son  amour  ;  il  sollicita  la  faveur  d'aller  dans 
les  pays  infidèles  pour  y  souffrir  le  martyre,  mais  ses  supérieurs  ne  crurent  pas  devoir  lui  accorder 
cette  faveur  et  priver  leur  communauté  de  ce  modèle  de  vertus.. 

Une  eharité  sincère  pour  le  prochain  accompagnait  l'amour  qu'il  avait  pour  Dieu.  Il  était  affable, 
bienveillant  pour  tout  le  monde  et  toujours  disposé  à  rendre  service.  Mais  c'étaient  surtout  les 
pauvres  qui  avaient  la  plus  grande  part  à  son  affection.  Il  mettait  en  œuvre  tous  les  moyens  qui 
étaient  en  sou  pouvoir  pour  les  soulager,  et  pour  cela  il  se  privait  souvent  du  nécessaire.  Une 
famine  étant  survenue,  il  se  contenta  de  quatre  onces  de  pain  par  jour,  afin  de  pouvoir  donner 
davantage  à  ceux  qui  avaient  faim.  Dieu,  en  récompense  de  ses  vertus,  lui  accorda  le  don  de-s  mira- 
cles; il  connaissait  l'avenir  et  lisait  dans  le  secret  des  cœurs;  mais,  comme  son  humilité  était 
grande,  il  mettait  tout  en  œuvre  pour  cacher  les  prodiges  qu'il  opérait.  Sa  réputation  de  sainteté 
devint  telle  que  ses  supérieurs  furent  obligés  de  lui  ôter  la  charge  de  quêteur,  parce  que,  quand  il 
sortait,  la  foule  se  pressait  sur  ses  pas  et  coupait  des  morceaux  de  son  manteau. 

Il  fut  averti  de  sa  mort  et  l'annonça  à  ses  frères.  Il  avait  soixante-quatre  ans,  quand  il  expira, 
le  12  octobre  1604,  après  avoir  édifié  pendant  quarante-six  ans  l'Ordre  des  Capucins.  Il  s'opéra  de 
nombreux  prodiges  à  son  tombeau.  En  1610,  le  pape  Paul  V  permit  aux  habitants  d'Ascoli  de  lui 
rendre  un  culte  public,  et  Clément  XIII  le  canonisa  le  16  juillet  1767. 

Cf.  Continuateurs  de  Godesca.d;  Acta  Sanctorum,  tome  vi  d'octobre;  Vie  de  saint  Séraphin,  par  le 
P.  Pierre-Benoît  Giovanni,  capucin. 


MARTYROLOGES. 


XIIT  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

En  Angleterre,  saint  Edouard,  roi,  mort  le  5  janvier,  et  honoré  aujourd'hui  à  cause  de  la 
translation  de  son  corps.  4066.  —  A  Troade,  ville  de  l'Asie-Mineure,  la  naissance  au  ciel  de  saint 
Carpe,  disciple-  du  bienheureux  apôtre  Paul.  i«*  s.  —  A  Cordoue,  en  Espagne,  la  naissance  au 
ciel  des  saints  martyrs  Fauste,  Janvier  et  Martial,  qui  furent  d'abord  tourmentés  sur  le  chevalet, 
eurent  ensuite  les  sourcils  rasés,  les  dents  arrachées,  le  nez  et  les  oreilles  coupés,  et  consom- 
mèrent enfin  leur  martyre  par  le  supplice  du  feu1.  Vers  304.  —  A  Thessalonique,  saint  Florent, 
martyr,  qui,  après  plusieurs  autres  tourments,  fut  consumé  par  le  feu.  Vers  350.  —  En  Autriche, 
saint  Colmann,  martyr2.  1012.  —A  Ceuta,  dans  le  royaume  de  Fez,  en  Mauritanie,  le  supplice  de 
sept  bienheureux  martyrs  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  Daniel,  Samuel,  Ange,  Donule,  Léon, 
Nicolas  et  Hugolin,  qui,  pour  avoir  prêché  l'Evangile  et  combattu  la  secte  de  Mahomet,  furent 
accablés  d'outrages,  chargés  de  fers,  fouettés,  et  enfin  décapités  par  les  Sarrasins,  qui  leur  firent 
ainsi  gagner  la  palme  du  martyre.  1221.  —  A  Antioche,  saint  Théophile,  qui  fut  le  sixième 
évêque  de  cette  ville  après  saint  Pierre.  181.  —  A  Tours,  saiat  Venant,  abbé  et  confesseur,  v»  s. 

—  A  Subiaco  (Sublaqueum),  dans  la  Campagne  de  Rome,  sainte  Chélidoine,  vierge 8.  1152. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  de  Nantes,  saint  Edouard  le  Confesseur,  roi  d'Angleterre,  cité  au  martyrologe  romain 
de  ce  jour.  1066.  —  A  Cambrai,  saint  Berthoald,  cinquième  évêque  de  Cambrai  et  d'Arras.  Il  était 
né,  croit-on,  du  sang  royal  de  France,  et  assista,  en  625,  au  concile  de  Reims,  qui  fut  célébré  sous 
Sonnace,  évêque  de  cette  ville.  Il  tint  huit  ans  le  siège  de  Cambrai  et  d'Arras  et  eut  pour  successeur 
saint  Aldebert  ou  Ablebert.  627.  —  En  Limousin,  saint  Pierre  de  Limoges,  premier  évêque  de 
Braga  (Bracara  Augusta),  en  Portugal,  et  martyr,  cité  au  martyrologe  romain  du  26  avril.  i«s. 

—  En  Guyenne,  saint  Géraud  ou  Gérard  de  Corbie,  abbé,  fondateur  du  monastère  de  la  Grande 
Sauve,  et  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  5  avril.  1095.  —  Au  diocèse  de  Limoges,  saint  Léobon, 
solitaire,  natif  de  Saint- Etienne  de  Fursac  (Creuse,  arrondissement  de  Guéret,  canton  de  Grand- 
Bourg).  vj«  s.  — -  Aux  diocèses  de  Rodez  et  de  Saint-Flour,  saint  Géraud  ou  Gérault,  comte 

1.  Prudence  appelle  ces  trois  Martyrs  «  les  trois  couronnes  de  Cordoue  t.  On  dit  que  leurs  reliques 
furent  découvertes  à  Cordoue,  en  1584,  avec  celles  de  quelques  autres  Martyrs.  —  BaUlet. 

2.  Ecossais  de  nation,  Colmann  ou  Colomann  était,  au  dire  de  quelques  historiens,  de  sang  royal.  Ayant 
entrepris  par  dévotion  un  pèlerinage  en  Terre  Sainte,  il  passait  a  Stockerau,  bourg  situé  à  trois  lieues  de 
Vienne,  quand  il  fut  arrêté  par  les  habitants  qui  le  privent  pour  un  espion  envoyé  par  les  Esclavons.  Les 
peuples  voisins  de  l'Autriche,  de  la  Moravie  et  de  la  Bohême,  se  faisaient  alors  une  guerre  cruelle.  Col- 
mann eut  à  souffrir  tous  les  genres  de  supplices  :  on  finit  par  le  pendre,  avec  deux  brigands,  sur  un  arbre 
desséché.Des  miracles  éclatants  confirmèrent  son  innocence;  car,tandisqueles  corpsdes  deux  voleurs  furent 
mangés  par  les  oiseaux  de  proie,  celui  du  Saint  demeura  sans  corruption.  Après  que  le  corps  du  Saint  fut 
resté  suspendu  une  année  entière  sur  l'arbre,  et  que  celui-ci  même  eut  recommencé  a  verdir,  ce  phéno- 
mène fit  sensation  et  on  enterra  solennellement  le  corps  dans  une  chapelle  voisine.  Henri  Ier,  alors  mar- 
grave d'Autriche,  le  fit  plus  tard  transférer  dans  sa  résidence  de  Melk  et  enterrer  dans  la  cathédrale 
(13  octobre  1014).  —  Cf.  Continuateurs  de  Godescard  et  Acta  Sanctorum,  tome  vi  d'octobre. 

3.  Chélidoine  naquit  à  Cicoli  (Abrazze  ultérieure),  et  passa  sa  jeunesse  dans  la  crainte  de  Dieu,  l'hor- 
reur du  péché  et  le  mépris  des  vanités  mondaines.  Devenue  grande  et  résolue  de  vouer  à  Dieu  une  perpé- 
tuelle continence,  elle  se  retira  dans  les  montagnes  voisines  de  Subiaco  et  y  mena  une  vie  très-austère. 
Elle  alla  demander  à  l'évêque  de  cette  ville  le  voile  des  vierges  qui  lui  fut  accordé. Dieu  combla  cette  âme 
sainte  de  faveurs  miraculeuses  :  de  toutes  parts  les  malades  affluaient  vers  elle  pour  lui  demander  le 
secours  de  ses  puissantes  prières  qui  souvent  leur  rendirent  la  santé.  Après  avoir  vécu  jusqu'à  l'âge  da 
soixante  ans  dans  les  exercices  de  la  plus  rude  pénitence,  elle  s'endormit  saintement  dans  Notre-Seigncur 
(1152/.  Pun  corps  fut  transporté,  un  peu  plus  tard,  au  monastère  de  Subiaco.  —  Acta  Sanctorum,  13  oc- 
tobre. 


308  13  OCTOBRE. 

d'Aurillac  et  confesseur.  909.  —  Dans  l'ancienne  abbaye  cistercienne  de  Foigny  (Fusniacmn),  au 
diocèse  de  Soissons,  saint  Gerbrand,  abbé  de  Claer-Catnp  (Clarus  Campus,  Ordre  de  Citeaux), 
dans  l'ancien  diocèse  de  Leeuwarden,  en  Frise.  On  dit  que  son  âme  apparut  portée  dans  le  ciel  par  le 
ministère  des  anges *.  1218.  —  A  Trêves,  saint  Lubence  ou  Louveins  (Lubentius),  prêtre  et  confes- 
seur. Formé  dès  sa  tendre  enfance  à  toutes, les  vertus,  il  vint  à  Trêves  sous  la  direction  du  saint 
évêque  Maximin  qui  lui  conféra  la  prêtrise.  On  prétend  que  saint  Paulin,  évèque  de  Trêves,  l'en- 
voya avec  quelques  prêtre?  en  Aquitaine  cbercher  le  corps  de  saint  Maximin,  son  prédécesseur,  et 
qu'il  apporta  à  Trêves  ce  précieux  trésor.  Lubence  prècba  la  foi  dans  les  environs  de  Coblentz 
(ConfluentesJ,  particulièrement  à  Covern  (Cuberinus),  dans  la  province  Rhénane,  et  convertit  les 
habitants  de  ce  pays.  On  prétend  que  ses  reliques  furent  transportées  d'une  manière  miraculeuse 
à  Dietkirchen,  où  elles  sont  encore  l'objet  de  la  vénération  des  fidèles  2.  369.  —  A  Marseille,  saint 
Antonin,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  Son  corps,  qui  était  à  Saint-Cannat  (Bouches-du-Rhône, 
arrondissement  d'Aix,  canton  de  Lambesc),  fut  transféré,  en  1277,  dans  la  cathédrale  de  Marseille. 
Vers  580.  —  Près  de  Gannat  (Allier),  au  diocèse  de  Moulins,  sainte  Procule,  vierge  et  martyre, 
dont  nous  avons  donné  la  vie  au  9  juillet.  xie  ou  XIIe  s.  —  A  Spire  (Augusia  Nemetum),  ville 
de  Bavière  (Cercle  du  Rhin),  le  vénérable  Reginbaud  ou  Raimbault  (Reginobaldus),  évèque  de  ce 
siège  et  confesseur.  11  pratiqua  d'abord  dans  le  cloître  les  plus  héroïques  vertus,  et  réforma  en- 
suite, avec  le  plus  grand  succès,  les  abbayes  de  Sainte-Afre  d'Augsbourg,  d'Ebersberg  (archiduché 
d'Autriche),  et  de  Lorsch  ou  Laurisheim  (Hesse-Darmstadt).  Le  siège  de  Spire  étant  venu  à  vaquer 
par  la  mort  de  Reginger  (1033),  Reginbaud  fut  appelé  au  gouvernement  de  ce  diocèse.  La  cathé- 
drale de  cette  ville  lui  est  redevable,  en  grande  partie,  de  la  magnificence  dont  elle  s'enorgueillit 
aujourd'hui.  1039.  —  A  Orléans,  la  translation  de  saint  Mamert,  archevêque  de  Vienne  et  con- 
fesseur, dont  nous  avons  donné  la  vie  au  limai3.  477.  —  Au  diocèse  de  Saint-Brieuc,  saint  Mau- 
rice ou  Moriz,  abbé  des  monastères  cisterciens  de  Langonet  et  de  Carnoet,  en  Bretagne,  dont  nous 
avons  donné  la  vie  au  5  octobre.  1191.  —  Au  diocèse  de  Troyes,  saint  Lupien  (Lupence,  Louvent, 
Lupe?itiusJ,  abbé  de  Saint-Privat  en  Vivarais  et  martyr,  dont  nous  donnerons  la  vie  au  22  oc- 
tobre. Vers  584. 


MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-Basile.  —  A  Armento,  en  Lucanie,  saint  Luc  ou  Lucas, 
abbé,  de  l'Ordre  de  Saint-Basile,  fondateur  du  monastère  de  Carbone  ou  San-Carbonio,  illustre  par 
la  sainteté  de  sa  vie  et  la  gloire  de  ses  vertus,  protecteur  et  patron  spécial  de  la  même  ville.  993. 

Martyrologe  de  V Ordre  des  Cisterciens.  —  Au  diocèse  de  Quimper,  dans  la  province  de 
Bretagne,  saint  Maurice,  abbé,  de  l'Ordre  de  Citeaux,  qui  donna  de  grandes  et  glorieuses  marques 
de  sainteté  *.  1191. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint-François.  —  A  Ceuta,  dans  le  royaume  de  Fez,  le 
supplice  des  sept  bienheureux  martyrs  Daniel,  Samuel,  Ange,  Donule,  Léon,  Nicolas  et  Hugolin, 
de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  qui,  pour  avoir  prêché  l'Evangile  et  réfuté  la  secte  de  Mahomet, 
furent  accablés  d'outrages,  chargés  de  fers,  fouettés  et  enfin  décapités  par  les  Sarrasins.  Ils 
obtinrent  la  palme  du  martyre  le  10  de  ce  mois.  1221. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  De  même  que  ci-dessus. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Mineurs-Capucins  de  Saint-François.  —  De  même  que  chez 
les  Frères  Mineurs. 


ADDITIONS   FAITES  D  APRES   LES   BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Augsbourg  (Augusta  Vindelicorum) ,  ville  de  Bavière  (cercle  de  Souabe  et  Neubourg),  saint 
Simbert  (Simpert,  Limpert,  Lintpert),  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  Ses  parents,  qui  étaient 
très-recommandables  par  leurs  vertus  et  leur  piété,  cherchant  à  lui  procurer  une  éducation  chré- 
tienne, le  confièrent  aux  religieux  de  la  fameuse  abbaye  de  Murbach  (Morbacum),  située  autrefois 
à  six  lieues  de  Colmar,  dans  le  voisinage  de  Guebwiller.  Simbert  répondit  aux  vœux  de  ses  pa- 

1.  On  chercherait  en  vain  la  vie  de  saint  Gerbrand  dans  les  Bollandistes  qui,  n'étant  pas  assez  édifié» 
sur  son  culte,  n'ont  pas  osé  l'insérer  dans  leur  Recueil,  sur  la  seule  foi  de  Ferrari,  Molanus,  Menard,  Wion, 
Henriqucz,  Bucelin  et  Chastelain,  auteurs  de  cette  mention.  —  Cf.  Prztermissi,  13  octobre. 

2.  Continuateurs  de  Godescard  et  Acta  Sanctorum. 

3.  Le  corps  de  saint  Mamert,  inhumé  à  Vienne,  fut  ensuite,  par  l'ordre  du  pape  Jean  III  (560-574)  et 
du  roi  Gontran,  transporté  à  Orléans  et  déposé  dans  la  cathédrale  de  cette  ville  où  il  était  en  grande- 
vénération.  Son  chef  était  placé  à  part  dans  une  châsse  d'argent,  et  les  autres  reliques  dans  une  seconda 
châsse  du  même  métal.  Elles  ont  été  brûlées,  au  xvi«  siècle,  par  les  Calvinistes. 

*.  Voir  sa  vie  au  5  octobre. 


SAINT  GÉRAUD   OU  GÉRAULT  D' AUVERGNE,    CONFESSEUR.  309 

rents  et  obtint  en  peu  de  temps  des  succès  distingués  dans  les  études;  mais  Une  négligea  pas  de 
former  en  même  temps  son  cœur  à  la  vertu,  et  devint  un  saint  et  fervent  religieux.  Après  la  mort 
de  saint  Thosson,  évêque  d'Augsbourg  (778),  Charlemagne,  qui  connaissait  tous  les  grands  hommes 
de  son  vaste  empire,  jeta  les  yeux  sur  Simbert  :  celui-ci  prit  possession  de  son  siège  cette  même 
année  778,  tout  en  continuant  de  gouverner  sa  communauté  de  Murbach  (car  il  en  était  devenu 
abbé).  Le  nouvel  évêque  donna  à  son  Clergé  de  sages  règlements,  afin  de  réveiller  son  ardeur 
assoupie  et  l'engager  a  travailler  sans  relâche  à  rappeler  les  mœurs  parmi  le  peuple  ;  ensuite  il 
s'appliqua  à  faire  disparaître  les  dernières  traces  des  désordres  causés  par  les  guerres,  surtout  par 
l'irruption  des  Huns,  qui  avaient  brûlé  (798)  les  faubourgs  d'Augsbourg.  Il  s'occupa  aussi  du  tem- 
porel de  son  Eglise,  et,  entre  autres  œuvres  de  ce  genre,  il  rétablit  dans  toute  sa  splendeur 
l'église  de  Sainte-Afre,  incendiée  par  les  ennemis,  et  fonda  des  institutions  pour  le  soulagement  des 
pauvres  '.  807.  —  A  Chalcédoine,  aujourd'hui  Kadi-Keui,  ville  de  Bithynie,  sur  le  Bosphore  de 
Thrace,  les  saiats  martyrs  Marcel,  Adrien  et  leurs  compagnons,  cités  par  les  martyrologes  de  saint 
Jérôme.  Vers  310.  —  A  Gênes  (Genua),  ville  d'Italie,  dans  les  Etats  Sardes,  saint  Rémo  ou  Ro- 
mule  (Romulus),  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  «  Il  fut  pour  ses  ouailles  »,  nous  disent  les 
archives  de  cette  église,  «  un  père  plutôt  qu'un  maître  ;  sa  douceur,  sa  charité,  son  zèle  lui  ac- 
quirent l'estime  et  la  vénération  de  tous  ceux  qui  le  connurent  ».  Il  mourut  à  Matutia  (aujourd'hui 
Saint-Rémo)  emportant  les  regrets  de  toute  la  province.  Il  y  fut  enseveli  dans  la  crypte  de  Saint- 
Syr,  et  de  nombreux  miracles  vinrent  illustrer  son  tombeau.  A  l'époque  de  l'invasion  des  Sarra- 
sins, ses  précieuses  reliques  furent  transférées  à  Gênes.  Vers  360.  — •  Dans  le  Leinster  ou  Lagénie, 
contrée  d'Irlande,  les  saintes  Fyncane  (Fincane,  Fintane,  Finsèque,  Frinsèque)  et  Findoche  ou 
Frudoche,  vierges.  On  les  honorait  particulièrement  à  Trim,  dans  le  comté  d'East-Meath.  526  ou 
706.  —  En  Ecosse,  saint  Congan  ou  Comgam,  abbé  et  confesseur,  qui  mourut  et  fut  enseveli,  croit- 
on,  dans  la  petite  île  d'Iona  ou  Icolmkill,  une  des  Hébrides.  Commencement  du  vme  s. 


SAINT  GERAUD  OU  GERAULT  '  D'AUVERGNE, 

COMTE  D'AURILLAC  ET  CONFESSEUR 
909.  —  Pape  :  Sergius  III.  —  Roi  de  France  :  Charles  III,  le  Simple. 


L'âme,  attirée  par  l'ineffable  douceur  de  Dieu,  es 
dérobe  en  quelque  sorte  à  elle-même;  elle  est 
ravie  ;  elle  s'échappe  d'elle-même  pour  jouir  de 
Dieu  et  de  ses  délices.  Saint  Augustin. 

Il  était  fils  de  Geraldus  et  d'Adaltrude,  l'un  et  l'autre  issus  de  la  première 
noblesse  du  royaume.  Il  naquit  en  Auvergne  Tan  855,  sous  le  règne  de 
Charles  le  Chauve,  et  reçut  de  ses  parents,  qui  étaient  très-vertueux,  une 
éducation  toute  chrétienne,  à  laquelle  il  répondit  parfaitement  par  sa  dou- 
ceur, sa  modestie,  son  obéissance,  son  honnêteté  et  mille  autres  bonnes 
qualités  qui  éclatèrent  en  lui  dès  son  enfance,  et  qui  firent  pressentir  que 
Dieu  le  destinait  à  une  haute  sainteté.  On  le  dressa  aux  armes  et  à  la  chasse, 
selon  la  coutume  des  nobles.  Mais  une  indisposition  qui  lui  survint,  parais- 
sant par  sa  durée  le  rendre  peu  propre  à  la  guerre,  porta  ses  parents  à  le 

1.  On  déposa  son  corps  dans  l'église  de  Sainte-Afre,  oh  beaucoup  de  miracles  furent  opérés  par  son 
intercession.  Immédiatement  après  sa  mort,  il  fut  honoré  comme  Saint.  A  la  demande  de  l'évêque  Pierre 
d'Augsbourg,  en  1450,  et  après  une  enquête  en  règle,  il  fut  canonisé  solennellement  par  le  pape  Nicolas  Vt 
et  sa  fête  fut  fixée  au  13  octobre  dans  l'église  de  Saint-Ulric.  En  1622,  elle  fut  élevée  au  rang  de  fête 
diocésaine. 

Ses  reliques  furent  levées  de  terre,  en  1491,  sous  l'évêque  Frédéric  II  de  Hohenzollern,  et  l'année  sui- 
vante elles  furent  inhumées  avec  beaucoup  de  pompe,  en  présence  de  l'empereur  Maximilicn  Ier  et  des 
princes  de  l'empire.  Elles  reposent  aujourd'hui  dans  une  chapelle  qui  porte  son  nom.  —  Continuateurs  de 
Godescard  ;  l'abbé  Hunckler,  Histoire  des  Saints  d'Alsace  ;  Vie  du  Saint,  par  Adllbert,  prieur  de  Saint- 
Ulric,  à  Augsbourg. 

S.  En  latin  :  Geraldus. 


310  13   OCTOBRE. 

retirer  de  ces  exercices  et  à  l'appliquer  à  l'étude  :  ce  qui  lui  fut  très-utile 
tout  le  reste  de  sa  vie.  Sa  santé  étant  rétablie,  il  reprit  ses  premières  occu- 
pations ;  mais  il  ne  discontinua  point  de  lire  les  saintes  Ecritures  et  les 
livres  de  piété,  dans  lesquels  il  trouvait  une  onction  et  une  douceur  mer- 
veilleuses. 

La  mort  de  ses  parents  l'ayant  rendu  maître  de  biens  immenses,  il  ne 
s'en  fit  point  un  sujet  d'orgueil  et  d'ostentation,  et  ne  se  laissa  point  aller 
au  luxe  et  aux  débauches  de  la  jeunesse  ;  mais  il  se  tint  toujours  dans  les 
bornes  de  la  crainte  de  Dieu,  se  fortifiant  par  l'oraison  et  par  l'union  conti- 
nuelle de  son  esprit  avec  Dieu.  Il  oublia  néanmoins  un  jour  son  devoir. 
Tenté  par  le  démon  et  par  la  chair,  il  jeta  un  regard  coupable  sur  une  jeune 
esclave;  il  méditait  un  dessein  criminel,  mais  lorsqu'il  allait  l'exécuter, 
Dieu  l'éclaira  :  il  vit  le  gouffre  où  il  s'allait  précipiter,  il  en  gémit  devant 
Dieu,  et  remontant  au  plus  vite  à  cheval,  il  se  retira  sans  avoir  exécuté  le 
mal  que  le  démon  lui  avait  inspiré.  Cependant,  sachant  que  le  consente- 
ment intérieur  qu'il  avait  donné  au  péché  l'avait  rendu  coupable,  il  en  fit 
une  très-sévère  pénitence,  et  Dieu,  qui  ne  laisse  rien  d'impuni  dans  ses 
serviteurs,  l'en  châtia  très-rudement  par  la  perte  de  la  vue,  qui  lui  dura  un 
an  en^er,  et  qu'il  souffrit  avec  une  patience  et  une  résignation  admirables, 
la  regardant  comme  un  effet  de  la  miséricorde  du  Seigneur  et  un  moyen 
qu'il  lui  donnait  d'expier  sa  faute.  Il  fut,  depuis,  extrêmement  sur  ses 
gardes,  conservant  la  plus  grande  modestie  dans  ses  regards  et  évitant 
toutes  les  occasions  de  pécher. 

Il  n'y  avait  rien  de  mieux  réglé  que  sa  journée.  Il  se  levait  à  deux 
heures  du  matin  pour  réciter  les  Matines,  soit  dans  l'église  avec  le  clergé, 
soit  dans  sa  chapelle,  avec  plusieurs  ecclésiastiques  qu'il  avait  toujours 
auprès  de  sa  personne  ;  ce  qu'il  faisait  même  dans  ses  voyages,  et  il  conti- 
nua jusqu'à  la  mort,  bien  que  sept  ans  auparavant  il  fût  devenu  aveugle. 
Le  reste  de  la  nuit  il  demeurait  en  prières,  tellement  occupé  de  Dieu, 
qu'il  ne  semblait  pas  avoir  l'usage  des  sens.  Aux  jours  solennels,  il  pas- 
sait toute  la  matinée  à  l'église,  quelquefois  ravi  en  extase,  et  d'autres  fois 
les  yeux  baignés  de  larmes  ;  il  y  retournait  encore  l'après-dîner,  pour  ne 
rien  perdre  des  louanges  que  l'on  offrait  dans  les  temples  à  la  Majesté  di- 
vine. Après  avoir  entendu  la  messe  les  jours  ouvriers,  il  donnait  une  audience 
publique  à  tous  ceux  qui  voulaient  lui  parler.  Chacun  avait  alors  la  liberté 
d'entrer  chez  lui,  le  pauvre  comme  le  riche,  le  paysan  comme  le  gentil- 
homme. Il  écoutait  tout  le  monde  avec  une  douceur  et  une  patience  admi- 
rables, ne  rebutait  personne,  ne  refusait  rien  de  ce  qu'il  pouvait  accorder, 
ne  remettait  point  à  un  autre  temps  ce  qu'il  pouvait  terminer  sur-le-champ, 
et  ne  renvoyait  point  à  ses  officiers  ce  qu'il  pouvait  exécuter  par  lui-même. 
Les  requêtes  des  veuves  et  des  orphelins  étaient  toujours  les  mieux  reçues, 
et  il  leur  répondait  si  favorablement,  que  nul  ne  sortait  mécontent  de  son 
audience. 

Les  jours  de  jeûne  il  ne  dînait  qu'à  trois  heures  après  midi.  Aux  autres 
temps  il  dînait  de  bonne  heure  pour  la  commodité  de  ceux  qui  ne  devaient 
dîner  qu'après  lui.  Sa  table  était  tout  ensemble  frugale  et  magnifique.  Il  y 
faisait  toujours  manger  des  prêtres  et  des  religieux  ;  et  il  avait  aussi  à  côté 
une  table  pour  les  pauvres,  qu'il  servait  souvent  de  ses  propres  mains.  On 
ne  manquait  point  d'y  faire  la  lecture,  pour  nourrir  l'âme  conjointement 
avec  le  corps  ;  mais  pour  récréer  la  compagnie,  il  l'interrompait  quelquefois 
et  faisait  des  questions  savantes  et  pieuses  aux  gens  doctes  qu'il  y  avait 
invités.  Son  repas  était  ordinairement  suivi  d'une  conversation  agréable  et 


SAINT   GÉRAUD   OU   GÉRAULT  D'AUVERGNE,    CONFESSEUR.  311 

d'un  exercice  corporel  ;  mais  l'un  et  l'autre  étaient  accompagnés  de  tant  de 
modestie,  qu'il  était  aisé  de  voir  qu'il  ne  prenait  pas  ce  divertissement  pour 
son  plaisir,  mais  par  bienséance  et  par  nécessité.  Le  reste  de  la  journée,  il 
l'employait  ou  à  régler  les  affaires  de  son  Etat,  ou  à  terminer  des  différends, 
ou  à  instruire  ses  domestiques,  ou  à  la  visite  des  pauvres,  des  malades  et 
des  prisonniers,  ou  à  la  lecture  des  livres  sacrés,  ou  à  quelques  autres  pra- 
tiques de  charité  et  de  piété. 

Il  avait  excellemment  toutes  les  vertus  d'un  grand  prince.  Sa  prudence 
éclatait  en  toutes  ses  actions;  il  ne  s'engageait  jamais  dans  de  mauvais 
partis  ;  il  n'entreprenait  rien  par  passion  et  ne  donnait  occasion  à  personne 
de  l'attaquer  et  de  lui  faire  la  guerre.  Ses  avis  étaient  toujours  si  judicieux, 
qu'il  n'y  avait  rien  à  y  reprendre  ni  à  y  ajouter.  Il  ne  faisait  jamais  rien 
sans  conseil  ;  et  il  consultait,  non  pas  des  gens  intéressés  ou  vicieux,  mais 
des  plus  sages  et  des  plus  vertueux  de  son  Etat.  Et  pour  ce  qui  est  des  choses 
de  sa  conscience,  il  suivait  la  conduite  de  saint  Gausbert,  évêque  de  Cahors. 
Cette  singulière  discrétion  le  mit  en  grande  estime  à  la  cour  de  France  et 
auprès  des  rois  très-chrétiens  qui  régnèrent  de  son  temps,  auxquels  il  fut 
toujours  très-fidèle,  bien  que  le  royaume  fût  alors  partagé  en  diverses  fac- 
tions. 

Sa  justice  n'était  pas  moindre  que  sa  prudence.  Il  craignait  toujours 
d'avoir  du  bien  d'autrui  :  ayant  su  qu'un  manteau  d'étoffe  du  Levant  qu'il 
avait  acheté  à  Rome  valait  plus  qu'on  ne  lui  avait  vendu,  il  renvoya  le  reste 
du  prix  au  marchand /quoiqu'il  fût  déjà  près  de  rentrer  en  France.  Si  ses 
gens  faisaient  le 'moindre  dégât  dans  la  campagne  lorsqu'il  voyageait,  il  le 
payait  aussitôt  suivant  l'estimation  de  ceux  qui  l'avaient  souffert.  Il  ne 
souffrait  point  de  crime  scandaleux  dans  les  terres  de  son  obéissance,  mais 
il  punissait  sévère  ment  l'oppression  des  pauvres  et  la  vexation  des  veuves 
et  des  pupilles.  Il  réprimait  avec  une  vigueur  admirable  l'insolence  et  la 
tyrannie  des  gentilshommes,  jusqu'à  prendre  les  armes  pour  les  réduire  et 
les  forcer  dans  leurs  villes  et  dans  leurs  châteaux.  Cest  ce  qu'il  fit  au  gou- 
verneur de  Seré,  nommé  Arbault,  qui  s'était  érigé  en  petit  tyran  sur  tout 
son  voisinage.  Il  assemblait  souvent  ses  Etats  pour  savoir  les  désordres 
de  tout  son  comté  et  pour  y  apporter  des  remèdes  efficaces.  Il  faisait 
aussi  en  sorte  que  les  juges  ordinaires  rendissent  promptement  et  fidèle- 
ment la  justice,  sans  se  laisser  corrompre  par  la  faveur  ni  par  des  pré- 
sents. 

Cependant,  il  n'y  avait  rien  de  plus  clément  et  de  plus  débonnaire  que 
lui  :  il  pardonnait  aisément  à  ceux  qui  donnaient  espérance  de  s'amender  ; 
il  faisait  même  quelquefois  évader  des  prisonniers  après  leur  avoir  fait  con- 
cevoir un  grand  regret  de  leurs  crimes.  Jamais  il  ne  faisait  la  guerre  que 
par  force  et  y  étant  contraint  pour  la  conservation  de  son  pays  et  la  défense 
de  ses  sujets.  Avant  de  la  commencer,  il  tentait  toutes  les  voies  de  douceur 
et  d'accommodement,  pour  n'être  point  obligé  de  répandre  le  sang  de  ses 
ennemis.  Dans  la  chaleur  du  combat,  il  voulait  que  ses  soldats  émoussassent 
la  pointe  de  leurs  armes,  ou  ne  frappassent  pas  du  côté  du  tranchant,  afin 
de  faire  plus  de  peur  que  de  mal  ;  et  cependant,  ce  qui  est  admirable,  il 
remportait  toujours  la  victoire,  et  il  est  inouï  que  jamais  il  n'ait  été  défait. 
Il  épargnait  même  les  dépouilles  de  ceux  qu'il  avait  vaincus,  et  ne  permet- 
tait point  à  ses  soldats  de  piller  le  pays  ennemi.  C'est  ce  qui  lui  acquit  le 
surnom  de  bon  comte,  et  qui  lui  attira  tellement  le  respect  et  l'amour  de 
ses  voisins,  que  nul  n'avait  plus  l'audace  de  l'attaquer  ni  de  lui  faire  du 
tort.  Il  n'y  eut  qu'Aymon,  comte  de  Poitiers,  Adelelme,  son  frère,  et  Geof- 


312  13   OCTOBRE. 

froy,  comte  de  Turenne,  qui  osèrent  entreprendre  sur  ses  terres  ;  et  de  fait, 
Adelelme  prit  un  jour  le  château  d'Aurillac.  Mais  Dieu  fit  voir  en  maintes 
occasions  que  notre  Saint  était  sous  sa  protection,  tantôt  en  faisant  paraître 
de  grandes  troupes  autour  de  lui,  quoique  son  armée  fût  fort  petite  ;  tantôt 
en  donnant  des  terreurs  paniques  à  ceux  qui  le  voulaient  attaquer  ;  tantôt 
en  le  rendant  invisible  lorsqu'on  était  près  de  l'insulter.  Il  reprit  en  un  mo- 
ment le  château  que  ce  seigneur  avait  surpris,  et  sans  qu'il  s'en  mît  en 
peine,  la  justice  divine  le  vengea  de  cet  outrage,  en  ôtant  la  vie  à  celui  que 
l'envie  et  la  haine  portaient  à  le  persécuter. 

Il  avait  une  grande  dévotion  envers  les  apôtres  saint  Pierre  et  saint 
Paul,  et  une  profonde  vénération  pour  le  Saint-Siège.  Ses  grandes  occupa- 
tions ne  l'empêchèrent  pas  de  faire  au  moins  sept  fois  le  voyage  de  Rome 
pour  satisfaire  à  cette  dévotion.  En  chemin,  il  faisait  toujours  porter  sa 
chapelle  avec  lui,  afin  de  s'acquitter  de  ses  exercices  de  piété  avec  la  même 
ferveur  qu'il  aurait  fait  dans  son  palais.  Son  occupation  dans  ses  pèleri- 
nages était  de  visiter  les  églises,  d'honorer  les  saintes  reliques,  de  faire  de 
grandes  aumônes  aux  pauvres  et  de  s'entretenir  avec  Dieu  dans  l'oraison  : 
ce  qu'il  faisait,  dit  saint  Odon,  avec  tant  de  révérence,  qu'on  voyait  bien 
qu'il  était  tout  pénétré  de  la  pensée  de  la  présence  de  son  souverain  Sei- 
gneur. Enfin,  sa  ferveur  le  porta  à  fonder  et  à  faire  bâtir  une  belle  abbaye, 
de  l'Ordre  de  Saint-Benoît,  dans  sa  ville  capitale,  à  la  faire  dépendante 
immédiatement  du  Saint-Siège,  et  à  lui  céder,  par  un  don  entre-vifs,  son 
comté  d'Aurillac  avec  la  plupart  de  ses  autres  terres  et  seigneuries  :  il  s'en 
réserva  seulement  l'usufruit.  Toutes  les  fois  qu'il  retournait  à  Rome,  il  por- 
tait une  bourse  attachée  à  son  cou,  dans  laquelle  il  y  avait  dix  pièces  d'or, 
qu'il  offrait  à  l'autel  des  saints  Apôtres,  pour  témoigner  qu'il  était  leur 
vassal,  et  qu'il  tenait  d'eux  en  fief  le  bien  qu'il  s'était  réservé.  Il  assembla 
dans  ce  monastère  un  grand  nombre  de  religieux,  ei  lui-même  eût  entiè- 
rement quitté  le  monde  pour  s'y  renfermer,  si  saint  Gausbert,  son  direc- 
teur, ne  lui  eût  remontré  qu'il  était  plus  à  propos  qu'il  retînt  sa  dignité  en 
apparence,  pour  le  bien  et  le  soulagement  de  ses  sujets,  observant,  d'ail- 
leurs, dans  son  palais,  la  plupart  des  choses  qu'il  verrait  observer  dans  le 
cloître.  Depuis  ce  temps-là  ses  jeûnes  étaient  plus  rigoureux  et  plus  fré- 
quents, son  oraison  plus  assidue,  ses  habits  plus  simples  et  ses  retraites 
plus  ordinaires  :  bien  loin  d'apprendre  quelque  chose  des  religieux  de  son 
abbaye,  il  leur  servait  lui-même  de  modèle  ;  d'ailleurs,  c'était  avant  les 
réformes  de  Cluny  et  de  Cîteaux,  et  dans  un  siècle  où  le  malheur  des  guerres 
avait  causé  un  grand  relâchement  dans  la  discipline  monastique. 

Dieu  fit  de  grands  miracles  pour  rendre  témoignage  de  l'éminente  sain- 
teté du  bienheureux  comte.  L'eau  dont  il  avait  lavé  ses  mains  rendait  la 
vue  aux  aveugles,  le  marcher  aux  boiteux  et  la  guérison  à  toutes  sortes  de 
malades.  S'il  arrivait  que,  dans  ses  voyages,  on  ne  trouvât  pas  de  poisson 
ou  de  vin,  pour  sa  réfection,  la  divine  Providence  en  envoyait  d'une  ma- 
nière miraculeuse.  Les  infirmes  étaient  guéris  dès  qu'il  les  touchait;  mais 
il  était  si  humble  et  si  modeste,  qu'il  évitait,  autant  qu'il  lui  était  possible, 
ces  actions  éclatantes  qui  pouvaient  lui  donner  de  l'estime.  Sept  ans  avant 
sa  mort  il  devint  aveugle,  et  cette  infirmité  ne  fit  que  consommer  sa  pa- 
tience et  toutes  ses  vertus.  Enfin,  prévoyant  que  sa  fin  était  proche,  il  se 
retira  à  Gézeinac,  en  Quercy,  qui  était  aussi  de  son  domaine;  là,  il  régla 
toutes  les  affaires  de  sa  succession  avec  une  prudence  admirable,  pour  em- 
pêcher qu'il  y  eût  jamais  de  contestations  entre  son  abbaye  de  Saint-Pierre 
et  deux  neveux  qu'il  laissait  pour  héritiers  ;  puis,  assisté  d'Adalard,  évêque 


SAINT  EDOUARD  III,  LE  CONFESSEUR,  ROI  D* ANGLETERRE .  313 

de  Clermont,  il  rendit  son  âme  à  Dieu  pour  aller  recevoir  le  salaire  immor- 
tel de  ses  bonnes  œuvres  :  ce  fut  le  13  octobre  909. 

On  le  représente  tenant  une  église,  comme  fondateur  et  protecteur 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Sa  mort  fut  suivie  de  plusieurs  miracles  auxquels  saint  Odon  de  Cluny  et  quelques  autres  per- 
sonnes graves  ont  rendu  témoignage.  On  rapporte  que  son  corps  ayaut  été  dépouillé  pour  être  lavé 
et  embaumé,  il  se  couvrit  aussitôt  de  la  main  ;  ce  qu'il  fit  par  trois  fois,  et  jusqu'à  ce  qu'on  l'eût 
couvert  d'un  suaire,  pour  marquer  combien  la  pureté  lui  avait  été  chère  durant  sa  vie.  Son  corps 
fut  transporté  avec  une  pompe  extraordinaire  à  Aurillac,  où  il  avait  désiré  être  enseveli.  On  l'en- 
terra dans  l'église  du  monastère,  près  de  l'autel  de  Saint-Pierre  ;  dans  la  suite  on  fit  plusieurs 
translations  de  son  corps  dans  la  même  église. 

Au  xvie  siècle,  sa  châsse,  qui  était  d'argent,  fut  enlevée  par  les  Calvinistes,  qui  dispersèrent 
ses  ossements  ;  mais  les  fidèles  trouvèrent  moyen  d'en  recueillir  une  partie.  L'abbaye  d'Aurillac 
donna  naissance  à  la  ville  de  ce  nom,  qui  devint  dans  la  suite  fort  considérable  et  fut  longtemps  la 
capitale  de  la  Haute-Auvergne.  Cette  abbaye,  après  s'être  maintenue  dans  la  discipline  régulière 
avec  beaucoup  de  réputation  jusqu'au  xv°  siècle,  fut  donnée  à  cette  époque  à  des  abbés  commen- 
dataires  qui  y  laissèrent  entrer  le  relâchement.  C'est  ce  qui  la  fit  passer  dans  le  siècle  suivant  à 
des  chanoines  séculiers  qui  la  changèrent  en  chapitre  collégial,  tout  en  conservant  l'abbé  comraen- 
dataire,  avec  l'approbation  du  pape  Pie  IV. 

La  paroisse  de  Saint-Gérault,  à  Aurillac,  possède  les  restes  vénérés  de  son  saint  patron.  Ils 
reposent  actuellement  dans  son  église,  rebâtie  sur  les  fondements  de  celle  que  l'illustre  Saint 
avait  élevée  sous  le  patronage  des  saints  apôtres  Pierre  et  Paul.  Un  grand  concours  de  pèlerins 
vient,  depuis  neuf  siècles,  y  honorer  sa  mémoire. 

Nous  nous  sommes  servi,  pour  composer  cette  biographie,  de  Baillet,  des  Vies  des  Saints  du  Limousin, 
par  M.  Labiche  de  Reignefort,  et  de  Notes  locales  dues  à  M.  l'abbé  Peyrac,  vicaire  de  la  paroisse  do  Saint- 
Gérault,  à  Aurillac.  —  Cf.  Vie  du  Saint,  par  Odon  de  Cluny,  et  le  révérend  Père  Dominique  de  Jésus, 
dans  son  Histoire  parénétique  des  trois  saints  patrons  de  la  Haute- Auvergne. 


SAINT  EDOUARD  III,  LE  CONFESSEUR, 

ROI  D'ANGLETERRE 
1066.  —  Pape  :  Alexandre  II. 


Dans  la  maison  du  juste  qui  vit  de  la  foi,  ceux  qui 
commandent  sont  les  serviteurs  ,de  ceux  auxquels 
ils  paraissent  commander. 

Saint  Augustin. 

Dieu  donne  souvent  les  mauvais  princes  dans  sa  colère;  mais  un  bon 
roi  est  aussi  le  présent  le  plus  précieux  qu'il  puisse  faire  à  une  nation.  «  Un 
roi  sage  »,  dit  la  Sagesse,  «  est  le  soutien  du  peuple  ».  Et  l'Ecclésiastique  : 
«  Tel  qu'est  le  juge  du  peuple,  tels  sont  les  ministres;  tel  qu'est  le  prince 
de  la  ville,  tels  sont  aussi  les  habitants.  Le  roi  insensé  perdra  son  peuple; 
et  les  villes  se  peupleront  par  la  sagesse  de  ceux  qui  les  gouvernent  ».  La 
vérité  de  ces  maximes  est  confirmée  par  le  bonheur  qui  accompagna  le 
règne  d'Edouard  le  Confesseur. 

Le  roi  Ethelred  II  eut  d'Elvige,  sa  prçmière  femme,  Edmond,  surnommé 
Côte  de  fer,  qui  lui  succéda.-  Il  épousa  depuis  Emme,  fille  de  Richard  Ier,  duc 
de  Normandie;  il  en  eut  deux  fils,  Alfred,  et  Edouard  dont  nous  donnons 


314  43    OCTOBRE. 

la  vie.  Le  règne  d'Ethelred  fut  malheureux,  parce  qu'il  fut  faible.  Les  Da- 
nois, qui  depuis  environ  soixante  ans  n'avaient  point  inquiété  la  Grande- 
Bretagne,  vinrent  l'attaquer  de  toutes  parts,  et  y  commirent  d'horribles 
ravages.  Ethelred  acheta  d'eux  une  paix  honteuse,  et  ne  rougit  pas  de  s'en- 
gager à  leur  payer  tous  les  ans  un  tribut  considérable,  qui  fut  levé  par  une 
taxe  à  laquelle  on  donna  le  nom  de  Danegelt.  Swein  ou  Suénon,  roi  des 
Danois,  fit  la  conquête  de  toute  l'Angleterre,  peu  de  temps  après,  c'est-à- 
dire  en  4015.  Ce  prince  mourut  la  môme  année,  laissant  un  fils  nommé 
Knut  ou  Canut. 

Ethelred,  qui  s'était  retiré  en  Normandie,  revint  en  Angleterre,  lorsqu'il 
eut  été  instruit  de  la  mort  de  Suénon,  et  il  remonta  sur  le  trône;  mais  il 
mourut  l'année  suivante,  laissant  encore  la  Mercie  et  quelques  provinces 
de  ses  Etats  entre  les  mains  des  Danois.  Edmond  Côte  de  Fer,  se 
présenta  pour  succéder  à  son  père.  Malheureusement  pour  lui,  il  avait 
affaire  à  des  ennemis  puissants,  et  il  lui  fallut  livrer  plusieurs  batailles. 
Enfin,  les  choses  en  vinrent  au  point  que  l'on  proposa  de  part  et  d'autre 
un  traité;  il  fut  conclu  près  de  Glocester,  et  l'on  arrêta  que  Canut 
aurait  le  royaume  de  Mercie,  de  Northumberland  et  d'Est-Anglie. 

Peu  de  temps  après,  Edmond  fut  indignement  assassiné  par  un  Danois 
qu'il  avait  comblé  de  bienfaits.  Le  Danois  Canut  profita  de  cette  occasion 
pour  s'emparer  de  toute  l'Angleterre. 

Emme  s'était  retirée  en  Normandie  avec  ses  deux  fils  Alfred  et  Edouard. 
Canut  la  demanda  en  mariage  au  duc  Richard,  son  frère,  et  elle  lui  fut 
accordée;  mais  les  deux  jeunes  princes  restèrent  en  Normandie,  à  la  cour 
de  Richard  II  et  de  ses  successeurs,  Richard  III,  et  Guillaume  le  Con- 
quérant. 

Canut  régna  dix-neuf  ans  en  Angleterre.  Il  fut  magnifique,  libéral,  brave 
et  zélé  pour  la  religion  ;  mais  l'ambition  ternit  l'éclat  de  ses  vertus.  Il  mou- 
rut en  1036,  et  ses  Etats  furent  partagés  entre  ses  enfants  :  Swenon  eut  la 
Norwége,  Harold  l'Angleterre,  et  Hardi-Canut  le  Danemark.  Alfred  et 
Edouard  vinrent  de  Normandie  à  Winchester  pour  y  voir  Emme,  leur 
mère.  Godwin,  qui  commandait  dans  le  West-Sex  et  qui  avait  contribué 
principalement  à  établir  l'autorité  de  Harold  dans  cette  partie  de  l'Angle- 
terre, convint  avec  le  roi  d'attirer  les  deux  princes  à  la  cour,  dans  le  des- 
sein de  les  faire  périr  secrètement.  Emme,  se  défiant  de  ce  qui  se  tramait, 
craignit  pour  ses  enfants;  elle  se  contenta  d'envoyer  Alfred,  et  trouva  des 
prétextes  pour  retenir  Edouard  auprès  d'elle.  Godwin  alla  au-devant  d'Al- 
fred, mais  ce  fut  pour  se  saisir  de  sa  personne  :  il  le  fit  d'abord  enfermer 
dans  le  château  de  Guilfort  d'où  il  fut  conduit  à  Ely.  On  lui  creva  les  yeux, 
et  on  le  mit  dans  un  monastère  où  il  mourut  peu  de  jours  après.  Edouard 
retourna  promptement  en  Normandie,  et  Emme  se  retira  chez  le  comte  de 
Flandre.  Après  la  mort  de  Harold,  arrivée  en  1039,  Hardi-Canut  vint  en 
Angleterre  avec  quarante  vaisseaux  danois  et  s'y  fit  reconnaître  roi.  Le 
prince  Edouard  y  vint  aussi  de  Normandie,  et  il  fut  reçu  par  le  nouveau  roi 
avec  les  égards  qui  lui  étaient  dus.  Il  demanda  vengeance  de  la  mort  de  son 
frère;  mais  Godwin  l'évita,  en  faisant  serment  qu'il  n'avait  point  eu  part  à 
la  triste  fin  d'Alfred.  Hardi-Canut,  prince  vicieux,  mourut  subitement  en 
4041.  Suénon,  autre  fils  de  Canut,  existait  encore,  et  régnait  en  Norwége; 
mais  les  Anglais,  las  de  vivre  sous  la  domination  de  rois  étrangers,  qui  les 
traitaient  avec  indignité,  résolurent  de  rétablir  sur  le  trône  leurs  princes 
légitimes.  C'était  l'unique  moyen  qVils  eussent  de  s'affranchir  d'un  joug 
pesant  qu'ils  portaient  avec  impatience  depuis  plus  de  quarante  ans.  D'un 


SAINT  ÉD0UA1U)   III,   LE   CONFESSEUR,   ROI  d'ANGLETEUKE.  315 

autre  côté,  les  vertus  d'Edouard  avaient  gagné  les  ennemis  de  sa  famille, 
et  tout  le  monde  s'accordait  à  vouloir  lui  rendre  la  couronne  de  ses  pères. 
Leofrick,  comte  de  Mercie,  Siward,  comte  de  Northumberland,  et  Godwin, 
comte  de  Kent,  qui  était  en  même  temps  gouverneur  du  royaume  de  West- 
Sex,  les  trois  hommes  les  plus  puissants  de  la  nation,  furent  les  principaux 
auteurs  de  la  révolution  qui  fit  rentrer  l'Angleterre  sous  la  domination  de 
ses  véritables  maîtres. 

Edouard  avait  été  formé  à  l'école  de  la  vertu,  et  il  en  avait  fait  un  bon 
usage.  Il  savait  apprécier  à  leur  juste  valeur  les  biens  de  ce  monde  visible. 
Jamais  il  n'avait  cherché  de  consolation  que  dans  la  vertu  et  dans  la  reli- 
gion. Elevé  dans  le  palais  du  duc  de  Normandie,  il  avait  su  se  préserver  de 
la  corruption  des  vices  qui  régnaient  à  la  cour  de  ce  prince;  il  s'appliqua 
même  à  acquérir  les  vertus  contraires  dès  son  enfance;  il  était  fidèle  aux 
pratiques  que  prescrit  le  christianisme,  et  il  aimait  à  converser  avec  les 
personnes  de  piété.  Toutes  ses  actions  extérieures  portaient  l'empreinte  de 
la  modestie.  Il  parlait  peu,  mais  ce  n'était  ni  par  ignorance,  ni  par  défaut 
de  talent;  tous  les  historiens  s'accordent,  en  effet,  à  dire  qu'il  était  d'une 
sagesse  et  d'une  gravité  au-dessus  de  son  âge.  Son  amour  pour  le  silence 
venait  donc  d'un  fond  d'humilité,  et  de  la  crainte  de  perdre  le  recueille- 
ment ou  de  tomber  dans  les  fautes  qu'entraîne  ordinairement  la  démangeai- 
son de  parler.  Son  caractère  était  composé  de  l'heureux  assemblage  de 
toutes  les  vertus  chrétiennes  et  morales.  On  distinguait  cependant  en  lui 
une  douceur  admirable,  qui  avait  sa  source  dans  une  humilité  pro- 
fonde et  dans  une  tendre  charité  qui  embrassait  tous  les  hommes.  Il  était 
aisé  de  s'apercevoir  qu'il  était  entièrement  mort  à  lui-même  :  de  là  cette 
horreur  pour  l'ambition  et  pour  tout  ce  qui  pouvait  flatter  les  autres 
passions. 

S'il  monta  sur  le  trône  de  ses  ancêtres,  c'est  qu'il  y  fut  appelé  par  la 
volonté  de  Dieu;  aussi  ne  se  proposa-t-il  d'autre  but  que  de  faire  aimer  la 
religion  et  de  venir  au  secours  d'un  peuple  malheureux.  Il  était  si  éloigné 
de  tout  sentiment  d'ambition,  qu'il  déclara  refuser  la  plus  puissante  mo- 
narchie, si,  pour  l'obtenir,  il  fallait  faire  couler  le  sang  d'un  seul  homme. 
Les  ennemis  mêmes  de  la  famille  royale  se  réjouirent  de  le  voir  sur  le 
trône.  Tous  se  félicitaient  d'avoir  un  Saint  pour  roi,  surtout  après  tant  de 
malheurs  sous  le  poids  desquels  la  nation  avait  gémi  ;  ils  espéraient  que  les 
maux  publics  et  particuliers  allaient  être  réparés  par  sa  piété,  sa  justice  et 
sa  bienfaisance.  Edouard  fut  sacré  le  jour  de  Pâques  de  l'année  1402,  à 
l'âge  d'environ  quarante  ans. 

Malgré  les  circonstances  critiques  dans  lesquelles  il  monta  sur  le  trône, 
son  règne  fut  l'un  des  plus  heureux  qu'on  eût  jamais  vus.  Les  Danois  même 
établis  en  Angleterre  le  craignaient,  l'aimaient  et  le  respectaient.  Quoi- 
qu'ils se  regardassent  comme  maîtres  du  pays,  en  vertu  d'un  prétendu 
droit  de  conquête,  qu'ils  en  eussent  été  maîtres  pendant  quarante  ans,  et 
qu'ils  eussent  rempli  de  leurs  colonies  les  royaumes  de  Northumberland, 
de  Mercie  et  d'Est-Anglie,  on  ne  les  vit  cependant  s'agiter  nulle  part,  et 
depuis  le  temps  dont  nous  parlons,  il  ne  fut  plus  question  d'eux  en  Angle- 
terre. Pontan,  un  de  leurs  historiens,  calomnie  les  Anglais,  lorsqu'il  les 
accuse  d'avoir  massacré  tous  les  étrangers  sous  le  règne  d'Edouard.  Une 
pareille  entreprise  aurait  été  aussi  dangereuse  qu'injuste  et  barbare;  son 
exécution  aurait  sans  doute  fait  plus  d'éclat  qu'un  massacre  arrivé  sous 
Ethelred  II,  dans  un  temps  où  les  Danois  étaient  moins  puissants  et  moins 
nombreux.  Si  l'on  demande  ce  que  devinrent  ceux  dont  il  s'agit,  nous  ré- 


316  13   OCTOBRE. 

pondrons  que  s'étant  mêlés  avec  les  Anglais,  ils  ne  firent  plus  dans  la  suite 
qu'un  même  corps  de  peuple  avec  eux,  à  l'exception  de  quelques-uns  qui, 
de  temps  à  autre,  retournaient  dans  leur  patrie. 

Suénon,  fils  de  Canut,  qui  régnait  en  Norwége,  équipa  une  flotte  pour 
venir  attaquer  l'Angleterre.  Edouard  mit  son  royaume  en  état  de  défense, 
et  envoya  en  Danemark  Gulinde,  nièce  de  Canut,  de  peur  que  si  elle  restait 
en  Angleterre  elle  ne  favorisât  secrètement  l'invasion  projetée.  Sur  ces  en- 
trefaites, le  roi  de  Danemark,  appelé  aussi  Suénon,  fit  une  irruption  dans 
la  Norwége,  ce  qui  fit  échouer  l'expédition  contre  les  Anglais.  Peu  dô 
temps  après,  Suénon  fut  détrôné  par  Magnus,  fils  d'Olaiis  le  Martyr,  que 
Canut  le  Grand  avait  dépouillé  de  la  Norwd^e.  En  1406,  des  pirates  danois 
se  présentèrent  à  Sandwich,  puis  sur  les  côtes  d'Essex  ;  mais  la  vigilance 
des  principaux  officiers  d'Edouard  les  força  de  se  retirer  avant  qu'ils  eus- 
sent pu  ravager  le  pays,  et  ils  n'osèrent  plus  reparaître  dans  la  suite. 

Edouard  n'entreprit  qu'une  seule  guerre,  qui  eut  pour  objet  le  réta- 
blissement de  Malcolm,  roi  d'Ecosse,  et  elle  fut  terminée  par  une  victoire 
glorieuse.  Il  y  eut  quelques  mouvements  dans  l'intérieur  du  royaume,  mais 
ils  furent  apaisés  avec  autant  de  promptitude  que  de  facilité.  On  vit  alors 
ce  que  peut  un  roi  qui  est  véritablement  le  père  de  ses  sujets.  Tous  ceux 
qui  approchaient  de  sa  personne  essayaient  de  régler  leur  conduite  sur  ses 
exemples.  On  ne  connaissait  à  sa  cour  ni  l'ambition,  ni  l'amour  des  riches- 
ses, ni  aucune  de  ces  passions  qui,  malheureusement,  sont  si  communes 
parmi  les  courtisans  et  qui  préparent  peu  à  peu  la  ruine  des  Etats. 
Edouard  paraissait  uniquement  occupé  du  soin  de  rendre  ses  peuples  Jieu- 
reux  ;  il  diminua  le  fardeau  des  impôts,  et  chercha  tous  les  moyens  de  ne 
laisser  personne  dans  la  souffrance.  Comme  il  n'avait  point  de  passions  à 
satisfaire,  tous  ses  revenus  étaient  employés  à  récompenser  ceux  qui  le 
servaient  avec  fidélité,  à  soulager  les  pauvres,  à  doter  les  églises  et  les  mo- 
nastères. Il  fit  un  grand  nombre  de  fondations  dont  le  but  était  de  faire 
chanter  à  perpétuité  les  louanges  de  Dieu  ;  les  divers  établissements  qu'il 
fit  ne  furent  jamais  à  charge  au  peuple.  Les  revenus  de  son  domaine  lui 
suffisaient  pour  toutes  les  bonnes  œuvres  qu'il  entreprenait.  On  ne  con- 
naissait point  encore  les  taxes,  ou  l'on  n'y  avait  recours  qu'en  temps  de 
guerre  et  dans  des  nécessités  très-pressantes  '.  Le  saint  roi  abolit  le  danegelt 
qu'on  avait  payé  aux  Danois  du  temps  de  son  père,  et  qu'on  avait  porté 
ensuite  dans  les  coffres  du  souverain.  Les  grands  du  royaume,  s'imaginant 
qu'il  avait  épuisé  ses  finances  par  ses  aumônes,  levèrent  une  somme  consi- 
dérable sur  leurs  vassaux  sans  l'en  prévenir,  et  la  lui  apportèrent  comme 
un  don  que  lui  faisaient  ses  peuples  pour  l'entretien  de  ses  troupes,  et 
pour  les  autres  frais  occasionnés  par  les  dépenses  publiques.  Edouard, 
ayant  appris  ce  qui  s'était  passé,  remercia  ses  sujets  de  leur  bonne  volonté 
et  voulut  que  l'on  rendît  l'argent  à  tous  ceux  qui  avaient  contribué  à  for- 
mer la  somme.  Toute  sa  conduite  annonçait  qu'il  était  parfaitement  maître 
de  lui-même.  Il  avait  une  égalité  d'âme  qui  ne  se  démentait  dans  aucune 
circonstance.  Sa  conversation  était  agréable,  mais  accompagnée  d'une  cer- 
taine majesté  qui  inspirait  le  respect  ;  il  aimait  surtout  à  parler  de  Dieu  et 
des  choses  spirituelles. 

Edouard  avait  toujours  fait  une  estime  singulière  de  la  pureté,  et  il 
conserva  cette  vertu  sur  le  trône  par  l'amour  de  la  prière,  par  la  fuite  des 
occasions,  par  la  pratique  de  l'humilité  et  de  la  mortification.  Il  veillait 

1.  L'imposition  des  taxes  ne  devint  fixe  et  permanente  que  *ou8  le  règne  d'Edouard  III,  en  Angleterre, 
et  sous  le  règne  de  Philippe  de  Valois,  en  France. 


SAINT  EDOUARD  HT,   LE   CONFESSEUR,   ROI  D'ANGLETERRE.  317 

avec  soin  sur  tous  ses  sens  et  prenait  les  précautions  les  plus  sages  pour  se 
garantir  de  la  moindre  souillure.  Cependant  on  désirait  le  voir  marié,  et  il 
ne  put  résister  aux  instances  que  la  noblesse  et  le  peuple  lui  faisaient  à  cet 
égard.  Godwin  mit  tout  en  œuvre  pour  que  le  choix  du  prince  se  fixât  sur 
Edithe,  sa  fille,  qui  joignait  une  vertu  éminente  à  toutes  les  qualités  du 
corps,  du  cœur  et  de  l'esprit.  Une  chose  arrêtait  le  roi  :  c'est  qu'il  avait 
fait  vœu  de  garder  une  chasteté  perpétuelle.  Il  se  recommanda  à  Dieu,  puis 
il  découvrit  à  celle  qu'on  lui  proposait  pour  épouse  l'engagement  qu'il 
avait  contracté.  Edithe  entra  dans  ses  vues,  et  ils  convinrent  l'un  et  l'autre 
qu'ils  vivraient  dans  l'état  du  mariage  comme  frère  et  sœur.  C'est  par  un 
effet  de  la  calomnie  que  quelques  écrivains  ont  attribué  la  résolution  de 
saint  Edouard  à  la  haine  qu'il  portait  à  Godwin.  De  tels  sentiments  sont 
incompatibles  avec  la  haute  vertu  dont  il  faisait  profession  ;  il  était  d'ail- 
leurs incapable  de  traiter,  avec  l'injustice  qu'on  lui  suppose,  une  princesse 
accomplie,  à  laquelle  il  s'était  uni  par  les  liens  les  plus  sacrés. 

Godwin  était  le  sujet  le  plus  riche  et  le  plus  puissant  du  royaume.  Canut 
l'avait  fait  général  de  son  armée,  l'avait  créé  comte  de  Kent  et  lui  avait 
fait  épouser  sa  belle-sœur.  Il  fut  ensuite  grand  trésorier  et  duc  de  West- 
Sex,  c'est-à-dire  général  de  l'armée  dans  toutes  les  provinces  situées  au 
midi  de  la  Mercie.  Dévoré  par  l'ambition,  il  viola  souvent  les  lois  divines 
et  humaines.  Swein,  le  plus  jeune  de  ses  fils,  marcha  sur  ses  traces,  porta 
même  le  libertinage  jusqu'aux  excès  les  plus  coupables.  Edouard  le  punit 
par  l'exil,  mais  il  lui  pardonna  dans  la  suite.  Godwin  lui-même,  s'étant 
rendu  coupable  de  plusieurs  crimes,  fut  menacé  de  proscription  s'il  ne 
paraissait  pas  devant  leroi,  qui  était  alors  à  Glocester.  Il  refusa  d'abord  et 
prit  la  fuite  ;  mais' il  revint  bientôt  avec  une  armée  pour  attaquer  le  roi. 
Quelques-uns  de  ses  amis  demandèrent  sa  grâce,  et  quoique  Edouard  fût 
vainqueur,  il  lui  pardonna  et  le  rétablit  dans  son  premier  état.  Pendant  la 
rébellion  de  Godwin,  on  crut  nécessaire  de  renfermer  Edithe  dans  un  mo- 
nastère, de  peur  qu'on  ne  se  servît  de  sa  dignité  pour  exciter  les  vassaux  et 
les  amis  de  son  père.  Malgré  cette  précaution,  Edouard  n'en  était  pas  moins 
attaché  à  la  reine,  qui  de  son  côté  l'aimait  tendrement,  et  ils  vécurent  tou- 
jours l'un  et  l'autre  dans  l'union  la  plus  intime  et  la  plus  parfaite. 

Nous  ne  pouvons  nous  dispenser  de  rapporter  avec  une  certaine  étendue 
la  fameuse  épreuve  par  laquelle  passa  la  mère  du  saint  roi.  Voici  de  quelle 
manière  le  fait  est  raconté  par  plusieurs  historiens.  Quelques  courtisans, 
jaloux  d'avoir  seuls  la  confiance  du  roi,  entreprirent  de  perdre  la  reine- 
mère  dans  son  esprit.  Connaissant  la  piété  d'Edouard,  ils  se  couvrirent  du 
masque  de  l'hypocrisie  et  feignirent  un  zèle  pour  la  religion  qu'ils  étaient 
bien  éloignés  d'avoir.  Emme  voyait  souvent  le  pieux  Alwin,  évêque  de 
Winchester,  et  elle  trouvait  dans  ses  conseils  de  sages  règles,  de  conduite 
pour  les  affaires  de  sa  conscience.  On  représenta  cette  liaison  sous  les  cou- 
leurs du  crime.  Robert,  que  le  roi  avait  amené  de  Normandie  avec  lui,  et 
qui  d'abbé  de  Jumières  était  devenu  archevêque  de  Cantorbéry,  s'en  laissa 
imposer  par  la  calomnie.  Les  ennemis  de  la  princesse  ne  s'en  tinrent  pas  là  ; 
ils  rappelèrent  son  mariage  avec  Canut,  dont  on  connaissait  la  haine  pour  la 
famille  de  son  premier  mari.  Ils  ajoutèrent  qu'elle  avait  favorisé  Hardi-Canut 
au  préjudice  des  enfants  qu'elle  avait  eus  de  son  premier  mari  et  de  toute 
la  ligne  saxonne  ;  qu'elle  avait  consenti,  par  les  articles  de  son  second  ma- 
riage, à  l'exclusion  des  héritiers  légitimes  ;  qu'elle  avait  agréé  le  projet  de 
faire  passer  toute  l'Angleterre  à  la  postérité  de  Canut,  projet  auquel  cepen- 
dant Canut  dérogea  depuis,  en  donnant  le  Danemark  à  Hardi-Canut,  et  l'An- 


318  13   OCTOBRE, 

gleterre,  à  Harold,  qu'il  avait  eu  d'une  première  femme  ;  que  le  droit  de  ce 
prince  sur  l'Angleterre  n'était  fondé  que  sur  une  injuste  conquête,  etc.  Il 
n'était  pas  possible  à  la  reine  de  se  disculper  de  ces  dernières  imputations,  et 
il  n'y  avait  que  son  repentir  qui  eût  pu  les  effacer  ;  mais  Edouard  n'y  fut 
point  sensible,  parce  qu'il  oubliait  volontiers  tout  ce  qui  lui  était  personnel. 
Il  n'en  fut  pas  de  même  de  l'accusation  qui  tombait  sur  les  mœurs.  Le  roi  se 
trouva  dans  une  cruelle  perplexité  :  d'un  côté,  le  crime  lui  paraissait  trop 
atroce  pour  y  ajouter  foi  ;  de  l'autre,  il  craignait  de  se  rendre  coupable  de 
connivence  à  un  pareil  scandale.  Il  chargea  lesévêques  de  prendre  connais- 
sance de  cette  affaire,  et  il  voulut  qu'ils  s'assemblassent  à  Winchester.  On 
défendit  à  Alwin  de  sortir  de  la  ville,  et  en  même  temps  la  reine  fut  enfermée 
dans  le  monastère  de  Warewell,  dans  le  Hampshire.  La  première  assemblée 
n'ayant  rien  décidé,  il  s'en  tint  une  seconde  où  plusieurs  évêques  furent 
d'avis  qu'il  ne  fallait  point  donner  de  suite  à  l'affaire.  C'est  ce  que  le  roi 
désirait  ardemment  ;  mais  l'archevêque  de  Cantorbéry  insista  si  fortement 
sur  l'énormité  du  scandale  et  sur  la  nécessité  d'y  apporter  un  remède  effi- 
cace, que  l'on  prit  le  parti  le  plus  rigoureux.  Emme,  comme  une  autre  Su- 
zanne, allait  être  la  victime  de  ses  accusateurs,  et  ne  voyant  aucun  moyen 
de  prouver  son  innocence,  elle  eut  recours  à  Dieu,  et  pleine  de  confiance  en 
lui,  elle  s'offrit  à  souffrir  l'épreuve  appelée  ordeal  ou  ordalie  *.  Le  jour 

1.  Ordeal  est  composé  de  deux  mots  saxons,  or,  grand,  et  deal,  jugement.  L'épreuve  dont  nous  parlons 
fut  instituée  pour  connaître  la  vérité  des  faits  qui  n'étaient  pas  suffisamment  prouvés.  Premièrement,  la 
personne  accusée  se  purgeait  par  serment,  si  le  juge  et  l'accusateur  en  exigeaient  la  prestation,  et  qu'ils 
voulussent  s'en  contenter.  Quelquefois  le  serment  était  confirmé  par  douze  compurgûteurs  qui  juraient 
qu'ils  croyaient  que  l'accusé  avait  dit  la  vérité.  Lorsque  le  serment  n'était  point  admis,  on  ordonnait  la 
grande  purgation,  qui  était  de  trois  sortes,  savoir  :  le  fer  chaud,  l'eau  bouillante  et  l'eau  froide.  1°  Le 
fer  chaud  que  l'accusé  prenait  dans  sa  main,  ou  sur  lequel  il  marchait  nu-pieds  ;  2°  l'eau  bouillante,  dans 
laquelle  l'accusé  mettait  la  main  jusqu'au  poignet  et  même  jusqu'au  coude  ;  3°  l'eau  froide,  dans  laquelle 
on  jetait  l'accusé  On  avait  principalement  recours  à  cette  épreuve  ponr  découvrir  les  sorciers.  Il  n'y  avait 
primitivement  que  les  juges  qui  l'employassent  ;  mais  l'usage  en  devint  fréquent  en  Angleterre  parmi  le 
peuple,  sous  le  règne  de  Jacques  Ier  et  des  deux  Charles.  Il  paraît  par  l'histoire  manuscrite  des  miracles 
opérés  à  la  châsse  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry,  laquelle  fut  composée  sous  Henri  II,  que  les  officiers 
du  roi  et  les  juges  de  la  campagne  s'en  servaient  souvent  dans  les  procès  criminels.  L'ordalie  était  pré- 
cédée et  accompagnée  de  cérémonies,  déjeunes,  de  prières.  Ces  épreuves  sont  autorisées  par  les  lois  d'Ed- 
gard  et  par  celles  de  ses  successeurs. 

Le  savant  Agobard,  archevêque  de  Lyon,  qui  mourut  en  840,  composa  un  bon  ouvrage  contre  ces  pré- 
tendus jugements  de  Dieu  :  il  y  prouve  qu'on  tente  le  ciel  en  les  employant  ;  qu'ils  sont  contraires  à  la 
loi  divine  et  qu'ils  détruisent  le  précepte  de  la  charité.  Ils  furent  condamnés  par  le  Concile  de  Worms, 
en  829. 

Alexandre  II,  qui  avait  été  directeur  de  Guillaume  le  Conquérant,  proscrivit  ces  épreuves  par  un  décret 
qui  existe  encore.  Un  Concile,  tenu  à  Mayence  en  837,  ayant  ordonné  celle  du  fer  chaud  à  des  domestiques 
suspectés  de  crime,  le  pape  Etienne  V  s'éleva  fortement  contre  cet  ordre,  dans  une  lettre  adressée  à  l'évê- 
que  même  de  Mayence.  Cette  épreuve  et  les  autres  avaient  été  anciennement  condamnées  par  saint  Gré- 
goire le  Grand. 

De  semblables  pratiques,  qui  ne  sont  point  d'institution  divine  et  auxquelles  n'est  point  attachée  la 
promessed'un  effet  supernaturel,  sont  de  véritables  superstitions,  et  c'est  tenter  Dieu  que  d'y  avoir  recours. 
Elles  prirent  naissance  parmi  les  peuples  du  Nord,  et  leur  origine  était  païenne.  Le  Saint-Siège  les  pros- 
crivit partout  dès  qu'il  en  eut  connaissance. 

Spelman  parle  de  la  première  condamnation  légale  de  l'ordalie  en  Angleterre.  Elle  est  consignée  dans 
une  lettre  que  le  roi  Henri  in  adressa  la  troisième  année  de  son  règne  à  ses  officiers  de  justice  qui  étaient 
au  nord  du  royaume;  mais  de  célèbres  jurisconsultes  prétendent  qu'elle  fut  supprimée  la  même  année  par 
un  acte  du  parlement. 

La  purgation  par  le  serment  se  nommait  purgation  légale;  on  appelait  purgation  vulgaire,  celle  qui  se 
faisait  par  l'ordalie.  Dans  les  lieux  oh  ces  épreuves  se  trouvaient  autorisées  par  quelques  évêques  parti- 
culiers, Dieu  honora  quelquefois  miraculeusement  de  sa  protection  des  personnes  pieuses  qui  s'y  assujé- 
tissaient,  en  récompense  de  leur  foi  et  de  leur  simplicité.  On  cite  entre  autres  l'exemple  du  moine  Pierre, 
surnommé  Ignée,  qui  vivait  à  Florence  en  1057.  L'auteur  de  Y  Esprit  des  Lois  a  prétendu  que  les  personnes 
dont  il  s'agit  avaient  pu  endurcir  leurs  mains  au  point  de  souffrir  l'eau  bouillante  et  de  toucher  le  fer 
rouge;  mais  cette  conjecture  a  été  traitée  de  pure  imagination.  Comment  en  effet  concevoir  que  l'on  eût 
endurci  de  la  sorte  le  dessus  de  la  main,  et  même  tout  le  bras  jusqu'au  coude  ? 

Les  purgations  par  les  combats  singuliers  entre  l'accusateur  et  l'accusé  étaient  autorisées  parmi  les 
Bourguignons,  les  Saxons  et  les  Lombards.  Guillaume  le  Conquérant  les  introduisit  en  Angleterre,  et  elles 
y  subsistèrent  jusqu'après  le  règne  de  Henri  III;  mais  elles  furent  toujours  ce  ndtmnées  par  le  Saint-Siège. 


SAINT  EDOUARD  III,   LE   CONFESSEUR,   ROI  D'ANGLETERRE.  319 

ayant  été  marqué,  elle  passa  en  prières  la  nuit  qui  le  précéda.  Lorsque  le 
moment  fut  arrivé,  elle  marcha  nu-pieds  et  les  yeux  bandés  sur  neuf  socs 
de  charrue  tout  rouges  qu'on  avait  mis  dans  l'église  de  Saint-Swithin  à 
Winchester.  Ne  s'étant  fait  aucun  mal,  elle  fit  éclater  sa  reconnaissance 
envers  le  ciel,  qui  l'avait  protégée  d'une  manière  si  visible.  Le  roi,  frappé 
du  prodige,  se  jeta  aux  pieds  de  sa  mère  et  lui  demanda  pardon  de  son 
excessive  crédulité.  En  actions  de  grâces  du  miracle,  il  donna  des  biens 
considérables  à  l'église  de  Saint-Swithin.  La  reine  et  l'évêque  Alwin  l'enri- 
chirent aussi  de  leurs  biens  par  le  même  motif.  L'archevêque  de  Cantorbéry 
retourna  en  Normandie  et  se  retira  dans  le  monastère  de  Jumières,  après 
avoir  fait  un  pèlerinage  à  Rome  en  expiation  de  sa  faute.  Emme  fut  réta- 
blie dans  son  premier  état,  et  mourut  à  Winchester  en  1052. 

L'année  suivante,  le  comte  Godwin  fut  emporté  par  une  mort  subite. 
Harold,  son  fils,  lui  succéda  dans  toutes  ses  dignités.  Il  vainquit  le  roi  des 
Gallois  méridionaux,  qui  faisaient  des  incursions  dans  les  Etats  d'Edouard. 
Quelques  années  après,  ce  prince  fut  fait  prisonnier  et  mis  à  mort  par  le 
roi  des  Gallois  septentrionaux.  Celui-ci  envoya  la  tête  de  son  ennemi  à  Ha- 
rold, afin  qu'il  la  présentât  à  Edouard.  Le  saint  roi,  naturellement  géné- 
reux, laissa  les  provinces  conquises  par  ses  troupes,  dans  le  pays  de  Galles, 
aux  deux  frères  du  prince  qui  venait  de  périr. 

En  1058,  Edouard  perdit  le  pieux  et  brave  Siward.  C'était  lui  qui,  Tannée 
précédente,  avait  rétabli  Malcolm  III  sur  le  trône  d'Ecosse,  dont  l'usurpa- 
teur Macbeth  l'avait  dépouillé.  Dans  cette  guerre,  il  donna  la  plus  haute 
idée  de  son  courage.  Quelqu'un  lui  ayant  appris  que  son  fils  avait  été  tué 
sur  le  champ  de  bataille,  il  demanda  s'il  était  blessé  par  devant  ou  par  der- 
rière ;  et  comme  on  lui  assura  qu'il  était  tombé  les  armes  à  la  main  et  qu'il 
était  blessé  par  devant,  il  se  consola  en  disant  qu'il  avait  toujours  désiré  un 
pareil  genre  de  mort  pour  lui  et  pour  son  fils.  Sa  vertu  était  d'autant  plus 
solide  et  plus  méritoire  qu'il  était  d'un  caractère  bouillant  et  impétueux. 
Il  fut  enterré  dans  l'église  de  Sainte-Marie,  à  York. 

Quelque  temps  après  mourut  aussi  Léofric.  C'était  un  homme  d'une 
piété  éminente  et  d'une  prudence  consommée.  Les  abondantes  aumônes 
qu'il  distribua  aux  pauvres,  les  églises  qu'il  bâtit  ou  répara,  le  célèbre  mo- 
nastère qu'il  fonda  à  Coventry,  furent  les  monuments  publics  de  son  zèle  et 
de  sa  charité;  mais  il  joignit  encore  à  ses  vertus  une  humilité  profonde. 
Les  privilèges  qu'il  accorda  à  la  ville  de  Coventry  ont  rendu  son  nom  im- 
mortel dans  le  pays.  Edouard  trouvait  autant  de  secours  que  de  conso- 
lation dans  les  pieux  et  sages  conseils  de  ce  grand  homme.  Alfgard,  fils  de 
Léofric,  fut  fait  duc  de  Mercie  ;  mais  il  ne  se  montra  pas  digne  de  son 
père. 

Saint  Edouard  s'est  surtout  rendu  célèbre  par  ses  lois.  Il  adopta  ce  qu'il 
y  avait  d'utile  dans  celles  que  l'on  suivait  alors  et  il  fit  les  changements  et 
les  additions  qu'il  crut  nécessaires.  Depuis,  son  code  devint  commun  à 
toute  l'Angleterre  sous  le  nom  de  Lois  d'Edouard  le  Confesseur,  titre  par 
lequel  elles  sont  distinguées  de  celles  que  donnèrent  les  rois  normands. 
Elles  font  encore  partie  du  droit  britannique,  excepté  en  quelques  points  qui 
depuis  ont  subi  des  changements.  Les  peines  infligées  aux  coupables  par 
ces  lois  ne  sont  point  sévères,  elles  reconnaissent  peu  de  crimes  punissables 
de  mort  ;  les  amendes  y  sont  déterminées  d'une  manière  fixe  et  ne  dépen- 
dent point  de  la  volonté  des  juges.  Elles  pourvoient  à  la  sûreté  publique  et 
assurent  à  chaque  particulier  la  propriété  de  ce  qu'il  possède.  On  était 
rarement  dans  le  cas  de  sévir,  parce  qu'on  veillait  à  l'observation  des  lois 


320  13    OCTOBRE. 

et  que  la  justice  était  bien  administrée.  «  La  sage  administration  du  pieux 
roi  »,  dit  Gurdon,  «  avait  autant  et  même  plus  de  pouvoir  sur  le  peuple 
que  le  texte  des  lois  ».  —  «  Edouard  le  Confesseur  »,  dit  encore  le  même 
écrivain,  «  ce  grand  et  sage  législateur,  régnait  dans  le  cœur  de  ses  sujets. 
L'amour,  l'harmonie,  l'intelligence  qu'il  y  avait  entre  lui  et  l'assemblée 
générale  de  la  nation  *,  produisirent  un  bonheur  qui  devint  la  mesure  de 
celui  que  le  peuple  désirait  sous  les  règnes  suivants.  Les  barons  anglais  et 
normands  en  appelaient  à  la  loi  et  au  gouvernement  d'Edouard  ». 

On  rapporte  le  trait  suivant  du  saint  roi.  Un  jour  qu'il  était  assoupi  dans 
son  palais,  il  vit  un  domestique  venir  deux  fois  prendre  de  l'argent  qu'on 
y  avait  laissé  exposé.  Ce  domestique  étant  venu  une  troisième  fois,  le  prince 
l'avertit  de  prendre  garde  à  lui,  et  se  contenta  de  lui  faire  sentir  le  danger 
auquel  il  serait  exposé  si  on  le  découvrait.  Le  trésorier  particulier  d'E- 
douard, étant  arrivé  quelque  temps  après,  entra  dans  une  grande  colère 
sur  ce  qui  s'était  passé.  Edouard  essaya  de  l'apaiser  en  lui  disant  que  ce 
malheureux  avait  plus  besoin  d'argent  qu'eux.  Cette  action  a  été  blâmée 
par  quelques  modernes;  mais  on  peut  la  justifier,  en  disant  que  le  roi  fit 
comprendre  au  coupable  toute  l'énormité  de  son  crime  ;  qu'il  crut,  d'après 
les  avertissements  qu'il  lui  avait  donnés,  qu'il  se  corrigerait  à  l'avenir;  qu'il 
regarda  le  tort  qu'on  lui  faisait  comme  un  tort  personnel,  et  qu'il  était 
persuadé  qu'il  pouvait  pardonner  cette  faute  d'autant  plus  facilement  qu'il 
n'en  résulterait  rien  de  contraire  à  l'administration  de  la  justice  publique. 

On  a  vu  peu  de  princes  qui  se  soient  montrés  aussi  zélés  qu'Edouard 
pour  le  bonheur  de  leurs  peuples.  Il  prenait  spécialement  les  malheureux 
sous  sa  protection,  faisait  observer  les  lois,  et  voulait  que  la  justice  fût  ren- 
due avec  autant  d'intégrité  que  de  promptitude.  Il  se  proposa  pour  modèle 
le  roi  Alfred,  qui  regardait  comme  un  de  ses  principaux  devoirs  d'éclairer 
sans  cesse  la  conduite  de  ses  juges.  Guillaume  le  Bâtard,  duc  de  Normandie, 
fut  lui-même  le  témoin  des  vertus  et  de  la  sagesse  de  son  parent,  lorsqu'en 
1052  il  vint  le  voir  en  Angleterre. 

Edouard,  pendant  son  exil  en  Normandie,  avait  fait  vœu  d'aller  visiter 
le  tombeau  de  saint  Pierre  à  Rome,  si  Dieu  mettait  fin  aux  malheurs  de  sa 
famille.  Lorsqu'il  se  fut  solidement  établi  sur  le  trône,  il  prépara  de  riches 
offrandes  pour  l'autel  du  Prince  des  Apôtres,  et  disposa  tout  pour  se  mettre 
en  état  de  passer  en  Italie.  Ayant  convoqué  ensuite  l'assemblée  générale 
de  la  nation,  il  y  déclara  l'engagement  qu'il  avait  contracté,  et  fit  sentir 
l'obligation  où  il  était  de  témoigner  à  Dieu  sa  reconnaissance.  Il  proposa 
ensuite  les  moyens  qui  lui  paraissaient  les  plus  propres  à  faire  fleurir  le 
commerce  et  à  maintenir  la  paix  ;  il  finit  par  mettre  ses  sujets  sous  la  pro- 
tection du  ciel.  Les  principaux  de  l'assemblée  alléguèrent  les  raisons  les 
plus  fortes  pour  le  dissuader  de  l'exécution  de  son  dessein.  Après  avoir  loué 
sa  piété,  ils  lui  représentèrent  avec  larmes  les  dangers  auxquels  l'Etat  serait 
exposé  ;  qu'on  aurait  à  craindre  tout  à  la  fois  les  ennemis  du  dedans  et  du 
dehors  ;  qu'ils  s'imaginaient  déjà  voir  toutes  les  calamités  tomber  sur  le 
royaume.  Edouard  fut  si  touché  de  leurs  raisons  et  de  leurs  prières,  qu'il 
promit,  avant  de  rien  entreprendre,  de  consulter  Léon  IX,  qui  occupait 
alors  la  chaire  de  saint  Pierre.  Il  envoya  à  Rome,  pour  ce  sujet,  Aëlred, 

1.  On  appelait  Wittema  Gemot  ou  Mycel  Synod,  l'assemblée  de3  Etats  de  la  nation.  On  ne  s'accorde 
point  sur  le  degré  d'autorité  qu'elle  avait,  ni  sur  la  qualité  des  personnes  qui  la  composaient;  il  paraît 
par  l'étymologie  du  nom  qu'on  lui  donnait,  que  l'on  n'y  admettait  que  les  grands  thanes,  ou  lords  et  gou- 
verneurs. Il  est  cependant  parlé  de  permission,  d'approbation  et  de  consentement  du  peuple  dans  les  char- 
tes d'Ina,  d'Egbert,  d'Alfred,  d'Edgard,  de  Canut,  etc.  De  la  quelques  auteurs  concluent  que  les  com- 
munes votaient  dans  l'assemblée  générale  de  la  nation. 


SAINT  EDOUARD  III,  LE  CONFESSEUR,   ROI  D* ANGLETERRE.  321 

archevêque  d'York,  Herman,  évêque  de  Winchester,  et  deux  abbés.  Le  Pape, 
persuadé  que  le  roi  ne  pouvait  quitter  ses  Etats  sans  exposer  son  peuple  à 
de  grands  dangers,  le  dispensa  de  l'accomplissement  de  son  vœu  ;  mais  ce 
fut  à  condition  qu'il  distribuerait  aux  pauvres  l'argent  qu'il  aurait  dépensé 
en  venant  à  Rome,  et  qu'il  bâtirait  ou  doterait  un  monastère  en  l'honneur 
de  saint  Pierre. 

Sébert.  roi  des  Est-Angles,  avait  fondé  la  cathédrale  de  Saint-Paul  de 
Londres.  Quelques  auteurs  lui  ont  aussi  attribué  la  fondation  d'un  monas- 
tère en  l'honneur  de  saint  Pierre,  qui  était  hors  des  murs  et  au  couchant 
de  la  ville.  On  dit  que  ce  monastère  occupait  l'emplacement  d'un  ancien 
temple  d'Apollon,  qu'un  tremblement  de  terre  avait  renversé  :  mais  le 
silence  de  Bède  fait  croire  qu'il  fut  bâti  plus  tard  par  quelque  particulier 
et  qu'il  était  peu  de  chose  dans  son  origine.  On  l'appelait  Torney.  Des  Danois 
l'ayant  détruit,  le  roi  Edgard  le  fit  rebâtir.  Edouard,  après  l'avoir  réparé,  y 
fit  des  donations  considérables  ;  il  voulut  encore  qu'il  fût  honoré  d'exemp- 
tions et  de  privilèges,  qu'il  obtint  du  pape  Nicolas  II,  en  1059.  On  lui  donna 
le  nom  de  Westminster,  à  cause  de  sa  situation.  Il  est  devenu  fort  célèbre 
depuis  par  le  sacre  des  rois  et  par  la  sépulture  des  grands  hommes  du 
royaume.  C'était  la  plus  riche  abbaye  de  toute  l'Angleterre,  lorsqu'on  y  dé- 
truisit les  monastères. 

Plusieurs  anciens  historiens  rapportent  divers  miracles  opérés  par  le 
saint  roi.  Un  lépreux  le  pria  instamment  de  le  porter  sur  son  dos  royal  dans 
l'église  de  Saint-Pierre,  disant  que  ce  Saint  avait  promis  qu'il  guérirait  par 
ce  moyen.  Ce  bon  et  saint  prince  se  prêta  à  cette  cérémonie  rebutante  et 
obtint  la  guérison,du  lépreux.  Tar  le  signe  de  la  croix,  il  guérit  une  femme 
d'une  tumeur  chancreuse  reconnue  incurable.  Trois  aveugles  ont  recouvré 
la  vue  en  appliquant  sur  leurs  yeux  l'eau  qui  lui  avait  servi  à  laver  ses 
mains.  Il  mérita  de  voir  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  pendant  ïe  saint  sacri- 
fice de  la  messe  et  de  recevoir  visiblement  sa  bénédiction. 

Edouard  faisait  sa  résidence  à  Winchester,  à  Windsor  et  à  Londres, 
mais  plus  communément  à  Islip,  dans  la  province  d'Oxford,  où  il  était  né 1. 
Anciennement  les  seigneurs  du  royaume  demeuraient  à  la  campagne  et 
vivaient  parmi  leurs  vassaux  ;  ils  n'allaient  à  la  cour  qu'aux  grandes  fêtes 
et  dans  quelques  occasions  extraordinaires.  La  fête  de  Noël  était  une  des 
principales  où  la  noblesse  se  rendait  auprès  du  roi.  Edouard  la  choisit  pour 
la  dédicace  de  la  nouvelle  église  de  Westminster,  afin  que  la  cérémonie 
s'en  fît  avec  plus  de  solennité.  Les  personnes  les  plus  qualifiées  du  royaume 
y  assistèrent.  Le  roi  signa  l'acte  de  fondation,  et  y  fit  insérer  à  la  fin  de  ter- 
ribles imprécations  contre  ceux  qui  oseraient  violer  les  privilèges  de  son 
monastère. 

Après  le  Prince  des  Apôtres,  celui  des  Saints  auquel  il  avait  le  plus  de 
dévotion  était  saint  Jean  l'Evangéliste,  ce  parfait  modèle  de  la  pureté  et  de 
la  charité.  Voici  à  ce  sujet  une  charmante  histoire.  Edouard  ne  refusait 
jamais  l'aumône  qu'on  lui  demandait  au  nom  de  saint  Jean  l'Evangéliste. 
Un  jour,  n'ayant  rien  autre  chose,  il  donne  son  anneau  à  un  étranger  qui 
le  priait  au  nom  de  saint  Jean.  Quelque  temps  après,  deux  Anglais  qui 
allaient  à  Jérusalem  visiter  le  saint  sépulcre,  s'égarèrent  un  soir  et  se  trou- 

1.  Hearce,  savant  antiquaire,  montre  dans  son  édition  de  l'Itinéraire  de  Léland,  que  le  palais  do  saint 
Edouard,  à  Islip,  était  dans  le  lieu  appelé  Court-Close.  On  y  voit  encore  les  restes  d'un  fossé  qui  est 
aujourd'hui  comblé.  A  quelque  distance  de  là  est'la  chapelle  du  saint  roi,  qui  subsiste  encore,  mais  qui 
est  employée  à  des  usages  profanes.  Les  fonts  où  il  fut  baptisé  sont  dans  les  jardins  de  sir  George  Brown, 
à  Kiddington. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  21 


322  ->  13  OCTOBRE. 

vèrent  surpris  par  la  nuit.  Comme  ils  ne  savaient  plus  que  devenir,  un  vé- 
nérable vieillard  les  remit  dans  leur  chemin,  les  conduisit  à  la  ville,  et  leur 
dit  qu'il  était  le  disciple  bien-aimé  de  Jésus-Christ  ;  qu'il  chérissait  singuliè- 
rement leur  prince,  Edouard,  à  cause  de  sa  chasteté,  et  qu'il  les  assisterait 
aussi  dans  tout  leur  voyage  à  sa  considération.  Ensuite  il  leur  remit  entre 
les  mains  la  bague  que  ce  prince  avait  donnée  au  pauvre  pèlerin  pour 
l'amour  de  lui,  les  assurant  que  c'était  lui-même,  déguisé  en  pauvre,  qui 
l'avait  reçue  ;  et  il  les  chargea  de  la  lui  reporter  et  de  l'avertir  de  sa  part 
qu'au  bout  de  six  mois  il  viendrait  le  chercher  pour  le  mener  avec  lui  à  la 
suite  de  l'Agneau  sans  tache.  Ces  deux  hommes,  étant  de  retour  en  Angle- 
terre, rapportèrent  au  roi  tout  ce  que  le  saint  Evangéliste  leur  avait  dit,  et 
lui  présentèrent  son  anneau.  Le  roi  le  reçut  en  fondant  en  larmes,  et  rendit 
grâces  à  Dieu  d'une  si  grande  faveur.  Les  historiens  de  sa  vie  rapportent  que 
ce  Saint,  en  récompense  de  sa  piété,  lui  fit  connaître  d'une  manière  surna- 
turelle que  le  moment  de  sa  mort  approchait. 

En  faisant  la  fondation  dont  nous  venons  de  parler,  Edouard  espérait 
ériger  un  monument  qui  attesterait  aux  siècles  futurs  son  zèle  pour  la 
gloire  de  Dieu  et  sa  dévotion  pour  le  Prince  des  Apôtres.  Il  voulait  donner 
à  Dieu  de  vrais  serviteurs,  qui  feraient  sur  la  terre  la  fonction  des  anges, 
qui  suppléeraient  à  l'imperfection  de  ses  bonnes  œuvres  et  qui  le  rempla- 
ceraient quand  il  ne  vivrait  plus.  Il  renouvela  en  même  temps  l'offrande 
qu'il  avait  déjà  faite,  et  qu'il  faisait  tous  les  jours  au  Seigneur,  de  lui-même 
et  de  tout  ce  qu'il  possédait. 

S'étant  trouvé  mal  avant  la  cérémonie  de  la  dédicace  de  l'église  de 
Westminster,  il  n'y  assista  pas  moins  jusqu'à  la  fin;  mais  il  fut  obligé  de  se 
mettre  au  lit.  Il  ne  pensa  plus  qu'à  se  préparer  à  la  mort  par  des  actes  fer- 
vents de  piété  et  par  la  réception  des  sacrements.  Tous  les  seigneurs  de  sa 
cour  témoignaient  la  douleur  la  plus  vive.  Voyant  la  reine  fondre  en 
larmes,  il  lui  dit  :  «  Ne  pleurez  plus;  je  ne  mourrai  point,  mais  je  vivrai  ; 
j'espère  en  quittant  cette  terre  de  mort  entrer  dans  la  terre  des  vivants 
pour  y  jouir  du  bonheur  des  Saints  ».  Il  la  recommanda  ensuite  à  Harold 
et  à  d'autres  seigneurs,  et  il  leur  déclara  qu'elle  était  restée  vierge.  Il 
expira  tranquillement  le  5  janvier  1066,  dans  la  soixante- quatrième  année 
de  son  âge,  après  un  règne  de  plus  de  vingt-trois  ans. 

Saint  Edouard  est  représenté,  tantôt  donnant  l'aumône  à  un  lépreux 
ou  le  guérissant  ;  tantôt  portant  un  pauvre  malade  sur  ses  épaules. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Après  sa  mort,  les  miracles  qui  se  firent  sur  son  tombeau  contribuèrent  beaucoup  à  l'établis- 
sement de  son  culte.  Des  aveugles  y  recouvrèrent  la  vue,  quelques  paralytiques  y  furent  guéris  et 
des  malades  y  furent  délivrés  de  la  fièvre  quarte,  dont  ils  étaient  tourmentés.  Guillaume  le  Con- 
quérant, qui  monta  sur  le  trône  d'Angleterre  en  1066,  fit  renfermer  son  corps  dans  un  cercueil 
magnifique  qui,  à  son  tour,  fut  placé  dans  une  châsse  d'or  et  d'argent.  Trente-six  ans  après  la 
mort  du  Saint,  en  1102,  son  corps  fut  levé  de  terre  par  l'évèque  de  Rochester,  qui  le  trouva  entier, 
flexible  et  sans  corruption,  avec  ses  habits,  qui  paraissaient  encore  tout  neufs. 

Le  bienheureux  Edouard  fut  canonisé,  en  1161,  par  Alexandre  III,  et  sa  fête  fut  marquée  au 
5  janvier.  Deux  ans  après,  saint  Thomas,  archevêque  de  Cantorbéry,  en  fit  une  translation  plus 
solennelle,  à  laquelle  le  roi  Henri  II  assista,  accompagné  de  quatorze  évêques,  de  cinq  abbés  et  de 
toute  sa  noblesse.  Ce  prince  porta  ce  saint  dépôt  sur  ses  propres  épaules  dans  tout  le  cloître  de 
l'abbaye  de  Westminster.  Cette  translation  se  fit  le  13  octODre,  jour  auquel  on  a,  depuis,  célébré 
sa  principale  fête.  Le  concile  national  d'Oxford,  tenu  en  1222,  ordonna  qu'elle  serait  d'obligation 
en  Angleterre. 

Les  rois  d'Angleterre,  par  respect  pour  la  mémoire  du  Saint,  recevaient  sa  couronne  à  leur 


LES  SAINTS  DANIEL,  SAMUEL,  DONULE,  LÉON,  HUGOLIN,  NICOLAS  ET  ANGE.      323 

sacre,  et  se  servaient  de  sa  dalmatique  et  de  son  manipule.  La  couronne  ayant  été  changée  depuis, 
celle  qu'on  y  substitua  retint  le  nom  de  saint  Edouard. 

Nous  avons  tiré  ce  récit  des  Vies  des  Saints,  d'Alban  Butler,  que  nous  avons  revu  et  complété. 


LES  SAINTS  DANIEL,  SAMUEL,  DONULE,  LEON, 

HUGOLIN,  NICOLAS  ET  ANGE, 
FRÈRES  MINEURS,  MARTYRS  A  CEUTA,  EN  MAURITANIE 

1221.  —  Pape  :  Honoré  III.  —  Roi  de  France  :  Philippe  II,  Auguste. 


Le  Seigneur  présente  des  luttes  aux  Saints,  afin  quo 
les  combats  les  conduisent  à  la  victoire,  et  la 
victoire  à  la  couronne. 

Saint  Bonaventure. 

Le  séraphique  Père  François  d'Assise  avait  cherché  par  trois  fois  l'occa- 
sion du  martyre.  Son  exemple  et  le  récent  triomphe  de  ses  cinq  enfants 
martyrisés  au  Maroc  en  1220,  avaient  inspiré  à  beaucoup  d'autres  Frères 
Mineurs  un  désir  -ardent  de  mourir  pour  Jésus-Christ. 

Daniel,  provincial  de  Calabre,  homme  d'une  éminente  sainteté,  demanda 
à  frère  Elie,  vicaire  général,  la  permission  d'aller  prêcher  la  foi  aux  Maures, 
avec  six  autres  religieux,  nommés  :  Samuel,  Donule,  Léon,  Hugolin,  Nico- 
las et  Ange. 

Ayant  reçu  l'obédience  du  Vicaire  général  et  la  bénédiction  de  Fran- 
çois, les  saints  missionnaires  s'embarquèrent,  en  1221,  dans  un  port  de  la 
Toscane,  d'où  ils  passèrent  à  Tarragone,  en  Espagne.  Leur  premier  dessein 
était  d'aller  directement  à  Maroc,  pour  mêler  leur  sang  à  celui  de  leurs 
frères;  mais  quelques  raisons,  favorables  à  leur  pieuse  entreprise,  leur  firent 
prendre  la  route  de  Geuta. 

Daniel  y  arriva  le  premier  avec  trois  compagnons,  le  patron  du  vaisseau 
n'en  ayant  pas  voulu  prendre  davantage.  Ils  s'arrêtèrent  hors  de  la  ville, 
dans  un  faubourg  où  résidaient  tous  les  marchands  chrétiens  de  Pise,  de 
Gênes  et  de  Marseille.  L'entrée  de  la  ville  était  rigoureusement  interdite 
aux  chrétiens.  Leur  occupation  fut  de  distribuer  à  ces  marchands  le  pain 
de  la  parole  divine,  en  attendant  leurs  compagnons,  qui  arrivèrent  le  29 
septembre. 

Le  vendredi  suivant,  premier  jour  d'octobre,  ils  conférèrent  ensemble 
des  dispositions  qu'ils  avaient  à  prendre  et  des  secours  dont  ils  avaient 
besoin  pour  le  rude  combat  qui  se  préparait.  Le  lendemain  samedi,  ils  se 
confessèrent  l'un  à  l'autre  et  reçurent  la  sainte  communion,  sans  laquelle, 
quand  on  pouvait  la  recevoir,  saint  Cyprien  ne  voulait  pas  qu'on  exposât 
au  martyre  les  confesseurs  de  la  foi  :  «  parce  que  »,  dit-il,  «  c'est  le  corps 
et  le  sang  de  Jésus-Christ,  qui  donnent  le  courage  d'endurer  les  supplices». 
Saint  Chrysostome  et  saint  Bernard  disent  aussi  que  la  très-sainte  Eucha- 
ristie est  la  plus  forte  défense  que  l'on  puisse  opposer  aux  tentations  dj 
démon  et  aux  attraits  du  péché. 


324  13  OCTOBRE. 

Les  sept  frères  sortirent  de  la  table  sainte,  suivant  l'expression  de  saint 
Jean  Chrysostome,  comme  des  lions  rugissants,  ne  respirant  que  feu  et 
flammes,  et  ne  pouvant  plus  contenir  l'ardeur  qui  les  dévorait.  Le  soir  du 
même  jour,  ils  se  lavèrent  les  pieds  les  uns  aux  autres,  pour  imiter  le  Fils 
de  Dieu  qui  lava  les  pieds  à  ses  disciples  avant  sa  passion;  et  le  dimanche, 
de  grand  matin,  alors  qu'il  y  avait  peu  de  monde  dans  les  rues,  ils  entrèrent 
dans  la  ville,  la  tête  couverte  de  cendres,  et  commencèrent  à  dire  à  haute 
voix  :  «  Il  n'y  a  de  salut  qu'en  Jésus-Christ  » . 

Ils  ne  marchèrent  pas  longtemps  sans  être  arrêtés,  accablés  de  coups  et 
conduits  devant  le  roi.  En  sa  présence  et  devant  les  grands  de  la  Cour,  ils 
répétèrent  courageusement  ce  qu'ils  avaient  dit  au  peuple  :  «  Qu'il  faut 
croire  en  Jésus-Christ,  et  qu'il  n'y  a  de  salut  à  espérer  que  dans  son  seul 
nom  » .  Ils  prouvèrent  cette  vérité  par  de  fortes  raisons  et  d'éloquentes  pa- 
roles. Le  roi,  les  voyant  pauvrement  vêtus,  et  entendant  leur  franc-parler, 
les  prit  pour  des  fous,  et  crut  que  leurs  têtes  rasées,  avec  une  couronne  de 
cheveux,  en  étaient  une  marque.  Cependant,  pour  éprouver  leur  constance, 
et  aussi  parce  qu'ils  avaient  méprisé  Mahomet  et  sa  doctrine,  il  les  fit  jeter 
dans  une  affreuse  prison,  où  ils  demeurèrent  huit  jours,  chargés  de  fers  et 
traités  sans  pitié. 

Leur  captivité  ne  les  empêcha  point  d'écrire  aux  chrétiens  du  faubourg 
de  Ceuta.  La  lettre  était  adressée  au  prêtre  Hugues,  chargé  des  Génois,  et 
à  deux  religieux,  l'un  Frère  Mineur,  l'autre  Frère  Prêcheur,  qui  étaient  arri- 
vés depuis  peu  du  fond  de  la  Mauritanie.  Ce  précieux  document,  étant  tout 
ce  qui  nous  reste  ici-bas  des  saints  martyrs,  nous  l'insérons  dans  cette  no- 
tice avec  tout  le  respect  qu'on  doit  à  une  relique. 

«  Béni  soit  Dieu,  Père  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  Père  des  misé- 
ricordes et  Dieu  de  toute  consolation,  qui  nous  console  en  toutes  nos 
peines  !  C'est  lui  qui ,  ayant  montré  à  notre  père  Abraham  la  victime  qu'il 
lui  devait  offrir,  l'envoya  parcourir  la  terre  comme  un  pèlerin  et  un  in- 
sensé, le  justifiant  à  cause  de  sa  foi,  qui  lui  avait  mérité  le  titre  d'ami  de 
Dieu.  Ainsi,  il  nous  a  enseigné  à  paraître  insensés  aux  yeux  du  monde,  si 
nous  voulons  être  trouvés  sages  devant  la  Majesté  divine.  Le  Sauveur  nous 
a  dit  aussi  :  «  Allez,  prêchez  l'Evangile  à  toute  créature;  le  serviteur  ne 
doit  pas  être  plus  grand  que  son  maître,  ni  le  disciple  au-dessus  de  celui 
qui  l'instruit.  Si  les  hommes  vous  persécutent,  songez  qu'ils  m'ont  persé- 
cuté, moi  le  premier  ».  Et  nous,  très-petits  et  très-indignes  serviteurs  de 
Jésus-Christ,  touchés  de  ces  paroles,  nous  avons  quitté  notre  patrie  et  nous 
sommes  venus  ici  prêcher  l'Evangile,  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  de 
nos  âmes,  pour  l'édification  des  fidèles  et  la  confusion  des  infidèles  obstinés, 
suivant  cette  parole  de  l'Apôtre  :  «  Etant  devant  Dieu  la  bonne  odeur  de 
Jésus-Christ,  nous  sommes  pour  quelques-uns  une  odeur  de  vie,  et  pour 
d'autres  une  odeur  de  mort  »  ;  le  Sauveur  lui-même  avait  dit  :  «  Si  je  ne 
fusse  venu,  et  si  je  ne  leur  eusse  point  prêché,  ils  n'eussent  pas  péché  ». 

«  Nous  sommes  donc  entrés  en  cette  ville  de  Ceuta  pour  prêcher  au 
peuple  le  nom  de  Jésus  et  sa  sainte  loi;  nous  avons  même  annoncé  au  roi 
la  bonne  nouvelle  du  salut;  mais  lui,  nous  traitant  comme  des  insensés, 
nous  a  fait  jeter  en  prison;  et  il  nous  a  semblé  à  propos  de  vous  en  avertir. 
Bien  que,  par  la  grâce  de  Dieu,  nous  ayons  beaucoup  à  souffrir  ici,  nous 
sommes  néanmoins  grandement  consolés  en  Notre-Seigneur,  en  la  bonté 
duquel  nous  avons  mis  toute  notre  confiance,  espérant  qu'il  aura  pour 
agréable  le  sacrifice  de  notre  vie.  Que  pour  cela  gloire  et  honneur  lui  soient 
à  jamais  rendus  !  Amen  ». 


LES  SAINTS  DANIEL,  SAMUEL,  DONULE,  LÉON,  HUGOLIN,  NICOLAS  ET  ANGE.      325 

Le  juge,  nommé  Arbaldo,  voulant  observer,  par  une  fente  du  mur,  ce 
que  faisaient  les  captifs  dans  leur  prison,  les  vit  débarrassés  de  leurs  chaînes, 
le  visage  brillant  d'une  clarté  extraordinaire,  et  chantant  mélodieusement 
les  louanges  de  Dieu  avec  une  joie  incomparable.  Le  roi,  averti  de  ce  pro- 
dige, se  lit  amener  les  confesseurs,  le  dimanche  matin,  dixième  jour  d'oc- 
tobre, et  leur  offrit  de  grandes  richesses,  s'ils  voulaient  se  faire  musulmans. 
Ils  répondirent  avec  intrépidité  qu'ils  ne  pouvaient  avoir  qu'un  profond 
mépris  pour  toutes  les  choses  de  la  terre  et  même  pour  la  vie,  lorsqu'ils 
songeaient  au  bonheur  de  la  vie  future.  Le  roi  les  fit  séparer,  dans  l'espoir 
de  les  réduire  avec  plus  de  facilité,  et  on  les  tenta  chacun  en  particulier  par 
des  promesses  et  par  des  menaces;  mais  les  saints  confesseurs,  avec  une 
constance  égale,  défièrent  les  tourments  et  méprisèrent  les  plaisirs. 

Comme  le  Père  Daniel  parlait  avec  beaucoup  de  force,  un  sarrasin,  trans- 
porté de  colère,  lui  donna  sur  la  tête  un  grand  coup  de  cimeterre;  et 
comme  un  autre  sarrasin  l'exhortait  à  se  faire  musulman  s'il  voulait  éviter 
de  plus  mauvais  traitements,  le  Saint  lui  répondit  qu'il  devait  bien  plutôt 
songer  lui-même  à  se  convertir  à  la  foi  chrétienne,  s'il  voulait  éviter  l'en- 
fer, où  Mahomet  était  déjà,  et  où  le  Coran  ne  pouvait  que  le  conduire. 

Rentrés  dans  leur  prison,  les  saints  confesseurs  se  jetèrent  aux  pieds  du 
Père  Daniel,  leur  supérieur,  qui  avait  si  glorieusement  commencé  le  mar- 
tyre auquel  ils  espéraient  tous  participer,  et  versant  des  larmes  de  joie,  ils 
lui  dirent  :  «  Nous  rendons  grâces  à  Dieu,  et  à  vous,  mon  Père,  de  nous 
avoir  procuré  la  palme  du  martyre.  Nos  âmes  suivront  la  vôtre  ;  bénissez- 
nous  et  mourez  ;  volontiers  nous  mourrons  avec  vous  :  le  combat  finira 
bientôt,  et  nous  aurons  ensuite  une  paix  éternelle  ».  Daniel  les  embrassa 
tendrement,  les  bénit,  et  anima  encore  leur  courage  par  ces  paroles  :  «  Ré- 
jouissons-nous dans  le  Seigneur,  mes  très-chers  frères,  voici  pour  nous  un 
jour  de  fête;  le  ciel  nous  est  ouvert,  les  anges  viennent  au-devant  de  nous 
et  nous  environnent.  Oui,  c'est  aujourd'hui  que  nous  allons  recevoir  la  cou- 
ronne du  martyre,  et  cette  couronne  ne  se  flétrira  jamais  !  » 

En  effet,  le  roi,  voyant  qu'ils  étaient  inébranlables,  les  condamna  tous 
à  avoir  la  tête  tranchée.  On  les  dépouilla  de  leurs  vêtements,  et,  les  mains 
liées  derrière  le  dos,  on  les  mena  au  lieu  de  l'exécution,  précédés  d'un 
héraut  qui  publiait  la  cause  de  leur  mort.  Les  saints  martyrs  s'avançaient 
joyeux  et  fiers  comme  s'ils  allaient  à  un  festin  nuptial,  chantant  triompha- 
lement les  louanges  de  Dieu  au  milieu  du  supplice;  ils  se  mirent  à  genoux 
pour  recommander  leur  âme  à  Dieu,  puis  ils  présentèrent  tranquillement 
leurs  têtes  au  bourreau,  qui  les  abattit  successivement,  tandis  que  leurs 
âmes  s'envolaient  dans  le  sein  de  Dieu  pour  y  jouir  éternellement  de  la 
gloire  réservée  aux  martyrs.  Ainsi  s'accomplit  le  triomphe  dés  sept  Frères 
Mineurs,  le  dixième  jour  d'octobre  de  l'année  4221. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

La  populace  infidèle  brisa  les  têtes  des  saints  martyrs  et  mit  leurs  corps  en  pièces;  ces  restes 
mutilés  furent  recueillis  par  les  chrétiens,  qui  les  déposèrent  d'abord  dans  le  magasin  des  mar- 
chands marseillais,  et  plus  tard  les  inhumèrent  dans  le  faubourg  de  Ceuta.  Quelques  années  plus 
tard,  ces  précieuses  reliques  furent  transférées  dans  l'église  de  Sainte-Marie,  près  de  Maroc,  où 
Dieu  fit  éclater  la  gloire  de  ces  Saints  par  une  infinité  de  miracles,  et  notamment  par  une  grande 
lumière  que  les  Maures  eux-mêmes  apercevaient  toutes  les  nuits  au-dessus  de  l'église  où  reposaient 
les  saints  corps.  Depuis,  un  infant  de  Portugal,  les  ayant  obtenus  d'un  roi  de  Maroc,  les  fit  trans- 
porter en  Espagne,  où  de  nouveaux  miracles  les  rendirent  très-célèbres. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  diverses  translations,  on  ne  sait  point  maintenant  d'une  manière  cer- 


32P»  13  OCTOBRE. 

taine  en  quel  lieu  reposent  les  reliques  des  sept  martyrs.  Il  a  plu  à  Dieu  de  nous  cacher  ce  trésor, 
mais  n'en  doutons  pas,  il  saura  bien  être  lui-même  le  gardien  de  ces  sacrés  ossements  auxquels 
il  rendra  un  jour  la  vie  et  l'immortalité. 

Les  nombreux  miracles  opérés  par  ces  saints  martyrs  portèrent  les  peuples  à  les  honorer  solen- 
nellement; toutefois  la  famille  franciscaine  ne  fit  rien  pour  honorer  leur  mémoire,  jusqu'en  1816 
où  elle  obtint  du  pape  Léon  X  la  permission  d'en  réciter  l'office.  Ce  pape  les  déclara  solennelle- 
ment martyrs  et  fixa  leur  fête  au  13  octobre.  Leurs  noms  sont  inscrits  au  martyrologe  romain.  On 
célèbre  leur  fête  non-seulement  dans  tout  l'Ordre  de  Saint-François,  mais  encore  en  plusieurs 
diocèses,  notamment  dans  celui  de  Braga,  en  Portugal. 

Extrait  des  Annales  franciscaines. 


SAINT  THÉOPHILE, 

SIXIÈME  ÉVÊQUE  D'ANTIOCHE  ET  CONFESSEUR  (181). 

Théophile,  successeur  d'Eros  dans  la  chaire  épiscopale  d'Antioche,  et  le  sixième  évêque  de 
cette  ville  depuis  l'apôtre  saint  Pierre,  fut  d'abord  engagé  dans  les  erreurs  du  paganisme.  Incré- 
dule à  toutes  les  vérités  de  notre  foi,  il  avait  surtout  beaucoup  d'éloignement  pour  le  dogme  de 
la  résurrection  des  morts.  Mais  depuis  qu'il  se  fut  appliqué  à  considérer  les  vestiges  de  la  divinité 
tracés  dans  la  nature,  qu'il  eut  connu  les  écrits  des  Prophètes  et  remarqué  comment  l'Esprit  de 
Dieu  leur  avait  fait  prédire  tant  d'événements  concourant  au  même  but  et  arrivés  longtemps  après, 
il  ne  put  s'empêcher  de  croire  ce  qu'il  voyait  prouvé  si  clairement.  Il  obéit  à  Dieu,  abjura  ses  er* 
reurs  et  confessa  hautement  qu'il  était  chrétien.  Eros  étant  mort,  Théophile  fut  choisi  pour  être  le 
sixième  évêque  d'Antioche.  Cette  élection  eut  lieu  la  huitième  année  de  Marc-Aurèle,  l'an  168 
de  Jésus-Christ. 

Les  hérétiques  causaient  en  ce  temps-là  beaucoup  de  troubles  dans  l'Eglise,  en  s'efforçant  d'y 
étouffer  par  l'ivraie  de  leurs  erreurs,  la  semence  sainte  de  la  doctrine  des  Apôtres.  Mais  les  saints 
pasteurs  veillaient  sans  cesse,  toujours  occupés  à  arracher  cette  ivraie  du  champ  de  l'Eglise;  tantôt 
ils  avertissaient  les  fidèles  d'y  prendre  garde,  tantôt  ils  attaquaient  ouvertement  les  hérétiques, 
soit  en  les  confondant  dans  des  disputes  particulières,  soit  en  réfutant  leurs  erreurs  dans  des  écrits 
publics.  Théophile  se  signala  dans  cette  guerre  par  un  livre  qu'il  composa  contre  Marcion,  que 
l'on  voyait  encore  du  temps  d'Eusèbe  et  de  saint  Jérôme,  mais  qui  n'est  pas  veuu  jusqu'à  nous, 
non  plus  que  celui  qu'il  avait  écrit  contre  l'hérésie  d'Hermogène.  Il  employait  plusieurs  fois  dans 
cet  ouvrage  l'autorité  de  l'apocalypse  de  saint  Jean. 

Ses  trois  livres  à  Autolyque  ont  eu  un  sort  plus  heureux  et  subsistent  encore  aujourd'hui, 
Théophile  les  composa  à  diverses  reprises  et  ne  les  acheva  que  peu  avant  sa  mort,  vers  l'an  181. 
Autolyque,  à  qui  il  les  dédia,  était  païen,  mais  très-habile  dans  les  sciences  et  si  curieux  d'ap* 
prendre,  qu'il  passait  des  nuits  à  lire.  Le  premier  de  ces  livres  paraît  être  le  résultat  d'une  confé- 
rence qu'il  avaieut  eu  ensemble.  Le  second  est  écrit  d'une  manière  toute  différente  du  premier; 
et  le  troisième  en  forme  de  lettre  ;  mais  tous  traitent  des  principes  de  la  religion. 

Outre  les  traités  que  Théophile  avait  composés  contre  Marcion  et  contre  Hermogène,  il  en  avait 
encore  écrit  plusieurs  autres  qui  sont  perdus.  Eusèbe  ni  saint  Jérôme  ne  les  spécifient  point  ;  ils 
se  contentent  de  dire  qu'on  les  voyait  de  leur  temps,  et  que  la  plupart  étaient  des  instructions  ou 
de  petits  traités  pour  l'édification  de  l'Eglise.  Le  peu  qui  nous  reste  des  ouvrages  de  saint  Théo- 
phile nous  doit  faire  regretter  ceux  qui  ne  sont  pas  venus  jusqu'à  nous.  Le  style  en  est  élevé, 
poli  et  varié;  le  tour  des  pensées  vif  et  agréable,  les  raisonnements  justes,  pressants;  ils  sont 
remplis  de  recherches  curieuses  touchant  les  sentiments  que  les  poètes  et  les  philosophes  ont  eus 
de  leurs  fausses  divinités,  et  on  ne  peut  douter  que  Théophile  n'ait  excellé  dans  la  connaissance 
de  l'antiquité  profane.  Il  aimait  aussi  les  allégories;  et  il  n'y  a  presque  rien  de  littéral  dans  les 
explications  qu'il  a  données  de  l'ouvrage  des  six  jours.  Ses  sentiments  sur  la  religion  sont  très- 
orthodoxes. 

Les  livres  de  saint  Théophile  à  Autolyque  furent  imprimés  en  grec  à  Zurich,  en  1546,  in-f°, 
avec  les  écrits  de  Tatien  et  de  quelques  autres,  par  les  soins  de  Conrad  Gesner,  sur  un  manuscrit 
que  Jean  de  Frise  avait  eu  à  Venise  ;  en  latin,  au  même  endroit  et  la  même  année,  de  la  traduc- 
tion de   Conrad  Clauser.  C'est  cette  version  qu'on  a  suivie  dans  les  Bibliothèques  des  Pères  de 


SAINT  VENANT  OU  VENANCE,   ABBÉ  DE   SAINT- MARTIN  DE  TOURS.  327 

Paris,  en  1575, 1589, 1609,  1644  ;  de  Cologne,  en  1618  et  de  Lyon,  en  1677;  dans  les  Orthodo- 
xographes,  imprimés  en  grec  et  en  latin,  à  Bâle,  en  1555,  in-fol.  ;  dans  l'édition  de  saint  Justin  à 
Paris,  1615  et  1636;  à  Cologne,  1688,  in-fol.,  et  dans  YAuctuarium  de  la  Bibliothèque  des  Pères, 
à  Paris,  1624,  in-fol.,  avec  les  notes  de  Fronton-Leduc.  La  dernière  et  la  plus  correcte  de  toutes 
les  éditions  des  Livres  à  Autolyque  est  celle  d'Oxford,  de  1684,  in-12.  Celle  que  Christophe  Wolf 
donna  à  Hambourg,  en  1724,  surpassa  encore  la  précédente.  M.  Caillau  a  donné  la  version  latina 
des  Livres  à  Autolyque.  M.  de  Genoude  a  traduit  en  français  les  trois  Livres  à  Autolyque. 

Dom  Ceillier,  Histoire  des  Auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques. 


SAINT  VENANT  OU  YENANGE, 

ABBÉ   DE   SAINT  -  MARTIN  DE  TOURS  (ve  siècle). 

Saint  Venant  était  d'une  famille  considérable  du  Berri.  Fiancé  à  une  jeune  personne,  il  passait 
son  temps  dans  les  divertissements  en  attendant  le  jour  du  mariage.  Mais  Dieu  lui  inspira  de  vi- 
siter le  tombeau  de  saint  Martin  à  Tours;  là  il  se  sentit  le  cœur  tout  changé,  et  suivant  les  attraits 
de  la  grâce  divine,  il  renonça  au  monde,  et  alla  se  jeter  aux  pieds  de  l'abbé  Sylvain  qui  l'admit 
dans  son  monastère  et  lui  donna  la  tonsure  avec  l'habit  religieux.  Dès  qu'il  se  vit  revêtu  des  li- 
vrées de  la  pénitence  et  de  la  croix,  il  commença  sérieusement  à  se  combattre  lui-même  et  à  faire 
violence  à  toutes  ses  passions.  Il  excella  par-dessus  tous  ses  confrères  en  humilité  et  en  charité. 
Après  la  mort  de  Sylvain  il  fut  élu  abbé  en  sa  place. 

Sa  sainteté  éclata  depuis  par  beaucoup  de  miracles.  Un  jour,  ne  pouvant  célébrer  la  messe  à 
cause  d'un  mal  d'yeux  qui  TémpèchaU  de  lire,  il  se  la  fit  dire  dans  l'insigne  basilique  de  Saint- 
Martin,  et,  lorsque  le  prêtre  fut  aux  bénédictions  de  l'hostie,  il  vit  un  vénérable  vieillard,  revêtu 
d'habits  ecclésiastiques,  descendre  du  jubé  avec  une  échelle  el  s'approcher  de  l'autel  pour  bénir 
les  présents  célestes.  C'était  sans  doute  saint  Martin,  qui  voulait  lui  faire  connaître  qu'il  assistait 
en  esprit  à  tous  les  sacrifices  qui  s'offraient  dans  son  église.  Il  ouït  une  autre  fois,  en  revenant  le 
matin  de  la  visite  des  églises  de  Tours,  des  anges  qui  chantaient  le  Sanctus  dans  la  sienne.  Il 
s'arrêta  tout  court,  appuyé  sur  son  bâton,  et,  comme  on  lui  demandait  ce  qui  l'arrêtait  et  s'il  avait 
quelque  vision  céleste,  il  s'écria,  les  larmes  aux  yeux  :  «  Malheur  a  nous,  lâches  et  paresseux  que 
nous  sommes  !  on  a  déjà  presque  achevé  dans  le  ciel  la  célébration  des  saints  Mystères  et  nous  ne 
les  avons  pas  encore  commencés  »  ;  et,  à  l'heure  même,  il  fit  commencer  la  messe.  L'une  et  l'autre 
chose  arrivèrent  un  dimanche.  Comme  un  autre  jour  on  disait  à  la  messe  l'Oraison  dominicale,  à 
ces  dernières  paroles  :  Sed  libéra  nos  a  malo,  il  entendit  une  voix,  du  fond  de  la  terre,  qui  ré- 
pétait les  mêmes  mots.  C'était  un  prêtre,  nommé  Bassin,  qui  implorait  les  suffrages  de  l'Eglise 
pour  être  délivré  des  flammes  du  purgatoire.  Alors  notre  Saint  s'approcha  de  son  tombeau,  et,  animé 
d'une  foi  vive,  il  demanda  à  ce  défunt  ce  qu'il  fallait  faire  pour  son  soulagement.  L'âme  lui  ré- 
pondit ce  qu'elle  désirait  de  lui,  et  aussitôt  il  l'accomplit. 

Quoique  ces  visions  soient  des  témoignages  célèbres  de  la  sainteté  de  Venant,  saint  Grégoire, 
néanmoins,  rapporte  plusieurs  miracles  que  Dieu  a  opérés  pour  lui  donner  plus  d'éclat.  On  lui 
amena,  dit-il,  un  enfant  qui  souffrait  de  grandes  douleurs  aux  cuisses  et  aux  jambes.  Il  lui  frotta 
ces  membres  avec  de  l'huile  bénite,  et  le  fit  coucher  une  heure  sur  son  lit  ;  et,  après  avoir  fait  sa 
prière  pour  lui,  il  le  rendit  à  sa  mère  en  parfaite  santé.  Il  chassa  aussi,  par  le  signe  de  la  croix, 
plusieurs  maladies  dangereuses  et  même  pestilentielles.  Il  délivra  des  possédés  par  l'invocation  de  la 
sainte  Trinité.  Il  se  rendit  si  redoutable  aux  démons,  que,  lorsqu'ils  lui  apparaissaient  sous  des  formes 
hideuses,  sa  seule  parole,  fortifiée  du  signe  salutaire  de  notre  Rédemption,  les  faisait  fuir.  Sa  grâce 
spéciale  était  pour  guérir  de  la  fièvre  tierce  et  de  la  fièvre  quarte,  et  pour  tempérer  l'ardeur  des 
autres.  EnOn,  chargé  d'années  et  de  mérites,  il  laissa  cette  vie  mortelle  pour  aller  jouir  de  l'immor- 
talité dans  le  ciel.  Ce  fut  vers  le  milieu  du  ve  siècle. 

Les  mêmes  miracles  qu'il  avait  faits  pendant  sa  vie,  continuèrent  encore  à  son  tombeau.  Une 
partie  de  ses  reliques  étaient,  avant  93,  à  l'abbaye  de  Saint-Germain  des  Prés,  à  Paris,  où  elles 
furent  transportées  par  la  piété  de  saint  Germain,  évêque  de  la  même  ville;  le  reste  à  Tours,  où  on 
les  honorait  avec  beaucoup  de  dévotion. 

On  le  représente  :  1»  en  costume  de  religieux,  un  capuchon  sur  la  tète,  un  livre  et  une  épée 


328  43  OCTOBRE. 

dans  les  reins  ;  l'épée  est  cachée  en  partie  par  un  écusson  avec  armoiries  ;  2°  en  costume  de  comte, 
tenant  une  épée,  et  bénissant  de  la  main  droite  un  lionceau  assis  près  de  lui;  3»  dans  la  solitude, 
chassant  le  démon  ;  4°  tenant  un  écusson  et  une  épée,  quelquefois  un  livre. 

Tiré  de  saint  Grégoire  de  Tours  :  La  Gloire  des  Confesseurs. 


SAINT  LÉOBON  DE  SAINT-ÉTIENNE  DE  FURSAC,  SOLITAIRE, 

AU  DIOCÈSE  DE  LIMOGES  (VIe  siècle). 

Léobon  naquit  au  v»  siècle  au  bourg  de  Saint-Etienne  de  Fursac  (Creuse,  arrondissement  de 
Guéret,  canton  de  Grand-Bourg),  au  diocèse  de  Limoges.  Ayant  senti  de  bonne  heure  le  vide  et  le 
néant  des  choses  de  la  terre,  et  résolu  de  dire  au  monde  un  éternel  adieu,  il  se  retira  sur  une 
montagne  voisine  de  Saint-Etienne,  s'y  bâtit  un  petit  ermitage  et  y  mena  la  vie  solitaire.  Tout  son 
temps  était  partagé  entre  la  prière,  la  méditation  des  choses  éternelles,  les  saintes  lectures,  le 
travail  des  mains.  Il  était  courageux  dans  les  tentations,  soumis  et  résigné  dans  les  afflictions, 
humble  et  modeste  dans  ses  actions  et  son  langage,  pauvre  d'esprit  et  de  volonté,  chaste  de  corps 
et  de  cœur. 

Il  donna  de  cette  dernière  vertu  un  éclatant  exemple.  De  jeunes  débauchés  envoyèrent  une  nuit 
dans  sa  cellule  une  femme  de  mauvaise  vie  pour  le  corrompre  ;  alors,  sous  les  yeux  de  cette  cour- 
tisane, le  Saint  se  coucha  sur  des  charbons  ardents  en  la  priant  de  faire  de  même.  Or,  le  feu  ne 
lui  fit  aucun  mal  :  un  tel  miracle  effraya  cette  malheureuse  qui  se  hâta  de  prendre  la  fuite.  Touchés 
de  ce  prodige,  les  jeunes  gens  vinrent  eux-mêmes  implorer  un  pardon  qu'il  leur  accorda  généreu- 
sement. Néanmoins,  Léobon  ne  crut  pas  devoir  rester  plus. longtemps  en  ce  lieu;  il  le  quitta  pour 
aller  se  fixer  à  Salagnac  (Dordogne),  où  il  trouva  une  retraite  convenable  et  continua  sa  vie  de 
pénitence  et  de  mortification. 

Ce  fut  surtout  après  la  mort  de  Léobon  que  Dieu  manifesta  sa  sainteté  par  des  miracles  :  les 
plus  célèbres  furent  ceux  qui  eurent  lieu  en  994.  A  cette  époque,  un  feu  pestilentiel,  connu  sous 
le  nom  de  mal  des  ardents,  exerçait  de  cruels  ravages  dans  toute  l'Aquitaine.  Comme  toutes  les 
ressources  de  l'art  étaient  impuissantes  contre  cette  étrange  maladie,  une  solennelle  supplication 
fut  ordonnée  dans  tout  le  diocèse  de  Limoges,  et  partout  les  reliques  des  Saints  furent  portées  en 
procession.  Les  habitants  de  Salagnac  sortirent  donc  de  sa  retraite  la  châsse  de  saint  Léobon, 
l'ouvrirent,  et,  prenant  les  ossements  qui  y  étaient  renfermés,  il  les  faisaient  tremper  dans  du  vin 
que  les  malades  buvaient  ensuite  et  qui  les  guérissait.  Pendant  qu'on  portait  le  saint  corps  à  Li- 
moges, un  jeune  homme  accourut  de  la  Jonchère  (Haute-Vienne,  arrondissement  de  Limoges,  can- 
ton de  Laurière)  à  sa  rencontre  et  fut  guéri  publiquement  du  feu  pestilentiel,  près  d'Ambazac. 

Saint  Léobon  est  patron  de  Salagnac,  où  son  chef  se  voyait  encore  en  1405,  et  où  on  l'invoque 
pour  être  guéri  des  fièvres  aiguës.  Il  est  aussi  un  des  patrons  de  l'église  de  Ladignac  (Haute- 
Vienne),  et  il  avait  une  chapelle  dans  celle  de  Saint-Hilaire-Lastours  (arrondissement  de  Saint- 
Yrieix)  ainsi  que  dans  la  cathédrale  de  Limoges.  Il  y  avait  autrefois,  le  jour  de  sa  fête,  grand 
concours  de  peuple,  exposition  du  Saint-Sacrement  et  sermon,  dans  l'église  de  la  Brugère,  près 
Limoges,  où  on  l'honorait  comme  patron  secondaire  de  cette  petite  paroisse. 

Propre  de  Limoges;  Saints  du  Limousin,  par  Labiche  de  Keignefort. 


MARTYROLOGES.  329 


XIVe  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Rome,  sur  la  voie  Aurélienne,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Calliste,  pape  et  martyr,  qui, 
par  l'ordre  de  l'empereur  Alexandre,  après  avoir  longtemps  souffert  le  supplice  de  la  faim,  et  avoir 
été  meurtri  tous  les  jours  à  coups  de  bâton,  fut  enfin  précipité  d'une  fenêtre  de  la  maison  où  il 
était  gardé,  au  fond  d'un  puits,  qui  fut  le  lieu  de  sa  victoire  et  de  son  triomphe.  222.  —  A  Césa- 
rée,  en  Palestine,  sainte  Fortunate  ou  Fortunée,  vierge  et  martyre,  qui  rendit  son  âme  à  Dieu  du- 
rant la  persécution  de  Dioclétien,  après  avoir  surmonté  les  tourments  du  chevalet,  la  fureur  des 
bêtes  et  plusieurs  autres  supplices.  Son  corps  fut  depuis  porté  à  Naples 4.  303.  —  De  plus,  saint 
Carpon,  saint  Evariste  et  saint  Priscien,  frères  de  sainte  Fortunate,  qui  furent  écorchés  et  ob- 
tinrent pareillement  la  palme  du  martyre.  303.  —  De  plus,  saint  Saturnin  et  saint  Loup.  —  A  Ri- 
mini,  saint  Gaudence  ou  Gaudens,  évèque  et  martyr  2.  ive  s.  —  A  Todi,  saint  Fortunat,  évêque, 
qui,  au  rapport  de  saint  Grégoire,  fit  paraître  une  vertu  extraordinaire  à  chasser  les  esprits  im- 
mondes. vi«  s.  —  A  Wurtzbourg,  saint  Burchard,  premier  évêque  de  cette  ville.  Vers  752.  — 
A  Bruges,  en  Flandre,  saint  Donatien,  évèque  de  Reims3.  Vers  389.  —  A  Trêves,  saint  Rustique, 
évêque  *.  Vers  574.  —  Le  même  jour,  le  décès  de  saint  Dominique  l'Encuirassé.  1060.  — 
Dans  la  Campagne  de  Rome,  saint  Bernard  d'Arce,  confesseur.  Commencement  du  xni°  s. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  de  Beauvais,  sainte  Angadrême,  vierge,  abbesse  de  l'Oratoire.  Vers  695.  —  Aux 
diocèses  de  Cambrai,  Carcassonne,  Nantes,  Nice,  Perpignan  et  Strasbourg,  saint  Calliste,  pape  et 
martyr,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  222.  —  Au  diocèse  de  Châlons-sur-Marne,  sainte 
Ménehould  (Manechildis),  vierge,  patronne  de  Bienville,  au  diocèse  de  Langres.  Vers  490.  — 

1.  En  1564,  Il  y  avait,  dans  un  couvent  de  Naples,  un  autel  dédié  à  sainte  Fortunée.  Cet  autel  mena- 
çant ruine,  l'abbesse  voulut  le  faire  restaurer.  Un  architecte  ayant  été  consulté  déclara  que  l'autel  devait 
être  entièrement  démoli  ;  mais  la  nuit  suivante  il  vit  en  songe  une  vierge  d'une  beauté  ravissante  qui  lui 
défendit  très-sévèrement  d'entreprendre  cette  démolition,  ajoutant  que  cela  regardait  une  personne  plus 
digne.  Effrayé,  l'architecte  s'empressa  d'aller  communiquer  cette  nouvelle  à  l'abbesse.  Celle-ci  se  rendit 
aussitôt  à  l'église,  s'agenouilla  devant  l'autel  et  pria  Dieu  de  l'éclairer  sur  le  sens  véritable  de  cette  vision. 
Quand  elle  eut  achevé  sa  prière,  elle  se  leva  pour  s'en  aller;  mais  à  peine  eut-elle  fait  quelques  pas  que 
la  partie  antérieure  de  l'autel  vint  à  s'écrouler.  L'évêque  de  Naples,  Octavien,  informé  de  ces  faits,  vint 
visiter  les  lieux,  accompagné  d'autres  ecclésiastiques.  On  trouva  sous  l'autel  les  reliques  de  sainte  For- 
tunée et  de  ses  frères,  ainsi  qu'un  tableau  représentant  leur  martyre.  Un  autel  nouveau  ayant  été  cons- 
truit, ces  précieuses  reliques  y  furent  déposées  après  une  procession  solennelle.  —  Docteur  Stolz,  Vies 
des  Saints. 

2.  Ce  qui  rend  surtout  vénérable  aux  yeux  de  la  fol  la  cathédrale  de  Rimini,  bâtie  sur  les  ruines  du 
temple  de  Castor  et  de  Pollux,  c'est  le  sang  épiscopal  dont  elle  fut  rougie  par  ordre  de  l'empereur  Cons- 
tance II,  deuxième  flls  de  Constantin  (337-361),  protecteur  des  Ariens  et  arien  lui-même.  Au  temps  du 
trop  fameux  Concile,  saint  Gaudens,  évêque  de  Rimini,  déjouait  avec  une  irrésistible  logique  les  ruses 
d'Ursace  et  de  Valens.  Pour  lui  répondre,  Constance  employa  la  logique  des  tyrans  ;  il  le  fit  égorger  par 
les  licteurs  du  proconsul.  —  Mgr  Gaume,  Les  trois  Rome  ;  Baronius,  Notes  au  martyrologe  romain. 

3.  On  ne  sait  rien  de  la  vie  de  saint  Donatien  ou  Donat,  huitième  évoque  de  Reims  et  confesseur  (370- 
389).  Il  fut  enseveli  dans  l'église  de  Saint-Agricol.  Ce  qui  l'a  rendu  célèbre  a  été  la  translation  de  son 
corps,  en  863,  par  Baudouin  I",  dit  Bras-de-Fer,  premier  comte  de  Flandre.  Baudouin  fit  déposer  ces 
reliques  d'abord  a  Turnhout,  puis  à  Bruges,  dans  l'église  de  Notre-Dame  ;  et  enfin  elles  furent  transférées 
dans  une  église  collégiale  fondée,  en  961,  par  Arnoul  le  Grand,  comte  de  Flandre,  et  qui  prit  le  nom  de 
Saint-Donatien.  Cette  église,  à  la  demande  de  Philippe  II,  roi  d'Espagne,  fut,  en  1559,  érigée  en  cathé- 
drale. Saint  Donatien  est  ainsi  devenu  le  patron  de  la  ville  de  Bruges  et  protecteur  tutélaire  de  la  Flandre 
occidentale.  On  célèbre  sa  principale  fête  le  14  octobre,  jour  de  sa  mort,  et  celles  de  ses  diverses  transla- 
tions les  6  janvier,  24  mai  et  30  août.  —  Gallia  Christiana  nova  ;  Dom  Remy  Ceillier. 

4.  Nous  en  avens  parlé  dans  la  vie  de  saint  Goar,  tome  vin,  page  71. 


330  14  OCTOBRE. 

An  diocèse  de  La  Rochelle,  fête  de  l'invention  et  de  la  translation  de  saint  Eutropc,  vulgairement 
Ytrope,  évêque  de  Saintes  et  martyr,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  30  avril.  Ier  s.  —  Au  dio- 
cèse de  Mayence,  saint  Bnrchard,  évêque  de  Wurtzbourg,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour. 
Vers  752.  —  Au  diocèse  d'Ajaccio,  sainte  Fortunée  ou  Fortunate,  vierge  et  martyre  à  Césarée  de 
Palestine,  citée  au  martyrologe  romain  d'aujourd'hui.  303.  —  A  Metz,  saint  Céleste,  évêque  de  ce 
siège  et  confesseur  *.  me  s.  —  Autrefois,  h  Lyon,  fête  de  la  translation,  d'Egypte  à  Lyon,  des  re- 
liques de  saint  Just,  archevêque  de  ce  siège  et  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  2  sep- 
tembre. 390.  —  A  Vienne,  en  Dauphiné,  saint  Agrat  ou  Agrice  et  saint  Casture,  évêques  et  con- 
fesseurs2. Vers  711.  —  A  Cambrai,  saint  Rothad,  ou  Rhotade,  vingtième  évêque  de  Cambrai  et 
d'Arras.  Il  succéda  à  saint  Jean  Ier  (879),  et  administra  les  diocèses  unis  de  Cambrai  et  d'Arras 
dans  un  temps  de  perturbations  et  dejnisères  extraordinaires,  au  milieu  même  des  invasions  des 
Normands.  Arras  et  Cambrai  furent  pris  par  ces  barbares  :  le  meurtre  et  l'incendie  vinrent  y  étaler 
leurs  horreurs.  Saint  Rothad  remplit  son  devoir  de  pasteur  dans  ces  circonstances  lugubres,  et  la 
reconnaissance  de  son  peuple  l'a  proclamé  hautement  par  le  culte  qui  lui  fut  décerné,  bien  qu'au- 
cune de  ces  actions  particulières  n'ait  été  livrée  à  l'histoire.  Il  ne  survécut  que  peu  d'années  à  ces 
désastres;  son  corps,  déposé  dans  l'église  de  Saint-Aubert,  fut.  dans  la  suite  transporté  à,  Magde- 
bourg  en  Saxe,  pour  répondre  à  une  demande  faite  à  l'évêque  Fulbert,  par  Othon  le  Grand,  empe- 
reur d'Occident.  886.  —  A  Limoges,  la  vénérable  mère  Isabelle  des  Anges,  fondatrice  et  première 
prieure  des  Carmélites  de  Limoges.  Elle  était  native  de  Villecastin,  au  diocèse  de  Ségovie,  en  Es- 
pagne. Elle  mourut  à  l'âge  de  soixante-dix-neuf  ans  et  fut  ensevelie  dans  l'église  des  Carmélites 
où  l'on  voyait  encore  son  tombeau  avant  la  Révolution.  1644. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  A  Rimini,  saint  Gaudens  ou  Gaudence,  qui  de 
chanoine  régulier  devint  évêque  de  ce  siège  et  fut  massacré  par  les  Ariens  dont  il  attaquait  l'hé- 
résie, et  mérita  ainsi  la  palme  du  martyre.  iv°  s. 

Martyrologe  de  l'Oindre  des  Frères  Prêcheurs.  —  ATrino  (dans  l'ancien  duché  de  Montferrat), 
la  bienheureuse  Madeleine  Panateri,  vierge,  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique;  qui,  unissant  l'inno- 
cence à  la  patience,  mérita  d'être  honorée  des  faveurs  célestes,  et  enfin,  comblée  de  mérites  et  de 
vertus,  obtint  la  couronne  des  Saints  dans  le  ciel 3.  1503. 

ADDITIONS  FAITES  D' APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Gaza,  en  Palestine  (aujourd'hui  Gazzah),  saint  Cosme  (Cosmas),  évêque  de  ce  siège  et  con- 
fesseur. Il  était  de  Jérusalem  et  fut  surnommé  Philogregorius,  à  cause,  sans  doute,  du  grand 
amour  qu'il  portait  aux  travaux  et  à  la  sainteté  de  Grégoire  de  Nazianze.  Il  avait  été  élevé  dans  la 
maison  même  de  saint  Jean  Damascène,  dont  il  fut  le  condisciple  et  l'ami,  par  un  autre  Cosme, 

1.  Saint  Céleste  jeta  les  fondements  de  l'Eglise  de  Metz  arec  saint  Clément,  a  qui  il  succéda  dans  î'épis- 
copat,  et  dont  il  développa  l'œuvre  par  l'éminence  de  sa  doctrine  et  par  la  sainteté  de  ses  exemples.  Il  est 
très-regrettable  que  les  documents  historiques  concernant  la  fondation  de  l'Eglise  de  Metz  et  les  travaux 
de  ses  premiers  évêques  se  soient  perdus  dans  les  catastrophes  assez  fréquentes  que  cette  ville  a  essayées 
dans  le  cours  des  âges.  Cependant  la  tradition  a  conservé  la  mémoire  de  leur  éminente  sainteté  ;  quant  à 
leurs  travaux  apostoliques,  les  développements  rapides  que  prit  de  bonne  heure  l'Eglise  de  Metz  en  attes- 
tent l'importance  et  la  grandeur.  Saint  Céleste  fut  enseveli  aux  pieds  de  saint  Clément.  En  832,  l'arche- 
vêque Drogon  transféra  les  reliques  du  saint  pontife  au  monastère  bénédictin  de  Maurmunster  ou  Maur- 
moutier  (Mauri  monasterium),  près  de  Saverne,  au  diocèse  de  Strasbourg.  Ces  restes  vénérables  ont  dis- 
paru dans  la  dévastation  du  monastère  pendant  la  Révolution  française,  à-  l'exception  d'un  os  conservé 
depuis  longtemps  dans  l'église  du  village  de  Many  (Moselle,  arrondissement  de  Metz,  canton  de  Faulque- 
mont),  au  diocèse  de  Metz.  Cette  précieuse  relique  est  encore  aujourd'hui  gardée  et  vénérée  au  même 
endroit.  —  Propre  de  Mets. 

2.  Il  n'est  pas  tout  à  fait  certain  que  saint  Agrice  et  saint  Casture  aient  occupé"  le  siège  de  Vienne. 
Ceux  de  nos  Içcteurs  qui  voudraient  s'édifier  sur  cette  question  de  controverse  peuvent  lire  la  dissertation 
publiée  par  les  Bollandistes  à  ce  sujet  (tome  vi  d'octobre,  pages  545-556). 

3.  La  bienheureuse  Madeleine  de  Trino  s'attacha  au  Seigneur,  par  le  vœu  de  virginité,  à  la  fleur  de  son 
âge.  Afin  d'être  à  Dieu  d'une  manière  plus  parfaite,  elle  sollicita  avec  instance  la  faveur  d'être  admise  dans 
le  Tiers  Ordre  de  Saint-Dominique  ;  ayant  été  agrégée  à  cette  pieuse  société,  elle  se  proposa  pour  modèle 
l'illustre  sainte  Catherine  de  Sienne  et  se  livra  comme  elle  aux  jeûnes,  aux  veilles,  à  la  prière  et  à  la 
pratique  de  la  mortification.  Elle  se  fit  surtout  remarquer  par  sa  charité  pour  les  pauvres.  Entre  les  faveurs 
spirituelles  que  ses  vertus  lui  méritèrent,  on  cite  le  don  de  prophétie,  et  l'on  assure  qu'elle  prédit  les  cala- 
mités qui  affligèrent  1  Italie  a  la  fin  du  xve  siècle;  qu'elle  obtint  du  Seigneur  que  Trino,  sa  patrie,  fût  pré- 
servée des  malheurs  qui  menaçaient  le  pays,  et  qu'elle  connut  l'heure  de  sa  mort  trois  ans  avant  qu'elle 
arrivât.  Madeleine  rendit  tranquillement  son  esprit  à  son  Créateur,  le  15  octobre  1503.  Le  pape  Léon  XII 
a  approuvé  son  culte  le  22  septembre  1827.  —  Continuateurs  de  Godescard  et  Année  dominicaine 


SAINT  CALIXTE  OU  CALLISTE  Ier,   PAPE  ET  MAKTYR.  331 

«nrnommé  l'Ancien,  moine  italien,  que  le  père  de  Jean  Damascène  avait  racheté  des  mains  des  Sar- 
rasins. Suidas  a  dit  de  lui  qu'il  était  homme  d'esprit;  qu'il  s'entendait  parfaitement  a. faire  des 
hymnes  et  des  cantiques  spirituels,  et  que  ce  qu'il  avait  produit  en  ce  genre  surpassait  ce  que 
l'on  avait  fait  jusqu'alors  ou  que  l'on  ferait  à  l'avenir.  Cosme  est  l'auteur  des  vers  qui  se  trouvent 
en  latin  dans  la  Bibliothèque  des  Pères  de  Lyon.  Son  travail  est  précieux,  parce  qu'il  nous  a 
conservé  plusieurs  poésies  de  saint  Grégoire,  que  nous  ne  connaissions  pas.  On  y  trouve,  d'ail- 
leurs, de  nombreux  éclaircissements  pour  l'histoire  sacrée,  ecclésiastique,  civile  et  philosophique. 
Vers  781.  —  Au  diocèse  de  Naples,  sainte  Fortunate  ou  Fortunée,  vierge,  martyre  à  Césarée  de 
Palestine,  citée  au  martyrologe  romain  d'aujourd'hui.  303.  —  En  Cappadoce,  avec  saint  Saturnin 
et  saint  Loup,  martyrs,  cités  au  martyrologe  romain  de  ce  jour,  les  saints  martyrs  Ampode,  Mo- 
deste, Lucien,  Simplice,  Sature  et  Placide,  cités  par  les  apographes  de  saint  Jéiûme.  — -  A  Cor- 
doue,  saint  Loup  et  sainle  Aurélie,  martyrs,  mentionnés  à  la  même  source. 


SAINT  CALIXTE  OU  CALLISTE  Ier, 

PAPE  ET  MARTYR 

222.  —  Empereur  romain  :  Alexandre  Sévère. 


Corona  aurea  super  mitram  ejus  êcepressa  signo  tana- 

titatis. 
Vous  verrez  au-dessus  do  sa  mitre  une  couronne 

d'or  :  ce  sera  pour  vous  une  preuve  de  sa  sainteté. 
Eccli.,  xsxix,  14. 

Après  la  mort  de  saint  Zéphirin,  saint  Calliste,  romain  et  fils  de  Domi- 
tius,  fut  porté  sur  le  Siège  apostolique,  En  effet,  îl  ne  fallait  pas  un  pas- 
teur moins  sage  ni  moins  généreux  que  lui  pour  gouverner  l'Eglise,  en  ce 
temps  où  elle  gémissait  sous  les  sanglantes  persécutions  des  empereurs  et 
de  leurs  officiers.  1J  Histoire  ecclésiastique  nous  apprend  qu'il  fit  un  décret 
sur  le  jeûne  des  Quatre-Temps,  selon  la  tradition  venue  des  Apôtres,  pour 
attirer  la  bénédiction  de  Dieu  en  chaque  saison  de  l'année,  premièrement, 
sur  l'Eglise  universelle,  puis,  sur  chaque  particulier  et  sur  les  biens  de  la 
terre.  Il  bâtit,  en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge,  une  église,  appelée  Sainte- 
Marie,  au-delà  du  Tibre,  dans  un  lieu  où,  au  temps  de  son  enfantement, 
il  était  sorti  de  la  terre  une  huile  miraculeuse  pour  annoncer  aux  hommes 
l'avènement  de  Jésus-Christ,  qui  est  l'oint,  du  Seigneur.  Il  fit  aussi  cons- 
truire un  cimetière  sur  la  voie  Appienne,  que  l'on  appelle  le  cimetière  de 
Calliste.  Les  actes  de  son  martyre  nous  font  voir  son  zèle  pour  l'instruction 
des  fidèles,  pour  la  conversion  des  idolâtres  et  pour  l'établissement  du 
christianisme.  Voici  ce  qu'ils  portent  : 

«  Au  temps  de  l'empereur  Alexandre  Sévère,  la  partie  du  Capitole  qui 
regardait  le  midi  avait  été  brûlée  par  un  feu  du  ciel,  et  la  main  gauche  de 
la  statue  d'or  de  Jupiter,  qui  était  dans  un  temple  dédié  à  son  honneur, 
s'était  détachée  d'elle-même  et  avait  été  fondue  dans  l'incendie  :  les  arus- 
pices  et  les  prêtres  vinrent  trouver  l'empereur,  ou  plutôt,  selon  la  remar- 
que du  cardinal  Baronius,  un  de  ces  fameux  jurisconsultes,  ennemi  juré  du 
christianisme,  à  qui  il  avait  donné  le  souverain  gouvernement  de  la  ville, 
pour  le  prier  d'ordonner  des  sacrifices  publics,  afin  d'apaiser  la  colère  des 
dieux.  Mais  le  jeudi  suivant,  jour  consacré  au  culte  du  même  Jupiter,  pen- 
dant qu'on  vaquait  de  grand  matin  à  cette  cérémonie,  il  s'éleva  tout  à 


332  44  OCTOBRE. 

coup  une  furieuse  tempête ,  bien  que  l'air  fût  auparavant  fort  serein  ; 
quatre  prêtres  des  idoles  furent  frappés  par  la  foudre,  et  l'autel  de  ce  faux 
dieu  fut  réduit  en  poudre.  Enfin,  il  y  eut  un  jour  où  l'immense  cité  fut 
couverte  d'un  brouillard  si  épais  et  si  noir  que  le  peuple  sortait  en  foule 
pour  aller  chercher  de  l'air  et  de  la  lumière  dans  la  campagne  romaine. 
Un  groupe  de  ces  fugitifs,  parvenu  à  la  hauteur  du  temple  des  Urberaven- 
natesf  sur  l'autre  rive  du  Tibre,  entendit  la  psalmodie  chrétienne  dont  les 
chants  s'échappaient  du  cœnaculum  chrétien  consacré  par  saint  Calliste, 
qui,  en  ce  moment,  assisté  de  son  clergé,  présidait  l'assemblée  des  fidèles. 
La  foule  païenne  s'amoncela  bientôt  en  ce  lieu. 

«  Palmatius,  homme  consulaire ,  était  du  nombre  de  ces  fugitifs.  Il 
s'imagina  aussitôt  que  les  malheurs  qui  venaient  d'arriver  n'avaient  été 
causés  que  parles  enchantements  de  ces  chrétiens;  et,  dans  cette  croyance, 
il  vint  faire  au  prétoire  le  rapport  de  ce  qu'il  avait  découvert.  «  Les  dé- 
sastres dont  nous  accable  le  courroux  des  dieux  »,  dit-il,  «  ne  sont  que 
trop  justifiés- par  les  crimes  qui  souillent  notre  ville.  Il  est  temps  de  puri- 
fier Rome  ».  —  «  Qu'on  la  purifie  »,  répondit  le  préteur.  «  Mais  de  quoi 
s'agit-il  ?»  —  «  Des  chrétiens  qui  profanent  notre  grande  cité  ».  —  «  J'ai 
déjà  prescrit  nombre  de  fois  »,  dit  le  préteur,  «  de  les  punir  sévèrement, 
s'ils  refusent  de  sacrifier  aux  dieux  ».  —  «  Eh  bien  !  »  reprit  Palmatius, 
«  en  ce  moment  où  le  deuil  s'est  répandu  sur  la  cité,  je  viens  d'entendre 
une  multitude  de  chrétiens  chanter  leurs  hymnes  sacrilèges  et  se  livrer  à 
leurs  incantations,  dans  la  région  transtibérine  ».  —  «  Allez  »,  dit  le  pré- 
teur, a  je  vous  donne  plein  pouvoir  de  contraindre  ces  rebelles  à  sacrifier 
aux  dieux  ».  —  Palmatius  prit  quelques  soldats  et  revint  à  la  région  des 
Urberavennates.  Par  son  ordre,  dix  soldats  montèrent  au  cœnaculum,  où 
l'assemblée  des  fidèles  était  réunie,  sous  la  présidence  de  Calliste.  Parvenus 
au  vestibule,  où  se  trouvait  un  vieillard,  le  prêtre  Calépode,  ces  dix  soldats 
furent  tout  à  coup  frappés  de  cécité,  et  ils  criaient  :  «  Apportez-nous  des 
torches  :  dans  cette  obscurité  il  nous  est  impossible  de  rien  voir  !  »  Le 
prêtre  Calépode  leur  dit  :  «  C'est  le  Dieu  qui  voit  tout  qui  vous  aura  frappés 
d'aveuglement  !  »  Les  soldats  descendirent  à  tâtons. 

a  Palmatius,  en  les  voyant  revenir  dans  cet  état,  fut  saisi  d'épouvante. 
Il  revint  au  tribunal.  Le  préteur  voulut  qu'on  lui  amenât  les  soldats  ;  il 
constata  leur  récité  et  s'écria  devant  toute  la  foule  :  «  Citoyens!  vous  avez 
la  preuve  des  coupables  maléfices  de  cette  secte  impie  !  »  En  même  temps, 
sur  les  instances  de  Palmatius,  il  prescrivit  pour  le  lendemain  un  sacrifice 
expiatoire  à  Mercure.  Palmatius,  avec  toute  sa  famille,  était  le  lendemain 
au  Capitole  ;  il  amenait  des  veaux  et  des  porcs  qu'on  devait  immoler  au 
dieu.  Le  peuple  se  pressait  autour  de  l'autel  et  les  cérémonies  allaient 
commencer,  quand  une  vestale,  nommée  Juliana,  saisie  tout  à  coup  par 
le  démon,  s'écria  :  «  Le  Dieu  de  Calliste  est  le  Dieu  vivant  et  véritable  î 
Vos  impiétés  attirent  sur  vous  sa  colère.  Il  détruira  votre  empire,  parce 
que  vous  refusez  de  l'adorer  ».  Cette  parole  pénétra  dans  le  cœur  de  Pal- 
matius comme  un  trait  de  lumière.  Il  ne  partageait  pas  le  sentiment  du 
préteur  sur  les  prétendus  maléfices  des  chrétiens,  et  le  prodige  subit  dont 
il  avait  été  témoin  la  veille  l'avait  déjà  fortement  ébranlé.  Dans  cette  situa- 
tion d'esprit,  il  sortit  du  Capitole.  Se  dirigeant  vers  la  région  transtibérine 
des  Urberavennates y  il  entra  seul  dans  le  cœnaculum  où  les  chrétiens  étaient 
réunis,  et  vint  se  prosterner  aux  pieds  de  Calliste.  «  Je  reconnais  »,  lui  dit- 
il,  «  que  Jésus-Christ  est  le  seul  Dieu  véritable.  Les  démons  viennent  de  le 
proclamer  en  ma  présence.  Je  vous  en  conjure  donc,  arrachez-moi  à  la 


SAINT  CALIXTE  OU  CALLISTE  Ier,   PAPE  ET  MARTYR.  333 

servitude  des  démons  que  j'ai  adorés  jusqu'ici.  Vous  prêchez  un  baptême, 
baptisez-moi  ».  L'évêque  Galliste  répondit  :  «  Ne  vous  jouez  point  ainsi  de 
la  vérité,  par  une  imposture  sacrilège  ».  —  «  Seigneur  »,  s'écria  Palmatius, 
«  je  ne  vous  trompe  point.  Je  conduisais  les  soldats  frappés  hier  d'une  cécité 
subite  et  complète  ;  je  viens  d'entendre  aujourd'hui  Juliana,  la  vestale.  Ces 
deux  prodiges  m'ont  converti  à  la  foi  du  Christ,  votre  Dieu  et  le  mien  » .  Le 
prêtre  Calépode  dit  alors  à  l'évêque  :  «  Bienheureux  Père,  ne  refusez  point 
la  grâce  du  baptême  à  cet  homme  qui  l'implore  ».  L'évêque  acquiesça  à  sa 
demande. 

«  Calépode  se  chargea  alors  d'instruire  le  néophyte.  Palmatius  passa 
cette  journée  dans  le  jeûne  et  la  prière.  Le  lendemain,  on  remplit  le  bas- 
sin, servant  au  baptême,  de  l'eau  d'un  puits  qui  était  dans  cette  maison. 
Calliste  la  bénit,  et  quand  Palmatius  fut  amené  près  de  la  piscine,  l'évêque 
lui  demanda  :  «  Croyez-vous  de  tout  votre  cœur  en  Dieu,  le  Père  tout-puis- 
sant, créateur  des  choses  visibles  et  des  choses  invisibles?  »  —  «  J'y  crois  », 
répondit  Palmatius.  —  «  Croyez-vous  en  Jésus-Christ,  son  Fils  ?»  —  «  J'y 
crois  ».  —  «  Croyez-vous  au  Saint-Esprit,  à  l'Eglise  catholique,  à  la  rémis- 
sion des  péchés  et  à  la  résurrection  de  la  chair  ?»  —  En  ce  moment  Pal- 
matius fondit  en  larmes,  et,  d'une  voix  entrecoupée  de  sanglots,  il  s'écria: 
«  Je  crois,  Seigneur  !  je  crois  !  Le  Seigneur  Jésus-Christ,  la  vraie  lumière, 
vient  de  m'apparaître.  Je  l'ai  vu  ;  il  a  illuminé  mon  âme  !  »  —  Calliste  le 
baptisa  donc,  lui,  sa  femme,  ses  enfants  et  toute  sa  maison,  qui  se  com- 
posait de  quarante-deux  personnes  de  l'un  et  de  l'autre  sexe.  Depuis  ce 
jour,  Palmatius  ne  songea  plus  qu'à  subvenir  par  ses  richesses  à  l'indi- 
gence des  chrétiens  pauvres.  Il  parcourait  les  diverses  régions  de  la  ville 
et  les  cryptes  des  catacombes,  à  la  recherche  des  frères  détenus  en  pri- 
son, ou  cachés  dans  les  souterrains,  et  leur  procurait  des  vêtements  et  dés 
vivres. 

«  Un  mois  après,  on  informa  le  préteur  que  Palmatius,  devenu  chré- 
tien, propageait  la  foi  nouvelle.  Ordre  fut  donné  de  l'arrêter.  Le  tribun 
Torquatus  le  saisit  donc,  et  le  conduisit  à  la  prison  Mamertine,  d'où,  le 
troisième  jour,  il  fut  amené,  chargé  de  fers,  au  tribunal.  Le  préteur,  en 
le  voyant,  lui  fit  ôter  ses  chaînes.  «  Palmatius  »,  lui  dit-il,  «  es-tu  donc 
devenu  fou  ?  Est-il  vrai  que  tu  as  abandonné  le  culte  des  dieux,  pour  ado- 
rer un  crucifié  ?»  —  Palmatius  ne  répondit  point  à  cette  interpellation. 
Après  quelques  instants  de  silence,  le  préteur  ajouta  :  «  Parle  en  toute 
confiance,  tu  n'as  rien  à  craindre  ».  —  «  Puisque  vous  me  donnez  cette 
assurance  »,  dit  Palmatius,  «  je  dirai  la  vérité».  —  «  A  la  réserve  des 
injures  contre  les  dieux  »,  reprit  le  préteur,  «  tu  peux  tout  dire». — 
«  Excellent  magistrat  »,  dit  alors  Palmatius,  «  si  vous  voulez  y  réfléchir, 
vous  verrez  que  ces  dieux  dont  vous  parlez  sont  de  fabrique  humaine.  Qui 
devons-nous  adorer  ?  Jugez  vous-même  si  l'œuvre  d'une  main  mortelle 
peut  jamais  être  une  divinité  ;  j'en  appelle  à  votre  science  éclairée.  Com- 
mandez à  l'un  de  vos  dieux  de  prendre  la  parole  et  de  me  répondre  quand 
je  l'interrogerai  ;  s'il  me  répond,  je  m'engage  à  le  servir  ».  —  «  Mais  pour- 
tant » ,  dit  le  préteur,  a  tu  les  adorais,  depuis  ton  enfance  ;  pourquoi  les 
as-tu  abandonnés  ?»  —  «  J'étais  vraiment  aveugle  » ,  répondit  Palmatius  ; 
maintenant  que  la  vérité  s'est  manifestée  à  mon  âme,  je  supplie  Jésus- 
Christ,  mon  Dieu,  de  pardonner  l'erreur  de  mon  ignorance  ».  Le  préteur 
sourit  à  ces  paroles,  et,  s'adressant  au  sénateur  Simplicius,  il  lui  dit  : 
«  Emmenez  Palmatius  :  sa  folie  est  inoffensive  ;  calmez  son  esprit  par  vos 
sages  entretiens  ;  rendez-le  au  respect  des  dieux.  La  république  a  besoin 


334  14  ÛCTOBÏtE. 

d'hommes  comme  lui  ».  Le  prisonnier  fut  alors  revêtu  d'habits  conve- 
nables à  son  rang  ;  Simplicius  le  conduisit  dans  sa  demeure,  et  recom- 
manda à  sa  femme  et  à  ses  intendants  de  le  traiter  avec  les  plus  grands 
égards. 

«  Palmatius  ne  profita  de  la  bienveillance  de  son  hôte  que  pour  se 
livrer  exclusivement  aux  jeûnes  et  à  la  prière.  Il  ne  cessait  de  supplier 
avec  larmes  le  Père  tout-puissant  et  Jésus-Christ  son  Fils,  d'agréer  sa  péni- 
tence en  expiation  de  ses  erreurs  passées.  Un  jour,  un  catéchumène  nommé 
Félix,  dont  la  femme  était  paralytique  depuis  quatre  ans,  vint  se  jeter  aux 
pieds  de  Palmatius.  «  Confesseur  de  la  foi  »,  lui  dit-il,  «priez  pour  votre  ser- 
vante Blanda,  ma  femme;  obtenez  qu'elle  puisse  se  lever  de  son  lit  de  dou- 
leurs, pour  venir  avec  moi  recevoir  le  baptême.  Depuis  longtemps,  elle  est 
atteinte  d'une  paralysie  qui  la  prive  de  tout  mouvement  ;  et  nos  ressources 
se  sont  épuisées  sans  succès  durant  cette  cruelle  infirmité  ».  Or,  la  femme 
du  sénateur  était  présente  à  cet  entretien.  Palmatius,  sans  rien  répondre, 
se  prosterna  à  terre,  et,  en  pleurant,  pria  ainsi  :  «  Seigneur  mon  Dieu,  vous 
qui  avez  daigné  éclairer  mon  âme  d'un  rayon  de  votre  grâce,  manifestez 
en  ce  moment  la  gloire  éternelle  de  Jésus-Christ,  votre  Fils.  Guérissez 
Blanda,  votre  servante  ;  arrachez-la  à  son  lit  de  douleurs,  afin  que  tous 
reconnaissent  que  vous  êtes  vraiment  le  Créateur  de  l'univers  !  »  Quelques 
instants  après,  on  vit  accourir  Blanda  ;  elle  était  guérie,  et,  s'adressant  au 
confesseur  :  «  Le  Seigneur  Jésus-Christ  »,  lui  dit-elle,  «  m'a  prise  par  la 
main  et  m'a  guérie.  Baptisez-moi  en  son  nom  !  »  Palmatius  envoya  cher- 
cher l'évêque  Calliste,  qui  vint  et  baptisa  Blanda  et  son  époux  Félix.  Le 
sénateur  Simplicius,  témoin  de  ces  merveilles,  se  jeta  lui-même  aux  pieds 
de  Calliste,  et  lui  demanda  de  l'admettre,  lui  et  toute  sa  maison,  à  la  grâce 
du  baptême.  «  Qu'il  soit  fait  ainsi  »,  répondit  l'évêque,  «  et  que  le  Seigneur 
comble  dans  ses  greniers  la  mesure  de  sa  moisson!  »  Calliste  catéchisa  donc 
Simplicius  et  toute  sa  famille.  ^Ensemble  ils  reçurent  le  baptême,  au  nom- 
bre de  soixante-huit  personnes  de  l'un  et  de  l'autre  sexe.  Le  prêtre  Calé- 
pode,  dans  son  allégresse,  disait  :  «  Gloire  à  vous,  Jésus-Christ  Notre-Sei- 
gneur,  qui  daignez  illuminer  ainsi  vos  créatures  et  les  arracher  à  l'empire 
de  l'erreur  !  »  Cependant,  le  préfet  du  prétoire,  à  cette  nouvelle,  fit  arrêter 
les  nouveaux  baptisés,  et  les  condamna  à  périr  par  le  glaive.  Ils  subirent 
tous  le  supplice,  et  leurs  têtes  furent  exposées  aux  diverses  portes  de  Rome, 
dans  l'espoir  que  cet  exemple  de  rigueur  arrêterait  la  propagation  de  la  foi 
chrétienne. 

«  Le  bienheureux  Calépode,  arrêté  lui-même,  eut  aussi  la  tête  tran- 
chée *,  le  jour  des  calendes  de  mai  (1er  mai  222)  :  son  corps  fut  traîné  par 
la  populace  dans  les  rues  de  la  ville,  et  jeté  ensuite  dans  le  Tibre,  en  face 
de  l'île  de  Lycaon  2.  Calliste  s'était  réfugié  avec  dix  de  ses  clercs,  dans  la 
maison  de  Pontianus  s.  De  cette  retraite,  il  sollicita  quelques  pêcheurs  et 
obtint  d'eux  qu'ils  rechercheraient  le  corps  de  Calépode.  Les  pêcheurs 
explorèrent  le  fleuve,  découvrirent  les  précieux  restes,  et  les  rapportèrent 
au  bienheureux  évêque.  Il  reçut  ce  trésor  avec  une  sainte  joie.  Le  corps 
du  martyr  fut  recouvert  d'aromates  et  enveloppé  de  linges.  Au  chant  des 

1.  Il  est  cité  au  martyrologe  romain  du  10  mai,  jour  auquel  l'Eglise  fait  sa  fête. 

2.  Cette  île,  appelée  tantôt  Lycaonia,  tantôt  Tiberina,  par  les  auteurs  anciens,  se  nomme  aujourd'hui 
l'île  de  Saint-Barthélemi,  à  cause  de  l'église  bâtie  sur  ses  rives,  en  l'honneur  du  saint  Apôtre,  et  connue 
comme  titre  cardinalice  sous  le  nom  de  S.  Bartolomeo  nell'  Isola. 

'à.  La  maison  de  Pontianus  fut  plus  tard  convertie  en  une  église,  qui  porte  le  titre  cardinalice  de 
Saini-Caliiaie ;  son  dernier  titulaire  était  Mgr  Gousset,  archevêque  de  Reims. 


SAINT  CAIIXTE  OU  CALLISTB  1er,  PAPE  ET  MARTYR,  335 

hymnes  sacrés,  Calliste  le  déposa,  le  vi  des  ides  de  mai  (10  mai  222),  dans 
la  catacombe  qui  porte  encore  aujourd'hui  le  nom  de  Calépode.  Cependant, 
le  préfet  du  prétoire  faisait  activement  rechercher  l'évêque  Calliste.  On  lui 
apprit  qu'il  était  dans  la  maison  de  Pontianus,  sur  l'autre  rive  du  Tibre, 
au  quartier  des  Urberavennates.  Il  fit  secrètement  envelopper  la  maison 
par  des  soldats,  avec  défense  d'y  laisser  pénétrer  aucune  espèce  de  vivres. 
Pendant  quatre  jours,  Calliste  resta  entièrement  privé  de  nourriture  ;  mais 
le  jeûne  et  la  prière  lui  donnaient  des  forces  nouvelles.  Le  préfet  du  pré- 
toire, redoublant  alors  de  cruauté,  donna  l'ordre  que  chaque  matin  le 
prisonnier  serait  frappé  à  coups  de  bâton,  et  il  enjoignit  de  mettre  à  mort 
quiconque  essaierait,  pendant  la  nuit,  de  pénétrer  dans  la  maison.  Or,  une 
nuit,  le  bienheureux  Calépode  apparut  à  Calliste,  et  lui  dit  :  «  Père,  prenez 
courage,  l'heure  de  la  récompense  approche  ;  votre  couronne  sera  propor- 
tionnée à  vos  souffrances  ».  Cependant  l'évêque,  toujours  en  prières,  ne 
cessait  d'adresser  ses  supplications  au  Seigneur.  Parmi  les  soldats  qui  veil- 
laient à  sa  garde,  il  s'en  trouvait  un,  nommé  Privatus,  qui  souffrait  cruel- 
lement d'un  ulcère.  Il  vint  se  prosterner  aux  pieds  du  saint  évêque,  en 
disant  :  «  Guérissez-moi  !  Votre  Dieu  qui  a  rendu  la  santé  à  une  paraly- 
tique, peut  bien  faire  disparaître  les  ulcères  qui  me  dévorent  ».  —  «  Mon 
fils  »,  répondit  Calliste,  «  si  vous  croyez  de  tout  votre  cœur  en  Jésus-Christ, 
et  que  vous  soyez  baptisé  au  nom  de  la  Trinité  sainte,  vous  serez  guéri  ». 
—  «  Je  crois  »,  dit  Privatus;  «  et  si  vous  daignez  me  baptiser  de  votre 
main,  j'ai  la  certitude  que  le  Seigneur  me  guérira  ».  Le  bienheureux  Cal- 
liste lui  administra  le  baptême  et,  à  l'instant,  l'ulcère  disparut.  Privatus, 
dans  les  transports  de  sa  reconnaissance,  s'écria  :  «  Le  Seigneur  Jésus- 
Christ,  que  prêche  Calliste,  est  le  seul  Dieu  véritable  et  saint.  Toutes  les 
vaines  et  muettes  idoles  seront  jetées  aux  flammes.  Le  Christ  est  le  Dieu 
éternel  !  »  Le  préfet  du  prétoire,  exaspéré  à  cette  nouvelle,  fit  flageller 
Privatus  à  coups  de  fouet  plombé,  jusqu'à  ce  qu'il  expirât.  Par  son  ordre, 
on  suspendit  une  pierre  au  cou  de  Calliste,  et,  d'une  fenêtre  de  la  maison, 
on  le  précipita  dans  un  puits,  qui  fut  ensuite  comblé  de  matériaux  jusqu'à 
l'orifice.  Dix-sept  jours  après,  le  prêtre  Astérius,  accompagné  de  clercs, 
vint  pendant  la  nuit  dégager  l'ouverture  du  puits;  il  enleva  le  corps  de 
Calliste  et  l'ensevelit  avec  honneur  dans  la  catacombe  de  Calépode,  sur  la 
voie  Aurélia,  la  veille  des  ides  d'octobre  (14  octobre  222).  Une  semaine 
plus  tard,  Astérius  était  arrêté  par  ordre  du  préteur,  et  jeté  dans  le  Tibre, 
du  haut  du  pont  Milvius.  Le  corps  de  ce  martyr  fut  retrouvé  à  Ostie,  et 
enseveli  dans  cette  ville  par  quelques  chrétiens,  le  xn  des  calendes  de  no- 
vembre (21  octobre  222),  sous  le  règne  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  le 
Dieu  qui  vit  dans  les  siècles  des  siècles  !  » 

On  représente  S.  Calliste  :  4°  bénissant  une  église,  parce  qu'il  passe 
pour  avoir  fondé  la  basilique  de  Sainte-Marie  au-delà  du  Tibre,  au  lieu  où 
une  fontaine  d'huile  avait  paru  vers  le  moment  de  la  naissance  de  Notre- 
Seigneur  ;  2°  une  pierre  au  cou,  avec  laquelle  il  fut  précipité  dans  un  puits 
après  avoir  été  jeté  par  la  fenêtre. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

La  maison  où  saint  Calliste  avait  été  gardé,  fut,  dans  la  suite,  changée  en  une  église  de  son 
nom,  desservie  par  des  religieux  Bénédictins;  on  y  voit  le  puits  consacré  par  son  martyre.  Le 
pape  Paul  1er  et  ses  successeurs,  voyant  les  cimetières  sans  murailles  et  abandonnés  depuis  les 
dévastations  des  barbares,  en  retirèrent  les  corps  des  plus  illustres  Martyrs  et  les  firent  porter  dans 


336  14  OCTOBRE. 

les  principales  églises  de  la  ville.  Ceux  de  Calliste  et  de  Calépode  furent  transférés  dans  l'église 
Sainte-Marie,  au-delà  du  Tibre.  Vers  l'an  854,  ses  ossements  sacrés  furent  portés  à  l'abbaye  de 
Cysoing,  au  diocèse  actuel  de  Cambrai,  par  le  comte  saint  Everard,  à  qui  ce  précieux  trésor  fut 
donné  par  le  pape  Léon  IV  en  reconnaissance  des  services  qu'il  avait  rendus  à  l'Eglise  dans  la  guerre 
sainte  contre  les  Sarrasins,  comme  le  cardinal  Baronius  l'a  remarqué  sur  l'année  893. 

L'abbaye  de  Cysoing  ayant  été  donnée,  vers  887,  à  l'Eglise  de  Reims  par  Rodulphe,  fils  du 
marquis  Everard,  le  corps  de  saint  Calliste  fut  également  donné  à  cette  Eglise.  Dodilon,  évèque  de 
Cambrai,  s'opposa  à  leur  translation,  et  ce  ne  fut  qu'après  les  instances  réitérées  de  l'archevêque 
Foulques,  que  les  reliques  furent  apportées  à  Reims  et  qu'elles  y  furent  conservées  jusqu'en  1792. 

Il  y  a  plusieurs  pièces  authentiques  qui  prouvent  l'existence  de  ces  reliques  à  Notre-Dame  avant 
1793  :  Un  bras  d'argent  doré,  enrichi  de  pierreries,  contenant  une  relique  de  saint  Calliste  ;  une 
châsse  en  cuivre  avec  des  figures  d'argent,  dans  laquelle  étaient  le  chef  entier  et  plusieurs  reliques 
du  Saint,  léguées  par  Rodulphe,  sous  le  pontificat  de  Foulques.  En  1584,  le  7  octobre,  le  cardinal 
de  Guise  signe  le  procès-verbal  des  reliques  contenues  dans  cette  châsse.  En  1621,  le  29  mai,  le 
bras  de  saint  Calliste  est  concédé  au  Chapitre  de  Lille,  à  la  prière  de  Mgr  Gabriel  de  Sainte-Marie, 
suffragant  de  l'archevêque  de  Reims  et  chanoine  de  l'église.  En  1793,  ces  reliquaires  furent  envoyés 
à  Paris  avec  le  trésor  de  l'église.  Quant  aux  reliques,  un  ancien  serviteur  de  la  cathédrale  a  affirmé 
tenir  de  son  frère,  qu'elles  avaieDt  été  déposées  sous  le  pavé  de  l'église. 

Il  ne  reste  à  Notre-Dame  que  le  souvenir  de  saint  Calliste  et  une  chapelle  qui  lui  est  dédiée. 
Au  rit  rémois,  la  fête  de  ce  saint  Pape  était  double  à  raison  des  reliques  conservées  dans  la  cathé- 
drale. 

Quand  Son  Em.  le  cardinal  Gousset  fut  sur  le  point  de  choisir  à  Rome  son  titre  de  cardinal,  il 
choisit  celui  de  Saint-Calliste,  de  préférence  aux  autres,  en  souvenir  de  la  vénération  que  les  habi- 
tants de  Reims  avaient  eue  et  ont  encore  pour  ce  Saint. 

L'église  de  Beauvais  possédait  des  reliques  de  saint  Calliste  que  lui  avait  données,  en  1217, 
l'évèque  Miles  de  Nanteuil.  Ces  précieux  restes  ne  sont  plus  à  Beauvais  depuis  1793,  époque  à 
laquelle  ils  furent  profanés. 

Nous  nous  sommes  servi,  pour  composer  cette  biographie,  de  V Histoire  de  l'Eglise,  par  M.  l'abbé  Darras, 
du  Liber  Pontificalis,  des  Actes  de  saint  Calliste,  et  de  Notes  fournies  par  M.  le  vicaire  général  de  Beau- 
vais, et  par  M.  Ch.  Cerf,  chanoine  de  Notre-Dame  de  Reims. 


SAINTE  MÉNEHOULD  DE  PERTHES,  VIERGE, 

PATRONNE  DE  BIENVILLE,  AU  DIOCÈSE  DE  LANGRES. 
Vers  490.  —  Pape  :  Saint  Félix  III.  —  Roi  de  France  :  Clovis  I«. 


Sous  l'influence  d'une  rosée  céleste  et  d'un  jeûne 
sévère,  une  vierge  calme  les  feux  qu'allume  la 
jeunesse,  et,  dans  une  enveloppe  terrestre,  mène 
la  vie  des  anges.  Saint  Jérôme. 

Ménehould  vit  le  jour  à  Perlhes,  en  Champagne,  non  loin  de  la  ville  de 
Saint-Didier,  aujourd'hui  Saint-Dizier.  Son  père,  nommé  Sygmare,  était 
comte  du  Perthois  ;  c'était  un  homme  illustre,  non  moins  par  sa  piété  que 
par  son  rang  et  sa  naissance.  Sa  mère,  non  moins  illustre  par  la  naissance, 
la  piété  et  la  vertu,  se  nommait  Lintrude.  Ménehould,  la  plus  jeune  de  ses 
sœurs  qu'elle  voyait  avancer  rapidement  dans  la  pratique  de  toutes  les 
vertus  chrétiennes,  sous  la  direction  d'un  saint  prêtre  nommé  Eugène, 
recommandable  par  sa  science  et  sa  sainteté,  voulut  imiter  leurs  exemples. 

Docile  aux  bons  mouvements  de  la  grâce  que  Dieu  répandait  abondam- 
ment dans  son  cœur,  elle  ne  se  laissa  point  devancer  dans  le  chemin  de  la 
vertu.  Pendant  dix  ans,  Ménehould  et  ses  sœurs  rivalisèrent  d'une  sainte 
ardeur  dans  les  sentiers  de  la  perfection.  Alors,  de  leur  propre  mouvement, 


SAINTE  MÉNEHOULD  DE  PERTIIES,   VIERGE.  337 

les  sept  sœurs  formèrent  le  dessein  de  vouer  leur  virginité  à  Dieu  et  de  ne 
prendre  que  Jésus-Christ  pour  leur  partage.  L'évêque  de  Châlons,  saint 
Alpin,  reçut  leur  vœu,  leur  donna  le  voile  et  les  bénit.  De  retour  à  la  maison 
paternelle,  Ménehould  se  mit  aussitôt  à  l'œuvre  pour  s'élever,  avec  la  grâce 
de  Dieu,  au  plus  haut  sommet  de  la  perfection. 

Son  temps  était  partagé  entre  la  prière  et  le  travail  des  mains  ;  l'oraison 
était  sa  principale  occupation.  Son  premier  soin  était  de  s'entretenir,  de 
converser  dans  la  méditation  avec  l'Epoux  céleste.  Mais  comme  l'esprit  ne 
peut  toujours  se  tenir  dans  les  hauteurs  de  la  contemplation,  qu'il  lui  faut 
du  repos,  et  que  d'un  autre  côté  l'oisiveté  est  la  mère  de  tous  les  vices,  elle 
ne  dédaignait  pas  de  manier  la  quenouille  et  le  fuseau  :  le  produit  de  son 
travail  était  pour  les  églises  ou  pour  les  pauvres.  A  cela  elle  joignait  une 
obéissance  complète,  aveugle,  prompte  à  ses  parents,  et  retranchait,  par  le 
glaive  de  la  mortification,  tous  ses  penchants  mauvais  et  les  affections  ter- 
restres. Ainsi,  elle  remplissait  de  l'huile  de  toutes  les  vertus  la  lampe  de  son 
âme,  afin  d'être  toujours  prête  à  se  présenter  devant  l'Epoux  lorsqu'il  lui 
plairait  de  l'appeler  à  lui. 

Une  année,  Sygmare  mena  avec  lui  Ménehould  à  Château-sur- Aisne,  plus 
tard  appelé  ville  de  Sainte-Ménehould,  lieu  compris  dans  le  gouvernement 
du  Perthois,  dont  il  formait  les  limites  de  ce  côté.  Elle  y  séjourna  quelque 
temps.  Les  vastes  marais  qui  entouraient  le  château,  au  milieu  desquels  la 
bourgade  était  en  partie  construite,  rendaient  le  pays  malsain.  Ses  habitants 
se  voyaient  souvent  en  proie  à  des  maladies  pestilentielles,  occasionnées 
par  des  exhalaisons  que  répandaient  ces  lieux  infects,  et  par  le  défaut  de 
circulation  de  l'air  trop  concentré  à  cause  des  bois  environnants.  La  fille  de 
Sygmare  avait  accompagné  son  père  à  Château-sur-Aisne>  lorsque  les  habi- 
tants furent  affligés  d'une  maladie  contagieuse  qui  s'étendit  dans  les  envi- 
rons. On  dit  que  cette  fille  pieuse  et  charitable  fit  usage  de  toute  sa  science 
pour  venir  au  secours  des  malades,  et  qu'elle  parvint  par  ses  soins  et  ses 
prières  à  détourner,  si  l'on  en  croit  la  tradition,  le  fléau  qui  désolait  la  ville. 
Sans  doute  de  là  vint  la  dévotion  à  sainte  Ménehould  contre  les  maladies 
pestilentielles,  comme  on  le  voit  dans  des  litanies  anciennes,  où  son  nom 
se  trouve  invoqué  avec  celui  de  saint  Roch. 

La  naissance  distinguée,  la  vie  sainte  et  exemplaire  de  Ménehould,  son 
zèle  actif  et  salutaire  près  des  malades,  la  firent  regarder  par  les  habitants 
comme  un  ange  tutélaire  qui  méritait  de  leur  part  de  la  reconnaissance  et 
des  hommages.  La  renommée  et  les  vertus  de  cette  vertueuse  fille  se  ré- 
pandirent bientôt  au  loin  comme  un  parfum  de  sainteté  et  de  charité.  Cha- 
cun accourut  pour  voir  et  bénir  cette  bienfaitrice  et  recevoir  les  soins  et 
les  secours  qu'elle  se  faisait  un  plaisir  de  prodiguer  à  ceux  qui  en  avaient 
besoin.  Dès  lors  on  la  regarda  comme  une  Sainte  et  on  lui  en  donna  le  nom. 
Quand  le  peuple,  dans  ses  adversités,  croyait  devoir  recourir  à  cette  vierge, 
il  disait  communément  qu'il  allait  à  sainte  Ménehould.  Et  enfin,  lorsqu'elle 
quitta  Château-sur-Aisne  pour  n'y  plus  revenir,  elle  laissa  dans  les  cœurs 
un  long  souvenir  de  ses  bienfaits  et  de  sa  piété.  On  peut  croire  que  dès  ce 
moment  la  religion  chrétienne  commença  à  s'établir  à  Château-sur-Aisne, 
et  qu'on  est  redevable  à  cette  sainte  fille  d'avoir  fait  briller  aux  yeux  des 
habitants  la  lumière  de  la  foi  qui  n'avait  point  encore  éclairé  ces  contrées. 
Quelques  historiens  disent  que  saint  Alpin  de  Châlons  chassa  de  son  diocèse 
tous  les  Juifs  qui  s'y  trouvaient  établis.  Deux  de  ces  Juifs  habitaient  la 
bourgade  sous  Château-sur-Aisne.  Afin  de  se  soustraire  à  l'exil  dont  ils 
étaient  menacés,  ils  se  firent  chrétiens,  et  donnèrent  tous  leurs  biens  pour 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XJj.  22 


338  ^  ÔCTOBÏtE. 

fonder  un  hospice  qu'ils  administrèrent,  dit-on,  pendant  le  reste  de  leur 
vie.  Des  manuscrits  portent  que  sainte  Ménehould  avait  été  la  première 
directrice  de  cet  hospice,  et  qu'elle  avait  montré  l'exemple  du  plus  parfait 
dévouement  pour  le  soulagement  des  malades. 

Si  l'on  en  croit  une  ancienne  tradition,  Château-sur- Aisne  n'est  pas  le 
seul  endroit  dans  ce  pays  qui  ait  joui  de  la  présence  et  des  bienfaits  de 
sainte  Ménehould.  On  assure  qu'elle  se  retirait  quelquefois  au  hameau  ap- 
pelé Laneuville-au-Pont,  qui  commençait  alors  à  se  former  sur  la  rivière 
d'Aisne,  et  que  là,  sur  une  montagne  connue  depuis  sous  le  nom  de  Côte- 
à-Vignes,  cette  vierge  avait  une  cellule  où  le  peuple  allait  la  trouver,  et  où 
l'on  dit  qu'elle  opéra  plusieurs  guérisons  miraculeuses.  On  raconte  qu'un 
jour,  pendant  les  plus  fortes  chaleurs,  plusieurs  personnes,  après  être  mon- 
tées sur  cette  côte,  s'y  trouvant  tourmentées  de  la  soif,  la  Sainte,  plantant 
son  fuseau  dans  la  terre,  en  fit  jaillir  une  fontaine  dont  l'eau  servit  à  désal- 
térer ceux  qui  étaient  venus  la  visiter. 

Après  la  mort  de  son  père  et  de  sa  mère,  Ménehould  resta  avec  ses  deux 
sœurs  Amée  et  Hoïlde,  qui  prirent  soin  de  sa  jeunesse.  Elle  se  retira  ensuite 
dans  une  petite  ville  appelée  Bienviile,  située  en-deçà  de  Saint-Dizier,  sur 
les  bords  de  la  Marne.  Là,  ses  jours  s'écoulèrent  dans  la  prière  et  les  œuvres 
de  miséricorde  envers  les  pauvres.  Ménehould  ne  survécut  à  ses  sœurs  que 
pour  retracer  leurs  vertus  et  les  surpasser  en  sainteté.  Rien  n'égalait  sa  pro- 
fonde humilité,  sa  douceur,  sa  charité,  sa  pureté  inviolable,  son  entiei 
détachement  de  toutes, les  choses  créées  :  on  ne  pouvait  la  voir,  l'entendre, 
sans  en  devenir  meilleur,  sans  se  sentir  touché  d'un  vif  désir  de  l'imiter. 
Unie  à  Dieu  par  une  prière  continuelle,  la  vivacité  de  son  amour  lui  faisait 
endurer  une  sorte  de  martyre.  Elle  ne  soupirait  qu'après  les  biens  invisibles. 
Elle  mortifia  sa  chair  plus  que  ses  sœurs,  et  épura  son  âme  au  feu  sacré  de 
l'amour  divin.  Enfin,  après  une  vie  pure,  fervente,  toute  remplie  de  bonnes 
œuvres  et  de  vertus,  digne  en  un  mot  d'être  présentée  à  Dieu,  elle  quitta  la 
terre  pour  aller  jouir  dans  le  ciel  de  la  présence  de  Gelui  qui  fait  la  joie  de 
ses  Saints.  Elle  mourut  à  Bienviile,  dans  un  âge  avancé,  le  14  octobre  vers 
l'an  490. 

Un  tableau,  que  l'on  voit  dans  l'église  de  Laneuville-au-Pont,  la  repré- 
sente frappant  la  terre  de  son  fuseau  pour  faire  jaillir  la  source,  et  près 
d'elle  des  personnages  émerveillés.  —  Le  vitrail  du  sanctuaire  de  l'église  de 
Bienviile  représente  douze  des  principaux  traits  de  la  vie  de  la  Sainte. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Le  corps  de  sainte  Ménehould,  inhumé  dans  l'église  de  Bienviile,  y  reposa  jusqu'en  866,  époque 
où  il  fut  transporté  avec  pompe  au  monastère  de  Saint-Urbain,  par  les  soins  d'Erchenraus,  trente- 
deuxième  évèque  de  Châlons.  Longtemps  après,  le  14  octobre  1380,  sous  Archamband,  aussi  évêque 
de  Châlons,  un  bras  et  une  côte  de  la  Sainte  furent  donnés  à  la  ville,  qui  s'enorgueillit  de  porter 
son  nom.  Tous  les  ans,  depuis  cette  époque,  la  fête  de  la  vierge  de  Bienviile  est  célébrée  solen- 
nellement à  Sainte-Ménehould,  le  14  octobre,  et  ses  reliques,  jadis  déposées  dans  une  châsse  en 
bois  très-bien  sculptée,  sont  exposées,  pendant  l'octave,  dans  une  chapelle  où  l'on  a  toujours  vu 
un  grand  nombre  d'habitants  de  la  campagne  accourir  pour  offrir  à  cette  vierge  leurs  vœux  et  leurs 
prières.  Postérieurement  à  cette  donation,  l'abbaye  de  Saint-Urbain  fit  présent,  à  la  même  ville, 
d'un  fuseau  dont  la  Sainte  s'était  servie,  et  ce  nouveau  don,  joint  au  premier,  fut  renfermé  dans  le 
même  reliquaire,  qui  laissait  apercevoir,  sous  verre,  ces  objets  à  la  vénération  du  peuple.  Chaque 
année,  le  jour  de  l'Assomption,  la  châsse  de  sainte  Ménehould  était  portée  processionnellement 
dans  les  principales  rues,  et  aussi  vénérée  quelque  temps  dans  chaque  église  particulière.  Elle  se 
renouvelait  le  lendemain,  fête  de  saint  Roch,  en  mémoire  d'une  maladie  pestilentielle  qui  désola 
autrefois  le  pays,  et  dont  on  assure  qu'il  fut  délivré  par  l'intercession  de  sainte  Ménehould  et  de 


SAINTE  ANGADRÊME  DE  RENTY,  VIERGE.  339 

saint  Roch.  C'est  une  de  ces  cérémonies  religieuses  que  Ton  voyait  représentée  sur  un  immense 
tableau  suspendu  aux  murs  de  la  chapelle  où  se  fait  l'exposition  du  bras  de  la  Sainte,  et  où  se 
trouve  placée  sa  statue.  En  1793,  des  mains  sacrilèges  dispersèrent  ces  saintes  reliques.  Cepen- 
dant quelques  personnes  pieuses  en  recueillirent  des  débris  que  l'on  expose  aux  regards  et  à  la 
vénération  publique,  pendant  l'octave  de  cette  sainte  patronne  de  la  ville. 

Le  lieu  où  la  Sainte  fit  jaillir  une  fontaine,  situé,  comme  nous  l'avons  dit,  sur  une  colline  ap- 
pelée Côte-à-Vignes,  près  de  Laneuville-au-Pont,  a  toujours  été  et  est  encore  aujourd'hui  fréquem- 
ment visité  par  de  nombreux  pèlerins,  par  les  habitants  du  bourg  et  des  pays  voisins  qui  ont  cou- 
tume de  s'y  rendre  pour  l'invoquer.  On  y  conserve  et  on  y  entretient  avec  soin,  dans  la  niche  de 
la  fontaine,  la  statue  de  sainte  Ménehould,  que  le  peuple  appelle  la  bonne  vierge  de  Côte-à-Vignes. 
Ceux  qui  font  le  pèlerinage  prennent  dévotement  de  l'eau  de  cette  fontaine,  qu'ils  regardent 
comme  consacrée  par  la  charité  de  notre  Sainte.  Les  habitants  de  ce  bourg  célèbrent  tous  les 
ans,  d'une  manière  solennelle,  la  fête  de  sainte  Ménehould ,  qui ,  cependant,  n'est  pas  la  patronne 
de  leur  paroisse,  mais  en  mémoire  de  ses  bienfaits  et  de  son  ancienne  protection.  M.  Tostin,  ancien 
curé  de  Laneuville-au-Pont,  a  fait  placer  un  escalier  en  fonte  avec  des  degrés  également  en  fonte, 
sur  chacun  desquels  se  trouve  gravée  en  relief  une  invocation  des  Litanies  de  la  très-sainte  Vierge 
Marie,  pour  monter  du  bas  de  la  côte  jusqu'à  la  fontaine  miraculeuse. 

En  1849,  une  petite  chapelle  fut  érigée  à  Bienville,  en  l'honneur  de  sainte  Ménehould  ;  elle  est 
visitée  par  de  nombreux  pèlerins,  malades  et  autres.  Elle  se  trouve  auprès  d'une  fontaine  qui  porte 
le  nom  de  Fontaine  de  Sainle-Ménehould,  à  laquelle  on  vient  presque  chaque  jour  puiser  de  l'eau, 
à  l'intention  de  certains  malades  diversement  affligés. 

Son  culte  a  survécu  à  toutes  les  révolutions  du  temps  et  des  passions  humaines;  il  s'est 
étendu  au  loin  :  on  le  voit  en  honneur  jusqu'à  Palluau,  dans  le  Berry. 

Sainte  Ménehould  est  la  patronne  des  fabricants  de  falots  et  des  lanterniers. 

Tiré  des  Beautés  de  l'histoire  de  la  Champagne,  par  M.  l'abbé  Boitel,  et  d'une  brochure  intitulée  :  Sou- 
venirs historiques  de  sainte  Ménehould,  vierge,  patronne  de  Bienville,  par  M.  lo  curé  de  Bienville.  —  Cf. 
Vies  des  Saints  de  la  Haute-Marne,  par  M.  l'abbé  Godard,  et  Diocèse  ancien  de  Châlons-sur-Marne,  par 
Edouard  de  Barthélémy. 


SAINTE  ANGADREME  DE  RENTY,  VIERGE, 

ABBESSE  DE  L'OROER,  AU  DIOCÈSE  DE  BEAUVAIS. 
Vers  695.  —  Pape  :  Sergius  I".  —  Rois  de  France  :  Clovis  III;  Childebert  III. 


Voulez-vous  paraître  belle?  méprisez  la  beauté  du 
corps  et  attachez-vous  à  orner  votre  âme. 
Saint  Jean  Chrijsostome. 

Angadrème  était  fille  (Tun  seigneur,  nommé  Robert,  comte  de  Renty, 
au  diocèse  primitif  de  Thérouanne  (diocèse  actuel  d'Arras),  et  garde  des 
sceaux  de  France,  sous  le  règne  de  Clotaire  III.  On  ne  sait  pas  le  nom  de 
sa  mère,  mais  on  dit  qu'elle  n'était  pas  de  moindre  naissance,  et  que  ses 
bonnes  qualités  répondaient  parfaitement  bien  à  celles  de  son  mari.  Cette 
excellente  fille,  à  qui  la  nature  avait  donné  une  très -rare  beauté,  reçut  de 
l'un  et  de  l'autre  une  éducation  toute  sainte;  aussi,  dès  ses  plus  faibles  an- 
nées, elle  se  porta  avec  une  ferveur  admirable  aux  exercices  de  la  piété 
chrétienne.  Saint  Orner,  son  évoque,  qui  aimait  singulièrement  cette 
illustre  famille,  fut  son  premier  directeur,  et  il  perfectionna,  par  ses  sages 
conseils,  les  vertus  que  l'instruction  de  ses  parents  avait  déjà  fait  naître  en 
son  âme;  et  saint  Lambert,  son  cousin-germain,  qui,  depuis,  fut  abbé  de 
Saint-Vandrille  et  archevêque  de  Lyon,  bien  qu'il  ne  fût  pas  beaucoup  plus 
âgé  qu'elle,  ne  laissa  pas  de  contribuer  extrêmement,  tant  par  son  exemple 


340  44  OCTOBRE. 

que  par  la  ferveur  de  ses  discours,  à  lui  faire  haïr  le  monde  et  à  allumer 
dans  son  cœur  un  grand  feu  de  l'amour  divin.  Gomme  elle  connut  bientôt 
les  avantages  de  la  virginité  sur  le  mariage,  et  combien  il  est  plus  glorieux 
d'avoir  un  Dieu  pour  époux  que  s'assujétir  à  un  homme  changeant  et  sujet 
à  la  mort,  elle  s'obligea  par  vœu  à  la  garder  toute  sa  vie;  et,  afin  que  la 
chair  n'eût  pas  la  force  de  s'élever  contre  l'esprit,  elle  l'affaiblissait  par  des 
jeûnes,  des  veilles  et  d'autres  austérités  que  sa  ferveur  lui  inspirait. 

Cependant,  le  comte,  son  père,  qui  ne  savait  rien  de  sa  consécration, 
la  voyant  en  âge  d'être  mariée,  l'accorda  à  Ansbert,  fils  de  Siwin,  gentil- 
homme de  grand  mérite,  et  riche  seigneur  de  Chaussy  près  de  Mantes  *. 
Angadrème  fut  fort  surprise  de  cet  engagement,  qui  s'était  fait  à  son  insu; 
mais  comme  elle  avait  un  profond  respect  pour  toutes  les  volontés  de  son 
père,  et  qu'elle  craignait  extrêmement  de  lui  déplaire,  elle  ne  résista  point 
à  la  proposition  qu'il  lui  en  fit  ;  se  reposant  de  toutes  choses  sur  les  soins 
de  la  divine  Providence,  elle  fit  semblant  de  vouloir  bien  avoir  Ansbert, 
pour  mari.  Ansbert,  de  son  côté,  ne  voulait  point  de  femme,  et  il  n'y  avait 
que  le  respect  de  l'autorité  paternelle  qui  le  faisait  consentir  à  ce  mariage. 
ils  s'entre-communiquèrent  donc  leurs  sentiments,  et,  se  voyant  l'un  et 
l'autre  résolus  de  garder  inviolablement  leur  chasteté,  ils  s'adressèrent  au 
Père  des  miséricordes,  et  le  prièrent  avec  de  grandes  instances  de  leur  ins- 
pirer ce  qu'ils  devaient  faire  pour  l'accomplissement  de  ce  dessein.  La  bien- 
heureuse Angadrème,  en  particulier,  demanda  à  Notre-Seigneur  qu'il  lui 
plût  de  la  rendre  si  difforme,  qu'elle  ne  fût  l'objet  de  l'amour  d'aucun 
homme  mortel.  Nous  avons  déjà  remarqué,  dans  la  vie  de  saint  Ansbert, 
que  sa  prière  fut  exaucée,  que  son  visage  parut  tout  d'un  coup  couvert  de 
lèpre,  et  que,  les  médecins  ne  voyant  point  de  remède  à  ce  mal,  il  fut  ré- 
solu entre  les  parents  qu'on  ne  passerait  pas  outre  et  que  les  propositions 
de  mariage  seraient  rompues;  Angadrème  avoua  d'ailleurs  franchement  à 
son  père  qu'elle  avait  voué  sa  virginité,  et  que  c'était  pour  cela  que  le  Fils 
de  Dieu,  qui  l'avait  choisie  pour  épouse,  ne  voulait  pas  qu'elle  fût  possédée 
par  un  autre. 

Après  cette  rupture,  à  laquelle  personne  ne  s'opposa,  Angadrème,  qui, 
apparemment,  avait  été  amenée  chez  le  seigneur  Siwin,  fut  conduite  à  saint 
Ouen,  archevêque  de  Rouen,  à  qui  elle  demanda  humblement  le  voile  des 
vierges  :  le  saint  archevêque  le  lui  accorda  volontiers,  et  alors,  par  une 
merveille  de  la  puissance  divine,  elle  parut  à  la  vue  de  tout  le  monde  par- 
faitement guérie  de  sa  lèpre,  et  sa  première  beauté  lui  fut  rendue  avec  tant 
d'avantages,  qu'il  fut  aisé  de  voir  qu'elle  ne  l'avait  perdue  que  parce  que 
le  Fils  de  Dieu  la  voulait  pour  lui  seul.  Ensuite  saint  Ouenv  qui  prit  un  soin 
particulier  de  sa  conduite,  la  mit  dans  une  communauté  de  saintes  vierges 
de  son  diocèse,  pour  y  être  formée  à  toutes  les  pratiques  de  la  vie  reli- 
gieuse. Elle  parut  au  milieu  de  ces  anges  terrestres  comme  un  soleil  au 
milieu  des  étoiles.  Son  humilité,  sa  patience,  sa  soumission  d'esprit  et  sa 
charité,  étaient  admirables.  Elle  était  la  première  à  tous  les  exercices  spi- 
rituels, et  la  dernière  à  prendre  du  soulagement  et  à  se  dispenser  des  charges 
onéreuses  de  la  communauté.  Une  vertu  si  éclatante  fit  qu'on  la  transféra 
dans  une  célèbre  abbaye  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît,  qu'on  appelait  l'Ora- 
toire, ou,  selon  la  manière  de  parler  de  ce  temps-là,  YOroer  des  Vierges  "2. 

1.  Nous  avons  donné  sa  vie  au  9  février,  tome  il,  page  408. 

2.  Oroer,  village  du  canton  de  Nivillers,  est  distant  de  deux  lieues  de  la  ville  de  Beauvais  (Oise),  sur 
la  route  d'Amiens,  entre  Guiguecourt  et  Abbeville-Saint-Lucien.  L'abbaye  fut  de'truite  par  les  Normands 
en  861,  et  ne  fui  ri.:diiiJe  qu'en  10;iG,  par  Drogon,  évêqu©  de  Beauvais,  mais  sur  un  autre  emplacement. 


SAINTE  ANGADRÈAIE  DE  RENTY,   VIERGE.  341 

On  croit  que  c'était  pour  en  être  supérieure.  Cependant  sa  modestie  lui  fit 
refuser  ce  rang  dont  elle  s'estimait  indigne.  Elle  y  demeura  quelque  temps 
dans  celui  de  simple  religieuse,  jusqu'à  ce  que,  sa  prudence  et  sa  sainteté 
jetant  continuellement  de  nouveaux  éclats,  les  sœurs,  ravies  d'une  si  grande 
vertu,  l'obligèrent  enfin  de  prendre  leur  conduite. 

La  sagesse  de  son  gouvernement  fit  bientôt  voir  que  ce  choix  venait  du 
ciel.  Elle  était  plus  mère  par  les  soins  maternels  qu'elle  avait  de  ses  filles, 
que  par  le  titre  de  sa  dignité  d'abbesse.  Son  exemple  était  la  règle  vivante 
de  son  monastère  :  elle  n'ordonnait  rien  qu'elle  ne  fît  aussi  elle-même,  ou 
qu'elle  ne  fût  disposée  à  faire,  si  les  sœurs  le  lui  eussent  permis.  Enfin,  elle 
rendit  son  abbaye  florissante  plus  par  l'éclat  de  l'observance  régulière,  que 
par  l'abondance  des  biens  et  par  le  grand  nombre  des  filles  de  qualité  qui 
vinrent  se  ranger  sous  sa  discipline. 

En  ce  temps-là,  la  clôture  n'était  pas  encore  introduite  dans  les  monas- 
tères de  religieuses  comme  elle  l'est  maintenant.  Ainsi,  notre  Sainte  ayant 
la  liberté  de  sortir,  ne  le  faisait  que  pour  des  actions  de  piété  et  pour  visi- 
ter les  tombeaux  des  saints  martyrs  Lucien,  Maximien  et  Julien,  qui  ont 
planté  la  foi  dans  le  Beauvaisis,  aux  dépens  de  leur  sang  et  de  leur  vie.  Elle 
avait  aussi  un  respect  singulier  pour  saint  Evrou,  dont  il  y  avait  des  reliques 
dans  son  église,  dédiée  sous  le  nom  de  Notre-Dame.  On  dit  que,  le  feu  ayant 
pris  à  ce  lieu  sacré,  elle  eut  le  courage  de  prendre  ces  saints  ossements  et 
de  les  opposer  à  la  violence  de  la  flamme,  qui  menaçait  l'édifice  d'un  em- 
brasement général  :  ce  qui  eut  un  si  heureux  succès,  que  le  feu  s'éteignit 
au  même  instant.  Ce  miracle  doit  sans  doute  être  attribué  au  mérite  du 
saint  confesseur;  mais  la  foi  d'Angadrème  y  contribua  aussi  beaucoup  ;  Dieu 
voulut  honorer  par  un  même  prodige  un  Saint  qu;  régnait  déjà  avec  lui 
dans  le  ciel,  et  une  Sainte  qui  le  servait  fidèlement  sur  la  terre.  Elle  fit  en- 
core une  foule  d'autres  miracles  dont  le  détail  n'est  pas  venu  jusqu'à  nous. 

Durant  trente  années,  Angadrème  gouverna  son  monastère  avec  une 
admirable  sagesse.  Par  sa  patience,  sa  douceur,  ses  austérités,  son  détache- 
ment absolu  des  choses  de  la  terre,  elle  édifia  constamment  les  humbles 
filles  dont  Dieu  l'avait  établie  la  mère.  Avant  de  mourir,  elle  voulut  leur 
inspirer  une  dernière  fois,  par  son  exemple,  les  sentiments  qui  doivent  tou- 
jours animer  les  âmes  chrétiennes,  au  souvenir  de  leurs  péchés  et  de  leurs 
misères.  «  Sur  le  point  de  recevoir  mon  Dieu  et  mon  Juge  »,  leur  dit-elle, 
«  moi,  votre  indigne  abbesse,  je  vous  demande  pardon  de  tous  les  mauvais 
exemples  que  j'ai  pu  vous  donner,  et  des  peines  dont  j'ai  été  pour  vous  la 
cause.  Je  ne  mérite  pas  ce  pardon,  je  le  sais;  mais  vous  aurez  pitié  de  moi 
et  de  mes  faiblesses  ».  Elle  reçut  ensuite  la  divine  Eucharistie  dans  un  cœur 
embrasé  d'amour,  et  alla  partager  au  ciel  la  gloire  et  la  joie  des  élus.  Elle 
mourut  le  14  octobre,  vers  la  fin  du  vne  siècle,  âgée  de  plus  de  quatre- 
vingts  ans. 

On  la  représente  tantôt  debout  en  costume  de  religieuse,  tantôt  rece- 
vant des  mains  de  la  sainte  Vierge  l'Enfant  Jésus  dans  ses  bras. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Des  miracles  ne  tardèrent  pas  à  illustrer  le  tombeau  d'Angadrème,  et  à  rendre  son  nom  et  son 
culte  fameux  dans  toute  la  contrée.  Au  ixe  siècle,  ses  reliques  soustraites  aux  ravages  des  Nor- 

Cc  monastère,  reconstruit  au  village  de  Saint-Paul,  fut  bientôt  enrichi  par  la  libéralité  des  éVêqucs  rto 
Beauvais  et  des  seigneur»  voisin». 


342  14  OCTOBRE. 

,  et  portées  dans  l'église  de  Saint-Michel,  préservèrent  la  ville  de  Beauvais  de  la  fureur  de 
ces  barbares.  Plus  tard,  elles  la  protégèrent  encore  contre  les  dévastations  des  Anglais.  Mais  ce 
fut  surtout  pendant  le  mémorable  siège  de  1472,  que  les  Beauvaisiens  ressentirent  les  effets  de  la 
protection  de  la  Sainte.  Quatre-vingt  mille  Bourguignons,  conduits  par  Charles  le  Téméraire,  assié- 
geaient Beauvais.  Un  dernier  assaut  plus  décisif  que  les  autres  allait  triompher  de  la  courageuse 
résistance  des  assiégés;  la  ville  était  sur  le  point  d'être  prise  et  livrée  au  pillage.  Voyant  que  le 
salut  ne  pouvait  venir  des  hommes,  les  Beauvaisiens  tournent  leurs  regards  vers  le  ciel.  Ils  in- 
voquent la  bienheureuse  Angadrème,  qui  les  a  déjà  délivrés  de  tant  de  périls.  Sa  châsse  qui,  dès 
le  premier  jour  du  siège  avait  été  portée  par  des  jeunes  filles  sur  les  remparts  de  la  ville,  y  pa- 
rait de  nouveau.  A  cette  vue,  le  courage  des  vaillants  défenseurs  de  la  cité  se  ranime,  leurs  forces 
se  centuplent,  une  ardeur  guerrière  s'empare  des  femmes  elles-mêmes.  Au  fort  du  combat,  on  voit 
une  jeune  fille,  Jeanne  Laîné,  assaillir  un  soldat  prêt  à  planter  l'étendard  de  Bourgogne  sur  le 
haut  de  la  muraille,  et,  d'un  coup  de  hache,  le  renverser  dans  le  fossé.  Les  Bourguignons,  re- 
poussés de  toutes  parts,  se  retirent,  laissant  plus  de  trois  mille  soldats  tués  sous  les  murs  de  la 
ville,  tandis  que  les  assiégés  n'ont  à  déplorer  que  la  perte  de  vingt-quatre  hommes  :  ce  qui  con- 
firma les  Beauvaisiens  dans  la  pensée  que  Dieu,  par  l'intercession  de  sainte  Angadrème,  était  venu 
à  leur  secours.  Après  cette  victoire,  Jeanne  Laîné,  qui  s'appellera  désormais  Jeanne  Hachette,  alla 
déposer  à  l'église  des  Jacobins  le  glorieux  étendard  qu'elle  avait  pris  à  l'ennemi,  et  la  châsse  de 
la  Libératrice  fut  reportée  triomphalement  dans  le  sanctuaire  de  l'église  de  Saint-Michel,  qui  n'existe 
plus  aujourd'hui. 

A  dater  de  cette  époque,  le  culte  de  sainte  Angadrème,  que  Jean  de  Marigny,  évêque  de  Beau- 
vais, avait  déjà  relevé  en  l'année  1321,  fut  plus  célèbre  que  jamais.  Louis  XI  voulut  qu'une  pro- 
cession solennelle  rappelât,  tous  les  ans,  le  souvenir  de  la  protection  dont  la  Bienheureuse  avait 
couvert  la  ville.  Cette  cérémonie  a  lieu  encore  de  nos  jours  le  dimanche  le  plus  rapproché  du 
27  juin.  Les  clergés  de  Saint-Etienne  et  des  diverses  chapelles  de  la  ville  se  réunissent  au. clergé 
de  la  cathédrale,  avec  lequel  ils  se  rendent  sur  la  place  de  l'Hôtel-de-Ville.  On  porte  solennelle- 
ment, à  cette  procession,  la  châsse  qui  renferme  une  parcelle  des  reliques  de  sainte  Angadrème. 

Vie  des  Saints  de  Beauvais,  par  M.  l'abbé  Sabatier;  Notes  locales  fournies  par  M.  Millibre,  vicaire 
général  de  Beauvais. 


SAINT  BURCHARD  OU  BURGKARD, 

PREMIER  ÉVÊQUE  DE  WURTZBOURG  ET  CONFESSEUR  (752). 

Burchard  naquit  en  Angleterre  de  parents  illustres  par  leur  noblesse  et  par  leur  piété.  Son 
enfance  fut  toute  sainte,  on  n'y  put  jamais  remarquer  les  vices  et  les  dérèglements  de  cet  âge.  Le 
mensonge  ne  sortait  point  de  sa  bouche  ;  on  ne  voyait  en  ses  mœurs  ni  opiniâtreté,  ni  inconstance, 
ni  précipitation,  ni  immodestie,  ni  légèreté.  Il  était  parfaitement  soumis  à  ses  parents  et  à  ses 
maîtres,  poli  et  bienveillant  envers  les  domestiques,  assidu  à  la  prière  et  au  service  divin ,  et 
si  retenu  dans  toutes  ses  actions,  qu'il  était  aisé  de  voir  que  Dieu  le  destinait  à  être  un  des  plus 
riches  ornements  de  l'état  ecclésiastique.  Le  monde  le  dégoûta  bientôt,  et,  dès  qu'il  eut  suffisam- 
ment étudié  pour  rendre  service  à  l'Eglise,  il  quitta  ses  biens,  ses  amis  et  sa  propre  patrie,  et  vint 
en  France  sous  un  habit  de  pèlerin,  pour  se  sacrifier  au  salut  des  âmes.  Lorsqu'il  fut  en  âge  de 
recevoir  les  Ordres,  se  sentant  appelé  au  ministère  sacré,  il  s'y  fit  promouvoir  et  fut  fait  prêtre,  afin 
de  pouvoir  apaiser  tous  les  jours  la  colère  de  Dieu  par  l'oblation  du  saint  Sacrifice,  et  d'avoir  aussi 
plus  d'autorité  pour  prêcher  sa  parole  et  pour  convertir  les  infidèles. 

A  cette  époque,  le  grand  saint  Boniface  travaillait  avec  un  zèle  incroyable  à  détruire  l'idolâtrie 
et  à  rétablir  le  Christianisme  en  Allemagne,  et  demandait  de  tous  côtés  des  ouvriers  pour  le  se- 
conder dans  cette  entreprise.  Burchard,  en  étant  informé,  vint  le  trouver  et  s'offrit  à  lui  pour  aller 
où  il  voudrait  annoncer  l'Evangile  de  Jésus-Christ.  Saint  Boniface  connut  aussitôt  l'éminente  vertu 
de  ce  saint  missionnaire,  et,  ayant  tous  les  jours  de  nouvelles  preuves  de  sa  sainteté,  il  résolut  de 
le  faire  créer  évêque  de  la  ville  de  Wurtzbourg,  qui  avait  été  gagnée  à  la  foi  par  la  prédication 
de  saint  Chilien  et  de  ses  compagnons,  martyrs.  Il  le  mena  pour  cela  à  Borne,  et  le  présenta  au 
pape  saint  Zacharie  ;  celui-ci,  à  la  prière  de  Pépin  le  Bref  et  du  même  saint  Boniface,  érigea  cette 
ville  en  évêché;  puis,  ayant  des  témoignages  assurés  du  mérite  de  Burchard,  il  l'en  consacra  évêque 
de  ses  propres  mains.  Après  cette  consécration,  les  deux  prélats,  munis  de  la  bénédiction  et  des 
lettres  apostoliques,  retournèrent  en  Allemagne,  et  saint  Boniface  installa  solennellement  saint  Bur- 


SAINT  DOMINIQUE  L*ENCUIIiASSÉ,  PÉNITENT.  343 

chard  en  son  nouvel  évêché,  et  lui  donna  pour  sa  subsistance  un  revenu  suffisant,  qu'il  prit  sur  les 
biens  de  son  propre  archevêché  de  Mayence. 

Burchard,  se  voyant  établi  pasteur  des  ouailles  du  Fils  de  Dieu,  s'appliqua  tout  entier,  pendant 
quarante  ans,  à  les  bien  gouverner  et  à  les  conduire  dans  les  voies  du  salut.  Il  était  le  père  des 
orphelins,  le  soutien  des  pauvres  et  des  veuves,  le  refuge  des  affligés  et  l'espoir  des  malades.  Il 
prenait  un  tel  soin  de  déraciner  le  vice  et  de  faire  fleurir  les  vertus  chrétiennes  dans  toute  l'étendue 
de  son  diocèse,  qu'on  y  vit  en  peu  de  temps  un  changement  merveilleux.  Il  se  faisait  lui-même 
le  modèle  de  son  troupeau.  Son  humilité  était  si  grande,  qu'il  ne  voulait  jamais  avoir  que  des 
ornements  de  peu  de  valeur.  Sa  crosse  même  n'était  que  de  bois  de  sureau.  Il  avait  tant  de  dou- 
ceur et  de  bénignité ,  qu'il  se  faisait  aimer  de  tout  le  monde  :  il  n'y  avait  point  d'esprits  qu'il  ne 
fléchît  et  ne  gagnât.  Enfin,  il  s'acquit  une  telle  réputation  parmi  les  grands  du  royaume  de 
France,  qu'ils  le  firent  un  de  leucs  députés  auprès  du  pape  saint  Zacharie  dans  l'affaire  importante 
et  délicate  de  l'exaltation  de  Pépin  le  Bref,  tige  de  la  seconde  race  de  nos  rois,  à  la  place  de  Chil- 
déric,  qui  a  fini  la  première  race. 

Sa  dévotion  le  porta  à  faire  honorer  les  reliques  des  premiers  apôtres  de  Wurtzbourg,  saint 
Chilien,  saint  Colomann  et  saint  Totman,  martyrs;  ainsi,  après  de  ferventes  prières,  il  les  leva  de 
terre,  et,  les  ayant  mises  dans  des  châsses  précieuses,  il  les  plaça  dans  un  monastère  qu'il  fît  bâtir 
exprès  en  leur  honneur.  Mais,  comme  il  ne  désirait  rien  tant  que  de  joindre  le  repos  de  la  vie 
contemplative  aux  empressements  de  la  vie  active,  il  fonda,  sur  la  rivière  du  Mein,  une  autre 
abbaye  qu'il  dédia  sons  l'invocation  de  Notre-Dame  et  de  saint  André,  pour  douze  religieux  du  chœur 
obligés  aux  heures  canoniales.  Il  y  venait  fort  souvent  pour  jouir  avec  plus  de  tranquillité  des 
délices  ineffables  de  l'union  avec  son  Dieu.  Enfin,  après  avoir  porté,  pendant  quarante  ans,  le  lourd 
fardeau  de  l'épiscopat,  il  mourut  plein  de  mérites  au  château  d'Hohenbourg,  où  il  s'était  retiré 
avec  six  de  ses  religieux.  C'était  le  9  février  752.  Son  corps  fut  porté  dans  le  monastère  qu'il  avait 
fait  bâtir  sur  le  Mein  ;  mais,  dans  la  suite  des  temps,  après  plusieurs  miracles  faits  par  son  inter- 
cession, il  fut  transporté  dans  son  église  de  Notre-Dame  et  de  Saint-André.  Hugues,  évêque  de 
Wurtzbourg,  autorisé  par  un  ordre  du  pape  Benoît  VII,  fit  la  translation  de  ses  reliques  vers  l'an 
983,  le  14  octobre,  jour'auquel  on  a  depuis  célébré  sa  principale  fête. 

Saint  Burchard  est  patron  de  Wurtzbourg  ;  on  l'invoque  contre  la  gravelle  et  les  maux  de  reins. 

Surius,  Godescarcl,  Acta  Sanctorum. 


SAINT  DOMINIQUE  L'ENCUIRASSÉ ,  PÉNITENT, 

RELIGIEUX  A  FONT-AVELLANE,  EN  ITALIE  (1060). 

La  sévérité  avec  laquelle  Dominique  se  punit  d'une  faute  qui  ne  lui  était  point  personnelle,  est 
bien  capable  de  confondre  ceux  qui,  ayant  commis  des  fautes  légères  de  propos  délibéré,  s'imaginent  en 
obtenir  le  pardon  sans  en  faire  une  véritable  pénitence.  Ayant  témoigné  dans  sa  jeunesse  un  grand  désir 
d'embrasser  l'état  ecclésiastique,  il  reçut  de  ses  parents  la  permission  de  suivre  sa  vocation  ;  mais 
ils  firent  un  présent  à  l'évêque  pour  qu'il  lui  conférât  la  prêtrise.  Il  n'eut  pas  plus  tôt  appris  ce 
qui  s'était  passé,  que,  saisi  d'horreur  à  la  vue  d'un  crime  si  sévèrement  condamné  par  les  lois  de 
l'Eglise,  il  ne  voulut  exercer  aucune  fonction  ecclésiastique  ;  il  forma  même  la  résolution  de  se 
consacrer  aux  exercices  de  la  plus  rigoureuse  pénitence. 

Il  y  avait,  dans  le  désert  de  Montefeltro  (Marche  d'Ancône),  un  saint  homme  nommé  Jean,  qui 
menait  une  vie  fort  austère.  Dix-huit  disciples  remplis  de  ferveur  étaient  venus  vivre  sous  sa 
conduite.  Ils  s'interdisaient  l'usage  du  vin,  de  la  viande  et  de  toute  espèce  de  laitage.  Ils  jeûnaient 
au  pain  et  à  l'eau  tous  les  jours,  excepté  le  jeudi  et  le  dimanche.  Le  temps  qu'ils  donnaient  au 
sommeil  était  fort  court  ;  ils  employaient  le  reste  à  la  prière  et  au  travail  des  mains.  Ils  gardaient 
un  silence  perpétuel,  et  ne  conversaient  ensemble  que  le  dimanche  au  soir,  entre  Vêpres  et  Com- 
piles. De  rudes  flagellations  faisaient  partie  de  leur  pénitence.  Dominique, après  avoir  passé  quelque 
temps  dans  l'ermitage  de  Lucéolo,  alla  trouver  le  supérieur  de  ces  saints  ermites  et  le  pria  avec 
beaucoup  d'humilité  de  le  recevoir  parmi  ses  disciples.  La  grâce  qu'il  demandait  lui  fut  accordée, 
et  il  eut  bientôt  surpassé  tous  les  frères  en  austérités. 

Quelques  années  s'étant  passées  de  la  sorte,  il  obtint  de  son  supérieur  la  permission  de  passer 


344  15  OCTOBRE. 

dans  l'ermitage  de  Font-Avellane  (province  de  Spolète).  Saint  Pierre  Damien  en  avait  alors  la  con- 
duite. Quoiqu'il  fût  accoutumé  à  voir  de  grands  exemples  de  vertu,  la  ferveur  de  son  nouveau  dis- 
ciple lui  causa  de  l'admiration.  Dominique  portait  sur  sa  chair  une  cuirasse  de  fer,  ce  qui  depuis 
l'a  fait  surnommer  YEncuirassé  ;  il  ne  la  quittait  jamais  que  pour  prendre  la  discipline. 

On  commençait  vers  ce  temps-là  à  commuer  avec  assez  de  facilité  la  pénitence  canonique  qui 
était  prescrite  pour  certains  péchés  graves.  La  concession  des  indulgences  devint  plus  fréquente  ; 
on  substituait  à  la  pénitence  canonique  des  pèlerinages  ou  d'autres  bonnes  œuvres.  On  vit  aussi 
s'introduire  alors  l'usage  des  flagellations  volontaires,  et  l'on  croyait  suppléer  à  une  année  de  péni- 
tence canonique  par  trois  mille  coups  que  l'on  se  donnait  en  récitant  dix  psaumes.  Dominique  se 
distinguait  au-dessus  de  tous  les  autres  par  sa  ferveur  dans  ce  genre  d'austérités.  Comme  il  était 
souvent  malade,  son  supérieur  l'obligeait  quelquefois  à  boire  un  peu  de  vin;  mais  il  y  renonçait 
aussitôt  qu'il  se  trouvait  mieux.  Il  parut  toujours  animé  du  même  esprit  de  pénitence,  jusque  dans 
sa  dernière  maladie.  La  nuit  qui  précéda  sa  mort,  il  récita  encore  Matines  et  Laudes  avec  ses  frè- 
res. Il  expira  pendant  qu'on  chantait  Prime,  le  44  octobre  1060. 

On  le  représente  :  1°  revêtu  d'une  cuirasse  ou  d'une  cotte  de  mailles  ;  2°  tenant  à  la  main  une 
discipline. 

Voir  sa  vie  par  saint  Pierre  Damien,  et  une  autre  vie  plus  étendue,  avrc  plusieurs  dissertations,  par 
Tarchi.  Elle  a  été  imprimée  ;i  Rome  en  1751. 


XV°  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Avila,  en  Espagne,  sainte  Thérèse,  vierge,  mère  et  maîtresse  des  Frères  et  des  Sœurs  de 
l'Ordre  des  Carmes  de  l'étroite  Observance.  1582.  —  A  Rome,  sur  la  voie  Aurélienne,  saint  For- 
tunat,  martyr.  —  A  Cologne,  la  naissance  au  ciel  de  trois  cents  >  Martyrs,  qui  parvinrent  au  terme 
de  leur  combat  durant  la  persécution  de  Maximien.  Vers  287.  —A  Carthage,  saint  Agilée,  martyr, 
à  la  fête  duquel  saint  Augustin  prêcha  publiquement  au  peuple.  Vers  310.  —  En  Prusse,  saint 
Bronon,  évêque  des  Ruthènes  et  martyr,  qui,  prêchant  l'Evangile  dans  ce  pays,  y  fut  arrêté  par 
des  impies  qui  lui  coupèrent  les  pieds  et  les  mains,  et  lui  tranchèrent  la  tète.  Vers  1009.  —  A 
Lyon,  saint  Antioche,  évêque,  qui,  après  s'être  acquitté  dignement  des  devoirs  de  la  haute  charge 
à  laquelle  il  avait  été  élevé,  mérita  d'être  couronné  dans  le  ciel2.  Vers  410.  —  A  Trêves,  saint 
Sévère,  évêque  et  confesseur.  v<>  s.  —  A  Strasbourg,  sainte  Aurelie  ou  Aurèle,  vierge.  1027. 
—  A  Cracovie,  sainte  Hedwige,  duchesse  de  Pologne,  célèbre  par  le  soin  qu'elle  prenait  des 
pauvres,  comme  par  ses  miracles  éclatants  :  le  pape  Clément  IV  l'a  mise  au  Catalogue  des  Saints, 
et  depuis,  Innocent  XI  a  permis  qu'on  célébrât  sa  fête  le  17  de  ce  mois  3. 1243.  —  En  Allemagne, 
sainte  Thècle,  abbesse  *.  Vers  769. 

1.  Les  Bollandistes  disent  «  trois  cent  soixante  ». 

8.  Ce  prélat,  que  le  peuple  lyonnais  appelle  par  corruption  Anduelle  et  Andéol,  était  prêtre  de  l'Eglise 
de  Lyon  lorsqu'il  fut  chargé  par  le  clergé  et  par  les  fidèles  de  cette  ville  d'aller  en  Egypte  prier  saint  Just 
de  revenir  prendre  le  gouvernement  du  diocèse.  N'ayant  pu  réussir  dans  cette  négociation,  il  passa  quel- 
que temps  dans  les  solitudes  d'Egypte,  et  reçut  le  dernier  soupir  de  saint  Just  et  de  saint  Viateur,  dont 
il  ramena  le  corps  a  Lyon.  Elu  lui-même  après  la  mort  de  saint  Martin  (vers  400),  il  se  rendit  recomman- 
dable  par  ses  vertus,  par  son  zèle  et  par  sa  fermeté,  et  passa  à  une  vie  meilleure  le  15  octobre,  vers  l'an 
410.  On  l'inhuma  dans  l'église  des  Machabées,  aujourd'hui  Saint-Just,  auprès  du  vénérable  évêque  qu'il 
avait  tant  aimé.  —  Gallia  Christiana. 

3.  Nous  donnerons  sa  vie  au  17  octobre. 

4.  Anglaise  de  naissance,  Thècle  prit  le  voile  a  "Wimburn  (comté  de  Dorset).  Ayant  passé  en  Allemagne, 
a  la  prière  de  saint  Boniface,  elle  devint  abbesse  de  Kitzingen,à  trois  milles  de  Wurtzbourg.  —  Godescard  < 
et  Act*  Smcfrntm* 


MARTYROLOGES.  345 


MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Aux  diocèses  d'Amiens,  Laval,  Le  Mans,  Nantes,  Paris,  Saint-Oié  et  Verdun,  sainte  Thérèse, 
vierge,  citée  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  1582.  —  Au  diocèse  d'Amiens,  mémoire  de  saint 
Wulfran,  archevêque  de  Sens,  apôtre  des  Frisons,  patron  d'Abbeville,  dont  nous  avons  donné  la 
vie  au  20  mars.  720.  —  Au  diocèse  du  Mans,  saint  Léonard  de  Vandœuvre,  solitaire.  Vers 
570.  —  Au  diocèse  de  Marseille,  saint  Cannât,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  Vers  487.  — 
Aux  diocèses  de  Soissons  et  de  Rennes,  translation  de  saint  Basle  ou  Basole,  ermite,  dont  nous 
donnerons  la  vie  au  26  novembre.  620.  —  Au  diocèse  de  Strasbourg,  sainte  Aurélie,  vierge,  diffé- 
rente de  sainte  Aurèle  ou  Aurélie,  vierge  et  solitaire,  honorée  ce  même  jour  à  Strasbourg  et  citée 
au  martyrologe  romain  d'aujourd'hui  *«  iv«  s.  — -  Dans  l'ancienne  abbaye  cistercienne  de  Notre- 
Dame  de  Quincy  (Quinciacum),  diocèse  primitif  d'Auxerre,  le  bienheureux  Gauthier  (Galterus), 
douzième  abbé  de  ce  monastère  et  martyr2.  1244.  —  A  Vienne,  en  Dauphiné,  saint  Dié  (Déodat, 
Théodat),  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  Vers  707.  —  A  Sombernon,  au  diocèse  de  Dijon, 
saint  Baudry  (Beurey,  Baldéric,  Burroy),  berger,  cité  déjà  au  martyrologe  de  France  du  8  juillet, 
où  nous  avons  donné  quelques  détails  sur  sa  vie.  Vers  709.  —  En  Basse-Bretagne,  saint  Conogan 
(Conocain,  Guénegan,  Conoganus),  évêque  et  confesseur.  On  croit  qu'il  était  irlandais  de  nation, 
et  qu'après  avoir  embrassé  l'état  religieux  dans  l'abbaye  de  Landevenec  (Finistère,  Ordre  de  Saint- 
Benoit),  il  succéda  à  saint  Corentin  sur  le  siège  de  Quimper.  Il  prit  part  aux  travaux  du  concile 
de  Vannes  (465)  et  il  y  figure  sous  le  nom  d'Albin  (Albinus),  qui  est  la  traduction  latine  de  son 
nom  breton  (le  mot  breton  guen  signifie  blanc) 3.  Vers  la  fin  du  Ve  s.  — -  A  Cazeaux-Fréchet 
(Hautes-Pyrénées),  au  diocèse  de  Tarbes,  saint  Calix  ou  Caliste  de  Huesca  (Aragon),  martyr,  com- 
pagnon d'armes  de  Sanche  Abarca  II,  roi  d'Aragon  et  de  Navarre,  qui  vint  au  secours  des  habitants 
de  la  vallée  d'Aure,  enveloppés  par  les  Sarrasins*.  Vers  1003.  —  A  Saint-Bertrand  de  Comminges 
(Lugdunum  Convenarum),  au  diocèse  de  Toulouse,  le  décès  de  saint  Bertrand,  évêque  de  l'ancien 
siège  de  Comminges  et  confesseur,  dont  nous  donnerons  la  vie  au  jour  suivant.  1130.  —A Vienne, 
en  Dauphiné,  la  bienheureuse- Philippe  de  Chanteliman  (de  Campo  Telimano),  vierge,  native  de 
Changy  (Loire,  arrondissement  de  Roanne,  canton  de  la  Pacaudière),  au  diocèse  actuel  de  Lyon. 
1450.  —  A  Valenciennes,'  au  diocèse  de  Cambrai,  le  décès  du  bienheureux  Philippe,  surnommé  le 
Noble,  comte  de  Namur,  et  confesseur,  célèbre  par  son  zèle  pour  le  culte  divin.  Il  fonda  des  églises 
et  des  monastères.  Son  corps  fut  transporté  de  Valenciennes  dans  l'église  Saint-Aubin  de  Namur, 
où  il  fut  d'abord  inhumé  dans  le  choeur,  puis  dans  la  chapelle  des  Quatre-Angcs.  1212. 


MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît.  —  A  Avila,  en  Espagne,  sainte  Thérèse,  vierge, 
mère  et  maîtresse  des  Frères  et  des  Sœurs  de  l'Ordre  du  Mont-Carmel,  de  l'étroite  Observance. 
1582.  —  En  Prusse,  saint  Brunon,  évêque  des  Ruthènes  et  martyr,  qui,  prêchant  l'Evangile  dans 

1.  Sainte  Aurélie  est  regardée  comme  une  des  vierges  qui  accompagnèrent  sainte  Ursule,  lorsqu'elle 
quitta  la  Grande-Bretagne.  Etant  tombée  malade  à  Bâle,  elle  descendit  le  Rhin  avec  trois  de  ses  compa- 
gnes, Einbettc,  Worbette  et  Wilbette,  et  mourut  à  Strasbourg  le  15  octebre.  Son  culte  est  fort  ancien, 
puisque,  au  commencement  du  ixe  siècle,  on  lisait  déjà  son  nom  et  sa  fête  marqués  dans  le  martyrologe 
de  ce  temps.  Son  tombeau  y  fut  longtemps  célèbre  par  la  dévotion  des  fidèles  et  par  les  miracles  qui  s'y 
opérèrent.  L'évêque  Ruthard  fit  bâtir  près  de  Strasbourg  une  église  en  l'honneur  de  notre  Sainte.  Depuis 
la  Réforme,  elle  a  été  convertie  en  temple  protestant  ;  mais  le  culte  de  la  Sainte  subsiste  toujours  dans  le 
diocèse  de  Strasbourg.  —  L'abbé  Hunckler,  Saints  d  Alsace. 

2.  Les  Bollandistes  remarquent  fort  Judicieusement  que  bon  nombre  de  martyrologistes  ont  eu  tort  de 
donner  au  bienheureux  Gauthier  le  titre  d'évêque  d'Auxerre.  Dans  la  liste  complète  des  titulaires  de  cet 
ancien  siège,  pendant  le  xin«  siècle,  ce  nom  ne  se  trouve  point.  Voici  cette  liste  : 

Hugues  IV  de  Noyers  (1183-1206);  Guillaume  de  Seignelay  (1207-1220);  Henri  de  Villeneuve  (1220-1234); 
le  vénérable  Bernard  I"  de  Sully  (1234-1244);  Renaud  de  Saligny  (1244-1247);  Gui  II  de  Mello  (1247-1270); 
Erard  de  Lésinnes  (1272-1278);  Guillaume  III  de  Grez  (1279-1293);  Pierre  I"  de  Mornay  (1296-1306). 

Cf.  Acta  Sanctorum,  tome  vu  d'octobre,  pages  77-79. 

3.  Son  culte  est  depuis  longtemps  établi  dans  la  Bretagne.  L'ancien  Bréviaire  de  Léon  en  faisait  l'office 
double;  sa  fête  a  été  depuis  supprimée,  et  le  Propre  de  ce  diocèse  de  1736  n'en  fait  aucune  mention.  Elle 
est  dans  celui  de  Quimper  de  1789,  mais  sans  légende.  Il  est  à  croire  que  la  paroisse  de  Saint-Guen  (Côtes- 
du-Nord,  arrondissement  de  Loudéac,  canton  de  Mur),  au  diocèse  de  Saint-Brieuc,  a  eu  pour  patron  pri- 
mitif saint  Guénegan,  qui  lui  aura  donné  son  nom.  —  Acta  Sanctorum  et  Saints  de  Bretagne,  par  Dom 
Lobineau. 

4.  Saint  Calix  et  saint  Mercurial  vinrent  d'Espagne  mettre  leur  bras  et  leur  épée  au  service  de  la  croix 
contre  les  sectateurs  de  Mahomet.  Ils  combattirent  vaillamment  et  reçurent  les  armes  à  la  main  la  cou- 
tonne  du  martyre.  Le  pays  des  Auruis.dont  ils  ont  défendu  la  foi  au  prix  de  leur  vie,  garde  religieusement, 


346  15  OCTOBRE. 

cette  contrée,  fut  arrêté  par  des  impies  qui  lui  coupèrent  les  mains  et  les  pieds,  et  lui  tranchèrent 
la  tête.  Vers  1009.  —  En  Allemagne,  sainte  Thècle,  abbesse,  qui,  par  son  exemple,  excita  plu- 
sieurs personnes  à  embrasser  la  vie  religieuse.  Vers  769. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Camaldules.  —  De  même  que  chez  les  Bénédictins. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Vallombreuse.  —  De  même  que  chez  les  Bénédictins. 

Martyrologe  de  V Ordre  des  Déchaussés  de  la  très-sainte  Trinité.  —  La  dédicace  des  églises 
de  notre  Ordre  sacré. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  du  Mont-Carmel.  —  A  Avila,  en 
Espagne,  sainte  Thérèse,  vierge,  mère  et  maîtresse  des  Frères  et  des  Sœurs  de  l'Ordre  des  Carmes 
de  l'étroite  Observance.  1582. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Carmes  déchaussés.  —  De  même  que  ci-dessus. 

ADDITIONS  FAITES  D' APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Capoue  (Vulturnum),  ville  de  l'ancien  royaume  de  Naples  (Terre  de  Labour),  saint  Modeste 
et  saint  Lupule  (Lupibîe,  Luplile,  Lupile,  Libule,  Lubulc),  martyrs,  cités  au  martyrologe  de  saint 
Jérôme.  —  A  Bénévent,  sur  le  Calore,  ville  forte  du  royaume  d'Italie,  saint  Tammare  ou  Tamare, 
évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  C'était  un  de  ces  prêtres,  qui,  durant  la  persécution  des  Van- 
dales, après  avoir  souffert  divers  tourments  pour  la  foi  catholique,  furent  exposés  sur  un  vieux 
navire  à  la  merci  des  flots,  et  portés  des  côtes  de  l'Afrique  sur  celles  de  la  Campanie.  Le  marty- 
rologe romain,  au  1er  septembre,  dit  que  «  ces  prêtres,  s'étant  dispersés  en  divers  endroits  de 
cette  province,  ils  furent  préposés  au  gouvernement  de  plusieurs  églises  et  donnèrent  un  merveil- 
leux accroissement  à  la  religion  chrétienne  ».  Tamare  gouverna  l'église  de  Bénévent,  et  mérita, 
par  ses  vertus,  d'être  compté  au  nombre  des  Saints.  Il  y  avait  autrefois,  hors  des  murs  de  la 
ville,  une  chapelle  dédiée  sous  son  invocation.  Ses  reliques  se  gardent  aujourd'hui  dans  l'église 
cathédrale,  sous  le  maître-autel.  Fin  du  v°  s.  —  A  Catane,  ville  de  Sicile,  chef-lieu  de  l'inten- 
dance de  ce  nom,  saint  Sabin,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  Les  habitants  de  Catane,  témoins 
de  ses  hautes  vertus,  l'avaient  choisi  pour  leur  premier  pasteur,  et  ils  purent  quelque  temps  se 
féliciter  de  l'heureux  choix  qu'ils  avaient  fait.  Mais  bientôt  les  embarras  du  siècle  déplurent  au 
saint  évêque,  désireux  de  mener  dans  une  solitude  éloignée  des  yeux  de9  hommes  une  vie  plus 
parfaite.  Il  se  retira  donc  dans  le  désert  et  se  livra  tout  entier  à  ses  exercices  de  prédilection,  la 
prière,  le  jeûne,  les  veilles,  la  mortification.  Des  miracles  éclatants  vinrent  attester  la  sainteté  du 
pieux  solitaire  :  à  sa  voix,  les  lépreux  étaient  guéris  et  les  démons  prenaient  la  fuite.  Dieu  révé- 
lait au  vertueux  ermite  les  secrets  de  l'avenir,  et  le  peuple  venait  en  foule  entendre  sa  parole  pro- 
phétique. Le  bienheureux  Sabin  vit  de  nombreux  disciples  se  presser  autour  de  lui,  et  s'instruire, 
près  d'un  si  grand  maître  de  la  vie  spirituelle,  dans  la  science  de  la  perfection  chrétienne.  Vers 
760.  —  En  Orient,  le  bienheureux  Edthyme  le  Thessalonicien,  abbé  et  confesseur.  886.  — 
A  Barletta  (Barolum),  ville  du  royaume  d'Italie  (Terre  de  Bari),  saint  Roger  de  Normandie,  évêque 
de  Cannes,  sur  l'Autide  (Capitanate),  et  confesseur.  Son  corps  repose  dans  le  monastère  de  Saint- 
Etienne  dfe  Barletta.  xne  s.  —  A  Venise,  ville  et  port  du  royaume  d'Italie,  saint  Thierry  ou  Théo- 
doric  l'Allemand,  prêtre  et  confesseur,  de  l'Ordre  des  Carmes.  On  rapporte  qu'il  se  rendit  célèbre 
par  son  amour  pour  la  mortification,  et  qu'il  portait  constamment,  dans  ce  but,  une  tunique  de 
fer  qui  lui  ensanglantait  les  chairs1.  Vers  1377.  —  En  Angleterre,  saint  Oswald,  évêque  de  Wor- 
cester  et  archevêque  d'York.  Il  fut  élevé  par  son  oncle,  saint  Odon,  archevêque  de  Cantorbéry,  qui 
prit  un  soin  particulier  de  son  éducation.  On  rapporte  qu'il  était  fort  charitable,  et  qu'il  avait  tou- 
jours à  sa  table  douze  pauvres  qu'il  servait  lui-même  après  leur  avoir  lavé  et  baisé  les  pieds.  11 
mourut  à  Worcester,  dans  un  monastère  qu'il  avait  fondé  (29  février).  Son  corps  fut  depuis  trans- 
féré à  York.  992. 

dans  leur  tombe  glorieuse,  mais  trop  ignorée,  leurs  ossements,  leuvs  armes  et  la  terre  qu'ils  arrosèrent  de 
leur  sang.  L'église  de  Cazeaux  célèbre  la  fête  de  saint  Calix  le  15  octobre;  saint  Mercarial  est  honoré  à 
Vielle  (Hautes-Pyrénées)  le  25  août.  —  Hagiographie  diocésaine. 

1.  C'est  ce  qu'expriment  merveilleusement  ces  deux  vers  qu'un  martyrologiste  poëte  a  composé  en  son 
honneur  : 

Came  tenus  ferrum  portons  diu,  vanaque  sprevit 
Corde  tenus  ;  Sanctum  tandem  lux  cœlica  plevit. 

«  Plein  de  mépris  pour  toutes  les  vanités  de  ce  monde,  longtemps  il  n'eut  d'autre  vêtement  qu'une 
tunique  de  fer;  la  lumière  éclatante  des  cieux  est  aujourd'hui  son  vêtement  ». 


SAINT  LÉONARD  DE  VANDŒUVRE,   SOLITAIRE  ET  ABBÉ.  34" 

SAINT  LÉONARD  DE  VANDŒUVRE, 

SOLITAIRE  ET  ABBÉ  AU  DIOCÈSE  DU  MANS. 
Vers  570.  —  Pape  :  Jean  III.  —  Roi  de  France  :  Chilpétic  I«. 


Solita7'ia  vita  cœlestis  doctrinx  schola  est  ac  divina- 

rum  artium  disciplina. 
La  vio  solitaire  est  l'école  do  la  science  céleste  et 

des  arts  divins.  Saint  Pierre  Damien. 

La  solitude  de  Vandopera  (Vandœuvre),  sur  les  bords  de  la  Sarthe,  au 
lieu  où  Ton  voit  aujourd'hui  la  paroisse  de  Saint-Léonard  des  Bois  (Sarthe, 
arrondissement  de  Mamers,  canton  de  Fresnay-sur-Sarthe),  jouissait  d'une 
grande  renommée  au  vi°  siècle.  Le  premier  des  solitaires  qui  vinrent  s'y 
établir  semble  avoir  été  saint  Léonard  ;  il  fut  le  plus  illustre,  et  il  est  le  seul 
dont  le  nom  soit  passé  à  la  postérité. 

Léonard  naquit  vers  la  fin  du  v°  siècle,  mais  on  ignore  dans  quel  pays  K 
Animé  d'un  ardent  désir  de  servir  Dieu  il  quitta  sa  famille,  ses  biens  et  sa 
patrie,  et  s'enfuit  secrètement  dans  le  pays  du  Maine,  afin  d'y  trouver  une 
solitude.  Saint  Innqcent  le  reçut  avec  bonté,  et  lui  indiqua  lui-môme  un 
lieu  où  il  rencontrerait  ce  qu'il  désirait.  C'était  le  lieu  alors  fort  désert 
nommé  Vandœuvre.  Le  saint  ermite  s'y  bâtit  une  celhile,  et  y  passa  quel- 
ques années  dans  les  exercices  de  la  plus  austère  pénitence.  Dieu  l'éprouva 
par  de  violentes  tentations  dont  il  sortit  victorieux. 

Après  ces  luttes  où  se  forment  les  grandes  âmes,  Dieu  lui  manifesta  les 
desseins  qu'il  avait  sur  lui  :  beaucoup  de  solitaires  qui  vivaient  dans  les  dé- 
serts voisins  et  sur  les  rives  sauvages  de  la  Sarthe,  vinrent  le  trouver  et  le 
prièrent  d'être  leur  guide  dans  les  voies  de  la  perfection.  Léonard  ne  put 
les  refuser,  et  il  devint  leur  abbé.  Peu  de  temps  après  il  éleva  un  monastère, 
et  les  y  réunit  sous  une  règle  commune.  Il  bâtit  aussi  une  basilique  pour  les 
offices  des  moines,  et  la  lit  dédier  en  l'honneur  de  saint  Pierre.  Il  paraît 
que  dès  son  origine  ce  monastère  fut  nombreux,  et  qu'il  eut  besoin  de  bâ- 
timents assez  vastes,  puisqu'il  fallut  trois  années  pour'les  construire,  malgré 
le  grand  nombre  de  ceux  qui  prirent  part  à  ces  travaux.  Les  habitants  du 
voisinage  s'empressèrent  d'apporter  aux  religieux  l'aide  de  leur  travail  ;  bien 
plus,  ces  ouvriers  bénévoles  fournissaient  et  pour  eux-mêmes  et  pour  la 
communauté,  les  vivres  de  toutes  natures  dont  il  était  besoin.  Il  ne  fut  pas 
nécessaire  de  faire  de  pain,  ni  de  préparer  d'autres  aliments  pendant  tout 
ce  temps-là,  et  cependant  personne  ne  manqua  de  rien,  tant  la  charité  fut 
empressée  à  secourir  les  serviteurs  de  Dieu. 

Beaucoup  de  personnes  de  tout  rang  abandonnaient  leurs  biens,  en  dis- 
tribuaient le  prix  aux  pauvres  et  venaient  se  mettre  sous  la  conduite  de 
Léonard.  Le  démon  se  servit  de  ce  concours  de  tant  d'âmes  généreuses, 
pour  exciter  contre  le  saint  abbé  plusieurs  personnes  qui  allèrent  trouver 

1.  Plusieurs  écrivains  moderne»  ont  essayé  de  préciser  le  lieu  oîi  naquit  saint  Léonard,  et  ont  dit  qu'il 
avait  vu  le  jour,  les  uns  an  pays  de  Tongres,  les  autres  dans  la  cité  de  Liège;  mais  les  plus  anciens  mo- 
numents et  les  bréviaires  se  taisent  a  ce  s>ujet. 


348  15  OCTOBRE. 

le  roi  Clotaire,  et  lui  firent  entendre  que  ce  moine  qui  habitait  Vandœuvre 
avec  ses  disciples,  détournait  ses  sujets  de  son  obéissance,  les  engageait  à  se 
défaire  de  leurs  biens,  et  s'attribuait  à  lui-même  une  entière  autorité  sur 
eux.  Clotaire,  que  ses  crimes  avaient  rendu  soupçonneux,  se  laissa  aller 
facilement  à  ces  suggestions,  et  envoya  sur  les  lieux  des  commissaires 
chargés  de  s'informer  de  la  réalité  des  faits,  et,  s'ils  les  trouvaient  vrais,  de 
chasser  les  moines  et  l'abbé. 

Les  envoyés  s'empressèrent  de  remplir  leur  mission  ;  au  moment  même 
où  ils  entraient  dans  l'enceinte  du  monastère,  un  jeune  homme  de  condi- 
tion, doué  de  toutes  les  qualités  convenables  pour  les  exercices  des  armes, 
se  présentait  à  Léonard,  lui  exposait  qu'il  venait  de  vendre  toute  sa  fortune, 
qu'il  en  avait  donné  la  meilleure  partie  aux  pauvres,  et  qu'il  apportait  le 
reste  pour  les  besoins  de  la  communauté,  dans  laquelle  il  désirait  passer  le 
reste  de  ses  jours.  Les  commissaires  royaux,  témoins  de  cette  conversation, 
se  dirent  entre  eux  :  «  Qu'est-il  nécessaire  de  faire  de  nouvelles  perquisi- 
tions? Voici  la  preuve,  voici  les  témoignages  de  la  vérité  que  désire  con- 
naître notre  maître  !  N'en  sommes-nous  pas  nous-mêmes  les  témoins?» 
Cependant  ils  s'adressèrent  à  Léonard,  et  lui  demandèrent  qui  lui  avait 
donné  la  hardiesse  de  corrompre  les  sujets  du  roi  des  Francs,  en  leur  per- 
suadant de  mépriser  ses  ordres,  et  lui  enlevant  ses  hommes  d'armes.  «  Déjà  » , 
ajoutèrent-ils,  «  tout  ce  pays  court  après  toi  et  après  tes  pareils  ;  si  cela 
continue,  si  l'on  vous  laisse  la  liberté  d'agir  comme  vous  le  faites,  ce  ne 
sera  bientôt  plus  le  royaume  de  Clotaire,  mais  le  tien  et  celui  de  tes 
moines  ».  Ils  employèrent  ensuite  tout  ce  que  leur  esprit  avait  de  finesse, 
pour  faire  tomber  le  serviteur  de  Dieu  dans  les  pièges  qu'ils  lui  tendirent  ; 
mais  ils  n'y  réussirent  pas,  car  sa  grande  sainteté  faisait  qu'il  se  possédait 
parfaitement,  et  il  sut  toujours  leur  répondre  par  des  textes  de  l'Ecriture 
pleins  de  justesse  etd'à-propos.  «  J'ai  répété  »,  leur  dit-il,  «  ces  paroles  du 
Seigneur  :  Allez,  vendez  tout  ce  que  vous  avez,  donnez-le  aux  pauvres  et 
suivez-moi.  J'ai  encore  dit  ces  paroles  sorties  de  la  bouche  de  la  Vérité 
même  :  Quiconque  laissera  son  père  et  sa  mère,  son  épouse,  ses  enfants, 
ses  frères,  ses  sœurs,  ses  maisons  et  ses  champs  à  cause  de  moi,  recevra  le 
centuple  et  la  vie  éternelle.  Si  je  n'ai  enseigné  »,  ajouta-t-il,  «  que  ce  que 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  commande  d'enseigner,  pourquoi  voulez-vous 
m'inquiéter  ?  » 

Ils  n'avaient  rien  de  juste  et  de  sensé  à  répondre,  aussi  ils  lui  dirent 
naïvement  qu'ils  admiraient  son  genre  de  vie,  et  qu'ils  voudraient  eux- 
mêmes  l'imiter.  Puis  ils  se  retirèrent,  et  firent  au  roi  un  rapport  fidèle  de 
tout  ce  qu'ils  avaient  vu.  Clotaire,  qui,  malgré  ses  grands  défauts,  aimait 
sincèrement  les  serviteurs  de  Dieu,  déposa  facilement  l'inquiétude  qu'il 
avait  conçue  à  l'instigation  des  méchants  ;  il  rendit  grâces  au  ciel,  et  aida 
depuis  Léonard  dans  l'agrandissement  de  son  monastère. 

Le  saint  abbé  vivant  désormais  en  paix  sous  l'égide  de  la  protection 
royale,  vit  le  nombre  de  ses  disciples  s'augmenter  encore  ;  il  savait  se  rendre 
aimable  à  tout  le  monde,  il  possédait  une  science  profonde  des  saintes 
Ecritures,  et  une  sainteté  qui  le  rendait  l'objet  de  la  vénération  et  de 
l'amour  de  tous.  Deux  des  plus  grands  évêques  de  ce  temps-là,  saint  Ger- 
main qui  gouvernait  l'Eglise  de  Paris,  et  saint  Domnole  qui  fut  le  second 
successeur  de  saint  Innocent  sur  le  siège  du  Mans,  avaient  pour  lui  une  sin- 
gulière affection,  et  lui  témoignaient  beaucoup  de  confiance.  Saint  Dom- 
nole l'envoya  souvent  vers  son  ami,  l'évêque  de  Paris,  quand  il  ne  pouvait 
y  aller  lui-même. 


SAINT  LÉONARD  DE   VANDŒUVRE,    SOLITAIRE  ET  ABBÉ.  349 

Un  jour  que  Léonard  priait  seul  dans  sa  cellule,  un  serpent  montant 
sur  les  pieds  du  solitaire,  s'éleva  le  long  de  ses  jambes  et  de  son  dos,  et  sor- 
tit par  le  haut  de  ses  habits  ;  puis  tomba  sur  la  terre  à  ses  pieds,  et  expira 
sans  lui  avoir  fait  aucun  mal  et  sans  avoir  pu  le  détourner  de  sa  prière.  De- 
puis ce  temps-là,  comme  l'attestèrent  ses  disciples  à  l'historien  qui  rapporte 
ce  fait,  on  ne  vit  plus  jamais  aucun  serpent  dans  ce  lieu. 

Saint  Léonard  finit  sa  longue  carrière  aux  ides  d'octobre  (15  de  ce  mois), 
sous  le  règne  de  Chilpéric  (561-584).  II  mourut  entre  les  bras  de  saint  Dom- 
nole,  qui  avait  été  averti  par  une  révélation  de  la  mort  prochaine  du  ser- 
viteur de  Dieu.  En  même  temps  Léonard  connut,  d'une  manière  surnatu- 
relle, l'arrivée  du  saint  évêque,  et  ordonna  à  ses  disciples  de  préparer  une 
réception  digne  d'un  tel  hôte.  Il  leur  annonça  pareillement  qu'il  mourrait 
le  lendemain  de  l'arrivée  du  prélat,  et  l'événement  s'accomplit  effective- 
ment en  celte  manière.  Les  funérailles  du  saint  abbé  furent  d'ailleurs  re- 
marquables par  plusieurs  prodiges,  car  pendant  que  l'on  portait  son  corps 
en  terre  quelques  aveugles  recouvrèrent  la  vue. 

Il  est  représenté  ordinairement  portant  un  habit  monastique,  avec  un 
serpent  autour  du  corps.  On  l'implore  particulièrement  pour  être  guéri  de 
la  surdité. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Les  religieux  qui  habitaient  l'abbaye  fondée  par  saint  Léonard  n'avaient  cessé  depuis  leur  réta- 
blissement, au  vie  siècle,  <jç  s'y  livrer  à  la  prière  et  au  travail.  Plus  heureux  que  beaucoup  d'autres 
monastères,  celui  de  Vandœuvre  semble  avoir  traversé  les  orages  des  révolutions  successives  qui 
changèrent  le  sort  de  la  province  du  Maine,  sans  en  avoir  ressenti  o^une  manière  trop  grave  le 
contre-coup  ;  tel  fut  le  sort  de  plusieurs  abbayes  dont  les  revenus  étaient  médiocres,  et  qui  étaient 
situées  dans  une  profonde  solitude.  Mais,  à  l'approche  des  pirates  normands,  les  moines  de  Van- 
dœuvre comprirent  que  leur  obscurités  leur  dénûment  ne  les  garantiraient  pas  contre  les  entre- 
prises de  ces  païens  conduits  par  un  aveugle  fanatisme,  et  aussi  avides  de  sacrilèges  profanations 
que  de  richesses.  Craignant  avec  raison  que  les  restes  précieux  de  leur  fondateur  ne  fussent  dis- 
persés, ils  les  transportèrent  jusque  dans  les  montagnes  sauvages  du  Morvan,  au  diocèse  d'Autun. 
Là  ils  trouvèrent  un  toit  hospitalier  dans  la  demeure  des  moines  de  Corbigny  (Sanctus  Petrus  de 
Corbiniaco  apudJEduos).  Saint  Léonard  opéra  dans  le  nouveau  sanctuaire  où  il  reposait  un  aussi 
grand  nombre  de  miracles  que  dans  la  solitude  de  Vandœuvre  ;  la  piété  des  habitants  de  ces  contrées 
salua  avec  enthousiasme  l'hôte  merveilleux  qui  manifestait  sa  venue  par  d'innombrables  bienfaits, 
et  l'on  vit  la  foule  des  pèlerins  à  son  tombeau  aussi  nombreuse  dans  la  Bourgogne  qu'elle  l'avait 
été  dans  le  Maine.  Le  concours  des  clients  du  saint  abbé  donna  origine  à  la  ville  de  Corbigny- 
Saint-Léonard.  L'abbaye  elle-même,  dédiée  d'abord  sous  le  patronage  de  saint  Pierre,  ne  tarda  pas 
beaucoup  à  prendre  le  nom  de  Saint-Léonard,  et  à  rendre  au  saint' abbé  du  Maine  les  honneurs 
dus  à  un  patron.  Enfin  l'éclat  que  répandirent  les  guérisons  obtenues  dans  l'église  de  Corbigny  par 
les  mérites  de  notre  illustre  abbé,  fut  cause  que  l'on  prit  bientôt  l'habitude  de  le- désigner  presque 
indifféremment  sous  le  nom  de  saint  Léonard  de  Corbigny,  ou  de  saint  Léonard  de  Vandœuvre. 

Au  commencement  du  Xe  siècle,  Guillaume,  seigneur  de  Bellême  (Orne),  venait  d'édifier  un 
sanctuaire  dans  cette  ville,  lorsqu'on  découvrit  sur  ses  terres  le  corps  de  saint  Léonard  de  Van- 
dœuvre. La  nouvelle  de  cet  événement  fut  saluée  par  toute  la  contrée  avec  de  grandes  démonstra- 
tions de  joie;  mais  nul  ne  la  ressentit  plus  vivement  que  le  seigneur  de  Bellême.  Il  Gt  transporter 
les  saintes  reliques  dans  l'église  qu'il  venait  de  bâtir,  et  qui  fut  dédiée  au  saint  solitaire  avec  une 
solennité  extraordinaire.  Le  roi  Robert,  l'archevêque  de  Tours,  l'évêque  du  Mans  et  celui  de  Séez, 
trois  prélats  unis  par  les  liens  du  sang  au  seigneur  de  Bellême,  plusieurs  autres  évêques  et  des 
abbés,  Richard  II,  duc  de  Normandie,  Herbert  Eveille-Chien,  et  une  foule  d'autres  seigneurs  furent 
présents  à  cette  fête.  Le  culte  de  saint  Léonard  de  Vandœuvre  n'était  pas  oublié  dans  le  Maine  et 
les  contrées  voisines.  Il  semble  néanmoins  avoir  pris  de  nouveaux  développements  à  partir  de  ce 
jour.  Les  églises  des  premiers  enfants  de  saint  François  qui  vinrent  s'établir  à  Séez  et  à  Alen- 
çon,  sous  le  règne  de  saint  Louis,  furent  dédiées  sous  le  vocable  de  notre  saint  abbé,  mais  le  sanc- 
tuaire où  il  reçut  désormais  les  plus  grands  honneurs  fut  la  basilique  de  Bellême.  Plusieurs  siècles 
après  cette  dédicace  et  cette  translation,  on  en  solennisait  tous  les  ans  l'anniversaire,  et  le  concours 
des  pèlerins  rendait  cette  fête  célèbre  dans  la  Fiance  entière. 


350  *5  OCTOBRE. 

Lors  de  la  prise  de  Corbigny  par  les  Calvinistes,  en  1562,  les  reliques  de  saint  Léonard  furent 
dissipées.  Toutefois,  l'église  de  Varzy  (Nièvre)  possède  encore  aujourd'hui  un  os  radius  du  Saint. 
Il  est  précieusement  conservé  dans  un  reliquaire  en  forme  de  bras  vêtu,  duquel  sort  une  main  :  le 
tout  est  en  bois  peint  et  doré,  orné  de  fleurs  de  lis. 

Saint  Léonard  est  demeuré  le  patron  de  la  paroisse  qui  a  pris  la  place  de  son  monastère  et 
qui  se  nomme  Saint-Léonard  des  Bois.  Il  est  également  patron  de  Droupt-Saint-Basle,  au  diocèse 
de  Troyes.  11  était  d'ailleurs  honoré  d'un  culte  public  dans  un  grand  nombre  de  diocèses,  même 
dans  les  pays  étrangers  à  la  France. 

Nous  nous  sommes  servi,  pour  composer  cotte  biographie,  des  Continuateurs  de  Bollandus,  Vita  sancti 
Leonardi,  abbatis,  publiée  d'après  trois  manuscrits  à  peu  près  semblables,  l'un  de  l'abbaye  de  Saint-Calais, 
l'autre  de  Saint-Sauveur  d'Utrecht,  et  le  troisième  de  Chartres;  de  V Histoire  de  l'Eglise  du  Mans,  par  le 
révérend  Père  Dom  Paul  Piolln;  des  Saints  de  Troyes,  par  M.  l'abbé  Defer;  de  YHagiologie  Nivemaise, 
par  Mgr  Crosnier;  et  do  Y  Histoire  de  l'Eglise,  par  M.  l'abbé  Darras,  tome  xvin. 


SAINT  EUTHYME  D'OPSO,  OU  LE  THESSALONIGIEN, 

ABBÉ  ET  CONFESSEUR. 
886.  —  Pape  :  Etienne  V.  —  Empereur  d'Orient  :  Léon  VI  le  Philosophe. 


Placer  son  espérance  en  des  choses  fragile*  et  pas- 
sagères, c'est  vouloir  établir  un  fondement  solide 
sur  des  eaux  courantes. 

Saint  Grégoire  le  Grand. 

Il  y  avait,  non  loin  de  la  ville  d  Ancyre  en  Galatie,  un  bourg  appelé 
Opso,  riche,  bien  peuplé,  et  recherché  à  cause  de  sa  salubrité.  C'est  là  que 
naquit  le  bienheureux  Euthyme,  Tan  de  grâce  824.  Ses  parents  étaient  des 
personnes  aisées  et  surtout  vertueuses,  édifiant  tout  le  monde  par  leur  con- 
duite vraiment  chrétienne.  Sobres  et  mortifiés,  doux  et  humbles,  pacifiques 
et  indulgents,  ils  aimaient  à  exercer  l'hospitalié  envers  les  pauvres  et  les 
étrangers  en  qui  la  foi  leur  montrait  l'image  vivante  du  Sauveur.  Le  père 
s'appelait  Epiphane,  et  la  mère  Anne.  Leur  fils  reçut  au  baptême  le  nom  de 
Nicétas  qui  convenait  si  bien  à  cet  enfant  de  bénédiction,  devenu  vainqueur 
des  passions  et  modèle  des  vertus  chrétiennes.  La  douceur  et  la  droiture, 
la  soumission  et  la  charité  envers  les  autres,  tels  étaient  les  traits  particu- 
liers qu'on  remarquait  en  lui.  Peu  porté  aux  jeux  de  l'enfance,  il  aimait  à 
fréquenter  l'église  et  témoignait  un  profond  respect  à  tous  ses  parents.  A 
l'âge  de  sept  ans,  il  perdit  son  père  et  resta  avec  ses  deux  soeurs,  Marie  et 
Epiphanie,  auprès  de  sa  mère,  qui  aima  mieux  garder  la  continence  que 
s'imposer  de  nouveaux  liens.  Lorsque,  dans  la  suite,  Nicétas  dut  s'inscrire 
dans  la  milice,  il  n'en  continua  pas  moins  de  s'occuper  du  soin  de  la 
maison,  pour  lequel  il  avait  montré  de  l'aptitude,  et  il  servait  à  sa  mère  de 
protecteur,  d'avocat,  de  consolateur,  de  tout.  Arriva  le  moment  où  il  fallut 
songer  à  son  avenir.  Grâce  à  la  sollicitude  maternelle,  Nicétas  trouva  une 
épouse  digne  de  lui.  Euphrosine  (c'est  ainsi  qu'elle  s'appelait)  appartenait  à 
une  famille  à  la  fois  riche  et  considérable  dans  le  pays.  Ils  eurent  une  fille 
à  laquelle  on  donna  le  nom  d'Anastasie;  mais  leur  union  ne  dura  pas  long- 
temps :  car  Nicétas  songeait  déjà  à  se  donner  entièrement  à  Dieu  dans  la 
carrière  religieuse.  L'exécution  du  projet  fut  fixée  au  lendemain  de  l'Exal- 
tation de  la  Croix,  jour  consacré  à  la  mémoire  de  saint  Nicétas,  son  patron 


SAINT  EUTHYME  B-'OPSO,  OU  LE  TIIESSALONICIEN,  ABBÉ  ET  CONFESSEUR.     351 

(le  15  septembre).  Ce  jour-là,  il  sortit  de  la  maison,  comme  pour  aller  voir 
son  cheval  qui  paissait  dans  les  champs  voisins,  et  profita  de  ce  moment 
pour  quitter  le  pays.  Il  n'avait  que  dix-huit  ans.  Sa  sœur  aînée,  Marie,  était 
déjà  établie  et  demeurait  avec  son  mari  dans  sa  famille. 

Le  mont  Olympe  était  alors  un  des  foyers  les  plus  renommés  d'ascétisme 
oriental.  C'est  là  que  se  formèrent  les  deux  saints  frères,  Cyrille  et  Méthode, 
apôtres  des  Slaves  ;  c'est  là  que  brillait  par  l'éclat  de  ses  vertus  éminentes, 
Joannice  surnommé  le  Grand.  C'est  donc  vers  cette  solitude  célèbre  que  le 
jeune  pèlerin  dirigea  ses  pas.  Son  attente  ne  fut  pas  trompée  :  car  il  eut  le 
bonheur  d'y  obtenir  pour  guide  de  son  âme  Joannice  lui-môme.  Celui-ci  mit, 
dès  le  début,  la  vertu  du  jeune  candidat  à  une  rude  épreuve.  Un  jour  que 
plusieurs  religieux  étaient  venus  entendre  les  avis  de  leur  saint  directeur, 
Joannice  demanda  si  personne  d'entre  eux  n'avait  jamais  commis  de  mé- 
fait; et  comme  tous  répondirent  négativement,  il  se  tourna  du  côté 
d'Euthyme,  et  s'écria  d'un  ton  de  colère  simulée  :  «  Saisissez  ce  jeune 
homme- ci,  et  garrottez-le,  car  c'est  un  malfaiteur.  Questionné  par  eux 
et  craignant  de  laisser  échapper  une  si  précieuse  occasion  de  s'humi- 
lier, le  nouveau  venu  avoua  être  un  grand  criminel,  digne  des  châti- 
ments les  plus  sévères,  et  ajouta  qu'il  était  prêt  à  les  endurer  en  expiation 
de  ses  péchés.  Les  assistants  fixèrent  sur  lui  des  regards  étonnés.  Quant 
à  Joannice,  il  contemplait  Euthyme  avec  complaisance  ;  il  savait  que  cet 
humble  aveu  était  inspiré  par  le  désir  ardent  de  la  vie  religieuse  et  il  pré- 
voyait déjà  la  future  gloire  du  postulant.  Prenant  donc  de  nouveau  la 
parole:  «  Laissez-le  libre  »,  dit-il,  «  car  il  est  innocent,  et  que  cette 
épreuve  vous  serve  de  leçon.  Ah  !  si,  à  la  fleur  de  l'âge  et  complètement 
étranger  aux  épreuves  de  la  vie  religieuse,  ce  jeune  homme  a  fait  preuve 
d'une  si  profonde  humilité,  à  quelle  perfection  ne  s'élèvera-t-il  pas  après 
avoir  pris  l'habit  de  moine  ?  »  Cet  accident  tourna  de  la  sorte  à  la  gloire 
d'Euthyme  et  lui  attira  l'estime  générale.  Mais  sa  modestie  eh  fut  alarmée, 
et  c'est  peut-être  pour  prévenir  les  pièges  de  la  vaine  gloire  qu'il  changea 
de  demeure  et  se  mit  sous  la  conduite  d'un  autre  vieillard  appelé  Jean,  re- 
nommé pour  son  union  avec  Dieu.  Le  nouveau  maître  initia  Euthyme  aux 
pratiques  de  la  vie  religieuse,  et  quelque  temps  après,  il  lui  conféra  la  forme 
angélique  (c'est  ainsi  qu'on  appelle  en  Orient  l'habit  religieux),  et  lui  donna 
le  nom  d'Euthyme,  en  souvenir  du  grand  Saint  qui  avait  porté  ce  nom  et 
qui  est  demeuré  si  illustre  dans  les  annales  de  l'ascétisme  oriental.  Lorsque 
le  disciple  fut  suffisamment  versé  dans  les  exercices  religieux,  on  l'envoya 
dans  le  monastère  de  Possidinion,  où  l'on  menait  une  vie  cénobitique,  si 
salutaire  aux  commençants  et  si  propre  surtout  à  les  former  aux  vertus 
solides.  L'hégoumènede  ce  couvent  s'appelait  Nicolas,  religieux  fort  recom- 
mandable  par  son  attachement  à  la  foi  catholique,  autant  que  par  la  pru- 
dence avec  laquelle  il  dirigeait  ses  disciples  dans  les  voies  de  la  vie  inté- 
rieure. Appliqué  aux  offices  bas  et  humiliants,  Euthyme  s'en  acquitta  avec 
une  soumission  admirable,  s'estimant  heureux  d'y  avoir  trouvé  un  remède 
efficace  aux  penchants  pervers  de  la  nature,  et  une  arme  contre  les  souve- 
nirs du  passé  par  lesquels  le  démon  venait  parfois  troubler  sa  paix.  En 
s'élançant  ainsi,  à  la  suite  du  divin  Maître,  dans  les  voies  des  humiliations 
volontaires,  Euthyme  avançait  à  pas  rapides  et  mérita  des  faveurs  signalées 
du  ciel.  Entre  autres  dons,  le  Seigneur  lui  accorda  un  grand  attrait  pour 
l'oraison,  et,  ce  qui  en  est  d'ordinaire  le  fruit,  un  désir  ardent  d'une  retraite 
plus  rigoureuse ,  désir  dont  les  tristes  événements  survenus  alors  dans 
l'Eglise  de  Byzance  hâtèrent  l'accomplissement. 


352  *5  OCTOBRE. 

Après  la  mort  de  saint  Méthode,  patriarche  de  Constantinople,  celui  qui 
avait  tant  contribué  à  détruire  l'hérésie  iconoclaste,  le  siège  patriarcal  fut 
occupé  par  saint  Ignace.  Les  cruelles  persécutions  que  ce  généreux  Pontife 
eut  à  souffrir  de  la  part  de  l'empereur  Michel  Y  Ivrogne  et  de  ses  dignes 
satellites,  l'inutilité  des  efforts  qu'il  fit  pour  ramener  ces  cœurs  profondé- 
ment corrompus,  et  l'amour  de  la  paix  menacée  par  des  troubles  sans  cesse 
croissants,  tout  cela  détermina  Ignace  à  quitter  son  siège,  et  à  chercher 
dans  le  silence  de  la  retraite  le  repos  qu'il  ne  pouvait  trouver  au  sein  des 
grandeurs.  Il  renonça  donc  à  sa  charge,  après  l'avoir  exercée  durant  dix 
ans.  Ce  fut  au  détriment  de  l'Eglise  ;  car  il  eut  pour  successeur  Photius,  si 
tristement  célèbre  par  son  ambition  plus  encore  que  par  l'étendue  de  sa 
science  K  Mais  comme  la  retraite  d'Ignace  n'était  pas  entièrement  sponta- 
née, un  grand  nombre  refusèrent  la  soumission  au  nouveau  patriarche 
dont  ils  contestaient  la  légitimité.  L'hégoumène  Nicolas  était  du  nombre. 
Voyant  sa  communauté  sans  pasteur  et  en  butte  aux  dissensions  des  partis, 
Euthyme,  qui  partageait  les  vues  de  son  maître  chéri,  se  réfugia  au  mont 
Athos,  devenu  plus  tard  le  foyer  principal  de  l'ascétisme  en  Orient,  mais 
où,  à  cette  époque  (vers  l'an  863),  la  vie  monastique  ne  faisait  que  naître. 
Avant  de  s'y  rendre,  le  Bienheureux  désira  recevoir  le  grand  habit,  symbole 
de  la  perfection  religieuse  à  laquelle  on  s'engageait  à  tendre  ;  dans  ce  but, 
il  retourna  à  Olympe  auprès  du  célèbre  ascète  Théodore  (le  vieillard  Jean 
étant  mort),  lui  fit  part  de  son  désir  et  fut  admis  à  la  profession.  Huit  jours 
après,  il  dit  adieu  au  mont  Olympe,  où  il  avait  séjourné  environ  quinze  ans 
en  tout,  et  se  mit  en  route,  accompagné  d'un  moine  nommé  Théoctériste. 

Arrivé  au  mont  Athos,  Euthyme  commença  aussitôt  à  gravir  le  pénible 
sentier  des  conseils  évangéliques,  s'adonnant  généreusement  à  la  pratique 
des  vertus  que  demande  la  vie  solitaire.  Son  compagnon  ne  se  sentant  pas 
de  force  pour  l'y  suivre,  fut  obligé  de  reprendre  le  chemin  d'Olympe. 
Euthyme  trouva  alors  un  autre  compagnon,  nommé  Joseph,  qui  était  venu 
s'établir  sur  l'Hagion-Oros  bien  avant  lui,  et  qu'on  peut  compter  parmi  les 
premiers  religieux  athonites.  Il  lui  proposa  de  ne  prendre,  pendant  qua- 
rante jours,  d'autre  nourriture  que  des  herbes,  afin  d'attirer  par  ce  jeûne 
rigoureux  les  grâces  du  ciel  et  d'expier  les  péchés  passés.  La  proposition 
fut  acceptée  et  généreusement  exécutée.  Animé  par  ce  premier  succès, 
Euthyme  proposa  à  son  compagnon  une  autre  épreuve  plus  difficile  que  la 
précédente  :  il  s'agissait  de  rester  enfermé  dans  une  grotte  pendant  trois 
ans,  sans  en  jamais  sortir,  sinon  pour  aller  cueillir  des  glands,  des  châtai- 
gnes, des  herbes  devant  leur  servir  de  nourriture,  et  de  n'avoir  aucune 
communication  avec  les  autres  solitaires  qui  habitaient  dans  la  montagne. 
Joseph  accepta  la  nouvelle  proposition,  car  il  avait  l'âme  droite  et  simple, 
bien  qu'il  fût,  remarque  le  biographe,  arménien  d'origine.  Raconter  toutes 
les  austérités  auxquelles  ils  se  condamnèrent  durant  cette  longue  retraite, 
serait  chose  difficile.  Il  suffit  de  dire  que  leur  prière  et  leur  jeûne  furent 
presque  continuels  ;  le  silence  n'était  interrompu  que  par  de  rares  entre- 
tiens sur  des  matières  purement  spirituelles  ;  ils  souffraient  le  froid,  faute 
de  vêtements  pour  se  couvrir  suffisamment.  La  terre  nue  leur  servait  de 
couche  ;  outre  des  génuflexions  sans  nombre,  ils  s'imposaient  d'autres  mor- 
tifications corporelles,  qu'une  foule  d'insectes  venaient  multiplier  à  l'envi. 

1.  Dans  la  traduction  russe,  le  passage  où  il  s'agit  de  Photius  a  été  naturellement  modifié  dans  le  sens 
favorable  a  cet  he'résiarque.  De  pareils  e'ioges  donne'»  à  l'auteur  du  schisme  qui  porte  son  nom  font  re- 
gretter plus  vivement  l'absence  du  texte  grec,  tel  qu'il  sortit  de  la  plume  de  saint  Basile,  archevêque  da 
Tliessalouique. 


SAINT  EUTHYME  d'OPSO,   OU  LE  THES5AL0NICIEN,   ABBÉ  ET  CONFESSEUR.      353 

Aussi  la  première  année  fut-elle  à  peine  terminée,  que  Joseph,  à  bout  de 
forces,  quitta  sa  retraite  et  alla  rejoindre  les  autres  moines  dont  le  nombre 
allait  en  croissant,  bien  qu'on  ne  sache  pas  au  juste  s'ils  vivaient  en  com- 
munauté ou  séparés.  Quant  à  Euthyme,  il  redoubla  de  ferveur,  et  parce 
qu'il  se  voyait  dans  une  parfaite'solitude  et  parce  qu'il  avait  besoin  de  se 
prémunir  davantage  contre  les  assauts  du  démon  qui  le  tentait  de  diverses 
manières.  Tantôt  cet  ennemi  du  salut  lui  suggérait  des  pensées  d'orgueil 
et  de  découragement,  tantôt  il  lui  inspirait  le  regret  d'avoir  perdu  son 
compagnon.  Euthyme  n'était  pas  même  à  l'abri  des  ennemis  visibles  ;  ainsi 
un  jour,  en  plein  midi,  pendant  qu'il  faisait  sa  prière,  une  bande  de  cor- 
saires envahit  la  grotte,  et,  sur  son  refus  d'en  sortir,  ils  le  traînèrent  jus- 
qu'au bord  d'un  précipice  voisin,  et,  sans  une  intervention  du  ciel,  l'y 
auraient  précipité.  Il  faut  y  ajouter  les  scorpions  dont  les  morsures,  sans 
être  mortelles,  lui  faisaient  de  cruelles  blessures.  Malgré  toutes  ces  épreu- 
ves, le  serviteur  de  Dieu  persévéra  dans  sa  première  résolution,  et,  lorsque 
le  terme  de  sa  réclusion  volontaire  étant  arrivé,  il  reparut  au  milieu  des 
autres  ascètes  qui  l'attendaient  avec  impatience,  il  fut  reçu  comme  un 
messager  du  ciel,  car  on  était  instruit  par  le  frère  Joseph  de  la  manière 
dont  il  vivait  dans  sa  solitude. 

Sur  ces  entrefaites,  Euthyme  reçut  un  message  de  son  ancien  maître 
spirituel,  Théodore,  qui  le  priait  de  venir  le  prendre  au  mont  Olympe  pour 
l'amener  à  l'Hagion-Oros.  Cédant  à  la  prière  du  pieux  vieillard,  il  reprend 
le  chemin  d'Olympe  en  compagnie  du  porteur  du  message,  Théoctériste, 
celui-là  même  dont  il  a  été  parlé  plus  haut.  Mais,  comme  les  forces  de 
Théodore  étaient  affaiblies  par 'de  longues  austérités,  et  que  son  corps  avait 
besoin  de  certains  ménagements  que  le  séjour  du  mont  Athos  n'offrait 
guères,  Euthyme  lui  trouva  un  endroit  à  la  fois  agréable  et  solitaire,  lui  fit 
bâtir  une  modeste  cellule  et  l'y  servit  avec  un  dévouement  filial.  Cet  endroit 
s'appelait  Macrosina. 

Cependant,  quelque  grande  que  fût  sa  sollicitude,  elle  ne  préserva  pas 
Théodore  d'une  cruelle  maladie,  dont  il  mourut  bientôt  après  à  Thessalo- 
nique,  où  on  l'avait  transporté.  Il  fut  enterré  dans  l'église  de  Saint-Sozon. 
A  la  nouvelle  de  sa  mort,  Euthyme  quitta  la  montagne  pour  aller  prier  sur 
la  tombe  de  son  vénéré  maître,  et  implorer  son  intercession.  Les  habitants 
de  Thessalonique,  qui  avaient  entendu  parler  des  vertus  éclatantes  du  bien- 
heureux, vinrent  en  foule  à  sa  rencontre  et  le  reçurent  avec  de  grands  hon- 
neurs. L'affluence  continuant  toujours,  et  le  zèle  des  âmes  l'empêchant 
toujours  de  s'y  soustraire  tout  à  fait,  Euthyme  avisa  au  moyen  de  satisfaire 
son  attrait  pour  la  solitude,  sans  toutefois  frustrer  les  fidèles  de  sa  parole. 
A  cette  fin,  il  se  retira  dans  une  tour,  située  hors  de  la  ville,  vers  l'Orient, 
et  de  là,  nouveau  Siméon  stylite,  il  instruisait  ceux  qui  venaient  l'entendre. 
Après  avoir  demeuré  assez  longtemps  dans  cette  tour  et  opéré  plusieurs 
guérisons  extraordinaires,  dont  il  sera  fait  mention  plus  loin,  il  résolut  de 
retourner  au  mont  Athos.  Avant  de  partir,  il  reçut  le  diaconat  de  la  main 
de  l'archevêque  de  Thessalonique,  Théodore,  ce  qui  lui  causa  une  grande 
joie  ;  car  il  pouvait  désormais  se  communier  lui-même,  avantage  précieux 
pour  un  habitant  de  la  solitude.  Toutefois,  cette  joie  ne  fut  pas  sans  mélange 
d'appréhension  ;  il  s'aperçut  bientôt,  en  effet,  que  le  caractère  sacré  dont  il 
était  orné  lui  attirait  des  visiteurs  encore  en  plus  grand  nombre.  Cela 
l'obligea  de  chercher  ailleurs  un  asile  plus  sûr,  et  il  se  réfugia  avec  deux 
autres  compagnons,  Jean  Colobe  et  Siméon,  dans  l'île  Nouvelle,  aujourd'hui 
dite  de  Saint-Eustrate.  Cette  île  était,  il  est  vrai,  entièrement  déserte,  mais 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  23 


354  15  OCTOBRE. 

elle  n'offrait  pas,  à  cause  même  de  son  isolement,  assez  de  sécurité  ;  ainsi, 
ils  furent  une  fois  assaillis  par  des  corsaires  et  auraient  été  traînés  en  cap- 
tivité, si  Notre-Seigneur  n'eût  rendu  immobile  le  navire  qui  les  emmenait 
et  obligé  les  pirates  à  demander  pardon  à  leurs  captifs. 

Cet  accident  servit  d'avertissement  au  bienheureux  Euthyme.  Pour  ne 
plus  s'exposer  au  même  danger,  il  se  retira  avec  ses  disciples  dans  le  pays 
appelé  Vrastama,  tandis  que  Jean  Colobe  se  fixa  à  Siderocapsa  et  Siméon  en 
Hellade,  le  mont  Athos  n'offrant  plus  la  même  sécurité  qu'auparavant.  A 
Vrastama  demeurait  alors  le  vénérable  vieillard  Joseph,  dont  il  a  été  parlé 
plus  d'une  fois  dans  ce  récit  ;  il  y  mourut  bientôt  après  l'arrivée  d'Eu- 
thyme,  dans  un  âge  très-avancé.  Nous  qui  écrivons  ces  lignes,  dit  le  bio- 
graphe Basile,  nous  avons  vu  son  corps  dans  la  grotte  même  où  il  décéda  ; 
nous  le  touchâmes  de  nos  propres  mains,  et  grand  fut  notre  étonnement 
de  le  voir  incorruptible  et  répandant  une  huile  dont  nous  avons  senti  le 
parfum  durant  trois  jours.  Euthyme  y  bâtit  des  cellules  pour  ses  compa- 
gnons, parmi  lesquels  se  trouvait  aussi  le  célèbre  ascète  Onaphre,  à  qui  il 
assigna  une  cellule  à  part.  Pour  lui,  il  choisit  pour  demeure  un  profond 
ravin,  dont  il  ne  sortait  que  pour  aller  visiter  sa  communauté  naissante  ou 
pour  s'entretenir  avec  Dieu  sur  la  montagne.  C'est  dans  un  de  ces  entre- 
tiens intimes  avec  le  Seigneur  qu'il  entendit  une  voix  qui  lui  disait  :  «  Eu- 
thyme, va  à  Thessalonique,  et  là,  vers  l'orient  de  la  ville,  tu  trouveras  une 
montagne  élevée,  appelée  Péristéra,  d'où  jaillit  une  source  d'eau  et  où  se 
trouve  une  bergerie,  autrefois  temple  splendide  de  saint  André,  apôtre. 
Purifie-la  et  fais-en  un  monastère.  Je  serai  ton  aide.  C'est  assez  vivre  dans 
la  solitude  et  combattre  les  démons  depuis  longtemps  vaincus  ».  Docile  à 
la  voix  du  ciel,  Euthyme  quitta  la  retraite  de  Vrastama  et  s'embarqua  pour 
Thessalonique  en  compagnie  de  deux  confrères,  Ignace  et  Ephrem.  Arrivé 
dans  cette  ville,  où  on  le  reçut  comme  un  ange  descendu  du  ciel,  il  se  ren- 
dit avec  des  guides  à  Péristéra,  y  découvrit  en  effet  les  traces  de  l'église,  et 
grâce  au  concours  des  Thessaloniciens,  surpris  de  cette  découverte,  il  érigea 
en  l'honneur  du  saint  Apôtre  une  nouvelle  église,  en  y  ajoutant  deux  cha- 
pelles latérales,  dont  l'une  (du  côté  droit)  fut  dédiée  à  saint  Jean  Précur- 
seur, l'autre  à  saint  Euthyme  le  Grand,  son  bien-aimé  patron.  Le  couvent 
et  l'église  furent  achevés  en  863,  la  quatrième  année  du  règne  de  l'empereur 
Basile  le  Macédonien.  Le  Saint  avait  pris  une  part  active  dans  la  construc- 
tion de  ces  édifices,  en  aidant  les  ouvriers  et  les  animant  ainsi  au  travail  par 
son  exemple  ;  à  quoi  il  faut  ajouter  les  prières  auxquelles  il  consacrait  des 
nuits  entières.  Aussi,  l'œuvre  fut-elle  bénie  de  Dieu  :  le  désert  se  changea 
en  une  ville  ;  des  personnes  de  tout  âge  et  de  toute  condition  accouraient 
à  l'envi  pour  se  mettre  sous  la  conduite  du  Bienheureux.  Les  offrandes 
affluaient  de  toutes  parts  :  les  uns  amenaient  du  bétail,  d'autres  apportaient 
des  vases  sacrés  et  divers  objets  non  moins  nécessaires  à  l'usage  de  la  com- 
munauté, ne  demandant  en  retour  que  l'aumône  de  la  prière.  Le  saint 
fondateur,  de  son  côté,  ne  cessait  de  recommander  à  Dieu  les  âmes  dont  il 
avait  la  direction,  et  comme  il  connaissait  les  dangers  auxquels  on  est  exposé 
au  début  de  la  carrière  religieuse,  il  avait  à  cœur  de  prémunir  ses  religieux 
contre  les  attaques  de  l'ennemi  invisible,  en  leur  communiquant  les  fruits 
de  sa  longue  expérience  dans  des  instructions  qui  respiraient  en  même 
temps  une  sagesse  céleste. 

«  Touché  de  ses  sublimes  enseignements,  moi  aussi  »,  dit  Basile  le  bio- 
graphe, u  je  me  suis  mis  sous  sa  conduite,  et  j'eus  le  bonheur  de  recevoir 
de  sa  main  la  tonsure,  à  Ormylia,  dans  l'église  du  grand  saint  Démétrius, 


SAINT  EUTHYME  B-'OPSO,    OU  LE  THESSALONICIEN,   ABBÉ  ET  CONFESSEUR.      355 

martyr  et  thaumaturge.  Suivant  son  conseil,  je  demeurai  pendant  quelque 
temps  dans  une  cellule  isolée,  m'adonnant  à  la  contemplation  et  à  l'étude 
de  la  loi  divine.  Plus  tard,  l'attrait  de  la  gloire  m'a  fait  préférer  au  silence 
de  la  solitude  la  vie  bruyante  et  agitée  des  villes.  C'est  alors,  qu'animé  par 
le  zèle  de  ce  Bienheureux,  j'ai  brûlé  le  livre  hérétique  d'un  religieux 
apostat,  nommé  Antoine,  qui  enseignait  le  manichéisme  et  demeurait  à 
Cranéa. 

«  Je  mentionnerai  ici  la  prédiction  que  le  Saint  a  faite  touchant  ma  per- 
sonne et  qui  témoigne  du  don  qu'il  avait  de  connaître  l'avenir.  Selon  l'usage 
reçu  parmi  les  moines  de  rester  à  l'église  pendant  les  sept  jours  qui  suivent 
la  tonsure,  je  faisais  ma  retraite  et  j'étais  déjà  au  quatrième  jour,  lorsque 
le  Bienheureux  entra  à  l'église  vers  l'heure  de  midi,  et  me  prenant  à  part, 
me  dit  :  «  Quelque  indigne  que  je  sois  de  recevoir  la  lumière  d'en  haut, 
toutefois,  Basile,  puisque  vous  vous  êtes  confié  à  ma  direction  uniquement 
dans  l'intérêt  de  votre  âme,  la  Bonté  divine  a  daigné  me  communiquer  un 
rayon  de  sa  grâce  qui  m'a  révélé  ce  qui  doit  vous  arriver  un  jour.  Sachez 
donc  que  l'amour  de  la  science  vous  fera  quitter  le  monastère  et  que  vous 
deviendrez  archevêque  ;  souvenez- vous  alors  de  moi,  qui  suis  votre  père 
en  Jésus-Christ,  ainsi  que  de  vos  anciens  frères  en  religion  et  de  toute  la 
communauté». 

«  C'est  le  lieu  de  rapporter  quelques-uns  des  miracles  opérés  par  le  ser- 
viteur de  Dieu.  Ainsi,  un  jour  que  moi  et  un  autre  frère,  Jean,  surnommé 
le  Silencieux,  nous  nous  étions  égarés  dans  un  endroit  complètement  dé- 
sert, où  nous  mourions  de  fajm  et  d'épuisement,  tout  à  coup  apparaît  le 
Saint,  qui  nous  offre  de  la  nourriture  et  nous  permet  de  continuer  le  che- 
min. Une  autre  fois,  que  le  Bienheureux  et  moi  nous  nous  trouvions  assez 
loin  du  monastère,  dans  un  endroit  appelé  Cranéa,  il  me  fit  savoir  le  départ 
des  deux  frères  Jean  et  Antoine,  qui  ne  pouvaient  s'entendre  avec  le  reste 
de  la  communauté  !  —  A  Thessalonique,  pendant  qu'il  demeurait  dans  une 
tour,  un  homme  possédé  du  démon  fut  délivré  par  la  prière  du  saint  sty- 
lite  et  par  le  moyen  de  l'onction  qu'il  lui  donna.  De  même,  à  Péristéra,  il 
délivra  du  démon  un  moine  nommé  Hilarion,  qui  fut  plus  tard  repris  par 
le  malin  esprit,  pour  avoir  blâmé  la  conduite  du  Saint.  Ces  deux  miracles 
se  sont  passés  sous  mes  yeux.  J'en  ajouterai  un  troisième  qui  arriva  au  mont 
Athos  :  un  jour  ses  disciples  voulurent  monter  au  sommet  de  la  montagne, 
sans  avoir  un  motif  sérieux  de  le  faire,  et  sans  écouter  le  conseil  du  Bien- 
heureux, qui  les  en  dissuadait.  Or,  pendant  qu'ils  s'y  rendaient,  il  tomba 
de  la  neige  en  si  grande  abondance,  que  les  imprudents  voyageurs  cou- 
raient grand  risque  de  périr,  quand  le  tendre  père  accourut  à  leur  secours, 
leur  épargnant  ainsi  les  tourments  de  la  faim  et  du  froid  ». 

Après  avoir  gouverné  son  troupeau  pendant  quatorze  ans,  il  eut  enfin 
l'occasion  de  revoir  les  siens  après  une  absence  de  quarante- deux  ans.  Le 
résultat  de  cette  entrevue  fut  que  les  hommes  entrèrent  dans  son  monas- 
tère, tandis  que  les  femmes  prirent  le  voile  dans  un  couvent  bâti  sur  un 
terrain  qu'il  acheta  à  cet  effet,  où  elles  eurent  pour  abbesse  la  propre  sœur 
du  Bienheureux,  appelée  en  religion  Euthymie.  L'un  et  l'autre  couvent, 
étant  depuis  confiés  aux  soins  du  métropolitain  de  Thessalonique  lui-même 
(c'était  Méthodius),  et  saint  Euthyme  se  voyant  par  là  délivré  des  soucis 
d'administration,  il  reprit  sa  vie  de  stylite  dans  la  tour  voisine  de  la  ville, 
où  il  ne  resta  cependant  que  peu  de  temps,  à  cause  de  la  grande  affluence 
des  visiteurs.  Il  se  réfugia  de  nouveau  dans  le  Hagion-Oros,  dans  la  partie 
du  versant  oriental  qui  s'étend  depuis  l'ermitage  de  Sainte- Anne  jusqu'à  la 


356  *5  OCTOBRE. 

laure  de  Saint-Athanase,  vrai  désert  où  de  nos  jours  même  on  n'aperçoit 
que  quelques  cellules  éparses  çà  et  là  et  un  seul  ermitage  (celui  de  Causo- 
calyle).  C'est  dans  cette  solitude  qu'il  passa  les  dernières  années  de  sa  vie. 
Connaissant  d'avance  le  jour  de  sa  mort,  il  voulut  s'y  préparer  de  bonne 
heure,  loin  de  tout  commerce  avec  les  hommes,  qui  pénétraient  jusque 
dans  sa  retraite.  Le  jour  de  la  fête  de  la  translation  de  saint  Euthyme  le 
Grand,  il  invita  à  sa  table  tous  ses  compagnons,  et  après  avoir  célébré  avec 
eux  la  mémoire  de  son  saint  patron,  il  leur  fit  ses  adieux.  Le  lendemain, 
8  mai,  il  partit  du  mont  Athos,  sans  rjen  dire  à  personne,  et,  accompagné 
d'un  seul  moine  nommé  Georges,  il  se  dirigea  vers  Vile  sainte.  Ce  fut  sa  der- 
nière demeure;  au  bout  de  cinq  mois,  il  y  termina  sa  vie,  à  la  suite  d'une 
légère  maladie,  le  15  octobre  de  l'année  886. 

Deux  mois  après,  les  religieux  de  Péristéra  députèrent  deux  de  leurs 
confrères,  Paul  et  Biaise,  chargés  de  rapporter  les  dépouilles  vénérables  de 
leur  fondateur.  Les  envoyés  trouvèrent  le  corps  du  Saint  à  l'endroit  même 
où  il  avait  rendu  son  âme  à  Dieu  et  sans  la  moindre  corruption.  Ces  restes 
précieux  furent  apportés  le  13  janvier  à  Thessalonique,  et  déposés  avec  hon- 
neur dans  cette  ville,  si  riche  en  reliques  des  saints  serviteurs  de  Dieu.  De 
là  vient  le  surnom  de  Thessalonicien  qu'on  a  donné  au  bienheureux  Eu- 
thyme, bien  que  ce  ne  fût  point  son  pays  natal.  L'église  grecque  célèbre  sa 
mémoire  le  15  octobre. 

L'auteur  de  cette  Vie  est  saint  Basile,  archevêque  de  Thessalonique,  dont  l'Eglise  grecque  célèbre  la 
mémoire  le  premier  jour  de  février.  N'ayant  pu  trouver  nulle  part  le  texte  original,  nous  fûmes  obligé  de 
nous  contenter  d'une  traduction  russe,  faite  sur  un  manuscrit  grec  qu'on  conserve  au  mont  Athos,  et  publié 
dans  le  Patéricon  de  cette  montagne  (Saint-Pétersbourg,  1860).  Nous  l'avons  donnée  ici  presque  sans 
modifications. 


SAINTE  THÉRÈSE  l  D'AVILA,  VIERGE, 

FONDATRICE  DES  CARMES  ET  DES  CARMÉLITES  DÉCHAUSSÉS. 
1582.  —  Pape  :  Grégoire  XIII.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  II. 


Nous  n'obtenons  pas  un  pur  et  parfait  amour  do 
-  Dieu,  parce  que  nous  ne  donnons  pas  tout  à  Dieu, 
mais  seulement  l'usufruit,  et  que  nons  nous  réser- 
vons le  fonds  et  l'héritage  de  nos  affections. 
Maxime  de  sainte  Thérèse. 

Quand  toutes  les  langues  se  tairaient,  et  qu'il  n'y  aurait  point  de  plume 
au  monde  pour  représenter  les  mérites  et  les  grandes  actions  de  cette 
vierge  incomparable,  les  seuls  Ordres  des  Carmes  et  des  Carmélites  déchaus- 

1.  M.  l'abbé  Postel  démontre  péremptoirement  que  le  révérend  Père  Bouix  et  ceux  qui  l'imitent  com- 
mettent une  erreur  grammaticale  en  écrivant  Térèse  au  lieu  de  Thérèse.U  faudrait  en  finir  une  bonne  foi» 
avec  ce  système.  —  Thérèse  est  le  nom  de  baptême  donné  à  sainte  Cépéda  :  ce  nom  est  grec,  et  se  retrouve 
dans  saint  Chrysostome  ;  il  fut  celui  de  sainte  Thérèse,  femme  de  saint  Paulin,  l'une  des  patronnes  de  l'Es- 
pagne, celui  aussi  d'une  reine  de  Portugal  bien  antérieure  à  notre  sainte  Thérèse  de  Cépéda.  Or,  ce  nom 
a  le  th  en  grec.  S'il  le  perd  en  espagnol  et  en  italien,  langues  dans  lesquelles  ces  aspirées  figuratives  sont 
supprimées,  il  le  retrouve  en  latin,  en  français,  en  allemand,  en  anglais,  en  flamand  en  portugais  même 
(on  y  écrit  invariablement  TherezaJ.  Que  sainte  Thérèse  ait  signé  Teresa,  elle  ne  pouvait  faire  autrement 
dans  sa  langue;  elle  écrivait  de  môme  Tomas,  Cristo,  Matteo,  Felippe,  teologia,  filosofia,  etc.;  devons- 


SAINTE   THÉRÈSE  D'Avili,   VIERGE.  357 

ses,  qui  la  reconnaissent  pour  leur  fondatrice  et  pour  leur  mère,  et  qui  ré- 
pandent dans  toute  l'Eglise  une  si  agréable  odeur  de  sainteté,  feraient  suf- 
fisamment son  éloge.  Aussi,  pour  écrire  dignement  sa  vie,  il  ne  faudrait  pas 
y  employer  la  plume  d'un  homme  mortel,  mais  plutôt  la  pointe  de  cette 
flèche  céleste,  dont  un  ange  lui  perça  le  cœur  et  l'enflamma  des  plus  saintes 
ardeurs  de  l'amour  divin.  Il  faudrait  être  rempli  du  môme  esprit  dont  elle- 
même  était  remplie,  soit  dans  ses  entretiens  sacrés  avec  Dieu,  soit  dans 
l'établissement  de  ses  différents  monastères,  soit  en  composant  ses  excel- 
lents livres,  qui  font  l'admiration  de  toutes  les  personnes  spirituelles.  On 
pourrait  dire  que  l'histoire  qu'elle  a  faite  d'elle-même,  par  l'ordre  de  son 
confesseur,  suffit  pour  la  faire  connaître  et  pour  découvrir  les  dons  inesti- 
mables qu'elle  a  reçus  du  ciel  ;  mais  son  humilité  lui  a  fait  supprimer 
beaucoup  de  choses  qui  sont  à  sa  louange,  et  rabaisser  en  tout  le  mérite  et 
la  gloire  de  ses  plus  belles  actions,  tandis  qu'elle  est  merveilleusement 
ingénieuse  à  exagérer  ses  plus  petites  fautes;  il  est  donc  nécessaire  d'ajouter 
beaucoup  à  ce  qu'elle  y  a  écrit. 

Sainte  Thérèse  naquit  à  Avila,  au  royaume  de  Castille,  en  Espagne, 
le  28  mars  15(5.  Son  père,  qui  s'appelait  Alphonse  Sanchez  de  Gépéda, 
était  un  gentilhomme  de  grand  mérite,  et  dont  la  noblesse  était  relevée  par 
beaucoup  de  vertus.  Sa  mère,  qui  n'était  que  la  seconde  femme  de  ce  sei- 
gneur, avait  aussi  d'excellentes  qualités,  et  on  la  nommait  Béatrix  de  Ahu- 
mada.  Ils  eurent  plusieurs  garçons  et  deux  filles  avant  la  naissance  de  notre 
Sainte  ;  mais,  quoiqu'elle  fût  la  cadette  selon  l'ordre  de  la  nature,  elle  était 
néanmoins  l'aînée  dans  l'ordre  de  la  divine  prédestination.  Aussitôt  après  sa 
naissance,  elle  fut  portée  à  Tëglise  de  la  paroisse  Saint-Jean  où  elle  reçut, 
avec  le  baptême,  ce  beau  nom  de  Thérèse  qu'elle  devait  immortaliser  par  la 
sainteté  de  sa  vie.  Elle  donna,  dès  son  enfance,  de  beaux  présages  d'une 
éminente  sainteté.  A  l'âge  de  sept  ans,  elle  s'occupait  avec  une  ardeur  et  une 
satisfaction  merveilleuses,  avec  le  plus  jeune  de  ses  frères,  à  la  lecture  de  la 
vie  des  Saints  et  de  l'histoire  de  leurs  souffrances,  et  ils  étaient  aussi  telle- 
ment pénétrés  de  la  pensée  de  l'éternité,  tant  des  peines  de  l'enfer  que  du 
bonheur  des  Saints  dans  le  ciel,  qu'ils  répétaient  continuellement  ces  pa- 
roles :  «  Eternellement,  éternellement,  éternellement  » .  Ces  considérations 
leur  firent  faire  un  complot  de  sortir  en  cachette  de  la  maison  paternelle  et 
d'aller  chez  les  Maures  pour  y  trouver  l'occasion  du  martyre.  Leur  sortie 
fut  assez  secrète  :  mais,  comme  ils  s'avançaient  du  côté  de  l'Afrique,  un  de 
leurs  oncles  paternels  les  rencontra,  et,  ayant  appris  de  leur  bouche  le 
sujet  de  leur  voyage,  il  leur  persuada  de  différer  ce  bon  dessein  à  un  autre 
temps,  et  les  ramena  chez  leurs  parents  '.  Lorsqu'ils  furent  de  retour, 
voyant  bien  qu'ils  ne  pouvaient  pas  être  martyrs,  ils  pensèrent  à  se  faire 
ermites,  et  se  dressèrent,  pour  cela,  dans  le  jardin  de  la  maison,  de  petites 
cellules  pour  se  retirer  du  monde  et  faire  plus  tranquillement  leurs  prières. 
Notre-Seigneur  communiqua  dès  lors  à  Thérèse  quelques  étincelles  de  cet 
esprit  d'oraison,  qu'elle  a  eu  depuis  dans  un  degré  si  éminent,  et,  comme 

noua,  en  la  traduisant,  écrire  saint  Tomas,  Jésus- Crist,  saint  Mattieu,  Filippe,  la  téologie,  la  filosophie  f 
Au  surplus,  la  bulle  de  canonisation  porte  formellement  Theresia;  l'Ordo  romain,  imprimé  chaque  année 
a  Rome,  le  porte  de  même.  Saint  Alphonse  de  Liguuri,  écrivant  en  italien,  a  toujours  signé  Alfonso,  et, 
dans  la  même  langue,  les  religieux  théatins  sont  des  teaiini.  Qu'en  conclure?  Qu'il  faut,  en  traduisant, 
renverser  toutes  les  règles  du  français  ?  Personne  n'a  paru  le  prétendre.  Le  Père  Bouix  s'est  donc  trompé 
eur  ce  point,  et  il  est  triste  de  constater  qu'il  soit  si  facile  de  former  école  en  France. 

1.  A  l'endroit  même  où  nos  deux  candides  martyrs  se  virent  forcés  de  reprendre  le  chemin  de  la  mai- 
son paternelle,  la  piété  a  élevé  on  modeste  monument  :  c'est  une  croix  soua  un  dôme  de  pierre  supporté 
par  quatre  colonnes. 


358  *5  OCTOBRE. 

elle  n'avait  point  de  maître  pour  l'y  conduire,  elle  se  servait  pour  cela  de 
quelques  images  fort  dévotes,  qui  étaient  dans  le  logis,  et  surtout  d'une  qui 
représentait  Notre-Seigneur  instruisant  la  Samaritaine  au  bord  d'un  puits  ; 
elle  apprenait  à  désirer  ardemment  l'eau  vive  et  salutaire  qui  rejaillit  jus- 
qu'à la  vie  éternelle.  D'ailleurs,  elle  récitait  avec  ferveur  son  chapelet,  que 
sa  bonne  mère  lui  recommandait  extrêmement,  et  elle  faisait  aussi  plu- 
sieurs aumônes,  se  dérobant  volontiers  à  elle-même  ses  petites  commodités 
pour  assister  les  pauvres. 

Sa  mère,  quoique  très-pieuse,  lui  fît  courir  involontairement  de  grands 
dangers  :  elle  aimait,  elle  lisait  des  romans,  des  livres  de  chevalerie,  et,  ne 
prévoyant  pas  le  mal  qu'ils  pouvaient  faire  à  ses  filles,  elle  leur  permettait 
de  les  lire  à  l'insu  de  leur  père,  qui  ne  l'aurait  jamais  souffert.  Thérèse  y 
prit  de  nouveaux  goûts  :  elle  se  plaisait  à  avoir  les  mains  blanches,  le  teint 
frais  et  agréable,  les  cheveux  frisés  et  ornés,  les  habits  propres  et  à  la 
mode,  et  à  n'être  jamais  sans  quelque  parfum  :  mais  en  tout  cela  elle 
n'avait  aucune  mauvaise  intention.  Elle  perdit  sa  mère  à  l'âge  de  douze 
ans  :  entrevoyant  la  grandeur  de  la  perte  qu'elle  venait  de  faire,  elle  s'en 
alla  à  un  sanctuaire  de  Notre-Dame  *,  et,  se  jetant  aux  pieds  de  son  image, 
elle  la  conjura  avec  larmes  de  lui  servir  de  mère  :  depuis,  la  sainte  Vierge 
l'assista  toujours  extraordinairement.  Au  danger  des  livres  vint  se  joindre 
pour  Thérèse  celui  des  compagnies.  Quelques  jeunes  gens,  ses  cousins-ger- 
mains, et  à  peu  près  de  son  âge,  se  mirent  à  la  venir  voir  et  à  avoir  de  lon- 
gues conversations  avec  elle  ;  il  y  eut  aussi  une  jeune  fille  de  ses  parentes, 
fort  enjouée,  d'un  naturel  léger  et  volage,  qui  se  mit  si  bien  dans  son 
esprit,  qu'il  était  impossible  de  l'en  séparer.  Ces  conversations  ralentirent, 
dans  le  cœur  de  la  Sainte,  les  précieux  sentiments  de  la  piété  que  le  Saint- 
Esprit  y  avait  fait  naître.  Ces  fautes,  qu'elle  a  depuis  déplorées  avec  une 
sainte  exagération,  n'allèrent  jamais,  comme  elle  l'écrit  elle-même,  jus- 
qu'au péché  mortel,  parce  que  Dieu,  dans  sa  bonté,  lui  avait  donné  deux 
gardes  fidèles  pour  la  préserver  de  ce  malheur.  La  première  était  une  hor- 
reur naturelle  de  tout  ce  qui  était  contraire  à  la  pureté  ;  dans  tous  ces  en- 
tretiens inutiles,  elle  n'avait  aucune  vue  ni  aucune  intention  criminelle. 
La  seconde  était  une  crainte  extrême  de  perdre  son  honneur,  qu'elle  ché- 
rissait au-dessus  de  toutes  les  choses  du  monde. 

Cependant  son  père,  qui  était  un  homme  de  bon  sens,  s'apercevant  du 
danger  où  elle  était  en  demeurant  plus  longtemps  chez  lui,  résolut  de  se 
priver  de  sa  compagnie,  nonobstant  l'amitié  qu'il  avait  pour  elle,  et  de  la 
mettre  en  pension  dans  un  couvent.  Il  prit  pour  prétexte  le  mariage  de  sa 
sœur  aînée  ;  il  dit  qu'il  n'était  nullement  à  propos  qu'à  son  âge  elle  de- 
meurât seule  sans  mère  et  sans  sœur  dans  sa  maison.  Le  couvent  où  il  la 
mit  fut  celui  des  dames  Augustines  d'Avila,  appelé  Notre-Dame  de  Grâce, 
où  l'On  élevait  beaucoup  d'autres  filles  de  qualité  *.  Thérèse  y  entra  par 
pure  obéissance  et  sans  aucune  inclination  à  être  religieuse,  ni  à  mener 
une  vie  plus  retirée  ;  mais,  la  grâce  de  Jésus-Christ  se  joignant  aux  bons 
exemples  et  aux  sages  remontrances  des  religieuses  de  ce  monastère,  qui 
étaient  très-vertueuses  et  très-prudentes,  elle  reprit  peu  à  peu  l'esprit  de 

1.  Ce  sanctuaire  qui  se  trouvait  dans  un  hôpital  est  aujourd'hui  en  ruine;  mais  la  statue  de  la  Vierge, 
transportée  dans  une  église  d'Avila,  y  est  toujours  l'objet  de  la  vénération  des  fidèles. 

2.  Ce  monastère,  construit  en  1508  sur  l'emplacement  d'une  ancienne  mosquée,  existe  de  nos  jours  s 
on  voit  encore  le  confessionnal  oh  Thérèse  se  confessa  quand  elle  était  pensionnaire  ;  il  est  près  de  la 
grille  qui  sépare  le  choeur  des  religieuses  de  la  nef  de  l'église.  On  conserve  comme  des  reliques  divers 
objets  qui  ont  été  à  l'usage  de  la  Sainte. 


SAINTE  THÉRÈSE  D'AVILA,  VIERGE.  359 

dévotion  et  de  ferveur  qu'elle  avait  eu  dans  son  enfance.  Elle  recommença 
à  réciter  plusieurs  prières  vocales,  et  à  porter  une  sainte  envie  à  celles  qui 
étaient  attirées  à  l'oraison  mentale  et  qui  avaient  le  don  des  larmes.  Il  lui 
vint  aussi  un  désir  d'être  religieuse,  non  pas  dans  ce  monastère,  qu'elle 
croyait  trop  austère  pour  elle,  mais  dans  un  autre  où  elle  avait  une  amie, 
avec  laquelle  elle  eût  été  ravie  de  demeurer;  en  quoi  elle  avoue  qu'elle  sui- 
vait plutôt  le  penchant  de  son  cœur  que  le  bien  de  son  âme.  Mais,  au  bout 
de  dix-huit  mois,  une  grande  maladie,  qui  lui  survint,  obligea  son  père  de 
la  retirer  de  cette  pension  et  de  la  faire  revenir  chez  lui  pour  l'y  faire 
mieux  traiter.  Il  l'envoya  ensuite  à  la  campagne,  chez  sa  sœur  aînée,  qui 
l'aimait  tendrement,  et  qui  eût  souhaité  de  l'avoir  toujours  avec  elle,  parce 
qu'en  effet  elle  avait  tant  de  condescendance  et  d'affabilité,  qu'elle  se  fai- 
sait aimer  de  tout  le  monde.  En  ce  voyage,  elle  rendit  visite  à  un  de  ses 
oncles,  frère  de  son  père,  appelé  Pierre  Sanchez  de  Cépéda,  qui  s'était  re- 
tiré, après  la  mort  de  sa  femme,  dans  une  de  ses  terres,  située  dans  la  petite 
ville  d'Hortigosa,  à  quatre  lieues  d'Avila,  pour  y  passer  le  reste  de  ses  jours 
dans  les  exercices  de  la  vie  solitaire.  Elle  eut  quelques  saints  entretiens  avec 
lui,  et  fut  tellement  touchée,  qu'elle  résolut  dès  lors  de  commencer  une 
vie  plus  spirituelle.  Ce  qui  lui  profita  aussi  beaucoup,  ce  fut  que  cet  homme 
de  Dieu,  qui  se  plaisait  extrêmement  à  la  lecture,  lui  fit  lire  des  livres  de 
dévotion  en  langue  vulgaire,  entre  autres  les  Epîtres  de  saint  Jérôme,  qui 
lui  donnèrent  un  grand  dégoût  des  choses  de  la  terre  et  réveillèrent  en  elle 
tous  les  désirs  qu'elle  avait  eus  autrefois  des  biens  de  l'éternité. 

Elle  reçut  ensuite-  le  grand  don  de  la  vocation  religieuse,  et,  pour  ne 
pas  laisser  ce  talent  inutile,  elle  fit  tant  d'instances  auprès  de  son  père, 
qu'il  lui  permit  enfin  d'entrer  dans  le  monastère  de  l'Incarnation  d'Avila, 
de  l'Ordre  de  Notre-Dame  du  Mont-Carmel,  pour  y  prendre  l'habit.  Elle 
confessa  elle-même  que,  lorsqu'elle  sortit  de  sa  maison  pour  y  aller,  elle 
ressentit  tant  de  répugnance  et  de  contradiction  dans  sa  nature,  qu'il  lui 
semblait  que  tous  ses  os  se  déboîtaient  et  qu'on  lui  arrachait  le  cœur  des 
entrailles  ;  mais  elle  surmonta  généreusement  cette  difficulté,  et  elle  eut 
enfin  le  bonheur  d'être  couverte  du  saint  habit  de  Notre-Dame,  le  2  novem- 
bre 1533,  à  l'âge  de  dix-huit  ans.  Son  âme  fut  en  même  temps  revêtue 
d'une  grâce  si  abondante,  que  toutes  ses  sécheresses  passées  se  changèrent 
en  des  pluies  de  douceur  et  de  consolation.  Dès  lors  Dieu  lui  fit  présent  de 
cet  admirable  don  des  larmes,  qui  lui  a  duré  toute  sa  vie,  et  elle  s'en  servit 
fort  à  propos  dans  le  cours  de  son  noviciat,  pour  pleurer  amèrement  les 
péchés  qu'elle  avait  commis  dans  le  monde  et  pour  en  obtenir  le  pardon 
de  la  bonté  infinie  de  son  Epoux.  Elle  les  accompagna  aussi  de  plusieurs 
austérités  et  mortifications  au-dessus  de  celles  qui  étaient  prescrites  par  la 
Règle.  Nous  ne  voulons  pas  nous  arrêter  ici  pour  rapporter  en  détail  les 
actions  héroïques  d'humilité,  de  patience,  de  soumission  d'esprit,  d'obéis- 
sance et  des  autres  vertus  qu'elle  fit  paraître  en  ce  premier  état  de  ferveur; 
nous  dirons  seulement  que  toutes  les  religieuses  furent  tellement  édifiées 
de  sa  conduite,  que,  nonobstant  ses  infirmités,  qui  étaient  grandes,  et  la 
faiblesse  de  sa  complexion,  elles  la  jugèrent  très-digne  de  faire  profession. 
Ainsi,  elle  prononça  ses  vœux  un  an  après  sa  vêture,  avec  une  joie  et  une 
satisfaction  indicibles  de  se  voir  pour  jamais  l'épouse  de  Jésus-Christ  et 
l'humble  servante  de  sa  très-sainte  Mère. 

Dès  qu'elle  eut  fait  profession,  elle  fut  travaillée  de  grands  maux  de 
cœur,  de  vomissements  continuels  et  de  plusieurs  autres  maladies  qui  lui 
étaient  souvent  toute  sorte  de  sentiment.  Son  père,  qui  ne  l'aimait  pas 


360  *5  OCTOBRE. 

moins  dans  l'état  de  la  vie  religieuse  que  lorsqu'elle  était  auprès  de  lui, 
obtint  de  ses  supérieurs  de  la  faire  transporter  en  un  lieu  appelé  Becedas. 
Comme  c'était  au  commencement  de  l'hiver,  elle  dut,  en  attendant  le  prin- 
temps, séjourner  chez  sa  sœur,  qui  désirait  extrêmement  de  l'avoir.  Son 
oncle,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  ne  manqua  pas  de  l'y  aller  voir  et  de 
l'entretenir,  comme  auparavant,  des  choses  de  Dieu.  Il  lui  mit  aussi  entre 
les  mains  un  excellent  livre,  intitulé  :  Le  troisième  Abécédaire,  par  le  Père 
François  de  Osuna,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  qui  enseignait  à  faire 
l'oraison  mentale.  Thérèse  le  lut  avec  avidité,  le  trouvant  conforme  à  son 
attrait  et  y  rencontrant  ce  qu'elle  cherchait  depuis  longtemps,  et  que  nul 
de  ses  directeurs  ne  lui  avait  pu  expliquer.  Gomme  en  même  temps  elle  se 
sentit  intérieurement  attirée  à  la  vie  de  l'esprit,  elle  commença  à  aimer 
davantage  la  solitude,  à  se  confesser  plus  souvent  et  à  travailler  plus  soi- 
gneusement à  la  mortification  des  sens  et  à  la  pureté  du  cœur.  Elle  tâchait 
aussi  de  ne  jamais  perdre  de  vue  Notre-Seigneur,  et  de  se  remplir  de  la 
considération  de  ses  mystères  :  ce  qui  fit  qu'il  la  fit  entrer  peu  à  peu, 
premièrement  dans  l'oraison,  que  nous  appelons  la  quiétude,  qui  est  un 
doux  repos  en  Dieu  présent,  et  ensuite  dans  l'oraison  d'union,  qui  est  une 
jouissance  simple,  tranquille  et  amoureuse  de  ce  principe  infini  de  tous 
les  biens. 

Le  printemps  étant  venu,  on  la  mena  au  lieu  choisi  pour  sa  cure  ;  mais, 
bien  loin  d'y  trouver  la  guérison,  elle  y  devint  encore  plus  malade  ;  elle  ne 
laissa  pas,  néanmoins,  d'y  guérir  spirituellement  un  prêtre  adultère,  sacri- 
lège et  scandaleux,  à  qui  elle  se  confessa,  et  qui  fut  obligé  de  lui  avouer 
son  désordre  ;  elle  l'assista  si  puissamment  par  ses  saints  avis  et  par  les 
larmes  qu'elle  répandit  pour  lui  au  pied  de  la  croix  du  Sauveur,  qu'elle  lui 
procura  l'esprit  de  componction  et  de  pénitence,  et  une  mort  très-chré- 
tienne. Son  père,  voyant  que  sa  santé  ne  s'améliorait  point,  la  fit  venir 
chez  lui  pour  la  faire  voir  par  les  médecins;  ils  jugèrent  tous  qu'elle  était 
étique  et  qu'elle  ne  pouvait  pas  revenir  de  ce  mal.  En  effet,  son  estomac 
ne  faisait  plus  ses  fonctions,  son  corps  était  sec  et  décharné,  et  ses  membres 
se  raidissaient  si  fort  par  la  contraction  des  nerfs,  qu'elle  était  quelquefois 
toute  contrefaite.  Un  jour  de  l'Assomption,  elle  tomba  dans  une  si  étrange 
syncope,  qu'on  la  tint  pour  morte  pendant  quatre  jours  ;  de  sorte  qu'on 
prépara  sa  fosse  dans  son  monastère,  et  que  les  religieuses,  ses  sœurs,  qui 
ne  gardaient  pas  la  clôture,,  vinrent  prier  Dieu  autour  de  son  corps.  Elles 
voulaient  la  faire  emporter,  mais  son  père,  qui  lui  sentait  encore  un  peu  de 
pouls,  l'empêcha,  assurant  qu'elle  n'était  pas  morte.  Au  bout  de  quatre 
jours,  elle  se  réveilla  comme  d'un  profond  sommeil,  et,  se  plaignant  de  ce 
qu'on  l'avait  inquiétée,  elle  dit  que,  dans  cette  extase,  elle  avait  vu  le  ciel 
et  l'enfer,  les  grâces  qu'elle  recevrait  de  la  main  libérale  de  Dieu,  et  quel- 
ques insignes  faveurs  qu'il  conférerait  à  d'autres  en  sa  considération.  Elle 
voulut  ensuite  retourner  dans  son  couvent,  où,  par  les  mérites  de  saint 
Joseph,  dont  elle  célébrait  tous  les  ans  la  fête  avec  beaucoup  de  ferveur, 
elle  commença  à  se  lever  et  à  marcher. 

Le  monastère  où  vivait  sainte  Thérèse  n'avait  pas  de  clôture  :  les  reli- 
gieuses y  recevaient  souvent  des  visites,  se  liaient  avec  des  personnes  du 
dehors  qui  venaient  les  entretenir  durant  de  longues  heures  :  source  de  si 
grands  périls,  dit  sainte  Thérèse,  que  les  religieux  ou  les  religieuses  qui  se 
trouvent  dans  ce  cas  seraient  mieux  pour  le  salut  de  leur  âme  dans  la 
maison  paternelle  ou  établis  dans  le  monde.  Notre  jeune  Sainte,  qui  était 
si  aimable  et  très-portée  elle-même  aux  amitiés  honnêtes,  fit  aussi  la  con- 


SAINTE  THÉRÈSE  d'aVTLA,  VIERGE.  361 

naissance  d'une  personne  qui  venait  la  voir  souvent.  Elle  ne  tomba  point 
dans  le  désordre  ;  elle  n'y  pensait  pas  même,  et  ne  soupçonnait  pas  le  dan- 
ger :  elle  resta  obéissante,  exempte  d'hypocrisie,  de  médisance,  aimant 
Dieu.  Mais  elle  abandonna  l'oraison  pendant  plus  d'un  an  (de  vingt-six  à 
vingt-sept  ans)  ;  elle  la  reprit  d'après  les  conseils  du  Père  Vincent  Baron, 
qui  la  fit  aussi  communier  tous  les  quinze  jours.  Notre-Seigneur  lui  avait 
lui-même  donné  deux  avertissements  :  il  lui  apparut  un  jour  au  parloir 
avec  un  visage  sévère  et  indigné  ;  un  autre  jour,  elle  et  la  personne  avec 
laquelle  elle  causait,  virent  tout  près,  un  monstre  horrible  et  mystérieux 
qui  les  effraya.  De  plus,  une  vieille  religieuse,  sa  parente,  l'avertit  souvent 
du  danger  qu'elle  courait.  Elle  resta  néanmoins  depuis  l'âge  de  vingt  ans  à 
peu  près,  jusqu'à  celui  de  quarante,  aimant  Dieu,  mais  sans  que  son  cœur 
fût  entièrement  fermé  au  monde.  Mais  un  jour  qu'elle  vit  l'image  de  Jésus 
couvert  de  plaies,  elle  fut  si  touchée  qu'elle  sentit  son  cœur  comme  86 
briser. 

Sainte  Madeleine,  qu'elle  invoqua,  l'assista  aussi  d'une  manière  sensible 
ainsi  que  saint  Augustin,  dont  elle  lut  les  confessions  avec  le  plus  grand 
fruit  ;  elle  s'inspira,  pour  ses  petites  fautes,  des  sentiments  de  repentir  que 
saint  Augustin  témoigna  pour  ses  désordres.  Depuis  ce  temps,  son  âme  ne 
cessa  point  de  rester  saintement  unie  à  Dieu,  qui  lui  accorda  des  faveurs 
extraordinaires  dans  son  oraison.  Ne  s'en  croyant  pas  digne,  elle  prit  d'abord 
pour  des  illusions  cette  suspension  des  sens,  ce  calme  intérieur,  cette  vue 
intellectuelle  des  plus  hauts  mystères  de  notre  foi,  ces  sentiments  subits  de 
la  présence  de  Dieu  qui  occupait  toute  son  âme,  ces  élans  d'amour  et  ce 
repos  en  la  Divinité  qu'elle  ressentait  assez  souvent.  Saint  François  de  Bor- 
gia,  qui  était  de  la  Compagnie  de  Jésus,  la  releva  de  ce  doute,  et  lui  fit 
connaître  que,  marchant  dans  l'humilité  et  commençanf  toujours  son  orai- 
son par  quelque  point  de  la  passion  du  Sauveur,  elle  n'avait  nul  sujet  de 
craindre  l'illusion  dans  ces  grâces  qui  lui  étaient  données  sans  qu'elle  les 
eût  recherchées.  Elle  eut  aussi  de  très-sages  confesseurs  dans  la  même 
Compagnie,  qui  la  soutinrent  merveilleusement  bien  dans  cette  conduite 
extraordinaire,  et  qui  l'obligèrent  de  joindre  l'exercice  de  la  mortification 
et  de  la  pénitence  à  ces  degrés  si  sublimes  d'oraison.  Elle  eut  d'abord  beau- 
coup de  peine  à  se  défaire  de  quelques  amitiés  particulières,  qui,  bien 
qu'elles  lui  parussent  innocentes,  parce  qu'étant  d'un  naturel  extrêmement 
généreux,  elle  croyait  devoir  aimer  singulièrement  les  personnes  qui  lui 
témoignaient  de  l'affection,  mettaient  néanmoins  un  grand  empêchement 
à  sa  perfection.  Elle  dit  pour  cela,  par  l'ordre  de  son  confesseur,  pendant 
quelque  temps,  l'hymne  Veni  Creator  Spiritus  ;  et  un  jour  qu'elle  la  disait, 
elle  entra  dans  un  ravissement  subit,  et  elle  entendit  au  fond  de  son  cœur 
ces  paroles  de  son  Epoux  :  «  Je  ne  veux  plus,  ma  fille,  que  tu  aies  aucune 
amitié  avec  les  hommes,  mais  que  tout  ton  entretien  soit  avec  les  anges  »  ; 
et  à  l'instant  même,  cette  passion  d'amitié  particulière,  qu'elle  n'avait  pu 
surmonter  par  mille  efforts,  fut  tellement  éteinte  en  elle,  qu'il  ne  lui  fut 
plus  possible  d'aimer  personne  qu'en  Dieu  et  pour  Dieu. 

Depuis  ce  jour,  Notre-Seigneur  la  favorisa  souvent  de  ses  communica- 
tions secrètes  et  intimes,  l'instruisant  par  lui-même  de  ce  qu'elle  devait 
faire  pour  son  service,  et  lui  découvrant  de  quelle  manière  elle  devait  se 
comporter  pour  lui  être  plus  agréable.  Comme  il  n'y  avait  rien  qu'elle  ap- 
préhendât plus  que  d'être  trompée  par  le  démon,  il  lui  vint  encore  une 
crainte  que  ces  paroles  ne  fussent  pas  dites  par  son  divin  Maître,  mais  par 
quelque  mauvais  esprit  qui  eût  entrepris  de  la  séduire.  Son  confesseur  con- 


i 


362  *5  OCTOBRE. 

sulta  cinq  ou  six  maîtres,  qui  furent  tous  d'avis  avec  lui,  que  ce  qui  lui 
arrivait  dans  l'oraison  n'était  pas  de  Dieu,  mais  du  démon  ;  qu'ainsi,  il 
fallait  la  retirer  de  cet  exercice,  lui  défendre  la  solitude  et  lui  retrancher 
ses  communions.  Cet  arrêt  fut  pour  elle  un  sujet  de  grande  peine,  d'autant 
plus  que  ceux  qui  en  furent  informés  la  prenaient  pour  une  visionnaire,  et 
quelques-uns  même  parlaient  de  la  faire  exorciser,  comme  si  elle  eût  été 
possédée  et  obsédée  du  démon.  De  plus,  on  observait  curieusement  toutes 
ses  actions,  et  s'il  lui  échappait  quelque  imperfection,  on  en  faisait  un 
grand  mystère,  et  on  en  inférait  que  toutes  les  grâces  qu'elle  croyait  rece- 
voir du  ciel  n'étaient  que  de  pures  illusions. 

Pendant  cette  épreuve,  qui  dura  deux  ou  trois  ans,  elle  ne  perdit  jamais 
patience,  mais  demeura  toujours  dans  une  parfaite  soumission  à  la  volonté 
de  Dieu.  D'ailleurs,  Notre-Seigneur  ne  laissait  pas  de  la  visiter  et  de  l'ins- 
truire de  diverses  manières.  Il  lui  dit  un  jour  :  a  Ne  craignez  rien,  ma  fille, 
c'est  moi  qui  parle,  et  jamais  je  ne  vous  abandonnerai  ».  Ce  mot  fut  si  pé- 
nétrant et  si  efficace,  qu'il  dissipa  tous  ses  doutes  et  la  convainquit  claire- 
ment et  assurément  que  c'était  lui.  De  plus,  ce  même  mot  lui  ôta  tellement 
l'appréhension  du  démon  et  de  tous  ses  artifices,  que,  bien  loin  de  le 
craindre,  elle  le  défiait  quelquefois,  lui  disant  :  «  Venez  maintenant  avec 
toute  votre  escorte  diabolique  ;  car,  étant  servante  de  Jésus-Christ,  je  veux 
savoir  quelle  est  votre  force  et  ce  que  vous  pouvez  faire  contre  moi  ». 
D'autres  fois,  son  aimable  Epoux  lui  apparaissait,  tantôt  sous  des  formes 
sensibles,  tantôt  sous  des  représentations  purement  intellectuelles,  et  opé- 
rait en  même  temps  dans  son  âme  des  effets  merveilleux  de  détachement  et 
de  sanctification.  On  lui  commandait  de  faire  le  signe  de  la  croix,  de  tourner 
le  dos,  de  quitter  son  oratoire  et  de  changer  de  lieu  lorsqu'elle  avait  ces 
visions;  elle  le  faisait  par  obéissance,  quoiqu'elle  sût  assurément  que  c'était 
son  Bien-Aimé  qui  lui  rendait  visite  ;  mais,  bien  loin  de  le  chasser  par 
cette  incivilité  apparente,  elle  le  charmait  encore  davantage  et  l'obligeait 
de  revenir  plus  fréquemment,  a  Vous  faites  bien,  ma  fille  »,  lui  dit-il  une 
fois,  «  d'obéir  à  vos  directeurs,  et  vous  devez  en  agir  de  la  sorte  ;  mais  je 
leur  ferai  enfin  connaître  que  c'est  moi-même  qui  vbus  honore  de  ma  pré- 
sence ». 

Thérèse  lui  présenta  un  jour  une  croix,  comme  on  ferait  au  démon 
pour  le  chasser.  Il  la  prit  entre  ses  mains  (car  il  ne  s'épouvantait  pas  de  la 
croix)  et  la  lui  rendit.  Mais  cette  croix  d'ébène  parut  alors  à  notre  Sainte 
composée  de  quatre  pierres  précieuses  d'une  beauté  et  d'une  valeur  inesti- 
mable ;  et  depuis,  elle  lui  paraissait  toujours  de  la  sorte,  quoiqu'en  effet 
elle  n'eût  pas  changé  de  nature  et  qu'elle  ne  parût  aux  autres  que  d'ébène. 
C'est  cette  croix  qui  rendit  la  vue  à  Madeleine  de  Tolède,  et  qui  fit  depuis 
plusieurs  autres  miracles.  Enfin,  Notre-Seigneur,  pour  manifester  davan- 
tage la  vérité  de  ces  visions,  alluma  en  un  instant  dans  le  cœur  de  sa  bien- 
aimée  un  si  grand  feu  de  l'amour  de  Dieu  et  un  désir  si  ardent  de  le  voir, 
que  la  vie  présente  ne  lui  était  plus  qu'un  long  martyre.  Elle  était  blessée 
d'une  plaie  divine,  qui,  en  la  faisant  languir  et  mourir,  lui  causait  un  plaisir 
ineffable,  auquel  tous  les  plaisirs  du  monde  ne  peuvent  être  comparés.  Ce 
fut  en  ce  temps  qu'elle  vit  plusieurs  fois  à  ses  côtés  un  séraphin  d'une 
beauté  merveilleuse,  qui,  ayant  un  dard  à  la  main,  lui  en  transperçait  le 
cœur.  Ce  dard  était  de  fin  or  et  assez  long,  et  il  y  avait  au  bout  une  pointe 
de  fer  qui  était  en  feu.  Quand  il  le  portait  dans  son  cœur,  il  y  produisait 
Une  flamme  d'amour  si  excessive,  qu'elle  ne  pouvait  presque  en  supporter 
la  véhémence  ;  et  quand  il  le  retirait,  il  semblait  qu'il  lui  arrachât  les  en- 


SAINTE  THÉRÈSE   D'AVILA,    VIERGE.  363 

trailles  :  il  la  laissait  si  embrasée,  qu'elle  était  comme  hors  d'elle-même. 
La  douleur  de  ses  blessures  sacrées  lui  faisait  échapper  des  gémissements  ; 
mais  leur  suavité,  qui  n'était  pas  moindre,  l'enivrait  tellement,  qu'elle  ne 
voulait  plus  ni  voir,  ni  parler,  mais  seulement  jouir  de  la  douceur  de  sa 
peine  et  des  délices  de  son  amour.  Tant  d'effets  merveilleux  convainquirent 
enfin  les  serviteurs  de  Dieu  qu'elle  consultait  sur  sa  conduite,  que  ces  opé- 
rations venaient  du  ciel,  et  qu'il  n'y  fallait  plus  craindre  aucune  tromperie. 
Quatre  grandes  lumières  de  l'Eglise,  qui  éclairaient  alors  l'Espagne  par 
leur  sainteté  et  par  leur  doctrine,  la  confirmèrent  dans  ce  sentiment  ;  sa- 
voir :  saint  Louis  Bertrand,  saint  Pierre  d'Alcantara,  le  Père  Jean  d'Avila 
et  le  Révérend  Père  Louis  de  Grenade  ;  mais  ces  voies  extraordinaires  ser- 
virent toujours  d'occasion  à  ses  directeurs  de  la  rebuter,  de  la  maltraiter 
en  paroles  et  de  lui  être  extrêmement  rudes  :  ce  que  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  permit  pour  sa  grande  perfection. 

Plus  son  amour  croissait,  plus  les  grâces  de  son  Bien-Aimé  se  multi- 
pliaient. Elle  avait  souvent  des  extases  et  des  ravissements  :  son  corps, 
secondant  les  ardeurs  de  son  âme,  s'élevait  au-dessus  de  la  terre  et  demeu- 
rait suspendu  en  l'air.  Ce  qui  lui  est  arrivé  un  jour,  entre  autres,  en  pré- 
sence de  Dom  Alvarès  de  Mondosa,  évêque  d'Avila,  lequel  voulant  la  com- 
munier, la  trouva  élevée  au-dessus  de  la  fenêtre  par  laquelle  les  religieuses 
recevaient  ordinairement  la  sainte  hostie.  Pendant  deux  ans,  Notre-Seigneur 
était  presque  toujours  à  son  côté  pour  l'instruire,  la  consoler,  la  fortifier 
et  la  porter  à  des  actions  dignes  de  la  grandeur  de  son  amour.  Ensuite, 
cette  présence  sensible -fut  changée  en  une  admirable  et  continuelle  assis- 
tance des  trois  personnes  divines,  qui  se  faisaient  voir  à  elle  de  la  manière 
qu'une  créature  encore  mortelle  est  capable  de  voir  un  Dieu  immortel  :  ce 
qui  dura  quatorze  ans,  et  presque  jusqu'à  sa  mort.  Elle  fut  aussi  honorée 
des  visites  de  la  sainte  Vierge,  de  saint  Joseph,  des  apôtres  saint  Pierre  et 
saint  Paul,  des  dix  mille  Martyrs,  de  saint  Dominique,  de  saint  François, 
de  sainte  Catherine,  de  sainte  Glaire  et  de  quantité  d'autres  Saints  et  Saintes 
qui  se  plaisaient  à  converser  avec  cette  véritable  amante  de  leur  souverain 
Seigneur. 

Thérèse,  de  son  côté,  achetait  ces  faveurs  par  une  vigilance  sur  elle- 
même,  par  une  fidélité  merveilleuse  et  par  des  pénitences  extraordinaires 
dont  elle  châtiait  continuellement  son  corps.  Il  est  vrai  que  dans  les  com- 
mencements de  sa  conversion  ses  grandes  maladies  l'empêchèrent  de  se 
tourmenter  ;  mais  comme  elles  continuaient  toujours^et  qu'elle  n'espérait 
pas  d'en  voir  la  fin,  elle  résolut  de  n'y  avoir  plus  d'égard  et  de  ne  laisser 
pas,  quelque  faible  et  infirme  qu'elle  fût,  de  s'affliger  tous  les  jours  par  de 
nouveaux  supplices.  Elle  se  revêtit  sur  sa  chair  nue  d'un  cilice  de  ferblanc, 
percé  de  tous  côtés  à  la  façon  d'une  râpe,  qui  lui  raclait  et  écorchait  toute 
la  peau.  Elle  se  mettait  souvent  tout  en  sang,  tantôt  avec  des  ronces  et  des 
orties,  tantôt  avec  des  cordes  garnies  par  le  bout  de  pointes  de  fer,  tantôt 
avec  un  trousseau  de  clefs.  Ses  veilles  et  ses  jeûnes  étaient  excessifs  ;  elle 
versait  des  larmes  en  si  grande  abondance,  qu'elles  seules  étaient  capables 
de  lui  épuiser  tout  le  corps.  Enfin,  elle  avait  mille  autres  moyens  pour  se 
faire  souffrir.  Si  le  démon  ou  la  chair  et  même  ses  amis  lui  représentaient 
le  peu  qui  lui  restait  de  santé,  elle  répondait  en  un  mot  :  >  Il  n'importe  ; 
aussi  bien  dois-je  mourir  ».  Et  lorsqu'on  voulait  lui  persuader  de  prendre 
du  repos,  elle  disait  :  «  Je  n'en  ai  pas  besoin  maintenant,  mais  de  souffrances 
et  de  croix  ». 

Le  zèle  pour  la  gloire  de  son  Epoux  ne  pouvait  jamais  être  rassasié.  Elle 


i5   OCTOBRE. 

s'efforça  de  rétablir  l'Ordre  de  Notre-Dame  du  Mont-Carmel,  dont  elle  était 
religieuse,  en  sa  première  vigueur,  par  l'entière  et  la  parfaite  observance  delà 
Règle  qu'il  a  reçue  des  mains  de  saint  Albert,  patriarche  de  Jérusalem.  Elle 
connaissait  les  désordres  que  les  Luthériens  et  les  Calvinistes  causaient  dans 
l'Allemagne  et  dans  la  France,  ruinant  les  églises,  profanant  les  autels, 
dispersant  les  reliques  des  Saints,  et  faisant  tous  les  sacrilèges  que  la  rage 
du  démon  peut  inspirer  à  des  hérétiques  furieux  et  désespérés  :  «  Il  est  bien 
raisonnable  »,  disait-elle,  «  que,  pendant  que  les  ennemis  de  Jésus-Christ 
ruinent  les  temples  sacrés  que  nos  pères  lui  ont  dédiés,  nous  en  bâtissions 
de  nouveaux  pour  réparer  son  honneur,  et  que  nous  ne  témoignions  pas 
moins  d'ardeur  à  son  service  que  ces  instruments  de  l'enfer  ne  font  paraître 
de  fureur  et  de  rage  contre  lui  ».  D'abord,  elle  conféra  de  ce  dessein  avec 
quelques  vertueuses  filles  de  son  monastère  de  l'Incarnation  ;  elles  entrèrent 
tellement  dans  ses  sentiments,  qu'une  d'entre  elles,  qui  était  sa  nièce  et 
encore  pensionnaire,  offrit  mille  ducats  pour  acheter  une  maison  à  cette 
fin.  Madame  Marie  Guyaumar,  son  intime  amie  et  l'une  des  plus  considé- 
rables de  la  ville  d'Avila,  goûta  aussi  cette  entreprise  et  promit  de  fournir 
à  la  subsistance  des  religieuses  qui  la  commenceraient.  L'affaire  fut  recom- 
mandée à  Noire-Seigneur  par  beaucoup  de  prières  et  de  larmes,  afin  qu'il 
lui  donnât  sa  bénédiction  et  qu'il  lui  ouvrît  les  moyens  de  l'exécuter.  Le 
jour  suivant,  Thérèse,  faisant  son  action  de  grâces  après  la  communion, 
ce  divin  Amant  lui  apparut,  et  après  avoir  témoigné  qu'il  approuvait  son 
dessein,  qui  était  pour  sa  plus  grande  gloire,  il  lui  donna  assurance  que  ce 
couvent  de  l'étroite  observance  se  ferait,  et  que  sa  divine  Majesté  y  serait 
servie  dans  une  grande  ferveur.  Puis  il  lui  commanda  de  l'appeler  de  Saint- 
Joseph,  et  lui  dit  que  ce  glorieux  patriarche  serait  à  une  des  portes  pour  le 
garder,  que  Marie,  sa  très-sainte  Mère,  le  garderait  à  l'autre  porte,  et  que 
lui-même  se  tiendrait  au  milieu,  afin  de  le  soutenir  contre  toutes  les  puis- 
sances du  monde  et  de  l'enfer.  On  ne  peut  croire  les  obstacles  que  le  dé- 
mon fit  mettre  de  tous  côtés  à  cette  nouvelle  fondation  :  les  uns  s'en  mo- 
quèrent comme  d'une  entreprise  impossible;  les  autres  prévinrent  les 
supérieurs  pour  empêcher  qu'ils  y  donnassent  les  mains  ;  d'autres  enfin 
décrièrent  la  sainte  mère  comme  une  fille  inquiète,  ambitieuse  et  pleine 
d'imaginations  folles  et  ridicules.  Cependant,  avec  la  permission  de  l'évêque 
et  du  provincial  des  Carmes,  et  l'approbation  de  plusieurs  saints  person- 
nages de  divers  Ordres,  on  acheta  secrètement  une  maison,  on  travailla  à 
la  disposer  en  forme  de  monastère,  et  on  écrivit  diligemment  à  Rome,  afio 
d'obtenir  du  Pape  les  pouvoirs  nécessaires  pour  cet  établissement. 

L'affaire  tira  extrêmement  en  longueur,  parce  que  Thérèse  n'avait 
guère  d'argent  pour  continuer  l'édifice;  de  plus,  le  bref  fut  longtemps  à 
être  expédié  dans  les  formes  qu'il  devait  l'être,  pour  prévenir  toutes  sortes 
de  contestations  °.t  de  procès.  Pendant  cet  intervalle,  le  provincial  des 
Carmes,  que  l'on  &yait  beaucoup  refroidi  sur  cette  affaire  et  qui  avait  même 
rétracté  sa  permission,  envoya  un  commandement  à  Thérèse  de  se  trans- 
porter, au  plus  tôt,  à  Tolède  pour  y  consoler  Marie  de  la  Cerda,  qui  venait 
de  perdre  son  mari.  Elle  obéit  incontinent  à  son  ordre,  sans  que  ni  la  né- 
cessité de  sa  présence  pour  la  perfection  de  son  édifice,  ni  le  conseil  de  plu- 
sieurs personnes  qui  étaient  d'avis  qu'elle  s'excusât  par  lettre  de  cette 
obéissance,  la  fissent  balancer  là-dessus  d'un  seul  moment.  Dieu  fit  son 
affaire  en  son  absence.  Elle  demeura  six  mois  chez  cette  dame;  et,  la  nuit 
môme  qu'elle  revint  à  Avila,  le  bref  du  Pape  qu'elle  attendait  arriva;  et 
l'évêque,  à  qui  il  s'adressait  et  qui  devait  être  le  supérieur  de  ce  nouveau 


SAINTE  THÉRÈSE  D\AVILA,  VIERGE.  365 

monastère,  se  trouva  dans  la  ville  pour  en  faire  l'établissement.  Il  était  à 
craindre  qu'il  refusât  d'y  consentir,  parce  que  la  sainte  Mère  voulait  qu'il 
fût  sans  aucune  rente  et  fondé  seulement  sur  la  pauvreté.  Mais  saint  Pierre 
d'Alcantara,  qui  était  aussi  en  même  temps  dans  Avila,  et  à  qui  ses  vertus 
incomparables  et  ses  grands  miracles  donnaient  un  crédit  extraordinaire, 
lui  écrivit  dans  des  termes  si  forts  et  si  touchants  (une  maladie  violente 
l'empêchait  de  l'aller  trouver  lui-même),  qu'il  donna  son  consentement  à 
tout  ce  qu'on  voulut.  Ainsi,  l'an  1562,  le  jour  de  Saint-Barthélémy,  le  Saint- 
Sacrement  fut  mis,  par  son  autorité,  dans  la  maison  que  l'on  avait  dispo- 
sée, et  à  laquelle  on  donna  le  nom  de  Saint- Joseph;  et  la  sainte  Mère,  qui 
était  sortie  de  son  couvent  de  l'Incarnation  pour  une  maladie  de  son  beau- 
frère,  donna  l'habit  de  Carmélite  déchaussée  de  l'étroite  Observance  à 
quatre  novices,  qui,  véritablement,  n'apportaient  point  de  dot,  mais  étaient 
des  filles  très-vertueuses  et  pleines  de  force  et  de  générosité  pour  porter 
toute  l'austérité  de  la  Règle. 

L'année  de  ce  commencement  de  la  réforme  de  Notre-Dame  du  Mont- 
Carmel  est  très-considérable,  puisque  c'est  la  même  où  les  Calvinistes, 
s'étant  rendus  maîtres,  par  la  force  des  armes,  de  plusieurs  grandes  villes 
de  France,  y  commirent  les  sacrilèges  les  plus  exécrables  qui  aient  jamais 
été  commis  par  les  hérétiques.  Car  sans  parler  des  prêtres  et  des  religieux 
qu'ils  massacrèrent  avec  des  cruautés  inouïes,  des  corps  des  Saints  qu'ils 
tirèrent  de  leurs  châsses  ou  de  leurs  tombeaux  pour  les  brûler  et  en  jeter 
les  cendres  au  vent,  des  églises  qu'ils  abattirent,  des  autels  qu'ils  profa- 
nèrent et  des  images  sacrées  qu'ils  mirent  en  pièces,  ils  foulèrent  aux  pieds 
en  une  infinité  d'endrçits  le  corps  et  le  sang  précieux  de  Jésus-Christ;  puis, 
ayant  pillé  les  calices,  les  corporaux  et  les  autres  meubles  dédiés  au 
saint  ministère,  ils  les  convertirent  en  des  usages  profa'nes.  Par  un  effet 
admirable  de  la  Providence,  dans  le  même  temps  que  ces  impies  s'efforçaient 
d'abolir  en  France  toutes  les  marques  de  la  véritable  religion,  une  simple 
fille,  destituée  de  tout  secours  humain,  commençait  en  Espagne  une  sainte 
Congrégation,  qui  ne  devait  pas  bâtir  moins  d'églises  et  ériger  moins  d'au- 
tels, dans  toute  l'étendue  du  monde  chrétien,  que  la  fureur  de  ces  monstres 
n'en  avait  abattus,  et  qui  devait  compenser  leurs  actions  abominables  par 
la  pratique  fidèle  et  constante  des  plus  saints  exercices  de  la  vie  chrétienne 
et  religieuse. 

Si  le  démon  s'était  déchaîné  contre  les  premiers  projets  du  monastère 
de  Saint-Joseph,  il  ne  fit  pas  de  moindres  efforts  pour  Je  ruiner  après  son 
établissement.  D'abord  il  excita  dans  le  cœur  de  la  sainte  Mère  un  scrupule 
de  n'avoir  pas  gardé  assez  exactement  les  Règles  de  l'obéissance  dans  la 
conduite  de  son  entreprise,  et  une  répugnance  extrême  de  laisser  son  cou- 
vent de  l'Incarnation,  où  elle  s'était  toujours  trouvée  fort  bien,  pour  venir 
loger  dans  une  si  pauvre  maison.  Mais  cette  tentation  se  dissipa  bientôt  : 
car  il  plut  à  la  bonté  de  Dieu  d'éclairer  notre  Sainte  par  une  lumière  cé- 
leste ;  et  elle  prit  aux  pieds  du  Saint-Sacrement  la  résolution  de  poursuivre 
incessamment  la  permission  de  demeurer  dans  ce  nouveau  monastère.  L'en- 
nemi eut  recours  à  d'autres  armes  :  il  mit  dans  la  tête  du  gouverneur,  des 
échevins  et  des  principaux  bourgeois  d'Avila,  que  le  couvent  de  Saint-Jo- 
seph serait  trop  à  charge  à  la  ville,  et  que,  le  nombre  des  pauvres  maisons 
y  étant  déjà  assez  grand,  il  ne  serait  pas  prudent  de  souffrir  l'établissement 
de  celle-ci.  Ainsi,  Thérèse  eut  ordre  de  s'en  retourner,  sans  aucun  délai, 
dans  sa  maison  de  profession,  et  de  ne  se  mêler  jamais  de  celle  de  Saint- 
Joseph  ;  puis  l'on  mit  en  délibération  d'en  abattre  les  bâtiments,  de  ren- 


366  13   OCTOBRE. 

voyer  les  novices  chez  leurs  parents,  et  de  ruiner  entièrement  ces  commen- 
cements de  réforme.  Thérèse  obéit  sans  contradiction,  abandonnant  son 
œuvre  à  la  sage  Providence  de  Dieu  qui  en  était  l'auteur;  mais,  pour  le 
reste,  on  n'en  vint  pas  à  l'exécution;  car  le  Révérend  Père  Dominique  Ban- 
nez,  ce  savant  et  pieux  docteur  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique,  et  le  Révé- 
rend Père  Pierre  Yvagnez,  du  même  Ordre,  homme  très-versé  dans  les 
choses  spirituelles,  négocièrent  si  adroitement  cette  affaire,  que  toute  la 
tempête  se  dissipa.  On  permit  même,  enfin,  à  la  sainte  Mère  de  quitter 
pour  toujours  son  couvent  de  l'Incarnation,  et  de  venir  dans  celui  de  Saint- 
Joseph,  avec  autant  de  religieuses  du  premier  qu'elle  en  trouverait  de  dis- 
posées pour  embrasser  sa  réforme.  Quatre  seulement  l'accompagnèrent;  et 
avec  cette  petite  troupe,  elle  entra  joyeuse  et  triomphante  dans  sa  chère 
Bethléem,  où  elle  fut  reçue  avec  une  joie  incroyable  par  les  quatre  novices 
qu'elle  y  avait  laissées  toutes  seules.  Notre-Seigneur  combla  la  joie  de  cette 
solennité  par  des  grâces  extraordinaires  dont  il  eut  la  bonté  de  la  favori- 
ser :  car,  lui  étant  apparu,  non-seulement  il  la  remercia  de  ce  qu'elle  avait 
fait  et  enduré  pour  le  rétablissement  de  l'Ordre  de  sa  bienheureuse  Mère; 
mais  il  lui  mit  aussi  une  couronne  d'or  sur  la  tête,  marque  de  la  victoire 
qu'elle  avait  remportée  sur  toutes  les  puissances  de  l'enfer  ;  et,  d'ailleurs, 
la  sainte  Vierge  se  fit  voir  à  elle  avec  un  grand  manteau,  dont  elle  la  cou- 
vrait avec  toutes  ses  filles  qui  s'étaient  rangées,  et  qui  devaient  dans  la  suite 
se  ranger  sous  sa  conduite. 

Le  dessein  de  notre  admirable  Réformatrice,  dans  ce  nouvel  établisse- 
ment, n'était  pas  d'y  commander,  mais  d'y  observer  exactement  tous  les 
points  de  la  Règle  de  son  Ordre  dans  l'état  de  soumission  et  d'obéissance. 
Ainsi,  dès  qu'elle  eut  fondé  son  monastère,  elle  nomma  une  des  huit  reli- 
gieuses prieure,  une  autre  sous-prieure,  et  ne  se  réserva  pour  elle  que  le 
bonheur  de  leur  obéir.  Mais  les  supérieurs  en  ordonnèrent  autrement;  car, 
connaissant  combien  il  était  nécessaire  que  celle  qui  avait  produit  cette 
heureuse  plante  eût  aussi  le  soin  de  la  cultiver,  ils  lui  commandèrent  de 
gouverner  la  maison  de  Saint-Joseph  en  qualité  de  première  prieure.  Elle 
refusa  autant  qu'elle  put  d'accepter  cette  charge,  qui  lui  avait  toujours 
paru  très-pesante;  mais  il  ne  lui  fut  pas  possible  de  s'en  exempter  :  elle 
commença  par  une  inspiration  divine  de  prescrire  à  ses  filles  la  ma- 
nière de  vivre  qu'elles  devaient  observer,  conformément  au  premier  esprit 
de  leur  Règle. 

Voici  l'ordre  des  exercices  qui  était  suivi  à  Saint-Joseph  d'Avila,  et  qui, 
sauf  de  légères  différences,  s'observe  encore  de  nos  jours  dans  les  monas- 
tères des  filles  de  sainte  Thérèse.  A  neuf  heures  du  soir  les  religieuses  se 
réunissaient  au  chœur  pour  chanter  Matines  et  Laudes.  L'office  terminé, 
elles  faisaient  l'examen  de  conscience.  On  lisait  ensuite  les  points  de  la  mé- 
ditation du  lendemain.  Ces  exercices  duraient  jusqu'à  onze  heures  environ. 
On  donnait  alors  le  signal  du  repos.  Elles  se  levaient  à  cinq  heures  depuis 
le  jour  de  Pâques  jusqu'au  14  septembre,  et  à  six  dans  les  autres  temps. 
Après  le  lever,  elles  employaient  une  heure  entière  à  l'oraison  mentale. 
L'oraison  terminée,  elles  disaient  les  petites  heures,  et  entendaient  la  sainte 
messe.  Chacune  se  retirait  ensuite  dans  sa  cellule,  ou  dans  le  lieu  de  son 
office,  pour  s'y  occuper  au  travail.  La  Sainte  voulut  qu'elles  travaillassent 
à  part  et  non  dans  une  salle  commune,  afin  qu'elles  pussent  plus  facile- 
ment se  maintenir  en  la  présence  de  Notre-Seigneur  et  continuer  de  s'en- 
tretenir avec  lui.  Quelque  temps  avant  le  repas,  on  donnait  le  signal  pour 
faire  l'examen  de  conscience.  Les  jours  de  jeûne  de  l'Ordre,  le  dîner  était 


SAINTE  THÉRÈSE  d'AVILA,   VIERGE.  367 

à  onze  heures;  les  jours  de  jeûne  de  l'Eglise,  à  onze  heures  et  demie;  dans 
les  autres  temps,  à  dix  heures.  Le  jeûne  commençait  le  14  septembre,  fête 
de  l'Exaltation  de  la  sainte  Croix,  et  se  prolongeait  jusqu'à  Pâques.  Après 
le  repas,  qui  était  toujours  accompagné  d'une  pieuse  lecture,  les  religieuses 
se  réunissaient  pour  prendre  ensemble  leur  récréation;  mais  durant  ce 
temps  elles  devaient  s'occuper  à  quelque  travail.  A  deux  heures,  elles  se 
rendaient  au  chœur  pour  chanter  Vêpres.  Chaque  religieuse  se  retirait  en- 
suite dans  sa  cellule  pour  faire  une  lecture  spirituelle.  Après  cette  lecture, 
elles  s'occupaient  de  leurs  travaux  ou  de  leurs  offices  jusqu'à  Compiles.  Les 
Complies  étant  récitées,  les  religieuses  consacraient  de  nouveau,  comme 
le  matin,  une  heure  entière  à  l'oraison.  Venait  ensuite  le  repas  qui  était 
suivi  de  la  récréation.  A  la  fin  de  la  récréation  on  donnait  le  signal  du 
grand  silence  qui  devait  s'observer  jusqu'au  lendemain  après  la  récitation 
de  Prime. 

Sainte  Thérèse  était  la  Règle  vivante  de  toute  sa  communauté,  par  son 
exactitude  à  la  psalmodie,  à  l'oraison  mentale,  à  l'assistance  des  malades 
dans  l'infirmerie,  et  même  aux  offices  les  plus  bas  de  la  maison.  Elle  de- 
meura cinq  ans  dans  ce  couvent  de  Saint- Joseph  avec  beaucoup  de  conso- 
lation et  de  repos.  Toutes  les  religieuses  se  portaient  d'elles-mêmes  à  ce 
qui  était  le  plus  parfait,  et  ceux  de  la  ville  qui  avaient  été  le  plus  contraires 
à  sa  fondation,  étaient  les  premiers  à  bénir  Dieu  de  l'avoir  soutenue  contre 
leurs  vaines  entreprises.  Mais  ce  n'était  pas  là  le  terme  des  services  que 
Notre-Seigneur  attendait  de  sa  chère  Epouse  :  un  jour  qu'elle  le  priait  les 
larmes  aux  yeux  et  avec  de  grandes  instances  de  lui  découvrir  les  moyens 
de  lui  gagner  de  nouvelles  âmes  qui  fussent  toutes  embrasées  de  son  amour, 
il  lui  apparut  et  lui  dit  :  «  Attendez,  ma  fille,  et  vous  verrez  de  grandes 
choses  ».  En  effet,  peu  de  temps  après,  le  Révérendissime  Père  général  des 
Carmes  vint  faire  sa  visite  en  Espagne,  et,  ayant  entretenu  sainte  Thérèse 
et  toute  sa  communauté,  il  fut  tellement  édifié  de  voir  refleurir  parmi  elles 
la  première  ferveur  de  son  Ordre,  qu'il  permit  à  la  Sainte  de  fonder  autant 
de  maisons  qu'elle  en  trouverait  l'occasion,  non-seulement  pour  les  filles, 
mais  aussi  pour  les  hommes.  Ce  fut  là  sans  doute  pour  Thérèse  un  grand 
champ  où  elle  pouvait  exercer  son  zèle  et  faire  paraître  l'ardeur  qu'elle 
avait  pour  la  gloire  de  son  divin  Amant.  Elle  fit  la  seconde  fondation  pour 
des  religieuses  à  Médina  del  Campo;  la  troisième  à  Malaga;  la  quatrième  à 
Valladolid;  la  cinquième  à  Tolède;  la  sixième  à  Pastrane;  la  septième  à 
Salamanque;  la  huitième  à  Alve;  la  neuvième  à  Ségovie;  la  dixième  à  Véas. 
Elle  en  fit  encore  à  Séville,  à  Caravaque,  à  Villeneuve-de-Xérès,  à  Palence, 
à  Numance,  à  Grenade  et  à  Burgos.  Et  pour  des  religieux,  elle  eut  la  con- 
solation d'en  voir  quinze  couvents  établis  pendant  sa  vie,  et  même  un  à 
Gênes,  et  un  autre  dans  le  Mexique,  où  l'étroite  Observance  était  gardée 
avec  une  sainte  ferveur. 

Nous  n'entreprenons  pas  de  décrire  ici  les  peines  qu'elle  eut  à  essuyer, 
les  persécutions  qu'elle  surmonta,  ni  les  actes  héroïques  de  prudence,  de 
force  et  de  confiance  en  Dieu  qu'elle  fit  paraître  dans  toutes  ces  fondations. 
Jamais  œuvre  ne  fut  plus  traversée,  et  jamais  œuvre  ne  fut  conduite  avec 
plus  de  sagesse,  de  modération  et  de  fermeté  que  celle-ci.  Elle  en  a  elle- 
même  composé  l'histoire  fort  au  long,  dans  un  livre  intitulé  De  ses  fonda- 
tions, auquel  les  lecteurs  pourront  avoir  recours.  Dans  ses  voyages,  elle 
était  aussi  recueillie  et  unie  à  Dieu,  et  elle  y  gardait  aussi  exactement  sa 
Règle  que  dans  la  solitude  de  ses  monastères.  Son  Epoux  céleste  la  visitait 
dans  la  campagne  comme  dans  le  secret  de  son  oratoire,  et  il  lui  faisait 


368  *5  OCTOBRE. 

paraître  partout  des  tendresses  inestimables.  Il  lui  découvrait  de  grands 
secrets,  lui  révélait  les  choses  à  venir,  lui  prescrivait  ce  qu'elle  avait  à  faire  ; 
et,  un  jour,  il  lui  dit  avec  des  témoignages  d'une  amitié  toat  extraordi- 
naire :  Deinceps,  ut  vera  Sponsa,  meurn  zelabis  honorem.  Jam  ipse  sum  totus 
tuuset  tu  totamea;  «  désormais,  comme  une  véritable  Epouse,  vous  serez 
remplie  du  zèle  de  ma  gloire.  Je  suis  maintenant  tout  à  vous,  et  vous,  par 
un  bienheureux  retour,  vous  êtes  aussi  toute  à  moi  ».  Cependant,  quelque 
commandement  qu'elle  reçût  dans  ses  révélations,  elle  ne  s'éloignait  jamais 
de  l'obéissance  de  ses  supérieurs;  parce  que,  disait-elle,  je  puis  me  trom- 
per en  prenant  une  fausse  révélation  pour  une  véritable,  mais  je  ne  puis 
me  tromper  en  obéissant  à  ceux  que  Dieu  m'a  donnés  pour  me  conduire. 

Pendant  l'intervalle  de  ces  fondations,  la  sainte  Mère  fut  deux  fois  élue 
prieure  du  monastère  de  l'Incarnation  d'Avila,  où  elle  avait  fait  profession  ; 
une  fois  par  le  Révérend  Père  Pierre  Fernandez,  de  l'Ordre  de  Saint-Domi- 
nique, que  Sa  Sainteté  avait  nommé  visiteur  apostolique  des  Carmes  d'Es- 
pagne, et  une  autre  fois  par  les  suffrages  de  toutes  les  religieuses.  Pour  la 
première  fois,  elle  y  alla  et  y  fit  des  merveilles,  tant  pour  le  spirituel  que 
pour  le  temporel  de  la  maison >  qui  étaient  également  en  désordre.  Pour  la 
seconde  fois,  Notre-Seigneur  ne  permit  pas  qu'elle  y  fût  confirmée,  afin 
qu'elle  pût  s'appliquer,  avec  plus  de  repos,  au  gouvernement  de  ses  nou- 
veaux monastères.  Mais,  enfin,  en  l'année  1580,  le  pape  Grégoire  XIII  sépara 
entièrement  la  réforme  des  Carmes  et  des  Carmélites  déchaussés  qu'elle 
avait  faite,  des  Carmes  mitigés,  sans  que  les  provinciaux  de  celui-ci  pussent 
prendre  dans  la  suite  aucune  autorité  sur  les  couvents  des  Déchaussés.  Cette 
séparation  fut  comme  le  sceau  de  son  institut.  Elle  lui  survécut  deux  ans. 
Comme  son  couvent  de  Saint-Joseph  était  soumis  à  l'évêque,  tandis  que 
tous  les  autres  qu'elle  avait  établis  depuis  étaient  dans  la  dépendance  des 
supérieurs  de  l'Ordre,  elle  fit  en  sorte  que  le  premier  suivît  la  forme  des 
autres  :  de  façon  qu'elle  les  laissa  tous  sous  la  conduite  et  le  gouvernement 
des  Pères  qu'elle-même  avait  établis.  Ainsi,  Dieu  lui  accorda  deux  ans  de 
calme  avant  son  décès;  mais,  avant  d'en  venir  à  cette  heure  bienheureuse 
qui  l'unit  à  Jésus-Christ,  son  cher  époux,  pour  toute  l'éternité,  il  est  néces- 
saire que  nous  fassions  quelques  réflexions  sur  les  vertus  dont  elle  a  donné 
de  si  rares  exemples  dans  toute  sa  vie. 

Sa  foi  était  si  grande,  qu'il  semblait  qu'elle  vît  ce  qu'elle  croyait.  Elle  a 
laissé  par  écrit  qu'elle  n'a  jamais  eu  de  tentation  contre  cette  vertu.  Moins 
elle  entendait  un  mystère,  plus  elle  avait  d'affection  et  de  dévotion  à  le 
croire.  Elle  voulait  que  ses  filles  fussent  simples  et  nullement  curieuses, 
principalement  dans  les  points  de  la  doctrine  de  la  foi.  Ses  lumières  ont 
toujours  été  si  pures  et  sa  doctrine  si  sainte,  qu'elle  n'eut  jamais  sujet  d'ap- 
préhender l'examen  des  inquisiteurs;  aussi  ses  écrits  sont-ils  sortis  de  leurs 
mains  sans  qu'ils  y  aient  changé  une  lettre.  Ce  qui  lui  donnait  plus  de  joie, 
c'était  qu'elle  avait  le  bonheur  d'être  fille  de  l'Eglise.  Il  n'y  a  point  de  pra- 
tiques et  de  cérémonies  de  cette  même  Eglise  qu'elle  n'estimât  extrême- 
ment et  pour  lesquelles  elle  n'eût  un  profond  respect.  Elle  honorait  les 
images,  et  faisait  grand  cas  des  indulgences,  de  l'eau  bénite,  du  pain  bénit, 
des  Agnus  Dei  et  autres  choses  semblables,  qui  sont  des  instruments  dont 
Dieu  se  sert  pour  notre  protection  et  pour  notre  sanctification.  Elle  disait 
qu'elle  donnerait  volontiers  sa  vie  pour  en  défendre  la  sainteté.  Les  maux 
que  les  hérétiques  faisaient  de  tous  côtés  dans  le  christianisme  lui  causaient 
une  douleur  inexplicable.  Elle  les  pleurait  continuellement  aux  pieds  de 
son  Epoux,  et  faisait  une  infinité  de  pénitences  pour  en  arrêter  le  cours,  et 


SAINTE   THÉRÈSE   D'AVILA,   VIERGE.  369 

l'un  de  ses  plus  grands  regrets  était  que  son  sexe  l'empêchât  d'aller  par 
tout  le  monde  combattre  publiquement  l'hérésie. 

Les  fondations  de  ses  couvents  sont  autant  de  preuves  de  sa  confiance 
inébranlable  dans  le  secours  de  Dieu.  Lorsque  toutes  choses  lui  manquaient, 
que  ses  affaires  lui  paraissaient  le  plus  désespérées,  qu'il  ne  lui  restait  plus 
d'argent,  qu'elle  n'avait  qu'un  peu  de  pain  et  un  peu  d'eau  pour  elle  et  pour 
ses  filles,  avec  de  la  paille  pour  se  coucher,  et  que  toutes  les  puissances 
ecclésiastiques  et  laïques  s'étaient  unies  ensemble  pour  traverser  et  ruiner 
les  bonnes  œuvres  que  le  Saint-Esprit  lui  avait  inspirées ,  c'était  alors 
qu'elle  était  plus  tranquille  et  plus  ferme  dans  l'attente  de  la  protection 
divine.  Jamais  aucune  persécution  ne  l'a  troublée  et  ne  lui  a  fait  abandon- 
ner ce  que  Notre-Seigneur  demandait  d'elle,  ce  qu'elle  avait  entrepris  avec 
le  conseil  de  ses  directeurs  et  la  permission  de  ses  supérieurs.  Aussi  a-t-elle 
éprouvé  une  infinité  de  fois  combien  Dieu  est  libéral  et  magnifique  envers 
les  personnes  qui  espèrent  en  lui.  En  un  moment,  ceux  qui  étaient  le  plus 
animés  contre  e^e  changeaient  de  sentiment  et  se  faisaient  ses  protec- 
teurs; ce  qui  semblait  devoir  ruiner  ses  desseins,  servait  au  contraire 
à  les  faire  mieux  réussir  :  on  lui  apportait  des  meubles,  des  vivres  et  de 
l'argent  de  divers  endroits,  dont  elle  en  pouvait  le  moins  espérer.  Ceux 
qui  l'avaient  calomniée  et  qui  voulaient  la  faire  passer  pour  une  hypocrite, 
étaient  obligés  d'avouer  sa  sainteté ,  sans  qu'elle  eût  ouvert  la  bouche 
ni  rien  écrit  pour  sa  défense.  Enfin,  Dieu  veillait  et  travaillait  pour  elle, 
parce  qu'elle  ne  cherchait  que  sa  gloire  et  qu'elle  se  reposait  entièrement 
sur  lui. 

Toutes  ses  paroles  et  ses  actions  sortaient  du  grand  brasier  de  l'amour 
divin  dont  son  cœur  était  embrasé.  Par  cet  amour,  elle  se  réjouissait  infi- 
niment de  ce  que  Dieu  est  ce  qu'il  est,  et  possède  les  trésors  inestimables 
de  gloire  et  de  bonheur  renfermés  dans  son  essence.  Par  cet  amour,  elle 
prenait  part  à  tout  l'honneur  qu'il  reçoit  dans  le  ciel  par  les  adorations  des 
Anges  et  des  Saints,  et  sur  la  terre  par  les  actes  de  religion  de  tous  ses 
fidèles  serviteurs.  Par  cet  amour,  elle  concevait  une  allégresse  inexplicable 
lorsqu'on  chantait,  au  symbole  de  la  messe,  que  son  règne  n'aura  jamais 
de  fin  :  Cujus  regni  non  erit  finis.  Par  cet  amour,  elle  eût  donné  mille  vies 
pour  bannir  le  péché  du  monde  et  pour  gagner  tous  les  cœurs  à  son  ser- 
vice. Par  cet  amour,  elle  pleurait  inconsolablement  les  crimes  et  les  abo- 
minations dont  elle  savait  que  la  terre  était  remplie,  et  elle  faisait  des 
austérités  étranges  pour  y  satisfaire.  Par  cet  amour;  elle  se  retirait  des 
compagnies  et  de  la  conversation  avec  les  créatures,  autant  qu'il  lui  était 
possible,  afin  d'être  seule  à  seul  avec  son  Bien-Aimé.  Par  cet  amour,  elle 
désirait  avec  une  sainte  impatience  d'être  délivrée  de  la  prison  de  son  corps, 
afin  d'aller  jouir  au  plus  tôt  des  aimables  embrassements  de  la  Divinités 
Par  cet  amour,  elle  était  insatiable  de  croix  et  répétait  souvent  ces  belles 
paroles  :  Aut  pati  aut  mori  :  «  Je  ne  puis  vivre  sans  souffrir  :  il  faut  que  je 
souffre  ou  que  je  meure  ».  Par  cet  amour,  toutes  ses  peines,  quelque 
grandes  qu'elles  fussent,  lui  semblaient  petites,  et  il  n'y  avait  point  de  tra- 
vaux qu'elle  n'entreprît  avec  joie  pour  l'avancement  de  sa  gloire.  Par  cet 
amour,  elle  ne  vivait  que  de  lui,  ne  parlait  que  de  lui,  ne  pouvait  goûter 
que  lui,  et  tous  les  plaisirs  du  monde,  hors  de  lui,  lui  semblaient  insuppor- 
tables. Par  cet  amour,  elle  fit  ce  vœu,  si  éminent  et  si  difficile  à  accomplir, 
et  dont  avant  elle  il  n'y  avait  point  d'exemple  dans  les  Actes  des  Saints,  de 
faire  toujours  ce  qu'elle  croirait  le  plus  parfait  et  le  plus  agréable  aux  yeux 
de  sa  divine  Majesté.  Enfin,  cet  amour  était  tellement  le  maître  de  toutes 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  24 


370  *3   OCTOBRE. 

ses  facultés,  qu'elle  lui  obéissait  en  tout  et  qu'elle  ne  taisait  rien  que  par 
son  mouvement.  Notre-Seigneur  a  répondu  à  cet  amour  par  des  grâces  et 
par  des  tendresses  presque  incroyables.  Nous  avons  déjà  remarqué  qu'il 
l'honorait  souvent  de  sa  présence,  qu'il  s'entretenait  souvent  avec  elle  et 
qu'il  lui  découvrait  de  grands  secrets  que  nul  homme  ne  pouvait  savoir.  Un 
jour  le  Père  éternel  se  fit  sentir  à  elle  et  lui  dit  :  «  Ma  fille,  je  t'ai  donné 
mon  Fils,  le  Saint-Esprit  et  cette  Vierge  »,  et  il  lui  montrait  Notre-Dame  ; 
«  que  peux-tu  me  donner  en  échange  ?  »  Une  autre  fois,  Jésus-Christ  se  mit 
devant  elle,  et,  lui  présentant  sa  main  droite,  percée  d'un  clou,  il  lui  dit  : 
«  Regarde  bien  ce  clou,  c'est  le  signe  du  mariage  sacré  que  je  contracte 
avec  toi  ;  désormais  tu  seras  mon  épouse,  et  personne  ne  sera  capable  de  te 
séparer  de  mon  amour  ».  Alors  il  se  fit  dans  son  âme  une  opération  de 
grâce  si  haute  et  si  parfaite,  qu'elle  n'en  pouvait  supporter  l'étendue,  et 
elle  fut  obligée  de  dire  à  son  époux,  ou  qu'il  augmentât  sa  capacité  ou  qu'il 
mît  plus  de  bornes  à  ses  grâces.  En  un  autre  temps,  qu'elle  faisait  son  action 
de  grâces  après  la  communion,  il  se  plaça  sensiblement  auprès  d'elle,  et, 
lui  prenant  les  mains,  il  les  porta  de  son  côté,  lui  disant  qu'il  l'avait  tou- 
jours dans  son  cœur  et  qu'il  ne  l'oublierait  jamais.  Lorsqu'elle  fonda  le 
monastère  de  Séville,  il  lui  rendit  une  visite  toute  singulière  et  lui  dit  :  «  Tu 
sais  bien,  ma  fille,  le  mariage  qui  est  entre  toi  et  moi  ;  ainsi  tu  es  toute  à 
moi  et  ce  que  j'ai  est  à  toi.  Mes  travaux  et  mes  douleurs  t'appartiennent  et 
tu  peux  en  demander  le  fruit  à  mon  Père  comme  d'une  chose  qui  t'est 
propre  ».  Elle  savait  déjà  bien  que  toutes  les  peines  du  Fils  de  Dieu  sont  à 
nous  ;  mais  elle  assure  qu'il  lui  en  fut  fait  alors  une  appropriation  si  spé- 
ciale, qu'il  lui  semblait  qu'on  l'avait  rendue  maîtresse  d'une  grande  sei- 
gneurie. En  d'autres  occasions  son  Epoux  l'a  assurée  qu'il  lui  accorderait 
tout  ce  qu'elle  lui  demanderait,  et  qu'il  avait  tant  d'amour  et  de  bienveil- 
lance pour  elle,  qu'il  ne  lui  pouvait  rien  refuser.  De  là  vient  qu'elle  lui  par- 
lait quelquefois  avec  une  familiarité  merveilleuse,  comme"  une  filie  bien- 
aimée  parlerait  à  son  père  et  une  épouse  à  son  époux. 

Il  y  aurait  des  choses  admirables  à  dire  sur  sa  dévotion  envers  le  saint 
Sacrement  de  l'autel,  suite  de  l'amour  de  Jésus-Christ.  Une  des  raisons  qui 
la  portaient  plus  puissamment  à  fonder  des  monastères,  c'était  qu'il  y  eût 
de  nouvelles  églises  où  on  dît  des  messes  et  où  le  saint  Sacrement  fût  adoré. 
Elle  communiait  le  plus  souvent  qu'il  lui  était  possible,  et  elle  obtint  enfin 
de  communier  tous  les  jours  :  ce  qu'elle  fit  pendant  vingt-trois  ans,  et  dès 
lors,  le  vomissement  qui  lui  prenait  tous  les  matins  cessa  et  elle  n'eut  plus 
que  celui  du  soir.  On  ne  peut  exprimer  la  pureté  de  cœur  et  la  ferveur  avec 
laquelle  elle  s'approchait  de  ce  grand  Mystère.  Elle  ne  le  faisait  jamais  sans 
se  confesser,  si  elle  se  sentait  coupable  du  moindre  péché  véniel  ;  les 
flammes  de  son  amour  s'augmentaient  alors  avec  tant  d'excès,  qu'elle  était 
comme  une  fournaise  ardente  et  un  grand  brasier  capable  de  tout  consu- 
mer. Sa  révérence  en  communiant  n'était  pas  moindre  que  si  elle  eût  vu, 
des  yeux  du  corps,  Notre-Seigneur  dans  tout  l'éclat  de  sa  majesté.  Comme 
elle  recommandait  extrêmement  à  toutes  ses  filles  de  bien  ménager  le 
temps  qu'il  était  dans  leur  estomac,  c'est-à-dire  autant  que  les  espèces 
sacramentelles  y  demeuraient  sans  être  consumées  par  la  chaleur  natu- 
relle, elle  n'avait  garde  de  perdre  un  temps  si  cher  et  si  précieux.  Tantôt 
elle  y  demeurait  aux  pieds  de  son  bon  Maître  comme  une  Madeleine  écou- 
tant ses  divines  leçons  ;  tantôt  elle  le  serrait  sur  son  cœur  et  l'embrassait 
comme  son  tout,  son  unique  et  son  bien-aimé.  Le  plus  souvent,  elle  y  était 
si  abîmée  et  si  hors  d'elle-même,  qu'elle  n'avait  aucun  usage  des  sens.  On 


SALNTE   THÉRÈSE   D'âVILA,   VIERGE.  371 

l'a  vue  sortir  de  la  communion  toute  rayonnante  et  toute  couverte  de 
lumières.  On  l'a  vue  pendant  son  action  de  grâces  élevée  de  terre  et  suspen- 
due en  l'air.  Quelquefois  la  sainte  Eucharistie  la  guérissait  de  ses  maux  et 
lui  ôtait  toutes  sortes  de  douleurs,  ce  qu'elle  assure  elle-même  lui  être 
arrivé  tous  les  jours  pendant  trois  mois.  Elle  en  sentait  ordinairement  une 
si  grande  faim,  qu'elle  eût  fait  et  souffert  toutes  choses  pour  la  posséder; 
et,  néanmoins,  lorsque  son  confesseur  lui  défendait  de  communier  ou  que 
ses  maladies  la  mettaient  dans  l'impossibilité  de  le  faire,  elle  ne  s'en  trou- 
blait point  ;  mais  elle  s'abandonnait  pour  cela  entièrement  à  la  volonté  de 
Dieu.  Notre-Seigneur  s'est  souvent  fait  voir  sensiblement  à  elle  dans  cet 
auguste  Sacrement,  tantôt  comme  un  enfant  d'une  beauté  incomparable, 
tantôt  dans  l'état  de  ses  souffrances,  tantôt  dans  la  gloire  de  sa  Résurrec- 
tion. Un  jour  des  Rameaux,  qu'elle  s'efforçait  de  bien  traiter  son  cher 
Epoux,  récompense  de  ce  que  les  Juifs  l'avaient  laissé  sortir  de  Jérusalem 
et  retourner  à  Béthanie  sans  lui  présenter  à  dîner,  ayant  reçu  la  sainte 
hostie,  elle  fut  quelque  temps  sans  la  pouvoir  avaler,  et,  durant  ce  temps, 
il  lui  sembla  qu'elle  avait  la  bouche  pleine  de  sang  et  que  son  visage  et  son 
corps  en  étaient  aussi  tout  couverts  ;  elle  sentait  ce  sang  comme  encore 
tout  chaud  et  tout  nouvellement  sorti  des  veines.  Ses  douleurs  furent  alors 
inexplicables  ;  son  divin  Amant  lui  parla  et  lui  dit  qu'elle  n'eût  point  de 
crainte  ;  que  sa  miséricorde  ne  lui  manquerait  jamais  et  qu'il  voulait  que 
son  sang  fût  pour  elle  une  source  de  grâces  ;  qu'il  l'avait  répandu  avec 
beaucoup  de  douleurs, -mais  qu'elle  en  jouirait  avec  des  délices  souveraines. 
De  cette  dévotion  envers  la  sainte  Eucharistie  venait  la  grande,  la  profonde 
et  l'intime  révérence  qu'elle  portait  aux  prêtres  par  qui  ce  mystère  est 
opéré.  Elle  leur  baisait  humblement  la  main,  se  prosternait  en  terre,  au 
milieu  du  chemin,  pour  recevoir  leur  bénédiction,  et  ne  pouvait  souffrir 
qu'on  en  parlât  mal  et  qu'on  manquât  au  respect  qui  leur  est  dû.  Elle  en 
vit  un  jour  un,  portant  la  sainte  hostie,  que  deux  démons  tenaient  à  la 
gorge  pour  l'étrangler.  Elle  connut  qu'il  était  en  péché  mortel,  et  elle  pria 
pour  lui  avec  tant  de  larmes  et  de  soupirs,  qu'elle  lui  obtint  la  contrition 
de  ses  péchés  et  une  volonté  efficace  de  s'amender.  Enfin  cette  même  dé- 
votion faisait  qu'elle  avait  un  soin  extraordinaire  de  tout  ce  qui  sert  à  la 
célébration  de  la  messe  :  comme  des  calices,  des  corporaux,  des  nappes 
d'autel  et  des  habits  sacerdotaux,  et  qu'elle  voulait  qu'ils  fussent  fort  pro- 
pres et  qu'on  les  maniât  avec  révérence. 

Il  faut  joindre  à  ces  sentiments  de  piété  la  vénération  qu'elle  avait  pour 
la  sainte  Vierge,  pour  saint  Joseph  et  pour  quantité  d'autres  Saints.  Elle 
avait  choisi  dès  son  enfance  la  Mère  de  Dieu  pour  sa  propre  mère,  et  elle 
eut  toute  sa  vie  pour  elle  les  tendresses  d'une  fille  reconnaissante  et  pleine 
d'un  affection  toute  cordiale.  Elle  faisait  beaucoup  de  dévotions  en  son 
honneur  ;  elle  voulait  qu'il  eût  dans  tous  ses  couvents  plusieurs  chapelles 
et  plusieurs  oratoires  de  son  nom  ;  elle  recommandait  à  ses  religieuses  de 
la  regarder  comme  leur  singulière  protectrice  ;  elle  avait  recours  à  elle  dans 
tous  ses  besoins  ;  enfin,  elle  n'épargnait  rien  pour  lui  faire  paraître  combien 
elle  avait  d'estime  et  d'amour  pour  elle.  Aussi  elle  jouit  souvent  du  bon- 
heur de  ses  apparitions,  et  Dieu  lui  accorda  de  grandes  grâces  par  son 
intercession. 

Une  des  gloires  de  la  mission  providentielle  de  sainte  Thérèse  dans  ces 
derniers  siècles,  a  été  de  propager  le  culte  de  saint  Joseph  dans  toute 
l'Eglise  catholique.  «  Sainte  Thérèse  »,  dit  le  célèbre  Patrignani,  «  a  été 
une  étoile  des  plus  resplendissantes,  un  des  plus  beaux  diamants  de  la  cou- 


372  45  OCTOBRE. 

ronne  de  saint  Joseph.  Elle  a  été  choisie  de  Dieu  pour  étendre  son  culte 
dans  le  monde  entier,  et  pour  mettre  en  quelque  sorte  la  dernière  main  à 
ce  grand  ouvrage  ».  C'est  elle  qui  a  fait  bâtir  le  premier  temple  chrétien  en 
son  honneur,  celui  de  Saint-Joseph  d'Avila,  berceau  de  la  réforme  du  Car- 
mel.  Sur  dix-sept  monastères  qu'elle  fonda  après  celui  d'Avila,  il  n'y  en  a 
que  cinq  qui  ne  soient  pas  dédiés  à  saint  Joseph  ;  mais  elle  implantait  dans 
tous  son  culte,  les  mettait  tous  sous  sa  garde,  et  faisait  toujours  placer  au- 
dessus  d'une  des  portes  la  statue  de  ce  glorieux  protecteur.  De  plus,  comme 
on  le  lit  dans  les  informations  juridiques  pour  sa  canonisation,  elle  mit  de 
ses  mains,  à  la  porte  d'entrée  de  tous  ses  monastères,  l'image  de  la  sainte 
Vierge  et  de  saint  Joseph  fuyant  en  Egypte,  avec  cette  inscription  :  Paupe- 
rem  vitam  gerimus,  sed  multa  bona  habebimus,  si  timuerimus  Deum  :  «  Nous 
menons  une  vie  pauvre,  mais  nous  posséderons  de  grands  biens  si  nous 
craignons  Dieu  ». 

Dans  tous  ses  écrits  perce  cette  tendre  et  filiale  dévotion  qu'elle  avait 
pour  saint  Joseph,  et  par  la  ravissante  naïveté  de  ses  paroles  enflammées, 
elle  la  communique  à  l'âme  du  lecteur.  Dans  ses  admirables  Avis  elle  dit  : 
«  Quoique  vous  honoriez  plusieurs  Saints  comme  vos  protecteurs,  ayez 
cependant  une  dévotion  toute  particulière  envers  saint  Joseph,  dont  le  crédit 
est  si  grand  auprès  de  Dieu».  Sainte  Thérèse  a  légué  à  son  Ordre  tout 
entier  les  saintes  ardeurs  de  son  zèle  pour  la  gloire  de  saint  Joseph.  A  son 
exemple,  le  Carmel  n'a  cessé  de  travailler  pour  étendre  son  culte,  et  l'on 
peut  dire  qu'il  a  rivalisé  de  zèle  avec  l'ancien  Carmel,  auquel  Benoît  XIV 
rend  ce  témoignage  :  «  C'est  lui  »,  dit  ce  grand  Pape,  «  qui,  d'après  le  sen- 
timent commun  des  érudits,  a  fait  passer  d'Orient  en  Occident  la  louable 
coutume  d'honorer  saint  Joseph  du  culte  le  plus  solennel  ».  A  la  fin  du 
xvme  siècle,  on  comptait  déjà,  dans  l'Ordre  seul  du  Carmel,  plus  de  cent 
cinquante  églises  sous  l'invocation  de  saint  Joseph.  Dès  que  sainte  Thérèse 
eut  commencé,  tous  les  Ordres  religieux  travaillèrent  à  l'envi  à  propager 
ce  culte.  Bientôt,  de  tous  les  points  du  monde  catholique,  on  invoqua  le 
glorieux  saint  Joseph,  et  l'on  se  pressa  autour  de  ses  autels.  C'est  donc  à 
sainte  Thérèse  qu'appartient  la  gloire  d'avoir  porté  un  culte  si  cher  à  la 
piété  catholique  à  ce  degré  de  splendeur  et  d'universalité  où  nous  le  voyons 
aujourd'hui. 

Nous  avons  dans  Ribera  une  liste  des  Saints  que  notre  bienheureuse 
fondatrice  révérait  plus  particulièrement  ;  un  des  principaux  était  saint 
Dominique,  dont  les  enfants  l'avaient  tant  aidée  pour  l'établissement  de  sa 
réforme.  Un  jour  il  lui  apparut  dans  sa  chambre  du  monastère  de  Sainte- 
Croix,  et  il  fut  deux  heures  avec  elle  pendant  lesquelles  il  lui  découvrit  de 
grands  mystères  et  l'embrasa  de  nouvelles  flammes  de  l'amour  divin. 

Ce  serait  entrer  dans  un  abîme  sans  fond  que  de  vouloir  parler  de  son 
oraison.  Non-seulement  elle  a  été  élevée  aux  degrés  de  cet  entretien  avec 
Dieu,  mais  on  peut  dire  que  le  Saint-Esprit  l'a  donnée  à  l'Eglise  pour  en 
découvrir  tous  les  sentiers,  les  secrets  et  généralement  toute  la  conduite. 
L'histoire  qu'elle  a  composée  de  sa  vie  n'est  qu'une  description  des  voies 
par  lesquelles  Dieu  l'a  menée  peu  à  peu  à  l'intime  union  avec  lui  ;  elle  y 
prend  occasion  de  marquer  les  écueils  que  l'on  peut  rencontrer  dans  ce 
chemin,  et  qu'elle  a  évités  par  un  grand  soin  de  consulter  de  savants  hom- 
mes, précaution  indispensable  dans  les  conduites  surnaturelles,  et  par  une 
grâce  spéciale  dont  elle  a  toujours  été  prévenue.  Ses  autres  livres  sont  aussi 
sur  le  même  sujet;  elle  n'y  parle  pas  tant  par  spéculation  que  par  une 
longue  expérience  des  diverses  demeures  par  lesquelles  l'âme  doit  passer 


SAINTE  THÉRÈSE  D'AVILA,   VIERGE.  373 

pour  arriver  à  la  jouissance  paisible  et  constante  de  ce  qu'elle  aime. 

Sa  charité  envers  le  prochain  répondait  à  l'amour  qu'elle  avait  pour 
Dieu.  Elle  aurait  donné  mille  vies,  elle  aurait  enduré  mille  morts,  elle 
aurait  souffert  les  plus  horribles  supplices  pour  sauver  une  âme.  Elle  aimait 
singulièrement  les  directeurs  et  les  prédicateurs  employés  au  ministère  de 
leur  salut.  Elle  les  recevait  avec  joie,  les  traitait  et  faisait  traiter  le  mieux 
qu'il  lui  était  possible,  et  priait  Dieu  pour  eux  avec  une  ferveur  particu- 
lière. Elle  pleura  amèrement  la  mort  du  Père  Jean  d'Avila,  à  cause  des 
grands  biens  que  les  âmes  en  recevaient.  Elle-même  a  retiré  par  ses  prières, 
par  ses  lettres  et  par  ses  discours  pleins  de  force  et  d'onction,  plusieurs 
personnes  des  désordres  où  elles  étaient  plongées,  et  elle  en  a  porté  beau- 
coup à  la  mortification,  à  l'oraison  et  aux  pratiques  de  dévotion.  Il  y  a 
même  des  docteurs  fort  célèbres  qui  lui  sont  redevables  de  s'être  appliqués 
à  la  méditation  et  aux  exercices  de  la  vie  intérieure,  et  elle  a  soutenu  pour 
cela  d'horribles  persécutions  de  la  part  du  démon,  jusqu'à  être  menacée, 
battue,  outragée  et  couverte  de  plaies.  Que  si  elle  a  tant  fait  par  elle-même 
pour  le  salut  et  la  sanctification  des  âmes,  que  n'a-t-elle  point  fait  pour  ce 
sujet  par  ses  enfants  et  par  le  saint  Ordre  qu'elle  a  établi  ?  N'est-ce  pas  à 
son  zèle  et  à  sa  charité  qu'il  faut  rapporter  le  nombre  infini  de  conversions 
qu'ils  ont  faites,  non-seulement  en  Europe,  mais  aussi  au-delà  des  mers  et 
parmi  les  nations  les  plus  barbares  ?  La  charité  de  notre  Sainte  s'étendait 
aussi  sur  les  âmes  du  purgatoire,  et  elle  en  a  délivré  plusieurs  par  ses 
larmes  et  par  ses  pénitences.  Enfin,  elle  avait  encore  soin  du  soulagement 
des  corps,  et  elle  le  procurait  tantôt  par  des  aumônes,  pour  lesquelles  elle 
s'ôtait  le  pain  de  la  bouche  et  se  privait  des  choses  les  plus  nécessaires, 
tantôt  par  des  services  qu'elle  rendait  aux  malades,  tanfôt  par  des  miracles 
qu'elle  faisait  en  faveur  des  affligés  et  de  ceux  qu'elle  voyait  accablés  de 
douleurs.  Ajoutons,  pour  preuve  de  l'excellence  de  sa  charité,  qu'elle  par- 
donnait de  tout  son  cœur  à  tous  ceux  qui  lui  faisaient  du  mal,  qu'elle  les 
aimait  tendrement,  qu'elle  excusait  leurs  emportements,  qu'elle  priait 
pour  eux  avec  ferveur,  et  qu'elle  leur  procurait  tout  le  bien  qu'il  lui  était 
possible  :  ce  qui  lui  a  souvent  gagné  les  cœurs  les  plus  aigris  et  les  plus 
envenimés  contre  elle. 

Elle  possédait  l'humilité  et  la  patience  dans  un  degré  très-éminent.  Son 
néant  lui  était  si  parfaitement  connu,  et  elle  pénétrait  si  profondément 
dans  la  corruption  originelle  de  sa  nature,  qu'elle  n!avait  que  des  senti- 
ments de  mépris  pour  elle-même  ;  elle  ne  pouvait  souffrir  qu'on  l'estimât; 
et  elle  ruinait  dans  les  esprits,  autant  qu'elle  pouvait,  la  bonne  opinion  que 
l'on  avait  de  sa  vertu.  Elle  eût  voulu  qu'on  publiât  ses  fautes,  et  elle-même 
les  publiait  et  les  mettait  devant  les  yeux  de  ceux  qui  lui  donnaient  des 
louanges.  On  voit  dans  l'histoire  qu'elle  a  composée  de  sa  vie,  le  soin 
qu'elle  prend  de  diminuer  le  prix  de  ses  actions,  d'exagérer  ses  moindres 
péchés  et  de  se  faire  passer  pour  une  criminelle.  Elle  voulait  y  faire  sa 
confession  générale,  mais  elle  n'en  put  obtenir  la  permission.  Jamais  elle 
n'était  plus  contente  que  quand  on  lui  disait  des  injures  ou  qu'on  la  ca- 
lomniait et  l'accusait  de  quelque  crime.  Elle  répondait  alors  qu'on  com- 
mençait à  la  connaître,  que  l'on  ne  la  traitait  que  selon  ses  mérites.  Elle 
se  persuadait  que  toutes  ses  sœurs  faisaient  de  grands  progrès  dans  la  vertu, 
et  qu'elle  seule  demeurait  en  arrière  :  «  Chacun  s'avance  à  la  perfection  », 
dit-elle  en  un  endroit  de  sa  vie,  «  il  n'y  a  que  moi  qui  n'avance  point.  Je 
ne  suis  bonne  à  rien,  et  ceci  n'est  point  une  humilité  en  moi,  mais  une  pure 
vérité  ».  Quelqu'un  lui  dit  un  jour,  en  considérant  les  grâces  dont  le  ciel  la 


374  15  OCTOBRE. 

favorisait  :  «  Ma  mère,  gardez-vous  de  vaine  gloire  ».  —  «  De  vaine  gloire  », 
répliqua-t-elle,  «  je  ne  sais  de  quoi  j'en  aurais;  je  ferai  beaucoup,  en 
voyant  ce  que  je  suis,  de  ne  me  point  désespérer».  tJne  de  ses  plus  grandes 
peines  était  lorsque  les  faveurs  qu'elle  recevait  de  son  Epoux  paraissaient 
au  dehors  par  les  extases  et  par  les  ravissements.  Elle  les  cachait  avec  plus 
de  soin  que  les  orgueilleux  ne  cachent  leurs  défauts,  et  lorsqu'on  les  avait 
découverts,  elle  ne  voulait  pas  qu'on  l'en  estimât  davantage.  Elle  s'abaissait 
aux  offices  les  plus  vils  et  aux  emplois  les  plus  dégoûtants  de  ses  couvents; 
et  toute  supérieure  et  fondatrice  qu'elle  était,  elle  reconnaissait  ses  fautes 
devant  la  communauté  et  en  faisait  des  pénitences  publiques.  Sa  vie  n'a 
été  qu'une  suite  continuelle  de  maladies  très-violentes,  de  contradictions 
et  de  persécutions  ;  mais  pius  ses  douleurs  étaient  aiguôs  et  les  persécu- 
tions atroces,  plus  on  la  voyait  gaie,  contente  et  satisfaite.  Elle  riait  au 
milieu  des  reproches,  des  injures  et  des  faux  témoignages,  sans  en  être 
nullement  altérée,  et  elle  avouait  même  qu'il  n'y  avait  point  de  musique 
qui  lui  fût  plus  agréable  que  celle-là.  Quand  on  la  chargea  de  coups,  qu'on 
lui  défendit  de  continuer  ses  fondations,  qu'on  la  menaça  de  la  mener  à 
l'inquisition,  que  le  démon  lui  fit  rompre  le  bras  gauche  par  une  chute,  son 
esprit  demeura  dans  le  môme  calme  que  dans  la  plus  douce  jouissance  des 
consolations  célestes.  En  un  mot,  Thérèse  ne  désirait  de  la  gloire  qu'à  Dieu 
seul;  et  pour  elle-même,  elle  ne  cherchait  que  des  mépris  et  des  souf- 
frances. 

Sur  ce  grand  fondement  de  l'humilité,  elle  a  élevé  dans  son  cœur  toutes 
les  vertus  qui  sont  l'âme  et  l'esprit  de  la  vie  religieuse.  La  considération  de 
Jésus-Christ  naissant  et  mourant  dans  une  extrême  pauvreté,  lui  faisait 
aimer  tendrement  l'état  de  pauvre  évangélique.  Son  premier  dessein  était 
que  ses  couvents  fussent  sans  rentes  et  ne  vécussent  que  d'aumônes  ;  mais 
cette  disposition  ayant  été  changée  par  le  règlement  des  supérieurs,  elle 
voulait,  néanmoins,  que  ses  bâtiments  fussent  petits,  simples  et  grossiers, 
jusqu'à  demander  à  Dieu,  autant  que  la  conscience  le  pouvait  permettre, 
que,  si  jamais  ses  filles  faisaient  les  édifices  superbes  et  somptueux,  ils  tom- 
bassent sur  elles  et  les  écrasassent  toutes  :  ce  sont  ses  propres  termes  rap- 
portés par  Ribera.  Elle  leur  recommandait  extrêmement  d'être  pauvres 
dans  leurs  meubles  et  dans  leurs  habits,  de  n'avoir  rien  de  particulier,  de 
ne  rien  demander  pour  elles  à  leurs  parents,  de  se  réjouir  lorsque  les 
choses  nécessaires  leur  manquaient,  et  de  travailler  elles-mêmes  pour 
fournir  à  leurs  besoins.  Nulle  n'était  plus  pauvre  qu'elle,  et,  bien  qu'elle 
fût  fort  propre  et  n'aimât  point  la  malpropreté,  elle  se  plaisait,  néanmoins, 
à  avoir  la  chambre,  les  habits  et  les  meubles  les  plus  vils  de  la  maison.  La 
bulle  de  sa  canonisation  porte  expressément  qu'elle  a  gardé  sa  virginité 
jusqu'à  la  mort.  tJn  de  ses  confesseurs,  par  respect  pour  sa  pureté  angéli- 
que,  l'appelait  un  trésor  virginal.  Un  autre  disait  qu'il  ne  la  regardait  pas 
comme  une  créature  composée  de  chair  et  de  sang,  mais  comme  un  ange 
exempt  des  désordres  de  la  concupiscence»  Elle  avoua  un  jour  qu'elle  n'en- 
tendait rien  à  des  choses  sur  lesquelles  on  la  consultait  touchant  l'impu- 
reté, et  qu'en  toute  sa  vie  elle  n'avait  rien  eu  à  confesâer  sur  cette  matière. 

Nous  avons  rapporté  plusieurs  actes  héroïques  de  son  obéissance  ;  mais 
il  n'en  faut  pas  omettre  un  de  très-grande  perfection  :  un  confesseur  igno- 
rant lui  ayant  commandé  de  brûler  un  riche  commentaire  qu'elle  avait  fait 
sur  le  Cantique  des  cantiques,  où  elle  expliquait  le  commerce  sacré  de 
l'Epoux  avec  l'Epouse,  elle  le  brûla  incontinent,  préférant  en  cela  l'obéis- 
sance à  toutes  les  lumières  qu'elle  avait  reçues  du  ciel.  Elle  disait  que, 


SAINTE   THÉRÈSE   D*AVILA,   VIERGE.  375 

quand  on  viendrait  lui  commander  une  chose,  si  ses  supérieurs  la  lui  dé- 
fendaient, elle  ferait  plutôt  leur  volonté  que  ce  qui  lui  aurait  été  ordonné 
par  cet  esprit  céleste  :  et,  en  effet,  elle  vivait  dans  une  dépendance  si  par- 
faite de  ses  supérieurs,  qu'elle  n'obéissait  aux  inspirations  et  aux  révélations 
de  Jésus-Christ  même,  qu'autant  qu'elles  étaient  conformes  à  leurs  ordres. 

Elle  possédait  éminemment  les  quatre  vertus  cardinales  :  la  prudence, 
la  justice,  la  force  et  la  tempérance.  Sa  gratitude  envers  Dieu  et  envers  ses 
bienfaiteurs  était  merveilleuse.  Son  austérité  ne  pouvait  être  modérée  que 
par  les  défenses  que  lui  faisaient  ses  directeurs.  Enfin,  c'était  un  vase  pré- 
cieux où  le  Saint-Esprit  avait  pris  plaisir  de  répandre  toute  la  plénitude  de 
ses  grâces.  Si  elle  possédait  celles  que  nous  appelons  gratifiantes,  elle  avait 
aussi  la  plupart  de  celles  qui  sont  appelées  gratuites.  Son  esprit  était  telle- 
ment éclairé  du  don  de  prophétie,  que  dom  Alvarez  de  Mendoza,  évêque 
d'Avila,  disait  ordinairement  :  «  Si  la  mère  l'assure,  quand  la  chose  serait 
impossible,  elle  se  fera  ». 

On  rapporte  plusieurs  miracles  qu'elle  a  faits  avant  sa  mort.  Elle  rendit 
la  vie  à  un  de  ses  neveux,  âgé  de  cinq  ans,  en  le  serrant  mort  sur  son  sein. 
Elle  guérit  deux  religieuses  par  son  attouchement  :  l'une,  malade  d'une 
grosse  fièvre  et  d'un  érysipèle  au  visage  ;  l'autre,  tourmentée  d'une  pleu- 
résie. Elle  multiplia  tellement  à  son  couvent  de  Villeneuve,  un  monceau  de 
farine  qui  ne  pouvait  durer  qu'un  mois,  qu'il  fut  suffisant  pour  nourrir 
toute  sa  communauté  pendant  six  mois,  et  qu'on  le  trouva  encore  tout 
entier  après  ce  temps.  Dieu  lui  donna  aussi  une  haute  sagesse  et  un  parfait 
discernement  des  esp'rits  pour  la  conduite  de  ses  religieux  et  de  ses  reli- 
gieuses. Elle  lisait  tians  leur  intérieur,  pénétrait  leurs  inclinations,  connais- 
sait leur  faible  et  savait  les  moyens  les  plus  propres- pour  les  engager  à 
l'étude  de  la  perfection. 

Thérèse,  après  avoir  vécu  dans  une  si  grande  sainteté,  arriva  enfin  à  un 
tel  excès  du  pur  amour,  qu'elle  ne  pouvait  plus  vivre  sans  jouir  des  heu- 
reux embrassements  de  son  bien-aimé.  Il  l'assura  que,  s'il  n'avait  pas  créé 
le  ciel,  il  le  créerait  pour  elle  seule,  et  qu'il  voulait  la  mettre  dans  la  jouis- 
sance du  bien  qu'elle  désirait  avec  tant  d'ardeur.  Elle  avait  terminé  sa  der- 
nière fondation  à  Burgos,  et  elle  voulait  retourner  dans  son  couvent  d'Avila, 
dont  elle  était  prieure  ;  mais  lorsqu'elle  fut  à  Médina  del  Campo,  le  R.  P. 
Antoine  de  Jésus,  vicaire  provincial  de  sa  réforme,  l'obligea  d'aller  à  Albe. 
En  chemin,  elle  tomba  dans  une  si  grande  faiblesse,  qu'elle  s'évanouit. 
Etant  arrivés  à  Albe,  la  veille  de  saint  Matthieu,  elle  fut  obligée  de  se  coli- 
stier, parce  qu'elle  ne  pouvait  plus  se  soutenir  ;  mais,  dès  le  lendemain  et 
les  jours  suivants,  elle  se  leva,  alla  à  la  messe,  communia  et  fit  les  fonctions 
de  sa  visite.  Le  jour  de  saint  Michel,  elle  fit  encore  ses  dévotions  ;  mais 
ensuite  on  la  mit  au  lit  et  il  ne  lui  fut  plus  possible  de  se  lever  ;  cependant, 
elle  demeura  toute  la  nuit  et  le  jour  suivant  dans  une  oraison  très-éminente^ 
Ce  fut  alors  qu'elle  apprit  du  ciel  le  jour  de  sa  mort  ;  huit  ans  auparavant, 
elle  en  avait  appris  l'année,  qu'elle  avait  fait  marquer  en  chiffres  dans  son 
bréviaire.  Elle  dit  ensuite  des  choses  admirables  à  ses  filles  pour  les  con- 
firmer dans  l'amour  de  leur  état  et  dans  l'affection  à  l'étroite  observance 
qu'elles  avaient  embrassée,  et  pour  les  élever  à  Dieu  par  un  parfait  déta- 
chement de  toutes  les  choses  de  ce  monde.  Le  P.  Vicaire  provincial  la  priant 
de  demander  à  Notre-Seigneur  la  prolongation  de  sa  vie,  elle  répondit 
qu'elle  n'était  pas  nécessaire  sur  la  terre. 

Le  3  octobre,  veille  de  sa  mort,  sur  les  cinq  heures  du  soir,  elle  demanda 
à  recevoir  le  saint  viatique.  Elle  pouvait  à  neine  se  remuer;  et,  lorsqu'elle 


376  15  OCTOBRE. 

était  obligée  de  le  faire,  ce  n'était  qu'à  l'aide  de  deux  religieuses.  Comme 
on  s'apprêtait  à  lui  apporter  le  Saint-Sacrement,  elle  dit  à  celles  qui  étaient 
autour  de  son  lit  :  «  Mes  filles,  je  vous  demande,  pour  l'amour  de  Dieu, 
de  garder  fidèlement  les  règles  et  les  constitutions  de  notre  Ordre  »  ; 
puis  elle  ajouta  en  parlant  d'elle-même  :  «  Oubliez  les  mauvais  exemples 
que  cette  infidèle  religieuse  vous  a  donnés,  et  pardonnez-les-moi  ».  On  ne 
lui  répondit  que  par  des  sanglots  et  des  larmes.  Lorsqu'elle  vit  entrer  le 
Saint-Sacrement  dans  sa  cellule,  elle  recueillit  le  peu  de  forces  qui  lui  res- 
taient, se  leva  avec  vivacité  sur  son  séant,  et  serait  même  descendue  de  son 
lit  pour  le  recevoir  si  on  ne  l'en  eût  empêchée.  Son  visage  parut  enflammé 
et  d'une  beauté  admirable.  Elle  dit  beaucoup  de  choses  de  dévotion  au 
Dieu  de  bonté  qui  venait  se  donner  à  elle  ;  on  remarqua  entre  autres  celles- 
ci  :  «  0  mon  Seigneur  et  mon  Epoux,  le  moment  après  lequel  je  soupirais 
avec  tant  d'ardeur  est  enfin  arrivé  ;  il  est  juste  que  je  jouisse  de  votre  pré- 
sence ;  il  est  temps,  6  mon  Dieu,  que  je  sorte  de  cette  vie  ;  que  votre  bon 
plaisir,  je  vous  prie,  s'accomplisse  ».  Elle  remercia  aussi  Dieu  de  l'avoir  fait 
naître  catholique.  «  Enfin,  Seigneur  »,  répétait-elle  souvent,  «  je  suis  fille 
de  l'Eglise  ».  Elle  demanda  ensuite  à  Dieu  de  lui  pardonner  ses  péchés,  et 
elle  engagea  ses  compagnes  à  lui  demander  pour  elle  la  même  chose,  ajou- 
tant qu'  «  elle  espérait  être  sauvée  par  les  mérites  de  Jésus-Christ  ». 

Après  que  la  cérémonie  fut  achevée,  les  religieuses  lui  demandèrent  de 
leur  dire  quelques  mots  d'édification  ;  mais  elle  s'y  refusa  ;  de  temps  en 
temps  seulement  elle  leur  recommandait  de  bien  observer  leur  règle  et 
leurs  constitutions,  et  d'obéir  fidèlement  à  leurs  supérieurs.  Souvent  on 
lui  entendait  répéter  ces  versets  du  psaume  Le  :  «  Le  sacrifice  que  Dieu 
désire,  c'est  une  âme  pénétrée  de  douleur  ;  vous  ne  rejetterez  pas,  ô  mon 
Dieu,  un  cœur  contrit  et  humilié.  Ne  me  rejetez  pas  de  votre  présence,  et 
ne  retirez  pas  de  moi  votre  esprit.  Créez  en  moi  un  cœur  pur,  ô  mon  Dieu  !» 
et  particulièrement  ce  verset  :  «  Vous  ne  rejetterez  pas,  6  mon  Dieu,  un 
cœur  contqjet  humilié  ».  Elle  l'eut  presque  toujoursà  la  bouche,  jusqu'au 
moment  où  elle  perdit  la  parole.  A  neuf  heures  du  soir,  elle  désira  rece- 
voir le  sacrement  de  l'Extrême-Onction,  et  elle  le  reçut  avec  beaucoup  de 
piété,  aidant  elle-même  à  réciter  les  psaumes,  et  répondant  aux  litanies  et 
aux  oraisons.  Lorsque  la  cérémonie  fut  achevée,  elle  remercia  encore  Dieu 
de  l'avoir  faite  enfant  de  l'Eglise.  Le  P.  Antoine  lui  demanda  ensuite  si  elle 
désirait  qu'on  portât  son  corps  à  Avila.  Cette  question  parut  lui  déplaire  : 
«  Dois-je  avoir  une  volonté  propre?  »  lui  répondit-elle  avec  humilité  ;  «  et 
ne  me  donnera-t-on  pas  bien  ici  un  coin  de  terre  ?  » 

Elle  passa  la  nuit  dans  de  grandes  douleurs  et  dans  des  actes  héroïques 
de  patience.  Le  lendemain  matin  elle  se  mit  sur  le  côté  avec  un  crucifix 
entre  ses  bras,  dans  la  même  posture  que  l'on  a  coutume  de  représenter 
sainte  Madeleine;  elle  demeura  en  cet  état  jusqu'à  neuf  heures  du  soir, 
sans  remuer  les  pieds  ni  les  mains.  Pendant  ce  temps,  qui  fut  de  quatorze 
heures,  elle  s'embrasa  tellement  du  feu  sacré  de  l'amour  divin,  par  la  con- 
sidération de  ce  qu'elle  espérait,  que,  n'y  pouvant  plus  résister,  elle  finit  sa 
vie  au  milieu  de  ces  chastes  flammes,  dans  lesquelles  elle  avait  toujours 
vécu.  Et  même  dès  le  lendemain  de  son  décès,  elle  révéla,  à  une  religieuse 
de  son  Ordre  d'une  sainteté  éminente,  qu'elle  n'était  pas  morte  vi  morbi, 
par  la  violence  de  sa  maladie,  mais  par  une  ardeur  et  par  une  impétuosité 
d'amour  dont  elle  n'avait  pu  supporter  la  véhémence  :  intolerabili  divini 
amoris  incendio,  comme  il  est  rapporté  dans  la  bulle  de  sa  canonisation. 
Notre-Seigneur  l'honora,  à  cette  dernière  heure,  de  sa  chère  visite,  accom- 


SAINTE  THÉRÈSE  d' AVILA,  VIERGE.  377 

pagné  d'une  infinité  d'anges  et  d'âmes  glorieuses,  et  surtout  des  dix  mille 
martyrs,  qui  lui  avaient  auparavant  promis  de  s'y  rendre  présents,  ainsi 
qu'elle  l'avait  déclaré  à  la  comtesse  d'Ossone,  son  intime  amie. 

Elle  mourut  le  4  octobre  au  soir,  Tan  de  grâce  4582.  Mais  comme  en 
cette  année  on  réforma  le  calendrier  romain  par  le  retranchement  de  dix 
jours,  de  sorte  que  le  5  octobre  devint  le  15,  on  compte  comme  si  elle  était 
morte  le  44  au  soir  ou  le  45.  Il  y  eut  à  l'heure  même  des  témoignages  écla- 
tants de  son  bonheur.  Une  religieuse  vit  son  âme  sortir  de  sa  bouche  sous 
la  forme  d'une  colombe  d'une  blancheur  admirable.  Une  autre  la  vit  sous 
la  forme  d'un  cristal  lumineux  qui  s'élevait  vers  le  ciel.  Un  arbre  auprès  de 
sa  cellule,  qui  était  sec  depuis  longtemps  et  que  l'on  avait  même  presque 
tout  couvert  de  chaux  et  de  décombres,  reverdit  et  commença  de  porter 
des  fleurs,  quoique  la  saison  s'y  opposât.  Son  visage  parut  extrêmement 
beau  et  sans  aucune  ride,  quoiqu'il  en  eût  auparavant.  Il  sortit  de  son 
corps  une  odeur  très-suave  qui  embauma  toute  la  chambre  et  qui  se  com- 
muniqua généralement  à  tout  ce  qui  l'avait  touchée,  jusqu'aux  mains  de 
celles  qui  le  lavèrent  ;  ce  qui  fit  qu'on  conserva  précieusement  tous  ses 
habits  :  on  les  distribua  à  ses  monastères,  où  ils  ont  été  depuis  l'instrument 
de  plusieurs  miracles.  Elle-même  apparut  après  sa  mort  à  plusieurs  per- 
sonnes pour  leur  faire  connaître  l'éminent  degré  de  gloire  auquel  elle  avait 
été  élevée  :  comme  à  la  Mère  Catherine  de  Jésus,  qu'elle  guérit  d'un  abcès 
au  côté,  et  à  un  de  ses  religieux,  grand  serviteur  de  Dieu,  à  qui  elle  dit  : 
«  Nous  qui  sommes  dans  le  ciel,  et  vous  qui  êtes  sur  la  terre,  devons  être 
unis  par  un  même  esprit  d'amour  et  de  pureté  :  nous,  en  voyant  l'essence 
divine  ;  vous,  en  adorant  le  Saint-Sacrement  et  en  lui  rendant  les  mêmes 
devoirs  que  nous  rendons  à  la  Divinité  :  nous,  en  jouissant  ;  vous,  en  souf- 
frant. Et  sachez,  et  dites-le  à  mes  filles,  que  plus  vous  souffrirez,  plus  vous 
jouirez  ».  Elle  était  aussi  apparue  avant  sa  mort  à  une  de  ses  religieuses  à 
Salamanque  pour  lui  dire  que  le  même  jour  elle  entrerait  dans  la  béa- 
titude. 

Dans  l'église  de  Notre-Dame  de  Mont-Carmel,  à  Avila,  on  voit  une  ma- 
gnifique statue  de  sainte  Thérèse.  On  l'a  représentée  au  moment  où  elle 
vit,  avec  un  si  profond  sentiment  de  douleur,  Notre-Seigneur  couvert  de 
plaies.  Sa  figure  respire  quelque  chose  de  cette  indéfinissable  tristesse  qu'on 
voit  peinte  sur  les  traits  d'une  Mater  dolorosa.  —  Au  même  lieu,  on  voit 
dans  le  cloître  du  monastère,  des  peintures  à  fresque  retraçant  sa  vie.  Une 
des  scènes  qui  frappent  le  plus  les  regards,  c'est  celle  où  la  Sainte,  à  l'âge 
de  sept  ans,  est  rencontrée  sur  la  route  de  Salamanque  par  un  de  ses  oncles, 
lorsque,  avec  son  jeune  frère,  elle  s'en  allait  à  pas  pressés  au  pays  des 
Maures,  chercher  la  palme  du  martyre.  Il  y  a  une  expression  céleste  sur 
cette  figure  radieuse  de  beauté,  d'innocence,  que  l'amour  divin  colore  de 
ses  feux.  Faut-il  donc,  semble  dire  l'angélique  Thérèse,  que  j'immole  au 
devoir  d'obéir  tant  de  bonheur  et  de  gloire  que  me  promettait  le  martyre  ! 
—  On  voit  au  maître-autel  de  la  chapelle  dédiée  à  sainte  Thérèse  dans 
l'église  du  monastère  de  l'Incarnation  d' Avila,  deux  tableaux  :  l'un  repré- 
sente la  Sainte  blessée  par  l'ange  ;  l'autre,  qui  est  immédiatement  en  des- 
sous, la  représente  écrivant  ses  ouvrages.  —  On  la  représente  aussi  : 
1°  voyant  Jésus-Christ  qui  apparaît;  2°  ravie  en  extase;  3°  un  ange  lui 
perce  le  cœur  d'une  flèche  enflammée,  symbole  de  l'amour  divin  ;  4°  priant 
pour  les  âmes  du  purgatoire  ;  5°  à  genoux.  Deux  branches  d'arbre  sortent 
de  sa  poitrine  et  se  terminent  par  deux  fleurs  dont  les  calices  portent  des 
figures  de  religieux  et  de  religieuses  de  son  Ordre;  6°  voyant,  pendant  une 


378  15  OCTOBRE. 

extase,  la  place  qu'elle  devait  occuper  dans  l'enfer  si  elle  ne  se  fût  pas 
convertie. 

CULTE  ET  RELIQUES.  —  ÉCRITS. 

Son  corps  fut  inhumé  dans  le  chœur  de  son  monastère  d'Albe,  fort  avant  dans  la  terre  et  cou- 
vert d'une  grande  quantité  de  pierres  et  de  chaux,  afin  qu'il  ne  prit  envie  à  personne  de  le  faire 
enlever.  Mais,  comme  il  continuait  d'en  sortir  une  très-bonne  odeur,  il  fut  déterré  neuf  mois  après, 
trouvé  tout  entier,  même  flexible  et  maniable  comme  il  avait  été  après  sa  mort.  On  lui  coupa  la 
main  gauche  qui  fut  portée  chez  les  Carmélites  déchaussées  de  Lisbonne,  où  elle  a  opéré  plusieurs 
miracles  et  où  on  la  conserve  encore  aujourd'hui.  Le  bra3  gauche  fut  laissé  à  Albe,  et  le  reste  du 
corps  porté  au  monastère  de  Saint-Joseph  d'Avila,  le  24  novembre  1585.  Mais,  peu  de  temps  après, 
par  le  commandement  de  Sixte  V,  il  fut  restitué  au  couvent  d'Albe  de  Tormez.  Ce  couvent  possède 
encore  le  corps  de  sainte  Thérèse,  son  cœur  et  son  bras  gauche.  La  dernière  translation  qui  en  fut 
faite  eut  lieu  le  15  octobre  1760.  Ce  saint  corps,  resté  flexible,  exhale  un  parfum  délicieux  ; 
paré  de  riches  habits,  mis  dans  une  châsse  d'argent,  enfermée  elle-même  dans  un  tombeau  de  jaspe 
qui  est  construit  dans  le  mur  même  du  maitre-autel,  à  trente  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  nef, 
ce  saint  corps  est  aperçu  de  tous  les  points  de  l'église  et  semble  adorer  le  Saint-Sacrement.  Der- 
rière le  grand  mur  du  maître-autel  sont  deux  oratoires  au-dessus  l'un  de  l'autre  :  le  supérieur  est 
pour  le  tombeau  de  la  Sainte  :  c'est  là  que  les  Carmélites  s'agenouillent  devant  son  saint  corps  ; 
l'inférieur  contient  le  cœur  et  le  bras  gauche  de  sainte  Thérèse.  Le  cœur  est  dans  un  globe  de 
cristal  transparent  supporté  par  un  magnifique  reliquaire.  On  y  remarque  la  blessure  faite  par  l'ange. 
Le  Père  Bouix,  qui  a  eu,  en  1849,  le  bonheur  de  tenir  ce  sacré  cœur  dans  ses  mains  et  de  le  véné- 
rer, atteste  lui  aussi  qu'il  s'en  exhale  une  odeur  céleste. 

Une  lettre  que  Monsieur  le  Secrétaire  de  Mgr  d'Avila  nous  a  fait  l'honneur  de  nous  écrire  en 
1859  confirme  les  détails  qui  précèdent  et  ajoute  :  «  Pour  ma  part,  et  suivant  qu'en  font  foi  des 
relations  conservées  dans  les  archives  de  cet  évêché,  je  puis  vous  affirmer  qu'autrefois  il  a  suinté 
ou  coulé  du  corps  de  sainte  Thérèse  un  liquide  huileux  doué  sans  doute  de  vertus  merveilleuses  ». 

Le  bras  de  la  Sainte  est  renfermé  dans  un  tube  de  cristal  épais  mais  transparent  et  recourbé, 
par  une  légère  inflexion,  vers  le  coude.  De  l'épaule  jusqu'au  coude  les  chairs  ont  été  enlevées  et 
distribuées  en  reliques  dans  diverses  parties  du  monde.  L'avant-bras  est  intact;  il  est  grand  et  beau; 
les  chairs  en  paraissent  vives  et  flexibles;  et,  quoique  le  cristal  n'ait  aucune  ouverture, cette  sainte 
relique  comme  celle  du  cœur  exhale  une  odeur  toute  céleste. 

En  1615,  un  de  ses  pieds  fut  transféré  à  Rome  et  mis  dans  le  couvent  de  Sainte-Marie  de  La 
Scala,  où  les  papes  Paul  V  et  Grégoire  XV  lui  rendirent  beaucoup  d'honneurs.  Dans  la  suite,  Elisa- 
beth de  France,  femme  de  Philippe  IV,  roi  d'Espagne,  en  obtint  un  doigt  de  la  main  ;  et,  l'ayant 
fait  enchâsser  dans  un  reliquaire  d'or,  elle  en  fit  présent  à  sa  mère,  la  reine  Marie  de  Médicis,  qui 
le  donna  au  monastère  de  l'Incarnation  des  Carmélites  de  Paris. 

Les  Carmélites  de  Paris  ont  encore,  outre  le  doigt  du  milieu  de  la  main  droite  de  leur  sainte 
mère,  des  reliques  assez  notables  de  sa  chair  ;  enfin  elles  possèdent  son  manteau,  apporté  en  1604 
par  les  six  Carmélites  espagnoles  qui  vinrent  fonder  le  premier  monastère  de  Carmélites  déchaus- 
sées en  France. 

Le  carmel  de  Bruxelles  est  en  possession  du  cinquième  doigt.  Les  Carmélites  de  Bruxelles  pos- 
sèdent encore  une  autre  belle  relique  de  sainte  Thérèse  :  une  clavicule. 

L'index  de  .cette  même  main  se  trouve  au  couvent  de  Regina  Cœli,  à  Rome.  Un  de  ses  doigts 
est  vénéré  dans  le  monastère  des  Carmélites  de  Séville.  La  main  gauche  est  au  carmel  de  Lisbonne. 

Dieu  a  voulu  glorifier  le  berceau  de  sainte  Thérèse  ;  c'est  aujourd'hui  un  des  plus  beaux  sanc- 
tuaires du  Carmel.  Une  église  et  un  monastè  re  de  Carmes  déchaussés  s'élèvent  là  où  était  l'antique 
habitation  des  Cépéda.  Dans  le  plan  de  l'église,  on  a  respecté  l'appartement  où  naquit  la  Sainte» 
et  celui  qu'elle  habita  près  de  quinze  ans.  Ils  forment  un  petit  sanctuaire  enclavé  dans  le  grand» 
et  qui  se  trouve  à  côté  de  la  chapelle  de  Notre-Dame  du  Mont-Carmel.  C'est  dans  cet  asile  sanc- 
tifié par  sa  naissance  et  son  séjour,  que  les  Carmes  conservent  les  reliques  qu'ils  possèdent  de 
leur  glorieuse  fondatrice.  Ces  reliques  sont  :  1°  un  doigt  de  la  main  droite  ;  2°  son  rosaire;  3°  une 
alpargate  ou  sandale  ;  4°  le  bâton  dont  elle  se  servait  dans  ses  voyages.  On  voit,  en  outre,  à  côté 
de  la  porte,  une  croix  de  quatre  à  cinq  pieds,  faite  avec  le  bois  de  l'appartement  où  naquit  la 
Sainte.  Jour  et  nuit,  des  lampes  brûlent  dans  ce  sanctuaire;  chaque  matin,  l'adorable  sacrifice  y 
est  otfert,  et  la  prière  y  monte  sans  cesse  vers  le  ciel. 

Le  berceau  de  sainte  Thérèse  a  échappé  à  la  destruction  pendant  la  tourmente  révolutionnaire; 
mais  il  n'y  a  aujourd'hui  que  trois  carmes  sécularisés  qui  veillent  à  sa  garde.  On  leur  a  laissé 
l'église,  quelques  cellules  et  le  cloître  ;  le  reste  du  monastère  leur  est  enlevé. 

Au  commencement  du  xvme  siècle,  les  Carmes  réformés  d'Espagne  et  d'Italie  ayant  demandé 
au  Saint-Siège  l'institution  d'une  fête  particulière  pour  honorer  la  blessure  faite  par  l'ange  au  cœur 
de  leur  sainte  fondatrice,  le  pape  Benoit  XIII  accéda  à  leur  demande,  et  accorda,  le  25  mai  1726, 


SAINT  CANNAT,   ÉVÊQUE  DE  MARSEILLE  ET  CONFESSEUR.  379 

aux  religieux  et  aux  religieuses  du  Carmel  réformé  un  office  propre  pour  la  fête  de  la  Transverbé- 
ration  du  cœur  de  sainte  Thérèse.  Cet  office  ne  contenait  d'abord  que  l'oraison  et  les  leçons; 
mais  ensuite  le  même  souverain  Pontife  permit  de  faire  une  messe  et  nn  office  complets  pour 
cette  fête. 

Cet  office  est  récité  même  par  les  Carmes  de  la  Commune  Observance,  et  l'Espagne  tout  en- 
tière l'a  adopté. 

Benoit  XIV,  dans  son  bref  Dominici  gregis,  du  8  août  1744,  a  accordé  à  perpétuité  une  in- 
dulgence plénière  à  tous  les  fidèles  qui  visiteraient  les  églises  du  Carmel  depuis  les  premières 
Vêpres  de  la  Transverbération  jusqu'au  coucher  du  soleil  du  jour  de  la  fête,  qui  se  célèbre  le 
27  du  mois  d'août.  Il  est  vrai  que  ce  bref  ne  parle  que  de  la  congrégation  espagnole  des  Carmes; 
mais  Clément  VIII,  dans  sa  bulle  In  apostolicœ  dignitatfs  culmine,  du  13  novembre  1600,  ayant 
accordé  à  la  congrégation  italienne  la  participation  de  tous  les  privilèges,  indulgences,  etc.,  ac- 
cordés ou  à  accorder  à  la  congrégation  espagnole,  il  est  clair  que  tout  le  Carmel  jouit  de  cette 
faveur  de  Benoit  XIV. 

Le  pape  Paul  V  la  béatifia  en  1614,  et  le  pape  Grégoire  XV  la  canonisa  en  1622.  L'Eglise  en 
fait  office  double  par  le  commandement  du  pape  Clément  IX.  L'Espagne  l'a  adoptée  pour  sa  pa- 
tronne et  pour  sa  protectrice,  après  l'apôtre  saint  Jacques  le  Majeur  ;  et  la  France,  qui  lui  avait 
fait  verser  tant  de  larmes  afin  d'y  maintenir  la  foi  catholique  lorsqu'elle  était  exposée  à  la  fureur 
des  Calvinistes,  s'est  montrée  parfaitement  reconnaissante  de  cette  grâce  en  recevant  de  ses  reli- 
gieuses à  Paris  en  1604  et  de  ses  religieux  en  l'année  1610  par  la  recommandation  du  pape  Paul  V. 
Son  Ordre  s'est  depuis  extrêmement  étendu  dans  tout  ce  pays,  où,  entre  les  grands  fruits  qu'il  y 
produit,  il  maintient  et  augmente  la  dévotion  envers  le  Saint-Sacrement,  la  sainte  Vierge  et  le 
glorieux  patriarche  saint  Joseph. 

Les  ouvrages  de  sainte  Thérèse  sont  :  1°  6a  Vie,  écrite  par  elle-même  ;  2°  ses  Lettres,  an 
nombre  de  plus  de  deux  cents  ;  3°  là  Manière  de  visiter  les  monastères  ;  4°  YHistoire  de  ses 
fondations  ;  5°  les  Avis  à  ses  Religieuses;  6°  le  Chemin  de  la  perfection  ;  7°  le  Château  de 
l'âme;  8°  ses  Pensées  sur  l'amour  de  Dieu  ;  9°  ses  Méditations  sur  le  Pater;  10°  un  Cantique 
ou  glose  après  la  communion  ;  11°  des  Méditations  après  la  communion. 

Ses  lettres  offrent  tous  les  genres  de  style  épistolaire  embelli  par  les  agréments  de  la  gaîté. 
C'est  partout  une  beauté  de  cœur,  une  âme  tendre,  généreuse  et  forte  qui  ne  connaît  ni  l'ingrati- 
tude, ni  la  perfidie  des  hommes.  Le  Livre  de  ses  fondations  décèle  jun  esprit  consommé  dans 
l'art  de  gouverner.  Son  Chemin  de  la  perfection  et  son  Château  de  rame  mettent  à  jour  tout 
ce  qu'on  peut  imaginer  d'élévation  de  pensée,  de  grandeur  de  sentiments,  de  chaleur  de  style,  de 
haute  et  divine  contemplation. 

La  meilleure  traduction  des  œuvres  de  sainte  Thérèse,  est  celle  du  P.  Bouix,  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus.  6  vol.  in-8°. 

La  vie  et  l'éloge  de  sainte  Thérèse  ont  été  écrits  par  l'évêque  de  Terracine;  par  François  de  Ribera; 
par  le  P.  Jean  de  Jésus-Marie  et  par  le  P.  Hilarion  de  Coste.  Nous  avons  complété  le  P.  Giry  avec  1* 
Vie  de  sainte  Thérèse,  traduite  par  le  P.  Bouix,  de  la  Compagnie  de  Jésus. 


SAINT  CANNAT, 

ÉVÊQUE  DE  MARSEILLE  ET  CONFESSEUR  (vers  487). 

Saint  Cannât  était  fils  d'un  prince  de  Provence.  La  grâce  de  Dieu  lui  inspira  de  bonne  heure  le 
dégoût  des  choses  de  ce  monde.  C'est  pourquoi,  abandonnant  la  société  des  hommes,  il  se  retira 
dans  la  solitude,  pour  ne  s'occuper  que  de  Dieu.  Mais  il  eut  beau  se  cacher,  sa  vertu  était  trop 
éclatante  pour  ne  pas  attirer  les  regards  de  tous  les  habitants  de  la  Provence,  et  en  particulier  ceux 
de  la  ville  de  Marseille.  Dans  le  même  temps  cette  cité  perdit  son  premier  pasteur.  Pour  en  obte- 
nir un  autre  elle  adressa  des  supplications  à  Dieu  qui  lui  inspira  la  pensée  d'élire  Cannât,  et  d'en- 
voyer à  sa  solitude  le  prier  d'accepter  l'élection  faite  par  le  peuple.  L'humble  moine,  qui  fuyait 
jusqu'à  la  présence  des  hommes,  refusa  de  monter  à  une  si  haute  dignité.  Comme  les  envoyés  in- 
sistaient pour  qu'il  acceptât,  il  lui  arriva  de  répondre  qu'il  n'y  avait  pas  plus  d'apparence  qu'il  se 
rendit  jamais  à  leurs  instances,  qu'il  n'y  en  avait  qu'un  roseau  desséché  dût  jamais  reverdir. 
Ces  paroles  étaient  à  peine  prononcées  que  le  roseau  que  le  solitaire  tenait  à  la  main  se  couvrit 
de  verdure.  A  la  vue  d'une  si  claire  et  si  admirable  manifestation  de  la  divine  volonté,  Cariât 
changea  de  résolution  et  obéit  à  l'ordre  d'en  haut.  Il  gouverna  son  Eglise  avec  toute  la  sollicitude 
et  le  succès  qu'on  avait  espéré.  Il  répara,  dit  poétiquement  l'auteur  de  sa  vie  les  murs  ûe  la  tour 


380  15   OCTOBRE. 

de  David  ;  défendit  son  peuple  contre  le  poison  et  les  intrigues  de  l'hérésie  ;  fortifia  les  âmes, 
et  restaura  les  ruines  du  sanctuaire.  Lorsqu'il  eut  régi  très-saintement  l'église  de  Marseille 
pendant  un  petit  nombre  d'années,  il  s'envola  dans  le  sein  de  Dieu,  tout  brillant  de  l'éclat  des  mi- 
racles, vers  l'année  487. 

•  Son  corps  fut  inhumé  dans  son  désert  de  Sauzet,  qui  dès  lors  prit  le  nom  de  Saint-Cannat  : 
mais  bientôt  il  fut  rendu  à  son  Eglise  et  déposé  sous  le  maitre-autel  de  la  cathédrale  de  Sainte- 
Marie. 

Quand  vinrent  les  jours  de  la  Terreur,  il  se  trouva  à  Marseille  des  chrétiens  fervents  qui  prirent 
soin  des  reliques  de  saint  Cannât.  En  1804,  après  constatation  de  leur  authenticité,  elles  furent  con- 
fiées à  M.  Nicolas,  premier  curé  de  la  paroisse  de  Saint-Vincent  de  Paul  de  Marseille.  —  En  1858, 
Mgr  de  Mazenod,  voulant  faire  revivre  l'antique  solennité  de  la  translation  des  reliques  de  saint 
Cannât,  fixa  au  deuxième  dimanche  après  Pâques  l'anniversaire  de  cette  translation,  pour  qu'il  fût 
célébré  chaque  année  avec  octave. 

Les  précieux  restes  de  saint  Cannât  furent  placés  dans  un  reliquaire  gothique  d'une  grande 
beauté,  haut  de  plus  de  deux  mètres,  don  de  la  généreuse  piété  des  fidèles  de  la  paroisse  de  Saint- 
Vincent  de  Paul. 

Propre  de  Marseille  et  Notes  locales. 


SAINT  BRUNON  OU  BONIFACE, 

APÔTRE    DES    RUTHÈNES    ET    MARTYR  (1009). 

Brunon  était  de  la  première  noblesse  de  Saxe  et  parent  de  rois.  Sa  mère  l'envoya  à  Magde- 
bourg  étudier  sous  Giddon  le  Philosophe,  et,  après  saint  Adalbert  de  Prague,  il  gouverna  cette 
école.  L'empereur  Othon  III  l'ayant  fait  venir  auprès  de  lui,  il  servit  quelque  temps  à  sa  chapelle; 
l'empereur  l'aimait  si  tendrement  qu'il  l'appelait  son  âme  ;  mais  Brunon  quitta  bientôt  la  cour  et 
embrassa  la  vie  monastique  (998).  Il  vivait  du  travail  de  ses  mains  et  souvent  ne  mangeait  que 
deux  fois  la  semaine,  le  dimanche  et  le  jeudi  ;  il  allait  toujours  nu-pieds,  et  quelquefois  se  roulait 
dans  les  orties  et  les  épines,  témoignant  une  grande  ardeur  pour  le  martyre. 

En  quittant  l'empereur  Othon  fl  s'attacha  à  saint  Romuald,  qu'il  suivit  d'abord  au  Mont-Cassin, 
puis  à  Perée,  près  de  Ravenne,  et  après  avoir  longtemps  mené  la  vie  érémitique,  voulant  prêcher 
aux  infidèles,  il  alla  à  Rome  en  demander  la  permission  au  Pape.  Il  fit  ce  voyage  nu-pieds,  mar- 
chant loin  devant  les  autres,  et  chantant  continuellement  des  psaumes.  11  mangeait  tous  les  jours 
pour  soutenir  la  fatigue  du  voyage,  mais  seulement  un  demi-pain,  y  ajoutant,  les  jours  de  fêtes, 
des  fruits  ou  des  racines,  et  ne  buvait  que  de  l'eau.  Le  Pape  lui  accorda  la  permission,  non-seule- 
ment de  prêcher,  mais  de  se  faite  consacrer  archevêque,  lui  donnant  par  avance  le  pallium.  En 
retournant  en  Allemagne  il  allait  à  cheval,  mais  toujours  nu-pieds,  même  par  les  plus  grands 
froids,  en  sorte  qu'il  fallait  quelquefois  de  l'eau  chaude  pour  détacher  son  pied  gelé  à  l'étrier. 

Il  vint  à  Mersebourg  trouver  le  saint'  roi  Henri,  et,  par  sa  permission,  Tagnon,  archevêque 
de  Magdebourg,  le  sacra  et  lui  donna  le  pallium,  que  lui-même  avait  apporté.  Depuis  sa  consécra- 
tion il  récitait  tous  les  jours  l'office  monastique  et  l'office  canonial,  et  continuait  de  mortifier  son 
corps  par  les  jeûnes  et  les  veilles,  nonobstant  les  grands  voyages.  Boleslas,  duc  de  Pologne,  et  les 
autres  seigneurs  lui  firent  de  grands  présents,  mais  il  donna  tout  aux  églises,  à  ses  amis  et  aux 
pauvres,  sans  se  rien  réserver.  Enfin,  la  douzième  année  de  sa  conversion  (1038),  il  alla  prêcher 
en  Prusse  et  fut  d'abord  très-heureux.  Il  arriva,  toujours  prêchant,  aux  confins  de  la  Russie  occi- 
dentale, et  commença  a  y  annoncer  l'Evangile,  sans  s'arrêter  à  la  défense  des  habitants  qui  vou- 
laient l'en  empêcher.  A  la  fin,  comme  il  continuait  toujours,  ils  le  prirent  et  lui  tranchèrent  la 
tête  avec  dix-huit  des  siens,  le  14  février  de  l'an  1009.  Les  corps  de  ces  martyrs  demeurèrent 
sans  sépulture  jusqu'à  ce  que  Boleslas  les  rachetât  à  un  prix  considérable,  pour  être  la  protection 
de  sa  maison. 

On  le  représente  :  1°  traversant  un  brasier  ardent,  car  c'est  au  succès  de  cette  épreuve  qu'un 
prince  slave  avait  attaché  sa  conversion  :  Brunon  passa  en  effet  à  travers  le  feu  sans  en  être 
atteint  et  l'infidèle  se  convertit  ;  2°  bénissant  le  calice  de  la  messe  avec  sa  main  coupée  suspendue 
au  bras.  Pendant  que  le  saint  évêque  célébrait  le  divin  sacrifice,  les  païens  furieux  se  jetèrent  sur 


SAINTE  AURÊLIE,   FILLE  DE   FRANCE,   VIERGE  ET   SOLITAIRE.  384 

lai  et  l'un  d'eux  lui  coupa  le  poignet  d'un  coup  de  sabre  :  l'homme  de  Dieu  continua  sans  s'émou- 
voir, et  son  assassin,  frappé  de  tant  de  calme,  se  jeta  à  ses  genoux  pour  demander  le  baptême  ; 
mais  la  foule  ameutée  se  précipita  sur  saint  Brunon  et  lui  trancha  la  tête. 

Acta  Sanctorum;  Caractéristiques  des  Saints. 


SAINTE  AURÉLIE,  FILLE  DE  FRANCE, 

VIERGE  ET  SOLITAIRE,  AU  DIOCÈSE  DE  RATISBONNE  (1027). 

On  dit  que  sainte  Aurélie  était  fille  de  Hugues-Capet  et  sœur  du  pieux  roi  Robert,  qui  ont  tous 
deux  gouverné  la  France  avec  beaucoup  de  sagesse.  Il  est  vrai  qu'elle  n'est  pas  marquée  par  les 
généalogistes  au  nombre  des  enfants  du  premier  ;  mais  cela  peut  être  venu  de  ce  qu'ils  n'ont  eu 
égard  qu'à  ceux  qui  ont  fait  la  lignée  et  qui  peuvent  servir  à  montrer  la  diversité  des  alliances. 
Sa  beauté  avait  tant  de  charmes,  qu'elle  se  faisait  admirer  de  toute  la  cour  ;  mais,  d'ailleurs,  elle 
était  si  honnête  et  si  pudique,  qu'elle  ne  se  laissait  jamais  approcher  par  aucun  homme.  C'est  pour- 
quoi, ayant  découvert  que  son  père  l'avait  promise  en  mariage  à  un  jeune  prince  de  son  sang, 
nommé  Elwien,  et  qu'on  faisait'  déjà  les  préparatifs  pour  la  solennité  des  noces,  elle  eut  l'adresse 
de  se  déguiser,  de  sortir  secrètement  du  palais  royal  et  de  s'enfuir  en  Allemagne  vers  saint  Wolfgang, 
évêque  de  Ratisbonne.  Elle  croyait  qu'elle  ne  serait  pas  connue  de  lui  dans  le  pauvre  état  où  elle 
était,  d'autant  plus  qu'elle  lui  demanda  l'aumône  ;  mais  ce  grand  prélat,  qui  avait  reçu  d'en  haut 
un  excellent  don  de  prophétie  pour  connaître  les  secrets  les  plus  cachés,  s'aperçut  bientôt  qui  elle 
était.  Il  admira  sa  vertu,  d'avoir  quitté  tant  d'honneurs  et  de  richesses  pour  embrasser  l'état  humi- 
lié de  la  croix  de  Jésus-Chjist,  et,  la  voyant  disposée  à  passer  le  reste  de  ses  jours  dans  la  soli- 
tude, il  lui  fit  bâtir  un  ermitage,  oîr  il  l'enferma,  afin  qu'étant  toute  à  Jésus-Christ,  Jésus-Christ 
fût  aussi  tout  à  elle.  Elle  y  demeura  cinquante-deux  ans,  ignorée  des  hommes,  mais  chérie,  hono 
rée  et  visitée  par  son  Epoux  céleste.  Sa  vie  ne  fut  qu'un  jeûne  et  une  oraison  continuels.  Elle  se 
conserva  inviolablement  dans  la  pureté  du  corps  que  la  nature  lui  avait  donnée,  et  dans  la  pureté 
de  l'âme  qu'elle  avait  reçue  au  baptême.  Enfin,  après  avoir  opéré  plusieurs  miracles,  qui  étaient 
des  marques  de  son  éminente  sainteté,  elle  fut  appelée  au  ciel  par  son  divin  Amant,  et  elle  y  alla 
recevoir  la  couronne  d'une  gloire  immortelle.  Ce  fut  vers  le  15  octobre  de  l'année  1027,  environ 
vingt-huit  ans  après  la  mort  de  saint  Wolfgang. 

On  porta  solennellement  son  corps  dans  l'abbaye  de  Saint-Emmeran,  où  son  tombeau  fut  élevé 
de  terre  au  milieu  du  cloître  avec  cette  inscription  :  Hic  pia  florescit  Aurélia  virgo  sepulta  : 
quœ  pcenas  nescit,  cœli  dulcedine  fulta;  c'est-à-dire  :  «  Sous  ce  marbre  est  le  corps  de  la 
vierge  Aurélie,  que  le  ciel  favorisa  de  mille  bienfaits  ;  elle  goûte  sans  fin  la  véritable  vie,  pour 
l'éclat  des  faux  biens  que  son  cœur  a  su  mépriser  ». 

Le  martyrologe  romain  et  celui  d'Usuard  mettent  sa  mémoire  à  Strasbourg  ;  mais  si  cette  église 
cathédrale  en  célèbre  la  fête,  celle  de  Ratisbonne,  qui  possède  ses  reliques  et  qui  a  été  le  lieu  de 
son  décès,  l'honore  depuis  huit  cents  ans  comme  une  de  ses  principales  protectrices.  Son  ermitage 
a  été  changé  en  une  chapelle  sous  le  nom  de  Saint-André. 

Nous  avons  sa  vie  dans  Benoit  Gonon,  Histoire  des  Pères  de  l'Occident;  dans  Michel  Raderus,  Bavière 
sainte,  et  daas  Du  Saussay,  Martyrologe  des  Saints  de  France —  Cette  notice  est  du  F.  Giry. 


382  *6  OCTOBRE. 


XVIe  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

En  Afrique,  le  triomphe  de  deux  cent  soixante-dix  martyrs  couronnés  ensemble,  m*  ou  iv*  g. 
—  Dans  le  même  pays,  saint  Martinien  et  saint  Saturien,  avec  deux  de  leurs  frères,  qui,  durant 
la  persécution  des  Vandales  sous  Genséric,  roi  arien,  étant  esclaves  d'un  certain  vandale,  furent 
convertis  à  la  foi  par  sainte  Maxime,  vierge,  qui  était  esclave  avec  eux  :  ne  pouvant  être  ébran- 
lés dans  leur  ferme  attachement  à  la  foi  catholique,  ils  furent  premièrement  frappés  et  déchirés 
jusqu'aux  os  avec  des  bâtons  noueux  ;  mais  comme,  malgré  ces  tourments  cruels  et  journaliers, 
ils  se  trouvaient  dès  le  lendemain  aussi  sains  et  aussi  frais  que  si  on  ne  leur  eût  fait  aucun  mal, 
ils  furent  envoyés  en  exil,  où  ils  convertirent  à  la  foi  de  Jésus-Christ  un  grand  nombre  de  bar- 
bares, pour  le  baptême  desquels  ils  obtinrent  du  pape  un  prêtre  et  d'autres  ministres.  Enfin  on 
les  lia  par  les  pieds,  derrière  des  chariots  à  quatre  chevaux,  qu'on  fit  courir  au  travers  d'une  forêt 
pleine  de  broussailles  et  d'épines,  et  ils  perdirent  la  vie  dans  ce  supplice.  Pour  sainte  Maxime, 
après  avoir  soutenu  de  grands  combats  dont  Dieu  la  fit  toujours  sortir  victorieuse,  elle  s'enferma 
dans  un  monastère,  où  elle  devint  supérieure  de  plusieurs  vierges.  459.  —  De  plus,  saint  Satur- 
nin, saint  Nérée  et  trois  cent  soixante-cinq  autres  martyrs  !.  ni8  ou  ive  s.  —  A  Cologne,  saint 
Eliphe  ou  Elophe,  martyrisé  sous  Julien  l'Apostat.  362.  —  Le  même  jour,  saint  Berchaire 
ou  Bercaire,  abbé  et  martyr.  vne  s.  —  Aux  environs  de  Bourges,  saint  Ambrois,  évèque  de 
Cahors.  Vers  770.  —  A  Mayence,  saint  Lulle  ou  Lui,  évêque  et  confesseur  2.  787.  — ■  A  Trêves, 
saint  Florent  ou  Florentin,  évêque.  xxv«  s.  —  A  Arbon,  en  Allemagne,  saint  Gall,  abbé,  disciple 
de  saint  Colomban.  vu6  s. 

MARTYROLOGE  DE  FRANGE,  REVU  ET  AUGMENTÉ* 

Au  diocèse  d'Agen,  saint  Dulcide  (Dulcet,  Doucis),  évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  déjà 
cité  au  martyrologe  de  France  du  6  octobre.  Vers  475,  —  Au  diocèse  d'Aix,  saint  Cannât,  évêque 
de  Marseille  et  confesseur,  dont  nous  avons  esquissé  la  notice  au  jour  précédent.  487.  —  Aux 
diocèses  de  Beauvais,de  Cambrai  et  d'Arras,  saint  Mommolin  (Mummohn,  Mommolein),  évêque  do 
Noyon  et  confesseur.  685.  —  Au  diocèse  d'Angers,  saint  Magnobode  ou  Maimbœuf,  évêque  de  ce 
siège  et  confesseur  8.  Vers  660.  — ■  Aux  diocèses  d'Auch,  Tarbes  et  Toulouse,  saint  Bertrand, 
évèque  de  l'ancien  siège  de  Comminges  et  confesseur.  1130.  —  Au  diocèse  de  Cahors,  saint 
Ambrois,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  Vers  770.  — 
Au  diocèse  de  Chàlons-sur-Marne,  saint  Berchaire  ou  Bercaire,  abbé  de  Hautvilliers  et  de  Montier- 
en-Der,  martyr  au  diocèse  de  Langres,  cité  au  martyrologe  romain  de  oe  jour,  vu*  s.  —  Aux 
diocèses  de  Chartres  et  de  Poitiers,  sainte  Soline,  vierge  et  martyre,  dont  nous  donnerons  la  vie 

1.  Les  Bollandistes  ajoutent  les  saints  Mirée  et  Auside,  et  disent  qu'ils  souffrirent  en  Afrique,  et  non 
en  Espagne,  comme  l'ont  avancé  quelques  martyrologes.  —  Le  Père  Van  Hecke,  dans  les  Acta  Sanctorum. 

2.  Anglais  de  naissance  et  élevé  dans  les  monastères  de  Malmesbury  et  de  Jarrow,  Lulle  passa  en  Alle- 
magne en  732.  S.  Boniface,  son  parent,  le  vit  arriver  avec  joie;  il  l'ordonna  diacre,  puis  prêtre, et,  quelque 
temps  après,  il  le  choisit  pour  son  successeur  sur  le  siège  de  Mayence  qu'il  tint  pendant  34  ans.  Il  fonda 
les  monastères  de  Sleidenstadt  et  d'Hirschfeld,  assista  au  synode  d'Attigny,  en  Champagne  (765)  et  au 
Concile  de  Rome  (769),  et  termina  ses  jours  dans  le  monastère  d'Hirschfeld,  le  1er  novembre  787.  — 
Continuateurs  de  Godescard. 

3.  Disciple  et  successeur  de  saint  Lézin,  évêque  d'Angers  (1«  novembre),  Maimbœuf  de  Villebernier 
(près  Saumur)  s'appliqua  a  reproduire  dans  sa  conduite  tous  les  traits  d'un  si  parfait  modèle.  On  vante 
surtout  son  dévouement  pour  ses  diocésains.  Il  mourut  le  16  octobre,  vers  660,  et  fut  enseveli  dans  une 
église  qu'il  avait  fait  construire  en  l'honneur  et  sous  le  patronage  de  saint  Saturnin  de  Toulouse  (elle  9 
été  démolie  en  1793).  Plus  tard,  son  corps  fut  déposé  dans  un  précieux  reliquaire  ;  la  Révolution  l'a  anéanti. 
Cependant  l'église  de  la  Trinité  d'Angers  et  plusieurs  autres  possèdent  encore  quelques  fragments  des 
reliques  de  saint  Maimbœuf.  Plusieurs  paroisses  en  Anjou  sont  sous  son  patronage  ;  mais  aucune  n'en 
garde  un  souvenir  plus  .traditionnel  que  celle  de  Noëllet  (près  de  Pouancé),  où  l'on  vient  d'assez  loin  au 
pèlerinage  de  Saint-Maimbœuf.  —  Cf.  Saints  de  l'Anjou,  par  le  révérend  Père  Dom  Chamard. 


MARTYROLOGES.  383 

au  jour  suivant.  —  Aux  diocèses  de  Nancy  et  de  Saint-Dié,  saint  Elophe  (Eliphe,  Eloph,  Alof, 
Elis),  martyr,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  Vers  362.  —  Aux  diocèses  de  Coutances  et 
Avranches,  de  Rennes  et  de  Vannes,  anniversaire  de  l'apparition  du  glorieux  saint  Michel,  ar- 
change, à  saint  Aubert,  évoque  de  l'ancien  siège  d'Avranches.  Cette  apparition  donna  sujet  au 
pieux  évêque  de  fonder  l'abbaye  du  Mont-Saint-Michel  (S.  Michael  in  monte  Tumba)  *.  vm°  s, 

Au  diocèse  de  Fréjus,  sainte  Roseline  de  Villeneuve,  religieuse  chartreuse,  dont  nous  avons 

donné  la  vie  au  H  juin.  1329.  —  Au  diocèse  de  la  Rochelle,  saint  Calliste,  pape  et  martyr,  dont 
nous  avons  donné  la  vie  au  14  octobre.  222.  —  Aux  diocèses  de  Laval  et  du  Mans,  saint  Bé- 
raire  Ier  (Berarius,  Berecharius),  évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  dont  nous  esquisserons  la 
notice  au  jour  suivant.  670.  —  Au  diocèse  de  Limoges,  saint  Junian  ou  Junien,  qui  mena  la  vie 
solitaire  dans  les  forêts  de  Comodoliac,  aujourd'hui  Saint-Junien  (Haute-Vienne)  *.  Vers  550.  — 
Au  diocèse  de  Lyon,  saint  Antioche,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  dont  nous  avons  parlé  au 
jour  précédent.  Vers  410.  —  Au  diocèse  de  Marseille,  sainte  Thérèse,  vierge,  dont  nous  avons 
donné  la  vie  au  jour  précédent.  1582.  — -  Aux  diocèses  de  Strasbourg  et  de  Mayence,  saint  Gall, 
abbé,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour,  vue  s.  —  Au  diocèse  de  Metz,  saint  Céleste,,  évêque 
de  ce  siège  et  confesseur,  déjà  nommé  au  14  octobre  où  nous  avons  donné  quelques  détails  sur 
sa  vie.  m»  s.  —  Au  diocèse  de  Nantes,  translation  (1145)  des  reliques  des  saints  Donatien  et 
Rogatien,  frères,  martyrs  et  patrons  de  Nantes,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  24  mai.  Vers  288. 

—  Au  diocèse  de  Quimper,  saint  Conogan,  évêque  de  ce  siège  t  confesseur,  déjà  cité  au  jour 
précédent  v«  s.  —  Aux  diocèses  de  Reims  et  de  Verdun,  samt  Balderic  ou  Baudry,  prêtre,  frère 
de  sainte  Beuve  (24  avril),  fondateur  du  monastère  bénédictin  de  Montfaucon  (Mons  Falconis, 
Meuse),  et  de  Saint-Pierre  de  Reims  ».  vu*  s.  —  Au  diocèse  de  Rodez,  les  saints  Grat  et 
Ansute,  martyrs.  Vers  316.  —  Au  diocèse  de  Viviers,  saint  Géraud  ou  Gérault,  comte  d'Aurillac 
et  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  13  octobre.  909.  — -  Au  diocèse  de  Saint-Flour, 
saint  Edouard  III  le  Confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  même  jour.  1066.  —  Au  diocèse 
de  Soissons,  saint  Baudoin,  chanoine-archidiacre  de  Laon  et  martyr.  680.  —  Au  diocèse  de 
Tours,  saint  Ghislain,  abbé  et  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  9  octobre.  680.  — -  A 
Limoges,  saint  Silvain  d'Ahun  (Sauvan,  Souvain,  Salvan),  martyrisé  par  les  Vandales.  Il  est 
patron  d'Ahun  (Creuse,  arrondissement  de  Guéret),  de  Château-Chervix  (Haute-Vienne)  et  de  Chi- 
rac (Corrèze).  v®  s.  —  Autrefois,  à  Douai,  dans  l'église  collégiale  de  Saint-Amé,  fête  de  saint 
Gurdinel,  confesseur,  que  quelques  hngiographes  pensent  être  le  même  que  saint  Gordaine,  nommé 
ci-dessous.  —  Autrefois,  à  Anchin  (Nord),  au  diocèse  de  Cambrai,  saint  Gordaine,  ermite  *.  vm«  s. 

1.  C'était  une  célèbre  abbaye  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît  fondée,  en  709,  sur  le  sommet  d'un  roc  qui,  à 
la  marée  haute,  forme  une  île,  et  qu'on  appelle  Tombe,  du  mot  latin  tumulus,  monceau.  Saint  Aubert  dédia 
solennellement  l'e'glise  abbatiale  et  y  établit  des  clercs  pour  y  chanter  l'office  divin  :  ces  clercs,  vivant  peu 
régulièrement,  furent  remplacés  (966)  par  des  religieux  bénédictins.  Ce  monastère  devint  par  la  suite  très- 
considérable  et  il  a  joué  un  rôle  important  dans  notre  histoire.  L'Ordre  militaire  de  Saint-Michel,  institué  ' 
par  Louis  XI  le  1er  août  1469,  en  l'honneur  de  saint  Michel,  patron  de  la  France,  tenait  son  Chapitre  dans 
cette  abbaye.  Le  roc  de  Tombe  a  trois  cents  pieds  d'élévation.  Un  autre  rocher  voisin,  moins  élevé,  se 
nomme  Tombelaine,  c'est-à-dire  petite  tombe.  —  L'abbaye  de  Saint-Michel  s'unit,  en  1622,  à  la  Congré- 
gation de  Saiut-Maur,  dont  les  religieux  devinrent  alors  les  vigilants  gardiens  de  la  sainte  montagne.  Cette 
même  abbaye  a  servi,  jusqu'en  1864,  de  prison  d'Etat  et  de  maison  de  correction.  Le  village  actuel  de 
Mont-Saint-Michel  (Manche,  arrondissement  d'Avranches,  canton  de  Pontorson)  est  bâti  au  pied  de  ce 
mont  rocailleux.  —  Pour  plus  de  détails,  voir  t.  iv,  p.  418. 

2.  Quelques  hagiographes  pensent  qu'il  était  originaire  d'Amiens.  Ce  pieux  solitaire  est  fort  connu  des 
populations  du  Limousin  et  du  Poitou  :  on  rapporte  qu'il  les  guérit  de  la  fameuse  épidémie  connue  sous 
le  nom  de  Mal  des  Ardents,  en  leur  donnant  à  boire  de  l'eau  d'une  fontaine  qu'il  fit  sourdrede  sa  cellule, 
et  qui  existe  encore  de  nos  jours.  On  conserve  à  Saint-Junien  le  chef  de  l'illustre  solitaire  du  Limousin. 

—  Labiche  de  Reignefort,  Saints  du  Limousin. 

3.  Saint  Balderic  fut  enseveli  au  monastère  de  Saint-Pierre  de  Reims.  Transporté  plus  tard  à  Mont- 
faucon,  et  déposé  dans  l'église  de  Saint-Laurent,  oh  il  s'était,  de  son  vivant,  préparé  un  tombeau,  et  ensuite 
à  Verdun,  il  fut  enfin  ramené  à  Montfaucon  et  mis  dans  l'église  de  Saint-Germain,  qui  était  celle  de  l'ab- 
baye, et  Dieu  honora  son  tombeau  de  plusieurs  miracles.  Son  corps  a  depuis  été  transporté  dans  l'église 
Saint-Laurent  de  Montfaucon.  —  Acta  Sanctorum. 

4.  Au  milieu  des  marais  qui  couvraient  autrefois  le  pays  oh  a  été  élevée  l'abbaye  de  Saint-Sauveur 
X Anchin  (Aquiscinctum,  Ordre  de  Saint-Benoît),  vécut,  au  vin»  siècle,  le  saint  ermite  Gordaine.  On  ne 
connaît  presque  rien  de  sa  vie.  Retiré  dans  cette  île  formée  par  les  eaux  débordées  de  plusieurs  rivières, 
il  y  mena  une  existence  sainte  et  pénitente,  et  attira,  par  ses  prières,  sur  toute  la  contrée,  les  plus  abon- 
dantes bénédictions.  Si  parfois  il  sortait  de  son  île,  c'était  pour  aller  répandre  de  nouveaux  bienfaits  dans 
les  pays  voisins.  Aujourd'hui  encore,  on  voit,  au  village  de  Montigny,  près  Douai,  la  Fontaine  de  Saint- 
Gordaine.  Longtemps  après  sa  mort,  on  apercevait  encore  les  vestiges  du  petit  oratoire  qu'il  avait  élevé 
de  ses  mains.  Il  n'y  avait  personne  dans  la  contrée  de  Pecquencourt,  qui,  en  mourant,  ne  voulût  être 
enterré  dans  cette  terre  sainte.  Mais  le  cimetière,  devenu  trop  étroit,  fut  par  la  suite  exclusivement  réservé 
H  la  sépulture  des  moines  d'Anchin.—  La  fête  de  saint  Gordaine  se  célébrait  à  Anchin  le  16  octobre;  dans 
la  suite,  elle  fut  observée  dans  l'église  collégiale  de  Saint-Amé  de  Douai,  où  le  culte  du  vénérable  ermite 
était  en  grande  vénération.  —  Les  auteurs  qui  ont  parlé  de  l'origine  de  l'abbaye  d'Anchin  rapportent 
d'après  d'anciennes  traditions,  que  c'est  saint  Gordaine   auit  dans  une  vision,  inspira  à  Sohier  et  à  Gau- 


384  46  OCTOBRE. 

—  En  Basse-Bretagne,  saint  Vital  (Vial,  Viau),  moine  de  Noirmoutier  (Vendée),  puis  solitaire  sur 
le  mont  Scobrit,  dans  le  pays  de  Retz,  assez  près  de  la  Loire  *.  740.  —  Au  diocèse  de  Langres, 
sainte  Bologne,  vierge  et  martyre,  iv*  s.  —  En  Auvergne,  sainte  Bonite  d'Alvier,  vierge,  célèbre 
par  sa  grande  dévotion  envers  saint  Julien.  Son  corps  repose  dans  la  chapelle  de  Saint-Martin  de 
Brioude.  —  En  Languedoc,  saint  Galdry  ou  Gaudry  (Waldericus),  confesseur  8.  Vers^OO.  —  A  Doydes, 
dans  l'ancien  diocèse  de  Rieux  (Haute-Garonne),  le  décès  de  saint  Anastase,  qui  mena  tour  à  tour 
la  vie  monastique  au  Mont-Saint-Michel  (Manche)  et  à  Cluny  (Saône-et-Loire),  et  la  vie  érémitique 
sur  les  plages  de  la  Manche  et  sur  les  montagnes  des  Pyrénées  8.  Vers  1185.  —  Au  diocèse  de 
Nevers,  saint  Salvi  ou  Sauve,  que  les  hagiographes  français  modernes,  contrairement  à  l'opinion 
des  continuateurs  de  Bollandus,  croient  être  le  même  que  saint  Salvi  ou  Sauve,  évêque  d'Albi  et 
confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  10  septembre.  586. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  Saint  Rustique,  prêtre,  et  saint  Eleuthère,  diacre, 
qui  consommèrent  leur  martyre  à  Paris  avec  saint  Denis,  le  9  octobre.  Vers  117. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit.  —  A  Arbon,  en  Allemagne,  saint  Gall,  abbé,  dis- 
ciple du  bienheureux  Colomban,  dont  il  connut  la  sainte  mort  en  Italie,  par  une  vision  qu'il  eut 
en  Allemagne,  vu0  s. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Camaldules.  —  De  même  que  chez  les  Bénédictins. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Vallombreuse.  —  De  même  que  chez  les  Bénédictins. 

Martyrologe  de  VOrdre  des  Déchaussés  de  la  Sainte-Trinité.  —  Sainte  Thérèse,  vierge, 
dont  la  naissance  au  ciel  se  célèbre  la  veille  de  ce  jour  *.  1582. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint -François.  —  Saint  Wenceslas,  duc  de  Bohême, 
martyr  à  Boleslaw,  près  de  Prague,  dont  la  mémoire  se  célèbre  le  28  septembre  dans  toute 
l'Eglise  ».  936. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  -—  Saint  Côme  et  saint  Damien,  frères,  martyrs 
à  Eges,  en  Cilicie,  et  dont  la  mémoire  se  célèbre  le  27  septembre  6.  Vers  286. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  la  bienheureuse  vierge  Marie  du  Mont-Carmel.  —  La  fête  de 
la  bienheureuse  Marie  de  l'Incarnation,  fondatrice  des  religieuses  de  l'Ordre  des  Carmélites  dé- 
chaussées, en  France  ;  son  décès  est  mentionné  le  18  avril  7.  1618. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin.  — -  En  Afrique,  les  saints  martyrs 
Martinien  et  Saturien,  etc.,  comme  au  martyrologe  romain. 

Martyrologe  des  Mineurs  Capucins  de  Saint-François.  —  Saint  Edouard,  roi  et  confesseur, 
qui  mourut  le  5  janvier,  mais  qui  est  honoré  de  préférence  dans  toute  l'Eglise  le  13  octobre,  et 
dont  la  fête  se  célèbre  aujourd'hui  dans  notre  Ordre  8. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint- Jérôme.  —  De  même  que  chez  les  Franciscains. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Syracuse,  en  Sicile,  saint  Bassien,  martyr,  auquel  plusieurs  martyrologistes  adjoignent  les 
saints  Fabien  et  Sabinien,  également  martyrs.  Vers  269.  —  En  Afrique,  sainte  Cérée  ou  Cècre 

thier,  seigneurs  du  pays  et  jusqu'alors  ennemis  acharnés,  la  pensée  de  bâtir  ce  monastère.  —  Vie  des  Saints 
de  Cambrai  et  d'Arras,  par  M.  l'abbé  Destombes. 

1.  Quand  il  faisait  bâtir  son  ermitage  du  mont  Scobrit,  pour  soulager  ses  ouvriers  tourmentés  de  la 
soif,  il  leur  procura  une  source  d'eau  vire  qu'il  tira  miraculeusement  des  entrailles  de  la  terre,  en  y 
enfonçant  son  bâton.  Cette  fontaine  porte  encore  aujourd'hui  son  nom,  et  les  paroisses  voisines  y  vont  dans 
les  temps  de  sécheresse  invoquer  le  secours  du  Saint.  Ses  reliques,  déposées  dans  l'abbaye  de  Tournus 
(entre  Mâcon  et  Châlon),  ont  été  dispersées,  en  1562,  par  les  Calvinistes.  —  Saints  de  Bretagne,  par  Dom 
Lobineau. 

2.  Il  était  laboureur.  Ses  reliques  se  gardaient  autrefois,  partie  dans  l'abbaye  bénédictine  de  Saint- 
Martin-du-Canigon,  au  diocèse  de  Perpignan;  partie  dans  l'église  Saint-Maurice  de  Mirepoix,  au  diocèse 
de  Pamiers;  partie  dans  l'abbaye  bénédictine  du  Val-de-Grâce,  a  Paris.  On  l'invoque  en  Languedoc  contre 
les  pluies  qui  menacent  la  récolte. —  Ancien*  martyrologes  ;  Acta  Sanctorum;  Caractéristiques  des  Saints. 

3.  Nous  avons  encore  de  lui  une  lettre  sur  l'Eucharistie,  qui  a  été  imprimée  avec  le  traité  de  Lanfranc 
sur  le  même  sujet.  Il  y  réfute  l'hérésie  de  ceux  qui  prétendaient  que  le  Christ  n'est  qu'en  figure  dans  l'Eu- 
charistie, et  il  y  prouve  que  ce  môme  corps  qui  est  né  d'une  vierge  et  qui  a  souffert  pour  nous  est  réelle- 
ment présent  dans  le  Saint-Sacrement.  Cette  lettre  est  reproduite  au  tome  cxlix  de  la  Patrologie.  Elle 
est  précédée  des  observations  de  Mabillon  et  de  la  Vie  de  saint  Anastase,  par  Gauthier.  —  Dom  Ceillier, 
Godescard,  Mabillon. 

4.  Voir  sa  vie  au  15  octobre.  —  6.  Nous  avons  donné  sa  vie  au  28  septembre.  —  6.  Voir  leur  vie  au 
27  septembre.  —  7.  Nous  avons  donné  sa  vie  au  18  avril.  —  8.  Voir  la  vie  de  saint  Edouard,  le  Confes- 
seur, au  13  octobre. 


SAINT  GALL  D'IRLANDE,   ABBÉ.  38S 

(Cerea,  Csecra),  martyrisée  avec  les  deux  cent  soixante-dix  glorieux  anonymes  cités  au  martyro- 
loge romain  de  ce  jour.  me  ou  iv«  siècle.  —  Chez  les  Grecs,  les  sainte  Léonce,  Domice,  Térence 
et  Domnin,  martyrs,  qui  périrent  par  le  feu.  —  En  Grèce,  saint  Maie  ou  Malée,  ermite,  dont  les 
Menées  font  ainsi  l'éloge  :  «  Après  avoir  dit  un  éternel  adieu  à  sa  patrie,  à  ses  biens,  à  ses  proches, 
notre  Père  saint  Malée  s'en  vint  dans  des  lieux  déserts  où  il  s'appliqua  sans  relâche  aux  jeûnes, 
aux  veilles  et  à  toutes  sortes  d'exercices  pénibles  à  notre  nature.  Et  au  milieu  de  ces  mortifications 
journalières,  son  visage  radieux  reflétait  la  joie  la  plus  pure.  Il  invoquait  le  nom  du  Christ  et 
opérait  par  ce  moyen  des  prodiges  sans  nombre  ;  les  lépreux,  les  aveugles,  les  boiteux  étaient 
guéris  par  la  seule  force  de  ses  prières.  Voilà  ce  qu'il  faisait  tant  qu'il  vécut  ;  quand  il  eut  rendu 
à  Dieu  sa  belle  âme,  une  liqueur  d'un  merveilleux  parfum  s'échappa  de  son  corps  ;  ceux  qui  la 
recueillaient  avec  esprit  de  foi  s'en  servaient  avec  succès  dans  les  maladies  contagieuses,  selon 
cette  parole  du  Seigneur  :  Si  vous  me  glorifiez  dans  mes  Saints,  je  ne  manquerai  point  de  vous 
glorifier  moi-même  ».  —  Dans  l'Ulster  ou  Ultonie,  province  d'Irlande,  saint  Colman,  évoque  de 
Kill-Ruadh  (comté  de  Down)  et  confesseur,  disciple  de  saint  Albée  ou  Elvé,  archevêque  de  Muns- 
ter (12  septembre).  vi«  s.  —  Dans  le  Munster  ou  Momonie,  autre  province  d'Irlande,  sainte  Kère 
(Kiara),  vierge,  que  l'on  croit  avoir  été  la  fondatrice  du  monastère  de  Killchrée  (comté  de  Kerry). 
Vers  680.  —  A  Eboli  (Ebulum),  ville  du  royaume  de  Naples  (Principauté  Citérieure),  au  diocèse 
de  Salerne,  saint  Dernier  d'Espagne,  ermite  et  confesseur.  Il  quitta  son  pays  natal,  parcourut 
l'Italie,  y  mena  la  vie  solitaire,  et  se  fixa  en  dernier  lieu  à  Eboli,  où  ses  prédications  convertirent 
un  grand  nombre  de  personnes.  Son  corps  fut  déposé  dans  l'église  Saint-Pierre  d'Eboli,  où  il  a 
longtemps  été  en  grande  vénération.  Fin  du  xn«  s. 


SAINT  GALL  '  D'IRLANDE, 

FONDATEUR  ET  PREMIER  ABBÉ  DU  MONASTÈRE  BÉNÉDICTIN  DE  S.-GALL,  EN  SUISSE 
Vers  646.  —  Pape  :  Théodore.  —  Rois  de  France  :  Sigebert  H  ;  Clovis  II. 


Quand  vous  recevez  une  humiliation,  regardez  cela 
comme  un  bon  signe,  comme  une  preuve  certaine 
de  la  grâce  qui  approche. 

Saint  Bernard. 

Saint  Gall  naquit  en  Irlande  de  parents  nobles  et  vertueux  qui  l'offrirent 
à  Dieu  dès  sa  première  jeunesse  dans  le  monastère  de  Benchor  ou  Bangor 
(comté  de  Down),  pour  être  élevé  dans  la  piété  et  les  lettres,  sous  la  disci- 
pline de  saint  Colomban  dont  la  vertu  donnait  alors  beaucoup  d'éclat  à  ce 
lieu.  Il  avait  les  inclinations  si  heureuses,  qu'avec  les  grâces  dont  il  plut  à 
Dieu  de  le  soutenir  il  fit  des  progrès  tout  extraordinaires  dans  la  vertu  et 
les  sciences,  surtout  dans  l'intelligence  de  l'Ecriture  sainte  dont  il  expli- 
quait admirablement  les  endroits  les  plus  difficiles  et  les  plus  obscurs.  Il  y 
joignait  l'agrément  des  belles-lettres,  et  particulièrement  de  la  poésie  dont 
il  tâchait  de  sanctifier  l'usage  en  la  faisant  servir  à  la  piété.  Quoiqu'il  parût 
avoir  été  confié  aux  soins  de  Colomban,  ce  Saint  n'avait  sur  lui  d'autre  su- 
périorité que  celle  que  lui  donnait  l'autorité  particulière  de  ses  exemples 
et  de  ses  instructions.  Son  abbé,  saint  Gomgall,  fondateur  du  monastère  où 
il  vivait,  voulut  le  faire  élever  aux  ordres  sacrés,  de  l'avis  de  toute  sa  com- 
munauté :  mais  s'il  exécuta  ce  dessein,  ce  ne  fut  que  pour  lui  conférer  les 
ordres  inférieurs.  Car  on  est  persuadé  que  saint  Gall  ne  reçut  la  prêtrise 
qu'après  qu'il  fut  passé  en  France  avec  saint  Colomban,  et  par  le  comman- 
dement exprès  de  ce  Saint,  lorsqu'il  fut  devenu  son  abbé.  Il  n'y  a  que  sa 

1.  En  latin  :  Gallus,  Gallunus,  Galliacus,  G  allô. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  2:; 


386  16  OCTOBRE. 

modestie  qui  lia  pour  lors  les  mains  à  l'abbé  saint  Comgall,  et  ce  ne  fut 
qu'après  beaucoup  de  temps  et  d'efforts  que  saint  Colomban  put  vaincre 
une  répugnance  qui  n'était  que  l'effet  de  son  humilité.  Il  fut  du  nombre  des 
douze  religieux  de  Bangor  que  ce  Saint  choisit,  par  la  permission  de  saint 
Comgall,  pour  l'accompagner  dans  le  dessein  qu'il  avait  d'aller  hors  de  son 
pays  chercher  à  se  perfectionner  dans  la  vie  pénitente.  Ils  passèrent  de  l'Ir- 
lande en  Angleterre,  et  de  là  en  France,  du  temps  des  rois  Gontran  et  de 
$es  neveux  Glotaire  II  et  Childebert  II.  Ils  s'arrêtèrent  quelque  temps  dans 
les  Etats  du  dernier  qui  régnait  en  Austrasie  :  puis,  étant  entrés  dans  les 
déserts  des  Vosges,  ils  y  bâtirent  le  monastère  d'Annegray,  sur  les  confins 
des  diocèses  de  Toul  et  de  Besançon.  Le  pays  y  était  stérile  et  dépourvu 
des  commodités  nécessaires  à  la  vie.  Cela  ne  pouvait  être  que  favorable  au 
dessein  de  Colomban  et  de  ses  disciples,  qui  y  souffrirent  beaucoup  pendant 
près  de  deux  ans  qu'ils  y  demeurèrent.  Mais,  ayant  été  conviés  par  des  per- 
sonnes de  piété,  entre  autres  par  Agnoald,  de  passer  sur  les  terres  de  Bour- 
gogne qui  obéissaient  au  roi  Gontran,  saint  Colomban,  à  la  faveur  de  ce 
prince,  bâtit,  de  l'autre  côté  des  montagnes  des  Vosges,  un  nouveau  monas- 
tère sur  les  ruines  d'une  vieille  maison  appelée  Luxeuil,  au  diocèse  de 
Besançon.  Saint  Gall  y  embrassa  des  premiers  la  Règle  que  son  maître  y 
prescrivit  à  ses  disciples,  et  y  devint  un  modèle  de  régularité  pour  la  com- 
munauté, qui  se  multiplia  beaucoup,  en  peu  de  temps,  par  l'affluence  de 
ceux  qui  venaient  de  France  et  de  Bourgogne  servir  Dieu  sous  la  conduite 
de  saint  Colomban. 

Notre  Saint,  attaché  à  ses  devoirs,  passa  plusieurs  années  dans  le  silence 
et  la  retraite  de  ce  saint  lieu,  jusqu'à  ce  qu'il  plut  à  Dieu  de  procurer  d'au- 
tres épreuves  à  sa  vertu  dans  les  traverses  et  les  persécutions  qui  furent 
suscitées  à  saint  Colomban.  Pendant  que  Thierry,  roi  de  Bourgogne,  fils  de 
Childebert  II,  à  l'instigation  de  sa  grand'mère  Brunehaut,  exerçait  la  pa- 
tience de  saint  Colomban  par  divers  exils,  saint  Gall,  accompagné  de  saint 
Eustase,  autre  religieux  de  Luxeuil,  qui  en  fut  depuis  abbé,  ne  trouvant 
point  de  sûreté  dans  sa  communauté  contre  les  insultes  de  cette  princesse, 
se  réfugia  auprès  de  Théodebert,  roi  d'Austrasie,  frère  de  Thierry.  Saint 
Colomban  s'y  rendit  peu  de  temps  après,  au  retour  de  la  cour  du  roi  Clo- 
taire,  où  les  vexations  de  Thierry  et  de  Brunehaut  l'avaient  obligé  de 
passer.  Théodebert  les  reçut  comme  des  anges  du  Seigneur,  témoignant 
être  fort  satisfait  d'entendre  leurs  instructions  et  fort  joyeux  d'avoir  auprès 
de  lui  de  tels  serviteurs  de  Dieu.  Saint  Colomban  lui  demanda  ensuite  per- 
mission d'aller  en  Italie  trouver  Agilulphe,  roi  des  Lombards.  Mais  Théode- 
bert, ne  pouvant  souffrir  qu'il  sortît  de  ses  Etats,  le  pria  d'y  choisir  tel  lieu 
qu'il  jugerait  à  propos  pour  servir  Dieu  en  paix  et  instruire  les  peuples  sous 
sa  protection.  Le  Saint  accepta  cette  faveur  et  remonta  le  long  du  Rhin 
avec  saint  Gall,  saint  Eustase  et  quelques  autres  de  ses  disciples  qui  étaient 
venus  le  joindre  à  Metz.  Lorsqu'ils  furent  arrivés  au  lieu  où  le  Rhin  reçoit 
la  rivière  d'Aar,  entre  les  diocèses  de  Bâle  et  de  Constance,  ils  entrèrent  en 
Suisse,  s'avancèrent  par  la  rivière  du  Limât  jusqu'au  bout  du  lac  de  Zurich, 
et  passèrent  au  territoire  de  Zug  où  ils  croyaient  avoir  trouvé  une  solitude 
propre  à  leur  établissement,  lorsqu'ils  s'en  virent  chassés  par  les  habitants. 
Ces  peuples  étaient  entièrement  barbares  et  idolâtres  :  nos  Saints,  touchés 
de  compassion  pour  leur  aveuglement  et  leurs  désordres,  s'employèrent  à 
les  instruire  de  la  religion  chrétienne,  mais  ils  ne  les  trouvèrent  point  dis- 
posés à  les  écouter.  Saint  Gall,  ne  pouvant  retenir  son  zèle,  mit  le  feu  aux 
temples  de  leurs  faux  dieux  et  jeta  dans  le  lac  qui  en  était  proche  les  obla- 


SAINT  GALL  D'IRLANDE,  ABBÉ.  387 

tions  et  les  autres  choses  destinées  aux  sacrifices.  Cette  action  irrita  telle- 
ment les  barbares,  que,  pour  s'en  venger,  ils  résolurent  de  le  tuer  et  de 
fouetter  saint  Colomban,  puis  de  le  chasser  de  leur  pays  avec  tous  les  siens. 
Nos  Saints  ayant  su  cette  résolution  jugèrent  à  propos  de  se  retirer.  Ils  s'ar- 
rêtèrent au  bourg  d'Arbon,  sur  le  lac  de  Constance,  où  ils  furent  charita- 
blement reçus  par  "Willimar,  qui  était  un  prêtre  de  grande  vertu. 

Colomban  ayant  demandé  à  cet  hôte  s'il  ne  savait  point  quelque  lieu 
écarté  qui  pût  lui  servir  de  retraite  et  à  sa  compagnie,  il  lui  apprit  qu'à 
l'extrémité  du  lac,  vers  le  levant,  il  y  avait  une  solitude  fort  propre  à  son 
dessein,  parce  qu'il  y  trouverait  de  Vieux  bâtiments  abandonnés  où  il  pour- 
rait se  loger,  et  que  la  campagne  y  était  assez  abondante  en  fruits.  Suivant 
cet  avis,  saint  Colomban  monta  sur  une  barque  avec  saint  Gall  et  un  diacre 
et  arriva  au  lieu  qui  lui  avait  été  indiqué.  C'était  un  lieu  près  la  ville  de 
Brégentz  assez  désert,  mais  dans  une  solitude  fort  agréable.  Ils  y  trouvèrent 
une  chapelle  dédiée  à  sainte  Aurélie,  mais  on  n'y  disait  plus  la  messe  et  elle 
était  profanée  par  un  culte  impie  et  idolâtre  ;  car  il  y  avait  trois  statues 
d'airain,  attachées  à  la  muraille,  que  les  habitants  adoraient  comme  les 
anciens  dieux  du  pays  à  qui  ils  se  tenaient  redevables  de  leur  fortune  et  de 
leur  conservation.  Saint  Colomban,  ne  pouvant  souffrir  cette  abomination, 
ordonna  à  saint  Gall  de  leur  annoncer  l'Evangile,  parce  qu'il  savait  assez 
bien  parler  leur  langue.  Le  jour  de  la  grande  fête  du  lieu  étant  venu,  il  s'y 
rendit  une  multitude  de  monde  de  tout  âge  et  de  tout  sexe,  dont  le  concours 
fut  encore  augmenté  par  le  désir  de  voir  ces  étrangers.  Saint  Gall  y  signala 
son  zèle  :  il  prêcha  fortement  contre  la  superstition  païenne,  exhorta  le 
peuple  à  reconnaître  et  à  adorer  le  vrai  Dieu.  Puis  joignant  l'effet  aux  paroles, 
il  brisa  les  statues  et  en  jeta  les  morceaux  dans  le  lac.  Plusieurs  profitèrent 
de  ces  instructions  et  se  convertirent  ;  les  autres,  demeurant  dans  leur 
aveuglement,  en  furent  fort  irrités,  ce  qui  n'empêcha  point  saint  Colomban 
de  purifier  la  chapelle  avec  de  l'eau  bénite.  Il  la  dédia  pendant  que  saint 
Gall  et  son  autre  compagnon  chantaient  des  psaumes,  en  consacra  l'autel' 
avec  de  l'huile  sainte,  y  mit  des  reliques  de  sainte  Aurélie,  et  l'on  com- 
mença ensuite  à  y  dire  la  messe.  Les  autres  disciples  de  saint  Colomban, 
qui  étaient  restés  à  Arbon,  vinrent  le  rejoindre  à  Brégentz.  Ils  bâtirent  des 
cellules  autour  de  la  chapelle  ;  et  outre  les  exercices  de  piété,  les  uns  s'oc- 
cupèrent à  cultiver  un  jardin  et  les  autres  à  pêcher.  L'exercice  de  saint  Gall 
était  de  faire  des  filets  pour  les  pêcheurs  ou  de  pêcher  souvent  lui-même. 
Par  ce  moyen,  il  fournissait  du  poisson  à  ceux  de  sa  communauté  et  aux 
hôtes  qu'ils  recevaient  dans  leur  petit  monastère. 

L'enfer  était  furieux  de  se  voir  arracher  un  domaine  où  il  régnait  depuis 
si  longtemps.  Une  nuit,  notre  Saint  entendit  le  démon  de  la  montagne  crier 
à  celui  du  lac  :  a  Viens  à  mon  secours,  afin  que  nous  chassions  ces  étran- 
gers ;  car  ils  m'ont  expulsé  de  mon  temple,  brisé  mes  simulacres  et  attiré 
après  eux  le  peuple  qui  me  suivait  ».  Le  démon  du  lac  de  Constance  répon- 
dit :  «  Ce  que  vous  annoncez  de  votre  infortune,  je  le  ressens  par  la 
mienne  ;  car  un  de  ces  étrangers  me  presse  dans  les  eaux  et  dévaste  mon 
domaine  ;  je  ne  saurais  ruiner  ses  filets  ni  le  tromper  lui-même,  car  l'in- 
vocation du  nom  divin  est  toujours  dans  sa  bouche,  et,  veillant  continuel- 
lement sur  lui-même,  il  se  rit  de  nos  pièges  ».  L'homme  de  Dieu,  quand  il 
eut  entendu  ces  choses,  se  fortifia  de  toutes  parts  du  signe  de  la  croix  et  dit 
à  ces  démons  :  «  Au  nom  de  Notre -Seigneur  Jésus-Christ,  je  vous  adjure  de 
quitter  ce  lieu  et  de  n'y  faire  de  mal  à  personne  ».  Ensuite  il  s'empressa  de 
raconter  à  son  abbé  ce  qu'il  venait  d'entendre.  Aussitôt  Colomban  donna  le 


388  16   OCTOBRE. 

signal  de  se  réunir  à  l'église.  Mais,  avant  qu'on  eût  commencé  le  chant  des 
psaumes,  on  entendit  sur  le  sommet  des  montagnes  les  hurlements  des 
démons  et  les  gémissements  de  leur  départ.  Sur  quoi  les  serviteurs  de  Dieu 
se  prosternèrent  en  oraison  et  rendirent  grâces  au  Seigneur,  qui  les  avait 
délivrés  de  ces  malins  esprits. 

Cependant  les  infidèles  du  pays,  irrités  que  les  serviteurs  de  Dieu  eussent 
brisé  leurs  idoles,  allèrent  se  plaindre  au  duc  Gonzon,  qui  était  ou  seigneur 
ou  gouverneur  du  lieu,  que  ces  étrangers  étaient  venus  troubler  la  liberté 
publique,  et  que  l'on  ne  pouvait  plus  chasser  aux  environs  de  Brégentz  à 
cause  d'eux.  D'autres  enlevèrent  quelques  vaches  du  monastère  et  tuèrent 
même  deux  des  disciples  de  Golomban.  Gonzon,  qui  n'était  pas  sans  doute 
idolâtre,  mais  qui  préférait  la  politique  à  la  religion,  lui  ordonna  de  sortir 
du  pays  ;  et  Colomban,  au  lieu  de  s'aller  justifier  comme  il  lui  était  aisé  de 
le  faire,  aima  mieux  obéir,  parce  que  d'ailleurs  il  craignait  la  colère  de 
Thierry,  roi  de  Bourgogne,  qui,  par  la  défaite  et  la  mort  du  roi  Théode- 
bert,  son  frère,  était  devenu  roi  d'Austrasie,  d'où  dépendait  le  lieu  où  il 
s'était  établi.  Il  prit  le  parti  de  passer  en  Italie  avec  ses  disciples  ;  mais 
saint  Gall,  se  trouvant  indisposé  lorsqu'on  était  sur  le  point  de  partir, 
s'excusa  de  ne  pouvoir  le  suivre.  Le  saint  abbé  crut  que  c'était  moins  l'in- 
firmité que  l'attachement  que  Gall  avait  pour  ce  pays  qui  lui  faisait  souhai- 
ter de  n'en  pas  sortir.  Il  s'imagina  que  ce  disciple,  après  avoir  travaillé  en 
ce  lieu,  était  bien  aise  d'y  demeurer  et  qu'il  se  lassait  de  souffrir  en  sa 
compagnie.  Il  lui  permit  cependant  de  rester,  mais  il  lui  défendit  de  dire  la 
messe  tant  qu'il  saurait  qu'il  serait  en  vie.  Saint  Gall  obéit,  et  sa  maladie, 
qui  n'était  que  trop  réelle,  ayant  augmenté  après  le  départ  de  saint  Colom- 
ban, l'obligea  de  retourner  à  Arbon,  chez  le  prêtre  Willimar,  qui  le  reçut 
avec  beaucoup  de  charité.  Il  lui  donna  pour  gardes  et  pour  infirmiers  deux 
clercs  de  son  église,  Magnoald  et  Théodore,  et  prit  un  soin  extrême  de  lui 
tout  le  temps  de  sa  maladie,  qui  fut  longue. 

Après  sa  guérison,  l'amour  de  la  solitude  le  portant  à  chercher  une 
autre  retraite  que  celle  de  Brégentz,  lui  fit  demander  quelque  lieu  écarté 
à  Hiltibod,  diacre  de  Willimar,  qui  avait  une  connaissance  très-particulière 
de  tout  le  pays.  Celui-ci  lui  répondit  :  a  Père,  je  connais  une  solitude  telle 
que  vous  dites  ;  mais  elle  est  habitée  par  des  bêtes  féroces,  des  ours,  des 
sangliers  et  des  loups  sans  nombre.  Je  crains  donc  de  vous  y  conduire,  de 
peur  que  vous  ne  soyez  dévoré  par  ces  animaux  » .  Gall  répliqua  :  «  L'Apôtre 
a  dit  :  Si  Dieu  est  pour  nous,  qui  sera  contre  nous  ?»  et  encore  :  «  Nous 
savons  qu'à  ceux  qui  aiment  Dieu  toutes  choses  tournent  en  bien.  Celui 
qui  a  délivré  Daniel  de  la  fosse  aux  lions  peut  aussi  m'arracher  de  la  griffe 
des  bêtes  ».  Ils  convinrent  tous  deux  de  partir  le  lendemain.  Saint  Gall  de- 
meura à  jeun  tout  le  jour  et  passa  toute  la  nuit  en  prières.  Le  lendemain 
ils  marchèrent  jusqu'à  l'heure  de  None,  où  le  diacre  dit  :  «  C'est  l'heure  de 
la  réfection,  prenons  un  peu  de  pain  et  d'eau,  afin  de  faire  mieux  le  reste 
du  chemin  ».  L'homme  de  Dieu  répondit  :  «  Prenez,  mon  fils,  ce  qui  est 
nécessaire  à  votre  corps.  Pour  moi,  je  ne  goûterai  de  rien  que  le  Seigneur 
ne  m'ait  montré  le  lieu  de  la  demeure  que  je  désire  ».  Le  diacre  répliqua  : 
«  Puisque  nous  devons  partager  la  consolation,  nous  partagerons  aussi  la 
peine  ».  Et  ils  marchèrent  tous  deux  sans  manger  jusqu'au  soir.  Ils  vinrent 
à  une  petite  rivière  appelée  Stemaha,  et  la  descendirent  jusqu'à  un  rocher, 
d'où  elle  se  précipitait  dans  un  gouffre  où  ils  aperçurent  beaucoup  de  pois- 
sons. Ils  y  jetèrent  leurs  filets  et  les  prirent.  Le  diacre  ayant  fait  du  feu, 
les  fit  rôtir  et  tira  du  pai^  de  la  panetière.  Le  bienheureux  Gall  s'étant  un 


SAINT  GALL  D'IRLANDE,   ABBÉ,  389 

peu  écarté  pour  prier,  s'embarrassa  dans  des  ronces  et  tomba  par  terre.  Le 
diacre  accourut  pour  le  relever  ;  mais  l'homme  de  Dieu  lui  dit  :  «  Laissez- 
moi,  c'est  ici  mon  repos  à  jamais,  c'est  ici  le  lieu  que  j'habiterai,  parce  que 
jç  l'ai  choisi  ».  Et,  se  levant  après  sa  prière,  il  prit  une  tige  de  cornouiller, 
en  fit  une  croix  et  la  fixa  en  terre.  Or,  il  avait  appendu  à  son  cou  une  boîte 
où  étaient  des  reliques  de  la  sainte  vierge  Marie  (quelques  fragments  des 
vêtements  de  la  sainte  Vierge),  ainsi  que  de  saint  Maurice  et  de  saint  Didier. 
Il  attacha  le  reliquaire  à  la  croix,  se  prosterna  devant  elle  avec  le  diacre  et 
dit  :  «  Seigneur  Jésus-Christ  qui,  pour  le  salut  du  genre  humain,  avez  dai- 
gné naître  de  la  Vierge  et  subir  la  mort,  ne  méprisez  point  mon  désir  à 
cause  de  mes  péchés  ;  mais,  pour  l'honneur  de  votre  sainte  Mère  ainsi  que 
de  vos  Martyrs  et  de  vos  Confesseurs,  préparez  en  ce  lieu  une  habitation 
propre  à  vous  servir  ». 

La  prière  finie,  les  deux  pèlerins  prirent  leur  nourriture  avec  actions  de 
grâces,  au  soleil  couchant,  et  puis  ayant  prié  de  nouveau,  ils  se  couchèrent 
par  terre  pour  reposer  quelque  peu.  Quand  le  saint  homme  crut  son  com- 
pagnon endormi,  il  se  prosterna  en  forme  de  croix  devant  le  reliquaire  et 
pria  le  Seigneur  avec  beaucoup  de  dévotion.  Cependant  un  ours,  descendu 
de  la  montagne,  ramassait  avec  soin  les  miettes  échappées  aux  deux 
convives.  L'homme  de  Dieu,  voyant  ce  que  faisait  la  bête,  lui  dit  :  «  Je 
t'ordonne,  au  nom  du  Seigneur,  prends  du  bois  et  mets-le  dans  le  feu  ».  A 
ce  commandement,  la  bête  alla  prendre  un  morceau  de  bois  très-considé- 
rable et  le  jeta  dans  le  feu.  Sur  quoi  le  saint  homme  tire  de  la  panetière 
un  pain  tout  entier,  le  donne.au  nouveau  servant  et  lui  dit  :  «  Au  nom  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  retire-toi  de  cette  vallée  et  aie  en  commun  les 
montagnes  et  les  collines  environnantes,  sous  la  condition  que  tu  ne  feras 
de  mal  ici  à  aucun  homme  ni  à  aucune  bête  ».  Cependant  le  diacre,  qui 
faisait  semblant  de  dormir,  considérait  avec  étonnement  ce  qui  se  passait. 
Il  se  leva,  vint  se  jeter  aux  pieds  du  saint  homme  et  dit  :  «  Maintenant,  je 
sais  que  le  Seigneur  est  vraiment  avec  vous,  puisque  les  bêtes  de  la  solitude 
vous  obéissent  ».  Le  Saint  lui  répondit  :  «  Gardez-vous  de  dire  ceci  à  per- 
sonne, jusqu'à  ce  que  vous  voyiez  la  gloire  de  Dieu  ». 

Au  matin,  le  diacre  s'en  alla  vers  la  fosse  de  la  rivière  pour  y  prendre 
du  poisson  et  en  faire  cadeau  au  prêtre  Willimar  à  son  retour.  Il  était  sur 
le  point  d'y  jeter  ses  filets,  lorsqu'il  aperçut  sur  les  bords-  deux  esprits  im- 
mondes sous  la  forme  de  femmes,  qui  lui  jetèrent  des  pierres  et  dirent  : 
«  C'est  toi  qui  as  amené  dans  cette  solitude  cet  homme  méchant  et  plein 
d'envie,  accoutumé  à  nous  vaincre  par  ses  maléfices  ».  Le  diacre  retourne 
aussitôt  vers  l'homme  de  Dieu  et  lui  raconte  ce  qu'il  vient  de  voir  et  d'en- 
tendre. Ils  se  mettent  tous  deux  en  prière,  puis  se  rendent  à  la  fosse.  A, 
leur  vue,  les  démons  s'enfuient  vers  la  montagne  voisine,  pendant  que  saint 
Gall  leur  dit  :  «  Fantômes  impurs,  je  vous  ordonne,  par  la  puissance  de 
l'éternelle  Trinité,  de  quitter  ce  lieu,  de  vous  en  aller  dans  les  montagnes 
désertes  et  de  n'oser  plus  jamais  revenir  ici  ».  Ils  jettent  ensuite  leurs  filets 
dans  la  fosse  et  prennent  des  poissons  tant  qu'ils  veulent.  Mais  ils  entendent 
sur  le  sommet  de  la  montagne  la  voix  comme  de  deux  femmes  en  deuil  se 
disant  l'une  à  l'autre  :  «  Hélas!  que  ferons-nous?  ou  bien,  où  irons-nous? 
Cet  étranger  ne  nous  laisse  point  habiter  parmi  les  hommes,  il  ne  nous 
permet  pas  même  de  demeurer  dans  la  solitude  ».  Ces  voix,  ces  plaintes  des 
démons  contre  saint  Gall  furent  encore  entendues  d'autres  fois. 

Les  deux  pèlerins,  explorant  alors  la  vallée,  trouvèrent  entre  deux  ruis'- 
seaux  ce  qu'ils  souhaitaient  :  une  belle  forêt,  des  montagnes  à  l'entour, 


390  *G  OCTOBRE. 

une  plaine  au  milieu  ;  ils  jugèrent  ce  lieu  excellent  pour  y  bâtir  des  cel- 
lules. Gall,  se  rappelant  l'échelle  de  Jacob  et  les  anges  qui  montaient  et 
descendaient,  dit  comme  lui  :  «  Le  Seigneur  est  vraiment  en  ce  lieu  ».  Jus- 
qu'alors il  y  avait  dans  cette  vallée  une  infinité  de  serpents.  Dès  ce  jour  ils 
disparurent  tellement,  qu'on  n'y  en  voyait  pas  un  seul  au  temps  de  Walafrid 
Strabon.  Ce  miracle  s'accorde  avec  les  premiers,  dit  cet  auteur,  car  le  dé- 
mon étant  chassé  tle  là,  il  était  digne  que  l'animal  par  lequel  il  avait  trompé 
l'homme  cédât  la  place  à  la  sainteté. 

Quelque  éloigné  qu'il  fût  du  commerce  des  hommes,  il  ne  put  long- 
temps demeurer  inconnu  en  ce  lieu.  Sa  réputation  lui  attira  des  disciples 
et  porta  loin  la  bonne  odeur  de  sa  vertu.  Le  duc  Gonzon  en  eut  lui-même 
une  si  haute  opinion  sur  le  récit  qu'on  lui  en  fit,  qu'il  changea  entièrement 
de  disposition  à  son  égard.  On  dit  même,  qu'ayant  une  fille  possédée  d'un 
démon  qui  la  tourmentait  horriblement,  il  manda  au  prêtre  Willimar  de 
lui  envoyer  saint  Gall  pour  la  guérir.  Deux  évoques  y  avaient  inutilement 
employé  tous  leurs  exorcismes,  et  l'on  rejetait  la  confusion  qu'ils  avaient 
eue  de  leur  mauvais  succès  sur  leur  défaut  de  sainteté  et  sur  quelques 
dérèglements  particuliers  dont  ils  étaient  soupçonnés.  Willimar  mena  donc 
saint  Gall  au  duc,  dont  la  fille  n'avait  pris  aucune  nourriture  depuis  trois 
jours.  Elle  était  étendue  sur  les  genoux  de  sa  mère,  les  yeux  fermés,  les 
membres  contournés  et  comme  morte.  Une  odeur  de  soufre  sortait  de  sa 
bouche.  Le  Saint  se  mit  en  prière  et  dit  avec  larmes  :  «  Seigneur  Jésus- 
Christ  qui,  venant  en  ce  monde,  avez  daigné  naître  d'une  Vierge,  et  qui 
avez  commandé  aux  vents  et  à  la  mer  et  ordonné  à  Satan  de  retourner  en 
arrière,  qui,  enfin,  avez  racheté  le  genre  humain  par  votre  Passion,  com- 
mandez que  cet  esprit  immonde  sorte  de  cette  fille  ».  Puis  il  prit  la  main 
de  la  malade,  lui  mit  Ja  sienne  sur  la  tête  et  dit  :  «  Esprit  immonde,  je  te 
commande,  au  nom  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  de  sortir  et  de  t'éloi- 
gner  de  cette  créature  de  Dieu  ».  A  ces  mots,  elle  ouvrit  les  yeux  et  le  re- 
garda, et  l'esprit  malin  dit  :  «  Est-ce  toi,  Gall,  qui  m'as  expulsé  de  mes  pre- 
mières habitations?  Quoi!  c'est  pour  te  venger  que  je  suis  entré  dans  cette 
fille,  parce  que  son  père  t'a  chassé  toi-même,  et  tu  m'en  expulses  !  Si  donc 
tu  me  chasses  d'ici,  où  irai-je?  »  L'homme  de  Dieu  répondit  :  «  Là  où  le 
Seigneur  t'a  précipité,  dans  l'abîme  I  »  Aussitôt,  à  la  vue  de  tous  les  assis- 
tants, il  sortit  de  la  bouche  de  la  frénétique  sous  la  forme  d'un  oiseau  noir  et 
horrible  à  voir.  La  fille  se  leva  guérie,  et  l'homme  de  Dieu  la  rendit  à  sa  mère. 

Le  duc,  au  comble  de  la  joie,  offrit  au  Saint  tous  les  présents  que  le  roi 
Sigebert  avait  envoyés  à  sa  fille.  En  même  temps,  il  le  pria  de  vouloir  bien 
accepter  l'évêché  de  Constance.  Le  Saint  lui  répondit  :  «  Du  vivant  de  mon 
maître  Colomban,  je  ne  célébrerai  point  la  messe;  si  donc  vous  voulez 
m 'élever  à  cette  dignité,  permettez  que  je  lui  écrive.  S'il  m'absout,  je  serai 
à  vos  ordres  » .  Le  duc  y  consentit.  Après  quoi  le  Saint  distribua  tous  les 
présents  aux  pauvres  d'Arbon  et  rentra  dans  sa  chère  solitude.  Il  y  attira 
même  le  diacre  Jean,  et  pendant  trois  ans,  l'instruisit  à  fond  dans  la  philo- 
sophie et  dans  la  science  des  divines  Ecritures. 

Cependant  le  roi  Sigebert,  ayant  appris  la  guérison  de  sa  fiancée,  pria 
son  père  de  la  lui  envoyer  pour  en  faire  son  épouse.  Elle  fut  reçue  à  Metz 
avec  les  plus  grands  honneurs,  raconta  au  roi  comment  saint  Gall  l'avait 
guérie  et  le  pria  de  favoriser  l'homme  de  Dieu  et  son  nouvel  établissement. 
Sigebert,  ayant  trouvé  que  le  monastère  de  saint  Gall  était  situé  sur  le  do- 
maine public,  lui  accorda  aussitôt  une  charte  de  donation  et  de  protection 
royale. 


! 


SAINT   GALL  D'IRLANDE ,  ABBÉ.  391 

Pendant  ce  temps,  on  préparait  les  noces  du  roi  et  de  la  reine.  Un 
grand  nombre  d'évêques  et  de  seigneurs  y  furent  convoqués.  Le  roi  étant 
allé  inviter  la  princesse  de  venir  résider  au  palais,  elle  se  jeta  à  ses  pieds  et 
lui  dit  :  «  Seigneur,  j'ai  été  épuisée  par  une  longue  et  cruelle  maladie,  ac- 
cordez-moi encore  sept  jours  pour  que  je  reprenne  un  peu  de  force  et  que 
je  puisse  vous  être  présentée  convenablement  ».  Le  roi  condescendit  à  sa 
demande.  Le  septième  jour,  Frideburge,  accompagnée  de  deux  hommes 
et  de  deux  filles,  entra  vers  l'office  du  matin  dans  l'église  cathédrale  de 
Saint-Etienne,  dépouilla  derrière  la  porte  ses  vêtements  de  reine,  prit  un 
habit  de  religieuse,  saisit  une  corne  ou  un  coin  du  grand  autel  et  fit  cette 
prière  :  «  Saint  Etienne,  qui  avez  répandu  votre  sang  pour  Jésus-Christ, 
intercédez  aujourd'hui  pour  moi,  indigne,  afin  que  le  cœur  du  roi  se  tourne 
à  ma  volonté  et  que  ce  voile  ne  soit  point  ôté  de  ma  tête  ».  Le  roi,  informé 
de  ce  qui  se  passait,  assembla  les  évêques  et  les  princes  pour  savoir  que 
faire.  Un  des  évêques  dit  :  «  Cette  fille,  lorsqu'elle  a  été  délivrée  du  démon, 
paraît  s'être  obligée  par  un  vœu  de  garder  la  chasteté  ;  prenez  donc  garde 
de  l'y  faire  manquer,  de  peur  qu'il  ne  lui  arrive  pis  qu'auparavant  et  que 
vous  ne  vous  rendiez  vous-même  coupable  d'un  si  grand  crime  ».  Le  roi, 
de  l'avis  des  princes,  acquiesça  au  conseil  de  l'évêque.  Il  entra  dans  l'église, 
fit  apporter  les  vêtements  et  la  couronne  de  reine  et  dit  à  la  princesse  : 
«  Venez  à  moi  ».  Elle,  croyant  qu'on  voulait  la  tirer  hors  de  l'église,  tenait 
plus  étroitement  embrassée  la  corne  de  l'autel.  Le  roi  lui  dit  plus  claire- 
ment :  a  Ne  craignez  point  de  venir  à  moi  ;  car  tout  se  fera  aujourd'hui 
suivant  votre  volonté  ».  Mais  elle,  plaçant  sa  tête  sur  l'autel,  dit  :  «  Me 
voici  la  servante  du  Seigneur,  qu'il  me  soit  fait  selon  sa  volonté  à  lui  ».  Le 
roi  Sigebert  ordonna  aux  prêtres  de  l'amener,  la  fit  revêtir  des  habits  de 
reine  avec  le  voile  et  la  couronne,  et  la  recommanda  au  Seigneur  en  ces 
termes  :  «  Avec  les  mêmes  ornements  que  vous  avez  été  préparée  pour  moi, 
je  vous  donne  pour  épouse  à  mon  Seigneur  Jésus-Christ  ».  En  même  temps 
il  lui  prit  la  main  droite  et  la  posa  sur  l'autel  ;  puis  il  sortit  de  l'église  pour 
pleurer,  car  il  aimait  tendrement  la  princesse.  Plus  tard,  il  lui  donna  le 
gouvernement  d'une  communauté  de  religieuses. 

Après  cela,  le  duc  Gonzbn  convoqua  une  assemblée  d'évêques  et  de  sei- 
gneurs à  Constance,  pour  élire  un  pasteur  à  cette  église.  On  y  vit  les 
évêques  d'Augsbourg,  de  Verdun  et  de  Spire,  avec  une  foule  d'ecclésiastiques 
et  de  fidèles.  Le  concile  dura  trois  jours.  Saint  Gall  s'y  rendit  avec  les 
diacres  Jean  et  Magnoald.  Le  duc,  le  voyant  entrer,  fit  tout  haut  cette 
prière  :  a  Le  Dieu  tout-puissant,  dont  la  providence  augmente  et  régit  tout 
le  corps  de  l'Eglise,  veuille,  par  l'intervention  et  les  mérites  de  la  sainte 
Vierge  en  l'honneur  de  qui  cette  église  est  consacrée,  répandre  aujourd'hui 
l'Esprit-Saint  sur  nous,  pour  choisir  un  pontife  capable  de  régir  le  peuple 
des  fidèles  et  de  gouverner  l'Eglise  de  Dieu  !  »  Puis  il  exhorta  les  évêques 
et  le  clergé  à  choisir,  suivant  les  canons,  celui  qu'ils  jugeraient  à  propos. 
Après  quelques  moments  de  délibération,  le  clergé  s'écria  tout  d'une  voix, 
avec  le  peuple  :  «  Gall  que  voici  est  un  homme  de  Dieu,  jouissant  d'une 
bonne  renommée  dans  tout  le  pays,  instruit  dans  les  Ecritures  et  plein  de 
sagesse,  joignant  la  chasteté  à  la  justice,  à  la  fois  doux  et  humble,  chari- 
table et  patient,  père  des  orphelins  et  des  veuves  :  c'est  lui  qui  convient 
pour  évêque  !  »  Le  duc  dit  alors  au  Saint  :  «  Entendez-vous  ce  qu'ils 
disent  ?  »  L'homme  de  Dieu  répondit  :  «  Ils  parlent  bien;  si  seulement  ce 
qu'ils  disent  était  vrai  !  Mais  ils  ne  pensent  pas  que  les  canons  défendent 
d'ordonner  évêque  un  étranger.  Cependant  il  y  a  ici  avec  moi  le  diacre  Jean, 


392  *6  OCTOBRE. 

de  votre  nation,  à  qui,  par  la  grâce  de  Jésus- Christ,  conviennent  toutes  les 
louanges  que  vous  m'avez  données,  et  qui  est  capable  de  porter  le  fardeau 
du  gouvernement  ».  Aussitôt  le  duc  l'interrogea  sur  son  nom,  sa  qualité, 
son  origine  et  sa  patrie.  Quant  à  sa  vertu  et  à  sa  capacité,  saint  Gall  de- 
manda à  répondre  pour  son  disciple.  Pendant  qu'il  parlait,  Jean  se  déroba 
de  l'assemblée  et  s'enfuit  dans  l'église  de  Saint- Etienne,  hors  de  la  ville. 
Mais  le  clergé  et  le  peuple  coururent  après  lui  et  le  ramenèrent  malgré  ses 
pleurs,  en  s'écriant  :  «  C'est  le  Seigneur  lui-même  qui  a  élu  Jean  pour  son 
pontife  !  »  Jean  fut  donc  consacré  par  les  évoques,  et  officia  pontificalement. 
Le  peuple  témoigna  un  grand  désir  d'entendre  l'homme  de  Dieu.  Saint  Gall 
monta  donc  en  chaire  avec  l'évêque  qui  lui  servait  d'interprète.  Il  prêcha 
sur  l'ensemble  de  la  religion,  depuis  la  création  du  monde  jusqu'au  juge- 
ment dernier.  Le  peuple  fondait  en  larmes  et  se  disait  :  «  Le  Saint-Esprit  a 
vraiment  parlé  aujourd'hui  par  la  bouche  de  cet  homme  !  » 

Après  avoir  demeuré  quelques  jours  avec  le  nouvel  évêque,  pour  l'as- 
sister de  ses  conseils  et  de  ses  prières,  il  retourna  dans  sa  solitude,  où  il 
bâtit  l'église  dont  il  avait  fait  le  projet,  et  l'environna  de  douze  cellules 
pour  ses  disciples.  Ce  fut  là  l'origine  de  la  célèbre  abbaye  de  Saint-GalL 
Elle  a  embrassé  depuis  la  Règle  de  Saint-Benoît;  et,  outre  divers  privilèges, 
son  abbé  tient  son  rang  parmi  les  princes  de  l'Empire.  Notre  Saint  com- 
mença pour  lors  à  établir  une  discipline  réglée  dans  sa  communauté,  sans 
s'écarter  de  l'institut  de  saint  Colomban,  qu'il  regardait  toujours  comme 
son  maître  et  son  abbé.  Un  jour,  que  ses  frères  s'étaient  remis  sur  leurs 
lits,  après  Matines,  saint  Gall  appela  son  diacre  Magnoald,  et  lui  dit  de  pré- 
parer l'autel,  parce  qu'il  voulait  dire  la  messe.  Le  diacre,  étonné  d'une 
résolution  si  subite,  crut  que  le  Saint  ne  songeait  pas  que  cela  lui  était 
défendu,  et  que  depuis  plus  de  deux  ans  il  n'avait  approché  de  l'autel.  Saint 
Gall  comprit  sa  pensée,  et,  pour  le  tirer  de  peine,  il  lui  dit  qu'il  devait  offrir 
le  sacrifice  pour  le  repos  de  son  Père  Colomban,  parce  qu'il  avait  appris 
dans  une  vision  de  la  nuit  qu'il  était  passé  des  misères  de  cette  vie  'à  la  féli- 
cité du  ciel.  Après  la  messe,  il  envoya  Magnoald  au  monastère  de  Bobbio, 
pour  vérifier  sa  vision.  L'historien  de  sa  vie  assure  qu'elle  se  trouva  vraie, 
et  ajoute  que  Magnoald  rapporta  au  Saint  des  lettres  des  religieux  de  Bob- 
bio, avec  la  crosse  ou  le  bâton  de  saint  Colomban,  qui  avait  ordonné  qu'on 
le  lui  envoyât  pour  marque  qu'il  était  absous  de  sa  suspension,  et  qu'il  avait 
levé  la  défense  qu'il  lui  avait  faite  de  dire  la  messe.  Dix  ans  après,  les  reli- 
gieux de  Luxeuil  ayant  perdu  leur  abbé,  saint  Eustase,  envoyèrent  prier 
saint  Gall  de  vouloir  prendre  sa  place,  et  lui  députèrent  six  de  leurs  con- 
frères, tous  irlandais  de  naissance,  croyant  que  ce  choix  de  personnes, 
toutes  de  son  pays,  lui  serait  plus  agréable.  Le  Saint,  qui  avait  refusé  l'épis- 
copat,  ne  crut  pas  devoir  se  charger  de  l'abbaye  de  Luxeuil,  qui  était  déjà 
devenue  considérable  par  les  grandes  affaires  et  les  honneurs  qui  y  étaient 
attachés.  Les  députés  le  pressant  trop  vivement  de  consentir  à  son  élection, 
il  leur  déclara  qu'il  aimait  mieux  servir  les  autres  que  de  leur  commander, 
et  il  en  appela  à  leur  propre  témoignage  sur  cela.  Il  les  renvoya  en  paix, 
après  les  avoir  retenus  quelques  jours  pendant  lesquels  il  les  nourrit  de  sa 
pêche.  Car  il  n'avait  point  fait  difficulté  d'en  continuer  le  métier  depuis 
l'établissement  de  sa  communauté,  non  plus  que  les  Apôtres  après  la  ré- 
surrection du  Sauveur  :  ce  qui  n'empêchait  pas  qu'on  y  vécût  fort  pauvre- 
ment en  toute  saison,  et  que  la  farine  n'y  manquât  souvent  autant  que  les 
autres  provisions. 

Il  conserva  toujours  une  liaison  fort  étroite  avec  le  prêtre  Willimar, 


SAINT  GAtt  D'IRLANDE,   ABBÉ.  393 

curé  d'Arbon,  son  ancien  hôte.  Etant  l'un  et  l'autre  fort  avancés  en  âge,  ils 
se  voyaient  plus  rarement  :  Willimar  s'en  plaignit,  et,  se  croyant  proche 
de  sa  fin,  il  obligea  saint  Gall,  par  d'instantes  prières,  à  venir  encore  une 
fois  à  Arbon,  afin  qu'il  eût  la  consolation  de  l'embrasser  avant  de  mourir. 
Il  avait  pris  l'occasion  de  la  fête  de  sa  paroisse  pour  l'y  convier.  Le  Saint  y 
alla  et  prêcha  même  devant  une  multitude  de  peuple,  qui  était  venue  à  la 
solennité.  Trois  jours  après  il  tomba  malade  chez  Willimar,  et  mourut 
quatre  jours  après,  le  16  octobre,  entre  les  bras  de  cet  hôte.  L'année  de 
cette  mort  est  fort  contestée,  et  l'on  ne  peut  nier  qu'il  n'y  ait  de  la  confu- 
sion dans  les  calculs  de  ceux  qui  l'ont  rapportée  à  Tan  625,  et  de  ceux  qui 
ont  donné  à  saint  Gall  quatre-vingt-quinze  ans  de  vie.  Il  suffit  pour  les  rui- 
ner de  remarquer  que  notre  Saint  était  plus  jeune  que  saint  Colomban,  son 
maître,  qui  n'avait  guère  que  trente  ans  lorsqu'il  vint  en  France,  vers  l'an 
590,  et  qu'il  a  survécu  au  roi  Dagobert,  qui  ne  mourut  point  avant  l'année 
638.  C'est  ce  qui  rend  assez  probable  l'opinion  de  ceux  qui  mettent  la  mort 
de  saint  Gall  vers  l'an  646,  et  qui  doit  nous  faire  juger  qu'il  n'a  vécu  guère 
plus  de  quatre-vingt  et  un  ans.  On  trouva  après  lui,  'dans  une  cassette, 
divers  instruments  de  pénitence  tout  sanglants,  surtout  un  cilice  et  une 
chaîne  d'airain,  dont  il  se  serrait  le  corps;  ce  qui  fit  connaître  qu'il  avait 
pratiqué  beaucoup  d'austérités  dont  sa  discrétion  l'avait  empêché  de  donner 
l'exemple  à  ses  frères,  pour  ne  pas  les  faire  sortir  des  bornes  de  la  modé- 
ration qu'il  leur  avait  prescrites. 

On  le  représente  :  1°  debout,  tenant  sa  crosse  et  un  livre;  2°  quelque- 
fois ayant  un  ours  près  de  lui  à  qui  il  commande  d'apporter  du  bois  pour 
alimenter  son  foyer;  3°  «guérissant  une  possédée;  4°  quelquefois  avec  un 
bourdon  de  pèlerin,  pour  indiquer  ses  longs  voyages  depuis  l'Irlande  jus- 
qu'en Suisse. 


CULTE  ET  RELIQUES.  —  ABBAYE  DE  SAINT-GALL. 

Jean,  évêque  de  Constance,  voulut  prendre  soin  de  ses  funérailles,  et  transporta  son  corps, 
d'Arbon  dans  son  ermitage,  où  Dieu  rendit  témoignage  à  la  sainteté  de  son  serviteur  par  les  mi- 
racles qui  se  firent  à  son  tombeau.  Il  fut  déposé  devant  l'autel  de  l'oratoire,  puis  inhumé  entre  le 
mur  et  l'autel.  Plus  tard,  le  pays  fut  ravagé  par  des  troupes  de  mécontents,  et  un  de  leurs  offi- 
ciers, ayant  pillé  l'église  de  notre  Saint,  ouvrit  et  viola  encore  son  sépulcre  pour  voir  s^il  n'y 
avait  point  d'argent  caché.  Mais,  ayant  été  saisi  d'une  terreur  subite,  il  voulut  se  retirer  brusque- 
ment, et  se  blessa  de  telle  sorte  contre  la  porte,  qu'après  avoir  eu  beaucoup  de  peine  à  se  guérir, 
il  porta  toute  sa  vie  des  marques  de  son  sacrilège. 

Boson,  évoque  de  Constance,  successeur  de  Jean,  replaça  les  reliques  du  Saint  dans  un  endroit 
plus  convenable  ;  mais  il  ne  put  rassembler  dans  son  ermitage  les  religieux  que  les  gens  de  guerre 
avaient  dispersés.  11  y  trouva  seulement  ses  deux  plus  anciens  disciples,  Magne  ou  Magnoald,  et 
Théodore.  Dans  une  disette  générale  de  toutes  choses,  il  les  pourvut  d'habits  et  de  nourriture  ; 
mais,  comme  les  soldats  ne  leur  rendaient  point  leur  ancienne  tranquillité,  ils  quittèrent  aussi 
l'ermitage  de  Saint-Gall  et  en  allèrent  bâtir  ailleurs,  l'un  à  Kempten,  l'autre  à  Fussen,  tous  deux 
dans  le  diocèse  d'Augsbourg,  qui  furent  depuis  augmentés  et  convertis  en  monastères  de  la  Con- 
grégation de  Saint-Gall.  Cependant  Boson  pourvut  à  la  garde  des  reliques  de  notre  Saint  par  le 
moyen  de  quelques  ecclésiastiques,  qui  y  attirèrent  bientôt  les  peuples  en  pèlerinage  sur  la  répu- 
tation des  miracles  qu'ils  en  publiaient.  Du  temps  de  Charles-Martel,  Wultramne,  riche  seigneur 
du  pays,  ayant  remarqué  que  l'on  ne  faisait  pas  bon  usage  des  offrandes  que  l'on  donnait  à 
l'église  de  Saint-Gall,  voulut  y  établir  une  communauté  de  religieux  pour  remédier  à  ce  désordre. 
Il  y  fit  venir  un  saint  prêtre,  nommé  Othmar,  à  qui  il  fournit  toutes  les  choses  nécessaires  pour 
bâtir  un  monastère  près  du  tombeau  du  Saint.  Othmar  fut  ainsi  le  restaurateur,  ou  plutôt  le  véri- 
table fondateur  de  l'abbaye  de  Saint-Gall. 

Cette  célèbre  abbaye  ne  subsiste  plus  aujourd'hui  ;  elle  fut  évacuée  en  1805.  Après  bien  des 
vicissitudes,  l'église  de  l'abbaye  fut  érigée  en  cathédrale  et  son  territoire  en  évôché,  par  le  pape 
Léon  XII,  en  1823. 


394  46  OCTOBRE. 

Les  martyrologes  du  ix»  siècle  marquent  différemment  la  fête  de  ce  Saint.  Celui  de  Waadal- 
bert,  conformément  à  Walafrid,  auteur  de  sa  vie  du  même  temps,  la  met  au  16  octobre.  Celui  de 
Notker  y  est  conforme,  et  même  celui  d'Usuard,  dans  les  imprimés  ;  mais  dans  celui  d'Adon, 
comme  dans  celui  d'Usuard  qui  n'est  point  corrompu,  elle  se  trouve  marquée  au  20  février.  Il 
semble  que  ce  soit  celle  de  l'élévation  ou  rétablissement  de  ses  reliques,  fait  par  l'évêque  Boson, 
ou  celle  de  quelque  translation  plutôt  que  celle  de  sa  mort,  qu'on  ne  peut  point  déplacer  du 
16  octobre  sans  une  autorité  plus  forte  que  celle  de  Walafrid  Strabon. 

Nous  nous  sommes  servi,  pour  compléter  cette  biographie,  de  la  Vie  des  Saints  de  Franchie 'omté,  par 
les  professeurs  du  collège  Saint-François-Xavier,  de  Besançon. 


SAINT  MOMMOLIN  l  DE  CONSTANCE, 

ABBÉ  DE  SÀINT-BERTIN,  PUIS  ÉVÊQUE  DE  NOYON  ET  DE  TOURNAI 
685.  —  Pape  :  Jean  V.  —  Roi  de  France  :  Thierry  III. 


Le  cloître  est  une  maison  de  sagesse  dont  le  fonde- 
ment est  la  pauvreté,  dont  les  murailles  sont  l'obéis- 
sance et  la  continence,  dont  le  faîte  est  l'humilité", 
et  le  toit  l'amour  fraternel. 

Hugo  card.,  sup.  Psalm.  lxxvji. 

Mommolin  naquit  vers  la  fin  du  vi*  siècle  à  Constance,  ville  située  près 
du  lac  du  même  nom.  Craignant,  dès  son  enfance,  les  dangers  des  biens  et 
des  distinctions  du  monde,  il  ne  chercha  que  les  richesses  et  les  honneurs 
du  ciel.  A  peine  avait-il  achevé  le  cours  de  ses  études,  qu'il  résolut  de 
quitter  sa  famille  pour  aller  travailler  à  son  salut  dans  la  retraite.  Ayant 
communiqué  son  dessein  à  deux  de  ses  condisciples,  nommés  Bertin  et 
Ebertram,  ceux-ci,  animés  des  mêmes  sentiments,  le  suivirent  au  monas- 
tère de  Luxeuii  (Haute-Saône),  où  Orner,  parent  de  Bertin,  s'était  déjà 
retiré. 

Cette  communauté,  gouvernée  alors  par  saint  Eustaise  (ou  Eustase), 
successeur  de  saint  Colomban,  comptait  jusqu'à  six  cents  religieux.  Elle 
était  encore  dans  toute  sa  ferveur  première.  Chacun  de  ses  membres, 
animé  de  l'esprit  de  son  pieux  fondateur,  pratiquait  avec  une  sainte  ému- 
lation les  conseils  de  l'Evangile.  Admis  au  nombre  des  frères,  les  trois 
jeunes  hommes  répondirent  fidèlement  aux  grâces  du  ciel.  En  peu  de 
temps  ils  acquirent  les  vertus  qui  rendent  l'âme  agréable  à  Dieu,  et  les 
connaissances  nécessaires  à  ceux  qui  travaillent  au  salut  du  prochain  :  aussi 
furent-ils  bientôt  jugés  dignes  d'être  élevés  au  sacerdoce. 

Bien  qu'ils  n'eussent  d'autre  désir  que  de  servir  Dieu  dans  le  silence  et 
l'obscurité  du  cloître,  Mommolin  et  ses  compagnons,  trahis  par  leur  répu- 
tation de  piété  et  l'éclat  de  leurs  talents,  furent  appelés  à  la  cour  de 
Clotaire  II.  Au  moment  où  ils  s'éloignèrent  de  Luxeuii,  il  y  avait  environ 
deux  ans  que  saint  Walbert  avait  succédé  à  saint  Eustaise,  entré  déjà  dans 
les  tabernacles  éternels  (2  mai  665). 

La  première  fois  que  Mommolin  parut  devant  Clotaire,  il  donna  un 
mémorable  exemple  d'humilité  chrétienne.  Ce  prince  lui  ayant  demandé 

1,  Alias  :  Momraolein,  Mummelin,  Moranielin,  Momblein,  Mummolenus. 


SAINT  MOMMOLÎN  DE  CONSTANCE,   ABBÉ.  39a 

le  nom  de  ses  ancêtres,  le  Saint,  dont  la  naissance  était  fort  illustre,  garda 
le  silence,  craignant  que  cet  aveu  ne  lui  suggérât  des  sentiments  d'or- 
gueil. Cette  modestie  ne  fit  que  donner  un  nouveau  lustre  à  son  mérite, 
et  Clotaire  le  nomma  bientôt  chef  de  l'école  Palatine  et  chancelier  du 
royaume.  Dans  ces  deux  charges,  qui  étaient  les  deux  plus  importantes  de 
la  cour,  Mommolin  usa  de  son  crédit  pour  la  gloire  de  la  religion  et  de 
l'Eglise,  et  pour  le  bonheur  de  l'Etat.  Il  exerça  une  salutaire  influence  sur 
l'esprit  des  grands.  Ses  conseils,  et  surtout  l'exemple  de  ses  vertus,  éveil- 
lèrent dans  le  cœur  de  plusieurs  nobles  seigneurs  des  sentiments  de  com- 
ponction et  de  pénitence. 

Cependant,  Dieu  destinait  Mommolin  à  des  fonctions  non  moins  dignes 
de  sa  charité  et  de  son  zèle.  Omer,  son  ancien  condisciple  à  Luxeuil,  de- 
venu évêque  de  Thérouanne  (Pas-de-Calais),  avait  besoin,  pour  relever  de 
ses  ruines  cette  église  depuis  longtemps  vacante,  de  vertueux  et  actifs 
coopérateurs.  Saint  Fuscien  et  saint  Victoric,  et  plus  tard,  saint  Victrice, 
évêque  de  Rouen,  avaient  défriché  celle  partie  du  champ  du  Père  de 
famille  ;  mais  les  ronces  et  les  épines  y  avaient  reparu.  L'absence  de  pas- 
teurs y  avait  ramené,  avec  la  barbarie  des  mœurs,  les  coupables  pratiques 
de  l'idolâtrie.  Ayant  fait  appel  au  dévouement  sacerdotal  de  Mommolin, 
de  Bertin  et  de  Ebertram,  Omer  obtint  sans  peine  qu'ils  quittassent  la 
cour,  et  vinssent  le  seconder  dans  son  œuvre  de  réparation. 

Les  nouveaux  apôtres  travaillèrent  à  la  conversion  de  ces  peuples,  avec 
une  foi,  un  zèle  et  une  ardeur  incomparables.  Ils  ne  se  bornaient  pas  à 
leur  annoncer  le  royaume  des  cieux,  ils  cherchaient  à  leur  en  mériter  l'en- 
trée par  leurs  prières  -et  l'austérité  de  leurs  pénitences.  «  Dès  l'aube  du 
jour  jusqu'à  son  déclin  »,  dit  l'auteur  de  la  Vie  de  notre  Saint,  «  ils  prê- 
chaient l'Evangile,  donnaient  des  soins  charitables  aux  malades.  La  nuit, 
ils  prenaient  quelques  courts  instants  de  repos,  sur  la  cendre  et  le  cilice  ». 
Aussi,  leur  ministère  fut-il  béni  :  leurs  travaux  unis  à  ceux  d'Orner  firent 
bientôt  rentrer  ce  peuple  sous  le  joug  de  la  foi. 

Dès  l'arrivée  de  nos  missionnaires  dans  son  diocèse,  Omer  les  avait 
établis  sur  une  colline,  appelée  encore  aujourd'hui  Motte  de  Saint-Mom- 
molin.  Après  huit  années  passées  dans  ce  premier  séjour,  le  grand  nombre 
de  religieux  que  leurs  vertus  y  avaient  attirés,  les  engagea  à  fonder  ail- 
leurs un  établissement  plus  considérable.  Ils  se  retirèrent  donc  dans  un 
domaine  que  l'évêque  de  Thérouanne  avait  reçu  des  mains  d'un  riche  et 
puissant  seigneur  païen,  récemment  converti  au  christianisme  avec  toute 
sa  famille.  Ce  domaine,  situé  sur  les  bords  de  l'Aa,  et  nommé  Sithiu,  était 
une  sorte  d'île,  au  milieu  d'un  vaste  marécage,  et  où  l'on  ne  pouvait  guère 
aborder  qu'en  nacelle.  On  raconte  que,  pour  le  choix  de  cet  emplacement, 
Mommolin  et  ses  compagnons  avaient  résolu  de  s'en  rapporter  à  la  volonté 
de  Dieu.  Dans  cette  vue,  les  trois  moines  montèrent  dans  une  petite 
barque,  et  la  laissèrent  aller  au  gré  des  eaux,  pendant  qu'ils  récitaient  ou 
chantaient  des  psaumes.  La  barque  prit  terre,  dit-on,  au  moment  où  Ber- 
tin prononçait  ces  paroles  du  Roi-Prophète  :  Hœc  requies  mea  in  sœculum 
sœculi  :  hic  habitabo  quoniam  elegi  eam.  Ils  étaient  arrivés  dans  l'île  de  Sithiu. 

Là  s'éleva  un  nouveau  monastère  qui  reçut  d'abord  le  nom  du  Prince 
des  Apôtres,  et  fut  placé  par  Omer  sous  la  direction  de  Mommolin.  Le 
Saint  y  devint  pour  les  religieux  un  modèle  accompli  des  plus  austères 
vertus.  Jaloux  de  leur  inspirer  l'amour  de  la  pauvreté,  il  réserva  au  soula- 
gement des  malheureux  les  biens  que  le  riche  fondateur  de  Sithiu  avait 
mis  à  sa  disposition.  Pour  lui,  après  de  longs  jeûnes,  il  prenait  pour  toute 


396  16  OCTOBRE. 

nourriture  de  l'eau  et  du  pain  d'orge  détrempé  dans  les  larmes  de  la  péni- 
tence. Il  ne  se  bornait  pas  à  rassasier  la  faim  des  indigents,  il  se  montrait 
leur  consolateur,  leur  ami,  et,  s'ils  étaient  malades,  leur  médecin.  Lors- 
qu'un infirme  se  présentait  devant  lui,  il  se  mettait  à  genoux,  et  priait  le 
Seigneur  de  lui  accorder  en  même  temps  la  guérison  de  l'âme  et  celle  du 
corps  ;  puis  il  le  soignait  de  ses  mains  et  lui  rendait  souvent  la  santé.  A  la 
vie  du  religieux,  Mommolin  continua  de  joindre  la  vie  apostolique,  quit- 
tant souvent  son  monastère  pour  aller  évangéliser  les  peuples. 

Le  Seigneur  lui  donna  bientôt  l'occasion  de  faire  servir  d'une  manière 
plus  efficace  encore  au  salut  des  âmes,  son  zèle,  ses  vertus  et  son  expé- 
rience. L'Eglise  de  Noyon  venait  de  perdre  saint  Eîoi,  l'un  de  ses  plus  glo- 
rieux évêques  (665).  Le  Pontife  mourant  avait  sollicité  de  Dieu  un  saint 
pasteur  pour  son  Eglise  :  il  mérita  d'être  exaucé.  Par  une  bienveillante 
disposition  de  la  Providence,  Mommolin  fut  appelé,  d'une  voix  unanime, 
à  recueillir  l'héritage  de  cet  admirable  évêque. 

Vainement  l'humilité  du  saint  abbé  de  Sithiii  opposa-t-elle  des  obstacles 
aux  désirs  du  clergé  et  du  peuple  :  il  dut  se  résigner  à  courber  les  épaules 
sous  le  fardeau  que  Dieu  lui  imposait.  L'Eglise  de  Noyon  retrouva,  dans  le 
nouvel  évêque,  la  charité  et  le  zèle  de  saint  Eloi.  «  On  le  voyait  »,  dit  un 
auteur,  «  sans  cesse  occupé  à  semer  dans  les  cœurs  la  divine  parole  de  Jésus- 
Christ,  à  racheter  les  captifs,  et  à  secourir  les  veuves  et  les  orphelins.  Sa 
sollicitude  pour  les  souffrances  de  l'âme  et  du  corps  fut  constante  et  inal- 
térable». Ces  paroles  rappellent  et  résument  toute  la  vie  de  saint  Eloi. 
C'est  que  Mommolin  avait  toujours  les  yeux  fixés  sur  ce  modèle  accompli, 
dont  il  cherchait  à  reproduire  en  lui  tous  les  traits.  Voulant  faire  partager 
au  peuple  sa  vénération  pour  son  illustre  prédécesseur,  Mommolin  leva  de 
terre  ses  restes  précieux  que  la  corruption  n'avait  pas  encore  atteints,  et  les 
transféra  solennellement  dans  la  cathédrale  de  Noyon. 

Mommolin  veilla  avec  une  égale  sollicitude  sur  toutes  les  parties  de  son 
vaste  diocèse.  Il  mit  à  la  tête  des  monastères  des  hommes  d'une  vertu 
éprouvée,  et  d'un  caractère  assez  énergique  pour  y  maintenir  la  discipline. 
Il  appela  auprès  de  lui  Ebertram,  son  ancien  condisciple  et  coopérateur, 
et  lui  confia  le  monastère  de  Saint-Quentin  en  Vermandois.  Plusieurs  fois 
il  se  rendit  à  Tournai,  où,  de  concert  avec  saint  Amand,  l'apôtre  du  nord 
de  la  France,  il  réussit  à  extirper  les  dernières  racines  de  l'idolâtrie.  Le 
Saint  était  doux  et  humble  de  cœur  ;  cependant,  dit  un  auteur  de  sa  Vie, 
«  l'imposante  majesté  de  sa  figure  jetait  l'effroi  dans  l'âme  des  pécheurs 
impénitents,  des  hérétiques  et  des  infidèles  ».  Jamais  il  n'usa  de  flatterie 
envers  les  grands.  Lorsque  les  courtisans  venaient  le  visiter  à  Noyon,  il  les 
exhortait  vivement  à  se  préserver  de  la  corruption  du  siècle.  Souvent  il 
leur  disait,  avec  saint  Jean  l'Evangéliste  :  «  N'aimez  ni  le  monde,  ni  les 
choses  qui  sont  dans  le  monde.  Le  monde  passe,  sa  convoitise  passe  aussi  ; 
mais  celui  qui  fait  la  volonté  de  Dieu  demeure  éternellement  ». 

La  mort  de  Mommolin  fut  aussi  sainte  que  sa  vie  avait  été  édifiante.  A 
ses  derniers  moments,  il  adressa  ces  touchantes  paroles  aux  fidèles  chré- 
tiens qui  environnaient  sa  couche  :  «  Je  sais,  mes  bien-aimés  enfants,  que 
ma  mort  est  proche.  Puissé-je  trouver  le  divin  Maître  aussi  propice  que 
mon  désir  de  le  voir  est  ardent!  Après  mon  dernier  soupir,  que  mon  corps 
reçoive  une  modeste  sépulture  en  dehors  de  la  ville,  en  attendant  le  jour 
de  la  résurrection  glorieuse.  Pour  vous,  si  vous  m'aimez,  pensez  souvent 
à  la  sévère  justice  du  souverain  Juge.  Craignez  qu'il  ne  vous  surprenne 
dans  le  péché  ». 


SAINT  BERCHAIRE  D'AQUITAINE,   ABBÉ  ET  MARTYR.  397 

Ayant  proféré  ces  paroles,  le  Bienheureux  reçut  avec  une  tendre  dé- 
votion le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ,  qui  fut  quelques  instants  après 
sa  récompense  éternelle. 

Ainsi  mourut,  après  vingt-six  ans  d'épiscopat  (685),  le  digne  succes- 
seur de  saint  Eloi,  le  vertueux  Pontife  qui,  de  son  vivant,  reçut  le  beau 
titre  d'homme  apostolique.  Malgré  sa  défense,  on  fit  ses  obsèques  avec  une 
grande  solennité.  Ses  restes  vénérés  furent  inhumés  dans  l'église  Saint- 
Georges,  qui  porta  ensuite  le  nom  des  saints  Apôtres,  et  enfin  celui  de 
Sainte-Godeberthe.  Plus  tard,  ils  furent  transférés  dans  la  cathédrale  de 
Noyon,  où  ils  sont  encore  vénérés  de  nos  jours.  Pendant  la  Révolution,  ces 
précieuses  reliques  furent  sauvées  par  le  zèle  d'un  pieux  fidèle  nommé 
Eustache,  qui  les  enfouit  dans  le  préau  du  cloître  de  la  cathédrale.  Le  culte 
du  Bienheureux  remonte  au  moins  au  Xe  siècle.  Sa  fête  était  autrefois  de 
précepte  dans  tout  le  diocèse  de  Noyon. 

On  le  représente  portant  à  la  main  un  livre  ouvert.  —  «  Ce  pourrait 
bien  »,  dit  à  ce  propos  le  P.  Cahier  *,  «  n'être  qu'un  attribut  général  de 
l'épiscopat,  mais  je  soupçonne  une  autre  cause.  Ce  Saint  est  invoqué  en 
Flandre  pour  les  enfants  bègues  ou  qui  tardent  à  parler,  et  la  raison  en 
est  peut-être  originairement  dans  l'espèce  d'onomatopée  que  renferme 
son  nom  comme  expression  du  bégaiement.  Cela  étant,  ce  livre  ouvert 
serait  une  sorte  d'épreuve  présentée  aux  petits  clients  pour  juger  de 
leur  prononciation. 

Vie  des  Saints  du  diocèse  de  Beauvais,  par  M.  l'abbé  Sabatier. 


SAINT  BERGHAIRE  2  D'AQUITAINE, 

ABBS  DE  HAUTV1LLERS  ET  DE  MONTIER-EN-DER,  MARTYR  AU  DIOCÈSE  DE  LANGRES 

vu*  siècle. 


Souvenons-nous  de  l'exemple  de  Jésus-Christ  mou- 
rant: le  ciel  ne  s'ouvre  qu'à  ceux  qui  ont  géné- 
reusement déposé  toute  haine,  toute  animosittf 
au  pied  de  la  croix. 

Eloge  du  Saint. 

Berchaire  naquit  en  Aquitaine  de  parents  nobles  et  riches,  vers  l'an  636. 
Il  donna,  dès  son  enfance,  des  marques  sensibles  'de  la  sainteté  qui  devait 
éclater  en  lui  toute  sa  vie.  Son  honnêteté,  sa  modestie,  sa  douceur  et  son 
obéissance  étaient  si  grandes,  qu'il  gagnait  le  cœur  de  tous  ceux  qui  le 
voyaient.  Saint  Nivard,  cet  illustre  archevêque  de  Reims,  en  fut  lui-même 
charmé.  Dans  un  voyage  qu'il  fit  en  Aquitaine,  il  eut  occasion  de  connaître 
les  parents  de  Berchaire,  dans  un  riche  domaine  qu'ils  habitaient.  Reçu  au 
sein  de  cette  famille,  il  entretint  Berchaire  et  admira  les  grâces  dont  le  ciel 
l'avait  prévenu.  Comme  il  vit  qu'il  pouvait  rendre  des  services  considérables 
à  l'Eglise  ou  à  l'Etat,  s'il  joignait  la  science  à  la  piété,  il  exhorta  son  père 

1.  Caractéristiques  des  Saints,  page  52G.  —  2.  Alias  :  Bercaire,  Bercharius. 


398  4G  OCTOBRE* 

à  ne  rien  épargner  pour  le  faire  étudier.  Le  succès  répondit  au  désir  et  à 
l'attente  de  ce  grand  homme.  Berchaire  se  livra  à  l'étude  avec  tant  d'appli- 
cation qu'il  surpassa  bientôt  tous  ses  condisciples.  Ensuite,  aspirant  tou- 
jours à  une  plus  haute  perfection,  il  sortit  de  son  pays  et  alla  trouver  saint 
Nivard,  dont  la  sagesse  et  la  piété  l'avaient  mis  en  grand  crédit  à  la  cour 
de  Childéric.  Cet  homme  de  Dieu  fut  ravi  d'avoir  l'occasion  de  reconnaître 
dans  la  personne  du  fils,  les  bons  offices  qu'il  avait  reçus  du  père  et  de  la 
mère  dans  son  voyage  de  Guyenne.  Il  l'embrassa  comme  son  enfant,  et, 
pour  le  rendre  capable  des  plus  hauts  emplois,  il  le  mit  sous  la  conduite  de 
saint  Rémacle,  évêque  de  Maëstricht.  Sous  sa  direction,  Berchaire  avança 
rapidement  dans  la  connaissance  de  la  religion  et  la  pratique  de  la  sainteté. 

Dieu  lui  inspira  de  se  retirer  au  monastère  de  Luxeuil,  en  Bourgogne, 
qui  florissait  alors  sous  la  conduite  de  saint  Walbert.  Quoique  cette  maison 
fût  remplie  de  Saints,  Berchaire  ne  laissa  pas  d'en  être  un  des  plus  beaux 
ornements.  Son  historien  avoue  qu'il  n'a  point  de  termes  pour  exprimer 
l'excellence  de  son  humilité,  de  sa  modestie,  de  sa  mansuétude,  de  son 
obéissance  et  de  sa  charité.  Il  s'estimait  le  dernier  de  tous,  et,  dans  ce  sen- 
timent, il  n'y  avait  point  d'office  si  bas  dans  la  maison  auquel  il  ne  s'appli- 
quât avec  joie  pour  l'amour  de  Jésus-Christ.  Dieu  fit  éclater  son  obéis- 
sance par  un  grand  miracle,  rapporté  par  tous  ceux  qui  ont  parlé  de  lui  : 
un  jour,  faisant  l'office  de  cellérier,  son  abbé  l'appela  et  lui  commanda  de 
venir  lui  parler.  Prompt  à  obéir,  il  ne  prit  pas  même  le  temps  d'arrêter  la 
liqueur  qu'il  transvasait,  et  vola  où  son  devoir  l'appelait,  tenant  encore  à 
la  main  l'instrument  qui  servait  à  boucher  l'ouverture  par  où  le  liquide 
s'échappait  ;  mais  la  liqueur  ne  se  répandit  pas  pour  cela,  car,  après  avoir 
rempli  le  vase,  elle  s'éleva  au-dessus  en  forme  de  colonne,  sans  avoir  rien 
pour  la  soutenir.  Tous  les  spectateurs  admirèrent  ce  prodige  et  celui  qui 
en  était  l'auteur  ;  mais  le  Saint  attribua  au  mérite  du  commandement 
de  son  supérieur  ce  qui  était  dû  au  mérite  de  son  obéissance  prompte  et 
aveugle. 

Lorsqu'il  se  fut  rendu  parfait  dans  toutes  les  pratiques  de  la  vie  monas- 
tique, il  revint  trouver  saint  Nivard,  qui  désirait  ardemment  avoir  d'excel- 
lents religieux  dans  son  diocèse  pour  y  établir  de  nouveaux  monastères.  Un 
jour  qu'ils  allaient  ensemble  à  Epernay  y  chercher  un  lieu  propre  à  ce 
dessein,  le  bienheureux  prélat  se  sentit  tellement  pressé  de  sommeil  qu'il 
fut  obligé  de  se  reposer  sous  un  arbre  auprès  de  Hautvillers,  et  de  s'y  en- 
dormir. Pendant  son  sommeil,  Berchaire  aperçut  une  blanche  colombe 
qui,  après  s'être  perchée  un  moment  sur  cet  arbre,  décrivit  trois  fois  un 
cercle,  comme  pour  marquer  la  place  d'un  édifice.  Saint  Nivard  vit  aussi 
la  même  chose  en  songe  ;  ce  qui  fit  croire  à  ces  saints  personnages  que 
Dieu  avait  choisi  ce  lieu  pour  la  construction  de  l'abbaye  *.  Elle  y  fut  donc 
bâtie  avec  les  libéralités  du  saint  archevêque  ;  saint  Berchaire  en  fut  le  pre- 
mier abbé,  et  la  gouverna  quelque  temps  avec  beaucoup  de  prudence  et  de 
sainteté. 

Bientôt  après,  saint  Nivard  acheva  de  vivre,  et  alla  recevoir  dans  le  ciel 
la  récompense  de  ses  aumônes  et  de  son  sage  gouvernement.  Son  corps  fut 
enterré  dans  ce  monastère,  et  s'y  rendit  éclatant  par  des  miracles.  Saint 
Berchaire,  dont  le  zèle  et  la  charité  ne  connaissaient  point  de  bornes,  fonda 
encore  sur  la  Voire,  d'autres  disent  :  Vogre,  Vègre,  Laine,  un  monas- 
tère de  religieuses,  dont  les  premières  furent  huit  captives  qu'il  racheta. 

1.  Dans  un  enfoncement  formé  par  une  montagne,  a  l'extrémité  d'une  plaine  riante,  nou  loiu  de  la 
Marne,  et  à-  quatre  milles  de  Keims. 


SAINT  BERCHA1KE  D'AQUITAINE,  ABBÉ  ET  MARTYR.  399 

On  Tappela  vulgairement  Puellemontier  *.  De  plus,  il  fit  élever  divers  ora- 
toires dans  la  forêt  de  Der,  entre  autres  un  à  Louze.  Enfin,  il  bâtit  sur  la 
même  rivière  et  dans  la  même  forêt  une  seconde  abbaye  de  religieux, 
appelée  Montier-en-Der.  Ce  fut  là  qu'après  un  voyage  à  Jérusalem  il  choisit 
sa  demeure  pour  jusqu'à  la  fin  des  siècles.  Mais,  lorsqu'il  ne  pensait  qu'à 
porter  ses  chers  disciples  à  la  perfection  de  la  vie  monastique  par  ses  exem- 
ples, ses  remontrances  et  ses  corrections  paternelles,  il  trouva  dans  sa  cel- 
lule même  l'honneur  d'un  glorieux  martyre.  Il  avait  déclaré  peu  de  temps 
auparavant  dans  une  exhortation  à  ses  chères  filles  de  Puellemontier,  que 
sa  mort  était  proche,  et  que  c'était  là  la  dernière  fois  qu'il  leur  parlerait» 
L'effet  montra  bientôt  la  vérité  de  sa  prophétie.  Il  y  avait  parmi  ses  reli- 
gieux un  jeune  homme  nommé  Daguin,  qu'il  avait  levé  des  fonts  baptis- 
maux, et  auquel  il  s'était  particulièrement  appliqué  pour  en  faire  un  servi- 
teur de  Dieu.  C'était  néanmoins  un  hypocrite.  Il  arriva  qu'il  fit  une  faute 
considérable  qui  méritait  bien  la  correction.  Le  saint  abbé  l'en  reprit  selon 
son  devoir,  et  lui  en  fit  porter  la  pénitence.  Daguin,  ne  pouvant  souffrir 
cette  juste  sévérité,  entra  la  nuit  secrètement  dans  sa  chambre,  et,  poussé 
par  une  fureur  diabolique,  il  lui  donna  un  coup  de  couteau  dont  il  le  blessa 
mortellement.  Il  alla  ensuite  jeter  son  couteau  dans  le  vivier  de  l'abbaye, 
pensant  cacher  son  parricide,  en  cachant  l'instrument  qui  lui  avait  servi 
pour  le  commettre  ;  mais  le  couteau,  au  lieu  d'enfoncer,  nagea  sur  l'eau 
comme  si  cet  élément  eût  eu  horreur  de  participer  à  un  crime  si  détestable. 
Ce  prodige  épouvanta  tellement  l'assassin,  que,  perdant  en  même  temps  le 
sens  et  le  jugement,  "il  courut  lui-même  à  l'église  sonner  la  cloche  pour 
appeler  les  religieux.  C'était  une  heure  indue  où  la  communauté  ne  devait 
pas  s'assembler.  Chacun  en  fut  surpris.  Ils  se  lèvent  au  ^lus  tôt  et  courent  à 
la  chambre  de  leur  abbé  pour  savoir  la  cause  de  ce  signal.  Alors  ils  le  trou- 
vèrent nageant  dans  son  sang,  et  prêt  à  rendre  l'âme.  Une  partie  court  à 
l'église  pour  voir  qui  avait  sonné,  et  s'étant  saisis  de  Daguin,  qui  avoua 
aussitôt  son  péché,  ils  Tamenènent  à  leur  bienheureux  abbé  pour  savoir  de 
lui-même  ce  qu'ils  en  devaient  faire.  Le  Saint,  voyant  en  sa  présence  celui 
qui  lui  ôtait  la  vie,  ne  s'en  émut  point,  mais  lui  pardonna  de  tout  cœur  son 
parricide  ;  il  l'avertit  seulement  d'aller  à  Rome  s'en  faire  absoudre  par  le 
Pape.  Il  fit  voir  par  là  qu'il  était  le  véritable  disciple  de  Celui  qui  recom- 
mande d'oublier  les  injures  et  de  pardonner  à  ses  ennemis,  et  qui,  étant 
sur  l'arbre  de  la  croix,  pria  avec  tant  d'instance  pour  ceux  qui  l'avaient 
crucifié.  Il  survécut  deux  jours  à  ses  blessures  et  rendit  son  âme  à  Dieu 
dans  la  nuit  de  Pâques.  C'était  le  27  mars,  vers  la  fin  du  vu0  siècle. 

On  le  représente  :  1°  percé  d'un  glaive  ;  2°  parfois  près  d'un  tonneau 
ou  d'un  baril  d'où  la  boisson  s'épanche  et  surmonte  les  bords  du  vase  placé 
sous  le  robinet. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Saint  Berchaire  fut  inhumé  au  cimetière  commun  derrière  l'église  ;  on  accourut  de  toutes  parts 
à  ses  funérailles.  Les  miracles  qui  se  firent  à  son  tombeau  déterminèrent  dans  la  suite  à  le  trans- 
férer dans  la  basilique  qu'il  avait  dédiée  aux  saints  apôtres  Pierre  et  Paul.  On  le  déposa  sous  une 
arcade  creusée  dans  la  muraille,  derrière  l'autel,  à  l'orient.  Longtemps  il  en  découla  une  huile  que 
l'on  recueillait  dans  un  vase  et  qui  rendait  la  santé  aux  malades. 

Au  ixe  siècle,  à  l'approche  des  Huns  et  des  Normands  qui  ravageaient  les  Gaules,  pillaient  et 
incendiaient  les  monastères,  les  religieux  de  Montier-en-Der  enlevèrent  les  reliques  de  leur  glorieux 

I.  PueUare  monasterium,  monastère  de  jeunes  filles. 


400  16  OCTOBRE* 

fondateur  et  les  transportèrent  secrètement  sur  les  bords  de  la  Saône,  dans  un  lieu  qui  n'est  point 
désigné.  Après  la  conversion  des  Normands,  elles  furent  solennellement  reportées  au  monastère. 
Aujourd'hui  son  corps  repose  encore  à  peu  près  entier  dans  l'église  conventuelle,  devenue  église 
paroissiale  de  Montier-en-Der. 

Une  partie  considérable  de  la  tète  du  Saint  fut  donnée  à  l'église  de  Châteauvillain  (Haute-Marne) 
qui  est  sous  son  invocation.  Cette  insigne  relique  a  disparu  à  la  Révolution,  et  l'on  n'a  plus  à 
Châteauvillain  qu'une  vertèbre  du  Martyr  régulièrement  authentiquée. 

L'église  de  Montiéramey  (canton  de  Lusigny,  Aube)  possède  aussi  plusieurs  ossements  de  ce 
saint  religieux.  11  est  patron  de  La  Chaise  (canton  de  Soulaines,  arrondissement  de  Bar-sur-Aube), 
au  diocèse  de  Troyes. 

Comme  saint  Berchaire  était  mort  le  jour  de  Pâques,  et  que  cette  solennité  exclut  toute  fête 
de  Saint,  on  décida,  lors  de  la  réinstallation  de  ses  reliques,  que  le  jour  même  où  elle  avait  lieu, 
et  qui  coïncidait  avec  la  dédicace  de  l'église  du  monastère,  serait  consacré  à  la  mémoire  du  mar- 
tyre de  saint  Berchaire.  C'est  Ainsi  que  son  nom  est  mentionné  le  16  octobre  dans  les  martyrologes, 
bien  qu'il  soit  mort  dans  le  temps  pascal.  Sous  le  roi  Robert,  ses  reliques  furent  solennellement 
apportées  à  un  Concile  d'Aire,  suivant  un  usage  de  l'époque,  qui  tendait  à  donner  plus  de  pompe 
et  d'autorité  à  ces  sortes  d'assemblées.  Ce  fait  prouve  combien  le  nom  du  Saint  était  vénéré. 

Nous  avons  complété  cette  biographie,  avec  la  Vie  des  Saints  de  Troyes,  par  M.  l'abbé  Defer  ;  les  Vies 
des  Saints  de  la  Haute-Marne,  par  M.  l'abbé  Godard;  la  Vite  des  Saints  de  Franche-Comte',  par  les  pro- 
fesseurs du  collège  Saint-François-Xavier,  de  Besançon. 


SAINT  BERTRAND,  ARCHIDIACRE  DE  TOULOUSE, 

DIX-NEUVIÈME  ÉVÊQUE  DE  L'ANCIEN  SIÈGE  DE  COMMINGES 
1130.  —  Pape  :  Innocent  II.  —  Roi  de  France  :  Louis  VI,  le  Gros. 


Aux  yeux  de  Dieu,  la  suprême  noblesse  consista  à  se 
distinguer  par  ses  vertus. 

Le  vénérable  Bède. 

Saint  Bertrand  naquit  de  noble  Aton  Raymond  de  Yla,  seigneur  à*Ictium 
ou  Setium  Castrum,  et  de  Hervèze  ou  Gervaise,  fille  de  Guillaume  III,  dit 
Taillefer,  comte  de  Toulouse.  Ses  parents,  que  la  piété  recommandait  en- 
core plus  que  leur  naissance,  songèrent  de  bonne  heure  à  donner  au  jeune 
Bertrand  une  éducation  chrétienne.  Une  tradition  porte,  et  des  auteurs  ont 
écrit  qu'ils  le  confièrent  aux  Bénédictins  de  l'Escale-Dieu,  dont  l'abbaye 
se  trouvait  à  Capatur,  vers  les  sources  de  l'Adour.  Ils  l'appliquèrent  dès  son 
enfance,  suivant  le  précepte  de  l'Apôtre,  à  l'étude  des  livres  sacrés  qui  l'ins- 
truisirent des  choses  du  salut  par  la  foi  au  Seigneur  Jésus.  Bertrand,  sem- 
blable à  la  fleur  qui  s'ouvre  aux  premiers  rayons  de  l'étoile  du  matin,  pro- 
mettait, dès  sa  tendre  enfance,  l'abondante  moisson  de  fruits  et  de  vertus 
qu'il  fournit  dans  le  cours  de  sa  vie.  Parvenu  à  l'âge  de  choisir  une  car- 
rière, il  prit  celle  des  armes,  que  lui  indiquaient,  sans  doute,  la  volonté  de 
ses  parents  et  les  traditions  de  sa  famille.  Se  proposant  pour  modèle  la 
conduite  du  glorjeux  saint  Martin,  qui,  jusque  dans  les  camps,  s'était  mon- 
tré, avant  tout,  soldat  de  Jésus-Christ,  Bertrand  s'appliqua  à  pratiquer  les 
vertus  spécialement  opposées  aux  vices  qui  semblent  inhérents  à  cette  pro- 
fession. Il  se  distingua,  parmi  ses  frères  d'armes,  par  ses  mœurs  douces,  sa 
libéralité  et  sa  charité  envers  les  pauvres,  dont  il  ne  pouvait  entendre  les 
gémissements  sans  les  soulager.  Pieux,  modeste,  ne  faisant  jamais  de  mal 


SAINT  BERTRAND,   ARCHIDIACRE  DE  TOULOUSE.  401 

au  prochain,  fermant  l'oreille  aux  propos  qu'on  tenait  contre  lui,  ne  fâchant 
et  ne  méprisant  qui  que  ce  fût,  prompt  à  écouter,  lent  à  parler  et  à  se  fâ- 
cher, il  se  fit  aimer  de  tous,  riches  et  pauvres,  grands  et  petits,  et  il  fit 
aimer  le  Dieu  qui  avait  mis  ces  vertus  en  lui  et  dont  il  conservait  si  pré- 
cieusement les  dons. 

Guidé  par  cette  lumière  que  Dieu  fait  briller  aux  yeux  de  toute  âme  qu'il 
envoie  sur  la  terre,  Bertrand  put  traverser  sans  naufrage  les  années  péril- 
leuses de  la  jeunesse.  Fidèle  à  la  grâce  qui  le  conduisait,  il  nous  prouva  que 
si  Dieu  nous  trace  quelquefois  une  route  pénible,  il  nous  donne  aussi  le  fil 
qui  doit  nous  conduire  à  travers  les  épreuves,  et  nous  mène  au  port  en  dépit 
des  difficultés  du  chemin.  Bertrand  fut  doué  de  tous  les  biens  que  le  monde 
estime  :  biens  trompeurs,  dont  la  possession  fait  si  souvent  oublier  à  ceux 
qui  en  jouissent  qu'ils  ne  sont  ordinairement  que  des  écueils  :  biens  fragiles, 
qui  ont  endormi  sur  le  bord  de  la  route  tant  d'âmes  qui,  à  leur  réveil,  s'en 
sont  vues  dépouillées  :  biens  misérables,  qui  ont  endurci  tant  de  cœurs  et 
attaché  tant  d'intelligences  à  la  terre  comme  à  leur  patrie,  tandis  qu'elle 
n'en  était  que  le  marche-pied. 

Bertrand  fut  riche  de  ces  biens  du  monde  ;  et  ce  furent  pour  lui  de  vé- 
ritables richesses,  car  il  s'en  servit  pour  s'élever  à  la  source  de  tout  bien 
qui  est  Dieu.  Loin  de  céder  à  la  douceur  de  leurs  amorces,  il  s'en  fit  des 
vertus,  car  la  vertu  c'est  la  force;  c'est  au  combat  que  Dieu  connaît  ses 
serviteurs.  Notre  Saint  justifia  ainsi  le  nom  qu'il  avait  reçu  de  ses  parents, 
car  Bertchrarh  signifie  illustre  au  combat.  Mais  les  agitations  du  monde  ne 
convenaient  point  à  ce'tte  âme  fidèle.  Soldat  de  Jésus-Christ,  il  se  sentait 
appelé  à  d'autres  combats  que  ceux  où  il  voyait  couler  le  sang  de  ses  frères. 
Il  voulut,  comme  le  soldat  chrétien  qu'il  s'était  donné  pour  modèle,  s'at- 
tacher indissolublement  au  Seigneur;  et,  se  vouant  au  service  des  autels, 
il  s'enrôla  sous  la  bannière  du  Chef  suprême  des  nations,  du  Conquérant 
pacifique  des  âmes.  Bertrand  apporta,  dans  ce  nouvel  état,  les  vertus  qui 
l'avaient  distingué  sous  l'habit  militaire.  Il  devint  chanoine  et  bientôt  après 
archidiacre  de  l'église  de  Toulouse.  Et  ce  fut  dans  cette  église,  illustrée 
par  des  martyrs  et  des  confesseurs,  que  Dieu  fut  le  chercher  pour  le  placer 
sur  le  siège  de  Comminges. 

Lorsque  les  députés  de  l'église  de  Comminges  vinrent  le  demander  à 
l'évoque  Izarn  et  au  chapitre  de  Saint-Etienne,  tous  se  réjouirent  de  l'élé- 
vation du  saint  homme  ;  mais  leur  joie  fut  mêlée  de  douleur,  car  ils  voyaient 
s'éloigner  un  frère  chéri.  Bertrand  reçut  la  consécration  épiscopale  à  Auch, 
des  mains  de  l'archevêque  Bernard  de  Montaut,  dont  l'église  était  métro- 
pole de  dix  villes  épiscopales.  Et  les  députés  ramenèrent  vers  la  cité  de 
Comminges  leur  nouvel  évoque,  «  cet  homme  connu  par  toute  sorte  de 
bonnes  œuvres,  qui  ne  devait  sa  dignité  ni  aux  présents,  ni  aux  prières,  cet 
homme  remarquable  par  le  lis  de  la  chasteté,  agréable  par  son  humilité, 
plein  d'oeuvres  de  miséricorde  ».  Bertrand  commença  par  relever  les  murs 
de  sa  cathédrale.  Il  bâtit  aussi  un  cloître  où  il  réunit  ses  chanoines,  sous 
la  Règle  de  Saint-Augustin. 

L'église  de  Comminges  posséda  environ  cinquante  ans  son  pasteur  vé- 
néré ;  et,  pendant  ce  demi  siècle,  il  dirigea  dans  les  voies  de  Dieu  le  peuple 
qui  lui  avait  été  confié,  l'instruisant,  priant  pour  lui,  l'édifiant  par  ses 
exemples,  guérissant  les  malades  par  la  vertu  de  ses  miracles.  Saint  Ber- 
trand assista,  en  1093,  au  Concile  de  Bordeaux;  en  1100,  au  célèbre  concile 
de  Poitiers,  où  le  roi  Philippe  fut  excommunié,  ce  qui  excita  une  telle  fu- 
reur parmi  le  peuple,  que  des  pierres  furent  lancées  sur  les  évoques  qui, 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  26 


40^  16  OCTOBRE 

ôtant  leurs  mitres,  demeurèrent  inébranlables  sur  leurs  sièges;  en  1119,  à 
la  consécration  du  cimetière  de  Sainte-Marie  d'Auch,  pendant  laquelle  les 
moines  de  Saint-Orens,  furieux  de  se  voir  déboutés  de  leurs  prétentions  par 
le  pape.  Galixte  II,  et  dépouillant  l'habit  monastique,  envahirent  en  armes 
l'église,  cherchant  à  l'incendier  et  à  massacrer  les  évoques;  et  en  1122,  à 
la  consécration  d'une  église,  dédiée  à  Saint-Orens,  dans  le  diocèse  de 
Toulouse. 

Il  visitait  encore  les  paroisses  de  son  diocèse  quand  il  sentit  approcher 
la  lin  de  son  pèlerinage.  Il  fut  saisi  d'une  fièvre  violente,  et  voyant  ses  forces 
l'abandonner  il  se  fit  porter  vers  sa  cathédrale.  Il  voulait  revoir  avant  de 
mourir  ce  temple  que  ses  mains  avaient  relevé,  ce  peuple  qui  s'était  ras- 
semblé  autour  de  lui  comme  les  poussins  sous  l'aile  de  leur  mère.  Sa  mala- 
die étant  devenue  plus  grave,  il  voulut  être  porté  par  ses  chanoines  devant 
l'autel  de  la  Vierge  Marie,  l'auguste  patronne  de  son  église.  Et,  plein  d'uno 
douce  joie,  et  comme  certain  de  la  récompense,  car  il  avait  bien  combattu, 
il  consolait  ceux  qui  l'entouraient  et  les  instruisait  encore.  Enfin,  leur 
ayant  donné  sa  dernière  bénédiction,  il  termina  glorieusement  sa  dernière 
journée;  et  les  anges,  qui  attendaient  en  silence  ce  moment  suprême,  s'en- 
volèrent, emportant  avec  eux  cette  âme  fidèle,  devant  Celui  qui  devait  la 
couronner.  Ainsi  mourut,  le  16  octobre  1130,  le  saint  patron  de  Gomminges, 
laissant,  dans  sa  longue  carrière,  l'exemple  de  toutes  les  vertus,  mais  prin- 
cipalement d'une  chasteté  dont  l'éclat  ne  fut  jamais  terni,  d'une  humilité 
profonde  et  sincère,  et  d'une  charité  sans  bornes. 

La  vie  de  saint  Bertrand  avait  été  remplie  de  charité  et  d'humilité,  et 
Dieu  avait  couronné  du  don  des  miracles  ces  vertus  qui  sont  le  fondement 
de  la  vie  chrétienne.  Nous  allons  en  rapporter  quelques-uns  auxquels  la 
mort  môme  ne  mit  point  un  terme  : 

Une  femme  avait  un  enfant  dont  le  père,  pour  se  dispenser  de  l'entre- 
tenir, disait  partout  qu'il  n'était  point  à  lui.  Cette  mère  malheureuse  se 
présenta  un  jour  tout  éplorée  à  l'évoque  et  lui  dit  :  Charitable  père,  l'enfant 
que  vous  voyez  entre  mes  bras  se  meurt  de  faim,  parce  que  je  n'ai  pas  de 
quoi  le  nourrir  et  que  celui  de  qui  je  l'ai  eu  refuse  de  le  reconnaître  pour 
son  fils  et  de  lui  donner  des  aliments.  Ordonnez-lui,  par  l'autorité  que  Dieu 
vous  a  donnée,  de  nourrir  cette  pauvre  créature.  Le  saint  évêque,  ayant 
fait  venir  l'homme,  lui  reprocha  sa  cruauté  contre  nature,  lui  disant  que 
puisqu'il  avait  donné  la  vie  à  cet  enfant,  il  devait  la  lui  conserver,  et  ne 
point  ajouter,  ainsi  qu'il  le  faisait,  un  second  crime  au  premier.  Cet  homme 
nia  qu'il  fût  le  père  de  l'enfant  et  soutint  que  la  plainte  de  cette  femme 
était  une  calomnie.  Alors  Bertrand  fit  apporter  un  vase  d'eau  froide,  la  bé- 
nit, y  mit  une  pierre,  et  dit  à  l'homme  :  Au  nom  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  retirez  cette  pierre  de  l'eau  ;  si  vous  êtes  innocent  Dieu  nous  le  mon- 
trera. L'homme  plongea  la  main  dans  l'eau  froide,  «n  retira  la  pierre,  et  sa 
main  parut  brûlée  comme  si  elle  avait  cuit  dans  l'eau  bouillante.  Alors  il 
confessa  son  crime,  reconnut  son  enfant  et  se  chargea  de  le  nourrir;  et  tous 
furent  saisis  de  crainte  en  voyant  ainsi  confondre  l'imposture. 

Un  jour,  le  saint  évêque  voyageait  aveo  quelqu'un,  qui  s'était  mis  en  sa 
compagnie  se  croyant  plus  en  sûreté.  Un  soldat,  qui  voulait  du  mal  à  cet 
homme,  courut  à  lui,  et  l'arracha  de  dessus  son  cheval  et  des  côtés  du  Saint. 
Bertrand  pria  le  soldat  de  lui  rendre  son  compagnon  qu'il  lui  enlevait  d'une 
main  sacrilège  ;  mais  le  ravisseur  méprisa  sa  prière.  Alors  l'évêque  gémit 
et  le  frappa  d'excommunication,  et,  sur-le-champ,  le  soldat  se  sentit  frappé 
aux  yeux  d'une  plaie  qui  lui  venait  du  ciel.  Comme  l'impie  Gain  il  fut  saisi 


SAINT  BERTRAND,   ARCHIDIACRE  DE  TOULOUSE.  403 

d'un  tremblement  continuel  des  paupières,  ce  qui  le  força  à  rendre  son 
prisonnier  sans  Favoir  maltraité. 

Des  femmes  occupées  à  enlever  les  mauvaises  herbes  des  champs  virent 
passer  le  saint  évêque  qui,  selon  l'usage,  leur  donna  sa  bénédiction.  Sei- 
gneur, lui  dirent-elles,  écoutez  la  prière  de  vos  servantes  ;  une  mauvaise 
plante,  qu'on  nomme  ivraie,  croît  d'ordinaire  dans  ces  lieux  en  si  grande 
quantité,  qu'elle  étouffe  les  moissons  et  empêche  les  champs  de  produire 
du  bon  grain,  et  même  de  rendre  la  semence  qu'ils  ont  reçue.  Veuillez, 
saint  père,  bénir  ces  champs  et  maudire  cette  herbe  nuisible,  afin  que  la 
stérilité  en  disparaisse  et  que  par  vos  mérites  l'abondance  y  règne  désor- 
mais. Le  Saint  lança  sa  malédiction  sur  l'ivraie,  et  cette  plante  ne  parut 
plus  dans  cette  terre. 

Notre  Saint  étant  un  jour  dans  un  petit  bourg  au  bord  de  la  Neste,  y 
trouva  un  pêcheur  auquel  il  commanda  d'aller  prendre  une  certaine  quan- 
tité de  poisson  qu'il  lui  fixa.  Le  pêcheur  obéit  et  eut  bientôt  pris  le  nombre 
qui  lui  avait  été  indiqué  sans  pouvoir  le  dépasser,  bien  qu'il  prolongeât  sa 
pêche.  L'homme  de  Dieu  renouvela  ce  prodige  trois  fois  dans  la  même 
maison.  Enfin,  une  dernière  fois  il  ordonna  au  pêcheur  d'aller  en  prendre 
en  grande  quantité  ;  cet  homme,  confiant  en  la  vertu  du  Saint  dont  il  avait 
éprouvé  la  puissance,  courut  jeter  ses  filets,  et  il  revint  après  quelques 
instants,  courbé  sous  le  poids  d'une  pêche  abondante,  au  logis  où  était 
encore  le  saint  prélat  plein  de  bonnes  œuvres  et  de  libéralité  :  ce  dont  les 
assistants  furent  grandement  émerveillés. 

La  tradition  nous  "dit  que  l'endroit  où  s'est  opéré  le  miracle  de  la  pêche 
est  celui  où  s'élève  aujourd'hui  le  château  de  Boucoulan,  dans  le  territoire 
de  Tibiran,  au  confluant  de  la  Neste  et  de  la  Garonne",  et  que  saint  Ber- 
trand résidait  quelquefois  dans  ce  lieu,  pour  se  reposer  des  fatigues  de  son 
glorieux  apostolat. 

Les  comtes  de  Gomminges  et  de  Bigorre  étaient  en  guerre.  Sancius-Parra 
de  Olcia,  qui  commandait  pour  le  comte  de  Bigorre,  vint  avec  son  armée 
dans  le  pays  de  Comminges,  qu'il  ravagea  jusque  sous  les  murs  de  Lugdu- 
num.  Bertrand,  voyant  ses  enfants  dans  la  désolation  de  ce  qu'on  leur  en- 
levait les  animaux  destinés  à  l'agriculture,  vint  prier  Sancius  de  les  leur 
rendre.  Celui-ci  refusa  à  moins  qu'on  ne  lui  en  payât  la  valeur.  Le  pontife 
redoublant  d'instances  lui  dit  :  Rendez-les-moi,  je  vous  paierai  avant  que 
vous  ne  mouriez.  Sancius  les  lui  rendit  et  ils  se  séparèrent.  Bertrand  mou- 
rut, et  Sancius  s'en  alla  plus  tard  combattre  les  Sarrasins  en  Espagne.  Il 
fut  fait  prisonnier,  chargé  de  chaînes  et  jeté  dans  un  cachot  obscur,  d'où 
on  devait  le  transporter  au-delà  de  la  mer,  avec  d'autres  compagnons  d'in- 
fortune. Une  nuit  qu'il  gémissait  sur  son  sort,  il  vit  sa  prison  s'illuminer 
d'une  grande  lumière,  et  il  entendit  une  voix  lui  dire  :  «  Sancius,  levez-vous 
et  venez  ».  —  «  Qui  êtes-vous,  seigneur  »,  répondit-il  ?  et  la  voix  continua  : 
«  Je  suis  l'évêque  Bertrand,  auquel  vous  avez  rendu  les  bœufs  de  son  peuple, 
je  viens  accomplir  ma  promesse  ».  —  Alors  les  chaînes  du  captif  se  brisèrent, 
il  se  leva,  ils  sortirent  tous  deux  et  se  trouvèrent  au  lever  de  l'aurore  sur 
la  montagne  d'Esquito,  près  d'Olcie,  dans  la  vallée  d'Aspe.  Là,  saint  Ber- 
trand recommanda  à  Sancius  de  visiter,  chaque  année,  avec  dévotion, 
l'église  où  reposait  son  corps,  et  l'ayant  salué  il  disparut.  Sancius  ayant 
rassemblé  les  gens  du  pays  se  fit  connaître  d'eux,  et  leur  raconta  comment 
il  avait  été  délivré  de  la  prison  :  tout  le  monde  en  rendit  gloire  à  Dieu  et 
à  saint  Bertrand,  et  lui-même  il  fut  fidèle  à  venir,  chaque  année,  remercier 
son  libérateur.  C'est  ce  miracle  qui  a  donné  lieu  à  l'institution  du  Jubilé 


404  4 G  octobre. 

et  de  la  fête  qui  se  célèbre  le  2  mai,  sous  le  titre  de  l'Apparition  de  saint 
Bertrand. 

On  représente  saint  Bertrand  :  1°  apparaissant  à  des  captifs  qui  lui 
rendent  grâce  de  leur  délivrance  ;  2°  soumettant  à  l'épreuve  de  l'eau  froide 
un  père  qui  reniait  son  enfant  ;  3°  priant  pour  son  peuple  ;  4°  se  tenant 
devant  une  maison  qui  s'écroule  à  sa  voix  sur  des  pécheurs  endurcis  ; 
5°  mourant  devant  l'autel  de  la  sainte  Vierge  ;  6°  recevant  dans  le  ciel  la 
couronne  promise  au  serviteur  fidèle  ;  7°  prêchant  dans  la  vallée  d'Azun  ; 
8°  à  genoux  aux  pieds  de  la  sainte  Vierge  ;  9°  sur  un  rocher,  bénissant  un 
noyer,  au  pied  duquel  un  homme  est  à  genoux. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Bertrand  fut  enseveli,  suivant  sa  recommandation  expresse,  au  pied  de  l'autel  de  Notre-Dame, 
et  bientôt  «  le  parfum  de  ses  vertus  s'exhalant  de  son  tombeau,  proclama  la  gloire  du  souverain 
Roi  dans  l'humilité  de  son  serviteur  ».  La  renommée  des  miracles  qui  s'opérèrent  par  l'intercession 
du  bienheureux  pontife  se  répandit  au  loin;  le  pape  Alexandre  III,  qui  se  trouvait  à  Toulouse,  fit 
procéder  à  la  canonisation. 

Le  culte  de  saint  Bertrand  se  répandit  dès  l'origine  dans  plusieurs  diocèses  de  France,  dans  les 
congrégations  de  chanoines  réguliers  dont  il  avait  fait  partie,  et  qu'il  institua  à  Lugdunum  et  jus- 
qu'à Gratz  et  Voraw,  en  Styrie. 

Il  existait  aux  environs  d'Auch  une  église  qui  lui  était  dédiée  ;  l'église  a  disparu,  mais  son  sou- 
venir est  rappelé  par  une  croix  qui  porte  le  nom  de  Croix  de  saint  Bertrand. 

Les  reliques  de  saint  Bertrand  avaient  pu  être  soustraites  à  la  fureur  des  hérétiques  et  trans- 
portées à  Lectoure.  Elles  furent  rendues  par  le  chapitre  de  cette  ville,  et  cette  restitution  fut 
longtemps  fêtée  le  31  mars.  Le  bâton  pastoral  du  Saint,  vulgairement  appelé  Yalicorne,  et  que 
l'on  conservait  avec  soin,  fut  pris  dans  l'invasion  de  1593.  Le  chapitre,  qui  tenait  beaucoup  à 
cette  relique,  fit  des  réclamations  au  roi  afin  d'en  obtenir  la  restitution  ;  cette  démarche  obtint  le 
succès  désiré. 

En  1733,  sous  l'épiscopat  de  Mgr  du  Bouchel,  notre  Saint  reçut  un  hommage  touchant  de  ses 
compatriotes.  Depuis  longtemps  l'Jle-Jourdain,  cette  fille  des  ancêtres  de  saint  Bertrand,  désirait 
posséder  une  de  ses  reliques  ;  elle  lui  fut  accordée  ;  et,  le  5  septembre,  le  son  de  toutes  les  cloches 
de  la  collégiale  et  du  couvent  de  Valcabrère  annonça  l'arrivée  des  députés  de  l'Ile,  chanoines, 
consuls,  nobles  et  bourgeois  qui  venaient  recevoir  une  part  de  ce  trésor. 

L'Ile  conserve  encore  aujourd'hui  une  grande  dévotion  envers  notre  Saint  ;  sa  fête  s'y  célèbre 
avec  pompe  ;  ses  reliques,  sauvées  à  la  Révolution  par  une  main  pieuse,  et  reconnues  authentiques 
par  le  cardinal  d'Izoard,  en  1836,  sont  encore  portées  en  procession  à  travers  les  rues  de  la  ville, 
dans  le  riche  pavillon  qui  vint  les  chercher  en  1733  ;  son  antienne  est  chantée  tous  les  dimanches 
devant  sa  chapelle.  La  tradition  y  a  conservé  le  souvenir  du  lieu  où  naquit  notre  Saint.  Le  château 
de  son  père  a  disparu,  mais  la  maison  bâtie  sur  son  emplacement  porte  le  nom  de  maison  de  saint 
Bertrand.  Il  y  a  aussi,  à  une  petite  distance  de  la  ville,  une  fontaine  à  laquelle  le  peuple  a  donné 
son  nom,  parce  qu'il  croit  que  saint  Bertand,  allant  dire  la  messe  dans  une  église  contiguë,  y 
puisait  l'eau  nécessaire  au  saint  sacrifice.  Lorsqu'ils  sont  atteints  par  la  maladie,  les  compatriotes 
de  notre  Saint  ont  recours  à  l'eau  de  cette  fontaine  à  demi  cachée  dans  les  ronces  qui  bordent  le 
chemin  ;  ils  la  font  bénir  et  elle  les  guérit.  Arrens,  dans  la  vallée  d'Azun  ;  Barcelone  et  les  cha- 
noines réguliers  de  Sainte-Geneviève,  à  Paris,  obtinrent  également  de  ses  reliques. 

A  l'époque  de  la  Révolution,  l'église  fut  pillée  et  la  châsse  du  Saint  dépouillée  de  ses  ornements 
d'argent.  Quant  aux  reliques,  elles  furent  soustraites  par  des  mains  pieuses,  et  la  châsse  abandonnée 
fut  cachée  entre  les  piliers  extérieurs  au-dessus  de  la  sacristie.  L'église  de  Saint-Bertrand  de  Com- 
minges  célèbre  chaque  année  trois  fêtes  en  l'honneur  de  son  glorieux  patron,  au  milieu  d'une 
grande  affluence  de  pèlerins.  Le  16  octobre,  jour  anniversaire  de  sa  mort,  ses  reliques  sont  expo- 
sées sur  l'autel  à  la  vénération  des  fidèles.  Le  2  mai,  fête  de  l'Apparition  du  Saint.  Le  pape 
Clément  V,  qui  avait  été  évêque  de  Comminges,  plein  de  vénération  pour  son  glorieux  prédéces- 
seur, voulut  enrichir  l'église  de  Comminges  d'une  grâce  insigne,  la  première  de  ce  genre  qu'une 
église  particulière  eût  encore  reçue  des  vicaires  de  Jésus-Christ.  Il  institua,  en  mémoire  de  l'Appa- 
rition de  saint  Bertrand  et  de  la  Passion'  de  Notre-Seigneur,  un  Jubilé,  désigné  dans  la  dévotion 
des  peuples  sous  le  nom  de  Grand  Pardon,  pour  être  célébré  à  perpétuité  dans  l'église  cathé- 
drale de  Comminges,  toutes  les  années  où  l'Invention  de  la  Sainte-Croix  se  rencontrerait  un  ven- 
dredi, et  qui  durerait  depuis  les  premières  Vêpres  de  l'Apparition,  mercredi  soir  1er  mai,  jusqu'aux 
secondes  Vêpres  de  l'Invention  de  la  Sainte- Croix,  vendredi  soir  3  mai. 


SAINT  GRAT  ET  SAINT  ANSUTE,  MARTYRS  EN  ROUERGUE.  40o 

Il  fallait  dans  l'origine,  pour  gagner  le  Jubilé,  se  confesser  et  communier  dans  l'intérieur  de 
la  ville,  et  dans  les  trois  jours  de  sa  durée.  Le  pape  Pie  VI,  par  une  bulle  qui  le  confirmait,  le 
prolongea  de  sept  jours.  Grégoire  XVI,  par  un  induit  du  17  septembre  1839,  étendit  cette  grâce  à 
tous  ceux  qui  visiteraient  l'église  dans  les  trois  jours,  pourvu  qu'ils  se  fussent  confessés  et  eussent 
communié  dans  les  huit  jours  qui  précèdent  l'ouverture  ou  pendant  sa  durée,  en  quel  lieu  que  ce 
fût.  Enfin  le  Jubilé  se  termine  par  une  procession  générale  dans  laquelle  on  porte  autour  de  la 
ville  la  grande  châsse  où  est  renfermé  le  corps  de  saint  Bertrand  et  qui  ne  sort  que  dans  cette 
circonstance.  On  évalue  le  nombre  des  pèlerins  qui,  en  1850,  ont  visité  l'église,  à  50,000. 

Le  16  janvier,  fête  de  la  Translation  des  reliques,  est  l'anniversaire  du  jour  où  le  pape  Clé- 
ment V  vint  prendre,  de  ses  mains  consacrées,  le  corps  de  saint  Bertrand  de  la  tombe  où  il  repo- 
sait au  pied  de  l'autel  de  Notre-Dame,  pour  l'exposer  à  la  vénération  des  peuples. 

Jusqu'à  la  Révolution  on  a  observé  quelques  autres  fêtes  ou  usages  particuliers,  souvenirs  de 
quelque  bienfait  ou  de  quelque  heureux  événement  comme  toutes  les  fêtes  catholiques.  Ainsi,  le 
31  mars,  anniversaire  de  la  restitution  des  reliques  qui  avaient  été  enlevées  au  temps  des  Hugue- 
nots, messe  solennelle,  procession  autour  de  l'église  et  du  cloître,  avec  un  reliquaire  en  forme  de 
bras.  Le  8  juin,  jour  de  la  délivrance  de  la  ville  ravagée  par  les  Protestants,  offices  solennels, 
procession  après  Vêpres  autour  de  la  ville,  fête  instituée  par  Urbain  de  Saint-Gelais.  Le  22  juillet, 
procession  après  la  messe  pour  mémoire  d'une  autre  délivrance  ;  fêtes  d'actions  de  grèces  dans 
lesquelles  se  confondaient  deux  sentiments  qui  firent  si  longtemps  le  bonheur  et  la  gloire  de  la 
France  :  Religion  et  Patrie. 

Quelquefois  on  voyait  neuf  jeunes  filles  ou  neuf  jeunes  garçons,  tenant  des  cierges  allumés, 
s'avancer  à  genoux  depuis  l'entrée  de  l'église  jusqu'au  tombeau  de  saint  Bertrand,  où  le  prieur 
de  la  chapelle  disait  la  messe.  C'était  la  santé  d'un  malade  chéri  que  venaient  demander  ces 
pieux  et  innocents  pèlerins  ;  et  les  nombreux  ex-voto  suspendus  au  tombeau  prouvaient  qu'on  ne 
recourait  pas  en  vain  à  ce  glorieux  confesseur.  Cette  touchante  manière  de  l'invoquer  est  encore 
en  usage. 

L'église  de  Saint-Bertrand  possédait  autrefois  une  Confrérie  de  Saint-Bertrand,  érigée,  le  1er  mai 
1531,  par  Jean  de  Mauléon  qui,  pour  encourager  la  dévotion  envers  la  glorieuse  vierge  Marie  et 
envers  notre  Saint,  avait  concédé  à  ses  membres  de  nombreuses  grâces  spirituelles.  Cette  confrérie 
comptait  sous  sa  bannière  les  évêques,  le  chapitre  et  un  nombre  infini  de  personnes  de  tout  rang 
et  de  toute  condition,  dans  la  ville,  le  diocèse  et  les  pays  voisins. 

Clément  V  avait  enrichi  l'église  de  Comminges  de  nombreuses  indulgences  par  une  bulle  datée 
de  cette  ville,  du  16  janvier  1309,  pour  les  jours  des  trois  fêtes  de  saint  Bertrand  et  les  quatre 
fêles  de  la  vierge  Marie  :  la  Purification,  l'Annonciation,  l'Assomption  et  la  Nativité.  Aux  fêtes  de 
la  sainte  Vierge,  dix  ans  et  autant  de  quarantaines  ;  et  à  chacun  des  jours  de  leurs  octaves,  trois 
ans  et  autant  de  quarantaines.  Aux  fêtes  de  saint  Bertrand,  quinze  ans  et  autant  de  quarantaines, 
et  à  chacun  des  jours  de  leurs  octaves,  sept  ans  et  autant  de  quarantaines.  Ces  indulgences  ont 
été  confirmées  par  les  papes  Jean  XXII,  Benoit  XII  et  Léon  X. 

La  châsse  qui  renferme  aujourd'hui  le  corps  de  saint  Bertrand  est  en  bois  d'ébène,  surmontée 
d'une  statue  d'évêque,  avec  quelques  ornements.  On  possède  encore  de  lui  une  mitre  et  son  anneau 
pastoral,  d'or,  surmonté  d'une  pierre  précieuse. 

Vie  et  miracles  de  saint  Bertrand,  par  Louis  de  Fiancette  d'Agos.  Saint-Gaudens,  1854. 


SAINT  GRAT  ET  SAINT  ANSUTE,  MARTYRS  EN  ROUERGUE  (316). 

La  ville  de  Rome  fut  la  patrie  de  saint  Grat  :  c'est  là  qu'il  naquit  au  sein  d'une  famille  illustre. 
Après  avoir  quitté  ses  parents  et  dit  adieu  à  tout  ce  que  le  monde  aime  et  à  tous  les  biens  pour 
lesquels  il  se  passionne,  Grat  passa  dans  la  Gaule  et  se  fixa  au  pays  des  Ruthènes  (le  Rouergue). 
Rempli  et  animé  par  l'esprit  de  Dieu,  Grat  offrait  une  vie  exemplaire,  la  fidélité  la  plus  constante 
à  ses  devoirs,  un  zèle  éclairé  pour  la  pratique  du  bien;  et,  par  tous  les  moyens  possibles,  il  s'at- 
tachait à  exciter  à  la  piété  les  témoins  de  ses  vertus.  Grat  eut  pour  compagnon  de  ses  travaux 
Ansute,  aussi  dévoué  que  lui  au  service  de  Dieu  et  à  celui  du  prochain.  Jour  et  nuit,  ils  vaquaient 
ensemble  à  la  prière,  pendant  tout  le  temps  qu'ils  ne  vaquaient  pas  au  travail.  Tous  les  deux,  ils 
se  livraient  aux  rigueurs  austères  de  la  pénitence  ;  tous  les  deux,  ils  mortifiaient  leur  chair  re- 
belle ;  et,  pour  mieux  se  dompter,  ils  portaient,  tous  les  deux,  une  lourde  chaîne  de  fer  autour 
de  leur  corps. 

Dieu  bénit  des  existences  aussi  saintes  et  admirables  que  celles  de  Grat  et  d'Ansute.  Le  lieu 
solitaire  où  elles  s'écoulaient  sans  bruit  et  loin  du  monde  devint  illustre  par  les  miracles  que  Dieu 


400  46  OCTOBRE. 

se  plut  à  y  opérer,  à  la  prière  de  ses  serviteurs  :  Capdenac,  où  Grat  et  Ansute  vivaient  dans  la 
retraite,  fut  visité  par  des  malades  et  des  infirmes  de  toutes  sortes,  accourant  enfouie  auprès  d'eux 
pour  obtenir  sa  santé  et  la  guérison  de  leurs  misères  morales  et  physiques  ;  et  ils  les  guérissaient, 
en  invoquant  sur  eux  le  nom  de  Jésus-Christ. 

Le  démon  ne  put  pas  soutenir  la  vue  d'un  spectacle  si  édifiant,  qui  confirmait,  d'une  manière 
éclatante,  et  la  vie  sainte  de  Grat  et  d'Ànsute,  et  la  vérité  de  la  religion  qu'ils  professaient.  Aussi 
enflamma-t-il  de  colère  contre  Grat  et  Ansute  les  païens  qui  vivaient  autour  d'eux,  en  leur  montrant 
la  conduite  des  deux  serviteurs  de  Dieu,  comme  une  injure  vivante  à  leur  propre  conduite  ;  et  les 
progrès  de  la  religion  de  Grat  et  d'Ansute  parmi  eux,  comme  un  indice  certain  de  leur  lâcheté  et 
de  leur  faible  attachement  à  leurs  divinités.  Le  sort  de  Grat  et  d'Ansute  fut  donc  arrêté.  Les  païens 
se  rassemblèrent,  les  saisirent  et  les  chargèrent  de  chaînes  ;  puis  ils  leur  tranchèrent  la  tête. 

Saint  Grat  et  saint  Ansute  sont  honorés,  le  16  octobre,  dans  le  diocèse  de  Rodez.  On  pense  que 
leur  glorieux  martyre  eut  lieu  à  Saint-Grat,  près  Villefranche,  l'une  des  paroisses  du  diocèse  de 
Rodez,  sous  la  persécution  de  Dioclétien.  La  plus  grande  partie  de  leurs  reliques  sont  vénérées,  de 
nos  jours,  dans  l'église  de  Saint-Grat ,  où  l'on  montre  même  un  casque  qui  aurait ,  à  ce  qu'on 
croit,  appartenu  à  saint  Grat,  ainsi  que  sa  lourde  chaîne  de  fer. 

Ce  Saint  est  invoqué,  et  avec  succès,  pour  la  guérison  de  la  folie. 

Notice  due  &  l'obligeance  de  M.  l'abbé  Bousquet,  chanoine  de  Rodez. 


SAINT  ELOPHE  \  MARTYR  PRÈS  DE  SOULOSSE, 
AU  DIOCÈSE  DE  SÀlNT-DIÈ  (362). 

Notre  Saint  naquit  au  diocèse  de  Toul.  Pendant  que  l'empereur  Julien  persécutait  l'Eglise  da 
Jésus-Christ,  des  Juifs  réunis,  par  ses  ordres,  à  des  païens,  s'étant  saisis  d'Elophe,  le  jetèrent  en 
prison  avec  trente-trois  autres  chrétiens.  Par  un  effet  de  la  puissance  divine,  la  porte  de  la  prison 
s'ouvrit  pendant  la  nuit,  Elophe  s'échappa  et  ses  compagnons  le  suivirent.  Il  vint  à  Toul  où  il  ren- 
dit à  sa  mère  les  derniers  devoirs.  Il  ne  tarda  pas  à  y  être  inquiété,  non-seulement  par  les  soldats 
juifs  et  païens,  mais  par  les  principales  autorités  qui  le  menacèrent  de  la  mort,  s'il  ne  renonçait 
à  sa  religion.  Il  s'enfuit  à  Grand  (Vosges),  et  arriva,  croit-on,  dans  cette  ville  au  moment  où  Julien 
lui-même  s'y  trouvait.  Elophe  se  livrait  là  aux  œuvres  d'une  sainte  charité.  Traversant  un  jour  la 
petite  rivière  de  Vaire,  il  aperçut  des  juifs  réunis  à  des  païens  pour  offrir  leurs  adorations  à  des 
idoles.  Ces  juifs  manquaient  alors  aux  prescriptions  de  la  loi  mosaïque,  comme  déjà  leurs  pères 
l'avaient  fait  autrefois.  11  reprit  avec  zèle  les  uns  et  les  autres,  et,  profitant  de  la  circonstance,  il 
leur  annonça  le  Verbe  de  vérité,  par  les  mérites  de  qui  les  pécheurs  reçoivent  le  pardon  et  la  paix. 
Il  le  fit  avec  tant  de  zèle  et  d'onction  que,  sans  parler  des  femmes,  près  de  six  cent  vingt  hommes 
se  convertirent  et  reçurent  le  baptême.  Ce  qu'ayant  appris  Julien,  oubliant  la  douceur  hypocrite 
qu'il  affectait,  et  se  laissant  emporter  par  sa  haine  contre  Jésus-Christ,  il  ordonna  que  le  saint 
confesseur  fût  décapité.  Comme  son  frère  Eucaire,  Elophe  ramassa  sa  tête  et  la  porta  jusqu'au 
sommet  de  la  montagne  voisine  où,  trouvant  une  pierre  de  couleur  blanche,  il  se  reposa  dessus. 
C'est  de  là  que  cette  montagne  est  appelée  de  Saint-Elophe,  située  entre  Fromentières  et  Grand, 
h  six  milliaires  de  chacune  de  ces  deux  villes,  ayant  Toul  au  nord  et  Grand  au  midi. 

Les  miracles  qui  s'opérèrent  en  cet  endroit,  où  les  chrétiens  avaient  inhumé  le  corps  du  mar- 
tyr, les  portèrent  ensuite  à  y  construire  une  église  qui,  pendant  de  longues  années,  servit  de  pa- 
roisse à  plusieurs  villages  d'alentour.  Saint  Gérard,  évoque  de  Toul,  ayant  connu,  par  ces  prodiges 
d'une  partie  desquels  il  fut  témoin,  de  quel  crédit  saint  Elophe  jouissait  auprès  de  Dieu,  jugea 
convenable  de  diviser  ses  reliques.  Il  en  fît  trois  parts,  dont  une  pour  sa  cathédrale;  une,  qui  con- 
tenait le  chef  du  martyr,  pour  Brunon,  archevêque  de  Cologne,  frère  de  l'empereur  Othonler;  et  la 
troisième  pour  demeurer  dans  l'église  où,  jusque-là,  le  tout  avait  reposé.  Les  Protestants  d'Alle- 
magne, en  1587,  et  les  Suédois,  en  1633,  brisèrent  la  châsse  de  la  petite  église  pour  en  enlever  les 
lames  et  les  ornements  d'argent  qui  la  couvraient,  mais  ils  abandonnèrent  les  reliques  sans  les 
détruire.  Les  fidèles  eurent  soin  de  les  recueillir  avec  dévotion,  et  plus  tard  on  les  plaça  dans 

.  1.  Alias  :  Alopli,  filof,  Eliphe,  Eliphm, 


SAINT  DULCIDE,   ÉVÊQUE  d'AUEN  ET  CONFESSEUB.  407 

un  très-beau  reliquaire  offert  par  M.  Simon  Sallet,  seigneur  de  Lifol  et  de  Villouxel,  trésorier  de 
Lorraine. 

On  compte  plusieurs  églises  ou  chapelles  placées  sons  le  vocable  de  saint  Elophe.  La  ville  de 
Neufchâteau  tient  ce  bienheureux  en  grande  vénération  et  l'invoque,  dans  les  calamités  publiques, 
par  des  supplications  solennelles. 

Extrait  de  l'Histoire  du  diocèse  de  Toul  et  de  celui  de  Nancy,  par  M.  l'abbé  Guillaume. 


SAINTE  BOLOGNE  DE  GRAND,  VIERGE  ET  MARTYRE, 

AU  DÏOCÊSE  DE  LANGEES  (IVe  siècle). 

Cette  douce  victime  de  la  foi  et  de  la  plus  belle  des  vertus  naquit  à  Grand  (Vosges),  vers  le 
milieu  du  iv«  siècle.  Son  père  était  païen  et  sa  mère  chrétienne.  Lorsque  celle-ci  mourut,  Bologne 
était  à  peine  âgée  d'un  an.  L'enfant  fut  confiée  par  son  père  au  soin  d'une  nourrice  et  envoyée 
dans  un  château  appartenant  à  la  famille.  Une  tradition  locale  assigne  l'emplacement  de  ce  château 
non  loin  de  Roocourt-la-Côte  (Haute-Marne,  canton  de  Vignory),  sur  une  colline  où  l'on  remarque 
les  ruines  d'une  antique  enceinte  et  l'orifice  d'un  puits  maintenant  comblé. 

Sa  nourrice  était  chrétienne,  et  elle  se  fit  un  devoir  d'user  de  sa  liberté  pour  élever  l'enfant 
selon  la  loi  de  Jésus-Christ.  Cependant  Julien  avait  été  proclamé  César  par  son  père,  l'empereur 
Constance,  et  chargé  en.  cette  qualité  du  commandement  général  de  l'armée  des  Gaules  ;  on  comp- 
tait parmi  ses  lieutenants  un  païen  nommé  Ptolémée.  Cet  officier  vint  camper  sur  la  Marne,  à  une 
station  romaine  appelée  Darthé.  Ayant  eu  occasion  de  voir  Bologne,  il  fut  épris  de  sa  beauté  et  mit 
en  œuvre  promesses  et  menaces  pour  séduire  la  sainte  épouse  de  Jésus-Christ.  Bologne  lutta  avec 
la  grâce  de  Dieu  contre  Ptolémée  ;  elle  méprisa  les  faux  biens  qu'il  lui  promettait,  elle  brava  sa 
colère.  Le  lieutenant  de  Julien  l'Apostat,  désespérant  de  vaincre  la  résistance  de  la  vierge,  la  fit 
lier  à  un  arbre  ;  on  la  fouetta,  on  lui  cassa  les  dents  avec  une  pierre,  et  on  lui  fit  un  plus  cruel 
outrage  en  la  dépouillant  de  ses  vêtements  pour  la  distendre  sur  un  chevalet  et  pour  brûler  ses 
flancs  avec  des  torches  ardentes.  Bologne  fut  ensuite  enfermée  dans  un  tonneau  hérissé  de  pointes 
de  fer  à  l'intérieur,  et  on  la  précipita  du  haut  de  la  montagne  de  Roocourt.  Le  tonneau  s'arrêta 
dans  la  prairie  au  bord  de  la  Marne,  et  comme  la  vierge  respirait  encore,  Ptolémée  lui  fit  tran- 
cher la  tête. 

Avant  la  révolution  de  93,  il  y  avait  une  croix  commémorative  à  l'endroit  où  le  tonneau  de  la 
Martyre  s'arrêta,  et  une  autre,  dans  le  lieu  où  tomba  sa  tête:  Les  chrétiens  recueillirent  le  corps 
de  Bologne  et  lui  donnèrent  la  sépulture  à  quelques  cents  mètres  de  Darthé.  Lorsque  le  village 
fut  rebâti,  après  sa  destruction  dans  les  guerres  de  Julien,  il  se  groupa  autour  du  tombeau  et  prit 
le  nom  de  sainte  Bologne  elle-même. 

En  1413,  Louis  H,  cardinal  de  Bar,  reconnut  les  restes  sacrés  et  les  plaça  solennellement  dans 
une  châsse.  La  Révolution  jeta  dans  la  rue  les  ossements  de  la  patronne  de  Bologne.  Mais  ils 
furent  précieusement  recueillis  et  replacés  dans  une  autre  châsse,  avec  l'ancienne  bande  de  par- 
chemin où  on  lit  qu'une  indulgence  plénière  est  accordée  à  ceux  qui  visiteront  l'église  et  les  reli- 
ques de  la  Sainte,  depuis  les  premières  jusqu'aux  secondes  Vêpres  de  sa  fête. 

Extrait  des  Saints  de  la  Hauts-Marne,  par  M.  l'abbtî  Godard. 


SAINT  DULCIDE  S  ÉVÊQUE  D'AGEN  ET  CONFESSEUR  (475). 

Disciple  de  saint  Phébade,  évêque  d'Agen,  Dulcide  devint  son  successeur.  Issu  d'une  noble  race 
des  Gaules,  il  abandonna  les  douceurs  du  monde,  et  foula  aux  pieds  les  grandeurs  humaines,  pour 
aller  chercher  auprès  du  grand  évêque  une  vie  plus  conforme  à  la  simplicité  évangélique.  En  voyant 

1.  AUas  :  Dulcot,  DottCi*,  Dutcidiut, 


408  46  OCTOBRE. 

sa  vie  chaste  et  pure,  le  saint  prélat  s'empresse  de  faire  Dulcide  son  premier  diacre,  et  lui  confie 
le  ministère  de  la  prédication.  Mais  déjà  Phébade  touchait  à  la  fin  de  ses  jours,  et,  dans  son  ex- 
trême vieillesse,  il  avait  résolu  de  confier  le  soin  de  son  troupeau  à  son  cher  diacre.  Il  s'en  était 
ouvert  aux  familiers  de  sa  maison,  et,  au  moment  de  rendre  son  âme  à  Dieu,  il  leur  déclara  que 
Dulcide  était  digne  de  lui  succéder  dans  l'épiscopat.  Le  saint  pontife  avait  à  peine  dicté  ses  der- 
nières volontés,  qu'il  ferma  les  yeux,  et  s'endormit  dans  le  Seigneur.  On  croit  généralement  que 
ce  fut  vers  la  fin  du  iv»  siècle.  Le  peuple,  qui  avait  vu  la  volonté  de  Dieu  dans  le  testament 
suprême  de  son  évêque,  se  rassemble  en  foule,  proclame  l'épiscopat  de  Dulcide,  et  l'élève  triom- 
phalement sur  le  siège  d'Àgen. 

Le  premier  soin  du  nouveau  prélat  fut  d'honorer  les  reliques  des  Martyrs  d'Agen,  jusque-là 
plutôt  cachés  qu'ensevelis  par  les  fidèles,  et  de  transférer  leurs  restes  précieux  dans  une  superbe 
basilique.  Mais  bientôt  l'épiscopat  de  saint  Dulcide  fut  troublé  par  une  effroyable  tempête.  Les 
Vandales,  poussés  par  Stilicon,  s'élancèrent  dans  les  Gaules  et  promenèrent  la  dévastation  des  Alpes 
aux  Pyrénées,  du  Rhin  à  l'Océan.  Aux  Vandales  succédèrent  les  Visigoths  qui  vinrent  propager  à 
coups  de  massue  la  secte  impie  d'Arius.  Phébade  avait  combattu  les  Ariens  par  la  force  de  sa  doc- 
trine ;  Dulcide  eut  à  se  défendre  contre  eux  par  la  puissance  de  ses  vertus  et  de  ses  miracles.  Les 
prodiges  que  Dulcide  avait  faits  pendant  sa  vie  se  multiplièrent  après  sa  mort,  car  Dieu  avait  besoin 
de  soutenir  les  premiers  chrétiens  au  milieu  des  dangers  qui  les  environnaient  de  toutes  parts.  La 
peste  qui  avait  affligé  l'Agenais  fut  détournée  par  l'intercession  du  Saint,  aussi  bien  que  l'effroyable 
maladie  du  feu  ardent. 

Saint  Dulcide  mourut  vers  le  milieu  du  v»  siècle.  Son  corps  fut  transféré  à  Chamberet,  en 
Limousin,  aujourd'hui  dans  le  diocèse  de  Tulle.  On  voit  encore,  dans  l'église  de  l'ancien  prieuré, 
son  image  peinte  au  vitrail  du  chœur.  Le  Saint  y  est  représenté  en  costume  épiscopal.  Il  est  très- 
honoré  à  Chamberet  sous  le  nom  vulgaire  de  saint  Dulcet,  et  le  peuple  de  cette  contrée  lui  attribue 
un  grand  nombre  de  miracles.  On  y  conserve  encore  la  châsse  du  grand  évêque.  Elle  a  la  forme 
d'une  église,  et  ses  murs  verticaux  sont  ornés  d'arcatures  cintrées.  Les  colonnes  et  les  archivoltes 
sont  à  demi  engagées,  et  leurs  glacis  bleus  sont  coupés,  aux  chapiteaux  et  à  la  base,  de  feuillages 
tricolores.  Des  rinceaux  d'or  serpentent  le  long  des  fûts,  et  vont  rattacher  aux  archivoltes  leurs 
capricieuses  guirlandes.  Au  centre,  sur  le  plan  vertical,  Jésus  meurt  sur  la  croix.  La  Vierge  et  saint 
Jean  recueillent  son  dernier  soupir.  Plus  loin,  les  Apôtres  tiennent  le  livre  de  la  vérité  qu'ils  doi- 
vent annoncer  au  monde.  Du  côté  opposé,  Jésus-Christ,  entouré  des  quatre  évangélistes,  est  assis 
sur  le  trône  de  sa  gloire.  La  sépulture  de  saint  Dulcide  est  représentée  sur  la  pente  du  comble. 

Extrait  de  l'Histoire  religieuse  et  monumentale  du  diocèse  d'Agen,  par  M.  l'abbé  Barrère. 


SAINT  BAUDOUIN  OU  BAUDOIN, 

CHANOINE-ARCHIDIACRE  DE  LAON,  ET  MARTYR  (680). 

Saint  Baudoin  on  Baudouin  était  frère  de  sainte  Anstrude  et  fils  de  sainte  Salaberge,  qui  l'avait 
dès  le  bas  âge  formé  à  la  piété  et  à  la  vertu.  L'évêque  de  Laon,  Sérulphe,  qui  apportait  la  plus 
grande  attention  à  n'admettre  dans  la  cléricature  que  des  sujets  reconnus  aptes  à  l'état  ecclésiastique 
par  leur  religion,  leur  modestie,  leur  éloignement  de  la  vanité,  leur  application  à  l'étude,  aussi 
bien  que  par  un  sens  droit  et  un  esprit  porté  à  la  réflexion,  promut  de  bonne  heure  Baudoin  aux 
ordres  sacrés  ;  puis,  remarquant  avec  quel  soin  et  quel  respect  il  s'acquittait  des  moindres  fonctions, 
il  le  nomma  chanoine  de  la  cathédrale,  et  bientôt  après,  l'éleva  à  la  dignité  d'archidiacre,  charge 
alors  fort  importante  et  qui  demandait  de  celui  qui  en  était  revêtu  une  grande  fermeté  jointe  à 
beaucoup  de  savoir  et  de  prudence. 

Baudoin  ne  parut  point  au-dessous  de  l'emploi  dont  on  l'avait  avec  raison  jugé  digne.  Il  soutint 
avec  force  et  persévérance  les  droits  de  son  église,  et  rendit  pleine  justice  à  tous,  sans  se  laisser 
jamais  influencer  par  ses  amis  ou  son  entourage,  détestant  par-dessus  tout  cet  esprit  de  coterie, 
qui  fait  souvent  faire  tant  de  fautes  et  commettre  tant  d'injustices  à  ceux  qui  ont  la  plus  grande 
part  dans  l'administration  d'un  diocèse.  Ce  fut  cette  intégrité  même  et  son  zèle  dans  l'exercice  de 
sa  charge  qui  attirèrent  contre  lui  la  haine  la  plus  acharnée  de  la  part  des  méchants.  Comme  la 
conscience  lui  faisait  un  devoir  de  s'opposer  à  leurs  entreprises  injustes  et  sacrilèges,  ils  se  liguèrent 


MAUTYROLOGES.  409 

entre  eux  et  lui  dressèrent  des  embûches.  Uu  jour  qu'il  se  rendit  a  pied  à  Cohartille,  village  sur 
la  Souche,  a  quatre  lieues  de  Laon,  pour  y  présider  une  assemblée,  il  fut  assassiné  à  coups  de 
fourche,  l'an  680,  par  ses  ennemis  cachés  en  embuscade,  Son  corps  fut  rapporté  à  Laon  et  remis 
entre  les  mains  de  sainte  Ànstrude,  sa  sœur,  qui  le  fit  inhumer  glorieusement  dans  son  monastère, 
comme  un  martyr  de  la  justice. 

Le  bréviaire  de  Soissqns  célèbre  sa  mémoire  le  seizième  jour  d'octobre. 

Notice  due  à  l'obligeance  de  M.  l'abbé"  Henri  Congnet,  chanoine  de  Soissons. 


SAINT  AMBROIS  OU  AMBROIX, 

ÉVÊQUE  DE   CAHORS  ET   CONFESSEUR  (vers  770). 

Vers  l'an  752,  après  la  mort  de  l'évêque  saint  Capuan,  l'Eglise  de  Cahors  fut  pendant  cinquante 
ans  éprouvée  par  diverses  calamités.  Ambrois  fut  élu  dans  l'espoir  qu'il  remédierait  à  ces  maux.  C'était 
un  homme  à  la  hauteur  de  sa  fonction,  d'une  vertu  éprouvée,  possédant  la  science  des  Ecritures, 
embrasé  de  zèle  pour  le  salut  des  âmes,  et  faisant  le  premier  ce  qu'il  enseignait  aux  autres  ;  mais 
la  dépravation  des  mœurs  était  telle  qu'il  ne  put,  ni  par  ses  discours  ni  par  ses  exemples,  ramener 
son  peuple  à  un  état  meilleur.  N'espérant  donc  aucun  fruit  de  ses  travaux,  présenté  d'ailleurs  par 
Waïfre,  duc  d'Aquitaine,  qui  pillait  les  biens  de  l'Eglise,  il  se  retira  dans  une  caverne  située  près 
de  Cahors,  où  il  vécut  caché,  toujours  dans  les  austérités  de  la  pénitence,  dans  les  larmes  et  la 
prière.  Après  trois  ans  il  fut  découvert,  mais  ayant  refusé  de  reprendre  son  siège,  sur  l'offre  que 
lui  faisait  son  successeur,  il  se  rendit  en  pèlerinage  au  seuil  des  saints  Apôtres. 

De  retour  en  France,  il  visita  à  Tours  le  tombeau  de  saint  Martin,  après  quoi  il  se  retira  à  Seris, 
bourg  qui  prit  dans  la  suite  le  nom  du  Saint  (Saint-Ambroix,  Cher,  arrondissement  de  Bourges, 
canton  de  Charost),  et  situé  dans  le  Berry  sur  les  rives  de  l'Auron.  11  y  demeura  longtemps  inconnu, 
et  finit  très-saintement  sa  vie  dans  la  cellule  qu'il  s'était  construite  de  ses  propres  mains.  Après 
avoir  pendant  longtemps  reçu  en  ce  lieu  les  honneurs  des  fidèles^  son  corps,  transféré  à  Bourges, 
fut  déposé  dans  l'église  des  saints  apôtres  Pierre  et  Paul,  près  de  laquelle  on  construisit  un 
monastère  dédié  en  l'honneur  de  saint  Ambrois,  monastère  qui  fut  comblé  de  privilèges  par  Gaufroy, 
vicomte  de  Bourges,  et  qui  exista  jusqu'aux  jours  désastreux  de  la  révolution  française. 

Propres  de  Bourges. 


XVIIe  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

La  fêle  de  sainte  Hejjwiçe,  veuve,  duchesse  de  Pologne,  qui  s'endormit  dans  le  Seigneur  le  15 
de  ce  mois.  1243.  —  A  Antioche,  la  naissance  an  ciel  de  saint  Héron,  disciple  de  saint  Ignace, 
qui  fut  fait  évêque  après  lui,  et,  marchant  sur  les  pas  de  son  maître,  aima  Jésus-Christ  jusqu'à 
donner  sa  vie  pour  le  troupeau  dont  il  lui  avait  confié  le  soin,  n»  s.  —  Le  même  jour,  le  martyre 
des  saints  Victor,  Alexandre  et  Marien  l.  Vers  303.  —  En  Perse,  sainte  Mamolte,  martyre,  qui, 

1.  Les  Bollandistes  pensent  que  Nicomédie  (aujourd'hui  Isnikmid,  en  Bithynle)  fut  le  théâtre  de  leur 
martyre. 


410  17  OCTOBRE. 

ayant  été  convertie  de  l'idolâtrie  à  la  foi,  par  l'avertissement  d'un  ange,  fut  lapidée  par  les  Gentils 
et  jetée  dans  le  fond  d'an  lac.  v8  s.  —  A  Constantinople,  saint  André  de  Crète,  solitaire,  qui, 
ayant  été  souvent  battu  de  verges  pour  le  culte  des  saintes  Images,  par  l'ordre  de  Constantin  Co- 
pronyme,  eut  enfin  le  pied  coupé*  et  rendit  l'esprit.  761.  —A  Orange,  saint  Florentin  ou  Florent, 
évêque,  qui  se  reposa  en  paix,  entouré  de  l'éclat  de  ses  nombreuses  vertus 1.  Vers  526.  —  A  Ca- 
poue,  saint  Victor,  évêque,  remarquable  par  son  érudition  et  sa  sainteté.  554. 

MARTYROLOGE  DR  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Aux  diocèses  d'Angers  et  de  Tours,  saint  Loup,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  C'est  sons 
son  épiscopat  qu'eut  lieu  la  reversion  du  corps  de  saint  Martin,  d'Auxerre  à  Tours8.  Vers  914-  — 
Au  diocèse  d'Avignon,  saint  Florent  ou  Florentin,  évêque  de  l'ancien  siège  d'Orange  (Vaucluse),  et 
confesseur,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  Vers  520.  —  Aux  diocèses  de  Carcassonne  et  de 
Tours,  sainte  Hedwige,  veuve,  duchesse  de  Pologne,  citée  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  1243. 

—  Au  diocèse  de  Chartres,  fête  (transférée  au  12  de  ce  mois)  de  l'anniversaire  de  la  dédicace  de 
l'église  cathédrale  de  cette  ville.  Cette  dédicace  se  fit  le  12  octobre  1260,  par  î'évêque  de  Chartres, 
Pierre  de  Minciac,  en  présence  du  roi  saint  Louis,  qui  se  chargea  d'élever  à  ses  frais  le  portique 
septentrional,  où  il  est  représenté  dans  plusieurs  verrières.  —  Au  diocèse  de  Mayence,  saint  Lui 
ou  Lulle,  archevêque  de  ce  siège  et  confesseur,  cilé  au  martyrologe  romain  du  jour  précédent.  787. 

—  Au  diocèse  de  Nevers,  mémoire  de  saint  Trohé,  Troé  ou  Trèche  (Troesius^  Trojecius),  abbé  et 
confesseur.  Il  n'est  connu  que  par  le  culte  constant  que  lui  ont  rendu  les  habitants  de  Nevers  K 
vu0  s.  —  Au  diocèse  de  Pamiers,  saint  Galdry  ou  Gaudry  (Waldericus,  Gaudericus),  confesseur, 
cité  au  martyrologe  de  France  du  jour  précédent,  où  nous  avons  donné  quelques  détails  sur  sa  vie. 
Vers  900.  —  Au  diocèse  de  Paris,  saint  Cerbon  ou  Cerboney  (Cerbonius),  évêque  de  Piombino 
(Populonium,  en  Toscane)  et  confesseur,  cité  déjà  au  martyrologe  des  Chanoines  Réguliers  du 
12  octobre.  VIe  s.  —  Au  diocèse  de  Soissons,  sainte  ANstrude,  vierge  et  abbeEse  à  Laon.  688. 

—  A  Trêves,  saint  Florentin  ou  Florent,  évêque  de  Trêves  et  de  Tongres,  et  martyr,  cité  déjà  au 
martyrologe  romain  du  jour  précédent.  Vers  le  milieu  du  m»  s.  —  Dans  l'ancien  diocèse  de  Saint- 
Papoul  (Aude),  diocèse  actuel  de  Carcassonne,  les  trois  saintes  Puelles,  qui,  pour  avoir  pris  soin 
de  la  sépulture  de  saint  Saturnin,  évêque  de  Toulouse,  méritèrent  la  palme  du  martyre  4.  —  Dans 
l'ancienne  abbaye  de  Saint-Pierre  de  Chartres,  sainte  Soline,  vierge  et  martyre,  honorée  à  Poi- 
tiers le  16  de  ce  mois.  Vers  l'an  80.  —  Au  Mans,  saint  BéraïRe  Ier  (Berarîus,  Berecharius), 
évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  cité  déjà  au  martyrologe  de  France  du  jour  précédent.  670.  — 
Dans  l'ancienne  abbaye  bénédictine  du  Mont-Saint-Michel  (S.  Michael  in  Monte  Tumbd),  au  dio- 
cèse actuel  de  Coutances,  saint  Serge,  duc,  et  sainte  Marguerite,  son  épouse,  qui  se  consacrèrent 
ensemble  au  service  de  ce  monastère,  et  y  moururent  en  paix,  chargés  de  mérites  et  de  bonnes 
œuvres5.  —  A  Tréchâteau  ou  Thil-Châtel,  au  diocèse  de  Dijon,  saint  Florent,  martyr6.  Vers  261. 

1.  Florent  naquit  à  Tours  et  fit  quelque  temps  partie  du  clergé  de  cette  métropole.  Comme  il  faisait 
un  voyage  à  Rome  pour  y  visiter  le  tombeau  des  ApBtres,  il  fut  surpris  par  des  voleurs  qui  tentèrent  de 
lui  enlever  la  vie;  mais,  par  un  effet  de  la  bonté  et  de  la  puissance  de  Dieu,  le  bras  meurtrier  se  roidit 
tout  à  coup  et  Florent  échappa  à  la  mort.  Chemin  faisant,  il  s'arrêta  à  Venise  et  à  Milan  où  il  opéra 
grand  nombre  de  prodiges.  A  Firenzuola  (dans  le  Parmesan),  il  ressuscita  une  jeune  fille  que  l'on  portait 
en  terre.  Les  habitants  de  ce  bourg  le  choisirent  pour  leur  patron  et  bâtirent  une  église  sous  son  invoca- 
tion. De  retour  en  France,  on  la  renommée  de  ses  miracles  l'avait  précédé,  Florent  fut  placé  sur  le  siège 
épiscopal  d'Orange.  Il  y  avait  de  ses  reliques  à  Firenzuola  et  à  Orange.  «—  Propre  d'Avignon;  Acta 
Sanctorum. 

2.  L'histoire  ne  nous  a  rien  conservé  de  sa  vie.  Son  corps  fut  déposé  en  un  tombeau  de  pierre,  dans  la 
partie  du  cimetière  la  plus  voisine  du  chœur  de  l'église  collégiale  de  Saint-Martin  d'Angers.  Des  transla- 
tions de  ses  reliques  eurent  lieu  en  1022,  en  1195  et  en  1495  ;  elles  furent  chaque  fois  accompagnées  de 
miracles.  Angers  possédait  autrefois  de  précieux  souvenirs  de  son  saint  évêque,  entre  autres  sa  chasuble 
et  son  calice  ;  ces  trésors  ont  disparu  en  1793.  Il  ne  reste  plus  aujourd'hui  qu'une  petite  portion  de  ces 
reliques  que  l'on  vénère  dans  l'église  cathédrale.  —  Cf.  Saints  d'Anjou,  par  Dom  François  Chamard. 

3.  Après  sa  mort,  son  corps  fut  déposé  dans  un  tombeau  de  pierre,  sous  le  maître-autel  de  l'église  qui 
a  conservé  son  nom.  Cette  église  fut  détruite  pendant  la  Révolution,  mais  une  partie  des  reliques  de  saint 
Trohé  fut  soustraite  aux  fureurs  des  révolutionnaires  ;  elles  sont  maintenant  déposées  dans  l'église  de 
Saint-Etienne  de  Nevers.  On  voit  aussi,  dans  le  Christ  aux  reliques  de  Nolay  (canton  de  Pougues),  une 
rotule  du  bras  du  saint  abbé.  —  Mgr  Crosnier,  Bagiologie  Nivernaise. 

4.  Voir,  au  29  novembre,  la  rie  de  saint  Saturnin,  apôtre  de  Toulouse. 

5.  Cette  mention  est  de  Ferrari.  D'après  lui,  Serge,  guéri  de  la  lèpre  au  Mont-Saint-Michel,  se  serait, 
par  reconnaissance,  voué  avec  son  épouse  au  service  du  monastère.  Son  culte  est  tombé,  si  toutefois  il  a 
Jamais  existé,  car  les  Bollandistes  (Prsitermissi,  17  octobre)  en  doutent.  Ils  se  fondent  sur  le  silence  una- 
nime de  tous  les  martyrologistes  sérieux. 

6.  Fils  du  gouverneur  de  Thil-Châtel,  Florent  eut  la  tête  tranchée  par  Crocus,  furieux  de  la  résistance 
qu'il  lui  avait  opposée,  furieux  surtout  de  sa  foi.  Comme  il  fut  décapité  sur  le  pont  de  la  Tille,  sa  tête  fut 
entraînée  par  le  courant  dans  la  Saône  jusqu'à  l'He-Barbe,  près  de  Lyon,  ou  elle  fut  recueillie.  Les  ebré- 


MARTYROLOGES.  411 

—  Dans  l'abbaye  de  la  Visitation  de  Paray-le-Monial  (Paredum  Monachorum),  au  diocèse  d'Au- 
tun,  la  bienheureuse  Marguerite-Marie-Alacoque,  vierge.  1690.  —  A  Limoges,  saint  Rorice  II, 
le  Jeune,  petit-fils  et  successeur,  sur  le  siège  épiscopal  de  cette  ville,  de  saint  Rorice  Ier,  l'Ancien 
(20  juillet).  Il  fut  converti  par  saint  Junien  le  Solitaire,  et  conserva  toujours  pour  lui  une  singu- 
lière estime.  Les  biographes  louent  surtout  sa  profonde  humilité,  sa  tendre  charité  envers  les 
pauvres,  sa  libéralité  envers  les  églises  et  tous  les  établissements  de  piété,  son  amour  pour  la  chas- 
teté et  la  pureté  angélique  de  ses  mœurs  *.  Vers  653. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit.  —  A  Cracovie,  sainte  Hedwige,  duchesse  de  Po- 
logne, qui,  à  la  mort  de  son  mari,  prit  l'habit  des  Cisterciens  et  s'endormit  dans  le  Seigneur  le  15 
de  ce  mois,  après  avoir  donné  l'exemple  d'une  grande  piété.  1243. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Camaldules.  —  Près  du  château  de  Frontal,  au  pied  du  mont 
Suavicin,  saint  Dominique  l'Encuirassé,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Camaldules,  dont  la  vie,  célèbre 
par  ses  vertus  et  admirable  par  l'austérité  inouïe  de  sa  pénitence,  a  été  racontée  par  saint  Pierre 
Damien.  Sa  naissance  au  ciel  est  marquée  le  14  de  ce  mois 2.  1060. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Vallombreuse.  —  L'Octave  de  la  translation  de  notre 
Père  saint  Jean  Gualbert,  abbé 8.  1073. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Cisterciens.  — •  Au  diocèse  (primitif)  de  Chalon-sur-Saône,  la 
dédicace  de  l'église  de  Notre-Dame  de  Citeaux,  le  chef  et  la  mère  de  toutes  les  Eglises  de  l'Ordre 
cistercien.  xn«  s. 

Martyrologe  de  VOrdre  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Antioche,  la  naissance  au  ciel  de  saint 
Héron,  disciple  de  saint  Ignace,  qui  fut  fait  évêque  après  lui,  et  aima  Jésus-Christ  jusqu'à  donner 
sa  vie  pour  le  troupeau  qui  lui  avait  été  confié.  IIe  s.  —  Le  même  jour,  l'Octave  de  saint  Louis 
Bertrand4.  1581. 

ADDITIONS  FAITES  D* APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Vole,  en  Afrique,  plusieurs  saints  martyrs,  que  l'on  comprend  ordinairement  sous  la  dénomi- 
nation générale  de  Martyrs  Volitains.  Commencement  du  iv«  s.  —  En  Mauritanie  (aujourd'hui 
royaume  de  Fez,  dans  le  Maroc,  et  partie  ouest  de  l'Algérie),  les  saints  martyrs  Ninne,  Victor  ou 
Victoire,  Nobilitain  ou  Jubilitain,  Mauritain  ou  Marien,  Luce,  Cittin  ou  Tinne,  Crescentien,  Rufû- 
nien,  Donat,  Défenseur,  Rusticien,  Servilien,  Socrate,  Vénère,  Janvier,  Mustole  ou Neustule,  Quin- 
taise,  Memme  ou  Memmie,  Yzitien  ou  Zidiaque,  Magnile  ;  et  les  saintes  Prime,  Donate,  Sévère, 
Victoire  et  Basille,  également  martyres.  Vers  304.  —  Au  désert  de  Scété  (Egypte-Inférieure),  saint 
Jean  Colobe,  ou  le  Nain,  ainsi  nommé  de  sa  petite  taille,  anachorète  et  confesseur,  dont  nous 
avons  parlé  au  15  septembre,  v8  s.  —A  Lodi  Vecchio  (Laus  Pompeia),  en  Lombardie,  saint  Clé- 
ment, prêtre  et  confesseur,  qui  reçut,  par  révélation,  l'ordre  de  faire  consacrer  saint  Bassien  évêque 
de  cette  ville.  Vers  400.  —  En  Angleterre  et  en  Bretagne,  saint  Louthiern  (Leuthernus).  Irlandais 
de  naissance,  il  fut  disciple  de  saint  Ruadhan,  habita  avec  saint  Colomban  le  monastère  de  Bangor 
(comté  de  Down),  et  devint  ensuite  abbé  d'Inis-Tom.  Elevé  plus  tard  à  l'épiscopat  dans  la  Grande- 
Bretagne,  il  passa  en  Armorique,  où  il  parait  qu'il  finit  ses  jours.  Son  corps,  apporté  à  Paris  vers 
965,  par  Salvator,  évêque  d'Aleth,  a  été  conservé  dans  l'église  de  Saint-Magloire  jusqu'à  la  Révo- 
lution. vie  s.  —  Aux  mêmes  pays,  saint  Levien,  évêque,  et  saint  Escuiphle  (Scophilus),  abbé 5.— 

tiens  ensevelirent  les  restes  de  saint  Florent  arec  honneur,  et  plus  tard  une  basilique  s'éleva  sur  son  tom- 
beau; elle  fut  envahie,  au  xvi«  siècle,  par  les  Huguenots  qui  briseront  la  Châsse  du  Martyr  et  jetèrent  au 
feu  ses  reliques.  Ce  qu'on  a  pu  en  sauver  se  conserve  dans  une  châsse  en  bois  doré,  surmontée  de  l'image 
du  Saint,  au  fond  du  chœur  et  derrière  l'autel  de  l'église  de  Thil-Châtol.  *—  Saints  de  Dijon,  par  M.  l'abbé 
Duplus. 

1.  On  ne  connaît  pas  le  jour  de  sa  mort.  Jusqu'en  1102  on  faisait  sa  mémoire  le  4  août;  à  partir  de 
cette  époque,  sa  fête  fut  transférée  au  17  octobre,  peut-être  pour  la  rapprocher  de  celle  de  saint  Junien 
(16  octobre),  à  qui  il  dut  sa  conversion.  Où  possédait  autrefois  de  ses  reliques  au  Dorât  (Haute-Vienne), 
et  à  Saint-Junien.  —  Saints  du  Limousin,  par  M.  de  Reignefort. 

2.  Voir  sa  vie  au  14  octobre.  —  3.  Nous  avons  donné  la  vie  de  saint  Jean  Gualbert  au  12  juillet.  — 
4.  Voir  sa  vie  au  9  octobre. 

6.  Leurs  reliques,  apportées  à  Paris,  vers  965,  avec  celles  de  saint  Magloire,  de  saint  Sinler  d'Avran- 
ches,  de  saint  Louthie<n,  de  saint  Paterne,  etc.,  furent  découvertes,  en  1835,  dans  le  massif  du  maître- 
autel  de  l'église  de  Saint-Jacques  du  Haut-Pas  et  renfermées  dans  une  belle  châsse  de  bois  doré.  On  n'a 
pu  reconnaître  à  quels  Saints  appartenait  chaque  partie  de  ces  précieux  restes,  mais  on  a  la  certitude  que 
ces  reliques  sont  authentiques.  Aussi  Mgr  de  Quélen  voulut-il  que  cette  découverte  fût  célébrée  avec 
solennité,  et  il  officia  lui-même  pontiflcalement,  à  cette  occasion,  dans  l'églis»  de  Saint-Jacques,  le  25  o«- 


iîâ  17   OCTOBRE. 

A  Bénévent,  ville  forte  du  royaume  d'Italie,  sur  le  Calore,  saint  Zenon  ou  Zosime,  évêque  et  con- 
fesseur, dont  le  corps  repose  dans  l'église  Sainte-Sophie  (temple  de  la  Sagesse  divine)  de  cette 
ville.  Il  y  avait  autrefois,  à  Bénévent,  une  église  paroissiale  dédiée  sous  son  invocation.  Saint  Ze- 
non occupa  le  siège  épiscopal  pendant  quarante-deux  ans.  Vers  585.  —  En  Angleterre,  les  saints 
martyrs  Ethelred  et  Ethelbert,  frères,  petits-neveux  de  saint  Etbelbert  ou  Albert,  roi  de  Kent,  et 
premier  roi  chrétien  des  Angles.  670.  —  Encore  en  Angleterre,  saint  Nothelme,  confesseur,  d'abord 
prêtre  de  l'Eglise  de  Londres,  puis  moine  de  Cantorbéry  et  enfin  archevêque  de  ce  dernier  siège. 
11  entretint  un  commerce  épistolaire  avec  saint  Boniface,  archevêque  de  Mayence,  et  le  vénérable 
Bède,  moine  de  Jarrow,  à  qui  il  fournit  des  matériaux  pour  son  Histoire  ecclésiastique  de  l'An- 
gleterre. 738.  —  Encore  en  Angleterre,  saint  Régule,  évêque  (ou  simplement  abbé),  saint  Damien, 
prêtre,  saint  Anéglas,  diacre,  et  sainte  Muren,  vierge.  IXe  s.  —  En  Italie,  le  bienheureux  Rodolphe 
(Rodulphus),  moine  de  Font-Avellane,  puis  évêque  de  Gubbio  (Eugubium)  ;  et  le  bienheureux 
Pierre,  son  frère,  également  religieux  de  Sainte-Croix  de  Font-Avollane,  et  confesseur.  xi«  s. 


SAINTE  ANSTRUDE  \ 

ABBESSE  DU  MONASTÈRE  BÉNÉDICTIN  DE  SAINT-JEAN-BAPTISTE  DE  LAON 
688.  —  Pape  :  Sergius  Ier.  —  Roi  de  France  :  Thierry  III. 


L'âme  humble  s>e  regarde    comme  moins    digne   à 
mesure  qu'elle  le  devient  davantage. 
Gratien. 

Anstrude  était  fille  de  Blandin  Bason  et  de  sainte  Salaberge.  Les  bons 
exemples  de  la  maison  paternelle  firent  sur  l'esprit  et  le  cœur  d'Anstrude 
une  si  heureuse  impression  qu'elle  se  sentit  dès  lors  fortement  poussée  in- 
térieurement à  pratiquer  la  vertu.  Lorsque  sainte  Salaberge  eut  fondé  h 
Laon  un  monastère  de  vierges,  Anstrude  quoique  déjà  recherchée  en  ma- 
riage par  un  des  plus  nobles  et  des  plus  riches  seigneurs  du  pays,  ne  sou- 
pira qu'après  le  moment  où  il  lui  serait  permis  de  rejoindre  sa  pieuse  mère 
et  de  se  mettre  entièrement  sous  sa  direction.  Elle  n'avait  que  douze  ans 
quand  on  la  reçut  au  monastère.  Mais  ses  progrès  dans  la  perfection  furent 
si  grands,  qu'à  l'âge  de  vingt  ans  la  communauté  entière  donna  son  plein 
et  libre  assentiment  pour  qu'elle  fût  reconnue  abbesse,  ainsi  que  le  propo- 
sait sainte  Salaberge  sur  son  lit  de  mort.  Anstrude  résista  tant  qu'elle  put 
au  vœu  unanime  de  ses  sœurs  ;  se  regardant  comme  la  dernière  de  toutes, 
elle  ne  pouvait  s'expliquer  qu'on  eût  jeté  les  yeux  sur  elle. 

L'évêque  de  Laon,  Pérégrin,  triompha  enfin  de  sa  résistance,  et  ce  ne 
fut  qu'en  vertu  de  la  sainte  obéissance  qu'elle  courba  humblement  la  tête 
sous  le  fardeau  qu'on  lui  imposait,  bien  différente  de  ces  personnes  ambi- 
tieuses qui  remuent  le  ciel  et  la  terre  pour  arriver  à  occuper  un  poste 
d'honneur,  malgré  les  cris  de  leur  conscience.  Quant  à  Anstrude,  c'était  la 
voix  de  Dieu  qui  l'avait  appelée  à  la  tête  de  ses  sœurs  ;  elle  pouvait  être 
assurée  que  Dieu  la  soutiendrait  par  ses  grâces  et  ses  inspirations,  et  sup- 
pléerait ainsi  à  ce  qui  lui  manquait  du  côté  des  années  et  de  l'expérience. 
Son  gouvernement  fut  un  mélange  de  fermeté  et  de  douceur  :  formée  à 

tobre  1835.  —  Continuateurs  de  Bollandus;  Tresvaux,  continuateur  des  Saints  de  Bretagne   de  Dom 
Lobinean. 

1.  Alias  :  Anstrude,  Audru  et  Austru. 


SAINTE  ANSTRUDB,  ABBESSE.  413 

toutes  les  vertus  du  cloître,  modèle  de  modestie,  de  réserve,  de  mortifica- 
tion et  de  recueillement,  ne  se  pardonnant  rien  à  elle-même,  elle  était 
indulgente  à  l'égard  des  autres,  sans  toutefois  faiblir  en  rien  sur  l'observa- 
tion de  la  règle.  Les  plus  jeunes  sœurs  l'aimaient  comme  on  aime  une 
mère,  parce  que  ce  n'était  pas  par  des  paroles  rudes  et  sévères  qu'elle  ten- 
tait de  corriger  leurs  défauts  et  de  réformer  leur  caractère,  mais  c'était, 
au  contraire,  en  ouvrant  leur  cœur  à  la  confiance,  en  faisant  appel  à  leur 
franchise,  et  en  usant  souvent  de  paroles  d'encouragement.  Anstrude  pui- 
sait toute  sa  force  dans  l'union  habituelle  avec  Dieu  ;  elle  ne  perdait  jamais 
de  vue  sa  présence,  priait  sans  cesse  pour  sa  communauté  et  exposait  au 
Seigneur  les  besoins  particuliers  de  chacune.  Persuadée  qu'une  supérieure 
est  responsable  des  sujets  qui  lui  sont  soumis,  c'était  pour  obtenir  leur 
avancement  et  leur  persévérance  qu'elle  multipliait  ses  jeûnes,  au  point 
qu'elle  ne  prenait  de  nourriture  qu'après  avoir  récité  le  Psautier  auquel 
elle  ajoutait  encore  des  hymnes  et  des  cantiques  spirituels.  Ses  veilles 
étaient  si  prolongées  qu'enfin  elle  se  passa  de  lit,  se  contentant  d'un  petit 
siège  près  de  la  porte  de  l'église  sur  lequel  elle  prenait  un  peu  de  repos 
après  l'office  de  la  nuit.  Au  point  du  jour,  elle  allait  prier  successivement 
dans  les  sept  églises  du  monastère,  et  s'adonnait  ensuite  au  service  des 
malades.  Les  pauvres  et  les  orphelins  étaient  l'objet  continuel  de  sa  cha- 
rité, et  les  veuves  venaient  chercher  auprès  d'elle  les  conseils  que  récla- 
mait leur  position.  Les  pécheurs  mêmes  ne  pouvaient  s'empêcher  de  la 
vénérer;  plusieurs  se  laissèrent  persuader  par  ses  charitables  et  douces  re- 
montrances et  quittèrent  pour  toujours  leurs  habitudes  vicieuses. 

Tant  de  vertus  ne  mirent  pas  Anstrude  à  l'abri  des  persécutions.  Ma- 
dalgaire,  treizième  évoque  de  Laon,  lui  suscita  toutes  sortes  de  difficultés, 
prétendant  à  tort  avoir  des  droits  sur  ce  monastère.  Anstrude  résista  avec 
fermeté,  l'évêque  fut  débouté  de  ses  prétentions,  et  défense  lui  fut  faite 
de  troubler  désormais  l'abbesse  dans  le  gouvernement  de  sa  maison.  La 
sainteté  ne  s'oppose  pas  à  ce  que  l'on  s'efforce  de  se  faire  rendre  justice, 
quand  d'iniques  agresseurs  entreprennent  de  nous  troubler  dans  nos  légi- 
times possessions.  Anstrude  fut  favorisée  du  don  des  miracles  pendant  sa 
vie  et  après  sa  mort.  Le  Seigneur  l'appela  à  lui  le  17  octobre  688.  Son 
corps,  ainsi  que  celui  de  sa  mère,  a  reposé  jusqu'à  la  Révolution  française 
dans  l'église  abbatiale  de  Saint-Jean. 

Le  monastère  de  sainte  Salaberge  et  de  sainte  Anstrude  fut  occupé  par 
des  religieuses  jusqu'en  1128  :  plusieurs  reines  de  France  en  ont  été  ab- 
besses.  Cette  maison  était  si  respectée  qu'aux  fêtes  solennelles  le  roi  y  por- 
tait sa  couronne  d'or,  et  n'y  entrait  jamais  qu'à  pied  avec  toute  sa  suite 
sans  chevaux  ni  chiens.  En  1128,  les  religieuses  furent  reléguées  à  Crande- 
lain,  village  à  deux  lieues  et  demie  de  Laon;  on  leur  substitua  des  moines, 
et  la  maison  prit  le  nom  de  Saint- Jean. 

La  fête  de  sainte  Anstrude  est  célébrée  dans  le  diocèse  de  Soissons  et 
Laon  le  17  octobre,  qui  est  le  jour  anniversaire  de  sa  mort. 

Notice  due  à  M.  Henri  Congnet,  chanoine  de  Soissons.  —  Cf.  Acta  Sanct.  Ord.  S.  Benedicti;  et  Dom 
Lciong,  Eist.  du  diocèse  de  Laon* 


414  il  OCTOBRE. 


SAINTE  HBDWIGB   OU  HAVOIE, 

VEUVE,  DUCHESSE  DE  POLOGNE 
1243.  —  Pape  :  Innocent  IV.  —  Empereur  d'Allemagne  :  Frédéric  II. 


La  charité  n'est  jamais  oisive;  elle  fait  de  grandes 
et  nobles  choses;  elle  s'abaisse  aux  oeuvres  les 
plus  humbles  et  les  plus  basses  ;  elle  souffre  avec 
patience  les  injures  et  elle  se  réjouit  au  milieu 
des  humiliations.  Thomas  à  Kempis. 

Hedwige  eut  pour  père  le  prince  Berthold,  duc  de  Carinthie,  marquis 
de  Méran  et  comte  de  Tyrol,  et  pour  mère  Agnès,  fille  du  comte  de 
Rotletch.  De  quatre  frères  que  la  nature  lui  donna,  deux,  Othon  et  Henri, 
se  signalèrent  dans  les  armes,  et  succédèrent  l'qn  après  l'autre  à  leur  père. 
Un  autre,  nommé  Berthold,  fut  patriarche  d'Aquilée;  et  le  dernier,  nommé 
Elebert,  devint  évêque  de  Bamberg.  Ses  trois  sœurs  furent  pourvues  très- 
avantageusement.  Agnès  épousa  Philippe-Auguste,  roi  de  France  ;  Gertrude 
fut  mariée  à  André,  roi  de  Hongrie,  qui  la  rendit  mère  de  la  grande  sainte 
Elisabeth,  landgrave  de  Thuringe  ;  et  la  troisième  fut  abbesse  du  célèbre 
monastère  de  Lutzingen,  dans  la  Pranconie.  Quant  à  elle,  ayant  passé  son 
enfance  dans  l'innocence,  la  crainte  de  Dieu,  l'éloignement  de  toute  con- 
voitise et  la  pratique  de  la  dévotion,  dans  laquelle  elle  fut  perfectionnée 
dans  ce  même  monastère  de  Lutzingen,  elle  épousa,  à  l'âge  de  douze  ans, 
le  prince  Henri,  duc  de  Silésie  et  de  Pologne  ;  ce  qu'elle  fit  plutôt  par  obéis- 
sance envers  ses  parents,  que  par  inclination  pour  le  mariage.  Dieu  bénit 
cette  sainte  alliance  par  la  naissance  de  trois  garçons  et  de  trois  filles.  Les 
trois  garçons  furent  Henri,  Boleslas  et  Conrad.  Les  trois  filles,  Agnès,  So- 
phie et  Gertrude.  Dès  qu'elle  s'apercevait  de  sa  grossesse,  elle  se  retirait  à 
part,  du  consentement  du  duc,  son  mari,  afin  que,  ne  s'appliquant  qu'à  la 
prière  et  aux  œuvres  de  piété,  elle  attirât  les  bénédictions  du  ciel  sur  l'en- 
fant qu'elle  portait  dans  son  sein.  Elle  conviait  aussi  le  duc  à  garder  la 
continence  pendant  l'Avent,  le  Carême,  les  Quatre-Temps,  les  vendredis, 
les  veilles  des  fêtes  et  les  dimanches,  parce  que,  disait-elle,  la  pénitence  et 
la  dévotion  ne  s'accordent  pas  avec  les  plaisirs,  quelque  légitimes  qu'ils 
puissent  être.  Et  par  cette  modération  chrétienne,  elle  lui  fit  si  bien  con- 
naître l'excellence  de  la  chasteté,  qu'il  résolut  enfin  de  la  garder  le  reste  de 
sa  vie.  Ainsi,  bien  qu'ils  fussent  jeunes  l'un  et  l'autre,  ils  en  firent  un  vœu 
solennel  entre  les  mains  de  l'évêque.  Depuis  ce  temps-là,  elle  vécut  dans  la 
chair  sans  vivre  selon  la  chair  et  se  donna  tout  entière  à  la  pratique  des 
vertus  les  plus  éminentes. 

Sa  maison  était  une  école  de  piété  par  le  bel  ordre  qu'elle  y  établit.  Elle 
ne  souffrait  à  son  service  que  des  personnes  d'une  vie  pure  et  irréprochable; 
elle  avait  surtout  une  aversion  extrême  des  médisants,  et  ne  pouvait  entendre 
ces  paroles  envenimées  qui  tuent  en  même  temps  l'âme  de  celui  qui  les 
profère  et  l'âme  de  celui  qui  les  écoute.  Elle  exhortait  tout  le  monde  à 
l'amour  de  la  chasteté  ;  et  ce  fut  par  ce  motif  qu'elle  porta  le  duc,  son 


SAINTE  HEDWIGE  OU  HAVOÎE,  "VEUVE.  415 

mari,  à  bâtir  près  de  Breslau,  qui  était  leur  ville  capitale,  le  grand  mo- 
nastère de  Trebnitz,  où  elle  mit  des  religieuses  de  l'Ordre  de  Cîteaux.  Elle 
en  augmenta  tellement  le  revenu  par  ses  donations  qu'il  devint  suffisant 
pour  nourrir  mille  personnes.  Pendant  qu'on  le  bâtissait,  elle  obtint  la 
grâce  de  tous  les  criminels,  et  fit  qu'on  les  condamna  seulement  à  y  tra- 
vailler à  proportion  des  peines  qu'auraient  méritées  leurs  crimes.  Elle  y 
assembla  plusieurs  veuves  et  un  grand  nombre  de  vierges  qui  voulaient 
servir  Dieu  avec  une  entière  pureté  d'esprit  et  de  corps.  Sa  fille,  Gertrude, 
s'y  consacra  aussi  à  Jésus-Christ  ;  et,  depuis,  elle  en  fut  élue  abbesse. 

Elle  avait  un  soin  particulier  des  pauvres  jeunes  filles  et  surtout  des 
orphelines,  tant  de  haute  naissance  que  de  basse  condition  :  celles  qui 
étaient  appelées  à  la  religion,  elle  les  recevait  dans  son  monastère  ;  quant 
aux  autres,  elle  leur  trouvait  des  partis  convenables  où  elles  pussent  faire 
leur  salut.  Elle  tenait  toujours  auprès  d'elle  quelques  veuves  avec  lesquelles 
elle  passait  les  jours  et  les  nuits  en  jeûnes  et  en  prières.  Cromer,  évêque 
de  Varmie,  au  livre  vu0  de  son  Histoire  de  Pologne,  dit  que  son  exemple  et 
celui  du  prince,  son  mari,  portèrent  un  gentilhomme  fort  riche,  leur  se- 
crétaire d'Etat,  à  quitter  la  cour  et  le  monde  et  à  consacrer  tout  son  bien 
à  la  construction  d'un  monastère  de  l'Ordre  de  Cîteaux,  où  lui-môme  prit 
l'habit  religieux  et  passa  le  reste  de  sa  vie  avec  beaucoup  de  piété. 

Comme  elle  avait  toujours  eu  dans  son  cœur  un  grand  dégoût  de  toutes 
les  vanités  du  siècle,  elle  ne  cherchait  point  les  vains  ornements  du  corps, 
pour  lesquels  les  dames  ont  ordinairement  des  passions  si  violentes  ;  mais 
elle  se  contentait  de  satisfaire  à  la  bienséance  de  sa  condition,  selon  les 
règles  de  la  modestie  chrétienne.  Elle  passa  encore  plus  loin  après  son  vœu 
de  continence  ;  car,  alors,  rejetant  jusqu'aux  moindres  ornements  du  siècle, 
elle  ne  voulut  plus  porter  que  des  habits  gris  et  d'une  étoffe  fort  commune. 
Son  désir  de  pratiquer  plus  parfaitement  l'humilité,  fit  qu'elle  quitta  son 
palais  et  que  s'étant  établie  avec  peu  de  monde  près  du  monastère  de 
Trebnitz,  elle  s'y  retirait  souvent  pour  être  plris  libre  dans  ses  exercices  de 
dévotion.  Elle  y  prit  même  l'habit  de  religieuse,  mais  sans  aucun  engage- 
ment, afin  d'avoir  toujours  la  liberté  d'assister  les  pauvres  de  Jésus-Christ. 
Sa  vie  était  si  parfaite  qu'elle  surpassait  toutes  les  sœurs  par  l'exactitude  de 
son  silence,  par  l'observation  des  lois  et  des  constitutions  régulières,  et  par 
l'austérité  de  ses  pénitences.  Cependant,  elle  ne  se  considérait  que  comme 
une  pécheresse;  et,  bien  que  sa  conscience  fût  très-pure  devant  Dieu  et 
devant  les  anges,  et  que  sa  vie  fût,  aux  yeux  des  hommes,  un  modèle  ad- 
mirable de  vertu,  elle  avait  tant  d'horreur  d'elle-même,  qu'elle  n'en  parlait 
qu'avec  un  extrême  mépris.  C'est  par  ce  sentiment  d'humilité  qu'elle  ne 
voulait  point  porter  d'habits  neufs,  mais  se  contentait  de  ceux  qui  avaient 
déjà  servi  à  quelqu'une  des  sœurs,  et  quelquefois  même  elle  les  portait  si 
longtemps,  qu'ils  avaient  perdu  leur  première  forme.  Elle  avait  des  senti- 
ments si  avantageux  des  personnes  religieuses,  qu'elle  baisait  à  genoux  les 
places  où  elle  les  avait  vues  faire  leurs  prières,  prenant,  pour  cela,  le  temps 
qu'elles  étaient  sorties  du  chœur.  Une  des  sœurs  voulut  un  jour  savoir  ce 
qu'elle  y  faisait,  et  elle  vit  qu'après  avoir  pratiqué  ces  actes  d'humilité,  elle 
se  prosterna  jusqu'à  terre  devant  une  croix,  et  qu'alors  le  Crucifix,  déta- 
chant sa  main  droite,  lui  donna  sa  bénédiction  et  lui  dit  intelligiblement  : 
«  Votre  prière  est  exaucée,  et  vous  aurez  ce  que  vous  demandez  ».  Il  est 
probable,  ajoute  l'historien  de  sa  vie,  qu'elle  demandait  à  Dieu  la  grâce  de 
persévérance  pour  les  épouses  de  Jésus-Christ  qu'elle  honorait  d'un  si  pro- 
fond respect,  et  d'être  elle-même  faite  participante  de  leurs  bonnes  œuvres. 


416  17  OCTOBRE. 

Elle  baisait  aussi  les  essuie-mains  et  les  serviettes  dont  elles  s'étaient  ser- 
vies; et,  prenant  l'eau  dans  laquelle  elles  s'étaient  lavées  les  pieds  ou  les 
mains,  elle  s'en  lavait  les  yeux,  le  visage  et  la  tête.  Elle  faisait  la  même 
chose  à  ses  petits-fils,  se  persuadant  que  ce  qui  avait  ainsi  servi  à  ces  saintes 
religieuses  ne  contribuerait  pas  peu  à  attirer  sur  elle  et  sur  sa  famille  les 
bénédictions  du  ciel. 

Cette  haute  estime  lui  fit  prendre  tous  les  monastères  sous  sa  protection: 
elle  les  visitait  de  temps  en  temps  et  s'opposait  généreusement  aux  violences 
qu'on  voulait  leur  faire.  Elle  regardait  le  pain  qu'elles  mangeaient  comme 
le  pain  des  anges  ;  elle  en  rachetait  à  prix  d'argent  les  morceaux  que  l'on 
avait  distribués  aux  pauvres,  et  elle  ne  les  mangeait  qu'après  leur  avoir 
donné  plusieurs  baisers  avec  une  dévotion  incomparable.  Elle  entretenait 
deux  mendiantes  afin  qu'elles  les  lui  apportassent  pour  en  faire  le  mets  le 
plus  délicieux  de  sa  table,  et  se  faisant  une  sainte  application  des  paroles 
de  la  Chananéenne,  elle  disait  qu'elle  était  encore  trop  heureuse  de  se 
nourrir  des  miettes  qui  tombaient  de  la  table  de  ses  maîtres  :  c'est  ainsi 
qu'elle  appelait  les  religieux  ;  car  elle  les  regardait  comme  n'étant  pas 
moins  élevés  au-dessus  d'elle  par  leur  profession  que  les  maîtres  le  sont 
dans  le  monde  par  leurs  richesses  au-dessus  de  leurs  serviteurs.  Elle  portait 
le  même  respect  aux  pauvres,  par  égard  à  la  pauvreté  de  Notre-Seigneur  ; 
elle  voulait  toujours  en  avoir  quelques-uns  auprès  d'elle,  principalement 
pendant  ses  repas.  Avant  de  s'asseoir,  elle  leur  donnait  à  manger  de  sa 
propre  main,  et,  par  une  humilité  prodigieuse,  elle  se  mettait  à  genoux 
pour  les  servir  et  ne  buvait  qu'après  que  le  plus  malade  et  le  plus  dégoû- 
tant avait  bu  dans  sa  coupe.  Quand  ils  étaient  sortis,  elle  baisait  affectueu- 
sement, en  secret,  les  endroits  où  ils  s'étaient  assis.  Souvent  elle  leur  lavait 
les  pieds  et  les  mains  et  leur  faisait  de  grandes  aumônes  sans  rien  omettre 
de  tout  ce  qui  pouvait  les  satisfaire  et  les  consoler.  Le  Jeudi  Saint  elle  lavait 
les  pieds  à  quelques  lépreux,  et  leur  donnait  des  habits  neufs  par  respect 
pour  Jésus-Christ,  qui  a  bien  voulu,  pour  l'amour  de  nous,  être  considéré 
comme  un  lépreux. 

Sa  patience  n'était  pas  moins  admirable  que  son  humilité.  Jamais  elle 
ne  se  mettait  en  colère  ni  ne  répondait  avec  rudesse  à  personne  ;  mais  elle 
traitait  au  contraire  tout  le  monde  avec  tant  de  civilité,  et  usait  de  paroles 
si  douces  et  si  obligeantes,  qu'elle  contentait  tous  ceux  qui  avaient  l'hon- 
neur de  l'approcher.  Si  quelqu'un  lui  avait  causé  quelque  déplaisir,  elle  ne 
lui  répondait  qu'avec  douceur  en  ces  termes,  ou  d'autres  semblables  : 
«  Pourquoi  avez-vous  fait  cela?  je  prie  Dieu  qu'il  vous  le  pardonne  ».  Un 
de  ses  domestiques,  nommé  Stanislas,  qui  fut  depuis  religieux  de  Saint-Do- 
minique, ayant  perdu  trois  de  ses  plus  belles  coupes  d'argent,  qu'il  avait  en 
garde,  la  Sainte,  au  lieu  de  lui  en  faire  une  rude  réprimande,  se  contenta 
de  lui  dire,  sans  nulle  marque  d'émotion  :  «  Allez  chercher  avec  soin  ce 
que  votre  négligence  vous  a  fait  perdre  »,  et  elle  prononça  ces  paroles  avec 
tant  de  modération  qu'elles  ne  causèrent  aucune  tristesse  à  celui  qui  avait 
commis  cette  faute,  ainsi  que  lui-même  l'a  depuis  avoué.  Dans  les  acci- 
dents fâcheux  qui  lui  arrivaient,  elle  témoignait  une  constance  invincible 
et  faisait  paraître  sur  son  visage  autant  de  sérénité  que  dans  les  plus  grandes 
prospérités.  Lorsqu'elle  reçut  la  nouvelle  que  le  duc,  son  mari,  avait  été 
blessé  dans  un  combat,  et  fait  prisonnier  de  guerre  par  Conrad,  duc  de 
Kirne,  elle  répondit  sans  s'émouvoir  :  «  J'espère  que  Dieu  le  délivrera  bien- 
tôt et  qu'il  guérira  parfaitement  de  ses  blessures  ».  Cette  conformité,  néan- 
moins, à  la  volonté  de  Dieu,  ne  l'empêcha  pas  de  travailler  fortement  à  lui 


SAIiNTE   IIEDWIGE   OU   HAVOIE,    VEUVE.  417 

procurer  la  liberté,  et,  comme  le  vainqueur  ne  voulait  recevoir  aucune  des 
propositions  qu'elle  lui  ût  faire,  quelque  raisonnables  qu'elles  fussent,  et 
que  sur  ce  refus,  le  prince,  son  fils,  eut  assemblé  une  grande  armée  pour 
retirer  par  force  son  père  des  mains  de  cet  arrogant,  elle  résolut,  pour 
épargner  le  sang  qui  allait  être  répandu,  de  s'exposer  elle  seule  pour  le 
salut  de  tous  les  autres,  et  d'aller  trouver  celui  que  tant  de  sollicitations 
n'avaient  pu  fléchir.  Elle  ne  parut  pas  plus  tôt  devant  lui,  qu'il  se  trouva 
saisi  d'une  aussi  grande  frayeur  que  s'il  eût  vu  un  ange  de  Dieu.  Dépouil- 
lant cette  fierté  qui  l'avait  jusqu'alors  rendu  inflexible,  il  fit  la  paix  et  ren- 
dit le  prisonnier.  Ainsi,  on  peut  dire  de  sainte  Hedwige,  qu'après  avoir 
dompté  dans  elle-même,  par  les  efforts  de  sa  vertu,  tous  les  mouvements 
d'impatience  et  de  colère,  elle  eut  ce  merveilleux  pouvoir  de  les  dompter 
aussi  dans  les  autres. 

Sa  patience  ne  fut  pas  moindre  lorsqu'elle  apprit  la  mort  de  son  mari, 
qui  arriva  l'an  1238.  Toutes  les  religieuses  de  Trebnitz  fondaient  en  larmes 
pour  la  perte  d'un  si  puissant  protecteur  ;  mais  la  Sainte,  quoique  extraor- 
dinairement  touchée  de  la  perte  d'un  mari  si  vertueux,  qu'elle  aimait,  et 
que  ses  éminentes  vertus  rendaient  souverainement  cher  à  son  peuple  et  à 
son  Etat,  étouffa  toutes  ses  douleurs  pour  en  faire  un  sacrifice  à  la  volonté 
de  Dieu,  et,  tâchant  de  consoler  celles  qui  paraissaient  si  affligées  de  ce 
malheur,  elle  leur  dit  :  «  Pourquoi  vous  troublez-vous  de  la  sorte  ?  Est-ce 
que  vous  voulez  résister  à  la  volonté  divine  ?  Le  Créateur  n'a-t-il  pas  droit 
de  disposer  comme  bon  lui  semble  de  ses  créatures,  et  faut-il,  quand  il  le 
fait,  que  nous  nous  laissions  accabler  par  la  tristesse  ?  Ne  lui  sommes-nous 
pas  redevables  de  notre  vie  ?  Pourquoi  donc  ne  pas  mettre  notre  consola- 
tion dans  l'accomplissement  de  ce  qu'il  ordonne  de  nous  et  de  ceux  qui 
nous  appartiennent  ?  »  Elle  fit  paraître  la  même  constance  à  la  mort 
de  Henri,  surnommé  le  Pieux,  son  fils,  qui  fut  tué  en  combattant  pour  les 
autels  et  pour  la  patrie,  contre  les  Tartares.  Elle  avait  eu  révélation  qu'il 
devait  mourir  dans  cette  guerre  ;  mais  la  vue  de  cet  accident  ne  fut  pas 
capable  de  lui  inspirer  des  sentiments  de  lâcheté.  Elle  ne  détourna  point 
pour  cela  le  prince  de  se  mettre  en  campagne  ;  au  contraire,  elle  l'exhorta 
de  tout  son  pouvoir  à  s'opposer  à  la  fureur  de  ces  infidèles,  et  sacrifia  ainsi 
son  propre  fils  à  la  défense  de  la  religion  et  de  l'Etat,  contre  les  cruels  et 
irréconciliables  ennemis  de  l'un  et  de  l'autre.  Quand  on  lui  annonça  sa 
mort,  elle  n'en  fut  ni  abattue  ni  troublée,  mais  elle  se  fortifia  contre  la 
douleur  qu'elle  en  ressentit,  par  un  généreux  abandon  aux  ordres  du  ciel  : 
a  Dieu  a  disposé  de  mon  fils  comme  il  l'a  voulu  »,  dit-elle,  a  nous  devons 
vouloir  tout  ce  qu'ilveut,  et  tout  ce  qui  lui  plaît  nous  doit  plaire  aussi  ». 
Cette  merveilleuse  force  d'âme  était  soutenue  par  une  mortification 
continuelle,  qui  lui  faisait  traiter  son  corps  avec  une  extrême  rigueur.  Elle 
jeûnait  tous  les  jours,  excepté  les  dimanches  et  quelques-unes  des  plus 
grandes  fêtes  de  l'année.  Jamais  elle  ne  mangeait  de  chair  étant  en  santé, 
et  cette  grande  abstinence  dura  quatre  ans,  sans  que  l'évêque  de  Bamberg 
son  frère,  qui  lui  en  parla  plusieurs  fois,  pût  lui  faire  changer  de  conduite. 
Dans  une  grande  maladie,  Guillaume,  évêque  de  Modène,  légat  du  Saint- 
Siège  en  Pologne,  lui  commanda  d'user  de  toutes  sortes  d'aliments.  Elle 
obéit,  mais  elle  assura  depuis,  que  cette  délicatesse  avait  donné  plus  de 
peine  à  son  esprit  que  sa  maladie,  quoique  violente,  n'en  avait  fait  souffrir 
à  son  corps. 

Le  dimanche,  le  mardi  et  le  jeudi,  elle  mangeait  du  poisson  et  du  lai- 
tage ;  le  lundi  et  le  samedi,  des  légumes  secs,  et  le  mercredi  et  le  vendredi, 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  27 


4|8'  *7    OCTOBRE. 

elle  jeûnait  au  pain  et  à  l'eau.  Mais  sa  ferveur  augmentant,  elle  fut  long- 
temps à  ne  vivre  plus  que  de  ces  légumes  secs  et  de  pain  grossier,  avec  un  peu 
d'eau  bouillie  qui  lui  servait  de  boisson.  Son  abstinence  était  encore  plus 
rigoureuse  pendant  TAvent  et  le  Carême  et  aux  veilles  de  plusieurs  Saints 
et  Saintes  :  car  alors  elle  ne  donnait  pas  à  son  corps  autant  de  cette  simple 
nourriture  qu'il  en  avait  besoin  pour  subsister.  Quoiqu'elle  fût  d'une  com- 
plexion  fort  délicate  et  sujette  à  de  grandes  infirmités,  elle  portait  sur  sa 
chair  nue  un  rude  cilice,  fait  avec  du  crin  de  cheval,  auquel  elle  avait  cousu 
des  manches  de  serge,  afin  de  tromper  saintement  les  yeux  de  ceux  qui  la 
voyaient.  Elle  portait  aussi  sur  ses  reins  une  ceinture  faite  de  la  même  ma- 
tière avec  des  nœuds,  laquelle  s'y  attachait  de  telle  sorte,  que  ses  femmes 
ne  pouvaient  la  retirer  qu'avec  peine  lorsqu'il  fallait  en  ôter  le  sang  meur- 
tri et  corrompu  o^ui  s'y  amassait.  Elle  marchait  les  pieds  nus  dans  la  neige 
et  dans  la  glace,  et  faisait  souvent  sa  prière  en  cet  état  ;  le  feu  de  la  charité 
qui  brûlait  son  cœur  lui  faisait  mépriser  le  froid  qu'elle  sentait  au  dehors. 
A  force  de  marcher  ainsi  sur  la  terre  nue,  elTe  avait  la  plante  des  pieds  tout 
endurcie  et  crevassée.  Quelquefois  même,  pendant  le  froid,  le  sang  en  sor- 
tait sans  qu'elle  s'en  aperçût.  Ses  mains  étaient  dans  le  même  état,  et  on 
les  a  vues  plusieurs  fois  toutes  couvertes  de  sang,  parce  qu'elle  les  tenait 
toujours  exposées  à  la  rigueur  de  l'hiver.  Son  lit  était  convenable  à  la  qua- 
lité d'une  si  grande  princesse  ;  mais  au  lieu  de  s'en  servir,  elle  se  couchait 
sur  des  ais  ou  sur  des  peaux  étendues,  lorsqu'aprës  ses  longues  prières  du 
soir  ou  de  la  nuit  elle  était  obligée  de  prendre  un  moment  de  repos.  S'il 
arrivait  qu'étant  extrêmement  faible  ou  malade  elle  fût  obligée  de  se  trai- 
ter un  peu  plus  doucement,  elle  couchait  pendant  quelque  temps  sur  une 
paillasse  couverte  seulement  d'un  gros  drap  ;  mais  quelque  incommodée 
qu'elle  fût,  elle  ne  voulut  jamais  se  servir  de  matelas.  Ses  veilles  étaient 
extraordinaires  et  au-dessus  des  forces  humaines  ;  car,  quoiqu'elle  se  levât 
souvent  avant  qu'on  sonnât  Matines,  elle  ne  se  recouchait  point  après 
qu'elles  étaient  dites,  mais,  passant  le  reste  de  la  nuit  en  prières,  elle  puri- 
fiait son  esprit  par  les  larmes  qu'elle  répandait,  et  son  corps  par  les  coups 
qu'elle  se  donnait  jusqu'au  sang  avec  une  très-rude  discipline.  Elle  était  si 
exténuée  par  toutes  ces  austérités,  qu'on  ne  lui  voyait  plus  que  des  os  cou- 
verts d'une  peau  sèche  et  décolorée  ;  ce  qui  faisait  dire  à  la  princesse  Anne, 
sa  belle-fille  :  «  J'ai  lu  la  vie  de  beaucoup  de  Saints,  mais  je  n'y  ai  jamais 
rien  vu  de  plus  austère  que  ce  que  je  remarque  tous  les  jours  dans  la  du- 
chesse, ma  belle-mère  ». 

Sa  charité  était  incomparable  :  elle  faisait  de  grandes  aumônes  à  divers 
monastères.  Elle  visitait  elle-même,  autant  qu'elle  le  pouvait,  les  ermites 
et  les  religieuses  cloîtrées,  afin  de  connaître  leurs  besoins  et  d'y  pourvoir 
abondamment;  elle  envoyait  à  ceux  qui  étaient  trop  éloignés,  des  habits, 
des  vivres  et  toutes  les  choses  qu'elle  jugeait  leur  être  nécessaires.  Elle  as- 
sistait les  religieux  dans  les  affaires  qu'ils  avaient  auprès  du  duc,  son  mari, 
etprenait  soin  de  les  faire  bien  traiter  pendant  le  temps  qu'ils  étaient  obli- 
gés de  demeurer  à  la  cour  ;  puis  quand  ils  s'en  retournaient,  elle  leur  faisait 
donner  de  quoi  faire  leur  voyage.  Elle  avait  une  tendresse  incroyable  pour 
tous  les  affligés,  et  son  cœur  semblait  se  fondre  par  la  compassion  qu'elle 
leur  témoignait.  Elle  visitait  les  prisonniers,  et  quand  elle  ne  pouvait  pas 
le  faire  par  elle-même,  elle  les  envoyait  visiter  ;  elle  leur  faisait  fournir  des 
habits  pour  les  garantir  du  froid  ;  du  linge,  de  peur  qu'ils  ne  fussent  incom- 
modés faute  d'avoir  de  quoi  changer,  et  de  la  lumière  pour  diminuer  l'hor- 
reur et  les  ténèbres  de  leur  prison.  Enfin,  elle  n'oubliait  rien  pour  les  sou- 


SAINTE  HEDWIGE  OU  HAVOIE,   VEUVE.  419 

iager  dans  leurs  misères.  Elle  exerçait  la  môme  charité  envers  les  prison- 
niers de  guerre ,  auxquels  elle  procurait  très-souvent  la  liberté.  Elle 
délivrait  ceux  qui  n'étaient  détenus  que  pour  leurs  dettes,  en  payant  pour 
eux  leurs  créanciers.  Elle  se  faisait  l'avocate  de  ceux  qui  avaient  eu  le  mal- 
heur d'encourir  la  disgrâce  du  prince,  et,  en  se  mettant  à  genoux  devant 
lui,  elle  priait  pour  eux  avec  larmes,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  accordé  leur  par- 
don. Elle  était  la  mère  de  tous  les  misérables  et  particulièrement  des 
veuves  et  des  orphelins,  dont  elle  prenait  elle-même  le  soin  dans  leurs  né- 
cessités et  dans  toutes  leurs  affaires.  Les  pauvres  qui  recevaient  continuelle- 
ment les  effets  de  sa  charité,  la  suivaient  partout,  et  elle  faisait  toujours 
mettre  à  l'église  une  somme  d'argent  devant 'elle,  pour  la  leur  distribuer, 
sans  que  ses  domestiques  osassent  les  empêcher  de  l'approcher.  En  quelque 
lieu  qu'elle  allât,  elle  avait  toujours  à  sa  suite  treize  pauvres  infirmes 
qu'elle  nourrissait  en  l'honneur  de  Jésus-Christ  et  des  douze  Apôtres.  Elle 
les  faisait  conduire  sur  des  chariots,  et  son  premier  soin  en  arrivant  était 
pour  eux.  Elle  leur  donnait  les  viandes  délicates  qu'on  lui  servait,  et  ne 
prenait  que  des  légumes  pour  elle  ;  ce  qui  faisait  dire  aux  courtisans,  qu'ils 
auraient  mieux  aimé  être  traités  comme  les  pauvres  de  la  duchesse,  que 
de  la  manière  quelle  se  traitait  elle-même.  Outre  ceux-là  elle  en  nourris- 
sait encore  une  grande  quantité,  pour  lesquels  elle  avait  une  cuisine  et  des 
officiers  particuliers,  afin  qu'on  leur  donnât,  selon  les  divers  temps,  toute 
la  nourriture  qui  leur  était  nécessaire.  Elle  préservait  ses  sujets  des  vexa- 
tions des  gens  de  justice,  et,  dans  la  crainte  que  les  juges  ne  leur  fussent 
trop  sévères,  elle  assistait  souvent  en  personne  à  leurs  jugements  ;  et  alors, 
ce  n'était  pas  le  juge,  mais  quelqu'un  de  ses  aumôniers  qui  les  prononçait, 
afin  que  les  parties  fussent  traitées  plus  doucement.  Elle  priait  quelquefois 
avec  larmes  son  intendant,  nommé  Ludolphe,  d'user  d'humanité  et  de  dou- 
ceur envers  tout  le  monde,  et  de  ne  pas  exiger  avec  rigueur  ce  qui  lui  était 
dû.  Enfin  la  bonté  de  cette  sainte  princesse  était  comme  une  fontaine  pu- 
blique, où  elle  voulait  que  chacun  vînt  puiser  de  l'eau,  sans  que  nul  de 
tous  ceux  qui  en  approchaient  manquât  d'en  avoir.  Aussi  tout  le  monde 
ayant  recours  à  elle,  s'il  arrivait  qu'elle  ne  pût  assister  quelqu'un,  elle 
adressait  pour  lui  ses  prières  à  la  libéralité  du  Tout-Puissant,  et  lui  obte- 
nait par  des  miracles  ce  qu'elle  ne  pouvait  lui  donner  par  elle-même. 

Toutes  ces  vertus  tiraient  leur  origine  de  l'union  intime  qu'elle  avait 
avec  Dieu.  Elle  ne  le  perdait  jamais  de  vue.  Elle  passait  les  nuits  entières 
en  oraison,  où  elle  recevait  des  avant-goûts  des  délices  célestes  dont  jouis- 
sent les  Bienheureux  ;  elle  y  était  souvent  dans  une  telle  abstraction  de  tous 
les  sens,  qu'on  la  voyait  comme  insensible.  Quelques-uns  même  ont  vu  son 
corps  élevé  en  l'air  et  tout  environné  de  clarté.  Elle  ne  souffrait  point 
qu'on  lui  parlât  pendant  le  divin  office,  et  elle  disait  que  c'était  traiter  in- 
gnement  la  majesté  de  Dieu,  de  mêler  les  entretiens  des  créatures  avec 
ceux  de  son  Créateur.  Quoiqu'elle  fît  son  possible  pour  cacher  ce  qui  se 
passait  entre  son  divin  Epoux  et  elle,  elle  était  néanmoins  souvent  trahie 
par  les  gémissements,  les  soupirs  et  les  larmes  que  la  grandeur  de  son 
amour  et  la  tendresse  de  sa  dévotion  ne  lui  permettaient  pas  de  retenir.  On 
ne  l'a  jamais  vue  prier  assise  ;  mais  après  s'être  tenue  quelque  temps  de- 
bout, elle  se  mettait  en  terre,  les  genoux  tout  nus  :  ce  qui  y  fit  venir  de 
gros  durillons,  qui  la  faisaient  beaucoup  souffrir  en  hiver.  Elle  cherchait 
des  lieux  retirés  pour  y  faire  ses  prières,  afin  de  s'y  rassasier  sans  empêche- 
ment et  sans  distraction  des  consolations  et  des  douceurs  dont  Dieu  la  favo- 
risait. Elle  ne  voulut  pourtant  jamais,  ainsi  que  font  quelquefois  les  grands 


420  17    OCTOBRE. 

princes,  faire  dire  dans  son  palais  ou  dans  sa  chambre  l'office  divin  qui  se 
dit  publiquement;  mais  elle  allait  toujours  à  l'église  avec  sa  famille,  assis- 
tait aux  vêpres,  à  la  messe  et  aux  autres  offices,  et  les  faisait  chanter  solen- 
nellement en  sa  présence  ;  ni  l'éioignement  des  lieux,  ni  la  difficulté  des 
chemins,  ni  le  froid,  ni  la  neige,  ni  la  pluie  ni  d'autres  incommodités 
n'étaient  capables  de  l'en  empêcher.  Elle  entendait  plusieurs  messes,  pen- 
dant lesquelles  elle  priait  à  genoux,  ou  toute  prosternée  et  rarement 
appuyée.  Elle  ne  rougissait  point  de  baiser  la  terre,  et  elle  demeurait  si 
longtemps  en  cet  état,  qu'il  aurait  été  impossible  à  son  corps,  si  faible  et  si 
délicat,  d'y  résister,  s'il  n'eût  été  soutenu  et  fortifié  par  la  ferveur  de  sa 
dévotion  et  par  une  grâce  extraordinaire.  Elle  allait  à  l'offrande  à  toutes  les 
messes  auxquelles  elle  assistait,  ou  y  envoyait  quelqu'un  pour  elle.  Elle 
priait  toujours  le  prêtre  d'imposer  les  mains  sur  sa  tête  et  de  lui  donner 
de  l'eau  bénite,  croyant  recevoir  par  là  quelque  secours  particulier  et  du 
soulagement  dans  ses  maladies,  comme  il  est  arrivé  diverses  fois.  Lorsqu'elle 
approchait  de  la  sainte  Table  pour  y  recevoir  le  corps  de  Jésus-Christ,  elle 
répandait  tant  de  larmes  et  priait  avec  tant  de  ferveur,  à  genoux  et  pros- 
ternée contre  terre,  que  l'ardeur  de  sa  dévotion  en  donnait  à  ceux  qui  la 
regardaient.  Elle  avait  plusieurs  images  et  plusieurs  reliques  des  Saints, 
qu'elle  faisait  mettre  devant  elle  dans  l'église,  afin  que  cette  vue  rappelât 
plus  vivement  dans  son  esprit  le  mérite  de  leurs  vertus,  et  qu'elle  échaufFât 
davantage  sa  piété  par  la  confiance  qu'elle  avait  en  leur  intercession  et  en 
leurs  prières.  Elle  avait  une  affection  singulière  envers  la  sainte  Vierge,  et 
elle  en  portait  toujours  sur  elle  une  petite  image,  qu'elle  tenait  ordinaire- 
ment à  la  main  pour  la  pouvoir  regarder,  et  s'exciter  ainsi  de  plus  en  plus 
à  l'aimer  :  cela  fut  si  agréable  à  Dieu,  que  des  malades  auxquels  elle  la  fit 
baiser,  recouvrèrent  à  l'heure  même  une  parfaite  santé.  Elle  méditait  pres- 
que continuellement  sur  la  Passion  de  Notre-Seigneur,  et  elle  portait  un 
grand  respect  à  tout  ce  qui  y  avait  le  moindre  rapport  :  quand  elle  ren- 
contrait la  figure  de  la  croix,  que  souvent  le  hasard  avait  plutôt  formé  que 
l'artifice  des  hommes,  elle  se  mettait  à  genoux,  l'adorait  et  la  baisait  avec 
une  tendresse  merveilleuse  ;  puis,  la  levant  de  terre,  elle  la  plaçait  dans  un 
lieu  où  elle  ne  fût  plus  foulée  aux  pieds  du  monde.  Elle  craignait  extrême- 
ment les  éclairs  et  le  tonnerre,  parce  que,  disait-elle,  ils  lui  remettaient 
devant  les  yeux  le  jour  terrible  de  la  vengeance  de  Dieu  dans  son  dernier 
jugement,  ce  qu'elle  ne  pouvait  même  prononcer  sans  trembler;  mais  son 
appréhension  cessait  lorsqu'un  prêtre  avait  imposé  les  mains  sur  sa  tête, 
comme  pour  lui  servir  de  bouclier  et  d'assurance  de  la  protection  divine; 
car  alors,  ne  craignant  plus  rien,  elle  demeurait  à  genoux  en  prières  jusqu'à 
ce  que  la  tempête  fût  cessée. 

On  raconte  plusieurs  miracles  de  sainte  Hedwige,  qui  furent  autant  de 
marques  évidentes  du  grand  crédit  qu'elle  avait  auprès  de  Dieu.  Elle 
ressuscita  deux  hommes  qui  avaient  été  exécutés  en  punition  de  leurs 
crimes  ;  le  duc,  son  mari,  commanda  que  toutes  les  fois  qu'elle  passerait 
devant  les  prisons,  on  mît  en  liberté  les  prisonniers  qu'elle  demanderait. 
Elle  rendit  la  vue,  en  faisant  seulement  le  signe  de  la  croix,  sur  une  reli- 
gieuse qui  l'avait  perdue  à  force  de  pleurer.  S'étant  endormie,  en  lisant  un 
livre,  la  bougie  qu'elle  tenait  à  la  main  et  qui  tomba  sur  les  feuillets,  s'y 
consuma  tout  entière  sans  les  brûler.  De  l'eau,  qu'elle  voulait  boire  par 
pénitence,  se  trouva  changée  en  vin,  pour  apaiser  le  prince,  son  mari,  à 
qui  cette  mortification  n'agréait  pas. 

Elle  fut  favorisée  du  don  de  prophétie,  et  elle  prédit  plusieurs  choses 


LA  BIENHEUREUSE  MARGUERITE -MARIE  ALACOQUE,   RELIGIEUSE.  421 

qui  sont  effectivement  arrivées  comme  elle  les  avait  prédites  ;  entre  autres, 
le  temps  où  elle  devait  mourir.  Quand  elle  se  vit  près  de  cet  heureux  mo- 
ment, elle  se  fit  administrer  le  sacrement  de  TExtrême-Onction,  sans  pa- 
raître encore  malade,  par  l'assurance  qu'elle  avait  qu'elle  allait  le  devenir. 
Incontinent  après,  elle  tomba  dans  la  maladie  dont  elle  mourut.  En  cet 
état,  Dieu  lui  fit  encore  connaître  plusieurs  choses  qu'elle  n'avait  jamais 
apprises  ni  entendues  de  personne  ;  et  elle  fut  consolée  et  visitée  par  sainte 
Madeleine,  sainte  Catherine,  sainte  Thècle  et  sainte  Ursule,  qui  lui  apparu- 
rent visiblement.  Enfin,  après  avoir  choisi  sa  sépulture  dans  l'église  de 
Trebnitz,  devant  l'autel  de  Saint- Jean  l'Evangéliste,  où  deux  de  ses  enfants, 
morts  en  âge  d'innocence,  étaient  déjà  enterrés,  elle  rendit  son  esprit  à 
Notre-Seigneur,  pour  être  couronnée  d'une  gloire  immortelle.  Ce  fut  le  15 
octobre  1243  ;  et,  vingt-quatre  ans  après,  le  décret  de  sa  canonisation  fut 
promulgué  par  le  pape  Clément  IV.  Comme  ce  souverain  Pontife  avait  été 
marié  avant  d'être  ecclésiastique,  il  avait  une  fille  qui  était  devenue  aveu- 
gle :  pendant  qu'il  se  préparait  à  cette  auguste  cérémonie,  il  lui  vint  une 
inspiration  de  demander  à  Dieu  que,  si  Hedwige  était  sainte,  il  lui  plût  de 
guérir  sa  fille  par  son  intercession  ;  il  le  fit  en  célébrant  la  messe,  et  il 
obtint  aussitôt  l'effet  de  sa  demande.  Le  17  août  1268,  son  corps  fut  levé  de 
terre,  et  il  sortit  de  son  sépulcre  une  odeur  si  agréable,  qu'elle  remplit  tous 
les  assistants  de  joie  et  d'étonnement  ;  sa  chair  se  trouva  toute  consumée, 
excepté  trois  doigts  de  la  main  gauche,  qui  étaient  encore  tout  entiers  et 
tenaient  cette  petite  image  de  la  sainte  Vierge  dont  nous  avons  parlé.  Elle 
l'avait  à  l'heure  de  sa  mort,  et  elle  la  serra  si  fort  avec  ses  trois  doigts  que, 
ne  pouvant  la  lui  ôter,  on  fut  obligé  de  l'enterrer  avec  elle. 

Sa  mémoire  est  marquée  dans  le  martyrologe  romain  au  15  de  ce  mois; 
mais  sa  fête  ne  ne  se  fait  que  le  17,  jour  auquel  lé  pape  Innocent  XI  a  per- 
mis d'en  faire  l'office. 

On  la  représente  :  1°'  à  genoux  devant  un  crucifix.  Jésus-Christ  détache 
une  de  ses  mains  de  la  croix  pour  bénir  sa  pieuse  servante  ;  2°  debout, 
tenant  une  corbeille  de  fleurs  ;  3°  soignant  des  malades  dans  un  hôpital  et 
leur  donnant  à  manger. 

Tiré  de  sa  Vie  qui  se  trouve  dans  le  recueil  de  Surins.  —  Cf.  le  P.  Matthieu  Raderus  dans  sa  Bavaria 
sancta. 


LA  B.  MARGUERITE -MARIE  ALACOQUE, 

RELIGIEUSE  DE  LA  VISITATION,  A  PARAY-LE-MONIAL,  AU  DIOCÈSE  D'AUTUN 
1690.  —  Pape  :  Alexandre  VIII.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIV. 


Le  sacré  Cœur  de  Jésus  est  un  abîme  d'amour  oh  il 

faut  abîmer  tout  l'amour-propre  qui  est  en  nous, 

avec  toutes  ses  mauvaises  productions,  qui  sout  les 

respects  humains  et  les  désirs  de  nous  satisfaire. 

Maxime  de  la  Bienheureuse. 

Marguerite-Marie  Alacoque  vint  au  monde  le  22  juillet  1648,  et  fut 
baptisée  dans  la  paroisse  de  Verosvres,  petit  village  dépendant  du  Mâcon- 


422  *7  OCTOBRE. 

nais.  Ses  parents  vivaient  dans  une  condition  aisée  et  servaient  Dieu  de 
tout  leur  cœur.  Son  père  se  nommait  Claude  Alacoque,  et  sa  mèrePhili- 
berte  Lamyn.  Ils  eurent  sept  enfants,  trois  filles  et  quatre  garçons.  Deux 
garçons  seulement  avec  Marie  Alacoque  parcoururent  une  assez  longue 
carrière,  les  autres  moururent  jeunes.  Son  père,  tout  en  faisant  valoir  son 
bien,  exerçait  la  charge  de  notaire  royal  et  avait,  pour  plusieurs  seigneurs, 
l'administration  de  la  justice  seigneuriale.  Aussitôt  que  Marguerite  se  con- 
nut, elle  aima  Dieu.  Elle  conçut  dès  lors  du  péché  une  telle  horreur  que 
pour  arrêter  les  saillies  et  les  vivacités  de  son  enfance,  il  suffisait  de  lui 
dire  qu'elles  étaient  des  offenses  à  Dieu.  Dieu  s'était  emparé  dès  lors  com- 
plètement de  son  cœur  ;  et,  un  jour  qu'elle  assistait  à  la  messe,  entre  les 
deux  élévations,  elle  prononça  ces  paroles  qu'elle  ne  comprenait  pas,  mais 
que  depuis  quelque  temps  déjà  elle  se  sentait  pressée  de  dire  :  «  Mon  Dieu, 
je  vous  consacre  ma  pureté,  et  je  vous  fais  vœu  de  perpétuelle  chasteté  ». 
Marguerite,  doucement  attirée  vers  Dieu,  ne  se  sentait  aucun  attrait  pour 
les  choses  de  la  vie.  Elle  n'avait  qu'une  passion  :  se  retirer  dans  la  soli- 
tude et  encore  souvent  elle  n'osait  pas,  dans  la  crainte  de  rencontrer  des 
hommes. 

La  sainte  Vierge  veillait  avec  un  soin  particulier  sur  celle  que  son  fils 
s'était  choisi  pour  épouse.  Dans  sa  naïve  simplicité,  Marguerite-Marie  n'o- 
sant s'adresser  au  fils,  avait  recours  à  la  mère,  et  chaque  jour  elle  récitait 
en  son  honneur  tout  le  Rosaire.  Sa  marraine,  madame  de  Fautrières,  voulut 
avoir  sa  filleule  près  d'elle,  afin  de  lui  apprendre  ses  prières  et  de  l'ins- 
truire des  vérités  chrétiennes.  Elle  avait  quatre  ans  quand  elle  fut  remise 
aux  mains  de  cette  dame.  Elle  ne  trouva  pas  les  agréments  de  la  maisoa 
paternelle,  cependant  ce  séjour  lui  plut  parce  qu'il  était  tout  proche  de 
l'église,  et  chaque  fois  qu'on  ne  la  voyait  pas  au  château,  on  était  sûr  de  la 
trouver  aux  pieds  des  autels  où  elle  ne  s'ennuyait  jamais. 

Marguerite-Marie  avait  huit  ans  quand  elle  perdit  son  père.  Sa  mère, 
comprenant  qu'elle  ne  pourrait  suffire  à  l'accomplissement  de  tous  ses 
devoirs,  mit  sa  fille  en  pension  chez  les  Clarisses  de  Charolles.  A  dix  ans 
elle  fut  admise  à  faire  sa  première  communion,  et  dès  lors  on  vit  redou- 
bler son  attrait  pour  la  solitude  et  la  prière.  La  maladie  vint  la  visiter  et 
commença  à  l'initier  aux  douleurs  du  calvaire.  Durant  quatre  années  elle 
languit  sur  un  lit  de  douleurs,  ayant  presque  complètement  perdu  l'usage 
de  ses  membres.  Revenue  à  la  maison  paternelle,  elle  semblait  réduite  à 
la  dernière  extrémité  ;  l'art  des  médecins  n'y  pouvant  rien,  elle  fit  alors 
vœu  à  la  sainte  Vierge,  si  elle  recouvrait  la  santé,  d'être  plus  tard  l'une 
de  ses  filles,  et  elle  fut  subitement  guérie.  A  partir  de  ce  moment  la  sainte 
Vierge  sembla  veiller  sur  elle  avec  plus  de  soin  encore  qu'auparavant  ; 
elle  lui  apparaissait  souvent,  et  la  reprenait  de  ses  moindres  manque- 
ments. 

Marguerite-Marie  consacrait  un  temps  considérable  à  l'oraison,  et  la 
prolongeait  souvent  fort  avant  dans  la  nuit.  Les  domestiques  en  avertirent 
sa  mère  qui,  à  son  grand  chagrin,  la  fit  coucher  avec  elle.  Elle  se  livrait 
aussi  à  de  rudes  mortifications  qui  lui  causèrent  des  infirmités  nombreuses. 
Ses  jambes  se  couvrirent  d'ulcères  et  il  lui  vint  une  grande  douleur  de 
côté.  Ayant  obtenu  de  se  séparer  de  sa  mère,  elle  se  livra  de  nouveau  à 
l'oraison  et  aggrava  ses  souffrances  au  point  qu'il  fallut  voir  les  médecins. 
Leurs  prescriptions  furent  suivies  à  la  lettre  sans  procurer  aucun  sou- 
lagement. Alors  Marguerite-Marie  proposa  à  sa  mère  de  faire  ensemble 
une  neuvaine  pour  obtenir  sa  guérison,  et  au  bout  de  la  neuvaine  ses 


LA  BIENHEUREUSE  MARGUERITE  -MARIE  ALACOQUE,   RELIGIEUSE.  423 

plaies  se  trouvèrent  parfaitement  fermées  et  toutes  ses  douleurs  avaient 
disparu. 

Marguerite-Marie  avait  une  humeur  vive  et  enjouée  ;  elle  trouvait  un 
grand  charme  aux  amusements  de  son  âge,  et  après  sa  guérison  il  lui 
arriva  de  se  relâcher  dans  la  pratique  du  bien  et  d'être  trop  sensible  à  la 
vanité  et  à  l'affection  des  créatures.  Dieu  ne  voulait  pas  de  partage  ;  et 
pour  détacher  son  cœur  des  plaisirs  mondains,  il  lui  envoya  de  nouvelle» 
épreuves.  Sa  mère,  incapable  de  surveiller  l'exploitation  de  ses  domaines, 
en  confia  la  direction  à  des  personnes  qui  la  réduisirent  bientôt,  elle  et  ses 
enfants,  à  la  plus  dure  servitude.  «  Nous  n'avions  plus  »,  dit  Marguerite- 
Marie  dans  ses  mémoires,  «  aucun  pouvoir  dans  la  maison  et  nous  n'osions 
rien  faire  sans  permission.  C'était  une  guerre  continuelle,  tout  était  fermé 
sous  clef,  de  telle  sorte  que  je  ne  trouvais  pas  même  de  quoi  m'habiller 
pour  aller  à  la  sainte  messe;  il  me  fallait  emprunter  coiffes  et  habits. 
J'avoue  que  je  ressentis  vivement  cet  esclavage.  Ge  fut  pour  lors  que  je 
commençais  à  sentir  ma  captivité  dans  laquelle  je  m'enfonçai  si  avant  que 
je  ne  faisais  rien  et  ne  sortais  pas  sans  l'assentiment  de  trois  personnes.  Ge 
fut  dès  lors  que  toutes  mes  affections  se  tournèrent  à  chercher  mon  plaisir 
et  ma  consolation  dans  le  très-saint  Sacrement.  Mais  me  trouvant,  dans 
ce  village,  éloignée  de  l'église,  je  n'y  pouvais  aller  qu'avec  l'agrément  de 
ces  trois  personnes,  et  il  arrivait  que  quand  l'une  agréait,  l'autre  ne  vou- 
lait pas.  Souvent,  lorsque  j'en  témoignais  ma  peine  par  mes  larmes,  on 
me  reprochait  que  c'était  que  j'avais  donné  rendez-vous  à  quelque  jeune 
homme  et  que  j'étais  fâchée  de  ne  pouvoir  y  aller,  moi  qui  sentais  dans 
mon  cœur  une  si  grande  horreur  de  pareilles  choses  que  j'aurais  plutôt 
consenti  à  voir  déchirer  mon  corps  en  mille  pièces  que  d'en  avoir  seule- 
ment la  pensée.  Ne  sachant  donc  où  me  réfugier,  je  me  cachais  en  quelque 
coin  de  jardin,  ou  d'étable,  ou  en  d'autres  lieux  où  il  me  fût  permis  de  me 
mettre  à  genoux  et  de  répandre  mon  cœur  par  mes  larmes  devant  mon 
Dieu.  Je  le  faisais  toujours  par  l'entremise  de  la  très-sainte  Vierge,  ma 
bonne  mère,  en  laquelle  j'avais  mis  toute  ma  confiance.  Je  demeurais  là 
des  journées  entières  sans  boire  ni  manger,  et  quelquefois  les  pauvres  gens 
du  village  me  donnaient  par  compassion  un  peu  de  lait  ou  de  fruit  sur  le 
soir.  Retournant  ensuite  au  logis,  c'était  avec  tant  de  crainte  et  de  trem- 
blement, qu'il  me  semblait  être  une  pauvre  criminelle  qui  allait  recevoir 
sa  sentence  de  condamnation.  Je  me  serais  estimée  plus  heureuse  d'aller 
mendier  mon  pain,  plutôt  que  de  me  voir  dans  cette  contrainte,  car  sou- 
vent je  n'en  osais  prendre  sur  la  table.  Quand  je  rentrais,  on  me  faisait  de 
nouvelles  querelles,  de  ce  que  je  n'avais  pas  pris  soin  du  ménage  et  des 
enfants  de  ces  chères  bienfaitrices  de  mon  âme  ;  et  sans  qu'il  me  fût  loi- 
sible de  dire  un  seul  mot,  je  me  mettais  à  travailler  avec  les  domestiques, 
après  quoi  je  passais  les  nuits  comme  j'avais  passé  le  jour,  à  verser  des 
larmes  aux  pieds  de  mon  crucifix». 

Jésus- Christ  profita  de  cela  pour  lui  apprendre  à  souffrir  et  lui  faire 
estimer  les  souffrances,  et  elle  se  prit  à  souhaiter  que  ses  peines  n'eussent 
pas  de  fin.  Elle  souffrit  dès  lors  sans  se  plaindre  et  sans  murmurer,  regar- 
dant les  injures  dont  elle  était  l'objet  comme  le  juste  salaire  de  ses  péchés. 
Si  elle  pardonnait  généreusement  ce  qu'on  lui  faisait  supporter,  elle  eut 
plus  de  peine  à  pardonner  les  injures  et  les  mauvais  traitements  dont  sa 
mère  était  l'objet  ;  mais  la  grâce  du  bon  Maître  aidant,  elle  parvint  à  com- 
primer les  révoltes  de  son  cœur.  Au  milieu  de  ses  épreuves,  elle  sentit 
renaître  son  amour  pour  l'oraison.  Elle  ne  la  connaissait  que  de  nom,  mais 


424  17  ocromu:. 

Jésus-Christ  devint  son  maître,  et  dans  cet  exercice  elle  puisait  un  désir 
insatiable  de  la  communion  et  des  souffrances.  Mais  ses  épreuves  allaient 
bientôt  cesser  pour  faire  place  à  d'autres  d'une  nature  plus  délicate. 

Le  moment  était  venu  où  ceux  qui  disposaient  d'elle  songèrent  à  l'éta- 
blir dans  le  monde.  S'il  n'eût  été  question  que  d'elle,  elle  eût  déclaré  sa 
volonté  inébranlable  de  ne  jamais  se  marier,  mais  elle  avait  peur  pour  sa 
mère  et  elle  crut  devoir  prendre  des  ménagements  qui  faillirent  lui  devenir 
funestes.  La  conduite  que  l'on  avait  tenue  jusque-là  à  son  égard  change, 
il  faut  qu'elle  se  pare,  se  produise  dans  le  monde  et  subisse  les  visites.  Plu- 
sieurs partis  se  présentèrent  :  elle  les  refusa  ;  mais  elle  vit  pleurer  sa  mère 
qui  n'avait  d'autre  espoir  qu'en  elle  et  désirait  son  établissement  pour 
échapper  à  la  servitude.  Marguerite-Marie,  tourmentée  par  son  vœu  de 
chasteté,  finit  par  se  persuader  que  ce  vœu  fait  dans  un  âge  où  elle  ne 
savait  rien,  ne  l'obligeait  pas,  et  elle  se  résolut  à  suivre  la  voie  facile  que 
Ton  couvrait  de  fleurs  sous  ses  pas.  Entendons-la  décrire  elle-même  les 
agitations  de  son  âme  :  «  Je  commençais  à  voir  le  monde  et  à  me  parer 
pour  lui  plaire,  et  je  cherchais  à  me  divertir  autant  que  je  le  pouvais.  Mais 
vous,  ô  mon  Dieu,  seul  témoin  de  la  grandeur  et  de  la  longueur  de  la 
peine  que  ce  combat  intérieur  me  faisait  souffrir  et  à  laquelle  j'aurais  mille 
fois  succombé  sans  un  secours  extraordinaire  de  votre  miséricorde,  vous 
aviez  bien  d'autres  desseins  que  ceux  que  je  projetais  dans  mon  cœur. 
Vous  me  fîtes  connaître  en  cette  rencontre,  comme  vous  l'avez  fait  en 
plusieurs  autres,  qu'il  m'était  bien  dur  de  regimber  contre  le  puissant 
aiguillon  de  votre  amour.  Ma  malice  et  mon  infidélité  me  faisaient  em- 
ployer toutes  mes  forces  et  toute  mon  industrie  pour  résister  à  son  attrait 
et  pour  éteindre  en  moi  tous  ses  mouvements.  Mais  c'était  en  vain;  car  au 
milieu  des  compagnies  et  des  divertissements,  ce  divin  amour  me  lançait 
des  flèches  si  ardentes  qu'elles  perçaient  mon  cœur  de  toutes  parts  et  le 
consumaient.  La  douleur  que  je  ressentais  me  rendait  tout  interdite,  et 
cela  ne  suffisait  pas  encore  pour  détacher  un  cœur  aussi  ingrat  que  le 
mien;  je  me  sentais  comme  liée  avec  des  cordes  et  tirée  si  fortement, 
qu'enfin  j'étais  contrainte  de  suivre  celui  qui  m'appelait;  il  me  conduisait 
en  quelque  lieu  retiré,  où  il  me  faisait  de  sévères  réprimandes.  Hélas  !  il 
paraissait  jaloux  de  mon  misérable  cœur  ». 

Le  soir,  en  revenant  de  ses  vains  plaisirs,  et  de  ses  amusements  frivoles, 
elle  pleurait.  Notre-Seigneur  se  présentait  à  elle  avec  ses  plaies  sanglantes 
et  lui  reprochait  ses  vanités.  Alors  elle  se  flagellait,  macérait  son  corps  et 
n'en  recommençait  pas  moins  le  lendemain  sa  vie  mondaine.  Ces  luttes  et 
ces  combats  durèrent  trois  ans.  Continuellement  poursuivie  de  la  crainte 
des  jugements  de  Dieu,  elle  n'avait  ni  paix,  ni  tranquillité,  ni  repos.  Elle 
voulait  devenir  une  sainte,  elle  cherchait  une  vie  facile  à  imiter,  mais  ne 
trouvait  personne  qui  se  fût  sanctifié  autrement  que  par  la  croix.  Le  bon 
Maître,  cherchant  à  la  ramener  complètement  à  lui,  lui  mit  au  cœur  un 
ardent  amour  du  prochain.  Elle  avait  pour  les  pauvres  une  vive  et  tendre 
compassion,  les  soignait  avec  sollicitude  et  pansait  les  plaies  des  infirmes. 
Elle  était  émue  de  compassion  pour  les  âmes,  aussi  l'hiver  elle  réunissait 
les  enfants  pour  leur  apprendre  leur  catéchisme  et  leurs  prières.  Elle  s'as- 
treignait à  une  obéissance  parfaite,  ne  faisant  rien  sans  la  permission  des 
gens  de  la  maison  qui  la  traitaient  durement  et  prenaient  occasion  de  sa 
soumission  pour  se  montrer  plus  impérieux  et  plus  exigeants. 

C'est  par  ces  moyens  que  Notre-Seigneur  reprenait  peu  à  peu  ses  droits 
sur  cette  âme.  Cependant  sa  mère  luttait  de  son  côté  ;  comme  Marguerite- 


LA  BIENHEUREUSE   MARGUERITE -MARIE  ALAC0QUE,   RELIGIEUSE.  425 

Marie  avait  20  ans,  elle  ne  cessait  de  représenter  à  sa  fille  qu'elle  était  dans 
l'âge  où  l'on  doit  s'établir.  Elle  la  pressait  et  la  sollicitait  d'en  finir.  Les 
supplications  d'une  mère  sont  très-puissantes.  Le  démon,  de  son  côté,  la 
voyant  faiblir,  redoublait  ses  efforts.  Cette  dernière  lutte  fut  terrible,  mais 
Dieu,  qui  éprouve  ses  serviteurs  sans  les  abandonner  jamais,  vint  à  son 
secours  de  la  manière  suivante.  Laissons-la  parler  elle-même. 

«  Une  fois,  après  la  communion,  Jésus -Christ  me  fit  voir  qu'il  était  le 
plus  beau,  le  plus  riche  et  le  plus  puissant,  le  plus  accompli  et  le  plus  par- 
fait de  tous  les  amants.  Il  me  reprochait  que  lui  étant  promise  depuis  tant 
d'années  je  pensais  cependant  à  rompre  avec  lui  pour  prendre  un  autre 
époux.  Oh  !  apprends,  si  tu  me  fais  cette  injure,  que  je  t'abandonne  pour 
jamais.  Si,  au  contraire,  tu  m'es  fidèle,  je  ne  te  quitterai  point  et  je  te 
rendrai  victorieuse  de  tous  tes  ennemis.  J'excuse  ton  ignorance,  parce  que 
tu  ne  me  connais  pas  encore  ;  mais  si  tu  veux  me  suivre,  je  t'enseignerai  à 
me  connaître  et  je  me  manifesterai  à  toi. 

«  En  me  disant  cela,  il  imprimait  le  calme  dans  mon  intérieur,  de  sorte 
que  mon  âme  se  trouva  dans  une  très-grande  paix.  Je  me  déterminais  à 
l'heure  même  de  mourir  plutôt  que  de  changer.  Il  me  semblait  que  mes 
liens  étaient  rompus  et  que  je  n'avais  plus  rien  à  craindre.  Je  me  disais  à 
moi-même  que  quand  même  la  vie  religieuse  serait  un  purgatoire,  il  me 
serait  plus  doux  de  m'y  purifier  le  reste  de  ma  vie  que  de  me  voir  précipitée 
dans  1'enfcr  que  j'avais  tant  de  fois  mérité  par  mes  péchés  et  mes  résistances 
continuelles. 

«  M'étant  donc  ainsi  déterminée  pour  la  vie  religieuse,  ce  divin  Epoux 
de  mon  âme,  comme  s*il  avait  craint  que  je  ne  lui  échappasse  encore,  me 
demanda  de  consentir  qu'il  s'emparât  et  se  rendît  maître  de  ma  liberté, 
parce  que  j'étais  faible.  Je  donnai  de  bon  cœur  ce  consentement,  et  dès  lors 
il  s'empara  si  fortement  de  ma  liberté  qu'il  me  semble  n'en  avoir  plus  eu 
de  jouissance.  Je  renouvelai  mon  vœu,  commençante  le  comprendre,  et  je 
lui  dis  que,  quand  il  devrait  m'en  coûter  mille  vies,  je  ne  serais  jamais 
autre  que  religieuse.  Je  m'en  déclarai  dès  lors  hautement  et  je  priais  qu'on 
congédiât  tous  ces  partis,  quelque  avantageux  qu'ils  pussent  être.  Ma 
mère,  voyant  cela,  ne  pleurait  plus  en  ma  présence,  mais  elle  pleurait  con- 
tinuellement avec  tous  ceux  qui  lui  en  parlaient  ;  ils  ne  manquaient  pas  de 
me  venir  dire  que  je  serais  la  cause  de  sa  mort,  si  je  la  quittais,  et  que  j'en 
répondrais  à  Dieu,  puisqu'elle  n'avait  personne  que  moi  pour  la  servir  et 
que  je  serais  aussi  bien  religieuse  après  sa  mort  que  pendant  sa  vie.  Un  de 
mes  frères  surtout,  qui  m'aimait  beaucoup,  fit  tous  ses  efforts  pour  me  dé- 
tourner de  mon  dessein,  m'offrant  une  partie  de  son  bien  pour  me  mieux 
loger  dans  le  monde,  mais  à  tout  cela  mon  cœur  était  devenu  insensible 
comme  un  rocher  ». 

Cette  fois  la  victoire  était  gagnée.  Tous  les  obstacles  n'étaient  pas  encore 
vaincus,  mais  le  plus  difficile  était  fait  et  la  paix  était  rentrée  dans  son 
âme.  A  peine  cette  lutte  était-elle  terminée  qu'il  s'en  présenta  une  autre 
d'un  genre  différent.  Un  de  ses  oncles  voulut  la  faire  entrer  chez  les  Ursu- 
lines.  Marguerite-Marie  sentait  que  Dieu  la  voulait  ailleurs.  Elle  avait  de 
l'attrait  pour  la  Visitation,  dont  on  ne  lui  parlait  pas.  Dieu  vint  à  son  se- 
cours. Elle  était  en  ce  moment  à  Mâcon  où  la  chose  allait  se  décider.  Elle 
apprend  tout  à  coup  la  maladie  de  sa  mère  et  de  son  frère.  Elle  part  en 
toute  hâte,  et  à  sa  vue  sa  mère  et  son  frère  reviennent  à  la  santé.  Cette 
crainte  de  la  mort  de  sa  mère,  si  elle  persistait  à  vouloir  se  séparer  d'elle, 
était  un  nouvel  obstacle  à  sa  vocation.  Cette  fois  encore  le  ciel  lui  vint  en 


426  17    OCTOBRE. 

aide.  Un  religieux  de  Saint-François  s'étant  arrêté  quelques  jours  à  Ve- 
rosvres,  Marguerite-Marie  lui  découvrit  son  intérieur,  et  ce  religieux  vint 
trouver  Chrysostome  Alacoque  pour  lui  déclarer  qu'il  répondrait  devant 
Dieu  de  la  vocation  de  sa  sœur.  Cette  fois  les  difficultés  disparurent,  et  il 
fut  décidé  que  Marguerite-Marie  serait  fille  de  Sainte-Marie  et  qu'elle  en- 
trerait à  Paray-le-Monial,  à  l'extrémité  du  Gharollais. 

A  vingt-quatre  ans,  elle  entrait  an  couvent  de  la  Visitation  de  Paray-Ie- 
Monial,  là  où  Dieu  la  voulait,  et  elle  le  sentit  en  franchissant  le  seuil  de  la 
maison.  Marguerite,  poussée  par  un  attrait  invincible,  avait  voulu  être  re- 
ligieuse à  Paray-le-Monial,  où  elle  ne  connaissait  personne,  parce  que  dans 
la  pensée  de  Dieu  elle  devait  être  l'une  des  plus  illustres  héritières  de  l'es- 
prit de  saint  François  de  Sales.  Ignorant  comme  tout  le  monde  les  grandes 
et  mystérieuses  conséquences  de  sa  vocation,  mais  guidée  par  une  main  in- 
visible, entre  toutes  les  familles  religieuses  elle  choisit  précisément  la  plus 
propre  à  seconder  la  mission  qu'elle  doit  recevoir  un  jour  de  propager  dans 
l'Eglise,  la  dévotion  du  Sacré-Cœur  de  Jésus,  et  d'en  faire  goûter  les  doux 
fruits  aux  fidèles.  Il  suffît,  en  effet,  d'ouvrir  les  œuvres  de  saint  François  de 
Sales,  pour  voir  que  tout  y  respire  l'amour  du  Sacré-Cœur  de  Jésus,  de  ce 
cœur  où  ce  grand  Saint  fait  sa  demeure  et  où  il  puise,  comme  à  leur  vraie 
source,  les  douces  ardeurs  de  son  zèle,  et  les  tendres  empressements  de  sa 
charité  envers  le  prochain.  Tout  était  préparé,  dans  cet  ordre  de  la  Visita- 
tion, pour  favoriser  la  mission -de  Marguerite-Marie.  Elle  allait  rencontrer 
des  âmes  accoutumées  à  reconnaître  le  doux  empire  du  cœur  de  Jésus,  il 
lui  était  réservé  de  faire  décerner  à  ce  cœur  un  culte  solennel  et  public  de 
réparation,  afin  de  le  dédommager  de  l'indifférence  et  du  mépris  des 
hommes,  par  qui  son  amour  est  si  cruellement  outragé.  C'est  là,  en  effet, 
toute  la  dévotion  au  Sacré-Cœur. 

Le  monastère  de  Paray-le-Monial,  où  venait  d'entrer  notre  Bienheureuse, 
avait  été  fondé  en  i626,  parle  P.  du  Barry,  jésuite,  à  la  suite  d'une  mission 
donnée  dans  cette  ville  infectée  des  erreurs  de  l'hérésie.  Il  y  avait  fait  beau- 
coup de  bien,  un  grand  nombre  d'âmes  étaient  revenues  à  la  vérité,  et  pour 
affermir  le  bien  produit,  le  zélé  religieux  avait  cru  devoir  fonder  un  cou- 
vent de  la  Visitation.  Il  fallut,  pour  y  parvenir,  vaincre  de  grands  obstacles  ; 
avec  de  la  persévérance  et  de  l'énergie,  ils  arrivèrent  à  être  tous  levés,  et 
la  première  personne  qui  y  entra,  fut  Mlle  Rosselin,  appartenant  à  l'une  des 
familles  les  plus  considérables  de  Paray-le-Monial.  Une  petite  colonie  était 
venue  de  Lyon  pour  occuper  une  maison  assez  incommode,  et  qu'on  avait 
tant  bien  que  mal  transformée  en  couvent.  Bientôt  une  jeune  fille  aussi  de 
Paray-le-Monial,  qui  appartenait  à  l'une  des  familles  les  plus  illustres  de  la 
ville,  et  se  nommait  Mlle  Thouvant,  suivit  son  exemple.  11  était  réservé 
à  ses  vieux  jours  de  voir  arriver  au  noviciat  Marguerite-Marie,  dont  elle 
dirigea  les  premiers  pas.  Elle  était  maîtresse  des  novices,  et  la  supérieure 
se  nommait  la  Mère  Jéronyme  Hersant,  professe  du  premier  monastère  de 
Paris,  elle  accomplissait  alors  sa  sixième  année  de  supériorité. 

En  entrant  au  noviciat,  la  Bienheureuse  s'estima  la  dernière  de  toutes 
et  se  soumit  avec  une  entière  simplicité  aux  moindres  observances.  Notre- 
Seigneur  lui  fit  goûter  toutes  les  douceurs  attachées  à  son  service  et  fut  lui- 
même  le  maître  qui  lui  apprit  à  faire  oraison.  La  Bienheureuse  avait  soif 
et  faim  et  désirait  vivement  être  initiée  à  cette  scieaace  sacrée.  Jésus-Christ, 
après  avoir  purifié  son  âme  de  toutes  les  taches  qu'elle  avait  contractées  par 
l'affection  des  créatures  et  l'amour  d'elle-même,  lui  inspira  un  désir  si 
ardent  .d'aimer  et  de  souffrir  qu'elle  perdit  le  xepos  et  ne  pouvait  plus 


LA  BIENHEUREUSE  MARGUERITE -MARIE  ALACOQUE,   RELIGIEUSE.  42'/ 

songer  à  autre  chose.  Cependant,  sachant  que  l'obéissance  vaut  mieux  que 
les  sacrifices,  elle  mit  sa  volonté  sous  le  joug  de  cette  vertu  si  agréable  à 
Dieu. 

Le  25  août  1671,  Marguerite-Marie  prenait  le  saint  habit.  «Ayant  passé», 
dit-elle  dans  ses  mémoires,  «  ayant  passé  mon  essai  avec  un  ardent  désir 
de  me  voir  à  Dieu  et  étant  revêtue  de  notre  saint  habit,  mon  divin  Maître 
me  fit  voir  que  c'était  le  temps  de  nos  fiançailles,  lesquelles  lui  donnaient 
un  nouvel  empire  sur  moi  et  m'imposaient  à  moi  un  double  engagement 
de  l'aimer  d'un  amour  de  préférence.  Après  quoi  il  me  fit  comprendre  qu'à 
la  façon  des  amants  les  plus  passionnés,  il  me  faisait  goûter  dans  ces  com- 
mencements ce  qu'il  y  avait  de  plus  doux  dans  la  suavité  de  son  amour  ». 
Sur  l'invitation  du  bon  Maître  elle  se  fit  une  solitude  dans  son  cœur  et  y 
passait  dans  de  doux  entretiens  tout  le  temps  dont  elle  disposait.  Elle 
goûtait  tant  de  suavité  dans  ces  entretiens  qu'elle  en  ressentait  une 
étrange  confusion,  craignant  qu'on  ne  découvrît  ce  qui  se  passait  en  elle. 

Ses  supérieurs  n'étaient  pas  sans  inquiétude  de  la  voir  dès  les  commen- 
cements engagée  dans  des  voies  si  extraordinaires.  On  voulut  l'éprouver 
pour  juger  de  son  obéissance,  et  on  lui  déclara  que  cette  façon  d'oraison 
convenait  peu  à  une  fille  de  Sainte-Marie,  et  que  si  elle  continuait  elle  ne 
serait  pas  admise  à  la  profession.  On  multiplia  les  épreuves,  mais  rien  n'y 
fit.  L'humble  postulante  avait  beau  faire,  elle  ne  pouvait  se  soustraire  à 
l'action  de  Dieu  qui  absorbait  toutes  les  puissances  de  son  âme.  Parfois, 
harcelée  en  mille  manières,  elle  poussait  vers  son  divin  Epoux  un  cri  de 
détresse.  «  Hélas!  »  lui  disait-elle,  «  venez  à  moi,  vous  êtes  la  cause  de  ma 
peine  ».  «  Reconnais», -lui  répondait-il,  «  que  tu  ne  peux  faire  le  bien  sans 
moi.  Je  ne  te  laisserai  point  manquer  de  secours,  pourvu  que  tu  tiennes 
toujours  ton  néant  et  ta  faiblesse  abîmés  dans  ma  force  ».  Elle  avait  cou- 
tume de  dire  que  plus  les  humiliations  sont  petites  en  apparence,  plus  elles 
sont  sensibles  à  la  nature.  Pendant  huit  ans  elle  s'efforça  de  vaincre  une 
répugnance  dont  elle  ne  put  triompher.  Chaque  fois  qu'elle  renouve- 
lait sa  tentative,  c'était  pour  elle  une  occasion  de  crises  et  de  souffrances 
inouïes. 

Enfin  elle  allait  être  admise  à  la  profession,  son  obéissance  à  la  fois  si 
simple  et  si  courageuse  devait  vaincre  toutes  les  défiances.  Pendant  la  re- 
traite qui  la  disposa  à  cette  action,  elle  reçut  de  si  grandes  grâces  de  Notre- 
Seigneur  que  jamais  elle  n'en  avait  senti  de  semblables.  Il  lui  inspira  sur- 
tout un  ardent  amour  de  la  Croix,  et  lui  fit  connaître  d'une  façon  merveil- 
leuse le  mystère  de  sa  Passion  et  de  sa  mort.  Il  lui  parla  souvent  pendant 
cette  retraite,  et  lui  dit  entre  autres  choses  :  «  Voici  la  place  de  mon  côté 
pour  y  faire  ta  demeure  actuelle  et  perpétuelle,  c'est  là  où  tu  pourras  con- 
server la  robe  d'innocence  dont  j'ai  revêtu  ton  âme.  Tu  vivras  désormais 
de  la  vie  d'un  Homme-Dieu,  tu  vivras  comme  ne  vivant  plus,  afin  que  je 
vive  parfaitement  en  toi.  Prends  garde  de  te  regarder  toi-même  hors  de 
moi».  Admise  à  la  profession  à  l'unanimité  des  voix,  elle  prononça  ses 
veux  solennels  le  6  novembre  1G72.  Jésus- Christ  lui  dit  alors  qu'elle  était 
devenue  son  épouse  et  il  inonda  son  âme  de  tous  les  délices  du  Thabor. 

Marie-Françoise  de  Saumaisu  était  alors  supérieure  ;  c'était  à  elle  que 
revenait  le  soin  de  diriger  Marguerite-Marie  dans  les  voies  de  la  perfection 
religieuse.  Ces  deux  âmes  se  com^  lient  et  s'aimèrent  d'une  affection  pro- 
fonde. Mais  plus  la  Mère  de  Saumaise  se  sentait  d'inclination  pour  Mar- 
guerite-Marie, plus  elle  avait  à  cœur  de  la  rassasier  du  poids  des  humilia- 
tions et  des  souffrances.  Elle  la  mit  d'abord  à  l'infirmerie  comme  aide  de  la 


428  l7  OCTOBRE. 

sœur  Catherine  Marest,  fille  forte  et  courageuse  et  d'humeur  à  exiger  autant 
des  autres  qu'elle  faisait  elle-même.  Elle  était  d'une  constitution  solide  et 
endurcie  à  la  fatigue.  Marguerite-Marie  eut  beaucoup  à  souffrir  sous  la  con- 
duite d'une  semblable  fille  ;  elle  fit  maladresse  sur  maladresse  et  en  fut  re- 
prise très-vertement  ;  elle  fit  des  chutes  à  se  briser,  son  ange  gardien  la  pré- 
serva, mais  elle  en  contracta  un  mal  de  tête  qui  lui  infligeait  souvent  des 
tortures  atroces.  Après  une  année  passée  à  l'infirmerie,  Marguerite-Marie 
changea  d'office  et  fut,  toujours  en  rang  subalterne,  chargée  de  veiller  sur 
les  quelques  pensionnaires  que  recevait  le  couvent.  Les  enfants,  avec  l'heu- 
reux instinct  de  leur  âge,  ne  tardèrent  pas  à  découvrir  le  trésor  qu'elles 
possédaient  et  s'attachèrent  à  leur  maîtresse.  Bientôt  ces  jeunes  filles  aux- 
quelles elle  parlait  de  Dieu,  chaque  fois  que  l'occasion  s'en  présentait,  d'une 
façon  charmante  et  profitable,  vénérèrent  leur  maîtresse  comme  une  Sainte 
et  gardèrent  comme  des  reliques  ce  qu'elles  recevaient  d'elle. 

Marguerite-Marie  occupa  successivement  divers  autres  emplois  dont  elle 
s'acquitta  toujours  avec  la  plus  grande  exactitude,  cherchant  sans  cesse 
dans  chacune  l'occasion  de  souffrir  et  de  s'humilier.  Tout  le  temps  que  la 
Bienheureuse  ne  consacrait  pas  à  l'oraison  était  employé  au  travail  des 
mains.  Les  fatigues  de  la  communauté  étaient  son  partage,  elle  avait  tou- 
jours le  talent  de  choisir  ce  qu'il  y  avait  de  plus  pénible.  «  Un  jour  »,  dit  le 
Père  Daniel,  un  de  ses  biographes,  «  un  jour  qu'elle  puisait  de  l'eau,  àl'aide 
d'une  manivelle,  le  sceau  qu'elle  venait  d'atteindre  lui  échappa  des  mains 
et  le  bras  de  fer  de  la  manivelle,  dans  sa  rotation  précipitée,  l'atteignit  en 
plein  visage.  Elle  tomba  à  la  renverse,  ayant  les  dents  fracassées  et  un  mor- 
ceau de  la  gencive  sortit  de  la  bouche  avec  le  sang.  Aussi  calme  qu'avant 
sa  chute,  elle  se  releva  et  présentant  ses  ciseaux  à  des  pensionnaires  qui 
passaient  par  là,  elle  les  pria  de  couper  ce  lambeau  de  chair.  Mais  ces 
pauvres  enfants  s'enfuirent  épouvantées.  Que  fait  la  Bienheureuse  ?  Elle 
prend  elle-même  ses  ciseaux,  et  d'une  main  ferme,  elle  taille  en  plein  dans 
le  vif  sans  plus  de  façon  que  s'il  se  fût  agi  de  détacher  un  morceau  de 
son  voile. 

Elle  fut  pendant  toute  sa  vie  tourmentée  d'une  soif  insupportable  :  ce 
fut  pour  elle  une  raison  d'éloigner  de  ses  lèvres  tout  breuvage  rafraîchis- 
sant. Elle  resta  une  fois  cinquante  jours  de  suite  sans  boire,  et  souvent  elle 
s'imposait  le  même  sacrifice.  Notre-Seigneur  se  montrait  souvent  à  elle  et 
l'encourageait,  mais  il  ne  manquait  jamais  de  lui  témoigner  son  déplaisir 
pour  peu  qu'elle  s'écartât  de  l'esprit  de  l'obéissance. 

L'année  qui  suivit  sa  profession,  elle  reçut  du  Sauveur  de  nouveaux 
gages  d'amour;  il  lui  fit  part  de  sa  vie  crucifiée.  Un  jour  qu'elle  allait  à  la 
communion,  Notre-Seigneur  lui  posa  une  couronne  sur  la  tête,  en  disant  : 
«  Ma  fille,  reçois  cette  couronne  en  signe  de  celle  qui  te  sera  donnée  par 
conformité  avec  moi  ».  En  effet,  bientôt  ses  douleurs  de  tête  redoublèrent, 
il  lui  semblait  qu'elle  était  transpercée  de  pointes  acérées,  et  elle  éprou- 
vait des  élancements  qui  redoublaient  quand  elle  essayait  de  s'appuyer. 
Elle  souffrait  le  jour  et  la  nuit,  et  se  réjouissait  de  ses  souffrances  dont  elle 
ne  savait  comment  remercier  son  Sauveur.  En  même  temps,  les  répugnances 
de  la  nature  pour  une  foule  de  choses  allaient,  en  elle,  toujours  croissant. 
Bien  souvent  Notre-Seigneur  lui  présentait  sa  croix.  «  Porter  ma  croix  en 
ton  cœur  »,  lui  disait-il,  «  c'est  être  crucifiée  en  toutes  choses;  la  porter 
entre  tes  bras,  c'est  embrasser  amoureusement  toutes  les  croix  qui  se  pré- 
sentent comme  le  plus  précieux  gage  de  mon  amour  que  je  puisse  te  don- 
ner en  cette  vie  ».  Notre-Seigneur  relevait  peu  à  peu  à  la  plus  sublime  ab- 


LA  BIENHEUREUSE   MARGUERITE -MARIE   ALACOQUE,   RELIGIEUSE.  429 

négation,  jusqu'à  ce  qu'enfin  il  l'invita  à  renoncer  librement  à  toutes  les 
consolations  de  l'exil  pour  embrasser  sans  réserve  la  vie  crucifiée.  Elle  ac- 
cepta et  se  trouva  tellement  changée,  eu  égard  à  ses  dispositions  anté- 
rieures, qu'elle  ne  se  reconnaissait  plus. 

Peu  de  temps  après,  Notre-Seigneur  l'initiait  aux  mystères  de  sa  dou- 
loureuse agonie  et  à  la  passion  de  son  divin  cœur.  Dès  lors,  la  sainteté  de 
Dieu  rapprochée  de  sa  propre  misère  et  de  celle  des  âmes  pécheresses,  lui 
devint  un  continuel  et  amer  supplice.  Elle  entra  dans  ce  redoutable  purga- 
toire de  l'âme  où  l'on  sent  la  vérité  de  ces  paroles  de  l'Apôtre  :  «  Notre 
Dieu  est  un  feu  qui  consume  ».  Tantôt  elle  endurait  ce  tourment  pour  les 
âmes  du  purgatoire,  et  tantôt  pour  les  pécheurs.  Elle  avait  aussi  sa  part 
des  souffrances  divines.  Son  Maître  voulait  qu'elle  n'eût  plus  de  volonté  et 
qu'elle  le  laissât  vouloir  pour  elle  en  tout  et  partout. 

Ce  fut  vers  la  même  époque  qu'elle  reçut  le  premier  enseignement  de 
l'Heure  sainte.  Chaque  semaine,  dans  la  nuit  du  jeudi  au  vendredi,  elle  de- 
vait se  lever  pour  réciter  cinq  Pater  et  cinq  Ave  Maria,  prosternée  contre 
terre,  avec  cinq  actes  d'adoration  que  Notre-Seigneur  lui  avait  appris,  pour 
lui  rendre  hommage  dans  l'extrême  angoisse  qu'il  souffrit  dans  la  nuit  de 
sa  Passion.  Cette  pieuse  pratique  fut  longtemps  combattue  par  les  supé- 
rieurs de  Marguerite-Marie;  mais  le  Sauveur  l'a  fait  triompher,  et  aujour- 
d'hui elle  fleurit  dans  l'Eglise  entière.  Elle  a  donné  naissance  à  une  archi- 
confrérie,  dont  le  siège  est  à  Paray-le-Monial,  et  que  le  pape  Grégoire  XVI 
a  dotée  de  précieuses  indulgences. 

Marguerite-Marie  so'uffrait  étrangement  de  toutes  les  communications 
du  Sauveur,  auxquelles.il  lui  était  ordonné  de  se  soustraire.  Jusqu'ici  elle 
n'avait  été  que  le  jouet  de  l'amour  divin,  elle  allait  en  devenir  l'instrument 
docile.  Il  lui  coûtera  douze  années  de  luttes  pour  établir  dans  son  propre 
monastère  la  dévotion  au  Sacré-Cœur  de  Jésus.  Dans  ces  luttes  elle  montra 
des  vertus  héroïques,  et  un  immense  amour. 

Jusqu'ici  toutes  les  faveurs  dont  Marguerite-Marie  avait  été  comblée 
avaient  été  pour  sa  consolation  et  son  instruction.  Elles  étaient  des  mani- 
festations du  cœur  de  Jésus,  mais  où  n'apparaissait  pas  encore  le  grand 
dessein  qui  devait  s'accomplir  par  son  moyen.  Ce  dessein  lui  fut  enfin  ré- 
vélé en  l'année  1674.  Un  jour  donc  qu'elle  était  prosternée  devant  le  Saint- 
Sacrement,  elle  se  trouva  tout  à  coup  investie  de  la  présence  de  Dieu,  et 
laissa  aller  son  cœur  à  toutes  les  ardeurs  de  l'amour.  Jésus  lui  ayant  fait 
longtemps  reposer  son  cœur  sur  sa  poitrine,  lui  découvrit  les  merveilles  de 
son  amour,  et  les  secrets  de  son  divin  cœur.  Voici  les  paroles  que  le  Sau- 
veur lui  adressa  :  «  Mon  divin  cœur  est  si  rempli  d'amour  pour  les  hommes 
et  pour  toi  en  particulier,  que  ne  pouvant  plus  contenir  en  lui-même  les 
flammes  de  son  ardente  charité,  il  faut  qu'il  les  répande  par  ton  moyen,  et 
qu'il  se  manifeste  à  eux  pour  les  enrichir  des  trésors  qu'il  renferme.  Je  te 
découvre  le  prix  de  ces  trésors.  Ils  contiennent  les  grâces  de  sanctification 
et  de  salut,  nécessaires  pour  les  tirer  de  l'abîme  de  perdition.  Je  t'ai  choi- 
sie nonobstant  ton  indignité  et  ton  ignorance,  pour  l'accomplissement  de 
ce  grand  dessein,  afin  qu'il  paraisse  mieux  que  tout  soit  fait  par  moi».  Puis 
lui  prenant  son  cœur  pour  le  mettre  dans  le  sien,  elle  le  vit  comme  un 
atome  consumé  dans  une  fournaise  ardente,  et  il  lui  fut  rendu  tout  em- 
brasé. Chaque  vendredi,  le  divin  Sauveur  lui  accordait  des  faveurs  sem- 
blables. Alors,  le  Sacré-Cœur  lui  apparaissait  comme  un  soleil  éclatant, 
dont  les  rayons  tombaient  sur  son  cœur  embrasé  d'un  feu  si  vif  qu'il  sem- 
blait prêt  à  se  réduire  en  cendres. 


430  17   OCTOBRE. 

Il  fallait  parler  de  ces  extases  à  la  Mère  de  Saumaise.  Cela  lui  coûtait 
énormément.  Elle  le  fit  cependant,  et  fut  traitée  de  visionnaire.  Cependant, 
Marguerite-Marie  éprouvait  au  cœur  une  oppression  qui  allant  toujours 
croissant,  finit  par  faire  craindre  pour  ses  jours.  Les  médecins  furent  man- 
dés, elle  déclara  qu'il  fallait  la  saigner;  les  médecins  se  moquèrent  d'elle 
et  le  mal  alla  empirant  jusqu'à  ce  qu'enfin,  comme  dernière  ressource,  on 
fit  ce  qu'elle  demandait,  et  elle  fut  immédiatement  soulagée.  Ses  souffrances 
revenaient  souvent,  et  chaque  fois  on  était  obligé  d'en  venir  au  même  re- 
mède. Les  sœurs  qui  ne  comprenaient  rien  à  son  mal,  ne  pouvaient  lui 
pardonner  ce  qu'elles  regardaient  comme  une  pure  bizarrerie  de  sa  part. 

Destinée  par  le  divin  Sauveur  à  être  l'instrument  de  sa  miséricorde  et 
de  son  amour,  Marguerite-Marie  ne  savait  pas  encore  de  quelle  manière 
elle  devait  y  concourir.  Le  divin  Maître  le  lui  apprit  enfin.  Il  lui  apparut  de 
nouveau  avec  ses  cinq  plaies  brillantes  comme  des  soleils.  Des  torrents  de 
flammes  sortaient  de  son  divin  cœur.  Il  fit  connaître  à  Marguerite-Marie  les 
merveilles  inexprimables  de  son  amour,  l'excès  où  il  avait  porté  cet  amour 
envers  les  hommes,  dont  l'ingratitude  lui  avait  été  plus  sensible  que  toutes 
les  autres  douleurs  de  sa  Passion.  «  S'ils  usaient  de  retour  à  mon  égard, 
tout  ce  que  j'ai  fait  pour  eux  paraîtrait  peu  de  chose  à  mon  amour,  mais 
ils  n'ont  pour  moi  que  de  la  froideur  et  ils  ne  répondent  à  mes  empresse- 
ments que  par  des  rebuts.  Toi,  au  moins,  donne-moi  cette  satisfaction  de 
suppléer  à  leur  ingratitude  autant  que  tu  le  pourras  ».  Ensuite  il  lui  expli- 
qua ce  qu'il  lui  demandait  pour  préparer  ses  desseins.  C'était  de  commu- 
nier aussi  souvent  que  l'obéissance  le  lui  permettrait;  de  communier  le 
premier  vendredi  de  chaque  mois.  Il  lui  annonça  que  chaque  semaine,  dans 
la  nuit  du  jeudi  au  vendredi,  il  la  ferait  participer  à  la  mortelle  tristesse 
qu'il  avait  ressentie  au  jardin  des  oliviers;  il  lui  demanda  de  se  lever  entre 
onze  heures  et  minuit  et  de  rester  prosternée  pendant  une  heure  la  face 
contre  terre;  il  lui  recommanda  de  se  défier  du  démon  qui  cherchait  à  la 
tromper  et  de  n'écouter  que  l'obéissance.  Elle  sortit  de  cette  vision  anéan- 
tie. Le  feu  qui  la  dévorait  lui  donna  une  fièvre  brûlante  dont  elle  eut  plus 
de  soixante  accès  qui  firent  désespérer  de  sa  vie.  Dans  une  défaillance,  les 
trois  personnes  divines  lui  apparurent;  le  Père  lui  plaça  sur  les  épaules  une 
lourde  croix  hérissée  d'épines,  le  Fils  lui  annonça  qu'il  l'attacherait  à  cette 
croix,  et  le  Saint-Esprit  qu'il  la  consumerait  de  son  amour  en  la  purifiant. 

La  Mère  de  Saumaise  hésitait  toujours  à  se  prononcer.  Elle  voulait  des 
preuves  convaincantes.  Elle  commanda  à  Marguerite-Marie  de  demander 
sa  guérison  ;  elle  reconnaîtrait,  si  elle  l'obtenait,  qu'elle  était  sous  l'in- 
fluence de  l'Esprit  de  Dieu.  Marguerite-Marie  obéit  et  fut  instantanément 
guérie.  La  Mère  de  Saumaise  ne  s'en  tint  pas  là.  Elle  la  soumit  à  des  direc- 
teurs peu  éclairés  qui  ne  virent  en  elle  qu'un  cerveau  malade,  un  esprit 
abusé  et  mélancolique  et  qui  lui  ordonnèrent  de  chasser  tous  ces  fantômes 
de  son  imagination.  Ce  fut  pour  elle  une  rude  épreuve  à  laquelle  elle  ne 
voyait  pas  d'issue,  quand  Notre-Seigneur  lui  apparut  et  lui  dit  :  «  Sois  tran- 
quille, je  t'enverrai  mon  serviteur  ». 

Cette  année,  1674,  le  Père  de  la  Colombière  arrivait  à  Paray-le-Monial. 
C'était  un  saint  religieux  plein  de  zèle  et  de  piété  et  il  était  ce  serviteur 
dont  le  divin  Sauveur  avait  parlé  à  la  Bienheureuse.  Elle  le  comprit  par 
intuition  la  première  fois  qu'elle  le  vit,  et  sur  l'ordre  de  la  Mère  de  Sau- 
maise elle  s'ouvrit  entièrement  à  lui,  et  le  Père  de  la  Colombière  reconnut 
les  voies  de  Dieu  et  engagea  Marguerite-Marie  à  se  livrer  à  ces  attraits  sur- 
naturels. La  fête  de  Noël  étant  arrivée,  la  Bienheureuse  eut  une  nouvelle 


LA  BIENHEUREUSE  MARGUERITE -MA  RIE  ALA'IOJUE,   RELIGIEUSE.  431 

extase.  Le  Sauveur  lui  découvrait  successivement  ses  desseins.  Le  divin 
Cœur  lui  apparut  cette  fois  comme  un  trône  tout  de  feu  et  de  flammes, 
rayonnant  de  toutes  parts  et  transparent  comme  un  cristal.  La  plaie  qu'il 
reçut  sur  la  croix  y  paraissait  visiblement.  Il  y  avait  une  coironne  d'épines 
autour  de  ce  Sacré-Cœur  et  une  croix  au  dessus  pour  faiie  entendre  que 
son  amour  était  la  source  de  ses  souffrances.  Il  dit  à  la  Bienheureuse  que  le 
grand  désir  qu'il  avait  d'être  parfaitement  ami  des  hommes  lui  avait  fait 
former  le  dessein  de  leur  manifester  son  cœur  et  qu'il  prendrait  un  singu- 
lier plaisir  d'être  honoré  sous  la  figure  de  ce  cœur  de  chair  dont  il  voulait 
que  l'image  fût  exposée  aux  regards  afin  de  toucher  les  cœurs  insensibles. 
«  Voilà,  ma  fille  »,  ajouta-t-il,  «  le  but  pour  lequel  je  t'ai  accordé  de  si 
grandes  grâces  ».  Dans  une  autre  extase,  le  jour  de  la  fête  du  Sacré-Cœur 
de  Marie,  établie  depuis  peu,  le  divin  Sauveur  lui  révéla  qu'il  avait  choisi 
le  Père  de  la  Colombière  pour  l'aider,  et  un  des  jours  de  l'octave  du  Saint- 
Sacrement  il  finit  par  lui  découvrir  complètement  ce  qu'il  voulait  d'elle. 
Lui  montrant  son  cœur:  <r  Voilà»,  dit-il,  «  ce  cœur  qui  a  tant  aimé  les 
hommes,  qu'il  n'a  rien  épargné  jusqu'à  s'épuiser  et  se  consumer  pour  leur 
témoigner  son  amour  ;  et  en  reconnaissance,  je  ne  reçois  de  la  plupart 
que  des  ingratitudes  ;  car  ils  ne  cessent  de  m'outrager  par  leurs  irrévé- 
rences et  leur  ingratitude,  et  par  les  froideurs  et  les  mépris  qu'ils  ont  pour 
moi  dans  ce  sacrement  d'amour.  Mais  ce  qui  m'est  encore  plus  sensible, 
c'est  que  ce  sont  des  cœurs  qui  me  sont  consacrés  qui  en  usent  ainsi.  C'est 
pour  cela  que  je  te  demande  que  le  premier  vendredi  d'après  l'octave  du 
Saint-Sacrement  soit  dédié  à  une  fête  particulière  pour  honorer  mon  Cœur, 
en  communiant  ce  jour-là,  et  en  lui  faisant  amende  honorable  afin  de  ré- 
parer les  indignités  qu'il  a  reçues  pendant  le  temps  qu'il  a  été  exposé  sur 
les  autels.  Je  te  promets  aussi  que  mon  Cœur  se  dilatera  pour  répandre 
avec  abondance  les  influences  de  son  divin  amour  sur  ceux  qui  lui  rendront 
cet  honneur  et  qui  procureront  qu'il  lui  soit  rendu  ». 

Le  Père  de  la  Colombière,  averti  de  ce  qui  s'était  passé  et  du  rôle  qui 
lui  était  assigné  dans  les  desseins  de  Dieu,  fit  dès  ce  moment  sa  plus  douce 
occupation  de  faire  connaître  et  aimer  le  cœur  de  Jésus.  II  semblait  que 
les  obstacles  allaient  disparaître  ;  mais  par  un  secret  dessein  de  Dieu,  il  en 
fut  tout  autrement.  Son  crédit,  dès  lors,  baissa  dans  le  monastère,  et  il 
reçut  de  ses  supérieurs  l'ordre  de  partir  pour  l'Angleterre. 

Dans  cette  contrée,  le  saint  religieux,  dont  nous  n'avons  pas  à  raconter 
les  actions,  eut  de  rudes  épreuves  à  subir  ;  il  fut  soutenu  par  les  lumières 
de  la  Bienheureuse  et  établit  dans  cette  contrée  la  dévotion  du  Sacré-Cœur. 
Pendant  ce  temps,  Marguerite-Marie  devenait  une  victime  :  Notre-Seigneur 
n'était  pas  content  de  la  communauté  où  elle  vivait  et  c'est  elle  qui  fut 
choisie  par  le  divin  Sauveur  pour  arrêter  sa  justice.  Elle  eut  à  endurer  des 
souffrances  inouïes.  Sa  santé  enîsouffrit  de  cruelles  atteintes  ;  son  estomac 
ne  pouvait  plus  supporter  aucune  nourriture  et  on  lui  donna  l'ordre  de 
manger  de  tout  ce  qui  serait  servi.  Enfin,  la  Mère  Saumaise  lui  ordonna  de 
demander  dans  sa  communion  d'être  rétablie  dans  son  état  primitif.  Elle 
l'obtint,  mais  ce  fut  pour  endurer  de  nouvelles  souffrances. 

On  était  en  1678,  et  il  fallait  pourvoir,  d'après  les  règles  de  la  Visitation, 
au  remplacement  de  la  Mère  de  Saumaise.  Les  religieuses  choisirent  la 
Mère  Péronne-Rosalie  Greyfié,  de  la  maison  d'Annecy.  Quand  elle  fut  arri- 
vée à  Paray,  le  17  juin  1678,  on  trouva  en  elle  un  esprit  solide,  un  cœur 
plein  de  tendresse  pour  toutes  ses  filles  et  une  vigilance  clairvoyante  sur 
les  sœurs  et  les  malades.  Elle  était  fort  éclairée  et  fort  intérieure  dans  la 


432  W   OCTOBHE. 

conduite  des  âmes.  Elle  eut  bien  vite  compris  les  secrets  de  la  miséricorde 
divine  sur  la  bienheureuse  Marguerite-Marie.  Jésus-Christ  la  comblait  de 
plus  en  plus  de  douceurs  ineffables,  la  récompensant  par  là  de  toutes  les 
humiliations  qui  lui  venaient  de  l'extérieur  et  la  préparant  aux  grands 
combats  qui  lui  restaient  à  soutenir  pour  l'exaltation  du  Sacré-Cœur. 

Cependant  le  Père  de  la  Colombiers  était  revenu  d'Angleterre,  où  il 
avait  eu  fort  à  souffrir,  compromis  qu'il  avait  été  dans  un  prétendu  com- 
plot papiste  qui  avait  amené  une  condamnation  de  mort,  pour  cinq  de  ses 
confrères.  Il  vint  en  passant  à  Paray-le-Monial,  visiter  la  bienheureuse 
Marguerite-Marie,  ce  qui  fut  pour  elle  une  nouvelle  occasion  d'humilia- 
tions. Il  fut  appelé  à  Lyon  par  ses  supérieurs,  et  il  écrivit  à  Marguerite- 
Marie,  à  de  rares  occasions  et  toujours  pour  des  sujets  qui  avaient  trait  à 
la  gloire  de  Dieu  et  au  bien  des  âmes.  Peu  de  temps  après,  ce  généreux 
missionnaire  revint  à  Paray-le-Monial  pour  y  mourir.  Les  fatigues  l'avaient 
usé,  et  la  Bienheureuse  lui  avait  dit  que  Dieu  voulait  le  sacrifice  de  sa  vie. 

Les  épreuves  de  la  Bienheureuse  n'étaient  pas  terminées,  a  Je  te  veux 
être  toute  chose  »,  lui  avait  dit  Notre-Seigneur,  a  je  serai  ta  joie  et  ta  con- 
solation, mais  aussi  ton  supplice».  En  conséquence,  il  laissa  appesantir 
sur  elle  sa  sainteté  de  justice  et  sa  sainteté  d'amour,  et  elle  avoua  que  sans 
un  secours  extraordinaire  du  ciel,  elle  eût  été  bientôt  accablée.  Elle  éprou- 
vait la  sainteté  d'amour  en  faveur  des  âmes  du  purgatoire,  et  la  sainteté  de 
justice  toutes  les  fois  qu'il  y  avait  quelques  âmes  à  sauver,  un  scandale  a. 
expier,  un  malheur  à  conjurer,  une  victoire  à  obtenir  pour  Jésus-Christ. 
Ce  fut  surtout  pendant  les  années  qui  s'écoulèrent  avant  le  triomphe  com- 
plet du  Sacré-Cœur  qu'elle  éprouva  ces  mystérieuses  souffrances.  Le-  car- 
naval lui  apportait  toujours  un  redoublement  d'angoisses.  Le  démon, 
comme  on  doit  bien  le  penser,  ne  l'épargnait  pas  et  la  poursuivait  de  ten- 
tations continuelles.  Elle  était  souvent  obsédée  d'une  abominable  tentation 
de  gourmandise,  et  quand  elle  entrait  au  réfectoire,  le  dégoût  faisait  place 
à  la  tentation,  et  elle  ne  pouvait  manger.  Elle  était  aussi  tentée  de  vaine 
gloire,  et  plus  souvent,  de  désespoir.  Satan,  ne  pouvant  la  vaincre,  lui  ap- 
paraissait sous  des  formes  épouvantables  :«  Maudite  que  tu  es,  je  te  poursui- 
vrai partout  »,  lui  disait-il,  «  et  t'attraperai  ».  Avec  le  signe  de  la  croix  elle 
se  débarrassait  de  lui. 

Quand  le  second  triennat  de  la  Mère  Greyfié  fut  expiré,  on  lui  donna 
pour  remplaçante  Marie-Christine  Melin  de  Paray;  la  Bienheureuse  fut 
nommée  assistante  et  quelque  temps  après  maîtresse  des  novices.  Elle  de- 
vait dans  cette  charge,  selon  les  desseins  de  Dieu,  exercer  un  véritable 
apostolat  et  travailler  à  conquérir  au  Cœur  de  Jésus  les  cœurs  des  jeunes 
filles  qui  se  préparaient  à  entrer  dans  l'Ordre.  Pendant  ce  temps,  les  fami- 
liarités divines  de  Jésus  avec  sa  servante  se  renouvelaient  continuellement 
et  lui  donnaient  des  forces  pour  remplir  sa  mission. 

Marguerite-Marie  montra  une  grande  habileté  dans  l'emploi  qui  lui 
était  confié,  maniant  différemment  les  cœurs  des  novices  selon  la  diversité 
de  leur  esprit,  afin  de  les  former  toutes  au  bon  plaisir  de  Celui  au  service 
duquel  elles  sont  consacrées.  Elle  était  aidée  de  lumières  extraordinaires 
qui  lui  manifestaient  les  secrets  des  cœurs.  Elle  avait  avec  les  novices  des 
avances  cordiales  et  irrésistibles  qui  finissaient  toujours  par  lui  gagner  leur 
pleine  confiance.  Elle  se  montra  une  digne  fille  de  saint  François  de  Sales 
dont  elle  eut  toujours  la  discrétion  et  la  suavité.  Sans  cesse  elle  leur  par- 
lait du  Sacré-Cœur  et  cherchait  à  leur  en  inspirer  la  dévotion.  Les  novices 
l'aimaient  et  cherchaient  à  lui  faire  plaisir.  Cette  année,  la  fête  de  Sainte- 


LA  BIENHEUREUSE  MARGUERITE -MARIE  ALACOQUE,   RELIGIEUSE.  433 

Marguerite  tombait  un  vendredi  ;  pour  la  fêter,  elles  s'arrangèrent  de  façon 
à  rendre,  ce  jour-là,  les  premiers  hommages  au  Sacré-Cœur.  Tout  fut  simple 
dans  cette  fête  de  famille.  On  improvisa  un  autel  que  l'on  orna  de  fleurs, 
et  avec  une  plume  et  de  l'encre  une  main  inhabile  traça  sur  le  papier  la 
figure  d'un  cœur  enflammé  surmonté  d'une  croix  et  entouré  d'une  cou- 
ronne d'épines,  et  au  milieu  de  ce  cœur,  elle  écrivit  le  mot  charité. 

Marguerite  se  consacra,  elle  et  ses  novices,  au  Sacré-Cœur.  Quelques 
professes  invitées  à  prendre  part  à  cette  fête  s'y  refusèrent.  Jésus  consola  la 
Bienheureuse  de  ce  refus  en  lui  faisant  voir  que  le  trésor  sacré  de  son  Cœur 
serait  manifesté  à  tout  l'Ordre  de  la  Visitation,  et  par  son  moyen,  au  monde 
entier. 

Une  persécution  nouvelle  et  amère  lui  fut  suscitée  par  le  refus  qu'elle 
fit  de  sanctionner,  par  son  suffrage,  la  vocation  d'une  jeune  fille  dans  la- 
quelle elle  ne  reconnaissait  pas  les  marques  de  l'Esprit  de  Dieu.  La  famille 
reprit  la  jeune  fille.  Elle  était  puissante,  et  le  père  crut  ne  devoir  garder 
aucun  ménagement  avec  une  communauté  coupable  à  ses  yeux  d'accorder 
une  pleine  confiance  à  une  fille  qu'il  regardait  comme  une  folle  et  une 
visionnaire. Les  plaintes  eurent  de  l'écho,  on  demandait  la  déposition  delà 
maîtresse  des  novices,  en  menaçant  de  recourir  à  l'autorité  épiscopale. 
Néanmoins  Marguerite-Marie  resta  dans  sa  charge,  et  la  persécution  ne  se 
ralentit  point.  Elle  eut  grandement  à  souffrir  ;  mais  ce  qui  lui  fut  surtout 
sensible,  et  ce  fut  la  dernière  épreuve  de  cette  nature,  c'est  qu'on  la  priva 
de  la  communion  du  premier  vendredi  du  mois.  Dieu  le  permettait  ainsi 
pour  faire  comprendre  à  la  supérieure  et  à  la  Bienheureuse  que  toutes  deux 
ne  pouvaient  rien,  n'étaient  que  des  instruments  de  sa  volonté  et  qu'il  fal- 
lait l'écouter  sous  peine  de  lui  déplaire.  La  Mère  Melin  fut  sur  le  point 
d'être  punie,  pour  sa  défense,  aussi  sévèrement  que  l'avait  été  la  Mère 
Greyfié  par  la  mort  de  la  sœur  Quarré.  Une  novice  de  grande  espérance, 
sœur  Rosalie  Verchère,  tomba  tout  à  coup  dangereusement  malade  et  ne 
fut  rappelée  des  portes  du  tombeau  que  quand  la  supérieure  eut  permis  à 
la  Bienheureuse  de  reprendre  sa  communion  du  premier  vendredi  de 
chaque  mois. 

Cependant  les  persécutions  continuaient,  et  Marguerite-Marie  était  sous 
le  coup  de  perpétuelles  menaces.  Dieu  lui  envoya  le  Père  Ignace  Rolin, 
jésuite,  pour  l'aider  à  gravir  les  derniers  degrés  qui  devaient  aboutir  à  la 
paix  souveraine.  Il  fut  nommé  à  cette  époque  supérieur  à  la  résidence  de 
Paray.  Il  s'était,  malgré  son  éminente  piélé,  laissé  surprendre,  mais  ses 
préventions  tombèrent  vite  quand  il  eut  vu  la  Bienheureuse  ;  il  reconnut 
les  mystérieuses  opérations  de  Dieu  en  elle,  et  l'aida  de  tout  son  pouvoir. 
Ce  fut  sur  son  ordre  que  la  Bienheureuse  écrivit  ses  Mémoires  qui  la  font  si 
bien  connaître  et  où  l'on  ne  peut  mieux  faire  que  de  puiser  pour  redire  sa 
vie.  Le  démon  en  même  temps  redoublait  ses  efforts  contre  Marguerite- 
Marie.  La  communauté  en  fut  plus  d'une  fois  témoin.  Elle  faisait  par  la 
maison  des  chutes  étranges  et  sans  causes  apparentes.  Sa  chaise  plusieurs  fois 
lui  fut  enlevée  de  dessous  elle,  et  elle  tomba  violemment  à  la  renverse. 
Comme  on  la  questionnait,  elle  se  contenta  de  sourire  et  de  se  rasseoir  en 
silence.  Plein  de  rage  et  de  dépit  de  se  voir  toujours  vaincu,  un  jour,  son 
ennemi  enveloppa  l'église  du  couvent  dans  un  si  violent  tourbillon  que  l'on 
crut  un  instant  qu'elle  serait  renversée  de  fond  en  comble.  Les  visites  du 
bon  Maître  étaient,  en  récompense,  aussi  fréquentes  ;  il  se  plaignait  à  elle 
du  relâchement  qui  s'était  introduit  dans  plusieurs  maisons  de  la  Visitation. 
Les  manquements  qui  attiraient  sa  colère  étaient  le  déguisement  des  fautes 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  28 


434  17    OCTOBRE. 

au  confessionnal  ;  la  recherche  de  sa  propre  gloire,  et  non  celle  de  Dieu  et 
la  curiosité.  Heureusement  la  plupart  des  maisons  embrassèrent  la  dévotion 
du  Sacré-Cœur  et  écartèrent  d'elles  par  là  la  vengeance  divine. 

Si  Ton  n'eût  jugé  que  sur  les  apparences,  on  n'eût  pas  cru  prochain  le 
triomphe  du  Sacré-Cœur  *,  et  cependant  on  y  touchait.  Déjà  la  Mère  Sau- 
maise  à  Dijon,  et  la  Mère  Greyfié  à  Semur  avaient  établi  et  propagé  la  dévo- 
tion au  Sacré-Cœur  dans  leur  couvent  avant  que  celte  dévotion  fût  adoptée 
à  Paray-le-Monial.  La  Mère  Greyfié  venait  d'envoyer  à  la  Bienheureuse  des 
images  pour  toute  sa  communauté,  et  de  plus  une  jolie  miniature  représen- 
tant le  tableau  qu'elle  devait  suspendre  à  son  autel  du  Sacré-Cœur.  Enfin 
l'heure  des  bénédictions  sonna  aussi  pour  Paray-le-Monial.  Par  une  secrète 
puissance  de  la  grâce  un  changement  s'est  opéré  dans  les  cœurs,  et  les  plus 
opposées  jusque-là  à  la  dévotion  du  Sacré-Cœur  sont  les  premières  à  favo- 
riser cette  dévotion, 

La  sœur  des  Escures,  la  plus  intraitable  à  propos  du  Sacré-Cœur,  de- 
manda elle-même  à  Marguerite-Marie  l'image  que  la  Mère  Greyfié  lui  avait 
envoyée,  et  l'exposa  elle-même  le  vendredi  de  l'octave  du  Saint-Sacrement 
sur  un  petit  autel  fait  exprès  et  orné  de  fleurs. 

Toute  la  communauté  reconnut  l'empire  de  ce  cœur,  et  il  fut  résolu  que 
l'on  ferait  peindre  un  tableau  destiné  à  le  représenter,  et  bâtir  une  chapelle 
qui  lui  serait  consacrée.  Le  cœur  de  la  Bienheureuse  était  inondé  de  la  plus 
pure  joie,  et  c'est  alors  qu'elle  apparût  dans  toute  sa  grandeur  et  dans  la 
pleine  maturité  de  ses  héroïques  vertus.  C'est  à  cette  époque  qu'après  avoir 
consulté  le  Père  Rolin,  éloigné  de  la  communauté,  par  ordre  de  ses  supé- 
rieurs, elle  fit  le  vœu  d'accomplir  toujours  ce  qu'elle  croirait  le  plus  parfait. 

Cependant,  la  chapelle  destinée  au  Sacré-Cœur,  que  l'on  élevait  au  fond 
du  jardin,  était  debout,  ornée  de  tout  ce  qu'une  ingénieuse  piété  avait  pu 
déployer  de  pompe  et  de  magnificence.  La  dédicace  se  fit  le  7  septembre 
4688.  La  cérémonie  dura  deux  heures  entières,  et  la  foule  s'y  porta  em- 
pressée et  nombreuse.  Désormais  c'était  une  victoire  remportée,  le  Sacré- 
Cœur  avait  vaincu. 

La  réputation  de  sainteté  de  la  Bienheureuse  se*  répandit  rapidement 
partout  et  tous  les  regards  étaient  fixés  sur  elle.  Cela  faisait  grandement 
souffrir  son  humilité,  mais  il  fallait  se  résigner  à  une  célébrité  qui  était  pour 
elle  un  vrai  supplice. 

Elle  trouvait  qu'elle  n'avait  plus  rien  à  faire  ici-bas,  du  moment  qu'elle 
n'avait  plus  à  souffrir,  et  elle  fit  savoir  plusieurs  fois  que  sa  mort  était 
proche  ;  c'était  en  1600.  Elle  annonça  qu'elle  mourrait  cette  année  et,  en 
eflet,  dans  l'automne,  elle  fut  saisie  d'un  léger  accès  de  fièvre  qui  excita 
l'inquiétude  autour  d'elle.  C'était  l'époque  de  la  retraite,  et  une  sœur  lui 
ayant  demandé  si  elle  croyait  pouvoir  entrer  en  retraite  :  «  Oui  »,  répondit- 
elle,  «  mais  dans  la  grande  retraite  ».  Quoique  le  mai  allât  en  empirant, 
les  médecins  avaient  assuré  qu'elle  n'en  mourrait  pas,  et  le  dernier  jour  de 
sa  vie  personne  ne  pouvait  croire  à  sa  fin  prochaine.  Cependant  ses  forces 
baissaient  rapidement  et  les  défaillances  se  succédaient.  S'adressant  aux 
infirmières  qui  la  soutenaient  :  «  Demandez  à  Dieu  pardon  pour  moi  »,  leur 
dit-elle, «  et  aimez-le  vous-mêmes  de  tout  votre  cœurpourréparertouslesmo- 
ments  que  je  ne  l'ai  pas  fait.  Quel  bonheur  d'aimer  Dieu!  Ahi  quel  bonheur! 
Aimez  donc  de  cet  amour,  mais  aimez-le  parfaitement  ».  Tout  à  coup  elle 
fut  prise  de  convulsions  ;  toute  la  communauté  avertie  se  réunit  autour 

2*  Voir  dans  le  volume  consacré  aux  Fête*  rnoMle»* 


IA  BIENHEUREUSE  MARGUERITE -MARIE   ALACOQUE,   RELIGIEUSE.  435 

d'elle;  la  Bienheureuse  recueillit  toutes  ses  forces  pour  les  exhorter  à  aimer 
Dieu  sans  réserve  et  sans  partage,  et  elle  expira  après  qu'on  lui  eut  admi- 
nistré rExtrôme-Onction,  le  17  octobre  i690.  Elle  avait  quarante-deux  ans, 
deux  mois  et  quatre  jours.  La  nouvelle  de  son  décès  se  répandit  rapide- 
ment par  la  ville,  et  on  entendait  partout  ces  mots  :  «  La  Sainte  est  morte  ! 
la  Sainte  est  morte  !  »  La  cérémonie  de  ses  funérailles  attira  un  concours 
extraordinaire. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

CONFRÉRIE  DE  L'HEURE- SAINTE.   —  ÉCRITS. 

La  bienheureuse  Marguerite-Marie  fut  inhumée  dans  la  sépulture  ordinaire,  qui  était  alors  sou» 
!e  chœur.  En  1703,  on  retira  le  cercueil  de  l'endroit  où  on  l'avait  mis;  mais  la  vénération  qu'on 
avait  pour  elle  et  sa  renommée  de  sainteté  qui  ne  faisait  que  s'étendre  de  plus  en  plus,  ne  permi- 
rent pas  de  jeter  ses  restes  sacrés  dans  l'ossuaire  commun,  situé  à  l'entrée  du  petit  caveau,  oit 
l'on  avait  coutume  de  déposer  les  ossements  des  religieuses.  Les  chairs  et  les  vêtements  mêlés  à 
la  chaux  qui  les  avait  pénétrés  furent  recueillis  avec  respect,  et  on  commença  dès  lors  à  en  dis- 
tribuer aux  fidèles  sous  le  titre  de  Cendres  de  la  vénérable  Marguerite-Marie  Alacoque.  Les 
ossements  furent  conservés  dans  une  châsse  de  bois  de  chêne,  vitrée  et  placée  dans  le  caveau  sur 
une  petite  table,  à  côté  de  l'endroit  où  la  Bienheureuse  avait  été  inhumée.  Elle  y  resta  jusqu'à 
l'expulsion  des  Sœurs,  en  1792. 

Le  recours  continuel  à  l'intercession  de  la  Bienheureuse,  et  les  grâces  de  guérisons  attribuées 
à  ses  mérites  confirmant  de  jour  en  jour  davantage  l'opinion  générale  de  sa  sainteté,  Mgr  d'Hal- 
lencourt,  évêque  d'Autun,  fit  procéder,  en  1715,  aux  enquêtes  épiscopales  sur  la  vie  de  la  servante 
de  Dieu  et  sur  les  faits  qui  s'y  rattachaient.  Mais  les  grandes  préoccupations  suscitées  dans 
l'Eglise  par  le  jansénisme,  le  philosophisme  et  la  révolution,  firent  laisser  longtemps  la  cause  en 
cet  état.  Cependant  la  confiance  des  fidèles  ne  diminuait  point,  et  le  tombeau  de  la  Bienheureuse 
était  toujours  en  vénération. 

En  1792,  les  religieuses  furent  obligées  de  quitter  leur  monastère  ;  elles  emportèrent  le  pieux 
trésor  des  saintes  reliques  qu'elles  s'étaient  distribuées,  et  qu'elles  confièrent  en  partie  aux  sœurs 
de  l'hospice,  qui  les  restituèrent  fidèlement  après  le  rétablissement  du  monastère.  Mais  pour  la 
modeste  châsse  qui  contenait  les  ossements  de  Marguerite-Marie,  elles  ne  voulurent  s'en  rapporter 
qu'à  elles-mêmes.  On  la  confia  d'abord  à  sœur  Marie-Félicité  Lorenchet,  qui  avait  des  parents  à 
la  porte  du  monastère  chez  lesquels  elle  se  retirait.  Obligée  plus  tard  de  se  rendre  à  Beaune,  son 
pays  natal,  elle  remit  le  dépôt  sacré  à  sœur  Marie-Thérèse  Petit,  jeune  religieuse  de  Paray,  dont 
la  famille  le  reçut  avec  bonheur  et  le  garda  avec  respect  jusqu'en  1801,  époque  à  laquelle  il  fut 
permis  aux  religieuses  de  le  rapporter  dans  le  monastère,  qu'elles  venaient  réoccuper  en  partie 
seulement,  comme  locataires.  En  1809,  elles  quittèrent  de  nouveau  ce  monastère  pour  aller  occu- 
per un  logement  plus  spacieux  dans  l'ancien  prieuré  des  Bénédictins,  dont  l'église  était  devenue 
paroissiale.  En  1817,  la  communauté  de  Moulins  s'étant  réunie  et  régulièrement  reconstituée  à  la 
Charité-sur-Loire,  toutes  les  sœurs,  à  l'exception  de  deux,  quittèrent  Paray.  Celles  qui  s'éloignaient 
emportèrent  leur  part  des  saintes  reliques,  en  proportion  de  leur  nombre.  Mais  quand  elles  vou- 
lurent y  ajouter  la  châsse  de  la  bienheureuse  Marguerite-Marie,  on  eut  recours  à  l'autorité  civile  ; 
les  sceaux  de  la  ville  y  furent  apposés  comme  à  une  propriété  publique,  et  elle  fut  remise  à  la 
garde  de  M.  Noiret,  curé  de  la  paroisse.  Vainement  on  tenta  plusieurs  fois  de  la  faire  enlever, 
par  ruse  et  par  adresse  ;  la  piété  et  l'amour  de  la  patrie  veillaient  autour,  et  le  trésor  fut 
sauvé. 

En  1823,  le  monastère  ayant  été  racheté  à  l'acquéreur  révolutionnaire  par  Mgr  Roch-Etienne 
de  Vichy,  il  fut  aussitôt  restauré,  après  quoi  on  y  transporta  la  châsse  de  la  Bienheureuse  que 
l'on  déposa  dans  un  petit  oratoire  dont  la  porte  donnait  sur  le  chœur.  Elle  y  resta  un  an,  puis  on 
la  mit  dans  un  coffre  fermé  à  clef,  qu'on  plaça  dans  un  sépulcre  creusé  à  l'eutrée  du  chœur  et 
recouvert  d'une  pierre  tombale. 

La  cause  de  la  servante  de  Dieu  fut  introduite  à  la  cour  de  Rome  par  un  décret  du  30  mars 
1824  qui  lui  décerna  le  titre  de  Vénérable.  La  Congrégation  des  Rites  ordonna  une  double  enquête 
préliminaire  qui  ne  fut  terminée  qu'en  1827.  Le  22  juillet  1830,  Mgr  d'Héricouit,  successeur  de 
Mgr  de  Vichy,  se  rendit  à  Paray  pour  ouvrir  le  tombeau  de  la  Vénérable,  constater  l'état  des  osse- 
ments sacrés  et  les  retirer  du  chœur.  On  profita  de  la  circonstance  pour  replacer  ces  précieuses 
reliques  dans  une  châsse  en  noyer,  un  peu  plus  belle  et  surtout  plus  solide  que  l'ancienne,  qui 
fut  revêtue  du  sceau  épiscopal  et  déposée  à  l'angle  méridional  du  cloitre.  Dieu  fit  éclater  en  ce 
jour  la  gloire  et  la  puissance  de  sa  servante  •  et  parmi  les  grâces  nombreuses  obtenues  par  son 


436  17  OCTOBRE. 

intercession,  on  signale  la  guérison  de  la  sœur  Marie-Thérèse  Petit,  dont  le  décret  apostolique  a 
reconnu  le  caractère  vraiment  miraculeux.  La  procédure  de  Mgr  d'Héricourt  fut  complétée  à  Rome 
où  elle  eut  à  subir  quatre  épreuves  publiques,  dans  autant  d'assemblées  de  la  Congrégation  des 
Rites,  appelées  :  la  Congrégation  dispositive,  tenue  le  7  avril  1832  ;  la  Congrégation  antéprépara- 
toire,  le  27  avril  1840  ;  la  Congrégation  préparatoire,  le  4  avril  1843  ;  et  enfin  la  Congrégation 
générale,  en  présence  du  Saint-Père,  le  14  janvier  1844.  Le  décret  sur  l'hèroïcité  des  vertus  était 
prêt,  quand  mourut  Grégoire  XVI,  en  mai  1846.  Le  pape  Pie  IX,  à  peine  monté  sur  le  trône  pon- 
tifical, réunit  une  nouvelle  Congrégation  générale,  le  11  août  1846,  et  donna  ordre,  quelques 
jours  après,  de  rédiger  le  décret  constatant  les  vertus  héroïques  de  la  Bienheureuse.  Trois  guéri- 
sons  extraordinaires  ayant  été  soumises  à  l'examen  de  la  Congrégation  des  Rites,  la  Congrégation 
dispositive  eut  lieu  le  25  septembre  1852;  la  Congrégation  antépréparatoire,  le  6  septembre  1859; 
la  Congrégation  préparatoire,  le  15  septembre  1863  ;  et  enfin  la  Congrégation  générale,  le  1er  mars 
1864,  au  Vatican,  sous  la  présidence  du  Saint-Père.  Une  dernière  Congrégation,  appelée  de  Tuto, 
se  tint  au  Vatican,  en  présence  du  Saint-Père,  le  14  juin  1864.  Le  24  du  même  mois,  Sa  Sainteté 
se  rendit  dans  la  basilique  du  Vatican  et  ordonna  d'écrire  et  de  publier  le  décret  de  la  Béatifica- 
tion de  la  vénérable  Marguerite-Marie  Alacoque,  dont  la  solennité  était  fixée  à  Rome  au  18  sep- 
tembre. 

Le  13  juillet  1864,  un  prélat  de  la  ville  sainte,  Mgr  Borghi,  camérier  du  Saint-Père  et 
postulateur  de  la  cause,  délégué  pour  venir  présider,  avec  Mgr  l'évêque  d'Autun,  à  l'ouverture  du 
sépulcre,  se  rendirent  ensemble,  suivis  d'un  clergé  nombreux,  au  monastère  de  Paray.  La  châsse, 
après  avoir  été  retirée  de  l'endroit  où  elle  avait  été  déposée,  fut  placée  sur  un  brancard  et  portée 
à  la  salle  de  la  communauté.  Les  sceaux  ayant  été  reconnus  intacts,  puis  brisés,  on  fit  faire  la 
reconnaissance  et  le  classement  des  ossements  que  l'on  plaça  ensuite  provisoirement  dans  une 
châsse  romane  en  cuivre  doré,  qui  fut  munie  des  sceaux,  et  conduite  processionnellement  au  trône 
qui  lui  avait  été  préparé  au  milieu  du  chœur.  Le  18  et  le  27  septembre  1864,  il  y  eut  à  Paray  des 
fêtes  magnifiques  en  l'honneur  de  la  Bienheureuse  où  ses  reliques  furent  exposées  et  vénérées  par 
«ne  foule  nombreuse  de  pieux  fidèles. 

En  vertu  d'un  Br^f  apostolique,  un  triduum  d'actions  de  grâces  se  fit  dans  toutes  les  églises  et 
chapelles  du  diocèse  d'Autun,  les  22,  23  et  24  juin  1865.  Les  ossements  sacrés,  ayant  été  retirés 
de  la  châsse  provisoire  qui  les  contenait,  furent  lavés  avec  soin  et  arrosés  de  parfums;  des  par- 
celles en  furent  détachées  pour  être  envoyées  aux  monastères  de  la  Visitation  et  données  à  quel- 
ques églises.  La  substance  cérébrale  fut  retirée  et  mise  plus  tard  dans  un  cœur  en  cristal 
environné  de  marguerites  en  émail,  et  fixé  au  centre  d'une  petite  monstrance  soutenue  par  deux 
anges.  Chaque  ossement  enveloppé  de  drap  d'or  fut  placé  dans  l'effigie  et  ensuite  dans  une  châsse 
magnifique.  Outre  ces  précieuses  reliques,  le  monastère  de  Paray  possède  encore  de  la  Bienheu- 
reuse les  objets  suivants,  qui  ont  été  placés  sous  les  sceaux  de  Mgr  l'évêque  d'Autun  :  quelques 
lettres  et  sa  Vie  écrite  par  ordre  du  Père  Rolin  ;  deux  livres  qui  ont  été  à  son  usage  ;  son  voile 
.  de  religion  ;  d'autres  portions  de  ses  vêtements  ;  ses  instruments  de  pénitence,  ses  cendres  sacrées, 
des  fragments  de  son  cercueil  et  des  deux  châsses  en  bois. 

La  châsse  contenant  l'effigie  et  les  ossements  de  la  Bienheureuse  est  déposée  dans  le  grand 
autel  de  l'église  du  monastère  de  Paray  où  un  nombre  considérable  de  pèlerins  affluent  journelle- 
ment. La  petite  cellule  établie  à  l'endroit  de  l'ancienne  infirmerie,  d'où  cette  sainte  âme  prit  son 
essor  vers  les  cieux,  a  été  transformée  en  chapelle. 

Sa  Sainteté  "le  pape  Pie  IX,  à  la  demande  de  Mgr  de  Marguerye,  évêque  d'Autun,  et  d'un  grand 
nombre  de  cardinaux,  d'archevêques,  d'évêques  et  autres  grands  personnages  de  l'Eglise,  et  sur 
un  avis  favorable  de  la  Congrégation  des  Rites,  a  daigné  signer,  le  6  septembre  1866,  la  reprise 
de  la  cause  de  la  bienheureuse  Marguerite-Marie  Alacoque,  vierge. 

Une  confrérie,  appelée  Y  Heure-Sainte,  a  été  établie  au  monastère  de  la  Visitation  de  Paray- 
le-Momal  ;  c'est  un  exercice  d'oraison  mentale  ou  de  prières  vocales  qui  a  pour  objet  l'agonie  de 
Notre-Seigneur  au  Jardin  des  Oliviers,  ou  toute  autre  circonstance  de  la  Passion.  Cet  exercice  fut 
prescrit  par  Notre-Seigneur  lui-même  à  la  bienheureuse  Marguerite-Marie.  D'après  les  statuts, 
l'exercice  de  l'Heure-Sainte  se  fait  le  jeudi  avant  minuit,  à  l'église  ou  partout  ailleurs,  à  volonté, 
dès  le  moment  où  il  est  permis  de  réciter  l'office  de  Matines  du  jour  suivant.  Ceux  qui  désirent 
entrer  dans  cette  confrérie  doivent  faire  parvenir  leurs  noms  au  monastère  de  la  Visitation  de 
Paray-le-Monial,  pour  y  être  inscrits  sur  le  registre.  Chacun,  selon  sa  dévotion,  a  la  liberté  de 
faire  l'Heure-Sainte  plus  ou  moins  souvent  ;  mais  le  souverain  Pontife  Grégoire  XVI,  en  accordant, 
par  son  rescrit  du  27  juillet  1851,  une  indulgence  plénière  à  tous  les  fidèles  sans  exception,  de 
l'un  et  de  l'autre  sexe,  toutes  les  fois  qu'ils  font  cet  exercice,  montre  assez,  par  cette  faveur, 
combien  il  désire  qu'ils  donnent  souvent  au  divin  Cœur  de  Jésus  ce  témoignage  d'amour  et  de 
reconnaissance.  La  bienheureuse  Marguerite-Marie  la  faisait  tous  les  jeudis.  Pour  gagner  cette  in- 
dulgence, il  faut  s'approcher  des  sacrements  de  Pénitence  et  d'Eucharistie,  et  prier  selon  les 
intentions  du  souverain  Pontife.  L'indulgence  est  applicable  aux  âmes  du  purgatoire.  Par  un  res- 
crit du  22  février  1832,  Grégoire  XVI  autorise  les  Confrères  à  faire  à  volonté,  le  jeudi  ou  le  ven- 
dredi, la  communion  prescrite  pour  gagner  l'indulgence.  Quant  à  la  confession,  il  n'est  pas 


I 


SAINTE  SOLINE,    VIERGE   ET  MARTYRE   AU  POITOU.  437 

nécessaire  de  la  faire  le  jour  ou  la  veille  de  la  communion  ;  il  suffit  qu'on  l'ait  faite  l'un  des  huit 
jours  qui  précèdent.  (Décret  de  Pie  VII,  du  22  juin  1822.) 

Les  écrits  de  la  bienheureuse  Marguerite-Marie  se  composent  de  Lettres  diverses,  au  nombre 
de  cent  trente-trois  ;  de  sa  Vie,  écrite  par  elle-même  ;  d'Avis  particuliers  ;  d'Instructions  aux 
novices  ;  d'Ecrits  divers  ;  de  Prières  et  de  Cantiques.  Son  style  est  simple,  naïf  et  plein 
d'onction. 

Nous  nous  sommes  servi,  pour  revoir  et  compléter  cette  biographie,  d'un  ouvrage  intitulé  :  Vie  et 
Œuvres  de  la  bienheureuse  Marguerite-Marie  Alacoque,  publication  du  monastère  de  la  Visitation  de 
Paray-le-Monial  (Saône-et-Loire). 


SAINTE  SOLINE  \  VIERGE  ET  MARTYRE  AU  POITOU  (vers  l'an  80). 

C'est  vers  l'année  80,  lorsque  Vespasien  régnait  encore,  et  peu  de  temps  après  la  mort  de  saint 
Martial,  qu'il  faut  rattacher  le  martyre  de  sainte  Soline.  Née  dans  le  Poitou,  de  parents  élevés  par 
lenr  position  et  leurs  richesses,  elle  eut,  jeune  encore,  le  bonheur  de  comprendre,  à  la  parole  des 
missionnaires  chrétiens,  la  vanité  des  superstitions  romaines  que  sa  famille  n'abandonnait  pas,  et 
l'on  croit  que  ce  fut  de  la  main  de  saint  Martial  qu'elle  reçut  la  grâce  baptismale.  Avec  cette  grâce, 
l'amour  des  grandes  vertus  se  développa  bientôt  dans  ce  cœur  innocent,  et  docile  à  l'un  des  conseils 
que  le  Sauveur  avait  inspirés  pour  les  âmes  d'élite,  elle  se  laissa  noblement  séduire  à  l'amour  de 
la  virginité  :  après  l'avoir  promise  par  un  vœu  formel,  elle  s'attacha  aux  pratiques  de  piété  qui 
raffermissent.  Cette  vie  à  part  n'empêcha  pas  que  sa  beauté  remarquable  et  l'éclat  de  son  rang  la 
firent  désirer  par  de  nombreux  et  riches  partis.  Ses  parents  entrèrent  dans  ces  vues,  mais  Soline 
résista,  et  la  persévérance  de  ses  refus  les  irrita  jusqu'à  la  violence  et  aux  mauvais  traitements. 
Cette  conduite  se  prolongea  assez  pour  faire  craindre  à  la  jeune  chrétienne,  qu'ayant  à  lutter  tou- 
jours pour  sa  conscience  contre  des  antagonistes  qui  n'en  conservaient  pas  moins  des  droits  à  sa 
tendresse  et  à  son  respect,  elle  ne  succombât  peut-être  à  leurs  instances  et  ne  compromit  enfin  sa 
fidélité  au  saint  Epoux  qu'elle  avait  choisi.  A  ce  danger  elle  résolut  d'échapper  par  la  fuite,  et  se 
confiant  à  l'Esprit  du  Dieu  qu'elle  préférait  à  tout,  elle  partit,  ignorant  encore  où  elle  s'arrêterait. 
En  traversant  la  Touraine,  elle  songea  à  Chartres,  où  le  culte  de  la  Mère  de  Dieu  était  déjà  célèbre 
parmi  les  chrétiens,  et  où  quelques  druides  convertis,  secondés  par  Priscus,  citoyen  riche  et  influent, 
s'étaient  faits  les  gardiens  de  la  statue  si  anciennement  consacrée  à  la  Vierge  qui  devait  enfanter, 
et  qui  enfin  était  devenue  la  Vierge  mère.  Ce  fut  donc  vers  la  cité  des  Carnutes  que  Soline  se 
dirigea.  Dieu  permit  que  ce  fût  en  ce  même  temps  qu'un  préfet  romain,  nommé  Quirinus,  profitant 
de  la  haine  qu'il  savait  à  l'empereur  Domitien  contre  les  adeptes  de  la  religion  nouvelle,  anticipait, 
pour  satisfaire  ses  propres  mécontentements,  sur  la  persécution  générale  qui  signala  plus  tard  les 
dernières  années  de  ce  prince.  Tout  tremblait  dans  le  pays  chartrain,  et  c'était  par  d'évidents 
miracles  que  saint  Savinien  et  saint  Potentien  venaient  d'échapper  aux  poursuites  du  tyran.  Qui- 
rinus ne  tarda  pas  à  savoir  qu'une  étrangère,  professant  la  même  foi,  s'en  faisait  l'apôtre  et  enga- 
geait les  jeunes  filles  au  saint  état  qu'elle  avait  embrassé  elle-même.  Mandée  au  tribunal  de  ce 
juge  terrible,  Soline  y  refusa  avec  courage  toute  transaction  entre  sa  foi  et  les  séductions  des  plus 
magnifiques  promesses.  Le  martyre  fut  la  récompense  de  son  héroïsme. 

Ensevelie  à  Chartres  par  les  pieuses  mains  des  fidèles,  ses  restes  y  furent  vénérés  jusqu'à  nos 
jour?,  autorisant  la  confiance  des  populations  par  d'innombrables  grâces  obtenues  près  de  son  tom- 
beau, où  attirèrent  toujours  les  besoins  publics  et  particuliers.  L'Eglise  de  Poitiers  ne  resta  pas 
étrangère  à  ces  ferventes  démonstrations.  Un  lieu  de  prières  fut  fondé  en  son  honneur  aui  environs 
de  Melle  (Deux-Sèvres),  probablement  au  village  où  elle  était  née,  et  où  l'on  put  placer  de  ses 
reliques;  un  autre  s'éleva  aussi  dans  l'Angoumois,  non  loin  de  Barbezieux  (Charente).  Ces  deux 
monuments,  renouvelés  au  xi8  ou  xu*  siècle,  sont  fort  endommagés,  moins  par  le  temps  que  par 
les  violences  de  nos  guerres  locales,  et  constituent  le  centre  de  deux  paroisses.  La  fête  de  sainte 
Soline  se  célèbre  à  Poitiers  le  16  octohye. 

Extrait  des  Origines  de  l'Histoire  du  Poitou,  par  M.  l'abbé  Auber. 
1.  Alias  :  Souliue,  Solelne,  Sulina. 


438  17  OCTOBRE. 


SAINT  BÉRAIRE  I«, 

ÉYÊQUE  DU  MANS  ET  CONFESSEUR  (670). 

Saint  Béraire  (Beraritis,  Berecharius),  successeur  de  saint  ïïadouin  dans  la  chaire  épiscopale 
du  Mans,  vit  ie  jour  dans  l'Aquitaine.  Ses  parents,  issus  d'un  côté  de  l'un  des  plus  illustres  chefs 
des  bandes  franques,  et  de  l'autre  côté  d'une  famille  sénatoriale  de  l'ancienne  Gaule,  lui  transmi- 
rent une  origine  qui  lui  donnait  le  droit  d'aspirer  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand.  Elu  pour  gourverner 
l'église  du  Mans,  à  une  époque  de  paix  pour  le  pays,  il  fit  luire  sur  son  troupeau  des  jours  de 
prospérité. 

A  cette  époque,  la  cité  du  Mans  fut  enrichie  d'un  nouveau  sanctuaire.  Vers  le  commencement 
de  son  épiscopat,  et  durant  une  nuit  passée  dans  de  pieuses  veilles,  saint  Béraire  eut  une  vision 
dans  laquelle  on  lui  ordonna  d'envoyer  en  Italie,  au  pays  de  Bénévent,  sur  le  Mont-Cassin,  des 
serviteurs  de  Dieu  d'une  sainteté  de  vie  éprouvée,  afin  d'y  découvrir  et  d'en  rapporter  les  reliques 
de  la  vierge  sainte  Scholastique,  sœur  de  saint  Benoît.  Depuis  que  le  monastère  fondé  par  le 
patriarche  des  moines  d'Occident  avait  été  renversé  par  les  Lombards,  le  corps  de  saint  Benoit  et 
celui  de  sa  sœur  étaient  demeurés  ensevelis  et  cachés  sous  les  ruines.  Béraire,  se  hâtant  d'obéir  à 
l'ordre  du  ciel,  fit  choix  de  quelques  moines  vertueux,  leur  donna  les  instructions  nécessaires,  et 
ils  se  mirent  en  route  pour  l'Italie.  Pendant  ce  temps-:  fc,  Béraire  construisait  un  monastère  pour 
des  vierges,  afin  d'y  déposer  les  reliques  précieuses  qu'il  attendait.  Ce  monastère  était  sous  les 
remparts  de  la  ville,  entre  ie  midi  et  le  couchant. 

La  mission  des  moines  manceaux  eut  un  plein  succès,  et  ils  revinrent  bientôt  avec  le  trésor 
qu'ils  étaient  allé  chercher  ;  à  leur  approche  de  la  ville,  tout  le  clergé  et  le  peuple,  Béraire  en 
tête,  accoururent  au-devant  de  ce  gage  souhaité  de  la  protection  divine  ;  chacun  s'empressait  au- 
près de  la  châsse  et  sollicitait  l'honneur  de  la  porter.  On  déploya,  pour  la  réception  de  cette 
nouvelle  patronne,  tout  l'appareil  du  plus  beau  triomphe  ;  les  croix,  les  bannières,  l'encens  et  les 
flambeaux  en  grand  nombre  entouraient  les  restes  sacrés,  et  l'on  entendit  continuellement  le  chant 
des  hymnes,  des  psaumes  et  des  antiennes,  jusqu'au  moment  où  le  saint  évêque  déposa  le  sacré 
dépôt  derrière  l'autel  de  la  basilique  qu'il  avait  déjà  consacrée. 

Une  dame  fort  riche,  nommé  Lopa,  touchée  du  zèle  que  Béraire  mettait  à  élever  son  monas- 
tère de  Sainte-Scholastique,  voulut  l'imiter  en  fondant  aussi  une  retraite  pour  des  religieuses.  Elle 
possédait  un  domaine  sur  les  bords  de  la  rivière  de  l'IIuisne,  du  côté  du  Sonnois,  nommé  Thus- 
fiacus  (Tuffé),  et  elle  le  destina  pour  cette  fondation.  On  construisit  d'abord  une  église  qui  fut 
dédiée  à  la  sainte  Vierge,  et  un  cloître  spacieux  où  l'on  vit  bientôt  se  réunir  des  servantes  de 
Dieu,  en  grand  nombre,  pour  y  vivre  sous  la  Bègle  de  Saint-Benoit.  Non  contente  d'avoir  donné  sa 
fortune  à  Dieu,  la  pieuse  Lopa  voulut  aussi  lui  consacrer  entièrement  les  jours  de  sa  viduité,  et 
Béraire  la  mit  à  la  tête  du  nouveau  monastère.  Sous  la  conduite  de  cette  abbesse,  la  vertu  fleurit 
dans  cette  sainte  solitude  ;  aussi  vit-on  bientôt  jusqu'à  cent  vierges  venir  s'y  consacrer  sous  la 
coule  bénédictine. 

Samt  Béraire  mourut  dans  le  domaine  de  Baneth  (Banech),  au  territoire  de  Bordeaux,  où  il 
était  né,  après  vingt-six  ans,  quatre  mois  et  quatre  jours  d'épiscopat.  Son  corps  fut  transporté  an 
Mans,  avec  tous  les  honneurs  convenables,  et  déposé  par  les  prêtres  de  son  église  et  par  ses  disci- 
ples dans  la  basilique  du  monastère  de  Saint-Martin  de  Pontlieu.  Ce  monastère  avait  reçu  de 
grandes  marques  d'affection  du  saint  prélat,  qui  en  avait  augmenté  les  bâtiments  et  renouvelé 
la  basilique  où  il  choisit  son  tombeau.  Bientôt  ce  lieu  devint  le  théâtre  de  sa  gloire  par  les 
nombreux  miracles  qu'il  ne  cessa  d'y  opérer,  en  faveur  de  tous  ceux  qui  vinrent  y  implorer  son 
secours. 

Extrait  de  VEistoire  de  l'Eglise  du  Mans,  par  le  K.  P.  Dora  Paul  Piolia» 


SAINT  ANDRÉ  DE   CRÈTE,   MARTYR  A  CONSTANTfNOPLE.  439 


SAINT  ANDRÉ  DE  CRETE,  MARTYR  A  CONSTANTINOPLE  (761). 

Saint  André  de  Crète  ou  le  Calybite,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  saint  André  de  Crète, 
archevêque  de  Candie  (4  juillet),  était  natif  de  l'île  dont  il  a  pris  son  surnom,  et  il  y  vivait  très- 
saintement  dans  un  monastère,  au  temps  que  l'empereur  Constantin  Copronyme  (718-775)  persé- 
cutait cruellement  l'Eglise  pour  le  culte  des  saintes  images.  Lorsqu'il  apprit ,1'édit  par  lequel  ce 
prince  défendait,  sous  de  grandes  peines,  de  rendre  aucun  honneur  à  ces  figures  sacrées  qui  nous 
représentent  Jésus-Christ  ou  sa  sainte  Mère  et  les  autres  Saints,  bien  loin  d'en  être  épouvanté 
comme  plusieurs  autres  qui  s'enfuirent  pour  cela  hors  des  terres  de  l'empire,  il  vint  généreusement 
dans  la  ville  même  de  Constantinople,  afin  d'y  combattre  l'hérésie  et  l'impiété  dans  le  lieu  où  elles 
faisaient  plus  de  ravages.  Dès  qu'il  y  fut  arrivé,  il  ouvrit  publiquement  la  bouche  pour  défendre 
la  vérité  orthodoxe,  et  sans  craindre  les  magistrats  ni  l'empereur  même,  il  exhorta  les  fidèles  à 
demeurer  constants  dans  la  doctrine  de  l'Eglise,  et  les  nouveaux  hérétiques  à  rentrer  dans  le  sein 
de  leur  mère,  que  la  lâcheté  leur  avait  fait  abandonner.  Un  jour,  Constantin  s'étant  fait  mettre  un 
trône  dans  la  basilique  de  Saint-Mammès,  y  étalait  avec  beaucoup  de  faste  toute  sa  pompe  impé- 
riale, et  d'ailleurs  il  donnait  des  ordres  très-cruels  contre  les  orthodoxes,  en  faisant  meurtrir  les 
uns  à  coups  de  nerfs  de  bœuf,  jeter  les  autres  dans  le  feu,  arracher  les  yeux  à  ceux-ci  et  couper 
la  langue  à  ceax-là  :  André,  embrasé  d'un  zèle  divin,  fendit  la  foule,  s'adressa  à  l'empereur  en 
personne  et  lui  reprocha  son  impiété.  Le  tyran,  ne  pouvant  souffrir  cette  liberté,  commanda  à  ses 
archers  de  se  saisir  de  lui  ;  et  en  même  temps  ils  le  prirent,  lui  arrachèrent  son  manteau,  lui 
déchirèrent  sa  tunique  et  lui  firent  plusieurs  autres  outrages.  L'empereur  ordonna  ensuite  qu'il  fût 
dépouillé  et  fouetté  avec  la  plus  grande  rigueur.  Alors  le  martyr,  levant  les  yeux  au  ciel,  s'écria 
avec  force  :  «  Je  ne  mépriserai  jamais  votre  image,  ô  mon  Sauveur,  je  ne  maltraiterai  jamais  votre 
figure  ;  que  l'on  déchire  mon  corps,  que  l'on  m'arrache  la  langue,  que  l'on  me  coupe  les  pieds,  je 
suis  prêt  à  souffrir  toutes  choses  plutôt  que  de  manquer  au  respect  que  je  dois  à  votre  divine 
Majesté  ».  Les  gardes  lui  donnèrent  mille  coups  de  nerfs  de  bœuf  et  le  mirent  tout  en  sang. 
D'autres  lui  jetèrent  des  pierres,  et  chacun  s'efforça  de  lui  faire  quelque  outrage.  Mais  tous  ces 
tourments  ne  purent  rien  diminuer  de  sa  constance,  et  il  parla  toujours  avec  la  même  fermeté 
qu'auparavant.  -» 

Constantin  ne  voulait  pas  le  faire  mourir,  pour  ne  pas  lui  donner  la  gloire  du  martyre  ;  mais 
il  désirait  extrêmement  de  pouvoir  le  séduire,  afin  que  son  exemple  servit  à  corrompre  les  autres 
orthodoxes  ;  il  le  fit  donc  conduire  en  prison,  et  dans  plusieurs  conférences  qu'il  eut  avec  lui,  il 
tâcha  de  le  gagner  par  de  belles  promesses  ;  mais,  le  trouvant  toujours  aussi  invincible,  il  le  fit 
encore  fouetter  et  l'abandonna  enfin  aux  bourreaux  pour  être  mis  à  mort  dans  le  lieu  des  exécutions 
publiques.  Comme  on  le  menait  au  supplice,  un  pêcheur  courut  après  lui,  et  ayant  pris  un  gros 
couteau  de  boucherie,  il  lui  coupa  un  pied.  Ce  coup  fut  si  cruel  et  si  douloureux,  qu'il  ôta  la  vie 
à  notre  bienheureux  Martyr.  Son  corps  fut  exposé  dans  les  champs  pour  être  la  proie  des  chiens  et 
des  vautours  ;  il  fut  ensuite  mis  en  terre  avec  ceux  des  malfaiteurs  ;  mais  par  un  effet  miraculeux 
de  la  puissance  divine,  une  troupe  de  possédés  vinrent  an  lieu  de  sa  sépulture,  et  ayant  ouvert  la 
terre  avec  leurs  ongles,  ils  le  distinguèrent  des  autres  corps  et  l'exposèrent  à  la  vue  des  fidèles.  Ils 
reçurent  pour  récompense  la  grâce  d'être  délivrés  des  démons  qui  les  possédaient.  Ce  saint  corps 
fut  inhumé  avec  l'honneur  qui  était  dû  à  son  mérite,  et  il  s'est  fait  depuis  plusieurs  miracles  à  son 
tombeau. 

Saint  André  de  Crète  est  souvent  caractérisé  chez  les  Grecs  par  une  image  de  la  Mère  de  Dieu, 
servant  à  rappeler  la  sainte  cause  à  laquelle  il  a  sacrifié  sa  vie. 

Hou*  aron»  conservé  le  récit  du  Père  Giry, 


440  *8   OCTOBRE. 


XVIIIe  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

La  naissance  au  ciel  de  saint  Luc,  évangéliste,  qui,  après  avoir  beaucoup  souffert  pour  le  nom 
de  Jésus-Christ,  mourut  en  Bithynie,  rempli  du  Saint-Esprit.  Ses  reliques  furent  transportées  à 
Constantinople,  et  de  là  à  Padoue.  i*  s.  —  A  Antioche,  saint  Asclépiade,  évêque,  l'un  de  ces 
illustres  martyrs  qui  souffrirent  une  mort  glorieuse  sous  l'empereur  Macrin.  Vers  217.  —  Au  dio- 
cèse de  Beauvais,  saint  Just,  jeune  enfant,  qui  fut  martyrisé  sous  le  président  Rictiovare,  pendant 
la  persécution  de  Dioclétien.  287.  —  A  Néocésarée,  dans  le  Pont,  saint  Athénodore,  évêque,  frère 
de  saint  Grégoire  Thaumaturge  ;  célèbre  par  sa  doctrine,  il  consomma  son  martyre  durant  la  per- 
sécution d'Aurélien.  Vers  269.  —-  En  Mésopotamie,  sur  les  rives  de  l'Euphrate,  saint  Julien,  ermite. 
Vers  393.  —  A  Rome,  sainte  Tryphonie,  qui  avait  été  femme  de  l'empereur  Dèce  ;  elle  fut  enterrée 
dans  une  crypte,  auprès  de  saint  Hippolyte  f.  me  s. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Aux  diocèses  d'Amiens,  Arras,  Meaux  et  Paris,  saint  Luc,  évangéliste,  cité  au  martyrologe 
romain  de  ce  jour.  i°*  s.  —  Au  diocèse  de  Saint-Brieuc,  fête  de  la  translation  des  reliques  de 
saint  Brieuc,  évêque  et  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  1er  mai.  vi«  ou  vu»  s.  — 
A  Nassoin  ou  Nassogne  (Nassonacum),  près  de  Saint-Hubert,  dans  le  Luxembourg  belge,  saint 
Monon,  ermite  et  martyr.  Ecossais  de  naissance,  il  quitta  sa  patrie  sur  une  inspiration  du  ciel, 
entreprit  un  pèlerinage  à  Rome,  revint  par  la  Gaule  et  alla  chercher  une  retraite  au  milieu  des 
forêts  des  Ardennes.  11  bâtit  un  oratoire  dans  cette  solitude  et  y  assembla  les  peuples  voisins  pour 
les  instruire  des  mystères  de  la  foi.  Son  zèle  fut  couronné  par  de  nombreuses  conversions,  mais 
aussi  il  excita  l'envie  de  gens  vicieux  et  endurcis  qui  vinrent  surprendre  dans  sa  cellule  le  géné- 
reux prédicateur  et  l'assassinèrent  d'une  manière  atroce  2.  Vers  645.  —  A  Riom  (Puy-de-Dôme), 
au  diocèse  de  Clermont-Ferrand,  saint  Amable,  prêtre  et  patron  de  cette  ville  et  confesseur,  dont 
nous  avons  donné  la  vie  au  3  juillet.  475.  -—  A  Paris,  mémoire  de  saint  Hermeland  ou  Erbland, 
abbé,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  25  mars,  jour  de  sa  naissance  au  ciel.  718.  —  A  Malines, 
translation  des  reliques  de  saint  Rumold  ou  Rombaud,  évêque  et  martyr,  patron  et  apôtre  de  cette 
ville,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  Ie'  juillet.  775.  — Entre  Villars-en-Azois  et  Silvarouvres,  au 
diocèse  de  Langres,  le  martyre  des  saints  Félix  et  Augebert,  cités  déjà  au  martyrologe  de  France  du 
G  septembre,  où  nous  avons  donné  quelques  détails  sur  leur  vie.  vn«  s.  —  Aux  diocèses  d'Amiens 
et  d' Arras,  saint  Just  (Juste,  Jut,  Jû)  et  saint  Arthémie  (Arthème,  Artème,  Artémie,  Arthémis, 
Artemis),  martyrs  à  Monchel  (Pas-de-Calais),  avec  sainte  Honesta,  leur  sœur  3.  m®  ou  iv«  s.  vrai- 
semblablement. —  Autrefois,  dans  l'abbaye  bénédictine  de  Villers  (Villarium),  en  Belgique,  com- 

1.  Les  Bollandistes  (tome  vin  d'octobre,  pages  318-323)  prouvent  que  sainte  Tryphonie  n'a  jamais  été 
l'épouse  de  l'empereur  Dèce  (201-251),  et  que  les  Actes  de  saint  Laurent,  d'où  l'on  a  tiré  cette  assertion, 
sont  apocryphes.  Les  reliques  de  sainte  Tryphonie  se  conservent  de  nos  jours  dans  le  monastère  de  Saint- 
Sylvestre  du  Champ  de  Mars. 

2.  On  bâtit  une  église  en  l'honneur  de  la  Mère  de  Dieu  à  Nassogne,  sur  le  tombeau  de  saint  Monon, 
devenu  célèbre  par  beaucoup  de  miracles;  on  y  exposa  les  reliques  du  saint  ermite  à  la  vénération  des 
fidèles,  et  ensuite  le  roi  Pépin  y  établit  un  Chapitre  composé  d'un  prévôt  et  de  six  chanoines.  Une  église 
voisine  de  la  ville  de  Saint-André,  en  Ecosse,  fut  aussi  dédiée  sous  l'invocation  de  ce  Saint.  Elle  subsiste 
encore  sous  le  nom  de  Monon's  Kirk.  —  Continuateurs  de  Godescard. 

3.  Un  bréviaire  manuscrit  du  xiv*  siècle,  conservé  à  la  Bibliothèque  communale  d'Amiens,  donne  la 
légende  de  ces  saints  Martyrs;  mais,  au  dire  de  l'un  de  nos  hagiographes  les  plus  judicieux,  M.  l'abbé 
Corblet,  elle  se  réduirait  à  fort  peu  de  chose  si  on  voulait  en  élaguer  tout  ce  qu'elle  contient  de  fabuleux 
et  de  suspect.  Nous  ne  la  reproduirons  donc  pas.  Ce  qui  paraît  hors  de  doute,  c'est  que  Just  et  Arthémie, 
d'origine  toulousaine,  furent  décapités  par  l'ordre  de  leur  père  prèa  du  village  de  Monchel  (Pas-de-Calais, 


SAINT  LUC  d'antioche,  évangéliste.  441 

mémoraison  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  quand,  par  la  bouche  de  la  statue  d'Afflighem,  ei 
présence  de  tous  les  moines  et  d'une  nombreuse  foule  de  peuple,  elle  salua  saint  Bernard,  disant 
à  intelligible  voix  :  Salve,  Bernarde  *. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  Chez  les  Prémontrés,  l'octave  de  la  translation  de 
notre  Père  saint  Augustin  -\  430. 

ADDITIONS   FAITES   D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Rome,  saint  Paul  de  la  Croix,  instituteur  de  la  Congrégation  des  Clercs  déchaussés  de  la 
Très-Sainte  Croix  et  Passion  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  cité  au  martyrologe  romain  dn 
16  novembre,  jour  sous  lequel  nous  donnerons  sa  vie.  1775.  —  En  Afrique,  les  saints  martyrs 
Luce,  Victor,  Daise,  Leuce,  Victoric,  Bérèze,  évêque,  Victrice,  Faustin  et  Martial,  m»  ou  iv«  s.-— 
A  Ostie  (Ostia  Tiberina),  bourg  et  petit  port  des  Etats  romains,  sur  le  Tibre,  et  à  Nicomédie, 
aujourd'hui  Isnikmid,  ville  de  Bithynie,  sur  la  Propontide,  saint  Luce  ou  Lucas,  saint  Victorin 
(peut-être  Victorine  ou  Victoire),  et  sainte  Agnès,  martyrs,  m*  ou  iv«  s.  —  A  Galatz  (Àxiopolis), 
ville  de  Moldavie,  sur  la  rive  gauche  du  Danube,  saint  Hermès  et  saint  Taxe,  martyrs.  —  Au  pays 
de  Galles,  dans  la  Grande-Bretagne,  saint  Brothène  et  sainte  Gwendoline,  dont  la  mémoire  a  été 
conservée  par  les  hagiographes  de  cette  contrée.  Saint  Brothène  est  patron  de  l'église  paroissiale 
de  Llanfrothen,  et  sainte  Gwendoline  patronne  de  celle  de  Llanwyddelan.  vi°  s.  —  A  Oulx  (Ulcium), 
dans  la  province  de  Suse,  en  Piémont,  les  saints  Just,  Flavien  et  quatre-vingt-dix  autres,  martyrs, 
immolés  par  les  Lombards.  Epoque  incertaine. 


SAINT  LUC  D'ANTIOCHE,  ÉVANGÉLISTE 


!•*  siècle. 


v 

Saint  Luc  a  peint  admirablement  les  images  de  Jésus 
et  de  Marie  en  deux  tableaux,  après  les  avoir  par- 
faitement exprimées  dans  son  Evangile  et  dans  son 
cœur.  Le  P.  Nouet,  Méditations. 

Saint  Luc  était  d'Antioche,  métropole  de  Syrie,  ville  célèbre  par  son 
agréable  situation,  par  la  richesse  de  son  commerce,  par  son  étendue  ainsi 
que  par  le  nombre  et  la  politesse  de  ses  habitants,  par  son  amour  pour 

canton  d'Auxy-le-Château),  et  ensevelis  sur  une  éminence  bordant  le  chemin  qui  conduit  de  Moncbel  a 
Fiers  (Somme)  et  qui  a  conservé  depuis  lors  le  nom  de  Tombe  de  saint  Just. 

A  une  époque  qu'on  ne  saurait  préciser,  leurs  corps  furent  transférés  de  ce  lieu  dans  l'église  de  Mon- 
cbel. Celle-ci  fut  détruite  a  la  Révolution.  Deux  ans  après  la  reconstruction  de  la  nouvelle  église,  le 
16  octobre  1839,  M.  Robitaille,  vicaire  général  d'Arras,  reconnut  les  reliques,  qui  sont  toujours  exposées 
à  la  vénération  des  fidèles  dans  une  ancienne  châsse  en  chêne. 

Le  culte  de  saint  Just  et  de  saint  Arthémie,  fort  ancien  à  Monchel,  fut  introduit,  au  xni«  siècle,  à  la 
cathédrale  d'Amiens,  par  l'évêque  Gérard  de  Conchy.Au  xiv«  siècle,  ce  culte  fut  étendu  à  tout  le  diocèse. 
Saint  Just  est  le  patron  de  Monchel.  On  s'y  rendait  jadis  en  pèlerinage  de  tous  les  points  des  diocèses  de 
Boulogne,  d'Arras  et  d'Amiens.  Cette  fête  religieuse  fut  supprimée  par  le  curé,  M.  Henquenet,  en  1775,  a 
la  suite  de  nombreux  désordres  qu'avaient  amenés  ces  agglomérations.  M.  l'abbé  Niquet  a  rétabli  ce  pèle- 
rinage que  fréquentent  annuellement  environ  deux  mille  personnes.  Le  10  octobre,  on  se  rend  procession- 
nellement  avec  la  châsse  au  monticule  appelé  la  Tombe  de  saint  Just,  oii  l'on  a  récemment  érigé  une 
chapelle.  —  Cf.  Hagiographie  d'Amiens,  par  M.  l'abbé  Corblet. 

1.  Cette  statue,  en  témoignage  d'un  si  grand  miracle,  se  conservait  avec  beaucoup  d'honneur  dans  l'ab- 
baye de  Vlllers.  Elle  fut  brisée  lors  des  troubles  du  xvr»  siècle;  mais  on  refit  avec  les  fragments  et  d'après 
le  type  original  deux  statuettes,  dont  l'une  se  trouve  aujourd'hui  au  sanctuaire  de  Basse-Wavre  et  l'autre 
dans  le  monastère  des  Capucins  de  Termonde  (Flandre  orientale).  —  Belgium  Marianum,  par  le  Père 
Smct,  S.  J. 

1.  Voir  la  vie  de  saint  Augustin  au  23  août. 


442  18  OCTOBRE. 

l'étude  des  lettres  et  de  la  sagesse.  Elle  avait  des  écoles  renommées  dans 
tous  les  arts  et  dans  toutes  les  sciences.  Saint  Luc  y  fît  dans  sa  jeunesse 
d'excellentes  études,  et  on  dit  qu'il  perfectionna  encore  les  connaissances 
qu'il  avait  acquises  par  divers  voyages  qu'il  fit  en  Grèce  et  en  Egypte.  Son 
goût  le^orta  particulièrement  vers  la  médecine.  Ceux  qui  tirent  par  là  des 
conséquences  en  faveur  de  son  extraction  et  de  sa  fortune  ne  font  pas 
attention  que  la  médecine  était  souvent  exercée  par  des  esclaves  que  l'on 
faisait  élever  dans  cette  science,  comme  l'a  montré  Grotius.  Ce  savant 
ajoute  que  saint  Luc  fut  peut-être  attaché  à  quelque  famille  noble  en 
qualité  de  médecin,  et  qu'après  son  affranchissement,  il  resta  toujours 
dans  sa  première  profession.  Mais  il  paraît  que  ce  ne  fut  qu'après  sa  con- 
version au  christianisme,  et  même  sur  la  fin  de  sa  vie,  que  la  charité  lui  fit 
exercer  un  art  qui  n'était  point  incompatible  avec  les  fonctions  du  minis- 
tère apostolique.  Saint  Jérôme  assure  qu'il  y  excellait  ;  et  saint  Paul,  en 
disant  :  «  Luc,  médecin,  notre  très-cher  frère  »,  semble  indiquer  qu'il  ne 
cessa  point  de  s'y  appliquer. 

Saint  Luc  n'était  pas  seulement  habile  dans  la  médecine  ;  on  ajoute 
qu'il  excellait  encore  dans  la  peinture.  Si  l'on  s'en  rapporte  au  ménologe 
de  l'empereur  Basile,  compilé  en  980,  à  Nicéphore,  et  à  d'autres  Grecs 
modernes  que  cite  Gretzer  dans  une  dissertation  à  ce  sujet,  il  laissa  plu- 
sieurs portraits  de  Jésus-Christ  et  de  la  sainte  Vierge.  Ce  qu'ils  rapportent 
à  ce  sujet  est  appuyé  de  l'autorité  de  Théodore,  lecteur,  qui  vivait  en  518. 
On  lit  dans  cet  écrivain  qu'on  envoya  de  Jérusalem  à  l'impératrice  Pulché- 
rie  un  portrait  de  la  sainte  Vierge  peint  par  saint  Luc,  et  que  cette  prin- 
cesse le  mit  dans  une  église  qu'elle  avait  fait  bâtir  à  Constantinople.  On  a 
trouvé  à  Rome,  dans  un  souterrain,  près  de  l'église  de  Sainte-Marie,  dite 
in  via  lata,  une  ancienne  inscription  où  il  est  dit  d'un  portrait  de  la  sainte 
Vierge  que  c'est  «  un  des  sept  peints  par  saint  Luc  ».  Il  y  a  encore  trois 
ou  quatre  autres  portraits  semblables,  dont  le  principal  a  été  placé  par  le 
pape  Paul  V  dans  la  chapelle  Borghèse,  dans  l'église  de  Sainte-Marie- 
Majeure. 

Saint  Luc  embrassa  le  Christianisme  ;  mais  on  ignore  s'il  suivait  aupara- 
vant les  superstitions  de  l'idolâtrie  ou  les  observances  de  la  loi  mosaïque. 
On  ne  peut  douter  qu'il  n'y  eût  alors  un  grand  nombre  de  Juifs  à  Antioche, 
surtout  de  ceux  qu'on  appelait  Hellénistes  et  qui  lisaient  l'Ecriture  dans 
la  traduction  des  Septante.  Saint  Jérôme  observe,  d'après  les  écrits  de  saint 
Luc,  qu'il  savait  mieux  le  grec  que  l'hébreu;  qu'il  ne  se  contente  pas  de 
faire  usage  de  la  version  des  Septante,  comme  les  autres  auteurs  du  Nou- 
veau Testament  qui  ont  écrit  dans  la  même  langue,  et  qu'il  s'abstient  de 
traduire  certains  mots  qu'il  ne  pouvait  bien  rendre  en  grec.  Les  uns  pré- 
tendent qu'il  fut  converti  par  saint  Paul  à  Antioche  ;  mais  les  autres  le 
nient,  en  se  fondant  sur  ce  que  l'Apôtre  ne  l'appelle  nulle  part  son  fils,  nom 
qu'il  donne  ordinairement  à  ceux  qu'il  avait  engendrés  à  Jésus-Christ. 
«  D'après  le  ton  et  le  coloris  du  style  de  saint  Luc  »,  dit  Hug,  «  quoiqu'on 
y  remarque  à  un  plus  haut  degré  l'influence  d'une  éducation  grecque,  on 
ne  peut  contester  qu'il  ait  été  Juif  ou  Syrien.  Quand  on  considère  la  con- 
naissance du  judaïsme  dont  il  fait  preuve  dans  ses  deux  ouvrages,  on  est 
forcé  d'avouer  que  ce  n'est  pas  seulement  à  moitié  et  superficiellement 
qu'il  a  apprécié  les  mœurs  de  ce  peuple,  si  obscures  pour  un  étranger,  et 
qu'il  a  compris  les  cérémonies  de  son  culte.  Nulle  part  le  commentateur 
ne  se  trouve  arrêté,  nulle  part  il  n'a  lieu  de  regretter  que  l'auteur  n'ait  pas 
mieux  approfondi  le  judaïsme,  ses  rites  et  ses  cérémonies.  Qu'on  n'en  exige 


saint  luc  d'antioche,  evangéliste.  443 

pas  la  preuve  par  des  exemples  ;  le  nombre  en  serait  trop  grand,  et  nous 
serions  forcé  de  faire  remarquer  trop  de  détails,  qui  sont  néanmoins  les 
meilleures  preuves  d'une  connaissance  exacte  des  faits.  Tant  il  y  a,  que 
nous  pouvons  induire  de  son  style  et  de  ses  connaissances,  que  par  le  pre« 
mier  il  était  de  Syrie  ou  de  Palestine,  et  par  les  autres,  juif  ou  prosélyte 
bien  instruit.  Quant  au  premier  point,  l'histoire  nous  fournit  des  rensei- 
gnements plus  positifs,  d'après  lesquels  saint  Luc  est  né  à  Antioche,  en 
Syrie.  Pour  ce  qui  regarde  sa  religion,  il  résulte  de  l'Epître  aux  Colossiens 
qu'il  professa  le  judaïsme  par  choix  et  non  à  cause  de  sa  naissance  ». 

Saint  Epiphane,  saint  Grégoire  le  Grand,  Origène,  saint  Euthyme,  saint 
Dorothée,  témoignent  que  saint  Luc  était  l'un  des  soixante-douze  disciples. 
Siméon  Métaphraste  parle  ainsi  de  la  conversion  de  notre  saint  Evangéliste  : 
«  Il  était  occupé  aux  sciences  humaines,  à  l'étude  des  langues,  de  la  gram- 
maire, de  la  rhétorique  et  surtout  à  la  philosophie  grecque,  lorsque  se  pré- 
senta à  lui  une  occasion  de  passer  à  un  état  meilleur.  Le  Fils  de  Dieu, 
revêtu  de  notre  nature  corporelle,  paraissait  alors  au  milieu  des  popula- 
tions de  la  Judée.  Après  avoir  soutenu  un  combat  et  remporté  une  victoire 
contre  l'ennemi  de  Dieu  et  des  hommes,  après  avoir  été  signalé  publique- 
ment comme  Messie  et  Fils  de  Dieu  par  la  voix  du  Père  céleste,  sur  les 
rives  du  Jourdain,  il  conversait  avec  les  hommes  et  les  instruisait  des  choses 
du  salut.  Sa  renommée  s'étendait  dans  la  Judée,  dans  la  Galilée  et  dans 
tous  les  pays  limitrophes  de  la  Palestine.  Pendant  que  plusieurs  fermaient 
les  oreilles  à  la  voix  qui  leur  annonçait  la  vérité,  d'autres  étaient  attentifs 
à  ses  prédications  et  ne  perdaient  aucune  parole,  sortie  de  la  bouche  du 
Sauveur  des  hommes.  Du  nombre  de  ces  derniers  se  trouva  notre  saint 
Evangéliste.  Il  vint  souvent  l'écouter,  et  il  le  vit  souvent  opérer  des  œuvres 
surnaturelles.  Eclairé  dès  lors  par  une  lumière  céleste,  il  ne  considéra 
plus  les  liens  de  la  parenté,  ni  les  attachements  naturels;  il  foula  aux  pieds 
l'argent,  les  richesses.  Sans  se  donner  le  temps  d'aller  vendre  et  de  distri- 
buer aux  pauvres  les  biens  qu'il  possédait,  il  embrassa  la  voie  céleste,  qui 
se  présentait  devant  lui,  et,  après  avoir  conversé  avec  celui  qu'il  aimait 
ardemment,  il  s'attacha  à  lui,  comme  son  disciple  sincère  et  véritable. 

«  Comme  il  avait  été  fréquemment  témoin  des  miracles  et  des  prodiges 
éclatants  de  son  maître,  il  le  reconnaissait  pour  le  Messie,  envoyé  de  Dieu, 
et  cette  foi  était  solidement  enracinée  dans  son  cœur.  Aussi  l'accorapa- 
gna-t-il  constamment  et  fidèlement,  partout  et  même  dans  les  afflictions  et 
les  persécutions  que  le  Christ  endura  pour  notre  salut.  Il  fut  témoin  de  sa 
Passion,  ainsi  que  de  sa  Résurrection.  Après  avoir  assisté  sur  le  mont  des 
Oliviers  au  spectacle  merveilleux  de  l'Ascension  de  Jésus-Christ,  il  reçut,  le 
jour  de  la  Pentecôte,  avec  les  autres  disciples,  les  dons  du  Saint-Esprit,  et 
devint  avec  le  secours  d'en  haut,  capable  d'évangéliser  les  peuples  aveo 
d'heureux  succès.  Ce  nouveau  pêcheur  d'hommes  jeta  alors  son  filet,  et 
amena  à  la  connaissance  de  la  vérité  beaucoup  de  Grecs  et  d'hommes  civi- 
lisés, qu'il  avait  tirés  des  ténèbres  de  l'ignorance  et  de  l'idolâtrie  ». 

Lorsque  saint  Paul  se  fut  converti  au  Christianisme,  saint  Luc  se  joignit 
à  lui  pour  l'accompagner  dans  ses  courses  apostoliques,  partager  ses  tra- 
vaux et  ses  périls.  On  ignore  le  lieu  et  le  temps  où  il  se  fit  son  coopé- 
rateur.  Il  commence  à  parler  de  lui-même,  en  première  personne,  dans  les 
Actes,  au  temps  où  l'Apôtre  s'embarqua  pour  passer  de  Troade  en  Macé- 
doine, l'an  51  de  Jésus-Christ,  peu  de  temps  après  le  départ  de  saint  Bar- 
nabe ;  et  saint  Irénée  date  de  la  même  époque  les  voyages  que  saint  Luc  fit 
avec  saint  Paul.. Ces  deux  grands  Saints  ne  se  séparèrent  plus  que  par 


444  ***   OCTOBRE. 

intervalles  et  lorsque  les  besoins  des  Eglises  le  demandaient.  Toute  l'ambi- 
tion de  saint  Luc  était  de  partager  les  travaux,  les  fatigues,  les  souffrances 
et  les  dangers  de  l'Apôtre.  Il  fit  avec  lui  quelque  séjour  à  Phiiippes,  en 
Macédoine.  Ils  parcoururent  ensemble  les  villes  de  la  Grèce,  où  la  moisson 
devenait  chaque  jour  plus  abondante.  Saint  Paul,  écrivant  à  Philémon, 
parle  de  saint  Luc  comme  le  compagnon  de  ses  travaux,  comme  son  coopé- 
rateur. 

Les  interprètes  pensent  que  Lucius,  que  saint  Paul  appelle  son  parent, 
est  le  même  que  saint  Luc;  et  ils  se  fondent  sur  ce  que  le  môme  Apôtre 
donne  aussi  une  terminaison  latine  au  nom  de  Silas  en  l'appelant  Sylvanus  *. 
Plusieurs  auteurs  prétendent,  d'après  Origène,  Eusèbe  et  saint  Jérôme, 
que  quand  saint  Paul  parle  de  son  Evangile  dans  l'Epître  aux  Romains,  il 
entend  celui  de  saint  Luc  ;  mais  ce  passage  peut  ne  signifier  autre  chose 
que  l'Evangile  en  général,  qui  était  prêché  par  saint  Paul.  L'Epître  aux 
Romains  fut  écrite  en  57,  quatre  ans  avant  le  premier  voyage  de  l'Apôtre 
à  Rome. 

Le  démon,  qui  cherche  toujours  à  obscurcir  la  vérité  par  le  mensonge 
dont  il  est  le  père,  suscita  quelques-uns  de  ses  ministres  pour  répandre  des 
histoires  fabuleuses  concernant  Jésus-Christ.  Ce  fut  pour  en  empêcher  l'effet 
que  saint  Luc  écrivit  son  Evangile.  On  a  dit  qu'il  s'était  aussi  proposé  de 
suppléer  aux  omissions  des  Evangiles  de  saint  Matthieu  et  de  saint  Marc, 
qui  avaient  déjà  paru,  mais  nous  n'avons  point  de  preuves  certaines  qu'il 
ait  eu  ce  dessein  ;  il  ne  paraît  pas  même  qu'il  eût  lu  les  deux  évangélistes 
qui  l'avaient  précédé.  L'ouvrage  de  saint  Luc  est  souvent  attribué  à  saint 
Paul.  Le  maître  sans  doute  aida  son  disciple,  et  approuva  depuis  son  Evan- 
gile ;  mais  saint  Luc  assure  lui-même  qu'il  avait  écrit  d'après  ce  qu'il  avait 
vu  et  aussi  d'après  les  témoins  oculaires  des  actions  de  Jésus-Christ.  Ces 
témoins,  qui  d'ailleurs  avaient  eu  part  aux  faits  rapportés,  donnent  à  son 
récit  le  plus  haut  degré  d'autorité.  Il  fut  encore  dirigé  par  le  Saint-Esprit, 
qui  lui  révéla  tout  ce  qu'il  a  rapporté  concernant  nos  Mystères,  et  qui 
l'assista  d'une  inspiration  spéciale  jusque  dans  les  plus  petits  événements 
historiques.  Les  anciens,  en  prétendant  que  saint  Paul  avait  concouru  à 
l'Evangile  de  saint  Luc,  se  sont  apparemment  fondés  sur  la  conformité  des 
expressions  dont  ils  se  sont  servis  l'un  et  l'autre,  en  rapportant  l'institution 
de  l'Eucharistie  et  l'apparition  de  Jésus-Christ  à  saint  Pierre. 

Selon  saint  Jérôme  et  saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint  Luc  écrivit  son 
Evangile  dans  le  temps  que  saint  Paul  prêchait  dans  l'Achaïe,  et  il  alla 
deux  fois  dans  ces  contrées  avec  l'Apôtre,  en  53  et  en  58.  Il  doit  avoir  écrit 
son  Evangile  en  53,  s'il  est  vrai  que  saint  Paul  en  parle  dans  son  Epître  aux 
Romains,  comme  l'assurent  les  anciens.  Il  l'aurait  écrit  à  Rome,  si  l'on  s'en 
rapportait  aux  titres  de  quelques  manuscrits  grecs,  et  pendant  le  premier 
emprisonnement  de  l'Apôtre  ;  mais  ces  titres  sont  modernes  et  paraissent 
confondre  le  livre  dont  il  s'agit  avec  les  Actes  des  Apôtres. 

Saint  Luc  insiste  particulièrement  dans  son  Evangile  sur  ce  qui  a  rap- 
port au  sacerdoce  de  Jésus-Christ  ;  et  c'est  pour  cela  que  les  anciens,  en 
appliquant  aux  quatre  évangélistes  les  représentations  symboliques  men- 
tionnées dans  Ezéchiel,  assignent  à  notre  Saint,  le  bœuf,  comme  un  em- 

1.  Hug  réfute  cette  hypothèse  :  ■  Mais  saint  Luc  »,  dit-il,  •  ne  se  trouvait  pas  à  Corinthe  à  l'époque 
oti  cette  épitre  fut  écrite.  Il  était  alors  à  Phiiippes,  ou  bien  peut-être  venu  de  la  Troade,  pour  aller  à  la 
rencontre  de  l'Apôtre,  comme  il  traversait  la  Macédoine.  Il  importe  peu  de  savoir  laquelle  de  ces  deux 
suppositions  est  fondée  ;  il  suffit  que  son  éloignement  de  saint  Paul  ne  nous  permette  pas  de  confondra 
notre  Salât  avec  ce  Lucius  •. 


SAINT  LUC  D  AXTÎOCIIE,  ÉVANGÉUSTE.  4|5 

blême  des  sacrifices.  Ce  n'est  que  dans  cet  Evangile  que  Ton  trouve  le  récit 
de  plusieurs  circonstances  relatives  à  l'Incarnation,  comme  l'annonciation 
de  ce  mystère  à  la  sainte  Vierge,  sa  visite  à  sainte  Elisabeth,  la  parabole 
de  l'Enfant  prodigue,  et  plusieurs  autres  particularités.  Le  style  en  est 
clair,  élégant,  varié.  Les  pensées  et  la  diction  ont  une  sublimité  qui  étonne. 
On  y  admire  en  même  temps  cette  simplicité  qui  fait  le  caractère  distinctif 
des  écrivains  sacrés.  Les  actions  de  la  doctrine  du  Sauveur  y  sont  présentées 
de  la  manière  la  plus  touchante  ;  chaque  mot  renferme  des  mystères  ca- 
chés, offre  des  richesses  inépuisables,  et  devient  le  principe  de  toutes  les 
vertus  pour  ceux  qui  lisent  ces  oracles  sacrés  avec  l'humilité  et  les  autres 
dispositions  convenables.  La  dignité  avec  laquelle  sont  présentés  les  mys- 
tères les  plus  sublimes,  qui  sont  au-dessus  de  toute  expression  et  de  notre 
manière  de  concevoir  les  choses  créées,  cette  dignité  où  l'on  ne  remarque 
aucune  parole  pompeuse,  a  quelque  chose  de  divin.  L'énergie  avec  laquelle 
l'Evangéliste  parle  de  la  patience,  de  la  douceur,  de  la  charité  d'un  Dieu 
fait  homme  pour  nous,  de  ses  leçons,  de  sa  vie  ;  son  sang-froid  dans  le  récit 
des  souffrances  et  de  la  mort  du  Sauveur  ;  son  attention  à  éviter  toute 
exclamation  et  à  s'abstenir  de  ces  épithètes  dures  qu'il  est  si  ordinaire  de 
donner  aux  ennemis  de  ce  que  l'on  aime  :  tout  cela  a  nous  ne  savons  quoi 
de  grand,  de  noble,  de  touchant,  de  persuasif,  que  l'on  chercherait  en  vain 
dans  les  plus  beaux  ornements  du  langage.  Cette  simplicité  fait  que  les 
grandes  actions  parlent,  pour  ainsi  dire,  elles-mêmes,  et  l'éloquence  hu- 
maine ne  ferait  qu'en  diminuer  l'éclat.  Il  est  vrai  que  les  écrivains  sacrés 
sont  les  instruments  ou  les  organes  du  Saint-Esprit  ;  mais  leur  style  seul 
fait  voir  que  leur  âme  n'était  point  assujétie  à  l'empire  des  passions,  et 
qu'ils  possédaient  dans  le  plus  haut  degré  toutes  ces  vertus  célestes  dont 
leurs  écrits  inspirent  l'amour  aux  lecteurs  attentifs  et  jaloux  de  s'instruire. 

Vers  l'an  56  de  Jésus-Christ,  saint  Luc  et  saint  Tite  furent  envoyés  à 
Corinthe  par  saint  Paul.  Le  premier  est  représenté  par  l'Apôtre  comme  un 
homme  dont  le  nom  est  célèbre  dans  toutes  les  églises.  Il  le  suivit  à  Rome 
en  61,  lorsqu'il  y  fut  envoyé  comme  prisonnier  de  Jérusalem.  Saint  Paul 
resta  deux  ans  dans  cette  ville  ;  mais  il  eut  enfin  la  permission  de  vivre 
dans  une  maison  qu'il  avait  louée  ;  et  les  gardes  auxquels  on  l'avait  confié 
ne  l'empêchaient  point  de  prêcher  l'Evangile  à  ceux  qui  venaient  le  trouver 
chaque  jour.  Il  paraît  par  divers  monuments  anciens  de  l'église  de  Sainte- 
Marie  de  Rome,  dite  in  via  lata,  et  qui  est  un  ancien  titre  de  cardinal- 
diacre,  qu'elle  est  bâtie  à  l'endroit  où  saint  Paul  logeait  et  où  saint  Luc 
écrivit  les  Actes  des  Apôtres.  C'est  pour  cela  que  Sixte-Quint  fit  mettre  la 
statue  de  saint  Paul,  avec  une  nouvelle  inscription,  sur  la  fameuse  colonne 
d'Antonin,  qui  est  dans  le  voisinage. 

Saint  Luc  ne  quitta  point  saint  Paul  pendant  son  emprisonnement,  et  il 
eut  la  consolation  de  lui  voir  rendre  la  liberté  en  63.  Ce  fut  dans  cette 
même  année  qu'il  acheva  les  Actes  des  Apôtres,  histoire  qu'il  avait  entre- 
prise à  Rome  par  l'inspiration  du  Saint-Esprit.  C'est  comme  la  suite  de  son 
Evangile  ;  il  se  propose  de  réfuter  les  fausses  relations  que  l'on  publiait  sur 
la  vie  et  les  travaux  apostoliques  des  fondateurs  du  christianisme,  et  de 
laisser  une  histoire  authentique  des  merveilles  dont  Dieu  s'était  servi  pour 
former  son  Eglise,  et  qui  sont  une  preuve  invincible  de  la  résurrection  du 
Sauveur  et  de  la  divinité  de  l'Evangile.  Dans  les  douze  premiers  chapitres, 
il  rapporte  ce  qu'avaient  fait  les  principaux  Apôtres  pour  l'établissement 
de  notre  sainte  Religion,  depuis  l'ascension  du  Sauveur.  Dans  le  reste  de 
son  ouvrage,  il  se  borne  presque  entièrement  aux  actions  et  aux  miracles 


446  *5  OCTOBRE. 

de  saint  Paul,  dont  il  avait  été  témoin  oculaire  et  auxquels  il  avait  eu  beau- 
coup de  part.  Théophile,  à  qui  il  dédia  son  Evangile  et  les  Actes  des  Apôtres 
et  auquel  il  donne  le  titre  de  très-excellent,  devait  être,  autant  qu'on  en 
peut  juger  par  le  style  de  ce  temps-là,  un  homme  de  la  première  distinc- 
tion et  un  magistrat  public,  probablement  de  la  ville  d'Antioche  ;  peut-être 
aussi  avait-il  été  converti  par  saint  Luc.  L'Evangile  de  ce  Saint  et  ses  Actes 
des  Apôtres  furent  encore  écrits  pour  l'instruction  des  diverses  Eglises  et  de 
tous  les  siècles  futurs.  On  remarque  de  la  différence  dans  le  style  des  au- 
teurs inspirés.  L'élégance  et  la  politesse  caractérisent  celui  d'Isaïe  ;  il  y  a  une 
certaine  rudesse  dans  celui  d'Amos,  qui  était  berger.  Le  style  de  saint  Luc 
est  exact,  pur,  élégant  ;  ce  qui  prouve  qu'il  avait  reçu  une  excellente  édu- 
cation et  qu'il  avait  étudié  la  littérature  à  Antioche  ;  on  y  trouve  cependant 
quelques  hébraïsmes  et  quelques  syriacismes.  Il  est  en  général  facile,  na- 
turel, agréable,  et  tout  à  fait  approprié  au  genre  historique. 

Le  saint  Evangéliste  ne  quitta  point  son  maître  après  son  élargissement. 
L'Apôtre,  durant  son  dernier  emprisonnement,  écrivait  de  Rome  <jue  tous 
les  autres  l'avaient  quitté  et  que  saint  Luc  était  seul  avec  lui.  Après  le  mar- 
tyre de  saint  Paul,  saint  Epiphane  dit  que  saint  Luc  prêcha  dans  l'Italie,  la 
Gaule,  la  Dalmatie  et  la  Macédoine.  Selon  Fortunat  et  Métaphraste,  saint 
Luc  passa  en  Egypte  et  prêcha  dans  la  Thébaïde.  Saint  Hippolyte  dit  qu'il 
fut  crucifié  à  Elée,  dans  le  Péloponèse.  Il  fut  attaché  à  un  olivier,  si  l'on  s'en 
rapporte  aux  Grecs  modernes.  L'ancien  martyrologe  africain  du  cinquième 
siècle  lui  donne  les  titres  d'évangéliste  et  de  martyr  ;  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  saint  Paulin  et  saint  Gaudence  de  Brescia  assurent  aussi  qu'il  alla 
dans  le  ciel  par  la  voie  du  martyre.  Mais  Bède,  Adon,  Usuard  et  Baronius 
disent  seulement  dans  leurs  martyrologes  qu'il  souffrit  beaucoup  poifr  la  foi 
et  qu'il  mourut  fort  âgé  dans  la  Bithynie.  Il  est  très-probable  qu'il  passa 
dans  cette  contrée  pour  y  annoncer  l'Evangile.  Il  n'y  resta  cependant  pas 
toujours.  Il  revint  dans  l'Achaïe,  qui  comprenait  alors  le  Péloponèse,  et  il 
y  finit  sa  course.  Le  sentiment  des  Grecs  modernes  est  que  saint  Luc  vécut 
quatre-vingt-quatre  ans,  et  ce  sentiment  est  fondé  sur  ce  que  saint  Jérôme 
dit  de  ce  Saint  ;  mais  le  dernier  éditeur  des  œuvres  de  ce  Père  l'a  réfuté, 
en  montrant  que  le  passage  en  question  ne  se  trouve  dans  aucun  ancien 
manuscrit. 

Les  caractéristiques  les  plus  ordinaires  de  saint  Luc  sont  :  le  bœuf,  un 
livre  fermé  ou  ouvert,  un  chevalet,  des  attributs  de  peintre,  un  portrait  de 
la  sainte  Vierge.  On  le  peint  encore  écrivant  son  Evangile.  Il  est  aussi 
représenté  posé  dans  un  tombeau  par  deux  de  ses  disciples  et  encensé  par 
un  troisième  :  cette  dernière  caractéristique  a  trait  à  la  fête  de  la  commé- 
moration de  la  translation  de  son  corps  du  lieu  de  sa  mort  à  l'église  des 
Saints-Apôtres  à  Gonstantinople. 

CULTE  ET  RELIQUES.  —  SES  ÉCRITS. 

En  357,  l'empereur  Constance  fit  transférer  les  reliques  de  saint  Luc,  de  Patras  en  Achaïe,  à 
Constantinople.  On  les  déposa  dans  l'église  des  Apôtres,  avec  celles  de  saint  André  et  de  saint  Ti- 
mothée.  11  se  fit  alors  quelques  distributions  des  premières.  Saint  Gaudence  de  Brescia  en  procura 
à  son  église  ;  saint  Paulin  en  mit  dans  celle  de  Saint-Félix,  à  Noie,  et  dans  une  autre  église  qu'il 
avait  fait  bâtir  à  Fondi. 

L'église  des  Apôtres  à  Constantinople  avait  été  bâtie  par  Constantin  le  Grand.  Ce  prince  fut 
enterré  dans  le  porche  de  cette  église,  et  l'on  renferma  son  corps  dans  un  cercueil  d'or.  On  repré- 
senta les  douze  Apôtres  autour  de  son  tombeau.  Lorsque  l'empereur  Justinien  fit  réparer  l'église, 
les  ouvriers  trouvèrent  trois  coffres  de  bois,  avec  des  inscriptions  qui  portaient  que  c'étaient  les 


SAINT  JUST  D'AUXERRE,   ENFANT,   MARTYR  DANS  LE    1ÎEAUVAI5IS.  447 

corps  de  saint  Luc,  de  saint  André  et  de  saint  Timothée.  Baronius  prétend  que  le  chef  de  saint 
Luc  fut  porté  à  Rome  par  saint  Grégoire,  et  déposé  dans  l'église  du  monastère  de  Saint-André.  On 
garde  une  partie  de  ses  reliques  dans  le  monastère  du  mont  Athos,  en  Grèce. 

Outre  Y  Evangile  et  les*  Actes  des  Apôtres,  Clément  d'Alexandrie  et  saint  Jérôme  disent  que 
saint  Luc  a  traduit  en  grec  Y E pitre  de  saint  Paul  aux  Hébreux.  Le  même  saint  Clément  lui  a 
encore  attribué  un  autre  ouvrage,  qui  est  la  Controverse  de  Jason  et  de  Papisque. 

Histoire  des  soixante-douze  disciples,  par  M.  l'abbé  Maistre  ;  Godescard. 


SAINT  JUST  D'AUXERRE  %  ENFANT, 

MARTYR  EN  BEAUVAISIS 
287.  —  Pape  :  Saint  Caïus.  —  Empereurs  romains  :  Dioclétien  et  Maximien. 


Il  est  une  espèce  glorieuse  de  martyrs  :  ce  sont  ceux 
qui,  semblables  à  une  victime  choisie,  sont  immo- 
lés en  confessant  le  nom  de  Dieu. 

Saint  Hilaire  de  Poitiers. 

Saint  Just  naquit  probablement  à  Àuxerre  ;  il  est  certain  du  moins  qu'il 
habitait  cette  ville  avec  son  père,  nommé  Justin,  et  sa  mère,  appelée  Féli- 
cie.  Dès  sa  plus  tendre  jeunesse,  il  pratiqua  des  vertus  qui  ne  mûrissent 
d'ordinaire  qu'à  un  âge  bien  plus  avancé,  et  mérita  par  là  un  don  merveil- 
leux de  seconde  vue  qui  devint  l'occasion  de  son  martyre  et  de  sa  gloire. 
Ce  pieux  enfant,  âgé  de  neuf  ans,  partageait  la  douleur  de  sa  famille  au 
sujet  de  son  oncle  Justinien,  qui  avait  été  enlevé  tout  jeune  et  vendu  cojnme 

1.  Les  Actes  de  saint  Just  (Juste,  Jût,  Jut,  Ju),  rédigés  vers  le  vnr»  siècle,  paraphrasés  au  xr»  siècle, 
dans  les  Lectionnaires  de  Beau  vais,  ont  été  faussement  appliqués  à  saint  Justin,  autre  enfant  martyr  dont 
on  conservait  le  corps  à  Louvres  en  Parisis  (Seine-et-Oise).  Nous  sommes  tombé  nous-même  {"Petits 
Bollandistes,  tome  ixe,  pages  175  et  397)  dans  cette  confusion  que  favorisait  une  Vie  en  vers,  longtemps 
attribuée  au  vénérable  Bède.  L'apparition  (mai  1873)  du  troisième  volume  de  la  savante  Hagiographie  dv 
diocèse  d'Amiens,  par  M.  l'abbé  Corblet,  nous  permet  heureusement  de  rectifier  aujourd'hui  cette  erreur. 
Résumons  en  deux  mots  sa  polémique,  pour  l'édification  de  nos  lecteurs  : 

«  Just  et  Justin  sont  bien  deux  Saints  différents,  tous  deux  enfants  martyrs.  Le  premier  est  inscrit 
dans  les  plus  anciens  martyrologes,  au  18  octobre;  le  second,  au  1er  août;  mais  on  a  toujours  célébré  la 
f8te  de  ce  dernier,  à  Paris,  au  8  de  ce  mois.  Le  corps  de  saint  Just,  inhumé  dans  la  petite  ville  du  Beau- 
vaisis  qui  porte  son  nom,  fut  transféré  à  la  cathédrale  de  Beauvais.  Le  corps  de  saint  Justin,  honoré  à 
Louvres  en  Parisis  (canton  de  Luzarches),  dès  le  ix°  siècle,  fut  transféré  à  Notre-Dame  de  Paris,  à  une 
époque  qui  nous  est  inconnue.  Comme  on  ignorait  la  vie  de  saint  Justin  de  Louvres.  on  lui  appliqua  les 
Actes  de  saint  Just,  en  raison  de  la  similitude  des  noms.  Les  modifications  furent  d'abord  fort  peu  nom- 
breuses. Des  changements  plus  graves,  destinés  à  favoriser  les  prétentions  de  l'Eglise  de  Paris,  furent 
introduits  dans  une  Vie  en  vers  qui  ne  remonte  qu'au  xv«  siècle,  mais  qu'on  a  longtemps  attribuée  à  Bède 
et  que  tous  ses  éditeurs  ont  insérée  dans  ses  œuvres.  Le  père  de  l'enfant  martyr  est  d^  i^né  sous  le  nom 
de  Matthieu.  Le  nom  de  Louvres  apparaît  pour  désigner  le  lieu  du  martyre.  Pour  tout  le  reste,  c'est  la 
traduction  amplifiée  de  la  légende  du  vnr*  siècle  que  nous  avons  suivie. 

«  Surius  publia,  toujours  sous  le  nom  de  Bède,  la  passion  du  xve  siècle,  mais  sans  aligner  les  vers,  et 
en  faisant  quelques  inversions  prosaïques.  Cette  publicité  causa  une  singulière  perturbation  dans  les  bré- 
viaires de  Paris  et  de  Beauvais.  Ce  nom  de  Lupera,  abrité  sous  l'autorité  de  Bède,  ne  fut  point  mis  en 
doute.  Aussi  Louvres  paraissait  triompher,  et  Louvet,  pour  soutenir  les  droits  du  Beauvaisis,  s'imaginait 
de  dire  que  Saint-Just  s'était  appelé  jadis  Louvres  en  Beauvaisis.  Heureusement  qu'on  présenta  des  argu- 
ments plus  sérieux.  On  fit  remarquer  que  Louvres  n'est  point  comme  Saint-Just  sur  la  route  d'Amiens  à 
Paris;  que  le  saint  enfant  ayant  été  martyrisé  le  lendemain  de  la  nuit  où  il  avait  pris  la  fuite,  on  peut 
bien  supposer  qu  il  a  fait  dix  lieues  pour  arriver  ù  Saiut-Just,  mais  non  pas  qu'il  en  ait  pu  faire  vingt- 
six  pour  se  rendre  à  Louvres;  que  les  légendes  de  Beauvais  ne  parlent  point  de  Lupera,  mais  do  la  fon- 
taine Sirique  et  de  la  rivière  d'Are  qui  se  trouvent  bien  à  Saint-Just  et  non  à  Louvres.  Battus  sur  la 
question  locale  du  martyre,  les  Parisiens  voulurent  prouver  que  saint  Just  et  saint  Justin  n'étaient  qu'un 
même  personnage,  martyrisé  il  est  vrai  en  Beauvaisis,  mais  dont  les  reliques  avaient  été  transférées,  au 
ix«  siècle,  de  Saint-Just  à  Saint-Syaipuoriea  de  Poitiers,  et  de  là  a  Paris,  ou  bien  directement  de  1*  catlié- 


448  *8  OCTOBRE. 

esclave,  sans  qu'on  ait  su  depuis  le  sort  qui  lui  était  échu.  Saint  Just  apprit 
par  une  vision  que  ce  parent  regretté  était  au  service  d'un  marchand 
nommé  Loup,  qui  habitait  la  ville  d'Amiens,  et  s'empressa  de  révéler  cette 
bonne  nouvelle  à  sa  famille.  Justin  chercha  en  vain  dans  Auxerre  quel- 
qu'un qui  voulut  bien  se  joindre  à  lui,  à  prix  d'argent,  pour  aller  délivrer 
son  frère  bien-aimé.  C'est  alors  que  saint  Just  s'offrit  pour  entreprendre 
ce  voyage.  Aux  objections  de  sa  mère,  qui  redoutait  la  fatigue  et  les  périls 
d'une  si  longue  excursion,  l'enfant  répondit  qu'il  s'en  remettait  complète- 
ment à  la  volonté  de  Dieu,  et  sa  détermination  parut  si  bien  inspirée  d'en 
haut,  qu'on  n'y  mit  plus  d'obstacle. 

Quelques  jours  après,  le  père  et  le  fils,  munis  d'argent  et  de  provisions, 
se  mirent  en  route  et  arrivèrent  à  Melun  vers  le  soir.  Là,  un  pauvre,  tout 
à  la  fois  aveugle  et  boiteux,  sollicita  leur  charité,  en  se  plaignant  de  la 
faim.  Saint  Just  ne  se  contenta  point  de  lui  faire  part  de  ses  provisions  de 
voyage,  mais  se  dépouilla  de  son  habit  pour  le  lui  donner.  Gomme  son  père 
l'en  réprimandait  :  «  N'est-il  pas  écrit  »,  lui  dit-il,  «  que  bienheureux  est 
celui  qui  compatit  aux  souffrances  des  indigents,  parce  que  le  Seigneur  à 
son  tour  prendra  pitié  de  lui  dans  les  jours  d'infortune  ?  » 

Le  lendemain  matin,  les  voyageurs  poursuivirent  leur  route  et  rencon- 
trèrent près  de  Paris  un  excellent  homme,  nommé  Hippolyte,  qui,  les 
ayant  interrogés  sur  leur  pays  et  le  but  de  leur  voyage,  leur  offrit  l'hospi- 
talité. Les  deux  Auxerrois  l'acceptèrent  et  allèrent  chez  lui  réparer  leurs 
forces,  en  prenant  quelques  aliments,  du  vin  et  de  la  bière. 

Parvenus  aux  bords  de  l'Oise,  ils  ne  trouvèrent  point  d'abord  de  barque  ; 
mais,  grâce  à  Dieu,  un  batelier  qui  descendait  la  rivière  se  rendit  enfin  à 
leur  appel  et  les  transporta  à  l'autre  bord,  sans  vouloir  accepter  aucune 
rémunération.  Aussitôt  qu'ils  furent  arrivés  à  Amiens,  Justin  et  Just  s'in- 
formèrent de  la  demeure  de  Loup,  ou  bien  de  l'endroit  où  ils  pourraient  le 
trouver.  L'ayant  rencontré  dans  la  ville,  ils  lui  exposèrent  le  but  de  leur 
voyage.  «  Venez  chez  moi  »,  leur  dit  le  marchand,  «  je  vous  montrerai 
tous  mes  esclaves,  et  si  vous  reconnaissez  votre  parent,  vous  pourrez  l'em- 
mener avec  vous,  après  m' avoir  remboursé  sa  valeur  ». 

Ce  soir-là  môme,  tandis  que  Justin  examinait  chez  Loup  ses  douze 
esclaves,  sans  pouvoir  reconnaître  son  frère  parmi  eux,  saint  Just  s'écria  : 
«  Voici  celui  que  nous  cherchons  » ,  en  désignant  un  homme  qui  tenait  une 
lampe  allumée  ».  «  Comment  pourriez-vous  me  reconnaître  »,  remarqua  ce 
dernier,  «  puisque  vous  n'étiez  pas  né  quand  j'ai  quitté  mon  pays  ?  »  La 
désignation  du  jeune  enfant  n'en  était  pas  moins  l'expression  de  la  vérité. 

Un  jeune  soldat  du  persécuteur  Rictiovare  avait  été  témoin  de  cette 
reconnaissance.  Il  s'empressa  d'aller  prévenir  son  chef:  «  J'ai  découvert  », 
lui  dit-il,  «  de  ces  gens  adonnés  à  la  magie  qui  se  proclament  chrétiens  ; 
que  faut-il  en  faire  ?»  —  «  Amenez-les-moi  bien  vite  » ,  répondit  le  tyran  ; 
te  et,  s'ils  refusent  de  venir,  qu'on  les  mette  en  prison  jusqu'à  ce  que  je  les 
fasse  comparaître  devant  moi  ».  Les  satellites,  qui  devaient  exécuter  cet 
ordre,  ne  trouvèrent  plus  les  chrétiens  dans  la  maison  de  Loup  :  car  celui- 

drale  do  Beauvais  à  celle  de  Paris.  C'est  cette  dernière  supposition  qu'admet  le  bréviaire  parisien  de  1607; 
aucune  de  ces  hypothèses  n'est  appuyée  sur  des  preuves  historiques. 

«  François  de  Gondy,  évêque  de  Paris,  ayant  ouvert  la  châsse  de  saint  Justin  pour  en  donner  quelques 
reliques  à  l'église  de  Louvres,  qui  lui  est  dédiée,  constata  qu'elles  étaient  bien  les  ossements  d'un  enfant  : 
mais  il  trouva  une  partie  du  chef!  Cela  aurait  dû  suffire  pour  montrer  qu'on  avait  appliqué  à  tort  au  saint 
Justin  de  Louvres  les  Actes  du  Martyr  dont  la  tête  tout  entière  avait  été  portée  à  Auxerre.  Cependant  le 
bréviaire  actuel  de  Paris  n'en  continue  pas  moins  à  dire,  en  reproduisant  l'abrégé  des  Actes  de  saint  Just, 
que  saint  Justin  fut  inhumé  à  Louvres  et  transféré  ensuite  à  Notre-Dame  de  Paris  ». 


SAINT  JUST  D'AUXERRE,   ENFANT,   MARTYR  DANS  LE  DEAUVAISIS.  449 

ci,  sans  accepter  leur  argent,  les  avait  engagés  à  repartir  aussitôt  pour 
échapper  aux  persécutions  du  terrible  juge.  Rictiovare  ne  pouvait  point 
renoncer  si  facilement  à  sa  proie.  «  Que  quatre  hommes  montent  à  cheval  », 
s'écria-t-il,  «  et  forcent  ces  chrétiens  à  revenir  ici.  S'ils  refusent  d'obéir, 
qu'on  les  mette  à  mort  !  » 

Les  trois  fugitifs,  en  suivant  la  voie  romaine  qui  conduisait  d'Amiens  à 
Senlis,  étaient  arrivés  à  Sinamovicus,  aujourd'hui  Saint-Just-en-Chaussée, 
près  de  la  fontaine  Sirique  '  qui  alimente  la  rivière  d'Aire  ou  Are.  Justinien 
dit  à  son  frère  :  «  Puisque  voici  de  l'eau,  arrêtons-nous  ici  pour  manger  et 
prendre  de  nouvelles  forces  ».  Et  saint  Jùst  de  s'écrier  :  «  Hâtez-vous,  car 
voici  que  Rictiovare  a  expédié  quatre  cavaliers  pour  nous  ramener  à  Amiens 
et  nous  mettre  à  mort;  je  veillerai  pendant  votre  repas;  s'ils  arrivent,  je 
causerai  avec  eux,  pendant  que  vous  resterez  cachés  dans  cette  caverne 
voisine  ».  A  peine  avait-il  dit  ces  mots  que  saint  Just  aperçut  les  satellites  ; 
ses  deux  parents  s'empressèrent  de  suivre  le  conseil  qui  leur  avait  été 
donné. 

Les  soldats  de  Rictiovare  demandèrent  à  saint  Just  où  étaient  les  parents 
qui  l'accompagnaient,  et  à  quels  dieux  ils  avaient  l'habitude  d'offrir  leurs 
sacrifices.  Le  courageux  enfant  refusa  de  trahir  les  siens  et  se  borna  à  ré- 
pondre qu'il  était  chrétien.  L'un  des  cavaliers  lui  trancha  aussitôt  la  tête, 
avec  l'intention  de  la  porter  à  Rictiovare.  Mais  le  corps  du  saint  enfant  se 
redressa  soudain  et  replaça  sa  tête  sur  ses  épaules.  «  Dieu  du  ciel  et  de  la 
terre  »,  s'écria-t-il,  «  reeevez  mon  âme,  car  je  suis  innocent!  »  Les  satel- 
lites, épouvantés  d'un  tel  prodige,  s'enfuirent  aussitôt  et  allèrent  raconter 
à  Rictiovare  ce  dont  ils  avaient  été  témoins. 

Justin  et  Justinien,  qui  avaient  entendu  la  prière  du  jeune  martyr,  sor- 
tirent de  leur  retraite  et  se  demandèrent  ce  qu'ils  allaient  faire  de  ce  corps 
décapité.  On  raconte  que  la  tête  leur  dit  :  «  Entrez  dans  la  caverne,  vous  y 
trouverez  un  antique  tombeau  couvert  de  lierre  :  c'est  là  que  vous  dépose- 
rez mon  corps.  Quant  à  ma  tête,  portez-la  à  ma  mère  pour  qu'elle  l'em- 
brasse. Si  elle  désire  me  revoir,  c'est  dans  le  Paradis  qu'elle  devra  m'aller 
chercher. 

Justin  et  Justinien,  après  avoir  enseveli  le  corps  de  saint  Just,  se  hâtè- 
rent de  retourner  à  Auxerre,  où  ils  arrivèrent  au  bout  de  trois  jours.  Quand 
Félicie  eut  appris  la  mort  de  son  fils,  elle  bénit  Dieu  de  l'avoir  ainsi  glori- 
fiée et  suspendit  dans  sa  maison  la  tête  du  martyr,  enveloppée  d'un  linge. 
Pendant  la  nuit,  cette  précieuse  relique  inonda  de  lumière,  non-seulement 
le  logis,  mais  la  ville  tout  entière. 

L'évêque  d'Auxerre  (que  toutes  les  légendes  désignent  à  tort  sous  le 
nom  de  saint  Amateur)  venait  de  se  lever  pour  réciter  les  Laudes.  «  J'ai 
vu  »,  dit-il  à  son  clergé,  «  une  grande  lueur  qui,  partant  de  la  maison  de 
Justin,  enveloppait  toute  la  cité.  Allez  vite  vous  enquérir  des  causes  de  ce 
phénomène  ».  Trois  prêtres  qui  allèrent  aux  informations  revinrent  bientôt 
raconter  les  détails  du  martyre  qui  s'était  accompli  dans  le  Beauvaisis.  Le 
peuple,  après  avoir  rendu  grâces  à  Dieu,  fit  préparer  une  châsse,  pour 
qu'on  allât  chercher  solennellement,  avec  la  croix,  les  luminaires  et  les 
encensoirs,  la  tête  de  saint  Just,  et  qu'on  la  déposât  dans  l'église  cathé- 
drale, à  l'endroit  même  qu'il  avait  choisi  pour  sépulture. 

Une  jeune  fille,  âgée  de  seize  ans,  aveugle  de  naissance,  invoqua  la 

1.  La  fontaine  Sirique  se  trouve  à  l'extrémité  nord  d'une  pièce  d'eau  qui  était  jadis  enclavée  dans 
l'abbaye  de  Saint- Just.  Le  nom  de  Puchot  qu'on  lui  donne  aujourd'hui  vient  da  l'usage  où  étaient  les 
pèlerins  d'y  pucher  (puiser)  de  l'eau. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  20 


450  1S   OCTOBRE. 

relique  dont  venait  de  s'enrichir  l'église  d'Auxerre,  et  recouvra  soudain  la 
vue,  ce  qui  donna  lieu  aux  actions  de  grâces  des  fidèles  et  du  clergé. 

On  montre  à  Auxerre,  dans  la  rue  du  Temple,  l'emplacement  de  la 
maison  qu'habitait  saint  Just,  où  se  trouve  une  statue,  datée  de  1780, 
représentant  le  jeune  martyr,  avec  une  palme  dans  la  main  droite  et  un 
livre  dans  la  main  gauche.  Quand  le  Chapitre  se  rendait  processionnelle- 
ment  à  l'église  de  Saint-Amâtre,  il  faisait  une  station  devant  cette  maison 
et  récitait  une  oraison  à  saint  Just. 

Saint  Just  est  représenté  deux  fois  dans  les  verrières  des  hautes  fenêtres 
du  chœur,  à  la  cathédrale  de  Beauvais,  d'abord  sous  les  traits  d'un  enfant 
tenant  sa  tête  de  la  main  gauche,  et  puis  sous  la  physionomie  d'un  âge 
fait,  avec  l'inscription  S  IVST. 

On  voit  dans  l'église  de  Saint-Just  une  statue  du  saint  Patron,  tenant  sa 
tête  dans  les  mains,  et  un  tableau  sans  valeur  représentant  son  martyre. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Du  Beauvaisis,  le  culte  de  saint  Just  s'est  répandu  dans  les  diocèses  de  Paris,  de  Rouen, 
d'Auxerre,  etc.,  dans  les  Pays-Bas,  en  Allemagne,  en  Suisse  (diocèse  de  Coire),  en  Angleterre,  eu 
Italie,  etc.  Mais  il  est  juste  de  remarquer  que  ce  culte  a  été  souvent  motivé  par  la  possession  des 
reliques  d'un  saint  nommé  Just  ou  Justin,  plus  ou  moins  connu,  et  qu'on  a  confondu  avec  l'enfant 
martyr  du  Beauvaisis.  C'est  ce  qui  est  arrivé  à  Louvres,  à  Paris,  à  Einsidlen,  à  Flums  (Suisse),  à 
Zutphen  (Pays-Bas),  à  Malmédy  (Prusse),  à  Trêves,  à  Anvers,  etc. 

Le  tombeau  de  saint  Just,  à  Sinamovic,  devint  bientôt  un  lieu  de  pèlerinage,  et  une  chapelle 
fut  érigée  près  de  la  fontaine  Sirique.  Les  actes  rédigés  à  l'abbaye  de  Malmédy  racontent  que  les 
pèlerins  allumaient  des  cierges,  le  18  octobre,  autour  de  la  fontaine,  en  chantant  des  hymnes,  et 
que  ce  jour-là  on  y  remarquait  comme  des  veines  de  sang.  La  tradition  racontait  que  saint  Just 
décapité  s'était  lavé  dans  cette  source  la  tête  et  les  mains,  et  les  fidèles  imitaient  cet  exemple, 
après  avoir  bu  de  cette  eau,  qu'on  disait  souveraine  contre  la  fièvre.  Cet  usage  a  cessé  vers  la  fia 
du  siècle  dernier,  alors  que  la  source  s'est  tarie.  Cette  fontaine  Sirique,  désignée  plus  tard  sous 
le  nom  de  Puchot,  fut  longtemps  enclavée  dans  l'abbaye  de  Saint-Just  qui,  après  avoir  subi  di- 
verses mutations,  fut  peuplée  en  1147  par  des  religieux  Prémontrés  de  Dammartin.  Le  village  qui 
s'était  groupé  autour  du  tombeau  portait  depuis  plus  d'un  siècle  le  nom  de  Saint-Just.  Le  culte  da 
patron  n'avait  point  disparu  avec  les  reliques  :  aussi  voyons-nous,  en  1476,  une  indulgence  de 
cent  jours  accordée  aux  pèlerins  qui  visiteraient  la  chapelle  érigée  à  l'endroit  où  saint  Just  fut 
décapité.  Ce  sanctuaire  a  été  détruit  pendant  la  Révolution. 

L'Eglise  de  Beauvais  inscrivait  jadis  le  nom  de  saint  Just  dans  le  canon  de  la  messe.  Il  figure, 
à  la  prière  du  libéra  nos,  avec  ceux  de  saint  Lucien,  saint  Maxien  et  saint  Julien,  dans  le  Missel 
que  l'évèque  Roger  de  Champagne  fit  écrire  vers  l'an  1000.  Dans  un  autre  Missel,  un  peu  posté- 
rieur, donné  à  l'abbaye  de  Jumiégespar  Robert,  archevêque  de  Cantorbéry,  une  préface  propre  est 
consacrée  à  saint  Just.  Une  confraternité  de  prières  existait  de  temps  immémorial  entre  les  Cha- 
pitres de  Beauvais  et  d'Auxerre,  en  raison  de  la  co-poasession  des  reliques  de  saint  Just.  Le  18  oc* 
tobre,  on  portait  processionnellement  sa  châsse  après  le  chant  de  Tierce,  autour  de  la  cathédrale  de 
Beauvais.  A  la  procession  du  dimanche  des  Rameaux,  ce  reliquaire  était  porté  par  les  curés  de 
Saint-Thomas  et  de  Saint-Martin.  Le  nom  de  saint  Just  est  inscrit  au  18  octobre  dans  le  martyro- 
loge romain,  dans  ceux  de  saint  Jérôme,  d'Usuard,  de  Beauvais,  d'Amiens,  etc.  La  fête  est  marquée 
au  18  octobre  dans  tous  les  bréviaires  du  diocèse  de  Beauvais,  où  elle  était  jadis  chômée  ;  au 
19  octobre,  dans  le  propre  de  Saint-Florent  de  Roye  et  dans  le  bréviaire  de  Rouen  (1728)  ;  au 
29  novembre,  dans  le  propre  de  Saint-Riquier. 

Saint  Just  est  le  patron  de  Saint-Just  en  Chaussée  et  de  Saint-Just  des  Marest  (canton  de  Beau- 
vais). Une  rivière  qui  va  se  confondre  avec  l'Avelon  porte  le  même  nom.  Parmi  les  nombreuses 
localités  de  la  France  qui  portent  le  nom  de  Saint-Just,  il  en  est  peut-être  quelques-unes  qui 
doivent  leur  dénomination  à  notre  enfant  martyr.  C'est  une  vérification  presque  impossible  à  faire 
en  raison  de  la  confusion  qui  a  régné,  au  moyen  âge,  entre  le  martyr  du  Beauvaisis  et  plusieurs 
de  ses  homonymes. 

On  construit  en  ce  moment  à  Saint-Just  en  Chaussée  une  vaste  église,  en  style  du  xm°  siècle, 
qui  sera  dédiée  à  Notre-Dame  de  Grâce  et  à  Saint-Just. 

Nous  avons  vu  que  le  chef  de  saint  Just  fut  déposé  dans  l'église  d'Auxerre,  qui  porta  succes- 
sivement les  noms  de  Saint-Symphorien  et  de  Saint-Amâtre.  Grâce  à  l'entremise  d'Othon  III,  un 


♦        MARTYROLOGES.  451 

fragment  considérable  fut  donné  à  l'abbaye  de  Corwey,  en  Saxe,  qui  possédait  déjà  une  partie  du 
corps  de  saint  Justin  de  Louvres,  et  qui  crut  ainsi  augmenter  les  reliques  d'un  même  martyr.  Ce 
qui  en  restait  à  Auxerre  fut  en  partie  brûlé  par  les  Huguenots  en  1567.  On  ne  sauva  qu'un  frag- 
ment, dont  nous  voyons  une  translation  faite  par  Pierre  de  Broc,  en  1633,  mais  qui  disparut  en  93. 
Aujourd'hui  encore  on  conserve  à  la  cathédrale  un  os  delà  rotule,  provenant  de  l'abbaye  de  Notre- 
Dame  des  Iles,  à  Auxerre,  et  donné  probablement  à  une  époque  inconnue  par  l'Eglise  de  Beauvais. 

A  l'époque  de  l'invasion  des  Normands  (838?  850?  851?)  les  corps  de  saint  Just,  de  saint  Ger- 
mer, de  sainte  Angadrême  et  de  saint  Evrols  furent  apportés  dans  l'enceinte  de  Beauvais,  qui 
paraissait  offrir  un  abri  contre  les  profanations  des  pirates. 

En  866,  Odulphe,  sacristain  de  Saint-Riquier,  obtint  d'Odon,  évèque  de  Beauvais,  un  os  de 
saint  Just,  dont  la  réception  eut  lieu  le  12  juin;  cette  relique  fut  mise  dans  la  châsse  qui  conte- 
nait le  chef  de  saint  Riquier. 

En  1132,  Pierre  de  Dammartin,  évèque  de  Beauvais,  transféra  le  corps  de  saint  Just  dans  une 
nouvelle  châsse,  due  à  la  générosité  de  quelques  fidèles.  Une  autre  translation  eut  lieu  en  1204, 
sous  l'épiscopat  de  Philippe  de  Dreux.  Dans  ces  diverses  récognitions,  on  remarqua  l'absence  de 
plusieurs  parties  du  corps  et,  entre  autres,  du  chef. 

En  1674,  la  ville  de  Saint-Just  s'enrichit  d'une  relique  donnée  par  l'évêque  Choart  de  Buzanval 
à  l'abbaye  des  Prémontrés.  Cette  relique,  conservée  k  l'église  paroissiale  de  Saint-Just,  a  été  visitée 
et  authentiquée  en  1860. 

Il  y  avait  jadis  de  ses  reliques  à  la  cathédrale  de  Rouen,  à  Picquigny,  à  Saint-Pierre  d'Abbe- 
ville,  etc.  Celle  qui  est  conservée  à  Saint-Pierre  de  Roye  provient  sans  doute  de  la  collégiale  de 
Saint-Florent,  où  il  y  en  avait  une  dans  un  bras  d'argent,  donnée  par  l'Eglise  de  Beauvais. 

Hagiographie  du  diocèse  d'Amiens,  par  M.  l'abbé  Corblet.  —  Cf.  Acta  Sanctorum. 


XIXe  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Arénas,  en  Espagne,  îa  naissance  au  ciel  de  saint  Pierre  d'Alcantara,  confesseur,  de 
l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  que  le  pape  Clément  IX  a  mis  au  nombre  des  Saints,  à  cause  de  son 
.admirable  pénitence  et  du  grand  nombre  de  ses  miracles.  1562.  —  A  Rome,  les  saints  martyrs 
Ptolomée  ou  Ptolémée  et  Lucius,  exécutés  sous  Marc-Antonin.  Le  premier,  au  rapport  de  saint 
Justin,  martyr,  ayant  converti  à  la  foi  une  femme  impudique,  et  lui  ayant  persuadé  de  garder  la 
chasteté,  fut  accusé  par  un  jeune  débauché  devant  le  préfet  Urbice,  qui,  aussitôt,  le  fit  enfermer 
dans  un  cachot,  où  il  le  tint  fort  longtemps;  enfin,  comme  il  ne  cessait  de  témoigner  publique- 
ment que  Jésus-Christ  est  le  maître  souverain,  il  fut  condamné  à  mort.  Pour  Lucius,  comme  il  prit 
la  liberté  d'improuver  la  sentence  du  préfet  et  confessa  hautement  qu'il  était  chrétien,  il  subit  un 
pareil  jugement:  ce  qui  arriva  aussi  à  un  troisième  qui  se  joignit  à  ces  deux  glorieux  martyrs.  166. 
—  A  Antioche,  saint  Béronique,  sainte  Pélagie,  vierge,  et  quarante-neuf  autres  saints  Martyrs.  — 
En  Egypte,  saint  Varus,  soldat,  qui,  visitant  dans  leur  prison  sept  bienheureux  moines  arrêtés  pour 
la  foi  sous  l'empereur  Maximien,  et  subvenant  à  leurs  besoins,  voyant  que  l'un  d'eux  était  mort, 
voulut  être  mis  en  sa  place,  et  souffrit  effectivement  avec  eux  des  tourments  très-cruels  :  ce  qui 
lui  mérita  la  palme  du  martyre.  307.  —  A  Evreux,  saint  Aquilin,  évèque  et  confesseur.  Vers  695. 
— -  Au  diocèse  d'Orléans,  la  translation  de  saint  Véran  ou  Vrain,  évèque  *.  Vers  590.  — A  Salerne, 
saint  Eustère,  évèque  2.  Vers  le  milieu  du  Ve  s.  j-  En  Irlande,  saint  Ethbin,  abbé  3.  vie  s  —  A 
Oiford,  en  Angleterre,  sainte  Frideswide  ou  Frewisse,  vierge.  Vers  760. 

1.  Voir  sa  vie  au  11  novembre.  —  2.  La  cathédrale  de  Salerne  possède  quelques-unes  de  ses  reliques. 

3.  Ethbin  ou  Egbin  appartenait  à  une  famille  noble.  Breton  de  naissance,  il  vint  en  France  étant 
encore  fort  jeune.  Il  avait  quinze  ans  quand  l'évêque  de  Dol,  saint  Samson,  se  chargea  de  sa  conduite. 
Sous  un  si  sage  maître,  ses  progrès  dans  la  vertu  furent  rapides  ;  mais,  ayant  un  jour  entendu  lire  ces 
paroles  :  «  Celui  qui  ne  renonce  point  à  tout  ce  qu'il  possède  ne  peut  être  mon  disciple  »,  il  quitta  le 


452  *9  OCTOBRE. 


MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  d'Angers,  translation  (x°  siècle)  des  reliques  de  saint  Maurille  du  Milanais,  évèque 
de  ce  siège  et  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  13  septembre.  426.  —  Au  diocèse  de 
Beauvais,  saint  Luc  l'Evangéliste,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  jour  précédent,  i"  s.  —  Au 
diocèse  du  Puy,  saint  Théoffroy  ou  Chaffre,  second  abbé  de  l'abbaye  de  Saint-Chaffre,  à 
laquelle  il  a  donné  son  nom,  et  martyr.  728.  —  Aux  diocèses  de  Chartres,  Meaux,  Nevers,  Paris, 
Poitiers  et  Sens,  les  saints  Savinien  et  Potentien,  apôtres  de  Sens  et  martyrs,  dont  nous  donnerons 
la  vie  au  31  décembre,  jour  où  ils  sont  mentionnés  au  martyrologe  romain.  i«  s.  —  Au  diocèse  ' 
de  Clermont,  saint  Amable  de  Riom,  prêtre  et  confesseur,  cité  déjà  au  martyrologe  de  France  dK 
jour  précédent,  et  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  3  juillet.  475.  —  Au  diocèse  de  Coutances  et 
Avrancbes,  le  bienheureux  Thomas  Hélye,  prêtre  et  confesseur.  1257.  —  Au  diocèse  de  Verdun, 
saint  Pierre  d'Alcantara,  confesseur,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  1562.  —  Dans  la 
Brenne  (petit  pays  du  département  de  l'Indre,  entre  Châteauroux  et  Leblanc),  saint  Didier  (Desi- 
derius),  natif  de  Blaye-sur-la~Garonne,  moine  de  Lonrey  (abbaye  fondée  dans  la  Brenne  par  saint 
Cyran  ou  Sigiran)  et  confesseur.  Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  un  autre  Didier,  frère  de  saint 
Désiré,  évêque  de  Bourges.  Frappé  de  ses  vertus,  saint  Cyran  l'éleva  au  sacerdoce  et  le  fixa  dans 
une  solitude,  au  territoire  de  Bourges,  où  le  jeune  prêtre  bâtit  un  petit  ermitage  en  l'honneur  de 
saint  Martin.  C'est  là  qu'il  mourut  après  avoir  été  visité  par  saint  Paul  et  saint  Jean-Baptiste,  qui 
lui  apparurent  pour  l'inviter  à  monter  au  ciel.  Vers  705.  —  A  Dijon,  fête  de  la  translation  de  saint 
Bénigne,  apôtre  de  la  Bourgogne  et  martyr,  dont  nous  donnerons  la  vie  au  1er  novembre.  Fin  du 
ne  s.  _  Dans  l'ancienne  abbaye  de  Pavilly  (Pauliacum),  au  diocèse  de  Rouen,  translation  de 
sainte  Austreberte,  abbesse  de  ce  monastère,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  10  février.  704.  — 
A  Douai  (Nord),  au  diocèse  de  Cambrai,  translation  de  saint  Amat  ou  Aimé,  archevêque  de  Sens  et 
confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  13  septembre.  690.  —  A  Senlis  (Oise),  au  diocèse 
actuel  de  Beauvais,'  le  décès  de  saint  Livane  ou  Levange,  évêque  de  l'ancien  siège  de  Senlis  et 
confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  7  février.  vie  s.  —  Autrefois  (avant  le  retour  à  la 
liturgie  romaine),  à  Soissons,  saint  Loup,  treizième  évèque  de  ce  siège  et  confesseur,  /dont  nous 
donnerons  la  vie  au  22  octODre.  Vers  540.  —  Autrefois,  à  Genève  (Suisse),  saint  Aquilon,  confes- 
seur. —  A  Langeac,  au  diocèse  de  Saint-Flour,  la  vénérable  mère  Agnès  de  Jésus,  religieuse  de 
l'Ordre  de  Saint-Dominique  et  prieure  du  monastère  de  Sainte-Catherine  de  Sienne.  Nous  donnerons 
sa  vie  dans  le  volume  consacré  aux  Vénérables.  1634. 


MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-Basile.  — •  En  Ethiopie,  saint  Elesbaan,  roi  qui,  après  avoir 
dompté  les  ennemis  de  Jésus-Christ,  envoya  son  diadème  à  Jérusalem,  au  temps  de  l'empereur 
Justin,  et  ayant  embrassé  la  vie  monastique  sous  la  Règle  de  Saint-Basile,  selon  le  vœu  qu'il  en 
avait  fait,  alla  enfin  jouir  de  la  vue  de  Dieu  *.  1552. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint-François.  —  A  Arénas,  en  Castille,  saint  Pierre  d'Al- 
cantara, confesseur,  de  ''Ordre  des  Frères  Mineurs,  qui,  orné  de  l'austérité  de  sa  vie  et  des  plus 
grandes  vertus,  se  montra  glorieux  par  le  don  de  prophéties  et  de  miracles.  Le  souverain  pontife 
Clément  IX  l'a  mis  au  nombre  des  Saints.  1562. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  De  même  que  ci-dessus. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Aquila,  ville  du  royaume  d'Italie  (Abruzze  ultérieure  deuxième),  saint  Maxime,  diacre  et 
martyr,  dont  la  naissance  au  ciel  est  indiquée  au  martyrologe  romain  du  jour  suivant.  250.  —  En 
Palestine,  la  bienheureuse  Cléopâtre  de  Syrie,  veuve,  et  son  fils,  confesseur.  Ce  fut  elle  qui  rap- 
porta d'Egypte  en  Palestine  le  corps  de  saint  Varus,  martyr,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce 

monde  et  entra  à  l'abbaye  de  Taurac  où  il  prononça  ses  vœux  en  554.  Il  choisit  pour  guide  de  sa  conscience 
le  religieux  qui  lui  sembla  le  plus  avancé  dans  la  perfection  et  se  fit  un  bonheur  de  l'assister  à  l'autel 
quand  il  célébrait  la  messe.  En  560,  les  moines  de  Taurac  ayant  quitté  leur  abbaye  devant  une  invasion 
de  Français,  saint  Ethbin  en  profita  pour  mener  la  vie  érémitique.  Il  passa  en  Irlande,  et,  retiré  dans  une 
étroite  cellule,  qu'il  s'était  construite  de  ses  propres  mains  au  milieu  d'un  bois,  il  y  resta  vingt  ans.  Ses 
austérités  et  les  miracles  qu'il  opéra  le  rendirent  célèbre.  Il  avait  quatre-vingt-trois  ans  quand  il  rendit 
son  âme  à  son  Créateur.  C'était  vers  la  fin  du  vi«  siècle.  —  Acta  Sanctorum. 
1.  Voir  «a  notice  au  27  octobre. 


LE   BIENHEUREUX  THOMAS   HÉLYE  DE  BI VILLE,   PRÊTRE.  453 

jour.  Elle  construisit  à  ses  frais  un  temple  magnifique  qu'elle  fit  dédier  sous  son  invocation  et  où 
elle  plaça  son  tombeau.  C'est  là  qu'elle  fut  ensevelie  ainsi  que  son  fils.  iv«  s.  —  A  Cordoue,  en 
Espagne,  sainte  Laure,  veuve  et  martyre,  dont  Luitprand,  évoque  de  Crémone,  en  parle  en  ces  termes 
dans  ses  Adversaria  (n°  281)  :  «  De  mon  temps,  on  a  retrouvé  le  corps  de  la  bienheureuse  Laure, 
victime,  depuis  près  d'un  siècle,  de  la  fureur  des  Sarrasins.  Elle  était  sortie  d'une  famille  illustre 
de  Cordoue,  et  avait  été  accordée  en  mariage  à  un  jeune  gentilhomme  dont  elle  eut  deux  filles. 
Restée  veuve  après  six  ans  d'union,  elle  se  retira  dans  le  monastère  de  Sainte-Marie  de  Cutédor, 
qu'illustrait  alors  sainte  Aurée  de  Séville  (martyrisée  à  Cordoue  le  19  juillet  856).  Elle  en  devint 
abbesse  et  le  gouverna  pendant  neuf  ans.  Ma  plume  serait  inhabile  à  retracer  toutes  les  vertus  du 
parfum  desquelles  elle  embauma  cette  sainte  maison.  Sa  piété  remplissait  la  ville  de  Cordoue  :  une 
persécution  était  inévitable,  elle  éclata.  Dénoncée  au  chef  des  Sarrasins,  la  vertueuse  Laure  confessa 
généreusement  la  foi  de  Jésus-Christ  ;  elle  fut  victime  de  sa  constance.  Longtemps  on  la  frappa  de 
verges,  et  le  bourreau  finit  par  la  plonger  dans  une  chaudière  de  poix  bouillante.  Durant  trois 
heures  elle  y  chanta  les  louanges  de  son  Dieu  qui,  satisfait  de  ce  que  sa  servante  avait  souffert 
pour  lui,  l'appela  au  séjour  des  Saints.  Ses  reliques,  dispersées  dans  plusieurs  églises  d'Espagne, 
sont  entourées  de  la  plus  grande  vénération  ».  864.  — -  A  Bethlapad  ou  Berthelabad,  dans  l'ancien 
pays  de  Béthusa  (Perse),  saint  Sadoth,  évoque  de  Séleucie  et  Ctésiphon,  et  martyr,  dont  nous  avons 
esquissé  la  notice  au  20  février.  342. 


LE  BIENHEUREUX  THOMAS  HÉLYE  DE  B1VILLE, 

PRÊTRE,  AUMONIER  DE  SAINT  LOUIS 
1257.  —  Pape  :  Alexandre  IV.  —  Roi  de  France  :  Saint  Louîi. 


Dieu  se  sert  des  instruments  les  plus  vils  et  les  plus 
misérables  selon   le  monde,   pour   accomplir  son 
œuvre,  afin  que  nul  homme  ne  se  glorifie  devant  lui. 
Maxime  du  Bienheureux. 

Si  c'est  un  honneur  pour  cet  excellent  prêtre  d'avoir  été  aumônier  d'un 
si  grand  monarque,  nous  pouvons  dire  aussi  que  c'est  un  honneur  pour 
saint  Louis  d'avoir  fait  choix  d'un  prêtre  si  sage  et  si  pieux  pour  approcher 
de  sa  personne  et  pour  prendre  soin  de  la  distribution  de  ses  aumônes.  Il 
vint  au  monde  vers  l'an  1187,  dans  la  paroisse  de  Biville,  petit  village  de  la 
Basse-Normandie,  au  diocèse  de  Goutances,  de  parents  plus  recomman- 
dables  par  leurs  éminentes  qualités  que  par  leur  naissance.  Mathilde,  la 
pieuse  mère  de  cet  enfant  prédestiné,  le  plaça,  dès  le  berceau,  sous  le  patro- 
nage de  la  très-sainte  Vierge,  et,  dès  qu'il  put  articuler  quelques  sons,  elle 
lui  apprit  à  prononcer  les  doux  noms  de  Jésus  et  de  Marie,  ce  qu'il  faisait 
avec  une  docilité  charmante. 

Ses  parents,  remarquant  en  lui  des  dispositions  précoces  pour  l'étude, 
le  confièrent  à  des  maîtres  habiles,  sous  lesquels  il  fit  de  rapides  progrès.  Il 
n'apprenait  pas  pour  mériter  la  réputation  de  savant,  mais  uniquement  pour 
répondre  aux  desseins  de  ses  parents,  et  remplir  la  loi' rigoureuse  et  sacrée 
du  travail;  le  devoir  était  pour  le  jeune  élève  un  de  ces  mots  magiques  qui 
opèrent  des  merveilles.  Le  digne  fils  de  la  pieuse  Mathilde  joignait  à  un 
maintien  grave  une  expression  de  physionomie  pleine  de  candeur  et  de 
sérénité.  Jamais  on  n'aperçut  en  lui  cette  impétuosité  de  mouvements,  cette 
mobilité  d'impressions,  cette  légèreté  de  conduite,  apanage  ordinaire  du 
jeune  âge.  On  eût  dit,  en  le  voyant,  qu'il  appartenait  plus  au  ciel  qu'à  la 
terre  ;  et  un  sentiment  de  respect  venait  se  mêler  à  l'adkniration,  quand  on 


454  i y   OCTOBRE. 

apercevait  ce  doux  visage,  au  sortir  de  la  prière,  comme  illuminé  d'une 
clarté  surnaturelle. 

Cependant,  les  études  du  Bienheureux  une  fois  terminées,  il  songea 
devant  Dieu  à  la  manière  d'employer  utilement  les  connaissances  qu'il  avait 
acquises.  Plusieurs  carrières  honorables  s'ouvraient  devant  lui,  mais  elles 
avaient  toutes  un  but  humain  :  dès  lors  elles  ne  pouvaient  lui  offrir  aucun 
attrait;  d'ailleurs,  à  l'exemple  du  Sauveur  du  monde,  Thomas  aimait  l'en- 
fance, la  jeunesse.  Il  éprouvait  une  joie  sensible  à  se  voir  entouré  de  ces 
petits,  auxquels  le  chrétien  doit  ressembler,  pour  obtenir  le  royaume  des 
cieux.  Ce  fut  donc  les  humbles,  mais  utiles  fonctions  d'instituteur  de  vil- 
lage, que  Thomas  choisit  de  préférence  à  d'autres  plus  honorifiques  et  plus 
lucratives,  afin  de  se  dévouer  corps  et  âme  à  l'instruction  de  la  jeunesse. 
Le  mUin,  devançant  l'aurore,  il  s'acheminait  vers  le  temple  du  Seigneur, 
où  il  restait  à  s'entretenir  avec  l'adorable  Solitaire  de  nos  autels,  jusqu'au 
moment  de  commencer  sa  classe.  Le  soir,  il  venait  encore  retrouver  le 
Bien-Aimé  de  son  âme,  afin  de  se  délasser  avec  lui  de  ses  fatigues  du  jour, 
et  se  désaltérer  à  celte  source  d'eau  vive  qui  découle  du  cœur  de  Dieu  même. 
La  vie  du  Bienheureux  n'avait  alors  rien  d'austère,  mais  elle  était  si  réglée 
et  si  parfaite,  qu'elle  excitait,  non-seulement  l'admiration  de  tous  ceux  qui 
en  étaient  les  heureux  témoins,  mais  provoquait  encore  chez  eux  une  pieuse 
émulation  pour  pratiquer  les  commandements  du  Seigneur. 

En  peu  d'années,  le  petit  village  de  Biville  fut  presque  transformé  en 
une  chrétienté,  rappelant  les  premiers  âges  de  l'Eglise.  Les  habitants  de 
Cherbourg,  ville  située  non  loin  de  Biville,  entendant  parler  de  toutes  les 
merveilles  opérées  dans  cette  obscure  localité  par  le  bienheureux  Thomas, 
éprouvèrent  le  désir  d'en  être  eux-mêmes  les  objets  :  en  conséquence,  une 
députation  des  notables  de  Cherbourg  fut  envoyée  à  Biville,  afin  de  décider 
Thomas  Hélye  à  venir  porter  le  flambeau  de  ses  lumières  dans  une  cité  si 
digne  d'en  apprécier  les  bienfaits.  Le  Bienheureux  céda  à  leurs  instances 
pressantes  et  se  rendit  à  Cherbourg.  Son  principal  soin  fut  d'inspirer  la  piété 
à  ses  écoliers  et  de  leur  apprendre  à  craindre  Dieu,  sans  quoi  la  science  ne 
peut  servir  qu'à  rendre  un  homme  plus  inexcusable.il  commençait  et  finis- 
sait toutes  ses  actions  par  la  prière,  et  dans  son  exercice  même  il  avait  sou- 
vent l'esprit  et  le  cœur  élevés  vers  Dieu,  pour  recevoir  ses  lumières  et  pour 
concevoir  de  nouvelles  flammes  de  son  amour. 

Après  qu'il  eut  exercé  quelque  temps  cette  œuvre  de  charité,  il  tomba 
très-grièvement  malade  :  ce  qui  lui  fit  quitter  Cherbourg  et  retourner  à  la 
maison  de  son  père.  Dieu  lui  inspira  dès  lors  une  vie  tout  extraordinaire.  A 
peine  fut-il  en  convalescence  qu'il  se  revêtit  d'un  cilice,  commença  à  jeûner 
trois  fois  la  semaine  au  pain  d'orge  et  à  l'eau  pure,  et  entreprit  trois  Carêmes 
par  an  avec  la  même  austérité.  Il  était  aussi  presque  toujours  en  prières,  et, 
comme  le  curé  lui  avait  donné  une  clef  de  l'église,  il  y  passait  souvent  la 
plus  grande  partie  du  jour  et  de  la  nuit  dans  ce  saint  exercice.  L'évêque  de 
Coutances,  son  prélat,  étant  informé  d'une  conduite  si  sainte,  l'exhorta  à 
embrasser  l'état  ecclésiastique,  afin  de  pouvoir  travailler  au  salut  des  âmes, 
puisque  plusieurs  périssaient  faute  de  bons  pasteurs  pour  les  conduire. 
Thomas  reçut  cette  exhortation  comme  un  ordre  du  ciel  ;  mais  il  pria 
l'évêque  de  lui  permettre  de  consulter  longuement  le  Seigneur  avant  de 
prendre  une  décision.  L'évêque  le  releva  avec  bonté,  et  lui  accorda  le  délai 
qu'il  sollicitait  avec  de  si  touchantes  instances,  lui  faisant  toutefois  pro- 
mettre de  venir  le  retrouver  pour  lui  communiquer  le  parti  que  l'Esprit  de 
Dieu  lui  aurait  inspiré  de  prendre.  Thomas,  après  avoir  reçu  la  bénédiction 


LE   BIENHEUREUX  THOMAS   IIÉLYE  DE  BIYILLE,   PRÊTRE.  455 

de  son  évêque,  le  quitta  pour  retourner  dans  sa  chère  solitude.  Quelque 
temps  après  il  reprit  à  pied  le  chemin  de  Coutances,  où  le  saint  évêque 
l'accueillit  avec  l'effusion  d'un  tendre  père,  qui  revoit  un  fils  bien-aimé  ;  en 
apprenant  de  la  bouche  du  Bienheureux  tout  ce  qui  s'était  passé  dans  son 
cœur,  Hugues  de  Morville  adora  en  silence  les  desseins  de  Dieu  sur  cette 
âme  privilégiée  ;  puis  îl  donna  la  tonsure  à  Thomas,  qui  reçut  successive- 
ment de  sa  main,  tout  en  gardant  les  intervalles  prescrits  par  les  saints 
canons,  les  Ordres  mineurs,  le  sous-diaconat  et  enfin  le  diaconat.  Le  bon 
prélat  ne  put  le  décider  à  passer  plus  loin. 

Le  Bienheureux  pria  alors  son  évêque  de  lui  permettre  de  faire  aupara- 
vant le  voyage  de  Rome  et  de  Saint-Jacques,  en  Galice,  et  de  venir  ensuite 
faire  son  cours  de  théologie  à  Paris.  L'évêque  lui  accorda  aisément  ce  qu'il 
voulut.  II  fit  donc  l'un  et  l'autre  pèlerinage  avec  une  dévotion  singulière, 
et,  en  étant  revenu  en  pleine  santé,  il  demeura  encore  quatre  ans  à  Paris, 
pour  y  acquérir  les  lumières  qu'il  devait  ensuite  répandre  sur  les  peuples. 

Au  bout  de  quatre  ans  il  retourna  dans  son  pays  et  y  fut  promu  au 
sacerdoce.  Si  jusqu'alors  il  avait  été  très-austère,  on  peut  dire  qu'étant 
prêtre  il  devint  comme  cruel  et  impitoyable  à  lui-même.  U  ne  se  couchait 
jamais,  et,  s'il  dormait  quelques  moments,  ce  n'était  que  sur  le  coin  d'un 
banc  de  l'église.  II  prenait  tous  les  jours  très-rudement  la  discipline,  et 
quelque  faible  qu'il  fût  par  la  rigueur  extrême  de  ses  jeûnes,  il  ne  laissait 
pas  de  se  mettre  le  corps  en  sang,  afin  de  l'assujétir  parfaitement  aux  désirs 
de  l'esprit.  Il  était  presque  toute  la  nuit  en  oraison  mentale,  goûtant  à  loisir 
les  délices  inestimables  de  la  conversation  avec  Dieu.  A  la  pointe  du  jour  il 
disait  ses  Matines,  avec  l'office  des  morts,  le  graduel,  les  sept  Psaumes  de  la 
pénitence,  et  sept  autres  psaumes  qu'il  récitait  avec  son  clerc.  Il  célébrait 
ensuite  la  messe  avec  une  dévotion  angélique,  et  quelquefois  avec  une  telle 
abondance  de  larmes,  qu'il  semblait  que  ses  yeux  se  dussent  fondre  h  force 
de  pleurer.  Il  avait  aussi  ses  heures  pour  dire  l'office  de  Notre-Dame,  et  il 
s'en  acquittait  de  même  avec  tant  d'attention,  que  le  démon,  ne  pouvant 
souffrir  une  si  grande  ferveur,  faisait  quelquefois  d'horribles  bruits  pour  l'en 
distraire.  Pour  le  reste  de  soft  temps,  il  le  sacrifiait  au  secours  du  prochain, 
à  annoncer  la  parole  de  Dieu,  à  faire  le  catéchisme,  à  entendre  les  confes- 
sions, à  consoler  les  affligés,  à  visiter  les  malades,  à  aider  ceux  qui  étaient 
à  l'agonie  et  à  procurer  le  soulagement  des  pauvres  ;  et,  comme  si  le  diocèse 
de  Coutances  eût  été  trop  petit  pour  satisfaire  à  l'ardeur  de  son  zèle,  U 
retendait  encore  par  ses  courses  évangéliques  dans  ceux  d'Avranches,  de 
Bayeux  et  de  Lisieux.  Notre-Seigneur  donna  toujours  une  grande  bénédic- 
tion à  ses  travaux  ;  il  faisait  des  conversions  sans  nombre,  et  sa  parole  était 
si  puissante,  soit  lorsqu'il  montrait  la  malice  et  l'indignité  du  péché,  soit 
lorsqu'il  menaçait  des  rigueurs  du  jugement  de  Dieu,  soit  lorsqu'il  proposait 
les  récompenses  qui  sont  préparées  aux  justes  dans  le  ciel,  que  les  pécheurs 
les  plus  opiniâtres  et  les  plus  endurcis  n'y  pouvaient  nullement  résister.  On 
voyait  même  ses  auditeurs,  pendant  qu'il  prêchait,  ou  ses  pénitents,  lors- 
qu'il écoutait  leur  confession,  verser  des  torrents  de  larmes,  et  on  les  en- 
tendait crier  miséricorde,  dans  la  crainte  du  jugement  de  Dieu,  dont  ils 
étaient  pénétrés. 

Le  roi  saint  Louis,. étant* informé  des  mérites  d'un  si  grand  prédicateur, 
le  voulut  voir  auprès  de  sa  personne  et  l'appela  à  sa  cour  pour  être  son 
aumônier.  Thomas  Hélye  n'osa  pas  d'abord  résister  à  un  prince  si  sage  et 
si  pieux  ;  il  le  vint  trouver  et  exerça  quelque  temps  l'office  dont  Sa  Majesté 
l'avait  honoré  ;  mais,  ne  pouvant  s'accoutumer  à  l'air  de  la  cour  qui,  toute 


456  19  OGTOBRE. 

sainte  qu'elle  était,  lui  paraissait  bien  différente  de  l'aimable  secret  de  sa 
solitude,  il  demanda  enfin  son  congé  pour  retourner  à  Biville,  où,  dans  la 
maison  même  de  son  père,  il  s'était  fait  une  sorte  d'ermitage.  A  son  retour, 
son  prélat  le  chargea  de  la  cure  de  Saint-Maurice,  dont  il  s'acquitta  avec 
toute  la  vigilance  et  la  sollicitude  d'un  bon  pasteur.  Cependant  il  ne  la 
garda  que  peu  de  temps  ;  car,  voulant  être  libre  pour  courir  au  secours 
des  âmes  qui  avaient  besoin  d'être  éclairées  des  lumières  de  l'Evangile,  il 
s'en  déchargea  sur  un  autre  ecclésiastique  qu'il  jugea  digne  de  la  remplir. 

Peu  de  temps  après,  il  tomba  dans  une  telle  langueur,  qu'il  ne  pouvait  pas 
se  lever  pour  dire  la  messe.  Il  ne  cessa  point  néanmoins  de  communier  tous 
les  jours,  et  il  le  faisait  avec  de  si  grands  sentiments  de  dévotion,  qu'il 
semblait  qu'il  jouît  déjà  des  embrassements  de  son  Bien-Aimé  dans  sa  gloire. 
Enfin,  après  avoir  donné  beaucoup  d'autres  témoignages  de  Téminence  de 
sa  sainteté,  il  reçut  pour  la  dernière  fois  ce  pain  des  anges  qui  le  remplit 
d'une  force  merveilleuse  pour  le  voyage  important  de  l'éternité.  Il  se  fit  lire 
l'Evangile  de  saint  Jean,  la  Passion  de  Notre-Seigneur  et  le  psaume  In  te, 
Domine,  speravi  ;  et,  lorsque  son  clerc  fut  à  ces  mots  :  «  Je  remets,  Sei- 
gneur, mon  esprit  entre  vos  mains  »,  il  cessa  de  vivre  sur  la  terre  pour  aller 
vivre  éternellement  dans  le  ciel.  Cette  mort  arriva  un  vendredi  19  octobre 
1257,  au  château  de  Vauville,  où  l'avait  surpris  sa  dernière  maladie. 

Un  ancien  monument  le  représente  prêchant  en  présence  des  deux 
évêques  de  Coutances  et  d'Avranches.  On  le  représente  encore,  tantôt  les 
mains  jointes,  les  yeux  levés  et  fixés  vers  le  ciel;  tantôt  assistant  en  qualité 
d'aumônier,  à  genoux  près  de  saint  Lo  uis,  à  la  messe  d'un  des  chapelains  royaux. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

A  la  nouvelle  de  la  mort  du  Bienheureux,  les  peuples  accoururent  de  tous  côtés,  pour  contem- 
pler et  vénérer  sa  dépouille  mortelle  ;  on  déposa  sur  son  corps  des  gants,  des  ceintures,  des  col- 
liers, des  anneaux,  pour  les  conserver  comme  des  reliques.  Une  foule  immense  assista  à  son 
convoi,  qui  ressemblait  plutôt  à  une  marche  triomphale  qu'à  une  pompe  funèbre.  Un  incident 
miraculeux  vint  encore  augmenter  le  pieux  enthousiasme  dont  la  foule  était  animée,  tandis  que  le 
pieux  cortège  s'avançait  vers  Biville.  La  dame  de  Vauville,  qui  avait  une  main  desséchée,  l'appliqua 
avec  confiance  sur  la  main  du  Bienheureux  et  fut  aussitôt  guérie.  Le  corps  de  Thomas  fut  inhumé 
dans  le  cimetière  de  Biville,  ainsi  qu'il  l'avait  demandé. 

En  1261,  il  fut  transféré  dans  une  chapelle,  construite  en  1260,  près  de  l'église  paroissiale, 
dont  elle  était  toutefois  encore  séparée  en  1325.  C'est  là  que  l'archevêque  de  Rouen,  Eudes  Rigaud, 
le  visita  en  1266.  L'église,  d'après  Arthur  Dumoustier,  fut  reconstruite  dans  le  courant  du 
xvie  siècle,  et  alors,  sans  doute,  on  lit  de  la  chapelle  le  chœur  actuel,  au  milieu  duquel  le  curé 
Michel  Leverrier  éleva,  en  1533,  le  monumeut  en  carreaux  sculptés  et  peints,  qui  a  subsisté  jus- 
qu'en 1778.  Alors,  Jacques  Dugardin,  lieutenant-colonel  d'artillerie,  seigneur  de  Biville,  aidé  des 
offrandes  du  curé  et  des  paroissiens,  remplaça  ce  tombeau,  que  la  piété  indiscrète  des  fidèles  avait 
mutilé,  par  celui  que  nous  voyons  encore  aujourd'hui  et  qui,  malgré  la  tablette  de  marbre  sur 
laquelle  repose  l'image  en  relief  du  Bienheureux,  est  encore  bien  peu  digne  de  renfermer  de  si 
précieuses  reliques. 

Le  saint  corps  y  a  reposé  jusqu'au  13  juillet  1794.  Ce  trésor,  si  cher  aux  catholiques,  allait 
être  profané  et  dispersé  par  quelques  terroristes  impies  et  insensés,  quand  M.  Lemarié  d'Yvetot, 
ancien  supérieur  de  l'hôpital  de  la  Trinité  à  Paris,  puis  vicaire-général  de  Mgr  de  Talaru,  évêque 
de  Coutances,  alors  en  exil  pour  la  foi,  conçut,  avec  quelques  catholiques  fidèles  et  courageux,  le 
projet  d'empêcher  ce  honteux  sacrilège.  A  l'heure  indiquée  (dix  heures  un  quart  du  soir),  tous 
ensemble  se  réunirent  ;  le  prêtre  intrépide  portait  sur  sa  poitrine  la  sainte  Hostie,  suivant  la  per- 
mission reçue  de  son  évêque.  fis  pénétrèrent  dans  l'église  dévastée  ;  les  administrateurs  révolu- 
tionnaires avaient  placé  sur  le  tombeau,  au  lieu  de  la  tablette  de  marbre,  une  sorte  de  bureau  à 
leur  usage  :  mais  deux  larges  pierres  superposées  fermaient  encore  le  monument.  Quand  elles 
eurent  cédé  aux  efforts  d'un  des  compagnons  de  M.  Lemarié,  ils  aperçurent  avec  un  mélange  de 
joie  et  de  religieuse  frayeur,  les  ossements  du  bienheureux  Thomas  bien  conservés  et  rangés 
presque  tous  dans  leur  situation  naturelle.  Le  confesseur  de  la  foi  les  tira  respectueusement  du 


SAINT  PIERRE  D'ALGANTARA,   CONFESSEUR.  457 

cercueil  de  pierre,  et  les  déposa  dans  des  linges  blancs  avec  la  poussière  dont  ils  étaient  entourés. 
Il  les  plaça  ensuite  dans  un  cercueil  de  chêne  qu'il  scella  de  son  sceau,  après  avoir  rédigé,  dans  la 
forme  canonique,  un  procès-verbal  qui  fut  signé  par  ses  coopérateurs,  témoins  irrécusables  de 
cette  édifiante  translation.  Le  corps  saint  fut  placé  à  Virandeville,  sous  un  autel,  autour  duquel  les 
catholiques  persécutés  se  réunissaient  en  secret,  pendant  tout  le  temps  de  la  révolution.  Furieux 
de  voir  leurs  odieux  projets  ainsi  déjoués,  les  terroristes  intentèrent  des  poursuites  judiciaires,  afin 
de  connaître  les  auteurs  de  ce  prétendu  crime.  Tous  leurs  efforts  furent  inutiles,  et  n'aboutirent 
qu'à  emprisonner  le  curé  schismatique  comme  suspect  d'avoir,  au  moins  par  sa  négligence,  favorisé 
la  soustraction  des  reliques  et  comme  coupable  d'un  refus  obstiné  d'en  nommer  les  auteurs. 

En  1803,  le  14  septembre,  M.  Closet,  vicaire-général  de  Mgr  Rousseau,  de  concert  avec 
M.  Bonté,  son  collègue,  autorisa  les  habitants  de  Virandeville,  en  mémoire  de  leur  courageux  dé- 
vouement, à  conserver  la  tête  du  bienheureux  Thomas  dans  leur  église,  conformément  au  désir 
exprimé  par  M.  Lemarié.  Le  reste  du  corps  saint  fut  rendu  aux  habitants  de  Biville,  excepté 
quelques  ossements  accordés  aux  paroisses  de  Vauville,  Saint-Maurice  et  Yvetot.  Le  16  septembre, 
M.  Leverrier,  curé  de  Biville,  après  avoir  assisté  à  l'ouverture  du  cercueil  à  Virandeville,  déposait 
dans  leur  ancien  tombeau  les  saintes  reliques,  en  présence  de  plusieurs  témoins  et  selon  toutes  les 
formes  juridiques. 

La  tête  resta  à  Virandeville  jusqu'en  1811.  Alors  (31  mars)  Mgr  Dupont,  terminant  une  discus- 
sion très-longue  et  très-vive  entre  les  deux  paroisses,  ordonna  que  cette  relique  insigne  fût  réunie 
aux  autres  ossements  du  Bienheureux,  ce  qui  fut  exécuté  le  jeudi  18  avril  de  la  même  année,  avec 
toute  la  publicité  et  les  formalités  prescrites.  Le  tombeau  de  Biville  contient  donc  aujourd'hui  les 
restes  précieux  du  saint  prêtre,  qui  sont  demeurés,  jusqu'au  18  octobre  1859,  dans  deux  caisses 
séparées  :  l'une,  renfermant  la  tète,  était  munie  du  sceau  de  Mgr  Dupont,  et  l'autre,  renfermant 
les  ossements,  était  munie  du  sceau  de  Mgr  Rousseau. 

Ajoutons  à  ces  reliques  le  calice  avec  la  patène  en  vermeil,  et  la  chasuble  que  l'église  de  Bi- 
ville regarde  de  temps  immémorial  comme  donnés  par  saint  Louis  au  bienheureux  Thomas,  et 
quelques  ornements,  chasuble,  aube  et  ceinture,  que  la  paroisse  de  Saint-Maurice  vénère  comme 
ayant  appartenu  à  son  saint  pasteur.  Pie  IX  a  béatifié  Thomas  Hélye  en  1859. 

La  puissance  d'intercession  du  bienheureux  ne  s'est  pas  démentie  depuis  cette  époque,  ce  qui 
explique  son  glorieux  surnom  de  Thaumaturge  et  la  popularité  de  son  culte,  dans  cette  partie  de 
la  Normandie  qui  lui  donna  le  jour,  et  où  tout  rappelle  son  béni  souvenir.  Ici,  c'est  la  fontaine  où 
il  venait  se  désaltérer,  quand  de  Cherbourg  il  se  rendait  dans  son  pays  natal;  là,  c'est  la  Char- 
rière,  le  chemin  par  lequel  on  apporta,  du  château  de  Vauville  à  l'église  de  Biville,  le  corps  saint 
du  Bienheureux.  L'église,  dont  une  partie  est  formée  par  l'ancienne  chapelle,  élevée  au  xin°  siècl« 
en  l'honneur  de  Thomas  Hélye,  est  aussi  un  perpétuel  mémorandum  de  ce  grand  serviteur  de  Dieu, 
et  les  mille  feux  allumés  autour  de  son  tombeau,  en  particulier  le  19  octobre,  jour  de  sa  fête,  té- 
moignent de  la  confiance,  de  la  reconnaissance,  de  l'amour  des  nombreux  pèlerins  accourus  à  Biville 
pour  solliciter  les  faveurs  du  Bienheureux,  ou  le  remercier  de  celles  obtenues  par  sa  médiation. 

Cette  biographie  est  extraite  d'un  petit  livre  publié  sur  le  bienheureux  Thomas  Hélye,  par  M.  l'abbé 
Gilbert,  vicaire  général  de  Coutances  ;  et  de  la  Me  du  Bienheureux,  par  Mm«  la  baronne  de  Chabannes. 


SAINT  PIERRE  D'ALGANTARA,  CONFESSEUR, 

DE  L'ORDRE  DE  SAINT-FRANÇOIS 
1562.  —  Pape  :  Pie  IV.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  II.  —  Roi  de  France  :  Charles  IX. 


Marchant  dès  son  jeune  âge  dans  l'innocence,  évitant 
la  sensualité  et  les  plaisirs  dangereux,  fuyant  le 
commerce  des  hommes,  il  s'adonnait  à  la  contem- 
plation des  choses  divines,  et  déjà  embrasé  de 
l'amour  céleste,  il  croissait  en  sagesse  et  en  grâce, 
et,  par  la  maturité  de  sa  conduite,  devançait  la 
cours  des  années. 

Bulle  de  ta  canonisation. 

Voici  Tune  de  ces  fleurs  d'une  odeur  exquise  et  ravissante,  que  l'Ordre 
du  sérapnique  saint  François  a  données  à  l'Eglise.  Il  naquit  en  Espagne, 


458  19  OCTOBRE. 

Tan  1499,  à  Alcantara,  bourg  situé  sur  les  frontières  du  Portugal  et  de  l'Es- 
tramadure,  et  le  lieu  le  plus  considérable  de  l'Ordre  militaire  de  ce  nom. 
Son  père  Pierre  Garavito,  grand  et  fameux  jurisconsulte,  en  était  gouver- 
neur ;  et  sa  mère,  Maria  Villela  de  Sanabria,  y  était  par  ses  bonnes  mœurs 
un  modèle  de  vertu  pour  les  habitants.  L'un  et  l'autre  étaient  alliés  aux 
premières  familles  d'Espagne.  Dès  qu'il  eut  l'usage  de  la  raison,  il  com- 
mença l'exercice  de  l'oraison  mentale  ;  ce  qui  lui  fit  aimer  la  solitude  et 
fuir  les  divertissements  ordinaires  aux  enfants.  Il  n'avait  pas  encore  sept 
ans,  qu'on  le  trouva  à  genoux  derrière  les  orgues  de  l'Eglise,  tellement  ravi 
en  Dieu,  qu'il  ne  connaissait  ni  n'entendait  personne.  Il  avait  une  rare  péné- 
tration d'esprit,  un  naturel  doux  et  agréable  et  une  discrétion  qui  surpas- 
sait son  âge.  A  seize  ans,  ayant  déjà  fort  bien  étudié  et  même  fait  un  cours 
de  droit  canon,  il  résolut  de  quitter  le  monde  et  de  prendre  l'habit  de 
Saint-François.  Il  se  présenta  donc  au  couvent  de  Manjarès,  de  la  province 
de  Saint-Gabriel,  près  de  Valence,  lequel  étant  environné  de  rochers  et  de 
précipices,  lui  parut  plus  propre  pour  s'éloigner  du  commerce  des  hommes. 
Dieu  fit  connaître  par  un  miracle  que  cette  résolution  lui  était  agréable  ; 
car  le  saint  jeune  homme,  étant  parti  de  ce  couvent  pour  aller  prendre 
l'habit  dans  un  lieu  plus  éloigné  où  était  son  supérieur,  et  ne  trouvant  point 
de  batelier  pour  le  passer  au-delà  de  la  rivière  de  Titar,  il  demanda  à  Dieu 
un  prompt  secours  en  cette  extrémité,  et,  à  l'instant  même,  il  fut  trans- 
porté de  l'autre  côté  de  l'eau  par  le  ministère  d'un  ange.  Pendant  son  no- 
viciat, il  fut  le  modèle  de  tous  les  autres  religieux  par  son  zèle  admirable 
pour  la  pénitence  et  sa  très-profonde  humilité. 

Lorsqu'il  eut  fait  profession,  continuant  dans  cet  esprit  de  ferveur  avec 
lequel  il  avait  commencé  sa  vie  religieuse,  il  fut  avancé  par  degrés  dans  le» 
Ordres  sacrés  ;  puis  il  s'appliqua  aux  ministères  de  la  prédication  et  de  la 
confession  avec  un  succès  merveilleux.  Sa  prudence  le  fit  ensuite  juger 
digne  delà  conduite  de  ses  frères.  Il  fut  donc  élu,  premièrement  gardien  en 
divers  couvents,  puis  définiteur,  enfin  provincial  de  sa  province  de  Saint- 
Gabriel,  et  on  le  remit  deux  fois  en  cette  charge.  Mais,  comme  il  aspirait 
toujours  à  une  vie  plus  parfaite,  il  entra  dans  la  Congrégation  de  Saint- 
Joseph,  qui  suivait  à  la  lettre  la  Règle  de  Saint-François,  et  il  souffrit  de 
grandes  peines  pour  la  soutenir  contre  ses  adversaires  et  pour  la  conserver 
dans  son  intégrité.  Enfin,  l'an  1561,  qui  précéda  son  décès,  ayant  été 
nommé,  par  le  pape  Paul  IV,  vicaire  et  visiteur  général  de  cette  Con- 
grégation, il  en  assembla  le  Chapitre,  et  il  l'érigea  en  province,  sous 
l'obéissance  du  ministre  général  de  tout  l'Ordre  séraphique.  Voilà ,  en 
abrégé,  tout  le  plan  de  la  vie  de  ce  grand  personnage.  Il  faut  maintenant, 
pour  connaître  à  quel  degré  de  sainteté  il  a  plu  à  Dieu  de  l'élever,  faire  con- 
naître les  vertus  qui  ont  éclaté  dans  toute  ua  conduite. 

Son  austérité  était  si  extraordinaire,  qu'on  ne  peut  en  entendre  parler 
sans  étonnement.  Dès  qu'il  eut  l'habit  religieux,  il  se  fit  une  loi  d'avoir 
toujours  les  yeux  baissés,  pour  ne  point  donner  entrée  dans  son  cœur  à  la 
vanité  du  siècle  :  ce  qu'il  exécuta  fidèlement  toute  sa  vie.  Il  fut  bien  du  temps 
sans  savoir  si  sa  cellule  avait  un  plancher  ou  non,  et  de  quelle  façon  était 
fait  le  chœur  où  il  entrait  à  tous  moments.  Jamais  il  ne  jetait  la  vue  sur 
personne,  ni  même  sur  ses  confrères,  se  contentant  de  les  reconnaître  à  la 
voix.  Son  jeûne  était  continuel,  et  à  son  repas  il  ne  prenait,  même  dans  ses 
maladies,  que  du  pain  et  de  l'eau.  Dans  sa  vieillesse  seulement,  il  y  ajou- 
tait quelques  herbes  ou  légumes  à  demi  cuits,  qu'il  préparait  pour  toute 
une  semaine,  de  peur  qu'en  s'occupant  chaque  jour  de  cela,  il  ne  perdît 


SAINT  PIERRE  D'ALCANTARA,   CONFESSEUR.  459 

quelques  moments  du  temps  qu'il  donnait  à  l'oraison.  Si  ces  mets  lui  sem- 
blaient trop  bons,  il  y  jetait  de  la  cendre  ou  de  l'eau  froide  pour  en  ôter  le 
goût.  Pour  l'ordinaire  il  ne  mangeait  qu'un  jour  sur  trois,  et  quelquefois 
il  en  était  huit  sans  prendre  aucune  nourriture.  Cette  rigueur  était  accom- 
pagnée d'une  autre,  qu'il  avoua  à  sainte  Thérèse  lui  avoir  donné  beaucoup 
plus  de  peine  ;  c'était  de  ne  dormir  presque  point.  Il  se  plaignait  du  som- 
meil, parce  qu'il  fait,  disait-il,  ce  que  la  mort  ne  fait  pas,  qui  est  de  nous 
séparer  de  la  présence  de  Dieu  ;  aussi  il  en  prenait  le  moins  qu'il  pouvait, 
et  seulement  une  heure  et  demie  par  jour  ;  pendant  quarante  ans,  il  n'a 
jamais  dormi  que  soutenu  sur  ses  genoux,  ou  assis  sur  ses  pieds  et  la  tête 
appuyée  sur  la  muraille  ou  contre  une  corde  tendue  d'un  bout  de  la  cham- 
bre à  l'autre.  Il  ne  s'étendait  jamais  de  son  long,  parce  que  sa  cellule  était 
toujours  plus  courte,  plus  basse  et  plus  étroite  que  lui.  Pendant  l'hiver,  qui 
est  quelquefois  très-rude  en  Espagne,  il  ouvrait  la  fenêtre  et  la  porte  de  sa 
chambre  pour  ressentir  tout  le  froid,  et  croyait  faire  une  grande  miséricorde 
à  son  corps  de  les  refermer  après  pour  s'échauffer.  Il  marchait  toujours  les 
pieds  nus  et  sans  sandales.  S'il  arrivait  qu'il  se  blessât  un  pied,  il  prenait 
une  sandale  de  ce  côté-là,  sans  en  prendre  de  l'autre  côté,  parce  qu'il  n'é- 
tait pas  raisonnable  que  le  pied  sain  fût  à  son  aise,  tandis  que  l'autre  était 
incommodé.  En  tout  temps  il  allait  la  tête  découverte  et  s'exposait  ainsi  à 
la  pluie,  à  la  neige  et  aux  ardeurs  du  soleil,  tant  pour  honorer  la  présence 
de  Dieu,  qui  est  partout,  que  pour  imiter  l'état  de  Notre-Seigneur,  qui  a 
été  nu-tête  dans  tout  le  cours  de  sa  Passion.  Il  ajoutait  à  toutes  ces  morti- 
fications le  cilice  et  la  discipline;  il  la  prenait  deux  fois  par  jour  avec  des 
chaînes  de  fer,  qui  lui  mettaient  tout  le  corps  en  sang;  et,  pour  son  cilice, 
sainte  Thérèse  assure  que  pendant  vingt  ans  il  en  eut  un  de  lames  de  lai- 
ton percées  de  tous  côtés  à  la  manière  d'une  râpe.  Enfin,  tant  d'austérités 
lui  avaient  tellement  desséché  et  brûlé  la  peau,  qu'elle  paraissait  plutôt  être 
la  peau  d'un  homme  mort  que  d'une  personne  vivante. 

Ce  zèle  admirable  pour  les  souffrances  venait  de  l'impression  pro- 
fonde que  la  Passion  de  Notre-Seigneur  avait  faite  dans  son  cœur.  En  effet, 
on  le  voyait  souvent  prosterné  devant  une  grande  croix,  les  bras  étendus 
et  versant  des  torrents  de  larmes  ;  et,  quelquefois,  sa  ferveur  était  si  véhé- 
mente qu'on  le  trouvait  ravi  en  extase,  et  le  corps  élevé  de  terre  jusqu'aux 
bras  du  crucifix.  Il  y  parut  un  jour  tout  couvert  de  flammes  qui  sortaient 
de  l'ardeur  dont  son  cœur  était  embrasé;  et,  alors,  la  croix  s'enflamma 
aussi  de  ce  même  feu  et  devint  toute  rayonnante  :  ce  qui  marquait  assez 
les  communications  amoureuses  de  Notre-Seigneur  avec  son  serviteur.  Il 
tâchait  aussi  d'inspirer  à  tout  le  monde  la  dévotion  envers  cet  adorable 
mystère;  et,  pour  y  réussir,  il  plantait  des  croix  dans  tous  les  endroits  qu'il 
lui  était  possible  ;  et  quelque  grandes  et  pesantes  qu'elles  fussent,  il  les  por- 
tait lui-même  sur  ses  épaules  jusqu'aux  lieux  où  elles  devaient  être  pla- 
cées :  ce  qui  le  mettait  tout  en  sang,  parce  que  ces  croix,  posant  sur  son 
cilice  de  laiton  percé,  lui  déchiraient  la  peau  et  en  faisaient  couler  le  sang 
en  abondance.  La  première  qu'il  eut  le  bonheur  d'arborer,  fut  sur  la  mon- 
tagne de  Gâta,  dansl'Estramadure.  Les  anges  l'aidèrent  sans  doute  à  la  por- 
ter; car,  quoiqu'elle  fût  extrêmement  grande  et  d'un  poids  au-dessus  de 
ses  forces,  il  ne  souffrit  pas,  néanmoins,  qu'aucun  homme  lui  donnât  du 
secours;  depuis  le  milieu  de  la  montagne  il  la  porta  à  genoux,  et  alla  en- 
suite les  pieds  nus  sur  la  pointe  du  rocher  où  jamais  personne,  n'était 
monté,  et  qui  était  tout  couvert  de  cailloux  et  de  ronces.  Il  en  fît  de  même 
sur  plusieurs  autres  montagnes  voisines,  où  il  assemblait  les  peuples,  leur 


460  19  OCTOBRE. 

prêchait  les  mystères  de  la  croix,  et  leur  imprimait,  par  ce  moyen,  de 
grands  sentiments  de  componction  et  de  pénitence.  C'était  principalement 
sur  ces  montagnes,  où  il  avait  coutume  de  se  retirer  pour  faire  son  oraison, 
qu'il  plaisait  à  la  divine  Bonté  de  le  visiter  et  de  lui  apprendre  la  science 
des  Saints.  Les  bergers  l'y  ont  vu  plusieurs  fois  élevé  en  l'air  à  la  hauteur 
d'une  pique  ou  des  plus  grands  arbres  de  ces  forêts. 

Ces  excellentes  lumières,  qu'il  recevait  de  Dieu,  ne  servaient  qu'à  le 
rendre  plus  humble.  Il  avait  toujours  ces  paroles  à  la  bouche  :  «  Je  parlerai 
à  mon  Seigneur,  quoique  je  ne  sois  que  poudre  et  que  cendre.  Souvenez- 
vous,  mon  Dieu,  s'il  vous  plaît,  que  vous  m'avez  fait  de  boue  et  que  je  dois 
retourner  dans  la  même  boue  ».  Il  se  maintint  toute  sa  vie  dans  la  soumis- 
sion d'un  novice;  étant  même  supérieur,  il  s'abaissait  aux  plus  vils  offices 
de  la  maison  et  reconnaissait  ses  fautes  devant  son  vicaire,  qu'il  priait  de 
lui  imposer  des  pénitences  publiques.  Il  se  plaisait  à  porter  l'aumône  aux 
pauvres  à  la  porte  du  couvent,  et  prenait  cette  occasion  pour  les  instruire 
et  pour  les  consoler.  L'empereur  Charles-Quint  et  Jeanne,  princesse  de  Por- 
tugal, sa  fille,  l'ayant  choisi  pour  leur  confesseur,  il  refusa  constamment 
cet  emploi,  que  tout  autre  eût  ambitionné  comme  un  degré  aux  premières 
dignités  de  l'Eglise  :  ce  qui  fit  dire  à  ce  grand  prince,  que  Pierre  n'était  pas 
de  ce  monde,  mais  un  homme  tout  céleste  et  tout  abîmé  en  Dieu. 

Son  amour  pour  la  pauvreté  était  extrême  :  il  ne  pouvait  considérer 
celle  de  Jésus-Christ  naissant  et  mourant,  qu'il  ne  ressentît  une  ardeur  in- 
croyable de  l'imiter.  Il  était  ravi  quand  tout  lui  manquait  et  que  son  indi- 
gence l'obligeait  à  souffrir  quelque  chose.  Il  n'avait  qu'un  habit  fort  court 
et  fort  étroit,  et  un  manteau  si  court  qu'il  ne  lui  couvrait  pas  la  main  lors- 
qu'il étendait  le  bras  ;  l'un  et  l'autre  étaient  de  très-mauvaise  étoffe,  et  sou- 
vent couverts  de  pièces.  Dans  sa  cellule,  il  n'y  avait  qu'une  Bible,  une  croix 
de  bois  sans  façon,  et  une  pauvre  courge  avec  des  instruments  de  pénitence. 
Encore  croyait-il  être  trop  riche,  et  regardait-il  ces  meubles  comme  un  bien 
qui  ne  lui  était  que  prêté  :  ce  qui  fit  qu'il  se  dessaisit  de  tout  avant  sa  mort 
entre  les  mains  de  son  gardien.  Il  se  refusait  les  choses  les  plus  nécessaires, 
et  même  une  monture  pour  ses  voyages,  dans  des  temps  où  il  pouvait  à 
peine  marcher  sans  le  secours  d'un  religieux.  Il  faisait  son  possible  pour 
avoir  à  ses  repas  le  pain  le  plus  dur  et  le  plus  noir  du  couvent,  et  croyait 
encore  qu'il  ne  l'avait  pas  mérité  et  qu'il  en  était  indigne.  Il  exhortait  ses 
religieux  à  se  contenter  de  peu  de  choses,  et  à  se  réjouir  lorsqu'ils  étaient 
dans  la  nécessité.  Les  couvents  qu'il  faisait  bâtir  paraissaient  plutôt  des 
cabanes  ou  des  nids  d'oiseaux  que  des  logements  pour  des  hommes.  Celui 
du  Pedroso,  au  diocèse  de  Plasencia,  n'avait  que  trente-deux  pieds  de  long 
et  vingt-huit  pieds  de  haut,  et  on  eût  pris  les  cellules  pour  des  sépulcres; 
les  portes  étaient  si  étroites  qu'on  n'y  pouvait  passer  sans  incommodité. 
Les  ouvriers  lui  représentèrent  cet  inconvénient,  mais  il  leur  dit  qu'il  le 
fallait  ainsi,  afin  qu'on  se  souvînt  que  la  porte  du  ciel  est  fort  étroite.  Il  ne 
voulait  point  que  les  ornements  de  ses  églises  fussent  de  toile  d'or,  d'argent 
ni  de  soie,  mais  de  laine  seulement.  Enfin,  ce  fut  lui  qui  fortifia  sainte  Thé- 
rèse dans  son  premier  dessein  de  ne  point  prendre  de  fonds  ni  de  rentes 
dans  ses  monastères,  lui  écrivant  pour  cela  cette  belle  lettre  du  14  avril 
1562,  où  il  lui  dit  que  c'est  faire  injure  à  Dieu  de  craindre  qu'il  n'assiste 
pas  les  pauvres  évangéliques,  après  les  promesses  authentiques  qu'il  en  a 
faites  lui-même  dans  l'Evangile. 

Sa  constance  dans  la  chasteté  parut  avec  éclat  lorsque,  étant  violem- 
ment tenté  contre  cette  vertu,  il  se  mit  tout  le  corps  en  sang  avec  des 


i 


SALNT  PIERRE   D'àLCANTARA,    CONFESSEUR.  461 

épines  et  se  jeta  ensuite  jusqu'au  cou  dans  un  étang  glacé;  il  remporta, 
par  ce  moyen,  une  glorieuse  victoire  sur  son  ennemi,  et  son  nom  est 
demeuré  à  l'étang  où  il  s'était  plongé.  Son  oraison  fut  très-éminente.  Dès 
le  commencement,  il  se  mit  par  l'oraison  dans  le  recueillement  et  la  pré- 
sence de  Dieu,  ce  qui  l'entretenait  dans  une  paix  profonde.  De  là,  il  fut 
élevé  à  une  union  si  étroite  avec  Dieu,  que  son  âme  fut  tout  inondée  des 
torrents  délicieux  qui  coulent  de  cette  source  éternellement  vive.  Souvent 
elle  était  ravie  et  portée  jusque  sur  la  couche  royale  de  l'Epoux  céleste, 
où  elle  n'avait  plus  d'autre  opération  que  de  sentir  et  de  jouir.  Cet  état 
fut  suivi  d'un  amour  violent  mais  crucifiant,  qui  lui  venait  des  impressions 
intimes  et  délicates  de  la  divinité.  Alors,  ne  pouvant  arrêter  les  mouvements 
de  cette  ardeur,  il  poussait  des  soupirs  et  jetait  des  cris  si  hauts  et  si  écla- 
tants, qu'ils  mettaient  ses  confrères  dans  la  crainte  et  dans  l'admiration.  Ce 
même  amour  excitait  aussi  quelquefois  un  tel  incendie  dans  sa  poitrine, 
qu'il  était  obligé  de  sortir  de  sa  cellule  pour  s'exposer  au  grand  air,  afin 
d'en  tempérer  la  véhémence.  Les  extases  et  les  ravissements  accompa- 
gnaient aussi  ces  impressions,  et  ils  lui  étaient  si  ordinaires,  qu'à  peine, 
pendant  l'oraison,  avait-il  l'usage  des  sens  et  l'application  aux  choses  du 
dehors.  Il  mérita  ce  grand  recueillement  par  un  silence  presque  continuel, 
et  il  s'accoutuma  à  ce  silence  en  portant  plus  de  trois  ans  de  petites  pierres 
dans  sa  bouche,  «  parce  que  »,  disait-il,  «  la  vie  et  Jti  mort  sont  attachées 
au  mouvement  de  la  langue  ». 

Il  ne  faut  pas  s'étonner  si  saint  Pierre  d'Alcantara,  étant  ainsi  prévenu 
et  pénétré  de  Dieu,  portait  avec  lui  une  bénédiction  qui  le  faisait  réussir 
dans  tout  ce  qu'il  entreprenait.  Il  prêchait  d'une  manière  si  touchante  et 
si  pathétique,  que  les  cœurs  les  plus  endurcis  se  rendaient  à  ses  exhorta- 
tions et  entraient,  par  ce  moyen,  dans  les  voies  de  la  pénitence.  Etant  à 
la  cour  de  Don  Jean  III,  roi  de  Portugal,  où  ses  supérieurs  l'avaient  envoyé 
à  l'instance  de  ce  prince,  il  est  impossible  d'exprimer  le  bien  qu'il  y  fit,  et 
la  grande  quantité  de  personnes  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  qu'il  attira  au  ser- 
vice de  Dieu,  ou  qu'il  porta  à  embrasser  la  vie  religieuse  dans  les  monas- 
tères les  plus  réformés.  Par  son  conseil,  la  reine  Catherine  fit  de  son  palais 
une  école  de  vertu  et  de  dévotion.  L'infant  Don  Louis,  frère  du  roi,  fit 
bâtir  le  couvent  de  Salvaterra  en  sa  faveur,  et  s'y  retira  pour  y  vivre 
comme  le  plus  pauvre  religieux,  après  avoir  vendu  ses  meubles  et  son 
équipage,  payé  ce  qu'il  avait  de  dettes,  et  fait  vœu  solennel  de  pauvreté  et 
de  chasteté.  L'infante  Marie,  sœur  de  ce  prince,  fit  aussi  vœu  de  chasteté, 
et  employa  tous  ses  biens  au  service  de  Notre-Seigneur.  Outre  ces  liaisons 
qu'il  eut  avec  les  premières  personnes  du  Portugal,  il  en  eut  encore  de 
très-étroites  avec  saint  François  de  Borgia  et  avec  sainte  Thérèse,  à  la- 
quelle il  fut  d'un  grand  secours  dans  les  voies  extraordinaires  par  les- 
quelles Dieu  l'attirait  à  lui.  Ces  fonctions  éclatantes  ne  l'empêchèrent  pas 
d'exercer  sa  charité  envers  les  pauvres  et  les  étrangers.  Dieu  lui  donna 
pour  ceux-ci  le  don  des  langues,  dont  il  se  servit  avantageusement  pour 
leur  expliquer  les  mystères  de  notre  foi  et  les  maximes  de  la  sainte 
Ecriture  ;  et  pour  les  pauvres ,  il  les  visitait  dans  les  hôpitaux  et  leur 
rendait  toutes  les  assistances  spirituelles  et  temporelles  qui  lui  étaient 
possibles. 

Mais  le  plus  grand  fruit  qu'il  ait  procuré  à  l'Eglise  a  été  de  contribuer, 
avec  plusieurs  autres  serviteurs  de  Dieu,  à  la  réforme  de  l'Ordre  de  Saint- 
François,  en  établissant  avec  eux  la  Province  de  Saint- Joseph,  dans  l'é- 
troite observance  de  la  Règle,  que  cet  homme  séraphique  a  reçue  du  ciel. 


462  *9  octobue. 

Cette  réforme  a  fait,  depuis  ce  temps-là,  des  progrès  si  merveilleux,  qu'elle 
s'est  étendue,  non-seulement  dans  toute  l'Europe,  mais  aussi  jusqu'aux 
dernières  extrémités  du  Japon  et  des  Indes  orientales  :  de  sorte  qu'elle  a 
réparé  avec  avantage  les  ravages  que  les  hérétiques,  contre  lesquels  il 
semble  que  Dieu  l'ait  voulu  opposer,  avaient  faits  dans  la  France,  l'Angle- 
terre et  l'Allemagne. 

On  peut  encore  mettre  au  nombre  des  services  que  saint  Pierre  a  ren- 
dus à  ia  religion  chrétienne ,  son  Traité  de  VOraison,  qu'il  composa,  à 
l'instance  de  dom  Rodrigue  de  Ghaves,  gentilhomme  de  qualité  et  très- 
pieux.  Il  ne  fut  pas  plus  tôt  publié,  que  les  religieux  les  plus  réformés  le 
prirent  pour  leur  exercice;  et  c'est  sa  lecture  qui  a  porté  le  R.  P.  Louis 
de  Grenade,  ami  de  notre  Saint,  à  se  consacrer  à  la  composition  de  ces 
beaux  ouvrages  spirituels  qu'il  a  mis  au  jour,  et  qui  ont  été  cause  du  salut 
de  tant  d'âmes.  Le  pape  Grégoire  XV  en  a  rendu  ce  témoignage  authen- 
tique, qu'il  renfermait  une  lumière  très-claire  et  très-pure  pour  conduire 
les  âmes  au  ciel,  et  que  le  Saint-Esprit  avait  gouverné  sa  plume  pour  en 
écrire  chaque  article.  Ce  pieux  pontife  lui  donna  le  nom  de  docteur,  et  le 
fit  peindre  avec  le  Saint-Esprit  en  forme  de  colombe,  lui  dictant  à  l'oreille 
une  doctrine  si  admirable. 

Saint  Pierre  reçut  dès  cette  vie  des  faveurs  extraordinaires  de  la  bonté 
de  Notre-Seigneur.  Un  jour  qu'il  disait  la  messe,  en  présence  de  sainte 
Thérèse  et  d'Isabelle  d'Ortega,  qui  se  fit  depuis  carmélite,  saint  François  et 
saint  Antoine  de  Padoue  furent  vus  par  la  Sainte  lui  servir  de  diacre  et  de 
sous-diacre,  lorsqu'il  vint  la  communier  avec  sa  compagne.  Une  autre  fois, 
un  célèbre  prédicateur  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique,  qui  honorait  sa 
vertu,  mais  ne  le  croyait  pas  dans  un  si  haut  degré  de  sainteté,  le  vit,  ac- 
compagné d'une  multitude  d'anges,  qui  le  suivaient  partout  et  lui  ren- 
daient toutes  sortes  de  services.  Jésus-Christ  l'honora  lui-même  quelquefois 
de  sa  visite;  de  quoi  la  même  sainte  Thérèse  rend  témoignage.  Entre 
autres,  il  le  fit  dans  la  maison  d'un  grand  seigneur,  en  présence  d'une 
femme  pieuse  qui ,  voyant  ce  divin  Maître ,  s'écria  :  «  Comment ,  Sei- 
gneur,  votre  Majesté  infinie  daigne-t-elle  bien  venir  ici?  »  Mais  il  lui 
répondit  :  a  Où  voulez-vous  que  j'aille,  sinon  aux  lieux  où  je  trouve  mes 
élus  ?  » 

Notre  Saint  avait  éminemment  le  don  de  prophétie  et  celui  des  prodiges 
et  des  miracles.  Nous  avons  dans  les  historiens  de  sa  vie  un  grand  nombre 
de  prédictions  qu'il  a  faites  et  qui  ont  été  heureusement  accomplies.  Il 
connaissait  les  choses  les  plus  secrètes  et  les  plus  éloignées.  1  lui  était  or- 
dinaire le  ne  ressentir  aucun  effet  des  orages  et  des  tempêtes  qui  s'éle- 
vaient dans  les  lieux  où  il  était,  et  il  obtenait  ia  même  grâce  pour  ceux  de 
sa  compagnie.  Souvent  la  pluie  avait  tant  de  respect  pour  sa  personne,  que, 
tombant  tout  autour  de  lui,  elle  n'arrivait  pas  jusqu'à  lui.  Ayant  été  un 
jour  surpris  par  la  neige  dans  la  campagne,  les  anges  lui  en  formèrent  une 
petite  chapelle,  où  il  passa  paisiblement  la  nuit  avec  ses  confrères.  Il  a 
passé  le  Tage  en  marchant  sur  les  eaux  à  pied  sec,  en  un  temps  où  le  ma- 
rinier ne  voulait  pas  se  hasarder  à  le  passer  avec  son  bateau.  La  même 
chose  lui  est  encore  arrivée  en  d'autres  occasions.  A  sa  prière,  le  bâton 
dont  il  s'était  servi  allant  à  Rome,  et  qu'il  planta  au  couvent  du  Pedroso, 
fut  changé  en  un  bon  figuier  :  son  fruit,  ainsi  que  celui  de  plusieurs  autres, 
qui  en  sont  des  rejetons,  est  devenu  une  source  de  santé  pour  les  malades. 
On  l'appelle  le  figuier  aux  miracles.  Par  la  force  de  son  oraison  et  de  ses 
pénitences  il  obtenait  de  Dieu  le  temps  propre  pour  les  biens  de  la  terre, 


SAINT   PIERRE   D'àLCANTARA,    CONFESSEUR.  463 

et,  par  ce  moyen,  il  a  souvent  empêché  les  fléaux  de  la  stérilité  et  de  la 
famine  ;  ce  qu'il  fit  surtout  une  fois  en  faveur  du  royaume  de  Valence.  En 
effet,  ses  prières  étaient  si  puissantes  auprès  de  Dieu,  que  sainte  Thérèse 
assure  avoir  appris  de  son  Époux  céleste,  qu'il  ne  pouvait  rien  refuser  de 
ce  qui  lui  était  demandé  par  son  entremise  ;  elle-même  l'appelait  Saint, 
tout  vivant  qu'il  était,  et  avait  souvent  recours  à  ses  intercessions. 

Enfin,  il  plut  à  Dieu  de  mettre  fin  à  ses  travaux,  et  de  le  couronner  de 
la  gloire  immortelle.  Etant  donc  venu  à  Villa-Viciosa,  il  y  fut  atteint 
d'une  lièvre  aiguô  qui  prit  bientôt  un  caractère  alarmant.  Hors  d'état  de 
procurer  au  malade  un  traitement  convenable,  les  religieux  songèrent  au 
comte  de  Oropesa  qui  le  fit  aussitôt  transporter  à  son  château.  Le  mal 
augmentant  toujours,  Pierre  demanda  d'être  transporté  au  couvent  d'Arenas. 
Là,  il  demanda  le  saint  viatique,  qu'il  reçut  les  genoux  en  terre,  en  versant 
des  torrents  de  larmes,  quoiqu'il  fût  dans  une  extrême  faiblesse.  Peu  de  temps 
après,  on  lui  administra  l'Extrême-Onction  ;  et  alors  il  entra  dans  un  grand 
ravissement,  où  il  eut  le  bonheur  de  voir  la  sainte  Vierge,  accompagnée  de 
saint  Jean  l'Evangéliste,  et  reçut  d'elle  les  assurances  de  son  salut  éternel  ; 
ainsi,  après  avoir  donné  des  marques  admirables  de  pénitence,  d'humilité, 
de  résignation  et  de  pur  amour  pour  Dieu,  il  rendit  son  âme  chargée  d'un 
trésor  infini  de  mérites,  en  disant  ces  paroles  du  Psaume  :  «  Je  me  suis  réjoui 
dans  les  bonnes  nouvelles  que  l'on  m'a  annoncées,  savoir,  que  nous  irons 
dans  la  maison  du  Seigneur  ».  Ce  fut  le  18  octobre  1562,  dans  la  soixante- 
troisième  année  de  son  âge  ;  il  en  avait  p  ;sé  quarante-sept  en  religion. 

On  le  représente  :  1°  marchant  sur  les  eaux  avec  un  de  ses  religieux  ; 
2°  avec  une  colombe  qui  lui  parle  à  l'oreille,  pour  exprimer  les  dons 
merveilleux  qui  le  distinguèrent  dans  la  prédication,  la  direction  des  âmes 
et  ses  fréquentes  prophéties. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Aussitôt  après  sa  mort,  le  Saint  apparat  tout  éclatant  de  gloire  à  sainte  Thérèse  et  à  plusieurs 
autres  personnes.  Au  moment  où  il  expira,  une  odeur  suave  s'exhala  de  sa  personne  ;  une  lumière 
surnaturelle  éclaira  sa  Cellule,  et  les  anges  firent  entendre  une  céleste  mélodie.  La  nouvelle  du 
trépas  de  l'illustre  religieux,  promptement  répandue  dans  le  royaume,  causa  en  Espagne  une  dou- 
leur qui  se  propagea  au  loin  et  s'étendit  jusqu'en  Portugal.  Le  corps,  placé  sur  un  lit  funèbre, 
fut  visité  par  un  nombre  immense  de  fidèles  qui  voulaient  considérer  une  dernière  fois  celui  qui 
avait  passé  en  faisant  le  bien.  Comme  le  Saint  n'avait  rien  laissé,  il  fut  impossible  de  satisfaire 
aux  pieux  désirs  des  visiteurs  qui  demandaient  à  l'envi  quelque  chose  qui  lui  eût  appartenu. 
Quelques  lambeaux  découpés  dans  sa  tunique  furent  les  seules  reliques  distribuées.  Plusieurs  gué- 
risons  miraculeuses  obtenues  près  du  lit  funèbre  accrurent  encore  l'émotion  publique. 

Le  Saint  fut  inhumé  dans  l'église  des  Franciscains  d'Arenas,  à  quelques  pas  de  l'autel,  mais 
dans  un  local  particulier,  en  une  terre  séparée  et  distincte  de  toute  autre  sépulture.  On  eut  soin 
d'envelopper  la  tête  d'un  voile  blanc.  Les  malades  vinrent  se  recommander  à  cet  ami  de  Dieu,  et 
de  nombreuses  guérisons  miraculeuses  autorisèrent  la  confiance  toujours  croissante  des  fidèles.  Des 
instances  très-actives  furent  faites  auprès  des  Pères,  en  vue  d'obtenir  que  le  corps  fût  transféré 
en  un  lieu  plus  digne.  Les  religieux  s'y  refusèrent,  ne  voulant  pas  préjuger  la  décision  du  Siège 
apostolique.  Toutefois,  quatre  ans  après  la  mort  du  Saint,  le  Provincial  ouvrit  le  tombeau  et  trouva 
le  corps  sans  corruption,  en  bon  état,  et  exhalant  un  doux  parfum.  Les  cheveux,  autrefois  blancs, 
avaient  pris  une  teinte  fortement  dorée  ;  les  yeux  conservaient  l'éclat  et  le  feu  qu'ils  avaient  eus 
après  la  mort  du  Saint,  et  le  corps  distillait  une  liqueur  odorante.  Après  avoir  vénéré  les  saints 
ossements,  le  Provincial  les  remit  à  leur  place  et  les  fit  couvrir  de  chaux  vive,  afin  de  consumer 
les  chairs.  On  recouvrit  ensuite  la  fosse  de  terre  ;  mais,  instruits  du  miraculeux  état  de  conserva- 
tion du  corps,  les  fidèles,  affluant  en  plus  grand  nombre  que  jamais,  emportaient  la  terre  et  l'en- 
levaient en  si  grande  quantité,  qu'il  fallut  plusieurs  fois  la  renouveler. 

Pendant  plusieurs  années,  les  choses  demeurèrent  en  cet  état  ;  mais  les  prodiges  opérés  au 
tombeau  du  Saint  devinrent  si  nombreux  que  les  religieux  crurent  devoir  solliciter  de  dom  Pedro 


464  *9   OCTOBRE. 

Fernandez  de  Ternino,  évêque  d'Avila,  l'autorisation  de  placer  les  reliques  sacrées  dans  un  lieu 
plus  décent.  Le  Prélat  ayant  accédé  à  cette  demande,  le  Provincial,  assisté  d'un  grand  nombre  de 
religieux,  procéda  à  l'ouverture  du  sépulcre.  Le  saint  corps,  intact  en  quelques  parties,  fut  trouvé 
en  quelques  autres  attaqué  par  l'action  de  la  chaux.  Les  os  étaient  comme  imprégnés  de  cette 
liqueur  odorante  surnaturelle  déjà  mentionnée.  Les  reliques,  enveloppées  avec  beaucoup  de  pré- 
caution dans  un  tissu  blanc,  furent  recueillies  dans  une  châsse  très-belle,  et  ensuite  placées  près 
de  l'autel,  dans  une  niche  que  l'on  mura  avec  des  briques.  Le  Provincial,  avant  de  fermer  la 
châsse,  détacha  du  corps  une  très-petite  relique  qui,  plongée  dans  de  l'eau,  donnait  à  celle-ci  la 
vertu  d'opérer  des  guérisons  miraculeuses. 

Au  commencement  du  xvne  siècle,  quarante  ans  après  la  mort  du  Saint,  la  vénération  qui 
s'attachait  à  sa  mémoire  augmentait  encore.  On  venait  de  tous  les  points  du  royaume  ou  remer- 
cier le  Bienheureux,  ou  lui  demander  des  grâces.  L'invocation  de  son  nom  produisait  des  cures 
miraculeuses  jusque  dans  les  Indes.  Des  pèlerins  passaient  les  mers  pour  venir  vénérer  ses  reli- 
ques. Le  couvent  d'Arenas  était  devenu  l'un  des  sanctuaires  les  plus  fréquentés  du  royaume. 

Quelque  temps  après  on  construisit  dans  l'église  des  Pères  d'Arenas  une  chapelle  spéciale  où 
le  corps  pût  être  déposé.  Le  souverain  Pontife  en  ayant  autorisé  la  translation,  l'évêque  d'Avila 
se  rendit  à  Arenas  le  15  décembre  1616.  11  fit  retirer  la  châsse  de  la  muraille  où  elle  avait  été 
déposée,  et  après  avoir  déplié  les  saints  ossements,  il  présenta  à  la  vénération  des  fidèles  la  tête 
du  Saint,  qui  exhala  aussitôt  un  parfum  miraculeux  qui  se  répandit  au  loin  et  parfuma  toute 
l'église.  Les  saintes  reliques,  enveloppées  par  le  Prélat  dans  un  riche  tissu  de  soie,  furent  renfer- 
mées dans  une  châsse  nouvelle,  plus  somptueuse  que  la  première,  puis  déposées  sur  le  principal 
autel.  Le  lendemain  eut  lieu  la  bénédiction  de  la  chapelle,  et  ensuite  une  procession  solennelle 
dans  laquelle  fut  portée  la  châsse  du  Saint  au  milieu  de  l'allégresse  publique.  La  puissance  du 
Saint  sembla  se  manifester  et  se  développer  en  proportion  des  hommages  qui  lui  étaient  rendus. 
De  nouveaux  miracles,  plus  éclatants,  plus  nombreux,  provoquèrent  de  nouvelles  manifestations 
populaires.  La  gloire  de  notre  Bienheureux  prit  un  caractère  national.  Le  vœu  public  appelait  sur 
lui  la  suprême  consécration  de  la  sainteté.  Déclaré  Bienheureux  par  le  pape  Grégoire  XV,  le 
18  avril  1622,  il  fut  inscrit  au  Catalogue  des  Saints  par  le  pape  Clément  IX.  La  solennité  de  la 
canonisation  se  fit  dans  la  basilique  de  Saint-Pierre  de  Rome,  le  4  mai  1669.  Le  pape  Clément  IX 
étant  décédé  peu  après,  la  bulle  de  canonisation  ne  fut  publiée  que  l'année  suivante  par  le  pape 
Clément  X,  son  successeur,  le  19  mai  1670.  La  fête  du  Saint  se  célèbre  le  19  octobre,  sous  le  rit 
double. 

Nous  nous  sommes  servi,  pour  compléter  cette  biographie,  de  la  Vie  du  Saint,  par  un  membre  du 
Tiers  Ordre  de  Saint-François.  —  Cf.  Vie  du  Saint,  par  le  Père  Talon,  de  l'Oratoire,  et  par  Fauvel,  etc. 


SAINT  AQUILIN  DE  BAYEUX, 
bvêque  d'évreux  et  confesseur  (vers  695). 

Aquilin  naquit  à  Bayeux,  vers  l'an  620,  de  parents  nobles  qui  lui  donnèrent  une  excellente 
éducation.  Lorsqu'il  fut  en  âge  d'être  établi  dans  le  monde,  on  lui  fit  épouser  une  femme  digne 
de  lui.  Il  alla  servir  dans  les  armées  pendant  les  guerres  que  Clovis  II  fit  aux  barbares  qui  mena- 
çaient les  frontières  de  ses  Etats.  La  guerre  finie,  il  revint  dans  sa  patrie.  En  arrivant  à  Chartres, 
il  trouva  sa  femme  qui  était  venue  au-devant  de  lui.  Ils  remercièrent  Dieu,  l'un  et  l'autre,  de  la 
grâce  qu'il  leur  faisait  de  se  revoir  ;  ils  résolurent  de  ne  plus  vivre  que  pour  lui  et  ils  s'engagèrent 
par  un  vœu.  à  passer  le  reste  de  leur  vie  dans  la  continence.  Ils  se  retirèrent  à  Evreux,  dont  l'église 
était  alors  gouvernée  par  saint  Eterne.  Là  ils  se  consacrèrent  uniquement  aux  bonnes  œuvres  ;  ils 
firent  de  leur  maison  une  espèce  d'hôpital  et  employèrent  leurs  biens  à  soulager  les  malades  ef 
tous  ceux  qui  étaient  dans  le  besoin. 

Saint  Eterne  étant  mort  quelque  temps  après,  Aquilin  fut  élu  pour  lui  succéder,  et  l'on  crut 
voir  revivre  en  lui  son  prédécesseur  dont  la  mémoire  était  en  bénédiction.  Ce  fut  alors  que  l'on 
connut  qu'il  en  agissait  avec  sa  femme  comme  fi  elle  eût  été  sa  sœur.  Il  remplit  avec  fidélité  toui 
les  devoirs  de  l'épiscopat.  Mais  comme  il  craignait  que  les  fonctions  du  ministère  n'affaiblissent  en 
lui  la  ferveur,  il  se  fit  construire  une  petite  cellule  à  quelque  distance  de  son  église,  et  il  allait 
s'y  renfermer  de  temps  en  temps  pour  ranimer  sa  piété  et  s'entretenir  dans  le  recueillement.  Il 
priait  sans  cesse  pour  les  péchés  de  son  peuple  :  sa  pénitence  était  fort  austère;  il  affligeait  son 
corps  par  de  longues  veilles  et  par  des  jeûnes  rigoureux.  Son  amour  pour  la  pauvreté  paraissait 


SAINT  THÉOFFROY  D*  ORANGE,  ABBÉ  DE  SAINT- CHAFFRE.        465 

dans  tout  son  extérieur.  Il  se  proposait  surtout  pour  modèles  saint  Martin  de  Tours  et  saint  Ger- 
main d'Auxerre.  Tant  d'éminentes  vertus  furent  récompensées  par  le  don  des  miracles.  En  689,  il 
assista  au  concile  de  Rouen  qui  avait  été  assemblé  par  saint  Ansbert,  son  métropolitain.  Dans  les 
dernières  années  de  sa  vie,  il  fut  affligé  de  la  perte  de  la  vue.  Il  regarda  cet  accident  comme  une 
grâce  de  Dieu  qui  voulait  le  préserver  de  bien  des  dangers  ;  on  dit  même  qu'il  l'avait  souvent  de- 
mandée au  ciel  dans  ses  prières.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  ne  diminua  rien  de  son  zèle,  et  continua 
toujours  d'exercer  les  fonctions  épiscopales.  Enfin  il  mourut  à  la  fin  du  vu»  siècle  (vers  695),  après 
quarante-deux  ans  d'épiscopat,  et  fut  inhumé  dans  une  église  qu'il  avait  élevée  dans  un  faubourg 
d'Evreux.  Depuis,  cette  église  est  devenue  paroissiale  sous  le  nom  de  Saint-Aquilin.  On  dit  que 
Goubert,  évêque  d'Evreux,  déroba  ses  reliques  à  la  fureur  des  Normands,  en  les  transportant  en 
Auvergne.  Saint  Bernon  les  reçut  à  Gigny,  en  Bourgogne,  où  elles  ont  été  conservées.  Saint  Aqui- 
lin  est  honoré  le  19  octobre.  Sa  fête  se  célèbre  en  Franche-Comté,  sous  le  rite  semi-double,  et  à 
Evreux  sous  le  rite  double  mineur. 

On  le  représente  agenouillé  devant  an  autel  avec  sa  femme  ;  c'est  pour  rappeler  le  vœu  qu'Ut 
firent  de  vivre  dans  la  continence. 

Propr»  d'Evreux  et  Godescard. 


SAINT  THÉOFFROY  «  D'ORANGE, 

TROISIÈME  ABBÉ  DE  SAINT-CHAFFRE,  AU  DIOCÈSE  DU  PUT  (728). 

Théoffroy,  qu'il  ne  faut  pas" confondre  avec  un  de  ses  homonymes,  moine  de  Lérins  et  martyr 
(645),  qui  a  donné  son  nom  à  l'abbaye  de  Saint-ChafTre  après  en  avoir  été  le  second  abbé,  naquit 
à  Orange  (Vaucluse),  et  était  fils  de  Leufroy,  gouverneur  du  pays,  qui  prit  un  soin  particulier  de 
son  éducation.  Dès  l'enfance,  Théoffroy  ressentit  un  goût  très-vif  pour  la  méditation  des  choses  du 
ciel,  et  il  prit  de  bonne  heure  la  résolution  de  fouler  aux  pieds  les  délices  du  monde  pour  l'amour 
de  Jésus-Christ.  Son  père  s'opposa  d'abord  au  dessein  de  son  fils  ;  mais,  vaincu  par  les  instances 
de  Théoffroy,  il  finit  par  céder,  et  celui-ci  prit  l'habit  monastique  dans  l'abbaye  bénédictine  de 
Saint-Chaffre,  en  Velay. 

Ses  progrès  furent  rapides,  et  il  fut  bientôt  un  religieux  accompli  ;  aussi,  à  la  mort  de  leur 
abbé,  les  frères  le  choisirent-ils  pour  lui  succéder.  La  conduite  de  Théoffroy  justifia  la  haute  idée 
qu'on  avait  conçue  de  sa  vertu.  Il  fut  le  père  et  le  modèle -de  ses  religieux.  Comme  les  femmes  ne 
pouvaient  entrer  dans  l'église  de  son  monastère,  il  leur  permettait  de  venir  auprès  de  la  porte,  et 
là  elles  recevaient  des  instructions  sur  les  mérites  du  salut. 

Les  Sarrasins  ayant  envahi  le  Velay,  Théoffroy  voulut  que  ses  religieux  allassent  se  cacher 
dans  une  forêt  voisine  ;  pour  lui,  il  ne  quitta  point  le  monastère,  et  se  prosternant  sur  le  pavé  de 
son  église,  il  attendit,  disposé  à  tout  événement.  Furieux  de  le  trouver  seul,  les  barbares  le  bat- 
tirent cruellement  et  le  laissèrent  à  demi  mort.  Le  lendemain,  qui  était  la  grande  fête  de  leur 
secte,  ils  préparèrent  tout  pour  la  célébrer.  Alors  le  Saint  ranima  ses  forces  et  son  zèle,  et  il  eut 
assez  de  courage  pour  aller  les  reprendre  de  leur  impiété.  Les  barbares,  étonnés  de  le  revoir,  lui 
firent  souffrir  un  traitement  indigne  et  le  blessèrent  mortellement.  Un  orage  qui  survint  les  mit  eu 
fuite,  et  ils  n'eurent  point  le  temps  de  mettre  le  feu  au  monastère  comme  ils  se  l'étaient  proposé. 
Théoffroy  mourut  quelques  jours  après  (19  octobre  728),  et  il  a  été  depuis  honoré  comme  un 
martyr  de  la  vérité  et  de  la  charité.  Il  s'est  formé,  auprès  de  son  monastère,  une  petite  ville  qui 
a  pris  le  nom  de  Monastier-Saint-Chaffre  (Haute-Loire,  arrondissement  du  Puy). 

On  le  représente  égorgé  par  une  troupe  furieuse  de  Sarrasins. 

Baillet,  Godescard,  Mablllon,  Bulteau. 

1.  Alicu  .•  ThéopUrède,  Tûéoffre,  Cûaffr»,  Theo[ridu$. 


Vies  des  Saints.  —  ToiiE  XII.  30 


466  19  OCTOBRE. 


SAINTE  FRIDESWIDE  OU  PREWISSE  », 

VIERGE  ET  ABBESSE  A  OXFORD,  EN  ANGLETERRE  (VCTS  760). 

Sainte  Frideswide  était  fille  de  Didan,  prince  d'Oxford  (Angleterre)  et  du  territoire  de  cette 
ville.  Elle  comprit  de  bonne  heure  cette  importante  maxime  que  «  tout  ce  qui  n'est  pas  Dieu  n'est 
rien  »  ;  aussi  s'appliqua-t-elle  dès  son  enfance  à  ne  vivre  que  pour  lui.  On  confia  le  soin  de  son 
éducation  à  une  gouvernante  vertueuse  nommée  Algive.  Les  richesses,  la  naissance,  la  beauté  et 
tous  les  avantages  du  monde  ne  lui  parurent  jamais  dignes  de  ses  soins,  et  elle  n'y  voyait  que 
des  pièges  qu'il  était  bien  difficile  d'éviter.  Elle  craignait  de  vivre  dans  le  siècle,  et  les  exercices 
4e  la  vie  contemplative  lui  paraissaient  préférables  aux  fonctions  de  la  vie  active,  qu'il  est  rare 
d'allier  avec  la  ferveur  et  le  recueillement.  Elle  résolut  donc  d'embrasser  l'état  religieux.  Son  père, 
qui  était  lui-même  rempli  de  piété,  approuva  son  choix.  11  fonda,  vers  l'an  750,  un  monastère  à 
Oxford,  sous  l'invocation  de  la  sainte  Vierge  et  de  tous  les  Saints,  et  le  gouvernement  en  fut 
confié  à  sa  fille.  Frideswide,  affranchie  de  l'esclavage  du  monde,  fit  tous  ses  efforts  pour  avancer 
dans  la  voie  de  la  perfection  et  pour  y  conduire  ses  sœurs.  Mais,  tandis  qu'elle  goûtait  les  dou- 
ceurs de  la  solitude,  sa  vertu  fut  assaUlie  par  une  rude  épreuve.  Algar,  prince  de  Mercie,  conçut 
pour  elle  une  passion  violente  et  s'occupa  des  moyens  de  l'enlever.  Frideswide,  instruite  du  danger 
qu'elle  courait,  se  cacha  pour  se  soustraire  aux  poursuites  d'Algar.  On  dit  que  le  prince  devint 
aveugle  en  punition  de  son  crime  ;  mais  qu'il  recouvra  la  vue  par  les  prières  de  la  Sainte  et  qu'il 
apaisa  la  justice  de  Dieu  par  une  sincère  pénitence. 

Frideswide,  après  avoir  échappé  au  danger  dont  nous  venons  de  parler,  se  fit  construire  un 
petit  oratoire  à  Thornbury,  à  quelque  distance  de  la  ville.  Elle  s'y  renferma  pour  vaquer  unique- 
ment à  la  prière  et  à  la  contemplation.  Elle  mourut  vers  760  et  il  s'opéra  plusieurs  miracles  par 
son  intercession.  L'église  où  elle  avait  été  enterrée  prit  son  nom  dans  la  suite.  Sainte  Frideswide 
était  patronne  de  la  ville  et  de  l'université  d'Oxford.  Elle  est  aussi  honorée  avec  la  môme  qualité 
à  Bomy  (Pas-de-Calais,  arrondissement  de  Saint-Omer,  canton  de  Fauquembergue)  et  dans  plusieurs 
maisons  religieuses  des  Pays-Bas.  Suivant  quelques  auteurs,  c'est  même  à  Bomy  que  Frideswide 
vint  chercher  un  refuge  contre  les  poursuites  du  prince  qui  la  recherchait.  Ces  écrivains  ajoutent 
qu'elle  y  fonda  un  ermitage  où  elle  demeura  trois  ans.  La  fête  de  la  translation  de  ses  reliques 
est  marquée  au  12  février  dans  les  martyrologes  d'Angleterre,  et  dans  un  calendrier  qui  est  à  la 
tête  de  la  chronique  manuscrite  intitulée  Scala  mundi,  laquelle  se  gardait  dans  la  bibliothèque 
du  collège  anglais  à  Douai. 

On  peint  sainte  Frideswide  avec  un  bœuf  près  d'elle.  Cette  représentation,  dit  le  Père  Cahier 
dans  ses  Caractéristiques  des  Saints,  a  bien  l'air  de  n'être  qu'une  sorte  d'armoiries  parlantes, 
pour  exprimer  le  pays  dont  la  Sainte  était  patronne  :  Oxford  (ou  Oxenford)  signifiant  le  Gué  des 
Bœufs.  —  On  la  représente  parfois  avec  une  couronne  à  ses  pieds,  pour  marquer  qu'elle  a  su  mé- 
priser les  grandeurs  du  monde. 

Godescard,  Baillet,  Acta  Sanctorum. 

I.  Alias  :  Frévisse,  Frévise,  Fredeswitha. 


MARTYROLOGES.  467 


XXe  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

En  Pologne,  le  précieux  décès  de  saint  Jean  de  Kenty,  prêtre  et  confesseur,  qui  brilla  par 
ses  vertus  et  par  ses  miracles.  Il  fut  mis  au  rang  des  Saints  par  le  pape  Clément  XIII.  1473.  — 
À  Abi,  près  d'Aquila,  dans  l'Abruzze,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Maxime,  diacre  et  martyr,  qui, 
brûlant  de  souffrir  pour  Jésus-Christ,  se  découvrit  lui-même  aux  persécuteurs  qui  le  cherchaient, 
et,  après  une  ferme  et  généreuse  confession,  fut  suspendu  et  tourmenté  sur  le  chevalet,  meurtri 
de  coups  de  bâton  et  enfin  précipité  d'un  lieu  élevé  ;  il  expira  dans  cette  chute.  250.  —  A  Agen, 
dans  les  Gaules,  saint  Caprais,  martyr  ;  s'étant  d'abord  caché  dans  une  caverne  pour  éviter  la 
rage  de  la  persécution,  il  apprit  de  quelle  manière  la  généreuse  vierge,  sainte  Foi,  combattait 
pour  Jésus-Christ  ;  cet  exemple  l'ayant  encouragé  à  souffrir,  il  pria  Notre-Seigneur,  que  s'il  le 
jugeait  digne  de  la  gloire  du  martyre,  il  fît  jaillir  une  source  d'eau  claire  de  la  pierre  de  la  ca- 
verne :  Notre-Seigneur  le  lui  ayant  accordé,  il  courut  plein  de  confiance  au  champ  de  bataille, 
où,  en  soutenant  *  généreusement  les  assauts  de  l'ennemi,  il  gagna  la  palme  du  martyre,  sou» 
l'empereur  Maximien.  303.  —  A  Antioche,  saint  Artème,  augustal  l,  lequel,  ayant  passé  par  les 
premières  charges  de  la  milice  sous  Constantin  le  Grand,  fut  condamné  par  Julien  l'Apostat,  qu'il 
avait  repris  de  sa  cruauté  contre  les  chrétiens,  à  être  roué  de  coups  de  bâton  et  tourmenté  de 
divers  supplices,  et  enfin  à  être  décapité.  363.  —  A  Cologne,  les  saintes  vierges  Marthe  et  Saule, 
martyrisées  avec  plusieurs  autres  *,  —  A  Minden",  en  Allemagne,  la  naissance  au  ciel  de  saint 
Félicien,  évoque  et  martyr.  250.  —  A  Paris,  saint  Georges,  diacre,  et  saint  Aurèle,  martyrs  3. 
852.  —  En  Portugal,  sainte  Irène,  vierge  et  martyre.  653.  —  Au  diocèse  de  Reims,  saint  Sindulphe 
ou  Sandou,  confesseur*.  Vers  600. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Aux  diocèses  d'Agen,  Auch,  Mende,  Poitiers  et  Rodez,  saint  Caprais,  martyr,  cité  au  mar- 
tyrologe romain  de  ce  jour.  303.  —  Au  diocèse  d'Autun,  fête  de  la  translation  des  reliques  de 
saint  Lazare,  évêque  de  ce  siège,  martyr  et  patron  de  tout  le  diocèse,  dont  nous  donnerons  la  vie 

1.  Augustal,  c'est-à-dire  «  Gouverneur  de  l'Egypte  ».  Ce  fonctionnaire  était  ainsi  appelé,  parce  que  ce 
ftlt  Auguste  qui  établit  cette  charge  après  la  défaite  d'Antoine  et  de  Cléopfitre. 

2.  Les  anciens  calendriers  copiés  par  Usuard  nomment,  sous  le  20  octobre,  sainte  Saule  et  sainte 
Marthe,  compagnes,  vierges  et  martyres  à  Cologne.  Le  Père  Alexandre  et  les  rédacteurs  du  nouveau  Bré- 
viaire de  Paris  pensent  que  sainte  Saule  est  la  même  que  sainte  Ursule,  dont  nous  donnerons  la  vie  au  jour 
suivant.  —  Continuateurs  de  Godescard, 

8.  Les  saints  Georges  et  Aurèle,  martyrs  à  Cordoue,  sont  déjà  cités  au  martyrologe  romain  du  27  juillet, 
jour  de  leur  mort.  Le  20  octobre  est  le  Jour  de  la  translation  de  leurs  reliques  dans  l'abbaye  de  Saint- 
Germain  des  Pre's  de  Paris,  du  temps  de  Charles  le  Chauve  (840-877).  —  Voir  la  note  1  au  martyrologe 
romain  du  27  juillet,  tome  ix,  page  46, 

4.  Sindulphe  était  né  en  Aquitaine.  Animé  du  désir  de  parvenir  à  une  plus  haute  perfection,  et  plein 
de  mépris  pour  les  biens  et  les  plaisirs  du  monde,  il  quitta  sa  patrie  oh  il  vivait  dans  la  pratique  de  toutes 
les  vertus,  et  alla  chercher  une  retraite  dans  le  diocèse  de  Reims.  Il  fixa  sa  demeure  au  village  d'Aussence 
(Ardennes),  à  quatre  lieues  à  l'est  de  Reims.  Après  avoir  passé  dans  cette  solitude  plusieurs  années  à  mé- 
diter les  saintes  Ecritures,  il  songea  à  se  rendre  utile  à  son  prochain  en  menant  un  autre  genre  de  vie. 
Il  6e  mit  donc  à  parcourir  le  pays  environnant,  instruisant  les  gens  de  la  campagne,  secourant  les  pauvres, 
consolant  les  affligés,  guérissant  les  malades.  Il  rendit  le  dernier  soupir  et  fut  inhumé  dans  le  lieu  qu'il 
avait  illustré  par  sa  sainte  vie. 

Comme  la  sainteté  de  Sindulphe  éclatait  par  les  miracles  qui  s'opéraient  dans  l'église  bâtie  sur  son 
tombeau,  Hincmar,  archevêque  de  Reims,  leva  son  corps  de  terre  au  ixe  siècle,  et  enrichit  de  ses  saintes 
reliques  l'abbaye  de  Hautvillers,  à  quatre  lieues  de  Reims.  On  rapporte  plusieurs  miracles  opérés  pendant 
cette  translation.  Une  femme  aveugle  recouvra  la  \ue,  une  muette  acquit  l'usage  de  la  parole,  et  un  boi- 
teux de  naissance  commença  à  marcher.  —  Propre  de  Reims, 


468  2^  OCTOBRE, 

au  17  décembre.  iOT  s.  —  Aux  diocèses  de  Cambrai,  Carcassonne,  Chartres,  Clermont,  Meauxr 
Nice,  Perpignan,  Sens  et  Strasbourg,  saint  Jean  de  Kenty,  confesseur,  cité  au  martyrologe  romain 
de  ce  jour.  1473.  —  Au  diocèse  de  Soissons,  mémoire  de  saint  Agricole,  prêtre  et  confesseur, 
neveu  de  saint  Rémi,  archevêque  de  Reims  *.  vi«  s.  —  Au  diocèse  de  Verdun,  fête  de  Notre-Dame 
des  Prodiges  2.  —  A  Paris,  translation  (ix«  s.),  dans  l'église  abbatiale  de  Saint-Germain  des  Prés, 
des  reliques  de  sainte  Natalie  ou  Sabigothon,  épouse  de  saint  Aurèle  (du  martyrologe  romain  de 
ce  jour)  et  martyrisée  avec  lui  à  Cordoue,  en  Espagne,  le  27  juillet  852.  —  A  Troyes,  saint 
Adérald,  chanoine  et  archidiacre  de  cette  Eglise.  1004.  —  A  Trêves  (Prusse  Rhénane),  saint  Wan- 
delin  ou  Wendelin  d'Ecosse,  abbé  du  monastère  bénédictin  de  Tholey  ou  Saint-Maurice  en  Vosges 
(Theologium,  S.  Mauritius  in  Vosago),  dont  nous  parlerons  plus  amplement  au  22  octobre  qui 
est  le  jour  de  sa  mort.  1015.  —  A  Montpellier,  la  fête  de  la  délivrance  de  cette  ville  par  le  roi 
Louis  XIII 3.  1622.  —  A  Reims,  le  bienheureux  Sonnace,  d'abord  archidiacre,  puis  archevêque  de 
ce  siège  et  confesseur.  Il  présida  à  Reims  (625)  un  concile  où  Ton  fit  vingt-cinq  canons  fort  utiles 
à  l'Eglise,  bien  que  renouvelés,  pour  la  plupart,  des  conciles  précédents.  Comme  son  prédécesseur 
Romulphe  (590-593),  Sonnace,  qui  avait  un  riche  patrimoine,  institua  pour  son  héritière  l'église 
de  Saint-Remi  dans  laquelle  il  choisit  sa  sépulture,  et  fit  un  grand  nombre  de  legs  qui  témoignent 
de  sa  haute  piété  4.  631.  —  A  Auxerre,  le  bienheureux  Humbaud,  cinquante-deuxième  évêque  de 
ce  siège  et  confesseur.  1115.  —  Dans  l'ancienne  abbaye  cistercienne  de  Savigny  (Savigniacum, 
Manche),  au  diocèse  de  Coutances,  les  bienheureux  Geoffroy  (Gaufridus)  et  Serlon,  abbés,  Guil- 
laume, novice,  et  Adeline,  abbesse.  xip  s.  —  A  Saint-Junien  (Haute-Vienne),  au  diocèse  de 
Limoges,  le  martyre  du  vénérable  Léonard  Talasse,  religieux  dominicain,  mis  à  mort  par  les 
Huguenots.  Vers  1570.  —  A  Loos  (Nord),  au  diocèse  de  Cambrai,  bénédiction  (1835)  de  la  nouvelle 
église  de  Notre-Dame  de  Grâce,  un  des  pèlerinages  les  plus  fréquentés  de  toute  la  contrée  et  dont 
le  sanctuaire  primitif  datait  du  xvi°  s. 


MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  Chez  les  Chanoines  de  Vienne  :  A  Piombino, 
en  Toscane,  saint  Cerbon  ou  Cerboney,  évêque  et  confesseur,  d'abord  chanoine  régulier,  qui,  au 
rapport  de  saint  Grégoire,  éclata  en  miracles  pendant  sa  vie  et  après  sa  mort,  et  rendit  son  âme 
à  Dieu  le  10  octobre.  vi«  s. 

Martyrologe  de  VOrdre  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Rome,  sur  la  voie  d'Ardée,  saint  Marc, 
pape  et  confesseur,  dont  le  décès  arriva  le  7  de  ce  mois  8.  336.  —  De  même,  le  supplice  des 
saints  Serge  ou  Sierge  et  Bacq  ou  Bacque,  martyrs  en  Syrie  6.  300. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  Saint  Wenceslas,  martyr,  dont  la  mémoire 
se  célèbre  le  28  septembre  7.  936. 

Martyrologe  des  Mineurs  Capucins  de  Saint-François.  —  Saint  Elzéar  de  Sabran,  comte 
d'Arian,  confesseur,  du  Tiers  Ordre  de  notre  Père  saint  François,  qui  garda  pure  la  virginité  avec 

1.  Agricole  grandit  sous  les  yenx  de  saint  Rémi,  qui  l'ordonna  prêtre  à  cause  de  son  instruction  et  de 
la  pureté  de  sa  vie.  Il  lui  légua  par  testament  des  propriétés  considérables  en  vignes,  à  condition  que  son 
neveu  offrirait  le  saint  sacrifice  à  son  intention  tous  les  dimanches  et  tous  les  jours  de  fêtes.  Après  la 
mort  de  saint  Rémi,  Agricole  vint  à  Soissons  auprès  de  saint  Loup,  son  parent,  qu'il  aida  dans  l'admi- 
nistration de  son  Eglise.  Il  mourut  dans  cette  ville  et  son  corps  y  fut  inhumé.  Ses  reliques  furent  levées 
au  ixa  siècle,  transportées  à  la  cathédrale  et  exposées,  avec  celles  de  saint  Prince,  de  saint  Gandin  et  de 
saint  Loup,  à  la  vénération  du  peuple  jusqu'à  leur  destruction  par  les  Calvinistes  en  1567.  —  Propre  de 
Soissons. 

2.  Nous  avons  donné  quelques  détails  sur  cette  fête,  commune  à  un  grand  nombre  de  diocèses  de 
France,  au  9  juillet  (Martyrologe  de  France,  tome  vm,  page  187). 

3.  Montpellier  souffrit  beaucoup  pendant  les  guerres  de  religion  :  elle  se  soumit  à  Louis  XIII  en  1622, 
après  avoir  subi  un  siège.  L'Edit  de  Montpellier,  du  20  octobre  1622,  reconnut  aux  Calvinistes  le  libre 
exercice  de  leur  culte,  mais  leur  enleva  toutes  autres  assemblées  que  leurs  synodes  et  consistoires,  et  ne 
leur  laissa  comme  places  de  sûreté  que  La  Rochelle  et  Montauban.  C'est  le  jour  anniversaire  de  la  pro- 
mulgation de  cet  édit  que  les  habitants  de  Montpellier  fêtaient  autrefois  sous  le  nom  de  Délivrance  de  la 
ville. 

4.  Le  l*T  octobre  618,  il  leva  de  terre  le  corps  de  saint  Rémi  et  érigea  à  ce  saint  pontife,  derrière 
l'autel  de  la  nouvelle  église  construite  sur  son  tombeau,  précisément  oh  il  est  encore,  un  mausolée  en 
marbre  noir,  revêtu  de  velours  cramoisi  et  enrichi  de  dorures.  Il  remit  ensuite  en  terre  les  précieux  restes 
du  Saint  qu'on  avait  tirés  de  sa  sépulture,  et,  pour  indiquer  a  la  postérité  l'endroit  qui  avait  reçu  ce  dépôt 
sacré,  11  le  fit  recouvrir  d'une  pierre  blanche,  sur  laquelle  fut  gravée  une  inscription  commémorative.  — 
Les  reliques  de  Sonnace,  transférées  (4  novembre  1204)  de  l'église  Saint-Remi  dans  la  cathédrale,  furent 
réduites  en  cendres  lors  de  l'incendie  qui  détruisit  (6  mai  1210)  cet  édifice.  —  Acta  Sanctorum;  Gallia 
Ckristiana. 

8.  Voir  la  note  1  du  martyrologe  romain,  au  7  octobre  (tome  xii,  page  123).  —  6.  Nous  avons  donné, 
lear  vie  au  7  octobre.  —  7.  Voir  sa  vie  au  28  septembre. 


LES  MARTYRS  D'AGEN  SAINT  CAPRAIS,  SAINTE  FOI,  ETC.  469 

!a  bienheureuse  Delphine,  sou  épouse,  et,  comblé  de  mérites,  s'envola  au  ciel  le  27  septembre. 
Les  miracles  qu'il  opéra  pendant  sa  vie  et  après  sa  mort  déterminèrent  le  souverain  pontife 
Urbain  V  à  le  mettre  au  nombre  des  Saints  '.  1325. 

ADDITIONS  FAITES  D 'APRÈS   LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHBS. 

A  Naples,  la  vénérable  Mère  Ursule  Benincasa,  fondatrice  des  Filles  Théatines  et  des  Sœurs  de 
l'Ermitage  8.  1618.  —  En  Perse,  saint  Barsabas  ou  Barsabias,  abbé,  et  ses  compagnons,  martyrs. 
Barsabias  est  nommé  au  martyrologe  romain  du  13  décembre,  où  nous  donnerons  quelques  détails 
sur  sa  vie.  342.  —  A  Salzbourg  (Juvanum),  ville  de  la  Haute-Autriche,  sur  la  Salza,  saint  Vital» 
second  évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  surnommé  Y  Apôtre  du  Puizgau,  parce  qu'il  évangélisa 
les  habitants  de  cette  vallée  (située  au  nord  du  mont  Tauërn,  dans  le  territoire  de  Salzbourg).  Il 
était  disciple  de  saint  Rupert  (27  mars  718)  qui,  charmé  de  ses  vertus,  l'éleva,  encore  de  son 
vivant,  à  la  dignité  d'évêque.  Après  la  mort  de  son  maître,  Vital  se  plaça  aussitôt  à  la  tête  de  son 
nouveau  diocèse,  et  brilla  comme  un  modèle  de  piété  évangélique  au  milieu  de  ses  ouailles.  Les 
hagiographes  louent  principalement  son  zèle,  sa  charité  et  son  esprit  de  paix.  Il  intervenait  par 
sa  médiation  dans  tous  les  différends,  et  ses  prédications  étaient  celles  d'un  vrai  serviteur  du  Dieu 
de  miséricorde  et  de  réconciliation  *.  730.  —  A  Pouzzoles  (Puteoli),  ville  et  port  d'Italie,  dans  la 
province  de  Naples,  les  saints  martyrs  Daise  ou  Dace,  Zosime,  Janvier,  Dorothée,  Susime  et  Jan- 
vière.  iv«  s.  —  A  Nicomédie,  aujourd'hui  Isnikmid,  ville  de  Bithynie,  sur  la  Propontide,  les  saints 
martyrs  Eutyche,  Promaque,  Luce,  Marcellin  et  Bermiaque.  iv«  s.  —  Dans  les  Etats  de  l'Eglise, 
la  translation  des  saints  Marcien  et  Jean,  martyrisés  à  Rome,  sur  la  voie  Flaminienne,  le  16  sep- 
tembre. Le  13  janvier  1001,  ils  furent  transférés  une  première  fois  à  Civita-Castellana  (Falisca); 
mais,  avec  le  temps,  le  souvenir  de  cette  solennité  s'effaça  peu  à  peu  des  esprits.  Les  choses  en 
étaient  là  lorsque,  en  1230,  Pierre,  évêque  de  Civita-Castellana,  fit  exécuter  des  fouilles  qui 
amenèrent  la  découverte  des  corps  des  deux  Saints.  Nombre  de  miracles  s'opérèrent  à  cette  occa- 
sion. Les  reliques  furent  replacées,  avec  grande  vénération,  sous  l'autel  où  on  venait  de  les  décou- 
vrir ;  mais  on  en  sépara  une  petite  portion  que  l'on  enferma  dans  un  reliquaire  destiné  aux 
expositions  solennelles.  —  Dans  l'île  de  Man  (mer  d'Irlande),  saint  Bradan  et  saint  Orora,  confes- 
seurs. Leur  culte  était  autrefois  célèbre,  et  de  nombreuses  églises  étaient  dédiées  sous  leur  invo- 
cation. Avant  le  vip  s.  —  En  Irlande,  saint  Fmtan  .Corach,  évêque  de  Clontarf,  près  de  Dublin 
(province  de  Leinster)  ;  et  saint  Fintan  Moeldubh,  abbé  de  Clonedagh  ou  Cluain-Ednech  (comté  de 
King's  County).  595  et  625.  —  A  Corne,  en  Lorabardie,  saint  Jean  III,  évêque  de  ce  siège  et  con- 
fesseur. Vers  655.  —  A  Hexham  (HagulstadiaJ,  ville  d'Angleterre  (Northumberland),  saint  Accas, 
évêque  et  confesseur.  Il  était  l'ami  du  vénérable  Bède,  avec  lequel  il  entretint  un  commerce  actif 
de  lettres.  740. 


LES  MARTYRS  D'AGEN  SAINT  CAPRAIS,  SAINTE  FOI, 

SAINTE  ÀLBERTE,  SŒUR  DE  SAINTE  FOI,  SAINT  PRIME,  SAINT  FÉLICIEN, 
ET  UN  GRAND  NOMBRE  D'AUTRES,  MASSACRÉS  PAR  LA  FOULE  * 

303.  —  Pape  :  Saint  Marcellin.  —  Empereurs  romains  :  Dioclétien  et  Maximien. 


Bourges,  Saintes,  Poitiers,  Angoulême,  Bordeaux,  Agen,  reçurent  tour 
à  tour  les  lumières  de  l'Evangile  de  la  bouche  de  saint  Martial,  disciple  des 

1.  Voir  sa  vie  an  27  septembre.  —  2.  Nous  donnerons  sa  vie  dans  le  volume  consacré  aux  Véné- 
rables. 

8.  Il  ne  fut  question  de  la  canonisation  du  bienheureux  Evêque  qu'en  1480,  sous  le  pape  Pie  II  et  l'ar- 
chevêque Sigismond  de  Wolkenstorf;  puis  en  1519,  sous  Léon  X;  et  enfin  en  1628,  sous  le  pape  Ur- 
bain VIII.  Depuis  ee  temps,  Vital  est  au  nombre  des  saints  diocésains  de  Salzbourg.  Ses  reliques  reposent 
dans  l'église  de  Saint-Pierre  de  cette  ville.  —  Continuateurs  de  Godescard. 

4.  Ces  Saints  ont  souffert  ensemble  :  inséparables  dans  le  martyre,  nous  n'avons  pas  voulu  les  séparer 


470  20  OCTOBRE. 

Apôtres,  apôtre  lui-même  et  premier  évoque  de  Limoges.  Le  bréviaire  de 
Limoges  nous  apprend  que  l'église  d'Agen  fut  au  nombre  de  celles  que  saint 
Martial  érigea  en  évêché,  sous  l'invocation  de  Saint- Etienne,  et  qu'il  arrosa 
de  ses  sueurs. 

L'apostolat  de  saint  Martial,  aux  temps  apostoliques,  était  aussi  consa- 
cré par  l'ancienne  liturgie  agenaise  qui  lui  donnait  le  titre  de  Patronus 
noster.  Les  propres  modernes  de  l'Agenais  avaient  partagé  l'erreur  des  deux 
siècles  derniers  où  l'on  avait  voulu  reculer,  sur  une  fausse  interprétation 
d'un  texte  de  saint  Grégoire  de  Tours,  la  mission  de  Martial  jusqu'au  m* 
siècle;  mais  ce  diocèse  a  aussi  repris  la  liturgie  romaine  en  1853,  et  saint 
Martial  y  a  retrouvé  sa  place  parmi  les  disciples  de  Jésus-Christ. 

Mais  voici  d'autres  missionnaires  qui  s'avancent  vers  Agen  :  Paterne  de 
Tolède,  disciple  de  saint  Saturnin  ;  Pirmin  de  Pampelune  qui  commence  sa 
mission  par  Agen,  la  continue  par  l'Auvergne,  l'Anjou,  le  Beauvaisis  et  va 
la  terminer  à  Amiens.  Malheureusement  les  ouvriers  de  l'Evangile  étaient 
encore  rares,  et  la  plupart  des  évêchés  érigés  par  saint  Martial  furent  bien» 
tôt  sans  pasteurs.  Si  l'Eglise  d'Agen  eut  des  évêques  durant  le  temps  des 
persécutions,  leurs  noms  sont  restés  ignorés.  Caprais  est  le  premier  qui  soit 
connu,  et  il  n'occupa  ce  siège  que  vers  la  fin  du  m0  siècle. 

Caprais  appartenait  à  une  illustre  famille  d'Agen  l  qui,  de  bonne  heure, 
et  sans  doute  aux  temps  de  Martial  ou  de  Firmin,  avait  embrassé  le  chris- 
tianisme :  son  père  s'appelait  Pauste. 

Fidèle  gardien  de  son  troupeau,  Caprais  veilla  sur  lui  jusqu'au  moment 
OÙ  Dieu  l'appela  au  sacrifice  solennel  et  lui  présenta  la  palme  du  martyre. 

Laissons  parler  les  légendes  agenaises  :  «  Tandis  que  le  cruel  Maximien 
tenait  le  sceptre  de  l'empire  romain  et  qu'il  écrasait  sous  sa  domination  la 
monarchie  universelle,  les  chrétiens,  courbés  sous  son  joug  de  fer,  et  ne 
pouvant  plus  soutenir  la  rage  du  tyran,  fuyaient  loin  de  leurs  maisons  peur 
aller  demander  aux  bêtes  sauvages  un  asile  dans  leurs  forêts  ou  dans  leurs 
cavernes.  D'autres,  moins  heureux,  croyaient  trouver  une  retraite  mieux 
assurée  dans  les  détours  et  les  souterrains  de  leurs  églises;  mais  s'ils  ve- 
naient à  être  découverts,  ils  étaient  dévoués  aux  tortures  les  plus  cruelles  et 
les  plus  diverses,  jusqu'au  moment  de  leur  entrée  dans  le  ciel,  après  avoir 
conquis  sur  la  terre  la  palme  de  l'immortalité. 

«  Ce  fut  sous  cette  effroyable  tempête  que  le  même  empereur  confia  à 
un  sacrilège,  nommé  Dacien,  la  dictature  des  Espagnes.  Dévoré  par  la  soif 
du  carnage,  il  brûlait  de  l'étancher  dans  le  sang  des  chrétiens.  Fier  des 
édits  qui  lui  permettaient  de  déchirer  les  corps  de  la  sainte  phalange,  il 
courbe  sous  le  sceptre  de  sa  domination  grand  nombre  d'illustres  cités  de 
l'Occident.  Il  les  accable  sous  le  poids  de  son  insolente  brutalité,  et  le  sang 
des  martyrs  coule  à  flots  au  pied  des  idoles. 

«  Ces  crimes  se  multipliaient  avec  un  accroissement  formidable,  quand 
Dacien,  ce  féroce  brigand,  cet  ardent  dévastateur  de  l'église  d'Occident, 
s'avance  vers  Agen.  Déjà  il  se  précipite  à  travers  les  flots  courroucés  de  la 
Garonne,  et  il  entre  accompagné  d'une  escorte  nombreuse  dans  cette  ville 
que  protègent  d'immenses  remparts. 

dans  notre  récit  ;  il  nous  eût  été  difficile  du  reste  de  consacrer  un©  biographie  à  chacun  d'eux  sans  tom- 
ber dans  des  redites,  sans  émietter  la  narration  et  la  faire  languir.  Ces  actes  sont  un  drame  dont  toutes 
les  parties  se  tiennent. 

La  fête  de  sainte  Alberto  est  marquée,  dans  le  Propre  d'Agen,  au  11  mars  ;  celle  de  sainte  Foi  au 
6  octobre  ;  celle  de  saint  Prime  et  de  saint  Félicien  au  7  octobre  ;  celle  des  nombreux  Martyrs  iunommé» 
au  36  octobre. 

1.  Légendaire  de  Moîsiac;  anciens  bréviaires  d'Agea, 


LES   MARTYRS  D*AGEN   SAINT  CAPRAIS,   SAINTE  FOI,  ETC.  471 

«  A  son  approche,  les  chrétiens  effrayés  abandonnent  la  ville  et  vont 
chercher  une  retraite  dans  la  profondeur  des  forêts  ou  les  cavernes  des  ro- 
chers. Réduits  à  la  nourriture  des  animaux,  ils  n'ont,  pour  apaiser  leur 
faim,  que  des  racines  ou  des  fruits  agrestes,  s'estimant  trop  heureux  de 
pouvoir  ainsi  échapper  aux  mains  sanglantes  du  tyran.  Caprais  est  au  mi- 
lieu de  la  troupe  fidèle  et  cherche  partout  un  refuge  dans  les  rochers  qui 
avoisinent  la  ville.  Il  gravit  clandestinement  la  pente  de  cette  montagne 
que  les  anciens  ont  appelée  du  nom  de  Pompéjac,  aujourd'hui  Mont-Saint- 
Vincent  *.  Arrivé  presque  au  sommet,  il  y  trouve  une  caverne  hérissée  de 
rochers,  bien  propre  à  protéger  ceux  qui  venaient  lui  demander  un  asile. 

«  Aux  pieds  de  cette  montagne  s'élève,  environnée  de  remparts,  cette 
ville  que  les  Aronces  appelèrent  du  nom  d'Agen  et  décorèrent  avec  magni- 
ficence. L'implacable  Dacien  était  à  peine  entré  dans  cette  illustre  cité, 
qu'on  accourut  en  foule  des  contrées  circonvoisines.  Le  peuple  était  avide 
d'entendre  la  sentence  que  cette  bouche  impie  allait  prononcer  contre  le 
troupeau  de  Jésus-Christ.  Dacien,  se  voyant  entouré  de  cette  foule  empres- 
sée, lui  adresse  ces  paroles  :  «  Vous  ignorez  peut-être  le  sujet  qui  m'amène 
au  milieu  de  vous.  Je  viens  donner  une  juste  récompense  à  ceux  qui,  fidèles 
au  culte  de  nos  pères,  fréquentent  nos  temples  et  offrent  des  sacrifices  à 
nos  dieux;  mais  ceux  qui  les  outragent,  ceux  qui  méprisent  nos  institutions, 
trouveront  la  mort  dans  les  plus  cruels  tourments  *  ». 

C'est  ainsi  que  Dacien  commence  par  étaler  aux  yeux  du  peuple  l'appa- 
reil des  supplices.  Capra'is  semble  avoir  fui  la  persécution;  mais  avant  tout, 
il  se  devait  à  son  troupeau,  et  il  ne  pouvait  pas  l'abandonner  avant  de  con- 
naître la  volonté  de  Dieu.  D'ailleurs  il  n'ignorait  pas  combien  il  était  témé- 
raire de  s'exposer  volontairement  au  martyre.  Le  courage  ne  lui  manquera 
pas  quand  Dieu  l'appellera  à  l'autel  de  l'immolation.  Mais  c'est  une  jeune 
vierge,  sainte  Foi,  qui  doit,  la  première,  affronter  la  rage  du  tyran  :  Dieu 
a  choisi  les  faibles  pour  confondre  les  forts. 

«  Issue  de  parents  nobles  et  illustres,  sainte  Foi  naquit  dans  la  cité 
d'Agen.  Elle  appartenait  à  cette  ville  par  droit  de  naissance,  elle  en  devint 
la  patronne  par  son  glorieux  martyre.  Héritière  d'une  race  antique,  elle 
tirait  sa  principale  noblesse  des  dons  du  Christ.  L'éclat  de  sa  blancheur  vir- 
ginale formait  son  plus  beau  vêtement.  Tout,  en  elle,  respirait  les  ardeurs 
de  sa  foi,  et  répandait  la  bonne  odeur  de  sa  mansuétude.  Elle  eut  la  gloire 
de  conquérir  dans  Agen  la  première  couronne  du  martyre,  et  par  l'exemple 
de  ce  beau  trépas,  elle  devint  le  plus  bel  ornement  de  sa  patrie  :  c'était 
l'échange  d'une  vie  d'un  jour  contre  des  biens  éternels.  Dès  le  berceau  elle 
aima  le  Sauveur  son  Dieu,  et  ne  voulut  point  d'autre  maître.  Au  temps  de 
son  martyre,  elle  était  jeune  par  le  nombre  de  ses  années,  mais  elle  avait 
toute  la  sagesse  et  toute  l'expérience  de  l'âge  mûr.  La  beauté  de  son  âme 
effaçait  la  beauté  de  son  corps  ;  et  lorsque  le  juge  fut  arrivé,  quand  le  pré- 
fet dont  nous  avons  inutilement  cherché  le  nom  (Dacien),  fut  entré  dans 
Agen,  promettant,  selon  sa  coutume,  des  faveurs  aux  adorateurs  des  idoles, 
aux  chrétiens  fidèles  les  tourments  de  la  persécution,  il  commanda  qu'on 
allât  chercher  la  jeune  Foi,  et  la  fit  conduire  en  sa  présence. 

Durant  ce  trajet,  à  côté  même  de  ces  ministres  d'iniquité,  la  bienheu- 
reuse Foi  fit  monter  cette  prière  vers  le  Seigneur  :  «  Jésus-Christ,  mon 
Sauveur,  vous  qui  n'abandonnez  jamais  ceux  qui  vous  implorent,  venez  à 

1.  C'est  l'assertion  du  nouveau  Propre  d'Agen,  qui  dit  en  outre  que  ceci  se  passait  la  veille  des  nones 
d'octobre. 

2.  Anciens  bréviaires  et  missel  manuscrit. 


472  20  OCTOBRE. 

mon  aide,  secourez  votre  servante,  et  prêtez  à  mes  lèvres  des  paroles  dignes 
de  l'interrogatoire  que  je  vais  subir  sous  les  yeux  du  tyran  !  »  En  pronon- 
çant cette  prière,  elle  forma  le  signe  de  la  croix  sur  son  front,  sur  sa  bouche 
et  sur  son  cœur.  Armée  de  ce  bouclier  invincible,  elle  marche  avec  cou- 
rage vers  le  gouverneur.  A  peine  arrivée  en  sa  présence,  le  préfet  lui  parle 
avec  tous  les  artifices  d'une  douceur  apparente  :  «  Quel  est  votre  nom  ?  » 
—  «  Je  m'appelle  Foi  ».  —  «  Quelle  est  votre  religion  ?»  —  Je  suis  chré- 
tienne dès  mon  enfance,  et  je  sers  le  Seigneur  Jésus-Christ  de  toute  l'ar- 
deur de  mon  âme  ».  — «  Croyez-moi,  prenez  conseil  de  votre  jeunesse  et  de 
votre  beauté  ;  abandonnez  la  religion  que  vous  professez  maintenant,  et 
sacrifiez  à  Diane,  qui  est  une  divinité  conforme  à  votre  sexe,  et  je  vous 
comblerai  des  plus  précieuses  faveurs  ».  —  a  J'ai  appris  par  la  tradition  de 
mes  pères  que  tous  les  dieux  des  nations  n'étaient  que  des  démons,  et  vous 
voulez  me  persuader  de  leur  offrir  des  sacrifices  !  »  A  ces  mots,  le  gouver- 
neur enflammé  de  colère  :  «.Sacrifiez  à  nos  dieux  »,  lui  dit- il,  «  ou  bien 
vous  allez  expirer  dans  les  tourments  ».  A  son  tour,  la  bienheureuse  Foi 
entend  ces  menaces  sans  s'effrayer.  Elle  regarde  le  ciel,  et  s'élançant  déjà 
vers  la  patrie  éternelle,  elle  emprunte  la  force  des  plus  illustres  martyrs,  et 
s'écrie  d'une  voix  énergique  :  a  Au  nom  do  Jésus-Christ,  mon  Seigneur, 
non-seulement  je  ne  sacrifierai  pas  à  vos  dieux,  mais  je  suis  prête  à  souffrir 
toutes  sortes  de  tourments  ». 

«  Le  courage  de  la  jeune  vierge  irrite  le  proconsul.  Il  commande  à  ses 
satellites  d'apporter  un  lit  d'airain,  y  fait  étendre  le  corps  de  la  Sainte,  et 
puis  on  allume  dessous  un  grand  feu  pour  tourmenter  ses  membres  par  ce 
cruel  supplice.  Frappé  de  ce  spectacle,  tout  le  peuple  s'écrie  :  0  cruauté 
inouïe  1  inique  sentence  !  Comment  peut-on  tourmenter  de  la  sorte  une 
jeune  vierge  de  la  plus  illustre  noblesse,  qui  n'a  jamais  fait  aucun  acte 
coupable,  jamais  souillé  sa  bouche  par  un  forfait,  et  dont  tout  le  crime  est 
d'adorer  son  Dieu  !  C'était  le  cri  de  l'innocence,  et,  ce  même  jour,  un 
grand  nombre  dont  nous  n'avons  pas  pu  connaître  les  noms,  confessèrent 
la  foi  de  Jésus-Christ  et  conquirent  la  palme  du  martyre. 

«  Cependant  le  bienheureux  Caprais,  inquiet  de  cette  effroyable  persé- 
cution, errait  fugitif,  cherchant  partout  avec  la  plus  tendre  sollicitude  son 
troupeau  dispersé,  lorsque  enfin  il  arrive  au  sommet  de  cette  roche  qui 
s'élève  près  de  la  cité,  du  côté  du  septentrion,  aujourd'hui  mont  Saint-Vin- 
cent. Il  s'arrête,  et  roulant  dans  son  esprit  les  malheurs  dont  la  ville  était 
menacée,  il  ne  put  se  défendre  d'une  secrète  frayeur.  Dans  le  trouble  qui 
l'agite,  il  tourne  ses  regards  vers  la  cité,  et  il  aperçoit  la  jeune  Foi  tour- 
mentée par  les  supplices  les  plus  cruels.  Il  lève  les  yeux,  regarde  le  ciel, 
et,  par  la  plus  fervente  prière,  il  conjure  le  Seigneur  de  donner  la  victoire 
à  la  Sainte,  dans  le  combat  qu'elle  soutient.  L'athlète  du  Christ,  Caprais, 
lève  les  yeux  pour  la  seconde  fois,  et,  dans  sa  contemplation,  il  semble  dé- 
vorer le  ciel  ;  puis  il  se  prosterne  contre  terre,  et,  incertain  de  ce  qu'il  doit 
faire,  il  demande  à  son  Dieu  de  manifester  sa  volonté  par  quelque  prodige* 
A  peine  s'est-il  relevé,  qu'il  voit  briller  sur  la  tête  de  Foi  une  couronne  res- 
plendissante de  mille  couleurs,  ornée  de  diamants  et  des  plus  riches  pier- 
reries qui  semblent  détachées  du  firmament.  Il  regarde  encore  :  une  co- 
lombe descend  des  nuages  et  vient  se  poser  sur  la  tête  de  la  Sainte,  qu'elle 
environne  d'un  vêtement  plus  blanc  que  la  neige,  plus  éclatant  que  le  so- 
leil. Cette  colombe  descendue  du  ciel,  voulant  que  la  postérité  publiât 
d'âge  en  âge  la  puissance  que  Dieu  allait  manifester  dans  le  martyre  de  la 
Sainte,  étend  ses  ailes  avec  un  doux  frémissement,  et  il  en  tombe  une  pluie 


LES  MARTYRS  D'aGEN  SAINT  CAPRAIS,   SAINTE  FOI,   ETC.  473 

légère  qui  éteint  les  flammes  allumées  pour  dévorer  la  jeune  Foi.  Dans  ce 
vol  mystérieux,  on  eût  dit  une  source  d'eau  vive  s'épanchant  sur  le  bûcher 
funèbre  pour  en  éteindre  les  ardeurs. 

«  Dès  ce  moment,  la  palme  du  triomphe,  la  couronne  du  salut  est 
assurée  à  la  vierge.  A  la  vue  de  ce  prodige  que  Dieu  vient  de  manifester, 
Caprais  se  réjouit  grandement.  Il  ne  croit  pas  son  courage  inférieur  à  celui 
de  la  Sainte,  et  sûr  de  la  victoire,  il  se  prépare  au  martyre  après  avoir 
connu  la  volonté  de  Dieu  par  un  prodige  nouveau.  Il  frappe  de  sa  main  la 
roche  sous  laquelle  il  s'était  abrité,  et  il  en  jaillit  une  source  qui  n'a  jamais 
tari.  Bien  plus  encore,  la  puissance  de  Dieu  a  attaché  une  telle  vertu  à 
cette  eau  salutaire,  que  tous  ceux  qui  viennent  avec  une  foi  vive  boire  à  la 
source  de  ce  rocher,  de  quelque  langueur  qu'ils  soient  affligés,  ils  sont 
rendus  à  la  santé  par  la  vertu  du  saint  Martyr  '. 

«  Transporté  d'allégresse  et  devenu  plus  intrépide  par  ce  prodige  nou- 
veau, Caprais  se  dérobe  à  ses  néophytes  et  s'élance  au  lieu  du  combat,  où 
il  trouve  la  jeune  Foi  encore  étendue  sur  le  bûcher  funèbre.  Au  même 
instant,  le  préfet  le  fait  conduire  devant  son  tribunal,  et  sans  s'effrayer  de 
l'aspect  terrible  des  satellites  qui  l'entourent,  Caprais  paraît  avec  sérénité 
devant  le  gouverneur.  Celui-ci  commence  par  lui  demander  son  nom,  sa 
patrie,  ses  ancêtres.  «  Mon  nom  »,  répond  Caprais,  «  est  plus  beau  que  tous 
les  titres  du  monde  :  je  suis  chrétien.  Régénéré  par  les  eaux  du  baptême 
et  confirmé  par  la  consécration  épiscopale,  je  m'appelle  Caprais  ». 

«  Le  préfet  fait  briller  à  ses  yeux  les  plus  belles  promesses  et  lui  parle 
en  ces  termes  :  «  Je  vois  que  vous  êtes  très-beau  et  dans  la  vigueur  de 
Tâge  ;  si  vous  écoutez  mes  discours,  vous  serez  le  premier  dans  le  palais 
des  princes,  vous  obtiendrez  leur  amtyié,  et  vous  serez  mis  en  possession 
de  nombreux  héritages  ».  Averti  par  les  prodiges  du  ciel  :  «  Tout  mon  dé- 
sir »,  répond  Caprais,  «  est  d'habiter  le  palais  de  Celui  que  j'adore  depuis 
le  jour  de  mon  baptême,  et  que  j'ai  appris  à  connaître  comme  le  Rédempteur 
de  tous  ceux  qui  croient  en  lui  ».  —  «  Je  serai  patient  à  votre  égard  »,  conti- 
nue le  gouverneur,  «jusqu'à  ce  que  vous  receviez  les  faveurs  et  les  héri- 
tages que  je  Vous  ai  promis  ».  —  «  J'aspire  aux  biens  impérissables  de  Celui 
qui  est  fidèle  dans  ses  paroles  et  saint  dans  toutes  ses  œuvres  ». 

«  Dacien  a  vu  Caprais  inflexible  dans  ses  discours  et  inébranlable  dans 
sa  résolution.  «  Je  cesserai  l'interrogatoire  »,  dit-il  aux  siens,  «  car  je  suc- 
comberai dans  ce  combat  qui  me  déshonore  ».  Il  livre  le  Saint  entre  les 
mains  de  ses  licteurs  et  le  fait  déchirer  sans  pitié.  Mais  Caprais  est  toujours 
invincible  ;  il  est  plus  fort  que  les  tourments. 

«  A  l'aspect  de  tant  de  tortures,  la  foule,  plongée  dans  le  deuil,  s'atten- 
drit jusqu'aux  larmes  et  l'on  entend  ce  cri  universel  :  «  Détestable  impiété  ! 
Vit-on  jamais  rien  de  pareil  parmi  les  hommes!  Le  bienheureux  Martyr 
n'était-il  pas  aussi  agréable  à  Dieu  qu'aux  mortels  1  D'une  beauté  remar- 
quable, il  avait  une  figure  vraiment  angélique  ». 

«  Mais  rien  ne  peut  ébranler  Caprais,  ni  les  promesses,  ni  les  menaces, 
ni  les  tortures.  Tout  est  mis  en  œuvre  pour  tourner  son  cœur  à  la  prévari- 
cation, et  tout  est  inutile. 

«  Voyant  la  constance  de  Caprais,  le  gouverneur  le  livre  à  la  torture 
et  le  fait  jeter  dans  un  cachot.  De  nouveau  il  est  traîné  en  sa  présence. 
C'étaient  les  enfants  des  ténèbres  qui  conduisaient  le  fils  de  la  lumière,  dont 
les  yeux  attachés  au  ciel  étaient  toujours  fixés  sur  le  Christ.  «  Gloire  à 

1.  L'authenticité  de  ce  miracle  est  consacrée  par  Adon  de  Vienne,  qui  florissait  vers  le  milieu  du 
îx*  siècle. 


474  20  OCTOBRE. 

Dieu  au  plus  haut  des  cieux  »,  s'écrie  le  Saint.  «  C'est  là  que  nous,  chré- 
tiens, avons  placé  nos  richesses  impérissables,  à  l'abri  de  la  rouille  et  des 
vicissitudes  du  temps  ». 

«  Enfin  la  sentence  est  portée,  et  tandis  que  Caprais  est  conduit  au 
supplice,  il  rencontre  sa  mère  qui  implore  le  ciel  et  encourage  son  ûls  au 
martyre.  «  Mon  fils,  tu  sais  où  est  le  Christ  ;  élève  ton  cœur  avec  moi  et 
regarde  Celui  qui  règne  dans  les  cieux.  Tu  ne  mourras  pas  aujourd'hui, 
mais  tu  échangeras  ta  vie  mortelle  contre  une  vie  meilleure.  Le  sentier  est 
étroit,  difficile,  hérissé  de  misères  et  de  tribulations.  Prends  garde!  c'est 
là  que  le  démon  t'attend  pour  te  frapper  ».  Caprais  entend  la  voix  de  sa 
mère  et  son  cœur  est  ému.  «  Je  vous  rends  grâce  »,  s'écrie-t-il,  «  ô  mon 
Sauveur  Jésus-Christ!  parce  que  vous  avez  éclairé  votre  serviteur,  vous 
l'avez  honoré,  vous  l'avez  glorifié  en  l'associant  aujourd'hui  au  triomphe 
de  vos  Saints  !  » 

«  Mais  déjà  les  licteurs  avaient  repris  leurs  instruments  de  fer,  quand 
tout  à  coup  une  jeune  vierge  traverse  la  foule  et  vient  confesser  la  foi 
chrétienne  en  présence  du  gouverneur.  C'est  Alberte,  la  sœur  même  de 
Foi,  qui  vient  cueillir  avec  elle  la  double  couronne  du  martyre  et  de  la 
virginité.  Deux  jeunes  Nitiobriges  *,  les  deux  frères  Prime  et  Félicien, 
suivent  son  exemple  et  veulent  partager  les  mêmes  combats.  Ils  se  pré- 
sentent avec  courage,  animés  par  la  constance  de  Foi  et  de  Caprais. 

«  Dacien,  plus  féroce  que  ses  licteurs,  cherche  à  triompher  de  ces 
jeunes  frères,  tantôt  par  l'appât  des  récompenses,  tantôt  par  l'appareil  des 
supplices  ;  mais  tout  est  inutile.  Dacien  est  vaincu  par  la  constance  des 
Martyrs.  Sa  colère  s'enflamme,  l'arrêt  est  porté,  et  tous  sont  conduits  au 
temple  de  Diane,  ou  pour  sacrifier  aux  dieux,  ou  pour  voir  tomber  leurs 
têtes  aux  pieds  de  leurs  idoles.  Caprais,  cependant,  est  séparé  de  ses  com- 
pagnons et  jeté  seul  dans  un  noir  cachot.  Là,  privé  de  la  lumière  du  jour 
et  de  toute  consolation  humaine,  il  passe  tout  le  temps  dans  la  prière  et 
dans  les  louanges  du  Seigneur. 

«  Arrivés  dans  le  temple  de  la  déesse,  les  soldats  du  Christ,  toujours 
inflexibles,  refusent  de  sacrifier  aux  idoles,  et  au  même  jour,  à  la  même 
heure,  ils  voient  leurs  têtes  tomber  sous  la  hache  du  bourreau.  Ils  couron- 
nent ainsi  par  une  mort  glorieuse  les  souffrances  du  martyre,  et  ils  échan- 
gent une  vie  périssable  pour  un  bonheur  sans  fin  et  sans  mélange.  Cette 
belle  société  qu'ils  avaient  formée  sur  la  terre  devint  plus  belle  encore  par 
leur  constance  dans  la  foi,  et  leur  félicité  plus  magnifique  par  la  société  du 
martyre. 

«  Cette  scène  déchirante  fut  suivie  du  plus  affreux  carnage.  Deux  fois 
nous  avons  entendu  des  cris  d'indignation  s'élever  du  sein  de  la  foule,  at- 
tentive à  ce  triste  spectacle.  Un  grand  nombre  de  païens  abjurent  le  culte 
des  idoles  pour  confesser  la  foi  de  Jésus-Christ.  Ils  sont  tous  enveloppés 
dans  la  même  sentence  de  mort,  et  les  bourreaux  ne  peuvent  plus  suffire  à 
tant  d'exécutions.  Mais  tous  ceux  qui  ont  vu  d'un  œil  sec  les  souffrances 
de  nos  martyrs,  se  sont  irrités  de  la  défection  de  leurs  frères,  et  vont  ac- 
complir l'œuvre  sanglante  des  licteurs.  Les  généreux  néophytes  l'attendent 
avec  résignation  et  s'y  préparent  par  la  prière.  Dacien  donne  le  signal,  cha- 
cun s'arme  d'une  pierre,  d'un  bâton  ou  d'un  glaive,  et  les  nouveaux  chré- 
tiens, purifiés  par  le  baptême  du  sang,  vont  recevoir  dans  le  ciel  la  cou- 
ronne des  élus.  Dieu  seul  connaît  le  nom  de  ceux  qui  périrent  alors,  et  qui 
furent  inscrits  dans  le  livre  des  vivants  ». 

1.  Nitiobriges,  nom  des  anciens  habitants  de  l'Agonais. 


LES  MARTYRS  D'AGEN   SAINT  CAPRAIS,    SAINTE  FOI,   ETC.  475 

Sainte  foi  est  représentée  recevant  une  couronne  que  lui  apporte  une  co- 
lombe mystérieuse.  Un  grand  nombre  de  vieilles  statues  représentent  la  vierge 
agenaise.  A  Sainte-Foi  de  Longueville,  des  artistes  modernes  lui  ont  donné 
les  attributs  de  l'Espérance  et  de  la  Foi  théologiques.  ABertheauville,  on  la 
retrouve  avec  les  attributs  qui  lui  sont  propres  :  le  gril,  ou  lit  d'airain  sur 
lequel  elle  fut  étendue  pour  être  brûlée,  et  la  chaîne  qui  servit  à  l'attacher 
sur  l'instrument  de  son  supplice.  A  Vicquemare,  dont  l'église  était  autre- 
fois sous  le  patronage  de  la  Sainte,  son  image  est  aussi  représentée  avec  le 
gril,  et  deux  dragons  enchaînés.  Le  peuple  de  cette  contrée  la  prend  pour 
une  héroïne  militaire,  et  l'invoque  contre  la  peur.  On  trouve  encore  l'image 
de  la  jeune  vierge,  sculptée  avec  le  gril,  et  portant  dans  sa  main  la  palme 
du  martyre,  dans  une  clef  de  voûte  de  la  cathédrale  d'Agen.  Avec  le  même 
attribut,  posée  sur  un  brasier  ardent,  elle  est  représentée  dans  les  Fasti 
Mariant.  -—  On  peut  représenter  saint  Caprais  à  genoux  près  d'une  fontaine 
jaillissante.  —  Saint  Prime  est  représenté  en  prison,  où  il  est  visité  par  un 
ange. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Les  corps  de  ceux  qui  recueillirent  la  palme  du  martyre  avec  sainte  Foi,  et  dont  les  noms  ne 
nous  sont  pas  connus,  furent  jetés  dans  un  marais  qui  fut  desséché  plus  tard,  et  qui  permit  aux 
chrétiens  d'y  bâtir  une  crypte  sous  le  patronage  de  saint  Caprais.  Elle  était  placée  sous  l'autel  de 
l'ancien  hôpital,  devenu  aujourd'hui  la  chapelle  des  Pénitents-Gris.  On  la  connaît  encore  sous  le 
nom  de  Martrous  ou  caveau  des  martyrs.  Cette  crypte,  que  les  archéologues  citent  comme  un 
monument  de  la  primitive  église,  est  très-petite,  et  malheureusement  défigurée  par  des  peintures 
modernes  du  plus  mauvais  goût. 

Pour  les  corps  de  Foi  et  d'Âlberte,  de  Prime  et  de  Félicien,  après  avoir  été  jetés  par  les  païens 
dans  les  carrefours  de  la  ville  et' abandonnés  sans,  sépulture,  ils  furent  recueillis  par  les  fidèles 
échappés  au  carnage,  et  enterrés  furtivement  dans  un  lieu  où  ils  restèrent  longtemps  cachés.  Mais 
après  que  l'idolâtrie  eut  disparu  de  la  ville  d'Agen,  l'évèque  Dulcide  les  fit  déposer  dans  une  église 
qu'il  fit  construire  sous  le  nom  de  Sainte-Foi. 

Les  légendes  agenaises  nous  apprennent  que  les  corps  de  saint  Prime  et  de  saint  Félicien  furent 
transportés  au  diocèse  de  Limoges,  dans  le  célèbre  monastère  de  Beaulieu,  fondé  vers  le  milieu  du 
IXe  siècle  par  Raoul  de  Turenne,  archevêque  de  Bourges.  Plus  tard,  une  portion  des  reliques  de 
Félicien  fut  transférée  de  Beaulieu  dans  le  monastère  d'Issigeac,  qui  plaça  le  martyr  Àgenais  au 
nombre  de  ses  patrons.  Le  corps  de  sainte  Alberte  fut  aussi  enlevé  d'Agen  pour  aller  d'abord  à 
Périgueux,  et  plus  tard  dans  l'ancienne  église  de  Vénerque,  sur  les  bords  de  l'Ariége,  au  diocèse 
de  Toulouse. 

Le  corps  de  sainte  Foi  fut  emporté  furtivement  d'Agen,  avec  celui  de  saint  Vincent,  vers  le 
milieu  du  ixe  siècle,  par  le  moine  Aronisde,  dans  l'antique  et  illustre  abbaye  de  Conques,  en 
Rouergue.  Vers  l'an  1365,  le  pape  Urbain  V  en  donna  une  partie  aux  moines  de  Cucufat,  en  Cata- 
logne, où  l'office  de  la  Sainte  était  célébré  avec  beaucoup  de  pompe.  On  vénérait  aussi  autrefois  à 
Glagtonbury,  en  Angleterre,  un  bras  de  la  Sainte  agenaise.  Elle  était  patronne  du  prieuré  de  Hor- 
sam,  dans  le  comté  de  Norfolk,  et  l'église  souterraine,  bâtie  avec  celle  de  Sain'-Paul  de  Londres, 
portait  son  nom,  ainsi  que  plusieurs  églises  de  France.  Parmi  ces  dernières,  nous  devons  citer 
celle  du  monastère  de  Longueville,  en  Normandie,  construite  .vers  la  fin  du  x.  siècle.  Quelque 
temps  avant  son  glorieux  trépas,  l'illustre  archevêque  de  Paris,  Mgr  Affre,  traij.  :>orta  dans  cette 
église  des  reliques  de  sainte  Foi.  Elles  furent  reçues  avec  joie  par  les  habitants  du  Ueu,  et  enchâs- 
sées avec  le  plus  grand  soin. 

Si  Agen  perdit  au  ixe  siècle  le  corps  de  l'illustre  martyre  sainte  Foi,  cette  ville  conserva  au 
moins  sa  tête,  et  on  la  voit  encore,  quoique  brisée,  dans  un  reliquaire  qui  décore  le  maitre-autel 
de  la  cathédrale.  En  1807,  l'église  de  Conques  rendit  aux  Agenais  une  portion  des  précieuses  re- 
liques de  sainte  Foi,  et  aujourd'hui  elles  ont  repris  leur  place  dans  l'église  consacrée  à  la  Sainte. 
Sainte  Foi  est  la  patronne  de  Bitry,  lu  diocèse  de  is'evers,  qui  possède  quelques  parcelles  de  ses 
reliques. 

Les  précieux  restes  de  saint  Caprais  furent  recueillis  par  quelques  fidèles  serviteurs  qui  les 
ensevelirent  et  les  déposèrent  dans  un  caveau  particulier.  Sous  l'épiscopat  de  saint  Dulcide,  ils 
furent  transportés  dans  l'église  bâtie  dans  l'intérieur  de  la  ville  et  déposés  avec  honneur  dans  un 
sarcophage  de  marbre.  Au  xvi«  siècle,  la  ville  d'Agen  étant  tombée  aux  mains  des  Huguenots,  les 
églises  furent  pillées  et  les  saintes  reliques  profanées.  Le  corps  du  saint  Martyr  fut,  d'après  la 


476  20  OCTOBRE. 

tradition  de  l'église  de  Saint-Germain-dn-Teil,  au  diocèse  de  Mende,  vendu  par  les  Huguenots,  et 
transporté  dans  cette  église,  où  il  était  très-vénéré.  Heureusement,  son  chef  était  dans  une  châsse 
particulière,  et  conservé  avec  d'autres  reliques,  qui  furent  transportées  au  château  de  Lalande. 

Outre  l'église  cathédrale,  dans  laquelle  on  conserve  religieusement  le  chef  de  saint  Caprais,  il 
y  a  dans  le  diocèse  d'Agen  plusieurs  autres  églises  dédiées  en  l'honneur  de  ce  saint  évêque.  Il  est 
aussi  le  patron  de  Saint-Vrain,  près  Corbeil. 

Nous  avons  emprunté  ces  Actes  des  Martyrs  d'Agen  à  l'excellente  traduction  qu'en  a  donnée  M.  l'abbé 
Barrère  dans  son  Histoire  monumentale  et  religieuse  d'Agen,  et  aux  savantes  annotations  dont  l'auteur  a 
accompagné  son  travail.  —  Cf.  Acta  Sanetorum;  les  Saints  du  Rouergue,  par  M.  l'abbé  Servières;  les 
Saints  d'Alsace,  par  M.  l'abbé  Hunckler  ;  VEagiologie  nivernaise,  par  Mgr  Crotnier. 


SAINT  ADERALD, 

CHANOINE  ET  ARCHIDIACRE  DE  TROYES 
1004.  —  Pape  :  Jean  XVIII.  —  Roi  de  France  :  Robert  II,  le  Pieux. 


La  pratique  de  la  vertu  est  un  bien  prrfcicux  pour 
celui  qui  la  possède,  et  un  spectacle  extrêmement 
agréable  pour  ceux  qui  son  témoins  de  ses  œuvref. 
Saint  Basile  le  Grand. 

Adérald  naquit  vers  le  milieu  du  xe  siècle  de  parents  illustres  et  riches. 
Walon  était  le  nom  de  son  père,  Odrade,  celui  de  sa  mère,  et  tous  deux 
avaient  encore  plus  de  vertus  que  de  richesses.  Persuadés  que  la  science 
sans  la  piété  ne  peut  qu'enfler  le  cœur  et  le  corrompre,  ils  confièrent  à  de 
saints  religieux  l'éducation  de  leur  enfant,  et  ils  n'eurent  qu'à  s'en  féliciter 
plus  tard.  Le  jeune  Adérald  fit  de  rapides  progrès  dans  les  lettres  sacrées  et 
montra  bientôt  les  heureuses  dispositions  de  son  âme.  Quoiqu'il  fût  d'une 
extrême  jeunesse,  l'évêque  n'hésita  pointa  le  recevoir  parmi  les  clercs  de 
sa  cathédrale  et  à  lui  accorder,  avec  l'ordre  d'acolyte,  les  revenus  d'une 
prébende. 

En  avançant  en  âge,  Adérald  croissait,  à  l'exemple  du  divin  Maître,  en 
sagesse  et  en  vertus.  Après  avoir  franchi  les  divers  degrés  de  la  cléricature, 
il  fut  appelé  au  sacerdoce  ;  et  dès  lors  il  n'y  eut  plus  de  jour,  plus  de  mo- 
ment dans  sa  vie  où  il  ne  renouvelât  le  sacrifice  par  lequel  il  s'était  dévoué, 
dans  son  ordination,  à  la  gloire  de  Dieu  et  au  salut  des  âmes. 

Pour  y  travailler  avec  plus  de  fruit,  il  fit  son  étude  privilégiée  des  écrits 
des  Pères  de  l'Eglise  et  de  la  vie  des  Saints.  Dans  les  premiers,  il  trouvait 
les  règles  de  la  sainteté  ;  dans  les  seconds,  il  en  admirait  la  pratique.  Que 
de  fois,  en  voyant  ce  que  les  âmes  ferventes  de  tous  les  temps  ont  réalisé 
pour  la  gloire  du  Seigneur,  il  sentit  son  âme  animée  de  vives  ardeurs,  et 
s'écria,  les  yeux  baignés  de  larmes  :  «  Hélas  !  quelle  différence  entre  ces 
grands  serviteurs  de  Dieu  et  ce  misérable  prêtre,  qui  n'a  point  encore  com- 
mencé à  aimer  Jésus-Christ!  Pourquoi  suis-je  ici,  à  la  place  d'un  autre  qui 
fût  devenu  un  saint  ?  Je  parle  toujours  à  Dieu,  je  chante  ses  louanges  avec 
les  Esprits  célestes,  et  je  ne  respire  que  la  terre,  je  ne  sors  point  de  mes 
imperfections  et  de  mes  misères  ». 

Son  humilité  seule  lui  faisait  tenir  un  pareil  langage  ;  car,  un  jour,  il 
plut  à  Dieu  de  révéler  aux  hommes  les  communications  intimes  qu'il  avait 


SAINT  ADÉRALD,   CHANOINE- ARCHIDIACRE  DE  TROYES.  477 

avec  le  ciel.  Depuis  une  fête  d'Ascension,  il  s'était  disposé  par  la  retraite, 
les  jeûnes  et  la  prière,  à  recevoir  plus  abondamment  au  jour  de  la  Pente- 
côte les  dons  de  l'Esprit-Saint.  La  solennité  arrivée,  comme  il  prenait  un 
repos  bien  mérité  après  ses  heures  prolongées  d'oraison,  les  prodiges  du 
Thabor  se  renouvelèrent  pour  lui,  et  l'on  vit  son  visage  illuminé  d'un  rayon 
céleste,  dont  ne  purent  supporter  l'éclat  tous  ceux  qui  furent  témoins  du 
miracle.  «  0  Jésus  »,  s'écria  en  môme  temps  le  saint  chanoine,  «  d'où  vient 
celte  flamme  dont  mon  cœur  ne  peut  supporter  les  ardeurs  ?  »  Puis  se 
voyant  surpris  dans  ces  faveurs  spirituelles  dont  l'enivrait  le  Seigneur,  il 
imposa  silence  à  ceux  qui,  ayant  vu  cette  merveille,  ne  pouvaient  douter 
que  ce  ne  fût  l'Esprit  divin  qui  était  descendu,  comme  autrefois  sur  les 
Apôtres,  en  forme  de  feu  et  de  rayons  ardents  sur  cet  homme  si  plein  de 
zèle  et  de  mérites. 

On  ne  s'étonnera  point  de  ces  grâces  extraordinaires  quand  on  saura  la 
vie  mortifiée,  recueillie,  intérieure  que  menait  l'illustre  serviteur  de  Dieu. 
Il  avait  pris  pour  modèles  les  Saints  qui  avaient  jeûné  avec  le  plus  d'aus- 
térité, et  non-seulement  il  se  nourrissait  de  pain  d'orge,  mais  il  le  mêlait 
à  la  cendre,  afin  de  pouvoir  dire  avec  le  Prophète,  qu'il  mangeait  la  cendre 
comme  le  pain,  cinerem  tanquam  panera  manducabam.  Jamais  le  chant  du 
coq  ne  surprit  Adérald  dans  les  bras  du  repos  ;  il  ne  manqua  jamais  l'office 
de  la  nuit,  et  souvent  on  le  trouvait  en  oraison  à  la  porte  de  l'église,  atten- 
dant qu'elle  s'ouvrît  à  ses  désirs.  Souvent  aussi  il  passait  les  nuits  dans  la 
méditation  de  la  loi  de  Dieu,  et,  à  l'office  du  matin,  on  le  voyait  tellement 
épuisé  qu'il  semblait  revenir  d'une  lutte  accablante.  C'est  qu'en  effet  les 
démons  lui  livraient  de  rudes  combats  pour  le  détourner  de  sa  prière  et  lui 
dérober  les  fruits  de  son  infatigable  vigilance.  Ils  se  montraient  à  lui  sous 
les  formes  les  plus  hideuses,  et  poussaient  les  cris  les  plus  effrayants  ;  mais 
leur  malice  ne  pouvait  triompher  de  son  courage  et  ils  étaient  forcés  de 
prendre  une  fuite  honteuse. 

Sa  charité  était  incomparable.  Il  ne  lui  suffisait  pas  de  nourrir  ceux  qui 
avaient  faim  et  d'exercer  l'hospitalité  envers  les  étrangers,  il  prenait  un 
soin  particulier  des  lépreux,  lavait  leurs  plaies,  leur  fournissait  ses  propres 
vêtements  et  les  embrassait  avec  la  tendresse  d'un  frère  pour  les  membres 
les  plus  chers  de  sa  famille.  Il  avait  une  liste  de  tous  les  malades  et  de  tous 
les  indigents  de  la  ville.  Il  allait  les  visiter,  donnant  à  chacun  ce  qui  lui 
était  nécessaire,  accompagnant  son  aumône  de  quelques  consolations, 
d'instructions  pieuses  et  d'actions  de  grâces. 

Adérald  ne  se  contenta  point  d'édifier  ainsi  la  ville  de  Troyes  ;  il  crut 
utile  à  son  avancement  spirituel  d'entreprendre  des  pèlerinages.  Animé 
d'une  vraie  dévotion  pour  la  chaire  apostolique,  il  fit  douze  fois,  en  l'hon- 
neur des  douze  Apôtres,  le  voyage  de  Rome.  Prosterné  devant  les  saints 
tombeaux,  il  arrosait  de  ses  pieuses  larmes  les  cendres  sacrées  des  Apôtres 
et  désirait  ardemment  finir  ses  jours  près  de  ces  deux  oracles  du  monde 
catholique.  Telle  n'était  point  la  volonté  de  Dieu  :  Adérald  revint  à  Troyes. 
On  le  vit,  à  chacun  de  ses  retours,  reprendre  ses  exercices  de  dévotion  avec 
une  ardeur  toujours  croissante,  devenir  de  plus  en  plus  insensible  aux 
choses  de  la  terre,  de  plus  en  plus  désireux  des  biens  du  ciel.  Les  railleries 
du  monde  faisaient  sa  consolation  ;  les  croix,  les  souffrances  étaient  l'objet 
favori  de  ses  vœux  et  dé  toute  son  ambition. 

Ce  n'était  pas  sans  des  vues  providentielles  que  Dieu  faisait  ainsi  de  son 
serviteur  un  miroir  de  toutes  les  vertus  ;  il  le  préparait  à  une  grande  et 
difficile  entreprise,  la  restauration  de  la  communauté  des  chanoines  de  la 


478  20  OCTOBRE. 

cathédrale.  Les  incursions  et  les  ravages  des  Normands  dansTroyes  avaient 
occasionné  le  relâchement  parmi  eux.  Victimes  de  la  fureur  des  Barbares, 
ils  étaient  dépourvus  de  tous  biens,  et  forcés  de  se  livrer  au  trafic  pour 
subvenir  aux  besoins  les  plus  impérieux  de  la  vie.  Cette  nécessité  fâcheuse 
les  détournait  de  leurs  saintes  fonctions  et  les  impliquait  dans  des  affaires 
dont  l'embarras  ne  convient  qu'aux  personnes  du  siècle.  Adérald,  touché 
de  ces  graves  inconvénients,  insista  près  de  Manassès  Ier,  alors  évêque  de 
Troyes,  pour  qu'il  avisât  aux  moyens  de  ramener  dans  son  clergé  la  fer- 
veur des  anciens  jours.  Ce  projet  était  depuis  longtemps  l'objet  de  la  solli- 
citude du  pieux  pasteur  :  aussi  Adérald  n'eut  pas  de  peine  à  le  persuader. 
Manassès  se  forma  d'abord  un  conseil,  à  la  tête  duquel  il  mit  Adérald  avec 
la  qualité  d'archidiacre.  Cette  haute  fonction  permit  à  notre  Saint  de  pour- 
suivre plus  facilement  son  dessein  ;  il  ne  négligea  rien  pour  en  faire  com- 
prendre la  nécessité,  et  voulant  ajouter  les  œuvres  à  la  parole,  il  donna 
généreusement  au  Chapitre  la  plus  grande  partie  de  son  patrimoine. 
L'évêque  ne  resta  point  en  arrière  et  joignit  ses  libéralités  à  celles  de  son 
archidiacre,  de  sorte  que  les  chanoines  purent  renoncer  au  négoce  qui  Tes 
faisait  subsister  pour  s'appliquer,  dans  une  vie  commune,  à  l'accomplisse- 
ment de  leurs  devoirs  religieux. 

Cependant  Adérald  avait  conçu  le  projet  de  faire  le  voyage  de  Jérusalem. 
La  longueur  et  les  hasards  de  la  traversée  effrayèrent  l'évêque  qui,  répon- 
dant aux  désirs  des  parents  et  des  amis  du  Saint,  ne  lui  permit  point  d'abord 
de  s'embarquer.  Mais  voyant  ensuite  qu'il  était  inébranlable  dans  sa  réso- 
lution, et  croyant  qu'il  obéissait  à  une  inspiration  céleste,  le  Pontife  lui 
donna  enfin  son  consentement,  et  sa  bénédiction  pour  protectrice. 

Adérald  se  mit  en  route,  et,  passant  par  l'Italie,  alla  s'embarquer  à 
Salerne.  Le  navire  qui  le  portait  fut  presque  entièrement  brisé  par  une 
tempête.  Une  autre  fois,  il  fut  poursuivi  et  atteint  par  des  pirates  qui  me- 
nacèrent d'égorger  tous  les  passagers,  de  jeter  à  la  mer  tout  l'équipage  et 
d'abandonner  le  reste  au  pillage.  L'épouvante  se  mit  dans  le  vaisseau  ;  les 
matelots  eux-mêmes  étaient  saisis  de  frayeur  ;  les  Barbares  n'écoutaient 
aucune  prière  et  ne  suivaient  que  les  mouvements  de  leur  fureur  insensée. 
Au  milieu  de  ce  pressant  danger,  le  Saint  se  mit  en  oraison  pour  implorer 
le  secours  du  ciel  ;  aussitôt  le  vaisseau  se  dégagea  des  ennemis,  et  trans- 
porté par  miracle  à  une  distance  considérable  des  pirates,  il  évita  le  sort 
affreux  qui  l'attendait. 

Enfin,  après  avoir  échappé  à  tous  les  périls  de  la  mer,  Adérald  débarqua 
sur  les  terres  des  Sarrasins,  où  il  fut  soumis  à  de  nouvelles  épreuves.  Il  fut 
dépouillé,  maltraité,  et  le  froid  et  la  faim  vinrent  compléter  son  malheur. 
Il  était  alors  en  usage,  suivant  les  statuts  des  chanoines,  de  garder  un  pro- 
fond silence  après  les  Complies.  Malgré  ses  voyages,  le  Saint  observa  tou- 
jours cette  loi  avec  un  rigoureux  scrupule,  et  rien  ne  put  la  lui  faire 
enfreindre.  En  vain  les  Barbares  employèrent  tour  à  tour  les  mauvais  trai- 
tements et  les  caresses  pour  le  faire  parler,  jamais  l'homme  de  Dieu,  plein 
de  respect  pour  sa  règle,  ne  consentit  à  rompre  le  silence  dans  le  temps 
qu'il  lui  était  imposé. 

A  peine  Adérald  a-t-il  mis  le  pied  dans  Jérusalem,  qu'il  vole  au  Calvaire, 
où  il  adore  Jésus-Christ  attaché  sur  la  croix  pour  la  rédemption  des 
hommes.  Cent  et  cent  fois  il  redit  la  touchante  prière  du  bon  larron  :  «  Sei 
gneur,  souvenez-vous  de  moi,  à  présent  que  vous  êtes  dans  votre  royaume  !  » 
Il  se  reproche  d'avoir  lui-même  crucifié  son  Sauveur  par  ses  péchés,  d'avoir, 
par  ses  fautes,  couvert  d'un  voile  d'opprobres  et  d'ignominie  Celui  qui  est 


SAINT  ADÉRALD,   CHANOINE -ARCHIDIACRE  DE  TROYES.  479 

la  gloire  des  Anges,  la  splendeur  du  Paradis.  Les  yeux  amoureusement 
tournés  vers  le  ciel,  et  le  cœur  brisé  d'une  vive  contrition,  il  verse  avec 
Pierre  des  larmes  amères  et  abondantes  ;  et,  comme  s'il  eût  vu  expirer  son 
Seigneur  sur  cette  croix  infâme,  au  milieu  des  éclatants  témoignages  que 
rend  toute  la  nature  à  la  divinité  de  son  auteur,  il  se  frappe  la  poitrine,  il 
gémit  et  s'écrie  avec  la  foi  du  Centenier  :  «  Vraiment,  ô  Jésus  !  vous  êtes 
le  Fils  de  Dieu  !  » 

Il  parcourt  les  endroits  divers  sanctifiés  par  la  présence  de  Jésus-Christ; 
il  visite  la  sainte  crèche,  où  il  est  ravi  en  extase,  et  embrasse  en  esprit  les 
pieds  de  l'Enfant  divin  qui  se  fit  notre  frère  et  revêtit  notre  mortalité.  Il 
passe  jusqu'au  Jourdain,  dont  les  eaux  furent  consacrées  par  le  corps  du 
Sauveur  ;  il  s'y  plonge  deux  ou  trois  fois  et  demande  au  ciel  de  le  faire  par- 
ticiper lui-même  à  cette  sanctification.  Quand  enfin  il  a  parcouru  les  divers 
lieux  témoins  des  mystères  de  notre  Rédemption,  il  réunit  les  reliques 
qu'il  a  pu  se  procurer,  et  revient  dans  sa  patrie. 

Son  retour  fut  un  triomphe  :  les  chanoines  s'empressèrent  de  lui  témoi- 
gner la  joie  la  plus  vive  de  le  revoir  ;  c'était  à  qui  le  serrerait  dans  ses  bras, 
à  qui  lui  ferait  le  plus  chaleureux  accueil.  Plus  que  jamais  il  leur  apparais- 
sait comme  leur  maître  et  leur  docteur,  et,  s'ils  avaient  vivement  senti  son 
absence ,  ils  se  croyaient  désormais  en  sûreté  contre  tout  péril,  étant 
soutenus  par  la  force  de  celui  qu'ils  regardaient  comme  leur  Pasteur  et 
leur  Père. 

Cependant  Adéraîd  avait  formé  un  noble  projet  dans  son  voyage;  c'était 
de  reproduire  dans  le  diocèse  de  Troyes  la  forme  et  la  grandeur  du  saint 
sépulcre  de  Jérusalem.  Il  ne  prit  aucun  repos  qu'il  n'eût  réalisé  son  des- 
sein, et  l'on  vit  bientôt  s'élever  à  Samblières  un  monastère  de  Bénédictins 
de  Cluny,  qui  conserva  les  reliques  apportées  de  la  Terre  Sainte,  et  prit, 
ainsi  que  le  village,  le  nom  de  Saint-Sépulcre,  par  honneur  pour  la  princi- 
pale relique  :  c'est  aujourd'hui  Villacerf,  à  douze  kilomètres  nord-ouest  de 
Troyes. 

Le  saint  archidiacre  survécut  peu  d'années  à  cette  fondation.  Les  mains 
pleines  de  bonnes  œuvres,  il  en  alla  recevoir  la  récompense  dans  le  ciel,  le 
20  octobre  de  l'an  1004. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Saint  Adérald  fat  inhumé  au  monastère  du  Saint-Sépulcre,  comme  il  l'avait  désiré,  et  Ton  y 
vénéra  son  corps  jusqu'en  1791,  où  la  crainte  des  excès  révolutionnaires  le  fit  transférer  du  prieuré 
dans  l'église  paroissiale.  Il  ne  fut  pas  pour  cela  plus  respecté.  Aux  jours  de  la  Terreur,  la  châsse 
qui  le  contenait  fut  violée  et  rompue  ;  les  saints  ossements  furent  jetés  pêle-mêle  avec  d'autres 
dans  le  caveau  de  l'église  de  Villacerf.  Ce  ne  fut  qu'en  1802  que  M.  Saget,  alors  chargé  provisoi- 
rement de  cette  paroisse,  désira  les  exposer  de  nouveau  à  la  piété  des  fidèles  ;  mais  l'incertitude 
où  l'on  fut  de  déterminer  avec  précision  ceux  de  ses  ossements  qui  avaient  appartenu  au  corps  du 
pieux  archidiacre,  fit  prendre  la  résolution  de  murer  le  caveau  pour  garantir  de  nouvelle  profana- 
tion les  cendres  vénérées  et  la  châsse  de  chêne  qui  les  avait  contenues.  On  érigea  sur  l'ouverture 
un  monument  à  la  mémoire  de  saint  Adérald.  Sur  un  piédestal  carré  se  dresse  un  cierge  très-élevé, 
orné  d'une  couronne,  pour  représenter  les  vertus  sacerdotales,  par  lesquelles  le  Saint  a  été  pendant 
sa  vie  l'appui,  le  soutien  et  l'édification  du  diocèse 

La  fête  de  saint  Adérald  se  célébrait,  jusqu'à  ces  derniers  temps,  le  20  octobre  de  chaque 
Année. 

Extrait  de  la  Vie  des  Saints  du  diocèse  de  Troyes,  par  M.  l'abbé  Defer. 


480  20  OCTOBRE. 


SAINT  JEAN  DE  KENTY, 

PRÊTRE  SÉCULIER,  PROFESSEUR  DE  THÉOLOGIE  A  L'UNIVERSITÉ  DE  CRACOVIE 
1473.  —  Pape  :  Siite  IV.  —  Empereur  d'Allemagne  :  Frédéric  III. 


C'est  l'ardeur  de  la  charité  seule  qui  enflamme  1» 
prédication  des  Saints. 

Saint  Grégoire  U  Grand. 

Si  le  flambeau  de  la  foi  ne  s'est  pas  éteint  un  seul  instant  en  Pologne 
depuis  qu'il  y  fut  apporté  au  milieu  du  Xe  siècle,  cette  nation,  aujourd'hui 
si  malheureuse  et  néanmoins  toujours  si  catholique,  le  doit  en  grande  par- 
tie aux  intrépides  défenseurs  de  la  vérité,  qui  n'ont  pas  permis  au  schisme 
et  à  l'erreur  d'envahir  leur  patrie.  Elle  doit  surtout  une  reconnaissance 
particulière  à  saint  Jean  de  Kenty,  un  de  ceux  qui  contribuèrent  le  plus, 
dans  le  xve  siècle,  à  conserver  intacte  la  croyance  de  ses  pères,  malgré  les 
efforts  des  Hussites.  Ce  grand  serviteur  de  Dieu  naquit  le  24  juin  1397,  dans 
le  village  dont  il  a  illustré  le  nom  en  le  portant.  Sa  famille,  qui  était 
pieuse,  l'éleva  dans  l'innocence  et  la  crainte  de  Dieu  ;  il  fit  pressentir  de 
bonne  heure  la  sainteté  à  laquelle  il  devait  s'élever  plus  tard.  Après  ses 
premières  études,  il  alla  faire  sa  philosophie  et  sa  théologie  à  l'université 
de  Cracovie,  où  il  prit  les  degrés.  Etant  devenu  professeur  dans  la  même 
université,  ses  leçons  enseignaient  plus  encore  la  vertu  que  la  science  :  il 
faisait  passer  dans  le  cœur  de  ses  disciples  les  beaux  sentiments  dont  le 
sien  débordait. 

Elevé  au  sacerdoce,  il  ne  se  relâcha  en  rien  de  son  ardeur  pour  l'étude, 
il  tâcha  d'amener  d'autant  plus  de  lumières  qu'il  en  devait  répandre  davan- 
tage. Il  brûlait  surtout  d'un  grand  désir  d'être  parfait.  Il  aurait  voulu  voir 
tous  les  hommes  animés  du  même  zèle  et  Dieu  honoré  partout.  La  pensée 
que  tant  de  pécheurs  l'offensaient  déchirait  son  âme;  il  s'efforçait  du 
moins  d'apaiser  sa  justice,  en  offrant  chaque  jour  le  saint  sacrifice  de  la 
messe,  mêlant  ses  larmes  au  sang  de  la  sainte  Victime  :  les  assistants  ne 
pouvaient  être  témoins  d'une  dévotion  si  tendre  sans  en  ressentir  quelque 
chose,  quelle  que  fût  la  dureté  de  leur  cœur. 

Un  incendie  très-violent  ayant  un  jour  embrasé  une  partie  de  la  ville 
de  Cracovie  et  menaçant  de  porter  plus  loin  ses  ravages,  Jean,  qui  vit  bien 
qu'on  ne  pouvait  compter  sur  aucun  secours  humain,  se  mit  en  prières 
pour  implorer  celui  du  ciel.  Tandis  qu'il  sollicitait  auprès  de  Dieu  la  cessa- 
tion du  fléau  qui  désolait  ses  concitoyens,  un  homme  d'un  aspect  véné- 
rable, d'un  âge  mûr,  et  que  l'on  crut  être  saint  Stanislas,  évoque  de  Craco- 
vie, lui  apparut  et  lui  fit  entendre  que  l'incendie  s'arrêterait  sans  délai, 
mais  qu'il  fallait  qu'il  avertît  les  habitants  de  mettre  fin  à  leurs  désordres, 
ou  bien  qu'ils  avaient  à  craindre  des  châtiments  beaucoup  plus  terribles. 
Cette  prophétie  ayant  été  promptement  oubliée  et  les  mœurs  restant 
toujours  corrompues,  un  nouvel  incendie  éclata  et  consuma  la  plus  grande 
partie  de  la  ville. 

Sa  science  et  ses  vertus  le  firent  nommer  curé  d'Ilkusi.  Il  crut  qu'il 


SAINT  JEAN  DE  KENTY,  PRÊTRE.  48l 

devait  s'élever  en  sainteté,  à  mesure  qu'on  relevait  en  dignité.  Il  aurait 
voulu  donner  sa  vie  pour  son  troupeau,  il  lui  en  consacrait  du  moins  tous 
les  instants.  On  admirait  surtout  sa  grande  charité  pour  les  pauvres.  Il 
allait  quelquefois  jusqu'à  se  dépouiller  de  ses  propres  habits  pour  revêtir 
ceux  qui  en  manquaient  ;  il  leur  abandonnait  souvent  ses  souliers  ;  il  lais- 
sait alors  son  manteau  traîner  le  plus  qu'il  était  possible,  afin  qu'on  ne  vît 
pas  qu'il  retournait  nu-pieds  à  sa  demeure.  Un  dimanche  matin,  se  ren- 
dant à  l'église,  il  trouva  un  pauvre  étendu  sur  la  neige,  presque  nu  et 
mourant  de  froid  et  de  faim  :  aussitôt  le  bon  Père  ôte  sa  soutane  pour  en 
couvrir  le  membre  souffrant  de  Jésus-Christ  ;  puis  il  l'emmène  avec  lui  au 
presbytère  et  le  fait  manger  à  sa  table.  C'est  en  mémoire  de  cette  charité 
qu'autrefois  chaque  professeur  du  collège  de  Varsovie  était  obligé,  une  fois 
par  an,  de  faire  dîner  un  pauvre  avec  lui. 

Mais  la  charge  des  âmes  qui  a  fait  trembler  tous  les  Saints  parut  à  Jean 
un  fardeau  trop  lourd  pour  ses  épaules  :  il  quitta  sa  paroisse  au  bout  de 
quelques  années,  et,  sur  la  demande  de  l'université,  il  vint  reprendre  sa 
place  de  professeur.  Il  n'en  continua  pas  moins  de  se  proposer  en  tout 
pour  le  salut  des  âmes  ;  il  y  travaillait  surtout  par  la  prédication  et  la 
prière,  dans  laquelle  il  recevait  des  faveurs  extraordinaires.  Il  passait  une 
partie  des  nuits  à  méditer  la  Passion  de  Notre-Seigneur,  et  c'est  cette 
dévotion  pour  ce  mystère  qui  lui  fit  entreprendre  le  voyage  de  Jérusalem. 
Pendant  sa  route,  il  ne  craignait  pas  de  prêcher  aux  Turcs  Jésus  crucifié, 
espérant  par  là  recevoir  la  couronne  du  martyre  après  laquelle  il  soupirait 
ardemment.  Il  fit  aussi  quatre  fois  le  voyage  de  Rome  pour  visiter  les  tom- 
beaux des  saints  Apôtres,  pour  donner  au  Saint-Siège  des  marques  publi- 
ques de  son  respect  et  pour  tâcher,  ainsi  qu'il  le  disait,  de  se  préserver  des 
peines  du  purgatoire.  Il  allait  toujours  à  pied,  portant  lui-même  son  ba- 
gage. Dans  un  de  ces  pèlerinages,  il  fut  rencontré  par  des  voleurs  qui  lui 
prirent  tout  ce  qu'il  avait  et  lui  demandèrent  s'il  n'avait  plus  rien  :  il  leur 
répondit  que  non  ;  mais ,  s'étant  aperçu  ensuite  qu'il  lui  restait  encore 
quelques  pièces  d'or  cousues  dans  son  manteau,  pour  fuir  jusqu'à  l'ombre 
du  mensonge  et  pratiquer  le  dépouillement  absolu  tant  recommandé  par 
Notre-Seigneur,  il  courut  après  eux,  les  appela  et  leur  donna  son  or.  Les 
voleurs,  étonnés  d'une  pareille  conduite,  refusent  de  le  recevoir  et  lui 
rendent  même  tout  ce  qu'ils  lui  ont  pris,  tant  la  candeur  et  l'amour  de  la 
vérité  a  de  pouvoir  sur  les  âmes  les  plus  dures. 

Pénétré  de  respect  pour  le  précepte  de  l'Evangile,  qui  nous  ordonne 
d'aimer  notre  prochain  comme  nous-mêmes,  le  saint  Prêtre  l'observait 
avec  la  plus  grande  exactitude.  A  l'exemple  de  saint  Augustin,  il  avait 
inscrit  sur  les  murs  de  sa  demeure  des  vers  qui  montraient  son  horreur 
pour  la  médisance.  Aussi  sévère  pour  lui-même  qu'il  était  indulgent  pour 
les  autres,  il  portait  habituellement  le  cilice,  jeûnait  souvent  et  prenait 
fréquemment  la  discipline.  Pendant  les  trente  dernières  années  de  sa  vie, 
il  s'interdit  entièrement  l'usage  de  la  viande.  Il  ne  donnait  que  très-peu 
de  temps  au  sommeil  et  ne  mangeait  qu'autant  qu'il  fallait  pour  ne  pas 
mourir  de  faim.  Il  restait  en  prières  des  nuits  entières  devant  un  crucifix 
et  tombait  alors  souvent  dans  de  longues  extases.  Il  ne  manquait  jamais 
d'aller  chaque  jour,  en  sortant  de  sa  classe,  à  l'église  devant  le  Sainl-Sa- 
crement  et  d'y  rester  un  temps  considérable.  Ne  vivant  que  pour  Dieu,  il 
l'avait  continuellement  dans  le  cœur  et  dans  la  bouche.  Afin  d'entretenir  en 
lui  ce  feu  sacré,  il  s'était  lié  avec  quelques  hommes  vertueux  :  leur  con- 
versation n'avait  pour  objet  que  les  choses  spirituelles,  et  il  s'appliquait  à 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  31 


482  20  OGTOBBE. 

imiter  ce  qu'il  remarquait  de  plus  parfait  dans  chacun  de  ces  saints  amis. 
Enfin,  lorsqu'il  se  vit  près  de  paraître  devant  le  tribunal  suprême,  il  s'y 
disposa  en  redoublant  de  ferveur  dans  le  service  de  ce  Juge  redoutable. 
Son  amour  pour  les  pauvres  le  porta  à  leur  donner  tout  ce  qui  se  trouvait 
dans  sa  maison.  Il  mourut  de  la  mort  des  Saints,  le  24  décembre  4473,  âgé 
de  soixante-seize  ans. 

Plusieurs  miracles  ayant  illustré  son  tombeau,  on  en  fit  l'ouverture 
cent  trente  ans  après  sa  mort,  et  il  s'en  exhala  une  odeur  douce  et  suave. 
On  conservait  religieusement  la  robe  de  pourpre  qu'il  avait  portée  comme 
docteur,  et  l'on  en  revêtait  le  doyen  de  l'école  de  philosophie,  le  jour  de 
son  installation,  en  lui  faisant  jurer  d'imiter  les  vertus  du  Saint  dont  il 
portait  le  vêtement.  La  mémoire  de  saint  Jean  de  Kenty  est  en  grande 
vénération  dans  toute  la  Pologne  et  la  Lithuanie,  dont  il  est  un  des  princi- 
paux patrons.  Clément  XIII  le  canonisa  en  1767. 

On  représente  saint  Jean  de  Kenty  se  dépouillant  de  ses  vêtements  pour 
en  habiller  les  pauvres,  durant  les  rigoureux  hivers  de  la  Pologne. 

Cf.  Acta  Sanctorum  et  les  continuateurs  de  Godescard. 


SAINTE  IRÈNE  DE  TOMAR,  VIERGE  ET  MARTYRE  (653). 

Irène  naquit  à  Tomar,  dans  l'Estramadure  portugaise,  de  parents  nobles  et  d'une  haute  piété, 
qui  confièrent  son  éducation  à  ses  deux  tantes,  Julie  et  Chaste,  supérieures  d'une  communauté  de 
saintes  filles.  Sélio,  oncle  d'Irène  et  abbé  d'un  monastère  voisin,  prit  soin  de  lui  inspirer  dès  son 
jeune  âge  les  sentiments  des  plus  hautes  vertus  du  Christianisme  ;  et,  afin  qu'elle  fût  mieux  ins- 
truite, il  chargea  de  sa  direction  un  religieux  de  son  abbaye,  nommé  Remy,  qu'il  croyait  fort  avancé 
dans  les  voies  de  la  perfection.  Irène  menait  une  vie  si  retirée,  qu'elle  ne  sortait  qu'une  fois  l'an 
pour  visiter  l'église  de  Saint-Pierre,  au  jour  de  sa  fête.  Dans  une  de  ces  sorties,  un  jeune  sei- 
gneur, nommé  Bertauld,  en  devint  épris;  et  cet  amour  le  mina  tellement,  qu'il  le  fit  tomber  dans 
une  maladie  de  langueur.  Irène  apprit  par  révélation  ce  qui  se  passait  ;  et,  par  un  mouvement  de 
Dieu,  elle  l'alla  trouver  bien  accompagnée,  et  lui  parla  avec  tant  de  force  de  l'excellence  de  la 
chasteté,  qu'elle  lui  ôta  sa  folle  passion;  Bertauld  recouvra  sa  première  santé. 

Notre  jeune  religieuse  faisait  de  jour  en  jour  de  nouveaux  progrès  dans  la  perfection,  lorsque  le 
démon  lui  suscita  une  des  plus  étranges  persécutions  que  l'on  puisse  imaginer.  Ce  fut  par  le  moyen 
de  son  directeur.  Ce  misérable  s'oublia  jusqu'à  lui  découvrir  les  flammes  criminelles  dont  ses  en- 
trailles étaient  dévorées,  afin  d'en  exciter  de  semblables  dans  son  cœur  innocent.  Mais  Irène,  loin 
de  l'écouter,  lui  fit  des  reproches  amers.  L'impudique  fut  bien  surpris  de  se  voir  ainsi  rebuté  ; 
mais  sa  honte  ne  servit  qu'à  le  porter  aux  dernières  extrémités  du  désespoir.  Pour  se  venger,  il 
répandit  le  bruit  qu'Irène  avait  conçu.  Bertauld,  informé  de  ces  bruits,  entra  dans  une  si  furieuse 
jalousie,  que,  sans  s'informer  de  la  vérité,  il  chargea  uo  soldat  de  la  faire  mourir.  Celui-ci,  ayant 
trouvé  la  Sainte  à  genoux  sur  le  bord  de  la  rivière  de  Nadan,  où  elle  priait  Notre-Seigneur  de  la 
délivrer  de  l'opprobre  qu'une  si  grande  malice  lui  avait  attiré,  il  la  perça  d'un  coup  d'épée  et  la  fit 
ainsi  la  victime  de  celui  à  qui,  deux  ans  auparavant,  elle  avait  sauvé  la  vie. 

Le  bourreau  jeta  à  l'heure  même  son  corps  dans  la  rivière  pour  cacher  le  crime  ;  mais  Dieu  fit 
connaître  à  l'abbé  Sélio  tout  ce»  qui  s'était  passé.  Celui-ci  divulgua  le  fait  pour  l'honneur  de  sa 
chère  nièce,  et  il  se  fit  une  grande  assemblée  de  personnes  de  toute  condition  pour  aller  chercher 
ses  précieuses  dépouilles.  La  rivière  de  Nadan  les  avait  rejetées  dans  celle  de  Nézère,  et  celle-ci 
dans  le  Tage  ;  les  anges  leur  avaient  formé  de  leurs  propres  mains  un  tombeau  précieux,  comme 
ils  avaient  fait  autrefois  à  saint  Clément.  On  n'eut  pas  de  peine  à  approcher  de  ce  tombeau,  parce 
que  les  eaux  de  la  rivière  s'étaient  retirées  miraculeusement  pour  laisser  un  chemin  libre  jusqu'au 
milieu  de  son  lit,  où  il  était  placé.  On  y  trouva  le  corps  de  la  Sainte  dans  une  blancheur  et  dans 
une  beauté  ravissantes  ;  on  voulut  le  tirer  de  là  pour  le  transporter  solennellement  dans  une  église, 
mais  il  fut  impossible  de  le  remuer.  Alors,  nour  ne  pas  s'opposer  à  la  volonté  de  Dieu,  qui  avait 


LE  BIENHEUREUX  HUMBAUD,   ÉVÈQUE  ET  CONFESSEUR.  483 

lui-même  préparé  cette  sépulture  à  son  épouse,  on  se  contenta  de  prendre  une  partie  de  ses  che- 
veux et  des  lambeaux  de  sa  tunique,  qui  furent  mis  comme  de  précieuses  reliques  dans  le  monas- 
tère dont  son  oncle  était  abbé.  Des  aveugles  et  des  paralytiques  furent  guéris  par  leur  attouche- 
ment, et  ils  devinrent  des  sources  de  santé  dans  le  pays.  A  peine  la  procession  se  fut-elle  éloi- 
gnée de  ce  tombeau  miraculeux,  que  la  rivière,  rentrant  dans  son  lit,  l'environna  et  le  couvrit  tout 
entier. 

La  ville  de  Santarem  (c'est-à-dire  Sainte-Irène)  doit  son  nom  actuel  à  la  gloire  de  cette  illustre 
martyre  de  la  chasteté.  Elle  s'appelait  auparavant  Scalabis. 

Cf.  Acta  Sanctorum,  au  20  juillet. 


LE  BIENHEUREUX  HUMBAUD, 

CINQUANTE-DEUXIÈME  ÉVÊQUE  D'AUXERRE  ET  CONFESSEUR  (1115). 

Après  la  mort  de  Robert  de  Nevers  (1095),  le  siège  épiscopal  d'Auxerre  resta  vacant  pendant 
trois  mois  environ.  Son  successeur  fut  Humbaud,  noble  auxerrois,  fils  d'un  autre  Humbaud  et 
d'Adèle.  Après  avoir  été  élevé  dans  le  clergé  de  la  cathédrale  sous  l'évêque  Héribert  qui  l'avait 
tonsuré  et  fait  chanoine,  il  donna  des  marques  si  éclatantes  de  toutes  les  vertus,  qu'il  fut  jugé 
digne  de  passer  par  tous  les  degrés  de  la  cléricature,  et  même  de  devenir  le  doyen  du  chapitre. 
Aussitôt  après  son  élection,  Humbaud  prit  la  route  de  l'Italie  pour  se  faire  sacrer  par  le  pape 
Urbain  II,  ce  qui  eut  lieu  à  Milan  le  6  mai  1095.  Le  souverain  Pontife  était  alors  en  chemin  pour 
venir  au  concile  qu'il  avait  indiqué  à  Clermont. 

L'historien  Frodon  nous  dépeint  le  nouvel  évèque  d'une  manière  qui  mérite  d'être  rapportée. 
Il  représente  Humbaud  comme  un  homme  doux  et  pacifique,  d'un  esprit  pénétrant,  généreux,  hos- 
pitalier, sévère  pour  lui-même,  ferme,  pour  le  maintien  de  la  discipline  et  des  immunités  ecclé- 
siastiques. Il  s'abstint  de  manger  de  la  viande,  se  contentant  de  légumes  et  ne  buvant  que 
très-peu  de  vin  ;  mais,  en  revanche,  il  exerçait  somptueusement  l'hospitalité,  avait  toujours  quel- 
ques pauvres  qui  mangeaient  avec  lui,  et  disait  qu'  «  un  évêque  est  inhumain,  s'il  exclut  quelqu'un 
de  sa  table  ».  L'un  des  premiers  actes  de  son  épiscopat  fut  la  renonciation  que  fit  à  sa  prière,  le 
31  août  1096,  Guillaume,  comte  de  Nevers,  du  droit  prétendu  de  ses  prédécesseurs  aux  dépouilles 
mobilières  des  évêques  défunts  qu'ils  regardaient  comme  leur  appartenant  en  propre.  Le  plus 
célèbre  établissement  qui  eut  lieu  pendant  son  épiscopat,  fut  celui  de  l'abbaye  de  Pontigny  fondée 
par  Hildebert,  chanoine  de  la  cathédrale.  A  la  prière  de  ce  chanoine,  Humbaud  y  mit  des 
religieux  Bénédictins  de  l'institut  de  Clteaux,  et  leur  donna  pour  premier  abbé  Hugues  de  Mâcon. 

La  réputation  que  s'était  acquise  Humbaud  le  fit  appeler  à  presque  toutes  les  assemblées  im- 
portantes qui  se  tinrent  de  son  temps.  Il  assista  au  concile  de  Nîmes  en  1096;  il  se  trouva 
également  à  ceux  de  Rome  le  26  avril  1099,  d'Etampes  la  même  année,  d'Anse  près  de  Lyon  en 
1100,  de  Troyea  en  1104  et  de  Paris  tenu  le  2  décembre  de  cette  même  année.  Son  nom  paraît 
aussi  dans  différents  actes  :  il  fut  un  des  prélats  qui  assistèrent  à  la  dédicace  de  l'église  priorale 
de  Saint-Etienne  de  Nevers,  faite  le  13  décembre  1097  par  Yves  de  Chartres  ;  il  signa  l'acte  daté 
de  Sens,  par  lequel  Robert,  évêque  de  Langres,  faisait  une  donation  à  l'abbaye  de  Molesmes  en 
1101  ;  il  était  le  20  mars  1107  au  monastère  de  Saint-Benoît-sur-Loire,  lorsqu'on  y  transféra  le 
corps  de  ce  Saint  d'une  châsse  dans  une  autre,  et  au  mois  de  juillet  1108,  quand  on  y  fit  lea 
funérailles  du  roi  Philippe  Ie»  ;  il  assista  pareillement  au  couronnement  de  Louis  le  Gros,  qui  eut 
lieu  dans  l'église  cathédrale  de  Sainte-Croix  d'Orléans,  le  2  août  de  la  même  année  ;  il  fut  aussi 
du  voyage  que  ce  prince  fit  alors  à  Bourges,  et  y  souscrivit  à  un  privilège  donné  par  ce  monarque 
à  l'abbaye  de  Saint-Benoit,  avec  tous  les  grands  du  royaume  ;  enfin,  Y  Histoire  de  Paris,  rapportant 
la  fondation  de  l'abbaye  de  Saint- Victor  en  1113,  nous  apprend  que  l'acte  portait  le  sceau  d'Hum- 
baud,  évèque  d'Auxerre. 

Il  y  avait  près  de  vingt-cinq,  ans  que  Humbaud  gouvernait  son  diocèse,  lorsqu'il  entreprit  le 
voyage  de  Jérusalem.  C'est  avec  la  plus  vive  piété  qu'il  visita  les  saints  Lieux  ;  en  revenant,  une 
tempête  éclata,  le  vaisseau  qui  le  portait  fit  naufrage,  et  l'évêque  périt  dans  les  flots,  avec  tous 
les  autres  passagers,  le  20  octobre  1115. 

Extrait  du  Gallia  Christiana  nota. 


21   OCTOBRE. 


XXI0  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

En  Chypre,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Hilarion,  abbé,  dont  la  vie,  pleine  de  vertus  et  de 
miracles,  a  été  écrite  par  saint  Jérôme.  372.  —  A  Cologne,  la  naissance  au  ciel  de  sainte  Ursule 
et  de  ses  bienheureuses  compagnes,  qui  furent  massacrées  par  les  Huns,  pour  la  religion  chrétienne 
et  la  profession  constante  de  la  pureté  virginale  :  plusieurs  ont  été  inhumées  en  cette  ville.  383. 
—  A  Ostie,  saint  Astère,  prêtre  et  martyr,  qui,  suivant  les  Actes  du  martyre  de  sainte  Calliste, 
souffrit  la  mort  sous  l'empereur  Alexandre.  222.  —  A  Nicomédie,  le  triomphe  des  saints  Dase, 
Zotique,  Caïus  et  douze  autres  soldats,  qui  furent  noyés  dans  la  mer  après  divers  autres  supplices. 
303.  —  A  Maronie,  en  Syrie,  près  d'Antioche,  saint  Malc,  moine.  378.  —  A  Lyon,  saint  Viateur, 
clerc  de  saint  Just,  évêque  de  ce  siège  K  390.  —  A  Laon,  sainte  Céunie,  mère  de  saint  Rémi, 
évêque  de  Reims.  v°  s. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Aux  diocèses  d'Ajaccio,  Albi,  Arles,  Auch,  Autun,  Avignon,  Cahors,  Cambrai,  Cologne,  Cou- 
tances,  Gap,  Mayence,  Le  Puy,  Mende,  Montauban,  Montpellier,  Nantes,  Nimes,  Paris,  Perpignan, 
Quimper,  Rennes,  Rodez,  Saint-Claude,  Saint-Flour,  Tarées,  Versailles  et  Viviers,  sainte  Ursule  et 
ses  compagnes,  martyres,  citées  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  Vers  383.  —  Au  diocèse  de 
Bayeux,  saint  Aquilin,  évêque  d'Evreux  et  confesseur,  dont  nous  avons  esquissé  la  notice  au 
19  octobre.  Vers  695.  —  Au  diocèse  de  Bordeaux,  saint  Seurin  ou  Séverin,  évêque  de  ce  siège, 
après  avoir  occupé  celui  de  Cologne.  Nous  donnerons  sa  vie  au  23  octobre,  jour  où  il  est  cité  au 
martyrologe  romain.  —  Aux  diocèses  de  Châlons  et  de  Pamiers,  saint  Hilarion,  abbé,  cité  au  mar- 
tyrologe romain  de  ce  jour.  372.  —  Aux  diocèses  de  Chartres,  Clermont  et  Sens,  saint  Pierre 
d'Alcantara,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  19  octobre. 
1562.  —  Au  diocèse  de  Limoges,  saint  Edouard  IH  le  Confesseur,  roi  d'Angleterre,  dont  nous 
avons  donné  la  vie  au  13  octobre.  1066.  —  Au  diocèse  de  Soissons,  sainte  Célinie,  mère  de  saint 
Rémi,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour,  v»  s.  —  Au  diocèse  de  Périgueux,  saint  Astier 
(Asterius),  ermite,  déjà  cité  au  martyrologe  de  France  du  20  avril.  Vers  640.  —  Au  diocèse  de 
Marseille,  saint  Mauront,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  après  avoir  été  abbé  du  monastère 
bénédictin  de  Saint-Victor  de  cette  ville  2.  Vers  800.  —  A  Clermont-Ferrand,  saint  Just,  archi- 
diacre de  cette  Eglise  et  confesseur.  Après  avoir  partagé  avec  saint  Allyre,  son  maitre,  les  travaux 
de  l'apostolat,  il  mérita  de  reposer  avec  lui  dans  un  même  tombeau.  Saint  Grégoire  de  Tours  fait 
l'éloge  de  sa  piété.  Vers  400.  —  Dans  l'ancienne  abbaye  bénédictine  de  Saint-Vandrille  ou  Fonte- 
nelle,  au  diocèse  de  Rouen,  saint  Condède  (Condé,  Condète,  Condette),  anachorète  et  moine  de 
Fontenelle.  685.  —  Au  diocèse  de  Meaux,  sainte  Céline  (Célinie,  Céligne,  Cilinie),  vierge, 
compagne  de  sainte  Geneviève  de  Paris.  Vers  530.  —  Aux  diocèses  de  Verdun  et  de  Reims, 
saint  Walfroy,    diacre  et  stylite  d'Occident,   solitaire  à  Carignan  (Yvoy),   au  diocèse   de 

1.  Sur  saint  Viateur,  voir  passim  la  vie  de  saint  Just,  archevêque  de  Lyon,  tome  x,  page  411. 

2.  La  légende  du  Bréviaire  marseillais  nous  fournit  des  traits  trop  vagues  des  actes  de  l'épiscopat  et 
saint  Mauront,  pour  que  nous  croyons  utile  de  la  traduire.  D'ailleurs,  on  a  bien  peu  de  détails  sur  la  vil 
et  les  œuvres  de  ce  saint  Evêque  :  un  seul  acte  ancien  faisant  mention  de  lui.  Voici  à  quelle  occasion  . 
ayant  été  abbé  de  Saint-Victor,  il  découvrit  qu'on  avait  injustement  dépouillé  son  abbaye  de  domaines 
qui  lui  avaient  été  légués  près  de  Digne.  Charles  Martel  en  avait  ordonné  la  restitution  au  monastère; 
mais  la  sentence  définitive  fut  portée  par  les  missi  dominici  ou  commissaires  de  Charlemagne.  Leur  juge- 
ment porte  la  date  de  780. 

Les  reliques  de  saint  Mauront  furent  conservées  à  Saint- Victor,  dans  l'église  souterraine.  —  Note  do 
M.  l'abbé  Antoine  Ricard,  de  Marseille. 


MARTYROLOGES.  485 

Reims.  595.  —  A  Saint-Mihiel  (Meuse),  au  diocèse  de  Verdun,  saint  Anatole,  évêque  de  Cahors 
et  confesseur  *.  Vers  500.  —  Aux  diocèses  de  Reims,  Rouen,  Paris,  Vannes  et  plusieurs  autres, 
sainte  Avoye  ou  Aurée  de  Sicile  (Avia,  Aurea)^  vierge  et  martyre  dans  le  Boulonnais,  et  dont 
nous  avons  donné  la  vie  au  6  mai.  me  s.  —  Dans  les  pays  d'Auxerre  et  de  Nevers,  saint  Dom- 
nole,  prêtre  et  confesseur  2.  vne  s.  —  A  Ambronay  (Ain),  au  diocèse  de  Belley,  saint  Hugues, 
abbé  de  l'ancienne  abbaye  bénédictine  d'Ambronay  ou  Ambournay  (Ambroniacum),  qui  conservait 
autrefois  ses  reliques.  ix«  ou  x«  s.  —  En  Belgique,  la  bienheureuse  Imaine  de  Loss,  d'abord 
abbesse  de  Salzinnes,  près  Namur,  puis  de  Flines  (Ordre  de  Citeaux),  au  diocèse  de  Cambrai. 
Elle  enrichit  ces  deux  abbayes  de  nombreuses  reliques  des  onze  mille  vierges,  compagnes  de 
sainte  Ursule.  1270. 


MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  A  Cologne,  la  naissance  au  ciel  de  sainte  Ursule 
et  de  ses  bienheureuses  compagnes,  qui  furent  massacrées  par  les  Huns  en  haine  de  leur  foi  et  de 
leur  virginité.  Vers  383. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Camaldules.  •—  Sainte  Hedwige,  duchesse  de  Pologne,  dont  il 
est  fait  mention  le  17  octobre  3.  1243. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Vallombreuse.  —  Saint  Paulin,  évêque  et  confesseur, 
dont  il  est  fait  mention  le  10  de  ce  mois  *.  644. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Cortone  (Toscane),  le  bienheureux 
Pierre  Capuce  de  Tiferno,  confesseur,  de  notre  Ordre,  qui  parvint  au  ciel  par  une  continuelle 
méditation  de  la  mort,  et  ramena  à  Dieu  par  ses  prédications  un  grand  nombre  d'âmes  perdues. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint-François.  —  De  même  que  chez  les  Chanoines 
Réguliers. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  De  même  que  chez  les  Chanoines  Régu- 
liers. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  du  Mont- C arme l.  —  En 
Chypre,  saint  Hilarion,  de  l'Ordre  des  Carmes,  dont  saint  Jérôme  a  écrit  la  vie  pleine  de  miracles 
et  de  vertus.  372. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Ei*mites  de  Saint-Augustin.  —  En  Portugal,  le  bienheureux 
Gondisalve  ou  Gonsalve  de  Lagos,  confesseur,  de  notre  Ordre,  qui  irilla  surtout  par  la  pureté  de 
ses  mœurs,  la  prédication  de  la  parole  de  Dieu  et  son  grand  zèle  à  instruire  dans  la  religion  chré- 
tienne les  enfants  et  les  hommes  ignorants 3.  xve  s. 

Martyrologe  des  Mineurs  Capucins  de  Saint-François.  —  De  même  que  chez  les  Chanoines 
Réguliers. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Carmes  déchaussés.  —  De  même  que  chez  les  Carmes. 

ADDITIONS   FAITES  D 'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

Au  monastère  bénédictin  d'Einsiedeln,  ou  Notre-Dame  des  Ermites,  en  Suisse  (canton  de 

1.  Ermengaud,  troisième  abbé  (754-771)  du  monastère  bénédictin  de  Saint-Mihiel  (fondé  en  709  par  le 
comte  Vulfoade  et  sa  femme  Adalsinde),  étant  allé  à  la  guerre  avec  Charlemagne,  rapporta  à  son  retour  le 
corps  de  saint  Anatole,  évêque  de  Cahors,  qu'il  plaça  dans  l'église  Saint-Cyr  et  Sainte-Julittc,  du  village 
de  Godoncourt  ou  Godincourt  (qui  s'élevait  alors  sur  l'emplacement  de  la  ville  actuelle  de  Saint-Mihiel). 
En  1253,  le  corps  de  saint  Anatole  fut  transféré  d'une  châsse  dans  une  autre.  Que  sont  devenues  ces 
reliques?  nous  n'avons  pu  le  découvrir. — Cf.  Act a  Sanct orum,  tome  ix d'octobre,  page  309;  et  YHistoire  de 
Verdun,  par  Roussel,  tome  n,  pages  249,  250. 

2.  Saint  Domnole,  qu'on  a  appelé  par  corruption  saint  Andelain,  était  un  saint  prêtre  du  diocèse 
d'Auxerre  qui  a  contribué  par  ses  vertus  à  la  sanctification  de  la  paroisse  qui  a  conservé  son  nom.  Il  est 
nommé  dans  le  testament  de  saint  Vigile,  évêque  d'Auxerre,  qui  était  propriétaire  de  la  terre  de  Pouilly. 
Il  est  probable  qu'il  obtint  du  saint  Evêque  le  lieu  qui  porte  son  nom,  pour  s'y  sanctifier  dans  la  retraite. 
Ce  fut  là  l'origine  de  la  paroisse  de  Saint-Andelain  (Nièvre,  arrondissement  de  Cosne,  canton  de  Pouilly- 
sur-Loire).  —  Mgr  Crosnier,  Hagiologie  nivernaise. 

3.  Voir  sa  vie  au  17  octobre.  —  4.  Voir,  sur  sa  vie,  la  note  1  au  martyrologe  romain  du  10  octobre, 
tome  xii,  page  237. 

6.  Gonsalve  naquit  h  Lagos  (Lacobriga),  ville  forte  et  port  de  Portugal  (province  d'Algarve),  et  se  fit 
remarquer  dès  sa  jeunesse  par  la' pureté  de  ses  mœurs  et  son  application  à  l'étude.  Ses  condisciples  avaient 
tant  de  respect  pour  son  innocence,  qu'ils  n'osaient  prononcer  devant  lui  aucun  mot  qui  pût  blesser,  même 
légèrement,  la  pudeur.  Après  sa  profession  dans  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin,  Gonsalve  fut 
employé  au  ministère  de  la  prédication,  ce  dont  il  s'acquitta  avec  tant  de  succès,  que  sa  réputation 
•'étendit  dans  tout  le  Portugal.  Son  mérite  et  ses  vertus  le  firent  élever  à  la  dignité  de  prieur  dans  plu- 
sieurs maisons  de  son  Ordre  ;  mais  il  refusa  constamment,  par  humilité,  le  titre  de  docteur  qu'on  voulait 


486  21  OCTOBRE. 

Schwitz),  saint  Berthold,  ermite  et  martyr,  père  de  saint  Meinrad  *.  861  ou  863.  —  En  Afrique, 
les  saints  martyrs  Modeste,  Eutycbe,  Matère  ou  Maine  et  Disée,  mentionnés  par  les  martyrologes 
de  saint  Jérôme.  Vers  304.  —  A  Nicée,  aujourd'hui  Isnik,  ville  de  la  Turquie  d'Asie  (Anatolie), 
les  saints  martyrs  Afrige  ou  Aprice,  Machaire,  Dicée  et  Procule.  Vers  303.  —  A  Naples,  saint 
Modeste  et  ses  deux  cent  soixante-douze  compagnons,  martyrs.  Vers  305.  —  A  Noie,  ville  d'Italie 
(Terre  de  Labour),  saint  Réparât,  diacre  de  cette  Eglise  et  confesseur.  Son  culte,  d'abord  assez 
suspect,  a  pris  un  peu  d'extension  dans  ces  derniers  temps,  et  semble  vouloir  se  populariser  de 
plus  en  plus  en  Italie.  553.  —  En  Irlande,  saint  Fintan,  surnommé  Munnu,  abbé  et  confesseur.  Il 
descendait  de  l'illustre  famille  de  Neil,  quitta  le  monde  dès  sa  jeunesse  et  forma  la  résolution  de 
se  consacrer  à  Dieu  dans  le  monastère  de  Hy,  sous  la  conduite  de  saint  Colomb  ou  Colomkille, 
abbé  et  apôtre  des  Pietés  (9  juin  597).  Mais  Dieu,  qui  avait  sur  lui  de  plus  grands  desseins,  ne 
permit  pas  qu'il  exécutât  son  projet.  Saint  Colomb  étant  mort,  Fintan  revint  en  Irlande  et  fonda 
au  midi  de  la  province  de  Leinster  un  monastère  qui  fut  appelé,  de  son  nom,  Teach-Munnu.  Ses 
vertus  et  ses  miracles,  le  nombre  et  la  ferveur  de  ses  disciples  rendirent  son  nom  célèbre.  Il  est 
fait  mention  de  lui  dans  l'ancien  bréviaire  des  Scots,  sous  le  nom  de  saint  Mund,  abbé.  634.  — 
A  Jérusalem,  en  Syrie  (pachalik  de  Damas),  les  saints  Georges,  Jean,  Julien  et  leurs  compagnons, 
appelés  ordinairement  les  soixante  Martyrs  de  Jérusalem,  victimes  de  la  fureur  des  Sarrasins.  Vers 
723.  —  En  Saxe,  saint  Unni  (Unnis,  Unno,  Wimo,  Wymo,  Vuimo,  Guimo,  Winos),  d'abord  moine 
de  la  célèbre  abbaye  bénédictine  de  Corvey  ou  Nouvelle-Corbie  (Westphalie).  puis  archevêque  de 
l'ancien  siège  de  Hambourg.  936.  —  Dans  la  célèbre  abbaye  bénédictine  du  Mont-Cassin,  dans 
l'ancien  royaume  de  Naples  (Terre  de  Labour),  saint  Gébizon,  moine  et  confesseur,  que  Dieu  favo- 
risa du  don  de  prophétie  et  de  miracles.  Vers  1082.  —  A  Edesse  (Moglena),  aujourd'hui  Vodina, 
ville  de  Macédoine,  dans  la  province  d'Emathie,  saint  Hilarion,  évêque  et  confesseur.  Avant  le 
xme  s.  —  A  Parme,  en  Italie,  saint  Berthold,  confesseur,  frère  oblat  du  monastère  de  Saint- 
Alexandre  de  cette  ville.  Abonde  et  Berthe,  ses  parents,  étaient  d'origine  anglaise,  et  avaient  fui 
leur  pays  pour  se  réfugier  à  Parme,  à  l'époque  où  Guillaume  le  Bâtard  ravageait  l'Angleterre. 
Commencement  du  xne  s.  —  A  Côme,  en  Lombardie,  le  bienheureux  Guillaume,  évèque  de  ce 
«iége  et  confesseur,  dont  le  culte  a  été  approuvé  par  le  pape  Urbain  VIII  II  enrichit  son  église 
d'un  grand  nombre  de  fondations  religieuses.  1226. 


SAINT  HILARION  DE  TABATHB, 

PATRIARCHE  DES  SOLITAIRES  DE  LA  PALESTINE 

372.  —  Papa  :  Damase  Ier.  -—  Empereurs  romains  :  Valentinien  Ier  et  Valens. 


La  solitude  est  la  mère  de  la  paix,  un  port  tranquille, 
un  lieu  où  le  trouble  ne  saurait  pénétrer. 
Saint  Jean  Chrysostome. 

Hilarion  naquit  à  Tabathe,  à  cinq  milles  de  la  ville  de  Gaze,  en  Palestine, 
d'un  père  et  d'une  mère  idolâtres.  Etant  allé  étudier  à  Alexandrie,  il  y  gagna 
l'affection  de  tout  le  monde  par  la  beauté  de  son  esprit  et  par  l'innocence 
de  <3s  mœurs,  mais,  ce  qui  le  rendit  plus  heureux,  c'est  que,  s'étant  fait 
chrétien,  il  renonça  aux  jeux,  aux  théâtres  et  à  tous  les  vains  divertisse- 
ments des  jeunes  gens,  pour  assister  aux  assemblées  des  fidèles.  La  haute 
réputation  de  saint  Antoine  fit  qu'il  désira  de  le  voir.  Il  alla  pour  cela  dans 
la  Thébaïde  et  il  y  demeura  près  de  deux  mois  avec  lui  ;  puis,  après  avoir 
soigneusement  observé  l'ordre  de  sa  vie,  la  sainteté  de  sa  conduite,  son  assi- 

lui  conférer.  Il  mourut  âgé  de  plus  de  soixante  ans,  vers  la  fin  du  xv  siècle.  Pie  VI  a  approuvé  son  culte 
en  1778.  —  Dictionnaire  hagiographique  de  Migne. 

1.  Feiraii,  l 'auteur  de  cette  mention,  attribue  à  Berthold  tous  les  faits  et  gestes  de  son  fils  sain* 
Meinrad.  Aussi  les  Bollandistes  prétendent-ils  (Prztermissi,  21  octobre)  que  le  martyrologiste  a  confondu 
les  deux  personnages.  Mous  partageons  entièrement  leur  avis,  et  renvoyons  pour  plus  de  détails  à  la  vie 
de  saint  Meinrad,  tome  i",  page  518. 


SAINT  HILARION  DE  TABATHE.  487 

duité  à  la  prière,  son  affabilité  envers  ses  religieux,  sa  douceur  à  les  re- 
prendre et  sa  sévérité  à  mortifier  sa  chair,  il  s'en  retourna  en  son  pays  avec 
quelques  solitaires,  non  pas  dans  le  dessein  de  demeurer  dans  le  monde, 
mais  pour  disposer  de  son  bien  après  la  mort  de  son  père  et  de  sa  mère,  et 
prendre  ensuite  le  chemin  de  la  solitude.  En  effet,  les  ayant  trouvés  décé- 
dés l'un  et  l'autre,  il  laissa  la  moitié  de  leur  succession  à  ses  frères  et  donna 
l'autre  aux  pauvres,  sans  se  rien  réserver  pour  lui-même,  suivant  cette  leçon 
de  Notre-Seigneur  :  «  Celui  qui  ne  renonce  pas  à  tout  ce  qu'il  possède,  ne 
peut  pas  être  mon  disciple  ». 

Il  n'avait  que  quinze  ans,  et  il  était  d'une  complexion  si  délicate,  que 
la  moindre  indisposition  semblait  capable  de  l'abattre;  mais,  sans  avoir 
égard  à  ces  obstacles  ni  aux  remontrances  de  ses  parents  et  de  ses  amis,  il 
renonça  à  la  compagnie  des  hommes  pour  se  retirer  dans  un  désert.  Il  était 
tellement  animé  de  cette  foi  qui  opère  par  la  charité,  que  les  flammes,  au 
rapport  de  saint  Jérôme,  en  paraissaient  jusque  sur  son  visage.  Dans  ce  dé- 
sert, sa  nourriture  n'était  que  de  quinze  figues  par  jour;  il  ne  mangeait 
qu'après  le  soleil  couché,  et  il  n'avait  pour  vêtement  qu'un  sac  avec  une 
tunique  et  une  peau  coupée  en  forme  de  scapulaire,  que  saint  Antoine  lui 
avait  donnée,  lorsqu'il  se  sépara  de  lui.  Le  démon  fit  tous  ses  efforts  pour 
lui  faire  abandonner  cette  vie;  il  excita  en  lui  des  tentations  que  jusqu'a- 
lors il  avait  ignorées.  Hilarion,  tout  surpris  d'un  changement  si  étrange,  se 
mettait  dans  une  sainte  colère  contre  lui-même  et  se  frappait  la  poitrine, 
comme  si,  par  les  coups  de  sa  main,  il  eût  pu  dissiper  cette  tempête  :  «  0 
misérable  !  »  disait-il  à  son  corps,  «  je  te  traiterai  de  telle  sorte,  que  tu  ne 
pourras  plus  regimber.  Je  te  ferai  mourir  de  faim  et  de  soif;  je  te  charge- 
rai tellement,  que  tu  succomberas  sous  le- faix;  je  te  ferai  souffrir  les  ar- 
deurs du  chaud  et  les  rigueurs  du  froid,  afin  que  tu  sois  plus  occupé  de  tes 
besoins  que  de  plaisirs  coupables  ».  En  effet,  il  était  trois  ou  quatre  jours 
«ans  manger,  ne  vivait  plus  que  de  suc  d'herbe  et  de  quelques  dattes,  pas- 
sait beaucoup  de  temps  à  prier  et  à  réciter  des  psaumes;  et,  afin  d'augmen- 
ter l'austérité  de  son  jeûne  par  le  travail  du  corps,  il  bêchait  la  terre;  puis, 
à  l'exemple  des  solitaires  de  l'Egypte,  il  faisait  des  corbeilles  de  jonc  et 
d'osier.  C'est  ainsi  que,  se  réduisant  à  une  extrême  faiblesse,  il  éteignit  les 
ardeurs  de  la  concupiscence  et  réprima  la  première  effervescence  de  la 
jeunesse. 

Le  démon,  n'ayant  rien  pu  gagner  dans  cette  voie  sur  lô  serviteur  de 
Dieu,  eut  recours  à  d'autres  artifices.  Il  lui  apparut  sous  des  figures  hor- 
ribles, qui  eussent  été  capables  de  l'épouvanter  et  de  lui  faire  prendre  la 
fuite,  s'il  n'eût  été  soutenu  d'une  grâce  extraordinaire  de  Notre-Seigneur  ; 
mais  il  demeura  toujours  invincible  par  le  moyen  de  l'oraison,  du  signe  de 
la  croix  et  d'une  parfaite  confiance  au  secours  de  son  Sauveur.  Un  jour 
seulement,  il  se  laissa  un  peu  distraire  ou  assoupir  dans  sa  prière,  et  alors 
Dieu  permit  au  démon  de  le  maltraiter  à  coups  de  fouet  pour  le  punir  de 
cette  faute.  Depuis  seize  ans  jusqu'à  vingt,  il  n'eut  point  d'autre  défense 
contre  les  injures  de  l'air,  qu'une  cabane  de  joncs  et  de  branches  de  pal- 
mier. Dans  la  suite,  il  fit  bâtir  une  cellule  de  terre,  mais  si  basse  et  si 
étroite,  qu'on  devait  plutôt  l'appeler  un  tombeau  qu'un  logement  pour  un 
homme  :  elle  n'avait  que  quatre  pieds  de  largeur,  un  peu  plus  de  longueur 
et  cinq  pieds  de  hauteur.  Il  ne  se  coupait  les  cheveux  qu'une  fois  l'an,  pour 
le  jour  de  Pâques.  Il  n'avait  point  d'autre  lit  que  quelques  joncs  semés  sur 
la  terre  nue.  Jamais  il  ne  voulut  laver  le  sac  dont  il  était  revêtu,  disant 
qu'il  était  inutile  de  chercher  la  propreté  dans  un  cilice.  Il  ne  changeait 


488  21  OCTOBRE. 

point  de  tunique  que  la  sienne  ne  tombât  d'elle-même  par  lambeaux. 
Comme  il  avait  appris  la  sainte  Ecriture  par  cœur,  il  la  répétait  avec  une 
dévotion  admirable.  Un  jour,  des  larrons  étant  venus  dans  sa  cabane,  soit 
pour  lui  dérober  ce  qu'il  avait,  soit  pour  lui  faire  peur,  ils  lui  demandè- 
rent ce  qu'il  ferait  si  des  voleurs  l'attaquaient  :  «  Celui  qui  n'a  rien  »,  ré- 
pondit-il, «  ne  craint  point  les  voleurs  ».  —  «  Mais  ils  peuvent  lui  ôter  la 
vie  »,  ajoutèrent-ils.  —  «  Il  est  vrai  »,  repartit  le  Saint  ;  «  mais  je  ne  crains 
point  cet  accident,  parce  que  je  suis  prêt  à  mourir  ».  Ces  misérables  furent 
si  touchés  de  ces  réponses  que,  bien  loin  de  lui  faire  du  tort,  ils  lui  promi- 
rent de  se  convertir  et  de  quitter  leur  brigandage. 

Dès  l'âge  de  vingt-deux  ans,  Dieu  le  rendit  illustre  par  ses  miracles  ;  il 
obtint  un  fils  à  une  femme  stérile  qui  n'en  avait  pu  avoir  depuis  quinze  ans 
qu'elle  était  mariée.  Il  guérit  par  son  attouchement  et  par  l'invocation  du 
nom  de  Jésus-Christ,  les  trois  enfants  d'Elpidius  et  d'Aristenète,  personnes 
nobles  ;  ils  étaient  tombés  malades  à  Gaza,  en  revenant  avec  leurs  parents 
de  voir  le  grand  saint  Antoine.  Il  rendit  la  vue  à  une  femme  aveugle,  qui 
avait  bien  dépensé  de  l'argent  en  médicaments  pour  la  recouvrer,  l'avertis- 
sant que  si  elle  avait  donné  cet  argent  aux  pauvres,  elle  aurait  été  guérie 
plus  tôt.  Il  redonna  l'usage  des  membres  à  un  cocher  qui  ne  pouvait  plus 
remuer  la  tête  ni  les  mains,  mais  à  condition  qu'il  se  ferait  chrétien  et  qu'il 
quitterait  son  emploi,  qui  était  de  conduire  des  chariots  dans  le  cirque. 
Ces  merveilles  lui  acquirent  une  telle  réputation,  que  plusieurs,  touchés  de 
l'Esprit  de  Dieu,  se  firent  ses  disciples  et  embrassèrent,  à  son  exemple,  la 
vie  érémitique,  et  ce  fut  ce  qui  donna  commencement  aux  monastères  de 
la  Palestine;  le  jeune  Hilarion  en  est  reconnu  pour  fondateur,  de  même 
que  le  vieillard  Antoine  était  fondateur  de  ceux  de  la  Thébaïde.  D'ailleurs, 
ce  bienheureux  abbé  faisait  tant  d'état  d'Hilarion,  qu'il  lui  renvoyait  les 
malades  qui  venaient  à  lui  de  la  Syrie,  leur  remontrant  qu'ayant  chez  eux 
son  fils  Hilarion,  qui  pouvait  leur  procurer  tout  le  bien  qu'ils  demandaient, 
il  était  inutile  qu'ils  fissent  pour  cela  un  si  long  voyage.  Il  lui  écrivait  aussi 
quelquefois,  et  il  était  bien  aise  de  recevoir  de  ses  lettres. 

Le  mérite  de  notre  Saint  n'a  pas  seulement  paru  par  le  pouvoir  qu'il 
avait  de  guérir  les  malades,  mais  aussi  par  une  puissance  presque  souve- 
raine de  chasser  les  démons  ;  il  les  chassait  du  corps  des  hommes  et  de  ceux 
des  animaux,  par  la  vertu  de  ses  prières  et  par  la  force  de  ses  commande- 
ments ;  il  les  chassait  lorsqu'ils  étaient  seuls  et  lorsqu'ils  étaient  en  troupe  : 
témoin  cette  légion  qu'il  fit  sortir  du  corps  d'Orione,  homme  des  plus 
riches  et  des  plus  puissants  du  pays.  Au  reste,  lorsqu'il  avait  fait  ses  cures, 
il  ne  voulait  jamais  rien  recevoir  de  ceux  qu'il  avait  délivrés;  et,  comme 
Orione  le  pressait  un  jour  d'agréer  une  forte  somme  d'argent  qu'il  lui  offrait 
en  reconnaissance  de  sa  guérison,  pour  la  distribuer  aux  pauvres,  il  lui  fit 
cette  belle  réponse  :  «  Vous  êtes  plus  propre  à  faire  cette  distribution  que 
moi,  vous  qui  demeurez  dans  les  villes  et  qui  connaissez  le*  pauvres  ;  pour- 
quoi me  chargerais-je  des  biens  d'autrui,  moi  qui  ai  abandonné  les  miens 
propres  ?  J'ai  fait  une  grande  aumône  en  donnant  tout  et  ne  me  réservant 
rien.  On  se  met  souvent  en  danger  de  tomber  dans  l'avarice  en  voulant 
avoir  de  quoi  faire  la  charité.  Ne  vous  affligez  pas,  mon  fils,  de  mon  refus  ; 
je  ne  le  fais  que  pour  mon  bien  et  pour  le  vôtre  :  pour  mon  bien,  parce 
que  j'offenserais  Dieu  si  je  recevais  votre  présent;  pour  le  vôtre,  parce 
qu'en  ce  cas  la  légion  retournerait  dans  votre  corps  pour  vous  tourmenter 
plus  qu'auparavant  ».  Un  Allemand  lui  présenta  dix  livres  d'or  après  sa  dé- 
livrance ;  non-seulement  il  refusa  de  les  accepter,  mais  il  lui  fit  présent 


SAINT  HILARION  DE  TABATHE.  489 

d'un  pain  d'orge,  pour  lui  faire  connaître,  dit  saint  Jérôme,  que,  se  con- 
tentant de  cette  nourriture,  il  n'estimait  pas  plus  l'or  et  l'argent  que  la 
boue. 

Le  bruit  de  tant  de  miracles  et  l'exemple  d'une  vie  si  extraordinaire, 
firent  que  tous  les  solitaires  de  la  Palestine  venaient  le  trouver  en  foule 
pour  recevoir  ses  instructions.  Il  les  exhortait  à  la  ferveur,  au  mépris  de 
toutes  les  choses  de  la  terre  et  au  parfait  abandon  à  la  divine  Providence, 
sans  s'inquiéter  des  nécessités  de  la  vie.  De  son  côté,  il  allait  les  visiter, 
soit  dans  les  monastères,  soit  dans  leurs  ermitages  ou  dans  leurs  cellules 
séparées.  Comme  un  jour  il  allait  au  désert  de  Gadès,  les  habitants  de  la 
ville  d'Eluse,  qui  s'étaient  assemblés  dans  le  temple  de  Vénus  ^our  en  célé- 
brer la  fête,  abandonnèrent  cette  solennité  pour  venir  en  foule  au-devant 
de  lui  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants,  lui  demander  sa  bénédiction.  Il* 
n'en  ignoraient  pas  la  vertu,  parce  que  déjà  plusieurs  d'entre  eux  avaient 
été  délivrés  des  malins  esprits  par  ses  mérites.  Il  les  reçut  avec  beaucoup 
de  douceur  et  d'humilité  ;  mais  il  leur  fit  une  si  puissante  exhortation  sur 
ce  qu'ils  rendaient  à  de  viles  créatures  le  culte  souverain  qui  n'était  dû 
qu'à  Dieu  seul, que  ces  pauvres  Sarrasins,  touchés  de  ses  paroles,  des  larmes 
dont  il  les  accompagnait  et  de  la  promesse  qu'il  leur  faisait  de  les  venir 
voir  souvent  s'ils  se  faisaient  chrétiens,  se  convertirent  et  l'obligèrent, 
avant  de  passer  outre,  de  leur  donner  un  prêtre  pour  les  baptiser  et  leur 
tracer  la  place  d'une  église. 

Une  autre  année,  faisant  de  semblables  visites  au  temps  des  vendanges, 
il  arriva,  avec  une  compagnie  de  trois  mille  solitaires  qui  le  suivaient,  au 
jardin  d'un  moine  que  l'on  tenait  pour  très-avare.  En  effet,  la  porte  lui  en 
fut  refusée.  Il  passa  à  celui  d'un  autre  religieux,  nommé  Sabas,  qui  le  reçut 
fort  gaiement  avec  toute  sa  troupe,  et  leur  laissa  ses  fruits  à  discrétion.  Le 
Saint  fit  faire  la  prière  et  bénit  la  vigne  de  cet  homme  de  Dieu,  après  quoi 
chacun  en  mangea  autant  qu'il  voulut.  Mais,  par  un  miracle  de  la  divine 
Providence,  cette  vigne,  qui  ne  devait  rendre  que  cent  charges  de  ven- 
dange, en  rendit  trois  cents.  Celle  de  l'avare  ne  rendit  pas  tant  que  de  cou- 
tume, et  le  vin  que  l'on  en  recueillit  se  tourna  en  vinaigre,  comme  le  Saint 
l'avait  prédit.  Il  avait  en  horreur  ceux  qui  faisaient  des  réserves,  de  peur 
de  tomber  dans  la  nécessité,  ou  qui  se  distinguaient  par  l'élégance  de  leurs 
habits,  ou  par  d'autres  choses  qui  se  sentaient  encore  des  coutumes  du 
siècle.  Un  solitaire,  qu'il  avait  chassé  de  sa  compagnie  pour  de  semblables 
défauts,  lui  envoya  un  jour  des  pois  verts,  comme  les  prémices  de  son  jar- 
din, pour  tâcher  de  rentrer  dans  ses  bonnes  grâces.  Hésychius,  le  plus  zélé 
et  le  plus  fidèle  disciple  d'Hilarion,  à  qui  il  les  avait  adressés,  les  lui  pré- 
senta le  soir  sur  la  table;  mais,  dès  que  le  Saint  les  vit,  il  s'écria  :  «  Ne  sen- 
tez-vous pas  l'odeur  insupportable  de  ces  pois  ?  ils  sentent  tellement  l'ava- 
rice, que  les  animaux  mêmes  n'en  pourraient  pas  souffrir  la  puanteur  ». 
En  effet,  on  les  jeta  à  des  bœufs,  et  ces  animaux,  loin  de  s'en  réjouir,  rom- 
pirent leurs  attaches  et  s'enfuirent  de  l'étable  pour  n'en  pas  manger.  Ce 
grand  homme  possédait  éminemment  l'esprit  de  prophétie.  Il  connut,  par 
révélation,  la  moi  L  de  saint  Antoine,  le  mauvais  dessein  de  Julien  l'Apostat 
contre  lui,  l'ordre  qu'il  avait  donné  de  le  venir  arrêter,  et  beaucoup  d'au- 
tres choses  secrètes  et  éloignées.  Il  discernait,  à  l'odeur  des  habits  d'une 
personne,  à  quels  vices  elle  était  sujette  :  ce  qui  ne  se  fait  pas  naturelle- 
ment, mais  par  une  lumière  toute  divine. 

«  Mais  si  toutes  ces  grâces  sont  admirables  »,  dit  saint  Jérôme,  «  ce  qui 
l'est  bien  davantage,  c'est  l'humilité  d'Hilarion  et  la  constance  invincible 


490  21   OCTOBRE. 

avec  laquelle  il  fuyait  les  honneurs  qui  lui  étaient  rendus  ».  Les  évoquai. 
les  prêtres,  les  clercs,  les  grands  seigneurs,  les  magistrats,  les  dames  de 
qualité,  et  une  infinité  de  peuple  des  villes  et  de  la  campagne  accouraient 
à  lui  pour  avoir  seulement  un  morceau  de  pain  ou  un  peu  d'huile  sanctifiée 
par  sa  bénédiction  ;  mais  ce  grand  concours,  au  lieu  de  lui  inspirer  des  pen- 
sées de  complaisance,  le  faisait  fondre  en  larmes  et  gémir  de  se  voir  par  là 
comme  rentré  dans  le  siècle.  C'est  pourquoi,  appréhendant  que  ces  applau* 
dissements  ne  fussent  toute  sa  récompense,  et  qu'ils  ne  le  portassent  enfin 
à  quelque  vanité,  il  résolut,  à  l'âge  de  soixanle-cinq  ans,  de  quitter  sa  so- 
litude qui  s'était  changée  en  une  ville  par  le  grand  nombre  des  disciples  qui 
l'environnaient,  et  de  se  retirer  dans  un  désert  écarté  où  il  ne  fut  connu 
de  personne.  Dès  que  l'on  se  fut  aperçu  de  son  dessein,  plus  de  dix  mille 
personnes  qui  regardaient  sa  retraite  comme  le  plus  grand  malheur  qui  pût 
arrivera  la  Palestine,  s'assemblèrent  autour  de  sa  cellule  pour  en  empêcher 
l'exécution;  mais  il  demeura  si  ferme  dans  sa  résolution,  jusqu'à  refuser 
de  manger  tant  qu'on  lui  ferait  cette  violence,  qu'on  lui  laissa  enfin  la  li- 
berté d'aller  où  il  voudrait.  Il  emmena  avec  lui  quarante  solitaires,  dispo* 
ses  à  aller  à  pied  et  à  jeûner  jusqu'au  soleil  couché,  et  il  prit  le  chemin  de 
l'ermitage  du  grand  Antoine. 

En  chemin,  il  visita  deux  saints  confesseurs,  Draconce  et  Philon,  bannis 
à  Theubate  et  à  Babylone  par  l'empereur  Constance,  parce  qu'ils  soutenaient 
la  divinité  de  Jésus-Christ.  Etant  arrivé  à  la  montagne  où  ce  patriarche  des 
solitaires  avait  fait  sa  demeure,  il  alla  par  tous  les  lieux  qu'il  avait  sancti- 
fiés par  sa  présence  ;  il  voulut  coucher  dans  sa  cellule,  baisa  plusieurs  fois 
le  lit  qui  lui  avait  servi.  Il  demanda  où  était  sa  sépulture  ;  mais  on  ne  sait 
pas  si  les  disciples  du  bienheureux  défunt  la  lui  montrèrent,  parce  que  lui- 
même  avait  défendu  par  modestie  de  la  découvrir  à  personne.  Après  avoir 
été  quelque  temps  sur  cette  sainte  montagne,  prenant  seulement  deux  de 
ses  religieux  avec  lui,  il  se  retira  dans  une  solitude,  près  d'un  bourg  appelé 
Aphrodite,  distant  de  quelques  journées  de  Babylone.  Il  y  vécut  dans  une 
telle  austérité,  qu'on  eût  dit  qu'il  ne  faisait  que  commencer  à  servir  Dieu» 
En  effet,  il  croyait  lui-même  n'avoir  encore  rien  fait  pour  son  service,  et  se 
reprochait  continuellement  sa  lâcheté.  Cependant  il  ne  demeura  guère  en 
ce  lieu  ;  car,  ayant  obtenu  de  la  pluie  aux  habitants,  qu'une  extrême  fa- 
mine affligeait  depuis  longtemps,  et  les  ayant  aussi  préservés  contre  la 
morsure  des  serpents  par  une  huile  bénite  qu'il  leur  donna,  il  en  reçut  tant 
d'honneurs  qu'il  se  crut  obligé  de  prendre  encore  une  fois  la  fuite.  Il  alla 
donc  en  diverses  solitudes,  comme  aux  environs  d'Alexandrie  et  à  Oasis  ; 
mais,  voyant  enfin  qu'on  le  reconnaissait  partout,  et  qu'en  quelque  lieu 
qu'il  allât  on  lui  rendait  des  déférences  qu'il  croyait  beaucoup  au-dessus  de 
ses  mérites,  il  prit  la  résolution  de  quitter  l'Orient  et  de  passer  en  Occi- 
dent, où  il  se  persuadait  qu'il  serait  entièrement  inconnu.  Il  s'embarqua 
donc  avec  un  de  ses  disciples  seulement,  appelé  Gazane,  sur  un  vaisseau  qui 
faisait  voile  vers  la  Sicile.  Il  n'avait  rien  pour  payer  son  passage  que  le  livre 
des  Evangiles  qu'il  avait  transcrit  étant  jeune,  et  s'attendait  à  le  donner 
pour  lui  et  pour  son  compagnon.  Mais  il  paya  autrement,  c'est-à-dire 
par  la  guérison  du  fils  du  pilote,  qui  était  possédé  du  démon.  Etant 
en  Sicile ,  il  se  cacha  dans  un  désert,  où  il  faisait  tous  les  jours  un 
fagot  qu'il  envoyait  vendre  au  village  voisin  par  son  disciple,  afin  d'avoir 
du  pain  pour  leur  nourriture.  Rien  ne  lui  était  plus  agréable  que  cette  vie 
pauvre,  secrète  et  éloignée  de  tout  commerce  avec  les  hommes.  Mais  elle 
ne  dura  pas  longtemps  ;  Dieu  permit  qu'un  possédé  s'écriât  dans  Saint- 


SAINT  HILARION  DE  TABATHE.  401 

Pierre  de  Rome  qu'Hilarion  était  en  Sicile  et  qu'il  serait  délivré  par  ses 
prières.  Le  démon  qui  le  faisait  parler  ne  mentit  pas  en  cette  occasion.  «  11 
fut  forcé  »,  dit  saint  Jérôme,  «  par  la  puissance  de  Dieu,  de  conduire  lui- 
même  ce  misérable  à  l'ermitage  d'Hilarion  et  de  sortir  de  son  corps  par  le 
commandement  que  le  Saint  lui  en  fit  ».  Ce  miracle  fut  suivi  d'une  infinité 
d'autres  :  les  malades  et  les  énergumènes  accoururent  en  foule  vers  ce 
grand  médecin  et  reçurent  de  lui  la  délivrance  de  leurs  maux.  Gela  fit  qu'il 
pensa  à  une  nouvelle  fuite.  Hésychius,  après  beaucoup  de  voyages,  l'ayant 
enfin  trouvé,  le  mena  à  Epidaure,  en  Dalmatie  ;  mais  il  n'y  fut  pas  plus 
caché  qu'ailleurs.  Un  horrible  dragon,  que  les  Gentils  appelaient  Boa,  qui 
se  jetait  sur  les  hommes  et  sur  les  animaux,  dépeuplait  tout  le  pays  ;  le 
Saint,  touché  de  compassion,  fit  allumer  un  grand  feu  et  commanda  à  ce 
monstre  de  se  jeter  dedans  ;  il  obéit  en  présence  de.  tout  le  peuple,  et  il  y 
fut  réduit  en  cendres.  La  mer  s'enfla  si  prodigieusement  par  de  grands  trem- 
blements de  terre,  qu'il  semblait  qu'elle  allât  engloutir  toute  la  ville  d'Epi- 
daure.  Les  habitants  eurent  recours  au  Saint  et  le  menèrent  sur  le  rivage 
pour  l'opposer  à  la  fureur  des  flots.  Il  fit  trois  signes  de  croix  sur  le  sable 
et  étendit  sa  main  contre  les  flots,  puis,  à  l'heure  même,  la  tempête  s'apaisa 
et  la  mer  se  réduisit  au  point  où  elle  était  auparavant.  Ces  deux  grands  pro- 
diges, qui  sont  demeurés  longtemps  dans  la  mémoire  des  Epidauriens,  et 
que  les  pères  apprenaient  par  tradition  à  leurs  enfants,  lui  attirèrent  une 
si  haute  estime,  qu'il  se  vit  encore  plus  honoré  en  Dalmatie  qu'il  ne  l'avait 
été  en  Sicile  et  en  Palestine.  Il  ne  put  donc  pas  y  demeurer  plus  longtemps, 
mais  il  se  jeta  dans  un  vaisseau  marchand  qui  allait  en  Ghypre.  Pendant  la 
traversée,  des  pirates  parurent  pour  prendre  le  navire,  et  les  matelots 
désespéraient  déjà  ;  mais  le  Saint  n'eût  pas  plus  tôt  dit  aux  pirates  :  «  Vous 
n'irez  pas  plus  loin  ;  c'est  assez  que  vous  soyez  venus  jusqu'ici  »,  qu'ils 
furent  forcés  de  reculer  sans  pouvoir  approcher.  * 

Le  lieu  où  il  se  retira  fut  à  deux  milles  de  la  ville  de  Paphos.  Les  démo- 
niaques l'y  découvrirent  encore,  et  il  y  en  eut  plus  de  deux  cents  qui 
vinrent  à  sa  cellule  pour  demander  leur  délivrance.  Le  dessein  du  démon 
était  de  le  poursuivre  partout  et  de  le  porter  à  quelque  sentiment  de  va- 
nité ;  mais  celui  de  Dieu  était  de  le  faire  honorer  d'autant  plus  qu'il  fuyait 
les  honneurs.  Il  délivra  encore  ces  misérables,  et  chercha  ensuite  plusieurs 
autres  retraites,  jusqu'à  se  cacher  dans  des  lieux  presque  inaccessibles, 
pour  tâcher  d'y  vivre  inconnu  des  hommes.  Enfin,  après  avoir  passé  cinq 
ans  sur  une  montagne,  à  douze  milles  de  la  mer,  étant  âgé  de  quatre- 
vingts  ans,  et,  ayant  révélation  de  sa  mort,  il  écrivit  une  lettre  à  son  cher 
Hésychius,  qu'il  avait  envoyé  en  Palestine  :  il  le  laissait  héritier  de  son 
livre  des  Evangiles,  de  sa  cuculle  et  de  son  petit  manteau,  qui  étaient  tous 
ses  trésors.  Puis  il  pria  quelques  personnes  de  Paphos,  qui  étaient  venues 
le  voir,  de  ne  pas  garder  son  corps  un  seul  moment  après  sa  mort,  mais  de 
l'enterrer  à  l'heure  même  dans  le  petit  jardin  de  son  ermitage,  avec  la 
haire  et  la  tunique  dont  il  était  revêtu.  Etant  près  de  rendre  le  dernier 
soupir,  il  fut  saisi  de  frayeur  dans  la  pensée  des  jugements  de  Dieu,  et  de 
la  pureté  de  cœur  qu'il  demande  à  ses  serviteurs  ;  mais  il  s'anima  par  ces 
belles  paroles  :  «  Sors,  mon  âme,  que  crains-tu  ?  sors,  encore  une  fois  ; 
qu'est-ce  qui  t'arrête  ?.  Il  y  a  près  de  soixante-dix  ans  que  tu  sers  Jésus- 
Christ  et  tu  appréhendes  encore  la  mort?  »  Et,  en  achevant  ces  mots, 
plein  de  confiance  en  la  bonté  de  son  Sauveur,  il  expira.  On  exécuta  à 
l'heure  même  ce  qu'il  avait  ordonné,  et  on  sut  a  la  ville  son  enterrement 
aussitôt  que  sa  mort. 


492  21   OCTOBRE. 

Hésychius,  en  ayant  reçu  la  nouvelle,  se  rendit  en  diligence  à  son  ermi* 
tage,  résolu  d'enlever  secrètement  le  corps  de  son  cher  maître  pour  le 
transporter  en  Palestine.  Il  feignit  pour  cela  de  demeurer  dans  l'ermitage 
où  il  était  inhumé,  et  en  obtint  aisément  la  permission  ;  mais  au  bout  de 
dix  mois,  quand  les  habitants  de  l'île  ne  se  défiaient  nullement  de  lui,  il 
les  priva  de  ce  précieux  trésor.  Il  trouva  son  corps,  avec  ses  habits,  sans 
nulle  corruption  et  dans  le  même  état  qu'il  était  au  jour  de  sa  sépulture, 
et  il  s'en  exhalait  même  une  douce  odeur,  qui  montrait  assez  que  l'âme 
qui  avait  habité  dans  ce  domicile  Jouissait  déjà  du  bonheur  de  la  gloire 
éternelle.  Il  l'enferma  dans  un  cottre  de  bois,  et  le  transporta,  au  grand 
péril  de  sa  vie,  au  monastère  de  Mijume,  qui  était  sa  première  demeure. 
Saint  Jérôme  remarque  qu'une  verfueuse  dame  de  Paphos,  appelée  Cons- 
tance, dont  la  fille  et  le  gendre  avaient  été  préservés  de  la  mort  par  une 
huile  bénite  que  saint  Hilarion  lui  avait  donnée ,  apprenant  l'enlève- 
ment de  son  saint  corps,  mourut  subitement  de  déplaisir.  Elle  avait  cou- 
tume de  passer  les  nuits  entières  sur  son  tombeau  et  de  lui  demander  le 
secours  de  ses  prières,  avec  autant  de  familiarité  que  s'il  eût  été  encore 
vivant. 

Il  s'est  fait  tant  de  miracles  dans  ce  petit  jardin  de  l'île  de  Chypre  et 
à  son  sépulcre  en  Palestine,  que  les  habitants  de  ces  deux  provinces  ont 
toujours  eu  sujet  de  se  glorifier,  les  uns  de  posséder  son  esprit,  et  les  autres 
d'être  dépositaires  de  son  corps.  Il  décéda  l'an  de  grâce  372,  sous  l'empire 
de  Valentinien  le  Grand.  Le  martyrologe  romain  fait  mention  de  lui  en  ce 
jour;  et  il  fait  aussi  mention,  au  3  octobre,  de  saint  Hésychius,  son  disciple 
et  compagnon  de  ses  pèlerinages  :  ce  qui  montre  assez  que  l'enlèvement 
qu'il  fît  de  son  corps  ne  fut  pas  un  larcin,  mais  une  restitution  qu'il  voulait 
faire  de  ce  trésor  à  son  premier  monastère,  à  qui  il  appartenait  de  droit. 

Saint  Hilarion  est  représenté  :  1°  à  genoux,  priant  dans  sa  solitude  ; 
2°  battu  par  des  voleurs  qui  l'entraînent  hors  de  sa  cellule.  —  On  peut 
aussi  le  représenter  forçant  un  dragon  à  monter  sur  un  brasier  ardent  et 
à  s'y  brûler  ;  ou  encore  rendant  le  dernier  soupir,  entouré  de  ses  moines. 

Nous  avons  l'abrégé  de  la  vie  de  cet  excellent  Solitaire  dans  une  Epître  de  saint  Epiphane,  évêque  de 
Salatnine,  qui  avait  de  grandes  liaisons  avec  lui  ;  mais  nous  l'avons  plus  au  long  dans  un  livre  que  saint 
Jérôme  a  composé  exprès,  et  qu'il  envoya  ensuite  à  sainte  Aselle,  vierge  romaine.  C'est  de  ce  livre  que 
nous  avons  tiré  cette  biographie. 


SAINT  MALC  DE  MARONIE,  RELIGIEUX  CAPTIF 

378.  —  Pape  :  Saint  Damase.  —  Empereurs  romains  :  Valens  et  Gratien. 


L'obéissance  est  une  puissante  armure  contre  laquelle 
viennent  se  briser  tous  les  traits  de  l'ennemi. 
Jean  Trithème. 

Nous  verrons,  dans  cette  histoire,  le  danger  extrême  où  s'expose  un  re- 
ligieux qui  quitte  son  monastère  pour  rentrer  dans  le  monde,  et  de  quelle 
protection  extraordinaire  de  Dieu  il  a  besoin  pour  ne  pas  se  perdre  entière- 
ment, lorsqu'il  est  séparé  de  la  compagnie  de  ses  confrères.  Malc  était  du 


SAINT  MALG  DE  MARONIE,  RELIGIEUX  CAPTIF.  493 

bourg  de  Maronie,  en  Syrie,  distant  de  trente  milles  de  la  célèbre  ville 
d'Antioche.  Ses  parents,  riches  laboureurs,  n'ayant  que  lui  d'enfant  et  le 
regardant  comme  le  soutien  de  leur  famille,  voulurent  l'engager  dans  le 
mariage,  et  employèrent  pour  cela  les  caresses  et  les  menaces.  Mais,  bien 
loin  de  se  rendre  à  leurs  poursuites,  le  désir  de  garder  inviolablement  la 
chasteté  fit  qu'il  sortit  secrètement  de  chez  eux  et  qu'il  se  retira  au  désert 
de  Chalcis,  dans  une  communauté  de  saints  religieux  qui  étaient  sous  la 
conduite  d'un  abbé. 

Après  y  avoir  passé  quelques  années  avec  beaucoup  de  ferveur  dans  la 
pratique  de  la  pénitence  et  des  autres  vertus  monastiques,  il  apprit  la  mort 
de  son  père;  il  eut  alors  envie  de  faire  un  voyage  en  son  pays,  tant  pour  y 
consoler  sa  mère  dans  sa  viduité,  que  pour  faire  de  l'argent  des  biens  qui 
lui  étaient  échus  par  héritage,  afin  d'en  donner  une  partie  aux  pauvres,  une 
autre  à  son  monastère,  et,  par  une  infidélité  condamnable  dans  un  solitaire, 
de  s'en  réserver  quelque  peu  pour  ses  propres  besoins.  L'abbé  fit  son  pos- 
sible pour  lui  ôter  cette  fantaisie  de  l'esprit.  Il  lui  remontrait  que  c'était  là 
une  tentation  du  démon,  qui  voulait,  sous  ce  beau  prétexte,  lui  faire  perdre 
l'esprit  de  sa  vocation;  que  plusieurs  autres  religieux  avaient  déjà  été  sé- 
duits par  le  même  artifice.  Il  lui  apporta  là-dessus  plusieurs  exemples  tirés 
de  l'Ecriture  sainte,  et  de  l'Histoire  ecclésiastique,  oh  l'on  voit  le  malheur  de 
ceux  qui  quittent  Dieu  par  la  suggestion  du  serpent.  Enfin,  ne  pouvant  rien 
gagner  sur  lui  par  ses  remontrances,  il  se  jeta  à  ses  pieds  et  le  conjura  les 
larmes  aux  yeux  de  ne  le  point  abandonner,  et  de  ne  point  se  perdre  lui- 
même,  en  quittant  l'ouvrage  de  son  salut  qu'il  avait  si  généreusement  com- 
mencé. Mais  Malc,  qui  s'imaginait  que  le  saint  vieillard  ne  lui  faisait  toutes 
ces  instances  que  pour  sa  propre  consolation,  ne  voulut  jamais  changer  de 
résolution;  il  partit,  malgré  son  abbé,  assurant,  néanmoins,  qu'il  revien- 
drait au  plus  tôt.  Ce  bon  supérieur,  comme  un  véritable  pasteur,  suivit 
quelque  temps  son  disciple;  mais,  le  trouvant  toujours  inflexible,  il  le  quitta 
enfin,  lui  disant  ces  paroles  :  «  Je  vois  bien,  mon  fils,  que  le  démon  vous  a 
déjà  endurci  la  conscience  :  vous  n'avez  aucune  bonne  raison  pour  aban- 
donner votre  solitude,  et  il  ne  se  peut  faire  que  vous  ne  périssiez  bientôt; 
car  une  brebis  qui  se  sépare  de  la  bergerie  est  toujours  exposée  à  la  furie 
du  loup  ». 

Comme  il  fallait  passer  par  un 'désert  fort  dangereux,  où  les  Sarrasins 
faisaient  des  courses  continuelles,  les  voyageurs  se  réunissaient  plusieurs 
ensemble  et  faisaient  des  caravanes,  afin  d'être  plus  en  état  de  se  défendre 
contre  ces  barbares.  Le  pauvre  religieux  se  joignit  donc  à  une  troupe 
d'environ  soixante-dix  personnes  de  tout  âge  et  de  tout  sexe,  et  pour- 
suivit sa  route  en  leur  compagnie  ;  mais  à  peine  s'étaient-ils  avancés 
dans  les  bois,  qu'une  bande  d'Ismaélites,  montés  sur  des  chameaux  et  ar- 
més de  lances  et  de  flèches,  se  jetèrent  sur  eux  et  les  firent  tous  esclaves. 
Malc  échut  en  lot  à  l'un  de  ces  Arabes,  avec  une  femme  qui  avait  son  mari 
dans  la  compagnie;  on  les  mit  tous  deux  sur  des  chameaux  pour  aller  à  la 
maison  de  leur  maître;  ils  n'y  étaient  pas  tant  assis  que  suspendus,  et  le 
lait  de  ces  animaux  avec  de  la  chair  demi- cuite  était  toute  leur  nourriture. 
Lorsqu'ils  arrivèrent  chez  ce  barbare,  on  les  obligea,  selon  la  coutume,  de 
se  prosterner  devant  sa  femme  et  ses  enfants,  en  témoignage  de  leur  servi- 
tude; après  quoi,  on  les  appliqua  à  divers  ouvrages  :  Malc,  qu'on  mit 
presque  nu,  fut  destiné  à  la  garde  des  troupeaux;  il  s'en  acquitta  avec  beau- 
coup de  fidélité,  parce  qu'il  savait  la  leçon  de  saint  Paul,  qu'il  faut  honorer 
l'autorité  de  Dieu  dans  les  maîtres  temporels,  et  les  servir  comme  Jésus- 


494  21   OCTOBRE. 

Christ.  Cet  emploi  lui  donna  même  de  la  consolation  dans  son  malheur, 
parce  que,  comme  il  ne  l'obligeait  point  d'être  dans  la  maison  et  de  con- 
verser avec  les  autres  serviteurs,  il  lui  donnait  la  liberté  de  faire  son  oraison, 
de  chanter  des  psaumes  et  de  s'acquitter  des  exercices  de  la  vie  religieuse. 
Il  se  persuadait  donc  avoir  trouvé  dans  sa  captivité  l'état  qu'il  aurait  perdu 
dans  son  pays.  Mais  son  repos  ne  dura  pas  longtemps;  car  son  maître, 
voyant  que  son  bien  croissait  à  vue  d'œil  entre  ses  mains,  voulut  l'attacher 
plus  fortement  à  son  service  en  lui  faisant  épouser  la  femme  qui  avait  été 
faite  captive  avec  lui.  Malc  eut  beau  lui  représenter  qu'étant  chrétien,  il  ne 
pouvait  nullement  épouser  une  femme  dont  le  mari  était  encore  vivant,  le 
barbare,  sans  entendre  raison,  tira  son  épée  et,  levant  le  bras,  menaça  de 
le  massacrer  s'il  ne  faisait  à  l'heure  même  sa  volonté.  Tout  ce  que  put  faire 
ce  malheureux  captif  pour  éviter  la  mort,  ce  fut  de  tendre  les  bras  à  cette 
esclave  comme  s'il  la  prenait  pour  sa  femme,  avec  la  résolution,  néanmoins, 
de  perdre  plutôt  mille  vies  que  d'accomplir  cette  promesse. 

La  nuit  étant  venue,  il  la  mena  dans  sa  caverne  comme  si  elle  eût  été  sa 
femme.  Alors,  se  prosternant  en  terre,  il  commença  à  déplorer  son  malheur 
et  à  se  reprocher  à  lui-même  la  faute  qu'il  avait  commise  de  vouloir  retour- 
ner au  monde  et  de  résister  à  la  volonté  et  aux  sages  remontrances  de  son 
abbé.  Comme,  au  milieu  d'une  infinité  de  soupirs,  il  témoignait  qu'il  s'ôte- 
rait  plutôt  la  vie  que  de  perdre  le  trésor  de  sa  virginité,  cette  femme,  à  qui 
sa  captivité  avait  donné  un  grand  désir  de  vivre  chaste,  lui  dit  sagement 
qu'il  n'était  point  nécessaire  pour  cela  qu'il  s'ôtât  la  vie  ;  qu'elle  était  aussi 
éloignée  que  lui  de  consentir  à  ce  faux  mariage;  qu'ils  pouvaient  vivre  en- 
semble, à  l'insu  de  leur  maître,  comme  frère  et  sœur,  en  attendant  qu'il 
plût  à  Notre-Seigneur  de  les  secourir  et  de  les  délivrer.  Malc  fut  bien  sur- 
pris de  ce  discours,  et,  admirant  la  prudence  et  la  vertu  de  cette  femme,  il 
s'arrêta  au  conseil  qu'elle  lui  donna;  mais,  craignant  de  perdre  dans  une 
paix  apparente  ce  qu'il  avait  conservé  parmi  les  combats,  il  se  tint  toujours 
extrêmement  sur  ses  gardes,  veillant  avec  soin  même  sur  ses  yeux. 

Ils  passèrent  ainsi  beaucoup  de  temps  dans  les  bonnes  grâces  de  leur 
maître,  qui  se  persuadait  que  ce  mariage  leur  ôterait  toute  sorte  d'envie  de 
s'enfuir.  Mais  ce  religieux  pensait  continuellement  à  son  monastère,  et  ne 
pouvait  assez  regretter  la  vie  sainte  qu'il  y  avait  menée  avec  ses  confrères. 
Etant  un  jour  animé  par  l'exemple  d'un  tas  de  fourmis,  qu'il  voyait  tra- 
vailler avec  tant  de  courage  à  faire  leurs  provisions  pour  l'hiver,  il  résolut 
de  tenter  une  fuite,  qui,  après  tout,  ne  pouvait  lui  procurer  que  la  mort. 
Il  en  conféra  avec  son  épouse  prétendue,  et,  l'ayant  trouvée  de  son  avis,  il 
tua  deux  grands  boucs  de  son  troupeau,  en  prépara  la  chair  pour  la  pro- 
vision, et  en  disposa  les  peaux  pour  les  aider  à  passer  une  rivière  qu'ils  ren- 
contreraient en  chemin.  La  nuit  suivante,  ils  partirent  fort  secrètement, 
et,  ayant  passé  l'eau  à  la  faveur  de  ces  peaux,  ils  firent  toutes  les  diligences 
possibles  pour  se  rendre  au  plus  tôt  sur  les  terres  de  l'empire  romain.  Au 
bout  de  trois  jours,  regardant  derrière  eux,  ils  aperçurent  leur  maître  avec 
un  serviteur,  montés  sur  des  chameaux,  qui  venaient  après  eux.  La  crainte 
et  l'effroi  les  saisirent,  et  ils  se  crurent  entièrement  perdus,  d'autant  plus 
que  les  vestiges  qu'ils  imprimaient  sur  le  sable  les  trahissaient  et  faisaient  dé- 
couvrir tous  les  lieux  par  où  ils  marchaient.  Cependant,  voyant  une  caverne 
à  leur  droite,  ils  se  jetèrent  dedans,  et,  parce  qu'ils  craignaient  qu'en  allant 
bien  avant  ils  ne  fussent  piqués  par  des  animaux  venimeux  dont  ces  pays 
brûlants  sont  remplis,  ils  se  mirent  seulement  à  l'entrée  du  côté  gauche, 
«'abandonnant  entièrement  aux  dispositions  de  la  divine  Providence.  Ce- 


SAINT  MÀLG  DE  MARONIE,  RELIGIEUX  CAPTIF.  49." 

pendant  leur  maître,  qui  suivait  leurs  pas,  arriva  à  l'ouverture  de  la  caverne, 
et,  tenant  l'épée  à  la  main,  prêt  à  les  frapper,  il  ordonna  à  son  serviteur  d'y 
entrer  pour  les  faire  sortir.  Celui-ci  entra  bien  avant  sans  les  apercevoir, 
criant  d'une  voix  terrible  :  «  Sortez,  misérables,  sortez  d'ici;  votre  maître 
vous  attend  pour  vous  punir  selon  votre  mérite  ».  Le  grand  bruit  qu'il  fit 
irrita  une  lionne  qui  était  au  fond  de  l'antre  :  elle  se  jeta  sur  lui,  et  l'ayant 
étranglé,  elle  l'entraîna  tout  sanglant  pour  servir  de  pâture  à  ses  lionceaux. 
Nos  fugitifs,  à  ce  spectacle,'  balançaient  entre  la  crainte  et  la  joie,  parce 
que,  d'un  côté,  ils  voyaient  périr  celui  qui  cherchait  leur  mort,  et  que 
de  l'autre,  ils  appréhendaient  que  cet  animal  ne  leur  fît  le  même  trai- 
tement qu'il  avait  fait  à  ce  cruel  persécuteur.  Leur  maître,  ne  voyant  point 
sortir  son  esclave,  s'imagina  qu'ils  s'étaient  jetés  sur  lui,  et  que  deux  l'em- 
portant contre  un  seul,  ils  lui  faisaient  quelque  mauvais  traitement;  ainsi 
il  entra  tout  furibond  dans  la  caverne  pour  se  venger,  par  lui-même,  de 
leur  infidélité  et  de  leurs  violences.  Mais  à  peine  y  eut-il  mis  le  pied,  que 
la  lionne  se  saisit  de  lui,  l'égorgea,  le  mit  en  pièces  et  en  fit  sa  proie. 

Quelle  fut  alors  la  consolation  de  ces  pauvres  captifs,  de  se  voir  délivrés 
de  la  rage  de  ces  deux  barbares  ?  mais  quelle  fut  en  même  temps  leur 
frayeur  dans  le  danger  presque  évident  de  périr  de  la  même  manière  qu'ils 
étaient  morts  ?  Gomme  ils  attendaient  sans  oser  respirer  ce  qui  devait  leur 
arriver,  la  lionne,  qui  se  crut  découverte,  prit  ses  petits  dans  sa  gueule  et 
les  transporta  ailleurs,  cédant  ainsi  la  place  aux  chastes  serviteurs  de  Jésus- 
Christ.  Lorsqu'ils  eurent  attendu  quelque  temps  dans  la  crainte  qu'elle  ne 
revînt,  ils  sortirent  de  la  caverne,  et,  montant  sur  les  chameaux  de  leur 
maître  qu'ils  trouvèrent  chargés  de  provisions,  ils  continuèrent  leur  route 
et  arrivèrent,  au  bout  de  dix  jours  de  fuite,  sur  les  terres  de  l'empire 
romain.  Ayant  raconté  toute  leur  aventure  au  tribun  de  la  première  garni- 
son, et  ensuite  au  gouverneur  de  la  Mésopotamie,  ils  vendirent  leurs  cha- 
meaux pour  avoir  de  quoi  achever  leur  voyage.  Malc,  apprenant  que  son 
abbé  était  mort,  se  joignit  à  d'autres  religieux  et  mit  son  épouse  prétendue 
dans  une  compagnie  de  vierges.  Depuis,  il  l'aima  toujours  comme  sa  sœur, 
mais  il  ne  s'y  fia  pas  comme  à  une  sœur.  Il  vécut  avec  tant  de  sainteté,  que 
ceux  qui  le  connaissaient  en  dirent  des  merveilles  à  saint  Jérôme.  Ce  saint 
docteur  lui  parla  lui-même  et  à  cette  femme,  et  apprit  de  leur  bouche  ce 
qu'il  en  a  écrit. 

Il  finit  leur  histoire  en  ces  termes  :  «  Voilà  ce  que  le  vieillard  Malc  m'a 
raconté  lorsque  j'étais  encore  jeune,  et  maintenant  que  je  suis  vieux,  je  le 
raconte  aux  autres  personnes  chastes,  priant  les  vierges  de  conserver  leur 
intégrité,  et  chacun  de  mes  lecteurs  d'informer  la  postérité  de  ces  mer- 
veilles, afin  que  tout  le  monde  sache  que  la  pudicité  ne  peut  être  captive, 
qu'elle  ne  cède  ni  aux  épées  des  hommes  ni  aux  dents  des  bêtes  farouches, 
et  que  celui  qui  s'est  dévoué  à  Jésus-Christ  peut  bien  mourir,  mais  ne  peut 
jamais  être  vaincu  ». 

Le  martyrologe  romain  fait  mémoire  en  ce  jour  de  saint  Malc.  Il  ne  faut 
pas  le  confondre  avec  un  religieux  nommé  Malachien,  dont  parle  Sozo- 
mène  au  livre  sixième  de  son  Histoire,  chapitre  xxxn8,  quoique  leurs  actes 
se  ressemblent  en  plusieurs  choses,  et  qu'ils  aient  vécu  dans  le  même  siècle. 
On  peut  inférer  de  ce  qu'en  dit  saint  Jérôme,  qu'il  mourut  vers  l'an  378. 

On  le  représente  gardant  les  troupeaux  de  son  maître.  A  ses  pieds  sont 
plusieurs  fourmis  qui  semblent  attirer  l'attention  du  Saint. 

Saint  Jérdme,  Vie  des  Maints  ermites,  livre  *•*, 


496  21  OCTOBRE, 


SAINTE  URSULE  ET  SES  COMPAGNES, 

VIERGES  ET  MARTYRES  A  COLOGNE 
383.  —  Pape  :  Saint  Damase.  —  Empereur  romain  :  Gratien. 


O  virginité,  tu  es  une  perle  précieuse,  inconnue  do 
la  foule,  qui  ne  te  donnes  qu'a  un  petit  nombre 
d'âmes  choisies. 

Saint  Athanase  le  Grand. 

Ursule,  d'après  une  légende  découverte  dans  la  bibliothèque  du  Vatican, 
par  le  cardinal  Baronius,  et  consignée  dans  le  bréviaire  des  Bénédictins, 
naquit  dans  la  Grande-Bretagne,  de  parents  chrétiens.  Son  père,  Dionatus 
ou  Dionétus,  surnommé  Maurus,  était  roi  de  Cornubie,  en  Ecosse.  Sa  mère 
se  nommait  Daria.  Ursule  était  aussi  remarquable  par  sa  beauté  que  pai 
ses  vertus,  ce  qui  létermina  Agrippinus,  prince  voisin,  à  la  demander  en 
mariage  pour  son  fils  Conanus  ;  mais  Conanus  était  païen,  et,  d'un  autre 
côté,  celle  qu'il  désirait  pour  épouse  avait  voué  à  Jésus-Christ  son  cœur  et 
toutes  ses  affections. 

Cependant  l'empereur  Gratien  avait  succédé  à  son  père,  Valentinien  Ier. 
Objet  de  la  jalousie  de  Flavius-Clément-Maxime ,  général  en  chef  des 
légions  romaines  stationnées  dans  la  Grande-Bretagne,  il  devait  plus  tard 
tomber  sous  le  poignard  d'Androgatius,  qui  commandait  sous  les  ordres  de 
ce  dernier. 

Maxime,  profitant  des  mauvaises  dispositions  des  légions  cantonnées 
dans  les  Gaules  à  l'égard  de  Gratien,  se  fit  proclamer  empereur  par  ses  sol- 
dats, et  envoya  vers  ces  légions  une  partie  de  ses  troupes,  qui  furent  reçues 
avec  bienveillance.  Dans  le  but  d'affermir  son  pouvoir,  il  passa  lui-même 
en  Armorique,  en  chassa  les  anciens  colons,  et,  pour  s'attacher  davantage 
les  soldats  romains,  il  leur  partagea  ces  fertiles  pays. 

Régulus  fut  chargé  du  commandement  de  l'Armorique.  Il  pensa,  d'après 
le  conseil  de  Conanus,  un  des  chefs  placés  sous  ses  ordres,  qu'il  fallait  son- 
ger à  fonder  une  colonie  sérieuse;  et,  pour  cela,  il  envoya  des  ambassa- 
deurs dans  la  Grande-Bretagne,  afin  de  demander  un  certain  nombre  de 
jeunes  filles  pour  les  marier  avec  les  soldats  romains.  Conanus  espérait 
peut-être  qu'Ursule  serait  du  nombre,  car  il  n'avait  pas  oublié  celle  qu'il 
cousidérait  toujours  comme  sa  fiancée. 

Les  ambassadeurs  réussirent  dans  leur  mission:  leur  demande  fut  favo- 
rablement accueillie,  soit  par  le  désir  qu'on  avait  d'être  agréable  au  nouvel 
empereur,  soit  par  l'espoir  qu'avaient  les  parents  de  voir  leurs  filles  possé* 
der  les  riches  héritages  distribués  aux  soldats. 

Parmi  le  nombre  considérable  des  jeunes  filles  destinées  à  ces  alliances, 
la  plus  distinguée  était  Ursule;  elle  était,  pour  nous  servir  de  l'expression 
de  Ribadeneira,  la  colonelle  de  cette  phalange  de  vierges.  Loin  de  partager 
l'enthousiasme  de  leurs  parents,  ces  vierges  chrétiennes  opposèrent  une 
sérieuse  résistance  quand  il  s'agit  de  quitter  Londres,  où  on  les  avait  réu- 
nies; on  employa  la  force  pour  les  placer  sur  les  vaisseaux  disposés  à  cet 


SAINTE  URSULE  ET  SES  COMPAGNES,  VIERGES  ET  MARTYRES  A  COLOGNE.    497 

effet,  et  bientôt  elles  virent  fuir  derrière  elles  les  côtes  de  la  Grande-Bre- 
tagne. Cependant  une  violente  tempête  empêcha  les  navires  d'aborder  en 
Armorique  :  ils  allèrent  échouer  sur  les  côtes  de  la  Germanie. 

Ces  contrées  étaient  alors  occupées  par  les  Huns  (on  donnait  ce  nom 
à  toutes  les  hordes  de  Barbares).  Ces  peuples,  ne  songeant  qu'à  satisfaire 
leurs  brutales  passions,  se  précipitèrent  sur  ces  jeunes  victimes;  mais 
celles-ci  ne  balancèrent  pas  à  opposer  une  vigoureuse  résistance  pour 
défendre  leur  virginité,  et  il  y  eut  un  véritable  combat,  dans  lequel  Ursule 
mourut  percée  d'une  flèche;  toutes  ses  compagnes  furent  massacrées. 
Leur  martyre  eut  lieu  vers  383. 

Sainte  Ursule  est  représentée  :  1°  couvrant  de  son  manteau  plusieurs 
personnes  pieuses,  ou  peut-être  les  compagnes  de  son  martyre  ;  2°  massa- 
crée avec  ses  compagnes  ;  3°  tenant  un  glaive  ;  4°  tenant  une  palme,  un 
livre  et  une  flèche  ;  5°  debout,  tenant  une  palme  et  un  cœur,  traversé  d'une 
flèche.  En  l'air  un  ange  tient  une  roue,  un  autre  une  couronne.  Dans  le 
fond,  les  compagnes  de  la  Sainte  tenant  des  palmes. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Les  habitants  de  Cologne  enterrèrent  avec  honneur  les  dépouilles  mortelles  de  ces  saintes 
vierges.  Déjà,  au  vu0  siècle,  une  église  était  élevée  sur  le  lieu  même  où  reposaient  leurs  corps  ; 
le3  chroniques  du  pays  rapportent  un  prodige  qui  y  arriva  pendant  que  saint  Cunibert,  évêque,  y 
célébrait  les  saints  mystères. 

Une  colombe  d'une  blancheur  éclatante  vint  se  reposer  sur  la  tête  du  pontife,  puis  alla  s'abattre 
ensuite  au  lieu  même  où  reposait  le  corps  de  sainte  Ursule.  On  creusa  en  cet  endroit,  et  on  décou- 
vrit bientôt  une  tombe  avec  cette  inscription  :  Sancta  Ursula,  regina. 

On  montre  dans  l'église  de  Sainte-Ursule,  de  Cologrfe,  non-seulement  Je  tombeau  de  la  Sainte, 
mais  encore  la  flèche  dont  elle  a  été  percée. 

Quant  à  ses  compagnes,  leurs  corps  furent  recueillis  et  placés  avec  honneur  dans  les  murailles 
mêmes  de  l'église,  qui  devint  ainsi  un  vaste  reliquaire  ;  on  voit  encore  aujourd'hui,  dans  la  région 
absidale,  jusqu'à  mille  sept  cent  soixante  têtes  richement  décorées  de  velours  cramoisi  enrichi  d'or. 
Si  de  l'église  on  passe  à  la  chambre  d'or  qui  lui  est  contiguë,  on  retrouve  d'innombrables  re- 
liques, non  comprises  les  six  cent  douze  tètes  qui  garnissent  tout  l'intérieur  des  murs  de  cette 
chapelle,  et  les  bustes  dorés  renfermant  les  restes  précieux  d'autres  compagnes  de  sainte  Ursule 
et  d'autres  Martyrs. 

Il  est  facile  de  se  convaincre  que  plusieurs  d'entre  elles  avaient  emprunté  leurs  noms  aux 
vierges  les  plus  célèbres  de  la  primitive  Eglise  ;  on  y  remarque  une  autre  sainte  Ursule,  nièce  de 
la  première,  une  sainte  Catherine,  sainte  Clémence,  sainte  Marguerite,  sainte  Julienne,  sainte  So- 
phie, sainte  Théodore,  sainte  Christine,  sainte  Eugénie,  sainte  Aurélie,  etc. 

Outre  les  reliques  conservées  à  Cologne,  nous  savons  qu'un  grand  nombre  de  villes  se  glori- 
fient de  posséder  les  chefs  ou  les  ossements  d'autres  compagnes  de  sainte  Ursule.  En  effet,  quand 
on  fit  la  translation  des  corps  de  ces  saintes  Martyres,  on  ne  craignit  pas  d'en  gratifier  les  villes 
et  les  contrées  voisines  ;  les  églises  d'Allemagne,  d'Angleterre,  d'Espagne,  d'Italie,  de  France  et  de 
Belgique,  s'empressèrent  de  s'enrichir  de  ces  pieux  trésors.  La  seule  ville  de  Paris,  avant  la  Révo- 
lution de  1193,  possédait  dans  différentes  églises  vingt-trois  tètes  des  compagnes  de  sainte  Ursule. 

La  découverte  et  la  translation  des  reliques  de  sainte  Ursule  et  de  ses  compagnes  auraient  eu 
lieu  à  deux  époques,  si  on  en  croit  les  historiens  ecclésiastiques  du  pays  ;  d'abord  au  vne  siècle, 
vers  640,  par  saint  Cunibert,  évêque  de  Cologne  ;  plus  tard,  en  1156,  Gerlac,  abbé  de  Duitz, 
d'après  l'autorisation  de  saint  Annou,  évêque  de  Cologne,  fit  de  nouvelles  fouilles  et  découvrit  un 
grand  nombre  de  nouveaux  corps  saints,  renfermés  dans  des  tombeaux  dont  plusieurs  portaient 
des  inscriptions.  Depuis  cette  époque,  le  culte  de  sainte  Ursule  et  de  ses  compagnes  s'étendit 
davantage.  Au  ime  siècle,  la  Sorbonne  l'adopta  pour  sa  patronne,  les  Universités  de  Coïmbres,  en 
Portugal,  et  de  Vienne,  en  Autriche,  imitèrent  l'Université  de  Paris. 

Extrait  de  VHagiologie  Nivernaise,  par  Mgr  Crosnier. 


vres  des  Saints.  —  Tome  XII.  32 


498  21   OCTOBRE. 


SAINT  WALFROY  \  DIACRE  ET  STYLITE  D'OCCIDENT 

SOLITAIRE  A  CARIGNAN,  AU  DIOCÈSE  DE  REIMS 
595.  —  Pape  :  Saint  Grégoire  le  Grand.  —  Roi  d'Austrasie  et  de  Bourgogne  :  Childebert  II. 


Ecce  elongavi  fugiens  et  wiansi  in  soliiudine. 
Voilà    que  j'ai   précipité   ma   fuite   et  établi  ma 
demeure  dans  le  désert. 

Psaume,  liv,  7. 

Saint  Grégoire,  évêque  de  Tours,  écrivain  célèbre  du  vitt  siècle  et  père 
de  l'histoire  des  Francs,  lit  en  585  un  voyage  à  Coblentz,  où  Childebert,  roi 
d'Austrasie,  tenait  sa  cour.  Il  passa  par  Ivoy  2,  et  y  vit  saint  Walfroy. 
Frappé  des  vertus  qui  brillaient  en  ce  saint  homme,  il  résolut  de  ne  point 
le  quitter  sans  avoir  vu  sa  demeure.  Us  se  rendirent  donc  ensemble  à  la 
montagne  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  du  Saint.  Après  avoir  visité  le 
monastère  et  l'église,  l'illustre  voyageur  voulut  savoir  du  saint  anachorète 
lui-même  toutes  les  particularités  de  sa  vie  :  or,  c'est  à  ce  grand  écrivain 
que  nous  devons  surtout  ce  que  nous  savons  de  la  vie  de  saint  Walfroy. 

Saint  Walfroy,  lombard  d'origine,  naquit  de  parents  chrétiens  au  com- 
mencement du  vie  siècle.  Il  donna  dès  sa  plus  tendre  enfance  des  marques 
non  équivoques  de  ce  que  la  grâce  devait  un  jour  opérer  en  lui  de  vertus 
éminentes  et  de  haute  perfection.  Gomme  il  avait  souvent  entendu  parler 
de  saint  Martin  qui  était  alors  comme  aujourd'hui  en  vénération  singulière, 
il  conçut  pour  ce  Saint  une  grande  dévotion.  «  J'étais  encore  enfant  »,  dit- 
il,  «  lorsque  j'entendis  prononcer  le  nom  du  bienheureux  Martin.  Je  ne 
savais  si  c'était  un  martyr  ou  un  confesseur,  ni  quel  pays  avait  le  bonheur 
de  posséder  le  tombeau  où  reposait  son  corps,  et  déjà  je  célébrais  des  veilles 
en  son  honneur  ». 

Mais  saint  Walfroy  comprit  de  bonne  heure  qu'il  ne  suffit  pas  d'admirer 
les  vertus  d'un  Saint,  mais  que  l'on  doit  surtout  travailler  à  marcher  sur 
ses  traces.  Ayant  pris  saint  Martin  pour  son  protecteur  et  son  modèle,  il 
s'étudia  à  copier  les  traits  les  plus  saillants  de  sa  vie.  A  son  exemple,  il 
mettait  son  bonheur  à  distribuer  aux  pauvres  ce  qu'il  pouvait  recueillir 
d'argent  :  c'est  le  verre  d'eau  qui,  donné  au  nom  de  Jésus- Christ,  se  rem- 
plit des  dons  célèbres.  Un  de  ces  plus  beaux  dons  accordés  au  jeune  Walfroy 
fut  une  prédilection  pour  le  jeûne  et  la  mortification.  Sa  fidélité  à  cette 
grâce  dans  un  âge  aussi  tendre  dut  être  bien  agréable  à  Dieu  ;  cet  essai  de 
vie  pénitente  fut  sans  doute  l'heureux  prélude  de  ses  grandes  austérités. 
Car  il  est  une  vérité  incontestable,  c'est  que  les  habitudes  de  l'enfance  de- 
viennent celles  de  nos  vieux  jours.  Il  importe  que  dès  ses  plus  jeunes 

1.  Alias  :  Valfroie,  Wah'roie,  Wulfilaic,  Walfraye,  Vulfe,  Wolf,  Ouflay,  Vulfilaïcus,  Wulfilaïcus. 

2.  Aujourd'hui  Carignan,  chef-lieu  de  canton  du  département  des  Ardennes,  à  17  kilomètres  sud-est 
de  Sedan,  sur  le  Chiers  ;  1644  habitants.  Cette  ville  se  nommait  d'abord  Yvoy  ;  elle  reçut  le  nom  de  Cari- 
gnan lorsque  Louis  XIV  l'eut  érigée  en  duché-pairie  en  faveur  d'une  branche  cadette  de  Savoie-Carignan 
(Piémont),  dont  le  chef  s'était  établi  en  France  et  avait  épousé  Mario  do  Bourbon,  comtesse  de  Soissons 
La  maison  de  Carignan  rfegoe  aujourd'hui  en  Saidaign». 


SAINT  WALFROY,  DIACRE  ET  STYL1TE  D'OCCIDENT.  499 

années  l'enfant  chrétien  se  donne  tout  entier  à  la  vertu  ;  c'est  parce  que 
Walfroy,  comme  le  jeune  Samuel,  a  toujours  été  prêt  à  suivre  les  mouve- 
ments de  la  grâce,  que  celle-ci  a  fait  en  lui  des  miracles  de  vertus. 

Ignorant  le  lieu  où  reposaient  les  reliques  de  saint  Martin,  et  désireux 
de  plus  en  plus  de  trouver  ce  trésor  si  cher  à  sa  piété,  Walfroy  quitte  sa 
famille  et  sa  patrie,  part  pour  la  France,  arrive  aux  environs  de  Limoges, 
et  se  rend  d'abord  au  monastère  de  Saint- Yrieix,  autrement  nommé  Arédius, 
du  nom  de  son  fondateur.  L'intention  du  jeune  Walfroy  avait  été,  en  en- 
treprenant ce  voyage,  de  satisfaire  seulement  sa  dévotion  envers  saint 
Martin.  Mais  Dieu  avait  ses  desseins  sur  cette  âme  privilégiée,  il  voulait  en 
faire  un  homme  apostolique.  Imitateur  des  vertus  de  l'apôtre  des  Gaules , 
Walfroy  le  sera  encore  de  ses  travaux. 

En  étudiant  les  belles-lettres,  Walfroy  s'attacha  à  Arédius,  et  se  mit 
sous  sa  direction.  Ce  saint  abbé  s'était  depuis  peu  éloigné  de  la  cour  de 
Théodebert,  roi  d'Austrasie,  pour  mener  dans  son  pays  natal  une  vie  plus 
retirée  et  plus  pénitente  :  ni  la  place  de  chancelier  qu'il  occupait  à  cette 
cour,  ni  l'estime  et  l'affection  dont  l'honorait  ce  prince,  ne  purent  le  dé- 
tourner de  sa  résolution.  Un  maître  si  détaché  des  choses  de  ce  monde 
était  bien  capable  de  guider  un  tel  disciple  dans  la  voie  de  la  perfection. 
Arédius  mit  tous  ses  soins  à  instruire  le  jeune  Walfroy  des  vérités  delà  re- 
ligion et  à  former  son  cœur  à  la  vertu.  Il  n'ignorait  pas  que  son  disciple 
avait  une  grande  dévotion  pour  saint  Martin,  et  qu'il  désirait  ardemment 
visiter  son  tombeau  ;  il  lui  promit,  en  récompense  de  son  application  à 
l'étude,  de  le  conduire  lui-même  à  Tours  où  se  trouvaient  les  restes  précieux 
du  Bienheureux. 

Arédius,  en  effet,  après  avoir  donné  ses  ordres  pour  le  gouvernement 
de  son  monastère  durant  son  absence,  prit  son  jeune  élève  et  le  conduisit 
au  tombeau  de  saint  Martin.  Là  ils  donnèrent  l'un  et  l'autre  un  libre  cours 
à  leur  piété  et  à  leur  ferveur.  Walfroy  surtout  ne  pouvait  se  lasser  d'honorer 
et  d'invoquer  un  Saint  dont  il  avait  les  reliques  sous  les  yeux,  et  qu'il  dé- 
sirait voir  depuis  si  longtemps.  Il  aurait  bien  souhaité  passer  le  reste  de 
ses  jours  en  cet  endroit,  mais  le  saint  abbé  qui  l'y  avait  conduit,  compre- 
nait que  son  devoir  le  rappelait  dans  son  monastère.  Cependant  il  voulut, 
avant  de  partir,  lui  faire  connaître  toute  l'étendue  de  la  vénération  qu'il 
avait  lui-même  pour  le  saint  patron  de  la  Touraine  :  ayant  pris  un  peu  de 
poussière  de  son  tombeau,  il  la  mit  dans  un  reliquaire  qu'il  suspendit  au 
cou  du  jeune  Walfroy.  Lorsqu'ils  furent  arrivés  au  monastère,  Arédius  prit 
le  reliquaire  avec  respect,  et  le  plaça  dans  son  oratoire.  Dieu,  qui  se  plaît  à 
fortifier  la  foi  des  justes,  avait  opéré  un  miracle  ;  ce  peu  de  poussière  était 
tellement  augmentée  que  non-seulement  elle  remplissait  la  capacité  du  re- 
liquaire, mais  qu'elle  se  répandait  par  les  jointures.  Saisi  d'admiration  à  la 
vue  de  ce  prodige,  le  maître  et  le  disciple  se  mirent  à  remercier  Dieu  et  à 
chanter  les  louanges  de  saint  Martin.  «  Ce  miracle  »,  dit  saint  Walfroy, 
«  éclaira  mon  esprit  d'une  lumière  plus  vive,  et  confirma  toute  ma  con- 
fiance dans  les  mérites  du  Saint  ». 

Walfroy  résolut  dès  ce  moment  de  se  consacrer  au  service  de  Dieu  ;  il 
s'en  ouvrit  à  Arédius  qu'il  regardait  avec  raison  comme  son  guide  dans  les 
voies  du  salut.  Loin  de  l'en  détourner,  le  saint  abbé  l'encouragea  à  suivre 
Tattrait  de  sa  vocation.  Après  avoir  pris  les  avis  de  ce  maître  respectable 
sur  le  genre  de  vie  qu'il  devait  embraser,  il  quitta  le  Limousin  pour  se 
rendre  dans  le  diocèse  de  Trêves,  où  Arédiub  lui-même  avait  été  formé  à 
la  vertu  par  saint  Nicet. 


500  21   OCTOBRE. 

Il  ne  put  voir  sans  gémir  une  partie  de  ce  pays  *  encore  livré  au  culte 
de  l'idolâtrie.  C'était  trop  peu  pour  son  zèle  qu'une  compassion  stérile  ;  il 
résolut  de  travailler  activement  à  la  conversion  de  ces  infidèles.  Mais  qu'é- 
tait-il pour  administrer  le  pain  de  la  parole  ?  La  vertu  ne  suffit  pas,  il  faut 
être  envoyé,  il  faut  aux  ouvriers  du  Seigneur  une  mission  reconnue  et  lé- 
gitime ;  il  s'adressa  donc  à  saint  Magneric,  alors  archevêque  de  Trêves,  qui 
lui  conféra  le  pouvoir  de  prêcher  en  l'élevant  à  l'ordre  du  diaconat. 

Saint  Walfroy  devait,  dans  les  desseins  de  Dieu,  partager  avec  d'autres 
courageux  apôtres  la  glorieuse  mission  de  convertir  les  peuples  de  la  Gaule- 
Belgique.  Saint  Sixte  et  saint  Sinice,  et  après  eux  saint  Euchaire  de  Trêves, 
et  saint  Memmie  de  Châlons  avaient,  dès  les  temps  apostoliques,  ouvert  la 
yoie  à  la  conversion  de  ces  infidèles.  Saint  Rufin  et  saint  Valère  vinrent 
ensuite  étendre  ces  premières  conquêtes.  Saint  Martin  lui-même,  appelé  à 
si  juste  titre  l'apôtre  des  Gaules,  ayant  été  envoyé  à  Trêves  par  Théodose, 
catéchisait  les  peuples  qui  étaient  sur  sa  route  ;  et  par  l'éclat  des  miracles 
qui  accompagnaient  ses  prédications,  il  avait  le  bonheur  de  voir  beaucoup 
de  païens  se  convertir,  et  de  détruire  les  idoles  qui  existaient  encore  dans 
plusieurs  endroits.  Saint  Rémi,  le  plus  célèbre  de  tous,  avait  parla  conver- 
sion du  roi  Clovis  porté  un  coup  terrible  à  l'idolâtrie  dans  les  Gaules.  C'est 
à  la  suite  de  ces  généreux  et  héroïques  soldats  de  Jésus-Christ  que  saint 
Walfroy  a  résolu  d'anéantir  ce  qui  restait  encore  du  paganisme  dans  ces 
contrées  2. 

Sur  la  plus  haute  des  montagnes  dont  le  sommet  domine  la  riche  vallée 
de  la  Chiers  était  une  idole  de  la  grande  Diane  ardennaise.  C'est  à  cette 
infâme  divinité  que  les  peuples  voisins  venaient  en  foule  adresser  leurs 
hommages  et  leurs  adorations.  Ce  sera  sur  cette  montagne  devenue  à 
jamais  célèbre,  et  non  loin  de  la  colossale  idole  3  que  notre  Saint  viendra 
élever  sa  tribune  sacrée,  attaquant  ainsi  l'erreur  à  sa  source  même.  Il  ne 
demeura  pas  longtemps  seul  sur  la  montagne  ;  la  réputation  de  sainteté 
dont  il  jouissait  lui  attira  bientôt  des  compagnons  qui,  à  son  exemple  et 
sous  sa  direction,  embrassèrent  la  vie  cénobitique.  Aidé  du  roi  Childebert, 
il  y  fit  bâtir  un  monastère,  et  une  église  en  l'honneur  de  saint  Martin,  dont 
saint  Magneric  vint  faire  la  dédicace. 

Cependant  le  saint  anachorète  ne  perdait  pas  de  vue  la  conversion  des 
peuples  idolâtres  qui  venaient  adorer  l'idole  de  Diane.  Il  conjurait  le  Sei- 
gneur de  dissiper  leurs  ténèbres,  et  de  faire  luire  à  leurs  yeux  le  soleil  de 
justice.  Une  prière  continuelle,  des  jeûnes  excessifs,  une  pénitence  très- 
austère  donnaient  à  sa  parole  plus  que  de  l'éloquence.  Ce  genre  de  vie 
était  pour  ces  peuples  grossiers  et  livrés  à  toutes  les  débauches  un  tableau 
où  se  reflétaient  les  plus  héroïques  vertus,  qui  contrastaient  étrange- 
ment avec  leurs  mœurs  si  profondément  corrompues.  Ces  rigides  vertus 
de  l'homme  de  Dieu,  unies  à  la  douceur  évangélique  et  aidées  de  l'inef- 
fable puissance  de  la  grâce,  étaient  bien  de  nature  à  frapper  ces  enfants 
de  l'erreur  ;  cette  vie  extraordinaire  du  saint  anachorète  était  une  prédi- 
cation continuelle  en  faveur  de  la  foi.  Car  quel  autre  que  le  vrai  Dieu 
aurait  pu  montrer  au  monde  le  miracle  incessant  d'une  force  surhumaine  ? 

1.  Aujourd'hui  annexée  au  diocèse  de  Reims. 

2.  Le  paganisme  régnait  encore  particulièrement  dans  la  région  de  l'Ardenne.  Situé  aux  confins  des 
diocèses  de  Reims,  de  Trêves  et  de  Tongres,  éloigné  de  ces  villes,  qui  étaient  des  centres  du  christia- 
nisme, ce  pays  n'avait  encore  reçu  que  faiblement  la  lumière  de  l'Evangile,  et  les  statues  des  faux  dieux 
y  étaient  encore  debout.  —  Prégnon,  Histoire  de  Sedan,  ch.  i,  p.  22. 

9.  Illud  Dianse  immensum  siinulacrum.       <}uil.  Willbeim,  Historia  Laxemburgensis. 


SATNT  WALFR0Y,  DIACRE  ET  STYLITE  D'OCCIDENT.  501 

Saint  Walfroy,  après  l'entière  conversion  des  peuples  situés  au  sud  du 
diocèse  de  Trêves,  se  livra  aux  pieux  exercices  de  la  vie  cénobitique.  Il  y 
avait  déjà  plus  de  vingt  ans  qu'il  menait  ce  genre  de  vie,  quand  il  fut  visité, 
comme  nous  l'avons  dit,  par  Grégoire  de  Tours.  Ce  prélat,  aussi  distingué 
par  son  savoir  que  par  sa  sainteté,  ne  se  bornait  pas  dans  ses  voyages  à 
observer  les  choses  avec  une  curiosité  stérile  et  frivole  ;  son  but  était,  en 
s'instruisant  lui-même,  d'être  utile  à  la  postérité  ;  il  pria  donc  le  saint 
diacre  de  lui  raconter  quel  était  son  genre  de  vie  sur  cette  montagne. 
L'humble  anachorète  ne  put  d'abord  se  résoudre  à  donner  cette  satisfac- 
tion au  savant  évêque  ;  «  dispensez-moi,  je  vous  prie  »,  lui  dit-il,  «  de  vous 
donner  les  détails  que  vous  me  demandez  ».  Il  résista  longtemps,  mais 
saint  Grégoire  de  Tours  le  conjura  avec  tant  d'instance,  et  le  pressa  si 
vivement  de  lui  accorder  cette  satisfaction,  qu'il  se  rendit  enfin.  Voici  com- 
ment Grégoire  de  Tours  raconte  lui-même,  dans  son  Histoire  des  Francs,  le 
mémorable  entretien  qu'il  eut  avec  saint  Walfroy  : 

«Je  trouvai  sur  la  montagne  où  nous  sommes  »,  dit  saint  Walfrey, 
«  une  statue  de  Diane  que  les  habitants,  encore  païens,  adoraient  comme 
une  divinité.  Moi,  de  mon  côté,  j'élevai  une  colonne  sur  laquelle  je  me 
tenais  pieds  nus  avec  d'horribles  souffrances.  Pendant  l'hiver,  j'étais  saisi 
d'un  tel  froid  que  les  ongles  de  mes  pieds  se  fendaient  et  tombaient  d'eux- 
mêmes,  et  l'eau  de  la  pluie  qui  coulait  sur  ma  barbe  s'y  gelait  et  en  pendait 
en  forme  de  chandelles *.  Ma  nourriture  était  un  peu  de  pain  et  des  lé- 
gumes, et  ma  boisson  de  l'eau.  Cependant  j'éprouvai  une  grande  satisfac- 
tion au  milieu  de  mes  austérités. 

«  Lorsque  je  vis  les  peuples  venir  à  ma  colonne,  je  leur  prêchai  que 
Diane,  ses  idoles,  et  le  culte  qu'on  lui  rendait  n'étaient  rien  ;  que  les  chants 
qu'ils  faisaient  entendre  au  milieu  de  leurs  débauches*  étaient  des  choses 
indignes,  qu'ils  devaient  bien  plutôt  adresser  leurs  hommages  au  Dieu  tout- 
puissant,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre.  Souvent  aussi  je  priais  le  Seigneur 
de  renverser  le  simulacre  impie,  et  de  daigner  arracher  ce  peuple  à  son 
erreur.  La  miséricorde  divine  disposa  ces  hommes  grossiers  à  écouter  favo- 
rablement mes  paroles  ;  le  Seigneur  m'exauça,  et  ils  se  convertirent. 

«  J'appelai  quelques-uns  des  convertis  pour  m'aider  à  renverser  le 
colosse  de  Diane.  J'avais  bien  pu  briser  les  petites  médailles  gravées  sur  la 
base 2,  mais  il  m'avait  été  impossible  de  renverser  la  statue,  et  j'espérais 
en  venir  à  bout  avec  du  secours.  Nous  prîmes  des  cordes  et  nous  tirâmes 
de  toutes  nos  forces  ;  tous  nos  efforts  furent  inutiles.  Aussitôt  je  me  rendis 
à  l'église,  et  prosterné  contre  terre,  je  suppliai,  les  larmes  aux  yeux,  le 
Seigneur  de  détruire  par  sa  puissance  ce  que  la  force  humaine  ne  pouvait 
abattre. 

«  Ma  prière  finie,  je  vins  rejoindre  mes  ouvriers,  nous  saisîmes  la  corde, 
et,  au  premier  coup,  l'idole  fut  renversée.  Je  la  brisai  sur-le-champ,  et  la 
réduisis  en  poudre  à  grands  coups  de  marteau.  A  l'instant  même,  et  lorsque 
j'allais  prendre  mon  repos,  tout  mon  corps,  depuis  le  haut  ne  la  tête  jus- 
qu'à la  plante  des  pieds,  se  trouva  tellement  couvert  de  pustules  malignes; 
qu'on  n'aurait  pu  y  trouver  un  espace  vide  de  la  largeur  du  doigt.  J'entrai 
dans  l'église,  je  me  frottai  avec  de  l'huile  que  j'avais  apportée  du  tombeau 
de  saint  Martin,  et  presqu'aussitôt  je  m'endormis.  A  mon  réveil  qui  eut 

1.  Ut...  in  barbis  aqua  gelu  connexa,  candelarum  more,  dependeret.  —  Grég.  de  Tours,  Bist.  fra&., 
lib.  vin. 

2.  Non  unnm  fuisse  simulacrum  illic,  sed  plurima;  quœ  quoniam  minora  erant,  sua  manu  sanctus 
destruxit.  —  Gull.  Willheim,  JBist.  Luxemb.,  purs  1»,  cap.  vu,  §  3. 


502  21   OCTOBRE. 

lieu  vers  minuit,  au  moment  où  je  me  levais  pour  réciter  les  offices  divins, 
mon  corps  se  trouva  aussi  sain  que  si  je  n'avais  jamais  eu  le  moindre 
ulcère.  Je  reconnus  que  le  démon  m'avait  frappé  de  cette  plaie  pour  sf 
venger  de  la  destruction  de  la  statue  de  Diane. 

«  Lorsque  j'eus  la  consolation  de  voir  ces  restes  du  paganisme  abolis, 
je  remontai  sur  ma  colonne,  mais  il  ne  me  fut  pas  permis  d'y  rester  long- 
temps ;  les  évoques  *  vinrent  m'y  visiter  et  me  dire  :  La  voie  que  vous  suivez 
n'est  pas  bonne ,  vous  n'êtes  pas  comparable  à  Siméon  d'Antioche ,  la 
rigueur  du  climat  ne  vous  permet  pas  de  supporter  un  genre  de  vie  si 
austère,  descendez  au  plus  tôt,  et  demeurez  avec  vos  frères  que  vous  avez 
rassemblés  ici. 

«  Je  descendis,  parce  qu'on  ne  peut  sans  crime  désobéir  aux  prêtres  du 
Seigneur.  Un  jour  que  l'archevêque  me  conduisit  à  un  village  assez  éloi- 
gné, il  envoya,  pendant  mon  absence,  des  ouvriers  avec  des  haches  et  des 
marteaux  qui  renversèrent  ma  colonne.  Le  lendemain  je  trouvai  tout  dé- 
truit, et  je  me  mis  à  pleurer;  mais  je  ne  pouvais  réparer  ce  qui  était  abattu 
sans  encourir  le  reproche  de  braver  les  ordres  des  évêques.  —  Depuis  ce 
temps,  je  me  suis  contenté  d'habiter  avec  mes  frères,  ainsi  que  je  le  fais 
maintenant  *  » . 

Tel  est  le  récit  exact  de  saint  Walfroy  lui-même  à  saint  Grégoire  de 
Tours,  et  que  nous  nous  sommes  fait  un  devoir  de  rapporter  ici  intégrale- 
ment. En  lisant  ces  lignes  où  se  révèle  tout  entière  la  grande  âme  de 
l'apôtre-anachorète,  on  reste  saisi  d'étonnement  et  d'admiration.  Gomme 
l'amour  de  Dieu  et  du  prochain  éclate  sous  cette  simplicité  de  langage  ! 
Quel  zèle  ardent!  Quelle  soif  insatiable  pour  les  plus  effrayantes  austérités! 
Quels  mérites  plus  agréables  à  Dieu  que  ceux  qui  rappelaient  les  mérites 
de  son  Fils  crucifié  !  Cette  colonne,  instrument  de  la  plus  héroïque  péni- 
tence, était  un  véritable  calvaire  qui  criait  grâce  et  miséricorde  pour  des 
malheureux  égarés  dans  les  voies  de  l'erreur,  et  la  vie  tout  entière  du 
Saint  n'était-elle  pas  une  grande  et  volontaire  expiation  offerte  au  Seigneur 
pour  la  rémission  de  leurs  péchés? 

Dieu  avait  exaucé  les  prières  de  son  serviteur.  Ces  peuples  infidèles, 
naguère  livrés  à  toutes  les  horreurs  de  la  débauche  et  du  vice,  venaient  de 
passer  de  l'empire  tyrannique  du  démon  sous  l'aimable  joug  de  Jésus- 
Ghrist.  La  lumière  avait  lui  dans  les  ténèbres,  la  foi  avait  triomphé  des 
superstitions  impies  du  paganisme,  et  la  grâce  de  Dieu  en  se  répandant 
dans  les  cœurs  convertis  les  avait  disposés  à  la  pratique  des  vertus  chré- 
tiennes. Saint  Walfroy,  après  une  victoire  aussi  complète  que  glorieuse, 
n'a  plus,  semble-t-il,  qu'à  se  reposer  :  il  n'en  sera  pas  ainsi.  La  mission  du 
chrétien,  ici-bas,  est  d'avancer  dans  les  voies  de  la  vertu  en  luttant  sans 
cesse  ;  sa  destinée  est  de  ne  se  reposer  qu'après  avoir  poursuivi  sa  course 
jusqu'au  dernier  calvaire  que  Dieu  lui  prépare. 

Le  saint  Apôtre  vient  de  porter  un  coup  terrible  au  démon,  il  doit  s'at- 
tendre à  de  nouvelles  attaques  de  la  part  de  son  ennemi.  Celui-ci,  en  effet, 
irrité  et  jaloux  d'une  victoire  qui  lui  enlevait  tant  d'adorateurs,  s'en  venge 
en  couvrant  d'ulcères  le  corps  du  Bienheureux.  Ainsi  quand  Dieu  veut  éle- 
ver un  généreux  serviteur  à  la  plus  sublime  sainteté,  il  le  fait  passer  par 
les  plus  humiliantes  épreuves  et  l'admet  à  la  participation  du  calice  amer 
de  ses  humiliations  et  de  ses  opprobres.  Saint  Walfroy,  couvert  d'ulcères 
cfu  sommet  de  la  tête  à  la  plante  des  pieds,  loin  de  s'abandonner  aux  plaintes 

1.  L'archevêque  de  Trêves  avec  quelques-uns  de  ses  suffragants. 

2,  Grog,  de  Tours,  Hist.  des  Francs,  Ht.  vm,  n.  tB. 


SAINT  WALFROY,   DIACRE  ET  STYLITE  D'OCCIDENT.  503 

et  aux  murmures,  s'empresse  de  recourir  à  la  prière,  force  efficace  contre 
la  fureur  jalouse  de  l'enfer. 

Le  Saint,  en  remontant  sur  sa  colonne,  avait  cru  obéir  aux  inspirations 
de  sa  conscience,  ses  supérieurs  lui  demandent  un  acte  d'obéissance  con- 
traire, il  en  descend  aussitôt.  C'est  toujours  l'homme  soumis  et  résigné, 
quels  que  soient  ses  goûts  ou  ses  répugnances,  c'est  le  vrai  et  parfait  chré- 
tien, pour  qui  l'obéissance  est  plus  chère  que  le  sacrifice.  Désormais  réuni 
à  ses  religieux  de  la  montagne,  il  les  édifiera  le  reste  de  ses  jours  par  la 
pratique  de  toutes  les  vertus. 

Saint  Walfroy  se  livrait  avec  ses  frères  de  la  montagne  aux  pieux  exer- 
cices de  la  vie  religieuse,  quand  Dieu  vint  le  visiter  par  une  nouvelle  et 
dernière  épreuve.  La  vallée  du  Ghiers  et  les  gorges  de  ses  affluents  ne 
cessaient  dans  ces  temps  malheureux  d'être  le  théâtre  de  guerres  sanglantes 
et  destructives.  Les  seigneurs  Austrasiens,  presque  toujours  en  révolte 
contre  Childebert,  venaient  de  se  réunir  à  Bastogne  pour  former  contre 
leur  souverain  un  nouveau  complot.  Au  nombre  de  ces  conspirateurs  était 
le  duc  Ursion.  On  croit  assez  communément  que  le  duc  fut  la  cause  de  la 
ruine  du  premier  monastère  construit  sur  la  montagne.  Poursuivi  par  Go- 
dégésile,  général  du  roi  d'Austrasie,  il  se  serait  réfugié  avec  ses  complices 
dans  l'enceinte  du  couvent  ;  ils  y  furent  assiégés  et  s'y  défendirent  avec 
l'énergie  du  désespoir.  En  vain  Godégésile  les  exhorte-t-il  à  se  rendre  à  dis- 
crétion, il  est  contraint  d'attaquer  les  murs  sacrés,  et  de  porter  le  fer  et  la 
flamme  jusque  dans  le  sanctuaire  de  saint  Martin  *.  Saint  Walfroy  eut  la 
douleur  de  voir,  avant  de  mourir,  son  monastère  détruit  et  entièrement 
ruiné.  Cependant,  malgré  son  grand  âge,  il  trouva  assez  d'énergie  pour  en 
faire  construire  un  nouveau  au  même  lieu. 

Quelques  auteurs  ont  cru  que  saint  Walfroy  avait  exercé  les  fonctions 
de  doyen  de  la  chrétienté  d'Ivoy.  Ces  fonctions  consistaient,  dans  ces 
temps  anciens,  à  inspecter  un  certain  nombre  de  paroisses,  à  administrer 
le  baptême  solennel  la  veille  de  Pâques  et  de  la  Pentecôte,  à  faire  la  visite 
des  églises,  et  à  rendre  compte  à  l'évêque  de  leur  situation.  Grégoire  de 
Tours,  qui  a  vu  saint  Walfroy  alors  qu'il  était  déjà  très-âgé,  ne  dit  nulle  part 
qu'il  ait  exercé  ces  fonctions  ;  il  ne  lui  donne  que  la  qualité  de  diacre  ;  or, 
nous  voyons  dans  Y  Histoire  de  l 'Eglise  que  ces  doyens  étaient  prêtres.  Quoi 
qu'il  en  soit,  il  se  trouvait  au  milieu  de  ses  frères,  quand  il  termina  sa  car- 
rière. On  ne  connaît  pas  l'époque  précise  de  sa  mort  ;  les  uns  la  mettent 
en  595;  d'autres  la  reculent  jusqu'à  l'an  600,  mais  tous  sont  d'accord  que 
Dieu  l'appela  à  lui  dans  un  âge  très-avancé,  le  vingt  et  unième  jour  du 
mois  d'octobre. 

Une  vie  si  remplie  de  bonnes  œuvres,  usée  par  les  fatigues  de  l'aposto- 
lat au  sein  des  plus  étonnantes  comme  des  plus  héroïques  austérités,  tout 
entière  dévouée  à  la  gloire  de  Dieu  ei  au  salut  du  prochain,  couronnée 
d'une  complète  victoire  remportée  sur  le  paganisme,  mérita  à  notre  Saint 
le  don  des  miracles.  Douze  siècles  se  sont  écoulés  depuis  que  Dieu  l'a  ré- 
compensé, en  le  revêtant  dans  le  ciel  de  gloire  et  d'immortalité,  et  les  mi- 
racles, accordés  à  sa  puissante  intercession,  n'ont  pas  cessé.  Depuis  des 
siècles,  des  milliers  de  pèlerins  viennent  lui  demander  secours  et  protection 
pour  des  infortunes  de  tout  genre,  et  tous  descendent  de  la  montagne  con- 
solés et  heureux,  parce  que  tous  emportent  dans  leur  cœur  un  accroisse- 
ment de  foi  et  d'espérance. 

1.  TaTjouillot,  Hist,  de  Mets,  t  i"  ;  et  Jeantiu,  Chron,  de  Vahbaijt  d'Qrvat. 


504  21   OCTOBRE. 

Outre  les  miracles  qui  ont  été  rapportés  dans  le  cours  de  cette  vie,  nous 
en  mentionnerons  ici  quelques  autres  qui  se  sont  opérés  dans  l'église  du 
monastère,  à  la  prière  de  saint  Walfroy  ;  et  ce  qui  suit  est  extrait  de  l'His- 
toire des  Francs,  déjà  citée. 

«  Comme  nous  demandions  au  saint  anachorète  »,  dit  saint  Grégoire  de 
Tours,  «  de  nous  faire  connaître  quelques-uns  des  miracles  opérés  dans  ce 
lieu  par  saint  Martin,  il  nous  rapporta  ces  faits  entre  plusieurs  autres  :  Un 
sourd-muet,  fils  d'un  Franc  d'une  famille  distinguée,  fut  conduit  à  l'église 
par  ses  parents  ;  je  le  fis  coucher,  avec  mon  diacre  et  un  autre  serviteur, 
sur  un  lit  placé  dans  le  saint  temple  :  pendant  le  jour,  il  vaquait  à  l'orai- 
son, la  nuit  il  dormait  dans  l'église.  Dieu,  touché  de  pitié,  me  montra  en 
songe  saint  Martin,  qui  me  dit  :  Renvoie  l'agneau  de  l'église,  car  il  est 
guéri.  Je  ne  vis  là  qu'un  songe  ;  mais  le  matin  le  jeune  homme  vint  à  moi, 
se  mit  à  parler  et  à  rendre  grâces  à  Dieu,  puis,  se  tournant  de  mon  côté,  il 
me  dit  :  J'offre  mes  actions  de  grâce  au  Dieu  tout-puissant  qui  m'a  rendu 
la  parole  et  l'ouïe». 

«  Un  homme  qui,  souvent  impliqué  dans  des  vols  et  diverses  sortes  de 
crimes,  avait  coutume  de  se  parjurer,  dit  un  jour  :  J'irai  dans  l'église  de 
Saint-Martin  me  purger  par  serment,  et  je  serai  absous.  Au  moment  où  il 
entrait,  sa  hache  s'échappe  de  sa  main,  et  il  tombe  sur  le  seuil  de  la  porte, 
saisi  au  cœur  d'une  douleur  violente.  Le  malheureux  avoue  de  sa  bouche 
le  crime  dont  il  voulait  se  laver  par  un  parjure  ». 

«  Un  autre,  accusé  d'avoir  brûlé  la  maison  de  son  voisin,  dit  :  J'irai  au 
temple  de  Saint-Martin,  je  ferai  serment,  et  je  serai  déchargé  de  l'accusa- 
tion. Il  était  hors  de  doute  qu'il  avait  mis  lui-même  le  feu  à  la  maison. 
Lorsqu'il  se  présenta  pour  jurer,  je  me  tournai  vers  lui,  et  lui  dis  :  Si  l'on 
en  croit  tes  voisins,  tu  n'es  point  innocent  de  ce  crime.  Dieu  est  partout, 
et  sa  vertu  est  la  même  au  dehors  comme  au  dedans  de  l'église  ;  si  donc  tu 
te  reposes  sur  cette  vaine  sécurité  que  Dieu  ou  ses  Saints  ne  tirent  pas 
vengeance  des  parjures,  tu  es  en  présence  du  saint  temple,  jure,  si  cela  te 
plaît,  mais  il  ne  te  sera  pas  permis  de  mettre  le  pied  sur  le  seuil  sacré.  Il 
leva  la  main  et  dit  :  Par  le  Dieu  tout-puissant,  et  par  les  mérites  de  saint 
Martin  son  pontife,  je  ne  suis  pas  l'auteur  de  cet  incendie.  Ce  serment  fini, 
il  allait  se  retirer,  lorsqu'il  parut  comme  enveloppé  de  feu  ;  et  aussitôt,  se 
précipitant  à  terre,  il  se  mit  à  crier  que  le  bienheureux  évêque  le  brûlait 
violemment.  On  pouvait  entendre  cet  infortuné  s'écrier  :  J'atteste  Dieu  que 
j'ai  vu  descendre  du  ciel  le  feu  qui  m'environne  et  qui  souffle  sur  moi  ses 
brûlantes  vapeurs.  En  disant  ces  mots,  il  expira  *  ». 

Ces  punitions  réitérées  furent  regardées  comme  des  avertissements  du 
ciel;  elles  intimidèrent  tellement  les  habitants  des  environs,  qu'on  n'en- 
tendit plus  parler  de  parjure. 

On  représente  parfois  une  idole  à  quelque  distance  de  la  colonne  de 
saint  Walfroy,  et  d'un  autre  côté  une  chapelle.  Cette  caractéristique  fait 
connaître  son  genre  de  vie  et  indique  en  outre  que  son  exemple  et  ses  pré- 
dications répandirent  le  christianisme  aux  environs  de  Carignan. 


CULTE  ET  RELIQUES.  —  MONUMENTS. 

Le  corps  de  saint  Walfroy  fut  inhumé  dans  l'église  du  nouveau  monastère  qu'il  avait  fait  bâtir 
peu  de  temps  avant  sa  mort.  On  pense  généralement,  c*t  tous  les  documents  semblent  le  constater, 

I.  Grtfg.  de  Tonrs,  Hist.  des  Francs,  liv.  vin,  n,  1& 


SAINT  WALFROY,   DIACRE  ET  STYLITE  D'OCCIDENT.  505 

que  cetce  église  était  placée  à  l'endroit  même  de  la  petite  chapelle  qui  existe  encore  aujourd'hui. 
De  là  ce  respect  religieux  avec  lequel  les  pèlerins  visitent  l'humble  et  pauvre  chapelle  de  Saint- 
Walfroy  ;  voilà  aussi  ce  qui  explique  cette  vénération  dont  ils  entourent  le  monument  qui  est  à 
leurs  yeux  le  signe  comraémoratif  de  son  tombeau. 

Les  peuples  voisins,  ceux  surtout  qu'il  avait  convertis,  vinrent  les  premiers  vénérer  le  sépulcre 
où  reposaient  ses  restes  précieux  :  tous  le  regardaient  comme  un  bienheureux  dans  le  ciel  et  le 
priaient  comme  un  Saint.  Les  miracles  qui  s'opérèrent  bientôt  dans  l'église  ne  permirent  pas  de 
douter  qu'il  ne  fût  un  des  amis  de  Dieu  ;  le  bruit  s'en  répandit  au  loin,  et  l'on  afflua  de  toutes 
parts  à  la  sainte  montagne  ;  de  là  l'origine  de  ce  célèbre  pèlerinage  que  douze  siècles  n'ont  pu 
affaiblir. 

Le  monastère  rebâti  par  saint  Walfroy  a  fleuri  pendant  quatre  cents  ans  sous  la  Règle  de 
Saint-Benoît  ;  mais  les  guerres  qui  au  dixième  siècle  sont  survenues  entre  les  rois  de  France  et 
les  empereurs  d'Allemagne,  et  notamment  entre  Lothaire  et  Othon  II,  désolèrent  la  partie  méridio- 
nale du  diocèse  de  Trêves.  La  montagne  de  Saint-Walfroy  et  les  lieux  circonvoisins  en  furent 
souvent  le  théâtre.  Les  religieux  du  monastère  eurent  eux-mêmes  beaucoup  à  souffrir  de  ces 
guerres,  et  plus  d'une  fois  ils  durent  céder  la  place  aux  attaques  de  l'ennemi.  C'est  au  milieu  de 
ces  tristes  circonstances  que  l'église  et  le  monastère  tout  entier  devinrent  la  proie  des  flammes, 
l'an  979.  On  avait  à  craindre  que  l'incendie  n'eût  pas  épargné  les  saintes  reliques,  mais  par  un 
prodige  éclatant,  elles  se  retrouvèrent  intactes,  selon  cette  parole  du  Prophète  :  «  Le  Seigneur 
garde  lui-même  les  os  de  ses  Saints,  et  aucun  d'eux  ne  sera  brisé  ». 

Cet  accident,  qui  concordait  avec  les  invasions  des  Normands,  détermina  l'archevêque  de  Trêves, 
Egbert,  à  ordonner  la  translation  des  reliques  à  Ivoy,  seule  ville  forte  qui  existât  alors  dans  le 
pays.  Cette  cérémonie  eut  lieu  le  7  juillet  de  l'année  980,  en  présence  d'une  foule  innombrable  de 
peuple  ;  tout  le  clergé  d'Ivoy  et  des  environs  se  rendit  sur  la  montagne  pour  y  assister.  On  en- 
leva la  châsse  avec  le  corps  saint  qu'elle  renfermait,  et  l'archevêque  avec  tout  son  cortège  se  mit 
en  marche  pour  se  rendre  processionnellement  à  Ivoy. 

Dieu  ne  cessant  de  faire  éclater  la  gloire  de  son  serviteur,  illustra  cette  translation  par  un 
nouveau  miracle  non  moins  étonnant  que  celui  qui  préserva  cette  précieuse  relique  de  l'action  des 
flammes.  Pendant  une  marche  de  plus  de  deux  lieues,  dit  l'abbé  de  Tholey,  il  tomba  une  pluie 
abondante  qui  mouilla  tous  les  assistants  à  la  procession,  et  n'atteignit  point  la  châsse  où  était 
renfermé  le  corps  de  saint  Walfroy,  l'eau  respectant  à  son  tour  ce  que  le  feu  avait  épargné.  Ce 
nouveau  miracle  ne  contribua  pas  peu  *&  ranimer  la  ferveur  des  assistants,  et  augmenta  singulière- 
ment la  confiance  que  les  peuples  avaient  au  Saint.  * 

.Arrivé  à  Ivoy,  l'archevêque  fit  déposer  la  châsse  dans  l'église  paroissiale..  Cette  église  était 
Située  près  de  la  fontaine  Saint-Georges,  c'est-à-dire  à  plu3  de  cent  mètres  de  la  ville  moderne, 
aujourd'hui  Carignan  ;  mais  elle  fut  détruite  vers  la  fin  du  xn°  siècle.  Depuis  cette  époque  il 
n'est  fait  mention  dans  aucun  document  des  reliques  de  saint  Walfroy,  et  les  églises  qui  les  ont 
tour  à  tour  possédées  ont  été  successivement  détruites  dans  les  différents  sièges  que  la  ville  a  eu 
à  subir.  Néanmoins  on  croyait  assez  communément  que  l'église  de  Carignan  les  possédait  encore 
au  moins  en  partie  après  la  grande  Révolution.  On  essaya  en  effet,  en  1826,  de  constater  l'iden- 
tité de  certains  ossements  sauvés  des  ruines,  dans  la  supposition  qu'ils  auraient  été  ceux  de  saint 
"Walfroy.  Malheureusement  on  ne  put  parvenir  à  une  certitude  ;  et  l'autorité  diocésaine,  en 
rééditant  l'office  propre  du  diocèse  de  Reims,  lors  de  la  restauration  de  la  liturgie  romaine,  fit 
insérer  dans  la  légende  de  saint  Walfroy  ces  paroles  que  les  amis  du  Saint  liront  toujours  avec 
tristesse  :  «  Ces  précieux  gages  ont  péri  à  l'époque  de  la  Révolution  française  ». 

Toutefois  cette  perte  si  regrettable  ne  doit  en  rien  affaiblir  ni  ébranler  la  confiance  des  fidèles  : 
Dieu  permet  quelquefois,  dit  saint  Bernard,  que  les  corps  de  ses  Saints  soient  humiliés  sur  la 
terre,  et  que  leurs  reliques  disparaissent  *.  Il  est  parfois  aussi  donné  à  la  bête  (c'est-à-dire  au 
démon),  selon  le  langage  des  Ecritures,  de  faire  la  guerre  aux  Saints  2,  et  de  prévaloir  pour 
un  temps.  Mais  ce  que  Dieu  ne  permet  pas,  c'est  que  leur  mémoire  périsse  :  In  memoria  seterna 
erit  Justus.  La  mémoire  de  saint  Walfroy  et  de  ses  bienfaits  vivra  à  jamais  dans  la  reconnais- 
sance des  peuples.  C'est  pourquoi  la  montagne  aimée  du  saint  anachorète  n'a  pas  cessé  d'être 
visitée  par  les  infortunes  d'ici-bas,  et  toujours  elle  sera  chère  aux  pèlerins,  car  elle  est  la  mon- 
tagne de  prières  et  de  grâces,  la  montagne  des  prodiges  et  des  miracles. 

Totalement  ruiné  dans  les  guerres  entre  les  rois  de  Germanie  et  les  rois  de  France,  le  monas- 
tère de  Saint-Walfroy  avait  disparu  pendant  le  Xe  siècle.  En  l'an  1240,  il  n'en  restait  plus  qu'une 
petite  église  incorporée  avec  ses  annexes  à  celle  d'Orval  ;  cette  église  ou  chapelle  était  sous  la 
garde  de  quelques  ermites  dépendant  des  religieux  de  ce  couvent.  L'ermitage  de  la  montagne,  lieu 
d'asile  et  de  refuge  des  pèlerins,  a  duré  plusieurs  siècles;  et  le  pèlerinage,  sous  ces  humbles  et 
pauvres  religieux,  n'avait  rien  perdu  de  sa  célébrité,  quand  la  Révolution  éclata.  Ainsi  que  la 
plupart  des  établissements  religieux  en  France,  il  fut  supprimé  sur  la  fin  du  xvme  siècle. 

Un  soir  du  mois  de  juin  1793,  frère  Antoine,  dernier  ermite  de  Saint-Walfroy,  prosterné  dans 

1.  Saint  Bernard,  Serm.  v,  sur  la  Fête  de  tous  les  Saints.  —  2.  Dan.,  vu,  21. 


506  21  OCTOBRE. 

le  sanctuaire  de  la  chapelle,  se  relevait,  après  de  longues  et  douloureuses  méditations,  pour 
prendre  quelque  repos,  un  bruit  plus  intense,  une  lueur  plus  rougeâtre  que  dans  la  précédente 
nuit  vinrent  tout  à  coup  frapper  son  oreille  et  éblouir  ses  yeux.  Le  vieil  anachorète  crut  un  instant 
que  le  phénomène  raconté  par  Grégoire  de  Tours  allait  se  reproduire;  mais  ce  n'était  qu'un  simple 
mirage,  dont  la  cause  trop  réelle  existait  à  une  lieue  de  là.  Au  point  du  jour,  une  fumée  épaisse 
et  large  remplissait  déjà  le  bassin  de  la  Marche  et  du  Chiers  :  des  langues  de  feu  se  détachaient, 
par  intervalle,  du  fond  du  tableau  que,  de  loin,  contemplaient  les  ermites  épouvantés.  C'était  le 
riche  et  vaste  monastère  d'Orval  qui  s'abimait  sous  l'action  dévorante  du  feu. 

La  chute  de  l'abbaye  entraîna  celle  de  l'ermitage  ;  les  religieux  et  les  frères  n'eurent  plus 
d'autre  ressource  que  d'aller  demander  à  la  terre  d'exil  ce  que  la  patrie  leur  refusait,  la  liberté  de 
prier  Dieu. 

A  peine  la  tourmente  révolutionnaire  avait-elle  cessé,  que  le  pèlerinage  à  la  sainte  montagne 
reprit  son  cours  ordinaire.  Malheureusement  ce  pieux  héritage  de  la  foi  de  nos  pères  n'avait  plus 
pour  gardien  frère  Antoine  ;  l'humble  ermite,  en  partant  pour  l'exil,  ne  devait  plus  revoir  et  sa 
chère  montagne  et  sa  pauvre  chapelle.  En  tombant  en  des  mains  cupides  et  profanes,  l'ermitage 
avait  été  transformé  en  propriété  vénale  et  livré  à  la  spéculation  et  au  trafic.  On  eût  pu  croire  un 
instant  que  la  mémoire  du  Bienheureux  allait  s'éteindre  sur  la  montagne  :  on  n'y  entendait  plus 
de  chants  sacrés,  plus  d'instructions  pieuses  et  édifiantes,  plus  de  prières  publiques.  Pourtant, 
malgré  les  désordres  qui  souillaient  l'antique  séjour  du  saint  anachorète,  la  chapelle  continuait 
à  être  visitée,  tant  était  enracinée  dans  les  âmes  la  confiance  qu'on  avait  eue  en  saint  Walfroy. 

Avertie  des  irrévérences  et  des  profanations  qui  se  commettaient  à  la  chapelle,  l'autorité  ecclé- 
siastique dut  d'abord  l'interdire  et  la  dépouiller  de  son  caractère  religieux  *.  On  ne  sait  que  trop 
dans  quel  état  de  dénûment  et  de  pauvreté  elle  était  tombée  depuis  plus  de  quarante  ans.  Le  zèle 
de  Son  Eminence  le  cardinal  Gousset  souffrait  de  cet  état  de  choses  déplorable  ;  mais  occupé  alors 
à  fonder  plusieurs  établissements  que  réclamaient  les  besoins  de  son  diocèse,  et  qui  sont  dus  en 
grande  partie  à  sa  bienfaisance,  il  se  vit  obligé  d'ajourner  la  restauration  de  l'œuvre  de  Saint* 
Walfroy.  Cet  ajournement  ne  fut  pas  de  longue  durée  ;  le  cardinal  trouva  bientôt  de  nouvelles 
ressources  dans  sa  charité,  et,  avec  le  concours  des  amis  de  l'œuvre,  il  put  acquérir  et  ajouter 
ce  nouvel  établissement  à  ceux  dont  il  avait  déjà  doté  le  diocèse.  L'antique  et  célèbre  pèleri- 
nage de  la  montagne  rentrait  dans  l'héritage  commun  de  ses  nombreux  enfants,  et,  désormais 
placé  sous  la  garde  de  l'autorité  ecclésiastique,  il  a  retrouvé  60n  caractère  sacré  et  religieux. 
C'est  à  ce  titre  qu'il  se  présente  à  la  vénération  des  fidèles  et  qu'il  se  recommande  à  leur  con- 
fiance. 

La  chapelle  de  Saint-Walfroy  a  été  provisoirement  restaurée  ;  l'intention  bien  connue  de 
Son  Eminence  est,  dès  que  les  ressources  le  permettront,  d'en  faire  construire  une  plus  spacieuse 
et  plus  digne  du  Saint.  Un  prêtre  du  diocèse  est  chargé  de  desservir  la  chapelle.  Cet  ecclésiastique 
s'est  adjoint  quelques  aides  pour  le  service  des  visiteurs  qui  trouveront  sur  la  montagne,  même 
pour  la  nuit,  une  bienveillante  hospitalité.  Une  hôtellerie  sur  la  montagne  devenait  presque  une 
nécessité  pour  les  pèlerins  :  entre  autres  avantages  que  ceux-ci  en  retirent,  ils  ont  celui  de  se 
préparer  dès  la  veille  à  bien  faire  leur  pèlerinage  en  assistant  à  la  messe,  aux  instructions  et  aux 
prières  publiques  qui  ont  lieu  tous  les  jours  à  la  chapelle.  Ils  peuvent  encore  mettre  ce  temps  à 
profit  s'ils  veulent  se  confesser  ;  M.  le  chapelain  a  la  charité  d'entendre  les  pénitents  à  toutes  les 
heures  qui  leur  conviennent. 

La  fête  de  saint  Walfroy  se  célèbre  solennellement  le  2i  octobre,  jour  anniversaire  de  sa  mort. 
"Tous  les  jours  de  la  neuvaine  qui  suit  immédiatement  cette  fête,  les  pèlerins  peuvent  assister  à  la 
sainte  messe,  se  confesser  et  entendre  les  instructions. 

Bien  que  le  pèlerinage  soit  ouvert  tous  les  jours  de  l'année,  il  y  a  néanmoins  des  jours  de 
pèlerinages  spéciaux  ou  jours  de  concours,  qui  sont  :  le  25  juin,  jour  de  la  foire  de  Saint-Jean- 
Bapiiste  ;  —  le  premier  mardi  de  septembre  ;  —  les  jeudi  et  vendredi  saints;  —  les  lundis  de 
Pâques  et  de  la  Pentecôte  ;  —  les  trois  jours  des  Rogations;  —  le  7  juillet,  jour  de  la  translation 
des  reliques  du  Saint  ;  —  tous  les  mercredis  et  vendredis  de  l'année  ;  —  et  spécialement  les  mer- 
credis et  vendredis  de  Carême. 

Il  existe  dans  la  chapelle  de  Saint-Walfroy  une  association  de  prières,  qui  a  pour  but  :  1°  la 
conversion  des  pécheurs  ;  2°  la  sanctification  des  saints  jours  de  dimanches  et  de  fêtes  ;  3°  l'extinc- 
tion du  blasphème  ;  4°  le  soulagement  des  malades  et  des  affligés  ;  5°  la  bonne  éducation  ;  6°  le 
soulagement  des  agonisants  ;  7°  enfin  celui  des  âmes  du  purgatoire.  Pour  faire  partie  de  cette 
association,  il  suffit  de  donner  son  nom  et  de  réciter  chaque  jour  à  l'intention  proposée,  un  Pater, 
un  Ave  et  l'invocation  suivante  :  Saint  Walfroy,  priez  pour  nous  et  pour  tous  ceux  qui 
implorent  votre  protection. 

Mous  devons  cette  notice  à  l'obligeance  de  M.  l'abbé  Dumay,  curé  de  Moulins,  au  diocèse  de  Verdun. 
1.  Elle  a  été  interdite  le  18  novembre  1828. 


SAINTE   CÉLINE  DE  ME  AUX,   VIERfE.  507 


SAINTE  CÉLINE  OU  CÉLINIE,  MÈRE  DE  SAINT  REMI  (ve  siècle). 

Sainte  Céline,  recommandable  par  sa  piété  et  ses  vertus,  avait  épousé  dans  sa  jeunesse  Emile, 
comte  de  Laon,  seigneur  d'une  haute  noblesse  et  qui  mérita  les  louanges  de  saint  Sidoine  Apolli- 
naire, évêque  de  Clermont-Ferrand.  Elle  vécut  avec  son  époux  dans  une  grande  union  ;  elle  lui  était 
chère  à  cause  de  son  caractère  aimable  et  aussi  à  cause  de  sa  prudence,  de  sa  réserve,  de  sa  mo- 
destie et  de  la  tendre  et  chaste  affection  qu'elle  lui  portait.  Le  Seigneur  bénit  ce  mariage  dont  un 
des  premiers  fruits  fut  la  naissance  d'un  enfant  appelé  à  une  haute  destinée  :  c'était  saint  Prince 
ou  Principe,  qui  devint  évêque  de  Soissons. 

Au  bout  de  quelque  temps,  par  un  secret  dessein  de  la  Providence,  Céline  cessa  d'être  féconde, 
et  pendant  de  longues  années,  elle  gémissait  souvent  devant  le  Seigneur  sur  la  privation  d'une 
plus  nombreuse  progéniture.  Ses  prières  ne  furent  pas  vaines  auprès  du  Dieu  de  bonté  et  de  mi- 
séricorde. Un  célèbre  solitaire  nommé  Montan,  qui  habitait  au  milieu  des  bois  de  La  Fère,  passant 
sa  vie  en  jeûnes,  en  veilles  et  en  prières  continuelles,  fut  souvent  favorisé  de  révélations  toutes 
célestes.  Comme  l'Eglise  était  alors  accablée  de  divers  maux  dan3  la  Gaule-Belgique,  ce  Saint  de- 
mandait sans  cesse  à  Dieu  d'avoir  compassion  de  cette  contrée  et  de  lui  rendre  la  paix.  Ayant,  une 
fois  entre  autres,  passé  en  oraison  pour  ce  sujet  une  nuit  entière,  il  entendit  une  voix  d'en  haut 
qui  disait  :  «  Le  Seigneur  a  daigné  regarder  la  terre  du  haut  du  ciel,  afin  que  toutes  les  nations 
du  monde  publient  les  merveilles  de  sa  puissance  et  que  les  rois  tiennent  à  honneur  de  le  servir. 
Céline  sera  mère  d'un  fils  qu'on  nommera  Rémi  (Remigius  ou  Remedius)  ;  je  l'emploierai  pour  la 
délivrance  de  mon  peuple  ». 

Montan  reçut  par  trois  fois  l'ordre  d'aller  avertir  cette  vertueuse  dame  des  merveilles  que  Dieu 
opérerait  par  son  moyen.  Le  saint  ermite  se  rendit  donc  à  Cerny,  où  était  le  château  de  Céline, 
et  lui  communiqua  ce  qu'il  avait  entendu  dans  sa  vision.  «  Comment  se  pourra-t-il  faire  »,  répon- 
dit Céline,  «  que  mon  mari  et  moi  étant  si  âgés,  je  me  trouve  encore  mère  dans  ma  vieillesse  ?  » 
—  «  Non-seulement  cela  arrivera  »,  repartit  le  saint  homme,  «  mais  lorsque  vous  viendrez  à  sevrer 
votre  enfant,  quelques  gouttes  de  votre  lait  mises  sur  mes  yeux  me  feroût  recouvrer  la  vue  que 
•'ai  perdue  depuis  si  longtemps  ». 

Céline  et  Emile  ajoutèrent  foi  à  ces  paroles  ;  et  dans  le  dixième  mois  qui  suivit,  cette  dame 
mit  au  monde  un  fils  qu'elle  appela  Rémi;  Laon  se  glorifie  de  l'avoir  vu  naître.  Quant  au  pieux 
solitaire,  il  recouvra  la  vue  en  se  frottant  les  yeux  avec  son  lait,  ainsi  qu'il  l'avait  prédit.  Céline 
et  Emile  eurent  le  plus  grand  soin  de  l'éducation  de  cet  enfant  de  bénédiction.  Ils  le  mirent  à 
Laon  pour  être  instruit  dans  les  lettres  et  les  sciences,  et  en  même  temps  formé  à  la  piété  parmi 
les  clercs  de  l'Eglise  de  Sainte-Marie.  Il  devint  archevêque  de  Reims  et  baptisa  Clovis,  premier 
roi  de  France. 

Céline  mourut  dans  un  âge  avancé,  pleine  de  mérites  devant  Dieu  et  devant  les  hommes.  Elle 
fat  enterrée  à  Lavergny  (Labriniacum),  jadis  paroisse,  aujourd'hui  ferme  dépendant  de  Parfondru, 
environ  à  deux  lieues  de  Laon. 

On  représente  sainte  Céline  en  compagnie  de  son  fils  saint  Rémi. 

Notice  due  à  l'obligeance  de  M.  l'abbé  Henri  Conguet,  du  chapitre  de  Soisson». 


SAINTE  CÉLINE  4  DE  MEAUX,  VIERGE  (vers  530). 

La  ville  de  Meaux  vit  naître  la  vierge  Céline,  dont  le  nom  exprime  la  vie,  qui  fut  toute  céleste. 
Ses  "parents  étaient  distingués  par  leur  naissance  et  par  leur  fortune,  et  plus  encore  parleur 
attachement  à  la  religion  ;  aussi  leur  fille  fut  élevée  dans  la  pratique  des  vertus  chrétiennes. 
Céline,  prévenue  des  grâces  du  ciel,  mit  à  profit  les  leçons  et  les  exemples  de  ses  parents,  et  on 
la  vit  grandir  en  sagesse  et  en  piété,  autant  qu'en  âge  et  en  grâce  extérieure.  Elle  devint  uue 
jeune  persoune  accomplie  selon  Dieu  et  même  aux  yeux  du  monde. 

1.  Alia$  t  Céligne,  Cilinio,  Câlina,  Cilinia. 


SOS  21    OCTOBRE. 

Mais  ces  belles  qua.ités,  unies  à  la  richesse  et  à  la  naissance,  trop  souvent  sont  un  piège. 
Céline  faillit  elle-même  y  être  surprise.  Elle  fut  recherchée  en  mariage  par  un  jeune  homme  de 
noble  famille,  et  les  choses  allèrent  jusqu'aux  fiançailles.  La  jeune  vierge  sentait  en  elle  une  répu- 
gnance, elle  entendait  une  voix  intérieure  qui  l'appelait  à  d'autres  noces  que  celles  de  la  terre  ; 
mais  sans  expérience  et  sans  guide,  elle  cédait  à  la  volonté  de  ses  parents,  dont  elle  n'avait  jamais 
su  contredire  les  sentiments  et  les  vues. 

Dieu  vient  toujours  en  aide  aux  âmes  simples  et  pures  ;  il  arriva  que  sainte  Geneviève  fit  un 
voyage  à  Meaux,  où  sa  réputation  de  sainteté  l'avait  mise  en  grande  vénération.  Céline  fut  poussée 
vers  elle  par  l'Esprit  du  Seigneur  ;  elle  lui  ouvrit  son  cœur  ;  elle  lui  montra  ses  répugnances  pour 
l'état  de  vie  qu'on  voulait  lui  faire  embrasser  ;  elle  lui  témoigna  le  désir  de  la  suivre  comme  une 
compagne.  Geneviève  consulta  le  Seigneur  dans  la  prière,  et  engagea  la  jeune  vierge  à  faire  de 
même.  Leur  prière  fut  exaucée  :  la  Sainte  connut  qu'elle  devait  accepter  cette  nouvelle  compagne, 
et  celle-ci  se  trouva  déterminée  à  renoncer  à  son  fiancé,  pour  donner  à  Dieu  son  cœur  sans  par- 
tage, et  consacrer  à  Jésus-Christ  sa  virginité. . 

Cependant  le  jeune  seigneur  à  qui  elle  avait  été  promise  n'eut  pas  plus  tôt  ouï  l'annonce  de 
cette  détermination,  qu'il  résolut  de  se  venger.  Nos  deux  vierges,  averties  à  temps,  prirent  le 
parti  de  se  retirer  à  l'église.  Mais  l'église  pouvait  être  envahie,  et  on  pouvait  les  en  arracher. 
Dieu,  qui  était  l'auteur  du  changement  opéré  dans  le  cœur  de  Céline,  vint  à  leur  secours.  La  porte 
de  la  chapelle  du  baptistère  s'ouvrit  d'elle-même,  les  deux  fugitives  purent  y  entrer,  et  se  trouvè- 
rent ainsi  à  l'abri  de  tout  péril. 

Se  regardant  comme  sauvée  d'un  naufrage,  Céline,  pleine  de  reconnaissance,  ne  songea  plus 
qu'à  se  vouer  tout  entière  au  Seigneur,  qui  l'avait  si  visiblement  protégée.  Elle  demanda  d'imiter 
Geneviève,  de  prendre  l'habit  et  le  voile  des  vierges,  et  de  vivre  sous  sa  conduite,  en  marchant 
dans  les  voies  de  la  perfection.  Geneviève  lui  accorda  tout  ce  qu'elle  voulut.  A  dater  de  ce  mo- 
ment, Céline  vécut  d'une  vie  austère  et  pénitente,  jusqu'au  jour  où  le  ciel  voulut  l'appeler  aux 
jouissances  réservées  aux  âmes  chastes  et  pures  :  ce  qui  arriva  le  2  octobre,  vers  l'an  530. 

Elle  mourut  à  Meaux,  qui  l'a  prise  pour  patronne,  et  fut  ensevelie  dans  le  faubourg  qui  portait 
autrefois  son  nom  et  s'appelle  aujourd'hui  faubourg  Saint-Nicolas.  Sur  son  tombeau  s'élevait  jadis 
une  église,  d'abord  abbatiale,  ensuite  priorale  et  paroissiale,  qui  fut  détruite  à  la  Révolution.  Les 
reliques  de  sainte  Céline  se  conservent  aujourd'hui  partie  dans  la  cathédrale,  partie  dans  l'église 
Saint-Nicolas  et  Sainte-Céline  où,  chaque  année,  le  peuple  vient  les  vénérer. 

Vie  de  sainte  Céline,  par  M.  l'abbé  Chapia;  Propre  de  Meaux;  Acta  Sanctorum. 


SAINT  ASTIER,  ERMITE  EN  PÉRIGORD  (vers  640). 

Saint  Astier  naquit  à  trois  lieues  de  Périgueux  (Dordogne),  au  château  de  Puy-de-Pont,  d'une 
famille  noble  et  illustre,  mais  païenne.  C'était  vers  l'an  560,  sur  la  fin  du  règne  de  Childebert. 
Ses  parents  lui  donnèrent  un  précepteur  chrétien,  qui  l'instruisit,  non-seulement  dans  les  sciences 
et  les  lettres,  mais  principalement  dans  la  piété.  Il  avait  à  peine  quinze  ans,  lorsque  sous  l'in- 
fluence de  son  religieux  instituteur,  il  alla  à  Angoulême  se  mettre  sous  la  direction  de  saint  Cy- 
bard,  qui  était  périgourdin  comme  lui  et  même  son  parent,  dit  un  vieil  historien.  Celui-ci  le  reçut 
avec  une  grande  bienveillance.  A  l'école  d'un  maître  si  parfait,  le  jeune  Astier  fit  des  progrès  éton- 
nants ;  il  reçut  bientôt  le  baptême  et  ne  tarda  pas  à  revêtir  l'habit  noir  des  religieux  du  monas- 
tère, dont  saint  Cybard  avait  la  conduite. 

Dans  cette  condition  nouvelle,  il  était  heureux  et  il  n'aurait  jamais  songé  à  quitter  son  nouveau 
maître,  si  un  ange  du  ciel  n'était  venu  l'avertir  de  retourner  sur  la  terre  du  Périgord  pour  con- 
vertir à  la  foi  ses  parents  idolâtres.  Il  obéit  aussitôt  à  cette  voix  céleste  et,  après  avoir  versé 
d'abondantes  larmes,  il  embrasse  son  saint  directeur  et  revient  aux  lieux  qui  l'ont  vu  naître.  Il 
n'avait  encore  que  vingt  ans.  Son  habit  de  pénitence,  ses  austérités,  et  mieux  encore,  ses  paroles 
pleines  de  charité  changèrent  le  cœur  de  ses  parents  ;  il  eut  le  bonheur  de  baptiser  toute  sa  fa- 
mille, et  après  un  pareil  succès,  il  se  retira  dans  un  lieu  écarté,  où  une  grotte  lui  servit  de 
demeure  ;  c'est  là  qu'il  passa  le  reste  de  ses  jours  dans  les  exercices  de  l'oraison  et  de  la  pénitence. 

L'amour  de  la  solitude  était  son  attrait  et  sa  vocation  :  éloigné  du  commerce  des  hommes,  sé- 
paré des  influences  mondaines,  recherchant  le  silence  e*  le  recueillement,  il  se  livrait  à  la  mortifi- 


SAINT  CONDÈDE,  ANACHORÈTE  ET  MOINE  DE  FONTENELLE.  509 

cation  ;  les  herbes  et  les  racines  sauvages  étaient  sa  nourriture  ;  il  buvait  l'eau  d'une  fontaine  voi- 
sine et  vivait,  comme  les  anges,  dans  la  contemplation.  Sa  vie  n'était  pas  oisive  :  il  travaillait  de 
ses  mains  et  faisait  des  corbeilles,  que  son  disciple,  saint  Aquilin,  allait  vendre  dans  les  foires  du 
voisinage.  Cependant  l'éclat  de  son  admirable  sainteté  et  le  bruit  de  ses  miracles  se  répandirent 
au  loin,  et  les  foules  vinrent  le  visiter  pour  lui  demander  des  conseils,  ou  pour  obtenir  la  guérison 
de  leurs  maux. 

Un  jour,  une  princesse,  affligée  d'une  maladie  incurable,  se  fit  conduire  devant  le  saint  thau- 
maturge ;  elle  ne  pouvait  se  tenir  sur  ses  pieds,  il  fallut  la  transporter  sur  son  lit.  Le  serviteur  de 
Dieu  lui  dit  :  «  Madame,  levez-vous,  et  soyez  guérie  au  nom  de  Jésus-Christ  ».  La  princesse  fut 
aussitôt  rétablie  ;  il  fit  mieux  encore,  il  la  convertit  à  la  foi  et  lui  donna  le  saint  baptême.  Pour 
témoigner  sa  reconnaissance,  celle-ci  fit  construire  en  cet  endroit  une  belle  église  en  l'honneur 
de  saint  Pierre,  qu'elle  dota  de  revenus  suffisants  pour  son  entretien  et  son  service. 

Saint  Astier  vécut  de  longs  jours  ;  à  sa  quatre-vingtième  année,  Dieu  lui  fit  connaître  que  sa 
dernière  heure  était  venue  ;  il  reçut  les  sacrements  de  l'Eglise,  fit  le  signe  de  la  croix  sur  son 
corps,  et  rendit  son  esprit  à  son  créateur,  en  prononçant  les  dernières  paroles  de  Jésus-Christ 
sur  la  croix  :  «  Seigneur,  je  remets  mon  âme  entre  vos  mains  ».  C'était  le  4  octobre.  Il  voulut 
être  inhumé  dans  l'église  que  la  princesse  avait  fait  construire,  devant  l'autel  de  saint  Front,  pre- 
mier évoque  de  Périgueux,  qui  était  le  grand  Saint  de  sa  dévotion.  Au  moment  de  la  mort  du 
Saint,  toutes  les  cloches  des  ermitages  et  des  chapelles  du  voisinage  sonnèrent  toutes  seules  ;  ce 
miracle  donna  lieu  aux  armoiries  de  la  ville  de  Saint-Astier  (Dordogne),  et  à  celles  de  la  famille  de 
ce  nom.  Les  armoiries  de  la  ville  de  Saint-Astier  sont  :  De  gueules  à  la  cloche  d'or  bataillée  d'argent. 

Nous  devons  cette  notice  à  l'obligeance  du  très-révérend  Père  Caries,  du  Calvaire  de  Toulouse.  — 
L'ancien  office,  qu'on  chantait  autrefois  en  l'honneur  du  Saint,  dans  la  collégiale  de  Saint-Astier,  se 
trouve  à  la  bibliothèque  de  la  ville  de  Périgueux.  C'est  un  volume  in-12,  relié,  imprimé  à  Paris,  chez 
Muguet,  en  1684,  avec  l'approbation  de  Mgr  Le  Boux,  évêque  de  Périgueux.  —  La  Vie  de  saint  Astier  a 
été  publiée  sur  un  vieux  manuscrit  par  le  Père  Aubertin,  prieur  de  l'abbaye  d'Estival,  de  l'Ordre  de  Pré- 
m'ontré  (Nancy,  chez  Chariot,  1656). 


SAINT  CONDÈDE  *,  ANACHORÈTE  ET  MOINE  DE  FONTENELLE  (685). 

Saint  Condède  était  un  prêtre  anglais,  qui,  dans  le  but  d'une  plus  grande  perfection,  traversa 
l'Océan  et  vint  se  livrer,  pendant  plusieurs  années,  à  la  vie  contemplative,  dans  la  solitude  qui 
portait  le  nom  de  Fontaine  de  Saint-Valéry,  située  entre  Gouy  et  Cambron,  au  bas  du  bois  de 
La  Motte,  là  où  subsista  un  ermitage  jusqu'aux  premiers  jours  de  la  Révolution. 

La  réputation  de  ferveur  dont  jouissait  l'abbaye  de  Fontenelle  (plus  tard  Saint-Vandrille)  parvint 
jusque  dans  la  solitude  de  Condède,  qui  résolut  d'aller  chercher  dans  ce  monastère  des  voies  de 
plus  haute  perfection.  Après  s'être  embarqué  sur  l'Océan,  il  entra  dans  la  Seine  et  aborda  heureu- 
sement au  port  d'Arélaune  (Arelaunum),  résidence  mérovingienne,  située  près  de  la  station  ro- 
maine, désignée  sous  le  nom  de  Lotum.  La  forêt  d'Arélaune,  située  près  de  Vatteville,  dans  l'ar- 
rondissement d'Yvetot,  prit  le  nom  de  Brotonne  à  l'époque  normande,  et  l'a  conservé  jusqu'à  nos 
jours. 

Les  sauvages  habitants  d'Arélaune  refusèrent  l'hospitalité  à  saint  Condède,  qui  finit  toutefois 
par  trouver  un  asile  chez  une  pieuse  femme  dont  la  compatissante  charité  fut  bientôt  récompensée. 
Une  vision  lui  apprit  que  son  hôte  était  un  élu  du  Seigneur.  Réveillée  par  la  tempête,  au  milieu 
de  la  nuit,  elle  ouvrit  la  fenêtre  de  sa  chambre,  et  aperçut  au-dessus  du  logis  de  Condède  une 
immense  colonne  de  lumière  qui  s'élevait  jusqu'aux  cieux. 

En  673,  saint  Condède  arriva  à  l'abbaye  de  Fontenelle,  où  il  prit  l'habit  monastique.  Mais,  peu 
de  jours  après,  il  manifesta  le  désir  de  se  livrer  a  la  prédication,  et  l'abbé  saint  Lantbert  lui  assi- 
gna pour  résidence  l'île  de  Belcinac  ou  Barcinac,  située  à  une  lieue  de  là,  entre  Caudebec  et  Vatte- 
ville. Cette  ile  fut  dans  la  suite  ensevelie  sous  les  eaux.  Le  roi,  Thierry  III,  ayant  eu  un  songe  la 
nuit  qui  suivit  l'arrivée  de  Condède  à  Belcinac,  se  rendit  le  lendemain  dans  l'Ile,  et,  apprécianl 
les  éminentes  vertus  du  Saint,  il  lui  concéda  à  perpétuité,  pour  lui  et  les  moines  qui  lui  succède» 

1.  Alias  :  Condé,  Condète,  Condettc.  En  latin,  Condedus,  Condedes,  Condelus,  Candidus. 


g|Ô  22  OCTOBRE. 

raient,  non-seulement  l'Ile  de  Belcinac,  mais  encore,  sur  les  rives  voisines  de  ia  Seine,  ie  lieu 
nommé  Lotum. 

L'Ile  de  Belcinac  était  un  séjour  délicieux  où  les  fidèles  se  réunissaient  pour  écouter  la  parole 
de  Dieu.  Saint  Condède  y  construisit  une  église  qu'il  dédia  à  la  sainte  Vierge,  et  une  autre  sous 
le  vocable  des  apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul,  dans  laquelle  il  érigea  un  autel  commémoratif  à 
saint  Valéry. 

En  675,  Condède  légua,  par  testament,  à  l'abbaye  de  Fontenelle,  toutes  les  possessions  qu'il 
tenait  de  la  munificence  royale,  et,  enoutre,  des  prairies  situées  à  l'occident  de  l'île,  vers  l'en- 
droit où  se  voit  aujourd'hui  Bliquetuit 

Après  une  longue  vie,  profondément  mortifiée  et  remplie  de  bonnes  œuvres,  saint  Condède  ren- 
dit son  âme  à  Dieu,  dans  son  île  de  Belcinac,  le  21  octobre  685.  Il  y  fut  inhumé  dans  l'église  des 
Saints-Àpôtres.  Quand  elle  menaça  de  disparaître  sous  les  eaux  de  la  Seine,  les  moines  de  Fonte- 
nelle transportèrent  son  corps  dans  leur  église  de  Saint-Pierre.  Il  ne  reste  rien  de  saint  Condède, 
aucune  relique,  aucune  fondation,  pas  même  la  solitude  normande  qu'il  habita  durant  quinze  ans, 
et  qui  est  aujourd'hui  ensevelie  sous  les  eaux.  On  célébrait  sa  fête  à  l'abbaye  de  Fontenelle  (Saint- 
Vandrille)  le  21  octobre. 

Tiré  de  Y  Hagiographie  du  diocèse  d'Amie;::;,  p:iv  tf.  l'abbé  Corblet. 


XXff  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Jérusalem,  saint  Marc,  évèque,  personnage  très-illustre  et  très-savant,  le  premier  des  Gentil» 
qui  ait  gouverné  cette  Eglise  ;  il  obtint  la  palme  du  martyre  peu  après  son  élection,  sous  l'em- 
pereur Antonin.  156.  —  A  Andrinople,  en  Thrace,  la  naissance  au  ciel  des  saints  martyrs  Phi- 
lippe, évèque,  Sévère,  prêtre,  Eusèbe  et  Hermès,  qui  après  avoir  enduré  la  prison  et  les  fouets, 
furent  brûlés  sous  Julien  l'Apostat1.  304.  —  De  plus,  les  saints  martyrs  Alexandre,  évèque,  Héra- 
clius,  soldat,  et  leurs  compagnons  2.  IIe  ou  me  s.  —  A  Ferrao,  dans  la  Marche  d'Ancône,  saint 
Philippe,  évèque  et  martyr.  Vers  le  milieu  du  m0  s.  —  A  Huesca,  en  Espagne,  les  saintes  vierges 
Nuniloue  et  Alodie,  sœurs,  qui,  pour  avoir  confessé  la  foi,  furent  décapitées  par  les  Sarrasins,  et 
consommèrent  ainsi  leur  martyre3.  841.  —  A  Cologne,  sainte  Cordule,  l'une  des  compagnes  de 
sainte  Ursule,  qui,  s'étant  d'abord  cachée  par  crainte,  en  voyant  les  supplices  et  le  massacre  des 
attires  vierges,  se  repentit  de  cette  action  et,  le  lendemain,  se  présenta  d'elle-même  aux  bar- 
bares, et  reçut  la  dernière  de  toutes  la  couronne  du  martyre,  iv»  s.  —  A  Hiérapolis,  en  Phrygie, 
saint  Aberce,  évèque,  qui  florissait  sous  l'empereur  Marc-Antonin.  Vers  167.  —  A  Bouen,  saint 
Mellon,  que  le  pape  saint  Etienne  sacra  évèque  et  envoya  prêcher  l'Evangile  dans  cette  ville. 
311.  —  En  Toscane,  saint  Donat  l'Ecossais,  évoque  de  Fiesole.  874.  —  A  Vérone,  saint  Véré- 
cond,  évèque  et  confesseur.  522.  —  A  Jérusalem,  sainte  Marie  Salomé,  qui,  comme  on  le  voit 
dans  l'Evangile,  prit  soin  de  la  sépulture  de  Noire-Seigneur.  i"'s. 

1.  Tous  les  hagiographes,  anciens  et  modernes,  les  Bollandistes  en  tête,  démontrent  que  saint  Philippe 
et  ses  compagnons  appartiennent  au  commencement  du  ive  siècle  (304),  et  n'ont  pas  souffert  sous  Julien 
l'Apostat  (360-363),  ni  sous  Dèce  (249-251),  mais  sous  Dioclétien  (284-305).  —  Acta  Sanctorum,  tome  IX 
d'octobre,  page  540. 

2.  Ce  sont,  d'après  les  Bollandistes,  les  saintes  Anne,  Théodote,  Glicérie  et  Elisabeth,  martyres 

3.  Les  deux  sœurs  Nunilone  et  Alodie  naquirent  en  Castille  d'un  père  musulman  et  d'une  mère  chré- 
tienne qui  les  fit  baptiser   et   les   éleva   dans  les  pures  maximes  de  la  foi.  A  l'époque  où  les  Sarrasins, 
commandés  par  Abdérame,  se  rendirent  maîtres  de  1  Espagne,  les  deux  vierges  furent  enveloppées  d 
persécution  générale  contre  les  chrétiens  et  eurent  la  tête  tranchée  dans  la  prison  où  on  les  avait  roi 
saée.i.  —  Acta  Sanctorum. 


ttÀ&TïROLOGES.  511 


MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  d'Arles,  sainte  Marie  Salomé,  citée  au  martyrologe  romain  de  ce  jour  et  dont  nous 
tvons  esquissé  la  notice  au  25  mai  (note  3  au  martyrologe  de  France).  i«  s.  —  Aux  diocèses 
d'Angers,  du  Puy  et  de  Meaux,  saint  Pierre  d'Alcantara,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  19  oc- 
tobre. 1562.  —  Aux  diocèses  d'Autun  et  de  Reiras,  saint  Jean  de  Kenty,  prêtre,  dont  nous  avons 
donné  la  vie  au  20  octobre.  1473.  -—  Au  diocèse  de  Beauvais,  saint  Calliste  Ier,  pape  et  martyr, 
dont  nous  avons  donné  la  vie  au  14  octobre.  222.  —  Au  diocèse  de  Cahors,  saint  Gérault  d'Au- 
rillac,  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  13  octobre.  909.  —  Aux  diocèses  de  Châlons, 
Mende  et  Verdun,  saint  Lupien  ou  Louvent  (Lupentius)>  abbé  de  Saint-Privat  de  Mende  et  mar- 
tyr. Vers  584.  —  Au  diocèse  de  Clermont,  saint  Népotien,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur  *. 
Vers  388.  —  Aux  diocèses  de  Cou  tances,  Paris  et  Rouen,  saint  Mellon,  évêque  de  ce  dernier  siège 
et  confesseur,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  311.  —  A  Langres,  saint  Vallier  ou  Valier, 
archidiacre  de  cette  Eglise  et  martyr  8.  Vers  264.  —  Au  diocèse  de  Mayence,  saint  Sévère,  évêque 
de  Ravenne  et  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  1er  février.  389.  —  Au  diocèse  de 
Nantes,  fête  de  la  translation  des  reliques  de  saint  Benoît  de  Macerac,  abbé,  dont  le  décès  est 
indiqué  au  martyrologe  de  France  du  1er  octobre.  845.  —  Au  diocèse  de  Pamiers,  sainte  Hedwige, 
veuve,  duchesse  de  Pologne,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  17  octobre.  1243.  —  Au  diocèse  de 
Perpignan,  sainte  Cordule,  vierge  et  martyre  à  Cologne,  citée  au  martyrologe  romain  de  ce  jour, 
et  dont  le  chef  se  conserve  religieusement  dans  l'église  cathédrale  de  Perpignan.  iv«s.  —Au  dio- 
cèse de  Rennes,  saint  Moderan  ou  Moran,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  730.  —  Aux  dio- 
cèse de  Nancy  et  de  Saint-Dié,  saint  Eucaire,  évêque  (de  Toul,  très-probablement)  et  martyr, 
près  du  village  de  Pompey  (Meurthe).  ive  s.  —  Au  diocèse  de  Saint-Flour,  saint  Viateur,  du  clergé 
de  Lyon,  sous  saint  Just,  archevêque  de  ce  siège.  Il  est  déjà  cité  au  martyrologe  romain  du  21  oc- 
tobre. 390.  —  Au  diocèse  de  Soissons,  saint  Loup,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  540.  — 
Au  diocèse  de  Tarbes,  saint  Exupère  d'Aneau,  évêque  de  Toulouse  et  confesseur,  dont  nous  avons 
donné  la  vie  au  28  septembre.  405.  —  Au  diocèse  de  Tours,  fête  de  l'invention  des  reliques  de 
saint  Gatien,  premier  évêque  de  ce  siège,  dont  nous  donnerons  la  vie  au  18  décembre.  i«  s.  •— 
Au  diocèse  de  Versailles,  saint  Savinien  et  saint  Potentien,  apôtres  de  Sens  et  martyrs,  mention- 
nés au  19  octobre,  et  dont  nous  donnerons  la  vie  au  31  décembre.  Ier  s.  --  Dans  l'ancienne 
abbaye  bénédictine  de  Saint-Denis  (S.  Dionysius  in  Frartcia),  les  saintes  verges  et  martyres  Pane- 
frède,  Seconde  et  Simibérie,  compagnes  de  sainte  Ursule  de  Cologne,  dont  nous  avons  donné  la 
vie  au  jour  précédent.  ive  s.  —  A  Langres,  les  saintes  Floriné  et  Valérie,  vierges  et  martyres, 
compagnes  de  la  même  sainte  Ursule.  ive  s.  —  A  Trêves,  saint  Vandelin  (Wendelin,  Wendel), 
abbé  de  Tholey  et  confesseur».  1015.  —Au  diocèse  de  Cologne,  les  trois  cent  soixante  martyrs 
Maures,  massacrés  dans  cette  ville,  sous  l'empereur  Maxiuiiea  Hercule.  Commencement  du  iv°  s. 

1.  Népotien  naquit  dans  la  cité  d'Auvergne,  de  parents  illustres  qui  relevèrent  avec  soin  dans  la  piété 
et  dans  les  sciences.  Les  progrès  qu'il  y  fit  furent  rapides  et  étonnants.  Saint  Grégoire  de  Tours  assure 
qu'il  se  fit  remarquer  dans  le  siècle  par  une  éminente  sainteté.  On  n'a  d'ailleurs  rien  de  bien  circonstancié, 
ni  de  bien  avéré  sur  les  actions  de  sa  vie,  avant  et  durant  son  épiscopat.  Il  succéda  à  saint  Allyre.et  fut 
ainsi  le  cinquième  évêque  de  Clermont.  Vers  le  commencement  de  son  épiscopat,  Arthème,  envoyé  en 
ambassade  de  Trêves  en  Espagne  par  l'empereur  Maxime,  étant  tombé  malade  à  Clermont,  Népotien  lo 
consola,  lui  rendit  tous  les  services  que  peut  inspirer  une  ardente  charité,  lui  administra  les  derniers 
Sacrements,  et  le  vit  recouvrer  subitement  et  miraculeusement  la  santé.  Arthème,  également  touché  et 
des  services  que  le  Saint  lui  rendit,  et  des  discours  qu'il  lui  tint  sur  le  néant  de  toutes  les  choses  d'ici- 
bas,  oublia  sa  patrie,  renonça  a  son  épouse,  se  fixa  en  Auvergne,  où  il  fut  élevé  au  sacerdoce,  et  mérita 
de  succéder  à  son  bienfaiteur.  Saint  Népotien  mourut  vers  l'an  388,  et  fut  inhumé  dans  l'église  voisine  de 
celle  de  Saint-Allyre,  qui  a  pris  depuis  le  nom  de  Saint-Vénérand,  et  ou  saint  Grégoire  de  Tours  assure 
que,  par  son  intercession,  il  s'est  opéré  plusieurs  guérisons  miraculeuses.  —  Acta  Sanctorum. 

2.  Vallier  de  Langres  avait  fui  cette  ville  après  le  martyre  de  saint  Didier,  son  évêque,  et  s'était  dirigé 
vers  la  Bourgogne;  mais  les  barbares  l'atteignirent  à  Port-sur-Saône  (Haute-Saône)  et  le  décapitèrent 
après  lui  avoir  fait  souffrir  de  cruels  tourments.  Les  chrétiens  ensevelirent  son  corps  non  loin  du  lieu  où 
il  avait  été  martyrisé,  à  l'endroit  où  s'est  formé  le  village  actuel  de  Saint- Vallier.  La  cathédrale  de  Saint- 
Mammès  de  Langres  possédait  de  ses  reliques,  apportées  de  l'abbaye  de  Molesme.  A  Langres  encore,  en 
mémoire  de  saint  Vallier,  on  portait  son  image  aux  processions  solennelles  devant  le  grand  archidiacre 
du  diocèse.  —  Saints  de  la  Haute-Marne,  par  M.  l'abbé  Godard;  Saints  de  Troyes,  par  M.  l'abbé  Defer. 

8.  Ecossais  d'origine  et  issu  de  sang  royal,  Wendel  quitta,  jeune  encore,  sa  patrie  et  embrassa  la  vie 
solitaire  dans  le  diocèse  de  Trêves.  Il  se  mit  ensuite  au  service  d'un  gentilhomme  de  ce  pays  qui  lui  confia 
la  garde  de  ses  troupeaux.  Plus  tard,  avec  l'agrément  de  son  maître,  il  se  retira  dans  une  cellule  près  du 
monastère  de  Tholey  ou  Saint-Maurice  des  Vosges  (Ordre  de  Saint-Iîenoît,  au  diocèse  de  Trêves)  dont  il 
devint  abbé  h  la  mort  du  bienheureux  Piimin.  Il  finit  ses  jours  dans  cette  maisou  (1015)  et  fut  ense- 
veli dans  sa  première  cellule  où  l'on  bâtit  une  chapelle  et  plus  tard  une  église.  La  petite  ville  do  Saint- 
Wendel  s'éleva  peu  a  peu  autour  du  tombeau  du  serviteur  de  Dieu,  dont  on  honore  encore  les  reliques  dans 
WfeliSe  dite  Wi'ltfuFirts-Kirche.  —  Mablilon  et  Continuateurs  de  Godescard. 


i 


512  22  OCTOBRE. 

—  A  Oosterhout,  près  de  Bréda,  ville  forte  de  Hollande  (Brabant  septentrional),  saint  Oelbert 
(Odelbert,  Ulbert),  laboureur,  assassiné  dans  un  champ  où  il  se  reposait  des  fatigues  de  la  journée, 
par  des  personnes  qui  le  prirent,  par  mégarde,  pour  l'auteur  d'un  meurtre  qui  venait  de  s'accom 
plir  dans  cette  contrée.  Il  est  le  patron  secondaire  de  l'église  d'Oosterhout.  Epoque  inconnue.  — 
A  Vannes,  le  bienheureux  Ruaut  (Rotalde,  Rohaut,  Rouaud),  évêque  de  ce  siège  et  confesseur, 
après  avoir  mené  la  vie  monastique  sous  l'habit  cistercien.  1177. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  A  Jérusalem,  sainte  Marie  Salomé,  qui,  comme  le 
dit  l'Evangile,  prit  soin  de  la  sépulture  de  Notre-Seigneur.  Ier  s. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Vallombreuse.  —  Sainte  Hedwige,  veuve,  duchesse  de 
Pologne,  dont  il  est  fait  mention  le  15  octobre  i.  1243. 

Martyrologe  de  V Ordre  des  Déchaussés  de  la  Sainte-Trinité.  —  L'octave  de  la  Dédicace 
des  églises  de  notre  Ordre  sacré. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint-François.  — -  A  Varsovie,  en  Pologne,  le  bienheureux 
Ladislas,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  très-célèbre  par  sa  sainteté,  son  érudition  et 
son  éloquence,  qui  émigra  vers  le  Seigneur  le  4  mai,  et  brilla,  avant  et  après  sa  mort,  par  l'éclat 
de  ses  miracles.  1505. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  De  même  que  ci-dessus. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  du  Mont-CarmeL  — L'octave  de 
sainte  Thérèse,  vierge,  de  l'Ordre  des  Carmélites2.  1582. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin.  —  A  Verocchio,  au  diocèse  de 
Rimini,  le  bienheureux  Grégoire  Celli,  confesseur  de  notre  Ordre,  remarquable  par  la  pratique  de 
toutes  les  vertus  chrétiennes  et  par  son  zèle  pour  la  foi  catholique  3. 1343. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Servites  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie.  —  De  même  que 
chez  les  Chanoines  Réguliers. 

Martyrologe  des  Mineurs  Capucins  de  Saint-François.  —  De  même  que  chez  les  Frères 
Mineurs. 

Martyrologe  des  Carmes  déchaussés.  —  De  même  que  chez  les  Carmes. 

ADDITIONS  FAITES  D' APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

Saint  Leugat  (Léogathe,  Légat,  Leucat,  Leucade,  Léogat),  martyr,  cité  par  les  apographes  de 
saint  Jérôme  sans  plus  de  détails.  —  Chez  les  Coptes  (chrétiens  qui  habitent  l'Egypte,  la  Nubie  et 
l'Abyssinie),  saint  Jules,  martyr.  Avant  le  IVe  s. —  En  Egypte,  les  saints  Abibe  et  Apollon,  moines, 
ive  s.  —  A  Tortose  (Dertosa),  ville  d'Espagne  (Catalogne),  sainte  Candide  ou  Candie,  vierge  et 
martyre,  une  des  compagnes  de  sainte  Ursule  de  Cologne.  Son  culte  est  fort  populaire  à  Tortose  : 
l'église  cathédrale  possède  son  chef;  elle  l'a  obtenu,  en  1351,  de  Guillaume,  archevêque  de  Co- 
logne. Cette  relique  insigne  est  entourée  de  la  plus  grande  vénération.  Les  personnes  qui  souffrent 
de  maux  de  tète  ou  de  maux  de  gorge  guérissent  de  leur  infirmité  quand  ils  ont  le  bonheur  de 
pouvoir  toucher  ce  chef  sacré.  IVe  s.  —  A  Fiïbourg,  en  Saxe,  sainte  Flore,  vierge  et  martyre, 
autre  compagne  de  sainte  Ursule  de  Cologne.  iv<>  s.  —  Au  Mont-Cassin,  dans  l'ancien  royaume  de 
Naples  (Terre  de  Labour),  les  saints  Constantin  et  Simplice,  abbés.  Leurs  corps  furent  déposés 
sous  l'autel  majeur  de  la  basilique  cassinienne,  aux  pieds  de  celui  de  saint  Benoit.  En  1692,  ils 
furent  transférés  dans  la  chapelle  de  Saint-Berthaire,  et  en  1710,  dans  celle  de  Saint-Grégoire  le 
Grand.  En  mai  1799,  l'armée  française  envahit  le  Mont-Cassin  et  profana  les  reliques  que  possé- 
dait la  basilique.  Celles  qu'on  a  pu  soustraire  à  la  fureur  des  impies  se  conservent  aujourd'hui 
dans  la  sacristie  ;  mais  il  n'est  plus  possible  de  distinguer  à  qui  elles  appartiennent.  Vers 
570.  —  Près  de  Mérida  (Emerita  Augusta),  ville  d'Espagne   (Estramadure),  saint  Noint  (Nun~ 

1.  Voir  la  vie  de  sainte  Hedwige  au  17  octobre.  —  2.  Voir  la  vie  de  sainte  Thérèse  au  15  octobre. 

3.  Grégoire  naquit,  en  1225,  a  Verocchio,  d'une  famille  noble  et  chrétienne.  Sa  mère  étant  devenu* 
veuve  lorsqu'il  n'avait  encore  que  trois  ans,  elle  le  consacra  à  la  sainte  Vierge,  à  saint  Augustin  et  a  sainte 
Monique.  A  quinze  ans,  il  entra  chez  les  Ermites  de  Saint-Augustin,  et  fit  profession  dans  leur  maison  de 
Verocchio  à  laquelle  il  donna  tous  ses  biens.  Employé  par  ses  supérieurs  aux  travaux  du  saint  ministère, 
il  convertit  un  grand  nombre  de  pécheurs  et  combattit  avec  succès  plusieurs  hérétiques  qui  renouvelaient 
les  erreurs  d'Arius.  Obligé  de  quitter  son  monastère,  il  se  rendait  à  Rome,  lorsque,  passant  dans  le  dio- 
cèse de  Rieti,  il  trouva  sur  une  montagne  des  Ermites  de  son  Ordre  qui  l'admirent  dans  leur  solitude  et 
oh  il  passa  le  reste  de  sa  longue  vie  dans  les  austérités  et  les  autres  pratiques  de  la  perfection  religieuse. 
Il  mourut  en  1343,  âgé  de  cent  dix-huit  ans.  On  porte  son  corps  en  procession,  dans  les  temps  de  séche- 
resse, pour  obtenir  de  la  pluie.  Clément  XIV  a  approuvé  son  culte  en  1769.  —  L'abbé  Pétin,  Vies  des 
Saints. 


SALNT  ABERCE,  ÉVÊQUE  D'HIÉRAPOLIS.  513 

ctus)j  d'abord  abbé,  puis  ermite.  Un  seigneur  de  la  contrée,  touché  de  ses  vertus,  lui  avait  cédé 
quelques-unes  de  ses  terres,  afin  que  leur  produit  pût  subvenir  aux  besoins  du  Saint  et  de  ses  dis» 
ciples  ;  des  personnes  jalouses  l'assassinèrent.  Vers  580.  —  A  Bobbio  (Bobium)t  ville  du  royaume 
d'Italie,  sur  la  Trebbia,  saint  Mérovée,  moine  et  confesseur.  Vers  626.  —  A  Luna  (aujourd'hui 
Luni  ou  Lunegiano),  ville  maritime  de  l'ancienne  Etrurie,  saint  Salaire,  évêque  de  cet  ancien  siège 
(transféré  à  Sarzane)  et  martyr,  vu»  s.  —  A  Ryle,  dans  l'ancienne  Bulgarie,  saint  Jean,  abbé  et 
eonfesseur.  946.  —  A  Bologne,  dans  la  Romagne,  et  à  Nice  (Alpes-Maritimes),  le  bienheureux 
Jérôme  Garibe,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  Il  mourut  le  5  novembre  1502  et  fut 
enseveli  à  Bologne,  dans  la  chapelle  du  Crucifix  ;  en  1614,  son  corps  fut  transféré  dans  celle  de 
Saint-François,  et,  l'année  suivante,  on  le  déposa  sous  l'autel  de  Saint-Laurent.  Des  parties  de  ses 
reliques  furent  envoyées  au  monastère  de  Port-Maurice  (1605),  et  à  Nice  (1696).  Cette  dernière 
ville  conserve  trois  écrits  du  bienheureux  Jérôme  ;  Bologne  possède  son  chef.  1502. 


SAINT  ABERGE,  ÉVÊQUE  D'HIÉRAPOLIS, 

DANS  LA.  PETITE  PHRYGIE 
Vers  167.  —  Pape  :  Saint  Soter.  —  Empereur  romain  :  Marc-Aurèle  Antonin. 


La  foi  de  l'Eglise  romaine,  l'archéologie  la  retrouve 
inscrite  parmi  les  monuments  du  passé. 

L'abbé  Darras,  Vie  de  saint  Aberce. 

Sous  le  règne  de  Marc-Aurèle  Antonin  et  Lucius  Vérus,  un  décret  fut 
promulgué  dans  tout  l'empire,  prescrivant  *à  chaque  citoyen  d'offrir  des 
sacrifices  et  des  libations  aux  dieux.  Publius  Dolabella,  qui  gouvernait 
alors  la  Petite  Phrygie,  se  mit  en  devoir  de  faire  exécuter  redit  dans  sa 
province.  Les  solennités  païennes  reprirent  une  pompe  inaccoutumée,  et 
la  foule  se  pressait  aux  temples,  pour  accomplir  l'ordre  des  empereurs.  La 
curie  et  le  peuple  d'Hiérapolis  ■  inaugurèrent  avec  pompe  les  sacrifices. 
Aberce  était  alors  évoque  de  cette  cité.  A  la  vue  des  longues  files  d'hommes 
et  de  femmes  vêtus  de  blanc,  qui  portaient  leurs  hommages  à  des  idoles 
muettes,  il  se  sentit  ému  jusqu'au  fond  de  l'âme.  Prosterné  devant  le  Sei- 
gneur, fondant  en  larmes,  il  priait  le  Dieu  véritable  pour  ses  frères  égarés. 
Cette  journée  de  deuil  s'écoula  ainsi  dans  une  oraison  fervente.  La  nuit 
venue,  vaincu  par  la  fatigue,  il  s'endormit.  Pendant  son  sommeil,  il  vit  un 
jeune  homme  qui  lui  remettait  une  verge  à  la  main,  en  disant  :  «  Lève-toi, 
Aberce,  et  va  briser  ces  simulacres  impies  ».  Au  réveil,  le  saint  évêque 
comprit  qu'il  avait  eu  une  vision  divine  1  II  saisit  un  long  épieu,  court  au 
temple  d'Apollon 2,  enfonce  les  portes,  renverse  la  statue  du  dieu  et  les 
autres  idoles  d'Hercule,  de  Diane  et  de  Vénus  qui  l'entouraient.  Or,  il  était 
la  neuvième  heure  de  la  nuit  (trois  heures  du  matin).  Les  prêtres  et  les 
gardiens  du  temple  s'éveillent  au  bruit  et  accourent.  A  la  lueur  des  torches 
ils  reconnaissent  Aberce  qui  profite  du  premier  instant  d'étonnement  et  de 

1.  Hiérapolis,  capitale  de  la  Petite  Phrygie,  Phrygix  minoris,  dans  l'Asie-Mineure,  est  aujourd'hui 
complètement  détruite.  Elle  était  située  non  loin  de  la  bourgade  turque  qui  porte  actuellement  le  nom  de 
Bambuk-Kalasi,  ou  Pambuk-Kalessi. 

2.  Le  temple  principal  d'Hiérapolis  était  dédié  à  Apollon.  Ce  fait  a  été  constaté  par  l'archéologie 
moderne,  qui  a  retrouvé  une  inscription,  placée  autrefois  sur  la  porte  de  la  tille,  et  conçue  en  ces  terme»  ; 

AnOAAÛNI  APXHrETEl 

Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  33 


5J4  22   OCTOBRE. 

surprise,  et  leur  crie  :  «  Allez  dire  aux  magistrats  et  au  peuple  que  leur» 
dieux,  enivrés  de  viande  et  de  vin  par  les  sacrifices  de  la  veille,  se  sont  rués 
les  uns  sur  les  autres,  et  se  sont  taillés  en  pièces.  Ramassez  si  vous  le  voulez 
leurs  débris  épars.  Jetez  au  feu  ces  pierres  brisées.  Elles  feront  peut-être 
une  chaux  passable.  C'est  toute  l'utilité  que  vous  puissiez  tirer  de  vos 
dieux  ».  En  prononçant  ces  paroles,  le  saint  évêque  quittait  le  temple.  Il 
put  s'éloigner  et  regagner  sain  et  sauf  sa  demeure.  Cependant  un  tumulte 
épouvantable  suivit  bientôt  cette  scène  nocturne.  Aux  cris  des  prêtres,  la 
foule  se  rassemble,  on  appelle  la  curie.  Avant  l'aurore,  le  temple  était  déjà 
envahi  par  une  multitude  furieuse,  qui  voulait  venger  sur  l'évêque  des 
chrétiens  l'attentat  commis  contre  les  dieux.  «  Brûlons  la  maison 
d'Aberce!  »  criaient  les  uns.  «Pas  d'incendie!  »  répondaient  les  autres. 
«  Le  gouverneur  romain  nous  rendrait  responsables  du  désordre.  Qu'on 
saisisse  Aberce  et  qu'il  expire  dans  les  tourments  1  »  Ce  dernier  parti, 
secrètement  conseillé  par  les  officiers  du  municipe,  après  avoir  été  long- 
temps combattu,  prévalut  enfin.  Le  jour  était  levé,  la  populace  allait  se 
porter  sur  la  demeure  épiscopale,  et  se  livrer  aux  plus  horribles  excès. 

Cependant  Aberce  était  tranquillement  assis,  dans  sa  maison,  entouré 
de  ses  disciples,  auxquels,  suivant  sa  coutume,  il  adressait  ses  exhortations 
matinales.  Son  visage  et  sa  parole  avaient  leur  calme  et  leur  sérénité  ordi- 
naires. Quelques  chrétiens  pénètrent  dans  cette  assemblée,  ils  avertissent 
l'évêque  de  l'orage  qui  grondait  à  l'extérieur.  Tous  le  conjurent  de  se  déro- 
ber par  la  fuite  à  la  vengeance  populaire.  «  Non  »,  dit-il.  «  Je  tiens  des 
Apôtres  cette  maxime  qu'un  chrétien  doit  savoir  mourir  pour  son  Dieu.  Il 
est  vrai  que  Jésus-Christ  Notre-Seigneur  nous  a  prescrit  de  fuir  ceux  qui 
nous  persécutent.  Je  saurai  concilier  ce  double  devoir  ».  En  parlant  ainsi, 
il  sortit  de  sa  maison,  suivi  de  ses  disciples,  et  vint,  au  milieu  du  Forum, 
s'asseoir  sur  les  bancs  du  Fragellion  %  où  41  reprit  et  continua  sa  prédication 
interrompue.  La  foule,  bientôt  avertie,  se  précipita  en  masse  vers  ce  lieu, 
«  Quoi  !  »  disait-on,  «  il  ne  lui  suffit  pas  de  tenir,  dans  sa  demeure,  ses  dis- 
cours impies.  Il  ose  les  débiter  en  plein  Forum  !  »  Les  plus  acharnés  se 
promettaient  de  déchirer  à  belles  dents  le  corps  du  saint  évêque.  Des  cla- 
meurs sauvages  retentissaient  dans  les  rues  adjacentes.  La  foule  arrive 
enfin  au  Forum,  comme  un  torrent  débordé.  En  ce  moment,  un  spectacle 
effrayant  arrête  sa  furie.  Trois  jeûnes  gens,  depuis  longtemps  démoniaques, 
et  connus  de  toute  la  ville,  s'élancent,  les  vêtements  déchirés,  se  tordant 
dans  des  convulsions  horribles,  lacérant  de  leurs  dents  les  lambeaux  de  leur 
chair.  S'adressant  au  saint  évêque  :  «  Au  nom  du  Dieu  véritable  que  tu 
prêches  »,  lui  disent-ils,  «  nous  t'en  conjurons,  cesse  de  nous  tourmenter 
avant  le  temps  ».  Tous  les  regards  étaient  fixés  sur  Aberce.  Sa  douceur  et 
la  majesté  de  sa  noble  figure  frappaient  les  païens  étonnés.  Priant  à  haute 
voix,  il  dit  :  a  Dieu  tout-puissant,  Père  de  Jésus-Christ  Notre-Seigneur,  vous 
dont  la  miséricorde  dépasse  infiniment  la  malice  des  hommes,  je  vous  en 
supplie,  délivrez  ces  trois  jeunes  infortunés  des  chaînes  de  Satan,  afin  que 
tout  ce  peuple  vous  reconnaisse  pour  le  Dieu  unique  et  véritable  !  »  S'ap- 
prochant  alors  des  jeunes  gens,  il  toucha  leur  tête  du  bâton  qu'il  tenait  à 
la  main  :  «  Au  nom  du  Christ,  mon  Seigneur  et  mon  Dieu  »,  dit-il,  «  cruels 
démons,  je  vous  l'ordonne,  sortez  du  corps  de  ces  jeunes  gens,  et  ne  les 
tourmentez  plus  à  l'avenir».  A  peine  ces  paroles  étaient  prononcées  que 
les  démons  quittèrent  leurs  victimes,  en  poussant  des  hurlements  épouvan- 

1.  Ce  nom,  maintenant  inconnu,  paraît  avoir  été  une  expression  locale,  usitée  à  Hie'rapolis  pour  dési- 
gner la  partie  au  Forum,  ou  Agora,  qui  s'appelait  le  Xyste,  âan»  les  autres  villes  d'origine  hellénique. 


SAINT   A  BERGE,   ÉVÉQUE  D'HIÉRAPOLIS.  515 

tables.  Les  trois  jeunes  gens,  comme  s'ils  se  fussent  éveillés  d'un  long  som- 
meil, promenèrent  un  instant  autour  d'eux  un  regard  intelligent,  puis  ils 
tombèrent  inanimés  aux  pieds  du  saint  évêque.  On  les  crut  morts.  Mais 
Aberce,  leur  prenant  la  main,  les  fit  relever.  Ils  étaient  rendus  à  la  santé 
du  corps  et  de  l'âme.  Honteux  de  leur  nudité,  ils  s'empressèrent  de  rajuster 
les  lambeaux  de  leurs  vêtements,  et,  entourant  le  saint  évêque,  ne  voulaient 
plus  s'en  séparer.  La  foule  s'écria  d'une  voix  unanime  :  «  Le  Dieu  d'Aberce 
est  le  seul  Dieu  véritable  !  »  Le  miracle  avait  été  si  manifeste  que,  de  tout© 
cette  multitude,  il  n'y  en  eut  pas  un  seul  qui  ne  demandât  le  baptême.  En 
songeant  à  leur  aveuglement  et  à  leurs  récentes  fureurs,  ils  disaient  au 
thaumaturge  :  «  Nous  sommes  trop  chargés  de  crimes  pour  espérer  notre 
pardon.  Croyez-vous  que  votre  Dieu  daigne  nous  faire  miséricorde  ?  Nous 
tremblons  devant  sa  justice,  et  nos  iniquités  nous  épouvantent!  »  — - 
«  Frères  »,  leur  disait  Aberce,  «  ce  Dieu  qui  se  révèle  aujourd'hui  à  vous 
est  le  même  qui  disait  en  Judée  :  Venez  à  moi,  vous  tous  qui  succombez 
sous  le  fardeau  du  travail,  et  je  vous  soulagerai  ».  Le  saint  évêque  continua 
à  les  entretenir  de  la  miséricorde  du  Verbe  incarné,  jusqu'à  la  neuvième 
heure  du  jour  (trois  heures  du  soir).  En  ce  moment,  il  étendit  sur  eux  les 
mains,  les  bénit,  et  voulut  se  retirer,  pour  aller,  dans  sa  demeure,  faire  la 
prière  accoutumée.  Mais  tous  l'entourèrent,  lui  demandant  le  baptême.  Il 
leur  fit  comprendre  que  l'heure  était  trop  avancée  et  remit  au  lendemain 
l'administration  de  ce  sacrement.  La  foule  le  suivit  jusqu'à  sa  maison,  et 
telle  était  leur  impatience  qu'un  grand  nombre  passèrent  la  nuit  près  de 
l'humble  demeure,  attendant  la  grâce  de  la  régénération.  Le  saint  évêque, 
touché  de  leur  foi,  crut  devoir  céder  à  leurs  ardents  désirs.  Après  avoir 
remercié  le  souverain  pasteur  des  âmes  de  tant  de  faveurs  signalées,  il 
sortit  à  minuit,  de  sa  maison,  et  conduisant  ces  généreux  néophytes  dans 
l'église,  il  conféra  le  baptême  à  cinq  cents  d'entre  eux. 

Le  prodige  d'Hiérapolis  eut  un  immense  retentissement  dans  toute 
l'Asie.  On  accourait  au  thaumaturge  des  provinces  limitrophes  de  la 
Grande  Phrygie,  de  la  Carie  et  de  la  Lydie.  Aberce  était  contraint,  pour 
satisfaire  à  l'empressement  des  peuples,  de  se  rendre  dans  une  plaine  voi- 
sine, où  son  immense  auditoire  pouvait  entendre  sa  parole.  Là,  entouré 
des  prêtres,  des  diacres  et  des  autres  frères,  il  s'asseyait  sur  une  éminence 
et  distribuait^  la  foule  avide  le  pain  de  la  parole  céleste.  Un  jour,  une 
matrone  illustre,  Phrygella,  mère  du  gouverneur  de  la  ville  Euxenianus 
Poplio,  se  fit  conduire  au  milieu  de  l'assemblée  ;  elle  était  aveugle.  Quand 
ses  serviteurs  l'eurent  amenée  près  du  saint  évêque,  elle  se  jeta  à  genoux, 
et  lui  baisant  les  pieds  :  «  Homme  de  Dieu  »,  dit-elle,  «  ayez  pitié  de  moi  ; 
rendez-moi  la  vue  ».  —  o  Femme  »,  répondit  Aberce,  «  je  ne  suis  qu'un 
pécheur,  qui  ai  besoin,  comme  vous,  de  la  miséricorde  divine  ;  si  pourtant 
vous  croyez  fermement  au  Dieu  que  j'adore,  il  est  assez  puissant  pour  vous 
guérir,  lui  qui  ouvrit  jadis  les  yeux  d'un  aveugle-né  ».  —  «  Je  crois  au 
Christ  Notre-Seigneur  et  Dieu  véritable  !  »  dit  Phrygella;  et,  fondant  en 
larmes,  elle  reprit  :  «  Ne  refusez  pas  de  me  toucher  les  yeux  et  je  recou- 
vrerai la  vue  ».  Le  saint  homme  élevant  alors  ses  regards  vers  le  ciel  : 
«  Lumière  du  monde  »,  dit-il,  «  Jésus,  mon  Maître,  venez  et  ouvrez  les 
yeux  de  cette  femme  ».  Puis,  se  tournant  vers  l'infirme,  il  lui  toucha  les 
yeux  en  disant  :  «  Phrygella,  si  vous  croyez  sincèrement  au  Christ,  voyez  ». 
A  ces  mots,  la  cécité  disparut  complètement,  et  les  yeux  éteints  de  l'aveu- 
gle s'ouvrirent  à  la  clarté  du  jour.  Fixant  alors  sur  Aberce  un  regard  plein 
de  reconnaissance  :  «  Père  »,  s'écria-t-elle,  a  je  prends  à  témoin  cette  foule 


516  22  OCTOBRE. 

qui  nous  entoure  ;  je  vous  donne  la  moitié  de  tout  ce  que  je  possède, 
acceptez-le  pour  le  distribuer  aux  pauvres  ».  Cependant  la  multitude  faisait 
éclater  son  enthousiasme.  Le  Dieu  des  chrétiens  est  grand  !  disait-on  de 
toutes  parts.  Quand  le  silence  se  fut  rétabli,  Aberce  dit  àPhrygella  :  «  Vous 
avez  éprouvé  en  ce  jour  la  puissance  du  Dieu  qui  récompense  si  magnifi- 
quement la  confiance  de  ses  serviteurs  ;  allez  en  paix,  soyez  fidèle  au  dou- 
ble devoir  de  la  foi  chrétienne  et  de  la  reconnaissance  ».  La  noble  matrone 
se  retira,  mais  pour  revenir  ensuite  se  faire  initier,  par  le  saint  évêque,  à  la 
religion  de  Jésus-Christ  ;  et  depuis  lors  elle  ne  cessa  d'entourer  l'homme 
de  Dieu,  des  marques  de  sa  vénération  et  de  son  dévouement.  Le  gouver- 
neur, Euxenianus  Poplio,  touché  de  la  guérison  de  sa  mère,  vint  remercier 
le  saint  évêque.  «  Je  voudrais  »,  lui  dit-il,  «  pouvoir  vous  témoigner  toute 
notre  reconnaissance,  mais  vous  montrez  un  tel  mépris  pour  les  biens  de  ce 
monde,  que  je  n'espère  pas  pouvoir  vous  offrir  rien  qui  soit  digne  de  vous». 
—  «  En  effet  »,  répondit  Aberce,  «  j'estime  si  peu  les  honneurs  et  la  for- 
tune de  ce  monde,  que  j'aimerais  mieux  vous  voir  pauvre  et  obscur,  mais 
chrétien,  que  gouverneur  d'Hiérapolis,  d'origine  patricienne,  jouissant  de 
la  faveur  et  du  crédit  impérial,  mais  païen,  comme  vous  l'êtes  ».  L'entre- 
tien se  prolongea  quelque  temps  sur  ce  sujet  ;  Poplio  admirait  hautement 
la  sagesse  du  vieillard.  On  ne  voit  point  cependant  qu'il  se  soit  converti  ; 
tant  il  est  difficile  à  une  âme  de  se  dégager  des  liens  de  la  vanité,  de  la 
grandeur  et  de  la  richesse  humaines. 

Or  Lucilla,  fille  de  l'empereur  Marc-Aurèle,  se  vit  tout  à  coup  envahie 
par  une  obsession  démoniaque.  Elle  venait  d'atteindre  sa  seizième  année. 
Ses  parents  l'avaient  fiancée  à  Lucius  Verus  ;  ils  se  plaisaient  à  voir  cette 
noble  enfant  grandir  sous  leurs  yeux  et  effacer  en  beauté  toutes  ses  com- 
pagnes, lorsque  tout  à  coup  le  démon  s'empara  d'elle.  Dans  des  accès  de 
fureur  et  de  rage,  elle  se  labourait  les  chairs  de  ses  ongles  ensanglantés,  se 
roulait  sur  le  sol  et  se  rongeait  les  mains.  L'impératrice  Faustine,  sa  mère, 
et  son  père,  Marc-Aurèle,  étaient  au  désespoir.  Cet  accident  survenait  à 
l'époque  même  où  ils  étaient  convenus  de  conduire  leur  fille  à  Ephèse,  où 
Lucius  Verus,  son  fiancé,  retenu  alors  en  Orient  par  la  guerre  contre  les 
Parthes,  devait  se  rendre  de  son  côté.  Le  fameux  temple  de  Diane,  l'une 
des  sept  merveilles  du  monde,  avait  été  choisi  comme  le  théâtre  de  cette 
alliance  impériale.  Les  préparatifs  étaient  achevés  ;  le  monde  entier  atten- 
dait cet  heureux  événement.  Il  fallut  y  renoncer,  et  Lucius,  déjà  arrivé  à 
Ephèse,  fut  averti  que  la  solennité  était  retardée.  La  révolte  des  Marco- 
mans,  qui  venait  d'éclater  en  Germanie,  servit  de  prétexte  à  Marc-Aurèle, 
qui  ne  voulut  point  mander  à  son  collègue  l'état  réel  de  sa  fille,  dans  l'es- 
poir que  la  santé  pourrait  être  rendue  à  la  jeune  Lucilla.  Cependant  Faus- 
tine, de  concert  avec  lui,  interrogeait  les  aruspices  et  les  augures  d'Etrurie, 
consultait  tous  les  oracles  des  temples  italiens,  sans  que  la  situation  de  leur 
fille  s'améliorât.  Au  milieu  de  ses  convulsions,  on  l'entendait  répéter  sans 
cesse  ces  paroles  :  «  Je  ne  sortirai  d'ici  que  sur  l'ordre  d'Aberce,  l'évêque 
d'Hiérapolis  1  »  Le  démon  lui  plaçait  sur  les  lèvres  cette  exclamation,  dont 
la  jeune  fille7  n'avait  pas  conscience,  car  Aberce  et  Hiérapolis  même  lui 
étaient  également  inconnus.  L'empereur  voulut  se  renseigner  sur  cet 
Aberce,  dont  le  nom  lui  était  révélé  en  de  si  tristes  circonstances.  On  lui 
parla  des  miracles  opérés  par  le  saint  évêque  ;  une  lueur  d'espérance  péné- 
tra dans  le  cœur  de  l'infortuné  père.  Il  fit  aussitôt  partir  pour  Hiérapolis 
deux  officiers  de  son  palais,  Valerius  et  Bassianus,  avec  une  lettre  pour  le 
gouverneur  Poplio  et  l'ordre  d'amener  honorablement  à  Rome  le  thauma- 


SAINT  ABERCE,   ÉVÊQUE   d'hIÉRxYPOLIS.  517 

turge.  Avant  l'arrivée  de  ce  message,  Aberce  avait  eu  une  révélation  divine. 
Le  Seigneur  lui  dit  :  «  Tu  iras  à  Rome  ;  c'est  moi  qui  t'y  conduirai,  pour  y 
faire  éclater  la  puissance  de  mon  nom.  Ne  crains  rien,  ma  grâce  sera  avec 
toi  ».  —  «  Que  votre  volonté  s'accomplisse  »,  répondit  le  Saint;  et  le  jour 
même  il  annonçait  aux  frères  que  la  Providence  ne  tarderait  pas  à  l'appe- 
ler à  Rome.  Cependant  Valerius  etBassianus  s'étaient  embarqués  à  Brindes, 
sur  un  navire  que  le  préfet  Cornélien  avait  mis  à  leur  disposition.  Le  vent 
leur  était  favorable,  ils  franchirent  la  mer  Ionienne  et  abordèrent,  le 
septième  jour,  sur  les  côtes  du  Péloponèse.  Prenant  alors  la  route  de  terre 
et  les  relais  impériaux,  ils  arrivèrent  le  quinzième  jour  à  Byzance,  d'où, 
sans  faire  halte,  ils  se  dirigèrent  par  Nicomédie,  vers  Synnada,  la  métropole 
de  la  Petite  Phrygie.  Le  gouverneur,  Spinthère,  leur  fournit  des  guides  qui 
les  conduisirent  à  Hiérapolis,  où  ils  arrivèrent  à  la  neuvième  heure  du 
jour  (trois  heures  après  midi).  En  ce  moment,  Aberce  rentrait  à  la  ville, 
après  sa  conférence  accoutumée.  Les  étrangers,  le  rencontrant  sur  leur 
chemin,  lui  demandent  la  demeure  de  Poplio.  Le  saint  évêque  s'offre  à  les 
y  conduire.  A  peine  le  gouverneur  eut-il  lu  la  lettre  impériale,  qu'il  la 
remit  à  l'homme  de  Dieu,  en  le  suppliant  de  se  rendre  au  désir  de  l'empe- 
reur. «  J'irai  d'autant  plus  volontiers  »,  dit  Aberce,  «  que  le  Seigneur  m'a 
déjà  manifesté  sa  volonté  à  ce  sujet  ». 

Quarante  jours  après,  le  Saint  débarquait  à  Porto,  et  arrivait  à  Rome, 
où  les  deux  officiers  le  présentèrent  au  préfet  du  palais,  Cornélien.  L'em- 
pereur Marc-Aurèle  avait  quitté  la  capitale,  pour  organiser  l'expédition 
contre  les  Marcomans,  qui  avaient  eux-mêmes  franchi  le  Rhin.  Aberce  fut 
sur-le-champ  conduit  à  l'impératrice  Faustine.  A  la  vue  de  ce  vieillard  vé- 
nérable, dont  le  visage  était  empreint  d'une  majesté  ^sainte,  Faustine  se 
sentit  émue.  «  Je  sais  »,  dit-elle,  «  que  vous  servez  un  Dieu  très-bon  et 
très-puissant;  les  officiers  qui  vous  amènent  m'ont  confirmé  toutes  les 
choses  merveilleuses  qu'on  m'a  racontées  de  vous;  employez,  je  vous  prie, 
votre  pouvoir  en  notre  faveur,  rendez  la  santé  et  la  vie  à  notre  malheureuse 
fille.  Nous  saurons  vous  récompenser  en  vous  comblant  d'honneurs  et  de 
biens  ».  Ainsi  elle  parlait,  ajoutent  les  Actes,  et  sa  voix  était  pleine  d'affec- 
tion et  de  respectueuse  sympathie.  C'est  que  la  nécessité  lui  en  faisait  une 
loi,  et  la  forçait  à  implorer  le  secours  du  Dieu  que  les  Césars  poursuivaient 
gratuitement  de  leur  haine,  et  qu'ils  ne  permettaient  point  d'adorer.  Le 
thaumaturge  répondit  :  «  Je  vous  rends  grâces  de  ces  favorables  intentions, 
mais  les  honneurs  du  monde  ne  nous  touchent  point,  et  la  puissance  que 
Dieu  nous  donne  gratuitement  pour  faire  le  bien,  nous  en  usons  gratuite- 
ment. Où  est  votre  fille  ?  »  Faustine  se  précipite  dans  l'appartement  de  Lu- 
cilla,  et  veut  l'amener  au  saint  évêque.  Mais  le  démon,  qui  obsédait  la 
jeune  fille,  résiste;  Lucilla  se  roulait  à  terre,  dans  un  accès  de  rage  épou- 
vantable; tantôt  son  visage  prenait  la  pâleur  et  la  rigidité  du  marbre,  tan- 
tôt un  frisson  convulsif  agitait  tous  ses  muscles.  Enfin  la  démoniaque  arti- 
cula en  hurlant  ces  paroles  :  «  Te  voilà  donc,  Aberce  !  Je  l'avais  bien  dit 
que  je  t'amènerais  à  Rome  !»  —  «  Il  est  vrai,  démon  cruel  »,  répondit  le 
Saint,  «  mais  tu  n'auras  pas  à  t'en  féliciter  ».  Il  ordonne  ensuite  de  trans- 
porter Lucilla  en  plein  air.  On  obéit,  et  la  jeune  fille  est  déposée  dans  la 
cour  du  palais  attenant  à  l'hippodrome.  Des  officiers  et  des  gardes  se  rangent 
en  cercle  autour  de  cette  arène  improvisée.  Cependant  le  démon  continuait 
à  tourmenter  sa  malheureuse  victime,  qui  vomissait  mille  injures  contre 
le  saint  évêque.  Aberce,  levant  les  yeux,  adressait  à  Dieu  une  fervente 
prière.  Après  quoi,  fixant  un  regard  souverain  sur  la  démoniaque,  il  dit  : 


^18  22   OCTOBRE. 

«  Esprit  du  mal,  sors  de  cette  jeune  fille.  Jésus-Christ,  mon  Dieu,  te  l'or- 
donne ».  A  ces  mots,  le  démon  sortit  en  frémissant,  et  la  jeune  fille  tomba 
inanimée  aux  pieds  du  thaumaturge.  Tous  les  assistants  la  crurent  morte  et 
Faustine  s'écria  :  «  Qu'avez -vous  fait  ?  Le  démon  s'est  enfui,  mais  il  a  tué 
ma  fille  !  »  Sans  répondre,  Aberce  tendit  la  main  à  Lucilla,  qui  sembla 
s'éveiller  d'un  profond  sommeil.  Elle  se  leva  et  l'homme  de  Dieu  la  condui- 
sit à  sa  mère,  en  disant  :  «  Votre  fille  n'est  point  morte,  mais  elle  est  déli- 
vrée du  démon  ».  Faustine  se  précipita,  fondant  en  larmes,  sur  cette  chère 
enfant,  et  la  tint  longtemps  embrassée  dans  une  étreinte  maternelle,  cou- 
vrant son  visage  de  baisers.  11  semblait  qu'elle  eût  voulu  s'incorporer  cet 
être  chéri,  pour  mieux  se  convaincre  qu'il  était  rendu  à  sa  tendresse.  Dans 
l'ivresse  de  sa  joie,  elle  n'avait  plus  conscience  de  ce  qu'elle  faisait  ;  enfin, 
quand  cette  première  émotion  fut  calmée,  sûre  désormais  de  la  santé  de  sa 
fille,  Faustine  supplia  le  saint  évoque  d'accepter  un  témoignage  de  sa  re- 
connaissance impériale.  «  Que  pouvez-vous  donner  à  qui  n'a  besoin  de 
rien  ?  »  dit  Aberce.  «  Un  morceau  de  pain  et  quelques  gouttes  d'eau  me 
suffisent  ».  Elle  insista  pourtant  avec  une  telle  opiniâtreté  que  l'homme  de 
Dieu,  contraint  de  formuler  une  demande,  pria  Faustine  d'accorder  aux 
pauvres  d'Hiérapolis  une  distribution  de  blé,  et  de  faire  construire  pour  les 
malades  un  établissement  aux  sources  thermales  d'Agra,  en  Phrygie.  L'im- 
pératrice donna  immédiatement  au  préfet  du  palais,  Cornélien,  l'ordre 
d'inscrire  la  cité  d'Hiérapolis,  pour  une  distribution  annuelle  et  gratuite  de 
trois  mille  mesures  de  froment.  Cette  largesse  impériale  fut  fidèlement 
maintenue  jusqu'au  règne  de  Julien  l'Apostat,  qui  la  fit  supprimer,  en 
haine  des  chrétiens,  à  l'époque  où  il  abolit  de  même  tous  leurs  autres  pri- 
vilèges, et  confisqua  toutes  leurs  propriétés.  L'établissement  de  bains  fut 
également  construit  au  lieu  désigné,  qui  changea  dès  lors  pour  le  nom 
ÏÏAgra  Thermorum  celui  d'Agra  Potamii,  qu'il  portait  auparavant. 

Aberce  demeura  assez  longtemps  à  Rome,  édifiant  les  assemblées  des 
chrétiens  par  ses  instructions  salutaires  et  l'exemple  de  ses  vertus.  L'impé- 
ratrice le  retenait  le  plus  possible,  dans  la  crainte  qu'après  son  départ  le 
démon  ne  recouvrât  son  funeste  empire  sur  Lucilla,  sa  fille.  Cependant,  le 
saint  évêque  eut  une  vision  divine  :  «  Aberce  »,  lui  dit  le  Seigneur,  «  il  te 
faut  songer  aux  besoins  des  fidèles  de  Syrie  ».  Le  lendemain,  il  se  présenta 
devant  Faustine,  calma  ses  terreurs,  et  lui  demanda  la  permission  de  re- 
tourner dans  sa  patrie.  Comme  il  manifestait  l'intention  de  parcourir  les 
provinces  de  la  Syrie,  l'impératrice  fit  mettre  à  sa  disposition  un  navire  qui 
le  débarqua  à  Séleucie,  d'où  il  se  rendit  à  Antioche.  Il  visita  ensuite  Apa- 
mée  et  les  cités  voisines,  apaisant  partout  les  dissensions  qui  s'élevaient 
entre  les  Eglises,  et  combattant  l'hérésie  marcionite,  qui  s'étendait  alors 
comme  une  contagion  parmi  les  chrétientés  d'Orient.  Franchissant  l'Eu- 
phrate,  il  parcourut  la  Mésopotamie,  visita  la  cité  de  Nisibe  et  les  églises 
de  cette  contrée,  proclamant  partout  sur  son  passage  la  véritable  doctrine. 
Dans  leur  reconnaissance  pour  l'homme  de  Dieu,  ces  chrétientés  voulu- 
rent lui  remettre  une  somme  importante,  fruit  d'une  collecte  spontanée  à 
laquelle  tous  avaient  unanimement  contribué.  Aberce  refusa.  «  L'épouse 
de  César  »,  disait-il,  a  m'a  ouvert  les  trésors  de  l'empire,  je  n'ai  rien  ac- 
cepté ;  permettez-moi  d'en  user  de  même  avec  vous  ».  Cette  réponse  at- 
trista les  frères,  sans  les  persuader,  et  ils  renouvelèrent  leurs  instances.  En 
ce  moment  un  chrétien,  d'une  naissance  illustre,  Barcksan,  prit  la  parole  : 
«  Frères  »,  dit-il,  «  il  ne  convient  pas  de  faire  violence  à  cet  homme  de 
Dieu  ;  notre  argent  est  indigne  de  lui  ;  mais  il  ne  saurait  nous  empêcher  de 


SAINT  ABERCE,   EVEQUE   D  HIERAPOLIS.  519 

rendre  à  sa  vertu  l'hommage  qu'elle  mérite.  Qu'il  nous  suffise  de  le  pro- 
clamer :  Àberce  est  l'égal  des  Apôtres  !  »  Toute  l'assemblée  éclata  en  ap- 
plaudissements. 

En  quittant  ces  régions  lointaines,  Aberce  parcourut  les  deux  provinces 
de  Cilicie,  la  Lycaonie  et  la  Pisidie.  Il  arriva  à  Synnada,  métropole  de  la 
Petite  Phrygie,  s'y  reposa  quelques  jours  au  milieu  des  chrétiens,  qui  se 
disputaient  l'honneur  de  lui  offrir  l'hospitalité,  et  se  dirigea  vers  sa  ville 
épiscopale.  La  nouvelle  de  son  prochain  retour  l'y  avait  précédé.  Un  peu- 
ple immense,  avide  de  contempler  ses  traits  et  d'entendre  les  accents  de 
sa  voix  bénie,  accourut  à  sa  rencontre.  L'homme  de  Dieu,  en  présence  de 
cette  foule  qui  remplissait  toute  la  cité,  étendit  les  mains  et  bénit  son  peu- 
ple. Il  reprit  ensuite  sa  vie  accoutumée,  parcourant  chaque  jour  la  ville, 
prêchant  en  liberté  la  parole  du  salut,  administrant  le  baptême,  exorcisant 
les  démoniaques,  guérissant  les  infirmes  et  manifestant  la  puissance  de 
l'Esprit-Saint  par  des  œuvres  miraculeuses.  Il  composa  un  livre,  intitulé 
AiWKaXtot,  Doctrine,  qu'il  laissa  aux  prêtres  et  aux  diacres  de  son  Eglise, 
afin  que  même  après  sa  mort  il  continuât  par  la  bouche  de  ses  successeurs 
à  instruire  son  peuple.  Quelque  temps  après,  il  eut  une  dernière  vision  : 
i  Aberce  »,  lui  dit  le  Seigneur,  o  l'heure  approche  où  je  t'accorderai  le  re- 
pos, après  tant  de  labeurs  ».  Le  saint  évêque  désigna  alors  le  lieu  où  il 
voulait  être  enseveli,  et  y  fit  graver  l'inscription  que  nous  rapporterons 
tout  à  l'heure.  Puis,  rassemblant  autour  de  lui  les  prêtres,  les  diacres  et 
quelques-uns  des  fidèles  d'Hiérapolis,  il  leur  dit  :  «  Mes  petits  enfants,  le 
terme  de  ma  vie  est  arrivé  ;  troupeau  chéri,  je  vais  me  séparer  de  vous, 
pour  aller  consommer,  avec  le  Dieu  qui  a  réjoui  ma  jeunesse,  une  éter- 
nelle union.  Je  vais  à  Celui  dont  le  divin  amour  rempjit  mon  cœur.  Main- 
tenant, il  vous  faut  songer  à  choisir  du  milieu  de  vous  un  évêque,  qui, 
après  moi,  vous  dirige  dans  les  pâturages  du  Seigneur,  et  dont  les  brebis 
entendent  et  respectent  la  voix  ».  Quand  il  eut  parlé  ainsi,  les  assistants  se 
recueillirent,  et  après  quelques  instants  de  délibération,  ils  élurent  unani- 
mement le  plus  ancien  des  prêtres  d'Hiérapolis,  qui  se  nommait  Aberce, 
comme  leur  saint  évêque.  L'illustre  vieillard  lui  donna  lui-même  son  suf- 
frage, et  étendant  sa  main  vénérable,  il  le  bénit,  en  disant  :  «  Aberce,  sois 
évêque,  par  l'autorité  de  Dieu,  et,  autant  que  je  le  puis,  par  la  mienne  !  » 
Alors  il  leva  les  yeux  et  les  mains  au  ciel,  et  pria  en  silence.  Dans  cette 
attitude,  il  rendit  au  Christ  son  âme  bienheureuse.  Les  anges  escortèrent 
au  ciel  celui  qui  avait  mené  ici-bas  une  vie  angélique.  Cependant  le  peu- 
ple accourut  de  toute  la  ville,  pour  entourer  le  corps  du  saint  évêque. 
Après  le  chant  des  hymnes  sacrés,  ses  précieux  restes  furent  portés,  en 
grande  pompe,  au  lieu  qu'il  avait  marqué  pour  sa  sépulture,  et  déposés 
comme  un  trésor  inestimable  sous  le  marbre  où  il  avait  fait  graver  son  épi- 
taphe. 

NOTE  HAGIOGRAPHIQUE  ET  ARCHÉOLOGIQUE 

SUa  LES   ACTES  ET  i/lNSCRIPTION  DE   SAINT  ABERCE. 
LA  FAMEUSE    INCRIPTION  d'AUTUN. 

Parmi  les  monuments  hagiographiques  concernant  la  quatrième  persécution  générale,  les  Actes 
de  saint  Aberce  occupent  le  premier  rang  dans  l'ordre  chronologique.  La  critique  du  xvn»  siècle, 
par  l'organe  de  Tillemont,  avait  déclaré  que  ces  Actes  n'étaient  qu'un  tissu  de  fables,  inventées  à 
plaisir  par  Siméon  Métaphraste,  et  reproduites  sans  discernement  par  Surius.  Ce  jugement  som» 


520  22  OCTOBRE. 

maire  fut  adopté  sans  réclamation.  Un  récent  historien  de  l'Eglise  (Henrion)  écrivait  en  1856  : 
«  L'histoire  de  saint  Aberce,  que  Surius  a  insérée  dans  son  recueil  des  Vies  des  Saints,  ne  mérite 
aucune  croyance  ».  Le  plus  illustre  héritier  de  la  science  et  de  l'érudition  de  nos  Bénédictins,  Dom 
Pitra,  aujourd'hui  cardinal,  avait  cependant  déjà  fait  ses  réserves,  dans  le  Spicilegium  Solesmense. 
«  Je  sais  »,  disait-il  en  1855,  «  que  l'imagination  byzantine,  si  féconde  en  témérités,  pour  ne  pas 
dire  en  inepties,  a  largement  brodé  sur  le  thème  des  Actes  primitifs  de  saint  Aberce,  en  sorte  que, 
depuis  Baronius,  la  plupart  des  historiens  ont  cru  devoir  s'abstenir  de  citer  un  monument  défiguré. 
Cependant,  sous  les  surcharges  posthumes,  il  est  facile  de  distinguer  les  vestiges  de  l'édifice  ancien, 
et  de  reconnaître  la  main  d'un  habile  architecte.  Je  me  plais  à  espérer  que  les  nouveaux  Bollan- 
distes,  qui  travaillent  peut-être  en  ce  moment  sur  cet  intéressant  sujet,  ne  manqueront  pas  de  faire 
le  triage,  rétablissant  les  parties  anciennes  de  l'œuvre  et  signalant  les  additions  apocryphes  de  date 
plus  récente  ».  L'espoir  de  Dom  Pitra  n'a  pas  été  frustré.  Les  nouveaux  Bollandistes  ont  expurgé  les 
Actes  du  saint  évêque  d'Hiérapolis  et  ont  prouvé,  dans  une  dissertation  approfondie  et  victorieuse, 
que  Tillemont  avait  eu  tort  de  les  reléguer  parmi  les  fables  apocryphes.  C'est  ce  texte  expurgé 
que  nous  venons  d'offrir  à  nos  lecteurs  catholiques. 

«  Qu'ils  me  pardonnent  »,  ajoutait-il,  «  de  leur  offrir  ici  une  pierre  isolée,  pour  servir  à  la 
reconstruction  de  l'édifice.  Je  n'ai  pas  eu  pour  la  polir  leur  science  proverbiale;  mais,  tel  qu'il  est, 
ce  monument,  dégagé  du  travestissement  de  l'ignorance  byzantine,  resplendit  des  plus  brillants 
caractères  de  l'antiquité  chrétienne  et  de  la  plus  incontestable  authenticité  ».  La  pierre  précieuse, 
véritable  diamant,  que  l'éminent  bénédictin  extrayait  des  Actes  de  saint  Aberce,  est  l'épitaphe,  en 
vers  hexamètres,  de  cet  évêque  d'Hiérapolis.  Les  compilateurs  byzantins  ne  paraissent  pas  s'être 
doutés  que  ce  morceau  fût  rhythmé.  Ils  l'ont  transcrit  négligemment  dans  leur  recueil,  sans  tenir 
compte  de  la  coupe  des  vers,  omettant  çà  et  là,  par  incurie  ou  par  ignorance,  des  particules,  des 
mots  entiers,  qui  rompent  la  mesure  poétique.  Avec  la  célèbre  inscription  d'Autun,  dont  nous 
aurons  bientôt  l'occasion  de  parler,  c'est  un  des  plus  précieux  monuments  de  l'archéologie  chré- 
tienne au  IIe  siècle.  En  voici  une  traduction  aussi  exacte  qu'il  nous  a  été  possible  de  la  rendre  : 
«  Citoyen  de  cette  illustre  ville,  j'ai  fait  de  mon  vivant  construire  ce  tombeau,  pour  que  mon  corps 
y  repose  un  jour.  Aberce  est  mon  nom  ;  je  suis  le  disciple  du  Pasteur  immaculé,  qui  dirige  la 
troupe  de  ses  agneaux  spirituels  à  travers  les  plaines  et  les  vallées,  et  dont  l'œil  souverain  con- 
temple toutes  choses.  11  a  daigné  m'apprendre  les  paroles  sacrées  de  la  vie.  C'est  lui  qui  m'a  fait 
entreprendre  le  voyage  de  Rome;  j'ai  vu  la  cité  reine;  l'auguste  épouse  de  César  à  la  robe  et  aux 
chaussures  d'or  ;  j'ai  vu  ce  peuple  puissant  qui  porte  au  doigt  les  anneaux  splendides.  Au  retour, 
j'ai  parcouru  les  campagnes  de  la  Syrie  et  ses  nombreuses  villes  ;  Nisibe  et  les  régions  situées  au- 
delà  de  l'Euphrate.  Partout  j'ai  rencontré  l'unanimité  des  esprits  et  des  cœurs.  La  foi  présentait  à 
chacun  des  fidèles  et  distribuait  le  même  aliment  céleste,  1'  'ixOù;  de  la  source  sacrée,  auguste  et 
divin  poisson  qu'une  Vierge  sans  tache  reçut  la  première,  et  qui  s'offre  aux  bien-aimés  du  Père 
pour  être  consommé  à  jamais,  dans  la  participation  du  vin  délectable,  mêlé  au  pur  froment.  Telles 
sont  les  paroles  que  moi,  Aberce,  dans  la  soixante-douzième  année  de  mon  âge,  j'ai  fait  graver  sur 
ce  marbre.  Quiconque  lira  ces  lignes  et  partagera  ma  croyance,  priera  pour  moi.  Que  nul  ne  soit 
assez  téméraire  pour  usurper  ma  tombe  pour  une  autre  sépulture.  Le  violateur  serait  condamné  à 
payer  deux  mille  pièces  d'or  au  fisc  romain,  et  mille  à  ma  douce  patrie,  la  cité  d'Hiérapolis  ». 
Cette  dernière  clause  était  une  formule  officielle  généralement  employée  dans  les  inscriptions  des 
tombeaux.  Elle  rappelait  l'amende,  imposée  par  les  lois  romaines,  aux  profanateurs  de  sépulture. 
La  partie  vraiment  intéressante  de  l'épitaphe  est  celle  qui  constitue  l'autobiographie  du  saint 
évêque,  et  sa  profession  de  foi.  Il  nous  faut  mettre  en  regard  de  l'inscription  d'Aberce,  celle  qui 
fut  naguère  découverte  à  Autun,  et  qui  date  de  la  même  époque.  La  foi  au  mystère  Eucharistique 
tenait  le  même  langage  sur  la  terre  des  Gaules  et  dans  les  plaines  de  la  Phrygie. 

Le  24  juin  1839,  Mgr  d'Héricourt,  évêque  d'Autun,  accompagné  de  M.  Devoucpux  (maintenant 
évêque  d'Evreux),  parcourait  les  ruines  du  polyandre  de  Saint-Pierre  l'Estrier,  ce  fameux  cimetière 
de  l'antique  cité  éduenne.  La  pensée  des  deux  visiteurs  se  reportait  au  temps  des  persécutions, 
quand  les  fidèles  donnaient  en  ce  lieu  la  sépulture  à  l'évêque  et  martyr  saint  Révérien,  venu  de 
Rome  pour  apporter  à  la  terre  des  Gaules  le  double  témoignage  de  la  parole  et  du  sang.  Ces  glo- 
rieux souvenirs  planaient  sur  le  champ  maintenant  désolé,  où  la  pioche  inintelligente  des  ouvriers 
venait,  comme  dans  une  carrière,  arracher  aux  tombes  des  ancêtres  des  matériaux  pour  servir  à 
des  constructions  nouvelles.  Parmi  les  débris  amoncelés,  le  regard  des  illustres  pèlerins  se  fixe  sur 
un  marbre  rompu,  où  des  caractères  grecs  de  la  plus  belle  époque  semblaient  solliciter  l'attention 
d'un  dernier  lecteur,  avant  de  disparaître  pour  jamais  sous  la  truelle  d'un  maçon  du  xixe  siècle.. 
Le  précieux  fragment  fut  aussitôt  recueilli  ;  mais  il  était  fruste.  En  cherchant  parmi  les  décombres 
d'alentour,  la  pieuse  avidité  des  visiteurs  put  retrouver  cinq  autres  débris  dont  les  fractures  juxta- 
posées reconstituaient  une  table  de  marbre  de  cinquante  centimètres  de  haut,  sur  cinquante-deux 
de  large.  Mgr  d'Héricourt  les  fit  transporter  au  petit  séminaire  d'Autun.  Là  se  trouvait  un  jeune 
professeur,  qui  portait  le  nom  encore  inconnu  et  depuis  si  célèbre  de  Pitra.  A  la  vue  de  ce  marbre, 
au  grain  pur  et  poli,  pareil  à  ceux  de  provenance  italienne,  dont  les  fouilles  pratiquées  à  Autun 
lui  avaient  déjà  offert  tant  d'exemplaires,  à  la  vue  surtout  de  ces  caractères  grecs  qui  n'avaient 
déjà  plus  de  secrets  pour  lui,  le  futur  cardinal  reconnut  un  monument  chrétien  de  la  fin  du  ip, 


SAINT  ABERCE,   ÉVÊQUE  d'hIÉRAPOLIS.  521 

ou  tout  au  plus  du  commencement  du  m^  siècle.  Mais  les  six  fragments  qu'il  avait  sous  les  yeux 
ne  complétaient  point  le  texte  entier  de  l'inscription  en  vers  grecs,  dont  les  deux  premières  ligne» 
se  trouvaient  interrompues  par  une  lacune  de  neuf  lettres,  et  les  sept  dernières  par  une  autre  plus 
considérable  de  quatre-vingt-dix  lettres.  «  Je  courus  sur-le-champ  »,  dit-il,  «  au  lieu  où  cette 
magniGque  découverte  venait  de  se  produire.  Je  fis  retourner  en  tout  sens,  jusqu'à  une  profondeur 
de  quatre  pieds,  le  monceau  de  débris  ;  j'en  examinai  chaque  pierre  ;  et  enfin  j'eus  la  joie  de 
retrouver  le  septième  fragment,  le  moins  large  de  tous,  mais  celui  qui  donnait  la  clef  de  tous  les 
autres,  et  portait  le  nom  du  chrétien  en  l'honneur  duquel  l'inscription  avait  été  tracée».  Quelques 
mois  après,  toute  l'Europe  savante  se  préoccupait  du  marbre  d'Autun.  L'inscription  était  gravée, 
traduite,  et  commentée  dans  toutes  les  langues.  La  voici  dans  son  intégrité,  désormais  impéris- 
sable :  «  Race  divine  de  1'  ï*0ùs  céleste,  au  cœur  sacré,  embrasse,  avec  ardeur,  la  vie  immortelle 
parmi  les  mortels.  0  bien-aimé,  rajeunis  ton  âme  dans  les  eaux  divines,  par  les  flots  éternels  de 
la  sagesse  qui  surpasse  tous  les  trésors.  Reçois  du  Sauveur  des  Saints  l'aliment  doux  comme  le 
miel  ;  prends,  mange  et  bois  ;  ta  main  porte  l'i*0ùj.  Divin  'ixfos ,  entends  ma  prière.  Je  t'en  con- 
jure, Maître  et  Sauveur,  que  ma  mère  repose  en  paix  !  Lumière  des  morts,  c'est  à  toi  que  j'adresse 
mes  vœux.  Aschandius,  mon  père,  toi  que  je  chéris  d'un  cœur  filial,  avec  ma  douce  mère  et  tous 
les  miens  dans  la  paix  du  divin  'J*0ù?,  souviens-toi  de  Pectoriiis,  ton  enfant  ». 

Pour  mieux  faire  comprendre  l'importance  de  cette  découverte,  il  n'est  pas  hors  de  propos 
d'indiquer  les  points  dogmatiques  auxquels  l'inscription  d'Autun  apportait  son  irrécusable  témoi- 
gnage. La  divinité  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  se  trouvait  tout  d'abord  attestée  par  la  significa- 
tion même  du  terme  symbolique  'i*0ùj,  dont  Tertullien,  saint  Optât  de  Milève,  et  saint  Augustin, 
nous  avaient  depuis  longtemps  révélé  le  mystérieux  arcane.  Les  titres  de  Sauveur,  de  Christ,  de 
Jésus,  de  Fils  de  Dieu,  renfermés  implicitement  dans  cet  antique  anagramme,  sont  explicitement 
confirmés  par  ceux  de  Seigneur,  Sauveur  des  Saints,  Lumière  des  morts.  Le  rationalisme  moderne  qui 
demande  où  était,  au  n°  siècle,  la  croyance  à  la  divinité  de  Jésus-Christ,  peut  se  renseigner  dans 
l'inscription  d'Autun  et  dans  celle  d'Aberce.  Nous  n'avons  point  inventé  ces  deux  monuments,  pour  le 
besoin  d'une  cause  préconçue  ;  l'un  a  été  exhumé  sur  notre  terre  de  France,  comme  une  réprobation 
anticipée  des  sophismes  actuellement  en  circulation  dans  notre  patrie  ;  l'autre  a  été  arraché  par  la 
philologie  du  milieu  des  décombres  de  la  littérature  byzantine  ;  tous  deux,  merveilleusement  échappés 
au  vandalisme  de  la  pioche  et  à  celui  de  l'ignorance,  attestent  que  l'Orient  et  l'Occident  croyaient, 
au  ii«  siècle  de  notre  ère,  le  dogme  fondamental  de  la  divinité  de  Jésus-Christ.  L'Evangile,  tel  que 
nous  le  lisons  aujourd'hui,  avait  donc  dès  lors  fait  le  tour  du  monde.  Il  n'attendait  donc  point  du 
temps  ni  des  légendes  populaires  ce  complément  tardif,  qui  aurait  h>é  seulement  au  m»  ou 
IVe  siècle  sa  rédaction  définitive.  Le  gallicanisme  de  Launoy  et  de  Baillet,  faisant  remonter  k 
l'an  250,  sous  l'empire  de  Dèce,  l'arrivée  des  premiers  missionnaires  de  la  foi  dans  l'intérieur  des 
Gaules,  recevait  là  un  de  ces  démentis  lapidaires  qui  renversent  pour  jamais  les  thèses  du  parti 
pris.  Son  frère  puîné,  le  jansénisme,  avait  usé  les  derniers  souffles  de  sa  vie  mourante  contre 
l'idolâtrie  romaine  du  culte  rendu  au  cœur  sacré  de  Jésus-Christ.  Le  premiers  vers  de  l'inscription 
d'Autun  était  précisément  un  hommage  au  sacré  cœur  de  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  Sauveur.  C'est 
ainsi  que  la  Conception  immaculée  de  la  sainte  Vierge  et  sa  très-pure  maternité,  ces  dogmes 
catholiques  contre  lesquels  le  protestantisme  et  le  rationalisme  se  sont  élevés  de  concert,  étaient 
proclamés,  en  l'an  166,  dans  l'inscription  du  saint  évêque  d'Hiérapolis.  La  piscine  baptismale,  ce 
nom  dérivé  dans  notre  langue  liturgique,  comme  nous  l'apprend  saint  Optât  de  Milève,  du  mysté- 
rieux PisciSy  'i*0ùs,  sous  le  symbolisme  duquel  les  chrétiens  persécutés  voilaient  aux  regards  du 
paganisme  tout  l'ensemble  de  leur  foi  religieuse,  nous  apparaît  dans  l'inscription  d'Autun,  comme 
la  source  unique  de  la  régénération  des  âmes  par  Jésus-Christ.  Dès  lors  l'unité  du  baptême,  son 
efficacité,  son  obligation  absolue  étaient,  en  l'an  166,  des  dogmes  aussi  connus  des  fidèles  d'Au- 
gustodunum  qu'ils  le  sont  des  catholiques  de  nos  jours.  Mais  c'est  surtout  au  point  de  vue  du 
sacrement  auguste  de  l'Eucharistie  que  l'inscription  d'Autun  et  celle  d'Aberce  offrent  le  plus  d'in- 
térêt. Des  bords  de  la  Tamise  aux  rives  de  l'Oder,  de  Genève  à  Berlin  et  de  Londres  à  Copenhague, 
toutes  les  fractions  éparses  de  l'hérésie  protestante  ont  frémi,  en  apprenant  que  le  dogme  de  la 
présence  réelle  était  écrit  sur  un  marbre  du  n«  siècle,  en  pleine  terre  des  Gaules  et  dans  l'épi- 
taphe  d'un  évêque  phrygien  qui  mourait  à  plus  de  soixante-douze  ans,  sous  Marc-Aurèle,  sans 
faire  mention  d'une  épouse  quelconque,  dont  le  dévouement  l'eût  aidé  à  traverser  le  chemin  de  la 
vie.  Un  évêque  non  marié  à  Hiérapolis,  en  l'an  166,  et  croyant  à  la  transsubstantiation  !  il  y  avait 
de  quoi  faire  tressaillir,  sous  les  tombes  de  Westminster,  tous  ces  évèques  anglicans,  dont  l'éloge 
lapidaire  se  termine  invariablement  par  la  formule  banale  :  Conjugi  mœrentissimo  uxor  mœren- 
tissima.  Depuis  que  la  vérité  catholique  éclate  ainsi,  par  toutes  les  voies  du  passé,  et  que  les 
pierres  mêmes  en  redisent  l'écho  dix-huit  fois  séculaire,  le  protestantisme  s'affaisse  sous  une  dé- 
faillance voisine  de  l'agonie.  Les  âmes  qu'il  retint  si  longtemps  captives  ont  soif  de  tradition, 
d'amour,  de  prière  et  de  vérité.  Le  sacrement  de  l'Eucharistie,  l'antiquité  et  l'efficacité  des  paroles 
sacramentelles,  la  communion  sous  une  seule  espèce,  la  prière  pour  les  morts,  l'intercession  des 
Saints,  tous  ces  dogmes  que  Luther  et  Calvin  avaient  niés  ressortent  du  monument  lapidaire  d'Au- 
tun, comme  une  confirmation  éclatante  de  la  pureté  du  symbole  catholique.  Nous  ne  saurions 
donc  nous  étonner  du  retentissement  que  la  découverte  inespérée  du  marbre  d'Aschandius  a  eu 


522  22   OCTOBRE. 

dans  toute  l'Europe.  Et  plût  à  Dieu  que  les  multitudes  encore  égarées  dans  les  sentiers  de  l'erreur 
ne  fussent  point,  par  leur  ignorance  même,  dans  l'impossibilité  de  comprendre,  comme  les  savants, 
les  deux  inscriptions  d'Autun  et  d'Aberce  1 

Nous  sommes  redevable  de  ce  magnifique  monument  hagiographique,  si  palpitant  d'intérêt  à  notrd 
époque  rationaliste,  à  M.  l'abbé  Darras,  Histoire  générale  de  l'Eglise,  tome  vu,  pages  261-284. 


SAINT  PHILIPPE,  EVEQUE  D'HERACLEE, 

ET  SES  COMPAGNONS,  MARTYRS  A  ANDRINOPLE,  EN  ROUMÉLIE 
304.  —  Vacance  du  Saint-Siège  (304-308).  —  Empereur  romain  :  Dioclétien. 


Celui  qui  brûle  du  désir  d'arriver  dans  l'éternelle 
patrie,  doit  être  d'autant  plus  froid  pour  aimer 
les  biens  du  siècle,  qu'il  s'élève  plus  ardemment 
à  l'amour  de  Dieu. 

Saint  Grégoire  le  Grand. 

Philippe,  attaché  depuis  longtemps  à  l'Eglise  d'Héraelée  ou  Périnthe 
(aujourd'hui  Erékli),  métropole  de  la  Thrace,  lui  avait  rendu  de  grands 
services  en  exerçant  successivement  avec  zèle  les  fonctions  de  diacre  et  de 
prêtre.  Ses  vertus  l'ayant  fait  élire  unanimement  pour  en  être  le  pasteur, 
on  vit  en  lui  un  évêque  digne  des  temps  apostoliques.  Il  se  distingua  sur- 
tout par  la  prudence  avec  laquelle  il  gouverna  son  église,  au  milieu  des 
tempêtes  violentes  dont  elle  fut  assaillie  durant  la  persécution  de  Dioclé- 
tien. Pour  étendre  et  perpétuer  l'œuvre  de  Dieu,  il  forma  plusieurs  disci- 
ples dans  la  connaissance  des  vérités  de  la  religion  et  dans  la  pratique  d'une 
piété  solide.  Deux  d'entre  eux  eurent  le  bonheur  d'être  les  compagnons  de 
son  martyre,  le  prêtre  Sévère  et  le  diacre  Hermès.  Celui-ci  avait  été  le  pre- 
mier magistrat  de  la  ville,  et  il  avait  rempli  cette  charge  avec  tant  de  zèle 
et  de  charité,  qu'il  s'était  fait  universellement  aimer  et  estimer.  Lorsqu'il 
eut  pris  la  résolution  de  se  consacrer  au  service  de  l'Eglise,  il  ne  voulut 
plus  vivre  que  du  travail  de  ses  mains,  et  il  éleva  son  fils  dans  les  mêmes 
principes. 

Les  premiers  édits  de  Dioclétien  contre  la  religion  chrétienne  ayant  été 
publiés,  plusieurs  fidèles  conseillèrent  au  saint  Evêque  de  sortir  de  la  ville  ; 
mais  il  ne  voulut  pas  même  cesser  d'aller  à  l'église.  Il  y  exhortait  son  peu- 
ple à  s'armer  de  courage  et  de  patience  et  à  se  préparer  à  la  célébration  de 
la  fête  de  l'Epiphanie,  qui  approchait.  Tandis  qu'il  prêchait  la  parole  de 
Dieu,  Aristomaque,  stationnaire  ou  commandant  de  la  garnison,  vint  de  la 
part  du  gouverneur  pour  sceller  la  porte  de  l'Eglise.  «  Pensez-vous  »,  lui 
dit  l'évêque,  que  notre  Dieu  soit  enfermé  dans  des  murailles  ?  Vous  ne 
savez  donc  pas  que  c'est  surtout  dans  le  cœur  de  ses  serviteurs  qu'il  fait 
sa  demeure?  »  Il  continua  d'assembler  les  fidèles  devant  la  porte  de 
l'église. 

Le  lendemain  il  vint  des  officiers  qui  mirent  le  scellé  sur  les  livres  saints 
et  sur  les  vases  sacrés.  Les  fidèles,  témoins  de  ce  qui  se  passait,  en  ressenti- 
rent une  vive  douleur  ;  mais  l'évêque,  qui  était  à  la  porte  de  l'église,  les 
encourageait  par  ses  discours.  Le  gouverneur  Bassus  fit  arrêter  Philippe 
avec  plusieurs  chrétiens  et  ordonna  qu'on  les  fît  paraître  devant  lui  ;  et 


SAINT  PHILIPPE,  ÉVÊQUE  d'HÉRACLEE,  ET  SES  COMPAGNONS,   MARTYRS.      523 

lorsqu'il  fut  assis  sur  son  tribunal,  il  leur  dit  :  «  Lequel  d'entre  vous  est  le 
docteur  des  chrétiens?  »  —  a  C'est  moi  »,  répondit  Philippe.  —  «  Vous  ne 
pouvez  ignorer  que  l'empereur  a  défendu  vos  assemblées.  Livrez-moi  les 
vases  d'or  dont  vous  vous  servez,  ainsi  que  les  livres  que  vous  lisez  ».  — 
«  Nous  remettrons  entre  vos  mains  les  vases  et  le  trésor  de  l'église  ;  car 
c'est  par  la  charité,  et  non  par  des  métaux  précieux,  que  l'on  honore  notre 
Dieu  ;  mais,  quant  à  nos  livres  saints,  vous  n'avez  pas  droit  de  me  les  de- 
mander, et  il  ne  m'est  pas  permis  de  vous  les  livrer  ». 

Le  gouverneur  fît  appeler  les  bourreaux  ;  et  Muccapor,  le  plus  cruel 
d'entre  eux,  eut  ordre  de  tourmenter  le  saint  évêque,  qui  souffrit  sans  se 
plaindre  et  sans  faire  paraître  la  moindre  faiblesse.  Sur  ces  entrefaites, 
Hermès  représenta  à  Bassus  qu'il  cherchait  inutilement  à  détruire  les  livres 
où  la  vraie  religion  était  contenue,  et  que,  quand  même  il  en  viendrait 
à  bout,  jamais  il  n'anéantirait  la  parole  de  Dieu.  Son  zèle  irrita  le  juge,  qui 
le  fit  battre  de  verges.  Hermès  se  rendit  ensuite,  avec  Publius,  dans  le  lieu 
où  l'on  gardait  les  livres  saints  et  les  vases  sacrés.  S'étant  aperçu  que  Pu- 
blius détournait  quelques  vases  pour  se  les  approprier,  il  lui  fit  des  repro- 
ches. Le  ministre  infidèle  du  gouverneur  donna  un  soufflet  à  Hermès,  et  il 
le  frappa  avec  tant  de  violence,  que  son  visage  fut  tout  en  sang.  Bassus  con- 
damna hautement  cette  action  et  ordonna  de  panser  la  plaie  d'Hermès.  Il 
distribua  les  vases  et  les  livres  à  ses  officiers.  Ensuite,  pour  faire  sa  cour 
aux  idolâtres  et  pour  effrayer  les  chrétiens,  il  fit  conduire  Philippe  et  les 
autres  prisonniers  sur  la  place  publique  par  une  troupe  de  soldats,  et  com- 
manda qu'on  fît  découvrir  le  toit  de  l'église.  En  même  temps,  les  soldats 
brûlèrent  les  livres  saints.  Les  flammes  montèrent  si  haut  que  les  specta- 
teurs en  furent  effrayés.  * 

Philippe,  étant  informé  de  ce  qui  se  passait,  prit  occasion  du  feu  maté- 
riel pour  parler  des  supplices  dont  Dieu  menace  les  pécheurs.  Il  représenta 
au  peuple  que  leurs  idoles  et  leurs  temples  avaient  été  souvent  brûlés,  et 
dans  l'énumération  qu'il  en  fit,  il  commença  par  le  temple  d'Hercule,  pro- 
tecteur de  la  ville.  Pendant  son  discours,  on  vit  paraître  Galiphronius, 
prêtre  païen,  avec  ses  ministres.  Il  venait  avec  tout  ce  qui  était  nécessaire 
pour  offrir  un  sacrifice.  Il  fut  immédiatement  suivi  du  gouverneur,  qu'envi- 
ronnait une  grande  multitude  de  peuple.  Quelques-uns  étaient  touchés  de 
compassion  à  la  vue  des  souffrances  des  chrétiens.  D'autres,  parmi  lesquels 
se  distinguaient  les  Juifs,  poussaient  contre  eux  des  cris  confus  et  les  char- 
geaient d'imprécations.  Bassus  pressa  le  saint  évêque  de  sacrifier  aux  dieux, 
aux  empereurs  et  à  la  fortune  de  la  ville  ;  puis,  lui  montrant  une  statue 
d'Hercule,  qui  était  d'un  beau  travail,  il  lui  demanda  si  un  tel  dieu  n'était 
pas  digne  de  la  plus  grande  vénération.  Philippe  ne  lui  répondit  qu'en  lui 
montrant  l'absurdité  d'un  pareil  culte  et  en  lui  faisant  sentir  combien  il 
était  contraire  à  la  raison  d'adorer  un  vil  métal  et  l'ouvrage  d'un  statuaire, 
qui  était  peut-être  souillé  des  vices  les  plus  honteux. 

«  Pour  vous  »,  dit  Bassus  en  adressant  la  parole  à  Hermès,  a  je  suis  per- 
suadé que  vous  sacrifierez  ».  —  «  Non  »,  répondit  Hermès,  a  je  ne  sacri- 
fierai pas  ;  je  suis  chrétien  ».  —  «  Si  nous  pouvons  persuader  Philippe  », 
dit  Bassus,  «  vous  suivrez  au  moins  son  exemple». —  «Vous  ne  le  per- 
suaderez pas;  et  en  supposant  même  qull  vous  obéisse,  je  ne  l'imiterai 
pas  ». 

Toutes  les  menaces  étant  inutiles,  le  gouverneur  envoya  les  confesseurs 
en  prison.  Pendant  qu'on  les  y  conduisait,  la  populace  animée  poussait 
Philippe  avec  insolence,  et  on  fe  fit  même  tomber  plusieurs  fois  dans  la 


524  22  OCTOBRE. 

boue.  Mais  il  se  relevait  tranquillement  et  sans  témoigner  la  moindre 
émotion.  Tous  les  spectateurs  admiraient  sa  patience.  Les  martyrs  entrè- 
rent dans  la  prison  en  chantant  des  psaumes,  en  action  de  grâces  de  ce 
qu'ils  souffraient  pour  Jésus-Christ.  Quelques  jours  après,  ils  eurent  la  per- 
mission de  se  retirer  dans  la  maison  d'un  nommé  Pancrace,  qui  était  voi- 
sine de  la  prison.  Les  chrétiens  et  les  nouveaux  convertis  s'y  rendaient  en 
foule  pour  entendre  la  parole  de  Dieu.  Mais  on  les  priva  bientôt  de  cette 
consolation.  On  remit  les  martyrs  en  prison.  Comme  ils  avaient  une  issue 
secrète  sur  le  théâtre  qui  était  contigu,  ils  en  profitèrent  pour  l'instruc- 
tion des  frères  ;  ils  sortaient  pendant  la  nuit,  et  les  chrétiens  venaient  les 
visiter. 

Sur  ces  entrefaites,  le  temps  du  gouvernement  de  Bassus  expira,  et  Jus- 
tin fut  nommé  pour  le  remplacer.  Ce  changement  causa  beaucoup  d'af- 
fliction aux  chrétiens.  Si  Bassus  les  avait  persécutés,  il  s'était  au  moins 
rendu  quelquefois  aux  représentations  qu'on  lui  avait  faites  ;  mais  Justin 
était  d'un  caractère  violent  et  cruel. 

Zoïle,  magistrat  de  la  ville,  ayant  fait  venir  Philippe,  Justin  lui  intima 
les  ordres  de  l'empereur  et  le  pressa  de  sacrifier.  — «  Je  ne  puis  vous  obéir  », 
répondit  Philippe,  «  parce  que  je  suis  chrétien.  Au  reste,  votre  commission 
se  borne  à  nous  punir  de  notre  refus,  et  vous  n'avez  aucun  droit  sur  notre 
volonté  ».  —  «  Vous  ignorez  sans  doute  »,  dit  Justin,  «  quels  tourments 
vous  attendent  ?  » —  «  Vous  pouvez  me  tourmenter,  mais  vous  ne  me  vain- 
crez pas  ;  rien  ne  sera  capable  de  me  faire  sacrifier  ». 

Justin  ayant  ordonné  aux  soldats  de  le  lier  par  les  pieds,  on  le  traîna 
dans  les  rues  de  la  ville.  Son  corps  ne  fut  bientôt  plus  qu'une  plaie.  Les 
chrétiens  le  prirent  dans  leurs  bras  pour  le  reporter  dans  sa  prison.  On  fit 
aussi  paraître  devant  Justin  le  prêtre  Sévère,  qui  s'était  d'abord  caché, 
mais  qui,  par  une  inspiration  de  l'Esprit-Saint,  s'était  livré  lui-même  aux 
idolâtres.  Après  l'interrogatoire,  on  le  mit  en  prison.  Hermès  fut  également 
interrogé  et  traité  de  la  même  manière  que  Philippe. 

Les  trois  martyrs  souffrirent  pendant  sept  mois  les  horreurs  d'un  cachot 
obscur  et  malsain.  On  les  en  tira  ensuite  pour  les  conduire  à  Andrinople. 
On  les  enferma  dans  une  maison  à  la  campagne,  jusqu'à  l'arrivée  du  gou- 
verneur. Justin,  dès  le  lendemain  de  son  arrivée,  tint  sa  cour  aux  Thermes. 
Il  envoya  chercher  Philippe  et  le  fit  battre  de  verges  si  cruellement,  que 
tout  son  corps  en  fut  déchiré  et  qu'on  lui  voyait  même  les  entrailles.  Les 
bourreaux  et  Justin  lui-même  furent  étonnés  de  son  courage.  On  le  renvoya 
en  prison.  Hermès  parut  ensuite  et  déclara  qu'il  était  chrétien  dès  l'en- 
fance. Les  officiers  de  la  cour  demandèrent  grâce  pour  lui,  parce  qu'ils  le 
connaissaient  et  qu'ayant  été  décurion  ou  principal  magistrat  d'Héraclée, 
il  les  avait  obligés  tous  en  différentes  occasions.  On  le  reconduisit  aussi  en 
prison.  Les  saints  martyrs  remercièrent  Jésus-Christ  de  ce  qu'ils  avaient 
déjà  commencé  à  se  montrer  dignes  de  lui.  Philippe,  quoique  d'une  com- 
plexion  faible  et  délicate,  ne  se  ressentit  point  de  ses  tourments. 

Trois  jours  après,  Justin  le  fit  comparaître  de  nouveau  devant  son  tribunal. 
Après  l'avoir  inutilement  pressé  d'obéir  aux  empereurs ,  il  dit  à  Hermès 
qu'il  espérait  qu'il  se  montrerait  plus  sage,  qu'il  estimerait  davantage  les 
douceurs  de  la  vie  et  qu'il  ne  refuserait  pas  plus  longtemps  de  sacrifier.  Her- 
mès, pour  toute  répouse,  se  contenta  de  montrer  l'extravagance  et  l'impiété 
de  l'idplâtrie.  Justin,  transporté  de  fureur,  s'écria  :  «  Quoi,  malheureux, 
tu  parles  comme  si  tu  voulais  me  rendre  chrétien  !  »  Il  délibéra  ensuite 
avec  son  conseil,  et  prononça  la  sentence  suivante  :  «  Nous  ordonnons  que 


SAINT  PHILIPPE,  ÉVÊQUE  d'hÉRACLÉE,  ET  SES  COMPAGNONS,  MARTYRS.      525 

Philippe  et  Hermès,  qui,  pour  avoir  désobéi  aux  empereurs,  se  sont  rendus 
indignes  du  nom  de  romains,  soient  brûlés  afin  de  servir  d'exemple  aux 
autres  ».  Les  deux  Saints  entendirent  cette  sentence  avec  joie.  On  fut 
obligé  de  porter  Philippe  au  supplice,  parce  qu'il  n'avait  pas  la  force  de 
marcher.  Hermès  le  suivit,  mais  avec  beaucoup  de  peine,  parce  qu'il  avait 
aussi  mal  aux  pieds.  ((Maître, »  disait-il  à  Philippe,  «hâtons-nous  d'aller 
au  Seigneur.  Pourquoi  nous  inquiéter  de  nos  pieds,  puisque  nous  n'aurons 
plus  d'occasions  de  nous  en  servir?  »  Puis,  se  tournant  vers  ceux  qui  le 
suivaient,  il  leur  dit  :  «Le  Seigneur  m'a  révélé  que  je  dois  souffrir. 
M'étant  endormi,  il  y  a  quelques  jours,  il  me  sembla  voir  une  colombe 
aussi  blanche  que  la  neige  qui,  entrant  dans  la  chambre,  vint  se  reposer 
sur  ma  tête;  elle  descendit  ensuite  sur  ma  poitrine  et  me  présenta  un 
mets  d'un  goût  délicieux.  Je  reconnus  que  c'était  le  Seigneur  qui  m'appe- 
lait et  qu'il  daignait  m'accorder  la  gloire  du  martyre. 

Lorsqu'on  fut  arrivé  au  lieu  du  supplice,  les  bourreaux,  selon  la  coutume, 
mirent  Philippe  dans  une  fosse  et  lui  couvrirent  de  terre  les  pieds  et  les 
jambes  jusqu'aux  genoux.  Ils  lui  lièrent  ensuite  les  mains  derrière  le  dos 
et  les  attachèrent  à  un  pieu.  On  fit  ensuite  descendre  Hermès  dans  une 
autre  fosse.  Comme  il  se  soutenait  à  l'aide  d'un  bâton,  à  cause  de  la  faiblesse 
de  ses  pieds,  il  dit  avec  une  douce  sécurité  :  «  Malheureux  démon ,  tu  ne 
peux  pas  même  souffrir  que  je  sois  ici  !  »  A  peine  eut-il  prononcé  ces 
paroles,  qu'on  lui  couvrit  les  pieds  de  terre.  Le  feu  n'étant  point  encore 
au  bûcher,  il  appela  un  chrétien  nommé  Velogus,  et  lui  dit  :  «  Je  vous 
conjure  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  de  dire  de  ma  part  à  Philippe, 
mon  fils,  de  rendre  tous  les  dépôts  dont  j'étais  chargé,  pour  que  l'on  ne 
puisse  me  faire  aucun  reproche  ;  les  lois  civiles  mêmes  l'ordonnent.  Dites- 
lui  qu'il  est  jeune,  qu'il  doit  travailler  pour  fournir  à  sa  subsistance,  comme 
je  l'ai  fait,  et  se  bien  conduire  envers  tout  le  monde  ».  On  lui  lia  les  mains 
derrière  le  dos  quand  il  eut  fini  de  parler,  et  on  mit  le  feu  au  bûcher.  Les 
saints  martyrs  ne  cessèrent  de  louer  Dieu  qu'en  cessant  de  vivre. 

Leurs  corps  furent  trouvés  entiers.  Philippe  avait  les  bras  étendus 
comme  quelqu'un  qui  est  en  prières;  Hermès  avait  le  visage  frais,  et  le 
feu  n'y  avait  point  laissé  de  traces.  Justin  ordonna  de  jeter  leurs  corps 
dans  l'Hèbre  ;  mais  quelques  chrétiens  d'Andrinople  les  retirèrent  du 
fleuve  et  les  cachèrent  dans  un  lieu  appelé  Ogestiron,  à  deux  milles  de  la 
ville.  Le  prêtre  Sévère,  qui  était  toujours  en  prison,  apprit  le  martyre  de 
Philippe  et  d'Hermès.  Il  se  réjouit  de  leur  triomphe  et  demanda  la  grâce 
de  le  partager,  puisqu'il  avait  aussi  confessé  le  nom  de  Jésus- Christ.  Sa 
prière  fut  exaucée,  et  il  souffrit  le  martyre  trois  jours  après.  Ils  sont  nommés 
dans  les  martyrologes  sous  le  22  octobre. 

Un  tableau  de  Murillo  représente  l'apothéose  de  saint  Philippe  d'Héra- 
clée.  Sur  le  devant,  un  religieux  de  l'Ordre  de  Saint-François  montre  à 
plusieurs  personnes  le  Saint  qui  s'élève  au  ciel  emporté  par  les  anges.  Une 
grande  flamme  s'élève  au-dessus  d'une  ville  pour  indiquer  que  le  Saint  fut 
brûlé. 

Tiré  d«  leurs  Acte»  sincère»,  publiés  p»r  Mabillon-  —  Cf.  'finement 


526  22  OCTOBRE. 


SAINT  MELLON  OU  MELAINE  DE  CARDIFF, 

ARCHEVÊQUE  DE  ROUEN  ET  CONFESSEUR 
311.  —  pape  :  Saint  Melchiade.  —  Empereur  romain  :  Constantin  le  Grand. 

Le  Créateur  est  la  joie  véritable  de  l'âme;  il  est  donc 
juste  que  l'homme  ne  trouve  en  Soi  que  tristesse, 
lorsque,  abandonnant  son  Créateur,  il  cherche  la 
joie  en  lui-même. 

Saint  Grégoire  le  Grand. 

Saint  Mellon  vint  au  monde  à  Cardiff ,  dans  la  Grande-Bretagne.  U 
donna  dès  sa  jeunesse  de  si  belles  marques  de  son  adresse  et  de  son  cou- 
rage, qu'il  s'acquit  aisément  les  bonnes  grâces  de  son  prince  et  de  tous  les 
grands  du  royaume.  Lorsqu'il  fut  question  d'envoyer  déjeunes  seigneurs 
pour  présenter  le  tribut  à  l'empereur,  il  fut  choisi  pour  une  mission  si 
importante.  Etant  à  Rome,  où  il  ne  pensait  qu'à  augmenter  sa  fortune,  il 
y  trouva  des  chrétiens  qui  le  menèrent  à  saint  Etienne,  pape,  en  un  temps 
où  il  faisait  une  exhortation  aux  fidèles.  Il  n'y  alla  que  par  curiosité,  parce 
qu'il  était  encore  idolâtre;  mais  la  grâce  de  Jésus-Christ  opéra  si  fortement 
dans  son  cœur  à  mesure  que  les  paroles  du  Pontife  entraient  dans  ses 
oreilles,  que,  dès  que  l'exhortation  fut  finie,  il  demanda  le  saint  baptême. 
Il  fut  donc  fait  catéchumène,  et,  peu  de  temps  après,  il  reçut  le  sacrement 
de  la  régénération  spirituelle.  Ensuite,  comme  il  donna  d'illustres  témoi- 
gnages de  sa  foi  et  de  son  zèle  pour  la  religion  chrétienne,  saint  Etienne 
le  promut  au  sacerdoce. 

Enfin,  Dieu  le  choisit  lui-même  d'une  manière  extraordinaire  et  mira- 
culeuse pour  évêque  de  Rouen.  Un  jour  qu'il  célébrait  les  divins  mystères, 
un  ange  lui  apparut  au  côté  droit  de  l'autel,  et,  lui  présentant  un  bâton 
pastoral,  il  lui  déclara  que  Dieu  le  destinait  pour  porter  l'Evangile  dans 
la  ville  de  Rouen.  Le  Pape  vit  lui-même  cet  esprit  céleste,  et,  ne  pouvant 
douter  du  choix  que  la  divine  Sagesse  faisait  de  son  prêtre,  il  l'ordonna 
évêque  et  l'envoya  en  mission  dans  la  Neustrie,  que  l'on  a  depuis  appelée 
Normandie.  Son  voyage  fut  signalé  par  plusieurs  miracles  qui  venaient  de 
ce  que  son  esprit  était  toujours  uni  à  Dieu  par  la  prière,  et  qu'il  portait 
tant  de  révérence  à  sa  divine  présence,  qu'il  fléchissait  les  genoux  trois 
cents  fois  la  nuit  et  le  jour.  En  passant  par  Auxerre,  il  rencontra  un  pauvre 
charpentier,  nommé  Lupille,  qui  s'était  fendu  le  pied  d'un  coup  de  hache  ; 
il  en  eut  pitié,  et  le  touchant  seulement  de  son  bâton  pastoral,  il  lui  rendit 
une  parfaite  santé.  Ce  miracle  fut  cause  de  la  conversion  de  cet  artisan  et 
de  plusieurs  autres  personnes  qui  en  furent  témoins.  On  lui  présenta  en- 
suite des  aveugles  et  des  paralytiques  qu'il  guérit  par  ses  prières  et  par 
l'invocation  du  nom  de  Jésus-Christ  ;  et  quelques-uns  de  ceux  qu'il  favorisa 
de  cette  grâce  embrassèrent  le  Christianisme  avec  tant  de  courage,  qu'ils 
scellèrent  de  leur  sang  la  foi  qu'ils  avaient  dans  le  cœur. 

Lorsque  notre  Saint  fut  près  de  Rouen,  le  démon  tâcha,  par  de  grandes 
menaces,  de  l'empêcher  d'y  entrer  ;  mais  il  se  moqua  de  sa  fureur,  et, 
l'ayant  chassé  par  le  signe  tout-puissant  de  la  croix,  il  se  rendit  dans  cette 


SAINT   MELLON,   ARCHEVÊQUE   DE   ROUEN  ET   CONFESSEUR.  527 

ville,  dont  le  Fils  de  Dieu  et  son  vicaire  l'avaient  établi  le  prince  et  le  pas- 
teur. Il  y  délivra  d'abord  un  possédé,  nommé  Théodore,  fils  de  Basin,  l'un 
des  plus  nobles  du  pays,  que  ni  les  cordes  ni  les  chaînes  ne  pouvaient  rete- 
nir; il  rétablit  en  santé  plusieurs  malades,  et,  comme  il  prêchait  devant 
une  foule  extraordinaire  de  monde,  un  jeune  homme  nommé  Précordius, 
qui  était  monté  sur  un  toit  pour  l'entendre  plus  commodément,  en  étant 
tombé  par  malheur,  et  s'étant  tué  par  cette  chute,  il  lui  rendit  aussitôt  la 
vie.  Ce  prodige  servit  à  la  conversion  de  plusieurs  milliers  de  personnes, 
et  le  ressuscité  même,  qui  reçut  le  baptême  et  fut  ensuite  ordonné  prêtre, 
devint  un  grand  prédicateur  de  l'Evangile  et  avança  beaucoup  le  royaume 
de  Jésus- Christ  par  la  force  de  sa  parole  et  par  la  sainteté  de  ses  exemples. 
Notre  Saint  choisit,  depuis,  le  lieu  où  il  avait  fait  ce  miracle  pour  bâtir 
une  église  en  l'honneur  de  la  très-sainte  Trinité  et  de  la  sainte  Vierge,  et 
l'on  croit  que  c'est  celle  qui,  après  plusieurs  augmentations  et  embellisse- 
ments, est  devenue  la  cathédrale.  De  là,  il  passa  à  un  faubourg  où  l'idole 
Roth,  qui  a  donné  le  nom  de  Rothornagus  à  cette  ville,  rendait  de  faux 
oracles  et  était  adorée  du  peuple,  avec  celles  de  Diane  et  de  Vénus.  Il  y 
trouva  un  sacrificateur,  nommé  Sélidion,  qui,  par  une  superstition  abo- 
minable, lui  offrait  de  l'encens  et  des  victimes.  «  Pourquoi  »,  lui  dit-il, 
«  abuses-tu  ainsi  le  monde  ?  Ne  sais-tu  pas  que  cette  idole  n'est  pas  le  vrai 
Dieu,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre  ;  Celui  dont  la  puissance  nous  a  for- 
més, dont  la  sagesse  nous  gouverne  et  dont  la  bonté  nous  prépare  une  vie 
bienheureuse  et  immortelle  si  nous  sommes  fidèles  à  son  service?  «Ensuite, 
pour  convaincre  tous  les  assistants  de  l'impiété  de  leur  culte,  il  commanda 
au  démon  de  sortir  de  la  statue  sous  la  figure  qui  lui  était  propre.  Ce  com- 
mandement saisit  d'horreur- ce  malheureux  esprit  :  il  jeta  de  grands  cm 
par  la  bouche  de  l'idole,  et,  néanmoins,  étant  forcé  d'obéir,  il  en  sortit 
ensuite  sous  la  forme  d'un  vilain  singe  et  se  mit  en  cet  état  sur  l'autel. 
Alors  Mellon,  adressant  encore  la  parole  à  ce  prêtre,  lui  dit  :  «  Regarde, 
malheureux,  regarde  ton  Dieu;  vois  combien  il  a  bonne  mine  pour  mériter 
des  sacrifices  et  pour  être  appelé  une  divinité  !  »  Ce  reproche  le  couvrit  de 
honte,  et,  à  l'heure  même,  sortant  du  temple,  il  alla  se  pendre  et  finir 
ainsi  sa  vie  sacrilège.  Cependant,  le  Saint  commanda  au  démon  de  ren- 
verser lui-même  ses  autels  et  de  se  précipiter  dans  les  enfers  :  ce  qu'il 
fit  avec  de  grands  hurlements.  Un  événement  si  miraculeux  convertit 
presque  tout  le  peuple  ;  et  il  y  eut  peu  des  assistants  qui  ne  demandassent 
le  Baptême.  Le  Saint  les  reçut  au  nombre  des  catéchumènes;  et,  ayant 
purifié  ce  temple  par  les  exorcismes  de  l'Eglise,  il  y  érigea  un  autel 
au  vrai  Dieu,  sous  le  nom  de  Saint-Sauveur.  Cette  église  est  maintenant 
celle  de  Saint-LÔ,  et  elle  a  pris  ce  nom  parce  qu'en  942  le  corps  de  ce 
bienheureux  évêque  de  Coutances,  avec  celui  de  saint  Romphaire,  y  fut 
transféré  sous  Rollon,  duc  de  Normandie.  On  voit  au  devant  une  fon- 
taine, appelée  des  Impudiques,  parce  qu'au  temps  du  paganisme  les  adora- 
teurs de  Vénus  s'y  lavaient. 

Comme  par  ces  prodiges  et  d'autres  semblables  le  nombre  des  chrétiens 
s'augmentait  à  tous  moments,  et  que  ces  églises  n'étaient  pas  suffisantes 
pour  contenir  tous  ces  fidèles,  le  saint  prélat  en  fit  bâtir  une  troisième  en 
l'honneur  de  saint  Clément  ;  elle  a  toujours  été  paroissiale  jusqu'en  1254  : 
elle  fut  donnée  aux  religieux  de  Saint-François  par  Odon,  archevêque  de 
Rouen.  On  met  encore  au  nombre  des  temples  sacrés  bâtis  par  saint  Mel- 
lon Notre-Dame-la-Ronde  et  Saint-Godard,  quoique  celui-ci  n'ait  pris  ce 
nom  qu'après  le  décès  de  ce  bienheureux  prélat.  Ce  grand  progrès  de  la 


528  22    OCTOBRE. 

religion  était  le  fruit  du  zèle  et  de  la  sainteté  de  Mellon.  Il  portait  sur  ses 
reins  une  chaîne  de  fer  qui  lui  entrait  bien  avant  dans  la  chair;  il  ne  dor- 
mait qu'assis  et  tout  vêtu  ;  il  ne  mangeait  que  des  légumes  et  du  pain 
d'orge;  il  priait  continuellement,  et  son  cœur  était  tout  rempli  des  flammes 
de  la  charité  envers  Dieu  et  envers  le  prochain.  Un  jour  qu'il  célébrait  la 
messe,  on  vit  sur  sa  tête  un  globe  de  feu  dont  la  lumière  surpassait  celle 
du  soleil. 

Enfin,  après  avoir  administré  près  de  cinquante  ans  sa  charge  pastorale, 
voulant  se  disposer  à  la  mort,  il  se  retira  à  un  village  fort  solitaire  nommé 
Héricourt,  à  neuf  lieues  de  la  ville,  pour  ne  plus  s'occuper  que  de  la  con- 
templation des  biens  éternels.  Au  bout  de  quelque  temps,  il  reçut  par  la 
bouche  d'un  ange  l'heureuse  nouvelle  que  son  départ  était  proche  ;  et, 
étant  tombé  malade,  après  avoir  exhorté  et  consolé  son  clergé  et  son 
peuple,  qui  venaient  souvent  le  visiter,  il  rendit  son  esprit  à  Dieu,  pour  être 
couronné  de  sa  gloire,  le  22  octobre  311  ;  il  était  déjà  octogénaire. 

On  représente  saint  Mellon  :  1°  renversant  l'idole  qu'adoraient  les  ha- 
bitants de  Rouen  ;  2°  recevant  de  la  main  d'un  ange  le  bâton  pastoral. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Son  corps  fut  inhumé  au  lieu  où  est  à  présent  l'église  Saint-Gervais;  et  l'on  voit  encore  son 
mausolée,  avec  un  aulel  où  l'on  dit  tous  les  jours  la  messe;  mais,  en  880,  la  crainte  des  Danois 
le  fit  transporter  à  Pontoise,  où,  l'an  1296,  on  a  bâti  une  église  collégiale  en  son  honneur,  et  ses 
saints  ossements  furent  alors  levés  de  terre  et  mis  dans  une  châsse  précieuse  par  Guillaume  de 
Flavacourt,  archevêque  de  Rouen,  et  Hugues,  évêque  de  Bethléem.  Us  y  ont  été  conservés  pré- 
cieusement jusqu'à  la  première  Révolution.  A  cette  triste  époque,  les  reliques  ont  été  dépouillées 
de  leur  reliquaire  et  déposées  secrètement  dans  le  grenier  d'un  curé  assermenté.  Quand  la  Terreur 
a  recommencé,  le  pauvre  curé  a  eu  peur  que  la  présence  de  ces  reliques,  si  on  venait  à  les  décou- 
vrir, ne  devint  un  texte  d'accusation  capitale  contre  lui;  il  chargea  son  bedeau  d'aller  les  enterrer 
dans  un  corn  du  cimetière  de  la  paroisse  Saint-Maclou.  Après  la  tempête,  le  même  curé  reprit 
l'administration  de  la  seule  église  qui  fût  restée  debout,  celle  de  Saint-Maclou.  Quant  aux  reliques, 
elles  ont  été  perdues  sans  retour.  Le  cimetière  qui  les  avait  reçues  a  été  tranféré  en  dehors  de  ta 
ville  ;  tous  les  corps,  après  un  certain  temps,  ont  été  exhumé9  et  probablement  ces  saintes  re- 
liques auront  été  confondues  avec  eux.  On  a  perdu,  de  cette  manière,  le  corps  de  saint  Mellon, 
celui  de  saint  Gauthier,  abbé  d'un  couvent  de  Pontoise,  et  des  parties  notables  du  corps  de  saint 
Maclou.  L'église  de  Saint-Maclou  ne  possède  plus  que  des  fragments  peu  importants  de  tous  ces 
précieux  dépôts. 

Au  pied  du  Pyval,  sur  le  bord  du  grand  chemin  qui  conduit  d'Yvetot  à  Cany,  entre  Gréaume 
et  l'église,  on  voit  une  fontaine  célèbre  dans  le  pays  sous  le  nom  de  Fontaine  de  Saint-Mellon. 
Elle  est  placée  à  l'ombre  de  haut  peupliers  et  cachée  sous  une  voûte  de  maçonnerie  ornée  de  bas- 
reliefs  très-mutilés.  Ces  sculptures,  déjà  usées  en  1780,  représentaient  quelques-unes  des  actions 
mémorables  de  la  vie  du  saint  évêque.,  C'est  à  cette  source  mystérieuse  et  vénérable,  encore  appe- 
lée le  Petit-Saint-Mellon,  que  le  Saint  a  baptisé,  suivant  la  tradition.  Cette  source  vénérée  attire 
chaque  jour  à  Héricourt  de  nombreux  pèlerins;  mais  c'est  surtout  à  la  Pentecôte,  fête  baptismale, 
que  l'on  vient  y  plonger  les  enfants  malades.  Là,  tout  est.  plein  du  souvenir  de  saint  Mellon,  et 
quelques-uns  donnent  le  nom  de  jardin  de  ce  Saint  à  la  colline  du  Pyval,  au  pied  de  laquelle  coule 
la  fontaine  et  dont  le  terrassemeut  aplati  affecte  la  forme  d'un  amphithéâtre. 

L'église  de  Saint-Denis  ou  Saint-Mellon  d'Héricourt  possède  des  reliques  de  saint  Mellon.  Sa 
châsse  est  descendue  solennellement  les  lundis  de  la  Pentecôte,  et  portée  processionnellemeut  à 
la  fontaine.  Toute  l'année,  on  y  brûle  des  cierges  et  l'on  y  dit  des  évangiles. 

Nous  avons  complété  cette  biographie,  avec  des  Notes  dues  à  M.  Driou,  chanoine  honoraire,  curé  d« 
Saint-Maclou,  à  Pontoi6e,  et  a  M.  l'abhé  Cochet,  de  Rouen. 


SAINT  EUCAIRE,   ÉVÊQUE  ET  MARTYR.  529 

SAINT  EUCAIRE,  ÉVÊQUE, 

MARTYR  PRÈS  DE  POMPEY,  AU   DIOCÈSE   DE   NANCY 
IV«  siècle. 


Lorsqu'un  martyr  est  jugé  et  condamné*,  c'est  alors 
qu'il  triomphe  et  terrasse  son  persécuteur. 
Saint  Ambroise. 

Eucaire  dut  le  jour  à  Baccius  et  à  Lientrude,  tous  deux  d'une  origine 
distinguée  et  dont  la  résidence  est  fixée,  par  divers  auteurs,  à  Toul,  à  Sou- 
lOsse  ou  à  Grand.  Il  est  le  frère  de  saint  Elophe  et  des  saintes  Libaire,  Su- 
zanne, Menne,  Oda  et  Gontrude,  suivant  l'antique  inscriplijn,  peut-être 
reproduite  d'une  plus  ancienne,  et  qui  se  lit  encore,  incrustée  dans  le  mur 
de  la  chapelle  élevée  au  lieu  môme  du  sacrifice  du  généreux  confesseur 
Eucaire,  au  confluent  de  la  Meurthe  et  de  la  Moselle,  non  loin  du  village 
dePompey. 

Des  légendes  modernes  disent  qu'Eucaire  dirigeait  les  écoles  de  Toul, 
non  pas,  sans  doute,  qu'à  cette  époque  reculée,  elles  fussent  ce  qu'elles  sont 
devenues  plus  tard.  Toutefois,  ces  écrits  sont  trop  récents  et  n'appar- 
tiennent pas  à  la  bonne  tradition  du  pays.  Quoi  qu'il  en  soit,  Julien  allant 
avec  son  armée,  des  Gaules  en  Allemagne,  passa  par  Toul  où  il  entendit 
parler  d'Eucaire  comme  d'un  maître  habile  et  d'un  intrépide  défenseur  de 
la  nouvelle  religion.  L'apostat  n'ayant  pu,  ni  par  caresses,  ni  par  menaces, 
l'amener  à  renoncer  à  la  foi  en  Jésus-Christ,  lui  fit  trancher  la  tête  avec 
Elophe  son  frère  et  la  vierge  Libaire  sa  sœur. 

.  Cette  dernière  proposition  de  la  légende  ne  doit,  ce  nous  semble,  être 
entendue  que  dans  le  sens  de  la  condamnation  à  mort,  par  le  même  tyran, 
et  non  pas  de  la  simultanéité  du  supplice;  les  actes  de  saint  Elophe  le  fai- 
sant succomber  près  de  Soulosse,  et  ceux  de  sainte  Libaire  marquant  le 
voisinage  de  Grand,  comme  sépulture  de  cette  vierge  courageuse. 

La  légende  rapporte  de  saint  Eucaire,  qu'immédiatement  après  son 
martyre,  sur  les  bords  de  la  Meurthe,  il  se  leva,  prit  dans  ses  mains  sa 
tête  coupée  et  la  porta,  en  suivant  la  vallée  de  Pompey,  jusqu'à  la  distance 
d'un  milliaire;  qu'il  s'arrêta  sur  les  confins  de  la  forteresse  de  Liverdun, 
déposa  sa  tête  sur  un  quartier  de  roche  et  s'arrêta;  enfin,  que  de  ce  lieu  les 
chrétiens  le  transportèrent  dans  l'enceinte  du  castrum  qui  était  proche  et 
l'y  ensevelirent  honorablement.  Aussi  parut-il  s'en  être  constitué  le  protec- 
teur. En  effet,  les  Vandales  et  les  Huns,  ayant  traversé  l'Allemagne,  et 
s'étant  répandus  sur  le  Toulois,  y  portaient  de  toutes  parts  la  dévastation 
par  le  glaive  et  l'incendie.  Les  habitants  de  Liverdun  furent  préservés  de 
leur  sinistre  visite;  privilège  qu'ils  attribuèrent  à  l'intercession  de  saint 
Eucaire,  et  que  Dagobert  Ior,  roi  de  France  et  d'Austrasie,  consigna  comme 
un  miracle,  dans  une  charte  qu'il  voulait  donner  à  l'Eglise  de  Toul. 

D'après  les  plus  anciens  monuments  de  l'église  de  Liverdun,  il  a  été 
constaté  que  grand  nombre  de  sourds,  de  muets,  d'aveugles,  d'énergu- 
mènes,  de  personnes  accablées  d'autres  infirmités,  avaient  recouvré  la  santé 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  34 


530  22  OCTOBRE. 

au  tombeau  du  bienheureux  martyr.  Dans  tous  les  temps  aussi,  les  évêques 
de  Toul  ont  marqué  leur  vénération  pour  celui  qu'ils  comptaient  comme 
un  de  leurs  collègues  dans  l'épiscopat  et  qui  avait  arrosé,  de  son  sang, 
l'arbre  de  la  foi  planté  sur  le  sol  des  Leuci. 

CULTE1  ET  RELIQUES. 

NOTE  CRITIQUE   SUR  i/ÉPISCOPAT  DE  SAINT  EUCAIRE. 

Saint  Gauzlin  leva,  de  son  premier  tombeau,  le  corps  de  l'illustre  martyr  et  le  déposa  dans 
l'église  de  Saint-Pierre  de  Liverdun  où,  pendant  plusieurs  siècles,  il  a  été  l'objet  de  la  vénération 
des  fidèles.  Pour  lui  faire  plus  d'honneur,  Pierre  de  Brixey  le  plaça  dans  une  châsse  qu'il  avait 
fait  préparer,  puis  fonda  en  1144,  à  Liverdun,  un  chapitre  de  chanoines  sous  le  titre  de  Saint- 
Eucaire.  Soixante  ans  plus  tard,  l'évèque  Gilles  de  Sorcy  n'ayant  pas  trouvé  de  son  goût  le  reli- 
quaire donné  par  Pierre  de  Brixey,  en  fit  faire  un  autre,  beaucoup  plus  riche,  et  y  transporta  les 
précieux  restes  du  saint  martyr,  en  présence  des  sommités  ecclésiastiques  du  diocèse,  du  duc  de 
Lorraine  Ferry  III,  de  Marguerite  de  Navarre,  sa  femme,  et  de  la  noblesse  du  pays.  Cette  nouvelle 
châsse  et  le  trésor  qu'elle  renfermait  furent  pieusement  conservés  dans  l'église,  où  la  dévotion  de 
zélés  prélats  les  avait  placés,  et  maintenus  jusqu'en  l'année  1587.  A  cette  époque  désastreuse, 
l'armée  des  Protestants,  après  avoir  envahi  la  Lorraine,  s'approcha  de  Liverdun  et  s'en  empara 
par  surprise.  Après  avoir  saccagé  ce  bourg,  les  hérétiques  enlevèrent  la  châsse  de  saint  Eucaire, 
en  détachèrent  les  précieux  métaux  qui  la  recouvraient  et  l'ornaient,  puis  livrèrent  aux  flammes 
les  restes  sacrés  qui  s'y  trouvaient  abrités. 

La  fête  du  premier  martyr  du  pays  toulois  se  célèbre  actuellement,  dans  le  diocèse  de  Nancy* 
Toul  et  dans  celui  de  Saint-Dié,  le  vingt-deuxième  jour  d'octobre. 

Rupert,  dans  la  passion  de  saint  Elophe  qu'il  composa  pour  les  religieux  de  Saint-Martin  es 
Cologne,  à  la  prière  d'Alban  leur  abbé,  et  sur  l'écrit  d'un  auteur  ancien,  donne  à  saint  Eucaire  1» 
titre  d'évêque.  Les  missels  de  Toul  de  1507,  de  1537,  et  de  1551;  les  bréviaires  imprimés  du 
diocèse  de  1512,  1595,  1628  font  saint  Eucaire  évèque  de  Grand.  Ce  n'est  que  postérieurement  à 
ces  époques,  que  certains  auteurs  ont  refusé  au  frère  de  saint  Elophe  le  nom  d'évêque  de  Grand 
pour  en  faire  un  évèque  de  Toul;  plus  tard  la  liturgie  touloise  ne  lui  a  plus  laissé  que  son  titre 
de  martyr;  déjà  la  même  liturgie,  en  1684,  en  ôtant  à  saint  Eucaire  la  qualification  d'évêque  de 
Grand,  ne  lui  avait  plus  laissé  que  les  titres  d'évêque  et  de  martyr,  sans  lui  donner  un  siège 
déterminé.  M.  l'abbé  Guillaume,  chanoine  de  Nancy,  a  montré,  dans  sa  Dissertation  sur  les 
commencements  de  l'Eglise  de  Toul,  que,  d'après  les  plus  anciennes  traditions  de  cette  Eglise, 
saint  Eucaire  a  bien  pu  exercer  les  fonctions  épiscopales  chez  les  Leuci  dans  la  première  moitié 
du  quatrième  siècle,  avant  l'arrivée  de  saint  Mansuy  à  Toul,  et  que  la  cité  de  Grand  était  assez 
importante,  par  sa  population  et  ses  monuments,  pour  en  faire  le  siège  d'un  évèque.  Rien  n'em- 
pêche pourtant  d'admettre  que  saint  Eucaire  a  exercé  les  fonctions  épiscopales  chez  les  Leuci,  et 
qu'il  a  fixé  sa  résidence  à  Grand,  sans  avoir  été  créé  évèque  de  cette  cité  par  une  mission  spéciale. 
De  cette  façon  saint  Mansuy  serait  encore  le  premier  évèque  des  Leuci,  ayant  eu  son  siège  déter» 
miné  dans  la  ville  de  Toul.  L'antiquité  ne  nous  a  pas  laissé  de  monuments  assez  précis  pour  nous- 
permettre  de  prononcer,  d'une  manière  absolue,  sur  ce  que  la  simple  tradition  a  transmis  des  com 
mencements  de  l'Eglise  de  ce  pays;  mais  il  est  bon,  il  est  utile  de  combiner  ce  que  cette  tradition 
enseigne,  afin  de  lui  laisser  toute  son  autorité  et  sa  valeur,  en  l'accordant  autant  que  possible  avec 
elle-même  et  avec  les  données  certaines  de  l'histoire  ecclésiastique. 

Extrait  de  YHistoire  du  diocèse  de  Tout  et  de  celui  de  Nancy,  par  M.  l'abbé  Guillaume. 

1.  Voir,  au  Supplément  de  ce  volume,  l'hymne  des  Vêpres  de  saint  Eucaire,  tirée  du  bréviaire  Toulois 
do  1595,  qu'a  bien  voulu  nous  adresser  M.  l'abbé  Guillaume,  aumônier  de  la  chapelle  ducale  de  Naacy. 


SAINT  LUPIEN  DE   MENDE,   ABBÉ  DE   SAINT-PRIVAT,  MARTYR.  531 

SAINT  LUPIEN  *  DE  MENDE, 

ABBÉ  DE  SAINT-PRIVAT,  MARTYR  AU  DIOCÈSE  DE  CHALONS 
Vers  584.  —  Pape  :  Pelage  IL  —  Rois  de  France  :  Chilpéric  I«,  Clotaire  H. 


Exacuerunt  ut  gladium  linguas  suas. 

Ils  ont  aiguisé  leur  langue  comme  un  glaire. 

PS.  LXIII,   3. 

Saint  Lupien  (Lupentius)  naquit  à  Mende  (Lozère),  de  parents  illustres 
qui  ne  négligèrent  rien  pour  le  faire  élever  d'une  manière  convenable  à  sa 
naissance.  Lupien  répondit  à  leurs  soins  et  se  distingua  par  ses  brillants 
succès  dans  les  lettres  profanes,  mais  plus  encore  par  son  inclination  pour 
la  vertu.  Il  visitait  les  malades,  consolait  les  affligés,  s'adonnait  au  jeûne 
et  à  l'aumône,  et  il  avait  une  particulière  sollicitude  pour  les  pauvres  hon- 
teux. Cette  sainteté  précoce  le  fit  remarquer  de  son  évêque,  qui  n'hésita 
pas  à  l'élever  aux  honneurs  du  sacerdoce. 

Devenu  prêtre,  Lupien  donna  libre  carrière  à  son  talent  oratoire.  Ses 
instructions,  aussi  fréquentes  que  pathétiques,  faisaient  impression  sur  les 
cœurs,  et  comme  sa  paroleétait  soutenue  par  i'exemple%  il  fit  rentrer  dans 
le  devoir  un  grand  nombre  de  pécheurs.  Bientôt  il  fut  revêtu  de  la  dignité 
d'abbé  du  monastère  de  Saint-Privat  de  Javoux,  et  sa  vertu  n'en  brilla  que 
plus  éclatante  aux  yeux  de  ses  concitoyens. 

Cependant  Dieu  voulait  l'épurer  au  feu  de  la  persécution.  Lupien  avait 
un  zèle  ardent  qui  ne  pactisait  jamais  avec  les  vices  et  les  passions  ;  il  les 
attaquait  vivement  partout  où  il  les  rencontrait,  sans  faire  aucune  accep- 
tion de  personnes.  Mais,  «  reprenez  le  méchant  »,  dit  l'Ecriture,  «  il  se 
déchaînera  contre  vous  »  ;  c'est,  en  effet,  ce  qui  arriva  à  notre  Saint.  Irri- 
tés de  ses  justes  remontrances ,  ceux  dont  il  condamnait  les  désordres 
résolurent  de  le  perdre,  et  de  peur  qu'il  ne  prévînt  la  cour  d'Austrasie  en 
sa  faveur,  ils  se  hâtèrent  de  le  dénoncer  à  la  reine  Brunehaut,  veuve  de 
Sigebert  et  mère  de  Childebert  II,  qui  régnait  alors.  A  la  tête  des  accusa- 
teurs se  trouvait  Innocent,  comte  ou  gouverneur  de  la  ville  et  du  pays  de 
Gévaudan.  Lui-même  rédigea  contre  le  Saint  un  mémoire  qu'il  fit  signer 
par  ses  créatures,  et  qui  accusait  Lupien  de  corrompre  le  peuple  à  force 
de  largesses,  de  parler  contre  l'honneur  et  la  réputation  de  la  reine,  et  de 
méditer  un  bouleversement  dans  l'Etat.  Aussitôt,  Lupien  fut  mandé  à  Metz 
où  résidait  la  cour,  et  traité  comme  un  criminel  de  lèse-majesté  ;  mais  la 
reine  ne  tarda  pas  à  reconnaître  l'innocence  de  Lupien  et  le  renvoya  ab- 
sous. Ce  n'était  pas  ce  que  demandait  le  comte,  qui  n'en  devint  que  plus 
acharné  à  sa  perte.  Aussi  le  Saint  ne  se  fut  pas  plus  tôt  mis  en  chemin 
pour  retourner  à  son  monastère,  qu'Innocent  aposta  deux  misérables  qui 
l'arrêtèrent  à  Ponthion,  près  de  Châlons-sur-Marne.  Après  lui  avoir  fait 
endurer  divers  tourments  en  ce  lieu,  ils  parurent  vouloir  le  laisser  repartir 
librement;  mais,  comme  s'ils  se  fussent  repentis  de  l'avoir  traité  trop  dou- 

1.  Alias  :  Lupence,  Louvent. 


532  22  OCTOBRE. 

cément,  ils  le  poursuivirent  et  l'attaquèrent  sur  le  bord  de  la  Marne,  où  le 
saint  abbé  avait  dressé  sa  tente,  pour  passer  la  nuit.  Il  leur  fut  aisé  d'acca- 
bler un  homme  sans  défense,  qui  n'avait  à  leur  opposer  que  des  prières  et 
des  bénédictions.  Ces  barbares  et  lâches  ennemis,  dignes  ministres  de  leur 
maître,  ne  mirent  fin  à  leurs  mauvais  traitements  qu'en  lui  tranchant  la 
tête.  Pour  cacher  leur  crime,  ils  la  mirent  dans  un  sac  qu'ils  remplirent 
de  cailloux,  et  la  jetèrent  dans  l'endroit  le  plus  profond  de  la  rivière.  Ils 
y  firent  aussi  rouler  le  corps,  après  l'avoir  attaché  à  une  énorme  pierre. 
C'était  vers  l'an  584. 

Malgré  leurs  précautions,  Dieu,  qui  se  rit  des  efforts  des  impies,  permit 
qu'au  bout  de  quelques  jours  le  corps  flottât  sur  l'eau,  et  des  bergers  le 
retirèrent  pour  lui  donner  la  sépulture.  Gomme  ils  se  demandaient  de  qui 
pouvaient  être  ces  dépouilles,  voici  qu'un  aigle  fondit  tout  à  coup  sur 
l'eau,  comme  pour  se  jeter  sur  quelque  proie.  Il  leva  un  sac  du  fond  de  la 
rivière  et  le  laissa  retomber  sur  le  bord.  Aussitôt  les  bergers  et  les  per- 
sonnes rassemblées  en  ce  lieu  s'empressèrent  autour  du  sac,  et  quel  ne  fut 
pas  leur  étonnement  d'y  trouver  une  tête  s'adaptant  parfaitement  au  corps 
qu'ils  avaient  retiré.  Bientôt  on  reconnut  le  saint  abbé,  et  on  l'enterra  le 
plus  décemment  possible.  Mais  Dieu  qui,  pour  faire  honorer  la  sépulture 
d'Elisée,  rendit  la  vie  à  un  mort  par  l'attouchement  des  os  du  Prophète,  ne 
voulut  pas  non  plus  que  les  restes  de  Lupien  restassent  dans  un  lieu  pro- 
fane ;  il  inspira  à  un  vénérable  prêtre  du  voisinage,  nommé  Hermance,  de 
leur  rendre  de  plus  pompeux  honneurs.  Hermance  vint  donc  avec  son 
clergé  et  un  grand  nombre  de  fidèles,  et  les  transporta  dans  son  église  avec 
beaucoup  de  solennité. 

L'aigle  est  la  caractéristique  de  saint  Lupien;  nous  en  avons  dit  la 
raison. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Plus  tard,  les  ossements  du  saint  Martyr  furent  portés  à  Châlons-sur-Marne  et  déposés  dans 
l'église  cathédrale  où  l'on  n'en  vénère  plus  qu'une  faible  partie.  La  ville  de  Mende,  patrie  de  saint 
Lupien,  ne  possédait  aucune  relique  de  son  glorieux  enfant  ;  elle  en  obtint  quelques  parcelles  de 
Mgr  Claude-Antoine  de  Choiseul-Beaupré,  qui  mourut  en  1763. 

Il  y  a  d'autres  Saints  du  nom  de  Lupien  :  les  Bollandistes  prétendent  que  les  reliques  qui  sont 
au  village  qui  porte  ce  nom  (Aube)  seraient  plutôt  celles  de  l'un  d'entre  eux  que  du  célèbre  abbd 
de  Saint-Privat.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  ossements  qu'on  y  conserve  avec  une  pieuse  vénération 
furent  renfermés  jusqu'en  1469  dans  un  tombeau  de  pierre,  élevé  sur  quatre  piliers.  A  cette  époque, 
is  furent  visités  par  Mgr  Louis  Raguier,  soixante-seizième  évèque  de  Troyes,  qui  les  fit  placer 
Uans  une  châsse  neufve  de  bois  doré  et  embellie  d'images,  que  l'on  voyait  naguère  encore  au» 
jrès  du  tombeau  du  Saint,  mais  que  la  vétusté  a  fait  disparaître.  Leur  identité  fut  constatée  de 
nouveau  en  1675  et  1757.  Profanés  en  1793,  ils  furent  recueillis  par  une  personne  pieuse  et  digne 
de  foi,  et,  après  de  sérieuses  informations,  leur  authenticité  fut  reconnue,  le  13  mai  1829,  par 
M.  l'abbé  Fournerot,  vicaire  général  de  Mgr  de  Séguins-des-Hons. 

Le  10  octobre  1838,  M.  l'abbé  Roisard,  vicaire  général  du  même  prélat,  en  fit  la  translation 
solennelle  et  les  déposa  dans  une  châsse  nouvelle  d'ordre  gothique  et  d'un  riche  travail.  Cette 
châsse  est  due  à  la  générosité  des  habitants  de  saint  Lupien  :  on  la  porte  en  procession,  chaque 
année,  le  jour  de  l'Ascension,  dans  les  rues  du  village,  au  milieu  du  concours  des  fidèles.  Le  prin- 
cipal ossement  qu'on  y  conserve  est  le  fémur.  On  vénère  encore  dans  deux  autres  petits  reliquaires 
un  os  de  l'avant-bras  et  deux  portions  do  côte  de  saint  Lupien. 

La  fête  de  saint  Lupien  se  célèbre  le  13  octobre  de  chaque  année.  On  voit  encore  en  ce  jour 
les  pèlerins  se  presser  autour  des  reliques  et  du  tombeau,  derniers  restes  d'une  dévotion  autrefois 
si  florissante. 

Saint  Lupien  est  populaire  dans  le  Perthois,  où  beaucoup  d'églises  l'ont  choisi  pour  patron. 

.   Extrait  de  la  Vie  des  Saints  de  Troyes,  par  M.  l'abbé  Dcfor. 


SAINT  MODERAN  OU  MORAN,  ÉVÊQUE  DE  RENNES.  533 


SAINT  LOUP,  TREIZIÈME  ÉVÊQUE  DE  SOISSONS  (540). 

Saint  Loup  était  fils  de  saint  Prince  ou  Principe,  lequel  avait  été  marié  avant  d'être  élevé  à 
l'épiscopat.  Selon  quelques  auteurs,  Loup  n'était  que  son  neveu.  Après  la  mort  de  saint  Prince, 
l'archevêque  de  Reims,  saint  Rémi,  l'ordonna  évêque  de  Soissons,  avec  d'autant  plus  de  confiance 
qu'il  l'avait  eu  longtemps  sous  ses  yeux  dans  l'école  de  cléricature  de  Reims.  Il  y  avait  été  témoin 
de  son  aptitude  aux  sciences  sacrées  et  de  son  avancement  dans  la  piété.  Loup  marcha  sur  les 
traces  de  son  père  et  de  son  oncle  et  s'appliqua  à  gouverner  son  église  avec  une  grande  prudence. 
Les  pauvres  n'eurent  qu'à  se  louer  de  sa  charité,  étant  par  lui  secourus  dans  tous  leurs  besoins. 

Clovis,  par  le  conseil  de  saint  Rémi,  de  Reims,  et  de  saint  Melaine,  de  Rennes,  ayant,  en  511, 
convoqué  à  Orléans  un  concile  qui  fut  le  premier  tenu  dans  cette  ville,  saint  Loup  s'y  trouva  avec 
cinq  métropolitains  et  vingt-cinq  évèques.  On  y  fit  trente  et  un  canons  fort  importants,  concer- 
nant le  droit  d'asile,  dernier  refuge  du  faible  contre  le  fort  et  de  l'innocence  contre  le  crime  ;  le 
pouvoir  des  évêques  ;  la  soumission  des  abbés  à  l'ordinaire  ;  l'administration  des  biens  ecclésias- 
tiques. Le  vingt-cinquième  canon  déclare  que  personne,  à  moins  d'une  infirmité  grave,  ne  pourra 
célébrer  à  la  campagne  les  fêtes  de  Pâques,  de  Noël  et  de  la  Pentecôte.  Le  trente  et  unième  veut 
que  l'évêque  assiste,  le  dimanche,  à  l'office  de  l'église  la  plus  proche  du  lieu  où  il  se  trouvera, 
s'il  n'en  est  empêché  par  quelque  infirmité. 

De  retour  dans  son  diocèse,  saint  Loup  s'appliqua  à  faire  observer  les  règlements  du  concile 
d'Orléans  qui  regardaient  le  peuple  et  les  clercs.  A  Bazoches,  village  à  six  lieues  et  demie  de 
Soissons,  et  sur  le  bord  de  la  Vesle,  saint  Loup  rebâtit  et  agrandit  la  basilique  élevée  sur  le  tom 
beau  de  saint  Rufin  et  de  saint  Valère  ;  puis,  autour  de  cette  nouvelle  église,  il  réunit  soixante- 
douze  clercs  sous  sa  direction,  en  mémoire  des  soixante-douze  disciples  de  Notre-Seigneur,  pour  y 
célébrer  avec  pompe  l'office  divin.  Ce  chapitre  exista  plus  de  quatre  siècles  encore  après  la  mort 
du  saint  prélat.  » 

Après  la  mort  de  saint  Rémi,  son  neveu,  Loup,  évêque  de  Soissons,  s'occupa  avec  le  prêtre 
Agricole  d'exécuter  les  dernières  volontés  du  saint  archevêque,  et  de  mettre  l'église  de  Soissons 
en  possession  de  la  rente  de  dix  sous  d'or  ainsi  que  de  la  terre  de  la  Sablonnière-sur-Morin  (Seine- 
et-Marne),  près  de  Coulommiers,  à  elle  léguées  dans  le  testament  de  saint  Rémi. 

Saint  Loup,  parvenu  à  une  extrême  vieillesse,  après  avoir  occupé  le  siège  de  Soissons  une 
quarantaine  d'années,  mourut  plein  de  mérites  vers  l'an  540.  Il  fut  inhumé  à  côté  de  saint  Prince, 
dans  la  chapelle  de  sainte  Thècle.Au  ixe  siècle,  ses  précieux  restes  ont  été  transportés  à  la  cathé- 
drale où  ils  ont  été  longtemps  vénérés.  Au  xvi«  siècle,  les  Calvinistes  les  ont  livrés  aux  flammes. 

La  fête  de  saint  Loup  se  célébrait  autrefois  à  Soissons  le  19  octobre.  Depuis  le  retour  à  la 
liturgie  romaine,  elle  est  marquée  au  calendrier  le  22  de  ce  mois. 

Notice  due  à  M.  Henri  Congnet,  chanoine  de  Soissons.  —  Cf.  Flodoard;  G  allia  Christiana  ;  l'abbé 
Pécheur,  Annales;  le  P.  Richard,  Actes  de  la  province  de  Reims. 


SAINT  MODERAN  OU  MORAN,  ÉVÊQUE  DE  RENNES  (730). 

Moderan  vint  au  monde  dans  le  diocèse  de  Rennes  et  reçut,  dès  son  enfance,  une  éducation 
conforme  au  rang  élevé  que  tenaient  ses  parents.  Attaché  par  attrait  à  l'étude,  il  y  fit  des  progrès 
rapides  et  devint  bientôt  un  jeune  homme  très-instruit.  L'évêque  de  Rennes  le  reçut  au  nombre 
des  clercs  de  son  église.  Le  mérite  du  jeune  serviteur  de  Dieu  croissant  avec  l'âge,  il  fut  élevé  au 
sacerdoce,  et  s'acquit  par  ses  vertus  l'estime  du  clergé  et  des  fidèles  ;  aussi  le  siège  épiscopal 
étant  venu  à  vaquer,  fut- il  appelé  à  le  remplir  avec  l'approbation  générale  du  prince,  des  grands 
et  du  peuple. 

Ce  fut  sous  le  règne  de  Chilpéric  qu'il  devint  évêque  de  Rennes.  Après  quelque  temps  d'épis- 
copat,  il  obtint  de  ce  prince  la  permission  de  faire  le  pèlerinage  de  Rome.  Moderan  dirigea  sa 
route  de  manière  à  passer  par  la  ville  de  Reims,  et  s'étant  logé  au  monastère  de  Saint-Remi,  il 
obtint  de  Bernard,  trésorier  de  l'église,  une  partie  de  l'étole,  du  cilice  et  du  suaire  du  saint  pon- 


534  22  OCTOBRE. 

tife.  Charmé  d'avoir  acquis  ces  richesses,  il  continua  sa  route  avec  joie  vers  l'Italie.  Une  nuit  qu'il 
se  trouvait  au  mont  Bardon,  qui  fait  partie  de  l'Apennin,  il  suspendit  ces  reliques  à  un  chêne 
vert.  Il  se  leva  le  lendemain  matin,  et  continua  sa  route  sans  se  ressouvenir  du  précieux  gage  qu'il 
avait  laissé  à  l'arbre.  Ne  s'étant  aperçu  de  sa  perte  qu'assez  loin  de  là,  il  envoya  aussitôt  un  clerc 
nommé  Wulfade  prendre  ces  reliques  ;  mais  celui-ci  ne  put  venir  à  bout  d'exécuter  ce  qui  lui 
avait  été  ordonné.  Il  lui  fut  impossible  d'y  atteindre,  et  plus  il  s'en  approchait,  plus  elles  sem- 
blaient s'élever.  L'évêque  ayant  appris  ce  miracle,  retourne  au  même  lieu  et  y  dresse  sa  tente  ; 
mais  il  eut  beau  prier  une  partie  de  la  nuit,  il  ne  put  rien  obtenir.  Son  trésor  ne  lui  fut  rendu 
que  lorsque,  disant  la  messe  le  lendemain  au  monastère  de  Berzetto,  aujourd'hui  petite  ville  du 
Parmesan,  qui  était  près  de  là,  et  dédié  à  saint  Àbundius,  martyr,  il  eut  promis  de  laisser  dans  ce 
monastère  une  partie  des  reliques.  Aussitôt  elles  lui  furent  rendues  ;  il  accomplit  son  vœu,  et 
continua  son  voyage. 

Luitprand,  qui  régnait  en  Italie  depuis  l'an  712,  ayant  été  informé  de  ce  miracle,  vint  à  la 
rencontre  de  l'évêque,  et,  pour  l'amour  de  saint  Rerai,  lui  donna  le  monastère  de  Berzetto  avec 
toutes  les  dépendances  de  l'abbaye.  Moderan,  après  avoir  satisfait  sa  dévotion  dans  la  capitale  du 
monde  chrétien,  passa  par  Reims  à  son  retour  de  Rome,  et  visita  le  tombeau  de  saint  Rémi.  Il  fit 
à  ce  bienheureux  apôtre  des  Français  la  même  donation  que  celle  qu'il  avait  reçue  de  Luitprand. 
Etant  ensuite  revenu  à  Rennes,  il  fit  ordonner  un  successeur  à  sa  place,  vendit  tous  ses  biens  et 
en  distribua  le  prix  aux  pauvres  ;  puis,  ayant  pris  congé  de  son  peuple,  il  retourna  au  monastère 
de  Berzetto  (720).  Son  zèle  le  rendit  l'apôtre  de  tous  les  peuples  des  environs  de  l'abbaye,  aux- 
quels il  annonçait  les  vérités  du  salut.  On  assure  que  Dieu  autorisa  ses  prédications  par  plusieurs 
miracles.  Après  avoir  passé  dix  ans  dans  le  monastère  qu'il  avait  choisi  pour  lieu  de  sa  retraite, 
il  y  acheva  saintement  ses  jours  dans  les  exercices  de  la  vie  religieuse  en  octobre  730.  Cette 
abbaye  possédait  encore  à  la  fin  du  siècle  dernier  le  corps  de  saint  Moderan.  Il  y  avait  dans  la 
ville  de  Rennes,  auprès  des  murs  de  l'ancienne  cité,  un  prieuré  qui  portait  le  nom  de  Saint-Moran. 
L'église  de  Rennes  célèbre  la  mémoire  de  ce  saint  évêque  le  22  octobre,  avec  office  du  rit  double 
mineur. 

Extrait  des  Saints  de  Bretagne,  par  Dom  LoMneau. 


SAINT  BENOIT  DE  MACERAC,   ABBÉ, 

AU  DIOCÈSE  DE  NANTES  (845). 

La  Grèce  fut  la  patrie  de  saint  Benoit,  et  Patras,  capitale  de  l'Achaïe,  la  ville  où  il  vit  le  jour. 
Il  est  très-probable  que  les  troubles  civils  auxquels  était  alors  exposé  son  pays,  et  le  désir  de 
vivre  ici-bas  inconnu,  furent  les  causes  qui  le  déterminèrent  à  quitter  le  lieu  de  sa  naissance  et  à 
chercher  une  contrée  étrangère,  où  il  pût  se  cacher  aux  hommes  et  s'occuper  de  Dieu  seul.  11 
paraît  qu'il  fit  son  voyage  par  mer,  et  qu'ayant  remonté  la  Loire,  il  vint  débarquer  au  port  de 
Nantes  avec  sa  sœur,  nommée  Avénia,  et  neuf  compagnons,  qui  partageaient  ses  désirs  de  retraite. 
Alain,  évêque  de  cette  ville,  les  accueillit  avec  bonté,  plaça  Avénia  dans  un  monastère  de  vierges, 
et  ayant  recommandé  Benoit  à  la  bienveillance  du  comte  de  Nantes,  celui-ci  donna  à  Benoit  et  à 
ses  compagnons  un  lieu  nommé  Macerac,  situé  au  confluent  de  la  petite  rivière  du  Don  et  de  la 
Vilaine.  C'est  là  que  cette  âme  généreuse,  travaillant  sans  relâche  à  mériter  la  bienheureuse  éter- 
nité, passa  des  jours  pleins  aux  yeux  du  Seigneur  et  amassa  des  trésors  pour  le  ciel.  On  donne  à 
Benoit  le  titre  d'abbé,  ce  qui  suppose  qu'il  forma  une  communauté  avec  les  compagnons  de  sa 
retraite,  et  qu'il  en  fut  le  supérieur.  Il  est  difficile  de  savoir  s'il  embrassa  une  Règle  déjà  connue 
dans  l'Eglise,  telle  que  celle  de  Saint-Colomban  ou  de  Saint-Benoit,  ou  bien  s'il  suivit  un  institut 
particulier.  L'obscurité  profonde  dans  laquelle  ce  saint  homme  se  cacha  par  humilité  nous  empêche 
de  connaître  le  détail  de  ses  actions.  Se  contentant  de  plaire  à  son  divin  maître,  il  ne  chercha  pas 
à  vivre  dans  la  mémoire  des  hommes. 

On  croit  qu'il  mourut  le  1er  octobre  845.  Il  fut  inhumé  dans  son  ermitage,  qui  est  devenu 
ensuite  l'église  de  Macerac  ;  et  son  tombeau,  qui  n'a  pas  été  respecté  pendant  la  Révolution,  sub- 
siste encore.  Son  corps  fut  transporté  dans  l'église  de  l'abbaye  de  Redon,  où  il  a  été  conservé 
jusqu'en  l'année  1793,  époque  à  laquelle  des  impies  le  profanèrent  et  le  détruisirent.  Cette  trans- 


MARTYROLOGES.  535 

lation,  qui  eut  lieu  le  22  octobre,  a  été  cause  que  la  fête  de  saint  Benoît  se  célèbre  ce  jour.  Ce 
n'est  que  depuis  1790  qu'elle  a  été  établie  dans  le  diocèse  de  Nantes,  par  M.  de  La  Laurencie,  qui 
en  était  alors  évoque. 

Extrait  des  Saints  de  Bretagne,  par  Dom  Lobineau. 


LE  BIENHEUREUX  LADISLAS  DE   GÏELNIOW, 

FRÈRE  MINEUR  (1505). 

Le  bienheureux  Ladislas  de  Gielniow  naquit  dans  ce  bourg  de  Pologne,  dépendant  du  diocèse 
de  Gnesne.  Il  eut  le  bonheur  d'être  du  nombre  des  religieux  franciscains  que  saint  Jean  de  Capis- 
tran  dirigeait  vers  la  perfection  par  ses  leçons  et  surtout  par  ses  exemples.  Il  s'était  consacré  au 
Seigneur  dès  sa  première  jeunesse.  Le  zèle  de  la  gloire  de  Dieu  le  porta,  lorsqu'il  fut  profès,  à 
entreprendre,  avec  douze  compagnons,  une  mission  chez  lesTartares  Kalmouks,  livrés  à  l'idolâtrie 
ou  engagés  dans  le  mahométisme.  Les  obstacles  que  le  grand-duc  de  Russie  mit  à  cette  sainte 
entreprise  en  empêchèrent  le  succès.  Revenu  en  Pologne,  Ladislas  se  livra  tout  entier  à  l'accom- 
plissement des  devoirs  de  sa  profession.  Son  obéissance  était  admirable  ;  il  montra  une  prudence 
consommée  dans  les  charges  de  gardien  du  couvent  de  Varsovie  et  de  provincial  de  son  Ordre.  Sa 
vertu  et  son  éloquence  lui  acquirent  une  grande  réputation  comme  prédicateur.  Prêchant  la  Pas- 
sion un  vendredi  saint,  il  fut  ravi  en  extase  après  avoir  prononcé  le  nom  de  Jésus,  et  fut  élevé 
au-dessus  de  la  chaire,  à  la  vue  de  tout  le  peuple.  Il  tomba  bientôt  après  dans  une  maladie  de 
langueur,  dont  il  mourut  à  Varsovie,  en  1505.  Dieu  manifesta  tellement,  après  la  mort  de  Ladislas, 
les  mérites  et  la  sainteté  de  son  serviteur,  que  les  Polonais  et  les  Lithuaniens  le  choisirent  pour 
Tan  de  leurs  premiers  patrons.  Le  pape  Benoît  XIV  a  permis  qu'on  l'honorât  comme  Bienheureux. 

L'Ordre  de  Saint-François  en  fait  la  fête  le  22  octobre. 

> 
Tiré  de  Godescard,  édition  de  Bruxelles,  1854. 


xxnr  jour  d'octobre 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

Au  territoire  d'Ossuna,  près  de  Cadix,  en  Espagne,  la  naissance  au  ciel  des  saints  martyrs  Ser- 
vand  et  Germain,  qui,  durant  la  persécution  de  Dioclétien,  et  sous  Viateur,  son  lieutenant,  après 
avoir  enduré  les  fouets,  la  prison,  la  faim,  la  soif,  et  la  fatigue  d'un  long  voyage  qu'on  leur  fit 
faire  chargés  de  chaînes,  furent  décapités  et  achevèrent  ainsi  le  cours  de  leur  martyre.  Germain 
fut  enterré  à  Mérida,  et  Servand  à  Séville.  iv«  s.  —  A  Antioche,  en  Syrie,  la  naissance  au  ciel  de 
saint  Théodorit  (Théodoret,  Théodoric),  prêtre,  qui  fut  arrêté  durant  la  persécution  de  Julien, 
sndura  la  torture  du  chevalet  ainsi  que  plusieurs  autres  tourments  très-aigus,  eut  les  côtés  brûlés 
avec  des  torches  ardentes,  et  enfin,  comme  il  persistait  dans  la  confession  de  Jésus-Christ,  con- 
*omma  son  martyre  par  le  glaive  *.  362.  —  A  Grenade,  en  Espagne,  le  bienheureux  Pierre  Pas- 

1.  A  l'époque  ou  Julien  l'Apostat  préparait  son  expédition  contre  les  Perses,  il  fut  question,  pour  sub- 
venir aux  armements  formidables  poursuivis  sans  relâche  depuis  trois  ans,  de  dépouiller  de  ses  trésors  la 
basilique  d' Antioche,  l'une  des  plus  riches  de  l'univers.  Or,  le  prêtre  Théodorit  était  préposé  à  la  garde 
des  vases  sacrés  de  cette  église.  Arrêté  par  ordre  de  l'empereur,  et  placé  entre  la  trahison  et  le  martyre, 


536  23  OCTOBRE. 

chal,  évêque  de  Jaëû  et  martyr,  de  l'Ordre  de  Notre-Dame  de  la  Merci,  qui  souffrit  la  mort  le 
6  décembre.  1300.  —  A  Constantinople,  saint  Ignace,  évèque,  qui,  ayant  repris  le  césar  Bardas  de 
ce  qu'il  avait  répudié  sa  femme,  fut  par  lui,  après  avoir  essuyé  toutes  sortes  d'outrages,  envoyé 
en  exil.  Mais,  ayant  été  rétabli  sur  son  siège  par  un  décret  du  pape  Nicolas  Ier,  il  mourut  en 
paix  K  877.  —  A  Bordeaux,  saint  Skverin,  évêque  de  Cologne  et  confesseur.  v«  s.  —  A  Rouen, 
saint  Romain,  évèque.  639.  —  A  Salerne,  saint  Vère,  évêque.  v«  s.  —  Au  diocèse  d'Amiens, 
saint  Domice,  prêtre  2.  Vers  740.  —  Dans  le  Poitou,  saint  Benoit,  confesseur  8.  iv°  s.  —  A  Vil- 
îach,  en  Hongrie,  saint  Jean  de  Caspitran,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  illustre  par  la  sainteté 
de  sa  vie  et  par  son  zèle  à  étendre  la  foi  catholique.  Les  Turcs  ayant  mis  le  siège  devant  Bel- 
grade, il  obtint,  par  ses  prières,  la  délivrance  de  cette  ville  et  la  défaite  des  ennemis.  1456. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,   REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Aux  diocèses  d'Agen,  Albi,  Arras,  Beauvais,  Bordeaux,  Cahors,  Cambrai,  Carcassonne,  Chartres, 
Cbâlons,  Le  Puy,  Clermont,  La  Rochelle,  Limoges,  Lyon,  Meaux,  Moulins,  Pamiers,  Reims,  Rennes, 
Saint-Dié,  Séez,  Soissons,  Tarbes,  Tours,  Vannes,  Versailles  et  Viviers,  la  solennité  du  très-saint 
Rédempteur,  honoré  sous  le  nom  trois  fois  saint  de  Jésus  de  Nazareth.  —  Au  diocèse  d'Angers, 
sainte  Hedwige,  veuve,  duchesse  de  Pologne,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  17  octobre.  1243. 

—  Au  diocèse  d'Auch,  saint  Léothade,  évèque  de  ce  siège  et  confesseur.  Vers  718.  —  Aux  dio- 
cèses d'Autun,  Cologne  et  Mayence,  saint  Séverin  ou  Seurin,  évêque  de  Cologne,  puis  de  Bordeaui, 
cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  v«  s.  —  Au  diocèse  de  Bayeux,  saint  Romain,  évèque  de 
Rouen  et  confesseur,  cité  aujourd'hui  au  même  martyrologe.  639.  — -  Au  diocèse  de  Coutances  et 
Avranches,  saint  Pierre  d'Alcantara,  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  19  octobre.  1562. 

—  Au  diocèse  de  Nantes,  saint  Vital,  confesseur,  dont  nous  avons  déjà  parlé  au  martyrologe  de 
France  du  16  octobre.  Vers  740.  —  Au  diocèse  de  Nîmes,  saint  Théodorit  ou  Théodoric,  prêtre  et 
martyr  à  Antioche  de  Syrie,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  362.  —  Au  diocèse  de  Char- 
tres, les  saints  Servand  et  Germain,  martyrs  près  de  Cadix,  en  Espagne,  cités  aujourd'hui  au  même 
martyrologe.  ive  s.  —  Au  diocèse  de  Quimper,  saint  Magloire,  évêque  de  l'ancien  siège  de  Dol  et 
confesseur,  dont  nous  donnerons  la  vie  au  jour  suivant.  586.  —  Aux  diocèses  de  Saint-Flour  et  dô 
Verdun,  saint  Jean  de  Kenty,  prêtre,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  20  octobre.  1473.  —  A 
Amiens,  saint  Gratien,  martyr.  303.  —  Encore  a  Amiens,  sainte  Ulphe  (déjà  citée  au  31  jan- 
vier), vierge,  fille  spirituelle  de  saint  Domice,  diacre  et  chanoine  d'Amiens,  cité  au  martyrologe 
romain  de  ce  jour.  vme  s.  —  A  Lillers  (Pas-de-Calais),  au  diocèse  d'Arras,  les  saints  martyrs 
Lugle  et  Luglien,  frères,  qui  prêchèrent  la  foi  dans  les  provinces  du  nord  de  la  France.  vne  ou 
vin»  s.  —  A  Vienne,  en  Dauphiné,  saint  Edice  (Edicté,  Eodice,  Ediste,  Hédice),  évêque  de  ce 
siège  et  confesseur.  Vers  640.  —  Autrefois,  à  Meaux  et  à  Châlons-sur-Marne,  sainte  Syre,  vierge, 
distincte  de  son  homonyme  de  Troyes  qui  reçoit  encore  de  nos  jours  un  culte  public.  Vers  le  milieu 
du  vii«  s.  —  A  Huy,  ville  de  Belgique  (Liège),  sainte  Ode,  épouse  de  Boggis,  duc  d'Aquitaine,  et 
tante  maternelle  de  saint  Hubert,  évêque  de  Maëstricht,  dont  elle  fit  l'éducation.  Devenue  veuve 
(688),  elle  quitta  Toulouse  dont  elle  avait  fait  jusque-là  sa  résidence,  et  se  retira  au  pays  de  Liège 
où  elle  passa  le  reste  de  ses  jours  dans  la  pratique  des  œuvres  de  piété  et  fonda  plusieurs  églises  *. 

il  n'hésita  point  et  donna  courageusement  sa  vie  pour  Jésus-Christ.  En  France,  saint  Théodorit  est  patron 
d'Uzès  (Gard),  et  de  Châteauneuf-Calcernier  (Vaucluse,  arrondissement  d'Orange).  —  Darras,  Histoire  de 
l'Eglise,  tome  x,  page  146;  Brochin,  curé  de  Châteauneuf,  lettre  d'août  1871. 

1.  Ignace  mourut  à  l'âge  de  près  de  quatre-vingts  ans.  On  porta  son  corps,  renfermé  dans  un  cercueil 
de  bois,  dans  l'église  de  Sainte-Sophie  ;  de  là  il  fut  transféré  dans  celle  de  Sainte-Menne  oh  deux  femmes 
possédées  du  démon  furent  délivrées  par  son  intercession.  Enfin  on  déposa  ses  reliques  dans  l'église  de 
Saint-Michel  qu'il  avait  fait  bâtir  à  quelque  distance  de  la  ville.  —  Godescard. 

2.  Le  martyrologe  romain  se  trompe  en  donnant  à  saint  Domice  la  qualité  de  prêtre.  M.  le  chanoine 
Corblet,  dans  sa  précieuse  Hagiographie  du  diocèse  d'Amiens,  a  démontré  qu'il  ne  fut  jamais  que  diacre. 
Molanus,  dans  son  édition  d'Usuard,  en  fait  un  évêque.  Les  anciens  martyrologes  d'Amiens  et  de  Saint- 
Eiquier  mentionnent  seulement  la  qualité  de  confesseur. 

3.  Evêque  de  Samarie  ou  Sébaste  (Palestine),  Benoît  quitta  son  troupeau  dispersé  par  la  persécution  de 
Julien  l'Apostat  et  vint  se  fixer  dans  le  Poitou.  Saint  Hilaire,  évêque  de  Poitiers,  lui  céda  une  de  ses  terre» 
oh  il  se  construisit  un  ermitage  et  forma  de  nombreux  disciples.  Cet  ermitage  fut  le  noyau  qui  produisit 
plus  tard  (654)  l'abbaye  de  Saint-Benoît  de  Quinçay.  Les  reliques  du  saint  ermite,  cachées  h  l'époque  de 
nos  guerres  avec  l'Angleterre  (xme,  xiv«  et  xv«  siècles),  n'ont  pas  encore  été  retrouvées.  —  Vies  de» 
Saints  de  l'Eglise  de  Poitiers,  par  M.  l'abbé  Auber. 

4.  Le  corps  de  sainte  Ode  fut  inhumé  dans  l'église  Saint-Georges  d'Amay  (vicus  Amanium,  près  d'Huy, 
sur  la  rive  gauche  de  la  Meuse)  dont  elle  était  la  fondatrice.  Vingt  ans  plus  tard  (743),  saint  Florbert, 
évêque  de  Liège,  procédait  h  l'ouverture  canonique  de  ce  tombeau  glorieux,  près  duquel  des  miracles  sans 
nombre  n'avaient  cessé  de  s'accomplir.  Quand  la  pierre  du  sépulcre  fut  levée,  une  suave  odeur  s'échappa 
des  saintes  reliques,  qui  furent  transférées  dans  une  châsse  précieuse  et  déposées  sous  le  maitre-autel 
de  l'église  d'Amay.  —  L'abbé  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  tome  xvn,  page  100. 


MARTYROLOGES.  537 

723.  —  Autrefois  à  Troyes,  saint  Romain,  d'abord  moine  de  Saint-Oyend  (Jura),  puis  abbé 
de  Mantenay,  au  diocèse  de  Troyes,  et  enfin  successeur  de  saint  Rémi  sur  le  siège  archié- 
piscopal de  Reims.  Vers  535.  -—  A  Toul,  diocèse  actuel  de  Nancy,  saint  Amon,  deuxième 
évèque  de  l'ancien  siège  de  Toul  *.  (Voir  sa  vie  au  Supplément  de  ce  volume.)  —  A  Auxerre, 
saint  Hérifrid  ou  Herfroy  de  Chartres,  quarantième  évoque  d'Auxerre  et  confesseur.  11  gou- 
verna cette  Eglise  pendant  vingt-deux  ans,  un  mois  et  seize  jours.  On  l'inhuma  devant  l'autel 
de  Notre-Dame  2.  909.  —  Dans  l'abbaye  bénédictine  de  Grandselve  (Grandis  sylva),  au  diocèse 
de  Toulouse,  le  bienheureux  Bertrand,  abbé.  1149.  —  Dans  l'abbaye  cistercienne  de  Notre-Dame 
des  Chasteliers  (Castellarise),  au  diocèse  de  Poitiers,  le  bienheureux  Giraud  de  Salles,  confesseur. 
Après  avoir  fondé  neuf  monastères,  attiré  dans  ces  maisons  religieuses  toute  sa  famille,  et  brillé 
de  l'éclat  de  toutes  les  vertus,  il  s'endormit  dans  le  Seigneur  et  fut  enseveli  dans  l'abbaye  de  Notre- 
Dame  des  Chasteliers,  sa  dernière  fondation.  1120.  —  Au  diocèse  de  Besançon,  saint  Valère  (Val- 
lier,  Valier),  archidiacre  de  l'Eglise  de  Langres  et  martyr,  dont  nous  avons  dit  un  mot  au  jour  pré- 
cédent. Vers  264. 


MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-Basile.  — •  A  Constantinople,  saint  Ignace, évêque, de  l'Ordre 
de  Saint-Basile,  qui,  ayant  repris  le  césar  Bardas  de  ce  qu'il  avait  répudié  sa  femme,  éprouva  de 
la  part  de  ce  prince  toutes  sortes  de  mauvais  traitements  et  fut  envoyé  en  exil  ;  mais,  ayant  été 
rétabli  sur  son  siège  par  le  pape  Nicolas  Ier,  il  mourut  en  paix.  877. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Déchaussés  de  la  Sainte-Trinité.  —  La  solennité  du  très-saint 
Rédempteur  dont  la  vénérable  image,  prise  par  les  barbares,  emportée  en  Afrique  et  outragée  de 
diverses  manières,  fut  rachetée  par  les  Frères  Déchaussés  de  la  très-sainte  Trinité  de  la  Rédemp- 
tion des  Captifs  et  rapportée  en  Espagne,  où,  opérant  des  miracles  et  des  prodiges  éclatants,  elle 
est  entourée  de  la  vénération  et  du  culte  des  peuples  sous  le  nom  trois  fois  saint  de  Jésus  de 
Nazareth. 

Martyrologe  de  V Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  — •  A  Vicence,  le  bienheureux  Barthélémy  de 
Bragance,  évêque  et  confesseur,  de  l'Ordre  de  notre  Père  saint  Dominique,  préposé  d'abord  à 
l'Eglise  de  Nimésie,  puis  à  celle  de  .Vicence  ;  très-estim,é  du  pape  Grégoire  IX  qui  le  créa  maître 
du  sacré  palais,  ainsi  que  d'autres  souverains  Pontifes  et  du  roi  de  France  saint  Louis,  à  cause  de 
sa  sainteté  éminente  et  de  ses  travaux  pour  étendre  le  règne  de  la  foi  catholique  8.  1270. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint-François.  —  A  Villach,  en  Hongrie,  saint  Jean  de 
Capistran,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  qui,  très-célèbre  par  son  érudition  et  la 
sainteté  de  sa  vie,  ramena  à  la  foi  catholique  une  multitude  de  Gentils,  de  Juifs,  d'hérétiques  et 
de  schismatiques,  et  se  reposa  dans  le  Seigneur  après  avoir  fait  de  grandes  choses  pour  l'Eglise. 
Il  fut  après  comme  avant  sa  mort  très-célèbre  par  ses  miracles  et  mis  au  nombre  des  Saints  par 
le  souverain  pontife  Alexandre  VIII.  1456. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  De  même  que  ci-dessus. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin.  —  A  Mantoue,le  bienheureux  JEAN 
LE  Bon,  de  notre  Ordre,  remarquable  par  sa  vertu  de  pénitence  et  l'éclat  de  ses  miracles,  et  dont 
saint  Antoine  a  écrit  la  glorieuse  vie.  1222. 

Martyrologe  des  Mineurs  Capucins  de  Saint-François.  —  De  même  que  chez  les  Frères 
Mineurs. 

1.  Le  corps  du  premier  évêque  de  Toul  (saint  Mansuy)  étant  resté  dans  l'abbaye  de  Saint-Mansuy,  la 
châsse  des  reliques  de  saint  Amon  était  la  plus  précieuse  que  possédât  la  cathédrale  de  la  cité.  Aussi  elle 
était,  dans  les  processions  des  Rogations,  portée  par  quatre  chapelains,  et,  au  retour  de  celle  du  mercredi, 
tout  le  clergé  étant  arrivé  dans  la  nef,  chacun  selon  son  rang  s'approchait  pour  baiser  la  châsse  et  passer 
par  dessous,  les  quatre  chapelains  la  tenant,  pour  cet  effet,  suffisamment  élevée.  Le  vandalisme  de  93  a 
fait  disparaître  cette  châsse;  mais,  grâce  à  la  sollicitude  de  personnes  chrétiennes,  les  reliques  n'ont  pas 
été  perdues.  De  saint  Amon,  M.  Aubry,  décédé  curé  de  Salnt-Gengoult,  a  sauvé  :  une  portion  des  vête- 
ments, des  sandales.,  du  cilice  dont  il  se  ceignait  les  reins,  et  des  parfums  dont  son  corps  fut  embaumé. 
Ces  pieux  objets,  reconnus  authentiques,  sont  aujourd'hui  exposés  à  la  vénération  des  fidèles  dans  l'église 
Saint-Gengoult,  et  enchâssés  dans  de  beaux  reliquaires  nouvellement  confectionnés  par  les  soins  de 
M.  l'abbé  Pierson,  curé  actuel  de  cette  paroisse.  —  Notes  locales  dues  à  l'obligeance  de  M.  l'abbé  Guil- 
laume, chanoine  de  Nancy.  Cf.  Histoire  du  diocèse  de  Toul  et  de  celui  de  Nancy,  par  le  même  auteur. 

2.  Sous  l'épiscopatd'Hérifrid,  un  immense  incendie  réduisit  en  cendres  presque  toute  la  ville  d'Auxerre. 
La  cathédrale,  composée  des  trois  églises  de  Notre-Dame,  de  Saint-Jean  et  de  Saint-Etienne,  fut  consumée 
aussi  bien  que  la  maison  épiscopale.  Le  zélé  pasteur  vint  à  bout  de  remettre  sur  pied  les  trois  églises.  Il 
fit  aussi  reconstruire  celle  de  Saint-Clément  qui  était  au  sud  de  la  cathédrale.  Ces  quatre  sanctuaire* 
furent  richement  dotés  par  le  prélat.  —  Gallia  Christiana  nova. 

3.  Il  fut  enseveli  dans  une  église  qu'il  avait  fait  construire  à  Vicence  et  qu'il  avait  enrichi  d'une  relique 
considérable  de  la  vraie  Croix  et  d'une  épine  de  la  Couronne  de  Notre-Seigneur,  présents  du  roi  saint 
louis.  Le  pape  Pie  VI  l'a  inscrit  au  nombre  des  Bienheureux  en  1793.  —  Continuateurs  de  Godescard. 


53S  23  OCTOBRE. 


ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

Dans  la  célèbre  abbaye  bénédictine  du  Mont-Cassin  (Terre  de  Labour),  saint  Berthaire  (Bertaire, 
Berthier),  abbé  et  martyr.  Issu  du  sang  royal  de  France,  il  naquit  au  commencement  du  ixe  siècle. 
Son  illustre  naissance  lui  promettait  de  grands  avantages  dans  le  monde,  mais  il  quitta  tout  pour 
se  faire  moine  au  Mont-Cassin.  L'abbé  Basce  étant  mort  en  856,  il  fut  élu  pour  lui  succéder  et  se 
montra  un  digne  imitateur  de  saint  Benoit.  Les  Sarrasins  ayant  fait  une  irruption  en  Italie,  rava- 
gèrent tout  le  pays,  incendièrent  l'abbaye  et  massacrèrent  le  saint  abbé  pendant  qu'il  faisait  sa 
prière  devant  l'autel  de  Saint-Martin.  Berthaire  a  laissé  des  sermons,  des  homélies,  des  pièce» 
de  vers  et  quelques  autres  écrits.  884.  —  A  Nicée  (aujourd'hui  Isnik),  ancienne  ville  de  l'Asie- 
Mineure,  en  Bithynie,  sainte  Tbéodote  et  saint  Soerate,  martyrs,  qui  moururent  glorieusement 
pour  la  foi  sous  le.  règne  d'Alexandre  Sévère.  Vers  230.  —  A  Andrinople,  ville  de  la  Turquie  d'Eu- 
rope (Boumélie),  les  saints  Sévère  et  Dorothée,  martyrs.  —  A  Césarée  de  Cappadoce  (Csesarea 
Eusebia),  aujourd'hui  Kaïsarieh,  sur  l'Halys,  saint  Seurèse  (Séreuse,  Suverse,  Séverse,  Senrèse), 
martyr,  mentionné  dans  les  martyrologes  de  saint  Jérôme.  —  A  Syracuse,  en  Sicile,  saint  Jean, 
évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  dont  saint  Grégoire  le  Grand  a  fait  l'éloge.  Vers  609.  —  A 
Côme,  en  Lombardie,  saint  Octavien  ou  Octarien,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  dont  le  corps 
repose  dans  l'église  de  Saint-Abonde,  hors  des  murs  de  la  ville  l.  Vers  680.  —  A  Glastonbury, 
ville  d'Angleterre  (Somerset),  sainte  Eflède  ou  Ethelllède,  veuve,  disciple  de  saint  Dunstan, 
archevêque  de  Cantorbéry  (29  mai).  Vers  950.  —  Dans  l'abbaye  bénédictine  de  Tavistock,  en  Angle- 
terre (Devonshire),  saint  Rumon  ou  Rumone,  évêque  irlandais  et  confesseur,  dont  les  reliques  se 
gardaient  autrefois  dans  ce  monastère.  Avant  961.  —  A  Piscio,  entre  Lucques  et  Pistoie,  en  Tos- 
cane, saint  Alluce,  confesseur.  H34.  —  Au  monastère  de  Sainte-Marie  du  Mont-Sacré  (Sacro 
Monte  di  Varese),  en  Lombardie,  la  bienheureuse  Julienne  de  Pareselles  (Juïiana  a  Busto 
Arsitio),  vierge.  Clément  XIV  a  approuvé  son  culte  par  un  décret  du  12  septembre  1769. 
I/Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin  fait  sa  fête  au  14  août.  1540. 


SAINT  SEVERIN  OU  SEURIN  D'AQUITAINE, 

ÉVÊQUE  DE  COLOGNE,  PUIS  DE  BORDEAUX 
Ve  siècle. 


Jlle  non  vano  tenuit  tremendam 
Spiritu  s&dem,  proprio  née  ausu; 
Sed  sacrum  jussus,  Domino  vocante, 
Sumpsit  honorem. 
Il  n'a  eu  garde,  comme  le  pasteur  téméraire,  de  s'as- 
seoir de  son  propre  chef  sur  le  siège  redoutable 
de  l'évoque  ;  à  cet   honneur  sacré  il  ne  s'est  plié 
que  sur  un  ordre  formel  de  son  Dieu. 

Hymne  de  saint  Seurin. 

Seurin  sortit,  en  Aquitaine,  dit-on,  (Tune  famille  noble  et  riche  ;  ses 
parents  s'occupèrent  avant  tout  de  développer  en  lui  cette  étincelle  de 
bien,  d'amour  de  la  justice  et  de  la  piété,  déposée  en  toute  âme  humaine. 

1.  Octavien  gouvernait  l'Eglise  de  CÔme  a  l'époque  où  elle  adhérait  au  schisme  des  Trois-Chapitres. 
On  appelait  ainsi  trois  ouvrages  théologiques  de  Théodore  de  Mopsueste,  de  Théodoret  et  d'Ibas,  qui  étaient 
plus  ou  moins  empreints  de  l'erreur  de  Nestorius  sur  le  mystère  de  l'Incarnation  et  sur  l'union  des  deux 
natures  en  Jésus-Christ.  Ils  furent  définitivement  condamnés  (553)  par  le  Concile  général  de  Constanti- 
nople.  Par  suite  de  ce  regrettable  incident,  le  culte  de  saint  Octavien  a  été  restreint  par  la  Sacrée  Con- 
grégation des  Rites,  et  approuvé  pour  la  basilique  de  Saint-Abonde  exclusivement.  Ce  culte  tend  à  dispa- 
raître depuis  que  les  Français,  sur  la  fin  du  siècle  dernier,  ont  détruit  le  monastère  de  Saint-Abond» 
contigu  à  l'église  de  ce  nom.  —  Nouveaux  Bollandistes,  tome  x  d'octobre,  page  106. 


SAINT  SÉVEMN  OU  SEURIN  D'AQUITAINE,   ÉVÊQUE.  539 

Ils  le  confièrent  à  une  des  communautés  sacerdotales,  écoles  premières,  où 
il  ne  put  rien  voir  ni  entendre  que  d'honnête  et  de  saint.  A  un  enseigne- 
ment bien  dirigé,  aux  exemples  de  toutes  les  vertus,  il  apportait  une  intel- 
ligence précoce,  un  cœur  droit  et  généreux;  aussi  lit-il  des  progrès 
rapides  dans  la  piété  comme  dans  les  sciences.  C'était  une  plante  qui 
recevait  les  abondantes  rosées  du  ciel  et  rendait  en  parfum  et  en  fruit  ce 
qu'elle  en  avait  reçu. 

Dans  l'enfant  et  dans  le  jeune  homme  apparaissaient  déjà  les  traits 
principaux  de  cette  grande  âme  :  un  amour  persévérant  de  l'étude  qui 
embrassait  l'Ecriture  Sainte,  la  tradition  et  la  philosophie;  une  humilité 
profonde  qui  dérobait  à  ses  propres  yeux  ses  progrès  en  tous  genres  et  le 
tenait  au-dessous  de  tous  quand  tous  relevaient  au-dessus  d'eux  :  une 
pénitence  à  laquelle  toutes  les  immolations  étaient  familières  et  faciles, 
de  son  esprit  à  de  longues  oraisons,  de  son  corps  à  de  rudes  macérations, 
de  ses  biens  à  d'abondantes  aumônes.  Dans  ce  détachement  universel  il 
réalisait  ce  mot  de  l'Apôtre  :  «  Jésus-Christ  est  ma  vie  et  la  mort  m'est  un 
gain  ». 

Un  jour  Seurin  crut  entendre  au  milieu  des  champs  la  voix  d'un  ange  : 
«  Seurin,  Seurin,  tu  seras  évêque  de  Cologne  ».  —  «  Quand  cela  arrivera- 
t-il?  »  répondit  le  Saint.  «  Quand  le  bâton  que  tu  tiens  à  la  main  aura 
fleuri  » ,  reprit  la  voix.  Et  aussitôt,  posé  par  terre,  le  bâton  fleurit.  Seurin 
ne  tarda  pas  à  être  élevé  à  l'épiscopat. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  vision,  dont  les  Bollandistes  repoussent  l'au- 
thenticité, Seurin,  dont  la  réputation  de  sainteté  s'était  répandue  de  toutes 
parts,  fut  appelé  à  l'évêché  de  Trêves  et  de  Cologne.  Revêtu  malgré  lui  de 
la  dignité  épiscopale,  il  ne*  recula  devant  aucun  de  ses  devoirs  ni  de  ses 
sacrifices.  Pasteur  infatigable ,  il  atteignait  tous  les  besoins ,  toutes  les 
infirmités  dans  l'immense  peuple  qui  lui  était  confié.  C'est  alors  qu'il  visita 
l'église  de  Tongres.  Là,  selon  l'usage  des  monastères,  on  lui  présenta  un 
enfant  qui  désirait  se  consacrer  à  Dieu.  Dans  la  sagesse  de  ses  réponses  il 
sentit  une  âme  prévenue  de  la  grâce  et  conçut  pour  elle  une  grande  affec- 
tion. C'était  saint  Evergisile,  son  futur  archidiacre,  son  successeur  sur  le 
siège  de  Cologne. 

Dans  cette  dernière  ville,  ^1  connut  par  révélation  la  mort  de  saint 
Martin.  Un  dimanche,  à  l'heure  où,  après  Matines,  il  parcourait,  selon  sa 
coutume,  les  sanctuaires  de  son  église,  il  entendit  tout  à  coup  un  concert 
céleste  au-dessus  de  sa  tête.  Il  appelle  alors  son  archidiacre  .Evergisile  ;  et 
comme  celui-ci  n'entendait  rien,  ils  se  prosternent  ensemble  pour  deman- 
der à  Dieu  une  communication  commune  de  cette  merveille.  Des  voix  qui 
chantent  dans  les  airs  arrivent  alors  distinctement  à  leurs  oreilles.  «  C'est», 
dit  l'évêque,  «  Martin  qui  quitte  ce  monde,  et  les  anges  au  milieu  de  leurs 
cantiques,  portent  son  âme  dans  le  ciel.  Le  démon  et  ses  anges  ont  voulu 
la  retenir,  mais  ils  n'ont  rien  trouvé  en  elle  de  leur  malice,  et  ils  se  sont 
retirés  confondus.  Qu'en  sera-t-il  de  nous,  pécheurs,  puisqu'ils  ont  voulu 
combattre  un  si  saint  et  un  si  grand  pontife  ?  »  L'archidiacre  s'empressa 
d'envoyer  un  courrier  à  Tours,  et  il  fut  constaté  que  l'heure  où  son  saint 
évêque  était  mort  était  bien  celle  où  Seurin  avait  entendu  le  concert  des 
anges. 

A  cette  époque  vivait  un  ermite  célèbre  par  ses  œuvres.  Fils  de  prince, 
élevé  au  sein  de  toutes  les  jouissances  et  des  richesses,  le  jour  même  de 
ses  noces,  après  un  festin  splendide  et  au  moment  de  s'unir  à  l'épouse  qui 
faisait  l'objet  de  ses  vœux,  il  s'enfuit  au  désert  n'emportant  avec  lui  qu'une 


540  23  OCTOBRE. 

écuelle  de  bois.  Un  jeune  homme  d'une  grande  beauté  lui  avait  apparu, 
lui  promettant  une  plus  grande  félicité  s'il  voulait  le  suivre.  Il  s'était  atta- 
ché à  ses  pas  et,  son  merveilleux  compagnon  disparu,  il  se  fixa  dans  la 
solitude  où  il  l'avait  conduit.  Là,  il  fut  un  jour  inspiré  de  demandera 
Dieu  connaissance  de  l'âme  sainte  dont  il  pouvait  espérer  de  partager  la 
récompense  céleste.  Il  lui  fut  révélé  que  c'était  l'évêque  de  Cologne.  Impa- 
tient de  le  voir,  il  se  rend  dans  la  ville  épiscopale  et  le  trouve,  un  jour  de 
fête,  après  les  offices  divins,  donnant  un  grand  repas.  A  cette  vue,  il  crut 
son  salut  compromis  dans  sa  ressemblance  de  sort  futur  avec  un  homme 
qui  vivait  au  milieu  de  l'abondance  des  choses  de  la  vie.  Il  ne  tarda  pas  à 
reconnaître  que  l'évêque  était  plus  véritablement  pauvre  au  sein  de  ses 
grandeurs  que  lui-même  avec  son  écuelle  de  bois. 

Tandis  que  le  zèle  de  Seurin  s'appliquait  surtout  à  arracher  de  Cologne 
les  semences  d'Arianisme  que  l'indigne  évêque  Euphratas  y  avait  jetées,  la 
voix  de  Dieu  se  fit  de  nouveau  entendre  à  lui  :  «  Quitte  »,  lui  dit-elle,  au 
milieu  de  la  nuit  et  après  une  oraison  longtemps  prolongée,  «  quitte  le  siège 
de  Cologne  et  rends-toi  en  Aquitaine.  Bordeaux  a  besoin  de  ton  ministère  ». 
Accompagné  de  quelques-uns  de  ses  prêtres,  Seurin  passa  en  Aquitaine.  La 
nuit  qui  précéda  son  arrivée  à  Bordeaux,  un  ange  en  avertit  l'évêque 
Amand  :  «  Lève-toi  »,  lui  dit  le  messager  céleste,  «  réunis  ton  clergé  et  ton 
peuple  et  vas  au-devant  de  Seurin  que  tu  placeras  sur  ton  siège  ». 

Une  immense  procession  de  tous  les  ordres  s'avance  à  la  rencontre  de 
l'envoyé  de  Dieu,  en  faisant  retentir  les  airs  du  cri  :  «  Béni  soit  celui  qui 
nous  vient  au  nom  du  Seigneur!  »  Les  deux  Saints,  sans  s'être  jamais  connus, 
se  saluent  parleurs  noms  et  se  donnent  un  baiser  fraternel.  Amand  intro- 
duit Seurin  dans  le  monastère,  et,  en  présence  de  tout  le  clergé  et  le  peuple, 
l'intronise  sur  son  siège  épiscopal. 

Une  mission  si  surnaturelle  se  manifesta  par  les  plus  heureux  fruits. 
Bordeaux  changea  de  face  sous  la  direction  du  nouveau  pontife.  La  foi  fit 
de  grandes  conquêtes  ;  les  mœurs  s'améliorèrent.  Seurin  soutenait  ce  mou- 
vement par  les  dons  extraordinaires  qui  apparaissaient  en  lui.  Il  avait  l'es- 
prit de  discernement  des  âmes  et  pénétrait  les  consciences.  Il  possédait  le 
don  des  miracles  ;  il  guérissait  les  malades  et  les  infirmes  avec  un  signe  de 
croix  ;  il  ressuscitait  les  morts.  En  voici  un  exemple  :  Un  père  et  une  mère 
désolés  l'implorèrent  en  faveur  d'un  fils  unique  qu'ils  venaient  de  perdre. 
Après  avoir  passé  quelques  heures  en  prières,  il  s'approche  du  mort  : 
«  Jeune  homme  »,  dit-il,  «  je  te  l'ordonne,  obéis  au  Seigneur  pour  reprendre 
la  vie,  comme  tu  lui  avais  obéi  pour  la  quitter  ».  A  l'admiration  de  tous,  le 
mort  se  leva.  Une  autre  fois,  on  lui  conduisit  un  possédé  du  démon  que 
ses  parents  étaient  obligés  de  tenir  lié  de  tous  ses  membres.  A  sa  voix,  le 
malin  esprit  s'enfuit  en  vomissant  toutes  sortes  d'injures  contre  le  servi- 
teur de  Dieu. 

Instruit  par  un  ange  de  sa  fin  prochaine,  il  appela  Amand  et  lui  recom- 
manda de  l'ensevelir  hors  des  murs  de  la  ville,  dans  l'oratoire  du  Sauveur 
et  de  la  Sainte-Trinité.  Puis,  sentant  le  dernier  moment  approcher,  il 
réunit  ses  disciples,  les  exhorta  à  sanctifier  leur  âme,  et  après  les  avoir  em- 
brassés, remit  la  sienne  entre  les  mains  de  Dieu,  le  12  des  calendes  de  no- 
vembre. Il  se  fit  un  concours  immense  à  ses  obsèques  et  à  son  tombeau. 
Des  miracles  nombreux  et  éclatants  révélèrent  sa  sainteté.  Un  an  après,  le 
jour  anniversaire  de  sa  mort,  comme  on  se  préparait  à  le  célébrer,  les  Goths 
cernent  la  ville  avec  une  armée  formidable.  Le  peuple  n'interrompit  pas 
la  solennité  ;  mais  prosterné  devant  le  tombeau  de  son  patron,  il  sollicitait 


SAINT  SÉVERIN  OU  SEURIN  D'AQUITAINE,  ÉVÊQUE.  541 

de  lui  sa  délivrance.  Tout  à  coup  le  ciel  s'obscurcit  et,  au  milieu  des  ténè- 
bres qui  enveloppent  leur  camp,  les  Goths  croient  voir  une  armée  qui 
s'avance  au  secours  de  la  ville.  La  panique  s'empare  d'eux  et  ils  fuient  de 
toutes  parts  laissant  aux  Bordelais  un  immense  butin. 

A  une  autre  époque,  des  pluies  prolongées  avaient  grossi  les  ruisseaux 
et  les  rivières  de  la  contrée  ;  sortant  de  leurs  lits,  ils  avaient  tout  inondé. 
Plus  de  culture,  plus  d'ensemencement  possible.  On  approchait  de  la  fête 
de  saint  Seurin.  Les  Bordelais,  qui  célébraient  leurs  vigiles  solennelles  près 
de  son  tombeau,  l'appelèrent  à  leur  secours  dans  une  si  grande  détresse. 
Les  pluies  s'arrêtèrent,  des  vents  favorables  chassèrent  les  nuages,  et  le 
lendemain  un  soleil  brillant  rapporta  la  vie  aux  campagnes  et  la  joie  aux 
habitants. 

Plus  tard,  non-seulement  la  ville,  mais  toute  la  province  fut  frappée  du 
fléau  opposé.  Une  sécheresse  obstinée  détruisait  tout.  La  verdure  avait  dis- 
paru ;  les  arbres  étaient  menacés  jusque  dans  leurs  racines  ;  les  troupeaux 
ne  trouvaient  plus  de  pâturages.  Dans  cette  extrémité,  l'évêque  invita  son 
peuple  à  se  réunir  aux  pieds  du  tombeau  de  saint  Seurin.  On  y  passa  la 
nuit  suivante  en  prières.  Pendant  cette  veille  même,  des  nuages  montèrent 
à  l'horizon,  s'étendirent  rapidement  et  répandirent  la  pluie  tant  désirée. 

C'est  ainsi  que  dans  ses  diverses  calamités,  Bordeaux  a  toujours  reçu 
secours  de  son  saint  patron.  Heureuse  ville  !  elle  a  deux  trésors  :  Seurin  et 
Amand  qui  lui  communiquent  les  grâces  célestes  ! 

Des  tableaux  peints  qui  ornent  l'église  Saint-Séverin  de  Cologne,  repré- 
sentent notre  Saint  :  1°  dans  la  cérémonie  de  la  Consécration,  en  présence 
d'un  nombreux  clergé,  deux  évêques  posent  la  mitre  sur  sa  tête  ;  2°  en 
habits  pontificaux,  prononçant  la  condamnation  des  Ariens  du  haut  d'une 
chaire  qu'entoure  un  peuple  nombreux  ;  3°  environné  d'une  foule  de  boi- 
teux, d'aveugles,  de  toutes  sortes  d'infirmes  qu'il  guérit  par  la  prière  et  par 
le  signe  de  la  croix  ;  4°  recevant  du  ciel  l'ordre  de  se  rendre  à  Bordeaux  ; 
5°  reçu  dans  cette  ville  par  saint  Amand  au  milieu  d'un  nombreux  clergé,  en 
présence  de  tout  le  peuple  ;  6°  ressuscitant  un  mort  ;  7°  mort  lui-même, 
nimbé  et  mitre,  sur  un  lit  à  langes  :  un  nombreux  clergé  l'environne. 

On  invoque  saint  Seurin  contre  la  sécheresse. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

NOTE  CRITIQUE  SUR  IA  QUESTION  DE  i/lDENTITÉ  DE  SAINT  SEURIN  DE  BORDEAUX 
ET  DE  SAINT  SEURIN  DE  COLOGNE. 

A  une  époque  qu'on  ne  saurait  préciser,  une  nombreuse  députation  d'habitants  de  Cologne  arri- 
vait à  Bordeaux  pour  réclamer  le  corps  de  leur  évèque.  Les  Bordelais,  jaloux  de  leur  trésor,  étaient 
disposés  à  en  défendre  la  possession  les  armes  à  la  main.  Cependant,  sur  l'avis  des  plus  sages,  il  fut 
décidé  qu'on  céderait  aux  habitants  de  Cologne  une  part  du  corps  saint.  On  le  tira  donc  du  lieu  de 
son  repos,  et  les  Colonais  se  retirèrent  avec  la  part  qui  leur  échut.  La  réception  à  Cologne  fut  ma- 
gnifique, le  concours  immense.  On  plaça  les  reliques  dans  l'église  des  Saints-Corneille-et-Cyprien, 
qui  prit,  par  la  suite,  le  nom  de  Saint-Seurin.  Dans  le  chœur  de  cette  église  on  remarque  vingt 
tableaux  peints  daps  lesquels  se  déroule  toute  la  légende  de  saint  Seurin.  Outre  ces  vingt  toiles, 
le  fond  de  l'abside  est  occupé  par  un  autel  moderne  en  bois.  Au-dessus  du  tabernacle  s'élève  une 
statue  en  bois  de  saint  Seurin,  tenant  la  crosse  d'une  main  et  montrant  de  l'autre  une  église  qu'un 
petit  ange  porte  à  côté  de  lui.  On  voit,  derrière  l'autel,  son  tombeau  en  bois  de  chêne,  renfermé 
dans  un  treillage  de  fer  et  soutenu  à  la  hauteur  du  tabernacle  par  quatre  colonnes  de  marbre  noir. 
C'est  là  que  reposent  les  quelques  débris  du  Saint  dont  nous  avons  parlé,  et  qui  ne  consistent  plus 
aujourd'hui  qu'en  quelques  ossements  presque  entièrement  réduits  en  poussière  (d'après  une  véri- 


542  23  OCTOBRE. 

fication  des  reliques  opérée  en  1825).  De  Cologne,  le  culte  de  saint  Seurin  s'est  répandu  dans 
quelques  églises  voisines. 

Quant  à  la  basilique  de  Saint-Seurin  de  Bordeaux,  elle  a  succédé  (vers  725)  à  l'église  Saint- 
Etienne  et  à  l'Oratoire  de  la  Trinité.  Les  cryptes  possédèrent  tout  d'abord  le  corps  du  Saint  :  il 
était  renfermé  dans  un  sarcophage  en  marbre  brut.  Plus  tard,  il  fut  retiré  de  l'église  souterraine 
et  placé  dans  la  Confession.  Elle  s'élevait  contre  le  mur  du  chevet  de  l'église  supérieure  et  con- 
sistait en  une  petite  voûte  soutenue  par  des  arcs-boutants  s'unissant  à  une  rosace,  et,  après  s'être 
arrondis  en  colonnes,  reposant  sur  des  soubassements  perdus  dans  le  sol.  On  entrait  sous  cette 
voûte  par  deux  portes  surbaissées  à  épaisses  voussures.  Sur  la  Confession,  on  éleva  plus  tard  un 
autel  de  la  Sainte-Trinité.  Ces  deux  monuments  (confession  et  autel)  sont  aujourd'hui  détruits; 
l'orgue  du  chœur  a  remplacé  la  confession  ;  un  nouvel  autel  a  été  construit.  C'est  sous  ce  maitre- 
autel  de  date  récente  (1855)  que  repose  le  tombeau  de  saint  Seurin,  retiré  de  la  Confession.  Quant 
à  ses  précieux  ossements,  ils  enrichissent  un  reliquaire  placé  aux  côtés  du  tabernacle  ;  il  fait  face 
au  reliquaire  de  saint  Amand,  et  tous  deux,  avec  le  tabernacle  dont  ils  imitent  la  forme,  achèvent 
le  rétable  de  l'autel. 

De  nombreuses  églises  de3  diocèses  de  Bordeaux,  La  Rochelle,  Périgueux,  Angoulême,  Poitiers, 
Limoges,  etc.,  sont  placées  sous  le  vocable  de  saint  Seurin. 

Les  faits  que  nous  avons  exposés  dans  la  Biographie  proprement  dite  de  saint  Seurin  n'étant  pas 
reconnus  comme  authentiques  par  la  grande  majorité  des  hagiographes,  les  nouveaux  Bollandistes 
en  tête,  il  nous  faut  maintenant  les  discuter.  Ces  faits  sont  tirés  de  deux  rédactions  de  la  Vie  de 
saint  Seurin,  faisant  partie  d'un  eucologe  manuscrit  du  XIIIe  siècle,  conservé  dans  les  archives 
de  l'Eglise  de  Bordeaux. 

Le  fait  dominant,  base  de  la  discussion,  c'est  l'identité  du  Seurin,  évoque  de  Cologne,  et  du 
Seurin,  évêque  de  Bordeaux.  A  la  suite  du  Gallia  Ckristiana,  les  continuateurs  de  la  savante  col- 
lection des  Bollandistes  ont  repoussé  cette  identité.  A  l'appui  de  leur  opinion,  ils  font  valoir  ; 

1»  L'âge  de  saint  Seurin.  Succédant,  dans  Cologne,  à  Euphratas,  et,  dans  Bordeaux,  à  saint  Amand, 
il  n'aurait  pu,  d'après  leurs  calculs,  occuper  ce  dernier  siège  qu'après  quarante  ou  cinquante  ans  d'épis- 
copat  à  Cologne,  et  à  un  âge  de  décrépitude.  —  Mais  cet  argument  pèehe  par  sa  base,  parce  qu'on 
n'a  pas  de  données  certaines  sur  la  fin  des  deux  épiscopats  d'Euphratas  et  de  saint  Delphin,  pré- 
décesseurs de  saint  Amand.  Du  reste,  les  savants  hagiographes  belges  ne  se  réfutent-ils  pas  eux- 
mêmes  en  avouant  qu'on  ne  peut  douter  que  Seurin  de  Cologne  ne  soit  venu  et  ne  soit  mort  à 
Bordeaux  ?  S'il  n'était  pas  trop  décrépit  pour  venir  à  Bordeaux,  pourquoi  trop  décrépit  pour  y 
exercer  l'épiscopat? 

2»  Les  canons  qui  défendaient  les  translations  d'un  siège  à  un  autre  et  que  deux  évêques  aussi 
saints  que  Seurin  et  Amand  ne  pouvaient  violer.  —  Mais  ces  canons,  comme  le  prouve  le  texte 
même  du  concile  de  Sardique,  cité  par  nos  contradicteurs,  n'avaient  été  portés  que  pour  réprimer 
l'ambition  de  ceux  qui  cherchaient  à  passer  d'un  petit  évêché  à  un  autre  plus  important.  Aussi,  le 
quatrième  concile  de  Carthage,  en  continuant  à  proscrire  les  translations,  les  admet-il  quand  elles 
ont  pour  motif  l'utilité  de  l'Eglise.  Evidemment  les  censures  des  conciles  n'atteignent  pas  saint 
Seurin  et  saint  Amand  mus  par  le  zèle  et  l'humilité,  et  n'obéissant  (comme  nous  l'avons  vu  dans 
les  pages  précédentes)  qu'à  la  volonté  de  Dieu,  miraculeusement  manifestée. 

3°  L'invraisemblance  du  fait  de  saint  Seurin  abandonnant  son  troupeau  de  Cologne  au  moment 
où  les  barbares  ariens  menaçaient  de  fondre  sur  lui  comme  des  loups  dévorants.  —  Mais  il  y  a 
beaucoup  d'apparence,  et  c'est  l'opinion  de  Dom  Calmet,  que  saint  Seurin  a  été,  malgré  lui,  chassé 
de  Cologne  par  la  tempête  :  Dieu  lui  aurait  montré,  à  Bordeaux,  un  nouveau  champ  ouvert  à  son 
îèle.  Cette  hypothèse,  très-plausible,  n'infirme  en  rien  le  caractère  spirituel  de  sa  mission. 

Si  l'argumentation  générale  des  Bollandistes  ne  peut,  à  notre  avis,  se  soutenir,  elle  faiblit  en- 
core davantage  en  présence  des  traditions  particulières  des  Eglises  de  Cologne  et  de  Bordeaux. 
Aussi  bieu,  tous  les  martyrologes,  le  romain  en  tète,  sont  favorables  à  la  mission  régionnaire  de 
saint  Seurin.  Nous  serions  trop  longs  si  nous  voulions  entrer  dans  des  détails  :  le  lecteur  impar- 
tial comblera  facilement  ces  lacunes. 

Nous  admettons  donc,  contrairement  à  l'opinion  des  Bollandistes  et  de  leurs  adhérents,  l'iden- 
tité des  deux  personnages.  Nous  ne  reconnaissons  qu'un  seul  et  même  Seurin  qui,  après  avoir 
occupé  le  siège  de  Cologne  après  Euphratas,  occupa  celui  de  Bordeaux  après  saint  Amand. 

Ce  petit  travail  sur  saint  Seurin  n'est  qu'un  résumé  succinct  de  l'œuvre  monumentale  qu'a  composée  à 
ce  sujet  un  savant  professeur  de  la  faculté  de  théologie  de  Bordeaux,  M.  l'abbé  Cirot  de  la  Ville  :  Origines 
chrétiennes  de  Bordeaux,  un  volume  in-4°,  Bordeaux,  1867.  —  Nous  avons  adopté  d'autant  plus  volontiers 
l'opinion  de  cet  illustre  auteur,  qu'il  a  envoyé  son  œuvre  aux  nouveaux  Bollandistes,  ses  contradicteurs, 
et  que  ceux-ci  lui  ont  promis  d'en  tenir  compte  dans  leurs  travaux  subséquents. 


SAINT  ROMAIN,   ARCHEVÊQUE  DE  ROUEN.  543 


SAINT  ROMAIN,  ARCHEVÊQUE  DE  ROUEN 


639.  —  Pape  :  Honoré  I".  —  Roi  de  France  r  Clovis  II. 


Sanctifiez  donc  l'âme,  sanctifiez  le  corps  :  il  en  sera 
ainsi,  si  l'Evangile  est  constamment  sur  vos  lèvres 
et  dans  votre  cœur. 

Saint  Jean  Chrysostome. 

Saint  Romain,  issu  de  la  race  des  rois  de  France,  était  fils  de  Benoît, 
l'un  des  premiers  conseillers  du  roi  Clotaire  Ier,  et  de  Félicité,  tous  deux 
également  illustres  par  leur  naissance  que  venaient  rehausser  de  grandes 
vertus.  Leurs  richesses  étaient  grandes,  mais  ils  furent  longtemps  privés 
de  la  bénédiction  du  mariage.  Pour  l'obtenir  de  la  bonté  de  Dieu,  ils  eurent 
recours  à  l'aumône  et  à  la  prière.  Un  ange  vint  dire  à  Benoît  que  ses  vœux 
seraient  accomplis  ;  en  effet,  Félicité  mit  au  monde  notre  Saint.  Elle  eut 
soin  de  le  bien  élever  selon  l'ordre  de  cet  esprit  céleste.  Il  apprit  sous  de 
bons  maîtres  les  sciences  humaines  avec  la  doctrine  de  la  foi  ;  il  y  devint  si 
habile  que  ses  talents,  joints  à  sa  naissance,  à  sa  vertu  et  à  sa  prudence,  le 
firent  choisir  du  roi  Clotaire  II  pour  un  de  ses  conseillers.  Quelques  auteurs 
ajoutent  qu'il  le  fit  même  son  référendaire^ ou  chancelier*  Cependant,  Dieu 
l'ayant  choisi  pour  son  Eglise,  il  fut  élu  archevêque  de  Rouen  à  la  mort 
d'Hidulphe,  que  Ton  met  en  l'année  626.  Les  électeurs,  ne  s' étant  pu 
accorder  pour  nommer  un  sujet  à  cette  place,  convinrent  d'en  demander 
un  à  Dieu  par  un  jeûne  et  par  une  prière  de  trois  jours  ;  pendant  qu'ils 
imploraient  de  cette  manière  sa  lumière  et  son  secours,  un  homme  irré- 
prochable eut  révélation  qu'il  fallait  aller  demander  au  roi  son  conseiller 
saint  Romain.  Lesélecteurs  en  furent  fort  contents  et  députèrent  vers  Clotaire 
pour  avoir  un  pasteur  de  si  grand  mérite.  Ce  prince  l'accorda,  et  Romain, 
quelque  répugnance  qu'il  eût  d'accepter  cette  dignité  dont  il  s'estimait 
incapable,  fut  néanmoins  obligé  de  s'en  charger  lorsqu'il  eut  appris  que 
son  élection  venait  du  ciel. 

Dès  qu'il  fut  arrivé  à  Rouen,  il  travailla  à  en  bannir  tous  les  restes  du 
paganisme.  Il  ruina  divers  temples,  où  Apollon,  Vénus  et  Mercure  se  fai- 
saient adorer.  Il  éclaira  plusieurs  idolâtres  des  pures  lumières  de  l'Evangile, 
et  poliça  si  bien  les  mœurs  des  chrétiens,  qu'ils  donnèrent  envie  aux  païens 
de  s'unir  avec  eux  pour  ne  faire  plus  qu'un  seul  troupeau  sous  la  conduite 
d'un  si  bon  pasteur.  Ses  miracles  n'aidèrent  pas  peu  à  rendre  ses  exhorta- 
tions et  ses  prédications  efficaces.  La  Seine  s'était  si  furieusement  débor- 
dée, qu'elle  menaçait  toute  la  ville  de  Rouen  d'un  déluge  et  d'une  ruine 
générale  :  les  habitants  se  réfugiaient  sur  les  montagnes;  Romain  revint 
promptement  de  la  cour,  où  les  affaires  de  son  diocèse  l'avaient  contraint 
de  faire  un  Voyage,  et  il  resserra  miraculeusement  le  fleuve  dans  ses  bords 
en  se  présentant  seulement  devant  lui  avec  sa  croix  et  en  se  mettant  les 
pieds  dans  l'eau.  Un  samedi  saint  qu'il  faisait  la  cérémonie  de  la  bénédic- 
tion des  fonts,  le  ministre  qui  apportait  la  fiole  du  saint  Chrême  la  laissa 
tomber  et  la  cassa,  de  sorte  que  tout  le  Chrême  fut  répandu.  Le  Saint  ne 
s'en  étonna  nullement  :  il  fit  sa  prière,  ramassa  les  morceaux  de  la  fiole  et 


544  23   OCTOBRE. 

les  rejoignit  parfaitement  sans  qu'il  parût  qu'elle  eût  été  cassée  ;  ensuite  il 
en  présenta  l'ouverture  à  l'endroit  où  la  précieuse  liqueur  était  répandue, 
et,  au  grand  étonnement  de  tous  les  spectateurs,  on  la  vit  remonter  dedans, 
quoique  la  terre  en  fût  déjà  tout  imbibée. 

Mais  ce  qui  a  rendu  saint  Romain  si  renommé  par  toute  la  France, 
c'est  la  victoire  qu'il  remporta  à  Rouen  sur  un  horrible  dragon  d'une  figure 
jusqu'alors  inconnue,  qui  dévorait  les  hommes  et  les  animaux,  faisait  périr 
les  vaisseaux  qui  passaient  sur  la  rivière  et  causait  une  désolation  géné- 
rale dans  tout  le  pays.  Il  résolut  d'attaquer  lui-même  ce  monstre  jusque 
dans  son  fort  ;  et,  comme  il  ne  se  trouva  personne  qui  voulût  le  suivre,  il 
se  fit  accompagner  d'un  meurtrier,  qui  étant  déjà  condamné  à  la  mort, 
n'aurait  pu  d'ailleurs  l'éviter.  On  dit  qu'il  mena  aussi  un  voleur  avec  lui, 
mais  que  la  crainte  lui  fît  bientôt  prendre  la  fuite.  Avec  cette  escorte,  il 
alla  jusqu'à  la  caverne  du  dragon  ;  là,  s'étant  seulement  armé  du  signe  de 
la  croix,  il  lui  jeta  son  étole  au  cou  pour  le  tenir.  Le  meurtrier  s'en  saisit 
aussitôt  par  son  ordre  et  le  traîna  sans  résistance,  avec  cette  seule  étole, 
jusqu'au  milieu  de  la  ville,  où  il  fut  consumé  dans  un  bûcher  dont  les  cen- 
dres furent  ensuite  jetées  dans  la  rivière.  Tout  le  peuple  donna  mille  béné- 
dictions à  son  pasteur  de  l'avoir  si  heureusement  délivré  de  cet  ennemi 
public;  puis,  dans  cette  allégresse  commune,  le  criminel  fut  absous  de 
tous  ses  crimes  et  mis  en  liberté.  Le  saint  prélat  se  retira  pour  olfrir  un 
sacrifice  de  louanges  à  la  divine  Majesté  pour  un  si  grand  bienfait. 

Le  bruit  de  cette  merveille  s'étant  aussitôt  répandu  partout,  le  roi 
Dagobert  voulut  être  informé  par  l'évêque  même  qui  en  avait  été  l'auteur; 
il  l'appela  donc  à  sa  cour,  et  en  apprit  toutes  les  circonstances  de  sa 
bouche  ;  puis,  afin  que  la  mémoire  ne  s'en  perdît  jamais,  il  donna  le  pou- 
voir au  Chapitre  de  la  cathédrale  de  Rouen  de  délivrer  tous  les  ans,  à  per- 
pétuité, un  homicide  détenu  dans  les  prisons,  au  jour  de  l'Ascension  de 
Notre-Seigneur,  jour  auquel  ce  prodige  était  arrivé,  dans  une  procession 
générale,  avec  les  belles  cérémonies  dont  on  trouvera  la  description  dans 
la  Normandie  chrétienne.  Plusieurs  de  nos  rois  ont  confirmé  ce  privilège  et 
il  est  demeuré  si  inviolable,  que  ni  les  ducs  normands,  qui  se  sont  rendus 
maîtres  de. Rouen,  ni  les  rois  d'Angleterre,  qui  en  ont  été  longtemps  les 
seigneurs,  ni  les  rois  de  France,  qui  l'ont  enfin  réuni  à  leur  domaine,  ne 
l'ont  jamais  aboli.  On  dit  que  le  pape  Grégoire  XIII  écrivit  une  lettre  aux 
chanoines  de  Rouen,  datée  du  23  juillet  et  la  neuvième  année  de  son  ponti- 
ficat, en  faveur  d'un  nommé  Jean  du  Plessis,  pour  les  prier  de  lui  accorder 
la  jouissance  de  ce  privilège  ;  cela  s'est  fait  chaque  année  jusqu'à  la  fin  du 
dernier  siècle. 

Tous  ces  prodiges  étaient  des  témoignages  authentiques  de  la  sainteté 
admirable  de  Romain.  Aussi  sa  vie  était  un  exemple  parfait  de  toutes  les 
vertus.  Il  passait  souvent  les  nuits  entières  en  prières.  Il  célébrait  tous  les 
jours  les  divins  Mystères  avec  une  ferveur  et  une  dévotion  qui  se  commu- 
niquaient à  tous  les  assistants  ;  il  affligeait  sa  chair  par  des  austérités  con- 
tinuelles; il  était  le  père  des  pauvres  et  l'asile  des  malheureux  ;  il  était  dans 
tous  les  lieux  de  son  diocèse  pour  en  bannir  le  vice  et  y  faire  régner  la 
vertu.  Il  réprimait  avec  une  rigueur  mêlée  de  clémence  ceux  qu'il  trouvait 
en  faute  et  dont  il  espérait  la  correction.  Il  était  terrible  pour  les  impies  et 
pour  les  opiniâtres  et  empêchait  qu'ils  fussent  contagieux  parmi  son  trou- 
peau. Enfin,  il  faisait  de  son  diocèse  comme  un  paradis  terrestre  digne 
d'être  un  jour  transporté  dans  le  ciel.  Son  plus  beau  triomphe  fut  la  démo- 
lition du  grand  amphithéâtre  romain  qui,  dans  la  guerre,  avait  servi  de 


SAUNT  ROMAIN,  ARCHEVÊQUE  DE  ROUEN.  545 

Castrum  pour  la  défense,  dans  la  paix  avait  été  témoin  des  jeux  de  la 
scène,  et  qui  n'était  plus  alors  que  le  repaire  des  superstitions  et  le  récep- 
tacle des  plus  grossiers  plaisirs. 

Lorsqu'il  eut  ainsi  accompli  tous  les  devoirs  d'un  bon  pasteur,  Dieu  lui 
fit  connaître  d'une  manière  extraordinaire  les  approches  de  sa  mort.  Pen- 
dant qu'il  célébrait  la  messe  de  l'Ascension,  il  fut  ravi  en  extase  et  élevé 
de  terre  ;  puis,  en  même  temps,  il  parut  sur  sa  tête  un  globe  de  feu  d'où 
sortait  une  main  céleste  qui  lui  donnait  sa  bénédiction  et  recevait  l'hostie 
qu'il  offrait  au  Père  éternel  ;  il  ouït  aussi  une  voix  qui  lui  dit  :  «  Prenez 
courage,  mon  serviteur,  dans  peu  de  jours  vous  recevrez  la  récompense 
due  à  vos  mérites,  et  vous  serez  placé  parmi  les  saints  prêtres  du  royaume 
de  mon  Père  ».  Après  le  sacrifice,  apprenant  que  trois  de  ses  chanoines 
avaient  eu  part  à  cette  vision,  il  leur  fit  une  rigoureuse  défense  d'en  rien 
dire  pendant  sa  vie.  Ce  fut  en  ce  même  jour,  et  pendant  la  célébration  de 
cette  messe,  qu'il  institua  l'instruction  familière  que  l'on  appelle  commu- 
nément le  Prône.  Ce  n'est  pas  qu'avant  cela  les  prélats  et  les  prêtres  n'eus- 
sent soin  d'instruire  le  peuple  et  de  lui  apprendre  les  points  capitaux  de  la 
doctrine  chrétienne  ;  mais  ce  fut  probablement  notre  Saint  qui  établit  que 
ces  instructions  se  feraient  au  milieu  de  la  messe,  afin  que  tout  le  monde 
fût  obligé  d'y  assister,  ou  qui  les  réduisit  à  une  forme  plus  populaire  et 
plus  intelligible  :  c'est  pour  ces  raisons  qu'on  lui  attribue  l'institution  du 
Prône. 

A  la  suite  de  cette  révélation,  il  fit  une  fondation  à  son  église  pour  l'as- 
sistance des  pauvres,  donna  le  reste  de  ses  biens  aux  hôpitaux  et  se  retira 
quelque  temps  dans  la  solitude  pour  se  préparer  à  son  heure  dernière.  Sa 
mort,  dont  il  prédit  le  jour  à  son  clergé  et'à  son  peuple,  arriva  le  23  octo- 
bre 639. 

On  le  représente  :  1°  traînant  derrière  lui  un  dragon  enchaîné  comme 
trophée  de  sa  victoire  ;  2°  debout,  tenant  une  longue  croix  à  double  croi- 
sillon» 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Saiût  Romain  fut  inhumé  dans  la  chapelle  souterraine  ou  crypte  de  l'église  de  Saint-Godard  où 
ses  restes  précieux  reposèrent  jusqu'en  1036.  A  cette  époque,  ils  fuient  transférés  dans  une  cha- 
pelle bâtie  sous  son  invocation  auprès  de  la  cathédrale,  et  le  17  juin  1080,  mis  dans  une  châsse 
garnie  de  lames  d'or  et  de  pierres  précieuses,  et  portés  par  l'archevêque  Guillaume  Bonne-Ame 
dans  la  cathédrale  même.  Depuis,  on  ôta  l'or  de  cette  châsse  dans  une  grande  disette  de  vivres, 
pour  secourir  les  pauvres  qui  mouraient  de  faim  ;  mais  l'archevêque  Rotrou  de  Beaumont 
le  Roger  fit  faire  une  châsse  encore  plus  riche  que  la  première  et  l'on  y  renferma  le  corps  du 
Saint. 

Cette  châsse,  connue  sous  le  nom  de  Fierté  de  saint  Romain,  fut  brûlée  en  1562  par  les  Cal- 
vinistes. En  1776,  ayant  été  jugée  inconvenante,  on  lui  substitua  celle  dite  de  tous  les  Saints, 
parce  qu'elle  renfermait  une  grande  quantité  de  reliques.  Cette  châsse  en  cuivre,  d'un  poids 
énorme,  d*un  merveilleux  travail,  parait  remonter  au  commencement  du  xiv°  siècle.  C'est  elle  que 
l'on  conserve  et  qui  fut  levée  par  les  prisonniers,  de  1776  à  1790,  époque  à  laquelle  le  Privilège 
qu'avait  le  chapitre  de  délivrer  des  prisonniers  le  jour  de  l'Ascension,  a  disparu. 

Autrefois  lajierte  ou  châsse  de  saint  Romain  était  portée  en  procession,  comme  les  autres 
ehâsses,  aux  Rogations,  etc.;  mais  aujourd'hui  cette  châsse  a  disparu,  et  on  ne  fait  plus  même  de 
procession  le  jour  de  l'Ascension,  si  ce  n'est  la  procession  ordinaire  de  la  fête. 

Le  tombeau  de  saint  Romain,  devenu  aujourd'hui  une  relique,  forme  le  maitre-autel  de  l'église 
qui  lui  est  dédiée  à  Rouen  depuis  1802.  C'est  une  auge  de  marbre  rouge,  probablement  tirée  des 
carrières  de  Thorigny,  dans  le  Calvados. 

Le  nom  de  cet  illustre  Pontife  figurait  encore  au  Confiteor,  dans  le  diocèse  de  Rouen,  en  1707. 
Sa  fête  y  était  fériée  le  3  octobre;  mais  un  mandement  de  Mgr  de  la  Rochefoucauld,  archevêque 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  33 


546  23  OCTOBRE. 

de  Rouen,  en  date  du  17  mai  1762,  la  remit  au  troisième  dimanche  d'octobre,  jour  auquel  on 
célèbre  encore  aujourd'hui  sa  fête. 

Propre  de  Rouen;  La  Seine-Inférieure,  par  M.  l'abbé  Cochet;  Notes  locales  dues  à  M.  l'abbé  Langlois, 
chanoine  honoraire  de  Rouen.  —  Cf.  La  France  Pontificale,  par  Fisquet  ;  et  la  Normandie  chrétienne. 


SAINTE  ULPHE  \  VIERGE  ET  SOLITAIRE, 

ET  SAINT  DOMIGE  \ 
DIACRE  ET  CHANOINE  DE  L'ÉGLISE  D'AMIENS 

vin*  siècle. 


L'espérance  est,  au  milieu  des  maux  de  la  vie.  un 
gage  de  consolation. 

Saint  Innocent  III. 

Sainte  Ulphe,  dont  l'histoire  ne  nous  apprend  pas  positivement  la  qua- 
lité de  ses  parents,  ni  le  lieu  de  sa  naissance,  se  fit  remarquer,  dès  sa  jeu- 
nesse, non-seulement  par  ses  vertus,  sa  piété,  son  assiduité  à  l'église,  mais 
par  les  qualités  extérieures  dont  l'avait  pourvue  la  nature.  Plusieurs  gen- 
tilshommes sollicitèrent  son  alliance,  mais  Ulphe  déclara  à  ses  parents 
qu'elle  n'aurait  jamais  d'autre  époux  que  Jésus-Christ,  ce  qui  leur  causa 
une  joie  inattendue  ;  car,  apprenant  le  choix  qu'elle  avait  fait  du  Fils  de 
Dieu  pour  son  époux,  ils  lui  promirent  de  la  laisser  libre  dans  l'exécution 
d'une  si  sainte  entreprise.  Les  prétendants  éconduits  ne  renoncèrent  point 
cependant  à  leur  projet  ;  les  uns  employèrent  les  séductions  de  l'éloquence, 
les  autres  la  terreur  des  menaces.  Sainte  Ulphe,  craignant  un  coupable  ra- 
vissement alla  puiser  ses  inspirations  au  pied  des  autels.  Après  s'être  en- 
dormie un  instant  dans  l'église,  elle  se  réveilla  pleine  d'une  sainte  et  joyeuse 
résolution.  Ayant  simulé  une  soudaine  folie,  elle  se  mit  à  courir  les  rues, 
mal  vêtue,  le  visage  souillé,  les  cheveux  en  désordre,  les  traits  exténués 
par  des  jeûnes  prolongés,  espérant  ainsi  inspirer  le  dégoût  à  tous  ses  pour- 
suivants. 

Inspirée  par  le  mépris  des  vanités  mondaines,  sainte  Ulphe,  encore  dans 
la  fleur  de  la  jeunesse,  se  décida  à  se  consacrer  entièrement  à  Dieu.  Revê- 
tue d'un  habit  grossier,  elle  abandonna  le  lieu  de  sa  naissance,  son  père,  sa 
mère,  ses  amis,  ses  richesses,  et  parvint  près  d'Amiens  dans  un  lieu  solitaire, 
plein  de  ronces  et  d'herbages,  sur  les  bords  de  la  Noyé  \  Epuisée  par  la 
fatigue  et  la  chaleur,  elle  se  reposa  près  d'une  fontaine  *  et  s'endormit  après 
avoir  étanché  sa  soif. 

i.  Alias  :  Ulfe,  Wulfe,  Hulphe,  Offe,  Olfe,  Olphe,  Oulphe,  Oufe,  Ouffe,  Oulphre  ;  en  latin  :  Ulph  ta, 
Ulfia,  Vulfia,  Wulfia,  Vulfa. 

2.  Alias  :  Domicie,  Domisse,  Dommisse,   Domia  ;  en  latin  :  Domicius,  Domitius,   Dometius,  Domi- 
tianus. 

3.  La  Noyé,  qui  prend  sa  source  à  Vendeuil  (Oise)  et  se  perd  dans  l'Avre,  près  de  Bores,  était  parfois 
désignée  sous  le  nom  de  Rivière  de  Vendeuil  ou  de  Bovcs. 

4.  C'est  la  fontaine  qu'abrite  aujourd'hui  la  chapelle  de  Sainto-Ulphe. 


SAINTE  ULPHE,  VIERGE,  ET  SAINT  DOMICE,  DIACRE  ET  CHANOINE.  547 

Pendant  ce  court  sommeil,  la  jeune  fugitive  vit  lui  apparaître  la  sainte 
Vierge,  resplendissante  de  lumière,  couronne  en  tête,  tenant  l'enfant  Jésus 
dans  ses  bras  et  suivie  d'une  phalange  de  vierges.  «  Ulphe,  ma  fille  »,  lui 
dit-elle,  «  puisque  tu  as  choisi  cet  enfant  pour  époux  sur  la  terre,  tes  noces 
avec  lui  dureront  autant  que  l'éternité  :  mais  il  te  faudra  auparavant  subir  les 
luttes  de  l'enfer.  C'est  ici  qu'il  faut  demeurer,  pour  y  sanctifier  tes  jours. 
Sache  qu'après  ta  mort  ta  maison  deviendra  un  asile  de  saintes  religieuses 
qui  marcheront  sur  tes  traces  ».  La  vision  s'évanouit  et  sainte  Ulphe, 
effrayée  de  sa  solitude,  supplia  la  Vierge  de  lui  venir  en  aide.  Sa  prière  fut 
bientôt  exaucée. 

Un  vieillard,  nommé  Domice,  ancien  chanoine  de  Notre-Dame,  avait 
renoncé  à  sa  prébende  pour  s'adonner  à  la  vie  solitaire.  De  son  ermitage 
situé  à  deux  lieues  et  demie  d'Amiens,  il  se  rendait  chaque  nuit  aux  Matines 
de  l'église  Notre-Dame,  située  à  l'emplacement  actuel  de  Saint- Acheul,  et 
revenait  à  son  logis  avec  la  pitance  qu'on  lui  avait  délivrée.  Notre  Saint, 
qu'on  croit  être  né  sur  le  territoire  d'Amiens,  était  obligé,  à  chaque  voyage 
quotidien,  de  passer  à  un  jet  d'arc  de  la  fontaine  où  s'était  arrêtée  sainte 
Ulphe.  Celle-ci  était  encore  plongée  dans  sa  pieuse  méditation,  quand  une 
voix  mystérieuse  lui  dit  :  «  Lève-toi  vite  et  vas  au-devant  de  ton  père  qui 
s'avance  ».  Et  aussitôt  la  vierge  leva  les  yeux  et  aperçut  le  saint  homme, 
vêtu  en  ermite,  qui  descendait  d'une  petite  montagne.  Son  visage  respirait 
une  douceur  angélique,  sa  barbe  et  sa  chevelure  étaient  blanches  comme 
de  la  neige,  et  il  marchait  appuyé  sur  un  bâton,  à  cause  de  son  grand  âge. 
Etant  allée  au-devant  de  lui,  elle  se  prosterna  à  ses  pieds  et  le  conjura,  au 
nom  de  Dieu,  de  vouloir  se>charger  de  sa  conduite.        > 

L'homme  de  Dieu,  qui  était  très-prudent,  et  qui  jusqu'alors  n'avait 
point  vu  de  femme  dans  cette  solitude,  fut  fort  surpris  de  cette  rencontre, 
et,  craignant  que  ce  ne  fût  quelque  piège  de  Satan  pour  le  perdre,  il  lui 
dit  qu'il  ne  lui  rendrait  réponse  que  le  lendemain,  à  son  retour  de  l'église  ; 
puis,  prenant  congé  d'elle,  il  poursuivit  son  chemin  vers  sa  cellule,  et 
Ulphe  retourna  à  sa  fontaine  pour  y  recommander  son  affaire  à  Notre-Sei- 
gneur.  Saint  Domice,  étant  entré  dans  son  ermitage,  se  mit  en  oraison  ; 
mais  le  sommeil  s'étant  emparé  de  lui,  il  s'endormit,  et  l'ange  de  Dieu 
commis  à  la  garde  de  sainte  Ulphe  lui  apparut  et  l'assura  que  la  volonté  de 
Dieu  était  qu'il  se  chargeât  de  la  conduite  de  cette  jeune  vierge,  et  que 
Jésus-Christ  la  lui  confiait.  Après  cela,  l'ange  disparut,  et  Domice  étant 
assuré  de  ce  que  Dieu  demandait  de  lui,  s'en  vint  trouver  Ulphe,  qui  priait 
auprès  de  la  fontaine.  Ulphe  l'accueillit  avec  joie  :  «  Soyez  le  bienvenu, 
mon  père  et  mon  ami  »,  lui  dit-elle,  a  je  suis  heureuse  de  vous  voir  ac- 
complir vos  obligations  envers  moi  que  Notre-Seigneur  a  commise  à  votre 
garde  ».  Domice  lui  donna  à  manger  de  sa  petite  provision,  puis  l'exhorta 
à  la  persévérance.  Le  soir  étant  venu,  Domice,  pour  s'épargner  la  fati- 
gue de  retourner  à  son  logis,  attendit  l'heure  prochaine  des  Matines,  et 
engagea  sa  fille  spirituelle  à  se  livrer  au  sommeil. 

Vers  minuit,  il  alla  la  réveiller  et  l'engagea  à  l'accompagner  aux  Ma- 
tines. En  arrivant  à  l'église,  Domice  fut  très-étonné  quand  il  entendit  chan- 
ter les  Matines  les  plus. solennelles  du  commun  des  Vierges,  et  qu'il  apprit 
que  l'évêque,  qui  assistait  à  cet  office,  l'avait  commandé  lui-même,  en 
manifestant  l'espérance  de  recevoir,  cette  nuit,  quelque  révélation  divine. 
Le  bon  chanoine,  qui  avait  laissé  sa  compagne  à  l'un  des  portails,  la  con- 
duisit dans  un  petit  coin  de  l'église,  pour  qu'elle  pût  recevoir  la  bénédic- 
tion épiscopale,  et  alla  prendre  au  Chœur  sa  place  accoutumée.  Les  Ma- 


548  23  OCTOBRE. 

tines  étant  achevées,  l'évêque  Chrétien  se  retira  dans  une  chapelle  pour  y 
prier.  Son  oraison  finie,  il  sortit  de  son  oratoire,  et  rencontra  le  saint  vieil- 
lard Domice.  L'évêque,  le  prenant  par  la  main,  rentra  avec  lui  dans  la 
chapelle  où  ils  eurent  un  long  entretien  spirituel  :  le  pieux  prélat  lui 
raconta  alors  qu'il  avait  eu  la  veille  une  vision  dans  laquelle  une  jeune  fille 
s'était  offerte  à  lui  pour  être  consacrée  vierge,  et  que  dans  son  ardent  désir 
d'en  voir  l'accomplissement,  il  avait  fait  célébrer  avec  solennité  l'office  des 
Vierges.  Saint  Domice,  pensant  que  cette  fille  n'était  autre  que  la  vierge 
Ulphe,  la  fit  connaître  à  l'évoque.  Conduit  aussitôt  à  l'endroit  où  elle  était 
restée  en  prières,  il  reconnut  la  vierge  de  sa  vision  :  «  Soyez  la  bienvenue, 
chère  fille,  vous  qui,  dès  votre  jeunesse,  vous  êtes  consacrée  à  Jésus- Christ. 
Vous  réalisez  ma  vision.  Grâce  à  vous,  je  pourrai  bénir  et  consacrer  une 
vierge  dont  l'exemple  sera  sans  doute  suivi  par  beaucoup  d'autres  ». 

Interrogée  sur  son  âge,  Ulphe  répondit  qu'elle  avait  vingt-huit  ans; 
sondée  sur  ses  désirs,  elle  dit  en  versant  des  larmes  de  componction  :  «  Ré- 
vérend père,  je  ne  puis  changer  la  volonté  de  Dieu  qui  m'a  confiée  à  mon 
père  Domice  :  c'est  donc  à  lui  que  je  dois  d'abord  obéir  et  ensuite  à  vous, 
comme  à  mon  évêque.  Je  vous  prie  humblement  de  faire  tout  ce  qui  peut 
être  profitable  à  mon  âme  ».  Domice  ayant  alors  sollicité  la  consécration 
de  sa  protégée,  l'évêque  lui  donna  l'anneau  et  le  voile  des  vierges,  et  la 
remit  à  Domice  pour  qu'elle  restât  sous  sa  garde.  Celui-ci  se  retira  dans 
son  ermitage,  et  la  Sainte  auprès  de  sa  fontaine  où  l'évêque  lui  fit  bâtir  une 
cellule,  où  est  aujourd'hui  le  grand  autel  de  l'église  du  Paraclet. 

Cependant,  sainte  Ulphe  croissait  admirablement  en  perfection  et  en 
sainteté,  sous  la  conduite  de  saint  Domice,  pratiquant  avec  une  grande 
ardeur  toutes  sortes  de  vertus.  Son  oraison  était  fervente,  sublime  et  con- 
tinuelle ;  son  humilité  profonde,  sa  chasteté  angélique,  sa  pauvreté  extrême, 
sa  charité  éminente,  sa  modestie  singulière,  son  obéissance  simple  et  sans 
discussion,  sa  tempérance  extraordinaire,  son  silence  perpétuel,  et  géné- 
ralement toutes  ses  vertus  semblaient  être  au  souverain  degré.  Chaque 
nuit,  Domice,  se  rendant  aux  Matines  de  Notre-Dame,  appelait  sainte  Ulphe 
en  passant.  L'ermitage  de  notre  Sainte  était  situé  au  milieu  de  maré- 
cages peuplés  de  grenouilles.  Par  une  nuit  fort  chaude  de  l'été,  elles 
avaient  tellement  redoublé  leurs  coassements  que  sainte  Ulphe  ne  put 
s'endormir  que  vers  les  minuit.  Cette  fois-là,  ce  fut  en  vain  que  Domice 
heurta  au  logis  et  appela  sa  compagne.  Supposant  qu'elle  avait  pris  les 
devants,  le  vieillard  hâta  sa  marche,  mais  il  ne  trouva  point  dans  la  cathé- 
drale celle  qu'il  cherchait.  Sainte  Ulphe  fut  donc  privée,  ce  jour-là,  d'assis- 
ter à  l'office  divin  ;  ce  qui  lui  fit  faire  une  prière  à  Notre-Seigneur,  afin 
qu'il  imposât  silence  à  ces  animaux.  Tous  les  biographes  de  la  Sainte  cons- 
tatent le  mutisme  des  grenouilles  qui  se  trouvent  dans  la  vallée  du  Para- 
clet, et  aujourd'hui  encore  on  constate  ce  bizarre  silence. 

Domice,  sentant  approcher  sa  fin,  se  rendit  à  Notre-Dame  avec  Ulphe, 
et  reçut  avec  elle  la  sainte  communion  des  mains  d'un  prêtre  qui  venait 
de  dire  la  messe  ;  il  lui  fallut  préparer  sa  compagne  à  la  perte  qu'elle  allait 
éprouver,  et  sécher  ses  larmes  par  des  considérations  religieuses.  Rentré 
dans  sa  cellule,  sous  la  conduite  de  sainte  Ulphe,  le  bon  chanoine  reçut 
l'Extrême-Onction  des  mains  d'un  prêtre  qui  avait  eu,  pendant  la  nuit,  ré- 
vélation de  cette  fin  prochaine.  Il  recommanda  sa  fille  à  tous  ceux  qui 
avaient  assisté  à  cette  cérémonie  suprême,  et  rendit  sa  belle  âme  à  Dieu 
le  23  octobre. 

Sainte  Ulphe,  retirée  dans  sa  cellule,  pleura  la  mort  de  son  protecteur, 


SAINTE  ULPHE,   VIERGE,   ET  SAINT  DOMICE,   DIACRE  ET  CHANOINE.  549 

et,  comme  si  elle  n'avait  rien  fait  jusqu'alors,  elle  redoubla  toutes  ses  péni- 
tences et  ses  exercices  de  dévotion,  se  croyant  d'autant  plus  obligée  de 
veiller  sur  la  garde  d'elle-même  qu'elle  se  voyait  désormais  privée  de  son 
appui  ordinaire  et  de  l'assistance  de  son  père  spirituel.  En  cela,  elle  agissait 
très-prudemment,  car  le  démon,  ce  lion  rugissant  qui  ne  cesse  jamais  de 
chercher  quelque  proie,  voyant  cette  fille  privée  de  soutien,  l'attaqua  par 
de  plus  rudes  tentations  qu'elle  n'en  avait  encore  éprouvées  dans  sa  so- 
litude ;  ce  qui  la  fit  entrer  en  quelque  doute  si  elle  ne  devait  pas  la  quitter 
pour  éviter  les  dangers  que  peut  rencontrer  une  fille  qui  est  seule.  Mais 
Dieu,  qui  ne  permet  jamais  que  ses  élus  soient  tentés  au-dessus  de  leurs 
forces,  toucha  une  autre  fille  d'Amiens  appelée  Aurée,  et  lui  inspira  d'imiter 
la  vertueuse  Ulphe,  dont  tout  le  monde  disait  tant  de  merveilles.  Elle  vint 
donc  se  jeter  à  ses  pieds,  un  matin  qu'elle  venait  à  son  ordinaire  à  l'église  ; 
et,  quoiqu'il  fît  encore  nuit,  néanmoins  Aurée  la  reconnut  à  la  faveur  d'une 
clarté  divine  qui  environnait  son  visage.  La  Sainte  remercia  Notre-Seigneur 
du  secours  qu'il  lui  envoyait  ;  puis,  embrassant  cette  chère  compagne,  elle 
la  conduisit  avec  elle  à  son  ermitage. 

Nous  avons  raconté,  dans  la  vie  de  sainte  Aurée,  la  fondation  que  fit 
sainte  Ulphe  d'un  couvent  de  vierges,  d'abord  dans  son  ermitage,  et  ensuite 
à  Amiens,  dans  un  vergé  situé  près  du  Castillon,  rue  actuelle  des  Vergeaux. 
Quand  notre  Sainte  eut  organisé  cette  maison,  elle  en  laissa  la  direction  à 
Aurée,  et  retourna  dans  sa  solitude.  Chaque  jour  elle  allait  visiter  et  ins- 
truire la  communauté  naissante,  d'où  elle  ramenait  quelques  religieuses 
pour  les  reconduire,  le  lendemain,  après  les  avoir  confirmées  dans  leurs 
pieuses  dispositions.  %  > 

Sainte  Ulphe,  devenue  âgée,  et  sachant  que  sa  fin  était  proche,  voulut 
communier  à  Amiens  ;  là,  elle  donna  ses  dernières  instructions  à  ses  reli- 
gieuses, revint  avec  deux  d'entre  elles,  et  se  jeta  aussitôt  sur  son  lit  d'où 
elle  ne  devait  plus  se  relever.  Elle  rendit  sa  belle  âme  à  son  Créateur, 
le  31  janvier. 

Au  moment  de  son  décès,  saint  Domice  apparut  à  la  vierge  Aurée,  en 
habit  de  diacre,  comme  pour  une  grande  solennité,  et  lui  fit  savoir  la  mort 
de  sa  chère  fille  spirituelle,  ajoutant  que  les  anges  emportaient  son  âme 
bienheureuse  dans  le  paradis.  A  cette  nouvelle,  Aurée  se  réveille,  avertit 
ses  compagnes  et  s'empresse  de  se  rendre  avec  elles  à  la  cellule  de  sainte 
Ulphe.  Arrivée  dès  la  pointe  du  jour,  elle  frappe  à  la  porte  et  réveille  les 
deux  religieuses,  qui  venaient  de  voir  dans  leur  sommeil  une  nombreuse 
procession  de  vierges,  de  clercs  et  de  laïques,  se  diriger  vers  la  cellule  de  la 
Sainte.  En  pénétrant  dans  la  chambre  encore  tout  embaumée  de  mysté- 
rieux parfums,  ils  virent  la  Sainte  étendue  sur  son  lit,  les  bras  croisés  sur 
la  poitrine,  paraissant  plutôt  endormie  que  morte  :  on  ne  se  lassait  point 
d'admirer  la  sérénité  de  ses  traits  et  le  sourire  de  bonheur  qui  s'épanouis- 
sait sur  ses  lèvres.  Sainte  Ulphe  fut  enterrée  dans  la  cellule  qu'elle  avait 
sanctifiée  pendant  environ  cinquante  ans. 

On  voit  à  la  cathédrale  d'Amiens  une  fort  belle  statue  de  sainte  Ulphe, 
la  tête  voUée  et  tenant  un  livre  à  la  main.  —  Dans  le  même  monument,  on 
voit  deux  bas-reliefs  en  bois  doré,  représentant  sainte  Ulphe  et  saint  Do- 
mice, au-dessus  des  deux  portes  qui  avoisinent  l'autel  de  la  chapelle  dite 
autrefois  de  Sainte-Ulphe.  —  La  cathédrale  d'Amiens  possède  encore  un 
tableau  qui  lui  fut  donné  en  1474.  Sur  les  deux  volets  de  ce  tableau,  le 
peintre  a  représenté,  dans  un  des  côtés,  la  figure  de  saint  Domice,  vêtu  d'une 
soutane  de  couleur  rouge,  avec  un  manteau  de  couleur  vert  et  brun,  tirant 


550  23  OCTOBRE. 

sur  le  violet,  sur  les  épaules  ;  il  lui  a  mis  une  grande  calotte  rabattue  sur 
ses  oreilles  et  sur  ses  cheveux  frisés,  assez  longs.  Ce  saint  chanoine  tient 
à  la  main  un  livre  également  couvert  de  rouge  ;  on  voit  aussi,  proche  de  lui, 
son  ermitage  bâti  dans  l'épaisseur  d'une  forêt.  Dans  l'autre  côté  du  volet, 
le  peintre  a  représenté  la  figure  de  sainte  Ulphe,  vêtue  en  habit  de  reli- 
gieuses, tel  que  le  portent  aujourd'hui  celles  du  Paraclet  de  cette  ville.  On 
voit  sainte  Ulphe  proche  de  sa  petite  cellule,  placée  dans  un  lieu  maréca- 
geux, semblable  à  celui  que  son  histoire  nous  décrit.  Il  n'a  pas  même  ou* 
blié  d'y  peindre  les  grenouilles  dont  ce  lieu  est  rempli  et  qui  ont  occasionné 
le  miracle  rapporté  dans  sa  Vie.  —  Sur  le  fronton  de  l'abbaye  de  Notre- 
Dame  du  Paraclet  d'Amiens,  on  voyait  l'évêque  Chrétien  donnant  à  sainte 
Ulphe  le  voile  de  religieuse  que  vient  de  lui  apporter  une  pieuse  femme. 
Dans  l'intérieur  de  l'église,  une  statue  de  la  Patronne  faisait  face  à  celle  de 
la  sainte  Vierge.  ~  On  voit  la  statue  de  saint  Domice  au  portail  de  Saint- 
Firmin  le  martyr,  à  la  cathédrale  d'Amiens,  entre  deux  saints  évoques  de 
ce  diocèse.  Il  porte  le  manipule  au  bras  et  tient  le  livre  des  évangiles  en 
qualité  de  diacre. 

CULTE  ET  RELIQUES.  —  MONUMENTS. 

Le  culte  de  sainte  Ulphe  s'établit  presque  aussitôt  après  sa  mort,  mais  ne  dépassa  jamais  les 
limites  du  diocèse  d'Amiens.  L'évêque  Arnould,  décédé  en  1247,  légua  soixante  sols  à  la  cathé- 
drale pour  qu'on  y  célébrât,  avec  plus  de  solennité,  la  fête  de  sainte  Ulphe.  Vers  l'an  1677,  un 
certain  nombre  de  filles  pieuses  d'Amiens  se  réunirent  en  congrégation,  sous  le  nom  de  Filles  de 
sainte  Ulphe.  Elles  avaient  pour  but  d'honorer  spécialement  leur  patronne  et  de  s'exciter  mutuel- 
lement à  vivre  dans  le  monde  d'une  manière  véritablement  chrétienne. 

Des  indulgences  furent  accordées,  par  le  pape  Innocent  XII,  à  cette  congrégation,  qui  avait 
pour  siège  la  chapelle  dédiée  à  sainte  Ulphe  dans  la  cathédrale  d'Amiens.  Elle  disparut  à  la  Révo- 
lution, et  fut  réorganisée  en  1836,  dans  l'église  de  Bussy-lès-Daourg,  où  une  chapelle  était  dédiée 
à  sainte  Ulphe,  Un  office  spécial  pour  cette  association  locale  fut  approuvé,  en  1841,  par  Mgr  Mio<* 
land.  Cette  association,  ayant  été  transférée  dans  une  chapelle  domestique,  a  perdu,  par  la  même, 
les  privilèges  conférés,  en  1837,  par  le  pape  Grégoire  XVI.  D'ailleurs,  cette  chapelle  a  été  inter- 
dite en  1864  par  l'autorité  diocésaine. 

C'est  dans  un  sens  un  peu  trop  large  qu'on  désigne  parfois  sainte  Ulphe  comme  patronne 
de  l'église  d'Amiens  ;  elle  ne  l'a  été  que  de  l'abbaye  du  Paraclet,  où  une  chapelle  était  sous  son 
vocable.  A  la  cathédrale,  on  célébrait  solennellement  sa  fête  le  31  janvier;  sa  grande  châsse  était 
alors  exposée  dans  le  chœur,  et  son  chef  dans  la  chapelle  qui  lui  est  dédiée.  Il  y  avait  dans  ce 
sanctuaire  concours  de  dévotion  tous  les  mardis,  avec  indulgence  de  quarante  jours. 

Le  nom  de  sainte  Ulphe  est  inscrit  au  31  janvier  dans  les  martyrologes  de  Molanus,  Ferrarius, 
Canisius,  Calemot,  du  Saussay,  etc.  Sa  translation  au  16  mai  est  marquée  dans  quelques  calen- 
driers. C'est  la  seule  Sainte  qui  figure  dans  les  litanies  amiénoises  qu'on  chantait  au  moyen  âge, 
pendant  le  Carême,  avant  la  messe  des  lundi,  mercredi  et  vendredi.  Sa  fête  est  semi-double  dans 
tous  les  bréviaires  amiénois,  manuscrits  ou  imprimés,  à  l'exception  de  celui  de  Fr.  Faure  (1669), 
et  du  Propre  actuel,  où  elle  est  honorée  du  rit  double. 

Peu  de  temps  après  sa  mort,  mais  à  une  date  qui  n'est  point  connue,  les  miracles  opérés  sur 
son  tombeau  firent  transférer  ses  reliques  à  la  cathédrale.  Le  16  mai  1279,  sur  l'invitation  de 
l'évêque  d'Amiens,  Guillaume  de  Mâcon,  le  cardinal-légat,  Simon  de  Brie,  procéda  à  la  cérémonie 
de  la  translation  des  reliques  de  la  Sainte  dans  une  châsse  d'argent  doré.  Au  commencement  du 
xiv<>  siècle,  Isabelle,  fille  de  Philippe  le  Bel  et  épouse  d'Edouard  II,  roi  d'Angleterre,  donna  à  la 
cathédrale  d'Amiens  un  reliquaire  d'argent  doré,  en  forme  de  buste,  aux  armes  de  France  et  d'An- 
gleterre, pour  y  mettre  le  chef  de  sainte  Ulphe.  Le  31  décembre  1654,  l'évêque  Fr.  Faure  ouvrit 
la  châsse  de  la  Sainte  pour  en  tirer  quelques  ossements  destinés  à  l'abbaye  du  Paraclet  et  à  Anne 
d'Autriche.  Cette  châsse  fut  restaurée  en  1667.  En  1718,  le  chanoine  Langlois  fit  présent  à  l'église 
de  Molliens-Vidame  d'un  reliquaire  contenant  quelques  ossements  de  sainte  Ulphe  et  de  saint 
Domice. 

On  conservait  à  l'abbaye  du  Paraclet,  transférée  de  Boves  à  Amiens,  en  1630  :  1°  un  bras  de 
sainte  Ulphe  ;  2°  le  voile  qu'une  pieuse  femme  avait  donné  à  la  Sainte  au  moment  de  sa  consécra- 
tion; 3°  une  chaussure  de  soie  brune,  brochée  d'or,  dont  le  luxe  attestait  l'opulence  de  la  famille 
de  sainte  Ulphe.  C'est  avec  cette  chaussure  qu'elle  serait  arrivée  dans  la  solitude  d<i  Boves,  après 


SAINTE  ULPHE,   VIERGE,   ET  SAINT  DOMICE,   DIACRE  ET  CHANOINE.  551 

avoir  fui  de  la  maison  paternelle;  4»  un  petit  vase  de  terre  jaune  dans  lequel  buvait  sainte  Ulphe 
et  que  possède  aujourd'hui  Mlle  Delucheux,  de  Bussy-lès-Daours. 

L'abbaye  de  Saint-Acheul  possédait  une  nappe  d'autel,  ouvrée  à  l'aiguille,  disait-on,  des  mains 
de  la  solitaire  de  Boves.  Les  deux  châsses  de  sainte  Ulphe  ont  été  envoyées  au  creuset  révolu* 
tionnaire  ;  mais  on  a  pu  sauver  un  petit  reliquaire  qui  est  aujourd'hui  conservé  à  la  cathédrale, 
derrière  le  grand  autel.  L'église  de  Dommartin-Fouencamps  obtint  de  l'évêque  d'Amiens,  le  27  oc- 
tobre 1861,  quelques  parcelles  des  reliques  de  saint  Domice  et  de  sainte  Ulphe.  On  conserve 
encore  quelques  petites  reliques  de  la  Sainte  à  l'église  de  Mailly  et  au  couvent  des  Louvencourt 
d'Amiens. 

Deux  cents  ans  après  la  mort  de  sainte  Ulphe,  et  alors  que  ses  reliques  avaient  été  transférées 
à  la  cathédrale,  on  érigea  une  chapelle  sur  sa  sépulture.  Elle  fit  place  au  mattre-autel  de  l'église 
du  Paraclet,  construite  en  1218.  On  érigea  dans  le  jardin  de  ce  monastère,  près  de  la  fontaine  de 
Sainte-Ulphe,  une  autre  chapelle,  qui  a  été  reconstruite  récemment  en  style  ogival,  sur  la  propriété 
de  M.  Cannet.  On  y  va  prier  la  sainte  solitaire  et  puiser  de  l'eau  à  la  source  où  elle  se  désaltéra 
pendant  un  séjour  de  cinquante  années. 

En  1218,  Enguerrand  II,  seigneur  de  Boves,  voulut  témoigner  à  Dieu  sa  reconnaissance  pour 
avoir  été  préservé,  ainsi  que  toute  sa  famille,  des  dangers  auxquels  il  avait  été  exposé  dans 
les  croisades,  en  1191  et  en  1202.  Il  fonda  à  cet  effet  une  abbaye  de  l'Ordre  de  Cîteaux,  dans  le 
lieu  même  où  sainte  Ulphe  avait  passé  ses  jours.  Les  premières  religieuses  vinrent  de  l'abbaye  de 
Saint-Antoine-des-Champs  de  Paris,  et  le  monastère  reçut  le  nom  de  Paraclet-des-Champs,  parce 
qu'il  fut  fondé  dans  la  semaine  de  la  Pentecôte  ;  on  l'appelait  en  latin  :  Abbaiia  sanctx  Marias 
ad  Paraclitum. 

En  1630,  lors  de  l'invasion  des  Espagnols  en  Picardie,  l'abbaye  du  Paraclet-des-Champs,  isolée 
dans  la  campagne,  était  exposée  sans  défense  aux  continuelles  insultes  des  ennemis.  Les  religieuses 
se  retirèrent  dans  une  maison  de  refuge  qu'elles  possédaient  a  Amiens,  dans  la  rue  des  Jacobins. 
Quelque  temps  après,  elles  achetèrent  des  propriétés  aux  environs  et  se  déterminèrent  à  rester 
dans  la  ville,  où  elles  construisirent  dans  la  suite  un  nouveau  monastère.  Quelques  religieuses  con- 
tinuèrent à  résider  dans  l'ancienne  abbaye  où  elles  célébraient  encore  les  offices  ;  mais  en  1714, 
elles  obtinrent  de  M.  Turménies  de  Nointel,  seigneur  de  Boves,  successeur  des  fondateurs,  la  per- 
mission de  démolir,  môme  l'église,  à  la  réserve  d'une  chapelle  dans  laquelle  un  prêtre  devait  dire 
la  messe.  On  vendit  les  plus  beaux  matériaux,  qu'on  fit  transporter  par  eau  à  Amiens.  Aujourd'hui, 
le  Paraclet  est  une  vaste  et  belle  ferme,  dont  le  bâtiment  principal  en  pierres  de  taille,  élevé  d'un 
étage,  a  sept  fenêtres  sur  chacune  de  ses  façades  et  un  fronton  circulaire  au  centre.  Il  ne  reste 
des  vieilles  constructions  que  quelques  pignons  divisés  par  des  contre-forts  et  ouverts  de  fenêtres 
en  plein  cintre. 

L'église  du  Paraclet  d'Amiens,  construite  en  1676  et  consacrée  trois  ans  plus  tard,  fut  dé- 
molie en  1835,  alors  qu'on  perça  la  rue  Napoléon.  Le  souvenir  de  ce  monastère  n'est  plus  rap- 
pelé que  par  une  inscription  placée  sur  la  façade  de  l'institution  dirigée  par  M.  Michel  Vion. 

A  la  cathédrale  d'Amiens,  en  face  de  la  chapelle  de  Notre-Dame  des  Sept  Douleurs,  se  trouve 
l'emplacement  du  puits  de  sainte  Ulphe,  qui  a  été  bouché  et  couvert  d'une  pierre  en  1761.  On  y 
voit,  contre  un  pilier,  une  plaque  de  marbre  noir  avec  cette  inscription  :  Puits  de  sainte  Ulphe. 
C'est  à  cette  fontaine,  enclavée  par  les  constructions  de  la  cathédrale,  que  sainte  Ulphe,  selon  la 
tradition,  allait  souvent  se  désaltérer.  On  ajoute  même  que  les  religieuses  de  la  rue  des  Vergeaux 
allaient  y  puiser  l'eau  dont  elles  avaient  besoin.  Un  biographe  du  xme  siècle  dit  qu'on  prenait 
dans  ce  puits  l'eau  nécessaire  aux  oblations  des  messes,  en  souvenir  de  la  chaste  vierge  qui  s'était 
montrée  si  dévote  au  Saint- Sacrement  de  l'autel.  Cet  usage  paraît  avoir  persévéré  jusqu'au  milieu 
du  xviii»  siècle.  Un  puits  spécial  avait  la  même  destination  à  l'église  Saint-Germain  d'Amiens. 

Il  y  avait  jadis  une  chapelle  dédiée  à  sainte  Ulphe,  sur  les  degrés  de  l'escalier  qui  conduisait  à 
la  trésorerie  haute  de  la  cathédrale.  Une  autre  chapelle,  construite  en  1373,  fut  désignée  sous  le 
nom  de  Sainte-Ulphe.  C'est  la  première  qu'on  rencontre  en  entrant  par  le  portail  Saint-Finnin.  Parmi 
les  huit  cloches  que  renfermait  la  tour  de  l'Horloge,  à  Notre-Dame,  il  y  en  avait  une  qui  s'appelait 
Domice  et  l'autre  Ulphe  :  on  y  lisait  cette  inscription  :  A  fulgure  et  tempestatet  foventibus 
tandis  Domitio  et  Ulphia,  hanc  ecclesiam  libéra,  Domine,  anno  1697. 

Le  culte  de  saint  Domice,  localisé  dans  le  diocèse  d'Amiens,  paraît  remonter  au  siècle  même 
de  sa  mort.  L'évêque  Arnould  légua  soixante  sols  à  la  cathédrale  pour  qu'on  célébrât  la  fête 
de  saint  Domice  sous  le  rite  semi-double.  Ce  fut  le  chanoine  Adrien  de  Henencourt  qui  fonda 
son  office  sorts  le  rite  double  qu'a  restitué  le  Propre  d'Amiens  actuel.  On  trouve  son  office,  au 
23  octobre,  dans  tous  les  bréviaires  manuscrits  ou  imprimés  du  diocèse  d'Amiens.  Saint  Domice 
est  spécialement  honoré  à  Boves,  à  Fouencamps  et  dans  ses  environs,  ainsi  qu'à  Molliens-Vidame. 
Jadis,  le  dimanche  des  Rameaux,  le  chapitre  de  la  cathédrale  allait  chanter  une  antienne  a  la 
croix  des  Jacobins,  en  y  portant  la  châsse  de  saint  Domice.  Le  23  octobre,  on  l'exposait  dans  le 
chœur  de  Notre-Dame. 

Saint  Domice  avait  été  inhumé  dans  son  ermitage  de  Fouencamps  (canton  actuel  de  Sains),  où 
la  piété  des  fidèles  érigea  bientôt  un  oratoire.  Nous  ignorons  l'époque  précise  où  eut  lieu  l'éléva- 


532  23  OCTOBRE. 

tion  de  son  corps  ;  ce  fut  probablement  du  viii«  au  ixe  siècle,  les  reliques  du  saint  diacre  furent 
transférées  à  la  cathédrale,  en  même  temps  que  celles  de  sainte  Ulphe.  Avant  la  Révolution,  elles 
étaient  renfermées  dans  une  châsse  de  vermeil  ;  le  chef,  mis  à  part,  se  trouvait  dans  un  reliquaire 
d'argent,  en  forme  de  coupe,  où  étaient  gravés  les  douze  signes  du  zodiaque.  Sa  châsse  fut  ouverte 
en  1656,  deux  ans  après  l'extraction  qui  avait  été  faite  de  celle  de  sainte  Ulphe. 

En  1718,  le  chanoine  Langlois  ayant  fait  présent  à  l'église  de  Molliens-Vidame  d'un  reliquaire 
contenant  des  ossements  de  sainte  Ulphe  et  de  saint  Domice,  dès  lors  un,  culte  spécial  s'établit 
dans  cette  paroisse  pour  les  deux  Saints,  et  on  s'y  rendit  en  pèlerinage  les  'deux  premiers  dimaa 
ches  de  mai. 

On  conserve  à  la  paroisse  Saint-Médard  de  Linons  un  bras  de  saint  Domice,  qui  provient  de 
l'ancien  prieuré.  L'église  de  Longpré-les-Corps-Saints  possède  une  relique  de  saint  Domice,  pro- 
venant de  l'ancienne  collégiale.  Les  reliques  du  Saint  furent  sauvées,  en  1793,  par  M.  Lecouvé, 
maire  d'Amiens,  vérifiées  par  M.  Voclin,  vicaire  général,  et  confiées  à  M.  Lejeune,  curé  constitu- 
tionnel de  la  cathédrale.  Rendues  par  lui,  en  1802,  elles  furent  reconnues  en  1816  et  en  1829,  et 
se  trouvent  aujourd'hui  dans  la  grande  châsse  dite  de  Saint-Honoré. 

La  chapelle  actuelle  de  Saint-Eloi,  à  la  cathédrale,  était  jadis  sous  le  vocable  de  saint  Domice. 
La  chapelle  érigée  à  Fouencamps,  près  de  la  rivière  d'Avre,  sur  la  sépulture  du  saint  diacre,  était 
désignée,  au  xin»  siècle,  sous  le  nom  de  Maison  de  saint  Domice.  De  cette  chapelle,  qui  était 
unie  à  la  trésorerie  de  Lihons,  part  un  chemin,  connu  sous  le  nom  de  Saint-Domice,  qui  conduit 
à  Saint-Acheul.  C'est  celui  que  suivait  le  saint  chanoine  pour  se  rendre  à  l'office  de  nuit,  qu'on 
célébrait  encore  à  Notre-Dame-des-Martyrs,  après  que  la  cathédrale  fut  transférée  dans  l'intérieur 
de  la  ville.  Depuis  qu'une  partie  de  cette  voie  a  été  mise  en  culture,  les  villageois  des  environs 
font  remarquer  sur  son  parcours  la  supériorité  relative  de  la  végétation.  En  1734,  la  chapelle  de 
Saint-Domice  tombait  en  ruine  ;  reconstruite,  en  1755,  elle  est  aujourd'hui  entretenue  par  deux 
familles  pieuses  de  Fouencamps  et  visitée  par  de  nombreux  pèlerins.  On  y  célèbre  la  messe  le 
23  octobre. 

Deux  sections  cadastrales,  dépendances  de  Dommartin-Fouencamps,  portent  le  nom  de  Mon- 
tagne et  Prairie  de  Saint-Domice.  Une  des  cloches  de  la  cathédrale  portait  le  même  nom  et 
unissait  sa  voix  à  la  cloche  de  sainte  Ulphe,  comme  jadis  le  saint  diacre  et  sa  fille  spirituelle 
avaient  confondu  leurs  chants  et  leurs  prières  dans  la  première  basilique  d'Amiens 

Extrait  de  l'Hagiographie  du  diocèse  d'Amiens,  par  M.  l'abbé  Corblet. 


LE  BIENHEUREUX  JEAN  LE  BON  DE  MANTOUE 

DE  L'ORDRE  DES  ERMITES  DE  SAINT-AUGUSTIN 
1222.  —  Pape  :  Honoré  III.  —  Empereur  d'Allemagne  :  Frédéric  II. 


C'est  par  la  pénitence  que  l'on  acquiert  cette  misé- 
ricorde sans  laquelle  personne  ne  peut  espérer  de 
pardon.  Saint  Augustin. 

Nous  allons  admirer,  dans  la  personne  du  bienheureux  Jean  le  Bon, 
une  des  plus  belles  lumières  qui  aient  paru  dans  la  célèbre  Congrégation 
des  Ermites  de  Saint-Augustin.  Ce  grand  serviteur  de  Dieu  était  de  la  ville 
de  Mantoue.  Son  père  se  nommait  Jean,  et  sa  mère  Bonne,  ce  qui  lui  fît 
donner,  suivant  le  désir  de  ses  parents,  le  nom  de  Jean  le  Bon.  Quand  son 
père  mourut,  il  abandonna  pour  quelque  temps  les  bons  conseils  qu'il  en 
avait  reçus.  Il  quitta  même  sa  mère  et  sa  patrie  pour  aller  voyager  en 
Italie,  par  un  esprit  de  curiosité  qui  l'engagea  insensiblement  dans  plu- 
sieurs désordres;  les  mauvaises  compagnies  dans  lesquelles  il  se  trouva 
dans  ses  voyages  l'attirèrent  dans  des  débauches  où  son  naturel  ne  le  por- 
tait pas.  Sa  mère,  apprenant  la  vie  déréglée  que  menait  ce  fils  qu'elle 
aimait  tendrement,  en  conçut  une  extrême  douleur  ;  et,  se  souvenant  que 


LE  BIENHEUREUX  JEAN  LE  BON  DE  MANTOUE.  553 

les  larmes  et  les  prières  de  sainte  Monique  avaient  autrefois  été  assez  puis- 
santes auprès  de  Dieu  pour  obtenir  la  conversion  de  saint  Augustin,  elle 
se  servit  aussi  de  ce  même  moyen  pour  faire  revenir  son  fils  de  ses  égare- 
ments ;  de  sorte  que  Dieu,  ayant  égard  aux  larmes  qu'elle  versait  nuit  et 
jour,  et  aux  ferventes  prières  qu'elle  faisait  pour  cet  effet,  envoya  une  ma- 
ladie salutaire  à  ce  jeune  homme  dans  le  temps  même  qu'il  était  dans  les 
plus  grands  divertissements  de  sa  jeunesse. 

L'état  d'infirmité  où  il  se  vit  réduit  le  privant  par  nécessité  de  l'usage 
de  tous  les  plaisirs  qu'il  estimait  tant,  lui  fit  reconnaître  la  vanité  de  la  vie 
des  sens  ;  il  comprit  que  cette  maladie  était  un  coup  de  Dieu  qui  le  punis- 
sait de  son  infidélité  et  de  l'abus  qu'il  faisait  du  bon  naturel  dont  il  l'avait 
favorisé,  et  il  ne  douta  point  que  le  mal  qu'il  lui  envoyait  ne  fût  pour  le 
disposer  à  un  grand  bien  ;  de  sorte  que,  sans  différer  davantage,  il  renonça 
de  bon  cœur  à  tous  les  plaisirs  et  à  toutes  les  vanités  de  ce  monde,  et  pro- 
mit en  même  temps  à  Dieu,  par  un  vœu  très-sérieux,  qu'il  quitterait  le 
siècle  et  qu'il  se  retirerait  dans  un  cloître,  s'il  plaisait  à  sa  divine  bonté  de 
le  faire  revenir  de  cette  maladie. 

Le  saint  jeune  homme  recouvra  une  parfaite  santé  ;  et,  reconnaissant 
de  la  grâce  qu'il  venait  de  recevoir,  il  voulut  exécuter,  sans  délai,  la  pro- 
messe qu'il  avait  faite.  Il  alla  trouver,  pour  cet  effet,  l'évêque  de  Mantoue, 
le  fit  dépositaire  de  son  secret,  lui  découvrit  les  saintes  ardeurs  dont  il 
sentait  son  cœur  enflammé,  lui  fit  une  confession  générale;  et,  enfin,  après 
avoir  distribué  tous  ses  biens  aux  pauvres,  conformément  aux  conseils  de 
l'Evangile,  il  quitta  son  propre  pays  et  tous  ses  parents,  puis  il  se  retira, 
du  consentement  du  même  prélat  que  nous  venons  de  citer,  dans  un  ermi- 
tage assez  près  de  Césène,  ville  de  Romagne,  en  Italie.  Il  trouva  heureuse- 
ment en  ce  lieu  une  grotte  très-retirée  dans  le  désert,  laquelle  était  fort 
convenable  à  son  dessein,  qui  était  de  s'éloigner  entièrement  du  commerce 
du  monde  pour  vaquer  en  liberté  à  la  pénitence  et  à  l'oraison  ;  il  se  ren- 
ferma donc  dans  cette  solitude  et  commença  à  y  expier  tous  les  vices 
de  sa  jeunesse  par  les  jeûnes,  les  veilles,  les  austérités  corporelles,  l'exer- 
cice de  la  prière  vocale  et  mentale,  et  par  une  infinité  d'autres  pratiques 
qui  paraissaient  plutôt  tenir  de  la  cruauté  que  de  la  vertu  de  pénitence. 

Le  courage  et  la  fidélité  avec  lesquels  il  persévérait  dans  ce  genre  de 
vie  étonna  les  puissances  de  l'enfer  ;  le  démon,  pour  arrêter  s'il  pouvait  de 
si  grands  progrès  dans  la  vertu,  lui  livra  deux  attaques  particulières  que 
notre  Saint  surmonta  courageusement.  La  première  fut  sur  la  gourman- 
dise, ou  plutôt  sur  la  friandise,  lui  représentant  les  morceaux  délicats  dont 
il  s'était  rassasié,  et  les  festins  délicieux  dans  lesquels  il  s'était  autrefois 
trouvé  ;  le  bienheureux  Jean  évita  ce  premier  piège  en  ramassant  tout  un 
plat  de  feuilles  de  ronces  sauvages  fort  amères  au  goût  et  même  un  peu 
épineuses,  qu'il  mangea  toutes  crues  pour  son  repas  sans  aucun  assaison- 
nement, avec  une  ferme  résolution  de  réitérer  ce  remède  si  la  tentation 
revenait  ;  mais  ce  moyen  fut  si  efficace,  que  l'ennemi  ne  le  tenta  plus  de 
ce  côté-la. 

Il  fut  néanmoins  attaqué  d'une  autre  manière  :  le  malin  esprit  lui  re- 
présentant avec  des  couleurs  extrêmement  vives  l'image  d'une  créature 
qu'il  avait  autrefois  admirée,  et  excitant  en  lui  des  étincelles  d'un  feu 
déshonnête  qu'il  lui  faisait  ressentir  parmi  les  épines  de  son  cilice  et  au 
milieu  de  la  froideur  de  son  abstinence  ;  le  saint  Pénitent,  dont  le  cœur 
était  à  Dieu,  pour  surmonter  cet  assaut,  s'enfonça  avec  un  courage  héroï- 
que des  pointes  de  roseaux  très-aiguës  au  bout  des  doigts,  entre  la  chair 


554  23  OCTOBRE. 

et  les  ongles  ;  la  douleur  qu'il  en  ressentit  fut  si  vive  et  si  pénétrante  qu'il 
tomba  en  défaillance  et  demeura  l'espace  de  trois  jours  à  demi  mort.  Ce 
moyen,  qu'une  prudence  commune  aurait  condamné,  fut  néanmoins  telle- 
ment approuvé  de  Dieu,  qu'il  lui  fit  connaître  qu'il  serait  exempt  le  reste 
de  ses  jours  de  semblables  tentations  :  il  reçut  même  miraculeusement  la 
guérison  parfaite  de  toutes  les  plaies  qu'il  s'était  faites  au  bout  de  tous  les 
doigts  de  ses  deux  mains. 

Quoique  le  serviteur  de  Dieu  travaillât  ainsi  à  surmonter,  avec  un  cou- 
rage incroyable,  les  attaques  de  l'enfer  dans  le  secret  de  la  retraite  d'une 
profonde  forêt,  on  ne  laissa  pas  néanmoins,  Dieu  le  permettant  ainsi,  de 
le  découvrir  enfin  et  de  reconnaître  son  insigne  mérite  ;  ce  qui  lui  attira 
des  disciples  en  si  grand  nombre,  qu'il  fut  obligé  de  bâtir  de  petites  cel- 
lules et  des  oratoires  particuliers,  et  ensuite  une  église,  du  consentement 
de  l'Ordinaire,  en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge  ;  et  la  chose  arriva  à  un 
tel  point  que,  le  nombre  des  pénitents  augmentant  de  jour  en  jour,  le 
bienheureux  Jean  fut  contraint  de  construire,  en  divers  lieux,  plusieurs 
monastères  pour  recevoir  tous  ceux  qui  se  présentaient.  Ces  pieux  ermites 
n'avaient  pas  d'abord  de  règle  particulière,  et  ils  se  contentaient  d'obser- 
ver quelques  règlements  que  le  Bienheureux  leur  donnait  de  vive  voix  ; 
mais  étant  enfin  résolu  de  se  conformer  avec  ses  religieux  à  quelqu'une 
des  règles  anciennes  déjà  établies  et  reçues  dans  l'Eglise,  il  choisit  celle 
des  Ermites  de  Saint-Augustin  :  et  pour  que  la  chose  fût  mieux  reçue  et 
plus  authentique,  il  envoya  demander  l'agrément  du  souverain  Pontife  qui 
était  alors  Innocent  III,  lequel,  étant  bien  informé  du  mérite  et  de  la  sain- 
teté des  intentions  du  vénérable  Jean,  lui  accorda  volontiers  ce  qu'il  de- 
mandait, lui  permettant  ainsi  qu'à  ses  disciples  de  vivre,  de  prononcer  des 
vœux  et  de  dresser  des  constitutions  et  des  lois  conformément  à  la  Règle 
de  Saint-Augustin. 

Ce  saint  personnage  conduisit  cet  ouvrage  avec  une  prudence  admi- 
rable ;  et,  voyant  les  bénédictions  que  Dieu  donnait  à  sa  Congrégation,  et 
que  tous  ses  religieux  vivaient  dans  une  parfaite  obéissance ,  il  trouva 
moyen,  par  un  effet  d'humilité,  de  se  démettre  de  la  charge  de  général 
qu'il  occupait,  et  de  la  donner  à  un  autre,  afin  de  vivre  lui-même  dans  un 
état  plus  caché,  et  d'avoir  plus  de  loisirs  pour  vaquer  en  liberté  aux  exer- 
cices de  la  contemplation  et  de  la  mortification,  qui  sont  les  deux  princi- 
paux articles  de  la  vie  des  solitaires.  En  effet,  quand  il  eut  obtenu  de  n'être 
plus  prieur  général,  il  recommença  à  mener  un  genre  de  vie  plus  austère 
et  plus  régulier  que  celui  qu'il  avait  tenu  jusqu'alors,  et  il  ne  soutint  pas 
moins  efficacement  par  son  seul  exemple  l'ouvrage  qu'il  avait  commencé, 
que  lorsqu'il  faisait  ses  exhortations  et  donnait  des  lois  par  écrit  et  de  vive 
voix,  étant  général. 

Il  comptait  si  peu  sur  les  mortifications  et  sur  les  pénitences  qu'il  avait 
pratiquées  jusqu'alors  dans  la  solitude,  qu'il  s'obligea  de  nouveau  par  vœu 
de  faire  tous  les  ans  trois  Carêmes  pendant  tout  le  reste  de  sa  vie.  Le  pre- 
mier était  celui  auquel  l'Eglise  oblige  les  fidèles  avant  Pâques  :  il  l'obser- 
vait avec  une  rigueur  si  extrême,  que  le  jour  des  Cendres  il  prenait  trois 
onces  de  pain  seulement,  lesquelles  il  partageait  en  petits  morceaux,  et 
chacun  de  ces  petits  morceaux  faisait  son  repas  de  chaque  jour  :  puis,  lors- 
que le  Jeudi  Saint  était  arrivé,  il  multipliait  si  abondamment  le  reste,  qu'il 
y  en  avait  suffisamment  pour  donner  un  repas  à  un  grand  nombre  de 
religieux  qu'il  assemblait  en  ce  temps  pour  célébrer  avec  eux  la  fête  de 
Pâques, 


LE  BIENHEUREUX  JEAN  LE  BON  DE  MANTOUE.  555 

Le  second  Carême  qu'il  faisait  était  depuis  l'octave  de  Pâques  jusqu'à 
la  Pentecôte  :  pendant  l'espace  de  ce  temps,  il  n'usait  point  d'autre  nour- 
riture que  de  celle  qu'il  pouvait  recevoir  de  la  sainte  communion  qu'il 
prenait  pour  lors  tous  les  matins  ;  car,  pour  les  autres  temps,  il  se  con- 
tentait d'entendre  la  sainte  messe  et  de  communier  les  dimanches  et  les 
fêtes.  Il  faisait  son  troisième  Carême  immédiatement  avant  les  fêtes  de 
Noël,  et  alors  il  ne  prenait  pour  son  repas  de  chaque  jour  que  trois  fèves  ; 
pendant  tout  le  reste  du  temps,  il  jeûnait  exactement  au  pain  et  à  l'eau  le 
lundi,  le  mercredi  et  le  vendredi  de  chaque  semaine.  Il  ne  mangeait  ja- 
mais de  chair,  pas  même  étant  malade,  quoique  cela  fût  permis  dans  ce 
temps-là. 

S'il  était  si  rigoureux  dans  le  vivre,  il  ne  l'était  pas  moins  dans  le 
vêtir  :  on  peut  dire  qu'il  ne  portait  quelques  vêtements  que  pour  ne  pas 
paraître  nu  ;  il  ne  se  servait,  dans  son  ermitage,  que  d'une  simple  tunique 
tissue  de  paille,  laquelle ,  néanmoins,  est  devenue  depuis  un  admirable 
instrument  de  guérison  pour  un  grand  nombre  de  malades  qui  sont 
venus  se  la  faire  appliquer  après  sa  mort  :  Dieu  faisant  connaître  par  là 
combien  il  avait  eu  pour  agréable  les  austérités  de  son  Serviteur,  Son 
histoire  dit  aussi  qu'il  avait  trois  lits  dans  sa  cellule  :  l'un  était  de  troncs 
d'arbres  fort  mal  ajustés  et  plus  propres  à  faire  souffrir  le  martyre  à  un 
corps  qu'à  lui  servir  d'un  lieu  de  repos  ;  aussi  son  intention  était-elle  de 
ne  s'en  servir  que  pour  se  causer  une  grande  fatigue  et  une  extrême 
douleur.  Le  second  de  ses  lits  était  une  fosse  qui  était  plus  profonde  d'un 
côté  que  de  l'autre;  il  descendait  à  certaines  heures  du  jour  dans  cette 
espèce  de  sépulcre  et  s'y  couchait,  mettant  sa  tête  du  côté  qui  était 
le  plus  profond  pour  y  être  en  plus  grande  souffrance,  et  il  ne  quittait 
la  posture  qu'il  y  prenait  qu'après  avoir  récité  dévotement  deux  cents  fois 
l'Oraison  dominicale  ;  enfin,  son  troisième  lit  était  un  ais  tout  simple  sur 
lequel  il  se  reposait,  n'ayant  qu'un  morceau  de  bois  pour  son  chevet.  C'est 
ainsi  que  l'esprit  de  pénitence  faisait  trouver  à  ce  grand  Serviteur  de  Dieu 
de  belles  inventions  pour  ne  donner  aucun  repos  à  sa  chair  et  pour  porter 
continuellement  la  mortification  de  Jésus-Christ  sur  son  corps. 

Quoique  le  bienheureux  Jean  le  Bon  vécût  dans  une  parfaite  innocence 
et  qu'il  ne  donnât  aucune  prise  sur  lui  à  son  ennemi,  le  démon,  néanmoins, 
qui  ne  pouvait  supporter  qu'avec  peine  qu'il  observât  une  aussi  grande 
fidélité  à  ses  exercices  et  qu'il  persévérât  comme  il  faisait  jour  et  nuit  dans 
les  pratiques  de  la  plus  haute  contemplation,  lui  livra  de  grands  combats  : 
tantôt  il  lui  apparaissait  sous  des  figures  horribles  pour  l'effrayer  et  le  dis- 
traire dans  le  doux  repos  de  son  oraison,  tantôt  il  lui  livrait  une  guerre  ou- 
verte en  le  frappant  durement  ;  quelquefois,  il  le  menaçait  de  lui  livrer  des 
combats  le  reste  de  ses  jours;  d'autres  fois,  il  suscitait  contre  lui  les  ca- 
lomnies les  plus  atroces  pour  lui  faire  perdre  sa  réputation  et  diminuer  la 
confiance  que  les  peuples  avaient  en  lui.  Ce  monstre  infernal  l'attaquait 
plus  communément  lorsqu'il  était  sur  le  rude  lit  de  bois  dont  nous  avons 
parlé,  et,  ne  pouvant  supporter  les  douleurs  volontaires  que  le  Saint  souf- 
frait étant  couché  dessus,  il  l'en  retira  un  jour  après  l'avoir  auparavant 
bien  tourmenté  et  le  jeta  si  rudement  sur  le  carreau  de  sa  chambre,  qu'il 
en  fut  grièvement  blessé.  Nous  serions  trop  long  à  donner  ici  le  récit 
de  tant  de  différents  combats  ;  il  suffirait  de  dire  qu'il  demeura  toujours 
vainqueur  de  son  ennemi,  soit  en  usant  du  signe  de  la  croix,  soit  en  faisant 
des  actes  intérieurs  d'une  parfaite  confiance  en  Dieu,  soit  en  continuant 
avec  une  fidélité  incomparable  les  exercices  de  la  prière  et  de  la  mortifica- 


556  23  OCTOBRE. 

tion  qui  déplaisaient  le  plus  à  l'ennemi,  soit  en  se  disculpant  avec  une  tran- 
quillité et  une  modestie  angéliques  devant  son  évêque,  de  toutes  les  im- 
postures et  calomnies  les  plus  noires  qu'on  suscitait  contre  sa  personne  : 
de  sorte  que  toutes  les  adversités  qui  lui  arrivaient,  tant  du  côté  des 
hommes  que  de  la  part  de  l'enfer,  ne  servirent  jamais  qu'à  augmenter  sa 
patience  et  ses  victoires,  et  à  relever  devant  Dieu  et  devant  le  monde  son 
insigne  mérite. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  ici  à  découvrir  en  détail  les  communica- 
tions intérieures  qu'il  recevait  de  la  part  du  ciel,  nous  dirons  seulement 
qu'elles  étaient  proportionnées  aux  travaux  qu'il  souffrait,  et  que,  si  les 
émotions  l'attaquaient  visiblement  sous  des  formes  corporelles,  Jésus-Christ, 
d'autre  part,  sous  les  ordres  duquel  il  soutenait  ses  combats,  lui  apparais- 
sait aussi  souvent  visiblement  sous  forme  humaine,  pour  le  fortifier  et  le 
consoler  dans  ses  travaux.  Ces  grâces  et  ces  insignes  faveurs  lui  étaient 
communiquées  spécialement  lorsqu'il  méditait  les  mystères  de  la  passion 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Ses  visions  extérieures  étaient  toujours 
accompagnées  d'une  grande  abondance  de  consolations  intérieures  et  de 
lumières  extraordinaires;  c'était  dans  ce  doux  commerce  qu'il  apprenait  les 
choses  futures  qu'il  ne  pouvait  savoir  par  des  connaissances  naturelles  :  ce 
qui  lui  faisait  prédire  plusieurs  événements  en  déterminant  des  circons- 
tances si  particulières,  qu'elles  causaient  l'admiration  et  un  grand  étonne- 
ment  à  tous  ceux  qui  en  avaient  connaissance.  Un  malade,  étant  abandonné 
de  tous  les  médecins  comme  devant  mourir,  le  Saint  prédit,  contre  toute 
apparence,  qu'il  reviendrait  bientôt  à  une  parfaite  santé  :  ce  qui  arriva,  en 
effet,  peu  de  temps  après.  Il  déclara  encore  qu'un  certain  religieux  aban- 
donnerait son  état  et  quitterait  l'habit  de  religion,  mais,  néanmoins,  qu'il 
se  reconnaîtrait  si  bien  dans  la  suite,  qu'il  ferait  une  très-heureuse  fin,  et 
que  l'on  rendrait  même  de  grands  honneurs  à  son  corps  après  son  trépas  : 
ce  qui  arriva  comme  il  l'avait  prédit. 

Il  puisait  encore  dans  le  saint  exercice  de  la  contemplation  la  solution 
d'une  infinité  de  difficultés  très-épineuses,  dont  il  eût  été  difficile  de 
pénétrer  le  fond  par  des  sciences  humaines.  C'est  pour  cela  que,  quoi- 
qu'il n'eût  jamais  beaucoup  étudié  et  qu'il  n'eût  qu'une  légère  teinture  des 
lettres  humaines,  il  ne  laissa  pas  de  résoudre  fort  nettement  une  question 
des  plus  délicates  du  droit  canon,  touchant  le  mariage,  en  présence  de  deux 
fameux  avocats  très-expérimentés,  lesquels  furent  extrêmement  surpris 
d'entendre  de  la  bouche  du  Saint  l'explication  de  leur  difficulté,  et  de  voir 
même  qu'il  leur  citait  le  lieu  du  droit  où  se  trouvait  la  solution  qu'il  leur 
donnait. 

Il  fit  des  choses  tout  à  fait  miraculeuses  pendant  le  cours  de  sa  vie,  les- 
quelles sont  autant  de  preuves  convaincantes  de  son  innocence  et  du  pou- 
voir que  Dieu  lui  avait  donné  sur  les  créatures.  Un  motif  de  pure  charité 
envers  un  religieux  de  l'ermitage  où  il  demeurait  lui  fit  faire  une  action  que 
nous  ne  devons  pas  omettre  ici.  Un  jeune  frère,  ayant  résolu  par  tentation 
de  s'en  retourner  dans  le  siècle  et  d'abandonner  sa  vocation,  le  Saint,  étant 
allé  l'attendre  au  lieu  où  il  devait  passer  pour  s'en  aller,  le  prit  par  la  main 
et,  le  conduisant  près  d'un  grand  feu,  il  sauta  dedans  en  sa  présence,  ayant 
les  pieds  nus  ;  puis,  s'étant  promené  longtemps  sur  les  charbons  ardents 
sans  en  être  offensé  en  aucune  manière,  il  dit  à  ce  religieux,  qu'il  voyait 
tout  surpris  et  comme  extasié  d'être  témoin  d'une  telle  merveille  : 
«  Mon  frère,  le  sujet  de  votre  étonnement  cessera  si  vous  comprenez  que 
Dieu  fait  tant  de  grâces  et  de  miséricorde  à  ceux  qui,  s'étant  consacrés  à 


LE  BIENHEUREUX  JEAN  LE  BON  DE  MANTOUE.  557 

lui,  sont  fidèles  à  persévérer  dans  leur  vocation,  que  l'eau,  le  feu  et  toutes  les 
autres  créatures  leur  deviennent  soumises  et  officieuses,  perdant  leurs  qua- 
lités naturelles  o  u  en  acquérant  de  nouvelles  en  faveur  de  ces  mêmes  ser- 
viteurs de  Dieu  ».  Et,  pour  une  plus  grande  preuve  de  ce  qu'il  lui  disait, 
il  prit  sur-le-champ,  dans  le  feu,  un  tison  tout  allumé  qu'il  alla  planter  en 
terre  par  le  bout  qui  brûlait,  et,  chose  surprenante,  Dieu,  répondant  à  la 
foi  de  son  serviteur,  le  bâton  reverdit  aussitôt  et  se  trouva  en  peu  de  temps 
chargé  de  feuilles  et  de  beaux  fruits  fort  bons  à  manger.  De  si  grandes  mer- 
veilles ouvrirent  les  yeux  du  religieux  qui  était  près  de  sortir  ;  il  déplora 
sa  lâcheté,  admira  le  pouvoir  que  Dieu  donnait  à  ses  serviteurs  quand  ils 
lui  étaient  fidèles,  et  enfin  persévéra  dans  sa  première  vocation  et  fit  une 
heureuse  fin  dans  la  religion. 

La  grande  réputation  qu'il  s'acquit,  autant  par  la  sainteté  de  sa  vie 
que  par  le  nombre  des  prodiges  qu'il  opérait,  lui  attira  tant  de  visites  de 
toutes  parts,  qu'il  résolut  de  se  retirer  en  quelque  lieu  inconnu  pour  évi- 
ter la  vaine  gloire  et  être  moins  exposé  aux  louanges  des  hommes.  Il  par- 
tit donc  secrètement  un  soir  de  son  ermitage  ;  mais,  par  une  disposition  de 
la  divine  Providence,  après  qu'il  eut  bien  marché  toute  la  nuit,  le  matin, 
croyant  être  bien  loin  et  hors  d'état  d'être  atteint  par  ceux  qu'il  savait 
devoir  le  poursuivre,  il  se  trouva  devant  la  porte  de  sa  cellule,  d'où  il 
était  sorti  le  soir  :  ce  qui  lui  fit  bientôt  conclure  que  Dieu,  qui  avait 
ainsi  réglé  ses  démarches,  n'approuvait  pas  sa  retraite  ni  qu'il  fût  éloigné 
de  ce  lieu-là,  parce  qu'il  devait  y  soutenir  ses  frères  dans  l'austérité  de  la 
discipline  religieuse  par  la  force  de  son  exemple,  et  assister  et  favoriser  de 
ses  bons  secours  ceux  qui  auraient  recours  à  lui  dans  leurs  disgrâces  et 
dans  leurs  maladies. 

A  peine  donc  le  saint  ermite  fut-il  revenu  en  ce  lieu,  que  Dieu  fit  encore 
plus  clairement  connaître  que  c'était  la  divine  Sagesse  qui  l'y  arrêtait  ; 
comme  les  parents  d'un  jeune  démoniaque  le  voulaient  mener  au  bienheu- 
reux Jean  le  Bon,  afin  qu'il  le  délivrât  de  la  tyrannie  de  ce  mauvais  hôte, 
le  démon  ne  voulut  jamais  se  résoudre  à  aller  où  on  désirait  mener  le  ma- 
lade, disant  qu'il  savait  bien  où  on  voulait  le  conduire,  mais  qu'il  n'irait 
pas  ;  les  parents,  néanmoins,  ayant  trouvé  le  moyen  de  transporter  leur 
fils  dans  Téglise  du  lieu  où  était  le  bon  ermite,  il  n'y  fut  pas  plus  tôt  arrivé, 
que  le  démon,  sans  attendre  même  la  présence  du  Saint  que  l'on  deman- 
dait, sortit  aussitôt  du  corps  du  malade,  au  grand  étonnement  de  l'assem- 
blée, qui  ne  pouvait  assez  admirer,  d'une  part,  le  respect  que  le  démon 
avait  pour  le  saint  religieux,  et,  d'autre  part,  le  grand  pouvoir  que  le  ser- 
viteur de  Dieu  avait  sur  les  puissances  infernales. 

Nous  sommes  obligé  de  passer  sous  silence  plusieurs  autres  belles  ac- 
tions pour  n'être  pas  trop  étendus  dans  cet  abrégé,  et  pour  revenir  à  la  fin 
qui  a  heureusement  couronné  la  fidélité  et  les  travaux  de  ce  grand  servi- 
teur de  Jésus-Christ.  Ayant  donc  rempli  dignement  la  mesure  des  bonnes 
œuvres  que  Dieu  attendait  de  lui  pour  lui  faire  part  de  sa  gloire,  il  fut 
averti  par  .un  ange  de  s'en  aller  àMantoue,  qui  était  le  lieu  de  sa  naissance, 
où  Dieu  voulait  que  son  corps  fût  inhumé  et  reçût  de  grands  honneurs.  Le 
Saint  obéit,  et,  comme  Je  pouvoir  et  la  faculté  de  faire  des  miracles  le  sui- 
vaient partout,  il  se  trouva  encore  obligé  d'opérer  avant  son  trépas,  une 
merveille  que  nous  ne  devons  pas  omettre.  Une  femme  ayant  perdu  son 
fils  unique  en  qui  elle  mettait  toute  sa  confiance  et  toute  sa  consolation, 
ne  parlait  de  rien  moins  que  de  mourir,  et  disait  qu'elle  voulait  absolument 
être  enterrée  avec  son  fils  qui  était  décédé,  ne  pouvant  survivre  à  une  telle 


558  23  OCTOBRE. 

perte  ;  ses  amis  lui  persuadèrent  d'avoir  recours  au  bienheureux  Jean  le 
Bon  à  qui  rien  n'était  difficile,  pour  le  prier  de  rendre  la  vie  à  son  fils  ; 
elle  accepta  le  conseil,  et,  pleine  de  confiance  en  Dieu  et  d'estime  pour  le 
saint  Ermite,  elle  porta  le  corps  de  son  enfant  mort  à  sa  cellule,  le  conju- 
rant par  toutes  sortes  de  prières  de  lui  obtenir  de  Dieu  la  consolation  de 
recevoir  en  vie  ce  fils  qui  lui  était  si  cher.  Le  Saint,  dont  la  charité  n'avait 
point  de  bornes,  se  mit  en  prières,  et,  quand  il  eut  passé  trois  jours  entiers 
auprès  du  défunt  pour  lui  obtenir  du  ciel  la  vie  dont  il  avait  été  privé, 
Dieu,  exauçant  enfin  les  prières  du  Saint,  rendit  la  vie  au  mort,  au  grand 
étonnement  de  toute  la  ville  de  Mantoue,  qui  fut  témoin  de  cette  merveille; 
mais  enfin,  celui  qui  venait  d'obtenir  si  facilement  la  vie  à  un  étranger,  ne 
respirant  rien  tant  que  de  mourir  pour  aller  jouir  en  liberté  de  la  présence 
de  son  Dieu,  accepta  avec  grande  joie  de  sortir  de  ce  monde  ;  de  sorte 
qu'après  avoir  averti  ses  frères  du  jour  de  son  décès,  il  les  exhorta  à  bien 
observer  leurs  vœux  et  à  ne  jamais  s'éloigner  des  pratiques  de  la  mortifica- 
tion et  de  la  pénitence  :  «  Ne  recherchez  point  ici-bas  d'autre  joie  »,  leur 
dit-il,  «  que  celle  qu'une  bonne  conscience  reçoit  des  bonnes  œuvres  que 
l'on  fait  ;  n'oubliez  jamais  d'imiter  les  exemples  de  notre  Sauveur  et  Ré- 
dempteur Jésus-Christ  qui  est  notre  Maître  commun  ;  ce  sera  par  ce  moyen 
que  toutes  choses  vous  réussiront  en  cette  vie,  et  que  vous  mériterez  la 
gloire  en  l'autre  ». 

Un  peu  avant  sa  mort,  un  religieux  prit  la  liberté  de  lui  demander  ce 
que  son  corps  deviendrait  après  son  décès  ;  il  lui  répondit  que  les  hommes 
le  traiteraient  avec  grand  respect,  et  que  Dieu  ferait  voir  beaucoup  de 
merveilles  autour  de  lui  pendant  plusieurs  années  ;  qu'on  oublierait,  néan- 
moins, pendant  un  temps,  toutes  ces  choses,  mais  qu'il  plairait  à  la  divine 
Providence  de  le  mettre  en  une  si  grande  réputation,  qu'il  serait  respecté 
de  toute  la  terre  :  ce  que  l'événement  a  fait  voir  véritable.  Enfin,  le  der- 
nier instant  de  son  départ  de  ce  monde  étant  arrivé,  une  troupe  d'anges 
environna  son  lit,  et  on  entendit  une  voix  qui  le  convia  à  venir  jouir  des 
délices  éternelles  en  la  compagnie  de  ses  frères  qui  l'avaient  précédé 
dans  la  gloire,  et,  au  même  moment,  il  rendit  sa  belle  âme  à  Dieu.  Ce 
fut  le  23  octobre  de  l'an  de  grâce  4222,  étant  âgé  de  quatre-vingt-dix- 
huit  ans. 

Son  corps  fut  inhumé  avec  beaucoup  d'honneurs,  comme  il  l'avait  prêt- 
dit,  et,  dix-huit  mois  après  avoir  été  mis  en  terre,  on  le  trouva  tout  entier 
lorsqu'on  le  leva  pour  lui  donner  une  sépulture  encore  plus  honorable  que 
la  première. 

On  le  représente  tenant  un  lis  dans  une  main  et  une  tête  de  mort  dans 
l'autre,  pour  marquer  les  luttes  qu'il  eut  à  soutenir  contre  l'impureté 
après  sa  conversion,  et  la  pensée  de  la  mort  qui  était  l'objet  de  ses  médita- 
tions assidues. 

Nous  avons  composé  cette  vie  sur  les  mémoires  qui  se  trouvent  dans  l'Histoire  des  hommes  illustres  âe 
t  Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin. 


SAINT  PIERRE   PASCHAL,  ÉVÊQUE  ET  MARTYR.  559 

SAINT  PIERRE  PASCHAL, 

RELIGIEUX  DE  LA  MERCI,  PUIS  ÉVÊQUE  DE  JAEN,  EN  ESPAGNE,  ET  MARTYR 
1300.  —  Pape  :  Boniface  VIII.  —  Roi  de  Castille  :  Sanche  IV. 


C'est  l'œuvre  propre  des  âmes  justes  que  de  nourrir 
les  pauvres  et  racheter  les  captifs. 

Lactance. 

Depuis  que  les  Maures  se  furent  emparés  des  plus  belles  provinces  d'Es- 
pagne, vers  l'année  714,  Dieu  ne  manqua  jamais  de  susciter  des  personnes 
d'un  insigne  piété,  pour  y  soutenir  généreusement  la  foi  contre  leur  persé- 
cution, et  pour  assister  les  captifs  qui  gémissaient  sour  leur  tyrannie.  Les 
ancêtres  de  notre  Saint,  originaires  de  Valence,  en  Espagne,  se  signalèrent 
particulièrement  dans  ces  actes  de  piété  et  de  miséricorde,  et  même  cinq 
d'entre  eux  donnèrent  leur  sang  pour  la  religion.  Ses  parents,  qui  héritèrent 
d'eux  ce  zèle  pour  la  foi  chrétienne,  employaient  leurs  grands  biens  à  en- 
tretenir le  couvent  du  Saint-Sépulcre,  dans  la  même  ville  de  Valence,  et  à 
racheter  les  esclaves  chrétiens.  C'était  aussi  chez  eux  que  logeait  ordinaire- 
ment saint  Pierre  Nolasque,  lorsqu'il  allait  en  ce  lieu  travailler  au  rachat 
de  ces  malheureux.  Gomme  il  vit  qu'ils  n'avaient  point  d'enfants,  il  pria 
Dieu  de  leur  en  donner  un  qui  pût  imiter  leur  ferveur  et  continuer  l'exer- 
cice de  la  charité  qu'ils  pratiquaient  avec  tant  de  constance.  Sa  prière  fut 
exaucée,  et  notre  Saint  fut  cet  enfant  d'oraison  et  de  bénédiction  qu'il  avait 
demandé  avec  tant  d'instance.  Il  naquit  le  6  décembre  1227,  sous  le  pon- 
tificat de  Grégoire  IX,  et  on  le  nomma  Pierre  Nicolas,  en  considération  de 
saint  Nicolas,  dont  on  célébrait  la  fête,  et  de  saint  Pierre  Nolasque,  qui 
l'avait  obtenu  par  ses  larmes. 

Dès  son  enfance,  il  donna  des  marques  éclatantes  de  la  sainteté  à  la- 
quelle il  était  appelé  par  la  divine  Providence.  Il  était  ravi  de  porter  lui- 
même  aux  pauvres  l'aumône  que  son  père  avait  coutume  de  leur  donner.  Il 
réservait  toujours  pour  eux  la  moitié  de  sa  viande  et  de  son  pain,  et  il  était 
impossible,  aux  jours  déjeune,  de  le  faire  manger  le  matin.  Quand  il  eut 
appris  son  catéchisme,  son  plaisir  était  de  l'enseigner  aux  autres  enfants 
des  chrétiens  et  des  Maures.  Il  sentit  dès  lors  un  si  grand  désir  de  mourir 
martyr,  qu'un  jour  il  pria  les  petits  Maures  de  le  traiter  comme  leurs 
pères  traitaient  les  chrétiens  qu'ils  tenaient  captifs  ;  et  ces  petits  barbares 
l'outragèrent  alors  si  cruellement,  qu'il  eût  été  massacré  si  l'on  n'eût  couru 
à  son  secours.  Une  autre  fois,  pendant  une  horrible  persécution  des  mêmes 
infidèles,  qui  étaient  maîtres  de  Valence,  on  eut  bien  de  la  peine  à  le  retenir 
dans  la  maison,  tant  il  souhaitait  d'endurer  la  mort  pour  la  cause  de  son 
Sauveur  et  Rédempteur  Jésus-Christ. 

Lorsqu'il  eut  appris  les  premiers  principes  de  la  grammaire  au  couvent 
du  Saint-Sépulcre,  il  fut  mis  sous  la  conduite  d'un  très-vertueux  prêtre ; 
natif  de  Narbonne  et  docteur  de  la  Faculté  de  Paris,  que  ses  parents  avaient 
racheté  avec  une  somme  considérable  d'argent.  Il  devint  aussi  saint  que 
savant  à  l'école  d'un  si  bon  maître.  Le  temps  qui  lui  restait  après  ses  études, 


560  23  OCTOBRE. 

il  l'employait  à  apprendre  le  chant  et  les  cérémonies  de  l'Eglise,  à  prier, 
à  méditer,  à  lire  les  saintes  Ecritures  et  à  secourir,  par  des  paroles  pleines 
de  ferveur  et  d'onction,  et  souvent  aussi  par  des  aumônes,  les  pauvres  et 
les  esclaves  qu'il  voyait  dans  la  misère.  Vers  ce  temps,  le  roi  d'Aragon  défit 
les  Maures  et  conquit  sur  eux  le  royaume  et  la  ville  de  Valence  ;  et,  comme 
il  fut  informé  du  mérite  extraordinaire  de  Pierre  Paschal,  il  le  nomma  cha- 
noine de  la  cathédrale.  Cette  dignité  obligea  notre  Saint  de  se  perfectionner 
dans  la  connaissance  des  saintes  Lettres  ;  ainsi,  sachant  que  l'Université  de 
Paris  était  la  mère  de  toutes  les  sciences,  il  y  vint  avec  son  précepteur  et  y 
fit  son  cours  de  théologie.  Sa  vertu  et  son  bel  esprit  lui  attirèrent  bientôt 
l'estime  et  l'amour  des  plus  éclairés  d'entre  les  Docteurs.  L' évoque  même 
le  prit  en  affection,  et  lui  ayant  conféré  les  ordres  sacrés,  il  lui  commanda 
de  prêcher  l'Evangile.  Ses  prédications  furent  applaudies  de  tout  le  monde 
et  produisirent  de  grands  fruits  parmi  ses  auditeurs.  Il  enseigna  aussi  pu- 
bliquement dans  une  chaire  de  l'Université,  et  reçut  le  bonnet  de  Docteur 
n'ayant  encore  que  vingt-trois  ans. 

Cependant  la  charité  de  Jésus-Christ  le  pressait  toujours,  et  il  brûlait 
du  désir  d'assister  les  esclaves  chrétiens,  qui,  outre  les  misères  du  corps, 
étaient  tous  les  jours  en  danger  de  faire  naufrage  dans  la  foi.  Ainsi  il  forma 
le  dessein  de  se  faire  religieux  de  l'Ordre  de  la  Merci,  d'autant  plus  que  cet 
Ordre  est  particulièrement  appliqué  à  la  vénération  de  la  sainte  Vierge, 
pour  laquelle  il  avait  une  singulière  dévotion.  Il  retourna  pour  cela  en 
Espagne  et  se  présenta  à  saint  Pierre  Nolasque,  qu'il  regardait  déjà  comme 
son  père,  parce  que  c'était  par  ses  prières  qu'il  avait  été  obtenu  du  ciel.  Ce 
saint  Instituteur  l'obligea  de  faire  encore  un  an  les  fonctions  de  chanoine, 
pour  édifier  tout  son  chapitre  par  l'exemple  de  ses  vertus  ;  ensuite  lui  ayant 
fait  faire  une  retraite  à  un  couvent  de  son  Ordre,  nommé  Notre-Dame  du 
Puche,  il  lui  donna  l'habit  de  religieux  à  Valence,  le  jour  des  Rois  de  Tan- 
née 1251.  Comme  ce  fervent  novice  avait  toujours  mené  une  vie  innocente 
et  pénitente  dans  le  monde,  il  n'eut  aucune  peine  à  se  former  aux  exer- 
cices de  la  religion.  Après  sa  profession,  il  alla  à  Barcelone,  auprès  de  son 
bienheureux  supérieur,  et  s'y  occupa  à  prêcher  et  à  enseigner  la  théologie, 
jusqu'à  ce  que  le  roi  d'Aragon  le  demanda  pour  précepteur  de  l'infant  Don 
Sanche,  son  fils,  qui  voulait  embrasser  l'état  ecclésiastique.  Il  se  rendit 
pour  cela  à  Saragosse,  et  s'acquitta  si  dignement  de  cette  importante  fonc- 
tion, que  son  illustre  disciple,  à  qui  il  apprit  particulièrement  la  science 
des  Saints,  voulut  embrasser  son  institut  et  se  faire,  comme  lui,  religieux 
de  la  Merci. 

Cette  retraite  du  jeune  prince  donna  liberté  à  notre  Saint  d'aller  rache- 
ter des  esclaves  au  pays  des  Maures.  Il  en  ramena  un  grand  nombre  de 
Tolède,  et  ceux  qu'il  ne  put  pas  délivrer,  il  les  confessa,  les  exhorta  à  la 
patience  et  les  laissa  parfaitement  consolés.  A  son  retour,  il  trouva  un 
ordre  de  saint  Pierre  Nolasque  de  se  rendre  au  plus  tôt  auprès  de  lui.  C'est 
que  le  Saint  voulait  mourir  entre  ses  bras  et  le  faire  héritier  de  son  esprit 
et  de  son  zèle.  Peu  d'années  après,  le  prince  Infant,  dont  nous  venons  de 
parler,  fut  élu  archevêque  de  Tolède  ;  et,  comme  il  n'avait  pas  encore  l'âge 
assigné  par  les  Canons  pour  gouverner  cette  Eglise,  il  demanda  à  Urbain  IV 
saint  Pierre  Paschal  pour  son  coadjuteur.  Sa  Sainteté,  qui  était  informée 
des  mérites  de  cet  excellent  religieux,  approuva  ce  choix  et  le  nomma 
pour  cela  évêque  titulaire  de  Grenade,  qui  était  encore  sous  la  puissance 
des  Maures.  Il  fut  sacré,  en  cette  qualité,  l'an  1262,  après  quoi  il  entreprit, 
avec  le  zèle  d'un  véritable  pasteur,  la  conduite  de  ce  grand  archevêché, 


SAINT  PIERRE  PASGIIAL,  ÉVÊQUE  ET  MARTYR.  $61 

qui  lui  était  confié  ;  il  en  visita  les  villes,  les  bourgs  et  les  villages,  y  fit  des 
missions  apostoliques  et  n'épargna  rien  pour  en  bannir  tous  les  désordres. 
La  discipline  ecclésiastique  s'y  étant  beaucoup  relâchée,  il  fit  des  règle- 
ments admirables  pour  la  rétablir  dans  sa  première  vigueur.  Comme  l'i- 
gnorance y  régnait  parmi  les  curés,  il  composa  un  excellent  livre  pour 
leur  instruction.  Le  peuple,  vivant  dans  le  vice  et  le  libertinage,  il  employa 
toute  sa  vigilance  pastorale  pour  le  réformer;  mais  il  fut  enfin  déchargé  de 
ce  fardeau  par  le  décès  de  l'archevêque,  qui  mourut  en  1275,  des  blessures 
qu'il  avait  reçues  dans  un  combat  contre  les  Maures. 

Alors  il  se  retira  dans  un  couvent  de  son  Ordre,  afin  d'y  attendre  l'oc- 
casion de  faire  de  nouveaux  voyages  pour  la  rédemption  des  captifs.  Il 
demandait  souvent  à  Dieu  qu'il  lui  fût  ordonné  de  passer  à  Tunis,  en 
Afrique,  où  il  espérait  que  son  zèle  contre  l'impiété  des  Mahométans  lui 
procurerait  la  couronne  du  martyre.  Cependant  il  fit  des  missions  très- 
fructueuses  en  diverses  provinces  d'Espagne  et  de  Portugal,  et  il  fonda  des 
monastères  de  son  institut  à  Tolède,  à  Baeza,  à  Xérès,  pour  avoir  des  ou- 
vriers qui  pussent  seconder  son  zèle.  L'état  .de  l'Eglise  de  Grenade,  affligée 
et  accablée  sous  la  tyrannie  des  infidèles,  le  touphait  extrêmement  ;  il  se 
crut  donc  obligé  de  s'y  rendre,  pour  offrir  son  secours  aux  esclaves  chré- 
tiens, qui,  pour  être  dans  les  fers,  ne  laissaient  pas  d'être  les  ouailles  de 
son  troupeau.  On  ne  peut  exprimer  les  fruits  que  sa  présence  produisit 
dans  cette  ville.  Il  était  la  lumière  et  le  soutien  de  ces  pauvres  persécutés; 
il  les  visitait  dans  leurs  prisons,  les  servait  dans  leurs  maladies,  les  conso- 
lait dans  leurs  angoisses,  les  soulageait  dans  leur  pauvreté  et  leur  misère, 
leur  administrait  les  Sacrements  et  les  instruisait  des  points  nécessaires  de 
la  doctrine  de  l'Eglise.  Plusieurs,  désespérés  par  le  mauvais  traitement  de 
leurs  patrons,  furent  affermis  par  ses  ferventes  exhortations.  Les  renégats 
rentrèrent,  par  ses  soins,  dans  le  giron  de  l'Eglise.  Il  convertit  à  la  foi 
quantité  de  Maures  et  de  Juifs,  et  procura  à  un  grand  nombre  de  chrétiens 
une  double  liberté,  en  les  retirant  en  même  temps  de  la  servitude  du  péché 
et  de  l'esclavage  des  hommes.  Il  fonda  à  Jaën  un  couvent  de  son  Ordre, 
afin  que  les  religieux  pussent  aller  de  là  secrètement  à  Grenade,  pour  l'as- 
sistance des  captifs.  Les  infidèles  ne  purent  s'empêcher  d'admirer  sa  vertu, 
et  il  n'y  en  avait  presque  point  qui  ne  lui  portassent  un  singulier  respect. 
Un  des  juges  de  la  ville  ayant  arrêté  prisonniers  les  Pères  Rédempteurs  de 
Castille  et  d'Aragon,  et  saisi  tout  l'argent  qu'ils  apportaient  pour  le  rachat 
des  esclaves,  bien  qu'ils  fussent  munis  de  bons  passe-ports,  il  alla  le  trou- 
ver, et  lui  parla  avec  tant  de  courage  et  de  fermeté,  qu'il  le  contraignit 
enfin  de  lui  rendre  lès  Pères  prisonniers  avec  tout  leur  argent. 

Les  nécessités  pressantes  de  son  Eglise  l'ayant  obligé  de  faire  un  voyage 
à  Rome,  il  y  fut  reçu  avec  de  grands  témoignages  d'estime  et  d'amitié  par 
le  pape  Nicolas  IV,  qui  l'avait  bien  connu  à  Tolède,  lorsqu'étant  général 
de  l'Ordre  de  Saint-François,  il  visitait  les  couvents  d'Espagne.  Il  prêcha  à 
Saint-Pierre  et  à  Sainte-Marie-Majeure,  par  le  commandement  de  Sa  Sain- 
teté, et  y  fit  des  conversions  admirables.  Etant  aux  pieds  des  tombeaux  des 
Apôtres,  il  leur  demanda  avec  instance  d'avoir  part  à  ce  zèle  du  salut  des 
âmes  dont  ils  avaient  été  si  embrasés,  et  il  ne  faut  point  douter  que  cette 
demande  lui  ait  été  accordée.  Le  Pape,  merveilleusement  édifié  de  son  zèle, 
le  jugea  fort  propre  pour  prêcher  la  croisade,  et  l'envoya  pour  cela  en 
France  et  en  Espagne,  avec  l'autorité  de  Légat.  Il  prêcha,  depuis  Rome 
jusqu'à  Paris,  dans  presque  toutes  les  villes  et  les  bourgs  où  il  entra,  et  fit 
en  plusieurs  lieux  de  grands  miracles  pour  témoignage  que  c'était  la  volonté 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  36 


562  23   OCTOBRE. 

de  Dieu  qu'on  prît  les  armes  pour  le  recouvrement  de  la  Terre  sainte.  A 
Paris,  le  roi  et  toute  la  cour,  l'Université  et  le  peuple  l'accueillirent  avec 
les  honneurs  dus  à  son  mérite  et  à  son  caractère.  On  vint  à  ses  sermons 
avec  empressement,  et  le  succès  fut  si  grand,  que,  si  l'Espagne  eût  pu  ré- 
pondre à  l'ardeur  des  Français,  qui  s'enrôlèrent  en  foule  pour  cette  bonne 
œuvre,  on  aurait  pu  venir  à  bout  de  cette  entreprise.  On  remarque  qu'é- 
tant dans  la  ville,  il  y  soutint,  avec  beaucoup  de  lumière  et  de  courage,  le 
mystère  de  la  conception  immaculée  de  la  sainte  Vierge,  et  cette  Reine  des 
anges,  pour  lui  témoigner  sa  reconnaissance,  lui  apparut  la  nuit  suivante, 
environnée  de  séraphins,  et  lui  mit  sur  la  tête  une  couronne  de  gloire.  Il 
reçut  encore  d'autres  faveurs  extraordinaires  en  ce  voyage,  tant  de  son 
ange  gardien  que  de  Notre-Seigneur  même. 

L'an  1269,  on  l'élut  évêque  de  Jaên.  Ce  diocèse  n'avait  point  de  pasteur 
depuis  cinq  ans,  et  il  était  en  la  puissance  des  Maures  ;  on  peut  juger  de  là 
combien  il  avait  besoin  d'un  prélat  zélé  et  vigilant.  Il  le  visita  avec  grand 
soin,  en  reconnut  tous  les  désordres  et  y  appliqua  des  remèdes  si  conve- 
nables, qu'on  y  vit,  en  peu  de  temps,  refleurir  la  discipline  chrétienne. 
L'année  suivante,  il  retourna  à  Grenade,  où  il  employa  tout  son  revenu  au 
soulagement  des  pauvres  et  au  rachat  des  esclaves.  Il  entreprit  même  de 
convertir  encore  des  Mahométans,  et  sa  parole  eut  tant  de  force,  qu'il  y  en 
eut  beaucoup  qui  renoncèrent  aux  rêveries  de  Mahomet  pour  embrasser  la 
doctrine  de  Jésus-Christ.  Les  partisans  de  l'Alcoran  lui  en  firent  un  crime 
d'Etat  ;  on  l'arrêta  prisonnier,  on  le  chargea  de  chaînes  et  on  lui  fit  subir 
de  très-rudes  traitements.  Dès  que  l'on  apprit  ce  malheur  dans  Jaën  et 
dans  Baeza,  le  clergé  et  le  peuple  chrétien  se  cotisèrent  et  lui  envoyèrent 
une  somme  considérable  d'argent  pour  payer  sa  rançon  :  il  la  reçut  avec 
beaucoup  de  reconnaissance  ;  mais,  par  une  charité  dont  il  n'y  a  presque 
point  d'exemples,  au  lieu  de  l'employer  pour  se  mettre  lui-même  en  liberté, 
il  l'employa  à  la  délivrance  de  quantité  de  femmes  et  d'enfants,  dont  la 
faiblesse  lui  faisait  craindre  qu'ils  n'abandonnassent  enfin  la  religion  chré- 
tienne. Il'  composa  dans  la  prison  plusieurs  traités  pour  servir  de  préserva- 
tif aux  fidèles,  et  pour  désabuser  les  renégats  qui  s'étaient  laissé  séduire 
par  les  contes  de  Mahomet.  Ainsi,  comme  un  autre  saint  Paul,  il  engendra 
plusieurs  enfants  spirituels  dans  les  chaînes.  Il  fut  consolé  dans  cet  état  par 
plusieurs  visions  célestes.  La  plus  considérable  fut  celle  où  Notre-Seigneur 
se  présenta  à  lui  sous  la  figure  d'un  enfant  de  quatre  à  cinq  ans,  et  vêtu  en 
esclave  pour  lui  servir  la  messe.  Le  saint  évêque,  après  son  action  de 
grâces,  croyant  que  c'était  un  enfant  comme  les  autres,  lui  fit  quelques 
demandes  sur  le  catéchisme  ;  il  y  répondit  avec  une  sagesse  et  une  modes- 
tie qui  le  surprirent.  Mais  quand  il  vint  à  lui  demander  ce  que  c'était  que 
Jésus-Christ;  alors  l'enfant  découvrit  qui  il  était,  et  lui  dit  :  «  Pierre,  c'est 
moi  qui  suis  Jésus-Christ  ;  considère  mes  mains  et  mon  côté,  tu  y  trouveras 
les  marques  de  mes  plaies.  Au  reste,  parce  que  tu  es  demeuré  prisonnier 
pour  donner  la  liberté  âmes  esclaves,  tu  m'as  fait  moi-même  ton  prison- 
nier ».  Et  ayant  dit  ces  paroles,  il  disparut. 

Les  Alfaquis  ayant  été  informés  des  compositions  qu'il  faisait  dans  sa 
prison  contre  les  erreurs  de  leur  secte,  le  firent  enfermer  dans  un  cachot 
fort  obscur  sans  permettre  à  personne  de  le  voir.  Mais  les  anges  l'éclai- 
rèrent  au  milieu  de  ces  ténèbres,  et  l'on  dit  même  qu'ils  lui  fournirent  des 
plumes,  de  l'encre  et  du  papier  pour  achever  un  nouveau  traité  contre  les 
extravagances  de  l'Alcoran.  L'impossibilité  où  il  se  voyait  d'assister  les  chré- 
tiens esclaves  et  les  barbares  qu'il  avait  convertis  l'affligeait  extrêmement. 


SAINT  PIERRE  PASCHAL,   ÉVÉQUE  ET  MARTYR.  563 

Mais  les  anges  le  portèrent  plusieurs  fois  dans  les  lieux  où  ces  infortunés, 
presque  au  désespoir,  réclamaient  son  secours.  Il  passait  souvent  les  nuits 
en  oraison,  et  pratiquait  de  sanglantes  mortifications,  pour  leur  obtenir  de 
Dieu  la  fermeté  et  la  persévérance,  et  il  avait  la  consolation  d'apprendre 
du  ciel  môme  le  bon  succès  de  ses  prières.  Il  n'était  presque  jamais  sans  la 
compagnie  de  ces  esprits  bienheureux.  Ses  gardes  virent  souvent  sa  prison 
toute  lumineuse;  et  un  jour  ils  en  virent  sortir  un  enfant  d'une  grâce  et 
d'une  beauté  ravissante.  Ces  merveilles  furent  cause  que  le  prince  le  fit 
élargir,  mais  avec  défense  de  rien  écrire,  à  l'avenir,  contre  la  loi  de  Maho- 
met. Il  se  moqua  de  cette  défense,  et  il  ne  laissa  pas,  dans  la  liberté  dont 
il  jouissait,  de  composer  un  livre  très-fort  et  très-pressant  contre  cette 
secte  abominable.  Pendant  qu'il  y  travaillait,  les  chrétiens  virent  sur  sa 
tête  un  globe  de  feu  qui  le  couvrait  de  tous  côtés  d'une  lumière  admirable. 
Pour  les  Alfaquis  et  les  Marabouts,  dès  qu'ils  en  furent  informés,  ils  lui 
suscitèrent  une  furieuse  persécution,  et  demandèrent  opiniâtrement  qu'il 
fût  arrêté  et  mis  à  mort.  Ils  firent  tant  de  vacarme,  que  le  roi,  craignant 
une  sédition  générale,  et  même  un  attentat  contre  sa  personne  royale, 
parce  qu'on  savait  qu'il  avait  un  exemplaire  de  cet  écrit,  l'abandonna  à  leur 
fureur. 

Il  se  prépara  avec  joie  à  ce  sacrifice  qu'il  avait  tant  désiré,  et  dont  il 
devait  être  la  victime.  Son  ange  gardien  lui  ayant  déclaré  qu'il  serait  mas- 
sacré le  lendemain  matin,  il  passa  toute  la  nuit  en  prières,  s'oflrant  à 
Notre-Seigneur  pour  le  salut  des  chrétiens,  ses  enfants,  et  des  Maures  ses 
persécuteurs.  Il  sentit  néanmoins  des  craintes  et  des  frayeurs,  et  il  souffrit 
une  agonie  pareille  à  celle  que  Jésus-Christ,  a  endurée  au  jardin  des  Oli- 
viers ;  mais  il  se  calma  bientôt  par  un  parfait  abandon  aux  dispositions  de 
la  divine  Providence.  Son  Sauveur  lui  apparut  alors  comme  attaché  en 
croix,  et,  revêtu  des  splendeurs  de  l'éternité,  il  lui  dit  :  «  Pierre,  j'ai  été 
sensible  comme  toi,  et  j'ai  partout  enduré  d'horribles  tourments  pour  ton 
amour  »  :  ce  qui  répandit  une  telle  onction  dans  son  âme,  que  depuis  il  ne 
respira  plus  que  le  martyre.  Les  geôliers  furent  témoins  de  cette  clarté 
extraordinaire,  qui  les  fit  tomber  à  la  renverse,  et  ils  en  informèrent  les 
chrétiens.  Le  matin,  le  Saint  célébra  la  messe  avec  une  admirable  ferveur 
d'esprit  ;  et,  comme  il  était  à  genoux  au  pied  de  l'autel,  faisant  son  action 
de  grâces,  les  Maures  lui  coupèrent  la  tête,  et  lui  procurèrent  par  ce 
moyen  la  gloire  d'une  immortalité  bienheureuse.  Ce  fut  le  6  janvier  1300, 
qui  était  la  soixante-treizième  année  de  son  âge.  Ils  voulurent  brûler  son 
saint  corps,  ses  habits,  ses  ornements  sacrés,  son  cilice,  sa  discipline  et  tout 
ce  qui  lui  avait  servi,  afin  qu'on  ne  leur  rendît  aucun  culte  religieux  ;  mais 
une  terreur  subite  leur  fit  prendre  la  fuite,  et  donna  lieu  aux  chrétiens  de 
s'en  saisir  et  de  les  transporter  dans  un  lieu  secret.  Ils  revêtirent  le  corps 
de  ses  habits  pontificaux  et  l'enterrèrent  dans  les  grottes  d'une  montagne, 
près  Mazzemore,  avec  toute  la  pompe  que  leur  état  de  servitude  put  leur 
permettre.  Dieu  ne  laissa  pas  ce  massacre  impuni  ;  il  affligea  bientôt  la 
ville  de  Grenade  de  la  famine,  de  la  peste  et  d'horribles  tremblements  de 
terre.  Le  roi  vit  ses  femmes  et  ses  enfants  tourmentés  par  des  douleurs 
secrètes  qui  leur  déchiraient  les  entrailles  ;  il  mourut  lui-même  misérable- 
ment, confessant  que  c'était  le  saint  Evêque  de  JaSn  qui  le  châtiait  ;  et  le 
prince,  son  fils,  perdit  aussi  la  couronne  et  la  vie. 

On  le  représente  :  1°  enchaîné,  un  glaive  dans  le  cœur  ;  2°  parlant  à  un 
enfant  dont  le  visage  rayonne  ;  3°  égorgé  au  pied  de  l'autel. 


564  2«*  OCTOBRE. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Dans  la  crainte  que  les  reliques  du  saint  Martyr  ne  leur  fût  une  source  continuelle  de  malheurs, 
les  Maures  de  Grenade  les  donnèrent  volontiers  aux  députés  de  Jaên  et  de  Baeza,  qui  les  leur  vin- 
rent demander.  Comme  ces  députés  les  emportaient,  il  y  eut  contestation  entre  eux,  à  laquelle  des 
deux  villes  elles  devaient  appartenir.  Pour  la  terminer  à  l'amiable,  on  convint  qu'elles  seraient  mises 
sur  une  mule  aveugle,  à  laquelle  on  donnerait  la  liberté  d'aller  où  elle  voudrait,  et  qu'elles  reste- 
raient au  lieu  où  cette  mule  les  porterait.  La  chose  fut  exécutée,  et  la  mule  les  porta  à  Baeza. 

Il  s'est  fait  de  grands  miracles  par  les  mérites  de  ce  glorieux  Martyr,  tant  pendant  sa  vie 
qu'après  sa  mort.  En  1484,  les  chanoines  de  Baeza  ordonnèrent  dans  leur  assemblée  qu'on  entre- 
tiendrait jour  et  nuit  une  lampe  ardente  devant  son  tombeau.  Huit  ans  après,  Isabelle,  reine  de 
Castille,  et  le  roi  Ferdinand,  son  mari,  firent  bâtir  une  chapelle  en  son  honneur. 

Enfin,  le  pape  Clément  X,  par  un  bref  du  28  juin  1673,  accorda  à  tout  l'Ordre  de  la  Merci  d'en 
réciter  l'office  comme  d'un  saint  pontife  et  martyr.  Le  même  Pape  étendit  ce  privilège  de  réciter 
l'office  et  de  célébrer  la  messe  de  ce  saint  Martyr  à  tout  le  clergé,  tant  séculier  que  régulier,  des 
diocèses  de  Valence,  de  Grenade,  de  Jaën  et  de  Tolède,  et  ordonna  que  son  éloge  fût  inséré  dans 
le  martyrologe  romain  le  23  octobre  et  le  6  décembre. 

Nous  avons  de  lui  huit  livres  pleins  de  piété  et  d'érudition  dont  il  a  enrichi  la  république  de» 
lettres  chrétiennes. 

Baillet  et  Godescard.  —  Voir  sa  Vie  écrite  par  divers  auteurs  de  son  Ordre. 


SAINT  JEAN  DE  GAPISTRAN, 

GÉNÉRAL  DE  L'ORDRE  DES  FRÈRES  MINEURS  ET  LÉGAT  DU  SAINT-SIEGE 

1456.  — ■  Pape  :  Calixte  III.  —  Empereur  d'Allemagne  :  Frédéric  III. 


Si  Dieu  ne  se  proposait  de  mettre  en  possession  de 
son  héritage  ceux  qui  sont  éprouvés,  il  ne  pren- 
drait pas  soin  de  les  former  par  iu  tribulation. 
Saint  Antonin. 

Jean  naquit  à  Capistran,  petite  ville  de  l'Abruzze,  au  royaume  de 
Naples,  d'un  gentilhomme  angevin,  qui  s'était  marié  en  ce  pays  en  allant 
avec  Louis,  duc  d'Anjou,  son  seigneur,  au  secours  du  roi  de  Naples.  Lors- 
qu'il eut  achevé  ses  humanités,  il  vint  à  Pérouse  étudier  le  droit  canon  et 
le  droit  civil,  et  il  se  rendit  si  habile  en  l'un  et  en  l'autre,  que  sa  réputation 
vola  par  toute  l'Italie,  et  qu'on  lui  donna,  dans  Pérouse  même,  une  charge 
de  judicature  assez  considérable.  La  sagesse  et  l'intégrité  avec  lesquelles  il 
s'en  acquitta,  fit  qu'un  des  principaux  du  pays  lui  offrit  sa  fille  unique  en 
mariage,  et  Jean  accepta  cette  proposition. 

Tout  lui  souriait  dans  le  monde  ;  la  fortune  et  les  honneurs  étaient 
venus  à  lui,  et  l'avaient  fait,  en  peu  de  temps,  un  des  heureux  de  la  terre. 
Mais  Dieu,  qui  ne  l'avait  pas  doué  de  belles  qualités  pour  en  faire  un 
esclave  du  monde,  permit  qu'une  amertume  salutaire  vint  se  mêler  à  ses 
joies.  En  un  instant,  le  cours  de  sa  prospérité  fut  entravé,  et  les  flatteuses 
espérances  de  sa  fortune  se  trouvèrent  dissipées. 

Les  habitants  de  Pérouse,  s'étant  ligués  contre  le  roi  de  Naples,  eurent 
à  soutenir  une  guerre  qui  ne  fut  pas  à  leur  avantage.  Comme  Jean  était  né 
sujet  du  roi  de  Naples,  il  fut  soupçonné  de  favoriser  le  parli  de  ce  prince 


SAINT  JEAN  DE  CAPI3TRAN,   GÉNÉRAL  DES  FRÈRES  MINEURS.  565 

et  d'entretenir  des  intelligences  avec  son  armée.  On  l'arrêta  :  il  eut  beau  se 
justifier  et  prouver  jusqu'à  l'évidence  qu'il  n'avait  voulu  que  ménager  un 
accommodement  entre  les  deux  partis,  il  n'en  fut  pas  moins  jeté  en  prison, 
où  il  attendit  longtemps  et  vainement  que  le  roi  de  Naples  s'intéressât  en 
sa  faveur.  Cet  oubli  d'un  prince  dont  il  avait  servi  les  intérêts,  et  l'ingrati- 
tude des  habitants  de  Pérouse  firent  faire  au  prisonnier  de  sérieuses 
réflexions  sur  l'instabilité  et  le  néant  des  biens  de  ce  monde.  En  même 
temps,  sa  jeune  épouse  mourut,  et,  tous  ses  liens  étant  brisés,  il  résolut 
de  ne  plus  servir  d'autre  maître  que  Dieu. 

Par  son  ordre,  ses  biens  furent  vendus,  sa  rançon  fut  payée  ;  et,  de  sa 
prison,  il  passa  au  monastère  du  Mont,  près  de  Pérouse,  où  la  Règle  de 
Saint-François  était  observée  dans  toute  sa  pureté.  Il  y  fut  reçu  ;  mais  le 
gardien,  craignant  que  cette  vocation  ne  fût  l'effet  d'un  dépit  passager 
plutôt  que  d'un  mouvement  de  la  grâce,  voulut  l'éprouver  par  tout  ce 
qu'il  put  imaginer  de  plus  humiliant  et  de  plus  pénible. 

Il  ordonna  au  postulant  de  faire  le  tour  de  la  ville  de  Pérouse,  monté 
sur  un  âne,  couvert  d'un  mauvais  habit,  et  portant  sur  la  tête  un  écriteau 
où  divers  péchés  étaient  écrits.  C'était  une  étrange  épreuve  pour  un  homme 
qui  avait  paru  avec  éclat  dans  la  ville,  et  qui  s'y  était  fait  une  haute  répu- 
tation de  sagesse,  de  prudence  et  de  discrétion.  Mais  Jean  n'avait  pas  quitté 
le  monde  à  demi  ;  il  fut  ravi  de  pouvoir  étouffer  en  lui,  dans  cette  occa- 
sion, jusqu'aux  derniers  restes  de  l'esprit  du  monde.  Après  une  telle 
épreuve,  les  autres  humiliations  du  noviciat  ne  lui  coûtèrent  plus  rien. 
Pourtant  elles  furent  terribles.  Comme  il  avait  commencé  tard,  Dieu  voulut 
le  faire  avancer  rapidement  par  des  actes  héroïques  ;  mesurant  la  profon- 
deur des  fondements  à  la  hauteur  future  de  l'édifice,  le  Seigneur  l'exerça 
par  des  humiliations  proportionnées  au  grand  dessein  qu'il  avait  sur  lui. 
Par  deux  fois,  Jean  fut  chassé  et  du  noviciat  et  du  couvent,  comme  inca- 
pable de  remplir  jamais  même  les  derniers  emplois  de  la  religion.  Il  resta 
jour  et  nuit  à  la  porte  du  couvent,  souffrant  avec  joie  l'indifférence  des 
religieux,  les  railleries  des  passants  et  les  mépris  des  pauvres  eux-mêmes 
qui  venaient  demander  l'aumône.  Une  persévérance  si  héroïque  désarma 
la  sévérité  des  supérieurs,  en  dissipant  toutes  leurs  craintes;  Jean  fut 
reçu  de  nouveau  et,  enfin,  admis  à  la  profession. 

Avant  sa  première  communion  religieuse,  il  jeûna  trois  jours,  sans 
prendre  aucun  aliment,  et  passa  tout  ce  temps  dans  des  prières  et  des 
larmes  continuelles.  Devenu  profès,  il  entreprit  une  vie  tout  à  fait  admira- 
ble. Il  affligeait  sa  chair  par  de  fréquentes  disciplines  et  des  jeûnes  presque 
continuels  :  il  ne  mangeait  qu'une  fois  le  jour,  et,  bien  que  la  viande  ne 
fût  pas  défendue  dans  son  Ordre,  il  resta  trente-six  ans  sans  en  manger.  Il 
n'avait  point  d'autre  lit  que  le  plancher,  et  son  sommeil  n'était  ordinaire- 
ment que  de  deux  ou  trois  heures.  Les  sept  premières  années,  il  ne  se 
servit  point  de  sandales,  ni  dans  le  couvent,  ni  dehors,  mais  marcha  tou- 
jours pieds  nus  sur  la  terre.  Il  ne  cherchait  point  à  adoucir  les  incommo- 
dités des  voyages,  et  ce  ne  fut  que  dans  la  vieillesse,  où  les  forces  lui  man- 
quèrent, qu'on  put  le  résoudre  à  aller  autrement  qu'à  pied.  Il  aimait 
tellement  la  pauvreté,  qu'il  ne  voulait  que  des  habits  vils,  étroits,  usés  et 
couverts  de  pièces.  L'honneur  lui  était  insupportable,  et  il  le  fuyait  avec 
plus  d'empressement  que  les  ambitieux  n'en  ont  pour  se  le  procurer.  Outre 
l'office  divin  qu'il  récitait  avec  une  dévotion  angélique,  il  disait  tous  les 
jours  les  Heures  de  Notre-Dame,  l'office  des  Morts,  les  sept  Psaumes  de  la 
pénitence  et  d'autres  Oraisons  particulières  ;  et  si  ses  occupations  l'avaient 


3G6  23  OCTOBRE. 

empêché  de  s'en  acquitter,  il  trouvait  le  temps  en  d'autres  jours  de  les 
répéter  deux  ou  trois  fois.  Étant  ordonné  prêtre,  ce  qui  arriva  lorsqu'il  eut 
fait  ses  vœux,  il  disait  chaque  jour  la  messe  les  larmes  aux  yeux,  et  d'une 
manière  si  sainte  et  si  pieuse,  qu'il  inspirait  de  la  piété  à  tous  les  assistants. 
Il  avait  aussi  ses  temps  réglés  pour  l'oraison  mentale  et  la  méditation. 

Ses  principaux  emplois  furent  de  secourir  les  malades  dans  les  hôpitaux 
et  de  prêcher  de  tous  côtés  la  parole  de  Dieu.  Il  y  réussit  si  admirablement, 
qu'il  y  a  peu  de  prédicateurs  dans  le  cours  de  tous  les  siècles  ecclésiastiques 
qui  lui  pussent  être  comparés.  Le  général  de  son  Ordre,  voyant  ses  austé- 
rités, sa  mortification,  sa  dévotion  et  son  zèle  pour  le  salut  des  âmes,  dit 
de  lui,  comme  par  un  esprit  prophétique,  qu'il  serait  l'ornement  de  la  reli- 
gion et  le  modèle  de  toutes  les  vertus  régulières.  Il  se  fit  le  disciple  de  saint 
Bernardin  de  Sienne,  tant  pour  son  propre  avancement  spirituel,  que  pour 
se  rendre  plus  capable,  sous  sa  conduite,  d'annoncer  aux  peuples  la  parole 
de  Dieu  ;  et  il  n'est  pas  possible  de  dire  combien  il  profita  dans  une  si 
sainte  école.  Il  en  donna  d'illustres  témoignages,  soit  dans  les  livres  qu'il 
composa,  qui  sont  pleins  de  piété  et  d'érudition  ;  soit  dans  les  discussions 
publiques,  où  il  parut  toujours  comme  un  homme  d'une  capacité  extraor- 
dinaire ;  soit  dans  les  conférences  particulières,  où  il  répondait  sur-le- 
champ  à  toutes  sortes  de  questions,  quelque  épineuses  qu'elles  fussent  ; 
soit  enfin  par  une  infinité  de  belles  actions,  qui  lui  méritèrent  l'approbation 
de  toutes  les  personnes  honorables.  Il  puisa,  pour  ainsi  dire,  dans  le  cœur 
de  ce  Saint  une  dévotion  sainte  et  respectueuse  envers  la  sainte  Yierge. 
Lorsqu'il  prêchait  ses  louanges,  on  lui  voyait  le  visage  tout  en  feu  et  écla- 
tant de  lumière.  Sédulius,  célèbre  écrivain  de  son  Ordre,  proteste  en  avoir 
été  témoin  oculaire.  Un  jour  qu'il  publiait  ses  grandeurs,  il  parut  sur  sa 
tête  une  étoile  d'une  admirable  splendeur,  et  une  autre  fois  cette  Reine  des 
anges  lui  présenta  elle-même  un  calice  plein  d'une  liqueur  céleste,  dont  la 
suavité  lui  remplit  tout  le  cœur  d'une  joie  inexplicable.  Dans  sa  reconnais- 
sance pour  les  instructions  qu'il  avait  reçues  d'un  si  excellent  maître,  il 
alla  à  Rome  pour  le  justifier  des  calomnies  qu'on  avait  semées  contre  lui, 
comme  s'il  eût  enseigné  des  erreurs,  sous  prétexte  d'inspirer  la  dévo- 
tion envers  le  saint  Nom  de  Jésus.  Et  il  l'en  justifia  si  parfaitement  en  pré- 
sence du  Pape  et  des  cardinaux,  qu'ils  reconnurent  très-évidemment  l'in- 
nocence du  saint  accusé. 

Mort  à  lui-même,  Jean  ne  vivait  plus  que  de  Jésus  et  de  Jésus  crucifié. 
Sa  vie  était  une  oraison  continuelle,  que  les  travaux  les  plus  actifs  ne 
pouvaient  interrompre.  Lorsqu'il  était  à  genoux,  aux  pieds  du  crucifix  ou 
devant  le  tabernacle,  on  l'eût  dit  ravi  en  extase  ;  les  larmes  qui  coulaient 
de  ses  yeux  manifestaient  les  sentiments  d'amour  séraphique  dont  son 
cœur  débordait.  A  l'amour  ardent  qu'il  avait  pour  Jésus-Christ,  répondait 
sa  tendre  dévotion  envers  la  très-sainte  Vierge  Marie.  «  La  Providence  », 
disait-il,  «  m'a  donné  le  nom  de  Jean,  pour  que  je  sois  le  fidèle  disciple  de 
Jésus,  et  le  fils  très-aimant  de  Marie  ». 

Prêchant  un  jour  à  Aquila,  il  commentait,  en  les  appliquant  à  Marie, 
ces  paroles  de  l'Apocalypse  :  Signum  magnum  apparuit  in  cœlo  :  «  un  signe 
admirable  a  paru  dans  le  ciel  »;  tous  les  assistants  purent  voir  une  brillante 
étoile  qui  planait  au-dessus  de  l'auditoire,  en  projetant  ses  rayons  sur  le 
visage  du  saint  prédicateur. 

La  Marche  d'Ancône,  la  Pouille,  la  Calabre  et  tout  le  royaume  de 
Naples  furent  les  premiers  théâtres  où  s'exerça  le  zèle  de  Jean  de  Capistran. 
Mais  bientôt  il  fallut  à  ce  nouveau  Paul  des  horizons  plus  vastes;  il  par- 


SAINT  JEAN  DE  CAPISTRAN,   GÉNÉRAL  DES  FRÈRES  MINEURS.  507 

courut  successivement  la  Lombardie,  l'Etat  de  Venise,  la  Bavière,  l'Au- 
triche, la  Carinthie,  la  Moravie,  la  Bohême,  la  Saxe,  la  Pologne  et  la 
Hongrie ,  et  partout  il  opéra  des  conversions  éclatantes.  A  la  fin  d'un 
sermon  qu'il  fit  à  Aquila  sur  la  vanité  et  les  dangers  du  monde,  les  femmes 
apportèrent  leurs  vains  ornements  et  tous  les  objets  qui  avaient  été  si  sou- 
vent des  occasions  de  péché  pour  elles  et  pour  les  autres,  et  elles  les  préci- 
pitèrent dans  un  grand  feu  allumé  près  de  la  chaire.  On  vit  arriver  la 
même  chose  à  Nuremberg,  à  Leipsick,  et  en  plusieurs  autres  endroits.  A 
Prague,  en  Bohême,  à  la  suite  de  son  sermon  sur  le  jugement  dernier, 
plus  de  cent  jeunes  hommes  embrassèrent  la  vie  religieuse,  la  plupart  dans 
l'Ordre  de  Saint-François. 

En  Moravie,  il  convertit  quatre  mille  Hussites,  et  composa  un  livre  pour 
combattre  leurs  erreurs.  Les  Juifs  eux-mêmes  ressentirent  les  effets  du  zèle 
de  cet  Apôtre  infatigable;  leur  endurcissement  ne  put  tenir  contre  la 
charité  d'un  homme  si  puissant  en  œuvres  et  en  paroles  ;  un  grand  nombre 
d'entre  eux  se  convertirent  à  la  suite  de  ses  prédications.  Enfin,  les  Turcs, 
ces  ennemis  mortels  du  nom  chrétien,  s'ils  refusèrent  d'ouvrir  les  yeux 
aux  lumières  de  la  foi  que  le  Saint  portait  en  tout  lieu,  furent  du  moins 
contraints  de  reculer  devant  l'activité  de  son  zèle  et  l'efficacité  de  ses 
prières. 

Les  souverains  pontifes  Martin  V,  Eugène  IV,  Pie  II,  Nicolas  V  et 
Calixte  II  employèrent  souvent  Jean  de  Gapistran  dans  d'importantes 
affaires.  Le  Saint  fut  successivement  inquisiteur  de  la  foi  en  Italie,  nonce 
apostolique  en  Sicile,  puis  en  France  auprès  de  Philippe,  duc  de  Bourgo- 
gne, et  de  Charles  VII,  roi  de  France,  commissaire  apostolique  en  Allema- 
gne, et  enfin  légat  et  directeur  de  la  Croisade  contre  les  Turcs.  Partout 
ses  négociations  furent  couronnées  de  succès.  Plusieurs  Papes  voulurent 
élever  le  Saint  à  la  dignité  épiscopale  ;  mais  tous  leurs  efforts  et  les  vœux 
des  populations  vinrent  échouer  contre  l'humilité  du  serviteur  de  Dieu. 

Cependant,  en  travaillant  avec  tant  de  gloire  au  bien  de  toute  l'Eglise, 
Jean  de  Capistran  ne  négligeait  pas  le  bien  particulier  de  l'Ordre  de  Saint- 
François.  Partout  où  il  passait,  il  faisait  refleurir  la  discipline  régulière. 
Par  ses  soins,  les  Chapitres  généraux  sanctionnèrent  d'utiles  règlements, 
destinés  à  faire  revivre  le  premier  esprit  de  l'Ordre.  Enfin,  il  fut  d'un  puis- 
sant secours  à  saint  Bernardin  de  Sienne  dans  la  fondation  de  la  réforme 
dite  de  l'Observance. 

Il  avait  une  grâce  singulière  pour  réconcilier  les  ennemis.  Jl  apaisa  une 
grande  sédition  dans  Rieti,  en  rendant  la  vie  à  un  pauvre  homme  dont  la 
tête  avait  été  fendue  en  deux.  Il  réconcilia  la  ville  d'Aquila  avec  Alphonse, 
roi  d'Aragon  ;  il  réunit  les  nobles  maisons  des  Oropèses  et  des  Lauxievèses, 
qui  entretenaient  entre  elles  depuis  longtemps  une  fâcheuse  inimitié.  Il 
obligea  un  père  de  pardonner  à  celui  qui  avait  assassiné  son  fils,  et  qui  lui 
en  avait  fait  manger  le  foie.  Enfin,  il  était  si  puissant  en  œuvres  et  en 
paroles,  que  personne  ne  pouvait  résister  à  ce  qu'il  demandait  de  lui.  Il  a 
arrêté  la  pluie  en  l'air  durant  ses  sermons;  il  a  imposé  silence  à  des  oiseaux 
qui  l'interrompaient  pendant  ce  temps  :  un  batelier  malhonnête  lui  ayant 
refusé  de  le  passer  au-delà  du  Pô,  il  passa  cette  grande  rivière  à  pied  sec 
sur  son  manteau. 

En  4455,  il  assista  à  la  diète  qui  se  tenait  à  Neustadt,  et,  par  ses  exhor- 
tations pleines  de  feu,  il  y  anima  les  peuples  à  prendre  les  armes  contre 
les  Turcs,  ennemis  redoutables  du  nom  chrétien.  Cette  guerre,  néanmoins, 
fut  différée  par  la  mort  du  pape  Nicolas  V,  qui  en  était  le  premier  moteur. 


568  23  OCTOBRE, 

Sous  Calixte  III,  son  successeur,  qui  fit  vœu  d'employer  toutes  ses  forces 
et  jusqu'à  la  dernière  goutte  de  son  sang  pour  reprendre  Constantinople, 
Ladislas,  roi  de  Hongrie;  Jean  Huniade,  vayvode  de  Transylvanie  ;  George, 
prince  de  Russie,  les  palatins  et  les  plus  grands  du  royaume  écrivirent  au 
serviteur  de  Dieu  et  le  conjurèrent  de  se  rendre  auprès  d'eux  pour  relever 
le  courage  abattu  des  fidèles.  Il  y  alla,  après  avoir  obtenu  la  permission  du 
Pape  ;  il  inspira  un  nouveau  courage  à  l'armée,  assemblée  à  Bude;  enfin, 
par  un  ordre  exprès  de  Sa  Sainteté,  après  avoir  reçu  la  croix  des  mains  du 
cardinal  de  Saint- Ange,  légat  du  Saint-Siège,  il  courut  au  secours  de  Bel- 
grade, que  Mahomet  II  avait  assiégée.  Il  avait  avec  lui  plus  de  quarante 
mille  hommes,  Français,  Italiens,  Allemands,  Bohémiens,  Polonais  et  Hon- 
grois, qu'il  avait  ramassés  par  la  ferveur  de  ses  prédications  ;  mais  il  valait 
lui  seul  une  armée  tout  entière.  Il  eut  en  chemin  des  assurances  que  les 
armes  chrétiennes  seraient  victorieuses,  par  une  flèche  qu'il  vit  tomber  du 
ciel,  portant  ces  mots  en  lettres  d'or  :  «  Jean,  ne  craignez  point,  vous 
triompherez  des  Turcs  par  la  vertu  de  mon  nom  et  de  la  sainte  croix  que 
vous  portez».  Cette  vision  dissipa  la  tristesse  dont  son  cœur  était  enve- 
loppé, et  elle  donna  aussi  une  vigueur  merveilleuse  aux  soldats  qui  en 
furent  informés.  Il  approcha  donc  de  la  place  ;  et  malgré  les  diligences 
et  les  efforts  des  Turcs,  il  y  entra  avec  beaucoup  de  gloire.  Ensuite,  il  sou- 
tint généreusement  tous  les  assauts  des  ennemis,  fit  faire  des  sorties  très- 
avantageuses,  les  chassa  de  leurs  retranchements ,  les  défît  dans  leurs 
lignes  ;  et ,  pour  comble  de  ses  victoires ,  il  les  contraignit  de  lever  le 
siège  et  de  se  retirer  honteusement  après  plusieurs  jours  de  tranchée 
ouverte.  Le  grand  sultan ,  qui  se  faisait  appeler  «  la  terreur  de  l'uni- 
vers »,  fut  blessé  lui-même  à  ce  siège,  d'un  coup  de  flèche,  et  l'on  dit  que 
quarante  mille  Turcs  y  perdirent  la  vie;  fort  peu  de  chrétiens  y  moururent. 

Notre  Saint,  qui  était  toujours  à  la  tête  des  troupes  lorsqu'elles  fai- 
saient une  sortie,  ne  reçut  aucune  blessure  ;  mais,  comme  si  Dieu  ne  l'eût 
réservé  au  monde  que  pour  cette  grande  action,  peu  de  temps  après  il  fut 
affligé  d'une  fièvre  quotidienne,  accompagnée  de  douleurs  très-aiguës,  et 
il  eut  des  assurances  que  le  terme  de  sa  vie  était  venu.  Une  nouvelle  si 
heureuse  lui  fit  oublier  la  rigueur  de  ses  maux,  et  il  ne  faisait  autre  chose, 
dans  la  plus  grande  violence  de  ses  convulsions,  que  de  bénir  Dieu  et  de 
lui  témoigner  qu'il  ne  souffrait  pas  tant  qu'il  méritait  et  souhaitait  de 
souffrir.  Désirant  mourir  entre  les  bras  de  ses  frères ,  il  demanda  d'être 
transporté  dans  leur  couvent  de  l'Observance  de  Villech,  près  de  Sirmich, 
en  Hongrie.  Le  roi,  la  reine  et  tous  les  grands  seigneurs  de  Hongrie  l'y 
allèrent  visiter,  et  sa  chambre  était  toujours  pleine  de  personnes  de  qua- 
lité, qu'il  exhortait  à  vivre  chrétiennement.  Il  se  confessa  souvent  pendant 
sa  maladie  ;  il  reçut  le  Viatique,  couché  sur  la  terre  ;  il  répondit  à  tous  les 
suffrages  des  agonisants.  Enfin,  il  expira  saintement,  le  23  octobre  1  456, 
à  l'âge  de  71  ans.  On  pourrait  justement  l'appeler  martyr  ;  car  les  héré- 
tiques lui  ont  donné  deux  fois  du  poison  pour  le  faire  mourir,  et  il  n'est 
mort  effectivement  que  des  fatigues  immenses  qu'il  avait  subies  dans  la 
défense  de  la  ville  de  Belgrade  contre  les  infidèles.  Il  avait  refusé  deux 
évêchés,  disant  adroitement  pour  s'excuser  que,  Noire-Seigneur  lui  ayant 
donné  toute  la  terre,  il  n'était  pas  raisonnable  qu'il  se  renfermât  dans  de 
si  petits  lieux.  » 

On  le  représente  :  1°  passant  l'eau  sur  son  manteau;  2°  ressuscitant  des 
morts  ;  3°  tenant  son  étendard  orné  d'une  croix,  et  dans  l'autre  main  trois 
clous. 


SALNT  GRATIEN,   MARTYR  EN  PICARDIE.  5G0 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Son  corps,  après  son  décès,  demeura  aussi  beau  et  aussi  flexible  que  s'il  eût  été  encore  animé; 
on  l'exposa  plusieurs  jours  à  la  dévotion  du  peuple,  et  il  fut  ensuite  enterré  dans  le  cloître  du 
couvent  où  il  était  décédé.  Sa  fosse  fut  garnie  de  chaînes  et  de  serrures  de  fer,  de  peur  qu'on  ne 
l'enlevât.  Lorsque  les  Turcs  se  rendirent  maîtres  de  ce  lieu,  il  fut  transféré  dans  une  autre  ville. 
Les  Luthériens  pillèrent  depuis  sa  châsse  et  jetèrent  ses  reliques  dans  le  Danube  ;  alors,  les  catho- 
liques eurent  soin  de  le  tirer  de  l'eau  et  de  le  porter  à  Elloc,  près  de  Vienne,  en  Autriche,  où  il 
reçut  les  hommages  et  la  vénération  des  peuples.  Le  révérend  Père  Arlus  du  Moustier,  dans  son 
martyrologe  des  Saints  de  l'Ordre  de  Saint-François,  dit  que  Dieu  a  opéré  une  infinité  de  miracles 
par  l'attouchement  de  son  cercueil  et  des  autres  choses  qui  l'avaient  touché  ;  il  fait  aussi  mention 
d'un  manuscrit  de  la  bibliothèque  du  roi,  qui  a  pour  titre  :  Les  miracles  de  frère  Jean  de  Ca- 
pistran,  où  plusieurs  sont  marqués  en  détail  ;  entre  autres,  jusqu'à  vingt  morts  ressuscites,  des 
démoniaques  délivrés,  des  aveugles,  des  sourds,  des  muets  et  toutes  sortes  d'autres  malades  gué- 
ris ;  des  captifs  ont  aussi  été  tirés  de  leur  prison  et  de  leurs  chaînes. 

Le  pape  Léon  X  permit  de  le  révérer  comme  un  Bienheureux  dans  tout  le  diocèse  de  Sulmone, 
et  d'y  célébrer  sa  fête  avec  une  messe  et  un  office  solennels.  Grégoire  XV  a  étendu  cette  permis- 
sion à  tous  les  religieux  de  son  Institut  ;  enfin,  il  fut  canonisé  par  le  pape  Alexandre  VIII,  le 
16  octobre  1690,  et  Benoît  XIII  publia  la  Bulle  de  sa  canonisation  en  1724. 

Les  principaux  ouvrages  de  saint  Jean  de  Capistran  sont  :  1»  un  Traité  de  l'autorité  du  Pape 
contre  le  concile  de  Bâle  ;  2°  Le  miroir  des  prêtres  ;  3°  un  Pénitentiel;  4°  le  Traité  du  ju- 
gement dernier  ;  5°  le  Traité  de  l'antechrist  et  de  la  guerre  spirituelle  ;  6°  Quelques  traités  sur 
divers  points  du  droit  civil  et  canonique.  Ses  livres  de  la  conception  de  la  sainte  Vierge,  et  de 
la  Passion  de  Jésus-Christ  (sur  lesquels  on  peut  consulter  Benoit  XIV,  de  Canoniz.  Sanct.J, 
ainsi  que  ses  ouvrages  contre  Rockysana  et  les  Hussites,  n'ont  jamais  été  imprimés. 

Annales  Franciscaines,  t.  vi  ;  Annales  de  Wadding  ;  Bullar.  rom.,  t.  xm.  —  Cf.  Vies  des  Saints  per- 
sonnages de  l'Anjou,  par  le  Ii.  P.  Doin  Chamard;  Vie  du  Saint,  par  Christophe  de  Variso  et  Gabriel  de 
Vérone;  le  P.  Henri  Sédulius,  Hist.  Seraphica,  seu  S.  Franc,  et  aliorum  SS.  hujus  ordinis. 


SAINT  GRATIEN  S  MARTYR  EN  PICARDIE  (303). 

Saint  Gratien,  dont  les  actes  ne  nous  sont  pas  parvenus,  exerça,  d'après  la  tradition  populaire, 
les  fonctions  de  berger  dans  le  village  qu'il  habitait  et  qui,  plus  tard,  porta  son  nom  :  il  est  situé 
dans  le  canton  de  Villers-Bocage,  et  faisait  autrefois  partie  du  doyenné  de  Mailly.  Quand  il  se  ren- 
dait aux  offices  du  dimanche,  il  plantait  sa  houlette  près  de  son  troupeau,  confié  à  l'unique  garde 
de  ses  chiens,  et  jamais  ses  moutons  ne  causèrent  le  moindre  dégât  pendant  son  absence. 

A  cette  époque,  Rictiovare,  digne  émule  des  fureurs  de  Maximien-Hercule  contre  le  christia- 
nisme, ensanglantait  de  ses  persécutions  les  diocèses  de  Reims,  de  Soissons  et  de  Noyon.  Ses 
émissaires  parcouraient  les  villes  et  les  campagnes,  en  publiant  des  édits  qui  ordonnaient  d'arrêter 
les  chrétiens  et  de  les  livrer  aux  tribunaux  romains.  Saint  Gratien  ne  put  échapper  longtemps  aux 
recherches  des  persécuteurs  ;  cité  devant  le  tribunal  de  Rictiovare,  il  refusa  de  renoncer  à  la  foi 
et  fut  condamné  à  être  passé  au  fil  de  l'épée.  Son  martyre  eut  lieu  au  village  qu'il  habitait,  le 
23  octobre  303. 

Une  circonstance  miraculeuse  qui  se  manifesta  le  jour  de  sa  mort,  et  qui  devait  se  renouveler 
longtemps  à  chaque  anniversaire  de  sa  fête,  a  rendu  célèbre  le  nom  de  saint  Gratien.  Une  antique 
tradition  nous  apprend  qu'au  moment  où  il  allait  être  frappé  par  le  bourreau,  le  Saint  planta  en 
terre  son  bâton  de  coudrier  qu'il  tenait  toujours  à  la  main,  et  qu'en  l'espace  de  vingt-quatre  heures 
il  produisit  des  feuilles  ut  des  fruits.  D'après  la  tradition  locale,  ce  seraient  les  chrétiens  du  pays 
qui  auraient  planté  sur  le  tombeau  du  berger  martyr  son  bâton  et  sa  houlette.  Elle  ajoute  que  les 
prairies  de  la  commune,  bénies  par  la  protection  du  patron,  guérissent  les  bestiaux  malades  qui 
viennent  y  paître. 

Depuis  longtemps  le  noisetier  de  Saint-Gratien  n'existe  plus  ;  mais  ses  rejetons  ont  produit  de 
nombreux  arbustes,  dont  les  fruits,  connus  sous  le  nom  de  noisettes  de  saint  Gratien,  sont  plus 

1.  Alias  :  Gratian,  Gratiain,  Gracian,  Gracien.  En  latin  :  Gratianus,  Gracianus. 


570  23  OCTOBRE. 

gros,  plus  allongés  que  les  autres,  «  rouges  par  le  dedans  (c'est  la  pelure  de  la  noisette  qui  est 
rouge)  et  comme  empourprés  du  sang  de  saint  Gratien  »,  dit  le  Père  Ignace. 

Le  Saint  est  représenté  en  habit  de  berger.  On  voit  sa  statue  à  Saint-Gratien  (Somme)  et  dans 
l'église  d'Etalleville  (arrondissement  d'Yvetot).  Dans  cette  dernière  localité,  il  est  représenté  en 
costume  de  berger,  avec  une  besace,  tenant  de  la  main  droite  un  livre  et,  de  la  main  gauche,  une 
houlette  à  laquelle  pend  une  gourde.  Il  a  un  agneau  à  ses  pieds.  —  Les  modernes  vitraux  de  la 
nouvelle  église  Saint-Gratien  offrent  dans  quatre  médaillons  :  1°  le  saint  patron  déguisé  en  berger 
pour  annoncer  l'Evangile  ;  2°  son  martyre  ;  3°  le  miracle  du  noisetier,  et  4<>  la  translation  de  ses 
reliques. 

Saint  Gratien  fut  enseveli  à  l'endroit  même  où  il  subit  le  martyre,  et  bientôt  un  oratoire  s'éleva 
sur  sa  sépulture.  Son  corps  fut  transporté  à  Notre-Dame  de  Coulombs  (diocèse  de  Chartres),  à  la 
fin  du  xie  siècle,  d'après  le  Propre  actuel  du  diocèse.  En  1682,  on  le  transféra  dans  une  châsse 
neuve,  en  argent,  l'ancienne  ayant  été  détruite  par  les  Calvinistes  en  1567.  En  1769,  l'église  de 
Saint-Gratien  obtint  des  Bénédictins  de  l'abbaye  de  Coulombs,  par  l'entremise  de  Mgr  de  la  Motte, 
évèque  d'Amiens,  une  partie  du  crâne  de  saint  Gratien,  qui  fut  apportée  à  Amiens,  la  veille  de 
Noël,  par  le  prieur  de  Corbie.  Le  9  janvier  1770,  l'évêque  d'Amiens  authentiqua  cette  relique,  et, 
le  25  septembre  suivant,  la  porta  à  Saint-Gratien,  dans  un  buste  doré,  en  accordant  des  indulgences 
à  ceux  qui  iraient  vénérer  dans  cette  église  le  chef  du  saint  patron.  Tous  les  ans,  le  dimanche 
dans  l'octave  de  l'Ascension,  on  fait  une  procession  en  souvenir  de  cette  translation. 

La  châsse  de  Coulombs  fut  envoyée  à  la  Monnaie  de  Paris  en  1793.  Un  employé  de  cet  établis- 
sement sauva  les  reliques  et  les  remit  à  l'archevêché.  Elles  y  restèrent  jusqu'au  2§  juillet  183Q  ; 
ce  jour-là,  elles  disparurent  dans  le  sac  du  palais,  et  furent  probablement  jetées  à  la  Seine. 

Le  culte  de  saint  Gratien  donna  naissance  à  deux  pèlerinages,  l'un  au  pays  qui  fut  témoin  de 
son  martyre,  l'autre  au  monastère  qui  hérita  de  ses  reliques.  Son  nom  est  inscrit  dans  le  martyro- 
loge du  vi«  siècle,  de  Corbie,  attribué  à  saint  Jérôme,  ainsi  que  dans  plusieurs  autres  ancieni 
martyrologes  d'Amiens,  de  Corbie  et  de  Saint-Riquier. 

Extrait  de  l'Hagiographie  du  diocèse  d'Amiens^  par  M.  l'abbé  Corblet. 


SAINT  LÉOTHADE,  ÉVÊQUE  D'AUGE  ET  CONFESSEUR  (vers  718). 

Léothade  appartenait,  selon  les  uns,  à  la  famille  de  Charles-Martel,  et  suivant  les  autres,  il 
était  proche  parent  d'Eudes,  duc  de  Gascogne.  Il  renonça  au  monde  dès  ses  plus  tendres  années  et  se 
voua  à  la  vie  monastique.  Le  jeune  et  pieux  cénobite  ne  s'occupait  que  de  sa  sanctification, 
lorsque  le  ciel  l'appela  à  travailler  à  la  sanctification  des  autres,  et  presque  dès  son  entrée  en  reli- 
gion, il  parut  digne  de  commander  même  à  une  communauté  naissante.  Saint  Ànsbert,  le  fondateur 
de  l'abbaye  de  Moissac,  venait  de  mourir.  Les  votes  de  tous  les  religieux  lui  donnèrent  aussitôt 
saint  Léothade  pour  successeur  ;  et  malgré  sa  profonde  humilité  et  sa  longue  résistance,  on  con- 
traignit le  nouvel  élu  d'accepter  l'honorable  fardeau  qui  lui  était  imposé.  Mais  tant  de  sagesse  et 
de  vertu  devait  briller  ailleurs  que  dans  un  cloître.  Le  siège  d'Auch  ne  tarda  pas  à  devenir  vacant. 
Le  clergé  et  le  peuple  s'empressèrent  d'y  appeler  Léothade.  Celui  qui  avait  longtemps  décliné  le 
titre  de  supérieur  d'une  communauté  de  pieux  cénobites,  dut  reculer  davantage  devant  la  charge 
de  pasteur  suprême  d'un  peuple  nombreux.  Heureusement  que  le  ciel  sait  faire  plier  les  Saints  à 
sa  volonté.  Léothade  se  soumit  et  vint  s'asseoir  sur  la  chaire  des  Taurin  et  des  Orens  qu'il  devait 
faire  revivre. 

Son  épiscopat  fut  remarquable,  puisque,  à  travers  tant  de  siècles,  le  souvenir  en  est  parvenu 
avec  honneur  jusqu'à  nous.  Néanmoins,  nous  n'en  connaissons  aucun  trait  particulier.  Sa  vie,  si 
elle  fut  jamais  écrite,  fut  perdue  de  bonne  heure.  Une  prose  en  rimes,  insérée  dans  le  premier 
missel  d'Auch,  nous  apprend  seulement  qu'il  gouverna  cette  église  pendant  vingt-sept  ans.  L'an- 
cien martyrologe  de  la  métropole  et  celui  de  Lectoure  disent  qu'il  mourut  saintement  en  Bour- 
gogne. Le  Cartulaire  de  Cluny  parle  d'une  chapelle  bâtie  à  Doudelle  (diocèse  d'Autun),  dans 
laquelle  reposait  le  corps  du  bienheureux  Léothade.  Etait-ce  notre  Saint  ?  Les  auteurs  du  Gallia 
Christiana  n'osent  pas  l'affirmer.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  ossements  de  saint  Léothade  furent 
depuis  rapportés  dans  son  diocèse  et  déposés  dans  l'église  de  Saint-Jean,  plus  connue  alors  sous 
le  titre  de  Saint-Orens.  Au  xv«  siècle,  ils  furent  transférés  dans  l'église  cathédrale,  après  la  cons- 


SAINT  LUGLE  ET  SAINT  LUGLIEN,   MARTYRS.  57! 

tructipn  des  chapelles  cryptales.  Son  sarcophage  s'y  voit  encore  de  nos  jours.  Ouvert  en  1857, 
il  a  présenté  les  reliques  suivantes  :  la  mâchoire  inférieure  avec  treize  dents  ;  —  vingt-quatre 
côtes  et  le  sternum  ;  —  l'os  hyoïde  ;  —  la  partie  supérieure  du  larynx  ;  —  deux  clavicules  ; 

—  deux  omoplates;  —  vingt-quatre  vertèbres;  —  l'humérus  droit,  le  cubitus  et  le  radius  droits; 
— -  l'humérus  gauche  ;  —  les  deux  os  des  îles  et  le  sacrum";  —  les  deux  fémurs  avec  les  deux 
rotules  ;  —  le  tibia  et  le  péroné  droits  ;  —  le  tibia  et  le  péroné  gauches  ;  —  les  deux  calcaneum 
et  plusieurs  os  du  tarse,  du  métatarse  et  des  orteils  ;  —  un  petit  nombre  d'os  du  carpe,  du 
métacarpe  et  des  doigts  ;  —  des  cendres  qui  ont  été  cette  même  année  enfermées  dans  trois  vases  ; 

—  des  étoffes  :  1°  espèces  d'antiques  tapis  (peut-être  ornements)  ;  2°  grand  reste  d'aube  très- 
antique,  mais  mal  conservé  ;  3°  une  pièce  de  soie  plus  récente  (vraisemblablement  de  1610,  visite 
de  Mgr  Léonard  de  Trappes). 

On  célèbre  la  fête  de  saint  Léothade  le  23  octobre  ;  mais  on  croit  que  ce  jour  est  plutôt  celui 
de  sa  translation  que  celui  de  sa  mort.  On  se  recommande  à  notre  Saint  contre  les  maladies  popu- 
laires et  spécialement  contre  l'épilepsie. 

Extrait  des  Vies  des  Saints  évéques  d'Auch,  par  M.  J.-J.  Monlezun,  chanoine. 


SAINT  LUGLE  ET  SAINT  LUGLIEN, 

martyrs  au  diogèse  d'arras  (vu0  ou  vin9  siècle). 

Saint  Lugle  et  saint  Luglien  étaient  originaires  d'Irlande  et  appartenaient  à  une  famille  illustre. 
Leur  père  s'appelait  Dodon,  et  leur  mère  Relanie.  Elevés  dans  la  pratique  des  devoirs  de  la  reli- 
gion, nos  deux  Saints  s'appliquèrent  aussi  de  bonne  heure  à  l'étude  des  lettres  dans  lesquelles  ils 
firent  de  rapides  progrès;  mais  rien  n'égalait  l'ardeur  qu'ils  témoignaient  pour  acquérir  la  vertu. 
Lugle  se  retira  du  monde  pour  embrasser  l'état  ecclésiastique,  et  Luglien,  son  plus  jeune  frère, 
remplaça  son  père  dans  le  gouvernement  d'une  partie  de  l'Irlande,  charge  dont  il  s'acquitta,  pen- 
dant quatre  ans,  avec  beaucoup  de  sagesse  ;  mais  Dieu  lui  inspira  aussi  des  pensées  de  renonce- 
ment, et  il  abdiqua  généreusement  ses  titres  et  renonça  à  ses  richesses  pour  se  dévouer  au  service 
de  Jésus-Christ.  Retiré  dans  une  retraite  ignorée,  Luglien  y  pratiqua  toutes  les  œuvres  d'un  fer- 
vent anachorète.  Le  jeûne  et  la  mortification  faisaient  ses  plus  chères  délices;  il  goûtait  d'inef- 
fables consolations  dans  la  prière  et  la  prolongeait  bien  souvent  dans  la  nuit. 

Brûlant  du  désir  de  visiter  les  lieux  sanctifiés  par  la  présence  de  Notre-Seigneur,  les  deux  frères 
entreprirent  ensemble  ce  pèlerinage,  et  après  avoir  séjourné  quelque  temps  en  Palestine,  ils  re- 
vinrent dans  leur  patrie,  plus  enflammés  du  divin  amour.  A  leur  retour,  les  deux  frères  reprirent 
avec  plus  de  ferveur  que  jamais  leur  vie  sainte  et  mortifiée.  L'archevêque  d'Irlande  étant  mort,  les 
suffrages  du  peuple  et  du  clergé  se  réunirent  sur  saint  Lugle  pour  lui  succéder.  Son  humilité  fut 
profondément  alarmée  de  ce  choix  si  inattendu;  malgré  ses  protestations  d'incapacité,  d'indignité, 
il  fut  contraint  d'accepter  le  fardeau  qu'il  plaisait  à  Dieu  de  lui  imposer. 

Saint  Lugle  fut  pour  son  troupeau  un  bon  pasteur,  animé  de  l'esprit  de  Jésus-Christ,  et  comme 
lui  dévoué  au  salut  des  âmes.  Il  ne  négligeait  rien  de  tout  ce  qui  pouvait  contribuer  à  la  sancti- 
fication de  son  peuple  :  instructions,  exhortations,  encouragements,  reproches  et  corrections.  Il  pre- 
nait soin  de  placer  en  tous  lieux  des  prêtres  animés  de  l'Esprit  de  Dieu,  et  sur  lesquels  il  exerçait 
une  douce  vigilance.  Cette  vigilance  était  encore  plus  grande  sur  lui-même,  et  elle  faisait  que  sax 
conduite  était  pour  tous  la  prédication  la  plus  éloquente  et  la  plus  persuasive. 

Pendant  que  saint  Lugle  se  dévouait  tout  entier  aux  œuvres  de  son  ministère,  il  se  sentit  tout 
à  coup  pénétré  du  désir  de  fuir  les  honneurs  qu'on  lui  rendait  dans  sa  patrie,  pour  aller  en  d'autres 
lieux  travailler  au  salut  des  âmes.  Ayant  communiqué  cette  inspiration  du  ciel  à  son  frère  saint 
Luglien  qui. vivait  dans  sa  solitude,  entièrement  abandonné  aux  volontés  du  ciel,  travaillait  avec 
ardeur  à  sa  propre  sanctification  et  priait  sans  cesse  pour  la  sanctification  des  autres,  ils  vendirent 
de  concert  tous  les  biens  qu'ils  possédaient  encore  de  l'héritage  de  leurs  parents,  et  en  ayant  dis- 
tribué le  prix  aux  pauvres,  ils  quittèrent,  pour  ne  plus  la  revoir,  l'Irlande,  si  longtemps  édifiée 
par  leurs  vertus.  Us  traversèrent  la  Grande-Bretagne,  prêchant  partout  la  parole  de  Dieu  et  rame- 
nant au  bien  beaucoup  d'âmes  égarées,  et  s'embarquèrent  secrètement  pour  venir  dans  les  Gaules. 
A  peine  étaient-ils  en  mer,  qu'une  affreuse  tempête  éclata  tout  à  coup  et  mepaça  d'engloutir  le 
vaisseau  ;  mais  les  deux  Saints  s'étant  mis  en  prière,  la  tempête  s'apaisa  aussitôt,  et  le  navire 


572  23  OCTOBRE. 

aborda  en  peu  de  temps  au  port  de  Boulogne  que  les  deux  missionnaires  quittèrent  promptemèh 
pour  fuir  les  témoignages  de  vénération  que  tous  à  l'envi  leur  prodiguaient. 

Etant  entrés  dans  la  ville,  ils  y  prêchèrent  aussitôt  la  parole  de  Dieu  à  une  foule  de  païens 
réunis  autour  d'eux  ;  la  plupart  demandèrent  à  recevoir  le  baptême.  Un  aveugle  ayant  recouvré  la 
vue  en  se  lavant  avec  de  l'eau  bénite  par  saint  Lugle,  ce  miracle  amena  un  grand  nombre  d'ido- 
lâtres à  se  convertir  au  vrai  Dieu.  Après  cette  guérison,  nos  deux  Saints  se  dirigèrent  vers  la  ville 
de  Thérouanne.  Dès  qu'ils  furent  arrivés,  leur  premier  soin  fut  d'aller  adorer  Dieu  dans  son  temple, 
et  vénérer  l'auguste  Marie,  sous  le  patronage  de  laquelle  était  placée  cette  église.  Un  incendie 
s'étant  déclaré  dans  la  maison  contiguë  à  celle  où  ils  logeaient,  saint  Lugle  se  dirigea  vers  le  lieu 
où  l'incendie  étendait  le  plus  ses  ravages,  et  après  une  fervente  prière,  il  fit  sur  le  feu  le  signe 
de  la  croix,  et  au  même  instant  les  flammes  s'éteignirent  sous  les  yeux  des  spectateurs  étonnés. 

Pour  éviter  les  honneurs  que  ne  pouvait  manquer  de  leur  attirer  un  prodige  si  frappant,  saint 
Lugle  et  saint  Luglien  sortirent  précipitamment  de  la  ville  et  continuèrent  leur  voyage.  Comme  ils 
traversaient,  enchantant  les  louanges  de  Dieu,  la  vallée  de  Scyrendal,  ils  furent  enveloppés  par 
une  bande  de  scélérats  et  mis  à  morl  de  la  manière  la  plus  cruelle.  Ce  crime  ne  tarda  pas  à  être 
connu  :  les  corps  des  deux  frères  furent  enterrés  avec  soin  par  les  fidèles. 

Une  petite  chapelle  fut  construite  à  l'endroit  où  ils  furent  mis  à  mort,  et  c'est  là  que  dès 
lors  ils  furent  vénérés  par  de  nombreux  pèlerins.  Près  de  cette  chapelle  était  une  fontaine  mira- 
culeuse. C'était  surtout  les  vendredis  que  l'on  venait  invoquer  les  deux  Saints  :  on  les  invoquait 
contre  la  fièvre,  la  peste,  l'incendie,  le  tonnerre  et  la  tempête.  Leurs  reliques  furent  transportées 
à  Lillers,  sans  doute  dans  le  Xe  siècle;  elles  furent  d'abord  déposées  dans  l'église  paroissiale,  puis 
dans  l'église  collégiale,  qui  fut  bâtie  vers  le  milieu  du  XIe  siècle.  C'est  le  20  mai  que  se  célébrait 
la  mémoire  de  cette  translation.  La  ville  de  Lillers  a  pris  dès  lors  les  deux  saints  Lugle  et  Luglien 
pour  ses  patrons  secondaires,  son  patron  principal  étant  déjà  auparavant  saint  Orner.  En  1471, 
leurs  reliques  furent  placées  dans  une  nouvelle  châsse  donnée  par  Isabelle,  épouse  de  Philippe  le 
Bon,  duc  de  Bourgogne.  Les  deux  Saints  étaient  représentés  sur  les  côtés  de  cette  châsse  :  saint 
Lugle  revêtu  de  ses  habits  pontificaux,  et  saint  Luglien  portant  son  costume  royal.  L'église  de 
Montdidier,  au  diocèse  d'Amiens,  rend  un  culte  spécial  à  ces  deux  Saints,  à  cause  de  la  translation 
d'une  partie  de  leurs  reliques,  faite  en  ce  lieu  au  Xe  siècle. 

Extrait  des  Vies  des  Saints  des  diocèses  de  Cambrai  et  d'Arras,  par  M.  l'abbé  Destombes.  —  Cf.  Acta 
Sanctorum  Delgii. 


LE  BIENHEUREUX  BERTRAND,  ABBÉ  DE  GRANDSELYE, 

AU  DIOCÈSE  DE  TOULOUSE  (1149). 

Le  bienheureux  Bertrand,  abbé  de  Grandselve,  gouverna  ce  monastère  cistercien  pendant  plus 
de  vingt  ans.  C'était,  au  xne  siècle,  dans  le  temps  le  plus  glorieux  de  l'abbaye.  Mauriquez,  l'an- 
naliste de  Citeaux-,  nous  dit  que  Grandselve  était  à  cette  époque  une  forêt  de  Saints,  réalisant  d'une 
manière  merveilleuse  la  signification  de  son  nom.  Bien  plus,  la  renommée  publique  disait  que  dans 
cette  sainte  maison  aucun  religieux  ne  pouvait  perdre  son  âme.  L'abbaye  était  aussi  très-puissante 
du  côté  des  biens  temporels;  ses  revenus  étaient  plus  considérables  que  ceux  de  l'évèque  de  Tou- 
louse, et  elle  ne  cédait  le  pas  à  aucune  autre  maison  cistercienne. 

Parmi  les  étoiles  de  Citeaux,  disent  les  historiens,  Bertrand  brilla  comme  un  des  astres  les 
plus  magnifiques.  Il  passa  les  premières  années  de  sa  vie  religieuse  dans  le  monastère  de  Tusson 
(aujourd'hui  département  de  la  Charente).  Son  unique  étude  était  de  méditer  les  pages  du  saint 
Evangile  et  d'accroître  chaque  jour  le  trésor  de  ses  vertus.  En  prononçant  le  saint  nom  de  Jésus, 
il  ne  pouvait  retenir  ses  larmes,  aussi  obtint-il  les  grâces  les  plus  extraordinaires  :  il  vit  plusieurs 
fois  la  Vierge  Marie,  et  Jésus-Christ  lui-même  se  montra  à  lui,  traversant  l'église,  pendant  le  chant 
des  Vêpres,  lorsqu'on  disait  le  psaume  In  exitu. 

Devenu  abbé  de  Grandselve,  il  regretta  bientôt  le  silence  et  la  solitude  de  son  premier  monas- 
tère, au  point  qu'il  s'éloigna  de  l'abbaye  pendant  deux  ans,  ne  voulant  pas  conserver  sa  nouvelle 
dignité  ;  mais  Dieu  lui  fit  comprendre  qu'il  l'assisterait  dans  la  direction  de  sa  maison  et  qu'il  le 
soutiendrait  au  milieu  de  ses  travaux  et  de  ses  peines.  Le  saint  abbé  donna  l'exemple  de  toutes  les 


MARTYROLOGES.  573 

vertus  ;  modèle  de  pureté,  de  mansuétude  et  de  mortification,  il  était  charitable  pour  tous,  humble 
dans  son  cœur,  fort  dans  l'adversité,  incomparable  dans  son  ingénuité;  il  se  montrait  toujours  l'ami 
de  Dieu.  Il  avait  un  soin  particulier  et  affectueux  des  malades  et  des  infirmes,  auxquels  il  rendait 
toutes  sortes  de  services.  Il  ne  se  montra  pas  seulement  utile  à  sa  maison,  mais  le  voisinage  de 
l'abbaye  et  la  province  tout  entière  ressentirent  les  bienfaits  de  ses  vertus  et  de  sa  sainteté. 

Dieu  le  récompensa  souvent  par  des  visions  merveilleuses.  Le  Sauveur  lui  apparut  glorieux, 
pendant  la  sainte  messe,  aux  paroles  sacrées  de  la  consécration  et  à  la  fraction  de  l'hostie.  Bertrand 
avoua  lui-même  que,  pendant  sa  promenade,  quand  il  élevait  les  yeux  au  ciel  pour  demander  misé- 
ricorde, il  vit  la  gloire  des  élus  et  une  grande  clarté  qui  descendait  jusque  sur  lui.  Lorsque  le 
moment  de  sa  mort  fut  venu  (11  juillet  1149),  un  autre  abbé  du  même  Ordre,  mais  d'un  paystrès- 
éloigné,  vint  à  Grandselve  pour  lui  rendre  les  derniers  devoirs.  A  son  arrivée,  le  Saint  lui  dit  : 
«  Le  Seigneur  vous  envoie  pour  ma  sépulture  ».  Cependant  les  religieux  étaient  autour  de  son  lit; 
il  était  bientôt  minuit,  et,  après  avoir  rendu  le  dernier  soupir,  il  ouvrit  les  yeux  et  contempla  avec 
une  grande  douceur  ses  frères,  qui  chantaient  l'office  des  défunts  pour  lui.  Onze  jours  après,  un 
religieux  le  vit  dans  la  gloire  céleste,  revêtu  des  habits  de  la  messe,  mais  avec  une  parure  toute 
magnifique,  et  chantant  avec  suavité  les  louanges  divines. 

Nous  devons  cette  notice  à  l'ohiigeance  du  R.  P.  Caries  de  Toulouse.  —  Cf.  Mabillon,  Annales  béné- 
dictines, t.  vi  ;  Acta  Sanctorum,  •>&  octobre. 


XXIV0  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Venosa,  dans  la  Pouille,  la  naissance  au  ciel  des  saints  martyrs  Félix,  évèque  d'une  ville 
d'Afrique  ;  Audacte  et  Janvier,  prêtres  ;  Fortunat  et  Septime,  lecteurs,  qui,  du  temps  de  Dioclé- 
tien,  furent  longtemps  tenus  dans  les  fers  en  Afrique  et  en  Sicile,  sur  l'ordre  du  juge  Magdellien  ; 
et,  comme  Félix  refusa  constamment  d'obéir  à  l'édit  de  l'empereur  qui  ordonnait  de  livrer  les 
livres  sacrés  *,  ils  périrent  tous  par  le  glaive.  303.  —  Au  pays  des  Homérites,  dans  la  ville  de 
Nagran,  le  martyre  de  saint  Arétas  et  de  ses  compagnons,  au  nombre  de  trois  cent  quarante,  qui 
furent  mis  à  mort  au  temps  de  l'empereur  Justin,  sous  un  tyran  juif,  nommé  Dunaan.  Après  eux 
on  livra  aux  flammes  une  femme  chrétienne  dont  le  fils,  âgé  de  cinq  ans,  et  qui  confessait  Jésus- 
Christ  en  bégayant,  n'ayant  pu  être  retenu  ni  par  caresses,  ni  par  menaces,  se  précipita  de  lui- 
même  dans  le  brasier  où  sa  mère  était  consumée.  523.  —  A  Cologne,  saint  Evergiste,  évêque 
et  martyr  2.  Vers  434.  —  A  Constantinople,  saint  Procle  »,  évêque.  447.  —  En  Bretagne,  saint 

1.  Au  commencement  de  la  persécution  de  Dioctétien  (303),  un  grand  nombre  de  chrétiens  eurent  la 
faiblesse  de  livrer  nos  divines  Ecritures  aux  infidèles  pour  être  brûlées.  Plusieurs  même  imaginèrent  divers 
prétextes,  afin  de  diminuer  ou  d'excuser  ce  crime,  comme  s'il  pouvait  être  permis  de  concourir  à  une 
action  impie.  Félix,  évêque  de  Thibare,  dans  la  province  proconsulaire  d'Afrique,  né  se  laissa  point  en- 
traîner par  le  nombre  des  coupables;  la  chute  de  ses  frbres  ne  fit  qu'exciter  sa  vigilance  et  ranimer  son 
courage.  Il  mourut  en  héros,  victime  des  exigences  de  son  devoir.  —  Godescard,  Baronius. 

2.  Evergiste  ou  Evergisile  (déjà  cité  aux  martyrologes  français  du  24  août  et  du  14  septembre)  naquit 
à  Tongres  (Limbourg  belge)  et  succéda  à  saint  Séverin  de  Cologne  (23  octobre),  dont  il  avait  été  archi- 
diacre, sur  le  siège  archiépiscopal  de  cette  ville.  Un  Jour  que,  selon  sa  coutume,  il  visitait  les  églises  et 
les  tombeaux  des  Martyrs,  il  entra  dans  la  basilique  de  Saint-Géréon  et  salua  le  Saint  par  ce  verset  : 
Exultabunt  Sancti  in  gloria.  On  dit  qu'alors  une  voix  céleste  lui  répondit  :  Lxtabuntur  in  cubilibus  suis. 
C'est  de  la  qu'est  venu,  dans  l'église  de  Saint-Géréon,  l'usage  de  chanter  le  premier  verset  sans  que  le 
chœur  réponde,  comme  pour  laisser  la  parole  aux  anges.  Saint  Evergisile  fut  percé  de  flèches  par  des 
brigands,  un  jour  qu'il  visitait  le  monastère  de  Sainte-Marie  de  Tongres.  Les  Colonais  croient  posséder  ses 
reliques  :  le»  Bollandistcs  prétendent  qu'ils  ne  conservent  que  celles  de  saint  Ebrégise,  évêque  de 
Maëstricht.  —  Cf.  Additions  des  Dollandistes,  à  ce  jour. 

3.  Procle,  patriarche  de  Constantinople,  travailla  éuergiquement  à  éteindre  les  derniers  restes  du  schisme 


574  24  OCTOBRE. 

Magloire,  évêque,  dont  le  corps  repose  à  Paris.  586.  —  Au  monastère  de  Vertou,  saint  Martin, 
abbé.  601.  —  En  Campanie,  saint  Marc,  solitaire,  dont  le  pape  saint  Grégoire  a  rapporté  les 
œuvres  éclatantes  ».  Vers  579. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Aux  diocèses  d'Agen,  Ajaccio,  Albi,  Arras,  Alger,  Autun,  Beauvais,  Bordeaux,  Cahors,  Carcas- 
sonne,  Châlons,  Chambéry,  Clermont,  Coutances,  Dijon,  La  Rochelle,  Le  Mans,  Le  Puy,  Limoges, 
Lyon,  Marseille,  xMeaux,  Mende,  Moulins,  Nancy,  Nantes,  Pamiers,  Perpignan,  Poitiers,  Reims,  Rodez, 
Rouen,  Saint-Dié,  Saint-Flour,  Sens,  Soissons,  Tarbes,  Tours,  Vannes,  Viviers,  Verdun  et  Versailles, 
fête  de  saint  Raphaël,  archange  2.  —  Au  diocèse  d'Amiens,  saint  Romain,  évêque  de  Rouen,  dont 
nous  avons  donné  la  vie  au  jour  précédent.  639.  —  Aux  diocèses  d'Angers  et  de  Bayeux,  saint 
Martin  de  Nantes,  abbé  de  Vertou  (Vertawm,  Loire-Inférieure)  et  de  Saint-Jouin-de-Marnes  (Deux- 
Sèvres),  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  601.  —  Au  diocèse  d'Autun,  saiut  Senoch  ou 
Senou,  abbé  en  Touraine.  579.  —  Au  diocèse  de  Mayence,  saint  Colomban  d'Irlande,  abbé,  dont 
nous  donnerons  la  vie  au  21  novembre.  615.  —  Aux  diocèses  de  Paris  et  de  Rennes,  saint  Ma- 
gloire, évêque  de  l'ancien  siège  de  Dol  (transféré  à  Rennes),  cité  au  martyrologe  romain  de  ce 
jour.  586.  —  Au  diocèse  de  Toulouse,  saint  Erembert  du  Pecq,  évêque  de  ce  siège  et  confes- 
seur, déjà  cité  au  martyrologe  de  France  du  14  mai.  678.  — A  Beauvais,  sainte  Maxence,  vierge  et 
martyre  ;  saint  Brabance,  son  serviteur,  et  sainte  Rosébie,  sa  compagne,  également  martyrs,  dont 
nous  donnerons  la  vie  an  20  novembre.  ve  s.  —  A  Cologne  et  à  Coblentz,  sainte  Noitburge  ou 
Nortburge,  vierge,  dont  nous  donnerons  la  vie  au  31  octobre.  vme  s.  —  A  Bonnet  (Meuse,  arron- 
dissement de  Commercy,  canton  de  Gondrecourt),  au  diocèse  de  Verdun,  saint  Florentin,  confes- 
seur 3.  Xe  s.  —  A  Coutances,  saint  Fromont  ou  Frodomont,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur, 
qu'il  ne  faut  pas  confondre,  comme  on  l'a  fait  souvent,  avec  saint  Frémond  ou  Fromond,  martyr 
anglais.  On  croit  qu'il  était  natif  de  Brévands  (Manche,  arrondissement  de  Saint-Lô,  canton  de 
Carentan).  L'abbaye  de  Fécamp  (FiscanumJ,  au  diocèse  de  Rouen,  possédait  de  ses  reliques,  et 
une  des  paroisses  de  la  ville  de  Fécamp  était  sous  son  patronage  *.  vu8  s. 

des  Orientaux.  Ses  ouvrages  y  contribuèrent  puissamment.  On  voit  par  ceux  qui  nous  restent  de  lui  que 
ses  lumières  égalaient  son  zèle.  Ses  Lettres  ont  pour  objet  principal  les  disputes  qui  s'élevèrent  de  son 
temps  sur  l'Incarnation.  Quelques-unes  de  ses  Homélies  sont  un  éloge  de  la  sainte  Vierge  :  il  y  est  prouvé 
qu'on  lui  donne  à  juste  titre  la  qualité  de  Mère  de  Dieu.  Les  autres  traitent  en  grande  partie  des  mystères 
de  Jésus-Christ,  et  contiennent  des  instructions  sur  les  principales  fêtes  de  l'anne'e.  Le  style  de  ce  Père 
est  concis,  sentencieux,  rempli  de  tours  vifs  et  spirituels,  plus  propres  cependant  à  plaire  qu'à  émouvoir. 
C'est  de  la  dernière  année  de  l'épiscopat  de  ce  patriarche  (447)  que  date  l'insertion  du  Trisagion  dans 
l'office  divin  ;  à  l'époque  du  terrible  tremblement  de  terre  qui,  pendant  six  mois,  se  fit  sentir  en  différentes 
contrées  de  l'Orient,  saint  Procle  eut  recours  à  cette  prière  avec  son  peuplé  et  le  fléau  cessa.  Les  Orien- 
taux attribuent  h  saint  Procle  la  dernière  révision  de  la  liturgie  de  saint  Jean  Chrysostome  ou  de  l'Eglise 
do  Constantinople.  —  Godescard  ;  Dom  Ceillier  ;  l'abbé  Darras. 

1.  Alias  :  Martin,  Marce,  Afartinus,  Martius.  —  Les  Bollandistes,  outre  le  titre  de  solitaire,  lui  donnent 
celui  d'abbé  et  disent  qu'il  vécut  successivement  dans  les  monastères  du  Mont-Cassin  (Terre  de  Labour) 
et  du  Mont-Massique  (aujourd'hui  Massico).  Le  Mont-Cassin,  Naples  et  Carinola  possèdent  de  ses  reliques." 
—  Acta  Sanctorum. 

2.  Voir  la  vie  de  Tobie  (tome  xi,  page  50)  et  l'article  que  nous  avons  consacré  à  la  fête  de  saint  Mi- 
chel, archange,  et  de  tous  les  saints  Anges  (tome  xi,  page  496).  —  Il  y  a  des  églises  dédiées,  sous  l'invo- 
cation de  saint  Raphaël,  à  Milan,  à  Venise  et  en  beaucoup  d'autres  lieux.  Pour  ce  qui  est  de  ses  caracté- 
ristiques, à  cause  du  secours  qu'il  prêta  au  jeune  Tobie  dans  son  voyage  où  il  lui  servait  de  guide,  on  lui 
donne  souvent  un  bourdon  de  pèlerin.  D'autres  fois,  par  allusion  au  sens  de  son  nom  hébraïque  (Méde- 
cine de  Dieu),  on  lui  met  en  main  un  vase  ou  bocal  de  pharmacie,  ou  quelque  symbole  de  la  profession 
médicale.  —  Caractéristiques  des  Saints,  par  le  Père  Cahier. 

3.  Fils  d'un  roi  des  Scots,  Florentin  quitta  sa  patrie,  passa  en  France  et  se  fixa  à  Bonnet  ou  il  y  garda 
les  pourceaux  pendant  trente-deux  ans.  On  raconte  qu'il  opéra  dans  ce  pays  un  grand  nombre  de  miracles, 
et  qu'il  guérissait  particulièrement  les  aveugles,  les  boiteux  et  les  muets.  Son  corps  fut  enseveli  à  Bonnet. 
Au  commencement  du  xvii8  siècle,  on  y  conservait  encore  ses  Actes.  Neuf  tableaux  de  cette  église  pei- 
gnent sa  légende.  Son  tombeau  se  voyait  autrefois  dans  le  chœur;  comme  il  gênait  les  cérémonies  reli- 
gieuses, il  fut  reculé  derrière  le  chœur,  puis  transféré  dans  une  chapelle  latérale  avec  les  reliques  que  l'on 
conserve  en  dehors  du  tombeau.  Il  se  faisait  autrefois  à  Bonnet  un  grand  concours  de  pèlerins  qui  venaient 
invoquer  notre  Saint  pour  être  guéris  de  la  folie.  Ce  concours  diminue  de  jour  en  jour.  —  Continuateurs 
de  Bollandus,  24  octobre. 

4.  Dl  fut  enseveli,  croit-on,  dans  l'église  d'un  monastère  qui  prit  plus  tard  son  nom  (Saint-Fromond 
est  aujourd'hui  un  bourg  du  département  de  la  Manche).  A  l'époquo  de  l'invasion  des  Normands,  ses  re- 
liques furent  transférées  à  Bayeux,  puis  dans  le  prieuré  de  Saint-Lô  de  Kouen,  ou  elles  furent  enfermées 
dans  de  nouveaux  reliquaires  (1470)  et  visitées  (1629).  Toutefois,  dès  avant  1470,  le  bras  du  Saint  était 
allé  enrichir  de  nouveau  l'église  abbatiale  de  Saint-Fromohd.  Les  Huguenots  ont  profané  cette  relique 
insigne  au  xvie  siècle.  Près  de  l'église  paroissiale  de  Saint-Fromond  se  voit  une  fontaine  ;  autrefois,  pen- 
dant les  temps  de  sécheresse,  on  organisait  des  processions  solennelles  et  l'on  plongeait  dans  l'eau  de 


I 


MARTYROLOGES.  575 


MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  V Ordre  de  Saint-Basile.  —A  Constantinople, saint  Procle, évêque, de  l'Ordre 
de  Saint-Basile.  447. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  Dans  la  Frise,  saint  Gilbert,  confesseur,  qui  fonda 
Ans  ce  pays  le  monastère  de  Neuffonts,  de  l'Ordre  des  Prémontrés,  le  gouverna  avec  un  rare  suc- 
cès, donnant  l'exemple  de  toutes  les  vertus,  et  s'endormit  dans  le  Seigneur- le  6  juin  *.  1152. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Camaldules.  —  La  fête  de  saint  Raphaël,  archange. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Vallombreuse.  —  De  même  que  chez  les  Camaldules. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Cisterciens.  —  Saint  Raphaël,  archange,  un  des  sept  qui  sont 
debout  devant  le  Seigneur,  et  dont  le  nom  signifie  Remède  de  Dieu.  Le  pape  Pie  VII  (1800-1823) 
a  autorisé  de  célébrer  sa  mémoire  dans  tout  l'Ordre  des  Cisterciens.  —  En  Espagne,  saint  Bernard, 
premier  abbé  du  monastère  des  Cisterciens  de  Sainte-Croix  (Catalogne),  puis  évêque  de  Vich  (inten- 
dance de  Barcelone)  ;  personnage  rempli  de  l'esprit  apostolique,  il  opéra  un  grand  nombre  de  mira- 
cles. 1243. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  —  De  même  que  chez  les  Camaldules. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint-François.  —  En  Angleterre,  saint  Edouard,  roi  et 
confesseur,  qui  mourut  le  5. janvier,  mais  qui  est  honoré  de  préférence  dans  l'Eglise  le  13  octobre, 
à  cause  de  la  translation  de  son  corps  *.  1066. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  De  même  que  chez  le3  Camaldules. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  la  bienheureuse  Vierge  Mairie  du  Mont-Carmel.  —  De  même 
que  chez  les  Camaldules. 

Martyrologe  de  £ Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin.  —  De  même  que  chez  les  Ca- 
maldules. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Servîtes  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie.  —  De  même  que 
chez  les  Camaldules. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Mineurs  Capucins  de  Saint-François.  —  De  même  que  chez  les 
Camaldules. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Carmes  déchaussés.  —  De  même  que  chez  les  Camaldules. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

Au  territoire  de  Mugliano,  en  Toscane,  les  saints  martyrs  Cresce,Omnion,Empte,Cerbone  etPam- 
phile.  Leur  culte,  qui  était  presque  entièrement  abandonné  en  Toscane,  est  redevenu  populaire 
après  le  milieu  du  xvn°  siècle.  250.  ■—  A  Trêves,  saint  Séverin  de  Tongres  et  saint  Félix  I*',  évêques 
de  ce  siège  et  confesseurs.  11  ne  faut  pas,  comme  des  hagiographes  l'ont  fait,  confondre  le  premier 
avec  saint  Séverin  de  Cologne  et  de  Bordeaux  (23  octobre),  ni  avec  un  autre  Séverin  de  Trêves  (21 
décembre).  Quant  à  saint  Félix  Ie',  il  parait  être  le  même  que  saint  Félix  de  Metz  (21  janvier).  — 
A  Nicomédie,  aujourd'hui  Isnikmid,  ville  de  Bithynie,  sur  la  Propontide,  les  saints  martyrs  Sévère, 
Vital,  Félix,  Rogat,  Papyre,  Victoire,  Flavien  et  Victor,  cités  par  les  martyrologes  de  saint  Jérôme. 
Vers  303.  —  A  Hiérapolis,  ville  de  Phrygie,  près  du  Méandre,  les  saints  martyrs  Claudien,  Euthier, 
Flavien,  Just  et  Victor,  cités  à  la  même  source.  Vers  304.  —  Dans  la  principauté  de  Galles,  saint 
Cadfarch  ou  Cadmarch,  confesseur.  On  lui  attribue  la  fondation  des  églises  de  Penegwest  (comté  de 
Montgomery),  et  d'Abererch  (comté  de  Caernarvon).  Il  y  a  près  de  celle  de  Penegwest  une  fontaine 
qui  porte  le  nom  du  Saint,  et  dont  les  eaux  salutaires  guérissent  les  douleurs  rhumatismales.  Vers 
le  milieu  du  vie  s.  —  A  Maëstricht  (Trajectum  ad  Mosam),  ville  du  Limbourg  hollandais,  saint 
Ebrégise,  évêque  de  ce  siège  qu'il  occupa  de  611  à  625,  après  saint  Perpétue.  Enseveli  à  Trut- 
monia,  ancienne  ville  de  son  diocèse,  il  y  reposa  environ  trois  cents  ans  et  fut  ensuite  transféré  à 
Cologne  par  saint  Brunon,  qui  déposa  sa  châsse  dans  l'église  collégiale  de  Sainte-Cécile.  Cette 
maison  ayant  été  supprimée  en  1802,  la  châsse  de  saint  Ebrégise,  dépouillée  des  lames  d'or  et 
d'argent  dont  elle  était  couverte,  fut  reléguée  sur  la  voûte  de  l'église  de  Saint-Pierre  :  elle  y  resta 
ignorée  jusqu'en  1837  :  à  cette  époque  la  châsse  fut  renouvelée  et  exposée  de  nouveau  à  la  véné- 
ration des  fidèles  3.  Vers  625.  —  A  Kiev,  ville  de  la  Russie  d'Europe,  sur  le  Dnieper,  le  bienheu- 
reux Aréthas,  moine  et  confesseur.  Commencement  du  xm°  s.  —  Encore  en  Russie,  le  bienheureux 
Simon,  évêque  de  Vladimir  (ville  de  l'ancienne  Pologne,  dans  la  Volhynie)  et  de  Suzdal.  xin»  s. 

cette  fontaine  l'extrémité  de  la  hampe  de  la  croix.  Cette  cérémonie  a  été  renouvelée,  en  1840,  en  présence 
de  cinq  paroisses  des  environs  :  la  pluie  demandée  fut  obtenue  miraculeusement.  —  Continuateur»  de 
Bollandus. 

1.  Nous  avons  donné  sa  vie  au  7  juin,  tome  vi,  page  516.  —  2.  Voir  sa  vie  au  13  octobre. 

3.  Les  Colonais  attribuent  a  tort  à  leur  évêque  saint  Evergisto  ou  Everglsile  tout  ce  que  les  nouveaux 
Bollandistes  racontent  du  culte  et  des  reliques  de  saint  Ebrégise  de  Maëstricht.  —  Cf.  Dissertation  du  l'ère 
Victor  de  Buck,  dans  les  Acta  Sanctorum,  tome  s  d'octobre,  pages  818-823. 


S? 6  24  OCTOBRE. 


SAINT  SENOGH  OU  SENOU  DE  TIFFAUGES, 

ABBÉ  EN  TOURAINE 
579.  —  Pape  :  Pelage  II.  —  Roi  de  France  :  Chilpéric  I«. 


Fuyez  davantage  la  vanité  à  mesure  que  vous  devien- 
drez meilleur;  car  les  autres  vices  s'accroissent  par 
les  vices,  mais  la  vanité  par  les  vertus. 
Saint  Eue  fier. 

Senoch,  issu  de  la  nation  barbare  des  Taïfales,  qui  étaient  venus  s'éta- 
blir dans  le  Poitou  et  avaient  donné  leur  nom  à  la  ville  de  Tiffauges,  sur 
la  Sevré  Nantaise,  vint  au  monde  dans  cette  ville  vers  Tan  539.  Elevé  dans 
le  paganisme  par  ses  parents,  Dieu,  dans  sa  miséricordieuse  bonté,  le  retira 
de  l'abîme  où  il  était  en  l'éclairant  de  la  divine  lumière  de  la  foi  chré- 
tienne. Touché  de  la  grâce  et  fidèle  à  son  appel,  il  résolut  dès  lors  de 
quitter  le  monde  et  de  se  consacrer  au  Seigneur.  Plein  de  cette  pensée,  il 
s'enfuit  du  foyer  domestique  à  l'insu  de  ses  parents  et  se  retira  dans  une 
solitude  inconnue,  qui  plus  tard  fut  appelée  de  son  nom,  Saint-Senou,  et 
qui  se  trouve  à  quelque  distance  de  la  petite  ville  de  Ligueil  (Indre-et- 
Loire). 

En  arrivant  dans  sa  solitude,  il  trouva  de  vieilles  murailles,  restes  d'un 
monastère  :  il  en  releva  les  murs  et  y  construisit  quelques  cellules  ;  il  ren- 
contra aussi  un  petit  oratoire  qu'il  rétablit  avec  beaucoup  de  soin.  Le 
bruit  des  vertus  et  des  miracles  du  nouveau  solitaire  s'étant  répandu  de 
tous  côtés,  l'évêque  de  Tours,  saint  Euphrone,  alla  le  trouver,  et,  à  la 
demande  de  Senoch,  consacra  l'oratoire  qu'il  avait  reconstruit.  Après  la 
célébration  des  saints  mystères,  Euphrone  se  disposa  à  placer  dans  le  tom- 
beau de  l'autel  une  capse  pleine  de  reliques,  selon  les  prescriptions  cano- 
niques ;  mais  à  la  grande  surprise  des  deux  serviteurs  de  Dieu,  il  se  trouva 
que  l'ouverture  du  tombeau  était  trop  étroite  pour  contenir  la  capse. 
Alors  le  saint  solitaire,  dans  cette  perplexité,  eut  recours  à  la  prière.  S'étant 
prosterné  la  face  contre  terre,  il  se  mit  à  prier  avec  l'évêque  lui-même,  en 
versant  des  larmes.  Après  quelques  moments  d'oraison,  ils  se  relevèrent, 
et  à  la  grande  admiration  des  assistants,  ils  purent  faire  entrer  facilement 
la  capse  dans  l'ouverture  du  tombeau.  Ils  rendirent  alors  à  Dieu  de  fer- 
ventes actions  de  grâces  ;  puis  le  saint  évêque  ordonna  diacre  le  saint 
solitaire,  malgré  les  réclamations  de  son  humilité,  et  donna  l'habit  mo- 
nastique à  trois  hommes  qui  voulaient  vivre  sous  la  conduite  de  saint 
Senoch. 

Rentré  dans  le  calme  et  le  silence  de  sa  solitude,  en  compagnie  de  ses 
trois  disciples,  Senoch  passait  les  jours  et  les  nuits  dans  une  oraison  pres- 
que continuelle,  prenait  très-peu  de  nourriture  et  se  livrait  à  de  grandes 
macérations  corporelles.  Au  temps  du  Carême,  il  augmentait  encore  son 
abstinence,  car  alors  il  ne  mangeait  que  du  pain  d'orge  et  ne  buvait  que 
de  l'eau,  ayant  soin  de  ne  prendre  de  chacune  de  ces  substances  qu'en  très- 
petite  quantité.  Durant  les  rigueurs  de  l'hiver,  il  marchait  toujours  les 


SAINT  SENOGH   OU  SENOU  DE  TIFFA'JGES,   ABBÉ  EN  TOURAINE.  577 

pieds  nus  et  portait  autour  du  cou,  des  pieds  et  des  mains,  de  lourdes 
chaînes  de  fer.  Voulant  mener  une  vie  plus  solitaire  encore,  il  se  priva  de 
la  vue  de  ses  frères  et  s'enferma  dans  sa  cellule,  où  il  passait  les  jours  et  les 
nuits  dans  des  veilles  et  des  oraisons  continuelles.  Bientôt  le  parfum  de  sa 
sainteté  se  répandit  au  loin,  et  une  multitude  de  fidèles  vinrent  lui  deman- 
der des  conseils  ou  des  consolations.  Ils  lui  portaient  fréquemment  de 
l'argent  ;  mais  le  Saint,  se  rappelant  souvent  cet  oracle  de  la  bouche  de 
Notre-Seigneur  :  «  Ne  vous  amassez  point  de  trésors  sur  la  terre,  parce 
que  là  où  est  votre  trésor,  là  est  aussi  votre  cœur  » ,  remettait  tous  ces 
dons  de  la  charité  entre  les  mains  des  indigents.  On  dit  que  pendant  sa 
vie  il  racheta,  avec  l'argent  provenant  de  ces  offrandes  des  fidèles,  un  grand 
nombre  d'esclaves. 

Saint  Grégoire  de  Tours  nous  apprend  que  lorsqu'il  vint  prendre  pos- 
session du  siège  épiscopal  de  cette  ville,  Senoch  quitta  sa  cellule  et  se 
rendit  à  Tours  pour  le  voir  ;  puis,  après  l'avoir  salué  et  lui  avoir  donné  le 
baiser  de  paix,  il  retourna  aussitôt  dans  le  lieu  de  sa  retraite.  Cependant  il 
y  eut  un  moment  de  faiblesse  dans  cette  vie  si  admirable.  Ayant  cédé  à 
la  pensée  de  revoir  ses  parents  dans  le  pays  de  sa  naissance,  la  vanité  s'em- 
para de  cette  âme  jusque-là  si  détachée  d'elle-même,  si  désireuse  de  l'ou- 
bli des  hommes,  et  il  rapporta  de  cette  visite  une  fierté  arrogante  qui 
n'échappa  point  à  l'œil  vigilant  de  saint  Grégoire  de  Tours.  Après  une 
sévère  réprimande  de  sa  part,  Senoch  accepta  avec  humilité  et  reconnais- 
sance les  reproches  et  les  conseils  de  son  évêque,  et  s'écria  :  «  Je  reconnais 
maintenant  la  vérité  des  paroles  sorties  de  la  bouche  sacrée  de  l'Apôtre  : 
Que  celui  qui  se  glorifie,  se  glorifie  dans  le  Seigneur  ».  Pour  montrer  la 
sincérité  de  son  repentir,  il  consentit  à  ne^plus  se  séquestrer  de  la  société 
des  hommes,  si  ce  n'est  depuis  la  Saint-Martin  jusqu'à  Noël,  et  depuis  la 
Septuagésime  jusqu'à  Pâques. 

Gomme  le  Seigneur  opérait  par  son  entremise  beaucoup  de  guérisons 
miraculeuses,  les  pèlerins  vinrent  en  foule  à  sa  cellule.  Saint  Grégoire  de 
Tours  raconte  plusieurs  des  nombreux  miracles  opérés  par  le  serviteur  de 
Dieu,  au  moyen  du  signe  de  la  croix.  Des  aveugles,  des  boiteux,  des  en- 
fants perclus  de  tous  leurs  membres,  ou  contrefaits,  des  corps  enflés  à  la 
suite  de  la  morsure  de  quelques  reptiles,  des  démoniaques,  obtinrent  de  lui 
leur  guérison.  Pour  ceux  qu'il  guérissait  et  qui  étaient  pauvres,  il  leur 
donnait  avec  grande  joie  la  nourriture  et  le  vêtement,  et  pourvoyait  à  tous 
leurs  besoins,  après  s'être  informé  avec  une  sollicitude  toute  paternelle  de 
leurs  moyens  de  vivre,  de  leurs  ressources  présentes,  de  leurs  projets  et  de 
leurs  espérances  pour  l'avenir.  Il  avait  tant  de  soin  et  de  prévoyance  pour 
les  nécessiteux,  qu'il  prenait  la  peine  de  leur  construire  des  ponts  pour 
passer  les  rivières,  de  peur  que  quelqu'un  n'eût  à  déplorer  un  de  ces  mal- 
heurs qui  n'arrivent  que  trop  souvent  par  la  crue  des  eaux. 

Après  une  vie  illustrée  par  tant  de  merveilles,  saint  Senoch  fut  saisi 
d'une  fièvre  qui  le  retint  trois  jours  au  lit,  et  l'avertit  que  sa  dernière 
heure  approchait.  Saint  Grégoire  de  Tours,  informé  par  ses  disciples  de 
son  état,  se  rendit  en  toute  hâte  auprès  de  lui  ;  mais  une  heure  après  son 
arrivée,  il  le  yit  expirer  entre  ses  bras.  C'était  le  24  octobre  579. 

Le  corps  du  saint  abbé  fut  déposé  dans  le  sépulcre  qui  lui  avait  été 
préparé.  Une  foule  innombrable,  composée  de  tous  ceux  quJii  avait  rache- 
tés de  l'esclavage,  ou  délivrés  de  leurs  dettes,  qu'il  avait  rendus  à  la  santé, 
ou  vêtus  et  nourris  dans  leur  misère,  assistèrent  à  ses  funérailles.  Saint 
Grégoire  de  Tours  étant  venu,  trente  jours  après  ses  obsèques  auxquelles 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  37 


578  24  OCTOBRE. 

il  avait  présidé,  offrir  le  saint  sacrifice  sur  sa  tombe,  selon  la  coutume  des 
premiers  siècles,  un  homme  tout  contrefait  recouvra  l'usage  de  ses  mem- 
bres. De  nombreux  prodiges  ayant  été  opérés  sur  son  tombeau,  on  ne 
tarda  pas  à  lui  rendre  un  culte  public.  Dans  le  diocèse  de  Tours,  et  jusque 
dans  la  Bretagne,  sa  fête  était  célébrée  avec  une  grande  dévotion  le  24 
octobre. 

On  le  représente  une  grosse  chaîne  au  cou,  et  priant. 

Tiré  de  la  Vie  du  Saint,  écrite  par  saint  Grégoire,    évêque  de   Tours.  —  Cf.  Vies  des   saints  person- 
nages de  l'Anjou,  par  le  R.  P.  Dom  Chamard;  et  Annales  hagiologiques  de  la  France. 


SAINT  MAGLOIRE, 

ÉVÊQUE  DE  L'ANCIEN  SIÈGE  DE  DOL,  EN  BRETAGNE 
586.  —  Pape  :  Pelage  II.  —  Roi  de  France  :  Childebert  EL 


Celui  qui  est  pur  doit  fuir  la  foule  ;  il  deviendra  ainsi 
capable  de  recevoir  le  don  du  ciel. 

Saint  Pierre  Damien. 

Ce  grand  prélat  est  devenu  trop  célèbre  par  la  translation  de  ses  reliques 
à  Paris,  et  par  la  maison  des  Pères  de  l'Oratoire,  qui  y  portèrent  son  nom, 
pour  ne  pas  faire  connaître  aux  fidèles  de  quel  mérite  il  a  été  pendant  sa 
vie.  Quelques  auteurs  le  font  Anglais  ;  d'autres  disent  qu'il  était  du  diocèse 
de  Vannes,  en  Bretagne.  Son  père  Umbrafel,  et  sa  mère  Asfelle,  nobles, 
riches  et  pieux,  le  mirent  de  bonne  heure  sous  la  conduite  de  saint  Sam- 
son,  son  cousin-germain,  qui  était  devenu  abbé  en  Angleterre,  puis  arche- 
vêque d'York.  Ce  jeune  homme  fit  de  grands  progrès  dans  les  sciences  et 
dans  la  vertu  sous  un  aussi  excellent  maître. 

Dès  qu'il  eut  lâge  fixé  par  les  Canons,  il  entra  dans  les  Ordres  et  fut 
ordonné  prêtre.  Sa  vie  était  conforme  à  sa  dignité  ;  il  était  sobre,  chaste, 
modeste,  patient,  retenu  dans  ses  discours,  fervent  dans  l'oraison,  et  plein 
de  zèle  pour  procurer  le  salut  du  prochain.  Saint  Samson,  le  voyant  si  par- 
fait, l'amena  avec  lui  en  Bretagne  et  le  fit  abbé  du  monastère  de  Lanmeur; 
ensuite,  ayant  Hé  fait  évêque  de  Dol,  par  l'érection  de  cette  ville  en  évê- 
ché,  il  lui  donna  la  conduite  de  son  abbaye  de  Dol.  Magloire  gouverna 
cette  maison  pendant  cinquante-deux  ans  avec  une  prudence  et  une  sainteté 
merveilleuses.  Il  instruisait  plus  ses  religieux  par  ses  exemples  que  par  ses 
paroles  ;  sa  douceur  les  gagnait,  sa  sévérité  les  retenait.  Ils  marchaient 
à  grands  pas  à  la  perfection ,  sous  un  guide  si  éclairé  et  si  généreux. 
Saint  Samson  étant  mort,  il  fut  élu  évêque  à  sa  place.  Il  résista  quelque 
temps  à  cette  élection  ;  mais,  apprenant  qu'elle  avait  été  faite  selon  le  dé- 
sir de  son  prédécesseur,  il  se  rendit  à  la  volonté  de  Dieu,  qui  lui  était  ma- 
nifestée par  le  choix  d'un  homme  si  judicieux  ;  cependant,  il  ne  tint  le 
siège  que  deux  ou  trois  ans,  parce  que,  se  voyant  déjà  cassé  de  vieillesse  et 
plus  que  septuagénaire,  il  fit  tant  par  ses  prières  et  par  ses  larmes  auprès 
de  Dieu,  qu'un  ange  vint  lui  apporter,  de  la  part  de  Dieu,  la  permission  de 
se  retirer  dans  la  solitude.  Il  fit  aussi  agréer  sa  démission  à  son  clergé  et  à 


SAINT   MAGLOIRE,   ÉVÉQUE   DE   L'ANCIEN   SIEGE   DE  DOL.  579 

son  peuple  ;  et  leur  laissant  pour  pasteur  saint  Budoc,  qu'il  avait  fait 
son  successeur  dans  l'abbaye  de  Dol,  et  qui  était  actuellement  son  grand- 
vicaire,  il  choisit  pour  sa  demeure  un  marais  assez  écarté  au  bord  de 
la  mer  ;  il  y  bâtit  un  oratoire  et  quelques  cellules,  tant  pour  lui  que  pour 
un  petit  nombre  de  religieux,  qui  souhaitèrent  de  demeurer  en  sa  com- 
pagnie. 

Il  avait  choisi  ce  désert  plutôt  que  ses  monastères  de  Dol  ou  de  Lan- 
meur,  pour  être  plus  solitaire  et  moins  exposé  aux  visites  des  gens  du 
monde,  mais  il  y  trouva  ce  qu'il  voulait  éviter  ;  car,  la  réputation  de  sa 
sainteté  se  répandant  partout,  des  malades  venaient  à  son  ermitage  pour 
être  guéris  ;  des  possédés,  pour  obtenir  leur  délivrance  ;  des  affligés,  pour 
trouver  dans  son  entretien  la  consolation  dont  ils  avaient  besoin  ;  et  toutes 
sortes  de  personnes,  pour  recevoir  par  ses  instructions  les  lumières  qui 
leur  étaient  nécessaires  pour  se  bien  conduire.  Plusieurs  même  lui  appor- 
taient des  présents  pour  rendre  sa  solitude  plus  supportable  ;  il  ne  les 
acceptait  que  pour  en  faire  la  distribution  aux  pauvres  et  aux  malheureux 
qui  avaient  recours  à  lui.  Ce  grand  concours  lui  déplut,  et,  ne  pouvant 
plas  le  supporter,  il  conçut  le  dessein  de  quitter  cet  ermitage  et  de  se  reti- 
rer plus  loin  ;  mais  saint  Budoc,  qu'il  consulta  sur  une  affaire  de  cette 
importance,  l'en  dissuada,  lui  remontrant  fort  sagement  que,  n'étant  pas 
au  monde  pour  lui  seul,  il  ne  devait  pas  refuser  son  assistance  à  tant 
d'âmes  qui  trouvaient  auprès  de  lui  le  remède  à  leurs  maux  et  la  conso- 
lation dans  leurs  peines.  Notre  Saint  était  si  humble  et  si  peu  attaché  à 
son  propre  sens,  qu'il  déféra  sans  difficulté  à  l'avis  de  ce  grand  serviteur  de 
Dieu.  Mais  la  divine  Providence  lui  donna  bientôt  après  l'occasion  de  faire 
ce  qu'il  désirait  ;  car  le  comte  Loïescon,  un  des  plus  grands  seigneurs  du 
Dolois,  ayant  été  guéri  par  ses  prières  d'une  lèpre  qui  le  rongeait  depuis 
sept  ans,  lui  fit  don,  pour  bâtir  un  monastère,  de  la  moitié  de  l'île  de  Jer- 
sey, qui  était  de  son  domaine.  Le  partage  en  fut  fait;  une  moitié  demeura 
au  comte,  et  l'autre  moitié  fut  destinée  pour  la  fondation  d'une  abbaye; 
mais,  par  un  grand  miracle,  dès  que  ce  partage  fut  fait,  tout  le  gibier,  les 
oiseaux  et  les  poissons,  qui  faisaient  la  richesse  de  cette  île,  abandonnèrent 
le  côté  du  comte  et  passèrent  dans  celui  des  religieux.  La  comtesse,  à  qui 
cette  donation  n'avait  pas  plu,  se  trouva  plus  troublée  de  cet  accident,  et 
elle  persuada  enfin  au  comte,  son  mari,  de  changer  de  lot  et  de  prendre 
pour  lui  celui  qu'il  avait  donné  aux  religieux.  Il  le  fit  pour  lui  complaire  ; 
mais  il  ne  put  pas  empêcher  les  effets  de  la  libéralité  de  Dieu  envers  ses  servi- 
teurs :  en  effet,  ces  animaux  quittèrent  alors  le  côté  où  ils  s'étaient  retirés 
et  passèrent  dans  celui  qui  avait  été  donné  à  saint  Magioire.  Loïescon  vit 
bien,  par  ce  prodige,  que  Dieu  ne  voulait  pas  que  son  présent  fût  à  demi. 
Aussi,  sans  écouter  les  plaintes  de  sa  femme,  il  abandonna  toute  l'île  à  la 
disposition  du  Saint. 

Magioire  y  bâtit  un  monastère  et  y  assembla  soixante-deux  religieux,  avec 
lesquels  il  passa  le  reste  de  sa  vie  dans  une  sainteté  merveilleuse.  Il  ne  man- 
geait que  du  pain  d'orge  et  ne  buvait  que  de  l'eau  ;  un  peu  de  légumes  les 
jours  ouvriers,  et  quelques  petits  poissons  sans  assaisonnement  les  têtes  et 
les  dimanches,  faisaient  tout  son  ordinaire.  Il  ne  prenait  rien  du  tout  les 
mercredis  et  les  vendredis,  en  l'honneur  de  la  Passion  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ.  Ses  habits  étaient  propres,  mais  fort  pauvres,  et  il  portait  tou- 
jours la  haire  ou  le  cilice  sur  sa  chair.  Il  demeurait  en  oraison  sur  le  bord  de 
la  mer  jusqu'à  Matines,  et  lorsqu'elles  sonnaient,  il  s'y  rendait  tout  le  pre- 
mier, pour  ôtre  l'exemple  de  ses  confrères.  Après  Matines,  il  prenait  ua 


ggQ  24  OCTOBRE. 

repos  fort  léger  et,  de  grand  matin,  il  se  levait  et  faisait  ses  préparatifs  pour 
la  messe.  Il  conserva  inviolablement  sa  virginité  jusqu'à  la  mort  ;  et  pour 
cela  il  évitait  autant  qu'il  lui  était  possible  l'entretien  avec  les  femmes,  et 
même  avec  les  plus  vertueuses.  Sa  charité  pour  le  prochain  était  extrême. 
Il  recevait  les  autres  avec  toutes  sortes  de  bienveillance,  faisait  abondam- 
ment l'aumône  aux  pauvres,  et  opérait  de  grands  miracles  pour  le  secours 
des  malheureux;  entre  autres,  il  ressuscita  le  serviteur  du  couvent, 
qui  s'était  noyé  en  péchant  dans  la  mer  pour  la  subsistance  des  reli- 
gieux. 

Un  ange  l'avertit  deux  fois  du  temps  de  son  décès  ;  il  s'y  prépara  avec 
une  grande  ferveur  et  un  redoublement  admirable  de  tous  ses  exercices  de 
dévotion  ;  vers  le  15  octobre  de  l'an  586,  le  même  ange  l'honora  d'une 
visite,  et  lui  donna,  de  sa  propre  main,  le  corps  adorable  de  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ  en  Viatique.  Depuis  ce  temps-là,  il  ne  voulut  plus  sortir 
de  son  église,  et  il  répétait  sans  cesse  ce  verset  de  David  :  «  J'ai  demandé 
une  chose  au  Seigneur,  et  je  ne  cesserai  point  de  la  lui  demander: 
c'est  d'avoir  le  bonheur  de  demeurer  dans  sa  maison  tous  les  jours  de 
ma  vie  ».  Enfin,  ayant  donné  sa  bénédiction  à  ses  religieux,  il  mou- 
rut entre  leurs  bras,  assisté  de  saint  Budoc,  le  24  octobre  de  la  même 
année. 

On  le  représente  :  1°  debout,  couronné  par  un  ange  ;  2°  quittant  l'épis- 
copat  pour  vivre  dans  la  solitude. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Le  corps  de  saint  Magloire  fut  enterré  dans  son  église,  et,  peu  de  temps  après,  levé  de  terre 
et  exposé  à  la  vénération  des  fidèles,  à  cause  des  grands  miracles  qui  se  faisaient  par  son  inter- 
cession. Depuis,  le  roi  Nomiiioé  le  fit  transporter  au  prieuré  de  Léhon-sur-Rance,  près  de  Dinan, 
qu'il  avait  fondé  avec  beaucoup  de  magnificence,  et  il  y  est  demeuré  cent  seize  ans,  savoir  :  de- 
puis l'an  857  jusqu'en  973;  a  cette  époque,  Salvateur,  évèque  de  Saint-Malo,  l'apporta  à 
Paris,  par  crainte  des  Normands  qui  ravageaient  toute  la  Bretagne.  Il  fut  premièrement  déposé 
dans  la  chapelle  royale  du  palais,  qui  est  devenue  la  paroisse  Saint-Barthélémy,  et  le  prince  Hugues 
le  Grand,  comte  de* Paris,  l'y  reçut  avec  une  dévotion  extraordinaire.  11  fonda  auprès  de  cette  cha- 
pelle un  monastère  de  religieux  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît,  en  l'honneur  de  saint  Barthélémy 
et  du  même  saint  Magloire,  et,  dans  l'acte  de  sa  fondation,  il  l'appelle  archiprélat  de  Bre- 
tagne. 

L'an  1138,  les  religieux  quittèrent  ce  lieu,  qui  était  trop  étroit,  et  passèrent  à  la  rue  Saint- 
Denis,  dans  une  chapelle  de  Saint-Georges,  qui  leur  appa: tenait,  et  où  était  leur  cimetière,  avec 
le  corps  du  saint  prélat  :  ce  nouveau  monastère  fut  appelé  Saint-Magloire.  Enfin,  en  1572,  ils  cé- 
dèrent encore  cette  maison  aux  Filles-Pénitentes,  à  la  prière  de  la  reine  Catherine  de  Médicis,  et 
allèrent  s'établir  au  faubourg  Saint-Jacques,  près  la  paroisse  traint-Jacques  du  Haut-Pas.  Mais 
comme  leur  plus  grand  trésor  était  la  châsse  vénérable  de  ce  Saint  tout  miraculeux,  ils  la  trans- 
portèrent avec  eux.  Plus  tard  cette  église  fut  donnée  aux  Pères  de  l'Oratoire  qui  y  établirent  un 
séminaire.  Le  corps  de  saint  Magloire  s'y  gardait  entier,  à  l'exception  d'un  bras  et  d'un  fémur 
qui  se  trouvaient  dans  la  cathédrale  de  Dol,  et  de  quelques  autres  ossements  qu'on  voyait  à  la 
Sainte-Chapelle  de  Paris  et  chez  les  Filles-Pénitentes  dont  nous  avons  parlé  ci-dessus.  Le  saint 
corps  était  renfermé  dans  une  châsse  d'argent  depuis  1318.  En  1791,  le  Père  Tournaire,  supérieur 
de  la  maison  de  Saint-Magloire,  ayant  eu  le  malheur  d'apostasier,  commanda  à  un  frère  domes- 
tique d'enterrer  dans  le  jardin  du  séminaire  toutes  les  reliques  qui  se  trouvaient  dans  l'église. 
Cette  opération  eut  lieu  en  1793.  Mais,  en  1797,  la  religion  catholique  ayant  joui  de  quelque 
liberté  jusqu'au  48  fructidor,  le  même  frère  indiqua  le  lieu  où  il  les  avait  déposées.  Elles  furent 
alors  exhumées  et  placées  dans  le  massif  du  maitre-autel  de  l'église  de  Saint-Jacques  du  Haut-Pas, 
voisine  de  celle  de  Saint-Magloire.  Elles  y  restèrent  jusqu'en  1835,  époque  à  laquelle  on  les  retira 
de  la  caisse  qui  les  contenait  pour  les  renfermer  dans  une  belle  châsse  de  bois  doré.  On  n'a  pu 
reconnaître  à  quels  Saints  appartenait  chaque  partie  de  ces  précieux  restes,  parce  qu'un  séjour  de 
quatre  ans  en  terre  avait  détruit  les  inscriptions  et  les  titres  ;  mais  on  n'a  aucun  doute  sur  leur 
authenticité  qui  a  été  reconnue  par  Mgr  de  Quélen,  archevêque  de  Paris. 


SAIiNT  MARTIN  DE  NANTES,  ABBÉ  DE  VERTOU.  581 

Quant  à  l'église  de  Saint-Magloire,  elle  a  été  détruite,  et  les  bâtiments  du  séminaire  sont  deve- 
nus l'école  des  sourds-muets. 

La  mémoire  de  saint  Magloire  est  marquée  au  martyrologe  romain. 

Surins  nous  a  donné  sa  vie,  tirée  d'un  ancien  manuscrit,  et  le  P.  Albert  le  Grand  en  a  composé  une 
nouvelle,  extraite  de  divers  auteurs,  dans  son  Histoire  des  Saints  de  Bretagne.  —  Cf.  Yies  des  Saints  de 
Bretagne,  par  Dom  Lobineau. 


SAINT  MARTIN  DE  NANTES, 

ABBÉ  DE  VERTOU  ET  DE  SAINT-JOUIN-DE-MARNES 
601.  •—  Pape  :  Saint  Grégoire  le  Grand.  —  Roi  cfe  France  :  Clotairé  IL 


Surpassez  les  autres  en  vertus  :  heureuse  l'âme  qxA 
est  pour  les  autres  un  modèle  de  sainteté. 
Pierre  de  Blois. 

Saint  Martin  était  issu  d'une  des  plus  illustres  et  des  plus  riches  familles 
de  la  ville  de  Nantes.  Il  naquit  dans  cette  ville  vers  l'an  527.  Son  père  passe 
pour  avoir  été  seigneur  de  Rezé,  localité  alors  assez  considérable  des  bords 
de  la  Loire,  et  sa  mère  d'une  des  grandes  maisons  d'Aquitaine.  Un  plus 
grand  bonheur  pour  lui  fut  de  recevoir  de  ces  illustres  parents  les  premières 
inspirations  de  la  piété  qu'ils  professaient  eux-mêmes.  Ils  donnèrent  au 
petit  enfant,  avec  la  grâce  du  baptême,  le  nom  admiré  dans  toute  l'Eu- 
rope du  glorieux  thaumaturge  des  Gaules. 

Martin  fit  prévoir  dès  son  enfance  l'avenir  auquel  Dieu  l'appellerait.  La 
douceur  de  son  caractère,  son  application  aux  études,  la  ferveur  religieuse 
qui  paraissait  dans  toute  sa  conduite  étaient  déjà  ou  une  grâce  de  sa  voca- 
tion, ou  autant  de  causes  qui  devaient  la  lui  mériter.  Il  s'appliquait  surtout 
à  l'intelligence  des  saintes  Ecritures;  il  y  trouvait  le  germe  des  fructueuses 
prédications  que  sa  parole  abondante  allait  bientôt  lui  faciliter  :  de  sorte 
que  ses  progrès  rapides  et  l'innocence  aimable  de  ses  premières  années  le 
mirent  au  premier  rang  parmi  les  jeunes  enfants  de  son  âge;  et  à  mesure 
qu'il  avançait  dans  la  vie,  on  se  plaisait  à  l'écouter,  à  observer  comme  il 
se  fortifiait  dans  la  pratique  des  vertus,  soumettant  ses  passions  naissantes 
aux  règles  austères  de  l'esprit,  et  commençant  à  pratiquer  pour  lui-même 
ce  que  tant  d'autres  devraient  bientôt  à  ses  éloquentes  exhortations. 

De  telles  dispositions  dans  lesquelles  il  grandit  inclinaient  vers  le  saint 
jeune  homme  le  cœur  de  Dieu  qui  l'attirait  au  service  des  autels.  Il  ne  tarda 
pas  à  s'y  donner,  autant  docile  à  cet  attrait  mystérieux  qu'aux  lumières 
de  la  grâce  qui  dirigeaient  toute  sa  conduite  extérieure.  Cette  régularité 
en  fit  le  modèle  des  jeunes  gens,  et  ne  se  démentit  pas  jusqu'à  l'âge  où  la 
sainteté  des  mœurs,  garantie  dès  l'enfance  par  la  religion,  devient  pour  le 
reste  de  la  vie  un  gage  assuré  du  calme  heureux  que  ne  troublent  jamais  les 
mauvaises  passions.  Martin  vécut  ainsi  en  présence  de  Dieu,  dans  les  fonc- 
tions inférieures  qui  préparent  aux  ordres  sacrés. 

Saint  Félix,  son  évoque,  après  l'avoir  ordonné  diacre,  ne  craignit  pas  de 
lui  confier  une  importante  part  de  son  administration.  L'éloquence  natu- 
relle que  Dieu  avait  départie  à  notre  jeune  clerc,  secondée  par  des  études 


532  24  OCTOBRE. 

sérieuses  et  assidues,  n'avait  pas  peu  contribué  à  lui  valoir  ces  honneurs. 
Elle  devait  lui  acquérir  aussi  des  mérites  plus  solides  pour  la  conquête  des 
âmes.  On  le  chargea  de  la  prédication,  et  nous  avons  lieu  de  croire  que  ses 
premiers  essais  le  portèrent  vers  l'archipel  formé  par  cette  foule  de  petites 
îles  qui  alors  servaient  de  refuge  à  des  pirates  saxons,  restés  sur  ces  théâtres 
de  leurs  déprédations  maritimes  après  l'expulsion  que  les  Francs  avaient 
faite  de  leurs  pères,  et  qui  y  continuaient  d'autant  mieux  leur  vie  sauvage 
que  personne  n'osait  plus  les  y  poursuivre.  Malgré  ces  mœurs  redoutables, 
malgré  la  présence  de  deux  ermites  qui  servaient  Dieu  dans  ces  rochers 
déserts,  et  dont  ces  hordes  n'eussent  guère  écouté  les  enseignements, 
celles-ci  n'étaient  point  hostiles  au  christianisme,  et  les  succès  que  Martin 
y  eut  tout  d'abord  persuadèrent  qu'on  pouvait  attendre  de  lui  des  fruits 
de  conversion  en  faveur  même  des  infidèles. 

Des  peuples  à  demi  sauvages  vivaient  aux  confins  occidentaux  de  la 
Bretagne,  et  occupaient  entre  la  Loire  et  l'Océan  les  premières  marches  du 
Poitou.  Au  nombre  des  villes  qui  s'y  étaient  formées,  une  surtout,  adonnée 
tout  entière  aux  superstitions  païennes,  était  par  cela  même  un  théâtre  de 
désordres  trop  autorisés  par  les  exemples  fabuleux  de  Jupiter,  pourvu  de 
la  première  place  au  milieu  de  ces  dieux  prétendus,  qui,  sous  différents 
noms,  patronnaient  toutes  les  brutalités  et  toutes  les  infamies.  Cette  ville 
était  Herbauge  (Herbadilla,  Herbadiculum,  Herbadiliacum,  Herbadilicum) , 
élevée  à  la  pointe  méridionale  du  lac  actuel  de  Grandlieu,  et  dont  l'impor- 
tance avait  fait  donner  son  nom  au  territoire  qui  l'entourait.  Soit  donc  que 
saint  Félix  fondât  pour  cette  conversion  des  espérances  sur  le  zèle  et  le 
talent  de  Martin,  soit  que  celui-ci  ait  conçu  de  lui-même  le  désir  d'entrer 
dans  cette  moisson  dont  la  semence  avait  déjà  si  mal  réussi,  d'un  commun 
accord  ces  deux  âmes  s'entendirent,  et  l'entreprise  fut  résolue  :  le  prédi- 
cateur dut  marcher  à  la  conquête  de  ces  pauvres  païens. 

Le  saint  prédicateur,  à  la  parole  du  maître,  reçut  sa  bénédiction,  et  se 
jeta  dans  la  voie  indiquée.  Mais  il  n'y  fut  pas  plus  heureux  que  ses  prédé- 
cesseurs, et  ne  trouva  que  des  esprits  rebelles  et  des  âmes  endurcies.  C'est 
que  malheureusement  le  cœur  humain,  à  quelque  époque  du  monde  qu'on 
l'examine,  apparaît  toujours  aussi  emporté  vers  les  mauvaises  passions  dont 
la  chute  originelle  est  le  principe.  Une  fois  dans  le  vice,  il  s'en  fait  un 
obstacle  trop  souvent  infranchissable  aux  vérités  de  la  religion  qui  les  con- 
damne; ou  bien,  s'il  est  plongé  dans  l'impiété,  endormi  dans  l'indifférence, 
aveuglé  par  les  sophismes  de  la  philosophie  incrédule,  la  vertu  lui  devient 
impossible,  et  il  trouve  dans  son  incrédulité  un  prétexte  à  tous  les  débor- 
dements. Telle  était  la  déplorable  population  que  Martin  abordait.  Dès 
qu'il  apparut,  on  se  montra  tellement  hostile  envers  lui  qu'il  ne  put  trou- 
ver d'hospitalité  que  chez  de  pauvres  gens,  homme  et  femme  n'ayant  qu'un 
fils  nommé  Pierre,  et  qui  consentirent  à  l'abriter  sous  le  toit  de  leur  indi- 
gence. De  cette  triste  demeure  il  sortit  bientôt  pour  tenter  des  prédications 
qui  d'abord,  comme  toujours,  devinrent  un  objet  de  curiosité,  mais  ne  tar- 
dèrent pas  à  exciter  des  sentiments  agressifs.  Le  Saint,  en  présence  de  ces 
statues  des  faux  dieux  qui  ornaient  les  temples  ou  les  places  publiques, 
reprochait  à  ses  auditeurs  cette  barbare  stupidité  qui  faisait  rendre  à  ces 
images  insensibles  le  culte  dû  seulement  au  Dieu  qui  les  avait  créés  et 
rachetés.  Il  opposait  à  cette  Diane,  dont  les  turpitudes  étaient  si  connues, 
la  chasteté  de  l'auguste  Mère  de  Jésus- Christ;  à  ce  Mercure  qui  favorisait 
les  voleurs,  la  sainte  pauvreté  du  Dieu  fait  homme;  et  ainsi,  condamnant 
leur  aveuglement  volontaire,  il  s'efforçait  d'éveiller  en  eux  le  sentiment  de 


SAINT  MARTTN  DE  NANTES,  ABBÉ  DE  VERT0U.  583 

leur  propre  dignité  méconnue,  et  l'estime  des  sacrés  mystères  de  la  foi 
chrétienne.  Mais  les  conséquences  de  ces  grands  principes  n'allaient  pas  à 
un  auditoire  si  rabaissé,  et  les  sarcasmes  d'abord,  puis  bientôt  les  invec- 
tives, et  enfin  les  violences,  apprirent  au  digne  pasteur  à  quelles  brebis  il 
avait  affaire.  Cette  opposition  se  changea  bientôt  en  une  haine  furieuse,  qui 
alla  jusqu'à  refuser  toute  communication  avec  lui  et  à  le  forcer  de  s'éloi- 
gner de  la  ville. 

Le  Saint  ne  savait  que  gémir  dans  son  cœur  de  cette  opposition  mons- 
trueuse. 11  ne  s'en  consola  un  instant  que  pour  terminer  par  une  tentative 
nouvelle  une  mission  que  tant  de  résistances  rendaient  inutile  à  cette  infor- 
tunée population.  A  défaut  de  ces  grands  orgueilleux,  de  ces  commerçants 
grossiers  et  de  cette  populace  insolente  qui  n'avaient  que  des  injures  pour 
sa  charité,  il  s'adressa  à  des  âmes  qu'il  avait  pu  étudier  de  plus  près,  et 
dont  la  simplicité  dévouée  l'avait  recueilli  et  assisté.  C'étaient  ses  hôtes 
que  Dieu,  les  prévenant  de  sa  grâce,  avait  disposés  aux  vérités  du  salut,  en 
même  temps  qu'il  ouvrait  leur  âme  à  une  compassion  fraternelle  que  l'hu- 
manité toute  seule  n'aurait  pas  su  inspirer  à  des  païens.  Romain,  sa  femme 
et  son  fils,  reçurent  de  leurs  entretiens  avec  le  pieux  archidiacre  la  lumière 
du  christianisme,  les  notions  de  l'adorable  Trinité,  la  promesse  d'une  vie 
à  venir,  et  acceptèrent  enfin  le  baptême  qu'il  leur  offrit  et  dont  ils  com- 
prirent l'heureuse  nécessité.  C'eût  été  là  un  germe  fécond  pour  la  cité 
rebelle  à  la  voix  de  Dieu,  si  la  persistance  du  Saint,  qui  ne  pouvait  se  déci- 
der à  la  quitter,  eût  pu  être  appréciée  et  comprise.  Mais  plus  il  y  prolon- 
geait son  séjour,  plus  il  trouvait  contre  la  loi  évangélique  de  mépris  et  de 
contradictions.  En  face  de  ce  cours  d'iniquités  que  rien  ne  comprimait, 
et  des  vexations  journalières  dont  on  payait  son  zèle,  il  vit  bien  qu'il  n'y 
avait  pas  plus  à  espérer  de  ces  âmes  perdues  qu'autrefois  de  Sodome,  dont 
les  infâmes  perversités  les  déshonoraient...  Il  tomba  dans  un  profond  cha- 
grin, son  cœur  se  sentit  accablé,  et,  à  regret,  mais  forcé  par  l'inutilité  de 
ses  soins,  il  songea  à  fuir  ce  rivage  indigne  des  miséricordes  divines.  Tant 
d'autres  âmes  l'appelaient  ailleurs  où  il  ne  manquerait  pas  d'en  trouver  de 
plus  dociles;  qu'il  prit  cette  détermination  comme  une  inspiration  de  Dieu 
et  de  sa  conscience.  Le  divin  Maître  n'avait-il  pas  dit  :  «  Quand  vous  serez 
persécutés  dans  une  ville,  passez  dans  une  autre  ?  ■  C'était  donc  là  qu'il 
fallait  a  secouer  la  poussière  de  ses  souliers  ».  Mais  les  Saints  ont  des  pres- 
sentiments qui  les  avertissent  d'en  haut,  et,  soit  que  Dieu  envoyât  à  son 
apôtre  méconnu  une  inspiration  soudaine,  soit  que  par  un  miracle  plus 
rare,  mais  qu'il  tient  souvent  à  la  disposition  de  ses  serviteurs,  il  lui  eût 
fait  entendre  une  voix  extérieure  et  sensible  qui  l'avertissait  de  fuir  un  péril 
imminent,  Martin,  prévenant  ses  hôtes  de  ce  danger,  les  détermina  à  le 
suivre,  et  quitta  à  la  hâte  un  lieu  marqué  du  sceau  de  la  réprobation  éter- 
nelle.     # 

La  ville  d'Herbauge,  si  florissante,  si  fîère  de  ses  richesses,  si  attachée  à 
ses  idoles,  si  tenace  à  faire  entre  elle  et  les  chrétiens  du  dehors  une  espèce 
de  cordon  sanitaire  qui  la  préservât  de  leurs  exemples  et  de  l'invasion  de 
la  doctrine  évangélique,  disparut,  engloutie  sous  les  eaux  de  son  lac,  sans 
laisser  nulle  trace  de  son  existence>  et  perdant  jusqu'à  son  nom,  que  nul 
géographe  n'a  conservé,  qu'aucune  carte  ne  désigne  plus,  tout  en  laissant 
autour  de  ses  ruines  introuvables  un  pays  entier  qui  le  porte  encore  et  qui 
témoigne  de  la  terrible  vérité.  Ainsi  le  châtiment  s'accomplit,  la  justice 
suprême  frappa  le  crime,  et  une  fois  de  plus  une  grande  leçon  fut  donnée 
à  la  race  des  cyniques  et  des  persécuteurs.  Le  Saint  ne  put  refuser  ses 


584  24  OCTOBRE. 

larmes  à  ce  sort  funeste  et  trop  mérité  :  c'est  le  sentiment  qui  domine  dans 
les  justes,  de  plaindre  et  de  regretter  les  méchants  emportés  dans  ces  dé- 
nouements funestes  que  la  main  de  Dieu  leur  ménage  tôt  ou  tard.  Notre 
pieux  diacre  trouva  denc  dans  son  cœur  un  deuil  proportionné  à  cette 
perte  immense,  et,  sans  doute  pour  chercher  à  la  compenser  par  des 
triomphes  plus  assurés  sur  le  monde  des  âmes,  il  résolut  de  s'adonnera 
une  vie  de  missionnaire. 

Après  avoir  été  revêtu  du  caractère  sacerdotal,  Martin  s'éloigna  de  cette 
Bretagne  où  ses  premiers  travaux  avaient  été  mêlés  de  consolations  et 
d'amertumes,  vers  l'an  554.  Il  commença  son  nouvel  apostolat  par  la  Neus- 
trie,  toute  limitrophe  du  pays  qu'il  abandonnait,  à  laquelle  la  race  nor- 
mande ne  vint  donner  son  nom  que  trois  siècles  après,  et  dont  les  vastes 
et  âpres  campagnes,  couvertes  encore  de  profondes  forêts,  dépourvues  des 
villes  opulentes  qui  s'y  fondèrent  plus  tard,  ne  nourrissait  guère  que  des 
populations  pauvres  et  ignorantes,  déjà  chrétiennes  en  grande  partie,  mais 
encore  mêlées  de  beaucoup  de  païens,  et  sur  lesquelles  pouvait  s'exercer 
avec  fruit  l'action  de  la  parole  divine.  De  là  il  passa  en  Italie,  poussant  son 
pèlerinage  jusqu'à  Rome,  où  il  vivifia  sa  foi  aux  tombeaux  de  nos  plus 
grands  Apôtres  ;  après  quoi  il  revient  en  Bretagne,  passe  en  Angleterre,  au 
retour  de  laquelle  il  s'arrête  en  Normandie,  et  enfin  revient  dans  sa  chère 
Bretagne,  où  de  nouveaux  labeurs  devaient  empreindre  si  profondes  les 
marques  de  sa  fervente  charité.  Selon  les  habitudes  de  ces  premiers  temps, 
il  prêchait  partout  et  toujours.  Après  ses  journées  ainsi  consacrées  au  salut 
des  âmes,  après  les  moissons  abondantes  que  ses  sueurs  rapportaient  aux 
greniers  de  Dieu,  le  soir  arrivait,  et,  sans  demander  l'hospitalité  à  d'autres 
qu'à  ce  Dieu  lui-même,  il  se  retirait  dans  quelque  grotte,  loin  du  bruit,  en 
présence  de  son  seul  Créateur  ;  il  s'y  livrait  à  la  prière  et  aux  œuvres  de 
pénitence,  aux  jeûnes  et  aux  veilles  studieuses,  et  après  un  court  repos  il 
reprenait  ses  entretiens  avec  un  nouvel  auditoire,  toujours  plus  nombreux 
et  plus  attentif. 

Il  visitait  les  monastères  déjà  élevés  dans  les  pays  qu'il  parcourait,  en 
observait  les  usages,  en  comparait  les  Règles  diverses,  en  étudiait  l'appli- 
cation, et  trouva  pour  lui-même  dans  ces  saintes  maisons  de  tels  entraîne- 
ments vers  la  vie  religieuse,  qu'il  ne  douta  point  qu'elle  ne  fût  ce  terme  où 
Dieu  l'avait  appelé  à  travers  ses  contradictions  et  ses  travaux.  Il  résolut 
donc  de  tendre  désormais  vers  ce  but.  Tout  riche  des  profits  spirituels  et 
de  la  sainte  expérience  acquis  dans  ces  courses  sanctifiées,  Martin  quitta 
l'Italie  et  revint  en  Bretagne,  vers  565,  résolu  d'y  pratiquer  la  vie  érémi- 
tique  et  d'y  chercher  sa  perfection  dans  l'imitation  des  fervents  modèles 
qu'il  avait  rencontrés  partout.  Un  attrait  mystérieux,  inspiré  par  une 
secrète  impulsion  de  la  Providence,  lui  fit  choisir  sans  doute  le  lieu  où  il 
devait  s'arrêter.  Non  loin  de  Nantes,  était  une  forêt  d'une  grande  étendue, 
fréquentée  autrefois  par  les  druides,  où  les  restes  du  culte  superstitieux 
des  Gaulois  se  perpétuaient  encore  dans  une  réunion  de  ces  pierres  mysté- 
rieuses nommées  par  les  archéologues  peulvens  ou  menhirs.  Cette  forêt, 
tirant  son  nom  de  cette  circonstance,  était  appelée  Du-Men,  de  deux  mots 
bretons  signifiant  pierres  noires.  Là  il  se  fit  une  cabane  de  branchages  et 
s'apprêta  à  y  braver  les  hivers.  Sa  vie  y  fut  toute  de  mortification  et  de 
pénitence.  Quelques  fruits  sauvages,  quelques  légumes  cultivés  de  ses 
propres  mains,  et,  quand  la  saison  se  refusait  à  ces  frugales  récoltes,  des 
racines  desséchées  dont  il  avait  fait  sa  provision,  furent  toute  la  nourriture 
qu'il  se  permit.  Une  seule  chose  lui  manqua  d'abord  :  un  ruisseau  limpide 


SAINT  MARTIN  DE  NANTES,   ABBÉ  DE  VERTOU.  583 

coulant  dans  sa  solitude.  On  dit  que  Dieu  l'exauça,  en  faisant  naître  sous 
ses  pas  une  source  qui,  fournissant  au  besoin  de  sa  soif,  remplaça  pour  lui 
les  vins  exquis  auxquels  il  avait  renoncé. 

Telle  fut  la  vie  que  mena  dans  ce  désert  notre  saint  anachorète  pendant 
un  espace  de  dix  années.  Elle  y  fut  secondée,  au  reste,  par  des  faveurs  du 
ciel  qui  ne  s'accordent  qu'aux  âmes  ainsi  détachées  d'elles-mêmes.  C'est 
dans  de  si  hautes  vertus  que  l'homme  s'élève  aux  facultés  d'une  continuelle 
et  fervente  contemplation  ;  c'est  par  elles  qu'il  arrive  à  un  plus  complet 
détachement  des  choses  créées,  et  aux  miséricordieuses  révélations  qui 
éclairent  sa  route  dans  les  progrès  de  la  vie  intérieure,  ou  vers  les  voies 
inattendues  qu'il  plaît  à  Dieu  de  lui  ouvrir.  Martin  devint  un  nouvel  exemple 
de  cette  vérité,  et,  quand  le  Seigneur  le  vit  assez  préparé  par  ces  vertus 
cachées,  il  le  disposa  à  une  mission  qui,  en  le  ramenant  à  sa  vie  active, 
devait  en  même  temps  le  rendre  plus  utile  à  une  nombreuse  famille  d'élus, 
et  prouver  que  les  malheurs  qu'il  avait  déplorés  à  Herbauge  ne  devaient 
pas  tant  lui  être  attribués  qu'à  la  méchanceté  et  à  l'ingratitude  de  ses 
habitants. 

Une  nuit  donc,  après  avoir  passé  dans  la  méditation  les  longues  heures 
qu'il  y  consacrait  toujours,  il  fut  averti  pendant  son  sommeil  qu'il  devait 
retourner  parmi  les  hommes  ;  qu'un  grand  nombre  y  avait  besoin  de  cet 
esprit  de  pénitence  dont  il  pourrait  désormais  leur  donner  de  plus  parfaits 
exemples  ;  qu'il  y  convertirait  beaucoup  de  pécheurs  éclairés  par  ses  ins- 
tructions, et  qu'à  leurs  scandales  succéderait,  par  son  dévouement  à  cette 
grande  œuvre,  une  vie  d'édification  et  de  paix.  «  Les  Saints»,  dit  saint 
Ambroise,  «  n'hésitent  pas  à  la  voix  de  Dieu  ;  ils  ne  disputent  pas  avec  la 
grâce  du  Saint-Esprit  ».  Le  nôtre,  qui  goûtait  de  si  profondes  douceurs 
dans  cette  existence  favorisée  de  Dieu,  ne  balança  point  à  tout  quitter  pour 
celui  dont  il  croyait  entendre  un  avertissement,  et  abandonna  sans  plus 
tarder  la  pieuse  retraite  et  sa  douce  tranquillité.  Il  se  dirigea  donc,  eu 
quittant  Du-Men,  vers  un  lieu  encore  isolé,  dont  le  nom  primitif  Vertaw  ', 
traduit  par  Vertawum  en  latin,  et  qu'on  francisa  plus  tard  en  Vertou,  était 
une  expression  bretonne  qui  indiquait  sa  position  sur  le  cours  d'une 
rivière  ;  en  effet,  la  Sèvre  y  coulait  sous  de  profonds  ombrages  et  dans  une 
solitude  plus  tranquille  encore.  Ce  n'était  d'ailleurs  qu'une  portion  de  la 
même  forêt  de  Du-Men,  mais  plus  rapprochée  de  Nantes,  cette  ville  se 
trouvant  au-delà  de  la  Loire,  à  deux  fieues  au  nord-ouest. 

La  présence  du  nouvel  ermite  fut  bientôt  l'objet  de  l'attention  publi- 
que. On  s'entretint  d'abord  de  sa  sainte  vie  et  du  fruit  qu'il  faisait  par  ses 
prédications,  puis  quelques  visiteurs  arrivèrent  jusqu'à  sa  cellule,  où  ils  le 
trouvaient  toujours  occupé  à  la  prière  ou  au  travail  des  mains,  comme  les 
Pacôme,  les  Paul  et  les  Hiiarion  l'avaient  pratiqué  dans  la  Thébaïde.  Cet 
amour  de  l'isolement  et  son  esprit  de  silence,  qu'il  ne  rompait  que  pour 
parler  de  Dieu,  le  firent  appeler  Martin  le  seulf  ou  le  solitaire,  nom  sous 
lequel  on  le  connut  désormais  dans  la  contrée.  A  quelque  heure  qu'on 
l'abordât,  l'aménité  de  son  accueil,  la  douceur  de  ses  conversations  toutes 
imprégnées  des  parfums  du  ciel,  la  sérénité  de  sa  vie  pourtant  si  austère 
en  elle-même,  parlèrent,  aux  cœurs  bien  plus  profondément  encore  que 
ses  exhortations  :  et  bientôt  la  foule  s'augmenta  de  ceux  qui  voulaient 
l'entendre  et  se  recommander  à  ses  prières.  Ainsi  se  répandit  dans  la  con- 
trée la  bonne  odeur  de  sa  sainteté  avec  l'admiration  de  sa  doctrine  et  de 

1.  Veb  ou  Bis,  ea  breton,  ruisseau,  rivière,  et  Taw,  paix,  silence. 


586  24  OCTOBRE. 

ses  exemples.  Mais,  à  la  suite  de  ces  salutaires  impressions,  l'esprit  de  Dieu 
ménage  toujours  de  merveilleux  effets  de  sa  grâce.  De  ceux  qu'avait  attirés 
vers  Martin  ou  une  respectueuse  curiosité  ou  une  admiration  religieuse, 
beaucoup  sollicitèrent  ses  conseils  et  s'attachèrent  à  sa  direction.  Notre 
solitaire  reconnut  à  ces  signes  un  acheminement  à  l'exécution  des  pro- 
messes divines  :  aussi  se  garda-t-il  bien  de  se  refuser  à  ce  pieux  empresse- 
ment. Sans  autre  asile  que  son  étroite  cabane,  il  ne  put  offrir  d'autres  abris 
à  tant  de  disciples  que  ceux  qu'il  leur  était  possible  de  se  construire  par 
les  mêmes  moyens.  Chacun  se  mit  donc  à  l'œuvre  avec  ardeur,  et  acheva 
d'autant  plus  tôt  son  édifice  que  la  nature  en  faisait  tous  les  frais  et  que  le 
luxe  s'v  renfermait  strictement  dans  ces  règles  de  l'art  sufiisantes  à  garan- 
tir des  importunités  de  la  pluie  et  du  soleil.  De  la  sorte,  ce  désert  se  peu- 
pla, et  ces  premiers  habitants  y  furent  autant  de  fleurs  épanouies  dans  ce 
nouveau  jardin  de  l'Eglise,  qui  étendait  ainsi  son  domaine,  prenant  posses- 
sion des  âmes,  les  purifiant  de  leur  passé  et  leur  donnant  par  avance,  dans 
une  paix  qu'elles  n'avaient  jamais  goûtée,  une  participation  anticipée  aux 
fruits  éternels  de  leurs  travaux  et  de  leurs  vertus. 

Le  groupe  de  fidèles  formé  autour  de  sa  cellule  tarda  peu  à  se  persua- 
der, comme  lui-même,  que  cette  position  peu  commode  à  une  communauté 
devait  se  constituer  en  un  établissement  où  la  régularité  des  habitudes 
devînt  plus  possible  à  chacun.  De  là  l'idée  d'un  couvent  véritable,  comme 
la  Bretagne  et  le  Poitou  en  avaient  déjà  de  si  florissants.  Cette  pensée  était 
celle  de  tous  les  nouveaux  frères,  empressés  de  ne  faire  plus  désormais 
qu'une  seule  famille.  Tous  se  mirent  avec  ardeur  à  construire  un  vaste 
monastère  qui  pût  pourvoir  aux  besoins  des  pauvres  comme  à  ceux  d'une 
nombreuse  communauté.  La  forêt,  dégagée  de  ses  grands  chênes,  laissa 
lientôt  voir  un  large  espace,  où  un  air  vif  et  sain  circulait  librement  ;  le 
ciel  s'y  montra  à  découvert  comme  le  rendez-vous  final  vers  lequel  chaque 
jour  avançait  la  course  du  solitaire.  Elevé  au  point  culminant  de  la  colline, 
le  monastère  semblait  planer  au-dessus  des  agitations  du  monde  ;  l'église 
principale,  dominant  tout  le  reste  du  vaste  édifice,  et  surmontée  d'une 
tour  où  déjà  s'ébranlait  la  cloche  des  offices  liturgiques,  était  dédiée  à 
saint  Jean-Baptiste,  le  premier  des  solitaires  et  le  plus  parfait  des  enfants 
des  hommes. 

Après  l'achèvement  du  monastère,  l'édification  qu'on  était  sûr  d'y 
trouver  attira  vers  cette  sainte  demeure  un  concours  toujours  plus  actif 
d'étrangers.  Les  uns  voulaient  s'engager  eux-mêmes  et  fuir  le  monde,  dont 
ils  sentaient  mieux  les  dangers  en  face  de  si  grandes  abnégations  ;  d'autres 
y  venaient  offrir  leurs  enfants  pour  le  service  de  Dieu,  ou  pour  tirer  au 
moins  des  saints  exemples  de  tant  de  vaillants  athlètes  l'habitude  du  bien 
et  la  force  contre  les  passions  à  venir.  En  sorte  que  bientôt  saint  Martin  se 
vit  à  la  tête  de  trois  cents  religieux  ;  il  était  l'âme  et  le  mobile  de  toutes 
les  bonnes  œuvres  qui  se  multipliaient  chaque  jour  :  c'étaient  les  retours 
fréquents  de  la  psalmodie,  que  la  nuit  n'interrompait  même  pas;  les  jeûnes 
réitérés  ;  les  pratiques  austères  d'une  pénitence  corporelle  jointes  à  l'esprit 
d'humilité  ;  un  continuel  silence,  qui  ne  cessait  que  pour  les  conférences 
spirituelles  ;  et,  en  dehors  de  tant  d'exercices  déjà  si  rudes  pour  le  corps, 
le  travail  des  mains  varié  selon  les  aptitudes  de  chacun. 

Entièrement  adonné  au  développement  de  sa  communauté,  Martin 
devait  aussi  multiplier  de  plus  en  plus  ses  fatigues  et  ses  soucis.  Ces  préoc- 
cupations journalières  étaient  loin  d'entraver  ses  propres  efforts  et  d'empê- 
cher les  progrès  de  sa  perfection  personnelle.  Modèle  de  renoncement, 


SAINT  MARTIN  DE  NANTES,   ABBÉ  DE  VERTOU.  587 

d'assiduité  aux  exercices  communs,  on  le  voyait  partout  où  il  fallait  se 
dépenser,  donnant  l'exemple  des  saintes  veilles,  d'une  abstinence  plus 
rigoureuse,  d'une  piété  toujours  soutenue  ;  et  ceux  qui  en  devenaient 
témoins  se  demandaient  comment  ce  pauvre  corps  exténué  par  la  péni- 
tence pouvait  encore  suffire  à  tant  de  soins  et  de  travaux.  Heureusement 
qu'en  retour  de  cette  générosité  qui  déconcertait  en  lui  les  exigences  de  la 
nature,  Dieu  le  favorisait  de  grâces  extraordinaires.  Il  goûtait  dans  l'oraison 
de  pures  et  incomparables  délices,  et  le  Maître  qu'il  servait  si  fidèlement 
lui  prodiguait  sans  interruption  les  joies  de  sa  sainte  présence,  que  le  pieux 
solitaire  ne  perdait  jamais. 

Bientôt,  cependant,  le  monastère  devint  trop  petit  pour  tant  de  disci- 
ples. Il  fallut  les  disséminer,  et  plusieurs  autres  monastères,  qui  furent  des 
dépendances  et  comme  des  prieurés  de  Vertou,  s'établirent  dans  la  Bre- 
tagne par  les  soins  de  Martin.  Ce  n'était  pas  là  un  travail  de  mince  impor- 
tance, ni  qui  pût  s'accomplir  sans  peine  ni  difficultés.  Il  fallait  au  supérieur 
de  Vertou  redoubler  d'activité  et  de  zèle,  de  surveillance  et  de  conseils.  De 
fréquentes  courses,  môme  des  voyages  lointains,  devenaient  nécessaires 
pour  ces  entreprises,  car  elles  créaient  au  père  commun  de  nombreux 
rapports  avec  ces  âmes  si  diverses,  dont  le  plus  grand  nombre  peut-être, 
loutes  pressées  qu'elles  eussent  été  par  la  grâce  de  leur  vocation,  n'avaient 
cependant  pas  abdiqué  tout  d'un  coup  leurs  anciens  penchants,  plus  ou 
moins  barbares,  ni  dépouillé  ce  vieil  homme  qui  fait  si  souvent  le  mal  qu'il 
ne  voudrait  pas,  sans  faire  encore  le  bien  qu'il  voudrait.  Il  fallait  ne  man- 
quer ni  de  force  ni  de  courage  pour  maintenir  dans  une  exacte  discipline 
un  troupeau  dont  les  brebis  se  multiplièrent  jusqu'à  trois  cents  dans  ces 
différentes  maisons,  où  la  charité  du  pasteur  veillait  sur  chacune  d'elles. 
Cet  homme,  devenu  par  les  dispositions  de  la  Providence  le  mobile  d'une 
si  grande  œuvre,  devait  être  doué  par  elle  d'autant  de  fermeté  que  de  mo- 
dération. Cette  double  qualité  ne  manqua  pas  à  Martin.  Mais  cette  influence 
de  tous  les  instants  et  cette  surveillance  pratique  si  continue  devaient  finir 
par  rendre  la  tâche  impossible  à  un  seul  homme,  et  le  sage  fondateur  dut 
se  faire  des  côadjuteurs  dont  l'expérience  et  l'esprit  apostolique  pussent 
suppléer  à  ses  impuissances.  Il  choisit  donc  parmi  ses  religieux  des  délé- 
gués qu'il  préposa  à  la  conduite  de  ces  différentes  maisons,  et  se  réserva  le 
gouvernement  de  Vertou,  non  toutefois  sans  garder  en  principe  celui  de 
ces  succursales,  sur  lesquelles  il  fallait  toujours  agir,  pour  le  maintien  de 
Tunité,  par  un  même  régime.  Il  visitait  donc  chacune  d'elles  de  temps  à 
autre,  leur  portant  la  parole  de  Dieu,  s'occupant  du  maintien  de  la  Règle, 
prévenant  les  abus,  regardant  aux  relations  avec  le  monde,  qu'il  voulait 
des  plus  rares  ;  soutenant  les  faibles  par  ses  encouragements,  formant  à 
l'humilité,  donnant  à  tout,  en  un  mot,  l'impulsion  bienheureuse  de  ses 
propres  dispositions,  et  s'efforçant  de  former  d'après  son  cœur  ceux  dont 
il  sentait  qu'il  devrait  répondre  devant  Dieu.  Quand  les  supérieurs  com- 
prennent ainsi  leur  tâche,  quand  ils  songent  à  la  remplir  comme  des  éco- 
nomes fidèles  à  qui  le  Maître  demandera  compte  un  jour  de  leur  adminis- 
tration, les  âmes  fleurissent  sous  leur  conduite,  la  paix  de  Dieu  les  console 
jusque  dans  leurs  combats,  et  la  charité  du  Maître,  passant  dans  les  disci- 
ples, répand  autour  d'eux  et  dans  tous  les  détails  de  la  vie  monastique  la 
douce  sérénité  qui  édifie  le  monde. 

La  réputation  de  notre  Saint  et  celle  de  la  fervente  régularité  de  ses 
fondations  n'eurent  pas  de  peine  à  pénétrer  dans  les  provinces  voisines.  Le 
Maine  et  la  Neustrie  en  retentissaient  surtout,  et  les  saintes  demeures  qui 


588  24  OCTOBRE. 

déjà  y  florissaient  à  cette  époque  appelaient  de  temps  en  temps  l'illustre 
serviteur  de  Dieu  pour  entendre  sa  parole  et  s'édifier  de  sa  sainteté.  C'était 
d'ailleurs  une  pieuse  consolation  pour  lui-même  de  se  retrouver  ainsi 
presque  partout  au  milieu  d'âmes  d'élite  dont  sa  doctrine  et  ses  exemples 
avaient  pu  déterminer  la  vocation.  De  là,  sans  doute,  et  pendant  une  de 
ces  visites  toujours  animées  de  l'Esprit  de  Dieu,  le  bruit  de  ses  miracles, 
ayant  passé  jusqu'en  Angleterre,  devint  l'occasion  d'une  grande  récompense 
d'en  haut  sur  la  foi  d'un  de  ses  fidèlesenfants. 

Il  y  avait  en  ce  pays  un  prince  dont  l'histoire  n'a  pas  conservé  le  nom, 
et  qui,  dans  cette  île  des  Saints,  convertie  quelques  années  après  par  l'apos- 
tolat de  saint  Augustin,  mais  encore  presque  entièrement  idolâtre,  peut 
être  considéré  comme  une  des  plus  mémorables  prémices  du  christia- 
nisme. Ce  prince  avait  une  jeune  fille  chrétienne  comme  lui,  et  dont  les 
vertus  importunes  excitèrent  la  rage  de  l'ennemi  du  salut.  Une  légion  de 
démons  lui  imposait  chaque  jour,  depuis  son  enfance,  d'atroces  tourments^ 
d'horribles  convulsions  manifestaient  leur  présence  ;  quand  ils  l'abandon* 
naient,  ce  n'était  que  pour  redoubler  bientôt  leurs  infatigables  vexations, 
et  plus  le  prince  cherchait  à  soulager  sa  fille,  plus  se  multipliaient  les 
résistances  de  ses  ennemis.  Un  jour  qu'ils  l'obsédaient,  l'un  d'eux  fit  enten- 
dre, par  la  bouche  de  la  pauvre  patiente,  ces  paroles  qui  devaient  mettre 
fin  à  ses  tourments  :  «  Bientôt  nous  serons  chassés  d'ici  par  les  prières  de 
Martin.  Redoublons  de  force  contre  elle,  et  vengeons  d'avance  notre  dé- 
faite ».  A  ces  mots,  la  jeune  fille  fut  agitée  d'autant  de  nouvelles  convul- 
sions qu'elle  avait  d'acharnés  persécuteurs.  De  son  côté,  le  malheureux 
père,  profondément  affecté,  ne  savait  que  faire.  Ce  Martin  lui  était  inconnu, 
il  ne  savait  comment  le  découvrir.  Dans  son  anxiété,  il  dépêcha  de  tous 
côtés  des  émissaires  qui,  l'ayant  longtemps  cherché  sans  succès  en  Angle- 
terre, se  décident  enfin  à  traverser  la  mer,  débarquent  sur  les  côtes  de 
France,  sont  renseignés  alors  avec  plus  de  succès  sur  le  saint  homme  que 
tous  y  honoraient,  et,  parvenus  jusqu'à  l'abbaye  de  Vertou,  ils  lui  exposent, 
avec  de  grandes  marques  de  respect  et  de  vives  instances,  le  sujet  de  leur 
voyage  et  les  désirs  de  leur  maître. 

L'homme  de  Dieu,  les  accueillant  avec  sa  douceur  habituelle,  les  con- 
sola beaucoup  en  leur  disant  que  le  Seigneur  était  tout-puissant  et  qu'on 
pouvait  espérer  de  sa  bonté  la  délivrance  de  leur  jeune  princesse  ;  puis, 
accédant  à  leur  demande,  il  prit  avec  lui  un  de  ses  frères  et  se  mit  en 
devoir  de  les  suivre.  Une  heureuse  navigation  le  fit  bientôt  aborder  dans 
les  Etats  du  prince,  qui,  prévenu  de  son  arrivée,  se  porta  au-devant  de  lui 
en  témoignant  par  sa  joie  ce  qu'il  en  espérait,  et,  se  jetant  aux  pieds  du 
Saint,  il  lui  rendit  grâce  de  ce  qu'il  avait  bien  voulu  consentir  à  ce  pénible 
voyage.  Celui-ci  avait  hâte  cependant  de  faire  son  œuvre,  et,  pendant  qu'il 
se  dirigeait  vers  le  palais,  guidé  par  son  hôte,  tout  à  coup  on  entendit  une 
foule  de  voix  qui  annonçaient  la  présence  de  Martin.  C'était  la  légion  impie 
de  l'enfer  qui,  ne  pouvant  soutenir  d'entrer  en  lutte  avec  lui,  après  avoir 
exercé  une  dernière  fois  ses  affreuses  contorsions  sur  sa  victime,  s'échap- 
pait dans  les  airs,  toujours  invisible,  mais  aussi  turbulente  que  confuse.  A 
peine  introduit  dans  la  demeure  du  prince,  le  saint  homme  trouva  la 
pauvre  enfant  encore  renversée  et  à  peine  revenue  de  sa  terrible  agitation. 
Il  la  releva,  et,  après  lui  avoir  fait  un  signe  de  croix  sur  le  front,  il  la  pré- 
senta à  son  père  heureuse  et  entièrement  délivrée.  La  reconnaissance  de 
la  jeune  personne  se  manifesta  aussitôt  par  un  généreux  sacrifice  d'elle- 
même  au  Seigneur,  et,  sur  sa  demande,  son  auguste  libérateur  lui  donna 


SAINT  MARTIN  DE  NANTES,  ABBÉ  DE  VERTOU.  589 

le  voile  et  la  consacra  à  la  vie  des  vierges.  De  son  côté,  le  prince  ne  savait 
comment  reconnaître  de  si  grands  bienfaits.  Il  lui  fit  apporter  des  sommes 
considérables  d'or  et  d'argent,  qu'il  le  supplia  d'accepter.  Martin  ne  daigna 
pas  même  y  attacher  un  regard,  et  pria  qu'elles  fussent  distribuées  aux 
pauvres.  Il  ajouta  au  fruit  de  sa  mission  en  demeurant  quelques  jours  chez 
le  prince,  où  ses  instructions  affermirent  la  foi  de  ses  serviteurs,  en  y 
répandant  des  bénédictions  qui  furent  durables. 

En  revenant  d'outre- mer,  Martin  débarqua  sur  la  côte  de  Normandie 
qui  était  la  plus  rapprochée  de  l'Angleterre,  à  l'endroit  où  l'Océan  baigne 
le  diocèse  de  Bayeux.  Parmi  ceux  qu'il  aimait  dans  ce  pays,  se  trouvait  un 
seigneur  qu'éprouvait  à  l'instant  môme  un  cruel  malheur  de  famille.  Mar- 
tin, en  arrivant  chez  lui  pour  le  visiter,  trouva  sa  maison  en  deuil  :  tout 
le  monde  y  versait  des  larmes  sur  la  mort  de  deux  jeunes  frères  jumeaux 
qui  venaient  d'être  enlevés  à  leur  père  avant  d'avoir  reçu  le  bienfait  du 
baptême.  Touché  de  leur  malheur,  le  Saint  exhorta  le  père  et  ses  amis  à 
chercher  leur  consolation  dans  le  cœur  de  Dieu,  les  fit  prier  avec  lui,  et 
obtint  du  Seigneur  que  les  deux  frères  fussent  rendus  à  la  vie.  Après  les 
avoir  baptisés,  il  les  consacra  à  Dieu  sur  la  demande  de  leurs  parents,  et 
ce  fut  à  cette  occasion  qu'il  fonda  le  monastère  connu  depuis  ce  temps 
sous  le  nom  des  Deux-Jumeaux  *. 

Parmi  les  monastères  que  saint  Martin  jeta  autour  de  sa  principale 
fondation,  il  faut  surtout  remarquer  ceux  dont  les  souvenirs  resteront  atta- 
chés à  la  petite  ville  de  Saint-Georges  de  Montaigu,  en  Poitou  s,  et  à  une 
autre  localité  devenue  comme  elle  moins  importante  aujourd'hui,  mais 
dont  la  célébrité  fut  grande  autrefois  dans  le  diocèse  de  Bayeux.  Nous 
allons  raconter  ce  qui  regarde  chacun  d,'eux.  A  six  ou  huit  lieues  et  au 
sud-est  de  Vertou,  sur  le  sol  figuré  aujourd'hui  par  une  plaine  accidentée 
et  que  couvrent,  à  de  petites  distances,  quelques  villages  populeux,  de 
riants  bouquets  de  bois  séparent  ces  centres  d'action  humaine,  et  çà  et  là 
on  voit  les  hameaux  ou  les  solitudes  arrosés  par  des  cours  d'eau  qui  leur 
prodiguent  une  habituelle  fraîcheur.  Il  y  avait  eu  là  une  ville  jadis  floris- 
sante et  considérable,  mais  réduite,  au  temps  dont  nous  parlons,  à  une 
ombre  d'elle-même  par  les  malheurs  qu'elle  avait  subis.  C'était  Durinum, 
nom  latinisé  après  l'invasion  des  Romains  dans  le  pays,  mais  dont  l'origine, 
bien  antérieure  à  cette  catastrophe,  devait  remonter  à  quelque  appellation 
celtique.  Célèbre  parmi  les  stations  échelonnées  sur  les  voies  publiques,  de 
vastes  débris  de  son  ancienne  splendeur  jonchaient  le  sol  dans  un  assez 
large  périmètre.  Le  confluent  des  deux  Maines,  près  duquel  on  l'avait 
assise  3,  favorisait  son  commerce,  emportant  ses  barques  jusqu'à  la  Loire 
par  la  Sèvre-Nantaise,  où  se  jettent  d'abord  leurs  eaux  confondues.  Ce 

1.  L'abbaye  des  Deux-Jumeaux,  autour  de  laquelle  s'étaient  réunies  des  familles  qui  y  formèrent 
bientôt  un  ctmtre  assez  considérable,  était  florissante  au  ix«  siècle,  quand  les  Normands  la  détruisirent. 
On  s'y  occupait  surtout  de  la  transcription  des  livres.  Les  Deux-Jumeaux  ne  sont  plus  qu'un  hameau  de 
deux  à  trois  cents  habitants,  dans  le  canton  d'Isigny,  et  ne  possèdent  que  leur  église  du  xii»  siècle, 
encore  assez  bien  conservée,  quoique  ne  servant  plus  au  culte,  qui  se  fait  à  Longueville,  non  loin  de  la. 
Ce  n'était  plus,  en  1790,  qu'un  simple  prieuré-cure  dépendant  de  l'abbaye  de  Cérisy. 

2.  Saint-Georges  n'est  plus  aujourd'hui  qu'un  gros  bourg  de  2,500  Ames,  chef-lieu  d'une  de  ces  paroisses 
de  la  Vendée  presque  toutes  aussi  peuplées  que  beaucoup  de  lieux  qui,-  ailleurs,  portent  le  nom  de  villes, 
en  souvenir  de  leur  vieille  enceinte  de  murs  plus  ou  moins  complètement  disparus.  Placée  sur  la  route  137, 
entre  Saint-Fulgent  et  Montaigu,  elle  domine,  au  sud  et  au  nord,  d  s  vallons  que  la  grande  et  la  petite 
Maine  arrosent  de  leurs  eaux,  parfois  très- profondes.  Ses  jardins  s'épandent  à  mi-côte  jusqu'à  ces  deux 
rivières,  au-delà  desquelles  de  charmantes  prairies  s'ombragent  de  ces  plantations  agrestes  qui  indiquent 
dans  la  Vendée  cette  partie  du  pays  qu'on  appelle  le  Bocage. 

3.  Ces  deux  rivières  s'appelaient  alors  Meduanx.  Elles  prennent  leur  source  au  milieu  du  Bocage,  l'une 
aux  Herbiers,  l'autre  aux  Essarta. 


590  24  OCTOBRE. 

commerce  avait  de  la  célébrité  au  rve  siècle,  quand  Durinum  fut  renversé 
par  l'invasion  des  Armoricains.  Une  population,  qu'on  prétendait  avoir  été 
de  vingt  mille  âmes,  était  restée  peu  nombreuse  après  la  destruction  de  la 
cité,  et  il  n'y  avait  guère  plus  que  des  demeures  pauvres  et  disséminées. 
Ces  habitations  s'échelonnaient,  au  milieu  de  landes  et  de  terres  à  peine 
cultivées,  jusqu'à  une  colline  qui  devait  devenir  plus  tard  Mont- Aigu,  et 
sur  le  plateau  de  laquelle  on  ne  voyait  que  de  rares  cabanes  s'abriter  sous 
de  grands  bois  contre  le  souffle  du  septentrion.  Au  centre  du  village,  à  peu 
près  sur  l'emplacement  actuel  du  calvaire  qui  s'élève  au  pied  de  celle  des 
deux  collines  encore  habitées,  Martin  posa  ses  deux  monastères  de  vierges 
et  d'apôtres  :  le  premier,  sur  ce  même  emplacement  où  existe  encore  le 
Grand-Logis  ;  le  second,  au  lieu  même  occupé  par  l'école  actuelle  de  l'insti- 
tuteur, et  qui  porte  encore  le  nom  de  prieuré. 

A  l'aide  d'un  travail  aussi  actif  que  celui  des  moines,  l'œuvre  avança 
rapidement,  et  les  deux  familles  furent  bientôt  installées.  Ce  fut  de  Duri- 
num que  partirent,  dès  lors,  comme  d'un  centre  nouveau,  les  rayons  qui 
éclairèrent  la  contrée,  et  cette  partie  du  Poitou  dut  à  Martin  lui-même, 
et  aux  religieux  qui  le  secondèrent,  le  bonheur  de  se  relever  et  de  goûter 
une  prospérité  inattendue.  Pendant  que  ces  hommes  de  foi  et  de  labeur  se 
remettaient  à  l'œuvre  pour  cette  vigne  abandonnée,  les  femmes,  qui  n'é- 
taient pas  alors  soumises  à  une  stricte  clôture,  mais  non  moins  fidèles  à 
leur  sainte  mission,  visitaient  les  pauvres,  portaient  la  joie  et  l'esprit  de 
Dieu  au  foyer  de  chaque  famille  ;  et  d'une  terre  à  demi  barbare  on  vit  bien- 
tôt germer  les  fruits  excellents  dont  la  saveur  s'est  perpétuée  jusqu'à  nos 
jours  par  des  mœurs  plus  douces  et  une  plus  ferme  énergie  du  sentiment 
chrétien. 

Nos  deux  nouvelles  familles  monastiques  ayant  reçu  de  leur  bienheu- 
reux fondateur  la  même  règle  que  suivaient  ses  autres  maisons,  tout  de- 
vait encore  marcher  par  lui,  et  tout  devint  pour  lui  un  surcroît  de  vigi- 
lance et  de  fatigues.  Car,  après  avoir  procuré  à  chacune  de  ces  deux 
dépendances  des  supérieurs  dont  la  capacité  lui  était  connue,  et  qu'il  choi- 
sissait toujours  parmi  ceux  dont  l'âge,  l'intelligence  et  l'instruction  étaient 
autant  de  garanties  de  leur  expérience  et  de  leur  sagesse,  il  n'abandonnait 
pas  plus  là  qu'ailleurs  son  droit  et  son  devoir  de  les  visiter  de  temps  à  autre, 
et  d'y  apporter,  avec  ses  touchants  exemples  d'humilité  et  de  zèle,  ses  con- 
seils et  ses  encouragements.  Souvent  il  venait  prendre  dans  le  monastère 
des  hommes  deux  ou  trois  compagnons  qu'il  s'associait  pour  des  courses 
.évangéliques,  au  moyen  desquelles  il  renouvelait  dans  les  villages  environ- 
na lus  l'esprit  de  foi,  qu'il  y  fallait  accroître  si  l'on  ne  voulait  pas  qu'il  s'y 
affaiblît.  Ainsi  accompagné,  il  entreprenait  à  pied  des  voyages  plus  ou 
moins  longs,  durant  lesquels  leurs  pieux  entretiens  étaient  souvent  inter- 
rompus par  les  difficultés  des  chemins  qu'il  leur  fallait  se  frayer  eux-mêmes 
pour  abréger  leur  trajet,  ou  pour  trouvera  travers  les  rochers  et  les  brous- 
sailles des  hameaux  isolés  dont  ils  ne  s'inquiétaient  pas  moins  que  des  plus 
opulentes  cités.  C'est  de  la  sorte  que  furent  évangélisées,  selon  les  tradi- 
tions encore  conservées  dans  le  pays,  les  localités  déjà  importantes  con- 
nues aujourd'hui  sous  les  noms  plus  modernes  des  Herbiers,  des  Essarts, 
de  Mouchamps,  de  la  Roche-Servière  et  de  Clisson.  Tiffauges,  Vendrenne, 
Aigrefeuille  n'échappèrent  pas  plus  à  l'ardeur  sacerdotale  du  Saint,  non 
plus  que  Beaupreaux,  Chemillé,  Vihiers,  qui  ne  furent  pas  les  extrêmes 
limites  de  son  laborieux  apostolat;  car,  outre  l'Anjou  où  sa  mémoire  est 
encore  vénérée  dans  plusieurs  églises  de  son  nom,  et  la  Bretagne  où  il  reste 


SATNT  MARTIN  DE  NANTES,   ABBE  DE  VERTOU.  591 

honoré  du  même  culte,  il  ne  faut  pas  oublier  que  du  bas  Poitou  il  ne  pou- 
vait manquer  de  revenir  souvent  vers  les  parties  supérieures  de  la  province. 
Ansion,  dont  il  guida  aussi  la  marche,  au  moins  pendant  ses  vingt  der- 
nières années,  lui  imposa  de  fréquents  voyages.  On  le  vit  sans  cesse  soit 
dans  les  grands  centres  d'administration  civile,  soit  dans  les  campagnes,  où 
beaucoup  d'idolâtres  étaient  encore  et  se  convertirent  à  sa  voix  pour  for- 
mer des  bourgades  chrétiennes,  soit  enfin  aux  lieux  moins  importants 
semés  dans  leurs  enclaves,  et  qui,  plus  populeux,  accueillirent  et  aimèrent 
bientôt  les  apôtres  si  ardents  à  leur  verser  les  trésors  de  la  sainte  parole. 
Après  ces  missions,  il  revenait  à  Vertou,  qui  était  sa  résidence  la  plus  habi- 
tuelle, et  y  reprenait  ses  exercices  de  solitaire  et  sa  paternelle  sollicitude 
de  tous  les  jours. 

Au  milieu  de  ces  labeurs,  un  nouvel  avertissement  lui  fut  donné  du 
compte  qu'il  aurait  bientôt  à  rendre  de  son  administration  au  chef  suprême 
des  pasteurs.  C'était  en  596.  Un  jour  qu'il  était  parti  de  Vertou,  pour  se 
rendre  à  Saint-Georges,  il  se  reposait  un  peu,  après  une  marche  fatigante, 
et  le  sommeil  s'empara  de  lui.  Pendant  qu'il  s'y  abandonnait,  un  ange  lui 
apparut,  et,  lui  ordonnant  de  retourner  à  son  cloître,  l'avertit  que  sa  mort 
n'était  pas  éloignée  et  qu'il  devait  s'y  préparer.  Réveillé  aussitôt,  il  revint  sur 
ses  pas,  et,  quand  il  était  encore  à  trois  quarts  de  lieue  de  l'abbaye,  les  clo- 
ches se  prirent  à  s'ébranler  d'elles-mêmes,  et  donnèrent  un  son  beaucoup 
plus  clair  que  de  coutume.  Les  frères,  étonnés,  se  doutèrent  du  retour  du. 
saint  abbé  qu'ils  n'attendaient  pas  si  tôt,  et,  tout  joyeux,  se  portèrent  à  sa 
rencontre  au  chant  des  psaumes  et  des  cantiques.  Bientôt  ils  arrivent  à 
l'église,  où  il  entre  à  leur  suite,  et  là,  dans  une  prière  fervente,  il  recom- 
mande ce  troupeau  au  suprême  Pasteur.  Après  quoi,  se  relevant,  il  se  rend 
dans  le  cloître,  où  il  fait  ranger  autour  de  lui  tous  ses  religieux  ;  puis, 
fixant  dans  la  terre,  au  milieu  d'eux,  le  bâton  pastoral  que  ses  pieuses 
mains  ne  quittaient  plus  depuis  longtemps,  et  qui,  par  la  bonté  divine, 
avait  fait  au  besoin  jaillir  de  nombreuses  fontaines  :  «  Voici  »,  leur  dit-il, 
a  que  je  vous  laisse  le  signe  de  ma  juridiction  sur  vous.  Vous  le  regarderez 
comme  une  preuve  que  j'ai  aimé  d'un  amour  de  préférence  le  lieu  où  je 
vous  rassemblai  autrefois  sous  la  protection  de  Jésus-Christ.  Qu'il  vous 
rappelle  ma  présence,  car  il  sera  dans  les  siècles  à  venir  d'un  grand  secours 
à  plusieurs.  Je  n'ai  plus  longtemps  à  demeurer  avec  vous  :  ma  fin  approche 
en  ce  monde;  préparez-vous  à  cette  séparation,  et  suivez-moi  par  la  voie 
que  je  vous  ai  tracée,  afin  de  ne  point  perdre  la  part  qui  vous  est  échue  de 
ma  couronne.  Je  vous  laisse,  avec  la  paix  de  Jésus-Christ,  toute  l'affection 
de  mon  cœur  ;  je  vous  recommande  à  ce  Dieu  que  vous  avez  suivi,  et  je  le 
conjure  de  vous  amener  tous,  par  sa  grâce,  au  bonheur  de  son  royaume 
éternel  ».  Après  ces  paroles,  il  leur  donna  à  tous  le  baiser  de  paix,  et,  afin 
de  ne  pas  manquer  un  seul  instant  à  sa  tâche  paternelle,  il  se  remit  en 
route  pour  la  visite  projetée  du  monastère  de  Saint-Georges. 

Mais  un  dernier  gage  de  sa  sainteté  restait  à  Vertou  et  ne  tarda  pas  à  y 
faire  admirer  le  don  de  prophétie  que  Dieu  venait  d'accorder  à  son  servi- 
teur. A  peine  il  était  parti  qu'on  vit  cette  crosse  abbatiale  plantée  par  lui, 
et  dont  le  bois  desséché  avait  si  longtemps  soutenu  ses  pas,  retrouver  sa 
sève  perdue,  laisser  paraître  des  bourgeons  et  commencer  ainsi  à  devenir 
cet  if  vigoureux  et  magnifique  dont  les  feuilles  furent  dès  lors  salutaires 
aux  malades,  et  guérissaient  de  la  fièvre  ceux  qui  en  usaient  avec  confiance. 
Ce  miracle  permanent,  qui  se  perpétua  jusque  dans  les  derniers  temps  de 
l'abbaye,  fit  de  ce  merveilleux  arbre  l'objet  du  respect  de  toute  la  contrée 


g92  24   OCTOBRE. 

et  de  tous  les  étrangers  qui  visitaient  Vertou.  Quand  les  princes  de  Breta- 
gne y  revenaient,  ils  n'entraient  dans  l'église  qu'après  s'être  agenouillés 
devant  le  tronc  vénéré.  Le  roi  Alain  III,  entre  autres,  n'y  manquait  jamais, 
et  se  glorifiait  de  suivre  en  cela  l'exemple  de  ses  aïeux  *.  Personne  n'osait 
toucher  à  ses  branches,  à  son  feuillage  que  pour  s'en  procurer  un  légitime 
soulagement  à  quelque  infirmité.  Toute  autre  raison  de  s'en  attribuer  était 
une  profanation  bientôt  suivie  d'un  châtiment.  On  cite  à  ce  sujet  celui 
qu'encoururent  deux  soldats  normands  qui,  au  temps  de  l'invasion  de 
ces  Barbares,  vers  843,  s'avisèrent  d'y  monter  pour  choisir  dans  ses  bran- 
ches de  quoi  se  faire  un  arc  :  l'un  perdit  les  yeux  par  un  éclat  du  bois 
qu'il  voulait  couper,  l'autre  tomba  de  haut  et  se  brisa  le  cou.  Un  troisième, 
que  ces  tristes  événements  n'intimidaient  point,  tenta  d'y  monter,  mais  le 
pied  lui  manqua,  et  dans  sa  chute  il  se  cassa  la  jambe.  Décidément  le  reste 
comprit  qu'il  ne  fallait  plus  s'y  risquer  et  se  sauva  au  plus  vite.  Tant  d'évé- 
nements, qu'on  ne  pouvait  attribuer  qu'à  une  protection  céleste,  avaient 
pénétré  les  bons  moines  de  vénération  pour  leur  cher  arbre. 

Pendant  que  les  premières  efflorescences  de  l'arbre  de  notre  Saint 
venaient  jeter  une  joie  si  pure  au  cœur  désolé  de  ses  enfants  de  Vertou,  il 
agissait  à  Durinum  comme  s'il  n'eût  rien  su  de  sa  mort  prochaine,  s'y 
occupait  du  prochain  et  de  ses  frères  bien  plus  que  de  lui-môme,  et  n'ôtait 
rien  à  sa  sollicitude,  à  ses  prières,  à  ses  mortifications.  Il  redoublait  au 
contraire  pour  chacun  les  pieuses  exhortations  à  bien  faire,  à  marcher  vers 
le  but  commun  et  à  ne  rien  refuser  à  Dieu  de  ce  qu'il  pouvait  exiger  de 
ceux  dont  toute  la  vie  était  un  continuel  témoignage  de  sa  prédilection.  Au 
milieu  de  ces  soins  et  de  ces  fatigues,  il  fut  saisi  un  jour  par  la  fièvre,  pre- 
mier symptôme  d'une  maladie  plus  inquiétante  :  une  pleurésie  se  manifesta 
bientôt,  et  ses  progrès  rapides  ne  laissèrent  plus  d'espérances.  Il  n'en  fallut 
pas  plus  à  un  vieillard  de  soixante-quatorze  ans  pour  le  rapprocher  d'une 
mort  certaine.  Il  ne  pouvait  douter  que  l'avertissement  de  l'ange  ne  fût 
sur  le  point  de  s'accomplir  ;  et,  en  effet,  l'heure  solennelle  allait  sonner. 
Quelque  affaiblies  que  fussent  ses  facultés  corporelles,  celles  de  l'esprit 
restaient  entières.  Son  cœur  demeurait  uni  à  Jésus-Christ;  il  attendait, 
joyeux  et  serein,  le  moment  du  départ  et  l'appel  définitif  du  juge  miséri- 
cordieux de  son  âme.  Autour  de  sa  pauvre  couche,  religieux  et  moines 
étaient  agenouillés,  pleurant  et  sollicitant  sa  dernière  bénédiction.  Et 
comme  il  était  silencieux  et  recueilli,  priant  pour  eux  autant  que  pour  lui- 
môme,  il  aperçut  tout  à  coup  près  de  lui  une  troupe  rendue  visible  de 
démons  furieux,  dont  les  cris  horribles  épouvantèrent  l'assistance.  Seul,  le 
Saint  ne  s'en  émut  point.  Se  rappelant  le  grand  thaumaturge  dont  il  por- 
tait le  nom,  et  ses  paroles  prononcées  en  une  circonstance  toute  sembla- 
ble, il  s'écria  de  toute  sa  voix  :  «  Que  faites-vous  là,  esprits  de  ténèbres? 
Sortez,  Jésus  m'a  racheté,  je  ne  puis  être  perdu  avec  vous  ».  Il  parlait 
encore  que  déjà  l'ennemi  était  disparu.  Le  dernier  combat  était  livré,  la 
dernière  victoire  remportée.  Il  ne  restait  plus  au  Saint  rien  à  faire  ou  à 
dire  ;  son  corps  s'affaissa,  et  son  âme,  dépouillée  enfin  de  ce  qui  restait  en 
lui  de  mortel,  s'échappa  vers  ces  demeures  désirables  où  l'on  ne  trouve 
plus  que  les  saintes  joies  des  Bienheureux,  où  elle  contemple  à  jamais  face 
à  face  celui  qu'elle  n'avait  pu  saisir  ici-bas  que  par  les  espérances  de  sa  foi* 
Cette  bienheureuse  mort  arriva  le  24  octobre  601.  Le  Saint,  nous  l'avons 
dit,  était  dans  sa  soixante-quinzième  année  ;  il  y  en  avait  vingt-sept  qu'il 

1.  C'est  en  861  que  les  Bretons  s'emparèrent  du  pays  d'Herbauge,  et  Alain  III  y  régna  de  877  à  907. 


SAINT  MARTIN  DE  NANTES,  ABBÉ  DE  VERTOU.  593 

avait  jeté  les  fondements  de  son  premier  monastère  de  Vertou,  et  à  peu 
près  vingt  depuis  l'établissement  de  Saint-Georges. 

On  le  représente  à  genoux  dans  la  solitude  et  priant  Dieu. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

A  la  nouvelle  de  la  mort  du  Saint,  les  moines  de  Vertou  se  rendirent  au  monastère  de  Saint- 
Georges,  afin  de  ramener  son  corps  dans  la  grande  abbaye.  Les  religieux  de  Saint-Georges  s'y 
étant  opposés,  ceux  de  Vertou  enlevèrent  secrètement  le  corps  pendant  la  nuit,  le  transportèrent 
aussitôt  à  Vertou  et  le  placèrent  honorablement  dans  l'église  de  Saint-Jean-Baptiste.  Selon  l'usage 
du  temps,  ses  précieux  restes  furent  déposés  dans  un  cercueil  de  pierre  qui  fut  encastré  dans  le 
pavé  de  cette  église,  et  dont  on  voyait,  naguère  encore,  le  couvercle  conservé  avec  soin  sur  le  lieu 
même  de  sa  sépulture,  seul  reste  de  ce  mémorable  monument  échappé  aux  ravages  des  premières 
invasions,  et  que  Mabillon  citait  comme  existant  toujours,  quand  il  écrivait  ses  Annales  de  l'Ordre 
de  Saint-Benoit.  Cette  pierre  continuait  alors  d'attirer  la  vénération  publique. 

Le  corps  du  Saint  fut  exhumé  en  843,  à  l'approche  des  Normands  qui  venaient  de  prendre 
d'assaut  la  ville  de  Nantes,  et  placé  dans  une  châsse  d'or,  parée  de  pierres  précieuses,  qui  fut  aus- 
sitôt transportée  dans  une  petite  ville  nommée  alors  Noviheria,  que  l'on  s'accorde  aujourd'hui  à 
reconnaitre  pour  le  bourg  actuel  de  Gennes,  posé  sur  la  rive  gauche  de  la  Loire,  à  quatre  ou  cinq 
lieues  au-dessus  de  Saumur.  Quelques  heures  après  ce  sauvetage,  le  monastère  de  Vertou  fut  en- 
vahi, mis  à  sac,  brûlé  et  détruit  de  fond  en  comble.  Les  deux  abbayes  fondées  à  Saint-Georges 
eurent  le  même  sort  ;  mais  aussitôt  après  le  départ  des  Normands,  les  moines  s'empressèrent  de 
revenir  et  de  les  relever  de  leurs  cendres.  De  Gennes,  la  châsse  de  saint  Martin  fut  transportée  à 
l'abbaye  d'Ansion,  autrement  dit  Saint-Jouin-sur-Marne,  et  déposée  à  côté  du  corps  de  saint  Jouin, 
son  premier  abbé,  dans  l'église  abbatiale  dédiée  à  saint  Jean-Baptiste.  De  nombreux  miracles  ob- 
tenus par  l'intercession  de  saint  Martin  rendirent  son  nom  célèbre  dans  la  contrée  et  contribuèrent 
singulièrement  à  renouveler  dans  cette  région  du  haut  Poitou  le  sentiment  religieux  des  popu- 
lations. 

Plus  tard,  ses  reliques  furent  portées  dans  une  autre  église  du  monastère  de  Saint-Jouin,  bâtie 
sous  l'invocation  de  saint  Pierre.  Il  y  a  lieu  de  croire  que  ce  fut  alors  que  l'on  accorda  certaines 
parties  considérables  à  diverses  églises.  Mabillon  affirme  que  de  son  temps  on  vénérait  le  chef  du 
Saint  et  quelques-uns  de  ses  ossements  renfermés  dans  une  châsse  à  l'abbaye  de  Saint-Florent  de 
Saumur.  Deux  billets,  dont  l'un,  fort  ancien,  était  à  peine  lisible,  et  l'autre  était  daté  de  1661, 
constataient  deux  récognitions  faites  à  différentes  époques,  ce  qui  n'avait  pas  empêché  qu'une 
autre  ouverture  de  cette  même  châsse  se  fit  en  1665  par  dom  Joachim  Le  Comtat,  visiteur  de 
l'abbaye,  ce  qui  fut  attesté  en  outre  par  le  sous-prieur  Pierre  Le  Duc.  En  1692,  les  Pères  de  Ver- 
tou, privés  de  toutes  leurs  reliques,  aussi  bien  que  ceux  de  Saint-Jouin  depuis  les  dévastations 
sacrilèges  de  1562,  sollicitèrent  de  leurs  frères  de  Saumur  quelque  portion  de  ce  que  ceux-ci 
avaient  pu  soustraire  aux  indignes  profanateurs.  Dom  Hugues,  alors  prieur  de  Saint-Florent,  pro- 
céda, le  1er  décembre,  à  une  nouvelle  visite  de  la  châsse,  où  furent  trouvées  les  mêmes  reliques 
mentionnées  en  1661.  Le  16  mars  suivant,  l'abbaye  consentait  à  une  concession  de  haute  impor- 
tance. Elle  cédait  au  prieuré  de  Vertou  le  chef  entier  de  saint  Martin,  dont  elle  ne  se  réservait 
que  les  «  deux  os  pariétaux  et  les  deux  os  pétreux  »,  et  ce  chef  vénérable  y  fut  reçu  le  19  avril 
et  remis  aux  mains  du  prieur  claustral  dom  Jean  Biusson. 

Cette  récupération  dédommageait  amplement  Vertou  de  la  perte  qu'il  avait  faite  en  1562.  C'est 
sans  doute  cette  relique  insigne,  et  non  celle  d'un  des  bras  du  Saint,  que  leur  église  perdit  en  1791, 
lors  de  la  violation  par  les  régénérateurs  constitutionnels.  Le  procès-verbal  d'une  autre  saisie  faite 
en  1793  constate  l'enlèvement  d'un  buste  de  saint  Martin,  d'un  autre  de  saint  Benoît,  d'un  bras  et 
d'une  main,  le  tout  en  argent,  aussi  bien  qu'un  encensoir;  le  tout  fut  envoyé  à  la  monnaie  du  dis- 
trict, c'est-à-dire  à  Nantes,  et  pesait  dix-huit  marcs  deux  onces.  On  n'oublia  qu'un  ciboire  et  un 
calice  de  même  métal.  Sur  ce  dernier,  qui  fait  partie  du  trésor  actuel  de  l'église  de  Vertou  deve- 
nue paroissiale,  sont  gravées  les  armoiries  du  prieuré. 

A  cette  époque  malheureuse  disparut  ainsi  le  couvercle  du  premier  cercueil  en  pierre  dans 
lequel  avait  reposé  en  601  la  dépouille  mortelle  du  Saint,  et  que  n'avait  pas  cessé  de  fréquenter 
avec  conliance  toute  la  population  du  pays.  Ces  pieux  trésors  subirent  la  loi  commune  et  fuient 
perdus  sans  retour.  Nous  ne  savons  aucune  autre  église  qui  en  possède  maintenant. 

Quarante  paroisses  du  Poitou  l'ont  encore  pour  patron  et  font  sa  fête,  comme  à  Saint-Georges, 
le  25  octobre,  quoiqu'il  soit  mort  le  24.  Presque  toutes  ont  ce  vocable  dès  leur  fondation  et  rap- 
pellent par  lui  une  mission  du  Saint  ou  un  prodige  opéré  par  son  intervention  près  de  Dieu.  Ainsi 
le  Lion-d'Angers,  Saint-Georges  de  Castel-Oison,  et  bien  d'autres,  ont  consacré  par  son  patronage 
la  lumière  évangélique  reçue  de  lui  en  leurs  premiers  jours.  Le  Pont-Saint-Martin,  sur  la  rivière 
tTOgnon  et  à  une  petite  distance  du  lac  de  Grand-Lieu  où  elle  se  perd,  est  encore  un  de  ces  témoi- 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  38 


594  2*   OCTOBRE. 

gnages.  On  connaît  Saint-Martin-de-Dreux,  commune  de  la  Vendée,  et  la  rivière  de  Saint-Martin, 
formant  une  île  avec  l'Auxances,  et  qui  se  décharge  dans  le  havre  de  la  Gachère.  Celle-ci  est  con- 
nue sous  le  nom  de  Vertona  dans  les  actes  latins,  ce  qui  se  lie  certainement  à  quelques  souvenirs 
de  la  première  abbaye  fondée  par  saint  Martin.  Plusieurs  églises  paroissiales  portent  aussi  le  nom 
de  notre  Saint  dans  le  diocèse  de  Nantes.  Tous  ces  lieux  rappellent  dans  les  traditions  locales  une 
influence  directe  du  saint  abbé.  Aussitôt  après  sa  mort  bienheureuse,  on  vit  ses  frères  et  ses  enfants 
lui  élever  un  autel  à  côté  de  tous  ceux  de  saint  Jouin.  Celui-ci,  de  son  côté,  avait  aussi  son  culte 
dans  la  Bretagne,  où  nous  trouvons,  entre  autres,  sous  son  vocable,  l'église  paroissiale  de  Moisdon- 
la-Rivière,  à  deux  ou  trois  lieues  au  sud  de  Chateaubriand.  Mais  Ansion  avait  donné  l'exemple 
des  pieux  souvenirs  de  l'un  de  ses  plus  illustres  Pères  :  il  fut  suivi  dans  tous  Les  prieurés  ;  et  les 
Bénédictins,  soit  avant,  soit  après  l'intromission  de  la  congrégation  de  Saint-Maur,  n'ont  cessé  dft 
regarder  Martin  comme  une  de  leurs  gloires  les  plus  pures. 

Le  culte  de  saint  Martin  ne  resta  pas  renfermé  dans  le  Poitou  :  le  Maine,  l'Anjou,  la  Bretagne 
(à  Nantes  et  à  l'abbaye  de  Saint-Méen)  l'invoquent  aussi,  soit  le  24  octobre,  qui  est  sa  principale 
fête  d'après  le  martyrologe  romain  et  celui  d'Usnard,  soit  au  8  mai  et  au  9  décembre  d'après  celui 
d'Àdon,  mais  ces  deux  dernières  dates  se  rapportent  probablement  à  quelques-unes  des  translations 
dont  nous  avons  parlé  et  dont  l'histoire  ne  précise  plus  le  jour. 

Entre  autres  lieux  consacrés  en  l'honneur  du  saint  abbé  de  Vertou,  on  trouve,  à  une  très-petite 
distance  de  la  ville  du  Lude,  an  diocèse  d'Angers,  une  paroisse  de  Disse,  aujourd'hui  réunie  à  celui 
du  Man9,  et  dont  saint  Martin  est  le  patron.  Elle  était  autrefois  à  la  présentation  du  chapitre  d'An- 
gers et  à  la  collation  de  l'évêqoe. 

Extrait  de  Y  Histoire  de  saint  Martint  abbé  de  Vertou  et  de  Saint-Jouin-de-Marnes,  par  M.  l'abbé 
Auber,  chanoine  de  l'Eglise  de  Poitiers  et  historiographe  du  diocèse. 


.     SAINT   EREMBERT  DU   PEGQ, 

ÉVÊQUE  DE  TOULOUSE  ET  CONFESSEUR  (678). 

On  croit  que  saint  Erembert  naquit  au  bourg  du  Pecq,  près  de  Saint-Germain-en-Laye,  au  dio- 
cèse actuel  de  Versailles,  et  qu'il  s'enferma,  jeune  encore,  dans  le  monastère  de  Fontenelle,  en 
Normandie,  où  il  se  forma  à  la  science  et  à  la  piété,  sous  la  direction  de  saint  Vandrille,  qui  en 
était  alors  abbé.  Mais  Dieu  ne  laissa  pas  longtemps  dans  l'obscurité  cette  âme  d'élite  :  l'autorité  de 
Clotaire  III  et  de  sainte  Bathilde,  sa  mère,  tirèrent  notre  Saint  du  cloître  pour  le  placer  sur  le  siège 
de  Toulouse  ;  les  habitants  de  cette  ville,  qui  avaient  entendu  parler  de  la  haute  vertu  d'Erembert, 
l'appelaient  de  tous  leurs  vœux. 

Devenu  évêque,  il  s'appliqua  avec  le  plus  grand  soin  à  la  pratique  de  la  religion,  de  la  chas- 
teté, de  l'humilité,  de  la  continence,  étudiant  avec  soin  les  Ecritures  divines  et  cherchant  à  mettre 
eu  harmonie  ses  prédications  et  ses  œuvres.  C'est  ainsi  que,  semblable  à  un  éclatant  flambeau,  il 
brilla  dans  la  maison  de  Dieu  par  la  lumière  de  ses  exemples.  Sa  vertu  fut  autorisée  par  des  pro- 
diges, parmi  lesquels  nous  devons  en  rapporter  un  plus  éclatant  que  tous  les  autres.  Erembert  avait 
quitté  sa  ville  épiscopale  pour  revoir  sa  patrie  et  les  parents  qu'il  y  avait  laissés.  Il  arriva  à  Vio- 
court  (ancien  village  du  territoire  de  Poissy).  Pendant  son  séjour  en  ce  lieu  survint  un  affreux  in- 
cendie ;  le  feu,  se  communiquant  de  maison  en  maison,  menaçait  de  détruire  le  bourg  entier,  et 
tous  les  efforts  paraissaient  inutiles  pour  l'éteindre.  Les  voisins,  désespérant  de  s'en  rendre  maîtres, 
conjurèrent  Erembert  de  prier  Dieu  pour  eux.  Or,  il  y  avait  en  ce  lieu  une  basilique  dédiée  à  saint 
Saturnin,  martyr.  Le  prélat  se  trouvait  en  prière  dans  cet  oratoire  lorsque  les  cris  de  la  multitude 
effrayée  et  les  coups  redoublés  dont  elle  frappait  les  portes  du  temple  arrivèrent  jusqu'à  lui.  Le 
secours  du  ciel  fit  ce  que  n'avaient  pu  faire  les  moyens  humains.  Erembert  fut  touché  des  maux  et 
des  plaintes  de  la  foule  ;  prenant  alors  son  bâton  pastoral,  il  le  présenta  aux  flammes,  et  continua 
sa  prière.  Aussitôt  le  vent  qui  menaçait  de  propager  l'incendie  sur  le  vilLige  entier  s'apaisa,  et, 
perdant  toute  sa  violence,  le  feu  s'éteignit.  Aux  larmes  succéda  la  joie,  et  la  tristesse  fit  place  à 
la  reconnaissance. 

A  peu  près  à  cette  époque  (vers  668),  Erembert  se  retira  au  monastère  de  Fontenelle,  dont 
Lambert  était  alors  abbé  ;  il  y  vécut  quelque  temps  en  grande  sainteté,  et  parvint  à  une  extrême 
vieillesse.  C'est  là  qu'il  mourut  le  14  mai  678.  Il  avait  conservé  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  le  titre 
4'évèque  de  Toulouse.  Son  corps  fut  déposé  dans  la  partie  inférieure  de  l'église  Saint-Paul  de 


MARTYROLOGES.  595 

Fontenelle.  En  704,  saint  Bain,  cinquième  abbé  de  ce  lieu,  le  transféra  dans  l'abside  de  la  même 
basilique,  et  orna  son  sépulcre  d'une  couronne  demi-circulaire  qui  formait  comme  une  espèce  de 
dôme  au-dessus  du  tombeau.  Le  corps  du  saint  évêque  reposa  pendant  plusieurs  années  dan» 
l'église  Saint-Paul  :  un  concours  immense  de  peuple  avait  lieu  à  son  tombeau  et  il  s'y  opérait  un 
grand  nombre  de  miracles. 

Au  commencement  du  xi°  siècle,  Gérard,  abbé  de  Fontenelle,  ayant  retrouvé  le  corps  de  saint 
Erembert  au  milieu  des  ruines  de  l'église  de  Saint-Paul,  le  transporta  dans  la  voisine,  celle  de 
Saint-Pierre,  où  il  demeura  jusqu'à  sa  translation  à  Abbeville.  L'église  Saint- Saturnin  de  Fonte- 
nelle était  située  sur  une  colline,  hors  du  monastère,  vers  le  septentrion.  Ce  fut  là  que  les  reliques 
du  premier  évêque  de  Toulouse  furent  d'abord  placées.  Après  la  mort  d'Erembert,  on  y  porta  le 
bâton  pastoral  du  saint  évêque  avec  leçuel  il  avait  arrêté  l'incendie.  L'oratoire  de  Saint-Saturnin 
ayant  été  détruit,  ce  bâton  ainsi  qu'un  habit  de  saint  Erembert  furent  portés  à  Bruyères,  village 
du  diocèse  de  Toulouse.  On  rapporte  qu'il  existait  en  ce  lieu  un  prêtre  dont  la  vie  n'était  pas  très- 
régulière,  et  qu'ayant  voulu  se  revêtir  de  l'habit  de  saint  Erembert,  il  fut  aussitôt  saisi  d'une  fièvre 
ardente  dont  il  ne  put  être  délivré  que  par  des  prières  au  saint  évêque.  Ces  reliques  précieuses 
furent  plus  tard  transportées  de  nouveau  à  Fontenelle. 

Extrait  de  YHistoire  de  l'Eglise  de  Toulouse,  par  M.  l'abbé  Salvan. 


XXT  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Rome,  saint  Chrysanthe  et  sainte  Dame,  sa  femme,  martyrs,  qui,  après  plusieurs  sup- 
plices qu'ils  endurèrent  pour  Jésus-Christ  sous  le  préfet  Célerin,  furent  condamnés,  par  l'empereur 
Numérien,  à  être  jetés  dans  une  sablonmère  sur  la  voie  Salaria,  où  ils  furent  accablés,  tout 
vivants,  de  terre  et  de  pierres.  284.  —  Encore  à  Rome,  la  naissance  au  ciel  de  quarante-six 
soldats,  qui  furent  baptisés  tous  ensemble  par  le  pape  saint  Denis,  et  aussitôt  après  décapités  par 
sentence  de  l'empereur  Claude,  et  enterrés  sur  la  même  voie  Salaria.  Cent  vingt  et  un  autres 
martyrs  furent  aussi  ensevelis  dans  le  même  endroit  :  parmi  eux  étaient  quatre  soldats  de  Jésus- 
Christ  :  Théodose,  Lucius,  Marc  et  Pierre.  269.  —  A  Soissons,  les  saints  martyrs  Crépin  et 
Crépinien,  nobles  romains,  qui,  durant  la  persécution  de  Dioclétien  et  sous  le.président  Bietio- 
vare,  après  des  tourments  horribles,  eurent  la  tête  tranchée  et  remportèrent  par  ce  supplice  la 
couronne  du  martyre.  Leurs  corps  furent  depuis  reportés  à  Rome,  et  honorablement  déposés  dans 
l'église  de  Saint-Laurent  in  Panispema.  285  ou  286.  —  A  Florence,  saint  Miniat,  soldat,  qui 
combattit  vaillamment  pour  la  foi  de  Jésus-Christ,  sous  l'empereur  Dèce,  et  reçut  la  couronne 
d'un  glorieux  martyre  *.  251.  —  A  Torre,  en  Sardaigne,  les  saints  martyrs  Prote,  prêtre,  et 
Janvier,  diacre,  qui,  ayant  été  envoyés  dans  cette  île  par  le  pape  saint  Caïus,  furent  mis  à  mort 
au  temps  de  Dioclétien,  sous  le  président  Barbare.  303.  —  A  Constantinople,  les  saints  Martyre, 
sous-diacre,  et  Marcien,  chantre,  qui  furent  massacrés  par  les  hérétiques  sous  l'empire  de  Cons- 

1.  •  L'intérieur  de  la  cathédrale  de  Florence  »,  dit  Mgr  Gaume,  «  est  riche  de  monuments,  de  statues 
et  de  tombeaux.  Au  premier  rang  des  statues  figure  celle  de  saint  Miniat,  martyr  :  elle  est  de  grandeur 
colossale.  Pour  honorer  des  vertus  et  un  courage  surnaturels,  je  conçois  que  l'art  excède  les  proportions 
ordinaires.  Miniat^  soldat  romain,  était  en  garnison  à  Florence  lorsque  Dèce  ralluma  le  feu  de  la  persé- 
cution contre  les  chrétiens.  Le  vétéran,  sommé  de  sacrifier  aux  idoles,  montra  qu'il  savait  braver  pour  son 
Dieu  la  mort  qu'il  avait  tant  de  fois  bravée  pour  son  prince  :  il  la  reçut  au  milieu  des  tourments.  Son 
triomphe  prépara  celui  de  la  légion  thébéenne,  et  Florence  a  conservé  religieusement  un  nom  que  le  ciel 
écrivit  dans  ses  fastes  immortels.  Les  reliques  du  glorieux  Martyr  reposent  dans  une  église  dédiée  en  son 
honneur  hors  de  la  porte  di  san  Miniato.  Ce  vénérable  sanctuaire,  soutenu  par  trente-six  colonnes  de 
marbre  d'une  élégance  remarquable,  mérite  l'attention  particulière  du  voyageur  ».  —  Mgr  Gaume,  Le$ 
trois  Rome. 


596  23   OCTOBRE. 

tance  ,.—  A  Rome,  saint  Boniface,  pape  et  confesseur.  422.  —  A  Périgueux,  saint  Front,  qui, 
sacré  évêque  par  l'apôtre  saint  Pierre,  convertit  à  Jésus-Christ,  avec  l'aide  d'un  prêtre  nommé 
Georges,  la  plus  grande  partie  de  ce  pays,  et,  tout  brillant  de  la  gloire  de  ses  miracles,  se  reposa 
en  paix.  74.  —  A  Brescia,  le  bienheureux  décès  de  saint  Gaudence,  évêque,  illustre  par  son  érudi- 
tion et  par  sa  sainteté  2.  Vers  420.  —  En  Gévaudan,  saint  Hilaire,  évêque.  540. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,   REVU   ET  AUGMENTÉ. 

Aux  diocèses  d'Ajaccio,  Amiens,  Angers,  Arras,  Auch,  Autun,  Beauvais,  Chartres,  Coutances, 
Lyon,  Paris,  Poitiers,  Rennes,  Rodez,  Soissons  et  Tours,  les  saints  Crépin  et  Crépinien,  martyrs, 
cités  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  285  ou  286.  —  Aux  diocèses  d'Arras  et  de  Chàlons,  saint 
Chrysanthe  et  sainte  Darie,  martyrs,  cités  aujourd'hui  au  même  martyrologe.  —  A  Bayeux,  saint 
Rutinien,  deuxième  évêque  de  ce  siège  et  confesseur  3.  ip  s.  —  Au  diocèse  de  Bayeux,  saint  Loup 
ou  Leu,  troisième  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  Né  à  Bayeux  d'une  honorable  famille,  il  fut 
baptisé  par  saint  Rufinieu  qui  lui  conféra  le  diaconat.  Ses  vertus  et  son  zèle  lui  méritèrent  d'être 
choisi  pour  succéder  à  ce  saint  prélat.  Sylvestre,  qui  gouvernait  alors  l'église  métropolitaine  de 
Rouen,  le  sacra  après  l'avoir  élevé  à  la  prêtrise  *.  ni°  s.  —  Au  diocèse  de  Cahors,  saint  Capuan, 
évêque  de  ce  siège  et  confesseur,  célèbre  par  sa  grande  érudition.  Il  combattit  généreusement 
l'erreur  des  Ariens  qui,  de  son  temps,  infestaient  l'Aquitaine.  On  rapporte  que  sa  grande  occupa- 
tion était  de  former  dans  la  science  et  la  piété  des  jeunes  gens  qu'il  allait  recueillir  dans  son 
diocèse  et  jusque  dans  les  pays  étrangers.  Vers  l'an  752.  —  Aux  diocèses  de  Carcassonne  et  de 
Nice,  saint  Roniface  Ier,  pape  et  confesseur,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  422.  —  Aux 
diocèse  du  Puy  et  de  Périgueux,  saint  Front,  évêque,  cité  aujourd'hui  au  même  martyrologe.  74. 
—  Au  diocèse  de  Cologne,  saint  Raphaël,  archange  5.  —  Au  diocèse  de  Mende,  saint  Hilaire 
(Iltier,  Chelirs),  évêque  de  ce  siège,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  540.  —  Au  diocèse 
de  Nantes,  saint  Martin,  abbé  de  Vertou  et  de  Saint-Jouin-de-Marnes,  dont  nous  avons  donné  la 
vie  au  jour  précédent.  601.  — Au  diocèse  de  Quimper,  saint  Goueznou  (Goisenou,  Guinou),  évêque. 
Après  la  mort  de  son  père,  riche  gentilhomme  breton,  il  se  bâtit  un  oratoire  dans  un  lieu  appelé 
Land,  à  quatre  milles  de  Rrest  ;  plus  tard  il  changea  cet  oratoire  en  véritable  monastère  et  y 
forma  de  nombreux  disciples.  Ce  fut  l'origine  du  bourg  actuel  de  Gouesnou  (Finistère,  arrondisse- 
ment et  canton  de  Brest).  Choisi,  à  cause  de  ses  vertus,  pour  remplir  le  siège  de  Léon,  il  en 
devint  un  des  plus  brillants  ornements  6.  675.  —  Au  diocèse  de  Verdun,  fête  de  la  translation 

1.  Ils  furent  ensevelis  hors  de  la  ville  de  Constantinople,  près  de  la  porte  Mélandèse,  dans  le  lieu  même 
oîi  l'on  exécutait  les  criminels.  Sozomène  témoigne  qu'il  s'y  fit  depuis  des  miracles  qui  furent  cause  qu'on 
purifia  le  lieu  et  qu'on  y  bâtit  en  leur  honneur  une  église,  au  milieu  de  laquelle  se  trouvait  leur  tombeau. 
Ce  fut  saint  Jean  Chrysostome  qui  la  commença;  elle  fut  dédiée,  en  427,  par  Sisinne,  un  de  ses  succes- 
seurs. —  Bailler. 

Les  Bollandistes  (tome  xi  d'octobre,  page  569)  donnent  aux  saints  Martyre  et  Marcien  le  titre  de  no- 
taires ou  secrétaires  de  saint  Paul,  patriarche  de  Constantinople.  Les  notarii,  dans  l'antiquité  profane  et 
ecclésiastique,  étaient,  à  proprement  parler,  des  sténographes.  Ils  écrivaient  sous  la  dictée,  avec  une 
rapidité  incroyable,  et  par  signes  abréviatifs,  note.  Fort  répandus  chez  les  anciens,  ces  notaires  ne  le 
furent  pas  moins  parmi  les  chrétiens.  Le  plus  important  de  leurs  offices  fut  de  recueillir  les  Actes  des 
Martyrs.  C'est  p  ir  ce  moyen  que  nous  sont  parvenus  les  Actes  que  nous  possédons,  publiés  pour  la  plu- 
part par  le  bénédictin  Ruinai-.,  et  dont  plusieurs  remontent  au  commencement  du  ii«  siècle.  Les  notaires 
ecclésiastiques  étaient  aussi  chargés  décrire  les  Actes  des  Conciles,  ainsi  que  les  discussions  qui  avaient 
lieu  au  sein  de  ces  assemblées.  Les  Pères  de  l'Eglise,  les  patriarches,  les  évêques  étaient  entourés  de 
notarii.  —  L'aubé  Martigny,  Dictionnaire  des  Antiquités  chrétiennes. 

2.  On  voit,  par  ce  qui  nous  reste  de  ses  écrits,  qui  consistent  principalement  en  discours,  qu'il  était 
très-instruit  des  dogmes  de  la  religion  et  qu'il  ne  manquait  pas  de  zèle  pour  l'instruction  de  son  peuple 
et  le  maintien  de  la  foi  catholique.  Il  parut  à  Brescia,  en  1738,  une  édition  des  œuvres  de  saint  Gaudence  : 
elle  est  due  aux  soins  du  cardinal  Quirini  et  de  l'abbé  Galéardi.  La  Patrologie  lati'"*.  de  M.  Migne  (tome  xx) 
a  reproduit  cette  édition.  —  Cf.  Dom  Ceillier,  Histoire  des  Auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques. 

3.  On  sait  peu  de  choses  sur  ce  prélat  qui,  dit-on,  était  né  à  Rome  et  avait  aidé  dans  ses  travaux 
apostoliques  saint  Exupère  (1«*  août)  qui,  dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  l'avait  élevé  au  sacerdoce. 
Il  fut  inhumé  dans  l'église  de  Saint-Exupère,  sous  le  maître-autel,  du  côté  de  l'Evangile.  —  Gallia  Chri- 
stiana  nova. 

4.  Plusieurs  églises  du  diocèse  de  Bayeux  sont  dédiées  sous  l'invocation  de  saint  Loup.  On  l'inhuma 
dans  celle  de  Saint-Exupère.  Nous  avons  donné,  dans  la  vie  de  saint  Exupère  (tome  ix,  page  183),  quelque» 
détails  sur  ses  reliques  :  nous  y  renvoyons  nos  lecteurs. 

5.  Voir  le  martyrologe  de  France  du  jour  précédent. 

6.  On  rapporte  qu'il  mourut  à  Quimperlé  oh  u  fut  inhumé*.  Plus  tard,  ses  reliques  furent  transférées, 
partie  à  Léon,  partie  à  Gouesnou.  Cette  dernière  localité  en  fut  privée  en  93  :  le  chef  et  le  bras  en  argent 
qui  les  renfermaient  ayant  tenté  la  cupidité  des  révolutionnaires,  ils  s'en  emparèrent,  et,  depuis  cette 
funeste  époque,  les  reliques  ont  été  perdues  :  il  n'en  reste  plus  qu'un  doigt  qui  est  encore  l'objet  de  la 
Ténération  des  fidèles.  Le  culte  de  saint  Goueznou  était  établi  dans  les  diocèses  de  Léon,  de  Dol  et  de 


MARTYBOLOGES.  597 

des  reliques  de  saint  Gaon  (Gon,  Gond,  Godon,  Gand),  anachorète,  dont  le  décès  est  marqué  an 
martyrologe  de  France  du  26  mai,  jour  sous  lequel  nous  avons  esquissé  sa  notice.  vne  s.  —  An 
diocèse  de  Viviers,  saint  Agripan  ou  Agrève  (Agripanus),  évoque  de  l'Eglise  du  Velay,  dont  le 
décès  est  marqué  au  martyrologe  de  France  du  1er  février,  jour  sous  lequel  nous  avons  donné  sa 
vie.  vu»  s.  —  A  l'Abbaye-sous-Plancy  (Aube,  arrondissement  d'Arcis-sur-Aube,  canton  de  Méry- 
sur-Seine),  au  diocèse  de  Troyes,  saint  Espain  (Spanus),  martyr  eu  Touraine  avec  ses  huit  frères 
Lupicin  ou  Loup  (Lupus),  Bénin  (Benignus),  Bié  (Beatus),  Marcellien,  Messain  ou  Messauge 
(Messapius),  Géniteur  ou  Génitou  (Genitor),  Principin  et  Tridoire  K  iv«  s.  —  Au  diocèse  de 
Nancy,  saint  Amon,  deuxième  évêque  de  l'ancien  siège  de  Toul,  et  dont  nous  avons  parlé  an 
23  octobre.  —  A  Reims,  le  décès  de  saint  Celsin  ou  Soussin  (Ce/sinus),  prêtre  et  confesseur,  disciple 
de  saint  Rémi  (1er  octobre)  et  fils  de  sainte  Balsamie  (14  novembre)  a.  Vers  532.  —  Au  territoire 
de  Bourges,  saint  Dulcard  (Ouchard,  Douchard),  confesseur.  Après  avoir  passé  la  majeure  partie 
de  sa  vie  dans  le  monastère  de  Micy  ou  Saint-Mesmin,  au  diocèse  d'Orléans,  il  vint  mourir  dans 
an  désert  des  environs  de  Bourges,  appelé  alors  Victoria,  et  où  s'élève  aujourd'hui  le  village  de 
Saint-Doulchard  (Cher,  arrondissement  de  Bourges,  canton  de  Mehun-sur-Yèvre).  584.  —  A 
Fécamp  (Seine-Inférieure),  au  diocèse  de  Rouen,  sainte  Hildemarque  (Hildemarche,  Childemarque), 
native  de  Bordeaui,  vierge  et  abbesse  du  monastère  bénédictin  de  Fécamp  (Fiscannum) .  Vers 
635.  —  Autrefois,  au  diocèse  de  Toulouse,  mémoire  de  sainte  Silisse,  vierge  8.  — -  A  Vaison 
(Vaucluse),  saint  Théodose,  évêque  de  cet  ancien  siège,  déjà  cité  au  martyrologe  de  France  du 
14  février.  554.  —  A  Bayeux,  saint  Ausiac,  prêtre,  disciple  de  saint  Loup,  cité  plus  haut.  m«  ou 
IVe  s.  —  Au  diocèse  de  Saint-Claude,  saint  Maur,  confesseur,  qu'on  a  bien  longtemps  confondu  à 
tort  avec  saint  Maur,  disciple  de  saint  Benoît,  fondateur  et  abbé  de  Glanfeuil  (15  janvier).  Il  a 
donné  son  nom  au  village  de  Saint-Maur  (Jura,  arrondissement  de  Lons-le-Saulnier,  canton  de 
Conliége)  où  l'oo  conserve  ses  reliques  ♦.  Epoque  incertaine. 


MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  A  Rome,  les  saints  martyrs  Chrysanthe,  et  Darie, 
son  épouse,  qui,  après  avoir  souffert  de  nombreux  tourments  sous  le  préfet  Célerin,  furent,  par 
ordre  de  l'empereur  Numérien,  jetés  dans  une  sablonnière,  sur  la  voie  Salaria,  et  ensevelis  tout 
■vivants  sous  la  terre  et  les  pierres  dont  on  les  accabla.  284. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Camaldules.  —  A  Sasso-Ferrato  (Etats  de  l'Eglise),  le  décès  du 
bienheureux  Albert,  confesseur,  qui  réforma  d'une  manière  merveilleuse  la  discipline  régulière 
dégénérée  dans  le  monastère  de  Sainte-Croix  de  Tripudio,  et  dont  le  corps  repose  dans  l'église  du 
même  monastère  où  il  est  en  grande  vénération  8.  7  août  1350. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Vallombreuse.  —  En  Etrurie,  les  saints  Cresce,  Omnion 
et  Empte,  qui,  du  temps  de  l'empereur  Dèce,  furent  couronnés  du  martyre.  250. 

Saint-Brieuc.  Ce  dernier  a  une  paroisse  qui  porte  le  nom  du  Saint  (Saint-Goueno,  Côtes-du-Nord,  arron- 
dissement de  Loudéac,  canton  de  Colinée)  et  l'honore  comme  son  patron.  Il  donne  aussi  son  nom  a  une 
rue  et  a  une  fontaine  de  la  ville  épiscopale.  —  Saints  de  Bretagne,  par  Lobineau  et  Tresvaux. 

1.  La  Champagne  et  la  Touraine  ontVoué  un  culte  spécial  au  glorieux  saint  Espain.  L'église  de  Meiz- 
Saint-Espain  ou  Meix-Saint-Epaing  (Marne,  arrondissement  d'Epernay,  canton  d'Esternay)  a  conservé 
plusieurs  de  ses  reliques,  et  pendant  longtemps  la  paroisse  de  la  Chapelle-Saint-Luc  (Aube,  arrondisse- 
ment et  canton  de  Troyes)  honora,  dans  un  buste  doré,  quelques  précieuses  parcelles  de  son  corps.  Ces 
généreux  athlètes  de  la  foi,  dont  l'histoire  rappelle  celle  des  Machabées,  étaient  fils  d'une  femme  puissant© 
et  noble,  appelée  Maure,  du  pays  des  Goths  (midi  de  la  France)  et  valent  été  baptisés  par  saint  Martin 
de  Tours.  —  Saints  de  Troyes,  par  M.  l'abbé  Defer. 

2.  Il  fut  enseveli  à  Reims,  près  de  l'église  de  Saint-Nicaise,  dans  un  petit  édicule  (xdicula  cœmete- 
rialis)  que  l'on  croit  avoir  été  dédié  tout  d'abord  sous  l'invocation  de  saint  Maur,  martyr  (voir  Petits 
Bollandistes,  tome  x,  page  105,  note  6  au  martyrologe  de  France),  mais  qui  prit,  au  x«  siècle,  le  nom  de 
Saint-Celsin.  Cet  édicule  fut,  au  xn»  siècle,  transformé  en  église  collégiale,  et  s'appela  dès  lors  Sainte- 
Balsamie.  Ce  monument  fnt  renversé  en  1792  et  les  reliques  de  saint  Celsin  furent  perdues.  —  Nouveaux 
Bollandistes,  tome  xi  d'octobre,  page  585. 

3.  Les  recherches  que  les  nouveaux  Bollandistes  ont  faites  et  sur  sa  vie  et  sur  son  culte  ont  été  com- 
plètement infructueuses  et  ils  ont  été  forcés  de  reléguer  aux  Prxtermissi  du  25  octobre  cette  mention  de 
Du  Saussay  qu'ils  laissent  pour  ce  qu'elle  vaut,  sans  lui  infliger  de  mauvaise  note. 

4.  Ces  reliques  ne  sont  pas  un  vain  trésor  pour  le  village  de  Saint-Maur.  ■  Le  19  mars  1832  »,  écrivait 
aux  nouveaux  Bollandistes  le  curé  de  cette  paroisse,  •  un  horrible  incendie  menaçait  de  détruire  le  village 
entier.  J'eus  recours  aux  reliques  du  Saint  et  les  lis  apporter  en  face  des  flammes  :  elles  s'éteignirent 
aussitôt.  J'ai  connu  une  femme  qui,  dans  une  maladie  désespérée,  entra  en  convalescence  sitôt  que  son 
mari  et  sa  famille  eurent  imploré  l'assistance  de  saint  Maur.  Depuis  cet  incendie  dont  je  viens  de  vous 
parler,  aucun  fléau  ne  s'est  abattu  sur  ma  paroisse,  et  tout  le  monde  attribue  cette  faveur  à  l'intercession 
de  saint  Maur  ».  —  Cf.  Acta  Sanctorum,  tome  xi  d'octobre,  page  679. 

5.  Grégoire  XVI  a  approuvé  son  culte  le  30  septembre  1837. 


598  25   OCTOBRE. 

Martyrologe  de  VOrdre  des  Cisterciens.  —  Saint  Bernard,  évêque  de  Vich,  en  Catalogne, 
qui  s'envola  au  ciel  la  veille  de  ce  jour.  1243. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint-François.  —  A  Colfano,  dans  la  Marche  d'Ancône, 
au  diocèse  de  Camerino,  le  décès  du  bienheureux  François  de  Calderola,  prédicateur  et  confesseut 
excellent  de  notre  Ordre  séraphique  ;  il  fut  admirable  par  sa  piété,  sa  doctrine,  son  zèle  pour  le 
salut  des  âmes,  et  brilla,  après  sa  mort,  de  l'éclat  des  miracles1.  1507. 

Martyrologe  de  l 'Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  Saint  Edouard  III  le  Confesseur,  dont  la 
mémoire  se  célèbre  le  13  de  ce  mois2.  1066. 

Martyrologe  de  VOrdre  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  du  Mont-Carmel.  —  Saint 
Etienne,  roi  et  confesseur,  dont  l'âme  s'envola  au  ciel  le  15  août  et  dont  la  fête  se  célèbre  le 

2  septembre5.  1038.  —  A  Soissons,  les  saints  martyrs  Crépin  et  Crépinien.  285  ou  286.  A 

Rome,  saint  Evariste,  pape  et  martyr,  dont  la  fête  se  célèbre  le  jour  suivant.  108. 

Martyrologe  de  VOrdre  des  Servîtes  de  la  bienheureuse  Vierye  Marie.  —  A  Milan,  au 
monastère  de  Sainte-Marie  des  Servîtes,  le  bienheureux  Jean-Ange  Porro,  confesseur,  de  uotre 
Ordre,  qui  mourut  saintement  la  veille  de  ce  jour.  1506. 

Martyrologe  des  Mineurs  Capucins  de  Saint-Fra?içois,  —  Saint  Wenceslas,  duc  de  Bohème 
et  martyr,  dont  l'Eglise  fait  la  fête  le  28  septembre  *.  936. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

Chez  les  Grecs,  les  saints  Valerin,  Sabin,  Valère  et  Clirysaphe,  martyrs.  -—  En  Afrique,  les 
saints  martyrs  Saturnin,  Claudien,  Prime,  Flavien,  Zotique,  Astier,  Cher  et  Sature.  IIe  ou  iiiô  s. 
—  A  Torre  (Sardaigne),  saint  Gavin,  soldat  et  martyr,  converti  à  la  foi  par  les  saints  Prote  et 
Janvier,  cités  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  Il  se  fit,  en  1848,  une  invention  et  une  recon- 
naissance solennelles  de  ces  trois  patrons  de  Torre.  303.  —  Dans  la  principauté  de  Galles,  saint 
Sadwren  ou  Saturnin;  sainte  Canne,  son  épouse;  saint  Crallon,  leur  fils;  et  saint  Hilaire  ou  Elian, 
surnommé  Geimiad  ou  le  Pèlerin,  autre  fils  de  sainte  Canne  qui  l'eut  d'un  second  mari.  Native  de 
la  Bretagne  armoricaine,  cette  sainte  famille  était  allée  se  consacrer  tout  entière  à  Dieu  dans  le 
pays  de  Galles.  Sadwren  a  laissé  son  nom  à  l'église  de  Llansadwrn  (comté  de  Caermarthen);  Canne 
a  donné  le  sien  à  celles  de  Llanganna  (comté  de  Clamorgan)  et  de  Llangan  (comté  de  Caermar- 
then). Celle  de  Llangrallo  (Clamorgan)  est  dédiée  à  saint  Crallon  ;  et  celle  de  Llanelian  (île  d'An- 
glesey)  à  saint  Hilaire.  vie  s.  —  Dans  le  Munster  ou  Momonie,  province  d'Irlande,  et  spécialement 
dans  la  paroisse  de  Dromdaleague  ou  Drimoleague  (comté  de  Cork),  saint  Lasrie  ou  Lasrien,  con- 
fesseur, contemporain  de  sainte  Ida  ou  Ita,  vierge  et  abbesse  de  Cluain-Credhaill  (15  janvier),  avec 
laquelle  il  eut  de  fréquents  rapports  de  spiritualité.  Fin  du  v*  s.  —  Dans  l'Ulster  ou  Ultonie,  pro- 
vince d'Irlande,  et  spécialement  dans  la  ville  et  le  comté  de  Donegal,  saint  Caïdée  ou  Caïdoc 
(Caoide,  Caeti,  Caete,  Caette),  confesseur.  vie  s.  —  A  Saint-Marnoch  ou  Kilmarnock,  ville  d'Ecosse 
(comté  d'Ayr),  saint  Marnoch  ou  Mernoch,  évêque  et  confesseur,  patron  de  cette  ville  à  laquelle  il 
a  donné  son  nom.  —  A  Ceperano,  dans  les  Etats  de  l'Eglise,  saint  Arduin  ou  Ardovin,  confesseur, 
dont  le  corps  repose  dans  l'église  Sainte-Marie-Majeure  de  cette  ville.  Vers  627.  —  En  Irlande, 
saint  Lasrien,  confesseur,  moine  de  Buithin  (comté  de  West-Meath),  sous  la  discipline  de  saint 
Cartag  (14  mai),  puis  religieux  dans  l'île  d'Inis  Pict  (comté  de  Cork),  sous  celle  de  saint  Doman- 
gène.  Vers  650.  —  A  Ségovie,  ville  d'Espagne  (Vieille-Castille),  saint  Frutos  ou  Fruteux  (Fructus), 
confesseur  ;  saint  Valentin,  son  frère,  et  sainte  Engratie,  leur  sœur,  tous  deux  martyrs  8.  715.  — 

1.  Sa  dévotion  à  la  sainte  Vierge  était  très-tendre;  il  institua  en  son  honneur,  à  Monti,  une  Confrérie 
à  laquelle  il  donna  une  statua  de  cet.e  auguste  Mère  de  Dieu,  statue  qui  est  devenue  célèbre  par  plusieurs 
miracles  et  sur  la  tète  de  laquelle  le  pape  Pie  VII,  en  revenant  de  son  exil  en  France,  plaça  une  couronne 
d'or.  Ce  digne  religieux  se  rendit  surtout  recommandable  par  son  humilité.  Quoique  éminent  en  doctrine, 
il  prêchait  d'une  manière  simple  et  familière,  afin  de  se  mettre  à  la  portée  de  ses  auditeurs  qui.  souvent, 
étaient  des  gens  grossiers.  Il  convertit  un  grand  nombre  de  pécheurs  et  s'attira  l'admiration  publique  par 
le  zèle  qu'il  mit  à  détruire  les  haines  les  plus  invétérées.  Enfin,  rempli  de  mérites  et  usé  par  les  travaux 
ainsi  que  par  les  austérités,  il  termina  sa  carrière  dans  le  couvent  de  Cingoli(1507).Le  pape  Grégoire  XVI 
a  approuvé  son  culte  le  l«p  septembre  1843.  —  Continuateurs  de  Godescard,  au  20  mars. 

2.  Nous  avons  donné  sa  vie  au  13  octobre.  —  3.  Voir  la  vie  de  saint  Etienne  de  Hongrie  au  2  sep- 
tembre. —  4.  Nous  avons  donné  sa  vie  au  28  septembre. 

5.  Nos  trois  Saints  avaient  mené  la  vie  solitaire  dans  un  ermitage  qu'ils  s'étaient  construit  près  de  la 
ville  de  Sepulveda,  sur  le  Duranton  (Castille).  Il  fut  transformé  plus  tard  en  prieuré  et  était  encore  debout 
vers  le  milieu  du  ixe  siècle.  C'est  là  que  reposaient  les  reliques  de  la  sainte  famille.  Elles  allèrent  enri- 
chir dans  la  suite  la  cathédrale  de  Ségovie.  On  finit  par  les  y  perdre  de  vue;  mais,  en  1461,  il  s'en  fit 
une  reconnaissance,  et  elles  furent  déposées  avec  honneur  dans  un  nouvel  oratoire.  Cependant  la  cathé- 
drale étant  tombée  en  ruines,  le  trésor  fut  transféré  dans  l'église  de  Sainte-Claire  (1522)  et  ne  rentra  dans 
i&  nouvelle  cathédrale  qu'en  1558.  En  1681,  les  habitants  de  Ségovie  en  firent  présent  au  roi  Charles  II 
qui  eu  enrichit  le  palais  de  l'Escurial. 

Dans  les  représentations  de  saint  Frutos,  on  voit  une  roche  se  fendre  sur  son  ordre.  Les  Mahométan» 


SAINT  FRONT   OU  FRONTON,   ÉVÊQUE  ET  CONFESSEUR.  599 

Au  monastère  grec  de  Saint-Paul  (S.  Paulus  de  Foresta),  près  Pontecorvo  (Terre  de  Labour), 
saint  Nice,  fondateur  et  abbé  de  ce  monastère.  1000.  —  A  Tibur,  aujourd'hui  Tivoli,  YÎHe  des  Etats 
de  l'Eglise,  saint  Clet,  confesseur.  Tivoli  possède  quelques-unes  de  ses  reliques.  XIe  s.  —  A  Ros- 
kild,  ville  de  Danemark  (Seeland),  sainte  Marguerite,  femme  de  haute  naissance,  qui  fut  assassinée 
par  Herlon,  son  mari.  Ses  reliques  se  conservaient  autrefois  dans  l'église  Notre-Dame  de  Roskild. 
1176.  —  A  Arnstein,  dans  l'ancien  diocèse  de  Trêves,  le  bienheureux  Louis,  confesseur,  de  TOrdre 
4e  Prémontré,  fondateur  de  monastères,  xn*  s. 


SAINT  FRONT  OU  FRONTON  DE  LYGAONIE, 

PREMIER  ÉVÊQUE   DE   PÉRIGUEUX   ET  CONFESSEUR 
74.  —  Pape  :  Saint  Lin.  —  Empereur  romain  :  Vespasien. 


0  homme,  si  ta  crains  de  souffrir,  si  tu  aimes  Vxé- 
gner,  ne  sois  point  sourd  à  l'appel  de  Dieu. 
Saint  Basile  le  Grand. 

Saint  Front  était  Israélite,  de  la  tribu  de  Juda;  il  naquit  dans  le  pays 
des  Lycaoniens.  Il  eut  pour  père  Siméon  et  pour  mère  Frontonia,  fidèles 
observateurs  de  la  loi,  remarquables  par  l'austérité  de  leurs  mœurs  et 
pleins  de  foi  aux  promesses  d'un  Messie.  Nous  ignorons  quel  âge  il  pouvait 
avoir  lorsque  le  Sauveur  se  manifesta  au  monde;  mais  une  pieuse  tradi- 
tion, fondée  sur  le  témoignage  de  quelques  graves  historiens  l,  nous  ap- 
prend que  déjà  il  avait  quitté  son  père  et  sa  mère  et  s'était  retiré  sur  le 
mont  Carmel,  pour  y  mener  la  vie  érémitique  à  l'exemple  des  prophètes 
Elie  et  Elisée,  origine  de  l'Ordre  des  Carmes.  La  Chronique  des  Carmes 
espagnols  dit  môme  que  saint  Front,  avant  de  se  retirer  sur  le  Carmel, 
était  un  soldat  d'Hérode  et  qu'il  fut  baptisé  par  saint  Jean.  Ce  fut  proba- 
blement sur  le  Carmel,  dans  les  exercices  de  la  contemplation  et  l'étude 
de  la  loi  et  des  Prophètes,  qu'il  acquit,  pour  les  perfectionner  plus  tard  à 
l'école  du  Sauveur,  cette  instruction  et  cette  puissance  de  parole  que  les 
nistoriens  lui  attribuent  et  dont  ils  font  les  plus  grands  éloges  2. 

Lorsque  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  sortant  de  sa  retraite  de  Naza- 
reth, se  manifesta  au  monde  par  ses  prédications  et  ses  miracles ,  les 
enfants  du  Carmel,  et  parmi  eux  le  fils  de  Siméon  et  de  Frontonia,  des- 
cendirent de  la  montagne  et  se  présentèrent  à  lui.  Instruits  des  saintes 
Ecritures  et  justes  appréciateurs  des  oracles  des  Prophètes,  ils  n'eurent 
pas  de  peine  à  le  reconnaître  pour  le  Messie  et  s'attachèrent  à  sa  personne. 

«'étaient  rendus  maîtres  du  pays  voisin  et  voulaient  passer  outre.  Le  Saint,  pour  conserver  en  paix  ses 
compagnons,  alla  au-devant  des  Maures,  et,  traçant  une  ligne  avec  son  bâton,  il  leur  défendit  de  la  fran- 
chir. Le  ciel  confirma  cette  intimation  en  ouvrant  une  coupure  profonde  dans  le  rocher.  La  tranchée  se 
voit  encore  et  les  gens  du  lieu  l'appellent  l'Entaille  de  saint  Frutos. 

Les  papes  saint  Pie  V  (1565-1572)  et  Paul  V  (1605-1621)  permirent  de  faire  un  office  propre  des  saints 
Frntos,  Valentin  et  Engratie.  Cette  concession,  restreinte  d'abord  au  seul  diocèse  de  Ségovie,  fut  étendue 
fc  toute  l'Espagne,  en  1729,  par  le  pape  Benoit  XIII.  —  Acta  Sanetorum,  tome  xi  d'octobre,  page  692  ; 
Caractéristiques  des  Saints,  par  le  Père  Cahier. 

1.  Le  P.  Philippe,  Décor  Carmeli,  p.  28;  Paléonidorc,  Antiguitates  eremit.  mont.  Carmeli,  lib.  il, 
C  ii,  apud  P.  Bonav.  Apast.  de  S.  Martial,  t.  i«%  p.  4'i8. 

2.  C'est  ce  qui  a  fait  que  quelques  historiens  ont  confondu  l'apôtre  du  Férigord  avec  le  rhéteur  JTronto, 
précepteur  de  Marc-Aurèle. 


600  25  OCTOBRE. 

Saint  Front  fut  baptisé  par  saint  Pierre  sur  le  commandement  de  Jésus- 
Christ,  et  il  fut  l'un  des  soixante-douze  disciples  que  le  divin  Maître  choi- 
sit et  qu'il  envoyait,  deux  à  deux,  dans  toutes  les  villes  et  dans  tous  les 
lieux  où  lui-même  devait  aller,  leur  ayant  donné  le  pouvoir  de  guérir  les 
malades,  de  chasser  les  démons  et  de  faire  toutes  sortes  de  miracles. 

En  sa  qualité  de  disciple,  notre  Saint  fut  témoin  de  la  vie  admirable 
de  Thomme-Dieu.  Lorsque  après  l'Ascension  et  la  Pentecôte  les  Apôtres 
et  les  disciples,  remplis  de  l'Esprit  divin,  se  partagèrent  la  conquête  du 
monde  à  l'Evangile,  saint  Front  s'attacha  à  la  personne  de  saint  Pierre  et 
en  fut  particulièrement  aimé.  Il  partagea  les  saints  travaux  de  cet  Apôtre, 
en  Palestine,  à  Antioche,  à  Rome.  Dans  cette  dernière  ville,  saint  Front 
attira  sur  lui  l'attention  publique,  non-seulement  par  son  éloquence,  mais 
encore  par  un  grand  miracle. 

La  fille  d'un  sénateur  était  tourmentée  par  les  démons  qui  la  possé- 
daient depuis  quatorze  ans.  On  l'amène  à  saint  Front,  et  on  le  prie  de 
la  guérir.  Mais  les  mauvais  esprits  ne  peuvent  supporter  la  présence  de 
l'apôtre  ;  ils  sont  forcés  d'avouer  leur  impuissance,  et  de  confesser,  en  pré- 
sence de  tout  le  peuple,  la  vertu  du  Nom  de  Jésus  et  la  divinité  de  la  doc- 
trine que  prêche  saint  Front.  «  0  envoyé  du  Très-Haut  »,  s'écrient-ils, 
«  pourquoi  es-tu  venu  nous  poursuivre  en  cette  ville?  Tu  nous  persécutes 
en  quelque  lieu  que  nous  soyons.  0  Jésus  de  Nazareth  !  pourquoi  sommes- 
nous  livrés  à  de  si  cruels  tourments?  La  puissance  de  cet  homme  est  si 
grande,  que  nous  ne  pouvons  lui  résister  ». 

Cependant,  la  jeune -fille  s'est  jetée  aux  pieds  de  l'apôtre;  et  celui-ci, 
touché  de  son  état,  adresse  à  Dieu  cette  prière  :  v  Seigneur,  qui  avez 
donné  à  vos  serviteurs  tout  pouvoir  sur  les  puissances  de  l'enfer,  exaucez 
mes  prières  et  glorifiez  votre  saint  Nom  en  guérissant  cette  fille,  votre  ser- 
vante, et  en  la  délivrant  de  la  légion  des  démons  qui  la  maîtrisent  ».  Et,  h 
l'instant,  la  jeune  fille  est  délivrée,  les  démons  l'abandonnent,  et  une  vive* 
lumière  se  répand  sur  elle  et  sur  la  foule  attentive  et  étonnée. 

La  nouvelle  de  ce  miracle,  opéré  sur  une  place  publique,  au  milieu  du 
peuple,  se  répandit  bientôt  par  toute  la  ville  et  mit  notre  Saint  en  grande 
faveur.  On  accourait  pour  entendre  sa  parole  facile  et  persuasive  ;  on  vou- 
lait être  témoin  de  ses  œuvres  ;  car  ce  miracle  ne  fut  pas  le  seul  qu'il  opéra 
dans  la  ville  de  Rome.  Il  est  rapporté  encore  qu'il  rendit  la  vue  à  deux 
aveugles ,  guérit  quatre  hydropiques,  un  lépreux ,  et  qu'il  fit  plusieurs 
autres  guérisons  miraculeuses,  assisté  de  la  vertu  de  Dieu.  «  Quand  les 
princes  des  Apôtres  (saint  Pierre  et  saint  Paul)  »,  dit  saint  Léon,  a  eurent 
planté  l'étendard  victorieux  de  la  foi  de  Jésus-Christ  sur  les  murailles  de 
Rome,  et  que  cette  capitale  de  l'univers,  qui  donnait  la  loi  aux  nations, 
l'eut  prise  des  mains  des  pauvres  pêcheurs,  ravis  de  cet  heureux  succès  que 
Dieu  leur  avait  fait  obtenir  contre  toute  apparence,  ils  conçurent  et  con- 
certèrent la  conversion  parfaite  d'autres  contrées  voisines ,  envoyèrent 
d'abord  leurs  députés  et  ambassadeurs  dans  les  Gaules,  lesquels  imburent 
plusieurs  peuples  de  cette  très-ancienne  région  de  la  sainteté  et  honnêteté 
du  culte  chrétien  ». 

Saint  Front,  le  disciple  bien-aimé  de  saint  Pierre,  fut  envoyé  dans  la 
Basse-Guyenne  pour  y  catéchiser  spécialement,  comme  s'exprime  la  lé- 
gende, les  nobles  Pétrocoriens  et  leur  donner  les  principes  de  la  foi.  Saint 
Georges  lui  fut  donné  pour  compagnon,  saint  Georges  qui  avait  été  envoyé 
spécialement  aux  peuples  du  Velay.  Après  trois  jours  de  marche,  saint 
Front  et  saint  Georges  étaient  arrivés  à  Bolséna,  petite  ville  située  sur  le 


SAINT  FRONT  OU  FRONTON,   ÉVEQUE  ET  CONFESSEUR.  601 

lac  du  même  nom  (  Vulsiniensis  lacus),  aujourd'hui  dans  les  Etats  de  l'Eglise. 
Ils  avaient  jugé  convenable  de  s'y  arrêter,  et  ils  y  prêchaient  l'Evangile  aux 
Gentils,  qui  accouraient  en  foule  pour  les  entendre  et  être  témoins  de 
leurs  miracles.  Ici,  la  foi  de  notre  Saint  devait  être  soumise  à  une  épreuve 
bien  douloureuse,  mais  nécessaire  pour  autoriser  sa  mission  divine  par  un 
miracle  éclatant,  et  fortifier  dans  leur  croyance  les  païens  nouvellement 
convertis.  Dieu  permit  que  saint  Georges,  au  plus  fort  de  ses  prédications, 
mourût  soudainement.  Cette  mort  si  précipitée  porta  la  désolation  au 
cœur  de  saint  Front.  Une  même  vocation  à  la  foi,  un  même  commerce 
avec  Jésus  et  le  prince  des  Apôtres,  avaient  étroitement  uni  saint  Front  et 
saint  Georges,  et  ils  s'aimaient;  et  la  même  mission  qu'ils  avaient  reçue  de 
saint  Pierre  pour  la  conversion  des  Gaules  avait  rendu  encore  plus  intime 
leur  amitié. 

Or,  saint  Front,  inconsolable  de  cette  mort,  et  l'Esprit-Saint  ne  lui 
faisant  pas  comprendre  qu'elle  est  pour  la  manifestation  de  la  gloire  de 
Dieu  et  de  la  divinité  de  sa  doctrine,  dépose  dans  un  sépulcre  et  ordonne 
de  garder  avec  soin  le  corps  de  son  ami.  Bientôt  il  reprend  en  toute  hâte 
le  chemin  de  Rome,  et  va  porter  à  saint  Pierre  la  nouvelle  de  son  malheur. 
Fondant  en  larmes,  il  se  jette  aux  pieds  de  l'Apôtre,  comme  Marthe  aux 
pieds  de  Jésus  après  la  mort  de  Lazare,  et  il  lui  dit  :  «  Celui  que  vous 
aimiez  et  que  vous  m'aviez  donné  pour  compagnon  est  mort  ;  mais  venez 
et  vous  le  ressusciterez  ».  —  «  Relevez-vous,  mon  fils  »,  lui  dit  doucement 
l'Apôtre,  ému  lui-même  autant  de  la  douceur  de  saint  Front  que  de  la 
mort  de  saint  Georges ,  «  relevez-vous.  La  mort  de  votre  ami  n'est  que 
pour  la  manifestation  de  la  gloire  de  Dieu.  Prenez  ce  bâton  et  posez-le  sur 
le  corps  de  votre  ami  en  invoquant  le  saint  Nom  de  Jésus,  et  votre  ami 
vous  sera  rendu  ».  Ces  paroles  simples  et  impératives  comme  celles  qu'ins- 
pire l'Esprit  de  Dieu ,  portent  la  persuasion  de  la  foi  la  plus  inébran- 
lable dans  le  cœur  de  saint  Front.  Il  se  relève,  consolent  bénit,  et  se  hâte 
de  repartir  pour  exécuter  de  point  en  point  les  prescriptions  de  l'Apôtre. 

Cependant  le  bruit  de  la  mort  de  l'un  des  prédicateurs  de  Bolséna  s'était 
répandu  parmi  les  peuplades  voisines.  On  y  racontait  la  désolation  de  saint 
Front,  les  soins  qu'il  avait  pris  de  faire  garder  le  corps  de  son  ami,  et  son 
départ  précipité  pour  la  ville  de  Rome.  On  s'y  attendait  à  quelque  événe- 
ment extraordinaire,  et,  au  jour  présumé  pour  le  retour  du  Saint,  on  était 
accouru  de  toutes  parts  et  on  entourait  le  sépulcre  dans  lequel  avait  été 
déposé  le  corps  de  saint  Georges.  Saint  Front  apparaît  ;  sa  démarche  est 
résolue  ;  la  tristesse  n'assombrit  plus  son  visage  ;  on  y  voit  briller  la  joie 
que  donne  la  certitude  d'un  succès.  Il  fend  la  foule  silencieuse,  recueillie, 
et  il  arrive  au  sépulcre.  Il  le  fait  ouvrir,  comme  avait  fait  Jésus-Christ  pour 
ressusciter  Lazare  ;  puis  il  dépose  le  bâton  de  saint  Pierre  sur  le  corps  de 
son  ami,  et  il  lui  dit  :  «  Au  nom  de  Jésus-Christ,  je  vous  ordonne  de  vous 
lever  ».  Et  à  l'instant,  saint  Georges  se  lève,  sort  vivant  du  tombeau  et  se 
jette  dans  les  bras  de  saint  Front  ;  et  tous  deux,  d'un  même  cœur,  d'une 
même  voix,  rendent  grâces  à  Dieu.  Et  la  foule,  aussi  attendrie  qu'enthou- 
siasmée par  ce  spectacle,  proclame  la  puissance  du  Nom  de  Jésus-Christ  et 
la  divinité  de  sa  doctrine.  Ceux  des  païens  qui,  jusqu'à  ce  moment,  avaient 
été  sourds  aux  prédications  des  deux  apôtres  et  s'étaient  montrés  les  plus 
opposés  à  embrasser  la  nouvelle  foi,  se  jettent  aux  pieds  de  saint  Front, 
désavouent  leurs  erreurs  et  demandent  le  baptême.  Et  saint  Front  et  saint 
Georges,  admirant  leur  foi  et  le  changement  merveilleux  que  la  grâce  a 
fait  dans  leurs  esprits,  s'empressent  de  les  baptiser. 


602  25   OCTOBRE. 

Saint  Front  devait  accompagner  saint  Georges  jusqu'à  la  ville  que  saint 
Pierre  avait  désignée  à  celui-ci  comme  le  principal  théâtre  de  ses  prédica- 
tions. Ayant  donc  tout  réglé  à  Bolséna  pour  la  persévérance  des  fidèles,  et 
leur  laissant  quelques-uns  des  prêtres  et  des  diacres  qu'il  avait  ordonnés, 
il  partit  avec  saint  Georges  et  ses  trois  disciples.  Fontaise,  Séverin  et  Sévé- 
rien,  et  ils  se  dirigèrent  tous  ensemble  vers  le  pays  des  Velaisiens,  prêchant 
l'Evangile  dans  tous  les  lieux  où  ils  passaient,  et  y  faisant  de  nombreux 
prosélytes.  Ils  arrivèrent  à  Vélaunes,  alors  la  capitale  du  Velay  (Vellavia 
ou  ftuessium,  aujourd'hui  Saint-Paulien.)  L'Esprit  de  Dieu  les  y  avait  pré- 
cédés et  leur  avait  préparé  les  voies.  Dès  leur  entrée  dans  la  ville,  une 
dame  de  qualité,  dont  les  chroniques  ne  nous  ont  pas  conservé  le  nom, 
Tint  leur  offrir  l'hospitalité  dans  sa  demeure,  que  baignaient  les  eaux  de  la 
Borne.  Ce  fut  pour  elle  un  grand  honneur  de  recevoir  les  envoyés  de  Dieu, 
car  Jésus  a  dit  en  pariant  à  ses  Apôtres  :  «  Celui  qui  vous  reçoit  me  reçoit 
moi-même  ».  Sa  charité  ne  fut  pas  sans  récompense.  Dieu  réservait  à  la 
charitable  dame  de  Vélaunes  et  à  tous  les  membres  de  sa  famille  les  pre- 
miers rayons  de  la  foi  pour  sa  généreuse  hospitalité  envers  les  ouvriers 
évangéliques.  Elle  écouta  avec  une  sainte  avidité  les  prédications  des 
apôtres  et  fut  la  première  qu'ils  baptisèrent,  et  sa  famille,  la  première 
famille  chrétienne  du  Velay.  Dieu  ne  se  contenta  point  de  l'appeler  au  bien- 
fait inestimable  de  la  foi  ;  il  voulut  encore  s'en  servir  pour  l'accomplis- 
sement de  ses  desseins  d'amour  et  de  miséricorde  sur  les  habitants  de  ce 
pays. 

Une  nuit  qu'elle  était  profondément  endormie,  un  ange  lui  apparut  en 
songe  et  lui  dit  :  «  Levez-vous  et  allez  sur  la  montagne  d'Anis,  et  là,  iî 
vous  sera  montré  ce  qu'il  faut  que  vous  fassiez  pour  la  gloire  de  Dieu  ».  Et, 
docile  à  la  parole  de  l'ange,  dès  qu'il  fut  jour  elle  se  leva  et  s'empressa 
d'exécuter  les  ordres  qui  lui  avaient  été  donnés.  Or,  la  montagne  d'Anis, 
distante  de  Vélaunes  de  quelques  milles,  était  élevée,  et  le  chemin,  pour  la 
gravir,  long  et  pénible.  L'humble  servante  de  Dieu,  étant  arrivée  au  som- 
met, se  trouva  épuisée  de  fatigues,  et,  s'étant  assise  sur  une  pierre  pour  se 
reposer,  elle  ne  tarda  pas  à  s'endormir.  Dieu  lui  montra  en  songe,  à  quel- 
ques pas  du  lieu  où  elle  était,  une  pierre  façonnée  en  forme  d'autel  et 
entourée  d'anges  ;  et,  au  milieu  de  ces  anges,  se  trouvait  une  vierge  d'une 
grande  beauté  et  couronnée  d'un  brillant  diadème.  Elle  demanda  le  nom 
de  celle  qui  avait  une  grande  beauté  ;  et  un  ange  lui  répondit  :  «  Elle  s'ap- 
pelle Mère  de  Dieu  ;  elle  chérit  particulièrement  les  amis  de  son  Fils,  Front 
et  Georges,  et,  en  faveur  de  ces  deux  apôtres,  elle  a  choisi  ce  lieu  pour  y 
être  spécialement  honorée  ».  Et  la  pieuse  dame,  s'étant  éveillée,  rendit 
grâces  à  Dieu,  et  s'empressa  de  descendre  la  montagne,  pour  aller  racon- 
ter aux  deux  évêques  ce  qu'elle  avait  vu  et  entendu,  et  elle  leur  dit  :  «  Un 
ange  de  Dieu  m'est  apparu  pendant  mon  sommeil,  et  il  m'a  dît  :  «  Allez 
sur  la  montagne  d'Anis,  et,  là,  il  vous  sera  montré  ce  qu'il  faut  que  vous 
fassiez  pour  la  gloire  de  Dieu».  Je  suis  allée  sur  le  haut  de  la  montagne,  et, 
là,  m'étant  assise  pour  me  reposer,  je  me  suis  endormie.  Dieu  m'a  montré 
en  songe  une  pierre  façonnée  en  forme  d'autel  et  entourée  d'anges  ;  et  au 
milieu  de  ces  anges,  se  tenait  une  Vierge  d'une  grande  beauté,  couronnée 
d'un  brillant  diadème.  J'ai  demandé  le  nom  de  celle  qui  avait  une  si  grande 
beauté  ;  et  un  des  anges  m'a  répondu  :  «  Elle  s'appelle  Mère  de  Dieu  ;  elle 
chérit  particulièrement  les  amis  de  son  Fils,  Front  et  Georges,  et,  en  faveur 
de  ces  deux  apôtres,  elle  a  choisi  ce  lieu  pour  y  être  plus  spécialement 
honorée». 


SàlSit  JR0NT  OU  FRONTON,   ÉVÉQUE  ET  CONFESSEUR.  603 

Il  fut  facile  aux  deux  Apôtres  de  reconnaître  à  ce  trait  le  cœur  de  la 
Mère  de  Jésus.  Ils  s'empressèrent  donc  d'annoncer  au  peuple  l'heureuse 
nouvelle,  et  lui  prédirent  que,  dans  les  siècles  à  venir,  ce  lieu  serait  célèbre 
par  le  culte  qu'on  y  rendrait  à  la  Mère  de  Dieu.  Ils  allèrent  ensuite  sur  la 
montagne  visiter  le  lieu  que  la  pieuse  dame  leur  avait  indiqué.  Les  histo- 
riens de  Notre-Dame  du  Puy  rapportent  que  ce  lieu  fut  trouvé  couvert  de 
neige,  quoiqu'on  fût  dans  la  saison  la  plus  chaude  de  l'année  ;  ils  ajoutent 
qu'un  cerf,  parcourant  cette  neige,  y  traça  l'emplacement  d'une  église,  sa 
longueur  et  sa  largeur.  Ce  qu'ayant  vu,  saint  Front  et  saint  Georges,  pleins 
de  respect  pour  ce  lieu,  le  firent  enceindre  d'une  muraille,  afin  de  le  pré- 
server de  toute  profanation.  Peu  de  temps  après,  saint  Georges  y  dressa  un 
autel  qui  fut  consacré  par  saint  Martial.  Les  successeurs  de  saint  Georges 
y  bâtirent  une  église  et  y  transportèrent  leur  siège  épiscopal  ;  il  s'y  forma 
une  ville  :  c'est  la  ville  du  Puy,  qui  a  pris  son  nom  de  sa  position  élevée 
sur  la  montagne  et  qui  montre  au  loin  sa  belle  cathédrale  où  les  pèlerins 
viennent  prier.  Telle  fut  l'origine  du  célèbre  pèlerinage,  aujourd'hui  si 
fréquenté,  de  Notre-Dame  du  Puy.  Ce  pèlerinage  a  reçu  de  nos  jours  une 
nouvelle  consécration.  A  quelques  pas  de  la  cathédrale,  sur  le  rocher  Cor- 
neille, s'élève  la  colossale  statue  de  Notre-Dame  de  France,  faite  avec  les 
canons  qui  furent  pris  à  Sébastopol. 

La  mission  de  saint  Front  l'appelait  ailleurs.  Il  dut  se  séparer  de  saint 
Georges.  Touchants  adieux  !  ces  deux  Saints  rompirent  ensemble  le  pain 
eucharistique,  se  partagèrent  le  bâton  que  saint  Pierre  leur  avait  donné  et 
s'embrassèrent  tendrement  avant  de  se  quitter.  La  partie  du  bâton  de  saint 
Pierre  laissée  entre  les  mains  de  saint  Georges  existe  encore.  Après  avoir 
été  conservée  jusqu'en  1793  dans  l'église  collégiale  de  Saint-Paulien,  elle 
est  aujourd'hui  dans  la  chapelle  des  Dames  de  l'Instruction  du  Puy.  C'est  la 
partie  inférieure,  celle  qui  touchait  immédiatement  la  terre.  Le  bois  en  est 
parfaitement  étranger;  des  hommes  experts  ont  déclaré.ne  pas  en  connaître 
la  nature.  Il  est  rouge  d'or,  incorruptible,  et  d'une  pesanteur  extraordi- 
naire; en  le  touchant  on  croit  avoir  dans  la  main  une  barre  de  fer.  Quant 
à  la  partie  supérieure,  échue  à  saint  Front  comme  étant  la  plus  noble,  la 
plus  digne,  et  qui  fut  apportée  à  Périgueux  par  le  Saint  lui-même,  elle 
s'est  perdue  probablement  en  même  temps  que  le  corps  de  saint  Front. 

Les  chroniqueurs  ne  s'accordent  pas  sur  l'itinéraire  que  suivit  saint 
Front  pour  arriver  dans  la  capitale  des  Pétrocoriens.  Quelques-uns  le  font 
paraître  à  Toulouse.  Il  nous  semble  plus  naturel  qu'il  se  soit  dirigé  par 
l'Auvergne  et  le  Limousin.  Son  passage  dans  ces  contrées  ne  fut  pas  stérile; 
il  les  traversa  en  y  prêchant  l'Evangile,  comme  toujours  les  Apôtres  le  fai- 
saient en  se  rendant  d'un  lieu  à  un  autre,  et  il  arriva,  enfin,  à  la  cité  de 
Vésone  avec  les  trois  disciples  qu'il  avait  amenés  de  Bolséna  :  Frontaise, 
Séverin  et  Sévérien.  Cette  ville  était  livrée  à  toutes  sortes  d'idolâtrie.  Saint 
Front  y  prêcha,  dès  le  lendemain  de  son  arrivée,  un  seul  Dieu  en  trois  Per- 
sonnes, créateur  de  toutes  choses,  Jésus-Christ,  rédempteur  du  monde;  il 
leur  raconta  la  vie  du  Sauveur,  la  mission  des  Apôtres,  les  progrès  mira- 
culeux de  l'Eglise.  Ce  jour-là  et  les  jours  suivants  il  parcourut  la  ville,  allant 
d'un  lieu  à  un  autre,  partout  où  il  croyait  trouver  le  peuple  assemblé.  Il 
confirmait  ses  enseignements  par  plusieurs  miracles.  C'était  toujours  l'ar- 
gument irrésistible  employé  par  les  Apôtres,  en  vertu  de  la  toute-puissance 
que  leur  avait  donnée  Jésus-Christ. 

Un  jour  qu'il  prêchait  au  théâtre  en  présence  d'un  grand  concours  de 
peuple  attentif  à  l'écouter,  on  lui  amena  un  homme  que  le  démon  possé- 


604  25  OCTOBRE. 

dait  depuis  plusieurs  années  et  qui  le  rendait  si  furieux,  qu'on  était  obligé 
de  le  lier  avec  de  fortes  chaînes.  Dès  que  ce  malheureux  fut  en  présence 
de  l'apôtre,  il  s'écria  d'un  ton  à  faire  frémir  d'épouvante  tous  les  assistants  : 
«  0  Front,  envoyé  de  Jésus  de  Nazareth,  tes  paroles  et  tes  prières  me 
brûlent  !  »  Le  Saint  regarda  le  possédé  et  dit  avec  autorité  au  démon  : 
«Tais-toi,  esprit  immonde,  et  sors  du  corps  de  cet  homme  ».  Et,  à  l'ins- 
tant, le  démon  obéit,  et  abandonna  ce  malheureux,  qui,  tombant  aux 
pieds  de  saint  Front,  se  confondit  en  actions  de  grâces.  Et  pendant  ce  temps 
le  peuple,  dans  l'admiration  de  ce  qu'il  voyait,  disait  :  «  Quel  est  cet  homme 
à  qui  les  démons  obéissent  ?  Qui  lui  a  donné  une  telle  puissance  ?  » 

Ce  miracle  produisit  l'effet  qu'on  pouvait  en  attendre  ;  plusieurs  des 
païens  qui  en  furent  témoins  demandèrent  le  baptême,  et  le  reçurent  des 
mains  de  l'Apôtre.  De  ce  nombre  fut  une  illustre  dame,  appelée  Maximille, 
femme  de  Chilpéric,  l'un  des  puissants  seigneurs  de  Vésone.  Ayant  reçu  la 
grâce  du  baptême,  elle  prouva,  à  l'instant,  que  la  charité  chrétienne  était 
entrée  dans  son  cœur  avec  la  foi.  Elle  invita  le  saint  évêque  à  se  rendre 
dans  son  palais;  car  elle  espérait  pour  Chilpéric,  pour  ses  enfants  et  tout» 
sa  maison,  la  faveur  qu'elle  avait  elle-même  reçue. 

Chilpéric  était  paralytique  depuis  douze  ans,  et  perclus  de  tous  ses 
membres.  «  Peut-être  »,  se  disait  Maximille,  «  le  Saint  a-t-il  aussi  le  pou- 
voir de  guérir  les  malades  ».  L'Apôtre  ne  se  fit  pas  longtemps  prier  pour  se 
rendre  à  ses  désirs;  il  la  suivit.  En  entrant  dans  la  maison,  il  dit,  comme 
le  divin  Maître  l'avait  prescrit  :  «  Que  la  paix  du  Seigneur  soit  dans  cette 
maison  î  »  Il  y  avait  là  un  fils  de  paix,  et  la  paix  du  Saint  se  reposa  sur  lui. 
En  entendant  cette  manière  de  saluer,  Chilpéric  dit  au  Saint  :  a  Je  vois 
que  vous  êtes  Juif  de  nation.  Avez-vous  le  pouvoir  de  me  guérir  de  mon 
infirmité  ?»  —  «  J'ai  ce  pouvoir  »,  lui  répondit  saint  Front,  «  si  vous  croyez 
en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ».  —  «  S'il  me  guérit  de  mon  infirmité,  je 
crois  qu'il  est  Dieu  ».  —  «  Croyez,  sans  restriction,  qu'il  est  Dieu  et  qu'il 
peut  vous  guérir,  renoncez  aux  faux  dieux  et  recevez  le  baptême».  La 
grâce  avait  pénétré  peu  à  peu  dans  l'âme  de  Chilpéric.  «  Je  crois  »,  dit-il, 
«  que  Jésus-Christ  est  Dieu,  j'abjure  le  culte  des  idoles  et  je  veux  être  bap- 
tisé ».  —  Et  saint  Front,  satisfait  de  la  foi  du  paralytique,  se  fit  apporter 
de  l'eau  et  le  baptisa  au  nom  du  Père,  et  du  Fils,  et  du  Saint-Esprit.  Puis, 
le  prenant  par  la  main,  il  dit  :  «  Que  mon  Seigneur  Jésus,  qui  a  guéri  le  pa- 
ralytique de  la  Judée,  vous  accorde  l'entière  guérison  de  votre  maladie  » .  Et, 
formant  le  signe  de  la  croix  sur  Chilpéric,  il  lui  ordonna,  au  nom  de 
Jésus,  de  se  lever  et  de  marcher.  Et  il  se  leva  et  marcha,  ne  se  ressentant 
plus  de  son  infirmité.  Chilpéric  avait  deux  fils,  Altime  et  Gélase.  Témoins 
de  la  guérison  miraculeuse  opérée  en  la  personne  de  leur  père,  ils  se  pros- 
ternèrent aux  pieds  du  saint  évêque  et  demandèrent  eux  aussi  avec  toute 
leur  maison,  composée  de  deux  cents  personnes,  à  recevoir  le  baptême. 
Saint  Front  leur  imposa  à  tous  un  jeûne  de  trois  jours,  après  lequel  il  les 
baptisa. 

Un  autre  miracle,  plus  remarquable  encore  et  qui  eut  une  plus  grande 
influence,  fut  la  guérison  d'Aurélius,  noble  et  puissant  seigneur,  dit  la 
légende  ;  peut-être  était-il  gouverneur  de  la  ville  pour  les  Romains.  Il  était 
couvert  d'ulcères  et  en  proie  à  de  vives  douleurs.  Le  miracle  que  notre 
Saint  avait  opéré  en  faveur  de  Chilpéric  faisait  désirer  à  Aurélius  de  voir 
un  médecin  si  habile  et  si  puissant.  Il  le  fit  prier  humblement  de  venir  dans 
sa  maison.  Le  Saint  s'empressa  de  s'y  rendre,  et  chemin  faisant  il  rencontra 
un  aveugle  et  le  guérit,  en  formant  sur  lui  le  signe  de  la  croix  et  en  invo- 


SAINT  FRONT  OU  FRONTON,   ÉVÊQUE  ET  CONFESSEUR.  605 

quant  le  saint  nom  de  Jésus.  Aurélius,  en  appelant  saint  Front  dans  son 
palais,  ne  demandait  que  la  vie  du  corps  ;  mais  le  Saint  lui  donna  aussi  la 
vie  de  l'âme.  Après  l'avoir  instruit  et  s'être  assuré  de  sa  foi,  il  le  baptisa 
avec  plusieurs  personnes  de  sa  famille,  n'oubliant  pas  de  leur  prescrire  le 
jeûne  solennel  de  trois  jours.  Ces  deux  faveurs  reçues  par  l'entremise  de 
saint  Front,  touchèrent  vivement  Aurélius.  Il  fit  de  tels  progrès  dans  la  toi 
et  la  piété,  dit  le  légendaire,  et  sa  reconnaissance  fut  si  grande,  «  qu'il 
constitua  saint  Front  et  les  évoques,  ses  successeurs,  chefs  et  seigneurs 
temporels  sur  sa  personne  et  sur  la  personne  de  ses  descendants,  et  lui 
donna  sa  maison  qui  était  proche  du  théâtre,  pour  y  bâtir  et  y  dresser  une 
église  et  service  en  l'honneur  de  Dieu,  laquelle  y  fût  bâtie  l'an  troisième 
de  l'empire  de  Claude,  à  l'honneur  du  Sauveur,  de  sa  benoîte  Mère  et  de 
saint  Jean-Baptiste  ». 

Un  autre  miracle  succéda  bientôt  à  celui-là.  On  venait  de  retirer  d'un 
puits  très-profond  le  fils  d'une  pauvre  veuve  que  saint  Front  avait  déjà  dé- 
livrée du  mauvais  esprit.  La  mère  désolée  fait  apporter  le  corps  de  son  fils 
aux  pieds  de  l'Apôtre  et  le  conjure  de  lui  rendre  la  vie.  Saint  Front  est 
touché  de  sa  foi  et  de  ses  larmes  ;  il  pose  son  manteau  sur  le  mort  et  rend 
le  fils  plein  de  vie  à  sa  mère. 

A  quelques  jours  de  là,  il  ressuscita  aussi  Chronope,  à  la  prière  d'Elpi- 
dius  son  père,  et  de  Bénédicte  sa  mère.  Ce  miracle  produisit  une  grande 
sensation  dans  la  cité  de  Vésone  et  eut  du  retentissement  dans  toute  la 
province  du  Périgord.  Trois  cents  personnes  reçurent  le  baptême  en  même 
temps  que  Chronope,  Elpidius  et  Bénédicte.  Dieu  récompensa  la  foi  du 
père  et  de  la  mère  dans  la  personne  du  fils  ;  Chronope  fut,  dès  ce  moment, 
un  fervent  disciple  du  Saint  et  mérita  par  ses  vertus  d'être  son  successeur 
médiat  dans  l'épiscopat. 

Tout  dans  saint  Front  prêchait  l'Evangile  ;  la  douceur  de  ses  paroles 
charmait  tous  les  cœurs  ;  on  était  avide  de  l'entendre,  on  était  enthou- 
siasmé de  ses  œuvres.  Celui  qui  eût  vu  Jésus-Christ  à  Jérusalem,  dans  les 
campagnes  de  la  Judée,  eût  compris  facilement  que  l'Apôtre  de  Vésone 
avait  été  formé  à  son  école.  Il  s'appliquait  à  imiter  l'humilité  du  divin 
Maître,  sa  douceur,  sa  charité,  sa  patience  ;  à  agir  comme  il  l'avait  vu  agir, 
à  parler  comme  il  l'avait  entendu  parler.  Il  faisait  intervenir  fréquemment 
dans  ses  discours  les  exemples,  les  comparaisons,  les  paraboles  dont  Jésus 
se  servait  et  qui  exerçaient  une  si  heureuse  influence  sur  l'esprit  de  la 
foule.  Il  rappelait  le  père  de  famille  qui  envoie  des  ouvriers  travailler  à  sa 
vigne,  et  récompense  également  et  ceux  qui  ne  sont  arrivés  qu'à  la 
onzième  heure  et  ceux  qui  sont  arrivés  à  la  première  ;  le  roi  qui,  célébrant 
les  noces  de  son  fils,  fait  ouvrir  la  salle  du  festin  aux  aveugles  et  aux  estro- 
piés, parce  que  les  invités  n'ont  pas  voulu  se  rendre  ;  le  bon  pasteur  qui, 
ayant  trouvé,  à  travers  les  montagnes,  la  brebis  perdue,  la  prend  sur  ses 
épaules  et  la  porte  avec  joie  au  bercail.  Et  puis,  lorsqu'il  avait  passé  le 
jour  à  remplir  le  ministère  de  la  parole,  le  soir  étant  venu,  à  l'exemple  de 
Jésus  encore  il  veillait  et  priait.  Il  avait  coutume  de  se  retirer  dans  une 
petite  cellule,  ou  plutôt  dans  un  oratoire  qu'il  avait  bâti  en  l'honneur  de  la 
Mère  de  Dieu,  sur  la  montagne  où  s'est  fondé  le  monastère  de  Périgueux 
du  moyen  âge,  appelé,  du  séjour  qu'y  fit  l'Apôtre,  Puy-baint-Front. 

Les  historiens  et  les  chroniqueurs  qui  se  sont  occupés  des  antiquités  de 
Vésone,  nous  parlent  de  cet  oratoire  de  la  Mère  de  Dieu,  consacré  par  saint 
Front,  et  qui  fut,  comme  nous  le  dirons  plus  tard,  le  lieu  de  sa  sépulture. 
Nous  lisons  dans  Taillefer  :  «  Selon  les  vieilles  chroniques,  saint  Front, 


606  25  OCTOBRE. 

premier  évoque  de  Vésone  et  apôtre  de  la  province,  aurait  bâti  un  oratoire 
sur  remplacement  qu'occupe  notre  cathédrale  ou  immédiatement  à  côté, 
vers  le  sud-ouest,  et  assez  près  des  degrés  qui  communiquent  au  palais 
épiscopal  ;  du  moins  telle  est  l'idée  qu'on  peut  se  faire  de  l'emplacement 
de  cette  chapelle,  d'après  le  Père  Dupuy,  qui,  pour  mieux  la  désigner,  dit 
qu'elle  était  du  côté  de  l'autel  de  sainte  Catherine. 

Les  prêtres  des  idoles,  voyant  le  peuple  déserter  le  culte  de  leurs  dieux, 
essayèrent  de  ranimer  le  zèle  païen  par  une  grande  solennité  en  l'honneur 
de  Mars.  A  l'heure  du  sacrifice,  Front  s'y  rend  à  travers  une  foule  im- 
mense; en  chemin,  il  ressuscite  un  mort,  puis  il  accourt  au  temple  de 
Mars ,  précédé  par  le  bruit  de  cet  éclatant  miracle  ;  il  entre,  renverse 
l'idole  de  Mars  et  toutes  les  statues  des  dieux  secondaires  et,  par  la  vertu 
du  signe  de  la  croix,  chasse  les  mauvais  esprits  qui  s'empressent  de  quitter 
la  place  et  de  prendre  la  fuite  en  faisant  entendre  d'affreux  mugissements. 
Alors,  enhardis  par  l'exemple  du  saint  Apôtre,  les  nouveaux  convertis 
s'empressent  de  briser  les  simulacres  et  les  statues,  qui  bientôt  deviennent 
la  proie  des  flammes.  Peu  de  temps  après,  saint  Front  purifia  ce  temple  et 
le  consacra  au  culte  du  vrai  Dieu,  sous  l'invocation  de  saint  Etienne,  pre- 
mier martyr.  Il  en  fit  la  principale  église  de  son  diocèse,  y  fixa  sa  résidence 
et  y  établit  soixante-douze  clercs  pour  y  psalmodier  et  le  jour  et  la  nuit, 
et  y  vivre  selon  la  Règle  des  Apôtres,  en  mettant  tout  en  commun. 

Après  avoir  conquis  Vésone,  la  capitale  de  cette  contrée,  saint  Front, 
sans  quitter  personnellement  le  centre,  s'occupa  de  l'évangélisation  du  voi- 
sinage, des  autres  villes  et  des  campagnes  par  ses  disciples,  parmi  lesquels 
nous  trouvons  Frontaise,Séverin,  Sévérien  etSilain.  Et  il  les  envoyait  deux 
à  deux  à  l'exemple  de  Jésus.  Et  ils  allaient,  comme  allaient  les  disciples  de 
Jésus,  d'une  bourgade  à  l'autre,  prêchant  partout  le  royaume  de  Dieu, 
instruisant  et  baptisant,  ne  craignant  ni  les  fatigues,  ni  les  persécutions; 
et  la  vertu  de  Dieu  était  avec  eux.  De  son  côté,  le  saint  Apôtre  ne  restait 
pas  oisif  dans  la  cité  de  Vésone  ;  mais  chaque  jour  il  catéchisait  et  s'appli- 
quait à  fortifier  dans  la  foi  les  nouveaux  chrétiens.  Il  n'avait  pas  encore 
porté  le  dernier  coup  à  l'idolâtrie.  Restait  le  fameux  temple  de  Vésone, 
bâti  pour  le  culte  d'Isis,  divinité  privilégiée  des  Gaulois,  et  dans  lequel  les 
Romains  avaient  placé  une  statue  colossale  de  Vénus  et  les  statues  de  plu- 
sieurs autres  dieux. 

Pendant  que  saint  Front  se  prépare  à  détruire  ce  temple,  les  prêtres 
païens,  de  leur  côté,  ameutent  le  peuple  contre  lui.  Il  n'écoute  point  leurs 
clameurs,  encore  moins  leurs  menaces,  et  il  poursuit  l'exécution  de  son 
projet.  On  le  voit  marcher  d'un  pas  assuré  au  milieu  de  la  foule  frémis- 
sante, et  se  diriger  vers  le  temple  de  Vésone.  Il  y  arrive  et  s'arrête,  immo- 
bile un  instant,  le  regard  fixé  vers  le  ciel  et  la  main  tendue  vers  le  temple. 
Bientôt  il  fait  le  signe  de  la  croix  et,  au  nom  de  Jésus,  il  ordonne  à 
l'énorme  colosse  de  Vénus  de  tomber  à  ses  pieds  et  de  se  réduire  en 
poudre.  L'effet  suit  de  près  ses  paroles,  au  grand  étonnement  des  idolâtres, 
étonnement  changé  bientôt  en  frayeur,  car  des  débris  de  la  statue  on  voit 
sortir  un  dragon  qui  s'élance  sur  les  païens,  en  tue  sept  et  en  blesse  plu- 
sieurs. 

Spectateur  attentif  de  ce  qui  se  passe,  saint  Front  voit  bientôt  à  ses 
pieds  ceux  qui  ont  le  plus  crié  contre  lui,  et  il  les  entend  le  prier  avec 
d'abondantes  larmes  de  rendre  la  vie  aux  sept  hommes  que  le  dragon  a  fait 
mourir.  Et  saint  Front  ordonne  qu'on  retire  leurs  corps  du  temple.  Puis,  il 
recommande  au  dragon  de  s'en  aller  en  un  lieu  solitaire,  sans  blesser  per- 


SAINT   FROiNT   OU   FRONTON,    ÉVÊQUE   ET   CONFESSEUR,  607 

sonne,  et  le  dragon  obéit.  Et  l'Apôtre,  se  mettant  à  genoux,  les  mains  et 
les  yeux  levés  vers  le  ciel,  adresse  à  Dieu  cette  prière  :  «  Seigneur,  à  qui 
rien  n'est  impossible,  qui  avez  sauvé  le  monde  par  le  bois  sacré  de  la  croix, 
rendu  la  vue  à  l'aveugle  de  naissance  et  ressuscité  Lazare,  commandez,  s'il 
vous  plaît,  que  ces  morts  reconnaissent  que  vous  tenez  les  clefs  de  la  vie 
et  de  la  mort,  et  que  vous  seul  êtes  Dieu,  qui  vivez  et  régnez  dans  les  siè- 
cles des  siècles  ».  A  peine  a-t-il  terminé  cette  prière,  que  les  sept  hommes 
se  relèvent,  comme  s'ils  sortaient  d'un  profond  sommeil,  et  se  mettent  à 
crier  qu'il  n'y  a  point  d'autre  Dieu  que  le  Dieu  de  saint  Front.  Etonnés  de 
tant  de  prodiges,  les  païens  proclament  aussi  le  Dieu  de  saint  Front. 

Mais  le  saint  évêque  ne  doit  pas  s'en  tenir  là  ;  le  moment  est  venu  de 
frapper  le  dernier  coup.  Il  se  relève,  et  la  face  tournée  vers  le  temple,  i] 
forme  le  signe  de  la  croix  et  s'écrie  :  «  Au  nom  de  Jésus-Christ,  mis  en 
croix  par  les  Juifs,  et  ressuscité  trois  jours  après  sa  mort,  qu'une  partie  de 
ce  temple,  avec  les  idoles  qu'il  renferme,  tombe  à  terre,  et  que  l'autre 
partie  demeure  sur  pied  pour  servir  de  témoignage  aux  générations 
futures  ».  Et,  à  l'instant,  une  partie  du  temple  s'écroule  et  l'autre  est  en- 
core là  debout,  redisant  aux  générations  du  xixe  siècle,  comme  elle  l'a  dit 
aux  générations  des  siècles  antérieurs,  les  égarements  de  la  superstition 
païenne  et  les  triomphes  du  Christianisme.  Et  les  enfants  ont  dit  à  leurs 
pères  :  Que  signifie  ce  mouvement  ?  Et  les  pères  ont  raconté  à  leurs  enfants 
les  merveilles  du  Seigneur  ;  et  le  souvenir  s'en  est  transmis  d'âge  en  âge, 
de  génération  en  génération,  pour  l'édification  des  peuples  et  la  glorifica- 
tion de  notre  bienheureux  Apôtre. 

Pendant  que  saint  Front  triomphait  ainsi  et  faisait  fleurir  l'Eglise  de 
Vésone,  Squirinus  ou  Quirinus,  l'an  quatrième  de  Claude,  empereur  des 
Romains,  fut  envoyé  pour  gouverner  la  Basse-Guyenne  et  y  maintenir  la 
domination  romaine.  C'était  un  ennemi  du  nom  chrétien.  Saint  Front  lui 
fut  dénoncé  comme  un  perturbateur.  Squirinus  se  le  fit  amener.  Ses  disci- 
ples, Frontaise,  Séverin,  Sévérien  et  Silain,  tous  quatre  animés  comme  lui 
de  l'Esprit  de  Dieu  et  désireux  de  soulfrir  quelque  chose  pour  le  nom  de 
Jésus-Christ  accompagnaient  le  Saint.  Après  un  interrogatoire  dans  lequel 
saint  Front  prouva  et  expliqua  la  religion  chrétienne,  Squirius,  irrité  sur- 
tout de  ce  qu'on  le  menaçait  de  l'enfer,  menace  de  mort  l'apôtre  et  ses 
quatre  disciples,  et  se  tournant  brusquement  vers  ses  gardes  :  «  Jusques  à 
quand  »,  leur  dit-il, «  vivront  ces  hommes  qui  nous  menacent  de  tourments 
éternels?  »  Les  paroles  et  le  regard  de  Squirius  sont  compris,  et  aussitôt 
un  de  ses  satellites  lève  la  main  et  l'épée  pour  trancher  la  tête  à  saint 
Front.  Mais  Dieu  protégeait  son  serviteur  :  la  main  et  l'épée  restent  sus- 
pendues, immobiles,  sans  pouvoir  frapper  ;  et  une  lumière  éclatante  envi- 
ronne le  saint  évêque.  A  cette  vue,  Squirius  et  ses  soldats,  saisis  d'épou- 
vante, quittent  le  lieu  et  prennent  précipitamment  la  fuite,  comme  s'ils 
craignaient  pour  eux-mêmes  quelque  malheur.  Quant  au  soldat  qui  a  voulu 
attenter  à  la  vie  du  saint  Apôtre,  il  entre  dans  une  violente  fureur  contre 
lui-même,  se  déchirant  à  belles  dents,  et,  frappé  invisiblement  par  la 
main  de  l'ange  qui  a  protégé  saint  Front  il  expire  peu  après  misérable- 
ment. 

Resté  seul  avec  ses  quatre  disciples  sur  le  champ  de  bataille,  où  il  vient 
d'avoir  un  si -éclatant  triomphe,  saint  Front  se  retire  avec  eux  et  revient 
dans  sa  cellule  auprès  de  l'oratoire  de  Notre-Dame,  remerciant  Dieu  qui 
l'a  soutenu  dans  le  combat,  et  le  priant  avec  une  grande  effusion  de  chanté 
pour  son  persécuteur.  Us  passèrent  le  reste  de  la  journée  et  une  partie  do 


608  25  OCTOBRE. 

la  nuit  dans  la  prière  et  le  chant  des  psaumes,  rendant  grâces  à  Dieu,  bé- 
nissant et  glorifiant  sa  miséricorde  infinie.  Saint  Front  interrompait  de 
temps  en  temps  les  paroles  de  la  prière  et  le  chant  des  psaumes  par  de 
pieux  récits.  Il  prévoyait  que  l'heure  des  grandes  épreuves  approchait  pour 
ses  disciples  et  que  bientôt  ils  auraient  à  rendre  témoignage  de  leur  foi  par 
le  sacrifice  de  leur  vie,  et  il  cherchait  à  les  fortifier  dans  la  volonté  de  tout 
souffrir  pour  le  nom  de  Jésus. 

Fortifiés  par  ces  saintes  exhortations,  ils  prêchaient  journellement 
Jésus-Christ  avec  une  sainte  audace.  Dénoncés  par  les  prêtres  des  idoles  au 
gouverneur  Squirius,  ils  furent  arrêtés  ;  interrogés,  Frontaise  répondit  au 
gouverneur  :  «  Vous  nous  demandez  notre  patrie  ?  Silain  est  originaire  de 
Vésone  ;  quant  à  Séverin,  Sévérien  et  moi,  nous  sommes  Romains,  comme 
vous,  ô  gouverneur,  étant  nés  dans  la  ville  de  Bolséna.  Mais  pourquoi  nous 
interroger?  Pourquoi  nous  demander  en  vertu  de  quelle  autorité  nous 
agissons,  vous  qui,  croupissant  dans  les  erreurs  de  la  gentilité  et  du  paga- 
nisme, condamnez  toute  vérité  et  détestez  toute  lumière  ?  Rentrez  un  peu 
en  vous-même  ;  reconnaissez  le  Dieu  qui  a  formé  votre  corps  et  votre  âme, 
et  vous  serez  capable  de  comprendre  la  vérité  que  nous  prêchons  ;  car 
nous  avons  appris  de  notre  Maître  que  les  dieux  des  Gentils  sont  l'œuvre  de 
la  main  des  hommes  et  n'ont  aucun  pouvoir  pour  se  défendre  eux-mêmes 
ni  pour  protéger  ceux  qui  les  honorent  ».  Squirius  répliqua  par  des  me- 
naces :  «  Il  y  va  de  votre  vie  ;  si  vous  sacrifiez  à  nos  dieux,  vous  la 
conserverez;  si  vous  ne  sacrifiez  pas,  vous  mourrez  ».  Frontaise,  Séverin  et 
Sévérien  lui  répondent  :  «  Notre  gloire  et  notre  bonheur  sont  de  vivre  et 
de  mourir  en  Jésus-Christ  et  pour  Jésus-Christ  ». 

Vaincu  par  cette  réponse  énergique  et  voyant  que  leur  foi  est  trop  vive 
pour  qu'il  puisse  espérer  de  la  faire  jamais  fléchir,  le  gouverneur  aban- 
donne Frontaise,  Séverin  et  Sévérien,  et  s'adressant  à  Silain  dans  l'espoir 
de  triompher  plus  facilement  de  sa  jeunesse  :  «  Et  toi,  jeune  adolescent  », 
lui  dit-il,  «  pourquoi  ne  sacrifies-tu  pas  à  nos  dieux?  »  Silain  lui  répondit  : 
«  Je  ne  sacrifierai  jamais  qu'à  Jésus-Christ,  mon  Sauveur,  qui  a  lavé  le 
monde  dans  les  eaux  du  baptême  et  l'a  purifié  des  souillures  du  péché  ». 

A  cette  réponse,  Squirius,  plus  irrité  encore  de  voir  ces  généreux 
athlètes,  si  fermes  dans  leur  foi,  lui  résister  si  ouvertement  à  la  vue  de  tout 
le  peuple,  ordonne  qu'on  les  mène  tous  quatre  hors  de  la  ville  et  qu'on  les 
fasse  mourir  après  leur  avoir  fait  souffrir  toutes  sortes  de  tourments.  Il 
annonce  qu'il  se  rendra  lui-même  sur  le  lieu  de  l'exécution  pour  s'assurer 
que  ses  ordres  seront  fidèlement  suivis.  Peut-être  espère-t-il  que  la  rigueur 
des  tortures  arrachera  aux  patients  quelques  paroles  d'apostasie. 

Les  quatre  martyrs  sont  conduits  hors  de  l'enceinte  de  la  ville,  au-delà 
de  l'Isle,  étroitement  enchaînés,  comme  Jésus  fut  conduit  hors  de  l'en- 
ceinte do  Jérusalem.  Ils  louent  Dieu  tout  le  long  du  chemin.  Cependant  on 
arrive  au  lieu  destiné  au  supplice.  Là  commencent  les  tortures  des  quatre 
martyrs.  Ils  sont  attachés  à  des  poteaux,  et,  parce  qu'on  les  a  entendus 
parler  de  la  mort  du  Sauveur  Jésus  et  se  glorifier  de  mourir  pour  lui,  on 
forme  du  buisson  voisin  quatre  couronnes  qu'on  leur  met  sur  la  tête  en 
signe  de  dérision.  Puis  leurs  têtes  sont  clouées  aux  poteaux  avec  neuf 
longues  pointes  de  fer,  et  leurs  épaules  transpercées  à  la  jonction  des  os 
avec  des  tarières  embrasées.  Mais  de  tels  supplices,  de  tels  raffinements  de 
cruauté  ne  peuvent  ébranler  leur  foi  ;  ils  persévèrent  dans  la  confession  de 
Jésus-Christ. 

Squirius,  ne  pouvant  arracher  l'aveu  qu'il  avait  espéré,  ordonne  qu'on 


SAINT  FRONT  OU  FRONTON,  ÉVÊQUE  ET  CONFESSEUR.  609 

leur  tranche  la  tête.  Les  quatre  martyrs  sont  détachés  des  poteaux  et, 
se  mettant  à  genoux,  ils  présentent  humblement  leur  tête  au  glaive  des 
soldats,  et  terminent  ainsi  leurs  travaux  sur  la  terre  pour  commencer 
leurs  triomphes  dans  le  ciel.  Mais  à  l'instant  Dieu  fait  paraître  par  un  pro- 
dige dont  on  trouve  quelques  exemples  dans  les  annales  sacrées,  combien 
il  est  glorifié  par  la  mort  de  ces  généreux  martyrs.  Leurs  corps,  ignomi- 
nieusement abandonnés,  se  redressent  et,  chacun  reprenant  sa  tête  entre 
les  mains,  ils  se  mettent  à  marcher  en  présence  de  la  foule  qui  a  été 
témoin  de  leur  supplice,  se  dirigent  vers  la  rivière  qu'ils  traversent  en 
marchant  sur  les  eaux,  gravissent  la  montagne  et  arrivent  à  l'oratoire  de 
Notre-Dame  où  saint  Front  priait.  Là,  ils  se  mettent  à  genoux  et  déposent 
leurs  têtes  aux  pieds  du  saint  évêque,  et  les  quatre  corps  formant  une 
croix  restent  étendus  sur  le  pavé  de  l'oratoire.  Saint  Front  les  bénit  et 
commence  leurs  funérailles,  aidé  par  le  prêtre  Anian,  en  présence  d'un 
grand  concours  de  fidèles,  chantant  des  psaumes  et  des  hymnes,  priant  et 
louant  Dieu.  Frontaise,  Sévérin  et  Sévérien  sont  ensevelis  dans  l'oratoire 
même.  Quant  au  corps  de  Silain,  saint  Front  l'accorde  aux  prières  d'une 
pieuse  dame  qui  va  l'ensevelir  non  loin  de  là,  dans  sa  propre  maison.  C'est 
peut-être  sa  mère  elle-même  qui  remplit  ce  charitable  office,  doublement 
heureuse  d'être  mère,  parce  que  son  fils  est  engendré  pour  toujours  à  la 
vie  du  ciel  S 

Le  sang  des  martyrs  devint  une  semence  de  chrétiens.  Squirius  ne  vit 
plus  d'autre  moyen  d'arrêter  cette  religion  naissante  qu'en  bannissant  le 
chef.  Il  craignait  un  soulèvement  s'il  le  faisait  mourir.  Les  chrétiens  ré- 
clamèrent contre  cet  arrêt  et  parlèrent  de  vouloir  garder  de  force  leur 
évêque.  Un  soulèvement  était  à  craindre  ;  saint  Front  s'empressa  de  l'arrê- 
ter en  remontrant  aux  chrétiens  que  saint  Pierre  avait  été  blâmé  par  le 
divin  Maître,  lorsqu'il  avait  voulu  se  servir  de  l'épée  pour  le  défendre. 

La  nuit  suivante,  le  Seigneur  Jésus,  qui  a  promis  de  ne  pas  abandonner 
ses  disciples  dans  aucune  de  leurs  épreuves,  apparut  à  saint  Front,  l'en- 
courageant et  le  fortifiant,  et  lui  dit  :  «  Marchez  courageusement  en  exil  ; 
car  il  faut  que  vous  portiez  la  lumière  de  l'Evangile  en  plusieurs  autres 
villes  et  bourgades.  Ayez  confiance,  je  serai  avec  vous  ».  Le  divin  Sauveur 
daigna  aussi  lui  faire  comprendre  que  son  exil  ne  serait  pas  long,  qu'il 
reviendrait  au  milieu  de  son  troupeau,  et  aurait  la  consolation  d'y  voir  son 
persécuteur,  Squirius,  se  convertir  à  la  foi  chrétienne.  Encouragé  et  forti- 
fié par  les  paroles  du  divin  Maître,  saint  Front  le  remercia  avec^une  grande 
effusion  d'amour.  Le  lendemain,  les  fidèles  s'étant  assemblés,  il  les  exhorta 
à  rester  fermes  dans  la  foi,  leur  donna  sa  bénédiction,  et,  mettant  à  sa 
place  le  prêtre  Calépode,  son  disciple,  pour  gouverner  l'église  de  Vésone, 
il  prit  la  route  de  l'exil,  emmenant  avec  lui  Anian,  Nectaire  et  Chronope. 

L'itinéraire  que  suivit  le  saint  apôtre  en  quittant  Vésone,  nous  est  tracé 
par  l'auteur  anonyme  de  sa  Vie,  et  confirmé  par  d'autres  historiens  que 
nous  aurons  soin  de  citer.  Nous  le  voyons  d'abord  en  un  lieu  peu  éloigné 
de  Vésone,  appelé  aujourd'hui  Pressac,  où  il  convertit  à  Dieu  un  grand 
nombre  de  païens.  De  là,  il  se  rend  à  Brantôme,  où  il  opère  les  mêmes 
conversions,  ayant  réduit  en  poudre,  au  seul  signe  de  la  croix,  une  statue 
de  Mercure,  cfue  les  habitants  du  lieu  avaient  placée  dans  une  grotte  où 

1.  Une  église  fut  bâtie  plus  tard  sur  le  tombeau  de  saint  Silain.  Elle  fut  démolie  en  1793.  Une  rue  do 
la  ville  porte  le  nom  de  ce  Saint.  L'église  était  bâtie  sur  l'emplacement  qu'occupe  la  place  de  la  mairie. 
Une  chapelle  extra  muros  fut  aussi  élevée  en  l'honneur  de  saint  Frontaise;  on  y  allait  en  procession  tous 
les  ans  :  une  fontaine  portait  aussi  son  nom.  Il  ne  reste  aujourd'hui  de  ces  quatre  martyrs  que  quelques 
faibles  reliques. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  39 


610  25  OCTOBRE. 

ils  allaient  l'adorer.  Ici  la  doctrine  de  l'apôtre  est  confirmée  par  la  résur- 
rection miraculeuse  d'un  enfant,  dont  la  mère  éplorée  s'était  jetée  aux 
genoux  du  Saint  et  l'avait  conjuré  de  lui  rendre  son  fils.  Il  faut  au  zèle  de 
saint  Front  un  plus  vaste  théâtre  :*il  croit  le  trouver  dans  la  capitale  de 
l'Angoumois,  il  s'y  rend.  Mais,  s'il  y  convertit  quelques  habitants,  ce  n'est 
qu'avec  beaucoup  de  peine,  quoiqu'il  guérisse  en  leur  présence  deux  dé- 
moniaques et  deux  paralytiques.  La  gloire  d'établir  le  Christianisme  dans 
cette  ville  et  d'en  être  le  premier  évêque,  était  réservée  à  Ausone,  disciple 
de  saint  Martial  *. 

Etant  sorti  d'Angoulôme,  il  parcourt  la  Saintonge  où  il  lui  est  donné  de 
cueillir  en  peu  de  jours  une  abondante  moisson.  Dans  la  capitale  de  cette 
province,  où  plus  tard  Eutrope  sera  envoyé  par  saint  Clément,  il  fait  écla- 
ter la  puissance  qu'il  a  reçue  de  Dieu  sur  les  démons.  On  lui  amène  trois 
possédés.  Dès  qu'ils  sont  en  sa  présence,  ces  malheureux  se  roulent  à  terre 
et  puis  restent  immobiles  et  comme  inanimés.  L'apôtre,  plein  de  confiance 
et  voulant  donner  une  preuve  de  la  divinité  de  la  foi  qu'il  prêche,  com- 
mande aussitôt  aux  malins  esprits  de  quitter  ces  corps  qu'ils  ont  si  long- 
temps maîtrisés;  et  les  démons  s'empressent  d'obéir,  et  on  les  entend 
s'écrier  avec  rage  dans  les  airs  :  «  0  Front, 'envoyé  de  Jésus,  pourquoi  venir 
ici  nous  persécuter  ?  Contente-toi  de  nous  avoir  tant  de  fois  vaincus  ailleurs 
par  tes  prières  » . 

De  Saintes,  l'apôtre  se  dirige  vers  Bordeaux.  Il  arrive  en  face  de  cette 
ville,  sur  les  bords  du  fleuve,  et  n'ayant  point  de  barque  pour  le  traverser, 
il  se  souvient  que  le  Dieu  qu'il  prêche  ouvrit  autrefois  la  mer  Rouge  pour 
donner  passage  aux  enfants  d'Israël  et  les  délivrer  des  poursuites  de  Pha- 
raon. Il  se  prosterne  et  le  conjure  avec  foi  et  amour,  de  lui  donner  les 
moyens  de  traverser  le  fleuve  et  d'entrer  dans  la  ville  avec  ses  disciples, 
pour  y  annoncer  son  saint  Nom.  A  peine  a-t-il  prié,  qu'une  barque  se  dé- 
tache d'elle-même  du  port.  Poussée  par  un  vent  favorable  et  guidée  par 
une  main  invisible,  elle  vient  aborder  à  l'endroit  où  se  trouve  saint  Front. 
L'apôtre  y  entre  avec  ses  disciples,  et  aussitôt  la  barque  se  met  en  mouve- 
ment, retourne  vers  le  port  et  va  reprendre  la  place  qu'elle  occupait  aupa- 
ravant. 

Saint  Front  ne  vient  que  d'entrer  dans  Bordeaux,  et  déjà  les  idoles  des 
faux  dieux  gardent  le  silence,  et  les  oracles  ne  répondent  plus  à  ceux  qui 
les  interrogent;  les  lunatiques  et  les  énergumènes  se  plaignent  et  font 
entendre  des  cris  déchirants.  Et  les  prêtres  des  idoles,  stupéfaits,  se  de- 
mandent les  uns  aux  autres  d'où  peut  provenir  le  silence  de  leurs  dieux, 
quelle  cause  leur  a  subitement  fermé  la  bouche.  Et  pendant  qu'ils  se  ques- 
tionnent ainsi  dans  le  trouble  et  l'agitation,  ils  apprennent,  par  la  rumeur 
publique,  qu'un  homme,  venu  des  lointains  pays,  est  dans  la  ville,  prêchant 
une  nouvelle  religion  et  l'abolition  du  culte  des  dieux.  On  rapporte  même 
qu'au  temple  de  Jupiter,  pendant  un  sacrifice  solennel,  le  dieu  répondit  au 
prêtre  sacrificateur  :  «  Ne  sais-tu  pas  qu'un  disciple  de  Jésus  le  Nazaréen 
est  dans  la  ville  et  que  par  ses  prédications  il  nous  enchaîne  la  langue  ? 
S'il  n'est  chassé,  nous  ne  ferons  plus  désormais  aucune  réponse  à  tes  ques- 
tions » . 

Ces  paroles  étaient  bien  capables  d'exciter  la  jalousie  des  sectateurs  des 
idoles.  Ils  se  mettent  à  l'instant  à  faire  des  recherches  par  toute  la  ville,  et 

1.  Le  diocèse  d'Angoulême  a  cependant  conservé  un  bon  souvenir  de  cet  apôtre  et  lui  a  donné  une 
place  honorable  dans  sa  liturgie,  une  église  même  lui  est  dédiée  et  une  paroisse  porte  son  nom  dans 
l'arrondissement  de  Ruffcc. 


SAINT  FRONT  OU  FRONTON,   EVÉQUE  ET  CONFESSEUR.  611 

saint  Front,  la  terreur  des  faux  dieux,  est  enfin  découvert.  Aussitôt  on  l'in- 
terroge ;  on  lui  demande  quelles  affaires  si  importantes  lui  ont  fait  quitter 
son  pays  pour  venir  dans  cette  ville.  L'apôtre  s'empresse  de  répondre  que 
son  Maître  et  Seigneur  l'a  envoyé  pour  prêcher  l'unité  de  Dieu,  la  divinité 
de  Jésus-Christ,  et  détruire  les  superstitions  du  paganisme.  A  cette  réponse, 
les  prêtres  des  idoles,  déjà  effrayés  et  sentant  leur  impuissance  et  le  besoin 
de  s'appuyer  sur  l'autorité  humaine  pour  leurs  dieux,  accourent  auprès  de 
Sigisbert  (sans  doute  le  gouverneur  de  la  ville),  et  le  prient  de  protéger  les 
dieux  et  de  chasser  l'étranger  qui  se  permet  d'attaquer  leur  culte. 

Sigisbert,  homme  irascible  et  fortement  attaché  à  toutes  les  supersti- 
tions païennes,  fait  saisir  saint  Front,  et,  sans  se  donner  la  peine  de  l'inter- 
roger, il  le  fait  battre  de  verges  par  ses  valets.  L'apôtre  souffre  ce  traite- 
ment sans  se  plaindre,  en  se  rappelant  la  cruelle  flagellation  de  son  divin 
Maître  à  Jérusalem.  Puis  il  est  conduit  hors  de  la  ville  et  on  le  menace  de 
le  faire  mourir  s'il  se  permet  d'y  entrer.  En  sortant  de  cette  ville  où  il  a 
jeté  les  premières  étincelles  de  la  foi,  qui  produiront  plus  tard  un  vaste 
incendie,  saint  Front  croit  le  moment  favorable  de  confirmer  dans  la  foi 
les  nouveaux  convertis  et  de  porter  la  terreur  dans  l'âme  des  satellites  de 
Sigisbert. 

Il  arrivait  devant  le  temple  où  les  Bordelais  adoraient  Priape  et  Vénus. 
A  cette  vue,  le  Saint  étend  sa  main  droite  vers  le  temple,  en  prononçant 
ces  paroles  :  «  Que  le  Fils  de  Dieu  te  détruise  »  ;  et,  aussitôt,  une  partie  du 
temple  s'écroule  avec  un  grand  bruit,  et  les  deux  idoles  sont  réduites  en 
poudre.  A  quelques  pas  de  là,  il  rencontre  une  jeune  fille  possédée  du 
démon.  Dès  qu'elle  est  en  présence  du  Saint,  le  démon  se  met  à  hurler  et 
à  crier  que,  si  on  le  contraint  de  sortir  *de  ce  corps,  on  l'envoie  en  un 
autre  lieu  où  il  puisse  être  en  paix.  «  Au  nom  de  Jésus  »,  lui  dit  saint 
Front,  «je  te  commande  de  sortir  de  ce  corps  »  ;  et  aussitôt  la  jeune  fille 
est  délivrée,  et  on  entend  le  démon,  rendant  hommage  à  la  vertu  du  nom 
de  Jésus,  s'écrier  :  «  0  nom  terrible  qui  me  violente  et  me  force  de  sor- 
tir !  »  Et  saint  Front,  arrivé  hors  des  murs  de  la  ville,  est  abandonné  par 
les  soldats  de  Sigisbert,  qui  s'en  retournent  raconter  à  leur  maître  ce  qu'ils 
ont  vu  et  entendu. 

En  quittant  les  environs  de  Bordeaux,  notre  apôtre  se  dirigea  vers  la 
ville  de  Blaye.  Il  y  prêcha  l'Evangile  pendant  quelques  jours,  et  ses  prédi- 
cations lui  donnèrent  bientôt  un  telle  faveur,  que  dix-huit  captifs  firent 
implorer  sa  protection  pour  obtenir  leur  liberté.  L'apôtre,  mû  de  compas- 
sion, intercéda  pour  eux  auprès  du  gouverneur  de  la  ville  ;  mais  celui-ci  ne 
lui  répondit  que  par  des  railleries,  et  ne  rendit  que  plus  dure  la  captivité 
de  ces  malheureux.  Saint  Front  avait  un  moyen  de  réussir  inconnu  du 
gouverneur  ;  il  eut  recours  par  la  prière  à  la  miséricorde  de  Dieu,  toujours 
plus  facile  à  pardonner  que  les  hommes.  Ce  ne  fut  pas  vainement.  Le  len- 
demain les  portes  de  la  prison  furent  ouvertes,  et  les  captifs  virent  leurs 
chaînes  brisées  par  le  ministère  des  anges.  Quant  au  gouverneur,  il  était 
loin  de  s'attendre  à  la  grâce  que  Dieu  lui  réservait.  Saint  Front  avait  aussi 
prié  pour  lui.  Touché  intérieurement  à  la  vue  de  la  délivrance  miraculeuse 
des  captifs,. il  accourut  auprès  du  saint  évoque,  se  prosterna  à  ses  pieds  et 
lui  demanda,  le  baptême.  Saint  Front  le  baptisa,  et  avec  lui  un  grand 
nombre  de  gentils,  entraînés  par  l'exemple  du  gouverneur.  Toutes  les  idoles 
de  la  ville  furent  brisées,  mises  en  poudre,  et  une  église  y  fut  bâtie  en  l'hon- 
neur et  sous  le  titre  du  Sauveur. 

De  Blaye,  saint  Front  revint  à  Saintes,  où  il  fut  honorablement  reçu  des 


612  25  OCTOBRE. 

chrétiens.  En  s'y  rendant,  il  eut  l'occasion  de  faire  un  miracle  de  miséri- 
cordieuse charité  ;  il  guérit  un  aveugle  de  naissance,  en  invoquant  le  saint 
nom  de  Jésus  et  en  formant  sur  ses  yeux  le  signe  de  la  croix.  L'apôtre  ne 
fit  pas  un  long  séjour  à  Saintes  ;  l'Esprit-Saint  le  pressait  de  se  rendre  dans 
la  ville  de  Poitiers,  célèbre  alors  par  le  culte  qu'elle  rendait  à  Jupiter, 
à  Minerve,  à  Mars  et  à  Esculape.  Dès  qu'il  fut  arrivé  il  y  commença  ses  pré- 
dications ;  mais  il  n'eut  pas  d'abord  tout  le  succès  qu'il  attendait.  Satan 
lui  suscita  pour  ennemi  le  gouverneur  de  la  ville  nommé  Arcade,  qui  le 
maltraita  et  le  chassa,  après  l'avoir  fait  battre  de  verges.  Mais,  la  nuit  sui- 
vante, il  priait  comme  son  divin  Maître  l'avait  prescrit,  pour  Arcade  son 
persécuteur,  quand  un  ange  lui  apparut  et  lui  ordonna  de  la  part  de  Dieu 
de  rentrer  dans  la  ville.  Il  eut  la  consolation  d'y  former  un  grand  nom- 
bre de  chrétiens,  auxquels  il  laissa  le  diacre  Nectaire,  après  l'avoir  sacré 
évêque. 

De  Poitiers  il  se  rendit  à  Tours,  où  il  guérit  une  fille  paralytique.  Il  fit 
dans  cette  ville  peu  de  conversions,  à  cause  des  gentils  qui  se  soulevèrent 
contre  lui  et  le  contraignirent  de  s'éloigner  et  de  se  retirer  au  Mans,  où  il 
fut  reçu  avec  de  grands  honneurs  par  les  chrétiens  de  cette  ville  et  saint 
Julien,  qui  en  était  évêque.  Après  être  resté  quelques  jours  avec  eux,  les 
encourageant  et  les  fortifiant  dans  la  foi,  il  parcourut  toute  la  province, 
évangélisant  les  peuples  qui  accouraient  sur  son  passage,  avides  de  recueil- 
lir sa  parole  et  d'être  témoins  de  ses  œuvres. 

Saint  Front  sortit  du  Maine  et  se  dirigea  vers  la  Normandie,  accompa- 
gné des  bénédictions  des  peuples  auxquels  il  avait  ouvert  les  voies  du  salut 
en  leur  faisant  connaître  Jésus-Christ.  Etant  arrivé,  à  la  tombée  de  la  nuit, 
au  milieu  des  solitudes  du  Passais,  aux  extrémités  de  la  forêt  d'Andaine,  il 
s'y  arrêta  près  d'une  rivière  appelée  la  Varenne,  qui  coule  au  pied  du  ro- 
cher sur  lequel  est  bâtie  la  ville  de  Dom-Front,  chef-lieu  d'arrondissement 
de  l'Orne.  Sa  présence  y  fut  bientôt  signalée  par  un  miracle.  Il  y  était  à 
peine  arrivé  qu'on  lui  annonça  que  le  fils  du  maître  du  lieu  où  il  se  trou- 
vait venait  de  mourir.  Saint  Front,  prévoyant  les  desseins  de  miséricorde 
que  Dieu  avait  sur  les  habitants  de  cette  contrée,  se  fit  conduire  auprès  du 
mort.  Il  passa  la  nuit  à  prier,  aidé  du  prêtre  Anian  et  du  diacre  Chro- 
nope,  et,  le  jour  étant  venu,  il  rendit  le  fils  plein  de  vie  à  son  père  et  à  sa 
mère. 

L'effet  de  ce  miracle  ne  se  fit  pas  attendre  ;  ce  père  et  cette  mère,  heu- 
reux d'avoir  recouvré  leur  fils,  demandèrent  à  l'instant  le  baptême  et  le 
reçurent  des  mains  de  saint  Front.  Un  étranger  qui  s'annonçait  par  un  tel 
miracle  devait  être  bientôt  en  faveur.  Les  habitants  de  la  contrée  accouru- 
rent écouter  la  parole  de  l'Apôtre,  et,  peu  de  temps  après,  instruits  et  bap- 
tisés par  lui,  ils  étaient  de  fervents  chrétiens.  Quant  au  jeune  homme  mi- 
raculeusement ressuscité,  il  éprouva  un  si  grand  besoin  de  témoigner  à  Dieu 
sa  reconnaissance,  qu'il  voulut  renoncer  à  tout  pour  suivre  Jésus-Christ; 
ce  qu'il  put  faire  facilement,  saint  Front  ayant  bâti  en  ce  lieu  une  église 
qu'il  pourvut  de  clercs,  fidèles  imitateurs  de  la  vie  et  des  mœurs  des  Apôtres. 
Ce  lieu,  en  mémoire  du  séjour  de  notre  Saint,  prit  dans  la  suite  le  nom  de 
Saint-Front  qu'il  porte  encore  aujourd'hui,  et,  près  de  là,  sur  le  rocher 
qui  domine  La  Varenne,  s'éleva  la  petite  ville  de  Dom-Front  dont  le  nom, 
avec  celui  de  la  paroisse  voisine,  est  un  hymne  incessant  d'amour  et  de 
reconnaissance  des  habitants  du  Passais  en  l'honneur  de  l'apôtre  du  Pér> 
gord.  Les  traditions  du  Passais  ont  conservé  le  souvenir  de  la  présence  Qc 
notre  Saint  et  de  ses  miracles.  On  raconte  encore  aujourd'hui  qu'il  bâtit 


SAINT  FRONT   OU  FRONTON,  ÉVÊQUE   ET  CONFESSEUR.  613 

un  oratoire  au  lieu  même  où  Ton  voit  l'église  paroissiale  de  Saint-Front  ; 
on  parle  aussi  de  ses  miracles,  mais  sans  les  désigner. 

Du  Passais,  saint  Front  s'avança  vers  le  Beauvaisis  où  il  ne  devait  pas 
s'arrêter,  mais  seulement  jeter  les  premières  étincelles  de  la  foi.  L'honneur 
de  convertir  lesBellovaques,  d'en  être  le  premier  apôtre,  le  premier  évêque, 
le  premier  martyr,  était  réservé  à  saint  Lucien,  qui  devait  être  envoyé  par 
saint  Clément. 

En  quittant  le  Beauvaisis,  l'apôtre  se  rendit  à  Soissons.  Il  y  prêcha 
l'Evangile,  et  sa  parole  et  ses  miracles  y  convertirent  un  grand  nombre  de 
païens  qui,  renonçant  au  culte  des  idoles,  embrassèrent  avec  joie  la  doc- 
trine de  Jésus-Christ.  A  cette  époque,  un  village  de  la  province,  appelé 
Nogéliac,  était  désolé  par  la  présence  d'un  dragon  qui  répandait  la  terreur 
dans  toute  la  contrée.  Les  chrétiens  de  Soissons  prièrent  le  Saint  de  s'y 
transporter  pour  y  détruire  le  monstre.  Saint  Front  admira  et  loua  beau- 
coup cette  charité  des  fidèles  et  partit  pour  Nogéliac.  A  peine  y  fut-il  arrivé 
qu'il  se  fit  conduire  au  lieu  où  le  dragon  faisait  sa  retraite.  Il  marchait 
seul  vers  le  lieu  que  les  païens  lui  indiquaient  de  loin  de  la  voix  et  du  geste, 
n'osant  s'approcher  eux-mêmes,  si  grande  était  la  frayeur  que  le  monstre 
leur  inspirait. 

A  la  vue  de  l'apôtre,  le  monstre,  redressant  la  tôte,  poussa  des  siffle- 
ments effroyables,  frémissant  d'épouvante  comme  s'il  avait  pressenti  quel- 
que malheur.  Mais  saint  Front  le  regardant  avec  autorité  :  «  Au  nom  de 
Jésus  »,  lui  dit-il, «  je  te  commande  de  mourir  ».  Ces  paroles  furent  comme 
la  foudre  ;  au  même  instant  le  dragon  expira.  Et  les  païens,  admirant  la 
puissance  de  saint  Front,  confessèrent  la  foi  de  Jésus-Christ,  et,  se  pros- 
ternant aux  pieds  de  l'Apôtre,  ils  demandèrent  aussitôt  la  grâce  du  bap- 
tême. Les  peuplades  voisines,  attirées  par  la  nouvelle  qui  se  répandit  bien- 
tôt de  ce  miracle,  accoururent  aussi  pour  voir  et  entendre  l'homme  extraor- 
dinaire dont  la  parole  avait  terrassé  le  dragon. 

Le  concours  en  fut  tous  les  jours  plus  nombreux;  et,  pour  satisfaire  à 
leur 'pieuse  curiosité,  le  Saint  dut  dresser  en  ce  lieu  une  cellule  et  y  rester 
plusieurs  mois,  ne  cessant  de  prêcher  Jésus-Christ  et  d'affermir  dans  la  foi 
les  nouveaux  fidèles. 

Dieu  ne  tarda  pas  à  glorifier  en  ce  lieu  son  apôtre  par  un  prodige  des 
plus  éclatants.  Un  jour,  qu'il  célébrait  les  saints  Mystères,  le  jour  de  la 
Pentecôte,  dit  la  chronique,  on  s'aperçut  que  le  vin  manquait  ;  or,  il  n'é- 
tait pas  facile  de  s'en  procurer  dans  ce  désert,  qui  n'en  produisait  pas.  Ce 
contre-temps  affligeait  beaucoup  les  fidèles  dont  la  foi  savait  déjà  goûter  et 
apprécier  le  bien  eucharistique.  Saint  Front  s'en  affligeait  aussi.  Bientôt 
on  le  vit  profondément  recueilli  :  il  priait.  Sa  prière  fut  fervente,  comme 
doit  être  la  prière  du  prêtre  à  l'autel  du  Seigneur.  Tout  à  coup  un  im- 
mense cri  d'admiration  s'échappe  de  l'assemblée  des  fidèles  ;  une  blanche 
colombe  est  aperçue  dans  ies  airs,  tenant  à  son  bec  une  petite  fiole  pleine 
de  vin.  Elle  descend,  et  plane  quelques  instants,  incertaine,  au-dessus  de 
la  tête  du  pontife.  Enfin,  elle  se  pose  sur  l'autel,  y  laisse  la  petite  fiole  et 
reprend  son  vol,  répandant  après  elle  une  suave  odeur,  l'odeur  du  parfum 
le  plus  doux*  Saint  Front  rend  grâces  à  Dieu  d'un  tel  bienfait  et  continue 
l'oblation  du  sacrifice.  Les  fidèles,  ravis  du  prodige  accompli  sous  leurs 
yeux,  confondent  l'expression  de  leur  reconnaissance  avec  celle  du  pontife 
et  disent  avec  des  transports  d'amour  :  «  Le  Seigneur  est  grand  et  vraiment 
digne  de  toute  louange  ;  c'est  lui  qui  est  Dieu,  il  est  notre  Dieu  pour  l'éter- 
nité et  il  régnera  sur  nous  dans  tous  les  siècles  ». 


(344  25  OCTOBRE. 

Le  souvenir  du  séjour  de  notre  Saint  s'est  précieusement  conservé  dans 
ce  lieu  qui,  depuis  ce  moment,  s'est  appelé  Saint-Front,  et  la  petite  ville 
qui  fut  bâtie  près  de  là,  vers  le  vme  siècle,  ajouta  à  son  nom  le  nom  du 
Saint  et  s'appela  Neuilly-Saint-Front  (Nogeliacum  sancti  Frontonis),  chef-lieu 
de  canton  dans  l'arrondissement  de  Château-Thierry. 

Ici  tout  raconte  les  deux  miracles  dont  nous  venons  de  parler,  et  les 
siècles  n'ont  pu  détruire  les  monuments  chargés  d'en  transmettre  le  sou- 
venir jusqu'à  la  dernière  génération. 

Quant  au  miracle  de  la  destruction  du  dragon,  dont  le  souvenir  s'est 
transmis  d'une  génération  à  l'autre,  il  est  constaté  sur  des  tableaux,  des 
statues  et  autres  monuments  qui  se  rattachent  au  séjour  de  l'apôtre  dans 
ces  contrées.  La  nature  même  du  terrain  favorise  la  croyance  à  ce  mi- 
racle :  malgré  les  changements  que  la  culture  lui  a  fait  subir,  il  offre  en- 
core un  aspect  marécageux  et  tourbeux,  et  permet  de  supposer  qu'aux 
temps  anciens  le  monstre  pouvait  y  trouver  une  facile  retraite. 

Un  puissant  seigneur  de  Lorraine  avait  une  fille  unique,  tourmentée 
cruellement  par  le  démon,  lequel,  adjuré  de  sortir  de  son  corps  et  de 
l'abandonner,  avait  répondu  :  «  Je  ne  sortirai  que  lorsque  je  serai  chassé 
par  le  bienheureux  Front,  disciple  de  Jésus  de  Nazareth  ».  Ce  seigneur 
envoya  donc  à  Soissons  chercher  le  Saint  qui  se  hâta  de  venir  et  guérit  la 
possédée.  Le  bruit  du  miracle  vola  jusqu'à  Metz,  dont  Clément  était  évêque, 
envoyé  en  même  temps  que  saint  Front  par  l'apôtre  saint  Pierre.  Clément 
bénit  Dieu  des  œuvres  qu'on  lui  racontait-de  saint  Front;  il  vint  à  lui  et  le 
pria  d'honorer  de  sa  présence  la  ville  de  Metz. 

L'entrevue  des  deux  évêques  fut  des  plus  affectueuses.  Us  se  saluèrent 
en  se  donnant  le  saint  baiser  accompagné  de  la  charité  la  plus  ardente.  Ils 
ne  s'étaient  point  vus  depuis  le  jour  qu'ils  avaient  reçu  ensemble  leur  mis- 
sion du  chef  des  Apôtres.  Ils  passèrent  donc  cette  journée  et  une  partie  de 
la  nuit  dans  de  pieux  entretiens,  se  racontant  mutuellement  leurs  travaux 
apostoliques  et  ce  qu'ils  avaient  eu  à  souffrir  de  la  part  des  peuples  païens, 
priant  ensemble  et  récitant  des  psaumes.  Ils  rompirent  ensemble  le  pain 
sacré,  s'encourageant  et  se  fortifiant  mutuellement  par  de  douces  paroles. 

Le  lendemain  ils  prirent  la  route  de  Metz.  Or,  pendant  qu'ils  marchaient 
et  trompaient  les  fatigues  du  chemin  par  une  sainte  conversation,  ils  ren- 
contrèrent un  enfant  retenu  par  un  serpent  énorme  qui  s'était  entortillé 
autour  de  son  corps.  Saint  Front,  ému  de  pitié,  fit  à  Dieu  cette  prière  : 
«  Seigneur,  qui  avez  régénéré  par  votre  sang  précieux  le  genre  humain 
chassé  du  paradis  par  les  ruses  du  serpent,  écoutez  ma  prière  !  Que  ce  ser- 
pent meure  et  que  cet  enfant  soit  délivré,  et  que  tout  le  monde  connaisse 
que  vous  êtes  le  libérateur  de  ceux  qui  croient  en  vous  !  »  A  l'instant  le 
serpent  expira,  l'enfant  n'ayant  aucune  blessure.  Et  les  deux  saints  évêques, 
remerciant  et  louant  Dieu,  arrivèrent  à  la  ville  de  Metz. 

La  présence  de  notre  Saint  fut  bientôt  signalée  dans  cette  ville  par  la 
délivrance  de  deux  énergumènes  qu'il  guérit  en  formant  sur  eux  le  signe 
de  la  croix  et  en  invoquant  le  saint  nom  de  Jésus.  Il  parut  plusieurs  fois 
aux  assemblées  des  fidèles,  leur  distribuant  et  le  pain  de  la  parole  et  le  pain 
eucharistique,  et  les  encourageant  à  rester  fermes  dans  la  foi. 

Il  n'est  point  dit  si  notre  Saint  fit  un  long  séjour  à  Metz,  en  la  compa- 
gnie de  saint  Clément  ;  il  est  présumable  qu'il  y  resta  peu  de  jours.  Depuis 
longtemps  l'Esprit-Saint  lui  suggérait  le  désir  de  visiter  saint  Georges  et 
les  fidèles  de  l'église  de  Vélaunes.  Il  voulait  aussi  remplir  un  autre  pieux 
devoir,  non  moins  cher  à  son  cœur,  aller  saluer  sainte  Marthe,  qui  souvent 


SAINT  FRONT  OU  FRONTON,  ËVÈQUE  ET  CONFESSEUR.  615 

lui  avait  donné  à  manger  et  l'avait  reçu  dans  sa  maison  lorsqu'il  était  en  la 
compagnie  de*  Jésus.  Elle  était  en  ce  moment  dans  la  Provence,  en  un  lieu 
appelé  depuis  Tarascon. 

Il  quitta  donc  la  ville  de  Metz,  et  s'achemina  vers  les  montagnes  du 
Velay.  Mais,  dans  le  même  temps,  Georges,  son  ami,  avait  quitté  Vélaunes, 
fuyant,  lui  aussi,  la  persécution,  et  était  descendu  dans  la  Gaule  Narbon- 
naise,  en  évangélisant  plusieurs  peuples,  et,  après  de  longs  travaux,  le  dé- 
sir de  revoir  saint  Front  l'attirait  vers  le  Périgord.  Dieu  permit  qu'ils  se 
rencontrassent.  Ils  tressaillirent  de  joie,  et  leur  première  pensée  fut  de 
remercier  Dieu.  Bientôt  samt  Front  communiqua  à  saint  Georges  son  dé- 
sir de  visiter  sainte  Marthe,  les  deux  amis  se  dirigèrent  ensemble  vers  la 
Provence  et  arrivèrent  au  lieu  où  la  Sainte  faisait  sa  demeure.  Ils  entrèrent 
chez  Marthe  comme  ils  y  entraient  dans  la  Judée  à  la  suit©  de  Jésus- 
Christ  ,  et  Marthe  les  reçut  comme  elle  recevait  Jésus-Christ  et  pqs 
Apôtres. 

Ils  passèrent  plusieurs  jours  dans  de  pieux  entretiens,  dans  la  prière  et 
la  récitation  des  psaumes.  Marthe,  remplie  de  sollicitude  pour  les  deux 
apôtres,  apporta  tous  ses  soins  à  les  consoler  et  à  les  encourager,  et  leur 
prédit  que  la  persécution  cesserait  bientôt,  qu'ils  reviendraient  à  leurs 
églises  et  auraient  la  consolation  d'y  convertir  à  la  foi  leurs  persécuteurs. 
Avant  leur  départ,  la  Sainte  voulut  avoir  un  entretien  plus  intime  avec 
saint  Front.  «Sachez»,  lui  dit-elle  ensuite,  «  qu'avant  la  fin  de  l'année 
je  quitterai  cette  terre  pour  aller  à  Dieu.  Vous  voudrez  bien  venir  donner 
la  sépulture  à  mon  corps  ».  —  «  Je  viendrai  »,  lui  répondit  saint  Front,  «  si 
Dieu  veut  me  laisser  sur  la  terre  après  vous  ». 

En  quittant  sainte  Marthe,  saint  Front  et  saint  Georges  résolurent  d'aller 
visiter  saint  Saturnin,  leur  ami,  élevé  comme  eux  à  l'école  du  Sauveur,  et 
ils  se  dirigèrent  vers  la  ville  de  Toulouse.  Ils  s'y  promettaient  les  douces 
jouissances  que  peut  procurer  l'amitié  ;  mais,  déjà  Saturnin  avait  été  cou- 
ronné de  la  palme  du  martyre.  Aussi  ne  firent-ils  pas  un  long  séjour  dans 
cette  ville;  bientôt  ils  se  séparèrent  pour  retourner  chacun  à  son  troup3au, 
s'étant  promis  auparavant  que  le  survivant  des  deux  assisterait  aux  funé- 
railles de  l'autre. 

Toutefois,  d'après  quelques  historiens,  le  passage  de  saint  Front  fut 
marqué  dans  la  ville  de  Toulouse.  Il  y  prêcha  l'Evangile  aux  fidèles  et  aux 
gentils  qui  accouraient  en  foule  pour  l'entendre.  Il  est  même  rapporté 
qu'un  jeune  homme  s'étant  noyé  dans  le  fleuve  qu'il  avait  voulu  traverser 
à  la  nage  pour  aller  écouter  saint  Front,  l'apôtre  le  ressuscita  en  invoquant 
sur  lui  le  nom  de  Jésus.  Ce  miracle  fit  une  salutaire  impression  sur  l'esprit 
des  gentils,  dont  plusieurs  se  convertirent  à  Jésus-Christ  et  reçurent  le 
baptême.  Il  est  également  rapporté  que  saint  Front  consacra  dans  cette 
ville,  en  l'honneur  du  martyr  saint  Etienne,  une  église  que  saint  Martial 
et  saint  Saturnin  avaient  bâtie.  Du  reste,  la  ville  de  Toulouse  avait  con- 
servé un  précieux  souvenir  de  notre  apôtre.  L'office  de  saint  Front  se  trou- 
vait encore  dans  sa  liturgie  en  4612  ;  il  avait  même  le  rang  de  double-ma- 
jeur dans  le  directoire  particulier  du  chapitre  de  Saint-Sernin. 

La  légende  rapporte  que  saint  Front  prêcha  l'Evangile  dans  l'Agenais, 
«  où  il  fit  des.  largesses  aux  pauvres,  donna  la  santé  aux  malades  et  con- 
vertit à  la  foi  un  seigneur  du  pays  d'Agen  avec  un  grand  nombre  de 
peuple  ».  Ce  fut  sans  doute  en  revenant  de  Toulouse  à  Vésone  qu'il  tra- 
versa ce  pays  où  déjà  saint  Martial,  l'apôtre  de  l'Aquitaine,  avait  prêché 
l'Evangile.  L'Agenais  a  conservé  le3  traces  du  passage  de  saint  Front.  Nous 


616  25  OCTOBRE. 

y  trouvons  deux  églises  qui  portent  son  nom  *,  érigées  sans  doute  en 
mémoire  de  quelques  faits  miraculeux,  recueillis  par  les  traditions  lo- 
cales. 

De  l'Agenais,  saint  Front  se  hâta  d'entrer  dans  le  Périgord.  Il  était 
pressé  par  sa  charité  et  l'inspiration  divine  de  retourner  auprès  des  fidèles 
de  Vésone.  Le  divin  Maître  avait  daigné  lui  prédire  qu'à  son  retour  de 
l'exil,  il  aurait  la  consolation  de  voir  converti  à  la  foi  Squirius,  son  persé- 
cuteur ;  et  sainte  Marthe  lui  avait  renouvelé  cette  prédiction.  En  effet,  la 
patience  des  chrétiens  dans  les  supplices  et  les  tortures,  la  charité  qui 
régnait  parmi  eux,  la  chasteté  de  leurs  mœurs,  leur  vie  irréprochable, 
avaient  vivement  touché  le  gouverneur  de  Vésone,  et  la  foi,  pénétrant  peu 
à  peu  dans  son  âme,  avait  ramolli  son  caractère. 

Apprenant  le  retour  de  saint  Front,  il  voulut  aller  à  sa  rencontre.  Il 
sortit  de  la  ville  avec  quelques-uns  de  ses  plus  intimes  qui,  à  son  exemple, 
avaient  ouvert  leur  âme  aux  rayons  de  la  foi.  Du  plus  loin  qu'il  aperçut 
l'apôtre,  il  courut  à  lui,  se  jeta  à  ses  pieds,  lui  fit  l'aveu  de  ses  crimes,  le 
pria  de  lui  pardonner  et  de  lui  accorder  la  grâce  du  baptême.  Saint  Front 
s'empressa  de  le  relever  et  remercia  Dieu  avec  une  grande  effusion  de  joie. 
Puis,  suivant  Squirius,  il  rentra  avec  lui  dans  la  cité  de  Vésone,  comme  un 
triomphateur.  Après  l'avoir  instruit  et  s'être  assuré  de  la  sincérité  de  sa 
foi,  saint  Front  le  baptisa  et  lui  donna  le  nom  de  Georges,  en  souvenir  de 
son  ami  l'apôtre  du  Velay. 

Dès  qu'il  fut  rentré  dans  sa  ville  épiscopale,  saint  Front  s'occupa  de 
réparer  les  brèches  qu'en  son  absence  le  démon  avait  faites  à  l'édifice  chré- 
tien. La  présence  de  l'apôtre,  ses  prédications,  ses  miracles  eurent  bientôt 
ranimé  dans  les  âmes  le  feu  sacré.  Une  révélation  que  Dieu  daigna  lui  faire 
produisit  surtout  un  salutaire  effet.  Un  jour  il  prêchait  non  loin  des  murs 
de  la  ville.  Au  moment  où  les  fidèles,  avides  de  recevoir  la  sainte  parole, 
étaient  profondément  recueillis  et  attentifs,  il  cessa  tout  à  coup  de  parler 
et  resta  dans  l'attitude  d'un  homme  livré  à  une  profonde  réflexion  ;  son 
regard  était  fixe,  son  corps  immobile,  il  semblait  ne  pas  respirer.  Cepen- 
dant les  traits  de  son  visage  se  contractaient  sous  l'impression  de  la  dou- 
leur, et  des  larmes  coulaient  sur  ses  joues;  on  voyait  qu'il  souffrait.  Les 
fidèles,  les  yeux  fixés  sur  lui,  le  contemplaient  avec  admiration  et  ne  sa- 
vaient que  penser  de  son  silence.  Peu  après,  ils  sympathisèrent  à  son  état  ; 
eux  aussi  ils  pleuraient,  et  ce  ne  fut  bientôt  dans  l'assemblée  que  sanglots 
et  gémissements.  Enfin,  l'apôtre  revenu  de  son  extase,  s'écria  par  trois 
fois  :  «  Gloire  à  Dieu  !  Gloire  à  Dieu!  Gloire  à  Dieu  !  »  —  «  Père  »,  lui 
dirent  les  fidèles,  «  qu'avez -vous  vu?  Vous  avez  bien  souffert».  Alors  le 
Saint  leur  apprit  comment  Dieu  venait  de  lui  révéler  et  de  lui  faire  voir  le 
martyre  de  l'apôtre  saint  Pierre,  crucifié  à  Rome  par  les  ordres  de  Néron. 
Il  leur  dit  comment  le  saint  Apôtre,  le  digne  chef  de  l'Eglise,  se  trouvant 
indigne  d'être  traité,  même  dans  les  tourments,  comme  son  divin  Maître, 
avait  demandé  et  obtenu  d'être  crucifié  la  tête  en  bas.  Il  profita  ensuite  de 
cette  occasion  pour  leur  dire  comment  saint  Pierre  avait  été  constitué  par 
Jésus-Christ  chef  de  son  Eglise,  contre  laquelle  les  portes  de  l'enfer  ne 
prévaudront  jamais.  Il  ajouta  que  cette  mort  de  saint  Pierre  glorifiait  Dieu, 
et  prouvait  la  divinité  de  Jésus-Christ  qui  la  lui  avait  prédite  en  présence 
des  autres  apôtres  et  des  disciples.  En  reconnaissance  de  cette  révélation, 
et  pour  en  perpétuer  le  souvenir,  le  saint  Evoque  voulut  qu'une  église  fût 

1.  Saint-Front,  dans  le  canton  de  Duras,  et  Saint-Front,  dans  le  canton  de  Fumel,  à  l'entrée  du  Péri- 
gord. Cette  dernière  église  est  du  x«  siècle. 


SAINT  FRONT  OU  FRONTON,   ÉVÊQUE  ET  CONFESSEUR.  G17 

bâtie  en  ce  lieu  môme  sous  l'invocation  de  saint  Pierre,  et  il  en  jeta  sur 
l'heure  les  fondements  l. 

Mais  le  zèle  du  saint  apôtre  ne  devait  point  se  renfermer  dans  l'enceinte 
de  sa  ville  épiscopale.  Il  voulut  parcourir  les  diverses  parties  de  la  pro- 
vince, ne  se  bornant  point  cette  fois  à  s'y  faire  remplacer  par  ses  disciples. 
A  la  prière  des  habitants  de  Lalinde,  il  chassa  un  dragon  énorme  qui, 
depuis  quelque  temps,  faisait  sa  retraite  dans  une  caverne,  en  face  de 
cette  ville,  sur  les  bords  de  la  Dordogne.  Le  souvenir  s'en  est  conservé 
dans  les  traditions  du  pays.  On  montre  encore  la  grotte  du  dragon,  et  sur 
le  sommet  de  la  montagne  s'élève  une  petite  église  appelée  Saint-Front-de- 
Colubri.  Et  les  marins,  lorsqu'ils  passent  sous  le  rocher,  en  descendant  ou 
en  remontant  le  cours  de  la  Dordogne,  font  le  signe  de  la  croix  et  deman- 
dent une  heureuse  navigation  à  l'apôtre  du  Périgord. 

11  est  probable  que  saint  Front  séjourna  quelque  temps  aux  environs 
de  Lalinde,  à  Lanquais,  où  l'on  montre  encore  le  lieu  où  était  sa  demeure. 
De  là  l'origine  des  traditions  qui  existent  en  ces  lieux,  et  qui  ont  fait  croire 
à  quelques  écrivains  que  saint  Front  y  était  né. 

D'autres  lieux,  dans  le  Périgord,  ont  conservé  le  souvenir  de  la  pré- 
sence du  saint  apôtre.  Les  églises  de  Saint-Front- d'Alemps,  Saint-Front- 
Larivière,  Saint-Front-de-Pradoux,  Saint-Front-de-Champniers,  Saint-Front- 
de-Clermont,  Saint-Front-de-Cbampagnac,  Saint-Front-de-Douville,  Saint- 
Front-de-Bru,  furent  fondées  en  mémoire  des  miracles  que  saint  Front  avait 
opérés  dans  ces  lieux. 

A  Saint-Front- de-Pradoux,  principalement,  nous  trouvons  des  traces 
plus  marquées  du  passage  de  notre  apôtre.  L'église  de  cette  paroisse,  qui 
remonte  au  xie  siècle,  dut  remplacer,  sans  nul  doute,  une  église  plus  an- 
cienne, celle-ci  construite  en  mémoire  du  séjour  du  Saint.  En  effet,  une 
tradition,  vivante  encore  dans  le  pays,  rapporte  que  saint  Front  habita 
dans  les  grottes  au-dessus  desquelles  est  bâtie  cette  église  et  dont  l'une 
s'avance  jusque  sous  le  sanctuaire,  formé  d'une  chapelle  plus  ancienne  que 
le  reste  de  l'édifice.  Il  s'établit  dans  cette  église,  et  peut-être  à  l'origine 
dans  cette  grotte,  un  pèlerinage,  une  dévotion,  qui  attestent  la  pensée  de 
rendre  un  culte  spécial  à  saint  Front,  et  dont,  l'existence  s'expliquerait  dif- 
ficilement si  l'on  refusait  d'y  admettre  le  séjour  du  Saint. 

Sainte  Marthe  avait  prié  saint  Front  d'assister  à  ses  funérailles  :  nous 
avons  raconté  dans  la  vie  de  cette  Sainte  comment  il  s'acquitta  de  ce  de- 
voir (29  juillet).  Le  divin  Maître,  qui  l'aimait,  voulut  bien  l'avertir,  comme 
il  avait  averti  sainte  Marthe,  et  lui  faire  connaître  le  jour  fixé  pour  la  ré- 
compense perpétuelle  de  ses  travaux. 

Un  jour  que  le  Saint  était  à  l'autel,  célébrant  les  mystères  sacrés,  Jésus- 
Christ  lui  apparut  en  la  compagnie  des  anges  et  au  milieu  d'une  éclatante 
lumière,  et  lui  dit  :  «  Venez  à  moi,  mon  bien-aimé,  venez  en  ma  gloire, 
pour  être  récompensé  de  vos  labeurs  ».  Et  saint  Front,  élevant  ses  mains  et 
ses  yeux  vers  le  divin  Maître,  lui  dit  :  «  Mon  doux  Jésus,  qui  n'avez  pas 
voulu  me  cacher  les  secrets  de  vos  conseils,  et  qui  m'avez  prodigué  en  mon 
exil  vos  douces  consolations,  recevez-moi.  Depuis  longtemps  je  désire  de 
vous  voir  et  de  vous  contempler!  Je  vous  recommande,  ô  doux  amour  de 

1.  Il  existe  encore  une  partie  de  cette  église  dite  de  Saint-Pierre-Laney,  ou  l'ancien.  Elle  sert  de 
grenier  a  foin.  Elle  est  située  au  sud-est  de  l'église  de  la  Cité,  au  fond  de  la  place  Francheville,  sur  le 
chemin  qui  conduit  à  la  tour  de  V«5sone.  Sa  construction  accuse  le  vi«  siècle,  mais  évidemment  elle  dut 
Stic  bâtie  sur  une  église  plus  ancienne,  puisque,  dans  le  xv«  siècle,  on  trouva  sous  son  sol,  dit  M.  da 
Taillefer.  le  corps  de  saint  Léonce,  évoque  de  Périgueux  vers  le  milieu  du  iv*  siècle. —  Antiq.  de  Vésone, 
t.  H,  p.  583. 


618  25  OCTOBRE. 

mon  âme,  les  brebis  que  votre  vicaire  m'a  confiées  ».  Et  Jésus  lui  répondit  : 
«  Votre  demande  vous  est  accordée,  et  dans  huit  jours  je  vous  appellerai 

à  moi  ». 

Saint  Front,  descendu  de  l'autel,  rassemble  ses  prêtres,  leur  fait  part 
de  sa  vision  et  leur  apprend  que,  dans  huit  jours,  il  quittera  la  terre  pour 
aller  au  ciel,  les  tribulations  de  l'exil  pour  les  joies  de  la  céleste  patrie.  Il 
les  exhorte  à  s'aimer  fraternellement  les  uns  les  autres,  et  leur  parle  de  sa 
mort  avec  toutes  les  ardeurs  d'une  âme  saintement  passionnée  pour  le 
ciel  ;  puis  il  leur  dit  :  «  Vous  ensevelirez  mon  corps  et  le  placerez  auprès 
des  saints  martyrs,  mes  disciples  bien-aimés,  Frontaise,  Séverin  et  Sévé- 
rien».  La  nouvelle  de  la  mort  prochaine  de  saint  Front  s'était  bientôt 
répandue  de  proche  en  proche,  non-seulement  dans  la  cité  de  Vésone, 
mais  aussi  dans  les  lieux  d'alentour.  Elle  avait  apporté  de  toutes  parts  la 
consternation. 

Son  premier  soin  fut  de  choisir  son  successeur,  de  laisser  un  autre 
père  à  ses  enfants,  un  autre  pasteur  à  son  troupeau.  Calépode,  ce  disciple 
qui  avait  gouverné  l'église  de  Vésone  pendant  l'exil  du  Saint,  avait  déjà 
reçu  la  récompense  de  ses  travaux,  et,  depuis  sa  mort,  saint  Front  avait 
jeté  ses  vues  sur  Anian,  autre  disciple  très-fervent  et  très-zélé.  Il  s'était 
appliqué  à  lui  inspirer  les  vertus  propres  à  former  un  saint  évêque  ;  et,  au 
moment  où  il  lui  annonça  qu'il  l'avait  choisi  pour  son  successeur,  il  lui 
recommanda  d'une  manière  expresse  la  douceur  et  l'humilité,  ces  deux 
vertus  qui  caractérisaient  le  cœur  de  Jésus-Christ  ;  et  il  lui  dit  :  «  Le  divin 
Maître  nous  disait  :  Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  et  humble  de  cœur. 
Soyez  donc  vous-même  doux  et  humble  envers  tous.  Il  nous  a  donné 
l'exemple  afin  que  nous  fassions  comme  il  a  fait  ». 

Le  huitième  jour  venu,  il  se  fit  un  grand  concours  de  peuple,  accouru 
pour  entendre  les  dernières  paroles  du  Saint,  recevoir  ses  derniers  conseils 
et  sa  dernière  bénédiction.  Le  visage  de  l'heureux  prédestiné  était  tout 
rayonnant  de  joie,  symbole  visible  de  la  gloire  dont  il  allait  être  revêtu 
dans  le  ciel.  Il  célébra  les  saints  Mystères,  prêcha  longtemps  à  ce  peuple 
qui  ne  se  lassait  point  de  l'entendre  ;  puis,  en  présence  de  tout  le  peuple, 
il  imposa  les  mains  à  celui  qu'il  avait  désigné  pour  son  successeur,  et,  por- 
tant ses  regards  vers  le  ciel,  il  rendit  grâces  à  Dieu  et  lui  recommanda  les 
âmes  qu'il  lui  avait  acquises  ;  et  bénissant  son  troupeau,  il  s'écria  :  «  Que 
le  Dieu  tout-puissant  vous  bénisse  dans  son  amour  I  Qu'il  répande  sur  vous 
le  sentiment  de  la  sagesse  !  Qu'il  vous  donne  une  charité  parfaite  et  vous 
conserve  dans  la  foi  que  je  vous  ai  prêchée  !  Qu'il  dirige  toujours  vos  pas 
dans  les  voies  de  la  vraie  vie  et  vous  montre  le  chemin  de  la  paix  et  de  la 
charité  !  » 

L'oblation  du  sacrifice  étant  terminée,  le  saint  Apôtre  se  prosterna 
devant  l'autel  de  Saint-Etienne.  Il  fut  à  l'instant  enveloppé  d'une  vive 
lumière,  et  on  entendit  une  voix  qui  l'appelait  à  la  couronne  et  au  ciel  où 
son  nom  était  écrit  dans  le  livre  de  vie.  Elevant  la  voix,  il  remercia  une 
fois  encore  la  très-sainte  Trinité  et  rendit  doucement  son  âme  à  Dieu. 
G' était  le  25  octobre,  la  quarante-deuxième  année  après  la  mort  de  Notre- 
Seigneur,  qui  était,  selon  le  cardinal  Baronius,  la  septième  du  pontificat 
de  saint  Lin  et  la  cinquième  du  règne  de  Vespasien. 

Le  même  jour  et  à  la  même  heure,  saint  Georges,  l'ami  de  saint  Front, 
célébrait  les  saints  Mystères  dans  son  église  de  Vélaunes.  Il  fut  ravi  par 
l'Esprit  de  Dieu,  et  il  vit  saint  Front,  accompagné  d'une  troupe  d'anges, 
de  trois  diacres  et  de  deux  clercs  portant  des  flambeaux  devant  lui,  s'élever 


SAINT  FRONT   OU  FRONTON,   ÉVÊQUE  ET  CONFESSEUR.  619 

vers  le  ciel,  le  visage  resplendissant  de  gloire  et  la  tête  ornée  d'une  bril- 
lante couronne.  Il  le  vit  triomphant,  et  il  l'entendit  lui  dire  :  «  Mon  frère, 
je  vous  bénis,  vous  et  votre  troupeau  ;  je  vous  précède  dans  le  ciel.  Il  est 
temps  que  vous  vous  transportiez  à  mes  funérailles*  suivant  la  promesse 
que  vous  m'en  avez  faite  ».  La  vision  disparut;  et  saint  Georges,  retour- 
nant vers  les  fidèles  assemblés,  leur  dit  :  «  Saint  Front,  chères  âmes,  vous 
bénit  dans  sa  bénédiction  dernière  ;  il  est  allé  à  Dieu  ».  Et  le  saint  évoque 
s'empressa  de  prendre  la  route  du  Périgord,  pour  aller  rendre  les  derniers 
devoirs  à  son  ami. 

Cependant,  à  Vésone,  la  mort  de  saint  Front  avait  jeté  le  deuil  dans 
toutes  les  âmes,  on  se  pressa  autour  du  défunt.  Bientôt  commencèrent  les 
funérailles  qui,  selon  l'usage  établi  par  les  Apôtres  et  selon  que  le  Saint 
lui-môme  l'avait  pratiqué  pour  ses  disciples,  durèrent  plusieurs  jours.  Le 
concours  du  peuple  fut  immense,  et  le  chant  des  Psaumes  ne  discontinua 
pas.  Les  fidèles  venaient,  les  uns  après  les  autres,  se  prosternant,  vénérant 
les  restes  aimés  de  leur  saint  évoque,  louant  et  priant  Dieu. 

Après  plusieurs  jours,  il  fallut  transporter  le  corps  à  l'oratoire  de  Notre- 
Dame,  dans  le  lieu  que  le  Saint  lui-même  avait  désigné,  à  côté  des  tom- 
beaux des  martyrs,  ses  disciples.  Déjà  le  saint  apôtre  du  Velay  avait  eu  le 
temps  d'arriver  à  Vésone.  Grand  fut  l'étonnement  des  fidèles  au  récit  de  la 
vision  qui  lui  avait  fait  connaître  la  mort  de  son  ami.  Mais  à  l'étonnement 
succéda  bientôt  la  plus  douce  joie,  la  joie  de  l'âme  que  l'onction  divine 
console  ;  et  tous  remercièrent  Dieu  de  la  récompense  qu'il  avait  accordée 
à  leur  saint  pasteur,  et  ils  disaient  :  «  Le  Seigneur,  notre  Dieu,  est  vrai- 
ment grand  ;  sa  puissance  est  infinie  et  sa  sagesse  n'a  point  de  bornes  ». 
Dieu,  lui-même,  voulut  manifester  que  lé  ciel  prenait  part  à  ces  témoi- 
gnages de  respect  et  de  vénération  accordés  au  corps  de  son  serviteur.  Pen- 
dant qu'on  le  transportait  à  l'oratoire  de  Notre-Dame,  les  voix  des  anges 
furent  entendues  dans  les  airs,  se  mêlant  aux  chants  des  prêtres  et  des 
fidèles,  célébrant  les  louanges  du  Saint  et  rendant  grâces  à  Dieu.  Dès  qu'on, 
l'eut  déposé  dans  l'oratoire,  il  s'en  exhala  une  odeur  si  suave,  qu'elle  em- 
baumait tous  ceux  qui  entraient  dans  le  lieu  de  sa  sépulture.  Le  même 
jour,  trois  aveugles  recouvrèrent  la  vue,  trois  muets  la  parole,  trois  boi- 
teux furent  redressés  et  six  démoniaques  délivrés,  en  approchant  du  corps 
du  saint  Apôtre. 

Cependant,  les  cérémonies  des  funérailles  étaient  terminées,  saint 
Georges  et  Anian,  le  nouvel  évêque  de  Vésone,  déposèrent  dans  la  terre  le 
corps  du  saint  Apôtre,  renfermé  dans  un  cercueil  de  plomb,  dans  lequel 
ils  avaient  gravé,  sur  une  lame  du  même  métal,  cette  inscription  pour  la 
mémoire  des  siècles  futurs  :  «  Ici  repose  le  corps  du  bienheureux  Front, 
disciple  de  Jésus-Christ  et  fils  bien-aimé  de  l'apôtre  saint  Pierre  par  le 
baptême  ». 

On  a  représenté  les  traits  suivants  de  la  vie  de  saint  Front  :  1°  Saint 
Pierre,  sur  le  commandement  de  Jésus-Christ,  baptise  saint  Front,  qui  est 
debout  dans  un  baptistère,  le  corps  nu  et  les  mains  jointes  sur  la  poitrine. 
Près  du  baptistère  sont  debout  un  homme  et  une  femme,  sans  doute 
Siméon  et  F^ontonia,  celle-ci  tenant  la  tunique  bleue  de  son  fils.  Derrière 
se  dressent  plusieurs  têtes  qui  regardent  avec  étonnement,  et  semblent 
vouloir  se  rendre  compte  du  mystère  qui  s'accomplit  ;  2°  Saint  Front  est 
sur  une  place  publique  de  Rome  ;  on  lui  amène  une  jeune  fille  enchaînée, 
qui  se  jette  à  ses  genoux.  L'Apôtre  fait  le  signe  de  la  croix  et  la  délivre  du 
démon,  dont  elle  est  possédée;  3°  Saint  Front,  à  genoux  devant  saint 


620  25  OCTOBRE. 

Pierre,  reçoit  le  bâton  qui  doit  ressusciter  saint  Georges  ;  4°  Saint  Front 
ressuscite  saint  Georges,  en  posant  sur  son  corps  le  bâton  de  saint  Pierre  ; 
puis  il  parle  au  peuple  étonné  du  miracle  qui  vient  de  s'accomplir;  5°  Saint 
Front  se  rend  auprès  d'Aurélius  qui  Ta  fait  prier  de  venir  dans  son  palais 
pour  le  guérir  d'une  douloureuse  infirmité.  En  chemin  une  mère  éplorée 
lui  présente  son  enfant  qu'on  vient  de  retirer  d'un  puits.  Saint  Front  le 
ressuscite  en  lui  faisant  toucher  son  manteau.  Un  peu  plus  loin,  un  aveu- 
gle se  jette  à  ses  genoux  et  lui  demande  la  vue.  Dans  le  fond  du  tableau 
apparaît  Aurélius,  sur  la  porte  de  son  palais,  venant  recevoir  saint  Front  ; 
6°  Saint  Front  est  à  genoux  devant  le  temple  de  Vésone  ;  il  a  renversé  la 
statue  de  Vénus;  un  dragon  en  est  sorti  dont  l'haleine  empoisonnée  a  fait 
mourir  sept  païens.  L'Apôtre  prie  Dieu  de  les  ressusciter  ;  7°  Squirius,  gou- 
verneur de  Vésone,  est  assis  sur  son  tribunal.  Il  interroge  saint  Front  qui 
lui  est  amené  par  quatre  satellites  ;  8°  Saint  Front  est  à  genoux  devant 
Squirius  ;  à  côté  se  tiennent  debout  ses  quatre  disciples.  Sur  l'ordre  de 
Squirius  un  soldat  veut  trancher  la  tête  à  saint  Front  ;  mais  le  bras  et  le 
glaive  restent  levés  sans  pouvoir  frapper. 


CULTE  ET  RELIQUES.  —  MONUMENTS. 

Il  s'établit  au  tombeau  de  saint  Front  un  pèlerinage  fameux  où  l'on  voyait  venir  même  des 
hommes  des  pays  lointains.  La  cité  de  Périgueux,  voulant  perpétuer  le  souvenir  de  ces  pèleri- 
nages, appela  Hérias,  ou  sacrée,  la  rue  que  suivaient  les  pèlerins  pour  se  rendre  au  tombeau  du 
saint  apôtre.  Deux  célèbres  personnages  vinrent  prier  sur  le  tombeau  de  saint  Front  :  saint 
Hilaire,  évèque  de  Poitiers  au  iv®  siècle,  l'insigne  docteur  de  l'Eglise,  le  très-généreux  défenseur 
de  la  foi,  et  saint  Gaugeric,  évêque  de  Cambrai  au  vi«  siècle,  dont  l'église  possédait  de  riches 
propriétés  dans  le  Périgord. 

Le  corps  de  saint  Front,  inhumé  d'abord  dans  le  modeste  oratoire  de  Notre-Dame,  y  resta  jus- 
qu'au vie  siècle.  Il  en  fut  retiré  alors  par  Chronope  II  pour  être  placé  dans  une  église  plus  vaste 
que  le  pieux  évèque  avait  bâtie  en  l'honneur  du  Saint,  à  côté  du  petit  oratoire. 

Chronope  s'assura  alors  de  l'authenticité  de  la  précieuse  relique  ;  à  l'ancienne  inscription  que 
nous  avons  citée  et  qu'il  jugea  par  trop  concise  pour  les  siècles  futurs,  il  en  joignit  une  autre 
gravée  sur  une  lame  de  cuivre  et  qu'il  plaça  dans  le  cercueil  avec  la  première.  Il  ferma  ensuite  le 
cercueil  de  plomb  qu'il  revêtit  d'un  second  cercueil  de  bois  très-épais  et  entouré  de  fortes  lames 
de  fer. 

Exhumé  de  l'oratoire,  le  corps  fut  placé  au  milieu  de  la  nouvelle  église.  La  translation  s'en  fit 
avec  la  plus  grande  pompe.  Dieu  daigna  récompenser  par  plusieurs  miracles  et  le  zèle  du  pasteur 
et  la  piété  du  troupeau  ;  pendant  la  translation,  sept  paralytiques  furent  guéris,  quatre  aveugles 
recouvrèrent  la  vue,  et  le  feu  de  dix  malades  qui  brûlaient  entre  chair  et  peau  fut  éteint  h 

En  bâtissant  l'église  de  Saint-Front,  Chronope  avait  bâti  également  un  monastère  dont  les  reli- 
gieux veillaient  à  la  garde  du  précieux  tombeau.  Détruit  par  les  Normands  dans  le  ix°  siècle,  ce 
monastère  fut  réédifié  dans  le  x°.  En  même  temps  fut  bâtie,  en  partie  du  moins,  la  superbe  basi- 
lique qui  existe  encore  aujourd'hui.  Ce  ne  fut  qu'après  la  dédicace  de  ce  dernier  monument,  en 
1077,  qu'on  s'occupa  de  donner  à  l'apôtre  du  Périgord  un  tombeau  digne  de  lui  et  de  la  piété  des 
fidèles.  Etienne  Itier,  chanoine  et  cellérier  de  Saint-Front,  en  fit  les  frais.  11  en  confia  l'exécution 
à  l'un  des  plus  célèbres  sculpteurs  de  l'époque,  Guinamond,  moine  de  la  Chaise-Dieu,  que  l'évêque 
Guillaume  de  Montbron  avait  appelé  à  Périgueux  pour  sculpter  les  ornements  intérieurs  du  chœur 
de  sa  cathédrale. 

Deux  siècles  plus  tard,  des  doutes  s'élevèrent  au  sujet  de  la  possession  du  corps  de  saint  Front. 
Pour  les  faire  cesser,  l'évêque  Pierre  de  Saint-Astier  fit  ouvrir  le  sépulcre  et  la  double  châsse  de 
bois  et  de  plomb  qui  renfermait  les  ossements  sacrés. 

Le  17  des  kalendes  de  janvier  1441,  les  chanoines  de  la  collégiale  de  Saint-Front  avaient  obtenu 
du  pape  Eugène  une  bulle  qui  les  autorisait  à  exhumer  le  corps  du  saint  apôtre,  pour  le  renfermer 
dans  une  châsse  d'argent,  et  à  faire  séparer  par  un  évèque  catholique  la  tête  du  reste  du  corps, 
pour  la  conserver  à  part  dans  un  tabernacle  ou  vase  précieux.  Elle  devait  être  placée  sur  le 

1.  Cette  maladie,  appelée  feu  sacré,  parce  qu'elle  brûlait,  apparut  plusieurs  fols  en  France  du  vi»  au 
xiu*  siècle.  On  nommait  ardents  ceux  qui  en  étaient  atteints. 


SAINT  FRONT  OU  FRONTON,  ÉVÊQUE  ET  CONFESSEUR.  621 

maître-autel  ou  dans  tout  autre  lieu  de  l'église,  d'où  l'on  pourrait  plus  commodément  la  montrer 
au  peuple. 

Mais  ce  ne  fut  qu'en  1463,  le  25  ou  le  27  du  mois  de  mai,  qu'Elie  de  Bourdeille  fit  cette 
exhumation,  assisté  de  l'évêque  de  Sarlat  et  de  l'évèque  de  Rieux,  appartenant  l'un  et  l'autre  à  la 
maison  de  Roffignac  en  Limousin.  La  tête  fut  séparée  du  corps  et  placée  dans  un  tabernacle  que 
le  pieux  évêque  avait  fait  élever  au  milieu  du  chœur  et  richement  décorer  de  lames  de  cuivre, 
émaillées  et  dorées,  comme  l'était  le  tombeau. 

On  vit  à  cette  occasion  une  pieuse  et  touchante  rivalité  entre  le  chapitre  de  la  cathédrale  et  le 
chapitre  de  Saint-Front.  Tous  les  deux  prétendirent  à  l'honneur  de  posséder  la  tête  du  Saint.  Elie 
de  Bourdeille  pacifia  les  esprits  en  interposant  son  autorité  épiscopale.  Il  laissa  dans  la  collégiale 
la  tête  du  Saint;  mais,  voulant  aussi  satisfaire  aux  pieuses  exigences  de  son  chapitre,  il  fit  porter 
un  bras  dans  l'église  cathédrale. 

Le  pape  Eugène,  en  autorisant  l'élévation  du  corps  de  saint  Front,  avait  confirmé  la  fête  de  la 
translation  ordonnée  par  Pierre  de  Saint-Astier,  qu'on  devait  célébrer  le  31  du  mois  d'avrii.  Elie 
de  Bourdeille  ayant  été  transféré  du  siège  de  Périgueux  à  l'archevêché  de  Tours,  fit  le  voyage  de 
Rome  et  sollicita  du  pape  Sixte  IV,  en  l'honneur  de  l'apôtre  du  Périgord,  un  Pardon  de  trois 
jours.  Sixte  IV,  par  une  bulle  de  1476,  accorda  cette  faveur  pour  dix  ans,  et,  voulant  donner  à 
Elie  de  Bourdeille  une  haute  preuve  de  la  satisfaction  qu'il  éprouvait  de  sa  piété,  il  le  commit 
pour  «  général  pénitencier  et  surintendant  à  ce  Jubilé  avec  puissance  d'absoudre  et  dispenser  sur 
les  vœux  et  irrégularités  ». 

Le  Pardon  de  saint  Front  avait  lieu  les  trois  jours  qui  suivaient  sa  fête,  et  attirait  auprès  de 
son  tombeau  un  grand  concours  de  pèlerins. 

L'an  1347,  Elie  de  Talleyrand,  cardinal  de  Périgord,  fit  bâtir  ou  reconstruire  la  partie  de 
l'église  compromise  dans  le  rond-point  de  la  branche  de  l'est  ;  il  y  fonda  une  chapelle  sous  l'in- 
vocation de  saint  Antoine,  et  la  pourvut  de  revenus  suffisants  pour  l'entretien  de  douze  vicaires 
ou  chapelains,  qui  devaient  en  faire  le  service.  Clément  VI,  par  une  bulle  du  26  juin  1347,  approuva 
cette  fondation  avec  le  règlement  que  le  cardinal  avait  fait  pour  les  douze  chapelains. 

Le  6  du  mois  d'août  1575,  les  Protestants  s'étant  emparés  de  Périgueux,  portèrent  le  pillage 
dans  l'église  de  Saint-Front.  Ils  brisèrent  le  tombeau  du  Saint,  et  la  châsse  qui  renfermait  ses 
reliques  tenta  leur  cupidité.  Ils  fondirent  les  lames  d'or  et  d'argent  de  la  châsse  et  jetèrent  les 
ossements  du  Saint  dans  la  Dordogne. 

Tel  est  le  récit  du  Père  Dupuis,  adopté  par  M.  Taillefer.  D'après  un  manuscrit  de  1590,  les 
ossements  du  Saint  ne  furent  point  portés  dans  la  Dordogne.  «  Son  saint  sépulcre  »,  y  lisons- 
nous,  «  estant  assez  ayse  à  connoistre  à  cause  des  richesses  dont  il  estoit  orné,  ils  (les  protes- 
tants) l'ouvrirent  et  après  avoir  commis  mille  sortes  d'impiétés,  ils  jetèrent  ses  sainctes  reliques 
par  la  place,  les  foulant  aux  pieds  en  dérision  de  ce  saint  âpostre  du  Périgord  ». 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'église  de  Périgueux  perdit  ce  jour-là  son  plus  bel  ornement,  son  trésor  le 
plus  précieux.  La  basilique  elle-même  ne  dut  qu'à  sa  masse  imposante  de  n'être  pas  détruite  :  on 
craignit  que  sa  chute  n'ébranlât  une  partie  de  la  ville. 

Ce  malheur  fut  d'autant  plus  grand  que  de  la  destruction  de  ce  tombeau,  de  la  perte  de  ces 
reliques,  date  l'affaiblissement  du  culte  de  saint  Front.  Au  xvme  siècle,  dans  une  nouvelle  liturgie 
on  semble  douter  de  l'existence  de  saint  Front,  du  moins  lui  refuse-t-on  sa  qualité  de  disciple  de 
Jésus-Christ  et  sa  mission  par  saint  Pierre. 

Cependant,  en  1826,  un  reflet  de  la  piété  antique  envers  saint  Front  apparut  sur  le  siège  épis- 
copal  de  Périgueux.  Mgr  de  Lostanges  avait  découvert  dans  l'église  d'Andrivaux  une  partie  du 
crâne  de  saint  Front,  et  s'étant  assuré  de  son  authenticité,  il  en  détacha  une  portion  pour  en  enri- 
chir son  église  cathédrale.  Le  24  juin  de  la  même  année,  il  assemblait  son  chapitre  pour  lui  faire 
partager  sa  joie  et  son  bonheur  ;  et  cette  portion  du  crâne  de  notre  Saint,  déposée  dans  un  reli- 
quaire, peut-être  un  peu  trop  modeste,  repose  encore  aujourd'hui  près  du  maitre-autel. 

Il  existe  sur  les  confins  du  Beauvaisis  une  paroisse  qui  porte  le  nom  du  Saint  et  une  église  qui 
lui  est  consacrée,  dont  il  est  le  patron  et  le  titulaire.  C'est  la  paroisse  de  Dom-Front,  canton  de 
Maignelay,  dont  l'église,  qui  nous  offre  dans  son  clocher  un  spécimen  de  la  belle  architecture 
romane  du  xi«  siècle,  témoigne  de  l'ancienneté  du  culte  de  notre  apôtre  dans  le  Beauvaisis. 

Il  y  a  dans  cette  église  un  des  plus  beaux  monuments  que  l'art  chrétien  ait  élevés  en  l'honneur 
de  saint  Front.  C'est  pn  office  noté  pour  le  jour  de  la  fête  du  Saint  :  riche  Manuscrit  gothique  sur 
parchemin,  aussi  remarquable  par  la  pureté,  la  netteté  de  l'écriture  que  par  l'élégance,  la  richesse, 
le  brillant,  le  fini  des  peintures  qui  le  décorent.  Ce  Manuscrit,  quoiqu'il  appartienne  au  moyen 
âge  par  la  forme  de  l'écriture,  est  classé  par  les  peintres  parmi  les  œuvres  de  la  Renaissance,  dans 
la  première  moijié  du  xvie  siècle  ;  il  se  compose  de  six  cahiers,  ayant  chacun  quatre  feuilles 
doubles  ou  seize  pages,  du  format  in-4°.  Les  six  cahiers  sont  attachés  à  cinq  lanières  de  cuir, 
attachées  elles-mêmes  à  deux  planches  de  chêne  qui  en  forment  la  couverture.  Outre  les  bril- 
lantes enluminures  qui  encadrent  quelques  pages,  et  les  grandes  initiales,  les  unes  noires,  les 
autres  rouges  et  bleues,  plusieurs  à  l'encre  d'or,  reproduisant  toutes  des  tètes  humaines,  on  y 
remarque  neuf  petits  tableaux  ou  miniatures  qui  retracent  avec  une  finesse  exquise  et  une  rare 
délicatesse  de  pinceau,  les  principaux  traits  de  la  vie  de  saint  Front. 


622  25  OCTOBRE. 

Ce  manuscrit  contient,  avons-nous  dit,  l'office  pour  la  fête  de  saint  Front,  c'est-à-dire  les  pre- 
mières Vêpres,, Matines,  Laudes,  la  Messe  et  les  secondes  Vêpres.  Il  est  pris  du  commun  des  pon- 
tifes, à  l'exception  de  quelques  antiennes  et  répons,  qui  sont  tirés  de  la  légende  du  Saint.  La  messe 
est  celle  des  confesseurs  pontifes,  Statuit,  etc.,  avec  l'Evangile  des  Evangélistes,  Designavit  Do- 
minus,  etc.  Le  chant  est  le  même,  à  quelques  variantes  près^  que  le  chant  dit  de  Dijon,  en  usage 
dans  le  diocèse  de  Périgueux.  La  prose  de  la  messe  est  adaptée  aux  notes  du  Lauda  Sion  Salva- 
torem  de  la  messe  du  Saint-Sacrement.  Une  longue  légende  forme  les  neuf  leçons  des  Matines. 
Elle  n'est  pas  complète  ;  mais  elle  a  cela  de  remarquable  que,  si  elle  ne  contient  pas  tous  les 
Actes  de  saint  Front,  évèque  de  Périgueux,  elle  n'en  contient  aucun  qui  lui  soit  étranger  et  qu'on 
puisse  attribuer  à  un  autre  saint  Front.  Aussi  la  croyons-nous  antérieure  au  x«  siècle.  Elle  s'arrête 
après  le  récit  du  martyre  des  quatre  disciples  de  saint  Front.  La  suite  devait  former  les  leçons  de 
l'Office  pendant  l'Octave,  et  cette  Octave  composait  un  second  volume  que  nous  ne  possédons  pas. 
L'auteur  a  dû  extraire  cette  légende  de  la  vie  de  saint  Front  par  l'évêque  Sébalde,  si,  toutefois, 
elle  n'est  pas  une  partie  de  l'œuvre,  qu'on  ne  trouve  plus  aujourd'hui,  de  Sébalde  lui-même.  À  ce 
point  de  vue  elle  est  extrêmement  précieuse. 

On  montre  encore,  à  Neuilly-Saint-Front,  la  pierre  sur  laquelle  l'apôtre  sacrifiait  lorsque  la 
colombe  lui  apporta  le  vin  nécessaire.  C'est  une  pierre  ou  plutôt  une  roche  gréseuse,  de  la  nature 
de  celles  que  la  science  appelle  erratiques.  Elle  s'élève  de  quelques  centimètres  au-dessus  du  sol, 
parait  avoir  de  profondes  racines,  et  présente  une  large  surface  unie,  un  peu  inclinée  sur  le  de- 
vant, ayant  la  forme  d'un  cœur.  N'était  l'exhaussement  du  terrain  amoncelé  tout  autour,  le  prêtre 
y  serait  encore  à  l'aise  pour  l'oblation  du  sacrifice.  La  petite  fiole  apportée  par  la  colombe  et  un 
morceau  de  satin  imbibé  du  vin  qu'elle  renfermait  furent  aussi  religieusement  conservés.  Il  est  vrai 
que  la  petite  fiole  n'existe  plus  en  entier  ;  elle  a  été  cassée  on  ne  sait  à  quelle  époque  ni  par  quel 
accident,  mais  les  fragments  dont  l'authenticité  n'est  pas  douteuse,  existent  et  sont  l'objet  de  la 
vénération  des  fidèles. 

A  coté  de  la  pierre  sur  laquelle  l'apôtre  sacrifiait,  il  en  existe  deux  autres  de  la  même  nature, 
mais  non  de  la  même  forme.  Elles  ont  leur  symbolisme  et  racontent,  elles  aussi,  la  gloire  et  les 
œuvres  de  saint  Front. 

Ces  lieux,  ou  plutôt  ces  trois  pierres,  appelées  Grès  de  saint  Front,  et,  à  quelques  pas  de  là, 
une  fontaine  qui  porte  également  le  nom  du  Saint,  furent,  dès  le  principe,  le  but  de  pieux  pèleri- 
nages, encouragés  par  les  guérisons  miraculeuses  que  les  malades  y  obtenaient.  Il  y  eut  là,  dès 
les  premiers  temps,  une  église  ou  du  moins  une  chapelle  ou  oratoire  pour  les  besoins  spirituels 
des  pèlerins.  Il  y  eut  aussi  un  petit  monastère  dont  les  religieux,  qui  prenaient  le  nom  d'Ermites 
de  saint  Front,  étaient  les  gardiens  de  la  chapelle  et  vivaient  des  aumônes  que  les  pèlerins  leur 
apportaient. 

Au  xive  siècle,  la  reine  Jeanne  d'Evreux,  épouse  de  Charles  le  Bel,  fit  construire  en  ce  lieu 
une  belle  chapelle,  et  fabriquer  un  riche  reliquaire,  où  furent  enfermés  la  petite  fiole  et  le  mor- 
ceau de  satin  dont  nous  avons  déjà  parlé.  Ce  petit  chef-d'œuvre  d'orfèvrerie  existe  encore.  Quant 
à  la  chapelle,  il  n'en  resta  pas  pierre  sur  pierre  en  1793.  La  chapelle  actuelle  a  été  bâtie  sur  les 
fondements  de  l'ancienne,  et  ne' date  que  de  1818. 

Au., mois  de  septembre  1499,  les  curés  (1)  et  les  habitants  de  Neuilly-Saint-Front  envoyèrent  à 
Périgueux  trois  députés  qui  visitèrent  le  tombeau  de  saint  Front,  firent  à  la  ville  don  d'un  frag- 
ment de  la  pierre  sur  laquelle  saint  Front  avait  sacrifié,  et  rapportèrent  chez  eux  la  plus  grande 
partie  d'un  doigt  de  saint  Front  et  un  morceau  du  suaire  qui  enveloppait  son  corps. 

On  voit  encore  dans  l'église  de  Neuilly  ces  deux  insignes  reliques.  La  partie  du  doigt  forme  la 
phalange  contiguë  à  la  main.  La  couleur  de  la  cassure  est  moderne,  relativement  à  la  couleur  du 
reste  de  la  relique,  qui  est  bistrée.  Le  morceau  du  suaire  provient  d'un  très-beau  et  très-fort  drap 
de  soie  cramoisie.  Il  enveloppait  la  relique  lorsqu'elle  fut  apportée  de  Périgueux.  Renfermées 
alors  dans  un  cornet  de  parchemin,  recouvert  lui-même  d'un  morceau  de  satin  rouge,  les  deux 
insignes  reliques  furent  placées  dans  un  tube  de  verre  cannelé  que  l'on  déposa  dans  le  socle  d'ébène 
qui  date  de  cette  époque,  disposé  tout  exprès  à  l'intérieur,  comme  on  le  voit,  pour  recevoir  ce 
tube.  C'est  ainsi  qu'elles  furent  conservées  jusqu'en  1857,  ayant  été  respectées  même  par  l'orage 
destructeur  de  1793.  Mais  en  cet  état,  elles  n'étaient  point  visibles  à  l'œil  des  fidèles  qui  venaient 
les  vénérer. 

M.  l'abbé  Couty,  curé  de  Neuilly-Saint-Front,  a  fait  restaurer  la  statue  de  saint  Front  et  lui  a 
donné  un  socle,  dans  lequel  furent  déposées  les  saintes  reliques,  le  6  décembre  1857.  L'authenti- 
cité en  fut  constatée  par  un  procès-verbal.  Quant  à  la  châsse  actuelle,  elle  date  de  1814,  celle  du 
Xive  siècle  ayant  été  détruite  en  1793.  Les  miracles  continuent  à  ce  pieux  sanctuaire. 

On  célèbre  à  Neuilly-Saint-Front,  deux  fêtes  principales,  l'une,  proprement  dite  Fête  de  saint 
Front,  le  dimanche  qui  suit  le  25  octobre,  et  l'autre,  la  fête  de  la  Translation  de  ses  reliques,  le 
lundi  après  h  fête  de  saint  Jean-Baptiste.  Un  office  particulier  à  l'église  de  Neuilly-Saint-Front,  a 

1.  Neuilly-Saint-Front  avait  alors  trois  paroisses  :  la  paroisse  de  Salnt-Remy-du-Mont,  desservie 
par  un  prieur  régulier;  la  paroisse  de  La  Fontaine  et  la  paroisse  du  Château,  dont  les  curés  faisaient 
l'office  dans  la  même  église. 


SAINT  FRONT  OU  FRONTON,  ÉVÊQUE  ET  CONFESSEUR.  623 

été  composé  et  imprimé  pour  ces  deux  fêtes,  et  approuvé  en  1747  par  l'autorité  diocésaine.  De 
ces  deux  fêtes,  celle  de  la  Translation  des  reliques  est  la  plus  solennelle.  C'est,  à  proprement  par- 
ler, la  grande  Fête  du  Pèlerinage,  celle  qui  attire  le  plus  grand  concours  de  fidèles,  venus  là,  non- 
seulement  de  la  paroisse  de  Neuilly,  mais  des  paroisses  voisines,  et  souvent  de  paroisses  fort  éloi- 
gnées. Elle  commence  le  lundi  matin  et  ne  se  termine  que  le  dimanche  suivant.  Deux  processions, 
l'une  à  l'ouverture,  l'autre  à  la  clôture,  y  déploient  toute  la  pompe  des  grandes  cérémonies  reli- 
gieuses. Les  fidèles  y  assistent  un  cierge  à  la  main,  et  on  y  porte  la  châsse  des  saintes  reliques, 
qui  s'avance  triomphalement,  précédée  du  bâton  de  saint  Front.  Ce  bâton  est  surmonté  d l'une 
petite  niche  avec  une  petite  statue  du  Saint.  Il  est  l'objet  d'une  pieuse  rivalité.  Il  est  mis  à  l'en- 
chère et  l'honneur  de  le  porter  est  adjugé  au  plus  offrant. 

Le  but  du  pèlerinage  est  multiple  ;  il  parait  cependant  se  particulariser  dans  la  demande  de  la 
guérison  des  infirmités  qui  empêchent  de  marcher.  Aussi  y  voit-on  en  grand  nombre  les  enfants 
maladifs,  dont  la  marche  est  lente  et  tardive.  Mais  ce  n'est  pas  seulement  aux  jours  de  grandes 
solennités  que  les  mères  apportent  là  leurs  petits  enfants.  Presque  tous  les  jours  s'y  présente  le 
touchant  spectacle  d'une  mère  à  genoux  un  instant  devant.la  chapelle,  tenant  son  enfant  entre  ses 
bras  ou  par  la  main,  priant  et  le  faisant  prier  avec  elle,  se  relevant  ensuite  et  essayant  son  enfant 
à  marcher  là  sous  le  regard  du  Saint  qui,  du  haut  du  ciel,  contemple  ce  ravissant  tableau  et  envoie 
la  bénédiction  de  Jésus  à  la  mère  et  à  l'enfant. 

Un  mot  sur  la  cathédrale  de  Périgueux,  dédiée  à  saint  Front,  ne  sera  point  déplacé  ici. 

Saint  Front  a  de  tout  temps  attiré  l'attention  des  connaisseurs  :  c'est  l'édifice  le  plus  complet 
de  tous  ceux  qui  remontent  à  l'an  1000,  l'unique  dans  son  style  oriental,  et,  on  peut  le  dire,  le 
dernier  monument  de  l'époque  carlovingienne.  Plusieurs  fois  ravagée  par  les  barbares,  odieusement 
outragée  par  les  Protestants,  couverte  à  la  Révolution  d'un  voile  de  deuil,  protégée  par  les  Pon- 
tifes romains,  objet  de  la  constante  sollicitude  de  ses  évoques,  pieusement  visitée  par  les  foules 
aux  temps  de  foi,  on  peut  dire  de  l'église  byzantine  de  Saint-Front  qu'elle  est  le  patriarche  des 
antiques  cathédrales  de  France,  un  monument  unique  sur  notre  sol  et  la  gloire  de  Périgueux. 

Le  monument  byzantin  de  Périgueux  a  la  forme  d'une  croix  grecque  surmontée  de  cinq  magni- 
fiques coupoles  :  son  style  oriental  reproduit  à  peu  près,  ligne  par  ligne,  l'église  de  Saint-Marc  de 
Venise  qui  elle-même  est  une  imitation  de  Sainte-Sophie  de  Constantinople.  A  Périgueux  et  à  Venise, 
c'est  le  même  plan,  la  même  charpente  osseuse,  les  mêmes  mesures  ;  il  n'y  a  que  la  différence 
entre  le  pied  français  et  le  pied  italien,  mais  il  manque  à  Saint-Front  les  élégantes  mosaïques  et 
les  beaux  marbres  qui  dissimulent  la  pesanteur  de  la  basilique  vénitienne. 

Il  est  surprenant  qu'un  édifice  byzantin  se  trouve  ainsi  transplanté  tout  d'une  pièce  sous  un 
climat  qui  n'est  pas  le  sien.  On  sait  qu'au  moyen  âge  les  Vénitiens  avaient  fait  de  Limoges  un 
centre  important  de  trafic.  L'un  de  ces  étrangers  aura  peut-être  porté  à  Périgueux  le  plan  de  sa 
cathédrale.  Plus  tard  les  Croisés  de  l'Occident  ne  transportèrent-ils  pas  jusqu'en  Terre  Sainte  notre 
style  ogival  ? 

Un  entablement  porté  sur  de  robustes  modillons  fait  le  tour  de  Saint-Front  et  couronne  ses 
douze  façades,  terminées  par  autant  de  frontons.  Ces  frontons,  larges  et  élevés,  sont  découpés  par 
des  fenêtres  régulièrement  inégales  qui  reproduisent  partout  le  nombre  symbolique  de  trois.  Dans 
un  étage  inférieur,  les  fenêtres,  plus  allongées  et  plus  étroites,  deviennent  plus  nombreuses  ;  elles 
sont  au  nombre  de  quatre  et  même  de  cinq.  En  Orient,  le  soleil  descend  par  les  ouvertures  des 
coupoles  ;  dans  notre  ciel  plus  pâle  on  ne  pouvait  avoir  trop  de  jour. 

Mais  la  partie -la  plus  intéressante  de  la  basilique,  celle  qui  lui  donne  sa  vraie  physionomie, 
c'est  le  toit  ou  sommet,  couronné  de  cinq  dômes  visibles  à  l'œil. 

A  l'intérieur,  de  grands  arcs  ogivaux  (les  plus  anciennes  ogives  du  monde)  soutiennent  les  cinq 
coupoles,  dont  la  largeur  et  l'élévation  offrent  à  l'œil  un  spectacle  unique.  Les  piliers  évidés,  à 
deux  étages,  sont  percés  en  croix  en  haut  et  en  bas,  de  telle  sorte  qu'on  trouve  la  croix  partout  ; 
elle  est  le  plan  de  l'église,  et  ses  quatre  branches  sont  elles-mêmes  en  croix. 

Le  clocher  de  Saint-Front,  comme  le  reste  de  l'édifice,  est  un  type  à  part,  qui  n'a  point  d'égal 
et  qui  étonne  par  sa  forme  étrange  et  par  la  hardiesse  de  sa  structure.  Le  clocher  couronné  à 
soixante  mètres  par  une  coupole  est  une  conception  vraiment  belle  et  originale.  «  C'est  »,  dit 
M.  de  Verneilh,  «  le  plus  ancien  clocher  de  France  et  même  le  seul  clocher  byzantin  qu'il  y  ait  au 
monde  ». 

L'ornementation  de  Saint-Front  n'est  pas  moins  digne  d'attention  qne  son  architecture. 

«  Moins  orné  que  le  roman  »,  dit  M.  l'abbé  Dion,  «  et  moins  élégant  que  le  gothique,  le  genre 
byzantin  est  plus  majestueux.  Cette  construction  grandiose,  dans  laquelle  la  pierre  seule  intervient 
à  l'exclusion  de  tout  autre  élément;  est  l'une  des  plus  belles  expressions  de  l'idée  religieuse.  Eglise 
orientale,  placée,  comme  une  exilée  au  fond  de  l'Occident,  doit  à  cette  position  extraordinaire  un 
charme  nouveau.  Sœur  ou  fille  de  Saint-Marc  de  Venise,  écho  lointain  de  Sainte-Sophie  de  Cons- 
tantinople, ce  magnifique  édifice  a  frappé  l'attention  des  savants.  Il  était  convenable  qu'une  église 
byzantine  abritât  de  ces  lignes  orientales  le  tombeau  sacré  d'un  disciple  du  Sauveur  venu  de  la 
Judée  ;  il  y  avait  ainsi  une  harmonie  frappante  entre  le  tombeau  qui  illustrait  la  basilique  et  la 
basilique  qui  contenait  le  tombeau  ». 

Les  nommes  lie  la  science  ont  étudié  Saint-Front  avec  enthousiasme,  et  ils  l'ont  appelé  un 


624  25  OCTOBRE. 

monument  merveilleux,  un  monument  vraiment  hors  ligne,  mystérieux  et  digne  des  plus  sérieuses 
études  ;  enfin  le  plus  curieux  monument  de  France. 

Pour  composer  cette  biographie,  nous  n'avons  fait  qu'abréger  la  Vie  de  saint  Front,  par  M.  Pergot, 
curé  de  Terrasson  ;  véritable  hagiographe,  il  a  su  avec  beaucoup  d'érudition,  de  talent  et  de  piété,  faire 
revivre  les  traditions  qui  sont  l'honneur  de  l'antique  église  du  Périgord.  —  Cf.  Monographie  de  Saint- 
Front,  par  le  R.  P.  Caries,  missionnaire. 


SAINT  CREPIN  ET  SAINT  GREPINIEN  DE  ROME, 

MARTYRS  A  SOISSONS 
285  ou  286.  —  Pape  :  Saint  Caïus.  —  Empereurs  romains  :  Dioclétien  et  Maximien. 


Livrez-vous  avec  soin  et  avec  ardeur  à  des  travaux 
honorables  pour  ne  pas  vous  assujétir  à  la  fatigua 
de  vains  travaux.  Saint  Ephrem. 

Crépin  et  Crépinien  étaient  romains  de  naissance  et  d'une  famille  dis- 
tinguée. Ils  étaient  frères,  et  partirent  de  Rome  pour  aller  prêcher  la  foi 
chrétienne  dans  les  Gaules.  Ils  se  fixèrent  à  Soissons,  et  ne  laissèrent  perdre 
aucune  occasion  d'y  annoncer  la  bonne  nouvelle.  A  l'exemple  du  grand 
Apôtre,  ils  ne  voulurent  être  à  charge  à  personne,  et  choisirent  le  métier 
de  cordonnier,  comme  une  occupation  tranquille  et  sédentaire  qui  leur 
permettrait,  sans  être  dérangés  de  leur  travail  ni  privés  de  moyens  d'exis- 
tence, d'initier  peu  à  peu  à  la  connaissance  de  Jésus-Christ  tous  ceux  qui 
viendraient  à  leur  modeste  atelier.  L'habileté  dont  ils  faisaient  preuve  dans 
l'exercice  de  leur  humble  profession,  et  plus  encore  leur  esprit  de  justice, 
leur  désintéressement,  leur  charité,  leur  complaisance,  leur  attiraient  de 
nombreux  visiteurs.  Comme  on  était  charmé  de  leurs  manières  polies  et 
affables,  on  aimait  à  venir  réclamer  leurs  services  et  à  s'entretenir  avec 
eux.  La  doctrine  qu'ils  prêchaient,  mise  en  parallèle  avec  les  enseignements 
si  bizarres  du  paganisme,  la  profonde  conviction  qui  accompagnait  leur 
parole,  faisaient  une  forte  impression  sur  leurs  auditeurs.  Aussi  pendant 
l'espace  de  temps  assez  considérable  (peut-être  une  quarantaine  d'années) 
qu'ils  restèrent  à  Soissons  sans  être  inquiétés  par  personne,  ils  détermi- 
nèrent un  grand  nombre  de  païens  à  renoncer  au  culte  des  faux  dieux 
pour  embrasser  la  religion  de  Jésus-Christ. 

Mais  le  moment  arriva  où  nos  deux  apôtres  devaient  attester,  en  souf- 
frant mille  tortures  et  en  répandant  leur  sang,  la  vérité  de  leurs  enseigne- 
ments. En  284,  Dioclétien  avait  été  proclamé  empereur;  et  en  285  ou  vers 
la  fin  de  l'année  précédente,  Maximien  Hercule  avait  reçu  de  lui  le  titre  de 
César.  Envoyé  contre  les  Bagaudes  qui  s'étaient  révoltés,  Maximien  les  eut 
bientôt  soumis  ;  c'est  à  cette  époque  qu'il  commença  à  montrer  toute  sa 
haine  contre  le  christianisme  et  la  férocité  de  son  caractère  par  le  mas- 
sacre de  saint  Maurice  et  de  la  légion  thébéenne.  Pendant  les  vingt  années 
qu'il  conservera  le  souverain  pouvoir,  il  poursuivra  les  chrétiens  partout 
où  il  pourra  les  rencontrer,  et  il  saura  s'adjoindre  de  dignes  exécuteurs  de 
ses  vengeances.  Après  la  victoire  dont  nous  venons  de  parler,  Maximien 


SAINT  CRÉPIN  ET  SAINT  CRÉPINIEN  DE  ROME,   MARTYRS  A  SOISSONS.        625 

entra  dans  les  Gaules  vers  le  mois  d'octobre.  On  le  vit  à  Paris,  à  Meaux  et 
dans  les  villes  voisines.  Etant  venu  à  Soissons,  U  apprit  avec  rage  les  pro- 
grès rapides  qu'y  avait  faits  le  christianisme,  et  il  n'eut  pas  de  peine  à 
découvrir  qu'il  fallait  attribuer  ce  succès  à  Crépin  et  à  Crépinien.  Aussitôt 
il  envoie  ses  satellites  se  saisir  de  leur  personne,  et  quand  ils  sont  devant 
son  tribunal  :  «  Est-ce  Jupiter  ou  Diane,  ou  Apollon,  ou  Mercure,  ou  Sa- 
turne que  vous  adorez  ?  »  leur  dit-il.  «  Nous  n'adorons  qu'un  seul  Dieu  », 
répondent  les  deux  frères  ;  «  c'est  lui  qui  a  créé  le  ciel  et  la  terre.  Vous,  en 
adorant  Jupiter,  Apollon,  etc.,  vous  êtes  dans  une  déplorable  erreur».  — 
«  Quelle  est  votre  origine  ?  et  qu'êtes-vous  venus  faire  dans  les  Gaules  ?  » 
—  «  Nous  sommes  romains  et  d'une  famille  noble.  Nous  sommes  venus  dans 
les  Gaules  au  nom  et  pour  l'amour  de  Jésus-Christ,  vrai  Dieu,  et  ne  faisant 
qu'un  seul  Dieu  avec  le  Père  et  le  Saint-Esprit  ». 

Maximien,  transporté  de  colère,  menace  de  les  faire  mourir  au  milieu 
des  plus  cruels  tourments  s'ils  persévèrent  dans  leur  sotte  croyance.  Puis 
se  radoucissant,  il  leur  promet  des  richesses  et  des  honneurs,  s'ils  consentent 
à  sacrifier  aux  dieux.  Les  saints  confesseurs  répondent  avec  un  grand 
calme  :  «  Vos  menaces  ne  nous  intimident  pas,  le  Christ  est  notre  vie,  et  la 
mort  est  pour  nous  un  gain.  Votre  argent  et  vos  honneurs,  donnez«-les  à 
ceux  qui  vous  servent;  c'est  avec  joie  que  nous  avons  renoncé  à  tout  cela 
pour  l'amour  de  Jésus-Christ.  Si  vous  connaissiez  notre  Dieu,  et  si  vous 
renonciez  à  vos  idoles,  une  récompense  éternelle  vous  serait  assurée  ;  mais 
si  vous  continuez  à  adorer  le  démon,  vous  serez  tourmenté  avec  lui  dans 
les  enfers  ».  Maximien,  voyant  qu'il  ne  pouvait  rien  gagner  sur  eux,  les 
envoya  à  son  ministre  Rictiovare  qui  était  préfet  du  prétoire  des  Gaules,  et 
lui  enjoignit  de  n'épargner  contre  eux  aucun  genre  de  torture. 

La  mémoire  de  ces  saints  martyrs  et  des  circonstances  de  leur  supplice 
est  encore  vivante  dans  la  ville  de  Soissons;  on  y  montre  au  nord  l'empla- 
cement de  la  prison  où  ils  ont  été  renfermés  avant  leur  passion;  une  abbaye 
du  nom  de  saint  Crépin  en  chaie  ou  in  cavea  a  été  bâtie  plus  tard  en  cet 
endroit  consacré  par  leurs  chaînes. 

Rien  ne  s'oppose  à  ce  que  ce  cachot  ait  fait  partie  des  dépendances  du 
château  d'Albâtre,  résidence  ordinaire  des  gouverneurs  romains.  Le  lieu 
même  où  Crépin  et  Crépinien  subirent  leurs  cruels  tourments  se  présume 
aisément.  C'était  près  de  la  rive  gauche  de  l'Aisne,  au  nord  de  l'abbaye  dont 
nous  venons  de  parler.  Une  croix  y  avait  été  élevée;  et,  pendant  bien  des 
siècles,  on  conserva  un  souvenir  bien  précis  du  théâtre  de  leur  glorieux 
combat.  r 

Rictiovare,  fidèle  exécuteur  des  ordres  de  Maximien-Hercule,  se  chargea 
de  faire  cruellement  expier  à  Crépin  et  Crépinien  leur  constance  à  croire  en 
Jésus-Christ  et  à  professer  sa  doctrine.  Il  les  fit  suspendre  avec  des  poulies, 
et  commanda  qu'en  cet  état  ils  fussent  rompus  à  coups  de  bâton.  Au  milieu 
de  ces  tourments,  nos  saints  confesseurs  levaient  les  yeux  vers  le  ciel  où  la 
récompense  les  attendait  et  ils  disaient  :  «  Jetez  un  regard  sur  vos  servi- 
teurs, ô  Seigneur  Dieu,  et  secourez-nous,  afin  qu'aucune  tache,  aucune 
faiblesse  ne  déshonore  l'œuvre  entreprise  en  votre  nom  ».  Rictiovare 
s'attendait  à  ce  que  la  violence  de  la  douleur  leur  arrachât  des  cris  affreux; 
voyant  au  contraire  qu'ils  priaient,  il  n'en  devint  que  plus  furieux,  et  or- 
donna d'enfoncer  des  broches  entre  les  ongles  et  la  chair  de  leurs  doigts, 
et  de  couper  et  d'arracher  de  leur  dos  de  longues  bandes  ou  lanières  de 
peau,  ce  que  les  bourreaux  exécutèrent  sur-le-champ.  Crépin  et  Crépinien, 
pendant  cet  atroce  supplice  dont  le  seul  récit  fait  frémir,  ne  cessèrent  de 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  40 


626  25  OCTOBRE. 

prier  et  de  demander  justice  au  Seigneur  :  Judica,  Domine,  judicîum  nostrum, 
et  libéra  nos  ab  homine  impio  et  doloso.  Et  à  peine  avaient-ils  prononcé  cette 
parole  que  les  broches  sortirent  de  leurs  doigts  et  allèrent  frapper  les  bour- 
reaux ;  quelques-uns  en  moururent,  les  autres  furent  grièvement  blessés. 
Alors  Rictiovare,  transporté  de  fureur,  commanda  qu'on  leur  attachât 
au  cou  une  meule  de  moulin  et  qu'on  les  précipitât  dans  la  rivière  d'Aisne, 
pour  les  y  submerger.  Mais  la  puissance  de  Dieu  fit  surnager  les  saints  mar- 
tyrs, les  meules  se  détachèrent  de  leur  cou,  et  ils  purent  en  nageant  abor- 
der à  la  rive  opposée. 

Rictiovare  envoya  aussitôt  des  satellites  pour  saisir  Crépin  et  Crépinien 
et  les  ramener  au  lieu  du  supplice.  Là,  il  fît  préparer  un  brasier  de  poix,  de 
graisse  et  d'huile  bouillante,  et  on  y  jeta  les  saints  confesseurs,  qui,  par  la 
puissance  de  Dieu,  n'en  souffrirent  aucune  atteinte.  A  l'imitation  des  trois 
enfants  de  la  fournaise,  ils  chantaient  des  hymnes  au  Seigneur  :  «  Secou- 
rez-nous, soyez-nous  propice,  dans  la  crainte  que  les  infidèles  ne  demandent  : 
Où  donc  est  leur  Dieu  ?  Ne  forte  dicant  génies  :  Ubi  est  Deus  eorum  ?  »  Tout 
à  coup  une  goutte  de  ce  mélange  de  plomb  fondu  et  d'autres  matières  sauta 
dans  l'œil  de  Rictiovare  et  lui  causa  d'inexprimables  donleurs.  Quant  à 
Crépin  et  Crépinien,  des  anges,  envoyés  du  ciel,  les  firent  sortir  sains  et 
saufs  de  ce  brasier  où  l'enfer  voulait  les  faire  périr.  Mais,  comme  les  mi- 
racles endurcissent  souvent  les  pécheurs  au  lieu  de  les  convertir,  Rictiovare 
ne  se  laissa  pas  toucher  par  les  prodiges  opérés  sous  ses  yeux.  Sa  rage  s'ac- 
crut à  un  tel  point  que,  de  dépit  et  de  désespoir  de  se  voir  vaincu,  il  se 
précipita  lui-même  dans  le  feu,  où  il  trouva  la  mort,  juste  punition  de 
toutes  les  cruautés  qu'il  avait  exercées  contre  les  élus  de  Dieu.  Crépin  et 
Crépinien,  se  voyant  délivrés  de  ce  cruel  ennemi  du  nom  chrétien,  conju- 
rèrent Notre-Seigneur  Jésus-Christ  de  les  soustraire  au  plus  tôt  aux  misères 
de  cette  vie  mortelle  pour  les  mettre  en  possession  de  la  gloire  céleste. 
Leur  prière  fut  exaucée;  sur  l'ordre  de  Maximien-Hercule,  ils  eurent  la 
tête  tranchée  le  25  octobre  ;  et  tandis  que  leurs  âmes  étaient  conduites  au 
ciel  par  des  anges,  leurs  corps  furent  jetés  à  la  voirie  pour  être  la  proie  des 
animaux  et  des  oiseaux  carnassiers.  Mais  le  Christ,  pour  le  nom  duquel  ils 
avaient  souffert  les  tourments  et  la  mort,  les  préserva  de  toute  morsure. 

On  les  représente  :  1°  arrêtés  par  deux  soldats;  2°  travaillant  par  humi- 
lité au  métier  de  cordonnier,  afin  de  pouvoir  prêcher  plus  facilement  les 
gens  du  peuple,  —  Us  sont  patrons  des  villes  de  Soissons,  Château-Thierry, 
Osnabruck;  et  des  cordonniers,  savetiers,  corroyeurs,  tanneurs,  gantiers, 
tisserands. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

La  nuit  qui  suivitlleur  martyre,  un  ange  apparut  à  un  pieux  vieillard  nommé  Roger,  qui  habi- 
tait, avec  sa  sœur  Pavie,  une  petite  maison  située  à  Soissons  dans  une  me  appelée  aujourd'hui 
rue  de  la  Congrégation.  L'ange  leur  indiqua  l'endroit  où  gisaient  étendus  les  corps  des  saints 
Martyrs,  et  leur  ordonna  d'aller  les  enlever.  Le  frère  et  la  sœur  se  hâtèrent  de  se  diriger  vers  le 
lieu  indiqué,  en  songeant  toutefois  à  la  difficulté  de  transporter  seuls  deux  cadavres.  Quand  ils 
furent  près  du  bord  de  la  rivière  d'Aisne,  ils  chargèrent  sans  peine  les  corps  sur  leurs  épaules  ; 
et,  ayant  aperçu  une  barque  vide,  ils  les  y  déposèrent.  Aussitôt  la  petite  barque,  se  mettant  d'elle- 
même  en  mouvement,  sans  rame  ni  batelier,  alla  contre  le  courant  de  l'eau  jusqu'à  ce  qu'elle  se 
trouvât  vis-à-vis  de  la  pauvre  habitation  des  deux  vieillards.  Ils  prirent  alors  les  corps  des  saints 
Martyrs  et  les  ensevelirent  avec  honneur  dans  leur  propre  maison.  Ces  précieuses  reliques  y  res- 
tèrent jusqu'à  la  fin  du  uie  siècle,  visitées  souvent,  en  cachette  d'abord,  par  les  pieux  fidèles 
qu'avaient  convertis  les  entretiens  de  Crépin  et  de  Crépinien,  et  qui  allaient  implorer  devant  leur 
tombeau  la  grâce  de  persévérer  dans  la  foi.  Mais,  lorsque  la  persécution  se  fut  ralentie,  les  curé- 


SAINT  CRÉPlft  ÎTf  SÀJOT  CREPINIEN  DE  ROME,   MARTYRS  A  SOISSONS.        627 

tiens  profitèrent  de  l'espèce  de  tolérance  des  gouverneurs  romains  pour  accourir  plus  librement  à 
la  pauvre  cabane  de  Roger,  laquelle  fut  considérée  alors  par  la  population  chrétienne  comme  une 
véritable  église.  Après  la  conversion  du  grand  Constantin,  la  maison  de  Roger  fut  canoniquement 
érigée  en  oratoire  public  sous  le  nom  de  Saint-Crépin  le  Petit.  Sur  son  emplacement,  le  bienheu- 
reux Fourier,  curé  de  Mattaincourt,  établit,  en  1622,  des  filles  de  sa  Congrégation  pouf  l'instruc- 
tion de  la  jeunesse.  La  Révolution  a  détruit  le  couvent  et  son  église  dont  il  ne  reste  qu'une  arcade 
en  plein-cintre.  Dans  l'intention  de  perpétuer  le  souvenir  de  l'oratoire  de  Saint-Crépin  le  Petit, 
l'usage  s'est  établi  qu'aux  Rogations,  lorsque  la  procession  passe  dans  la  rue  de  la  Congrégation, 
devant  la  maison  du  n<>  14,  laquelle  est  bâtie  sur  le  terrain  de  cet  ancien  oratoire,  on  interrompt 
encore  aujourd'hui  le  chant  des  litanies  des  Saints  et  on  chante  l'antienne  et  l'oraison  de  saint 
Crépin  et  de  saint  Crépinien. 

La  première  translation  des  reliques  de  ces  saints  Martyrs  eut  lieu  environ  trente  ans  après  leur 
mort.  De  la  maison  de  Roger,  on  les  transporta  par  eau,  en  remontant  le  cours  de  l'Aisne,  et  on 
s'arrêta  devant  le  château  de  Crise,  bâti  près  de  la  petite  rivière  de  ce  nom.  Une  crypte  avait  été 
préparée  pour  recevoir  les  corps  de  ces  généreux  Confesseurs  de  la  foi,  on  les  y  enferma.  Plus 
tard,  le  château  ayant  été  détruit,  on  construisit  une  église  sur  leur  tombeau.  C'est  cette  église 
qui  prit  le  nom  de  Saint-Crépin  le  Grand,  pour  la  distinguer  de  celle  qui  était  élevée  à  l'endroit  de 
la  maison  de  Roger. 

La  seconde  translation  des  reliques  de  saint  Crépin  et  saint  Crépinien  se  fit,  de  647  à  649,  avec  une 
très-grande  solennité,  par  saint  Anseric,  vingtième  évêque  de  Soissons,  accompagné  de  saint  Eloi 
de  Noyon,  de  saint  Ouen  de  Rouen,  de  saint  Faron  de  Meaux  et  de  plusieurs  autres  évêques.  Après 
un  jeûne  de  trois  jours,  le  clergé  et  le  peuple  se  rassemblèrent  dans  la  nouvelle  église  élevée  sur 
le  tombeau  des  saints  Martyrs  Anseric  et  les  prélats  descendent  dans  la  crypte  qu'on  venait  d'ou- 
vrir ;  on  enlève  le  couvercle  des  deux  cercueils  ;  aussitôt  une  suave  odeur  se  répand  dans  toute  la 
basilique,  les  prélats  baisent  avec  respect  et  en  versant  des  larmes  les  ossements  sacrés,  et  les 
placent  dans  la  châsse  chargée  d'or  et  de  pierreries  qu'avait  préparée  lui-même  saint  Eloi,  ou 
du  moins  qu'il  avait  fait  exécuter  sous  sa  direction.  Les  évêques  se  font  un  honneur  de  porter 
eux-mêmes  la  châsse  sur  leurs  épaules  et  la  déposent  au-dessus  de  l'autel.  La  tête  de  saint  Crépin 
avait  été  mise  à  part  pour  la  conserver  dans  les  archives  et  la  donner  à  baiser  au  peuple  ;  on  l'en- 
ferma dans  un  vase  d'argent.  Quant  à  celle  de  saint  Crépinien,  on  conjecture  que  saint  Anseric, 
par  reconnaissance,  en  fit  présent  à  saint  Eloi,  et  que  ce  dernier  l'offrit  à  l'abbaye  de  Solognac  ou 
Solignac,  à  deux  lieues  de  Limoges,  monastère  qu'il  avait  fondé  avant  sa  promotion  à  l'épiscopat. 

Une  portion  notable  de  leurs  reliques  fut  transportée  à  Osnabruck,  dans  la  basilique  qui  leur 
était  dédiée.  Vers  la  fin  du  vrn»  siècle,  Charlemagne  obtint  de  l'abbaye  de  Saint-Crépin  le  Grand 
le  partage  des  reliques  des  glorieux  Martyrs  soissonnais.  L'église  d'Osnabruck,  encore  aujourd'hui, 
fait  très-solennellement  la  fête  de  saint  Crépin  et  de  saint  Crépinien  le  25  octobre,  et  celle  de  leur 
translation  le  20  juin,  avec  un  office  propre  qui  a  été  approuvé  à  Rome.  Une  nouvelle  reconnais- 
sance des  reliques  a  été  faite  à  Osnabruck,  en  1721,  par  acte  notarié.  Les  ossements,  renfermés 
dans  deux  châsses;  sont  dénommés  l'un  après  l'autre  dans  le  procès-verbal  authentique  (1721). 
Chaque  année,  et  aux  fêtes  principales,  ces  châsses  sont,  exposées  au-dessus  du  grand-autel. 

A  Rome,  dans  l'église  bâtie  à  l'endroit  même  où  saint  Laurent  reçut  la  palme  du  martyre,  et 
faisant  aujourd'hui  partie  du  couvent  des  religieuses  Clarisses,  on  conserve,  depuis  le  ixe  siècle, 
des  reliques  de  saint  Crépin  et  de  saint  Crépinien.  Elles  sont  renfermées  dans  le  tombeau  de  l'autel 
de  la  deuxième  chapelle  à  droite.  La  châsse  qui  les  renferme  est  petite  et  ne  peut  tenir  que  peu 
d'ossements.  Peut-être  ces  reliques  ont  été  données,  vers  826,  en  échange  de  celles  de  saint 
Sébastien  et  de  saint  Grégoire  le  Grand,  apportées  de  Rome  par  Hilduin  à  l'abbaye  de  Saint-Mé- 
dard  de  Soissons.  A  diverses  époques,  on  avait  donné  un  certain  nombre  d'ossements  de  leurs  restes, 
pour  en  enrichir  d'autres  églises.  L'abbaye  de  Fulde  en  avait  aussi  obtenu  ;  et  une  dent  cédée  à 
un  comte  nommé  Henri  a  été  de  la  part  de  ce  seigneur  l'occasion  de  plusieurs  donations  faites  par 
loi  au  monastère  de  Saint-Crépin  le  Grand. 

En  1141,  le  29  mai,  le  lundi  de  la  Pentecôte,  Ernaldus,  abbé  de  Saint-Crépin,  transféra  les 
reliques  des  saints  martyrs  dans  une  châsse  qui  surpassait  par  sa  richesse  et  la  beauté  de  son 
travail  celle  donnée  par  saint  Eloi.  Elle  avait  deux  pieds  de  long  et  était  surmontée  des  statues 
des  douze  apôtres.  Ce  monument  de  la  piété  des  Soissonnais  s'est  conservé  jusqu'à  la  Révolution. 
Cette  troisième  translation  s'était  faite  très-solennellement,  en  présence  de  Samson,  archevêque  de 
Reims.  Tous  les  ans,  pour  en  célébrer  la  mémoire,  les  moines  de  Saint-Crépin  le  Grand,  le  lundi 
dans  l'octave  de  l'Ascension,  descendaient  la  châsse  de  leur  saint  patron  et  la  portaient  à  la  cathé- 
drale, suivis  des  corps  constitués  et  de  tout  le  peuple  ;  et  après  l'avoir  exposée  à  la  vénération 
publique,  ils  remportaient  à  leur  abbaye  leur  précieux  trésor. 

Les  marques  de  vénération  envers  saint  Crépin  et  saint  Crépinien  se  multiplièrent  avec  les 
siècles.  En  1242,  il  fut  décidé  que  deux  cierges  brûleraient  toujours  devant  leur  châsse.  En  1298, 
on  ordonna  que  la  veille  de  leur  fête,  les  moines  de  Saint-Médard  enverraient  à  l'abbaye  de  Saint- 
Crépin  deux  cierges,  de  l'encens  et  de  l'huile  dont  on  détermina  la  quantité. 

La  confiance  en  ces  saints  Martyrs  ne  se  manifestait  pas  seulement  dans  le  diocèse  de  Soissons. 
En  1466,  une  peste  désastreuse  envahit  ia  ville  de  Paris.  Déjà  on  avait  porté  en  procession  les 


628  25  OCTOBRE. 

reliques  de  saint  Marcel  et  de  sainte  Geneviève,  et  le  fléau  continuait  de  sévir.  Alors  les  Parisie 
invoquent. saint  Crépin  et  saint  Crépinien,  demandant  que  les  moines  apportent  leur  châsse 
Paris  ;  les  prières  redoublent  autour  de  ces  saints  ossements  et  la  peste  cesse  ses  ravages. 

Mais  le  moment  allait  arriver  où  ces  moines  seraient  forcés  de  se  dessaisir  de  ce  précieux 
dépôt  dans  la  crainte  de  le  voir  profaner  par  les  Huguenots,  qui  envahissaient  les  provinces  et 
marquaient  partout  leur  passage  en  pillant  les  églises  et  en  jetant  au  feu  les  reliques  des  Saints." 
Le' "pieux  évèque  de  Soissons,  Charles  de  Roucy,  dit  le  père  des  pauvres,  crut  que  ce  serait  pour- 
voir à  la  sûreté  de  la  châsse  de  saint  Crépin,  que  de  la  retirer' du  faubourg  pour  la  transporter 
intra  muros  dans  l'abbaye  de  Notre-Dame,  qui  avait  alors  pour'  abbesse  Catherine  de  Bourbon, 
sœur  du  prince  de  Condé,  chef  des  Huguenots.  Le  29  juin  1562,  tout  le  clergé  de  la  ville  se 
réunit  à  la  cathédrale  et  se  rendit  en  procession  à  l'abbaye  de  Saint-Crépin,  où,  après  avoir  célébré 
la  messe  et  entendu  le  panégyrique  des  saints  Martyrs,  on  transporta  leur  châsse  dans  l'abbaye 
royale 'de  Notre-Dame?  La  piété  des  Soissonnais  n'eut  qu'à  se  féliciter  de  cette  translation  ;  car 
en  1567,  les  Huguenots  s'étant  emparés  de  Soissons,  pillèrent  les  églises  de  la  ville  et  des  fau- 
bourgs ;  ils  ne 'respectèrent  que  la  seule  abbaye  de  Notre-Dame,  selon  la  promesse  que  le  prince 
de  Coaml  avait  faite  à  l'abbesse,  sa  sœur.  L'abbaye  de  Saint-Crépin  le  Grand  ne  fut  plus  qu'une 
ruine,  tout  y  ayant  été  mis  à  feu  et  à  sang.  Charles  de  Roucy  n'avait  pas  eu  l'intention  de  priver 
à  jamais  l'abbaye  de  ses  précieuses  reliques,  il  s'était  même  formellement  engagé  à  les  restituer 
aux  moines  à  leur  première  réquisition  ;  les  Soissonnais  avaient  fait  les  mêmes  promesses  ;  mais 
le  souvenir  des  récents  ravages  des  Huguenots,  la  crainte  de  les  voir  se  renouveler  et  par  là  d'être 
exposés  à  perdre  sans  retour  les  ossements  de  leurs  glorieux  Martyrs,  rendirent  inflexible  l'abbesse 
de  Notre-Dame,  à  tel  point  que,  dans  les  supplications  publiques,  lorsqu'on  permettait  aux  moines 
de  porter  sur  leurs  épaules  le  long  des  rues  de  la  cité,  la  châsse  vénérée,  l'abbesse  exigeait 
expressément  que  les  magistrats  de  la  ville  s'engageassent  par  écrit  et  par-devant  notaire,  à  rame- 
ner'ladite  châsse  au  monastère  de  Notre-Dame  aussitôt  après  la  cérémonie.  Ce  fut  en  vain  que  les 
moines  renouvelèrent  leurs  instances,  après  la  paix  en  1568  ;  puis,  en  1578,  lorsqu'ils  eurent  res- 
tauré le  chœur  de  l'abbaye  de  Saint-Crépin  le  Grand,  l'abbesse  persévéra  dans  son  refus.  Louise 
de  Lorraine,  qui  avait  succédé  à  Catherine  de  Bourbon,  se  montra  de  meilleure  composition,  et  la 
reddition  du  dépôt  était  sur  le  point  de  s'effectuer,  lorsqu'un  soulèvement  général  de  la  population 
virit  mettre  obstacle  à  sa  bonne  volonté.  Les  Soissonnais  bouchèrent  la  porte  Saint-Martin  pour 
empêcher  la  châsse  de  passer.  Il  y  eut,  en  1614,  une  nouvelle  tentative  à  laquelle  les  chanoines 
de  Saint-Gervais  prirent  part  ;  mais  elle  fut  encore  sans  effet.  A  partir  de  ce  moment,  il  fut  décidé 
que  désormais  les  reliques  ne  sortiraient  plus  de  l'enceinte  du  monastère  de  Notre-Dame  et  qu'on 
se  contenterait  de  les  exposer  devant  la  grille  des  religieuses.  Toutefois,  sur  le  désir  impérieusement 
exprimé  par  les  habitants,  les  reliques  parurent  dans  les  rues  en  1617;  mais  l'abbesse  exigea 
qu'un  des  échevins  restât  en  otage  au  monastère  pendant  toute  la  durée  de  la  procession,  jusqu'à 
ce  que  la  châsse  fût  rentrée  dans  l'abbaye.  Dans  les  années  suivantes  jusqu'à  la  Révolution,  on 
se  contenta  de  la  simple  promesse  de  la  municipalité. 

Il  paraîtra  sans  doute  intéressant  de  savoir  ce  qu'est  devenue  la  tête  de  saint  Crépin,  renfermée 
par  saint  Anseric  dans  une  châsse  d'argent  ornée  par  saint  Eloi  et  destinée  à  être  déposée  dans 
les  archives  de  l'abbaye.  Vers  l'année  1300,  l'abbé  Wermond  retira  la  tête  de  saint  Crépin  de  son 
reliquaire  d'argent  pour  la  mettre  dans  un  reliquaire  de  cuivre,  qui  se  trouva  trop  petit  par  l'inat- 
tention de  celui  qui  l'avait  fabriqué.  Pour  l'y  faire  entrer,  on  fut  obligé  de  séparer  en  trois  mor- 
ceaux les  ossements  de  la  tête.  En  1578,  Charles  de  Roucy,  évêque  de  Soissons,  obtint  deux  de 
ces  ossements  et  en  enrichit  sa  cathédrale.  Des  personnes  pieuses  les  ont  sauvés  de  la  profana- 
tion au  moment  de  la  Révolution,  ainsi  qu'une  partie  assez  considérable  d'un  os  du  fémur,  et 
quelques  fragments  moins  importants.  Mgr  Le  Blanc  de  Beaulieu,  évêque  de  Soissons,  après  le 
Concordat,  en  reconnut  l'authenticité  le  25  octobre  1804.  Le  6  mars  1860,  une  nouvelle  recon- 
naissance des  reliques  de  saint  Crépin  et  de  saint  Crépinien  a  été  faite,  à  Soissons,  par  le  chanoine 
Delaplace,  secrétaire  général  de  l'évêché  et  délégué  ad  hoc  par  l'autorité  épiscopale.  Le  procès- 
verbal  authentique,  signé  par  le  vicaire  général  Huiïllon,  contient  le  narré  des  translations  succes- 
sives des  reliques  de  ces  saints  Martyrs,  et  constate  que  la  châsse  actuelle,  en  bois  doré,  renferme 
deux  fragments  de  la  tèle  de  saint  Crépin,  une  partie  considérable  d'un  fémur  et  quelques  autres 
petits  ossements.  Chaque  année,  à  Soissons,  on  expose  ces  précieuses  reliques  à  la  vénération  des 
fidèles,  et  les  cordonniers  *  de  la  ville  tiennent  à  les  porter  sur  leurs  épaules  à  la  procession  qui 

1.  Saint  Crépin  et  saint  Crépinien  sont  patrons  de  la  pieuse  association  des  Frères  cordonniers.  Elle  a 
été  établie  par  Henri -Michel  Buch,  communément  appelé  le  bon  Henri.  Ses  parents  étaient  de  pauvres 
laboureurs  d'Erlon,  dans  le  duché  de  Luxembourg.  Il  se  distingua,  dès  son  enfance,  par  sa  sagesse  et  sa 
piété.  Il  apprit,  étant  encore  fort  jeune,  la  profession  de  cordonnier,  et  sut  s'y  sanctifier  par  la  pratique 
des  vertus  chrétiennes.  Il  passait  à  l'église  les  dimanches  et  les  jours  de  fête,  et  il  s'appliquait  sans  cesse 
à  mortifier  ses  sens  et  sa  volonté.  Il  prit  pour  modèles  saint  Crépin  et  saint  Crépinien.  Pendant  son  tra- 
vail, il  les  avait  toujours  présents  à  l'esprit;  il  se  rappelait  comme  ils  avaient  travaillé  dans  la  vue  de 
plaire  a  Dieu,  et  les  moyens  qu'ils  avaient  employés  pour  faire  connaître  Jésus-Christ.  Il  ressentait  une 
vive  douleur  toutes  les  fois  qu'il  pensait  que  les  personnes  de  son  état  et  beaucoup  d'autres  artisans  étaient 
mal  instruits  de  la  religion,  qu'ils  vivaient  daus  l'oubli  de  Dieu,  et  qu'Us  étaient  esclaves  de  leurs  pas» 


SAINT  CRÉPIN  ET  SAINT   CRÉPÎNIEN  DE  ROME,   MARTYRS  A  SOISSONS.         629 

précède  la  grarid'messe  que  fait  chanter  annuellement  l'association  des  cordonniers  de  Soîssons. 

La  dévotion  des  fidèles  envers  saint  Crépin  et  saint  Crépinien  a  porté  beaucoup  de  paroisses  à 
désirer  de  les  avoir  pour  patrons  de  leurs  églises.  Il  y  a,  en  effet,  dans  le  diocèse  de  Soissons  et 
La  on,  plusieurs  églises  consacrées  sous  le  vocable  de  ces  saints  Martyrs.  Sans  compter  les  trois 
églises  faisant  partie  de  la  ville  de  Soissons,  on  sait  que  Château-Thierry,  Saint-Crépin-aux-Bois 
(aujourd'hui  diocèse  de  Beauvais),  Aiguizy,  Bussiares,  Cugny,  Vichel,  Serches,  Venizel,  .Verdelot 
(aujourd'hui  diocèse  de  Meaux),  Bouconville  et  peut-être  quelques  autres  sont  dédiées  à  saint 
Crépin  et  saint  Crépinien. 

Le  calendrier  liturgique  de  l'Angleterre,  même  depuis  que  ce  royaume  a  rompu  avec  l'Eglise 
romaine,  conserve  au  25  octobre  les  noms  des  saints  Crépin  et  Crépinien.  La  raison  en  est  peut- 
être  que  c'est  en  ce  jour  que  Henri  V,  roi  d'Angleterre,  a  gagné  la  bataille  d'Azincourt.  Ce  prince 
avait  ordonné  que,  pendant  son  règne,  chaque  jour,  et  à  toutes  les  messes  qui  se  célébreraient 
dans  son  royaume,  on  fit  mémoire  de  saint  Crépin  et  de  saint  Crépinien. 

L'église  de  Soissons  avait  autrefois  un  ancien  et  magnifique  office  propre  pour  la  fête  de  ses 
deux  plus  célèbres  Martyrs.  Il  avait  beaucoup  de  ressemblance  avec  l'office  qui  est  encore  aujour- 
d'hui en  usage  à  Osnabruck.  L'évêque  Charles  de  Bourbon  l'avait  conservé  en  entier  dans  l'édition 
du  bréviaire  qu'il  donna  en  1675,  ad  normam  breviarii  romani.  Les  antiennes  de  tout  l'office 

sions.  Son  zèle  lai  Inspira  le  dessein  de  travailler  à  lenr  convcrsion.il  en  engagea  plusieurs  a  profiter  des 
instructions  publiques,  à  fuir  les  compagnies  dangereuses,  à  prier  avec  ferveur,  à  fréquenter  les  Sacre- 
ments, à  faire  tous  les  Jours  des  actes  de  foi,  d'espérance,  de  charité  et  de  contrition;  en  un  mot,  à  prendre 
tous  les  moyens  propres  à  s'avancer  dans  la  pratique  de  la  vertu. 

Son  apprentissage  fini,  il  continua  d'exercer  le  même  métier  en  qualité  de  compagnon.  Sa  sainteté 
donnait  à  ses  paroles  beaucoup  de  poids  et  d'autorité*.  Il  était  véritablement  le  père  de  sa  famille.  Il  écou- 
tait les  plaintes  des  personnes  divisées,  et  les  réconciliait.  Il  consolait  les  affligés,  et  trouvait  dans  sa 
pauvreté  le  secret  d'assister  les  indigents.  Souvent  il  lui  arriva  de  partager  ses  vêtements  avec  ceux  qui 
étaient  nus.  Il  ne  vivait  que  de  pain  et  d'eau,  afin  d'avoir  de  quoi  faire  l'aumône.  Plusieurs  années  se 
passèrent  de  la  sorte  à  Luxembourg  et  à  Messen.  Enfin,  la  Providence  conduisit  a  Paris  le  serviteur  do 
Dieu.  Il  ne  changea  rien  a  son  premier  genre  de  vie. 

Il  avait  quarante -cinq  ans  lorsqu'il  fut  connu  du  baron  de  Renty  que  sa  piété  a  rendu  célèbre.  Celui- 
ci  eut  envie  de  voir  le  bon  Henri.  Il  fat  aussi  surpris  qu'édifié  dé  trouver,  dans  un  homme  du  peuple,  tant 
de  vertus  et  de  connaissances  des  voies  Ce  Dieu.  Il  admira  surtout  son  courage  a  entreprendre  et  à  exé- 
cuter de  grands  projets  pour. la  gloire  de  la  religion.  Il  apprit  qu'il  avait  le  talent  de  convertir  des  jeunes 
gens  de  son  état,  et  de  les  faire  rentrer  dans*  les  bonnes  grâces  de  leurs  parents  et  de  leurs  maîtres;  que, 
après  les  avoir  ainsi  gagnés,  il  leur  prescrivait  des  règles  de  conduite,  et  qu'il  allait  chaque  jour  a  l'hô- 
pital de  Saint-Gervais  pour  instruire  les  pauvres  qui  s'y  retiraient.  Mais  rien  ne  lui  paraissait  plus  grand 
que  cet  esprit  de  prière  et  d'humilité,  et  tous  ces  dons  surnaturels  qu'il  remarquait  en  lui.  Pensant  donc 
qu'il  était  plus  propre  que  personne  à  faire  l'œuvre  de  Dieu,  il  lui  proposa  d'établir  une  pieuse  associa- 
tion, dont  le  but  était  de  faciliter  la  pratique  de  toutes  les  vertus  parmi  les  ouvriers  de  la  même  profes- 
sion. Il  commença  par  lui  procurer  le  droit  de  bourgeoisie.  Ensuite  il  le  fit  recevoir  maître  afin  qu'il  pût 
prendre  chez  lui,  en  qualité  d'apprentis  ou  d'ouvriers,  ceux  qui  désireraient  suivre  les  règlements  que  le 
curé  de  Saint-Paul  fut  prié  de  rédiger.  Ces  règlements  recommandaient  aux  personnes  qui  s'y  assujétis- 
saient.la  prière  fréquente,  la  participation  aux  Sacrements,  la  pratique  de  la  présence  de  Dieu,  l'assistance 
mutuelle  dans  les  maladies,  le  soin  de  soulager  et  de  consoler  les  malheureux. 

Le  bon  Henri  eut  bientôt  un  certain  nombre  d'apprentis  bu  d'ouvriers.  Ce  fut  avec  eux  qu'il  fonda,  en 
1645,  l'établissement  connu  sous  le  nom  de  communauté  des  Frères  cordonniers.  Il  en  fut  fait  le  premier 
supérieur.  L'innocence  et  la  sainteté  de  ces  pieux  artisans  montraient  visiblement  que  Dieu  les  avait 
choisis  pour  glorifier  son  nom.  .Ils  faisaient  revivre  en  eux  l'esprit  des  premiers  chrétiens.  Cette  commu- 
nauté donna  naissance  à  celle  des  Frères  tailleurs,  deux  ans  après.  Certains  artisans  de  cette  dernière 
profession,  édifiés  de  la  vie  sainte  que  menaient  les  Frères  cordonniers,  et  de  la  manière  dont  ils  em- 
ployaient un  temps  que  plusieurs  autres  passaient  dans  le  désordre  ou  dans  l'oisiveté,  prièrent  le  bon 
Henri  de  leur  donner  une  copie  de  sa  Règle.  Ils  s'adressèrent  ensuite  au  curé  de  Saint-Paul,  et  formèrent 
aussi  une  association.  Ces  deux  communautés  ou  associations  sont  répandues  en  France  et  en  Italie  ;  elles 
sont  même  établies  a  Rome.  Les  membres  dont  elles  sont  composées  se  lèvent  à  cinq  heures  du  matin, 
font  la  prière  en  commun,  récitent  d'autres  prières  particulières,  à  des  temps  marqués,  entendent  la  messe 
tous  les  jours,  gardent  le  silence  qu'ils  n'interrompent  que  par  le  chant  des  cantiques,  font  une  médita- 
tion avant  le  dîner,  assistent  à  tout  l'office  fêtes  et  dimanches,  visitent  les  pauvres  dans  les  prisons,  dans 
les  hôpitaux  et  dans  leurs  maisons,  font  chaque  année  une  retraite  de  quelques  jours,  etc. 

Le  bon  Henri  mourut  à  Paris,  le  9  juin  1 666,  d'un  ulcère  au  poumon,  et  fut  enterré  dans  le  cimetière 
de  Saint-Gervais.  H  avait  été  le  modèle  des  plus  héroïques  vertus.  Les  Frères  cordonniers  ont  eu  des 
établissements  à  Paris,  à  Soissons,  à  Grenoble,  à  Toulouse,  à  Lyon,  etc.  Les  maîtres  cordonniers  laïques 
leur  suscitèrent  souvent  des  embarras  et  des  tracasseries  de  toute  espèce.  En  1686,  à  Soissons,  lo  maire 
et  les  échevins  firent  comparaître  le  frère  Rodier  et,  après  un  minutieux  Interrogatoire  duquel  il  ne  ré- 
sulta rien  à  la  charge  de  la  communauté,  il  fut  enjoint  aux  frères  de  se  séparer  immédiatement,  «  à  quoi 
faire  ils  seront  contraints  par  toutes  voies  et  jection  de  leurs  meubles,  et  expulsion  de  leurs  personnes 
de  la  maison  en  laquelle  ils  ont  établi  leur  communauté,  défense  à  eux  de  plus  s'assembler  ainsi  à  peine 
de  cinq  cents  livres  d'amende  et  de  prison  •'.  Malgré  cet  arrêt,  une  transaction  par-devant  notaire  fut  faite 
la  même  année  entre  les  frères  et  les  maîtres  cordonniers  en  neuf  de  Soissons,  moyennant  qu'un  des  frères 
serait  toujours  tenu  de  se  faire  recevoir  maître  cordonnier,  que  la  communauté  restreindrait  le  nombre 
des  ouvriers  externes  et  se  chargerait  d'un  enfant  de  l'hôpital  pendant  trois  ans. 


630  23  OCTOBRE. 

avaient  été  prises  généralement,  sauf  de  légères  modifications,  dans  les  Actes  des  saints  Martyrs, 
et  elles  respiraient  un  parfum  de  piété,  un  langage  héroïque,  un  saint  enthousiasme  qu'on  ne 
retrouve  pas  dans  les  offices  plus  récents. 

Notice  due  a  M.  Henri  Congnet,  du  chapitre  de  Soissous.  —  Cf.  Acta  Sanctorum;  Eaillet;  Tillemont; 
M.  Pécheur,  Annales,  t.  r*r  ;  Lépaulart,  Recueil  manuscrit;  Actes  du  martyre  de  saint  Cre'pin. 


SAINT  HILAIRE  OU  ILLIER  \  ÉVÊQUE  DE  MENDE 

540.  —  Pape  :  Vigile.  —  Roi  de  France  :  Childebert  I«. 


Voulez-vous  augmenter  vos  vertus?  ne  les  faites  pas 
voir;  cachez-les,  dérobez-les  aux  regards,  dans  1» 
crainte  de  la  vanité  et  de  l'orgueil. 

Saint  Isidore  d'Espagne. 

Saint  Hilaire  naquit  à  Mende  môme,  d'une  famille  de  bonne  condition. 
L'aménité  de  son  caractère  lui  fit  donner  dans  son  enfance  le  nom  à'ffila- 
riusy  qui  signifie  gai,  joyeux.  Il  ne  reçut  le  baptême  que  dans  un  âge  assez 
avancé,  selon  la  regrettable  coutume  de  ce  temps.  Dès  lors,  s'adonnant 
tout  entier  au  service  de  Dieu,  il  se  livra  aux  plus  rudes  austérités  de  la 
pénitence  et  du  jeûne. 

Bientôt  après,  suivi  de  trois  compagnons  animés  du  même  esprit  que 
lui,  il  se  choisit  un  lieu  de  retraite  à  environ  deux  milles  de  la  petite  ville 
de  Mende.  De  là,  il  venait  souvent,  pendant  la  nuit,  la  passer  en  prières 
auprès  du  tombeau  de  saint  Privât.  Le  démon,  mécontent  d'une  si  sainte 
vie,  ne  manqua  pas  de  le  persécuter.  Pour  cela,  il  profitait  surtout  du 
temps  des  ténèbres,  lorsque  le  saint  jeune  homme  venait  prier  pendant  la 
nuit  dans  l'église  du  saint  patron  du  diocèse.  Une  fois  il  fit  paraître  devant 
lui  comme  un  vaste  étang  de  feu  ;  mais  saint  Hilaire  fit  le  signe  de  la  croix 
et  continua  son  chemin  sans  recevoir  aucun  mal.  Une  autre  fois,  comme  il 
revenait  de  satisfaire  sa  dévotion,  les  démons,  s'emparant  de  sa  personne, 
le  transportèrent  au  loin  au  milieu  d'une  forêt  épaisse,  où  ses  compagnons 
désolés  9t  courant  partout  à  sa  recherche,  le  découvrirent,  au  bout  de  trois 
jours,  célébrant  par  des  psaumes  les  louanges  de  Dieu. 

Son  genre  de  vie  et  l'éclat  de  ses  vertus  ne  tardèrent  pas  à  lui  attirer 
d'autres  lisciples  :  ce  qui  lui  fit  concevoir  le  dessein  de  fonder  un  vrai  mo- 
nastère. Il  alla  l'établir  sur  les  bords  de  la  rivière  du  Tarn,  à  quelque 
distance  en  dessous  du  bourg  actuel  de  Sainte-Enimie.  L'auteur  de  sa 
légende  nous  apprend  qu'il  fit  bâtir  en  cet  endroit  une  maison  bien  cons- 
truite, qui  demanda  beaucoup  de  frais  et  de  travaux,  et  qu'ensuite  il  y 
réunit  un  très- grand  nombre  de  religieux. 

Un  jour  qu'il  passait  sur  le  bord  du  Tarn,  par  un  très-mauvais  sentier, 
le  pied  vint  à  lui  manquer  et  il  tomba  dans  un  gouffre,  au  fond  duquel  il 
demeura  pendant  deux  heures.  Lorsqu'on  eut  connaissance  de  ce  fâcheux 
accident,  on  s'empressa  d'aller  à  son  secours  ou  à  sa  recherche  au  moyen 
d'une  barque,  et  tout  à  coup  on  l'aperçut  debout  sur  la  surface  de  l'eau, 
plein  de  vie  et  célébrant  la  bonté  et  la  puissance  de  Dieu. 

1.  On  l'appelle  aussi  saint  Cnelirs. 


SAINT  HILAIRE   OU  ILLIER,   ÉVÉQUE  DE  MENDE.  GUI 

Afin  de  donner  à  ses  nombreux  disciples  le  véritable  esprit  de  la  vie  reli- 
gieuse, saint  Hilaire,  prenant  avec  lui  quelques-uns  de  ses  frères,  alla 
s'établir  pendant  un  certain  temps  dans  un  lieu  solitaire,  non  loin  de  Mar- 
seille ;  et  de  là  il  faisait  de  fréquentes  visites  aux  moines  de  l'île  de  Lérins, 
pour  s'instruire  à  leur  école  dans  les  voies  de  la  perfection. 

Une  fois,  en  revenant  de  ce  célèbre  monastère,  il  passa  quelques  jours 
à  Marseille  pour  des  raisons  de  charité.  Il  y  eut  une  vision  dans  laquelle 
Dieu  lui  fit  connaître  qu'il  allait  châtier  cette  ville.  En  effet,  un  peu  après 
son  départ,  il  y  survint  une  épidémie  si  terrible,  qu'elle  résistait  à  tous  les 
remèdes  et  ne  donnait  même  pas  le  temps  de  les  employer.  Un  domestique 
de  l'hôte  qui  l'avait  logé,  se  trouva  atteint  du  fléau.  Son  maître,  se  rappe- 
lant la  sainteté  d'Hilaire,  alla  vite  chercher  son  manteau  qu'il  avait  oublié 
dans  la  chambre  des  moines  et  le  mit  sur  le  malade,  qui  fut  guéri  sur-le- 
champ.  Ensuite  le  même  remède  produisit  le  même  prodige  sur  toutes  les 
autres  personnes  de  la  maison  ainsi  que  dans  la  famille  du  frère  de  l'hôte. 

Enfin,  quand  saint  Hilaire  crut  avoir  fait  assez  de  provisions  spirituelles 
auprès  des  habiles  maîtres  de  Lérins,  il  revint  vers  son  monastère  des  rives 
du  Tarn.  Il  paraît  que  ce  fut  à  cette  époque  que,  le  siège  épiscopal  de  Mende 
étant  venu  à  vaquer,  il  fut  appelé  à  le  remplir.  On  ne  pouvait  faire  un 
meilleur  choix  :  les  fidèles  ne  furent  pas  trompés  dans  leurs  espérances,  s'il 
faut  en  juger  par  les  autres  merveilles  que  nous  allons  raconter  de  lui, 
d'après  l'auteur  de  sa  légende. 

Une  pieuse  personne,  du  nom  de  Marcianilla^  qui  avait  consacré  à  Dieu 
sa  virginité,  avait  au  milieu  de  ses  propriétés  une  fontaine  qui  en  était  la 
vie  et  la  ressource.  Or,  il  y  avait  sept  ans  qu'elle  ne  donnait  plus  d'eau.  C'est 
pourquoi,  sachant  que  saint  Hilaire  était  facilement  exaucé  de  Dieu,  cette 
femme  vint  lui  demander  un  prodige.  Le  charitable  pontife  l'accueillit 
avec  bonté  et  lui  dit  :  «  Nous  allons  tous  les  deux  prier  auprès  de  cette  fon- 
taine, et  il  faut  espérer  que  Dieu  nous  écoutera  ».  Ils  y  allèrent  donc  et, 
après  avoir  prié  quelque  temps,  la  source  se  remit  à  couler  avec  son 
ancienne  abondance. 

Dans  une  de  ses  visites  à  son  monastère  des  bords  du  Tarn,  saint  Hilaire 
apprit  que  dans  le  voisinage  on  célébrait  une  fête  populaire  d'origine 
païenne  et  pleine  de  rites  diaboliques.  Aussitôt,  prenant  avec  lui  deux  reli- 
gieux seulement,  il  se  dirigea  vers  l'endroit  désigné.  Comme  il  était  sur  le 
point  d'y  arriver,  ces  fanatiques  crurent  voir  une  armée  nombreuse  s'avan- 
çant  contre  eux  et  s'enfuirent  de  frayeur  dans  toutes  les  directions.  Puis, 
quand  ils  apprirent  la  réalité  du  fait,  ils  reconnurent  le  doigt  de  Dieu  dans 
ce  qui  venait  de  se  passer  et  demandèrent  à  se  réconcilier  avec  la  sainte 
Eglise. 

Pendant  l'épiscopat  de  saint  Hilaire,  les  soldats  francs  de  Thierry  Ier,  roi 
d'Austrasie  et  fils  aîné  du  grand  Clovis,  s'avancèrent  jusqu'en  Gévaudan 
pour  en  faire  la  conquête  et  allèrent  assiéger  le  château  de  Méléna,oh  saint 
Hilaire  s'était  réfugié  sans  doute  avec  toutes  les  forces  et  les  ressources  du 
pays,  dont  il  était  en  même  temps  l'évêque  et  le  souverain  temporel.  Ce 
siège  durait  déjà  depuis  longtemps,  lorsque  Dieu  lui  fit  connaître  que  les 
assiégeants  étaient  disposés  à  traiter  honorablement.  Il  sortit  donc  de  la 
forteresse,  et  toutes  choses  se  passèrent  ainsi  que  le  ciel  le  lui  avait  révélé. 

Un  des  chefs  de  l'armée  assiégeante  lui  témoigna  toute  sorte  d'égards  et 
l'invita  même  à  sa  table  :  ce  à  quoi  saint  Hilaire  acquiesça  avec  bonté  et 
confiance.  Or,  ce  guerrier  avait  à  son  service  un  homme  qui,  quoique  chré- 
tien, s'était  fait  une  réputation  de  grande  méchanceté,  même  envers  les 


632  25  OCTOBRE. 

personnes  innocentes.  Pendant  le  repas,  cet  homme  osa  s'asseoir  à  table  et 
demander  à  l'évêque  sa  bénédiction.  Saint  Hilaire  la  lui  refusa  en  disant  : 
«  Je  n'ai  rien  de  commun  avec  les  hommes  qui  se  permettent  les  choses  les 
plus  exécrables  ».  Ce  refus  excita  sa  colère  :  il  jura  la  mort  du  prélat,  se 
vantant  qu'il  ne  le  laisserait  pas  rentrer  chez  lui  sain  et  sauf.  Puis,  conti- 
tinuant  à  remplir  son  office  culinaire,  il  lui  arriva,  en  attisant  le  feu,  de 
renverser  sur  lui  une  chaudière  pleine  d'eau  bouillante.  L'excès  de  la  dou- 
leur le  mit  tellement  hors  de  lui-même,  que,  s'agitant  comme  un  furieux, 
il  se  roula  jusqu'au  milieu  des  flammes  du  foyer  et  succomba  bientôt  après 
à  des  souffrances  atroces. 

Quelque  temps  après,  le  roi  d'Austrasie  étant  mort,  son  fils  Théode- 
bert  Ier,  qui  lui  succéda,  vint  visiter  ses  provinces  méridionales.  Saint  Hilaire, 
ayant  appris  son  arrivée  en  Auvergne,  s'empressa  de  s'y  rendre  pour  traiter 
avec  lui  de  certaines  affaires  de  son  petit  Etat  de  Gévaudan.  Chemin  fai- 
sant, il  s'arrêta,  pour  se  reposer  durant  la  nuit,  en  un  lieu  appelé  Arisen~ 
eus,  aujourd'hui  Arzenc  d'Apcher.  Vu  l'exéguité  du  lieu  et  sans  doute  aussi 
la  douceur  de  la  saison,  la  caravane  campa  sous  des  tentes  en  rase  cam- 
pagne. Or,  pendant  la  nuit,  le  tribun  Léon,  qui,  avec  les  hommes  compo- 
sant l'escorte,  montait  la  garde  auprès  de  la  tente  du  prélat,  y  aperçut  une 
grande  lumière  et  entendit  des  personnages  mystérieux  qui  s'entretenaient 
avec  lui.  Le  lendemain,  le  saint  pasteur,  à  qui  sans  doute  ce  militaire  avait 
adressé  quelque  question  relative  à  cet  incident,  lui  dit  :  «  Ne  faites  rien 
connaître  de  ce  que  vous  avez  vu  ;  je  vous  dirai  seulement  que  Dieu  m'a 
révélé  que  mon  voyage  sera  heureux  et  que  nous  pourrons  bientôt  revenir 
dans  nos  foyers  ».  En  effet,  saint  Hilaire  fut  accueilli  avec  les  plus  grands 
égards  par  le  roi  Théodebert,  qui  satisfit  de  grand  cœur  à  ses  propositions 
et  à  ses  demandes.  Ceci  se  passait  en  534. 

L'année  suivante,  avec  l'agrément  de  ce  même  prince,  il  se  tint  à  Cler- 
mont  un  Concile  assez  important  de  toute  la  province  ecclésiastique  de 
Bourges.  Saint  Hilaire  fut  un  des  Pères  de  cette  auguste  assemblée,  qui  fut 
présidée  par  saint  Honoré,  archevêque  de  Bourges.  L'évêque  de  Mende  y 
occupait  le  quatrième  rang. 

Saint  Hilaire  mourut  le  25  octobre  (vers  540). 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Les  reliques  de  saint  Hilaire  ont  reposé  d'abord  à  Mende.  Ensuite,  du  temps  de  Dagobert  I«'  ou 
peu  après,  les  Toulousins,  les  ayant  acquises  on  ne  sait  comment,  les  envoyèrent  avec  celles  de 
saint  Patrocle,  évêque  de  Grenoble  et  martyr,  et  celles  de  saint  Romain,  prêtre  et  religieux  de 
Blaye,  aux  religieux  du  monastère  de  Saint-Denis,  près  Paris,  à  l'effet  d'en  obtenir  la  restitution 
du  corps  de  saint  Saturnin.  •—  Les  mêmes  religieux,  ayant  fondé  un  monastère  à  Salone,  dans  le 
diocèse  de  Metz,  y  transportèrent  les  reliques  de  saint  Hilaire  et  celles  de  saint  Privât,  enlevées 
aussi  par  Dagobert.  Un  peu  plus  d'un  siècle  après,  les  religieux  de  Salone  durent  regagner  Saint- 
Denis  et  y  rapportèrent  leurs  reliques.  C'était  vers  la  fin  du  ix«  siècle.  Le  corps  de  saint  Privât 
fut  alors  demandé  et  obtenu  par  les  fidèles  de  Mende  ;  mais  celui  de  saint  Hilaire  resta  à  Saint- 
Denis,  où  il  a  péri  en  1793. 

Nous  devons  cette  notice  à  l'obligeance  de  M.  l'abbé  Charbonnel,  ancien  professeur.  (Lettre  do 
88  mal  1878.)  —  Cf.  Act.  SS.  oct.,  tome  xi,  page  619. 


SAINT  BONÏFACE   Iep,   PAPE   ET  CONFESSEUR.  633 


SAINT   CHRYSANTHE    ET   SAINTE  DARIE, 

MARTYRS  A  ROME  (284). 

Chrysanthe,  ûls  d'un  sénateur  romain,  était  né  en  Egypte.  Jeune  encore,  il  accompagna  son 
père  daos  la  grande  Rome,  où  sa  haute  intelligence  fut  bientôt  appréciée.  Convaincu  de  la  vanité 
des  idoles,  il  cherchait,  par  tous  les  moyens,  à  connaître  la  vérité,  afin  de  délivrer  son  âme  des 
doutes  qui  la  désolaient. 

Un  vieillard  lui  est  indiqué  comme  un  sage  ;  Chrysanthe  s'adresse  à  lui.  Le  vieillard,  qui  était 
chrétien,  n'a  pas  de  peine  à  dessiller  les  yeux  du  jeune  néophyte.  La  vérité  connue  est  à  l'instant 
même  embrassée  avec  ardeur  :  Chrysanthe  devient  apôtre.  Son  père  s'étonne,  s'irrite,  et  jure  de 
faire  revenir  son  fils  de  ce  qu'il  appelle  ses  superstitions  et  ses  erreurs.  Caresses,  prières,  menaces, 
tout  est  mis  en  œuvre  ;  mais  tout  reste  inutile.  Cédant  alors  aux  instigations  de  ses  proches,  le 
père  de  Chrysanthe  enferme  son  fils  dans  son  palais,  et  tend  à  sa  vertu  le  piège  le  plus  dangereux. 

Les  personnes  amenées  pour  le  séduire  n'ayant  pu  l'ébranler,  on  fait  choix  d'une  Vestale,  éga- 
lement fameuse  par  ses  attraits,  par  ses  connaissances  et  par  le  charme  de  son  élocution.  Prêtresse 
d'une  idole,  dont  le  culte  était  regardé  comme  la  sauvegarde  de  l'empire,  Darie  déploie  tous  ses 
artifices  pour  corrompre  le  jeune  chrétien,  et  l'amener  comme  une  conquête  à  l'autel  des  dieux; 
mais  elle  devient  elle-même  la  conquête  de  la  grâce.  Chrysanthe  et  Darie,  se  voyant  unis  par  les 
liens  de  la  foi,  de  l'espérance  et  de  la  charité,  s'unissent  alors  par  les  liens  sacrés  d'un  mariage 
virginal.  Cette  résolution  met  Chrysanthe  en  liberté,  et  lui  donne,  ainsi  qu'à  sa  chaste  épouse,  le 
moyen  de  continuer  à  prêcher  Jésus-Christ.  De  nombreuses  conversions  dans  les  hauts  rangs  de  la 
société  deviennent  le  fruit  de  leur  apostolat  ;  une  de  ses  plus  remarquables  fut  celle  du  tribun 
Claudius,  avec  sa  femme,  ses  deux  fils,  ses  domestiques  et  soixante-dix  soldats. 

Des  plaintes  sont  portées  au  préfet  Célérin  qui  fait  arrêter  les  jeunes  époux.  Après  d'autres 
supplices,  Chrysanthe  est  enfermé  dans  *la  prison  Mamertine,  et  Darie  exposée  dans  un  lieu  de 
débauches.  Le  Seigneur  veille  sur  eux  comme  il  veilla  sur  tant  d'autres;  et  ils  sortent  intacts  et 
purs.  Pour  en  finir,  l'empereur  irrité  les  condamne  à  être  enterrés  tout  vivants.  Il  est  vraisemblable 
.  que  cet  affreux  supplice  fut  choisi  afin  de  faire  subir  à  Darie  le  genre  de  mort  réservé  aux  Vestales 
infidèles.  Cette  conjecture  devient  d'autant  plus  probable  qu'on  fit  expirer  les  saints  Martyrs  près 
de  la  porte  Salaria,  lieu  désigné  pour  le  supplice  des  Vestales. 

Les  principales  reliques  de  Chrysanthe  et  de  Darie  furent  portées  en  842  à  l'abbaye  de  Prum 
ou  Pruym  (province  Rhénane).  Deux  ans  après  on  les  transféra  à  l'abbaye  de  Saint-Avold,  au  dio- 
cèse de  Metz. 

On  représente  saint  Chrysanthe  :  i°  Cousu  dans  la  peau  d'un  bœuf  fraîchement  écorché,  et, 
dans  cet  état,  exposé  au  soleil,  afin  que  le  resserrement  du  cuir  se  tournât  en  supplice  pour  celui 
qu'on  y  avait  enfermé  ;  2»  brûlé  avec  des  torches  ;  3°  enseveli  vivant,  avec  sainte  Darie,  dans  une 
sablonnière.  Quant  à  sainte  Darie,  on  la  peint  :  1°  enfermée  dans  un  lieu  de  prostitution  où  elle 
est  défendue  par  un  lion  prêt  à  s'élancer  sur  ceux  qui  veulent  attenter  à  la  chasteté  de  la  vierge  ; 
2°  tenant  un  lis,  pour  marquer  qu'elle  conserva  la  continence  dans  le  mariage. 

Ils  sont  patrons  d'Eissel,  de  Reggio-di-Modena,  de  Salzbourg,  d'Oria  (Terre  d'OtranteJ. 

Mgr  Gaume,  Les  trois  Borne;  le  P.  Cahier,  Caractéristiques  des  Saints. 


SAi:;T  BONIFACE  Ier,  PAPE  ET  CONFESSEUR  (422). 

Boniface,  romain  de  naissance  et  fils  de  Jocondus,  prit,  après  la  mort  de  saint  Zozime,  le  gou- 
vernement de  l'Eglise  (29  décembre  418).  C'était  un  prêtre  avancé  en  âge,  d'une  vertu  éminente, 
et  très-versé  dans  la  connaissance  de  la  discipline  ecclésiastique.  Elu  malgré  lui  avec  l'acclama- 
tion de  tout  le  peuple,  avec  le  consentement  des  principaux  de  la  ville  de  Rome,  il  fut  consacré 
dans  la  basilique  Julienne  par  soixante-dix  prêtres  et  neuf  évêques  de  diverses  provinces.  Son  élé- 
vation déplut  à  trois  évêques  et  à  quelques  personnes  qui  leur  étaient  attachées  ;  ils  donnèrent 


634  25  OCTOBRE. 

leurs  suffrages  à  l'archidiacre  Eulalius,  homme  intrigant  et  ambitieux,  qui  fut  ordonné  dans  la 
basilique  Constantinienne.  Cet  anti-pape  contraignit  même  le  Pontife  légitime  à  quitter  la  basi- 
lique de  Saint-Pierre,  et  à  se  retirer  avec  ses  partisans  dans  celle  de  Saint-Paul.  La  cause  fut 
déférée  à  une  assemblée  d'évêques  qui,  ne  pouvant  se  mettre  d'accord,  décidèrent  qu'un  concile 
plus  nombreux  serait  rassemblé  pour  juger  toute  l'affaire.  En  attendant,  par  le  soin  de  l'empereur 
Honorius,  Boniface  et  Eulalius  reçurent  l'ordre  de  sortir  de  la  cité  et  de  se  retirer,  celui-ci  à  An- 
tium  (Anzio),  celui-là  dans  la  basilique  de  Sainte-Félicité. 

Mais  Eulalius  s'introduisit  secrètement  dans  la  ville  et  excita  une  sédition  ;  Honorius  s'en 
émut,  et,  par  un  rescrit,  ordonna  qu'il  fût  expulsé  de  Rome  et  que  Boniface  y  fût  ramené  ;  ordre 
qui  fut  confirmé  par  la  décision  du  concile  des  évoques  réunis  en  plus  grand  nombre.  Boniface, 
rétabli  sur  son  siège,  s'occupa  de  faire  cesser  la  discorde  ;  il  prit  aussi  des  mesures  pour  empê- 
cher qu'à  sa  mort  l'Eglise  ne  fût  déchirée  par  de  nouveaux  troubles.  Bien  que  très-savant  lui- 
même,  il  ne  laissait  pas  d'exhorter  saint  Augustin  à  répondre  aux  écrits  des  Pélagiens  ;  c'est  pour- 
quoi ce  docteur  lui  adressa  ses  livres,  mais  avec  beaucoup  de  déférence,  et  moins  pour  l'éclairer 
que  pour  lui  faire  examiner  et  corriger  ses  ouvrages.  Il  montra  beaucoup  de  fermeté  contre  les 
évêques  de  Constantinople,  qui  voulaient  étendre  leur  juridiction  jusque  dans  l'illyrie  et  dans  cer- 
taines provinces  qui,  quoique  soumises  alors  à  l'empire  d'Orient,  avaient  toujours  dépendu  du 
patriarcat  d'Occident.  Il  maintint  avec  vigueur  les  droits  de  Rufus,  évêque  de  Tbessalonique,  son 
vicaire  dans  la  Thessalie  et  la  Grèce  ;  il  exigea  que  les  élections  d'évêques,  faites  dans  ces  con- 
trées, fussent  toujours  confirmées  par  Bufus  et  ses  successeurs,  conformément  à  l'ancienne  disci- 
pline. Dans  la  troisième  de  ses  lettres,  adressées  à  ce  même  Rufus,  on  lit  ces  paroles  :  «  Le  bien- 
heureux Pierre,  apôtre,  reçut  de  Notre-Seigneur  le  gouvernement  de  toute  l'Eglise  qui  était 
fondée  sur  lui  ».  Il  réprima  Patrocle,  archevêque  d'Arles,  qui  cherchait  à  étendre  sa  juridiction 
sur  les  métropoles  de  Narbonne  et  de  Vienne.  Il  défendit  que  nulle  femme,  même  religieuse,  tou- 
chât aux  vêtements  sacerdotaux  et  sacrés,  même  pour  les  laver  ;  que  personne  ne  brûlât  l'encens 
dans  l'église,  à  moins  qu'il  ne  fût  ministre  de  l'Eglise.  Il  construisit  un  oratoire  dans  le  cimetière 
de  Sainte-Félicité,  auprès  du  corps  de  cette  illustre  martyre,  et  orna  aussi  le  tombeau  de  saint 
Sylvain. 

Saint  Boniface  mourut  le  25  octobre  422,  et  fut  enterré  dans  la  catacombe  de  Sainte-Félicité, 
sur  la  voie  Salaria.  Dans  une  ordination,  au  mois  de  décembre,  il  avait  imposé  les  mains  à  treize 
prêtres,  trois  diacres  et  trente-six  évêques,  destinés  à  diverses  provinces.  Il  avait  tenu  le  siège 
pendant  quatre  ans  et  quelques  mois.  Saint  Célcstin  Ier  fut  son  successeur. 

Propre  de  Rome  et  Godescard. 


LE  B.  JEAN-ANGE  PORRO,  RELIGIEUX  SERVITE  (1506). 

Notre  Bienheureux  naquit  d'une  famille  noble  dans  le  Milanais.  Sa  jeunesse  s'écoula  dans  une 
grande  innocence  de  mœurs,  et  il  la  termina  en  entrant  dans  l'Ordre  des  Servites.On  le  vit  dès  lors 
avancer  rapidement  dans  la  vertu,  et,  bientôt  promu  aux  Ordres  sacrés,  il  en  remplit  les  fonctions 
avec  une  sainteté  merveilleuse.  Son  grand  attrait  était  pour  le  silence  et  l'oraison;  afin  de  se  livrer 
à  leur  pratique  d'une  façon  plus  parfaite,  il  se  retira  sur  le  mont  Senario  et  y  embrassa  la  vie 
austère  des  ermites  qui  avaient  établi  là  leur  séjour.  Après  avoir  mené  pendant  vingt  ans  cette  vie 
de  retraite,  il  fut  choisi  pour  supérieur  de  l'ermitage.  Mais  cette  charge  n'était  pas  selon  ses  goûts, 
et,  après  quelques  mois,  il  allait  se  cacher  dans  une  des  grottes  de  la  montagne.  Complètement 
séparé  du  monde  dans  ce  lieu  désert,  il  passait  tout  son  temps  à  prier  et  à  méditer.  Occupé  conti- 
nuellement du  souvenir  de  la  passion  du  Sauveur  et  des  douleurs  de  la  sainte  Vierge,  il  traitait 
durement  son  corps  qu'il  soumettait  à  d'austères  mortifications. 

Sa  sainteté  ne  tarda  pas  à  le  faire  découvrir,  et  son  supérieur  lui  confia  des  charges  importantes, 
dont  il  s'acquitta  à  la  satisfaction  et  à  l'édification  générale.  Ses  exemples  contribuèrent  puissam- 
ment à  établir  une  régularité  parfaite  dans  l'Ordre  des  Servîtes,  et  les  novices  qui  sortaient  d'entre 
ses  mains  portaient  partout  son  esprit  et  ses  sentiments.  Mis  de  nouveau  à  la  tête  de  l'une  des 
maisons  de  son  Ordre,  il  fit  fleurir  la  piété  dans  tout  le  pays  situé  entre  Florence  et  Sienne.  Il 
travailla  à  l'instruction  des  pauvres  par  de  bons  catéchismes.  Les  miracles  qu'il  opérait  et  les  actes 
de  son  ardente  charité  le  firent  bientôt  vénérer  comme  un  Saint.  Son  humilité  ne  pouvant  souffrir 


MARTYROLOGES.  635 

les  témoignages  de  respect  qu'on  lui  rendait,  il  partit  en  secret,  emportant  quelques  provisions  et 
vêtu  d'une  mauvaise  tunique  de  toile.  Il  parvint  à  Milan,  exténué  des  fatigues  de  la  longue  route 
qu'il  venait  de  faire  et  de  ses  mortifications  passées.  11  était  méconnaissable,  car  il  n'avait  plus 
que  les  os  et  la  peau.  Se  dérobant  à  tous  les  regards,  il  alla  s'enfermer  dans  une  cellule  où  il  passa 
le  reste  de  sa  vie  uniquement  occupé  de  Dieu.  Accablé  de  vieillesse  et  de  maladie,  il  expira  le 
24  octobre  1506.  Au  siècle  dernier,  Clément  XII  (1730-1740)  approuvait  son  culte,  et  Clément  XIII 
(1758-1769),  quelques  années  après,  permettait  aux  Servites  de  faire  son  office. 

Acta  Sanctorum,  au  24  octobre. 


XXVf  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

À  Rome,  saint  Evartste,  pape  et  martyr,  qui  empourpra  l'Eglise  de  Dieu  de  son  sang,  sous 
l'empereur  Adrien.  108.  —  En  Afrique,  saint  Rogatien,  prêtre,  et  saint  Félicissime,  qui  rempor- 
tèrent la  couronne  d'un  glorieux  martyre,  pendant  la  persécution  de  Valérien  et  de  Gallien.  Saint 
Cyprien  fait  l'éloge  de  leurs  vertus  dans  sa  Lettre  aux  Confesseurs.  ui°  s.  —  A  Nicomédie,  les 
saints  martyrs  Lucien,  Flore  et  leurs  compagnons.  250.  —  Le  même  jour,  saint  Quod-Vult-Deus, 
évêque  de  Carthage,  qui,  ayant  été  exposé  avec  son  clergé  sur  des  barques  à  demi-brisées  sans 
voiles  et  sans  rames,  par  Genséric,  prince  arien,  aborda  à  Naples  contre  toute  espérance,  et  y 
mourut  en  exil,  avec  la  qualité  de  confesseur  de  Jésus-Christ.  Vers  468.  —  A  Narbonne,  saint 
Rustique,  évêque  et  confesseur,  qui  florissait  au  temps  des  empereurs  Valentinien  et  Léon  *.  Vers 
462.  —  A  Salerne,  saint  Gaudiose,  évêque.  Vers  le  milieu  du  vne  s.  —  A  Pavîe,  saint  Fulce  ou 
Foulques,  évêque.  1229.  —  A  Hildesheim,  en  Saxe,  saint  Bernward,  évêque  et  confesseur,  que  le 
pape  Célestin  III  inscrivit  au  catalogue  des  Saints,  vi»  s.  —  Le  même  jour,  saint  Quadragésime, 
sous-diacre,  qui,  entre  autres  miracles,  ressuscita  un  mort.  vi«  s. 

MARTYROLOGE  DE  FRANGE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  d'Agen,  fête  de  plusieurs  Martyrs  de  celte  ville,  qui,  spectateurs  du  supplice  de 
sainte  Foi  et  de  saint  Caprais  (20  octobre),  abjurèrent  sur-le-champ  l'idolâtrie.  Le  préfet  Datien 
fit  charger  la  foule  par  son  escorte  :  un  monceau  de  cadavres  s'accumula  sous  les  coups  des  sol- 
dats. Les  corps  de  ces  Martyrs,  dont  Dieu  seul  connaît .  le  nombre  et  les  noms,  furent  jetés  dans 
l'étang  au-dessus  duquel  s'éleva  plus  tard  la  crypte  de  Saint-Caprais  et  qu'on  appela  avec  raison 
le  Martyrium.  L'Eglise  d'Agen,  quoique  dépouillée  par  le  malheur  des  temps  des  précieuses  re- 
liques de  ces  témoins  du  Christ,  renouvelle  cependant  chaque  année  leur  mémoire  dans  ses  offices  ». 
IVe  s.  — -  Aux  diocèses  d'Ajaccio,  Carcassonne  et  Châlons,  saint  Evariste,  pape  et  martyr,  cité  au 
martyrologe  romain  de  ce  jour.  108.  —  Aux  diocèses  d'Alger,  Avignon,  Cahors,  Monde,  Reims  et 
Versailles,  fête  de  tous  les  Saints  dont  on  conserve  les  reliques  dans  chacune  de  ces  Eglises.  -— 
Au  diocèse  d'Arras,  fête  des  saints  Lugle  et  Luglien,  martyrs,  dont  nous  avons  esquissé  la  notice 

1.  Rustique,  né  dans  la  Gaule  Narbonnalse,  vers  la  fin  du  règne  de  Théodose  I"  (879-895),  était  fils 
d'un  saint  évoquer  nommé  Bonose  et  neveu  d'un  antre  évâque  nommé  Arator  (on  Ignore  qnels  étalent  les 
sièges  de  ces  deux  évêques).  Il  alla  a  Rome  pour  se  perfectionner  dans  les  sciences  qn'll  avait  étudiées 
sous  les  maîtres  les  plus  habiles  des  Gaules.  De  retour  dans  sa  patrie,  il  embrassa  la  vie  religieuse  dans 
un  monastère  de  Marseille.  Procule,  alors  évêque  do  cette  ville,  l'attacha  depuis  au  clergé  de  son  Eglise. 
Il  y  demeura  jusqu'à  son  élévation  sur  le  siège  do  Navbonne  (427  ou  430).  On  ne  sait  presque  rien  des 
Actes  de  son  épiscopat.  Il  assista  au  Concile  général  d'Ephfese  (4SI)  qui  condamna  les  hérésies  de  Nesto- 
rius  et  d'Eutycbes.  On  met  la  mort  du  saint  évoque  de  Narbonne  vers  l'an  483.  —  Godescard,  Acta  6'an- 
ctorum,  Baillet,  Tillemont,  Gallia  Chrùtiana. 

2.  Propre  d'Agen,  1868. 


636  26  OCTOBRE. 

au  23  octobre,  vil»  on  vin»  s.  —  Au  diocèse  d'Auch,  saint  Front,  évèque  de  Périgueux,  dont  nous 
avons  donné  la  vie  au  jour  précédent.  74.  —  Au  diocèse  de  Bayeux,  les  saints  Crépin  et  Crépi- 
nien,  martyrs  à  Soissons,  dont  nous  avons  tracé  la  biographie  au  25  octobre.  285  ou  286.  —  Au 
diocèse  de  Strasbourg,  saint  Amand,  premier  évêque  de  ce  siège  et  confesseur  *.  — -  Au  diocèse  de 
Beauvais,  saint  Pierre  d'Alcantara,  confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  19  octobre.  1562. 

—  Aux  diocèses  de  Chartres  et  de  Rennes,  saint  Raphaël,  archange  f.  —  Au  diocèse  de  Cologne, 
saint  Chrysanthe  et  sainte  Darie,  martyrs  à  Rome,  dont  nous  avons  esquissé  la  notice  au  jour 
précédent.  284.  —  Au  diocèse  de  Coutances,  saint  Magloire,  évêque  de  l'ancien  siège  de  Dol,  dont 
nos  lecteurs  trouveront  la  vie  au  24  octobre.  586.  —  Au  diocèse  de  Gap,  saint  Démètre,  premier 
évêque  de  ce  siège  et  martyr.  i«r  s.  —  Au  diocèse  de  Nantes,  sainte  Hedwige,  veuve,  dont  nous 
avons  inséré  la  biographie  sous  le  17  octobre.  1243.  —  Au  diocèse  de  Périgueux,  saint  Georges, 
prêtre  et  confesseur,  dont  nous  avons  parlé  au  jour  précédent,  dans  la  vie  de  saint  Front.  i6r*. 

—  Au  diocèse  de  Quimper,  saint  Allor  ou  Alor,  évèque  de  ce  siège  et  confesseur.  Les  paroisses 
de  Tréméoc  (Finistère,  arrondissement  de  Quimper,  canton  de  Pont-1'Abbé),  de  Ploubazlanec  (Côtes- 
du-Nord,  arrondissement  de  Saint-Brieuc,  canton  de  Paimpol)  et  de  Tregueunec  (Finistère)  l'ont 
choisi  pour  leur  patron.  Vers  la  fin  du  Ve  s.  —  Au  diocèse  de  Tours,  saint  Senoch,  abbé,  dont 
nous  avons  donné  la  vie  au  24  octobre.  579.  —  Au  diocèse  de  Verdun,  sainte  Ursule  et  ses  com- 
pagnes, vierges  et  martyres  à  Cologne,  dont  nous  avons  écrit  la  biographie  au  21  octobre.  383.  — 
Autrefois  (avant  le  Concordat),  à  Nevers,  fête  anniversaire  de  la  dédicace  (1331)  de  l'église  cathé- 
drale de  cette  ville,  par  Pierre  de  La  Palu,  patriarche  de  Jérusalem.  —  A  Angoulême,  l'invention 
du  corps  de  saint  Aptone,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  566.  —  A  Metz,  saint  Sigebaud  ou 
Sigisbaud,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur 3.  741.  —  A  Farmoutier  ou  Fare-Moustier  (Seine-et- 
Marne,  canton  de  Rozoy),  sainte  Gibitrude,  vierge,  une  des  premières  religieuses  de  cette  abbaye 
bénédictine.  vn°  s.  % 


MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  A  Pavie,  saint  Foulques,  d'abord  chanoine  régu- 
lier et  prieur  du  monastère  de  Sainte-Euphémie  de  Plaisance,  ensuite  évêque  de  Plaisance,  et 
transféré  enfin  au  gouvernement  de  l'église  de  Pavie,  qu'il  édifia  par  sa  sollicitude  pastorale  et  par 
l'exemple  de  ses  vertus.  1229. 

Martyrologe  de  VOrdre  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Reggio,  le  bienheureux  Damien  Fur- 

1.  Ce  Saint,  que  l'on  a  eu  tort  de  confondre  quelquefois  avec  saint  Amand  de  Maëstricht  (6  février 
684),  est  de  beaucoup  antérieur  a  ce  dernier,  si  Ion  en  croit  la  tradition  constante  de  l'Eglise  de  Stras- 
bourg. Mais  on  ignore  combien  de  temps  il  gouverna  son  diocèse  et  quelles  actions  particulières  le  ren- 
dirent recommandable  et  lui  valurent  le  titre  de  saint  que  lui  a  toujours  décerné  son  peuple.  Aussi  bien, 
rhagiographe  est  impuissant  à  préciser  la  date  et  l'époque  de  sa  mort,  l'antiquité  nous  ayant  laissé  dans 
une  complète  ignorance  à  cet  égard. 

Nous  ignorons  de  même  le  lieu  oh  furent  déposées  les  reliques  de  saint  Amand  :  quelques  auteurs 
disent  que  ce  fut  à  Honau,  d'autres  à  Rhinau.  Ce  qui  est  plus  sûr,  c'est  qu'après  la  translation  de  la  col- 
légiale de  Honau  à  Rhinau,  il  se  fit  plusieurs  miracles  auprès  du  tombeau  de  saint  Amand.  On  en  fit  l'ou- 
verture le  8  novembre  1371  ;  son  chef  y  fut  trouvé  entier  et  sans  fracture  et  on  le  mit  dans  une  châsse 
séparée.  Lorsque  les  chanoines  de  Rhinau  furent  transférés  (1398)  à  Strasbourg,  pour  faire  leurs  oflîces 
dans  l'église  de  Saint-Pierre-le-Vieux,  ils  y  transportèrent  les  reliques  de  saint  Amand,  qu'ils  enfermè- 
rent dans  une  belle  châsse  de  bols  doré.  Pendant  les  troubles  du  luthéranisme,  elles  furent  conservées 
sur  le  maître-autel  de  l'église  collégiale;  et,  après  le  rétablissement  du  culte,  on  les  replaça  dans  la 
châsse.  On  expose  encore  tous  les  ans  le  chef  de  saint  Amand,  le  jour  de  sa  fête.  —  L'abbé  Hunckler, 
Saints  d'Alsace. 

2.  Voir  la  vie  de  Tobie  (tome  xi,  page  50)  et  l'article  que  nous  avons  consacré  à  la  fête  de  saint 
Michel  et  de  tous  les  saints  anges  (tome  xi,  page  496).  Voir  aussi  la  note  1  au  martyrologe  de  France  du 
24  octobre. 

3.  Sigisbaud  compte  parmi  les  plus  illustres  et  les  plus  saints  évêques  de  Metz.  On  loue  particulière- 
ment son  zèle  pour  la  conversion  des  pécheurs  et  sa  miséricordieuse  tendresse  pour  les  convertis.  Doué 
d'une  admirable  facilité  pour  expliquer  les  saintes  Ecritures,  il  annonçait  très-assidûment  la  parole  de 
Dieu.  Aimant  la  prière,  il  passait  souvent  les  nuits  dans  cet  exercice  si  nécessaire  aux  prêtres.  Sobre  et 
dur  pour  lui-même,  il  se  contentait  le  plus  souvent  d'un  peu  de  pain  et  d'eau  pour  toute  nourriture.  Il 
possédait  de  grandes  richesses  qu'il  employait  à  secourir  les  pauvres  et  a  donner  plus  de  splendeur  au 
culte  divin.  Pépin,  maire  du  palais  d'Austrasie,  l'avait  en  grande  estime  ;  il  admirait  sa  prudence  et  ne 
faisait  presque  rien  sans  le  consulter,  même  dans  les  affaires  purement  civiles.  Sigisbaud  était  aussi  l'ami 
de  saint  Boniface,  évêque  de  Mayence  et  apôtre  de  la  Germanie. 

Après  avoir  gouverné  son  diocèse  pendant  vingt-cinq  ans,  il  tomba  malade  au  monastère  de  Saint- 
Avold  de  Metz  (Eilariacum)  qu'il  avait  restauré  et  que  l'on  regarde  pour  cela  comme  une  de  ses  fonda- 
tions. Il  y  mourut  et  y  fut  enseveli.  Plus  tard,  ses  reliques  furent  transférées  dans  l'abbaye  de  Saint- 
Symphorien  de  Metz.  La  Révolution  a  profané  la  majeure  partie  de  ces  précieux  ossements  :  il  en  reste 
cependant  quelques-uns  que  l'on  conserve  précieusement  dans  la  cathédrale  de  Metz.  — -  Acta  Sanctorum 
et  Propre  de  Mets. 


MARTYROLOGES.  637 

chère  de  Venario,  qui  réunit  l'intégrité  de  la  vie  à  la  mortification  du  corps  ;  embrasé  du  zèle 
de  la  prédication,  il  fut  un  orateur  distingué.  Après  sa  mort,  de  nombreux  miracles  vinrent  attester 
sa  sainteté  4. 

•Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint-François.  —  Le  bienheureux  Bonaventure  de 
Potenza  (a  Potentia),  confesseur,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs  conventuels,  que  le  souverain 
pontife  Pie  VI  a  mis  au  nombre  des  Bienheureux,  en  considération  de  son  obéissance  et  de  ses 
autres  vertus.  1711. 

Martyrologe  de  V Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  A  Ravello,  en  Italie  (principauté  Citérieure), 
le  bienheureux  Bonaventure  de  Potenza,  confesseur.  1711. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Mineurs  Capucins  de  Saint-François.  —  De  même  que  chez 
les  Frères  Mineurs. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Carmes  déchaussés.  —  La  translation  du  corps  de  saint  André 
Corsini,  évèque  et  confesseur,  de  notre  Ordre  s.  1373. 

i 

ADDITIONS   FAITES   D 'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  IIAGIOGRAPHES. 

En  Orient,  sainte  Leptine,  martyre,  et  les  saints  Artémidore,  Basile  et  Glycon,  également 
martyrs.  Epoque  incertaine.  —  Dans  la  province  de  Connaught,  en  Irlande,  et  spécialement  dans 
le  comté  de  Mayo,  les  saintes  Darie  et  Derbilie,  vierges,  de  sang  royal.  VIe  ou  vu®  s.  —  Au 
comté  de  Down,  en  Irlande,  les  saints  Nasade,  Bésan,  évêque,  et  Mellan,  confesseurs.  Epoque 
incertaine.  —  Dans  le  pays  de  Galles  (Grande-Bretagne),  saint  Gwinoc  (Gwynnoc,  Gwynog,  Gwy- 
nawc,  Guynnauc,  Gwnnog,  Gwynnawg,  Gwyngawr),  évêque,  saint  Aneurin  ou  Gildas,  son  père; 
les  saints  Cenydd,  Madog,  Dolgan  et  Nwython,  ses  frères  ;  sainte  Dolgar,  sa  sœur,  et  saint  Garci, 
son  cousin  germain.  Saint  Aneurin,  après  avoir  mené  quelque  temps  la  vie  militaire  et  s'être  fait 
une  belle  réputation  de  poëte,  se  retira  à  Llancarfan  (comté  de  Glamorgan),  où  il  mena  la  vie 
monastique.  Saint  Gwinoc  l'y  suivit  ainsi  que  toute  sa  famille.  Ils  ont  donné  leurs  noms  à  un 
grand  nombre  d'églises  de  ce  pays.  vi«  s.  —  Encore  dans  le  pays  de  Galles,  les  saints  Tudyr  ou 
Tudur,  Arwystli  Gloff,  Twrnog  ou  Teyrnog,  Dier  ou  Diefer,  Tyfrydog,  Gwynodl,  Marin,  Senefyr, 
Tuglyd,  Tudno  et  Tyneio,  et  sainte  Marcelle,  confesseurs,  qui  vécurent  saintement  dans  les  mo- 
nastères de  Banchor  ou  Bangor  (comté  de  Down)  et  de  Bardney  (comté  de  Lincoln).  vi«  et  vu®  s. 
—  A  Salzbourg  (Juvacum),  ville  de  la.  Haute-Autriche,  sur  la  Salza,  saint  Amand,  évêque  de 
Worms  (Hesse-Darmstadt)  et  confesseur.  Il  se  ut  en  1606  et  en  1661  des  reconnaissances  de  ses 
reliques  :  on  les  avait  découvertes  sous  le  maitre-autel  de  l'église  abbatiale  de  Saint-Pierre  de 
Salzbourg.  Vers  650.  —  En  Angleterre,  saint  Cedde,  évèque  de  Londres  et  apôtre  des  Saxons 
orientaux,  déjà  cité  aux  additions  des  Bollandistes  du  7  janvier.  664.  —  Encore  en  Angleterre, 
saint  Eat  (Eate,  Eatas),  abbé  du  monastère  bénédictin  de  Saint-Pierre  de  Lindisfarne,  puis  évêque 
de  l'ancien  siège  (transféré  à  Durham)  de  Hexham  (HagustaldiumJ,  dans  le  Northumberland.  Il 
fut  enseveli  dans  l'église  Saint-André  de  cette  ville  ;  en  1154,  son  corps  fut  transféré  dans  une 
nouvelle  châsse.  685.  —  A  Bùrberg  (Hesse-Cassel)  les  saints  Albin  ou  Witta,  et  Mégingaud,  évoques 
de  cet  ancien  siège  (transféré  à  Fritzlar)  et  confesseurs,  xin®  s.  —  A  Fritzlar  (Hesse-Cassel)  sur 
l'Edder,  saint  Humbert,  prieur  de  la  célèbre  abbaye  bénédictine  de  ce  lieu,  fondée  par  saint  Boni- 
face.  xme  s.  —  Au  monastère  de  Saint-Serge  de  Mfcdicion  (fondé  vers  770  par  saint  Nicéphore), 
sur  le  Mont-Olympe,  près  de  Prusa  (aujourd'hui  Brousse),  dans  l'Anatolie  actuelle,  saint  Athanase, 
diacre  et  confesseur,  économe  de  cette  abbaye.  Vers  814.  — •  A  Murthlac,  en  Ecosse,  saint  Béan, 
évèque  de  cet  ancien  siège,  transféré  à  Aberdeen.  Vers  1032. 

1.  Il  a  été  béatifie  par  Pie  IX  en  1848. 

3.  Nous  avons  donné  la  vie  de  saint  André  Corsini  au  4  février,  toise  H,  page  267. 


(338  26  OCTOBRE. 


SAINT  DÉMÈTRE,  PREMIER  ÉVÈQUE  DE  GAP 


i«*  siècle 


Los  justes  meurent  à  toutes  choses,  de  manière  à  ne 
vivre  que  pour  Dieu;  et  ils  foulent  aux  pieds  les 
plaisirs,  afin  de  s'élever  avec  plus  de  force,  par  les 
mortifications  de  cette  vie,  à  la  vie  éternelle. 
Saint  Isidore  d'Espagne. 

Saint  Démètre,  d'après  la  tradition  la  plus  constante  et  la  plus  respec- 
table, était  disciple  des  Apôtres.  De  l'Asie,  où  il  vivait  près  de  Caïus  auquel 
il  est  proposé  pour  modèle,  il  vint,  par  l'ordre  des  saints  apôtres  Pierre  et 
Paul,  évangéliser  les  Gaules,  de  concert  avec  un  grand  nombre  d'hommes 
apostoliques  ,  parmi  lesquels  figurent  nommément  :  saint  Trophime 
d'Arles,  saint  Paul  de  Narbonne,  saint  Martial  de  Limoges,  saint  Austre- 
moine  d'Auvergne,  saint  Gatien  de  Tours,  saint  Saturnin  de  Toulouse,  saint 
Valère  de  Trêves. 

Ce  fut  sous  l'empire  de  Claude  que  ces  illustres  confesseurs  débar- 
quèrent en  Provence.  Ils  se  rendirent  tout  d'abord  à  Arles,  et,  de  cette 
ancienne  cité  romaine,  dans  les  missions  qui  leur  avaient  été  désignées. 
Peu  d'années  après,  saint  Trophime  retourna  en  Asie  auprès  de  saint 
Paul  ;  saint  Crescent  vint  s'établir  à  Vienne  des  Aliobroges,  et  saint  Démètre, 
après  avoir  prêché,  pendant  quelque  temps,  dans  cette  dernière  ville,  se 
rendit  à  Gap  où  il  se  fixa  pour  évangéliser  les  populations  nombreuses  des 
Alpes. 

Parti  des  contrées  riantes  et  polies  de  l'Orient,  saint  Démètre  arriva  dans 
nos  Alpes  à  une  époque  où  la  civilisation  et  la  foi  n'avaient  point  encore 
dissipé  les  profondes  ténèbres  et  les  grossières  erreurs  qui  enveloppaient 
les  idées  religieuses  et  morales  de  leurs  rudes  habitants.  Quoique  Dieu  lui 
eût  mesuré  son  héritage  dans  de  froides  et  austères  montagnes,  parmi  des 
peuplades  toujours  prêtes  à  la  guerre,  toujours  disposées  à  faire  payer  chè- 
rement toute  espèce  de  domination  qu'on  voudrait  leur  imposer,  Démètre 
ne  perdit  point  courage;  il  établit  dès  lors  ce  siège  épiscopal  qui  devait, 
plus  tard,  être  illustré  par  tant  de  pontifes  qui  s'y  sont  succédé  jusqu'à 
nous.  Dans  ces  contrées  habitaient,  depuis  des  siècles,  des  peuplades  con- 
nues sous  le  nom  de  Voconces,  deTricoriens  et  de  Caturiges.  Or,  au  temps 
de  Démètre,  ces  peuples  étaient  livrés  à  tous  les  mensonges  du  polythéisme; 
ils  ignoraient  l'existence  d'un  seul  Dieu,  le  dogme  admirable  de  la  sainte 
Trinité,  l'Incarnation  du  Verbe  éternel  et  la  Rédemption  du  monde;  leur 
culte  n'était  qu'une  suite  d'honneurs  rendus  aux  créatures,  qu'un  mélange 
de  cérémonies  aussi  ridicules  qu'impies.  Leur  morale  ne  valait  guère  mieux. 

Saint  Démètre,  seul,  sans  richesses  et  sans  armes,  espère  néanmoins 
triompher  de  la  superstition  et  de  la  barbarie  de  ces  peuples  ;  il  essaye  de 
faire  luire  la  lumière  évangélique  au  sein  des  ténèbres.  Fortifié  par  la  vertu 
de  la  croix,  il  commence  par  prêcher  d'exemple.  Il  sait  que  la  prière  est 
un  trait  enflammé  qui  pénètre  les  nues,  arrive  jusqu'au  trône  de  Dieu  et  en 
fait  descendre  des  torrents  de  grâces  capables  de  déterminer  la  conversion 


SAINT  DÉMÈTRE,  PREMIER  ËVEQUE  DE  GAP.  639 

des  pécheurs  les  plus  endurcis.  Il  sait  qu'il  vient  attaquer  l'ennemi  du  salut 
dans  ses  retranchements  les  mieux  défendus,  et  qu'il  n'est  rien  de  plus  effi- 
cace, contre  cet  esprit  impur,  que  la  pénitence.  Il  se  livre  donc,  nuit  et 
jour,  à  la  méditation  des  vérités  éternelles,  au  jeûne,  à  toutes  sortes  de 
mortifications.  Il  s'interpose  commue  victime,  cherchant  à  expier  les  crimes 
et  les  infidélités  d'un  peuple  prévaricateur  dont  il  se  regarde  déjà  comme 
le  pasteur  et  le  père. 

Aussi,  admirant  sa  conduite,  ces  hommes,  plongés  naguère  dans  le  sen- 
sualisme le  plus  grossier,  commencent  à  goûter  les  saints  préceptes  du 
divin  législateur,  à  comprendre  la  chasteté,  la  tempérance,  la  charité  fra- 
ternelle, toutes  les  pures  vertus  du  christianisme;  puis  ils  prennent  plaisir 
à  entendre  le  saint  pontife  leur  parler  des  miséricordes  et  des  justices  du 
Seigneur,  des  impénétrables  conseils  de  sa  sagesse,  des  mystères  de  la  ré- 
demption universelle  et  de  la  vie  future.  Ils  reconnaissent  qu'une  morale 
si  pure,  une  religion  si  sublime  ne  peut  venir  que  du  ciel;  peu  à  peu  les 
cœurs  droits  cèdent  à  la  grâce,  et  des  catéchumènes  sont  baptisés.  Cette 
Eglise  naissante  retrace  l'image  des  Eglises  fondées  par  les  Apôtres  mômes. 
Les  fidèles  n'ont  plus  qu'un  cœur  et  qu'une  âme  pour  s'entr'aimer  et  se 
secourir,  et  qu'un  seul  désir  :  celui  de  verser  leur  sang  pour  l'exaltation  de 
leur  foi. 

Ces  heureux  succès  accrurent  les  forces  du  nouvel  apôtre;  on  le  regar- 
dait comme  un  ange  venu  du  ciel.  Sa  vie,  très-conforme  à  celle  du  divin 
maître,  était  un  miroir  d'innocence  et  comme  une  fleur  de  pureté  ;  sous  sa 
direction,  plusieurs  se  vouèrent  à  la  parfaite  pratique  de  cette  céleste  vertu. 
Le  saint  pasteur  prit  un  soin  spécial  de  la  jeunesse  et  mit  tout  en  œuvre 
pour  préserver  de  la  contagion  du  siècle  cette  tendre  portion  de  son  trou- 
peau chéri,  ce  qui  lui  valut  le  glorieux  titre  de  Gardien  de  l'innocence. 

Les  miracles  que  Démètre  opérait  sur  les  malades  et  les  infirmes  qui 
lui  étaient  présentés  ou  qu'il  allait  visiter  lui-même  dans  leurs  tristes 
demeures,  vinrent  donner  un  nouvel  éclat  aux  prédications  saintes  qu'il 
faisait  au  peuple.  Cependant  l'enfer  s'irritait  de  voir  croître  rapidement  le 
nombre  des  chrétiens  ;  aussi,  plus  d'une  fois,  les  démons  essayèrent-ils 
d'effrayer  le  saint  pontife  et  de  le  détourner  de  ses  victorieuses  conquêtes. 
Démètre,  sans  se  troubler,  invoquait  le  nom  de  Jésus,  et,  devant  sa  con- 
fiante prière,  les  puissances  des  ténèbres  s'enfuyaient,  abandonnant  une 
foule  d'infidèles  jusque-là  soumis  à  leur  tyrannique  possession. 

Les  prêtres  des  idoles,  à  leur  tour  effrayés  des  progrès  de  la  religion  de 
Jésus-Christ  qui  va  s'établir  sur  les  ruines  du  paganisme,  trament  la  perte 
de  notre  généreux  athlète  ;  ils  courent,  tout  éplorés,  se  jeter  aux  pieds  de 
Simon,  préfet  de  la  ville.  Ils  lui  représentent  vivement  qu'un  étranger  est 
parvenu  à  fasciner  l'esprit  du  peuple  et  à  séduire  la  foule  ;  qu'au  grand 
mépris  des  dieux  de  l'empire,  toute  la  ville  et  les  habitants  de  la  contrée 
vont  devenir  chrétiens  ;  et  que,  dans  leur  fanatisme,  ils  ne  tarderont  pas 
à  convertir  le  temple,  bâti  au  milieu  de  la  cité,  à  l'exercice  du  nouveau 
culte  ;  qu'ainsi  il  en  sera  fait  de  l'ancienne  religion.  Le  gouverneur,  fort 
ému  de  ces  plaintes,  ne  sait  quel  parti  prendre.  D'un  côté,  il  prévoit  que 
son  inaction,  en  pareille  circonstance ,  va  soulever  contre  lui  des  haines 
puissantes,  lui  causer  la  perte  de  sa  dignité,  et  peut-être  lui  coûter  la  vie  ; 
de  l'autre,  il  comprend  mieux  que  personne  combien  il  lui  sera  difficile  de 
renverser  une  doctrine  si  pure,  de  déraciner  une  croyance  si  fortement 
appuyée,  qui  comptait  déjà  de  nombreux  partisans  et  avait  su  se  concilier 
d'ardentes  sympathies,  tant  parmi  les  hautes  classes  que  parmi  le  peuple  ; 


040  26   OCTOBRE. 

il  n'ignorait  pas  qu'on  avait  pris  en  si  grande  affection  le  vénérable  pon- 
tife, que  tous  les  nouveaux  adeptes  auraient  donné  de  grand  cœur  leur  vie 
pour  sauver  la  sienne. 

La  position  était  embarrassante  ;  mais  les  plaintes  devenant  plus  vives, 
les  murmures  plus  menaçants,  le  préfet  se  décida  enfin  à  condamner  à 
mort  le  saint  confesseur,  dans  l'espoir  qu'en  perdant  celui  qui  était  le  gar- 
dien et  le  chef  de  cette  multitude  de  convertis,  il  deviendrait  ensuite  facile 
de  disperser  le  troupeau  ou  de  contraindre  les  néophytes  à  revenir  aux 
pratiques  superstitieuses  de  leurs  pères. 

Le  saint  confesseur  est  donc  arrêté  ;  on  le  jette  dans  les  fers,  on  exerce 
sur  lui  mille  cruautés  ;  Démètre  se  montre  plein  de  la  force  d'en  haut  ;  il 
confesse  Jésus-Christ,  prêche  sa  loi  et  annonce  son  règne  à  tous  ceux  qui 
l'environnent. 

Enfin,  désespérant  de  le  vaincre  et  voulant,  d'ailleurs,  épouvanter  le 
peuple  et  arrêter  les  conversions  par  un  châtiment  public  et  sévère,  le 
gouverneur,  irrité,  condamne  Démètre  à  avoir  la  tête  tranchée  sur  le  lieu 
même  où  l'on  avait  coutume  de  faire  mourir  les  grands*  criminels.  Cette 
sentence  inique  va  recevoir  son  exécution.  Le  saint  pasteur,  qui  a  dévoué 
sa  vie  au  salut  de  son  troupeau,  est  tiré  de  prison  et  conduit  sur  une 
petite  éminence  au  nord  de  la  ville  '.  La  foule  était  nombreuse  pour  assis- 
ter à  ce  cruel  spectacle  ;  le  généreux  confesseur  du  Christ,  arrivé  sur  le 
lieu  du  supplice,  se  met  à  genoux,  recommande  son  âme  à  Dieu  par  une 
courte  prière,  et,  dans  cette  humble  posture,  impassible  et  serein,  il  attend 
la  mort  qui  va  lui  ouvrir  les  cieux. 

Bientôt  la  tête  de  l'apôtre  tombe  sous  la  hache  du  bourreau,  et  le  sang 
du  martyr  jaillit  sur  cette  terre  idolâtre  :  rosée  fécondante,  il  fera,  plus 
tard,  produire  au  centuple  la  semence  de  l'Evangile. 

Si  nous  en  croyons  une  tradition  qui  est  arrivée  jusqu'à  nous,  Démètre 
se  releva  de  terre,  prit  sa  tête  entre  les  mains  et  la  porta  jusque  dans  la 
ville.  Ce  prodige  glaça  d'un  si  grand  effroi  les  plus  emportés,  qu'il  fut  per- 
mis aux  fidèles  de  recueillir  les  glorieuses  dépouilles  de  leur  évêque.  Un 
ancien  tableau,  encadré  dans  un  des  piliers  de  la  cathédrale  de  Gap,  re- 
trace ce  fait  merveilleux  et  nous  transmet  la  date  de  l'an  86. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Le  corps  de  l'illustre  martyr  fut  conservé  dans  l'église  de  Saint-Jean-le-Rond  où  il  avait  été 
d'abord  déposé  et  où  l'on  continua  de  l'entourer  de  vénération  jusqu'aux  temps  des  guerres  de 
religion,  époque  malheureuse  pendant  laquelle  le  temple  antique  et  beaucoup  d'autres  édifices  reli- 
gieux qui  formaient  le  plus  bel,  ornement  de  la  ville  de  Gap,  furent  pillés,  puis  démolis  jusqu'en 
leurs  fondements.  A  cette  époque,  les  reliques  furent  transportées  à  la  Beaume-lès-Sisteron,  par 
l'évêque  de  Gap,  Pierre  Paparin  de  Chaumont,  qui  s'était  réfugié  dans  cette  vflle  pour  se  sous- 
traire aux  persécutions  des  Huguenots.  Son  successeur,  Charles-Salomon  Dusserre,  crut  pouvoir, 
en  1616,  rapporter  à  Gap  les  reliques  de  saint  Démètre  et  celles  de  saint  Arnoux,  que  son  prédé- 
cesseur avait  eu  soin  de  transporter  à  la  Beaume-lès-Sisteron.  Elles  restèrent  exposées  à  la  véné- 
ration publique  jusqu'en  1692. 

Mais  au  mois  de  septembre  de  cette  même  année,  les  troupes  du  duc  de  Savoie  envahirent  et 
brûlèrent  la  ville  de  Gap.  Les  reliques  de  saint  Démètre,  de  saint  Arnoux,  et  de  plusieurs  autres, 
avaient  été  tirées  de  leurs  châsses  et  cachées  sous  le  pavé  derrière  le  maitre-autel  de  la  cathé- 
drale. Le  9  novembre  suivant,  Mgr  Charles  Bénigne  Hervé,  évêque  de  Gap,  les  fit  exhumer.  Les 
reliques  de  saint  Démètre  furent  aussitôt  placées  dans  un  coffret  en  bois  de  noyer,  orné  de  dorures 
et  de  dessin  de  marqueterie.  On  lisait  sur  le  couvercle,  en  lettres  gothiques    res  paroles  :  Hic 

1.  Ancien  cimetière  de  Saint-André. 


SAINT  APTONE   OU  APHTONE,   ÉVÊQUE  D'ANGOULÊME.  641 

reconduntur  Reliquise  S.  Bemetrii  Pontifias  Vapincensis,  avec  le  millésime  mdclxxxxii.  (Là 
«ont  renfermées  les  reliques  de  saint  Démètre,  évêque  de  Gap.  1692). 

C'est  dans  cet  état  qu'elles  furent  vénérées  jusqu'en  1764.  A  cette  époque,  la  liturgie  subissait 
en  France  de  regrettables  mutilations.  Le  culte  antique  de  plusieurs  Saints  était  interrompu  comme 
n'offrant  pas  à  des  critiques  outrés  une  certitude  assez  grande;  celui  de  saint  Démètre,  évêque  de 
Gap,  fut  remplacé  dans  le  nouveau  bréviaire  par  celui  de  saint  Démètre,  soldat,  et  les  reliques  de 
notre  saint  pontife  furent  déposées  dans  une  armoire  au-dessus  de  la  porte  de  la  sacristie  de  la 
cathédrale. 

Le  précieux  dépôt  fut  enfin  retiré  de  ce  lieu  ignoré.  Le  20  avril  1845,  Mgr  Jean-lrénée  De- 
péry,  après  avoir  reconnu  les  actes  authentiques  dont  les  reliques  étaient  encore  revêtues;  après 
avoir  retrouvé,  sur  les  quatre  faces  du  coffret  dont  nous  avons  parlé,  les  sceaux  de  l'évêque  im- 
primés en  cire  rouge  et  parfaitement  conservés,  fit  dresser  procès-verbal  de  l'invention  de  ces 
reliques.  Et  comme  l'ancienne  châsse  en  noyer  tombait  de  vétusté,  le  même  prélat  replaça  les 
ossements  sacrés  dans  un  nouveau  coffret  à  peu  près  de  même  forme.  Ensuite,  le  29  septembre,  il 
publia  un  Mandement  sur  le  rétablissement  du  culte  de  saint  Démètre,  évêque  de  Gap,  et  fixa  sa 
fête  au  26  octobre,  sous  le  rit  double-majeur,  jour  auquel  cette  fête  était  célébrée  dans  le  dio- 
cèse, selon  tous  les  anciens  bréviaires  et  missels  à  l'usage  de  cette  Eglise. 

Les  ossements  du  glorieux  fondateur  de  l'Eglise  de  Gap  furent  processionnellement  portés  dans 
les  rues  de  la  ville,  et  déposés  à  la  cathédrale  le  26  octobre  1845.  Une  excavation  fut  pratiquée 
dans  le  tombeau  du  maltre-autel,  et  c'est  là  que  repose  la  précieuse  relique. 

Extrait  de  YHistoire  hagiologique  du  diocèse  de  Gap,  par  Mgr  Depéry,  évêque  de  Gap. 


SAINT  APTONE  OU  APHTONE,  ÉVÊQUE  D'ANGOULÊME 

866.  —  Papes  :  Pelage  I;  Jean  III.  —  Rois  de  France  :  Caribert  et  Childebert. 


Ils  célébrèrent  la  dédicace  de  l'autel,  et  ils  offrirent 
des  holocaustes  avec  joie,  et  un  sacrifice  d'actions 
ftû  grâces  et  de  louanges. 

/  Macch.,  iv,  56. 

Lorsque  les  Visigoths  ariens  eurent  conquis  l'Aquitaine,  ils  voulurent 
faire  de  la  ville  d'Angoulême  un  des  principaux  boulevards  de  leur  empire 
et  de  leur  religion,  afin  qu'elle  fût  pour  eux  au  Nord  ce  qu'était  Carcas- 
sonne  au  Midi.  C'est  pourquoi,  tandis  qu'ils  supportaient  des  évoques  ca- 
tholiques à  Saintes  et  à  Poitiers,  se  contentant  de  les  persécuter  en  mille 
manières,  ils  chassèrent  saint  Bénigne,  évêque  d'Angoulême  ',  et  placèrent 
sur  son  siège  un  prélat  arien.  Bien  plus,  pour  mieux  accentuer  dans  la  cité 
de  Saint- Ausone,  cette  prise  de  possession  de  l'hérésie,  ils  réparèrent  sa 
cathédrale  à  leur  façon  ;  c'est-à-dire,  qu'en  vrais  barbares,  ils  durent  la 
déformer,  sous  prétexte  de  l'embellir.  Ils  lui  infligèrent  en  outre  un  second 
outrage,  celui  d'une  nouvelle  consécration.  Ils  changèrent  même  son  ancien 
vocable  de  Saint-Pierre,  nom  sacré  qui  n'a  jamais  été  du  goût  des  héréti- 
ques, en  celui  de  Saint-Saturnin,  patron  de  Toulouse,  leur  capitale.  On  eût 
dit  qu'ils  cherchaient  ainsi  à  abriter  sous  les  auspices  du  grand  évêque 
martyr  l'odieux  de  leur  profane  attentat,  et  à  le  rendre  lui-même  complice 
de  leur  schisme  et  de  leur  hérésie. 

Ces  jours  de  désolation  durèrent  près  d'un  demi  siècle,  et  ne  finirent 
qu'avec  la  domination  des  Visigoths.  Clovis,  après  les  avoir  vaincus  à  Voulon, 
ou  Vouilié,  et  leur  avoir  successivement  enlevé  Bordeaux  et  Toulouse,  vint 

1.  Saint  Bénigne  se  retira  dans  la  Touraine,  où  il  fut  poursuivi  et  mis  à  mort  par  les  Ariens.  L'église 
d'Angoulême  l'honore  le  3  novembre.  (  Voir  sa  notice  à  cette  date.  ) 

Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  41 


642  26  OCTOBRE. 

mettre  le  siège  devant  Angoulême  dont  il  s'empara.  Maître  de  cette  ville,  il 
s'empressa  d'y  réparer  les  désastres  de  l'hérésie.  L'évêque  arien  fut  donc 
banni,  et  il  fit  élire  pour  légitime  successeur  de  saint  Ausone,  Lupicin,  son 
chapelain.  Il  ordonna  aussi  que  la  cathédrale  serait  reconstruite  à  ses 
frais  *.  Le  renouvellement  du  titre  de  Saint-Pierre  était  de  droit,  et  il  lui  fut 
dès  lors  rendu.  C'était  une  restitution  qui  donnait  satisfaction  à  la  piété  des 
catholiques,  et  qui  témoignait  également  de  la  dévotion  personnelle  du  roi 
envers  le  Prince  des  Apôtres.  On  sait  en  effet  que  Clovis,  partant  pour  cette 
grande  expédition  contre  les  hérétiques  du  midi  de  la  Gaule,  avait  fait  vœu, 
sur  le  conseil  de  sainte  Geneviève,  de  bâtir  à  Paris  une  grande  église,  ea 
l'honneur  des  bienheureux  apôtres  saint  Pierre  et  satnt  Paul  ». 

La  construction  de  la  nouvelle  église  cathédrale  d' Angoulême  se  com- 
mença donc  dès  Tannée  508,  et  après  la  mort  de  Clovis,  arrivée  en  5H,  sa 
continua  sous  ses  successeurs,  grâce  aux  démarches  et  aux  pressantes  sol- 
licitations de  l'évêque  Lupicin.  Cependant  les  travaux  ne  marchèrent  que 
bien  lentement,  à  cause  des  troubles  de  l'Etat,  et  peut-être  aussi  en  raison 
du  peu  d'empressement  qu'y  apportèrent  les  princes  français.  Lupicin  mou- 
rut vers  la  fin  de  l'année  541 ,  sans  avoir  vu  achever  une  œuvre  qui  avait  à 
ses  yeux  un  double  prix,  celui  d'une  restauration  et  celui  d'un  bienfait 
personnel.  Il  laissa  une  mémoire  vénérée;  et  nous  devons  citer  comme  preuve 
de  son  zèle  pour  le  maintien  de  la  foi,  des  mœurs  et  de  la  discipline  ecclé- 
siastique, sa  présence  au  premier  concile  d'Orléans,  en  511,  et  au  second, 
en  533.  Empêché  de  se  rendre,  en  541,  au  troisième  concile  de  cette  même 
ville,  il  y  envoya  comme  procureur,  le  prêtre  Égérius  â. 

Le  successeur  de  Lupicin  fut  saint  Aptone,  ou  Aphtone,  dont  nous  écri- 
vons la  vie,  mais  au  sujet  duquel  les  historiens  ne  nous  ont  conservé  que 
ces  trois  faits  :  la  réclusion  de  saint  Gybard,  la  consécration  de  la  cathé- 
drale d'Angoulême  et  l'assistance  au  cinquième  concile  d'Orléans.  Nous 
allons  les  raconter,  tout  en  déplorant  qu'un  épiscopat  qui  dut  être  fécond 
en  de  grandes  choses,  nous  offre  si  peu  à  glaner  dans  le  champ  de  l'his- 
toire. 

Nous  avons  fait  connaître  dans  la  vie  de  saint  Cybard  (1er  juillet),  les 
diverses  circonstances  qui  déterminèrent  cet  illustre  solitaire  à  se  fixer 

1.  Mgr  Cousseau,  Discours  sur  Céglise  cathédrale  d'Angoulême,  17  janvier  1869. 

2.  C'est  la  célèbre  église  de  Sainte-Geneviève,  oii  fut  enterré  Clovis,  et  peu  après  sainte  Geneviève 
«Ile-même.  «  Chaque  jour,  dans  cette  église,  dit  Chateaubriand,  on  célébrait  encore,  au  commencement  de 
la  Révolution,  une  messe  pour  le  repo3  de  l'âme  du  Sicambre.  La  vérité  religieuse  a  une  vie  que  I» 
vérité  philosophique  et  la  vérité  politique  n'ont  pas  ;  combien  de  fois  les  générations  s'étaient-elles  renou- 
velées, combien  de  fois  la  société  avait-elle  changé  de  mœurs,  d'opinions  et  de  lois  dans  l'espace  de 
douze  cent  quatre-vingts  ans  I  Qui  s'était  souvenu  de  Clovis  à  travers  tant  de  ruines  et  de  siècles  ?  Un 
prêtre  sur  un  tombeau  ».  — Etudes  historiques. 

3.  L'auteur  de  l'ancienne  Histoire  des  comtes  et  évêques  d'Angoulême  nomme  Aptone,  au  lieu  de 
Lupicin,  comme  ayant  été  placé  par  Clovis  sur  le  siège  d'Angoulême.  C'est  une  erreur  de  la  part  de  cet 
auteur  qui  ne  mentionne  même  pas  Lupicin  parmi  les  évêques  d'Angoulême.  C'est  aussi  en  mémoire  de 
Lupicin,  chapelain  de  Clovis,  que  l'évêque  d'Angoulême  était  premier  aumônier  du  roi  de  France,  quand 
celui-ci  passait  la  Loire.  Le  bienheureux  Lambert  le  rappela  à  Louis  VII,  qui  n'y  contredit  pas.  Avant 
d'être  élu  évêque  d'Angoulême,  Lambert  avait  été  abbé  de  la  Couronne,  monastère  qu'il  fonda  près  d'An 
gonlême,  et  où  sa  sainteté  attira  de  nombreux  disciples  qu'il  gouverna  pendant  vingt  ans  sous  la  Règle» 
de  Saint-Benoit.  Après  la  mort  de  Girard,  toutes  les  voix  se  réunirent  pour  l'appeler  à  l'épiscopat.  Ce  fut, 
disent  les  historiens,  un  prélat  d'une  grande  sagesse  et  d'une  rare  discrétion.  Chaste,  pieux,  juste,  éloquent 
et  libéral,  il  sut  se  concilier  la  faveur  des  grands,  de  la  ville  et  de  la  province,  l'admiration  des' peuples 
et  la  vénération  de  tous.  Il  mourut  le  23  juin  1148,  plein  de  jours,  dans  une  sainte  vieillesse,  après  avoir 
reçu  les  sacrements  en  présence  de  ses  frères  de  la  Couronne,  au  milieu  desquels  il  voulut  reposer.  Ses 
précieux  rentes  furent  inhumés  dans  l'église  qu'il  avait  bâtie,  et  dans  la  chapelle  de  la  Sain  te- Vierge. 
Chaque  année,  le  jour  anniversaire  de  sa  mort,  les  religieux  célébraieni  sa  fête  sous  le  titre  de  bienheu- 
reux. Mais  l'église  d'Angoulême  n'en  faisait  point  mention. 

Aujourd'hui  il  ne  reste  plus  que  quelques  ruines  de  l'abbaye.  —  Chronique  des  évêques  d'Angoulême» 
par  M.  l'abbé  Michon. 


SAINT  ÀPTONE   OU  APHTONE,   ÉVÊQUE  D'AKGOULÊ:;^.  643 

sous  les  murs  d'Angoulême,  dans  une  grotte  que  l'évêque  Aptone  lui  avait 
montrée.  Nous  avons  dit  aussi  avec  quelle  prudence  et  par  quel  examen 
préalable  cet  évêque  s'assura  des  qualités,  du  caractère  et  de  la  vertu  de 
celui  qui  aspirait  à  l'état  si  parfait  d'une  réclusion  perpétuelle.  Il  ne  nous 
reste  ainsi  qu'à  faire  connaître  le  cérémonial  que  l'Eglise  avait  prescrit  pour 
glorifier  et  consacrer  par  la  pompe  des  rites  religieux  ce  suprême  renonce- 
ment à  la  famille  et  au  monde.  Le  jour  donc  et  l'heure  étant  venus,  où 
devait  s'accomplir  ce  grand  et  irrévocable  sacrifice,  le  clergé  et  le  peuple 
se  réunirent  dans  l'église  cathédrale,  et  saint  Cybard  fut  amené  dans  le 
sanctuaire,  vêtu  de  la  tunique  grossière  des  anachorètes,  les  reins  ceints 
d'une  ceinture  de  cuir,  et  les  épaules  couvertes  de  l'antique  melote,  ou 
peau  de  brebis,  que  déjà  portaient  dans  l'Ancien  Testament  les  enfants  des 
Prophètes.  Après  une  humble  et  fervente  prière,  il  se  prosterna  sur  le 
pavé,  pendant  que  l'évêque,  revêtu  de  ses  habits  pontificaux,  récita  avec 
tout  son  clergé  la  grande  litanie  des  Saints,  appelant  ainsi  tout  le  ciel  à 
s'unir  à  la  terre  pour  cette  solennelle  consécration.  Il  célébra  ensuite  la 
messe  comme  pour  un  mort,  le  solitaire  demeurant  toujours  étendu  sur  le 
pavé  ;  puis  il  dit  sur  lui  huit  oraisons,  entremêlées  de  psaumes  et  d'an- 
tiennes. Voici  la  première  et  la  dernière  :  a  Doux  Seigneur,  vous  qui  com- 
prenez le  gémissement  d'un  cœur  contrit,  avant  qu'il  le  fasse  entendre, 
faites,  nous  vous  en  prions,  de  votre  serviteur,  le  temple  de  l' Esprit-Saint, 
afin  qu'il  mérite  d'être  couronné  du  bouclier  de  la  bienveillance  céleste.** 
0  Dieu,  vous  qui  êtes  la  bienheureuse  espérance  de  vos  fidèles  et  qui  vous 
réservez  de  rassasier  pleinement  de  vous-même,  dans  l'éternité,  ceux  qui 
vivent  sur  cette  terre,  gardez  et  protégez,  nous  vous  en  prions,  votre  servi- 
teur que  nous  amenons  en  voire  nom  à  la  porte  de  sa  tente,  où  il  va 
demeurer  comme  suspendu  dans  l'attente  de  votre  Fils,  afin  que,  lorsque 
vous  viendrez,  il  ait  sa  lampe  allumée,  et  mérite  de  sortir  de  son  étroite 
prison,  pour  être  heureusement  introduit  dans  l'immensité  jie  la  céleste 
Jérusalem.  Nous  vous  en  prions  par  le  même  Jésus-Christ,  Notre-Seigneur, 
qui  vit  et  règne  avec  vous  en  l'unité  du  Saint-Esprit  dans  tous  les  siècles 
des  siècles.  Amen. 

Ces  oraisons  achevées,  l'évêque  avec  son  clergé,  suivi  d'une  multitude 
dépeuple,  conduisit  processionnellementle  nouveau  solitaire  par  les  rudes 
sentiers  qui  menaient  à  la  grotte,  et  au  chant  de  ce  beau  psaume  :  Qui 
habitat  in  adjutorio  Altissimi  :  «  Celui  qui  demeure  dans  l'asile  du  Très-Haut 
et  qui  repose  sous  l'ombre  du  Tout-Puissant,  dira  au  Seigneur  :  Vous  êtes 
mon  espérance  et  mon  appui  ;  vous  êtes  mon  Dieu,  et  en  vous  je  mets  toute 
ma  confiance.  C'est  pourquoi  il  vous  délivrera  des  filets  du  chasseur  et  de 
la  langue  des  méchants.  Sa  vérité  vous  servira  de  bouclier  :  et  vous  ne 
craindrez  ni  les  terreurs  de  la  nuit,  ni  la  flèche  qui  vole  durant  le  jour,  ni 
les  embûches  que  l'on  prépare  dans  les  ténèbres,  ni  les  attaques  du  démon 
du  Midi...  Il  ne  vous  arrivera  aucun  accident  fâcheux,  et  les  fléaux  n'ap- 
procheront point  de  votre  demeure,  car  le  Seigneur  a  commandé  à  ses 
anges  de  vous  garder  dans  toutes  vos  voies...  Je  serai  avec  lui,  dit  le  Sei- 
gneur, dans  ses  jours  d'affliction  ;  je  l'en  tirerai,  et  je  l'en  ferai  sortir  avec 
gloire.  Je  ie-comblerai  de  jours  et  d'années,  et  je  lui  ferai  part  du  salut 
que  je  donne  à  mes  Saints». 

Cependant  ce  chant  sacré  d'une  poésie  si  belle  et  si  appropriée  à  la  cir- 
constance avait  conduit  l'évêque,  le  clergé  et  saint  Cybard  au  seuil  de  la 
grotte.  L'évêque  y  pénétra  seul  avec  un  de  ses  prêtres,  et  il  la  bénit,  en 
disant  :  «  Bénissez,  Seigneur,  Dieu  tout-puissant,  ce  lieu,  afin  que  votre 


644  26  OCTOBRE. 

serviteur  y  ait  toujours  santé,  pureté,  force  et  victoire,  charité,  sainteté, 
mansuétude,  douceur,  docilité  parfaite  à  la  loi  et  complète  obéissance  au 
Père,  au  Fils  et  au  Saint-Esprit.  Que  votre  bénédiction  soit  toujours  sur  ce 
lieu  et  sur  celui  qui  va  l'habiter  :  par  vous,  notre  Dieu,  qui  vivez  et  régnez 
dans  tous  les  siècles  des  siècles.  —  Exaucez-nous,  Seigneur  saint,  Père 
tout-puissant,  Dieu  éternel,  et  envoyez  du  haut  des  cieux  votre  saint  ange, 
pour  garder,  soutenir,  protéger,  visiter  et  défendre  votre  serviteur  qui  va 
habiter  cette  demeure  ». 

Cette  bénédiction  achevée,  et  après  ces  prières  qui  sont  de  la  part  de 
l'Eglise  l'expression  touchante  de  sa  maternelle  sollicitude,  saint  Aptone 
sortit  de  la  grotte  et  y  introduisit  saint  Cybard  au  chant  du  psaume  Exau- 
diat  te  Dominus  :  «  Que  le  Seigneur  vous  exauce  au  jour  de  la  tribulation  ; 
que  le  nom  du  Dieu  de  Jacob  vous  protège  ;  qu'il  vous  envoie  son  secours 
du  sein  de  son  sanctuaire  ;  qu'il  veille  sur  vous  du  haut  de  Sion  ;  qu'il  se 
souvienne  de  vos  sacrifices,  et  que  vos  holocaustes  lui  soient  agréables  ».  Le 
chant  de  ce  psaume  fut  suivi  de  celui  de  l'antienne  0  clavis  David,  «  ô  clef  de 
David  » ,  la  même  que  l'Eglise  chante  dans  la  dernière  semaine  de  l'Avent, 
et  qui  empruntait  à  la  circonstance  présente  une  application  toute  person- 
nelle. Cependant,  tandis  que  le  saint  solitaire,  au  comble  de  ses  vœux, 
arrosait  le  rocher  de  ses  larmes  de  joie  et  de  reconnaissance,  des  ouvriers, 
sur  l'ordre  du  pontife,  murèrent  la  porte  de  la  cellule,  et  saint  Aptone  y 
apposa  son  sceau,  pour  marquer  que  cette  porte  ne  devrait  plus  s'ouvrir 
que  par  permission  de  l'autorité  épiscopale  et  dans  de  très-rares  occasions. 
Enfin,  comme  dernier  adieu  à  saint  Cybard,  il  récita  sur  lui  cette  oraison  : 
«  O  Dieu,  la  plus  douce  des  consolations,  consolez  par  vous-même  votre 
serviteur  qui  s'abandonne  à  vous  seul,  aOn  que,  rempli  d'une  sainte  espé- 
rance, il  mérite  de  reposer  jour  et  nuit  dans  les  bienheureux  embrasse- 
ments  de  votre  Fils.  Nous  vous  en  prions  par  ce  même  Fils  Jésus-Christ, 
Notre-Seigneur,  qui  vit  et  règne  avec  vous  dans  les  siècles  des  siècles  ». 
Amen,  qu'il  en  soit  ainsi,  répondirent  le  clergé  et  le  peuple,  et  tous  se  reti- 
rèrent en  silence  et  profondément  émus.  C'est  qu'en  effet,  comme  l'observe 
Mgr  Cousseau,  auquel  nous  avons  emprunté  cette  page  liturgique,  «  il  y 
avait  matière  à  de  profondes  réflexions  au  sortir  d'un  pareil  spectacle,  et 
le  peuple  qui  avait  le  bonheur  d'y  assister  en  retirait  d'autres  émotions 
et  d'autres  enseignements  que  ceux  de  nos  théâtres  et  de  nos  cours 
d'assise  *  ». 

Nous  avons  dit,  dans  la  vie  de  saint  Cybard,  qu'à  des  jours  et  des  heures 
déterminés,  il  entretenait,  par  la  petite  fenêtre  grillée  de  sa  cellule,  les 
nombreux  fidèles  qui  venaient  lui  demander  des  conseils  ou  des  consola- 
tions, et  il  n'est  pas  douteux  que  saint  Aptone  ne  se  soit  souvent  mêlé  à 
cette  pieuse  multitude.  Et  de  même,  ce  n'est  pas  être  téméraire  que  d'as- 
surer qu'il  lui  amenait  les  hôtes  illustres  qui,  de  temps  à  autre,  visitaient 
sa  ville  épiscopale.  C'est  ainsi  qu'un  jour  l'humble  solitaire  vit  arriver  à  sa 
grotte,  avec  saint  Aptone,  deux  des  plus  célèbres  évêques  de  cette  époque, 
saint  Germain  de  Paris  et  saint  Euphrone  de  Tours.  Ils  étaient  envoyés  par 
le  roi  Caribert  pour  présider  à  la  consécration  de  la  nouvelle  cathédrale 
qui  avait  été  construite  par  suite  des  généreuses  intentions  du  grand  roi, 
son  aïeul,  et  qui  venait  enfin  d'être  achevée.  Cette  église,  connue  sous  le 
nom  d'église  de  Clovis,  était  la  reproduction  de  la  basilique,  dite  de  Cons- 
tantin, que  Mgr  Cousseau  présume  avoir  elle-même  succédé  à  une  pre- 

X.  Vie  de  saint  Cybard,  p«  Mgr  Cousseau,  «Yêque  a'AngotUêttfc 


SAINT  APTONE  OU  APHTONE,   ÉVÊQUE  d'ANGOULÊME.  645 

mière  église  que  saint  Ausone  aurait  bâtie.  Du  reste,  cette  nouvelle  cathé- 
drale, comme  la  précédente,  n'avait  qu'une  nef,  mais  plus  allongée,  et 
c'était  la  basilique  ancienne  dans  toute  sa  simplicité.  La  cérémonie  de  sa 
consécration  eut  lieu  vers  l'an  560  *,  et  elle  dut  certainement  attirer  le  con- 
cours et  la  présence  de  plusieurs  autres  évêques  ;  mais  l'histoire  ne  nous 
les  a  point  fait  connaître,  et  elle  ne  nomme  que  saint  Germain  de  Paris  et 
saint  Euphrone  de  Tours.  Nous  manquons  également  de  tous  détails  sur  le 
séjour  que  ces  illustres  prélats  firent  dans  la  ville,  et  sur  les  fruits  de  béné- 
diction que  produisit  leur  parole  et  peut-être  même  leurs  miracles  *. 

Après  leur  départ,  saint  Aptone  continua  à  briller  sur  le  siège  d'An- 
goulême  de  tout  l'éclat  des, plus  hautes  vertus  épiscopales  ;  mais  l'ordre 
chronologique  nous  ramène  au  Ve  concile  d'Orléans.  Ce  concile  avait 
été  convoqué  par  Childebert,  pour  juger  la  cause  de  Marc,  évoque 
d'Orléans,  qui  avait  été  accusé  auprès  de  lui  de  plusieurs  crimes.  Ce 
concile  s'ouvrit  le  28  octobre  549 ,  et  fut  un  véritable  concile  national  ; 
car  on  y  compta  sept  archevêques,  quarante-trois  évêques  et  vingt-un 
représentants  d'évêques  absents.  Les  Pères  examinèrent  d'abord  la  cause 
de  Marc,  et  comme  toutes  les  accusations  furent  reconnues  fausses  et  ca- 
lomnieuses ,  ils  le  déclarèrent  innocent  et  le  rétablirent  sur  son  siège  ; 
néanmoins  sa  souscription  ne  se  lit  point  dans  les  actes  du  concile,  et  peut- 
être,  en  effet,  n'y  assista-t-il  pas.  Mais  il  ne  s'agissait  point  seulement  de 
la  cause  personnelle  de  cet  évêque  :  on  avait  appris,  en  France,  les  troubles 
que  les  Nestoriens  et  les  Eutychéens  excitaient  de  nouveau  en  Orient,  et 
l'on  craignait  que  le  mal  ne  se  communiquât  aux  Eglises  d'Occident.  C'est 
ce  qui  donna  lieu  au  premier  canon  qui  anathématise  les  erreurs  de  Nes- 
torius  et  d'Eutychès  avec  leurs,  auteurs  et  leurs  sectateurs.  Viennent  ensuite 
vingt-trois  autres  canons  qui  concernent  la  discipline  ecclésiastique  et  qui 
témoignent  du  zèle  avec  lequel  l'Eglise  a  toujours  veillé  à  l'exacte  obser- 
vation de  ses  règles.  Le  dix-neuvième,  qui  concerne  les  monastères  de 
femmes,  prouve  que  dès  lors  il  existait  deux  sortes  de  communautés  reli- 
gieuses, savoir  :  les  communautés  cloîtrées  et  d'autres  non  cloîtrées,  mais 
dont  le  vœu  de  chasteté  n'était  pas  moins  reconnu  comme  perpétuel.  Pour 
les  premières,  les  Pères  du  concile  n'exigert  qu'un  noviciat  d'un  an,  et 
pour  les  secondes  ils  le  prolongent  pendant  trois  ans.  C'est  qu'on  jugeait, 
dit  le  Père  de  Longueval,  que  leur  vertu  devant  être  plus  exposée,  devait 
aussi  être  plus  longtemps^  éprouvée  8,  Au  reste,  peu  de  conciles  ont  offert 
une  plus  nombreuse  réunion  de  saints  évêques,  car  on  n'en  compte  pas 
moins  de  dix-huit  que  l'Eglise  a  placés  sur  ses  autels  *,  et  certes  il  est  glo- 

1.  Nous  suivons  la  chronologie  adoptée  par  Mgr  Consseau. 

2.  A  la  fin  du  x«  siècle,  le  1K  février  981,  «  un  vaste  incendie  dévora  »,  dit  une  ancienne  chronique, 
«  une  grande  partie  de  la  ville  d'Angoulême,  l'église  mère  et  trois  autres  églises  ».  C'était  sous  l'épiscopat 
de  Hugues  de  Jarnac  qui,  désespérant  de  pouvoir  relever  ces  ruines,  se  démit  de  son  siège  et  se  retira  au 
monastère  de  Saint-Cybard.  Grimoald  de  Mussidan,  qui  lui  succéda  en  991,  entreprit  courageusement 
cette  grande  œuvre  et  la  mena  à  bonne  fin.  Il  la  consacra,  en  1015,  avec  son  frère  Islon,  évêque  do 
Saintes,  et  Seguin,  archevêque  de  Bordeaux.  Il  y  fut  enterré,  près  de  l'autel  du  chapitre,  en  1018.  Cet 
édifice,  d'un  style  lourd,  massif,  et  orné  seulement  à  l'intérieur  de  son  portail  imagé  et  de  ses  coupoles 
h  découvert,  mais  d'une  solidité  à  défier  les  siècles,  ne  dura  cependant  que  quatre-vingt-dix  ans.  n 
tomba  sous  les  coups  du  fameux  Girard,  pour  faire  place  a  une  cathédrale  plus  vaste  et  plus  magnifique, 
d'une  architecture  plus  ornée  et  plus  gracieuse,  et  bâtie  sur  le  modèle  de  Sainte-Sophie  de  Constanti- 
nople.  Mais  dans  cette  nouvelle  construction  on  conserva  une  belle  portion  de  la  cathédrale  de  Grimoald, 
savoir,  les  deux  tiers  de  la  façade  et  toute  la  première  coupole.  L'évêque  Girard  fut  secondé  dans  son 
œuvre  par  les  libéralités  d'un  chanoine,  Itier  d'Archambaud,  et  il  consacra  sa  nouvelle  cathédrale  en  1128, 
en  présence  d'un  grand  nombre  d'évêques.  C'est  la  cathédrale  actuelle  que,  après  quinze  ans  d'efforts  et 
de  persévérance,  Mgr  Cousseau  a  ramenée  à  son  ancienne  et  primitive  beauté.  —  Discours  sur  la  cathé- 
drale d'Angouléme. 

8.  Longueval,  Histoire  de  l'Eglise  gallicane.  —  Dom  Ceillier,  tome  xvi,  ancienne  édition. 

4.  Voici  leurs  noms  d'après  le  Père  de  Longueval  :  Saint  Sacerdos  de  Lyon,  qui  présida  le  Concile  ; 


646  26  OCTOBRE. 

rieux  pour  le  diocèse  d'Angoulême  que  saint  Aptone  ait  siégé  dans  une  si 
illustre  assemblée.  Il  n'est  pas  douteux  non  plus  qu'à  son  retour  il  n'ait 
fait  exécuter  les  sages  décrets  qui  avaient  été  promulgués  à  Orléans,  et  qu'il 
avait  souscrits  en  ces  termes  :  Aptonius  in  Christi  nomine  episcopus  ecclesias 
Ecolimensis  subscripsi  :  a  Au  nom  de  Jésus- Christ,  moi,  Aptone,  évêque  de 
l'Eglise  d'Angoulême,  ai  souscrit  ». 

Cette  présence  de  saint  Aptone  au  Ve  concile  d'Orléans  est  d'ailleurs  le 
dernier  fait  que  l'histoire  mentionne  à  son  sujet.  Elle  ne  nous  apprend 
plus  que  la  date  de  sa  mort,  et  encore  sans  nous  donner  aucun  détail  sur 
ses  derniers  moments,  et  sans  nous  faire  connaître  les  circonstances  qui 
accompagnèrent  une  fin  si  précieuse  devant  le  Seigneur.  Saint  Aptone 
mourut  en  l'année  566,  et  probablement  le  26  octobre,  puisque  ce  jour  a 
toujours  été  celui  de  sa  fête.  Il  eut  pour  successeur  Mérère,  qui  assista,  en 
567,  à  la  dédicace  de  l'église  de  Saint-Pierre  de  Nantes,  avec  les  évêques  de 
Tours,  de  Rennes,  d'Angers  et  du  Mans. 

Dans  la  chapelle  de  l'évêché  d'Angoulême,  un  vitrail  représente  saint 
Aptone  en  habits  épiscopaux. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Saint  Aptone  fut  enterré  dans  l'église  de  Saint-Ausone,  et  son  tombeau,  voisin  de  celui  du 
pontife  martyr,  devint  bientôt  de  la  part  des  fidèles  l'objet  d'une  vénération  presque  égale.  C'est 
ce  qui  suggéra  même  aux  générations  suivantes,  dit  Mgr  Cousseau,  l'idée  que  saint  Ausone  et 
saint  Aptone  étaient  deux  frères  issus  des  mêmes  parents.  Leur  fraternité  était  toute  spirituelle  ; 
elle  leur  valait  au  ciel  la  même  gloire,  et  aujourd'hui  encore  sur  la  terre  elle  leur  vaut  les  mêmes 
honneurs  '.  Au  reste,  le  plus  ancien  titre  du  nom  de  Saint  donné  à  saint  Aptone,  est  une  charte 
de  Charles  le  Chauve,  de  Tan  852,  en  faveur  de  l'abbaye  de  Saint-Cybard,  et  où  est  indiquée  une 
porte  de  la  ville  d'Angoulême,  sous  le  nom  de  Porte  des  saints  Ausone  et  Aptone.  Un  second  titre 
est  un  acte  antérieur  à  l'an  1028,  et  par  lequel  Guillaume,  deuxième  du  nom,  Giberge  sa  femme 
et  leurs  trois  enfants,  Audoin,  Geoffroy  fit  Guillaume,  cèdent  à  l'église  des  saints  Ausone,  Aptone 
et  Césaire,  le  domaine  seigneurial  d'Alamaus,  situé  sous  la  ville  d'Angoulême,  au-dessus  de  la 
rivière  d'Anguienne  2.  Les  reliques  de  ces  trois  Saints  reposaient  en  effet  sous  le  maître-autel  de 
la  même  église,  mais  renfermées  dans  deux  châsses  séparées.  L'une,  plus  riche,  contenait  les  reli- 
ques de  saint  Ausone,  et  l'autre  celles  de  saint  Aptone  et  de  saint  Césaire.  Mgr  Cousseau  dit  que 
ces  dernières  furent  portées  dans  la  procession  solennelle  qui  eut  lieu  le  30  mars  1118  pour  la 
translation  du  corps  de  saint  Ausone,  et  le  Père  Papebrock  mentionne  dans  ses  notes  sur  les  actes 
de  saint  Ausone,  une  translation  particulière  des  reliques  de  saint  Aptone,  de  saint  Césaire,  de  saint 
Cybard  et  de  sainte  Calfagie  3.  Cette  translation  se  fit  le  3  avril  1129,  et  par  conséquent  sous  le 
pontificat  de  Girard,  mais  probablement  en  son  absence,  car  ce  fait  n'est  point  relaté  dans  sa  vie  *. 
Toutefois  nous  trouvons  dans  cette  indication  une  preuve  du  culte  qui  était  rendu  à  saint  Aptone, 
conjointement  avec  celui  que  recevaient  le  saint  reclus  qu'il  avait  fixé  près  d'Angoulême,  le  pieux 
diacre  de  Saint-Ausone,  qui  était  le  confident  et  le  distributeur  de  ses  aumônes,. et  la  vierge  que 
le  pontife-martyr  avait  la  première  consacrée  au  Seigneur.  Mais  toutes  ces  reliques  si  précieuses 
furent  brûlées  par  les  Calvinistes  en  l'année  1568,  et  il  n'en  reste  plus  aujourd'hui  que  de  légers 
fragments. 

C'était  devant  ces  reliques  qu'avant  leur  profanation,  les  évêques  d'Angoulême  venaient,  lors 
de  leur  entrée  solennelle,  faire  la  veille  sainte,  et  voici  quel  en  était  le  cérémonial  :  Le  nouvel 
évêque  se  présentait  vers  le  soir  à  la  porte  de  l'église  abbatiale  des  religieuses  bénédictines  de 
Saint-Ausone,  où  il  était  reçu  par  Tabbesse  à  la  tête  de  sa  communauté.  Une  religieuse  entonnait 

•alnt  Aurélien  d'Arles  ;  saint  Hésychius  de  Vienne,  deuxième  du  nom  ;  saint  Nicet  de  Trêves  ;  saint  Dési- 
dé*rat  de  Bourges  ;  saint  Firmin  d'Uzès  ;  saint  Agricole  de  Chalon-sur-Saône  ;  saint  Gai  de  Clermont; 
saint  Eleuthere  d'Auxerre  :  saint  Tétrie  de  Langres  ;  saint  Nectaire  d'Autun;  saint  Domitien  de  Tongres; 
saint  Arège  de  Nevers  ;  saint  Lô  de  Coutances  ;  saint  Lubin  de  Chartres  ;  saint  Aubin  d'Angers  ;  saint 
Génébaud  de  Laon,  et  saint  Aptone  d'Angoulême. 

1.  Mgr  Cousseau,  Discours  pour  la  bénédiction  de  la  première  pierre  de  l'église  de  Saint-Ausone. 

2.  L'Angoumois,  par  Gervais,  lieutenant  général  au  présidial  d'Angoulême. 
8.  C'est  ici  un  titre  authentique  du  culte  rendu  à  cette  vierge. 

4.  Voir  l'excellente  Vie  de  Girard,  par  M.  l'abbé  Marata.  Angoulême,  1866. 


LE  BIENHEUREUX  BONAVENTURE  DE  POTENZA.  647 

alors  l'antienne  des  premières  vêpres  de  saint  Ausone,  et  pendant  ce  chant  le  prélat  était  conduit 
dans  le  sanctuaire,  an  siège  qui  lui  avait  été  préparé.  Là,  prosterné  devant  l'autel  et  les  châsses 
des  Saints,  il  priait  avec  ferveur  et  recevait  des  mains  de  l'abbesse  le  livre  de  la  vie  de  saint 
Ausone.  Les  religieuses  se  retiraient  ensuite,  et  l'évêque  continuait  sa  prière  jusqu'au  moment 
où,  averti  que  le  repas  du  soir  était  servi,  il  se  rendait  dans  les  appartements  réservés  du  monas- 
tère. Mais  après  une  frugale  collation,  il  retournait  prier  dans  l'église,  et  y  demeurait  jusqu'à  deux 
heures  après  minuit.  Il  se  retirait  alors  pour  prendre  quelque  repos,  et  de  grand  matin  il  venait 
achever  la  veille  sainte,  attendant  l'heure  où  le  cierge,  la  noblesse  et  les  magistrats  de  la  ville 
devaient  se  rendre  près  de  lui  pour  le  conduire  à  la  cathédrale  *. 

La  fête  de  saint  Aptone  se  célèbre  du  rit  double,  mais  n'a  point  d'office  propre.  Seul,  le  bré- 
viaire des  religieuses  bénédictines  renferme  un  office  où  saint  Aptone  est  nommé  frère  et  succes- 
seur de  saint  Ausone  ;  et  encore  cet  office,  qui  n'a  point  de  légende  spéciale,  ne  contient-il 
aucun  trait  particulier  de  la  vie  du  saint  évêque.  Nous  y  lisons  seulement  qu'il  mourut  en  paix  et 
après  un  assez  long  épiscopat.  C'est  pourquoi  du  Saussay  s'est  trompé  en  lui  donnant  dans  son 
martyrologe  le  titre  de  martyr. 

Hous  devons  cette  notice  a  l'obligeance  de  M.  l'abbé  Duchassaing,  chanoine  honoraire  a  Angoulôme. 


LE  BIENHEUREUX  BONAYENTURE  DE  POTENZA, 

DE  L'ORDRE  DES  FRÈRES  MINEURS  CONVENTUELS 
1711.  —  Pape  :  Clément  XI.  —  Empereur  d'Allemagne  :  Joseph  I«. 


L'obéissance  vaut  mieux  que  les  sacrifices,  parce  que 
dans  les  sacrifices  une  chair  étrangère  est  immolée, 
et  que  dans  l'obéissance  la  volonté  propre  et  la 
chair  deviennent  les  victimes. 

Saint  Augustin. 

Potenza  {Potentia),  ville  épiscopale  d'Italie,  chef-lieu  de  la  Basilicate, 
dans  l'ancien  royaume  de  Naples,  fut  le  lieu  de  naissance  de  notre  Bien- 
heureux. Son  père  était  tailleur;  il  s'appelait  Lelio  Lavagna;  sa  mère, 
Catherine  Pica.  Ces  pauvres  artisans  étaient  riches  en  vertus  qui  leur 
méritèrent  l'estime  publique.  Dès  l'âge  le  plus  tendre,  ce  vertueux  enfant, 
qui  avait  reçu  au  baptême  les  noms  de  Charles-Antoine-Gérard,  se  fit 
remarquer  par  une  singulière  modestie  et  une  grande  tendresse  pour  la 
très-sainte  Vierge.  Il  aimait  à  faire  de  longues  prières  devant  une  image  de 
cette  bonne  Mère,  et  lui  exposait  ses  besoins  avec  une  naïve  candeur  :  c'est 
elle,  sans  doute,  qui  lui  obtint  cette  pureté  virginale,  dont  le  reflet  embel- 
lissait son  visage  et  dont  le  parfum  embauma  toute  sa  vie.  Sa  gravité,  sa 
profonde  horreur  du  péché,  sa  docilité  aux  volontés  de  ses  parents,  faisaient 
de  lui  le  parfait  modèle  du  jeune  âge.  Il  ne  trouvait  aucun  charme  dans 
les  jeux  et  les  amusements;  ses  délices  étaient  d'entendre  parler  de  Dieu, 
ou  de  s'instruire  des  vérités  de  la  foi.  Son  père  le  confia  aux  soins  d'un 
ecclésiastique  pour  le  former  à  la  piété  et  à  la  science.  Le  jeune  serviteur 
de  Dieu  eut  bientôt  gagné  l'affection  de  ce  maître  et  de  ses  condisciples  par 
ses  aimables  vertus. 

Cependant,  quelques-uns  de  ses  compagnons  d'études,  nous  ne  savons 
par  quel  caprice,  se  permirent  un  jour  de  le  souffleter  et  de  le  charger  de 

1.  Actes  de  saint  Ausone,  mois  de  mai,  tome  v. 


648  26  OCTOBRE. 

coups,  affront  qu'il  supporta  avec  une  patience  et  une  douceur  au-dessus 
de  son  âge.  Il  était  bon  qu'il  prît  part  de  bonne  heure  à  la  Passion  de  notre 
Sauveur  ;  lorsque  le  commerce  avec  les  hommes  est  amer,  l'âme  se  retire 
dans  un  commerce  plus  intime  avec  Dieu.  Notre  Bienheureux,  caché  dans 
quelque  coin  obscur,  donnait  à  la  prière  tout  le  temps  que  ses  autres  de- 
voirs lui  laissaient  libre.  Une  vertu  si  pure  aurait  pu  se  ternir  en  restant 
longtemps  exposée  au  souffle  empoisonné  du  siècle  :  le  ciel,  qui  convoitait 
déjà  cette  belle  fleur,  inspira  au  pieux  jeune  homme  de  se  retirer  dans 
l'Ordre  des  Frères  Mineurs  conventuels,  où  il  prit  le  nom  de  Bonaventure. 
Il  reçut  l'habit  à  Nocera,  le  jour  de  la  fête  du  séraphique  Père  saint  Fran- 
çois, et  fut  admis  à  la  profession  l'année  suivante.  On  l'envoya  ensuite 
étudier  au  couvent  de  Mataloni,  où  l'on  conservait  une  pauvre  petite) 
demeure  qui  avait  autrefois  servi  au  saint  patriarche  des  Franciscains.  Un 
jour,  le  gardien  du  couvent  l'y  surprit  tout  en  larmes  :  a  Qu'avez-vous  à 
pleurer  ainsi?  »  lui  dit-il.  —  «  Et  comment  ne  pleurerais-je  pas  »,  répondit 
l'humble  religieux,  «  en  me  voyant,  moi  qui  suis  un  si  grand  pécheur,  dans 
le  lieu  qu'habita  notre  bienheureux  Père  ?  »  Mais  ce  fut  surtout  à  Amalfî, 
où  Bonaventure  passa  huit  années  sous  la  direction  d'un  grand  serviteur  de 
Dieu,  qu'il  devint  un  Saint.  Sa  pauvreté  était  extrême  :  il  se  couvrait  d'un. 
vieil  habit  ;  la  terre  nue,  une  table  ou  une  mauvaise  paillasse  lui  servaient 
de  lit.  Il  n'avait  pour  tout  bien  que  quelques  livres  de  piété  et  quelques 
images.  Il  poussait  si  loin  le  détachement,  qu'il  ne  touchait  qu'avec  répu- 
gnance les  pièces  de  monnaie,  lorsqu'il  était  obligé  de  s'en  servir  ;  il  crai- 
gnait de  salir  son  âme  par  le  moindre  contact  avec  la  matière.  Il  se  détachait 
de  lui-même  pour  s'unir  entièrement  à  Dieu.  La  volonté  de  Dieu  était  pour 
lui  celle  de  ses  supérieurs  ;  il  la  suivait  avec  une  soumission  si  aveugle  qu'il 
en  fut  récompensé  par  des  miracles.  Il  cherchait  un  jour  la  clef  de  la  sa- 
cristie. Le  père  gardien  lui  dit  en  riant  :  «  Elle  est  au  fond  de  la  citerne, 
prenez  une  ligne  et  repêchez-la  ».  Le  Bienheureux  court  à  la  citerne  avec 
un  fil  et  un  hameçon,  jette  sa  ligne  sur  l'eau,  sent  quelque  chose  de  lourd, 
retire  sa  ligne  et  ramène  la  clef.  Un  matin  d'été,  il  apportait  un  morceau 
de  glace  pour  l'usage  du  couvent  :  le  père  gardien,  qui  le  rencontre,  lui 
ayant  dit  pour  l'éprouver  de  le  porter  dans  l'armoire  de  la  sacristie,  il 
obéit.  Au  moment  du  dîner,  on  cherche  la  glace  :  Bonaventure  répond 
simplement  qu'elle  est  dans  l'armoire.  Les  religieux  courent  à  la  sacristie, 
croyant  par  cette  chaleur  trouver  la  glace  fondue  et  les  ornements  gâtés. 
Mais  l'obéissance  est  plus  forte  que  le  soleil  n'est  ardent  :  la  glace  était 
presque  entière  et  les  ornements  intacts. 

Notre  Bienheureux  avait  la  plus  ardente  dévotion  pour  l'adorable  Sacre- 
ment de  nos  autels  :  c'est  à  ce  foyer  d'amour  que  son  cœur  venait  s'em- 
braser ;  il  y  passait  des  heures  entières,  il  était  ravi  en  extase,  et  les  jours 
ne  lui  paraissant  pas  assez  longs,  il  y  employait  une  partie  des  nuits.  Il 
avait  soin  que  la  lampe  ne  s'éteignît  jamais  et  veillât,  pour  ainsi  dire,  avec 
son  âme.  Jaloux  de  travailler  dans  le  palais  d'un  si  grand  roi,  il  voulait  se 
charger  seul  de  tout  ce  qui  tenait  au  service  de  l'autel  :  il  nettoyait  le 
marche-pied  et  lavait  les  purificatoires.  Il  n'est  pas  possible  de  dire  avec 
quelle  joie  il  célébra  sa  première  messe  :  il  eût  fallu  voir  son  visage  res- 
plendissant ;  les  larmes  qui  coulaient  le  long  de  ses  joues  ;  son  corps  qui  se 
soulevait  dans  un  saint  transport,  attiré  vers  ce  Jésus,  le  trésor  de  ses 
mains,  le  bonheur  de  ses  yeux,  les  délices  de  son  âme.  Plusieurs  fois  depuis 
on  le  vit  ainsi  élevé  en  extase  pendant  le  saint  sacrifice. 

La  réputation  du  saint  religieux  volant  de  tous  côtés,  plusieurs  villes 


LE  BIENHEUREUX  BONAVENTURE  DE  POTENZA.  649 

témoignèrent  le  désir  de  le  posséder.  Naples  eut  la  préférence  :  le  couvent 
de  Saint-Antoine  devint  le  foyer  d'où  son  zèle  apostolique  rayonna  sur 
toute  la  province.  Il  prêchait,  confessait,  assistait  et  consolait  les  mourants. 
Il  était  dévoré  d'une  telle  soif  du  salut  des  âmes,  qu'il  disait  :  «  Si  j'étais 
appelé  auprès  de  quelques  pauvres  infirmes  ou  moribonds,  que  les  portes 
fussent  fermées  et  que  toute  voie  pour  sortir  me  fût  interdite,  je  ne  balan- 
cerais pas  à  me  jeter  par  la  fenêtre,  afin  d'aller  à  son  secours  ».  Une  lu- 
mière destinée  à  éclairer  plusieurs  contrées  ne  devait  pas  rester  longtemps 
dans  la  même.  A  Capri,  où  l'obéissance  le  conduisit,  il  trouva  un  couvent 
pauvre  et  dénué  de  tout  :  cet  état,  qui  eût  affligé  un  homme  moins  parfait, 
lui  fut  agréable,  parce  qu'il  lui  fournissait  le  moyen  de  satisfaire  son  ardeur 
pour  la  pénitence  et  la  mortification  :  il  mendiait  et  aidait  à  la  cuisine, 
nettoyait  l'église,  visitait  les  malades,  prêchait,  confessait,  et  passait,  selon 
sa  coutume,  les  nuits  en  prières.  Il  dormait  peu  et  sur  la  terre  nue.  Le 
père  gardien,  ayant  voulu  s'assurer  un  matin  s'il  se  jetait  au  moins  quel- 
ques instants  sur  sa  paillasse,  leva  la  couverture  :  une  foule  de  rats  et  de 
souris  qui  s'en  échappèrent  lui  firent  voir  que  le  Saint  leur  abandonnait  sa 
couche. 

Le  sol  et  les  murs  teints  de  sang  attestaient  les  cruelles  disciplines  dont 
il  affligeait  son  corps.  Un  trait,  plus  digne  d'être  admiré  qu'imité,  nous 
montrera  son  obéissance.  Comme  il  travaillait  dans  le  jardin,  au  lever  du 
soleil,  avec  le  Père  Ignace,  on  vint  chercher  celui-ci  qui  lui  dit  en  partant  : 
«  Attendez-moi  ici,  je  reviendrai  bientôt  ».  Il  s'agissait  de  réconcilier  deux 
habitants  de  l'île  ;  l'affaire  demanda  plus  de  temps  que  le  Père  ne  pensait, 
en  sorte  qu'il  ne  put  rentrer  que  le  soir.  Il  s'inquiéta  de  ne  pas  voir  le 
Bienheureux  au  souper.  On  lui  dit  qu'il  n'avait  pas  non  plus  paru  au  dîner. 
«Ah!  fasse  le  ciel  »,  s'écrie  le  Père  Ignace,  «  qu'il  ne  soit,  pas  encore  à 
m'attendre  dans  le  jardin  où  je  l'ai  laissé  ce  matin  !»  On  y  alla,  et  on  le 
trouva  à  l'endroit  même  où  le  Père  lui  avait  dit  d'attendre.      . 

L'île  d'Ischia,  qui  eut  aussi  le  bonheur  de  le  posséder,  fut  témoin  des 
mêmes  vertus.  Sa  nourriture  était  des  plus  pauvres  et  des  plus  austères  : 
le  vendredi,  il  redoublait  ses  mortifications  :  contemplant  le  corps  de  son 
Sauveur  où  il  n'y  avait  plus  de  place  pour  les  plaies,  pouvait-il  épargner  le 
sien?  Il  s'appliquait  surtout  à  l'instruction  des  enfants  des  matelots  et  des 
gens  du  peuple  les  plus  ignorants,  sans  pour  cela  négliger  les  autres  classes, 
dont  il  forma  plusieurs  personnes  aux  pratiques  spirituelles,  et  en  particu- 
lier à  l'oraison  mentale.  Il  travaillait  avec  d'autant  plus  de  fruit  que  Dieu 
l'avait  favorisé  des  grâces  appelées  gratuites,  comme  de  celles  des  miracles 
et  des  prophéties.  Il  dit  un  jour  à  une  pécheresse  qu'il  convertit  :  «  Vous 
avez  voulu  trop  plaire  au  monde  ;  or,  sachez  que  Dieu  vous  punira  par  où 
vous  avez  péché.  Dans  les  derniers  temps  de  votre  vie,  ce  visage  dont  les 
agréments  séduisaient  les  hommes,  sera  frappé  d'une  gangrène  affreuse, 
qui  fera  horreur  aux  autres  et  à  vous-même  ».  Trente-cinq  ans  après,  elle 
fut  en  effet  frappée  d'une  plaie  horrible,  qui  lui  rongea  le  visage  et  la  con- 
duisit au  tombeau. 

Dans  la  nuit  de  l'Immaculée-Conception,il  se  chauffait  après  les  Matines 
avec  quelques,  religieux  :  se  tournant  tout  à  coup  vers  l'un  d'eux  nommé 
le  Père  Thomas  de  Gerreto,  il  lui  dit  :  «  Cher  Frère,  mettez  en  ordre  les 
affaires  de  votre  conscience,  car  dans  deux  ans  à  pareille  époque  vous 
mourrez  ».  —  «  Qu'il  soit  fait  selon  la  volonté  de  Dieu  »,  répondit  hum- 
blement le  Père,  qui  était  un  excellent  religieux  :  «  la  seule  chose  que  je 
vous  demande,  Père  Bonaventure,  c'est  que  vous  m'assistiez  dans  ce  mo- 


650  26  0CT0BKE. 

ment  terrible  ».  —  «  Mon  cher  Père  »,  reprit  le  serviteur  de  Dieu,  a  je  le 
ferais  bien  volontiers,  mais  en  ce  temps-là  je  ne  serai  plus  ici  ». 

Deux  ans  après,  le  Père  Thomas  mourut,  précisément  dans  l'octave  de 
rimmaculée-Conception,  et  le  19  octobre  le  Bienheureux  avait  été  rappelé 
à  Naples,  où  il  habita  successivement  les  deux  couvents  de  Notre-Dame  et 
de  Saint-Antoine.  En  1703,  il  fut  nommé  maître  des  novices  à  Nocera  dei 
Pagani.  Un  jour,  que  le  gardien  entrait  au  noviciat,  le  Bienheureux  dit  à 
ses  élèves  :  «  Honorez  particulièrement  ce  père  et  baisez-lui  la  main  avec 
respect,  non-seulement  parce  qu'il  est  supérieur  de  ce  couvent,  mais  en- 
core parce  qu'il  le  sera  bientôt  de  toute  la  province  ».  11  fut  en  effet 
provincial  Tannée  suivante,  et  contre  toute  attente. 

L'obéissance  était  la  vertu  qu'il  exigeait  de  ses  fils  spirituels  ;  mais  il 
commençait  par  faire  lui-même  ce  qu'il  commandait  de  plus  difficile,  et  se 
montrait  toujours  le  premier  à  tous  les  exercices  qui  leur  étaient  prescrits. 
Sévère  sans  dureté,  s'il  menaçait  quelquefois,  il  finissait  par  se  montrer 
doux  et  affable,  et  prouvait  ainsi  qu'il  voulait  moins  la  punition  de  la  faute 
que  la  correction  du  coupable.  Ses  disciples  ne  furent  pas  longtemps  sans 
s'apercevoir  qu'ils  étaient  gouvernés  par  un  Saint  ;  et  ce  qui  les  étonnait 
surtout  en  lui,  c'étaient  sa  mortification  et  son  humilité.  11  ne  craignait 
pas  de  dire  qu'il  était  un  homme  vil,  de  basse  naissance  et  un  ignorant.  On 
avait  mis  sous  sa  direction  un  jeune  religieux  d'un  caractère  indomptable  : 
les  manières  douces  ou  sévères  n'opéraient  rien  sur  cet  esprit  indocile.  Le 
serviteur  de  Dieu,  ne  sachant  plus  comment  le  vaincre,  le  prend  en  parti- 
culier, se  jette  à  ses  pieds,  et  lui  demande  pardon  de  n'avoir  pas  employé 
les  moyens  convenables  pour  le  convertir.  Cet  acte  étonnant  d'humilité 
frappe  tellement  le  coupable  qu'il  en  est  ému  ;  il  promet  à  son  saint  maître 
de  se  convertir,  et  il  tint  fidèlement  sa  promesse.  Plusieurs  fois,  les  novices 
le  virent  éclatant  de  lumière  ;  mais  lorsqu'ils  essayaient  de  lui  en  parler,  il 
s'enfuyait  aussitôt. 

En  1707,  la  Providence  le  rappela  à  Naples  pour  combattre,  sous  le 
drapeau  de  la  charité,  un  fléau  terrible  :  c'était  une  maladie  épidémique 
qui  ravageait  alors  la  ville  de  Vomère,  située  sur  une  montagne  qui  do- 
mine la  ville;  les  malades  étaient  presque  sans  secours.;  la  crainte  de  la 
contagion,  les  difficultés  du  chemin,  arrêtaient  la  plupart  des  courages. 
Notre  Saint,  dont  l'ardeur  s'accroissait  avec  le  danger,  accourut  aussitôt  : 
ses  soixante-quinze  ans  et  ses  infirmités,  fruits  de  ses  mortifications,  ne 
peuvent  l'empêcher  de  gravir,  tous  les  jours,  au  sommet  de  cette  monta- 
gne dont  l'accès  était  difficile.  Quoique  languissant,  il  parcourait  tout  le  vil- 
lage, allait  de  maison  en  maison,  n'oubliant  aucun  de  ces  infortunés;  il  en 
guérit  beaucoup  avec  l'huile  de  la  lampe  de  saint  Antoine,  auquel  il  attri- 
buait ses  miracles.  Il  ne  négligeait  jamais  l'âme  en  soignant  le  corps  :  il 
rappelait  à  ses  chers  malades  la  vie  éternelle  à  laquelle  ils  touchaient  de  si 
près,  et  leur  parlait  avec  tant  d'onction,  qu'il  ne  finissait  jamais  son  dis- 
cours sans  leur  faire  pousser  de  profonds  soupirs  et  verser  des  larmes 
abondantes.  Parmi  les  infirmes,  il  n'oubliait  que  lui-même  :  une  de  ses 
jambes  se  couvrit  de  plaies  gangreneuses,  et  il  se  forma  au  genou  une  tu- 
meur qu'il  fallut  couper  ;  il  subit  une  opération  très-douloureuse,  pendant 
laquelle  il  ne  prononça  d'autre  parole  que  le  saint  nom  de  Marie.  Lorsque 
le  chirurgien  taillait  et  brûlait  les  chairs,  et  que  les  assistants  frémissaient 
d'horreur,  son  âme,  unie  à  Dieu,  semblait  étrangère  aux  douleurs  du  corps, 
son  visage  riant  et  serein  reflétait  son  calme  intérieur,  et  si  les  souffrances 
menaçaient  de  prendre  le  dessus,  sa  bouche,  invoquant  le  nom  de  Marie, 


LE  BIENHEUREUX  BONAVENTURE  DE  POTENZA.  651 

ramenait  aussitôt  la  paix.  Malgré  ses  infirmités,  on  l'envoya  fonder  le  cou- 
vent de  Ravello  :  il  y  arriva  le  4  janvier  1710.  Là,  comme  ailleurs,  il  fuit 
les  honneurs  et  revendique  les  fatigues  et  les  peines  comme  son  apanage  : 
on  veut  le  faire  supérieur,  il  réussit  encore  une  fois  à  éviter  cet  honneur. 
Ce  qu'il  convoite,  ce  qu'il  aime,  c'est  de  parcourir  la  ville  et  les  pays 
d'alentour,  pour  soulager  les  pauvres  et  convertir  les  pécheurs  :  rien  ne 
peut  l'arrêter,  ni  ses  infirmités,  ni  les  intempéries  des  saisons,  ni  la  diffi- 
culté des  chemins.  Un  jour,  en  se  rendant  à  Atrani,  il  rencontre  un  men- 
diant au  visage  horrible  et  défiguré  par  une  lèpre  si  repoussante,  que  le 
Bienheureux  s'en  détourne  d'abord  avec  répugnance  ;  mais  il  a  bientôt 
honte  d'abandonner  ainsi  Jésus-Christ  dans  la  personne  de  ce  malheureux: 
il  revient  sur  ses  pas,  le  presse  sur  son  sein,  l'embrasse  avec  amour,  nettoie 
ses  plaies  hideuses  ;  à  l'instant  même  le  lépreux  fut  guéri.  Cependant  Notre- 
Seigneur,  qu'il  embrassait  ainsi  sous  les  haillons,  sous  la  maladie  et  la  lai- 
deur, devait  l'appeler  à  son  tour  à  des  embrassements  célestes  et  éternels. 
Le  Bienheureux,  qui  le  savait,  en  bondissait  de  joie,  et  ne  pouvait  s'empê- 
cher d'en  parler  à  ses  amis,  mais  à  mots  couverts. 

Plus  de  six  mois  avant  ce  jour  heureux,  il  dit  au  gardien  :  «  Je  vois  que 
mes  infirmités  empirent  tous  les  jours  :  il  faut  que  je  change  de  demeure. 
J'ai  toujours  désiré  un  lieu  où  l'on  vive  dans  une  paix  et  une  charité  par- 
faite, où  l'on  n'ait  d'autre  soin  que  d'aimer  Dieu  ;  je  ne  l'ai  pu  encore  obte- 
nir. Il  faudra  donc  que  je  parte  et  que  j'aille  dans  ma  patrie  ».  Tout  le 
monde  crut  qu'il  voulait  parler  de  Potenza,  sa  patrie  terrestre  ;  lorsqu'on 
lui  demandait  à  quelle  époque  il  partirait  :  «  Ce  sera  vers  la  fin  d'octobre  », 
répondait-il.  Un  de  ses  amis  finit  par  pénétrer  le  fond  de  sa  pensée  :  «  Le 
Père  Bonaventure  nous  parle  trop  souvent  de  son  voyage  dans  sa  patrie  », 
dit-il,  «  pour  qu'il  n'y  ait  pas  là-dessous  un  sens  caché  que  je  crois  com- 
prendre. Je  me  souviens  que  son  maître,  le  Père  Dominique  de  Muro,  peu 
de  temps  avant  sa  mort,  nous  disait  aussi  qu'il  voulait  aller  dans  sa  patrie  ; 
mais  il  entendait  sa  patrie  céleste,  vers  laquelle  il  s'envola  bientôt.  Je  crois 
que  le  Père  Bonaventure  veut  dire  la  même  chose,  et  qu'il  nous  quittera, 
non  pour  Potenza,  mais  pour  le  ciel  ». 

Le  15  octobre,  le  Bienheureux  se  rendit,  selon  sa  coutume,  au  palais 
épiscopal,  pour  confesser  l'évêque,  Mgr  Perimezzi  :  «  Monseigneur  »,  lui 
dit-il,  «j'ai  une  chose  de  grande  importance  à  vous  recommander  ».  — 
«  Dites  tout  de  suite  »,  répondit  le  prélat  ».  —  «  C'est,  Monseigneur,  que, 
quand  je  ne  serai  plus  votre  confesseur,  vous  mettiez  tous  vos  soins  à  vous 
en  procurer  un  autre  qui  vous  parle  avec  une  liberté  apostolique  ». 

Il  revint  à  l'église  donner  ses  derniers  avis  à  ses  pénitents.  Ce  matin-là 
même,  il  fut  pris  d'une  fièvre  si  violente,  qu'elle  le  contraignit  de  se  jeter 
sur  son  pauvre  grabat.  La  funeste  nouvelle  se  répandit  aussitôt  dans  le  pays, 
et  tout  le  monde  disait  :  «  Voilà  donc  ce  départ  et  cette  patrie  dont  il  nous 
parlait?»  Un  grand  nombre  d'habitants,  et  l'évêque  lui-même,  coururent 
au  couvent  pour  le  voir  et  l'entretenir  encore  une  fois.  Le  huitième  jour 
de  sa  maladie,  il  demanda  les  sacrements,  et  pria  les  Frères  qui  fondaient 
en  larmes  de  lui  pardonner  tous  les  scandales  de  sa  vie.  «  Je  suis  un  misé- 
rable »,  disait-il,  indigne  de  porter  ce  saint  habit  ».  Il  voulut  se  jeter  à  bas 
de  son  lit  pour  baiser  les  pieds  du  gardien  ;  mais  celui-ci  le  retint  et  lui  dit: 
«  Père  Bonaventure,  embrassez  plutôt  ceux  de  Notre-Seigneur  ».  Il  prit  son 
crucifix  et  arrosa  de  ses  larmes  les  pieds  du  divin  Sauveur. 

Après  avoir  reçu  les  derniers  sacrements,  il  parut  ravi  en  extase  ;  puis, 
sortant  comme  d'un  profond  sommeil,  il  se  mit  à  chanter,  d'une  voix  plus 


652  26  OCTOBRE. 

forte  qu'il  ne  l'avait  jamais  eue  dans  sa  jeunesse,  les  louanges  de  Notre-Sel- 
gneur  et  de  sa  très-sainte  Mère,  avec  une  mélodie  plus  angélique  qu'hu- 
maine. Une  heure  avant  sa  mort,  il  se  tut,  récita  trois  fois  Y  Ave  Maria,  et 
rendit  à  Dieu  son  âme,  sans  agonie,  sans  douleur,  le  soir  du  26  octobre  1711, 
âgé  de  soixante  ans,  huit  mois  et  vingt-six  jours. 

Ses  membres,  restés  flexibles,  répandaient  une  odeur  suave.  L'évêque 
fit  porter  le  saint  corps  en  procession  dans  la  ville,  afin  que  tout  le  monde 
pût  le  voir  sans  tumulte.  Son  passage  fut  marqué  par  plusieurs  miracles. 
Une  sueur  abondante  en  découlait  ;  on  le  saigna  et  il  en  sortit  un  sang 
vermeil  dans  lequel  on  trempa  un  grand  nombre  de  mouchoirs.  Quand  le 
chirurgien  fut  près  d'ouvrir  la  veine,  le  gardien  commanda  au  Bienheureux 
d'étendre  le  bras  :  ce  bras,  dont  tous  les  mouvements,  pendant  la  vie, 
avaient  été  réglés  par  la  volonté  de  ses  supérieurs,  obéit  jusque  dans  la 
mort  :  il  se  leva  de  lui-même,  et  resta  suspendu  tant  que  le  sang  coula. 

.  En  passant  devant  le  Saint-Sacrement,  on  vit  le  Saint,  dans  son  cercueil, 
ouvrir  les  yeux  et  incliner  la  tête.  Enfin,  le  9  avril  1740,  on  ouvrit  le  tom- 
beau et  l'on  trouva  le  corps  entier  flexible.  Comme  on  voulait  le  transpor- 
ter dans  un  cercueil  de  bois,  qui  se  trouva  trop  étroit,  Mgr  Giannini,  évêque 
de  Lettere,  dit,  par  une  secrète  inspiration,  en  présence  des  autres  prélats 
assemblés  pour  la  cérémonie  :  «  Allons,  Père  Bonaventure,  placez-vous 
vous-même,  car  nous  ne  savons  plus  comment  faire  » .  Docile  à  ce  comman- 
dement, les  bras  se  resserrent  avec  les  épaules  et  le  saint  corps  entra  faci- 
lement dans  le  cercueil.  Ce  saint  Religieux  a  été  béatifié  par  Pie  VI,  ie  26 
novembre  1775. 

Le  P.  Louis-Joseph  de  Rossï,  du  même  Ordre,  a  écrit  sa  vie.  Celle  qu'en  ont  donnée  les  continuateur» 
de  Ribadeneira  et  de  Godescard  nous  a  servi  a  composer  cet  éloge. 


SAINT  ÉVARISTE,  PAPE  ET  MARTYR  (108). 

Le  successeur  de  saint  Ànaclet  (83-96)  sur  le  trône  de  saint  Pierre  fut  élu  pendant  que  la 
seconde  persécution  générale  sévissait  avec  le  plus  de  fureur.  Domitien  ne  sut  pas  sans  doute  que 
le  pontificat  chrétien  se  perpétuait  ainsi  dans  l'ombre  des  catacombes.  La  main  de  Dieu  allait  bien- 
tôt s'appesantir  sur  ce  prince  impie.  Le  Liber  Poniificalis  s'exprime  ainsi  sur  l'avènement  du 
nouveau  pape. 

«  Evariste,  né  en  Grèce,  d'un  père  Juif  nommé  Juda,  de  la  cité  de  Bethléem,  siéga  treize  ans, 
six  mois  et  deux  jours  *,  sous  les  règnes  de  Domitien,  de  Nerva  et  de  Trajan,  depuis  le  consulat 
de  Valens  et  Veter  (96),  jusqu'à  celui  de  Gallus  et  Bradua  (108).  Ce  pontife  partagea  entre  les 
prêtres  les  titres  de  la  ville  de  Rome.  Il  établit  par  une  constitution  sept  diacres  qui  devaient 
assister  l'évêque  et  lui  servir  de  témoins  authentiques.  En  trois  ordinations  célébrées  au  mois  de 
décembre,  il  promut  six  prêtres,  deux  diacres  et  cinq  évèques  destinés  à  diverses  Eglises.  Evariste 
reçut  la  couronne  du  martyre.  Il  fut  enseveli  près  du  corps  du  bienheureux  Pierre,  au  Vatican, 
le  6  des  calendes  de  novembre  (25  octobre  108).  Le  siège  épiscopal  demeura  vacant  dix-neuf 
jours  ». 

Nous  devons  expliquer  deux  passages  de  cette  notice  pour  en  faire  comprendre  le  véritable 
sens.  Saint  Clet  avait  ordonné  vingt-cinq  prêtres  pour  la  ville  de  Rome.  Evariste  compléta  cette 
institution,  en  délimitant  les  territoires  de  chacun  de  ces  titres,  et  en  comblant  les  vides  qui 

1.  De  96  à  108  de  l'ère  chrétienne,  il  n'y  a  que  douze  ans.  Cependant  le  Liber  pontificalis  donne  treize 
années  au  pontificat  de  saint  Evariste.  Cette  différence  entre  la  supputation  des  années  et  l'indication  des 
dates  consulaires  tient  à  ce  que  le  nombre  des  années  fut  compté  depuis  l'ordination  épiscopale  de  saint 
Evariste  par  son  prédécesseur  saint  Anaclet,  le  25  mars  95.  -—  Cf.  Bianchini,  Notes  chronologiques  au 
Liber  pontificalis. 


MARTYROLOGES.  653 

avaient  dû  se  produire  pendant  la  persécution  de  Dioclétien.  Quant  au  décret  organique  par  lequel 
saint  Evariste  ordonne  que  sept  diacres  formeront  le  cortège  de  l'évêque,  nous  trouvons  dans  la 
première  Epitre  de  saint  Anaclet  un  texte  qui  nous  en  donne  l'intelligence  et  nous  fait  pénétrer 
plus  intimement  dans  la  discipline  de  la  primitive  Eglise.  Parmi  les  éléments  si  divers  qu'elle 
s'était  assimilée  à  son  berceau,  il  se  rencontrait  des  esprits  superbes,  des  âmes  envieuses, 
des  cœurs  ambitieux,  qui  ne  pouvaient  porter  le  joug  de  l'obéissance,  et  qui  fatiguaient  de  leurs 
révoltes  et  de  leurs  détractions  incessantes,  la  longanimité  des  Apôtres.  Ces  diacres  devaient  être 
la  garde  de  l'évêque  contre  les  projets  malveillants. 

En  même  temps  que  saint  Ignace,  l'illustre  évêque  d'Antioche,  donnait  son  sang  pour  Jésus- 
Christ,  le  pape  saint  Evariste  terminait  sa  vie  par  le  martyre.  Nous  n'avons  plus  les  actes  de  cette 
confession  glorieuse  qui  unit,  dans  la  profession  d'une  même  foi  et  l'héroïsme  d'un  égal  dévoue- 
ment, les  deux  Eglises  d'Orient  et  d'Occident. 

Une  épée  et  une  crèche,  tels  sont  les  attributs  de  saint  Evariste  dans  l'art  populaire  :  l'épée, 
parce  qu'il  fut  décapité  ;  la  crèche,  parce  que,  son  père  étant  Juif,  on  a  imaginé  qu'il  était  né  à 
Bethléem,  près  de  l'étable  où  l'Enfant  Jésus  vint  au  monde. 

L'abbé  Dan-as,  Histoire  générale  de  l'Eglise,  tome  vi,  page  489  ;  le  Père  Cahier,  Caractéristiques  des 
Saints. 


XXVIF  JOUR  D'OCTOBRE 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

La  Vigile  des  apôtres  saint  Simon  et  saint  Jude.  —  A  Avila,  en  Espagne,  le  martyre  des  saints 
Vincent,  Sabine  et  Christète,  qui  furent  d'abord  étendus  sur  le  chevalet  avec  tant  de  violence, 
que  toutes  les  jointures  de  leurs  membres  se  disloquèrent  :  ensuite  on  leur  mit  la  tête  sur  des 
pierres,  et,  à  grands  coups  de  leviers,  on  la  leur  brisa,  jusqu'à  ce  que  la  cervelle  en  sortit  :  ils 
consommèrent  ainsi  leur  martyre,  sous  le  président  Dacien.  Vers  304.  —  A  Thil-Chàtel  (ou  Tré- 
château,  en  Bourgogne),  saint  Florent,  martyr  t.  Vers  261.—  En  Cappadoce,  les  saintes  martyres 
Capitoline  et  Erothéide,  sa  servante,  qui  souffrirent  la  mort  sous  Dioclétien.  304.  —  Aux  Indes, 
saint  Frumence,  évêque  ;  captif  en  ce  pays,  il  en  fut  ensuite  sacré  évêque  par  saint  Athanase,  et 
y  fit  fructilier  la  semence  de  l'Evangile  ».  iv»  s.  —  En  Ethiopie,  saint  Elesbaan,  roi,  qui,  après 
avoir  dompté  les  ennemis  de  Jésus-Christ,  envoya  son  diadème  royal  à  Jérusalem»  du  temps  de 
l'empereur  Justin,  et,  ayant  embrassé  la  vie  monastique  selon  le  vœu  qu'il  en  avait  fait,  alla  enfin 
jouir  de  la  vue  de  Dieu.  523. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,   REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  d'Alger,  saint  Quod-Vult-Deus,  évêque  de  Carthage  et  confesseur,  cité  au  martyro- 
loge romain  du  jour  précédent.  Vers  468.  —  Au  diocèse  de  Châlons,  saint  Calliste  1er,  pape  et 

1.  Voir,  sur  saint  Florent,  la  note  6  an  martyrologe  de  France  du  17  octobre,  tome  xi,  page  410. 

S.  Saint  Frumence  ou  Fremonat  doit  être  regardé  comme  l'apôtre  de  l'Ethiopie.  Neveu  de  Mérope,  phi- 
losophe de  Tyr  (aujourd'hui  Sor,  en  Ph'énlcie),  il  fit  avec  son  oncle  un  voyage  en  Ethiopie;  mais  le  vais- 
seau qu'ils  montaient  fut  pillé  par  les  barbares  qui  passèrent  au  fil  de  l'épée  tous  les  passagers.  Frumence 
fut  épargné  à  cause  de  sa  jeunesse  et  de  sa  beauté  :  le*  barbares  le  conduisirent  à  leur  roi.  qui  faisait  alors 
sa  résidence  à  Axuma  (aujourd'hui  Axoum,  en  Abyssinie).  Frumence  se  fit  aimer  à  la  cour  et  il  y  obtint 
les  premières  charges.  Il  voulut  user  de  son  crédit  pour  prêcher  à  ces  peuples  Idolâtres  la  foi  de  Jésus- 
Christ.  Saint  Athanase  d'Alexandrie  l'ordonna  évêque  et  bénit  ses  projets  :  ils  furent  couronnés  d'un  plein 
succès.  Les  discours  et  les  miracles  de  Frumence  opérèrent  un  très-grand  nombre  de  conversions,  et  la 
nation  tout  entière  embrassa  le  Christianisme.  Aujourd'hui,  nos  missionnaires  continuent  l'œuvre  régéné- 
ratrice inaugurée  par  le  saint  évêque.  —  Godescard,  Acta  Sanctorum. 


654  27  octobre. 

martyr,  dont  nous  avons  donné  ïa  vie  au  14  octobre.  222.  —  Au  diocèse  de  Chartres,  sainte 
Hedwige,  veuve,  duchesse  de  Pologne,  dont  nous  avons  esquissé  la  notice  au  17  octobre.  1243.— 
Au  diocèse  de  Clermont,  saint  Namace,  neuvième  évêque  de  ce  siège  et  confesseur  K  Vers  462.  — 
Au  diocèse  de  Dijon,  saint  Florent,  martyr,  dont  nous  avons  parlé  au  martyrologe  de  France  du 
17  octobre.  Vers  261.  —  Au  diocèse  de  Poitiers,  saint  Front,  premier  évèque  de  Périgueux  et 
confesseur,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  25  octobre.  74.  —  Au  diocèse  de  Tarbes,  saint  Léo- 
thade,  évèque  d'Auch  et  confesseur,  dont  nous  avons  esquissé  la  notice  au  23  octobre.  Vers  718. 
—  Au  diocèse  de  Tours,  saint  Espain,  martyr,  avec  ses  huit  frères,  les  saints  Lupicin  ou  Loup, 
Bénin,  Bié,  Marcellien,  Messain  ou  Messauge,  Géniteur  ou  Génitou,  Principin  et  Tridoire.  Nous  en 
avons  parlé  assez  amplement  au  martyrologe  de  France  du  25  octobre.  iv«  s.  —  A  Auxerre,  saint 
Didier,  évêque  de  cet  ancien  siège  et  confesseur.  621.  —  A  Coruouailles  (aujourd'hui  Quimper- 
Corentin),  saint  Allor  ou  Alor,  évèque  et  confesseur,  dont  nous  avons  parlé  au  martyrologe  de 
France  du  jour  précédent.  Vers  la  fin  du  v°  s.  —  Dans  l'ancien  monastère  de  Walers  en  Faigne 
ou  Saint-Pierre  de  Walers  (Waslerense),  au  diocèse  de  Cambrai,  saint  Dodon,  abbé  et  confesseur,  dont 
nous  dirons  un  mot  au  29  de  ce  mois.  Vers  760.  —  Au  pays  d'AIbi,  l'invention  (855)  et  la  translation 
des  reliques  de  saint  Vincent  d'Espagne,  diacre  et  martyr,  dont  nous  avons  donné  la  vie  au  22  jan- 
vier. 304.  —  Dans  le  Limousin,  saint  Just,  prêtre,  disciple  de  saint  Hilaire  de  Poitiers,  dont  nous 
parlerons  au  26  novembre.  v°  s.  —  A  Tréchâteau  ou  Thil-Châtel,  au  diocèse  de  Dijon,  saint  Van- 
dalet,  martyr,  compagnon  de  saint  Florent,  cité  plus  haut.  Vers  261.  —  Encore  à  Thil-Châtel, 
saint  Honore,  confesseur  2.  —  Dans  l'ancienne  abbaye  cistercienne  de  Boulancourt  (Bullencuria)t 
au  diocèse  primitif  de  Troyes,  sur  la  paroisse  de  Longeville  (Aube,  arrondissement  de  Troyes, 
canton  de  Bouilly),  la  bienheureuse  Emeline  d'Yèvres,  qui  vécut  en  qualité  de  sœur  converse  dan» 
la  grange  de  Perthe  Sèche,  une  des  dépendances  de  Boulancourt  3.  1178. 


*      MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  trois  Ordres  de  Saint -François.  —  A  Naples,  la  bienheureuse  Marie- 

1.  Namace  fit  construire  à  Clermont  une  église  cathédrale  :  elle  avait  cent  cinquante  pieds  de  long,  et 
soixante  de  large  ;  l'édifice  était  en  forme  de  croix  :  on  y  comptait  quarante-deux  fenêtres,  soixante-dix 
colonnes  et  huit  portes.  Il  l'enrichit  des  reliques  des  saints  Vital  et  Agricole  qu'il  fit  venir  de  Bologne 
(Eomagne).  Cette  église,  sous  l'épiscopat  de  saint  Bonnet  (689-707),  prit  le  nom  de  Saint-Laurent,  et  plu* 
tard  celui  de  Sainte-Marie.  Elle  fut  détruite  en  761.  La  femme  de  Namace  fit  bâtir,  dans  un  faubourg  do 
la  ville  et  près  de  Saint-Allyre,  l'église  de  Saint-Etienne,  qui,  depuis  la  fin  du  xv«  siècle,  a  pris  et  con- 
serve encore  le  nom  de  Saint-Eutrope  :  c'est  là  que  saint  Namace  fut  enseveli.  —  Saint  Grégoire  de  Tours, 
de  Gloria  martyrum;  Tillemout. 

2.  L'église  de  Tréchâteau,  l'une  des  plus  belles  et  des  plus  anciennes  du  diocèse,  garde  le  tombeau  de 
saint  Honoré  :  c'est  un  cercueil  en  pierre,  composé  d'une  grande  auge  et  d'un  couvercle  brisé  en  deux;  il 
est  posé  sur  des  corbeaux  au-dessus  de  l'autel  érigé  dans  la  chapelle  du  transept  et  qui,  dès  le  xie  siècle, 
était  réservée  aux  Chanoines  du  prieuré.  En  creusant  dans  le  cimetière,  des  fossoyeurs  trouvèrent  ce  cer- 
cueil et  l'ouvrirent;  il  contenait  les  ossements  bien  conservés  d'un  prieur  de  Saint-Florent.  L'un  de  ces 
manœuvres  prit  l'os  du  fémur  et  se  livra  à  d'indécentes  plaisanteries;  mais,  par  un  juste  châtiment,  son 
bras  paralysé  resta  étendu  et  raide.  L'évêque  de  Langres  aussitôt  mandé  reconnut  là  un  miracle,  et,  le 
jour  de  la  Trinité,  il  fit  transporter  à  l'église  le  sarcophage  et  les  ossements  sacrés  au  chant  des  cantiques 
et  des  cloches.  En  ce  moment,  ua  enfant  au  berceau  se  mit  à  dire  :  «  (f  saine  Honoré!  »  C'était  le  nom 
du  Saint. 

Cette  légende  est  écrite  en  reliefs  sur  un  charmant  tabernacle  en  bois  peint,  de  forme  hexagone  et 
couronné  d'un  dôme  qui  sert  de  piédestal  à  la  statue  de  saint  Honoré  en  habit  de  prieur  augustin. 

La  chapelle  de  Saint-Honoré  était  naguère  couverte  d'ex-voto,  témoignages  des  grâces  obtenues  par 
les  nombreux  pèlerins.  De  nos  jours,  l'église  de  Tréchâteau  célèbre  la  fête  de  saint  Honoré  le  deuxième 
dimanche  après  Pâques,  et  celle  de  la  translation  de  ses  reliques  le  jour  de  la  sainte  Trinité.  —  M.  l'abbé 
Duplus,  Vie  des  Saints  du  diocèse  de  Dijon. 

3.  Dès  le  xii«  siècle,  les  propriétés  des  abbayes  cisterciennes  en  particulier  étaient  divisées  en  certains 
groupes,  qui  avaient  pour  centre  un  établissement  destiné  à  l'exploitation  agricole,  et  qu'on  appelait 
grange.  La  plupart  des  granges  cisterciennes  exploitées,  au  xne  siècle,  par  des  frères  convers  et  des  sœurs 
converses  étaient  de  petites  abbayes  ayant  leur  chapelle,  leur  dortoir  et  leur  réfectoire.  Elles  ne  devaient 
pas  être  à  plus  d'une  journée  de  marche  de  l'abbaye.  —  Perthe  Sèche  était  située  au  finage  d'Tèvre» 
(Aube,  arrondissement  de  Bar-sur-Aube,  canton  de  Brienne),  sur  le  plateau  qui  porte  encore  le  nom  de 
Haut  de  Perthe  ou  Haute  Perthe. 

Le  bienheureux  Gossuin,  d'abord  moine  de  Clairvaux,  puis  de  Chemïnon,  et  contemporain  de  notre 
Bienheureuse,  a  écrit  sa  vie;  le  Père  Remy  de  Buek,  un  des  continuateurs  de  Bollandus,  l'a  reproduite 
avec  des  annotations  (Acta  Sanctorum,  tome  xu  d'octobre,  pages  390-398).  Le  moine  de  Clairvaux  vante 
surtout  ses  pratiques  de  mortification,  ses  jeûnes,  ses  austérités  ;  il  dit  qu'elle  fut  enterrée  dans  l'église 
de  l'abbaye  où,  jour  et  nuit,  une  lampe  brûlait  sur  son  tombeau.  De  son  vivant  et  surtout  après  sa  mort, 
la  bienheureuse  Emeline  fut  l'objet  de  la  vénération  publique,  et  l'on  peut  regarder  son  culte  comme 
immémorial.  —  Les  constructions  de  Perthe  Sèche  furent  détruites  pendant  les  troubles  et  les  guerres  qui 
désolèrent  la  Champagne  et  particulièrement  les  environs  de  Brienne  et  de  Kosnay,  dans  la  deuxième 


MARTYROLOGES.  655 

Françoise  des  cinq  plaies  de  Notre-Seigneur,  vierge,  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François  *.  1791. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  La  vigile  des  saints  apôtres  Simon  et  Jude. 
—  Saint  Jean  de  Kenty,  prêtre  et  confesseur,  dont  la  mémoire  se  célèbre  le  20  octobre  2.  1473. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  la  bienheureuse  vierge  Marie  du  Mont-Carmel.  —  La  vigile 
des  saints  apôtres  Simon  et  Jude.  —  Saint  Evariste,  pape  et  martyr,  dont  la  mémoire  se  célèbre 
la  veille  de  ce  jour8.  109. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin.  —  La  vigile  des  saints  apôtres 
Simon  et  Jude.  —  A  Udine  (Vénétie),  le  décès  de  la  bienheureuse  Hélène  de  Valentini,  veuve,  du 
Tiers  Ordre  de  Saint- Augustin,  qui,  par  son  humilité,  sa  patience  et  sa  continuelle  mortification, 
s'offrit  à  Dieu  comme  un  holocauste  agréable  *.  1459. 

Martyrologe  des  Mineurs  Capucins  de  Saint-François.  —  Saint  Yves,  confesseur,  du  Tiers 
Ordre  de  notre  Père  saint  François,  qui,  par  amour  de  Jésus-Christ,  défendit  les  causes  des  orphe- 
lins, des  veuves  et  des  pauvres,  et  fut  célèbre  par  sa  sainteté  et  ses  miracles.  Il  s'endormit  dans 
le  Seigneur  le  19  mai,  à  Louannec,  au  diocèse  (primitif)  de  Tréguier.  Sa  fête  se  célèbre  aujour- 
d'hui dans  notre  Ordre,  en  mémoire  de  la  translation  de  son  corps  à  Tréguier,  sous  le  pontificat 
de  Clément  VI  «*.  1303. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Enménie  (aujourd'hui  Ishekli),  eu  Pbrygie,  les  saints  martyrs  Thraséas,  évêque,  Polycarpe, 
Caïus  ou  Galus,  Alexandre,  Néon,  Diodore,  Métrobe,  et  quatre  autres.  Bien  qu'on  les  honorât  au- 
trefois tous  ensemble  à  Euménie,  le  27  octobre,  il  n'est  pas  vrai,  toutefois,  qu'ils  aient  tous  souf- 
fert le  martyre  au  même  endroit  et  dans  la  même  journée  :  Thraséas,  entre  autres,  mourut  et  fut 
enseveli  à  Smyrne  (aujourd'hui  Ismir,  dans  l'Anatolie),  tandis  que  Caïus  et  Alexandre  furent  mar- 
tyrisés à  Apamée-Cibotos  (aujourd'hui  Aûoum  Karahissar),  enPhrygie.  171.  —  A  Rome,  les  saints 
martyrs  Marcien  ou  Marien,  Luce  et  Victe,  cités  par  les  apographes  de  saint  Jérôme.  ine  s.  —  A 
Civita-di-Penne  (Pinna  Vestina),  ville  de  l'ancien  royaume  de  Naples  (Abruzze  Ultérieure  pre- 
mière), les  saints  martyrs  Maxime,  Venance,  Lucien,  Comice  et  Donat.  Comme  ils  prêchaient  har- 
diment la  foi  dans  nie  de  Pescara,  ils  furent  arrêtés  par 'ordre  du  gouverneur  Cerse,  qui  les  fit 
battre  à  coups  de  nerfs  de  bœuf  et  torturer  sur  le  chevalet,  jusqu'à,  ce  qu'ils  eussent  rendu  le  der- 
nier soupir.  Civita-di-Penne  possède  leurs  reliques.  iv°  s.  —  A  Thessalonique  (aujourd'hui  Salo- 
niki,  ville  de  Macédoine),  en  Mygdonie,  saint  Nestor,  martyr.  Le  ménologe  basilien  raconte  que 
dans  les  combats  du  cirque,  il  terrassa  un  gladiateur  appelé  Lyé,  célèbre  par  sa  force  hercu- 
léenne. Ce  que  voyant,  l'empereur  Maximien,  irrité  et  confus  de  ce  qu'un  chrétien  avait  vaincu 
un  idolâtre,  ordonna  de  trancher  la  tète  à  Nestor,  qui  proclamait  hautement,  d'ailleurs,  que  c'était 
la  main  de  Dieu  qui  avait  dirigé  la  sienne,  et  qu'en  terrassant  Lyé  l'idolâtre,  il  avait  terrassé  le 
démon  de  l'idolâtrie.  Vers  306.  —  En  Asie,  les  saints  martyrs  Marc  et  Soterich,  et  sainte  Valen- 
tine,  également  martyre.  Ils  furent  victimes  de  la  fureur  des  idolâtres,  qui  les  massacrèrent  sans 
autre  forme  de  procès.  Leurs  reliques  furent  apportées  dans  Pile  Tbasos  (JEthria,  Chrysa),  dans 
la  mer  Egée,  où  elles  sont  encore,  croit-on,  honorées  de  nos  jours.  —  En  Egypte,  saint  Abraham 
de  Menouf,  ermite,  qui  vécut  dans  les  solitudes  de  Tabennes  sous  la  discipliue  des  saints  Pacôme 
et  Théodore.  iv«  s.  —  En  Irlande,  deux  saints  abbés  du  nom  d'Abban,  qui  dirigèrent,  l'un  le 
monastère  de  Kill-Abbain,  l'autre  celui  de  Magharnaidhe  (Leinster).  v°  et  \i°  s.  —  Dans  le  comté 
de  Cornouailles  (Angleterre),  les  saintes  le  et  Bréaque,  vierges,  et  leurs  compagnons  Uni,  Sinine, 
Elwin,  Maruan,  Germoch,  Crévenne,  Hélène,  Thècle  ou  Ethe,  Gwithian  et  Gwiimear  ou  Wymer; 
grand  nombre  d'églises  étaient  dédiées  sous  leur  invocation.  vi«  s.  —  A  Pola  (Pietas  Julia),  ville 
forte  des  Etats  Autrichiens  (lstrie),  saint  Flore  (Flos),  évêque  et  confesseur.  —  En  Irlande,  saint 
Odrain  d'Iona  (ou  Icolmkill,  une  des  îles  Hébrides),  disciple  de  saint  Colomban.  On  l'a  confondu 
quelquefois  à  tort  avec  saint  Odran,  martyr,  serviteur  et  cocher  de  saint  Patrice  (19  février),  et 
avec  saint  Olhrain  de  Lettir,  confesseur  (2  octobre).  563.  —  A  Constantiuople,  saint  Cyriaque, 
patriarche,  après  avoir  été  économe  de  la  basilique  de  Sainte-Sophie.  606.  —Au  monastère  de 
Senboth,  en  Irlande  (diocèse  de  Ferns,  comté  de  Wexford),  saint  Colmann,  abbé  et  confesseur. 
Vers  632.  —  En  Ethiopie  (sud  de  l'Egypte),  saint  Tekla  Haimanot,  confesseur,  propagateur  de  la 
vie  monastique  dans  ces  contrées.  Vers  710.  —  A  Ferrare,  dans  le  royaume  d'Italie,  la  bienheu- 
reuse Antoinette  de  Brescia,  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique.  Elle  réforma  le  couvent  de  Ferrare, 
et  brilla  pendant  sa  vie  et  après  sa  mort  de  l'éclat  des  miracles.  1507. 

moitii  du  xiv«  siècle,  après  la  malheureuse  bataille  de  Poitiers,  oh  le  roi  Jean  fut  fait  prisonnier.  —  Cf. 
Vie  de  la  bienheureuse  Emeline  d'Yèvres,  par  M.  l'abbé  Lalore;  Troyes,  1869. 

1.  Voir  sa  vie  au  6  octobre,  jour  de  sa  naissance  au  ciel.  —  2.  Nous  avons  donné  sa  vie  au  20  octobre. 
-—  3.  Voir  sa  notice  au  26  octobre.  —  4.  Sa  naissance  au  ciel  est  indiquée  aux  additions  des  JBollandistes 
du  23  avril.  —  5.  Voir  sa  vie  au  19  mai. 


656  27  OCTOBRE, 


SAINT  ELESBAAN,  ROI  D'ETHIOPIE 

523.  —  Pape  :  Jean  Ier.  —  Empereur  d'Orient  :  Justin  I«. 


Un  chrétien  doit  comprendre  qu'il  doit  réaliser  son 
titre  par  les  oeuvres  plutôt  que  par  le  nom. 
Saint  Augustin. 

Les  Ethiopiens  Axumites,  dont  les  possessions  s'étendaient  depuis  la 
côte  occidentale  de  la  mer  Rouge  jusque  fort  avant  dans  le  Continent, 
étaient  un  peuple  très-florissant  au  vie  siècle.  Le  roi,  qui  les  gouvernait 
sous  l'empereur  Justin  l'Ancien,  se  nommait  Elesbaan.  Ce  prince,  dans 
toutes  ses  actions  et  dans  toutes  ses  entreprises,  ne  se  proposait  d'autre 
but  que  le  bonheur  de  ses  sujets  et  la  gloire  de  Dieu.  Quelques  auteurs 
prétendent  qu'il  avait  été  converti  de  l'idolâtrie  au  christianisme.  Quoi 
qu'il  en  soit,  ses  vertus  montrèrent  combien  une  nation  est  fortunée  lors- 
qu'elle a  des  maîtres  qui  ont  su  s'affranchir  de  l'esclavage  des  passions.  Si 
Elesbaan  prit  les  armes,  ce  ne  fut  que  pour  défendre  la  cause  de  la 
justice  et  de  la  religion,  et  il  fit  servir  la  victoire  au  triomphe  de  l'une  et 
de  l'autre. 

Les  Homérites,  parmi  lesquels  il  y  avait  un  grand  nombre  de  Juifs, 
habitaient  sur  la  côte  orientale  de  la  mer  Rouge,  dans  l'Arabie  Heureuse. 
Ils  étaient  gouvernés,  dans  le  temps  dont  nous  parlons,  par  Dunaan  ou 
Danaan  *.  C'était  un  juif  qui  avait  usurpé  le  pouvoir  suprême.  La  haine 
qu'il  portait  au  christianisme  le  rendit  persécuteur  de  ceux  qui  le  profes- 
saient. Il  bannit  en  526  saint  Grégence,  arabe  de  naissance,  et  archevêque 
de  Taphar,  métropole  du  pays.  11  fit  décapiter  saint  Arétas,  avec  quatre 
autres  chrétiens  qui  avaient  confessé  généreusement  la  foi.  Saint  Arétas, 
nommé  aussi  Harith  ou  Haritz,  était  gouverneur  de  la  ville  de  Nagran, 
l'ancienne  capitale  de  l'Yémen  ou  de  l'Arabie  Heureuse.  Non-seulement  il 
refusa  de  sauver  sa  vie  en  apostasiant,  mais  il  exhorta  tous  les  autres  chré- 
tiens à  rester  fidèlement  attachés  à  leur  religion.  On  l'enleva  de  la  ville,  et 
on  le  conduisit  sur  le  bord  d'un  ruisseau,  où  il  fut  exécuté  en  523.  Duma, 
ou  plutôt  Reuma  ou  iïemi,  sa  femme,  et  ses  filles  souffrirent  également  la 
mort  pour  la  même  cause.  On  les  honore  comme  martyrs,  avec  trois  cent 
quarante  autres  chrétiens  que  Dunaan  condamna  aussi  à  mort.  Ils  sont 
nommés  sous  le  24  octobre  dans  les  calendriers  d'Occident  et  d'Orient  ainsi 
que  dans  celui  des  Moscovites. 

L'empereur  Justin,  dont  les  chrétiens  persécutés  avaient  imploré  la 
protection,  engagea  saint  Elesbaan  à  porter  ses  armes  dans  l'Arabie  et  à 
chasser  l'usurpateur.  Ce  prince  zélé  déféra  aux  justes  désirs  de  l'empereur; 
il  attaqua  et  défit  le  tyran.  Mais  il  usa  de  la  victoire  avec  beaucoup  de  mo- 
dération. Il  rétablit  le  christianisme,  rappela  saint  Grégence,  et  fit  rebâtir 
l'église  de  Taphar.  Il  mit  sur  le  trône  Abraamius  ou  Ariat,  chrétien  fort 
zélé,  qui  se  conduisit  par  les  conseils  de  saint  Grégence.  Ce  saint  évêque 
eut  une  conférence  publique  avec  les  Juifs,  où  la  vraie  religion  triompha. 


1.  Les  Syriens  et  les  Arabes  l'appellent  Dsunowa. 


SAINT  VINCENT,   SAINTE   SABINE  ET  SAINTE   CHRISTÈTE,   MARTYRS.  657 

Il  écrivit  aussi  contre  les  vices  un  livre  que  nous  avons  encore  en  grec,  et 
qui  est  dans  la  bibliothèque  impériale  de  Vienne.  Il  mourut  le  19  décem- 
bre 552. 

Saint  Elesbaan,  suivant  Baillet,  ne  fut  pas  plus  tôt  de  retour  dans  ses 
Etats,  qu'il  abdiqua  la  couronne.  Mais  on  lit  dans  la  légation  de  Nonnus, 
qu'il  régnait  à  Axuma,  capitale  de  l'Ethiopie,  plusieurs  années  après  la 
guerre  dont  nous  venons  de  parler.  Ce  bon  prince,  dégoûté  enfin  du 
monde,  laissa  le  gouvernement  à  son  fils,  qui  fut  héritier  de  son  zèle  et  de 
sa  piété.  Il  envoya  son  diadème  à  Jérusalem  ;  puis,  s'étant  déguisé,  il  sortit 
de  la  ville  pendant  la  nuit,  et  alla  se  renfermer  dans  un  monastère  situé 
sur  une  montagne  déserte.  Il  n'emporta  avec  lui  qu'une  coupe  pour  boire  et 
une  natte  pour  se  coucher.  Il  ne  vécut  plus  désormais  que  de  pain,  auquel  il 
joignait  de  temps  en  temps  quelques  herbes  crues.  L'eau  devint  son  unique 
boisson.  Il  voulut  être  traité  comme  les  autres  frères,  et  il  était  toujours  le 
premier  aux  différents  exercices.  Il  n'eut  plus  de  communication  avec  les 
personnes  du  monde,  afin  de  se  livrer  tout  entier  à  l'exercice  de  la  prière 
et  de  la  contemplation.  Il  est  nommé  en  ce  jour  dans  le  martyrologe 
romain. 

On  le  représente  quelquefois  comme  solitaire,  agenouillé  devant  une 
croix,  et  la  couronne  à  terre  près  de  lui. 

Godsscard. 


SAINT  VINCENT,  SAINTE  SABINE  ET  SAINTE  CHRISTÈTE, 

MARTYRS  A  ATOA,  EN  ESPAGNE  (vers  304). 

Dacien,  ce  cruel  exécuteur  de  la  rage  des  empereurs  Dioclétien  et  Maximien,  étant  venu  en 
Espagne,  plutôt  pour  persécuter  les  chrétiens  que  pour  en  gouverner  les  provinces,  fit  arrêter  saint 
Vincent,  qu'on  lui  déféra  comme  un  des  plus  zélés  défenseurs  du  culte  de  Jésus-Christ.  Pour  tâcher 
de  corrompre  sa  foi,  il  lui  démontra  que  c'était  une  folie  de  s'exposer  à  perdre  la  vie  à  la  fleur  de 
son  âge  par  de  cruels  supplices,  pour  défendre  l'honneur  d'un  homme  que  les  Juifs  avaient  crucifié, 
et  qu'il  ferait  beaucoup  mieux  d'obéir  aux  ordres  des  empereurs  qui  commandaient  de  sacrifier  aux 
dieux.  Mais,  voyant  que  le  saint  martyr,  bien  loin  de  se  rendre  à  ses  désirs,  confessait  généreuse- 
ment la  divinité  de  Jésus-Christ,  et  déclamait  contre  Jupiter,  lui  reprochant  d'avoir  été  un  inces- 
tueux et  un  adultère,  il  commanda  qu'on  le  menât  devant  sa  statue,  et  que,  s'il  ne  lui  offrait  de 
l'encens,  il  fût,  à  l'heure  même,  torturé,  déchiré,  rompu  de  coups,  et  enfin  mis  à  mort  par  le  der- 
nier supplice. 

Les  bourreaux  se  saisirent  aussitôt  de  lui  et  l'entraînèrent  an  lien  désigné  par  le  président; 
mais,  par  un  grand  miracle,  ayant  mis  le  pied  sur  une  pierre  dure,  Vincent  y  imprima  son  vestige, 
de  même  que  si  c'eût  été  de  la  cire  molle  ;  les  bourreaux  en  furent  tellement  touchés,  que,  pour 
avoir  le  temps  de  se  faire  instruire  des  mystères  de  la  religion  chrétienne,  ils  retournèrent  à  Da- 
cien ;  et,  feignant  que  Vincent  demandait  trois  jours  pour  délibérer,  ils  obtinrent  de  lui  cette  sur- 
séance. Pendant  ce  temps,  ils  le  retirèrent  chez  eux  :  Sabine  et  Christète,  sœurs  de  notre  invin- 
cible Martyr,  le  vinrent  voir;  et,  se  jetant  à  ses  pieds,  elles  le  prièrent  et  le  conjurèrent  avec 
larmes,  de  prendre  la  fuite  avec  elles  pour  leur  servir  de  père  et  de  mère  et  être  leur  soutien  dans 
la  rigueur  de  cette  persécution.  Vincent  eut  bien  de  la  peine  à  le  faire;  mais,  enfin,  considérant 
la  jeunesse  de  ces  Vierges,  et  qu'elles  pourraient  succomber  à  la  cruauté  des  supplices  si  elles 
n'étaient  soutenues  par  ses  exhortations  et  par  son  exemple,  il  usa  de  la  liberté  que  lui  donnèrent 
ceux  qui  le  retenaient,  et  se  retira  avec  ses  sœurs  à  Avila.  Le  président  en  fut  bientôt  averti,  et 
il  envoya  en  même  temps  des  cavaliers  pour  les  suivre.  Ils  les  atteignirent  en  cette  ville;  et, 
comme  ils  avaient  ordre  de  les  tourmenter  et  de  les  faire  mourir,  ils  exercèrent  contre  ces  inno- 
centes victimes  toutes  les  cruautés  dont  l'impiété  est  capable.  Enfin,  après  avoir  disloqué  tous  leurs 
Vies  des  Saints.  —  Tome  XII.  42 


638  27  OCTOBRE. 

membres  sur  le  chevalet  et  leur  avoir  déchiré  le  corps  à  coups  de  fouet,  ils  leur  mirent  la  tête  sur 
des  pierres  et  la  leur  écrasèrent  avec  des  cailloux  et  des  leviers. 

Leurs  dépouilles  sacrées  demeurèrent  ensuite  exposées  à  la  voirie  pour  être  dévorées  par  les 
animaux;  mais,  ô  conduite  admirable  de  la  divine  Providence  !  un  serpent  d'une  grosseur  prodi- 
gieuse, qui  causait  de  grands  maux  dans  le  pays,  sortit  des  rochers  voisins  de  la  ville  pour  les 
venir  garder.  Un  Juif  s'étant  donc  approché  pour  les  insulter,  il  fut  saisi  par  ce  monstre  et  n'é- 
chappa à  sa  cruauté  que  par  une  promesse  qu'il  fit  d'embrasser  la  religion  chrétienne,  de  donner 
une  sépulture  honorable  aux  Martyrs,  et  de  faire  bâtir  une  église  en  leur  honneur.  11  accomplit 
depuis  tout  ce  qu'il  avait  promis. 

Le  serpent  qui  garda  les  dépouilles  sacrées  des  martyrs  est  leur  caractéristique  la  plus  ordi- 
naire. —  On  les  représente  aussi  en  groupe,  comme  ayant  souffert  ensemble  le  martyre. 

On  trouve  l'office  de  saint  Vincent  et  de  ses  sœurs  dans  les  anciens  Bréviaires  et  Missels  des  Moza- 
rabes. —  Nous  avons  conservé  le  récit  du  Père  Giry. 


SAINT  DIDIER,  ÉVÊQUE  D'AUXERRE  (621).       i 

Saint  Didier,  originaire  d'Aquitaine,  était  proche  parent  de  la  reine  Brnnehaut,  et  possesseur 
d'un  grand  nombre  de  terres.  Placé  sur  le  siège  d'Auxerre  après  la  mort  de  saint  Aunaire,  il  se 
montra  plein  de  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu,  augmenta  considérablement  l'église  de  Saint-Etienne, 
sa  cathédrale,  y  fit  élever  un  grand  dôme  du  côté  de  l'orient,  et  embellit  le  sanctuaire  d'or  et 
d'ouvrages  en  mosaïque.  Ce  saint  prélat  institua  sa  cathédrale  héritière  d'une  grande  partie  de  ses 
biens  :  l'acte  de  ce  testament  existait  encore  au  ixe  siècle. 

Comme  il  avait  choisi  l'église  de  Saint-Germain  pour  sa  sépulture,  à  l'exemple  de  ses  prédéces- 
seurs, il  lui  ût  aussi  des  legs  considérables.  11  distribua  le  reste  de  ses  biens  aux  autres  églises  des 
environs  d'Auxerre,  et  aux  pauvres  qu'il  aima  toujours  beaucoup.  Après  avoir  gouverné  son  diocèse 
pendant  dix-huit  ans  et  vingt-cinq  jours,  il  cessa  de  vivre  le  27  octobre  621.  A  sa  mort,  on  compta 
qu'il  avait  affranchi  plus  de  deux  mille  serfs.  Ses  reliques  furent  retirées  de  Saint-Germain  et  don- 
nées à  l'église  de  Montiers-en-Puisaye,  le  16  août  1035  ;  mais  elles  eurent  le  même  sort  que  celles 
de  son  prédécesseur  :  les  Huguenots  les  dispersèrent.  Le  nom  de  saint  Didier  se  trouve  dans  le 
Martyrologe  que  Nivelon,  moine  de  Corbie,  écrivit  au  ix«  siècle. 

Gaiiia  christiana 


SUPPLÉMENT 


XXIIe  JOUR  D'OCTOBRE 


SAINT  EUCAIRE,  ÉYÈQUE,  MARTYR, 

PRÈS  DE  POMPEY,  AU  DIOCÈSE  DE  NANCY. 


Nous  allons  compléter  ce  que  nous  avons  dit  du  culte  de  ce  saint 
Évêque,  pages  529  et  530  de  ce  volume,  en  donnant  l'hymne  des  Vêpres 
du  Saint,  tirée  du  bréviaire  Toulois  de  1595. 


HYMNE  DE  SAINT  EUCAIRE. 


Aima  mater  Ecclesia 
Solemnizet  in  gaudio, 
Totaque  Lotharingia 
Digue  psallat  Euchario. 

Hic  ex  clara  progenie 
Claram  traxit  originem, 
Irnitatus  quotidie 
Pareutum  sanctitudinem. 

Hic  illustrem  Eliphium 
Fratrem  germanum  habuit 
Qui  per  lidei  radium 
In  urbe  Leuca  claruit. 

Hi  duo  clari  moribus, 
Cura  sorore  Libaria, 
Susanna,  Meima,  plebibus 
Dati  sunt  solatia. 

Ipsorum  pater  Paccius, 
Mater  Lientrudis  dicitur, 
Quorum  proies  uberius 
Deo  devota  noscitur. 

Sauctum  tamen  Eucbarium. 
Ac  virtutum  opificem 
Urbs  Grandis  et  conûnium 
Habuit  in  ponlificem. 

Julianus  Apostata 
Sacrum  caput  Eucharii, 
Sacra  conlemuens  dogmata, 
Truncavit  ictu  gladii. 

1.  Cette  assertion  fournit  matière  à  controverse. 


Que  l'Eglise  ,  notre  bienfaisante  Mère  , 
célèbre  joyeusement,  que  toute  la  Lorraine 
chante   dignement  le  martyr  .Eucaire. 

Il  tire  son  origine  d'une  illustre  race , 
constamment  il  imite  la  piété  de  ses  pa- 
rents. 


Il  eut  pour  frère  germain  le  glorieux 
Elophe  dont  l'éclatante  foi  resplendit  dans  la 
ville  de  Toul. 


Tous  deux,  de  mœurs  exemplaires,  furent 
donnés  aux  populations  comme  protecteurs, 
avec  leurs  sœurs  Libaire,  Menne  et  Susanne. 

Leur  père  se  nommait  Baccius,  leur  mère 
Lientrude,  dont  la  pieuse  famille  est  surabon- 
damment connue  de  Dieu. 


Cependant  la  ville  de  Grand  et  ses  con- 
fins 1  eut  pour  évêque  saint  Eucaire,  exemple 
de  vertus. 

Julien  l'Apostat,  ce  contempteur  des  dogmes 
sacrés,  trancha,  par  le  glaive,  le  chef  véné- 
rable d'Eucaire. 


660 


SUPPLÉMENT.   —  23   OCTOBRE. 


Sic  necavit  Eliphtum 
Ac  sororem  Libariam, 
Non  evadens  judicium, 
Hos  transmisit  ad  gloriam. 

Patri,  Nato,  Paraclito 
Laus,  honor,  virtus,  gloria, 
Qui  nos  Sanctorum  merito 
Perducat  ad  cœlestia.  Amea. 


Ainsi  fit-il  périr  Elophe,  et  Libaire  sa 
sœur;  il  les  fit  passer  dans  la  gloire,  sans 
pouvoir  se  soustraire  au  jugement  de  Dieu. 


Au  Père,  au  Fils,    au  Paraclet,  louange, 
honneur,  gloire,  vertu.  Que,  par  les  mérites  de 
ces  Bienheureux,  ils  nous  conduisent  aux  cieux. 
Ainsi  soit-il. 


Dû  11  l'obligeance  de  M.  l'abbé  Guillaume,  aumônier  de  la  chapelle  ducale  de  Nancy. 


XXIIIe  JOUR  D'OCTOBRE 


SAINT  AMON, 

DEUXIÈME  ÉVÊQUE  DE  L'ANCIEN  SIÈGE  DE  TOUL. 

Entre  les  disciples  que  le  bienheureux  Mansuy  prit  soin  de  former 
aux  règles  de  la  foi  et  des  mœurs,  afin  qu'après  son  trépas  ils  se  trou- 
vassent comme  ses  aides  et  de  fidèles  administrateurs  pour  cultiver  la  vigne 
de  Jésus-Christ,  Amon  est  cité  comme  l'un  des  plus  distingués  par  les  pro- 
grès que,  sous  un  tel  maître,  il  fit  dans  la  doctrine  et  la  piété,  jusque-là 
qu'il  mérita  d'être  choisi,  d'une  voix  unanime,  pour  lui  succéder  dans  le 
gouvernement  de  l'Eglise  de  Toul.  Placé  à  ce  rang  élevé,  il  n'eut  rien  plus 
à  cœur  que  de  consoler  les  fidèles,  à  la  façon  des  chrétiens,  de  la  perte 
d'un  père  si  saint  et  si  rempli  de  sollicitude,  et  de  les  réjouir  en  usant,  à  leur 
égard,  de  la  bienveillance  affectueuse  dont  il  les  avait  environnés,  arrosant 
des  eaux  de  la  doctrine  évangélique  ces  tendres  arbustes,  auparavant  plan- 
tés par  Mansuy  avec  tant  de  sollicitude  et  d'ardeur. 

Aux  travaux  donc  et  aux  fatigues  d'Amon  pour  la  propagation  de  la  re- 
ligion du  Christ  Seigneur,  Dieu  donna  un  tel  et  si  heureux  accroissement, 
qu'en  peu  d'années,  ayant  abandonné  et  détruit  les  simulacres  des  faux 
dieux,  les  populations  accouraient  à  l'envie  dans  les  camps  du  Seigneur, 
malgré  les  frémissements  et  les  oppositions  du  démon  qui,  ne  pouvant  sans 
irritation  supporter  d'être  troublé  dans  la  possession  de  ses  domaines,  ne 
cherchait  rien  tant  que  de  retarder  et  d'entraver  l'heureux  avancement  de 
l'Evangile.  Il  fit  tant  par  son  astuce  que,  par  l'impiété  de  Domitien  qui 
persécuta  les  chrétiens,  le  bienheureux  Amon,  comme  un  autre  Athanase, 
fut  contraint  de  s'enfuir  et,  pour  se  conserver  à  ses  brebis  en  des  temps 
meilleurs,  de  se  cacher  dans  les  antres  et  les  forêts. 

Dans  sa  solitude,  il  se  fit  construire  un  oratoire  et  une  cellule,  où  il  em- 
ployait la  meilleur  partie  de  son  temps  à  la  méditation  des  choses  divines, 
menant  sur  la  terre  une  vie  toute  céleste:  et  comme,  en  raison  de  la  per- 
sécution, il  ne  pouvait,  selon  sa  coutume  et  son  devoir,  nourrir  son  trou- 
peau de  la  prédication  du  Verbe  fait  chair,  il  le  soutenait  par  l'ardeur 


SAINT  AMON,   DEUXIÈME   ÉVÊQUE  DE  L'ANCIEN  SIEGE  DE  TOUL. 


661 


de  ses  prières  et  de  ses  vœux.  Or  le  lieu  où  il  s'était  retiré  s'appelle  encore 
aujourd'hui  la  forêt  d'Amon  ',  au  quatrième  milliaire  *  de  la  ville  épis- 
copale. 

Il  y  était  visité  par  les  populations  fidèles  qui  lui  apportaient,  en  secret, 
les  choses  nécessaires  à  la  vie  et  qu'en  retour  il  encourageait  par  ses 
instructions,  exhortait  à  la  persévérance  dans  la  foi  et  dans  la  pratique  des 
vertus  chrétiennes.  Après  avoir  traversé  une  vie  de  travaux  et  semée  de 
dangers,  arrivé  au  port  de  l'éternelle  fccilité,  il  s'endormit  dans  le  Sei- 
gneur et  fut  déposé  dans  le  tombeau  de  son  maître,  ainsi  qu'il  l'avait  de- 
mandé. 

Dans  la  suite,  Herman,  personnage  religieux  et  évoque  de  Toul  8,  sous 
l'empereur  Henri-Conrad,  prit  soin  de  faire,  avec  pompe,  la  translation  de 
ses  restes  vénérables  dans  l'église  Cathédrale  où  ils  ont  été,  jusqu'aux  mau- 
vais jours  de  la  Révolution,  l'objet  d'un  culte  particulier. 

HYMNE  EN  L'HONNEUR  DE   SAINT  AMON. 

Cbantez  cet  arc-en-ciel  resplendissant  au 
sein  de  nuées  de  gloire,  chantez  son  éclatante 
tendresse,  chantez  la  lumière  de  cette  Eglise. 


Arcum  cœli  perfulgidum 
Inter  nebulas  glori» 
Die  amorem  praenitidum 
Lumen  hujus  Ecclesi». 

Ilic  Mansueto  praesuli 
Successit  in  officio, 
Quem  secreto  tumuli 
Digno  clauserat  studio. 

Prsedecessoris  gloriam 
Ilœc  successoris  non  minuit 
Qui  sectando  justitiam 
Dévote  Deum  coluit. 

Hic  coercet  a  gregibus 
Lupum  rapacem  strenue, 
Sacris  orationibus 
Deo  vacans  assidue. 

Pastor  suavi  pabulo 
Gregem  pascebat  jugiter, 
Dum  praedicabat  populo 
Verbum  Dei  ûdeliter. 

Ortam  labem  haereticam 
Exclusit  a  Tullensibus 
Atque  fîdem  catholicam 
Reformavit  in  omnibus. 

Dum  adest  Sancti  transitus 
Lapso  vitœ  curriculo, 
Ad  votum  est  reconditus 
In  Mansueti  tumulo. 

Dehinc  alumnum  gratiae 
Praesul  Hermannus  transtulit 
Ac  matrici  ecclesiae 
Hune  venerandum  coluit. 

Felicis  vitae  terminum 
Commendant  bénéficia. 
Data  filiis  hominum 
Per  ipsius  suffragia. 


Amon  succéda  dans  sa  change  à  l'évêque 
Mansuy,  après  l'avoir  honorablement  enfermé 
dans  la  solitude  du  tombeau. 


La  gloire  du  successeur  qui  dévotement 
servit  Dieu,  en  pratiquant  la  justice,  ne  fut  pas 
moindre  que  celle  de  son  prédécesseur. 

Constamment  occupé  de  Dieu  dans  de  saintes 
oraisons,  il  écarta  vigoureusement  de  son  trou- 
peau le  loup  ravisseur. 

Ce  bon  pasteur  paissait  assidûment  son 
troupeau  d'une  exquise  nourriture,  en  prêchant 
avec  fidélité  au  peuple  la  parole  de  Dieu. 

Il  éloigna  du  milieu  des  Toulois  le  fléau  de 
l'hérésie,  qui  s'y  était  montré,  et  les  rétablit 
tous  dans  les  pratiques  de  la  foi  catholique. 

Lorsque,  ayant  achevé  sa  course  mortelle, 
arriva  le  trépas  de  ce  Bienheureux,  ainsi  qu'il 
avait  souhaité,  son  corps  fut  déposé  dans  le 
tombeau  de  saint  Mansuy. 

De  là  l'évêque  Herman  transféra  ce  fidèle 
disciple  de  la  grâce  divine  dans  la  mère  église 
et  l'offrit  à  la  vénération  des  fidèles. 


Les  bienfaits  accordés  aux  enfants  des 
hommes  par  son  intercession  font  assez  con- 
naître quelle  a  été  la  fin  de  son  heureuse  vie. 


1.  Dans  la  paroisse  de  Goviller,  canton  de  Vézelise. 

2.  A  la  quatrième  borne  de  mille  pas,  environ  de  15  a  1,800  mètres  de  l'une  à  l'autre  borne 
8.  Le  39»,  de  1020  à  1026. 


662 


SUPPLÉMENT.   —    23   OCTOBRE. 


Sanant  leprae  contagia 
Sancti  mérita  prœsulis 
Ac  febrium  incendia, 
Dum  pulsatur  a  populis. 

Cœcis  visura  restituit, 
Corda  cufans  et  corpora 
Se  benignum  exhibuit 
Cunctis  perlonga  tempora. 

Hune  reges  cum  principibui 
Coluerunt  mirifice 
Magnis  locom  muneribus 
Ditantes  honorifice. 

Patri,  Nato,  Paraclito 
Decus,  honor,  imperinm; 
Amonis  sancti  merito 
Nobis  accrescat  gaudium. 


Amen. 


Par  les  mérites  de  ce  saint  prélat,  lorsque 
les  peuples  les  invoquent,  la  lèpre  disparaît  et 
cesse  de  répandre  la  contagion,  se  calment 
aussi  les  ardeurs  de  la  fièvre. 

Amon  rend  la  vue  aux  aveugles,  et  depuis 
des  siècles,  il  se  montre  bienfaisant  en  guéris- 
sant  les  plaies  de  l'âme  et  celles  du  corps. 

Les  rois  et  les  uissants  l'ont  honoré  avec 
magnificence ,  en  enrichissant  son  tombeau 
d'offrandes  précieuses  et  multipliées. 


Au  Père,  au  Fils,  au  Paraclet,  gloire,  hon- 
neur, puissance;  et  que  par  les  mérites  de  saint 
Amon  s'augmente  en  nous  la  joie  pure  et 
véritable.  Ainsi  soit-il. 


Tiré*  de  la  Semaine  religieuse  de  la  Lorraine, 


lîtf  DU  TOME  DOUZJÈMK 


TABLE  DES  MATIÈRES 


OCTOBRE 


III»  JOUR. 


Page». 


Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 1 

S*  Romaine  de  Rome,  vierge  et  martyre 

à  Beauvais 4 

S.  Leudomir  ou  Lumier  de  Limoges,  dix- 
huitième  évêque  de  Châlons-sur-Marne 
et  confesseur 6 

S»  Manne  ou  Menne,  vierge,  au  diocèse  de 

Châîons-sur-Marne 9 

S.  Cyprien  de  Marseille,  évèque  de  l'an- 
cien siège  de  Toulon,  diocèse  de  Fié- 
jus 10 

Les  deux  SS.  Ewald,  frères,  prêtres  et  mar- 
tyrs en  Weslphalie 10 

Le  B.  Jean  Massias  d'Espagne,  religieux 
dominicain  au  monastère  de  Sainte- 
Madeleine  de  Lima 11 

IV»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 42 

S.  François  d'Assise,  confesseur,  ronda- 

teur  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs..      15 

S4  Domnine  et  ses  deux  filles,  Bérénice  et 

Prosdoce,  martyres  en  Syrie 45 

S.  Àmmon  ou  Amon,  fondateur  des  ermi- 
tages de  Nitrie,  en  Egypte 46 

S»  Aure  ou  Aurée,  vierge  et  abbesse  à 
Paris 47 

V»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 47 

S.  Apollinaire,  évèque  de  Valence  et  con- 
fesseur       50 

S.  Placide  de  Ron^e  et  ses  compagnons, 

martyrs  à  Messine,  en  Sicile 57 

S*  Enimie  ou  Enémie,  vierge  et  abbesse 

au  diocèse  de  Mende 60 

S.  Madalvé  ou  Mauve,  évêque  de  Verdun 

et  confesseur 67 

S.  Simon  de  Crespy-en- Valois,  moine  de 


Pages. 
Saint-Oyend  et  confesseur 12 

Se  Flore  ou  Fleur,  vierge,  à  l'Hôpital- 
Beaulieu  (flôpital-Isseudolus),  au  dio- 
cèse de  Cahors 76 

S»  Galla  de  Rome,  veuve  et  recluse.....      86 

Se  Aurée,  supérieure  de  religieuses  à 
Amiens 87 

S.  Maurice  ou  Moriz  ,  abbé  des  monas- 
tères Cisterciens  de  Langonet  et  de 
Carnoet,  en  Bretagne 87 

VI*  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 8$ 

S.  Bruno  de  Cologne,  prêtre  et  confes- 
seur, fondateur  de  l'Ordre  des  Char- 
treux        91 

Sainte  Marie-Françoise  des  Cinq  Plaies  de 
Jésus,  vierge  du  Tiers  Ordre  de  Saint- 
François  d'Assise 103 

S.  Pardulphe  ou  Pardoux  de  Sardent,  abbé 

et  patron  de  Guéret 119 

Translation  de  S.  Prudent  ou  Prouents,  mar- 
tyr, a  l'abbaye  de  Bèze,  diocèse  de 
Dijon ; 12! 

VII»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 123 

S8  Justine  de  Padoue,  vierge  et  martyre, 

patronne  de  la  ville  de  Padoue 126 

S.  Pa liais  ou  Pallade,  évêque  de  Saintes 

et  confesseur 128 

S.  Arthaud,  fondateur  de  la  Chartreuse 
d'Arvières  en  Valromey,  quarante- 
huitième  évèque  de  Belley 135 

Les  SS.  Serge  et  Bacque,  chevaliers  ro- 
mains et  martyrs 150 

S.  Auguste  ou  Août,  abbé  de  Saint-Sym- 

phorien  et  confesseur 151 

Le  B.  Matthieu  Carrieri  de  Mantoue,  de 

l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs 152 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


vme  JOUR. 


Pages. 


Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.   Divers 153 

Dédicace  de  Notre-Dame  des  Doms,  église 

métropolitaine  d'Avignon..... 155 

S«  Benoite  de  Rome,  vierge  et  martyre  à 

Origny,  au  diocèse  de  Soissons 160 

Se  Pélagie  d'Antioche,  pénitente 163 

S»  Brigitte  de  Suède,  veuve,  fondatrice  de 

l'Ordre  du  Sauveur 167 

Le  saint  vieillard  Siméon  et  la  prophétesse 

Anne 175 

S.  Calétric  ou  Caltry,  évêque  de  Chartres 

et  confesseur 176 

S*  Valsrie  et  S«  Pollène,  vierges 177 

S«  Refroy  oa  Reufroie,  abbesse  du  monas- 
tère bénédictin  de  Denain 178 

IX*  JOUR. 

Maityrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  D;  pfci 179 

Abram  ou  Abraham  d'Ur,  en  Chaldée, 
père  de  la  nation  juive,  et  Saraï  ou 
Sara,  son  épouse 182 

S.  Denis  l'Aréopagite,  premier  évèque 
d'Athènes  et  de  Paris,  S.  Rustique  et 
S.  Eleuthère.  ses  compagnons,  martyrs.    192 

S.  Ghislain  ou  Guillain,  évêque  d'Athènes, 
fondateur  du  monastère  de  la  Celle, 

en  Belgique 209 

S.  Savin  de  Barcelone,  anachorète  et 
apôtre  du  Lavedan 214 

S.  Goswin  do  Douai,  septième  abbé  du  mo- 
nastère d'Acichm,  au  diocèse  de  Cam- 
brai     222 

S.  Louis  Bertrand  de  Valence,  de  l'Ordre 

de  Saint-Dominique 228 

S«  Publie  d'Antioche,  abbesse 234 

S.  Andronic  d'Alexandrie,  et  S«  Athanasie 
ou  Anastasie,  son  épouse,  solitaires.    235 

X*  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 236 

S.  Eulampe  et  S0  Eulampie,  sa  sœur,  mar- 
tyrs à  Nicomédie,  en  Bithynie 239 

Se  Tanche  de  Saint-Ouen,  vierge  et  mar- 
tyre au  diocèse  de  Troyes 241 

S.  François  de  Borgia,  confesseur,  duc  de 
Gandie,  puis  troisième  Général  de  la 
Compagnie  de  Jésus 245 

S«  Thelchide  ou  Théléhilde,  vierge,  pre- 
mière abbesse  de  Jouarre,  au  diocèse 
de  Meaux 256 

Le  B.  Hugues  de  Mâcon,  évèque  d'Auxerre 
et  confesseur 257 

XI*  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 258 

S.  Nicaise  ou  Nigaise,  premier  archevêque 


Pages, 
de  Rouen,  et  ses  compagnons,  mar- 
tyrs à  Ecos,  au  diocèse  d'Evreux....    261 

S.  Germain,  évêque  de  Besançon,  martyr 

à  Grandfontaine,  au  même  diocèse..     264 

S.  Taraque,  S.  Probe,  et  S.  Andronic,  mar- 
tyrs à  Anazarbe,  en  Cilicie 266 

S.  Grat  de  Lichos,  premier  évèque  connu 
de  l'ancien  siège  d'Oloron  et  confes- 
seur     275 

S0  Eusébie  et  ses  compagnes,  vierges  et 
martyres  à  Marseille 277 

S.  Gomer  ou  Gumar  d'Emblehem,  confes- 
seur, au  diocèse  d'Anvers. 281 

Se  Bertille,  veuve,  recluse  à  Marœuil,  au 
diocèse  d'Arras 284 

S.  Wasnulphe  ou  Wasnon  d'Ecosse,  pa- 
tron de  Condé,  au  diocèse  de  Cam- 
brai     284 

S.  Bruno  le  Grand,  archevêque  de  Co- 
logne et  confesseur 286 

XII*  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 287 

S.  Edwin  ou  Edouin,  roi  de  Northumbrie 

et  martyr,  patron  d'York 290 

S.  Wilfrid  ou  Wilferder  d'Angleterre,  ar- 
chevêque d'York  et  confesseur 296 

S°  Spérie,  vierge  et  martyre,  patronne  de 

Saint-Céré,  au  diocèse  de  Cahors...    299 

Le  B.  Jacques  d'Ulm  ou  l'Allemand,  reli- 
gieux dominicain  à  Bologne 304 

S.  Séraphin  de  Monte-Granaro,  frère  lai 
de  l'Ordre  des  Capucins 305 

Xllle  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 307 

S.  Géraud  ou  Gérault  d'Auvergne,  comte 
d'Aurillac  et  confesseur 309 

S.  Edouard  III,  le  confesseur,  roi  d'Angle- 
terre     313 

Les  SS.  Daniel,  Samuel,  Donule,  Léon, 
Hugolin,  Nicolas  et  Ange,  Frères  Mi- 
neurs, martyrs  à  Ceuta,  en  Maurita- 
nie  ." 323 

S.  Théophile,  sixième  évêque  d'Antioche 
et  confesseur 326 

S.  Venant  ou  Venance,  abbé  de  Saint- 
Martin  de  Tours 327 

S.  Léobon  de  Saint-Etienne  de  Fursac,  so- 
litaire, au  diocèse  de  Limoges 328 

XIV*  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 329 

S.  Calixte  ou  Calliste  Ier,  pape  et  mar- 
tyr      331 

S*  Ménehould  de  Perthes,  vierge,  patronne 

de  Bienville,  au  diocèse  de  Langres.    336 
S«  Angadrème  de  Renty,  vierge,  abbesse 


TABLE  DES   MATIERES. 


Pages. 
del'Oroer,  au  diocèse  de  Beauvais..    339 

S.  Burchard  ou  Burckard,  premier  évèque 
de  Wurtzbourg  et  confesseur 342 

S.  Dominique  l'Encuirassé,  pénitent,  reli- 
gieux à  Font-Avellane,  en  Italie... ••    343 

XV«  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 
religieux.  Divers 344 

S.  Léonard  de  Vandœuvre ,  solitaire  et 
abbé  au  diocèse  du  Mans 347 

S.  Euthyme  d'Opso,  ou  le  Thessalonicien, 
abbé  et  confesseur 350 

S8  Thérèse  d'Àvila,  vierge,  fondatrice  des 
Carmes  et  des  Carmélites  déchaussés.    356 

S.  Cannât,  évêque  de  Marseille  et  confes- 
seur      379 

S.  Brunon  ou  Boniface,  apôtre  des  Ruthènes 
et  martyr 380 

Se  Aurélie,  fille  de  France,  vierge  et  soli- 
taire au  diocèse  de  Ratisbonne 381 

XVIe  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 
religieux.  Divers 382 

S.  Gall  d'Irlande ,  fondateur  et  premier 
abbé  du  monastère  bénédictin  de  Saint- 
Gall,  en  Suisse 385 

S.  Mommolin  de  Constance,  abbé  de  Saint-  ' 
Bertin,  puis  évèque  de  Noyon  et  de 
Tournai 394 

S.  Berchaire  d'Aquitaine,  abbé  de  Haut- 
villers  et  de  Montier-en-Der,  martyr 
au  diocèse  de  Langres 397 

S.  Bertrand,  archidiacre  de  Toulouse,  dix- 
neuvième  évêque  de  l'ancien  siège  de 
Comminges 400 

S.  Grat  et  S.  Ansute,  martyrs  en  Rouergue    405 

S.  Elophe,  martyr  près  de  Soulosse,  au 
diocèse  de  Saint- Dié 406 

S«  Bologne  de  Grand,  vierge  et  martyre 
au  diocèse  de  Langres 407 

S.  Dulcide,  évêque  d'Agen  et  confesseur .    407 

S.  Baudouin  ou  Baudoin,  chanoine-archi- 
diacre de  Laon,  et  martyr 408 

S.  Ambrois  ou  A mbroix,  évèque  de  Cahors 
et  confesseur 409 

XVil»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 
religieux.  Divers 409 

S«  Anstrude,  abbesse  du- monastère  béné- 
dictin de  Saint-Jean-Baptiste  de  Laon.    412 

S»  Hedwige  ou  Ravoie,  veuve,  duchesse 
de  Pologne 414 

La  Be  Marguerite-Marie  Alacoque,  reli- 
gieuse de  la  Visitation,  à  Paray-le- 
Monial,  au  diocèse  d'Autun 421 

S«  Soline,  vierge  et  martyre  au  Poitou...     437 

S.  Béraire  Ier,  évèque  du  Mans  et  confesseur    438 

S.  André  de  Crète,  martyr  à  ConstantinoDle    439 


XVIII»  JOUR. 


III 
Pages. 


Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 440 

S.  Luc  d'Antioche,  évangéliste 441 

S.  Just  d'Auxerre,  enfant,  martyr  en  Beau- 
vaisis 447 

XIX»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 
religieux.  Divers 451 

Le  B.  Thomas  Hélye  de  Biville,  prêtre, 

aumônier  de  S.  Louis 453 

S.  Pierre  d'Alcantara,  confesseur,  de  l'Or- 
dre de  Saint-François 457 

S.  Aquilin  de  Bayeux,  évêque  d'Evreux  et 
confesseur 464 

S.  Théoffroy  d'Orange,  troisième  abbé  de 

Saint-Chaffre,  au  diocèse  du  Puy. ...    465 

Se  Frideswide  ou  Frewisse,  vierge  et  ab- 
besse à  Oxford,  en  Angleterre 466 

XX«  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 
religieux.  Divers 467 

Les  Martyrs  d'Agen  :  S.  Caprais,  S»  Foi, 
Se  Alberte,  sœur  de  Se  Foi,  S.  Prime, 
S.  Félicien,  et  un  grand  nombre  d'au- 
tres, massacrés  par  la  foule 469 

S.  Adérald ,  chanoine  et  archidiacre  de 
Troyes 476 

S.  Jean  de  Renty,  prêtre  séculier,  profes- 
seur de  théologie  à  l'Université  de 
Cracovie 480 

Se  Irène  de  Tomar,  vierge  et  martyre. ...    482 

Le  B.  Humbaud,  cinquante-deuxième  évo- 
que d'Auxerre  et  confesseur 483 

XXI«  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 484 

S.  Hilarion  de  Tabathe,  patriarche  des 

solitaires  de  la  Palestine. .  ^ 486 

S.  Malc  de  Maronie,  religieux  captif 492 

S*  Ursule  et  ses  compagnes,  vierges  et 

martyres  à  Cologne 496 

S.  Walfroy,  diacre  et  stylite  d'Occident, 
solitaire  à  Carignan,  au  diocèse  de 

Reims 498 

S«  Céline  ou  Célinie,  mère  de  S.  Rémi. .    507 

S«  Céline  de  Meaux,  vierge 507 

S.  Astier,  ermite  en  Périgord 508 

S.  Condède,  anachorète  et  moine  de  Fon- 
tenelle 509 

XXII*  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 510 

S.  Aberce,  évêque  d'Hiérapolis,  dans  la 
Petite-Phrygie 513 

S.  Philippe ,  évèque  d'Héraclée ,  et  ses 
compagnons,  martyrs  à  Andrinople, 


IV 


TABLE  DES  MATIERES. 


Pages. 

en  Roumélie 522 

S.  Mellon  ou  Melaine  de  Cardiff,  arche- 
vêque de  Rouen  et  confesseur 526 

S.  Eucaire,  évêque,  martyr  près  de  Pom- 

pey,  au  diocèse  de  Nancy 529 

S.  Lupien  de  Meude,  abbé  de  Saint-Privat, 

martyr  au  diocèse  de  Châlons 531 

S.  Loup,  treizième  évêque  de  Soissons. .  533 

S.  Moderau  ou  Moran,  évêque  de  Rennes.  533 

S.  Benoit  de  Macerac,  abbé,  au  diocèse  de 

Nantes 534 

Le  B.  Ladislas  de  Gielniow,  Frère  Mineur.  535 

XXIU»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 535 

S.  Sève n n  ou  Seurin  d'Aquitaine,  évêque 

de  Cologne,  puis  de  Bordeaux 538 

S.  Romain,  archevêque  de  Rouen 543 

8*  Ulphe,  vierge  et  solitaire,  et  S.  Domice, 

diacre  et  chanoine  de  l'Eglise  d'Amiens  546 
Le  B.  Jean  le  Bon  de  Mantoue,  de  l'Ordre 

des  Ermites  de  Saint- Augustin 552 

8.  Pierre  Paschal,  religieux  de  la  Merci, 

puis  évêque  de  Jaen,  en  Espagne,  et 

martyr 559 

8.  Jean  de  Capistran,  général  de  l'Ordre 

des  Frères  Mineurs  et  légat  du  Saint- 

Siége 564 

S.  Grauen,  martyr  en  Picardie 569 

S.  Léothade,  évêque  d'Auch  et  confesseur.  570 
8.  Lugle  et  S.  Luglien,  martyrs  au  diocèse 

d'Arras 571 

Le  B.  Bertrand,  abbé  de  Grandselve,  au 

diocèse  de  Toulouse 572 

XXIV»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordre» 
religieux.  Divers 573 


Page». 
S.  Senoch  ou  Senou  de  Tiffauges,  abbé  en 

Touraine 57$ 

S.  Magloire,  évêque  de  l'ancien  siège  de 

Dol,  en  Bretagne 578 

S.  Martin  de  Nantes,  abbé  de  Vertou  et  de 

Saint-Jouin-de-Marnes 581 

S.  Ërembert  du  Pecq,  évêque  de  Toulouse 

et  confesseur 894 

XXV*  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 598 

S.  Front  ou  Fronton  de  Lycaonie,  premier 

évêque  de  Périgueux  et  confesseur..  599 
S.  Crépin  et  S.  Crépinien  de  Rome,  mar- 
tyrs à  Soissons 624 

S.  Hilaire  ou  Illier,  évêque  de  Mende. ...  630 

S.  Chrysanthe  et  S*  Darie,  martyrs  à  Rome  633 

S.  Boniface  Ier,  pape  et  confesseur 633 

Le  B.  Jean-Ange  Porro,  religieux  servite.  634 

XXVI»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 635 

S.  Démètre,  premier  évêque  de  Gap 638 

S.  Aptone  ou  Aphtone,  évêque  d' Angoulême  641 
Le  B.  Bonaventure  de  Potenza,  de  l'Ordre 

des  Frères  Mineurs  Conventuels 647 

S.  Evarisle,  pape  et  martyr 652 

XXVII»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 653 

S.  Elesbaan,  roi  d'Ethiopie 656 

S.  Vincent,  S«  Sabine  et  S»  Christète, 

martyrs  a  Avila,  en  Espagne 657 

S.  Didier,  évêque  à' Aiuerre 658 


TABLE  ALPHABETIQUE 


A  Pages. 

S.  Aberce,  évêque  d'Hiérapoîis, 

dans  'a  Petite-Phrygie. .....  22  octob.  513 

Abraham  ou  \brain  d'Ur,en  Chal- 
dée,  père  de  la  nation  juive, 
et  Saral  ou  Sara,  son  épouse.    9    —    182 

Abram  ou  Abraham  d'Ur,  en  Chai- 
dée,  père  de  la  nation  juive, 
et  Sarai  ou  Sara,  son  épouse.    9    —    182 

S.  Adérald,  chanoine  et  archidia- 
cre de  Troyes 20    —    476 

S.  Ambrois  ou  Ambroix,  évêque 

de  Cahors  et  confesseur 16    —    409 

S.  Ambroix  ou   Ambrois,  évêque 

de  Cahors  et  confesseur 16    —     409 

S.  Ammon  ou  Amon ,  fondateur 
des  ermitages  de  Nitrie,  en 
Egypte 4—48 

S.  Amon  ou  Ammon ,  fondateur 
des  ermitages  de  Nitrie,  en 
Egypte 4—48 

S'  Anastasie  ou  Athanasie  et  son 
époux  S.  Andronic  d'Alexan- 
drie, solitaires 9    —    233 

S.  André  de  Crète,  martyr  à  Cons- 

tantinople 17    —    439 

S.  Andronic  d'Alexandrie, et  SeAtha- 
nasie  ou  Anastasie,  son  épou- 
se, solitaires 9    «*■    235 

S.  Andronic,  S.  Taraque  et  S.  Pro- 
be, martyrs  à  Anazarbe,  en 
Cilicie 11    —    266 

§•  Angadrème  de  Renty,  vierge, 
abbesse  de  l'Oroer,  au  dio- 
cèse d»i  Beauvais 14    —    339 

La  prophétesse  Anne  et  le  saint 

vieillard  Siméon 8    —    175 

S*  Anstrude,  abbesse  du  monas- 
tère bénédictin  de  Saint-Jean- 
Baptiste  de  Laon 17    —    412 

S.  Ansute  et  S.  Grat,  martyrs  en 

Rouergue 16    —    405 

S.  Août  ou  Auguste  ,  abbé  de 
SaintrSymphorien  et  confes- 
seur     7    —    151 

S.  Aphtone    ou    Aptone,    évêque 

d'Angoulême 26    —    641 

S.  Apollinaire,  évêque  de  Valence 

et  confesseur 5—50 


Tages. 

S.  Aptone   ou  Aphtone,  évoque 

d'Angoulême 26  octob.  641 

S.  Aquilin    de   Bayeux,    évêque 

d'Evreux  et  confesseur 19    —    464 

S.  Arthaud,  fondateur  de  la  Char- 
treuse d'Arvières  en  Valromey, 
quarante-huitième  évêque  de 
Bellay 7    —    135 

S.  Astier,  ermite  en  Périgord 21    —    508 

S»  Athanasie  ou  Anastasie  et  son 
époux  S.  Andronic  d'Alexan- 
drie, solitaires 9    —    235 

S.  Auguste  ou  Août ,  abbé  de 
Saint-Symphorien  et  confes- 
seur      7    —    151 

S*  Aure  ou  Aurée,  vierge  et  ab- 
besse à  Paris 4    —     47 

Se  Aurée  ou  Aure,  vierge  et  ab- 
besse à  Paris 4—47 

S»  Aurée,  supérieure  de  religieu- 
ses à  Amiens 5—87 

S»  Aurélie,  fille  de  France,  vierge 
et  solitaire  au  diocèse  de 
Batisbonne 15    —    381 

B 

Le3  SS.  Bacque  et  Serge,  cheva- 
liers romains  et  martyrs....    7    —    150 

S.  Baudoin  ou  Baudouin,  chanoine- 
archidiacre  de  Laon,  et  mar- 
tyr   16    —    408 

S.  Baudouin  ou  Baudoin,  chanoine- 
archidiacre  de  Laon,  et  mar- 
tyr   16    —    408 

S.  Benoit  de  Macerac,  abbé,  au 

diocèse  de  Nantes 22    —    534 

Se  Benoîte  de  Rome,  vierge  et 
martyre  à  Origny,  au  diocèse 
de  Soissons 8    —    160 

S.  Beraire  1er,  évêque  du  Mans 

et  confesseur 17    —    438 

S.  Berchaire  d'Aquitaine,  abbé  de 
Hautvillers  et  de  Montier-en- 
Der,  martyr  au  diocèse  de 
Langres 16    —    397 

S»  Béréuice  et  S6  Prosdoce,  et 
S»  Domine,  leur  mère,  mar- 
tyres en  Syrie 4—45 


VI 


TABLE  ALPHABÉTIQUE, 


S«  Bertille,  veuve,  recluse  à  Ma- 
rœuil,  au  diocèse  d'Arras... 

S.  Bertrand,  archidiacre  de  Tou- 
louse, dix-neuvième  évêque 
de  l'ancien  siège  de  Com- 
minges 

Le  B.  Bertrand,  abbé  de  Grand- 
selve,  au  diocèse  de  Toulouse. 

S«  Bologne  de  Grand,  vierge  et 
martyre,  au  diocèse  de  Lan- 
gres 

Le  B.  Bonaventure  de  Potenza,  de 
l'Ordre  des  Frères  Mineurs 
Conventuels 

S.  Boniface  I«r,  pape  et  confes- 
seur   

S.  Boniface  ou  Brunon,  apôtre  des 
Ruthènes  et  martyr 

Se  Brigitte  de  Suède,  veuve,  fon- 
datrice de  l'Ordre  du  Sauveur. 

S.  Bruno  de  Cologne,  prêtre  et 
confesseur,  fondateur  de  l'Or- 
dre des  Chartreux 

S.  Bruno  le  Grand,  archevêque  de 
Cologne  et  confesseur 

S.  Brunon  ou  Boniface,  apôtre  des 
Ruthènes  et  martyr 

S.  Burchard  ou  Burckard,  pre- 
mier évêque  de  Wurtzbourg 
et  confesseur 

8.  Burckard  ou  Burchard,  pre- 
mier évêque  de  Wurtzbourg 
et  confesseur 


Pages. 

iioctob.284 

16 

—    400 

23 

—    572 

16  -  407 

26  —  647 

25  —  633 

15  —  380 

8  —  167 

6—91 

11  —  286 

15  —  380 

14  —  342 

14  —  342 


S.  Calétric  ou  Caltry,  évêque  de 
Chartres  et  confesseur 8 

S.  Calixte  ou  Calliste  I«r,  pape 
et  martyr 14 

S.  Calliste  ou  Calixte  Ier,  pape 
et  martyr 14 

S.  Caltry  ou  Calétric,  évêque  de 
Chartres  et  confesseur 8 

S.  Cannât,  évêque  de  Marseille  et 
confesseur 15 

S«  Céline  de  Meaux,  vierge 21 

S«  Céline  ou  Céli nie,  mère  de  saint 
Rémi 21 

Se  Célinie  ou  Céline,  mère  de  saint 
Rémi 21 

S*  Christète,  S.  Vincent  et  S«  Sa- 
bine, martyrs  à  Avila,  en 
Espagne 27 

S.  Chrysanthe  et  Se  Darie,  martyrs 
à  Rome 25 

S.  Condède,  anachorète  et  moine 
de  Fontenelle 21 

S.  Crépin  et  S.Crépinien  de  Rome, 
martyrs  à  Soissons 25 

S.  Crépinien  et  S.  Crépin  de  Rome, 
martyrs  à  Soissons 25 

S.  Cyprien  de  Marseille,  évêque 
de  l'ancien  siège  de  Toulon, 
diocèse  de  Fréjus 3 


—  176 

—  331 

—  331 

—  176 

—  379 

—  507 

—  507 

—  507 

—  657 

—  633 

—  509 

—  624 

—  624 

—  10 


Pages. 


Les  SS.  Daniel,  Samuel,  Donule, 
Léon,  Hugolin,  Nicolas  et 
Ange,  Frères  Mineurs,  mar- 
tyrs à  Ceuta,  en  Mauritanie.  13  octob.  323 

S»  Darie  et  S.  Chrysanthe,  martyrs 

à  Rome 25    —    633 

S.  Démètre,  premier   évêque  de 

Gap 26    —    636 

S.  Denis  l'Aréopagite,  premier  évê- 
que d'Athènes  et  de  Paris, 
S.  Rustique  et  S.  Eleuthère, 
ses  compagnons,  martyrs....    9    —    192 

S.  Didier,  évêque  d'Auxerre 27    —    658 

S.  Domice,  diacre  et  chanoine  de 
l'église  d'Amiens,  et  S»  Ulphe, 
vierge  et  solitaire 23    —    546 

S.  Dominique  l'Encuirassé,  péni- 
tent, religieux  à  Font-Avel- 
lane,  en  Italie 14    —    343 

S°  Domnine  et  ses  deux  filles, 
Bérénice  et  Prosdoce,  mar- 
tyres en  Syrie 4—45 

S.  Dulcide,  évêque  d'Agen  et  con- 
fesseur   16 


E 

S.  Edouard  III,  le  Confesseur,  roi 

d'Angleterre 13    — 

S.  Edouin  ou  Edwin,  roi  de  Nor- 
thumbrie  et  martyr,  patron 
d'York 12    — 

S.  Edwin  ou  Edouin,  roi  de  Nor- 
thumbrie  et  martyr,  patron 
d'York 12    — 

S.  Elesbaan,  roi  d'Ethiopie 27    — 

S.  Eleuthère  et  S.  Rustique  , 
compagnons  de  S.  Denis 
l'Aréopagite,  premier  évêque 
d'Athènes  et  de  Paris,  martyrs    9    — 

S.  Elophe,  martyr  près  de  Sou- 
losse,  au  diocèse  de  Saint- 
Dié 16    — 

S°  Enémie  ou  Enimie  ,  vierge 
et  abbesse  au  diocèse  de 
Mende 5    — 

Se  Enimie  ou  Enémie ,  vierge 
et  abbesse  au  diocèse  de 
Mende 5    — 

S.  Erembert  du  Pecq,  évêque  de 

Toulouse  et  confesseur 24    — 

S.  Eucaire,  évêque,  martyr  près 
de  Pompey,  au  diocèse  de 
Nancy 22    — 

S.  Eulampe  et  Se  Eulampie,  sa 
sœur,  martyrs  à  Nicomédie, 
en  Bithynie 10    — 

Se  Eulampie  et  S.  Eulampe,  son 
frère,  martyrs  à  Nicomédie, 
en  Bithynie 10    — 

Se  Eusébie  et  ses  compagnes,  vier- 
ges et  martyres  à  Marseille..  11    — 

S.  Euthyme  d'Opso,  ou  le  Thessa- 


407 

313 

290 


290 
656 


192 

406 

60 

60 

594 

529 

239 

239 
277 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


VII 


îonicien,  abbé  et  confesseur. 

S.  Evariste,  pape  et  martyr 

Les  deux  SS.  Ewald,  frères,  prê- 
tres et  martyrs  en  West- 
phalie 


Pages. 
15  OCtob.  350 
26    —    652 


3—10 


Sd  Fleur  ou  Flore,  vierge,  à  l'HÔ- 
pital-Beaulieu  (Hôpital-Issen- 
dolus),  au  diocèse  de  Cahors.    5—76 

Sa  Flore  ou  Fleur,  vierge,  à  l'HÔ- 
pital-Beaulieu  (Hôpital-lssen- 
dolus),  au  diocèse  de  Cahors.    5—76 

S.  François  d'Assise,  confesseur, 
fondateur  de  l'Ordre  des  Frè- 
res Mineurs 4—15 

S.  François  de  Borgia,  confesseur, 
duc  de  Gandie,  puis  troisième 
Général  de  la  Compagnie  de 
Jésus 10    —    245 

Sa  Frewisse  ou  Frideswide,  vierge 
etabbesseàOxford,  en  Angle- 
terre  19    —    466 

S»  Frideswide  ou  Frewisse,  vierge 
et  abbesse  à  Oxford,  en  An- 
gleterre  ...19    —    466 

S.  Front  ou  Fronton  de  Lycaonie, 
premier  évêque  de  Périgueux 
et  confesseur 25    —    599 

S.  Fronton  ou  Front  de  Lycaonie, 
premier  évêque  de  Périgueux 
et  confesseur 25    —    599 


8*  Gall  d'Irlande,  fondateur  et  pre- 
mier abbé  du  monastère  bé- 
nédictin de  Saint-Gall  ,  en 
Suisse 16    —    385 

S»  Galla  de  Rome,  veuve  et  re- 
cluse      5    —     88 

S.  Géraud  ou  Gérault  d'Auvergne, 
comte  d'Aurillac  et  confes- 
seur    13    —    309 

S.  Gérault  ou  Géraud  d'Auvergne, 

comte  d'Aurillac  et  confesseur.  13    —    309 

S.  Germain,  évêque  de  Besançon, 
martyr  à  Grandfontaine,  au 
même  diocèse 11—264 

S.  Ghislain  ou  Guiilain,  évêque 
d'Athènes,  fondateur  du  mo- 
nastère de  la  Celle,  en  Bel- 
gique      9    —    209 

S.  Gomer  ou  Gumar  d'Emblehem, 
confesseur,  au  diocèse  d'An- 
vers  11    —    281 

S.  Goswin  de  Douai ,  septième 
abbé  du  monastère  d'Anchin, 
au  diocèse  de  Cambrai 9    —    222 

S.  Grat  de  Lichos,  premier  évê- 
que connu  de  l'ancien  siège 
d'Oloron  et  confesseur......  11    —    275 

S.  Grat  et  S.  Ansute,  martyrs  en 

Rouergue 16   —   405 


Pages. 

S.  Gratien,  martyr  en  Picardie...  23octob.569 

S.  Guiilain  ou  Ghislain,  évêque 
d'Athènes  et  fondateur  du 
monastère  de  la  Celle,  en  Bel- 
gique     9    —    209 

S.  Gumar  ou  Gomer  d'Emblehem, 
confesseur,  au  diocèse  d'An- 
vers   11 


H 

Sft  Havoie  ou  Hedwige,  veuve, 
duchesse  de  Pologne 17 

Se  Hedwige  ou  Havoie ,  veuve, 
duchesse  de  Pologne 17 

S.  Hilaire  ou  Illier,  évêque  de 
Mende 25 

S.  Hilarion  de  Tabathe,  patriarche 
des  solitaires  de  la  Palestine.  21 

Le  B.  Hugues  de  Mâcon ,  évêque 
d'Auxerre  et  confesseur 10 

Le  B.  Humbaud ,  cinquante-deu- 
xième évêque  d'Auxerre  et 
confesseur 20 


S.  Illier  ou  Hilaire,  évêque  de 
Mende 25 

S«  Irène  de  Tomar,  vierge  et  mar- 
tyre   20 


Le  B.  Jacques  d'Ulm  ou  l'Allemand, 
religieux  dominicain  à  Bor 
logne 12 

Le  B.  Jean-Ange  Porro,  religieux 
servite 25 

Le  B.  Jean  le  Bon  de  Mantoue,  de 
l'Ordre  des  Ermites  de  Saint- 
Augustin  23 

S.  Jean  de  Capistran,  général  de 
l'Ordre  des  Frères  Mineurs, 
et  légat  du  Saint-Siège 23 

S.  Jean  de  Kenty,  prêtre  séculier, 
professeur  de  théologie  à  l'U- 
niversité de  Cracovie 20 

Le  B.  Jean  Massias  d'Espagne, 
religieux  dominicain  au  mo- 
nastère de  Sainte-Madeleine 
de  Lima 3 

S.  Just  d'Auxerre,  enfant,  martyr 
en  Bauvaisis 18 

S»  Justine  de  Padoue,  vierge  et 
martyre,  patronne  de  la  ville 
de  Padoue 7 


—  281 

—  414 

—  414 

—  630 

—  486 

—  257 

—  483 


—  482 

—  304 

—  634 

—  552 

—  564 

—  480 

—  11 

—  447 

—  126 


Le  B.  Ladislas  de  Gielniow,  Frère 

Mineur 22    —    535 

S.  Léobon  de  Saint-Etienne    de 

Fursac,  solitaire,  au  diocèse 

de  Limoges : 13    —    328 


VIII 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


Pages. 

S.  Léonard  de  Vandœuvre,  soli- 
taire et  abbé  au  diocèse  du 
Mans 15  octob.  347 

S.  Léothade,  évêque  d'Auch  et 
confesseur 23 

S.  Leudomir  ou  Lumier  de  Li- 
moges, dix-huitième  évêque 
de  Châlons-sur-Marne  et  con- 
fesseur   

S.  Louis  Bertrand  de  Valence,  de 
l'Ordre  de  Saint-Dominique.. 

S.  Loup  ,  treizième  évêque  de 
Soissons 22 

S.  Luc  d'Antioche,  évangéliste...  18 

S.  Lugle  et  S.  Luglien,  martyrs 
au  diocèse  d'Arras 23 

S.  Luglien  et  S.  Lugle,  martyrs  au 
diocèse  d'Arras 23 

S.  Lumier  ou  Leudomir  de  Li- 
moges, dix-huitième  évêque  de 
Châlons-sur-Marne  et  confes- 
seur   

8.  Lupien  de  Mende,  abbé  de 
Saint-Privat,  martyr  au  dio- 
cèse de  Chàlons 22 


Pages. 


570 


3-6 

9  —  228 


—  533 

—  441 

—  571 

—  571 


3-6 


S.  Madalvé  ou  Mauve,  évêque  de 
Verdun  et  confesseur 5 

S.  Magloire,  évêque  de  l'ancien 
siège  de  Dol,  en  Bretagne. . .  24 

5.  Malc  de  Maronie,  religieux  captif  21 
Se  Manne  ou  Menne,  vierge  au  dio- 
cèse de  Châlons-sur-Marne.. 

La  Be  Marguerite-Marie  Alacoque, 
religieuse  de  la  Visitation,  à 
Paray-le-Monial,  au  diocèse 
d'Autun 17 

Sainte  Marie-Françoise  des  Cinq- 
Plaies  de  Jésus,  vierge  du 
Tiers  Ordre  de  Saint-François 
d'Assise 6 

6.  Martin  de  Nantes,  abbé  de  Vertou 

et  de  Saint-Jouin-de-Marnes.  24 

Les  Martyrs  d'Agen  :  S.  Caprais, 
Se  Foi,  S»  Alberte,  sœur  de 
S*  Foi,  S.  Prime,  S.  Félicien, 
et  un  grand  nombre  d'autres, 
massacrés  par  la  foule 20 

LeB.  Matthieu  Carrieri  de  Mantoue, 
de  l'Ordre  des  Frères  Prê- 
cheurs     7 

S.  Maurice  ou  Moriz,  abbé  des 
monastères  Cisterciens  deLan- 
gonet  et  de  Carnoet,  en  Breta- 
gne  

S.  Mauve  ou  Madalvé,  évêque  de 
Verdun  et  confesseur 

S.  Melaine  ou  Mellon  de  Cardiff, 
archevêque  de  Rouen  et  con- 
fesseur   

S.  Mellon  ou  Melaine  de  Cardiff, 
archevêque  de  Rouen  et  con- 
fesseur  


—   531 


67 

578 
492 

S 


-  121 


5    — 


5    — 


Se  Ménehould  de  Perthes,  vierge, 

patronne   de   Bienville ,    au 

diocèse  de  Langres 14  octob.  336 

Se  Menne  ou  Manne,  vierge,  au 

diocèse  de  Châlons-sur-Marne.    3 
S.  Moderan  ou  Moran,  évêque  de 

Rennes 22 

S.  Mommolin  de  Constance,  abbé 

de  Saint-Bertin,  puis  évêque 

de  Noyon  et  de  Tournai....  16 
S.  Moran  ou  Moderan,  évêque  de 

Rennes 22 

S.  Moriz  ou  Maurice ,  abbé  des 

monastères  Cisterciens  de  Lan- 

gonet  et  de  Carnoet,  en  Breta- 
gne  


N 


—       9 


—    533 


—  394 

—  533 


5—87 


8.  Nicaise  ou  Nigaise,  premier 
archevêque  de  Rouen,  et  ses 
compagnons,  martyrs  à  Ecos, 
au  diocèse  d'Evreux 11    —    261 

S.  Nigaise  ou  Nicaise,  premier  ar- 
chevêque de  Rouen,  et  ses 
compagnons,  martyrs  à  Ecos, 
au  diocèse  d'Evreux 11    —    261 

Notre-Dame  des  Doms  (Dédicace 
de),  église  métropolitaine  d'A- 
vignon     8    —    155 


S.  Pallade  ou  Pallais,  évêque  de 

Saintes  et  confesseur 7    — 

S.  Pallais  ou  Pallade,  évêque  de 

Saintes  et  confesseur 7    — 

S.  Pardoux  ou  Pardulphe  de  Sar- 
dent,  abbé  et  patron  de  Gué- 

ret 6    — 

S.  Pardulphe  ou  Pardoux  de  Sar- 
dent,  abbé  et  patron  de  Gué- 
ret 6    — 

Pélagie  d'Antioche,  pénitente..    8    — 

Philippe,  évêque  d'Héraclée,  et 
ses  compagnons,  martyrs  à 
Andriuople,  en  Roumélie. ...  22    — 

Pierre  d'Alcantara,  confesseur, 
de  l'Ordre  de  Saint-François.  19    — • 

Pierre  Paschal,  religieux  de  la 
Merci,  puis  évêque  de  Jaen, 
en  Espagne,  et  martyr 23 

Placide  de  Rome  et  ses  compa- 
gnons, martyrs  à  Messine,  en 
Sicile 5 

Pollène  et  S»  Valérie,  vierges.    8 

Probe,  S.  Andronic  et  S.  Ta- 
raque,  martyrs  à  Anazarbe, 
en  Cilicie 11 

Prosdoce  et  S«  Bérénice,  et 
Se  Domnine,  leur  mère 4 

Prudent  ou  Prouents  (Transla- 
tion de),  martyr,  à  l'abbaye 
de  Bèze,  diocèse  de  Dijon...    6    —    121 
—   526      Ç«  Publie  d'Antioche.  abbesse...    9   —    234 


103 
581 

S« 
S. 

S. 

469 

s. 

152 

s. 

87 

S» 

s. 

67 

s« 

526 

s. 

128 
128 

119 


119 
163 


522 

457 


—  559 


57 
177 


—   45 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


IX 


-   657 


—    182 


R  Pages. 

Se  Refroy  ou  Renfroie,  abbesse  du 
monastère  bénédictin  de  De- 
nain 8  octob.  178 

S*  Renfroie  ou  Refroy,  abbesse  du 
monastère  bénédictin  de  De- 
nain 8    —    178 

S.  Romain,  archevêque  de  Rouen.  23    —    543 

S0  Romaine  de   Rome,  vierge  et 

martyre  à  Beauvais 3    —       4 

S.  Rustique  et  S.  Eleuthère,  com- 
pagnons de  S.  Denis  l'Aréopa- 
gite,  premier  évêque  d'Athènes 
et  de  Paris,  martyrs 9   — »    192 


S 


S«  Sabine,  S.  Vincent  et  S»  Chris- 
tète,  martyrs  à  Avila,  en  Es- 
pagne   27 

Sara  ou  Sara!  et  son  époux  Abram 
ou  Abraham  d'l>,  en  Chaldée, 
père  de  la  nation  juive 9 

Saraï  ou  Sara  et  son  époux  Abram 
ou  Abraham  d'Ur,  en  Chaldée, 
père  de  la  nation  juive 9 

S.  Savin  de  Barcelone,  anachorète 
et  apôtre  du  Lavedan 9 

S.  Senoch  ou  Senou  de  Tiffauges, 
abbé  en  Touraine ...  24 

S.  Senou  ou  Senoch  de  Tiffauges, 
abbé  en  Touraine 24 

S.  Séraphin  de  Moute-Granaro, 
frère  lai  de  l'Ordre  des  Capu- 
cins   12 

Les  SS.  Serge  et  Bacque,  cheva- 
liers romains  et  martyrs....    7 

S.  Seurin  ou  Séverin  d'Aquitaine, 
évèque  de  Cologne,  puis  de 
Bordeaux 23 

S.  Séverin  ou  Seurin  d'Aquitaine, 
évêque  de  Cologne,  puis  de 
Bordeaux 23 

Le  saint  vieillard  Siméon  et  la  pro- 
phétesse  Anne 8 

S.  Simon  de  Crespy-en-Valois , 
moine  de  Saint-Oyend  et  con- 
fesseur      5 

Se  Soline,  vierge  et  martyre  au 
Poitou 17 

S*  Spérie,  vierge  et  martyre,  pa- 
tronne de  Saint-Céré,  au  dio- 
cèse de  Cahors 12 


—    305 


150 


-    538 


—    538 


—    175 


—  72 

—  437 


S*  Tanche  de  Saint-Ouen,  vierge 
et  martyre   au   diocèse    de 


Pages. 

Troyes 10  octob.  241 

S.  Taraque,  S.  Probe  et  S.  Andro- 
uic,  martyrs  à  Anazarbe,  eu 
Cilicie 11    ^-    266 

S«  Thetchide  ou  Théléhilde,  vierge, 
première  abbesse  de  Jouarre, 
au  diocèse  de  Meaux 10    —    256 

S«  Théléhilde  ou  Thelchide  , 
vierge,  première  abbesse  de 
Jouarre,  au  diocèse  de  Meaux.  10    —    258 

S.  Théotfroy  d'Orange,  troisième 
abbé  de  Saint-Chaffre,  au  dio- 
cèse du  Puy 19    —    465 

S.    Théophile  ,   sixième    évèque 

d'Anuoche  et  confesseur. .. .  13    —    326 

S»  Thérèse  d'Avila,  vierge,  fon- 
datrice des  Carmes  et  des  Car- 
mélites déchaussés 15    —    856 

Le  B.  Thomas  Hélye  de  Biville, 
prêtre,  aumônier  de  saint 
Louis 19   —   453 


S»  Ulphe,  vierge  et  solitaire,  et 

—  182  S.  Domice,  diacre  et  chanoine 

de  l'église  d'Amiens 23 

—  214      Se  Ursule    et   ses    compagnes  , 

vierges  et  martyres  à  Cologne.  21 

—  576 

V 

—  576 

S«  Valérie  et  S«  Pollène,  vierges.    8 

S.  Venance  ou  Venant,  abbé  de 
Saint-Martin  de  Tours 13 

S.  Venant  ou  Venance,  abbé  de 
Saint-Martin  de  Tours 13 

S.  Vincent,  S»  Sabine  et  Se  Chris- 
tète,  martyrs  à  Avila,  en  Es- 
pagne  27 

W 


S.  Walfroy,  diacre  et  Stylite  d'Oc- 
cident,  solitaire  à  Carignan, 
au  diocèse  de  Reims 21 

S.  Wasnon  ou  Wasnulphe  d'Ecosse, 
patron  de  Condé,  au  diocèse 
de  Cambrai 11 

S.  Wasnulphe  ou  Wasnon  d'Ecosse, 
patron  de  Condé,  au  diocèse 

de  Cambrai 11 

—  299  S.  Wilferder  ou  Wilfrid  d'Angle- 
terre, archevêque  d'York  et 
confesseur 12 

S.  Wilfrid  ou  Wilferder  d'Angle- 
terre, archevêque  d'York  et 
confesseur 12 


—  546 

—  496 

—  177 

—  327 

—  327 

—  «57 

—  498 

—  284 

—  284 

—  296 

—  296 


SUPPLEMENT 

Saint  Eucaire,  évêque,  martyr  près  de  Pompey,  au  diocèse  de  Nancy. 
Saint  Amon,  deuxième  évêque  de  l'ancien  siège  de  Toul 


659 
660 


FIN  DES  TABLES  DU  TOME  DOUZIEME" 


Bar-le-Duc.  —  Typ.  Schortleret  et  C" 


"te 


r**~ 


y  H-  rY 


?:  MM 


**& 


*2*^>J 


SOT! 


&^ 


*f  # 


"?o*^ 


>C?  M 


k^T* 


&rH& 


Èû^ët 


mr%!\ 


iH*^ 


^m 


BX   4655    .G84    1888 

v.12    SMC 

Guerin,    abbe    (Paul), 

b.  1830. 
Les  petits  Bol landistes 

:  vies  des  saints  de 
ÀWV-2912  (awsk) 


aar 


M!: 


a,  ur 


^K*^ 


K£< 


^^'■^iàFM       « 


JW& 


?>v^v 


e  w 


"1