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s 35
11
LES PLANTES
DANS L'ANTIQUITÉ ET AU MOYEN AGE
HISTOIRE, USAGES ET SYMBOLISlilE
l'ttliMlftltE PARTIK
LES PLANTKS DANS l'ORIENT CLAS81((UK
II
L'Iran et l'Inde
Charles JORET
PARIS
LIBRAIRIE ÉuiLK BOUILLON, ÉDITEUR
«1. RUE DE RICHELIEU, AU PREMIER
I90i.
LES PLANTES
DANS L'ANTIQUITE ET AU MOYEN AGE
]
I
1
J
1
PRINCIPALES PUBLICATIONS DU MÊME AUTEUR
Du c dans les langues romanes. Paris, 1874, Ln-8.
Herder et la Renaissance littéraire en Allemagne au xviii« siècle.
Paris, 1875, in-8. Épuisé.
De la littérature allemande au xviiic siècle dans ses rapports avec la
littérature française et la littérature anglaise. Paris, 1876, in-8.
Essai sur lo patois du Bessin, suivi d'un dictionnaire étymologique.
Paris, 1881. in-8. Épuisé.
Du caractère et de l'extension du patois normand. Étude de phoné-
tique et d'ethnographie, suivie d'une carte. Paris, 1883, in-8.
Mélanges de phonétique normande. Paris, 1884, in-8.
Des rapports intellectuels de la France avec l'Allemagne avant 1789.
Paris, 1884, in-8. Épuisé.
J.-B. Tavemier, écuycr, baron d'Aubonne, chambellan du Grand-
Électeur. Paris, 1886, in-8.
La Flore populaire de Normandie. Caen-Paris, 1887, in-8.
Le P. Guevarrc et les bureaux de charité au xvn» siècle. Pari»; 1889,
in-8.
Le voyageur Tavernier d'après des documents inédits (1670-1685).
Paris, 1890, in-8.
Pierre et Nicolas Forment. Un banquier et un correspondant du
Grand -Électeur. Caen-Paris, 1890, in-8.
La Rose dans l'antiquité et au moyen âge. Histoire, légendes et sym-
bolisme. Paris, 1892, in-8.
Fabri de Peiresc, humaniste, archéologue, naturaliste. Aix, 1894, in-8.
Le comte du Manoir et la cour de Weimar. Paris, 1896, in-8.
Les Plantes dans l'antiquité et au moyen âge. l""® partie. Les Plantes
dans rOrient classique, I, Egypte, Chaldée, Assyrie, Judée, Phc-
nicie. Paris, 1897, in-8.
Madame de Staël et la cour de Weimar. Bordeaux- Paris, 1900, in-8.
La Flore de l'Inde d'après les écrivains grecs. Paris, 1901, în-8.
La Bataille de Formigny, d'après les chroniqueurs contemporains.
Paris, 1903, in-8.
Un helléniste-voyageur normand. J.-B. Le Chevalier. Paris, 1903,
in.8.
r.HABTRFS. — IMPRIMEHIB DIUANI), RUK PULBEHT
LES PLANTES
DANS L'ANTIQUITÉ ET AU MOYEN AGE
PREMIÈRE PARTIK
LBS PLANTFS DANS L'ORIENT CLASSIQUE
L'Iran et l'Inâe
Charles JORET
MainbrK de l'IiutUnl.
PARIS
LIBRAIRIE ÉMiLs BOUILLON, ÉDITEUR
6^. RUE DE RICHELIEU, AU PREMIER
I90i
i. ;* . ■
l
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V
* J
A LA MEMOIRE
OE MON AMI
ABEL BERGAIGNE
v^ *w-
PRÉFACE
Le volume que j'offre aujourd'hui au public — le
second de mon Histoire des Plantes — paraît beaucoup
plus tard que je n'aurais voulu et que je ne le croyais,
quand je l'ai commencé. J'espérais alors pouvoir le
donner dans le courant de 1901, il paraît seulement à
la fin du printemps de 1904. L'étendue et les diflScultés
du sujet expliquent assez ces longs délais, et je crains
bien plutôt qu'on me reproche de m'être trop pressé
que d'avoir attendu trop longtemps à le publier.
Lorsque, dans les derniers mois de 1897, je me suis
mis à écrire cet ouvrage, j'en avais déjà, neuf ans
auparavant, fait une première rédaction, et quelque
abrégé que fût ce travail préparatoire, je me flattais
que trois années me suffiraient amplement pour le
revoir et lui donner les développements qu'il compor-
tait. Le remaniement du premier livre, consacré aux
plantes de l'Iran, a été, en effet, assez rapide ; il n'en
a pas été de même du second, qui traite de la Flore de
l'Inde. Des ouvrages qui m'étaient restés d'abord in-
connus, comme le Dictionary of the économie Pro-
ducts of India de Watt, les Indischc Sprïtche de
Boohtlingk, l'étude plus approfondie de la poésie
VIII PRÉFACE
épique et dramatique, celle des traités religieux,
m'ont montré que tout ou à peu près était à refondre
dans ce second livre, et comme je n'en prévoyais pas
de longtemps rachèvement, je me suis décidé à faire
imprimer le premier pendant l'hiver de 1901-1902.
C'est seulement Tannée dernière que j'ai pu commencer
l'impression des Plantes de l'Inde, et j'ai dû encore
l'interrompre plusieurs mois, afin de soumettre les
derniers chapitres à un remaniement indispensable.
Ces remarques étaient peut-être nécessaires pour ex-
pliquer la lente genèse et la tardive apparition de ce
volume; elles serviront du moins à excuser l'igno-
rance inévitable où j'ai été de quelques ouvrages,
qu'il m'eût été peut-être utile de consulter, mais que
je n'ai pu mettre à profit, parce qu'ils n'ont été publiés
qu'après l'impression des chapitres auxquels ils se
rapportent.
Malgré les soins que j'ai pris pour le rendre le
moins imparfait possible, je sens tout ce qui manque
à mon ouvrage, peut-être y découvrira-t-on des la-
cunes, inévitables dans un sujet aussi vaste; peut-être
par contre trouvera-t-on que j'ai trop développé cer-
taines parties qui n'avaient pas un lien assez étroit
avec mon sujet. J'avoue que, plus d'une fois, je me
suis laissé trop séduire à l'attrait que m'offrait le
monde mystérieux de l'Inde, monde que j'avais à peine
entrevu jusque-là, et dont les légendes religieuses et
profanes, la poésie et l'art exercent une irrésistible
fascination sur quiconque essaie de les pénétrer et de
les approfondir. Il y avait là d'ailleurs quelque chose
de bien fait pour me retenir. La vie d'aucun peuple de
l'antiquité n'a été dans un contact aussi constant et
intime avec la nature ; aucun peuple n'a connu, aimé,
PRÉFACE IX
exalté, le monde des plantes, aucun ne Ta associé
d'une manière aussi étroite à ses croyances, à ses aspi-
rations, à son existence de tous les jours, comme
Font fait les Hindous. Il n*est point de manifestation
de leur activité où les plantes n'aient eu part ; faire
rhistoire, dans ses principaux et plus utiles représen-
tants de la Flore de l'Inde, c'est faire l'histoire de la
civilisation de cette vaste contrée. On comprendra que
j'aie cédé à la pensée de l'essayer ; on m'excusera
aussi, je l'espère, si j'en ai retracé un tableau trop
incomplet; mais peut-être voudra-t-on bien me tenir
compte des efforts que j'ai faits pour en réunir quel-
ques-uns des traits les moins connus ; je m'estimerais
heureux s'ils assuraient à ce nouveau volume l'accueil
bienveillant qu'a rencontré son aîné, qu'il dépasse en
intérêt, je crois, aussi bien qu'en étendue.
Il y a sept ans, en publiant celui-ci, j'exprimais le
vœu qu'il me fût donné de pouvoir faire paraître, dans
un avenir prochain, les trois volumes que devait encore
comprendre mon Histoire des Plantes ; le second a
exigé un temps si long, l'état de mes yeux, qui m'a
rendu singulièrement pénible la correction des der-
nières épreuves, est devenu si mauvais, que je n'ose
plus former d'espoirs aussi ambitieux ; j'ose encore
moins maintenant songer à publier l'Histoire, com-
mencée et annoncée depuis tant d'années, des rapports
intellectuels de la France et de l'Allemagne ; puisse-
t-il au moins m'être permis de donner quelques frag-
ments déjà terminés de ces deux, ouvrages, dont je
rêvais la publication entière comme le couronnement
le plus cher de ma carrière.
Condamné, pour un temps dont j'ignore la durée, à
un repos presque absolu, je me trouve dans l'impossi-
X PRÉFACE
bilité de faire en ce moment Tindex général, que je me
proposais de mettre à la fin de ce volume ; je compte
l'entreprendre dès que ma santé se sera améliorée ;
j'espère qu'on n'aura pas trop à l'attendre ; je ferai
du moins tout ce qui dépendra de moi pour qu'il soit
aussi complet et paraisse aussitôt que possible.
Un mot maintenant sur l'orthographe que j'ai suivie.
Pour les noms géographiques et les noms propres
d'homme universellement connus, j'ai adopté notre
orthographe usuelle ; je représente, en particulier, ii
par ou et sh par ch. J'ai procédé autrement pour les
autres noms; dans le premier livre, j'ai suivi l'ortho-
graphe employée par James Darmesteter dans sa tra-
duction du Zend-Avesta ; dans le second livre, je me
suis servi des signes le plus généralement adoptés au-
jourd'hui pour la transcription des lettres sanscrites ;
ainsi on trouvera représentées par c, /, les palatales
tch, djy par t, d, n, les cérébrales, par n et h respec-
tivement les n guttural et palatal, par ç et sh — je
reconnais que les signes ^ et ^ eussent été préférables
— les chuintantes presque identiques ç et sh, par ri la
demi-voyelle >*, par m l'anusvàra ou nasale affaiblie.
Mais ici se présentait une difficulté; les auteurs
d'ouvrages botaniques ignorent ces transcriptions ; il
en est de môme de la plupart des traducteurs, môme
hindous ; ils ne distinguent jamais les cérébrales des
dentales proprement dites ; ils ne distinguent morne
pas toujours les voyelles longues des brèves ; ainsi
Brandis écviisinsapa pour çithçapâ, nom du Dalbergia
sissoo ; Watt met hingu, knshtha à la place de hinyu,
kushtha ; on trouve dans Protap Chandra Ray, le tra-
ducteur du Mahâbhârata, Pândii, Pàndavas, au lieu
de Pàndu, Pdndavas, etc. Je ne parle pas des tran-
PRÉFACE Xï
scriptions de Fauche et des autres traducteurs, qui,
par condescendance pour leurs lecteurs, ont cru devoir
donner un costume français aux mots sanscrits. Je me
suis attaché à rendre à ces mots leur forme originelle ;
mais comme j'ai parfois oublié de le faire ou dans
mon manuscrit ou sur les épreuves, je prie les lec-
teurs de se rapporter à Verrata qui se trouve ci-après.
Je rappelle, au cas où quelques mots n'auraient pas
été corrigés, que Vn suivi de g ou de k doit être écrit
û^ qu'après la chuintante sh, il faut toujours les céré-
brales t(h), n et non i(h), n ^ J'ajouterai enfin que dans
les notes, j'ai laissé, pour plus de simplicité, Rig-
Veda sans r.
Il me reste, en terminant, à adresser mes bien vifs
remerciements à MM. Barth et Senart pour les rensei-
gnements que ma connaissance imparfaite de la langue
et de la littérature sanscrites m'a souvent forcé de
leur demander, et qu'ils m'ont donnés avec un si géné-
reux empressement. Je me reprocherais d'oublier
dans l'expression de ma gratitude M. le D' Dorveaux,
bibliothécaire de l'École supérieure de Pharmacie,
qui, depuis quatre ans, a mis à ma disposition avec
la plus grande libéralité les livres du riche dépôt con-
fié à ses soins.
Paris, le 15 mai 1904.
1. La cédille du ç a été parfois omise devant t, e dans quel-
ques mots, par exemple Urvaci, au lieu de Urvaçi.
ADDITIONS ET CORRECTIONS
fAOEt AU LIRU DK URI
1 ligne 5 transcapienne transcaspienne
31 note 1 RojpaUra Bhojpattra
P. 34, ligne 7. Dans un ouvrage récent, Botariische For-
schungen des Alexanderzuges. Leipzig, 1903, in-8, p. 272,
M. Hugo Bretzl a identifié l'épine à rameaux verticillés avec
répine aphylle de Théophraste et cru qu'elles n'étaient, Tune
et l'autre, que VEuphorbia antiquorum,
P. 34, ligne 12. On lit dans Joh. L. Schlimmer, Terminolo-
gie médico-pharmaceutique française-persane. Téhéran, 1874,
in-fol. Art. Nerium, « Ses feuilles sont un violent poison pour
les bètes de somme ; aussi partout où la plante croît le long
des routes, on ferme la bouche des ânes, mulets et chevaux au
moyen d'un petit sac... pour empêcher ces animaux de tou-
cher à la séduisante verdure ». On voit que Schlimmer dit du
laurier-rose ce que Théophraste rapporte, peut-être par erreur,
de la Calotropis.
ariennes aryennes
yudjeh, sdpist yondjeh, aspist
ajwain ajwan ou ajouan
Nes.Perien Notes. Persien
Aitchiso Aitchison.
n'en ne *
relevés relevées
Tristam Tristram
Ziziphora Zizyphora
théo — théom —
hestiateris hestiatoris
Sir Daria Syr Daria
50
ligne 10
68
note 5
90
2
98
- 2,3
— 4
101
ligne 28
126
22
129
note 3
167
ligne 3
168
16
25
note 4
XIV ADDITIONS ET CORftECTIONS
PACK» AU LIXC OC (.MB
184 ligne 4 dakshina dakshxnn
190 — 27 le Kousi la Kosi
2t5 — 5 atteint atteignent
227 note 1 zanlhoxyloides xanthoxyloide»
231 ligne 22 Rishi Rishis
236 — 4 ampan empan
239 — 18 Vishnu Vishçiu*
248 — 3 Samhitâ Samhitâ
265 — 25 kancani kàncanî
P. 271 et suiv. I.es noms sanscrits d'une plante ne sont pas
une preuve aussi absolue que je Tai dit parfois de la grande
ancienneté de sa culture.
273 — 5 jingî jingi
P. 277, ligne 17. En réalité rien n'indique que le chanvre
ait été invoqué dans TAtharva-Véda comme narcotique.
ksihrimi kshîriijt
açvatha açvattha
coco- cocoa-
kàshthilA kâsfKhUâ
varanabushA vàraijabusâ
Urvaci Urvaçi *
et de et du
ankola ankola
nunja munja
P. 368. On faisait aussi des cure-dents en bois de khadira
(S. Beal, Buddhist Records, vol. I, p. 68, note 2), d*udumbara
(Hiranyakeçin et Pâraskara, Grihya SutrUy I, 3, 9 ; II, 25, 17),
ainsi, d'après Caraka(lib. I, leçon 5, 65, p. 61), qu'en bois de
karanja, karavira, arka, mâlatî, kakubha et asana ^, etc.
P. 376-377. D'après Caraka (lib. ï, leçon 3, 88, p. 63), l'usage
des couronnes de fleurs et des parfums fortifie, donne de la
gaieté et assure une vie longue et agréable.
P. 381. Outre les piliers des quatre angles, il y avait, au
milieu de la maison védique, un poteau central destiné à sou-
tenir le toit.
443 ligne 10 pâtalîs pàtalis
1. De même p. 243, note 4, 245, note 5.
2. De même p. 465, lignes 9 et 11.
3. Pongamia glabra, Nerium odorum, Calotrnpis giganiea
Echites carf/ophyUata^ Terminalia arjunn et tnmentosa.
290
ligne
5
291
21
300
note
301
ligne
9
305
note
5
325
ligne
15
17
356
— _
7
ADDITIONS ET CORRECTIONS XV
PAGES
AU LIBII DR
UBK
465, 468 — 17, 21
entr'ouve(nt)
entr'ouvre(nt)
469 note 5
Rakshasas
Rakshasas
481 ligne 15
escondes
secondes
489 — 8
karnikâra
karçikàra
506 ligne 9
partout
partant
519 — 15
Purâna
Puràça
532 note 1
wichtigten
wichtigsten
P. 533. Outre Tencens et le guggulu, on brûlait, en Thon-
neur des dieux, des bois parfumés, comme ceux de santal, de
Juniperus excelsa, de Tabemaemontana coronaria, etc.
P. 354, ligne 13. Les Lois de Manod prescrivent longuement
les offrandes funéraires qu'on devait faire aux Mânes. Lib. III,
82, 90, 122, 267.
542 ligne 25 puroâdça purodàça
543 — 9 Pushan Pûshàn
579 — 19 d'un chef village chef d'un village
608 — 20 mùnja muftja
P. 639, ligne 16. Le Bower Mss. connaît un remède qui pro-
curait à la fois santé, force et une bonne mémoire et pouvait
même faire vivre jusqu'à 1000 ans. Part I, 52-54.
LIVRE PREMIER
LES PLANTES CHEZ LES IRAKIENS
CHAPITRE PREMIER
LA FLORE ET LES HABITANTS DE L*IRAN U DE LA
RÉGION TRANSCAPIENNE
1
La partie orientale de l'Asie antérieure — Tlran —
forme dans son ensemble un vaste plateau calcaire et
argileux, d'une hauteur moyenne de 1 OOOà 1 2(X)mètres,
entouré d'une ceinture de montagnes, qui l'isolent de
la mer et des pays voisins \ A TOccident se dresse la
chaine qui, sous des noms divers, le sépare du bassin
du Tigre et du golfe Persique, et dont les rameaux
parallèles courent à travers le Louristan et le Khou-
zistan — Tancienne Susiane — du Nord-Ouest au §ud-
Est, en s'élevant des monts du Kourdistan — le Zagros
des Grecs — , aux massifs presque inabordables de la
1. Cari Ritter, Die Erdkunde im Verhàltnhs 2ur Natur und
zur Geschichle des Menschen. Berlin, 1838, in-8, vol. VIII,
p. 3-8. — Karl Prellberg, Persietiy eine hisiorische Land&chaft.
Leipzig, 1891, in-8, p. 3.
JoRET. — Les Plantes dans l'antiquité. II. -1
^
2 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
Perside — le Farsistan actuel ^ — . Au Sud s'étagent
parallèlement à la côte les monts du Laristan, la triple
terrasse du Mékran et la haute plaine du Béloutchistan.
A TEst s'élèvent les monts Brahoui et Khirtar, con-
treforts orientaux de cette plaine, qui dominent le
cours inférieur du Sindhou Indus ; plus loin se dresse,
du Sud au Nord, la double chaîne des monts Sou-
leïman : le Souleïman-dagh oriental, qui appartient
au bassin de Tlndus, dont les affluents de droite
traversent ses cols, et le Souleïman-dagh occidental,
que suit la ligne de partage des eaux. A leur extrémité
septentrionale ces monts s'appuient contre le Séfid-
koh, qui limite au Sud la vallée du Kaboul-roud, —
le Kophès ou Kophen des Grecs — et s'abaisse à son
extrémité orientale vers le passage célèbre de
Khaïber *. Au delà du Kaboul-roud s'étendent les
contreforts méridionaux de l'Hindou-kouch, que sé-
pare du Karakoroum le col de Baroghil, haut de
3 000 mètres, par lequel le bassin de l'indus commu-
nique avec celui de TOxus ou Amou-Daria \
Courant de TEst au Sud-Ouest avec des sommets,
comme le Tiritchmir, d'une hauteur de 7 500 mètres,
l'Hindou-kouch — le Paropamise des anciens — sert,
9
1. Elisée Reclus, Nouvelle Géographie universelle, vol. VI,
p. \97. — Herthelot, art. Asie dans la Grande Encyclopédie. —
A. Stieler's //aM<^/a//<w, pi. 62. — Vidal-Lablache, Allas général,
Paris, 1894, pi. 120.
2. Fr. Spiegel, Erânische Aller thumskunde, Leipzig, 1871,
in-8, vol. I, p. 12 et 23 — Elisée Reclus, op. laud,, vol. IX,
p. 37-'i2.
3. W. Geiger, Die Ostiranische Kullur im Altertum. Erlan-
gen, 1882, in-8, p. 54. — Guillaume Gapus, Pamir et Tchitral.
(^Bulletin delà Société de géographie, 17« série, vol. XI (1890),
p. 522).
i
I
LA FLORE DE L'IRAN • 3
ainsi que ses prolongements occidentaux, de limite
septentrionale au plateau de l'Iran. Mais à mesure
qu'il s'avance vers l'Ouest, il diminue d'altitifBe jus-
qu'à la passe de Bamian,^qui n'a plus que 2500 mè-
tres. Au delà commence le Koh-i-baba, auquel suc-
cède la double chaîne du Séfld-koh et du Siyah-koh ;
puis vient le massif du Khaïtou, qui s'abaisse à sa
partie occidentale pour permettre à l'Héri-roud de
gagner la plaine du Touran^ Là finit la chaîne de
l'anciei^ Paropamise. Plus loin commence le système
complexe du « Caucase des Turkmènes », qui, enser-
rant le double bassin del'Atrek et du Gourgan, affluents
de la Caspienne, se rattache vers Astrabad à l'El-
bourz, ce la plus vieille des montagnes », dont un pic
isolé, le Démavend, domine de sa cime volcanique,
haute de plus de 6500 mètres, la plaine de Téhéran*.
L'Elbourz, qui court parallèlement à la ccTle méridio-
nale de la Caspienne et ne s'entrouve que pour livrer
passage au Séfid-roud ou Kizil-ouzen, va rejoindre
à l'Ouest le Kara-dagh, limite septentrionale du pla-
teau de l'Aderbeidjan, qui relie l'Iran an massif armé-
nien ^
La ceinture de montagnes, qui borde ainsi l'Iran,
envoie dans l'intérieur de cette vaste région des ra-
meaux plus *ou» moins étendus, tel» que le Lahori,
qui se détache de rHindf)u-Kouch près du col de Ba-
1. Klisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 30-37.
2. kvX, Asie dans la Grande Encyclopédie. — M. J. de Morgan,
Mission scientifique en Perse. Paris, 1894, in-4, vol. I, p. 12,
ne donne que 6 080 mètres au Démavend. E. Tietze lui attri-
buait 18 600 pieds. Ueber die Bodenplastik und die geologische
Beschaffenheit Persiens.(Mittheilungen derKais. Kônigl, geogra-
phischen Gesellschafi. Wien, 1886, vol. XXIX, p. 521).
3. Elisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 150-160.
Ln.
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K*
4 <^ LBS PLANTES CHEZ LES IRANIENS
roghil ; telles encore que les chaînes parallèles du
Paghmân et du Goul-koh, qui se rattachent au môme
systènfe*. Des massifs indépendants se dressent aussi
çà et là dans l'intérieur du plateau, comme les monts
Nihbandan à TOuest du lac Hamoun, le Sahend et 1#
Savalan, volcans éteints, qui se dressent au milieu de
TAderbeidjan*; enfin parallèlement aux montagnes du
Louristan et du Farsistan court, dans la direction du
Nord-Ouest au Sud-Est, de la vallée du Kizil-ouzen
au centre du Mékran, la chaîne du Kouh-roud, dont
plusieurs pics, entre autres celui d'Elvend— l'Orontès
des Grecs, — au Sud de Hamadan — l'ancienne Ecba-
tane — , et le Kouh-i-Hazar, dans le Kirman, atteignent
le premier 3270, le second jusquTà 4500 mètres de
hauteur ^.
Cette chaîne sépare la région montueuse de l'Ouest
des plaines* arides du plateau iranien, le grand désert
salé — le Dacht-i-kévir — au Nord et le désert de
Lout — le l)acht-i-lout — au Sud. Plus loin se trouve
le désert de Kirman et au centre du Béloutchistan, à
rOuest des monts Brahoui, s*étend celui de Kha-
rar^\ Dans ces dépressions stériles, formées dg fonds
do mers intérieures, desséchées par Tévaporation et
comblées par les alluvions, le niveau du sol se trouve
bien au-dgssous des collines les moins^ élevées ; il n'a
plus que 300 mètres d'altittide dans le désert de
!•
0
1. W. Geiger, Ostiranische KuUur, p. 5V56. — Elisée Reclus,
op. laud., vol. IX, p. 31 et 35. *
2. J. de Morgan, Mission en Perse, vol. I, p. 9. — Elisée
Reclus, op. laud., vol. IX, p. 165.
3. Elisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 172. — Andrée,
Handatlas, pi. 80.
4. Elisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 118 et 153.
• *
LA FLORE DE L'IRAN 5
Lout. Les parties les plus basses de ces plaines déso-
lées sont occupées par des marécages salins — les
kévir ou kéfih — , parfois aussi par des lacs — ha-
moun — , restes des mers disparues, aliraentçs par jes
cours d'eau qui s'y jettent *.
Malgré son étenduÔ, le plateau de l'Iran compte peu
de riviènes considérables ; presque tous les grands
cours d'eau, descendus des montagnes qui l'environ-
nent, appartiennent aux contrées voisines. Mais ilren-
ferme un certain nombre de bassins intérieurs. Le
plus important est celui de THilmend — l'Erymanthe
ou Etymander des géographes grecs et romains, le
Haitumat de l'Avesta — ; sorti à 3000 mètres de hau-
teur du massif du Paghmân, près du col de Hadji-kak
'entre THindou-kouch et le Koh-i-baba, il coule d'a-
bord dans la direction du Nord-Est au Sud-Ouest,
puis après avoir reçu l'Arghandàb, qui recueille les
eaux du Tarnak et de l'Arghesân, il se replie vers le
Nord-Ouest, pour aller se perdre, réuni §u Khach-roud,
dans le Hamoun-i-Savaran S un des lajss qu'a laissés,
en se desséchant, la mer du Seistan ^. A l'époque de
la fonte des neiges THilmend roule une quantité d'eau
considérable, et, comme le Nil, il est soumis à des
débordements périodiques. Deux autres cours d'eau,
issus du Siyah-koh, se jettent dans le Hamoun-i-Fa-
rah, lac voisin du Hamoun-i-Savaran et de même ori-
gine que lui *. Au Sud de l'Hilmend coulent le Mech-
1. Art. Aiie dans la Grande Encyclopédie. — Karl Prellberg,
Persien, ejnc historischc Landscha/t, p. 9.
2. W. Geiger, op. laiid., p. 90-100.
3. W. Hughes, Grand atlas universel j 2« édi , «revue et corri-
gée parE. Cortambert. Paris, 1875, fol., pi. 31.
4. Fr. Spîegel, op. laud., vol. I, p. 32-47. — Art. Afgha-
6 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
kid, qui draine le désert de Kharan, et le Lora, dont
les eaux se perdent dans le hamoun, auquel il donne
son nom*, et, à TEst de l'Arghandâb s'étend le bassin
du Ghazni, qui alimente le lac salé et amer d'Ab- .
Istâda, à une altitude de 2500 mètres. Au milieu des
montagnes du Farsistan s'étend aussi, à une hauteur
de plus de 1000 mètres, un lac, celui de Nkis ', ali-
menté par les eaux du Bandémir — T Araxès — , grossi
du Polvar — Tancien Médos'. — Il faut citer aussi les
affluents du lac d'Ourmiah, qui occupe, à une alti-
tude de 1 300 mètres, le fond occidental de la plaine
élevée de TAderbeidjan *.
A Tangle Nord-Est du plateau iranien coule la ri-
vière de Caboul, sortie de la chaîne du Paghmân,
près du col d'Ounnah, qui fait communiquer la vallée*
qu'elle forme avec celle de THilmend ; dans son cours
supérieur et moyen elle recueille par ses affluents,
dont le plus important, le Kounar, forme la vallée de
Tchitral, les eaux du Séfid-koh et des contreforts mé-
ridionanx de THindou-Kouch. Après avoir franchi le
col de Khaïber, elle cesse d'appartenir à l'Iran et dé-
nistan dans la Grande Encyclopédie. — Art. I/ilmend dans
Brockhaus, Conversât ionstexicon. — Klisée Reclus, op. laud.,
vol. IX, p. 47-49. Le Haraoun-i-Savara et le Hamoun-i-Farah
sont le plus souvent représentés sur les cartes comme ne for-
mant qu'un seul et même lac.
1. Elisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 117-119. — W.Geiger,
op. laud., p. 109; donne à ce lac le nom d'Ab-Istâd.
2. Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 93, lui donne le nom de
Koum-i-Firouz.
3. Strabon, Geographica, 11 b. XV, cap. 3, 6. — Andrée,
Ilandallas, pi. 80. — Elisée Reclus, o/f laud., vol.* IX, p. 186
et 265. ^ .
4. Fr. Spiegel, ojD. laud., vol. I, p. 127-128. — Elisée Reclus,
op. laud., vol. IX, p. 181-185. *
U FLORE DE L'IRAN 7
pend désormais du bassin deTIndus, dans lequel elle se
jette. Il en est de même du Kouram et du Gomoul ou
Gomal, sortis l'un et Tautre du Souleiraan-dagh oc-
cidental *. Le versant de l'Océan indien ne compte que
des cours d'eau insignifiants ; le plus considérable est
le Dacht ou Bagva, qui, avec le Sarbas ou Koudjou/
recueille les eaux du Mékran central *. Comme la*mer
Erythrée et plus encore, le golfe Persique, ne reçoit
aussi que des rivières sans importance; mais les an-
ciens en ont connu plusieurs, qui méritent par là d'être
mentionnées, comme TAréôn — Nabend, — le Sita-
cos — Presktaf — , le Granis — Séfid — et l'Oroatis —
Thab, — la plus grande de toutes, d'après Strabon^
Tandis que le versant occidental de la chaîne du
Louristan et du Khouzistan envoie au Tigre de puis-
sants affluents, tel queleDiyalah — l'ancien Gyndès — ,
la Kerkha — le Choaspès des Grecs — et le'Karoun —
probablement le Pasitigris, — il ne sort du versant
oriental que des cours d'eau peu considérables, comme
le Karatchaï, qui, avec l'Abagar, arrose l'ancienne
Médie et va se perdre dans le lac Haus-i-Soultan, et le
Zayendeh-roud, qui se jette dans le lac d'fepahan*. Maîs«
du pied oriental du Zagros sort le Kizil-ouzen ou Séfid-
roud — l'ancien Merdos — , qui, après un long détour,
traverse TElbourz pour porter à la Caspienne les eaux
de la région orientale du plateau de l'Aderbeidjan \
1. Fr. Spiegel, ojo. laud., vol. I, p. 13-16. — W. Hughes,
Allas, pi. 31. — Elisée Reclus, op. laud,, vol. IX, p. 44.
2. Art. Béloutchistan dans la Grande Encyclopédie. — Elisée
Reclus, op. laud.j vol. IX, p. 117.
3. Arrien, Historia indica^ cap. 38, 7 et 8, et cap. 39, 3 et
8. — Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 3, 1.
4. Andrée, HandaÛas, pi. 80.
5. Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 75-78. •
• •
8 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
J*ai déjà mentionné le Gourgan et TAtrek, autres
affluents de cette grande mer intérieure, ainsi que
le Héri-roud — l'Arios des Grecs — , qui, après
avoir coulé de TEst a l'Ouest entre la double chaîne du
Séfid-koh et du Siyah-koh, se dirige brusquement au
Nord et va se perdre dans la steppe du Touran. Le
Mourghab — l'ancien Margos — , né sur le versant
septentrional de la même chaîne, disparait lui aussi au
milieu des sables de la plaine de Merv *.
On voit qu'une partie des cours d'eau de l'Iran dé-
passent ses frontières et se rattachent ainsi aux con-
trées voisines, qui, si l'on en excepte le versant de
rindus, en dépendent géographiquement ou histori-
quement. Telle est la bande littorale comprise entre
rOcéan indien, les monts du Mékhran et le plateau du
Béloutchistan ; telle encore la région côtière de la
Caspienne — le Mazandéran et le Ghilan — située au
Nord de la chaîne de TElbourz*. 11 faut y joindre la
région, qui s'étend de cette mer à THindou-Kouch,
au Pamir — le Toit du monde — et à la chaîne du
Thian-chân. Bornée au Sud par les montagnes qui
•fervent de limite septentrionale à l'Iran, elle forme
une vaste plaine, traversée de l'Est à TOuest par
TAmou-Daria — l'ancien Oxus — et le Sir-Daria —
rYaxarte des Grecs — , et qui se confond au Nord avec
la région des steppes de l'Asie centrale. Un preraierdé-
sert, celui de Kara-koum — les « Sables noirs » — ,
dans lequel se perdent les eaux de l'Héri-roud et du
Mourghab, s'étend des montagnes de l'Iran jusqu'à
1. Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 49-53. — Art. Asie dans
la Grande encyclopédie. — Vidal-La blache, Atlas général, pi.
4 et 120.
2. Karl T^rellberg, Persien, p. 424 et 51.
LA FLORE DE L'IRAN 9
•
r Amou-Daria ; un autre désert, le Kizil-koum — les
« Sables rouges » — , sépare le cours moyen de ce
fleuve du Sir-Daria, et, au delà du bassin inférieur de
ce dernier, se déroulent les « Sables blancs » — Ak-
koum — ; ils vont rejoindre à l'Est la « Steppe de la
faim » — Bek-pak-dala — , dernier rempart de cette
vaste contrée contre les incursions des nomades du
Nord\
A l'Ouest, entre la Caspienne et lat mer d'Aral,
s'étend le plateau crétacé de TOust-Ourt, élevé de
200 mètres au-dessus de la première*. Avant notre ère
TAral, qui était beaucoup plus vaste que de nos jours,
recouvrait au Sud une partie du désert de Kara-koum,
et étart, par une espèce de canal, TOugbaï, aujourd'hui
desséché', relié à la Caspienne, qui se trouve main-
tenant à plus de vingt mètres au-dessous de l'Océan.
L'Amou-Daria, après avoir, sou? le nom de Piandj,
drainé tout le versant méridit)nal du Pamir *, reçoit
par ses affluents de gauche, le Koktcha et la rivière
de Koundouz ou Akseraï, les eaux du versant septen-
trional de THindou-Kouch ; les autres rivières, sorties
de cette chaîne ou du Kohi-baba, se perdent dans les
sables, avant d'atteindre le grand fleuve. Le premier
9
1. Elisée Reclus, op, laud., vol. VI, p. 376.
2. A. Grisebach, Die Vegelalion der Erde. Leipzig, 1884,
in-8, t. l,p. 383.
3. X. Hommaire du Hel), Les steppes de la mer Caspienne, le
Caucase, etc. Paris, 184i, in-8, vol. III, p. 233. —M. Venukov,
art, Aral dans la Grande encyclopédie. — S\T2i\^ox\,y}eogra-
phica, lib. XI, cap. 7, 4, confondant l'Oughaï avec l'Oxus, dont
il n'était qu'un réservoir, fait se jeter dans la Caspienne le grand
fleuve touranien.
4. W. Geiger, Die Pamir Gebie te. Eine geographische Mono-
graphie. Wien, 1887, in-4, p. 153-169.
10 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
des affluents de droite de TAraou-Daria, le Mourghab,
lui apporte les eaux du Pamir central, les autres, le
Sourkhab, le Kafîrnagan et le Sourkhân, recueillent
,^ celles qui descendent du versant méridional de TAlaï
et du mont Hissar *. Peu après avoir reçu le Sourkhân,
TAmou-Daria, « le plus grand des fleuves de TAsie,
à Texception de ceux de Tlnde », suivant Aristobule*,
, quitte la région montagneuse et pénètre dans celle des
sables ; mais»le désert n'envahit point complètement
ses bords ; sur la rive gauche la végétation persiste
victorieuse de la steppe. Vers le 42" degré, TAmou
traverse, en la fertilisant, l'oasis du Kharizme.
Aujourd'hui il se divise en plusieurs branches, avant
de se jeter dans la mer d'Aral ; à une époque puéhisto*
rique, et plus tard encore, il se perdait dans la mer
Touranienne, dont le trop plein, après s'être frayé un
chemin entre le grtind et le petit Balkhan, se déver-
sait, par le canal de l'Ougbaï, dans la baie actuelle de
Krasnovodsk \
• Entre le bassin de ce dernier fleuve et celui de
l'Amou-Daria s'étend la vallée du Zarafchan resserrée
entre les chaînes du Hissar au Sud et de l'Aktau au
Nord, contreforts occidentaux de l'Alaï. Sorti d'un
glacier de cette montagne, le Zarafchan — l'ancien
Polytimète — traverse d'abord la haute région du
1. J. Wood, ^1 Journey to the source of the river Oxxis.
London, 1872, in-8, p. 125-233. — W. Geiger, Die Osliranische
Kultur^p. 13 et 15-24.
2. Strabofl, Geographica, liL. XII, cap. 7, 3.
3. Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 46. — M. Venukov, art.
Amou-Daria dans la Grande Encyclopédie. — \V. Geiger, Die
Pamir 'Gebiele, p. 79-100. — Henri Mcser. .4 travers l'Asie
centrale... Impressions de voyage. Paris, 1885, in-'*, p. 281.
',
i
LA FLORE DE L'IRAN 11
Kohistan*, en coulant dans la direction de TOiiest,
qu'il garde jusqu'à sa sortie de la région montagneuse
au delà de Samarkand ; alors s'inclinant vers le Sud,
comme pour rejoindre rAmou;Daria,^ après avoir
arrosé de ses eaux fécondes Toasis de Boukhara, il va
se perdre au milieu des sables, en donnant naissance
au* lac Dengiz '.
Le Sir-Dai*ia prend naissance dans le massif du
Thian-chân, et, sous le nom de Narim, coule d'abord
vers l'Ouest ; il se dirige ensuite vers le Sud-Ouest,
reçoit le Kara-Daria, descendu du massif de TAlaï,
puis, sous le nom de Sir-Daria, reprenant sa route
vers rOuest, il traverse la* longue dépression du
Ferghâna ^ ; au delà de Khodjend il incline vers le
Nord son cours. Changeant, et, après un long circuit
autour de la mer desséchée de Kizif-koum, il se jette,
presque tari par sa longue course à travers le désert,
dans la mer d'Aral *.
II
Peu de pays offrent une aussi grande variété dans
leur climat et dans leurs produite; que le plateau de
riran et les contrées qui s'y rattachent : la plaine du
Touran, qui le continue au Nord et les deux bandes
1. Ch.-E. de Ujfalvy, Le Kohistanj le Ferghanah et le
Kouldja. Paris, 1878, in-4, p. 3.
2. Fr. Spiegel, op. laiid., vol. ï, p. 275. — Elisée Recftis, op.
laud., jfo\. Vi^ p. 396. — W. Geiger. Ostiranische KtiUur, p.
8-10.
3. Ch.-E. de Ujfalvy, op. laud., p. 46. — W. Geiger, op. laud.,
p. 7. •
4. Fr. Spiegel, op. taud., vol. I, p. 270.
i2 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
littorales qui bordent, Tune la Caspienne au Sud,
l'autre la côte septentrionale de l'Océan indien. Entre-
coupée de montagnes, qui interceptent presque toute
commuiy(;atiQn entre les divers torritoires dont elle
se compose, renfermant d'immenses déserts sablon-
neux ou salés qui ne recouvrent pas moins d'un tiers
de sa surface *, cette vaste contrée présente dans •sa
température et sa végétation les contrastes les plus
grands, soit qu'on s'élève de la plaine dans la région
montagneuse, soit qu'on descende de celle-ci sur les
côtes de la mer Caspienne ou de l'Océan indien ; aussi
se divise-t-ellé en plusieurs régions distinctes, mais
qui cependant ont entre "elles certaines ressemblances
caractéristiques. Dans toute* les printemps sont courts
et soudains, les étés secs et brûlants, et des hivers
d'une longueur et souvent d'une rigueur excessives
leur succèdent presque sans l'intermédiaire de l'au-
tomne. L'altitude du sol neutralise la différence de
latitude ; dans les montagnes du Farsistan, dont la*
latitude est bien plus méridionale que celle du Caire,
il tombe une quantité de neige aussi considérable que
dans l'Europe centrale. La pureté de l'atmosphère, en
favorisant l'évaporation, contribue encpre à l'abaisse-
ment et aux écarts le*s plus grands de la température ;
à Chiraz, pendant trois mois, le thermomètre descend
fréquemment le matin au-dessous de zéro ^ ; en plein
été, dans le plateau central, où, pendant le jour, le
1. A. Grisebach, Die Végétation der Erde, vol. ï, p. 405, le
dit de la Perse ; cela n'est pas moins vrai du Tufkestan,
2. A. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 375-376. — Otto Stapf,
Der Landschaftscharakter der persischen Steppen und Wûsten.
(Oesterreichische-Ungarische Revue, vol. IV, 188?, p. 231). —
KarhPrellberg, op, laud., p. 5.
LA FLORE DE L'IRAN 13
thermomètre atteint j)arfois à l'ombre jusqu'à 60 de-
grès, il s'élève, au milieu de la nuit, à 14 ou 15 seule-
ment \
A la rigueur et au caractère excessif du climat
s'ajoute sa sécheresse ; les vapeurs venues de l'Océan
se déposent sur les flancs des montagnes, et quand
les vents» qui les ont portées, atteignent la plaine, iîs y
arrivent desséchés et n'y peuvent déposer qu'une
humidité insufiSsante ; par suite la rareté des pluies y
est extrême ; daiîs la région montagneuse même, elles
sont de courte durée ; Aucher-Eloy dit qu'il ne pleut dans
le Farsistan que de la mi-février à la fin mars ' ; même
dans les contrées les plus favorisées, les pluies n'em-
brassent guère que la période comprise entre décembre
et avril ; mais passé cette époque, elles cessent com-
plètement. Aussi les sources tarissent-elles bientôt,
et beaucoup de cours d'eau restent à sec une partie
de l'année. Toute vie végétale est alors suspendue
dans la plaine iranienne, pour ne reparaître qu'au
printemps suivant.
Les Persans donnent le nom de bidbàn, « qui n'a
pas d'eau », à la région inférieftre de l'Iran — la sous-
région*des plateaux de Boissier^ — , qu'atteignent en
quantité insufSsante les pluies du printemps, et qui,
privée de sources vives et de cours d'eau durables,
ne peut par suite avoir de végétation arborescente que
1. J. de Morgan, Miision en Perse, p. 26. « Pendant labour-
née il avait fait (à Téhéran) 40o à l'ombre ; pendant la nuit le
. thermomètre s'est abSissé à 12» », dit M>»« Dieulafoy, La Perse,
la Chaldée et la Susiane. Paris, 1887, in-fol. p. 165.
2. Relations de voyage en Orient de 1830 à 1838. Paris,
1843, in-8, p. 485.
3. Flora orientalis, vol. I, préface, p. 7.
14 • LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
dans quelques rares vallées, et n^e couvre de verdure
qu^ pendant un petit nombre de mois. Là surtout les
hivers sont rigoureux, la chaleur de Tété excessive, et
en toute saison la différence entre la température de
la nuit ou du matin et celle du milieu du jour y pré-
sente les écarts les plus considérables*.
rlus égale est la température de la région qui s'étend
au-dessus du Biaban ; arrosée par les pluies d'hiver que
retiennent les gorges rocailleuses de ses vallées, rece-
vant aussi dans ses parties élevées d'anondantes chutes
de neige, elle n'est presque jamais dénuée de l'humi-
dité nécessaire aux plantes ; aussi se couvre-t-elle d'une
végétation arborescente plus ou moins épaisse, c'est le
djaengael — la « région boisée » — comme l'appellent
les habitants du pays *.
Plus haut, entre cette région et la limite des neiges
éternelles ou la cime des montagnes, s'étend le saerhadd
— le « haut plateau » — , région où les précipitations
d'eau, comme les chutes de neige, sont considérables et
suffisent pour entretenir, sans qu'elle s'interrompe, la
végétation ; mais où celle-ci, à cause de la rigueur et
de la longueur de l'hivfer ne dure que peu de teftips et
dès lors ne peut devenir arborescente \ •
Malgré la diversité que présgnljp nécessairement la
végétation de régions où elle se trouve dans des con-
ditions si différentes, elle offre cependant dans toutes
un caractère (fommun* celui de la flore des steppes ;
on rqpcontre quelques-unes des plantes qui distinguent
1. 0. Stapf, op. laud.{Oe$t,-Ung. Revue, vol. IV, p. 353).
2. 0. Stapf, op. laud. (Oest.-Urvj. lievue, vol. IV, p. 355). —
0. Drude, Handbuch der Pflanzengeographie. Stuttgart, 1890,
in-8, p. 402.
3. 0. Stapf, op. laud. (Oest.-Ung. Revue , vol. IV, p. 357).
LA FLORE DE L'IRAN « 15
cette dernière dans le Biaban, comme dans le Saerhadd,
et m^e au milieu des clairières du Djaengael. Con-
traintes de s^adapter à la brièveté de la saison pendant
laquelle seule elles peuvent se développer, obligées de
résister aux températures extrêmes et à la sécheresse
excessive de l'Iran ou de la plaine touranienne, en un
mot de c( lutter pour Teau », suivant l'expression pit-
toresque d'Otto Stapf*, elles se font remarquer par une
organisation et une existence végétales toutes parti-
culières.
Les unes, graminées annuelles, liliacées, crucifères
ou silénées herbacées, comme pressées de vivre, se
hâtent de parcourir, dans l'espace de quelques semaines
ou de quelques jours, le cycle borné de leur existence.
Dès les premières pluies du printemps ou aussitôt après
la fonte des neiges, s'éveillant brusquement à la vie,
elles se revêtent d'une verte parure et émaillent de leurs
fleurs brillantes la surface naguère désolée des steppes
ou des hauts plateaux; tantôt isolées, tantôt en groupes
compactes, elles se répandent sur la plaine ou s'élancent
à l'assaut des coteaux; les unes préfèrent le sol im-
prégné de substances salines des bas-fonds des steppes,
les autres les terres gypseuses des pentes abruptes ou
les gorges calcaires de la région montagneuse; elles
s'élèvent ainsi des plaines aritfes du Biaban aux pentes
boisées du Djaengael* et jusqu'aux hauts plateaux du
Saerhadd ; elles ne disparaissent presquer complètement
que sur les cimes les plus élevées ^ Cette végétation
1. Oester.-Ung. Revue, yo\, IV, p. 349.
2. « Les prairies qui se continuentjusqu'au milieu des forêts
sont entremêlées d'iris, de tulipes et de mille fleurs ». J. de
Morgan, op.laiid., vol. II, p. 186.
3. 0. Stapf, op, laud. (pesL-Ung. Revue, vol. IV, p. 360).
16 • LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
toutefois n'a dans les steppes surtout qu'une courte
durée ; à l'approche de l'été elle se fajie et se flétrit et,
à la place de la tendre verdure et des fleurs éclatantes,
qui naguère égayaient la monotonie de la plaine, il ne
reste plus que des chaumes jaunis et desséchés, que
les vents, en se jouant, arrachent et poussent devant
eux, hrisés et réunis en boule ; comme animés d'une
vitesse propre, ces « coureurs de la steppe » répandent,
en la traversant, les semences fécondes qui germeront
au printemps prochain pour lui donner une vie nou-
velle*.
Véritables éphémères qui succombent aux premières
atteintes de Tété, ces végétaux, pendant leur courte
existence, n'ont pas besoin de protection contre l'inclé-
mence des éléments ; elles n'offrent aussi rien d'anor-
mal dans leur organisation. Il en est tout autrement
des plantes dont la période de végétation dépasse le
printemps et qui, affrontant les ardeurs de Tété, pour-
suivent pendant plus d'une année leur existence sous le
climat excessif de la plaine ou des hauts plateaux.
Pour se défendre contre les ardeurs du soleil et la
sécheresse de l'air, celles-ci, ou retardent leur dévelop-
pement, ce qui épargne l'eau nécessaire à leur crois-
sance, ou le plus souvent modifient profondément leur
organisme*. Les unes, comme les chénopodées ou les
1. K.-E. von Bâer, Caspische Sludien, p. 123, ap. A» Grise-
bach, op. laud., vol. I, p. 421. Une chénopodée des collines
sablonneuses du Béloutchistan, Y Agriophyllum latifoliurriy en
particulier est ainsi roulée par les vents; en Perse, une com-
posée commune, la Gundelia Tourneforliiy entraînée de même,
malgré ses dimensions, jette la panique parmi les troupeaux.
J.-E.-T. Aitchison, Notes on Products of western Afghanis-
tan and North-East Persia. Edinburgh, 1890, in-8, p. 6 et 96.
2. Tschirch, Ueber einiye Beziehungen des anatomischen
LA FLORE DE L*IRAN 17
salsolacées, s'entourent d'une carapace épidermique
ou d'un vernis mauvais conducteur de la chaleur, qui
diminue Tévaporation, ou bien elles se gonflent de sucs
imprégnés des sels de soude fournis par le sol, solutions
qui s'évaporent moins rapidement que la sève ordinaire ;
d'autres — légumineuses, composées, borraginées,
labiées, — se revêtent d'une couche de poils ou s'en-
tourent d'une atmosphère aromatique, afin de modérer
l'action des rayons solaires et de limiter en même temps
la transpiration ; d'autres encore se hérissent d'épines
ou d'aiguillons, formés soit des pétioles lignifiés, soit
de bourgeons avortés ou bien encore de la pointe
foliaire endurcie*, organisation qui tend à faire résis-
tance à l'évaporation, en diminuant le nombre et la
dimension des surfaces par lesquelles elle s'exerce.
Pour la môme raison les feuilles de certaines espèces,
par exemple les tamariscinées, sont réduites aux
dimensions les plus exiguës ou môme supprimées,
comme chez les chénopodées aphylles. Chez d'autres,
certaines graminées en particulier, les feuilles s'en-
roulent ou prennent la position verticale pour diminuer
l'action du soleil et atténuer en même temps la trans-
piration*. D'autres fois encore les cellules épidermiques
se remplissent de mucilage, rebelle à l'évaporisation ;
ou bien les s<,omates, par lesquels se fait la transpira-
tion, sont abrités dans les cavités de l'épiderme —
Baues der Assimilationsorgane zu Klima und Standorl. {Lin-
naeay vol. XLIII (1880-82), p. 139-252). — 0. Drude, Hand-
buch, p. 27.
1. Grisebach, op. /aurf., vol. I, p. 426. — Trad. Tchihatchef,
vol. I, p. 633. — 0. Stapf, op, laud. {Oest,-Ung, Bévue, vol.
IV, p. 349 etsuiv.)
2. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 421-424.
JoRET. — Les Plantes datis l'antiquité. II. — 2
iÔ LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
c'est le cas pour le hâd — -, ou dans des rainures garnies
de cils, comme chez les Aristida\
Cette organisation particulière permet aux plantes
qui la possèdent de continuer de vivre et de se déve-
lopper pendant la saison sèche et brûlante de Tété;
grâce à Tabondance de sève alcaline dont elles sont
pourvues, quelques-unes même peuvent atteindre à
des dimensions considérables ; tel est le saksaul —
r
Haloxylon ammodendron — , salsolacée répandue de la
région de TAral jusque dans les déserts sablonneux
du Béloutchistan*. Dans un voyage qu'il fit d'Oren-
bourg à Khiva, le naturaliste Basiner rencontra sur le
plateau d'Oust-Ourt une forêt de saksauls qui avaient
des troncs de 2 décimètres de diamètre et 5 à 6 mètres
de hauteur'. Cet arbre singulier se couvre de fleurs et
porte des fruits, mais il n'a pas de feuilles véritables ;
elles sont remplacées par de petites écailles, longues
d'environ deux millimètres. Le tronc n'est pas formé non
plus de couches concentriques rassemblées autour de
l'axe primitif, mais d'espèces de bourrelets réunis en
faisceau ; le bois est néanmoins d'une extrême dureté
et sa pesanteur spécifique dépasse celle de l'eau*.
Toutes les plantes des steppes cependant ne sont
1. Georg Volkens, Die Flora der Mgyptisch- Arabischen
Wiisle auf Grundlage analomischphysiologischer Forsckungen
dargestellt. Berlin, 1887, in-4, p. 43.
2. Aitchison, Notes on products of Western Afghanistan, etc.,
p. 98. Les Perses lui donnent le nom de tùrgaz ; saksaul est
celui que lui donnent les Turcomans.
3. fieise durch die Kirgisensleppe nach Chiva. (Beilrâge zur
Kenntniss des Russischen Reichs^ vol. XV, p. 93). Aitchison dit
en avoir mesuré un qui, à 2 pieds du sol, avait 4 mètres de
circonférence.
4. Al. Petzholdt, Turkestan. Leipzig, 1874, in-8, p. 13. —
A. Grisebach, op, laud., vol. I, p. 424.
LA FLORE DE L'IRAN 19
pas armées contre la chaleur et la sécheresse du cli-
mat; il en est qui, quoique vivaces, ne présentent rien
de particulier dans leur organisation, si ce n est peut-
être l^extrêrae division du feuillage de quelques-unes
d'entre elles. Leur végétation, il est vrai, n'est guère
plus longue que celle des éphémères; mais si leurs tiges
et leurs feuilles se dessèchent presque aussi rapide-
ment sous les ardeurs du soleil, elles laissent dans le
sol une partie de leur organisme, qui survit à la pé-
riode de sécheresse et dont la plante renaît au prin-
temps suivant. Pendant la durée de leur rapide crois-
sance elles emmagasinent dans leur partie souterraine
des provisions pour leur développement futur, et éla-
borent, dans cet atelier secret, les organes qui s'éveil-
leront à la vie lors d*un nouveau printemps *.
Les dimensions auxquelles peuvent atteindre ces
plantes leur permettent de prendre les formes les plus
variées; les unes, comme les férules et quelques ombel-
lifères du même groupe, avec leurs feuilles finement
découpées, se rapprochent encore des éphémères ;
d'autres, telles que les rhubarbes s'en écartent déjà
par leur large feuillage; d'autres enfin s'en distinguent
complètement par les oignons ou les bulbes, qui assu-
rent leur persistance ; mais toutes ont ceci de parti-
culier qu'une portion de leur tige plus ou moins con-
sidérable reste vivante dans le sol, et se couronne au
printemps d'unerosettede feuilles, du milieu de laquelle
s'élance une tige nue ou fouillée, qui porte les fleurs.
La souche jadis arrêtée dans son développement en-
treprend maintenant, soit seule, soit unie à une ra-
cine puissante, la tâche de fournir en quantité suffl-
1. 0. Stapf, op. laud, (OesL-Ung. Revue, vol. IV, p. 362).
^ LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
santé les matériaux nécessaires à la production des
parties aériennes de la plante, à la formation future
des boutons et des fleurs, matériaux qu'elle tient
cachés au milieu d'enveloppes protectrices pendant
le repos forcé du prochain hiver. Tel est le rôle que
jouent en particulier les oignons, les bulbes et les grif-
fes d'un nombre si considérable de plantes de l'Iran.
«Dans son développement, l'oignon des liliacées est,
suivant la remarque ingénieuse de Grisebach*, comme
le symbole de la conservation et de la résurrection
périodique des forces organiques de la nature, engagée
dans la lutte avec le climat. »
Les plantes d'organisation si variée, dont je viens
d'essayer de donner une idée générale, sont très iné-
galement réparties dans les diverses régions de l'Iran
et du Turkestan ; chacune de ces contrées a sa flore
particulière, qui présente même parfois des difl'érences
notables, suivant la nature du sol et son degré plus
ou moins grand d'humidité ou de sécheresse. Quel-
ques espèces ou quelques familles cependant croissent
presque également dans les diverses régions du plateau
iranien, seulement à des époques difl'érentes. Dés les
premiers jours du printemps les steppes de la plaine
s'émaillent ici de liliacées — tulipes *, Gagea, Ere^
mwrw5,muscaris,etc. — ; là d'iridées — glaïeuls, iris,
Ixiolirion — , ailleurs d'amaryllidées ou de colchica-
1. Die Végétation der Erde, vol. î, p. 430. Trad. Tchihatchef,
vol. I, p. 638.
2. Les tulipes surtout sont nombreuses dans l'Iran ; Baber
dit qu'il fit compter celles qui émaillaient de leurs riches cou-
leurs les pieds de la montagne du touman de Gour-Bend dans
le Caboul, et qu'on en trouva 32 ou 33 espèces. Mémoires, tra-
duits par Pavet de Courteille. Paris, 1871, in-8, vol. I, p. 297.
LA FLORE DE L'IRAN . 21
cées, auxquelles se mêlent parfois des anémones* et des
Draba^. Bientôt ces fleurs envahissent les hauteurs, où
se plaisent seulement plusieurs d'entre elles, comme
la Couronne impériale, qu'on ne rencontre que dans les
montagnes des environs de Chiraz, et si, à l'exception
des aulx, elles sont rares dans la région du Djaengael,
elles abondent, au contraire, dans le Saerhadd, où quel-
ques-unes apparaissent dès la fonte des neiges, tandis
que les autres ne fleurissent qu'au milieu ou même à
la fin de Tétél
Mais là elles se mêlent aux plantes frutescentes
propres à cette région : astragales tragacanthes, non
moins nombreuses dans les parties élevées de l'Iran
ou du Turkestan* que sur le plateau anatolien^ cara-
ganas, onobrychides, spirées ligneuses, férules et
autres grandes ombellifères au feuillage finement dé-
coupé*, borraginées frutescentes et toufi'ues^ rhubar-
bes aux larges feuilles d*un vert sombre et à reflets mé-
talliques, qu'on rencontre là où le sol est plus maigre.
D'autres plantes semi-frutescentes occupent les colli-
1. Par exemple IMfiemone biflora, Boissier, op. laud., vol. I,
p. 12. Parmi les amaryllidées il faut citer Je Narcisstts
tazella.
2. G. Capus, Cltmal et végélalion du Turkestan. (Annales des
sciences naturelles^ 6* série. Botanique, lib. XV, p. 202).
3. 0. Stapf, op. laud, (Oester.'Ungar. Revue, vol. IV, p. 36'i-
365). — Boissier, Flora orientalis, s. v.
4. Mission Capus, Plantes du Turkestan. (Annales des sciences
naturelles j vol. XV, p. 254-261).
5. Bunge a évalué à 800 le nombre des astragales du do-
maine des steppes de l'ancien monde. Grisebach, op. laud.,
vol. I, p. 556. Cf. Les plantes dans l'antiquité et au moyen âge y
vol. I, p. 328.
6. Telles que les CachrySy Dorema, Ferulago, etc.
7. Comme les Solenanthus, Paracaryurn, Cyphomattia,
Trichodesma, etc.
22 LES PUNTES CHEZ LES IRANIENS
nés ou les premières hauteurs qui précèdent la région
du Djaengael : silénées épineuses, maWacées aux bel-
les fleurs blanches, jaunes ou écarlates, hedjsarums
aux feuilles velues et argentées, inules, centaurées aux
larges fleurons, labiées aux longs épis de fleurs, etc/
Et plus bas, dans la plaine inculte, des réglisses, dont
les rameaux traînants étouffent toute autre végéta-
tion, des phlomides cotonneuses, des chardons hérissés
et de nombreux représentants du genre Cotisinia,
composée propre surtout à Tlran et au Turkestan*,
ainsi que V Acantholimon, plumbaginée épineuse, dont
les tiges presque dépourvues de feuilles sont couvertes
de fleurs roses et délicates'; enfin des armoises au
feuillage soyeux, répandues en nombreuses espèces,
des steppes de la plaine aux sommets neigeux du
Saerhadd.
Les plantes frutescentes et épineuses, qui croissent
en si grande quantité sur les versants déboisés des
montagnes ou sur les hauts plateaux, se rencontrent par-
fois aussi dans les steppes ; la flore de ces dernières
varie d'ailleurs singulièrement avec l'altitude et sur-
tout avec la nature du sol, ici dépourvu de substances
salines et mêlé d'humus, là sablonneux ou alcalin.
Aussitôt après les premières pluies du printemps, les
steppes de la première espèce — les steppes à humus*
— se couvrent de liliacées et d'autres plantes bulbeu-
1. 0. Stapf, op, laud. (flester.-Ung, Revue, vol. V, p. 155-
157).
2. Boissier, op. laud., vol. I II, p. 463-513, indique 104 espèces
de Cousinia dans cette double région.
3. Sur 74 espèces à'Acanlholimorty Boissier en indique 56 sur
le plateau de Tlran.
4. Grisebach les appelle steppes herbeuses ou à graminées.
LA FLORE DE L4RAN 23
ses, ainsi que de graminées', qui les revêtent pendant
quelque temps d'un tapis de verdure, mais qui se
dessèchent et meurent dès que le sol a perdu son hu-
midité ; seules quelques espèces vivaces, comme les
Aristida et les stipes — le thyrsa des Russes — , ré-
sistent, grâce à leur organisation spéciale et plus ro-
buste, aux premières atteintes du soleil, mais elles ne
laissent bientôt que des chaumes jaunis, impropres à
l'alimentation du bétail. A côté de ces graminées
croissent aussi quelques plantes herbacées ou sous-fru-
tescentes : crucifères, silénées, légumineuses et com-
posées, borraginées surtout ^
Quelques-unes de ces plantes se rencontrent aussi
dans les steppes sablonneuses, mais à titre d'excep-
tion ; celles-ci ne sont pas complètement dénudées
toutefois ; plusieurs légumineuses semblent même en
rechercher le sol aride, tels que les Ammodendron et
les Ammothamnus des bords orientaux de la Cas-
pienne et du désert de Kizil-koum^ le genêt aphylle* de
celui de Kara-koum ; telles encore que les nombreuses
tragacanthes frutescentes, répandues en touffes épi-
neuses sur toutes les hautes steppes de l'Iran*, les
alhagis, demi-buissons épineux aussi des régions plus
basses, ainsi que la rose à feuilles d'épine-vinette —
Hulthemia berberifolia — de la steppe des Kirghis®;
1. Entre autres la Festuca ovina et le Trilicum cristatum.
2. F.-J. Basiner, op. laud. (Beitràge, vol. XV, p. 62). — A.
Grisebach, op. laud., vol. I, p. 435-437.
3. Boissier, Flora, vol. II, p. 627-628.
4. Eremosparton aphyllum. Boissier, op. laud., vol. II,
p. 197.
5. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 439. Trad., vol. I, p. 648.
6. Grisebach, 0/7. laud., vol. I, p. 'i26. Trad., vol. I, p. 633.
24 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
les zygophyllées *, dont nçus avons rencontré plusieurs
espèces dans les déserts libyque et arabique'; les
polygonées du genre Atraphaxis ^, et surtout les cal-
ligonées*, sous-arbustes aux rameaux grêles et divari-
quées, aux feuilles ténues ou nulles, dont le représen-
tant le plus curieux est le Calligonum Pallasii^ des
sables mouvants voisins de la Caspienne.
Quand le sable fait place à Targile et que les pluies
ne sont pas assez abondantes pour empêcher ou en-
traîner les formations alcalines, la steppe change alors
de caractère, elle devient plus ou moins saline et sa
flore se compose presque exclusivement de plantes
halophyles ; les salsolacées surtout y développent
leurs nombreuses espèces * et leurs formes variables ;
tantôt annuelles et herbacées avec des feuilles courtes
et cylindriques, tantôt vivaces et frutescentes et sou-
vent presque aphylles, elles bravent, grâce à Tabon-
dance de leur sève alcaline, les ardeurs du soleil, et,
continuant de se développer au milieu des chaleurs de
Tété, elles peuvent atteindre, comme le saxaul, des
1. Niiraria Schoheri ; Zygophyllum Karelini, macropteitim,
eurypteruniy brachyplerum, miniatum, ovigerum, Turcomani-
cum, etc. Boissier, voL I,p. 900-S19.
2; Les plantes dans Vantiquitèy voL I, p. 11.
3. Atraphaxis Aucheri, Afghanica, candidoy compacta^ py-
rifolia, spinosa, suaedaefolia. Boissier, vol. IV, p. 1019-1024.
4. Calligonum Bungei, denticulalum, stenopterum, Persicurriy
comosum, crinitum, eriopodum, Calliphysa, caput-Medusae,
Boissier, voL IV, p. 997-1001.
5. Ou Pterococcus aphyllus. Grisebach, op. laud., voL ï,
p. 425. Trad., vol. I, p. 631.
6. 'A triplex, Ceratocarpus, Camphorosma, Kochia, Salicor-
nia y HalostachySy Suaeda, Haloxylon, Salsola, Anabasis,
IlalochariSy Ilalimocnemis, Ilalarckoriy Halanthium, Cornu-
laça, etc. Boissier, Flora, vol. IV, p. 907-?85.
LA FLORE DE L'IRAN 25
proportions arborescentes. A ces plantes s'associent
parfois V Hahmodendron argenteum, légumineuse du
Khorâsan et du Turkestan, ainsi que des euphorbia-
cées, mais surtout des armoises * au feuillage velu et
blanchâtre et des chénopodées dont le nombre et les
dimensions augmentent avec Thumidité et diminuent
avec elle. Dans la steppe desséchée de Mangichlak, sur
le versant caspien de l'Oust-Ourt, par exemple, on ne
voit plus en été qu'une seule chénopodée aux rameaux
dénudés, YAnabasis aphylla *.
Malgré les dimensions considérables qu'elles at-
teignent parfois, ces plantes n'appartiennent pas à la
flore arborescente proprement dite : on ne rencontre
les représentants de cette dernière qu'aux bords des
rivières de la plaine, dans les vallées arrosées du ver-
sant des montagnes ou sur les croupes de celles-ci dans
la région humide du Djaengael. Partout où l'eau
abonde ou se trouve en quantité suffisante, la végéta-
tion se transforme; une flore nouvelle apparaît près des
sources et aux bords des torrents ; on voit, ici des buis-
sons de ronces ' ou d'églantiers *, là des fourrés de
tamaris 5,, ces grands arbustes au feuillage aciculé et
1. Ariemisia eriocarpa, erantkema, aongarica, salsolotdes,
scoparia, lobulifolia^ herba-albUf fragrans, Sogdiana, sero-
tina, Tourne fort icuia y etc. Boissier, vol. III, p. 361-376.
2. ï^BLer^ Kaspische Sludien, p. 119 et 127, ap. Grisebach,
op. laud.j vol. I, p. 4'jO. Trad., vol. I, p. 650.
3. Bubus caesius, collinus, discolor, glandulosus, Persicus.
Boissier, Flora, vol. II, p. 692-695.
4. Bosa asperrÛMiy Cabuiica, catiina, albicanx, anserinae-
folia, feroXf glutinosa, KoUchyana, lacerans, Lehmanniana,
lulea, moscfiata, oxyodon, Rapini, Tuschetica, etc. Boissier,
Flora, vol. II, p. 671-687.
5. Tamarix Bungei, Bachtiarica, dubia, elongala, florida,
hpahanica, Kotschyi, laxa, leptopelala, macrocarpa, man-
26 LES PUNTES CHEZ LES IRANIENS
grisâtre, parfois charnu, aux belles grappes de fleurs
roses ou écarlates, qui accompagnent tous les cours
d'eau douce et les lacs salés de la Perse et du Turkes-
tan. Parfois il s'y mêle des gattiliers \ ainsi que des
lauriers-roses odorants et des myrtes, arbrisseau mé-
diterranéen, qu'on rencontre aussi dans la région mon-
tagneuse de l'Iran. Sur les collines croissent également
l'arbre de Judée — Cercis siliquastrum — , des chèvre-
feuilles frutescents ' et, dans les sous-bois, des bague-
naudiers', des daphnés, des épines-vinettes*, ainsi que
des vignes non sarmenteuses \
On trouve encore au milieu des rochers, où se plai-
sent ces vignes, des figuiers aux feuilles larges et
sombres *, des nerpruns \ des épines", des pistachiers*
et des amandiers *°. Mais on rencontre ces derniers en
bien d'autres lieux, depuis les steppes de la plaine
jusqu'à la région du Djaengael, seulement sous des
nifera, octandra, rosea, serotina, stricia. Il faut y joindre les
Reaumuria fruticosUy Persica, Oxiana, squarrosa, Slocksii.
Boissier, vol. I, p. 759-777.
1. Vitex agnus-castus et negundo. Boissier, vol. IV. p. 535.
2. Lonicera IbencŒj orientalis^ Persica ou nummularifolia,
etc. Boissier, vol. III, p. 4-8.
3. Colutea Persica, triphylla. Boissier, vol. II, p. 196.
4. Daphne acuminala. — Berberis vulgaris et densiflora.
Boissier, vol. IV, p. 1048, et vol. I, p. 102.
5. vais Persica ou Cissus vilifolia. Boissier, vol. I, p.
955.
6. Ficus Persica, virgata. Boissier, vol. IV, p. 1154-53.
7. Rhamnus cornifolia, Kurdica, Persica. Boissier, vol. II,
p. 17-20.
8. Crataegus melanocarpa, pectinata. Boissier, vol II, p.
662-663.
9. Pisiacia Cahulicay Khinjuk, Boissier, vol. II, p. 6-7.
10. Amygdalus eburnea, hotriday leiocarpa, scoparia, spino-
sissima, Boissier, vol. II, p. 643-645.
LA FLORE DE L'IRAN 27
aspects et avec des formes différentes ; nains et ram-
pants dans les steppes*, ces arbres prennent des pro-
portions considérables sur les collines rocailleuses et
dans les gorges des montagnes, où ils croissent sou-
vent en compagnie d'une paronychiée frutescente, le
Gymnocarpum fruticosum^y mais surtout des Ephe-
dra^ particulièrement communs sur le plateau iranien.
La plupart de ces espèces appartiennent à la région
qui précède le Djaengael; mais beaucoup aussi pénè-
trent dans celle-ci et se mêlent aux grands arbres
dont la présence la caractérise. Si, en effet, on en
rencontre quelques-uns aux bords des rivières de la
plaine: peupliers*, en particulier celui de TEuphrate
— patta — , et saules^ mêlés aux tamaris, parfois
aussi aux chalefs à feuilles argentées, ainsi qu'à
de gigantesques roseaux, retraite d'innombrables
oiseaux et des fauves*, les arbres n'apparaissent véri-
tablement que sur les hauteurs alpestres \ mais ils y
sont communs, là où la main de l'homme ne les a pas
détruits : chênes du Kourdistan et de la chaîne du
1. Àmygdalus nana. Basiner, BeUrâge, vol. XV, p. 63.
2. Gri&ebach, op. laud., vol. I, p. 140.
3. Ephedra disiachya, pachyclada, Nebrodensis, foliata,
polylepiSy peduncularis, alala. Boissier, vol. V, p. 715-717.
4. Populus albtty Euphratica. Boissier, F/ora, vol. IV, p.
1193-1194.
5. Salix alba, angustifolia^ Daviesii, Persica, etc. Boissier,
vol. IV, p. 1183-1187.
6. A. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 430. Trad., vol. II,
p. 638.
7. Il faut dire que, sans parler dupeuplier del'Euphrate, les
tamaris ont parfois des dimensions arborescentes. Aitchison ,
Notes, p. 201, dit avoir vu sur les bords de THilmend des Ta-
marix articulata qui avaient de 6 à 9 pieds de circonférence
et près de 40 pieds de haut.
28 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
Zagros^ dont ils couvrent toutes les pentes jusqu'à
2000 mètres d'altitude; frênes des hauteurs du Kour-
distan et du Khoràsan'; peupliers de l'Euphrate et
diverses espèces de saules au bord des torrents ; pla-
tanes des hautes vallées du Nord-Ouest ; genévriers des
montagnes du Khoràsan et de TElbourz méridional';
cyprès — sàfwi kuhi — de la Perse septentrionale* ;
pins du Khoràsan oriental et de la Perse méridio-
nale ^ etc.
Quelque nombreux qu'ils soient, ces arbres cepen-
dant sont le plus souvent trop isolés pour former de
véritables forêts ; celles-ci n'apparaissent à vrai dire
en Perse que sur le versant septentrional de l'Elbourz,
dans le Ghilan, le Mazandéran et le Daghistan. Grâce
au climat exceptionnellement humide de cette contrée,
la végétation arborescente s'y trouve dans les conditions
les plus favorables ; aussi y est-elle aussi riche que
variée ^ A part quelques ifs isolés, l'es conifères toute-
fois y font défaut ^ ; mais on y rencontre de nom-
breuses espèces d'arbres à feuilles caduques ou per-
1. QuerctLS baloUOy Libani, Persica. Boissier, Flora, vol. IV,
p. 1165-1167. — Grisebach, op. laud., vol. H, p. 453. Trad.,
vol. II, p. 669.
2. Fraxiniis oxyphylla, var. oligophylla, et parvifoHa.
Boissier, vol. IV, p. 40-41.
3. Juniperus conimunis, macropoda, oxycedrus, sahina.
Boissier, vol. V, p. 707 et 710. Aitchison, NoteSy p. 108, men-
tionne aussi le Juniperus excelsa dans le Khoràsan et sur les
contreforts septentrionaux du Paropamise.
4. Cupressîis sempervirens. Boissier, vol. V, p. 705.
5. Pinus Brutia et Persica, Boissier, vol. V, p. 695 et 698.
6. « Densa silvis est »,dit Strabon de la Parthyène, lib. XII,
cap. 9, 1.
7. A. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 452. Trad., vol. I, p.
668. « Aristobulus ait Hyrcianiam silvosam esse et quercum
ferre, picea, ablete, acpinucarere ». Strabon, lib. XI, cap. 7, 2.
LA FLORE DE L»IRAN 29
sîstantes, depuis le buis et le houx jusqu'au platane
oriental', des tilleuls, des charmes et des aunes', des
érables^, diverses espèces de chênes et de frênes*, de
peupliers * et surtout de saules*; le hêtre, qui atteint
là sa limite orientale ; le Zelkova crenata, grand arbre
semblable à Terme, qu'il remplace dans cette région;
une belle hamalidée, voisine du Liquidambar — la
Parrotia Persica'' — ; une légumineuse à l'élégant
feuillage, le fèvier de la Caspienne — Gleditschia
Caspica — ; une gracieuse mimosée, VAlbizzia Juli-
brizzin^y enfin des fusains®, des nerpruns, des épines ,*°
sans parler des arbres à fruits, dont il sera question
plus loin". Jouissant i la fois des tièdes hivers de l'Ir-
lande et des étés de l'Andalousie, la végétation de cette
contrée privilégiée diffère profondément de celle de
l'Iran proprement dit, et sa flore n'a rien de celle des
steppes, qu'on rencontre de l'autre côté de l'Elbourz.
C'est, au contraire, la flore des steppes qu'on
1. Boissier, Flora, voL IV, p. 34, 1144 et 1161.
2. Tifia rubra, — Carpinus betulus et Duinensis. — Alnus
cordifolia et orientalis. Boissier, vol. I, p. 847 ; vol. IV, p.
1177 et 1179.
3. Acer campestre, insigiiCj laetum, Tataricunij opulifolium,
Boissier, vol. I, 947-948.
4. Quercus sessiliflora y mannifera, et caslaneaefolia. —
Fraxinus oxyphlla. Boissier, vol. IV, p. 40, 1164 et 1174.
5. Populus alba, Euphratica et nigra. Boissier, vol. IV, p.
1193-1194.
6. Salix alba, angustifolia, capraea, cinerea, purpurea,
triandra, etc. Boissier, vol. IV, 1185- 1186.
7. Boissier, Flora, vol. II, p. 818.
8. Boissier, Flora, vol. II, p. 631, 633, 639.
9. Evonymus latifolius. Boissier, Flora, vol. I, p. 10.
10. Hhamnus grandi/lora, Persica, etc. — Crataegus lagena-
ria, pectinata, Boissier, vol. II, p. 17, 22, 663-664.
11. Das Amland, an. 1868, p. 495. — Drude, Handbuch, p.
402-409.
30 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
retrouve encore dans la partie orientale du plateau
iranien, en même temps que, par quelques-uns de
ses représentants, elle se rapproche de celle de THin-
doustan occidental ; cette contrée forme ainsi comme
une région botanique intermédiaire entre la Perse et
rinde. Dans les plaines brûlantes ou sur les collines du
Béloutchistan et de l'Afghanistan méridional, on ren-
contre un certain nombre d'espèces végétales : mélia-
cées, célastrinées, sapindacées, pomacées,ljthrariées,
lagoniacées, apocynées, bignoniacées *, mimosées *
surtout, etc., propres au Sindh et au Pendjab; puis
dans les hautes vallées et sur les flancs du Souleiman,
ainsi que dans les régions élevées de l'Afghanistan
septentrional, en particulier sur les montagnes qui
enserrent l'étroite vallée du Caboul, des jasmins ^ des
lilas*, des chèvrefeuilles, des viornes*, etc., formant
les sous-bois avec des essences arborescentes nou-
velles : frênes ^ chênes", bouleaux, le marronnier
1. Melia azedarach ; Celastrus spinosus et senegalenxis ;
Dodonaea viscosa ; Coloneaster nummularia ; Woodfordia
floribunda; Buddleia pnnicuîata; Rhazya slricta ; Bignonia
undulata. Brandis, The Foresl Flora of North- We$l and central
India. London, 1874, in-8, p. 81, 113, 209, 237, 318, 322, 352.
— A.-W. Hughes, The eountry of Balochistan, ils geography,
ethnology, etc. London, 1877, in-r2, p. 19.
2. Acacia eburnea^ modesta, Boissier, Flora, vol. II, p. 637-
638.
3. Jasminum officinale, revolutum dans le Waziristan. Bois-
sier, vol. IV, p. 42. — Brandis. Foresl Florayp, 313.
4. Syringa Persica, Emodi. Brandis, Foresl Flora, p. 306.
5. Lonicera quinquelobaris. — Viburnum colinifolium.
Brandis, Flora, p. 255 et 258.
6. Fraxinus Mobrcraftiana ou xanthoxyloxdes, Boissier,
Flora, vol. IV, p. 41.
7. Quercus dilatata, semecarpifolia. Brandis, Flora, p. 479
et 481.
LA FLORE DE UIRAN 31
d'Inde*, Tébénier sissou', et surtout des conifères,
que nous rencontrerons dans THimalaya occidental :
déodara de la vallée du Kouram', sapins* et pins du
Kafiristan, des monts Souleiman et du Séfid-Kouh^,
etc. La plupart des derniers représentants de cette
flore arborescente se retrouvent aussi dans le haut
Turkestan, surtout dans la vallée du Zarafchan et dans
le Ferghâna, en même temps que des espèces incon-
nues dans riran proprement dit: tamaris de Karelin et
de Pallas, hippophaés, frêne de la Sogdiane, orme, peu-
plier baumier, bouleau blanc, sapin de Schrenck ®, etc.
L'Iran oriental et le haut Turkestan forment, on le
voit, une région botanique particulière, mais sans
caractère bien tranché; la bande littorale, qui va du
détroit d'Ormuz à Tembouchure du Sindh, en forme,
au contraire, une bien caractérisée, non plus tempérée,
comme la côte méridionale de la Caspienne, mais semi-
tropicale par son climat et la nature de ses produits ;
c'est le germsir, la « terre chaude' ». A la fois sèche
1. Betulus BojpaUra. — Aesculus indicus. Brandis, Flora,
p. 103 et 458.
2. Dalbergia Sissoo de la vallée de Kouram. Aitchison, On
the Flora of ihe Kuram valley. (Journal of Ihe Linnean So-
ciety y vol. XIX, p. 160).
3. Journal of the Linnean Society, vol. XVIII, p. 98.
4. Abies Smithiana, Webbiana. Boissier, vol. V, p. 700 et
704. — Grisebach, op. laud., vol. I. Trad., vol. II, p. 606.
5. Pinus excelsa, Gerardiana, Brandis, Flora, p. 506-510.
— Aitchison, Notes-, p. 153 et Journal of the Linnean So-
ciety, vol. XVIII, p. 98.
6. Capus, Indications sur la végétation du Turkestan. (An-
nales des sciences naturelles. Botanique, 6« série, vol XV (1883),
p. 206, et Franchet. Plantes du Turkestan, vol. XVIII (1884),
p. 247-253).
7. Otto Stapf, Oest.-ungarische Revue, vol. IV (1887), p. 357.
Oscar Drude, Ilandbuch, p. 401.
32 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
et brûlante, on y trouve des plantes du Sahara, en
même temps qn'un certain nombre d'espèces propres
aux steppes ou aux coteaux arides de Tlran. Parmi les
premières il faut mentionner Vasher — Calotropis
procera^ — , asclépiadée au feuillage glauque et épais,
au suc acre et laiteux, aux rameaux tortueux, que
nous avons rencontrée dans les déserts de TÉgypte et
de la Syrie, et qui croît également dans le voisinage
du golfe Persique, ainsi que près de l'oasis de Khab-
bis et même dans l'Afghanistan ; le mada des Perses
— Periploca aphylla * — , plante de la même famille,
mais dénuée de feuilles, qui se trouve à la fois dan^
le Laristan, et dans le Béloutchistan ; le konar —
Zizf/phus Spina Chrisli ' — , jujubier de la tlore
d'Egypte et de la région du lac Asphaltique, qui appar-
tient aussi à celle de l'Iran méridional.
A ces plantes ou grands arbustes il faut ajouter
des amandiers*, ainsi que des tamaris ^ qui se plai-
sent sur le littoral brûlant de l'Océan indien, des mi-
mosées et surtout des palmiers*. Sans doute querques
représentants de la tribu des Mimosées, tel que le
Prosopis stephaniana, se rencontrent dans la Perse
centrale et même septentrionale, comme dans l'Iran
méridional ; mais c'est dans cette dernière région
1. Boissier, Florùy voL IV, p. 57. Cf. Les Plantes dans Van-
tiquitéy vol. I, p. 9 et 338.
2. Boissier, Flora, voL IV, p. 51.
3. Boissier, Flora, vol. II, p. 13. Cf. Les Plantes dans ran-
tiquilé, vol. I. p. 125 et 338.
4. Amygdalus scoparia, Stocksii, Drahouica. Boissier, Flora,
vol. II, p. 644-646.
5. Tamarix articulata, etc. Boissier, vol. V, p. 777.
6. « Ichthyophagorurn regio ... maximam partem arbori-
bus caret, praeter palmas, acanthum et myricam ». Strabo,
lib. XV, cap. 2,2.
Là flore de L'IRAN 33
seulement que croissent le Prosopù spicigera, ainsi
que les acacias rupestre et de Nubie \ Là aussi seu-
lement croit le dattier, qui se rencontre à Tétat spon-
tané, en même temps qu'il est cultivé, des bords du
golfe Persique aux bouches de Tlndus*. Tandis que le
dattier est confiné dans la « terre chaude » et dans
quelques oasis privilégiées, un autre palmier à feuilles
en éventail, le Chamœrops de Ritchie, dont les touffes
tapissent le lit des torrents delà région du Germsir^,
s'élève au Nord jusque dans l'Afghanistan; Aitchi-
son Ta recueilli en particulier dans la vallée du Kou-
ram*.
Différentes comme elles Tétaient de celles de la
Grèce ^ certaines espèces végétales de Tlran ne purent
manquer de frapper les compagnons d'Alexandre.
Plus ou moins fidèlement reproduites par les écri-
vains postérieurs, en particulier par Théophraste, les
descriptions qu'ils en ont données, tout incomplètes
qu'elles sont parfois, n'en sont pas moins précieuses,
car elles nous montrent quelle idée les Grecs du
IV" siècle avant notre ère se faisaient de la flore ira-
nienne. Je remets au paragraphe des arbres fruitiers
à examiner ce que Théophraste a dit du pommier
de Médie et du térébinthe de la Bactriane. Pour le
moment, je me bornerai à passer en revue quelques
1. Boissier, Flora, vol. H, p. 633-638.
2. « Phœnicis patria in Asia... omnis est Arabiae Persidisque
tractus, qui ab India adrubrum mare protenditur. » Kaempfer,
Amcenilaies exoticae, p. 669.
3. Ern. Aycoghe Ployer, Unexplored Balûchislan. A survey
with observations asironomical, geographical, botanicaL etc.
London, 1882, in-8, p. 23. — Aitchison, Notes, p. 138.
4. The Journal of the Linnean Society, vol. XVIIÏ, p. 99.
5. Théophraste, Historia plantarum, lib. IV, cap. 4, 12.
JoRET. — Les Plantes dans Vantiquité. II. — 3
3i I.KS PLANTES CHEZ LES IRANIENS
plantes de TArie et de la Gédrosie, dont il a parlé
d'après les historiens d'Alexandre.
Dans le pays qu'on appelle Arie, dit le naturaliste grec S
vient une épine, sur laquelle se forment des espèces delarmes,
semblables d'aspect et d'odeur à la myrrhe ; mais ces larmes
fondent aux premiers rayons de soleil. ...Ailleurs croît une
épine blanche à rameaux verticillés par trois, dont on fait des^
baguettes et des cannes ; elle eut poreuse et pleine de suc.
Une autre plante de la grandeur du raifort a des feuilles dont
la forme et la dimension rappellent celles du laurier; elle est
mortelle pour les animaux qui en mangent; aussi les Grecs en
gardèrent-ils soigneusement leurs chevaux. Dans la Gédrosie
croît aussi, dit-on, une plante à feuilles de laurier, qui fait
mourir presque aussitôt, au milieu de convulsions épileptîques,
les bêtes de somme, pour peu qu'ils les broutent. On y trouve
également une espèce d'épine dont les tiges, issues d'une
souche unique et dépourvues de feuilles, sont couvertes d'ai-
guillons acérés; quand on en brise une ou qu'on la frotte, il en
découle en abondance un suc capable de faire perdre la vue
aux animaux, comme aux hommes, dans les (yeux desquels il
en tomberait une goutte.
Il est probable que la première de ces plantes repré-
sente deux arbustes différents, confondus par Théo-
phraste, mais distingués par Pline, VAlhagi, qui pro-
duit la manne, et le Balsamodendron, qui distille le
bellium. J'incline à voir dans la seconde VEti-
pliorbia osyridea, dont les longues pousses ressemblent
à des cravaches, dit Aitchison". Sprengel, qui s'est
déclaré incapable de déterminer la troisième, a cru
reconnaître dans la quatrième une Gerbera, E. Meyer
a rejeté avec raison cette hypothèse '; mais il n'a pas
été, je crois, plus heureux que son devancier, quand
1. Histon'a plantarum. lib. IV, cap. 4, 12 13.
2. Notes on prodticts of Western Afghanistan, p. 68.
3. K. Sprengel, Theophrasf's NaturgeschichtederGewâchse.
Altona, 1822, in-8, II, 151. — Botanische Erlâiiterungen,
p. 82.
LA FLORE DE L'IRAN 35
il a voulu voir dans l'arbuste du naturaliste grec un
Aegiceras. Strabon a décrit' la quatrième plante de
Théophraste, presque dans les mêmes termes que lui,
niais il n'a rien dit de la troisième ; Pline, lui, les a
décrites toutes les deux, la quatrième, en lui attribuant
les mômes caractères que Théophraste, la troisième en
renchérissant sur quelques-unes des propriétés que lui
donne le naturaliste'.
On ne saurait tirer des amplifications de Pline au-
cune induction sur la nature des plantes dont il s'agit;
il n*est pas impossible toutefois de les déterminer. La
troisième ne petit être que la Calotropù procera —
goul bad samour — , dont le suc est un poison violent,
et dont Tombre môme, suivant le P. Ange de Saint-
Joseph, passait pour mortelle. La quatrième est sans
aucun doute le laurier-rose odorant — kherzehreh — ,
ainsi nommé, dit Chardin, parce que les animaux do-
mestiques qui en mangent meurent en peu de temps ^
Quant à la cinquième, Strabon, qui en a donné à peu
près la même description que Théophraste, ajoute,
trait inexact, que « ses fruits couvrent le sol à Tinstar
des concombres » ; Arrien*, qui en parle aussi, en in-
sistant sur la force de ses aiguillons, remarque que
1. Geographica, lib. XV, cap. 2.
2. Ainsi il dit que « l'odeur de cet arbrisseau vénéneux atti-
rait les chevaux et avait ainsi fait perdre à Alexandre une
partie de sa cavalerie ». Hist. naturalis, lib. XII, cap. 18.
3. Pharmacopoeia persica. Paris, 1681, in-8, p. 365. —
Voyages en Perse, vol. II, p. 12.
4. De expeditione Alexandri, lib. VI, cap. 22, 7-8. « Ei adeo
validam spinam adnasci, ut si cujus adequitantis vestis impli-
cata fuerit, eques citius equo detrahatur quam ipsa a caule
avellatur. » H.-O. Lenz (Z)ie Botanik der allen Griecken unU
Rômer. Leipzig, 1859, in-8, p. 737) a supposé à tort qu'Arrien
avait eu en vue V Acacia Calechu.
36 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
« la tige se laisse couper facilement, et qu'il en dé-
coule alors un suc plus abondant et plus acre que celui
du figuier ». D'après ces divers caractères, Sprengel
a cru pouvoir identifier cette plante avec VEuphorbia
antiquorum, identification acceptée par E. Meyer et
qui ne saurait faire de doute.
Dans le second des chapitres qu'il a consacrés aux
plantes marines, Théophraste a décrit aussi trois es-
pèces d'arbres, dont deux au moins croissent dans le
golfe Persique*.
Dans certaines îles que le âtix submerge croissent de grands
arbres, de la taille des platanes et des peupliers les plus hauts.
A la marée montante, ils sont recouverts en entier par les flots,
à l'exception des plus hautes branches, auxquelles on attache
les amarres des bateaux ; on les fixe aux racines à marée basse.
Ces arbres ont le feuillage du laurier, la fleur, par la couleur
et le parfum, rappelle celle du violier; le fruit a la forme
d'une olive et une odeur agréable. Ils ne perdent pas leurs
feuilles ; les fleurs et les fruits paraissent à l'automne et tom-
bent au printemps.
Dans la partie de la Perse qui confine à la Carmanie on voit,
au moment du flux, s'élever du milieu des eaux de grands
arbres, dont le port et le feuillage rappellent ceux de l'an-
drachlé. Ils sont couverts de fruits nombreux, qui,à Textérieur,
ont la couleur de Tamande, et dont le noyau a les cotylédons
repliés l'un sur l'autre. Corrodés, jusqu'à mi-hauteur par l'eau
de mer, ils semblent, comme des polypes, fixés au sol par
leurs racines.
Et en terminant Théophraste remarque que le manque
d'eau douce dans le voisinage porte à conclure que ces
arbres se nourrissent de l'eau de la mer. Et plus loin :
Sur la côte orientale de Tylos se trouve, dit-un, une si grande
quantité d'arbres que, quand la mer se retire, ils forment
comme un rempart à l'île. Ces arbres sont de la grandeur
1. Hi&toria planlarum, lib. IV, cap. 7, 4-5.
LA FLORE DE L'IRAN 37
d'un figuier ; ils portent des fleurs d'un parfum exquis et leurs
fruits non comestibles ressemblent à des gousses de lupins.
Quels sont les arbres ainsi décrits par Théophraste?
Sprengel a supposé*, malgré ce qu'il y a là d'invrai-
semblable, que les premiers étaient probablement des
lauriers-roses odorants ; quant aux seconds, il n*a pas
cru pouvoir les identifier ; il serait parvenu à les dé-
terminer les uns et les autres, s'il avait rapproché de
la description de Théophraste celles qu'on trouve àans
Pline et dans Arrien.
Sur les côtes de la mer Persique, dit le premier 2, là où les
marées s'avancent loin dans les terres^ croissent des arbres
d'une nature merveilleuse. Corrodés par le sel, ils ressemblent
à des végétaux qui ont été apportés et délaissés par les flots ;
on les voit, le rivage à sec, étreindre de leurs racines nues,
comme des polypes, les sables arides. Quand la mer monte,
ballottés par les flots, ils résistent immobiles ; bien plus, à la
mer haute, ils sont complètement couverts, et le fait prouve
que ces eaux salées leur servent d'aliment. La grandeur en est
étonnante ; ils rappellent l'arbousier ; le fruit en dehors est
semblable à l'amande; au dedans le noyau est contourné.
Cette description n'ajoute rien d'essentiel à la se-
conde de Théophraste ; mais elle montre, comme elle,
qu'il est évidemment question ici d'un palétuvier.
Voyons maintenant ce que dit Arrien ^.
Parmi les arbres de la Gédrosie il y en a dont les feuilles
ressemblent à celles du laurier ; croissant sur les côtes baignées
par la mer, ils restent à sec au moment du reflux ; mais à la
haute mer, ils sont recouverts par les flots. Ceux qui se trouvent
dans les bas-fonds, d'où la mer ne se retire pas, non seule-
ment n'ont point à souffrir de l'eau salée, mais ils s'en nour-
1. TheophraiCs Naturgeschichte, vol. II, p. 163.
2. ffistoria naluralts, lib. XH, cap. 20, 1. Trad. Littré.
3. De expedùione Alexandrie lib. VI, cap. 22, 6-7.
II. — 3.
38 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
rissent. Ces arbres ont jusqu'à trente toises de haut et leurs
fleurs rappellent celles du violier blanc, mais elles ont un
parfum plus agréable.
Malgré les différences qu'elles présentent, la des-
cription d'Amen et la première de Théophraste se
rapportent évidemment à un même arbre ; j'incline à
y voir la Rhizophora mucronata ; quant à l'arbre de
Pline, le second de Théophraste, dans lequel Lenz * a
vu aussi une rhizophorée, sans dire de quelle espèce,
et que Littré a identifié avec la Rhizophora mangle ",
c'est encore un palétuvier, mais tout différent, VAr)i-
cennia officinalis. Enfin dans les arbres de Tylos, à
fruits semblables à des lupins, que Théophraste fait
croître aussi avec les Rhizophora des iles submergées
de rOcéan et les Avicennia des côtes de la Perside,
que Pline connaît également^ mais dont Arrien et
Strabon ne disent rien, il est impossible de ne pas y
reconnaître VAegiceras majxiSy myrsinée des mers
tropicales.
On voit par ce qui précède combien était riche et
variée la flore de l'Iran et du Turkestan ; aussi mal-
gré l'aridité d'une partie considérable de son terri-
toire, cette vaste contrée offrait aux populations qui
s'y établirent d'abondantes ressources pour leur ali-
mentation et pour leur industrie. A part Torge toute-
1. Botanik der alten Griechen und Rômery p. 676.
2. Traduction de Pline, vol. ï, p. 480. La R, mangle est plutôt
une plante de TAmérique tropicale.
3. Hist. plantanirriy IV, 7, 5 et 6. — Hîst. naf., XIÏ, 21 (10),
XIII, 41.
LA FLORE DE L'IRAN 39
fois, qui paraît avoir été trouvée à Tétat sauvage dans
la Perse méridionale et dans le Béloutchistan, cette
immense région ne produisait spontanément aucune
céréale, car il est douteux que le seigle soit indigène
dans l'Afghanistan, quoique Griffith dise l'y avoir
rencontré*.
Si les céréales font défaut au plateau iranien, une
partie des autres plantes alimentaires et des condiments
y croissent certainement à l'état spontané. M. Capus a
trouvé le pois chiche et le pois gris, le premier à Karap
(ïurkestan), le second dans la vallée du Jaghnau*. Regel
n'indique Tail comme indigène que plus à l'Est dans la
Dzoungarie^; mais De Candolle, je l'ai rappelé autre-
fois*, n'est pas éloigné de regarder cette plante comme
une simple variété de quelqu'une des espèces à'Alliiim,
qu'on rencontre depuis l'Ouest de l'Europe jusque dans
l'Asie centrale "*; le type de l'ail ordinaire peut donc
fort bien s'être trouvé dans l'Iran. Quant à l'oignon,
on l'a découvert à l'état sauvage, à la fois dans le
Khorâsan, TAfghanistan et le Béloutchistan*. L'aneth
aussi, le fenouil, l'ache, la laitue, la carotte viennent
1. Aitchison, Notes, p. 186, pense aussi que le seigle serait
indigène dans le Khorâsan et la vallée de Kouram, mais com-
ment alors les anciens Iraniens ne l'auraient-ils pas cultivé ?
2. Annales des sciences naturelles, 6» série. Botanique, vol.
XV, p. 266 et 268.
3. Alliorum monographia. Petropolis, 1875, p. 44, ap. V.
Hehn, op. laud., p. 201.
4. Les plantes dans Vantiquité et au moyen âge, vol. I, p. 65.
5. Origine des plantes cultivées, p. 52. M. Schweinfurth
regarde l'Asie antérieure comme la patrie de Tail, aussi bien
que de l'oignon. Aus den Verhandlungen der Berliner anthro-
pologischen Gesellschaft, an. 1891, p. 666.
6. A. de Candolle, op, laud,, p. 54. — Engler ap. V. Hehn^
op, laud,, p. 203.
40 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
spontanément en Perse et le cumin a été rencontré
dans le désert de Kizil-koumV Mais quoi qu'en ait
affirmé Linné, il semble bien que ni les concombres, ni
les melons ou les pastèques ne sont indigènes dans la
région iranienne*.
La plupart de nos arbres fruitiers, au contraire,
croissent naturellement dans cette contrée ; on peut
dire que le plateau de Tlran ei> est la patrie d'élection.
Le poirier commun est indigène dans la Perse septen-
trionale, sur le versant delà Caspienne', et une variété
à feuilles tomenteuses a été trouvée par M. Capus dans
les gorges du Tchotkal* ; le poirier de Syrie croit aussi
dans les montagnes de la Perse septentrionale, et le
poirier à feuilles glabres — andjudjek — dans celles
du Farsistan^ Le cognassier a été signalé dans la
province d'Astrabad et sur tout le littoral persan de
la Caspienne. Le pommier commun se trouve dans les
forêts du Ghilan*; M. Capus Ta découvert aussi dans
les vallées du Jaghnau et du Pskem, en Boukharie,
ainsi que dans le Ferghâna\ Au Sud de Wernoje, il
existe une vallée appelée Almati à cause de la grande
quantité de pommiers sauvages qui s'y trouvent '. Le
1. Boissier, Flora, vol. II, p. 856, 975, 1026, 1076 et 1080.
2. Il faut dire toutefois que le Cucumis trigonuSy dont on a
voulu parfois faire le type du melon, parait indigène dans
l'Iran. Aitchison, Notes, p. 49.
3. Boissier, Flora, vol. II, p. 653.
4. Annales des sciences naturelles, vol. XVIIÏ, p. 284.
5. Boissier, Flora, vol. Il, p. 655-656.
6. Boissier, Flora, vol. II, p. 656. Kôppen, Geographische
Verhreitung der Uolzgewàchse. (Beitrâge zur Kenntniss des
russischen Reichs, vol. V, p. 'i09).
7. Annales des sciences naturelles, vol. XV, p. 266; vol. XVIII,
p. 285.
8. M. Przéwalsky a, paraît-il, trouvé dans la vallée du Youl-
LA FLORE DE L'4RAN 41
néflier de Germanie vient au pied de TElbourz, sur le
versant de la Caspienne ; l'azerolier dans la Perse mé-
ridionale près de Pérézend et sur le Kouh-Delou *.
L'alisier et ses variétés croissent dans le Nord de la
Perse*; le sorbier du Turkestan aux bords de Tlskan-
der-koul et le sorbier des oiseleurs dans les vallées
des monts Karatau^.
Les arbres fruitiers à noyau sont encore plus com-
muns dans l'Iran et le Turkestan que les arbres fruitiers
à pépins. Le merisier croit dans les forêts de la province
de Ghilan, en même temps que le laurier-cerise*; il a
été aussi trouvé dans des terrains pierreux du Turkestan
HiéridionaP; plus au Nord, sur les bords du Pskem»
à 1 200 mètres d'altitude, a été également découvert le
cerisier mahaleb®, si répandu à l'Ouest du Zagros.
M. Gapus mentionne aussi comme fréquent dans la
vallée du Vorou le cerisier à basse tige'; le voya-
geur Basiner l'avait aussi rencontré dans la steppe des
Kirghis®. Le prunier épineux est spontané dans les
forêts du Ghilan et le prunier à rameaux divariqués
dans les basses terres de cette province et de celle
douz, au Turkestan oriental, des bois entiers de pommiers. An-
nales, vol. XVIII, p. 284.
1. Boissier, FlorUy vol. II, p. 659-662.
2. Boissier, Flora, vol. II, p. 658.
3. Annales des sciences naturelles, vol. XVI, p. 287. — Bois-
sier, ibid.
4. Boissier, Flora, vol. II, p. 649.
5. Annales des sciences naturelles, vol. XVI, p. 281. Toute-
fois M. Capus, ibid., vol. XVIII, p. 283, dit qu'il ne l'a pas
rencontré à l'état spontané, ni subspontané dans la montagne.
6. Annales, vol. XVI, p. 281.
7. Cera^us chamaecerasus. Annales, vol. XVflI, p. 283.
8. Beitràge zur Kenntniss des russischen Beiches, vol. XV,
p. 63.
42 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
d'Astrabad ' ; il a été trouvé encore sur les bords de la
rivière Pskem et dans les gorges du Tchotkal'. Le
prunier domestique, si répandu dans le Caucase, a été
également rencontré par Buhse dans l'Elbourz'.
M. Capus a trouvé l'abricotier à l'état spontané sur
les bords de l'Iskander-koul, à Chirabad en Boukharie,
ainsi que dans la vallée du Pskem et dans celle de l' Abla-
toun au Tchotkal, à 1300 mètres d'altitude*; mais il
n'est point indigène dans l'Iran proprement dit ni dans
le Caucase, pas plus d'ailleurs que le pêcher, encore
que Boissier* et Buhse* indiquent ce dernier comme
spontané dans les provinces de Ghilan et d'Astrabad,
où il n'est que naturalisé.
On trouve aussi dans la vallée du Séfid-roud, où il
forme de véritables forêts, l'olivier ordinaire que Buhse
regarde comme indigène \ tandis que Koppen le con-
sidère à tort comme simplement naturalisé*. En tout
cas on rencontre dans leBéloutchistan et l'Afghanistan,
en particulier dans la vallée du Kouram*, une espèce
d'olivier — Olea cuspidata — qui ne diffère de l'oli-
vier ordinaire — Olea europaea — que par ses feuilles
1. Boissier, Flora, vol. II, p. 650. — Koppen, Beitràge, vol.
V, p. 266.
2. Annales, vol. XVI, p. 281 et vol. XVIII, p. 283.
3. Koppen, Beilrâge, vol. V, p. 261.
4. Annales, vol. XV, p. 206, XVI, p. 281 et XVIII, p. 280.
5. Flora orientalis^ vol. II, p. 650 et 653.
6. Koppen, Beitràge, vol. V, p. 255. Cf. De CandoUe. o/?.
laud., p. 181.
7. Boissier, Flora, vol. IV, p. 36.
8. Beitràge, vol. V, p. 573. Strabon, lib. XI, cap. 13, 7,
constate la présence de l'olivier en Médie ; il dit seulement que
ses fruits y manquent d'huile.
9. Journal of Ihe Linnean Society, vol. XIX, p. 79. — Bois-
sier, vol. IV, p. 36.
LA FLORE DE L^IRAN 43
plus acuTïiinées et ferrugineuses en dessous. Il ne faut
pas oublier ici, quoique j'en aie déjà fait mention pré-
cédemment, le chalef — Elaeagnus angnstifolius —
qu'on rencontre au bord des cours d*eau de Tlran et
de Touran presque entiers à partir de 1 000 mètres
d'élévation '. Bien que plus importants pour leur excel-
lent bois que pour leurs fruits médiocres, on peut encore
mentionner les micocouliers ; Tespèce ordinaire —
Celtis atislralis — a été trouvée dans la province
d'Astrabad, sur le Karatau et dans la vallée du Zaraf-
cban ; le micocoulier du Caucase croit à la fois dans
la Perse septentrionale et méridionale, le Khoràsan,
le Béloutchistan et le royaume de CabouP.
L'amandier commun est aussi très répandu sur le
plateau iranien. On le rencontre à Tétat spontané dans
l'Aderbeidjan et le Khoràsan, ainsi que dans les monta-
gnes du Turkestan. M. Capus a trouvé les deux variétés
à amandes douces et amères dans la vallée du Zaraf-
chan, à une altitude de 1 300 mètres et une autre variété
à feuilles ovales sur les bords du Pskem et dans les
rochers du Vorou*. Le pistachier « vrai », dont le nom
paraît venir du zend — pers. pista, pistak^ — , croît à
Tétat sauvage dans les terrains primitifs du Turkestan
1. Boissier, FlorUy vol. IV, p. 1056. On a supposé que l'oli-
vier, qui croissait dans la région montagneuse de l'Inde, d'après
Théophraste, lib. ÏV, cap. 4, 11, était le chalef; je crois bien
plutôt qu'il s'agit de l'olivier à feuilles cuspidées.
2. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1156. — Annales^ vol. XVIII,
p. 250.
3. Kôppen, Beitrâge, vol. V, p. 164. — Annales, vol. XVI,
p. 281 et XVIII, p. 281. — De Candolle, op. laud.y p. 174. —
Boissier, Flora y vol. II, p. 642.
4. A. Schrader, ap. V. Hehn, KuUurpflanzen, p. 414. Un lieu
planté de pistachiers s'appelle pislalik.
44 LES PLANTES CHEZ LES ÎRANFENS
et de riran septentrional. Le voyageur Lehmann rap-
porte qu'en 1841, dans la vallée du Zarafchan, au milieu
des monts situés à l'Est de Pendjakend, il traversa, sur
une longueur de 50 verstes, un bois presque entièrement
formé de pistachiers sauvages. M. Capus a rencontré
aussi cet arbre près des sources du Jaghnau, ainsi que
dans les monts de Hissar et de Baissoun\ Aitchison
dit ^ qu'il en. existe de vastes forêts dans les Badghis
et au milieu des collines du Khoràsan. Une autre espèce
du même genre à fruits comestibles aussi, le pistachier
mutique, est, elle, indigène dans l'Iran tout entier ;
on l'a rencontrée dans TAderbeidjan, dans les mon-
tagnes voisines de Yezd, ainsi que dans l'Afghanistan,
entre Hérat et Tebbes, et dans la vallée du Kouram'.
Le noyer ordinaire — Juglana regia — croît aussi
spontanément dans la Perse boréale et dans le Bélout-
chisfan; M. Capus Ta indiqué également dans les val-
lées du Pskem et de TAblatoun, à une altitude de 1 000
à 1 500 mètres. Une espèce différente, le noyer à fruits
ailés — Juglans pterocarpa — , fruits peu comestibles,
il est vrai, se rencontre dans la province de Ghilanet
de Mazandéranetprèsd'Astrabad*. D'après Ledebour,
le châtaignier serait aussi indigène dans la Perse sep-
tentrionale; mais Kôppen a mis le fait en doute'.
Le grenadier, lui, est bien spontané dans l'Iran ; on
le trouve à la fois sur les monts Avroman et Chahou
1. Kôppen, Beilrâge, vol. V, p. 16'*. — Annales, vol. XV, p.
250 et vol. XVIII, p. 281.
2. Notes on the products of Western Afghanistan, p. 156.
3. Boissier, Flora, vol. H, p. 7. — Journal of the Linnean
Society, vol. XIX, p. 157. —Aitchison, Notes, p. 155.
4. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1160-1161. — Annales, vol.
XVIH, p. 286.
5. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1175. — Beitràge, vol. V, p. 142.
LA FLORE DE L'IRAN 45
dans le Kourdistan perse, ainsi qu'au milieu des
rochers du Béloutchistan et de l'Afghanistan, entre
autres dans le district de Kourara *. Le figuier ordinaire
— Ficus carica — n'est pas moins répandu sur le
plateau iranien ; on a trouvé la variété rupestris dans
les monts Kouh-Kilouyeh et une autre variété, le Ficus
Johannis, dans l'Afghanistan, entre Tebbes et Hérat,
ainsi que dans le Béloutchistan ^ La vigne à l'état sau-
vage n'est guère moins commune que le figuier dans
riran, quoiqu'elle s'avance moins loin vers le Sud ; on
l'a rencontrée dans le Ghilan et sur plusieurs points
du Turkestan; MM. Capus et Regel entre autres l'ont
trouvée dans les vallées du Pskemetdel'Ablatoun à une
hauteur de 1 250 mètres ; elle y portait des grappes
bien fournies, mais dont les baies étaient petites ^
On rencontre aussi, dans les provinces de Ghilan,
de Mazandéran et d'Astrabad, ainsi que dans l'Afgha-
nistan, une espèce de plaqueminier — le Diospyros
lotus, le kharmandu des Perses*. On a signalé dans le
Daghestan l'existence des groseilliers à maquereau et
à fruits rouges''; M. Capus a trouvé aussi dans les
montagnes de Tchirtchik et Tchotkal l'espèce à fruits
noirs ou cassis*; enfin le groseillier oriental croît dans
TElbourz. Dans la région du Sud-Ouest on rencontre
le jujubier nummulaire ', dans le Khorâsan et ailleurs le
1. Boissier, Flora, vol. Il, p. 737. — Journal of the Linnean
Society, vol. XIX, p. 163.
2. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1154-1155.
3. Boissier, Flora, vol. I, p. 955. — Annales^ vol. XV, p.
247 et XVIII, p. 286.
4. Boissier, Flora, vol. IV, p. 34.
5. Boissier, Flora, vol. III, 815.
6. Annales, vol. XVIII, p. 287.
7. Brandis, Forest Flora, p. 89.
46 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
jujubier commun, et presque partout, au-dessus de2000
pieds, répine-vinette \ tandis que dans l'Afghanistan
oriental croissent aussi, entre autres, àTétat spontané,
la Myrsine Africana et la Reptonia buocifolia, arbustes
du Pandjab, dont les fruits quoique petits sont recher-
chés*. Il semble bien que le mûrier à fruits noirs soit
également indigène et ne soit pas seulement acclimaté
sur le versant persan de la Caspienne '. Enfin il faut
rappeler en terminant que diverses espèces de ronces
à fruits comestibles croissent sur les points les plus
divers du plateau iranien et touranicn.
S*il était moins riche en plantes textiles, tinctoriales,
oléifères et autres propres à Titidustrie qu'en plantes
alimentaires et en arbres fruitiers, l'Iran en renfermait
néanmoins plus d'une espèce précieuse. Le cotonnier
n'y est point indigène sans doute, comme on l'a dit à
tort*; mais on y rencontre à l'état spontané de nom-
breuses espèces de lin"; le chanvre a été trouvé au
Sud et à l'Est de la Caspienne, dans la vallée alpestre
du Jaghnau et même dans le district de Kouram^; des
astragalées, quelques apocynées, en particulier YApo-
cynum venetum, sont riches en fibres ^ Plusieurs gra-
minées des steppes ou du bord des eaux, des laîches, etc.
1. Aitchison, Notes on products of Western Afghanistan, p.
25 et 225.
2. Brandis, Flora, p. 283 et 285.
3. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1153. — Kôppen. Beitràge,
vol. VI, p. 15. — Aitchison. Noies, p. 134, semble croire que le
mûrier blanc est indigène dans le Khorâsan, où il est commun.
4. Spiegel, Eranische Aller thumskunde, vol. J, p. 259.
5. Linum angustifolium, humile, Bungaei, perenne, persi-
çum, etc. Boissier, vol. 1, p. 861.
6. DeCandolle,op. /au(/.,p. 118. — Capus, ^/iwa/e/î, vol.XVIII,
p. 249. — Journal ofthe Linnean Society, vol. XIX, p. 94.
7. Aitchison, Notes on products, p. 75.
LA FLORE HE L'IRAN 47
sont propres aux divers ouvrages de vannerie. On
trouve aussi dans Tlran quelques plantes tinctoriales
dès longtemps recherchées ; l'indigotier tinctorial ' et
probablement le safan* y sont, il est vrai, exotiques;
mais la garance y croît à Tétat sauvage *, tout comme
Tarbre au henné, spontané dans le Bëloutchistan et
peut-être dans la Perse méridionale * ; Técorce des
racines de diverses espèces indigènes : épine-vinette,
érable, prunier, ronce, celle des fruits du grenadier, les
tiges et les fleurs d'autres espèces, par exemple de la
dauphinelle zalil, les galles du chêne, du pistachier
mutique, du Prosopts, etc., les feuilles du sumac des
corroyeurs, arbuste de la Perse septentrionale, du Kho-
râsan et du Turkestan, offrent aussi des matières
colorantes variées. Les galles de ces divers arbres ou
arbustes et d'autres encore, l'écorce, les feuilles et les
brindilles d'autres espèces indigènes peuvent servir
pour le tannage ^ Eniiti si le sésame y est exotique, on
trouve dans la plupart des provinces de l'Iran la roquette
et des sénevés à graines riches en huile *^, et nous avons
vu qu'on y rencontre aussi l'olivier, le chalef, le noyer,
ainsi que le lin et, dans le Touran, le chanvre, dont
les fruits ou les graines renferment également de Thuile
en abondance.
Enfin l'Iran et le Touran possèdent de nombreuses
plantes aromatiques ou officinales, dont la plupart ont
1 . L'Iran méridional et oriental renferment plusieurs espèces
d'indigotier, mais non le linctoria.
2. Boissier, Flora, vol. V, p. 100, ne l'indique que dans la
Grèce et l'Asie Mineure occidentale.
3. Boissier, Flora, vol. III, p. i7.
4. Boissier, Flora, vol. Il, p. 744.
5. Aitchison, Notes on products, p. 62, 205.
6. Erucasativa et Sinapisjuncea. Boissier, vol. I, p. 392-896.
48 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
dû être connues dès la plus haute antiquité et employées
par les habitants. Strabon dit* que la Gédrosie, « la
contrée la plus aride de TAsie, produit cependant des
aromates, en particulier le nard et la myrrhe ». Ni
la myrrhe, ni encore moins le nard ne sont indiqués
par les botanistes modernes dans cette province ou
dans aucune autre de Tlran ; mais sur les rochers
brûlants ]du Béloutchistan croissent, d'après Stocks,
deux arbustes à encens, les Balsamodendron pubes-
cens et mukul^y et tous les endroits arides sont cou-
verts d'AndropoffOîi laniger qui dégage, quand on le
foule aux pieds, une odeur agréable ^. Dans la région
des steppes, on rencontre de nombreuses astragales
qui produisent la gomme adragante^ ; on trouve dans
celle de la Caspienne le Datura stramonium ; les
grandes orabellifères \ d'où on extrait Tasa fœtida, le
galbanum, le sagapenum, la gomme ammoniaque et
Topopanax croissent également en abondance sur les
points les plus divers du plateau iranien et touranien ;
la rhubarbe ordinaire ^ — le rivas des Perses —
1. Geographica, lib. XV, cap. 2, 3. « L'armée d'Alexandre,
ajoute Strabon. s'en servit pour abri et comme de couche, ce
qui lui permit de respirer un air plus sain et parfumé. »
2. Boissier, Flora , vol. II, p. 8.
3. Aitchison, Notes on products of Western Afghanistan, p.
12.
4. Astragalus adscendens, brachycalyx, gummifer, Kurdi-
eus, etc. F. -A. Fliickiger et D. Hanbury, Histoire des drogues
d*origine végétale, traduite par J.-L. de Lanessan. Paris, 1878,
in-8, vol. I, p. 346.
5. Ferula osa- fœtida, galbaniflua ou rubescens, alliacea,
rubricaulis, etc. Ferulago macrocarpa, lophoptera, Cardu-
chorum, cinerea, contracta, etc. — Dorema ammoniacum, Au-
cherij aureum. — Opopanax Persicum. Boissier, vol. IV, p.
988-1010.
6. Bheum ribes. Boissier, vol IV, p. 1003. — Aitchison,
LES HABITANTS DE LIBAN 40
est commune au-dessus de 2000 mètres dans les ter-
rains argileux de TAderbeidjan, du Farsistan et du
Khoràsan, sur le versant Nord du Paropamise et
même dans les montagnes du Béloutchistan, et une
autre espèce aux larges feuilles radicales, la rhubarbe
de Tartarie, croît en particulier dans les plaines
d alluvions de la vallée du Héri-roud et dans le désert
de Kara-koum *.
III
Quelles populations sont venues tour à tour mettre'
en valeur les richesses végétales que leur offrait la
vaste région, dont je viens d'essayer de faire connaî-
tre la flore. L'histoire des premiers siècles de l'Orient
ne renferme aucune réponse à cette question. Il semble
que le plateau iranien fût d'abord occupé par des po-
pulations de race obscure, dont on retrouve peut-être
les restes épars dans les tribus négroïdes de la
Susiane ' et chez les Brahouis du Béloutchistan \ En
Notes, p. 174. 11 est inutile de dire qu'il n'y a rien de com-
mun entre cette plante et le Ribes — groseillier — , qu'on a
parfois confondu avec elle. Cf. A. de Gubernatis, Mythologie
des Plantes i vol. II, p. 317.
1. Rheum Tataricum L., Rheum Caspicum Pal. Cette espèce
se rencontre aussi dans la Russie méridionale, la Dzoungarie et
la région de l'Altaï. Boissier, Floraf vol. IV, p. 1003. — Ait-
chison, Notes y p. 174.
2. Fr. Houssay, Les langues humaines de la Perse, Lyon,
1887, in-8, p. 40. Cf. Les plantes dans V antiquité, y q\. I, p. 359.
3. Ceux-ci paraissent d'origine dravidienne, comme les
populations d'une partie de l'Hîndoustan. Fr. Spiegel, Era*
nische Aller thumskunde, Leipzig, 1871, vol. I, p. 337. — M.
Duncker, Geschichte des Alterthums. Leipzig, 1879, in-8, vol. III,
p. 10. Il faut dire toutefois qu'on a fait aussi venir les Brahouis
JORET. — Les Plantes dans l'antiquité, II. — 4
50 LES PUNTES CHEZ LES IRANIENS
même temps ou à une époque de peu postérieure,
riran dut être traversé par des peuplades aralo-al-
taïques ou touraniennes, ancêtres probables des
Sumériens de la Babylonie, dont quelques tribus se
fixèrent dans les vallées du Zagros \ D'autres tribus
paraissent s'être arrêtées plus au Nord, dans la con-
trée comprise entre le Zagros et l'Elbourz *, mais elles
ne devaient pas en rester toujours seules maîtres-
ses ; elles furent obligées ou de la partager ou de la
céder aux tribus ariennes, qui envahirent à leur tour
le plateau de l'Iran.
A une époque où les empires de Ninive et de Baby-
lone étaient déjà arrivés au plus haut degré de civili-
sation, ces tribus menaient encore la vie nomade
dans la haute plaine du Touran ' ; d'où étaient-elles
venues*? On l'ignore. Depuis combien de temps y
de rinde dans Tlran à Tépoque de rinvasion des Ariens dans
la Péninsule. A.-W. Hughes, The country of Baluchislan, p.
38. Cf. Fr. Spiegel, Erânische Aller thumskunde, vol. I, p. 335.
1. Les Karkhes, les Korbrènes, les Corséens et autres peu-
plades guerrières. Polybe, Bes Syriacae, lib. V, cap. 44, 7.
2. M.-J. Oppert, Le peuple des Mèdes, Paris, 1879, in-8, p. 15-
25, a supposé que ces tribus touraniennes portaient le nom de
Madai — les Mèdes —, et qu'elles auraient donné à cette région
leur nom, conservé par les peuplades ariennes qui se mêlèrent
à elles sans les subjuguer. — Duncker, Geschtchte des Aller--
thumSy vol. IV, p. 206, note 3, a refusé, au contraire, toute réa-
lité aux Touraniens de Médie. Cf. A. Delattre, Le peuple el l'em-
pire des Mèdes jusqu'à la fin du règne de Cyaxare. (^Mémoires
couronnés par r Académie des sciences j etc., de Belgique y vol. XL V
(1883), p. 5 et suiv.). — Fr. Spiegel, o;?. laud,, vol. I, p. 384.
3. Fr. ^^\Qge\ Die arische Période. (jOp, /aurf, vol. I,p. 424).
4. Schleicher (fiompendium der vergleichenden Grammatik
der indogermanischen Sprachen. Leipzig, 1876, p. 8 ) a consi-
déré la haute plaine du Touran comme le berceau de la race
arienne; Rud. von Jhering {Vorgeschichle der Indoeuropàer.
Leipzig, 1894, in-8, p. 21) les fait aussi vivre réunis pendant
LES HABITANTS DE L'IRAN 51
étaient-elles établies ? On ne le sait pas davantage.
Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'elles n'étaient qu'un
rameau détaché de la grande famille des nations indo-
européennes : Slaves, Lettons, Germains, Celtes, Ita-
liotes et Grecs, avec lesquels elles avaient erré durant
des siècles dans les steppes qui avoisinent la Cas-
pienne \ Séparés d'eux, les Ariens avaient occupé le
haut bassin de ITaxarte et de l'Oxus, avec celui du
Polytimète ; puis poussés par une force inconnue,
peut-être une invasion des peuplades touraniennes,
ils avaient, tout en laissant des colonies dans les
anciens pays qu'ils possédaient, franchi le Paropa-
mise ; mais là ils se divisèrent ; une partie, les
Ariens proprement dits, s'engageant dans la vallée du
Kophen, alla occuper le bassin de l'Indus, fleuve dont
elle a pris le nom ; le reste de la nation, les ancêtres
des Iraniens — Arjana, dérivé de Arja^ — se répan-
dit sur tout le plateau de l'Iran ; quelques tribus occu-
pèrent les bassins du Margos et de l'Arios, d'autres,
ancêtres des Afghans d'aujourd'hui ", descendirent au
des milliers d*années au Nord de THindou-Kouch ; mais à Tori-
gine asiatique des Indo-européens on a, depuis un quart de
siècle, opposé une origine européenne ; Isaac Taylor, en par-
\\(^\ï\\ev {L'origine des Aryens el V homme préhistorique, trad.
de Henri de Varigny. Paris, 1895, in-12, p. 296), a été jusqu'à
supposer que la langue aryenne primitive avait été formée
ce dans l'Europe centrale » ; hypothèse bien aventureuse et qui
importe d'ailleurs fort peu ici.
1. A. Schrader, Sprachvergleichung und Urgeschichte.
Linguistisch-historische Beitràge zur Erforschung des indo-
germanischen Altertums, 2» éd. léna, 1890, p. 629.
2. EduardMeyer, Geschichte des Alterthums. Stuttgart, 1884,
in-8, vol. I, p. 526.
3. « Les Afghans sont Éraniens et leur langue est, quant au
fond, purement éranfenne ». Victor Henry, Études afghanes
Paris, 1882, in-8, p. 95.
hî LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
Sud dans ceux de TEtymander et de TArachotos ;
d'autres, au contraire, se dirigèrent vers l'Ouest et
gagnèrent les vallées de TElbourz. Là, elles se heur-
tèrent aux peuplades touraniennes qui y étaient
campées. Après les avoir subjuguées, les tribus, dont
la réunion a formé le peuple arien des Mèdes *, s'éta-
blirent à demeure dans le pays qui a porté leur nom
pendant toute l'antiquité, et qui fut le premier foyer
de la civilisation iranienne. D'autres tribus, lesParses,
après avoir pénétré peut-être jusqu'aux bords du lac
d'Ourmiah ', les quittèrent, et, longeant la chaîne du
Zagros et le massif des monts Élamites, allèrent se
axer dans le Farsistan et le Laristan actuels.
Un souvenir confus de ces longues migrations se
conserva dans la mémoire des Iraniens, et l'auteur du
Zend-Avesta a cru devoir les rappeler en les symboli-
sant '. Le premier fargard ou chapitre du Vendidad
contient Fénumération des seize « pays excellents »,
créés par Ahura Mazda — Ormuzd — , occupés suc-
cessivement par les tribus iraniennes, et des fléaux
envoyés par Angra Mainyu — Ahriman — pour en
rendre le séjour intolérable *. Mais l'histoire ne sait
rien de ces établissements, ni de ces persécutions, et
1. OIBtjMtjSoi ÊxaXéovTo naXûtl Ttpo jïoJvtcjv *'Apioi. tiérodote,
Uistoriaej lib. VII, cap. 62.
2. C*est Topinion de M. A. Amiaud, Cyrus, roi de Perse. (J/e-
langes Renier, Paris, 1886, in-8, p. 255-256). Mais rien ne
prouve que les Parsua des inscriptions de Salmanassar II
fussent, comme il l'admet, les ancêtres ou les frères des Perses
proprement dits.
3. M. Bréal, De la géographie de CAvesta. {Mémoires de my-
thologie et de linguistique y p. 187 et suiv.).
. 4. J. Darmesteter, Le Zend-Avèsta, traduction nouvelle avec
commentaire historique et philologique, vol. II, p. 5, note 4.
(^Annales du musée Guimet, vol. XXII).
LES HABITANTS DE L*IRAN 53
elle ignore complètement ce que furent et ce que
devinrent les habitants de Tlran, jusqu'au moment où
ils entrèrent en relation avec les Assyriens.
Les montagnes qui les sép£u*aient de la Mésopo-
tamie avaient longtemps protégé les Iraniens contre
leurs redoutables voisins ; mais lorsque les rois
d'Ashshur eurent définitivement établi leur domination
sur la Syrie et rArraénie, ils songèrent à subjuguer
les pays situés à l'Est de leurs états, comme ils
avaient asservi ceux qui les bornaient à l'Ouest et au
Nord. Abritées dans leurs montagnes inaccessibles, les
tribus pillardes, qu'ils rencontrèrent d'abord, leur
opposèrent une longue et énergique résistance. Quand
ils les eurent vaincues, l'Iran se trouva ouvert devant
eux. Après avoir reçu le tribut de vingt-sept rois des
Parsua, peuple qui habitait au Sud du lac Ourmiah,
Salmanassar II, dans la vingt-quatrième année de son
règne, pénétra une première fois dans le pays des
Amada — . les Mèdes — , et il se vante, dans une
inscription*, d'en avoir pris et rançonné les villes. Ses
successeurs Shamshiramàn et Rammânnirâri III enva-
hirent aussi cette province ', mais sans la soumettre.
Les armées de Téglathphalassar II y parurent à leur
tour, et les inscriptions de ce prince nous apprennent
qu'il en ravagea plusieurs cantons et imposa un
tribut « à tous les chefs mèdes jusqu'au pays de
Bikni ' ». Sargon continua l'œuvre de conquête de
1. Inscription de Nimrod, publiée par H. Winckl'er. KeUin-
schriftliche Biblioikek, herpg. von Schrader, vol. 1(1889), p. 143). ■
2. Keilimchr. Bihliothek, vol. I, p. 175 et 189. —A. Delattre,
Le peuple et l'empire desMêdes, p. 74- et 8'*. — Hugo Winckler,
Geschichte Babyloniens und Assyriens. Leipzig, 1892, in-8, p.
203.
3. Keilinschr. Biblioiheky vol. II, p. 17 et 19. — A. Delattre,
54 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
ses prédécesseurs ; il s'empara des villes les plus
importantes de la Médie orientale, leur imposa un
tribut, détruisit celles qui voulurent résister (715-716)
et bâtit des forteresses dans le Zagros pour surveiller
le pays*. Malgré quelques révoltes passagères, les
Mèdes restèrent pendant plus d'un siècle soumis à la
suzeraineté de l'Assyrie.
Il était réservé à Cyaxare — Uhvakhshatara — de
les affranchir. Après avoir établi sa suprématie sur
tous les chefs indigènes, le fils de Phraorte — Fra-
vartish — organisa une forte armée et marcha contre
Ninive. Une invasion dos Scythes Tarrêta au moment
où il venait de battre le roi d'Ahshshur ' ; mais quel-
ques années plus tard, il vainquit et chassa les enva-
hisseurs. Il reprit alors la lutte contre les amis
héréditaires de son pays ; uni à Nabopolassar de
Babylone ', il battit Ashshurakhiddin II, dernier roi
d'Assyrie, s'empara de Ninive, où ce prince s'était
réfugié, et réunit ses états à la Médie (607)*. Non con-
tent de cette conquête, Cyaxare aspira à soumettre
toute l'Asie antérieure à son empire. Laissant Nabo-
polassar régner en paix sur la Babylonie et la Syrie,
il tourna ses armes contre les peuples qui habitaient
à l'Occident de ses états, et s'avança en vainqueur
op, laud., p. 85-99. — Max Duncker, op. laud., vol. IV, p. 216,
a dit à tort que les armées de Téglathphalassar avaient pénétré
jusqu'à Niséeet même dans le pays des Sagartiens — Zikroutî
— et dans i'Arachosie.
1. Keilinschr. Bibliothek, vol. II, p. 41, 55 et 61. — A. De-
lattre, op. laud., p. 99-109.
2. Hérodote, Hùtoriae, lib. I, cap. 103 et lib. IV, cap. 1 et 2.
3. Eduard Meyer, op. laud., vol. I. p. 576.
4. Diodore, Bibliotheca, lib. II, cap. 23-28.
LES Habitants de l'irân 55
jusqu'aux frontières de la Lydie*. La résistance
d'Aljattes mit un terme aux conquêtes de Cyaxare ;
mais bien que la paix eût été conclue entre les deux
états (585)*, la conquête de la Lydie n'était
qu'ajournée ; toutefois ce fut un monarque perse, non
un souverain mède, qui la fit.
Restée, grâce à son éloignement, indépendante de
l'Assyrie, la Perse était, après la chute de Ninive,
tombée sous la domination de la Médie victorieuse.
Mais Astyage — Ishtuvegu — , le successeur de
Cyaxare, n'avait pas les talents nécessaires pour con-
server à son pays le rang élevé où le fils de Phraorte
l'avait porté. Un prince de la famille perse des Aché-
ménides, Cyrus, fils (Je Cambyse, vassal d' Astyage, se
révolta contre le faible monarque ; il le battit, enleva
à la Médie la suzeraineté qu'elle exerçait depuis un
demi-siècle, et la rendit tributaire de la Perse (550).
Après la défaite des Mèdes, Cyrus tourna ses armes
contre la Lydie, vainquit Crésus, roi de ce pays, et
réunit ses états, avec toute l'Asie mineure, à son
empire '. Sa domination s'étendait à l'Occident jusqu'à
la mer Egée, il résolut d'en reculer les bornes à
l'Orient et au Nord-Est jusqu'aux confins du plateau
iranien et de la plaine du Touran : la Margiane, la
Sogdiane, la Bactriane, le pays des Khorasmiens
— rUvârazmiya — , furent soumis ; les Sakes, qui
habitaient dans les steppes de la Transcaspienne,
t. Hérodote, ffistoriae, lib. I, cap. 71.
2. Max Duncker, op. laud., vol. IV, p. 226 (585). — Mas-
pero, Histoire ancienne des peuples de VOrient classique, vol.
IH, p. 529.
3. Max Duncker, op. laud., vol. IV, p. 325-344. — Maspero,
Histoire anciennCf vol. III, p. 613-624.
56 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
battus et rendus tributaires ^ De là descendant vers le
Sud, Cyrus parcourut TArie — Haraiva — , TArachosie
— Harahvaiti — , le pays des Zarangiens — la
Drangiane — et la vallée du Kophen ; une légende
voulait qu'il eût pénétré jusque dans la Gédrosie *.
Son pouvoir maintenant s'exerçait sur presque tout le
plateau iranien ; il allait bientôt s'étendre jusqu'aux
rivages de la Syrie et de la Phénipie.
En 538, Cyrus attaqua Nabonide, roi de Babylone,
et s'empara successivement de toutes les villes de son
royaume'. La Chaldée, ainsi que tous les états qui en
étaient tributaires: Syrie, Phénicie, Arabie, recon-
nurent la domination du conquérant. Le chef d'une
peuplade jusque-là ignorée de l'Iran occidental était
devenu le maître de l'Asie antérieure tout entière.
La puissance perse devait encore s'accroître sous les
successeurs de Cyrus ; Cambyse y ajouta l'Egypte ;
Darius, l'Hapta-hiridu — le Pendjab actuel — . Ja-
mais empire aussi grand n'avait encore existé, et l'or-
ganisation que lui donna le génie politique du fils
d'Hystaspe lui permit de durer pendant deux siècles*.
Les armes d'Alexandre seules parvinrent à le renver-
ser. Mais la prospérité dont il avait joui durant de si
longues années, le luxe de ses princes, l'impulsion
qu'ils donnèrent aux entreprises commerciales, eurent
sur Tagriculture et l'horticulture une influence consi-
1. Ctesias, Persica, éd. Mùller, par. 2 et 3.
2. Spiegel, Erânische Allerlhumskundej vol. Il, p. 286-287.
— Maspero, op, laud., vol. III, p. 626.
. 3. Maspero, op.Zaurf., vol. III, p. 635-638. — Eduard Meyer,
op, laud,, vol. I, p. 605.
4. James Darmesteter, Coup d* œil sur Vhihtoire delà Perse,
Paris, 1885, in-18, p. 17.
LES HABITANTS DE L'IRAN « 57
dérable. Elle continua de se faire sentir sous les Ar-
sacides de la Parthiène et les Sassanides, qui se suc-
cédèrent tour à tour dans la domination de la Haute
Asie. Des cultures nouvelles furent découvertes, des
espèces indigènes anoblies, des essences exotiques,
inconnues jusque-là, acclimatées, et de Tlran et de l'A-
sie antérieure, répandues dans le monde hellénique et
dans l'empire romain.
CHAPITRE II
l'agriculture bt l'horticulture des iraniens
LES PLANTES DANS l' ALIMENTATION ET DANS l'iNDUSTRIE
Aussi loin que nous pouvons remonter dans le passé,
les Iraniens nous apparaissent à la fois comme un peu-
ple de pasteurs et d'agriculteurs \ La nature du pays
qui a reçu leur nom, comme celle de la plaine du
Touran, les invitait à la vie pastorale*. Au printemps
ils trouvaient dans leurs immenses steppes, Tété sur
les pentes des collines impropres à la culture, puis sur
les hauteurs herbeuses de la région montagneuse, des
pâturages abondants et variés pour leurs troupeaux*;
aussi l'élevage du bétail et des botes de somme resta-
t-il toujours une de leurs occupations favorites ; parmi
les sept tribus d'importance secondaire dont parle
1. Fr. Spiegel, Die arische Période. Leipzig, 1887, in-8, p.
66-71.
2. « Herbosa equisque abundans », dit déjà Arrîen de la
Carmanie {Historia indica, cap. xxxii, 4); mais il vante surtout
les pâturages de la région moyenne de la Perside : « Regio-
nemque ipsam herbosam, multa irrigua prata habere ». 76irf.,
cap. XL, 3. Les pâturages de la Médie aussi étaient célè-
bres, en particulier pour la nourriture des chevaux. Stra-
bon, lib. XI, cap. 13,7. M. de Morgan vante également (pp.
laud.y vol. V, p. 268 et II, p. 136), les pâturages alpestres du
Louristan et ceux des montagnes du Talych persan.
L'AGRICULTURE ET L*HORTrCULTURE DES IRANIENS 59
Hérodote ^ il y en avait, d'après Thistorien grec, trois
qui se livraient à l'agriculture et quatre à la vie pas-
torale, et aujourd'hui encore un tiers de la population
de l'Iran est nomade '.
Mais s'ils n'ont jamais renoncé à la vie pastorale,
les Iraniens se sont toujours aussi livrés aux travaux
de l'agriculture ; ils l'avaient pratiquée dès les temps
les plus reculés, alors qu'ils vivaient en commun sur
les hauts plateaux du Turkestan actuel avec leurs
frères Ariens, futurs colonisateurs de la presqu'île
hindoustanique ; la présence dans le zend et dans le
sanscrit des mêmes termes pour désigner le labourage
en est la preuve '. Ils continuèrent à plus forte raison
de se livrer à la culture du sol, après leur établisse-
ment dans les fertiles vallées de l'Iran, sans négliger
toutefois l'élevage du grand et du petit bétail, que l'a-
bondance dos pâturages de la région alpestre et celle
même des steppes leur rendait si facile. L'Avesta fait
mention à la fois de la possession des troupeaux et des
champs, n La terre est heureuse, dit Àhura Maida
dans le Yendidad ^, là où l'homme sème le plus de
blé et d'herbe... là où se multiplient le plus le petit
et le gros bétail » . Cependant il semble que l'écrivain
sacré mette la culture des champs au-dessus du soin
des troupeaux. « L'homme qui réjouit la terre delà joie
la plus grande, dit-il ^ est celui qui sème le plus de
1. Hisloriae, lib. I, p. 125.
2. Polak, Persien. Dos Land uni seine Bewohner. Leipzig,
1865, in-8, vol. II, p. 90.
3. Fr. Spiegel, Die arische Période, p. 69. — W. Geiger,
Die Ostiranische Kullur, p. 393.
4. Fargard III, 4-5. Trad. James Darmesteter. {Annales du
musée Guimet^ vol. XXII, p. 34-35).
5. Yendidad, Fargard III, 23-27.
aO LES PLÂPiTES CHEZ LES IRANIENS
blé et d*herbe... car la terre n*est point joyeuse qui
git longtemps en jachère, ,au lieu d'être ensemencée :
elle désire un bon labour ». Aussi récompenser t-elle
celui qui la travaille de ses bras, en portant pour lui
du blé en abondance, en produisant pour lui tous les
aliments, tandis qu'elle voue à la misère et condamne à
mendier honteusement son pain celui qui ne la cultive
pas. Mais en cultivant la terre, l'homme ne travaille pas
seulement pour lui, il fait avancer, il nourrit la reli-
gion : « Qui sème le blé, sème le bien, dit le Vëndidad*,
il fait marcher, il allaite la religion de Mazda. »
Avec de tels préceptes et de telles croyances l'agri-
culture ne pouvait manquer d'être en honneur chez les
Iraniens ; Xénophon nous apprend * que les rois eux-
mêmes la tenaient en grande estime et qu'ils ne l'en-
touraient pas de moindres soins que l'art militaire.' Ils
inspectaient eux-mêmes leurs domaines, dit l'historien
grec, et comblaient de présents et d'honneurs les gou-
verneurs qui les avaient bien entretenus et cultivés.
Dans une lettre adressée par Darius, fils d'Hystape,
au satrape de l' Asie-Mineure, Gadatas, on voit le grand
roi féliciter ce gouverneur « d'appliquer ses soins à
cultiver sa terre ».'
Et Plutarque rapporte qu'Artaxerxès II, à la vue
d'une grosse et belle grenade qu'un certain Onésimos
lui avait offerte, s'écria que cette homme serait capa-
ble, d'une petite ville qu'il aurait à gouverner, d'en
faire en peu de temps une grande cité *, tant l'habileté
1. FargardlII, 30-31.
2. Oeconomicus, cap. iv, 4-8.
3. Ttjv e(xr)v exTrovEî; ytjv. Bulletin de correspondance helléni-
que, vol. XIII (1890), p. 529.
4. Artoxerxes, cap. v.
L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES ÎRAiNIENS 61
que ce paysan avait montrée en obtenant un si beau
fruit, inspirait d'admiration au monarque perse.
Mais pour que Tagriculture prospérât, il fallait, le
législateur des Iraniens le comprit, fournir en abon-
dance à la terre Teau qui, sous le ciel aride de leur
pays, lui fait trop souvent défaut. L'irrigation et Tas-
séchement des marécages pouvaient seuls rendre
fructueuse la culture du sol et en accroître l'exten-
sion ; aussi sont*ils recommandés dans le Vendidad en
même temps que le labourage et l'ensemencement,
tt L'homme qui amène l'eau dans une terre qui^n est
privée, enseigne Ahura Mazda à Zoroastre *, et re-
tire l'eau d'où il y en a trop, fait œuvre bonne et ré-
jouit la terre à l'égal de celui qui sème le blé et
l'herbe. » Ce précepte fuLentendu et mis en pratique
dès la plus haute antiquité ; les rivières des vallées
furent divisées en. plusieurs bras et leurs eaux répan-
dues dans les plaines environnantes, à l'aide d'un
système ingénieux de canaux et de rigoles. Ailleurs
encore, comme à l'entrée du défilé du Kah-roud, des
barrages furent construits pour retenir, dans de spa-
cieux réservoirs, l'eau provenant de la fonte des nei-
ges. C'est ainsi que la vallée du Zarafchan a été
transformée en un véritable paradis*, que les eaux
du Mourghab ont rendu si fertiles les environs de
Merv, que les canaux dérivés du Zayendeh-roud ont
1. Vendidad. Fargard III, 4 et 23.
2. Aboulféda n'a pas assez d'admiration pour « renchevètre-
ment ininterrompu de verdure et de jardins et les champs
cultivés » du Sogh de Samarcande, « le plus agréable de tous les
pays que Dieu adonnés à l'homme ». Géographie, trad. Guyard,
vol. II, p. 23. « C'est un long jardin », dit H. Moser, A travers
rAsie centrale, p. 125.
62 LES PUNTES CHEZ LES IRANIENS
donné une fécondité sans égale à la plaine d'Ispahan S
et que d'anciennes digues élevées auprès de Persépo-
lis avaient gagné à la culture de vastes territoires
aujourd'hui desséchés et stériles.
Quand les rivières ou les montagnes couvertes de
neige étaient trop éloignées pour qu*on en pût dériver
Feau nécessaire, on creusait dans la plaine des puits
de profondeur variable, réunis entre eux par des gale-
ries souterraines — des kanât • — , ayant une pente
convenable pour l'écoulement de l'eau et prolongées
jusqu'au point où l'on désirait l'amener '. On 7 puisait
sans doute l'eau nécessaire à la culture, comme on le
fait aujourd'hui, à Taide d'un seau fixé à une longue
corde, passée sur une espèce de treuil et qu'un bœuf
tire par l'extrémité opposée*. Des ouvrages de ce genre
firent l'admiration d'Antiochus le Grand, lorsque, tra-
versant le désert de la Parthyène, il y trouva de
Teau ainsi emmagasinée par les habitants de ce pays
aride.''
Dans quelques parties de la Médie et du Kourdis-
tan, les pluies du printemps suffisent pour faire pro*
duire à la terre quelques récoltes hâtives ; mais, même
dans ces provinces favorisées, elles ne sont pas assez
1. Polak, op. îaud.y vol. Il, p. 119-120.
2. Ces galeries portent dans le Béloutchistan le nom de
kariz. Fischer, Die Existenzhedingungen dei* Datlelpalme,
(Petermann's Geographische Mitlheilungen, Ergànzungsheft
XV (1880-1881).
3. R. Ker Porter, Travels in Georgia, Persia, Armenia du-
ring ihe years 1817, 1818, 1819 anrf 1820. London, 1821, in-4,
vol. I, p. 296. — G. Rawlinson, The five great monarchies,
vol. III, p. 54.
4. Polak, op. laud.y vol. II, p. 120.
5. Polybe, Reliquiae, lib. X, cap. 28, 2.
L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 63
abondantes pour permettre de cultiver le sol pendant
toute Tannée. Il en est ainsi à plus forte raison dans
les autres contrées, où les précipitations aqueuses sont
plus rares et de moins longue durée. L'irrigation y
est par suite la première condition de toute culture,
aussi de tout temps a-t-elle été encouragée par les
rois perses. Suivant une tradition recueillie par Po-
lybe *,ils accordaient pendant cinq générations la jouis-
sance des fruits et de tous les produits à ceux qui
avaient amené de l'eau dans une terre. Tant Tarrosage
était regardé dans Tlran comme la condition première
de l'agriculture!
Quand le sol avait été suffisamment irrigué, on le
labourait. Les Iraniens devaient employer pour ce tra-
vail une charrue aussi grossière que celle dont se ser-
vent encore aujourd'hui les Persans et les Turcomans,
et qui consiste en un simple morceau de fer recourbé,
fixé à l'uiie des extrémités d'une barre de bois, dont
l'autre extrémité est attachée au joug d'une paire de
bœufs ". Après avoir ainsi écorché plutôt que retourné
le sol, on répandait la semence sur la glèbe que l'on
aplanissait ensuite, soit en la faisant fouler aux pieds
des bestiaux, soit en faisant passer dessus une es-
pèce de herse. De nos jours, il en était probablement
de même dans l'antiquité, on divise les champs en car-
rés, séparés par des rigoles destinées à recevoir l'eau.
Les semailles avaient lieu sans doute au commen-
cement de l'automne ; quant à la moisson, elle se fai-
sait à des époques variables suivant les contrées ; au-
1. Beliquiae, lib. X, cap. 28, 3.
2. Polak, Per8ien,yol. II, p. 131. — Pelzholdt, Tûrkeslan,
p. 52.
6i LES PUNTES CHEZ LES IRANIENS
jourd'hui elle a lieu dans TArabistan dès le mois dé
mars ; à Kachan elle ne commence qu'en juin ; aux
environs d'Ispahan elle né se fait qu'en juillet ^ ; à une
altitude plus considérable elle est encore plus tardive ;
mais vers le commencement de septembre toutes les
récoltes étaient rentrées, et à cette date on célébrait la
fête de la moisson. Il est vraisemblable qu'on faisait
aussitôt fouler les gerbes aux pieds des bœufs pour en
retirer le grain, tandis qu'aujourd'hui, après les avoir
étendues sur Taire, on fait passer dessus une espèce
de rouleau.
Le nombre des céréales cultivées par les anciens
Iraniens paraît avoir été assez restreint ; l'Avesta les
désigne toutes indistinctement sous le nom de yava —
lith, yavas — mot qu'on a parfois traduit par orge,
mais qui désigne tout aussi bien le froment. L'inscrip-
tion du palais de Cyrus, lue par Alexandre, nous
apprend que les Perses possédaient d'ailleurs ces deux
espèces de grains, ainsi que Tépeautre*, dès les pre-
miers temps de la dynastie des Achéménides. Il est
même probable qu'ils connaissaient l'orge et le fro-
ment, sinon l'épeautre, dès l'époque où ils pénétrè-
rent sur le plateau de l'Iran ^ Ils devaient alors aussi
connaître une autre céréale, qui peut-être même oc-
cupa d'abord dans leurs cultures une place plus con-
1. Polak, 0/). laud,, vol. Il, p. 132.
2. Polyen, Strategicay lib. IV, cap. 3, 32. On cultive en
Perse à la fois Torge commune et l'orge à six rangs.
3. Fr. Kôrnike, Die Artén und Varietàten des Getreides,
Bonn, 1885, in-8, p. 250.
L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 65
sidérable que les premières^ : le millet commun. Du
-temps d'Hérodote, il était encore la céréale la plus
cultivée chez les Hyrcaniens, les Parthes, les Saran-
giens et les Thamanéens ; ils le semaient en été, nous
apprend Thistorien V Cette céréale a continué d'être
chltivée dans Tlran jusqu'à nos jours ; on y sème aussi
le millet d'Italie et même, dans le Béloutchistan et
la vallée de l'Hilmend, le millet à épis^; mais je ne
saurais dire à quelle époque remonte la culture de ces
derniers. Vers le iv° ou le m® siècle avant notre ère,
se joignit aux céréales déjà cultivées, au moins dans
les terres humides, le riz, originaire de l'Inde;
Strabon rapporte, d'après Aristobule*, qu'on le cul-
tivait dans la Bactriane et même dans la Babylonie et
la Susiane ; on ne tarda guère sans doute à le semer
au Sud de la Caspienne, où il est surtout répandu de
nos jours. Quant au Sorgho, il n'a dû être introduit
dans l'Iran que lo^temps ^rès notre ère*. Le seigle y
a pénétré aussi assez tard; inconnu des Iraniens,
comme des autres peuples de l'ancien Orient, il n'est
d^ nos jours encore qu'exceptionnellement^cultivé dans
le Turkestan* et ne réussit que dans quelques contrées
montagneuses de la Perse'.
1. Ed. Hahn, Die haustiere. Leipzig, 1896, in-8, p. 138 et
410.
2. Historiae, lib. III, cap. 117.
3. Panicum miliaceum, Italicum, spicatum. Aitchison,
Notes, p. 147, 150 et 187.
4. Geographica, lib. XV, cap. 1, 18.
5. Polak ne compte pas le sorgho au nombre des céréales de
l'Iran.
6. Par les Russes seuls, dit Petzholdt, Turkestan, p. 16.
7. Polak, Persien, vol. Il, p. 137. — Aitchison, Notes, p. 186,
dit qu*il croit comme une mauvaise herbe dans les champs de
blé du Khoràsan.
JoRET. — Les Plantes dans f antiquité. II. — 5
66 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
L'Iran possède aujourd'hui la plupart de nos légu-
mes, mais on ne saurait dire avec certitude combien-
d'entre eux furent connus des anciens habitants du
pays, ni à partir de quelle époque ils les cultivèrent.
On peut croire que les lentilles — ddas — répandues
dans toute l'Asie antérieure, ainsi que les fèves, pfî-
rent, dès les temps les plus reculés, place dans les
potagers iraniens ; il en fut sans doute de môme des
petits pois, des pois chiches, comme de l'ervillier —
mâsh — , un des légumes favoris des Perses actuels V
Il est vraisemblable qu'on cultiva aussi dans Tancien
Iran la plupart des légumes verts : laitues, chicorées,
épinards, auroches, indigènes d'ailleurs dans cette
contrée. Il en fut de môme probablement des carottes*
et des betteraves, qui croissent spontanément dans
l'Asie antérieure. On peut encore ajouter les radis, les
raves et peut-être les navets, sinon les choux. Il est
question du cresson et du persil, ainsi que des raves et
des radis, des oignons et des aulx dans l'inscription
de Cyrus à Pe^sépolis^ ce qui prouve l'ancienneté
de la culture de ces plantes en Perse.
Le cresson ou la roquette et le persil, comme l'ail et
même l'oignon, sont moins des légumes véritables que
des condiments^ ces derniers: aneth, cumin, nigelle,
1. Polak, Persieri, vol. H, p. 138. C'est VErvum ervilia. On
cultive aussi aujourd'hui, dans les champs des régions éle-
vées, le Lalhyrus sativus — la jirousse — et, dans le Bélout-
chistan et la région de l'Hilmend, le Phaseolus radiatus ; mais
j'ignore depuis quelle époque. Aitchison, Notes, p. 124 et 151.
Le botaniste anglais donne au dernier le nom de mâsh.
2. La carotte indigène dans la Perse occidentale est le
Daucus maximus Desf. G. Schweinfurth, Zeitschrift fur Eth-
nologie, an. 1891, p. 632. — Aitchison, Notes, p. 55, dit que la
carotte est indigène dans la vallée du Kouram et leCachemir.
3. Polyen, Strategica, lib. IV, cap. 3, 32.
L'AGRICULTURE ET ï/HORTfCULTURE DES IRANIENS 67
silphiumou asa-fœtida, moutarde, câpres, étaient, Tin-
scription de Cyrus nous l'apprend, connus, sinon tous
cultivés, par les anciens Perses. Ils connurent aussi
peut-être la coriandre, dont leBundehesh fait mention*.
On ne peutguère douter que les Iraniens n'aient connu
encore et cultivé de bonne heure les melons, les con-
combres, les gourdes et les pastèques, dont les graines
sont si faciles à transporter, et qui donnent, en par-
ticulier les melons, des produits délicieux dans leur
pays ; ce n'est pas une raison toutefois pour que la
culture en remonte à une très haute antiquité, encore
moins pour que ces fruits-légumes soient originaires de
riran ou du Turkestan, comme M. Vambéry n*a pas
hésité à le dire pour celte dernière contrée '.
Les Iraniens ne s'adonnèrent pas seulement à la cul-
ture des céréales et des légumes, ils cultivèrent aussi
plusieurs plantes fourragères. Si les herbes des step-
pes, dès les premiers jours du printemps ; pendant les
premiers mois de Tété, les graminées des clairières ',
avec le feuillage des arbres de la région forestière; enfin
plus tard les prairies du Saerhadd offraient une nour-
riture abondante et variée à leurs troupeaux de bœufs
et de moutons ou de chèvres, ainsi qu'à leurs nom-
breux chevaux et à leurs chameaux ; ni les unes ni les
autres ne pouvaient leur être d'aucun secours en hiver,
•
1. The Bundahishy chapt. xxvii, \h.(^Pahlam Tex^* transla-
tée by E.-W. West, Part. I. Sacred Booksofthe East, vol. V).
Le Bundehesh en fait mention, en mdme temps que de l'ail et
du cresson.
2. Die primitive CuUur des Ttirko-Talarischen Volkes.
Leipzig, 1879, in-8, p. 219.
3. (c Equis aliisque jumentis pascendis idoncam esse », dit
Arrien de la région moyenne de la Perside, Histona indica,
cap. XL, 4.
68 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
et les premières mêmes cessaient de leuf servir en été;
irs durent aussi chercher de bonne heure dans la cul-
ture des plantes fourragères de quoi suppléer à Tin-
suffisance des prairies naturelles et à la pénurie des
fourrages en hiver. Quelles espèces choisirent-ils à
cette intention, parmi celles qui croissaient naturelle-
ment dans leur pays? Aujourd'hui les Perses cultivent
dans ce but, outre Torge, Tesparcette ou sainfoin, le
trèfle renversé et le fenugrec, une espèce de vesce, que
mangent avidement les brebis, ainsi que fe. luzerne*.
Quoique ces diverses légumineuses soient également
indigènes dans Tlran, la luzerne — Medicago sativa —
est la seule peut-être qu'on y ait cultivée avant no-
tre ère ; c'est la seule du moins dont les écrivains an-
ciens fassent mention ; connue déjà de Théophraste*,
Strabon remarque qu'on lui avait donné le nom
d'<( herbe de Médie » à cause de son abondance dans
cette province^ et Pline dit que, étrangère à la Grèce,
la luzerne y fut apportée par les Mèdes, pendant les
guerres de Darius*. Avant de pénétrer en Europe,
elle avait été acclimatée en Mésopotamie; sous la
forme assyrienne aspasti, qui rappelle le zend aspest,
perse uspust, pehlvi aspast^, cette plante figure dans
la liste dressée par le jardinier du monarque babylo-
1. Polak, Persien, vol. II, p. 135, mentionne l'orge, l'espar-
cette, le trèfle, la vesce et la luzerne; Aitchison, p. 77, ne parle pas
de l'esparcette, ni de la vesce, mais il fait mention du fenugrec.
2. Ilistoria plantavum, lib. VIII, cap. 7, 7.
3. Ttjv pOTàv7)v,.. a::ô tou TiXeoyâÇsiv evrauOa i8îwç MtjBixtjv xaXoCf-
(jLEv. Geographica, lib. XI, cap. 13, 7.
4. « Medica externa etiam Graeciae est, ut a Médis advecta
per bella Persarum quae Darius intulit ». IHstoria naiuralis,
lib. XVIII, cap. 144.
5. La luzerne s'appelle aujourd'hui yudjeh et sdpist.
L^AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 69
nien Mardukbalidin — Mérodach-Baladan — , contem-
porain d'Ezéchias, roi de Juda\ Ce document montre
que la luzerne était déjà connue au viii® siècle avant
Jésus-Christ dans la vallée de TEuphrate. Son nom
araméen aspastà prouve qu'elle a dû aussi être cultivée
anciennement en Syrie. Elle ne cessa jamais de Têtre
en Perse sur une vaste échelle; vers le milieu du vi'
siècle de notre ère, Khosrou frappa les champs de
luzerne d'un impôt qui devint pour lui une source con-
sidérable de revenus', tant était grande l'importance
qu'avait prise de son temps la culture de cette plante»
Indigène dans la Perse septentrionale, le lin a dû y
être cultivé aussi très anciennement ; mais les monu-
ments nationaux et les écrivains grecs ne nous four-
nissent à ceUégard aucun renseignement. Nous igno-
rons également à quelle époque le chanvre, de la
région de TAral et de la Caspienne, où il croît spon-
tanément, a été importé et cultivé dans l'Iran propre-
ment dit; s'il Test aujourd'hui et probablement depuis
longtemps, ce n'est pas comme textile toutefois ; et
le lin, planté presque uniquement, de nos jours,
dans le Mazandéran et le Turkestan, n'est plus guère,
lui aussi, cultivé comme tel. La seule plante textile qui
soit cultivée maintenant est le cotonnier, mais il est
exotique : depuis quand a-t-il été importé en Perse de
l'Inde, son pays d'origine ? Théophraste, qui le range
parmi les plantes de cette dernière contrée et en a
1 . J. Halévy , Mélanges étymologiques, {Mémoires de la Société
de linguistique, vol. XI (1900), p. 73). Cf. 0. Schrader, ap. V.
Hehn, Kulturpflanzen, p. 401.
2. NÔldeke, Geschichte der Perser und Araber zur Zeit der
Sassanideuy aus der arabischen Chronik des Tabari ûhersetzt.
Leiden, 1879, in-8, p. 2'i4.
70 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
donné une description détaillée *, rapporte qu'on le
trouvait aussi dans l'île de Tylos, au milieu du golfe
persique, et après avoir dit quelle était la forme des
feuilles et du fruit, ainsi que la nature des fibres qu'on
en retirait, il ajoute qu'il croissait également en
Arabie*. De son temps, on le voit, le cotonnier avait
déjà été importé dans l'Asie antérieure; on peut donc
supposer que, s'il n'était pas encore introduit en
Perse, il ne tarda pas à y être cultivé. Le Bundehesh,
qui nous reporte à l'époque des Sassanides, en parle
comme du plus important des textiles connus ^
Dès longtemps on dut aussi cultiver dans l'Iran la
garance, le carthame, le safran, Tarbre au henné et
même l'indigotier. 11 est probable qu'indigène dans
cette contrée, la garance y a été plantée à une époque
reculée; mais aucun écrivain de l'antiquité ne nous
renseigne à cet égard ; le Bundehesh lui-même n'en fait
pas mention, et Edrisî est le premier écrivain qui en
parle; elle était, dit-il*, cultivée sur une grande échelle
entre Derbend et Tiflis. La mention du safran et du
carthame dans l'inscription de Cyrus* montre que ces
deux plantes étaient connues et probablement cultivées
en Perse dès le temps des premiers Achéménides ; le
carthame Tétait d'ailleurs dans l'Egypte ancienne
depuis l'époque la plus reculée®. Le Bundehesh ne
1. Ilistoria planlarum^ lib. IV, cap. 4, 8. Cf. plus loin, livre
II, chap. 2.
2. ffistoria pfantarum, lib. IV, cap. 7, 7. Cf. Pline, Ilistoria
naturalis, lib. XII, cap. 21.
3. The Bundahfsh, chapt. xxvn, 16.
4. Ernst Meyer, Geschichte der Botaniky Kônigsberg, 1856,
in-8, vol. III, p. 299.
5. Polyen, Strategica, lib. IV, cap. 3, 41 et 42.
6. Les plantes dans Vanliquitéy vol. I, p. 49.
L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 7i
parle point de ce dernier, mais il met le safran au
premier rang des plantes tinctoriales de l'Iran*. La
culture en Perse de Tarbre au henné remonte certai-
nement à une haute antiquité. M. Schweinfurth a môme
supposé qu'elle avait été importée de la Perse en
Egypte*. Elle a maintenant encore une grande impor-
tance auK environs de Yezd et de Minab'*. Quant à
Tindigotier, il n'est pas douteux qu'il a été apporté
de rinde en Perse ; mais on ignore |i quelle époque a
eu lieu cette importation*.
Il est diffi<yile de dire quelles plantes oléagineuses
furent cultivées dans l'antiquité par les Perses ; le ricin
et le sésame, qui fournissent aujourd'hui presque toute
l'huile dont se servent les habitants, ne sont pas indi-
gènes dans l'Iran ; mais ils ont dû y pénétrer de bonne
heure. L'inscription du palais royal de Persépolis fait
déjà mention de l'huile de sésame'; cette plante était
donc connue et probablement cultivée en Perse dès le
temps des premiers Achéménides, ce qui ne doit pas
surprendre, car elle l'était depuis l'époque la plus
reculée en Mésopotamie®. Hérodote, de son côté, nous
apprend que le sésame était cultivé chez les Parthes,
les Hyrcaniens et les Sarangiens ^ ; il l'était aussi sans
doute, comme de nos jours, dans la Médie et la Car-
1. The Bundahish, chapt. xxvii, 18.
2. Zeitschrift fur Ethnologie, an. 1891, p. 658.
3. Polak, Persien, voL If, p. 152. — Elisée Reclus, Géogra-
phie, vol. IX, p. 279.
4. Aujourd'hui la culture en est pratiquée aux environs de
Chouster dans TArabistan. — Polak, Persien, vol. il, p. 152.*
5. Polyen, Strategica, lib. IV, cap. 3, 23.
6. Les plantes dans Vantiquité, vol. I, p. 140.
7. Historiae, lib. 111, cap. 117.
72 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
manie \ Quant au ricin, si la culture en a pris une
grande importance dans Tlran, aucun document ne
nous dit à quelle époque elle y a pénétré ; toutefois on
peut admettre qu'elle y était connue bien avant notre
ère. En fut-il de même de la culture de la roquette —
mandâo, — plantée de nos jours dans quelques districts
de la Perse occidentale*. Cela n'est pas invraisem-
blable ; mais rien ne permet de l'affirmer. Pour l'olivier,
il a dû être cultivé dès longtemps dans la région Cas-
pienne, où il est encore commun aujourd'hui ; mais il
ne l'a été ni dans la Médie, ni dans la Perside ou la
Carmanie', encore moins dans la Bactriane* et les pro-
vinces centrales et orientales de l'Iran .
*
Les Iraniens ne cultivaient pas les arbres à fruits
avec moins de soin que les plantes alimentaires ou
industrielles. Nous avons vu combien nombreux et
variés étaient ceux qui croissaient spontanément dans
leur pays et dans les vallées de la haute plaine du
Touran ; s'ils n'essayèrent pas d'en anoblir toutes les
espèces, ils en cultivèrent du moins quelques-unes des
plus productives. Ahura Mazda n'avait-il pas lui-même
recommandé à ses sectateurs la plantation des arbres
à fruits? « L'homme qui réjouit la terre de la joie la
plus grande, dit le Yendidad dans un passage que j'ai
1. Polak, Persien, vol. II, p. 150.
2. Polak, Persieriy vol. II, p. 151. On peut encore moins se
pi^noncersur l'époque à laquelle remonte la •ulture du colza.
3. Arrien, fffstoria indica, cap. xxxii, 5 ; xxxiii, 2 et XL, 3.
4. « Bactria... omnium rerumferax, exceptooleo », Strabon,
lib. XII, cap. 11, 1.
L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 73
déjà cité*, est celui qui sème le plus de blé et d^herbes
et d'arbres fruitiers. » Dans la lettre à Gadatas, dont
il a été aussi question plus haut, Darius louait ce satrape
d*avoir planté dans ses domaines de la basse Asie des
arbres à fruits des pays d'au delà de TEuphrate^. Ce
qu'avait tenté Gadatas n'était pas sans doute un fait
isolé; dès longtemps on dut s'attacher à transporter
d'une province dans une autre les meilleures espèces
étrangères, en même temps qu'on cultivait celles qui
étaient indigènes. Quels étaient les arbres à fruits
plantés dans les vergers iraniens ?
Si les écrivains de l'antiquité nous apprennent que
ces arbres étaient nombreux dans certaines provinces'*,
il ne nous en ont fait connaître qu'un très petit nombre.
Arrien, qui parle, à plusieurs reprises, de ceux que
Néarque et ses compagnons avaient vus, dans leur
voyage le long des côtes de la Carmanie et de la Per-
side, ne mentionne nominativement que le dattier* et
la vigne, pour les autres il se borne à dire que c'étaient,
à l'exception de l'olivier, les mêmes qu'on cultivait en'
Grèce. Strabon aussi n'indique que ces deux arbres à
fruits dans l'Iran méridional : le dattier, dans la
Susiane, la Perside, la Carmanie, la'Gédrosie et le
pays des Ichthyophages'; la vigne dans la Carmanie
et la Perside'. Le dattier était-il autrefois, comme
1. Fargard III, 23. CfTp. 59.
2. Touç jcépav Eù^oaiou xap7:où; ènl xà xato) x^ç 'Aaia; [lEpT]
xaxa^t»XEU(i>v.
3. Strabon, Geographica^ lib. XV, cap. 2, 14. — Arrien, Z^i<-
toria indica, cap. xxxn, 5.
^ 4. Hisloria indica^ cap: xxxvii, 2 ; xxxviii, 6 ; xxxjx, 2 Bt
XL, 3,
5. Geographica, lib. XV, cap. 2, 2 et 5, et 3, 1.
6. Geographica, \\p. XV, cap. 2, 14 ; lib. XVI, cap. 1, 5.
74 LES PLANTES CHEZ LES IRAMËiNS
aujourd'hui, cultivé plus au Nord V Depuis quelle époque
Tétait-il dans les provinces du Sud? Les habitants en
avaient-ils trouvé eux-mêmes la fécondation artificielle
ou Tavaient-ils apprise des Babyloniens'? Ce sont là
des questions auxquelles il est impossible de répondre;
mais on peut dire que la culture de cet arbre précieux
remonte en Perse aux temps les plus reculés. Celle de
la vigne n'y est sans doute pas moins ancienne et elle
fut pratiquée au Nord comme au Sud de Tempire des
Achéraénides, dans TAsie, la Margiane et THyrcanie,
provinces septentrionales, comme dans les provinces
méridionales de la Carmanie et de la Perside. Les vigno-
bles de Carmanie en particulier étaient célèbres; ils
produisaient entre autres une variété de raisins appelée
carmanique du oom de la province \ variété aussi
remarquable par les dimensions de ses grappes — elles
avaient souvent jusqu'à deux coudées de long — que
par la grosseur et la fermeté des grains. Les vignes de
la Margiane ne produisaient pas de moins belles grappes
et elles atteignaient parfois des dimensions énormes ;
Strabon rapporte qu'on en voyait de tellement grosses
que deux hommes en auraient pu difficilement embras-
ser le tronc. Le géographe vante aussi la fécondité
exceptionnelle des vignes de THyrcanie. Celle des
figuiers de cette province n'était pas moindre d'après
lui*.
1. Dans le Khorâsan, par exemple, en particulier dans les
oasis de Khabbis et de Tebbès. Th. Fischer, Ileimaik nnd Ges-
chichie der Verbreiiung der Daltelpalme. (Petermann's geogra-
phische MittheUungerij an. 1881. Ergànzuiigsheft 64, p. 79.
2. Th. Fischer, op. laud., p. 11, suppose que la fécondation «
artificielle du dattier a été découverte en Arabie.
3. Strabon, Gengraphicn, lib. XV, cap. 2, 14.
4. Geographica, lib. VI, cap. 7, 2 et cap. 10, 1 et 2.
L^AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 75
Indigène dans l'Iran, le figuier devait être cultivé
dans bien d'autres provinces que THyrcanie. Plus
répandu encore était le grenadier et ses fruits étaient
plus estimés ; il en est fait mention dans l'inscription
de Persépolis*, qui ne parle pas de ceux du figuier;
mais le Bundehesh n'a pas oublié de mentionner ces
derniers. L'inscription de Persépolis mentionne aussi
les fruits de Tamandier, d'où l'on peut conclure que
cet arbre ét<ait vraisemblablement cultivé dans l'an-
cienne Perse. Le noyer l'y était sans doute également
et peut-être même le châtaignier*, sinon le noisetier.
Il faut ajouter à ces arbres le khormandu — Dios^
pijros lotus — dont les fruits frais et séchés sont re-
cherchés en particulier par les Afghans d'aujourd'hui.
Il est permis de supposer aussi que le mûrier noir fut
cultivé par les anciens Iraniens, comme il l'est de
nos jours à cause de ses fruits ' ; on doit l'admettre
encore plus du cognassier et, dans les cantons mon-
tagneux, où ils peuvent seulement prospérer*, des
poiriers, des pommiers, des cerisiers et des pruniers,
tous indigènes dans l'Iran. On cultivait peut-être
même, dans l'Iran central et oriental, le chalef et le
jujubier commun'; mais les écrivains anciens ne nous
en ont rien appris. Il en est tout autrement de quelques
autres arbres fruitiers dont la nature encore inconnue
les avait frappés : le pistachier, le cédratier ou citron-
nier, Tabricotier et le pêcher.
1. Polyen, Strategica, lib. IV, cap. 3, 32.
- 2. The Bnndahish, chapt. xxvïi, 23.
3. Aitchison, Notes, p. 134, indique surtout comme cultivé
aujourd'hui, au moins dans le Khoràsan, le mûrier blanc.
4. Polak, Persien, vol. Il, p. 147 et 149.
5. Aitchison, Noies, p. 63 et 224.
76 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
J'ai parlé plus haut de Tindigénat du pistachier dans
le Turkestan septentrional — Tancienne Sogdiane — ,
ainsi que dans le Khorâsan. Les compagnons d'Alexan-
dre l'avaient vu dans la Bactriane. On ne peut guère
douter, en effet, que « le térébinthe ou l'arbre semblable
à un térébinthe » que, d'après Théophraste*, ils aper-
çurent dans cette province, et « dont les fruits rappe-
laient ceux de l'amandier, mais avaient un goût plus
agréable », soit autre chose que le pistachier vrai. Cet
arbre pénétra bientôt dans l'Iran méridional. Au i®"" siècle
avant notre ère, Nicandre, qui lui donnait le nom de
piorixicv ou de ©tTrixtov, nous le montre croissant en
Susiane, dans la vallée du Choaspès '. Vers la même
époque, Posidonius le connaissait aussi déjà en Syrie ^
contrée que les écrivains grecs et romains postérieurs
ont même regardée comme sa patrie, tant les fruits
qu'il y portait étaient excellents *. S'il en donnait de
si bons dans la région méditerranéenne, le pistachier
1. Historia plantarum, lib. IV, cap. 4, 7. Les térébinthes
des défilés du Paropamise, dont parle Strabon (XV, 2, 10),
étaient probablement aussi des pistachiers.
2. Xo«<J7COU
B'.aTGtxi* axpefidveaaiv ajxoYÔaXdevTa TciçavTat.
TheriakUj vers Syo. Le nom TciaTaxiov apparaît d'abord dans
Dioscoride.
3. <ï>ep£i8è xai t6 ::lpactov V^P*^^* **'^ ^ Suoîa (x«l) t6 xaXou^xs-
vov picjTàxiov. J*ai cru autrefois (Revtie des éludes grecques, vol.
XI (1899), p. 47) pouvoir changer rcipasiov en TUEpaixov ; il est
préférable de conserver ce mot et de se borner, comme me Ta
fait remarquer M. G. Schweinfurth, à supprimer xal après
Supîa; le passage de Posidonius signifie alors: l'Arabie pro-
*duit aussi le ^epaeiov (perséa) et la Syrie le soi-disant piaiaxio»
(pistachier).
4. Dioscorides, De malen'a medica, lib. I, cap. 177 — Pline,
lib. Xllf, cap. 51. — Galenus, De simplicium medicamenlorum
temperamentis et facullatibus, lib. VIII, cap. 21.
L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 77
en devait produire encore de meilleurs dans l'Iran ;
c'est un des arbres de ce pays dont le Bundehesh loue
en premier lieu les fruits. Il est aussi question dans ce
texte sacré du citronnier ou cédratier, dogt Théophraste
le premier a fait mention.
Au quatrième livre de son Histoire des Plantes; le
naturaliste grec, parlant des arbres de l'Asie, dit que
la Médie et la Perse en produisaient un, le «pommier
de Médie » ou « pommier de Perse » *, qui leur était
particulier, et il ajoute :
Les feuilles, par leur forme et leur dimension, rappellent
celles de Ta^bousier; les aiguillons sont presque semblables à
ceux du poirier ordinaire et de l'aubépine, mais ils sont lisses,
forts et très aigus. Le frnit ne se mange pas, mais il exhale,
ainsi que les feuilles, une odeur agréable^. ...Cet arbre porte
toute l'année et se couvre à la fois de fleurs et de fruits mûrs
et non mûrs 3.
Malgré ce qu'elle a d'incomplet, il est difficile de ne
pas reconnaître dans cette description une espèce de
citronnier, sans doute le cédratier, que les compa-
gnons d'Alexandre avaient vu en Médie et en Perse,
et dont quelques fruits, nous apprend un passage sou-
vent cité de la comédie d'Antiphane, la Béotie^^ furent
apportés en Grèce vers cette époque.
1. MijXov t6 fjiT)8ix6v fl TÔwepaixdv. Hiêloria plantarum, lib. IV,
cap. 4, 2
2. « Le fruit est rugueux, de couleur d'or, dit Dioscoride,
lib. I, cap. 166, et d'une bonne odeur mélangée de quelcjTie
chose de désagréable. »
3. « Arbor ipsa omnibus horis pomifera est, aliis cadentibus,
aliis maturescentibus, aliis subnascentibus ». Pline, lib. XII,
cap. 7.
4. Deipnosophislae, lib. IH, cap. 27 (84). Athénée cite aussi
un passage de la Mélibée d'Ériphe, qui n'est qu'une répétition
de celui d'Antiphane.
78 LES PLANTES CHEZ LES IRAKIENS
Cet arbre qui, inconnu dans la Mésopotamie et
rÉgypteS existait quatre siècles avant notre ère, dans
riran occidental, n'y était pas indigène, et, d'après
son mode de culture, on peut supposer qu'il n y était
même pas encore acclimaté et, par suite, y avait été
imJ)orté depuis peu de temps.
On sème au printemps, dit Théophraste^, les pépins retirés
des fruits^ur des plates-bandes bien préparées; on les arrose
tous les quatre à cinq jours ; quand les jeunes plants sont suf-
fisamment forts, on les repique dans une terre un peu com-
pacte, mais humide et non point trop légère. ...On cultive
aussi le cédratier, comme les palmiers, dans des vases en terre
percés de trous. Il vient dans la Médie et en Perse.
Pline, parlant des tentatives qui avaient été faites
ailleurs pour acclimater le cédratier, remarquait que
cet arbre « ne voulait croître » que dans ces deux pro-
vinces ^. A quelle époque et de quel pays y avait-il été
importé? Des formes, qui se rapportent plus ou moins
à cette espèce ou au citronnier, ont été trouvées, à Tétat
sauvage, dans les régions basses et chaudes de 'l'Hi-
malaya, du Garwal au Sikkim, ainsi que dans les
Ghâtes occidentales, et les monts Satpoura*; c'est de
1. M. Victor Loret, Le cédratier dans Vœntiquité. Paris,
1891, in 8, p. 36, a voulu prouver, mais sans y réussir, que dès
le XVIII' siècle avant notre ère, le cédratier aurait existé aux
bords du Tigre. Cf. Bévue critique, vol. XXXV (1892). n° 7, p.
tl5.
*2. Lib. IV, cap. 4, 3.
3. (c Nisi apud Medos et in Perside, nasci noluit ». Ibid. Kn
réalité le citronnier ou cédratier ne réussit que sur la côte de
la Caspienne et dans la Perse méridionale, de Cbiraz au golfe
persique (Pohk, vol. 11, p. 139) ; c'est là, et non en Médie, où
il ne peut croître en pleine terre, qu'il était cultivé au moins
du temps de Pline.
4. .\. de Cai^olle, Origine des plantes cultivées, p. 143.
L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 79
ces contrées, les plus occidentales où croisse sponta-
nément le cédratier, que cet arbre s'est répandu dans
le bassin de Tlndus, et de là il aura sans doute passé
dans riran, à la suitêdes expéditions que les monarques
perses, firent dans cette contrée ou des relations qu'ils
entretinrent avec ses habitants.
Parmi les nombreux arbres fruitiers, autres que le
cédratier S qu'on trouvait encore, d'après Théophraste,
en Perside et en Médie, le naturaliste grec a-t-il com-
pris l'abricotier et le pêcher ? Cela est peu probable ;
inconnus en Grèce, ces arbres n'auraient guère moins
frappé * les compagnons d'Alexandre que le cédratier.
Quoi qu'il en soit, étrangers, comme ce dernier, à la
flore de l'Iran, ils finirent par être, ainsi que lui, culti-
vés dans cette contrée et dans toute l'Asie antérieure.
L'abricotier croît spontanément, on ^avu^ dans la
vallée du Zarafchan et dans le Ferghâna, ainsi que
dans TAlatau transilien et le territoire de Wernoje; il
ne pouvait manquer de se répandre de là dans l'Iran.
S'il n'y était pas encore acclimaté avant la conquête
d'Alexandre, il devait y être planté avant notre ère.
De l'Iran, l'abricotier ne tarda pas à pénétrer dan^w
1. Jlistoria plantarum, lib. IV, cap. 4, 2.
2. M L'expédition d'Alexandre, disait, en 1855, A. deCandoUe
(Géographie botanique raisonnëe^ p, 881), à propos du pocher,
est probablement ce qui l'avait fait connaître à Théophraste,
lequel en parle comme d'un fruit de Perse ». Théophraste ne
parle nullement du pêcher, et l'on s'étonne que le savant bota-
niste genevois ait, en 1883, répété cette erreur dans V Origine
des plantes cultivées, p. 177.
3. Chap. I, p. 42. L'abricotier croît aussi spontanément plus
à l'Est dans la Dzoungarie, où Przewalski a vu des bois entiers
d'abricotiers sauvages sur les bords du Youldouz, dans la
Mandchourie méridionale et dans la Daourie. Engler, ap. V.
Hehn, p. 418.
» ♦
'^
80 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
toute l'Asie antérieure et bientôt même en Europe.
Vers le milieu du premier siècle de notre ère, nous ap-
prend Pline*, cet arbre était cultivé en Italie déjà de-
puis une trentaine d'années. La précocité de ses fruits
leur avait fait donner chez les Romains, le nom de
prœcoqua^ ; mais ils leur donnaient aussi, comme les
Grecs d'ailleurs, celui de « pommes d'Arménie' », en-
core que l'abricotier ne fût pas, nous le savons, ori-
ginaire de cette contrée.
En même temps que des abricots, Pline fait mention
des pêches — persica — , dont le nom indiquait l'ori-
gine étrangère ; mais, quoiqu'on ait dit l'écrivain latin *,
cette origine n'était pas persique, pas plus que celle
des abricots n'était arménienne. Bien qu'on ait cru
le pêcher indigène dans le Ghilan, il n'y est certaine-
ment qu'acclimaté, et il faut en chercher la patrie
dans une région encore plus éloignée que le pays d'o-
rigine de l'abricotier. Jusqu'ici le pêcher n'a été trouvé
à l'état vraiment spontané qu'en Chine ; l'on rencontre
dans les montagnes des environs de Pékin, ainsi que
dans les provinces chinoises de Chensi et de.Kansou ^
une espèce de prunier — Prunus Davidiana — , voi-
sine de notre pêcher — Prunus Persica — , et les di-
verses variétés * de cet arbre aux fruits savoureux sont
1. Ilisloria naluralis, lib. XV, cap. 11.
2. Ou praecocia.
3. Mala armeniaca ou simplement armenia. Ta Se (iixporfipa,
xaXou(x£va Vt âpuEviaxà, p(ii]xar9Tl 8è scpacxdxia. Dioscorjde, lib. I,
cap. 165.
4. « Persica, peregrina .. ex nomine ipso apparet atque ex
Perside advecta ». Hist. naluralis, lib. XV, cap. 13.
5. Engler, ap. V. Hehn, op. laud., p. 418.
6. A. de Candolle, op. laud,, p. 181, en distingue cinq prin-
cipales.
IMGRICULTURE ET L»HORTICULTURE DES IRANIENS 81
cultivées depuis un temps immémorial dans Tempire
du Milieu.
Comment et quand le pécher a-t-il pénétré dans
l'Asie antérieure. On peut croire qu'il y a été intro-
duit à la suite des relations commerciales, qui s'éta-
blirent entre la Chine et la Bactriane, depuis le voyage
d'exploration, entrepris, en 139 avant notre ère, sur
l'ordre de l'empereur Hsiawouti, par le général Tchang-
Kiën, voyage qui le conduisit, onze ans après, jusque
dans le bassin del'Yaxarte et de l'Oxus *. A partir de
114 et surtout depuis la conquête du Ta-wan — le
Ferghâna — par la Chine, conquête qui eut lieu peu
après, des caravanes nombreuses et chargées de ri-
ches présents furent envoyées à diverses reprises par
les Fils du Ciel dans le pays des 'Ansi — peut-être le
royaume des Parthes. — Des ambassades se rendirent
à leur tour de la Bactriane et de la Sogdiane en
Chine'. Ces échanges de relations contribuèrent à
faire connaître et à répandre dans l'Occident les pro-
duits agricoles et industriels de l'Empire du Milieu ;
peut-être est-ce une des caravanes dont je viens de
parler qui apporta le pêcher dans la région Caspienne.
1. De Guignes, Réflexions générales sur les liaisons et le
commerce des Romuins avec les Tar tares et les Chinois. (^Mé-
moires de r Académie des inscriptions et belles -lettres, vol.
XXXII (1768), p. 357-358). — Abel Rémusat, Remarques sur
Vextension de Vempire chinois du côté de VOccident. {Mémoires^
nouv. série, vol, VIII (1827), p. 116. — Ferdinand Freiherr
von Richthofen, China. Ergebnisse eigener Reisen, Berlin,
1877, in-4, vol. II, p. 449-456.
2. p. Hyacinthe Bitchacrine. Recueil de renseignements sur
les peuples gui habitaient en Asie centrale dans les anciens
temps, ap. Nicolas Svertzow, Etude de géographie historique
sur les anciens itinéraires à travers le Pamir. (Bulletin de la
Société de géographie, vol. XI (1890), p. 596-597).
JORET. — Les Fiantes dans tantiquité. II. — 6
I * i
82 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
Quoi qu'il en soit, du Turkestan, où il avait été d'a-
bord importé *, cet arbre ne tarda pas à pénétrer dans
la Perse, puis dans l'Asie antérieure, et, dès le pre-
mier siècle de notre ère, il passa en Europe. Pline
nous apprend * qu'il était cultivé de son temps en Ita-
lie et en Gaule et qu'il y avait déjà donné plusieurs
variétés '.
Les arbres fruitiers ne sont pas les seuls végétaux
qui fussent cultivés, avec les légumes et les autres
plantes alimentaires par les Iraniens ; les rois et les
grands ne pouvaient se contenter de jardins purement
potagers ou de vergers remplis seulement d'arbres
fruitiers ; il leur fallait aussi des parcs, plantés de
grands arbres, qui servissent d'abri aux fauves qu'ils
aimaient à chasser, des jardins d'agrément garnis
d'arbustes rares et même de fleurs, où ils pussent ve-
nir prendre le frais et se reposer de leurs fatigues ;
aussi faisaient-ils établir de ces paradis, comme ils
les appelaient, partout où ils résidaient*, et ils pre-
1. Charles Joret, Uabricotier et le pêcher. Aix-en-Provence,
1899, in-8, p. 7.
2. Historia naturalU, lib. XV, cap. 11.
3. Joh. Gottfr. Wetzstein, p. 18 de la préface de l'ouvrage de
Karl Koch, Die Baume und S trancher des alten Griechenlands.
Berlin, 1884, in-8, a fait dériver le nom de l'espèce duracina,
à laquelle Pline « donnait la palme », de Durak — mieux
Dorak — , ville du Khouzistan — ancienne Susiane — ; mais cette
étymologie que j'ai eu le tort d'accepter (Bévue des études
^grecques, vol. XI, 1899, p. 46), doit, je crois, après examen, être
: rejetée. Cf., ibid., T. R., Duracinum, p. 48.
• 4. Xénophon, Oeconomicus, cap. iv, 13.
L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS
83
naient soin qu'ils fussent « remplis de tout ce que la
terre peut produire de beau et de bon ».
Aussi loin que nous pouvons remonter dans le passé,
nous trouvons des preuves nombreuses du goût que les
Iraniens avaient pour les jardins et pour les parcs.
Une tradition * attribuait au roi légendaire Manosheir
l'invention des jardins d'agrément et de la culture des
arbres fruitiers. Si Ton en croit Xénophon ^ il y avait
auprès d'Ecbatane un grand parc, rempli de fauves,
qu'Astyage, afin de le retenir auprès de lui, donna à
son petit-fils Cyrus. On voyait à Pasargade, l'ancienne
capitale des Achéménides, les « jardins de Cyrus »,
arrosés d'eau courante, couverts de gazons épais et
remplis, dit Arrien^ d'arbres de toute espèce. C'est
dans ces jardins, dont les arbres, au rapport de Stra-
bon *, le dérobaient à la vue, que fut édifié le tom-
beau du conquérant perse. Quand Darius transporta
la capitale de son empire à Persépolis, il n'oublia pas,
l'inspection des lieux donne lieu de le croire*^, d'y éta-
blir aussi des réservoirs et des jardins ; il en établit
également sans doute auprès du palais de Suse, l'une
de ses résidences favorites. Mais auquel des rois perses
faut-il attribuer l'établissement, dans le voisinage de
la ville mède de Khavon, du vaste paradis décrit par
Diodore*, et dont, avec le crédule Ctésias, il fait hon-
neur à Sémiramis? On ne le saurait dire. Si ce para-
1. Pr. Spiegel, Dieeranische AUerlhumskunde, vol. I, p. 555.
2. Cyri institutio, lib. I, cap. 13, 14.
3. Alexandri Anabasis. liv. VI, cap. 29, 4.
4. Geographica, lib. XV, cap. 3, 7.
5. E. Flandin, Voyage en Perse, Relation du voyage. Paris,
1851, in-8, vol. II, p. 141.
6. Bibliotheca, lib. II, cap. 13, 3.
84
LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
dis était contemporain du parc voisin, situé, d'après
le compilateur grec*, au milieu des rochers deBaghis-
tan, il remonterait à Darius. Est-ce à cette époque aussi
ou à une date plus récente qu*il faut placer la création
des beaux parcs qu'on voyait, au milieu d'une contrée
nue et déboisée, près de la résidence royale, où Ar-
taxerxès Mnémon, raconte Plutarque', vint se reposer
des fatigues de sa pénible campagne contre les Cadu-
siens? On Tignore. Si ce prince ne créa pas, il réta-
blit du moins à Suse le paradis de Tancien palais de
Darius, restauré ou rebâti par ses soins'; c'est dans la
cour de ce jardin que, d'après le livre d'Esther, Ahas-
vérus* donna un festin au peuple assemblé; c'est sous
ses bosquets que ce prince se retira, « plein de co-
lère », quand la reine lui eut révélé les desseins san-
guinaires de Haman '.
Pharnabaze, qui commandait en Phrygie pour Ar-
taxerce Mnémon, avait près de sa résidence de Dascy-
lium de vastes vergers entourés de clôtures, oùil lui était
loisible de chasser *. Lorsque Cyrus le Jeune eut été
chargé du gouvernement de l'Asie Mineure, son premier
soin fut de faire établir à Célènes, où il résidait, un parc
>• ••
1. Bibliolhecay lib. Il, cap. 13, 1-2.
2. Artoxerxes, cap. xxv, 1.
3. Perrot, Histoire de l'art dans l'antiquité, vol. V, p. 763.
— M. Dieulafoy, V Acropole de Suse. Paris, 1893, in-fol., p. 279
et 142.
4. L'Assuénis de Saint-Jérôme, i'Artaxerxès des Septante, dans
lequel les commentateurs ont voulu voir, les uns Artaxerxès
Longuemain, les autres Xerxès ou même Carabyse.
5. Cap. I, vers. 5 et cap. vu, vers. 7. M. Dieulafoy, Le livre
cf'Esther et le palais d'Assuérus. Paris, 1888, in-8, p. 17-24. —
Edouard Reuss, Littérature politique et polémique : Ruth, Da-
niel, Esther, etc. Paris, 1879, in-8, p. 286-289.
6. Xénophon, Ifellenica, lib. IV, cap. 1, 15.
L»AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 85
immense plein de fauves pour se livrer au plaisir de la
chasse à courre \ Il possédait auprès de Sardes un
paradis d'une nature toute différente ; là, c'était à la
culture des plantes, non au plaisir de la chasse, qu'il
se livrait. Xénophon raconte qu'il le montra avec
fierté à Lysandre, quand celui-ci vint lui rendre vi-
site ^ Comme le général Spartiate, frappé de la beauté
des arbres qui y étaient plantés, de leur ingénieuse dis-
position en quinconces et du parfum qu'en exhalaient
les fleurs, dit à son hôte que, plus encore que la beauté
de ce jardin, il admirait l'habileté de celui qui avait
si bien tout ordonné, Cyrus, charmé de cet éloge, lui
répondit que c'était lui-même qui en avait réglé la dis-
tribution, et il ajouta que ce jardin renfermait plus
d'un arbre qu'il avait planté de ses propres mains.
Quelque embelli que soit le récit de Xénophon, on ne
peut guère douter qu'il ne soit exact dans ses traits
généraux, et il nous fournit un exemple manifeste de la
passion des grands et des monarques de l'Iran pour
les jardins et les parcs. Un exemple différent, mais
non moins frappant, nous est donné par Diodore ^. Si
l'on en croit cet historien, ce fut pour plaire à une de
ses femmes, qui, originaire de la Perse, regrettait les
verts ombrages des montagnes de sa patrie, que le roi
Nabuchodonosor * aurait fait élever près de son palais
1. Xénophon, Cyri Anabasis, iib. I, cap. 2, 7. Deux bas-
reliefs de Takht-i-Bo6tan, de l'époque des Sassanides, il est vrai,
nous montrent ce qu'étaient ces parcs aménagés pour la
chasse. F. Flandin et P. Coste, Voyage en Perse. Paris, s. d.,
in-fol., vol. I, pi. 10 et 12. — J. de Morgan, Mission scientifique
eti Perse, vol. IV, 2, pL XXXVIl et XXXVIII.
2. Oeconomiciis, cap. iv, 20-23.
3. Bibliotheca, Iib. II, cap. 10.
4. Josèphe, Antiquiiates Judaicae, Iib. X, cap. 11, 45. '^
••» -•
^ ■* j
86 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
des jardins suspendus, où Ton voyait les arbres les
plus propres à. charmer et à réjouir la vue *.
Malheureusement les historiens ne nous ont pas fait
connaître quels étaient les arbres plantés dans les jar-
dins suspendus de Babylone et dans les paradis de
riran. Ils devaient varier suivant que ces paradis
étaient des parcs destinés à la chasse ou des jardins
d'agrément. Dans les premiers, c'étaient surtout de
grands arbres, pins, et autres conifères % chênes et
frênes, etc., qui étaient plantés ; dans les seconds, on
voyait plutôt des arbres recherchés pour Tombre qu'ils
donnaient, tel que le platane, le cyprès qu'on aperçoit
sur tant de bas-reliefs, ainsi probablement que les
principaux arbres fruitiers indigènes: vignes, grena-
diers, figuiers, etc. et, là où le climat le permettait, des
dattiers. On y cultivait aussi sans doute quelques ar-
bustes d'ornement et quelques fleurs. Quels étaient-
ils?
L'Iran, nous l'avons vu, renfermait, au bord des
eaux et dans ses montagnes, nombre d'arbustes et de
plantes d'agrément : lilas, chèvrefeuilles, lauriers-
roses, jasmins, gattiliers, tulipes, iris, lis, fritillaires,
narcisses, cyclamens, malvacées ', anémones, etc.,
dont plusieurs font aujourd'hui l'ornement de nos par-
terres. Quelques-uns durent pénétrer dans les paradis
perses. Arrien rapporte * que Néarque vit dans un
jardin d'une ville des Ichthyophages, voisine de la
Carmanie, des myrtes et diverses Heurs, dont les habi-
1. Quinte Curce, Alexandri historia, lib. V, cap. 1, 35. Cf.
Histoire des plantes dans Vantiquitéy vol. I, p. 384.
2. Plutarque, Artoxerxes, cap. xxv, 1.
: 3. Par exemple les Altha^a lavaieraeflora et Hohenackeri,
l k. Ilistoria indica, cap. xxvii, 2.
L'AGRICULTURE KT L'HORTICULTURE DES IRANIENS 87
tants faisaient des couronnes. Si des fleurs étaient
ainsi cultivées dans les jardins d'un pays à moitié sau-
vage, il devait y en avoir à plus forte raison dans ceux
des provinces centrales de la monarchie iranienne, la
Perse, la Médie, la Susiane. Leurs paradis renfer-
maient, on n'en peut douter, au moins dans les derniers
temps de la domination des Achéménides, et plus
encore sous les Arsacides, une partie des fleurs que
nous avons rencontrées dans les jardins de l'Egypte
et de la Mésopotamie et quelques autres qu'on n'y trou-
vait pas. De ce nombre furent probablement, avec le
myrte, le laurier rose, des chèvrefeuilles, et des ar-
bres de Judée, des jasmins, l'arbre au henné, qui se
recommandait non moins par la beauté et le parfum
de ses fleurs que par l'emploi industriel qu'on faisait
de ses feuilles desséchées et broyées, quelques lilia-
cées, etc. Quand l'Egypte fut tombée au pouvoir des
Achéménides, ces princes durent en rapporter le lotus
blanc, tandis qu'ils firent connaître en retour dans la
vallée du Nil, le lotus rose, venu de l'Inde dans l'Iran'.
Ils durent aussi, à l'exemple des Grecs, qui l'avaient
anoblie depuis longtemps ', cultiver U rose dans leurs
jardins ; enfin, nous avons vu qu'ils y avaient accli-
maté le cédratier. Le Bundehesh cite parmi les fleurs
« que fait croître le travail de l'homme », la rose, le
jasmin, l'églantine, le narcisse, la tulipe, le crocus, la
violette et d'autres semblables '.
1. Schweinfurth, Zeitschrift fur Ethnologie, an. 1891,
p. 659.
2. La rose dans V antiquité et au moyen âge, Paris, 1892, in-
8, p. 30-44.
3. The Bundahiêh, chapt. xxvu, 11.
88 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
>• *!
• •
II
Si nous n'avons que des renseignements incomplets
sur la nature et l'extension de la culture des céréales
et des plantes potagères, tinctoriales, oléifères, etc.,
chez les anciens habitants de Tlran et de la plaine du
Touran, nous en avons tout aussi peu sur Temploi qu'ils
en faisaient dans leur alimentation et leur industrie.
Ils se nourrissaient, l'inscription du palais de Cyrus
nous l'apprend*, de pain fabriqué avec de la farine de
froment ou d'orge, ainsi que de gruau d'épeautre ; mais
ce n'étaient pas là certainement les seules céréales
dont ils faisaient usage. Le millet commun entrait
aussi, mais cuit en bouillie, dans l'alimentation du
peuple, ainsi que, du moins dans certaines provinces,
et plus ou moins tôt, le millet d'Italie et le millet en
épis*. Enfin, quand la culture du riz eut été importée
dans riran, il servit à son tour à l'alimentation, en
particulier des classes riches.
A côté des céréales, les légumes les plus variés for-
mèrent de temps immémorial un appoint considérable
de la nourriture des Iraniens; Tinscription de Cyrus
nous en fait connaître quelques-uns ; mais il y en avait
bien d'autres, les. uns cultivés, les autres croissant à
Tétat sauvage. Tels étaient les fèves, les lentilles —
ddas — , les pois chiches, les petits pois, peut-être
aussi l'ervilier — Ervum ervilia — et la jarousse —
Lathyrus sativus — . Il est probable que les anciens
1. Polyen, Strategica, lib. IV, cap. 3,32.
2. Aitchison, Notes on products, p. 150 et 187,
LES PUNTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 89
habitants de Tlran, comme ceux d'aujourd'hui, man-
geaient aussi les graines de quelques autres légumi-
neuses, par exemple celles de Y Astragalus gompholo-
hium, qui, avant la maturité, ont le goût des petits pois*.
Puis venaient les plantes à racines : radis, raves, navets
peut-être, carottes et plus ou moins tôt la betterave,
la terre-noix, les salsifis et les scorsonères indigènes ',
l'oignon et même les bulbes de la tulipe de montagne ;
ensuite les nombreuses plantes potagères, cultivées ou
sauvages, dont les feuilles ou les jeunes pousses étaient
mangées cuites ou crues : chicorées, laitues, cresson,
choux, auroches de diverses espèces', épinards, fenu-
grec, centaurée musquée, jeunes pousses de la rhubarbe
commune, même de la férule asa-fœtida, feuilles du
Smymium cordifolitim et de la Zozimia absinthifolia,
du kangar — Gundelia Tourne fortii — , composée qui
rappelle le cardon et est répandue dans Tlran presque
entier, môme celles de la morelle et de YEremurus
aurantiacus, liliacée de l'Afghanistan, etc. * Les habi-
tants de certains districts mangent encore et sans
doute depuis un temps immémorial, la tige charnue de
certaines orobanches et d'une borraginée — la Caccinia
glaiica — , commune en particulier dans la vallée de
THeri-roud*. Dans la région méridionale on mangeait
1. Aitchison, Notes on producls, p. 17.
2. Carum bulbocastanum, Tragopogon coloratum, Scorzo-
nera mollis et tuberosa. Aitchison, Notes on products, p. 34,
185 et 211.
3. Atriplex flabellum et monela, recherchées par les Af-
ghans, comme le Lepidiumdrnba, Aitchison, Notes, p. 19 et 24.
4. Aitchison, Notes on producls, p. 36, 66, 96, 195, 196, 225.
Les artichauts et les cardons sont cultivés aujourd'hui en
Perse, mais on ignore depuis quelle époque.
5. Aitchison, .\otes un products, p. 30 et 146.
90 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
également, comme en Babylonie et en Egypte, le cœur
du dattier, « le chou palmiste », et même probablement
celui du Chamœrops de RitchieV II faut ajouter à ces
aliments les condiments, qui servaient à assaisonner les
divers mets : ail cultivé et, dans quelques provinces, Tail
à pétales aigus, aneth, cumin, anis, coriandre et graines,
d'autres ombellifères, par exemple du persil et du carvi
des Coptes *, ainsi que de la nigelle, du séfievé, du sésame
et du carthame, câpres confits dans la saumure, extrait
de silphium, c'est-à-dire d*asa-fœtida', safran, sac de
grenades acides*, etc. Plus tard, quand les relations
se multiplièrent avec l'Inde, le poivre et le gingembre,
le curcuma et la cannelle furent importés dans l'Iran,
comme ils devaient l'être dans l'Asie antérieure tout
entière .
On vit aussi, probablement assez tôt, sur les tables
perses, des gourdes, des concombres, des pastèques et
des melons ; mais nous ignorons à quelle date ils y
apparurent. Dès les temps les plus reculés, au contraire,
les fruits entrèrent dans Talimentation des Iraniens,
les fruits sauvages d'abord, plus tard ceux des arbres
cultivés. Leur pays en produisait, nous l'avons vu, de
nombreuses espèces ; ici les glands doux du chêne
balout, des noix et des amandes, là les fruits des pis-
tachiers vrai et mutique ou du chalef, des micocou-
liers, du khormandu^ et des épines-vinettes ; ailleurs
\ m (
I • <
1. « The young white heart of thls tree is eaten, like that of
the date ». Ployer, Unexplored Balûchistan, p. 24.
2. Carum copticum — ajwain. — Aitchison, Notes f p. 31, 34
et 44.
3. L'asa-foetida passait pour digestive. Strabon, Geographica,
lib. XV, cap. 2, 10.
: : 4. Polyen, Stralegetica, lib. IV, cap. 3, 32.
* • 5. Diospyros lolus. « The fruit ismuch prized by the Afghan
LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 91
des mûres, des figaes et des grenades, des nèfles, des
azeroles et des sorbes, des coings, des poires et des
pommes ; ailleurs encore des merises, des fruits du ceri-
sier rampant, du prunier divariqué dont le goût, paraît-
il*, rappelle celui des mirabelles, ainsi que du prunier
épineux, des ronces et de certains églantiers ; puis dans
la région orientale ou méridionale les baies des Myrsine
africana, Reptonia buxifolia et du jujubier commun,
ainsi que les fruits du dattier et du Charaaerops de
Ritchie*. Mais quel rôle ces fruits si nombreux et variés
jouaient-ils dans Talimentation des anciens habitants
de riran ?
Quelques anecdotes éparses dans les écrivains de
Tantiquité nous font connaître Tusage qu'ils faisaient
de plusieurs d'entre eux. Ainsi, dans le récit qu'il a
fait de l'expédition d'Artaxerxès contre les Cadusiens,
Plutarque rapporte que leur pays âpre et nébuleux ne
produisait point de céréales, et qu'il n'ofirait à ses
farouches et belliqueux habitants que des poires, des
pommes et autres fruits semblables. De la bouillie et
des fruits, suivant Ctésias, composaient aussi la nour-
riture des Dyrbéens '. D'après Strabon, les peuplades
de la région montagneuse et inculte de la Médie ne
se nourrissaient aussi que des fruits des arbres; ils
faisaient dit le géographe grec, des espèces de gâteaux
avec des pommes séchées et écrasées et du pain avec
tribes, who eat it fresh or dried », Brandis, The Foresl Flora,
p. 298. Ces tribus lui donnent le nom d^âlmlôk, suivant Aitchi-
son. Notes, p. 56. Brandis dit amlok.
i. Capus, Annales des sciences naturelles, vol. XVIII (1884),
p. 283.
2. « The fruit is eaten though not much esteemed ». Ployer,
The unexplored Balûchistan, p. 23.
3. Arloxerxes, cap. x.xiv, 1. — Persica, lib. VII-XI, 33.
92 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
des amandes rôties*. Aujourd'hui encore les habitants
des Badghis, par exemple, réduisent en farine les poires
sauvages, aussi bien que les mûres et les fruits du
micocoulier du Caucase préalablement séchés, et les
mêlent à de la farine ordinaire pour en faire du pain '.
Nous savons par le témoignage de Strabon* qu'on
accoutumait les jeunes Perses à vivre en plein air et
à se nourrir de fruits sauvages : noix de térébinthe,
glands* et poires agrestes. Et le jour de leur couron-
nement à Pasargade, les rois de Perse, en souvenir de
la simplicité des mœurs de leurs ancêtres, après avoir
revêtu la robe de Cyrus, mangeaient un plat de figues
et des noix de térébinthe*.
Les progrès de l'horticulture chez les Perses ne
purent qu'augmenter l'usage qu'ils faisaient des fruits
dans leur alimentation. Si avant de cultiver le dattier
et la vigne, ils mangeaient déjà des dattes et des rai-
sins, ils en consommèrent bien plus encore quand ils
eurent anobli les arbres qui les produisaient. Il en fut
de même des fruits des autres arbres, cognassiers,
pommiers, poiriers, grenadiers, figuiers, mûriers,
amandiers, pistachiers, noyers, etc. Une partie de ces
fruits, en particulier les raisins, les dattes et les figues,
1. Geographica, lib. Xï, cap. 3, 18. Les Massagètes des lies
aussi, d'après Strabon, « qui ne semaient pas, avaient pour
nourriture des racines et des fruits sauvages ». Lib. XII, cap.
8, 7.
2. Aitchison, Note^ on thc producls, p. 76.
3. Geographica^ lib. XV, cap. 3, 18.
4. Dans les districts les plus sauvages, comme ceux d'Avro-
man, etc., les glands doux, aujourd'hui encore, constituent la
principale nourriture des habitants. De Morgan, op, laud., vol.
i, p. 37.
5. Plutarque, Artoxerxes, cap. m, 1. Il s'agit sans doute ici
des fruits du pistachier mutique.
LES PLANTES DANS L'AîiMENTATrON DES IRANIENS 93
ainsi que les amandes et les noix^ se mangeaient soit
frais, soit séchés, soit, les premiers, souvent aussi sans
doute pétris en gâteaux. Trois talents de raisins noirs
secs et trois artabes d'amandes douces également
sèches étaient réservés chaque jour pour la table du
grand roi *. Les dattes formaient un appoint important
de Talimentation dans la région méridionale ; les fruits
et le cœur des palmiers, qu'ils rencontrèrent dans les
déserts de la Gédrosie, sauvèrent de la mort les soldats
d'Alexandre exténués de faim*. Les dattes n'étaient
guère moins recherchées ou en usage dans la Perside
et surtout en Susiane ; Philostrate nous montré l'eu-
nuque, qui reçoit Apollonius de Tyane, à son entrée
dans les états du roi des Parthes^, lui oflFrant « des
dattes couleur d'ambre et d'une grosseur exceptionnelle
avec du pain levé et des légumes ».
Il faut ranger la manne au nombre des aliments d'o-
rigine végétale, dont faisaient usage les anciens Ira-
niens ; elle a figuré dans leur cuisine dès les temps
les plus reculés. Lorsque le grand roi demeurait en
Médie, il recevait chaque jour pour sa table cent paniers
de manne du poids de 10 mines chacun*; ce qui sup-
pose une production énorme de cette substance. Nous
ignorons quel emploi on en faisait à l'époque des Aché-
ménides. D'après Athénée* on s'en servait comme de
miel pour sucrer les boissons. C'était donc à la fois un
1. Polyen, Strategetica, lib. IV, cap. 32. Le talent valait 60
mines ou environ 26 kilogrammes ; l'artabe équivalent du
médimne, mesurait à peu près 56 litres.
2. Strabon, Geographica^ lib. XV, cap. 2, 5.
3. Vita Apollonii Tyaniy lib. I, cap. 21.
4. Polyen, Strategica, lib. IV, cap. 3, 32.
5. Deipnosophistae, lib. XI, cap. 102.
94 LES PLANTES CHEZ LES IRANfENS
condiment et un assaisonnement. Aujourd'hui on la
mange comme des confitures avec du pain ; on fait aussi,
et on faisait sans doute autrefois, avec les diverses
mannes des espèces de flans recherchés \ Quelles sont
celles que Ton employait et que produit Tlràn? C'est ce
que j'examinerai plus loin.
Il est probable qu'un autre produit végétal, ou plu-
tôt une plante, longtemps ignorée des naturalistes, la
Parmelia esculenia, entra aussi de bonne heure dans
l'alimentation des habitants de l'Iran et de la plaine
du Touran. Trouvé en abondance par Evermann en
1822, dans son voyage d'Orenbourg à Boukhara', ce
lichen a été rencontré de nouveau, en 1842, par Basi-
ner dans la steppe d'Oust-Ourt et décrit avec soin
par ce voyayeur'*. De la grosseur d'une noix ou plus
souvent d'une noisette, de forme arrondie, mais irré-
gulière, avec une surface plus ou moins granuleuse,
de couleur blanche à l'intérieur et d'un gris plus ou
moins foncé, tirant un peu sur le vert à l'extérieur, il
est, par un temps sec, dur et comme cartilagineux ;
on dirait une petite pierre siliceuse ; mais il se ramol-
lit, quand on le met dans l'eau. Imparfaitement fixé
au sol, il en est enlevé par les orages et va retomber,
souvent à de grandes distances, sous la forme d'une
a pluie de manne», que les vents amoncellent par-
fois en tas considérables. Dans certaines parties de
la Perse, où cette lichénacée apparaît dans l'intervalle
1. A. Hausknecht, Ueber Manna-Sorien des Orients, (Ar^
chiv der Pharmacie^ vol. 192, 1 (avril 1870^, p. 244). — Polak,
Persien, p. 285.
2. Reise vonOrenburg nach Bukhara, Berlin, 1823, in-4,p. 15.
3. Reise durch die Kirgisensleppe. {Beilràge zur Kenntniss
des Russischen Reichs, voL XV, p. 65-66).
LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 95
d'une nuit, et souvent en énorme quantité, elle sert
aujourd'hui d'aliment aux habitants, qui la regardent
comme tombée du ciel.
Nous sommes aussi incomplètement renseignés sur
les boissons que sur les aliments, dont les anciens Ira-
niens faisaient usage ; le vin paraît avoir été la plus
répandue ; ils en consommaient de grandes quantités
et en usaient parfois avec excès *. Ils en buvaient même,
si Ton en croit Strabon*, en traitant des affaires sérieu-
ses. L'inscription de Persépolis nous apprend que cin-
quante congés de vin doux et cinq mille congés de vin or-
dinaire étaient livrées chaque jour à la maison royale*.
Malgré l'excellence de quelques-uns des crus de
riran, comme ceux de Chiraz et de Kaswin en parti-
culier, les Perses ne se contentaient pas des vins
qu'on y récoltait ; quand la Syrie eut été réunie à leur
empire, le vin célèbre de Khelbon devint la boisson
privilégiée du grand roi*. Pressés avant leur maturité,
les raisins donnent un breuvage aigrelet — Vabegurre — ,
qui devait. être recherché autrefois, comme il l'est
aujourd'hui. Le moût épaissi, qui sert de sirop et de
sucre pour la préparation de certaines pâtisseries,
n'était pas sans doute, comme le vinaigre, plus inconnu
des anciens Iraniens que des Perses actuels ^
1. Hérodote, Historiae, lib. I, cap. 133, 3. — Xénopîion,
Ci/ri Anabasis, lib. I, cap. 3, 10.
2. Geographica, lib. XV, cap. 3, 20.
3. Polyen, Slrategetica, lib. IV, cap. 3, 32, Polyen dit cinq
maris et cinq cents maris, mesure perse qui, d'après lui, valait
dix yosç ou congés.
4. Strabon, Geographicay lib. XV, cap. 3, 22.
5. Polak, Persien, vol. II, p. 142, dit que le vinaigre perse
est d'une qualité supérieure. Celui de Hérat, aussi, est re-
nommé. Aitchison, Notes, p. 219.
96 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
Les Perses ne faisaient pas seulement du vin avec
des raisins; ils en fabriquaient encore avec d'autres
fruits, en particulier avec les dattes et sans doute
aussi avec les grenades. Lorsque que le grand roi ré-
sidait à Suse, on ne donnait pour sa maison que la
moitié du vin de raisin, fourni dans les autres résiden-
ces; l'autre moitié était remplacée par du vin de dat-
tes \ L'usage du vin de dattes resta toujours en hon-
neur et ne fit même, ce semble, que se généraliser.
Pline rapporte* que lesParthes en buvaient, ainsi que
tous les habitants de TOrient, et il nous apprend qu'on
le préparait en faisant macérer les dattes dans deTeau
et en pressant ensuite le tout. Les Iraniens fabri-
quaient aussi des boissons avec d'autres substances
que les fruits ; suivant Strabon ^, les habitants à demi
sauvages de la région montagneuse de la Médie sep-
tentrionale faisaient du vin avec certaines racines.
Les anciens Perses connaissaienMls aussi la bière ?
Cela est probable, mais les écrivains grecs et latins ne
nous renseignent pas à cet égard ; nous savons toute-
fois que les Arméniens, voisins occidentaux des Ira-
niens et de même race qu'eux, faisaient, ainsi que les
Thraces et les Scythes, usage de cette boisson*. Ils la
fabriquaient sans doute en mettant simplement de Teau
à fermenter sur les grains d'orge ; ce qui ne l'empê-
chait pas d'être enivrante.
1. Polyen, Strategetica, lib. IV, cap. 3, 32.
2. Hisloria naturalis, lib. XIV, cap. 19, 3.
3. Geographica, lib. XI, cap. 13, 11.
4. Xénophon, Anahasis, lib. IV, cap. 5, 26. Cf. Rudolf
Robert, Zur Geschichte des Bières. {llUtorische S Indien atts
dem pharmakologischen Institut der Universita,t Dorpat, vol. V
(1896), p. 135).
LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 97
Les Iraniens, comme les autres peuples anciens
de TÂsie antérieure, se servaient de plusieurs es-
pèces d'huiles : Tinscription du palais de Persépolis
fait mention de Thuile de sésame, de fruits du térébin-
the — probablement du pistachier mutique — , d'a-
mandes douces et de graines d'acanthion'; maisellene
parle ni de Thuile d'oUve, ni de celle de navette ou de
roquette, ni de Thuile de ricin. Il semble donc que le
rédacteur de l'inscription ignorait ces dernières. L'huile
d'olive ne devait pas cependant être inconnue au moins
dans la région de la Caspienne, qui renferme, nous
l'avons vu, de véritables forêts d'oliviers ; mais si l'on
en croit Strabon *, les fruits en étaient sans valeur. On
ne dut pas tarder non plus à connaître l'huile de ro-
quette et de navette, ainsi que celle de ricin ; très an-
ciennement aussi fut connue l'huile de lin, du moins
dans la Perse septentrionale et dans le Tarkestan ; on
en peut dire autant de l'huile qu'on retire des noix, des
fruits du chalef, des graines de cucurbitacées, sinon
du pavot ; mais on est réduit sur tous ces points à des
hypothèses. On n'est pas mieux renseigné au sujet de
l'emploi que faisaient les anciens habitants de l'Iran
de ces diverses huiles. Il est probable que, comme au-
jourd'hui, l'huile de sésame, de noix, des fruits du
pistachier et du chalef servait dans la cuisine; l'huile
de roquette, de navette et de lin était employée à la
fois dans l'alimentation et pour l'éclairage. C'est à
1. ?o\yen, Slrategica, lib. IV, cap. 3, 32. On regarde d'ordi-
naire VAcanlhion comme étant VOnopordon acanthion ; mais
il est difficile qu'il s'agisse ici de cette composée: j'inclinerais
à y voir le carthame.
2. Geographica, lib. XI, cap. 7.
JoRET. — Us Plantes dans l'antiquité. II. ^ 7
98 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
réclairage surtout que servait l'huile de ricin*. Dans le
Touran, celle de chènevis a dû aussi dès longtemps
être employée comme huile à brûler *. Nous ver-
rons que la plupart de ces huiles ont égalemenl leur
emploi dans la médecine ; quelques-unes servaient
aussi dans Tindustriei par exemple à préparer des ver-
nis ', etc.
Mais elles ne servaient pas, comme chez nous, à fabri-
quer du savon produit inconnu des anciens ; à la place
de celui-ci, on se servait sans doute, comme aujour-
d'hui, des racines de certaines plantes, par exemple de
V Acanthophyllum grandiflonim et de la Gypsophila
paniculataj caryophyllées, la première du Béloutchis-
tan, la seconde de la Perse septentrionale*. Il me faut
encore signaler l'emploi singulier qu'on fait du bulbe
charnu, desséché et réduit en poudre, de VEremums
Aucherianus, grande asphodèle répandue dans toute la
Perse ; cette poudre délayée dans de l'eau donne une
espèce de colle végétale très tenace, avec laquelle on
fabrique des vases résistants, et dont on se sert pour dif-
férents autres usages de préférence à la colle animale'.
Si les pâturages alpestres de l'Iran et de la plaine
du Touran sont bien inférieurs en qualité à ceux de
1. Ker Porter, Travels, vol. II, p. 138.
2. Aitchison, Nés on products, p. 33, 125 et 142.
3. Polak, Perieriy vol. II, p. 150-151.
4. Aitchiso, Notes on products, p 4 et 97. — On emploie aussi,
en guise de savon, les feuilles du konar battues dans de Teau.
Joh. L. Schlimmer, Terminologie médico-pharmaceutique
française-persane, Téhéran, 1874, in-fol., p. 567.
5. Aitchison, Notes on products, p. 65.
LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 99
l'Europe*, on y trouve cependant un certain nombre
de graminées de nos régions : fétuques, fleuves, vul-
pins, avoines des prés, paturins, bromes, agrostides,
etc. ', qui offraient autrefois, comme ils offrent aujour-
d'hui, une nourriture de bonne qualité pour le bétail
des habitants. Il faut y ajouter quelques espèces des
steppes et du bord des eaux, d'une qualité inférieure,
mais dont s'arrangent fort bien les moutons, les chè-
vres et les chameaux: agropyre, éragrostide, aristide
plumeuse, kandar, orges sauvages^, panic dichotome,
roseaux mêmes ; puis de nombreuses légumineuses, les
unes herbacées : trèfles *, trigonelles ^ lotiers % luzer-
nes"' et onobrychides *, vesces' et gesses*®; les autres :
astragales et alhagis, sous-frutescentes ou épineuses ;
ensuite des ombellifères, des composées, des oroban-
chées et des labiées, des plumbaginées, des polygonées,
1. Ils n*en sont pas moins estimés par les indigènes ; Baber,
Mémoires, \o\. \, p. 283, dit d'une prairie située aux environs
de Caboul que « Therbe en est d'une excellente qualité et très
bonne pour les chevaux ».
2. Basiner, Reise {Beitràge, vol. XV, p. 62). Parmi les gra-
minées le Poa bulbosa paraît être surtout un excellent four-
rage. Aitchîson, Notes, p. 160.
3. Agropyrumcrislatum, Eragrostiscynosuroïdes, Aeluropus
littoralis, Hordeum caput-Medusae et Uhaburense, Aitchison,
Noies, p. 6, 15, 65, 100-101.
4. Trifolium pratense, repens, fragiferum, agrarium, etc.
5. TrigoneUa foenum graecum, striata, Persica, Brahuica,
grandiflora, Monspeliaca, incisa, Noeana, eUiptica, 0tc.
6. Lotus eorniculatus, tenuifolius, Gebelia, Garcini, Stocksii.
7. Medicago falcata, orbicularis, coronata, denticulata,
maculata, minima.
8. Onobrychis melanotricha, oxyptera, scrobiculata, num-
mularia, dealbata, eubrychidea, Chorassanica, etc.
9. Vicia truncatttla, Pannonica, Hyrcanica, sativa, angus-
lifolia, etc.
10. ùuhyrus aphaca, amarus, Cicera, amoenus, sativus, etc.
iOO tES PUNIES CHEZ LES IRANIENS
ainsi que des chénopodées et des salsolacées. L*aristide
plumeuse des steppes sablonneuses est recherchée par
les moutons ; les chevaux mêmes mangent les tiges
desséchées du panic dichotome; on recuille les jeunes
pousses des roseaux donax et commun comme four-
rages frais. Inutile de faire remarquer que toutes les
légumineuses herbacées sont avidemment mangées par
les troupeaux des nomades ; les ânes, les chèvres et sur-
tout les chameaux recherchent aussi les légumineuses
frutescentes, comme Vushi — Astragalus hyrcanus —
et le khâr^ — Alhagi camelorum — , une des plantes
les plus épineuses des steppes, mais qui reste verte,
quand toutes les autres sont mortes et desséchées.
Les plantes les moins propres en apparence à être
des fourrages servent et ont servi de tout temps à l'a-
limentation des troupeaux iraniens. C'est le cas pour
certaines férules, qui, malgré leur odeur repoussante,
sont broutées avec avidité par les moutons et sont
môme employées pour la nourriture des chevaux.
L'auteur de Y Itinéraire d'Alexandre, qui donne aux
férules le nom de Silphium, dit * que « les brebis en
aiment les fleurs, les fruits et les racines ». Boissier
remarque de la Ferula ovina qu'elle est surtout re-
cherchée par les moutons ' ; elle ne Test pas moins
par les chèvres. Polak aflSrme la même chose de la
Ferula asa fœtida des environs de Persépolis et de Pa-
1. Ou khâr-i'buz, 'akûl des Arabes. Cf. Les plantes dans
Vantiquité, vol. I, p. 11, et Aitchison, Notes, p. 7 et 18.
2. Cap. Lxxv. « Oves floris ejus esu et usu frugis et radi-
cium delectatas. »
3. Flora orientaliSy vol. II, p. 987. Boissier donne à cette
férule le nom de kumâ, que Polak attribue à la F. gummi^gal-
banum. Aitchison donne à la première le nom de kema-koht, à
la seconde celui de bâdra-kema. Noies on products, p. 73-74.
LES PLATïTES DANS I/âLIMENTATION DES IRANIENS 101
sargade, ainsi que d'une autre ombellifère voisine, le
Dorema ammoniacum, qui croit en abondance entre
Yezd et Ispahan, et il dit que la Ferula gummi-galba-
num — kumâ — , mangée fraîche, donne du ton aux
chevaux*. On considère aussi comme un excellent
fourrage pour les chèvres et les moutons une autre
ombellifère des pentes Nord des collines du Khorâsan,
le Prangos pabularia *.
Certaines composées servent aussi de fourrage aux
troupeaux de l'Iran ; les ânes et les chameaux ne dédai-
gnent pas Tarmoise des champs et l'armoise marine,
en dépit de leur amertume, et ils s'en trouvent bien,
ainsi même, dit-on, que les chevaux. Les brebis et les
chèvres broutent avidement les feuilles d'une autre
composée frutescente, le Codonocephalum Peacoc^
kianuniy répandue en abondance dans le Khorâsan.
Certaines orobanchées, celle du tamaris en particulier,
sont récoltées par les chameliers pour leurs bêtes. Des
labiées, comme le Stachys trinervis des plaines pier-
reuses de THéri-roud, sont mangées également par
les chèvres et les moutons. Les chameaux aiment
aussi à brouter certaines plumbaginées épineuses
des steppes, du genre Acantholimon\ chameaux, bre-
bis et moutons mangent encore avec avidité diverses
polygonées, tel que le Calligonuni comosum, sous-
arbrisseau répandu surtout dans la Perse méridionale
et le Béloutchistan'. Les tiges rigides et salines des
chénopodées et des salsolacées n'en sont pas moins
recherchées par les moutons et surtout par les cha-
1. Persien, vol. II, p. 136. La Ferula gummi-galbanum de
Polak est la F. galbaniflua de Boissier.
2. Aitchîson, Notes on products, p. 164.
3. Aitchison, Noies onproducls, p. 4, 16, 43, 145, 198 et 31.
102 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
meaux. Le voyageur anglais Ayscoghe Floyer affirme *
que sans le irât, espèce de Salsolacée, les chameaux
ne peuvent rester longtemps en santé, ni conserver
leur appétit. Ils recherchent aussi, d'après Aitchison *,
la Salsola arbuscula, plante de la même famille ré-
pandue dans les déserts du Béloutchistan et du Tur-
kestan, ainsi que le hâd — Comulaca monacantha —^
autre salsolacée du désert lybique, commune égale-
ment dans les steppes de Tlran méridional \ Les mou-
tons n'aiment pas moins une salsolacée annuelle de
la steppe de Kizil-koum, le Gamanthtis ovinus *.
Outre ces plantes herbacées ou sous-frutescentes,
les feuillages et les brindilles des arbres et des arbus-
tes forment un appoint considérable de l'alimentation
du bétail ; feuilles et jeunes pousses des saules et du
jujubier commun, de l'aubépine et du peuplier de
TEuphrate, du pistachier, des tamaris, du Prosopis
Stepkaniana, du câprier surtout, dont on fait provi-
sion comme fourrage vert^ Les chameaux aiment
également à brouter les rameaux du saksaul — Halo-
xylon ammodendron — ; on recueille aussi pour eux
les bulbes de YUngemia trisphaera, amaryllidée com-
mune dans certaines provinces, et môme, comme four-
rage d'hiver, les souches du Cranibe cordifolia^ dont
les pousses annuelles et les feuilles servent à l'alimen-
tation des brebis et des chèvres •.
1. Unexplored Balûchistan, p. 28. Floyer rappelle Sali-
cornia^ mais sans désigner l'espèce.
2. Notes on productSy p. 181.
3. Les plantes dans Vanliquitë, vol. I, p. li. — Boissier,
Flora, vol. IV, p. 984.
4. Boissier, Flora, vol. IV, p. 960 et 980.
5. Aitchison, Notes onproducts, p. 33 et 77.
6. Aitchison, Notes on products, p. 47, 98 et 215.
LES PUNTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 103
Les habitants de Tlran ne font pas de foin avec les
graminées ; mais ils font provision des débris de quel-
ques plantes sauvages desséchées; par exemple, des
feuilles des ombellifères, des tiges de la Giindelia Tour^
neforlii\ mais surtout des fanes des légumineuses culti-
vées et de la paille des céréales. L'usage de la paille,
qu'on donne aujourd'hui hachée ou brisée au bétail, re-
monte à la plus haute antiquité ; dix mille artabes de
paille, ainsi que cinq mille voitures de glui, étaient
livrées chaque jour pour les bêtes de somme du grand
roi *. On leur réservait aussi vingt mille artabes
d'orge. Il s'agit sans doute d'orge en grain, employée
de temps immémorial en Orient pour l'alimentation
des animaux. Aujourd'hui on se sert aussi de Forge
coupée en vert. Si les anciens habitants de l'Iran ne con-
naissaient pas cet usage, ils cultivaient, nous Tavons
vu, certaines espèces indigènes, destinées à compléter
la provision de fourrage dont ils avaient besoin ; telle
était en particulier la luzerne, employée surtout pour la
nourriture des chevaux, usage auquel Aristophane fait
déjà allusion* ; elle en composait en Médie, Strabon
le dit expressément', le principal aliment ; on a même
voulu tirer son nom aspast de cet usage*.
*
aie *
Rien à peu près ne nous renseigne sur l'emploi que
les anciens habitants de l'Iran faisaient des substances
1. Polyen, Stralegetica, lib. IV, cap. 3, 32.
2. "HaO'.ov 5i toùç na^oùpo'jç àvrl noiaç ^irfiixf^^. Equités, v. 606.
3. Geographica, lib. XI, cap. 13.
4. Asp cheval et asl, part, de ad, manger. Th. Nôldeke,
ZeiUchrift der deuUchen morgenl. Gesellschaft, vol. XXXII
(1878), p. 408.
104 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
propres aa tannage, fournies par la flore indigène ;
mais on peut l'affirmer : écorce du chêne, du sumac,
du jujubier commun, des fruits du grenadier et peut*
être de XApocyiium venetam, feuilles et brindilles de
\diSaIsola arbuscula et surtout du sumac des corroyeurs,
noix de galle du chêne, du pistachier ou du tamaris
de Gaule, gousses de Prosopis, etc., broyées et ré-
duites en poudre, durent servir de temps immémorial»
du moins la plupart d*entre elles, pour la préparation
des cuirs*. Mais c'est tout ce que nous en pouvons dire.
On en sait à peine davantage au sujet de Tusage
qu'on faisait dans l'ancien Iran des plantes tinctoriales
indigènes. De bonne heure on dut se servir des noix de
galle pour la teinture, comme pour le corroyage. Il est
probable que dès longtemps on fît également usage des
écorces, des racines ou des fleurs de quelques-unes des
espèces sauvages dont j'ai donné la liste plus haut:
épine- vinette, érables, ronces, dauphinelle, etc. La ga-
rance, non seulement sauvage, mais cultivée, leur
fournit sans doute dès Tépoque la plus reculée la cou-
leur rôuge qui en porte le nom. Le carthame, accli-
maté dès la plus haute antiquité, — il en est question
dans l'inscription de Cyrus — leur fut encore d'une
plus grande utilité ; ses fleurs, séchées et dépouillées
par un lavage prolongé de la couleur jaune sans va-
leur qu'elles renferment, leur donnaient un rouge
pourpre, cerise, rose ou couleur chair, suivant le mor-
dant employé'. Ils demandaient au safran, lui aussi
très anciennement acclimaté, une couleur jaune re-
1. Âitchison, Notes on producls, p. 205.
2. H. Drury, The useful Plants of India, Madras, 1873, in-8,
p. 117.
\
LES PUNTES DANS L'INDUSTRIE DES IRANIENS 10&
cherchée. Si Ton en croyait Eschyle, les chaussures
du grand roi étaient teintes avec du safran ^ Bien
avant de cultiver Tindigotier et même après, les an-
ciens Perses durent importer de Tlnde l'indigo, dont
ils avaient besoin pour teindre en bleu leurs étoffes. Il
n'est point douteux non plus que, comme les Égyp-
tiens, ils ne se soient servi de bonne heure du henné
pour se colorer les ongles et la peau des mains et des
pieds, ainsi peut-être que les cheveux.'.
. Il est à peine besoin de faire remarquer que les Ira-
niens, comme tous les peuples anciens, demandaient
exclusivement au règne végétal le combustible dont
ils avaient besoin '. Parmi les diverses essences arbo-
rescentes dont j'ai fait l'énumération, les chênes dans
la région occidentale, les frênes des contrées monta-
gneuses, lés conifères du Touran oriental et de la
chaîne du Souleiman, les peupliers et les saules, ainsi
que les tamaris du bord des eaux, les micocouliers de
riran septentrional, les pistachiers du Paropamise et
du Turkestan, les divers amandiers de la région méri-
dionale fournissaient le combustible dont les habitants
de ces contrées avaient besoin. Cent voitures de bois
coupé étaient réservées chaque jour pour le service de
la maison du grand roi, quand il résidait à Babylone
ou à Suse^.
Là où les arbres faisaient défaut, on brûlait les
broussailles ; les racines de la réglisse donnent entre
1. Kpox<^pa}rro( c^ifjLapiç. Pertoe, v. 661.
2. On importe encore aujourd'hui en Perse la plus grande
partie de Findigo qu'on y emploie. Polak, vol. Il, p. 152.
3. Je fais abstraction des substances d'origine animale qu'ils
brûlaient parfois.
4. Polyen, Strategetica^ lib. IV, cap. 3, 32.
106 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
autres un combustible recherché ; les armoises des
lieux arides sont impitoyablement arrachées pour être
brûlées, laissant les lieux où elles croissent dans un état
complet d'aridité. Le saksaul des steppes de l'Est et
du centre iraniens et du Turkestan avec son bois dur
et résistant fournit un combustible durable ; il donne
aussi un excellent charbon *. On fait également de très
bon charbon avec le bois de quelques-uns des arbres les
plus communs de Tlran, tels que les amandiers ivorin
et des Brahouis, le genévrier élevé, les saules, etc.
Enfin on fabriquait avec certaines plantes velues ou
poreuses Tamadou nécessaire pour allumer le feu. Les
feuilles tomenteuses des Cousinia, une fois sèches, en
fournissaient naturellement; on prépare aujourd'hui, et
on préparait aussi peut-être autrefois, de Tamadou avec
les tiges d\xBumex, brunies au feu; le liber ainsi des-
séché et enlevé s'enflaiûme sans peine et brûle lente-
ment '. Ajoutons encore que Ton trouve dans la région
iranienne de nombreuses plantes riches en soude et en
potasse, dont la cendre a, dès une époque reculée, dû
être utilisée dans la fabrication du verre et le tannage
des peaux. Presque toutes les salsolacées : Anabasis,
Salicornla, Salsola, Suaeda, etc., en fournissent en
abondance, mais la meilleure soude est retirée de
V Anabasis eriopoda^.
*
* *
La flore indigène de Tlran et du Touran fournissait
1. Voir plus haut, chap. i, p. 18.— Aitchison, Notes, p. 98.
2. Aitchison, Notes on products, p. 38, 46, 108, 165, 178 et 180.
3. Aitchison, Notes on, products, p. 22.
LES PLANTES DANS L'INDUSTRIE DES IRANIENS 107
à leurs habitants la plapart des bois qui leur étaient
nécessaires pour le charpentage, le charronnage et
Tébénisterie, ainsi que les textiles et les «latières fi-
breuses employées pour le tissage et la vannerie. Si le
nombre des espèces arborescentes n'était probablement
pas plus considérable dans ces contrées autrefois
qu'aujourd'hui, les arbres s'y trouvaient en quantités
bien plus grandes ; il y avait là une abondance de
matériaux presque inépuisables pour les industries les
plus diverses. Chênes du Zagros, pins de l'Afgha-
nistan, genévriers élevés du Khorâsan, noyers, éra-
bles, micocouliers de la Perse septentrionale et de
l'Afghanistan, platanes et zelkovas de la région cas^
pienne, frênes des montagnes de l'Iran tout entier,
saules et peupliers des vallées, fournissaient d'excel-
lents bois de charpente et de charronnage. Des essences
plus petites, comme le buis duMazandéran, les tamaris
si communs dans toute la région, les Cotoneaster et
Lonicera nummularia * du Khorâsan et de l'Af-
ghanistan, les chalefs de l'Iran oriental et du Tur-
kestan, le jujubier commun, le mûrier, les pistachiers
du Nord et les amandiers du Midi, les pruniers, poi-
riers et épines des montagnes de l'Iran occidental pou-
vaient servir aux ouvrages d'ébénisterie, à la fabrique
des armes, des instruments agricoles, des ustensiles de
ménage^ etc.
Malheureusement nous n'avons que des renseigne-
ments bien incomplets sur les espèces de bois employées
par les anciens habitants de l'Iran et sur l'usage qu'ils
faisaient de chacune d'elles. D'après Polybe', les co-
1. Aitchison dit que ces chèvrefeuilles arborescents ont
jusqu*à 20 pieds de haut et 5 pieds de circonférence.
2. Beliquiae, lib. X, cap. 27, 10.
108 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
lonnes, les poutres et les lambris du palais d'Ecbatane
étaient en bois de cèdre et de cyprès. Le bois de cèdre
aussi, si nous en croyons Quinte-Curce *, entrait dans la
construction du palais de Persépolis.
Si le cyprès est indigène dans les montagnes de
riran, le cèdre, au contraire, ne s'y rencontre pas;
mais, à l'époque de leur grandeur politique, les Mèdes
et les Perses ne se contentaient pas des essences indi-
gènes, ils en employaient aussi d'exotiques : le cèdre
en était déjà une ; le palmier doum en était peut-être
une autre. Théophraste dit* que les Perses estimaient
beaucoup le bois de cet arbre et qu'ils s'en servaient
pour fabriquer les pieds de leurs lits; mais s'il est
indigène en Egypte, le doum paraît avoir toujours été
étranger à l'Iran. Comme les Egyptiens et les habitants
de la Syrie et de la Mésopotamie, les Perses faisaient
aussi usage du bois d'ébène pour les ouvrages d'ébé-
nisterie et comme eux ils le tiraient de l'étranger. Tous
les trois ans, les Éthiopiens envoyaient en présent au
grand roi deux cents troncs d'ébéniers avec vingt
grandes dents d'éléphant'. Les Perses faisaient aussi
probablement venir de Tlnde du bois d'ébène*, mais
d'une autre espèce que celui qu'ils recevaient d'Egypte \
1. ce Multa cedro aedificata est regia. » Dt rébus Alexandri
Magni, lib. V, cap. 7, 5.
2. Hisloria plantarum, lib. IV, cap. 2, 7.
3. Hérodote, Historiae, lib. III, cap. 97. — Pline, Historia
naturaliê, lib. XII, cap. 8, 1.
4. Perxpltis maris Erythraei, cap. 36.
5. L'ébène d'Egypte, importé dans cette contrée de l'Ethio-
pie, est le Dalbergia metanoxylon. Dr. -G. Beauvisage, Bêcher-
ches sur quelques bois pharaoniques. M. Le bois d'ébène.
{Becueil de travaux relatifs à la Philologie et à V Archéologie
égyptiennes et assyriennes, vol. IX (1897), p. 17-23). Quant à
l'ébène de l'Inde, c'était probablement un Diospjros, peut-être
/
LES PLANTES DANS L'INDUSTRIE DES IRANIENS 109
Plus tard ils importèrent aussi du bois de tek de Tlnde ;
la ville de Siraf sur le golfe Persique, fondée par les
Sassanides, fut construite en entier avec cette essence
précieuse ^ On s'en était aussi servi pour faire les
boiseries du palais de Khosrou à Ctésiphon.
La flore iranienne n'était pas moins riche en textiles
et en matières fibreuses qu*en bois de construction ;
les branches flexibles des saules si communs le long
des cours d'eau, les jeunes pousses des tamaris répan-
dus dans l'Iran et le Touran tout entiers, celles de
Tarbre de Judée ont servi sans doute de tout temps à
fabriquer des corbeilles, des claies et autres ouvrages
semblables; Técorcedes racines de plusieurs astragales,
comme les jeunes branches de VApocynum venetum,
fournissent des fibres qui ont dû être aussi très ancien-
nement utilisées pour faire des cordages ; les Turko-
mans Kazak fabriquent même du drap avec les der-
nières'. Les graminées des steppes et des marécages,
les diverses laiches, massettes, etc., devaient égale-
ment servir à fabriquer des paniers, des nattes, des
cordes grossières, etc. Le roseau commun, si abondant
au bord des eaux, et le roseau donax, étaient employés
à ces divers usages, ainsi qu'à construire des huttes
et à les couvrir. L'Erianthus Ravennae, belle et grande
graminée, qui atteint deux à trois mètres de haut, ne
devait pas être moins employée autrefois qu'aujourd'hui
le D. Ebenum, mais les Perses connurent sans doute aussi le
Dalbei'gia Sissoo, qu*on trouve, nous Tavons vu, dans la vallée
du Kouram.
1. Chr. Lassen, Indische Alterihunukunde, vol. I, p. 252. —
J.-T. Reinaudy Relations de V empire romain avec VAsie orien-
tale. Paris, 1863, in-8, p. 171.
2. Aitchîson, Notes on products, p. 13 et 18.
110 LES PUNTES CHEZ LES IRANIENS
dans riran et le Touran pour faire toute sorte d'ouvra-
ges de vannerie et de sparterie *. Dans le Midi on se ser-
vait des feuilles et des fibres du dattier; les Ichthyo-
phages, rapporte Strabon *, fabriquaient leurs filets avec
Técorce ou le liber, c'est-à-dire sans doute avec les fibres
de cet arbre, et Arrien remarque' qu'ils les tressaient
comme le lin. Dans le Béloutchistan on fait des cordes
avec les feuilles du Chamérops de Ritchie, et les feuilles
de ce palmier servent aussi à fabriquer des corbeilles
et des nattes*.
Les anciens Iraniens se servaient du lin pour la con-
fection des étofi'es, comme. leurs voisins delà Mésopo-
tamie, Strabon nous apprend que le soir une des occu-
pations des jeunes Perses était de tisser le lin '.
Abradate, roi de Susiane et allié de Cyrus, portait une
cuirasse tressée avec ce textile; et Xénophon, qui rap-
porte ce fait', donne aussi pour armement aux Chalybes
d'Arménie, voisins et sujets des Perses, une longue
cuirasse de lin\ Mais lorsque le coton fut connu, il se
substitua peu à peu au lin ; aujourd'hui celui-ci n'est
plus guère employé dans la fabrication; les étoffes
perses sont tissées en coton ou en poils de chameau
et de chèvre'. Quant au chanvre, il n'est cultivé
qu'exceptionnellement en Perse pour la préparation
du haschish; mais dans le Turkestan on en retire les
1. Aitchison, Noies on products, p. 67.
2. Geographica, lib. XV, cap. 2, 2.
3. Indica, cap. x.xix, 10. « Instar Uni. »
4. Aitchison, Journal of the Lxnnean Society, vol. XÏX,
p. 369.
5. Geographicn, lib. XV, cap. 3, 18.
6. Cyropaedia, lib. VI, cap. 4, 2.
7. Anabasis, lib. IV, cap. 7, 15.
8. Polak, Persien, vol. II, p. 152.
LES PLANTES DANS L'INDUSTRIE DES IRANIENS 111
fibres qui servent à faire des cordages excellents*,
emploi dont Pline parle comme connu de tout le monde',
et qui de la région Caspienne s'était répandu avec la
culture du chanvre dans l'Occident.
1. Aitchison, Notes on producls, p. 33.
2. Historia naluralis, lib. XIX, cap. 9 (56).
CHAPITRE III
LES PLANTES DANS l'aRT ET DANS LA POESIE DES
IRANIENS
I
Les Iraniens qui demandaient en si grande quantité
au règne végétal des matériaux pour leurs construc-
tions \ ne pouvaient manquer de lui emprunter aussi
des formes architecturales et des motifs de décora-
tion. Les Égyptiens et les Sémites de la Mésopotamie
leur avaient donné l'exemple; s*ils les imitèrent, ainsi
que les Grecs d'Ionie, ils ne le firent pas cependant
sans originalité. Ils semblent même avoir tiré direc-
tement de Tobservation de la nature végétale la forme
de la colonne ; ce n'est pas sans raison qu'on a cru
celle-ci sortie de l'imitation d'un tronc d'arbre élancé*,
et qu'on l'a comparée aux piliers en bois, qui aujour-
d'hui encore supportent le toit en saillie des maisons
1. « L'architecture nationale de la Perse et de la Médie ad-
mettait le bois d'une manière à peu près exclusive dans les
constructions anciennes ». M. Dieulafoy, Uart antique de la
Perse. Paris, in-fol, IV» partie, 1895, p. 60.
2. Perrot et Chipiez, Histoire de Cart dans V antiquité ^ vol.
V, p. 496.
LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 113
champêtres du Mazandéran'. En bois elle-même sans
doute à Torigine, comme le toit auquel elle servait
d'appui, reposant sur un simple bloc de pierre gros-
sièrement équarri, et qui, évidé à sa partie supérieure,
lui servait de base, son sommet aminci supportait aussi
sans doute directement les poutres du toit. Mais si
telle elle était d'abord et telle elle est restée dans sa
forme générale, avec le temps, la matière, Taspect et
les proportions en ont changé : le bois a fait place à la
pierre ; le fût s'est allongé et rayé de cannelures, la
base s'est développée et couverte d'ornements, le cha-
piteau a pris naissance et s'est embelli de formes em-
pruntées à la nature vivante.
L'unique colonne, qui subsiste du monument dési-
gné sous le nom de tombeau de Cyrus, nous montre
l'antique pilier à son premier degré de transforma-
tion'; la pierre a remplacé le bois, dont le fût était
composé; mais celui-ci est resté uni dans toute sa
longueur et un disque plat en marbre noir, seul, lui
sert de base. Le chapiteau ayant été détruit, on ne
peut rien en dire ; mais il était sans doute aussi peu
compliqué que la base. Les colonnes d'un autre monu-
ment de la même région, le Qabr-i-madèr-i-Suleiman
— le tombeau de la mère de Soliman " — , témoignent
déjà d'un progrès architectural considérable ; le fût
en est encore uni, il est vrai, mais au lieu du simple
disque, sur lequel il repose dans la colonne du tombeau
1. Marcel Dieulafoy, Lart antique de la Perse y II» partie,
1884, p. 47, fig. 35. — Perrot, op. laud., vol. V,p. 498, fig 319.
2. M. Dieulafoy, op. laud., vol. I, p. 30, fig. 28. — Perrot,
op. laud., vol. V, p. 455, fig. 291.
3. Flandin et Coste, Perse ancienne, pi. CLXXVII. — M.
Dieulafoy, op. laud., vol. I, p. 43 et 45, fig. 46 et 50. — Perrot,
op. laud., vol. V, p. 488 et 517, fig. 309 et 328.
JoKET. — Les Plantes dans l'antiquité- II. — 8
114 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
de Cyrus, la base est formée d'un tore, rayé de canne-
lures horizontales, posé sur un socle cubique. L'orne-
mentation végétale toutefois fait ici encore défaut ;
elle apparaît, au contraire, avec profusion dans le pa-
lais de Darius et de Xerxès à Persépolis et surtout dans
celui d'Artaxerxès à Suse, palais où la colonne perse a
atteint son dernier degré d'élégance et de beauté. Main-
tenant, le fut est toujours cannelé, et ce qui est plus
important au point de vue de la décoration, le socle
campaniforme de la base , que relie au fût un renfle-
ment attique, est couvert d'ornements tirés du règne
végétal. Ici, dans les propylées de Xerxès*, ce sontdes
pétales conventionnels de lotus, la pointe tournée en
bas, et, à la partie supérieure, terminés en fer de lance;
là, dans le palais du même Xerxès*, une rangée de pé-
tales accouplés, la pointe tournée encore vers le sol,
sont surmontés d'une autre rangée de fleurs à trois pé-
tales, entre chacune desquelles se dresse une palmette;
ailleurs, dans le petit palais de Suse^ le socle est orné
de fleurs conventionnelles, composées de deux pétales
soudées entre eux, et au-dessus desquelles court une
rangée d'oves. Enfin, dans la colonne du grand palais
de Suse, dont un fragment, rapporté par M. Dieulafoy ,
existe au musée du Louvre *, le socle est sillonné de
1. Flandin et Coste, op. laud., pi. LXXV. — Dieulafoy, op.
laud.y vol. II, p. 84, fig. 64 et pi. XX. — Perrot, op. laud., vol.
V, p. 493.
2. Flandin et Coste, op. laud., pi. XCIIÏ. — M. Dieulafoy, o;?.
laud., vol. II, p. 85, fig. 72. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 491.
3. M. Dieulafoy, op. laud., vol. II, p. 85, fig. 73. — Id.,
Lacropole de Suse. Paris, 1890, in-fol., p. 328, fig. 205. —
Perrot, op. laud., vol. I, p. 456, fig. 292.
4. Perrot, op. laud., vol. V, p. 489, fig. 310. — M. Dieulafoy,
L'Acropole de Suse, p. 296 et 327, fig. 170 et 204.
LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 115
barres doubles et verticales, réunies par deux demi-
cercles, dont le supérieur enveloppe un globe can-
tonné d'une palmette renversée, seul ornement végétal
de ce socle.
Tandis que la flore a fourni des motifs si divers de .
décoration à la base de la colonne, elle n*en a pres-
que pas donné au chapiteau. Ici ce sont des formes
ornementales d'une origine toute différente que Ton
rencontre presque exclusivement; le chapiteau perse,
tel que nous le connaissons, est composé de deux demi-
taureaux adossés \ qui supportent de leur tête puis-
sante le poids de Tentablement et reposent, tantôt
directement sur le fût, comme dans les colonnes des
tombes royales de Nakch-i-Roustem ^ ou celles du pa-
lais de Xerxès à Persépolis, tantôt cdui sont reliés par
tout un système compliqué d'ornements interposés »',
ainsi que cela a lieu dans les colonnes des propylées
du même Xerxès ou dans celles du palais d*Artaxerxès
à Suse \ Dans le premier cas le chapiteau n'a d'autre
ornementation végétale que la rosace qui s'étale
parfois au milieu du carré destiné à séparer les deux
taureaux ^ Dans le second cas, outre cette rosace deux
1. Flandin et Costa, op. laud., pi. CLXXVII. — M. Dieula-
foy, op. laud, y vol. Il, p. 83, fig. 63. — Perrot, op. laud., vol.
V, p. 452, fig. 289. Dans le portique du grand palais de Xerxès,
les taureaux sont remplacés par des licornes.
2. Flandin et Coste, op. laud., pi. CLXVI et CLXXII. — M.
Dieulafoy, op. laud., vol. III, pi. I. — Perrot, op. laud., vol. V,
pi. I, p. 619, fig. 384, p. 623, fig. 386 et p. 629, fig. 392.
3. Perrot, op. laud., vol. V, p. 491, fig. 311.
4. Flandin et Coste, op. laud., pi. LXXV. — Perrot, op. laud.,
vol. V, p. 393, fig. 312, et p. 780, 781, fig. 665 et 666.
6. Propylées de Xerxès. Flandin et Coste, op. laud., pi.
XCHI. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 491, 492 et 701, fig. 311,
312, 313 et 430.
116 LES PLANTES CHEZ LES IRANfENS
fois répétée, on trouve encore des motifs de décora-
tion empruntés au monde végétal dans le prolonge-
ment compliqué, dont l'architecte perse a cru devoir
couronner la nudité du fût, espèce de chapiteau divisé,
dans le sens vertical, en deux parties égales et de
formes contraires*. « L'une, celle qui repose sur le fût
aminci, est un cylindre dont les génératrices, à l'ex-
trémité supérieure, se raccordent avec un quart de
rond renversé; sur ce quart de rond repose l'autre
moitié du chapiteau, qui affecte ainsi au point de dé-
part, la forme cylindrique; la partie supérieure est
terminée par un cavet '.»
On a proposé d'admettre que l'idée première de ce
double chapiteau a été suggérée par la tête du palmier;
la partie inférieure avec ses masses tombantes figure-
rait les frondes desséchées, rabattues sur le tronc ; la
partie supérieure avec ses divisions ascendantes re-
présenterait les feuilles nouvelles, qui s'élancent au-
dessus du feuillage flétri, légèrement courbé sous leur
poids ^. On peut donner de ces formes une explica-
tion plus simple et, je crois, plus vraisemblable,
et voir dans la partie inférieure du chapiteau une re-
production non évasée du socle campaniforme, tel que
le présentent les colonnes du grand palais de Suse;
dans la pai^tie supérieure une imitation du chapiteau
1. Propylées de Xerxès à Persépolis. Flandin et Coste, op,
laud., pi. LXXV. — Perrot, op. laud,, vol V, p. 493, fig. 312
et 313, p. 497, fig. 318 et pi. VI. — M. Dieulafoy, L Acropole
de Suse, p. 325, fig. 203.
2. Ch. Chipiez, Histoire critique de Vorigine et de la forma-
tion des ordres grecs. Paris, 1876, in-4, p. 101.
3. Flandin, Relation du voyage en (Perse), vol. II, p. 156. —
Perrot, op. laud., vol. V, p. 492.
LES PUNTES DANS L'ART DES IRANIENS 117
papyriforme égyptien*, surmonté seulement par un
quart de rond orné d'oves, décoration que ne connaît
pas celui-ci. Quoi qu'il en soit, Tornementation végétale,
on le voit, serédui^ici à peu de chose. Elle n'apparaît
véritablement que dans les rosaces des quatre volutes
appliquées aux deux côtés du prisme cannelé, qui relie
le chapiteau, que je viens de décrire, au groupe des
deux demi-taureaux '. Ces rosaces d'ailleurs ne sont
pas les seules qui servent d'ornementà la colonne perse;
chacun des demi-taureaux, qui en forment le couron-
nement, porte un collier, couvert de rosaces sembla-
bles, et auquel pend, au milieu du fanon, une espèce
de fleur de lotus.
Les rosaces ou anthémions, qui occupaient. une si
grande place dan» la décoration des monuments assy-
riens n'ont pas jolie un moindre rôle dans celle des
monuments perses ; de dimensions variables, tantôt à
six, d'autres fois à huit ou à douze fleurons, elles ont
servi à orner non seulement les détails des chapiteaux,
mais les chambranles des portes ou des fenêtres, la
main courante des escaliers, les soubassements et les
frises, etc. Elles n'y apparaissent pas seules toutefois ;
on y rencontre aussi les autres formes empruntées par
l'art égyptien ou assyrien au règne végétal, en par-
ticulier les palmettes qu'on trouve, soit isolées, soit
portées sur des tiges flexibles et parfois alternant
avec des lotus. Ces derniers ornements ont surtout été
mis en œuvre par les enlumineurs des derniers temps
1. Charles Joret, Les plantes dans V antiquité j vol. I, p. 223.
— Cf. M. Dieulafoy, op. laud., vol. II, p. 82.
2. Flandin et Coste, op. laud., pi. LXXV. — Perrot, op.
aud., voL V, p. 493, 494, 497 et 780-78i, fig. 312, 313, 318, 465,
et 466.
118 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
des Achéménides, les rosaces ont été plutôt employées
comme motifs de décoration par les sculpteurs. C'est
ainsi que la porte d'une des tombes royales de Persé-
polis est encadrée d*une triple rangée d'anthémions ^
De même les ressauts du quart de rond godronné, par
lequel se termine la main courante dos escaliers aux
palais de Darius et de Xerxès, sont décorés chacun
d'une rosace*. Des rangées de larges rosaces aussi en-
cadrent les différentes scènes représentées sur les bas-
reliefs des palais persépoli tains : défilé des grands du
palais, des archers doryphores' et des tributaires*,
combat d'un lion et d'un taureau*, etc. Ce dernier
comme les taureaux des chapiteaux, porte môme un
collier orné de rosaces. Les taureaux à figure humaine
qui se dressent à l'entrée du portique Viçadahyu de
Xerxès, portent aussi un collier décoré de rosaces et
leur mitre est également ornée d'une rangée de ces
mêmes fleurs*.
Sur le bas-relief de la salle hypostyle de Xerxès,
1. M. Dieulafoy, op, Jaud., vol. H, p. 31, fig. 18. — Perrot,
op, laud., vol. V, p. 527, fig. 338.
2. Flandin et Coste, op. /awrf., pi. XCIV. — M. Dieulafoy,
op. laud.j vol. m, p. 80, fig. 111. — Perrot, op. laud.y vol. V,
p. 531 et 532, fig. 340 et 341. — Flandin et Costa, op. laud.,
pi. XCV, XCVI, XCVII.
3. Flandin etCoste, op. laud., pi. LXXV, XCVII et XCIX.—
Perrot, op. laud., vol. V, p. 798, 821 et 822, fig. 472, 483 et
484.
4. Flandin et Coste, op. laud., pi. CV, CVIII, CIX. — M.
Dieulafoy, op. laud., vol. Il, pi. XV. — Perrot, op. laud., vol.
V, p. 800, 804 et 805, fig. 473, 475, 476.
5. Flandin et Coste, op. laud., pi. Cil. — M. Dieulafoy, op.
laud., vol. III, pi. XVIIl. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 835,
fig. 491.
6. Flandin et Coste, op. laud., pi. LXXV, — M. Dieulafoy,
op. laud., vol. II, pi. XII.
LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 119
on voit aussi se dresser, entre les divers groupes de
personnages, des conifères qu'à leur forme pyrami-
dale on reconnaît, malgré la représentation conven-
tionnelle des branches et des fruits, pour des cyprès*.
A cet arbre s'associe sur le couronnement, encadré
d'anthémions, de l'escalier du palais n® 2 de Persépo-
lis, la forme conventionnelle du dattier, avec la pal-
mette qui le termine à son sommet et sa tige garnie
de feuilles courtes et recourbées ou plutôt d'écaillés
destinées, dans la pensée du sculpteur iranien, à re-
présenter les restes du pétiole des frondes tombées*.
Le cyprès et le palmier servent sur ce bas-relief à
remplir un espace nu bien plus qu'ils ne sont un motif
de décoration. Tel est encore le rôle dos rangées de
palmiers de grandeur inégale, mais aux mêmes for-
mes conventionnelles, qu'on voit sur le couronnement
des escaliers aux palais n**" 2 et 4 de Persépolis \
Ces motifs de décoration ne sont pas particuliers
aux bas-reliefs; à part les cyprès, on les retrouve éga-
lement et souvent combinés avec plus d'ingéniosité
sur les brique^ émaillées, qui sont entrées en si grande
quantité, dans la construction et l'ornementation du
palais d'Ârtaxerxès à Suse. Des briques émaillées,
1. Flandin et Costa, op. /au^./pl. CV, CVI, etc. — Stolze et
Andréas, Persépolis , ap. F. Justi, Geschichte des alten Persiens,
p. 106. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 800, 804, 805 et 841,
fig. 473, 475, 'j76 et \9'S.
2. Flandin et Coste, op. laud., pi. XCVIII et XCIX. Charles
de Linas a voulu voir dans ce palmier si bien caractérisé une
« graminée ». Les origines de V orfèvrerie cloisonnée. Paris, 1877-
1887, in-4, vol. I, p. 286.
3. Flandin et Coste, op. laud., pi. CX et CXXXV. — Perrot,
op. laud., vol. V, p. 537 et 543, fig. 345 et 349. Trois dattiers
semblables se dressent aussi derrière le lion qui dévore un
taureau.
120 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
découvertes par M. Dieulafoy et dont un bon nombre
se trouvent au musée du Louvre, nous offrent, les unes
des rosaces, les autres des palmettes, des feuilles
conventionnelles de dattier ou même des fleurs de lo-
tus'. L'une d'elles, dessinée par M. Saint-Elme Gau-
tier, présente sur sa face supérieure une belle rosace
à double rangée de fleurons arrondis, qu'encadre un
listel à zigzags *; une autre, ornée sur le plat d'une
rosace semblable, en montre trois plus petites sur le
côté*.
Les débris que nous possédons, ornementation en
briques émaillées du palais de Suse, offrent tous ces
motifs de décoration combinés souvent de la manière
la plus ingénieuse. Sur l'un, qui faisait partie de la
main courante du grand escalier de TApadâna à Suse,
se dressent des colonnes formées de fleurs de lotus,
lesquelles, de couleur différente et à deux pétales seuls
visibles, sont superposées les unes aux autres; la der-
nière est surmontée par une palmette, tandis que les
briques terminales sont décorées de rosaces et qu'une
rangée de rosaces court aussi à la base du revêtement*.
Un autre fragment de la main courante d'un escalier
de Suse a également pour décoration des rangées de
fleurs de lotus, mais à pétales plus recourbés et soudés
complètement entre eux^
Il faut rapprocher de ce genre d'ornementation la
1. M. Dieulafoy, L'Acropole de Suse, p. 297-298.
2. Perrot, op, laud., vol. V, p. 537, fig. 34'i. — M. Dieulafoy,
L'Acropole de Suse, pi. X, 1.
3. Perrot, op. laud., vol. V, p. 374, fig. 350. — Dieulafoy,
V Acropole de Suse, p. 301, fig. 176.
4. M. Dieulafoy, U Acropole de Suse, pi. VIII et p. 299, fig.
173. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 538, ûg. 346.
5. Perrot, op. laud., vol. V. p. 763, fig. 458.
LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 121
décoration d'un merlon de travail archaïque, signalée
par M. Dieulafoy ^ ; les fleurs de lotus superposées dont
elle est composée ont les pétales recourbés et munis
d'appendices lenticulaires ou de déchirures de fantaisie.
Un fragment de litre décorative, provenant également
de Suse et qui occupe sept briques en hauteur, a pour
motif décoratif central des disques réunis par des rubans
et entre lesquels s'appliquent des palmettes opposées
deux à deux par la base*.
Les motifs de décoration les plus beaux et les plus
élégants sont sortis de la combinaison des palmettes
entre elles ou des palmettes et des fleurs de lotus. Telle
est la rangée de palmettes qu'on voit sur la frise des
archers et sur celle des lions passant à Suse. Au-dessus
et au-dessous des archers doryphores'*, au-dessus des
lions seulement*, règne un listel composé de demi-cer-
cles, reliés deux à deux par un nœud surmonté de deux
arcs recourbés que couronne une palmette. Une rangée
parallèle d'anthémions achève la décoration florale
de ces frises. Sur un carreau de faïence, provenant
aussi de Suse, on voit un listel d'une élégance encore
1. L Acropole de Suse, p. 302, fig. 178 et pi. XIII, 2.
2. Perrot, op. laud., vol. V, p. 539, fig. 347. — M. Dieulafoy,
V Acropole de Suse, p. 303 et 304, fig. 180 et pi. XIIÏ, 1. Le
lotus, employé comme motif décoratif, ne se rencontre, à ma
connaissance, dans la sculpture iranienne, que sur le bas-
relief de la tombe n» 10 à Persépolis, où l'on en voit une fleur,
couronnée d'une palmette, se dresser entre deux lions af-
frontés. Flandin et Coste, pi. CLXIV. — Perrot, vol. V, p. 544,
fig. 350.
3. J. Dieulafoy, A Suse, p. 295. — Perrot, op, laud., vol.
V, p. 541, fig. 348. — M. Dieulafoy, LAcropole de Suse, p.
288, fig. 160 et pi. IV.
4. Perrot, op. laud., vol. V, pi. XI, p. 818.
122 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
plus raffinée*; la disposition générale en est la même
que pour celui des frises ; mais ce qui en augmente la
grâce, ce sont les fleurs de lotus qui alternent avec les
palmettes, genre de décoration où Ton ne peut mécon-
naître une influence assjrio-égyptienne. Les deux ran-
gées de losanges qui encadrent ce listel sont, eux, bien
perses d'origine.
Il est probable que, comme les émailleurs, les potiers
iraniens empruntèrent — parfois au moins — des
motifs de décoration au règne végétal; mais les quel-
ques spécimens que nous avons de leur art sont lisses
ou n'ont d'autres ornements que des dessins géomé-
triques ; je ne connais qu'un seul vase, bassin rapporté
de Suse', dans le fond duquel on aperçoive quelques
traces de décoration végétale, une espèce de rosace au
centre et trois fleurs indéterminées aux trois renflements
d'une courbe sinueuse encadrée dans un triangle.
Si la glyptique dédaignait les motifs de décoration
tirés du règne végétal, elle ne négligeait pas néanmoins
de faire, à l'occasion, figurer des arbres ou des plantes
dans les scènes qu'elle représentait. C'est ainsi que
sur le cachet de Darius, au Musée britannique, qui nous
montre ce prince se livrant à la chasse au lion, on voit
se dresser deux palmiers, l'un devant, l'autre derrière
le char royal'. Sur un cylindre qui représente une
scène analogue à celle du bas-relief de Béhistoun,
Darius châtiant les chefs révoltés qui ont été faits pri-
1. Perrot, op. laud., vol. V, p. 877, fig. 352. — M.Dîeuiafoy,
V Acropole de S use, pi. X. 2.
2. M. Dieulafoy, L'Acropole de Sùse, pi. Xlf, 13.
3 . J asti , Gesch ichle des alten Per siens , p . 1 1 2 . — M . Dieulafoy,
Uart antique de la Perse, vol. III, p. 93. — Perrot, op. laud.,
vol. V, p. 848, fig. 496,
LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 123
sonniers, on voit aussi derrière les quatre prisonniers,
qu'on amène enchaînés au monarque, se dresser un
palmier garni de spadices*. Un autre cylindre, le « ca-
chet de la femme Khsarsya », représente un person-
nage, une couronne à la main, debout devant It symbole
de vie *.
Regardés comme inutiles parla glyptique, les motifs
de décoration végétale furent, au contraire, recherchés
par les artistes qui travaillaient les métaux. On en
trouve une application curieuse dans le revêtement de
la grande porte qui donnait accès à Tenceinte où s*é-
levait le palais d'Artaxerxès Mnémon\ Ce revêtement
était formé de longues plaques de bronze quadrangu-
laires, au centre desquelles s'étalait une double rosace,
dont les contours étaient repoussés au marteau. Si la
décoration végétale était ainsi en usage dans les tra-
vaux métalliques les plus grossiers, elle devait Têtre
bien plus encore dans la bijouterie et l'orfèvrerie ; mal-
heureusement toutes les œuvres, dont ces arts avaient
enrichi les palais de la Perse et de la Susiane, ont été
dispersées et détruites après la chute de l'empire des
Achéménides, et nous ne pouvons que nous représenter
par la pensée quels gracieux motifs de décoration les
embellissaient. Nous savons au moins par le témoi-
gnage des anciens que les artistes grecs, auxquels les
monarques perses firent souvent appel à l'époque de
leur puissance, avaient fabriqué pour eux des bijoux
1. J. Menant, Recherches sur la glyptique orientale, vol. II,
pi. IX, fig. 1. — Perrot, op. laud., vol V, p. 851, fig. 498.
2. J. Menant, Recherches, vol. 11, p. 172, fig. 150. — Perrot,
op. laud., vol. V, p. 850, fig. 497.
3. Perrot, op. laud., vol. V, p. 557, fig. 353. — Dieulafoy,
L'Acropole de Suse, p. 238, fig. 129.
124 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
dont les formes étaient empruntées au monde des
plantes ; telle était la vigne d'or *, dont les grappes
étaient faites en pierres cabochons de toute espèce,
œuvre, croyait-on ', de Théodore de Samos, qui ombra-
geait lai couche du grand roi, auquel elle avait été
donnée par le lydien Pythies*. Tel encore le platane
d'or, présent du même Pythies à Darius, qu'on voyait
dans un des palais royaux, peut-être dans la salle du
trône, mais dont un ambassadeur grec, rapporte Xé-
nophon*, aurait dit par dérision qu' « il ne donnerait
pas assez d'ombre pour mettre même une cigale à l'abri
du soleil ».
Les étoffes, — tapis, robes, tentures, — que les
artistes de l'Iran aimaient à embellir de dessins variés,
géométriques parfois, mais qui souvent aussi, sinon
plus souvent, reproduisaient des fleurs ou d'autres
formes végétales, ont, comme les bijoux et les tra-
vaux d'orfèvrerie, disparu sans laisser d'autre trace
qu'un vague souvenir. Les bas-reliefs et les briques
éraaillées toutefois, en représentant les personnages
qui s'en paraient ou les édifices qu'elles ornaient, nous
permettent de nous faire une idée du genre de décora-
tion végétale qui les embellissait. La rosace s'y rencon-
trait le plus souvent. Le bord frangé de la robe du
personnage symbolique, qu'on s'accorde à regarder
comme l'effigie de Cyrus^ est garnie d'une rangée
1 . Himerius, Eclogae, XXXI, 8.
2. Athénée, Deipnosophistae, lib. XII, 514 f. — Charles de
Linas, Les origines de Vorfèvrerie cloisonnée^ vol. I, p. 213.
3. Hérodote, Historiae, lib. VII, cap. 27.
4. Ilellenicay lib. I, cap. 7, 38.
5. M. Dieulafoy, L'art antique de la Perse, vol. I, p. 34, pi.
XVII et L'Acropole de Suse, p. 50, fig. 34. — Perrot, op. laud.,
vol. V, p. 787, fig. 467.
LES PLANTES DANS L'AftT DES IRANIENS
125
d'anthémions. Une dalle émaillée de Suse, qui reproduit
un morceau de la robe d'un archer perse, est couverte
de fleurons à quatre pétales allongés, qui dépassent un
cercle concentrique à Tovaire et sont inscrits eux-
mêmes dans un losange*. Les robes que portent une
partie des Immortels et des archers, sur les frises du
palais de Suse, sont couvertes de rosaces, tandis que
les autres sont ornées de figures géométriques*. Ces
longues robes ornées de dessins brillamment colorés
frappèrent d'étonnement les Grecs, accoutumés à la
simplicité uniforme de leur costume, et leurs artistes
n'ont pas manqué d'en reproduire la richesse et l'éclat,
mais d'une manière bien souvent conventionnelle ou
approximative, quand ils ont eu à représenter les sujets
des Achéménides'.
La décoration des tapis et des tentures devait natu-
rellement être encore plus riche et plus variée que celle
des robes et des simples étoffes ; les figures d'animaux
réels ou fantastiques y abondaient*, mêlées à des dessins
géométriques ou à des ornements empruntés au règne
végétal. Si la dalle de revêtement, ornée d'un listel de
palmettes, alternant avec des fleurs de lotus, et de deux
rangées de losanges, que j'ai décrite plus haut, est
bien, comme Ta supposé M. Dieulafoy% la copie d'un
1. Perrot, op, laud., vol. V, p. 875, fig. 531.
2. J. Dieulstfoy, A Suse, p. 295. — M. Dieulafoy, L'Acropole
de Suse, pi. V et VI et p. 288, fig. 160. — Perrot, op. laud.,
vol. V, p. 541, fig. 348 et pi. XII.
3. Perrot, op. laud., vol. V, p. 882.
4. Athénée parlant des tapis perses, étendus dans la salle
des fêtes de Ptolémée Philadelphe, dit que le tissa en figurait
<c des animaux de toute sorte, très bien représentés ». Deip-
nosophistae, lib. V, cap. 26, p. 197. B.
5. L Acropole de Suse, p. 303.
126 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
tapis, elle peut nous donner une idée de la décoration
de Qe genre d^étoffes chez les Iraniens. La reproduction
du dais royal, ciselé sur une des portes de la salle
aux cent colonnes, nous montre ce qu^étaient les ten-
tures des palais perses*. On y voit deux rangées, Tune
de lions passant, Tautre de taureaux s'avançant de
droite à gaucbe et de gauche à droite vers remblême
ailé d'Ahura Mazda, placé au milieu d'eux ; au-dessous
du défilé des lions règne une rangée simple de rosaces,
au-dessus du défilé des taureaux court aussi une double
rangée de ces mêmes fleurs.
La chute de Tempire des Achéménides entraîna la
ruine de la civilisation et de l'art perse ; celui-ci était
déjà en pleine décadence quand Alexandre vainquit
Darius Codoman et asservit Tlran ; cette décadence se
précipita sous la domination des Séleucides. <( Les
antiques palais, remarque StrabonS furent abandonnés
pour des demeures plus modestes » et les résidences
grandioses, dans lesquelles les monarques perses s'é-
taient eflbrcés de rivaliser entre eux et avec les sou-
verains de la Mésopotamie ou les pharaons de l'Egypte,
tombèrent en ruines et ne devaient jamais être relevés.
Les Parthes, qui mirent fin à la puissance des Séleu-
cides, n'essayèrent pas de les rebâtir et leurs archi-
1. Flandin.et Coste, op. laud,, pi. CLIV. — Dieulafoy, Uart
antique de la Perse, vol. III, p. 86, fig. 115. — Id., VAcropole
de Suse, p. 307, fig. 186. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 716,
fig. 436. Le dessin de M. Dieulafoy représente une double pro-
cession de taureaux seulement et point de lions.
2. Geographica, lib. XV, cap. 3, 3.
LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 127
tectes, à en juger par les rares monuments contempo-
rains de leur domination, n'étaient point en état d'arrêter
la décadence de l'art iranien ou de s^inspirer de ses
anciennes traditions. Les monuments qu'ils ont élevés
ne rappellent que de bien loin ceux de l'époque des
Achéménides et témoignent des influences nouvelles
auxquelles ils obéissaient.
C'est ainsi qu'un édifice religieux, dont les restes
sont englobés dans les maisons du village de Kingavar,
est « construit dans un style grec abâtardi* ». Ruine
d'un temple de Diane, contemporain des premiers
Arsacides, les colonnes qui appartiennent à l'ordre
dorique méritent de fixer l'attention ; mais comme elles
n'ont aucun caractère iranien et qu'on n'y trouve aucun
motif de décoration végétale, elles n'offrent rien qui
doive nous arrêter. 11 en est tout autrement du palais
de Hatra, situé sur la rive gauche du Tigre à 140 kilo-
mètres environ au Sud-Ouest de Mossoul*. Si la modé-
nature en est occidentale, suivant la remarque de
M. Dieulafoy ', l'aspect général de la façade composée
d'arcs « portés, à la manière perse, sur des pilastres
ou des demi-colonnes liées à la maçonnerie », trahit
l'influence asiatique qui a présidé à la construction de
ce monument. La décoration surtout est originale.
« Tous les arcs sont couronnés par une archivolte
ornée d'oves* allongées et de feuilles d'acanthe », motif
1. M. Dieulafoy, Larl antique , vol. V, p. 7.
2. Ross, Journal of Ihe royal geographical Society, vol. IX,
p. 467-470. — Fergusson, Hixlory of Architecture, vol. II, p.
423-425. — Ainsworth, Geographical Journal, \o\. XI, p. 13.
— George Rawlinson, The sixth great oriental Monarchy,
London, 1873, in 8, p. 375.
3. L'art antique de la Perse, vol. V, p. 17.
128 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
de décoration emprunté à la Grèce, et c< au centre des
oves est encastrée une olive de marbre noir* ». Le
listel des pilastres est, comme Tarchivolte des arcs,
décoré d'oves et d'olives de marbre. Une élégante
corniche, formant astragale, qui règne au-dessous des
chapiteaux des pilastres, est couverte de fleurs légères,
qui correspondent à un rang de demi-oves disposées
sur un listel inférieur*.
Non moins curieux que la décoration des archivoltes
et des pilastres est le couronnement de la porte qui
conduit du vestibule C à la salle carrée intérieure'. Si
on y retrouve, comme le dit M. Dieulafoy, tous les
éléments de Tentablement persépolitain, la décoration
en est moderne. En haut du linteau un listel avec des
fleurs lotiformes ; au-dessous une longue bordure for-
mant zoophoron, orné de têtes et d'animaux symbo-
liques ; plus bas une rangée d'oves ; enfin des feuilles
d'acanthe finement sculptées qui dissimulent l'archi-
trave.
Les débris d'un monument funéraire, découvert à
Warka dans l'ancienne Chaldée par sir William Kennett
Lofius*, achève de nous faire connaître l'emploi que
l'architecture parthe faisait de la décoration végétale.
C'est, par exemple, sur un chapiteau quatre feuilles
d'acanthe qui soutiennent les angles de l'abaque;
un couronnement de pilastre orné à sa base d'une
rangée d'oves et plus bas de rosaces et de feuilles,
1. M. Dieulafoy, L'art antique^ vol. V, p. 18, fig. 9.
2. M. Dieulafoy, op. laud.^ vol. V, p. 19.
3. Rav^rlinson, op. laud., vol. V, p. 379. — M. Dieulafoy, op.
laud.y vol. V, p. 20, fig. 10.
4. Travels and researches in Chaldaea and Susiana, p. 202-
214.
/
LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 129
OU une frise ornée d'un cep chargé de raisins et de
feuilles*.
Ces ornements nouveaux de décoration se retrouvent
sur' les monuments contemporains des Sassanides ;
mais ils n'y sont pas seuls. Les princes de cette
dynastie furent, surtout les derniers, de grands con-
structeurs ; ils aspirèrent à rivaliser avec les Achémé-
nides, dont ils se prétendaient les légitimes succes-
seurs ; aussi l'art de bâtir fit-il de grands progrès
sous leur règne; la décoration, qui doit seule nous
occuper ici*, fut entièrement transformée. Deux mo-
numents sassanides de nature différente, mais l'un et
l'autre contemporains de KhosrouII, l'arc de triomphe
de Tak-i-Bostan et le palais de Machista en Syrie en
sont la preuve manifeste.
Édifié dans le pays de Moab à 60 kilomètres envi-
ron à l'Est de l'embouchure du Jourdain^, le palais de
Machista se fait remarquer, plus encore que par son
étendue, par la décoration luxueuse de ses façades; un
soubassement en assez bon état permet d'en juger. Un
1. Loftus, op, laud., p. 226. — Rawlinson, op. laud,, vol. V,
p. 383. — M. Dieulafoy, op. laud., voL V, p. 27, fig. 16, 15 et
11.
2. Pour cette raison je ne dirai rien ni des palais de Sarvistan
de Firouz-Abàd et de Ferach-Abâd^ monuments voûtés, dont
M. Dieulafoy a voulu faire remonter la construction jusqu'à
l'époque des Achéménides, ni du Takht-i-Khosrou, élevé par
Khosrou I à Ctésiphon, ou du Tak-î-Kesra, palais sassanide
bâti sur les bords de la Kerkha, mais dont il ne reste que des
voûtes et des arcatures avec quelques créneaux. M. Dieulafoy,
op. laud., vol. IV, p. 1-59, et vol. V, p. 63-73. — Justi, Ges-
chichie des allen Persien, p. 209. — Perrot, op. laud., vol. V,
p. 561-577.
3. H.-B. Tnstam, The land o^ Moab. TraveU and diicove-
ries on Ihe east side of the dead Sea and the Jordan. London,
1873, in-8, p. 195-215.
JoRET. — Les Plantes dans ranliquité. II. — 9
iâO LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
socle aux profils fort accentués porte une plinthe divisée
en triangles équilatéraux par des moulures saillantes.
Dans chacun de ces triangles est inscrite une rosace
en haut-relief et au contour sinueux ; des rosaces sem-
blables ornent l'espace resté vide entre les divers
triangles. Deux rinceaux formés de ceps de vigne,
chargés de feuilles et de raisins, en remplissent Tinté-
rieur; les souches surgissent d'un vase entouré de
fauves et des oiseaux se jouent dans les branches*..
Des pampres courent également entre les triangles.
Les listels formés par leurs doubles côtés sont cou-
verts de feuilles d'acanthe ; des ornements végétaux
peu distincts décorent aussi les moulures de la base.
On voit, au contraire, sur les chapiteaux de la porte
centrale deux rangées de feuilles d'acanthe finement
sculptées. Si Ton excepte les triangles d'origine bien
iranienne, ces divers motifs de décoration nous repor-
tent tous à l'art byzantin. Ceux du talar justement
vanté de Tak-i-Bostan sont, eux, incontestablement
perses.
Situé près de Kermanchah, il se compose d'une
voûte cintrée, dont l'arc extérieur s'appuie sur deux
colonnes dépourvues de base et flanquées de deux lar-
ges pilastres*. Sur les tympans de la grande arche
d'entrée sont figurés deux génies ailés, une couronne à
la main ; trois personnages symboliques remplissent
l'espace libre du cintre, et dans le registre inférieur
entre les deux pilastres un bas-relief représente Khos-
1. Tristram, op. laud., p. 199 et 200, n»» 21 et 22. — M.
Dieulafoy, op. laud., vol. V, p. 91 et 92, fig. 66 et 67.
2. Flandin et Coste, Voyage en Perse, pi. 5. — Perrot, op.
laud.y vol. V, p. 53 i, fig. 343. — Dieulafoy, op. laud., vol. V,
p. 95-100, fig. 69, 70, 71, etc.
I
i
LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 13J
rou, armé de toutes pièces, lalanceen main et le casque
en tête. Il est surmonté d'une litre garnie d un cordon
de feuilles de vigne, et les deux pilastres qui le flan-
quent de chaque côté sont, ainsi que les chapiteaux
des colonnes, couverts de rinceaux et de fleurs, dont
il est, au premier abord, difficile de reconnaître la na-
ture. Mais si on examine à part chaque fragment des
rinceaux, on reconnaît bien vite, «sous Taspect foliacé
qui les déguise», les palmettes des frises persépoli-
- taines ou susiennes *, mêlées à des feuilles de vigne ou
d'acanthe, à des boutons et à des fleurs de convention,
de manière à former un ensemble harmonieux et élé-
gant. Les chapiteaux offrent à leur partie supérieure
un listel orné de courbes cordiformes, dans lesquelles
sont encastrés des espèces de lotus héraldiques; à
la base règne une rangée de fausses palmettes; au cen-
tre se dresse une tige articulée, qui porte à chaque
nœud, en guise de palmettes, une paire d'ailes ou de
vols, accompagnés de lotus transformés ou de margue-
rites.
L'artiste iranien ne s'était pas contenté de repré-
senter sur les bas-reliefs de Tak-i-Bostan le portrait
équestre de Khosrou et l'image symbolique de son
avènement au trône, il avait aussi sculpté des deux
côtés du cintre deux grandes chasses *, qui rappellent
des scènes analogues que nous avons vues sur les bas-
reliefs égyptiens. Une de ces sculptures représente
une chasse aux sangliers ; au centre est un étang dans
lequel nagent des poissons, tandis que des canards
prennent dessus leurs ébats ; à gauche des rabatteurs
1. M. Dieulafoy, opJaud., vol. V, p. 97.
2. Flandin et Coste, Voyage en Pense, vol. I, pi. X et XII.
132 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
montés sur des éléphants ramènent les sangliers qui
fuient, les uns vers l'étang, les autres vers la droite
du parc, où des filets les arrêteront ; le roi monté sur
une barque frappe au hasard les fuyards de ses traits.
Le tableau de la chasse est parlant ; mais le paysage
est négligé ; il est difficile en particulier de reconnaî-
tre aucune des plantes ou des arbustes du parc ; ce
sont de simples broussailles ou de grandes herbes,
telles qu'on en voit autour des marécages. Sur le second
bas-relief apparaissent quatre arbres; mais tout ce
qu'on en peut dire, c'est qu'ils appartiennent à deux
espèces différentes. La chasse est d'ailleurs traitée
d'une manière analogue à celle du premier.
Les orfèvres sassanides ont eu recours, dans leurs
œuvres, aux mêmes motifs de décoration que les sculp-
teurs. C'est ainsi que sur une coupe en argent massif de
cetteépoque*, présent de M. le duc de Luynes à la Biblio-
thèque, nationale, on voit une scène de chasse analo-
gue à celles que représentent les bas-reliefs de Tak-i-
Bostan, mais sans aucun ornement d'origine végétale.
On voit également des scènes de chasse, qui semblent
bien être encore un travail sassanide, sur des coupes
du Musée de l'Ermitage, trouvées dans le gouverne-
ment de Perm; l'artiste, il est vrai, a négligé de dessi-
ner le paysage, au milieu duquel se trouve le chasseur
royal et les fauves qu'il poursuit ; mais sur l'une d'elles
il a représenté un palmier qui se dresse au mi-
1. A. de Longpérier, Explication d'une coupe sassanide iné»
dite. (Annales de VInstitut de correspondance archéologique ,
vol. XV (1843), p. 100). — M. Chabouillet, Catalogue général
et raisonné des camées et pierres gravées de la Bibliothèque
impériale. Paris, 1838, in-12, p. 468, n^ 2881 (3114 du catalogue
actuel). — M. Dieulafoy, op. laud., vol. V, p. 103, fig. 94.
LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 133
lieu de la scène ; sur une autre, au-dessous de Tune des
chasses, on voit un sanglier atteint par un trait et cou-
ché au milieu d'arbustes sur le bord d une pièce d'eau
qu'animent de leurs ébats un canard et deux petits pois-
sons*. Au fond d'une coupe en argent également sas-
sanide, au Cabinet des médailles de la Bibliothèque
nationale, est représenté un tigre marchant au milieu
d'un fourré de lotus conventionnels*. Un motif ana-
logue de décoration nous offre le col d'une œnochoé
du musée de l'Ermitage, sur lequel on voit des cigognes
chassant au milieu de plantes aquatiques. Au-dessous
de ce paysage vivant court une zone de fleurons, et
sur la partie la plus renflée du vase est représenté en
double un griffon que fait boire un enfant, et sur les
petits côtés deux personnages chevauchant un monstre
fantastique à tête humaine ; deux arbustes ombragent
de leurs rameaux ces scènes, qu'encadre une ceinture
de palmettes et de feuillage conventionnel'.
L'origine et la date de cette œnochoé sont incertai-
nes ; on a daté du iv° siècle et vu, non sans raison, une
œuvre sassanide dans une aiguière en argent massif,
qui porte le numéro 31 12 dans le Cabinet des médailles
à la Bibliothèque nationale ; elle a pour ornement deux
groupes semblables de lions « qui se croisent pour s'é-
lancer en sens contraire »; entre ces groupes se dresse
1 . Charles de Linas, Les origines de Vorfèvrerie cloisonnée ^
vol. II, p. 45-48. — Compte-rendu de la commission impériale
archéologique pour Vannée 1867. Saint-Pétersbourg, 1868, in-
fol., p. 154-155. — Joseph Hampel, Der Goldfund von Nagy-
Szent'Miklôs sogenannier « Schatz des Attila ». Budapesth,
1886, in-4, p. 90-93, fig. 46-49.
2. M. Chabouillet, op. laud., p. 469, n» 2882 (3183 du nou-
veau catalogue).
3. J. Hampel, op. laud., p. 22 et 83, fig. 10, 13.
134 LES PLANTES CHE2 LES IRANIENS
la tige rameuse du hom sacré*. Deux coupes du même
Cabinet doivent encore fixer notre attention : la coupe
en or dite de Khpsrou et la coupe en argent de la déesse
Anaïtis. Au fond de la première, bien souvent décrite,
est représenté Khosrou en costume royal et assis sur
un trône supporté par deux chevaux ailés ; autour de
cette figure règne une triple rangée circulaire de
fleurons décroissants à quatre lobes et à quatre poin-
tes, entremêlés de losanges de diverses couleurs '. La
coupe de la déesse Anaïtis — Nana-Anat — , œuvre
d'art de l'époque sassanide encore, représente cette
déesse assise sur un marticoras et entourée par huit
personnages afférentes deux par deux ; l'un d'eux tient
de la main droite un oiseau — un épervier, dit M. Cha-
bouillet — , de la gauche une branche conventionnelle
de lotus, « au haut de laquelle s'épanouit une fleur vue
de face, à côté d'une deuxième fleur, dont le calice
est plus maigrement profilé » ; un autre tient dans la
main droite une coupe et do la main gauche une espèce
de palme^ ou de flabellum.
Bien qu'on en ait contesté l'origine sassanide et
qu'on ait voulu y voir un produit de cet art semi-bar-
1. M. Chabouillet, op. laud.y p. 467, n» 2880. — Charles de
Linas, op, laud., vol. H. p. 357. — M. Dieulafoy, op, laud.,
vol. V, p. 104,%. 95 et 96.
2. Chabouillet, op. laud., p. 36i, n« 2538 (374 du catalogue
actuel). — Charles de Linas, op. laud., vol. I, p. 225, pi. \ bis.
— M. Dieulafoy, op. laud., pi. XXII.
3. M. Chabouillet, op. laud., p. 469, n«» 2883 (3114 du nou-
veau catalogue). — Charles de Linas, op. laud., vol. II, p. 358.
— A. Odobesco, Coupe d'argent de la déesse Nana-Anat.
(Gazette archéologique, vol. X (1885), p. 286-296 et vol. XI
(1886), p. 5-15 et 70-86).
LES PLANTES DANS L»ART DES IRANIENS 135
bare*, contemporain de Tinvasion, si bien caractérisé
par M. Ferdinand de Lasteyrie ', il me faut dire un mot
au moins de quatre des pièces du célèbre trésor dé-
couvert, en 1837, à Pétrossa en Valachie : une tasse
octogone à deux anses, et une autre tasse dodécagone
analogue à la précédente, un grand plat et une patère
historiée \ Un fleuron central, tel que nous en avons
rencontré sur les monuments perses et assyriens*, con-
stitue Tornement principal du plateau et s'étend jusqu'à
la bordure ; celle-ci consiste en un chevronné courant,
« dont chaque triangle inscrit une sorte de feuille de
vigne côtelée qu'épousent des pampres" ». La patère
historiée, qui consiste en une écuelle circulaire, mon-
tée sur un pied très bas, est faite de deux lames épais-
ses en or, appliquées Tune sur l'autre; l'extérieure est
unie, l'intérieure est décorée d'une série de figures
ou d'ornements disposés en zones concentriques. Au
centre se dresse la statuette massive d'une femme
1. A. Odobesco, Le trésor de Pétrossa. Historique. Descrip-
tion. Étude sur Vorfèvrerie antique. Paris, 1889, in-fol., vol. I
(le seul paru malheureusement), p. 83. « Le trésor de Pé-
trossa prouve l'existence d'une industrie toute spéciale, prati-
quée soit directement par les Goths, soit par des ouvriers
étrangers à cette nation, mais travaillant pour l'usage et selon
le goût des Barbares. »
2. Ferdinand de Lasteyrie, Histoire de Vorfèvrerie depuis
les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Paris, 1875, in-12,
p. 67.
3. Dr. Fr. Bock, Dcr Schatz des Westgothenkônigs Athana-
rich. (Mittheilungen der K. K. Central Commission zur Er-
forschung und Krhaltung der Baudenkmale. Wien, vol. XIII
(1868), in-4, p. 105-120). — Charles de Linas, o/?. laud.y vol. 1,
p. 232 et vol. III, p. 292-293.
4. A. Odobesco, Le trésor de Pétrossa, vol. I, p. 212.
5. Dr. Fr. Bock, op. laud,, p. 108. — Charles de Linas, op.
laud., vol. III, p. 293."
136 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
assise sur un escabeau massif que décore un pampre ;
sur la première zone qui l'entoure est représenté un
berger couché dans l'attitude du sommeil ; un chien
repose à ses pieds et derrière sa tête on voit une pan-
thère que suivent deux ânes, un lion et un ânon. La
seconde zone beaucoup plus large, que sépare de la
première un double filet et une torsade, montre seize
personnages, entre lesquels grimpent ça et là des plan-
tes sarmenteuses, lierre et coloquinte. La troisième
zone, comprise entre une torsade et un filet de perles,
qui borde la coupe, est ornée d'une guirlande de vi-
gne conventionnelle, dont les pampres et les grappes
mordent par intervalles le champ de la seconde zone*.
Tout autre est la décoration des deux tasses ; des
fleurons cloisonnés en sont l'élément essentiel. Ainsi la
tasse octogone se compose d'un double rang de quatre
panneaux chacun, qui sont séparés par des traverses
gemmées et encadrent des rosaces ajourées, celles d'en
bas à huit, celles d'en haut à douze pétales ^ La tasse
dodécagone est composée de deux rangs, chacun de six
panneaux, disposés comme dans la tasse octogone ;
mais les rosaces massives à claire-voie n'ont toutes
que huit pétales. Un fleuron semblable décore de
plus le fond de la tasse ^.
Si les formes symboliques ou les ornements tirés du
1. Jules Labarte, Histoire des arts industriels au moyen âge.
Paris, 1872, in-4, vol. I, p. 333. — Charles de Linas, op. laud.,
vol. III, p. 298-301.
2. Dr. Fr. Bock, op. laud., p. 111. — Charles de Linas, op.
laud., vol. I, p. 233-234. — A. Odobesco, Le trésor de Pétrossa.
Atlas, pi. XI.
3. Charles de Linas, op. laud., vol. I, p. 234. — A. OdobescO)
op. laud. Atlas, pi. XII.
LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 137
monde végétal sont fréquents sur les monuments et
les objets d'art perses ou sassanides, ils sont rares,
au contraire, sur les monnaies ^ On n*en trouve même
guère que sur les monnaies frappées par les gouver-
neurs achéménides ou par les dynastes tributaires
des provinces occidentales de l'Empire. Ces orne-
ments ou ces symboles sont d'ailleurs analogues à
ceux dont j'ai signalé la présence sur les monnaies phé-
niciennes ou syriennes des derniers siècles': grappe
de raisin, épi, branche verdoyante. Par exemple, au
revers de plusieurs monnaies frappées à Soli en
Cilicie, les premières de 450 à 400, les deux dernières
de 400 à 360 avant notre ère, on voit une grappe de
raisin et une branche, qui semble être de laurier ou de
chêne vert^ Une monnaie, frappée à Tarse de 400 à
360 environ, présente au revers un épi barbulé *. Sur
des monnaies de Mazaios, également ciliciennes, mais
un peu plus récentes — elles datent de 361 à 333 — ,
est représenté au droit un buste d'Athéna, au revers
le demi-dieu Baaltars, assis et appuyé de la main
droite sur un long sceptre, surmonté d'une fleur de
lotus, tandis que dans le champ à gauche a été gravé
un épi et une grappe de raisin '^ ; sur l'une de ces mon-
1. T.-E. Mionnet, Description des médailles antiques, vol. V,
p. 641-648.
2. Les plantes dans Vantiquité et au moyen âge, vol. I, p.
444.
3. E. Babelon, Catalogue des monnaies de la Bibliothèque
nationale. Les Perses Achéménides, les satrapes et les dynastes
tributaires, Paris, 1893, in-4, p. 19-20, n°« 147, 148, 149, 150,
151 ; pi. m, 8, 9, 10, 11, 12. La branche de laurier ne se voit
que sur les n»« 148 et 149.
4. E. Babelon, op. laud., p. 17, n« 143; pi. IIÏ, 5.
5. E. Babelon, op. laud., p. 34-35, n" 245, 247, 250, 253,
254;pl. VI, 1, 2, 3, 4,
138 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
naies sont en outre figurées dans le champ à droite la
lettre B et une feuille de lierre*; sur une autre, c'est
Baaltars lui-même qui tient de la main droite Tépi et
la grappe de raisin ^ Deux monnaies de la même région
un peu plus anciennes, frappées par Datame de 378 à
372, représentent également Baaltars tenant encore,
sur Tune, de la main droite, sur l'autre, de la main
gauche, un épi et une grappe de raisiné Au-dessus de
son trône, sur la monnaie qui porte le n** 187, se
trouve de plus dessinée une fleur de lotus.
Ces ornements symboliques empruntés au règne vé-
gétal ne se rencontrent pas plus sur les monnaies des
Arsacides que sur celles des rois Achéménides ; car on
ne peut considérer comme ornement la couronne * ou
la palme ^ qu'une femme — la Victoire — présente au
Souverain parthe de la main droite, tandis que de la
gauche elle tient, soit une corne d'abondance®, soit
plus rarement une lancée Sur les monnaies des Sassa-
nides, ces emblèmes mêmes ont disparu, pour faire
place à l'autel du feu, qui se dresse au milieu du
revers en même temps que, dans le champ, sont figurés
le soleil ou une étoile et la lune ^
Les formes végétales, qui occupèrent une si grande
place dans la décoration des vêtements et des tapisse-
1. F. Babelon, p. 35, n° 253 ; pi. VI, 4.
2. F. Babelon, p. 35, n^ 256; pi. VI, 5.
3. F. Babelon, p. 25-27, n°« 193, 187 ; pl. IV, 18 et 15.
4. T.-E. Mionnet, op. laud., vol. V, n"» 33, 36, 40, 47,53, 59,
65, 67. 70, etc. ; vol. VIII, n«« 32, 57, 58, 59, 60, 62, 63, 65.
5. T.-E. Mionnet, op. laud., vol. V, n*»» 34, 37,38, 46, 48, 49,
56, 57 ; vol. VIII, no» 28, 46, 47, 48, 49, 76.
6. T.-E.Mionnet,o;?./aMrf.,vol. VIII,no«33, 34, 40,46, 57,etc.
7. T.-E. Mionnet, op. laud., vol. VIII, n«» 38, 47.
8. T.-E. Mionnet, op. laud., vol.V, n"« 30, 33, etc.
LES PLANTES DANS U POÉSIE DES IRANIENS 139
ries perses, ne durent pas jouer un moindre rôle dans
Tornementation de ces étoffes sous les Arsacideset les
Sassanides, mais l'absence de monuments contempo-
rains ne nous permet guère d'en parler que par induc-
tion. On rapporte que les généraux d'Omar trouvèrent
dans le palais de Ctésiphon une magnifique tapisserie
longue de 60 coudées et représentant un parterre, où
chaque fleur, formée de pierreries, s élançait d'une
tige en or pur*.
II
De même que le monde des plantes avait fourni aux
artistes de l'Iran les motifs de décoration les plus va-
riés, il dut aussi fournir à ses poètes des légendes et
des comparaisons nombreuses ; malheureusement la
vieille poésie iranienne est perdue pour nous ; « il ne
nous en reste qu'un débris sans grand charme,, les fa-
meuses Gàthas du Zend-Avesta, sermons rythmés d'une
morale irréprochable, remarque M.James Darmesteter*,
et qui offrait tout l'intérêt poétique d'un catéchisme ».
C'est dire qu'on ne trouve dans ce recueil rien de ce
qui fait la vie et la grâce de la poésie véritable. Plus
didactiques encore, les autres parties de TAvesta sont,
s'il est possible, moins poétiques que les Gâthas.
Il ne faut pas, en particulier, y chercher ces
images et ces métaphores que les écrivains hébreux
ont'si souvent empruntées au monde des plantes. Voici
cependant une comparaison tirée de la nature végé-
tale, qu'on rencontre dans le Vendidad '.
1. Charles de Linas, op. laud.^ vol. 1, p. 222.
2. Lex origines de la poésie persane. Paris, 1887, in-12, p. 3.
3. Fargard V, 2^i, 6. Le Zend-Avesta traduit par James
140 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
Autant Tarbre le plus haut couvre le frêle arbuste, ô Çpitama
Zarathushtra, dit Ahura-Mazda à son prophète, autant cette loi
ennemie des Daèvas, cette loi de Zarathushtra, est plus grande,
meilleure et plus belle que toutes les autres paroles.
Dans les écrits recueillis ou conservés parlesParses,
ces comparaisons sont plus fréquentes, si elles ne sont
pas plus poétiques ; je me bornerai aussi à en citer
une tirée du Bahman-yasht, et qui est remarquable au
moins par son caractère archaïque ^
0 seigneur du ciel et des mondes, dit Zartush — Zarathushtra
— à Ormazd — Ahura Mazda — j'ai vu la racine d'un arbre
où il y avait quatre branches. — La racine de Tarbre que tu
as vue et ses quatre branches, répond Ormazd, ce sont les
quatre âges qui se succéderont : l'âge d'or, l'âge d'argent, l'âge
d'airain et l'âge de fer.
Inutile de multiplier les exemples ; aucun ne nous
offrirait rien qui ressemble aux ingénieuses fictions ou
aux figures gracieuses que le spectacle de la nature
végétale a inspirées aux poètes de la Judée. Pour ren-
contrer quelque chose d'analogue, il faut descendre jus-
qu'en plein moyen âge ; mais alors images, métapho-
res, tirées du règne végétal, abondent dans les œuvres
des poètes persans. Roudagui lui demande ses ingé-
nieuses comparaisons; Saadi, Hafiz, Djami, ces « rhé-
toriciens de génie », trouvent dans son spectacle char-
mant des images qui embellissent leurs vers '. En fut-
il de même pour les contemporains des Achéménides ?
Darmesteter, vol. II, p. 74. (Annales du Musée Guxmety vol.
XXll).
1. Fr. Spiegel, Die traditionnelle Literatur der Parsen in
ihrem Zusammenhange mit den angrenzenden Literaluren.
Wien, 1860, in-8, p. 129.
2. James Darmesteter, op. laud., p. 6 et 11-28.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE DES IRANIENS , 141
La poésie de ces temps reculés emprunta-t-elle au
monde végétal des figures et des fictions analogues
à celles que les poètes du x* et du xi* siècle de notre
ère en ont tirées? Si nous Tignorons, nous savons du
moins que les plantes ont occupé dans les anciennes
légendes iraniennes une place considérable, et qui est
allée toujours en grandissant jusqu'aux derniers temps
de l'indépendance nationale.
CHAPITRE IV
LES PLANTES DANS LES LEGENDES RELIGIEUSES, DANS LE
CULTE ET DANS LA MEDECINE
I
A Torigine le dieu souverain — sanscrit Asura,
zend Ahura — des Indo-Iraniens n'était autre que le
ciel étoile, Varana -r- rOjpovd; des Grecs — qui,
faisant couple avea Mithra, la lumière, avait pour fils
réclair et pour épouses les eaux\ Hérodote affirmait
encore que les Perses adoraient « le cercle entier du
ciel »'. Mais depuis longtemps il n'en était plus ainsi.
Tandis que, chez les Hindous, Varuna, équivalent
sanscrit de l'indo-européen Varana, s'était effacé de-
vant Indra, chez les Iraniens, le mot varena ne servit
plus qu'à désigner le ciel matériel — , le « ciel aux
quatre angles » de la mythologie mazdéenne — , et
il avait fait place à Ahura — le Seigneur — , tout puis-
sant et très sage ou omniscient — mazda — , qui a
pour œil le soleil'. Ainsi se constitua le dieu suprême
1. James Darmésteter, Ormazd et Ahriman, Leurs origines
et leur histoire. Paris, 1876, in-8, p. 68.
2. Historiae, lib. 1, cap. 131.
3. « J'invoque le soleil aux chevaux rapides, œil d'Ahura-
mazda ». Yasna, Ha I, 34 (35). Le Zend-Avesta, traduction
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 143
des Iraniens — l'Aura mazda des inscriptions cunéi-
formes, l'Ahura mazda du Zend-Avesta, TOrmazd des
textes pehlvis, V 'OpcixijSy;; d'Aristote * — , qui, sous ces
différents noms, ainsi que le Zeus des Grecs et le Ju-
piter des Latins, est invoqué comme le créateur et Tar-
bitre de l'univers '.
Un Dieu puissant est Auramazda , disent les inscriptions de
Darius et de Xerxès', il a créé le ciel, — il a créé la terre,
— il a créé Thomme, — il a donné à l'homme le bonheur.
Je suis le Gardien, je suis le Créateur et le Conservateur.
— Je suis celui qui sait, je suis l'esprit bienfaisant. — Je me
nomme le Guérisseur... Je me nomme le Seigneur (Ahura), je
me nomme le sage (Mazda).
Ainsi parle le dieu lui-même à Zarathushtra — Zo-
roastre — dans le Zend-Avesta*. Et ailleurs* :
C'est par moi que subsiste dans sa nature céleste le firma-
ment, aux limites lointaines... par moi la terre, qui porte les
êtres matériels... par moi le soleil, la lune, les étoiles pro-
mènent dans l'atmosphère leur corps rayonnant... C'est moi
qui ai fait les nuages, qui portent Teau à ce monde et font
tomber la pluie où il leur plait ; moi qui ai fait Tair qui monte
et descend... Toutes ces choses, c'est moi qui les ai faites.
nouvelle avec commentaire historique et philologique ^bt James
Darmesteter, vol. I, p. 1 4. (Afinales du Musée Guimet, vol. XXI).
1. Plutarque, J)e Iside et Osiride, cap. 46, lui donne le nom
d"OpO{xa^7]ç.
2. Fr. Spiegel, Er/tnische Aller thumskunde, vol. II, p. 25. —
J. Darmesteter, The Zend-Avesta, Sacred books of Ihe East
translated, vol. IV. Introduction, p. 58.
3. Fr. Spiegel, Die altpersischen Keilinschriflen. Leipzig,
1862, in-8, p. 45, 49, 55, etc. — Joachim Menant, Les Aché-
ménides et les inscriptions de la Perse. Paris, 1872, in-8,
p. 44, 47, 53, 81.
4. Yasht 1. — Ormazd Yashl, 12, 13, 15. (Le Zend-Avesta,
vol. II, p. 337, 339).
5. J. Darmesteter, Ormazd et Ahrimati, p. 19.
lU LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
C'était aussi surtout comme Dieu créateur et bienfai-
sant qu'Âhura Mazda était invoqué par ses adorateurs.
Avant de manger le pain consacré — datiin — , le
zaotar ou prêtre disait en prenant l'eau des libations * :
Nous sacrifions à Ahura Mazda, qui a créé le bien — y(uha
— , qui a créé les bonnes eaux et les bonnes plantes; qui a créé
la lumière, qui a créé la terre et tous les biens.
S'il a créé le monde, Ahura Mazda toutefois ne le
gouverne pas seul ; au-dessous de lui, la mythologie
mazdéenne avait placé six génies « immortels et bien-
faisants », les Amesha-Çpentas — les Amshaspands des
textes pehlvis — , omniscients comme Ahura, comme
lui habitant la lumière infinie, regardés même parfois
comme ayant pris part à l'acte de la création, espèce
d'incarnation ou de dédoublement des facultés sou-
veraines d'Ahura, et dont chacun veille sur une
partie de l'univers et aide le dieu suprême à y main-
tenir l'ordre et la paix*. Mais Ahura Mazda ne règne
pas sans opposition avec les Amshaspands ; en face do
lui, « l'esprit du bien » par excellence — Çpenta
mainytt, — se dresse « l'esprit destructeur » —
Angra maijiyu — , l'Ahriman des écrivains pehlvis,
r 'Ap£'.[ji.avio; de Plutarque — principe du mal avec le-
quel il est en lutte perpétuelle.
Les plantes, ainsi que tous les autres êtres, 'étaient
soumises à Ahura Mazda et aux Génies qui gouver-
nent le monde avec lui. Comme Jahvé, au troisième
1. Yasna, Hà 5 (JSrôsh Darûn), 1, et Hà 37, 1.
2. Fr. Spiegel, Erânische Allerthumskundey vol. II, p. 28. —
J. Darmesteter, Ch'mazd et Ahriman, p. 39-43. — Ibid., The
Zend-Avesla. Introduction, p. 60. — M. Bréal, Le Zend-Avesla,
(Journal des savants, janvier 1894, p. 6-7).
LES PUNIES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 145
jour, créa « les plantes verdoyantes avec leur se-
mence » et « les arbres avec des fruits chacun selon
son espèce », Ahura Mazda a appelé à la vie le règne
végétal. L'Avesta l'invoque comme celui « qui a créé
les bonnes eaux et les bonnes plantes » ^
C'est moi, dît-il dans le Bundehesh^, qui ai organisé les
grains de telle sorte que, semés en terre, ils poussent, gran-
dissent et sortent au dehors; c'est moi qui ai tracé leurs veines
dans chaque espèce déplantes, moi qui dans les [plantes et les
autres herbes ai mis un feu qui ne les consume point.
Mais si Ahura Mazda les a créées, c'est Tamshas-
pand Ameretât, le génie de l'immortalité, qui conserve
et gouverne le monde des plantes ', comme c'est
Haurvatât, l'amshaspand de la santé ^, qui règne sur
les eaux.
Le Bundehesh nous montre* Amerôdad — Ame-
retât — , (c le maître de la végétation », broyant en
petits morceaux les plantes desséchées, les mêlant
avec de l'eau, dont s'enapare Tishtar et qu'il répand
sur toute la terre. Et la terre se couvre de plantes.
A la conception si simple de la création des plantes
par Ahura Mazda les traditions postérieures en mêlè-
rent d'autres obscures ou symboliques. Le Bundehesh
rapporte qu'après la mort du premier taureau cinquante-
1. Hâ37. — Yasna Hapianhâiti 3, 1.
2. J. Darmesteter, Ormazd et Ahriman, p. 19.
3. Fr. Spiegel, Erânische Aller thumskunde, vol. II, p. 39. —
J. Darmesteter, HaurvcUâf et Ameretâf. Eêsai sur la mytholo-
gie de VAvesta. Paris, 1875, in-8, p. 15-56.
4. Plutarque, De Iside et Osiride, cap. 46, en fait le « Dieu
de la richesse ».
5. The Bundahish, chapt. ix, 2. {Pahlavi Texts translated by
E.-W. West. Oxford, 1880, in-8, vol. I, p. 31).
JoRBT. — Les Plantes dans Vanliquité. II. — 10
146 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
cinq espèces de plantes alimentaires et douze espèces
de plantes médicinales sortirent de chacun de ses
membres *■ ; des cornes naquirent les pois ; des na-
rines, l'ail ; du sang, la vigne ; des poumons, la rue ; du
milieu du cœur, le thym, et ainsi de suite '.
Leur origine surnaturelle, la protection qu'exerçait
sur elles un amshaspand, les vertus qu'on leur attribuait,
assignaient par avance aux plantes une place dans les
légendes mazdéennes. Chaque fleur fut consacrée à un
génie particulier' ; ainsi le jasmin blanc fut dédié à
Vohu-Manô, le myrte à Ahura Mazda lui-môme, le
lis à Haurvatât, la rose anx cent feuilles fut la fleur
de Din, l'églantine celle de Rashnu, etc. D'après une
tradition *, Ahura plaça l'esprit ou l'âme du prophète
dans un arbre qui croissait au plus haut des cieux, et
qu'il transplanta ensuite sur le sommet d'une mon-
tagne de l'Aderbeidjan. Le ciel, comme la terre, avait
sa flore, type mythique de la flore terrestre. Des dif-
férentes régions dont se compose le Paradis, suivant
le Dabistan^ les végétaux appartiennent à la seconde;
deux arbres entre tous s y font remarquer, le platane
et le cyprès. Zoroastre, raconte-t-on •, avait rapporté
deux branches de ce dernier et les avait plantées,
l'une devant ITitash-gâh ou pyrée de Kichmer, l'autre
1. The Bundahinh, chapt. x, 1. — Ferdinand Justi, Der Bun-
dehesh. Leipzig, 1868, in-^, p. 11.
2. The Bundahish, chapt. xiv, 2.
3. The Bundahish y chapt. xxvii, 24.
4. Fr. Spiegel, Erânische AUerthumskundey voL I, p. 688.
5. The Dabxstan or School of matiners, translated from the
original Persian by David Sea and Anthony Troyer. Paris,
1843, in-8, vol. I, p. 150.
6. Le Farhangi'Jihângtri, cité par Hyde, Historia reli-
gionis veterum Persarum. Oxonii, 1760, in-8, p. 332.
LES PUNTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 147
dans un village du Khorâsan, elles y donnèrent bien-
tôt naissance à deux arbres puissants. Une autre tra-
dition ^ rapporte que Zoroastre avait aussi planté à
Kicbmer un cyprès, dont elle n'indique pas d'aiUeurs
la provenance ; mais elle ajoute que, ce cyprès étant
devenu grand, on construisit sur ses branches un pa-
lais merveilleux de quarante coudées de haut et de
large. Gushtap s'y retira pour de là s'élever au ciel
quand son heure serait venue. Toutefois ces légendes
sont récentes et ne prouvent point, comme Ta cru La-
jard *, que le cyprès eût été, chez les anciens Iraniens,
l'objet d'une vénération particulière '.
Les plantes prirent place aussi dans l'histoire primi-
tive et mythique du genre humain ; le premier couple,
Mashya et Mashyana, serait né sous la forme d'un
pied de rhubarbe — rîvâs — , garni de quinze feuilles,
et n'aurait pris que peu à peu sa forme définitive*.
D'abord adorateurs fidèles d'Ahura Mazda, Mashya et
Mashyana se corrompirent par la suite ; ils dédai-
gnèrent la nourriture végétale dont ils s'étaient jus-
que-là contentés, se repurent de lait, puis ayant tué
une brebis, en mangèrent la chair, après l'avoir fait
cuire au feu, qu'un génie leur apprit à faire avec du
1. Tirée du Muntekhab-el-lewarik, cité par Anquetil-Duper-
ron. Zend'AveHa. Paris, 1771, in-4, vol. J, 2, p. 46.
2. Recherches sur le culte du cyprès pyramidal, p. 128-131.
(Mémoires de l* Académie des inscriptions, vol. XX (1854), 2«
partie).
3. Fr. Spiegel Ta nié formellement et a supposé, ce qui
parait peu vraisemblable, que le cyprès de Kicbmer était pro-
bablement un tout autre arbre, un figuier religieux. Erànische
Allerthumskunde, vol. I, p. 258 et 703.
4. The Bundahish, chapter xv, 2. — Windischmann, Zoro-
astrische Studien, p. 212.
148 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
bois de konâr — le faux lotus — et de myrte, des
feuilles de palmiers et des herbes sèches*. Désormais
eux et leurs descendants furent en butte aux attaques
des démons. Sous le règne de Yima, le fondateur de
la civilisation, le premier organisateur deThumanité, il
n'y avait eu pendant mille ans, « ni froid, ni chaleur, ni
vieillesse, ni mort, père et fils marchaient dans la taille
d'un jeune homme de quinze ans ». Mais au bout de ce
temps tout changea et Tinâuence funeste d*Ahriman se
fit sentir dans le monde. Âhura Mazda annonça à
Yima le châtiment réservé aux hommes, avec le
moyen d'y échapper.
Beau Yima, lui dit-iP, voici que sur le monde des corps
vont fondre des hivers de malheur, apportant le froid dur et
destructeur... Des hivers de malheur, qui feront tomber la
neige à gros flocons, à Tépaisseur d'une aredvi^ sur les mon-
tagnes les plus hautes... Fais-toi donc un var, long d*une
course de cheval sur chacun des quatre côtés... Tu y appor-
teras les germes de toutes les plantes, les plus hautes et les
plus parfumées^ ...Tu y apporteras les germes de tous les
fruits, les plus savoureux et les plus parfumés' qui soient sur
cette terre.
C'est de ce var, demeure mythique de Yima, qui
fait songer à la fois à l'arche de Noé et au Paradis
terrestre, que sortira l'humanité nouvelle, appelée à
1. The Bundahish, chapter xv, 10-15. — Fr. Spiegel, Erâ-
nUche AUerthumskunde, vol. I, p. 512, dit un <c bélier ».
2. Vendidad. Fargard H, 22 (46), 25 (61), 27 (70) et 28 (7i).
Le Zend'Avesta, vol. II, p. 24-26.
3. Un pied.
4. « Les plus hautes, comme le cyprès et le platane ; les
plus parfumées, comme la rose et le jasmin », dit le commen-
taire.
5. « Les plus savoureux, comme la datte ; les plus parfumés,
comme le citron », dit encore le commentaire.
J
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 149
remplacer Tàncienne humanité détruite par l'hiver et
les neiges.
Le platane, le cyprès et la rhubarbe n'ont revêtu
qu'assez tard un caractère mythique ; il en est tout au-
trement d'une plante sacrée, objet, dès l'époque arienne
primitive, d'un culte qui ne fit que se développer dans
la suite : le haoma des Iraniens et le soma des Hin-
dous*. Cette plante, le chef ou ratu du monde végé-
tal, a donné naissance à une longue série de mythes,
où elle apparaît tantôt comme l'arbre, qui porte les
semences de toutes les espèces végétales, tantôt
comme l'arbre qui renferme tous les remèdes ^
Les eaux coulent purifiées de la mer Pùitika à la mer Vou-
ru-kasha vers Tarbre bien arrosé — Hvâpa —_, dit Ahura dans
le Vendidad^; là croissent toutes mes plantes, de toute espèce,
par centaines, par milliers, par dizaines de mille. Et ces plantes
je les laisse tomber dans la pluie, moi, Ahura Mazda, aliment
pour le fidèle, herbage pour le bœuf bienfaisant.
Dans le Rashn Yasht*, il est question de « l'arbre de
l'Aigle » — çaêna — , qui se dresse, lui aussi, au centre
de la mer Vouru-kasha,« l'arbre aux bons remèdes, aux
hauts remèdes, l'arbre de tous remèdes — Vîçpôbish — ;
l'arbre sur lequel sont déposés les germes de toutes
les plantes — Viçpôtaokhma — ». Cette dernière phrase
prouve l'identité de l'arbre de tous remèdes et de
l'arbre de toutes semences, identité qui se retrouve
1. Adalbert Kuhn, Die Herahkunft des Feuera und des Gôt-
tertranks. Berlin, 1859, in-8, p. 118.
2. J. Darmesteter, Haurvatât et Ameretâf, p. 55, note 4.
3. Fargard V, 19 et 20 (56-60). (le Zend-Avesta, vol. II, p.
72-73).
4. Yasht XII. Rashn Ya^ht, il. {Le Zend-Avesta, vol. II, p.
495).
150 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
également dans le Minôkhard, encore qu*ll donne au
premier le nom de « Chasse-mal » ou « qui repousse
la soufiFrance » — Jad-bésh^, — Mais on ne peut guère
douter que cet arbre Jad-bhh ne soit le même que
l'arbre Hvdpa, représenté comme croissant, avec des
centaines, des milliers et des dizaines de mille de
plantes, dans la mer Vouru-kasha. Or le vingtième far-
gard du Vendidad ' nous montre ces plantes, regar-
dées comme guérissantes, « poussant autour de Tunique
Gaokerena». C'est là sans doute simplement un autre
nom du même arbre mythique, c'est-à-dire, nous le
verrons, du haoma blanc ou haoma céleste '.
Si on continua d'identifier l'arbre de tous remèdes
et l'arbre de toutes semences, on les distingua, au con-
traire, de l'arbre gaokerena ou du haoma.
Dix mille espèces de plantes médicinales et cent mille es-
pèces de plantes ordinaires sont sorties, lit>on dans le Bunde-
hesh% des semences de Tarbre opposé au mal, de l'arbre aux
nombreuses semences, qui se dresse dans le vaste océan.
Lorsque les semences de toutes ces plantes sont nées sur cet
arbre, un oiseau Ten dépouille et mêle toutes ces se-
mences dans Teau; Tishtar les saisit et les répand avec
Teau de pluie sur toutes les régions. Â côté de cet arbre,
le Hôm blanc, guérissant et pur, croit près de la source
Arêdvîvsûr; quiconque en mange devient immortel; on l'ap-
pelle l'arbre Gôkard — Gaokerena — parce que le Hôm —
Haoma — éloigne la mort... et il est le chef ou maître des
plantes.
Dans uii autre passage du même recueil ^ le Gôkard —
1. Ap. J. Darmesteter, Haurvatât et Ameretât, p. 55, note 1.
2. 4 (15), Le Zend-Aveêta, vol. H, p. 278.
3. Voir sur ces deux arbres mythiques Fr. Windischmann,
Zoroastrisehe Studien^ p. 165-170.
4. The Bundahish, chapt. xxvn, 2-5.
5. The Bundahish, chapt. ix, 5-6.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 15i
Gaokerena — est représenté aussi comme croissant
près de Tarbre d'où sont sortis tous les germes des
plantes ; mais c'est lui et non ce dernier qui fournit les
remèdes contre les maladies, et d'où est issu ce qu'il
y a de perfection en ce monde. Quant à la légende de
la dispersion des semences , elle est complétée par le
récit du Mînôkhard. Sur l'arbre qui les porte toutes et
qui repousse la souffrance, y lit-on *, « est le siège de
l'oiseau Çînamrû ; quand il se lève mille branches
poussent à l'arbre ; quand il se pose, il brise mille
branches et en disperse les graines. Mais dans le voi-
sinage de Çînamrû est perché l'oiseau Cafimrôsh »,
qui recueille les graines .dispersées de l'arbre Jad-bêsh
et les porte à Tîshtar, pour que celui-ci les prenne
avec les eaux et les fasse tomber dans le moude.
Symbole de vie et d'immortalité, l'arbre Gaokerena
ou le Haoma devait faire ombrage à Arigra Mainyu ;
il créa, dit-on', dans la profondeur des eaux, une gre-
nouille pour lutter contre lui et le détruire. Mais
Âhura Mazda créa à son tour les poissons Karay qui
nagent sans cesse auprès de l'arbre saint, la tête tour-
née vers la grenouille.
La légende du haoma prit encore une autre forme ;
cette plante mythique fut personnifiée. Le dix-septième
Yasht' nous la montre sous la forme d'un jeune homme,
« plein de vigueur, guérisseur habile, beau souverain
1. Livre LXII, 37 et 40-42. Ap. J. Darmesteter, le Zend-
Avesta, vol. Il, p. 495, note 26.
2. The Bundahish, chapt. xviii, 2-3. tr. West, dit un lézard
et dix poissons Kara. Cf. J. Darmesteter, Le Zend-Avesta, vol.
II, p. 279, note 18. D'après le Yasht XIV, 29, le poissson Kara
distingue un repli d'eau de Tépaisseur d'un cheveu.
3. Ashi ou Ard Yaikt, VI, 37. (Le Zend- Avesta, vol. II, p.
606).
152 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
aux yeux d'or, sur le sommet le plus élevé du mont
Haraiti », sacrifiant aux dieux et implorant leur fa-
veur. Puis par un autre avatar, cette plante-homme,
nous apprend le deuxième sîrdza, « prière des trente
jours » \ devient une plante-Dieu, à laquelle les
croyants adressent leurs hommages et ofirent des sa-
crifices, comme à Âhura Mazda lui-même et aux Ams-
haspands :
Nous sacrlâons à Ameretât, Amesha Çpefita... Nous sacri-
fions au Gaokerena puissant, créé par Mazda... Nous sacrifions
à la lumière infinie et souveraine... nous sacri6ons au blond
et grand Haoma; nous sacrifions au vivifiant Haoma, qui fait
croître le monde ; nous sacrifions à Haoma, qui éloigne la mort.
Dans le premier Yasht *, consacré au Haoma, on
voit la plante-Dieu apparaître à Zoroastre au moment
où celui-ci vénéra le feu : « Qui es-tu, ô homme », lui
demande le réformateur ', « toi qui de tout le monde
des corps es la plus belle créature que j'aie jamais
vue avec ton air d'immortel ? » Et Haoma répond : « Je
suis le saint Haoma, qui éloigne la mort ; prends-moi,
ô Çpitâma, prépare-moi pour me boire ; chante en mon
honneur des chants de louange ». Et comme Zoroastre
continue de l'interroger, Haoma lui révèle Thistoire
du culte que lui ont rendu les ancêtres. Alors le pro-
phète frappé d'étonnement et d'admiration, entonne
un hymne en l'honneur du Dieu Qt implore son appui.
1. Jour 7 et 30. (Le Zend-Avesta, vol. II, p. 324 et 330).
2. Les Yasht, dit Anquetil-Duperron. {Zend-Avesia, vol. II,
p. 699), sont a des prières accompagnées d'une bénédiction effi-
cace, en forme d'éloges, qui présentent les principaux attri-
buts des esprits célestes ».
• 3. Ya8na9. — Nom Yasht, 1,27. Le Zend-Avesta, vol. I, p.
8'i, et vol. II, p. 642.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 153
Prière à Haoma^ Haoma est bon; Haoma est bien créé, il
est créé juste; il est créé bon et guérisseur. Il est beau de
forme, il veut le bien, il est victorieux. De couleur d'or, de tige
flexible, il est excellent à boire et le meilleur des viatiques
pour l'âme. 0 Haoma, je te demande la sagesse, la force et la
victoire; la santé et la guérison, la prospérité et la grandeur;
la force de tout le corps et la science universelle.
Et poursuivant sa prière, Zoroastre demande tour à
tour au dieu * : « le Paradis des Justes, la santé du
corps, longueur de vie », avec la grâce de vivre satis-
fait sur cette terre, « fort et prospère, enfin victorieux
de la malfaisance et le premier à voir les voleurs » .
Ce culte rendu à Haoma n'était pas un privilège qui
lui fût exclusivement réservé, il s'adressait, quoique
à un moindre degré, à toutes les plantes ; c'est que
pour les Iraniens les plantes étaient des êtres doués
de vie, conscients, actifs; elles accompagnent Mithra,
quand il lance son char contre les infidèles ; elles
ont tressailli de joie à la naissance de Zoroastre',
et dans le grand combat, dit M. James Darmesteter *,
que les créatures du bien soutiennent contre les créa-
tures du mal, elles luttent avec les eaux contre la ma-
ladie et la mort, et sont ainsi les auxiliaires des génies
de la santé et de l'immortalité : comment s'étonner
dès lors que, comme aux eaux, on leur rendît un culte!
« Nous sacrifions à toutes les eaux saintes, créées
par Mazda », disent les Yaçnas^; « nous sacrifions
à toutes les plantes saintes, créées par Mazda ».
i. Yasna 9. — Nom Yashi, I, 16 (48) et 17 (54).
2. Hom Yasht, I, 19-21 (64-69).
3. Ycuht 13. — Farvardin Yasht, 93. (Le Zend-Avesla, vol.
II, p. 529).
4. Haurvatât et Ameretât, p. 56.
5. Ha VI, M (39). Le Zend-Avesta, vol. I, p. 67.
151 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
Cette vénération dont les plantes étaient l'objet
est un des traits les plus frappants de la religion
mazdéenne, et il s'en est conservé jusqu'à nos jours un
souvenir inconscient dans l'Iran. Hérodote raconte*
que Xerxès, ayant aperçu sur la route de Sardes un
platane d'une beauté remarquable, y suspendit un col-
lier d'or en signe de respect, et le confia à la gardé
d'un « Immortel », c'est-à-dire, à l'un des pupilles de
l'amshaspand Ameretât*, que le grand roi vénérait
ainsi dans une de ses productions. Et nous savons
par le témoignage des voyageurs que les Persans, tout
musulmans qu'ils sont devenus, ne manquent point,
s'ils rencontrent quelque vieil arbre sur leur chemin,
d'attacher à ses branches des chapelets, des amulettes
ou même des morceaux de leurs vêtements. Ils vont
aussi faire leurs prières à l'ombre de ces « arbres ex-
cellents » — dirakht'i-fâzil — , comme dans un lieu
sainte C'est pour une raison analogue que certains
arbres : micocouliers, peupliers, etc., sont plantés
souvent auprès des sanctuaires iraniens *.
Si les plantes étaient ainsi chez les Iraniens l'objet
1. Ilistoi'iae, lib. VII, cap. 31.
2. « La légion des immortels était la légion consacrée à
Tarnshaspand de l'Immortalité, Ameretât ». J. Darmesteter,
I/aurvatât et Ameretât ^ P- 52, note 5.
3. Chardin, Voyage en Perse. Amsterdam, 1735, in-4, vol. II,
p. 200. — W. Ouseley, TraveU in various countrtes of the Easty
more particularly Persia. London, 1819, in-4, vol. I, p. 313 et
371-376.
4. Aitclrison, Notes onproducts, p. 35, 162, etc.
LES PLANTES DANS LE CULTE 155 \
d'une vénération particulière, elles prenaient place
aussi, et une place considérable, dans le culte qu'on
rendait aux Dieux et aux Génies. Elles fournissaient
le bois qu'on brûlait en leur honneur, les rameaux liés
en faisceau que le zaotar ou prêtre tenait dans sa main en
les invoquant ; enfin c'était à la plus vénérée d'entre
elles, au hôm ou haoma, qu'on demandait le jus pré-
cieux et salutaire, dont la consommation constituait la
partie principale du sacrifice. Quelle était cette plante,
équivalent iranien du soma indien? M. Darmesteter,
qui dit que ce dernier est, de nos jours, extrait de
VAsc/epias acida\ n'a indiqué ni le nom, ni le carac-
tère de l'espèce végétale d'où l'on extrait le haoma,
bien qu'il en ait donné une représentation *. On a sup-
posé, mais sans citer aucun texte à l'appui de cette as-
sertion, qu'on exprimait le haoma du psoralier à feuilles
de coudrier*. On regarde aussi, paraît-il, VEphedra
pachyclada comme aypnt été le haoma, et les Parsis
de Bombay le brûlent, en guise d'encens, dans leurs
sanctuaires *. Anquetil-Duperron affirme, d'après le
Farhangi Jihângîri, que le hom est un arbuste, qui
ressemble à la bruyère, dont les nœuds sont très rap-
prochés et les feuilles analogues à celles du jasmin ^ Il
ajoute qu'il croît dans le Chirvan, leGhilan, leMazan-
1. Ormazd et Ahriman, p. 99, note 3.
2. Le Zend-Avesta^vol. I, pi. 2.
3. Psoralea corylifolia. Cette légumineuse, que ne connaît
pas la Flora orientalù, est, dit-on, prescrite contre la lèpre.
Dictionnaire de Larousse, s. v. Hom. La Psoralea bituminosa
sert à préparer une boisson fermentée, d'après Bâillon, Dic-
tionnaire de botanique, vol. III, p. 656.
4. Aitchison, Notes on producls, p. 65.
5. Zend-Avesta, ouvrage de Zoroastre. Paris, 1771, in-4, vol.
II, p. î>35.
156 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
déran et les environs d'Yezd. Aujourd'hui, a-t-on dit ',
les Parsis de Tlnde font venir du Kirman les rameaux
dont ils extraient le haoma. D'après TAvesta, cette
plante vénérée, « au beau corps, aux jaunes couleurs,
aux tiges ployantes et excellente à manger », croît sur
les montagnes*; mais c'est tout ce que nous en apprend
ce texte sacré.
Quoi qu'il en soit de la nature et du nom véritable
de la plante qui produisait le haoma, la préparation
et la consommation de ce breuvage sacré étaient chez
les Perses, et sont encore chez les Parsis, précédées
de cérémonies préliminaires — le paragra —, dans
lesquelles les plantes jouent un rôle important. Tout
d'abord le zot ou zaotar — le prêtre ou officiant —
choisit sur un arbre propice les tiges du barsom — ba-
remian — ^; puis après les avoir dépouillées de leurs
feuilles et de leurs nœuds, il les lave trois fois dans
l'eau pure ; il en retranche ensuite l'extrémité et les
coupe près du tronc ; puis il les dépose sur un support
— mâhrû — , formé d'une tige métallique, terminée
par un croissant.
Cette première opération terminée, le zot s'approche
d'un dattier, planté près d'un puits dans la cour du
temple, en lave et coupe une feuille, d'après le même
rite que pour les tiges du barsom ; puis il la déchire en
1. Fr. Spiegel, Erânische AUerthumskunde, vol. III, p. 572.
2. « 0 Haoma, tu pousses sur la montagne. » Yasna. Hâ 10, 4.
Le Zend-Avesta, vol. I, p. 99.
3. J. Darmesteter, Le Zend-Avesta. Introduction, p. 73.
« Descends vers les arbres qui croissent, ô Çpitama Zara-
thrushtra, et devant l'un d'entre eux, beau, de haute crois-
sance et puissant, prononce ces paroles : Hommage à toi, bel
arbre, créé par Mazda et saint », dit Ahura Mazda dans le
Vendidad. Fargard XIX, 18 (60).
LES PLANTES DANS LE CULTE . 157
six bandes qu'il noue bout à bout, et dépose Vevanghin
— aivyâohhanem — ainsi formé dans un vase, placé sur
une espèce d'autel ou table de pierre — Vurvts — .
Le prêtre s'avance alors vers un grenadier, qui doit
lui fournir Vurvardm, en lave diverses tiges, les dé-
tache du tronc et les place sur Turvis ; puis, après
s'être procuré le lait — jivâm — , nécessaire à la
préparation du liquide sacré, et avoir rempli d'eau pure
— zôhro\i zoathra — les coupes des libations, il lie
avec Tevanghin le barsom, le lave, le remet sur le
mâhru et dépose au pied de celui-ci l'urvarâm*.
Prenant ensuite les tiges de hôm, le prêtre les lave
dans la coupe à zohr, en met trois brins sur le mortier
— hdvan — et dépose les autres au pied ; après quoi il
découpe Turvarâm, et en prononçant les paroles sacra-
mentelles : « Nous offrons ce Hôm, pieusement pré-
paré^ », il introduit dans le mortier le hôm et Turvaràm ;
puis il les broie, en faisant tourner trois fois le pilon
dans le hàvan et en prononçant ces mots* : « Bonheur à
celui qui est saint de la sainteté suprême!... Voici les
Haomas âltrés, ô Mazda, Kshathra, Âsha, ô Maîtres 1 »
Après quoi il verse au-dessus du filtre, placé sur le
hâvan, trois gouttes d'eau et le jivâm, en disant^ :
Je me déclare adorateur de Mazda, disciple de Zarathrastra,
ennemi des Daôvas, sectateur de la loi d'Ahura... olTrant sacri-
fice, prière, réjouissance et glorification aux génies des veilles^
des jours, des mois, des fêtes de saison et des années.
Ce n'est pas la seule prière que le zot prononce pen-
1. J. Darmesteter, Le Zend-Avesla. Introduction, p. 75.
2. Yasna. Hà 25. Le Zend-Aveslay vol. I, p. 190.
3. Ywma, Hà 27, 5 et 6. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 200.
4. Yasna. lia 27, 11. Le Zend-Àvesta, vol. I, p. 202.
158 LES PUNTES CHEZ LES IRANIENS
dant la préparation de la liqueur sacrée — le para-
haoma — ; le Hâ 33 en renferme une autre plus étendue
qu'il récite, comme la première, en broyant le hôm et
rurvarâm ; je la donne ici à cause de son caractère
religieux.
J'appelle Graosha à mon secours à l*heure où viendra la
grande affaire' : fais-nous atteindre Tempire de Vobu Manô^
toute la durée de la longue vie ; (fais-nous atteindre) par la vertu
les voies pures où demeure Mazda Ahura. — Moi, le zaotar, sain-
tement pur, j'appelle (les dieux) du paradis; pour cela Vohu
Manô viendra m'aider, quand s'accomplira l'oeuvre projetée ^ ;
car il est deux choses que je désire de toi, ô Ahura Mazda, te
voir et t'entretenir. — Je viens à vous : que votre bouche m'en-
seigne, ô Mazda, les choses excellentes; les choses que les très
purs proclament par Asha et Vohu Manô, faites apparaître
pour nous les dons que demandent nos prières! — Faites-moi
connaître votre loi, afin que je marche en Vohu Manô: le sacri-
fice, ô Mazda, dû à un dieu tel que vous et les paroles de
louanges qui vous sont dues, ô Âsha ! Donnez-moi la force
dWmeretàt et les festins de Haurvatât. ...Tous les biens du
monde, venus du passé, venant du présent ou à venir, ô
Mazda, qu'il te plaise de nous les donner! Puissé-je aussi gran-
dir en bonne pensée, en pouvoir, en sainteté et en bien-être
du corps.
Après cette prière le zôt jette dans le filtre le hôm
et Turvarâm qu'il vient de piler; il verse ensuite le
djivâm et le zôhr dans le hâvan et du hâvan dans le
filtre; puis il presse entre les doigts le hôm et Turva-
ram et en fait couler la sève dans la coupe à parahôm *,
en prononçant une dernière prière.
1. La résurrection. J. Darmesteter, Le Zend-Avesta^ vol. I,
p. 245, note 19. Çraosha protège l'àme des justes à la mort.
2. Le premier des Amesha-Çpentas, « la Bonne Pensée »,
celui qui veille sur les troupeaux.
3. Encore la résurrection.
4. Yasna. Hâ XXVII, 7-9 et XXXIII, 10-12. Le ZetidAvesta,
vol. I, p. 201 et 247.
LES PLANTES DANS LE CULTE 159
Le breuvage sacré, qui, par sa composition, a con-
centre en lui les. qualités des eaux, des plantes et de la
vie animale^ », est prêt maintenant à être consommé;
mais le sacrifice n*est pas pour cela terminé : il manque
encore, pour qu*il soit complet, les fumigations qui en
accompagnent les différents ^ctes, la consommation de
Toffrande solide — myazda — et les libations ofiertes
à la divinité des Eaux. C'est le râspi, l'auxiliaire du
zôt, qui accomplit les fumigations ; à chacune des céré-
monies dont l'ensemble compose le sacrifice, il jette de
l'encens sur le feu'; celui-ci, entretenu sur un autel
particulier, est alimenté par des bois odoriférants',
œuvre pie qu'Atar lui-même — le dieu du feu — recom-
mande à ses fidèles^. Chaque fois que le râspi y répand
de l'encens, le zôt prononce une prière appropriée à la
cérémonie. Il y en a même une toute particulière et
fort longue, l'Atash nyâyish — « la Prière du feu ^ » — ,
qu'ils récitent de concert dans la partie du sacrifice
consacrée à l'adoration du feu. Les paroles par lesquelles
s'ouvrent le hâ 10 du Hôm yasht2', prononcées au mo-
ment où le râspî jette de l'encens sur le feu : « Qu'ils
s'enfuient d'ici ! Que s'enfuient les Daêvas et les ado-
1. Michel Bréal, Le Zend-Avesta, p. 5. (Journal des savants,
décembre 1893).
2. Yasna. Hàs VIII, IX, XI, LI, LXXII.
3. Les Parsis de l'Inde brûlent aujourd'hui du bois de santal
sur Tautel du feu.
4. « Maître de la maison, lève-toi, lave tes mains, va prendre
du boÎH, apporte-le-moi, fais flamber en moi du bois bien pur. »
Vendidad, Fargard XVIII, 19 (14). « Alors », dit un fragment
du Rivàyat, « le feu d*Ahura satisfait, bien ra&sassié, le
bénit ». Le Zend-Avesta, vol. III, p. 11. (Annales du musée Gui-
met, vol. XXIV).
5. Yasna, Hâ LXII, Le Zend-Avesta^ vol. I, p. 386.
6. Hôm Yasht 2, i. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 98.
160 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
rateurs des Daèvas ! » montrent quelle était la signi-
fication symbolique des fumigations.
L*ofifrande solide ou myazda est représentée par les
darûnsy petits pains azymes ronds et aplatis. Le râspi
debout, tourné vers le couchant, met sur le feu de l'en-
cens et, debout à la gauche du zôt, il dit : « Mangez ce
myazda, ô hommes, si vous vous en êtes rendus dignes
par votre vertu et votre piété* », paroles par lesquelles
il invite tous les fidèles à consommer le darûn et à
participer à cette communion symbolique. Après cette
abjuration le zaotar, retirant la main gauche dubarsôm
sur lequel il la tenait posée, brise avec la main droite
un bout du darûn, le saisit avec le gôshôda et l'avale*.
Il ne lui reste plus pour achever le sacrifice qu'à
boire le parahaoma si minutieusement préparé. C'est
en l'honneur du Haoma céleste qu'il le boit; oflFrant
ainsi le haoma-plante au haoma-dieu^ La main
gauche posée sur le lien du barsôm, les yeuK fixés sur
le paràhôm que lui présente le râspî, il dit* :
0 saint Haoma, saint de nature, je te donne ce corps qui
me semble si beau, à toi, le rapide Haoma, pour que j'aie
science, paix de conscience et sainteté. Et toi, donne -moi,
saint Haoma, qui éloignes la mort, le Paradis des justes, lumi-
neux et bienheureux.
Puis, tandis que le râspî jette de l'encens sur le feu,
le zaotar boit à trois reprises diflférentes le parahaoma
contenu dans la coupe sacrée. Restent maintenant les
1. Yasna. Hâ VIÏI. Srôsh Darûn, 2.
2. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 77.
3. J. Darmesteter, Le Zend-Avestaj vol. I, p. 105, note 44.
4. Yasna. Hà XI. Hôm Yasht, 10 (25). Le Zend-Avesta, vol. 1,
p. 113.
LES PLANTES DANS LE CULTE DES IRANIENS 161
libations* — Vâb-zâhr — ; quand elles sont terminées,
le zôt récite les longues invocations du Vîsp-Yasht,
enseignées par Zoroastro à son disciple Frashaoshtra'* ;
puis il délie successivement les nœuds du barsôm, tout
en prononçant de nouvelles prières ; après quoi il répand
des parfums sur le feu et en récitant Vashem vohû, —
la « prière très sainte », — la face tournée vers l'Orient,
il jette dans le puits le reste du zôhr et finit par cette
dernière bénédiction': « Bonheur à celui qui est saint
de la sainteté suprême ! »
Le parahaoma et le darùn n'étaient pas les seules
offrandes que les Iraniens fissent aux Dieux et aux
Génies; ils leur offraient aussi des fruits: grenades,
dattes, etc., ainsi que des fleurs et des aromates*. Les
fêtes qu'on célébrait à la fin de l'année étaient en par-
ticulier marquées par des offrandes nombreuses — les
afrinagân — composées de fleurs, de fruits, de lait,
de vin et de gâteaux \ On faisait des offrandes ana-
logues aux morts pendant les quatre jours qui suivaient
leur décès. Quand des animaux étaient sacrifiés aux
Dieux, les victimes, recouvertes de branches de myrte
et de laurier, étaient portées sur le bûcher autour
duquel on répandait de l'huile et du lait".
On ne peut douter que, sous les Achéménides et à
plus forte raison sous les Arsacides et les Sassanides,
les fleurs n'aient, comme dans les fêtes religieuses,
occupé une grande place dans les fêtes profanes et les
1. Ya$na, Hàs lxih-lxix. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 392-425.
2. Yasna, Hà lxxi. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 429-437.
3. Yoêna. Hà lxxii. Le Zend-Avesta^ vol. 1, p. 438-442.
4. Fr. Spiegel, Erânische Alterthumskunde, vol. III, p. 572.
5. Fr. Spiegel, op. laud., vol. III, p. 577.
6. Strabon, XV, 3, 14. Fr. Spiegel, op, laud., vol. III, p. 591.
JORET. — Les Plantes dans Vantiqxiité. II. — Il
162 LES PUNTES CHEZ LES IRANIENS
banquets des Iraniens. Ils empruntèrent, on peut le
croire, en particulier aux Grecs, Tusage de se couron-
ner alors de fleurs. S'il fallait s'en rapporter à Héro-
dote ^ quand il immolait la victime, le prêtre avait la
tête ceinte de rameaux de myrte. Lorsqu'on enterrait
les morts, au lieu de les exposer d'après la loi maz-
déenne, des fleurs figuraient aussi aux funérailles ; dans
un sarcophage de l'époque des Arsacides, découvert
par Loftus à Warka*, on a trouvé des restes d'un
bouquet.
II
On voit, par ce qui précède, quel rôle considérable
les plantes jouaient chez les Iraniens dans tous les
actes de la vie et en particulier dans le culte; elles
n'en occupaient pas une moins grande dans la méde-
cine. D'après le Vendidad il y avait trois espèces de
médecins \
On guérit par TAsha, dit le Zend-Avesta*, on guérît par la
loi, on guérit par le couteau, on guérit par les plantes, on
guérit par la parole; de toutes les guérissons la plus guéris-
sante est celle de la parole divine; c'est elle qui guérit et re-
pousse le mal du sein du juste.
Les maladies étant considérées par les Iraniens
comme l'œuvre d'Afigra Mainyu, on comprend qu'ils
1. Hisloriae, lib. I, cap. 131.
2. Justi, Geschichle des alten Persieiu, p. 89.
3. Vendidad. Fargard VII, 44 (118). « Les uns qui guérissent
par le couteau, les autres par les plantes, d'autres par la parole
divine. »
4. Yashl III. Ardibahxshl Yasht, 6. Le Zend-Avesta, vol. Il,
p. 353.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 163
aient eu recours pour les combattre aux prières et aux
incantations aussi bien qu'aux remèdes humains. « Dans
la guérison des malades, d'après le Nask Hûspâram\
la part céleste revient à un arnshaspand — Ashvahist
ou Airyaman — , la part mondaine, aux drogues du
médecin. » — « Si moi, Ahura Mazda, lit-on ailleurs ',
n'avais envoyé Airyaman avec sa vertu de guérison, la
peine resterait peine, malgré toutes les drogues que
prennent les mortels pour la détruire. » Les drogues,
tant s'en faut, n'étaient pas pour cela regardées comme
inutiles; « Ahura Mazda a créé, dit le Dînkart', au
moins une plante pour endormir chaque maladie. » Il
les créa, nous apprend le Vendidad*, à la demande de
Thrita, « le premier parmi les guérisseurs, les sages,
les heureux, qui lutta contre la maladie et la mort. »
Il demandait une source de remèdes et il Tobtint de Khsha-
thra Vairya'^ pour résister à la Maladie et résister à la Mort;
pour résister à la Douleur et résister à la Fièvre... pour ré-
sister à la pourriture et à l'impureté qu'Aftgra Mainyu a créées
contre le corps des mortels. Et moi, Ahura Mazda, j'apportai
les plantes guérissantes, qui, par centaines, par milliers, par
myriades, poussent autour de l'unique Gaokerena*^. Tout cela
nous l'accomplissons, tout cela nous l'ordonnons, toutes ces
prières nous les faisons pour le bien du corps des mortels ;
pour résister à la Maladie et résister à la Mort: pour résister à
la Douleur et résister à la Fièvre... pour résister à la pourri-
1. Dtnkari, lib. VIÏI, cap. 37, 14-29, ap. J. Darmesteter, Le
Zend-Aveslay vol. II, p. 115.
2. Le Zend-Avesta, vol. H, p. 319.
3. 16. Cité par J. Darmesteter, Le Zend-Avesla, vol. II, p. 115.
4. FargardXX, 2(ll>4(t5).
5. Le génie des métaux qui fournit à Thrita le couteau du
médecin-chirurgien .
6. Le Bundehesh fait sortir 55 espèces de plantes médici-
nales du corps du taureau primordial. The Bundahish, chapt.
X, 1, p. 31.
164 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
tare et à Timpureté qu*Afigra Mainyu a créées contre le corps
des mortels.
II y a là comme un résumé de la médecine iranienne
depuis ses premières origines. Khshatra Vairya en-
seigna d'abord à Thrita l'art de la chirurgie, mais
cet art était insuffisant ; Ahura Mazda apporta alors
au héros les plantes médicinales ; elles sont un don de
sa bonté, comme les plantes vénéneuses sont Tœuvre
malfaisante d'Angra Mainyu. Mais la prière doit par-
faire et compléter l'œuvre des simples. On lit dans
le vingtième fargard du Vendidad:
A la maladie je dis arrière ! et arrière ! à la Mort. A la dou-
leur, je dis arrière ! et arrière ! à la Fièvre ^ !
Et dans un autre fargard du même traité* :
Qu'Airyaman, qui comble les vœux, vienne ici pour la joie
des hommes et des femmes de Zarathushtra!... Qu'Airyaraan,
qui comble les vœux, frappe toute maladie et toute mort.
Le Barashniim — le remède suprême — , préparé
par l'Amshaspand, avec les formules avestéennes qui
l'accompagnent, brise la force du démon et de la ma-
ladie'.
Si les livres sacrés de l'Iran regardaient ainsi la
prière et les incantations comme les premiers remèdes,
auxquels on devait avoir recours contre les maladies,
ils n'en accordaient pas moins la place la plus grande
aux plantes dans le traitement de ces dernières. Il n'en
1. Fargard XX, 7 (19) et 8 (21). (Le ZendAvesla, vol. II, p.
279).
2. Fargard XXII, 23-24. (Le Zend-Avesta, vol. II, p. 292).
3. J. Darmesteter, Le Zeiid-Avesta, vol. II, p. 288.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 163
pouvait être autrement, étant donnée Torigine divine et
Tefficacité toute puissante qui leur étaient attribuées ;
en elles Ahura Mazdaavait mis une vertu surnaturelle;
elles étaient ses auxiliaires dans la lutte que ce dieu
soutenait contre Angra Mainyu et contre les 99 999
maladies, qu'au commencement des choses le génie du
mal avait lancéescontre lui. Malheureusement, c'est à
ces indications générales que se bornent le Zend-
Avesta*, et il ne nous fait guère connaître explicite-
ment d'autre remède végétal que le haoma; mais il
le représente comme doué des propriétés les plus mer-
veilleuses ; symbole sur terre du haoma céleste, qui
éloigne la mort et confère l'immortalité*, comme son
prototype, il passait pour procurer la santé et la force.
C'est un dieu bon, vaillant et sage, qui Ta formé, un
dieu bon qui l'a déposé sur les hauteurs de la Haraithi,
d'où les oiseaux divins l'ont porté sur toutes les mon-
tagnes iraniennes. Là, il pousse en espèces multiples,
savoureux et couleur d'or. Les paroles qu'on lui
adresse, les chants dits à sa louange guérissent. Des
vertus de santé se mêlent en sa liqueur précieuse ; elle
donne une ivresse légère, qui pénètre et illumine ^.
Le premier aliment qu'on faisait prendre aux nou-
veau-nés était du jus de haoma — du parahaoraa —
avec un peud'aloès*. Mais le haoma ne guérissait pas
1. Il ne faut pas s'étonner, aussi, que l'étude de M. A. lïove-
lacque: Les médecins et la médecine dans VAvesta, ne nous
apprenne rien sur l'art de guérir chez les Perses.
2. Yama IX, Ilôm Yasht I, 16-20 ; II, 7. — The Bundahish,
chapt. xxvii, 4.
3. Yasna X. — Hôm Yasht II, 10 (26), 12 (31) et 18 (56), 19
(60) (Le Zend-Avesta, vol. I, p. 101-103 et 107).
4. Shâyast LâShâyast, chapt. x, 16. {Pahlavi Texls, vol. I,
p. 282).
i6d LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
seulement les souffrances du corps, il jouissait aussi
de vertus surnaturelles: « La moindre louange du
haoma, la moindre gorgée de haoma suffît à tuermille
Daèvas. Tout le mal fait par les démons disparait à
l'instant de la maison où l'homme fait le service de
Haoma*. »
Si le haoma était le remède iranien par excellence,
il n était pas le seul auquel on pût s'adresser; les lé-
gendes, nous l'avons vu, admettaient l'existence de
beaucoup d'autres, moins efficaces sans doute, mais
qui pouvaient aussi, employés à propos, servir à gué-
rir les diverses maladies. La flore indigène renferme
d'ailleurs un nombre considérable de plantes, dont les
fleurs, les fruits, les graines ou les racines sont 'douées
des vertus médicinales les plus variées ; telles les
fleurs des malvacées*, et de certaines composées',
borraginées* ou labiées, de la dauphinelle zalil, etc.,
'^ les fruits secs de l'épine-vinette, de la morelle, etc. :
les graines de la Rœmeria hijbriday du Sisymbriuni
sophia, du Peganum harmala, de la Prosopis stepha-
niana, du lupin, du concombre, de la chicorée, du frêne,
de diverses labiées, du plantain, de la Merendera per^
stca, etc. ; les racines de la Valeriana Wallichiana,
du Zygophyllum fabago, de la Glycyrrhiza glabra,
du câprier", etc; les bulbes de V Eremoslachys labiosa,
1. Yasna 10. Hom Yasht 2, 6-7. Le Zend Avesta, vol. I, p.
100.
2. AUhaea Ilohenackeri etof/îcinalis, Malva silvestris.
3. l)iy erses esp^cesd*Artemisia,d'AchîUaea,û* Anthémis, etc.
4. Anchusa italicay Caccinia glauca, Perowskia atriplici-
folia, etc. Stocks, Notes on Beloochistan plants. (Hooker's
Journal, IV, 176.)
5. Aitchison, Notes on producls, p. 57-58. Joh. L. Schlimmer,
Terminologie pharmaceutique, p. 73, 108, 309, 350, 477,
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 167
de plusieurs orchidées*, etc.; les tiges ou les feuilles
de VEphedra pachyclada^ dés Salvia ceraiophylla et
Ziiiphora tenuior, du Zelkova crenatay etc*
Il faut ajouter le pavot et certaines Solanées : stra-
moine, jusquiames', dont les propriétés sédatives ou
narcotiques ont dû être connues de bonne heure en
Perse, comme dans la Grèce, ainsi que la mandragore,
qui a joué un rôle si important dans la médecine popu-
laire des anciens '. Mais là se borne ce que nous pouvons
dire. Si ces plantes, avec beaucoup d'autres, figurent
dans la pharmacopée moderne de la Perse, aucun do-
cument ne nous renseigne sur les usages auxquels
elles servaient chez les anciens habitants de cette con-
trée ou du Turkestan, et nous savons encore moins à
quelle époque ils ont commencé à s'en servir.
Il est une plante cependant qui fait exception,
c'est le chanvre — shadaneh — , dont Hérodote nous
a fait, connaître l'emploi singulier qu'en faisaient les
Scythes *.
Après être entrés sous des pieux qu'enveloppent leurs man-
teaux, les Scythes jettent sur des pierres rougies au feu de la
graine de chanvre qu'ils ont apportée ; elle fume aussitôt et
répand une vapeur aussi abondante que celle d'une étuve
grecque. Cette vapeur excite les Scythes au point qu'ils en
poussent des cris de contentement.
Il y a là une allusion manifeste aux propriétés eni-
vrantes du chanvre touranien ; c'est par les Perses
1. Par exemple de VEulophia campestrû de l'Afghanistan et
du Béloutchistan, des Orchis latifolia et laxiflora, Aitchison,
Noies, p. 144-145.
2. Hyoscyamus muticus (Scopolia mvlica), niger et pusil-
lus, Boissier, vol. IV, p. 293-295.
3. Polak, Persien, vol. II, p. 262
4. llistoriaCy lib. IV cap. 75.
168 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
qa'Hérodote en avait entendu parler ; ce peuple avait-
il cherché, dès le temps de l'historien grec, à en tirer
parti? Nous l'ignorons ; toutefois on peut aflBrmer que
très anciennement les habitants de Tlran septentrional
ont fait usage du chanvre, mais un autre usage que les
Scythes. De même qu'aujourd'hui, ils ont dû utiliser,
comme stupéfiant \ non les graines, mais les feuilles
— beng — , et la gomme-résine — cers — , répandue
sur toute la plante et en particulier sur les rameaux
fructifères.
Aux plantes qui précèdent faut-il ajouter les végé-
taux auxquels les Perses attribuaient des vertus ma-
giques, et dont Démocrite, si Ton en croit Pline*,
avait « rapporté les choses les plus étranges » ? Telle
Vaglaophotis, dont les Mages, dit-il, se servent, quand
ils veulent invoquer les Dieux ; tel encore le théo-
brotion, que les rois de Perse auraient pris en boisson
contre les dérangements de l'esprit, aussi bien que
contre les indispositions corporelles, et la théangelis,
dont une infusion donnait aux Mages la faculté divina-
toire ; telles encore, — sans parler de Varianis, qui en-
flammait par son simple contact les bois frottés d'huile,
— la gélotophyllis, qui, prise avec de la myrrhe et
du vin, faisait voir des figures fantastiques et provo-
quait un rire inextinguible, ou YhesiiateriSy qui répan-
dait la gaieté dans les repas. « On l'appelle aussi
protomedia, ajoute le plus crédule des compilateurs,
parce que les courtisans qui en jnangent obtiennent le
premier rang auprès des rois. »
1. Polak, Persien, vol. II, p. 244. — Fliickiger et Hanbury,
Histoire des drogues, vol. Il, p. 285-288. Schlimmer, p. 106.
2. Ilistoria naluralis, lib. XXIV, cap. 102.
LES PLANTES DANS LA MÉDECLNE DES IRANIENS 169
Évidemment nous sortons, avec ces plantes fabu-
leuses, du domaine de la pharmacopée véritable et
même de la réalité. Et cependant on peut retrouver
quelque chose d'analogue à leurs propriétés merveil-
leuses dans celles qu'on attribue aujourd'hui encore à
certaines espèces iraniennes. C'est ainsi que les racines
du Trachydixmi Lehmanni^ passent pour conserver la
mémoire et fortifier les facultés cérébrales. D'autres
plantes servent par leur seule présence à écarter les
esprits mauvais. Dans quelques provinces de la Perse,
par exemple, on attache au-dessus de la porte des
maisons des bouquets de Peganum harmala pour en
protéger les habitants contre les attaques des mauvais
génies. De même une branche fleurie de férule galba-
nifère, fixée à la demeure d'une femme en couches, est
un charme tout puissant qui écarte les daèvas. On
suspend dans le même but des morceaux de bois de
micocoulier au cou des enfants et des femmes. On
croit aussi que les baguettes d'amandier et de tamaris
peuvent écarter les serpents; aussi fait-on le manche
des fouets avec le bois de ces arbres. Le cône du pin
est considéré également comme portant bonheur ^
Mais il faut revenir à la pharmacopée véritable,
dont ces croyances populaires nous ont trop éloignés.
Les substances extraites d'un certain nombre déplantes
iraniennes : huiles, mannes, gommes et gommes-ré-
sines, etc., nous y ramènent. Quelques-unes des huiles
qui servaient dans l'alimentation et pour l'éclairage
sont et ont été aussi sans doute de temps immémorial
employées dans la pharmacopée; telle que l'huile de
1. Aitchison, Notes on products, p. 210.
2. Aitchison, Notes on products, p. U9, 74, 35, 164 et 201,
170 LES PUNTES CHEZ LES IRANIENS
roquette, de noix, de pistaches, de sésame, de ricin ;
il faut y ajouter Thuile d'amandes amères et dans le
Turkestan l'huile de lin et peut-être de chanvre.
La manne était peut-être chez les anciens habitants
de l'Iran, plus un aliment ou un condiment qu'un re-
mède, il convient néanmoins d'en parler ici. De nom-
breuses plantes de l'Iran produisent la manne — le miel
aérien, comme l'appelle Athénée* — : tamaris, chênes,
astragales, alhagi, Atraphaxis spinosa, saule fragile,
Cotoneaster nummularia, poirier à feuilles glabres^
d'autres encore. Chaque province presque a sa manne
particulière; toutefois malgré les différences qu'elles
présentent dans leur composition, ces diverses mannes
ont des propriétés et des caractères communs. Elles se
forment la nuit, tantôt spontanément, le plus souvent
à la suite de la piqûre d'un insecte, et presque toujours
à l'époque des grandes chaleurs; le matin on recueille
l'exsudation solidifiée sous forme de grains plus ou
moins gros ou de larmes ; elle a un goût sucré et
agréable.
Les Perses distinguent quatre espèces principales
de manne: le gez-engebin, le ter-engebin, le shir-
khisht et le bid-khisht *. Le gez-engebin est exsudé
par trois plantes différentes. La meilleure sorte est
produite par une astragale des environs d'Ispahan';
la seconde sorte provient de l'exsudation du tamaris à
manne — gez — , qu'on rencontre à l'Est d'Ispahan, dans
la vallée du Zayendeh-roud, et dans l'ancienne Carma-
1. DeipnosophistaCj lib. XI, cap. 102 (501).
2. Polak, Persien, vol. II, p. 285. Engebin ou enjehin.
3. Les Astragalus florulentus et adscendens d'après A. Haus-
knecht. Ueber Manna-Sorlen des Orients. {Archiv der Pharma-
cie, vol. 192, 1 (avril 1870), p. 2'i6).
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 171
nie*; la troisième sorte de gez-engebin et la plus
commune est fournie par un chêne du Kourdistan — le
Qiierctis ballola d'après Polak, les Quercus vallonea
etpersica, suivant Hausknecht*. — C'est probablement
ces mannes, en particulier la première et la troisième
sorte, qui étaient recueillies pour la table du grand roi;
c'est elles encore aujourd'hui qui entrent dans la pré-
paration des pâtisseries persanes dont j'ai parlé au
chapitre de l'alimentation.
Le ter-ejigebin est produit par l'exsudation de YAl-
hagi camelorttm, astragale répandue dans tout l'Iran,
mais surtout dans le Khoràsan, l'Afghanistan et le
Béloutchistan. Il semble qu'il soit question de cette
manne dans un passage de Théophraste cité plus haut',
où le naturaliste grec parle du suc exsudé par un arbuste
épineux de l'Asie. Toutefois la manne de TAlhagi n'a
pas, comme le dit Théophraste, l'odeur de la myrrhe,
mais celle du séné, dentelle a les propriétés purgatives*.
Le shir-khisht provient indifféremment de VAlrapha-
xisspinosa, polygonée répandue surtout dans l'Afgha-
nistan et le Turkestan, et du Cotoneaster nummularia,
arbrisseau de la même région*. Enfin le saule fragile
des environs montagneux de Téhéran produit vers la
fin de l'automne le bid-khisht, manne blanchâtre re-
1. Hausknecht, Ibxd., p. 248, dit qu^entre Ispahan et Téhé-
ran les exsudations ne se produisent que dans certaines
années. Schlimmer, p. 358, lui donne le nom de gez khunçar.
2. Archiv der Pharmacie y vol. 192, 1, p. 244. C*est le gez
èléfi de Schlimmer.
3. Historia planlarum^ lib. IV, cap. 4, 12. Cf. p. lOp. Polak
et Brandis donnent à cet Alhagi le nom à' A. Maurorum.
4. A. Hausknecht, op. laud. {Archiv der Pharmacie , vol. 192,
1, p. 247). — Polak, vol. II, p. 286.
5. A. Hausknecht, Jbid., p. 249. — Polak, vol. II, p. 286.
172 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
cueillie en petite quantité et peu employée*. Le poirier
à feuilles glabres, commun dans les montagnes boisées
du Louristan, en produit une qui rappelle celle du
chêne. La Scrophularia rigida, plante du Farsistan et
la Salsola fœtida^ commune dans l'Afghanistan, pro-
duisent également des exsudations sacchariformes
analogues à la manne*.
Les anciens Perses connurent sans doute et em-
ployèrent la plupart de ces espèces de manne; il est
probable qu'ils connurent aussi dès longtemps la
gomme adragante, substance concrétée qu'exsudent
naturellement la tige et les rameaux de diverses astra-
gales de la Médie', mais que Dioscoride*, par une
confusion évidente, fait découler d'une incision pra-
tiquée dans la racine. A côté de la gomme adragante
il faut placer la sarcocolle, gomme produite par un
petit arbre du Laristan, dit Polak^ d'après Dioscoride,
mais qui, suivant Dymock, provient en réalité de
VAstragahis sarcocolla^. Enfin on peut ajouter ici la
gomme exsudée par le pistachier mutique, commua,
1. Polak, Persieriy vol. II, p. 287.
2. A. Hausknecht, 0/) laud.,^. 249. — Aitchison,M)/e5,p.l81,
dit que la manne de la 5. fœtida porte le [nom de shakar:
sucre.
3. Entre autres les Astragalus adscendens.gummifer^pycno'
cladm et Kurdicus. A. -F. Fiûckiger et D. Hanbury, histoire
des drogues, trad. Lanessan. Paris, 1878, in-8, vol. I,p. 346-347.
4. De maleria medica, lib. III, cap. 20.
5. Persien, vol. II, p. 285. — De materia medica, lib. 111,
cap. 90.
6. Pharmacographia indica. London-Bombay, 1890, in-8,
vol. I, p. 476. Aitchison, Notes, p. 19, s*est demandé s'il ne
faudrait pas rattacher cette espèce à une de celles décrites par
Bunge. D'après Schlimmer, p. 425, la sarcocolle serait produite
par la Penaea mucronala, plante étrangère à la flore persane.
LES PUNIES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 173
en particulier, dans le Kourdistan et le Farsistan, d'Is-
pahan à Çhiraz, ainsi que par le pistachier vrai \
Bien autrement importantes que ces derniers pro-
duits, bien plus anciennement connues pour la plupart
et d'un plus grand emploi chez les anciens Perses,
furent les diverses gommes-résines, fournies par les
grandes ombellifères répandues sur le plateau iranien
tout entier et dans le Turkestan: asa fœtida, galba-
num, sagapenum, opopanax et gomme ammoniaque.
L*asa-fœtida — anguza^y hind. hiiig — , est produite par
le Narthex asa fœtida Falc. — Fer nia asa fœtida B.
— du Farsistan et le Scorodosma fœtidum Bunge du
Khorâsan', plantes pourvues d'une racine épaisse de
plusieurs pouces et dont la tige atteint de 2 à 3 mètres*.
1. Polak, Persien, vol. II, p. 284. — Aitchison, Notes, p. 95.
2. Ènguzeh, d'après Schlimmer, Tei^minologie, p. 56.
3. Kaempfer regardait comme appartenant à la même espèce
les ombellifères du Laristan et du Khorâsan qui produisent
Tasa fœtida. Boissier, qui n'a pas admis le genre Scorodosma,
semble regarder la plante de Bunge comme la Fertila allia-
cea, ombellifère très répandue dans l'Iran oriental. H. W.
Beliewa trouvé en grande quantité une ombellifère qui produit
Tasa fœtida sur toutes les collines de l'Afghanistan, ainsi que
dans les plaines élevées qui s'étendent de Kandahar à Ilérat,
région où Bunge l'avait déjà observée. From the Indus to Ihe
Tigris, London, 1874, p. 101-102, 286, 321, etc., ap. Histoire
des drogues y vol. I, p. 558 et 561.
4. L'ombellifère à asa fœtida a été découverte par Lehmann,
en 1841, sur les collines du Karatagh au Sud du Zarafshan.
Vers 1859, elle a été recueillie entre la mer Caspienne et la
mer d'Aral par le botaniste russe Borszcow. {Histoire des dro-
gues, vol. I, p. 557-558). Elle a été aussi observée par Wood
dans un district situé au Nord du haut Oxus. Journey to the
source of the River Oxus. London, 1872, in-8, p. 131. Enfin
cette férule a été vue en abondance dans la Steppe de la Faim
entre le Sir Daria et le Karatau. Wold. von Lentner, Ueber das
Vorkommen von Scorodosma fœtidum im tûrkestanischen Ge-
biete, (Pharm. Zeitschrift fur Bussland, X (1871), p. 738).
171 LES PLANTES CHEZ LES IRANIEiNS
On doit à Kaempfer une description détaillée du pro-
cédé très compliqué, qui était, de son temps, employé
dans le Laristan, pour recueillir Tasa-fœtida*, et ne
demandait pas moins de plusieurs semaines. La ré-
colte se fait plus simplement dans TAfghanistan.
D'après Bellew ', aux environs de Kandahar, on se
borne, après avoir enlevé les feuilles nouvellement
poussées et fait une petite fosse autour de la souche,
à pratiquer plusieurs incisions profondes à la partie
supérieure de la racine; cela suflSt pour déterminer
l'écoulement de la gomme-résine, sans faire périr la
plante. On répète l'opération tous les trois ou quatre
jours, et on la continue tant que le suc continue à cou-
ler. Il est douteux que Théophraste ait connu Tasa-
fœtida véritable'; mais il semble bien que ce soit
d'elle que parle Dioscoride sous le nom de silphion*,
plante d'une odeur pénétrante, qui croît, dit-il, en
Syrie et en Médie. On peut se demander toutefois si
la substance qu'il a décrite est bien la même que Tasa-
fœtida du Laristan et du Khorâsan. Celle-ci pénétra
enfin dans l'empire romain ; elle figure au second
siècle de notre ère, sous le nom de laser, au nombre
des produits de la Perse et de l'Inde, sur lesquels un
droit était perçu par la douane d'Alexandrie*.
Le galbanum, gomme-résine exsudée par une plante
*
1. Amœnitates exoticœ, p. 545-547. Schlimmer, p. 58, a
décrit le procédé non moins long qu'on emploie aujourd'hui
encore à Hérat pour récolter l'asa-fœtida.
2. Journal of a mission to Afghanistan. London, 1862, p.
270, ap. Fiuckiger et Hanbury, vol. I, p. 561.
3. Le silphion dont il parle, lib. VI, cap. 3, 1, en parait du
' moins tout différent.
4. De materia medica, lib. III, cap. 84.
5. Fiuckiger et Hanbury, Histoire des drogues, vol. I, p. 559.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 175
de la même famille que Tasa-foelida, dut être, comme
celle-ci, connue anciennement des Perses. Théophraste
n'en ignorait pas le nom ^ ; mais c'est tout ce qu'il en
savait, ainsi que NicandreV Dioscoride^ et Pline* en
parlent comme d'une résine, fournie par un narthex,
qui croissait en Syrie sur le mont Amamus. Diverses
ombellifères méditerranéennes paraissent avoir pro-
duit une substance semblable au galbanum, mais la
vraie résine de ce nom provient de deux férules de
riran — les Ferula galbaniflua B. et rubricaulis ou
erubescens — , grandes plantes à tige robuste, à feuilles
tomenteuses, qui croissent, la première sur les pentes
du Démavend et dans la région montagneuse située
entre Mechhed et Hérat, la seconde dans les gorges de
la chaîne du Kouh-Daëna, ainsi peut-être que sur les
pentes de l'Elwendprès deHamadan*. Le suc, qui dé-
coule des parties inférieures de la tige et de la base
des feuilles, d'abord d'un blanc laiteux, prend une
teinte jaunâtre en se solidifiant à l'air libre ; il en-
trait dans la composition de l'encens chez les Hébreux®,
et servait, d'après Dioscoride, comme excitant et réso-
lutif dans la médecine grecque et probablement aussi
dans la thérapeutique persane.
Suivant Dioscoride encore, le sagapenum, aussi ré-
puté chez les Anciens qu'il est dédaigné aujourd'hui,
1. Hiitoria plantarum, lib. IX, cap. 1, 2.
2. rAeriaAa, vers 938.
3. De maieria medica, lib. III, cap. 87.
4. Historia naturalis, lib. XII, cap. 25, 56.
5. Boissier, Flora^ vol. Il, p. 988 et 995. D'après Aitchison,
Notes, p. 73, la F. galbaniflua seule produirait le galbanum.
6. Exodus, lib. XXX, vers. 34. W.-H. Groser, The trees and
plants mentioned in the Bible, p. 213.
176 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
provenait également de laMédie, c'est-à-dire de l'Iran.
C'était, dit le pharmacopole grec^ une résine trans-
parente, jaune à l'extérieur, blanche à l'intérieur,
d'une saveur piquante et dont l'odeur était intermé-
diaire entre celle de l'asa fœtida et du galbanum. Elle
était produite, ajoute-t-il, par une plante semblable à
une férule ;.Lenz a supposé que ce pouvait être la Fe-
rida pe7'sica, orabellifère du Ghilan'; d'après Po-
lak ce serait la Ferula sagapenum, inconnue de Bois-
sier; Djmock la rapporte en hésitant à la Fenda
Szovùsianà, petite plante des terrains pierreux de la
vallée de l'Héri-roud*.
Aucune incertitude, au contraire, n'existe au sujet
de la gomme ammoniaque. Cette dernière est produite
par le Dorema ammoniacum, ombellifère à tige dres-
sée, haute d'environ deux mètres et commune surtout
dans l'Iran oriental. Une autre espèce du même genre,
le Dorema Aticheriy indigène plutôt dans la Perse
occidentale, donne aussi naissance à un produit ana-
logue*. A l'époque de la maturité des fruits, de petits
coléoptères viennent attaquer les tiges du Dorema ; le
suc visqueux et blanchâtre qui coule en abondance des
piqûres qu'ils y font, concrète sous forme de grains
ou de larmes, constitue ce qu'on appelle gomme am-
moniaque. A quelle époque les Perses ont-ils com-
mencé à l'employer ? Nous ne pouvons le dire. Théo-
1. De materia médira^ lib. III, cap. 85.
2. Botanik der allen Griechen und Borner, p. 564. — Boissier,
Flora, vol. II, p. 992.
3. Pharmacofjraphia indica, vol. II, p. 161.
. 4. Boissier, Flora, \o\. IV, p. 1008. D'après Aitchison, Notes,
p. 57, le Dorema glabrum exsuderait également une gomme-
résine rougeâtre et cassante, analogue, elle aussi, à la gomme
ammoniaque.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 177
phraste Tignoràit encore; Dioscoride et Pline* en
parlent bien, mais comme d'une résine exsudée par
un narlhex qui croissait aux environs du temple de
Jupiter Ammon ; il s'agit probablement de la Ferula
tingitana L., plante indigène dans le Maroc et dans
la Palestine' et qui fournit une gomme-résine analogue
à celle du Dorema ammoniacum, mais différente aussi
à certains égards. La vraie gomme ammoniaque —
nshak ou kandal — ne paraît pas avoir été connue dans
rOccident avant le x® siècle, époque où Isaac Judaeus
en a fait mention \
Parmi les nombreuses et belles ombellifères de
riranilyen a encore une qu'il faut mentionner ici,
c'est VOpopanax persicum, qu'on rencontre dans TEl-
bourzet les montagnes du district de Kouh-Kilouyéh*;
cette plante fournit une gomme-résine, qui rappelle,
sans y ressembler entièrement, l'opopanax de Diosco-
ride et de Pline ^, extrait du Panaces heracleion, —
la Ferula opopanax de Sprengel, VOpopanax orien-
tale de Boissier — , ombellifère de la Boétie et de
TArcadie, qui croissait aussi dans la Macédoine et la
Cyrénaïque®.
Nous ne savons rien de l'usage que les anciens
Perses ont pu faire de l'opopanax ; nous ne sommes
pas mieux renseignés à Tégard de la rhubarbe; mais
le rôle mythique de cette plante peut faire croire à
V. De materia medica^Wh. III, cap. 88. — Hisl. naturalisa
lib. XII, cap. 49.
2. Boissier, Flora y vol. II, p. 992.
3. Histoire des drogues^ voL I, p. 571-572.
4. Boissier, Flora^ vol. II, p. 1059.
5. De materia medica, lib. IH, cap. 48. — Hist. naturalisa
lib. XXV, cap. 12.
6. Boissier, Flora^ vol. Il, p. 99.
JoRET. — Les 'Plante& dons VaniiquUé. II. — 12
178 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
Tantiquité de son emploi. Quoi qu'il en soit, elle
semble avoir été connue dans l'empire romain au pre-
mier siècle de notre ère. Dioscoride*, qui lui donne
le nom de rhâ ou rhéon et Ta bien décrite, dit qu'elle
était importée des contrées situées au delà du Bos-
phore, mais sans désigner autrement ces contrées. C'est
d'elle aussi sans doute qu'au iv* siècle parle Ammien
Marcellin^ quand il rapporte que « sur les bords
du Rha — le Volga — , d'où elle tire son nom, croît
une racine, qu'on emploie comme remède dans nombre
de maladies ». Il s'agit évidemment ici du Rheiim
caspicum ou tatariciim, commun dans la Russie mé-
ridionale, ainsi que dans la vallée du Héri-roud et le
Turkestan, plante dont la racine et les fruits sont
employés dans la médecine persane. Quant au Rheum
ribes, répandu dans les terrains argileux et élevés de
riran, les habitants en mangent les feuilles comme
légumes, et la racine est utilisée pour teindre le cuir
en rouge ^.
Bien que l'Iran renferme, on vient de le voir, un
nombre assez considérable de plantes médicinales, qui
lui sont propres et dont les autres pays lui doivent la
connaissance, ses habitants ne paraissent pas toutefois
avoir fait faire de grands progrès à la thérapeutique ;
et ils ont plus emprunté aux nations voisines qu'ils ne
leur ont donné. Les premières auxquelles ils demandè-
rent des recettes médicales furent les Sémites de la
1. De maleria medica^ lib. III, cap. 2. Cf. Pline, lib. XXVIF,
cap. 12.
2. « Ra... in ciijus superciliis quaedam uegetabilis eiusdem
nominis gignitur radix proficiens ad usus multipliées medela-
rum ». Rerum ffestarum, lib. XXI ï, cap. 8, 28.
3. Aitchison, Xotes on produrls, p. 174.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 179
Babylonie et de TAssyrie, disciples eux-mêmes des
Égyptiens. Plus tard quand ils furent entrés en relation
avec les Grecs, ils eurent recours aux connaissances
thérapeutiques de ces derniers \ On vit même des mé-
decins grecs, comme Ctésias, établis à là cour des rois
de Perse, preuve de la supériorité qu'on reconnaissait
àia médecine hellénique sur celle de l'Iran.
Mai s les Perses devaient aller plus loin encore chercher
des remèdes et des enseignements ; ils avaient tiré de
THindoustan, quand ils eurent pénétré dans cette con-
trée, plusieurs végétaux alimentaires ou industriels;
ils en importèrent aussi des plantes médicinales, et
étudièrent les ouvrages des pharmacopoles hindous.
A l'époque des Sassanides, sous le règne de Khosroès
Anoshirvan, le médecin Barzujeh fut envoyé dans
rinde pour y recueillir, avec des recettes médicales,
quelques-unes des plantes salutaires de cette contrée*.
Ces plantes, nous les retrouverons dans la pharma-
copée hindoue ; inutile dès lors d'en parler maintenant.
11 en est une toutefois que je dois mentionner ici, encore
qu'aujourd'hui elle soit employée comme condiment et
non comme remède ; c'est le pommier de Médie ou de
Perse — cédratier — importé, nous l'avons vu, dans
l'Iran occidental sous les Achéménides.
Les habitants de cette contrée n'en mangeaient pas
les fruits, mais ils en employaient le suc comme mé-
dicament. Mêlé à du vin, dit Théophraste*, il dégage
1 . J. Berendes, Die Pharmacie bei den allen Cullurvôlkern,
vol. I, p. 35.
2. Silvestre de Sacy, Le livre de Calila apporté de l'Inde à
Nouschirvan. (Notices et extraits des manuscrits, vol. X, p.
147-149).
3. Historia planlarum, iib. IV, cap. 4, 2. — Pline, Historia
naturalis, Iib. XII, cap. 7. Cf. Virgile, Geor^., Iib. II, v. 126-128.
180 LES PUNTES CHEZ LES IRANIENS
la bile et expulse le poison. Et Athénée, renchérissant
sur le naturaliste grec, raconte une anecdote', d'après
laquelle les cédrats auraient été l'antidote et le pré-
servatif le plus efficace contre la morsure des serpents.
Mais ces fruits avaient encore d'autres propriétés et
d'autres usages ; leur chair, suivant Théophraste et
Athénée*, cuite dans le jus de viande ou quelque
autre liquide et mâchée ensuite, servait à parfumer Tha-
leine. Cet usage subsista longtemps en Orient ; Pline
rapporte* que chez les Parthes les grands, pour com-
battre la mauvaise odeur de la bouche, faisaient mettre
dans leurs mets des graines de cédrats. A cause de
leur odeur pénétrante, les fruits du cédratier — il en
était peut-être de même des feuilles non moins par-
fumées* — passaient pour préserver des teignes les
étoffes au milieu desquelles on les plaçait.
Le cédratier nous ramène naturellement aux aro-
mates, dont les Iraniens, ainsi que tous les peuples de
rOrient, faisaient un si grand usage. Ils n'en avaient
pas besoin sans doute, comme les Egyptiens, pour em-
baumer les morts qu'ils exposaient au haut de tours
particulières ou dakhraas quand ils ne les inhumaient
pas tout simplement, ainsi qu'on le fait chez nous,
mais ils se servaient de substances aromatiques pour
purifier le lieu, considéré comme souillé, où le défunt
avait rendu le dernier soupir.
1. Deipno^iophxstae, lib. Ifl, cap. 28 (8'» é).
2. Jfistoria plantarum, lib. IV, cafK 4, 2. — Deipnoso-
phislae, lib. IH. cap. 26 (83 é).
3. Hisloria naturalisa lib. XI, cap. 115 (53) et lib. XII,
cap. 7.
4. To ôî rx:^Xov... é'joa|xov Se nàvu xal ç'jXXa to-j oevooov. Théo-
phrastc, Ibid.y lib. IV, rap. 4, 2.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 18!
Le Vendidad ordonne ^ de parfumer, aussitôt après
sa mort, la demeure du défunt avec Yurvâsni, —
plante à odeur alliacée*, — le vohû-guona — probable-
ment Toliban ou encens, — le vohiUkereti — peut-être
le bois d'aloès — et le hadhdnaépata — le grenadier —
ou avec toute autre plante odoriférante. Il est probable
que parmi les plantes employées dans cette circon-
stance figurait le genévrier élevé, dont les feuilles sont
aujouFd'hui encore brûlées en guise d'encens dans cer-
taines provinces'*, et surtout le Balsamodendroii Mukul,
espèce d'encens, indigène dans le Béloutchistan.
Ce n'était pas d'ailleurs la seule occasion solennelle
où Ton eût besoin d'aromates. Quand, pour une raison
quelconque, les vêtements d'un homme avaient été
souillés*, on les exposait d'abord aux rayons du soleil,
et pendant neuf nuits à la clarté des étoiles ; puis au
bout de ce temps on allumait un feu de bois sec et
dur, sur lequel oîi jetait du vohû-guona, — de l'en-
cens — , afin de parfumer ces vêtements, dont la pu-
rification était ainsi achevée. De nos jours, usage qui
remonte sans doutp très haut, en temps d'épidémie,
les habitants du Khoràsan brûlent dans les rues des
fascines d'une espèce derutacée odorante, le Peganum
harmala^, afin de purifier l'air.
1. Fargard VIII, 1, 2. Le Zend'Avesta,\o\. II, p. 119.
2. Peut-être une férule, la Ferula galbani/lna Buhse.
3. Aitchison, Notes on products, p. 108.
4. Vendidad, Fargard XIX, 28 (76)-24 (80). Le Zend-
Avesta, vol. II, p. 267.
5. Aitchison, Notes on products, p. I'i9.
LIVRE SECOND
LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
CHAPITRE PREMIER
LA FLORE DE L INDE ET SES HABITANTS
La vaste péninsule, que l'Asie projette entre la mer
d'Arabie à Toccident et le golfe de Bengale à l'orient,
est rattachée au continent par Timmense cirque de
montagnes, formé de l'Himalaya et de l'Hindou-Kouch
au Nord, des monts Souleïman-Dagh et Khirtar à
rOuest, enfin des monts Patkoï, Bourail et de leurs
prolongements méridionaux à l'Est. Mais les divers
pays, compris dans ces vastes limites, n'appartiennent
point au même système géographique ; en réalité, ils
constituent deux régions distinctes, qui, toutes deux
de forme triangulaire et ayant une base commune,
n'en forment pas moins Tune avec l'autre un contraste
complet* : la contrée montueuse du Sud — la pénin-
1. Christian Lassen, Indische Alterthumskunde. Bonn, 1866,
in-8, voL I, p. 101. — H.-B. Middlecott and W -ï. Blanford,
184 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
suie proprement dite — et la plaine indo-gan-
gétique.
Le triangle méridional, avec sa partie centrale, le
Dekkan — Dakshina-patha , « la région qui se trouve
à droite », c'est-à-dire au Sud, — est un plateau d'une
altitude moyenne de 300 à 1000 mètres, qui, incliné
d'une manière générale de l'Ouest à l'Est, est borné au
Nord par le double bassin de la Narbada et de la Ma-
hanadi, et dont la pointe méridoniale porte le nom
de cap Comorin. Au Sud-Est s'étend la grande île de
Ceylan — Simhala dvipa, — qui en a été sans doute
séparée à une époque géologique. Deux chaînes
côtières, les monts Sahyadri ou Ghates occidentales et
les Ghates orientales forment comme le double rebord
du Dekkan ^
Les Ghates occidentales, qui, sous divers noms,
courent des bouches de la Tapti au cap Comorin, en
ne laissant entre elles et la mer qu'une étroite bande
de terrain, dressent au-dessus des flots leurs crêtes
hautes de 1000 mètres et davantage ; une des cimes
du massif des Nilghiri — les Montagnes bleues —
atteint même 2650 mètres, et est encore dépassée par
l'Anamoudi a le Front des Eléphants », sommet le
plus élevé de TAnamalaï, massif isolé, qui continué
par la chaîne des Cardamomes, limite orientale duTra-
vancore, va expirer en pente douce au cap Comorin.
Les Ghates orientales, qui no commencent qu'au
nord de la dépression où serpentent les eaux de la
A manual ofthe Geology of India. Calcutta, 1879, in-8, p. 2.
— Elisée Heclus, Nouvelfe Gfhf/raphie universelle, yo\.\\U.
Llnde et Vlndo-Chine. Pari», 1883, in-4, p. 25.
1. (hr. Lassen, op. laud., vol, I, p. 179-180. — A.-H.Keane,
Southern and iveiteîii Asia. London, 1896, in-8, p. 55.
LA FLORE DE L'INOE 185
Kaveri, vont, en une série de crêtes qui ne dépassent
guère 500 mètres, se terminer dans TOrissa par un
groupe appelé Nilghiri, comme la chaîne du Dekkan
méridional, mais d'une altitude deux fois moindre'.
Au nord du Dekkan court de TOuest à TEst, entre
les bassins de la Tapti et de la Narbada, la chaîne des
monts Satpoura, regardée parfois comme la limite
septentrionale du plateau ; d'une hauteur moyenne de
650 mètres, ils rejoignent à l'Est le massif central du
Mahadeo , dont une cime le Deogarh mesure 1 375 mètres
d'altitude ; plus loin se dressent les monts peu élevés du
Maïkal, puis l'Amarkantak, du sommet duquel, haut
de 1 356 mètres, découlent les eaux de la Narbada. Pro-
longée, à travers le plateau de Tchota-Nagpore, vers
la plaine du Gange, cette chaine, après avoir formé la
montagne sainte de Parasnath d'une altitude de 1 345
mètres, se termine par les collines basaltiques de
RadjmahaP.
Formée par les deux bassins du Gange et de Tlndus
et par les territoires intermédiaires, la partie septen-
trionale de rinde est une vaste plaine d'alluvions
d'une largeur d'environ 2400 kilomètres, que tra-
versent seulement de rares montagnes. Au Sud c'est la
chaine des monts Vindhya, qui courent parallèlement
aux monts Satpoura, des rivages occidentaux de la
péninsule vers la Djoumna ; d'une hauteur qui atteint à
peine aux points culminants 650 mètres, ils se conti-
nuent par les monts Kaïmour, jusqu'au centre de
l'Hindoustan. A l'Ouest, de l'autre côté de la plaine
1. Elisée Reclus, op. laud., vol. VIII, p. 27. — Silvain Lévy,
article Inde dans la Grande Encyclopédie.
2. Klisée Reclus, op, laud., vol. VIII, p. 38. — Art. Inde
dans la Grande Encyclopédie.
186 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
de Malwa, se dresse la chaîne des Aravalli, qui borde
du Nord au Sud le désert de Thar.
Bien que servant de limite septentrionale à la pénin-
sule hindoustanique, THimalaya n'en forme pas moins
un monde à part, indien à sa base, par sa végétation,
par son climat, par les fleuves qui s'en épanchent,
tibétain, par l'énorme protubérance terrestre dont il
forme le rebord méridional*. S 'étendant de l'Ouest à
l'Est sur une longueur de plus de 2200 kilomètres,
ce massif énorme se compose de deux chaînes
parallèles, l'Himalaya proprement dit, c'est-à-dire la
rangée méridionale, qui se dresse immédiatement
au-dessus des plaines de l'Inde, et le Trans-Himalaya,
qui borne au Nord la dépression où coule le Tsangbo.
C'est ce dernier qui forme véritablement la ligne de
faite. Sur une longueur de près de 800 kilomètres, les
monts qui le composent se succèdent sans laisser une
seule brèche par laquelle puissent s'échapper les eaux
'de la dépression médiane, située entre les deux chaînes.
La rangée du Sud, au contraire, avec ses hauteurs
colossales est percée de vallées et de gorges profondes,
qui livrent passage à de nombreux affluents du Gange.
A rOuest des sources du grand fleuve, le rempart
himalayen est même coupé en entier par le cours du
Satledj, qui s'échappe par une succession de cluses
pour aller rejoindre l'Indus vers le Sud-Ouest*.
La chaîne de l'Himalaya n'est point composée de
roches très anciennes,, et les couches qui se sont dépo-
9
1. Elisée Reclus, op. /aMrf.,vol. VIII, p. 35. — Middlecott,
op. laud., p. viii-x. — Chr. Lassen, op. laud., vol. I, p. 41-81.
— Charles Vélain, art. Himalaya dans la Grande Encyclo-
pédie.
2. Elisée Reclus, op. laud., vol. VIII, p. 41.
LA FLORE DK L^INDE 187
sées sur les flancs des monts tournés vers les plaines
de THindoustan appartiennent aux dernières périodes
des âges tertiaires*. Disposés en chaînes parallèles à
Taxe principal, les avant-monts qu'elles forment — le
sous-Himalaya des géologues — se composent presque
tous de grès massifs, associés à des Conglomérats et
à des argiles. La plus considérable et la plus régulière
de ces chaînes est celle du Siwalik, qui se développe
du Sud-Est au Nord-Ouest, sur une longueur de
300 kilomètres, entre la porte du Gange à Harid>\'ar et
celle du Bias, Tune des cinq grandes rivières du Pand-
jab. Des deux côtés du renflement du Siwalik se
trouvent d'autres zones de terrain, dont la nature du
sol et les produits dépendent, non de la difierence
d'altitude, mais de la disposition des couches super-
ficielles et de l'écoulement des eaux^ La plus méri-
dionale est celle du Teraî « pays humide », région
marécageuse couverte de jungles, de roseaux et de
bouquets d'arbres, qui retiennent les brouillards de
miasmes entretenus par Tévaporation du sol imprégné
d'eau'. La zone parallèle, qui s'étend entre les doiins
— vallées — au nord du Siwalik et la base des
roches gréyeuses du sous-Himalaya, est la région
forestière du Bfiaver, dont la sécheresse contraste
avec l'humidité du Teraï.
Couverte de montagnes dont quelques-unes comp-
tent parmi les plus élevées du globe, la presqu'île hin-
1. Ed. Suess, La face de la terre, Trad. Paris, 1897, vol. I,
p. 565-592.
2. Klisée Reclus, op. laud., vol. VIII, p. 54 et suiv.
3. Grisebach, Die Végétation der Erde, vol. Il, p. 37. Trad.
vol. II, p. 48. — J.-D. Hooker and Thomson, Flora indica :
being a syatematic account of the Plants of British India.
London, 1855, in-8, vol. I, p. 149.
188 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
doustanique renferme aussi un grand iiombre de cours
d'eau; mais ils sont inégalement répartis entre les
versants des deux grands golfes qui baignent ses flancs.
Courant presque sans interruption le long de la côte
qu'elles serrent de près, les Ghates occidentales n'en-
voient aussi dans la mer d'Arabie que des torrents sans
importance ; les eaux qui en découlent, suivant Tincli-
naison du plateau, vont gagner, à travers les dépres-
sions des Ghates orientales, le golfe du Bengale. C'est
ainsi qu'au lieu des torrents sans nom, qui se perdent
dans la mer d'Oman, ce golfe reroit des fleuves puis-
sants : la Kaveri, les deux Panar, la Krishna et la
Godavari, qui drainent toutes les eaux du Dekkan*.
C'est au delà des Ghates occidentales seulement et
au Nord du plateau que se forment les seuls afiluents
considérables de la côte occidentale, la Tapti et la
Narbada, dont les bassins parallèles sont séparés par
les monts Satpoura; toutes deux se jettent dans le
golfe de Cambaye ; plus au nord s'y déverse aussi la
Sabarmati, sortie de l'extrémité méridionale des monts
Aravalli. Quant aux cours d'eau que reçoit le golfe de
Katch, véritables torrents formés par les pluies pas-
sagères et taris aussitôt qu'elles ont cessé, ils ne mé-
ritent pas d'être mentionnés*. Mais au delà des lagunes
dans lesquelles ils se perdent, se trouve l'embouchure
du plus grand fleuve de l'Hindoustan occidental, le
Sindh — Sindhu, l'Indos des Grecs et des Latins.
Descendu des hauteurs inexplorées du mont Kaïlas,
dans le Tibet, ce fleuve coule d'abord de TEst à l'Ouest
t. Art. Inde dans la Grande encyclopédie.
2. Il faut citer cependant la Louni, qui recueille les eaux du
versant occidental des Aravallis.
LA FLORE DE L'INDE 189
parallèlement au Trans-Himalaya, s'engage ensuite
entre cette chaîne et le Karakoroum, puis, tournant
brusquement vers le sud à la passe de Gilgit, il longe
le massif de l'Himalaya occidental et pénètre enfin
dans la plaine hindoustanique. Il reçoit alors sur la
droite la rivière de Caboul, — la Kiibhâ des chants
védiques — et plus bas le Kouram ; puis sur l'autre
rive, à Mithankot, après un long parcours dans la
direction du Sud, les cinq rivières du Pandjab, réunies
sous le nom de Pandjnad : le Tchinab — Asiknî ou
Candrabhâga,Y Akesines des Grecs, — grossi du Jheham
— Vitastà, Yhydaspes — et de la Ravi — Airâvati,
VHydraoies, — le Bias — Vipâça, VHyphasisy — et le
Satledj — Çatadrûy leZaradros, — Il continue ensuite
sa route vers le Sud, à travers une plaine aride que
ses eaux sont impuissantes à féconder; puis à 150 kilo-
mètres de la mer, il se partage en un vaste delta,
envahi par les sables *,
Deux causes contribuent à affaiblir l'Indus dans son
cours inférieur, Téloignement croissant des montagnes
dont les eaux Talimentent et la sécheresse de la con-
trée qu'il traverse depuis sa jonction avec le Pandjnad.
Il en est tout autrement du Gange qui, coulant au mi-
lieu de la région des moussons et parallèlement à
l'Himalaya, dont ses aflluents de gauche recueillent
les eaux, voit son cours incessamment grossi par les
pluies et par la fonte des neiges'. Sorti à 4 200 mètres
d'altitude d'une caverne — la « Bouche de la Vache, »
située à la base d'un glacier élevé de l'Himalaya cen-
1. Elisée Reclus, op. laud,, p. 207-220. — Art. Inde dans la
Grande Encyclopédie. — Alexander Cunningham, The ancient
Goography of India . London, 1871, in-8, carte V. — Lassen, 1, 55.
2. Art. Ganf/e dans la Grande Encyclopédie,
190 LFS PLANTKS CIIKZ LES HINDOIS
tral, le Gange — la Gang fi — court d'abord, comme
simple torrent de montagne, dans la direction du Nord-
Ouest; puis, après avoir reçu la Djahnavi, il tourne à
rOuest et se fraye un passage à travers le massif de
Kedarnath ; il continue encore de serpenter au milieu
des contreforts de THimalaya, jusqu'à sa jonction avec
l'Alakananda ; arrose les vallées pittoresques de Dehra-
Doun, retraite légendaire du héros épique Râma, et
débouche enfin dans la plaine à Haridwar; s'inflé-
chissant alors au Sud-Kst, il draine par ses affluents,
les eaux de l'Himalaya méridional et de la plaine qu'il
traverse. C'est déjà un fleuve puissant, quand il reçoit
la Djoumna — Yamunà, — sortie comme lui des
retraites intérieures de l'Himalaya, à 3328 mètres
d'altitude, et non moins sainte que lui ; elle lui apporte,
par ses affluents de droite*, les eaux des monts
Vindhya et Aravalli. Continuant toujours sa route vers
le Sud-Est, le Gange reçoit sans cesse de nouveaux
affluents, à gauche la Goumti, sortie des marais du bas
Himalaya; puis sur la droite, le Karamnas, «aux eaux
maudites », venu des collines de Kaïmour; plus loin
à gauche, la Goghra, descendue comme son affluent le
Sarda, des profondeurs du haut Himalaya ; à droite,
le Son, né dans le plateau d'Amarkantak et dont le
débit est, dans la saison des pluies, plus de mille fois
supérieur à son débit ordinaire; puis à gauche, la
Ghandak sortie des hauteurs du Népal, et le Kousi, qui
recueille en partie les eaux des sommets de l'Himalaya
oriental. Enfin à 350 kilomètres de la baie du Ben-
gale, le Gange, se divise en plusieurs branches, dont
Tune va se confondre avec le cours du Brahmapoutre.
1. (Dn particulier le Chambal, grossi de la Sipra et du Banas.
LA FLOUK DE l/JNDE 191
Sorti comme Tlndus*, de l'important massif du
Kaïlas, près du lac sacré de Mânasarowar, celui-ci
sous le nom deTsangbo, que lui donnent les Tibétains,
coule d'abord dans la direction de TEst, au fond d'une
vallée à peine explorée. Grossi par les nombreux tri-
butaires, venus soit de l'Himalaya, soit des montagnes
du Tibet méridional, qui en font déjà un fleuve consi-
dérable, il contourne l'Himalaya, se dirige vers le
Sud-Ouest, pénètre dans l'Hindousian, sous le nom de
Brahmapoutre « fils du Créateur », et réuni au Gange,
après avoir recueilli les eaux del'Assam, il forme avec
le grand /fleuve un vaste delta de 80000 kilomètres
carrés, rempli d'iles recouvertes de jungles et d'impé-
nétrables fourrés et entrecoupé d'un réseau inextri-
cable de canaux.
L'Inde présente dans sa constitution géologique et
dans son climat les contrastes les plus grands. La
Péninsule est, dans son ensemble, formée par des
terrains primitifs ; schistes cristallins, gneiss, quartz,
avec quelques granits, qu'ont recouverts, dans la partie
du Nord-Ouest, des couches horizontales de roches
basaltiques, qui ont fait éruption au début de l'époque
tertiaire ; les trapps dont ces roches sont surtout
composées, se sont décomposés, à la surface, en une
sorte d'argile, appelée latérite, qui, d'une épaisseur
souvent considérable, s'étend au-dessus des roches
primitives du sous-sol ; c'est cette latérite qui donne
aux terrains du Dekkan, leur couleur rougeâtre carac-
téristique '. Dans les vallées seules on rencontre quel-
ques terrains d'alluvions. Ce sont les alluvions, au
1 . Art. Bra/imapoulra dans la Grande Encyclopédie,
2. Middlecott, op. laud., p. v.
192 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
contraire, qui composent presque en entier la plaine indo-
gangétique; formées de lits de tourbe, alternant avec
des dépôts de chaux, de sable et d'argile, elles ont
successivement comblé la dépression, que le soulève-
ment graduel de THimalaya avait laissée entre sa
masse énorme et le plateau du Dekkan. Des îlots de
terrains plus anciens, grès rouges ou verts, schistes,
gneiss et granits, émergent seuls par place, comme
des témoins de la constitution géologique primitive de
rimmense plaine. Tels au Nord-Ouest les grès rpuges,
de la chaîne salifère — Sait range, — et les couches
de terrains primaires qui s'avancent du plateau de
Malwa jusqu'à la Djoumna, et forment toute la vallée
septentrionale du Son, ainsi que les roches basaltiques
du Radjmahal, qui expirent aux bords du Gange, près
de son confluent avec la KousiV
Non moins grandes que les diflFérences présentées
par la constitution des terrains sont celles qu'offre le
climat de Tlnde. S'étendant des côtes de Ceylan, dans
le voisinage deTéquateur, aux neiges du Karakoroum,
qui recouvrent, à 3 500 kilomètres plus près du pôle,
des pics élevés de 6 à 8000 mètres, cette immense
contrée connaît toutes les températures et tous les
climats. « Tandis que dans certaines régions l'air est
embrasé, il en est d'autres où l'homme ne peut séjourner
à cause du froid et de la raréfaction de l'atmosphère'. »
Cependant si l'on considère le rempart des monts qui
se dressent au-dessus des plaines du Gange et de
l'Indus, comme un domaine géographique à part, on
i. Suess, La face de la terre., vol. I, p. 558, 589-591. —
Vidal-Lablache, Atlas, 122, carte géologique de l'Inde.
2. Elisée Reclus, op. laud., p. 65.
La flore de l'indë m
trouve que les zones de température moyenne se suc-
cèdent assez régulièrement du cap Coraorin aux pre-
mières vallées himalayennes ; mais dans son ensemble
la presqu'île indo-gangétique est une des contrées
les plus chaudes du globe ; Téquateur de la plus
grande chaleur moyenne passe immédiatement au Sud
de la Péninsule, et la ligne isothermique de 24 degrés
atteint dans les plaines septentrionales les premiers
contreforts de THimalaya.
La plus grande égalité de température se maintient
naturellement dans les régions de Tlnde méridionale ; '
grâce à Tinfluence modératrice des eaux et des brises
marines, elle est presque constante sur les côtes. A
mesure qu'on s'éloigne de la mer, les inégalités ther-
miques deviennent plus fortes ; les chaleurs de Tété
sont beaucoup plus intenses sur les plateaux du Dekkan
que sur les côtes de Malabar ou de Coromandel, mais
Tair y est plus sec et la chaleur moins accablante.
Mais c'est la différence de latitude qui détermine sur-
tout récart de température entre les diverses saisons ;
écart qui va augmentant, quand on s'avance du Sud
au Nord ; la chaîne des Satpoura, diaphragme
géologique de l'Inde, peut être regardée comme for-
mant aussi, au point de vue météorologique, une limite
secondaire entre l'Inde septentrionale et le Dekkan.
Dans cette dernière contrée l'écart est à peine de
5 degrés et il est encore moindre dans l'ile de Ceylan ;
dans le Pandjab il est d'environ 26 degrés entre la
température du mois le plus froid, janvier (9**), et
celle de juillet, mois le plus chaud (35°; \ En été
1. Lassen, op. laud., vol. I, p. 218. — Elisée Reclus, op.
laud., vol. VIII, p. 67-69.
JORET. — Les Nantes dans V antiquité. II. — 13
194 LES PLANTES CHEZ LES IIIN^ÔLS
réquateur thermal se replie vers le Nord de manière
à passer sur cette région.
Les Aryas, qui s'étaient établis dans les plaines du
Nord, avaient divisé Tannée en quatre*, en cinq^ ou
même en six saisons, les « six jeunes hommes », qui
font tourner la roue de Tannée '. Mais cette division
est loin de convenir également à toutes les régions de
TInde. En réalité les divisions nettement tranchées du
climat s'y réduisent à trois : ce «ont les saisons de la
chaleur, dç la pluie et du froid, cette dernière même
à peu près inconnue dans le Sud*. Au point de vue de
la végétation, c'est la pluie qui compte surtout, car
sa venue ou son absence en détermine les progrès ou
Tarrêt.
En hiver, les vents du Nord-Est, qui arrivent des
déserts arides de TAsie centrale dans les plaines de
THindoustan sont dépouillés de leur humidité et ne
déterminent que par des contre-courants des pluies
rares et peu abondantes. Mais tout change au prin-
temps; Tatmosphère de la Péninsule échauffée par les
rayons du soleil, se dilate et s'élève en colonnes dans
les régions supérieures ; « TInde entière se change en
fournaise d'appel ; les masses aériennes qui reposent
1. Le printemps, l'été, l'automne et la saison des pluies.
BUjVeda, lib. X, 90,6.
2. Atharva-Veda, lib. VI, 55, 2.
3. Lassen, op. laud., voL I, p. 219. — Heinrich Zimmer,
AUindtsches Leben. Die Cultur der vedischen Arier nach den
Samhità dargestelU. Berlin, 1879, in-8, p. 40-42. — Ces six
saisons sont l'automne çarad, l'hiver hêmanta^ le printemps
vasanln, l'été grisàrnUy la saison des pluies varsha, et celle
des brouillards cicira.
4. Le dixième livre de VAlharva-Véda parle de six mois
froids et de six mois chauds, livre VIII, 9, 17, c'est-à-dire six
mois de pluie et six mois de sécheresse.
LA PLOHE DÉ L'INDE 195
sur rOcéan, saturées de vapeurs, s'ébranlent et se
portent vers la Péninsule*. » C'est là ce qui constitue
la mousson ; mais celle-ci ne se produit pas à la même
époque, ni suivant la même direction, dans la mer
d'Arabie et sur le golfe de Bengale. Dans la première
elle souffle du Sud- Ouest, dans le second du Nord-Est*.
Au commencement de juin s'amassent les premiers
nuages de la tempête, ils s'avancent lentement vers la
terre ; enfin ils atteignent les Ghates occidentales et
aussitôt l'orage éclate ; les éclairs se succèdent sans
interruption, la foudre gronde incessamment et la pluie
s'abat en torrents. Après ce premier orage commencent
les pluies régulières ; elles durenl jusqu'au mois de
septembre ; mais elles ne tombent pas partout avec la
môme intensité ; c'est sur la côte de Malabar, qu'elles
abordent de front, qu'elles sont le plus abondantes;
plus au Sud ou au Nord elles tombent avec moins de
force ; il en est de même au-delà de la chaîne des
Ghates ; quand ils la franchissent, les nuages ont déjà
perdu une partie de leur humidité ; ils arrivent presque
épuisés sur le plateau central du Dekkan, et quand les
vents qui les chassent atteignent la côte orientale, ils
y apportent la sécheresse et non la pluie.
Mais tous les nuages de la mousson sont loin de
franchir les Ghates ; arrêté par elles, le courant qui
les apporte s'infléchit vers le Nord, aborde succes-
sivement la presqu'île de Goudjerat, et le delta de
rindus, qu'il traverse, ainsi que le Sindh, sans ren-
contrer d'obstacle, et en n'y répandant que quelques
pluies d'orage; puis il atteint le Pandjab, où il ne
9
1. Elisée Reclus, op. laud., p. 71.
2. J.-D. Hooker and Thomas Thomson, Flora indica, p. 79.
196 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
détermine souvent aussi que des précipitations insuffi-
santes ou irrégulières, et enfin les premiers contreforts
de l'Himalaya, qui le font dévier vers TEst*; là, les
nuages qu'il entraîne achèvent de déverser leurs eaux,
et ils arrivent épuisés, quand ils atteignent l'Himalaya
central. Au delà cependant, les vallées inférieures du
Gange et du Brahmapoutre ne sont point privées de
pluies même à cette époque de l'année, mais ce sont
les vents du Levant qui les y amènent, devançant ainsi
la mousson du Nord-Est.
Celle-ci, qui commence en octobre, envahit d'abord
le littoral du Bengale; vers le milieu du mois elle
atteint la côte de Coromandel et arrose de ses eaux
fécondes toute la presqu'île orientale ; les pluies con-
tinues cessent en décembre, et il ne tombe plus dans
toute cette région que quelques orages ; au mois
d'avril ceux-ci disparaissent complètement, et la
période de sécheresse commence sur la moitié orien-
tale du Dekkan, en même temps que la saison des
pluies sur sa moitié occidentale*. Au Nord dans la
plaine gangétique les choses se passent autrement; les
pluies qui n*ont pas cessé pendant le printemps et
l'été redoublent avec la mousson du Nord-Est ; poussés
par les vents, les nuages s'engouffrent dans les basses
vallées du Brahmapoutre et du Gange inférieur, et
vont s'abattre en torrents sur les contreforts de l'Hi-
malaya oriental ; les pluies qu'ils déversent sur toute
cette contrée coïncident avec la fonte des neiges, et
« les fleuves grossissent à la fois des eaux que leur
apporte le vent et de celles que leur envoie la mon-
1. Lassen, op. laud,, vol. I, p. 211-213.
2. Lassen, op. laud., vol. I, p. 211.
LA FLORK DE L'INDE 197
tagne*. » La quantité de pluie qui tombe annuellement
dans cette région, surtout dans le Sikkim, est énorme;
elle est cependant encore plus considérable sur les
hauteurs qui dominent la rive gauche du Brahma-
poutre; dans une vallée des monts Khasia elle atteint
16 mètres en moyenne. Elle dépasse à peine 7 mètres,
ce qui est encore prodigieux, dans certaines vallées
des Ghates occidentales ouvertes du côté de TOuest *.
Ce sont là les hauteurs d'eau les plus grandes qui
tombent dans THindoustan ; elles diminuent singuliè-
rement, quand on s'avance vers le Sud ou vers le
Nord-Ouest; dans les plaines basses du Travancore la
moyenne des précipitations n'est plus que de deux mè-
tres et d'un mètre seulement au cap Comorin, à l'extré-
mité méridionale de la Péninsule ; elle peut descendre
aussi de 1",50 à 1 mètre dans le Sindh et le Pandjab,
ainsi que dans le haut bassin du Gange. Ces différences
dans les quantités d'eau que reçoit le sol de l'Inde, la
durée inégale surtout de la période pluvieuse ont une
influence considérable sur la végétation de cette con-
trée ; « là où la chute d'eau moyenne est de 3 mètres
à 3™, 75 ou davantage encore, là se développe dans
toute sa fougue l'impénétrable forêt tropicale avec
son feuillage toujours vert ; dans les endroits où la
précipitation varie de 1™,50 à 2'°,50, les pentes des
collines n'offrent plus qu'un fourré de bambous parsemé
d'arbrisseaux'. »
L'inégalité dans les précipitations aqueuses et dans
la température de l'Inde a exercé, avec les différences
1. Elisée Reclus, op. laud., vol. VI H, p. 78.
2. Hermann von Schlagentwcit-Sakùrilunski, Heisen in In-
dien und Hochasxen, lena, 1869, in-8, vol. I, p. 106.
3. Elisée Reclus, op. laud., vol. VIII, p. 76-77.
198 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
d'altitude, Tinfluence la plus grande, non seulement
sur la croissance, mais encore sur la distribution des
espèces végétales à la surface du sol hindou, non
moins que sur les formes qui les caractérisent. Ce
sont elles en particulier qui ont établi une distinction
entre la flore tropicale et la flore non tropicale de cette
contrée. La plus grande partie du Nord-Ouest, le
désert de Thar et le Pandjab presque entier se rat-
tachent à la flore des steppes de TAsie antérieure,
dont plusieurs représentants atteignent là leur limite
orientale. Au Sud de cette région ont môme pénétré de
nombreuses espèces de la flore africaine ou déser-
tique *. Au Nord, au contraire, dans la haute vallée de
rindus et dans THimalaya occidental ce sont surtout
des espèces européennes que Ton rencontre'. C'est à
l'Est de cette double région que commence le domaine
de la flore véritablement hindoustanique ; exclusive-
ment tropicale dans la presqu'île proprement dite
— plateau du Dekkan, côtes de Malabar et de Coro-
mandel, — ainsi que dans l'île de Ceylan ; flore tropi-
cale encore dans la région himalayenne orientale jus-
qu'à 900 mètres d'altitude, elle devient sous-lropicale,
de 1000 à 3 600 mètres \
Variant avec la quantité plus ou moins grande de
pluie, la nature du sol ou l'élévation de la température,
la flore de chacune de ces contrées a revêtu un carac-
1. « More thannine-tenthsofthe Si ndh végétation... consists
of plants which are indigenous in Africa ». J.-D. Hooker and
Thomas Thomson, Flora indien, vol. I, p. 152.
2. Dietrich Brandis, The Foi-est Flora of North- Wesi aiid
central India. Préface, p. vu. — Oscar Drude, Handbuch der
Pflanzengeographie, p. 478.
3. J.-I). Hooker and Th. Thomson, Flora indica, vol. I,
p. 101-114.
I.A FLORE HE L'INDE 199
tère particulier ; les espèces s'y sont diversement ré-
parties et y ont pris un aspect différent et distinct.
Sur les terrasses planes et humides du Teraï, le sol
de gravier porte des sais et des sissous *, qui se dres-
sent au-dessus des bambous et des palmiers nains. La
dépression marécageuse qui s'étend au-dessous est
complètement garnie d^herbes hautes et de roseaux,
fourrés habités par le tigre et assez élevés pour cacher
les éléphants*. Plus haut dans la montagne s'étend la
forêt dont le développement est, surtout dans le Sik-
kim et dans la région du Khasia, favorisé par Tabon-
dance des précipitations aqueuses et l'humidité pres-
que constante de l'atmosphère. « Variée dans ses formes,
réunissant les représentants des climats tempéré et
tropical, riche en teintes diverses, abondante en pro-
duits les plus rares et à configuration la plus délicate,
cette magnifique végétation, dit Hooker^ ne se déve-
loppe point sous l'action de Thaleine réchauffante d'un
printemps serein, mais croit mystérieusement au mi-
lieu des épais brouillards ; privée du ciel azuré et des
rayons radieux du soleil, indifférente aux torrents de
pluie qui l'inondent, elle pousse, sans s'en inquiéter, ses
bourgeons, ses fleurs et ses fruits. »
Les pluies abondantes des monts Khasia, en particu-
lier, ont donné naissance à la végétation la plus luxu-
riante et la plus variée ; toutes les* vallées de ce pays
privilégié sont couvertes de forêts éternellement vertes,
et on y trouve réunies les espèces de la flore hindous-
1. Shorea robusta Gaertn. et Dalbergia Sissoo Roxb.
2. Grisebach, Die Végétation der Erde, vol. II, "p. 37. Trad.,
vol. II, p. 48.
3. Mission ta India. {Hookers Journal of Bolany, vol. II,
p. 59).
200 LKS PLANTES CHEZ LES HINDOUS
tanique et celles de la flore malaise ou de la Chine*.
Dans les contrées plus occidentales de la même région
himalayenne, Assam, Bhoutan, Népal, quoique les
précipitations soient moins considérables, les pluies
sont suffisantes pour entretenir la végétation arbores-
cente ; les forêts de jungles s'y étendent sur une longueur
d'environ 36'. Mais à l'Ouest du Népal, elles dimi-
nuent d'importance et deviennent plus uniformes ; les
espèces tropicales y disparaissent successivement, et
dans la vallée de Tlndus elles font place aux plantes
de la flore iranienne ou même européenne.
Ces dernières apparaissent aussi, mêlées, à partir
d'une certaine hauteur, aux espèces des tropiques dans
les forêts de l'Himalaya; arrosées par les pluies des
moussons et par la fonte des neiges, double source
d'irrigation qui agit simultanément pour élever la
limite des arbres, les pentes de la grande chaîne
offrent les conditions les plus favorables à la végétation
forestière et herbacée. « L'Himalaya indien peut être
considéré, dit A. Grisebach ^ comme un groupe de cen-
tres de végétation, où la nature a produit une énorme
variété de formes... Par la richesse en végétaux
ligneux qui lui sont propres, il l'emporte sur toutes
les hautes montagnes de l'ancien monde. En exceptant
les graminées, les genres européens de la plupart des
autres familles se retrouvent ici enrichis par de nom-
breuses espèces endémiques, et les espèces tropicales
sont représentées au moins par quelques formes
indigènes. » La prédominance de ces organisations
1. J. D. Hooker and Thomson, Flora indica, vol. 1, p. 99.
-Grisebach, op, laud., vol. II, p. 40. Trad. II, p. 52.
2. Die Végétation der Erde, vol. II, p. 56. Trad., II, p, 72.
LA FLOrtK DE L'fNDE 201
particulières permet de caractériser les diverses ré-
gions végétales de l'Himalaya.
Ce qui distingue spécialement la végétation de la
grande chaîne hindoustanique, c'est le mélange de
formes européennes et même arctiques ou sibériennes
avec celles des tropiques, ainsi que des plantes immi-
grées avec les plantes endémiques. Dans l'Himalaya
occidental, des herbes vivaces tropicales, aussi bien
que des plantes annuelles ayant une courte période de
4
végétation, s'élèvent jusqu'aux forets de la zone tem-
pérée, où elles peuvent, durant Tété, parcourir les di-
verses phases de leur vie végétative. Avec l'accroisse-
ment de l'humidité et la diminution des différences
entre les saisons, le même phénomène se reproduit au
Sikkim pour d'autres plantes tropicales, insensibles
à l'abaissement de la température. Dans les plus hautes
régions de l'Himalaya indien, les végétaux de la zone
arctique retrouvent par suite de la fonte graduelle de
la neige hivernale, la période réduite de végétation qui
correspond à leur développement, mais ils y sont mé-
langés avec des espèces indigènes tellement analogues
à celles de leur propre zone, qu'on peut se demander
si celles-ci ne constituent pas autant d'espèces immi-
grées*. L'Himalaya occidental présente également des
formes de steppes, tantôt elles y habitent les régions
alpines ; d'autres fois elles s'élèvent de la plaine du
Pandjab dans le massif montagneux, qui, par l'inter-
médiaire de l'Afghanistan, se rattache aux climats
secs de l'Asie et de l'Afrique. La zone qui s'étend du
Koumaon à la vallée de l'Indus est caractéristique à
cet effet comme domaine de transition : sa flore ne ren-
1. Grisebach, op. laud., vol. II, p. 57. Trad., II, 73.
202 LES PLANTES CHEZ LES UINDOUS
ferme que peu d'espèces indigènes, la plupart sont
originaires des pays voisins. Ainsi la plupart des ar-
bres forestiers paraissent fournis par l'Himalaya in-
dien ; les plantes de steppe viennent du Tibet, et les
plantes de la flore tempérée sont venues de la région
du Caucase et de plus loin encore*.
Le Khasia et le Sikkim possèdent en commun dans
leurs parties élevées beaucoup d'espèces de la région
tempérée ; on en trouve même un certain nombre dans
les Nilghiris, massif le plus considérable des Ghates
occidentales, qui n*a de jungles forestières que dans
ses vallées abruptes, et dont les hauteurs sont en grande
partie déboisées. On y rencontre aussi plusieurs
genres européens : gentianées, labiées, rosacées, qui
font défaut aux plaines de la Péninsule. Mais c'est
en plantes indigènes surtout que la flore de Tlnde tro-
picale est riche. A Texception du Cap, c*est dans la
région des moussons que le chiffre de ces plantes est
le plus considérable '. On a estimé que la flore indienne
pouvait compter 12 à 15000 espèces, dont les trois
quarts lui appartiennent en propre ; mais ces espèces
sont disséminées très inégalement sur tout le terri-
toire '. C'est dans l'Assam, où se trouvent réunies les
diverses végétations de l'Himalaya, du Khasia et du
Bengale, que le nombre des espèces indigènes est le
plus grand. Les districts arides sont naturellement bien
moins riches que ceux qui sont placés sous un climat
humide. Les plaines, ainsi que les collines de THin-
doustan, sont pauvres en plantes, et elles le seraient
•
1. Grisebach, op. laud.j voL II, p. 58. Trad., Il, 74.
2. Grisebach, op. laud.y vol. II, p. 58-61. Trad., vol. II,
p. 75-80.
3. J.-D. Hooker and Thomas Thomson, Flora indica, p. 91.
J
LA FLORE DK L'LNDE 203
encore davantage si pendant la saison pluvieuse on ne
voyait pousser une foule d'herbes vivaces : légumi-
neuses, scrofulariées, acanthacées, etc., qui n'offrent
d'ailleurs que peu de variété» et dont la fleuraison
même est de bien courte durée*.
Dans la flore de Tlnde presque toutes les familles
végétales du globe sont représentées, et elles y sont
plus régulièrement réparties que dans la zone tem-
pérée, mais le nombre de genres ou d'espèces qu'elles
renferment est bien différent. Les l(?gumineuses, les
rubiacées et les orchidées sont celles qui en comptent
le plus; les urticées en contiennent aussi un nombre
considérable ; les graminées, au contraire, y sont rela-
tivement peu nombreuses. Mais les aurantiacées, les
diptérocarpées, de même que la plupart des balsami-
nées, semblent être originaires de cette région. Pres-
que aucune de ses familles, toutefois, ne paraît circon-
scrite dans une région déterminée. Loin de là, il y a
des espèces arborescentes qu'on rencontre également
dans les contrées les plus éloignées. Néanmoins des
montagnes d'une structure particulière, telles que celle
du Khasia et des Nilghiri, semblent posséder plu-
sieurs formes qui leur sont propres*. L'altitude, la
sécheresse ou l'humidité sont les facteurs qui agissent
le plus énergiquement sur la répartition des espèces
prédominantes. Certaines formes végétales, par exem-
ple, tout en descendant très bas, sont limitées aux
pentes montueuses de la région tropicale de l'Himalaya
1. « La végétation qui les couvre (les montagnes de l'Hima-
laya), est monotone comme elles », dit Victor Jacqueraont.
Voyage dam Vlnde, Paris, 1841, in-fol., vol. II, p. 130. —
Grisebach, op. laud., vol. H, p. 62. Trad., II, 82.
2, Grisebach, op. laud., vol. II, p. 63. Trad., II, 83,
20i LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
et des Ghates et n'atteignent point la plaine propre-
ment dite ; d'autres se rencontrent seulement dans les
parties les plus humides de la chaîne himalayenne
orientale et disparaissent progressivement à mesure
qu'on pénètre dans la région plus aride du bassin de
^ndus^
Un des traits caractéristiques de la flore tropicale
de rinde c'est le grand nombre de végétaux ligneux
qu'elle renferme et l'abondance des plantes volubiles
qui y croissent, ainsi que des épiphytes fixés aux
troncs des arbres qu'ombragent les sombres voûtes de
la forêt*. Au milieu de cette variété si grande d'espè-
ces, Grisebach a distingué certains types végétaux
caractéristiques. Un deâ plus curieux est celui des
palmiers, dont le tronc indivis porte à son sommet,
non une couronne de rameaux, mais un feuillage lar-
gement et subitement épanoui, flabelliforme ou penné,
réuni en rosette. Ces arbres monocotylédonés, si nom-
breux dans la région hindoustanique des moussons
— on en compte plus de 123 espèces, — constituent le
trait le plus saillant de la physiognomie du paysage
tropical. Ils ne sont pas d'ordinaire de haute taille et
quelques-uns mêmes ont des proportions naines; d'au-
tres, les plus nombreux, affectent la forme de lianes;
mais plusieurs aussi comptent parmi les espèces végé-
tales les plus grandes, tel que le Cori/pha parasoP,
qui, au Malabar et dans l'île de Ceylan, atteint 22 mè-
tres de hauteur, tel surtout que le cocotier * des îles
1. Grisebach, op. laud., voL II, p. 67. Trad., II. p. 89.
2. Grisebach, op. laud., vol. II, p. 8. Trad., Il, 10. —
J. Costantin, La nature tropicale. Paris, 1899, in-8, p. 27.
3. Corypha umbraculifera L.
4. Cocos nucifera L. ; Grisebach dit, op. laud., vol. II, p. 10
LA FLORE DE L'INDE 205
Andanian, dont le tronc s'élève parfois jusqu'à 30 mè-
tres.
En leur qualité d'arbres toujours verts, les palmiers
exigent un contingent constant d'eau fourni par les
racines ; aussi la variété de leurs espèces augmente
avec l'intensité et la durée des précipitations aqueuses,
comme avec l'accroissement de la température. Quel-
ques-uns réclament les climats arides, tel que le pal-
mier à éventail', qui habite les plateaux desséchés de
Mysore, mais ne pousse plus sur le Gange supérieur
près de Dehli. Pour cette raison les formes de pal-
miers sont moins variées et moins nombreuses dans
rinde antérieure' que dans le reste de la Péninsule. La
plaine supérieure du Gange n'en possède qu'une espèce,
le dattier sauvage ; sur la côte peu arrosée du Gar-
natic, on ne trouve aussi que quatre palmiers de haute
taille, dont un seul même indigène. Les forêts hu-
mides du littoral d' Crissa elles-mêmes en renferment
encore assez peu ; le nombre ne s'en accroît considé-
rablement que lorsqu'on entre du Bengale dans le
bassin si puissamment arrosé du Brahmapoutre '.
Outre l'humidité et la chaleur les palmiers ont besoin
de beaucoup de lumière ; aussi croissent-ils dispersés
au milieu des forêts à essences feuillues, s'écartant
«
des ombrages épais pour recevoir les rayons du soleil,
ou, lorsqu'ils sont assez grands, s'élevanl au-dessus
de la couronne des arbres dicotylédones.
(13) que le cocotier est originaire de TAmérique tropicale ;
Hooker, Flora of Britiih India. London, 1894, vol. VI, p. 483,
rindiqae, d*après Kurz, comme indigène dans l'île d*Andaman.
1. Borassus flabellifer L., flabelliformis Roxb.
2. Elle n'en compte que 19 espèces.
3. Grisebach, op, laud., vol. 11, p. 10-12. Trad., II, 14-13.
V.
206 LES l'UNTKS CIlIlZ LES HINDOUS
Les différences qu'on remarque dans la végétation
des palmiers tiennent à leurs dimensions, à la forme
cylindrique ou renflée de leur tronc, à sa flexibilité ou
à sa rigidité, aux épines de certaines espèces, ainsi
qu'aux racines aériennes destinées à servir d*appui à
Tarbre. Tandis qu'en Afrique le palmier nain n'appa-
raît qu'au Nord, à la limite septentrionale de l'ancien
continent, dans le domaine des moussons on trouve
des palmiers nains à feuillage persistant dans les con-
trées les plus chaudes de la zone tropicale ; tel est le
Nipa des côtes des Sanderban et de Ceylan, qui
enfonce ses organes souterrains dans le sol limoneux
du littoral et élève rarement de quelques pieds au-
dessus de ce dernier son tronc que couronne une puis-
sante rosette de feuilles pinnatifides de 4 à 8 mètres
de longueur, une des formations les plus remarquables
de l'océan Indien*.
Les palmiers-lianes — les rotangs, ainsi qu'on
les appelle du nom d'une espèce du Sud de l'Hindous-
tan, — diffèrent des palmiers à haute taille en ce qu'en
leur qualité de végétaux volubiles, ils s'appuient sur
les arbres des jungles et s'élèvent sur eux à une hau-
teur considérable ; leur tige, qui n'a pas besoin de se
soutenir par elle-même, n'a souvent que la grosseur
du doigt, mais parfois elle prend en grimpant d'un
arbre à l'autre, un développement extraordinaire ; on a
pu suivre des troncs de rotangs sur une distance de
plusieurs centaines de pieds, sans atteindre leur extré-
mité. Souvent ils se cramponnent à l'aide de vrilles
épineuses produites par le prolongement de leurs pé-
1. Grisebach, op. laud., vol. II, p. 13. Trad., vol. II, p. 16.
— Hooker, op. laud., vol. VI, p. 424.
La flore de L'INDE 207
tioles, et les épiues dont les gaines de leurs feuilles se
trouvent ordinairement hérissées sont bien plus fortes
encore *. Ce sont ces rotangs, répandus partout dans
les forêts du domaine des moussons, qui, plus que
toute autre liane volubile, rendent les jungles indiennes
inaccessibles, et offrent aux grands fauves de la ré-
gion un refuge assuré. On ne peut y pénétrer qu'en se
frayant un passage à coups de hache.
Les pandanées, qui prennent place à côté des pal-
miers, en diffèrent par une rosette composée de feuilles
simples et recourbées, ainsi que par leur tronc divisé
en plusieurs branches. J. D. Hooker a représenté' un
de ces arbres dans la vallée de la Tista, qui, haut de
50 pieds, se cramponne aux rochers par ses racines
adventices, comme par autant de câbles. Les panda-
nées semblent, d'après leur constitution, avoir moins
besoin de Tabsorption constante de Teau par leurs
racines que de Thumidité atmosphérique qui s'oppose,
non moins que leur rigide feuillage, à Tévaporation de
la sève'. Aux pandanées on peut joindre les dracénées,
qui représentent les liliacées arborescentes dans la
région hindoustanique des moussons. On peut aussi
en rapprocher le bananier, genre de la familte voisine
des scitaminées, caractéristique de la flore des jungles
de THindoustan oriental. Son axe très court porte des
feuilles alternes, qui, munies d'une gaine large et
longue, sont terminées par un limbe très développé,
garni en dessous d'une nervure dorsale saillante. En
s'emboîtant les unes dans les autres, ces gaines simu-
lent une tige uniquement composée de parties appen-
1. Grisebach, op. land., vol. II, p. 14. Trad., II, 17.
2. Ilimalayan Journals, London, 1354, in-8, vol. Il, p. 9.
3. Grisebach, op. iaud., vol. II, p. 15. Trad., II, 20.
208 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
diculaires et aa sommet de laquelle s'étalent les lim-
bes réfléchis des feuilles ; ce qui donné à la plante le
port et l'aspect d'un palmier. Un régime spiciforme,
allongé et recourbé, qui sort du milieu des feuiUes,
complète Tanalogie * .
Parmi les végétaux ligneux monocotylédonés, les
bambous se distinguent comme les palmiers, par une
grande variété de formes et par une extension encore
plus étendue. Leur taille ordinaire est de 3 à 16 mè-
tres ; mais il est des espèces dont le tronc atteint au
delà de 32 mètres de hauteur. L'épaisseur du tronc
varie entre 3 décimètres et quelques millimètres. La
couleur de leur feuillage varie du vert pur aux teintes
jaunes mates. Les bambous épineux sont plus bas ;
leurs tiges entrelacées entre elles forment des fourrés
presque impénétrables. La plus grande longueur est
atteinte par les espèces à végétation de lianes, dont
les branches, munies de délicates toufies de feuilles,
pendent élégamment de la couronne des arbres qu'elles
enlacent. Semblables à des roseaux gigantesques,
leurs stipes s'élancent du sol, où gazonnent leurs sou-
ches entremêlées, et s'inclinent ensuite de tous côtés
en décrivant des arcs de verdure*. Si, sous l'influence
de précipitations abondantes, ils poussent pour ainsi
dire à vue d'œil, ils peuvent aussi supporter un climat
sec et les arrêts forcés que le manque d'humidité
amène dans leur développement ; partant ils sont
aussi bien indigènes dans les forêts humides que dans
les savanes arides, et ils peuvent même prospérer à
une température relativement basse.
1. H. Bâillon, Dictionnaire de Botaniquey vol. I,p. 359.
2. Grisebach, op, laurL, vol. Il, p. 14. Trad., II, 18.
LA FLORE DE L»INDE 200
Les fougères arborescentes de la région tropicale
de THimalaya oriental terminent la série des formes
végétales à tronc ligneux non ramifié. Peu élevées
dans la majorité des cas et n'atteignant guère la cou-
ronne des essences dicotylédonées qui les ombragent,
on les rencontre dans les forêts et les montagnes, où
s'accumule et se condense la vapeur aqueuse, appor-
tée de la surface des mers, et où domine cette tempé-
rature uniforme qui rend possible une végétation non
interrompue *.
Malgré l'abondance des diverses formes de monoco-
tylédonées dans les forêts tropicales de l'Hindoustan,
ce sont les arbres dicotylédones néanmoins qui en
constituent de beaucoup l'élément dominant; mais
leur variété est si grande qu'il est difficile de prendre
aucune espèce pour type déterminant ; on peut et on
doit toutefois signaler certains caractères particuliers
que présente la végétation de quelques espèces. Si
dans leur ensemble les essences forestières de la ré-
gion tropicale n'égalent pas d'ordinaire en hauteur les
espèces des pays tempérés, il en est quelques-unes
cependant qui s'élèvent fort haut, tel que le rasamala^
qui atteint jusqu'à 25 mètres d'altitude, et surtout le
gurpin \ le plus grand des arbres des forêts de l'Hin-
doustan, dont le tronc mesure parfois 60 mètres, •
mais a ceci de remarquable que, sur une longueur de
16 à 20 mètres, il ne subit au-dessous de la couronne
aucun amincissement notable, condition de force re-
quise pour supporter le poids énorme des branches.
1. Grisebach, op. laud., vol. H, p. 16. Trad., II, 21.
2. Altingia exceUa Noronha.
3. Dipterocarpus lurbinatus Gaertn. — J.-D. Hooker, Hima
layan JournaU, vol. II, p. 3^8.
JoRET. — Les Plantes dans V antiquité. IL — 14
210 LES PLANTES CÏIEZ LES HINDOUS
Chez les végétaux, dont la ramification descend très
bas, comme dans le type des bombacées, le même but
est atteint par le gonflement du corps ligneux. A cet
eflfet servent bien plus fréquemment les tablettes li-
gneuses ou bandes verticales, qui font saillie au bas du
tronc des arbres tropicaux. Ces excroissances ou sup-
ports, qui ne se forment ou n'entrent en fonction que
quand Tarbre a atteint un certain âge et que sa cou-
ronne a acquis un certain développement, sont rem-
placés dans d'autres cas par des racines aériennes qui
se détachent librement du tronc*.
L'échafaudage de racines aériennes, qui, dans les
végétaux appartenant aux formes de banians et de
mangliers, servent d'appui aux couronnes de feuilles
et les rattachent énergiquement les unes aux autres,
manifeste, de la manière la plus frappante, la tendance
naturelle que les arbres semblent avoir de se consoli-
der sur le sol. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que
ces racines aériennes lignifiées ne viennent point de la
surface latérale du tronc, mais croissent sur les bran-
ches de haut en bas. « Chez le banian* et chez toute
une série d'autres espèces de figuiers tropicaux, le
tronc principal reste faible et même assez bas jus-
qu'au point de sa ramification ; il germe, à ce qu'il
paraît, presque toujours à titre de parasite sur d'autres
arbres, tels que les palmiers, qu'il embrasse de ses
premières racines aériennes et finit par étouffer. Une
fois les supports de ses propres branches assurés, le
développement de ces dernières en sons horizontal
devient illimité. Los supports sont convertis en nou-
1. Griscbach, op. land., vol. H, p. 18. Trad., II, 23.
2. Ficus indica Roxb. ou hrngairnxis L., appelé aussi par-
fois « figuier des pagodes. »
LA FLORE DE L'INDE 211 \
veaux troncs, et Ton voit alors les couronnes se suc-
céder comme pour former autant de dômes d'une seule
colonnade*. » Ici les figuiers ont pour appui leurs pro-
pres racines aériennes, leur tronc n'étant pas en état
de leur en offrir un à lui seul. Dans d'autres cas,
comme chez la Wightia *, les racines aériennes s'enla-
cent autour des arbres voisins *, ou bien leurs troncs
mômes deviennent des lianes, passant ainsi de la forme
indépendante à la forme volubile par une transition
que nous ont offerte déjà certains palmiers, et qu'on
rencontre encore dans d'autres familles.
C'est à soutenir le tronc lui-même non moins que
l'échafaudage des branches que servent les racines
adventives chez les palétuviers ou mangliers. « Bordant
les côtes tropicales, dont le sol uni consiste en limon
fortement argileux, les troncs rabougris de ces arbres
couronnés de coupoles d'un feuillage luisant, s'élèvent
de 3 à 9 mètres au-dessus de la surface de la mer,
dont les flots pénètrent dans leur enceinte forestière.
A l'époque du reflux on voit, mises à nu, les racines
qui, surgissant en guise d'arcs-boutants ramifiés, plon-
gent par leur extrémité inférieure dans le sol limo-
neux et supportent par l'autre extrémité le tronc qui
se balance librement dans les airs. Sur un sol mou,
qui chaque jour se trouve deux fois fortement sub-
mergé par la mer, la germination de la semence et la
1. Grîsebach, op. laud., vol. II, p. 20. Trad., H, 25.
2. Wightia gipanlea V^all., plante de la famille des Scro-
phularices, dont les racines adventives enlacent le tronc de
Farbre-support, à côté duquel elle se dresse. J.-l). Ilooker,
Himalayan Journnla, vol. I, p. 16'*.
3. Un autre exemple de cette végétation aérienne et parasite
nous est offerte par le Ficus parasilica Kœn., F, Ampelos
Roxb. — Brandis, The Forest Flora, p. 420.
12 LES PLANTES CHEZ LES IIINDOLS
fixation delà radicule seraient impossibles ; c'est pour-
quoi les fruits, allongés en silique et suspendus verti-
calement, ne se détachent des branches-mères que
lorsqu'ils ont donné naissance ù un nouvel arbre, qui.
semblable à un vaisseau reposant sur plusieurs ancres,
est assez fortement étayé, pour résister au mouvement
des vagues*. »
Les feuilles des arbres dicotylédones de THindous-
tan n'offrent pas, dans leur formation, de caractère
moins distinctif que leur tronc ; le plus important et le
plus général est la solidité et la persistance, consé-
quence de la température uniforme et de la durée de
la période pluvieuse. La flore de la région des mous-
sons est la plus riche en arbres toujours verts. Le type
de laurier, qui en est une des formes caractéristiques,
est le plus fréquent qu'on rencontre dans les jungles
de rilindoustan tropical. Les forets humides de cette
vaste contrée sont riches en espèces de certaines fa-
milles qui appartiennent à ce type, telles que les ru-
biacées, les urticées et anonacées, sapotacées, com-
brétacées, guttifères et myristicées, myrtacéos,
magnoliacées, hamamélidées et diptérocarpées, etc.
Tandis que la persistance des feuilles est un des traits
caractériques des arbres de la zone tropicale, quelques
essences font exception et perdent, comme cela a lieu
pour tant d'espèces soudanîennes, leurs feuilles pen-
dant la saison sèche. Tel est le teck, verbenacée à
feuilles dont le diamètre dépasse un pied, et qui tom-
bent dès que la saison sèche commence \
1. A. Grisobach, op. laufl., vol. H, p. 20. Trad., Il, 26. —
A.-F.-\V. Schimper, Pflanzen'ireographie auf physiologischer
Grmullaf/e. Jena, 1808, in-8, p. Vi6.
2, A. Grisebach, op. laud., vol. II, p. 22. Trad., II, 29.
LA FLORE DE L'INDE 213
Le type le plus fréquent, après la forme de laurier,
est celui du tamarin, à feuillage toujours vert aussi,
mais composé ; il est représenté par des légumineuses,
sapindacées, méliacées et térébinthacées. Par le dé-
croisseraent graduel du nombre des organes latéraux,
la forme de tamarin passe graduellement à un type
foliacé plus simple, comme dans le paiera \ dont les
feuilles n'ont que trois divisions, de dimensions con-
sidérables, il est vrai. Chez les aurantiacées même,
la feuille originellement pennée se change en feuille
indivise de laurier, à la suite de la suppression des
sections latérales, qui se trouvent cependant encore
indiquées par Tarticulation et la forme du pétiole.
Lorsque des jungles humides de THimalaya indien on
passe dans les plaines arides du Pandjab, le contraste
des climats se manifeste dans les formes végétales,
et Ton voit les feuilles simples du laurier faire place
au type composé des feuilles propres aux mimosées
épineuses ; on retrouve encore ces dernières, associées
au palàça dans la région chaude et presque dénuée de
pluie du Dekkan*.
La transition de la forme de laurier à la forme
d'olivier, et de celle-ci à la forme foliaire grêle des
essences résineuses, se trouve représentée dans certains
conifères indiens, les podocarpes, qui habitent les
monts Khasiaet l'Himalaya tropical; quant aux feuilles
aciculaires des autres conifères qui, de persistantes
qu'elles sont d'ordinaire, deviennent caduques chez
le mélèze^ du Népal et du Bhoutan, elles dispa-
raissent complètement dans les casuarinées de la côte
1. Butea frondosa Roxb.
2. A. Grisebach, op. laud., voL II, p. 23. Trad., II, 30.
3. Larix Griffithii Hooker.
214 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
orientale du Bengale, chez lesquelles ractivité du
feuillage est remplacée par des branches aphyllesV
Les végétaux ligneux à basse tige, qui forment le
sous-bois des forêts de TAsie antérieure, sont bien
plus nombreux dans les jungles et les régions fores-
tières de THindoustan ; on y trouve des fourrés de
menus bois composés particulièrement de buissons
appartenant aux formes d'oléandre et de myrte — mé-
lastomacées, rubiacées, éricacées, urticées. — Dans
les parties arides de la Péninsule, les végétaux ligneux,
petits bambous, arbustes épineux et autres formes
qui rappellent les maquis, forment presque à eux
seuls les jungles, au milieu desquelles se dressent
quelques arbres rabougris, qui perdent leurs feuilles
pendant la saison d'été. Plus le sol devient aride
et le climat sec, plus le nombre des arbustes épi-
neux augmente; Ton passe ainsi, dans la plaine du
Nord-Ouest, d'une manière insensible de la flore tro-
picale à celle des steppes de TAsie antérieure ou
même des déserts do l'Afrique '.
Parmi les plantes non ligneuses des forêts tropi-
cales, les scitaminées, les aroïdées et les fougères her-
bacées offrent les formes les plus caractéristiques par
la configuration particulière de leurs feuilles et par leur
mode de croissance. Parleurs feuilles, les scitaminées,
dont le groupe indien le plus important est celui des
zingibéracées, ressemblent au bananier ; leurs tiges .
groupées en faisceaux peuvent atteindre jusqu'à près
de cinq mètres, mais leur tronc reste tendre et her-
bacé. Des épis floraux, resplendissants de belles teintes
1. J.-I). llooker, The Flora of British India, vol. V, p. 655
et 598. — A. Grisebach, op. laud., vol. II, p. 2'*. Trad. II, 31
2. A. Grisebach, op. laud., vol. II, p. 31. Trad., H, 40.
LA FLORE DE L'INDE 215
rouges OU orangées, s'élèvent soit du bas de la tige,
soit de son sommet*.
Les aroïdées se font remarquer par une rosette de
feuilles longuement pétiolées, souvent sagittées ou
cordées à leur base et qui atteint parfois des dimen-
sions colossales. Agglomérées le long des cours d eau,
elles animent de leur luxuriante végétation les rives,
sur lesquelles on les voit surgir du fond du sol limo-
neux. Malgré Ténorme quantité d'eau qu'exige leur
développement, elles croissent également au milieu
des fourrés des jungles, et parmi les épiphytes des
arbres. Le développement des feuilles prédomine éga-
lement chez les fougères herbacées ; revêtant le sol
ou tapissant les rameaux des arbres de la variété de
leurs formes, ces gracieux végétaux, par la diversité
que leurs frondes présentent, soit dans leurs dimen-
sions, soit dans leur configuration, occupent le pre-
mier rang parmi les plantes verdoyantes qui recher-
chent l'ombrage des forêts humides. Le nombre de
leurs espèces et leur fréquence s'accroît avec la
fréquence des précipitations aqueuses ; abondantes
dans le Bengale et dans la région orientale de l'Hima-
laya exposée aux pluies de la mousson, elles dispa-
raissent sur les plateaux arides à l'occident de la
Péninsule^
Si quelques plantes vivaces, telles que les acantha-
cées, si richement représentées dans la flore hindous-
tanique, passent fréquemment, sous les tropiques, aux
formes frutescentes, par suite de la lignification des
parties inférieures de la tige, d'autres espèces : bégo-
1. A. Grisebach. op. laud., vol. H, p. 32. Trad., II, 40.
2. A. Grisebach, op. laud.y vol. II, p. 32. Trad., II, 41.
216 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
niacées des forêts humides, balsaminées des diverses
régions de Tliide antérieure, présentent un phénomène
tout différent ; leur tissu reste tendre et translucide.
La forme la plus singulière est offerte par les népen-
thées, sous-arbrisseaux de la région forestière des
montagnes équatoriales, qui rampent sur le sol ou sur
la surface de la roche, et chez lesquelles les fouilles
se convertissent en grosses outres pleines d'eau pota-
ble et susceptibles d'être fermées à l'aide d'un cou-
vercle*. L'énumération des formes végétales herbacées
de la flore indienne serait incomplète, si je ne rappe-
lais en finissant, parmi les plantes aquatiques, les
nymphéacées, dont une espèce en particulier, le Ne-
lumbiitm, répandue dans l'Inde entière, a pris, nous
le verrons, un caractère symbolique qui la recommande
déjà à l'attention.
Nous arrivons maintenant aux deux formes caracté-
ristiques de la végétation tropicale, celles du moins
qui en forment le tableau le plus riche : les lianes et
les épiphytes. On rencontre des plantes volubiles sous
tous les climats ; mais nulle part ces plantes ne se
comptent en aussi grand nombre que dans la région
des tropiques ', ni n'appartiennent à autant de familles
différentes; on trouve dans Tlnde des lianes dicotylé-
donées à tronc mince et ligneux parmi les légumi-
neuses, les euphorbiacées, les urticées, les ampélidées ;
quelques familles, comme les sapindacées, les mélas-
tomacées, les olacinées, les gentianées, les pipéracées,
les laurinées, renferment des genres caractéristiques à
cet égard; d'autres, comme les convolvulacées, les cucur-
1. A. Grisebach, op. iaud., vol. II, p. 33. Trad., II, 43.
2. A.-F.-W. Schimper, Pflanzen-Geographie, p. 212.
LA FLORE DE L'INDE 217
bitacées et les asclépiadées, ne sont composées que de
plantes volubiles ; il en est de même de la famille mo-
nocotylédonée des dioscorées et du genre srailax; les
bambous, les aroïdées, les fougères mêmes, et surtout
les palmiers en renferment un nombre considérable *.
Chez ces plantes le grossissement du tronc est sa-
crifié au développement des parties constitutives de
la tige ; mais cette dernière devient incapable de sup-
porter le poids des organes latéraux ; ce soin est
réservé aux arbres ou aux corps voisins qui servent
d'appui. Le poids des parties supérieures, le contact
avec les corps étrangers, ainsi que Tinfluence de la
lumière, modifient la tension des tissus et par suite
la direction de Taxe ; en même temps, les jeunes
pousses se transforment en organes divers propres
à servir de crampons. « Adhérant au tronc comme
le lierroi Tenlaçant comme le houblon, ou s'y fixant à
l'aide de vrilles comme la vigne, les plantes volubiles
des tropiques ajoutent à ces caractères des formes
connues de la zone tempérée, l'entrelacement réci-
proque de leurs axes aphylles dans leurs parties infé-
rieures, et vont, tantôt en s'élevant, tantôt en s'enla-
çant ou en s'enroulant en spirales, dissimuler dans le
dais de la forêt leurs fleurs et leur feuillage. Elles
jouissent de la faculté qui leur est propre de passer
d'un appui et d'un arbre à un autre, qu'elles enlacent en
suivant sa surface verticale ou inclinée, ou bien en
restant suspendues à sa cime. Elles se cramponnent
d'ailleurs tout aussi bien aux pentes abruptes des
rochers qu'aux arbres, parce qu'elles empruntent
1. A. Grisebach, op. laud., vol. FF, p. 26. Trad., FF, 33-34. —
0. Drude, liandbuch, p. 233. Trad. G. Poirault. Paris, 1897,
in-8, p. 215.
218 LES Pr.ANTES CHEZ LES HINDOUS
leurs substai)ces nutritives au sol et non à leurs
supports *. »
On donne le nom (l*épiphytes aux plantes fixées non
au sol, mais sur d'autres végétaux, sans toutefois
qu'ils empruntent leur sève à ces derniers. Us diffé-
rent en cela des parasites, les loranthées par exem-
ple, qui, sans former de racines, perforent jusqu'à
l'aubier Técorce des arbres, sur lesquels ils sont
fixés, vivent du liquide qui monte du sol jusqu'aux
feuilles et circule dans les parties externes des cou-
ches ligneuses. Pour les épiphytes proprement dits,
au contraire, les troncs et les branches des arbres leur
servent seulement de support; ils empruntent leur
nourriture à un substratum inorganique, qui reçoit les
précipitations aqueuses de la forêt ou bien aux préci-
pitations elles mômes dont ils pompent Teau par l'ex-
trémité do leurs racines. « Parfois aussi leurs racines
aériennes leur procurent le moyen d'absorber l'humi-
dité du sol, lors même qu'ils se trouvent éloignés de
ce dernier ; d'autres fois ils trouvent un aliment suffi-
sant dans les insignifiantes quantités de substances
inorganiques accumulées par les vents sur les saillies
du tronc et fécondées par l'humus que fournit la
putréfaction de l'ôcorce, des mousses et des feuilles
mortes, maintenues humides par la pluie ^. » On com-
prend dès lors que, avec la nature du milieu, l'endroit
où se fixent les épiphytes peut changer; ainsi le bulbe
d'une orchidée peut aussi bien adhérer à un. rocher
qu'à un tronc ligneux, tandis que les parasites vérita-
bles ne peuvent être transplantés de l'arbre qui les
1. A. Grisebach, op. laxid., H, p. 25. Trad., II, 'M.
2. A. Grisebacli, op. laud.^ vol. II, p. 27. Trad., II, 35.
A.-P\-W. Schimper, Pflanzen-Geographiey p. 214.
LA FLORE DK L'INDE 219
porte sur le sol, ou même de cet arbre sur un
autre.
Les épiphytes croissent en nombre prodigieux dans
les forêts humides de Tlnde tropicale, et leur variété
dépasse de beaucoup même celle des lianes ; aussi il
ne saurait être question de leur assigner de forme
déterminée, les plantes les plus diverses pouvant
pousser sur tous les supports oùrimmidité leur permet
de germer, et où il est possible à leurs racines de se
fixer. Celles qui se développent le plus souvent dans
les forêts de la région des moussons appartiennent,
soit à la forme d'oléandre, soit à la famille des érica-
cées, des mélastomacéos, des solanées, des urticées,
des scitaminées, des aroïdées, des fougères surtout et
enfin des orchidées qui occupent une place à part
parmi ces végétaux aériens, et qui, par la structure si
diverse, les dimensions et le coloris de leurs fleurs,
semblent rivaliser avec les insectes brillants auxquels
leur corolle sert d'appui *.
C'est dans les forêts humides de la zone équato-
riale que sont répandues surtout les orchidées ; com-
munes déjà dans le Sikkim, elles sont encore plus
nombreuses dans* les monts du Khasia; Hooker en a
compté 250 espèces dans cette dernière région^. Elles
s'y élèvent souvent à d'assez grandes hauteurs ; le
voyageur-botaniste dit avoir trouvé dans un bois de
chênes rabougris, non loin de Nurtiung, à l'altitude de
1000 à 1300 mètres, d'énormes quantités de Vanda
caerulea. Exposée à Tair et au soleil, avec une tempé-
rature médiocrement élevée, cette gracieuse plante
1. A. Grisebach, op. latid., vol. II, p. 29. Trad., II, 37. —
Drude, Ilandbuch, p. 233-237.
2. Himalayan JournalSj vol. 11, p. 321.
220 LES PLANTES CHEZ LES IHNDOUS
n'en croît pas avec moins de vigueur, et ni le froid de
l'hiver, ni la sécheresse de Tautomne ne la font périr.
Dans ces mêmes conditions, ajoute Hooker, prospè-
rent les plus belles orchidées de THindoustan. Il cite
des espèces, du genre Cypripediurn entre antres, qui
habitent des régions froides et élevées de plus de
1:300 mètres dans le Khasia et de 2000 à 2300 mè-
tres dans le Sikkini *. Leurs tubercules permettent à
ces plantes de supporter un long temps d'arrêt dans
leur croissance et, grâce aux matières nutritives qui y
sont tenues en réserve, après être demeurées des
mois entiers dans un état complet de stagnation végé-
tale, elles reprennent la faculté de produire de nou-
velles feuilles et de charmants épis de fleurs*.
II
La multiplicité des formes végétales que je viens de
signaler dans la flore de l'Inde peut déjà donner uîie
idée des ressources qu'elle off*rait aux habitants de
cette contrée pour leur alimentation et pour tous les
usages de la vie. Aucun pays de l'ancien monde n'en
présentait autant. Ni Torge, ni le blé, n'y étaient in-
digènes, il est vrai, et les Aryens durent les apporter
du dehors avec eux ; mais ils y trouvèrent d'autres gra-
minées alimentaires, en particulier le riz, qui croît
spontanément dans les marais du Uadjpoutana, le Sik-
kini, le Bengale, les monts Khasia, les provinces cen-
1. Jlimalayan Journals, vol. II, p. 3*J2.
2. A. Grisebach, op. laud., voL II, p. 30. Trad., Il, 38.
LA FLORE DE L'INDE 221
traies et les Circars * ; le coracan, indigène dans toutes
les parties basses de la Péninsule*; divers panics,
qu'on rencontre dans les régions chaudes, du Pandjab
à la Birmanie et à Ceylan ^
L'Inde ne produit à Tétat spontané ni petits pois
ou pois chiches, ni fèves, ni lentilles; mais elle
renferme d'autres légumineuses, non moins utiles,
des genres haricot, cajan, Dolic/ios et Mucuna^, sans
parler des espèces arborescentes dont les graines peu-
vent être mangées. On y trouve aussi de nombreuses
cncurbitacées, on particulier le concombre, probable-
ment le melon, ainsi que la calebasse, des Momordica
et des Lvffa'\ L'Inde produit encore en abondance
nombre de plantes herbacées ou aquatiques, njm-
phéacées, amarantacées, chénopodées, dioscoréacées,
aroïdées, cypéracées, etc., dont les feuilles, .les tiges
ou les racines sont comestibles. Les fleurs mêmes et
les feuilles de certains arbres peuvent entrer dans
ralimentation. Enfin cette vaste contrée est la patrie
des condiments des plus recherchés ; on n'y rencontre
point, sans doute, à Tétat sauvage l'ail, l'oignon, le
poireau ou l'échalotte, pas plus que l'aneth, le cumin
et la coriandre ; mais on trouve dans le Nord une
espèce de moutarde, et la région tropicale produit les
1. Roxburgh, Flora indien, vol. II, p. 200. — J. D. Hooker,
The Flora ofindin, vol. VII, p. 92. — Fr. Kœrnicke, Die
Arten und Varietûten des GelreideHj p. 227.
2. Ilooker, The Flora, vol. VII, p. 29:l
3. Roxburgh. Flora indica, vol. I, p. 283, 302, 304, etc. —
Ilooker, The Flora, vol. VII, p. 10, 78 et 82.
4. Roxburgh, Flora indira, vol. III, p. 302-322. — G. Watt,
Dictionary of Ihe économie products of fndia. I^ondon, 1889-
1893, in-8, vol. VI, 1, p. 364-368.
5. Hooker, Flora, vol. II, p. 613-620.
222 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
épices les plus précieuses : le gingembre, le carda-
mome, le poivre et la cannelle*.
Mais c'est surtout ert arbres à fruits que la flore de
rinde est d'une richesse vraiment prodigieuse. Si Ton
fait abstraction de quelques poiriers*, peut-être de
deux espèces de pommiers ', de trois cerisiers *, d'un
ou deux sorbiers ^ qui, ainsi que plusieurs espèces
d'épines- vinettes**, de vignes "^ et de groseilliers^, le
micocoulier, le noyer et deux coudriers®, croissent
spontanément dans la région tempérée ou alpine de
l'Himalaya, mais ne viennent que là, l'Inde propre-
ment dite ne produit à l'état sauvage, le grenadier
excepté, aucun des arbres fruitiers de TAsie anté-
rieure*'^; mais que d'espèces indigènes aux fruits re-
cherchés offre en échange cette immense contrée !
Presque .toutes les familles végétales : diliéniacées,
tiliacées et rutacées, rhamnées, anacardiacées sur-
tout et saxifragées, myrtacées, cornacées, rubiacées et
sapotacées, myrsinées, ébénacées, boraginées etver-
1. Hooker, The Flora, vol. VI, p. 2^1 et 251 : vol. V, p. 132
et 90.
2. Pi/rus comrminis L., variofosa (pashia) et vestita Wall.
3. Mafus communia Desf. et bacraln Desv.
4. Cera'suH padus Bois., puddum Roxb. eiprostrala Labillar-
dière.
5. Sorbus lanata Don Pro(lr.,et«/r«/wrt\Venz.(/b/io/î^ Wall.).
6. Berberis vuUjaris L., asialicn Koxb. et nepalensis Spren-
gel.
7. Vitis carmosa Wall., indiva L., lanala^ latifolia et parvi-
folia Roxb.
8. nihea grossularia, nigrum et ruhrum L., glaciale Wall,
et orientale. Poiret.
9. Corylus cnhtrna L. et ferox Wall.
10. La plupart des espèces d'arbres qui précèdent, à l'excep-
tion des vignes, du grenadier et du pommier, ne sont même
pas cultivées dans l'Inde proprement dite.
LA FLOnE DE L'INDE 223
bénacées, urticées et euphorbiacées, scîtaminées et
palmiers, etc., en contiennent quelques-unes, incon-
nues de TAsie occidentale et à plus forte raison de
TEurope.
Un autre trait qui distingue la flore de Tlnde de
celle de TOccident, c'est le grand nombre de plantes
aromatiques que renferme ' presque toute la région
tropicale ou semi-tropicale : baumiers du Sindh et du
Bengale oriental ^ ; olibans des forêts du bas Hima-
laya' et de rinde centrale ; santal blanc du Dekkan*;
nard de THimalaya moyen '^; patchouli de Ceylan et
de la péninsule occidentale '^j bois d'aloès de TAssam
et des collines de Khasia"'; cost des lieux ombragés du
Concan et de la côte de Coromandel * ou des pentes
élevées du Cachemire®; enfin nombreuses espèces
d'andropogon dans les régions les plus diverses de
rinde *^ etc.
L'Inde n'est pas moins riche en plantes propres à
rindustrie ou aux usages domestiques les plus divers
qu'en plantes alimentaires : plantes tinctoriales ou tan-
1. Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p. 134-139.
2. Bahamodendron mukul Ilook., lioxburghii Xrn., pubescens
Stocks. — llooker, Flora, vol. I, p. 529.
3. BosireUia serrala Stackh., Ihurifera Roxb. — J.-D. Hooker,
Himalayan Journals, vol. I. p. 29, dit avoir rencontré sur les
collines de Bihar une petite forêt d'olibans, dont les troncs
exsudaient en abondance une fjomme translucide et odorante.
'*. Sanlalum album L. (Asialic Rcxeorches^ vol. IV, p. 257).
5. Valeriuna Wallichii !)(.'. ou Jatamansi Jones. ÇAsialic
Besearches, vol. IV, p. 'i51), Nardostachys Jatamansi \)C
6. Pogosiemon Patchouli Pel., Origanum indicum Hoth.
7. j\quilaria agallocha Roxb. Flora indica, vol. 11, p. 422.
8. Cosiiis speciosus Sm. (Asialic Besearches, vol. XII, p. 349).
9. Saussurea lappa Clarke, Aucklaudia costus Falc.
10. Andropogon cilratus DC, nardus L., schamanthus L. (mu-
ricntus Retz.), iivarancusa Jones (Jtaniger Desf.).
22i LES PLANTES CHEZ LES lU.NDOUS
nifères, textiles, bois de charpente ou de charronnage,
combustibles, abondent et abondaient encore plus
autrefois dans la Péninsule, aussi bien que dans
THindoustan. S'ils n'y sont peut-être pas indigènes,
le sésarae, le ricin et le carthame, ces plantes oléa-
gineuses par excellence de TAsie antérieure, y sont
acclimatés, ainsi que plusieurs sénevés, depuis un
temps immémorial. Et les graines ou les fruits des
espèces appartenant aux familles les plus diverses:
guttifères, menispermacées et méliacées, célastrinées
at anacardiacées, légumineuses, rosacées et combré-
tacées, sapotacées et euphorbiacées, etc., fournis-
sent dos huiles comestibles, médicinales ou industriel-
les'. Le nombre des plantes indigènes dans Tlnde,
dont on peut retirer de la gomme ou de la résine,
n'est guère moindre ; on en trouve dans la plupart des
familles que je viens d'énumérer, ainsi que dans celles
des rubiacées, des asclépiadées de l'Inde tropicale,
et des conifères delà région himalayenne^ Un nom-
bre considérable de familles, entre autres les bur-
séracées et les anacardiacées, les légumineuses et
les rhizophoréos, les combrétacées et les lythrariées,
les euphorbiacées^ et les cnpulifères, renferment aussi
de nombreuses espèces riches en tanin.
Les plantes tinctoriales ne sont pas moins communes
dans rinde que les plantes oléagineuses ou gommi-
fères ; si le carthame n'y est que cultivé, si le safran
y est exotique, la garance y est indigène; l'indigotier
parait bien aussi y croître spontanément, et les feuilles
1. Watt, Dictionary, vol. V, p. 45'*.
2. Watt, Dictionary, vol. IV, p. 183 et vol. VI, 1, p. 437-38.
;{. Brandis, Flora, p. 62, 118, 158, 217, 222-25, 239, 444-
452.
LA FLORE DE L'INDE 225
et les fleurs, Técorce ou les racines des végétaux les
plus divers: anacardiacées, légumineuses, rubiacées
et sapotacées, apocynées et euphorbiacées, scitami-
nées, etc., renferment des principes colorants, dont
beaucoup ont dû être connus dès l'antiquité la plus
reculée*^
Les Mutiles sont encore plus répandus dans Tlnde
que les fiantes tinctoriales, gommifères ou tannifères.
Le lin, le textile dont ont fait surtout usage les ancien-
nes populations de TAsie antérieure, le chanvre, si usité
depuis bientôt deux mille ans dans l'Occident, ne se
rencontrent peut-être à l'état spontané que dans la ré-
gion himalayenne du Nord-Ouest*, et l'Inde ancienne
semble avoir ignoré Temploi de leurs fibres ; mais les
textiles les plus précieux — il suffît de citer ici le
cotonnier, — et fournis par les familles les plus difi'é-
rentes : malvacées et tiliacées, légumineuses, asclé-
piadées, urticées, etc., abondent dans toutes les pro-
vinces de l'Hindoustan et de la Péninsule. Enfin, la
flore hindoue renferme nombre de végétaux d'espèce
et de nature très diverses — bouleaux de la région
élevée de THimalaya, saules de ses vallées et de celles
du Pandjab, rotins du Siwalik et du Teraï, palmiers
de la Péninsule, cypéracées des régions marécageuses,
bambous et autres grandes graminées de l'Inde presque
entière*, — qui peuvent être et ont, de temps immé-
morial, été utilisés dans la sparterie et la vannerie.
1. Hooker ne les considère même que comme cultivés ou
naturalisés dans cette région. Flora, vol. F, 'ilO et V, 437.
2. En particulier les Calamus, les Borassus et les Corypha,
les Typha, les Bambusa et les Arundinaria, les Dendroca-
lamus et les Thamnocalamus. — Drury, The use fut Plants,
p. 83, 96, 159, 435, 6'i et 180. — Braii'iis, p. 559-570.
JORET. — Lps Plantes dans l'antiquité, IL — 15
226 LES PLANTES CIJEZ LES HINDOUS
Quelque grand que soit le nombre des plantes in-
dustrielles de rinde, dont je viens de parler, celui
des essences de cette contrée propre aux travaux du
charronnage, de la charpente ou de rébénisterie est
encore plus considérable. Le bois de la plupart, sinon
de la totalité, des arbres à fruits, celui également d'une
partie des espèces qui fournissent le tanin, la résine
et la gomme ou renferment des fibres textiles, peuvent
être employés à ces travaux; mais combien d'autres
essences y conviennent et mieux encore ! Il n'est pres-
que point de famille végétale, celles même qui ne sont
représentées en Europe que par des plantes herbacées
ou à peine frutescentes, qui ne renferme dans Tlnde
tropicale quelques espèces arborescentes, propres aux
ouvrages de charronnage ou d'ébénisterie.
Ces essences varient d'ailleurs quand on passe de
la région tempérée ou glacée du bas ou du haut Hima-
laya ou du climat aride du Sindh et d'une partie du
Pandjab à la plaine largement arrosée du Gange ou
au plateau brûlant du Dekkan. Dans le Sindh et le
Pandjab méridional nous rencontrons les rares repré-
sentants delà flore arborescente du désert, ses acacias
et ses mimeuses en particulier. Dans la rt^gion monta-
gneuse ot froide du Nord-Ouest et dans les hautes
vallées de T Himalaya nous trouvons une végétation
forestière qui rappelle celles des contrées élevées de
l'Asie antérieure; les mêmes genres, sinon toujours les
mêmes espèces, y croissent: érables*, qui s'élèvent
parfois aux plus grandes altitudes, mais préfèrent
d'ordinaire la région intermédiaire de THimalaya ou
1. Acer caesium, caudalum, laevirfatum, ohlongum et villo-
sum Wall., piclum Thunb., etc.
LA FLORE DE L»INDE 227
même celle du Siwalik ; frênes*, ormes* et charmes '
des hauteurs moyennes ; chênes * répandus dans le
puissant massif de THindoustan septentrional, de
rindus à Textrémité Est du Bengale, ainsi que les
castanopsis ^ du Bhoutan, du Népal et du Sikkim ;
aunes', bouleaux ^ en particulier le bhu?ya, et saules*
pouvant atteindre aux plus grandes hauteurs; peu-
pliers des régions moins élevées'*, et dont une espèce,
le peuplier de l'Euphrate — bahan — , descend jus-
que dans le Sindh; cèdre déodara — devadaru —
des montagnes du Nord-Ouest ; ifs et cyprès *^, gené-
vriers", sapins** et pins *^ du haut et moyen, et pin à
longues feuilles — sarala — du bas Himalaya, mélèze**
et podocarpe*^ du Bhoutan et du Népal. Et dans les au-
1. Fraxi'nus excelsior L., florxbunda et zanthoxyloxdes
(moorcrofliana) Wall.
2. Ulmus inlegrifolia Roxb., parvifoUa Jacq., wallichiana
Planchon.
3. Carpinus faginea Lindley, viminea Wall.
4. Quercus semecarpifoUa Smith, ilex L., lanuginosa Don.,
incana Roxb., dilatata Lindley, annulata Smith, etc., à
rOuest ; «^ra/a Thunb., lamellosa et spicala Smith, plus à
TEst, etc.
5. Castanopsis indica et tribuloxdes DC.
6. Alnus nepalensis D. Don., nitida Endl.
7. Belula acuminala et bhojpattra WalL
8. Salix tetrasperma Roxb., amorphylla Bois., Wallichiana,
eleganSy insignis, oxycarpa And., etc., dans l'Himalaya occi-
dental; sikkimensis, daltonia, longiflora And., etc., plus à l'Est
et ichnoslacfiys dans le Dekkan.
9. Populus alba L., ciliata Wall., microcarpa Hooker.
10. Cupressus torulosa Don.
il. Juniperus recurva, excelsa DC, etc.
12. Abies dumosa Lond., excelsa DC, Smithiana Forbes,
Webbiana Lindl.
13. Pinus excelsa et Gerardiana Wall., longifolia Roxb.
14. Larix Griffithii Hooker.
15. Podocarpus neriifolia D. Don.
228 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
très régions de nombreuses espèces de presque toutes les
familles végétales : dilléniacées et magnoliacées, gut-
tifères, par exemple le Mesua ferrea — le kinjal ou
iron-ivood — du Bengale oriental et de la Péninsule ;
tamariscinées et diptérocarpées, entre autres le Sho-
rea robusta — çâla — du sous-Himalaya et de Tlnde
centrale ; raalvacées et sterculiacées, tiliacées, rutacées
et méliacées, comme le nimfm — Melia azadirackta,
— le rohitaka — Amoora rohitiika, — le tunna —
Cedrela toona, — le Chloroxylon sivietenia — salin-
wood — et le Chic/crassia tabularis, des provinces
centrales et méridionales ; sapindacées et anacardia-
cées, comme le piydla * ; légumineuses surtout, telles
que le paldça, le tinisa, le çimçapd et le blackicood ou
bois de rose,, le btja et le bois de fer*, divers prosopis
et acacias, des provinces occidentales, centrales ou
méridionales; combrétacées, comme les û.ça/icr, arjuna,
haritakiy tusha^\ myrtacécs et lythrariées, cornacées,
rubiacées et sapotacées, ébénacées, en particulier les
Diospyros melanoxylon — tinduka, — montana et ebe-
num; oléinées et apocynées, comme le saptaparna —
Alstojiia scholaris — ; boraginées, bignoniacées etver-
bénacées, tel que le çàka ou teck* du Dekkan, urticacées
et euphorbiacées mêmes, rép<indues de l'Himalaya
sous-tropical au cap Comorin*\
L'existence de tant d'essences arborescentes dans
1. Buchanania latifoli a Hoxh.
2. liutea frondosa Roxb., Ougeinia dalbcrgioides Benth.,
Halbergia sissoo et lalifoHa Roxb., Pterocarpus marsupium
Roxb. et Xytia dolabriformis Henth.
3. Terminalia tomentosa W'.-A., arjuna Bedd., chebula Ret-
zius, et bellei'ica Roxb.
i. Tectoîia grandis L.
5. Watt, Dictionary, vol. II, p. 1-2; IV, 300-301.
LA FLORE DE L'INDE 220
rinde, un de» caractères de la flore tropicale, montre
combien cette contrée était riche en bois de construc-
tion, de même qu'en combustibles. Si Ton ajoute que
beaucoup de ces arbres et d'autres, que je n'ai pas
cités, comme le kharnikâra, les kharvallika et kovi-
dàra \ le yiiandâra, les çirisha et julibrissin, le
pàtali', etc., ainsi que de nombreux arbrisseaux appar-
tenant aux familles les plus diverses, magnolias*,
camélias, aucubas, fusains, le Philadelphus coronaria,
d(\s sumacs, la Colutea nepalensis et la Casalpinia
piilcherrima, la Sesbania aegyptiaca, des chèvre-
feuilles * et des viornes de l'Himalaya, des gardénias
et des rhododendrons ^ le lilas de l'Emode, des troènes,
jasmins^ et lauriers-roses, des cléro Jendrons ^ et gatti-
liers\ se faisaient remarquer par la beauté de leur
feuillage, l'éclat ou le parfum de leurs fleurs ; que de
non moins nombreuses plantes herbacées ou sous-frutes-
centes sont tout aussi recherchées, on reconnaîtra que
les habitants de l'Inde trouvaient dans la flore indi-
gène tout ce qui pouvait les charmer, comme tout ce
qui était nécessaire à leurs besoins.
1. Pterospermum acerifolium Willd., Bauhinia purpurea et
variegnta Roxb.
2. Erylhrina indica Lam., Albizzia lehbek et julibrissin
Bois, et Stereospermum suaveolens DC.
3. Michelia champaca L. et exceha Blume, Schizandra
grandiflora H. R., etc.
'i. Lonicera augustifolia Wall., spinosaJ&cq.j myriillus Hf.,
quinquelocularxs Hardw., orientalis Lam., etc.
5. Rhododendrum arboreum Sm., campanulatum et Antho-
pogon Don., lepidotum WalL
6. Jasminum sambac Aiton, arborescens (latifolxum) Roxb.,
hirsutum Willd., grandiflorum L., etc.
7. Clcrodendron phlomoïdes L., infortunatum L., inerme
Gaertn., serralum Spreng., siphonantlius R. Brown.
8. Vitex negundo et trifolia L.
230 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
III
On voit par ce qui précède quelles ressources im-
menses la âore de Tlnde offrait aux habitants de cette
vaste région ; mais quelles populations les mirent à
profit et s'en servirent pour les divers usages de la
vie, depuis leur établissement dans la Péninsule jusqu'à
Torigine des temps modernes. On ignore comment fut
colonisée l'Inde antique ; tout ce que l'on peut dire,
c'est qu'au moment où cette contrée entra en rapport
avec les nations occidentales, elle était habitée par
deux peuples d'origine et de racos différentes* : les
« immigrants », tribus au teint blanc et de race cau-
casique, au Nord ; les « aborigènes », peuplades dra-
vidiennes à la peau noire, divisées en plusieurs
groupes* et répandues au sud des monts Vindhya et
dans le Bengale ; do race caucasique peut-être aussi ',
elles se distinguaient par là des tribus inférieures
éparses dans la chaîne des Vindhya; mais les unes,
comme les autres, étaient par la religion, ainsi que
par la langue, différentes des populations du Nord de
l'Inde*.
1. Lassen, Indische Alterthumkundey\o\. I, p. 360.
2. Vivien de Saint-Martin, Étude sur la géographie et les
populations primitives du Nord- Ouest de VInde diaprés les
hymnes védiques. Paris, 1860, in-8, p. 127-138. — Lassen, op.
laud., vol. I, p. -162. — Zimtner, Altindische^ Leben. p. 118.
— K. Horatio Bickerstalfe Rowney, The ivild tribes of India,
London, 1882, in-8, p. ix.
3. Lassen, op, laud., vol. I, p. 409.
4. Lassen, op. laud., vol, I, p. 383. — Zimmer, op. laud,,
p. 114-115. — S. Lefmann, Geschichte des alten Indiens, p. 27.
LES HABITANTS \)\i l/INDE 231
D'origine aryenne et étroitement apparentées aux
peuples de Tlran, celles-ci avaient pénétré dans THin-
dousian à une époque relativement récente, bien posté-
rieure du moins à celle de rétablissement des tribus
dravidiennes, qui les avaient précédées dans la Pénin-
sule. Après s'être séparées des autres peuples de la
famille indo-européenne, elles avaient, à une époque
antéhistorique, occupé, sous le nom commun d'Aryens,
les bassins supérieurs de Tlaxarte et de TOxus ; mais
après un séjour plus au moins prolongé dans cette
région de pâturages, une scission eut lieu entre les
deux peuples frères, et franchissant les défilés de
THindoukouch, les ancêtres des Hindous pénétrèrent,
longtemps avant l'époque des Védas, dans la vallée de
Caboul, et de là dans le haut bassin de l'Indus — le
Sindhit, — vers 2000 ans avant notre ère. Puis après
avoir chassé ou exterminé les tribus dravidiennes —
les Dasj/m des hymnes védiques*, — ils s'établirent
dans la région des sept rivières — les Sapta Sindhavas,
— le Pandjab actuel, et dans la vallée moyenne de
rindus^ après de longs combats', dont les chants des
Rishi ont gardé le souvenir*.
Divisés en plusieurs tribus indépendantes et parfois
1. Alfred Ludwig, Die Mantralitteratur und dos aile Indien,
aïs lu'nleilung zur Uebersetzung des Rigveda. Prag, 1878, in- 8,
p. 208 et suivantes. — G. Oppert, On tke original inhahitants
of Bharatavarsa or India. {The Madras Journal of Literature
and Science, vol. VI, 1887-1888, p. ^lO).
2. nig-Veda, lib. H, 12, i. — Max Duncker. Geschichte des
Allerihums, vol. III, p. 11.
3. H. Zimraer, Altindiaches Leben. p. lO'i. — S. Lefmann,
op. laud., p. 31-32.
4. Hig-Veda, A Indra, lib. I, 33, 1-15; I, 3, 5; VI, 47, 20-
21, etc.
232 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
hostiles*, ils continuèrent leur marche versTEst, occu-
pèrent le bassin de la Yamunâ — laDjoumna, — puis
celui de la Gangd — le Gange, — chassant toujours
devant eux les populations indigènes, dont les débris
furent rejetés dans les vallées de THimalaya ou refou-
lés vers le Sud-Est, au delà des monts Vindhya*. A la
fin de répoque épique la puissance des Aryens s'éten-
dait sur tout le territoire compris depuis V Himavanl —
THimalaya — jusqu'à une ligne courbe tracée au Nord
des monts Vindhya, de Tembouchure de la Vaitarani,
près du cap Palmyra, à TEst, à la pointe de la pres-
qu'île de Surâshtra — Goudjarate — à TOuest*.
Tel fut TAryâvarta « demeure des Aryens », com-
posé des puissants royaumes des Magadha, des Koçala,
des Bharata, desMathila, des Kari, etc.*. Au delà de
ces frontières ne devaient guère s'étendre les conquêtes
ou les établissements militaires des Hindous ; mais
leurs colonies religieuses devaient singulièrement les
dépasser. Celles-ci pénétrèrent, à l'Est, jusqu'au delà
des bouches de la Gangâ, au Nord dans les contre-
forts de l'Himalaya et en particulier dans le Cache-
mire, déjà occupé d'ailleurs à l'époque védique par
des tribus aryennes'^; enfin elles s'avancèrent au Sud,
le long des côtes du Dekkan, jusque dans l'île de
Ceylan, dont la conversion au brahmanisme a été
1. H. Zimmer, op. laud., p. 123-133. — S. Lefmann^ op.
laud., p. 160-166 et 320-325.
2. G. Oppert, op. laud., p. 51. — H. Zimmer, op. laud. y
p. 107.
3. S. Lefmann, op. laud. y p. 335.
4. Max Duncker, op. laud., vol. III, p. 245.
5. Chr. Lassen, op. laud., vol. I, p. 515. — H. Zimmer, op.
laud., p. 102 et 541.
LES HABITANTS DK L'INDE 233
chantée par Vâlmîki dans le Ràmâyana^ La civilisa-
tion aryenne avait ainsi conquis l'Inde tout entier^; le
bouddhisme devait la répandre bien au delà des fron-
tières naturelles de la Péninsule et multiplier les rap-
ports de cette contrée avec les pays voisins. Depuis
longtemps elle était en relations politiques avec
riran.
Cyrus avait peut-être, dès le vi° siècle, soumis la
tribu des Gandariens, voisine de son empire. Darius,
du moins, subjugua toutes celles du Nord-Ouest, et il
envoya de la ville de Caboul — Kaspyros — des explo-
rateurs, qui, sous la conduite de Scylax, descendirent
rindus, pénétrèrent dans la mer Erythrée et débar-
quèrent dans le golfe arabique. Les tribus soumises
formèrent une satrapie perse, et Ton vit des soldats
hindous dans l'armée que Xerxès envoya contre la
Grèce'. La conquête iranienne avait mis en rapport
rinde avec TAsie antérieure, l'expédition d'Alexandre
établit pour quatre siècles des relations suivies entre
cette contrée et le monde hellénique. Les pays qu'il
avait subjugués furent abandonnés, il est vrai, par
Séleucus à Candragupta — Sandracottos; — mais un
traité d'alliance fut signé entre les deux souverains,
et une fille du prince macédonien épousa même le roi
hindou \ Un siècle après, un successeur de Candra-
gupta, Açoka, parle des négociations qu'il avait euga-
i. Max Duncker, op. laud., vol. III, p. 282-284. — S. Lef-
mann, op. laud., p. 548-552.
2. Hérodote, Historiae, lib. VIII, cap. 113. — Chr. Lassen,
op. laud. y vol. II, p. 112-114. — Max Duncker, op. laud. y
vol. ni, p. 294.
3. Chr. Lassen, op. laud., vol. II, p. 119-120. — S. Lefmann,
op. laud. y p. 744-760. — Albert Grûnwedel, Buddhistische
Kunsl in Indien. Berlin, 1900, in-12, p. 75.
234 I.ES PLANTES CHEZ LES HLNDOUS
gées avec les rois des Javanas — les rois grecs de Sj'rie
et d'Egypte. — L'établissement en Bactriane d'une
dynastie grecque, dont la domination s'étendit jusque
dans le bassin de l'Indus, plus tard la fondation d'une
monarchie indo-hellénique dans le Pandjab même*,
établirent d'une manière victorieuse l'influence de la
Grèce dans l'Inde; mais en même temps celle de l'Inde
se fit à son tour sentir dans l'Asie antérieure hellé-
nisée; ses doctrines religieuses et philosophiques y
pénétrèrent avec la connaissance de son climat, de
sa faune et de sa flore. Toutefois cette pénétration fut
lente et tardive ; la plus grande partie de l'Inde môme
resta toujours ignorée des Grecs. « Il y a, rapporte
Strabon^ bien peu de Grecs qui jusqu'ici aient pu
explorer rinde, et ceux-là mêmes qui l'ont visitée n'en
ont vu que des parties et comme en courant, et ils
ont parlé de tout le reste sur de simples ouï-dire. »
Lorsque le célèbre géographe faisait cette remarque,
il y avait à peine cin(| siècles que les premiers Grecs
avaient visité l'Inde, et c'est depuis lors seulement
qu'on avait commencé à entrevoir, dans l'occident, ce
qu'était cette contrée mystérieuse « la plus peuplée du
monde^», comme le remarquait Hérodote. Homère en
avait ignoré jusqu'à l'existence. Ctésias et Hérodote
en connaissaient uniquement ce que les récits inté-
ressés ou mensongers des Perses leur en avaient ré-
vélé; aussi leur apparaissait-elle comme un pays demi-
fabuleux et aux merveilleux produits. Hérodote parle
t. Lcopold von Schroeder, Indiens Literatur und Cultur in
historicher Entwickelung. Leipzig, 1887, in-8, p. 307. —
S. Lefmann, op: laud., p. 809.
2. Gt'Ofjraptiica^ lltr. XV, cap. 1, 2.
3. Ilistoriae, lib. III, cap. 94,
LA FLORE DK L'INDE D'APRÈS LES GRECS 235
de ces arbres qui ont pour fruits une laine surpassant
en beauté et en bonté celle des troupeaux*. Suivant
Ctésias, sur les bords de Tlndus croissait une espèce
de roseau, si gros que deux hommes pouvaient à peine
l'embraser et dont la tige atteignait presque en hau-
teur un mut de vaisseau*. Les palmiers de Tlnde, dit-
il ailleurs, donnent des fruits, trois fois plus gros que
les palmiers de la Babylonie. Il parle aussi d'une
plante à fleurs rouges qui croît près des sources du
fleuve Hyparque et fournit une pourpre supérieure à
celle des Grecs. 11 y a dans les montagnes de la même
région, raconte-t-il encore, un arbre, le siptakkoî'a ,
qui distille pendant trente jours de l'ambre, et dont
les fruits d'une saveur douce se mangent verts ou
séchés. Dans un autre passage conservé par Suidas,
il décrit un arbre non moins singulier, le myro-
rhodon, de la taille du cèdre ou du cyprès, mais dont
les feuilles sont plus larges que celles du palmier, et
qui laisse suinter de ses fleurs stériles une huile rou-
geâtre et épaisse d'un parfum exquis^.
On voit tout ce qu'il y a de vague et d'incertain dans
ces descriptions; l'inexactitude et la fantaisie sont
encore poussées plus loin dans celle du parebon, arbre
cultivé seulement, dit Cfédas^y dans les jardins royaux.
« De la grandeur d'un olivier, cet arbre ne portait ni
1. Ilistoriaey lib. III, cap. 106, 3.
2. De rébus indicis, frag. 6. Cf. Victor Bail, On tlte identifia
cation of the Animais and Plants of îndia, which were known
to early Greek authors. (Proceedings of the royal iris h Aca-
demy, sér. 2, vol. II (1885), p. 336). — Charles Joret, La Flore
de VInde d'après les écrivains grecs. Paris, 1901, in-8, p. 7.
3. De rébus indicis, frag. 13, 19, 21, 22 et 28. — La Flore
de Vlnde, p. 13-18.
4. De rébus indicis, fragm. \S. La Flore de Vlnde, p. 10-13,
236 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
fleurs, ni fruits ; mais il avait quinze racines, d'une
grosseur considérable et qui s'enfonçaient profondé-
ment dans la terre.... Un morceau d'une de ces racines,
de la longueur d'un ampan, attirait à lui l'or, l'argent,
le cuivre, tout, excepté Tarabre; de la longueur d'une
coudée il attirait les agneaux et les oiseaux ; un grain
suffisait pour coaguler l'eau et même le vin.
Nous sortons ici du domaine de la réalité; nous
y rentrons avec Néarque, Onésicrite, Aristobule et
Mégasthène. Les trois premiers avaient accompagné
Alexandre et descendu avec lui le cours de l'Indus ; le
quatrième, envoyé par Séleucus en ambassade auprès
de Sandracottos, avait parcouru presque toute la val-
lée du Gange*; aussi, malgré plus d'une inexactitude
et un penchant trop fréquent à l'exagération, nous
ont-ils laissé d'inappréciables renseignements sur les
produits de l'Inde. Ce qui les frappa avant tout, c'est la
fécondité prodigieuse de cette contrée et le caractère
particulier de sa flore • si diff'érente de celle de la
Grèce. La terre, suivant Mégasthène*, y produit chaque
année deux récoltes. Érathostène parle aussi des dou-
bles semailles qu'on faisait dans Tlnde en hiver et en
été, et il ajoute que cette contrée est riche entre
toutes en arbres fruitiers et en plantes à racines, sur-
tout en roseaux de haute taille et d'une saveur natu-
rellement douce. Arbres, arbustes, herbes, remarque
Théophraste^ qui les a suivis, sont dans l'Inde, à un
petit nombre d'exceptions, tout autres que dans la Grèce.
1. Strabon, Geographica^ lib. XV. cap. 1, 36.
2. Ap. Strabon, Geographica, lib. XV, 1 cap., 20.
3. Ilistoria planlarum, lib. IV, cap. 4, 5. Théophraste a mis
ausi.i à profit les observations faites par les savants attachés à
l'armée d'Alexandre.
LA FLORE DE L'INDE D'APRÈS LES GRECS 237
Onésicrite vante la grosseur de certains arbres de
la Péninsule, « dont cinq hommes auraient peine à
embrasser le tronc », et, dans sa description du
royaume de Musican, il parle de grands arbres, dont
les branches, après avoir atteint douze coudées, se
recourbent jusqu'à ce qu'elles aient atteint le sol, où
elles prennent racine pour repousser comme autant de
tiges nouvelles. Aristobule raconte également avoir vu
sur les bords de TAkésine de ces arbres aux branches
retombantes et aux dimensions telles que cinquante
cavaliers pouvaient se tenir à l'ombre dessous*. On
reconnaît là le figuier des Banians ou de l'Inde. Théo-
phraste, dans son Histoire des Plantes, en a décrit
aussi l'immense coupole et les racines adventives,
« qui donnent naissance à autant de troncs nouveaux
et forment comme un rempart autour de l'arbre, sous la
cime ombreuse duquel les hommes viennent s'abriter
comme sous une tente » ; mais, par une erreur singu-
lière, il lui attribue des feuilles de la largeur d'un
bouclier ^
Aristobule cite encore, parmi les végétaux de l'Inde,
un arbre qui porte des gousses de la longueur de dix
doigts et toutes pleines de miel, mais mortelles pour
ceux qui en mangent^. Théophraste en a parlé égale-
ment, ainsi que d'un grand arbre aux fruits gros et
savoureux, dont se nourrissaient les gymnosophistes.
11 mentionne encore, en le distinguant à tort du précé-
dent, un autre arbre aux feuilles oblongues de la lon-
1. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 21. Onésicrite dit
quatre cents.
2. Hûtoria plantarum, lib. IV, cap. 4, 4.
3. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 21. — La Flore
de l'Inde, p. 28.
^
238 Les PLAISTES CHEZ LES HINDOUS
gueur de deux coudées et semblables à des ailes d'au-
truches, de même que deux espèces d'ébéniers, et il dit
que, dans plusieurs provinces, croissaient de nom-
breux palmiers*. Néarque rapporte que la laine de
certains arbres — Théophraste en a donné la descrip-
tion — servait à faire les tissus les plus fins, et il
remarque que, sans le secours des abeilles, certains
roseaux produisaient du miel. Il y avait aussi, dit-il,
dans rinde', un arbre dont les fruits enivraient.
Ennn ces écrivains, Onésicrite en particulier, ont
insisté sur le grand nombre de racines salutaires ou
nuisibles, de poisons et de plantes tinctoriales, que
renfermait cette contrée. Suivant Onésicrite encore,
I
la partie méridionale de la Péninsule, produisait,
aussi bien que l'Arabie et l'Ethiopie, le cinnamome,
le nard et les autres parfums'. Ainsi peu à peu la
connaissance de la flore de Tlnde et de quelques-uns
de ses produits les plus recherchés pénétrait chez les
Grecs ; voyons quel parti en avaient tiré les habitants
de cette contrée, restée si longtemps mystérieuse et
ignorée.
1. Hhtoria plantannn, lib. IV, cap. 4, 5, 6, 8.
2. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 20.
3. Strabon. Geograpliica^ lib. XV, cap. 1, 22.
CHAPITRE SECOND
LES PLANTES DANS L'aGRICULTURE ET DANS
l'horticulture
Alors qu'ils vivaient en commun avec leurs frères de
rirau, les Arjens connaissaient déjà la culture des
céréales ; ils continuèrent de s'y livrer après leur
entrée dans le bassin de Tlndus, et ils lui donnèrent
une extension plus grande, quand ils eurent formé des
établissements durables dans la région fertile du
Pandjab. D'après un poète védique, c'étaient les Açvins
eux-mêmes, ces divinités bienfaisantes, qui avaient été
les promoteurs, sinon les inventeurs de Tagriculture.
(( En semant le grain avec la charrue, ô Açvins *, en
donnant la nourriture aux hommes, en sonnant du
bah'ura — cor de guerre — contre les Dasyus, vous
avez procuré au peuple des Aryens un grand bonheur. »
Suivant TAtharva-Véda', le labourage et l'ensemence-
ment (des terres), remontaient à Prithî Vainya, fils de
Manu Vaivasvata, le père des mortels, et depuis lors
<c les hommes en vivent ». « Lorsqu'ils eurent réussi,
dit le Vishnu Puràna^, à se mettre à l'abri dans des
lieux surs, entourés de fossés et de palissades, et
qu'ils se furent construit des habitations pour se dé-
1. niff-Veda, iib. I, 117,21.
2. Lib. VIII, 10, 2'i.
3. Lib. 1, cap. 6.
240 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
fendre du chaud et du froid, les hommes se livrèrent
au travail qui devait les faire vivre, ils cultivèrent les
céréales et divers légumes. »
Quoi qu'il en soit de ces récits, à l'époque védique
déjà Tagriculture occupait une place importante dans
la vie des anciens Hindous, la première après l'élève
du bétail*, n La charrue, dit un ancien poète*, en
labourant donne la nourriture ». Les habitants de
rinde le savaient bien; aussi dès longtemps tinrent-ils
en honneur la culture des terres. La religion boud-
dhique promettait le ciel à ceux qui plantent des jar-
dins et défrichent des forêts \
Mais il ne suffit pas de labourer le sol ; il faut, pour
qu'il produise, que les Dieux protecteurs de Tagri-
culture, Pushan et Savitar le bénissent et le protègent,
et que les eaux fécondantes du ciel, « joie des champs »,
les arrosant en temps opportun, fassent germer et
pousser les moissons. « La pluie nous vient des Dieux,
lit-on dans le Mahâbhârata*, elle donne les plantes
desquelles dépend le bien-être des hommes. » De là
les invocations si fréquentes adressées par les anciens
Hindous aux Dieux des eaux et de l'orage ^ Le pays
où ils s'établiront tout d'abord était loin de recevoir
une quantité d'humidité toujours suffisante. Sous le
climat brûlant de l'Inde la végétation exige des préci-
pitations aqueuses considérables ; quand les pluies se
1. H. Zimmer, op. laud., p. 235.
2. Big-Veda, lib. X, 117,7.
3. P. MinaïefT, Recherches $ur le BouddhUme^ trad. par
Assier do Pompignan. Paris, 1894, in-8, p. 166.
4. Adi-Parva, Distique 1721.
5. lUg-Veda, Aux Maruts, lib. II, 34, 1; V. 53. 5-6; 57, 5 ;
58, 3.' A Mitra- Varuna, lib. V, 63, 1-6; VII, 64,2, A Parjanya,
lib. VII, 101,5.
LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 241
réduisent à de légères ondées, la famine est inévitable ;
dans le Pandjab elle est à craindre même, quand la
moyenne en est inférieure à 1",50*. Aussi les mau-
vaises récoltes ny sont et n'y ont jamais été rares*.
Pour les prévenir et fournir au sol la quantité d'humi-
dité nécessaire, on eut recours de bonne heure à l'irri-
gation du sol ; les Védas parlent déjà de canaux creusés
pour les eaux ^.
Les procédés de culture des Hindous durent être
d'abord d'une grande simplicité; cependant ils connurent
de bonne heure la charrue * ; garnie à l'origine d'un
soc en bois — elle est, dans certaines contrées, restée
telle pendant longtemps, — l'Atharva-Véda la décrit
déjà pourvue d'un soc en métal. Elle était traînée par
une ou plusieurs paires de bœufs ^ Le chef de la famille
ou du clan — sthapati — revêtu de ses habits de fête,
après avoir fait une offrande aux Dieux, traçait lui-
même le premier sillon ^ Des çudras, loués à cet eflfet,
achevaient de préparer avec le hoyau le sol retourné
par la charrue; puis le semeur répandait le grain dans
le sein fécond de la terre. Cette opération si impor-
tante était accompagnée et suivie de prières destinées
à en assurer le succès et à écarter les dangers qui
menacent les récoltes '.
f
i. Elisée Reclus, op. laud., vol. VIII, p. 79.
2. Rig-Veda, lib. I, 127, 6. — Roxburgh, Flora, vol. IH,
p. 293.
3. Big-Veda, lib. VII, 49, 2. — Atharm-Veda, lib. I, 64;
XIX, 2, 2.
4. Lib. III, 17, 3. — Zimmer, op. laud,, p. 236.
5. « This barley they did plough with yokes of eight and
yokesof six ». Alharvà-Veda, lib. VI, 91, l.Trad. Bloomfîeld.
6. Mânasara ap. Ràm Ràz, Essag on the architecture of
the IlindiU. London, 183i, in-4, p. 17.
7. Atharva-Veda, lib. Vf, 50, 79, 142, etc.
JoRET. — Les Plantes dans l'antiquité, IL — 16
242 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Lève, crois par ta propre puissance, 6 grain; que 1 éclair des
cieux ne te détruise pas. — Nous t'invoquons, bon grain,
écoute-nous ; élève-toi jusqu'au ciel et sois inépuisable comme
la mer. — Innombrables sont ceux qui t'attendent, qu'innom-
brables soient tes gerbes, innombrables ceux qui t'offriront
en sacrifice, innombrables ceux qui se nourriront- de toi.
Que la faveur des dieux réponde à notre prière ^ et le grain
pourra mûrir et s'offrir de lui-même à la faucille.
Après la maturité, la moisson était coupée, réunie
en gerbes, portée sur Taire et battue — les textes ne
disent pas comment; — puis des femmes vannaient et
criblaient le grain, « comme le sage fait passer au
crible ses discours *. »
Mais quelles céréales étaient cultivées par les anciens
Hindous? Les chants du Rig-Véda ne donnent à cet
égard que des renseignements bien incomplets. Le
grain employé pour faire le pain portait le nom géné-
rique de yava, qui, indéterminé à l'origine, ne servit
plus à la fin qu'à désigner Torge. Des grains — dhànà
— étaient aussi ofi'erts aux Dieux, mais nous ignorons
à quelle céréale ils appartenaient*. Quant au riz, qui
a occupé plus tard une si grande place dans Taliraen-
tation des Aryens de l'Inde, son nom vrihi, no figure
pas dans les anciens Védas ; mais YAtliarva*coï\m.\i
cette céréale, ainsi que l'orge, ces « fils immortels et
salutaires du ciel », « nourriture que porte la terre »,
condition première de la respiration de l'homme*. La
Taittirtyasaï'ahità distingue ^ même trois espèces de
riz, le clair, le blanc et le sombre, ce qui prouve une
t. RigVeda, lib. X, 101,3.
2. Hig-Veda.Wh. X, 72, 2.
3. li. Zimmer, op. laud., p. 239.
4. Lib. VllI, 7,20; XII, 1, 'ri; XI, 'i, 13.
5. Lib. II, 3, 1, 3.
LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 243
culture déjà ancienne. Il est aussi question ailleurs de
« riz qui mûrit vite, » offert à Savitar, et de « grand
riz » pour Indra \ tandis que du « riz sombre » était
présenté à Agni. Zimmer fait remarquer avec raison
que par le « riz qui mûrit vite », il faut entendre pro-
bablement une espèce particulière « qui mûrit en soi-
xante jours* ». On semble aussi avoir donné à cette
variété le nom de « riz rouge » ; on le cultivait sur un
sol humide ou arrosé ; le riz blanc, au contraire, pous-
sait en eau profonde \ Il est fait mention encore d'une
autre espèce de riz *, le nîvâra, qui croissait à l'état
sauvage et est le type des nombreuses variétés cul-
tivées.
Si les contemporains des premiers Védas ne con-
nurent pas lé riz, cela tient à ce que la culture de cette
céréale si précieuse dans les pays où régnent les mous-
sons, n'avait pas encore pénétré dans le Pandjab ; mais
elle existait probablement depuis longtemps dans la
région tropicale de l'Est et du Sud, où elle semble indi-
gène. Comment la pratiquait-on? Aucun texte ne nous
renseigne à cet égard. Ératosthène nous apprend seu-
lement qu'on semait le riz pendant la saison des pluies °;
aujourd'hui l'ensemencement a lieu en juin, au moment
où elles commencent ; quinze à vingt jours après, on
arrache les jeunes pieds et on les repique dans les
rizières qu'on submerge jusque vers Tépoque de la
maturation. La récolte a lieu de septembre h, novembre.
1 . Acu vrihij mahàvrihi, krishna vrihi. — Tailliriyasamh ilà ,
lib. I, 3; 10, 1.
2. « Shashfika ». — Allindisches Leben, p. 239.
3. Chr. Lassen, op. laud., vol. I, p. 2'i6.
4. Vâjasaneyasathhitâ, lib. XVHI, 12. — Vishnu Puràna,
lib. I, cap. 7.
5. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 18 (692).
244 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Quelques jours avant de la faire, on fait écouler Teau
des rizières; puis quand les chaumes sont coupés, on
laisse sécher les gerbes et au bout de 8 à 15 jours on
procède au battage*. Dans les provinces où les pluies
sont fréquentes, le riz peut se passer d'irrigation ; on
le sème alors sur le sol fumé et retourné, tout comme
Torge et le froment; les précipitations aqueuses four-
nissent rhumidité nécessaire à son développement.
C'est ainsi qu'on le cultive en particulier dans cer-
taines vallées de THimalaya, jusqu'à une hauteur con-
sidérable.
L'orge a été connu des tribus aryennes bien plus
anciennement que le riz ; elles en pratiquaient déjà
la culture quand elles pénétrèrent dans cette contrée;
elle portait le nom de « divine » — divya, — Il en
existait une variété particulière appelée upavâka ou
Indrayava « grain d'Indra' » ; mais on ignore ce
qu'elle pouvait être. L'orge à six rangs ou escourgeon
est la seule espèce qui, d'après Roxburgh^ soit de
nos jours cultivée dans l'Hindoustan ; on peut croire
qu'il en était à plus forte raison de même dans Tanti-
quilé. Le froment est maintenant bien plus répandu
que l'orge dans l'Inde occidentale ; il n'en était pas
ainsi avant notre ère; il n'est point question de cette
céréale dans les Védas, et la Vâjasaneyasaùihitd est
le premier ouvrage qui en fasse mention sous le nom
1. Drury, Use fui Plants, p. 322-323. — Watt, Dictionary,
vol. V, p. 584, 604 et 609. Quelquefois le riz est semé en jan-
vier et la récolte se fait alors en mai.
2. H. Zimmer, op. laud., p. 240.
3. Flora indica, vol. I, p. 358. Toutefois J.-D. Hooker, The
Flora, vol. VIII, p. 371-372, indique aussi, d'après Stocks,
Vl/ordeum dialichan et la variété aerjiceraa comme cultivées,
le premier à Quetta, la seconde dans i*Himalaya.
LES PLANTES DANS L»AGRICUI,TURE 245
de godhûma *. Mais peu à peu le froment a fini par se
répandre dans Tlnde, surtout dans les provinces de
rOuest, où Tirrigation est difficile ou impossible. Il
était à l'origine considéré comme la nourriture des
Barbares * — mlêcchaça^ — ce qui prouve son impor-
tation de l'étranger. L'orge et le froment se sèment
après la saison des pluies, vers le mois d'octobre, —
Eratosthène dit en hiver, — et on les récolte en avril
et en mai '.
Il est probable que le millet ordinaire* — anu — fut
cultivé dans l'Inde aussi anciennement, sinon plus an-
ciennement, que le froment; on le trouve pas toutefois
plus que lui mentionné dans les Védas^ et il n'en est
d'abord question que dans la Vàjasaneyasainhità \
Ce recueil mentionne aussi, de même que la TaittiHya-
sarhhitd^j le millet à grappes ou panic d'Italie' —
priyamgu ou kahgxi — et le millet ou panic fro-
mental — çyâmdka^. — La culture de ces céréales
dut donc exister de bonne heure dans l'Inde. Elle est
1. Lib. XVIH, 12; XiX> 22, 89; XXI, 29. Cf. Zimmer, op.
laud.y p. 241.
2. Chr. Lassen, op. laud., vol. I, p. 247, note 2.
3. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 13.
4. Panicum miliaceum ou miliare, que Hooker, vol. Vil,
p. 46, donne comme une seule espèce, tandis que Roxburgh en
fait deux espèces différentes, Flora indicOy vol. I, p. 309-310.
Watt, qui les distingue également, dit que la seconde, à grains
plus petits, est surtout cultivée dans les sols pauvres de l'Inde
méridionale et centrale, et il attribue au P. miliaceum le nom
hindoui chenay au P. miliare celui de kungu.
5. Lib. XVIII, 12. Cf. The sacred Laws ofthe ^rya«,translated
by Georg Bûhler. Oxford, 1879, in-8,p. 263. Le Vishnu Puràna,
lib. I, cap. 7, en fait aussi mention.
6. Lib. IL 2.
7. Panicum italicum L. ou Setaria ilalica Beauv.
8. Panicum L. ou Paspalum Roxb. frumentaceum.
246 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
surtout pratiquée de nos jours dans les contrées dont
le sol est riche, tout en étant sec et léger. On a dû
aussi, dès une époque reculée, car on ne les trouve
plus à Tétat sauvage, cultiver, dans les terres médiocres
ou légères du Nord-Ouest et du centre, \ekoràdus/ia ou
kodrava^, et, dans presque toutes les provinces de
rinde ancienne» le panic en épi^ Ces millets, dont il
existe plusieurs variétés, se sèment presque tous au
moment de la saison des pluies, en juin ou juillet, et
se récoltent en septembre ou octobre ; Yanu cependant
fait exception ; on le sème en mars et on le récolte dès
la fin de mai^
On a probablement aussi cultivé dès longtemps dans
rinde le coracan * — 7*âjika. — 11 en existe plusieurs
variétés ; Tune d'elles que la flore de Hooker identifie
avec le type, mais dont Roxburgh faisait une espèce
particulière — Eleusine stricta, — est répandue dans
rinde entière et est remarquable par son extrême fé-
condité; une de ses sous-variétés rend jusqu'à cinq
cents pour un dans un sol riche et dans les bonnes
années. Roxburgh rapporte ' que deux pieds de cette
dernière, qui avaient poussé par hasard dans son jar-
din, lui donnèrent 81 000 grains. Ernst Meyer a sup-
posé que le bosmoron, « ce grain plus petit que le fro-
1. Paspalum scrobiculatum L., hind. koda. Le mot kodrava
désigne surtout une variété malsaine.
2. Panicum spicalum Roxb., IIolcus spicatus L., Peiiicellaria
spicala Willd. ou Pennisetum typhoideum Rich., hind. hajra.
3. Roxburgh, Flora, vol. I, p. 278, 284 et 302. — Watt,
Dictionary, vol. VI, 1, p. 9, 13, 112 et 127; vol. VI, 2, p. 547.
4. Eleusine coracana. Gaertner, Cynosurus coracanus L.
5. Flora indica, vol. I, p. 344. — Drury, Use fui Plants ^
p. 193.
r
LES PLANTES DANS L'AGKICILTURE 247
ment », mentionné par Strabon, d'après Ératostliène
et Onésicrite*, était peut-être le coracan.
L'absence de nom sanscrit pour le sorgho commun ^
ne permet guère de penser que la culture de cette cé-
réale dans rinde remonte à un passé très reculé.
Toutefois si Ton admet, avec Watt, que le sorgho
d'Alep^y est indigène, on peut croire aussi que cette
céréale a dû y être cultivée plus anciennement qu'on
ne l'a dit. De Candolle n'était pas éloigné de penser
que le inilium, dont parle Pline *, comme intro-
duit de son temps de l'Inde en Italie, était une espèce
de sorgho. Quoi qu'il en soit de cette hypothèse, il
est vraisemblable, comme le croit Watt, que quelques
variétés de sorgho ont pris naissance dans l'Inde, et
sont, depuis un temps immémorial, cultivées dans les
régions froides et élevées où le riz ne peut réussir.
Depuis une époque reculée aussi sans doute diverses for-
mes de Coix lacryma ont été cultivées dans le district
de Khasia, où cette grarainée paraît indigène ; l'ama-
rante fromentale l'était, pour ses graines comestibles,
par les tribus indigènes, quand le D' Buchanan l'a
découverte dans le Dekkan ^.
Outre les céréales, les Hindous ont dès longtemps
1. Geographica, 11 b. XV, cap. 1, 13 (690). — Botanische
Erlàulerungen, p. 64.
2. flolcus sorghum L., Andropogon sorghiim Roxb., Sorghum
vulgare Pers.
3. Sorghum haie pense Pers., Holcus haiepensis L., Andro-
pogon sorghum, var. halepensis Hack. G. Watt, Dictionary ,
vol. VI, 3, p. 281-292.
4. « Milium intra hos decem annos ex India iii Italiam
invectum est». Lib. XVIII, cap. 7. — A. de Candojle, Vori
gine, p. 305.
5. Roxburgh, Flora indica, vol. III, p. 568 et 609. — Watt,
Dicliotmry, vol. I, p. 24 et II, 496.
2i8 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
cultivé un certain nombre de légumineuses indigènes
dans leur pays. Il est fait mention dans TAtharva-
Véda et la Taittirîyasamhitâ du màsha — Phaseolus
radtatus\ — haricot aux graines petites et noirâtres,
tachetées de gris. Un autre recueil contemporain^
parle du mudga — Phaseolus mungo, — espèce du
même genre, à peine différente du màsha \ On a dû
aussi cultiver dès longtemps dans l'Inde, comme on le
faitaujourd'hui, lesharicots à feuilles d'aconit, à éperon,
multiflore et trilobé * ; mais on ignore à quelle époque
en remonte la culture. La mention du cajan*^ — âdkaki
. — et du Dolichos biflorus — kulattha — dans les Purà-
nas*, les noms sanscrits qu'ils portent, ainsi que le
catiang — sitamâsha — et le lablab — rimbi\ —
ne laissent pas de doute sur l'ancienneté de cette cul-
ture. Non moins ancienne peut-être est celle de la Ca-
navalia ensifor?nis^. Le cajan, le kulattha, le catiang
et le lablab possèdent de nombreuses variétés ^ répan-
dues dans la plupart des provinces de l'Inde. Il en est
de même du markatV^y autre légumineuse remarquable
1. A. F., lib. XII, cap. 2, 53. — T. 5., 5, 1.
2. Vâjasaneyasathhitâ, 18, 12.
3. Hooker, The Flora, vol. II, p. 203, considère le Phaseolus
radiatus Roxb. comme une simple variété du P. mungo.
4. Phaseolus aconilifolius Jacq., calcaratus Roxb., multiflo-
rus Willd. et trilobus Ait. — G. Walt, Dictionafy, vol. VI, 1,
p. 192-194.
5. Cytisus cajan L., Cajanus indicus SprengeL
6. Vishnu Puràna^ translated by Wilson, lib. I, cap. 6. (Wil-
son's Complète Works , vol. V, p. 95).
7. Vtgna EndL, Dolichos L. catjang, Dolichos lablab L.
8. Canavalia gladialaUc, Dolichos ensiformis L., gladia-
lus Willd. — G. Watt, vol. II, p. 97 et 673.
9. Roxbiirgh, Flora, vol. III, p. 304, 305, 313 et 326.
10. Mucunaprurita, var. iitilis, capitataeX monosperma DC. —
Carpogon prurienSy capitatvm, ni veum eimonospermum Koxb,
LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 249
par ses grandes fleurs pourpres et par ses gousses re-
courbées en S et couvertes de poils rudes et piquants.
La plupart de ces plantes sont des cultures d'été ; on
les sème en même temps que les diverses espèces de"
millet, et avec elles ou au bord des rizières ; les graines
mûrissent pendant l'automne, en octobre ou novembre.
Les légumineuses dont je viens de parler sont toutes
originaires de Tlnde ; il n'en est pas de même du pois
chiche — Cicer arietinum, — qui y est également cul-
tivé pendant la saison froide. Le nom sanscrit canaka
de cette plante, ainsi que la mention qui en est faite
dans les Puninas, montrent qu'elle a dû être importée
à une époque reculée dans la péninsule hindoustanique.
Elle est très répandue dans les provinces septentrio-
nales ; il en est de même des lentilles, qu'on n'y trouvait
pas du temps d'Alexandre, sil'on en croit Théophraste \
mais qui doivent y être cultivées depuis longtemps,
comme le prouvent leur nom sanscrit mastha et la
mention qu'en fait le Vishnit Purâna '. Il est probable
qu'on cultive aussi dans l'Inde septentrionale, depuis
une époque reculée, les petits pois — Pisum satïvum,
dont l'origine est incertaine ; et si l'on admet que les
pois des champs sont indigènes dans cette contrée,
comme Royle l'a supposé ', on en conclura qu'ils sont
aussi sans doute cultivés de temps immémorial ; tou-
tefois aucun texte ancien n'en fait mention.
1. Ilistoria plantarum, lib. IV, cap. 4, 9.
2. Hooker, The Flora, vol. II, p. 176, 179 et 181. -— Rox-
burgh, Flora, vol. III, p. 321, 323et324, ditquelepois chiche
est cultivé dans l'Inde entière, la lentille dans le Bengale et
les provinces voisines, et qu'une variété de fève à graines noi-
râtres est semée dans le Népal. Le type Test aussi dans le
Cachemire et la région du Nord-Ouest.
3. G. Watt, Dictionanj, vol. VI, 1, p. 277.
250 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Nous sommes mieux reaseignés au sujet des cucur-
bitacées. Il est question dans l'Atharva-Véda de ïur-
varû et de son fruit urvarûka, mot que H. Zimmer a
traduit par kurbiss\ Il s'agit évidemment de la gourde
ou calebasse* — alàbu — cultivée de nos jours comme
autrefois dans Tlnde, où elle parait indigène ; une tra-
dition rapportée par Athénée * la faisait venir de ce pays
dans rOccident. Quant aux autres espèces du genre
Cnctirbitay d'origine probablement américaine*, leur
culture dans Tlnde, quelque répandue qu'elle y soit
aujourd'hui, y est relativement récente et ne doit pas
dès lors nous occuper. Il n'en est pas de même de la
plupart des diverses espèces de Cucumis, de Citnillus,
de Liiffa et de Momordica, qu'on y rencontre.
Le genre Cucumis est représenté dans l'Inde par
plusieurs espèces comestibles, réunies, dans la flore de
Hooker, sous les noms de Cucumis trigonus % — lequel
n'existe qu'à l'état sauvage, — Cucumis m,elo, le
melon, et Cucumis sativus, le concombre. On ne
connaît ce dernier qu'à l'état cultivé; mais le Cucu-
mis Hardivickii , recueilli par Royle au pied de l'Hi-
malaya, du Koumaon au Sikkim *, paraît être le type
1. AUindisches Leben, p. 242.
2. CucurbUa lagenariaL., Lagenaria vulgdris Seringe.
3. Deipnosophistae, lib. Il, cap. 53.
4. Wittmack, Berichte der deulschen boianUchen Gesell-
srhaft, voL IV (1886), p. xxxiv. Il faut dire toutefois que A. de
Candolle, Origine y p. 202, a supposé la Cucurbita maxima
— le potiron — « originaire de l'ancien monde ».
5. Le Cucumis trigonus de Hooker comprend les Cucumis
mnderaspanuSj pubescenSy turbinatus et trigonus de Roxburgh,
Flora, vol. III, p. 721-723. — The Flora, vol. H, p. 619.
6. Illustrations of the botany of I/imalayan Plants^ p. 220,
pi. XLVII. J.-D, Hooker, Botanical Magazine, tab. 6206, dit
que les fleurs et les feuilles des deux plantes sont presque
LES PLANTES DANS L'AClUCrLTURE 251
d'où il est sorti ; on peut donc le regarder comme indi-
gène dans THindoustan; c'est dans cette contrée qu'il
a dû d'abord être cultivé, et comme le fait supposer
son nom sanscrit sukhdça, dès une éqoque reculée.
C'est de cette contrée aussi qu'il a pénétré dans l'Asie
antérieure et de là dans la Grèce et l'Italie *. Il était
déjà connu de Théophraste *. J.D. Hooker a découvert
dans le Sikkim une espèce comestible de concombre à
longs et gros fruits, le Cucumis sikkimensis^, Rox-
burgh a décrit aussi une espèce voisine*, le Cucumis
utilissimus — karkatt, — qui, d'après lui, serait indi-
gène dans les stations élevées, tout en étant parfois
cultivé. La Flore de l'Inde a réuni cette forme au
Cucumis melo^. Celui-ci ne se rencontre qu'à l'état
cultivé ; mais Clarke le regarde comme dérivé du
Cucumis trigonus, indigène dans les terres hautes de
THindoustan. C'est dans cette région qu'il a d'abord
été cultivé, et c'est de là également qu'il a été importé
dans l'Iran et l'Asie occidentale tout entière ; mais
on ignore à quelle époque.
Trouvée à l'état sauvage dans les sables de la côte
de Coromandel, la coloquinte* — vtçâld, suvarna,
identiques, mais les fruits du C. Hardxoickii sont petits, lisses,
et amers.
1. C'est de là également qu'il a été importé en Chine au
second siècle avant notre ère. Breitschneider, Botanicon sîni'
cunty vol. I, p. 197. (Journal of China Branch of the Royal
Asiatic Society, vol. XXV, 1892).
2. Hisloria plantarum, lib. VII, cap. 4, 6.
3. Botanical Magazine, tab. 6206.
4. Flora indica, vol. III, p. 721.
5. The Flora ofBrUish India, vol. II, 619-620. Clarke rattache
aussi au Cucumis melo les C. chala WalL, flexuosus, L., etc.
6. Cilrullus ou Cucumis colocynthis. Roxburgh, Flora,
vol. III, p. 720.
252 LRS PLANTES CHEZ LES HINDOUS
indravàrunikâ — a dii être cultivée de bonne heure
dans rinde ; c'est là d'ailleurs tout ce qu'on en peut
dir'e. Originaire de l'Afrique, la pastèque — Citmllus
vulgaris — a été aussi d'abord cultivée dans cette ré-
gion* ; de là elle a pénétré de bonne heure dans les
pays sémitiques, puis dans Tlran tout entier et enfin
dans l'Inde ; mais rien n'est venu nous renseigner sur
la date de cette importation ; peut-être a-t-elle eu lieu
à l'époque où une dynastie grecque régna sur le
Pandjab.
Si les luffa cylindrique et anguleux sont cultivés
dans rinde presque entière, on les y trouve également,
ainsi que plusieurs formes qui s'en rapprochent*, à
l'état sauvage ; on peut donc les regarder comme in-
digènes dans la péninsule gangétique et leur grand
nombre de variétés doit faire supposer, bien que
de Candolle ait admis le contraire, qu'ils y sont
cultivés depuis une époque reculée, ha. Momordica
charaniia et muricata, simples formes d'un type com-
mun, sont aussi sans doute originaires de l'Inde, bien
qu'on ne les y rencontre plus à l'état spontané, et le
nom sanscrit sushavi attribué à l'une d'elles' permet
de croire que leur culture y est ancienne.
La Flora indira ne mentionne pas non plus à l'état
sauvage, les Trichosantes anguina et dioïca\ on ne
doit pas moins regarder comme indigènes dans l'Inde
1. A. de Candolle, L'origine^ p. 209. — Les Plantes dans
Vanliquitô, voL I, p. 59.
2. Par exemple les Luffa amara, clavata, penlandra,
racemosa, etc. Roxburgh. Flora, vol. III, p. 712-715. — Hooker,
The Flora, vol. II, p. 614.
S. A la Aïomordica muricata Willd. par Roxburgh, III, 708 ;
à la M. charaniia par le Dictionnaire de Saint-Pétersbourg.
LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 253
ces cucurbitacées « au fruit allongé comme une gousse
charnue de légumineuse » ; le nom sanscrit knlaka,
donné à la seconde, montre qu'elle y est cultivée et
depuis un temps assez long. Il est probable qu'on a
aussi dès longtemps cultivé dans Tlnde le bénincasa*;
mais y est-il indigène? Il n'y croît pas à Tétat sauvage,
tandis qu'on a rencontré spontanées au Japon et à
Java des cucurbitacées qui ne paraissent pas en diffé-
rer ^ C'est du Japon aussi que de Candolle inclinerait
à faire venir le bénincasa'; dans ce cas sa culture en
Hindous tan ne saurait remonter bien loin dans le
<
passé ; mais la question de son origine est loin d'être
tranchée.
Malgré les différences spécifiques qui la distinguent
des cucurbitacées, on peut placer ici l'aubergine —
Solanwn melongena^ — dont la culture, à en juger
par le grand nombre de ses noms sanscrits et indi-
gènes* a dû être très ancienne dans l'Inde. Cette
plante n'y existe plus à l'état sauvage ; mais dans la
province de Madras croissent spontanément les Sola-
num inmnum Roxb. et incanum L., considérés
comme le type d'où elle est sortie \ On connaît deux
variétés d'aubergine cultivée ; dans Tune, la tige, les
feuilles et le calice sont armés d'aiguillons ; dans l'au-
tre ils en sont dépourvus ou à peu près ; les fruits de
1. Benincasa hispida Thunberg, cerifera Savi.
2. Cucurbila hispida Thunberg, Lagenaria dasystemon
Miquel, Cucurbita litloralis licasskarl et Gymnopetaium sep-
temlobum Miquel.
3. L'origine des Plantes cultivées ^ p. 214.
4. Sansc. bhan^Ahi, vârttàka, vangana, hind. bangan.
5. A. de Candolle, op. laud., p. 229. — Hooker, The Flora,
vol. IV, p. 235^ réunit les trois espèces sous le nom de melon-
gêna.
204 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
ces variétés sont d'ailleurs plus ou moins ovoïdes ou
globulaires et plus ou moins blancs ou lavés de
violet*.
Les cucurbitacées et l'aubergine sont cultivées pour
leurs fruits ; les légumes proprement dits le sont pour
leurs racines, leurs feuilles ou leurs tiges comestibles.
Parmi ceux de la première classe, il faut citer avant
tout la colocase* — kacu, — aroïdée aux feuilles
peltées et ovales ; Roxburgh en distingue trois variétés
sauvages, outre la colocase à feuille de nymphéa,
dont il fait une espèce douteuse — le sar-kacu^ — et
deux variétés cultivées aux gros tubercules comes-
tibles'. Autant que la colocase, sinon plus, sont cul-
tivés le gouet de l'Inde et le gouet campanule*, le pre-
mier — man-kacu — aux feuilles cordiformes et
arrondies, aux racines fibreuses, terminées par de
petits tubercules ; le second — kunda ou kidla —
acaule, aux feuilles composées, bi ou trifides, aux
énormes tubercules vivaces.
Comme les aroïdées, on cultive aussi pour ses rhi-
zomes comestibles une autre plante aquatique, mais
d'une famille toute différente, le nélumbo ou lotus
rouge ^ — padma, — seulement on le reproduit, non à
1. Drury, op. laud.. p. 398. — Watt, VI, 3, p. 359, ainsi que
Hooker, disent que, échappée des cultures, Taubergine devient
épineuse.
2. Arum Co/oca«ia VVilld., Coloca»ia antiquorum Schott.
3. Flora^ vol. III, p. 495. Watt, Diclionary , vol. II, p. 510.
4. Arummdicum Uoxb., Alocasia indica Schott. — Arum
campanulalum Roxb., Amorphophallus campanulatus Blume.
Roxburgh, Flora, vol. III, p. 498 et 510. — Watt, Dictionary,
vol. I, p. 179 et 226.
5. Nelumhium speciosum Willd., Nymphaea Nelumbo L. —
Watt, Diclionary, vol. V, p. 344.
LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 2ô5
Taide des tubercules, mais des graines. Après avoir
entouré celles-ci de terre glaise, on les laisse tomber
au fond de Teau. Elles ne tardent pas à germer et
s'attachent au sol par leurs racines. Les anciens
Égyptiens, nous Tavons vu, avaient recours au même
procédé*.
On ignore à quelle époque remonte la culture des
ignames — ang. ijam, hind. alu^ — très répandue de
nos jours dans Tlnde, à cause de Texcellente fécule
que renferment leurs rhizomes charnus ; Roxburgh
en indique plusieurs espèces^, qui, preuve vraisem-
blable d'une culture déjà ancienne, n'existent plus à
Tétat sauvage et pourraient bien n'être que des
variétés d'un môme type, comme il semble l'admettre
lui-même ; mais il ignorait et on ignore encore quel
est ce type. Toutes ces ignames ont leurs racines
fibreuses et garnies de tubercules, qui servent à leur
reproduction, les tiges herbacées et grimpantes, les
feuilles cordiformes et longuement pétiolées, les fleurs
dioïques et parfois odorantes.
A ces légumes à racines comestibles, il faut ajouter
la carotte, indigène dans le Cachemire et l'Himalaya
occidental, et cultivée dès longtemps dans Tlnde
entière, ainsi que le radis — Raphanus sativus — et
la rave — Brassica râpa, — qui, importés, il semble, de
1. Drury, The use fui Plants, p. 310. — Les Plantes dans
V antiquité, vol. I, p. 169.
2. Dioscorea alata L., fasciculata, globosa, purpurea,
rubetla Hoxb. Flora indica, vol. III, p. 797-799 et 801. — The
Flora of India, vol. VI, p. '296. — Drury, op, laud., p. 183. —
A. de CandoHo, op. laud,, p. 6'f. La variété pourprée porte à
Pondichéry le nom de « pomme de terre sucrée ».
3. Hooker, The Flora, vol. II, p. 718. — Watt, Dictionary,
vol. III, p. 44.
256 LES PLANTKS CHEZ LES HINDOUS
la Perse depuis une époque reculée, — le nom sanscrit
mûlaka de la rave en est la preuve, — sont cultivés
pendant la saison sèche, dans la plupart des provinces
de rinde*.
Bien que la flore indigène leur offrît une grande
quantité d'espèces végétales, dont les feuilles ou les
tiges sont comestibles, les anciens Hindous en culti-
vaient plusieurs dans leurs jardins. De ce nombre ont
été, mais probablement assez tard, le cresson alénois
— Lepidium sativum — etl'épinard — Spinacia oie-
raceUy — originaires l'un et Tautrede l'Asie antérieure,
ainsi que la bette du Bengale — Beta bengalensis, —
plante indigène dans l'Inde, comme l'indique son
nom*. Depuis longtemps aussi, a du être cultivée dans
l'Inde une chénopodêe tropicale, qui y est très répan-
due aujourd'hui, la baselle — tel. batsalla, sansc.
utpàdaka, picchila, etc., — plante vivace et grim-
pante, aux leuilles cordiformes et charnues, aux
petites fleurs en grappes pourprées, aux baies d'un
rouge sombre, indigène dans la Péninsule, en particu-
lier sur la côte de Malabar. De nos jours plusieurs
variétés, surtout les variétés à tige blanchâtre et à
feuilles cordiformes ^ sont Tobjet d'une culture impor-
tante. On reproduit cette espèce à Taide de simples
boutures, et on la fait grimper sur des treillages dres-
sés d'ordinaire auprès des habitations, auxquelles ses
1. Roxburgh, Flora, vol. III, p. 117 et 126.
•2. Roxburgh, Flora, vol. III, p. 116 et 771 et vol. II, p. 59. —
Watt, Diclionavy, vol. IV, p. 628; Vf, 3, p. 330, et I, p. 448.
3. Basella albn, lucida et cordifolia Willd., formes que la
flore de Ilooker, vol. V, p. 20, réunit, avec les espèces préten-
dues ramosa et japonica, sous le nom de Basella rubra L. —
Roxburgh, Flora^ vol. II, p. 104-105. — Watt, Dictionary,
vol. I, p. 404.
LES PUNTES DANS L'AGRICULTURE ^57
longues liges et ses feuilles épaisses procurent une
ombre agréable et bienfaisante.
Parmi les plantes potagères cultivées dans l'Inde
ancienne figuraient aussi sans doute diverses espèces
d'amarante, en particulier YAmarantus anardana et
Tamarante du Gange * — la brède du Malabar, — aux
grandes feuilles rhomboïdales. Il y a de cette dernière
espèce plusieurs variétés, qui diffèrent par la hauteur
de la tige ou par la couleur des feuilles, et dont quel-
ques-unes sont de jolies plantes d'ornement. On a dû
cultiver aussi très anciennement dans Tlnde, comme
plante potagère, aussi bien que comme textile, le Cor-
chorus oiùoriifSy mais rien ne nous renseigne sur
l'époque à laquelle remonte la culture de cette tilia-
cée*, ainsi que celle des amarantes et des autres
plantes potagères dont il vient d'être parlé.
La flore indigène offrait aux Hindous un grand nombre
de condiments ; ils ont emprunté néanmoins, et à une
époque reculée, la plupart de ceux de T^sie antérieure
ou centrale, en particulier l'ail, l'oignon, Téchalotte,
le poireau, la ciboule ; la mention des trois premiers
dans les lois de Manou ' est une preuve de Tancienneté
de leur importation. L'ail a du, ainsi que l'oignon,
être dès longtemps l'objet d'une culture étendue *, à en
1. Àmaranius gangelicus L., oleraceus Hoxb. La flore de
Hooker, vol. IV, p. 719, réunit ces deux formes et les A. tri-
color, tn'stis, lanceolatus, poli/gamus, etc. en une seule espèce.
— G. Watt, Dictxonary, vol. I, p. 210 et 212.
2. Watt, II, 5'»l-42, qui, tout en admettant que la culture du
Corchorus était inconnue des anciens Hindous, suppose que la
forme oUtorius, a pris nais.sance dans l'Inde.
3. Lea Lois de Manou, trad. G. Strehly, liv. V, 5. (Annali'S
du Musée Guimet, vol. II, p. 13o). Cf. Gautama, chap. xvn, 32.
{The sacred Laws ofthe Avya^. Part 1, p. 266).
4. Toutefois, au vn" siècle de notre ère, le pèlerin chinois
JoRRT. — Les Planées dans l'auliquilé. 11. — 17
258 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
juger par le nombre de leurs noms sanscrits : laçuna,
mahau^hadhdy grwjanârtshta, etc., pour Taii; pa-
lându^ sukandaka, etc., pour l'oignon \ Suivant Rbx-
burgh, on plante beaucoup l'échalotle, à la fin de la
saison des pluies et pendant les mois froids et secs de
l'hiver* ; mais il est douteux que cette culture remonte
à une date reculée.
On cultive,* au contraire, dans Tlnde entière, et depuis
un temps considérable, à en juger par leurs noms
sanscrits, Taneth, la coriandre, le cumin et Tajouan.
Roxburgh mentionne deux espèces d'aneth, cultivées
toutes deux pour leurs graines et toutes deux à fleurs
jaunes ', le sowa — miçreyd, — indigène dans le
Bengale, et le panmori — madhurikd, — espèce qui
ressemble au fenouil et paraît également indigène dans
l'Inde. On les sème après les pluies et on récolte les
graines au mois de mars. On cultive également pon-
dant la saison froide, la coriandre — dhanijàka, —
orabellifère exotique, mais introduite depuis longtemps
sans doute dans THindoustan. On peut en dire autant
du cumin — jira,jirakay — originaire de la région ira-
nienne, d'où il a pénétré dans la presqu'île gangétique,
Iliuen-Tsiang affirmait encore que l'oignon et l'ail étaient peu
cultivés dans l'Inde. Si-yu-ki. Buddhist recorda of Ihe western
World, transi, from the chinese of Hiuen-Tsiang (a. D. 629) by
Sam. Heal. London, 1884, in-8, vol. I, p. 88.
1. Amarakoça, liv. IV, chap. iv. sect. 5, p. 110-111.
2. Allium ascalonirum L. Flora indica, vol. II, p. 142.
Roxburgh mentionne aussi la culture dans le Bengale de l'ail
tubéreux, considéré par Regi»! comme une simple forme de
YMlium odorum L.
3. Flora indica, vol. II, p. 95-96. La flore de Hooker, vol. Il,
p. 695 et 709, rattache VAneihum sowa au f/raveolens et iden-
tifie VA, panmori Roxb. avec le Fœinculum officinale L,
LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 259
corame en Egypte, à une époque reculée *. L^ajouan
— brahmadarbha, yavanika ^ etc. — est cultivé dans
rinde depuis une époque non moins ancienne, sinon
plus ancienne. Annuel, sa tige dressée est couverte de
feuilles éparses, finement découpées ; les fleurs en om-
belles de six à huit rayons' sont blanches et les fruits
ont une odeur aromatique agréable. .
On peut placer à côté de ces ombellifères deux au-
tres plantes de la famille des labiées, cultivées plu-
tôt, il est vrai, comme plantes aromatiques ou pour
leur caractère sacré que comme condiments; le basi-
lic et la tulasi. Plante herbacée de Tlran, le basilic',
qui se rencontre aussi spontané dans le Pandjab, est
cultivé dans la péninsule hindoustanique tout entière.
Il fleurit à Tépoque des pluies et pendant la saison
froide. La tulasî — parnâsuy — comme sa variété hir-
sute — arjakay — dont Roxburgh a fait une espèce
particulière*, est un petit arbrisseau aromatique d'ori-
gine inconnue, à rameaux velus, à feuilles ovales, den-
tées et tomenteuses, couvert toute Tannée de petites
fleurs plus ou moins purpurines ; on le trouve planté
dans les jardins de tous les temples hindous.
Avec le poivrier nous retrouvons un véritable condi-
ment et un condiment d'une importance économique
1. Coriandrum sativum L., Cuminum cyminum Willd.
Roxburgh, Flora, vol. II, p. 92 et 94.
2. Ligusticum ajowan R. et D. C, Bumum aromaticum L.,
Carum copticum Benth. — Àsiatic Researchex, vol. II, p. 170. —
Hoxburgh, Flora, vol. H, p. 91, dit qu'il n'a point rencontré
l'ajouan à l'état sauvage.
3. Ocimum baailicnm L. — Roxburgli, Flora, vol. IH, p. 18.
— Ilooker, The Flora, vol. IV, p. 608.
4. Ocimum sanrium L., var. hirxula llooker. Ocimiim viUo-
£um Koxb. — Flora indica, voL III, p. 14.
260 LES PLANTES CHEZ LES HINliOUS
et commerciale supérieure à celle de tous ceux dont je
viens de faire mention. Indigène dans les forêts du
Malabar et du Travancore, le poivrier* — pippalt, —
dont le nom sanscrit à peine transformé a été adopté
par les peuples classiques de Tancien monde et a passé
dans toutes les langues de l'Europe moderne, est une
plante grimpante qui ne réussit bien qu'entre le b° et
le 15® degré delatitude^ 11 se reproduit par boutures.
Avant la saison des pluies, on plante les drageons dans
un sol riche et non trop humide, en les disposant au
pied d'arbres àTécorce rugueuse ou couverts d'épines ;
les pousses s'enlacent rapidement autour des troncs
jusqu'à une hauteur considérable. Dans un sol conve-
nable, elles peuvent porter dès la première année ; la
production augmente jusqu'à la cinquième et continue
pendant quinze à vingt ans. Les fleurs, disposées en
grappes pendantes, commencent à paraître au mois de
mai ; chaque grappe peut donner de vingt à trente baies.
D'abord vertes, ces baies deviennent rouges avant la
maturité complète ; on les cueille à ce moment et ou
les fait sécher pendant deux ou trois jours sur des
claies ; elles prennent alors une couleur brune ou gris
noirâtre. On fait deux ou trois récoltes par an.
Théophraste distinguait deux espèces de poivriers \"
1. Piper nigrum L., Piper trioicumY{o\h. La Flora indica,
vol. 1, p. 151, lui attribue les noms sanscrits vellaja, marica,
colaka, etc., tandis qu'elle réserve pour le Piper longum L., le
nom de pippali.
2. Cosmas Indicopleustes, Topographia chrisliana, lib. XI,
s. V., col. 414-415. — J. Mandevillè, chap. XVIII. {The buke of
S. Maundeville, éd. by. G. F. Warner. Westminster, 1889, in-
fol., p. 83). Lassen, Indische Allerthumkunde, vol. I, p. 277. —
il. Drury, Tlie nue fui plants, p. .'j'i'*. — F. -A. Fliickiger et
Daniel Hanbury, Histoire des drogues végétales, vol. Il, p. 338.
3. Historia plantarum, lib. IX, cap. 20, 1.
LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 261
Tune à fruits ronds et semblable à une baie de laurier ;
Tautfe à fruits allongés et noirâtres, d'une saveur plus
forte. Faut-il y voir les Piper nigriim et longum des
botanistes? Ce dernier*, abondant aux Moluques et
aux Philippines, croît aussi dans Tlnde, des monts
Khasia, du Bengale et de TAssam, jusqu'au Travan-
core au Sud et Bombay, à l'Ouest. Les tiges sont an-
nuelles, mais les racines vivaces repoussent pendant
plusieurs années. Les baies, de petite dimension, sont
étroitement serrées autour d'un axe commun et forment
un épi long de 4 centimètres environ, qu'on cueille
avant la maturité des fruits.
Quoique le bétel* ne soit pas un véritable condiment,
il faut mentionner ici la culture de cette pipéracée, des
feuilles de laquelle les habitants des Indes orientales
et de la Malaisie font un si grand usage. Aux tiges
ligneuses et grimpantes, avec de nombreuses racines
adventives, aux feuilles obovales, aux petites fleurs
dioïqucs, le bétel est peut-être originaire de Java;
mais il a du pénétrer de bonne heure dans la pé-
ninsule hindoustanique» comme en témoignent ses
noms sanscrits nâgavaUi et tâmbûlî. On le cultive
en grand dans les terres humides et riches du Bengale
et de la Péninsule. Il se reproduit par boutures, qu'on
plante dans des endroits ombragés, à l'abri des rayons
du soleil \
1. Chavica Roxburghii Miquel, Piper o/pctnarum G. de Can-
dolle. Piper longum Linné. Roxburgh, Flora, vol. I, p. 154,
lui attribue les noms sanscrits upakulyôy îishanâ, capald, kanâ,
kùla, /irisfina, mdgadhi, etc. — Watt, Diciionary, vol. VI, 1,
p. 258.
2. Piper betleL.j Chavica hetle Miq.
3. Roxburgh, Flora, vol. I, p. 158. — Drury, op. laud.,
p. 130. — Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p 248-254.
262 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
L'emploi du bétel est resté confiné dans la région
des moussons, la cannelle ou cinnamome s*est répan-
due, dès Tépoque la plus reculée, dans toute TAsie anté-
rieure, et elle était connue bien avant notre ère dans
la Grèc^. Il en est question dans la Bible ^ Hérodote
en parle aussi; mais il ignorait quel végétal produisait
ce condiment et il en a entouré la récolte des légendes
les plus fabuleuses*; Théophraste les a rapportées
aussi, mais sans y croire, et il connaissait déjà quelque
chose de Tarbre qui le donne, mais il le fait croître en
Arabie'. D'après Dioscoride et Pline le cinnamome
aurait été originaire de TÉthiopie. On voit combien,
au i®"" siècle de notre ère, l'ignorance était grande en-
core, dans rOccident, au sujet de cet aromate recher-
ché. Originaire de Cejlan, le cannellier*' est un arbre
de petite taille, toujours vert et très rameux, de la
famille des lauracées ; garni de longues feuilles oppo-
sées, luisantes en dessus et glauques en dessous, il
se couvre, au mois de janvier ou de février, de pani-
cules de fleurs d'un blanc grisâtre et d'une odeur dé-
sagréable ; il a pour fruits des baies peu charnues et
d'un rouge foncé qui mûrissent en avril.
On cultive en grand le cannellier dans la région Sud-
Ouest de Ceylan, dont le sol léger, le climat doux et
uniforme et les pluies fréquentes lui conviennent.
L'aménagement des plantations qu'on en fait ressemble
à celui de nos taillis de chênes. On taille les jeunes
arbres pour les empêcher de trop s*élever et leur faire
1. Canticum canlicorum, cap. IV, 14.
2. Hûtoriae, lib. 111, cap. 110 et 111.
3. Historia planiarumy lib. IX, cap. 5.
4. Laurus Cinnamomum L. ou Cinnamomum zeylanicum
Breyn. — Brandis, Foresl Flora, p. 375.
LES PLANTES PANS L'ACKICULTURE 203
former une soucke, de laquelle parlent quatre ou cinq
rameaux ; quand ils ont deux à trois mètres de haut et
trois à cinq centimètres de diamètre, on coupe ces ra-
meaux à l'époque de la sève, en mai et en juin, et de
nouveau en novembre et en décembre ; on les divise
ensuite en fragments longs de 30 centimètres à peu
près — Théophraste dit d'une palme, — puis on enlève,
opération qui ne présente pas de difficulté, l'écorce à
Taide d'un couteau et on la fend dans le sens delà lon-
gueur ; on emboîte ensuite les morceaux d*écorce les
uns dans les autres, et on les lie en faisceaux, au bout
de vingt-quatre heures, on en racle avec soin la couche
externe, puis on les met à sécher sur des claies K Quand
la dessiccation est suffisante, on les réunit de nouveau
en faisceaux ; c'est la cannelle du commerce.
D'autres cinnamomes, en particulier le cinnamome
inerte de la côte de Malabar "^ et le cinnamome tamala,
qui croit dans les monts Khasia, au Sikkim, au Népal
et auKoumaon^, fournissent aussi une espèce de can-
nelle * ; mais ces arbres ou arbustes ne sont pas cul-
tivés de nos jours et ont dii l'être moins encore dans
l'antiquité. Il n'y a donc pas lieu d'en parler ici. Il en
est autrement du cardamome et du gingembre, scita-
1. Leschenault de la Tour. Notice sur le cannelier de Vile de
Ceylan. Mémoires du Muséum d'histoire naturelle^ voL VIII
(1822), p. 'i36-46).
2. Cinnamomum iners Reinw. — Drury, op. laud.^ p. 137.
3. Cinnamomum tamala Fr. Nées. — F.-A. Flùckiger et
Daniel Hanbury, op. laud. Trad. vol. Il, p. 239. — Hooker,
Flora, vol. V, p. 129.
4. Roxburgh, II, 297, indique un Laurus cassia Willd,
comme indigène dans les montagnes de Tllindoustan : mais
Hooker considère cette espèce comme identique avec le Laurus
cinnamomum j et il regarde le vrai Laurus ou Cinnamomum
cassia comme une plante chinoise.
264 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
minées qui sont, du moins la seconde, Tobjet d'une
culture importante et qui remonte sans doute à une
haute antiquité.
Pour le cardamome *, qui croît spontanément dans
les forêts montagneuses de la côte de Malabar, les
indigènes se bornent le plus souvent à en faciliter la
végétation. Quand ils ont trouvé quelque endroit où
ces plantes poussent en certaine quantité à Tétat sau-
vage, ils y pratiquent des éclaircies pour qu'elles puis-
sent se développer en liberté. Les cardamomes attei-
gnent pendant la première saison une hauteur de 30
à 60 centimètres. On débarrasse alors le sol des mau-
vaises herbes ; on l'entoure d'une cloison et on aban-
donne les plants à eux-mêmes. Au bout de deux années
ils commencent à produire, et ils continuent à le faire
pendant six ou sept ans. Dans le Nord du, Canara, le
cardamome est l'objet d'une culture véritable ; on le
sème sur couche, et quand les jeunes pousses ont
atteint une hauteur suffisante, on les transporte dans
les plantations d'aréquiers, en les disposant entre ces
palmiers et des bananiers, qui leur fournissent Tombre
nécessaire. Les fleurs paraissent après la saison des
pluies et les fruits commencent à mûrir en octobre ;
la récolte dure pendant deux ou trois mois*.
Les nombreux noms sanscrits du cardamome —
bàhula, candravdlâ, vayastha, etc. — sont une preuve
de l'ancienneté de son emploi, sinon de sa culture,
1. Amomum Cardamomum L., Elettaria Cardamomum
Maton, Alpinia cardamomum Roxb. — Flora indica, vol. I,
p. 70.
2. Drury, The use fui Plants, p. 192. — Flûckiger et Hanbupy,
op. laud., vol. II, p. 4'ii-i'i7. — Watt, Dictionary, vol. Wh
p. 228-232.
LES PLANTES DANS L'AORPCULTURE 265
dans rinde ; le gingembre* — drdrakay ,kaiukanda,
indrabheshaja, çringavera, etc. — ne portait pas
moins de noms indigènes et sa racine était encore
plus employée. Il réussit surtout dans les terres rouges
et grasses du distict de Shernaad sur la côte de
Malabar. Au commencement de la mousson on établit
des platos-bandes de 3 à 4 mètres de long et de un à
un et demi de large ; on y pratique de 3 en 3 déci-
mètres de petits trous qu'on remplit de fumier ; puis
on y enfonce des morceaux de racines choisies de
gingembre, qu'on recouvre de feuilles sèches. Ils
ne tardent pas à se développer en rhizomes hori-
zontaux, sur lesquels poussent des tiges fouillées
hautes de 9 à 12 décimètres et de tiges florifères
moins élevées et enveloppées par des écailles engai-
nantes et obtuses ^ Les fleurs en épis courts et de cou-
leur pourpre s'épanouissent d'août en octobre; l'a
plante est alors arrivée à sa pleine croissance ; il ne
reste plus qu'à arracher les rhizomes et à les faire
sécher.
On peut croire qu'on cultivait dans Tlnde autrefois
comme aujourd'hui le curcuma long^^ — le turmeric
des Anglais, — autre araomacée, dont plusieurs espèces
congénères croissent à Tétat sauvage dans le Malabar.
Ses nombreux noms sanscrits haridrà, kancam, nirà,
etc.; témoignent de l'importance qu'avait prise l'emploi
1. Amomum zinziber L., Zinziber officinale Roscoe. —
II. Dufrené» La Flore sanscrite. Paris, 1887, in-8, p. 30 et 64.
— Roxburgh, Flora, vol. I, p. 47 et 71.
2. Drury, op. laud., p. 456. — Flûckiger et D. Hanbury,
op. laud., vol. II, p. 430-434. — Watt, Dictionary, vol. VI,
4, p. 360.
3. Curcuma longa L., Amomum Curcuma Gmel. Roxburgh,
Flora, vol. ï, p. 32-33.
266 LES PUNTESCIIEZ LES HINDOUS
de cette plante, sinon de l'antiquité de sa culture.
Celle-ci se pratique d'ailleurs à peu près comme celle
du gingembre. Outre les principes colorants et aroma-
tiques connus qu'ils renferment, les rhizomes du
curcuma contiennent encore, quand ils sont jeunes,
une fécule abondante*.
De ces épices précieuses, cultivées à des titres
divers, on peut rapprocher la canne à sucre — Sac-
charvm o/ficmanim, — dont le suc concrète a été de
bonne heure un des condiments les plus recherchés.
Originaire de la région Nord-Est de l'Inde, patrie de
la plupart des espèces de saccharum^ en particulier
du Bengale, le pays du-sucre — ganda, — la canne a
dii y être plantée depuis une époque reculée. La mul-
tiplicité de ses variétés \ et cette circonstance qu'on
ne la trouve plus à l'état sauvage témoignent incon-
testablement d'une culture ancienne. On peut aussi,
avec Lassen, en voir une autre preuve dans le grand
nombre des noms sanscrits et indigènes, qui serv^ent à
désigner ses propriétés ou ses divers états, ainsi que
les produits qu'on en retire*. La mention que font les
1. Les tubercules d'une autre espèce sauvage de Curcuma, le
C. anguslifoHa Roxb; renferment aussi une fécule recherchée.
2. A. de Candolle, L'origine, p. 122. — Edm. D. von
Lippmann, Geschichte des Zuckers. Leipzig, 1890, in-8, p. 32
et 'S9. — Watt, Dictionaru, vol. VI, 2, p. 31.
3. D'après Grierson {Bihâr Peasanl Life. Calcutta, 1885, in-8,
p. 232), il y a dans la seule province de Bihâr plus de vingt
variétés de cannes à sucre, ayant des noms particuliers avec
d'innombrables sous variétés.
'*. Indische AUerthiunsknnde, vol. I, p. 318. Ilishu, ikshu-
hànda, rasâla « plein de suc », la canne; pundra et kântàraka,
la variété rougoître ; çàrkara, prak. sakkara , le sucre en grains,
d'où le persan shakary ar. sukkar, grec aâxyapov, lat. sac-
char um.
LES PLANTKS DANS L'AGIIICULTUKE 267
anciens textes de la canne à sucre est une preuve
encore plus manifeste de l'antiquité de sa culture ou
au moins de Tusage qu'on a fait de ce roseau précieux
dès les temps les plus reculés. Il est question de la canne
dans un passage du Vdjasanej/asamhitâ ; elle joue
aussi un rôle dans une formule magique de TAtharva,
Véda*. Les lois de Manou font à la fois mention de la
canne à sucre et. du breuvage enivrant — g(iff(Ji, —
qu'on retire do la mélasse* — (juda.
A partir du iv® siècle avant notre ère, Texistence
de la canne fut connue des Grecs ; c'est d'elle,
en effet, que parlait Néarque\ quand il dit que, sans
le secours des abeilles, certains roseaux de l'Inde pro-
duisent du miel. Eratosthène v fait sans doute aussi
allusion, lorsqu'il mentionne les roseaux « doux par
nature » de l'Inde, et Théophraste, quand il affirme
que « le miel est aussi produit par certains roseaux* ».
Mais on le voit, la connaissance que les Grecs anté-
rieurs à notre ère avaient de la canne à sucre était bien
vague et incertaine ; il faut arriver à Dioscoride pour
trouver un écrivain mieux informé. « Il y a, dit-il%
une espèce de miel, appelé sakkharon, qu'on recueille
sur les roseaux de l'Inde et de TArabie heureuse ; il a
la consistance du sel, et craque comme lui sous les
dents ! »
t. V. S. 25, 1, 11. — A. V.. !ib. I, 3'i, 5. Zimmer, .4/^1»-
disches Lehen, p. 72.
2. Lib. VIII, 341 et XI, 90.
3. Fragmenta, VIII, 61. Mais il ajoute, ce qui prouve qu'il
n'avait pas vu de cannes à sucre, qu'on retirait le miel de leur
fruit.
'i. Strabon, Geographica, lib, XV, cap. 1, 20. — "AXXt) oà (toû
IxéX'.to; Yîvcai;) yivêTai âv toT; xaXajjioi;. Fragm. CXC.
5. De materia medica, lib. II, cap. iO'i.
268 LES PLANTES CHEZ LES HLNDOUS
Il ne s'agit plus ici d'une substance incertaine et
douteuse, mais d'un produit bien déterminé et connu
maintenant dans l'Occident, où il avait enfin pénétré,
quoiqu'il y fût rare. D'après Pline, qui en parle dans
les mêmes termes à peu près que Dioscoride, comme
d'après Galien*, le sucre était à la fois un produit de
rinde et de l'Arabie. La canne n'est pas indigène dans
cette dernière contrée ; elle avait dû par suite y être
importée. Ainsi au premier siècle de notre ère la cul-
ture de la canne s'était répandue au delà des limites
de son pays d'origine ; à plus forte raison existait-elle
dans celui-ci. Depuis combien de temps y était-elle
pratiquée ? Aucun document ne nous renseigne à cet
égard ; mais on peut supposer qu'elle remontait à une
haute antiquité. Il est possible toutefois qu'elle y ait
été longtemps sans grande importance ; peut-être se
borna-t-on d'abord à planter autour des habitations
quelques cannes, dont le suc exprimé suffisait aux
besoins de la famille ; mais quand la consommation de
celui-ci eut augmenté, quand surtout on eut trouvé le
moyen de le concréter, la culture en grand de la
canne s'imposa; on s'attacha à l'anoblir, et le nombre
considérable des variétés, qui sont sorties du type
aujourd'hui perdu, prouve le soin qu'on y apporta.
Ces formes ou variétés dépendent de la nature du sol
et sont distinguées par la couleur de la canne ; mais
quelles qu'elles soient, toutes exigent des labours pro-
fonds, un arrosage bien réglé, des fumures abondantes,
des sarclages répétés. Au mois d'avril ou au commen-
cement de mai on retourne le champ où doit se faire la
1. Ilisloria naturalts, lib. XII, cap. 17. — De simplicium
medicamentorum facuUalibus, lib. VII, 3.
LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 369
plantation*; puis on Tirrigue abondamment. On coupe
alors la partie supérieure des cannes arrivées à leur
entière croissance ; on en fait des boutures de la lon-
gueur d'un ou deux entrenœuds, et on les plante de 40 à
50 centimètres de distance, en lignes écartées d'environ
12 à 13 décimètres. Au bout de huit jours les boutures
commencent à pousser ; on bine alors légèrement le sol,
et, tous les 15 ou 20 jours, on le sarcle et on Tirrigue,
tant que les pluies ne sont pas suffisantes. En août ou
en septembre les cannes ont 1 à 2 mètres de haut, et
ne réclament plus de soins ; trois ou quatre mois après,
elles ont atteint leur complet développement; on les
dépouille alors de leurs feuilles; puis après avoir
retranché les cimes inutiles, on coupe les tiges près du
collet et on les divise en fragments qu'on porte au
moulin.
Après les céréales, les légumes et les condiments,
les plantes oléagineuses et tinctoriales occupaient, avec
les textiles, une place considérable dans l'agriculture
des Hindous. La mention du sésame — tila — et de
l'huile qu'on en retire, dans les lois de Manon et dans
l'Atharva-Véda ^ ne permet pas de douter que cette
plante n'ait été dès longtemps connue dans l'Inde.
Mégasthène parle de la culture dont elle y était
l'objet, et c'est cette contrée aussi que Pline regar-
dait comme son pays d'origine'*. Aujourd'hui on cultive
1. lîoxburgh, Flora, vol. I, p. 238.
2. Lib. III, 210; V, 7, etc. — A. V., lib. L 72; XVIII, 432.
3. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 13. — Ilistoria
naturalis, lib. XVIII, cap. 22.
27Ô LES PLANTKS CIIF7. U:S lIINDors
le sésame dans toutes les provinces hindoues. Il y en
a deux variétés ; l'une à graines blanchâtres, moins
commune, Tautre plus riche en huile, à graines noirâ-
tres*. On sème la première espèce au mois de février
après la récolte du riz; la maturité a lieu en mai. La
seconde espèce, cultivée dans des stations élevées,
est semée vers le mois de juin, au commencement de
la saison des pluies, date indiquée par Eratosthène, et
la récolte se fait en septembre.
Originaire peut-être de l'Afrique tropicale, le ricin
a dû pénétrer de bonne heure, néanmoins, de son pays
d'origine dans l'Inde ; ses nombreux noms sanscrits :
erancfa, citrnha, gandharcahafitaka, . vydgkrapuccha *,
etc., sont une preuve de l'antiquité et de l'importance
de sa culture dans cette contrée ; cependant il n'est
question du ricin ni dans les Védas, ni dans les lois de
Manou, et rien ne nous renseigne sur l'époque où il a
pénétré dans THindoustan, ni sur la manière dont les
habitants de cette contrée le cultivaient dans l'anti-
quité'*.
Nous ne sommes pas mieux informés au sujet de
l'ancienne culture du lin — atasi — dans l'Inde ; tout
ce qu'on en peut dire, c'est que de la région monta-
gneuse du Nord -Ouest, où il paraît indigène, il a dû
se répandre assez tôt dans le Pandjab ; il y était cul-
tivé au IV'' siècle avant notre ère ; Eratosthène qui
1. Roxburgh. Flora, vol. ÏII, p. 10, donne à la première le
nom de Sesamum orientale Willd, à la seconde celui de 5.
indicum. L. Hooker, Fiora,\o\. IV, p. 337, ne les distingue pas,
pas plus que Watt, Diclionary, vol. VI, 2, p. 502-533.
2. Amarakoçn, liv. Il, chap. 4, 2; vol. I, p. 90.
3. Walt, VI, 1, 519, incline à croire néanmoins que le ricin
est indigène dans l'Indo, aussi bien que dans l'Afrique tropicale,
et qu'il y a été cultivé dès une haute antiquité.
LES PLANTES lUNS L'AGRICULTURE 271
Vy vit, nous apprend qu'on le semait pendant la saison
des pluies ' ; mais il ne nous dit pas si on le cultivait
pour ses fibres ou, comme on le fait aujourd'hui,
uniquement pour Thuile qu'on retire de ses graines.
De nos jours les Hindous sèment le lin, non à l'époque
des pluies, mais en automne, du commencement
d'octobre à la mi-novembre -, et parfois avec la mou-
tarde ou sénevé. Plusieurs crucifères de ce nom ont
été de temps immémorial — leurs noms sanscrits en
sont la preuve — cultivées dans l'Inde; telles sont en
particularité les formes asiatiques du chou des champs :
les Hrassica dichotonia — sarshopa, — glauca — sid-
dharlhaka — et toria — tuverika^, ' — ainsi que le
Brassica juncea — rdji/câ, — la moutarde hindoue
propreprement dite*.
Bien que la flore indigène leur offrit les matières
tinctoriales les plus diverses, les ai^ciens Hindous de-
mandaient surtout ces substances à quelques espèces
cultivées : l'indigotier, le carthame, la garance, peut-
être le chay-root et le morinda, sinon le safran et
l'arbre au henné. L'indigotier — nili — sous-arbrisseau
aux feuilles soyeuses et pinnées, aux petites lieurs en
grappes rosées ^ est planté dans l'Inde, où il est peut-
être indigène, depuis un temps immémorial, encore que
1. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. I, 13(690).
2. Drury, Use fui Plants, p. 279-281.
3. Sinapis dicholomn, glauca Hoxhurgh et glauca L'oyle
{Brassica campesln's) L. UAmarakoça donne encore au 5.
dicholoma le nom de iantuhha,
4. Sinapis ramosa Roxb. — Walt, Diclionary, voL I, p. 523-
529.
5. Indigo fer a tincloria L. Outre celui de nili, VAmara-
koça, I, 99, lui donne les noms les plus divers : kàlâ, rafijani,
tuttkâ, etc.
272 LES PLANTES ClItZ LKS HINDOUS
Dioscoride et Pline soient les auteurs les plus anciens
qui aient parlé de son produit.
De nos jours l'indigotier est cultivé dans le Sud de
la péninsule, le Sind, le Pandjab oriental, mais surtout
dans le delta du Gange, dont le sol humide lui con-
vient. Les champs, destinés à Tensemencement, sont
soigneusement labourés en octobre et en novembre,
aussitôt que les pluies ont cessé. Quatre ou cinq
mois après, en mars ou au commenceme^it d'avril, se
font les semailles, et Ton coupe les plantes en juillet,
au milieu de leur pleine floraison, moment où elles
renferment le plus de matière colorante *.
Depuis combien de temps le carthame a-t-il été cul-
tivé dans rindc ? On Tignore ; mais les nombreux
noms sanscrits qu'il porte — kusumbha, kamalol-
tara, pila, raktaka, maliàrajana, vahnicikha, etc. * —
tirés de la couleur ou de la forme de ses fleurs,
témoignent de l'importance qu'y a pris de bonne
heure sa culture. Celle du safran — kunkiwia, —
au contraire, n'a jamais pénétré dans l'Inde propre-
ment dite ; un de ses surnoms en sanscrit, kàimira-
jannui, « issu du Cacheuiire», indique le pays d'où il
était importé autrefois dans la Péninsule et le seul où
il soit encore cultivé. Avant qu'on le tirât de cette
contrée, les Hindous le demandaient peut-être à la
Bactriane, d'où son autre surnom vàldlka « du pays
de Balk'' ».
1. Herm. von Schlagintweit, liexêen in Indien, vol. I, p. 263.
— Drury, op. laud., p. 256.
2. Amarakoça, liv. II, chap. 9 et liv. III, chap. 4, vol. 1,
p. 227 et ;J17. — Asiatic Besearches, vol. III, p. 415.
3. Amarakoça, iiv. H, chap. 6, 3; vol. I, p. 155. — Watt,
Diclionary, vol. Il, p. 592.
LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE Î73
Le carthame est peut-être exotique dans VInde, la
' garance * est indigène dans les contrées montagneuses
situées au Nord-Est de THindoustan, et à en juger par
les noms si variés qu'elle porte en sanscrit — jingt,
manjishthâ, samangâ, kâlamêshîkâ, mandûkaparnt,
bhandîrî, etc. * — elle a dû être cultivée ou du moins
employée dès longtemps dans THindoustan ; elle Test
surtout aujourd'hui dans son pays d'origine et dans le
gouvernement de Bombay. On cultive également, mais
depuis combien de temps? je l'ignore, dans les terrains
sablonneux de la côte de Coromandel et des Concans
où elle est indigène, une autre rubiacée, le chay-root
des Anglais, le saya des Tamouls\ à cause de la couleur
rouge fournie par ses racines. C'est aussi pour la cou-
leur jaune écarlate, retirée de ses racines, qu'on plante
dans rinde entière YacyiUa *, petit arbre de la même
famille que la garance et le chay-root, aux feuilles
opposées, ovales, aux fleurs blanches en capitule. On
cultive de nos jours encore dans l'Inde l'arbre au
henné — mendhi^ — ; à quelle époque remonte cette
culture ? Rien ne nous l'apprend ; mais bien que cet
arbre soit peut-être indigène dans la Péninsule, on ne
1. Rubia cordifolia L., munjista Roxb.
2. Amarakoça, liv. II, chap. 4, 2; vol. 1, p. 98. — Roxburgh,
Flora, vol. I, p. 374.
3. ffedyolis Lam., Oldenlandia umbellata L. — Roxburgh,
Flora, vol. I, p. 431. — Drury, p. 240.
4. Morinda citrifolia L. var. hracteata et .V. tinctoria Roxb.,
ainsi que les M, muUi/lora et exserta Roxb., que Hooker re-
garde comme de simples formes ou variétés du M. tinctoria.
— Asiatic Researches, vol. IV, p. 25-27. — Watt, Dictionary,
vol. V, p. 274, lui donne le nom à'acchuka.
5. Lawsania alba Lam., Lawsonia inermis L. — Watt, Dic-
tionary, vol. IV, p. 597. Cf. Les plantes dans V antiquité, vol.
I, chap. 2, p. 50-51.
JoRBT. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 18
l
274 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
le plante peut-être que depuis roccupation musul-
mane.
Les anciens habitants de Tlnde ne se sont pas plus
contentés des plantes fibreuses ou textiles qui crois-
saient à Tétat sauvage dans leur pays que des plantes
tinctoriales indigènes ; ils en ont cultivé un certain
nombre, tel que le cotonnier, Thibiscus chanvrin et
d'autres espèces du même genre, la sida rhomboïdale,
sinon le jute, tiliacée que nous avons déjà eu occasion
de rencontrer, une légumineuse aussi connue qu'utile,
la crotalaire, enfin diverses urticées, en particulier
les orties hétérophylles et des Nilghirri, peut-être
aussi quelques asclépiadées et une liliacée, la San-
seviera.
Il existe deux espèces de cotonnier — karpâsa^ —
indigènes dans l'Inde, l'arborescent et l'herbacé * ;
mais si toutes deux sont et ont été cultivées de tout
temps, c'est de la seconde qu'il s'agit surtout, quand
on parle du textile de ce nom. La culture et l'usage
en remonte à l'époque la plus reculée. Il est question
de l'emploi de ses fibres dans les lois de Manou * ; Héro-
dote dit de (( la laine » qu'on recueillait sur les coton-
niers de l'Inde, qu'elle surpassait en finesse et en bonté
celle des brebis*. Deux siècles plus tard Néarque,
en parlant à son tour, remarquait que les habitants
s'en servaient pour fabriquer leurs vêtements \ Théo-
phraste ne s'est pas borné à mentionner cet emploi des
fibres du célèbre textile, il en a donné la description.
1. Gossypium arboreum L. et herbaceum Roxb. ou indicum
L. — Watt, bictionary, vol. IV, p. 5 et 25.
2. Lib. II, 44 et Vm, 397.
3. Historiae, lib. III, cap. 106.
4. .Arrien, Tndica, lib 1, cap. 16.
LES PLAÎîTES DANS L'AGRICULTURE 275
Les arbres qui fournissent le coton ont les feuilles analogues
à celles du sycomore ' ; mais en somme ils ressemblent à des
églantiers. On les plante en rangs dans les plaines, où, vus de
loin, on les prendrait pour des vignes... Ils ne portent pas de
fruits véritables, mais des capsules de la grosseur d'une pomme
printanière, dans lesquelles leur laine est renfermée; quand
elles sont arrivées à maturité, elles s'ouvrent et l'on enlève cette
laine, dont on tisse à volonté des étoffes fines ou communes.
Dans le dernier passage que je viens de citer, Théo-
phraste nous apprend que le cotonnier était aussi
planté dans Tîle de Tylos ; ainsi, au iv** siècle avant
notre ère, la culture de ce textile précieux s'était déjà
répandue hors des frontières de Tlnde*; on ne peut
douter qu'elle n'eût pris dès lors l'importance la plus
grande dans cette contrée, et cette importance ne
devait que grandir par la suite. Le cotonnier réussit
surtout- dans un sol léger et sablonneux, mêlé de dé-
tritus végétaux et médiocrement humide, sans être
aride toutefois. Les semailles se font en avril ou tout
au commencement du mois de mai ; la fleuraison a lieu
à la fin de juillet ou dans les premiers jours d'août; les
graines s'ouvrent au bout de six semaines, et la récolte
se fait en septembre'. Après les pluies d'hiver les
plantes poussent de nouveaux jets et de nouvelles
fleurs, et vers la fin de février une seconde récolte
commence et se continue jusqu'en avril.
C'est le duvet dont sont entourées les graines, qui
1. HUtorxa plantarum, lib. IV, cap. 4, 8 et 7, 7. Au chapitre
7, 7, il est dit : « leurs feuilles ressemblent à celles de la vigne,
mais sont plus petites ».
2. rîvETai 8à ToiÎTO xai âv *Iv8oîç... xat âv 'ApaS^qt, cap. 7, 8.
Comme Tliéophraste a dit plus haut que l'île de Tylos est située
dans le golfe arabique, on peut se demander s'il ne parle
point encore ici de cette ile plutôt que de l'Arabie continentale.
3. Forbes Royle, lllitslralions, vol. I, p. 90-91.
276 LES PUNTES CHEZ LES HINDOUS
fait du cotonnier une plante si précieuse ; c'est à la
fois le duvet soyeux qui enveloppe les graines de Varka
— Calotropis gigantea — et les fibres de sa tige qui
constituent la valeur, comme textile, de cette asclé-
piadée; mais elle est si commune dans tous les ter-
rains incultes des diverses provinces hindoues qu'on
la cultive à peine de nos jours et qu'elle a dû être
encore moins cultivée autrefois*. Une malvacée indi-
gène dans la région située à l'Est des Gbates septen-
trionales, l'hibiscus chanvrin* — nâli — est, au con-
traire, pour ses fibres excellentes, cultivé dans l'Inde
presque entière, le Bengale excepté. On sème d'ordi-
naire cette plante dans la saison froide et en rangs
épais ; au bout de trois mois elle a acquis tout son
développement ; on l'arrache alors ou on la coupe, et
on la porte au rouissoir. Bien que les fibres n'en
soient peut-être pas inférieures à celles de l'hibiscus
chanvrin, la culture d'une autre malvacée, la sida rhom-
boïdale' — atibald, — est à peu près inconnue; et celle
du jute*, si importante aujourd'hui ne remonte guère
haut dans le passé, bien que ce textile ait été sans
doute connu de temps presque immémorial.
Si la culture du jute est récente dans l'Inde, celle
du soun ^ — çaiia — , petite légumineuse indigène aux
1. Watt, Dxctionary, vol. H, p. 38-41.
2. Hibiêcus cannabinus L. — Drury, p. 243. — Watt, Die-
tionary, vol. IV, p. 231-235.
3. Sida rhomboidea Roxb., rhombifolia Wild. — Watt,
Dictionari/y vol. VI, 2.
4. Corchorus capsularis L. — kâlatâka — eiolilorius L. —
patia — . Royle, On the ftbrous Plants of India. — Watt, Die-
tronary, vol. II, p. 536-547.
5. Crotalaria juncea L. — Roxburgh, Flora, vol. III, p. 259-
261. — Drury, Useful Plants, p. 163.
LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 277
fleurs jaunes, comme le genêt, y existe, au contraire,
depuis Tépoque la plus reculée, et elle est pratiquée
dans la plupart des provinces, mais surtout dans le
Dekkan et le Mysore. On sème le soun d'ordinaire au
commencement de la saison des pluies ; quelquefois
aussi en octobre ou en novembre. Il pousse vite; dès que
la fleuraison est terminée, et avant que les graines mû-
rissent, en septembre ou au mois de mars, on arrache les
pieds avec les racines ; on les laisse à moitié sécher au
soleil, puis on les lie en gerbes et on les fait rouir, comme
les tiges du chanvre ou de Y Hibiscus cannabinus. On
ne doit pas être surpris aussi que les fibres de ces
trois plantes aient été souvent confondues et appelées
du même nom çana\ Le chanvre — bhangay ganja —
a été cultivé dès longtemps dans Tlnde, mais moins
comme textile toutefois que pour ses propriétés nar-
cotiques ou curatives. C'est à cause d'elles qu'il est,
sous le nom de bhanga, invoqué dans l'Atharva Véda*.
Laramie^ le China grass des Anglais, arbrisseau
indigène dans le Nord-Est de l'Inde, a été, il semble,
cultivé dès longtemps par les indigènes de cette ré-
gion, mais il n'a pénétré qu'au siècle dernier dans
les autres provinces. Quant à l'ortie hétéro phylle
aux tiges touffues et vivaces, aux feuilles larges et
cordiformes, hérissées de longs poils, elle fournit.
1. Watt, Dictionary, voL II, p. 597.
2. Lib. XI, cap. 6, 15. Dans un autre passage (lib. H, cap. 4,
5), le poète védique invoque le çana, mot que Bloomfield tra-
duit, comme bhangay par chanvre. Zimmer, Altindisches
Leben, p. 68, pense qu'il s'agit de deux espèces différentes de
chanvre, mais sans dire lesquelles.
3. Boehmeria Hook., Urtica L. nivea, tenacissima Roxb. —
Hooker, Flora, vol. V, p. 576. — Watt, Dictionary, vol. II,
p. 468-472.
278 ' LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
ainsi que ses variétés*, des fibres d'une grande finesse;
mais bien qu'indigène dans l'Himalaya sous-tropical
et les Nilghirri, la culture en paraît assez récente dans
rinde ; il n'y a donc pas lieu d'en parler plus longue-
ment ici, ainsi que de la ramie.
*
Si les anciens habitants de l'Inde se contentèrent
longtemps des fruits sauvages que leur ofi'rait la flore
indigène, ils finirent cependant par cultiver près de
leurs demeures, pour les anoblir ou les avoir plus à
leur portée, quelques-unes des espèces qui les pro-
duisaient. A quelle époque remonte cette culture?
Nous l'ignorons ; mais nous la trouvons pratiquée dès
les temps les plus reculés, et elle s'appliqua non seu-
lement aux arbres indigènes, mais encore à de nom-
breuses espèces exotiques. Parmi les arbres fruitiers
de l'Asie antérieure, plusieurs qui croissent égale-
ment à l'état spontané dans les vallée de l'Himalaya,
durent être cultivés très anciennement dans cette
région ; tel fut le noyer, qu'on trouve planté de temps
immémorial, entre 1 000 et 3000 mètres, dans le
Cachemire, les provinces du Nord-Ouest, le Népal, le
Sikkim et même dans les monts Khasia; mais il ne
réussit plus dans la plaine du Gange. Le noisetier
colurna avait à peine besoin d'être cultivé, on ne Ta
aussi planté qu'exceptionnellement dans la région occi-
1 . Girardinia D. C. , Urtica Willd . , heterophylla Wedd . , pal-
mata Forsk. — Watt, Dictionary, vol. in,p . 498, admet encore
la variété zeyianica Den., que Hooker, Flora, V, 550, réunit au
type.
LKS ARBRES FRUITIERS 279
dentale de THimalaya, où il vient à l'état sauvage
au-dessus de 1 500 mètres ^
Étranger à la flore de Tlnde, Tamandier a été, dès
longtemps sans doute, importé dans le Cachemire et
jusque dans le Pandjab ; mais dans cette dernière
contrée ses fruits sont médiocres. Les espèces de ceri-
siers indigènes dans la région himalayenne ne méri-
taient guère d'être cultivées ; on y a importé, à une
époque probablement ancienne, le cerisier proprement
dit et le merisier, et ils sont cultivés dans le Nord-
Ouest jusqu'à plus de 2500 mètres d'élévation*. On a
cru à tort que la variété insititia du prunier commun
était indigène dans Tlnde septentrionale ; les noms
qu'y portent ses fruits, alû et alu-bukhâra, semblent
bien, au contraire, indiquer que cet arbre est d'origine
étrangère et qu'il a été, à une date reculée sans
doute, importé de l'Iran dans le Cachemire et dans
quelques stations élevées du Pandjab, où il s'est
acclimaté '.
Si le poirier commun est peut-être spontané dans le
Cachemire, il parait n'être que naturalisé dans la région
du Nord-Ouest, et même les fruits qu'il y donne, ainsi
que dans le Pandjab, où il est également planté, y sont
durs et sans saveur^. Bien qu'exotique le cognassier
donne, au contraire, jusqu*à une hauteur de 2500
mètres, de très bons fruits, dans les provinces du Nord-
1. Brandis, Flora, p. 494 et 498. — Watt, Dictionnry, vol.
II, p. 575 et IV, 550.
2. Brandis, Flora, p. 191 et 193. — Watt, Dictionary, vol.
VI, 1, p. 343 et 346.
3. Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p. 347.
4. Brandis, Flora, ji. 204. — Watt, Diclionary, vol. VI, 1,
p. 374 et 377.
280 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Ouest, OÙ il a dû être importé très âncieimement *. Le
pommier, qui, lui, croit, il semble, à Tétat sauvage dans
la région occidentale de THimalaya jusqu'à 3 000 mètres
d'altitude, y est aussi cultivé de temps immémorial ;
on Ta planté également dans le Pandjab, le Sindh et
même dans le Dekkan, où il donne des fruits savoureux,
bien que petits ^ Indigène dans le Souleiman oriental
et dans les montagnes du haut Pandjab, le grenadier
— dâdima, dàlima — s'est de bonne heure répandu
de là dans tout THindoustan proprement dit. D'après
le pèlerin chinois Hiuen-Tsiang, il aurait, au vi" siècle
de notre ère, été cultivé dans l'Inde entière. Il réussit
surtout dans les contrées montueuses ; il y fleurit en
avril ou mai et ses fruit mûrissent de juillet à sep-
tembre '.
Si Ton a supposé peut-être à tort que la vigne était
indigène dans le Nord-Ouest de l'Himalaya, elle n'en
a pas moins été cultivée de temps immémorial dans
l'Inde ; ses noms sanscrits drâkshâ, mridcikay ou plu-
tôt ceux de ses fruits, en sont déjà une preuve ; nous
savons de plus par le témoignage d'Onésicrite, qu'elle
croissait au iv® siècle avant notre ère et produisait du
vin dans le royaume de Musican*, c'est-à-dire dans
le Sindh actuel; à plus forte raison était-elle cultivée
dans les provinces plus septentrionales. Théophraste
nous la montre dans toute la région montagneuse, et
1. Brandis, Flora, p. 206. — Watt, Dictionary, vol. II,
p. 676.
2. J. Forbes Royle, Illustrations ofthe Botany of the Hima-
layan mountains, vol. I, p. 206. — Brandis, p. 205. .
3. Buddhist Records, vol. I, p. 88. — Hrandis, Flora, p. 2U.
Outre le nom de dâdima, Amarasimha donne encore au grena-
dier le nom de karaka.
4. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 22.
LES ARBRES FRUITIERS 281
une tradition rapportée par Strabon la faisait croître
dans le pays de Nysa et des Oxydraques*. Elle a con-
tinué d'être cultivée dans le Pandjab et les vallées de
l'Himalaya occidental, en particulier dans le Cache-
mire, et elle y donne aujourd'hui encore des raisins
renommés. On la plante môme — j'ignore depuis com-
bien de temps, — mais, il est vrai, seulement pour ses
fruits, dans les parties élevées des provinces cen-
trales*.
Bien plus récente dans l'Inde que la culture de la
plupart des arbres fruitiers dont je viens de parler,
est celle du pêcher et de l'abricotier. Quoique Royle
l'ait regardé comme indigène dans plusieurs districts
de l'Himalaya^, le pêcher, en réalité, n'y est qu'accli-
maté ; il a été apporté de Chine dans l'Inde, comme
dans l'Iran, et probablement vers la même époque ;
mais encore que sa culture ait pris une certaine exten-
sion dans le Nord du bassin du Gange, ses fruits y
sont médiocres et acides*. Dans quelques vallées du
Sikkim même, ils tombent avant la maturité, bien que
la fleuraison se fasse dans de bonnes conditions. L'abri-
cotier a mieux réussi que le pêcher dans l'Hindoustan
septentrional, où il a pénétré sans doute en même temps
que lui ; aujourd'hui on en voit de véritables bosquets
auprès de presque tous les villages de l'Himalaya. Ses
1. Historia plantarum, lib. IV, cap. 4, 11. — Geographica^
lib. X, cap. 1, 7 et 8.
2. Herm. von Schlagintweit, Heisen in Indien^ vol. II, p. 386
et 425. — Brandis, p. 98. — Watt, vol. VI, 4, p. 269-276.
3. Illustrations of the Botany, vol. I, p. 204-205. — Le pè-
lerin chinois HïuenTsisingj Buddhist BecnrdSy vol. I, p. 88, dit
que la pêche et Tabricot ont été importés du Cachemire dans
THindoustan. V. plus haut, liv. I, chap. 2, p. 42 et 79-80.
4. J.-D. Hooker, Himalayan Journals, vol. I, p. 159.
282 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
fruits y mûrissent jusqu'à l'attitude de 10 000 pieds. Il
est aussi cultivé dans les plaines du PaQdjab^
Originaires de la région himalayenne ou de contrées
plus septentrionales que l'Inde proprement dite, les
arbres fruitiers dont il vient d'être question sont
presque tous restés cantonnés dans le Nord ou le
Nord-Ouest. Il n'en a pas été de même de ceux dont
il me faut parler, et qui, indigènes dans la région
tropicale ou sous-tropicale, ont été, dès les temps les
plus reculés, cultivés pour la plupart dans la plaine du
Gange et dans la Péninsule. L'habitat primitif des deux
premiers que nous rencontrons dans l'ordre de la clas-
sification naturelle, \es Averrhoa carambola — karma-
ranga — et bilimhi^ est incertain*; mais, quel qu'en
soit le pays d'origine, ces généraciacées arbores-
centes, aux rameaux toufi'us, aux feuilles imparipen-
nées, sont depuis des siècles cultivées dans l'Inde
tropicale à cause de leurs fruits. Ceux du carambola,
de couleur jaune, obovales et anguleux, ont jusqu'à
neuf centimètres de long et mûrissent en décembre
ou en janvier. Les fruits du bilimbi sont plus petits et
acides.
Si l'on excepte le pamplemousier, le mandarinier et
peut-être aussi l'oranger à fruits doux ', la plupart des
1. Brandis, Flora, p. 191. — Watt, Dictionary, vol. VI, 1,
p. 3'*5. — Al. Cunningham, Laler Indo-Scythians {The numi$-
matic Chronicle, vol. XIIL 1893, p. 104), a voulu voir dans les
fruits du fabuleux tiptachora de Ctésias des pêches ou des
abricots ; inutile de montrer combien est peu fondée cette sup-
position.
2. Drury, Use fui Plants, p. 58, dit que 1*^4. carambola est
originaire de Ceylan et VA. bilimbi du Travancore. — Hooker,
Flora, vol. I, p. 439, les considère l'un et l'autre comme d'ori-
gine inconnue.
S. Cilrus (iecumanaV>l\\[d.,nobilis Lour. et auranlium Risso.
LES ARBRES FRUITIERS 283
espèces du genre Citrus sont origninaires de l'Inde.
C'est de là, nous Tavons vu, que Tune d'elles, le cédra-
tier*, a pénétré, probablement sous les Achéménides,
dans la Perse et dans la Médie ; mais les écrivains
grecs et romains, qui ont décrit cet arbre, le regar-
daient comme appartenant à la flore de l'Iran ^ et ont
ignoré qu'il venait de l'Inde. Chose qui peut surpren-
dre, les anciens textes sanscrits n'en font pas mention.
Croissant à l'état sauvage dans les monts Khasia, ainsi
que dans le Koumaon, le cédratier — vijapûra —
s'est répandu dans toute la région chaude et humide
de rinde. On a attribué le même habitat au citronnier
proprement dit ou limonier^ — keçarâmba\ — mais
si Ton en croit Watt, son origine véritable serait incer-
taine. Quoi qu'il en soit, cet arbre est cultivé aujour-
d'hui dans rinde entière, et il l'a été dès longtemps ;
un poète nous le montre planté en haies dans les jar-
dins*. Toutefois il semble n'avoir pénétré dans l'Occi-
dent qu'au moyen âge. Non moins anciennement que le
limonier, a dû être cultivé, dans l'Inde, le citronnier
acide * — jamblra^ —r qu'on trouve à l'état spontané dans
toutes les vallées tropicales de l'Himalaya, ainsi proba-
blement que dans les régions montagneuses des pro-
vinces centrales et occidentales de la Péninsule. Une
1. Citrus medica L., le citron des Anglais, le cedro des Ita-
liens. Brandis, p. 52.
2. Théophraste, Historia, lib. [V, cap. 4, 3. — Pline, lib.
XII, cap. 7.
3. Citrus timonum Risso, le lemon des Anglais, le limone
des Italiens. Le mot lemon est dérivé du persan limàn. Watt,
Dictionary, vol. Il, p. 352.
4. Bhavabhuti, Mâlati et Mâdhava, acteVI.Trad. L. Fritze,
p. 77. Bhavabhuti donne au citronnier le nom de mâtulungd.
5. Citrus acida Roxb. — Watt, Dictionary, vol. II, p. 355.
284 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
autre espèce, le citronnier doux ou limette* — madhu-
karkatikûy — qu'on croit indigène dans les Nilghirri,
est aussi cultivée dans la plus grande partie de Tlnde ;
mais j'ignore depuis quelle époque.
Les orangers à fruits doux et à fruits amers sont
répandus dans une partie de Tlnde ; mais on ignore
depuis combien de temps ils y sont cultivés. Indigène,
comme le citronnier acide, dans le sous-Himalaya, du
Garhwal aux monts Khasia, l'oranger à fruits amers
ou bigaradier' — nâgaranga — a dû être planté de
bonne heure dans les jardins hindous, mais c'est tout
ce que Ton peut dire. Quant à l'oranger à fruits doux^
il paraît étranger ; originaire de Tlndo-Chine et de la
Chine méridionale, il n'a été cultivé dans l'Inde qu'assez
tard. De CandoUe suppose qu'il a pu y être importé
vers le commencement de notre ère ; au vu® siècle,
d'après le pèlerin chinois Hiuen Tsiang*, il était com-
mun dans l'Hindoustan ; on le cultive surtout dans les
monts Khasia, dans les provinces centrales et dans
quelques-unes des vallées semi-tropicales de l'Hima-
laya.
Indigène dans les forêts du sous-Himalaya situées
à l'Est de la Ravi, et dans les plaines de l'Inde cen-
1. Cttrus limeita Risso. — A. de Candolle (Origine des Plantes y
p. 142) réunit à cette espèce, comme Risso, le C. /Mmta, variété
à fleurs teintées de rouge.
2. Citruft higaradia Risso, Varancio forte des Italiens, la
pomeranze des Allemands. — Watt, Dictionary^ vol. II,
p. 3'*5. — Brandis, p. 53.
3. Citrus aurantium L., appelé aussi iiàgarahga en sanscrit,
hind. nârangi, ar. nàranjy pers. nârang^ esp. naranjOy port.
laranjeira, it. arancio ou melarancio. Watt, vol. II, p. 336. —
Hoxburgh, Flora, III, p. 392.
4. Buddhist Records, vol. F, p. 88. — A. de Candolle, p. 145.
LES ARBRES FRUITIERS 285
tral, le pommier des éléphants* — kapittha — a été
sans doute cultivé depuis longtemps ; il est planté au
bord des routes, dans le voisinage de presque tous les
villages. D'une hauteur moyenne, à la cime élégam-
ment arrondie, cet arbre fleurit de février à mai, et
ses fruits globuleux, pleins d'une pulpe charnue et
acide, mûrissent en octobre. Il faut rapprocher du ka-
pittha le bel' — bilva OM màlûra, — arbre de la même
famille, spontané de THimalaya oriental au Travan-
core, et cultivé de temps immémorial dans l'Inde en-
tière. Il peut atteindre une hauteur de 35 pieds ; son
tronc droit et comprimé est garni d'un petit nombre de
rameaux, armés d'épines fortes et tranchantes et cou-
verts de feuilles trifoliées d'un vert pâle. Les fleurs,
d'un blanc grisâtre, à odeur mielleuse, sont disposées
en panicule ; elles fleurissent vers le mois de mai, et
les fruits, recouverts d'une écorce lisse et jaunâtre,
mûrissent en octobre ou novembre. Tantôt globuleux,
tantôt oblongs oii pyriformes, mais toujours d'une gros-
seur considérable, ils renferment une pulpe douce et
aromatique de couleur orangée.
La famille des rhamnées renferme, comme celle des
rutacées, plusieurs arbres à fruits cultivés dans l'Inde.
Originaire peut-être du Népal, VHovenia duicS est, de
nos jours et probablement depuis longtemps, planté
dans la région moyenne de l'Himalaya et parfois même
dans le haut Pandjab '^ ; son tronc droit et élancé, que
surmonte une large couronne de rameaux touffus,
1. Feronia elephanlum Gorr., Kralaeva vallanga Kœn. —
Brandis, p. 56. — Watt, vol. lïl, p. 324.
2. Aegle Corr. (Cralaeva L.), marmetos. — Drury, Useful
Plants, p. 17. — Brandis, p. 57.
3. Roxburgh, Flora, vol. I, p. 630. — Brandis, p. 94.
286 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
s'élève à une hauteur de 30 pieds ; en avril ou mai, il
se couvre de fleurs blanchâtres, et le fruit, porté sur
un pédicelle mince, mais épaissi à sa partie supérieure,
mûrit en juillet.
Des différents jujubiers, indigènes dansTInde, trois
surtout, les jujubiers nummulaire, commun et propre-
ment dit*, paraissent avoir été de temps immémorial
cultivés dans cette contrée. Spontané dans la région
dq Nord-Ouest et dans les parties arides de Tlnde
méridionale, le Ziujplus nummularia est un arbrisseau
souvent planté en clôtures autour des jardins et des
champs. Les jujubiers commun et jujuba atteignent
aux dimensions de petits arbres; le premier, origi-
naire du Pandjab, y est aussi cultivé, ainsi que dans les
contrées voisines ; le second — badart, karkandhu et
kôli — est planté dans Tlnde entière, où il est aussi
indigène, de THimalaya au Sud de la Péninsule. Tous
deux fleurissent du mois de mars ou avril au mois de
juin, suivant Taltitude, et leurs fruits, comme ceux
du jujubier nummulaire, mûrissent pendant Thiver*.
Indigène sur les collines de Khasia, dans le Sikkim
et les vallées des monts Satpoura et des Ghates occi-
dentales, le manguier — âmra^ — s'est, à cause de la
beauté de son feuillage vert sombre et persistant, le
parfum de ses fleurs et surtout la saveur de ses fruits,
répandu de là dans Tlnde entière. Il y est cultivé
depuis l'époque la plus reculée. Dans une de ses in-
scriptions, Açoka se vante d'avoir fait des plantations
1. Zizyphus nummularia Prodr., vulgaris et jujuba Lam.
2. Brandis, Flora, p. 85-88. — Watt, Dictionary, vol. VI, 4,
p. 368-373.
3. Mangifera indica L. — Amarasimha lui donne encore les
noms de cuti et rasâli, vol. I, p. 86.
LES ARBRES FRUITIERS 287
de manguiers*. L'exemple donné par le célèbre mo-
narque a été suivi. A l'exception du Pandjab, où ses
fruits ne mûrissent pas, le manguier est planté dans
tous les jardins hindous, du pied de THimalaya au cap
Comorin ; il réussit surtout sur la côte de Malabar,
dans rOrissa, et au Bengale. On en compte plusieurs
centaines de variétés. Cet arbre, de la famille des Ana-
cardiacées, atteint parfois des dimensions considé-
rables, il s'élève jusqu'à 70 pieds, et Roxburgh parle de
vieux manguiers qui n'avaient pas moins de 15 pieds
de circonférence*. Les fleurs d'un jaune pâle s'épa-
nouissent à la fin de l'hiver, en même temps que les
feuilles commencent à pousser, et les fruits, « les meil-
leurs de l'Hindoustan ' » mûrissent du mois de mai au
mois de juillet ; de la forme et de la couleur à peu près
d'un abricot, ils peuvent atteindre la grosseur d'un
œuf d'oie. On plante aussi — j'ignore depuis quelle
époque — dans les jardins hindous un autre arbre de la
même famille que le manguier, mais plus petit que lui,
Vâmrataki ou kaptlana^. Couvert de longues feuilles
— elles ont jusqu'à 7 décimètres — pinnatifides et d'un
vert brillant, mais caduques, ses larges panicules de
fleurs blanches s'épanouissent en avril, et ses fruits
ovoïdes et charnus mûrissent pendant la saison froide.
Les deux arbres fruitiers dont il me faut parler
maintenant, le moringa et le tamarin, ne portent point
1. Asiaiic Journal of Bombay, vol. VI, p. 595. — Senart,
Le» inscriptions de Piyadasi. Paris, 1881, in-8, vol. II, n» 8,
p. 96.
2. Flora indica, vol. I, p. 642.
3. Mémoires de Baber, traduit par Pavet de Courtellle,
vol. II, p. 208.
4. Spondias mangifera Pars. — Amarakoçaj vol. I, p. 85.
— Brandis, Flora, p. 128.
288 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
de drupes ou de baies, comme ceux que je viens de
décrire, mais des gousses. Le premier* — çôbhânjanay
— indigène dans le sous-Himalaya moyen, est un petit
arbre au tronc droit, aux grandes feuilles tripinnées,
à fleurs blanches, tâchées 4e jaune, odorantes et réu-
nies en panicules à Textrémité des rameaux, aux
longues gousses pendantes. Il est cultivé dans la plus
grande partie de l'Inde. Le second — Tamarindus
indica — peut atteindre à des proportions considéra-
bles ; Brandis parle de 80 pieds et davantage^ Sa cime
large et ombreuse, ses feuilles pinnées et persistantes,
ses fleurs en grappes pendantes, aux pétales jaunes
et rayés de rouge, font de cet arbre un des plus beaux
de rinde. Il fleurit pendant la saison chaude et ses
gousses arrivent à maturité au milieu de l'hiver*.
Répandu de nos jours dans Tlnde entière, le Nord-
Ouest du Pandjab excepté, il y est cultivé depuis
l'antiquité la plus reculée, encore qu'on Tait regardé
comme exotique*. Il portait en sanscrit les noms d'am-
lika et de tintidî; celui que nous lui donnons est
dérivé de l'arabe tamar hindi « palmier de l'Inde ».
Malgré la médiocrité de ses fruits, le jambousier
ou pomme rose ** — jambu, — arbre de la famille des
myrtacées, a été très anciennement cultivé, et du Sik-
kim, où il semble indigène, il a pénétré dans tous les
1. Moringa pterygosperma Gàrtn. — Hyperanthera morxnga
Roxb. — Aaialic Besearches, vol. IV, p. 277.
2. Tke Forest Flora, p. 163.
3. Asiatic Researches, vol. IV, p. 247. — Roxburgh, vol. III,
p. 216.
4. Hooker, The Flora, vol. II, p. 273, après Brandis, le dit
originaire de l'Afrique tropicale.
5. Eugenia jamhos L., Jambosa vulgaris DC. — Asiatic
Researchea, vol. I, p. 419. — Brandis, Flora, p. 233.
LES ARBRES FRUITIERS 289
jardins de l'Inde, et il est devenu comme le symbole
de cette contrée. De petite taille, avec les feuilles
entières et coriaces, de 15 à 25 centimètres de long,
de grandes fleurs aux pétales blancs, son fruit demi-
globuleux, de un à deux pouces de long, mûrit de
juillet en août. On cultive aussi dans Tlnde un autre
arbre du même genre, le jambula^, indigène du
Pandjab à la côte de Coromandel ; grand et robuste,
il atteint de 70 à 80 pieds et réussit dans tous les ter-
rains et à toutes les altitudes ; ses fleurs petites et
grisâtres apparaissent en mars ou avril et le fruit
qui ressemble à un œuf de pigeon, mûrit en juillet.
Le kadamba ou nipa ^ grand arbre de la famille
des rubiacées, s*est, du Canara, où il parait indigène,
répandu et a été cultivé dès longtemps dans toute la
région humide de llnde septentrionale ; ses feuilles
opposées, entières et ovales sont lisses et coriaces ; ses
fleurs orangées sont petites, mais parfumées; ses fruits
jaunes à la maturité sont charnus et remplis de graines
nombreuses '.
Dans les descriptions des poètes hindous il est sou-
vent question du bakula ou keçara^^ sapotàcée, ana-
logue au perséa des anciens Égyptiens, mais indigène
dans les forets du Dekkan. Au feuillage toujours vert
brillant, avec des bouquets de fleurs blanches et odo-
rantes, son ombr^ épaisse et le parfum de ses fleurs ont
fait dès longtemps planter cet arbre dans tous les jar-
dins ; on le rencontre dans Tlnde entière à Texception
1. Eugenia jamboîana. — Roxburgh, Flora, vol. II, p. 484.
— Brandis, Flora, p. 234.
2. Anthocephalus Benth., Nauclea Roxb., cadamba.
3. Brandis, Flora, p. 262.
4. Mî'musops elengi L. — Brandis, Flora, p. 293.
JoRET. — Les Plantes dans l*anliquité. II. — 19
290 LES PI.ANTKS CHEZ LES HINDOUS
de la contrée du Nord-Ouest. Il produit de petites
baies qui deviennent jaunes à la maturité et sont rem-
plies d'une pulpe douceâtre, d'un goût assez agréable.
On cultive aussi dans Tlnde une autre espèce de
mimusops* — le kshirimi; — indigène comme le bakula
dans les forêts montagneuses de la Péninsule, il rappelle
cet arbre par son port, ses fleurs et ses fruits. On le
plante aux bords des routes dans le voisinage des
villages. On rencontre aussi dans l'Inde centrale, mais
plus à l'état spontané que cultivé, une autre sapotacée,
le raohwa * — madhiika, — arbre de 12 à 15 mètres de
haut, aux feuilles alternes, oblongues et épaisses, aux
fleurs blanc-crêrae et charnues, qui s'épanouissent en
mars ou avril ; les baies verdâtres, de la grosseur d'une
petite pomme, mûrissent en juin et juillet.
Le Carissa carandas — karamarda — arbuste de la
famille des apocynées, garni d'épines géminées fortes
e(, tranchantes, qui le rendent propre à faire d'impé-
nétrables palissades ; ses fleurs blanches, inodores^ en
corymbes terminaux, s'épanouissent de janvier en
avril ; le fruit mûrit en juillet ou août; c'est une baie
ovoïde rouge d'abord noire à la maturité, d'un goût
un peu acidulé. Indigène, dit-on, dans le pays d'Oudh,
le karamarda est cultivé dans l'Inde presque en-
tière'.
Nous connaissons déjà le sébestier — Cordia myxa,
— cet arbre de la famille des boraginées, cultivé an-
ciennement en Egypte, où il avait été probablement
1. Mimusnps indica DC, hexandra !.. — Brandis, Flora,
p. 291. — Watt, Dictionary, vol. V, p. 252.
2. Bassia latifolia Roxb. — Drury, Useful Plants, p. 69. —
Brandis, Flora, p. 289.
3. Drury, Useful Plants, p. 116. — Brandis, Flora, p. 320.
LES ARBRES FRUITIERS 291
importé^; indigène dans le sous-Himalaya et dans
rinde centrale et méridionale, il y est en même temps
et depuis Tépoque la plus reculée, l'objet d'une culture
étendue. Il portait en sanscrit le nom de selu. S'éle-
vant à 10 à 12 mètres, ses branches touffues et étalées
forment une cime arrondie et ombreuse ; ses feuilles
rudes, ovales, arrondies à la base, mesurant 8 à 15 cen-
timètres de long, persistent jusqu'à la fin de Thiver ;
les fleurs blanches réunies en corymbe s'épanouissent
en mars ou avril ; le fruit mûrit de mai à juillet ; c'est
une drupe d'environ trois centimètres de long, sup-
portée par le calice élargi et persistant, et remplie d'une
pulpe visqueuse avec un noyau très dur au centre *.
Plusieurs des nombreuses espèces de figuiers hin-
doustaniques ont été cultivés de temps immémorial
dans la péninsule, mais plus à cause de leur ombre, de
leur port majestueux ou de leur caractère religieux, il
est vrai, que pour leurs fruits. Les lois de Manou,
prescrivaient de planter^ comme bornes des champs,
entre autres arbres, le nyayrorf//a, ou figuier de l'Inde,
et Vacvatha, ou figuier religieux. Indigène dans la région
sous-himalayenne et dans l'Inde centrale, le premier*,
« l'arbre des Banians », portait encore en sanscrit le
1. Les Plantes dans V antiquité , vol. 1, p. 124.
2. Drury, op. laud,, p. 159. — Brandis, Flora, p. 336.
3. Lois de Manou^ liv. VIII, 246. On y mettait aussi des
kimçukas — Butea frondosa Roxb., — des çalmalis — Bom-
bax malabaricum DC, — des çàlas, des tâlas, des bambous,
des çamis — Acacia suma Kurz. ou Prosopis spicigera L., —
des roseaux et des touffes de kubjakas, enfin des lianes, telles
peut-être que la Cœsalpinia sepiaria Roxb., que Haîder Ali
faisait planter autour de ses forteresses pour en rendre l'ap-
proche inaccessible. Brandis, p. 156.
4. FictAS indica Roxb. ou Ficus bengalensis L. — Brandis,
Flora, p. 413.
i
292 LfiS PI,ANTES CUEZ LES HINDOUS
nom de vata, et le grand nombre de ses racines adven-
tives lui avait fait donner le surnom de bahupada
« aux pieds nombreux ». Ses feuilles entières, cordées
à la base, ont de 12 à 24 centimètres de long ; ses
branches étalées répandent une ombre épaisse, qui
l'ont fait cultiver de tout temps, a J'ai planté au bord
des routes, dit Açoka dans un de ses édits*, des nya-
grodhas pour qu'ils donnent de l'ombre aux hommes
et aux animaux. » Il y avait et il y a encore un figuier
des Banians, — le grâmadruma « l'arbre du village », —
dans presque tous les bourgs de l'Inde, à l'endroit où
se croisent les rues principales *. A l'époque de la ma-
turité, en avril ou mai, les fruits dunyagrodha devien-
nent rougeâtres ; ils sont comestibles, mais petits et
de médiocre qualité. La grandeur du figuier de l'Inde,
ses dimensions vraiment énormes, qui le font ressem-
bler à un temple de verdure, ont frappé tous les voya-
geurs depuis l'antiquité grecque* jusqu'à nos jours, et
l'ont fait célébrer par les poètes comme le plus beau des
arbres de la terre. Il atteint parfois à des proportions
colossales. Roxburgh dit avoir vu des banyans hauts de
100 pieds et dont les branches couvraient un espace d'au
moins 500 toises de circonférence*. Il y en a un dans
une île de laNarbada, un peu au-dessus de Barygaza, qui,
avant d'être, en 1783, détruit en partie par un ouragan,
avait plus de 1300 troncs principaux et plus de 3000
1. E. Senart, Lti inscriptions de Piyadasiy vol. II, n® 8,
p. 96.
2. Râmùyana, lib. H, cant. 6.
3. Strabon, Geographica, lib. XV\ cap. 1, 21 (694). Pline,
lib. XH. 11. — Tavernier, Voyages de Perse, liv. V, chap. 23,
p. 736; Voyages des Indes, liv. III, chap. 6, p. 420. Cf. plus
haut, p. 237.
4. Lassen, op. laud., vol. I, p. 255.
LES ARBRES FRUITIERS 293
troncs plus petits ; une armée de 6 à 7 000 hommes
pouvait camper sous son ombre. On lui donne
500 ans d'existence, mais il en a probablement bien
davantage. Quand les graines du nyagrodha, empor-
tées par les oiseaux, tombent dans l'axe des feuilles
du palmier en éventail, elles y germent et les racines
descendent le long du tronc qu'elles enlacent peu à peu,
à l'exception de la cime. A la fin on ne voit plus que
la tête et les feuilles du palmier émerger du milieu
du banyan ; c'est là, aux yeux des indigènes, une
union sainte, et ils la regardent avec vénération *.
L'açvattha, ou figuier religieux ^ est aussi un arbre
de grandes proportions; il atteint jusqu'à 90 pieds de
haut, et son tronc de forme irrégulière et cannelé
peut avoir de 25 à 30 pieds de circonférence. Mais les
branches, nombreuses et divergentes, ne se recourbent
pas vers le sol et n'y envoient pas de racines adven-
tives comme le nyagrodha. Les fruits sessiles, axil-
laires ont à la maturité la couleur et la grosseur d'une
petite cerise noire. Les oiseaux en sont friands, et la
graine, portée par eux sur d'autres arbres, y germent
et donnent naissance à de gigantesques épiphytes qui
font bientôt périr leur support. Les feuilles de l'açvat-
tha pendantes, cordiformes, de 9 à 12 centimètres de
large, sont terminées par une longue pointe et portées
par un pétiole mince et long, qui les rend excessive-
ment mobiles ; cela a fait donner à ce figuier le nom
de caladala « aux feuilles tremblantes ». Les Boud-
dhistes lui ont attribué celui de bôdhidruma « arbre
1. Roxburgh, Flora, vol. III, p. 540-541.
2. Ficus religiosa L., Urosligma religiosum Gasp. — Rox-
burgh, Flora, vol. III, p. 548. — Brandis, Flora, p. 415.
29i LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
I
de l'intelligence ». Ses fruits ont reçu le nom de pip-
/îû/a, que. portait aussi d'ailleurs l'arbre lui-même*.
Indigène, comme le nyagrodha dans la région sous-
himalayenne et dans les provinces centrales, l'açvattha
a été planté de temps immémorial dans l'Inde entière,
et les Bouddhistes l'ont porté bien au-delà des fron-
tières de ce pays. Au bout de la grande rue de Pes-
hawer, on en voit encore un, remarquable par ses
dimensions colossales et son antiquité*. Son nom ap-
paraît déjà dans le Rig Véda, qui ne parle pas du nya-
, grodha ; il est d'abord question de celui-ci dans
l'AtharvaVéda\
Ce dernier recueil et la Taittiriyasamhità font aussi
mention du figuier tinctorial* — plaksha, — ainsi que du
figuier à fruits agglomérés*^ — udumbaroy — espèces
indigènes, la première dans la chaîne du Souleiman,
les monts Salifères et la région du Siwalik, la seconde
dans le bas Himalaya et la Péninsule. Aux feuilles
coriaces, brillantes et brusquement acuminées, le
plaksha porte des fruits globuleux, mais petits et blan-
châtres à la maturité. Il croît avec rapidité, ce qui le
rend propre à faire des avenues, et atteint jusqu'à 12 à
13 mètres de haut; de ses branches se détachent assez
souvent des racines adventives, mais elles ne donnent
1. D'où le nova pipul on pipai, par lequel les Hindous dé-
signent aujourd'hui le figuier religieux. Asiatic Hesearches,
vol. IV, p. 309.
2. A. Foucher, Sur la frontière indo- afghane. Paris, s. d.
(1901), in-12, p. 212.
3. Rig Veda, lib. I, 135, 8. Alharva Veda, lib. V, cap. 5, 5.
4. Ficus infectoria Willd. Atharva Veda, lib. V, cap. 5, 5.
— Taittiriyasamhità y VII, 4 ; XII. l. — Brandis, p. 416.
5. Ficus glomerata Roxb. — Atharva Veda, XIX, 31, 1. —
T. 6'., II, 1; I, 6, V, 4; 7, 3. Cf. H.Zimmer, p. 59.
/
LES ARBRES FRUITIERS 295
pas naissance à de nouveaux arbres. L'udiirabara est
plus grand que le plaksha ; Brandis parle d'udumbaras
de la vallée du Satledj, qui mesurent de 27 à 34 mètres
de haut*. Cet arbre vit parfois, comme le nyagrodha
et raçvattha, en parasite sur d'autres arbres. Ses
feuilles, lancéolées et entières ont de 12 à 18 centi-
mètres de long; ses rameaux sont pleins d'un suc ou
latex abondant ; ses fruits demi-globuleux, de la gros-
seur d'une figue ordinaire, mûrissent du mois d'avril
au mois de juillet, suivant l'altitude; ils prennent
alors une couleur rouge-orange.
On plante souvent aussi dans la région sous-hima-
layenne et dans les plaines du Nord-Ouest le figuier
ordinaire ' aux feuilles cordiformes, dentées et plus ou
moins profondément lobées; étranger à la flore de
rinde, il a été importé de l'Iran dans ce pays à une
époque inconnue, mais qui n'est peut-être pas bien re-
culée ; car ni les Védas, ni les textes sanscrits plus
récents n'en font mention.
La culture du mûrier à fruits noirs — Morus nigra
— si répandue dans l'Asie antérieure, est-elle ancienne
dans l'Inde? Il est impossible de le dire par suite du
manque de renseignements; mais on peut supposer
que cet arbre avait déjà pénétré à une époque reculée
dans le Cachemire, le Nord-Ouest de l'Himalaya et le
Pandjab, oii il est planté aujourd'hui surtout à cause
de ses fruits'. On cultive également dans l'Hindoustan,
de nos jours et sans doute depuis longtemps, une autre
1. The Forest Flora, p. 422.
2. Ficus carica L. — Brandis. Flora, p. 418. — Watt, Dic-
tionary, vo!. III, p. 347, lui attribue le nom sanscrit anjira.
3. Brandis, The Flora, p. 408.
296 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
espèce de mûrier, le lula *, indigène dans la région
sous-himalayenne et sur les collines du Pandjab, ainsi
que dans les vallées du Sikkim. Arbre de petite taille, à
feuilles caduques, ovales, longuement acuminées, dente-
lées et souvent profondément lobées, il porte des fruits
petits, ovoïdes, noirs à la maturité, mais sans valeur;
aussi ce mûrier n*est-il cultivé que pour ses feuilles.
Avec le jacquier' — panasa, le jack-tree des An-
glais — nous retrouvons un arbre à fruit d'une réelle
importance. D'une origine incertaine, mais probable-
ment indigène dans les Ghates occidentales', cet arbre
est cultivé, et depuis longtemps sans doute, dans le
centre et le Sud de la Péninsule, le Bengale, TOudh
et la région du Nord-Ouest ; un sol sec est celui qu'il
préfère. D'assez grande taille, avec une cime touffue et
ombreuse, des feuilles obovales et coriaces, brillantes
en dessus et rudes en dessous, il porte attachées au
tronc ou aux branches des thyrses de fleurs mâles et
femelles ; celles-ci, réunies en grand nombre sur un
même réceptacle donnent naissance à un fruit oblong
et charnu de 3 à 8 décimètres de long sur 15 à 30 centi-
mètres de large, et pouvant peser jusqu'à 30 kilogram-
mes. Dans la pulpe sont logées les graines, chacune
d'environ la grosseur d'une muscade *. La floraison a
1. Morus indien L. — Roxburgh, III, 596, ne le dit même
que cultivé. Brandis, p. 409, indique aussi comme cultivés
les Morus laevigata Wall, et serrata Rpxb. ; mais ils sont sans
importance.
2. Artocarpus integrifolia L.-Amarasimha, p. 92, lui donne
aussi le nom de kanfakaphala.
3. D'après Wight et Beddome, cités par Brandis, p. 426.
Cf. A. de Candolle, Lorigine, p. 239.
4. Roxburgh, Flora^ vol. III, p. 323. — H. Drury, Theuseful
Plants, p. 54.
LES ARBRES FRUITIERS 297
lieu en novembre et décembre, et les fruits, les plus gros
qu'on connaisse d'un arbre, mûrissent quatre à cinq
mois après. On cultive aussi parfois dans la région du
Siwalik une autre espèce de jacquier, le lakuca^. Indi-
gène sur les collines du Koumaon et du Sikkim, ainsi
que dans les forêts toujours vertes des Ghates occiden-
tales, ce grand arbre, aux larges feuilles, porte un
fruit jaune à la maturité, moins gros que celui du pa-
nasa et d'une saveur acide.
On voit combien nombreux sont les arbres à fruits
que la famille des urticées renferme dans Tlnde ; celle
des euphorbiacées en contient aussi un, commun dans
les forêts de la région tropicale, et qui a sans doute
dès longtemps été planté dans les jardins, Vamala ou
dmalaka'^. Couvert de feuilles linéaires, aux bords
épais et imbriquées dans leur jeunesse, ce qui les fait
paraître comme pinnatifides, avec des fleurs petites
d'un jaune verdàtre, il porte des baies charnues et
rougeâtres à la maturité, d'un goût acide et astrin-
gent.
Pour terminer cette longue énumération des arbres
à fruits cultivés dans l'Inde ancienne, il faut men-
tionner les palmiers, qui jouent un si grand rôle dans
Téconotnie domestique des régions tropicales et sous-
tropicales. L'un des plus utiles, il est vrai, le dattier est
exotique et paraît n'avoir été importé dans le Sindh et
le Pandjab méridional, à plus forte raison dans la
vallée du Gange et sur le plateau du Dekkan, que
longtemps après notre ère'\ probablement à la suite
1. Artocarpus Lakoocha Roxb. — Brandis, p. 427.
2. Phyllanlhus emhlica L., Emblica officinalis Gaertn. —
Brandis, Floraj p. 454. — Watt, Diclionary, vol. VI, 1, p. 218.
3. Auvn« siècle, le pèlerin chinois Hiuen-Tsiang remarquait
298 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
de la conquête musulmane; mais la Péninsule en pos-
sède plusieurs autres espèces non moins précieuses.
Doit-on compter au nombre de celles-ci Taréquier*
— guvdka, — originaire peut-être des îles de la Sonde
et non de la Péninsule? Quelle que soit sa patrie, il est
cultivé de temps immémorial' sur la côte de Malabar,
au Canara et dans le Mysore ; aussi peut-on le mettre
au rang des palmiers de l'Inde ; il en est un des plus
beaux et le plus élégant. Sa tige élancée et mince
atteint jusqu'à 25 à 30 mètres de hauteur, et porte à
sa cime des feuilles pinnatifides à divisions linéaires
oblongues ; les fleurs mâles et femelles sont renfer-
mées dans un même et long spadice ; et les fruits
prennent à la maturité une belle couleur orangée. On
les cueille au mois de juillet et d'août.
Le palmier à éventaiP est plus répandu dans l'Inde
que Taréquier; on le cultive dans tout le Sud et le
centre de la Péninsule, dans le Bengale, le Sindh infé-
rieur et même dans les jardins de la vallée du Gange
et du Pandjab. S'il est exotique, comme le dit la flore
de Hooker *, il a été importé dans l'Inde à l'époque la
qu'il n'y avait pas de dattiers dans l'Inde. Buddhist Records,
vol. I, p. 88.
1. Areca catechu L., le hetel-palm des Anglais. Asxatic
ResearcheSy vol. IV, p. 312.
2. Il en est question dans Màlati et Màdhava, pièce de Bha-
vabhuti, qui n'est probablement, il est vrai, que du vn« siècle
de notre ère. On le \oit aussi représenté sur les fresques
d'Ajantà, dont on ne connaît point la date exacte, mais qui
remontent peut-être à une époque plus ancienne. John Griffiths,
The paintings of Ajan\à. London, 1896, in-fol., vol. I, p. 21,
fig. 60 et pi. 17 et 31.
3. Borassus flabeUifer L., Borassus flabelliformis Murr.,
Lanlarus domestica Kumph., le palmyra tree des Anglais.
4. Vol. VI, p. 481, elle le prétend originaire de la Malaisie.
Brandis, p. 544, ne parle pas de son indigénat.
LES ARBRES FRUITIERS 299
plus reculée. Il semble que les écrivains grecs le con-
naissaient déjà ; peut-être est-ce de lui que Mégasthène
a fait mention sous le nom indigène de tâla K D*une
taille élevée, avec des feuilles longues de 1 à 2 mètres,
composées de 60 à 80 folioles brillantes, ses épis
mâles penchés, aux fleurs délicates d'un jaune rosé,
ses gros fruits brunâtres — ils ont de 15 à 20 centi-
mètres de diamètre, — le palmier a éventail, par son
port imposant, mérite le surnom de trinarâja « roi des
herbes », que lui ont donné les anciens habitants;
mais s'ils sont gros, ses fruits sont médiocres, et c'est
moins pour eux qu'on le cultive que pour la liqueur
qui découle des pédoncules des fleurs mâles et pour ses
^ emplois industriels.
C'est à la fois pour ses fruits et pour les usages
nombreux auxquels il sert qu'on a de temps immémo-
rial cultivé dans l'Inde le cocotier' — nârikeray ndri-
kela, nâlikela. — De grandes proportions — son tronc
annelé atteint parfois 100 pieds, — avec ses feuilles
pinnées, qui n'ont souvent pas moins de 4 mètres de
long, son spadice droit et ramifié, couvert à la base
de fleurs femelles, en haut de fleurs mâles, ce bel
arbre se fait encore remarquer par la grosseur de ses
fruits, ces « noix d'Inde » qui ont frappé les anciens
voyageurs ^ Aimant les brises salines de la mer, un
1. Fragmenta, 23. — Arrien, Indica, VII. — W. Hoernie,
Epigraphical Note on Palmleaf, p. 42, a voulu voir dans le
tàla de Mégasthène la caryote (C. urens L.), encore que ce
palmier ne porte ni le nom de tâla ni de nom semblable, et
qu'il ne soit pas cultivé dans l'Inde septentrionale, la seule que
connaissait Técrivain grec.
2. CocoB nucifera L.
3. Le plus ancien écrivain qui en fait mention, à ma con-
naissance, est Cosmas Indicopleustes, qui vivait au VP siècle
300 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
climat égal et chaud, exposé aux pluies tropicales, il
réussit surtout sur la côte de Malabar et à Ceylan, où
il forme de véritables forêts ; on en voit dans cette île
une qui compte près de 11000 pieds. Rare sur la côte
aride de Coromandel, il se plaît, au contraire, dans le
Delta humide du Gange; on Ta même planté dans
rintérieur de la péninsule sur le plateau de Mysore ;
mais il n'y croît jamais aussi bien que dans le voisinage
de la mer. Sa culture est d'ailleurs d'une grande sim-
plicité ^ ; on se borne à déposer, un peu avant la
saison des pluies, dans des trous suffisamment. espacés,
et remplis aux deux tiers d'engrais, les noix de coco
arrivées à leur pleine maturité; au bout de trois à
quatre mois elles commencent à pousser. Quand la
saison des pluies est passée on a soin d'arroser les
jeunes plantes et de tenir les racines couvertes de
terre. On continue ces soins jusqu'à la quatrième ou
cinquième année, époque où les cocotiers commencent
à porter des fruits. Ils sont en plein rapport de 25 à
30 ans; mais ils continuent de croître et de produire
jusqu'à 80 ans, et vivent parfois jusqu'à 100. Us fleu-
rissent tous les mois pendant la bonne saison, et sont
couverts en môme temps de fleurs nouvelles, de fruits
naissants et de fruits mûrs. Un arbre peut donner de
80 à 100 noix par an.
Ces arbres fruitiers ne sont peut-ôtre pas les seuls
de notre ère. XpKjriav.xr) TOTtoypaoïa, lib. XI, (336), s. v. ioytXkla.
(Migne, Palrologia graeca, t. LXXXVIII, p. 444-45). — The
Christian topography, translated by J. W. Mac Crindle. Lon-
don, 1897, in-8, p. 362. iïobson-Jobson, A glossary^ s. v. coco-
nut.
1. Drury, Useful PlantSj p. 148. —Watt, Dictionary, II,
p. 417.
LES ARBRES FRUITIERS 301
qui aient été cultivés dans l'Inde ancienne ^ ; mais ce
sont les plus connus comme tels ; voilà pourquoi je me
borne à les citer. Il me faut toutefois mentionner
encore une plante toute différente par sa constitution
végétale, mais qui s'en rapproche par la nature de ses
fruits : le bananier, le plantain des Anglais '. Amara-
simha met cette scitaminée en tète des plantes
utiles, et il lui attribue les noms sanscrits les plus
divers': kadalî, varana/jushd, rambhd, kdshthild, etc.
11 n'est point aussi de végétal plus précieux dans la
région des tropiques. Exigeant peu de soins, il croît
encore avec une extrême rapidité ; en neuf mois sa tige
herbacée atteint son plein développement, elle a alors
environ 2 à 4 mètres de haut. Les feuilles, qui la dépas-
sent de leurs extrémités réunies en touffes, l'entourent de
leurs gaines embrassantes. Aux fleurs, qui dressent
leurs épis composés au-dessus de la plante^ succèdent
bientôt des fruits charnus, oblongs, légèrement cour-
bés et anguleux qui, dès le onzième mois, arrivent à
maturité. On coupe alors la tige et de nombreux reje-
tons — on en a compté jusqu'à 180 — repoussent vite
de la souche, et portent des fruits au bout de six mois.
Chaque pied fournit de 30 à 40 livres de substance
alimentaire, et sur le même espace un bananier, 130 fois^
plus que le froment. La culture augmente encore cette
1. Lassen, op. laud., vol. I, p. 32^, en a mentionné plusieurs
autres, qui, originaires de l'Amérique, sont d'importation ré-
cente et n'ont évidemment pas à figurer ici.
2. Musa sapientum L. et paridisiaca L. — llooker, Flora^
vol. VI, p. 262, considère la Mu&a paridisinca de Linné,
comme une simple forme de la M. sapientum. — Watt, Dictio-
nary, vol. V, p. 291. — Le nom musay ar. muza, semble être
une déformation du sanscrit moca « banane » .
3. Livre IF, chap. iv, sect. 4; vol. I, p. 103.
302 LES PUNTES CHEZ LES HINDOUS
fertilité et elle a donné naissance aux variétés les plus
nombreuses K
Indigène, dans certains districts du Nord-Est, le ba-
nanier a été, de temps immémorial, cultivé dans Tlnde
entière , la région extrême du Nord-Ouest exceptée; il
réussit dans les vallées de THimalaya jusqu'à une hau-
teur de 4 à 5000 pieds.* Les poètes nous le montrent
planté dans presque tous les jardins qu'ils décrivent;
on en voit des bouquets près des palais, que re-
présentent les fresques d'Ajantâ*. Les compagnons
d'Alexandre, qui le virent dans le pays des Oxydraques,
furent frappés des grandes dimensions de ses feuilles
ainsi que de la bonté de ses fruits. C'est sans doute le
bananier que Théophraste avait en vue ^ quand il parle
de ces arbres, dont l'un avait des feuilles longues de
deux coudées et qui ressemblaient à des pennes d'oi-
seau *, l'autre des fruits d'une grosseur et d'une dou-
ceur merveilleuses. Mieux renseigné, Pline n'est pas
tombé dans l'erreur du naturaliste grec; pour lui ces
deux arbres n'en faisaient qu'un, le bananier, et il en
connaissait même un des noms indigènes, pala'*.
1. Le botaniste Desvaux en a clistingué 44 espèces. A. de
Candolle, L'origine, p. 243.
2. Griffiths, The paintings of Ajantâ, pi. 6, 7, 45, etc.
3. Historia plantarum^ iib. IV, cap. 4, 5. Cf. pi. haut,
chap. I, p 237.
4. En vieillissant, les feuilles du bananier se déchirent per-
pendiculairement à la nervure principale et deviennent pin-
natifides.
5. Historia naturalis, Iib. XII, cap. 12. On a regardé ce
nom comme analogue à celui vala que porterait encore au-
jourd'hui le bananier dans la contrée de Malaya. Quant à ce
que Pline dit des fruits dont un seul suffit pour nourrir quatre
personnes, il faut l'entendre d*un régime entier, non d'une
simple banane.
LES JARDINS DANS L'INDE ANCIENNE 303
Le anciens Hindous ne se sont pas bornés à planter
autour de leurs habitations des arbres à fruits, ils en
cultivaient aussi auxquels ils ne demandaient que Tom-
bre si précieuse sous leur climat torride \ des sen-
teurs délicieuses, dont, comme tous les orientaux, ils
étaient avides, et les ornements naturels, qui servaient
à parer les temples des dieux, à rehausser la beauté
des femmes, ou qui étaient le signe de la dignité et
du rang des hommes. Si la flore indigène leur offrit
longtemps de quoi satisfaire à leurs goûts, elle finit
cependant par ne plus leur suffire; d'ailleurs elle
variait avec les saisons et les diverses contrées ; pour
avoir toujours près d*eux les arbres qu'ils aimaient ou
les fleurs qui les charmaient, ils songèrent à les cul-
tiver ; c'est ainsi qu'à côté des jardins, où de temps
immémorial se trouvaient les plantes potagères néces-
saires à leur alimentation, les Hindous en eurent d'au-
tres destinés à leur agrément.
Tels étaient les jardins de plaisance privés ou
publics, dont parle Amarasiifaha', et que ministres,
grands et rois établissaient près de leurs demeures,
pour y venir goûter le repos et le frais. Les écrivains,
les poètes surtout postérieurs à notre ère, nous ont
laissé de nombreuses descriptions de ces parterres,
« où fleurs et fruits abondaient en toute saison' ».
Grâce à elles nous pouvons en reconstituer les traits
1. « L'ombre d'un arbre est un vrai bonheur pour celui qui
est brûlé par le soleil », dit le Roi dans Urvaçi.
2. Amarakoça, liv. II, chap. iv, 1 ; vol. I, p. 79.
3. Le Mahàbhârata. Adi-Parva, 7587 et suivants.
304 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
principaux. Là des arbres aux feuillages épais, aux
fleurs brillantes ou parfumées dressaient leur tige
élancée*, autour de laquelle s'enroulaient, retombant
en festons, des lianes grimpantes * ; ici des arbustes
toujours verts et taillés avec art, formaient de gra-
cieux et d'odorants berceaux pavés de mosaïques'.
Les héroïnes ne dédaignaient pas d'arroser et de cul-
tiver de leurs propres mains les arbres qui leur étaient
chers *. Les allées étaient soigneusement entretenues et
ratissées^; des grottes ornées de tableaux, y offraient
d'agréables réduits ; des étangs naturels ou des bas-
sins creusés de main d'homme, couverts de plantes
aquatiques, et garnis de jets d'eau*, y entretenaient la
fraîcheur et servaient d'asile aux cygnes et aux oiseaux
aquatiques"^, tandis que des paons et des faisans
trouvaient une retraite assurée dans les fourrés et les
bosquets, que des perroquets, des kokilas et d'autres
oiseaux chanteurs faisaient entendre leurs concerts*,
i. LalUa Vistara, chap. xv. Trad. Foucaux, p. 186.
2. Vasantasêna, acte VII, scène 3. Trad. Kellner, p. 136. —
Meghadûta, str. 75.
3. Urvaçi, acte II. Tra'l. L. Fritze, p. 23. — Çakuntala,
acte VI, scène 4. Trad. Kellner, p. 83. — Nâgànanda, acte III,
trad. Bergaigne, p. 70.
4. Meghadûla, trad. L. Fritze, str. 72. Çakunfala, acte 1,
scène 4. Trad. Kellner, p. 17.
5. Nâgnnanda, acte I, p. 62.
6. Meghadûta, strophe 73. — Mahâbhûrata. Adi-Parva,
7590. — Lalita Vistara, chap. xv. Trad. Foucaux, p. 186. —
Mudrârâkshasa, acte VI, trad. L. Fritze. — Nùgananda, p. 71.
7. Mahàbhàrata. Adi-Parva, 7587 et suivants. — Mâlâvi-
kâgnimitra, acte II. Trad. L. Fritze, p. 27.
8. Mahàf)hârata. Adi-Parva, 7587 et suivants. — Lalita.
Vistara, chap. xv, p. 186. — Meghadûla, str. 76. — Mâlati
und Màdhava, trad. Fritze, p. 38.
LES PLANTES D'AGRÉMENT 305
cachés dans les branches touffues des arbres, dont des
singes avides mangeaient les fruits \
Si par certains côtés, ces parterres ressemblaient à
ceux de TÉgypte, de TAssyrie et de la Perse, ils en
différaient aussi par bien d'autres ; ils n*avaient rien
des parcs immenses où les rois achéménides, comme
avant eux les monarques assyriens, aimaient à chasser
les grands fauves ; tout respirait ici le calme et la
paix, tout y était préparé pour le plaisir des sens,
non pour les jeux sanglants de la chasse. La flore de
rinde, si différente de celle de l'Asie antérieure, don-
nait aussi à ces retraites charmantes un caractère tout
autre. Point do ces longues rangées de pins, de cyprès
ou de vignes des bas-reliefs assyriens, plus de sycomo-
res, de dattiers ou de palmiers doums, comme on en
voit sur les peintures des tombes pharaoniques. Des
arbres tout différents croissaient dans les parterres
hindous. C'étaient des campakas^ aux grandes fleurs
jaunes d'un parfum si pénétrant que les abeilles, dit-
on, craignent d'en approcher'; des açokas aux co-
rymbes de fleurs orangées*; des mandâras, «arbres
de corail », aux longs thyrses de fleurs écarlates'^; des
1. Mricchaka(ik(L Trad. Kellner, p. 136.
2. Mickeliu champaca L. — Hatnûvalî, Trad. Fritzo, p. 18.
3. W. Jones, ap. Drury, p. 292. Bhavabhùti parle, au con-
traire, (le campakas, dont les fleurs ont été ouvertes par un
essaim d'abeilles. Màlali et Mâdhava, acte III, trad. Fritze.
p. 38.
4. Jonesia asoka Roxb. — Çakunlalù, acte I, trad. Ber-
gaigne, p. 17. — MAlavikâ et Aynimitra, actes III et V, trad.
Fritze, p. 32 et 63. — Urvaci, acte II, trad. Fritze, p. 22, 23,
etc. — Meghadûla, str. 75. — Mâlalî et Miïdhava, acte III,
p. 37.
5. Erylhrina indien Lam. — Çakuntalà, acte VII, p. 163. —
Urvaci, acte I, p. 12. — MeyhndiUn, str. 72.
JoRET. — Les Piaules duiis Vanliquité. II. -— 20
306 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
candânas rouges, de grands saptaparnas, aux panicu-
les de fleurs blanchâtres* et des tamâlas au sombre
feuillage*, des sinduvàras, ces gattiliers de l'Inde', etc.
Puis des arbustes ou des lianes, tels que lés bandhù-
kas*, « flammés des bois », aux fleurs rouge brillant;
des jasmins simples ou doubles ; la màlatî aux grandes
fleurs ^ la mallikâ et la navamallikâ parfumées^, la
çephâlî, dont les fleurs odorantes d'un blanc orangé
s*ouvrent le soir et se ferment ou tombent aux pre-
miers ravons du soleiF: la mâdhavî ou atimukta aux
fleurs parfumées *, etc. On y voyait aussi des aré-
quiers', entourés parfois de lianes de bétel, et d'autres
palmiers.
A ces arbres ou arbustes d'agrément se mêlaient
des arbres à fruits ; avant tout des manguiers *°, plan-
tés dans la plupart des jardins hindous, presque autant
pour leur épais feuillage et leurs fleurs odorantes que
1. Alstonia schoIarU. R. Brown. -•- Priyadarçikâ , acte II,
p. 29, 30. —Ndgânanda, acte H, p. 66.
2. Cinnamomum lamala Nées.
3. Vitex trifolia L. — Batnùvali, acte I, p. 22.
4. Ixora coccinea L. — Priyadarrikù, p. 29, 30.
5. Jasminum (jrandiflorum L. — Mricchakaiikâ, acte IV,
trad. Kellner, p. 95.
6. Jasminum sambac L. — Çakunlalâ, acte I, p. 13. — Hat-
nàvalif acte I, p. i9, etc.
7. Nyctanthes arbor Iristis L. — Prxyadarçikù , p. 29, 30
et 31.
8. Gaerlnera raccmosa Roxb. — Asialic Renearches, vol. IV,
p. 282. — Urvaçi, p. 22 et 28. — Çakuntain, p. 13. — Megha-
dûla, str. 73. — liatnôvali, p. 18. — Màlati et Mûdhava,
p. 57. — Mficchakatikây p. 95.
9. Mâlali et Mùdhava, p. 77. — The paintviys of Ajan(â,
p. 21, fig. 60 et pi. 3, 55, 58, 66.
10. Mangifera indica L. — Çakuntalô, p. 17. — MAlavikn et
Agnimilra, p. 32 et 63. — Urvaci, p. 22 et 23. — Mâlati et
Mddhava, p. 39, 42, etc.
LES PLANTBS D'AGRÉMENT 307
pour leurs fruits si recherchés ; des citronniers \
d'ombreux kadambas ou nîpas aux fruits d'or *, des
keçaras ou bakulas aux fleurs odorantes d'un blanc
immaculé'*, des panasas*, ainsi que d'épais massifs de
bananiers ^ etc.
Le Mahâbhârata renferme une description curieuse
d'un de ces jardins d'agrément, celui ou plutôt ceux
qui embellissaient Khândavaprastha, capitale du
royaume des Pàndavas ® :
Tout autour de la ville s'élevaient des jardins délicieux,
plantés de manguiers, d^amràtakas et de kadambas 7, d'açokas
et de campakas, de purimàgas et de nâgapushpas^, de la-
kucas^ et d*arbres à pain, de çàlaset de tâlas^^, de tamâlas et de
bakulas, de ketakis^' aux fleurs odorantes, de beaux et grands
âmalakas ^^ aux branches courbées sous le poids des fruits, de
lodhras et d'ankolas y gracieusement fleuris, de jambousiers
et de pâtalis **, de kunjakas*^ et d'atimuktas, de karavîras —
1. Mâlavikà et Agnimilra, p. 29. — Màlati el Mâdhava,
p. 17. — Râmàyana, lib. II, cap. C, 27.
2. Nanclen cadamba Roxb. — Nâgànanda^ p. 70.
3. Mimuxops elengi L. — Mâlati et Màdhntm, p. 16 et 26. —
Halnùvdli, p. 17. — Priyadarçikâ, p. 29, etc.
4. Artocarpus integrifolia L. — Mricchakatik/i, p. 136.
5. Meghadàla, str. 74. — Ralnâvali, p. 26. — The pain-
iings of Ajnntày pi. 5, 6, 7, 31, 45, 46, etc.
6. Adi Parva 7582-90. Trad. Protap Chandra Roy, section
CCIX, vol. I, p. 578.
7. Spondias mangifera et Nauclea cadamba Roxb.
8. Boulera lincloria Roxb. et Meffua ferrea L.
9. Artocarpus lakoocka Roxb. RùmthjanaAxb. II, cap. C, 27.
10. Shorca robusta Roxb. et Borassus flabeUiforniis L.
11. Le Pandanus odoratissimus L., «aux fleurs d'or » les plus
parfumées de l'Inde.
12. Phyllanthus emblica L. ou Emblica officinalis Gaertn.
13. Symplocos racemosa Roxb. et Alangium Lamarkii
Thwaites.
14. Bignonia Roxb. {Stereospermum Cham.) suaveolens DC.
15. A brus precatorius L.
310 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
cyprès, etc. ; dans le centre et le Sud de la Péninsule,
des figuiers, des palmiers, en particulier le palmier
ilabelliforme — tàla — , etc*.
En même temps que ces arbres, ces arbustes ou ces
lianes, cultivait-on aussi dans les jardins hindous des
plantes herbacées d'ornement ? Dans leurs descriptions,
les poètes postérieurs à notre ère, parlent souvent des
kuravakas, qu'on regarde d'ordinaire comme des ama-
rantes cramoisies ', ainsi que des nélumbos et autres
nymphéacées, dont les fleurs brillantes énjaillaient les
étangs \ mais qu'on peut à peine considérer commodes
plantescultivées.Entout cas, il n'est point fait mention
dans les vers d'aucun poète d'autres plantes herbacées, et
il est probable que pendant longtemps on n'en vit guère
d'autres dans les parterres de l'Inde. A en juger par
le silence des écrivains, ces plantes restèrent indiffé-
rentes aux anciens habitants de cette contrée. Ils
n'ont point songé à cultiver dans leurs jardins les
grandes fougères des sous-bois, dont nous admirons le
feuillage élégant et gracieux ; ils ont encore moins cru
y devoir planter — pour ne pas parler du buis — le
lierre de l'Himalaya occidental, dont la vue frappa si
vivement les compagnons d'Alexandre*, mais qui était
pour eux sans signification; ils ont ignoré la rose qui,
1. Brandis, Flora, p. 123, 'i3'i, 533, 5'i5. — Roxburgh, Flora
indica, vol. III, 113.
2. Amarantus atropurpureus Roxb. On y a vu aussi, et peut-
être avec plus de raison, la Barleria prionitis L. — Mriccha-
ko(ikâ, p. 95. — Mâlavikâ et Agnimitra, p. 31, 34.
3. Mâlali et Màdhava, p. 42. — Nàgànanda, p. 38. — Me-
ghadûla, str. 73. — Priyadarçikâ, p. 29 et 32, etc.
4. Arrien, Anabasis, lib. V, cap. 2, 5-7.
LES PLANTES D'AGRÉMENT 311
bion qu'indigène dans la région montagneuse du Nord-
Ouest*, n'a pénétré dans les parterres hindous que sous
la domination musulmane ; ils ont dédaigné les lilia-
cées, peu nombreuses sans doute dans Tlnde, mais
dont quelques-unes sont si belles*; ils n'ont pas remar-
qué davantage, encore moins cherché à cultiver, les
orchidées des forêts hymalayennes ou des Nîlghiri,
malgré leurs formes parfois si étranges, leurs cou-
leurs souvent si vives et le suave parfum qu'exha-
lent leurs fleurs. Les arbres et les arbustes d'ornement
leur ont suffi; ce sont eux seuls qui, avec quel-
ques arbres fruitiers, paraient leurs jardins et dont
le feuillage ou les fleurs les charmaient. Eux seuls
embellissaient les retraites ombreuses, où les poètes
épiques ou dramatiques de l'Inde ancienne aiment à
nous montrer leurs héros.
1. On y trouve en particulier les Hosa moschata et lutea,
Mil!., cultivées aujourd'hui dans les jardins.
2. Comme la Gloriosa superba Willd., « one of the most
ornamental plants any country can boast of », dit Hoxburgh,
Flora, vol. II, p. 143.
CHAPITRE m
LES PLANTES DANS l'aLIMENTATION ET DANS l'iNDUSTRIE
Bien que la flore de Tlnde offrît aux tribus aryennes
qui s'établirent dans cette contrée les ressources ali-
mentaires les plus variées, elles ne se contentèrent pas
des grains et des fruits qu'un sol fécond leur donnait de
lui-môme. Dès leur arrivée dans le bassin do Tlndus,
les nouveaux habitants joignirent aux produits naturels
du sol ceux que leur procurait la culture des champs et
des jardins. Les céréales — dhànya — constituèrent
dès lors, avec le lait de leurs troupeaux, la base de leur
alimentation* C/était avec elles qu'ils triomphaient de
la faim, comme chante le poète védique \ Ils en man-
geaient les grains — dhànâ — tantôt simplement rôtis,
tantôt cuits avec du lait*; mais le plus souvent ils les
broyaient entre deux pierres^ ou les écrasaient dans
une espèce de mortier*, pour les réduire en farine.
Ajoutée en petite quantité à du lait, dont elle augmen-
tait les qualités nutritives, cette farine formait avec lui
1. /?/7- VWflf, lib. X, V2, 10.
2. lUg-Veda, lib. VIII, 77, \(i. — AtharmVcda.Wh.WW, 2,
80.
3. Rig-Veda, lib. IX, 112, 3.
4. Bas-relief de Sânchi. Porte orientale.
LKS PLANTES DANS L'ALIMENTATION 313
un mélange liquide resté longtemps en usage — le
viantha^ — ; pétrie, soit seule, soit avec du beurre,
elle servait à faire du pain ou des gâteaux - — pûpa — .
Une espèce de bouillie — karambha — faite avec de la
farine d*orge, à laquelle on ajoutait parfois des grains
de sésame, constituait un mets particulier, destiné aux
Dieux, surtout au Dieu des bergers'.
Parmi les céréales, c*est de Forge que les Aryens
paraissent d'abord s'être nourris, comme c'est l'orge
qu'ils ont d'abord cultivée ; ils y joignirent le froment
dès répoque de leur établissement dans la vallée de
l'Indus; enfin, quand ils eurent pénétré dans le bassin
du Gange et qu'ils connurent le riz, celui-ci prit place
à son tour dans leur alimentation. Désormais, l'orge
et le riz apparaissent comme la condition première
de leur existence; ce sont eux, avant tout, qui les
défendent contre la famine*. Avec le temps, le nMe du
riz dans Talimentation ne fit que grandir. Il y entrait
sous les formes les plus diverses ; on le mangeait grillé
ou cuit à Teau^ et façonné en boulettes ; on en servait
des « montagnes » dans les banquets*; le plus souvent
on en faisait avec du lait une espèce de bouillie ', qu'on
assaisonnait parfois avec du beurre et du mieP. Les
diverses variétés de riz étaient également employées
1. Grec homérique zyxcf.iv. (T. Zimmer, o/?. laud., p. 268.
2. Rig-Veda, lib. X, 'i5, 9. — Mahàbhàrata, Karna-Parva,
203'i et 20:}5.
3. VôjnsaneyafiamliUiL 19, 22.— Atharva-Veday lib. IV,
7, 3. — Zimmer, op. laud.y p. 270.
4. Athnrva-Veda, lib. Il, 28, .7 ; VIII, 7, 20; XI, 'i, 13.
5. Mahàbhàrata. Karna-Parva, 20'j5.
6. Hnmâyana, lib. 1 (Adikânda), LIV, 3.
7. MrirchakaiikA, p. 25 et 181.
8. Buddhût Birlh stories, vol. I, p. 88.
314 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
dans la cuisine hindoue; mais à celles qu'on cultivait
on préférait le riz sauvage ; il servait à faire des espèces
de pâtisseries*.
Plus tôt que le riz, sinon que le froment et Torge, le
millet ordinaire — anu — et peut-être les millets ou
panics d'Italie — priyangu — et fromental — çyàmàka
— entrèrent dans l'alimentation des classes pauvres
de rinde, de celles en particulier de la région du Nord-
Ofiest. 11 en fut de même du panic en épi, du raji et
du koradihha^. Les grains en étaient parfois grillés;
d'autrefois ils étaient moulus et servaient à fabriquer
du pain ou des gâteaux; mais le plus souvent on en
faisait une espèce de bouillie. Ils entraient aussi dans
la composition de certains mets particuliers que décri-
vent les anciens textes. La Vâjasaneyaamhhitâ^, entre
autres, parle d'un mets fait avec du riz et du millet
bouillis, auxquels on ajoutait de la farine et des grains
de froment grillés.
Divers sorghos — nous ignorons à quelle époque,
mais à une date certainement reculée, — sont entrés
aussi dans l'alimentation des Hindous et des peuplades
indigènes, dans laquelle ils jouent un si grand nMe
aujourd'hui. Il en a probablement été de même dans
certains districts do la frontière du Nord-Est du Coix
lacryma^. Mais les graines de ces espèces cultivées ne
sont pas les seules qui servent et qui ont servi, surtout
1. Roxbargh, Flora, vol. II, p. 201. — Çakuntalà, acte IV,
p. 8'i, trad. Bergaigne.
2. Panicum spicatum Roxb., Eletisino coracana Gacrtn. et
Paspalum scvobicnlatum L. — Watt, s. v.
3. XIX, l'i. Zimmer, op. lauiL, p. 269.
4. Drury, Usefiil Planls, p. ^lOO. — Watt, vol. II, p. 497 et
VI, 3, 291.
Lf:S PLANTES DANS L'ALIMKNTATION 315
en temps do diseile, à nourrir les habitants de Tlndo;
celles do nombreuses graminées sauvages sont et ont
été aussi autrefois, comme aujourd'hui, employées à
cet usage, en particulier les graines de bambous, de
panics et de quelques espèces analogues*.
Les graines des graminées n'entraient pas seules
dans l'alimentation des habitants de Tlnde; celles de
bien d'autres plantes y servaient également autrefois,
comme elles y servent de nos jours: graines crues,
bouillies ou rôties du nélumbo, bouillies, des nymphaea
blanc, comestible ou lotus et étoile*; graines surtout
de Tamarante fromentale, « Tune des sources les plus
importantes de la nourriture des tribus demi-sauvages
des contrées montagneuses' » ; on les réduit en farine
pour en faire de la bouillie ou du pain, ainsi que celles
de quelques sterculiacées de la Péninsule* et des cyca-
dées de la côte de Malabar'\ Enfin, dans la région
himalayenne on mange grillées les semences du pin de
Gérard, — « un seul arbre peut nourrir un homme
durant tout Thiver » — et même, malgré leur odeur
de térébenthine, celles du pin à longues feuilles*.
Mais ce sont les graines des légumineuses surtout
qui, de tout temps, ont, après les céréales, offert aux
1. Bamhusa arundinacca Retz et vulgaris Wendl. ; Dendro-
rnlamus strie tus Nées. — Panicum colonum L., crusgalli L. —
Cenchrus échinât us Kich. — Chrysopogon morUanus Trin., etc.
— Watt, Dictionary, vol. I, p. 390 et 394; II, 2'i6 et 274 ; 111,
77 ; V, 7-8.
2. Roxburgh, Flora, vol. II, p. 577-79 et 647.
3. Watt, Dictionary, vol. I, p. 211.
4. Sterculia fœiida L. et giUtata Roxb. — Watt, vol. VI, 3,
p. 363. — Roxburgh, vol. III, p. 156.
5. Cycas circinalis L. et ftumphii Miq. — Watt, vol. II,
p. 675.
6. Brandis, Flora, p. 508 et 509.
316 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
habitants de l'Inde les ressources alimentaires les plus
variées. Les grains du mâsha, du mungo et du cajan
figuraient sans doute au premier rang autrefois, comme
aujourd'hui ; puis venaient les graines des haricots à
feuilles d'aconit, éperonné, multiflore et trilobé, et
enfin celles des Dolichos biflorus et lahlab, recherchées
surtout des classes pauvres. A ces espèces se sont
joints plus tard les pois chicjies et les lentilles ; puis
les petits pois, sinon les fèves*. Les Hindous consom-
maient aussi sans doute autrefois, comme de nos jours,
les graines de plusieurs légumineuses arborescentes ou
frutescentes sauvages, telles que Y Acacia leucophlaea,
la mimeuse grimpante, les Baiihinia tomentosa et
Va/ilii, le tamarin-, etc. Ces graines si diverses étaient
mangées tantôt crues, plus souvent grillées ou bouillies,
parfois aussi réduites en farine, que Ton mêlait à celle
du riz ou du froment.
Ce n'étaient pas seulement les graines, c'étaient
aussi les gousses des légumineuses, cultivées ou sau-
vages, que les Hindous mangeaient crues ou cuites
autrefois, comme ils le font aujourd'hui; gousses des
divers haricots et Dolichos, et mémo de la markatî,
dont Tenveloppe extérieure a été enlevée, avec les
poils qui la garnissent, ainsi que celles de la liauhi-
nia Vahlii, de la sesbanie grandiflore, de V Acacia
leucophlaea et la pulpe farineuse que renferment les
gousses du Prosopis spicir/era^. Outre les gousses et
les graines des légumineuses, on mangeait également
les fruits encore verts ou incomplètement formés et
1. Watt, vol. III, 181 et 190 ; VI, 1, 186, 191, 193, 19'j et 280.
2. Brandis, p. 161, 163, 168, 184. — Watt, vol. III, p. 313-
320.
3. Brandis, Flora, p. 137, 160, 171 et 184.
LES PUNTKS DANS L'ALIMENTATIO.X 317
même les boutons de nombre de plantes ; tels que les
boutons du Capparis aphyllay des çobhâhjana, khar-
vallika et komdâra\ du. Periploca aphylla et de TOr-
tanthera viminea, etc. ; ainsi que les fruits non mûrs,
cuits ou confits, des Capparis spinosa et hornda, des
Moringa concanensis et jjterygospeiima, du selu et de
VEhretia serrala^^ etc.
Les anciens habitants de Tlnde devaient aussi se
nourrir, comme ceux d'aujourd'hui, des fleurs ou des
enveloppes florales de certains arbres ou arbustes, tels
que les sépales charnus ou persistants do la Dillenia
indica, le calice du çobhâhjana, du çalmalî et de
YHibisciis sabdariffa ; les fleurs du Rhododendron
arborenm, des Vaccinhifn et du Clerodendron serra-
tnm, du Calligonum polygonoïdes^, etc. ; mais sur-
tout celles d'une sapotacéo arborescente bien connue, la
Bassiaà larges feuilles — madhi)ka, hind. inoliwa — .
La récolte et la vente des fleurs de cet arbre donnent
lieu aujourd'hui à un trafic important, en particulier
dans le pays des Bhils. Pendant la saison un seul arbro
peut fournir 20 kilogrammes de fleurs et davantage.
Elles tombent en grande quantité pendant la nuit et
on les ramasse le matin sous les arbres ; elles ont alors
un goût douceâtre, auquel se mêle une odeur acre et
musquée, ce qui n'empêche pas les indigènes de les
manger crues ; les chacals en sont aussi très friands.
D'ordinaire cependant on les fait sécher au soleil, puis
griller ; elles prennent alors un goût agréable ; aussi
1. Moringa pterygouperina Gaertn., Bauhinin purpurea et
variegata L.
2. Brandis, Flora, p. 14 et 15, 130, 160, 330, 335, 337 et 339.
3. Brandis, Flora, p. 1, 31, 130, 281, 372, 'i26. — Watt,
8. V.
318 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
les roel-on dans les sauces et les plats sucrés. Les
fleurs (le la Bassia à longues feuilles sont également
mangées, après avoir été préalablement séchées et
grillées ; souvent aussi on les écrase et on les fait
bouillir jusqu'à consistance sirupeuse ; puis on en fait
des boulettes qui sont vendues au marché*.
D'après Hérodote, les habitants de l'Inde se nour-
rissaient surtout d'herbages*; malgré ce qu'il y a
d'exagéré dans cette affirmation de l'historien grec, il
n'en est pas moins vrai que les feuilles, les tiges et les
jeunes pousses de nombreux végétaux ont joué autre-
fois, comme aujourd'hui, un grand rôle dans l'alimen-
tation des Hindous. Une fois devenu anachorète, Yayâti
ne se nourrit plus que d'herbes et de racines'. Le
chantre du Mahâbhâi'ata représente les religieux, auprès
desquels Damayanti trouve un refuge, comme ne vivant
que d'air et d'eau et n'ayant pour nourriture que des
feuilles d'arbres *. Feuilles, jeunes pousses, tiges en-
core tendres de nombre de plantes sauvages ou culti-
vées servent aujourd'hui à ralimentation des habitants
de rinde, surtout des tribus demi-sauvages, et y ont
servi autrefois, crues, cuites ou mêlées à d'autres
mets. Telles les feuilles du Cramhe cordifoUa, de la
mauve à fouilles rondes, peut-être du jute, de la vigne
quadrangulaire, du Sesuviiim portulacaslrum, que les
1. Astatic Heaearches, vol. I, p. 300-308. — Roxburgh, Flora^
vol. II, p. 525 et 526. — Brandis, Flora, p. 290. ■— Drury,
Use fui Plants, p. 70 et 71. — Rousselet, Au pays des liadjahs,
Paris, 1875, p. 457, a écrit par inadvertance Cassia au lieu de
Bassia, erreur reproduite dans la Mythologie des Plantes^ vol.
II, p. 50.
2. J!ist07*iae, lib. VU, cap. 181.
3. MahAbhôraia. Adi-Parva, 3536.
4. Nala und Damayanti, iibers. von C. Kellner, p. 57.
LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 319
habitants du littoral mangent en guise d'épinards, de
la mollugine hirsute, du nimba et du çobhdiijana^ du
manddra ou parijdta, du pourpier et de la Salvadora
persica, ainsi que de diverses labiées *, de la Lysima-
chia candida, la seule primulacée comestible, de la
Phytolaca acinosay de plusieurs espèces d'amarantes
et de baselles, de chénopodées, telles que Tansérine
blanche, la Salsola indica^ etc., et de diverses poly-
gonées, entre autres du Rumex vesicariiis, Toseille de
rinde. Il faut ajouter les tiges de la rhubarbe dans la
région de TPIimalaya, les feuilles de YEremunis spec^
tahilis, liliacée du Pandjab, les jeunes pousses du
figuier des teinturiers, les feuilles encore tendres du
Nannorhops de Ritchie, les bractées de la ketakî, les
tiges naissantes du tàlaet des bambous, les pétioles et
les feuilles de la colocase et d'autres aroïdées^;
môme la Marsilea quadrifolia et peut-être les champi-
gnons, dont un grand nombre d'espèces* entrent au-
jourd'hui dans l'alimentation des Hindous et y servaient
peut-(Hre aussi autrefois.
A coté de ces plantes potagères prennent place les
condiments, qui servent à assaisonner les mets et sont
parfois eux-mêmes de véritables aliments. IJien que
1. Melia azadirachla L., Moringa pterygosperma Gaertn.,
Erythrina indica L.
2. Menlha sylvestrtx L., viridis L., etc. ; Leucas aspera,
cephaloles Spreng. et mo/lissima Wall. ; Origanum vulgare L.
et Péri lia ocimoïdett L.
3. Koxburgh, Flora, vol. II, p. 104 et 165, 58 et 59, 62, 464
et 469; vol. III, p. 603, 607, 740 et 771. — Brandis, Flora,
p. 48. 100, 129, 159 et 160, 371, 414, 416, 545, 548, 567. —
Watt, Dîclionary, s. v.
4. En particulier les Agaricus campealris L., Morchella
escnlenia Pers., Ilclvella crispa Pries, et Vl/ydnum coralloïdes
Scop. — Watt, vol. I, p. 131 et III, p. 455.
320 LES PLANTES CHEZ LES UÎNODUS
proscrits par la loi religieuse ^ Tail, l'oignon, Técha-
lotte, sinon le poireau, figurèrent dès longtemps dans
la cuisine des anciens Hindous*, tout exotiques qu'ils
sont. L'aneth — sotva — , le carvi — sushavi — et
l'ajouan, la coriandre, le curain et le fenouil, la mou-
tarde et l'asa fœtida, peut-être aussi le fenugrec et le
basilic y prirent place dès longtemps, et plus ancien-
nement encore le sésame, le poivre et le gingembre,
le cardamome, le curcuma et sans doute la cannelle^.
Le pèlerin chinois Hiuen-Tsiang, que j'ai déjà si sou-
vent cité, mentionne au premier rang des plantes co-
mestibles de rinde, le gingembre et la moutarde*. Et
dans le drame de Mricchakatikîï, l'un des personnages,
Sariisthânaka, attribue la beauté prétendue de sa voix
à l'usage qu'il fait, dans ses aliments, de l'asa fœtida\
du cumin, du souchet et du gingembre, et aussi à"
ce qu'il mange de la chair de coucnu fortement
assaisonnée de poivre et préparée avec de l'huile de
sésame*.
1. « I/ail, l'oignon, récbalotto no doivent pas être mangés
par les Dvijas. » Loû de Manou, Uv. V, 5. — « Peu de per-
sonnes les mangent, disait au vi*= siècle le pèlerin chinois Hiuen-
Tsiang; si quelqu'un en use, on le chasse hors des murs de la
ville. » liuddhist Hecords, vol. l, p. 88.
2. I/ail servait de condiment à la trihu méprisée des Vàhî-
kas. Mahâhhàrata. Karna-Parva, 'iO.Ti (\UV, 11). El Ton voit
le héros de NàfjAnanda se nourrir d'oii^non. Acte l, p. \'l.
3. Watt, Dirtionan/, vol. VI, 3, p. 323-329.
4. Buddkisl Rerords, vol. I, p. 88.
5. Hingûjivnla. Il s'agit probablement de la gomme-résine
produite par la Fernla Jaeschkeana Vatke ; l'extrait liingu
qu'on en retirait était très usitédanslacuisine hindoue. «Je viens
de sentir sur ses lèvres l'odeur de Vhiùgu », dit un personnage
de V m topa deçà, p. 187, trad. Joh, Hertel.
6. Acte Vlfl. scène 3. Trad. Fritze, p. 137; trad. Paul Re-
gnaud. vol. IV, p. 50.
LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 321
On se servait peut-être aussi dans l'Inde, comme
condiment autrefois, ainsi que de nos jours, des fruits
aromatiques du Zanlhoxybmi alatmn et des feuilles
odorantes de diverses rutacéos : Murraya Kœniyii,
Skimmia latireola et Toddalia aciihata, sinon du jus
de citron ou de la Limonia acidissvna ^ ; mais on y a,
de temps immémorial, fait usage du sucre. Dans le Rîi-
mâyana', il est question du krisara, riz préparé avec
du sésame, et assaisonné de sucre et de cardamome ;
et le Mahâbhâshya de Pataiijali^ parle d'une espèce
de boisson fermentée, qui était « épicée avec du sucre
doux et du piquant gingembre ». Le sucre, que nous
rencontrons là à côté du cardamome ou du gingembre,
est, comme ceux-ci, un véritable condiment, qui prit
chaque jour une importance plus grande dans la cui-
sine des Hindous. Hiuen-Tsiang le mettait au nombre
de leurs principaux aliments*. A l'origine, et il en fut
peut-être longtemps ainsi, on se bornait à exprimer le
suc des tiges de canne ^ ; mais quand par la cuisson on
fut arrivé à concréter celui-ci, on employa ce nouvel
ingrédient aux usages les plus divers ; il servit à con-
fire des fruits, à préparer des pâtisseries, des mets
doux, des breuvages fermentes, etc. On pourrait ici
encore placer la manne qu'on rencontre sur certains
arbres, à certaines époques de Tannée et en des régions
très diverses de l'Inde. Dans le Pandjab et le Sindh,
1. Brandis, Flora, p. 47-'i8. — Watt, Dietionary, voL V^
p. 290; VI, 3, p. 245; VI. 4, p. 67 et 324.
2. Lib. II (Ayodhyâkânda), cap. lxxlx, 13.
3. Indisrhe Sltidien^ voL XIII, p. 466.
4. Buddhist Records^ vul. I, p. 88. — Kliadirangàra Jâtaka.
N"^ 40 (les S tories of the Buddha's former Birtlts. Transi,
from the Pâli. Cambridge, 1895, in-8», vol. I, p. 100.
5. Laliin Vistara, chap. xxiv. Trad. Foucaux, p. 318.
JOHCT. — Les Plantes dans i'antiifuitê. H. — 21
322 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
par exemple, il se forme, par un temps chaud, sur les
rameaux du tamaris articulé, d'après Brandis, du ta-
maris dioïque, suivant Stocks*, une exsudation sucrée,
déterminée par la piqûre d'un insecte, et qui sert à
adultérer le sucre ou à faire des pâtisseries. Dans les
hautes régions himalajennes, il se dépose, également,
durant les grands froids de Thiver, sur les feuilles et
les branches du pin élevé une sécrétion liquide, qui
durcit bientôt et se transforme en une espèce de
manne blanche et sucrée que mangent les indigènes*.
Je suis loin d'avoir terminé l'énumération des sub-
stances alimentaires dontifaisaient usage les Hindous,
puisque je n'ai pas encore parlé des racines et des
fruits que les plantes les plus diverses, sauvages ou
cultivées, leur fournissaient en abondance. C'est avec
des racines et d(3s fruits des bois que Dhaumaya reçoit
les fils de Pandou^. Dans le Râmâyana*, on voit le fils
de Vibhàndaka en offrir aux nymphes qui viennent le
visiter; et le poète nous montre l'anachorète, père du
héros, pliant sous le poids des racines et des fruits
sauvages qu'il rapporte de la forêt. Les rhizomes ° des
nénuphars comestible, bleu, rouge et étoile, du lotus
et du nélumbo^ les radis et les carottes, peut-être les
raves, sinon les navets; les racines de diverses légu-
1. Watt, Diclionary, vol. VI, 3, p. 411.
2. Brandis, Flora^ p. 23 et 512.
3. MahàbMrata. Adi-Parva, 6919.
'i. Lib. I (Adikânda), cap. ix, 28-29. D'après le Çan/irafffAa,
II, 19 et le Yairùgyaçataka^ 27, des racines suffisent comme
nourriture à l'homme sage.
5. VAlhanm- Veda, lib. IV, 3'i, 5, leur donne le nom de 6i»a,
mulâlin, ràluka. Cf. Zimmer, p. 70.
6. Kàhlara, pushkara, kallaka, kumuda et padma.
mineuses s de la Momordica dioîca, de la Codonopsis
ovata, et des Ceropegia bulbosa et tuberosa\ celles
du Coleus barbatus et de VUrtica tuberosa; les bulbes
de VEulophia campeslf^is, orchidée du Pandjab et de
la région himalayenne; les oignons du Crinum de-
fixum et de la Tulipa stellata ; les tubercules de nom-
breuses espèces sauvages ou cultivées d'ignames et
de curcumas*, de la Tacca pinnatifida^ d'une maran-
tacée, la Canna vidica, et du kakangi^, espèce de naïadée
delà Péninsule; les bulbes de plusieurs aroïdées, telles
que la colocase et ses variétés, Talocase, Tarum cam-
panule; enfin les racines bulbeuses de certaines
cypéracées\ entrent, depuis un temps immémorial et
sous des formes différentes, dans Talimentation des
habitants de l'Inde ^ Souvent ils se bornent à faire
cuire à l'eau ou griller les racines de ces diverses
plantes; d'autres fois ils extraient la matière fécu-
lente que renferment certaines d'entre elles, en par-
ticulier les racines de divers curcumas. A cet effet,
ils les coupent par tranches ou les raclent avec un
morceau de bois; tranches ou raclures sont jetés
dans un baquet plein d'eau; au bout de quelque
temps la fécule se dépose au fond du récipient; on
la recueille, et, séchée, elle donne une espèce d'ar-
1. Eriosema chinense Vog., Flemingia veslila l^ent., Pa-
chyrhizus angulatus Rich., Phaseolus adeuanthus Wight, Pu-
erarta tuberosa DC. (^Hedysarum luberosium Hoxb.)-
2. Dioscorea aculeata, alala, bulùifera, fasciculata, glo-
bosa, peiUaphylla, purpurea^ rubella, saliva L., etc. — Cuv-
cuma anfjuslifoliaj amada, caulina et leucorhiza Koxb.
3. Aponogeton monostachyon Willd.
4. Souchet bulbeux (jCyperus jemenicus L. ou bulbosus Vahi),
Scirpus dubius et kysoor Roxb.
5. Watt, Diclionaryy s. v.
■ :
il
I
LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 323 !
1
324 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
row-root, dont on fait de la bouillie, des gâteaux*, etc.
Les racines des scitaminées ne sont pas les seules,
avec les graines des céréales, dont on retirait une
substance féculente ou amylacée nutritive ; on en ex-
trayait sans doute également, autrefois comme au-
jourd'hui, une espèce particulière — le sagou — de la
moelle de divers palmiers, en particulier de la caryote
brûlante, des Ghates occidentales et du district d*Orissa,
du dattier farinifère, du Dekkan et du Travancore, et
même de la Corypha ttmbraculifera, de la côte de
Malabar, ainsi que delà Wallichiadisticha, du Sikkim*.
Pour extraire le sagou du dattier farinifère, les indi-
gènes dépouillent de ses feuilles et de son écorce ex-
térieure le tronc, qui n'a guère qu'un demi-mètre de
long, puis ils le fendent en cinq ou six morceaux,
qu'ils laissent sécher quelque temps ; après quoi ils
les pilent dans un mortier pour séparer des fibres la
partie farineuse; ils tamisent le tout et recueillent
ainsi une espèce de farine, qui, bouillie, donne un
gruau épais et nourrissant \ Ils en font aussi du pain.
Les fruits n'occupaient pas dans l'alimentation des
Hindous une moindre place que les racines ; ils compo-
saient avec elles la principale nourriture des anachorè-
tes*. La flore sauvage en offre un nombre considérable,
que les indigènes recherchent encore de nos jours,
comme ils le faisaient autrefois, surtout en temps de
i. Drury, Use fui Plants, p. 168.
2. On retire également du sagou, des graines séchées des
Cycas peclinata Grifl*., Bumphii Mig. et circinalis Wild. —
Drury, Useful Plants, p. 118, 171 et 339. — Watt, vol. II, p. 207
et 576; VI, 1, 206.
3. /?^im^?//««a, lib. H, cap. xxviii, 22, xlvh, ^'i et liv, 19.
— Mahâbhârata, lib. 111, 39 et 15371 ; IX, 2796.
4. Roxburgh, Flora, vol. III, p. 786.
LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 325
disette. Tels par exemple, dans la région tempérée ou
élevée de l'Himalaya, les baies de plusieurs épines-vi-
nettes*qu*on mange surtout séchées aujourd'hui, des
mures ' et des cynorrhodons ^ quelques cerises et poires
médiocres*, des ponunes, des sorbes, des cormes* et
des groseilles, des raisins, ainsi que des fruits de di-
verses viornes* et du micocoulier du Midi, dos noix et
des noisettes ; puis dans le sous-Himalaya, la plaine du
Gange et la Péninsule, les fruits des Dillenia indien et
pentagyna, de la Flacourtia sapida et de la Gaixinia
pedimciilata, de nombreuses Grewia\ tiliacées répan-
dues dans rinde presque entière; ceux du Chrysophyl-
Inm Roxburghii et de YAglaïa dulcis, du piyâla et de
Vamràtaka, du Rhua scmialatus, de la Careya arborea
eià^Rliodomyrtus lomenlosa — le myrte des monta-
gnesdela Péninsule — ,lesnoixdelaf>'ni^4/âr^ lamàcre
de rinde ; les fruits de l'^n/co/a* et de diverses rubiacées
et myrsinées ', des Bassin latifolia et butyracea, ainsi
que les baies des Diospyros melanoxylon et kaki, de
la Maba buxifolia et de la Salvador a oleoïdrs, dans
1. Berberis aristala ei asiatica Roxb., nepnletisis Spreng. et
vulfjaris L.
2. Huhus hiflorns Hani., frulicosus L., lasiocarpus Smith,
macilentus Cumb., niveus Wall., rosaefolius Smith, etc.
3. Bosa macrophylla Lindl., gigantea Coll., Webbiana
Wall.
'i. Voir liv. II, chap. i, p. 222.
5. Cornus capital a et macrophylla Wall.
6. Vibiamum cotinifoliumy foetenSy nervosum Don. et sieltu-
lalum Wall.
7. Grewia asiatica L., opposilifolia et sclerophylla Roxb.,
liliaefolia Vahl., veslita Wall, villosa Willd.
8. Alangium Lamarckii Thwaites.
9. Gardénia gummifera L., Randia dumelorum Lam. et
uliginosa DC. — Myrsine africana L., capitella et semiserrata
Wall.
326 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
le Pandjab et le Sindh, du Strychnos potatontm, du
Melodiïius monogymis et de la Willughbeia edulis,
du Cordia vestita et du Lycitim rutheniciim ; les
drupes de quelques verbénacées — Ehretia laevis et
• Gmelina arborea, — et des Elaeagnus lalifolia et
umbellata, ainsi que les fruits de plusieurs euphorbia-
cées S en particulier le rnyrobalan emblic — âmalaka,
— vanté par le pèlerin chinois Hiuen-Tsiang, et ceux du
lakuca, les baies du mûrier de Tlnde et de divers
figuiers ", en particulier celles de Viidumbara, que le
même Hiuen-Tsiang mettait au nombre des meilleurs
fruits qu'il eût vus dans l'Inde, mais qui, à en croire
Roxburgh, seraient d'un goût peu agréable ' ; puis en-
core les baies du Myrica sapida et de VEphedra vul-
garis; enfin, malgré leur médiocrité, les fruits de
quelques palmiers* entrent et sont entrés de tout temps,
comme tous ceux des arbres que je viens d'énumérer
et d'autres encore'', dans l'alimentation, surtout des
classes pauvres de l'Inde.
Les fruits des espèces cultivées ofi'rent, on le com-
prend, encore plus de ressources aux habitants de cette
contrée. Les cerises et les prunes du Cachemire et de
l'Himalaya occidental rappellent celles de l'Asie anté-
rieures, d'oii elles ont été importées ; si les poires sont
de mauvaise qualité, les pommes, les coings et les
1. Briedelia retusa Spreng., Securinega obovala et leuco-
pyrus Mull. — Brandis, p. 'i'i9 et 456.
2. Ficus bengalensis L. — nyagrodha, — cnnia Roxb., glo-
merata Hoxb., Roxburghii Wall, et Humphii Bl. (cordifolia
Roxb.).
3. Huddh ht Records, vol. I, p. 88. — Flora indica, vol. I II, 559.
'». Rorasaus flabelli formis L., Chamœrops Martiana Wall. —
Brandis, p. 545 et 547.
5. Watt, Dictionary, vol. IIÏ, p. 445-451.
LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 327
grenades de ces mêmes conlrées et du Pandjab sont
excellents ; les raisins en sont également délicieux, et
les abricots n'y sont pas moins succulents *. Mais ces
fruits, à part les grenades, ne se rencontrent guère
que dans la région du Nord et du Nord-Ouest; dans
la plaine gangétique et dans la Péninsule, ils sont rem-
placés par les fruits des espèces indigènes, dont beau-
coup nous paraissent médiocres, mais n'en sont pas
moins aimés des indigènes. Tels sont d'abord les
fruits des Averrhoa hilimhi et carambola^ dont le pre-
mier n'est guère que confit, tandis que le second, de
la grosseur d'une pêche, est mangé cru ou cuit ^ A cinq
côtes saillantes, jaune à la maturité, il passe pour ra-
fraîchissant.
C'est pour la pulpe juteuse qu'ils renferment que les
fruits du biha et du kapittha^, ainsi que ceux des di-
vers Cilrus, étaient recherchés ; mais c'est à peu près
tout ce que nous en pouvons dire. On peut supposer
toutefois qu'on faisait des cédrats, dans leur pays
d'origine, le même emploi que dans Tlran*. Un poète
du vi° siècle^ nous montre, preuve du prix qu'on y
attachait déjà, des citrons offerts en présent. Si Hiuen-
ïsiang a vu réellement dans Tlnde *, et il n'est guère
possible de révoquer en doute son témoignage, des
oranges douces en abondance, on doit admettre que
les habitants les mangeaient alors comme aujour-
1. Brandis, F/ora, p. 98, 191, 192, 193, 203, 205.
2. Baber, Mémoires, vol. II, p. 211. — Watt, vol. I, p. 360.
3. Aegle marmelos et Feronia elephantum Roxb. — Drurj',
Useful Planté, p. 18 et 212.
4. Voir livre I, chap. IV, p. 179.
5. Kàlidâsa, Màlavikâ et Agnimitra, acte III, p. 29.
6. BuddhUt HecordSf vol. I, p. 88.
328 LES PLANTKS CIIKZ LtS HINDOUS
d'hui. Les fruits de VHovenia dtilcis ont un goût
agréable et qui, non sans rapport avec celui de lîi ber-
gamotte, devait les faire rechercher '; ils n'ont toute-
fois joué qu'un rôle sans importance dans ralimentation
des anciens Hindous. Il en fut tout autrement des fruits
du manguier — âmra, — considérés comme les
meilleurs de Tlnde, et dont on a fait, depuis Tépoque
la plus reculée, le plus grand usage. Avant la maturité,
on les confit et on en fait des conserves ; mûrs, ils
plaisent par leur saveur aigrelette. Tantôt on les presse
pour en exprimer le jus qu'on avale, ou bien on les
pèle et on les mange, comme une pêche ; d'autres fois
on en fait une espèce de salade, ou on les met dans les
sauces pour en relever le goût ^ Les fruits des divers
jujubiers ont été recherchés de tout temps; ceux des
jujubiers commun et nummulaire, également parfu-
més, sont, les premiers, acides, les seconds, sucrés ;
les fruits du badarî sont farineux, mais doux et plai-
sants au goût '.
C'est la pulpe abondante qu'ils contiennent qui fait
la valeur des fruits du tamarin ; de tout temps on Ta
recueillie avec soin ; la grande quantité d'acide citri-
que et malique qu'elle contient la rend éminemment
rafraîchissante et stomachique*. En dépit de leur
sécheresse, les fruits du jambu, de la grosseur d'une
petite pomme et dont l'odeur rappelle la rose, sont re-
cherchés par les indigènes. Ils n'aiment guère moins
ceux àw jatnbula, malgré leur saveur douceâtre et quel-
1. Brandis, Flora, p. 94.
2. Baber, Mémoires, vol. Il, p. 208. — Watt, vol. V, 155.
3. Brandis, p. 8'i-86. — Watt, vol. VI, 4, p. 668-673.
4. Drury, Use fui Plants , p. 412.
LES PLANTES OANS L'ALIMENTATION 329
que peu astringente*. Jaunes à la maturité, de la gros-
seur d'une orange moyenne et charnus, les fruits du Aa-
damba sont également comestibles ; le pèlerin chinois
Hiuen-Tsiang les mettait au rang des plus savoureux de
rinde*. Les baies des Mimuaops indica et elengi sont
petites et n'ont que peu de valeur alimentaire, mais elles
sont « très mangeables ^ ». Bien préférable toutefois
Q^iVavigna, — telestlenom du îvmi àxxkaramarda^ — ;
avant la maturité, on le confit ; mûr, on en fait une gelée
excellente; cru, il plait aussi beaucoup aux indigènes.
Ils n'aiment pas moins la pulpe visqueuse que renfer-
ment les drupes des diverses espèces de sébestiers ;
les lois de Manou défendaient de se nourrir de celles
du selu^\ on les mange aujourd'hui, non seulement
mûres, mais encore, comme légumes, quand elles ne
sont encore qu'à moitié formées.
Avec celui du jacquier, — panasa — nous retrouvons
un fruit essentiellement alimentaire; les indigènes
trouvent délicieuse la pulpe jaunâtre qui entoure les
graines, et celles-ci grillées ont le goût des meilleures
châtaignes. Dans le Sud de l'Inde, où le jacquier
atteint une taille considérable, ses fruits forment un
appoint considérable de la nourriture des habitants*.
Bien plus important et plus général toutefois est
1. Brandis, Flora, p. 233.
2. Buddhisl Records , vol. I, p. 88. Les noms bhadra « bon »
et priyaka « agréable », qu'on donne aux fruits du kadamba,
témoignent de leur qualité.
3. Brandis, Flora, p. 291-293.
4. Carissa carandas L. — Brandis, Flora, p. 321.
5. Cordia myxa L. — Lois de Manou, lib. V, 6. — Brandis,
Flora, p. 336-339.
6. Roxburgh, Flora, vol. III, p. 523. — Brandis, Flora,
p. 'j2G. — Watt, vol. I, p. 332.
330 LES PLAiNTES CilEZ LES HINDOUS
le rôle joué dans ralimentation par les bananes —
moca^ bhânuphala « fruits lumineux », stiphala « bon
fruit » ; — ce qui en fait la valeur nutritive, c'est
la fécule qu'elles contiennent en aussi grande quantité
que la pomme de terre. On les mange fraîches ou
séchées par tranches au soleil. On en retire aussi, par la
dessiccation et en les écrasant, une farine légère, com-
parable à celle du riz^
Pour terminer cette énumération des fruits comes-
tibles, il me faut encore mentionner les noix de coco —
nârikela, — qui entrent, sous des formes diverses, dans
l'alimentation des indigènes. Cueillies avant la matu-
rité, elles renferment un liquide sucré, le lait de coco,
et une pulpe molle et crémeuse d'un goût agréable.
Après la maturité, le liquide sucré diminue ou se soli-
difie et la couche albumineuse, qui constitue Tintérieur
du fruit, devient plus épaisse et plus ferme ; on la
mange avec du riz ; on s'en sert aussi pour assaisonner
les sauces ou faire des plats doux *.
Aux fruits proprements dits, se rattachent l'auber-
gine — vdrtla — , le concombre, les melons, etc., qui
tiennent la plupart autant et plus des légumes que des
fruits. Les Hindous mangent les aubergines, coutume
probablement très ancienne, en ragoût, cuites sous la
cendre et farcies, ou coupées en tranches et grillées,
ou encore confites avec divers ingrédients '. Les con-
combres, arrivés à moitié de leur croissance, sont con-
fits ; une fois mûrs les indigènes les mangent crus ou
1. Drupy, (Ueful Plants, p. 301.
2. Watt, vol. II, p. 448. Hiuen-Tsiang met les fruits du jac-
quier, du bananier et du cocotier au nombre des meilleurs de
rinde. Bnddhint Records, vol. I, p. 88.
3. Watt, iJîctionary, vol. VI, 3, p. 262.
LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 331
ils les mettent, coupés en tranches, dans les ragoûts.
Les fruits des Lttffa, Momordica et Trichosanthes ser-
vent, eux aussi, avant d'être mûrs à faire des ragoûts et
relever les sauces*. Quant aux melons et aux pastèques,
leur rôle dans Talimentation était le môme chez les
anciens Hindous que chez les autres peuples de l'anti-
quité et chez les modernes.
Pour en finir avec ce que j'ai à dire du rôle des
plantes dans l'alimentation, il faut ajouter que, surtout
en temps de disette, on devait manger autrefois, comme
de nos jours, les noyaux d'un certain nombre de fruits,
ceux, par exemple, du manguier, A\\ piyàla, du hahe^
ruka^y du selu, etc. Les noyaux du dernier ont le goût
de noix de filbert ; ceux du piyàla rappellent les pista-
ches \ L'écorce de plusieurs arbres entrait aussi dans
Talimontation des Hindous*; c'est ainsi qu'en temps
de famine on mêle à la farine des céréales l'écorce
moulue do V Acacia leucophlaea, du Prosopis spicigera^
de YEhretia laevis'', etc. Les Lahûpas du Manipour
coupent en tranches, avant l'apparition des feuilles,
Técorce du bouleau acuminé et en mangent la couche
intérieure préalablement séchée, ou bien encore
ils la réduisent en farine et en font une espèce de
bouillie".
Le règne végétal ne fournissait pas seulement aux
habitants de l'Inde des aliments agréables et nourris-
sants, il leur donnait aussi la plupart des boissons
1. Koxburgh, Flora, vol. III, p. 701, 707, IV*.
2. Buchanania latifolia et Terminalia belkrica Roxb.
3. Brandis, Flora, p. 127, 128, 222, 337.
'*. Arrlen, Indica, cap. VII, 3.
5. Brandis, p. 18'*, 3'i0. — Watt, vol. Vf, 1, p. 341.
6. Watt, Dictiotmry, vol. I, p. 451.
332 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
dont ils faisaient usage. L'eau et le lait de leurs trou-
peaux avaient été d'abord la seule boisson des Aryens ;
mais ils ne s'en contentèrent pas longtemps. En quel-
que haute estime qu'ils eurent toujours l'eau, bien
qu'elle renfermât à leurs yeux tous les remèdes, qu'elle
donnât au corps la santé, et procurât une longue vie,
à la fin, ils la regardèrent comme un breuvage plus
fait pour leurs génisses que pour eux*. Le lait lui-
môme, s'ils en ont toujours fait largement usage *,
finit aussi par ne plus leur suffire ; il leur fallait des
boissons fermentées. Dès les premiers temps de leur
histoire, le soma, ce breuvage divin, préparé avec une
plante sacrée des montagnes, en fut une réservée pour
les fêtes et les occasions solennelles; la surà^, dont
l'origine n'est guère moins ancienne, fut la boisson des
jours ordinaires ; « le premier était la meilleure nourri-
ture des dieux, la seconde celle des hommes ».
L'usage de la surâ devint si général que sa fabrica-
tion donna naissance aune industrie particulière exer-
cée par la classe des Surâkâra^. Il est question dans
l'Atharva-Véda, d'une boisson appelée kildla': quelle
était-elle? Nous l'ignorons; mais c'était, il semble,
une liqueur analogue à la surâ. Quant au parisrut,
breuvage fermenté « ni soma, ni surâ », dont parlent
1. Rig-Veda, lib. I, 16, 23 et 23, 18.
2. a Le lait, lit-on dans le MahAbhàrata, est la première
des nourritures pour les classes moyennes ». rdyoga-Parva,
1143. « Sur le lait, dit le ÇalapaihaBrâhmana, XIV, 4, 3, '*,
repose tout ce qui respire ». Il est à chaque instant question
dans le Ràmâyana de lait doux ou caillé. Lib. Il, cap. C, 49 et
67.
3. TaiUiriya-BrAhmana, 1,3, 3, 2. Zimmer, p. 280.
'i. Zimmer, Altindisches Leben, p. 281.
5. Lib. JV,26, 6 et 27, 5; VI, 69, 1.
LES PUNTES DANS L'ALIMENTATION 333
(ranciens textes, on a supposé qu'il était fait avec des
herbes ' ; P. von Bohlen y a vu à tort une liqueur
obtenue par la distillation * ; Eggeling' la regarde comme
une boisson qui ne dififérait de la surâ que parce qu'elle
était préparée avec des végétaux non encore arrivés à
leur complet développement. Pour la surà, tout ce
qu'on en peut dire, c'est que c'était un breuvage fer-
menté et enivrant*. Les anciens Hindous possédaient
un grand nombre de boissons de ce genre, d'origine et
de composition les plus diverses. Tel était par exemple
le (Ihânyarasa de T Atharva-Véda ^ espèce do bière
préparée avec des grains écrasés d'orge, de rajî ou
de froment, plus tard de riz ou de sorgho. Les écri-
vains grecs semblent avoir connu ce breuvage — ce
« vin », — fait avec du riz, d'après Strabon, avec du
riz ou des cannes à sucre, suivant Élien ®.
Le jus de certains fruits durent aussi, dès l'épo-
que la plus reculée, servir de boisson rafraîchissante
aux habitants de l'Inde. Tel est en particulier le
liquide sucré, encore « plus délicat que n'importe quel
breuvage », renfermé à l'intérieur des noix de coco
non encore mftres. Le jus exprimé de nombre d'autres
fruits furent et sont encore employés au même usage.
1. ÇatapathaBrùhmana, lib. V, 1, 2, 14. — V. S., 2, 34. —
Mahîdhara, ap. Zimmer, p. 28t.
2. Dasalte Indien. Kônigsberg, 1830, in-8, vol. II, p. 164.
3. Çatapatha-BrAhmana fYol. III, p. 9, note 1.
4. « Potus fervidus, potus inebrians in universum », dit Bopp.
Le Çatapatha-Drâhmarfa, V, 1, 2, 13, semble en faire le (suc)
d*une plante.
5. Lib. II, 26, 5. «The sapof the grain », trad. Bloomfîeld.
6. OTvov... TcivEiv 8' otTz* opuÇTjç. Gcographica, lib. XV,
cap. 153.^ — Tôv [jL£v (olvov) eÇ Ôoû^t); yz'.ooup-^oîi'Ji, tov oà ex
xaXà{Aou. Elien, De nalurâ animalium, lib. XIII, cap. 8.
/
334 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Mais les Hindous fabriquèrent aussi de bonne heure
avec eux du vin ou du cidre*, et, pour le parfumer, ils
y ajoutaient souvent les fleurs de certains arbres. On
donnait parfois à ce mélange un nom tiré de la fleur
qui lui donnait son bouquet. C'est ainsi que le vin aro-
matisé avec des fleurs de kadamba prenait celui de
kddambara'^ , Quand la vigne eut pénétré et eut été
cultivée dans THindoustan, on fit aussi du vin avec des
raisins. Si Ton en croyait Ctésias', ce vin aurait même
été excellent.
La sève ou le suc de certaines plantes, comme le suc
de la canne à sucre, la sève qui découle de divers pal-
miers *et autres arbres, oflfraient encore aux Hindous
des boissons dont ils firent très anciennement usage.
Ils se bornèrent d'abord pendant longtemps à mâcher
les cannes, comme le font encore aujourd'hui les habi-
tants demi-sauvages des îles de TOcéanie; plus tard
ils en recueillirent le suc exprimé. Au nombre des mets
servis sur la table de Çuddhôdana figurait du jus de
canne et du sucre ^ On peut croire que l'usage du suc
de canne, qui était plutôt un condiment qu'un vrai
breuvage, diminua, s'il ne disparut pas complètement,
après la découverte de la fabrication du sucre ; si Ton
1. Bohlen, Da$ aile Indien, voL II, p. 164.
2. Lois de Manou, lib. II, 95. On aromatisait encore le vin
avec des fleurs de dhâtri — Phyllanthus emhlica — et de dha-
taki — Grislea tomentosa.
3. Indien, 29. Il est aussi question de vin rouge de T Inde dans
Arrien. Ilisloria indica, cap. xiv, 9.
4. Phœnix sylvestris Roxb., Borassus flabelliformis L., Ca-
ryota urens L. et Cocos nucifera L. — A ces palmiers, on pour-
rait ajouter le Nipa frulicans Wurmb. ; mais il est douteux
que les anciens Hindous aient connu cette plante des Sunder-
bands, ou ils ne Tont connue qu*assez tard.
5. Lalita VistarOy cap. 5, p. 42.
LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 335
en croit Hiuen-Tsiang toutefois*, on faisait de son temps
avec ce suc et du jus de raisin un sirop non fermenté,
qui servait de boisson aux Brahmanes. Mais cet usage
du suc de canne a fini par tomber en désuétude ; on
n'a point cessé, au contraire, de recueillir et d'em-
ployer comme boisson la sève des palmiers et ses
divers produits.
Pour obtenir celle du kharji\ra — le dattier sau-
vage, — au commencement du mois d'octobre, on
pratique au-dessous de la couronne des feuilles une
entaille profonde par où cette sève s'écoule ; elle s'arrête
au bout de trois jours ; le sixième, quand la blessure
est cicatrisée, on fait une nouvelle entaille et on con-
tinue ainsi jusqu'à la fin de la saison. L'année suivante
on laisse reposer le palmier, mais on recommence
l'opération la troisième année, et on peut la répéter
pendant près de dix ans '. Pour le tala, la caryote et le
nârikela, on procède d'une manière différente ; on ne
pratique pas d'entaille dans leur tronc, on coupe, avant
que les fleurs s'épanouissent, le haut des pédoncules
et on recueille, dans un vase attaché à leur partie infé-
rieure, la sève qui en découle en abondance*. Cette
sève sucrée et d'un goût agréable — celle du kharjûra
toutefois est légèrement amère — donne par la fer-
mentation une boisson capiteuse et enivrante, le tari
— ang. toddy — ou vin de palmier. Du tronc du nimba
ou de ses racines incisées au printemps coule aussi
1. Buddhisi Records , vol. [, p. 89.
2. Drury, Use fui Plants, p. 340-341.
3. Brandis, p. 545, 550, 558. — Roxburgh dit que la Car^o/a
nrens peut fournir jusqu'à 100 litres de sève en 24 heures.
Flora, vol. III, p. 626. Une spathe de cocotier en peut donner
pendant un mois. Watt, vol. II, p. 450.
336 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
une sève employée comme boisson rafraîchissante et
susceptible de fermenter*. Cosmas, par une confusion-
manifeste, donne au lait de coco le nom de rhonkho-
soura — rdkshâsurâ d'après Bohlen- — . Ce nom était
probablement attribué aux différents tari.
Si le tî\ri reste quelque temps exposé à Tair, la fer-
mentation acide se produit et il se change en vinaigre.
Si, au lieu de la laisser fermenter, on fait bouillir la
sève du tàla, de la caryote ou du cocotier, elle prend
une consistance sirupeuse appelée jaggery, espèce de
mélasse, avec laquelle, par le raffinage, on obtient
le sucre de palme ^ On sait que Tarak et le rhum
— âçava'' — sont le produit de la distillation, le pre-
mier du tari, le second du suc de la canne ; depuis
quelle époque ces liqueurs spiritueuses sont-elles con-
nues dans rinde ? Nous ne pouvons le dire ; mais dans
un livre du Mahâbhârata^ dont par malheur on ignore
YkgQ, les Vàhîkas, peuplade méprisée des Brahmanes,
sont représentés, eux et leurs femmes, comme des
buveurs d*âçava et de surfi.
Outre les boissons dont je viens de parler, les Hin-
dous en possédaient un grand nombre d'autres, com-
posées d'ingrédients très divers. Une des plus renom-
mées était une espèce d'eau-de-vie — maireyuy — faite
avec de Técorce bouillie à'Odinapinnata, à laquelle on
ajoutait de la mélasse, une quantité convenable de
poivre long et de Strychnos potatorum, ainsi, plus
1. Brandis, p. 67. Le nimba est le ^felia indica Brandis,
M. azadirachta L.
2. Das aile Indien, voL II, p. 16'i.
3. H. von Sclilagintweit, Reisen in Indien^ vol. 1, p. 72.
4. Ou àsavn; on lui donne aussi le nom de gaudi.
5. Karna-Parva, 2U3'i et 2050.
LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 337
tard du moins, que des noix de muscade et d'aréca et
des clous de girofle. Des feuilles de Feronia elephan-
tum et du miel servaient aussi, de môme que l'écorce
de Cassia et du riz, avec une addition de mélasse, à
faire des liqueurs — surâs — estimées*. On en fabri-
(juait également une très capiteuse, le dhânâgaudâ-
sava^, avec du suc fermenté de canne ot du riz. Dès
longtemps sans doute on a fait encore avec les fleurs
distillées de madhiika une boisson enivrante, très re-
cherchée aujourd'hui des indigènes, malgré ses pro-
priétés nocives. Quand a-t-on aussi commencé à tirer
parti des fleurs de la Bassia butyracea, pour en fabri-
quer une espèce de mélasse ou de sucre, comme avec
la sève bouillie de palmier^? Rien ne nous Tapprend,
mais il n*est pas impossible que cette préparation n*ait
été anciennement connue.
Bien que l'usage des boissons fermentées fût sévè-
rement défendu*, les Hindous, nous venons de le voir,
en possédaient un nombre considérable, et ils en bu-
vaient abondamment et parfois avec excès \ Aux
noces de la fille de Viràta, la surâ et le maireya
coulent à flots. Et on voit une Nishiidî s'enivrer de
liqueurs spiritueuses avec ses cinq fils^ Le poète
du Rîimàyana nous montre Tarmée de Bharata telle-
ment ivre à la suite d'un festin qui lui avait été donné
1. Dos Kâmasûtram des Vàlsyâyana, nbeTsei/Xyon Richard
Schmidt, Leipzig, 1897. in-4o, p. 69.
2. Bohlen, Dos aile Indien^ vol. II, p. 165.
3. Drury, Useful Plants, p. 69-70. - Watt, vol. I, p. 'i06.
4. Lois de Manou, liv. Il, 91.
5. « Cujus (vini) omnibus Indis largus est usus. » Quintus
Curtius, fJisloria, lib. VIII, cap. 9.
6. Mahâùhârata. Adi-Parva, 5826 et Virâta Parva, 236'i.
JORET. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 22
338 LES PLANTES CIIEZ LES HINDOUS
par Bharadvâja, que les cavaliers « oublient leurs
chevaux, les cornacs leurs éléphants * ».
•Parmi les nombreuses plantes oléagineuses que ren-
ferme rinde, les anciens habitants mirent sans doute
à profit dès l'époque la plus reculée un nombre consi-
dérable d'entre elles ; mais Tabsence de renseigne-
ments contemporains ne nous permet guère de dire, à
part quelques-unes, quelles furent les espèces aux-
quelles ils demandèrent les huiles dont ils avaient
besoin pour leur alimentation ou pour s'éclairer.
L'huile de sésame — taila — dont il est question dans
l'Atharva-Veda, dut être une des premières dont ils
se servirent. Ils la fabriquaient de la même manière
que les Égyptiens et les Sémites de l'Asie Mineure, et
la conservaient dans des vases clos ". Ils s'en servaient
pour préparer leurs mets et faire des gâteaux. Elle
constituait, d'après le Mahàbhàrata', le principal ali-
ment des classes pauvres. C'était aussi, avec les graines
qui la fournissent, un assaisonnement recherché.
« Dans le grain de sésame et l'huile de sésame, dit un
poète*, réside le charme du manger ». La propriété
qu'elle a de se garder pendant des années, sans pren-
dre de goût ni d'odeur, la rendait précieuse et permet-
tait de la transporter au loin. Au premier siècle de
notre ère, et sans doute déjà bien avant, elle était un
des principaux produits qu'on exportait de l'Inde en
Egypte ^
i. Hàmàyana, lib. II (Ayedhyàkarida), cap. C, 53.
2. Alharva Veday lib. 1, 7, 2. — Amarakoçay lib. III, cap.
6, 5.
3. Utlyoga-Parva, 1143.
4. Boehtlingk, Indische Sprûche, n^ 2563.
5. Periplus maris Erylhraei, 14, 32 et 41. lid. B. Fabricius.
Leipzig, 1888, in-8, p. 52 et 83.
LES PLANTKS DANS L'ALIMENTATION 339
Après rhuile de sésame, cellede sénevé paraît avoir
été une des plus employées ; le pèlerin chinois Hiuen-
Tsiang en constatait, au vi* siècle, Tusage général dans
rinde*. Il est probable que dès longtemps aussi l'huile
de carthame, ainsi que celle de ricin furent connues
et employées par les Hindous. Le grand nombre de
noms sancrits de ces deux plantes est une preuve à la
fois de l'ancienneté de leur culture et de Tusage qu'on
faisait de leurs produits*. Il est question dans Çakun-
talà de l'huile d'ingudî^ dont s'oignent les ermites.
Ils s'en servaient aussi sans doute pour s'éclairer, et
elle est également bonne à manger. On en faisait
des gâteaux funèbres*. On l'extrait des noyaux des
fruits de cet arbre, qu'on écrase après les avoir préala-
blement fait sécher au soleil pendant quelques jours *.
L'exemple que je viens 'de citer montre que l'huile
d'ingudî était connue au vi® siècle de notre ère ; on a
dû non moins anciennement sans doute faire usage de
l'huile retirée des noix de coco et des nombreuses
graines qui en fournissent de nos jours, telles que les
graines du Balanites Roxburghii et du nimba •, de la
Schleichera trijugay des piydla et des karanjakdy des
Bassia à larges et à longues feuilles, du keçara, du
Diospyros emhryopteris, du Salvadora oleoides, si
commun dans le Sindh, etc., huiles dont les habitants se
servent, et sans doute depuis longtemps, pour l'éclai-
1. Buddhist Records , vol. 1, p. 88.
2. Watt, Dictxonary, vol. II, p. 194; VI, 1, 508. .
3. Terminalia catappa L. — Acte II, scène 3, p. 33.
^. Ràmàyapa, Yuddhakàçda, XCVI, 16.
5. Drury, Useful Plants, p. 418.
6. Il est question de l'huile de nimba dans Màlati et Ma-
dhavaj acte V, p. 56.
II. — 22.
340 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
rage et parfois aus^i pour la cuisine, ainsi que dans la
médecine ^ Connaissaient-ils aussi depuis une époque
reculée le beurre qu'on retire des graines de la Bassia
butyracea'^. Je Tignore; mais ils ont, on peut TaflBr-
mer, très anciennement fait usage des gommes et
gommes-résines que fournissent tant d'essences indi-
gènes : Gochlospermum gossypium, çàla et autres
diptérocarpées, Odina tcodier, palâça, ptérocarpes et
acacias, Anogeissus latifolia, etc.'; mais ces substances
sont plutôt employées dans la pharmacopée ou Tin-
dustrie que dans Talimentation ; c'est ailleurs aussi
qu'il conviendra d'en parler.
*
A côté des plantes si nombreuses qui entrent dans
l'alimentation des habitants de l'Inde prennent place
les plantes encore plus nombreuses qui servent à la
nourriture des animaux domestiques. L'Inde n'est pas un
pays de pâturages ; mais elle n'en renferme pas moins
dans les vallées alpestres, tempérées ou semi-tropi-
cales de ses montagnes, dans ses plaines plus ou moins
arrosées, au bord de ses cours d'eau, au milieu de ses
marécages et jusque dans ses déserts, nombre de gra-
minées propres à l'alimentation du gros et du petit
bétail. Dans les vallées élevées et tempérées de l'Hi-
malaya on rencontre une partie des graminées de
l'Asie antérieure et même de l'Europe : agropyres,
agrostides et andropogons, avoines, brachiopodes, bri-
1. Brandis, p. 59, 67, 105, 127, 154, 293, 298, 316, etc. Watt,
vol. V, p. 447-48. Le karanjnka est la Pongamia glabra Vent.
2. Watt, vol. IV, p. 188 et VI, 437.
^ LES KOfIRRAGRS 3il
zes et bromes, dactyles, élymes et éragrostides, fétu-
ques, fléoles et flouves, glycères, ivraies et kéléries,
méliques, orges et panics, paturins, roseau commun,
rottbolies et vulpins, ainsi que d'autres espèces*, parti-
culières à la ftore indigène, des genres Arundinaria,
Hierochletty Ischaemiim, Muehlenbergia, Oplismenus,
Penniseinm, PoUinia, Stipa, Tripogon, Trisetum,ete.
Et dans la région tropicale de la grande chaîne, de
même que dans les plaines de l'Hindoustanou de la Pé-
ninsule, des AeluropuSy des aristides, des Cenchros et
des Elionurtis, propres aux lieux arides ou sablonneux
du Pandjab ; des Andropogon, des Chïoris et des Coix,
le Cynodon dactylon — diïrvâ — répandu de l'Himalaya
au cap Comorin, des Eleusine et des Eriochloa, Vlm-
perata arnndinacea, de nombreux Isehaemon et pa-
nics, des Paspalum et des Pennisetum, des Sporobo-
lus, de hauts Saccharum, des bambous . arbores-
cents ^ etc.
Ces graminées si nombreuses, — je suis loin de les
avoir toutes énumérées — offraient, quelques-unes
surtout, pendant une partie de Tannée, une nourriture
abondante et variée aux bêtes de somme et aux trou-
peaux des Hindous. La diirvfi, « la meilleure pour
l'engraissement et la production du lait », et, malgré
sa petitesse, « la plus nourrissante » des graminées
de l'Inde, convient à tous les bestiaux et en particu-
lier aux chevaux ^. Le Pennisetum cenchroides passait
1. a At 4-5 000 feet élévation in the Khasia we hâve collected
upwards of fifty species of Gramineae alone, in an eight mile's
walk. » J.-I). Hooker and Th. Thomson, Flora indica, vol. I,
p. 93.
2. Watt, vol. III, p. 420.'i27, 433-434 et 434-437.
3. Duthie, ap. Watt, vol. III, p. 680.
3i2 LKS PLANTKS CHEZ LES MINDOl'S
aussi pour faire donner du lait aux vaches ; YEleusine
flagellifera était recherché des moutons; VEragrostis
cfjnostiroïdes, par les buffles; les bambous, VElio-
nurus hirstitus et \q Saccharum spontannim sont man-
gés avidement par les éléphants, ainsi que la raassetto
à feuilles étroites *.
Nombre de plantes herbacées, autres que les grami-
nées, entraient encore dans l'alimentation du gros et
du petit bétail des Hindous : crucifères — Brassira,
Eruca, Lepidium — légumineuses — caraganas, cro-
talaires, Desmodium et gesses, indigotiers, luzernes,
mélilots etpsoralées, trèfles, trigonellesetvesces, etc.
— composées — armoises et chardons — ; convolvu-
lacées, labiées môme, amarantes et chénopodées, po-
lygonées et urticées, etc., servent, les légumineuses
surtout, de fourrage dans les diverses provinces de
rinde^ Les chameaux recherchent les chardons, les
Kochiaindica et Salicorniabrachiata, les Suaeda fm-
licosa et Salsola foetida et kali du Pandjab et du
Sindh, ainsi que VHaloxylonnuiltiflorumy VAlhagi
maurorum, arbustes des mômes contrées^. Les mou-
tons et les chèvres aiment à brouter, outre les plantes
herbacées qui y sont répandues, — trèfles, vesces,
potentilles, armoises, renouées, etc., — les arbustes
— épines, cotoneastcr, chèvrefeuilles, cornouillers,
éphédras, — des vallées de l'Himalaya*.
Le feuillage et les jeunes pousses des arbres forment
surtout pendant la saison sèche une partie importante
de la nourriture des animaux domestiques; il n'est
1. Typha angustifolia L. ou elephantina Roxb.
2. Watt, Dictionary, vol. III, p. 'i07-'j20.
3. Watt, IHctionnvy, vol. II, p. 58-61.
4. Watt, Dictionary, vol. III, p. 427-432.
LES FOURRAGES 343
point de famille végétale de la région des plaines ou de
celle des montagnes» dont quelques représentants ne
servent à cet usage. Seulement le feuillage de toutes
les espèces ne paraît pas plaire également aux diffé-
rents animaux. Les éléphants sont surtout avides des
feuilles de la Capparis horrida, du hilva et de VOdina
ivodipr, des acacias, du çâla et du palâça^ du ricin,
du tamarin, des figuiers et du jacquier', etc. Les cha-
meaux recherchent le feuillage des tamaris, du nimba,
des jujubiers et des pistachiers, du sissou et de la
Prosopis spicigera, des Salvadora persica et oleoides,
du Pandjab et du Sindh, du chêne vert*, etc. Les buf-
fles et les vaches aiment en particulier les feuilles des
Dillenia, du varana et du kapittha^, ainsi que des
Eugenias, de la Gardénia latifolia et de la marsdénie
tenace, du Mimusops hexandra^ des Cordia, même des
Litsea, Ma/lotus et Phyllanlhus, euphorbiacées de la
région tropicale et semi-tropicale, mais surtout des
Banhinia racemosay Dalbergia oojeinensis, Xf/lia
dolabriformis et autres légumineuses*.
De tout temps les Hindous ont dépouillé les arbres
de leurs feuilles pour les donner à leurs bestiaux; elles
leur servent de fourrage vert et les dispensent d'en
cultiver, ou leur permettent de n'en cultiver qu'excep-
tionnellement. Roxburgh a dit que dans l'Inde on ne
sème ni légumineuses ni aucune autre plante, destinée
exclusivement à l'alimentation du bétail. Il y a là une
exagération manifeste, puisqu'il mentionne lui-môme
la culture de l'ers velu dans les provinces centrales,
1. Watt, Dictionaryy vol. IIÎ, p. 225.
2. Watt, Dictionaryy vol. II, p. 60-61.
3. Crataeva religiosa Forst. et Feronia elephantum Roxb.
i. Watt, Diciionary, vol. III, p. 407-420 et 427 432.
3ii LKS PLANTES CIIKZ I.FS IlINhOUS
du Dolichos biflorus dans le Pandjab, et de la crota-
laire joDcée dans les Circars *; on sème aussi, paraît-
il ^ dans la région du Nord-Ouest, une autre légunii-
neuse, la Cyamopsis psoralioides. Il n'en est pas moins
vrai toutefois que les habitants comptent surtout sur
le feuillage des arbres, pour nourrir leurs bestiaux
pendant la saison sèche. Mais ils n'emploient pas seu-
lement les feuilles vertes comme fourrage frais ; ils
font aussi sécher et conservent pour Thiver les feuilles
de nombreuses tiliacéos, sterculiacées, sapindacées et
légumineuses', d'une euphorbiacée même, la Puiraîi-
Jiva, de forme, de divers saules et chênes et même,
dans l'Himalaya, du sapin de Webb*.
Les Hindous font aussi du foin avec quelques plantes
cultivées ou sauvages, telles que la crotalaire joncée,
avec les tiges de YOxybaphus hymalaictis^y etc. Ils
se servent également comme fourrage sec des fanes
des haricots à feuilles d'aconit et radié, des pois, dulab-
lab, du kulattha^, etc., ainsi que de la paille des cé-
réales, en particulier de celle du riz, qui, dans cer-
taines provinces, constitue presque en hiver la seule
nourriture du bétail. Ils emploient aussi, en guise de
fourrage, les gousses encore fraîches de diverses plantes ,
par exemple des Acacia arabica et Prosopis spicigera,
1 Flora indien, vol. III, p. 261, 29'i, 31'i et 323.
2. Watt, Diclionary, vol. II, p. 673.
3. Greioia laevignta Vahl et oppositifolia Roxb. ; Sterculia
colorata Roxb. ; Aesculua indiens Colebr. : Schleichera Irijuga
Willd. ; Bauhinia purpurea L. ; Alhizzia odoratissima Benth.:
Acacia modesta Wall.
'i. Forbes Royle, The fihvous Plants of India. London, 1855,
in-8, p. 235.— Brandis, p. 38, 185, 'i52, 'i6'i, 'i80, 529.
5. Watt, Dictionary, vol. V. )). 6''i.
6. Roxburgli, Flora, vol. III, p. 297, 300, 305, 306.
LKS PLANTES DANS L'INDISTRIE 345
etc., ainsi, surtout pour la nourriture des chevaux, que
les graines de quelques légumineuses, par exemple,,
dos haricots radié, trilobé et mungo, do la crotalaire*,
etc., et les grains de diverses céréales: riz, froment,
orge.
Il n'est pas douteux qu'une partie considérable des
espèces végétales de Tlnde, propres à l'industrie
n'ait, dès l'époque la plus reculée, été employée par
les habitants ; mais les anciens textes ne nous font
connaître qu'un bien petit nombre de celles dont ils
se sont servis autrefois, et nous ne pouvons guère
parler de l'usage qui en a été fait dans le passé que
par comparaison avec celui qu'on en fait de nos jours.
Les Hindous ont de temps immémorial demandé au
règne végétal les couleurs les plus diverses*; mais celles
dont ils se sont le plus servis et, que leur offrait aussi
le plus communément la flore indigène sont le bleu, le
jaune et le rouge. Le bleu était fourni surtout par l'in-
digotier, et on le retirait sans doute aussi autrefois
comme aujourd'hui des feuilles et des tiges de cette
légumineuse, opération d'une grande simplicité ■\
Quand la plante est en fleurs, on la coupe, et l'on met
les tiges à macérer dans des cuves remplies d'eau froide,
1. Roxburgh, Flora, vol. III, p. 261, 297, 306.
2. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 22. D'après Açva-
lâyana (Grihya Sutra, I, 19, H) la robe des représentants des
trois premières classes devait être teinte, celle des Brahmanes
et des Vaiçyas, en jaune, celle des Kshatriyas, en rouge clair.
3. Schlagintweit, Reisen in Indien, vol. I, p. 263. — Drury,
Use fui Plants^ p. 255.
340 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
OÙ elles se désagrègent peu à peu ; on déverse alors le
liquide dans une autre cuve ; on l'agite pour amener
la séparation complète de la matière colorante en sus-
pension dans Teau ; on filtre ensuite et on fait sécher
à l'ombre le résidu dans des moules en bois. La cou-
leur d'un bleu foncé — nîlt ou kdlâ — qu'on obtient
ainsi fut connue de bonne heure au delà des frontières
de rinde; au premier siècle de notre ère elle avait
pénétré dans l'empire romain ; c'était alors, et sans
doute depuis longtemps, un des produits qu'on exportait
des ports hindous en Egypte*. Mais les écrivains grecs
et latins en ignoraient la véritable origine; Pline, qui
en admire la belle nuance, « mélange de pourpre et de
bleu », la regardait, ainsi que Dioscoride', comme pro-
venant de l'écume d'un roseau.
On retire aussi une belle couleur bleue des feuilles
d'une apocynée, la Wrightia tinctoria, et d'un asclé-
piadée grimpante, la marsdénie des teinturiers ' ; mais
il est peu probable que l'usage en ait été connu dans
l'antiquité. Quoique le Strobilanthes flaccidifolinsj
acanthacée de l'Assam, soit cultivée par les indigènes
de cette province, je ne crois pas non plus qu'on ait
utilisé, dès une époque reculée, la matière bleue que
renferment ses feuilles. Il est encore plus douteux
qu'on retire depuis très longtemps cette môme couleur
des feuilles de la Tephrosia tinctoria, légumineuse
originaire du Mysore*.
Un nombre considérable de plantes de l'Inde peuvent
1. Periplus maria Erythraei, cap. 39.
2. Ilisioria naluralis^ lib. XXXIV, cap. 5, 27. — De materia
medica, lib. V, cap. 107.
3. Watt, Dictionary, vol. V, p. 191 et VI, 4, p. 316.
4. Watt, Diciionary, vol. VI, 3, p. 15 et 375.
LES PLAÎSTKS DANS L'INDUSTRIE 347
fournir une couleur jaune, depuis Tépine-vinettearistée,
la Garcinia morella, la Morinda umhellata ou la Bn-
tpa frondosa, jusqu'au lodlira, au kaméla^ ou au cur-
cuma ; mais on ignore à quelle époque remonte l'em-
ploi delà plupart de ces matières tinctoriales. L'extrait
jaunîitre qu'on retire de la racine et des jeunes tiges
de l'épine-vinette n'est probablement pas d'un usage
très ancien, et il sert plutôt pour la préparation du cuir
que pour teindre les étoffes. haButea frondosa fournit
un jaune brillant, mais fugitif, qu'on obtient, soit en
exprimant le suc des fleurs encore fraîches, soit en
plongeant les fleurs sèches dans le double de leur poids
d'eau bouillante ; mais on ignore depuis quelle époque
on en fait usage ^ Tout ce qu'il y a lieu de dire ici
de la Morinda umhellata, c'est que sa racine fournit
une couleur jaune ; mais l'emploi n'en parait pas ancien
et n'en est même pas aujourd'hui bien répandu. Plus
général est celui de la racine de la Morinda angustifo-
lia ; mais on ne sait pas davantage à quelle époque il
remonte ^
La gomme-résine, exsudée par la Garcinia unibel-
lata a, dès longtemps, au contraire, dû être employée
pour teindre les robes des prêtres bouddhistes. D'un
grand et ancien usage aussi est la couleur jaune que
renferment 1 ecorce et les feuilles des Symplocos cra-
taegoïdes et racemosa — le vrai lodhra ; — on emploie
ces substances moins seules toutefois que comme mor-
dant, les premières avec la garance, les secondes avec la
1. Symplocos racemosa Roxb. et Malloius philippinensts
MûU.
2. Brandis, p. 142. — Watt. vol. ï, p. 445 et 450.
3. Walt, Diclionary, vol. V, p. 260 et 275.
3i8 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Morinda citrifolia \ Plus important comme matière co-
loranteest la poudre jaune qui recouvre les fruits duMa/-
lo/us phtlippineîisis ; mais les propriétés thérapeutiques
de cette substance semblent avoir été connues et uti-
lisées avant qu'on l'employât dans la teinture*. La cou-
leur jaune retirée de la racine du curcuma a été, elle,
très anciennement connue et employée, et son bon
marché, non moins que son caractère demi-sacré, ont
contribué à en répandre et à en populariser l'usage.
Autrefois les vêtements portés le jour du mariage
étaient teints en curcuma et l'on frottait le corps des
nouveaux époux avec une pâte composée de cette sub-
stance. D'après une croyance populaire, ceux qui por-
tent des vêtements teints avec le curcuma sont à
l'abri des atteintes de la fièvre'.
De nombreuse^ plantes de l'Inde renferment une
couleur rouge ; des légumineuses, comme les Caesai-
pinia sappan et Pterocarpus santalinus; des rubiacées
surtout, telles que les Morinda citrifolia et tincloria,
\Oldenlandia umhellata et la Riibia tinctoria; enfin le
carthame, que nous avons déjà rencontré en Egypte et
dans l'Asie antérieure. Le bois de santal, employé
depuis longtemps pour la belle teinte rouge qu'on en
retire, était, pour cette propriété, connu en Europe dès
le moyen âge *. On s'en sert et on s'en servait surtout
dans l'Inde comme pigment pour teindre les idoles ou
marquer au front les officiants dans les cérémonies
religieuses. 11 suffit de mettre des copeaux de bois de
1. Watt, Dictionary, vol. III, 493; VI, 3, 397-98.
2. Brandis, Flora, p. 443. — Watt, vol. V, p. 116.
3. Watt, Diclionary, vol. II, p. 664-66.
4. Flûckiger et Hanbiiry, Histoire dea drogues, vol. I, p. 364
LES PLAiNTES DANS L'iNDUSTRIE 3i9
sappan dans l'eau pour colorer celle-ci en rouge, et d'y
ajouter un alcali pour fixer la teinte. Mais d'ordinaire
on écrase préalablement le bois et on le fait bouillir
jusqu*à ce que Teau soit réduite aux deux cinquièmes.
Si Ton ajoute à la solution du curcuma, elle prend une
nuance lie de vin ; y met-on de l'indigo, elle devient
pourpre*.
L*écorce et les racines des Morinda cilrifolia et
tinctoria donnent une couleur rouge, belle, mais fugi-
tive; on s'en sert en faisant bouillir dans l'eau, avec
rétoffe qu'on veut teindre, des noix de galle en poudre
de Terminalia chehula et un peu d'alun. Avec Técorce
des racines de V Oldenlandia umbellata — le chay-
root — on obtient par le même procédé une couleur
semblable, mais plus fixe, très employée autrefois dans
la régence de Madras pour teindre les cotonnades. La
racine de la garance à feuilles cordées — manjishtha
— est très employée par les indigènes du Népal et de
TAssam, surtout pour teindre en rouge leurs grossières
étofi*es de coton ; ils se bornent pour cela à faire infuser
les racines et à plonger l'étoffe dans la décoction ainsi
préparée ^ J'ai eu occasion de parler du carthame et
des diSerentes nuances qu'on peut obtenir, suivant les
mordants, avec les fleurs de cette composée. Le car-
thame a été dès longtemps en usage dans l'Inde. C'est
avec lui qu'était teint le bord écarlate de la tunique
des grands, ainsi que l'étoffe — duknla — qui ceignait
la taille des femmes coquettes^.
Si le bleu, le rouge et le jaune, avec leurs différentes
1. Watt, Dictionary, vol. II, p. 10, 11 ; VI, 1, p. 360.
2. Watt, Dictionary, vol. V, p. 262-274 et 481 ; VI, 1, p. 572.
3. Batnâvali, acte I. Trad. Fritze, p. 21. — Bitusathhdra,
chant VI, 5.
35U LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
nuances, étaient les couleurs que les anciens Hindous
paraissent avoir le plus recherchées et celles que le
règne végétal leur offrait en plus grande abondance,
ils lui demandaient aussi, à l'occasion, d'autres couleurs,
comme le brun et le noir. Les semences de la Strychnos
nux-vomica, Técorce des racines du Terminalia arjuna
donnent par TébuUition une couleur brune ou khaki assez
employée. Avec Técorce des racines de la Venti/aço
madraspatana, on prépare une couleur nuance chocolat
qui devient noire par l'addition d'un sel de fer. Une
décoction de l'écorce du Quercus fenestrata change
en noir le bleu produit par le Strobilanthes flaccidifo-
lim\ Enfin on fabrique, probablement de temps immé-
morial, de l'encre avec les fruits calcinés du Zizyphtis
xylocarpa et du Terminalia bellerica, ainsi qu'avec les
feuilles carbonifiées du Pintis longifolia^. Il faut encore
rappeler ici, quoiqu'il ne s'agisse pas d'un produit d'ori-
gine végétale, qu'on recueille sur Técorce de certains
arbres, par exemple sur celle du jujubier, de V Acacia
arabica^, etc., la laque, dont on a fait, dans l'Inde et
l'extrême Orient, depuis l'époque la plus reculée, un
si grand emploi.
On ne peut douter que les anciens Hindous n'aient
connu une grande partie des plantes qui fournissent le
tanin ; mais aucun document ne nous apprend à quelles
espèces ils ont demandé celui dont ils avaient besoin ;
on peut supposer toutefois qu'ils ont employé la plupart
de celles qui, aujourd'hui encore, sont le plus en
usage : par exemple l'écorce et les noix de galle des
1. Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p. 380; 3, p. 275 et 380;
4, p. 16 et 227.
2. Brandis, Flora, p. 90, 223, 508.
3. Brandis, Flora, p. 88, 181. — Watt, vol. IV, p. 570.
LES PLANTES DANS LMNDUSTRIE 351
tamaris articulé, dioïque et de Gaule, 1 ecorce du
Rhus coliniiSy du jujubier et du pistachier du Pandjab,
des palétuviers des estuaires fluviaux* ; ils ont dû aussi
employer les gousses de la Cassia, Técorce de diverses
mimosées et myrtacées^ celle du grenadier et d'autres
lythrariées^ si riches en tanin et encore les fruits et
Técorce des rayrobalans belleric et chebula, du syonaka
et de diverses euphorbiacées*, ainsi que du noyer ptéro-
coque, des chênes de THimalaya, de l'aune et du pin
à longues feuilles ^ etc.
La flore de Tlnde offrait aussi en abondance aux
habitants de cette contrée dos plantes dont les fruits,
les racines ou les feuilles, les cendres, la farine môme,
servaient à blanchir les étoffes ; tels en particulier les
fruits des Sapindus Mukorossiet trifoliatus, du Bala-
7iites Roxburghii, etc. ; les gousses de Y Acacia con-
cinna, les racines de la Malva pai^iflora et du Poly-
ifonatum multiflorum, les racines et les feuilles du
Lychinis indica et du Silène Ginfpthii, les cendres des
Avicennia tomentosa, Casnarinfi equisetifolia, etc., la
farine du haricot mungo®. D'autres plantes étaient
employées pour coaguler les liquides. Telles les tiges
de Pedalium murex, qui, agitées dans Teau, lui don-
1. Hhizophora mucronala Lam., Btuguiera gymnorhiza
Lam.
2. Acacia arabica et ca/ec/iw Willd., Albizzia lebbek et lo-
phanta Behth. — Eugenia jambolana Lam. et Barringtonia
acutangula Gaertn.
3. Lagerslroemia parviflora Roxb.
4. Bignonia (Calosanthes) indica L. — Briedelia retusa
Spr., Pkyllanthus nepalensis Mùll. et emblica L.
5. Brandis, p. 28, 118, 121, 128, 16'i, 180, 217, 219, 222-23,
234, 2'i0, 241, 347, 349, 452, 460, 500, 506, etc.
6. Watt, Dictionary, voL III, p. 86-87 et s. v.
352 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
nent un aspect mucilagineux ; le suc des feuilles du
Cocculus villosiis, les fleurs des Pterospermum aceri-
folium et suberifolium, ainsi que les graines du Streblus
a5/?^r, jouissent de la même propriété. Le suc de cette
dernière plante, de même que les fruits de la Rhazya
stricta et des Witkaiiia coagulons et somnifera servent
aussi à cailler le lait. Les graines du Slrychnos, pota-
torum — kataka — ont été, au contraire, de temps
immémorial employées pour clarifier Teau*.
* *
Parmi les nombreuses plantes textiles propres à
Tindustrie, que possède la flore indigène, les Hindous
ont dû, dès les temps les plus reculés, en mettre un
grand nombre à contribution. Les anciens anachorètes
étaient vêtus d'écorces d'arbres et de peaux ^ et ce
costume est aujourd'hui encore celui de diverses tri-
bus sauvages. Ainsi, pour se vêtir, les indigènes du
Dekkan découpent de larges bandes d'écorce d'une
artocarpée de la région, VAnfiaris saccidora; après les
avoir fait tremper dans l'eau, ils les battent jusqu'à ce
qu'elles deviennent souples et moelleuses et ils s'en
taillent des morceaux qui, cousus ensemble, leur ser-
vent de vêtement \
Cet emploi de l'écorce des arbres toutefois était une
exception ; les Hindous, nous le savons par le témoi-
1. Watt, Dictxonary, s. v. — Drury, p. 335 et 408.
2. MahâbhârcUa. Adi-Parva, 4086, 808i, etc. — Ràmàyana,
lib. II, cap. xxvni, 23; xxxvii, 7, 8, 11, etc.
3. Il paraît que certaines tribus de TAssam emploient l'au-
bier du micocoulier oriental au môme usage. On fait aussi des
espèces de sacs avec l'ôcorce de VAntiaris. Drury, Usefui
Planls, p. 45 et 280.
LES PLANTES DANS L'INDUSTRIE 353
gnage d^Hérodote et de Néarque *, étaient vêtus
d'étoffes faites avec la « laine de certains arbres ».
Quelle était la nature de cette laine et sur ^els arbres
la trouvait-on? On pourrait croire qu'il s'agit du
Bombax malabaricum — çalmali — ou de VErioden-
dron anfractuosum^ raalvacées, dont les graines sont
entourées d'un épais duvet ; mais Arrien nous apprend
que leur soie était si courte que les Macédoniens s'en
servaient uniquement pour faire des coussins ou pour
rembourrer les selles de leurs chevaux*. Si donc les
Hindous remployaient parfois dans la fabrication de
leurs étoffes, ils devaient, aussi et surtout, se servir
pour les faire, du duvet — karpâsa — , produit par une
plante de la même famille, le cotonnier, décrit par
Théophraste. C'est avec ce duvet « plus blanc que le
lin », qu'était fait le costume national ^, la longue tuni-
que — vâsas ou vastra, — serrée autour du corps par
une espèce de ceinture ou tablier — nivi * — et qui
descendait jusqu'à mi-jambe, chez les grands même
jusqu'aux chevilles. C'était en coton aussi qu'était faite
l'espèce de toge ou de manteau — adhîvâsa^, — qui,
1. Hisloriae, lib. III, cap. 106. — « Quibusdam (arboribus)
lanam innasci, ex qaà Nearchus ait sindones subtilis etreticu-
lati operis texi. » Fragm. 8.
2. Indica, cap. xvi, 2. On s'en sert aujourd'hui encore
comme de bourre. Watt, vol. I, p. 489 et III, p. 262.
3. « Corpora usque pedes carbaso vêlant. » Curtius, Vita
Alexandriy lib. VIII, cap. 9. A l'époque védique, cette tunique
était tissée avec de la laine filée — ûrnâsûtra. — Zimmer,
p. 261.
4. Souvent aussi, comme aujourd'hui encore, les Hindous ne
portaient que cette ceinture.
5. Souvent toutefois le manteau couvrait les deux épaules.
Bifj-Veda, lib. I, 40, 9; 162, 16; X, 5,4. -^ Alharva-Veda,
iib. VIII, 2, 16. — Arrien, Indien, cap. xvi, 2.
JoRET. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 23
35i LES PLANTES CHEZ LES HINDQUS
rejetée sur Tépaule gauche et attachée sous l*épaule
droite, recouvrait la tunique. Les étoffes de coton
— sindones, — teintes parfois de couleurs vives et
brillantes*, furent bientôt connues au delà des fron-
tières de rinde ; les Iraniens en faisaient usage dès le
temps de Xerxès *, et le Périple de la mer Erythrée
nous apprend qu'elles étaient un des produits importés
le plus souvent de la Péninsule en Egypte '.
Mais les Hindous ne se bornèrent pas à tisser le
duvet qui entoure les graines du cotonnier et des autres
malvacées dont j'ai parlé, ils se servaient aussi pour
fabriquer les étoffes qui leur étaient nécessaires, des
fibres convenablement préparées de quelques-unes des
plantes textiles indigènes. Parmi les plus anciennement
employées furent la crotalaire joncée — çana — et
THibiscus chanvrin, ce succédané du chanvre*, dont
les fibres servaient, ainsi que celles du çana, à faire le
cordon du sacrifice des Kshatriyas, tandis que celui
des Brahmanes était tissé en coton \ Néarque parle®
des étoffes d'une grande finesse qu'on tissait avec cer-
taines écorces; Ernst Meyer a supposé"^ que récrivain
grec avait eu peut-être en vue la Caloiropis gigantea,
asclépiadée avec les fibres soyeuses de laquelle on fabri-
quait autrefois les tissus dont se vêtaient les princes et
les grands ^
1. \)din^\e Mahâbhàrala (Adi-Parva, 7719), Tilauttamâ est
couverte d'une tunique écarlate. — Strabon, XV, 1, 30 et S't.
2. Hérodote, //is/ona(?, lib. VII, cap. 181.
3. Cap. 14, 31, 32, 39, 41, 49, 51.
4. Roy le, Illustrations of the Botany of the Bimalayan
mountains, p. 84.
5. Lois de Manou, livre II, 44.
6. Fragment 8. — Strabon, lib. XV, cap. 1, 20.
7. Botanische Erlàulerungen, p. 69.
8. Brandis, Flora, p. 331.
LES PLANTES DANS LMNDUSTRIE 355
Les Hindous ont fiiit aussi très anciennement sans
doute des étoffes avec le jute et peut-être certaines
orties, comme celle des Nîlghiri ; mais rien ne permet
de croire qu'ils aient fait usage des fibres du chanvre
ou même du lin : ils ont, au contraire, probablement
de temps immémorial, mis à contribution les fibres
d'un grand nombre d'autres espèces, pour fabriquer
des cordages et des liens : malvacées, comme lesAbu-
tilon Avicennae, gi^aveolejis et indicmn, \diKydia caly-
cinuy les Sida cordifolia et rhonihifolia\ tiliacées,
telles que les gréwies d'Asie, à feuilles opposées ou de
tilleul ; nombre de légumineuses — Bauhinia racemosa,
Vahiii, etc., Butea frondosa, Entada scandens, Ses-
baniaacideata, grandiflora, etc. ; — des sterculiacées,
— Abroma augusta, He lie ter es isora, Sterculia colo-
rata, fœtida ou guttata, etc., — des asclépiadées,
entre autres, outre la Calotropis procera, les Marsde-
nia tenacissima, Ortanthera viminea, etc. ; une bora-
ginée enfin, la Cordia Rothii^, etc.
Les feuilles d'un certain nombre de plantes indigènes
fournissent aussi des textiles précieux ; telles sont
celles de la mtïrvâ^^, longues de 10 à 13 décimètres et
garnies de fibres résistantes ; après les avoir séparées de
la matière pulpeuse qui les entoure, les indigènes des
Circars en tressent les cordes de leurs arcs. Le nom
sanscrit de la Sanseviera témoigne déjà de l'usage an-
cien dont on a fait aussi des fibres de cette liliacée.
C'était une des matières avec lesquelles les lois de
1. Brandis, p. 29, 34, 37-41, 137-141, 159, 161, 167, 332, 334,
338. — Watt, Dictionary, vol. H, p. 566 67. — Koyle, The
pbrous Plants of India, p. 251-311.
2. Sanseviera zeylanica Willd. — Asialic ResearchcSj vol.
IV, p. 271.
356 LKS PUNTKS CHEZ LES HINDOUS
Manou recommandaient de tresser la ceinture d'un
kshatriya*. Dès longtemps aussi on s'est servi des
fibres solides que renferment en quantité les feuilles
du bananier et celles du vaquois — ketakt — ; on en fait
des cordes, des filets, des nattes*. On fabrique, avec
les feuilles battues et tressées des Sacchariim sara
et niinja, des liens, qu'on emploie, à cause de leur
solidité, pour attacher le bétail, amarrer les bateaux,
etc. Les feuilles d'une autre espèce de Saçcharum
le S. sponianeum, servent à tresser des nattes'; il
en est de même, dans la région du Nord-Ouest, de
celles des massettes convenablement préparées*. Les
indigènes emploient aussi ces dernières, ainsi que les
feuilles de bananier et du Saçcharum sponianeum j
pour couvrir leurs huttes. Avec celles à'Hedychium
spicaiuniy scitaminée de THimalaya, les habitants de
Simla fabriquent des nattes excellentes''. Les feuilles
du bananier, de la Canna indica, etc., sont également
employées en guise de toile d'-emballage.
Les tiges de nombreuses cypéracées, typhacées et
graminées, servent et. Ton peut l'affirmer, ont, de temps
immémorial, servi aux Hindous à faire les ouvrages
les plus divers de vannerie et même des cordages.
Celles du bhadray patî ou valu ° en particulier sont d'un
1. Livre H, chap. 42, trad. Strehly, p. 27.
2. Koyle, The fibrous Plants of India, p. 79 et 326. On em-
ploie les racines de vaquois aux mêmes usages.
3. Drury, Use fui Plants, p. 371 et 376.
4. Typha angustifolia L., elephantina Hoxb. et latifolia
Willd. — Roy le, The fibrous Plants, p. 35.
5. Watt, Dictionary, vol. IV, p. 207; V, p. 302; Vf, 2,
p. H; VI, 4, p. 207.
6. Phrynium dichotomum Roxb., Maranta dichotoma Wall.
— Roxburgh, Flora, vol. I, p. 2.
LES PLANTES DANS L'INDUSTRIE 357
grand usage. Fendues dans le sens de la longueur —
elles ont de un à deux mètres — en bandes aussi minces
que du papier et d'un millimètre environ de largeur,
on en fait des nattes souples et recherchées pour leur
fraîcheur. Les montagnards do THimalaya emploient
des tiges de YEriophonim cannabinum pour faire des
cordes*. On fabrique des nattes d'une grande finesse
avec les chaumes du ?wrtrf;/rÂ:a/t*. On les divise, vertes
encore, en trois ou quatre et on les tresse une fois
qu'elles sont sèches. Les tiges fendues de VArimdo karka
— imla ou nada — sont également employées pour
faire des nattes et des coussins^. Battues, elles donnent
aussi des fibres, avec lesquelles on tresse des cordages.
Les longues tiges de V Arundinaria falcata servent
dans la région himalayenne à faire des nattes et des
corbeilles. On fait encore des nattes et des cordages
avec les chaumes de VIschaemon anf/itstifotwm^.
Cet emploi des graminées et des cypéracées remonte
à l'époque la plus reculée. C'était sans doute avec
l'une d'elles que les habitants de l'Inde, d'après Héro-
dote", fabriquaient ces espèces de nattes, dont ils se
revêtaient en guise de cuirasse. Dans un hymne du Rig
-Véda, cent nattes de balhnja^ sont données, avec
d'autres présents, à un chantre, en récompense de son
habileté. La ceinture des Vaiçyas était tressée parfois
1. Royle, The fibrous PlanU, p. 3'i.
2. Cyperus Icfjetum Roxb., corymbosus Roltb., Papyrus Pan-
gorei Nées. .— Roxburgh, Flora, vol. I, p. 208. Watt, Dictio-
naryy vol. II, p. 683.
3. Atharva-Veda, lib. VI, 138, 5. — Roxburgh. Flora, vol. l,
p. 347.
'i. Brandis, p. 563. — Watt, vol. IV, p. 527.
5. Jlistoriae, lib. III, cap. 98.
6. Eleusine indica L. — I\ig- Veda, lib. VIII, 55, 3.
35S LKS PLAMKS CHKZ LES HINDOIS
avec des chaumes de la même graminée. Celle des
Brahmanes était faite avec un triple fil de minija ;
mais à défaut de celui-ci, on la tressait avec du kuça,
à défaut de kuça, avec Vaçmanlaka, ou encore avec le
halhaja^. Ajoutons pour terminer que les tiges de Sac-
c/mr^/m.^Y^rû étaient employées pour faire des flèches S
et que les charmeurs de serpents font leurs pipeaux
avec celles de VAriindo karka^.
Parmi les graminées, les bambous surtout — vcuhra^
— ont de tout temps servi aux habitants de Tlnde aux
usages les plus divers. Tenant le milieu entre les plantes
textiles proprement dites et les bois de construction,
ayant la souplesse des premières et la force de résis-
tance des seconds, ils peuvent également les rempla-
cer. Avec leurs tiges on fait indifféremmentdes cannes
à pêche ou des manches de lance, des flèches, des
arcs et des carquois, des mats, des jambages de porte,
des échelles ou des chaises *, des échafaudages et des
théâtres portatifs, des ponts rustiques et des plan-
chers, etc. Les chevrons du toit, qui reposaient sur les
poutres de la maison védique, étaient faits avec des
tiges de bambou*. Découpées en tranches minces, ces
tiges servent encore à fabriquer des nattes, des cor-
1. Vormantaka est inconnu. — Lois de Mnnou, lib. II, 42
et 43. D'après \çvBi\tiyain& (Grihya-Sitirn, F, 19, 12), elle était
en laine.
2. Mharva-Veda, lib. I, 2, 1; 3, 1. — Zimmer, p. 73.
W. Roxburgh, Flora, I. 348.
4. En particulier les Bambiisa arundinacea Retz, tulda et
balcoa Roxb., vulgaris Wendl., etc.; Dendroca/aniK^ s (rictus
et I/nmiltonii Nées ; Thamnocalamus spalhiflorus Munro ;
Arundinaria falcata Nées, racemosa Munro.
5. Mudrârâkshnsa, acte I, trad. L. Fritze, p. 15.
6. Athanm-Vcda^ lib. IX, 3, \. — VAmxa^Ty AUindisches
Lebeiis p. 153.
LES PLANTES DANS LMNDrSTRfE 359
beilles, des stores, même des voiles de bateaux. Gar-
dant, quand elles sont vertes, leur humidité, on en fait
de petites caisses qui conservent frais les objets qu'on
y renferme. Un morceau de tige compris entre deux
nœuds forme une boite naturelle ; c'est, dit-on, dans
une caisse de ce genre qu'étaient renfermés les œufs
de vers à soie qui furent apportés de Chine à Constan-
tinople, sous le règne de Justinien. Avec les tiges de
bambou on fait encore des conduits pour les eaux ; on
les emploie même pour transporter et mesurer les li-
quides; enfin elles servent à fabriquer des chalu-
meaux*.
Les palmiers ne sont pas moins utiles que les bam-
bous. Les rotins* — vetasa — du Siwaliketdes Ghates
occidentales fournissent des cannes renommées ; leurs
tiges flexibles sont employées pour canner les chaises,
faire des lits, des paniers, etc. Fendues dans le sens
de la longueur et tressées, ces tiges servent encore à
fabriquer des nattes, des cordages, même des câbles,
dont les voyageurs vantent la force de résistance, et des
ponts flexibles, mais solides^. J'ai eu l'occasion de par-
ler des usages variés du Nannorhops de Ritchie ; l'utilité
du Borassus flabelliformisy des Corypha umbraculi-
fera et taliera, ainsi que des Livistona Jenkinsiana et
Caryota ureiis, n'est pas moindre, si elle est autre. Les
fibres des pétioles servent à faire des cordes très ré-
sistantes ; les feuilles à couvrir les maisons et à
construire des tentes rustiques ; on en tresse des
nattes, des corbeilles, des chapeaux ; on en fait aussi
1. Drury, Useful Plants, -p, 65.
2. Calamus rotang \^'\\\{\.y fasicalatxis Roxb., etc.
a. Drury, Useful Plants, p. 96. — Watt, vol. II, p. 99.
3ft0 LKS PLANTES CIIKZ LES HINDOUS
des ombrelles légères et des éventails. Découpées en
bandes, séchées et polies, après que les libres en ont
été enlevées, celles du tàla et du Corypha taliera
donnent une espèce de papier presque indestructible,
connu de temps immémorial*.
Le cocotier, qui joue un si grand rôle dans ralimen-
tation, n'est pas moins employé dans Tindustric indi-
gène. Ses feuilles, aux nervures finement entrela-
cées, servent à couvrir les toits ; découpées en lanières,
elles sont employées dans la vannerie; on en fabrique
des nattes, des écrans, même des voiles. Il n*est pas
jusqu'aux fibres — coir — qui entourent les noix, dont
on ne tire parti ; après une immersion plus ou moins
longue dans Teau, on en fait de la bourre, des cor-
dages, etc. Les cables des bateaux qui naviguaient au-
trefois dans la mer des Indes étaient presque exclusi-
vement faits avec des fibres de noix de coco *.
Les tiges de cotonnier, les jeunes pousses de saules,
de bouleau, d'orme, de Bauhinia^ de vignes sauvages ',
d'autres espèces encore, servaient aux mêmes usages
que les fibres des palmiers. On fabriquait avec elles
autrefois, comme aujourd'hui, des ouvrages de vannerie
1. Roy le, The ftbrous Plants, p. 197. — Driiry, Use fui
Plants, p. 8iet 160. — Brandis, p. 545, 5'*9, 550. Il existe des
manuscrits en feuilles de palmier qui remontent au vi* siècle
de notre ère. G. Bûhler, Buddhist Texts from Japan, p. 8 et
Researches on the Ilôriuzi Palm-leaf Mss., p. 66. (Anecdota
Oxoniensia. Aryan Séries, vol. I, part 1 and 3).
2. «oyle, The fibrous Plants, p. 110-115. — Drury, Useful
Plants, p. 150.
3. Salix acmophylla Boiss., daphnoides Vill., Belula hhoj-
pattra Wall., Ulmns wallichiana FManch., Bauhinia antjuina
Roxb., macrostachya Wall., Vahlii W. et A. — Watt, Dictio-
nnnj, vol. Il, p. '.19, V2i, 452: IV, 39: VI, 2, p. 387 et 390 ;
VI, 4, p. 56, 209, 251.
LES PLANTES DANS L'INDUSTRIE 361
(le toute sorte. On construisait même des ponts sus-
pendus avec des branches d'arbres entrelacées. Les
rameaux résistants et flexibles de la Parrotia Jacqiie-
7)iontiana servent de préférence à tous les autres pour
cet usage dans la région himalayenne. Quelquefois ces
ponts ont jusqu'à cont mètres de long; ils se composent
d'une étroite passerelle en rameaux tressés de Parrotia,
avec deux cordes de chaque côté servant de garde-fous
et reliées entre elles par des cordes plus petites. On
remplace parfois les branches de Parrotia par celles
do saules *. On employait Técorce de sapin de Webb
pour couvrir les toits et faire des auges ^ ; avec celle
do micocoulier on faisait des sandales ; Técorce de bou-
leau servait, dans la région himalayenne, de papier k
écrire^ ; on l'employait également pour faire des om-
brelles et emballer des objets grossiers.
Les essences arborescentes, si variées et si nom-
reuses dans Tlnde, offrent aux habitants et leur offraient
encore plus autrefois des ressources inépuisables en
bois de construction. Malheureusement l'absence ou la
pénurie des documents ne nous permet qu'exception-
nellement de dire quelles espèces furent mises autrefois
à contribution. On peut affirmer néanmoins que la plu-
part de celles dont on fait encore usage aujourd'hui
ont été employées de temps immémorial par les Hin-
1. Brandis, Flora, p. 2i6 et 469.
2. Watt, Dietionaryy vol. I, p. 6.
3. Indische Spruche, éd. L. Fritze, n® 200. — Urvaçi, acte
II, p. 27. — Bûhler a découvert dans le Cachemire d'anciens
textes sanscrits, écrits en entier sur des écorces de bouleau.
On fait aussi, mais peut-être seulement depuis cinq ou six
siècles, du papier avec Taubier bouilli et battu du Daphne
papyracea. Brandis, p. 386, 429 et 458. — J. H, A, S. an. 1891,
p. 689.
362 LES PLANTKS CHEZ LES HINDOUS
dous, soit dans Tindustrie du bâtiment, soit pour la
construction des bateaux, les travaux de charronnage,
l'ébénisterie ou la tabletterie.
Si les huttes des peuplades demi-sauvages de l'Inde
étaient — elles le sont encore de nos jours dans plus d'une
province — faites avec des roseaux et des bambous, ces
habitations primitives ne pouvaient convenir aux tri-
bus aryennes qui s'établirent dans le Pandjab ; dès
les temps les plus reculés ils se construisirent des
maisons avec du bois — aujourd'hui encore une partie
des habitants de rHinialçiya n'en connaissent point
d'autres * — et ils s'en contentèrent pendant de longs
siècles. Arrien parle, d'après les historiens d'Alexandre,
des maisons en bois qu'on voyait sur le littoral de
rOcéan indien et près des cours d'eau *. Nous savons
par le témoignage de Mégasthène^ que l'enceinte for-
tifiée de Pàtaliputra — la Palibothra des Grecs — était
faite en planches percées de meurtrières.
La flore indigène fournissait des matériaux pour ces
rustiques constructions, comme elle fournit ceux que
réclamèrent la charpente et l'ameublement des édifices
en pierre qu'on éleva dans la suite. Cèdres, pins, sapins
et mélèzes, cyprèsetautres conifères, bouleaux, ormes
et aunes, chênes et frênes, platanes et micocouliers
du haut et du moyen Himalaya, le sal, « le bois de
charpente le plus important de l'Inde septentrionale w,
le tinisa, le dhaiira et Yharitaki, le selii et le pthia^,
1. J.-A. llogdson, Journal of a survey to the Ileads of (he
Hivers Ganga andJumna. (^Asialic JResearches, toI. XIV, p. 6'i).
2. IndicOy cap. x, 2.
3. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 36.
'i. Ougeiîia dalbergioides Ben th., Anogeissus lalifolia^-Kll,
ot Termtfinlia chcbula Retzius, Cordia myxa L. et Ehreiia
laevis Roxb.
LES PLANTES DANS L'INDUSTRIE 363
etc., de la même contrée ; la çimçapd et le khâr^, les
acacias et albizzias, etc., du Nord-Ouest; le tunna et
le bija, les asana et tiisha *, les ébéniers\ etc. de Tlnde
centrale ; le nâgakeçara, le chikrassi, le jarûl et le
saptapama^y le teck, etc. de la Péninsule, et bien
d'autres encore servirent à la construction des habi-
tations en bois des anciens Hindous et à la charpente
des maisons en pierre qu'ils édifièrent plus tard \
Quelques-unes de ces essences étaient également
employées dans la construction des barques dont ils
se servirent, dès les temps les plus reculés®, pour les
transports fluviaux, et des navires, avec lesquels ils
firent le commerce sur la mer Erythrée, quand ils en
eurent atteint les bonk. A l'origine leurs embarca-
tions étaient de simples troncs d'arbres, creusés de
main d'homme, des radeaux ou des canots, formés de
tiges assemblées de roseaux ou de bambous, tels que
ceux dont parle Hérodote^ ; mais ils ne durent pas tar-
der à construire de véritables bateaux, et ils dé-
ployèrent, il semble, une grande habileté dans ce
genre de travail \ Ce fut grâce à leur concours que
1. Dalhd'ffin siswn Roxb. et Prosopis spicigera L.
2. Cedrela tootui et Plcrocarpus marsupium Uoxb., Termi-
nalia tomenlosa et bellerica Roxb.
3. Diospyros embryopleris Pers., melanoxylon et montana
Roxb.
4. Mesua ferrea L., Chikrassin labularis A. Jus., Lager-
strœmin floi^reginne Roxb. et Alatonia scholaria R. IJrown.
5. Watt, Diclwnan/, vol. IV, p. 300-301.
6. Rig-Vedn, lib. V, 4, 9; IX, 70, 10: X, 155, 3.
7. //t/f/orirt/»,lib.ni,cap.98. — Ri\mnyann, lib. II, ca|). LV, 12.
8. Dans un hymne de Rig Veda (ï, 156) il rst question d'un
navire à cent rames que les Açvins ramènent au port à tra-
vers les flots, et le deuxième livre du Râmàyana (XCVII, 17)
parle de grands vaisseaux bien joints et armés de longues
rames, destinés à la traversée du Gan^e.
364 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Scylax put réunir les vaisseaux, avec lesquels il
visita les cotes de TOcéan indien, et que plus tard
Alexandre construisit la flotte, sur laquelle Néarque
descendit Tlndus et gagna Tembouchure de TEuphrate.
Le conquérant macédonien trouva dans les montagnes
du haut Pandjab les bois nécessaires à son entreprise :
pins, sapins, cèdres et autres arbres, ditStrabon \ qu'il
n'eut qu'à faire couper et amener près dos lieux où
campait son armée sur les bords de Tlndus. Et la
rapidité avec laquelle sa flotte fut achevée est la meil-
leure preuve de l'aide utile que lui prêtèrent, en cette
circonstance, les tribus alliées ou qui lui étaient sou-
mises.
Mais des espèces arborescentes autres que celles
dont parle Strabon devaient être anciennement em-
ployées dans les constructions navales des anciens
Hindous; outre quelques-unes de celles dont il se
servaient dans la construction des maisons, ils em-
ployaient sans doute aussi, sinon toutes, du moins un
grand nombre des bois dont on fait usage de nos jours,
comme ceux des chênes, des conifères de l'Himalaya,
du peuplier de TEuphrate, du pumnâga et du nimba, du
rohituka et du nicula^y de bien d'autres encore qu'offre
et qu'offrait encore plus autrefois la flore indigène.
Elle ne fournissait pas moins d'essences excellentes
pour la construction des ponts, des chars, des instru-
ments aratoires ou des ustensiles de ménage, etc. Les
bois d'aune, de saule et de chêne, de cèdre ou de pin, de
1. Strabon, Geographicn, lib. XV, cap. 1, 29. Cf. Diodore.
Bibliotheca, lib. xVlI, 89, 4.
2. Calophyllum inophyllum L., Melia azadirachia L.,
Amoora rohituka W. et A., Barringionia acutanguln Gaertn.
— Watt, Diclionary, vol. II, p. 126.
LES PLANTES DANS L'INDUSTRIE 365
sal, àftgurâr et de madhûka\ de toun ou de leck, etc.,
servaient, suivant les régions, à faire des ponts. Avec
des troncs du pin élevé creusés, on fabriquait des con-
duits ; on faisait des auges avec le bois du mûrier de
rinde et du peuplier cilié, etc. ^ A l'époque védique le
char de la mariée était construit en bois léger de çal-
mali^. Des bois plus résistants et plus solides, comme
ceux du sitsdl ou rosewood et de la çiriiçapâ, du bîja
et du boja ou ironwood, du jarûl et du dliaura^\ le
bois des asana, haritakî, ttisha et kinjaP, du jujubier
xylopyre, du bhirra ou satinwood^, etc., servaient à
fabriquer les lourdes voitures de transport et les usten-
siles aratoires. Mânasàra recommande de faire le
corps de la charrue en bois de khadira ou de nimba\
On faisait les socs autrefois sans doute, comme
aujourd'hui, avec le bois du tamaris articulé ou de
Gaule, de Kydia calycinay d'Alhizzia amara et de
Soymida fcbrifiigay etc. Les bois de kapitthay et de
bilva, de beli peut -être, de tinisa^, et d'aratu^y etc.,
1. Shorea robusla Gaerin., Alfn'zzia procera Benth., Bassin
latifolia Roxb. — Watt, Diclionary, vol. I, p. 535.
2. Brandis, Flora, p. 410, 476 et 511.
3. Dombax malabaricum L. — Big- Veda, lib. X, 85.
4. Dalbergia latifolia et sissoo Roxb., PLerocarpus marsu-
pium Roxb. et Xijlia dolabriformis Benth., Lagerstrœmia flos-
reglnae Retz, et parvifolia Roxb.
5. Tej'minalia lomentosa Prodr., chebula Retz., bellerica
Roxb. et panicidatn Roth. — - Brandis, Flora, p. 222-227.
6. Chloroxylon swietenin I)C. — Watt, Dictionary , vol. II,
p. 183.
7. Acacia catechu Willd. et Melia azadiravhla L. — Râm
IVaz, Fssay on the architecture of the Ilindus, p. 17.
8. Feronia elephantum Roxb., Aegle marmelos Roxb., Limo-
nia acidissima L., Ougeina dalbergioides Benth.
9. Calosanthes (Bignonia) indica Blume. — Big-Veda, lib.
VIII, 'i6, 27. Watt, Dictionary, s. v. Oroxylon indicum.
366 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
étaient employés pour fabriquer les essieux et les
moyeux des roues; avec le bois de kikar^ ou faisait
des maillets, des jougs avec celui Aojhanghan, de piyàla
et de khâja^, etc., des bêches en bois de pin élevé, des
pieux en pishor ; les bois de divers acacias et albiz-
zias^, du bilva, etc., étaient employés pour faire des
pilons ; avec le bois d'if de l'Himalaya on fabriquait
des arcs, ainsi qu'avec celui de diverses gréwies, du
pishor, etc. *. Ce dernier servait aussi à faire des
hampes de lance, des manches d'outil, etc.
Les bois qui se travaillent facilement étaient employés
pour faire des coupes, des cuillères et autres objets
analogues. La plus grande des trois cuillères du sacri-
fice, la dhruvây était en bois de vikahkata'" \ la petite
cuillère — sruva — qui servait à verser Thuile,
était en bois de khadira*. On faisait en bois de parna'
la cuillère — jtdiù — avec laquelle on répandait sur le
feu le beurre clarifié — ghvita — , comme le couvercle
du chaudron et des vases sacrés. Le bois d'arvattha
était employé pour fabriquer les vases où Ton recueil-
lait lesoma, de même que la cassette du médecin et de
1. Nom hindoui de V Acacia arabica L., qui s'ap})elle aussi
babul dans Tlncie centrale et les provinces du Nonl-Ouest.
2. Odina vodifr Hoxb., Ihiçhannnia lalifolia Hoxb. et
Briedelia retusa Spreng. — Watt, Dictiouarij, voL I, p. l'*5.
3. Acacia arabica et catechu Willd.. Albizzia lebbek Benth.
4. Watt, Dictionary, vol. I, p. 518. Le pishor est IsiParrofia
Jacquemontiann Decaisne.
5. Flacourlia sapfda Uoxb. ou Hamonlchi Hook. On faisait
aussi avec ce bois la coupe âsoma — manlhipàlra. — T. S., 3,
5, 7, 3 et 6. 't, 10, 5.
6. TaiUirxyasamhiin, 3, 5, 7, 1.
7. liulea frondosa , L. — T. S., 3, 5, 7, 2. — Atharva Veda,
lib. XVIII, 'i, 53.
LES PLANTES DANS LMNDUSTRÏE 367
l'herboriste*. Avec le bois de nyagrodhaon faisait les
coupes — camasa^ — et, parfois, avec celui d'udum-
bara, les cuillères du sacrifice. Le bois de ce dernier,
comme celui de bilva, servait aussi à faire les poteaux
sacrés'.
L'ébénisterie et la tabletterie trouvaient dans les bois
durs, aux teintes variées et susceptibles d'un beau poli,
si communs dans Tlndo, les matériaux les plus pré-
cieux*. Outre la plupart de ceux qui étaient employés
dans le charronnage, il faut citer les bois de cèdre, du
cyprès toruleux et d'autres conifères, ainsi que ceux
des érables, du buis, des noyers, des cerisiers et poi-
riers de l'Himalaya; les bois des acacias, en particu-
lier la çamî, du nimba et du sissou, du Nord-Ouest;
ceux des ébéniers^ de Xayuijma^ de Xharttaki^ et
du campaka, de \ Adina cordifolia et des Cordia
Macleodii et Gmelina arborea de la région sous-
himalayenne et des provinces centrales ; les santals
rouge et blanc, le bhlrra, le tunna et le sitsâT — bois
de rose ou bois noir, — enfin les ébéniers* de l'Inde
méridionale, etc. Avec ces bois on fabriquait des meu-
bles de prix, des cofi'rets, des statuettes, etc. Avec
celui de nimba, par exemple, on sculptait les idoles.
Les bois de la Crataeva reli(/losa, de divers gardé-
nias, de l'olivier ferrugineux, de la Schrebera swie-
1. BigVeda, lib. I, 135, 8: X, 97, 5.
2. y. S., 23, 13. — T. S., 7, 4; 12, 1.
3. T. S., 5, 4, 7, 3; 2, 1, 1, 6 et 8, 2. — A, V., XIX, 31, 1.
4. Walt, Dictionary, vol. II, p. 1-2.
5. Diospyros monlana et melanoxylon Roxb.
6. Alslonia scholaris R. Brown, Terminalin chebula Retz.
7. Chloroxylon swietenia DC, Cedrela toona Roxb. et Dal-
bvrgia latifoiia Roxb.
8. Diospyros ebenumKœn, ei chloroxylon Roxb.
368 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
tenioides, etc., étaient employés pour fabriquer des
peignes*. On faisait des cure-dents avec des jeunes
tiges de bétel ', des brosses à dents avec des brindilles
(ï Acacia modesta, des Streblus asper et Tephrosia
tennis, etc. '.
Quelques-uns des bois ouvrables de Tlnde furent, à
une date reculée, connus bien au delà des frontières de
cette contrée. Théophraste, nous l'avons vu, parle de
deux espèces d'ébène qui croissaient dans Tlnde, Tune,
de bonne, Tautre, de mauvaise qualité* ; mais on ignore
en quoi elles différaient au point de vue botanique;
on ne sait pas davantage quels ébéniers Mégasthène
pouvait avoir vus au delà de THypanis*. Quoiqu'il en
soit, le véritable ébène finit par être connu dans l'Oc-
cident; Virgile et Pline le regardaient comme un
produit de l'Inde®; de leur temps, on l'apportait des
ports de la Péninsule en Egypte, d'où il était ensuite
amené en Italie \
Mais, bien avant notre ère, l'ébène de l'Inde avait
aussi sans doute pénétré dans l'Asie antérieure, que
nous trouvons en relations commerciales avec cette
1. Watt, Diciionary, vol. II, p. 515 et s. v. — Brandis,
Floray p. 28, 272, 308, 448.
2. Khadirangàra-Jâtaka. Slories of the Buddha's former
Dirlhs, vol. I, p. 103, n« 40.
3. Watt, Diciionary, vol. I, p. 5'» ; VI, 3, p. 374 et 4, p. 15.
4. Ilisloria planiarum, lib. IV, 4. Comme Théophraste com-
pare les ébéniers dont il parle au cytise, il semble qu'il ail en
vue un Dalbergiay non un Diospyros.
5. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 37.
6. Georgica, lib. II, v. 117. — Ilisl. naturalisa lib. XII, cap. 9.
7. Peripius maris Erythraei, cap. xxxv. L ebène, importé
en Étrypte, venant de l'Inde méridionale, devait être le Dios-
pyros ehenum.
LES PLANTES DANS L^NDUSTRIE 369
contrée depuis l'époque la plus reculée*. Il ne fut pas
le seul bois de la Péninsule qui y fut importé; j'ai
eu occasion de rappeler que la ville de Siraf sur le
golfe persique avait été construite en bois de teck' ; il
semble qu'on l'apportait aussi de Barygaza dans les
ports de la mer Rouge ; peut-être dans les ^aXi^T^v
aa^raiJLivwv du Périple faut-il voir, non des blocs ou des
poutres de sycomore — auxaixivtvwv, — comme Ta
prétendu Fabricius^ mais des poutres de teck — cay-a-
IJL(va);, de çdka (sâka), nom sanscrit de cet arbre.
Il peut paraître oiseux de mentionner de quels bois
les habitants de Tlnde faisaient leurs bâtons ; il faut
en dire un mot cependant, puisque les législateurs de
ce pays n'ont pas dédaigné de prescrire les essences
auxquelles il fallait les demander. D'après les lois de
Manou*un brahmane devait de préférence porter un
bAton de bilva ou de palâça ; un kshatriya en devait
avoir un de vata ou de khadira ; le bâton d'un vaiçya
devait être, au contraire, en bois de pilu" ou d'udum-
bara. Une fois sorti de noviciat cependant un brah-
mane pouvait se contenter d'un bâton de bambou. Dans
Çakuntalà, le chambellan paraît sur la scène un bambou
à la main. Dans le Mahâbhârata, un bâton de bambou
est donné à Vasu par le vainqueur de Vritra, « comme
1. Bùhler, Indian Antiquary, vol, xi (1882), p. 270. — Tiele,
Babylonisch-Assyrische Geschtchle. Gotha 1886, 8», p. 605. —
Jos. Dahlmann, Das Mahâbhârata nls Epos, Berin. 1895,
8", p. 189-192.
2. Voir livre I, chap. 2, p. 109.
3. Der Periplus, p. 75. — Cf. La Flore de VInde, p. 40.
4. Livre II, 45. trad. Sirehly, p. 28.
5. Salvadora persica L. D'après Açvalàyana, I, 19, 13, le
bâton d'un brahmane devait être en bois de palâça, celui d'un
kshatriya, en udumbara, enfin celui d'un vaiçya en bois de
JORET. — Les Plantes dans l'antiquité, ïï. — 24
370 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
insigne que la fonction des rois est de punir et de
défendre' ».
Les arbres ne fournissent pas seulement les maté-
riaux employés dans la charpente, le charronnage,
Tébénisterie et les autres métiers, ils donnent encore
le bois de chauffage nécessaire aux usages domestiques
et aux cérémonies religieuses. A l'occasion on demande,
et on demandait sans doute autrefois, comme aujour-
d'hui, à tous les arbres ou arbustes le combustible dont
on avait besoin ; mais en temps ordinaire on brûlait de
préférence, on le comprend, les bois impropres aux
travaux industriels *. D'autres, tout en y pouvant ser-
vir, étaient employés, à cause de la grande quantité de
chaleur qu'ils donnent ou de la qualité supérieure du
charbon qu'ils fournissent*. Des raisons d'un autre
ordre, qu'on entrevoit à peine, avaient présidé au
choix des bois destinés au feu des sacrilSces ; c'était à
l'époque védique raçvattha, le nyagrodha, l'udumbara
bilva. Pârâskara, II, 5, 26-27, lui, attribue auràjanya — ksha-
triya — un bâton de bilva, au vaiçya, un bâton d'udumbara. —
lihavabhùti, Uttararâmacarila, acte iV, donne au jeune guer-
rier Lava un bâton de pippala — Ficus religiosa.
1. Acte V, scène 3. — Adi-Parva, 2350.
2. Par exemple les Xylosma longifolium Clos, Balaniles
Roxburghii Planch., Boswellia Ihurifera Col., Grislea tomen-
tosa Roxb., Sonneratia acida L., Rhododendron arhoreum Sra.,
Ardisia humilis Vahl., Myrsine africana L., Periplocn nphylla
Dec, Premna mucronala Roxb., etc. Brandis, p. 19, 59, 61,
238, 242, 281, 286, 287, 330, 366. etc. — Watt, Dictionart/,
vol. III, p. 452-53.
3. Comme le jhavûka — Tamarix gallica L. ou indien Roxb.
— le kihar — Acacia araôioa Willd., — le kajidi — Prosopis
xpicigpra L. — Brandis, p. 21, 170, 181. Il est question de
charbon d'acacia dans le Khadirartga-Jâtaka, Stories of the
Buddhn's former Births^ vol. I, p. 104, n^ 40.
LES PLANTKS DANS U PARURE 371
et le plaksha, ainsi que le viknnkata, le vibhtdaka *
et l'incertain târshtôgha. On se servait aussi du bois
de certains arbres pour s'éclairer ; tels, par exemple,
le jujubier pyrocarpe et le pin élevé*, etc., dont les
branches ou le bois font d'excellentes torches. Les
tiges velues de la Gerbera lanuginosa étaient employées
en guise d'amadou '.
III
Les plantes n'ont pas seulement leur place — et
nous avons vu combien elle est grande — marquée
dans l'alimentation; elles ne sont pas seulement les
agents les plus actifs de l'industrie ; elles sont encore
— elles l'étaient surtout chez les anciens Hindous —
associées à tous les actes de la vie ; il n'en est pres-
que aucune qui n'y ait eu part. C'est ainsi que les
graines do quelques espèces servaient de poids, surtout
dans le commerce de l'orfèvrerie ; le plus petit poids
végétal était la graine de moutarde noire, puis venait
celle de la moutarde blanche, considérée comme trois
fois plus lourde; six graines de celle-ci avaient pour
équivalent un grain d'orge moyen ; trois grains d'orge
moyens pesaient un krishnala — graine de gunia^
— et cinq graines de guhja, un mâsha'^\ quatre graines
1. Flacoitrtia sapida ou Halmonlchi L'Hér., Terminait a
bellerica Hoxb. — Ziramer, Altindisches Lehen, p. 60-63.
2. Brandis, Flora, p. 90 et 512.
3. Walt, Dirtionary, vol. III, p. 490.
4. Abrus precatoriux L. Une graine d'Abrus s'appelait aussi
raktikAy hindoui relli, elle est aujourd'hui considérée comme
l'unité de poids. Drury, Use/'ul Platits, p. 338.
5. Lois de Manon, livre VIII, 133 et 134.
372 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
de guûja équivalent encore aujourd'hui à une graiae
de kucandana\
Les graines brillantes de diverses plantes, servaient
aussi d^ornement et de parure ; ainsi avec les graines
de gunja, de kucandana et de Canna indica entre
autres, on fabriquait des bracelets ou des colliers; avec
les noyaux polis et percés de Reptonia biixifolia, de
rudraksha, deguvàka', de Nannorhops deRitchie, etc.,
on fabrique et on fabriquait autrefois des rosaires '. Les
feuilles aussi trouvaient leur emploi ; sèches ou même
fraîches, elles servaient de couche aux anachorètes^;
avec les feuilles larges et rigides de divers arbres ou
arbustes on faisait des ombrelles et des éventails ^ ; on
en employait d'autres, — celles par exemple A'arush-
kâra, de piyâla, de palâca ou parna*, de marwâry
etc., — en guise d'assiettes. Les feuilles rudes et ru-
gueuses des Ficus asperrima, cunia et gibbosa', et du
Streblus asper servaient à polir.
Mais c'était des fleurs surtout que les Hindous fai-
saient usage dans la vie ordinaire. Elles étaient Tac-
1. Adenanthera pavom'na L. — Brandis, p. 168. — Drury.
Use fui Plants, p. 16. Le mâsha est le Phaseolus Roxburghii
ou radia tus L.
2. Eleocarpus ganilrus L., Areca catechu L.
3. Brandis, Forest Flora, p. 43, 139, 148, 237, 549, 551. —
Watt, Dictionary, voL I, 430-433.
4. liâmàyana, lib. ï, cap. xxvi, 1 ; H, cap. .xliv, 14.
5. Par exemple avec les feuilles de marwâr (Bauhinfa
Vahlii W.-A.), de tâli (Jlorypha umbraculifera L), de Nan-
norhops de Ritchie. Avec celles de marwàr et do Cochlnsper-
num gossypium on faisait aussi des chapeaux et même des
soufflets.
6. Semecnrpns anaeardium L., Buchanania latifolia Roxb.,
Bulea frondosa Roxb.
7. Watt. Dictionary, vol. lïl, 350 ; VI, 3, 374.
LES PLANTES DANS LA PARURE 373
compagnement obligé de toutes les fêtes et de toutes
les réjouissances. Dans les circonstances solennelles,
les rues, après avoir été arrosées, étaient jonchées de
fleurs ; les palais étaient ornés de guirlandes de fleurs.
Des festons en décoraient les plafonds; des fleurs en
diapraient le sol *. Dans les sacrifices on en parait
même la victime*. Elles jouaient surtout un rôle con-
sidérable dans les fêtes du mariage. Le char de la
mariée était orné de fleurs écarlates de kimruka'.
Des fleurs variées embellissaient aussi sa toilette, c'est
ainsi que des pousses de dûrvâs, entremêlées de
jeunes sinapis, relèvent Téclat de la tunique d'Umâ,
et qu'une guirlande de madhûkas, dont les fleurs
blanches se mariaient aux dùrvâs, ceignent ses che-
veux*. Le paranymphe avait une couronne de fleurs
sur la tête. Les amis chargés par le prétendant de
demander la main de la fiancée, en portaient aussi \
Des couronnes de fleurs étaient la récompense
des anciens aèdes. Dix couronnes sont données à
Tun d'eux par le chef des Ruçama*. Dans le premier
Jàtaka, un farfadet se présente au marchand qu'il veut
tromper, les cheveux ornés de fleurs de lotus, ainsi
1. Rdmâyatfa, lib. I, cap. Lxxvnr, 16, 17 ; lib. H, cap. v,
17. — Nâla et Damayanti, chant 25. — Lalita Vistara,
chap. XV. — MafiAbhArala. Adi-Parva, 7996, etc. — The Pahi
iings of Ajan(â. Cave I, pi. 13, 19, etc.
2. Bdmâyaf.m, lib. I, cap. xiii, 32.
3. Butea frotidosa Hoxb. — /?. V., lib. X, 85, 20.
'i. Kuînâra-Sambhava , lib. VII, 7. De.s fleurs blanches
d' Ifolarrhena dyaenierica ont dû aussi dès longtemps servir
de parure aux fiancées. Brandis, p. 336.
5. Big-Veda, lib. IV, 38, 6.
6. Atharva-Veda, lib. X, 127, .\. 3.
374 I.KS PLANTKS CMKZ LtS IIIMiOUS
que les gens de sa suite*. D'après les lois de Manou,
une couronne de mùrvà* était l'insigne des guerriers.
Le chef de famille avait la tête ceinte d'une guirlande
de fleurs, quand il traçait le premier sillon de son
champ ^. On en ornait même les animaux. Dans le
Nandi- Visàla-Jâlaka, le brahmane fait mettre au cou
de son taureau une guirlande de fleurs \
Tous les héros et les héroïnes de Tépopée et des
drames hindous se parent de fleurs ou en portent des
couronnes. Le poète du Mabâbhàrata représente les
princes convoqués à la cour de Bhiraa, ainsi que les
guerriers qui les accompagnent, le front ceint de cou-
ronnes brillantes et parfumées. Et Damayanti choisit
Nala pour époux en lui mettant une merveilleuse guir-
lande de fleurs sur les épaules"'. Dans Çakuntalà, les
guerrières de la garde du roi s avancent la tète cou-
ronnée de fleurs des champs ^ Les cheveux de Pàrvatî,
qu'on pare pour ses noces, sont entrelacés de fleurs^.
« J ai, dit un des personnages de Nàgânanda', unecou-
ronnne sur la tête, comme une suivante qui ne me
quitte jamais. » Des fleurs parfumées de keçara, en-
1. Apannaka-Jâtaka. Stories of the Buddhas former Birlhs,
vol. I, p. 5.
2. Sanseviera zeylanica L. — Manou, lib. II, 42 et 44.
3. Mânasâra, ap. Ràm Ràz, Easay, p. 57.
4. S tories of the Buddha's former Births, vol. I, p. 71.
N« 28.
5. A^ala et Damayanlîj chant II. Draupadi choisit de môme
Arjuna pour époux. Adi-Parva, 7059.
6. Acte I, scène 1. Dans la version bengah'e, suivie par Ber-
gaigne, c'est le roi qui porte une couronne de fleurs cham-
pêtres.
7. PârvatVs Ilochzeil. Ein indisches Schauspiel, ûbersetzt
von K. Glaser. Triest, 1886, in -8», p. 32.
8. Acte 111, trad. Bergaigne, p. 59.
LES PLANTES DANS LA PAHIJBE 375
trelacées à celles d'atimukta, embellissent le sein de
MàlatiV Çakuntalà porte autour du cou une guirlande
de fibres de lotus, qui brille sur sa poitrine, dit le roi
Dushyanta, comme les rayons de la lune d'automne*.
Kàlidàsa représente Urvaçî parée d'une guirlande de
fleurs, dont le soulèvement incessant trahit Tagitation
de son cœur. Et Purûravas reconnaît sa trace aux
pétales de kadamba tombés de sa chevelure ; il parle
des fleurs de jasmin tressées dans ses cheveux, de
celles de mandàra qui les parfument, et il loue la
reine repentante de n'avoir d'autre parure que les
tiges sacrées de dûrvâ mises dans sa chevelure \
Les anciens poètes de Tlnde aiment à rappeler cet
emploi que les femmes faisaient des fleurs, comme
d'un élément indispensable de leur toilette. Ils nous
les montrent, suivant les saisons, mettant dans leurs
cheveux, des fleurs d'açoka, de mandâra ou de jasmin;
se parant de couronnes de kadambas, de keçaras ou
de campakas fraîchement éclos, de ketakls entrela-
cés avec des mâlatls aux fleurs nouvellement épanouies
ou avec des yuthikas au calice à peine entr'ouvert ; ou
encore s'attachant aux oreilles des fleurs d'açoka, de
bakhuba, de kadamba, de çirîsha, de lotus bleu ou
de karnikâra*, parfois même des épis d'orge \ Qui hé-
siterait, par crainte des abeilles, dit un personnage de
Màlavikà et Agnimitra% à mettre à son oreille une
branche fleurie de manguier? Et nous voyons l'héroïne
1. Màlafi vl Mâdfiavn, acte V, trad. L. Fritze, p. 57.
2. Çakuntalf'tj acte VI, scène 5, trad. 11. C. Kellrier, p. 88.
3. brvaçi, acte lïl et IV, trad. L. Fritze, p. 12, 43, 60, 64,65.
4. Riiu-Samhàra, chant II, 21 et 25; III, 13 ; VI, 6.
5. Kumâra-Samhhava, VII, 17. — Baghu-Vamçay IX, 42.
6. Acte m, trad. L. Fritze, p. 31).
376 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
de la pièce se faire un pendant d'oreille d*un rameau
d'açoka, qu'elle a cueilli dans le jardin royal. Dans le
drame de Mricbhakatikà*, Vasantasenâ parait aussi
sur la scène, une fleur dekadamba à l'oreille.
Les femmes aimaient à cueillir elles-mêmes les
fleurs dont elles se paraient et elles savaient les
arranger avec goût; elles s'y exerçaient dès leur jeu-
nesse. Parmi les soixante-quatre arts que devaient,
d'après le Kàmasûtra*, apprendre les jeunes filles,
figure celui de faire les différentes espèces de cou-
ronnes, ainsi que l'art de disposer d'une manière
agréable des fleurs de couleurs diverses et de dessiner
avec elles et des grains de riz des figures sur le sol.
11 y avait d'ailleurs aussi, chez les Hindous, des fleu-
ristes — mâlàkàras\ — « bouquetières » ou « guir-
landières », dont le métier ordinaire était de tresser
des couronnes et de faire des bouquets. Onvoitsur des
fresques d'Ajantà des suivantes, qui portent des fleurs
de nymphéa et de lotus dans une espèce de bassin
oblong*. Dans ÇakuntaU, l'amie de Théroïne, Ana-
snyà, attache à une branche de manguier des fleurs
de keçara renfermées dans une noix de coco \
Les élégants ne recherchaient pas les fleurs avec
moins de passion que les femmes ; des guirlandes
d'amarante jaune étaient suspendues dans leurs cham-
bres ; des fleurs recouvraient les bancs en terre de
1. Acte V, scène 5, trad. H. C. Kellner, p. 109.
2. Das Kàmasûtram des Vdtsynyana, iibersetzt u. hergg.
von Richard Schmidt. Leipzig, 1897, iii-8», p. '#3, 45. et 'i6.
3. Cullaka-Setthi-Jâtaka. Stories of the BuidIuCs former
Births, vol. 1, p. 19. N» 4.
4. J. Griffiths, Tke paintings of Ajan^ù, p. 18, fig. 53 Cave
I, pi. 14 et 16. Cave II, pi. 31. Un nain môme en porte, pi, 34.
5. Çakunlalàj acte IV, scène 3, trad. L. Fritze, p. 54.
LES PLANTES DANS LA PARURE 377
leurs parcs ; le matin, au moment de sortir, ils se met-
taient une couronne sur la tète; ils en portaient même
une pendant la nuit \ Une fresque dWjantà nous mon-
tre un dandfj qui s'avance, tenant une fleur de lotus à
la main. D'autres personnages en portent aussi*.
L'emploi des parfums, si général de nosjours, n'était
pas moins répandu dans Tlnde ancienne. On brûlait,
dans les fêtes, de Tencens et des parfums exquis dans
les rues et sur les places publiques '* ; on répandait dans
les maisons des eaux de senteur et de la poudre de
bois de sappan ou des racines aromatiques de cur-
cuma, de kachûr et peut-être aussi, comme aujour-
d'hui, de souchet odorant*. Les femmes hindoues fai-
saient un usage conshint des parfums; elles s'oignaient
les cheveux avec de Thuile de nard, d'urîra ou vétiver
et de rusa ghAz '\ qui passent pour les faire pousser.
Elles les lavaient peut-être également, comme de nos
jours, avec une décoction de feuilles de sésame ou
à'Albizzia amara^. Elles s'oignaient aussi le corps
avec de l'huile aromatisée de sésame^ et les seins avec
du santal*, puis elles les frottaient avec de la poudre
1. Dos KAmasûtram, p. 58 et 61.
2. The paintings ofAjanfâj p. 39. Cave XVII, pi. 88. Cave
I, pi. 13, 16, 19.
3. BâmAyana, lib. Il, chap. v, 17; C, 31. — Mahâbhârala.
Adi-Parva, 7996.
4. Le kachûr est V fledychium spicatum L., le souchet
odorant, le Cyperus rotundus L. — Roxburgh, Flora, vol. I,
p. 198. — Watt, vol. IV, n^ 207.
5. Andropogon muricalus Retz, et schœnanlhus L.
6. Watt, Dictionary, vol. III, p. 86.
7. PârvatVs Hochzeit, acte IV, p. 30.
8. BUU'Samhàra, I, 4 et 6; III, 20. — Amaru, Anthologie
erotique. Trad. Apudy. Paris, 1831, in-8o, XXIIl, p. 42. —
Mahâbhàrata^ Vana-Parva, 1824.
378 LES PLANTES ClIf^iZ LES HINDOUS
de lodhra* ou d'aguru'. Un des signes caractéristiques
de leur condition ^ les femmes mariées se coloraient
les bras, et parfois aussi la poitrine, avec du safran ^.
Elles se fardaient aussi le visage avec le pollen rou-
geàtre des tleurs de lodhra, mêlé àlapoudre d'un jaune
brillant de la gorocami*. Enfin, elles se teignaient les
doigts et les ongles des pieds, que leurs chaussures
laissaient à découvert, avec de la laque*. On voit dans
Mùlavikâ et Agnimitra une des suivantes de la reine or-
ner le pied de Màlavikâ de dessins à la laque artistement
tracés". Les anciens textes ne parlent pas du henné;
maison adii sans doute assez anciennement faire usage
de ses feuilles broyées pour colorer la peau des mains
et des pieds. Pétries avec du cachou, elles forment
une pâte que Ton applique toute fraîche le soir, avant
de se coucher, et qu'on enlève en se levant ; la couleur
reste jusqu'à ce que la peau se renouvelle*.
Les hommes faisaient aussi usage des parfums. Les
Védas nous montrent les Maruts s'oignant d'onguents
brillants '. Le Gîta-Govinda représente Hari tout oint
I. Rilu-SamhAra, lib. H. 22.
X. Bois d'aloès — Àquilaria agalloeka Hoxb.
îl. D'après Shakar Pandit. (Irvari, trad. L. Fritzp. p. 'i5,
note. Lés autres si'jnes étaient un bandeau rou;^p et un collier
de perles.
'i. PàrvalVs IJochzeil, 3iCie \', p. 31. — GUa-Govinda, lib. I,
2, 8. ; XI, 11 et 12. — BhngàmtaPurânOy lib. X, cap. Il, 32.
5. MephadtUa, strophe 65. — Mudràrâkshasa, acte V,p. 110.
— KumàraSambhava, VII, 17.
6. PârvalVs flochzeil, acte V, p. 31. — Rilu-Sattihàra,
lib. I, 5. — GUa-Govinda, lib. X, 7.
7. Acte III, trad. L. Fritze, p. 35.
8. Roxbur^h, Flora, vol. II, p. 259.
9. Bifj'Veda, lib. I, 6'i, 'i ; X, 78, 1.
LES rUNTKb DANS LA PAKUÏIE 37Ô
de santal*. On parfumait les hôtes auxquels on voulait
faire honneur *. Ceux qui se piquaient de galanterie
surtout faisaient usage de parfums. A la tête du
lit des élégants, une place était réservée pour les
onguents et les couronnes de la nuit; là se trouvait
aussi un vase rempli de parfums, de Técorce de citron
et du bétel tout préparé^. Le matin, ils s'oignaient
d'huile de senteur, après avoir brûlé dans leur chambre
du bois d'aloès ou une autre substance odoriférante ;
et avant de sortir, ils croquaient, pour se parfumer la
bouche, une pastille aromatique et y mettaient une
boulette de bétel *. Depuis une époque reculée Tusage
de ce stimulant était devenu général et sa composition
était un art. Pour le préparer, on enveloppait dans une
feuille de cette pipéracée une noix d'aréquier coupée
en tranches minces, avec quelques grains de carda-
mome ; plus tard on y a ajouté un peu de camphre.
On laissait le tout Inacérer avec de la chaux, avant de
le mâcher. Le bétel colore en rouge les lèvres et les
dents ; mais quand on en cesse Tusago pendant quelque
temps, celles-ci prennent une couleur livide'. Il n'en
était pas moins avidement recherché et on lui attri-
buait les vertus les plus grandes. « Le bétel est pi-
quant, dit un poète*, amer, chaud, doux, salé et astrin-
gent ; il éloigne la mauvaise odeur de la bouche et en
est la parure. »
i. Gita-Govinda, I, 38. Le roi, dans Urvaçî, acte 111, p. 41,
parle aussi du santal dont son corps est oint.
2. E. Burnouf, Introduction à r Histoire du Buddhisme
p. 249. Pîtha-Jàtaka, Stories, vol. III, p. 79, n° 337.
3. Das Kdmasûtram, p. 58.
4. Das Kâmasûtrarriy p. 61.
5. Bohlen, Das alte Indien^ vol. II. p. 173.
6. BÔhtlingk, Indische Sprùche, n® 2356.
380 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Les hommes ne prenaient pas moins de soin de leur
barbe que les femmes de leur chevelure* ; ils Toignaient
de parfums et se la teignaient avec diverses substances
destinées à lui donner plus de lustre. Ils se teignaient
sans doute aussi les cheveux en noir, comme on le
fait aujourd'hui*; ils les oignaient d'huiles parfumées.
Une coutume singulière était celle qu'avaient les
anachorètes de s'oindre les cheveux d'une substance
visqueuse, du jus de nyagrodha par exemple, et de les
tresser ensuite en une seule natte'. Les élégants se
fardaient comme les femmes, et comme les femmes
aussi, ils se coloraient les lèvres et jusqu'aux pieds
avec de la laque*. Dans le Haghu-Varhça, poème attri-
bué à Kàlidàsa, on voit le roi fainéant Agnivarna offrir
à la vénération de ses sujets son pied brillant du fard
qui en teignait les ongles ^
1. Strabon, lib. XV, cap. 1. 54. — Arrien, Indica, cap. xvi.
2. Dans le Pandjab on se sert à cet effet des noix de galles
du chêne. Brandis, Flora, p. 481.
3. l^ne jatâ. — Ràmâyanay lib. II, cap. ui, 2-3.
4. Das KâmasHlram, p. 61.
5. Chant XIX, strophe 8.
CHAPITRE IV
LES PLANTES DANS l'aRT ET DANS LA POESIE
ï
Les plantes n'occupaient pas une moindre place dans
Tart que dans Tindustrie des anciens Hindous. C'est
au monde végétal qu'ils ont demandé d'abord -^ on le
fait encore aujourd'hui dans certaines régions * — les
matériaux nécessaires à la construction de leurs de-
meures ; c'est le monde végétal aussi qui leur a fourni
quelques-unes des formes architecturales de leurs édi-
fices et une partie des motifs de décoration dont ils
les ont embellis.
La maison des anciens Hindous était d'une grande
simplicité ; quatre piliers, dressés aux quatre angles et
reliés à leur partie supérieure par des poutres, sur
lesquelles reposait le toit, composaient, avec des so-
lives, qui les soutenaieut en s'arc-boutant contre eux,
la carcasse des murs, dont les vides étaient remplis
avec des roseaux, de la paille ou de la terre. Au milieu
de Tune des faces, des piliers moins élevés, surmontés
1. Par exemple dans la région de l'Himalaya. William Simp-
son, Some suggestions of origin in Indian Architecture. (The
Journal of the Asiatic Society. London, 1888. New Séries,
vol. XX, p. 49).
382 LES PUNTFS CflEZ LES HÎNHOUS
d'un linteau, formaient Tencadrement de la porte K
Telle était l'habitation des temps védiquos et telle elle
resta pendant de longs siècles dans les pays de plaine
et surtout de montagne ; plus tard elle prit dos formes
architecturales plus complexes ; on lui donna plusieurs
étages; dans les villes, les demeures des grands
s'embellirent de colonnades, d'arcades, de poi'tiques et
s'ornèrent de sculptures ; malheureusement nous ne
pouvons dire quelle était la nature de ces décorations,
puisque toutes les constructions de cette époque primi-
tive ont disparu sans laisser de trace, et les descrip-
tions que les épopées nous donnent des palais royaux
sont peut-être trop récentes, pour que nous puissions
rien conclure de leur état véritable. Quant aux édifices
du culte, ils ont été inconnus de l'Inde des Védas; la
religion naturaliste, ainsi que les conceptions philo-
sophiques des rishis, n'étaient pas favorables aux arts-;
aucun monument religieux ne paraît avoir été élevé à
Tépoque où elles dominèrent.
Il en fut autrement à l'époque du brnhmanisme ;
il en fut autrement surtout à colle du jainisme et du
])Ouddhisme. Le culte dont le fondateur de cette der-
nière religion fut bientôt l'objet rendit nécessaire
la construction d'édifices qui lui fussent appropriés.
Peu nombreux à l'origine toutefois et vivant dispersés,
les sectateurs de Çàkyamuni durent se contenter
d'abord de simples édifices en bois pour leurs réunions ;
de simples tumulus en terre aussi conservèrent seuls,
dans les premiers temps, le souvenir des lieux sanc-
1. Zimmer. Altmdiftches Lehm, d. 153. — Wallis, Thff cos-
mology of the lUg-Vcda. Iiondon, 1887, in-8*», p. 17.
2. Albert Grùnwedel, iÎM(/rf/n'.s7i*so/u? Knuat in Indieu. Berlin,
2« Aufl., 1900. in-12, p. 5 et 11.
LES PLANTES DANS L'AUT 383
tifiés par la présence du Réformateur. Tout changea le
jour où Açoka eut reconnu officiellement la religion
nouvelle. Non seulement les monuments du culte' se
multiplièrent de toutes parts sur le sol de Tlnde ; mais
les fragiles constructions en bois du passé firent place
à de solides monuments en pierre ; les grossiers tu-
mulus en terre furent remplacés par d'élégants édi-
fices ; avec ceux-ci prit véritablement naissance l'archi-
tecture hindoue, civile, comme religieuse* ; mais toute
nationale qu'elle est par ses origines et son inspiration,
elle n'en porte pas moins des traces d'imitation étran-
gère.
L'époque de la fondation du bouddhisme est celle
même où Tlnde sortit de l'isolement, dans lequel elle
avait vécu depuis l'occupation du Pandjab et de la
vallée du Gange par les tribus aryennes. Çâkyamuni
vivait encore, quand Darius pénétra dans le bassin de
r Indus et réunit à ses états le pays des Gandhariens
— la vallée inférieure du Kophès — et celui des Hin-
dhu, c'est-à-dire la contrée voisine du Sindh moyen *.
En 326, Alexandre, à son tour, s'empara du Pandjab
occidental; ce fut une conquête éphémère, il est vrai;
mais si les rois de Syrie, qui héritèrent des provinces
orientales de son empire, ne purent les conserver, ils
n'en restèrent pas moins en rapport avec les souverains
du Magadha. Açoka, dans ses inscriptions, parle des
1. Cette manière de voir a été combattue par le P. Jos.
Dahlmann: «Quand le bouddhisme, dit-il, prit rarchitecture
à son service, celle-ci était déjà arrivée à un haut degré de
développement. » (Duddha, FAn Ctillurbild des Ostens, Perlin,
1898, in- 8, p. 167). Malheureusement cette affirmation suppose
que toutes les descriptions du Mahâbhàrata et du Ràmàyaça
sont également anciennes, ce qui est précisément en question-
2. V^oir plus haut, livre II, chap. i, p. 233.
38i LES PU.XTKS CHEZ LES HI!«[)ULS
traités qa*il fit avec Tun d*entre eux et les autres princes
grecs*. L'établissement, vers 180, dans la Bactriane
d'une dynastie hellénique, dont la domination finit
par s'étendre jusqu'à la presqu'île de Goudjarat, loin
de les interrompre, ne fit que rendre plus étroites encore
les relations de Tlnde avec TAsie antérieure, et de
celle-ci avec l'Inde. Le plus célèbre des rois de cette
dynastie, Ménandros, — le Milinda des auteurs hin-
dous — parait avoir embrassé le bouddhisme^. L'as-
servissement de la Bactriane, plus tard du Pandjab,
par les Touraniens Yue-chi ne mit pas fin aux rapports
de rinde avec l'Occident ^. Les envahisseurs subirent
l'influence des peuples qu'ils avaient subjugués ; Ka-
nishka, l'un de leurs rois, fut un protecteur fervent du
bouddhisme, et les arts de la Grèce furent, comme la
science hindoue, en honneur à sa cour et à celle de
ses successeurs.
C'est au milieu de ces relations avec l'Asie occiden-
taie que l'architecture et la statuaire de l'Inde se sont
développées et ont pris leur forme définitive. Après la
période archaïque*, qui en précéda l'épanouissement
et dont il ne reste aucun monument, mais dont on peut
affirmer qu'elle connut et pratiqua l'art de sculpter le
bois*', parut une première école, l'école indo-arienne,
qui emprunta à l'architecture de la Perse quelques-uns
1. E. Senart, Lex inscriptions de Piyadasi, vol. I, p. 310,
xnr- édit.
2. Plutarqiie, Praecepla gerendae reipuhlicae, XXVIII, 8. —
A. Grùnwedel, Buddhisliscke Kunst, p. 75.
3. James Fergusson, llistory of Indian and Eastem Archi-
tecture. I-ondon, 1899, in-8^, p. 27 et 7'i.
4. A. Cunningham, Archaeoiogical Survc^y vol. III (1875).
liondon, in-S^, p. 2.
5. A. Grùnwedel, Buddhisliscke Ktinnt, p. 28.
LES PLANTES DANS L'ART 385
de ses procédés et de ses formes caractéristiques ; ce
sont les artistes de cette école qui ont élevé lesstam-
bhas contemporains d'Açoka et construit les stupas de
Baruhat — Bharhut — , deSAncî — Sànchi — , de Bud-
dha ou Bodh-Gayà et en partie dWmaràvatî. Plus tard,
à l'époque des Yue-chi, prit naissance une école nou-
velle, Técole gréco-bouddhique ou du Gandhàra*, qui
emprunta à Tart classique quelques-unes de ses formes
architecturales et dont les premiers artistes, venus de
TAsie occidentale ou même de la Grèce ^ fournirent
aux statuaires de l'Inde des types jusque-là inconnus'.
Née sous Tinfluence du bouddhisme, Tancienne ar-
chitecture hindoue est essentiellement religieuse, et
nous n'en connaissons, à part les stambhas d'Açoka,
que dos monuments d'un caractère religieux. Ce n*est
pas sans doute qu'elle n'ait élevé aussi des édifices
profanes, mais aucun d'eux n'est resté. A en juger par
les dessins qu'on voit de quelques-uns d'entre eux sur
1. M. E. Senart, Notes (Vépxgraphie indienne, \\\ (1890),
p. 'i2, place au milieu du ii" siècle de notre ère l'époque où
fleurit l'école de Gandhàra, et il croit. que les premiers monu-
ments n'en remontent pas plus haut que le P"*. C'est aussi
l'opinion de M. A. Foucher, Uart bouddhique d'après un livre
récent. Paris, 1895, in-S®, p. 11.
2. A. Grûnwedel, Buddhislische Kunst, p. 79 et suiv. —
M. V. A. Schmidt a prétendu que c'était de l'art romain, non
de l'art grec, que relevait l'école de Gandhàra, assertion qui
a été acceptée, mais sans être appuyée d'arguments nou-
veaux, par M. William Simpson. — Schmidt, Gréco-Roman
influence on the Civilisation o fanaient India (./outrai of the
Asialic Society of Bcngal, vol. LVIII (1889), 1, p. 107-197). —
Simpson, The classical influence in the architecture of the
Indus région (Journal of the royal Institule of British Archi-
tects, vol. I (1893), p. 93-112).
3. A. Foucher, L'art bouddhique, p. *7. — Id., Sur la fron-
tière indo-afghane, p. 48.
JORET. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 25
386 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
le slûpa de Bharhut, ils n'offraient rien de particulier ;
le palais des Devas — Vijayanta Prâsâda — , par
exemple, avec ses trois étages*, ses fenêtres cintrées
et garnies de balustrades, ne diffère guère d'un
caitya que par ses moindres dimensions. Dans son
Histoire de Vart, Fergusson a cru inutile d'en parler
et moins que lui encore j'ai à m'en occuper.
On a distingué cinq espèces de monuments dans
l'Inde ancienne: 1° les stambhasy hind. lâts, piliers
ou colonnes de hauteur variable et surmontés d'ordi-
naire d'un emblème religieux ; 2° les stUpas, ang. topes,
qui sont tantôt des espèces de tumulus en pierre, érigés
en commémoration de quelque épisode de la vie du
Buddha, ' tantôt des dagobas — dhâtugarbhasy — cel-
lules destinées à renfermer des reliques du Réforma-
teur ou de quelque saint de sa religion ; 3° les balus-
trades, ang. rai/ings, qui environnent les topes, les
arbres sacrés, etc. ; 4° les caitt/as, ang. ehaityas, lieux
d'assemblée des fidèles, analogues à nos églises ;
5° enfin les vihâras ou monastères, creusés souvent,
de môme que les caityas, dans le roc et formant ainsi
des demeures souterraines, dont l'entrée ou la façade
sont seules visibles au dehors ^
Parmi ces monuments les stambhas, comme les
colonnes des édifices égyptiens ou persépolitains, rap-
pellent par leur forme élancée les troncs d'arbres,
élément principal des constructions en bois. Les stam-
bhas les plus anciens sont ceux sur lesquels Açoka
fit, la 31° année de son règne, graver ses édits. L'un
1. AI. Cunningham, The Slûpa of Bharhut. London. 1879,
in-fol., p. 118, pi. XVI, 1.
2. J. Fergusson, Uistory, p. 50.
LES PUNIES DANS L'ART 387
(les plus remarquables est celui qu*on a trouvé, en
1837, renversé sur le sol à Allahabâd. A part un listel,
le chapiteau a été détruit; il en a été de même de la
base, si tant est qu'il y ait eu une base ; le fût seul est
resté intact. De 1 1 mètres do haut, cylindrique et uni
dans toute sa longueur, il n'offre d'autre particularité
que d'aller en s'amincissant de la base, où il a un
mètre de diamètre, au sommet, large de 72 centi-
mètres *. On dirait le tronc d'un jeune sal. A peine
moins important est le stambha de LauriyaV On peut
rapprocher de ces lâts les piliers monolithes en granit
dressés autour du tope de Thuparamaya dans l'île de
Ceylan; mais ces piliers semblent avoir été quadran-
gulaîres à l'origine; ils le sont restés jusqu'à la hau-
teur de 3 mètres; au-delà, les angles en ont été coupés,
do manière îi leur donner la forme octogonale ^. Un
autre dagobade Ceylan, mais beaucoup plus moderne *,
celui de Laiikaramaya, est aussi entouré de piliers
analogues à ceux de Thuparamaya.
Les stambhas que l'on trouve soit isolés, soit rangés
autour des stupas ou des dagobas, sont en général
d'une grande simplicité de formes ; il n'en est pas de
même des colonnes élevées de chaque côté des portes
des balustrades ou à l'entrée des caityas et des vihâ-
ras, ainsi que des pilastres dressés le long des murs
1. Journal of the Aatalic Society of Bengal, vol. III (1834),
p. 105, pL III.
2. Archaeological Survey of India. Simla, in-8*», vol. I
(1871), p. 73, pi. XXV. Le stambha de Lauriya a 32 pieds 9
pouces de haut, 39 pouces de diamètre à la base et 26 pouces
au sommet.
3. J. Fergusson, Ilistory, p. 192 et 194, fig. 101 et 102.
4. Il a été bâti Tan 221 après notre ère, le stambha de Thu-
paramaya, 250 avant.
388 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
de ces derniers monuments pour en cacher la nudité.
Ils présentent la plus grande diversité dans leurs
formes et leur ornementation ; mais les diverses par-
ties : base, fût et chapiteau, dont ils se composent, ne
les offrent pas également. De ces trois parties la base
est celle que les architectes hindous ont le plus né-
gligée ; parfois elle n'existe pas et le fût repose direc-
tement sur le sol*, ou bien elle est simplement carrée
et à faces unies-. Plus tard toutefois on donna à la
base une forme plus compliquée ; elle se composa d'un
soc, d'un nombre variable de filets ou moulures et d'un
tore plus ou moins renflé, soit uni', soit, mais rare-
ment, décoré d'une double rangée de pétales de né-
lumbos*, soit parfois encore accompagné d'un listel
orné d'oves et de dessins géométriques \
Parfois simplement carré, plus souvent octogonal, à
pans unis® ou encore cannelé \ le fût est souvent aussi
couvert d'ornements; tantôt ce sont des dessins géo-
1. Par exemple dans les piliers de la grotte de Bajà, des
grottes n^MO, 17 et 26 d'Ajantà et de celle de Viçvakarma à
Klura. Fergusson, Ilistory, p. 123 et 55, fîg. 57 et 85. Jas.
Burgess, Report on the Buddhist Cave Temples. London, 1883,
in-fol.. p. 7, fîg. 7 et p. 59, tig. 19.
2. Piliers des vi haras n'^* 16 et 17 et des grottes 1 et 26
d'Ajantâ. Fergusson, Hislory, p. 154 et 156, fig. 84 et 86. Jas.
Burgess. lieporl. pi. II et III, et p. 49, fig. 14.
o. Piliers des grottes de Karli, Nâsik, etc. Fergusson, His-
tory, p. 120, 150, lig. 56, 79.
4. Piliers d'un dagoba à Amaràvatî. Fergusson, Hislory,
p. 102, fig. 39.
5. .1. Fergusson, Illustrations of the Uock-cut Temples of
India. London, 1845, in-fol., pi. XI. 2.
6. Piliers des grottes de Karli et de Nâsik. Fergusson,
I/istory, p. 120 et 150, fig. 56 et 79.
7. Slambha de Bharhut et de Karli. Fergusson, flùlory,
p. 88 et 118, fig. 27 et 55.
LES PLANTES DANS L'ART 389
métriques que surmonte une rangée de demi-fleurons \
tantôt les dessins s'étalent entre deux bandes, com-
posées, rinférieure de palmettes, la plus haute de
losanges séparés par des fleurons '. Ailleurs des can-
nelures obliques, séparées par une rangée de fleurons,
viennent s'appuyer en bas sur une ligne de palmettes,
en haut sur un cordon de guirlandes que couronnent
des fleurons ^ D'autres fois le fût est orné dans sa partie
moyenne de cannelures, entre lesquelles courent des
arabesques, que bordent une double rangée de fleu-
rons*. Ailleurs encore des sujets de fantaisie, entourés
ici d'arabesques, là de fleurs délicates, occupent la
plus grande partie du fût qu'ornent en outre des fleu-
rons, des arabesques ou des tiges feuillées et fleuries ^
Les chapiteaux ne présentent pas une moins grande
variété de formes et d'ornementation que les fûts;
mais, sous leur diversité, ces formes se rapportent à
deux types difi'érents, qui correspondent aux deux
écoles architecturales de l'Inde. Dans les monuments
de l'école indo-bouddhique ou indo-iranienne, le cha-
piteau est en général campaniforme ou papiriforme
renversé ; tels sont les chapiteaux des stambhas de
Sankissa — la Sànkàcya du Râmâyana* — , de Lauriya
1. Piliers du vihàra n<» 16 d'Ajaptà. Fergusson, History,
p. 154, fig. 84.
2. Véranda du vihàra n® 2 d'Ajaritâ. Fergusson, Illustra-
tions, pi. IX.
3. Piliers de la grotte n^* 1 et 2 d'Ajantà. Jas. Burgess, Report
on the Buddhist Cave Temples, p. 49, ^g. 14 et pi. XVIII, 2 et
XXII, 1.
4. Vihàra n» 17 d'Ajantà. Fergusson, Uistory, p. 156,
fig. 86.
5. Pilastre de la véranda de droite d'Ajantà. Jas. Burgess,
Report, pi. XVIII, 3.
6. Archaeological Survey of India vol. I (1871), p. 72,
390 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
et de Tirhut, qui, avec leurs cannelures arrondies et
relevées à Textrémité, rappellent le chapiteau persé-
politain. Tels sont encore les chapiteaux desstarabhas
élevés, l'un près de la porte orientale de Bharhut,
l'autre à Tentrée du caitya de Bedsâ et de celui de
Karli, ainsi que les chapiteaux des quinze piliers, qui
se dressent de chaque côté à l'intérieur de ce dernier,
et ceux des colonnes de Nàsik*. Parfois comme dans
les piliers du caitya de Kanheri, par exemple, la cam-
pane du chapiteau est remplacée par un tore analogue
à celui de la base' ; d'autres fois enfin les chapiteaux ont
la forme octogonale ou même carrée comme le fût '.
Dans les chapiteaux des stambhas d'Açoka, au-dessous
de la campane court un double filet garni d'oves ou
de lignes obliques; au dessus un filet encore la sépare
de l'abaque, qui, parfois uni, plus souvent couvert de
divers ornements, supporte un éléphant ou un lion *.
Ces formes si simples ne tardèrent pas à se compli-
quer ; on éleva au-dessus de l'abaque comme un second
chapiteau, composé tantôt d'une campane en sens
inverse de la première, tantôt d'une espèce de dé, orné
de diverses sculptures et de filets superposés, qui, en
nombre variable, font saillie les uns sur les autres ^
pi. XXV et p. 271, pL XLVI. — F'ergusson, I/islory, p. 5'i,
fig. 5 et 6.
1. J. Fergusson, Ilislory, p. il3, il'i, 118, 120 et 150, fig. 50,
52, 55, 56 et 79.
2. Jas. Burgess, Report on the Buddhist Cave Temples, p. 62,
fig. 21.
3. Piliers des vihàras 16 et 17 d'Ajantà. Fergusson, Histori/y
p. 15'i et 156, fig. 8'i et 86.
4. J. Fergusson, liistory, p. 54, fig. 5 et 6.
5. Piliers de la nef de Karli et des grottes de Nahapana et de
Gautamiputra près de Nâsik. Fergusson, Ilisiory, p. 120 et
150, fig. 56, 79 et 80.
LES PLANTKS DANS L'ART 391
Si les chapiteaux campaniformes ou persépolitains
ont été parfois remplacés par d'autres formes archi-
tectoniqiies dans les monuments de l'Inde septentrio-
nale et centrale, ils n'en ont pas moins été les plus
employés dans toute cette région jusqu'à la fin de
l'époque bouddhique. Ils ont même pénétré dans le
Gandhâra; les chapiteaux des pilastres qui encadrent
certains bas-reliefs trouvés dans cette contrée sont
persépolitains*; mais c'est là une exception; les co-
lonnes des vihàras si communs autrefois dans le Gan-
dhâra sont grecques; quelquefois ioniques ', elles sont
corinthiennes d'ordinaire ; elles ont la base simple, le
ffitnu, qui caractérise cet ordre, avec le chapiteau orné
de larges feuilles d'acanthe, sous la retombée des-
quelles, trait particulier à l'architecture gréco-boud-
dhique, se dressent souvent des statuettes du Réfor-
mateur'.
L'état de ruines dans lequel se trouvent les stupas
encore existants rend difficile de dire quelle en était
la décoration; si l'on s'en rapportait au dessin d'un
stupa qu'on voit sur la balustrade d'Amaràvatî *, l'or-
nementation de ces monuments eût offert la variété la
1. Relief de Jamàlgârhi. A. Grùnwedel, Buddhistische Kumt,
p. 121. — Relief de Mohammed Nàrî. H. Cola, PresertMlion of
national MonumenU of India, S. 1. (1885), in-fol. Graeco-Bud-
dhist sculptures from Yuzufzai, pi. I.
2. Fergusson, Ilistoryy p. 176, fig. 97.
3. Fergusson, Ilistori/y p. 173, fig. 9'i et 95. — Cola, Graeco-
Buddhist sculptures from Yusufzai, pi. X, XIII, XV.
'i. Fergusson, Ilistory, p. 72, 11g. 17. On peut en rapprocher
le stùpa sculpté sur une muraille an marbre du monument
bouddhiste de Bauddha Vanam près Ghantaçâla dans Tlnde
méridionale. Alex. Rea., South Indian Budkist Antiquities,
pi. XXVII (Archaeological Survey of India. New Séries, vol.
XV (1894), Madras, in-4).
392 LKS PLANTKS CHEZ LKS IlINDOrS
plus grande; des épisodes de la vie du Buddha, des
scènes d'adoration, etc., y auraient été sculptés en
bas-reliefs ; des chapelles, encadrées de piliers, se
seraient élevées sur le pourtour ; des lions accroupis
se dressaient sur les entablements et des guirlandes en
auraient décoré le dôme, surmonté d'une élégante ba-
lustrade non moins ornée. Mais peut-être n'est-ce là
que le dessin embelli du stûpa même d'Amarâvatî et
du railing qui l'entourait. A l'origine la surface des
stupas paraît avoir été nue ou à peu près ; la plupart
des dagobas sculptés sur la balustrade de Sànchi*
n'ont d'autre décoration qu'une guirlande qui les en-
toure à rai-hauteur. Toutefois, les stupas proprement
dits furent de bonne heure aussi couverts d'ornements
géométriques ; il s'en trouvait sur les topes de Jara-
sanda-ka-Baithak et de Bîmaràn dans le Gandhâra',
on ajouta bientôt aussi à ces dessins des ornements
d'origine végétale : lotus stylisés, fleurons, feuillage
conventionnel, comme on le voit sur un panneau heu-
reusement conservé de Sarnath '.
Mais si nous ne pouvons parler que par induction
de l'ornementation des stupas, il n'en est pas de môme
de celle des balustrades qui les entouraient ; les tra-
vaux qui ont été consacrés à quelques-uns de ces mo-
numents nous ont fait connaître quelle en était la
richesse et la diversité ; les artistes qui ont sculpté, en
1. .1. Fergusson, The tree Worship. London, 1868, in-fol.,
pi. XXVIII, 1 et 3.
2. Cunninphani, Archneologicnl Survry of India, vol. I
(1871), pi. XV. — H. H. Wilson, Ariana anh'qua, p. 70 et 72;
pi. IIF, 2et3.
3. Fergusson, History, p. 68, fîg. 15. — F. Schlagintweit,
Indien in Worl und Bild, vol. I, p. 55 et 57.
LES PLANTES DANS L'ART 393
particulier, les balustrades de Bharhut, de Sânchi et
d'Amarâvati \ pour ne rien dire de celle de Bodh-
Gayâ', ont déployé dans la décoration toutes les
ressources du talent le plus libre d'entraves et de
Tesprit le plus inventif. Ils ont entassé sur les cloisons,
mais surtout sur les larges piliers et la triple archi-
trave des portes monumentales, qui conduisent au tope
central, les motifs d'ornementation les plus divers ;
médaillons curieusement ciselés, dessins géométriques,
fleurs naturelles ou conventionnelles, épisodes de la
vie du Buddha, légendes se rapportant à ses nais-
sances antérieures — Jàlakas, — représentations du
culte des arbres et du serpent, des dagobas et de la
roue, personnages debout ou montés à cheval ou sur
des éléphants, animaux seuls ou en groupe sur les
piliers ou sur les architraves, etc., font de ces balus-
trades des merveilles de l'art. Les façades de plusieurs
caityas^ ou viharas n'offraient pas une décoration moins
riche ou moins originale.
C'est au monde végétal que les artistes hindous en
ont emprunté les plus beaux motifs, et presque tous
1. La balustrade do lUiarhut est de la fin du in« ou des pre-
mières années du ii« siècle avant Jésus-Christ; celle de Sànchi,
commencée vers le milieu du n« siècle, n'a été terminée qu'au
commencement de notre ère. La balustrade d'Amaràvati est
beaucoup plus récente; la partie extérieure, la plus ancienne
aussi, parait avoir été commencée seulement l'an 319 de notre
ère; la partie intérieure plus moderne ne semble l'avoir été
que vers 400. P'er^usson, History, p. 85. — A. Cunningham,
The Siûpa of Bharhut^ p. 14. — Griinwedel, Buddhistische
Kunst, p. 26.
2. r^unningham, Archncological Survey of India, vol. I
(1871), p. 1-lt, pi. Vill-XI.
3. La façade, par exemple, du caitya souterrain n*» 19
d'Ajantâ. Fergusson, Uistory, p. 125, fig. 60.
394 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
lui ont fait une large place dans les scènes dont ils ont
embelli les monuments. Parmi les bas-reliefs les plus
anciens de ces monuments, il en est peu où n'aient été
sculptés quelque arbre ou quelque plante. Sur les bas-
reliefs où est représenté le culte des arbres, c'est, on
le comprend, un arbre, quelle qu'en soit la nature, qui
forme le centre de la représentation. Ailleurs les arbres
apparaissent comme l'emblème ou la demeure des divi-
nités dont on raconte l'histoire, ou bien ils forment
l'encadrement delà scène sculptée par l'artiste. Aussi
les retrouve-t-on à profusion sur la balustrade de
Bharhut, plus encore sur celle de Sânchi, parfois aussi
à Bodh-Gayâ et à Amaràvati. On voit, par exemple,
sur deux bas-reliefs de Bharhut, se dresser, ici un
pâtali, là un àmalaka ou un nimba*, le premier à côté
de la devatà Culakokà, le second près de la yakshini
Candâ, et une branche fleurie de ces arbres ombrage
la tête des deux divinités gardiennes, l'une de la porte
Sud, l'autre de la porte Nord du stupa. Sur l'archi-
trave du même monument est sculpté un arbre du tronc
duquel sortent deux mains, qui donnent, l'une le boire,
l'autre le manger à un homme assis '.
Les arbres sont un élément indispensable dans la
représentation des scènes sculptées sur ces deux bas-
reliefs ; non moins indispensable est la présence sur
deux sculptures de l'architrave, ici des tiges de
bambous que mangent avidement des éléphants, là du
riz — Cunningham dit à tort, je crois, du froment, —
que coupe une femme', nécessaires à l'intelligence de
1. Al. Cunningham, Tke Stupa of Bharhut, pi. XXII, 3 et
XXIII, 3.
2. The Stûpa of Bharhut. pi. XLVIII, 11.
3. The Siùpa of Bharhut, pi. XL, 2 et XLVI, 6.
LES PLANTES DANS L^\RT 395
la scène représentée par Tartiste du stupa. Peut-être
aussi le bananier, si c'est un bananier, que Cunninghara
a cru reconnaître près d'un arbre à Tarrière-plan d'un
petit tableau d'intérieur, sculpté sur la même partie du
même monument, contribuet-il aussi à en indiquer la
signification ; mais je ne vois guère qu'un accessoire
dans les kharjùras, placés sur un pilier de chaque côté
d'une scène d'adoration, sinon dans les deux tilas
— ce sont peut-être des arbres sacrés, — qui se dres-
sent devant un palais sur un autre bas-relief*.
C'est plus qu'un accessoire, c'est un élément de
vérité dans les scènes représentées, que les deux arbres
du bas-relief, où Ton voit un rishi, assis près d'un
cours d'eau, avec unpanierde provisions, en compagnie
de deux chats et de deux chiens, ou les arbres placés
à l'arrière-plan de deux autres bas-reliefs représentant,
le premier un rishi accroupi, qui paraît s'entretenir
avec unnâga; le second, un homme sur le point d'égor-
ger une antilope ^ Plus grand encore est le rôle que
jouent les arbres sur deux bas-reliefs, qui représentent,
l'un, un jardinier et des singes qu'il a chargés d'arro-
ser le parc confié à ses soins'^ ; l'autre, un combat humo-
ristique livré par des singes à des passants. Sur un
troisième bas-relief, où l'on voit deux hommes, des
moines peut-être, et deu'x singes, dont l'un, grimpé sur
un arbre, paraît les regarder, un autre arbre a été
ajout* par l'artiste pour donner plus de pittoresque au
tableau *.
1. The Stùpa bf BImrhal, pL XIV, 6; XIII, 2 et XXX, 'i.
2. The Stùpa of /iharhiU, pi. XLVI, 2 ; XLII, l.et XLIII, 8.
3. Aràmadùsa-hilaka. Slnries of Ihn Buddhas former
nirths. Vol. I, p. 118, et H, 237. >>• '«6 et 268.
4. The Stùpa ofBharhut, pi. XLV, 5 ; XXXHI, 4 et XLV I, 8;
p. 75 et 76.
396 LES PLANTKS CHEZ LES HINDOUS
Les arbres, on le comprend, ne sont pas moins néces-
saires pour rintelligence des scènes suivantes sculptées
sur deux médaillons du même Bharhut*-. Sur le premier,
qui représente le Nigrodhaîniga-Jdtaka, légende qui se
rapporte à une incarnation du Buddha en cerf, les trois
arbres qu'on aperçoit au haut du bas-relief sont desti-
nés à figurer la forêt, qui sert d'abri au cerf et aux cinq
biches dont il est accompagné. Au-dessous, pour com-
pléter le tableau du légendaire récit, on voit, traver-
sant une rivière, un autre cerf; plus loin, un chasseur
qui le menace de ses flèches, tandis que trois person-
nages les mains jointes semblent intercéder en sa
faveur. Sur le second, où est sculpté un épisode ana-
logue — le Kitrunga-miga-Jâtaka — de la vie du
Buddha, celui où ce dernier, qui, sous la figure d'un
cerf encore, vit retiré dans la solitude, en compagnie
d'un pivert et d'une tortue, est menacé par un chasseur
et arraché à la mort par ses deux compagnons, des
arbres figurent la forêt qui sert de refuge au cerf et
d'abri au pivert et à sa couvée; plus bas est l'étang,
asile de la tortue, et sur ses bords le piège dont elle
ronge la courroie, afin de délivrer le cerf et de rendre
vaine la poursuite du chasseur. Il n'y a point d'arbre
sur un troisième bas-relief*, que Cunningham regarde
comme le tableau d'un jataka inconnu; mais seulement
des nélumbos, emblème et signe caractéristique d'un
marais peu profond ; un buffle qu'on voit au milteu et
deux loups, qui sont sur les bords, l'un accroupi, l'autre
1. The Stûpa of Dharhtit, p. 51, pi. XXV, 1 et XLIIÏ, 2;
p, 67, pL XXVII, 9. — St07'i€s of the Buddha s former Births,
vol. I, p. 39 et II, 106. N«'* 12 et 206.
2. The Slùpa of Bharhut, p. 69, pi. XXVII, 10.
LES PLANTES DANS L'ART 397
qui semble pris à un piège, complètent ce tableau sym-
bolique.
Sur le médaillon d'un des piliers de la balustrade
du Sud-Est, qui représente un épisode célèbre de la
vie du Buddha, la fondation du monastère de Jeta-
vana par Anapidu — Anâtha-pindika — les arbres
reparaissent et y jouent un rôle indispensable'. Au
premier plan, on en voit trois, qui figurent sans doute
le jardin du prince Jeta ; plus loin se dressent deux
temples et au-dessous du premier et à droite du second
un arbre sacré, entouré d'un balustrade; à gauche des
deux temples, six personnages, peut-être le prince Jeta
et ses amis ; sur le devant un chariot, dont les bœufs
dételés se reposent; en face, deux hommes, que Cun-
ningham croit être Anepidu lui-même et son trésorier;
plus haut deux autres personnages assis, occupés, il
semble, à couvrir la surface du jardin des pièces d'or
qui doivent servir à en payer l'acquisition ; enfin au
milieu du tableau un autre personnage tenant des deux
mains le vase — kalaça — qui contient l'eau de la
donation*.
On voit à quel point les arbres des divers bas-reliefs
que je viens d'étudier servent à l'intelligence des scènes
qui y sont représentées. Il en est de même de ceux qui
se dressent sur quatre sculptures dont il me reste à
parler^; les manguiers du médaillon, intitulé Asadisa-
1. The Slûpa of Bharhut, p. 84, pi. XXVIIÏ, 3 et pi. LVII.
— Spense Hardy, Manual of Buddhism, p. 218-219.
2. A. Foucher, Scènes figurées de la léf/ende du Bouddha.
{Htudes de critique et d'histoire, 2« série, 1896, p. 113).
3. The Stûpa of Bharhut, pi. XXVI, 1; XXVH, 13; XLV'lI,
5 et 9 ; p. 58, 70, 77. Asadi.sa, Latukika et Kukkuta-Jâtaka.
Stories, H, 60 ; III, 115 et 168.
398 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Jdtaka, qui représente le fils du roi de Bénarès abat-
tant avec sa flèche un fruit de Tun d'eux, ainsi que
Tarbre, sur lequel on voit perchés, ici une caille mé-
ditant la vengeance qu'elle tirera d'un éléphant, qui a
écrasé sa couvée; là un coq, qu'un chat essaie en vain
de faire descendre de ce lieu de sûreté; ou l'arbre dans
lequel nous voyons se réfugier une femme, que deux
chacals semblent poursuivre.
Les artistes du stùpa de Sanchi n'ont pas moins que
ceux de Bharhut fait au monde des plantes une large
place dans les scènes qu'ils y ont sculptées ; ils n'ont
même pas hésité, dans leur goût pour la nature végé-
tale, à mettre des plantes et des arbres dans des tableaux,
où leur présence était sans utilité ou sans rapport avec
le sujet. Ainsi sur un bas-relief qui représente le culte
du serpent*, on voit à l'arrière-plan des arbres, dans
l'un desquels, un figuier peut-être, un singe se régale
de fruits; au centre paraît le dieu entouré de ses ado-
rateurs, et au premier plan se déroule une scène cham-
pêtre, aux bords d'un étang couvert de nélumbos et
sur lequel nagent des oies de Brahmâ. Sur un autre
bas-relief*, où est représentée la roue sacrée, à la-
quelle viennent rendre hommage ses adorateurs, ac-
compagnés d'une troupe de cerfs, des arbres de diverses
espèces, dont l'un pourrait bien être un bilva, rem-
plissent tout le fond du tableau. De même on voit au
coin d'un bas-relief, où est sculptée une scène d'ado-
1. J.Fergusson, Tree and Serpent Worship. Sànchi, pi. XXIV,
1. Face intérieure de la porte orientale. — F. (/. Maisey, Sdn-
chi and ils remains. London, 1892, in-fol., pi. XllI, 2.
2. Tree Worship, pi. XXIX, 2. — Maisey, Sànchi, pi. XXVÏ.
3. Tree worship^ pi. XXVII, 2. Porte occidentale. Le sculp-
teur de la porte méridionale n a pas oublié non plus de cou-
LES PLANTES DANS VkWt 399
ration, un petit étang couvert de lotus, avec des plantes
aquatiques et deux arbres ombreux sur les bords.
Deux grands arbres se dressent aussi, à côté de Tarbre
sacré, dans un bas-relief de la porte septentrionale*,
de manière à remplir tout Tarrière-plan. Tout en sculp-
tant trois brahmanes, qui préparent du feu devant un
dagoba, tandis que deux disciples apportent du bois
de la forêt prochaine, l'artiste du pilier de la porte
orientale a eu soin de représenter au fond du tableau
des arbres chargés de fleurs et de fruits *. Celui de la
porte septentrionale, qui a voulu représenter un vil-
lage, dans lequel pénètrent deux rajas, pendant que les
habitants se livrent à leurs occupations habituelles ',
n'a eu garde également d'oublier les arbres qui om-
bragent leurs maisons ou bordent la route, ainsi que
la pièce d'eau voisine avec ses lotus et ses roseaux.
Même soin du décor emprunté au monde végétal,
dans la représentation des scènes empruntées à la vie
de Çàkjamuni. On ne voit qu'un arbre, il est vrai, sur
un bas-relief*, qui nous montre le jeune prince sortant
vrir des lotus traditionnels une pièce d'eau où Ton voit des
baigneurs s'exercer à nager, et sur laquelle vogue une barque
chargée d'une espèce de châsse. PI. XXXI, 1.
1. Tree worship, pi. XXVI, 2. — Maisey, Sànchi, pl. IX, 1.
2. Tree worship, pi. XXXII, 1. — F. C. Maisey, Sânchi
and Us Remains j pl. XIII, \. — Griinwedel, Buddhislische
Kunst in Indien, p. 65, fig. 24.
3. Tree worship, pl. XXXII, 2. Une pièce d'eau avec ses
lotus se voit aussi au premier plan d'un bas-relief du pilier de
gauche de la porte orientale, où est représentée une vaste
villa, près de laquelle des femmes se livrent aux occupations
préliminaires de la fabrication du pain (Pl. XXXV, 2). On
voit aussi un étang avec des roseaux et un arbre dans un
autre bas-relief qui représente une espèce de village (Pl.
XXXVI, 1).
4. Tree worship. j)l. XXXIV, 2.
400 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
monté sur son cheval, hors des murs de Kapilavastu ;
mais les arbres sont nombreux dans le vaste tableau,
où Tartiste a sculpté les principaux événements de la
vie du Réformateur* : sa descente dans lo sein de Maya,
endormie sur la terrasse du palais, sa sortie triom-
phante de la capitale, monté sur son char et accom-
pagné d'une suite nombreuse, puis son arrivée au pied
de Tarbre de Tlntelligence, où il se dépouille de ses
vêtements royaux, en présence de ses cinq disciples.
Derrière ceux-ci sont sculptés deux arbres et un ar-
brisseau; au-dessus de l'arbre de Rodhi se dressent
trois autres arbres : un tâla, peut-être un manguier et
un saptaparna ou un âmalaka. Sur un autre bas-relief ^
six arbres encadrent la scène de l'inondation, provo-
quée par le Buddha, pour amener la conversion de
Kâçyapa; un arbre de Bodhî, symbole du Réfor-
mateur, que l'artiste n*apas cru devoir représenter lui-
même, puis cinq arbres d'espèce différente — des
singes mangent les fruits de l'un d'eux — surgissent
du milieu des flots agités ; une barque d'une simplicité
primitive, dans laquelle est monté Kâçyapa avec deux
brahmanes, vogue sur les eaux débordées, au milieu des
lotus qui les couvrent et des oiseaux aquatiques qui y
prennent leurs ébats.
Il faut encore mentionner deux bas-reliefs bien dif-
férents, mais sur lesquels le sculpteur hindou, et c'est
pour cela que j'en parle, a donné aux arbres une place
considérable. Sur lepremier malheureusement en partie
effacé, qui représente une campagne traversée par une
1. Tree worship j pi. XXXIII. Pilier droit de la porte orien-
tale.
2. Tree worship. pi. XXXI, 2. Façade de la porto orientale.
— Griinwedel, Buddhislische Kunst in Indien^ p. 64, fig. 23.
LES PLANTES DANS L'ART 401
rivière \ on aperçoit vers le bas, à gauche, un guerrier
tirant une flèche, en présence d*un râja et au son de la
musique, tandis qu'au delà du ruisseau des biches se
reposent à l'ombre des arbres, dans lesquels des singes
se jouent. Sur le second bas-relief* est représenté une
espèce de jardin de plaisance, avec ses kiosques, ses
plantes verdoyantes et ses fleurs ; une vaste pièce d'eau
couverte de lotus en occupe toute la partie basse ; près
d'elle et sous les kiosques quatre couples joyeux s'en-
tretiennent et se désaltèrent \
Malgré le nombre et la variété des bas-reliefs
d'Amarâvatî, malgré l'intérêt qu'ils peuvent présenter
au point de vue historique, ils n'offrent presque rien
qui doive nous arrêter ; c'est que, dans les scènes qui
y sont sculptées, les artistes n'ont donné qu'une place
insignifiante au monde végétal. On pourrait croire
qu'ils ont été moins sensibles que ceux de Sânchi aux
beautés de la nature. Sur le bas-relief d'un disque de
la balustrade extérieure, où un ràja, monté sur un élé-
phant avec deux de ses femmes, nous est montré tra-
versant, lui et sa suite, une rivière dans un bac, on
ne voit à l'arrière-plan que deux arbres sans caractère
î. Tree worship, pi. XXXVl, 2. Pilier de la porte occiden-
tale. Fergusson, p. 137, a cru voir dans ce bas-relief la repré-
sentation d'un épisode qui précéda le mariage de Çàkyamuni.
Au-dessus de cette scène s'en trouve une autre — le Sàma-
Jâtaka, d'après M. A. Foucher, Scènes figurées, p. 105, —
qui offre un paysage semblable.
2. Tree worship, pi. XXXVII, 2. — F.-C. Maisey, pi. XXII,
1. Une scène analogue est représentée sur un autre bas-
relief (pi. XXXVII, 1).
3. S. Beal, Some remarks on ihe Great Tope at Sânchi.
(Journal of the Royal Asialic Society. New Séries, vol. V,
p. 119) a voulu voir, assez plaisamment, dans ces scènes réa-
listes, un tableau des a Joies du ciel ».
JoKKT. — Les Piaules dans Vautiquiiè. li. — 20
précis. Sur un autre bas-relief de même provenance \
qui représente à la fois le culte du trident et un roi
des Nâgas, assis sur un trône avec deux de ses femmes
et entouré de sa cour, rien ne rappelle le règne végétal
que des nélunibos d'une pièce d'eau sur laquelle nagent
des oies, et de chaque côté un arbre indéterminé,
auquel une Nâgi semble attachée par un bras. Le sculp-
teur des bas-reliefs de la frise, qui a représenté à
gauche une espèce de litière * portée par des hommes,
avec des cavaliers en marche et à droite deux trou-
peaux de buffles n'a mis qu*un arbre au centre de la
composition et deux autres d'espèce différente à Tar-
rière-plan. Il y en a trois de forme et d'aspect sem-
blables', qui se dressent au milieu des scènes diverses
représentées sur un bas-relief du même monument ;
mais ce sont, il semble, des arbres sacrés.
Dans les scènes sculptées sur le stùpa d'Amàravaiî
le monde des plantes, on le voit, figure à peine ; il est
inutile aussi de nous y arrêter plus longtemps. Les autres
monuments bouddhiques de la région gangétique et de
l'Inde centrale n'ayant aucun bas-relief, analogue à ceux
dont il vient d'être question, il est encore moins besoin
d'en parler*. Il me faut dire un mot, au contraire, des
bas-reliefs du Gandhara, sur lesquels des épisodes de
la vie du Buddha ont été représentés. Les artistes qui
les ont sculptés ont eu soin, comme ceux d'Amâravatî,
1. Tree worshlp, pi. LXXII, 1 et 2.
2. Tree worship, pi. LXXXIV, 1.
3. Tree worahip, pi. LXXXVI.
4. Tout au plus y aurait-il lieu de mentionner l'arbre de
Bodhi qui ombrage la niche dans laquelle on voit, sur une
poterie de Bodh-Gayâ, un Buddha assis au milieu de petits
stupas. Musée de Berlin, ap. Grùnwedel, p. 156, fig. 87.
LES PLANTES DANS L»ART 403
de Sânchi et de Bharhut, d*y placer quelque plante ou
quelque arbre pour figurer le paysage au milieu duquel
se passe la scène. Ainsi sur un bas-relief qui nous
montre le Réformateur accompagné de Vajrapânî,
s'entretenant avec un nfiga, on voit un arbre se dresser
derrière ces personnages*. Un arbre, sur un bas-relief
du Musée de Lahore, figure le bois de Lumbinî, où
naquit le prince Siddhârtha. Sur un autre bas-relief
du môme Musée on voit des lotus, que le Buddha a fait
miraculeusement surgir, en versant de Teau sur le sol,
et des arbres fleuris qui ornent le fond du tableau*.
Deux arbres, sur des bas-reliefs deNathu — Nuttu — ,
qui représentent la scène du Nirvana, figurent les
çàlas sous lesquels Çâkjamuiri expira \ Insoucieux
de la vérité historique, le sculpteur qui les a faits a
donné à ces çàlas Taspect de palmiers ; on pourrait
croire que les artistes du Gandhàra et du pays des Yû-
sufzai aimaient à représenter de préférence ces derniers
arbres; ils les ont prodigués; ainsi sur un bas-relief
qui nous montre le Buddha rendant visite à Termite
Kâçyapa dans son bois de bilvas, c'est un palmier qui
a été substitué à ceux-ci. Ce sont encore des palmiers,
probablement des kharjùras, qui se dressent de chaque
côté d'une niche où le Buddha apparaît entouré d'ado-
rateurs*.
Si on ne voit pas sur tous les monuments de l'Inde
i. Grûnwedel, Buddhistische Kunst, p. 102, fig. 47.
2. Grûnwedel, p. 125, fig. 65 et p. 119, fig. 60.
3. H.-H. Cole, Graeco-Buddhist Sculptures from Yûsufzai,
pi. XVI et XXII. — Grûnwedel, p. 111, 112 et 113, fig. 54, 55
et 58.
4. H.-H. Cole, Graeco-Buddhist Sculptures, pi. IX et XII. —
Au-dessus de la tête du Buddha se courbent des branches de
jacquier, arbre inconnu dans le Gandhàra.
40i LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
des scènes où figurent des arbres et des plantes ; sur
tous, les motifs de décoration, tirés du règne végétal,
se rencontrent à profusion et dans une étonnante va-
riété ; mais ils peuvent se ramener à trois formes prin-
cipales : la palmette, le lotus — fleur, bouton et fruit
— et le fleuron, avec le médaillon qui en est sorti. La
palmette, que les artistes de Tlnde semblent avoir em-
pruntée à l'architecture iranienne, apparait sur les plus
anciens monuments ; un listel du stambha d'Allahabàd
etTabaque de celui de Sankissa ont pour ornement des
palmettes*, qui, flanquées de chaque côté de fleurons,
se dressent entre des lotus conventionnels, motif de
décoration qui rappelle ceux des monuments de Persé-
polis. Une palmette aussi se dresse derrière les lions
sur le chapiteau des piliers de la porte orientale à
Bharhut, et des palmes sont sculptées au-dessous de
la tête de chacun de ces animaux^. Des palmettes,
flanquées de fleurons séparent les lions ailés, qui cou-
rent sur Tabaque d'un pilier de Sànchi '. Une rangée
de palmettes conventionnelles encore, accompagnées
ici de boutons, là de fruits de nélumbos, décorent le
milieu des piliers do droite et de gauche de la porte
septentrionale du même Sànchi, ainsi que la partie cen-
trale d'un pilier d'Amaràvatî*.
Quelque élégante qu'elle soit, la palmette n*a étc»
cependant qu'assez peu employée dans l'ornementation
1. Fergusson, History^ p. 53 et 5^, fig. 4 et 5.
2. The Stûpa of Bharhut, pi. X, XI et XII.
3. Fergusson, Tree Worship, pi. XXXIX, 2. Une palmette,
que flanquent deux boutons de lotus, est aussi sculptée entre
les têtes des deux lions qui se dressent sur Tabaque de ce même
pilier.
4. F'ergusson, Tree Worship, pi. X, XI et LXXXIX. — Id.,
Hislory, p. 97, fig. 34 et 35.
LES PLANTES DANS L'ART 405
des jïionuments de l'Inde; il en est tout autrement du
lotus ou nélumBo et du fleuron, que les artistes de cette
contrée ont empruntés, comme elle, à ceux de l'Asie
antérieure, mais dont ils ont fait l'usage le plus heu-
reux et le plus original. J'ai parlé plus haut des rangées
de pétales de lotus pointus ou arrondis qui, motif de
décoration ordinaire des monuments de la Perse et de
l'Egypte, ornent le triple chapiteau de la porte orien-
tale de Bharhut ; des fleurs de lotus à moitié ouvertes,
autre motif de décoration iranien et égyptien, se dres-
sent entre des lignes géométriques, sur ierebordde l'ar-
chitrave. Des fleurs et des fruits de lotus servent aussi
d'encadrement aux médaillons de la porte orientale et
à certains bas-reliefs du même stùpa, par exemple à
celui qui représente le jardin de Jeta*. Des fleurs de
lotus accompagnent aussi les médaillons, qui décorent
un pilastre de la grotle de Nasik, ainsi que les piliers
de la balustrade extérieure d'Amaràvatî ". On voit un
gros bouton de lotus do chaque côté de Tabaque du
chapiteau des piliers, couronnés do chakras, des petits
topes de Sânchi, tandis que de chaque côté de l'un
d'eux sont sculptées des fleurs épanouies, entre les-
quelles des boutons entr'ouverts sont opposés deux à
deux '.
Les pétales qui décorent les chapiteaux de Bharhut
appartiennent, comme les fleurs de l'architrave, aune
espèce incertaine de lotus ; ce sont des fleurs de né-
lumbos, au contraire, qui pendent, à ce qu'il semble
bien, du pilier de la porte orientale de Sânchi, et qu'on
1. The Stûpaof Bharhut, ^\. XL-LXVIII, XXVIII et LVII.
2. Fergusson, Hûtory, p. 150, fig. 80. — Tree Worship,
p. 168, fig. 19.
3. Tree Worship, pi. X LU, 1 et 2.
406 LES PLANTES CHEZ I.ES HINDOUS
voit aussi de face sur les pilastres des petits topes de
cette localité. Ce sont encore des fleurs et des boutons
de nélumbos, que tient à la main le Nàga qui se dresse
sur un chapiteau de Bhilsa, tandis que, sur Tabaque,
on voit des oies accroupies au milieu de touffes de cette
nymphée*. Des rangées de bouquets de nélumbos en
fleurs, séparés ici par des lions courants, là par des
animaux fantastiques ou des feuillages conventionnels,
encadrent les bas-reliefs de la frise ou les médaillons
des deux piliers extérieurs d'Amaràvatî*. D*aatresfois
c'est une tige, couverte de boutons et de fleurs, do
cette même plante, qui serpente gracieusement autour
des médaillons ou se dresse sur des piliers, dont elle
couvre la surface de ses méandres, ici soutenue par
la main d'un enfant, là surgissant d'une espèce d'am-
phore ^. Plus tard les nélumbos prirent des formes
conventionnelles ; leurs boutons s'étalèrent en pal-
mettes, leurs feuilles s'allongèrent en feuilles d'acanthe.
C'est ainsi qu'ils apparaissent au pourtour de plusieurs
médaillons, sur des piliers évidemment de date plus
récente et au-dessous d'un fragment de frise d'Araarà-
vatî. On leur a même parfois substitué des tiges à
feuilles palmées*.
Des nélumbos, qu'on voit ainsi serpenter autour des
1. Tree Worship, pi. XLV, 1.
2. Tree Worship, pi. LVI-LVIII, 2; LXV, 3. — Al. Rea,
South Indian antiquities, pi. XXXVII-XLI.
3. Tree Worship, pi. XI, XIII, LXXXIX, 1, 3, 4: XCVI, 4.—
H. -H. Cole, Great Buddhisl tope at Sanchi, pi. VII. — Ce der-
nier motif de décoration se retrouve sur un panneau en marbre
de Bauddha Vanam. AI. Rea, South Indian Buddhist anli-
quities, pi. XVIII.
4. Tree Worship, pi. LXVIII, LXIX, LXX, LXXXIV et
LXVII. — Al. Rea, pi. XXXIX, 1, 2, 3; XL, l, 2.
LFS PLANTES lUNS L'ART 407
médaillons ou des bas-reliefs du stûpa d'Amaràvatî, on
peut rapprocher les tiges qui courent, sur Tarchitrave
de la balustrade de Bharhut, autour des bas-reliefs
ou mênie des gros fleurons qui y sont sculptés, tiges
portant des fruits, ici de jacquier, là de manguier,
ailleurs des fleurs ou des objets divers*. Les artistes
du Gandhâraont également sculpté, sur les bas-reliefs
des vihâras de cette région, des guirlandes chargées
de fruits de jacquier ou, motif de décoration grecque,
des branches de vignes, portées par des enfants, qui
tiennent parfois aussi à la main des grappes de raisin*.
Sur un bas-relief de SAnchi, on voit déjà un person-
nage, monté sur un lion cornu, une grappe de raisin à
la main, tandis qu'un autre tient des boutons de né-
lumbos '.
Les fleurons, avec les médaillons, ne jouent pas un
rôle moins grand que le lotus dans la décoration des
monuments de l'Inde. Les sculpteurs de cette contrée
les avaient peut-être empruntés à leurs devanciers de
r Asie antérieure ; les fleurons à quatre ou à huit pétales
qu'on voit sur des piliers de Bharhut, sur le tope de
Sàrnâth ou les chapiteaux de Sànchi, etc. *, ressemblent
singulièrement à ceux des édifices iraniens ou assy-
riens. Mais les sculpteurs de Tlnde modifièrent bientôt
les formes qu'ils avaient adoptées ; sous leur ciseau,
le fleuron assyrien tendit à devenir une fleur de lotus
le plus souvent double. Tels apparaissent déjà lesfleu-
1. The Slùpa of Barhut, pL XL-XLVIII. On voit aussi des
tiges feuillées sur une plinthe d'Amaràvati, pi. LVII.
2. H. -H. Cola, Préservation, pi. 7, 14, 16.
3. A. Griinwedel, Buddhislische Kutmtj p. 34, fîg. 7.
4. The Stûpa de Bharhut, pi. X. — Fergusson. Histonjj
p. 68, fig. 15 et Tree Worship, pi. XL, 1 ; XLI, 2 et XLII, 1.
408 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
rons qui décorent la première et la seconde architrave
de la porte orientale de Bharhut, les bas-reliefs su-
périeurs du pilier de Prasenajit et les balustrades de
certains arbres sacrés ; on peut ajouter les fleurons
dont la rangée orne l'architrave extérieure de la porte
orientale S et ceux qu'on voit sur quelques parties de
la chape. Tels sont encore les gros fleurons à fleurs
doubles semés à profusion au milieu des bas-reliefs des
frises d'Amarâvatî et sur les dagobas qui décorent les
piliers de ce stupa '.
Agrandis, les fleurons sont, genre de décoration
propre à l'architecture hindoue, devenus des rosaces,
des médaillons ou des espèces de disques, formés, non
plus d'une seule rangée de pétales, mais, comme on
en voit sur les piliers d'Amaràvatî, de trois, quatre
ou même cinq rangées de fleurs de lotus, que sépa-
rent parfois des filets et qu'entourent parfois aussi
des palmettes ou des dessins géométriques, mais le
plus souvent des bouquets de composition variable ^
Les sculpteurs des parties plus récentes du stùpa
d'Amaràvatî ont remplacé les rangées de fleurs par des
rangées de pétales aux formes conventionnelles et
parfois même par des lignes géométriques*. Les rosaces
ou médaillons de Bharhut sont aussi formés par des
rangs de pétales plus ou moins conventionnels, en-
tourés, ici d'une rangée de fleurons ou de palmettes,
là d'une tige fleurie de nélumbos ou de feuilles de fan-
1. The Stupa of Bharhut, pi. VIH, IX, XI, XIII, XVÏI, XL,
XLVIII.
2. Tree Worship, pi. LXXVI, LXXVII, LXXVIII, 1, 3;
LXXIX, 1, 2, 3; LXXX, 1, 2, 3 et LXXXI, 1, 2, 3.
3. Tree Worship, pi. L-LXÏ.
4. Tree Worship, pi. LXVI-LXX.
LES PLANTES DANS L'ART 409
taisie, de dessins géométriques ou encore d*animaux
passants et même de têtes denâgas*. D'autres fois, les
pétales de lotus ont disparu et ont fait place à des
compositions diverses : éléphants posés sur des fruits
de nélumbos et arrosant avec leur trompe la déesse Cri,
assise sur cette fleur sacrée ; éléphant marin que che-
vauche un dieu ; palmette accompagnée de fleurs, de
feuilles et de boutons de nélumbos ; feuilles pinnées,
entre la courbure desquelles s*élancent des animaux
ailés et se dressent en haut une palmette convention-
nelle et des boutons de lotus; bouquet de nélumbos
enfin surgissant d'un vase ciselé et sur les fleurs duquel
sont posées des oies de Brahmâ', etc. Des. médaillons
composés de trois rangées de pétales conventionnels
de lotus se voient aussi sur les piliers de la balustrade
bien plus récente de Bodh-Gayâ; mais le plus sou-
vent la rangée du milieu a été supprimée et au centre
du médaillon ont été sculptés, ici une divinité tenant
une fleur, là un oiseau picorant, ailleurs un animal
fantastique : antilope ailée, centaure', etc.
Comme la sculpture, la peinture hindoue a emprunté
au monde végétal les motifs de décoration les plus
beaux et lui a fait, dans ses compositions, une place
considérable. Nous ignorons à quelle époque cet art
1. The Stûpa of Bharhui, pi. XXXVf, 5, 6, 7 et 8; XXXVII,
2, 6, 7, 8, 10; XXXVIII, 4, 6, 7, 8, 9, 11.
2. The Stupa of Bharhut, pi. XXXVI, l, 2; XXXVII, 1, 3;
XXXVIII, 1, 3.
3. Râjandralàla Mitra, Ruddha Gayày the h ermitage of
Çàkya Muni, Calcutta, 1878, in-'*», pi. XXXVIII, 2, 3, 5», 5»>;
XLIV, 1 ; XLV, 9, 10, 12.
4iO LKS PLANTES CHKZ LES HINDOUS
prit naissance ; mais on peut dire qu'il fut exercé dès
les temps les plus reculés. Une légende, preuve de son
ancienneté, en attribuait l'origine aux dieux. Il fleurit
d'abord dans le Magadha, puis dans les provinces de
rOuest et dans le Bengale, plus tard dans le Népal*.
A Tépoque de la rédaction du, Mahàbhàrata, à plus
forte raison du RaraAyana, la pratique en était géné-
rale. Le poète du Mahàbhàrata parle d'une ville que
des peintres avaient décorée; ailleurs, il fait mention
de salles garnies de tableaux. D'après l'auteur du Rà-
mâyana, il y avait dans le palais de Râvana des salles
ornées de peintures ^ Une partie du premier acte de
V (Jttarardmacarita, pièce de Bhavabhùti, se passe
dans une galerie de tableaux, qui représentent l'his-
toire même de Ràma'. Dans les drames de Çakuntalà,
de Nâgânanda^ de Ratndvali et de Mdiattet Mddhava,
un portrait, dessiné parle héros ou l'héroïne, prépare le
dénouement de la pièce*. Dans Çakuntalii, il s'agit même
de plus que d'un portrait. La critique, que Dushyanta,
qui avait tracé celui de l'héroïne absente, fait de son
œuvre inachevée, montre que le royal artiste aspirait à
peindre un véritable tableau. « Il serait bon, dit-il, d'y
représenter encore le cours de la Mâlinî avec un couple
de flamands, posés sur un banc de sable; et au delà
1. John Grjffiths, The paintiiigs of Ajmifà, vol. I, p. 22. —
11 est question des tableaux du roi Paseuadi au iv« siècle avant
notre ère. H. Oldenberg, Aus Indien, p. 113.
2. Adi-Parva, 5006 et 7898. — Sundarakandâ, cap. xiv, 65.
3. V. i\ève, Le dénouement de Vhistoirede Rama. Bruxelles,
1880, in-8, p. U2-157.
4. Çakuntalà, acte \'I, scène 5. — \ùgnnanda, acte Iï,p 43.
— Ratnt'ivalif acte II, p. '46. — Môlati et Mndhava, acte II,
p. 28. Il est aussi question d'un portrait dans MallikàMarulnj
mitation de Màlati et Màdhava.
LES PLANTKS DANS L'ART 411
les majestueux contreforts de THimalaya, sur lesquels
on mettrait quelques antilopes. Enfin je voudrais, sous
l'arbre où sont suspendues les tuniques d'écorce (des
ermites), voir une gazelle qui vint se frotter aux cornes
de son compagnon. »
Je ne sais si, en faisant cette description, Kàlidàsa
songeait à quelque tableau connu ; mais les fresques
qu'on a découvertes sur les murs des grottes d*Ajantâ
ofi'rent des compositions, sinon semblables, du moins
analogues ' ; sous leur diversité, toutes ont d'ailleurs
un caractère commun ; les artistes qui les ont peintes
n'ont jamais omis d y représenter avec quelques-uns
des animaux indigènes : éléphants, singes, antilopes ou
daims, paons, etc., les plantes ou les arbres d'agrément
les plus répandus : banians et pipais, aréquiers ou
kétakîs, açokas et palàças, bananiers, lotus, etc. Ainsi
la partie gauche d'une fresque de la grotte I* est occu-
pée par un grand arbre à longues feuilles aiguës et
comme verticillées et réfléchies, sous lequel croissent
divers arbustes, entre autres un bananier. Sur des
fresques, qui représentent la salle d'un palais donnant
sur un jardin, on voit, parmi divers autres arbres, un
bananier et un aréquier. Sur une autre fresque, le
peintre a placé ses personnages encore au milieu de
bananiers, d'aréquiers et d'açokas ^ Les représenta-
tions de scènes empruntées à la vie du Buddha*, celles
des Jâtakas, que les décorateurs d'Ajanta, comme les
sculpteurs de Bharhut, ont affectionnées, leur ont per-
1. Jas. Burgess, The Ajan(à Caves. (The Indian Antiquary,
vol. III (1874), p. 25-28 et 271).
2. John Grifûths, The paintings of Ajanfdy vol. I, pi. 17.
3. The paintings of Ajan(â, caves II et XVII, pi. 31, 55 et 59.
4. Parexemple sa naissance, sesjeux, la tentation de Mâra, etc.
412 LES PLANTES CHKZ LES HINDOUS
mis, en particulier, de se livrer à leur penchant pour
la nature champêtre. Le peintre du ChkadanUya-Jâta"
ka\ par exemple, nous montre le roi des éléphants
retiré, avec ses deux reines, sous un immense banian ;
tout près d'autres éléphants se jouent au milieu de
marécages, couverts de nélumbos, et sur les bords des-
quels se dressent des arbres tropicaux, entre autres des
kétakls et un palàra en âeurs, dont les corolles écarlates
et les calices d'un vert sombre sont rendus avec une
scrupuleuse exactitude. Sur une autre fresque ', qu'on
a cru à tort représenter le Guna-Jâtaka, on voit un
daim, sa femelle et une troupe de biches qui prennent
leurs ébats au milieu de buissons, tandis qu'un lion
les épie du haut d'un rocher. Une autre encore nous
montre la jungle dans laquelle se trouvent cinq élé-
phants, dont deux sont aux prises'.
Les artistes des vihâras d'Ajantà n'ont pas seule-
ment couvert les murs de scènes empruntées à l'his-
toire ou aux légendes indigènes, ils se sont aussi
complus à y représenter les figures desBuddhas, motif
d'édification religieuse aussi bien que de décoration.
Comme les sculpteurs de Bodh-Gayâ, ils nous mon-
trent ces saints accroupis ou debout sur une fleur de
lotus, quelquefois aussi assis à la manière ordinaire,
1. The paintings of Ajan(â, caves I, XVII et XIX, pi. 15,
61 et 91. Les enluminures des anciens manuscrits hindous
représentent non seulement des Buddhas, mais encore des
Boddhisattvas ; elles nous les montrent ici debout, entourés des
fidèles qu'ils instruisent, là assis à l'indienne et plongés dans
la méditation sous la châsse où ils reposent. A. Foucher, Étude
sur Viconographie bouddhique. Paris, 1900, in-8°, pi. 11,2, 3;
111,1,2, /i, 5,6; IV, 1, 2,3, 5; V, 1, 2, 3, '* ; VI, 1,3, 4,5,
6, etc.
2. The paintings ofAjanfâ, p. 32 et 36 ; cave X, pi. 41 et 63.
3. The paintings ofAjantâ, p. 39, cave XVII, pi. 87.
LES PLAÎSTES DANS L'ART 413
ici entourés de bouquets formés denélurabos, de lotus
blancs ou étoiles et d'autres fleurs, là accompagnés
de Tarbre symbolique qui leur servait d'attribut*.
Les scènes représentées sur les murs des cryptes
d'Ajantâ ne sont pas la seule ornementation de ces
constructions souterraines ; les artistes qui les ont
peintes n'ont pas décoré avec moins de soin, s'ils l'ont
fait autrement, les plafonds et les piliers de ces édi-
fices sacrés, et ils y ont déployé un art et une richesse
de palette qu'on ne saurait trop admirer. C'est d'ail-
leurs à la nature végétale que sont empruntés la plupart
des motifs ornementaux qu'ils ont employés. Tantôt ce
sont de simples fleurons à quatre ou à huit pétales,
inscrits dans un carré, au-dessus et au-dessous duquel
se dressent trois ou cinq pétales, formant une sorte
de palmette* ; tantôt ce sont des espèces de rosaces,
composées soit de longs pétales arrondis ou triangu-
laires, rangés autour d'un cercle coloré figurant
Tovaire, soit de courts pétales placés vers l'extérieur
ou au milieu du fleuron général \ Parfois aussi on voit
des rangs de palmettes servir d'encadrement à d'autres
sujets d'ornementation*, mais les motifs les plus ordi-
naires sont des bouquets formés de fleurs seules ou de
fleurs et de fruits, au milieu desquels l'artiste a capri-
cieusement placé tantôt un enfant ou un éléphant,
1. The painttngs of Ajanfâ, p. 44, cave XIX, pi. 153. On
pourrait y joindre la fresque de la planche 114, qui représente
le combat de deux taureaux.
2. The paintings of Ajan(â, vol. II, cave I, pi. 98, fig. 95 ;
pi. 101, fig. 95 et 95».
3. The paintings of Ajan(â, vol. II, cave I, pi. 100, fig. 94 ;
cave IX, pi. 137.
4. Cave XVII, pi. 144, 4 ; 141, c. d. Cave XlX, pi. 152.
41 i LES PUNTES CHEZ LES HINDOUS
(Faulres fois des buffles ou des chevaux marins, des
singes ou des zébus, ou encore et plus ordinairement
des oiseaux: oies, perroquets, etc. *.
Les fleurs qui entrent dans la composition de ces
bouquets sont le plus souvent des nélumbos *, puis des
lotus blancs ou étoiles ', seuls ou mêlés à des fleurs à
quatre pétales, blanches ou jaunâtres* ; — j'ignore ce
qu'elles sont. — Les espèces de fruits sont plus nom-
breuses: ce sont, autant qu'on en peut juger parleurs
formes un peu conventionnelles, tantôt des mangues',
tantôt des fruits du bil va *^, souvent d'autres fruits, dans
lesquels M. Griffiths' a voulu voir ceux de ÏAnona
sguammosa % encore que cet arbre soit originaire de
l'Amérique, ainsi même que des grenades' ; puis, il
semble bien, des concombres ou une autre cucurbitacée *",
représentée avec des feuilles en godet, ainsi que les
fruits ronds d'un arbre à feuilles entières, peut-être le
1. Cave I, pL 96, 3, 12; pi. 97, 71, 91, 92'>; pi. 98, 94^, 66
pi. 99, 96, 22«; pi. 100, 4% 5; pi. 102, 2^, 2% 2«; pi. 104, 8^
8»», 6»»; pi. 105, 11», IH, etc.
2. Cave I, pi. 102, H; 103, 3^», V: 105, 10^, 13*; 107, 24, 25
108, 30% 31»>; 109, 40-, 45»»; 110, 57», 57^ 111, 60% 63»; 112
54, 86, etc.
3. Cave I, pi. 102, 1, If; 104, 8«>; 105, 10»»: 106, 15, 17,17J, etc
4. Cave 1, pL 100, 5; 101, 27; 102, 1^; 107, 25; 109, 45; 110
57"», etc.
5. Cave I, pL 103, 3^; 105, 10»», 11»»: 106, 17*»; 107, V
108, 35b; 109, 45<^; 110, 57\; 111, 60; 112, 8k, 64.
6. The paintigs of Ajatitâ, vol. I, p. 17.
7. Cave I, pL 102, 1«, 2<J; 103,3-; 104, 8«; 105, 10^; 107, 7»»
108, 31*, 35e, etc.
8. Cave I, pi. 102, 2»; 103, 3»»; 104, 6»; 105, 10», 13»»; 106
17% 17?; 108, 30»», 34».
9. Cave I, pi. 102, 1^; 106, 15»; 123, 2, 3, 4 ; 122, 9; 124, 6
Au lieude grenades ce sont peut-être simplement des fruits du
lotus.
10. Cave I, pi. 102, 2f; 103, 3»; 104, 8«; 105, 11»>; 106, 17d.
LES PLANTKS DANS L'ART 4L»)
jAmbîra', tandis que le bilva a les feuilles composées
de trois ou parfois de cinq folioles.
Comme les simples fleurons, les bouquets, dont je
viens d'indiquer la composition, sont inscrits dans des
carrés ; mais les artistes d*Ajantâ en avaient peint
d'autres, qui tantôt occupaient des panneaux entiers,
tantôt ornaient les bandes du plafond ou en décoraient
les quatre coins. Tels sont les gracieux bouquets, com-
posés d'un nélumbo stylisé, autour duquel rayonnent
des lotus étoiles et des fleurettes à cinq pétales, qui
s'étalent aux angles du plafond de la grotte II*. Telle la
bande fleurie qui forme l'ornement principal du plafond
de la véranda et du sanctuaire de la même grotte^;
composé de bouquets successifs formés chacun d'une
gerbe de fleurettes à quatre ou cinq pétales, de lotus
étoiles ou bleus et d'un nêlumbo double, elle est, par
l'heureux accord des couleurs et la grâce délicate des
formes, du plus heureux effet. Telles encore ces tiges de
nélumbos, accompagnés aussi de lotus étoiles ou bleus,
de fleurettes diverses, au milieu desquelles se glissent
des oies ou des perroquets, et qui serpentent le long
des panneaux *. Parfois ces tiges se replient de ma-
nière à renfermer dans leurs ondulations des motifs
divers de décoration : fleurs conventionnelles, enfants
qui gambadent, animaux courant, oiseaux qui pico-
rent \ Ailleurs, l'ornementation consiste en une
rangée de fleurs de nélumbos, inscrites entre des lotus
héraldiques opposés entre eux et qui se dressent, en
1. Citronnier. Cave I, pi. 105, lU.
2. Cave II, pi. 119, 24 et 121.
3. Cave II, pi. 117, 118, 20 et 36; 119, 24 et 25, et 120.
4. Cave II, pi. 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129 et 130.
5. Cave XVII, pi. 141, c. d. — Cave XIX, pi. 152. a. b. c.
416 LKS PLANTES CHEZ LES HINDOUS
les encadrant, de chaque côté de ces fleurs *. Ou bien
encore les fleurs de nélumbos sont disposées en une
bande circulaire qui enveloppe un médaillon central,
tandis qu'au-delà on voit des dessins géométriques,
puis une bande de palmettes conventionnelles ^
Les monnaies hindoues reçurent aussi parfois des
emblèmes tirés du monde végétal. Les princes gréco-
bactriens, dont l'influence se fit sentir bien vite dans
la Péninsule, avaient donné Texemple* Au revers de
leurs monnaies, on voit tantôt les Dioscures' ou une
Niké^ tenant à la main une palme, ainsi parfois qu'une
guirlande^ tantôt un pileus entre deux palmes*, ou
bien une couronne ou une palme ', ou encore une femme
tenant une fleur de la main droite ^ Deux monnaies
d'Agathoclès présentent un symbole tout difierent ;
sur l'une, c'est une panthère, qui tient dans une de ses
1. The paintings of Ajai}(â, p. 43, fig. 85.
2. Cave II, pL 117, 118, 20 et 36; et 119, 24 et 25.
3. M ion net. Description des médailles antiques, vol. VIII,
p. 468, 470, 471; no» 23, 24, 26, 27, 29. —H. -H. Wiison, ^rtVzna
antiqua, A descriptive accomit ofthe antiquities and coins of
India. London, 1841, in-4o, p. 238-240, pi. III, 1, 2, 3, 9 et 10,
etc. — Percy Gardner, The coins of Greek and Scythic Kings
of Bactria and India. London, 1886, in-8*>, p. 13, 14, 16, pi. V,
4, 7 et 8; VI, 1, 2, 3, 4, etc. Les Dioscures sortt parfois rem-
placés par Poséidon, Zeus ou Héraclès.
4. Mionnet, p. 476, 477, 482, 494, n«» 44, 45, 64, 67, 109. —
Wilson, p. 241, 274, 285, etc., pi. III, 11, 10, 15; IV, 4, 5 et 6.
— Gardner, p. 18, 43, 48, 57, 61, pi. VI, 6 et 7 ; XI, 4, 13;
VIII, 9; XIV, 10.
5. Wilson, p. 242 pi. suppl., fig. 6 et VIII, 10.
6. Mionnet, p. 468, 483, n^» 24, 67, 68. — Wilson, p. 241,
278; pi. III, 12; II, 13. - Gardner, p. 16, 27, pi. VI, 5: VIII,
2,3.
7. Wilson, p. 279, 287; pi. suppl., fig. H, IV, 11. — Gardner,
p. 28, 48, 55; pi. VIII, 4; XII, 2; XIII, 4.
8. Gardner, p. 9, pi. III, 9.
LES PLANTES DANS L'ART 417
pattes de devant une grappe de raisin ; sur une autre,
c'est encore une panthère, mais cette fois devant une
vigne, dont elle semble vouloir manger les fruits*.
Les monnaies des rois sakes offrent souvent les
mêmes emblèmes que celles des princes gréco-bac-
triens ; on y voit fréquemment en particulier une Nikè
tenant une palme à la main'; mais elles en offrent
d'autres aussi ; tels ces deux arbustes — Percy Gard-
ner dit deux vignes — , entre lesquels est représentée
debout une femme qui s'appuie de la main droite sur
l'un d'eux et tient de la main gauche la branche supé-
rieure de l'autre'. En même temps que ces emblèmes
gréco-bactriens les monnaies des Sakes en montrent
d'autres tout différents, en particulier divers animaux
indigènes dans la région du Nord-Ouest, comme le bœuf
indien à bosse ou zébu, le lion et l'éléphant, ainsi que le
dromadaire, qui y avait été importé du bassin de l'Oxus
par ces conquérants. Outre ces images symboliques,
les monnaies des Yue-Chi et surtout desKuçanas, leur
principale tribu, en présentent d'autres empruntées
aux croyances ou aux produits de leur nouvelle patrie*,
tels par exemple Çiva, Mitra, le dieu de la Lune, le
1. Wilson, p. 299, pi. VI, 5 et 6.
2. Mionnet, p. 494, n<» 109. — Wilson, p. 320, 324, 325, etc.,
pi. VI, 12, 18, VIII, 5; etc. — Gardner, p. 69, 83, 104, 107,
109, 110; pi. XVI, 2; XVIII, 12; XXII, 11 ; XXIII, 1, 3, 9.
3. Mipnnet, p. 490, n« 91. — Wilson, p. 314, pi. VII, 5. —
Gardner, p. 70, pi. XVII, 1, 2. Gardner mentionne encore,
p. 89, pi. XIX, 10, une monnaie sur le revers de laquelle,
dit-il, est représentée une femme tenant dans chaque main une
longue branche de vigne ; mais cette monnaie n'est autre que
le n® 91 de Mionnet et VII, 5 de Wilson.
4. E.-J. Rapson, Indian Coins. Strassburg, 1897, in-S», p. 18.
(GrundrUs der Indo-arischen Philologie und AUerlumskunde,
vol II, fasc. 3.)
JoRET. — Les Plantes dans V antiquité, II. — 27
418 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Buddha surtout', et — car c'est bien il semble à
Tépoque de cette dynastie, comme Ta pensé Wilson ',
qu'il faut rapporter les monnaies qui ont cet emblème
— l'arbre sacré des Bouddhistes, entouré d'une balus-
trade. UAriana antiqua avait déjà signalé une de ces
monnaies^; James Prinsep en a fait connaître plusieurs
autres, découvertes à Behat*. Comme sur la monnaie
de VAriana antiqua, ces emblèmes se composent d'un
tronc avec deux ou trois paires de branches horizon-
tales recourbées à l'extrémité, ce qui les fait ressem-
bler à l'arbre sacré des Babyloniens ; mais parfois aussi
les branches sont plus ou moins droites et feuillées,
forme qui diffère complètement des arbres sacrés de la
Chaldée et de l'Assyrie.
Le monde des plantes n'occupait pas moins de place
sans doute dans la décoration des produits des arts
industriels que dans celle des monuments de la sculp-
ture et de la peinture ; mais la disparition de la plu-
part de ces produits : bijoux, poteries, meubles, étoffes,
etc., ne permet pas d'en connaître toute la riche orne-
mentation. Toutefois, la découverte de quelques rares
objets échappés à la destruction, la représentation
d'un certain nombre d'autres sur les stupas de Bharhut,
1. Gardner, p. 124, 125, 126, 130, 131, 132, 133, 139, etc.,
pi. XXV, 6, 11, 12, etc. ; XXVI, 8, 10, 13, etc. ; XXVÏÏ, 2, 17,
18, 19, 20, etc.
2. Ariana antiqua , p. 414.
3. P. 415, pi. XV, 23. Les monnaies des n«» 24 et 25, dont
Wilson ne dit rien, semblent bien aussi, entre autres emblèmes,
avoir un arbre sacré, mais sans balustrade. JMnciine encore à
en voir un sur la monnaie du n<> 32.
4. Essays on fndian antiquities, London, 1858, in-8«, vol. I,
pi. IV, 1, 4-22, 3, 4, 5, 22; VII, 4; XIX, 5, 8, l5, 15, 16, 18,
23; XX, 28, 38, 41, 44, 48.
LES PLANTES DANS L'ART 419
de Sânchi et d'Amarâvatî, ainsi que sur les murs
d'Ajantà, nous ont révélé quelques-uns des motifs de
décoration les plus usités dans la joaillerie, la poterie,
Tébénisterie et la fabrication des étoffes. Sur un sceau
métallique trouvé à Bighram est gravé un arbre, devant
lequel un personnage ou un animal semblent en ado-
ration, tandis que des oiseaux volent vers les bran-
ches. Sur une cornaline provenant de Hidda est aussi
gravé un arbre, que vénère un homme appuyé sur une
espèce d'auteP. Une urne en bronze, trouvée à Dje-
làlpour dans le Pandjab et conservée au Musée de
Lahore *, est ornée de gravures représentant des scènes
tirées du Râmàjana — enlèvement de Si.tâ, siège de
Lanka — , ainsi que les incarnations de Yishnu ou de
Çiva.
Mais autant que nous pouvons en juger, les fleurons
surtout servaient à la décoration des joyaux et des
bijoux. Un fleuron à six pétales, par exemple, entouré
d'une ligne de points, se voit sur un bijou en or trouvé
dans le stûpa de Kotpour ^. On a trouvé dans les fouilles
de Bhattiprobu des fleurons en or à 6 ou 8 pétales ^.
On en voit aussi parfois un au milieu du bandeau qui
retient les cheveux des femmes, sur les fresques
d*Âjantâ^ Des fleurons à huit pétales arrondis ou à
deux fois quatre pétales aigus et entre-croisés ornent
des boucles d'oreilles dessinées par Cunningham.
Deux fleurons à huit pétales, parfois aussi deux feuilles.
1. Wilson, Ariana antiqua, p. 54, pL IV, 8 et 10.
2. Indian ArUiquaryy vol. III (1874), p. 158.
3. Wilson, Ariana antiqua^ p. 54, pi. IV, 14.
4. Al. Rea, South Indian Buddhist Anliquities, Madras, 1894,
in-fol., pi. IV et VI.
5. The painlings ofAjar^fâ, vol. I, p. 10, ûg. 12.
420 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
servent d'ornement à des colliers de Bbarhut ; Cunnin-
gham.en a reproduit un autre formé d'une rangée de
demi-fleurons avec un fleuron entier au milieu'.
D'autres ont pour ornement un cordon de palmettes
opposées deux à deux. Sur une fresque d'Ajantâ on
voit une mère et sa fille porter un collier, d'où pend
un large médaillon*. Des fleurons servent encore le
plus souvent à décorer les bracelets que portent les
femmes sur les sculptures de Bharhut ou les fresques
d'Ajantâ. Il y en avait aussi sur les brassards'. Des
rangées de fleurons, métalliques sans doute, entraient
également dans la composition du système souvent si
compliqué des ceintures des femmes hindoues. On en
voit aussi un gros au centre de l'espèce d'écharpe que
porte le personnage d'une fresque d'Ajantâ*. On ne
doit pas être surpris que des fleurons aient orné la
poignée des épées, ni que les boutons de la bride des
chevaux sur les bas-reliefs de Sanchi et les fresques
d'Ajantâ en afl*ectent la forme. Une rangée de fleurons
à huit pétales décore aussi le frontal d'un éléphant
sur un chapiteau du stupa de Sanchi ^.
Des fleurons servaient également, toutefois avec
d'autres ornements, à la décoration des vases en
métal ou en pierre tendre. Ainsi un fleuron à huit
1. Tfie Stâpa of Rharhul, pi. XLIV, 1, 4, 7, 8 et 11, 13, 14 ;
L, 2, 5, 6, 7.
2. Tree Worship. Sânchi, pi. XLIV, 1. — The paintings of
Ajanfây vol. I, p. 40, fig. 76.
3. The Slùpa of Bharhut, pi. XLIX, 16 et 17. — The pain-
tings of AjantA, vol. I, p. 9, fig. 9 ; p. 11 et 40, fig. 15 et 76 et
pi. 14.
4. The Stûpa of Bharhut, pi. LI, 2, 3. — The paintings of
Ajantây vol. I, p. 7, fig. 5; p. 19, fig. 54.
5. The paintings of Ajan^à, vol. I, p. 15, fig. 35 ; p. 13,
fig. 23. — Tree Worship, pi. III, 7: XL, 1.
LES PLANTES DANS L'ART 421
pétales orne le couvercle d'un vase métallique trouvé
à Manikidjala *. Un fleuron à huit pétales stylisés, entre
lesquels sont enchâssés des lotus héraldiques, décore
le fond d'une coupe en métal d'origine relativement
récente. On voit aussi un fleuron à huit et un autre à
douze pétales sur le couvercle de deux vases en stéa-
tite découverts, le premier à Darunta, le second dans
le tope do Kotpour. Enfin, outre des dessins géomé-
triques, une ligne de fleurons ou de fleurs de lotus
grossièrement dessinées, décore la panse d'un vase
également en stéatite, qui provient du stûpa de Deh
Bimaran ^
Si les poteries hindoues étaient souvent d'une grande
élégance de formes**, elles étaient aussi le plus sou-
vent unies ou simplement ornées de dessins géomé-
triques; parfois cependant des ornements d'origine
végétale : fleurons ou palmettes, en relevaient l'unifor-
mité. Le vase à col étroit, par exemple, d'où surgissent
des lotus sur un pilier d'Amarâvatî, est décoré, dans sa
partie renflée, de filets sur lesquels sont disposés des
fleurons, tandis qu'au-dessous court un rang de pal-
mettes, alternant avec des demi-fleurons. Sur une
fresque d'Ajantà, on voit des ghoràs ou vases à par-
fums ornés d'un cordon de fleurons, qui serpente entre
un double filet séparé par une ligne de points ; une
rangée de pétales palmiformes, au sommet et à la base
du vase, en complète la décoration *.
1. Prinsep, Essays, vol. I, p. 98, pi. V, 1.
' 2. Wilson, Ariana anliqua, p. 54, pL IV, 3; p. 51, pi. I, 1 ;
p. 53, pi. III, 2; p. 52, pi. II, 1.
3. The paintinqs of Ajatj(à, voi. I, p. 20, fig. 56 et 57.
4. Tree Worship, pl. LXXXIX, 3 et XC'VI, 4. - The pain-
tings of Ajai}(â, vol. I, p. 20, fig. 56 et 57; cave I, pl. 57.
422 LES PUNTES CHEZ LES HINDOUS
Des ornements d'origine végétale étaient aussi em-
ployés dans l'ébénisterie ; sur un bas-relief peut-être
récent d'Amarâvati, des fleurons aux formes variées
ornent le rebord et le dossier du trône et l'escabeau
du roi, ainsi que le devant sculpté du fauteuil où est
assise la reine. Le Bodhimanda, où l'on voit, sur un
autre bas-relief, trôner le Réformateur, est également
décoré de fleurons à quatre pétales. Un rang de fleu-
rons forme aussi l'encadrement du dossier des trôûes,
sur lesquels sont assis certains Buddhas d'Ajantâ*.
Les tapis et les tentures étaient ornés des fleurs les
plus diverses; tantôt ce sont des corolles à quatre,
cinq ou huit pétales ; d'autres fois des panicules ou des
branches fleuries, des feuilles palmées, etc., qui ont
été tissés dessus*. Si à l'origine les étofifes» dont était
fait le léger vêtement des anciens Hindous, étaient d'une
couleur uniforme, on les teignit aussi plus tard de
nuances diverses ; la tunique de certains personnages,
représentés sur des fresques d'Ajantâ, est rayée de bleu,
de rouge ou d'une autre couleur. On en voit même
un, dont la robe est ornée de dessins géométriques,
d'arabesques, de médaillons et de fleurons à quatre
pétales ^
II
La flore indigène, qui a fourni de si nombreux motifs
1. Tree Worship, pi. LXXXVÏ et LXXXIV, 3. - The pain-
lings of Ajaniàj cave IX, pi. 89.
2. The paintings of Ajan{ây p. 9, fig. 9 et cave I, pi. 5, 13 ;
cave X, pi. 42, 43; cave XVII, pi. 82, 85, 86; cave IX, pi. 89.
II est difficile parfois de dire si ce sont des fleurs tissées dans
TétofFe ou des fleurs naturelles répandues sur le sol.
3. Cave I, pi. 6 et 7 ; VJ, pi. 134 et 135; XVII, pi. 55.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 423
de décoration aux artistes de Tlnde ancienne, et qui
leur a servi si heureusement à embellir et à animer
les scènes qu'ils ont sculptées sur les monuments, n'a
pas été moins largement mise à contribution par les
écrivains de cette vaste contrée. Les poètes ont tiré
du monde charmant des plantes et des fleurs d'ingé-
nieuses fictions ; ils lui ont emprunté les comparaisons
les plus gracieuses et y ont trouvé matière aux des-
criptions les plus variées et les plus pittoresques. C'est
dans les forêts, à l'ombre des grands arbres, que se
déroulent quelques-uns des épisodes les plus célèbres
des deux épopées nationales ; c'est dans les jardins
ou les parcs que les poètes de la Renaissance ont placé
les plus belles scènes de leurs drames.
La Mahàbhârata s'ouvre au milieu de la forêt Nai-
misha; comme Yayàti, son aïeul, s'était fait anacho-
rète, Pandu, le père des plus grands héros du poème,
se retire au milieu des bois de l'Himavat ; c'est là que
naissent ses cinq fils et qu'ils passent leurs premières
années *. C'est dans une forêt qu'il meurt, et que plus
tard, exilés volontaires, ses fils vivent pendant douze
années. Dushyanta rencontre Çakuntalâ en chassant
dans les bois '. C'est dans une forêt déserte que Nala
fugitif abandonne sa chère Damayanti. C'est là aussi
que se retire Dyutmatsina, aveugle et dépouillé de ses
états, et que grandit son fils, le vertueux Satyavat'.
Dhritaràshtra, le frère et le rival de Pandu, passe les
dernières années de sa vie dans un ermitage au fond
d'un bois, comme l'avait fait Arvatthaman après la
1. Adi-Parva, 3, 3635-36, 463048 614767-4851.
2. Adi-Parva, 4877, 5877-6924 et 2839-66.
3. Vana-Parva, 2851, 16666-67.
424 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
mort de Duryodhana*. Ainsi, partout, excepté dans les
livres consacrés aux combats que se livrent les Pân-
davas et les Kauravas, les événements du Mahâbhâ-
rata se déroulent au milieu des forêts et des paysages
grandioses de Tlnde.
Les scènes les plus belles du Ràmâyana se passent
aussi dans les forets, et le monde des plantes joue
dans ce poème un rôle encore plus considérable que
dans la Mahàbhârata*. C'est dans les bois que Râma
vit les longues années de Texil qui lui est imposé.
Nous le voyons, après avoir franchi la Gangà, entrer
dans la forêt de Prayâja aux « arbres chargés de fruits
pour tous les désirs », et visiter Termitage de Bha-
radvàja ; traverser le bois de Nîla, « rempli de palâ-
ças, de badaris, de bambous, de manguiers et de
madhukas », et atteindre la forêt encore plus belle,
qui couvre les flancs du Citrakùta ^. Ensuite le poète
nous le montre, résolu à chercher une retraite plus
solitaire, se mettant en route avec Lakhsmana, visitant
le bois, (( charmant comme le Nandana )),dans lequel
est caché l'ermitage de l'anachorète Agastya, puis se
rendant dans la forêt de Pancavatî, et y construisant,
près des bords enchanteurs de la Godàvarî, la chau-
mière qui lui servira de demeure *.
L'enlèvement de Sîtà et la poursuite de son ravis-
1. Sauplika-Parva et. Açrama-Parva. — Holtzmann, Die neun"
zehn Bûcher des Mahàbhàrala, Kiel, 1893, in-8, p. 203 et 265.
— P. E. Pavolini, Mahôàhârala, Milano, 1902, iii-12, p. 219
et 255.
2. H. F'auche, fiàmâyana, poème sanscrit. Paris, 1854, in-12.
— G. Gorresio, Il Hàmàyana di Valmici. Milano, 1869, in-12.
3. Ayodhyàkânda, LU, 13 et 32 ; LIV, 29-42; LV, 19; LVI
18-32.
4. Arajiyakàpda, XVII, 6-18; XXI, 2-21.
LES PLANTES DANS U POÉSIE 425
seur, qui forcent le héros à reprendre sa vie errante,
donnent occasion au poète de nous décrire les paysages
de rindo méridionale et de Ceylan : bois des bords
enchanteurs de la Pampà, que domine le mont Rishya-
mûka « aux arbres fleuris » *, étangs couverts de né-
lumbos et de nymphées, forêts aux essences parfumées
du Gandhamâdana et du Vindhya^ rivages de la mer
bruyante avec leurs cocotiers, leurs tàlas et leurs
kétakîs, jardins et bois de Lanka, bosquets d'açokas
du palais de Râvana ^ etc.
Non seulement les jardins et les forêts occupent une
place considérable dans les deux grandes épopées de
l'Inde, des arbres isolés y jouent aussi un rôle impor-
tant. Damayantî abandonnée adresse une prière tou-
chante à un açoka qu'elle aperçoit au milieu de la
forêt*. Dans leur fuite, loin de la ville de Vàranàvata,
Bhîma dépose sa mère et ses jeunes frères au pied d'un
immense nyagrodha, et quand, après leur exil, ils
quittent la forêt où ils s'étaient réfugiés, les cinq frères
cachent leurs armes dans un acacia*. C'est aussi
campés sous un nyagrodha aux larges rameaux que
les trois derniers héros de l'armée de Duriyodhana
vaincu, Açvatthâman, Kripa et Kritavarman, con-
çoivent le projet de surprendre l'armée endormie des
Pàndavas ^.
Arrivé près de la Gangà, Râma fait halte sous une
1. Aranyakànda, LXXVI, 26-27.
2. Kishkindhyakâçïda, XLIV, 54 ; L, 30.
3. Sundarakàcida, VIII, 26; IX, 4-9; XVI, 2-4; XX, 8-9. —
Yuddhakânda, XV, 3-6.
4. IVala et Damayantî, chant XII, 102.
5. Adi-Parva, 5896-97. - Viràta-Parva, 1306.
6. Holtzmann, Die neunzehn Bûcher des Mahâbhôrata,
p. 199. — Pavoiini, Mahâbhârata, p- 207.
426 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
ingudi couverte de fleurs ; et après avoir traversé le
fleuve sacré, il s'arrête, la nuit, avec Sîtâet Lakshmana,
sous les branches onabreuses d'un nyagrodha *. Et afin
d'épier en sûreté ce qui se passe dans le bois d'açokas
de LaAkâ, le singe Haaumat grimpe sur une çiriaçapâ,
que l'infortunée Si ta, « comme une liane en fleurs »,
étreignait de ses bras '.
Chose qui peut surprendre au premier abord, mais
qui s'explique de la part d'un peuple vivant, comme
le faisaient les Hindous, en communion constante avec
la nature, et tient aussi à la forme de leur drame
national, où tout se passe en plein air, les scènes les
plus importantes de leurs pièces se déroulent au milieu
du calme des jardins ou des « riants paysages » des
forêts tropicales*. C'est dans un parterre que le poète
de Mâlavikd et Agnimitra, Kâlidâsa, nous montre le
roi révélant son amour à son confident, et que Mâla-
vikâ, en venant préparer Téclosion des fleurs de l'açoka,
achève de l'enflammer*. Çakuntalâ nous transporte au
milieu des bois dans le voisinage du riant ermitage de
Kanva ; c'est là que le roi Dushyanta rencontre l'hé-
roïne du drame, occupée à arroser les arbres favoris
de son père supposé, et qu'il s'en éprend *. Dans Urvaçi,
dernière pièce de Kâlidâsa, le roi Purûravas vient dans
le parc de Pratishthâna chercher un délassement au
chagrin que lui cause le départ de la divine Âpsaras ;
celle-ci y est ramenée par l'amour qu'elle-même éprouve
1. Ayodhyàkàoda, XLVII, 5 et XCV, 26 ; LU, 34 et LUI, 1.
2. Sundarakànda, XVI, 46; XVII, 36.
3. André Lefèvre, Les parcs et les jardins. Paris, 1882, in-12,
3« édit.yp. 23.
4. Màlavikà el Agnimitra, acte III. Trad. L. Fritze,p. 32-36.
5. Çakuntalâ, acte I, scènes 2-4.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 427
pour le héros ; et quand elle a été changée en liane,
pour avoir pénétré dans le bocage sacré du dieu Ku-
mâra, nous voyons le roi parcourir les bois, à la re-
cherche de sa bien-aimée, interrogeant sur son sort
leurs sauvages habitants ^
C'est dans le parc de Makaranda que se déroulent
encore les principales scènes du drame de RatnâvaH,
attribué au roi Çrî-Harsha^ Il y a également, dans
Nâgânanday pièce du même poète royal, un parterre,
dont la jardinière Pallavikâ est chargée de ratisser les
allées de tamâlas^ et où, leurs noces achevées, se
promènent le héros et l'héroïne.
Dans Pryadarçikây autre drame de Çrî-Harsha,
nous trouvons aussi un parterre, dans lequel le roi
Vatsa rencontre Théroïne et s'en éprend, comme dans
Ratnàvali *. Le Pârvatiparinaya « les Noces de Pâr-
vatî », pièce attribuée à Bâna, a été découpé dans le
Kumârasathbhava et, comme l'original, il nous trans-
porte au milieu des paysages divins de l'Inde mythique.
Çûdraka, l'auteur royal, croit-on, de la. Mricchakatikâ,
nous montre, au début du cinquième acte, Çârudatta,
^ un des personnages du drame, assis dans un parc
ombreux; au septième acte, il nous conduit encore
dans un parterre, vraie « corbeille de fleurs » — push-
pakarandaka — , aux arbres enlacés de lianes impé-
nétrables, et c'est là qu'arrive la catastrophe finale ^
1. Urvaci, actes II et IV. Trad. Fritze, p. 22-34 et 52-68.
2. Actes!, II, III. Trad. Fritze, p. 17, 28, 60 et suiv.
3. Acte IL Trad. A. Bergaigne, p. 62.
4. Acte H. Cf. S. Lévi, Le théâtre indien. Paris, 1890, in 8,
p. 188.
5. Acte V, scène 1 ; acte VII, scène 1 ; acte VIII, scène 1.
Cf. 98. 127 et 133.
428 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Dans Mâlati et MAdhava, drame de Bhavabhùti,
Màdhava, plongé dans la rêverie, se rend, au premier
acte, dans le jardin de Kâma ; là assis sous un kânca-
nâra, dont les fleurs épanouies remplissent le parc de
leur parfum, il raconte à son confident Makaranda
comment il s'est épris de Mâlatî, et le troisième acte
nous conduit dans un autre jardin, « le parterre fleuri »,
qui entoure le temple de Çiva, où Kâmandaki a ménagé
une entrevue entre les deux amants*. Imitation de
Màlati et Mâdhava, le drame d'Uddandi, Mallikâ et
Mdrtita, se passe aussi en partie dans un jardin, le
parterre du temple de Kàtjâyanî-, Dans VUttara-
râmàcarita, Bhavabhùti, nous promène à travers les
forêts où Kàma avait erré pendant son long exiP. Il
va sans dire que le Mahdviracarita nous ofl*re les
mêmes paysages que le Ràmàyana, dont cette pièce,
de Bhavabhùti n'est qu'un résumé fait pour la scène *.
Quant aux pièces postérieures au milieu du viii* siècle,
époque de la littérature hindoue où j'ai résolu de m'ar-
rêter, leur examen ne saurait trouver place ici. Je ferai
exception toutefois pour le Mndrdrdkskasa, pièce ori-
ginale d'un disciple de Cûdraka, Viçàkhadatta, ainsi
que pour la « Colère de Kauçika » — Candakauçika
— drame de Kshemîçvara, d'une date incertaine, mais
dont la mise en scène est digne de Tàge classique.
Le sixième acte de Mudràràkshasa se passe en entier
dans un parc^; le Candakauçika nous conduit au milieu
1. Trad. L. Fritze, p. 15, 16 et 37.
2. Actes III, IV et V. S. Lévi, Le théâtre indien, p. 217-218.
3. Félix Nève, Le dénouement de V histoire de Hâma, Outtara-
Ràma-Charita. Paris, 1880, in-8.
i. S. Lévi, Le théâtre indien, p. 269-272.
5. Trad. L. Fritze, p. 111.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 429
des bois qui entourent Termitage de Tanachorètô' Kau-
çika*.
Les poètes hindous ne se sont pas contentés de
donner place dans leurs œuvres au monde des plantes ;
ils se sont complus à en faire connaître les divers re-
présentants, à décrire les lieux où ils croissent et au
milieu desquels vivent et agissent leurs héros. L'au-
teur du Mahâbhârata n'y a pas manqué. Dans Tépisode
célèbre des amours du roi Dushyanta et de Çakuntalâ,
il ne nous transporte pas seulement au milieu des
bois, où s'élève l'ermitage de Kanva et où vient chasser
Dushyanta, il nous les dépeint.
Telle était la charmante et magnifique forét* où entra ce
grand chasseur. Revêtus de leur parure aux mille couleurs et
résonnant du doux ramage des oiseaux, les arbres s'élevaient
en rangs pressés jusqu'aux cieux. Leurs rameaux, embellis de
grappes fleuries, s'agitaient doucement au doux souffle des
vents, en répandant leurs fleurs sur la tète du monarque.
Autour de leurs branches, courbées sous le poids des fleurs,
bourdonnaient les essaims d'abeilles, avides d'en sucer le miel.
Ces rangées d'arbres aux rameaux fleuris, entrelacés les uns
dans les autres, et ressemblant à autant d'arcs-en-ciel par
l'éclat et la variété des couleurs, donnaient à la forêt une inex-
primable beauté. Et le roi à la grande énergie, en contemplant
ces lieux couverts de berceaux de lianes, ornées d'épais bou-
quets de fleurs, éprouvait une joie et un charme infinis.
Là et plus loin, où il décrit les ermitages répandus
sur les bords enchanteurs de la Miilinî, le poète nous
peint encore un paysage hindou ; dans l'épisode de Nala
et Damayantî, il semble, au contraire, s'être plu uni-
quement à énumérer les arbres de la forêt où l'héroïne
erre abandonnée. Et quand elle interroge sur Nala la
1. Acte II. Trad. L. Fritze, p. 27-42.
2. Adi-Parva, 2852-2857. The Mahâbhârata, translated by
Protap Chandra Roy. Calcutta, 188'*, in-8, vol. I. p. 209.
430 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
haute montagne aux pics nombreux qu'elle rencontre
sur son chemin S Damayanti n'oublie pas encore de
nommer, avec les fauves auxquelles elle sert de retraite,
les arbres — kiihçukas, açokas et bakulas, pumnagas,
dhavas, plakshas et karnikàras aux belles fleurs — , qui
la couvrent et Tembellissent. Toutes les fois que le
poète parle d'une forêt, qu'il s'agisse de celle où Pandu
finit sa vie, des solitudes boisées des bords du Dvai-
tavana, où les fils du héros vont établir leur de-
meure', etc., il montre le même souci de faire con-
naître les essences diverses qui croissent dans ces
lieux fortunés.
Cependant quelque nombreuses qu'elles soient dans
le Mahâbhârata, les descriptions de forêts et de pay-
sages le sont encore bien plus dans le Ràmâyana ; on
peut reprocher à Vàlmîki, l'auteur de ce beau poème,
de les avoir parfois faites trop longues, de s'être attardé
à d'interminables énumérations d'arbres et de plantes,
mais quel coloris aussi, quel art il a le plus souvent
mis dans ses tableaux ! Il est impossible, par exemple,
de décrire avec plus de charme que ne le fait Rama
la forêt de Citrakûta, où il va se retirer avec Sîtâ et
son frère Lakshmana *.
Sità aux grands yeux, vois près de la Mâlini, ces kîihçukas,
revêtus de fleurs couleur de feu à la fin de la saison froide ; vois
le long de la Mandàkini cette forêt de karnikàras, toute illuminée
de fleurs splendides et flamboyantes. Vois ces bhallâtakas, ces
bilvas, ces panasas, ces plaquemiers et tous ces autres arbres
dont les branches sont courbées sous le poids de leurs fruits.
t. VanaParva, 2437-2440.
2. Adi-Parva, 4868. — Vana-Parva, 934-935.
3. Ràmâyana, Ayodhyâkânda, LVÏ, 7-10 et U-17. Fauche,
vol. II, 321*. — Gorresio, vol.l, p. 269. Le bhalUUaka est le
Semecarpus anacardium.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 431
Oh ! bonheur ! Nous voici donc arrivés au mont Citrakûta, ce
séjour délicieux et semblable au Paradis. Ici, femme à la taille
svelle, nous pourrons vivre de simples fruits... Vois, belle
amie, comme, sur les bords de la Mandâkini, ces grappes
fleuries qui couvrent les arbres semblent nous offrir des lits
moelleux !... Sur cette montagne, couverte de délicieux bocages,
égayée par le ramage des oiseaux, nous vivrons heureux, ma
bien aimée Vidéhaine. Ici, tu goûteras avec moi les joies les
plus douces.
L'idylle se continue dans cette solitude enchantée,
où chaque jour Rama découvre de nouvelles beautés et
goûte, divin exilé, des joies nouvelles :
Quand je contemple cette délicieuse montagne, Sitâ^ ni la
perte de la couronne tombée de ma tête, ni Texil même loin
de mes amis ne tourmente plus mon âme. Vois quelle variété
d'oiseaux peuple cette montagne, parée de hautes crêtes, qui
s'élèvent presquç jusqu'au ciel... Elle renferme en elle une
source de prospérité, riche comme elle l'est en manguiers et
en jambons, en lodbras, kakubhas, piyàlas et dhavas, en ankolas,
panasas, bilvas et tindukas, en bambous et en gambhâris, en
arishtas, varunas et madhùkas, en amàlàkas, kadambas et
roseaux, en santals, déodaras et autres arbres, revêtus de
fleurs, couverts de fruits, opulents d'ombrage et agréables à la
vue.
Vâlmîki aime ces descriptions, où il peut faire éta-
lage de son érudition ; la recherche du lieu où Kâma
se fixera définitivement, la vue des saints ermitages
réunis dans le Dandaka, lui ont permis de les accu-
muler dans la suite de son poème. Un premier exemple
est offert par la description du paysage où l'ascète
Sutîkshna conseille à Rama de s'arrêter ^ : « solitude
1. Ayodhyàkânda, CIII, 3-4 et 8-10. — Gorresio, vol. I, p. 360.
Le kakuhha est la Terminalia arjuna, lepiyâla, la Buchanania
latifoliay le dhava, la Griêlea tomentosa, la gambkâri, la
Gmelina arborea, Varish(a, le Melia azadirachta et le varuna
ou varatja, la Crataeva religiosa.
2. Aranyakà^ida, XI, 14-16. — Gorresio, vol. Il, p. 20,
432 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
heureuse, où abondent les fleurs et les eaux, pleine
d'arbres à fruits et de succulentes racines, riche en
odeurs suaves, en fruits nourrissants, embellie de lacs
émaillés par des pépinières de lotus, et ornée de char-
mants bosquets. »
Mais le héros ne peut y rester, et il continue sa route
avec Sitâ et son frère Lakshmana, contemplant « les
bocages et les bois délicieux, les montagnes et les ri-
vières, les étangs parsemés de lotus», qu'il rencontre
sur son chemin, tout en cherchant « le site heureux et
charmant, abondant en herbes, riche en fleurs, en ra-
cines et en fruits», où réside l'auguste Agastya*.
« De grands arbres aux branches courbées sous les
fleurs et les fruits et résonnant du chant des oiseaux,
avec les senteurs pénétrantes des poivriers murs »,
lui signalent l'ermitage du saint. Enfin, il y arrive et ,
il s'empresse aussitôt d'en décrire à son frère la riche
et brillante végétation K
Et plus tard, lorsque, dans sa course errante, Ràma
a découvert, au milieu de la Paiicavatî, un site propre
à f^ fixer, avec quel ravissement, mais aussi avec quelle
prolixité, il le dépeint à son frère ^
Voici un lieu délicieux et beau, entouré de jeunes arbres
tout eh fleurs ; veuille bien nous bâtir ici, bel ami, un asile qui
nous convienne. Non loin se découvre la belle et pure rivière
de Godâvari, pleine de lotus aux senteurs les plus douces et
brillants comme le soleil... Vois combien est ravissante cette
haute montagne, couverte de plantes grimpantes disposées en
bosquets, ombragée d'arbres en fleurs; dattiers, tamâlas, çâlas,
tàlas en font la parure. Elle est ornée par des roseaux, des
syandanas, palàças, dhavas, arjunas, etc.
1. Aranyakânda, XV, 2-3 et 41. — Gorresio, vol. II, p. 26.
2. Aranyakânda, XVI, 5-7 ; XVII, 5-17.
3. Aranyakânda, XXI, 10-16. — Gorresio, vol. II, p. 39. Le
syandana est la Dalbergia oogeiniensis.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 433
Et passant en revue, après ceux de la montagne,
les arbres de la plaine, il continue, comme séduit au
spectacle de cette végétation variée et luxuriante, sa
longue énumération, sans craindre de se répéter ou de
fatiguer. On retrouve partout, dans le Râmâyana, ce
procédé un peu primitif et conventionnel. S'agit-il
par exemple d'indiquer la route suivie par Râvana,
le ravisseur de Sîtâ, le poète dira* « qu'il s'en est
allé par le chemin, où l'on voit ces arbres fleuris et
charmants : gréwies, bilvas, palâças, figuiers aux
feuilles ondulées, nyagrodhas, kendus et açvatthas,
karavîras, madhûkas, beaux santals et dhavas ». Le
grave défaut de ces descriptions, c'est de se ressem-
bler toutes et de ne tenir point compte des différences
essentielles /que présente la flore indigène; ainsi le
singe Hanumat, en se rendant à Ceylan, aperçoit dans
sa route les mémos arbres que Rama avait admirés
sur les bords de la Godàvarî, ou même aux environs
d'Ayodhj'à^ Ce sont encore les arbres de l'Inde cen-
trale ou même septentrionale que découvrent les singes,
auxiliaires de R;una, à leur arrivée devant Lanka,
capitale de la grande île^
Toute remplie de eampakas, d'açokas, de çâlas, de bakulas,
de kharjùras, ombragée par les bois de xanthocymes et cou-
verte de karailjakas, Lanka resplendissait de tous côtés, comme
r.\maràvatî d'Indra, par les gazons verdoyants (qui Tentou-
1. Aranyakânda, LXXVI, 2-3. — Gorresio, vol. Il, p. IGO :
« Kgle, buchananie e butée, hibischi, mimose et diospyri, sacre
ficaie, pterospermi, bassie, grislee e sirii. »
2. Sundarakànda, VIII, 5-9. Le kendu est le Diospyros
iomentom et le kar aviva ^ le laurier-rose odorant.
3. Yuddhakârida, XV. 2-6. — Gorresio, vol. III, p. 179. Le
karafijaka est la Pongamia glabra, et le lilaka, le Cleroden-
dron plUomoïdes.
JoKET. — Les Plantes dans l'antiquité. JL — 28
434 LES PUNTES CHEZ LES HINDOUS
raient), les arjunas, les saptaparnas, les tilakas, les karpikâras
et les pàtalîs; arbres sylvestres parés de fleurs variées,
arbres aux tendres bourgeons rouges, aux boutons épanouis,
aux cimes fleuries et aux tiges embrassées par des lianes.
Et Vàlmîki poursuit la description du paysage qui
s'offre aux regards de Tarmée simienne, presque sans
y ajouter un trait qui le distingue de ceux qu'il nous
a déjà peints. Inutile aussi de s'y arrêter.
Le monde des plantes ne joue pas un rôle moins
considérable dans les poèmes de la Renaissance hin-
doue que dans le Mahàbhîirata et le Râmâyana. Qu'on
lise, par exemple, dans le Meghadûta de Kâlidâsa, la
description de la demeure enchantée où le « Nuage
messager » trouvera Tamie du poète, qu'il doit saluer
de sa part, et Ton verra quelle place l'auteur de ce
poème gracieux se plaît à donner aux plantes dans ses
vers *.
Là est notre maison... On la distin^çue de loin au portique
qui s'élève semblable à Tare d'Indra. Dans son jardin est un
jeune mandàra, que ma bien-aimée cultive comme un enfant
adoptif et dont les gerbes de fleurs se penchent à la portée de
sa main. Un étang s'y trouve, rempli de lotus aux brillants
pétales, aux tiges d'émeraudes... Sur ses bords s'élève un mon-
ticule artificiel, à la cime formée d'étincelants saphirs; une
haie de bananiers l'environne et l'embellit. Il a pour mon amie
un charme particulier... Près d'un berceau qu'entourent des
kuravakas et qu'une madhavi enlace de ses tiges grimpantes,
se dresse, à côté d'un élégant kecara, un rouge açoka aux
rameaux tremblants.
Malgré son caractère particulier, le Raghuvaiiiça y
poème dans lequel Kâlidâsa a chanté l'histoire de la
1. Œuvrrs complètes de Kàlidâsn, trad. Fauche. Paris, 1859,
in ft, vol. I, p. '*69-70, str. 73-76. — Meghadûta, iibers. von
L. Fritze, p. 31-32, str. 72-75.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 435
famille royale de Raghu, abonde en descriptions em-
pruntées à la flore de Tlnde. Elle lui a fourni quelques-
uns des traits de ses plus gracieuses peintures. Telle,
par exemple, la plainte inspirée à Aja parla mort sou-
daine de son épouse*.
N'est-ce point là ce manguier et ce priyanga que tu voulais
marier? Ce n'est pas bien à toi de partir, sans avoir célébré
leur hymen. La fleur que va produire cet açoka, provoqué par
toi, parure destinée à tes cheveux bouclés, comment la chan-
gerai-je en une guirlande offerte à tes mânes? Ta mort, femme
charmante, est déplorée par cet açoka, qui verse des fleurs en
guise de larmes, se rappelant qu'il fut touché par ton pied au
son gracieux de tes nùpuras.
Les principaux traits de la description que, dans le
même poème, ainsi que dans le Kumârasarhbhava,
Kâlidàsa a donnée du printemps, sont, cela ne saurait
surprendre, également tirés du monde des plantes^;
mais il ne s*est pas borné à lui emprunter quelques
images isolées ; généralisant et développant ce qu'il
avait fait dans ces deux poèmes, il a, dans une autre
œuvre, le Ritusamhàra, demandé au règne végétal
presque seul tous les traits qui lui ont servi à carac-
tériser la succession des diverses saisons et à peindre
les scènes de la vie sociale propres à chacune d'elles'.
La saison des pluies, qui commence vers le mois de
1. Chant VU, 60-63. Baghuvansa edidit Ad. Fr. Stenzler.
London, 1832, in-4o, p. 59. -- H. Fauche, Kâlidàsa, vol. I,
p. 263.
2. Raghu-Vamça, chant IX, 27-29. — Kumâra'Sambhava,
Kâlidâsae carmen edidit Ad. Fr. Stenzler. Berlin, 1838, in-4,
cap. III, 25-29. — Fauche, KàlidAsaj vol. I, p. 277-78 et II,
290.
3. Ritusanhàray id est Tempeslalum cyclus, carmen satiscri-
lum... edidit P. Bohlen. Lipsiae, 1840, in-8. — H. Fauche,
Kâlidàsa, vol. II, p. 3-48.
436 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
juin, inaugare pour la nature tropicale de THindoustan
une vie nouvelle ; pendant la chaleur torride des mois
précédents, la végétation avait paru s'arrêter, et Kà-
lidâsa ne cite pas une seule fleur dans la partie de son
poème consacré à cette époque de Tannée'. Mais les
pluies ont bien vite ranimé la nature alanguie ; la
terre fécondée par elles se couvre des pousses des
kadalis et des herbes nouvelles ; les lacs et les étangs
s'embellissent de lotus ; les fleurs des kadambas, des
sarjas, des arjunas, des nipas et des ketakis, embau-
ment les airs et portent le trouble du désir dans les
âmes, et avec les fleurs fraîchement épanouies des
keçaras, des mâlatîs et des yûthikàs, elles servent à
orner les cheveux et les oreilles des femmes aimées *.
L'automne amène le complet épanouissement de la
flore tropicale.
Alors les champs s'émaillent de kàças fleuris; Jes étangs,
des nymphées épanouies ; les bois, des saptacchadas, qui plient
sous le poids de leurs fleurs, et la neige des mâlatîs fait res-
plendir les jardins. La terre se rougit du pollen que répandent
les fleurs du bandhûka; les tiges mûrissantes des moissons
tapissent les champs. Est-il un cœur que ne trouble pas la vue
du kovidàra aux larges rameaux, agités par le zéphyr et cou-
verts de milliers de fleurs, d'où découle un miel que viennent
recueillir les abeilles? Quand il secoue les champs du riz
incliné sous le poids de ses graines ; quand il fait danser les
grands arbres chargés de fleurs et qu'il agite les lacs émaillés
des padmas, des kumudas et des kahlàras entr'ouverts, le vent
remue avec force l'âme des jeunes gens. Délaissant le kadamba,
le kutaja, Tarjuna, le sarja et le nîpa, Çrî visite à leur tour les
saptacchadas, qu'elle couvre de fleurs. Le parfum des fleurs de
la çephàlikà ravit Tàme... L'éclat de la lune pâlit devant les
1. I. Tempestas Grîshma.
2. II. Tempestas Varshâ, 5, 14, 17, 21, 25. Le sarja est la
Shorea robusta, la kadali, le bananier, le ntpa^ VAnthoce-
phnius codamba et la yûtliikô, le Jasminum auriculatum.
LES ri.ANTKS IXANS LA POÉSIE 437
nélumbos épanouis ; la vivacité des yeux que le plaisir fait
trembler le cède aux lotus bleus. Les sombres lianes, aux
rameaux inclinés sous le poids des fleurs, éclipsent la beauté
des bras que les femmes ont chargés de parures, et le jasmin
frais éclos, uni aux fleurs de l'açoka, surpasse la blancheur
éblouissante des dents dans une bouche qui sourit... Que belle
par sa bouche de nélumbo épanoui, par ses yeux de lotus bleu
en fleur, par sa robe blanche de kâças aux fleurs nouvelles,
par son radieux sourire de lotus blanc, (cette saison de) l'au-
tomne vous donne la suprême joie des âmes' !.
L'hiver même no met pas fin à cette fête de la na-
ture. Les lodhras continuent de fleurir; les lotus bleus,
d'embellir les étangs, dont les raivalas envahissent les
ondes transparentes -. Mais c'est le temps de la mois-
son, bien plus que celui des fleurs. Celles-ci com-
mencent à reparaître avec la saison de la rosée ; la
verdure nouvelle les précède et les annonce ; la canne
à sucre et le doux riz, d'autres céréales encore, en-
chantent les yeux de leurs chaumes grandissants^.
Le printemps rend enfin à la nature embellie toute sa
parure :
Les étangs se tapissent de lotus, les manguiers, qui plient
sous le poids de leurs grappes fleuries, remplissent de vagues
désirs l'àme des femmes. Portant une multitude de fleurs entre-
mêlées de bourgeons, les açokas, rouges jusqu'à la racine
comme la couleur du corail, rendent soucieux le cœur des
jeunes filles. Les fleurs entr'ouvertes de l'atimukta, que les
abeilles enivrées effleurent de leurs baisers, et les gracieux
i. III. Tempestas Sarad, 2, 5. 6, 10, 13, !'•, 15, 17, 18. 27
et 28. Fauche, vol. 11, p. 19-26. Le Av/caestle Saccharum spon-
taneum, le saptacchada, VAlstonia scholaris, le bandhùkUy
VIxora grandiflora, le kovidâra, la Bauhinia variegata, le
kahlàra, la Nymphœa esculenta ou cyanea et le ku((ija, la
Wr ightia ani idysenterica .
2. IV. Tempestas Hcmanta, 1, 9.
3. V. Tempestas (.'içira, 16.
438 LES PUNTKS CHKZ LKS HINDOUS
et tendres rameaux agités par le zéphyr, allument d'inquiets
désirs dans Tàme des amants ^
Et après avoir rappelé « la beauté supérieure des
kuravakas, aux grappes nouvelles écloses, qui effacent
le brillant éclat dont rayonne le visage d'une amante »,
Kàlidàsa ajoute :
Aujourd'hui que la saison du printemps est arrivée, les pàri-
jàtas, semblables eux-mêmes à un feu ardent, et les forêts de
kimçukas, couvertes de fleurs, brillent, sous leur manteau de
pourpre, comme une nouvelle épouse... Les bosquets enchan-
teurs embellis par les jasmins, dont la blancheur est comme le
sourire d'une belle fiancée, dérobent à l'anachorète lui-même
son âme libre des passions... A l'aspect des montagnes, dont
les sommets sont couverts d'arbres en fleurs, tout le monde
s'enivre de plaisir... Les manguiers fleuris et les aimables
karnikàras sont comme des traits acérés, dont l'âme des amantes
est blessée par le Dieu à l'arc de fleurs... Formant avec les
sombres açokas le nectar de ses lèvres, étalant avec ses bou-
quets de jasmins comme une blanche guirlande de dents, la
face belle comme un nélumbo épanoui... que la saison des
fleurs, chère à Kàma, vous procure une félicité durable jusqu'à
la fin de ce kalpa ^.
Il était impossible d'attribuer aux plantes un rôle
plus considérable dans une œuvre littéraire ; le sujet
le comportait sans doute ; mais il faut y voir encore
plus un effet du penchant dos poètes hindous de la
Renaissance à peindre la nature végétale. Kàlidàsa
trouva aussi des émules et des imitateurs. Dans la
première partie de ses sentences ^ Bhartrihari a essayé
1. VI. Tempestas Vasanta, 2, 3, 15, 17. Vatimukla est la
Gaertnera racemosa.
2. Tempestas Vasanta, 18, 19, 23, 25, 27, 3f. Le Mthçtika est
est un autre nom de la Butea frondosa, le palâca.
3. Çrihfjdraçalnkam. Kdiditet latine vertit Petrus a Bohlen.
Berolini, i833,'in-'i, p. 87-90. Trad. Fauche. Paris, 1852,in-12,
p. 85-9'i.
LES PLANTKS DANS LA POfiSIE 439
de rivaliser avec lui et, à son exemple, il a emprunté
au monde changeant des plantes les principaux traits
du tableau qu'il a retracé de la succession des saisons.
L'auteur du Gitagovinday Jayadeva, a également
imité le poète du Ritusamhâra et, comme lui, il a
emprunté à la flore indigène les traits charmants avec
lesquels il a peint le printemps *.
Ce goût des écrivains hindous pour les descriptions
de la nature se manifeste dans tous les poèmes de
cette époque, de quelque espèce qu'ils soient. On le
retrouve dans les œuvres dramatiques, comme dans les
épopées et les poésies didactiques ou lyriques. Les
descriptions du monde des plantes, la peinture des
paysages de Tlnde « sous leurs aspects les plus divers »
ne se rencontrent pas moins souvent dans les premiers
que dans les seconds. « Elles ont, comme l'a remarqué
Félix Nève ^ été dictées aux poètes par un senti-
ment profond de la nature ; » et ils ont — quelques-
uns du moins — « su en choisir les traits les plus purs
et les plus expressifs *. »
Ces derniers mot&, qui s'appliquent à Kàlidâsa, ca-
ractérisent finement le talent et la manière de l'auteur
de Çaktmtalâ, cet (c artisan de style », dans lequel se
personnifie la Renaissance hindoue. Quelles images
gracieuses il a empruntées aux plantes! Quels pay-
sages ravissants il a peints dans ses drames, où on
s'attendait si peu à les rencontrer ! Tel est, par exemple,
le tableau des frais ombrages, au milieu desquels,
comme dans le Mahâbharata, Dushyanta rencontre
1. I, 29-30. Trad. Fauche. Paris, 1850, in-8", p. 10.
2. Le dénouement de Vhistoire de Ràma, Outtara-Hùma-
Chariia. Paris, 1880, in-8, p. 82.
3. A. Bergaigne, Kàlidâsa. Sacounlala, Préface, p. vi.
440 LES PLANTP:S CHEZ LES HINDOUS
rakuntalà*. Quels souhaits doux et touchants aussi
adressent à Théroïne, au moment où elle quitte l'er-
mitage paternel, les Divinités des arbres*.
Qu'il lui soit donné de poùter le repos près des étangs ver-
doyants sous leurs lotus bleus ! Que le toit ombreux des arbres
la défende contre les feux brûlants du jour ! Puisse la pous-
sière du chemin se changer pour elle en pollen parfumé ! Que
pour elle le souffle du zéphyr agite doucement le feuillage de
la forêt !
Dans Urvaçi, Kàlidâsa n'a pas peint avec moins de
gn\co les bosquets du palais roj'al où se déroule l'ac-
tion.
Le Vidûshaka^. — Considère la magnificence dont le prin-
temps redescendu parmi nous a embelli ce parc !
Le Roi. — Je contemple ces arbres pressés les uns contre les
autres ! Voici la fleur du kuravaka, à la pointe rouge comme
l'ongle d'une jeune fille et blanche de chaque côté ; là la jeune
fleur de l'açoka sort à demi de son enveloppe, et déjà apparaît
sa pourpre délicate ; le manguier se pare de grappes nouvelles,
brunies par le pollen qui a commencé à s'y déposer. Le prin-
temps éclatant a acquis la moitié de ses forces : ce n'est plus
un enfant; mais ce n'est pas encore un jeune homme.
Et quand, dans Mâlavikâgnimitra, Gautama, pour
l'engager à venir contempler les beautés du jardin
royal, dit à Agnimilra que la « nymphe de co parc a
pris le costume des tleurs printanières, qui fait honte
à la toilette des jeunes femmes les plus belles », le roi
reprend, non sans afféterie, mais avec une singulière
connaissance du monde des tieurs ^ :
Oui, je le vois avec surprise. Comme le fard des lèvres em-
pourprées pâlit devant le rouge açoka ! Combien le cède aux
1. Acte I, scène 3. Bergaigne, p. li. — Fritze, p. 15.
2. Acte IV, scène 6. Bergaigne, p. 89. — Fritze, p. 57.
3. Le a bouffon », acte II. Trad. F^Yitze, p. 22.
4. Acte III. Trad. V. Henry, p. 40. — Trad. Fritze, p. 32.
LES PLANTKS DANS LA POÉSIE 4il
fleurs à la couleur sombre, nuancées de blanc et de rose, du
kuravaka, le tilaka, qui sert à parer les fronts. Comme le signe
de beauté, empreint entre les sourcils, est inférieur aux tilakas
en fleur avec leurs abeilles en guise de fard !
Crî-Harsha a rivalisé avec Kâlidâsa dans la des-
cription qu'il a faite du beau parc de Makaranda où se
noue Tintrigue de RatndvaliK
0 magnificence de ce jardin ! Les arbres qui, dans leur
pourpre majestueuse, brillent, parés de jeunes pousses, belles
comme le corail, ces arbres, qui chancellent, agités par le vent
qui souffle du Malaya, apparaissent comme ivres en cette belle
saison du printemps. Les bakulas répandent autour d'eux une
pluie de fleurs, comme si une vierge avait arrosé leurs racines
de la douce salive de sa bouche. Les campakas embellissent le
visage des jeunes filles, que le vin a légèrement rougi. A leurs
chevilles résonnent les nùpuras, tandis que du pied elles tou-
chent les açokas qu'elles veulent faire fleurir.
On retrouve des traits analogues à ceux que nous
offre Ratnavali dans un autre drame de Harsha, Nd-
gdnanda, « la Joie des Serpents » ; le poète en a
décrit avec le même soin le parterre, où se passe la
pièce presque entière ^
0 merveilleuse richesse de ce parterre ! Ici, on voit des ber-
ceaux de lianes pavés de mosaïques et rafraîchis par les sucs
qui découlent des arbres de santal ; le paon danse au bruit
clair des douches de pluie ; les jets d'eau lancent des gerbes
rapides qui retombent dans les rigoles creusées au pied des
arbres, colorées par le pollen des fleurs que, sous leur léger
poids ells entraînent dans leur chute. Faisant résonner de leur
chant les berceaux de lianes, qui portent sur elles, comme des
parfums, le pollen des fleurs, les abeilles semblent jouir de
tous les plaisirs d'un festin.
Même luxe de descriptions et d'images empruntées
1. Acte 1. Trad. Fritze, p. 17.
2. Acte III. Trad. A, Bergaigne, p. 70.
4^2 LES PU?îTES CHEZ LES HL'^DOIS
au monde des fleurs dans Priyadareikâj troisième
pièce attribuée à Harsha: le roi et le vidùshaka —
le bouffon — y semblent rivaliser dans la peinture du
a Jardin des Jets d'eau », où le premier s'est retiré
pour dissiper le chagrin que lui cause Téloignement
de la Reine V
Le Vidmhaka. — Ami, regarde ! Comme il est beau ce jardin
aux fontaines jaillissante.s. Les fleurs variées qui tombent per-
pf^tuellement sur le banc de pierre en rendent la surface moel-
leuse; le réseau de lianes, de jismins et de bakulas plie sous
le )K)ids des abeilles avides de leurs parfuns ; un vent vif, chargé
des senteurs du lotus, entrouvre les fleurs du bandhùka, et les
tamâlas touffus forment un abri contre la chaleur du soleil.
Ae Roi. — Les çephâlikàs cachent le sol sous leurs tendres
rameaux, Todeur des saptacchadas touffus fait penser au par-
fum de la liqueur que distille l'éléphant' ; ces abeilles dont le
corps est jauni par Tépais pollen qui s'échappe des lotus épa-
nouis, font entendre, ivres de la liqueur qu'elles boivent, je
ne sais quel chant confus.
Si l'auteur du Mricchakatikà « le Chariot de terre
cuite », Çfidraka n'a pas cru devoir donner une des-
cription complète du jardin de Vasantasenà, Théroïne
de la pièce, il en a, cédant au goût de son époque,
fait célébrer par deux de ses personnages les fleurs et
les fruits.
Le Vi(a^. — Considère la magnificence de ce jardin. Vois
briller, .sous leur riche parure de fleurs et de fruits, ces arbres
qu'enlacent d'impénétrables et solides lianes...
Samsthùnaka. — Oui, la terre est toute diaprée de milliers
de boutons fleuris ; les arbres se courbent sous le poids de leurs
fleurs; les lianes semblent nous saluer de la cime des arbres,
et les singes se régalent des fruits de l'arbre à pain.
1. Acte 11. Trad. G. Strehly, p. 28. La çephàlikâ est le
Nyclanthes arbor-trUtis.
2. Liqueur qui découle des tempes des éléphants en rut.
3. Le confident. Acte Vlll, scène 3. Trad. L. Fritze, p. 136.
— Trad. P. Regnaud, vol. 111, p. 48.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE ^ 443
Bhavabhûti a donné, dans ses descriptions, une place
encore plus grande au monde des plantes que les poètes
dramatiques qui Tavaient précédé ; la peinture que fait,
par exemple, dans Mâlati et Mddhava, la magicienne
Saudàminî des environs pittoresques de la ville de
Padmâvatî, située au confluent du Sindhu et de la
Para, en est une première preuve *.
Ces régions montueuses et forestières, embaumées par les
fruits odorants du bilva, me rappellent avec leurs épais taillis
de candanas et d'açvakarnas, de keçaras et de pàtalîs, les mon-
tagnes couronnées de forêts du Dekhan, dont les vastes pentes
résonnent délicieusement des murmures de la Godàvarî, ré-
pétés par les grottes profondes des fourrés obscurs de kadam-
bas, de tarunas et de jambus qui la dominent.
Et dans une autre scène, Makaranda, Tami du héros,
Tinvitant à contempler le beau paysage, qui se déroule
sous leurs yeux, avec ses lotus, « dontTaile des cygnes
agite et fait trembler les longues tiges » :
Regarde donc, lui dit-iP, ces fourrés de jeunes rotins dont
le parfum a pénétré les eaux des torrents ; tout près la màlati
entr ouvre ses fleurs ; semblables à des tentes, se dressent les
nuages accrochés aux angles de la montagne, dont ils dépassent
les cimes, souriantes sous leur parure de kutajas en fleurs.
Les collines sont couvertes de kadambas, dont les milliers de
corymbes brillent comme autant de fleurs isolées... Les rives
humides des fleuves sont parées de touffus et gracieux kétakis;
tous les bois semblent sourire, et leslodhras et les çiliihdhras^
sont en fleurs.
Dans sa réponse, Màdhava, tout en se reprochant
de ne pouvoir, loin de sa chère Màlatî, contempler les
1. Acte IX. Prologue. ïrad. L. Fritze, p. 100. — Trad. G.
Strehly, p. 219. Vaçvakariia est la Shorea rohusla, le taruna,
peut-être le ricin.
2. Acte IX. Trad. Fritze, p. 103. — Trad. G. Strehly, p. 225.
3. Un des noms du bananier.
4ii LES PLAMKS CIIKZ LES IILNDÔI'S
beautés de ia nature, ne décrit pas avec moins d*amour
le spectacle qu'elles offrent à ses regards ravis, en ces
jours de la saison des pluies, où « les troupes de
nuages épais fuient devant le vent d'Est, imprégné du
parfum des sarjas et des arjunas entr'ouverts ».
Bhavabhùti ne s*est pas moins complu, dans VUiia-
raràmacarita et le Mahdviracarila, que dans Màlati
et Màdhava, aux descriptions de la nature. Il avait
pour lui servir de modèle celles du RàmAyana, et il
s'en est inspiré dans une partie de ses deux drames ;
c'est ainsi que dans le premier, rivalisant avec Vàl-
mîki, il nous peint tour à tour les ravissants bocages
de la foret de Dandaka, les l)ords enchanteurs de la
Pampà ou de la Godàvarî, couverts d'arbres en fleurs,
lieux dont l'aspect rappelle au héros ses années d'exil.
Voici CCS mômes montagnes*, qui retentissent des cris des
paons ; voici ces massifs boisés remplis de gazelles ivres
d'amour ; voici les bords de la même rivière, garnis des lianes
du gracieux vanjula et sur lesquels les bleus niculas crois-
sent en buissons sen'és! Et ce mont que l'on aperçoit de loin
semblable à une couronne de nuages, c'est le Prasravapa, au
pied duquel est la rivière Godàvarî. Sur le plus haut sommet
était la demeure du roi des vautours Jatâyu. Tout auprès nous
nous sommes plus dans les huttes de feuillage, là où la déli-
cieuse lisière de la foret retentit sans cesse du chant des
oiseaux, et où s'étale la beauté de ses arbres de couleur sombre
projetant leurs branches jusque dans les eaux du fleuve.
Los plant(^s n*ont pas seulement fourni aux poètes
hindous les traits les plus gracieux de leurs descrip-
tions champêtres; leurs qualités bonnes ou mauvaises
1. Acte II, 2« tableau. Trad. F. Nève, p. 189. Le vanjula
est le Calamus rotang^ le nicula, la Barringtonia acutangula.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 445
leur ont suggéré aussi d'ingénieuses fictions, des allé-
gories ou des apologues instructifs, et ils en ont tiré
des comparaisons et des métaphores charmantes.
Cet arbre * — un cocotier — est grand et gros en est le fruit,
(dit) en l'apercevant un perroquet tout réjoui; il quitta aus-
sitôt le champ de riz mur (où il se trouvait), et dans sa sottise
vola vers le cocotier; puis grimpant dessus, il en attaqua, pour
apaiser sa faim, les noix à coup de bec : qu'en résulta-t-il ?Son
espoir fut déçu et son bec se couvrit de barbes.
Une abeille, qui avait passé sa vie parmi de jeunes lotus et
en avait sucé le miel à cœur joie, qui avait toujours pris libre-
ment ses ébats au milieu des fleurs de jasmin, alla, attirée par
son mielleux parfum, visiter un buisson degunja^. 0 fatalité !
Quel ne fut pas le sort de cette abeille?
Une abeille vole dans le bec d'un perroquet, s'imaginant que
c'est un bouton de palàça ; et de son côté le perroquet veut
retenir l'abeille, pensant que c'est un fruit de jambu '.
Telle est encore cette gracieuse allégorie* :
Dans le jardin céleste do Cittalatâ croit la liane Âsâvatî.
Une fois en mille ans, et pas plus, elle porte un fruit ; les fils
des dieux l'attendent avec patience. Espérez, ô Roi : le fruit
de l'espéranco est doux. Qui espère, ne connaît pas la défaite,
ses souhaits, à la- fin, sont satisfaits... Doux est le fruit de
l'espérance.
Laboauto des nymphôacées, le miel qu'elles four-
nissent aux abeilles, la propriété mystérieuse qu'ont
les fleurs du nélumbo ou lotus rouge — padma ou
aravinda — de so fermer et de se cacher sous Teau au
1. Otto Bôhtlingk, Indische Spriiche, S«-Petersburg, 1870,
in-8, n« 1161.
2. Abrus precatorius L., légumineuse à fleurs inodores.
3. Bôhtlingk, n«- 3798 et 3998.
'#. Asanka Jàtaka. Sion'es of the BudluCs former BirthSy
n" 38U, vol. III, p. 162.
446 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
coucher du soleil, pour se montrer de nouveau et se
rouvrir à son lever, tandis que celles du lotus blanc —
kumnda ou kairava — s'ouvrent au contact des rayons
de la lune et se ferment à Taurore, avaient vivement
frappé les poètes hindous de la Renaissance ; ils re-
viennent à chaque instant sur cette propriété singu-
lière, et ils ont emprunté à ces fleurs aimées les plus
gracieuses comparaisons.
Je n'appelle point eau', celle qui n*est pas couverte de bril-
lants lotus ; je n'appelle point lotus la fleur dans laquelle ne se
cachent pas d'abeilles.
Les premières lueurs du jour font-elles pâlir le disque de
la lune *, le lotus blanc — kumuda — cache alors soigneuse-
ment sa corolle odorante.
Le lotus blanc — kairava — ne s'ouvre qu'aux rayons de la
lune et non à ceux du soleil ^.
Un rayon de la reine des nuits ne peut ouvrir le sein d'un
lotus rouge — aravinda — , dont le calice reste fermé jusqu'à
l'heure où il revoit l'astre du jour.
Les rayons de la lune ne pénètrent pas dans un lotus rouge,
ni ceux du soleil dans un lotus blanc — kumuda ^.
Son visage tour à tour joyeux et troublé est l'image du né-
lumbo, tel qu'il s'ouvre le matin au lever du soleil et se ferme
à son coucher ^
Chacun a son ami et son confident ; le soleil fait ouvrir la
fleur du nélumbo — padma — et se fermer celle du lotus
blanc.
0 lotus de jour, inutile a été ta vie : tu n'as pu contempler
1. Bôhtiingk, n» 3250.
2. Kàlidâsa, Çakunlalâ, acte III, scène 2, p. 44.
3. Kàlidâsa, Urvaçîy acte III. Trad. Kritze, p. 46.
4. Kàlidâsa, Ragàu-Vatitça, chant VI, 66 et 75.
5. Kàlidâsa, Môlavikà et Agnimitra, acte IV. Fritze, p. 52.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 447
le disque de la lune. Ta naissance aussi a été stérile, ô lune,
puisque tu n'as pas vu fleurir le lotus de jour ^
N'est-il pas étonnant que ces nélumbos ne se soient pas su-
bitement fermés, comme au contact des rayons de la lune
aimée, en touchant les mains dé cette belle ? dit le roi dans
Priyadarçikâ *, en voyant l'héroïne cueillir des fleurs au bord
d'un étang.
Semblable au nélumbo qui se ferme le soir, quand le soleil
a disparu, chante le poète des Noces de PârvaK^j elle ne sup-
porte pas la lourde douleur de la séparation et renonce entiè-
rement aux pensées amoureuses.
L'ami cher qui nous fit tant de bien, que nous ne le voyons
pas, ce dieu du soleil, s'abîmer dans les flots, privé de ses
rayons! Ainsi se disaient entre elles ses épouses — des nym-
phées de jour — et elles fermèrent les yeux — leurs fleurs.
Lorsqu'au printemps lekokila, qui craint le froid, fait en-
tendre son chant dans la forêt, les nélumbos montent à la sur-
face de l'eau comme pour l'écouter.
La nuit passera ; une belle aurore lui succédera ; le soleil se
lèvera et les nélumbos s'ouvriront. Tandis qu'une abeille,
enfermée dans une fleur de padma, s'abandonnait à ces pensées,
arrive un éléphant, qui arrache, hélas! la touffe de nélumbos.
L'açoka, ce bel arbre aux fleurs orangées ^ n'occupe
pas moins de place dans les légendes poétiques de
rinde que le lotus. Ses fleurs, croyait-on^ ne s'en-
tr'ouvraient que quand le pied, convenablement orné,
d'une femme jeune et belle, l'avait touché. Dans Rat-
nâvalî^, le roi Udayana, le jour de la fête de Kâma et
1. Bôhtlingk, n»» 3568 et 3743.
2. Acte II. Trad. G. Strehly, p. 34.
3. PàrvatVs Hochzeit, acte II, p. 21.
4. Bôhtlingk, n»» 1877, 5999 et 5777.
5. Orangées au moment de leur épanouissement, elles pas-
sent peu à peu au rouge écarlate ; d'où le surnom de « rouge »
donné si souvent à l'açoka.
6. Acte I. Trad. Fritze, p. 18.
448 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
du printemps, entendant dans le parc de Makaranda
le cliquetis des anneaux que portent aux chevilles les
suivantes de la reine, s'écrie qu'elles viennent toucher
Taçoka du parterre pour le faire fleurir. Et dans Mdla-
vikâffnimitra, Taçoka doré du jardin royal de Vidiçâ
attend, pour prendre sa parure de fleurs, l'approche
de la reine Dhârinî*; comme celle-ci, empêchée par
une blessure, ne peut se rendre auprès de l'arbre
divin, elle envoie Mâlavikâ pour la remplacer, et Thé-
roïne, après avoir cueilli sur Taçoka un rameau qui
lui sert de pendant d'oreille, le touche délicatement
de son pied, enduit de laque et orné de l'anneau môme
de la reine : acte symbolique, qui achève d'enflammer
le cœur du roi.
O arbre intelligent, dit Hàla^, c'est à bon droit que tu
t'appelles açoka — exempt de souci — , toi qui, heurté par le
pied de lotus d'une belle, ouvre avec joie tes fleurs.
O rouge açoka, s'écrie un autre poète 3, où est allée ma belle au
corps élancé, après m'avoir quitté, moi l'ami si dévoué ? Pour-
(juoi secouer ta tète agitée par le vent, comme si tu ne l'avais
pas vue?... Si le pied de ma bien-aimée ne t'avait pas touché,
comment tes fleurs auraient-elles paru, ces fleurs autour des-
quelles bourdonnent les abeilles impatientes ?
Une intervention étrangère devait aussi amener
l'épanouissoinent des flcMirs du bakula ou keçara ; pour
1. Acte m, p. 3'»-35. Trad. L. Fritze.
2. A. Weber, Ueber das Sapiaçatakam des Hàla^ n« 405.
{Ahhandlungen fur die Kunde des Morgenlandes, vol. VII,
p. 161.)
3. Kâvyaprakàça, 105. « Comme à toi, dit un autre poète, le
contact du pied d'une belle fait ma joie. Tout est égal entre
nous; seulement, ô Açoka, tu es exempt de souci, tandis que
le créateur m'en a accablé. » Kuvalayùnanday 74 b, 75 n, c.
Bohtlingk, n"- 5691 et 5693. L. von Schrœder, Indiens Lite-
t'atur, p. 573.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 449
qu'elles s'ouvrent, il faut qu'une jeune vierge arrose
cet arbre aimé de sa douce salive \
Près d'un berceau de mâdhavîs, qu*enibrasse à l'entour une
haie de kuravakas, se dresse, associé à un aimable keçara, un
rouge açoka aux rameaux tremblants ^. L'un désire avec moi
toucher le pied charmant de mon amie, l'autre aspire à sa-
vourer le breuvage enivrant de sa jolie bouche.
Le manguier et le kadamba avaient pris aussi dans
la poésie de Tlnde ancienne une signification symbo-
lique ; l'apparition des boutons du manguier était le
signe de l'approche du printemps ; la vue des fleurs du
kadamba rappelait à l'amie le souvenir de son ami
absent*. Si tous les arbres n'ont point donné naissance
à d'aussi gracieuses légendes, la plupart néanmoins
ont fourni aux poètes de l'Inde d'instructifs et ingé-
nieux apologues.
Les grands arbres donnent de l'ombre aux autres, tandis
qu'ils restent, eux, exposés à l'ardeur du soleil ; ils portent des
fruits pour les autres, non pour eux.
Il ne faut louer que l'arbre dont toutes les parties procurent
de la joie à une foule d'êtres ; à l'ombre duquel se reposent
les gazelles, dont les volées d'oiseaux déchiquètent les feuilles,
dont les trous sont remplis d'insectes... sur les fleurs duquel
butinent joyeusement les abeilles ; tout autre arbre est un
fardeau pour la terre.
J'estime heureux ^ cause de leurs feuilles, de leurs fleurs et
de leurs fruits, à cause de l'ombre qu'ils donnent, ainsi que de
leurs racines, de leur écorce et de leur bois, les arbres dont
les besoigneux ne s'éloignent pas sans espoir^.
1. Batnâvalt, acte I. Trad. Fritze, p. 17.
2. Meghadûia, strophe 75 (76).
3. Abhandlungen fur die Kunde des Morgenlandes, Y, 132 ;
Vil, 253.
4. Bôhtlingk, n" 2307, 2309 et 3896.
JORET. — Les Plantes dans VanliquUé. II. — 29
450 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Le tronc d*un arbre même grand et fort et aux puissantes
racines peut, quand il est isolé, être brisé en un instant par
la tempête; mais les arbres fortement enracinés bravent,
réunis en nombre, grâce à leur mutuel appui, les efforts des
vents les plus impétueux ^
Un grand arbre pousse et croît, et nombre de créatures se
réunissent sous son ombre : cet arbre est-il abattu et brûlé,
ses protégés restent sans abri.
A quoi sert un arbre, que courbe Tabondance des fruits, si
au milieu de ses racines habite un serpent, dont la gueule
vomit le poison ?
Si un arbre, une fois défleuri, ne donne pas de fruits,
rhomme qui en a eu soin ne goûtera pas de joie '.
Choisis un grand arbre qui ne manque ni d^ombre, ni de
fruits en abondance ; si le sort veut que les fruits fassent
défaut, personne ne te privera de son ombre '.
Cueille les fleurs les unes après les autres, mais ne coupe
pas l'arbre par la racine ; agis comme un jardinier dans son
parterre, non comme un charbonnier.
Rien ne naît sans semence ; sans semence il n'y a pas de
fruit; delà semence sort la semence; de la semence seule
aussi, nous enseigne-t-on, vient le fruit.
La semence germe sans en avoir conscience, quand le temps
est venu ; elle fleurît aussi avec le temps et porte des fruits.
La semence répandue sur un champ cultivé à son heure y
germe, et on la reconnaît à ses qualités^.
Qui abattra avec la hache un manguier et prendra soin d'un
nimba? Car à celui qui l'arrose, ce dernier ne donnera pas de
doux fruits.
Celui qui abat un bois de manguiers et arrose une forêt de
palàças aura la tristesse de voir des fleurs en automne, alors
qu'il désirerait des fruits.
1. Mahàbhàrata. Udyoga-Parva, 1321-1322.
2. Bôhtlingk, n^» 4768, 4884 et 5110.
3. nUopndeça, livre III, 2«' récit, 10. Trad. J. Hertel, p. 109.
4. Bohllingk, n»- 4152, 3597, 3'i21 et 5455.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 451
Qu'on taille le nimba avec la serpe^ qu on l'arrose avec du
miel et du beurre fondu, qu'on Torne de guirlandes parfumées,
son fruit conserve toujours le même goût acide ^
Un homme qui, désirant ^les fruits, quitte un bois de man-
guiers et se rend, séduit par la beauté de leurs fleurs, dans
une forêt de palâças, se voit, une fois venue la saison des
fruits, trompé dans son attente ^.
Le pollen des manguiers et des campakas, que les vents font
tournoyer dans un jardin de plaisance, remplissent de larmes
les yeux des passants, même quand ils ne les touchent pas.
Nombre d'arbres s'inclinent vers la terre sous le poids des
fleurs odorantes et des fruits savoureux qui les couvrent, mais
ne communiquent pas pour cela leur parfum à un autre arbre ;
cette gloire, ô candana, n'appartient qu'à toi 3.
Au contact des santals tous les arbres du Malaya sont devenus
d'autres santals ; mais le bambou ne devient jamais un santal,
parce qu'il a le cœur trop vide^.
Si le ricin ne portait pas de fruit en temps voulu, quelle
différence existerait-il entre lui et les autres arbres de la
forêt ?
Encore que le fruit du kataka rende claire l'eau trouble,
celle-ci ne devient pas claire cependant au seul nom de ce
fruit '\
Celui qui cueille sur un arbre des fruits non encore mûrs
n'en retire aucun jus et la graine même est perdue pour lui.
1. Bôhtiingk, n*»» 980, 1591 et 5325.
2. Hàmàyana, Ayodhyâkàçda, LXV, 7.
3. Bôhtiingk, n»» 1251 et 1509.
4. Bôhtiingk, n» 5441. Cette sentence se retrouve, n®* 349
et 350, sous une forme un peu autre. « Pour ceux qui man-
quent de fonds, il n'y a pas d'instruction possible ; le bambou
au contact du Malaya ne devient pas un santal. » — « A quoi
peut servir un bon compagnon pour ceux qui manquent de
fonds ? Pour croître sur le Malaya, le bambou reste bambou et
ne devient jamais santal. »
5. Bôhtiingk, n" 1580 et 4369. Le kataka est le Slrychnoa
potatorum.
f52 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Celui, au contraire, qui cueille un fruit niûr et pris au bon
moment, en retire du jus et sa graine lui donnera un autre fruit.
Une tige tordue de padma. qu*il avait brisée pour la manger,
il n'en peut jouir, parce qu*il y croit voir la lune ; les gouttes
d>au qui sont sur les feuilles, quoique tourmenté par la soif,
il ne les ose pas boire, parce qu'elles ont Taspect d'étoiles ;
aperçoit-il la couleur, assombrie par un essaim d'abeilles, du
lotus blanc, il prend ce qui n'est pas crépuscule pour le cré-
puscule: ainsi un cakravâka, qui redoute d'être séparé de
son amie, regarde le jour même comme la nuit'.
Quelquefois ces apologues, au lieu de la forme apho-
ristlque ou allégorique, ont pris celle plus piquante
du dialogue.
Qui es-tu, ami *-* ? — Ecoute, je vais te le dire : un çâkbotaka,
que le sort a frappé. — Tu parles, comme si le dégoût de la
vie te tourmentait. — Tout juste. — Et pourquoi, dis-le moi.
— Â ma gauche se dresse un figuier, que les voyageurs visitent
avec empressement; mais moi, bien que je sois au bord du
chemin, je n'ai point d'ombre pour rendre service aux autres.
A quoi bon tant de paroles? Tes fruits sont inutiles, ô nimba ;
aussitôt qu'ils sont mûrs, les corneilles viennent les dévorer
jusqu'au dernier.
Tu résides loin du chemin, ô çalmalî ; tu es, de plus, couvert
d épines ; tu ne donnes point d'ombre et les singes mêmes ne
veulent pas de tes fruits; étant sans parfum, tu es évité par
les abeilles et dépourvu de toute chose bonne. La visite que
nous te ferions serait sans utilité pour nous ; reste où tu es ;
pour nous, en soupirant, nous continuerons notre chemin'.
Les abeilles, qui, dès l'instant où se sont épanouis tes bou-
tons, sont venues chaque jour se poser sur toi, bourdonnent
sans cesse maintenant autour de tes fruits. Tu les vois et tu ne
les salue pas. Les vers, au contraire, que tu n'avais pu voir
1. Bôhtlingk, n«» 5925, 5926 et 4529.
2. Ucihtlingk, n" 1603. — Tritze, Indische Sprûche, n^ 233,
p. 52. Le çàkho(aka est la Trophis aspera (Slreblus asper).
3. Bohtlingk, n»* 3733 et 2919.
LES PLANTES DANS LA POfiSIE 453
jusqu'ici, sont installés au cœur de tes fruits. Fi donc, ô man-
guier, que tu ne saches pas distinguer le meilleur du pire^
Sur Toranger et la ketaki, les épines sont à leur place ;
mais pourquoi, ô karitakiirikà, toi qui es sans saveur ni odeur,
as-tu des épines*?
Tes feuilles sont garnies de iniliiers d'aiguillons; on n'a
jamais entendu parler de ton miel ; tu assombris Tair de ton
pollen ; mais tes défauts, ô ketaki, ne sont pas remarqués par
l'abeille, qui n'a de sens que pour les parfums !
Bien, ô ketaki, que tu serves de demeure aux serpents, que
tu ne portes pas de fruits, que tu sois garnie d'épines et toute
tordue, que tu croisses sur un sol marécageux et sois de diffi-
cile accès, par ton parfum tu es pour tout le monde un agréable
voisin. Une seule qualité fait oublier bien des défauts ^.
Le Buddha aimait à emprunter au monde végétal
des exemples et des comparaisons. Dans le Lotus de
la Bonne Loi*, il compare les hommes; d'après leurs
qualités, les uns à des plantes à basse ou haute tige,
les autres à des arbres. C'est aussi à Taide d'une
allégorie tirée du règne végétal qu'il montre l'inanité
des castes, fondées sur l'origine prétendue diverse de
ceux qui les composaient ^
L'udumbara et le panasa produisent des fruits qui naissent
des branches, de la tige, des articulations et des racines ; et
cependant ces fruits ne sont pas distincts les uns des autres,
et l'on ne peut pas dire : ceci est le fruit brahmane; cela, le
fruit kshatriya; celui-ci, le vaiçya; celui-là, le çùdra ; car tous
1. Bohtlingk, n« 5553.
2. Bohtlingk, n° 1159. La, kan(akârikâ est \e Solanum Jac-
quini; la ketaki, le Pandanus oUoratissimus.
3. Bohtlingk, no« 3897 et 6331.
'i. The SaddharmjL-Pumlarika, translated by Kern, chapt. v,
28-32 (The sacred Books of the East, vol. XXI).
5. E. Burnouf, Introduction à l'histoire du Buddhisme,
p. 193.
454 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
sont nés du même arbre. De même il n*y a pas quatre classes,
il n'y en a qu'une.
Les divers recueils des enseignements du Réfor-
mateur sont remplis d'apologues tirés de la nature des
plantes.
Telle une fleur aux couleurs brillantes mais sans parfum,
tel est le langage élégant, mais sans profit pour personne, de
rhomme qui n'agit pas (comme il parle). Telle une fleur aux
couleurs brillantes et parfumées, tel est le langage élégant et
profitable à tous de celui qui agit (comme il parle).
Autant on peut faire de couronnes diverses avec un amas
de fleurs ; autant, une fois né, un mortel doit faire du bien ^
Le parfum de la fleur vassiki ne va point contre le vent,
ni celui du santal, ni celui du tagara ou de la mallikà ; mais
il va contre le vent le parfum de la vertu ; la bonne odeur de
l'homme de bien pénètre en tous lieux 2.
Quel que soit le parfum du santal ou du tagara, celui du
lotus ou de la vassiki, le parfum de la vertu les surpasse tous.
Peu de chose est le parfum qu'exhalent le sandal et le ta-
gara ; délicieux, au contraire, est le parfum de ceux qu'ex-
halent les hommes de bien ; il s'élève jusqu'aux dieux -\
Coupez par le pied la forêt entière (des désirs) et non un
1. The Dhammapaday compUed hy Dharmatrâta, translated
by M. MûUer. Oxford. 1881, in-8, p. 18. Flowers, 51-53. —
Le Dhammapada, traduit par Fernand Hù. Paris, 1878, in-18,
p. 14. La Fleur, 51-53.
2. V Le parfum des fleurs ne peut aller contre le souffle du
vent ; mais la vertu des hommes exhale un parfum qui se
répand de tous côtés. » Ràmùyana. Ayodhyâkàçida, LXI,
19-20.
3. Dhammapada^ IV. Flowers, 5'i-56. M. Millier, p. 18. F.
Hû, p. 14. — Udânavarga, VI. Morality, 16-18. p. 31-32. —
Texls from the Buddhisi CanoUy etc. Translated from the Chi-
nese by Samuel Beal. London, 1878, in-8, XII. The Flower,
p. 76. — La vassiki semble être le bois d'aloès, le tagara,
l'encens ou la Tabernaemonlana coronaria.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE lôo
arbre seulement. Le danger vient de la forêt (les désirs). Quand
vous aurez coupé à la fois la forêt et les broussailles, alors,
Bhikshus, vous serez débarrassés de la forêt et serez libres ^
Bien qu*il ait été coupé, tant que sa racine est intacte, un
arbre continue de vivre et repousse de nouveau ; de même
tant que les racines de la passion ne sont point coupées, cette
cause de souffrance renaîtra toujours à nouveau *.
J'appelle brahmane — sage — Thomme qui ne s'attache pas
plus aux plaisirs que Teau n'adhère à la feuille de lotus, la
graine de moutarde à la pointe d'une aiguille ^.
Les allégories tirées du monde végétal abondent
dans la littérature didactique et religieuse des Hin-
dous. Dans la Bhagavadgltd, par exemple, le cours de
la vie humaine est comparé à un açvattha^ qui a les
racines en haut, les branches en bas, et dont les
feuilles sont les Védas. Et VAnugitâ représente, sous
remblème d'une forêt remplie d'arbres couverts de
fleurs magnifiques et de fruits de difi'érentes couleurs,
les diverses opérations des sens et de Tesprit*.
1. Dhammapada, XX. The way, 283. M. Mùller, p. 68. —
La voie, 283. F. Hù, p. 70.
2. Dhammapada. XXIV. Thirst, 338. M. Millier, p. 80. La
convoitise, 338. F. Hù, p. 82. — Udànavarga, III. Lust, 18,
p. 16. — Texts from the Buddhist Canon. Lecture XXXll,
Lust, p. 148.
3. Dhammapada, XXVI, The Bràhhiana, 401. M. MûUer,
p. 91. F. Hû, p. 93. — The Sutta-Nipâta: A Collection of
Discour ses being one of the Canonical Books of the Buddhist,
Translated from the Pâli by V. Fausbôll. Oxford, 1881, in-8.
III Mahàvagga, 9. Vàsetthasutta, 32, p. 113. Cf. IV. Attaka-
vagga, 6. Jaràsutta, 9, p. 155. « Comme une goutte d'eau
n'adhère pas à un lotus, de même un mouni ne s'attache à rien
de ce qu'on voit, entend ou pense. »
4. BhagavadgUâ, chap. xv, 1. — Ànugîtâ, chap. xii, 8. —
Transi, by Kàshinâth Trimbak Telang, p. 111 et 285. (The
sacred Books of the East, vol. VIII).
456 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Le méchant découvre chez les autres des défauts de la gros-
seur d'un grain de sénevé ; les siens, au contraire, fussent-ils
aussi gros que les fruits du bilva, il ne veut pas les voir, même
quand ils lui sautent aux yeux ^
Un chauve à qui les rayons de Tastre du jour brûlaient la
tète, chercha un lieu, qui ne fût point exposé au soleil, et
alla, poussé par le destin, s'étendre au pied d'un bilva. Mais
un énorme fruit étant venu à tomber, lui fracassa le crâne.
En quelque lieu qu'aille l'homme que la fortune a abandonné,
le malheur le suit'.
Malheureux celui qui en ce monde, où les bonnes œuvres
déterminent le sort futur, n'exerce pas la pénitence ; il res-
semble à un homme qui ferait bouillir du sésame, dans une
chaudière de lapis-lazuli, avec du bois de santal pour com-
bustible, ou à celui qui retournerait une terre, avec un soc
d'or, pour y semer une herbe stérile, et abat une forêt de cam-
phriers pour enclore un champ de kodravas^.
Le cœur des femmes est insaisissable, comme l'image sur
le miroir... Leur pensée, au dire des sages, est mobile comme
la goutte de rosée sur la feuille de lotus. La femme grandit
avec ses défauts, comme les lianes avec le poison qu'élaborent
leurs tiges *.
Les esprits éveillés et non lourds se montrent dignes d'in-
struction ; le sésame porte des fleurs odorantes, l'orge jamais.
Des graines de sésame, mises en contact avec des fleurs de
campaka, se parfument; mais leur huile, en prenant l'odeur
des fleurs, cesse d'être mangeable ; toutes les bonnes qualités
peuvent se changer en leur contraire.
1. Bôhtlingk, n° 2045. -- Fritze, n° 203.
2. Bhartrihari. Niticataka, VIIl, 86. Trad P. a Bohlen,
p. 107. — Trad. Fauche, p. 148. — Trad. Regnaud, p. 63.
3. Bhartrihari, NUiçalaka, IX, 98. Trad. Fauche, p. 153.—
P. Kegnaud, Les stances erotiques , morales et religieuses de
Bhartrihari. Paris, 1875, in-18. II. La morale, p. 67. Le ko-
drava est le Paspalum scrobiculatum L.
4. P. Regnaud, Études sur les poètes satiscrits de Vépoque
classique^ Bhartrihari^ Les Centuries. Paris, 1871, in-8, p. 42.
— Id. Les stances, etc. Supplément, 15, p. 113.
LES PLANTES DANS LÀ POÉSIE 457
Le majestueux kimçuka, si richement paré de fleurs, n'a
aucun parfum ; le candana odorant, mais entouré de serpents,
n'a point de fleur ; la canne à sucre ne porte pas de fruits, et
la ketaki est garnie d'aiguillons ; en ces trois mondes on ne
trouve pas facilement sur une seule eX même chose réuni tout
ce qui est bon.
L'homme sans considération, emblème des êtres faibles, est
comme un brin d'herbe ; à l'approche du moindre vent, il se
courbe de lui-même.
Une couronne qu'on a tressée, du santal qu'on a frotté de
ses propres mains et un éloge qu'on a écrit soi-même, feraient
perdre à Indra lui-même sa haute dignité ^
Un homme méchant ne devient jamais bon, n'importe de
quelque manière qu'on le traite ; les fruits du nimba ne de-
viendraient pas doux, quand on l'arroserait avec du lait et du
beurre fondu.
La tempête ne déracine pas les chaumes qui s'inclinent
devant elle ; elle ne fait du mal qu'aux arbres élevés. Les
grands n'exercent leur force que contre les grands.
Près des candanas habitent des serpents ; dans l'eau sont
des lotus, mais aussi des crocodiles ; à côté de chaque jouis-
sance sont des jaloux, qui nous la gâtent : il n'est point de joie
sans trouble.
Le feu brûle, fût-il produit même par du bois de santal ;
un méchant reste méchant, descendit-il d'une race noble -.
Un santal ne perd pas son parfum, même quand on l'abat ;
où qu'on la porte, la canne à sucre garde sa douceur ; un
homme généreux ne dégénère pas, même dans la détresse.
Le santal conserve son agréable parfum, encore qu'on le
frotte; une canne à sucre qu'on coupe reste douce, comme
auparavant, et l'or garde sa belle couleur, quand on le fond ;
les qualités innées des grands ne changent pas même dans la
mort 3.
L'homme noble pratique la vertu même contre ses ennemis,
1. Bôhtlingk, n«» 4336i, 2562, 7311, 7607 et 7333.
2. Bôhtlingk, n«» 3295, 2588, 2241 et 2313. *
3. Bôhtlingk, n" 2313 et 2219. — L. Fritze, n^ 235,
458 LES PLA.NTES CHEZ LES HINDOUS
comme la canne à sucre offre de la nourriture avec son doux
suc à celui-là même qui larrache^
Tendre dans le bonheur, dur dans 1*1 n fortune, tel est le cœur
de rhomme bon : la feuille de l'arbre, tendre au printemps, se
durcit sous les feux de Tété.
En souvenir du peu d eau qu'ils ont bue, dans leur première
jeunesse, alors qu'un lourd fardeau pesait sur leur tête, les
cocotiers donnent aux hommes, pendant toute leur vie, leur
liqueur ambroisienne ; les cœurs nobles n'oublient jamais le
service qu'on leur a rendu *.
Pour le bien des autres, le bouleau souffre qu'on le dé-
pouille de son écorce ; le çana, au contraire, sert à enchaîner
d'autres êtres : voyez quelle différence * !*
L'homme habile renverse son adversaire, en s'attachant
doucement à lui ; un grand arbre même succombe, on le sait,
quand une liane s'enlace autour de son tronc.
Un homme bien élevé ne fait pas entendre un langage rude,
même quand on l'insulte ; un suc rebutant ne sorfpas du can-
dana que la hache abat sur le mont Malaya^.
Les méchants seuls jouissent des richesses mal acquises ;
les corneilles et nul autre oiseau dévorent le concombre kim-
pàka.
Un seul arbre couvert de fleurs parfumées embaume toute
la forêt; un fils bien élevé est la parure de toute sa famille.
Comme le rameau du figuier, déposé dans un sol riche, y
pousse avec vigueur, ainsi fructifient les dons qui tombent
dans les mains de qui en est digne.
Où personne n'est habile, un esprit faible lui-même est
1. Màdhava et Sidocana. A. Fr. von Schack, Stimmen vom
Ganges. Stuttgart, 1877, in-8, p. 161.
2. Bôhtlingk, n"» 6871 (Fritze, n^ 61) et 4249.
3. Bôhtlingk, n^ 4G18. Il faut rapprocher de cette sentence
celle du n° 2990, où il est dit que si le créateur n'a pas donné
de fruits au bouleau, son écorce n'en comble pas moins les
vœux de milliers de malheureux.
4. Bôhtlingk, n»' '»32 et 401. — Fritze, n«* 320 et 321.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 459
estimé ; dans une contrée dont les arbres ont été arrachés, le
ricin passe pour un arbre ^
C'est dans l'homme âgé qu'apparaît la maturité de l'intelli-
gence , c'est dans le vieux santal que s'engendre le parfum.
Ceux qui, isolés, ne peuvent rien, deviennent forts quand
ils sont amis ; on tresse avec du gazon des cordes qui; servent
à attacher même des éléphants.
La tige de bambou, qui n'a point été séparée de la souche,
ne peut être détruite; il en est de même de celui qui reste uni
avec ses frères '.
Comme l'orge à corneille et le sésame sauvage ne sont pas
en réalité, mais seulement de nom, de l'orge et du sésame,
ainsi les gens sans argent ne sont hommes que de nom.
De même qu'une abeille, qui, dans sa soif, suce la fleur du
kàça, mais n'y trouve pas de miel ; ainsi l'amitié est vaine avec
ceux qui n'en sont pas dignes.
Voyez, quoiqu'elles en soient déjà tout proches, ces abeilles
s'éloignent de ce magnifique karciikàra, parce qu'il n'a pas de
parfum ; les honnêtes gens en font précisément ainsi avec un
homme riche, quand il est de basse origine.
l'ne bonne, comme une mauvaise action, attend le temps
des fruits ; c'est en automne que mûrit le riz, jamais au prin-
temps.
La fleur parfumée de la ketaki est garnie d'aiguillons ; à cette
fleur ressemble un prince entouré de gens de rien ^.
Un syandana, quoique petit, est capable de porter un far-
deau, ce que ne peuvent faire d'autres arbres; ainsi les
hommes de bonne race sont propres à faire des choses difli-
ciles, non les hommes ordinaires.
Comme les épines empêchent de cueillir les fruits de Tarbre
qui en est couvert; ainsi la société des méchants rend impos-
sible la société des bons.
1. Bôhtlingk, n"" 754, 1418, 38il et 5074.
2. Bôhtlingk, n*» 4262, 4425 et 6678.
3. Bôhtlingk, n«» 5091, 5126, 4015, 6489 et 7073
460 LES PUNIES CHEZ LES HINDOUS
Une tige de padma donne la mesure de la profondeur de
l'eau (où il croit) ; le bon caractère d'un homme, la mesure de
la noblesse de sa race.
Comme les lotus sont conservés par une eau profonde ; de
même la puissance d'un prince Test par l'intelligence ^
Fugitive au delà de toute mesure est la vie et tout aussi mo-
bile que l'eau sur la feuille d'un nélumbo.
Le parfum précieux des bois de santal et d'aloès ne dure
pas aussi longtemps que celui de la gloire des hommes.
Les gens de basse naissance se sentent désagréablement
touchés, quand les autres dépensent de l'argent ; est-ce que
l'arbre à manne ne se dessèche pas, quand le nuage répand
ses eaux - ?
On verra plutôt une fleur sur un figuier que ce qui est caché
dans le cœur d'une femme.
Le soleil fait s'épanouir le lotus de jour — le nélumbo — , la
lune fait fleurir le lotus de nuit, le nuage répand la pluie sans
en être prié : les hommes généreux emploient leur activité
pour le bien des autres.
La fleur est la cause du fruit et le. fruit détruit la fleur ; les
bonnes œuvres sont la cause de la loi et la loi anéantit les
bonnes œuvres^.
Quelquefois les sentences et les allégories prennent
un caractère symbolique ou deviennent même de véri-
tables devinettes.
Dans ce jardin — le corps de sa bien aimée — j'ai vu une
liane — un bras — - avec cinq rameaux — les cinq doigts —
et sur chacun des rameaux de cette plante un bouton de fleur
rouge sombre — un ongle.
Dans la forêt de la vie les saralas — les hommes droits —
sont rares ; les kalis, — amis de la dispute — au contraire, sont
1. Bôhtlingk, n°« 7158, 7491, 2355 et 3408.
2. Bôhtlingk, n« 3407, 2242 et 3936.
3. Bôhtlingk, n»» 7490, 3909 et 4373.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 461
pressés les uns contre les autres ; mais il ne 8*y trouve pas de
çamis — d'hommes- intérieurement tranquilles — et point de
puriinâgas — d*hommes distingués ^
Notre monde est un arbre chargé de fruits vénéneux ; mais
il fait aussi mûrir deux nobles fruits ; Tun est le commerce
agréable des gens de bien ; Tautre, fruit semblable au nectar,
est la poésie.
Un conseil secret est une semence ; garde-le aussi soigneu-
sement qu'une graine semée ; lui cause-t-on le moindre pré-
judice, une plante n'en peut plus naître '.
Là se dresse Tarbre honoré de la vertu ; la foi est sa semence ;
Teau avec laquelle les Brahmes Tarrosèrent est le Véda ; ses
rameaux sont les quatorze sciences, ses fleurs sont les avan-
tages (qu'elle procure), ses deux fruits, les agréments de la vie
et la rédemption finale, lun plus grossier, l'autre plus délicat.
La lune est-elle la fleur d'un arbre du ciel ? Et comment
s'appellent, ô mère, les plantes qui portent des perles en guise
de baies ^ ?
Plusieurs des apologues et des allégories que je
viens de citer ne sont guère que des comparaisons ou
de gracieuses métaphores. De bonne heure le monde
des plantes en a fourni aux poètes. On en rencontre
déjà, quoiqu'elles y soient rares*, dans les plus anciens
monuments de la langue. Le Rig-Véda dit de l'hymne
d'actions de grâce à Indra que c'est un « rameau
mCir pour l'homme pieux » ; il compare les ennemis
vaincus à des « chaumes fauchés pour le lieu du sa-
1. Bôhtlingk, n<" 185 et 6895. Le sarala est le Pinus longi-
folia, le kali, la Terminalia bellerica, la çnmîy V Acacia sumaj
le pumnâga, la Rottleria tinctoria.
2. mtopadeça, lib. I, 118 et H, 132. Hertel, p. 46 et 95.
3. Bôhtiingk, n«« 6547 et 7498.
4. Arnold Hirzel, dans son étude sur les comparaisons et les
métaphores du Rig-Véda (Gleichnisse und Metapkern in Pgr-
veda in cuUurhistorischer Hinsicht, I^ipzig, 1890, in-8), n'en
mentionne aucune.
4Ô2 LES PU5TES CHEZ LES HI7ID0US
crifice l'y et il dous montre le démon Vala « se
lamentant sur ie rapt des vaches, comme les arbres
sur le feuillage dont Thiverles a dépouillés »'.
De m«''me qu'on rompt une tige de lotus, elle brisa la crête
des rochers, renverra avec Timpétueuse force de ses flots les
fondementji des monts.
Par 9a lumière il chassa les ténèbres de Tatmosphère, de
même que le vent, le çipala de la surface de Teau.
Comme les gouttes de sueur coulent tout autour de son corps,
que les traits tombent inutiles de tous côtés! Que le mauvais
vouloir s'éloigne de nous, comme se dispersent les semences
des épis mûrs de la dûrvà ! ^
De même dans T Atharva- Véda ' :
Je coupe ces liens, comme la racine d*une gourde. — Je te
délie, comme le fruit d'une gourde de son pédoncule. ^
Dans les traités religieux ou didactiques postérieurs,
ces comparaisons allégoriques sont encore plus fré-
quentes.
1. Tel un arbre, roi des forêts, tel e^ten vérité un homme.
Ses poils, ce sont les feuilles; sa peau, c'e^t Técorce. — 2. De
la peau de Thomme blessé coule le sang, comme la sève de
l'arbre qu'on frappe. — 4. Mais tandis qu'un arbre, qui a été
coupé, repousse, plus jeune, de sa racine, de quelle racine,
dites-moi, un homme repousse-t il, quand la mort Ta abattu ?
— 6. Si un arbre a été arraché avec sa racine, il ne repoussera
plus : de quelle racine, dites-moi, l'homme abattu par la mort
pourrait-il renaître ^?
1. I{i(j-\eda, lib. I, 8, 8 ; X. 33, 4 et 68, 10.
2. Lib. VI, 61, 2; X, 68, 5 et X, 134, 5. Cf. Zimmer, AUin-
disches Leben^ p. 70.
3. Lib. VI, 14, 2 et XIV, 1, 17.
4. Brihadàranyaka-Upanishad, III Adii., 9 Bràhm. 28. {The
Upanisfiads, iran&\. by Max Millier. Part H, Oxford, 1884, p. 149).
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 463
Comme le parfum dans la fleur, Thuile dans le grain de
sésame, le feu dans le bois, le beurre dans le lait et le sucre
dans la canne, perçois au moyen de ton intelligence l'âme
dans le corps ^
Mais c'est surtout pour peindre la beauté, et plus
particulièrement la beauté féminine, que les écrivains
hindous ont demandé au monde des plantes les méta-
phores et les images dont ils se sont servis. L'auteur
du Lalita Vistara dit de Mâyà, la mère du Buddha*,
que ses yeux ressemblent aux pétales d'une fleur de
lotus grand ouverte. Ils sont aussi purs, remarque-t-il
ailleurs, que la fleur de lotus à cent pétales, épanouie
sous les rayons du soleil de la sagesse et de la science;
ses lèvres sont rouges comme les fruits du bimba et
ses dents blanches comme la fleur de la sumanâ et du
vârshika\ Pour lui, le Buddha est un grand arbre de
vertu; c'est un lotus immaculé, une fleur qui a le par-
fum delà bonne conduite. Il a les lèvres rouges comme
le bimba, dit de lui son épouse, et des yeux de lotus*.
Il est même dit dans un jâtaka' de la bouche d'un
cerf, incarnation, il est vrai, du Buddha, qu'elle est
rouge comme un bouquet de fleurs de kamala.
Vàlmîki parle des yeux de Sîtâ « beaux comme une
fleur de lotus » et de sa « taille de liane » ; il dit de
même des yeux de Ràma qu'ils a ressemblent aux
— VUpanishad du grand Aranyaka, trad. par A. Ferd. Hérold.
Paris, 189'i, in-12. 3« lecture 30-34, p. 88.
1. Bohtlingk, n° 4154 (4561).
2. Trad. Foucaux, chap. n, p. 12. — Chap. xv, p. 189.
3. Chap. II, p. 10. — Chap. ni, p. 27.
4. Chap. .w, p. 195, 196 et 202. — Chap. xxi, 279. La
sumanà est le Jasminum grandi florum ou le Datura rnetel,
le bimba le fruit de la Momordica monadelpha; mais j'ignore
ce qu'est le vârshika.
5. Buddhist Birtli Stories, n» 12, p. 205.
Mi LES PU5TeS CHEZ LES HINDOUS
pétales charmants da lotus' ». Kàlidâsa célèbre la
taille flexible d'Umà, «qui la fait ressembler à une liane
inclinée sous l'abondance de ses fleurs », et il Tante
ses « lèvres debimba, autour desquelles Tiennent bour-
donner les abeilles, qu'attire son baleine parfumée' ».
Avec quel art, dans un autre passage, il a su encore
tirer du monde charmant des fleurs les traits qui doi-
vent peindre la beauté de la « fille du roi des monts'».
Comme an lotus qui vient de s'ouvrir sous les rajons du
soleil, son corps d'une irréprochable splendeur se distinguait par
la plus fraîche jeunesse. Ses deux pieds imitaient la beauté
changeante de Thibiscus par le brillant éclat dont les ongles en
étaient colorés. Ses bras avaient une délicatesse, qui surpas-
sait la fleur du çirîsha. Ses deux mains aux ongles charmants
faisaient honte aux pétales de Taçoka... Quand elle fut revêtue
de sa robe, Umâ brilla telle que la terre couverte de kàças en
fleurs.., (Et) à mesure qu*on la parait de ses atours, elle res-
plendissait comme une liane chargée de fleurs.
Kàlidàsa ne peint pas avec moins de grâce Çakun-
talà, dont « la ravissante jeunesse pare les membres
d*une fleur de beauté » ; « délicate comme la fleur du
jasmin à peine éclose », « sa bouche qui sourit semble
un bouton qui s*ouvre, ses bras, deux tendres lianes », et
quand elle languit, en proie aux tourments de famour,
a on dirait la liane màdhavi que le souffle brûlant d'un
vent desséchant a touchée^». Mêmes comparaisons
charmantes dans UrvacV\
En contemplant cette liane, qui n'a pas encore poussé de
1. Râmâyana. Ayodhyâkànda, LIX, 25; LXII, 9.
2. Kumûra-Sambhava, chant II I, 54 et 56. Ed. Stenzler,
p. 38-39. — Fauche, II, 295.
3. Kumàra-Sambhftva, chant I, 32-33 et 41-42; VII, Il et 21.
4. Acte I, scène 4 et acte III, scène 2.
5. Acte V. Trad. Fritze, p. 54 et 56. LaAa(fa/t est le bananier.
•
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 465
fleurs, mon cœur se réjouit avec raison : cette plante délicate
ne ressemble-t-elle pas à ma bien-aimée ? Ses rameaux, que la
pluie a mouillés, me font penser à ses lèvres humides de
larmes. Si elle n*a pas encore de fleurs, parce que leur temps
n'est pas venu, je crois voir mon amie qui s*est dépouillée de
sa parure...
Avec ses fleurs dont le bord est rouge et qui cachent des
gouttes d'eau dans leur intérieur, cette jeune kadalî me rap-
pelle les yeux d'Urvacî, gonflés de larmes par la colère.
Dans la même pièce, le roi parle aussi des « mains
de lotus » d'Urvacl et il dit de la reine qu'elle a le
corps aussi délicat que la racine du nélumbo^ Dans
Mdlavikâgnimitray le roi compare « la main de Thé-
roïne, qui pend nonchalemment, à un rameau de
çyâmâ, et son visage souriant, « auquel ses dents ser-
vent de parure », lui paraît « un nymphéa qui s'en-
tr'ouve et ne montre qu'à demi ses étamines* ». Et
plus loin* :
Mâlavikâ me paraît toute difl'érente qu'autre fois, ses joues sont
pâles comme des chaumes de sara, et elle ressemble au kUnda
— jasmin, — dont le printemps a déjà développé les feuilles,
mais n'a fait pousser que peu de fleurs... Elle pâlit à vue d'oeil,
comme se fane une guirlande de jasmins quand le froid l'a
touchée.
Sâgarikà, ma bien-aimée, dit le roi dans Ratnàvali^, ton
visage brille comme la lune ; tes yeux sont des lotus bleus ;
tes mains, des fleurs ; tes bras, des racines de nymphée.
Bhavabhûti a accumulé dans Màlati et Màdhava les
images les plus gracieuses pour peindre le charme
1. Acte III. Trad. Fritze, p. 44.
2. Acte II. Trad. V. Henry, p. 28 et 30. — Trad. Fritze,
p. 24 et 26. La cyâmà est, comme, le priyangu, probablement
ici le poivrier long.
3. Acte III, p. 34 et 37. V. H.
4. Acte III. Trad. Fritze, p. 65.
JORET. — Les Plantes dans VanUquUé, 11. — 30
/
466 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
langoureux de son héroïne au sein « pâle comme une
tige mûre de lotus* ».
Elle languit comme un rameau brisé d'açoka, et est sans
force comme une fleur fanée de jasmin... Elle m'apparait
comme un jeune lotus, qui ne jouit qu'un instant du lever de
la pleine lune et puis se fane. — Avec ses membres, sembla-
bles à des fleurs fanées de campaka, et qu'elle meut avec
lenteur, Màlati enflamme avec plus de force mon ardeur amou-
reuse, elle enivre mon cœur et charme mes yeux... En enten-
dant sa voix à l'instant pour la première fois, j'ai éprouvé
un frisson de plaisir, et je ressemble au kadamba, qui se
couvre de boutons quand une pluie nouvelle, versée par les
nuages, vient l'arroser.
Ailleurs ", il parle du visage « semblable au lotus »
de Màdhava et il nous le montre saisissant de sa main
la « main de lotus » de Màlati, (lotus) « dont son bras
est la tige et ses doigts humides, les pétales », et dans
Tardeur de son amour, il croit voir partout le « visage
semblable à un lotus d'or entr'ouvert » de sa bien-
aimée, etc. Dans YUttararâmacarita^, Bhavabhûti
compare aussi à un doux et charmant lotus « la liane
du corps » de l'héroïne.
Tous les poètes erotiques de Tlnde ont à l'envi
emprunté au monde des fleurs quelque image pour
peindre la beauté de leurs bien-aimées.
Après avoir fait tes yeux avec un lotus bleu, ton visage d'un
brillant nélumbo, tes dents avec le jasmin, tes lèvres avec de
jeunes boutons, tes flancs des feuilles du campaka, comment le
créateur a-t-il pu, mon amie, tailler ton cœur dans la pierre ** ?
1. Actes II et III. Fritze, p. 45, 29, 42 et 39. Strehly, p. 76
et 80.
2. Acte VI et VII. Trad. Fritze, p. 78 et 84.
3. F. Nèvc, Le di*nouement de Vhialoire de Ràma, p. 217.
4. Çringàratilakiun. Kàlidâsa, trad. Fauclie, vol. III, p. 130.
— Bohtlingk, n» 423.
I
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 467
Qu'une fleur croisse sur une fleur, on ne l'a encore ni en-
tendu dire, ni vu : d'où viennent donc, ô jeune fille, ces deux
lotus bleus — ses deux yeux — sur le lotus blanc de ton visage?
Ton visage et le lotus sont tous deux grands ouverts et par-
fumés ; le lotus est entouré d'abeilles bourdonnantes^ ton visage
est embelli d'yeux mobiles.
Un lotus blanc est comme ton visage, et ton visage est comme
un lotus : comment pourrions-nous découvrir si tu n'es pas
cachée au milieu des lotus ' ?
Le jour où, pour te baigner, tu descendis dans cet étang, le
lotus blanc te ravit la grâce de ton sourire, le lotus bleu, le
charme de tes yeux, le nélumbo, qui se ferme le soir, la grâce
de ton visage 2.
Vaincu par la beauté de ton visage, ô mon amie, le disque
de la lune se cache dans le nuage et le lotus blanc dans l'étang.
Ce visage n'est pas un lotus blanc, ces yeux ne sont pas
des lotus bleus : ô abeille, ne vole pas ainsi en vain dans le
voisinage de cette belle aux beaux yeux '•^.
Tes sourcils sont des lianes charmantes, tes lèvres roses
sont des boutons; ton visage est le jardin des Dieux... Touché
par les rayons du soleil, il s'épanouit en une fleur rose... Mais
puisque il est, ô belle, en tout semblable au lotus, pourquoi ne
voit-on pas d'abeilles en sucer le miel *.
Cette lèvre est la sœur en éclat du bandliùka, dit Hari à
Ràdhâ ; ta joue lisse a le brillant d'une fleur de madhùka ;
tes yeux... resplendissent comme des lotus bleu foncé ; ton nez
semble un épi de tila en fleur ; toi, de qui les dents sont comme
les pétales du jasmin, l'univers est vaincu par le dieu, qui a
pour flèches des fleurs, parce que ton visage, où elles sont
toutes réunies en abondance, lui sert pour armer ses dards ".
Ce n'est pas seulement pour peindre la beauté que
1. Bôhtlingk, n^» 18'i6, 2660 et 9528.
2. Kâvyàdarça, II, 274. Bôhtlingk, n« 4269.
3. Bôhtlingk,* n« 4918 et 5917.
4. Nâgâîiandaf acte III. Trad. Bergaigne, p. 73 et 75.
5. GUa-Govinda, X, 14. Trad. Lassen, p. 135. — Trad.
Fauche, p. 82. Le bandhûka est VIxora grandi flora ou coccinea.
468 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
les poètes hindous ont emprunté ces comparaisons
imagées au règne végétal, ils lui en ont aussi demandé
pour représenter plus vivement aux yeux les choses et
les hommes dont ils parlent. C'est ainsi que le poète
du Mahâbhârata, dit des Paiidavas, qu'ils « ressemblent
à des arbres sans fruits et à des sésames stériles* »,
et que Vâlmîki, pour donner la plus haute idée de la
bonté de Rama, le compare à « un arbre, sous les
branches duquel habitent les hommes de bien ».
L'anachorète, dit-il également ailleurs, vit là devant ses yeux
la grande vie de Hâma, comme une fleur d'àmalaka qu'il aurait
tenue dans ses mains '^.
Le chantre du divin héros affectionne ces manières
de parler; on en rencontre des exemples à chaque
instant dans son poème.
Que ta promesse, comme une liane en fleurs, ne tarde pas
à nous donner son fruit !
On le verra s'en aller se consumant peu à peu comme un
lac aux lotus flétris, dont le vent et le soleil ont tari les eaux ^.
La grande armée des singes ressemblait à un lac de lotus,
dont les fleurs entr'ouvent leurs calices.
Le palais du roi, plein d'hommes et de femmes dans la joie,
brillait comme un lac émaillé de lotus épanouis, au milieu
desquels se joue une volée d'oiseaux *.
Kàlidâsa, cela ne saurait surprendre, a imité ce
procédé de ses devanciers et renchéri sur eux.
On eût dit que les fenêtres étaient ornées de lotus, à voir,
dans les embrasures, s'épanouir, pleines d'une vive curiosité,
1. Vana-Parva, 2526.
2. Ràmâyana- Adikânda, IH, 36. — Kishkindhyakâçda,
XIV, 17.
3. Kishkindhyakànda, XIll, 31 et XV, 34.
4. Kishkindhyakàrida,XXXVin,40. — Ayodhyàkânda,IV,14.
LES PLANTES DANS LA POf:SIE 469
ces tètes de femmes aux yeux qui semblaient voltiger comme
des abeilles K
La maison de Raghu était semblable à un lac où végète un
lotus unique et non -encore éclos.
Tu portes l'apparence d'un être accablé de tristesse, comme
un champ de lotus qu'une gelée blanche aurait fané ^.
Les poètes épiques ont eu recours aux comparai-
sons de ce genre pour peindre en particulier Téclat du
sang qui coule des blessures.
Les membres couverts de flèches, ils brillaient tels qu'au
printemps deux kimçukas couverts de leurs fleurs bigarrées '.
A voir le sang dont il était souillé, on eût dit un immense
arbre kimcuka en fleurs au milieu d'une forêt.
à
Par le sang caillé de ses blessures, il ressemblait à l'arbre
qui porte l'encens, quand il exsude sa racine odorante^.
Bàli, que le fils de Danu labourait avec la pointe de ses
cornes, parut bientôt comme un açoka tout en fleurs ^.
Et encore* :
Sous le coup des flèches décochées la face rouge du singe
1. Raghu- Vamça, chant VIÎ, 11. Bhavabhùti a dit de même
dans Mâlatî et Mùdhava : « De quelque côté qu'on porte ses
regards, toutes les fenêtres de la ville paraissent garnies de
lotus. » Acte II, p. 35.
2. RaghU'Vamça, chant XVIIÏ, 36 et XVI, 7. On trouve déjà
dans le Ràmàyanay Sundarakânda, LVIII, 12 : « Les membres
sans couleur comme un étang de lotus à l'arrivée des neiges. »
3. Mahâbhârala. Bhisma-Parva, 16682.
4. Râmâyana. Yuddhakûnda, LXXXVIII, 7. — Aranyakànda,
XXVI, 28.
5. Kishkindhyakànda, IX, 76. Et plus loin : « L'Indra blessé
des Rakshasas paraissait alors comme un açoka en fleurs,
planté au milieu des armées. » Yuddhakûnda, LXXVII, 29.
6. Sundarakûoda, XXXIX, 22. — Yuddhakâi.ida, XIX, 68.
Ailleurs, il est aussi question de « gouttes de sang larges
comme des fleurs de bandhujîva ». Et XX, 10 : « On eut dit
à les voir deux palàças en fleurs. » Le bandhujîva est Ylxora
coccfnea.
470 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
brilla telle qu'en automne un nélumbo épanoui, frappé des
rayons du soleil.
Blessés par les traits empennés d'or, ces guerriers magna-
nimes ressemblaient à des bouquets de bandhujîva.
Les comparaisons tirées du règne végétal sont fré-
quemment aussi employées par les poètes épiques pour
peindre Taccablement causé par une grande douleur
ou la chute des guerriers frappés dans le combat.
Ainsi dans le Mahâbhârata :
Gandharî, épuisée par la douleur, tomba aussitôt sur la terre,
comme une kadali coupée dans la forêt *.
Kuntî effrayée se laissa tomber sur sa couche irréprochable
comme une liane qu'on a brisée.
Mordu par ce vil serpent, le père du roi Janamejaya tomba
dans la mort, comme un arbre frappé par la foudre *.
Karoa vit son frère tomber du char, comme un arbre en
fleurs que le vent précipite de la cime d'une montagne ^.
De morne dans le Râmâyana * :
Le Ràkshasa, comme un arbre que le tonnerre a frappé,
tomba sur la terre.
Bharata s'affaissa tout à coup sur la terre, tel un arbre, sapé
par la racine, tombe dans la forêt.
Kâlidàsa a eu recours à la même figure^ :
Les fils de Dacaratha virent leurs deux mères tombées dans une
•
1. Éd. Foucaux, Le Mahâbhârata. Onze épisodes ti7^és de ce
poème épique. Paris, 1862, in-8, p. 253.
2. Vana-Parva, 17124. — Adi-Parva. 838.
3. Drona-Parva, 1717-18. Pavolini, p. 177. Et encore: « Dhri-
taràshtra tombe à terre comme un arbre superbe abattu par le
vent ».
4. Kishkindhyakànda, XLVIIl, 22. — Yuddhakànda,LXXVIl,
115.
5. Raghu-Vamça, chant XIV, 1.
LES PLANTES DANS LA POÉSIE 471
condition lamentable depuis la mort de leurs époux, comme
deux lianes, une-fois sapé T^rbre qu'elles tenaient embrassé.
Les poètes du Mahâbhàrata et du Râmâyana com-
parent encore le tremblement des membres émus à
celui des feuilles.
Le roi tremblait comme une feuille d'açvattha agitée par le
vent*.
Sitâ frissonnait, tremblante comme les feuilles du bananier
au souffle du vent. — Vivement émue, Sîtà tremblait comme
un bananier superbe qu'un éléphant a brisé 2.
1. AdiParva, 7297.
2. Aranyakànda, VII, 24 et LUI, 61. Plus haut, II, 17, le
poète parle aussi d'Anasùyâ « aux membres tremblants comme
les feuilles d'un bananier au souffle du vent ».
CHAPITRE V
LES PLANTES DANS LES LEGENDES RELIGIEUSES
ET DANS LE CULTE
I
D'après les Rishis, l'univers se compose du ciel —
le monde supérieur et lumineux — et de la terre —
le monde inférieur — ; entre lesquels s'étend le monde
des nuages — rajas — ou l'atmosphère*. La voûte
du ciel — le firmament — , sur laquelle sont fixés les
astres, sépare le monde invisible de la lumière du
monde visible de l'atmosphère*. La région la plus
élevée de cette dernière, celle des orages et de la pluie,
était d'ailleurs souvent confondue avec la région infé-
rieure du ciel'. Quant à la terre, un hymne védique*
1. Big-Veda, lib. VIII, 10, 6. — Roth, Die hôchsten Gôtter
fier arischen Vôlker. (Zeitschrift der deutschen morgenlàn-
diachen GeselUchafl, vol. VI (1852), p. 675. — A. -A. Macdonell,
Vedic Mythology, p. 8. (^Grundriss der indo-arischen Philo-
logie ^ vol. III, 1, A.).
2. Le ciel est représenté comme comprenant trois régions :
une inférieure, une moyenne et une supérieure. Big-Veda,
lib. I, 35, 6 et VII, 37, 5.
3. BigVeda, lib. I, 108, 9, 10 et VII, 87, 5.
k. Big-Veda, lib. I, 35, 8. Un autre hymne (X, 19, 8) divise
LES PLANTES DxVNS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 473
lui attribue trois continents, huit montagnes et sept
fleuves. Cette cosmologie des Védas, toute primitive
qu'elle est» subsista, dans ses traits principaux,
durant les siècles suivants*.
Toutefois, si la conception védique du ciel et de
l'atmosphère resta à peu près la même, celle que les
poètes des Purànas ou des épopées nationales et plus
encore les écrivains bouddhistes se faisaient de la
terre, bien que non moins mythique, est autrement
compliquée. Pour eux. la terre a la forme d'un disque
aplati, terminé par une muraille circulaire de rochers.
Quatre continents — dvîpas — , suivant les écrivains
bouddhistes de la Chine *, sept continents d'après le
Vishnu et le Bhagavata Purâna*, couvrent sa surface.
Ils sont entourés par autant de grandes mers : la mer
d'eau salée, celle de jus de canne et de vin, la mer de
beurre clarifié, celle de caillé, enfin les mers de lait et
d'eau douce*. Les quatre continents des Bouddhistes
étaient le Jarabudvîpa au Sud, le Viàeha à l'Est, TUtta-
rakuru au Nord et le Gadhànya à TOuest. Le plus
vaste de tous, le Jambudvîpa renferme neuf varshas
la terre en quatre vastes continents. Cf. H.-W. Wallis, The
cosmogony ofthe Rigveda. London. 1887, in-8, p. 112.
1. « Le ciel est la demeure des Dieux; l'atmosphère, le
séjour des Bhùtas ; la terre, le monde des hommes. » Bhaga-
vata Puràna, lib. XI, cap. 24, 12.
2. Samuel Beal, A calena of Buddhisl Script ures from the
Chinese. London, 1871, in-8, p. 35.
3. Vishnu Purâtta, lib. II, cap. 2. Trad. H. -H. Wilson, vol.
Il, p. 109. — Bhùgavata Punina, lib. V, p. 16, 7. Les Jainas,
d'après M. de Milloué {Muséon, vol. 111 (188'*), p. 197), pla-
çaient à TEst le Bhàrata, à TOuest le Videha et au Nord l'Ai-
ravati.
4. Vishnu Purâna, lib. II, cap. 2, vol. II, p. 109.
474 LES PLAMTES CUEZ LES HINDOUS
OU territoires séparés les uns des autres par des mon-
tagnes élevées. Celui du milieu est rUâvrita; tout
autour sont rangés huit autres varshas, trois au NiDrd,
entre autres le Kuru — TUttarakuru des écrivains
bouddhistes — , trois au Sud, dont le plus important,
le Bhàrata, est l'Inde proprement dite, enfin l'un à
l'Est et un autre à l'Ouest*.
Au centre de l'Ilâvrita se dresse le Meru « le roi des
Monts » ; entièrement formé d'or, il a la forme d'un
tronc de cône renversé, mesurant 32000 yojanas de
diamètre au sommet et 16000 seulement à la base*.
Le Vishnu et le Bhàgavata Purâna le comparent au
fruit du lotus, dont les huit varshas, qui entourent
l'Ilâvrita, sont comme les pétales. D'après le Padma
Puràna, le Meru ressemble à la fleur du datura. Quatre
monts, le Mandara, le Mcrumandara, le Supârçva et
le Kumuda lui servent de contreforts '. Le Bhàgavata
Purâna place un lac sur chacun de ces monts : un de
lait, un autre de miel, un lac de suc de canne, enfin
un lac d'eau pure*. L'un de ces lacs, d'après le Vishnu
Purâna, était le Manâsa — l'Anotatta du Sùryodga-
mana-sûtra ^ — , lac célèbre dans les légendes et la
poésie hindoues ; il était entouré de tous côtés par des
montagnes. Des montagnes, restées célèbres aussi, for-
maient également la limite des divers varshas ; telles
l'Himavat au Sud de l'Ilâvrita et le Gandhamâdana à
•
1. Bhàgavata Puràna, lib. V, cap. 16, 6-9.
2. VUht}u Puràna f lib. II, cap. 2. — Bhàgavata Puràna ,
lib. V, cap. 16, 7.
3. Le Vishpu Purâna substitue le Gandhamâdana au Meru-
mandara et le Vipula au Kurauda. Lib. II, cap. 2, p. 115.
4. Bhàgavata Puràna, lib. V, cap. 16, 12 et 1'*.
5. Spencft Hardy, A manual of Buddhism. London. 1886,
in-8, p. 15-16.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 475
l'Est; il faut mentionner encore le Citrakûta et le
Kailâsa, qui a conservé son nom jusqu'à aujourd'hui.
Des forêts immenses couvraient ces montagnes. Tel
était, d'après les croyances des anciens Hindous, le
séjour des hommes et de tous les êtres animes ; tel était
aussi celui des Dieux, dont leur fertile imagination
avait peuplé l'univers.
Les divinités du Panthéon hindou étaient de simples
personnifications des forces ou des phénomènes de la
nature * ; mais elles étaient loin d'avoir toutes la même
puissance ; parmi elles s'en trouvait une — non tou-
jours la même et qui varia suivant les temps — , supé-
rieure aux autres et regardée comme le dieu suprême,
père et maître de l'univers et créateur de tous les êtres
qu'il renferme. A l'origine ce Dieu fut, comme chez les
autres nations indo-européennes, le ciel lumineux —
Dyaus pitar, Zcj; r.x-Tftp, Ju-piter* — , qui, uni à la Terre
— Prithivî « la large » — , a fait et conserve tous les
êtres. Mais Dyaus ne garda pas longtemps ce rang
élevé; il finit par le céder à Varuna'* — TO-ipavoç des
Grecs — de même origine que lui, puisqu'il person-
nifiait la voûte céleste. « Roi des Dieux, des hommes
et de tout ce qui existe », « maître du ciel et de la
terre », «souverain arbitre » — asura — de l'univers*,
Varuna a été parfois identifié à Ahura Mazda'. Ainsi
1. Macdonell, Vedic Mythology^ p. 2.
2. Leopold von Scliroeder, Indiens Literatur und KuUur,
p. 22. — Macdonell, Vedic Mylhology^ p. 21.
3. Rig-Veda, lib. I, 159, 2 et 160, 2 et 4. — J. Muir, Original
Sanscrit Texts, vol. V, p. 21 et suiv. — Lefmann, Das aile
Indien y p. 44.
4. BigVeda, lib. ï, 25, 20 ; II, 27, 10; V, 85, 1; VII, 87, 6.
5. J. Darmesteter, Le dieu suprême dans la Mythologie^
aryenne. {Essais orientaux, Paiis, 1883, vol. Il, p. 105). —
476 LES PU!ITFS CHEZ LES HINDOUS
que lai, il ne régnait pas seul ; il partageait le gouver-
nement du monde avec les Aditvas, « ses espions »,
qui rappellent les Amshapands de la mythologie ira-
nienne, abstractions personnifiées presque toutes sans
importance, mais dont Tune, Mitra — le Mithra des
Perses — apparait comme son auxiliaire inséparable '.
Gardien comme lui et souverain du monde, Mitra
semble avoir plutôt présidé au jour, tandis que Varuna
régnait sur la nuit ^. Tous deux d'ailleurs, ainsi qu'Arva-
man et les autres Âdityas \ n*étaient point regardés
comme éternels ; ils étaient fils d'Aditi, « Timmen-
sité » *.
En même temps que Tun des Âdityas, Mitra était
aussi Dieu solaire ; mais il ne représentait pas à lui
seul le soleil ; cet astre était surtout personnifié en
Sûrya, Savitri et Vishnu : Sùrya, le fils de Dyaus ^, qui
éclaire de ses rayons le firmament et connaît tout;
Savitri, Tasura « aux yeux d'or », qui éclaire par sa
présence le ciel et la terre et vivifie toutes les créa-
Ph. Collinet, Divinité personnelle dans VInde ancienne. (Mu-
séon, vol. \\\ (188'i), p. 141.) C'est au contraire à Dyaus que
p. von Bradke (^Dyaus Asura, Ahura Mazda und die Asuras.
Halle, 1885, in-8, p. 80), semble identifier le dieu suprême des
Iraniens.
1. Rig-Veda, lib. V, 62, 3; 69, 1 et '» ; VII, 61, 3.
2. Riff-Veda, lib. VIII, 25, 1. — A. Hillebrandt, Varuttaund
Mitra. Breslau, 1877, in-8, p. 44-53. — Muir, Sanscrit Texts,
vol. V, p. 58. — A. Bergaignc, Les Dieux souverains de la
Religion vrdique. Paris, 1877, in-8, p. 116.
3. Bhaga, Daksha et Ariiça. A. Barth, The Religions of India.
London, 1882, in-8, p. 19. '
'i. Rig-Vedn, lib. VIII, 25, 3; 47, 9. -- Muir, V, 37-38.
5. Rig-Vcda, lib. X, 37, 1; I, 50, 1 et 4. — A. Barth, The
Religions, p. 20. — Edmund Hardy, Die vcdish-brahmanische
Période der Religion des allen Indiens. Miinster i. W., 1898,
in-8, p. 29. — Macdonell, Vedic Mythology, p. 30.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 477
tures*; Vishnu, «l'agile », rami d'Indra, qui parcourt
le monde en trois pas*. Enfin le dieu pasteur et bien-
faisant Pushan, « protecteur du monde ^ », était encore
une personnification du soleil, tel qu'un peuple d'agri-
culteurs avait pu aimer à se figurer le dieu de la lu-
mière*. Parmi les autres divinités célestes, il faut
encore citer Vivasvat, le Ciel ou le Soleil personnifié,
organisateur du culte et Tancêtre du genre humain ' ;
Ushas, l'Aurore, fille brillante du Ciel et épouse du
Soleil*, si souvent chantée par les Rishis, et les Açvins
divinités secourables et propices aux mortels \ qui
annoncent la venue de l'Aurore.
Les divinités de Tair n'étaient pas moins nombreuses
que celles du ciel; au premier rang figurait Indra,
personnification des éclairs et de la foudre, qui, après
avoir été l'auxiliaire de Varuna, finit par lui enlever
son antique suprématie, et devint le dieu national des
Hindous*. Vainqueur de Vrita et défenseur des Dieux,
il fait trembler les deux mondes, soutient et gouverne
la terre et le cieP. Créateur du soleil et de Taurore^^,
1. Rig-Veda, lib. I, 35, 7 et 8; II, 38, 1.
2. RigVcda, lib. 1,22, 17. — H. Oldenberg, La Religion
du Véda. trad. V. Henry. Paris, 1903, in-8, p. 191.
3. RigVeda, lib. X, 17, 3.
4. L. V. Schroeder, op. laud., p. 58.
5. J. Ëhni, Der vedische MythusdesYama. Sir2i&sb\iTf^yiS90,
in-8, p. 19-26.
6. Rig- Veda, lib. VII, 75, 6. — Macdonell, Vedic Mythology,
p. 46.
7. RigVeda, lib. I, 112, 116, 118. — L. v. Schroeder, op.
laud.f p. 54.
8. Muir, op. laud., p. 72 et 139. — A. Barth, The religions^
p. 12. — L. V. Schroeder, op. laud., p. 59. — Macdonell, Vedic
Mythology, p. 54.
9. Rig-Veda, lib. IV, 19, 1-3 ; VIII, 86, 14 ; II, 12, 1-2; Vï, 30, 5.
10. Rig-Veda, lib. V, 37, 4-5.
478 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
c'est lui qu'invoquent les armées en marchant au
combat, et invincible lui-même, il rend invincibles ses
adorateurs.
A côté d'Indra, le dieu de l'orage, prenaient place
Vàyu et Vàta, les dieux salutaires du vent*, puis
Rudra, le dieu rapide et terrible, mais bienfaisant aussi,
de la tempête', ainsi que les Maruts, ses fils, personni-
fications des ouragans et des éclairs, associés d'Indra
dans sa lutte contre Vrita'; enfin Parjanya, dieu antique
de la pluie et du tonnerre, créateur des plantes, qui
fait penser au Perkunas lithuanien *.
La terre avait aussi ses divinités non moins puis-
santes que celles de Tair et du ciel ; les deux princi-
pales étaient Agni et Soma. Agni est le feu que recèle
les plantes, celui qui brûle au foyer et sur les autels ;
mais il est aussi engendré par l'éclair dans la nue, et,
personnification du soleil, il brille au matin dans le
firmaments Ainsi comme à la terre, il appartient à
l'atmosphère et au ciel. Regardé parfois comme fils
de Dyaus et de Prithivî, son rôle dans le sacrifice l'a
élevé au rang des Dieux les plus grands de l'âge vé-
dique; il est invoqué comme l'organisateur du monde
et la source de toute vie S Soma, le jus enivrant qui,
1. Muir, op, laud.f vol.V,p. 143-1 46. — Macdonell, 0/7. Inud.y
p. 82.
2. Rig-Veda, lib. X, 103, 8; II, 33, 7.
3. Rig-Veda, lib. VIII, 65, 2-3.— Macdonell, op. laud,,
p. 77-81.
4. Barth, op. laud., p, 14. — Schroeder, op. laiid., p. 66. —
Macdonell, op. laud., p. 83-85. — G. Biihler, Orient und Occi-
dent, vol. I (1882), p. 226.
5. Rig-Veda, lib. III, 2, 2; 25, 1, etc.
6. RigVeda, lib. III, 6, 5; X, 88, 4. — Muir, op. laud.,
vol. V, p. 214. — Macdonell, op. laud., p. 89-100.
LES PUNTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 470
exprimé de la plante de ce nom, est offert aux Dieux,
a été non seulement personnifié, il est comme le haoma
iranien, devenu lui-même un dieu immortel et même
le plus puissant des Dieux védiques, leur père et leur
créateur*.
En même temps que ces dieux souverains, prirent
naissance une foule de divinités secondaires plus ou
moins puissantes ou connues. Tels Tvashtri, le Vulcain
hindou, divin artisan, qui, habile dans tous les arts,
connaît aussi tous les êtres, dans leur diversité infinie,
les a tous créés et les nourrit et conserve tous * ; Bri-
haspati ou Brahmanaspati, le maître et Tinspirateur
de la prière, qui, du haut du ciel, maintient Tordre
dans Tunivers' et partage les principaux attributs
d*Agni, de Soma et d'Indra. Tels encore Trita et Màta-
riçvan, d'origine incertaine; le premier, peut-être
divinité atmosphérique, fut l'auxiliaire d'Indra dans
sa lutte contre Vritra, et devint aussi de bonne heure
le compagnon d'Agni et des Maruts ; le second fit
jaillir Agni du sein du bois qui le récèle et, Prométhée
hindou, apporta le feu du ciel sur la terre*.
La mythologie hindoue n'éleva pas seulement au
rang des Dieux les forces personnifiées de la nature ;
vers la fin des temps védiques, elle déifia encore de
simples abstractions. Prajàpati, épithète personnifiée
de Savitri et de Soma, devint le dieu de la fécondité \
et fut plus tard regardé comme le principe et le sou-
1. Rifj'Veda, lib. I, 43, 9 ; IX, 73, 1 et 42, 4. — Muir, op.
laud.y vol. V, p. 266-67.
2. Rig-Veda, lib. IH, 55, 19; IV, 42, 3 ; X, 53, 9.
3. Rig-Veda, lib. II, 23, 1-4; I, 40, 5 et 90, l-'i; IV, 50, 4.
4. Rig-Veda, lib. VIII, 7, 24; III, 2, 13; X, 128, 2.
5. Rig- Veda, lib. X, 169, 4 et 184, 1.
480 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
tien de l'univers *. L'épithète d*Indra et du soleil dans
deux hymnes du Hig-Veda*, Viçvakarman « produi-
sant tout », est devenue, en se personnifiant, le créa-
teur et l'organisateur des mondes, l'architecte de
l'univers, le père des hommes. Dans TAtharva-Véda^
Rohita« le rouge », qualificatif du feu ou du soleil,
est le créateur du ciel et de la terre. Ucchishta, les
restes du sacrifice, sont représentés, dans un hymne du
même recueil^, comme ayant donné naissance à tout
ce qui respire, ainsi qu'à tous les Dieux du ciel et aux
hommes.
Cette tendance ne fit que se généraliser; la colère,
surtout la colère redoutable d'Indra — Manyu — , la
la faveur des Dieux «— Anumati — , la piété — Ara-
mati — , etc., furent tour à tour personnifiées. Un hymne
Tédique est consacré à la louange de la bonne foi —
Çraddhîi — ; on l'invoquait le matin, à midi et le soir*.
Le Désir — Kâma — , le premier mouvement, dit un
rishi ", qui naquit dans le cœur de l'Être appelé à la
vie, apparaît dans l'Atharva-Véda comme le premier
né et le plus grand des Dieux ; il abat sous ses coups
les ennemis de celui qui l'implore; mais ses flèches
servent aussi à un dessein moins cruel ; si elles per-
cent les cœurs, c'est pour les rendre sensibles à ramour\
et c'est aussi comme Dieu de l'amour seulement qu'il
est chanté par les poètes do l'âge suivant. Ainsi que le
1. Çatapalha Brâhmana, lib. II, 2, 4, 1 ; VI, 8, 10, 14.
2. Lib. X, 81, 2; 82, 2 et 3.
3. Lib. XIII, 1, 6. — Muir, op. laud., vol. V, p. 395.
4. Lib. XI, 7, 23 et 27.
5. RigVeda, lib. X, 83 et 84; 59, 6 et 167, 3 ; 151.
6. HigVeda, lib. X, 129, 4.
7. Àiharva-Veda, lib. IX, 2, 10-11 et 19; III, 25, 1-2.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 481
Désir, le Temps a été personnifié ; un poète de TAtharva-
Véda le représente comme un coursier infatigable et
aux mille yeux, le promoteur et l'arbitre de l'univers*.
Bien d'autres abstractions sont personnifiées dans
TAtharva-Véda, ou l'ont été plus tard ; c'est ainsi que
Skarabha, le support de l'univers, créé par Prajâpati,
est devenu pour un poète du recueil sacré le Dieu tout
puissant *.
Le Panthéon védique renfermait des déesses non
moins nombreuses que les Dieux ; les unes indépen-
dantes ou isolées dans leur rôle particulier ; les autres
épouses des Dieux, dont elles partageaient la grandeur
et les attributs. Telles, parmi les premières, Ushas,
l'Aurore, que nous connaissons déjà, et, parmi les
escondes, Indranî, l'épouse obscure d'Indra; Prishnî,
la mère des Maruts ; Sûryâ, la fille du soleil et l'épouse
des Açvins * ; Sarasviitî, déesse de la rivière de ce
nom et épouse du dieu Sarasvat, transportée au ciel,
d'où elle descend pour le sacrifice à. la prière de ses
adorateurs*; Lakshmî, qui, inconnue des Védas, en
tant que divinité, apparaît, dans l'âge suivant, comme
l'épouse de Vishnu.
Outre les innombrables divinités dont je viens de
parler, des génies ou êtres mythiques non moins nom-
breux avaient pris place dans le Panthéon védique.
Tels sont les Ribhus, fils de Manu, élevés au rang
suprême pour leur merveilleuse habileté et en récom-
pense des services qu'ils avaient rendus aux immortels ^
1. Lib. XIX, 53, 1, 8 et 9.
2. Lib. X, 8, 2. Cf. Macdonell, op. laud,, p. 120.
3. Rig-Veda, lib. I, 119, 5; IV, 48. 6; X, 39, 11.
4. Rig-Veda, lib. V, 43, 11 ; VIH, 115, 3-4.
5. Rig-Vèda, lib. III, 60, 1 et 4; IV, 35, 3.
JORET. — Les Plantes dans l'antiquité. \\, — 31
482 LES PLANTES CHEZ LES HLNDOUS
Les GandharTas aux formes demi-animales — on
les a assimilés aux Centaures — ont été également
transportés au ciel, où ils détiennent le Soma ; mais
on les a regardés aussi comme habitant au milieu des
eaux \ et les poètes épiques en ont fait les musiciens
célestes ; comme tels nous les rencontrerons à la cour
dlndra, en compagnie des Apsaras. Divinités des eaux,
au milieu desquelles elles aiment à se jouer, celles-ci
errent parfois aussi dans la région des nuages et des
éclairs '. Le Çatapatha-Bràhmana les représente comme
se transformant à leur gré en oiseaux aquatiques et en
fait les compagnes des Gandharvas ^ Toutefois elles
accordent aussi à l'occasion leur amour à des mortels.
L'union d'Urvaçî et de Purûravas, connue déjà dans
les derniers temps védiques, est restée célèbre dans
la poésie hindoue^.
Au-dessous de ces génies ou demi-dieux, la mytho-
logie hindoue connaissait encore d'autres êtres my-
thiques, héros ou prêtres, que la reconnaissance popu-
laire avait immortalisés. Tels furent les Bhrigus, qui,
après avoir reçu le feu des mains de Matariçvan, le
déposèrent au sein du bois, et le placèrent, comme un
trésor, dans la demeure des hommes'; Atharvan,
ancien prêtre, qui, lui aussi, fit jaillir Agni du bois
qui le recelait, et, le premier, établit Tordre sur les
1. TaiUiriya-Samhilâ, lib. VI, I, 16. — Hig-Veda^Wh, X.
10, 4.
2. Atharva-Veda, lib. H, 2, 3-4.
3. Lib. XI, 5, 1, 4: XIII, 4, 3, 7-8.
4. Rig-Veda, lib. X, 95. — Vishtiu-Purâna, lib. I, cap. 6. —
K. Geldner, Purûravas und Urvari. (Vedische Studien. Stutt-
gart, 1888, in-8, vol. 1, p. 243).
5. lUg-Veda, lib. I, 58, 6; VI, 15, 2: X, 92, 10.
LKS PLANTES DANS LKS I.ÉGENDKS RELIGIEUSES 483
sacrifices ; les Aiigiras, musiciens consommés, à qui
leur piété fit obtenir l'immortalité et Tamitié d'Indra ^
Les hommes, d'après la tradition védique, avaient
une origine divine ; Manu, le père de la race, était fils
de Vivasvat. Instituteur du sacrifice, le premier il pré-
senta une ofi'rande aux Dieux et, grâce à sa piété,
échappa au déluge*. Yama — TYima des légendes
iraniennes — était, lui aussi, fils de Vivasvat et par-
tant frère de Manu ; mais tandis que celui-ci est le
père des vivants, Yama, le premier qui ait a parcouru
la route d'où il n'y a pas de retour », est le roi qui
règne sur les Morts ; élevé au rang suprême, il réside
au ciel au milieu des Dieux, où les Rishis nous le mon-
trent accueillant les ancêtres et Jeur préparant leur
dernière demeure *.
Pour terminer cet exposé de la religion védique, il
me faut dire un mot des génies ou êtres malfaisants
qu'elle opposait aux Dieux et aux génies bienfaisants,
dont je viens de parler. Ce sont d'abord les Asuras,
dieux déchus de leur grandeur première et relégués,
comme démons, du ciel dans les régions souterraines,
ils régnent dans la nuit ; d'égaux aux Immortels deve-
nus leurs ennemis, ils sont éternellement en lutte avec
eux\ Puis viennent les Panis, démons puissants de
Tair, dont le plus célèbre est Vritra, l'adversaire prin-
cipal d'Indra, serpent immense qui repose au milieu
des Eaux célestes ; on peut y joindre, parmi bien
1. Rig-Veda, lib. VI, 16, 13; X, 62, 1 ; 92, 10.
2. Hig-Veda, lib. X, 63, 7. — Çatapatha-BrAhmana^ lib. I,
8, 1. — Macdonell, op, laud., p. 14.
3. RigVeda, lib. IX, 113, 8; X, 14; 135, 1. — A. Barth,
The Religions, p. 22.
4. Çatapatha-Brâfimana, lib. II, 4, 2, 5. — TailiMya-Sath'
hiiû, lib. I, 5, 9, 2.
484 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
d'autres, Namuci, autre génie malfaisant, qui, comme
Vritra, tomba sous les coups d'Indra'. Enfin les démons
terrestres si célèbres dans les légendes et la poésie
sous le nom de Râkshasas, monstres aux formes
hideuses, ennemis des mortels, comme les Asuras et
les Panis le sont des Dieux '; puis les Yâtus, génies
apparentés aux Râkshasas, et les Piçâcas, démons
non moins malfaisants et redoutables que les der-
niers '.
Telle était la théogonie des Védas ; elle subsista, en
se modifiant, pendant les siècles qui suivirent. De nou-
velles divinités secondaires prirent place autour des
grands dieux ; quelques-uns de ceux-ci changèrent
d'attributs ; d'autres s'unirent entre eux. Ainsi dès
l'époque des derniers Védas, Varuna, l'antique dieu
du ciel, devint le souverain des eaux et des mers * ;
Soma, le breuvage divin, apparaît dans l'Atharva
comme' la personnification delà lune"; Agni, Vâyuet
Surya — le feu, l'air ou le vent et le soleil — forment
une première triade sous la suprématie de Prajâpati *.
Malgré ces changements, les Dieux des Védas conti-
nuèrent toutefois d'être adorés dans l'Inde ancienne ;
mais ils durent partager l'empire du monde avec des
Dieux inconnus jusque-là ou négligés, qui finirent par
les rejeter dans l'ombre.
1. Hig-Veda, lib. I, 12i, 11; II, 11, 19.
2. Rig-Veda, lib. V, 30, 7; VII, 19, 5; Vdl, lO'i, 21-22.
3. Oldenberg, La Religion du Vêda, p. 222, note 1. — Mac-
donell, op. laud., p. 163-16'».
4. Rig-Veda, lib. VII, 64, 2. — Hillebrandt, Varuna und
Mitra, p. 40 et 83. — Oldenberg, La Religion du Véda, p. 169.
5. Alharva-Veda, lib. XI, 6, 7. — Çalapatha-Brâhmana,
lib. I, 6, 4, 5; XI, 1, 3,2.
6. A. Barth, op. laud., p. 41. — E. Hardy, op. laud., p. 85.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 485
L*idée abstraite de prière, Brahman, élargie et con-
sidérée comme l'équivalent de la sainteté, du divin, de
l'absolu en soi, devint, sous le nom de Brahmâ, la
personnification de l'âme universelle, le dieu créateur
et conservateur du monde *. Mais ce dieu suprême ne
régna pas longtemps seul dans les hauteurs inacces-
sibles du ciel; à côté de lui prirent, place deux anciens
Dieux, d'un rang secondaire à l'origine, mais qui, grâce
en partie à la révolution religieuse suscitée par Çàkya-
muni, arrivèrent au premier : Çiva et Vishnu.
Parmi les divinités védiques, Rudra, le père des
Maruts, avait été un des plus souvent invoqués par les
Rishis ; il ne cessa pas de l'être dans Tàge suivant,
sous les noms les plus divers, et, loin de diminuer, son
crédit alla augmentant ; dans la Maitràyànîsamhitâ,
il est devenu le « grand Dieu » — Mahàdeva — et
aussi le « dieu bon » ou « gracieux » — Çiva * — .
C'est sous ce dernier nom, qui fit oublier celui de
Rudra, qu'il atteignit au rang suprême. Le Mahâbhà-
rata le célèbre comme la cause innée des mondes, le
principe de tous les êtres, le créateur de l'univers^.
Son culte était surtout répandu dans la région monta-
gneuse du Nord-Ouest ; il portait lui-même le surnom
de Giriça, « seigneur de la montagne », et avait pour
épouse Umâ — Durgâ ou Pârvatî — fille d'Himavat ;
on le regardait comme trônant sur le Kailàsa, entouré
de divinités ^ nouvelles : Skanda, son fils adoptif et
le dieu de la guerre ; Ganeça, le « chef de ses trou-
pes )s l'inspirateur des bons conseils, plus tard le
1. A. Barth, op, land., p. 92. — L. v. Schrœder, op. laud.,
p. 2'i'*.
2. L. V. Schroeder, op. laud. y p. 344-346.
3. Drona Parva, v. 2838 et suiv.
4M LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
protectear des arts et des lettres ; Kubera ou Kuvera,
le dieu de la Richesse, d'autres encore auxquels il
faut ajouter de nombreux génies : Yakshas, Bhùtas,
etc., ennemis des hommes*.
Vishnu n*était qu'un dieu secondaire pour les Rishis,
et il resta tel pour les auteurs du Yajur-Véda et des
Bràhmanas; ces recueils cependant lui donnent un
titre qui prépara sa grandeur; ils l'identifient avec le
sacrifice. Il semble qu'en même temps il se confondit
avec plusieurs divinités indigènes dont il usurpa les
attributs'. C'est ainsi que peu à peu il fut élevé au
rang suprême. Dans le Mabâbhàrata, il est en pleine
possession de cet honneur, et le Puràna, qui porte son
nom, nous le montre comme le protecteur des Dieux
vaincus par les Asuras, Tàmede l'univers, la cause des
causes, le principe de toutes choses, Je centre, le con-
servateur du monde '. Dépouillant son caractère so-
laire, il se retire dans un mystérieux éloignement ; là,
suivant qu'il veille ou s'abandonne à un sommeil mys-
tique, il donne la vie à de nouveaux êtres ou les rap-
pelle à lui. On le faisait trôner à Vaikuntha, en com-
pagnie de son épouse Çrî ou Lakshmi, déesse de la
beauté*.
Brahmà, Vishnu et Çiva sont les trois grands dieux
de l'Hindouisme; tous trois également puissants et
égaux entre eux, ils se confondirent en un seul être,
et formèrent une triade — trirmïrti — , qui domine le
Panthéon de l'Inde moderne. Les dieux védiques, pro-
scrits par le Bouddhisme, subsistèrent néanmoins,
1. A. Barth, op. lauci., p. 163-165.
2. L. V. Schroedep, op. laud., p. 325-327.
3. VishnU'Purâna, lib. III, cap. 17 et lib. V, cap. 1.
4. A. Barth, op. laud. y p. 168-169.
LKS PLANTES IiANS LKS LEGENDES RELIGIErSES 487
quoique à un rang inférieur; ils veillent sur Tunivers,
dont Brahmâ, Vishnu et Civa sont les créateurs. Les
gardiens des huit régions du monde, les Lokapâlas,
sont Indra, qui règne sur TOrient; Yama, sur le Midi ;
Varuna, sur l'Occident; Kubera, dieu nouveau, qui
veille sur le Septentrion, puis Agni, Sùrya, Vâyu et
Soma, qui président aux contrées intermédiaires*.
Si Vishnu a pris rang, comme Brahmà, parmi les
grands Dieux deTInde, c'est en s'incarnant en Krishna
qu'il est devenu, ce que ne fut jamais Brahmâ, une
divinité populaire et nationale. Par son caractère hé-
roïque à la fois et humain, par ses exploits, comme
par ses faiblesses, le fils de Vasudeva et de Devakî
était bien fait pour séduire l'imagination hindoue ;
aussi no tarda-t-il pas à détrôner le dieu, dont il n'était
que rincarnation et il en usurpa tous les titres ; comme
lui, « il est la beauté suprême, le premier principe,
lïime universelle, le maître et le protecteur du monde;
immuable, éternel et incréé, dont le nom est inconnu,
la nature insondable et l'univers, la forme visible '. »
Des bords de la Yamunâ, où il avait pris naissance,
son culte se répandit rapidement dans presque toute
la Péninsule; Mégasthène, qui le trouva établi dans
la plaine gangétique, a fait de Krishna un Hercule
indien, comme il a cru reconnaître dans Civa le Dio-
nysos grec'.
La légende de Ràma, en qui Vishnu s'est incarné
pour affranchir le monde de la tyrannie des Ràkshasas,
1. L. von Schroeder, op. laud., p. 559 et 368.
2. Bhnff((,vala'Purôna, lib. X, 1, cap. 10, 29-31. — Vishnu-
Purônaj lib. V, cap. 18.
3. Fragmenta f cap. 9, éd. C. Mûller. — Dùncker, Geschichte
des AUerihums, vol. III, p. 323 et 329.
48S LES PLANTES CHtiZ LES HINDOUS
comme il est descendu en Krishna, afin de délivrer
les Dieux de la crainte des Asuras, est loin d'avoir la
même importance mythique et religieuse que celle du
prince des Yâdavas ; le fils de Daçaratha n'est guère
qu'un personnage épique ; les Hindous le regardent
comme un ami et un personnage bienfaisant \ non
comme un dieu, et ils ne lui rendent pas de culte.
Les forces de la nature, les phénomènes et les corps
célestes n'avaient pas seuls été personnifiés par les
Hindous; tous les êtres, les objets les plus ordinaires
eux-mêmes : armes, ustensiles et vases du sacrifice, etc. ,
avaient pris à leurs yeux quelque chose de surnaturel *.
Nous avons vu la terre — Prithivî — déifiée à l'égal
du ciel ; les montagnes furent considérées comme ani-
mées par un génie particulier' ; les eaux — dpas — et
les rivières mêmes étaient l'objet d'un culte qu'expli-
quent leurs propriétés et leur indispensable utilité. Les
vertus salutaires, possédées par un si grand nombre
de plantes — oshadi — , leur emploi dans l'alimenta-
tion, leurs nombreux usages, leur firent attribuer éga-
lement un caractère divin; les grands arbres surtout,
1. Wilkins, llindoo Mylhology, s. v. Il faut dire toutefois que
dans le Ehàgavata-Purùna, Râma est regardé comme le frère
et l'égal de Krishria : « Vous êtes l'un et l'autre la cause su-
prême de rrnivers... l'àme du monde », leur dit le fleuriste
Sudâman. Lib X, cap. 41, 'i6-47.
2. Dans le Vishnu-Purâna, lib. V, cap. 6, on voit Yaçodà
honorer avec des fleurs, des fruits, du lait frais et du caillé,
des débris de pots et une voiture renversée.
3. Le Vishnu-Purntja, lib. V, cap: 10, recommande d'ho-
norer les montagnes « dont les esprits errent dans les bois sous
la forme qui leur plaît ».
LKS PLANTKS DANS LES LEGKNDRS RELIGIEUSES 489
« les seigneurs de la forôt » — vanaspati, — étaient
un objet de vénération spéciale*. On croyait qu'un
génie ou une divinité particulière résidait en eux, et
qu'il en faisait sa demeure habituelle, et veillait sur
eux et leur entourage \ Le Bodhisattva, dans ses nom-
breuses incarnations, avait été 43 fois Tesprit d'un
arbre ; tantôt d'un âmalaka, d'un arjuna ou d'un asana,
tantôt d'un campaka, d'un kuravaka ou d'un karni-
kâra; ou bien d'un bambou, d'un nâga ou d'un pàri-
jâta, d'autres fois d'un pàtali ou d'un puudarîka, d'un
priyaftgu ou d'un çâla, d'un çirisha ou d'un ricin, ou
bien encore d'un nimba, d'un palàra ou d'un calmali ;
enfin d'un udumbara, d'un nyagrodha et d'un açvatha
et même d'une touffe de kuça^.
Il est question à chaque instant, dans la légende du
Buddha, des génies des arbres. Une fois le démon
Pàpiyâna, poussé par l'envie, afin d'empêcher le Buddha
de sortir d'un étang où il était entré, en suréleva à
l'excès les bords; mais la divinité d'un grand kakubha,
qui croissait sur la rive, abaissa une branche de cet
arbre ; le Buddha s'y appuya et sortit de l'eau*. Non
moins touchante est l'histoire de la divinité de l'arbre
du bois de Véluvana, qui se changea un jour en écu-
reuil pour réveiller le roi de Râjagaha, qu'un nàga
était sur le point de mordre'. Pendant que Gautama,
en attendant Tillumination suprême, était assis sous
1. Rig-Veda, lib. I, 90, 8; VII, 3'», 23; X, 68, 8.
2. W. (Tooke, The popular Religion and Folklore ofnor-
thern India. Westminster, 1896, în-8, vol. II, p. 84.
3. Ruddhisl Birlh Stories, p. ci, 40-51, 212, 228, 230, 317. —
The JfUaka, vol. I, p. 187, 253, 307, 311 ; III, 240: IV, 97, etc.
'i. Le Lalita Vistara, traduit par Ph.-Ed. Foucaux. Paris
1880, in-4, vol. I, chap. xvni, p. 229.
5. Spence Hardy, A manual of Buddftism, p. 198.
490 LKS PLANTKS fJIKZ LKS IIINDOIS
l'arbre de Tlntelligence, les quatre divinités deTarbre'
vinrent lui rendre hommage. Et lorsque Açoka, visi-
tant les lieux que le Buddha avait sanctidés de sa pré-
sence, pénétra dans le bois de Lumbinî, la divinité du
plaksha., à Tombre duquel le Réformateur était né,
apparut au roi « sous sa propre figure », pour rendre
hommage au Maître, dont la première elle avait con-
templé la splendeur et entendu les premières paroles*.
Les esprits des arbres interviennent souvent dans les
Jàtakas'; tel celui d'un nimba, qui favorise la fuite
d'un voleur, pour qu'on no le pende pas aux branches
de cet arbre, ou Tesprit d'un râla, qui empêcha les
architectes du roi Hrahmadatta de faire couper Tarbre
dans lequel il habitait. Dans un autre jàtaka, c'est le
Bodhisattva, qui, changé en caméléon, préserve de
la destruction Tarbre que, au désespoir de l'esprit qui
y résidait, le charpentier du roi voulait abattre pour
refaire la poutre centrale du palais. On trouve aussi
dans le Pancatantra^ l'histoire d'un sissou, qu'un tisse-
rand se proposait de couper, mais que le génie, qui en fai-
sait sa demeure, parvint à sauver de la destruction. Dans
un conte du Kathd Sarit Sàgara deux femmes à l'ex-
térieur céleste, qui habitaient un banian, offrent au
roi Çridarçana des racines et des fruits \
Sans en être les esprits, les génies de la terre et de
1. Venu, Valgii, Suinanas et Ojopati. Lalitn Vistara^ vol. I,
cap. xrx, p. *i3U.
2. K. Burnouf, Introduction à Vliistoire du Buddhisme,
p. 341, 2^' édition.
3. Jâtakas 311, '»65 et 121. Storics of t/ie Buddha s Birihs,
vol. l,p. 267; m, 23 et IV, 97.
4. Lib. V, 5. Trad. Lancereau, p. 333.
5. The Kathâ Sarit Sâgara or Océan ofUie Streams ofSlory,
transi, by G. II. Tawney. Calcutta, 1884, in-8, vol. il, p. 213.
LKS PLANTKS l»ANS LKS Lf^GKNOKS UKIJGIKUSKS iOI
Tair recherchaient le séjour des arbres ; ils affection-
nent surtout celui des figuiers à Tépais feuillage.
D'après l' Atharva-Véda \ les Apsaras se plaisent dans
les açvatthas et les nyagrodhas, et Ton entend leurs
cymbales et leurs luths résonner au milieu des bran-
ches ; elles aiment également, ainsi que les Gandhar-
vas, à résider dans les udumbaras et les plakshas '.
Les Rùkshasas se cachaient parfois aussi dans les
arbres pour guetter les passants ^. Non seulement les
arbres isolés, mais les forêts avaient leur divinité tuté-
laire spéciale, qui en personnifiait en quelque sorte la
solitude ; c'était Aranyànî, « mère des bêtes sauvages,
comme chante un rishi *, productrice d'aliments
variés, encore qu'elle ne laboure pas »,
Comme tous les êtres, les plantes avaient une ori-
gine surnaturelle; elles devaient leur naissance aux
Dieux, et les Dieux veillaient sur leur croissance H
leur conservation. D'après un hymne védique ^ les
plantes seraient descendues du ciel, et c'est Brihas-
pati qui les a produites. Quand, au commencement
des Temps, raconte un des PurAnas, Brahmâ tira des
différentes parties de son corps les animaux, des poils
qui le couvraient sortirent les herbes, les racines et les
fruits. Une autre légende du même Puràna rapporte
que Prithu, ayant recueilli dans ses mains le lait de la
Terre, créa toutes les espèces de grains et de légumes
1. Lib. IV, 37. 4-5.
2. Taittiriya-Samhitày lib. III, cap. 4, 8, 4. Cf. Macdonell,
op. laud.y p. 13'i.
3. W. Crooke, The popular Religion of norihern India^
vol. 1, p. 3'i8.
4. Riff- Vefia, lib. X, 146, 6. — Macdonell, op. laiid., p. 15'i.
5. /?i> Veda, lib. .\, 97, 17 et 19.
W2 LBS PLAÎf TKS IIHEZ LKS HLNDOL'S
dont \iveDt les hommes*. Suivant une autre tradition,
lorsque parut le quatorzième Manu, la pluie tomba sur
la terre et toutes les espèces végétales utiles pous-
sèrent alors : le blé pour nourrir les hommes, le coton
pour les vêtir, les fleurs avec leur parfum *. Les divi-
nités des Eaux passaient pour avoir, sinon créé les
plantes, du moins pour présider à leur croissance.
« Parjanya, chante un rishi ', en versant des torrents
de pluie sur la terre, a produit les plantes pour Futi-
lité générale ; il en a formé le germe et il les fait croî-
tre. » Mitra et Varuna, qui envoient la pluie ici-bas,
font également pousser les plantes. Rudra, qui règne
sur les Eaux, fut aussi regardé comme le seigneur des
champs et des arbres *.
Le caractère divin attribué aux plantes dans Flnde
ancienne explique le rôle mythique qu'elles jouent dans
les traditions nationales, ainsi que la place considérable
qu^elles occupent dans les légendes des dieux, surtout
des dieux de Tépoque postvédique : Vishnu et Krishna.
Le lotus et la tulasî sont étroitement unis à la légende
de ces divinités. Tandis qu'il méditait sur la mission
qu*il avait à remplir, racontent les Puranas^ Vishnu
tomba dans un sommeil mystérieux ; et alors de son
nombril sortit un lotus, qui avait l'éclat de mille
soleils, et au milieu duquel apparut Brahmâ.
La légende singulière du barattemcnt de l'Océan est
1. VishtiH-Purâna^ lib. I, cap. 5 et 13.
2. A. de (iubernatis, La Mythologie des Plantes, vol. 1,
p. 195.
3. Hig-Veda, lib. V, 83, 10; lib. VII, 101, 1-2 et 102, 2.
'*. RigVeda, lib. V, 62, 3. — Oldenberg, op. laud., p. 169
et 186.
5. iihûgavata-Purânaj lib. III, 20, 16.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELICIEL'SES 493
aussi liée étroitement à celle de Vishnu et aux légendes
végétales. Le grand saint Durvâsas, ayant un jour
rencontré une nymphe de Tair parée d'une couronno
de fleurs, la lui demanda; elle s'empressa de la lui
donner. Et Durvâsas, après l'avoir mise sur son front,
continua son chemin. Peu après il aperçut Indra, qui
s'avançait. monté sur son éléphant Airâvana. En signo
d'hommage, il offrit sa couronne au Dieu. Indra l'ac-
cepta et la plaça sur la tête de l'éléphant. Excité par
l'odeur des fleurs, celui-ci saisit la couronne avec sa
trompe et la jeta à terre. Le saint, irrité de voir son
présent ainsi méprisé, maudit Indra dans sa colère, et
lui prédit la ruine de son empire. A partir de ce;
moment la puissance d'Indra commença à déchoir ; la
désolation se répandit dans les trois mondes, et les
Dieux, attaqués par les Dinavas, furent vaincus. Dans
leur détresse, ils cherchèrent un refuge auprès de
Hrahmà. Il leur conseilla de s'adresser à Vishnu et
avec eux il se rendit auprès du maître de l'Univers.
Touché de leur prière, Vishnu leur dit * : Après avoir
fait la paix avec vos ennemis, recueillez les diverses
espèces de plantes médicinales ; jetez-les dans la mer
de lait; puis avec la montagne de Mandara, en guise
de battoir, barattez l'Océan, afin de produire le breu-
vage, source d'immortalité. J'aurai soin que vos enne-
mis, bien qu'associés à vos efforts, n'aient point part
à votre récompense, et ne puissent boire de l'immortel
breuvage.
Ainsi conseillés par Vishnu, les dieux font alliance
avec les Asuras ; ils recueillent ensuite toutes les
herbes salutaires, les jettent dans la mer de lait, et
1. Vishnu-Purânay lib. I, cap. 9.
49i LES PLANTES CHEZ LES ULNDOUS
avec le mont Mandara se mettent à battre les flots.
D'abord sortent, du milieu des eaux agitées, la vache
divine Surabhî* et Vârunî, la déesse du vin; après,
Tarbre Pàrijàta, délices des vierges célestes, qui em-
baume le monde de ses fleurs parfumées ; ensuite la
troupe divine des Apsaras et la lune aux froids rayons,
puis Dhanvantari, revêtu d'une robe blanche et por-
tant dans ses mains la coupe d'ambroisie, dont la vue
réjouit les fils de Diti ; enfin, assise sur une fleur épa-
nouie de lotus et en tenant une autre à la main, la
déesse Çrî s'éleva, rayonnante de beauté, du sein des
flots, et tous les Dieux et les. nymphes du ciel s'em-
pressèrent de la saluer ". Cependant les Daityas
s'étaient saisis de la coupe d'ambroisie ; mais Vishnu,
prenant une forme féminine, détourna leur attention,
et s'emparant de la coupe, il la remit aux Dieux, qui
burent aussitôt le nectar qu'elle contenait. Les Asuras
irrités les attaquèrent avec leurs armes ; mais, fortifiés
par le céleste breuvage, les Dieux les repoussèrent et
les mirent en fuite.
Étroitement associées déjà à la légende de Vishnu,
les plantes le sont bien plus encore à celles de ses
avatars Rama et Krishna. Héros épique encore plus
que Dieu, — il n'apparaît comme tel qu'à la fin de sa
vie, — Ràma a sa place marquée plutôt dans l'histoire
de la poésie que dans celle de la religion. En parlant
des légendes poétiques de l'Inde, j'ai eu ample occasion
de montrer le rôle que les descriptions de plantes et
1. Après la vache, le Bhàgavata-Purâria fait sortir de la mer
barattée un cheval et leléphant d'Indra, Airàvata, lib. VIII,
cap. 8, 3-4.
2. Le Bhâgavata-Paràna donne à la déesse, qui sort de la
mer, le nom de Ramâ.
LES PLANTES DANS LES LEGENDES HEL!GIEUSES 495
de paysages jouent dans Tépopée consacrée au fils de
Daçaratha*; on a vu quel accord intime les quatorze
années d'exil qu'il avait passées dans les forêts avaient
établi entre le monde des plantes et l'époux de SîtA,
fille de la Terre, et à quel point elles lui en avaient fait
sentir le charme intime. Mais si les descriptions abon-
dent dans le Ramâyana, les légendes végétales en sont
absentes ; aussi n'ai-je rien à ajouter ici à ce que j'ai
dit plus haut de cette épopée. Je ne m'étendrai que
davantage sur la vie mythique de Krishna, telle que la
racontent les Purànas*, vie étrange, qui tient de
l'épopée et de l'idylle et où les plantes, surtout dans
la première partie, occupent une place et jouent un
rôle exceptionnels.
Proscrit avant sa naissance, échappé à la mort
comme par miracle, Krishna passe ses premières années
au milieu des bergers ; et dès son enfance il révèle par
sa force prodigieuse sa divine nature. Il triomphe,
comme en se jouant, des monstres envoyés, sous les
formes les plus diverses, pour le faire périr ^. En même
temps, avec son frère Balarâma, dieu comme lui, et
les enfants des bergers, il se livre aux jeux de son âge.
La grâce qui le distingue ne fait que croître, à mesure
qu'il grandit ; on dirait que la nature champêtre qui
l'entoure lui prête ses charmes et sa beauté ; comme il
sent aussi tout ce qu'elle a de ravissant ! Quel éloge
touchant il fait des arbres qui donnent si généreuse-
ment aux mortels leur ombre, leurs fleurs et leurs
1. Livre II, chap. 4, p. 430-434.
2. Vishnu-Piirânn, lib. IV, cap. 15; lib. V, cap. 1-37. —
Bhôgavata-Puràna, lib. X, cap. 1-89.
3. Vishnii-PurâtMi, lib. V, cap. 8 et 14. — Bhâgavata-Pu-
rnna, lib. X, cap. 3-11.
496 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
fruits M Comme les guirlandes, sa parure habituelle*,
lui siéent bien ! On comprend Tenivrement où sa vue
plonge les Gopîs — bergères, — enfants de la nature,
qui se livrent sans résistance au penchant de leurs
cœurs épris, et prennent les objets qui les entourent
pour confidents des doux sentiments qu'elles éprouvent'.
0 Açvattha, Plaksha, Nyagrodha, avez-vous vu le fils du
berger Nanda, qui nous a pris nos cœurs par son sourire et ses
regards affectueux? — Est-il passé par ici, ô Kuruvaka, Açôka
i\àga, Puriinâga. Campaka, le frère cadet de Râma, dont le sou-
rire abat l'orgueil des femmes superbes? — Ki toi, propice
Tulasî, qui chéris les pieds de Govinda, Tas-tu vu ton bien-
aimé Acyuta, dont vous faites la parure, toi et tes essaims
d'abeilles ? — L'avez-vous vu, ô Mâlatî, Jàtî, Mallikâ, Yûthikâ*?
Kst-il passé ici le héros, descendant de Madhu, qui nous rem-
plit de joie au contact de sa main? — Dites, ô Cùta, Priyàla,
Panasa, Asana, Kovidàra, Jambu, Arka, Bilva, Bakula, Amra,
Kadamba, Nipa"* et vous tous qui ne vivez que pour le bien des
autres, ô arbres voisins de la Yamunà, dites-nous le chemin
qu'a suivi Krishna, alors qu'il nous a soudain délaissées. —
Le bras appuyé bur sa bien -aimée, un lotus à la main, et par-
tout ^uivi d'essaims d'abeilles qu'enivrent les parfums de la
tulasî. le frère cadet de Kàma, alors qu'il passe ici et que vous
vous inclinez devant lui, ô arbres, répond il à votre salut par
des regards affectueux ?
L'idylle se poursuit dans la forêt de Vrindâvana au
milieu des jeux variés, auxquels les Dieux eux-mêmes
1. Bhâgnvata-Purâna, lib. X, cap. 22, 33-35.
2. Bhôgavata-Purûva, lib. X, 15, 10; 23, 22; 32, 2 ; 44, 3 :
51, 4, etc.
3. Rhûgnvata-Purâna, lib. X, cap. 30, 5-12.
4. Les Jasminum grandi florwnL., Sambac Roxb. et auricu-
latnm. Le pumnàga est le Mallotus philippinenais ou Rottieria
tincloria.
5. Cûta et àmra désignent le manguier; kadamba et nipa,
le .\auclea cadamba: priyâla est le nom de la Buchanania
latifolia, asana, celui de la Terminalia tomentosa DC. et Aori-
dâra, le nom de la Banhinia variegata L.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 497 1
applaudissent; idylle que le Bhâgavata-Puràna s'est
plu à prolonger, en lui donnant un caractère volupr
tueux, que le Vishnu-Purâna a eu hâte de terminer
pour montrer Krishna dans sa vie héroïque. Rappelé à
Mathurà, le fils de Vasudeva quitte pour toujours la
société des Gopîs et rentre dans sa ville natale ; il met
à mort Kairisa, son persécuteur, place Ugrasena sur
le trône, triomphe des princes voisins qui l'attaquent,
biitit entre temps la ville de Dvîirakà au bord de
rOcéan, l'embellit de jardins et de réservoirs et y
transporte les habitants de Mathurâ ; enfin, il enlève et
épouse Rukminî, malgré la résistance de son père et
dès chefs alliés. Sa renommée se répand jusqu'au
ciel et Indra vient lui-même à Dvàrakâ implorer son
aide contre le fils de la Terre, Naraka, « qui insulte
toutes les créatures* ». Monté sur Garuda, Krishna
• • •
attaque l'ennemi des Dieux, met ses troupes en fuite
et le tue. Il se rend alors, avec les dépouilles de Na-
raka, dans le Svarga, et visite, en compagnie de Satya-
bbàmà, son épouse, le Nandana et les autres parcs des
Dieux. Là, le pàrijàta, qui, né dans le barattement de
l'Océan, avait été transporté dans le ciel, avec son
écorce d'or et ses grappes do fruits parfumés, frappe
d'admiration Satyabhâmà ; elle souhaite de voir dans
le jardin de son palais cet arbre, cher entre tous à
Çacî. Pour plaire à son épouse, Krishna l'arrache,
malgré les protestations des gardiens du parc divin, et
le place sur Garuda. Irrité de cette audace, Indra
marche avec les autres Dieux contre le ravisseur. Mais
Krishna triomphe des Immortels et, après avoir fait la
1 . Vishttu-Purâna, lib. V, cap. 18-26. — - Bhôgavata-Puràna,
lib. X, 37, 44, 50, 51, 53, 65, etc.
JoRET. — Les Nantes dans V antiquité. II. — 32
498 LES PLANTES CHEZ LES HIND0U6
paix avec Indra, il emporte le pârijâta et le plante
dans^les jardins de Dvârakâ*.
Cet exploit ne met pas fin aux hauts faits de Krishna ;
mais ceux que lui prêtent les Purânas n'ont rien de
commun avec les légendes végétales ; d'ailleurs le
ternie de son séjour sur terre approche ; les Yâ-
davas eux-mêmes vont disparaître ; dans une lutte
fratricide, ils tombent sous les coups les uns des autres.
Krishna, qui ne peut arrêter leur fureur, les frappe
lui-même avec une poignée d'herbe, en guise de
massue. Puis quand son frère Balarâma a expiré, il
se laisse, dans sa douleur, tomber au pied d'un figuier
sacré. Là, tandis que, revêtu de ses insignes divins,
brillant de clarté, il s'abîme dans la méditation, un
chasseur, par méprise, le frappe au talon. Il pardonne
à son meurtrier, et après avoir prédit la destruction
par les flots de Dvûraka, « il ferme ses yeux de lotus »
et se réunit aux Dieux, dont il était la manifestation
sur terre ^
Le rôle des plantes dans la légende de Krishna, telle
que la raconte surtout le Bbagavata-Purûna, n'est pas,
pour grand qu'il soit, comparable à celui qu'elles
jouent clans la légende du Buddha; sans elles, on ne
comprendrait pas cette dernière ; elles en sont l'élé-
ment indispensable. « L'arbre, dans la légende boud-
dhique, a pu dire M. Senart\ a pris une telle impor-
tance qu'il ne le cède guère au Buddha lui-même. »
Depuis sa naissance jusqu'à sa mort les plantes sont
1. VishnU'Purânn, lib. V. cap. 29-31.
2. Vishnu-Puràna, lib. V, cap. 37. — Bhôgnvala Purùnaj
lib. XI, cap. 30, 12-^7 et cap. 31, 5.
3. Essai sur la Jôgpnde du Buddha. Paris, 2» édit.. 1882.
in-8, p. 209.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 499
associées à tous les actes de la vie du Réformateur.
C'est SOUS un arbre et au milieu des fleurs qu'il vient
au monde ; c'est encore sous un arbre qu'il atteint à
l'Illumination suprême ; c'est entre deux arbres et
sous une pluie de fleurs qu*il expire et entre dan^ le
Nirvana. La légende de Çàkyamuni semble tissue
avec dos fleurs et elle est embaumée des plus suaves
parfums.
Le Bodhisattva, ayant, à la prière des Dieux, con-
senti à sauver les hommes, résolut de s'incarner dans
le sein de Màyà, l'épouse de Çuddhodana, roi deKapi-
lavastu. Un songe annonra à la reine Tévénement qui
se préparait. Le soir du septième jour de la fête d'été
et du premier jour de la pleine lune du mois d'aesala
(juillet-août), après être remontée dans ses appar-
tements, elle s'endormit, tandis que les Apsaras ré-
pandaient sur elle des parfums et des fleurs, et elle
eut un rêve. Il lui sembla que les gardiens du monde
la portaient sur l'Himavat et la déposaient à l'ombre
d'un immense çàla. Là, les déesses leurs épouses, ayant
apporté de l'eau du lac d'Anotatta, la baignèrent, l'oi-
gnirent d'essences parfumées et la revêtirent des
vêtements les plus beaux ; puis ils la conduisirent dans
le palais d'or bâti sur la colline d'argent, et la dépo-
sèrent sur une couche divine, la tête tournée vers
l'Orient. Alors le Bodhisattva, qui avait pris la figure
d'un éléphant blanc, descendit sur la colline, tenant
un lotus avec sa trompe, et, entrant dans le palais, il
frappa doucement sa mère sur le côté droit*. A ce
1. Buddhist Birth Slories^ p. 63. D'après une autre légende,
rapportée par Spence Hardy, p. 142, le Bodhisattva apparaît
« semblable à un nuage éclairé par la lune » et tenant un lotus
à la main, .le^^/a est l'équivalent cinghalais du sansc. iUhùdha.
\
I
500 . LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
moment une lumière surnaturelle pénètre tous les
mondes et éclaire les deux. Toutes les plantes aqua-
tiques et terrestres, les branches et les troncs mêmes
des arbres se couvrent de fleurs ; des lotus à mille
feuilles surgissent par groupes de sept sur les étangs
et aux flancs mêmes des rochers, tandis que d'autres
lotus pendent des voûtes du firmament. Les essences
les plus exquises embaument l'atmosphère, et les dix
mille mondes, roulant les uns vers les autres, se. rap-
prochent en un faisceau de fleurs divines, guirlande
tressée avec les sphères célestes, aussi odorante et
aussi brillante que celles dont on pare les autels ^.
Dix mois après de nombreux prodiges annoncent
que le moment de la naissance du Bodhisattva ap-
proche. Toutes les fleurs du parc royal, les lotus blancs,
rouges et bleus des étangs s'entr'ouvrent, mais ne
s'épanouissent pas ; de jeunes arbres surgissent du
sol, tout couverts de boutons, qui restent fermés ; des
eaux fraîches et imprégnées de suaves parfums se met-
tent à couler '.Alors la reine, sentant que sa délivrance
était proche, résolut de se rendre à Koli auprès de ses
parents*. Elle quitta Kapilavastu, accompagnée d'une
nombreuse suite. Mais arrivée au bois de Lumbinl,
situé entre les deux villes, à la vue des arbres couverts
de fleurs, et dont les doux parfums semblaient l'in-
viter, elle descendit de sa litière et entra dans le parc ;
1. The legend of Gaudama of Ihe Burmese, translated by P.
Bigandet. London, 1880, in-8, vol. I, p. 3t. — Ihiddhist Birlh
Stories, p. 6'i-65. — Le Lalila Vislara, vol. I, chap. v,
p. 42-47.
2. Laliia Vistara, vol. I. chap. vu, p. 73.
3. Spence Hardy, A Manunl ofBudhism, p. i\-*. — Le Lalita
Vislara, chap. vu. p. 74, dit, seulement que la reine eut le
désir de visiter le bois de Lumbinî.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 501
là tout en>marchant, elle arriva auprès d'un plaksha,
« le plus précieux des arbres », chargé de fleurs divines
exhalant les plus suaves. parfums. A son approche
l'arbre inclina ses rameaux devant elle en signe de
respect ; et au moment où, étendant le bras, elle en
saisissait un rameau, l'enfant qu'elle portait dans son
sein sortit de son flanc droit*. Au même instant la
terre s'agita « comme un vaisseau battu par les vents »;
une pluie de lotus et de nymphées avec du santal
tomba du ciel sans nuage ^ Cependant les quatre gar-
diens du monde s'empressent de recevoir le divin
enfant; mais lui, se dégageant de leurs mains, s'élance
à terre et aussitôt un immense lotus surgit à la place
même qu'avait touchée son pied. Tandis que les fils
des Dieux baignent son corps avec des eaux de sen-
teur et le couvrent de fleurs fraîches et parfumées,
debout sur le lotus, il regarde les quatre régions de
l'espace ; puis il fait dix pas successivement vers le
Midi, rOuest, le Nord, l'Est et vers les quatre points
intermédiaires; et partout où il posait le pied, partout
aussi naissaient des lotus ^. Le même jour, dans la forêt
d'Uruvilvà surgit l'arbre de Bodhi, l'açvatha, sous lequel
il devait atteindre à l'Illumination suprême*.
Les fleurs et les plantes qui saluent ainsi le futur
Buddha à son entrée dans la vie, ne cessent pas de l'y
accompagner. Lorsqu'on le porte à Kapilavastu, la
1. Buddhist Birlh Siories, p. 66-67. — The Legend of Gau-
damayp. 35-37.
2. Le Buddhacarita d'Arvaghosha, traduit par S. L6vi, p. 41-
'i4. (Journal asiatique, an. 1892, n® 3).
3. Le Lalita Vistara, chap. vu, p. 86,
4. Spence Hardy, A manual, p. 149. r- Buddhist Birth
Slories, p. 68. — The Legend of Gaudama^ p. 39.
502 LKS PLANTES CHEZ LES HINDOUS
route qui y conduit est toute jonchée de fleurs, et les
jeunes filles de la ville le reroivent portant des pal-
mes de tâla dans les mains*. C'est au milieu de la
fumée des parfums qu'on le mène au temple, où il doit
recevoir un nom, et qu'il entre dans le parc de Vima-
lavyûha, salué par la divinité du lieu, qui le couvre
de fleurs '. Un épisode plus important de Tenfance de
Siddhârtha — c'est le nom qu'il avait reçu — , celui
de sa première méditation, montre encore mieux l'étroite
intimité qui existait entre lui et le monde des plantes.
Cinq mois après sa naissance, fut célébrée la fête de
l'agriculture, dans laquelle le roi devait tracer lui-
même un sillon. Toute la cour s'y rendit, et le jeune
Siddhârtha y fut aussi porté par ses nourrices, qui lui
dressèrent une couche à l'ombre d'un jambu'. Mais
elles ne tardèrent pas à le quitter, afin de mieux jouir
du spectacle ; se voyant seul, il se leva, s'assit les
jambes croisées et se livra au premier degré de la mé-
ditation *. Et pendant que l'ombre des autres arbres
avait tourné, celle du jambu, sous lequel il se trou-
vait, était restée immobile, protégeant ainsi le jeune
prince contre les rayons du soleil \ Plus tard, quand
on le conduisit, entouré d'innombrables enfants, à la
salle d'écriture, il s'y rendit au milieu des fleurs que
lui jetaient les filles des Dieux ; et un déva, à la vue de
1. Le Lalita Vistara, chap. vu, p. 89.
2. Le Lalita Vistara, chap. viii et ix, p. 107 et 111.
3. Spence Hardy, A manual, p. 153. — The Legend of Gau-
dama, p. 51.
4. D'après une autre légende, Siddârtha se serait élevé dans
Tair et y serait resté suspendu, sans aucun appui. Spence
Hardy, A mnnnal, p. 153.
5. The Legend of Gartdama, p. 51. Cf. H. Kern, Manual of
Indian Buddhism, p. 15.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 503
la splendeur qui l'environnait et de sa merveilleuse
habileté, Thonora, lui aussi, avec des fleurs divines *.
Son entrée dans la vie mondaine semble avoir pour
un temps mis un terme à ces hommages des plantes et
des fleurs. Bien qu'il fût « né pour la contemplation »,
à seize ans, cédant aux sollicitations de son père,
Siddhàrtha épousa la princesse Yaçodharâ, conquise
par sa valeur, et, pendant quelque temps, il ne vécut
que pour les plaisirs '. Enfin, frappé de la fragilité des
choses humaines, il renonce aux honneurs de son rang,
quitte secrètement la cour et se retire dans la solitude
pour se préparer à sa haute mission. C'est au milieu
du monde enchanteur des plantes qu'il va la remplir ;
plus que jamais elles sont associées à sa vie ; elles
marquent toutes les étapes de sa nouvelle existence.
C'est dans le bois de manguiers d'Anupiya qu'elle
s'ouvre ; elle se continue pendant six années, passées
dans la forêt d'Uruvilvâ, au milieu des austérités les
plus grandes ; mais elles ne suffisent pas pour le con-
duire à la perfection, à laquelle il aspire. Le moment
approche cependant où il va l'atteindre, et un quin-
tuple rêve la lui annonce \
Un matin, il était revenu dans la forêt d'Uruvilvâ,
après une de ses courses quotidiennes ; il s'asseoit, la
face tournée vers l'Orient, au pied d'un nyagrodha
— l'arbre Ajapâla — ; il y reçoit le riz parfumé que
Sujîita, la fille du chef d'un village voisin, ofi*rait à la
divinité de l'arbre ; puis il se rend aux bords de la Nai-
ranjarà, s'y baigne, revêt le costume d'un arhat —
saint — et mange le mets apporté par Sujâtâ. Il passe
1. Le Lalila Vistara, chap. x, p. 113.
2. Spence Hardy, A manualy p. 152-153.
3. Spence Hardy, A manual, p. 159-166.
504 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
ensuite, au pied d'un râla, dans la méditation, les
heures brûlantes du jour. Enfin, le soir, il se dirige
vers le figuier sacré — le Bodhidruma — , en suivant
le sentier arrosé d*eaux de senteur et semé de fleurs
que les Dieux. avaient préparé pour lui ^ A son appro-
che, tous les arbres des bords du chemin inclinent
leurs cimes devant lui et se couvrent de fruits ; le sol
s'émaille de fleurs sous ses pieds ; les quatre divinités
du Bodhidruma l'entourent d'une septuple rangée de
tàlas et l'ornent à l'envi de guirlandes et de cou-
ronnes; des essences embaument le lieu où il se dresse;
une clarté incomparable environne Siddhârtha lui-
même ^ ; toute la nature est dans l'attente du grand
événement qui se prépare.
En se rendant auprès de l'arbre sacré, il avait ren-
contré le faucheur Svastika, qui lui avait donné huit
bottes de kuça ; il les répand sur le sol à l'Orient du
Bodhidruma, et d'elles-mêmes elles y forment un trône
de quatorze coudées de haut ; il s'y asseoit rempli de
joie, et c'est là que, plongé dans la méditation sur
l'enchaînement des causes et de leurs efi'ets, il recevra
l'Illumination suprême. En vain Màra, le chef des
démons, vient l'attaquer à la tête de ses troupes in-
nombrables ; ses armes sont sans effet contre la sain-
teté du grand ascète ; les traits qu'il lui décoche, les
rochers qu'il lui lance tombent à ses pieds, changés
en fleurs parfumées. En vain il cherche à le persuader
par la parole et ses filles à le séduire; tout est inu-
tile. Vaincu par la constance inébranlable de Sid-
dhârtha, il prend la fuite, tandis que les Çakras, les
1. Spence Hardy, A manual, p. 168-170.
2. Le Lalila Vistara, chap. xix, p. 235-240.
LKS PLANTES DANS LES LÉGENDKS UELIGIKLSES 505
Brahmâs et les Nàgas célèbrent la victoire du Saint et
lui offrent des guirlandes de fleurs et des parfums \ Le
triomphe est complet, et à la dixième heure Siddhârtha
atteint à l'Intelligence parfaite, à la Bodhî, et revêt
la qualité de Buddha.
Maintenant, couronnement de sa divine mission,
commence la prédication de sa doctrine ; les plantes,
témoins des actes merveilleux qui l'avaient préparée
ou annoncée, ne jouent pas dans cette seconde partie
de sa vie un moindre rôle que dans la premièi^e ; plus
que jamais il en vit entouré. C'est à l'ombre des arbres
que, dans la belle saison, il répand ses enseignements,
ou qu'il se livre à la méditation ; c'est au milieu des
bois ou dans les vihâras qui y sont construits, qu'en-
vironné de ses disciples, il passe le temps des pluies.
Après être arrivé à la dignité de Buddha, il reste deux
semaines entières sous le Bodhidruma, occupé à réflé-
chir à la sagesse du dharma — la loi suprême — , et il
ne le quitte que pour aller poursuivre ses méditations
sous le nyagrodha Ajapâla — « l'arbre du chevrier » — ,
puis sous l'arbre Midella et dans une forêt de kiripa-
lus-. Après huit semaines, consacrées ainsi à la con-
templation, il se retire dans le Parc des Gazelles,
près de Bénarès, où il expose devant ses cinq premiers
disciples le « Lotus de la Bonne Loi », résumé de sa
doctrine. C'est là aussi qu'il passa la première saison
des pluies depuis son élévation à la dignité de Buddha.
L'année suivante, il séjourne trois mois dans la forêt
1. Spence Hardy, \ manual, p. 171-180. — Buddhisi Birlh
Stories, p. 96-101.
2. Spence Hardy, A manual, p. 186. — The Mahdvagga, I, 2- \.
(Vinaya Texts, translatée by Rhys Davids and H. Oldenberg,
vol. I, p. 74-84). L'arbre Midella se trouvait près d'un lac habité
par le nàga Mucilinda.
506 LKS PI.ANTKS CHEZ LKS HINDOUS
d*Uruvilva, où de nouveaux disciples se joiguirent à
lui. C*<îst encore assis au pied d'un arbre dans la forêt
de Yashti, qu'il reçoit là visite du roi Bimbi.<âra. Et
quand, dans la suite, il se rendit auprès de ses parents,
le roi son père fit préparer, pour le recevoir, le jardin
du Nyagrodha près de Kapilavastu \
Les parcs et les bois d'un accès facile pour la foule
qui venait l'écouter, pas trop animés le jour, silencieux
la nuit, éloignés du tumulte et partout favorables à la
méditation^, étaient son séjour favori. Aussi était-il
impossible de mieux l'honorer ou de lui être plus
agréable qu'en lui faisant présent d'une de ces retraites
calmes et paisibles. C'est pour cela que Bimbisàra lui
abandonna le Veluvana — le bois des bambous ou des
Écureuils — , célèbre par les fréquents séjours qu'il y
fit dans la suite ; c'est pour cela encore que le riche
Cittra lui donna le jardin d'Ambâtaka, que l'un des
plus ardents zélateurs de sa doctrine, le marchand
Anâthapindika, acheta à prix d'or pour la communauté
naissante le parc de Jeta qui devint une des retraites
de prédilection du Maître'.
Les arbres et les plantes ne prêtaient pas seulement
au Buddha leur ombre rafraîchissante, leurs fleurs ou
leurs fruits, ils lui servaient aussi à manifester sa puis-
sance. Le jardinier du roi de Kosala, Gandamba, lui
ayant fait présent d'une magnifique grappe de man-
gues, le « Parfait », après avoir mangé un des fruits,
lui en donna le noyau et lui dit de le mettre en terre,
en même temps il recommanda à son disciple Ananda
1. Spencc Hardy, A manual, p. 188, 191 et 200.
2. Oldenberg, Le Biiddha, traduit par A. Fouchor. Paris, 1894,
in-8, p. 146.
3. Spence Hardy, A î?ianual, p. 198, 199 et 224.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 507
de se laver la bouche et d'en rejeter Teau à la place où
le noyau avait été déposé; la terre s'entr'ouvrit sur-le-
champ, une jeune pousse en sortit, et bientôt parut,
chargé de fleurs et de fruits, un arbre avec cinq
grosses branches principales et une infinité de rameaux
plus petits, qui ombragèrent toute la ville*. Une autre
fois, ayant planté en terre une branchette de saule,
avec laquelle il s'était nettoyé les dents, elle prit aus-
sitôt racine et devint un épais buisson^.
Le rôle des arbres et des plantes, si grand dans la
jeunesse et dans Tàgemûr du Buddha, sembla encore
croître dans les derniers temps de sa vie ; ils en devaient
être les témoins fidèles, comme ils l'avaient été de ses
premiers pas. On le voit se reposer tour à tour dans
le jardin de la courtisane Ambapàlî à Vaiçâli, dans le
verger du forgeron Cunda, dont il avait reçu Thospi-
talité, puis dans un bois de manguiers, voisin de Kuçi-
nagara^ Enfin, quand il sent sa mort prochaine, c'est
encore dans un bois — le bois de çâlas d'Upavarttana
— qu'il se retire. Là son disciple fidèle Ananda lui pré-
pare une couche entre deux de ces arbres ; « avec l'iné-
branlable intrépidité d'un lion », il s'y étend sur le côté
droit et la tête tournée vers le septentrion*. Aussitôt
les deux çàlas se couvrent de fleurs ; il en est de même
de tous les arbres de la forêt et de ceux des dix mille
mondes ; les arbres fruitiers se chargent aussi de fruits
d'une beauté et d'une saveur inconnues, « encore que
ce ne fût pas leur saison » ; les cinq espèces de lotus
sortent de terre en tous lieux, offrant aux regards
1. Spence Hardy, A manual, p. 295-296.
2. Samuel Beal, Buddhist Records ^ vol. I, p. 63.
3. Spence Hardy, A manual, p. 343 et 457.
4. p. Bigandet, The Legend ofGaudama, voL II, p. 44-'i7.
508 LES PLANTKS CHEZ LES HINDOUS
étonnés le spectacle le plus ravissant. L*Hiraavat tout
entier s'illumine, tandis que les génies des deux çàlas
ne cessent d'en répandre sur le Bienheureux les fleurs
parfumées. C'est au milieu de cette fête de la nature
que le Buddha entre dans le Nirvana, pendant que
arbres, arbustes, herbes, plantes médicinales, s'incli-
nent avec respect vers lui *.
Les légendes divines dont je viens de parler ne sont
pas les seules où figurent les plantes; non seulement
elles jouent un rôle dans la plupart des mythes hin-
dous, elles ont elles-mêmes été l'objet de légendes
particulières, destinées à expliquer leur apparition ou
à mettre en lumière quelqu'une de leurs propriétés.
Lorsque la Gàyatrî, l'aigle mythique, apporta le soma
du ciel, des gouttes de la liqueur divine tombèrent sur
des tiges de kuça; les serpents, auxquels on l'avait
dérobée, s'empressèrent de venir les lécher; mais les
feuilles aiguës de la plante leur fendirent la langue,
qui depuis lors est restée fourchue '. Mais pour avoir
touché l'ambroisie, le kura reçut, lui, la vertu de pu-
rifier. Dès les temps les plus reculés, cette plante
aussi revêtit un caractère sacré, et prit place dans
toutes les cérémonies religieuses. On raconte que la
déesse Pàrvatî s'étant, agitée par une violente passion,
assise sur un tronc de çami, dans le cœur de l'arbre
se développa une forte chaleur qui éclate en flammes
au moindre frottement \
Les Hindous se sont plu — les Grecs et les Romains
1. L. Feer, Entretien du Buddha et de Brahmà sur V Origine
des choses. (( ongrès international des Orientalistes de 1873,
D. 47
5).
2. Mahàbhârata, lib. I. Adi-Parva, 1543-44.
3. H. C. Kellner, SakUntafa, p. 53, note.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 509
l'ont fait également — à attribuer à un certain nombre
de végétaux une origine mythique. Suivant une légende
qui semble récente S Arjuna, lors de son voyage au
ciel, aurait rapporté un rameau de bétel, lequel, planté
en terre, donna naissance à cette plante précieuse.
L'ail, d'après une tradition, aurait surgi des gouttes
d'amrita que Vainetaya — Garuda — , fatigué, aurait
laissé tomber du ciel sur un sol souillé d'ordures.
Suivant une autre légende, ce condiment recherché
devrait sa naissance aux gouttes du nectar, bu par le
chef des Asuras, et qui seraient tombées à terre quand
Janàrdana — Vishnu — lui coupa la tête. Le myro-
balan chebulic aussi serait né d'une goutte d'am-
broisie qu'en buvant Çakra — Indra — aurait laissé
tomber ^ D'après la Taittirîya-Samhità, le khadira^
aurait pris naissance du rasa — émanation — de la
Gâyatrî, quand elle apporta le soma du ciel sur la
terre. Et une plume — parna — , tombée alors d'une
des ailes du divin oiseau, se" serait changée en
palâça ou parna. Un rameau détaché de la plante cé-
leste aurait aussi donné naissance au çyenahrita*.
Le çyâmâka, lui, devrait son origine au soma, dont
Indra, qui en avait bu avec excès chez Tvashtri, aurait
rejeté une partie. D'après une autre légende, cette
espèce de millet serait née de « Tacuité » — tejas —
1. Vincenzo Maria da Santa Caterina, ap. A. de Gubernatis,
La Mythologie des Plantes, vol. Il, p. 39.
2. Hârita-Samhitù, V, 407. — The Bower Mamiscfipt, edited
by A. Rudolf Hoernle. Calcutta, 1893, in-fol., part I, p. 11,
10-11, et note 5, part II, fasc. 2, p. 164, 922.
3. Acacia catechu L. — Taittirtya-Samhitd, lib. Ilï, cap. 5,
7, 1 et 2. Le mot rasa signifie proprement suc.
4. Espèce de plante parasite. Çatapalha-Brâhmana, lib. V,
cap. 5, 10, 13.
ôtO LES PLANTES CHKZ LES HINDOUS
du fabuleux Makha, qui s'échappa de lui avec un sou-
rire*. Le Çatapatha Brâhmaria conte qu'Indra ayant
bu du soraa magique préparé par Tvashtri, toute force
vitale abandonna ses membres ; alors ce qui s'écoula de
ses cils devint le froment ; le soma exsudé de sa moelle
donna le riz ; de ses larmes naquit le jujubier; de sa
salive écumeuse, l'orge ; la pensée émanée de sa cheve-
lure produisit le millet ; l'honneur écoulé de sa peau,
Taçvattha ; la liqueur sortie de ses os, le nyagrodha; la
force de sa chair, l'udumbara. Dans ce dernier, qui
leur était resté fidèle pendant leur lutte avec les Asu-
ras, les Dieux, suivant un autre récit, ont mis la puis-
sance de tous les autres arbres'. L'apàmarga serait, à ce
qu'on raconte aussi, sorti de la tête de Namuci, frappé
à mort avec de l'écume par Indra ; et il aurait servi
aux Dieux à chasser les Asuras\ Le rudrâksha, lui,
serait né des larmes que Çiva aurait versées par
repentir d'avoir brûlé trois villes dans la guerre des
Dieux contre les Asuras *. Une tradition attribue la
naissance de la tulasî à la métamorphose d'une
favorite de Vishnu, qui, descendue au rang de mor-
telle par la malédiction d'une rivale, aurait ensuite
été changée en plante. On Ta fait aussi, comme
le pârijàta, sortir du barattement de l'Océan ^ On a
1. Taiillrya SamhitA, lih. II, cap. 3, 2, 6. — H. Oldenberg,
La Religion du Véda, p. 411. Le cyàmàka est le Panicum
frumentaceum L.
2. Lib. XII, 7, 1, 2-9; VI, 6, 3, 2-3.
3. Achyranthes aspera L. — Atfiarva- Veda, lib. IV, 19, 4. —
Yajur-Veday II, 95, ap. A. de Gubernatis, vol. H, p. 12.
4. Hlaeocarpuê ganitrus Roxb. — • J. Garrett, A classical
Dictionai'y of India. Madras, 1871, in-8, p. 520.
5. Ward, Account of the wrifings, religion and manners of
the Hiiidous. Ser^m\)ore, 1822, in-8, vol. III, p. 340, appelle
cette rivale Lakshmi. .Monier-Williams lui donne le nom de
\
/
/
/
LES PLAiNTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 511
également attribué la même origine mythique au
chanvre \
Parmi les légendes végétales les plus curieuses
comptent celles qui se rapportent aux arbres ou aux
plantes, dont la cosmogonie hindoue s'est servie pour
symboliser ou désigner les divers continents et les mon-
tagnes qu'on y rencontrait. Des sept continents que
connaissent les Purànas, six* ont respectivement pour
emblème un jambu, un plaksha, un çalmali, Therbe
kuça, un çaka et le pushkara ou lotus bleu \ Les quatre
continents des légendes bouddhiques étaient aussi
distingués chacun par un arbre symbolique particulier;
le continent de TEst par un kadamba, celui du Sud par
un jambu ; les deux autres, par les arbres ghanta et
ambala *.
Le Vishnu-Purana et le BbAgavata-Puràna placent
également sur les contreforts du Meru quatre arbres,
« qui en sont comme les étendards ». D'après le Vishnu
Purana\ c'étaient un kadamba sur le mont de l'Est,
un jambu sur celui du Sud, sur le contrefort de TOuest
un pippala et un vata sur celui du Nord. Le Bhâga-
vata-PurAna* a remplacé le pippala par un manguier,
Sîtà; suivant d'autres, dit-il, elle portait celui de Rukminî, Beli-
gious Thought and Life in India. London, 1883, in-8, p. 333.
1. Udoy (-hand [)utt, The materia medica of the I/indus,
Calcutta, 1900, in-8, p. 337.
2. Le septième est désigné par une montagne.
3. Vishnu- Pur âna, lib. II, cap. 1. — Bhôgavata-Purâna,
lib. V, cap. 1, 32. Le septième est le Kraunca,
4. S. Beal, A catena, p. 35-37. Le ghanta est la Schrebera
swietenioides et Vambala — ûmala — le Phillanthus emblica,
5. Lib. II, cap. 2. Pippala, hind. pipai, est un autre nom de
VaçvaUha (Ficus religiosa), vata un des noms du nyagrodha
(Ficus indica).
6. Lib. V, cap. 16, 3. D après le récit des Buddhistes chinois,
512 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
qui porte des fruits gros comme le sommet d'une mon-
tagne et dont le goût rappelle Tambroisie ; de ces
fruits s' échappe en abondance un suc doux et d'un
parfum délicieux, d'où naît le fleuve qui va arroser
l'Orient de rilàvrita. Le kadaraba laisse couler de ses
branches cinq rivières, dont les eaux délicieuses rem-
plissent de joie Tllâvrita occidental. Les fruits du
jambu, qui en volume égalent le corps d'un éléphant,
en se brisant dans leur chute, forment de leur suc ré-
pandu le fleuve de la région méridionale du varsha. En-
lin du figuier Çatavalça — le vata du Vishnu-Purâna — ,
qui s'élève sur le mont Kumuda, découlent du lait, du
caillé, du beurre, du miel, de la mélasse, du riz cuit,
et à ses branches sont suspendus des étoffes, des lits,
des sièges et des parures. Tous ces objets descendent,
à travers la partie septentrionale du môme varsha, en
un fleuve qui offre ainsi tout ce que peuvent désirer
les habitants *-
Le Vishnu-Puràna attribue aussi au jambu des fruits
d'une grosseur prodigieuse, qui tombent au moment où
ils viennent à pourrir, et dont le jus en s'écoulant
forme une rivière^; les habitants qui en boivent les
eaux passent leurs jours dans le contentement et l'opu-
lence et sont exempts d'infirmités. D'après une autre
source "S c'était dans la forêt himalayenne que se trou-
vait le jambu mythique, haut de 100 yojanas, il avait
un autre arbre mythique, le kûtaçalmali, croissait au Nord
du grand Océan, près du palais des dragons et des Gandharvas.
S. Beal, A Catenay p. 50.
1. Bhûgavala-Purànay lib. V, cap. 16, 17-26.
2. Vishnu-Purâita, lib. H, cap. 2 ; voL II, p. 116.
3. Spence Hardy, -ri manual, p. 19. Un yojana équivaut à
environ l'i kilomètres et demi.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 513
300 yojanas de tour, et était garni de quatre branches
maîtresses; de ces branches et du tronc coulaient
autant de puissantes rivières. Depuis le commencement
du kalpa — âge — actuel, il porte un fruit d'or im-
mortel, aussi large que la cuve la plus large * ; quand
ce fruit tombe dans les rivières qui découlent de
l'arbre, ses graines se changent en pépites d'or, qui
sont entraînées jusqu'au rivage de l'Océan.
La forêt himalayenne renfermait un autre arbre non
moins merveilleux, le Manjùshaka, qui se dressait près
de l'entrée de la grotte des Gemmes^; il produisait
toutes les fleurs qui croissent sur la terre et dans l'eau,
rappelant par là l'arbre Gaokérana de la mythologie
iranienne. Dans TUttarakuru — le continent ou varsha
du Nord — croissait un arbre encore plus étonnant,
le Kalpavriksha ouKalpadruma'; d'une hauteur pro-
digieuse, il produisait aussi bien des vêtements, des
parures, que des mets ; dès que quelqu'un désirait une
chose dont il avait besoin, il n'avait qu'à étendre la
main et les branches s'abaissaient d'elles-mêmes pour
la lui présenter. Suivant un autre récit *, les feuilles
de cet arbre, dans lequel il faut reconnaître le figuier
Çatavalça du Bhàgavata-Purâna, distillaient sans cesse
une rosée céleste et son fruit parfumé, arrivé à matu-
rité, s'ouvrait de lui-même pour fournir aux habitants
toute espèce d'aliments. L'auteur des Noces de Par-
vati^, Bâna, place cet « Arbre de tous les souhaits »
1. Le texte dit mahâkala, cuve 17 fois plus grande que les
kalas ordinaires qui contiennent à peu près 4 galions (18 litres).
2. Spence Hardy, A manualy p. 16.
3. Spence Hardy, A manualy p. 14.
4. Le Dirghâgama-Sûtra , ap. S. Beal, A Catena, p. 37-38.
5. Acte II. PAfvatts Hochzeit, iibersetzt von Glaser, p. 7.
JoRET. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 33
514 LES PLANTES CHEZ LES HLf DOCS
dans le Nandana ; c'estsur lui que, par Tordre de Çiva,
la déesse des Bois, Vàsaniikà, va cueillir les fleurs,
a qui remplissent de leur parfum toutes les régions du
monde ». D'après un conte de THitopadeça*, l'arbre
de tous les souhaits croit, au contraire, au milieu de
rOcéan ; il émerge du sein des flots tous les quinze
jours, et à son ombre vient s'asseoir, sur un divan
étincelant d'or et de pierres précieuses, une vierge
richement parée et belle comme Lakshmî.
Tandis que l'imagination inventive des Hindous a attri-
bué aux régions inaccessibles de l'Himalaya une flore
mythique aussi merveilleuse, leur anthropomorphisme
a, par contre, placé dans le ciel les plantes indigènes
de rinde. C'est surtout dans les légendes postérieures
à l'époque des Védas que se manifeste cette concep-
tion naturaliste ; mais on en trouve déjà la trace dans
plusieurs hymnes du recueil sacré. Toutefois elle ne
se manifeste d'abord que d'une manière symbolique
ou métaphysique. Lorsqu'un rishi nous parle' de l'arbre
que Varuna a dressé au milieu de l'abime, il n'y a là
peut-être, en effet, qu'une image symbolique destinée
à représenter un simple phénomène atmosphérique.
C'est encore un symbole, mais peut-être d'un autre
genre, que représente « l'arbre antique » du Kdtha-
Upanishad^, arbre dont les racines poussent en haut
4. Livre II, 5« récit. Trad. Hertel, p. 84. Trad. Lancereau,
p. 128. La légende de l'Arbre de tous les Souhaits est restée
longtemps vivante dans l'Inde ; c'est évidemment le colparaquin
de Vincenzo Maria da Santa Caterina, arbre céleste de dimen-
sions telles qu'aucun homme ne peut le mesurer, et qui donne
à chacun tout ce qu'il peut désirer en vivres et choses déli-
cieuses. A. de Gubernatis, vol. II, p. 196.
2. Rtg-Veday lib. I, 24, 7.
3. Adhyàya II, 6, 1.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 515
et les branches en bas, comme celles du nyagrodhaou
vata, et qui est appelé le « Lumineux Brahmâ, le seul
Immortel ». L'açvattha, « qui pleut du soma », dans
le monde ou ciel de BrahmâS a encore une signiâca-
tion toute symbolique, et il en est de même probable-
ment de Tarbre Ilya que rencontrent les défunts,
après avoir traversé « en esprit » le lac Ara et la
rivière Vijarà '.
Quoi qu'il en soit de leur signification, ces symboles
nous montrent comment les Hindous ont été amenés,
dès les temps les plus reculés, à admettre Texistence
des arbres dans le ciel ; aussi il ne faut pas être sur-
pris d'en trouver déjà la mention dans les derniers
hymnes védiques. C'est évidemment un arbre véritable
qu'avait en vue le rishi qui représente, dans une scène
réaliste', Yama buvant avec les Dieux l'ambroisie
sous un arbre au beau feuillage. C'est aussi un açvat-
tha réel sous lequel, d'après TAtharva-Véda*, les Dieux
siègent dans le troisième ciel; c'est encore sous un
véritable çâlmali, on n'en peut douter, que le poète
du Mahâbhârata fait se reposer Pitàmaha — Brahmà
— après la création *. Et l'immense figuier, à l'ombre
duquel les Dieux, dans le Bhâgavata-Purâna ®, aper-
çoivent, sur le Kailâsa, Çiva, plongé dans la médita-
tion, est aussi réel que l'acvattha de la légende du
Buddha.
Les plantes terrestres ont, en eflfet, fini par pénétrer
1. Chândogya-Upanishad, VIII, 5, 3.
2. KaushUaki-Bràhmana-Upanishadj I, 3, 4 et 5.
3. Rig-Veda, lib. X, 135, 1.
4. Lib. V, 4,3; XIX, 39, 6.
5. Lib. XII (Cânti-Parva), 5847.
6. Lib. IV, cap. 9; 31-33.
516 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
dans les demeures des Dieux. Ceux-ci d'ailleurs n'ha-
bitent plus « le inonde d'inépuisable splendeur où
siège le soleil », le « triple ciel inondé de lumière* »;
les poètes des Purânas et du Mahâbhârata les ont fait
descendre des hauteurs inaccessibles du firmament sur
les cimes mystérieuses de THirnavat, le Kailâsa, le
Vaikuntha, le Trikûta, le mythique Meru *. C'est là
maintenant que résident les Immortels; là s'élèvent
leurs cités et se dressent leurs palais, avec les parcs
fleuris et les étangs couverts de lotus, qui les avoi-
sinent ou les entourent. On dirait la demeure d'un
raja contemporain. Qu'on compare, par exemple, Ayo-
dhyà, résidence de Daçaratha, père de Rama, avec
Amarâvatî, capitale d'Indra ; les jardins de Dvârakâ,
cité de Krishna, avec les parcs de Vishnu, de Çiva,
de Kuvera ou de Varuna', on verra qu'il n'existe au-
cune difierence entre les premiers et les seconds.
La description du séjour de Yama dans les Védas et
dans le Mahâbhârata * montre à quel point la concep-
tion que les Hindous se faisaient de la demeure des
Dieux avait changé de l'époque des Védas à celle des épo-
pées ; dans l'hymne que j'ai cité plus haut, Yama réside
sous un açvattha; dans le Mahâbhârata, il habite un
palais magnifique où sont réunies toutes les espèces
de mets agréables, et où se trouvent en abondance des
parfums exquis, de belles guirlandes, de frais bos-
quets avec des arbres couverts en toute saison des
1. Big-Veda, lib. IX, 113, 7 et suiv.
2. À. Barth, The Religions, p. 16 et 17.
3. Bhâgavala-Purâna, lib. I, cap. 11, 13; IV, 6, 12-29; V,
2, 4; VIII, 2, 9-18; 15, 12-19. — Beal, A Catena, p. 75-78. —
Hâmàgana, lib. I.
4. Lib. II, VanaParva, v. 311-350.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 517
« fruits que Ton désire ». On a là le type d'une rési-
dence divine, telle que la conçoivent maintenant les
poètes et les écrivains sacrés : un palais orné de por-
tiques et embelli de pierres précieuses \ environné de
parterres et de jardins dont les arbres plient sous le
poids des fleurs et des fruits, où bourdonnent les
abeilles et où retentissent les concerts ou les cris des
oiseaux, que des fauves animent de leur présence, et
que des étangs, couverts de lotus, rafraîchissent de
leurs eaux vives et pures '.
Quant à la flore des parcs ou des jardins célestes,
elle n'est autre que celle des jardins ou des parcs ter-
restres; on trouve les mêmes arbres d'agrément dans
les premiers que dans les seconds. Qu'on lise, entre
autres, ce que l'auteur du Bhâgavata^ après avoir
décrit le Trikûta, sa configuration, ses rivières et ses
lacs, énuméré les animaux qu'on y trouve, dit du jardin
de Varuna :
Dans une de ces vallées était le jardin du magnanime Va-
runa... Des arbres divins toujours couverts de fleurs et de fruits
l'embellissent de toutes parts. — C'étaient le mandâra, le pâri-
jàta, le pàtala, l'açoka, le campaka. le manguier, le priyàla, le
'1. Bhâgavata Purânaj lib. Vil, cap. 4, 8-11.
2. Bhâgavata- Puràna, lib. IV, cap. 6, 12 et 20 : VIII, 15,
12-22. Le Paradis des Bouddhistes du Nord n'était pas autre ;
on nous le représente comme rempli de beaux arbres, d'ar-
bustes parfumés et de fleurs brillantes ; peuplé d'oiseaux et de
bêtes des forêts, et ré.sonnant sans cesse d'une divine musique.
A short note on the Paradise of ihe Northern Buddhists by
Bàbù Sarat Chandra Dûs. (^Proceedings of Ihe Asiatic Society
of Bengal, 1891, p. 71).
3. Bhâgavata-Purdnhj lib. VIIl, cap. 2, 9-14 et 1618. Le
picumanda est le Melia azidarachta, ïaksha, la Terminalia
hellerica, Vabhayâ, la Terminalia chebuta, le kunda, le Jasmi-
num hirsulum et le jâlaka, le bananier.
518 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
panasa, Tàinra et ràmràtaka. — L'arbre qui produit la noix
d*arec, le cocotier, le dattier*, le citronnier, le madhuka, le
çàla, le palmier, le tamâla, l'asana et Tarjuna. — L'arishta, le
figuier, le plaksha, le vata, le kimçuka, le santal* le picumanda,
le kovidàra, le sarala, le devadâru. — La vigne, la canne à
sucre, le "bambou, le jambu, le jujubier, Taksha, l'abhayâ, le
myrobalan, le bilva, le kapittha, le jambîra, le bhaliâtaka et
d'autres encore. — Là se trouvait un lac étendu sur lequel se
balançaient des lotus d'or, qu'embellissaient des lotus rouges,
bleus, blancs et le nélumbo aux cent feuilles, au-dessus duquel
bourdonnaient des abeilles enivrées et chantaient des oiseaux
à la voix harmonieuse -... Ses rives étaient bordées de kadam-
bas, de rotins, de roseaux, de nîpas, de cannes — de kundas,
de kuravakas, d'açokas, de çirishas, de kutajas, d'ingudis, de
kubjakas, de svarnayùthis, de diverses espèces de nâgas et de
purïinâgas, — de jasmins, de mâdhavis, de jàiakas et d'autres
arbres ornés de leurs parures dans toutes les saisons.
Le poète sacré s'est donné libre carrière et n'a pu
résister au penchant. à la prolixité si chère aux écri-
vains hindous, et il n'a pas craint de réunir dans un
même lieu des végétaux qui appartiennent aux régions
les plus diverses, tel que le devadâru des contreforts
de THimalaya et le cocotier ou le santal de Ceylan '.
On ne retrouve point ces exagérations, ni ces accumu-
lations de végétaux étrangers la plupart les uns aux
autres dans les descriptions du jardin de Kuvera et du
p^adis de Vishnu ; il n y a qu'une douzaine d'arbres
1. Le dattier n'ayant été importé dans l'Inde que longtemps
après notre ère, .sa présence dans cette description montre
qu'elle ne saurait remonter très haut ou qu'elle a été remaniée
à une époque relativement récente.
2. « Les cygnes, les kàraçdavas, les cakravàkas et les grues
en couvraient la surface ; des troupes de poules d'eau, de van-
neaux, de dâtyûhas y faisaient entendre leurs cris. »
3. De même le bouleau des hautes vallées de THimalaya et
l'aréquier des côtes de Malabar, placés également sur le Kai-
làsa. Bhàgavala-Purâna, lib. IV, 6, 17.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 519
OU de plantes dans ce dernier^ : mandâras, jasmins,
campakas, arnas, pumnâgas et nâgas, bakulas et pàri-
jâtas, amarantes, lotus de nuit et lotus de jour avec
la tulasl. Le poète du Mahàbbârata ne nomme même
aucun des « arbres saints » qui embellissent les bos-
quets d'Amarâvatî, capitale d'Indra; il se borne à dire
qu'ils V se parent de fleurs en toutes les saisons ^ ».
Les fleurs des jardins célestes servaient d'ailleurs aux
mêmes usages que les fleurs des parterres terrestres ;
les Dieux aimaient à en respirer les parfums et à en
contempler Téclat ; leurs palais en étaient ornés ; ils
en portaient des guirlandes qui, par un privilège par-
ticulier, ne se fanaient jamais. Les Açvins, dans les
Védas*, ont le front ceint d'une couronne de lotus bleu
— pushkara — . Le Puràna, qui porte son nom, nous
montre Bhagavat paré d'une guirlande des fleurs des
bois*. Purusha, lui aussi, en porte une faite de fleurs
sauvages. Il en est de même de Vasudeva\ Lorsque,
pour séduire les Daityas, Vishnu prend une figure fé-
minine, « sur sa chevelure repose une guirlande de jas-
mins^ en fleurs^ ». Au moment où Bali, le chef des
Asuras, va marcher contre Indra et les Dieux, son
grand-père Prahrâda lui donne une guirlande de fleurs
1. BhAgnvaia-Purâno , lib. III, cap. 15, 19.
2. Vana-Parva, 1756. Il dit aussi seulement du Nandanaque
« les arbres semblent se disputer à qui produira le plus de
fleurs divines. »
3. Big-Veda, lib. V, 53, 4 et X, 18'i, 2. — Alharva-Veda,
lib. III, 22.
4. Lib. III, cap. 28, 15 ; IV, 7, 21 ; XII, 42. Deux Devas, placés
à la porte de la septième enceinte du Paradis de Vishpu, por-
tent sur la poitrine une guirlande de fleurs couverte d'abeilles
enivrées. Lib. III, 15, 28.
5. Ehàgamia-Puràna, lib. IV, cap. 30, 7, X, 44, 13.
6. Bhâgavata-Purânay lib. VIII, cap. 8, 44 et 15, 16.
590 LES PLAINTES CHEZ LES HINDOUS
toujours fraîches. Dans ses courses à travers les bois,
Krishna se montre sans cesse arec des guirlandes
fleuries. Les Gopis, au milieu desquelles il vit, sont,
elles aussi, parées de couronnes ; leurs vaches elles-
mêmes en portent*. « Les yeux aussi beaux qu*une
fleur de lotus, une couronne de fleurs variées sur la
tête, et sur la poitrine une guirlande de célestes kar-
nikàras, » tel est le portrait que fait du héros divin le
Vishnu-Puràna*. Une couronne de fleurs est égale-
ment un des insignes auxquels on reconnaît le guerrier
Paundraka, roi de Kàcî et l'adversaire de Krishna.
Lakshmi donne à Balarâma, qui va combattre le démon
Naraka, une fraîche guirlande de lotus envoyée par
Varuna'. Et quand après avoir entendu la lecture des
douze livres du Bhàiravata, le héros Dhundhukàrin renaît
à une vie nouvelle, il apparaît comme un dieu orné de
guirlandes de tulasi ^. De même dans le Ràmâyana,
lorsque, secouant la cendre du bûcher, qui vient de
consumer son corps immense et difforme, Danu —
Kabandha — s'envole vers les cieux, une guirlande de
fleurs célestes pare ses habits \
Les fleurs du ciel servaient surtout aux Dieux à
marquer leur présence ou leur intervention dans les
affaires humaines ; ils ne manquent jamais d'en faire
pleuvoir sur les héros ou les héroïnes qu'ils protègent
ou qu'ils favorisent. Rares dans le Vishnu-Puràna, les
1. Bhâgavala-Purâtfa, lib. X, cap. 7, 16; 15, 10; 18, 9 ; 23,
22: XIII, 'j, 2.
2. Lib. V, cap. 17. Cf. B. P., III, cap. 15, 40 ; 28, 15.
3. Vishnu Purâ^a, lib. V, cap. 25; vol. V, p. 68.
4. BhàgavataPurâna, lib. X, cap. 66, 13 ; XIII, 5, 51. Cf.
VUhf}u-Purâna, lib. V, cap. 34.
5. Aranyakâçda, lib. III, cap. 75, 53-54.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 521
pluies de fleurs célestes apparaissent à chaque instant
dans le Bhâgavata. Au moment où Bhishma se réunit
à Brahmâ, retentissent les timbales frappées par les
Devas et une pluie de fleurs tombe des cieux*. Une
pluie de fleurs aussi tombe du haut des airs, lorsque
Dhruva va monter au ciel, et il atteint le séjour de
Vishnu, couvert des fleurs que lui jetaient les Suras,
qui, du haut de leurs chars, chantaient ses louanges,
à mesure qu'il avançait*. Après que Cri eut choisi pour
époux Mukunda — Vishnu — , en lui plaçant sur les
épaules une ravissante guirlande de frais lotus, tous
les Dieux, créateurs de Tu ni vers, répandirent sur l'au-
guste couple une pluie de fleurs *. Lorsque Bhagavat
fut engendré dans le sein de Devahûti, on vit tomber
des fleurs divines, répandues par les habitants del'air.
Et quand Prithu vint au monde, les chefs des Gan-
dharvas entonnèrent leurs chants, tandis que les Sid-
dhas jetaient des fleurs sur le divin enfant*. De même
à la naissance d'Ajana — Krishna — , les Munis et les
Dieux, remplis d'allégresse, répandent sur la terre une
pluie de fleurs ^ Plus tard, en apercevant le jeune
héros, qui soutenait en Tair le mont Govardhana, les
troupes des Dieux, les Siddhas, les Gandharvas, les
Câranas, dans leur joie, répandent sur lui des fleurs à
profusion. Brahmâ, Çiva et les autres puissances cé-
lestes, témoins de sa victoire sur Kaihsaet ses frères,
Tacclament en le couvrant également d'une pluie de
1. Bhâgavata- Pur àf/Œy lib. I, cap. 9, 45.
2. Bhâgavata- Purâna, lib. IV, cap. 12, 30 et 33.
3. Bhâgavata-Purâna, lib. VIIl, cap. 8, 24 et 27.
4. Bhâgavata- Purâna, lib. III, cap. 24, 8; IV, 15, 7.
5. Vishnu- Purâna j lib. V, cap. 3. — B. P., lib. X, cap. 3,
622 LES PLANTKS CHEZ LES HI?ÏDOUS
fleurs*. Quand le roi des Singes tombe frappé par
Bala, les mots « Victoire, Bien, très Bien » reten-
tissent dans le ciel, prononcés par les Suras et les
Siddhas, qui jettent des fleurs au héros. Les Dieux
voyant Krishna percer d'une de ses flèches le poisson
mythique, répandent en signe de contentement des
fleurs sur la terre. Et lorsque, frappé par Çiva, Tasura
Vrika s'affaisse, privé de la tête, les Rishis applau>
dissent en versant des pluies de fleurs '.
Les pluies de fleurs sont tout aussi- fréquentes dans
la légende du Buddha que dans celles de Vishnu et de
Krishna. Au moment de la naissance du Réformateur
une pluie de lotus et de nymphées tombe, avec du
santal, du ciel sans nuage ^ ; une pluie de fleurs divines
tombe encore sur son cortège, quand on conduit le
noble enfant au temple, où il recevra un nom ; et un
jour qu'on l'avait porté au jardin de Vimalavyùha, la
déesse du lieu, Vimalà, le couvre de fleurs. Plus tard
c'est au milieu des fleurs répandues par les filles des
Dieux qu'il est conduit chez son maître d'écriture, et
pendant les jeux qui précèdent son mariage, les divi-
nités du ciel, témoins de son habileté à tirer de l'arc,
jettent aussi sur le jeune héros des fleurs à profusion*.
Lorsqu'il quitte le palais paternel pour embrasser la
vie d'ascète, les Dieux répandent encore sur lui une
pluie de fleurs, et les quatre gardiens du monde accou-
rent avec leur suite innombrable de Gandharvas, de
Nàgas, etc., tous portant dans les mains des fleurs
1. Bhâgavata-PurAna, lib. X, cap. 25, 31 et 44, 42.
2. Bhàgavala-Purâm, lib. X, cap. 67, 26; 83, 27; 88, 27.
3. Açvaghosha, Buddhacarita, p. 41.
4. LalUa Vistara, cap. VIII, p. 108; IX, p. 112; X, p. Ii4;
XII, p. 141.
LES PLANTES DANS LES LEGENDES RELIGIEUSES 523
divines. De même lorsque sa mère, qui Ta aperçu sur
les bords de la Nairanjanà, plongé dans ses austères
méditations, cherche en vain à le ramener à la vie
commune, pleine d'admiration pour sa constance sur-
humaine, elle se retire dans sa céleste demeure au son
des instruments divins, après Tavoir couvert de fleurs
do mandâra *. C'est par un sentier couvert de fleurs
aussi que le Réformateur se rend vers le Bodhimanda;
une pluie de fleurs Taccueille au moment qu'il s'en
approche et aussi longtemps qu'il reste sous l'arbre de
l'Intelligence, les génies du ciel et de l'atmosphère
jettent sur lui des guirlandes et des bouquets de fleurs ^
De même quand il a triomphé de Màra, les Dieux, les
Asuras et les Garudas, pour célébrer sa victoire, font
pleuvoir des fleurs et de la poudre d'aguru, de tagara
et de santal sur le Bienheureux'. Et le septième jour
après sa mort, lorsqu'il est porté sur le bûcher, du
haut des espaces lumineux du ciel, les Dieux répandent
sur son corps des lotus de toutes couleurs et des pou-
dres parfumées de santal *.
Comme dans les légendes de Vishnu et du Buddha,
les pluies de fleurs servent aux Dieux dans le Mahâ-
bhârata à manifester leur sympathie pour les héros du
poème. C'est une pluie de fleurs célestes qui proclame
la naissance légitime des fils de Pandu ^ Comme mar-
que de son admiration pour les hauts faits d'Arjuna,
Indra verse une pluie de fleurs sur la tête du héros,
1. Lalita Vistaray cap. xv, p. 191 et 195; cap. xvii, p. 219.
2. Lalita Vistara, cap. xix, p. 236; cap. xx, 244 et 254.
3. Lalita Vistara, cap. xxi, p. 286 et xxiii, 299. — Spence
Hardy, A manual, p. 182.
4. Lalita Vistaray appendice, vol. I, p. 385.
5. Sabha-Parva, Cf. A. Hoitzmann, Die 19 Bûcher des Mahâ-
bhârata, p. 32.
524 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
en même temps que de tous côtés des fleurs tombent
du ciel. Quand Devavrata promet de renoncer au
royaume de son père et à toute postérité, pour témoi-
gner de leur assentiment, les chœurs des Rishis et les
Dieux font pleuvoir des fleurs du haut des airs*. Au
moment où le fils de Kuntî — Arjuna — pénètre dans
le bois épineux, qu'il devait traverser pour atteindre
les cimes de THimavat, une grande pluie de fleurs
couvre la surface de la terre, tandis qu'un bruit de
conques éclate dans le ciel ^. De même lorsque le Vent,
invoqué par Damayantî, proclame son innocence et
ordonne à Nala de se réunir à son épouse digne de lui,
comme il était digne d'elle, une pluie de fleurs tombe
du ciel, tandis que retentissent les cymbales divines'.
Non moins que dans le Mahàbhârata les pluies de
fleurs sont fréquentes dans le Ràmàyana. Quand Râma,
rejeton bien-aimé de Raghu, part pour remplir son
auguste mission, en compagnie de Viçvàmitra, une
pluie de fleurs tombe sur lui, et l'on entend dans les
airs des concerts de voix suaves, les fanfares des con-
ques et le roulement des cymbales célestes. Pendant
le mariage de Rama et de son frère Lakshmana avec
les filles de Janaka, roi du Videha, une pluie de fleurs,
où se trouvaient mêlés en abondance des grains frits,
tomba sur la tête de tous ceux qui avaient pris part à
la cérémonie sacrée *. Lorsque Sîtâ sortit du sillon,
tracé par son père autour du lieu du sacrifice, et que
1. Adi-Parva, 7054-7055, 1531 et 4062.
2. Vana-Parva, 1531. — A. Holtzmann, Arjuna. Strassburg,
1879, in-8, p. 12.
3. Nala et Damnya7iti, chant XXIV. — F'élix Nève, Histoire
littéraire de l'Inde, p. 142.
4. Adikàrida, lib. XXV, 5; LXXV, 26.
LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 525
le roi, la prenaot dans ses bras, s'écria qu'elle était sa
fille, la voix d'un être invisible répondit Oui ! en même
temps que tombait une pluie de fleurs, accompagnée
par les sons harmonieux des tambours célestes. De
même quand Rama abat le démon Kharu d'une de ses
flèches, les tambours célestes résonnent dans les airs
et une pluie de fleurs tombe au milieu du champ de
bataille sur le front même de Ràma*. Plus tard, lors-
que Sîtâ retrouvée, mais accusée injustement, subit
triomphalement l'épreuve du feu, en signe d'approba-
tion, une pluie de fleurs encore tombe du ciel, tandis
que retentissent les cymbales divines *.
Les poètes de la Renaissance n'ont pas manqué, à
l'imitation des auteurs du Râmâyana et du Mahâbhâ-
rata, dé donner place dans leurs récits aux fleurs cé-
lestes ; Kàlidàsa en particulier en fait usage à chaque
instant dans le Raghu- Vamça, poème où il célèbre la
gloire et les ancêtres de Râma. Ainsi, quand le roi
Dilîpa ofi're, comme un mets funèbre, son corps à un
lion afi'amé, une pluie de fleurs, répandue par la main
des Vidyàdharas, tombe du ciel sur le généreux mo-
narque. Lorsque Priyamvada, changé en éléphant,
reprend, frappé au front par la flèche d'Aja, flls de
Raghu, sa forme première, il couvre le jeune prince
de fleurs, cueillies sur l'arbre Kalpa'. A la naissance de
Râma, une pluie de fleurs tombe du ciel sur le palais
royal, en signe de réjouissance pour cet heureux évé-
nement. Et quand le héros a abattu les têtes mena-
çantes de Ravana, les Dieux surpris répandent du haut
1. Aranyakânda, lib. IV, 12-15 ; XXXV, 96.
2. Adikànda, lib. I, 88.
3. Chant 11, 60 et V, 52.
626 LES PLANTKS CHEZ LES HINDOUS
du firmament sur le front du vainqueur une pluie de
fleurs, que suivent des essaims d'abeilles célestes. Des
fieurs divines viennent encore lui inonder le front pour
honorer sa victoire sur un autre démon, Lavana.
Enfin lorsque le héros Kuça reçoit la main de Kumud-
\atî, les sons d*une musique divine se font, signe
d'heureux augure, entendre jusqu'aux plages célestes
et des nuages merveilleux déversent sur la tête des
deux époux une pluie de fleurs parfumées*. Dans le
poème de Kumârasariibhava, Kàlidàsa raconte encore
que le jour de la naissance d'Umâ, fille d'Himavat, on
vit une pluie de fleurs accompagner les fanfares de
conques, qui retentissaient du haut du ciel*.
De même que le ciel, l'enfer des poèmes épiques et
des Purânas avait sa flore, empruntée, elle aussi, à la
flore terrestre, mais dont les rares représentants aux
tiges et aux fruits épineux, aux feuilles aiguës, comme
leçâlmali, le Scirpus kysoor, le duhsparça — Hedy-
sanim alhagi — la tîkshnakuhà — Datura meiel — ,
étaient tels qu'il convenait dans ce lieu « pour le sup-
plice des méchants » — yàtanâ pâpakarmàndm — .
Dans le Mahàbhârata ', lorsque Yudhishthira va dans
TFlnfer à la recherche de ses frères, il aperçoit une
forêt dont les arbres avaient pour feuilles des épées
tranchantes, et des plaines d'un sable blanc et brûlant
couverts de kutaçâlmalikas aux épines acérées et dou-
loureuses à toucher. Parmi les difi'érents enfers dont
parle le Mârkandeya-Purâna, il y en a un, appelé Asi-
çattravana, au milieu duquel se trouvait une forêt
1. Chant X, 78 et XIF, 102 ; XV, 25 et XVI, 87.
2. Chant I, 23.
3. XVIII. Svargàrohana-Parva, 23-25.
LES PLANTES DANS LE CULTE 527
dont les arbres agréables à la vue avaient des feuilles
semblables à des lames d'épée*. D'après le Bhagavata,
cet enfer était destiné à ceux qui se livrent à Thérésie,
et la forêt était composée de palmiers, dont les feuilles,
épées à deux tranchants, déchiraient le corps des
condamnés '.
Il
On voit par ce qui précède quelle place considérable
les plantes avaient prise dans les légendes des Dieux,
surtout des Dieux de la Trinité brahmanique; elles n'en
occupaient pas une moindre dans le culte qu'on leur
rendait; elles leur servaient d'attributs; elles ont
fourni les premières offrandes qu'on leur ait faites.
Brahmâ est représenté un lotus à la main et trônant
sur un lotus ^ Vishnu, lui aussi, tient une tige de lotus
dans une de ses quatre mains *. Le lotus était égale-
ment un des attributs de Krishna ; il portait sous cha-
cun de ses pieds la marque de cette fleur; il aimait
à s'en parer ; le Bhàgavata-Puràna le montre agitant
un nélumbo ou lotus rouge d'une main et ayant un
lotus bleu fixé à son oreille ^ Sarasvatî est représentée
au milieu d'une guirlande de ces fleurs divines®.
Quand Lakshmî — Çrî — sortit du sein des flots,
lors du barattement de l'Océan, elle s'élança à terre,
1. Léon Feer, L enfer indien Paris, t892, in-8, p. 52.
2. Lib. V, cap. 26, 15.
3. Vishnxi'Purài}a, lib. IV, cap. t.
4. W. J. Wilkins, Hindu Mythology. Calcutta, 1882, in-8,
p. 102.
5. Bhàgavata-Puràna, lib. X, 23, 22; 30, 25; 32, 2; 35, 16.
6. Wilkins, Hindu Mythology, p. 92.
528 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
un lotus à la main ; le lotus est resté un de ses attri-
buts, comme du dieu son époux; elle est figurée assise
sur une fleur de padma et entourée des rameaux de
cette plante sacrée*. Toutes les fleurs étaient d'ailleurs
chères à cette déesse ; le poète du Mahâbhârata dit"
qu'elle est Tamie fidèle de ceux qui en possèdent.
Les fleurs n'étaient pas moins aimées du dieu de
r Amour, Kâma; mais celles du manguier surtout lui
étaient chères. D'après une légende, cinq espèces de
fleurs lui servaient de flèches ; les fleurs d'aravinda —
lotus de jour — , d'açoka, de çirlsha, de cùta — man-
guier — et d'utpala — lotus bleu ^ — . Mais quoique
d'une nature si délicate, ses traits, remarque Kâlidâsa*,
étaient néanmoins aussi durs que le iliamant. « Ses
flèches, dit également Hàla", sont très dures; bien
qu'elles ne touchent pas directement, elles causent une
brûlure intolérable et cuisante et qui pourtant fait du
plaisir. »
Comme le lotus, la tulasî était consacrée à Vishnu
et à Krishna. Krishna est représenté portant une cou-
ronne de tulasî. En voyant le culte que le dieu, qui
se pare de ses rameaux, rend à la tulasi, tous les
arbres et toutes les plantes du paradis de Vishnu
témoignent, dit le Bhàgavata, un profond respect à
1. Vishnu- Pur ôna, lib. I, cap. 9. — Ràmûyana. Ayodhj'à-
kànda, lib. XIII, 8. — Wilkins, p. 108.
2. Sabha-Parva, 850.
3. Weber, Abhandlungen fur die Kunde des Morgenlandes,
vol. V, p. 132, dit que les flèches de Kàma pouvaient aussi
être composées de fleurs de campaka, cùta, nàgakeçara, ke-
takî et biiva.
4. ÇakuntalA, Acte III, scène 1.
5. Saptaçalaka. n<» 329. Abliandlungen, vol. V, p. 186.
LES PLANTES DANS LE CULTE 529
ce petit arbrisseau \ Des arbres aussi étaient consacrés
aux Dieux ; Tacvattha l'était au soleil — Sûrya — ,
ainsi qu'à Vishnu,'le plaksha àYama; le nyagrodha
était regardé comme l'arbre de Varuna, Tudumbara,
celui de Prajâpati, le bilva était l'arbre de Çiva *. Le
nyagrodha encore servait d'emblème à Kâla — le
Temps — et Tarka à Sûrya ^ Une herbe aussi, la dûrvâ,
était l'emblème de Ganeça.
Les plantes, qui jouent un si grand rôle dans la lé-
gende de Çàkyamuni, occupent également une place
considérable dans la religion dont il fut le fondateur ; un
arbre, celui même près duquel il était, croyait-on,
arrivé à TlUumination suprême, était consacré à chaque
Buddha : Taçvattha à Gautama ou Çàkyamuni, le nya-
grodha à Kâcyapa, son prédécesseur, l'udumbara à
Kanakamuni, le çirîsha à Krakucchanda, le çâla à
Viçvabhu, le pundarîka ou nymphéa blanc à Çikhin,
le pâtali à Vipaçyin, l'amanda à Pushya, Tasana à
Tishya et le karnikâra à Siddhârtha, pour ne citer
que les dix derniers Buddhas *.
Mais le nélumbo ou padma était l'emblème le plus
ordinaire des Buddhas et même des Bodhisattvas ; ils
sont presque toujours iSgurés, soit debout, soit assis,
sur une fleur double de padma ^ image du bodhi-
1. BhAgavata-Puràna, lib. X, 35, tO ; III, 15, 19.
2. Gobhila, Grihya-Sûtra, lib. IV, cap. 7, 24. Wilkins,
p. 391.
3. Monier- Williams, Religions Thought in India, p. 337-338.
4. Cunningham, The Stûpa of Bharhut, p. 45-46, pi. XXIX,
1, 2, 3, 4 ; XXX, 1, 2. — GrifRths, The painlings of Ajan(â,
vol. I, p. 36. — Spence Hardy, A manual, p. 95. IJasana est
la Terminalia tomentosa; Vamanday le Bicinus communis.
5. Râjendralâla Mitra, i5wrf<//iaV;at/f!, pi. XX, 2 et 3; XXI,
1. — H. H. Gole, Buddhisl sculptures of Gandhara, pi. I. —
JoRET. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 34
530 LES PUNTES CHEZ LES HINDOUS
manda. Une fleur de nélumbo est parfois même figarée
sous chacun de leurs pieds *. Dans une des niches du
temple de Bodh-Gajâ, on voit le Buddha enseignant,
assis sur une fleur double de nélumbo, une tige fleurie
de cette plante passée sous chaque bras. Dans une
autre niche, il apparaît encore tenant à la main une
fleur de padroa*. Dipankara, le 24* prédécesseur de
Gautama, est représenté sur des miniatures d'anciens
manuscrits, étudiées par M. A. Foucher, au milieu du
<( grand Océan », une fleur de lotus dans la main
gauche; sur une autre miniature, où il est accompagné
du bodhisattva Yajrapâni, celui-ci tient également à
la main un lotus , tandis que de Tautre côté de Dlpan-
kara se dresse une tige de nélumbo surmontée de trois
fleurs épanouies ^ Les statues des bodhisattvas des
grottes d'Ëlurâ ont aussi des nélumbos dans la main
gauche *. On voit au Musée de Calcutta une sculpture
qui représente le bodhisattva Avalokiteçvara une fleur
de lotus rouge à la main ; il en porte une aussi sur
diverses miniatures. Au lieu d*un nélumbo ou lotus
rouge, c'est un lotus bleu que tiennent, de la main
gauche, les bodhisattvas Maîijuçrî et Vajrapâni, tandis
qu'un autre bodhisattva, Maitreya, a, sur une statue
du Maghada, pour attribut une fleur blanche à cœur
d'or — campa — , passée sous le bras gauche. Une
Grûnwedel, Buddhistische Kunst, fig. 78, 85, 87, etc. — A.
Foucher, L'Iconographie bouddhique, pi. HI, 3, 4, 5, 6 ; VI,
4, 5, 6 et fig. 14.
1. Bas-reliefs de Sànchi et d'Amaràvatî. Fergusson, History
of Indian Architecture, p. 97 et 184.
2. Buddha-Gayà, pi. XX, 2; XXIII, 1 ; XXVI, 1 et XXXII, 1.
3. A. Foucher, L'Iconographie bouddhique, pi. Il, 2, 3 et 4.
4. Arvhaeological Survey of Weite^'n India, vol. V, pi. 19,
6 et 20.
LES PLANTES DANS LE CULTE 534
espèce de âeur d'or de forme lancéolée est aassi portée
de la même manière par le bedhisattva Samanta-
bhadra. Une statue du Musée de Calcutta, provenant
encore du Maghada, et qui représente Jambhala, nous
montre ce bodhisattva tenant dans le creux de la main
droite un citron — jambhara — , fruit dont il tire pro-
bablement son nom *.
Quelques déesses inférieures ont également reçu des
fleurs comme attributs. A Bodh-Gayâ, Padmapânî est
représentée ayant, ici une fleur de lotus dans chaque
main, là une tige fleurie à la main gauche. On y voit
aussi Mâyâdevî, tenant une tige terminée par une
fleur '. A côté d'une statue de Tara, au Musée de Cal-
cutta, se dresse un lotus bleu et, sur plusieurs minia-
tures, cette déesse en porte un à la main gauche, tandis
que la déesse Cundâ, dans une de ses seize mains, a
un lotus d'or. Kurukulâ, qui semble être le nom d'une
Tara à quatre mains, tient de l'une d'elles une fleur
d'açoka. C'est également cette dernière fleur que Mà-
rici, sur diverses miniatures, porte de la main gauche'.
Le culte des Dieux chez les Hindous — il en était
de même chez les autres peuples indo-européens —
1. A. Foucher, L Iconographie bouddhique, p. 103, fîg. i2
et 13; pi. IV, 1, 2, 3, 4, 5; pL V, 1,3; p. 112, fig. 14; p. 115,
fig. 15 et 17 ; p. 120 et 121, pi. II, 3 ; pi. VI, 2, 3, 4, 5; p. 123-
124, fig. 20 ; pi. III, 1 et IX, 2.
2. Râjendralâla Mitra, Buddha-Gayà, pi. XXIII, 1; XXVIII,
1 ; XXVÎ, 3 ; XXIX, 1 ; XXXII, 3.
3. A. Foucher, U Iconographie bouddhique, p. 131-36, fîg. 23,
pi. VII, 1, 2,3, 4, 5, 6; p. I'i2et 145, fig. 24 et 25: pi. VIII, 3,
4; p. 147, pi. VIII, 2,5.
532 LES PUNTES CHEZ LES HINDOUS
consistait essentiellement, à Torigine, dans l'oblation
— havis ou ishti — de mets, de breuvages enivrants
ou rafraîchissants. De l'eau, du lait et du beurre fondu,
des grains d'orge ou de froment — dhdnâ ou pari-
vâpa — , préalablement grillés, des gâteaux pétris
avec de l'eau — purodâça — ou préparés avec du
beurre — apûpa — , de la bouillie faite avec de la
farine d'orge — karambha — , ainsi que du riz au
lait — sthâlîpâka — , telles étaient les offrandes que
faisaient à leurs Dieux les contemporains des premiers
Védas*. Les produits du règne végétal, on le voit, y
occupaient une large part ; ils en occupèrent une plus
grande encore par la suite. Le Vishnu-Purâna compte
quatorze espèces de grains qui pouvaient servir d'of-
frandes. C'étaient, outre l'orge et le froment des
temps védiques, le millet, le riz cultivé et le riz sau-
vage, le sésame sauvage ou cultivé, le priyaûgu, le
çyâmâka et le markataka, la gavedhukâ et le venuyava,
enfin le mâsha et le kulatthaka *. Il faut y ajouter les
fruits et les racines, et, surtout, depuis l'établissement
du bouddhisme et du brahmanisme, les fleurs et les
parfums. Les offrir aux Dieux, n'était-ce pas leur
rendre hommage comme à des hôtes qu'on voulait
honorer ?
Çratadeva, dans le Bhâgavata-Purâna, en recevant
Krishna dans sa demeure, se concilie la bienveillance
du dieu avec une offrande de fruits, de racines d'uçîra,
1. BigVeda, lib. III. 35, 3 et X, 45, 9. — Vâjasaneya-Sam-
hilù, lib. XIX, 22. — W. Caland, AUindisches ZauberrituaL
Probe einer Uebersetzung der wichiigten Theile des Kauçika-
Sûtra. Amsterdam, 1900, in-4, p. 52.
2. Lib. I, cap. 6. La gavedhukâ est la Çoix barbaia, le
veffuyava, la graine de bambou.
LKS PLANTES DANS LE CULTE 538
de fleurs de tulasî, d'herbe kuça et de tiges de lotus;
« présents dus à la simple nature. » Dans le même
poème sacré, les fidèles offrent à Vishnu, tantôt des
gâteaux d'orge et de riz ou des grains de riz grillés,
tantôt des fruits avec des racines des bois, des guir-
landes ou des couronnes de fleurs, avec la plante tulasî,
du gazon sacré et même des feuilles d'arbre*. « Quand,
après m'être baigné dans la Gangâ, dit un poète^ et
t'avoir honoré, ô Çiva, avec des fleurs et des fruits
purs... secouerai-je la souffrance que me cause le ser-
vice des hommes. » Dans le Mahâbhârata, on voit
Virâta ordonner do rendre hommage aux Dieux avec
des offrandes de fleurs, et Sambarana honorer dévo-
tement le soleil avec des parfums et des bouquets de
fleurs ^
Les offrandes de fleurs et de parfums constituaient
presque tout le culte des bouddhistes. Rien que de
jeter des fleurs en Thonneur du Buddha était aux
yeux de ses sectateurs une œuvre pie *. On en parait
les vihâras où ils se rassemblaient; on en répandait
devant ses reliques et ses images ou celles des autres
Buddhas ou Bodhisattvas, en même temps qu'on y
allumait des lampes ^ Les jours de fêtes on sortait du
vihâra de Kanyâkubja la châsse où était renfermée la
dent du Buddha; on l'exposait sur un trône en public,
et la foule y brûlait de l'encens et répandait des fleurs
1. Ehàgavala-Puràna, lib. X, 86, 41; XI, 3, 53.
2. Bhartrihari, Les stances erotiques morales et religieuses,
trad. par P. Regnaud, III, 88.
3. Virâta-Parva, 2184. — Adi-Parva, 6529.
4. Lalita-Visiara, cap. 27, p. 373.
5. Fà-Hien, A Record of Buddhisiic Kingdoms, etc., trans-
lated by James Legge. Oxford, 1886, in-8, p. 45 et 83. — Hiuen-
Tsiang, Buddhist Records^ vol. II, p. 174 et 184.
53i LES PUNTES CHEZ LES HINDOUS
devant elle ^ On honorait de même les bodbidrumas
et les stupas. Les bas-reliefs nous font assister au
culte dont ces monuments étaient Tobjet et auquel des
animaux eux-mêmes prenaient part. Les pèlerins chi-
nois Fâ-Hien et Hiuen-Tsiang racontent la légende des
éléphants, qui apportèrent, les uns des branchages, les
autres des fleurs, pour rendre hommage au stûpa de
Râmagràma, tandis que d*autres, avec leur trompe, en
arrosaient le pourtour -.
Avec le temps, les offrandes de fleurs et de parfums
prirent dans le culte hindou une place toujours plus
grande ; on en faisait à tous les Dieux. D'après Hiuen-
Tsiang, les femmes du Moultan allumaient des torches
dans un temple du Soleil, qui se trouvait près Mùla-
sthânapoura, capitale de la contrée, et elles y offraient
en rhonneur du Dieu des fleurs et des parfums ^. La
reine, dans Urvaçî*, salue, avec une offrande de fleurs,
les rayons de la lune, et dans Çakuntalâ^ l'une des
jardinières du palais, offre à Kàma un rameau de
fleurs de manguier. « Honore le Dieu d'Amour, dit un
personnage de Ratnâvali®, en parant de tes propres
mains cet arbre de fleurs, de safran, de santal et de
parfums». On n'offrait pas seulement des fleurs aux
Dieux, on en ornait les victimes et on en répandait avec
des eaux de senteur sur le sol ; on parait aussi de
festons et de guirlandes les piliers et les portiques des
édifices sacrés, tandis qu'on brûlait dans l'enceinte de
1. Hiuen-Tsiang, Buddhisi Records, voL I, p. 122.
2. A Record, p. 69. — Buddhist Records, vol. II, p. 28.
3. Buddhist Records, voL If, p. 274.
4. Acte m. Trad. L. Fritze, p. 44.
5. Acte VI, scène 2. Trad. L. Fritze, p. 80.
6. Acte I. Trad. L. Fritze, p. 21.
LES PLANTES DANS LE CULTE 535
l'encens et des parfums*. Cet usage a persisté. Les
fleurs de kadamba, dd rhododendron arborescent, de la
Bignonia chelonoïdes, du Clerodendron siphonantheSy
du daphné papyracé, etc., en particulier, sont encore
aujourd'hui, et sans doute depuis longtemps, offertes
dans les temples hindous. On plante aussi dans leur
voisinage des arbres à (leurs éclatantes ou parfumées,
tels que le campaka, Taçoka, l'olivier odorant ', etc.
Les plantes et les fleurs ne figuraient pas unique-
ment dans les oblations qu'on faisait aux Dieux ; elles
avaient leur place marquée dans les cérémonies ou
rites, qui accompagnaient les principaux actes de la
vie privée et publique de l'hindou * et devaient assurer
son bonheur et son bien-être pendant son existence
et après sa mort : collation du nom, première coupe
des cheveux ou de la barbe, entrée à l'école, mariage,
construction d'une maison, funérailles, etc. Ces rites
commençaient dès avant sa naissance. Ainsi le qua-
trième ou sixième mois de la grossesse, à l'époque du
croissant de la lune, après avoir fait une ofirande d'un
plat de riz, cuit avec des haricots mungo, le père se
plaçait derrière la jeune épouse, assise à l'Ouest du
foyer et la face tournée vers l'Orient, sur une poignée
de darbha ou de kuça ; puis successivement avec un
chaume de darbha, une tige de vîratara ou uçîra et un
piquant de porc-épic, il lui faisait une raie dans les
cheveux ; après quoi il lui attachait autour du cou un
1. Ràmàyana. Âdikâcida, lib. XIII, 33. — Mudrârâkshasa,
acte II, scène 3, p. 58.
2. Brandis, Flora, p. 167, 262, 281, 309, 352, 386, etc. —
J. D. Hooker, Himalayan JournalSy vol. I, p. 387.
3. A. Hillebrandt, Hitual-LiUeratur, p. ^. {Grundriss dcr
indo-arischen Philologie, vol. III, fasc. 2).
"
536 LES PUNTES CHEZ LES HINDOUS
collier de fruits d*nduinbara non mûrs et en nombre
impairs ^ Dès que l'enfant paraissait, le père répan-
dait des tiges de darbha autour du foyer et y faisait
deux oblations de beurre clarifié — àjya — ; puis avant
que personne le touchât, il lui faisait prendre, à Taide
d'une cuillère d'or, à laquelle était fixée une tige de
dharba, — ou simplement à Taide du pouce et du
quatrième doigt — , un peu de farine de riz et d'orge,
ou, suivant d'autres, un mélange de miel et de beurre,
cérémonie symbolique — medhâjanana — , destinée
à ouvrir l'intelligence du nouveau-né. En même
temps, il lui donnait an nom secret, connu de lui seul
et de la mère, et, dix jours après, le nom qu'il devait
porter en public^.
Cette dernière cérémonie est sans importance au
point de vue qui nous occupe ; des libations, accom-
pagnées d'une invocation aux Dieux, marquaient sim-
plement aussi celle dans laquelle, le sixième mois, le
père donnait pour la première fois des aliments solides
à l'enfant'. La cérémonie de la première coupe de
cheveux — cûdâkarman — , qui avait lieu la troi-
sième année, revêtait, au contraire, un caractère so-
1. Grihya-Sûtras. Cànkhâyana, I, 22. Âçvalàyana, I, 14.
Pâraskara, I, 15. Gobhila, II, 7. Hiraoyakeçin, II, 1. Âpastamba,
VI, 14. (Sacred Booksofthe East, vol. XXIX et XXX). Le mois
varie suivant les auteurs, ainsi que les détails de la cérémonie.
Gobhila, entre autres, ne connaît pas le collier de fruits
d'udumbara ; il ne parle pas non plus d*oblation préliminaire,
mais d'un plat de riz — KthâUpAka — , cuit avec des grains de
sésame, recouverts de beurre fondu, emblème de fécondité,
sur lequel, après la cérémonie, Tépouse devait jeter les yeux.
2. C'ànkhàyana, I, 24, 3-4. Pâraskara, I, 16, 4. Khàdira, II,
2, 32-33. Hiranyakecin, II, 1, 3, 9. Âpastamba, VI, 15, 4.
Gobhila, II, 7, 14 et 18-19.
3. Çàftkhàyana, I, 27. Âçvalàyana, I, 16. Pâraskara,!, 19, etc.
I
LES PLANTES DANS LE CULTE 537
i
lennel et les plantes y jouaient un rôle considérable *.
Avant d'y procéder, on plaçait d'abord au Sud d'un
feu allumé à l'Est de la maison, sur un emplacement
enduit de bouse de vache, vingt et une tiges de kuça,
un vase en airain rempli d'eau chaude, un rasoir en
bois d'udumbara et un miroir; puis, au Nord, de la
bouse de la vache, recouverte de tiges de kuça*, un
plat de riz bouilli et des vases respectivement pleins
de riz et d'orge, de sésame et de haricots. Ensuite la
mère, après être allée s'asseoir sur un coussin d'herbe
kuça, à rOuest du feu et la face tournée vers l'Est,
prenait l'enfant sur ses genoux. Le père se plaçait
alors à l'Occident de la mère, et après une invocation
à Savitri et à Vàyu, avec de l'eau tiède et du beurre
frais ou du lait caillé, il frottait par trois fois la tête
de l'enfant, en allant de gauche à droite, puis réunis-
sant en touffe les cheveux du côté droit, il y intro-
duisait trois tiges de kuça, la pointe tournée vers la
peau, en disant : « 0 herbe, protège-le; » il prenait
ensuite le rasoir en bois d'udumbara et l'approchait
des cheveux, en prononçant les mots : « Hache, ne le
blesse pas ^ » Il procédait de la même manière pour
le derrière et le côté gauche delà tête. Après ce simu-
lacre, le barbier, avec un rasoir de métal, procédait à
la véritable opération, en déposant chaque fois les che-
veux coupés sur la bouse de vache, qu'on enterrait,
1. Çânkhàyana, I, 28. Âçvalâyana, I, 17. Gobhila, II, 9, etc.
Il est inutile de relever les dilTérences qui se rencontrent dans
les divers sûtras. Cf. Kirste, Indogermaniche Gebràuche beim
Ilaarschneiden. Analecta Graeciensia. Wien, 1893, in-i.
2. Açvalâyana dit de feuilles de çamî — Prosopis spicigera.
3. Gobhila seul parle du rasoir en bois d'udumbara et de
ce simulacre de coupe. Cf. A. Hillebrandt, Rilual-LiUeratur,
p. 49.
538 LES PLANTES CHEZ LES HINDOLS
quand tout était fini, dans un endroit herbeux et près
d'un cours d*eau. La cérémonie de la première coupe
de barbe à seize ans — keçdnta — se passait de la
même manière.
Quelque importantes qu'elles fussent, Fadmission à
l'école et l'initiation — upanâyana — à l'étude du
Véda ne doivent guère nous arrêter, parce que les
plantes y jouent an rôle tout à fait secondaire '. C'était
à huit, onze ou douze ans, suivant la caste à laquelle
il appartenait, que, la tète rasée, le futur étudiant
était conduit chez le maitre qui devait Tinstruire.
Celui-ci, qui l'attendait, assis sur un siège de kuça, à
l'Ouest du feu allumé pour l'occasion, faisait d'abord
une oblation d'àjya, puis il remettait au novice un
costume neuf et le ceignait d'un triple cordon de
munja. Le disciple prenait alors un léger repas ;
ensuite le maitre lui énumérait les devoirs qu'il aurait
à remplir. Quand il avait fini, il donnait à son élève
le bâton propre à sa condition. Celui-ci inaugurait sa
nouvelle existence en mettant au feu, qu'il était
désormais chargé d'entretenir, sept bûches de palàça.
Son noviciat était commencé ; il pouvait durer douze ans
et davantage ^ Quand ses études étaient terminées,
après avoir pris un bain, s'être oint, avoir mis une
dernière bûche au feu et posé une couronne sur sa
tête, le disciple disait adieu à son maître, et prenant,
dès que les étoiles avaient paru, un bâton de bambou à
la main, il regagnait la maison paternelle ^.
1. (.'ànkhàyana, II, 1-12. Gobhlla, II, 10. Hiraciyakeçin, I,
1. A. Hillebrandt, Ritual-Lilleratur, p. 51-55.
2. A. Hillebrandt, HUual-Litleratur, p. 51.
3. Cànkhàyana, III, 1. Pàraskara, II, 6. Gobhila, III, 4.
Hiraçyakeçin, I, 3, 9-10. Àpastamba, V, 12.
LES PLANTES DANS LE CULTE 53d
Désormais il pouvait prétendre aux honneurs aux-
quels un homme de sa caste avait droit ; ceux de
Vargha — réception hospitalière — , en particulier lui
étaient rendus par Thôte chez lequel il s'arrêtait au
retour. A. son arrivée il recevait une botte de gazon,
sur laquelle il s'asseyait, pendant qu'on lui lavait les
pieds ; puis Teau d'honneur — arghya — , dont il buvait
quelques gorgées ; ensuite on lui offrait, dans un vase
d'airain, posé sur deux touffes d'herbe, le madhuparka,
mélange de lait caillé, de miel et de beurre clarifié, aux-
quels on ajoutait parfois aussi de l'eau et de la farine *.
11 le déposait sur le sol, « nombril de la terre »,
remuait le tout trois fois et le mangeait. Même dans
cet acte si simple, les plantes, on le voit, intervenaient
par leurs produits ; elles jouaient un rôle bien autre-
ment important dans les rites si divers du mariage-.
Quand la demande du prétendant, faite par ses amis,
était agréée, les assistants, en signe d'accord, posaient
la main sur un vase rempli de fruits, de fleurs et de
grains d'orge frits ; puis l'un d'eux le plaçait sur la
tête de la future. Le jour fixé pour la cérémonie, on
allumait un feu près duquel on posait une cruche
d'eau, une corbeille remplie de grains frits et de feuilles
de çamî, ainsi qu'une pierre meulière. C'est là qu'après
s'être baignée et ointe de parfums, la fiancée, revêtue
d'une robe neuve attendait son fiancé. Celui-ci arrivait,
couvert de ses plus beaux habits, et prenait place à
côté d'elle sur une natte de jonc. Alors tenant de la
main gauche des tiges de kuça, il faisait de la droite
1. Hirapyakeçin, I, 4, 12 et 13. Âpastamba, V, 13.
2. Zimmer, AUindisches Leben, p. 311. — M. Winternitz,
Das altindische Hochzeitsrilual. (Denkschrifien der kôn. Aca-
démie der Wissenschaften zu Berlin, vol. XL, 1892.)
t
540 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
avec le sruva et en invoquant les dieux, trois offrandes
à'Ajya ; pendant ce temps, la fiancée tenait la main
droite sur son épaule gauche. Puis tous deux se levaient,
et il la conduisait, en allant de droite à gauche, trois
fois autour du feu*, et chaque fois il lui faisait poser
le bout du pied sur la pierre. Après cela le frère de la
fiancée ou, suivant d'autres, le fiancé lui-même, plaçait
dans ses mains des grains frits, arrosés d'âjya; elle
les répandait sur le feu en disant : « Puissé-je apporter
bénédiction aux miens ! puisse mon mari vivre long-
temps ! » Alors il lui faisait faire sept pas dans la
direction du Nord-Est; puis, d'après Gobhila, on les
aspergeait d'eau tous les deux. Enfin la prenant par la
main droite, le fiancé prononçait ces paroles sacra-
mentelles : « Je prends ta main, gage de bonheur.
C'est moi, c'est toi. Je suis le Ciel, tu es la Terre.
Sois-moi dévouée ^ »
Maintenant commençaient les diverses réjouissan-
ces : concerts d'instruments, chants et danse, accom-
pagnement ordinaire de la fête ; quand elles étaient
terminées, la jeune épouse, montait, avec son mari, sur
le char nuptial, qui, primitivement en bois de çalmali
et orné de fleurs de kimçuka'*, devait la conduire à sa
nouvelle demeure*. A peine arrivés, leur premier soin
était d'allumer le foyer avec le feu apporté de la mai-
son paternelle ; puis après avoir fait asseoir sa jeune
1. Dans le Mahâbhàrata, c'est l'archibrame qui conduit
Krishna et Yudhishthira auteur du feu sacré. AdiParva, 7340.
2. Çâfikhâyana, I, 12-l'i. Âçvalàyana, I, 7, 3-19. Pâraskara.
I, 4-8. Gobhila, H, 1, 18 : 2, tt*. Khâdira, I, 3, 6-26. Hirapya-
keçin, I, 6, 19-22. Âpastamba, II, 4, 1-16.
3. Bâmàyafja. Adikâçida, LXXV, 28.
4. BigVeda, lib. X, 85, 7-8 et 10. —Gobhila, II, 4, 1.
: LES PLANTES DANS LE CULTE , 541
I
femme sur une peau de taureau, le mari sacrifiait aux
dieux. Cependant la nuit était venue ; il sortait alors
avec elle et lui faisait voir Tétoile polaire ; quand ils
étaient rentrés, elle préparait, avec leur premier repas,
une bouillie de riz qu'elle offrait à Agni *.
Lorsque, n'ayant pas de maison à lui, Thindou vou-
lait en édifier une, les plantes intervenaient encore
dans ce nouvel acte de sa vie. Il choisissait pour
l'élever un terrain incliné vers l'Est, à Tabri des
inondations et sur lequel croissaient du kuça et du
vîrina ou une autre espèce d'herbe tendre, mais point
de plantes épineuses ou à suc laiteux * ; puis après en
avoir délimité l'emplacement, il l'aspergeait avec un
rameau de çamî ou d'udumbara trempé dans l'eau, en
en faisant trois fois le tour. Il creusait ensuite les
trous destinés à recevoir les piliers de la maison, et
y jetait des touffes d'avakâ ou çîpâla, plante aquatique
qui devait empêcher qu'un incendie ne détruisît la
nouvelle construction. Il étendait en outre dans la fosse
du pilier central des chaumes de kuca, les pointes
tournées vers l'Est et vers le Nord, et versait dessus
de l'eau avec des grains de riz et d'orge. Puis il dres-
sait les divers piliers et plaçait dessus la poutre-maî-
tresse du toit avec des paroles de bon augure ^ Il
disposait le foyer ensuite à l'angle Nord-Est de la mai-
son et creusait au Sud une fosse, destinée à recevoir
le baril à eau, et dans laquelle il répandait des tiges
1. Çànkhàyana, 1, 15-17. Hiranyakeçin, I, 7, 22-23.
2. D'après Gobhila, IV, 7, 22, il ne devait point y avoir non
plus d'açvattha à l'Est de la maison, de plaksha du côté du
Sud, de nyagrodha au couchant ou d'udumbara au Nord.
3. Gobhila, IV, 7, 1-20. — Hiranyakeçin, I, 8, 27. — Àpas-
tamba, 7, 17, 1>6. — Àçvalàyana, H, 7-8.
542 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
de kuça, puis des grains d'orge et de riz. Enfin, le
soir venu, il allumait le nouveau foyer avec du feu
apporté d'un foyer étranger, où brûlait du bois de
palâça ou de çamî, et il y faisait une offrande expia-
toire \
Tous les actes de la vie de Thindou, même les plus
ordinaires, étaient ainsi marqués par quelque pratique
religieuse, et à chacune d'elles étaient associées les
plantes ou leurs produits. Chaque jour, matin et soir,
il offrait à Agni et à Prajâpati une poignée de grains
d'orge et de riz*, et répandait sur le foyer domestique
une oblation de lait — Vagnihotra — , mêlé parfois de
grains frits d'orge ou de riz. Il prélevait à chaque
repas les prémices dés mets, qu'il déposait en divers
lieux de son habitation, en l'honneur des divinités de
la terre, de l'air et des eaux. Les travaux agricoles, en
particulier, qui occupaient une si grande place dans la
vie des anciens Hindous, étaient accompagnés de rites
pieux. Ainsi avant de labourer, le père de famille, à
l'extrémité orientale du champ, offrait, en les invo-
quant, un bali — oblation de mets — au Ciel et à la
Terre ^ Quand les bœufs étaient attelés, il fixait le soc
à la charrue en prononçant des paroles de bon augure* ;
après quoi, il ouvrait le premier sillon. Et à chaque
sillon tracé, il offrait à Indra un puroâdça et un sthâ-
1. Pàraskara, ÏII, 5, 2. — Âpastamba, VU, 17, 7-13.
2. Hiranyakeçin, I, 6, 23, 8.
3. Çâxlkhàyana, IV, 13, 2. Suivant Pàraskara, II, 13, 1-2, il
faisait aussi alors à Indra, à Parjanya, aux Açvins, aux Maruts,
à Sîtà, etc., une offrande de lait caillé, de grains de riz et de
parfums.
4. D'après le Çalapatha-Brâhmana, VII, 2, 3-5, la charrue
devait être en bois d'udumbara et on y fixait le soc à l'aide d'un
triple cordon en muîlja.
LES PLANTES DANS LE CULTE 543
lîpâka aux Açvins. On sacrifiait à ces mêmes divinités,
ainsi qu'aux Maruts, àSîtâ, à Parjanya, etc., au moment
des semailles, delà moisson et de Tengrangement delà
récolte*. Quand elle était terminée, on en offrait les
prémices — âgrayana — à Indra et à Agni, en leur
faisant une oblation de grains de riz bouilli avec du
lait et de quatre âjya ^. Chaque jour aussi, à la sortie
et à la rentrée des vaches à Tétable, on faisait Ime
offrande d'une bouillie de riz au lait à Agni, à Pushan,
à Indra et à Içvara, parfois encore à Yama et à Varuna,
et on aspergeait le taureau et les vaches avec une touffe
de dûrvâ, trempée dans de Teau parfumée. Pen-
dant l'offrande à Agni, on les plaçait également autour
du feu, afin qu'elles respirassent la fumée salutaire du
sacrifice^. En honneur des divinités connues et incon-
nues des champs, on déposait aussi, en différents
endroits, des feuilles de palâça, sur lesquelles on avait
mis un peu de bouillie de riz. Pour se défendre contre
les maléfices de Rudra et de sa troupe, on façonnait
également avec des feuilles une petite corbeille, dans
laquelle on plaçait entre deux couches de beurre fondu
une boulette de riz cuit ; et on allait au delà de la
limite du pâturage, la suspendre à un arbre, en disant :
« Porteurs de carquois, touchez-le ! Salut aux por-
teurs de carquois. i> Et le sacrifiant ajoutait : « Ado-
ration au porteur de carquois ! Adoration au maître
des voleurs. » On avait coutume encore pour se conci-
1. Kaucika-Sûtra, X, 1-14. — Pâraskara, II, 13. — Gobhila,
IV, 4, 30.'
2. Çànkhàyana, III, 8, 1. — Acvalâyana, II, 2, 4. — Pâras-
kara, III, 1, 3-6. — Gobhila, III, 8, 9-10.
3. Gobhila, IIK 6, 9-15. - Hiranyakeçin, II, 3, 8, 6-10 et 9,
7. — Apastamba, Vil, 20, a remplacé Içvara par Isàna.
5i4 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
lierKshetrapati, le « Seigneur des champs », démettre
de la bouillie de riz sur quatre ou sept feuilles, que
Ton plaçait au milieu du sentier suivi d'ordinaire par
les vaches*.
Les plantes ne figuraient pas seulement dans les
rites de la vie privée des Hindous, elles occupaient
une place encore plus considérable dans les actes de
leur vie publique, en particulier dans les sacrifices du
feu et du soma, condition ou accompagnement de
presque tous les autres. Apportés du ciel sur la terre
pour le bien-être et la consolation des hommes, élevés
au rang de divinités, le feu et le soma devinrent chez
les Hindous, comme chez les Iraniens, l'objet d'une
vénération particulière, sans arriver toutefois à revêtir
une existence personnelle indépendante, qui les sépa-
rât nettement, comme cela a eu lieu chez les Grecs
et les Romains pour Hephaistos-Vulcain ou pour
Dionysos-Bacchus, de leur nature primitive '. Ils
subsistèrent toujours sous leur forme primordiale, et
le premier acte des sacrifices où ils figuraient était de
les faire sortir du bois ou de la plante qui les recelait.
Auxiliaire indispensable de toutes les cérémonies
religieuses, Vagnyâdhàna, qui consistait à allumer le
feu, les précédait toutes et en était comme le prélude.
On pouvait emprunter le feu à un foyer étranger'i mais
dans les circonstances solennelles, on Tallumait en
frottant deux morceaux de bois — arani — l'un contre
1. Hiranyakecin, II, 3, 9, 2-6 et 8. — - Apastamba, VU, 20,
5-7 et 13.
2. S. Lefmann, Geschichte des allen Indiens, p. 78.
3. Çânkhâyana, I, 1, 8-9. - Gobhila, I. 1, 15-16. — Alfred
Hillebrandt, Vedische Mythologie, vol. II, Ushas,Agn%, Rudrn.
Breslau, 1899, in-8, p. 76. — Id., liitual-Litteratur, p, 69.
LES PLANTES DANS LE CULTE 545
Tautre \ L'un de ces morceaux, Tinférieur, était une
planche cubique taillée dans une branche qu'on avait
coupée, « sans se retourner », sur un açvattha ; autant
que possible, celui-ci devait avoir poussé sur le tronc
d'une çami* ; Tautre morceau était un bâton, qu'on
faisait tourner avec les mains, en appuyant l'extrémité
dans une entaille pratiquée dans la planche'. Ce pro-
cédé primitif, le seul que parait avoir connu l'âge
védique, et qu'on employait parfois encore à l'époque
des Brâhmanas ^, fut dans la suite remplacé par un
appareil construit sur le même principe, mais plus
compliqué. Il se composait d'une planche quadrangu-
laire en açvattha, — Taraiii proprement dit — et de
l'agitateur — pramantha — , bâton également en
açvattha, aminci à Tune des extrémités, carré à l'autre,
dans laquelle s'engageait un fuseau en khadira, garni
de fer aux deux bouts et pourvu d'une rainure trans-
versale, afin que la corde qui devait le mettre en mou-
vement ne glissât pas ^ Pour se servir de cet appareil,
on enfonçait la pointe inférieure du pramantha dans
un trou pratiqué au milieu de l'arani, tandis qu'on
maintenait fixe la partie supérieure au moyen d'une
pièce de bois carrée, Vovili\ puis après avoir placé
1. Vishnu-Purânay lib. IV, cap. 6.
2. Taitliriya Brâhmana, lib. I, 1, 9, 1.
3. Rig-Veda, lib. III, 29, 1-2 et 5-7; VII, 1, 1.
4. Çataphtha Bràhmntjn, lib. III, 4, 20-23.
5. R. Roth, Indischer Feuerzeug, {Zeiischrift der deutschen
morgenlàndischen Gesellschaft, vol. XLIII (1889), p. 590 et
Buiv.). Il y avait deux planches en açvattha ; je laisse de côté
la seconde pour ne pas compliquer la description. Aujourd'hui
encore certaines tribus hindoues contemporaines se servent
pour allumer le feu sacré de bois de santal ou de palâça, et,
pour le produire, d'un araçii en çamî. W. Crooke, The Tribes
and Castes ofthe North- Western Provinces ^ vol. I, p. 31.
JORET. — Les Plantes dans Vantiquité. II. — 35
546 LE^ PLANTES CUFJL \S.< HlxnOI'S
sur TaraDÎ deux brins de kura et de la bouse de vache
séchée. on faisait tourner le fuseau à l'aide de la corde.
Des étincelles ne tardaient pas à se dégager de Tarant;
elles mettaient le feu à la bouse de vache. Quand
cette substance était suffisamment embrasée, on s'en
servait, en j mettant des broutilles — oshadi — ou
des copeaux — bi/ma — , pour allumer le feu du fojer
domestique — rjârhapatya — , feu, qui devait brûler
sans interruption dans toute maison hindoue, et était
entretenu avec des bûches d'essences déterminées :
açvattha, udumbara, paiiia, çami, vikaûkata, ou encore
d'un arbre frappé par la foudre, tué par le froid ou
brisé par le vent*. C'était avec ce feu qu'on cuisait les
aliments ; c'était sur lui aussi que le père de famille
accomplissait tous les rites domestiques, qu'il versait,
dans les cérémonies dont j'ai parlé, l'offrande de
l'âjya et que, matin et soir, il faisait, en l'honneur
d'Agni, l'oblation de l'agnihotra.
Mais si le feu du fovcr domestique suffisait seul
pour les rites de la vie privée et à un simple père de
famille, les brahmanes, les chefs de districts, etc.,
étaient tenus d'en entretenir plusieurs, et trois feux
au moins étaient nécessaires p(»ur la célébration des
fêtes et des sacrifices publics. Ces feux disposés autour
de la vedi, espèce de fosse quadrangulaire creusée
dans la direction du Nord au Sud et recouverte de
g^on sacré, étaient le gàrhapatya de forme circulaire,
placé à rOuest, Yahavanhja de forme carrée du côté
de l'Est, entin au Sud l'autel demi-circulaire du dak-
shinâfjiii^. On allumait d'abord le gàrhapatya, puis avec
1. Âpastamba, V, 2, 4. — Taitliriya-Brâhmana, I, 1, 3, 9.
2. L. von Scliroeder, Indiens Literatur und CuUur, p. 97.
LES PLANTES DANS LE CULTE 547
une bûche d'açvattha, enflammée à celui-ci, l'àhavanîya,
en dernier lieu le dakshinâgni. Chacun de ces feux
avait d'ailleurs son emploi et sa signification particu-
lière. Le gârhapatya était le feu de la terre; Tâha-
vanîya, considéré comme Temblème du soleil, était le
feu du ciel et de ses divinités ; le dakshinâgni était
consacré à Tair et en particulier à Vâyu ; c'était sur lui
qu'étaient faites les offrandes aux Mânes*.
Parmi les sacrifices qui exigeaient l'emploi des trois
feux sacrés figuraient au premier rang ceux qu'on
célébrait à l'époque de la nouvelle et de la pleine lune.
D'ordinaire ils duraient deux jours et peuvent être
regardés corhme le modèle ou le type des ishtis ou
offrandes solennelles faites par les anciens Hindous.
Le premier jour, qui était un jour de jeûne, était rem-
pli par les rites préliminaires du sacrifice. Après avoir
balayé avec des chaumes de dharba ou kuça l'empla-
cement — vihâra — o\x il devait se faire, l'adhvariyu
l'enduisait de bouse de vache et y traçait trois lignes
avec une espèce de latte en bois — le sphya — ; puis
à l'aide d'une bûche empruntée au gârhapatya, il
allumait successivement les feux de l'âhavanîya et du
dakshinâgni. Ensuite il coupait une branche de çami ou
de palàça, qui devait servir à écarter les veaux, au
moment de la traite des vaches. Celle-ci avait lieu le
soir et était suivie de l'agnihotra, oMation de lait
qu'on répétait le lendemain matin, jour du véritable
sacrifice *.
Avant d'y procéder, on disposait d'abord autour du
1. A. Hillebrandt, Vedische Mythologie, vol. II, p. 90-91.
2. A. Hillebrandt, Das allindische Neu- und Vollmondsopfer
in seincr einfachsten Forni. lena, 1880, in-8, p. 1-15, 16-38.
5;8 LKS PL\?iTKS CHEZ LES lIlNflOlS
Tihâra les sièges destinés aux prêtres ou officiants et
on les recouvrait de kuça ; puis radhvarra répandait
une couche de ce gazon — le barhis — autour des trois
feux, en commençant par râhavaniya, et en donnant
aux pointes des herbes une direction déterminée ; il
rangeait ensuite les vases et les objets nécessaires au
sacrifice au Nord du gârhapatya ou de Tâhavanija.
Diverses oblations avaient alors lieu ; elles étaient
suivies parle décorticage des grains sacrés, qui étaient
ensuite écrasés entre deux pierres, tandis qu*un des
officiants, Tagnidhra, chauffait à Taide de charbons
ardents les tablettes en pierre — kapâlas — , sur les-
quelles devaient cuire les gâteaux. Après cela, un
autre officiant, le yajamiina, façonnait avec une poi-
gnée de kura le vpda^ ou balai sacré, pendant que
IJadhvariyu versait dans un plat la farine des grains
écrasés. Alors Tagnidhra, tenant à la main deux tiges
de kuça, — les purificateurs — répandait dessus l'eau
chaude nécessaire pour pétrir la pâte ; Tadhvariyu en
faisait deux boules qu'il étalait sur les kapâlas, dont il
avait auparavant enlevé les charbons ardents.
A ce moment, suivant certains sùtras, avait lieu
rétablissement de la vedi ; quand la surface en avait
été mesurée, creusée et balayée, on y étalait, la pointe
tournée vers le Nord, des tiges de kuça ou, à son défaut,
d'une autre herbe tendre, mais non fragile*. Après
avoir nettoyé les cuillères du sacrifice, purifié le
beurre au moyen du pavitra, aspergé les bûches à
brûler et la jonchée de la vedi, l'adhvaryu y déposait
les diverses oblations. Ensuite il plaçait auprès un
siège en bois de varaiia, recouvert de kuça, pour le
1. A. Hillebrandt, Das Neu- und Vollmondsopfer, p. 44-60.
LES PLANTES DANS LE CULTE 5i9
hotar ou sacrificateur. Alors se faisaient d'abord les
oblations de beurre fotidu, puis les offrandes de gâteaux
au milieu de prières et de rites divers*, mais où les
plantes n'intervenaient pas. Quand ces rites étaient
terminés, Tadhvariyu remettait le veda à l'épouse du
sacrifiant, et lui-même, après avoir rassemblé le barhis
dans la, juhû ou grande cuillère du sacrifice, il le jetait
au feu. Enfin quand il avait répandu les eaux lustrales
— pranttas — sur la vedi, le sacrifiant y faisait les
trois pas de Vishnu *, rite qui terminait cette céré-
monie compliquée.
On faisait aussi au commencement des trois saisons
principales des sacrifices; ainsi le jour de la pleine
lune du mois de çràvana, le premier de la saison des
pluies, on offrait aux serpents, dans une coupe ou ca-
masa en bois, un bali de farine provenant de grains
préalablement grillés, décortiqués et moulus, et le soir
on offrait à Vishnu, Agni, Pràjapati et aux Viçve-
Devàs une bouillie de riz au laif*. Les plantes, on le
voit, n'avaient ici d'autre rôle que de fournir la matière
des offrandes. Elles en jouaient un grand, au contraire,
dans le rite du sacre des rois, de toutes la cérémonie la
plus solennelle de la liturgie hindoue. Elle ne durait
pas moins d'une année entière, pendant laquelle était
offert chaque mois, en l'honneur du nouveau souve-
rain, le sacrifice do la nouvelle et de la pleine lune et
étaient multipliés les havis et les offrandes les plus
diverses*. Il y eu avait pour lui concilier la bienveil-
t. A. Hillebrandt, Das Neu- und VoUmondsopfer, p. 73-161.
2. A. Hillebrandt, Das Neu- und Vollmond^opfer, p. 169-175.
3. Gobhila, Grihya-Sûtra, III, 7.
4. A.Weber, UeberdieKônigsweiheyden ni\jasûya.(Abhand-
lungenderkôn. Akademie der Wissenschaften zu ^er/<Vi, an. 1893).
/
550 LES PLANTES CHEZ LES IIINDOLS
lance des cinq divinités tutélaires du monde, d'autres
pour lui gagner la faveur d'Agni, de Varuna, de Rudra
et d*Indra; d'autres encore étaient faites en Thonnear
d*Agni ou dlndra et de Vishnu, d*Agni et de Pùshan,
d'Indra et de Sonia, etc. Toutes ces offrandes n'étaient
encore que les rites préparatoires (Je la cérémonie du
sacre proprement dit*. Des havis faits dans la maison
de chaque courtisan l'inauguraient véritablement. Puis
venait une double cérémonie expiatoire, comprenant
un carti ' offert à Soma et Rudra, un autre à Mitra et
Brihaspati. Elle était suivie d'une première lustration
et de l'onction du roi. De nouvelles oblations avaient
alors lieu ; puis l'officiant coupait solennellement les
cheveux du monarque et offrait pour lui le sacrifice du
soma et trois victimes animales'. Après cette cérémo-
nie, il l'aspergeait de nouveau d'eau lustrale; ensuite
on apportait le trône en bois d'udumbara*, sur lequel
il devait s'asseoir, une peau de tigre pour le recouvrir,
des cordons en munja pour en fixer les pieds, une
cuillère également en bois d'udumbara, remplie de lait
caillé, de miel, de beurre clarifié et d'eau de pluie,
recueillie pendant que le soleil luisait, puis de jeunes
pousses de gazon, de la liqueur — soma — et des tiges
de dûrvâ, enfin un rameau d'udumbara, emblème de
force et de vie. Après avoir adressé une prière aux
dieux, le roi montait sur le trône, puis invoquait les
1. A. Weber, Ueher den fiâjasûi/a, p. 19.
2. Oblation de grains bouillis dans du lait.
3. A. Weber, Ueber den Bàjasûya, p. 33 et suiv.
4. Das Sàmnvidhânabrûhmat^a, Ein allindisches Handbuch
der Znuherei, libers, von Sten Konow. Halle, 1893, in-8, V, 1,
p. 73. D'après A. Weber, p. 62, le trône aurait été en bois
de khadira.
LES PLANTRS DANS LE CULTE 551
Eaux ; Tofficiant, plaçant alors sur sa tête le rameau
d'udumbara, y versait le contenu de la cuillère sacrée,
en prononçant les paroles sacramentelles. Le roi buvait
ensuite un peu de soraa, puis il descendait du trône
en faisant face au rameau d'udumbara qu'on avait posé
sur le sol ; après avoir adoré Brahmâ, il mettait un
bâton au feu âhavanîya,et faisait successivement trois
pas dans la direction de TOrient et de l'Occident,
symbole de la possession qu'il prenait de ces contrées *.
Les prescriptions liturgiques que je viens de résumer
assignent déjà aux plantes un rôle considérable dans
les rites du sacre; les descriptions du Bhàgavata-
Purana et du Raghuvamça leur attribuent une place
encore plus importante dans cette auguste cérémonie.
Le Bhîigavata, par exemple -, nous montre les
Vrishnis de la race do Krishna entrant dans la salle
• • • •
de la consécration parés de fraîches guirlandes de
lotus, les membres oints de parfums et les mains
chargées d'offrandes ; puis, tandis que les instruments
do musique retentissent, que les Gandharvas font
entendre leurs chants, les prêtres oignent Vasudeva
aux yeux et sur tous les membres, puis versent sur
lui et sur ses épouses l'eau lustrale. De môme, dans
le Raghuvariiça ^ quand Atithi va être mis sur le
trône, les conseillers de l'empire, au son des instru-
ments de musique, versent l'onde apportée des étangs
sacrés, sur la tête du héros ; puis lorsque les vieillards
ont célébré la cérémonie de la ntrdjanâ avec Técorce
du figuier sacré, des épis d'orge et des feuilles de
1. Aitareya-Brâhmana^ lib. VII, 2, 9.
2. Lib. X, cap. 84, 44.
3. Lib. XVII, 10-12 et 22-24.
552 LES PUNIES CHEZ LES HINDOUS
dûrvà, des serviteurs habiles tressent dans la cheve-
lure du jeune roi des guirlandes de fleurs et oignent
ses membres d'huile de santal.
A l'époque védique les Hindous enterraient ou brû-
laient presque indiflféremment le corps des défunts * ;
mais dans les deux cas les plantes jouaient un rôle
considérable, quoique différent, dans les funérailles.
Quand on enterrait les morts, on cherchait, en les
entourant d'aromates, à assurer la conservation de
leur dépouille. C'est ainsi que le corps de Nimi*,
« embaumé avec des huiles parfumées et des résines,
reste entier, comme s'il était immortel ». Lorsqu'on
brûlait les corps, genre de funérailles qui finit par être
presque seul usité, les obsèques se compliquaient de la
construction d'un bûcher ; on le formait avec les bois
les plus variés, çamîs, pippalas, palâças, udumbaraset
autres, mais surtout avec les bois odoriférants d'aloès
et de santal, mêlés à des substances aromatiques, gui-
mauves changeantes, fibres de lotus, cardamomes,
racines parfumées de vîrina'.
On commençait la cérémonie par creuser dans la
direction du Sud-Est ou du Sud-Ouest, une fosse —
la vedi — en pente vers le Midi, longue d'une toise,
large d'une brasse et profonde d'un empan *. Près de
là on déposait du beurre fondu et des bottes de gazon,
du feu et les ustensiles du sacrifice. Ensuite, après
l'avoir baigné, lui avoir coupé les cheveux, la barbe et
1. Rig-Veda, lib. X, 16 et 18.
2. Vishnu-Puràna, lib. IV, cap. 5.
3. Ràmâyana. Ayodhyâkànda, lib. LXXXIII, 29-30. Yuddha-
kâçida, lib. XCVI, 7-9.
4. Âçvalâyana, Grihya-Sûlra, IV, 1, 9-10, dit de la longueur
d'un homme les bras levés.
LES PLANTES DANS LE CULTE 553
les ongles, on apportait le corps du mort, oint avec du
nard et la tête ornée d'une couronne de cette plante
aromatique. Puis le chef des brahmanes faisait trois
fois le tour de la vedi en l'aspergeant avec une branche
de çami, trempée dans de Teau, et il disposait aux
angles, les trois feux du sacrifice, tandis que, au mi-
lieu, un des aides dressait le bûcher ; un autre assistant
y répandait le gazon sacré qu'il recouvrait de la peau
d'une chèvre noire*. On étendait dessus le corps du
défunt, la tête tournée vers le Sud-Est, c'est-à-dire
vers le feu âhavanîyaV Puis l'ordonnateur de la céré-
monie plaçait les vases et les nombreux ustensiles du
sacrifice sur les diverses parties du corps, en y répan-
dant des grains de sésame. Il faisait aussi creuser
au Nord-Est de l'àhavanîya un trou et y jetait des
tiges de la plante aquatique çîvala. Enfin après avoir
fait une quadruple oblation d'àjya sur le dakshinàgni
et une sur la poitrine du mort, il donnait l'ordre d'al-
lumer les trois feux '. Dans le Ràmâvana, Bharata met
le feu au bûcher lui-même, qu'il a d'abord arrosé de
beurre clarifié et d'huile de sésame*. Parfois on plaçait
des guirlandes sur le corps qu'on inondait de parfums
et de grains frits, en même temps qu'on répandait
tout à l'entour du bûcher des « fleurs aux douces sen-
1. Açvalàyana, Grihya-SiUra, IV, 2, 10-15. — M. MûUer,
Die Todlenbestnttung bei den Brahmanen. {Zeilschrift (fer
deutschen morgeiilàndischen Gesellschafl, vol. IX (1855), 1-5).
2 D'autres fois le corps était déposé dans la fosse et le
bûcher dressé dessus. Hâmâyana, Arariyakàrida, LXXV,
49-56.
3. Açvalàyana, IV, 3, 1-27 et 4, 1. D'après Â(;valàyana, on
plaçait aussi sur le corps du défunt les membres dépecés de
la victime.
4. liAmàyana. Ayodhyâkànda, LXXXIII, 38.
554 LKS PLA^ïTES CIIKZ LES HINDOUS
teurs » *. Après la cérémonie, les parents du défunt se
plongeaient dans une eau voisine ; puis ils regagnaient
leurs demeures sans se retourner ; enfin arrivés à leur
porte, ils mâchaient des feuilles de picumanda, buvaient
une gorgée d'eau, posaient la main sur de la bouse de
vache, des graines de moutarde blanche et de Thuile,
mettaient le pied sur une pierre et entraient alors
chez eux*.
La cérémonie des funérailles, quelque solennelle
qu'elle fût, n'épuisait pas les hommages que les Hin-
dous rendaient aux morts ; ils les entouraient d'une
vénération telle qu'aucune autre nation indo-euro-
péenne n'en connut de semblable. Chaque jour, le fils
aîné faisait en Thonneur de son père et de ses an-
cêtres une oblation d'eau lustrale et de mets funéraires,
et tous les mois ou au moins trois fois par an, il leur
ofi'rait un sacrifice solennel. C'était là un devoir sacré
auqu^l nul ne se pouvait soustraire. Dès qu'il apprend
la mort de son père^ Ràma se rend avec son frère
Lakshmana à un gué de la Mandàkint, et y puisant
une onde pure, il la répand en l'honneur du héros ;
puis sur la rive il lui fait, sur une jonchée de kuça,
une off'rande avec un gâteau à l'huile d'ingudî —
pinda — , garni de jujubes.
D'après la croyance hindoue, Tàme du défunt n'en-
trait pas aussitôt après la mort dans le séjour des
Mânes; pendant un certain laps de temps, elle errait
comme esprit — prêta — dans le voisinage des vi-
1. Mahâhharata. Adi-Parva, 4937-50. — Mmâyana. Yud-
dhakâoda, XCVI, 16.
2. Pàraskara, Grihya-SîUra, III. 10, 16 et 23-24. Le picu-
manda ou nimba est la Melia indica ou azadirachta.
3. Hâmàyana. Ayodhyàkànda, XXI, 30-31 et 34-35.
KES PLANTES DANS LE CULTE 555
vants*. Pour Tarracher à cet état transitoire, le jour du
premier anniversaire de sa mort — ou plus tôt, si un
événement le permettait — , une oblaUon particulière
était faite pour amener la réunion du défunt avec ses
ancêtres — pitaras, — Quatre vases pleins d une eau,
dans laquelle on avait mis des grains de sésame et des
parfums étaient offerts, un pour lui, les trois autres
pour les Mânes*. A partir de ce moment il avait droit
au culte que tous les mois, à Tépoque de la nouvelle
lune, on rendait à ceux-ci. Ce jour-là le « deux fois
né », c'est-à-dire celui qui avait achevé la longue étude
du Véda, était tenu, pendant trente ans, de sacrifier aux
Mânes de ses ancêtres. Il pouvait le faire devant le
foyer domestique»; mais si sa fortune le lui permettait,
il offrait son sacrifice sur les trois feux allumés pour la
fête de la nouvelle lune, fête à laquelle les rites funé-
raires se rattachaient étroitement. Cette cérémonie
pouvait prendre les formes les plus diverses ^ mais
quelle qu'elle fût, les plantes y jouaient un rôle con-
sidérable.
La veille du jour où la lune était nouvelle, le sacrifiant,
après avoir purifié sa maison, allait inviter des brah-
manes versés dans les Védas, deux comme représentants
1. W. Crooke, Tke popular Religion nnd Folklore of Nor-
thern India. Westminster, 1896, in-8, vol. I, p. 9'*.
2. W. Caland, Ueber die Totenverehrung bei einigen der
indogermanisc/ien Vo/Aer, p. 22, 27, 31 et 34. {Verhandelingen
der kon. Akademie van Wetenschappen. Amsterdam, 1888
(XVII).
3. M. Oidenberg a décrit, dans sa Religion védique, p. 469,
les rites funéraires d'après le Grihya-Sûtra de Gobhila, je suis,
en les abrégeani, les ÇriXddhas des Bhàradvàjins, des Baudhà-
yanîyas et surtout des Àpastambiyas, tels que les a donnés
M. W. Caland, dans son AUindischer AhnencuU. Leiden, 1893,
i n 8.
556 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
(les Viçve-Devâs, trois pour représenter ses ancêtres.
Le lendemain après avoir préparé le repas funèbre, il
disposait deux emplacements, Tun carré dans la direc-
tion du Nord, Tautre circulaire au Sud du premier ; il
recouvrait le premier de fleurs, de grains d'orge et y
plaçait deux tiges de kuça tournées vers l'Est ; sur le
second, il répandait, outre des fleurs, des grains de
sésame et y mettait trois chaumes de kuça dans la
direction du Sud. Il faisait asseoir les brahmanes qui
représentaient les Viçve-Devàs sur des sièges placés
dans la première enceinte, les représentants des Pères,
dans la seconde ; il leur versait tour à tour de Teau
sur les pieds ; ensuite il les menait au bain et en pre-
nait un lui-même ^ Après les cérémonies de midi
commençait le çrâddha, le véritable rite funéraire.
Le sacrifiant préparait d'abord remplacement où il
devait se faire, y disposait du côté du Nord-Est le feu
domestique, et au Sud la place destinée au riz sacré ;
à rOuest de celle-ci il mettait les sièges des deux
représentants des Viçve-Devàs, au Midi ceux des trois
brahmanes qui représentaient les Pères. Là il les fai-
sait asseoir, les deux premiers, le visage tourné vers
l'Orient, les trois autres, le visage tourné vers le Sep-
tentrion. Après avoir placé près des premiers brah-
manes deux vases, surmontés chacun de deux chaumes
de kuça — les purificateurs — , dirigés vers l'Est, il
y versait de l'eau, puis des grains d'orge. Il mettait
de même auprès des trois autres brahmanes trois
vases, sur chacun desquels il posait, la pointe dans la
direction du Sud, trois tiges de kuça, pliées en deux,
et il versait dans ces vases, comme dans les premiers,
1. W. Caland, AUindischer Ahnencult, p. 23, 'il et 52.
LES PLANTES DANS LE CULTE 657
de l'eau, puis des grains de sésame, en disant: « Tu es le
sésame, consacré à Soraa et créé par lesdieux, va cheïs les
Pères, pour nous source de bénédiction, et rends-nous
ces mondes favorables. » Il terminait en répandant
des fleurs et des parfums sur les différents vases V
Ensuite il évoquait successivement les Viçve-Devâs et
les Pères, tout en couvrant, des pieds à la tête, les
brahmanes des premiers de grains d'orge, les brah-
manes des seconds de grains de sésame; puis, après
avoir remis à chacun des brahmanes un purificateur,
il leur répandait sur les mains Teau lustrale, en pro-
nonçant ces paroles : « Dieux, Père, Grand-Père,
Aïeul, voici Teau d'honneur. » Il versait ce qui restait
dans le vase du Père, le couvrait avec le purificateur
et le déposait sur la jonchée de kuça, en disant : « Tu
seras le siège des Pères. » Puis il faisait cadeau à
tous les brahmanes de parfums, de fleurs, de lampes
et de vêtements '.
Alors avait lieu dans les formes prescrites une
offrande à Agni, à Soma et à Yama; puis après avoir
répandu une poignée de gazon sacré au Sud du feu, le
sacrifiant versait dessus de Teau, en invitant chacun
des ancêtres à venir s'y purifier. Ensuite il faisait, du
riz qu'il avait préparé, trois boulettes qu'il déposait sur
la jonchée, et conviait les Pères à s'en rassasier. Il
engageait aussi les Brahmanes à manger, et pendant
leur repas il répandait devant eux des grains de
1. \V. Caland, Altindischer Ahnencull, p. 23, 53-54.
2. W. Caland, AlUndischer AhnencuU, p. 26-27, 42-43, 54-
55. D'après Gobhila, le sacrifiant creusait trois fosses, qu'il
recouvrait de kuça, et c'est près d'elles que, après les avoir
arrosées d'eau, il évoquait les Pères. Grihya-Sûtra, IV, 2, 16;
3, 46.
î»o8 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
sésame. Quand ils avaient fini, et qu'ils s étaient lavé
la bouche, il les accompagnait jusqu'à la limite de son
domaine. Revenu au lieu du sacrifice, il y faisait une
nouvelle jonchée de kuça, l'arrosait d'çau, invitait une
fois encore les Pères à s y purifier, et à manger les
boules de riz qui restaient ; puis il les congédiait, mais
en les conviant à revenir le mois suivant*.
On voit par ce qui précède quelle place considérable
les plantes occupaient dans les rites de Tlnde; c'était
une plante môme qui était la matière du sacrifice le
plus auguste de la religion védique, celui du soma.
Quelle était cette plante? J'ai déjà examiné cette ques-
tion à propos du haoma, mais il faut y revenir ici à
cause des difficultés qu'elle soulève. L'obscurité qui
l'entoure tient à ce que ni les Védas, ni les Écrits
liturgiques postérieurs n'ont donné une description
suffisamment claire et complète du soma ; cependant
ils indiquent un certain nombre des caractères qu'on
attribuait à cette planta, ce qui permet au moins de
s'en faire une idée.
D'après les Védas, le soma, comme le haoma ira-
nien, croît dans la région des montagnes. « Varuna,
chante un rishi^ dans le cœur a créé la volonté, dans
les nuages l'éclair, au ciel le soleil, le soma sur les
montagnes. » D'après l'Atharva-Véda, des montagnes
« portent le soma sur leur dos' ». « Là, dit le Çata-
patha-Bràhmana *, croît une plante appelée Uçânâ...
On l'y va chercher et on la presse. » Cette plante est
1. W. Caland, Altindischer AhnencuU,ji. 29-33, 44-47, 56-59.
2. Rig-Veda, lib. V, 85, 2. « Un aigle, dit un autre, l'a
apporté des montagnes. » I, 93, 6.
3. Lib. III, 21, 10.
4. Lib. m, cap. 4, 3, 13.
LES PLANTES DANS LE CULTE 559
ailleurs décrite comme ayant des rameaux bas*, de
couleur rouge clair ou dorée, probablement anguleux
et regorgeant de sève. Les commentateurs en ont fait
de plus une plante grimpante, dépourvue de feuilles,
charnue, à suc laiteux et aigrelet ^ On a ainsi été
amené à considérer le soma comme une espèce de
l'ancien genre Asclepias, le Sarcostemma viminale ou
aciV/wm, regardé aussi comme représentant duhaoma'.
Etait-ce là le soma des Védas? Il est impossible de
le dire ; ce que nous savons, c*est que la plante qui
servait à préparer le breuvage sacré était rare ou du
moins difficile à se procurer; qu'elle était apportée de
loin, et vendue fort cher par ceux qui étaient assez
heureux pour la découvrir ; une génisse d'un ou deux
ans, de couleur brune et aux yeux rouges*, en était le
prix. Le Mûjavant était renommé pour le soma qu'il
produisait. Mais on n'avait pas toujours, au moment
du sacrifice, le vrai soma à sa disposition ; on le rem-
plaçait alors par une autre plante.
Quand on ne trouve pas le soma, dit le Catapatha-Brâhmana^,
1. Big-Veda, hb. H, 13, 1; III, 53, 14 ; VII, 98, 1; VIII, 9,
19; IX, 92, 1. — A. Hillebrandt {Vedische Mythologie, voL I,
St)ma und venoandte Gôlter^ Breslau, 1891, in-8, p. 18), dit
des rameaux pendants.
2. Sâyana {TaittiriyaSamhHày I, 8, 3), cité par Eggeling
(Çaiapalha-Brahmana , vol. I, p. 394, note 2), le compare au
karîra — Capparis aphylla.
3. Voir à ce sujet Tarticle: The original Home of the Soma
dans M. Wiiller, Biographies of Words and the Home of the
Aryas. London, 1888, in-8, p. 222-242.
4. Çatapatha- Bràhmafitty lib. III, 3, 1, 14.
5. Lib. IV, 5, 10, 1-6. Le phâlguna esWa, Termina lia arjuna,
ïâdâra, appelé aussi pûtlka et à qui le Ç.-Br. attribue une
origine surnaturelle, est la Caesalpinia bonducella; Tincertain
çyenahrita n*est guère qu'une épithète du soma.
560 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
il y a à cela un remède. Il existe deux espèces de phâiguna.
Tune à fleurs rouges, l'autre à fleurs brunes. Qu'on écrase des
phâlgunas à fleurs brunes, car ils ressemblent au soma; qu'on
écrase donc des phàlgunas à fleurs brunes. — Si on ne peut se
procurer des phàlgunas à fleurs brunes, qu'on écrase le çyenah-
rita. Car lorsque la Gàyalrî alla chercher le soma, en l'apportant,
elle en laissa tomber un rameau, qui donna naissance au
çyenahrita ; qu'on écrase donc le çyenahrita. — Si on ne
peut se procurer le çyenahrita qu'on écrase l'âdâra. Car lorsque
la tête de la victime fut coupée, des âdàras naquirent du sang
qui en jaillit; pour cela qu'on presse des âdàras. — Si on ne
peut se procurer des âdàras, qu'on écrase des dûrvàs, car les
sombres dùrvâs ressemblent au soma ; qu'on écrase donc des
dùrvâs. — Si on ne peut se procurer des dûrvàs, qu'on écrase
une espèce de kuça de couleur jaunâtre.
On voit combien étaient nombreuses les plantes
qu'on pouvait substituer au soma, et encore le passage
du Çatapatha que je viens de citer ne les énumère pas
toutes; le Kàtyâyana-Çrauta-Sûtra en cite plusieurs
autres * ; il semble qu'il faille encore y ajouter le palâça
ou parna, sans doute à cause de son origine surnatu-
relle*. Enfin il paraît que dans certains cas, on devait
substituer au soma le jus d'une autre plante. Ainsi
le Kâtyâyana-Çrauta-Sùtra prescrit aux prêtres',
même quand ils ont du vrai soma, de n'en point donner
à un râjanya ni à un vaiçya, mais de le remplacer par
le JQs du fruit de nyagrodha exprimé dans du lait.
Quoi qu'il en soit de la nature véritable du soma et
des succédanés que parfois on lui substituait, le suc
— indu — de cette plante, fut de temps immémorial
l'offrande et le breuvage préférés des dieux et en par-
•
1. H. Zimmer, Altindisches Leben, p. 276.
2. Çatapatha- Brâhmann^ lib. VI, 5, 1, 1 ; 6, 3, 7. — Kau-
shUaki' Brâhmana, lib. Il, 2.
3. Lib. X, 9, 30. Ap. A. Kuhn, Die Herabkunft des Feuers,
p. 173. Cf. Aitareya-Brâhmana^ lib. VIII, 30.
LES PLANTES DANS LE CULTE 5 ;4
ticulier dlDdra. Sa préparation était un des actes les plus
importants de la liturgie hindoue. C'était des rameaux
— arhçu — , les textes sont unanimes à cet égard, et
non des fruits oud*une autre partie de la plante, qu^on
Textrayait*. « La tige rameuse laisse couler le jus
doux et limpide, né sur les monts* ». « Ce qu'ils ont
brisé en toi avec la pierre, ô roi Soma', tes membres
bien-aimés, guéris-les et que ce beurre les fasse croître».
Ce dernier passage du Taittirîya-Bràhmana nous indi-
que, ainsi que la matière employée, le mode de pré^
paration du soma. Si parfois, en effet, on écrasait dans un
mortier — ulûkhala — , comme le font les Parsis pour
le haoma, les rameaux du soma, le plus souvent on les
broyait avec des pierres, procédé auquel les hymnes
védiques font de fréquentes allusions*, et qui est
décrit tout au long dans les 6râhmanas^
Après avoir disposé l'emplacement du sacrifice et
s'être préparé par le jeûne et la prière à l'accomplir,
la veille du jour où il devait se faire, on creusait
quatre fosses circulaires profondes d'une coudée et
reliées entre elles par des canaux"; on les aspergeait
avec de leau, et on répandait dessus des chaumes de
kuça; puis on posait sur ces trous deux planches,
1. A. Hillebrandt, Soma, p. 32. Ceci montre Tinanité deThy-
pothèse de Thiselton Dyer, d'après laquelle Vindu aurait été
le vin et les tiges de soma, les grains allongés du raisin de
l'Afghanistan. Il est non moins évident que le breuvage sacré
des Védas n'a pu davantage être préparé avec le houblon. Cf.
M. Mûller, Biographies ofthe Words, p. 231 et 235.
2. Rig-Veda, lib. V, 43,4.
3. Taitiirîya-Brâhmana, lib. III, 7, 13. Ap. A. Hillebrandt,
Soma, p. 30.
4. Rig-Veda, lib. VIII, 2, 2; IX, 66, 29; X, 100, 8.
5. Cf. A. Weber, Die Kennlnisa des vediscfien OpfeJTituals.
(Indische Studien, vol. X, p. 352 et suiv.).
JoRET. — Lez Plantes dans Vanliquité. II. — 36
562 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
qu'on assujettissait avec de la terre, et on recouvrait
kuça et trous avec la peau d'une génisse de couleur
rouge, sur, laquelle on mettait les cinq pierres qui
devaient servir à écraser le soma. On plaçait ensuite
sur un petit monticule recouvert de sable les vases du
sacrifice et, six pas plus loin, on dressait une grosse
branche d'udumbara, puis on déposait sous un hangar
Teau nécessaire, ainsi que le lait des libations. Le
lendemain \ à la première heure du jour, après une
prière du hotar à Agni, à Ushas et aux Açvins, on fai-
sait cuire les gâteaux et la bouillie et griller les grains
d'orge destinés aux offrandes ; puis quand tout était
disposé, l'adhvaryu faisait une quadruple libation à
Agni et aux autres dieux ; il allait ensuite, avec ses trois
compagnons et celui qui offrait le sacrifice, s'asseoir
près de la table à presser. Alors prenant une des cinq
pierres et, invoquant les dieux, il étalait, à cinq re-
prises différentes, sur la peau les rameaux de soma
qu'il écrasait, tout en versant de l'eau dessus. Il répé-
tait trois fois l'opération, et chaque fois un des aides,
tenant six tiges de kuça entre les doigts de la main
gauche, recevait dessus le jus du soma, qui passait à
travers ses doigts et les six tiges et s'écoulait de là
dans une espèce de cuve — amatra — , tenue par le
hotar*. Le liquide ainsi obtenu servait à une première
libation.
Quand l'adhvaryu l'avait faite, il retournait avec ses
aides s'asseoir autour de la table du pressoir, et, cette
fois, tous, avec les cinq pierres, procédaient, d'ail-
1. A. Weber, Opferritual (J.-S., voL X, p. 369 et suiv.).
2. Rig-Veday lib. V, 51, 4. — KâtyAyana-Çrauta-Sûtra,
iib. IX, 4, 1.
LES PUNTES DANS LE CULTE 563
leurs de la même façon qu'auparavant, au broyage du
soma qui restait. L'opération terminée, on versait
avec une cuillère — sruva — le liquide écoulé sur un
filtre en laine de brebis — pavitra — , qu'un des
prêtres tenait au-dessus du vase en bois de vikankata
— le dronakalaça * — . Pendant que celui-ci se rem-
plissait, le soleil se levait, et aussitôt après son appa-
rition commençaient les offrandes aux dieux, précédées
d'une invocation que leur adressait un des prêtres.
Diverses libations terminaient la cérémonie; on la
faisait dans des conditions analogues à midi et le
soir.
Le soma, qui y jouait le principal rôle, débarrassé
par le filtrage des impuretés dont il était souillé, était
alors limpide et d'une couleur jaune doré ou bru-
nâtre, comme celle de la plante dont il était ex-
primé. Mais si parfois on l'ofl^rait pur, — c'était le cas
pour certaines libations — , on le mêlait le plus sou-
vent à d'autres substances : lait frais, aigre ou caillé,
miel, farine d'orge ou de froment. C'était comme une
parure qu'on lui donnait, en même temps qu'on en
adoucissait ^âcreté^ « Comme les rois sont glorifiés
par le chant, ainsi le soma est embelli par le lait
(qu'on y mêle) », dit un hymne. Et dans un autre
hymne qui rappelle sa préparation : « Belle est la
plante (du soma) ; les dieux la désirent ; la tige en est
lavée dans les eaux ; des prêtres la pressent, et le lait
des vaches en rend le jus plus savoureux. » Pur ou mé-
langé, le soma était versé, en l'honneur des dieux, sur
1. Big-Veda, lib. I, 135, 6; VIII, 2,2; IX, 101, 3-4.—
Kâlyâyana-Çrauta-Sûlra, lib. IX, 4, 17. — Weber, p. 371-72.
2. fiigVeda, lib. VIII, 2, 3; IX, 10, 3, et 62, 5.
56i LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
le feu de Tautel ; mais tous n*y avaient pas une part
égale ; c'était surtout aux dieux du ciel et de Tair,
Ihdra et Vâyu, Mitra et Varuna, aux Açvins et aux
Maruts qu'on TofiFrait', ainsi parfois qu'à Pûshan et à
Ârjaman, à Vishnu et à Bhaga. Mais Indra surtout
en était avide.
Roi du Soma, chante un rishi^, Indra, bois ce soma, cette belle
libation de midi... dételle tes deux coursiers et viens ici t'eni-
vrer. — Bois, Indra, ce blanc breuvage, mélangé de lait: du
soma que nous te versons, avec la troupe amie des Maruts,
avec les Rudras, abreuve -toi jusqu'à satiété, jusqu'à Tivresse^...
C'est pour toi ce soma*, ô Indra; descends et bois-en à longs
traits ; repose-toi sur ce gazon sacré ; emplis-toi, Indra, de ce
breuvage. — Pour toi a été épandu ce kuça, pressé ce soma.
Pour nourrir tes deux coursiers, ces grains ont été grillés ;
c'est à toi, suivant la coutume..! à toi, qu'accompagnent les
Maruts, que sont faites ces offrandes. — Hommes, monts, eaux,
t'ont préparé, ô Indra, avec le lait, ce breuvage doux comme le
miel; joyeux, boison... Les Maruts, ô Indra, auxquels tu as
donné part au soma, eux qui ont fait ta force, qui furent tes
compagnons, avec eux et d'un même esprit, bois, Indra, ce
soma avec la langue de feu d'Agni.
Aux libations du soma se joignaient des ofirandes,
1. RigVeda, lib. IX, 33, 3; 3'*, 2; 108, 14 et 16; 109, 1.
L'oblation du soir était faite aux Àdytyas, à Savitar, à Agni et
même aux Ribhus.
2. RigVèda, lib. III, 32, 1-2.
3. Indra e^^t représenté parfoiscomme buvant en réalité jusqu'à
l'ivresse, et les Rishis se sont plus à peindre le délire dans
lequel elle le jetait. R.V., X, 119, 2-3, 4, 7-8, 11-12. «Comme
des vents impétueux, les breuvages m'ont transporté... Ils
m'ont emporté comme des chevaux rapides entraînent un
char... Les chants s'offrent à moi, comme une vache à son
petit bien-aimé... Les deux mondes n'égalent pas une moitié
de mon être... J'ai surpassé en grandeur le ciel et cette terre
immense... Une de mes ailes touche au ciel, l'autre frôle la
terre... Dans ma grandeur démesurée, je me suis élevé
jusqu'aux nuages : ai-je donc bu du soma ?
4. Hig-Veda, lib. III, 35, 6-9.
LES PLANTES DANS LE CULTE 565
variables suivant l'heure du jour et le dieu auquel
elles s'adressaient, mais preque toujours , d'origine
végétale: gâteaux, bouillie, grains rôtis, lait caillé, etc.
Accepte, ô Indra ^ avec ces grains frits, avec ce karambha
et cet apùpa, notre soma... Mange, ô glorieux, avec la libation
du matin, ce purodàça... Agrée, Indra, ces grains rôtis et ce
purodâça, offrande de midi... Fais honneur au purodàça que
nous t'offrons; puissant associé des Ribhus, avec cette troisième
libation... Comme allié de Pûshan, nous t'avons préparé un
karambha, nous avons fait griller des grains d'orge pour toi et
tes coursiers ; mange cet apùpa en compagnie des Maruts, et
bois ce soma, héros vainqueur de Vrita.
Mais le soma n'était pas seulement offert en liba-
tions aux dieux ; on le buvait aussi ; aux prêtres était
réservé celui qui restait, quand étaient terminées les
oblations, et ils paraissent avoir singulièrement aimé
ce breuvage sacré ; les Rishis se sont complus à décrire
ses merveilleux effets, l'enthousiasme poétique qu'il
leur inspirait et la force surnaturelle dont il les rem-
plissait*.
Nous avons bu le soma, nous sommes devenus immortels ;
nous sommes arrivés à la lumière; nous avons atteint les
dieux ; que pourrait sur nous désormais la malveillance ? Que
pourrait sur nous, ô immortel, la perfidie d'un mortel ? — Sois
propice à notre cœur, ô soma, quand nous t'avons bu; sois-nous
propice, comme un père à son fils ; sois pour nous comme un
ami à son ami, ôtoi dont le pouvoir s'étend au loin ; toi qui es
sage, ô soma, prolonge notre vie. — Somas glorieux et secou-
rables, vous avez, quand je vous ai bus, attaché solidement
mes articulations, comme les courroies attachent le char; que
les somas empêchent mon pied de glisser, qu'ils me gardent
des entorses !
1. Rig-Veda, lib. III, 52, 1, 4. »
2. Rig-Veda, lib. VIII, 48, 3-5. Cf. A. Bergaigne, La religion
védique, vol. I, p. 152 et 192. — A. Hillebrandt, Soma, p. 263.
566 LES PLANTES CHEZ LES HLNDOUS
Si ce breuvage, préparé par la main des hommes,
jouissait de vertus si merveilleuses, c^est qu'il était le
symbole ou plutôt une émanation du soma céleste:
quelle était donc cette liqueur mystérieuse ? Dans un
hymne*, où il célèbre les noces de Suryâ — le soleil —
et de Soma — la lune — , un rishi en fait entrevoir la
nature : « Lorsque les dieux te boivent, tu te remplis
de nouveau, dit-il, en s*adressant évidemment à la
lune, dont il remarque dans une autre strophe: « Elle
renaît sans cesse et précurseur du jour (qui va venir),
devance Taurore. Chemin faisant, elle assigne aux
dieux la part (qui leur revient). La lune allonge la durée
de la vie*. » Ainsi le soma céleste, Tamrita, est ren-
fermé dans la lune, ou plutôt il est la substance même
de Tastre, ou mieux encore la lune elle-même ^, « dont
les phases ont été expliquées par les repas que les
dieux font à ses dépens * » .
Ces conceptions mythiques des Védas sur la nature
du soma céleste se retrouvent dans les Brahmanas et
les écrits postérieurs. « Les dieux dirent: rien que le
soma ne rassasiera Indra\ Préparons-lui du soma. Et
ils lui préparèrent du soma. Or ce soma, la nourriture
des dieux, n'est autre que la Lune. La nuit où on ne
la voit ni à TOrient ni à TOccident, elle visite notre
1. Hig- Veda, lib. X, 85, 5 et 19.
2. « Après que la lune, bue par les dieux, a décru, le soleil,
d'un seul de ses rayons, la remplit ». Vis htm- Pur àna, lib. II,
12. D'après une tradition, à l'époque de la nouvelle lune, cet
astre se réunissait au soleil. Urvncî. acte III.
3. (c E la luna stessa ». A. de Gubernatis, Letture sopra la
mitologia vedica. Firenze, 1874, ir\-8, p. 107. — A. Hillebrandt,
Soma, p. 272-273.
4. A. Bergaigne, La religion védique^ vol. I, p. 154.
5. Çatapaiha-Brâhmana, lib. I, 6, 4, 5 et 15.
LES PLANTES DANS LE CULTE 567
monde et pénètre dans les eaux et dans les plantes. »
Plus loin, revenant sur la même fiction, l'écrivain sacré
ajoute* : « Après avoir recueilli (le soma) dans les eaux
et dans les plantes, le prêtre, à Taide des libations,
le fait se reproduire, et une fois reproduit, il (le soma-
lune) devient visible dans le ciel d'Occident. » Et ail-
leurs^ : « La lune est le roi Soma, la nourriture des
dieux. Lorsqu'ils veulent s'en nourrir, ils la pressent le
jour précédent. Quand elle décroit, c'est qu'ils en
mangent. » On lit encore dans le Vishnu-Purâna ' :
« L'amrita, qui se trouve dans la lune, rassemblé pen-
dant un demi-mois, est bu par les dieux, mangeurs
de nectar; c'est pour cela qu'ils sont immortels. » Et
dans le Vâyu-Purâna*: « A partir du second jour (de la
pleine lune) les dieux, pendant toute la durée de son
décours, boivent sa douce et délicieuse substance
composée d'eau et de nectar. »
C'est cette substance mystérieuse, donnée tantôt
comme plante \ tantôt comme breuvage®, que la Gâya-
trî, changée en oiseau, a apportée du ciel sur terre :
« L'aigle, oiseau rapide, dit un hymne védique"', alla
au loin chercher (le divin) rameau — athcti — , le
doux breuvage — mada — ; le saisissant fortement,
il apporta le soma, protégé par les dieux ; il l'avait
pris au plus haut du ciel. » Depuis lors le breuvage
des dieux fut, bien qu'un rishi ait dit qu'il leur était
1. Çatapalha-Bràhmana, lib. II. 4, 2, 7.
2. Çatapatha-Bràhmaytny lib. II, 4, 'i, 15.
3. Lib. Il, cap. 12. Wilson's Works, vol. II, p. 300.
4. Ap. A. Hillebrandt, Soma, p. 293.
5. Hig-Veda, V, 45, 9; IX, 68, 6 ; etc. Ç.-Br., III, 4, 3, 13.
6. Rig-Veda, I, 80,2; I, 93, 7; III, 43, 7; VIII, 71, 7-9; IX,
36, 24.
7. RigVeda, lib. IV, 26, 6. Cf. Ç.-Br., XI, 7, 2, 8.
56S LES PLA5TeS CHEZ LES UINDOLS
ioconDu \ accessible aux mortels : « Le soma, qui se
trouve dans la cuve, était contenu dans la lune », est-il
dit dans an hymne des Védas. Et dans un autre :
« La liqueur mystérieuse, née là haut dans le ciel,
a trouvé sur la terre une forte et auguste demeure'. »
Ainsi, le breuvage que le sacrificateur presse et verse
sur le filtre', pour Toffrir aux immortels, n'est autre
que le soma céleste, Tambroisie, que la lune donne
aux dieux * ; il n'en est pas seulement Tirnage, il se
confond avec elle ; c*est une portion de l'amrita, de la
substance divine de la lune que le sacrifice fait descen-
dre du ciel sur la terre.
De là il n'y avait qu'un pas pour voir dans le soma
un dieu ; dès l'époque védique, il fut regardé et invo-
qué comme tel: a 0 roi Soma, fais durer notre vie...
Sois nous propice ; nous te sommes liés par un vœu ;
ne l'oublie pas. » On alla encore plus loin ; on fit du
soma le plus grand des dieux, le créateur de toutes
choses*: « Soma, coule, père des prières, créateur du
ciel, créateur de la terre, créateur d'Agni et créateur
du soleil, créateur d'Indra et de Vishnu. » Mais quoi-
que Dieu, Soma n'en reste pas moins un breuvage, et
une plante. Comme breuvage, nous l'avons vu, il con-
fère à ceux qui le prennent une force et une intelli-
gence .surnaturelles. Comme plante, il règne sur le
monde végétal : « Honore le roi Soma qui est le maitre
1. « On croit boire le soma, quand on écrase la plante ; mais
personne ne goûte de ce que les prêtres regardent comme
soma. » Big-VedOy lib. X, 85, 3.
2. Rip'Veda, lib. IX, 12, 5; 61, 10.
3. Rig- Veda, lib. IX, 3, 9. « Dieu exprimé pour les dieux,
il coule jaune d'or à travers le filtre. »
4. Hig-Veda, lib. VIII, 48, 7-8.
5. Hig-Veda, lib. IX, 96 5. B. 1.
CULTE DES PLANTES 569
des plantes », chante un rishi. « Soma, dit à son tour
le Çatapatba-Brâhmana, est le seigneur des plantes \ »
Ce rôle assigné au soma était la conséquence natu-
relle de Pétroit rapport qui existait entre lui et la lune.
De tout temps et chez tous les peuples cet astre a été
regardé comme exerçant une influence sur la végéta-
tion. « Brahma, dit le Vishnu-Purâna', a établi la
lune pour présider aux étoiles, aux planètes et aux
plantes. » Le soma qui descend, avec les rayons de la
lune, sur la terre et pénètre dans les eaux et dans les
plantes, a été, ainsi que Tastre qui y préside, regardé
comme le roi des végétaux — oshadipati — . Le haoma,
nous Tavons vu, a été élevé au même rang.
Les plantes ne figuraient pas seulement comme
offrandes ou comme accessoires dans les cérémonies
religieuses des Hindous, elles étaient aussi pour eux,
comme pour tous les peuples anciens^, Tobjet d'un
véritable culte. Divinisées, comme tous les autres êtres
de la nature, on leur adressait, comme à eux, des
prières et on invoquait leur secours*. « Nous implo-
rons les Eaux, les Arbres, les Montagnes, dit un poète
védique, de venir en aide à Agni. » Et dans un autre
hymne : « Que les Montagnes, les Eaux, les Plantes et
1. BigVeda, lib. ÏX, 114. 5. Cf. IX, 12, 7. — p.-^r., lib.
VIII,4, 3, 17.
2. Lib. I, 22, 2. D'après Kàlidàsa, la lune est la déesse des
plantes salutaires. Çakuntala, IV, 1, p. 45.
3. OuTOt ye àçis'pojiav xai x^; yi;; pXaaTTfaaia xal Geoù; ivO[jLi?av,
xa* Tcpoacxûvouv Tauia... rat yoàç xai £7CiOu7£t( sjcoiouv, dit Sancho-
niaton en parlant des Phéniciens. Éd. C. Orelli, p. 12.
4. Rig- Veda, lib. X, 64, 8 ; VII, 34, 23 et 25; I, 90, 8.
570 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Dyaus, Prithivî unie aux Arbres, que les deux moitiés
du Monde nous protègent... Qu'Indra, Varuna, Mitra,
Agni, les Eaux, les Herbes et les Arbres acceptent
favorablement notre offrande. » Et ailleurs encore :
c( Que l'arbre de la forêt nous soit riche en douceur. »
Les grands arbres surtout étaient Tobjet d'une véné-
ration particulière. Le Mahàbhârata et le Râmâyana
nous offrent des exemples frappants du respect que les
Hindous avaient pour ces rois du règne végétal. Dans
le second chant du premier \ il est question d'un
arbre antique — un açvattha — « à la cime aérienne »,
honoré de tous les habitants du Magadha, comme un
caitya, et sans cesse comblé par eux d'encens et de
guirlandes, que les fils de Pandu font tomber sous
leurs coups, comme pour priver la ville de son voisi-
nage protecteur. Dans un autre chant du même poème,
Théroïne de Tépisode célèbre de Nala et Damayantî,
rencontrant au milieu des forêts, où elle cherche en vain
Nala qui l'a quittée, un açoka tout couvert de sa parure
de fleurs, demande à cet arbre béni et au nom pré-
destiné* d'éloigner d'elle le chagrin qui la consume
et de lui apprendre si le fugitif a pénétré dans cette
solitude. Et tout en Timplorant elle fait respectueuse-
ment le tour du divin acoka.
Lorsque, dans le RâmAyana, le héros du poème,
son frère Lakshmana et Sità son épouse, après avoir
traversé la Yaraunà, arrivent auprès du figuier Çyâma,
situé sur l'autre rive, Silù rend hommage à cet arbre
immense et au frais ombrage, en joignant les deux
1. Sahha-Parva, 816-817.
2. Açoka, en sanscrit, signifie « exempt de chagrin ». Vana-
Parva, 2501-2507. — F. Nève, Les époques littéraires de VInde,
p. 130.
CULTE DES PLANTES 571
mains et elle lui adresse une prière. Puis tous les trois
s'approchent de Tarbre saint, le saluent et en font,
religieusement le tour. De même» lorsque ayant franchi
le Saradanda, ils rencontrent plus tard un figuier,
<( consacré comme un caitya et renommé pour ne
jamais tromper les \œux que la dévotion lui adresse »,
ils s'empressent encore de le saluer en s'inclinant
profondément *. Le Râmàyana nous montre ailleurs
encore les chœurs des Apsaras elles-môraes honorant
d'un culte perpétuel le jambu divin du Gandhamàdana
et chantant sans cesse des hymnes à sa gloire*.
L'établissement du bouddhisme ne fit qu'entretenir
et favoriser le culte qu'on rendait aux arbres: les
honorer, n'était-ce pas honorer aussi le Réformateur,
qui, dans tous les actes de sa vie, les avait eus
pour témoins ou pour auxiliaires ? L'açvattha de Gayà
surtout, sous lequel le Buddha était arrivé à l'Illumi-
nation suprême, devint l'objet d'une vénération parti-
culière. Açoka fit construire devant la terrasse où il se
dressait un vihâra, qui était en ruine depuis longtemps
déjà, quand Hiuen-Tsiang en visita l'emplacement,
mais dont le pieux pèlerin put voir encore les fonda-
tions'. Lorsque le fils aîné de ce grand prince, Mahendra,
eut établi le bouddhisme dans l'île de Ceylan, il envoya
chercher un rameau de l'açvattha de Gayà; Açoka
consentit à le donner; ce rameau fut reçu par le roi
même du pays, porté dans la capitale et solennelle-
ment planté dans le jardin de Mahâmegha, qui lui était
destiné. Des miracles en attestèrent la sainteté, et le
t. Ayodhyàkâpda, LV, 15-18 et LXX ; 14-15.
2. Kishkindhyakànda, XLIV, 37.
3. Buddhist Becords of western countries, vol. II, p. 95.
572 LKS PLA.NTKS CIIKZ LKS HINDOUS
roi fut le premier à oflfrir des guirlandes de fleurs et
de l'encens au rameau sacré. Celui-ci prit racine, et
. les rejetons qu'il produisit furent envoyés en diverses
localités, et des arbres de Bodhi se répandirent ainsi
peu à peu dans Tlle entière*.
On n'y faisait que suivre en cela l'exemple donné sur
le continent. Partout où avait été prêchée la doctrine
de Çâkyamuni des arbres de Bodhi avaient été plantés;
ils étaient comme le symbole de chaque communauté
nouvelle, Temblème même du Buddha, et, comme tels,
un objet de respect et de vénération pour les fidèles*.
Les sculptures des monuments bouddhiques nous mon-
trent quel culte leur était rendu. Entourés d'une
balustrade ou d'une espèce d'autel — , le bodhimanda,
« trône de la connaissance » — , se dressent, parfois sur-
montés d'un chatta ou parasol, ces arbres: açvatthas,
nyagrodhas, udumbaras ou çâlas, pàtalis, jambus ou
manguiers, çirîshas, etc., suivant le Buddha flont ils
rappellent le souvenir ou auquel ils sont consacrés; des
fidèles viennent les adorer, les uns debout et les mains
jointes, d'autres dévotement agenouillés, tandis que
d'autres offrent des présents ou attachent des guirlandes
aux branches, et que des dévas apportent des ofi'randes
à travers les airs'.
1. The Mahâwanso with the Translation by George Tur-
nour. Ceylon, 1837, in-'i, chapt. 18. and 19.
2. K. Fr. Koeppen, Die Religion des Buddha und ihre
Enlslehung. Berlin. 1857, in-8, p. 529.
3. The Slàpa of Bharhut, pi. XIII, 12; XIV, 3; XVI, 2;
XVII, 1, 2, 3; XXIX, 1, 2, 3, 4 : XXX, 1, 2, 3; XXXI, 1, 3. —
The Tree Worship. Sânchi, pi. V, VI, VII, VIII, IX, XV,
XXV, I, 2, 3 ; XXVI, 1, 2 ; XXVII, 1, 2, 3 ; XXVIII. 1, 2, 3;
XXX, 2 ; XXXIV, 2. - Amarâvatî, pi. XLIX, LVÏII, 1, 2;
LXXVIII, 2. — BuddhaGayâ, pi. XXXV, 4; XXXVIl, 4.
CULTE DES PLANTES 573
Les animaux eux-mêmes prennent part à ces hom-
mages, ainsi que les Nâgas. Le panneau d*un pilier
de Barhut nous montre le roi Erapâtra, entouré de
nâgas et de nâgis, adorant un arbre sacré, emblème
du Buddha — un çirîsha d'après Cunningham — ; au
milieu un serpent qui paraît sortir de terre, en dres-
sant ses cinq têtes, achève de caractériser le tableau \
Un bas-relief curieux de la partie inférieure du même
pilier, représente une troupe d'éléphants qui adorent
un nyagrodba, les plus jeunes humblement agenouillés
devant l'arbre sacré, les plus âgés lui apportant des
guirlandes. Des daims, sur une sculpture de l'archi-
trave, rendent hommage à un autre arbre sacré, un
jambu*. Les sculptures de Sânchi nous offrent des
scènes analogues. Faut-il voir, sur un bas-relief du
pilier de gauche de la porte occidentale, un hommage
rendu par le roi des Nâgas, environné de ses femmes
et de musiciennes ou de suivantes, à l'arbre sacré, au
pied duquel il est assis ? Je ne saurais le dire au juste ;
mais un bas-relief du second architrave de la porte
orientale représente tous les animaux de la création :
lions, daims, éléphants, buffles, béliers et brebis, cha-
meaux et même un garuda et un nâga, venant rendre
hommage à un arbre sacré. Sur le bas-relief d'un
pilier de la porte occidentale on voit aussi, outre ses
adorateurs ordinaires, une espèce de géant au milieu
d'une troupe d'animaux : cheval, buffle, éléphants,
sanglier, lion, qui viennent honorer le bodhidruma.
Et l'artiste du pilier de la porte septentrionale a éga-
1. Erapalo Nâga Râja Bhagavalo vamdaie. « Erapâtra, roi
des Nâgas, vénère Bhagavat », dit Tinscription pâlie. Cun-
ningham, The Stûpa of Bharhut, p. 27, pi. XIV, 'A.
2. The Stupa of Bharhut, pi. XV, 3, XXX, 2 et XLIV, 3.
574 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
lemeut représenté deux singes, qui, mêlés aux fidèles,
vénèrent un açvattha, Tun lui apportant un vase d'of-
frandes, l'autre en s'inclinant dévotement devant lui*.
Les Jainas n'avaient pas moins de respect pour les
arbres que les Bouddhistes ', et comme les disciples de
Çâkyamuni, ils regardaient surtout raçvattha comme
sacré. Les adorateurs de Brahmà, de Civaet de Vishnu,
honoraient aussi cet arbre d'un culte particulier ; pour
eux il était le symbole de la divinité et de la vie'. Les
sectateurs du Brahmanisme aussi — les épisodes du
Ràmiiyana que j'ai rappelés plus haut en font foi —
n'ont pas eu une moindre vénération pour le nyagro-
dha, et ils l'ont planté partout où ils ont établi des
communautés *.
Le culte que les Hindous rendaient aux arbres avait
frappé les Anciens: « Ils honorent, dit Quinte-Curce^
les arbres comme des dieux et c'est à leurs yeux un
crime capital que de les mutiler. » Cette vénération
des Hindous pour les arbres, dont parle l'écrivain
latin, ne devait point disparaître dans l'âge suivant;
les récits duKathîi-Sarit-Sâgara, recueil duxi* siècle,
nous mojitrent qu'elle était aussi vivace au moyen âge
qu'à l'époque d'Alexandre ou de Quinte-Curce ou à
celle du Mahâbhàrata et du Râmâyana. Dans un conte
de cette précieuse compilation nous voyons l'exilé
1. Fergusson. Tree Worship, pi. XXIV, 2; IX; XXVI, 2;
XXVII, 2.
2. A. Barth, The Religions of India, p. 263.
3. (( Je suis raçvattha parmi les arbres. » BhagavadgitA,
X, 20. Cf. XV, 1. — « Le grand arbre de Brahman est éternel. »
Anugitâ, cap. xxxii, 12. Cf. cap. xii, 8.
4. K. Fr. Koeppen, Die Religion des Buddha, p. 529.
5. Ilistoria Alexandrie lib. VIII, cap. 9, 34.
CULTE DES PLANTES 575
Somadatta faire respectueusement le tour d'un açvat-
thaen restant à sa droite, puis s'incliner respectueuse-
ment devant lui et lui offrir une oblation, avant de
labourer le champ voisin. Dans un autre récit du
même recueil, le brahmane Çrutadhi adresse une prière
à l'arbre de Ganeça ; ailleurs encore on voit le roi
Naravahanadatta adorer le santal de Mandaradeva, qui
lui adresse la parole et lui promet la victoire*.
Loin de diminuer, le culte rendu aux arbres par les
Hindous a, comme la plupart de leurs anciennes
croyances, persisté jusqu'à nos jours, au milieu de
toutes les révolutions sociales et politiques de leur
pays. Le pîpal — pippala ou açvattha — est tout aussi
honoré aujourd'hui qu'au temps où florissait le boud-
dhisme. A l'ombre de cet arbre sont placées souvent
les pierres frustes qui servent d'autel à la divinité
protectrice du village. Le quinzième jour de chaque
mois, quand ce jour tombe un lundi, les femmes des
premières castes vénèrent le pipai de la localité ; elles
en arrosent les racines, couvrent son tronc de poudre
de santal, et en font dévotement 8 fois le tour, en dé-
posant, à chaque tour, une offrande au pied. Chaque
dimanche aussi, après s'être baignés, tous les habi-
tants apportent une cruche d'eau au pied de cet arbre
sacré et en font quatre fois le tour ^
Le nyagrodha n'est pas moins vénéré que le pîpal,
des brahmanes surtout. De temps immémorial ils ont
aimé construire des pagodes à l'ombre de ses rameaux^
1. C.-H. Tawney, Kalhâ-Sarit-Sâgara or Océan of the
Streams of Slory. Calcutta, 1880, in-8, voL I, p. 153; II, 387
et 460.
1. \V. Crooke, Thepopular Heligioriy vol. II, p. 99-100.
3. Pietro délia Valle, Viaggi descritli da lui medesimo.
516 LES PU.NTES CHEZ LES HINDOUS
et c'est du nom d^une de leurs sectes que cet arbre a
pris le nom de banian ou de figuier des Banians. Dans
le Radjpoutana, le 29* jour du mois de bairâkh (avril-
mai), les femmes rendent hommage au nyagrodha et
elles croient par là être préservées du veuvage*.
L*udumbara, dont le bois est d'un si grand usage dans
le culte, ne pouvait, lui aussi, manquer de revêtir un
caractère sacré ; depuis longtemps il est de la part
des nouveaux mariés, l'objet d'une vénération particu-
lière*. Le 5® jour après les noces, les deux époux sor-
tent du village, et quand le mari a trouvé un udum-
bara, il en balaie soigneusement le dessous et y répand
des parfums en disant: « De même, 0 arbre, que tu
dresses dans les airs tes cent rameaux, puissions-nous
croître aussi cent fois en postérité et en biens. » Et
en y répandant des fleurs, il ajoute : « De même que
tu es riche en fruits, puissions-nous avoir en abon-
dance enfants et bétail! » Puis ils prennent sous cet
arbre béni leur repas. Une légende veut que, dans la
nuit de la Dîvalî, les dieux se rassemblent pour re-
cueillir toutes les fleurs de Tudumbara ; aussi n'en
a-t-on jamais vu sur cet arbre'.
Parmi les arbres sacrés des Hindous, il faut men-
tionner encore Vaonla — ârnalaka — , que les Brah-
manes considèrent comme un arbre de bon augure. Le
onze du mois de phâlguna (févner) lui est spécialement
consacré ; en ce jour on verse au pied des libations, et
Roma, 1663, in-fol., vol. III, p. 28. — J.-B. Tavernier, Voyages
de Perse y liv. V, ch. 23.
1. W. Crooke, The popular Religion, \o\. II, p. 98-99.
2. Bhaudhâyanâya-Grihya-Sûtra, ap. M. Winternitz, Dos
altindische HochzeitHrituell, p. 101.
3. W. Crooke, The popular Religion, vol. II, p. 99.
CULTE DES PLANTES 577
on lui adresse des prières pour la fécondité de^
femmes et du bétail et pour ]a réussite des moissons ;
on termine la cérémonie en s'inclinant dévotement
devant lui. Le jand — Prosopis spicigera — est aussi
l'objet d'une grande vénération dans le Pandjab ; c'est
une coutume de revêtir sous son ombre les enfants de
leur première robe, après avoir fait une offrande de
riz et de sucre. Quant au nimba, il est regardé comme
en relation étroite avec les divinités des maladies ;
elles sont réputées — Sîtalâ, en particulier, et ses six
sœurs — résider au milieu de ses branches ; aussi à
l'époque des épidérpies, les femmes lui font des
offrandes de riz, de bois de santal et de fleurs ; parfois
aussi elles brûlent de l'encens devant lui. Le cocotier^
cela ne saurait surprendre, a aussi revêtu un caractère
religieux ; son fruit, considéré comme sacré entre tous,
est appelé çriphala « fruit de Çrî » ; il est devenu un
emblème de fécondité dans l'Inde supérieure*.
Des tribus dravidiennes ne le cèdent pas aux Hin-
dous aryens dans leur respect pour les arbres ; celles
qui habitent dans les monts Vindhya et Kaïmour,
par exemple, rendent au karam — Nauclea parvifolia
— un véritable culte à Toccasion des travaux agri-
coles du mois de bhadon (août-septembre). Les ha-
bitants des jungles ont également en grande véné-
ration le sâl, qu'ils regardent comme hanté par les
esprits. Les Bauris du Bengale se marient sous une
hutte faite de rameaux entrelacés de cet arbre. Le
tamarin est aussi vénéré par une autre tribu de cette
contrée qui enterre ses morts sous son ombre. Le
1. W. Crooke, The popular Jieligion, vol. II, p. 101, 102,
104 et 106.
JORET. — Les Plantes dans Vanliquité. II. — 37
578 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
mahwa n'est pas moins honoré par les habitants indi-
gènes de rinde centrale ; le fiancé et la fiancée en
portent des branches à la main le jour de leur ma-
riage*.
Les cérémonies qui accompagnaient Tabatage des
arbres sont une preuve manifeste de la vénération que
de temps immémorial les Hindous ont eue pour eux.
Dans le Ehadda-Sâla-Jâtaka^, les bûcherons, chargés
d'abattre le plus beau sâl du parc royal, se rendent
au pied de ce roi de la forêt les mains pleines de guir-
landes parfumées ; ils y attachent une couronne, l'en-
tourent d'un cordon, auquel ils fixent uu bouquet de
fleurs et une lampe allumée, et ils le vénèrent. L'abat-
tage des arbres destinés à faire les poteaux du sacri-
fice était en particulier entouré de longues pratiques
religieuses '. On commençait par oindre avec du beurre
clarifié le pied de l'arbre que l'on devait abattre ; puis
on appliquait, la tête en haut, des tiges de darbha à
la place où l'on voulait le couper, en disant: « 0 herbe,
protège-le. » Ensuite le bûcheron, tenant sa hache
perpendiculairement au darbha, frappait l'arbre, en
prononçant ces mots : « 0 hache, ne le blesse pas. »
Quand il était abattu, un prêtre versait le reste du
beurre clarifié sur la souche, restée en terre, et lui
adressait cette prière, d'après la Taittirîya-Samhitîi :
« Seigneur de la forêt, grandis et pousse cent ra-
meaux. » Puisse touchant le cœur, il ajoutait: « Puis-
sions-nous aussi grandir et pousser cent rameaux. »
1. W. Crooke, The popular Religion, vol. Il, p. 94, 100, 103.
2. Stories ofthe Buddha's former Births, n*» 465.
3. Taf'Uiriya-Samhitâ, lib. I, 3, 5. — J. Schwab, Das allin-
discke Tkieropfer. Erlangen, 1886, in-8, p. 4-7. — H. Olden-
berg, La Religion du Véda, p. 216.
CULTE DES l'UNTES 579
Après cela, on enlevait les branches du tronc et on
réquarrissait en continuant de l'invoquer, puis on
Toignait, on l'entourait d'une guirlande de gazon, et
on lui adressait cette dernière et longue prière * :
Des hommes pieux, en ce jour de fête, t'oignent, seigneur de
la forêt, du doux mets des dieux ; accorde-nous tes bienfaits,
quand on t'aura dressé et que tu reposeras sur le sein de ta
mère... Élève-toi, ô seigneur de la forêt, sur la surface de
cette terre, toi qu'on a habilement mesuré ; prête ton éclat au
sacrificateur... Puissent ceux qui t'ont abattu, dressé et pourvu
de breuvage être une source de bénédiction pour nos champs
et porter nos dons jusqu'aux dieux... Seigneur de la forêt, crois
avec mille rameaux ; avec mille rameaux fais-nous croître
aussi, toi que cette hache tranchante a préparé pour un grand
bonheur et comme une source de bénédiction.
Parfois c'était non à l'arbre lui-même, mais au
génie qui l'avait pris pour résidence que les dévots
adressaient leurs hommages. L'histoire de Sujâtîi, fille
du Senânî, d'un chef village voisin de la foret d'Uru-
vilvâ, en est un exemple curieux ^ Un jour qu'elle était
venue faire hommage à la divinité d'un nâga, elle lui
promit, s'il lui procurait un mari de noble condition
et que son premier-né fût un fils, de lui offrir chaque
année du riz au lait et un lack d'argent. Son vœu
ayant été exaucé, Sujâtâ se mit en devoir de préparer,
avec du lait exquis, du santal et des parfums, le riz
qu'elle voulait off'rir. En attendant, elle envoya sa ser-
vante balayer soigneusement le dessous de l'arbre. Elle
s'y rendit ensuite; mais en arrivant, elle aperçut,
plongé dans la méditation, le Buddha, qu'elle prit pour
le génie du nâga et auquel elle offrit le riz.
1. RigVeda, lib. III, 8, 1, 3, 7, 11.
2. Spence Hardy, A manual of Buddhism, p. 170. Le nàga
est la Mesua Roxbuvghii.
580 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Comme les génies particuliers des arbres, on invo-
quait aussi les Gandharvas et les Apsaras, qui aimaient
à y faire leur demeure '. Quand une noce passait auprès
de quelque açvattha ou nyagrodha, elle ne manquait
pas d'adresser ses hommages à ces divinités, et leur
demandait de ne pas nuire à la fiancée et à ceux qui
l'accompagnaient. « Que les Gandharvas et les divines
Apsaras, qui résident dans ces arbres, rois de la
forêt, se montrent gracieux à cette jeune femme,
qu'ils ne fassent pas de mal à la noce qui passe ici
près. »
Ce n'est pas seulement aux grands arbres que les
Hindous ont rendu et rendent encore hommage ; de
simples arbrisseaux ou même des plantes semi-herba-
cées étaient et sont» aussi pour eux un objet de véné-
ration. Telle est la tulasi ; consacrée à Yishnu, elle a
participé au culte rendu à ce dieu : « J'adore, dît une
prière', la tulasi, dont les racines sont le but de tout
pèlerinage, dont la tige est le séjour des dieux, et sur
les branches supérieures de laquelle sont tous les
Védas. » On trouve la tulasi chez presque tous les Hin-
dous ; parfois cultivée en pot, elle est le plus souvent
plantée dans la cour des maisons, avec un espace libre
qui permet d'en faire le tour. Cette plante est surtout
vénérée par les femmes au mois de kârttik (dé-
cembrel, à l'époque de la pleine lune. Les gens pieux
aiment aussi à célébrer son mariage avec le jeune
Krishna.
Je suis loin d'en avoir fini avec toutes les plantes
1. Atharva-Veda, lib. XIV, 2, 9. — TaiUiriya'Samhitâ, lib.
III, 4, 8, 4. Cf. Oldenberg, La Religion du Véda, p. 212.
2. Monier-Williams, /îWi^tou* Thought, p. 333. — W. Crooke,
The popular Religion, vol. H, p. 110111.
CULTE DES PLANTES 581
qui ont revêtu un caractère sacré dans Tlnde ; les
propriétés merveilleuses, que de toute antiquité les
habitants ont attribuées à nombre d'entre elles, les
firent entourer d'un véritable culte, en même temps
qu'elles leur ont fait prendre place dans la magie et la
médecine.
CHAPITRE VI
LES PLANTES DANS LA MAGIE ET DANS LA MEDECINE
Au-dessous des Dieux du Panthéon védique, tous,
Rudra excepté, bons et bienveillants, les Hindous,
nous l'avons vu, admettaient l'existence de génies in-
férieurs, Piçâcas, Rakshasas, Yàtudhânas, etc., hos-
tiles pour la plupart aux mortels*. Ce sont ces génies
qui sont la cause de presque tous les maux dont souf-
frent les hommes. Ils se glissent dans le corps de
ceux qu'ils poursuivent ; ils dévorent leur chair,
sucent la moelle de leurs os, boivent leur sang et por-
tent le désordre dans tout leur être. Tantôt ils troublent
leur raison, d'autres fois ils leur enlèvent l'usage de
la parole *. Leur action se fait sentir surtout dans les
grands événements de la vie: mariage, grossesse, ac-
couchement, funérailles, etc. Malfaisants aux hommes,
ils ne le sont pas moins au bétail ; ils tettent le lait des
vaches, rongent la chair des chevaux. Il n'est pas jus-
i. H. Oldenberg, La Religion du Vèda, p. 225-227. Dans les
V^édas les seconds portent le nom de Rakshâs, forme mascu-
line du neutre ràkshas « injure » ; à l'époque bouddhique, à
Hakshâs s'est substitué son dérivé Ràkshasa.
2. Athanm-Veda, lib. VIII, 60,20; V, 29, 5; VI, 33. — Hi-
raçyakeçin, Grihya-Sûtra, I, 4, 15, 5.
LES PLANTES DANS LA MAGIE 583
qu'aux habitations qui n'aient à redouter leurs atteintes ;
une maîtresse poutre vient-elle à se rompre, c'est
qu'un messager de la mort s'est assis dessus \ Aussi
la liturgie des Védas est-elle remplie de formules
d'exorcisme contre ces génies du mal, témoignage
manifeste de la lutte qu'à chaque instant l'Hindou se
croyait obligé d'engager contre eux.
Mais ce n'est pas contre eux seuls qu'il avait à com-
battre et à se défendre. Il lui fallait se préserver des
funestes atteintes des âmes des morts condamnées à
errer jusqu'au jour de leur réunion aux Mânes; enfin
il lui fallait repousser les maléfices des hommes per-
vers, qui le menaçaient de leurs sortilèges. Comme
tous les peuples primitifs, les anciens Hindous croyaient
que l'homme peut atteindre à une puissance surnatu-
relle, que, grâce à certaines pratiques, il peut com-
mander aux éléments, et soit seul, soit avec l'aide des
esprits du mal, troubler l'ordre de la nature ou en
asservir les forces à sa volonté *. Telle est la magie, à
laquelle tous peuvent se livrer, mais dont le sorcier de
profession connaît seul tous les secrets. A l'origine
elle se confondait avec le culte, et si, dans l'Inde,
elle s'en sépara peu à peu, elle ne lui fut, à l'époque
védique et même plus tard, jamais complètement étran-
gère; la plupart des cérémonies religieuses étaient
imprégnées de symbolisme mystique ou mêlées de pra-
1. H. Oldenberg, La Religion du Voda, p. 227-230.
2. Dieterici Tiedemann, Dixputalio de qiLoeslione quae fuerit
artium magicarum origo. Marburgi, 1787, in-'*, p. 5. — A.
Maury, La Magie el V Astrologie dans V antiquité et au moyen
âge. Paris, 1860, in-8, p. 2. — F. -G. Frazer, The golden Bough.
A study in comparative Religion, London, 1890, in-8, vol. I,
p. 32.
584 LES PLANTES CHEZ LES IILNDOUS
tiques magiques*, et quelques-unes de celles-ci ont
pénétré jusque dans le rituel brahmanique.
Mais Tenchanteur n'avait pas uniquement recours
aux génies malfaisants, il mettait en œuvre aussi
« certaines entités, substances ou vertus plus ou moins
impersonnelles, tantôt douées d'une existence indé-
pendante, tantôt inhérentes à d'autres objets » ; mais
qui, comme un fluide, peuvent passer de Têtre qui les
recèle à un autre. Souvent nocives et funestes, ce^
entités mystérieuses sont aussi parfois bonnes et pro-
pices ; mais quelle qu'en soit la nature, leurs propriétés
peuvent se communiquer par le contact; elles pénètrent
aussi dans le corps par onction, par aspersion ou par
friction ; elles s'y introduisent avec le boire et le
manger, par les narines et avec l'haleine ; le regard
même peut leur servir de véhicule et les envoyer dans
un autre sujet ^ C'est ainsi que certains mets donnent
à celui qui en mange quelque chose de la vertu qu'ils
sont supposés renfermer; que la fermeté de la pierre,
sur laquelle le marié lui fait poser le pied, se commu-
nique à la jeune épouse.
I
Pour écarter les mauvais génies, détruire l'effet des
substances nocives ou rendre efficaces celles qui étaient
bonnes, le sorcier avait recours à des pratiques di-
verses : exorcismes, conjurations, incantations, —
« formules récitées à un certain moment de l'opération
1. H. Oldenberg, La Religion du Véday p. 407-408.
2. H. Oldenberg, La Religion du Véda, p. 409-411.
LES PLANTES DANS LA MAGIE 585
r
magique » * et d'ordinaire versifiées — , où tantôt il
mêlait le charme à la prière, le commandement à la
menace, tantôt annonçait comme arrivé ce qu'il avait en
vue, afin d'en amener l'événement', etc. Ces pratiques
variaient suivant les circonstances ; l'enchanteur en
connaissait pour tous les cas, et ne se faisait pas faute
d'y avoir recours. De même, nous l'avons vu, que tous
les événements de la vie étaient accompagnés de céré-
monies religieuses particulières, de même et encore
plus ils le furent à l'origine, et ils continuèrent presque
toujours de l'être, par des opérations magiques ; point
d'acte, quelque insignifiant qu'il pût être, pour lequel
l'intervention du sorcier — le plus souvent il n'était
autre que le prêtre — ne fût jugée nécessaire.
Des charmes préservaient la grossesse de la mère
et assuraient la naissance de l'enfant ; des charmes
donnaient à l'étudiant l'intelligence des Védas ' et
dirigeaient le jeune homme après son entrée dans la
vie ; des charmes permettaient de connaître l'avenir,
l'issue des afi*aires qu'on entreprenait et la femme
qu'on devait choisir, ou faisaient retrouver ce qu'on
avait perdu et percevoir môme ce qui est invisible*. Il
y avait des charmes pour gagner l'afi'ection d'une
personne aimée et en assurer la constance, pour
écarter une rivale ou en triompher ^ Il y en avait pour
1. Fossey, La magie assyrienne. Paris, 1902, in-8, p. 17.
2. H. Oldenberg. La Religion du Véda, p. 439-440.
3. Altindisches Zauberritual. Probe einer Uebe^'setzung der
wichtigsten Theile des Kauçika Sulra von W. Caland. Amster-
dam, 1900, in-4, cap. X, 1-24 ; XXXIV, 311; XXXV, 1-4, 8-10,
16-19.
4. K.-S., cap. XXXVIÏ, 1-3, 4-6, 7-12; LU, 12-14.
5. K.-S., cap. XXXV, 25-28 ; XXXVI, 5-9, 12, 13-14, 15-17,
18, 19, etc. Sàmavidhânabràhmana, cap. III, 4, 1-2.
586 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
maintenir ou ramener la concorde dans les familles ou
parmi les habitants d'un même village S pour gagner
un procès, rendre certain le succès d'une entreprise ou
d'un voyage, être heureux au jeu et dans tout ce que
Ton faisait ', ainsi que pour préserver le bétail, bénir
les travaux du labourage et les semailles'. Il j avait
des charmes pour rétablir un prince exilé sur son
trône, porter le désordre dans les rangs d'une armée
ennemie, en mettre en fuite les éléphants et remporter
la victoire *. Il y en avait également pour conjurer une
tempête ou la foudre, faire cesser une pluie excessive,
détourner un cours d'eau*, etc. Des incantations aussi
servaient à détourner les présages funestes, à détruire
les mauvaises herbes qui étouffaient les récoltes, à
chasser la vermine des champs*. Enfin il y avait des
imprécations magiques contre les démons et les sor-
ciers, pour se venger de ses ennemis et renvoyer contre
eux leurs maléfices', etc.
Les vertus merveilleuses, dont la croyance popu-
laire revêtit, de temps immémorial, nombre de plantes
dans rinde, leur fit prendre place de bonne heure dans
la magie ; on les invoqua comme des génies tout
puissants et bienfaisants. C'est ainsi qu'un hymne de
TAtharva-Véda nous montre une femme délaissée im-
1. K.S., cap. XXXVI, 10-11 ; XL, 6-4.
2. K.-S., cap. XXIV, 3-10, 41-'i6; XXXVIIÏ, 17-21, 27-31;
XLÏ, 8-9, iO-13, 15-17 ; XLÏI, 1-5, etc.
3. K.-S.. cap. XXIII, 12-16, 17; XXIV, 1-2, 3536.
4. K.-S., cap. XIV, 1, 7, 17, 22, 24, 27-29; XV, 1 ; XVI, 1,
27.
5. A'.-5., cap. XXXVIIÏ, 1-6, 7, 8-11 ; XL, 1-10.
6. K.-Sy cap. XLVI, 53-55; LI, 15-16, 17-22.
7. À.'V,, lib. I, 7 et 8; II, 14; 111,9: V, 14 et 31; X, 1, etc.
— /C.-5., cap. XVIII, 1-18 ; XXXIX, 8-31,
LES PLANTES DANS LA MAGIE 587
ploraot Tassistance d'une plante, qui malheureusement
n'est pas nommée, pour écarter sa rivale et regagner
le cœur de son époux*.
Je déracine cette plante riche en vertus, avec laquelle on
chasse sa rivale et on reconquiert son époux. — 0 toi, dont
les feuilles sont larges, plante heureuse, envoyée des Dieux,
fais fuir, toute-puissante, loin de moi cette rivale ; fais que mon
époux soit exclusivement à moi.
Dans un autre hymne du même recueil, une espèce
de réglisse, le madhukà, est invoqué pour gagner
Taffection d'une personne aimée. Ailleurs le poète-
magicien prie le dharba d'apaiser la colère de ses
proches, comme des étrangers-, et Tarundhatî de pro-
téger son bétail. Ailleurs encore il demande à l'açvat-
tha, à râhva, au bàdhaka, d'abattre, de déchirer,
d'exterminer ses ennemis ^ Une autre plante non moins
puissante, la pâtà, est implorée pour obtenir le gain
d'un procès'.
Que mon ennemi ne remporte pas dans ce débat ! lu es
forte et toute -puissante. Triomphe des arguments de ceux qui
luttent contre moi ; prive-les de leur force, ô plante. — Un
aigle t*a trouvée, de son museau un sanglier t'a déterrée.
Triomphe, etc. — Indra te plaça sur son bras, afin de vaincre
les Asuras. Triomphe, etc. — Avec ton aide je l'emporterai sur
mon ennemi, comme Indra sur les Sàlàvrikas. Triomphe, etc.
Au premier rang des plantes magiques était l'açvat-
1. Atharva-Veday lib. III, 18. Bloomfield, p. 167.
2. Atharva-Veda, lib. I, 34; VI, 39 et 43; VIII, 8, 3. Varun-
dhati est une liane incertaine ; Vàhva est inconnu, le bâjhaka
a été identifié avec VHolarrhena antidyxenterica.
3. Ou bànaparni (Clypea hemandifolia). A.-V., lib. II, 27,
1-5. Une feuille de cette plante convenablement disposée est
employée dans le Kauçika-Sùtra, cap. III, 36, 19-21, pour
triompher d'une rivale.
588 LES PU.^TES CHEZ LES HINDOL'S
tha ; ses dimensions considérables, sa tendance à s'im-
planter sar les autres arbres, qu*il étouffait de sa
croissance, son caractère sacré, lui avaient fait attri-
buer une puissance destructive irrésistible , aussi lui
demandait-on de faire périr les ennemis qu*on redou-
tait'.
Comme ta pénètres, ô açvattha, au milieu des vagues de
Tatmosphère, renverse tous ceux que je bais et qui me haïs-
sent. — Toi qui ^avances en conquérant, comme un taureau
vainqueur, puisse- je avec toi vaincre mes rivaux ! Que la Nirriti
enchaine dans les entraves de la mort, qu'on ne peut dénouer,
les ennemis que je hais et qui me haïssent! — Toi qui grimpes
sur les arbres, ô açvattha, et les domines, fends en deux la
tête de mes ennemis et dompte-les... Je les chasse à Taide de
ma volonté, de mon intention, avec cette incantation. Nous les
chassons avec line branche d'acvattha.
Comme on ne pouvait toujours avoir à sa disposition
la plante magique que Ton devait invoquer, on en por-
tait sur soi ', on en donnait au sujet qu'il fallait protéger,
des fragments en guise de talisman. Un hymne de
TAtharvanous montre un prince invoquant l'assistance
d'une amulette, faite en bois de parna', contre ses
ennemis, et lui demandant de fortifier son pouvoir et
de le faire régner longtemps. Un autre hjmne exalte
longuement les vertus d'une amulette du « divin »
varana, « taureau qui détruit les rivaux », et préserve
de tous les dangers *.
Avec elle tombe sur tes ennemis et écrase ceux qui veulent
te nuire. — Brise-les, écrase-les, tombe sur eux ; que cette
amulette te guide et te précède ! Avec ce varaça les Dieux ont
1. Atharva-Veday lib. III, 6, 3-6 et 8.
2. « Cette amulette de varaça se trouve sur ma poitrine ».
Atharva-Veda, X, 3, 12.
3. Ou palâça (Butea frondosa). A.-V.^ lib. III, 5.
4. Crataeva Roxburghii, Atharva-Veda, lib. X, 3, 1-3.
LES PLANTES DANS LA MAGIE 589
triomphé de Tassaut des Âsuras. — Cette amulette de varana
jettera à tes pieds tes ennemis ; attaque le premier ceux qui te
haïssent.
Ailleurs un talisman en bois de sraktya* est célébré
comme doué des vertus les plus hautes. C'était avec
lui qu'Indra avait tué Vritra, vaincu les Asuras et
conquis le ciel et la terre.
Plein de force, il tue les rivaux, fait d'un homme un héros,
le protège de toutes parts, lui est d'un bon augure... Victo-
rieux, conquérant, triomphant, redoutable, il marche à ren-
contre des maléfices et les détruit. — 11 est un tigre, un lion,
un taureau, il déchire ses ennemis, celui qui porte ce talisman.
— Ni les Apsaras ne le tuent, ni les Gandharvas, ni les hommes ;
il règne au loin sur toutes les régions, celui qui porte ce
talisman.
Non moins puissante était une amulette en bois de
khadira*, symbole de force à cause de sa dureté, à
laquelle on avait donné, sans doute pour en augmenter
TefiScacité, la forme jd'un soc de charrue ; « créée par
Prajâpati, donnée aux Dieux par Brihaspati dans leur
lutte contre les Asuras », elle conférait puissance,
bien-être, postérité et richesse à ceux qui la por-
taient.
Les plantes magiques et les amulettes étaient sur-
tout invoquées contre les pratiques des sorciers et les
menaces incessantes des génies malfaisants. Dans un
hymne connu de l'Atharva, un rishi implore une
plante qu'il ne nomme pas, mais à laquelle il demande
de le défendre contre les maléfices des sorciers^:
Un aigle t'a trouvée, de son museau un sanglier t'a déterrée,
1. Ou tilaka (Clerodendron phlomotdes). A.-V., lib. VIII, 5,
1-2, 3 et 12-13. Cf. A'. -5., cap. XIV, 22-27.
2. Acacia calechu, Atfiarva-Veda, lib. X, 6, 4, 19, 23 et 35.
3. Atharva-Veda, lib. V, 14, 1-2, 4 et 9.
590 LES PLANTES CHEZ LES HINOODS
efforce-toi, ô plante, de nuire à celui qui cherche à nous nuire.
... Extermine les magiciens, extermine celui qui prépare un
charme (contre nous). Tue, ô plante, celui qui cherche à nous
nuire... Saisis et renvoie ce charme contre celui qui Ta pré-
paré... Prends tes armes et frappe, tue celui qui prépare des
charmes (contre nous).
Dans une autre incantation du même recueil*, nous
voyons le prêtre-sorcier implorer contre les Raksbâs
et les Piçàcas — après Agni, Rudra et Varuna — une
plante innomée encore, mais dont « l'universel pou-
voir doit les unir à Yama » — la mort — . Ailleurs
c'est à une plante connue et « à l'antique renommée »,
rajaçringî', qu'il demande assistance contre les génies
des airs et des eaux.
Avec toi, ô herbe, les Atharvans d'abord, avec toi Kaçyapa,
avec toi Kaçiva et Agastya tuèrent les Rakshâs. — Avec toi nous
disperserons les Apsaras et les Gandharvas. 0 ajaçriûgî, perce
de tes aiguillons les Hakshàs, que ton odeur les chasse!... 0
herbe, poursuis et écrase les Piçàcas qui dévorent les avàkâs
et illuminent les eaux de leurs petites flammes scintillantes !
Une araarantacée, que rien d'ailleurs ne recom-
mande à l'attention, ^apâmârga^ est invoquée à chaque
instant contre les démons, et comme détruisant par
sa puissance victorieuse toutes les incantations.
Toi qui as mille séjours, jette ta malédiction sur les démons
Viçikha et Vigrîva, retourne cette incantation contre celui qui
Ta faite... Avec cette plante je mets à néant tous les charmes,
ceux qui ont été jetés sur tes champs, sur ton bétail, sur tes
serviteurs... L'apàmàrga effacera toutes les malédictions,
elle dispersera tous les enchanteurs, tous les démons envieux...
0 plante, tu marches, semblable à une forte armée ; où tu
1. Atharva-Veda, lib. IV, 32.
2. Odina pinnata. A.-V., lib. IV, 37, 1-3 et 10.
3. Ackyranthes aspera. A.V., lib. IV, 17; 18, 4, 5, 7 ; 19,
2-4, 7-8.
LES PLANTES DANS LA MAGIE 501
arrives, il n'y a plus rien à craindre... Tu es à la fois la pro-
tectrice des faibles et la destructrice des Hakshàs. — Quand^
à Torigine des choses, avec toi les Dieux chassèrent les Asuras,
tu fus engendrée comme apâmârga. —Toi dont le.s fruits sont
recourbés, écarte de moi toute malédiction, les armes destruc-
tives. — Protégc-moi, que ta centuple force me garde ! Le dieu
fort Indra a mis la force en toi, ô Souveraine des Plantes !
Les prêtres-sorciers, dans leurs enchantements se
contentaient rarement de simples formules conjura-
toires, ils y joignaient le plus souvent des pratiques
diverses, destinées à donner plus d'importance ou
d'efficacité à leurs incantations ; les plantes eurent
place dans ces opérations magiques, comme dans les
simples charmes ; elles y apparaissent tantôt comme
ingrédients indispensables, tantôt à titre d auxiliaires
ou même comme emblèmes symboliques de Faction
qu'il s'agissait de produire. C'est ainsi que dans un
charme de TAtharva, fait en vue de découvrir les sor-
ciers et les Piçâcas que le magicien veut .combattre, il
tient à la main un rameau de sadaihpushpâ S « l'œil
de Kaçyapa ». La plante brâhmi ^ mangée après un
jeûne de huit jours, avec accompagnement d'une cer-
taine mélopée, mettait en état de répéter tout ce qu'on
avait entendu. Un bâton de karavîra, convenablement
consacré, portait bonheur à qui le portait à la main^.
L'incertaine varshâpâ était employée dans un charme
pour amener la pluie. Des tiges du balbaja, qui avait
1. Calotropis procera. A.-V.^ lib. IV, 20, 6-9.
2. Herpeslis monniera d'après Hoernle. Bower Mss., p. 16,
n«52.
3. Le karavira est le Nerium odorum» Bas Sàmavidhâna-
brâhmatja, cap. II, 7, '* ; 4, 1. Un cure-dent d'apàmàrga, con-
sacré suivant le rite, et employé pendant un an sans cracher
et en récitant chaque fois une stance appropriée, faisait aimer
de qui l'on voulait. Cap. II, 6, 1-2.
592 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
poussé à Tendroit où une vache pleine avait uriné,
liées aux bûches du sacrifice oifert avant la bataille,
fortifiaient le courage de Tarmée *. Voulait-on con-
naîtra le sexe d'un enfant à naître, on déterrait, sui-
vant le rite prescrit, une plante sraja, inconnue d'ail-
leurs ; si la racine était simple et non rongée des vers,
c'était un garçon '. Afin d'assurer à une femme enceinte
une heureuse délivrance, on lui remettait le troisième
mois de la grossesse, une triple amulette faite de
bourgeons de nyagrodha et de racines de bambou et
solennellement consacrée ; elle la portait dans sa cein-
ture et était sûre d'accoucher sans peine et même
d'avoir un garçon*. Un pâtre, qui menait son troupeau
au pâturage, avait soin de brandir derrière lui un épieu
de khadira, oint avec le résidu de la graisse du sacri-
fice : simulacre de combat qui préservait le troupeau
de l'attaque des fauves et des voleurs. Pour amener le
retour dans ses états d'un prince exilé, le purohita
mettait à cuire sur un feu de branches de kâmpîla,
repoussées de la souche, une bouillie faite avec du riz
de la seconde récolle et du lait d'une vache, qui avait
un veau de même couleur qu'elle; puis après avoir
versé dessus les restes du beurre qui avait servi au
sacrifice, et l'avoir bénie, il la donnait à manger au
1. TaiUiriya-Samfiitâ, 1 et 2, 4, 10, 3. A. Hillebrandt, Ve-
dische Opfer und Zauber, p. 173.
2. Kauçikâ-Sùtra, cap. XXXIII, 9-12.
3. SâmavidhAnabrâhmana, lib. II, 2, 1. Cf. K.-S., XXXIII,
1-3, un moyen de savoir si une femme enceinte aura ou non
une délivrance heureuse. Ces procédés magiques des médecins
Hindous frappèrent les Grecs. « Posse eos et fecundas facere
mulieres, et marium et feminarum procreationem medica-
mentis praestare », dit Strabon, XV, 1, 60.
LES PLANTES DANS LA MEDECINE 593
prince. Le quatrième jour ses anciens sujets le rappe-
laient*.
On devine facilement la signification de ces diverses
pratiques ; on s'explique sans peine aussi remploi des
lacets en bois d'açvattha et des filets en çana, munis
de manches en bois de bâdhaka, qui, après avoir été
enduits des résidus de l'offrande, étaient déposés sur
le chemin que devait suivre l'armée ennemie : emblème
de la captivité dans laquelle elle devait fatalement
tomber. Non moins clair est l'usage symbolique des
plantes dans le charme destiné à mettre en déroute
les ennemis. En face de l'armée, sur un feu de bois
de bâdhaka, le purohita faisait une libation d'huile
d'ingida, en prononçant les paroles sacramentelles ;
puis au Nord du feu il plantait en terre une branche
d'açvattha, teinte en rouge ^ et après l'avoir entourée
de deux cordons, l'un bleu foncé, l'autre rouge, il la
lançait dans la direction du Sud, la région des Mânes,
en prononçant les mots : « Victoire à ceux-ci, défaite
pour ceux-là; de noir et rouge, je les enveloppe. »
II
Les charmes et les amulettes n'étaient pas moins
employés dans la thérapeutique que dans la magie
1. K.'S., cap. LI, 1 ; XVI, 27-33. D'après Bloomfield, Hymns
ofthe Atharva-Veda, p. 240, et W. Caland, Kauçika-SiUra,
p. 15, le kâmpîla serait le Crinum amaryllocee — il faudrait
au moins amaryllaceum — ; mais le Crinum amaryllaceum
n'existe pas; de plus, les Crinum sont des plantes herbacées
et n'ont point de branches ; j'incline à voir dans le kâmpîla
le Mallotus philippinensis.
2. Kauçika-Sûtra, cap. xvi, 16-17 et 19-20.
JoRET. — Les Plantes dans V antiquité. H. — 38
591 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
ordinaire ; ils servaient à guérir les maladies, aussi
bien qu'à écarter les dangers et les maléfices dont on
était menacé ; le médecin à Torigine ne se distinguait
pas du sorcier ; comme lui il était prêtre ; parfois
même il n'était que prêtre ou sacrificateur. Si, de
même que tous les autres maux, les maladies ont été
regardées longtemps comme produites par une influence
mauvaise, à l'origine elles furent plutôt considérées
comme une manifestation de la colère des Dieux*, la
punition d'une off'ense envers leur majesté '. Le repentir
et l'expiation de ses fautes ou de celles de ses proches,
des sacrifices, des prières adressées aux Dieux, qui
président à la santé : Varuna, Rudra, les Maruts,
Soma, etc., pouvaient seuls, en les apaisant, éloigner
les maux qui menaçaient le coupable ou guérir ceux
dont il était déjà atteint ^
Pardonne-nous les péchés commis par nos pères; pardonne-
nous ceux que nous avons commis nous-mêmes; comme la
génisse débarrassée du lien (qui la retenait), laisse en liberté
Vasishtha *.
Tu as des remèdes par centaines, par milliers, ô Roi, dit
1. Charles Daremberg, Recherches sur Vétal de la médecine
durant la période primitive de l'histoire des Indous, p. 6.
{Union médicale^ an. 1869.) — W. Crooke, The popular Reli-
gion of northej*n India, vol. I, p. 123.
2. « Je cherche avidement quel est mon péché et Je le
demande aux sages, dit aussi Vasishtha atteint d'hydropisie ;les
voyants me donnent pour toute réponse, c'est Varuna qui est
irrité contre toi. » Big-Veda, lib. Vil, 86, 3.
3. Grohmann, Medicinisches aus dem Alharva-Veda. (In-
dische Studien, vol. IX (1865), p. 408 et suivantes).
4. A Varuna. Atharva-Veda, lib. VII, 86, 5. Et ailleurs, II,
28, 9 : « Kemets-^ous nos propres méfaits, implore Gritsamada,
que je n'aie pas à expier le mal commis par autrui. Bien des
aurores se lèveront encore, accorde-moi de les voir en pleine
vie. rt
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 595
Çunahçepa ' ; large et profonde aussi est ta bonté ; repousse
loin de nous la ruine, délivre-nous du péché commis... Je
l'implore en f honorant de mes prières ; sacrificateur, je te le
demande avec cette libation ; ô Varuna, toi qui règnes au loin,
ne t'irrites pas contre nous, ne nous ravis pas la vie. — La
voix de mon cœur me le dit le jour, elle me l'annonce la nuit ;
le roi Varuna, que Çunahçepa, jadis prisonnier, a imploré,
nous délivrera... 0 Varuna, que nos sacrifices et nos prières,
que ces libations, détournent ta colère ! Toi qui es la force, roi
sage, remets-nous les péchés que nous avons commis.
Quelquefois, comme s'il n'eût eu la conscience
d'aucune faute, le malade se bornait à adresser une
simple prière aux Dieux, protecteurs de la santé*.
Que ta faveur soit sur nous, ô Père des Maruts; ne nous
retiens pas loin de la vue du soleil ! Sois favorable, héros, à
nos rapides coursiers ! Donne-nous, Rudra, de continuer de
vivre dans nos enfants... Chasse loin de nous la maladie et la
souffrance, et écarte de nous toutes les attaques du mal... Tu
te laisses fléchir par la prière et par le sacrifice ; je te veux
apaiser par mes chants.
Comme on le voit dans cet hymne, parfois c'était le
malade lui-même qui demandait aux Dieux la guétrison
de ses souffrances ; mais le plus souvent c'étaient des
prêtres-médecins, qui avaient pour mission de les
apaiser par leurs supplications et par leurs offrandes
et d'en obtenir laguérison du patient.
1. A Varuna. Rig-Veda, lib. I, 24, 9, 11-12 et 14. Et encore,
Vï, 74, 2-3. « 0 Soma et Rudra, chassez la maladie, qui a
pénétré dans notre demeure ; repoussez loin de nous la ruine
et qu'une heureuse renommée soit notre partage ! — 0 Soma
et Rudra, procurez à nos corps tous les remèdes connus de
vous; déliez, détachez de nous ce qui reste inhérent à nos c-orps
des péchés que nous avons commis ! »
2. Big-Veda, lib. Il, 33, 1-2, 3 et 5. Et ailleurs, X, 59, 4 :
« i\e nous livre pas, ô Soma, en proie à la mort; puissions-
nous voir souvent encore le soleil se lever ; puisse notre vieil-
lesse durer de longs jours ; puisse la Nirriti fuir loin de nous ! »
596 LKS PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Par cette oblation je le rends à la vie*, affranchi de son mal
inconnu et grave ; et si la maladie le saisit de nouveau, qu'In-
dra et Agni le délivrent! — Quand il serait demi-mort, qu'il
toucherait à sa fin ou serait déjà trépassé, j'irai le chercher au
sein de la destruction, je le sauverai, afin qu'il vive cent prin-
temps. — Avec cette oblation aux cent yeux, qui recèle cent
automnes et une centuple vie, je l'ai délivré, afin qu*Indrale
conduise pour cent hivers au rivage éloigné de tout mal. —
Qu'il vive dans le bien-être cent automnes, cent hivers et cent
printemps joyeux !
L'Atharva-Véda^ renferme, comme le Rig-Véda et
encore plus, de nombreuses prières adressées aux
Dieux par le patient ou le prêtre-médecin pour obte-
nir la guérison des maladies, ainsi qu'une longue vie
et la santé. Toutefois il arrivait aussi que, dédaignant
d'invoquer les Dieux, le prêtre-médecin commandait
lui-même à la souffrance, et c'étaient ses paroles libé-
ratrices qui la chassaient et rappelaient le malade a,
la vie.
Reste ici, ô homme', ne suis pas les messagers de Yama;
reviens au séjour des vivants. — Ne crains rien; tu ne mourras
pas; je te ferai vivre jusqu'à la vieillesse. J'ai banni de tes
membres la maladie qui les ravageait. — La maladie qui tor-
turait et ravageait tes membres, la détresse de ton coeur, ont
fui au loin comme l'aigle, vaincus par mon charme.
Cependant à côté de la conception qui voyait dans
les maladies un effet de la colère des Dieux ou la
1. Rig-Veda, lib. X, 161, 1-4.
2. Lib. II, 28; III, 11 et 28; VI, 113, 115, 120, etc., VII, 53.
Telle celle-ci, lib. V, 23, 1-2. « J'ai invoqué leCiel et la Terre ;
j'ai invoqué la déesse Sarasvatî ; j'ai invoqué Indra et Agni.
Qu'ils écrasent ces vers ! Tue, Indra, les vers de cet enfant,
ô toi, maître des trésors ! Toutes les puissances ont été tuées
par mon imprécation. »
3. Atharva-Veda, lib. V, 30, 6, 8 et 9. Cf. II, 28 ; III, 11 et
31; VII, 53; VIII, 1, etc.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 597
punition de fautes commises, s'en rencontra de bonne
heure une autre toute différente, qui les attribuait,
comme tous les autres maux dont les hommes sont
atteints, à l'influence nocive des démons de la nuit ou
des esprits de l'air, surtout de Nirriti « la Perdition »,
personnifiée et devenue la plus redoutable des puis-
sances ennemies des mortels * ; il faut ajouter aux prati-
ques des sorciers. C'est contre ces puissances invisibles
et funestes qu'on invoque maintenant la protection des
Dieux.
Anéantis avec tes feux les Yâtudhânas, que ta chaleur dévo-
rante, ô Agni^, détruise les Rakshâs ; que ta flamme chasse,
disperse les Mùradevas, ces démons qui s'attaquent à notre
vie... au Yàtudhâna, qui se repaît de chair humaine, de la
chair des coursiers et du bétail, qui tarit le lait des vaches, que
tes traits brûlants, ô Agni, fendent la tête !
Au lieu de s'adresser aux Dieux, on cherchait par-
fois à apaiser le démon, cause de la maladie, par
d'humbles soumissions ou par des prières \
Que tu sois flamme, que tu sois chaleur... toi qu'on appelle
Hrùdu *, ô dieu de la jaunisse, aie pitié de nous, épargne-nous,
ô Takman. — Que tu brûles, que tu écorches, que tu sois fils
du roi Varuna, toi qu'on appelle Hrûdu, aie pitié de nous,
épargne-nous, ô Takman.
1. Outre Nirriti, on trouve aussi comme divinités du mal,
Aràti, a l'impiété », Gràhi, « la rapacité », etc. Nirriti a été
identifiée par M. Speyer avec Nerthus, la déesse chthonienne
desK^ermains, Eene Indische Vf rivante de Germansche Godin
Nerthus. {Verhnndelingen van de Maatschappij dernederl.Let-
terkunde te Leiden^ 1901-1902).
2. AtharvaVeda, lib. X, 87, 14 et 16. Et ailleurs, V, 22:
«Qu'Agni chasse loin d'ici le takman — la fièvre personnifiée — !
Que Soma et Varuna à l'habileté éprouvée le chassent au loin ! »
3. H. Zimmer, op. laud., p. 396. L'hymne V, 7 est un hom-
mage d'adoration et d'obéissance rendu à Aràti et à Nirriti
« aux cheveux d'or ».
4. Atharva-Veda, lib. I, 25, 2, 3, 4.
598 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Au froid Takman ^ au Takman qui brûle et donne le délire,
je rends hommage. Au Takman qui revient le matin, à celui
qui revient tous les deux jours, au Takman qui revient le troi-
sième jour, je rends hommage.
Le plus souvent toutefois on combattait la maladie
ou les esprits mauvais à Taide d^une conjuration ; on
cherchait, par un contre-charme plus puissant, à ren-
voyer le sort malfaisant sur celui qui Tavait jeté '.
Le mal de tête, la douleur de tête, les élancements d*oreilIes,
la décomposition du sang, toute maladie de la tête, nous les
bannissons par ce charme...
L*envoùtement, qui a été préparé par un çùdra ou par un
râja, préparé par une femme ou par les Brahmanes, comme
une matrone rejetée par son mari, qu'il se retourne contre
celui qui Ta fabriqué et contre ses parents.
Ce moyen de combattre, par une incantation, les
maux dont on souffrait ou qu*on redoutait était le plus
ordinairement employé dans les derniers temps védi-
ques. L*Atharva-Véda est rempli d'incantations contre
toutes les maladies, dont on pouvait être atteint ; le
takman', espèce de fièvre paludéenne particulièrement
redoutée, et certaines affections qui s'y rapportent :
le bab\sa, son « frère », et sa « sœur » la kâsiki — la
toux — , ainsi que son « neveu » le pâman — une
espèce d'éruption* — ; les différentes formes de yak-
shma* — la phtisie — , le visalyaka et le vidradha, ses
symptômes incertains ; les douteux apvà, vâtîkârgL et
1. Athm'va-V€da,\\b,X,\. Cî. lib. 1, 25; VI, 20; VII, 116, etc.
2. A.-V,, lib. IX, 8, 1; X, 1,3. Et encore V, 8: «OAgni,toi
qui gapne les batailles, par un contre-charme rejette cette con-
juration sur celui qui l'a faite. »
3. Lib. I, 25; V, 22; VI, 20; VII, 116.
4. Lib. V. 22, 11-12 ; VI, li et 105. - Grohmann, Medicini-
sches. (Indische Stvdien, vol. IX, p. 381-407).
5. Lib. IX, 8 ; XIX, 44, 2. Zimmer, op. laud., p. 375-379.
LES PLANTES DANS LA MEDECINE 599
visbkandha\ le kilâsa ou lèpre ^, le kshetriya, espèce
de maladie héréditaire ^, etc. ; puis la jaunisse, le
dérangement et les douleurs d'entrailles *, la constipa-
tion et la rétention d'urine, Thydropisie *, Tapacit
— scrofules* — , les hémorragies et Tophtalmie'', les
arças* — hémorrhoïdes — -, les vers intestinaux', les
poisons, le venin des serpents et les piqûres d'insectes *°,
la folie enfin, regardée comme une possession du
démon". Il y avait également des charmes pour faire
pousser les cheveux et faciliter les accouchements ",
s'assurer une santé parfaite et l'immunité contre toute
espèce de maladie, obtenir une longue vie et même
l'exemption de la mort *^.
Comme les autres charmes magiques, les charmes
curatifs étaient souvent accompagnés d'une prière ou
d'une incantation, adressée à une plante dont on im-
plorait le secours comme celui d'une divinité toute-
puissante : c'est ainsi qu'un rishi invoque la plante
1. Lib. VI, 127, 1 et 3; IX, 8,20; I, 16, 3; III, 2, 5 et 9,6.
Pour A. Weber, Tapvâ était une espèce de diarrhée. Indische
Studien, vol. IX, p. 'i82.
2. Lib. I, 23 et 24 . T. A . VVise, Commeniary on ihe II indu System
ofmedicine. Calcutta, 1845, in-8. p. 258.
3. Lib. II, Set 10; 111,7. — Zimmer, op. laud., p. 391.
4. Lib. I, 22; I, 2; II, 3; VI, 44 et 90.
5. Lib. I, 3, I, 10; VI, 24; VU, 83.
6. Lib. VI, 83, 1-3; VU, 74, 1-2 et 76, 1-2.
7. Lib. I, 17; VI, 16. — Wise, op. laud., p. 272 et 291.
8. Vàjasaneya'Samhiiâ, XII, 98. — Wise, op. laud., p. 209
et 384. — Zimmer, op. laud., p. 393.
9. Lib. II, 31 et 32 ; V, 23. — Zimmer, op. laud., p. 394.
10. Lib. IV, 6 et 7, V, 13; VI, 12; VII, 56.
11. Lib. VI, 45 et 111 ; II, 9. — Zimmer, op. laud., p. 393.
12. Lib. VI, 21, 136 et 137; I, 11; VI, 17.
13. Lib. II, 32; IX, 8; II, 29; III, 11, 28, 31, 53; V, 30; VII,
53; VIII, let2.
600 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
priçniparnî *, contre le démon Kanva, personnification
d'une maladie indéterminée.
La déesse priçniparnî a préparé pour nous le bonheur, le
malheur pour Nirriti. C'est une tière destructrice des Kauvas ;
j'ai eu recours à sa vertu. — La déesse priçniparnî a été en-
gendrée toute-puissante; avec elle j'abats les têtes de cette
engeance mauvaise, comme celle d'un oiseau. 0 priçniparnî,
détruis, dompte le démon qui suce le sang et qui tente de nous
ravir la santé, le Kanva, qui dévore notre postérité. Repousse
au milieu des montagnes ces Kaçvas destructeurs de nos vies ;
poursuis-les, brûlante comme le feu, ô déesse Priçniparçjî. —
Chasse ces Kanvas destructeurs de nos vies ; qu'ils s'enfuient
ces mangeurs de chair dans la région des ténèbres !
Plus puissant encore était le jangida*; « créé à
trois reprises par les Dieux sur terre », il était doué
de vertus sans limites ; il mettait en fuite toutes les
maladies, protégeait surtout contre le visbkandha et
le samskandha, le balâsa et le takman, les convulsions
et les douleurs musculaires ; enfin il détruisait les
Rakshàs et les malintentionnés ; mais c'était surtout
contre les charmes, qu'ils fussent ourdis par les
hommes ou les Dieux, qu'on l'invoquait.
Que le jangida nous protège ', comme le trésorier fait de ses
trésors, lui dont les Dieux et les Brahmanes ont fait un refuge
qui met à néant les puissances du mal. Parla vigilance, détruis,
ô plante aux cent yeux, des malintentionnés le mauvais œil,
le criminel qui m'approche ! Que le jangida me protège contre
tout ce qui me menace, (qu'il vienne) du ciel, de la terre ou
de l'atmosphère, du passé ou de l'avenir; qu'il nous protège
dans toutes les directions ! Que le jangida, remède universel,
1. Hemionitis cordifolia. A.-V., lib. II, 25, 1-5.
2. Le jongitfa paraît être la Terminalta arjuna. H. Zimmer,
op. laud.y p. 69. — M. Bloomfield, Jlymns of the Atharva-
Veda, p. 280. Le samskandha ne semble pas différent du vish-
kanda
3. Athana-Veda, lib. XIX, 35, 2-5. Cf. lï, 4 et XIX, 34.
LKS PLANTES DANS LA MÉDECINE 601
rende impuissants les charmes préparés par les Dieux, comme
ceux des mortels !
L'apâmârga, cette amarantacée qui, par une espèce
de jeu de mot, avait été douée de vertus si merveil-
leuses, jouait un rôle considérable dans la médecine
magique ; elle écartait les maladies, comme elle met-
tait en fuite les esprits malfaisants et effaçait les
souillures du péché ; on s'explique par là l'enthousiasme
avec lequel en parle le prêtre-médecin qui s'en sert*.
Nous te saisissons, ô maîtresse victorieuse des remèdes. J'ai
fait de toi, ô plante, un remède d'une force centuple bon pour
tous. — Infaillible et victorieuse, protectrice puissante, toi qui
détournes la malédiction, je t'ai recueillie, avec toutes les
plantes, afin que tu nous délivres de notre trouble... — La
mort par la faim, la mort par la soif, la pauvreté en bétail, le
manque de postérité, tout cela, ô apàmârga, nous l'évitons par
toi. — La mort par la soif, la mort par la faim, la malechance
au jeu, tout cela, ô apàmârga, nous l'évitons par toi. — L'apà-
màrga est le souverain maître des plantes, avec lui nous écar-
tons de toi le malheur : vis désormais exempt de maladie.
Au lieu de la plante, c'en était souvent un simple
fragment, une amulette, dont on se servait dans les
incantations ; telle une amulette en bois de varana,
« qui renfermait mille remèdes et gardait contre tout
mal ». Il arrivait même parfois qu'on réunissait en-
semble plusieurs morceaux de plantes différentes, afin
sans doute de donner plus de force au talisman ; tel
est celui composé de dix espèces de bois — daça-
vriksha — , auquel un atharvan — prêtre-médecin —
demande la guérison d'un malade*.
O (amulette) de dix espèces de bois, délivre cet homme du
1. A.-V., lib. IV, 17, 1-2, 6-8 et 18. Cf. VII, 65. 3.
2. Atharva-Veda, lib. X, 3, 3-4 ; II, 9, 1, 4 et 5.
«02 LES PI.ANTKS CIIKZ LES HINDOUS
démon et du mal qui a saisi ses membres. Ramëne-le, 6 plante,
au monde des vivants. — H est revenu à lui , il a regagné la
société des vivants. Il est devenu le père de fils (nombreux) et
le plus heureux des hommes... car il a cent médecins et mille
herbes bienfaisantes. — Les Dieux t'ont inventée ; les Brah-
manes ont trouvé les plantes (qui te composent)... Le (dieu)
qui a envoyé le mal, le guérira; il est lui-même le meilleur
des médecins.
C'est contre leyakshma, que i'arundhatî, cette liane
magique non identifiée, dont le poète de l'Atharva
exalte les vertus et qu'il nous montre s'enlaçant autour
des arbres comme une « courtisane amoureuse », était
d'ordinaire invoquée ; mais on la regardait également
comme souveraine pour la réduction des fractures*.
La nuit est ta mère, le nuage ton père, Aryaman ton grand-
père, Silâcî ton nom ; tu es la sœur des Dieux. — Qui te boit,
vit; protège cet homme, toi qui es le recours de toutes les
générations, le refuge de tous les hommes... Tu es la guérison
des blessures faites par le bâton, la flèche ou le feu; guéris
donc cet homme. — Tu grimpes et crois sur Tombreux plak-
sha, l'açvattha. le khadira, le dhava, ainsi que sur le noble
nyagrodha et le parna ; viens à nous, ô arundhatî. — De cou-
leur d'or, bienfaisante, brillante comme un rayon de soleil, ô
belle (plante), attache-toi à cette fracture; guérison est ton
nom. — De couleur d'or, bienfaisante, parfumée,, aux tiges
velues, tu es la sœur des eaux, ô lâkshâ; le vent est ton souffle.
— Tombée de la bouche du brun coursier de Yama, tu t'es,
ruisseau ailé, élancée sur les arbres; viens à nous, ô arun-
dhatî.
C'est cette plante encore qui est invoquée à la fin de
l'incantation suivante, d'un caractère si archaïque et
vraiment indo-européen*.
1. A.-V., lib. V, 5, 12, 4-7 et 9: VI, 59, 1-3. M. Caland a
voulu, à cause de son surnom lâkshâ, voir dans I'arundhatî,
la laque; mais alors pourquoi serait-ejlc décrite comme une
liane ? Cf. M. Bloomfield, Hymnx, p. 387.
2. Al/iarva-Veda, lib. IV, 12, 2-6.
LKS PLANTKS DANS LA MEDECINE 603
Les os de tes membres froissés et brisés, que Dhâtar les re-
joigne doucement, quil en unisse les parties séparées ? — Que
la moelle s'unisâe à la moelle, que ta chair disparue, que tes
08 croissent de nouveau ! — Que la moelle se joigne à la moelle,
la peau à la peau. Que ton sang, tes os croissent, que ta chair
croisse unie à ta chair !... 0 plante, rejoins ce qui est séparé!
Mais dans cette conjuration, Tarundhatl n'agit
guère que par sa présence ; ce sont les paroles, pro-
noncées par le prêtre-médecin, comme dans les for-
mules germaniques connues *, qui produisent la guéri-
son des membres brisés.
Dès longtemps, à en juger par le nombre des
incantations qui s'y rapportent, on attacha une impor-
tance particulière à la croissance des cheveux ; une
plante indéterminée, la nitatnî, était invoquée pour la
favoriser.
Tu es née. ô plante 2, comme une déesse sur la terre divine ;
nous t'arrachons, ô nitatnî, afin que tu fortifies la croissance
de ses cheveux, -r- Fortifie ceux qui sont déjà vieux, fais-en
pousser de nouveaux. Rends plus vigoureux ceux qui sont
venus. — Sur ceux de tes cheveux qui tombent et dont la
racine est détruite, sur tous je secoue cette herbe salutaire.
C'était aussi sans doute la nitatnî que Jamadagni
avait déterrée pour faire pousser les cheveux de sa
fille, et qui, apportée par Vîtahavya de la demeure
d'Asita, dit un hymne ^ les fit croître de la longueur
d'une toise.
Bien d'autres plantes, aujourd'hui connues ou incon-
nues, étaient employées dans les incantations raédi-
1. Kuhn, Indische und germanische Segensprnche. {Zeii-
schrift fur vergteichende SprachforRchung, vol. XIII (1864),
p. 51-57). - J. Grimm, Deutsche Mythologie, p. 1030 (1182).
2. Atharva-Veda, lib. VI, 136, 1-3.
3. Atharva-Veda, lib. VI, 137, 1-3.
604 LES PLANTES CHEZ LES HINDOLS
cales; telle Tâsuri, la moutarde de l'Inde ^ dont le
goût piquant avait peut-être fait une plante magique ;
telle aussi la pippall, grain de poivre, qu'on trouve
dans une incantation destinée à guérir les blessures
faites par les armes de trait et par les instruments
contondants; l'orge « fille du ciel », remède universel ;
l'indéterminé cîpudru, imploré contre les abcès, le
flux de sang et le balàsa^; le çana, qu'on invoquait
avec le jangida, contre le vishkandha ; la vishànakà,
plante inconnue, à laquelle on demandait la guérison
des dérangements d'entrailles ; l'incertain âbayu, « au
jus fort », qui était invoqué contre l'ophtalmie ; le
guggulu, dont la douce odeur faisait fuir les maladies ^
Bien autrement important que toutes ces plantes
était le kushtha, « le bon ami de soma », plante semi-
mythique, qui apparaît dans les plus anciennes lé-
gendes; renommée entre toutes par sa « puissance
divine », elle était surtout employée pour combattre le
takman, ce mal si redouté et si redoutable *.
Que le divin protecteur kushtha vienne ici de l*Himavant,
détruire tous les takmans et tous les charmes féminins. — Tu
portes trois noms : « kushtha », « point de mort », « point de
dommage ». Qu'il ne souffre aucun dommage celui pour lequel
je t'implore matin et soir et tout le jour. — Le nom de ta mère
est jîvahà « vivifiante », le nom de ton père jivanta « vivant ».
Qu'il ne souffre, etc. — Tu es la plus excellente des plantes,
comme le taureau au milieu du troupeau, le tigre au milieu
des bètes de proie. Qu'il ne souffre, etc. — Trois fois procréé par
le Çâmbu Aôgîras, trois fois par les Âdityas et trois fois par
tous les Dieux, ce kushtha, remède universel, combat avec le
1. S inapis die ho toma, Magoun, The Asuri-kalpa, {The ame-
rican Journal of Philology, vol. X (1889), 1. p. 172).
2. A.V., lib. VI, 91, 1; 109, 1-2 et 127, 1.
3. A.-V., lib. II, 4, 5; VI, 44, 2; 16, 1; XIX, 38, 1.
4. A.'V.y lib. XIX, 39, 1-5 et 10. Cf., V, 4.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 605
sonia. Détruis tous les takmans, tous les charmes féminins...
— Le takman qui revient tous les trois jours, celui qui se con-
tinue sans interruption, celui qui revient chaque année, ô
plante à la force irrésistible, chasse-les loin d'ici*.
Outre les plantes magiques que je viens de citer il y
en avait, nous en avons déjà vu des exemples, beau-
coup d'autres dont l'Atharva ne donne pas les noms,
mais dont il célèbre complaisamment les vertus mer-
veilleuses. Il y est question entre autres d'une plante
« de couleur sombre », invoquée pour guérir la lèpre ;
une autre « par son éclat » servait à écarter le kshe-
triya, espèce de maladie héréditaire ; d'autres plantes
également anonymes figurent dans des conjurations
contre les poisons, ainsi que contre le venin des ser-
pents et les piqûres d'insectes. Il y avait une plante
qui fortifiait la virilité*.
A ces panacées de la médecine védique, il faut
joindre la plus célèbre, le soma. L'hymne, que j'ai cité
dans le chapitre précédent, représente les maladies,
efi'rayées à l'approche du divin breuvage, « s'enfuyant
impuissantes au milieu des ténèbres, » et il se termine
par ces vers, qui nous montrent que cette liqueur sacrée
n'était pas moins une boisson médicinale qu'une offrande
aux Dieux ^. « Le puissant soma est descendu en nous,
nous sommes arrivés au point où la vie se prolonge...
Tu es, ô soma, un restaurateur de nos forces ; pénètre en
nous de toutes parts. » Si les maladies s'enfuient de-
vant le soma, s'il est invoqué ici comme un protecteur.
1. Outre le takman, le kushtha guérissait les maux de tète
et d'yeux, ainsi que les douleurs d'entrailles. A.-V,. lib. V, 4,
10. Cf. Ziramer, p. 6'».
2. A.-K, lib. I, 24; II, 8,2; IV, 7, 4; VII, 56, 2; IV, 4.
3. Rig-Veda, lib. VIII, 48, 11 et 15.
e06 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
c'est qu'il avait la vertu de rendre et d'entretenir la
santé. « J'ai pris du soma au lever du soleil, c'est le
remède du malade », dit un rishi\ résumant par ces
mots toutes les vertus salutaires qu'on attribuait à ce
breuvage sacré.
Parfois ce n'était pas une plante particulière, mais
les plantes en général que l'on invoquait. C'est ainsi
qu'un rislii demande aux « nombreuses plantes au cen-
tuple aspect » ou aux « cinq royaumes des plantes et
à soma leur roi » la délivrance des maux qui le mena-
cent; que pour obtenir un fils, un autre rishi implore
« les plantes dont Dyaus est le père, dont Prithivî est la
mère et l'Océan la racine* ». C'est à toutes les plantes
indistinctement, considérées comme remède universel,
que s'adresse encore l'auteur de l'hymne suivant \
Les brunes et les blanches, les rouges et les mouchetées, les
plantes à la sombre couleur, les noires, toutes nous Qes) invo-
quons. — Qu'elles sauvent Thomme que voici de la maladie
envoyée par les Dieux... Les plantes que je connais et celles
que mon œil contemple, les inconnues et celles que nous con-
naissons, que toutes les plantes écoutent ma parole, afin que
nous arrachions cet homme à l'infortune et le mettions en
sûreté... Celles que connaissent les serpents et les Gandharvas,
je les appelle à son secours. — Celles qui relèvent des Angiras,
et que connaissent les aigles et les faucons célestes, celles que
connaissent les oiseaux^ les flamants et tous les volatiles, celles
que connaissent les bétes sauvages, je les appelle à son secours.
— Toutes celles que paissent les bœufs et les vaches, les
chèvres et les brebis, que toutes ces plantes, appliquées sur
toi, te donnent protection.
Si à l'origine les prières aux Dieux et les incanta-
t. Rig-Vcda, lib. VIII. 61, 17.
2. A.-V., lib. VI, 96, 1; XI, 6,15; III, 2,3, 6.
3. A.'V.. lib. VIII, 7, 1-2, 18-19, 23-25. Ludwig, Der Rig-
Veda, vol. lll, p. 505. — Bloomfield, Hymns, p. 41-44. —
V. Henry, Les livres VIII et IX de l'Alharua-Veda, p. 20-22.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 607
tions étaient considérées comme pouvant à elles seules
amener la guérison des maladies, les sorciers-médecins
y joignirent bientôt diverses pratiques, doutTAtharva
a omis ou dédaigné de faire mention, mais que le
Kauçika-Sùtra nous fait connaître en détail * ; ces
pratiques constituaient la partie matérielle du traite-
ment, dont les conjurations n'étaient que Taccompa-
gnement religieux et traditionnel. Les causes tout
extérieures que les anciens Hindous attribuaient aux
maladies devaient en rendre singulièrement uniforme
la thérapeutique ; le môme traitement servait souvent
pour plusieurs maladies différentes et quelquefois
même pour n'importe quelle maladie*. Quant aux pra-
tiques qui se joignaient aux incantations, elles étaient
d'une grande simplicité : avec les amulettes, elles
comprenaient presque exclusivement des ablutions et
des lotions d'eau ordinaire, des frictions ou des onc-
tions, des boissons d'une composition souvent bizarre,
des mets ordinaires et parfois aussi des inhalations.
Mais les prières prononcées en les faisant ou en les pré-
parant, les substances consacrées qu'on y ajoutait, les
incantations qui en accompagnaient l'emploi leur don-
naient un caractère religieux et magique particulier.
D'après le Kaudka-Siitra \ par exemple, avant
d'employer une amulette, le prêtre-médecin la faisait
tremper trois jours dans un mélange de lait caillé et
de miel; puis, après avoir sacrifié, il versait dessus,
1. Gap. XXV-XXXVII, W. Caland. p. 67-125.
2. A'.,S.,cap.XXV,4-5,20-22;XXVI, 40; XXVII, 3; XXVIII,
8, 17-20; XXX, 1-18.
3. Cap. XIX. 22. Cf. Oldenberg, La Religion du Vêda,
p. 437. — V. Ueary, La Magie dans V Inde antique. Paris, 1904,
in-12, p. 40.
608 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
avant de s'en servir, les restes du beurre clarifié
— sampâta — , qui avait servi à l'oblation ; par là
seulement l'amulette acquérait toute sa vertu. De même
Teau, qui servait aux ablutions d*un malade devait
être préalablement consacrée et mêlée de sampâta ; on
en versait aussi sur la bouillie qu'il mangeait, dans les
potions qu'on lui faisait prendre, etc. Tous ces remèdes
avaient ainsi quelque chose de sacré ; quant à leur
composition, elle dépendait bien plus de considérations
magiques que de Tefficacité réelle des ingrédients qui
y entraient, et un assez petit nombre de plantes ser-
vaient à les préparer. On comprendra dès lors que je
ne m'y arrête guère. Je me bornerai, pour donner une
idée de cette médecine magique, à faire connaître le
traitement de quelques-unes des maladies pour la gué-
rison desquelles étaient employés surtout des remèdes
d'origine végétale.
Commençons par la fièvre paludéenne, — le takman,
de l'Atharva, l^jvara des écrivains postérieurs*. Pour
combattre cette afi'ection si redoutable dans les pays
tropicaux, on suspendait au cou du malade, à l'aide
d'un cordon en mûnja, un épi de cette plante, enduit
de sampâta et consacré par une incantation de cir-
constance, puis on lui faisait boire une potion d'eau,
mêlée de sampâta et « bénie » suivant le rite, dans
laquelle on avait mis du gazon et de la terre de four-
millière piles. D'autres fois on lui donnait une décoc-
tion de grains de riz grillés*. S'agissait-il d'un malade
atteint de consomption — yakshma — , on lui atta-
1. Julius Jolly, Medicin, p. 17 et 70. (Grundriss der indo-
arischen Philologie, III, 10).
2. /iT.-S., cap. XXV, 6 8; XXIX, 18. Voir plus haut, p. 598.
' LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 60»
chait, en récitant l'incantation appropriée, une amulette
en bois de varana *. Pour guérir une rétention d'urine,
le traitement était plus compliqué. Après avoir fixé au
cou du malade, en guise d'amulette, un fruit d'harîtakî,
on lui donnait à manger le lait et le miel dans lesquels
il avait trempé ; puis on lui faisait prendre un mélange
composé de terre de fourmilière, d'herbe pûtîka, de
branchettes repoussées d'une souche, le tout réduit en
poudre, mis dans du lait caillé et délayé dans de l'eau.
D'autres fois il buvait une infusion plus agréable d'ala,
de bisa et d'ula. Enfin le prêtre-médecin lançait une
flèche dans sa direction, ou ce qui était évidemment
plus efficace, il le sondait avec un roseau consacré*.
Une incantation prononcée, tandis qu'on versait sur
la tête du malade de l'eau dans laquelle on avait mis
21 poignées de darbha ou 21 chaumes d'une couverture
en paille, tel était le traitement de l'hydropisie. Par-
fois on y ajoutait une friction faite de haut en bas,
pendant que le malade buvait quelques gorgées d'eau'.
Cette eau et celle qu'on versait sur lui agissait par
sympathie. On combattait aussi la jaunisse par un
procédé sympathique. On faisait manger à celui qui
en était atteint une bouillie de riz cuite avec du cur-
cuma, puis on le frottait de la tête aux pieds avec ce
qui restait. Ensuite avec un fil jaune, on attachait, par
la patte gauche, des oiseaux jaunes de couleur au pied
du lit du patient ; on l'y faisait étendre et on l'arrosait
alors avec de l'eau ; les oiseaux la recevaient et en
1. K.-S., cap. XXVI, 37. Voir plus haut, p. 588.
2. K.-S., cap. XXV, 1-10, 14-15 et 18. Uala et Vula sont
inconnus; le pûHka est la Cœsalpinia bonducella ; le mot bisa
désigne une tige de lotus et Vharîtaki est lemyrobalan chebulic.
3. K.-S., cap. XXV, 37; XXXII, 14.
JoRBT. — Les Plantes dans l'antiquité. 11. — 39
610 LES PLANTFS CHKZ LES HINDOUS
s*enYolaDt emportaient le mal dont elle était impré-
gnée *.
Pour guérir une blessure ou une fracture, au point
du jour, (c quand les étoiles disparaissent », on les
lavait avec une décoction de làkshà, et Ton donnait à
boire au malade un mélange de lait et de beurre fondu.
D'autres fois on se bornait à lui faire boire, tandis
qu'on récitait une incantation dé circonstance, une
infusion de lâkskâ dans du lait^. Quand il y avait
hémorragie, on touchait la plaie saignante avec un
roseau garni de cinq nœuds ; on la saupoudrait de sable
et de gravier ; puis on remettait au malade, en guise
d'amulette, un tesson ramassé dans des décombres, et
on lui faisait boire un mélange de lait caillé et d'eau,
dans lesquels on avait mis des graines écrasées de
sésame avec quatre brins de dùrvâ piles ^ Si la bles-
sure était faite avec une flèche empoisonnée, le brahme-
médecin commençait par faire hommage au roi des
serpents Takshaka, puis il faisait boire au malade un
peu d'eau, soit pure, soit dans laquelle il avait mis un
morceau de krimuka réduit en poudre ; il en aspergeait
aussi la plaie, et il arrosait le corps entier du malade
avec de l'eau, bénite d'après le rite et qu'il avait fait
tiédir, en y jetant des objets de rebut chauffés ; en-
suite dans une bouillie, mêlée d'eau et de sampâta, et
qu'il remuait avec deux flèches enduites de poison, la
pointe tournée en l'air, il mettait, en récitant à chaque
1. K.'S., cap. XXVI, 18.
2. K.'S.. cap. XXVIII, 5-6 et i4. — Bloomfield, Hymns.
p. 385. Lâkshâj nous l'avons vu, est un autre nom de Yarun-
dhatiy ainsi que celui de la laque.
3. K.-S., cap. XXVI, 10-13. On broyait au.ssi un fragment de
tesson et on le faisait boire, délayé dans de Teau, au patient.
LKS Pr.ANTES DANS LA MÉDFXINE 6li
fois une incantation, des fruits de madana et il la don-
nait à manger au blessé, qu'il faisait ainsi vomir ^
Les serpents venimeux ont été de tout temps re-
doutés dans rinde, où ils font tant de victimes.
Aujourd'hui pour s'en préserver, on porte àja main
des baguettes flexibles et tachetées de citra^ ou de
Bauhinia aîiguina. Le Kaùçika-Sûtra recommandait,
comme moyen de s'en garantir, d'envelopper dans un
coin de sa tunique une espèce d'insecte, le paidva, sur
lequel on murmure une incantation. Avait-on été mordu,
le brahme-sorcier frictionnait le malade de la tête aux
pieds, en récitant un charme de circonstance, et, à
la dernière strophe, il brûlait la blessure avec un
tison, qu'il jetait ensuite dans la direction du serpent \
S'il s'agissait d'une piqûre d'insecte, on mettait au cou
du blessé, une amulette en bois doux, consacrée d'après
le rite, et on lui faisait boire un mélange d'eau et de
miel, du beurre fondu et de l'eau, ou encore une in-
fusion de réglisse*.
Pour guérir les maladies d'yeux on attachait au cou
du patient une amulette de sénevé bénite, et on lui
donnait à manger des feuilles de cette plante, bouillies
dans de l'huile, ou quatre fruits de çâka, dont le jus
servait à lui oindre les yeux^ Le brahme-médecin
1. K.-S., cap. XXVHI, 1-'*. Les fruits de madana aonX peut-
être des graines d'un datura; le krimuka n'a point été identifié.
2. Staphylea Emodi. — Brandis, p. 114. — Roxburgh, II, 328.
3. K.S.y cap.XXXII, 22 et 23-24. Au chapitre XXIX, 114, est
indiqué un traitement bien plus compliqué, mais où les plantes
ne jouent aucun rôle.
4. K.S., cap. XXXI 1, 5-7. LeK.S.,Ibid., 6, parle aussi d'une
amulette composée de gazon et de terre de fourmilière piles et
enveloppés dans une peau d'animal non mort de maladie ou
de vieillesse.
5. K.'S., cap. XXX, 1-5. Le çàka est la Teclona grandi».
612 LES PUNTFS CHEZ LES HINDOUS
suspendait, en récitant une incantation, au cou de
l'épileptique ou du possédé, une amulette en sadam-
pushpâ, et il lui faisait manger le miel et le lait caillé,
dans lesquels elle avait trempé. D'autres fois il mettait
dans ses mets des feuilles pulvérisées de çamî, et il
répandait tout autour de sa maison une poudre ma-
gique *.
Le traitement des vers intestinaux, auxquels on
attribuait sans doute plus d'un mal dont ils n'étaient
pas cause, était singulièrement compliqué'. Il com-
mençait par une offrande de pois chiches, d'algandus
et de hananas, mêlés de beurre fondu ; après quoi le
prétre-médecin enveloppait de gauche à droite, avec
les crins d'une queue de vache, un bambou tacheté de
noir ou une racine de karîra ; il l'écrasait avec une
pierre, en mettait les morceaux au feu et en faisait
respirer la fumée au malade. Il répandait aussi sur
lui du sable qu'il avait broyé fin dans sa main gauche
en se tenant tourné vers le Sud. S'agissait-il d'un
enfant, on l'asseyait à l'Ouest du feu sur les genoux
de sa mère, et à trois reprises, avec le bout, enduit
de beurre frais, d'un pilon, qu'on ramenait chaque fois
d'arrière en avant, on lui touchait le palais. On endui-
sait aussi la partie endolorie de graines (écrasées) de
çigru, délayées dans du beurre. On écrasait de même
21 racines d'uçîra et on les administrait à l'enfant; enfin
on l'aspergeait avec de l'eau bénite, dans laquelle on
avait mis des racines pulvérisées d'uçîra et du sampàta.
1. K.S.. cap. XXVIII, 7, 9 et 11.
2. K -S., cap. XXVII, 14-18 et 20 ; XXIX, 20, 22-16. On
ignore ce que sont Valgan4u et Vhanana ; le karira, est la Cdp-
paris aphylla. Vuçira, VAndropogon muricatus et le çigru, le
Moringa pterygosperma.
!
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 613
Les maladies cutanées et les tumeurs étaient Tobjet
de traitements variés ; je me bornerai à mentionner
celui de la lèpre. Le sorcier-médecin frottait d'abord,
avec de la bouse de vache desséchée et jusqu'à ce que
le sang parût, la partie atteinte ; puis il étendait dessus
du curcuma, du bhrifigaràja, de la coloquinte et de
l'indigo, réduits en poudre et bénits, substances dont
la co.'lour foncée faisait disparaître la blancheur
livide de la lèpre*. Pour rendre l'opération plus effi-
cace, il oignait ensuite le malade de la tête aux pieds
d'une pommade faite avec du beurre frais et de la
racine pulvérisée de kushtha'% tout en récitant une
incantation appropriée à la circonstance.
Pour combattre le kshetriya, maladie héréditaire
ou invétérée de caractère incertain, la médecine ma-
gique avait multiplié les remèdes ; je ne parlerai que
d'un seul des divers traitements qu'elle employait ^
En dehors de la maison, le sorcier faisait sur le malade
une aspersion d'eau mêlée de sampâta ; puis il lui sus-
pendait au cou une amulette faite de copeaux de jaA-
gida, de baies d'orge et d'épis de sésame. Il lui remet-
tait aussi, en guise d'amulette, du gazon et de la
terre de fourraillière réduits en poudre et cousus dans
la peau d'un animal, qui n'était mort ni de maladie,
ni de vieillesse. Puis il lui répandait sur le corps une
écuelle d'eau consacrée, en tenant au-dessus de la tête
un joug de charrue. Enfin après une oblation faite
suivant le rite, il versait une partie du sampàta dans
1 . K.-S.y cap. XXVI, 22-2'». — .1.- V., lib. 1, 23 et 24. Le même
traitement était employé contre lès cheveux gris. Le bhrin-
garâja est VE clip la prostrata.
2. K.-S., cap. XXVIH, 13. — A.-V., lib. V, 'i, 3 et 4.
3. K.-S., cap. XXVI, U-43;XXVI1, l-'i.
614 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
une maison abandonnée, Tautre dans une vieille fosse,
où il avait déposé quelques chaumes du toit de la
maison ; puis il faisait boire au malade, qui était
descendu dans la fosse, un peu d*eau et il le lavait.
* *
Les recettes qui précèdent suffisent pour donner une
idée de ce qu'était la médecine magique des Hindous;
les pratiques auxquelles elle avait recours étaient-elles
d'un emploi général, et constituaient-elles, même à
Tépoque des Védas, tout l'art de guérir? Il est permis
d'en douter ; les incantations de TAtharva et les for-
mules du Kauçika-Sûtra nous reportent à un état do
choses antérieur à la civilisation védique, aux pratiques
d'un chamanisme primitif*, qui avaient persisté à côté
des moyens de guérir plus rationnels, et que les peu-
plades indigènes conservèrent fidèlement, alors que
les tribus aryennes demandaient depuis longtemps aux
plantes des remèdes véritables. Pour ces tribus, les
végétaux n'étaient pas doués seulement de vertus
magiques, en quelque sorte tout extérieures, ils possé-
daient par nature des propriétés médicinales, propres à
combattre les maladies et à les guérir. On trouve déjà
comme un écho de cette croyance dans l'hymne <c Aux
Plantes » de TAtharva, que j'ai cité plus haut; on la
retrouve plus nettement affirmée encore dans un des der-
niers hymnes du Rig-Véda. S'il faut faire dans ce chant
la part de la rhétorique propre aux compositions de ce
genre et de cette époque, il ne nous fournit pas moins la
1. W. Caland, Allindischea Zauberntual, p. ix. — V. Henry,
La Magie dans VInde antique y p, 20.
V LES PLANTKS DANS LA MÉDECINE 615
preuve manifeste que les plantes étaient, au temps des
Védas, déjà employées dans le traitement des maladies
à cause des vertus curatives qui leur étaient inhérentes,
et leur connaissance était le premier mérite et le pre-
mier devoir du médecin \
Des plantes issues des Dieux avant les trois âges des hommes
je veux rappeler les cent sept vertus. — Oui, centuples sont ^
vos formes, multiple, votre aspect, ô vous douées de cent ver-
tus, guérissez-moi ce malade. — Joyeuses venez à son aide
avec vos fleurs, avec vos fruits ; semblables à la cavale, qui
gagne le prix, que les plantes nous conduisent au succès!
Celui chez qui l'essaim des plantes se trouve réuni, comme
le prince et ses dignitaires dans le conseil, on rappelle méde-
cin habile, dompteur des monstres et des maladies. —
Aqueuses, laiteuses, nourrissantes, fortifiantes, toutes je les ai
rassemblées pour guérir son mal Votre mère s'appelle santé
et vous aussi donnez la santé ; pareilles à des torrents rapides,
vous écrasez tout ce qui rend malade. — Aucun obstacle ne
les arrête ; elles sont comme le voleur qui se fraie un chemin
à travers les haies ; elles entraînent tout ce qu'il y a de malsain
dans le corps. — Quand, ô simples, je vous tiens dans mes
mains, en menaçant la maladie, languissante elle s'enfuit,
comme tremblante devant la main de l'archer. — 0 plantes,
vous glissant de membre en membre, de jointure en jointure,
vous chassez devant vous le Yakshma, comme par la sentence
d'un juge sévère. — Envole-toi, Yakshma, avec les pies et avec
les geais ; va-t-en sur l'aile des vents, disparais dans l'ouragan.
Si les derniers vers de cet hymne rappellent encore
les incantations d'autrefois, c'est là une concession
faite à la phraséologie traditionnelle et qui n'infirme
en rien la croyance sincère en l'efficacité guérissante
des Plantes ; cette croyance générale chez tous les
peuples apparaît chez les Hindous avec je ne sais
quoi de mystique ; quelques strophes ajoutées, à une
1. Rig-Veda, lib. X, 97. A « Le Chant du Médecin », 1-3,
6-7, 9-13.
616 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
époque postérieure, au « Chant du médecin » qui pré-
cède, en fournissent une preuve éclatante ^
Unissez-vous, aidez-vous les unes les autres, toutes dans un
même sentiment obéissez à ma parole. — Que celles qui por-
tent des fruits et celles qui n'en ont pas, que celles qui sont
couvertes de 6eurs et celles qui en sont dépourvues, suscitées
par Brihaspati, nous délivrent de l'adversité l — Qu'elles nous
délivrent des maux envoyés par la malédiction de Varupa, des
entraves de Yama, de toute souillure et de toute faute envers
les Dieux. — En volant du haut du ciel, les plantes ont dit :
L'homme que nous trouverons encore en vie, aucun mal ne
lui arrivera. — De toutes les plantes dont Soma est le roi, de
ces plantes nombreuses et intelligentes, tu es la meilleure,
toujours prête au désir, salutaire au cœur. — De toutes les
plantes dont Soma est le roi, qui sont répandues sur la terre,
que Brihaspati a produites, la vertu (de guérir) a été donnée à
celle-ci. — Qu'il n'arrive pas malheur à celui qui vous déterre,
ni à celui pour qui il vous déterre; que chez nous bipèdes et
quadrupèdes soient exempts de maladie. — Vous qui entendez
ma parole et vous qui êtes au loin, ra.ssemblez-vous, plantes,
et réunissez toutes vos forces en cette herbe ! — Les plantes
se concertent ainsi avec Soma leur roi ; nous sauvons, ô roi,
celui pour qui un brahmane remplit le service sacré. — Tu es,
ô Soma, ce qu'il y a de meilleur ; les arbres sont tes vassaux;
qu'il nous soit soumis celui qui nous attaque en ennemi.
Il était impossible d'exalter en termes plus enthou-
siastes les vertus curatives des plantes ; le caractère
divin que les Hindous leur attribuaient ne pouvait
qu'entretenir cette ferme croyance en leur efficacité;
pour eux — il en était de même, nous l'avons vu pour
les Iraniens — , les plantes, comme les eaux', étaient
réputées un remède infaillible et tout-puissant; c'est
1. Lib. X, 97. B. « Aux Plantes », 14-23. H.Grassmann, /?2^-
Veda, vol. II, p. 380.
2. « Que les Eaux nous apportent le bien-être, que les
Plantes nous soient propices !» — « Les Eaux vraiment sont
des guérisseuses ; les eaux chassent et guérissent toutes les
maladies. » A.-V., lib. II, 3, 6; VI, 91, 3.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 617
pour le salut des hommes qu'elles ont été créées ; elles
sont avant tout les secourables et les guérisseuses, et
le nom oskadi (aushadi) qu'elles portaient en sanscrit,
devint dans cette langue celui même de remède en
général. Mais quelques vertus qu'on attribuât aux
plantes, leur emploi ne supplanta pas de longtemps
celui des procédés magiques ; on eut encore recours à
ceux-ci bien après Tépoque védique, de même toutefois
qu'aux plantes. Dans le Mahâbhàrata ', si Parîkshit,
redoutant la mort, s'entoure de brahmanes experts
dans les incantations, il fait en même temps provision
de simples.
L'emploi des plantes médicinales et des remèdes
qu'elles procurent, remontait, le témoignage des Védas
est formel sur ce point, à l'époque la plus reculée. Les
Dieux eux-mêmes en avaient donné l'exemple. S'il
envoyait des maladies, Varuna dispensait aussi les
remèdes qui les guérissent. Un autre dieu, Rudra,
« le meilleur des médecins », est représenté comme
offrant aux hommes, de sa main secourable, les remèdes
qui calment leurs maux et les font vivre de longs
hivers. LesMaruts, ses fils, possédaient également des
remèdes salutaires et bienfaisants ^ Les Açvins surtout
étaient maîtres dans l'art de guérir. Divinités secou-
rables aux mortels ', ils viennent en aide à tous ceux
qui sont dans la détresse et leur procurent les remèdes
infaillibles que renferment les eaux et les plantes ; ils
éloignent d'eux les maladies et prolongent leur vie *. Ils
1. Adi-Parvsi 1754.
2.* Big-Veda, lib. I, 24; II, 33, 2, 4, 7, 13.
3. Big-Veda, lib. I, 47, 5; 112, 4-7, etc.
4. fiig-Veda, lib. I, 34, 6; 157, 4 et 6; Ilï, 58, 6; VIII, 9, 5
et 15.
618 LKS PLANTES CHKZ LES HINDOUS
guérissent les aveugles et les infirmes, rajeunissent le
voyant Kali et le vieux. Cyavàna, et donnent par sur-
croît une jeune femme à ce dernier*. Ils mettent une
jambe d'airain à Viçpalâ pour remplacer celle qu'elle
avait perdue dans une bataille ; ils rendent la vue à
Rijràçva frappé de cécité par son père, ainsi qu'à
Kanva, qui les avait invoqués'.
Ces fictions nous laissent entrevoir ce qu'était la
médecine dans l'Inde des Védas ; la pratique devait
déjà en être portée fort loin ; on faisait déjà, on le
voit, des opérations chirurgicales ; quelques hommes
privilégiés avaient une grande habileté dans le traite-
ment des blessures, et des simples nombreux, et non
pas seulement des plantes magiques, étaient employés
pour guérir les malades. Il en fut de même à plus forte
raison à l'époque des épopées. « Que Ton guérisse les
maux du corps par les simples, dit Vyâdha dans le
Mahâbhàrata ; c'est là le pouvoir de la science ».
C'est à eux aussi que, dans un autre chant, on con-
seille au fils de Prithà d'avoir recours'. Pour le poète
de la Bharatide les plantes sont des « remèdes divins »,
efficaces entre tous' et salutaires, « de la plus haute
vertu » et « qui repoussent la mort »*. Et il les a en
si haute estime qu'il les place au premier rang des
choses rares que renferme le palais de Çakra.
L'auteur du Ràmâyana n'accorde pas aux plantes
moins de puissance que celui du Mahâbhàrata; mais
pour les deux poètes les simples qui croissent sur les
1. Rig-Veda, Mb. I, 112. 8 et 15; 116, 10; 117, 13 et 19; VII,
68, 6; 71, 5; X, 39, 4 et 8,
2. Big-Veda, lib. I, 116, 16, 18; 117, 17, 19, 23: 118, 7.
3. Vana-Parva, 14079. — Sabhâ-Parva, 223.
4. Sabhâ-Parva, 300 et 1862. — Vana-Parva, 13857.
LES PLANTKS DANS LA MÉDFXINE 619
montagnes possèdent les vertus les plus grandes. C'est
sur le Meru *, aux herbes d'une puissance merveilleuse,
et dans THirnavat, aux lieux où les monts Drona et
Candra plongent leurs pieds dans la Mer de lait, sur les
flancs du Gandharaâdana et le versant septentrional
du Kailâsa qu'on les rencontre ; voisin de ce dernier et
de la montagne d'or de Rishabha, le mont Oshadi ou
des Simples, « que la réunion de toutes les herbes
médicinales revêtait d'une flamboyante splendeur »,
en produisait quatre en particulier, douées, d'après le
chantre de Râma, des propriétés les plus merveil-
leuses*.
Sur le faîte végètent quatre plantes à la splendeur enflam-
mée, dont elles illuminent les dix points de l'espace. Une
d'elles, herbe précieuse, ressuscite de la mort, une autre fait
sortir les flèches des blessures; la troisième cicatrise les plaies ;
une autre, enfin, ranime (sur les membres) la couleur native.
A peine Ràma et Lakshmapa ont-ils respiré l'odeur exhalée
par les célestes panacées que les flèches sortent des plaies,
et leur corps est guéri même de toutes ses blessures... Alors
aussi tous les singes, privés de vie, sortirent de la mort,
comme on sort du sommeil à la fin de la nuit.
La seconde de ces panacées, qui fait penser au dic-
tame de Virgile, est employée par Sushena, le mé-
decin de Sugrîva, roi des Singes, pour guérir le frère
de Râma, qu'une flèche avait transpercée
Cette plante divine est de la famille des lianes ; elle ressemble
au santal rouge; ses feuilles ont la teinte de l'orpiment jaune,
ses fleurs ont la couleur du cuivre et ses fruits sont verts...
Arrivé sur la cime (du Gandhamàdana), Hanumat aperçut
l'herbe brillante et salutaire. Aussitôt il l'arracha et descen-
1. MahAbhârala, Vana-Parva, 11890.
2. Bâmâyat^a, Yuddhakâpda, 26*, 6; 53, 35-39.
3. Bâmâyatta, Yuddhakàrida, 82, 60-61 et 83, 54-57.
620 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
dant dans la plaine, il l'écrasa avec une pierre. Alors Sushena,
médecin habile, la prit et la fit respirer au héros blessé. Â peine
Lakshma^a en eùt-il senti Todeur qu'il se leva, délivré de ses
flèches et guéri de ses blessures.
J'ignore quelle est Torigine de la légende des quatre
panacées du Ràmàyana ; mais elle n*est point particu-
lière au poème de Vàlmîki ; on la rencontre aussi dans
le Lotus de la bonne Loi* ; seulement les quatre simples
du recueil bouddhique ne croissent pas sur TOshadi,
mais dans THirnavat ; elles n'ont pas non plus les
mêmes propriétés que les plantes célébrées par le
chantre de Ràma, mais leurs vertus ne sont pas moins
grandes. La première possède toutes les saveurs et
toutes les couleurs ; la seconde délivre de toutes les
maladies ; la troisième neutralise tous les poisons ; la
quatrième procure le bien-être dans quelque situation
que ce soit.
Les quatre panacées du Ràmàyana et du Lotus de
la Bonne Loi symbolisent bien plutôt les propriétés
curatives que Ton attribuait à la plupart des plantes
qu'elles n'ont une existence réelle ; le Mahàbhàrata ne
les connaît pas; mais, nous l'avons vu, il ne se lasse
pas de célébrer les vertus des simples; quoique sous'
ce nom il paraisse confondre les plantes magiques et
les plantes plus particulièrement médicinales ; c'est à
peine s'il distingue quelques-unes de ces dernières,
comme la viç.alyâ, connue aussi du Ràmàyana, employée
pour guérir les blessures ^ Cependant depuis long-
temps l'expérience avait fait découvrir les vertus cu-
1. Le Lotus de la bonne Loi, traduit par E. Burnouf. Paris,
1852, in-fol., p. 83, chap. v.
2. Vana-Parva, 16470. Trad. P. Chandra Rày, II, 851. La
viçalyà est le Menispermum cordifolium.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 621
ratives d'un grand nombre de plantes ; parmi celles
mêmes que cite TAtharva-Véda et le Kauçika-Sûtra,
plusieurs en possédaient de Véritables, et ont pris place
pour toujours dans la pharmacopée hindoue. Une lé-
gende représente les anciens Rishis errant de compa-
gnie dans les bocages de THimalaya, en quête des
goûts, des propriétés, de l'aspect et des noms des
plantes médicinales \ Leur demandant les remèdes
contre les maladies, il était naturel qu'ils s'attachas-
sent à les connaître, à savoir à quel moment conve-
nable il fallait les recueillir, quelles parties : Heurs,
fruits ou racines, en étaient plus particulièrement sa-
lutaires. C'était là ce qui constituait d'abord la science
du médecin, car, à cette époque reculée et longtemps
après encore, il ne se distingua pas de Therboriste.
Après être allé lui-même cueillir les simples, il les
conservait soigneusement dans une boîte d'açvattha ou
de palâça *, en attendant le moment de s'en servir.
Son habileté consistait à en bien régler l'emploi.
C'est ainsi que, chez les Hindous, la médecine se
forma et se constitua peu à peu ; mais ce développe-
ment si naturel était trop simple pour leurs esprits
épris du merveilleux; loin de l'admettre, ils préfé-
rèrent attribuer à cet art une origine surnaturelle :
c'étaient les Dieux eux-mêmes qui l'avaient inventé.
Suivant une traditiop universellement adoptée, Brah-
man, avant de créer les hommes, avait rédigé « la
science de la vie » — YÂyurveda — en 1 000 chapitres
et 100000 çlokas. Plus tard, prenant en considération
1. The Bower Manuscripty n» 8, p. 11.
2. « Votre couche est en bois d'açvattha, votre résidence en
palàça. » /?. V., lib. X, 97, 5.
622 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
la brièveté de la vie et rétroitosse de Tintelligence
humaine, il le résuma en huit livres. Prajàpati le reçut
sous cette forme abrégée et le donna aux Açvins, qui
à leur tour le transmirent à Cakra — Indra — . C'est
ce Dieu qui enseigna aux mortels la médecine; mais ici
les renseignements ne concordent plus. Suivant une
légende, Indra aurait révélé les préceptes de TÂyur-
veda à Dhanvantari, « le chirurgien des Dieux' »,
nom sous lequel se cache Divodâsa, roi de Kâçî ; Dhan-
vantari, à son tour, aurait communiqué ces enseigne-
ments salutaires à ses six disciples, dont l'un Suçruta
les rédigea en 120 chapitres, répartis en cinq livres.
D'après une autre légende*, ce serait à Bharadvàja
qu'Indra aurait d'abord révélé l'art de guérir. L'un
des 50rishis qui l'accompagnaient, le sage Punarvasu,
fils d'Atri — Âtreya — en aurait fait connaître les
préceptes à ses disciples Agniveça, Bheda ou Bhela,
Hârîta, etc. ; ceux-ci les auraient soigneusement rédi-
gés, et leur travail, approuvé par Atreya et revu en-
suite par Caraka, aurait donné naissance au recueil
qui porte le nom de ce dernier.
Ces récits légendaires confirment, ce que nous savions
1. The Suçrula-Sainhità or the Ilindu System of Medicine
according la Suçruta, translatée! by A. F. K. Hœrnie, Calcutta,
1897, in-8, n«» 3'et 8.
2. CharakaSamliitâ , pubiished by Avinash Chandra Kavi-
ratna. Calcutta, 1890, in-8, p. 2. — Suivant V Ash(àhgasamgraha
de Vàgbhata, Atreya serait allé lui-même avec les sages Dban-
vantari, Bharadvàja, Kaçyapa, etc., demander à Indra le moyen
de guérir les maux qui affligeaient les mortels ; le dieu leur
aurait alors enseigné l'Ayurveda. et redescendus sur terre, ils
l'auraient communiqué à leurs disciples, dont chacun en aurait
rédigé une partie. Iwan Bloch, Indische Mediziriy dans Th.
Puschmann, Handbuch der Geschichteder Medizin. lena, 1902,
in-8, vol. 1, p. 123.
UKS PLANTES DANS LA MÉDECINE • 623
d'autre part, que dès les temps les plus reculés il y
eut des médecins dans Tlnde, et les noms qu'ils nous
ont conservés sont ceux des praticiens et des maîtres
des siècles passés ; mais à quelle époque véritable ont-
ils vécu ? Âtreya, que Tune des légendes dont je viens
de parler donne comme le père' de la médecine, est
cité dans le Mahâbhârata*, ainsi que dans le Buddha-
carita d'Açvaghosha* ; on a cru aussi pouvoir Tidentifier
avec le maître de Jlvaka'; mais les traités mis sous
son nom et sous celui de Harîta sont apocryphes et
d'une époque relativement récente.
D'après des documents chinois, un médecin du nom
de Caraka fut attaché au roi Kanishka, au i*"" siècle
de notre ère * : faut-il le regarder comme l'auteur de la
Caraka-Sanihitâ que nous possédons ? On ne le saurait
dire, mais une tradition nationale, que connaissait
encore Albiruni, regardait Caraka comme le plus
ancien des écrivains médicaux de l'Inde, en tout cas
comme antérieur à Suçruta^ Bhartrihari, écrivain du
vu® siècle, fait trois fois mention de lui®. Quant au
traité, qui porte son nom, après avoir été traduit en
persan, il le fut au viii® siècle, de cette langue en
arabe ^ Cet ouvrage était donc connu depuis assez
longtemps ; mais s'il est possible d'en reculer la date
1. Çânti-Parva, 210, 21. Trad. P. Chandra Rày, p.l34.
2. Buddha-Carita, cap. I, 48.
3. Woodville Rockhill, The Life of the Buddha, p. 65.
4. S. Lé^vi, Notes sur les Indo-Scythes. (Journal asiatique,
vol. VIII (1896), p. 447).
5. Udoy Chànd Dutt. Tfie Materia medica of the Hindus.
Calcutta, 1900, in-8, p. viii.
6. F. Kielhorn, On the grammarian Bharirihari . (Jndian an-
iiquary, voL XII (1883), p. 227, 2).
7. JuliusJolly, Medicin, p. 11.
624 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
d'un siècle ou deux, il est douteux qu'on doive le faire
remonter beaucoup plus haut. Suçruta figure au nom-
bre des Munis fabuleux que, au iv" siècle, le Bower's
Manuscrit nous montre allant à la recherche des sim-
ples dans THimalaya, et c'est à lui, en particulier,
que le sage Kâçirâja fait connaître les propriétés mer-
veilleuses de Tail. Il est aussi fait mention de lui dans
la Mahâhhàrata\ comme fils de Viçvâmitra. Quant à
la Sarhhitii qu'on lui attribue, elle fut, au ix® siècle,
traduite en arabe sur Tordre du barmécide Yahyâ ibn
Khàlid*, ce qui la reporte au moins au siècle précé-
dent. D'un autre côté, Tabsence de l'opium dans la
liste des remèdes, de la variole parmi les maladies,
l'ignorance où Suçruta paraît avoir été de l'usage de
tâter le pouls comme moyen de diagnostique, assi-
gnent à son traité une date relativement reculée ; il ne
saurait donc être aussi moderne que l'a prétendu Haas,
qui le considérait comme ayant été composé entre le
XII* et le XV® siècle''; mais il ne saurait davantage re-
monter à 1 000 ans avant Jésus-Christ, ainsi que l'a
affirmé si aventureusement son premier traducteur
Hessler^; ni même être des premiers temps de notre
ère. 11 lui est vraisemblablement, comme la Samhitâ
de Caraka, postérieur de plusieurs siècles.
Mais si nous n'avons pas de traité authentique de
médecine qui remonte jusqu'au commencement de Tère
1. Anuçasana-Parva, 4, 55. Trad. P. Chandra Rày, p. 19.
2. G. Flûgel, Zur Frage ûber die àlleslen Uebersetzungen
indischer und persischer medicinischer Werke tus Arabische.
(Z. D. M. G., vol. Xi (1857), p. 326).
3. Ueberdie Ursprûnge der indischen Medizin.{Z. D. M. G.,
vol. XXX (1896), p. 667).
4. Su'srulas. Ayurvedas. Id est Medicinae systema,,. vertit
Fr. Hessler. Erlangae, 1844, in-4, p. v.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 625
chrétienne*, cet art n'en ét^it pas moins, nous l'avons
vu, dès longtemps pratiqué dans Tlnde. En faisant du
soin des malades et des infirmes un des premiers
devoirs des fidèles, le bouddhisme en favorisa les pro-
grès. Dans un des récits qui racontent l'histoire du
Buddha, il est question de l'école médicale de Taksha-
çilâ; là, au cœur du pays de Gandhâra, vécut un
maître à la renommée universelle, Âtreya, dont la
science attirait des points les plus reculés une foule
d'étudiants *. Parmi eux vint prendre place le fils na-
turel, plus tard le médecin, du roi Bimbisâra, Jîvaka,
si célèbre dans les légendes des bouddhistes. Elles lui
attribuent l'honneur d'avoir, par un traitement qui
mérite d'être rapporté, guéri le Réformateur d'une
grave indisposition. Ayant découvert qu'il y avait trois
causes à sa maladie, il prépara, pour les éloigner,
trois fleurs de lotus, dans chacune desquelles il mit
une certaine quantité de médecine. Ces fleurs furent
données au malade à trois intervalles différents, et
chacune d'elles, quand il vint à la flairer, émut dix
fois ses entrailles. La première écarta la première
cause de la maladie, la seconde et la troisième firent
cesser les deux autres, et le Buddha fut guéri ^
Les fleurs de lotus, encore que leur parfum semble
1 . Faut-il faire exception pour les Bh€4a Samhitâ et Agyâveça-
Samhitâ, comme a paru le croire M. P. Cordier, Origines,
Évolution et Décadence de la Médecine indienne (^Aiinales d* hy-
giène coloniale, vol. IV (1901), p. 81)? Cela est peu probable ;
M. J. Jolly, Medizin, p. 12, regarde la première comme une
autre rédaction de Caraka.
2. Rockhill, The Life of the Buddha, p. 65. — P. Cordier,
L'enseignement médical dans l'Inde ancienne. (La France mé-
dicale, an. 1902, p. 179 et suiv.)
3. Spence Hardy, A Manual of Buddhism, p. 238 et 246.
JoRET. — Les Plantes dans l'antiquité. il. — 40
626 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
avoir agi, dans ce cas, au moins par sympathie, ne
servent guère ici que d^enveioppe au remède véritable
que Jîvaka avait déposé dans leur corolle. C'est ce
remède qui, grâce à une préparation spéciale, amène
la guérison. Avant d*être donnés au malade, les sim-
ples maintenant étaient soumis a certaines manipu-
lations*. «Tantôt le médecin les mâchait préalablement
avec les dents, tantôt il les pilait et les réduisait en
poudre ; d'autres fois il les faisait bouillir, après les
avoir mêlés à quelque autre substance, ou bien il les
mélangeait sans les faire cuire; d'autres fois encore,
il en introduisait le suc dans une veine avec une lan-
cette; enfin, il les combinait avec les aliments et avec
les boissons. » Ces préparations variées nous montrent
qu'à répoque où nous reporte le Lotus de la Bonne Loi
la médecine était devenue un art véritable. Chaque
jour le goût et la pratique s'en développaient. Le
Buddha lui-même avait des connaissances en thérapeu-
tique; d'après une tradition', il aurait prêché un
Sûtra sur l'art de guérir. Le Mahâvagga' nous le
montre conseillant aux Bhikshus — religieux — , ma-
lades, l'usage de racines, de feuilles et de fruits salu-
taires, ainsi que de décoctions, de poudres, dégommes,
d'huiles et de collyres, etc., dont l'usage bienfaisant
devait les rendre à la santé : recettes qui témoignent
de connaissances pharmaceutiques aussi positives qu'é-
tendues*. Un roi de Ceylan du iv® siècle, Buddhadâsa,
1. The Suddharma'Pun4arika (Le Lotus de la Bonne Loi),
translated by Kern. Oxford, 1884, in-8, p. 130.
2. I-tsing, A Hecord of the Buddhist Religion. Translated by
J. Takakusu, p. 131.
3. Khandhaka Vf, 3-7 et 11.
4. Lea recettes du Mahàvagga renferment une vingtaine de
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 627
composa même, dit-on*, un traité complet de matière
médicale et ordonna qu*il y eût un médecin par dix
villages. Les Grecs furent frappés de Thabileté des pra-
ticiens hindous et de la simplicité du traitement qu'ils
prescrivaient parfois à leurs malades-.
. En présence de cet exercice général de la médecine,
on ne peut douter qu'il n'ait existé de bonne heure
dans rinde des recueils de recettes, des formulaires
plus ou moins étendus. Los Bouddhistes en portèrent
dans les pays où ils répandirent leur doctrine, en par-
ticulier dans le Tibet et TAsie centrale. Tels sont, par
exemple, les traités médicaux manuscrits découverts
en 1890 par le lieutenant Bower, à Mingai, près
Kuchar, dans la Kachgarie. Probablement du v** siècle',
d'une langue plus archaïque que lesSamhitàs de Caraka
et de Suçruta, ils sont jusqu'à présent le recueil mé-
dical le plus ancien, ayant quelque importance, que
nous possédions sur la thérapeutique hindoue ^
plantes, comme l'uçîra, le curcuma, le poivre, le gingembre,
les trois myrobolans, le nimba, le kutaja, le nattaraàla — Pon-
gamia glabra, — Thingu, le sésame, la moutarde, etc., qui sont
restées dans la pharmacopée hindoue.
1. G. Turnour, The Mahàvanma, Colombo, 1889, in- 8, p. 156.
2. D'après Strabon, XV\ 1, 60, ils avaient plus de confiance en
un bon régime de nourriture que dans les remèdes, et les lini-
ments et les cataplasmes étaient les médicaments, dont ils se
servaient de préférence, ce qui est loin, nous l'avons vu, d'être
entièrement exact.
3. Rudolf Hoernle, On ihe date of Ihe Bower Mas. (Journal
of the Royal Asiatic Society, vol. 60(1891), p. 92). — Id..
Proceedings of the Asiatic Society of Bengaly an. 1891, p. 62
et an. 1895, p. 84. — G. Biihler, The new sanscrit Ms. from
Mingai et A further note, etc. {Wiener Zeitschrift fur die
Kunde der Morgenlandes, vol. V, p. 103-110 et 303-310). —
R. Hoernle, A note on the date of the Botver manuscripl {The
Indian Antiguary, vol. XXI, jan. 1892).
4. Il y a dans le Tanjur tibétain toute une série de textes
\*
628 LES PLANTES CHEZ LES HLNDOUS
Malgré sa nature composite et irrégulière, — il ren-
ferme plusieurs traités de nature et de longueur très
différentes, — le Bower Manuscrit n'en a pas moins
une grande importance, non seulement à cause de son
ancienneté, mais parce qu'il nous laisse entrevoir ce
qu'était la médecine hindoue à l'époque où il a été ré-
digé. Le chapitre sur l'ail — laçtina — , par lequel
s'ouvre la première partie, la doctrine du mjrobalan
chebulic et du plumbago, dans la seconde, nous mon-
trent quelles vertus merveilleuses on attribuait encore
à certaines plantes ; la divination par les dés, exposée
dans les parties IV et V, et les charmes, que renfer-
ment les deux parties suivantes et dernières — il y en
a un donné comme enseigné par le Buddha à Ânanda
pour guérir la morsure des serpents — , témoignent
aussi de la croyance toujours vivante en la puissance
des incantations. Mais les derniers paragraphes de la
première partie et toute la troisième renferment de
précieux renseignements sur la pharmacopée, et la
seconde, le Nâvanîlaha, est, l'auteur le dit expressé-
ment, un traité complet de matière médicale \ Dans
les seize chapitres dont elle se compose, on trouve lon-
guement indiquée la composition des principales pré-
parations pharmaceutiques : poudres et pilules, gruaux,
beurre clarifié et huiles médicamentées, énémas, toni-
sur la médecine, attribués à Nâgàrjuna, le 14« patriarche,
mais ils sont certainement plus récents que le Bower Manus,
crit. — A. Barth, Le pèlerin chinois I-l$ing. (Journal des Savants ,
an. 1898, p. 536).
1. « Whatever is bénéficiai to men and women afflicted
with varions diseases, whatever is also bénéficiai to children,
that will be declared in this book. » P. 77. Le mot Nâvanîlaka,
qui signifie « crème, quintessence », indique que ce traité est
comme un extrait des divers ouvrages médicaux.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 629
ques et aphrodisiaques, collyres et liniments\ etc.,
ainsi que Tindication des remèdes propres à guérir les
maladies les plus ordinaires dans Tlnde : lèpre et ma-
ladies cutanées, diarrhée et dysenterie, hémorragie,
toux et fièvre, maladies du cœur et des yeux, maux de
tête, de dents ou d'oreilles, inflammations, strangurie et
vomissements, érysipèle et jaunisse, enfin les maladies
des enfants*. Pour rehausser le mérite de quelques-
unes de ces formules, l'auteur du Bower Manuscrit leur
attribue une origine divine ; c'est ainsi qu'une poudre,
des pilules, un tonique, etc., sont donnés comme ayant
été inventés par les Acvins. Ce sont eux qui avaient,
entre autres, donné la formule de l'huile d'amrita, com-
posée de quatre-vingt trois ingrédients, et qui « aussi
bonne que l'ambroisie, guérit tous les maux » ^ Comme
Kâçinija fit connaître à Suçruta les propriétés salutaires
de l'ail, c'est Brahman aussi qui révèle à ces Dieux bien-
faisants les vertus du mvrobalan chebulic, et Dhanvan-
tari, à Keçava, celles du plumbago, ces plantes aux-
quelles nulle maladie ne saurait résister. Le résumé qui
précède montre l'intérêt présenté, en dépit de ses
lacunes, par le Bower Manuscrit; mais il ne donne
qu'une idée incomplète des renseignements précieux
qu'on y trouve sur l'ancienne pharmacopée hindoue ; la
flore médicinale de l'Inde y figure déjà presque entière ;
en le parcourant, on est frappé de voir quel nombre
considérable de plantes avaient dès lors pris place dans
1. Ghap. I, II, in, 11-403; v, vi, vn, viii, ix, 618-890. Cf. Part
I, 53-59 ; Part III, 1-72.
2. Chap. XI, 927-949 ; xiv, 968-974. Cf. Part I, 9-43.
3. Part II, chap. i, xxvin, 80-84, xxix, 85-86, xxxi, 96-101;
chap. n, xxill, 21^-222, xxiv, 223-225, xxvn, 241-244, etc. ;
chap. ni, 287 et suiv.
630 LES PU!fTES CHEZ LES HI!IDOUS
les préparations pharmaceutiques ; j'en ai compté plus
de deux cent, vingt, toutes indigènes, à l'exception de
quelques condiments importés de Tlran et de deux ou
trois épices des Moluques. On a là une preuve que la
pharmacopée hindoue s était formée sur place et à Tabri
— da moins à Torigine — de toute influence étrangère '.
Dans le Bower Manuscrit la thérapeutique apparaît
déjà constituée dans l'Inde'; il ne restait plus qu'à en
compléter les données et à coordonner le tout en un
corps de doctrine ; c'est ce qui ne tarda pas à être fait.
D'après le pèlerin chinois I-tsing\ qui visita la Pé-
ninsule gangétique au vu* siècle de notre ère, la méde-
cine y était en grand honneur; elle était a une des cinq
sciences de l'Inde » ; elle se composait de huit parties,
qu'on venait, dit-il, de résumer et de réunir en un seul
livre ; quel était l'auteur de ce manuel ? Nous l'ignorons ;
mais les huit parties dont le pieux voyageur donne les
titres rappellent, malgré quelques différences, celles
qui sont énumérées au début de la Sathhitd mise sous
le nom de Suçruta. I-tsing avait étudié la médecine,
mais il n'avait pas poussé cette étude fort loin et y avait
bientôt renoncé; ses connaissances en pharmacopée
aussi ne sont ni très étendues, ni très précises ; le Cor-
chorus capsuiaris, qu'il indique comme une plante de la
1 . Dans quellemesure put-elle subir plus tard cette influence?
Je n'ai pas à l'examiner ici ; je me bornerai à dire que dans
Caraka, I, 26, 2, il est question de Kànkàyana, le plus grand
des médecins de la contrée de Vàlhika — Bactres.
2. Nombre de recettes qu'il contient se retrouvent sans
changement dans les traités postérieurs.
3. A Record of iht Buddhist Religion, cap. 27, p. 127-128. —
J. Jolly, l'tsing. (Z. D. M, G., vol. LVI (t902), p. 570). — Dr.
Liétard, Le pèlerin chinoit I-tsing, {France médicale, an. 1902,
p. 463).
LES PLANTKS DANS LA MÉDECINE 631
« Terre divine » — la Chine — , croît également dans
rinde*; il en est de même des cardamones, qu'il donne
comme originaires de la Dvàravatî — le Siam — ; on ne
comprend guère non plus que Tharitaki soit à peu près
la seule plante dont il fasse mention, comme usitée en
médecine dans la Péninsule', avec le « crocus du
Nord » et <( Tasa fœtida de la frontière occidentale »,
ainsi peut-être que le « camphre de la mer du Sud » et
les deux espèces de clous de girofle de Poulo Condor.
Ou a supposé que le manuel de médecine récemment
rédigé, dont parle I-tsing, pouvait être la Suçruta-
Sariihità ; cela me paraît peu vraisemblable ; ne serait-
ce pas plutôt un des deux traités attribués à Vâgbhata,
VAshtangaltridaya etVAshtangasamgraha^ M. Julius
Jolly' admet que le second, dont le premier ne sem-
ble qu'un résumé, ne saurait être postérieur au viii®
siècle ; l'hypothèse n'est donc pas invraisemblable ;
mais ce n'est qu'une hypothèse. Quant aux traités eux-
mêmes, comme Vâgbhata s'y montre disciple ou imi-
tateur de Suçruta *, nous n'avons point à nous en occu-
1. Les autres plantes chinoises mentionnées par I-tsing sont
les Aralia quinguefolia et cordala, les Aconiium Fischeri et
varicgalumy VAsarum Sieholdii, le Polijf/ala sibirica et le Pa-
chyma cocos. V Aralia quinquefolia — ginseng — est le récon-
fortant par excellence des Chinois.
2. Chap. 28, p. 134, il donne toutefois la formule d'une pilule
composée d'écorce d'harîtaki, de gingembre et de sucre.
3. Zur Quellenkunde der indischen Medizin. Vâgbhata. {Z. D.
M. G., vol. LIV(1900), p. 273.)
\. « C'est une compilation méthodique, ne contenant rien ou
peu de chose d'original... Suçruta et Caraka en sont les prin-
cipaux inspirateurs », dit du second M. P. Cordier ( Vâgbhata
et l'As(angahridayasamhit(ï, Besançon, 1896, in-8, p. 5), qui
place Vâgbhata au xii° siècle, ce qui serait une raison de plus
pour ne pas m'y arrêter.
632 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
per. Mais il nous faut nous arrêter longuement sur la
Samhitâ de ce dernier et sur celle de Caraka, dont les
rédactions actuelles ne remontent pas au delà du xi*
siècle, mais qui existaient déjà dans leurs grandes
divisions au moins quatre siècles auparavant.
La Caraka-Saihhitâ, la plus ancienne des deux, se
compose de huit livres ou slhânas, comprenant en tout
120 leçons — adhyâyas^\ — les deux derniers qui
traitent de la thérapeutique générale et la fin du cin>
quième, consacré au diagnostique, ne sont pas Tœuvre
de Caraka ; ils ont été extraits « de nombreux ou-
vrages » antérieurs par un médecin du Panjab, Dri-
dhabala. Le quatrième livre, qui traite de Tanatomie
et de l'embryologie, n'a, comme le cinquième, rien ou
à peu près qui doive nous retenir ; il y a peu à pren-
dre aussi dans le troisième, où est exposée la théorie
dé l'alimentation, ainsi que la pathologie générale;
mais les trois autres livres, le sixième, consacré à la
thérapeutique particulière, le second, qui traite des
huit maladies principales, et le premier, qui com-
prend, outre un essai de pharmacopée, un traité de
l'hygiène et une énumération des divers aliments, ren-
ferment les renseignements les plus étendus sur la
matière médicale et sur l'emploi des ingrédients que
fournit la flore indigène. On trouve par exemple, au
début du premier livre, quelques recettes aussi cu-
rieuses que compliquées, suivies d'une description des
poudres et des emplâtres, d'une longue énumération
des purgatifs, des astringents, des divers collyres,
1. Julius Jolly, Medicin, p. 12. Au livre I, chap. 30, p. 422,
Caraka donne une division toute différente, mais qu'il n'a pas
suivie.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 633
avec l'exposé détaillé des soîds qu^on doit prendre des
dents, de la tête et du corps tout entier * ; enfin, après
des conseils d'hygiène générale et des notions sur le
goût et les propriétés froides ou chaudes, douces ou
acides, piquantes ou salées, amères ou astringentes
des plantes, vient Tindication des racines, légumes
verts, fruits, feuilles et fleurs, ainsi que des huiles et
des vins, du suc de canne, qui. tout en pouvant servir
la plupart à Talimentation, fournissent des remèdes
appropriés, suivant les saisons et les tempéraments,
aux diverses indispositions -.
De même que la Sariihitâ de Caraka, celle de Suçruta
se compose de 120 chapitres ou adhyâyas, répartis
toutefois, non en huit, mais en cinq sthànas'. Plus tard
a été ajouté un sixième sthâna, qui, en 26 chapitres,
traite des maladies des yeux et de quelques points
oubliés de la thérapeutique, etc*. Quant aux cinq sthâ-
nas primitifs, le deuxième et le troisième renferment
la pathologie et Tanatomie, et ne doivent dès lors
pas plus nous occuper que les sthànas analogues de
Caraka ; le quatrième, qui a trait à la thérapeutique,
et le cinquième, consacré à la toxicologie, au con-
traire, doivent nous retenir quelque temps. Il en est de
même encore plus du premier, où, comme dans le sthâna
correspondant de Caraka. sont étudiées les questions
1. Adhyàyas, 1-3, 4 et 5.
2. Adhyàyas, 13, 27 et 28. Parmi les fruits, il faut mention-
ner l'orange, nâranga ; le citron est mis au rang des légumes.
3. The Sus'rutaSamhitâ. The hindu systcm of Medicine
according to SusYuta, translated... by Udoy Chànd Dutt. Cal-
cutta. 1883, in-8... by A. F. R. Hoernle. Calcutta, 1897, in-8.
Il n*a paru que deux fascicules entiers de la première de ces
traductions et un de la seconde.
4. Suçruta-Satithitâ, lib. I, cap. 1, 30 et 31.
634 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
médicales les plus diverses, en particulier la classifi-
cation et la composition des remèdes, ainsi que Ténu-
mération des divers aliments et boissons*.
Les remèdes de Tancienne médecine hindoue étaient
surtout d'origine végétale ; les diflFérentes parties des
plantes, racines, écorce, feuilles, fleurs et fruits, la
gomme ou la résine, qu'elles exsudent, les sucs qu'on
en extrait, ou les vins qu'on en retire, servaient éga-
lement, suivant les cas, à les préparer. Caraka divise
d'abord les plantes en arbres qui portent des fruits
sans fleurs (apparentes), arbres qui portent des fleurs
et des fruits, plantes annuelles et plantes grimpantes';
mais il abandonne bien vite cette division assez inu-
tile, pour répartir, au chapitre Iv^ d'après les effets
qu'elles produisent, les plantes en 50 groupes de
remèdes, dont chacun se compose de dix simples. Cela
fait un total de près de 500 plantes médicinales. Les
50 remèdes, dans la composition desquels elles entrent,
sont qualifiés d'astringents par Caraka, qui les divise
en doux, acides, piquants, amers et astringents pro-
prement dits. Il compte aussi 133 espèces de purga-
tifs, mais ne nomme que 13 des plantes qui entrent
dans leur composition.
Au chapitre xxxviiidu premier livre de son recueil*,
Suçruta divise les plantes médicinales en 37 gat^as,
distingués d'après les maladies qu'elles peuvent servir
à guérir, et qui portent en général le nom de la pre-
mière des plantes de chaque liste. Mais ce n'est pas
là la seule classification qu'il ait suivie. Au chapitre xi,
1. Suçrula-Samhitd, lib. I, cap. 3, 28, 29 et 43.'i6, p. 616.
2. Samhiià, Part I, adhyàya 1, 71.
3. Part I, adhyàya 4, 556, p. 28-47.
4. Samhità. Trad. L'doy Chànd Dutt, p. 157-194.
LES PLANTES DANS LA MÉI>ECINE 635
il avait donné deux listes de plantes dont la cendre
servait à fabriquer des caustiques ; au xvi*, sont énu
mérées les poudres propres à arrêter le sang ; enfin,
dans le chapitre xxxix, Suçruta indique sept classes
de plantes laxatives ou altératives. Cela forme un en-
semble vraiment considérable de plantes médicinales
— il y en a plus de 700 — , nombre qui n'avait pas
encore été atteint. Mais si Suçruta connaissait plus
de plantes médicinales que les Rishis qui l'avaient
précédé, il n'avait, comme eux, qu'une connaissance
empirique de leurs prétendues vertus curatives, et il
attribuait ces vertus bien moins à leur nature propre
qu'à celle du sol dans lequel elles poussaient ', à Tétat
de développement et à la saison où on les recueillait,
au soin enfin qu'on apportait à les ramasser, comme à
les conserver.
Le sol, suivant qu'il était rocailleux, ferme ou
friable, lourd ou léger, frais ou sec, noir ou bleu
foncé ou encore de couleur blanche ou cendrée, cou-
vert d'arbres épais ou aux branches clairsemées, avait
des propriétés très diflFérentes, auxquelles correspon-
daient celles des plantes qui y croissaient. Celles-ci
d'ailleurs, selon qu'on leur demandait d'être chaudes
ou froides, devaient aussi être recueillies dans la sai-
son chaude ou froide. Il importait également qu'elles
fussent arrivées à leur pleine croissance, qu'elles
eussent des racines longues et épaisses. Les unes
devaient être employées fraîches ; les autres pouvaient
l'être indifféremment fraîches ou sèches. Quelques-
unes, comme les graines A'Embelia ribes, du poivre
long, gagnaient en vieillissant. Enfin elles devaient
1. Suçruta-Samhitâj lib. I, cap. 37.
«36 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
être recueillies avec des précautions particulières, qui
en assuraient l'efficacité. Voici, par exemple, comment
on se procurait le bois de mushkaka — Stereosper^
mum suaveolens — , dont la cendre servait à préparer
un caustique très employé
A I
Un jour d'automne, après s être purifié et avoir jeûné, le
médecin-herboriste ayant choisi an mushkaka de grande taille,
d'an âge moyen, que rien n*avait endommagé, aux fleurs som-
bres, et qui croissait en un lieu propice sur une montagne
isolée, accomplissait Vadhivàiana ou « cérémonie prélimi-
naire », en prononçant l'incantation suivante : « 0 ! arbre à
l'ardente, à la grande vertu, que ta vertu ne soit pas perdue.
Arbre propice, reste ici et accomplis mon œuvre ! Quand mon
œuvre sera achevée, qu'alors tu ailles au ciel! » Après quoi, il
lui faisait une offrande de mille fleurs. Le lendemain, au lever
du jour, s1l n'observait aucun changement, ni rien de parti-
culier, il procédait de la manière suivante. Il coupait des mor-
ceaux convenables (de l'arbre), et après les avoir, pour les
brûler, empilés en un lieu abrité du vent, il y mettait le feu
avec des chaumes de sésame. Quand le feu avait cessé de
brûler, il recueillait à part les cendres du bois et les nodules
formées dans les cendres.
On brûlait de la même manière, avec leurs bran-
ches, leurs feuilles, leurs fruits et leurs racines, les
arbres kutaja, palàca, açvakarna et dix-neuf autres
arbres ou plantes, ainsi que quatre espèces de lufia ;
leurs cendres, lessivées avec une quantité déterminée
d'eau et d'urine de vache, étaient ensuite filtrées, et
le liquide ainsi obtenu était bouilli et soumis à diverses
manipulations, qui en augmentaient l'efficacité. Quelque
compliqué déjà que soit ce procédé, il ne donne tou-
tefois qu'une faible idée des soins minutieux qu'on
apportait dans la préparation de certains remèdes et
des nombreux ingrédients qui y entraient. Qu'on en
1. Suçruia-SamhiUt , lib. I, cap. 11,5, Trad. Hoernle.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 637
juge par la manière dont se faisait un des vomitifs les
plus usités*.
Après avoir pris des fruits de Vangueria spinosa bien for-
més, et ni trop verts, ni trop jaunes, le praticien les mêlait
avec du kuça, de la terre et de la bouse de vache délayée dans
de l'eau; il faisait cuire le tout pendant huit (jours et huit)
nuits avec une certaine quantité d'orge, de Terminalia helle-
ricUf de Phaseolus mungo et radiatus, de riz et d'autres cé-
réales ; il les mouillait, les écrasait, y ajoutait de VEchites
antidyitenterica et du poivre long, puis il faisait sécher le tout
au soleil. Une poignée de cette substance mêlée avec du lait
caillé, du miel et des grains de sésame écrasés, mise dans un
vase, en même temps qu'une infusion chaude de Siphonantkus
indica et de Bauhiniavariegata était broyée pendant toute une
nuit, puis cuite de nouveau ; on y ajoutait alors du miel et du sel
gemme, en prononçant la formule consacrée ; ensuite, le visage
tourné vers le Nord, le médecin présentait le breuvage au
malade, qui, lui, regardait vers l'Orient, et il prononçait cette
incantation : « Que Brahmâ, Daksha, les Açvins, Rudra, la Terre,
la Lune, le Soleil, le Feu, l'Air, les Rishis, la multitude des
Plantes annuelles et la troupe des Bhùtas te conservent ! Que ce
médicament soit pour toi un élixir de vie, semblable à l'ambroi-
sie des Rishis et des Dieux, au nectar des excellents Nâgas î »
Dans le chapitre consacré au traitement d'une ma-
ladie qu'on a considérée comme le diabète*, on trouve
une recette toute empreinte encore du caractère reli-
gieux qu'avait revêtu la médecine hindoue. Après avoir
recommandé de prendre les « fruits des arbres astrin-
gents, qui croissent sur les rivages de la mer occi-
dentale, et dont les branches sont constamment
secouées par les vents nés de l'agitation des Hots »,
1. Suçruta-Samhitây\\b, I,cap. 43. Trad. Dutt. he Siphonan-
thus indica — Clerodendron siphonanthus — est la bràhmikâ.
2. Suçruta-Samhilâ, lib. IV, cap. 13. Caraka, I, 23, 16,
prescrit pour tout traitement dans ce cas des myrobalans che-
bulics, réduits en poudre et mêlés à du lait de beurre, ou une
infusion des trois myrobalans.
638 LES PLANTKS CHEZ LES HINDOUS
Suçruta ordonne d'extraire la pulpe de ces fruits, de
la faire sécher, de l'écraser et d'en exprimer l'huile ;
puis après avoir fait bouillir celle-ci jusqu'à ce qu'elle
fût suflBsamraent réduite, on devait la laisser reposer
pendant deux semaines, mêlée à de la bouse de vache.
Alors oint, purgé, tout mouillé de sueur, n'ayant pris,
pendant quinze jours d'exercice, que le quart de sa
.nourriture ordinaire, le malade devait, le premier jour
du croissant de la lune — jour propice — , boire en
abondance de cette huile, après qu'on avait prononcé ces
paroles sacrées qui achevaient de la rendre efficace.
Essence de la moelle, douée d'une grande force, purge tous
les éléments de ce corps ! Le dieu Acyuta — Vishou — , qui
tient à la main une conque, un disque et une massue, te le
commande.
Les exemples qui précèdent montrent quel était le
caractère à la fois minutieux et sacré de la thérapeu-
tique hindoue. Un autre caractère qui la distinguait,
c'est la complication des recettes médicales qu'elle em-
ployait ; le vomitif à base de Vangtieria spinosa, dont
il a été question plus haut, nous en a donné un exem-
ple; et les purgatifs, si nombreux dans les recueils de
Caraka et de Suçruta, nous en fourniraient d'autres ;
non moins compliqués étaient les remèdes employés
contre la fièvre et la dysenterie, ainsi que les anti-
dotes, si nécessaires dans un pays comme l'Inde, où
abondent les animaux venimeux. L'un des antidotes
décrit par Suçruta * ne contenait pas moins de soixante-
dix-sept ingrédients végétaux et trois ingrédients d'ori-
gine animale : fiel de taureau, miel et beurre clarifié.
1. Lib. V, cap. 7. Les recettes du Borver Mss., on l'a vu, ne
sont pas moins compliquées.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 639
Il passait pour doué d'une grande vertu : « Le roi qui
en est oint, dit l'Ayurvéda, devient cher à tous ses
sujets, et il se revêt d'une splendeur plus grande, en
entrant dans le ciel de Çakra. » Ce qui surprend, c'est
que ces remèdes bizarres étaient, paraît-il, vraiment
efficaces ; Alexandre, nous apprend Arrien *, avait tant
de confiance dans l'habileté des médecins hindous à
guérir la morsure des serpents qu'il leur confia ceux
de ses soldats qui avaient été atteints.
La médecine hindoue n'avait pas seulement pour but
de guérir les maladies, elle se proposait aussi de sup-
primer la douleur, ainsi que de prolonger la vie, ou
môme d'assurer l'immortalité, et elle prétendait avoir
trouvé des remèdes qui lui permettaient d'atteindre ce
double but et rendaient ainsi l'homme presque l'égal
des Dieux'. Suçruta compte vingt-deux plantes, qui,
(f aussi efficaces que le soma », faisaient disparaître
la douleur. De ces plantes, VAloe perfoliata, le Cow-
volmdus paniculatus, la Calotropis giganted, le Doli-
chos pniriens, le Solarium melongena et la IVebera
corymbosa seuls sont connus ; les autres n'ont pu être
identifiées, ce qui pourrait faire penser qu'elles avaient
la plupart une existence toute mythique.
Les plantes qui passaient pour prolonger la vie
n'étaient pas moins recherchées que celles qui sup-
primaient la douleur; comme les panacées du Rcàmâ-
yana elles étaient supposées croître dans la région
hymalayenne. I-tsing parle d'un de ses compatriotes,
1. Historin indica, cap. xv, 11.
2. « Comme les Dieux vivent au Ciel exçmpts de douleur et
dans la joie, ainsi vivent dans la joie sur terre les hommes qui
ont trouvé les plantes salutaires. » Suçruta- S arhhitâ, lib. IV,
cap. 30, 1.
640 LES PLAr^TES CHEZ LES HINDOUS
qu'on y avait envoyé cueillir la plante qui rend im-
mortel \ C'est là aussi qu'avait été découvert l'ail,
cette autre panacée, dont l'emploi, suivant le Bower
Manuscrit ', « fait vivre cent ans, sain de corps et
d'esprit, plein de vigueur et exej[ipt de rides ». Mais
bien d'autres plantes que l'ail passaient pour prolonger
la vie autant et mieux que lui. D'après Suçruta, elles
étaient plus nombreuses que celles qui étaient réputées
supprimer la douleur ; il y en avait pour tous les âges ;
un médecin prudent en donnait au jeune homme,
comme à Thorame avancé en âge, pourvu qu'il fût
sain et bien fait de corps ; dans ces conditions, on
comprend que ces plantes pouvaient produire un effet
salutaire, sinon tout celui que promettait Suçruta ;
leur emploi était d'ailleurs accompagné de précautions
particulières et de pratiques religieuses, destinées
à en assurer l'efficacité, ou du moins à en garantir
la renommée, en cas de non réussite; mais en les em-
ployant, on n'avait rien à craindre de l'atteinte des
ans. « La vie de celui qui mange des fruits de la Pen-
taptera tomentosa^ préparés avec du lait, ne sera pas
détruite, » lit-on dans le dernier çloka du vingt-sep-
tième chapitre du Çârîrasthàna de Suçruta*. L'écorce
A'Aegle marmelos n'était pas moins riche en vertus.
Quiconque, après s'être purifié avec soin et avoir sa-
crifié, en buvait chaque jour une infusion dans du lait,
avec une décoction de rsiciues d'Arum campamilatum,
pouvait vivre dix mille ans, sans perdre la mémoire.
Une décoction de fibres du nélumbo, mêlée avec du
1. Les Religieux éminents qui allèrent chercher la loi dafis
les pays d'Occident. Mémoire composé par I-tsing, traduit par
Ed. Chavannes. Paris, 1894, in-8, p. 23.
2. Part I, 42, p. 15.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 041
miel et des grains de froment, jouissait des mêmes
vertus, et ces préparations conservaient indéfiniment
la santé; il y en avait d'autres, conime celles de santal,
deDatura metel, de réglisse, de miel et d'or, qui, bues
dans de Teau, donnaient la beauté. D'autres encore
assuraient le bonheur ou procuraient à qui en usait la
force des Nâgas et le rendaient semblable aux Im-
mortels *.
Si les anciens Hindous portèrent ainsi l'arbitraire et
la fantaisie dans l'emploi qu'ils firent des plantes en
thérapeutique, il n'en est pas moins vrai qu'ils possé-
dèrent une connaissance étendue des remèdes d'origine
végétale, et beaucoup de ceux-ci sont, preuve de leur
incontestable utilité, encore en usage de nos jours '.
Telles sont entre autres les racines des Aconitum he-
terophyllum, Nymphaca cœrulea — pushkara — , etc.
Pavonia odorata — bâlâ, hrîvera — , Sida cordifolia^
Cardiospermiim halicacabwn, Saussurea auriculata —
kushtha — , Plumhago zèylanica — citraka — , Ipo-
maea turpethum — trivrit — , Contwlvulus paniculalus
— vidârî — , Argyreia speciosa, Solanum Jacquinii et
indicum, Withania (Pliysalis) somnifera, Picrorrhiza
kurroa — katukâ — , Gmelina arborea, Clerodendron
m
siphona7ithiiSy Premna serralifolia, Boerhavia diffusa,
Hypoxis (Curculigo) orchioides, Amorphallus campa-
ntilatiis, Zinziber officinale, zoTumhet, etc., Curcuma
longa, aroniatica, etc., Vanda Roxburghii^ Asparagus
racemosus, Gloriosasîiperba,etc.;Véc(îvce des Crataeva
1. Suçruta-Sanihilâ, lib. IV, cap. 28.
2. Udoy Chând Dutt, The materia medica of the Hxndus,
s. V. — W. Dymock, The vegetable materia medica of western
India. Bombay, s. d., in-8. — Kanny-Lall Dey, The indigenous
Drugs of India. Calcutta, 1896, in-8, s. v. — Watt, Dictio-
nary, s. v.
JORET. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 41
6i2 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
religiosa, Melia azadirachta ou tndica — nimba — ,
Terminalia arjuna, Punica granatum, Alsionia scha-
laris, Holarrhena antidysenterica — kutaja — , Calo-
santhes indica — çyonâka — , Stereospermum sua-
veolens — pâtali — , Myrica sapida. Ficus religiosa,
bengalensis, glomerata, infectoria ', etc. ; les feuilles
des lotus ^ Oxalis comiculata, Cassia alala, sophora,
tara, Eugenia jambolana, Trichosanthes dioica, Wede-
lia caJendulacea, Justicia adhotada, Ocymum sanctum
— tulasî — , etc. ; les fibres de nélumbo ; les fleurs
des Moringa pterygosperma, Mesiia ferrea, Ptereo-
spermum suberifolium, Woodfordia floribunda, etc. ;
les étamines du padma; les graines des Nigellasativa,
Sinapis ramosaj Tribulus terrestris, A brus preca-
torius, Pongamia glabra, Serratula anthelmintica,
Embelia ribes, Hyoscyamus niger, Sesamum indicum,
Croton tiglium, Baliospemium montanum, Bicinus
communis. Piper nigrum et longum, etc. ; enfin les
fruits des Ciirus acida^, Aegle marmelos, Feroniaele^
phantuniy Semecarpus anacardium, Mucuna pruriens,
Butea frondosa, Cassia fistula, Tamarindus indica,
Benincasa cerifera, Citrullus colocynthis, Bandia
dumetorum, Mimusops indica^ les raisins et les gre-
nades, les trois myrobalans — triphald — , si renom-
més dans la pharmacopée hindoue * : Terminalia che-
1. Avec la Thespesia populnea, ces figuiers sont les cinq
arbres à suc laiteux du Bower Mss., I, 89 et 94. — Si^çruta,
lib. I, cap. 38, 24. — L'écorce de ces figuiers est encore em-
ployée en poudre ou en décoctions. T. A. Wise, Commentary,
p. 154.
2. Un onguent d'uçîra et des feuilles de lotus servent à cal-
mer la fièvre de Çakuntala. Acte III, prologue.
3. Suçruta, lib. I, cap. 39. 11 est surprenant qu'aucun citrus
ne figure dans les 37 classes de remèdes du chap. 38.
4. D'après une légende, pour guérir le Buddha malade,
■I
■I
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 643
bula — harîtakî — , T, bellerica — vibhîtaka — ,
Phyllanthus emblica — âmalakî — \ etc.
Il faut ajouter à cette liste les produits retirés d'un
certain nombre de plantes ; telles les huiles extraites
des graines de sénevé, de sésame, de lin, de Bûcha-
mania latifolia — piyâla — , de carthame et de ricin ;
les résines des çâla, sarala — Pinus longifolia — ,
devadâru, etc.; la gomme de çâlmali, de palâçaet de
divers acacias, en particulier de VA. catechu, etc. ; le
suc laiteux du Ficus glomeratay de VEuphorbia ne-
riifolia, etc. ; ainsi que le bois d'un certain nombre
d'arbres, par exemple des santals rouge et blanc, du
déodara, du sarala, etc., et les cendres des plantes les
plus diverses, en particulier de l'apâmârga, du pa-
lâça, etc. L'huile de sésame — taila — n'était pas
moins employée dans la thérapeutique que dans l'ali-
mentation ; elle passait pour tonique, chaude et astrin-
gente, et mêlée à d'autres substances, elle était capa-
ble, croyait-on, de guérir toutes les maladies. L'huile
de ricin était tout aussi usitée ; elle servait à combattre
les fièvres chroniques, les tumeurs abdominales, même
la lèpre; elle était en même temps le meilleur des
purgatifs *. La résine de çâla était utilisée surtout en
fumigations, ainsi que dans la préparation de certains
emplâtres ou onguents ; la gomme de palâça servait à
la fois à l'usage externe et à l'intérieur contre la diar-
rhée chronique ^ La concrétion cristalline — tabâ-
Çakra lui-même aurait apporté un fruit de myrobalan au Ré-
formateur. Rockhill, The Life ofthe Buddha, p. 34.
1. Caraka-Sarkhità, lib. 1, cap. 27. — Suçruta-Sanihitâ,
lib. I, cap. 38 et 39.
2. Caraka-SamhUâ, lib. I, cap. 13 et 27, p. 139 et 380.
3. Udoy Chànd Dutt, Materia medica, p. 120 et 149.
644 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
shîr hind. * — , qui se forme dans les entrenœuds des
tiges des bambous, en particulier du Bambusa arundi-
nacea, était très employée et a été, hors de l'Inde,
connue dès une époque reculée. Saumaise, suivi par
Fée et Sprengel, a prétendu que c'était elle, et non le
sucre véritable, que Dioscoride et Pline avaient dési-
gnée sous le nom de aixxapov, saccharon ; mais si les
descriptions de Dioscoride et de Pline sont incomplètes
ou peu exactes, ce n'est pas à dire qu'elles se rapportent
au tabâshir, qui n'est point doux, plus qu'au sucre ^,
que Théophraste, après Néarque, comparait déjà au
miel.
Les poisons avaient leur place marquée dans l'an-
cienne pharmacopée hindoue ^ ; on en distinguait neuf
particulièrement virulents, qui paraissent être tous des
préparations différentes de la racine A'Aconitum ferox,
et sept moindres, entre autres les graines à'Abrus
precatorius, les racines de Nerium odorum et de G/o-
riosa superba, le suc laiteux des Calotropis gigantea^
et Euphorbia neriifolia. A côté des poisons prennent
place les narcotiques si recherchés par les peuples civi-
lisés, comme par les peuples sauvages. Le tabac était
ignoré des anciens Hindous ; l'opium ne parait avoir
été connu dans leur pays qu'après l'invasion musul-
mane ; le nom sanscrit ahiphena, pour aphena, hind.
afhiiy de ce narcotique, est une simple déformation de
1. Ou « manne de bambou ». iy%%\.\2LXugàkshiri de Suçruta,
lib. I, cap. 38, 17. On lui donne aussi le nom de vamça rocana.
2. Watt, Dictionaryy vol. I, p. 383. Henry Yule, À gloêsary
of anglo'indian coUoquial lerms and phrases. London, 1886,
in-8, p. 654. — Théophraste, Fragm. 140. — Strabon, XV, 1, 20.
3. Udoy Chànd Dutt, Materia medica, p. 7 et 97-98.
4. Le suc (le la Calotropis passait pour rendre aveugle.
Mahâbhârata, I, 176.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 645
l'arabe afjun, qui vient lui-même du grec S^'.ov *. Ni le
Bower Manuscrit, ni Caraka ou Suçruta, ne connaissent
cette substance, ni même^ il semble, les vertus sopori-
fiques du pavot. L'ignorance où étaient les anciens ha-
bitants de rinde de l'opium et du tabac a dû leur faire
adopter d'autant plus facilement l'usage du haschishet
du bétel.
Depuis quelle époque les propriétés narcotiques du
chanvre ont-elles été connues dans l'Inde? On l'ignore.
La plante çana que Bloomfield , après Zimmer et Weber,
regarde comme le chanvre, encore que ce soit bien
plutôt la crotalaire, est invoquée, dans l'Atharva-
Véda ^ à côté du jangida. Ailleurs * le poète védique
réclame la protection du hhanga — le vrai chanvre — ,
en même temps que du dharba, de l'orge et de l'in-
certain saha ; mais rien ne nous permet de dire quelles
vertus sont, dans ces incantations, attribuées au bhanga
pas plus qu'au çana ; en tout cas le bhaAga n'apparaît
pas dans ces formules comme narcotique ou excitant.
Comme tel, cette plante a dû être employée d'abord
dans la région himalayenne, où, nous l'avons vu, elle
est indigène, hypothèse que justifie le surnom de kàç-
mîra, qui lui a parfois été donné ; mais on ignore à
quelle époque en remonte l'usage, ou la culture. Au-
jourd'hui les feuilles des pieds sauvages servent
1. Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p. 17-24. — J. Jolly, Medi-
cin, p. 30. — W. Dymock, The Materia medica^ p. 30.
2. Lib. II, 4, 5. M. Bloomfield, Hymns of the A. V., p. 284,
ce qu'avait déjà paru admettre Weber, veut que le çana figure
ici comme textile ; le contexte n'autorise aucune supposition
de ce genre. A. Weber, Indische Studien, vol. XIII, p. 142.
Zimmer, Altindisches Leben, p. 68.
3. Lib. XI, 6, 15. V. Henry, Atharva-Véda, liv. X-XII,
p. 119.
646 LES PUNTES CHEZ LES HINDOUS
encore sous le nom de bhang ; mais elles sont moins
énergiques que les divers produits du chanvre cultivé :
le carasj résine exsudée par les feuilles et les jeunes
pousses des pieds femelles, et la gânjâ, nom donné
aux cimes fleuries et visqueuses des mêmes pieds *.
Réduit en poudre, le bhang, mêlé d'ordinaire avec du
poivre noir et délayé dans de Teau, produit une ivresse
gaie, qui dure deux à trois heures. La gâfijâ est fumée,
ainsi que le caras, dont la meilleure sorte est importée
d'Yarkand et de Kachgar; mais cet usage ne remonte
pas très haut dans le passé. Si l'emploi du bhaiîg,
comme narcotique et exhilarant» était inconnu des
anciens Hindous', ils ont, au contraire, fait de temps
immémorial usage des feuilles de bétel comme stimu-
lant, en même temps qu'elles servaient de remède
populaire contre une foule d'indispositions'.
Les condiments et les aromates occupaient une place
plus grande que les narcotiques et les poisons dans la
pharmacopée hindoue ; la moutarde, la coriandre,
l'ajouan, le cumin et le sowa, l'asa fœtida, les deux
basilics, les poivres noir et long et le gingembre, —
« les trois épices » trikatu — , les poivres orangé et
chaba, les curcuma long et zédoaire, le cardamome,
le crocus — kuAkuma — , entraient dans la compo-
' sition de nombre des remèdes prescrits par le Bower
1. Flûckiger et Hanbury, Histoire des drogues, vol. II,
p. 285-288. — W. C. Dutt, Materia medica, p. 237-238. —
Watt, Diciionaryy vol. II, p. 105. Cf. plus haut, p. 168.
2. W. Dymock, The Materia medica, p. 604, attribue toute-
fois, mais sans en donner de preuves, une haute antiquité à
cet emploi du chanvre, d'où les surnoms qu'il porterait de w-
jàyà qui procure le succès, ânanda qui provoque le rire, etc.
3. Cf. chap. IV, p. 267. William Dymock, Pharmcuiogra-
phia indica. London, 1892, in-8, vol. III, p. 184, qui croit
encore que le malabathron des Grecs n'était autre que le bétel.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 647
manuscrit, Garaka et Suçruta, comme dans ceux de
nos jours *. Il en était de même des aromates, tels que
le souchet odorant — musta — VAcorus calamus —
vacâ — , Técorce — tvac — et les feuilles — pattra —
du cinnamome, ainsi que le cassia, l'encens, le kushtha,
le nard, divers andropogons, le bois de santal et le bois
d'aloès '. Il n'y a rien à ajouter à ce qui a été dit pré-
cédemment du souchet odorant et de Tacorus, plantes
de TAsie antérieure, comme de la Péninsule gangé-
tique, mais les autres aromates appelent quelques re-
marques.
Des divers andropogons odoriférants, le citratus
paraît avoir été inconnu de Tancienne pharmacopée
hindoue ; mais elle faisait un grand usage des Andro-
pogon aciciilatiis, espèce dédaignée aujourd'hui, mu-
ricahts, schœnanthtiSy iwarancusa et laniger ; ces
derniers figurent dans de nombreuses préparations du
Bower manuscrit, ainsi que des Samhitâs de Garaka
et deSuçruta^. h' A. miiricatus Retz., sqttarrosus L.
— 7içîra, virana, vîrina^ — , connu surtout aujour-
d'hui sous le nom malais de vettiver, est commun dans
les plaines et sur les collines peu élevées du Goncan
et du Pandjab ; il servait à parfumer les huiles et
était employé comme réfrigérant. On employait aux
1. Bower Ms8., I, 91, 97, 107, 125, etc. ; II, 11, l't, 25, 27,
29, 30, 41, 45, 56, 63, 267, 353, 888, etc. — Suçruta, lib. I,
cap. 38, 7, 8, 10, 11, 25, 27, 29, 30.
2. Bower Mss., I, 90, 91, 94, 96, 97, 106, 107, 108; II, 46,
56, 63, 64, 80, 96, 130, 144, 145, 266, 299, 353, 354, 386,
888, 1049, 1052, 1115, etc. — Sucruta, lib. I, cap. 38, 10, II,
12, 19, 20, 24, 25, 27.
3. Bower Mss., I, 90, 94, 299, etc. — Sucruta, lib. I, cap. 38,
8, 11, 19.
4. Ou encore vîratara, hind. khus-kkus ou ctiscus. W.
Jones, Asiatic Besearches, vol. IV (1799), p. 306.
648 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
mêmes usages VA. schosnanlhus L. — bhûstrina ou
dhyâmaka, hind. rAsâ ghâz — , espèce commune dans
les provinces centrales, ainsi que les A, iwarancusa
et laniger. VA, iwarancusa Roxb. — Idmajjaka
— est considéré par Hooker * comme la forme type
(l'une espèce dont 1*^4. laniger Desf.. commutatus
Stocks, ne serait qu'une forme secondaire ; mais
ces deux plantes ont une aire très différente ; indi-
gènes l'un et l'autre dans le Nord de THindoustan,
en particulier dans la région sous-himalayenne, Viiva-
rancusa y est cantonné, tandis que le laniger est ré-
pandu d'un côté jusqu'au Tibet, de l'autre, à travers
les déserts de l'Afghanistan, du Béloutchistan et de la
Mésopotamie, jusque dans l'Afrique septentrionale.
C'est, je crois, cet andropogon que les soldats
d'Alexandre trouvèrent en abondance dans la Gédrosie,
et dont les Phéniciens, qui accompagnaient l'armée,
le prenant pour le nard, firent une ample récolte*.
C'est à cette graminée aussi, il semble bien, que
Strabon donne le nom de nard et dont il dit que les
soldats s'en faisaient des lits^. Quant au vrai nard, la
mâfhsi des écrivains sanscrits, c'est une espèce de
valérianée des parties élevées du Népal et du Bhoutan,
1. The Flora ofthe British India, vol. VU, p. 203. — Bois-
sier, Flora orienlalis, vol. V, p. 465-466, en fait, au contraire,
deux espèces distinctes.
2. Arrien, Anabasis, lib. VI, cap. 22, 5. — Lassen, Indische
AUerthumskunde, vol. I, p. 288, a pris aussi le prétendu nard
de Gédrosie pour le nard véritable, erreur qu'on retrouve
encore dans Reinhold Sigismond, Die Aromala in ihrer Be-
deutung. Leipzig, 1884, in-8, p. 32, note 1. Cf. Watt, Dictionary,
I, 244. VA. laniger est le S/oivo; de Dioscoride, I, 16, le Juncus
aromaticus de Pline, XXÏ, 72.
3. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 2, 3.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 649
le Nardostachys jatamansi\ dont la vraie nature est
restée presque inconnue jusqu'à la fin du xviii® siècle.
Celle du costus — kushtha — de Suçruta et des autres
pharmacologues sanscrits a été aussi longtemps igno-
rée. On Ta confondu avec le Costus speciosiis, belle
scitaminée des jungles tropicales, qui porte en sanscrit
le nom de kernûka, tandis que le kushtha est une
composée du Cachemire, la Sausmrea ou Aplotaxis
lappa^.
Deux espèces d'encens, la sallakî et le guggulu,
figurent dans les recettes médicales sanscrites, la pre-
mière est fournie par la Boswellia serrata ' — ^ kundu-
rukî — , burséracée répandue dans la plus grande
partie de Tlnde tropicale, du bas Himalaya au Dekkan,
ainsi que dans les Ghates occidentales et la chaîne
du Satpoura ; la seconde espèce est la résine exsudée
par un baumier commun sur les rochers du Sindh et
du Cathiawar, le Balsamodendron mtihil^. Cet arbre
vient aussi, nous l'avons vu, dans le Béloutchistan, où
Stocks l'a découvert. Les soldats d'Alexandre Tv
avaient déjà rencontré ; « les arbres à myrrhe, plus
grands que les arbustes à myrrhe ordinaires », qui
croissaient, d'après Aristobule^ dans les déserts de
la Gédrosie, et dont les marchands phéniciens de
1. Asiatic Re&earches, vol. IV (1799), p. 433 et suiv.
2. On lui attribue aussi le nom de Saussurea auricidata
Hook. et d'Aucklandia costus Falc. — Watt, vol. Il, p. 481.
3. Ou thtirifera. Brandis, The Flora, p. 62. — Watt, vol. I,
p. 366.
4. Asiatic Besearches, vol. IX (1809), p. 37 et XI (1812),
p. 158. Cf. livre I, chap. 1, p. 48.
5. Arrien, Anabasis, lib. VI, cap. 22, 4. — Brandis, The
Flora, p. 65 et Boissier, Flora orienlalis, vol. II, p. 3, signa-
lent aussi dans le Béloutchistan le Balsamodendron pubescens,
mais il fournit une très petite quantité de résine.
«50 LES PLA!«TKS CHKZ LES HIlfDOUS
rarmée recueillirent en grande quantité les larmes,
n'étaient autres sans doute que des Balsamodendron
mukul.
Le candana — Santalum album — , dont on a, de
temps immémorial, brûlé le bois comme parfum et qui
fournit une poudre ou une pâte aromatique employée
dans la toilette, était aussi d'un fréquent usage en
médecine, comme amer et comme rafraîchissant ; il en
était de même du raktacandana — Pterocarpus san-
talinus * — . Non moins employé comme parfum, Taguru
avait pris place aussi très anciennement dans la phar-
macopée hindoue ; cependant la nature en est restée
longtemps peu connue, au moins en Occident. Lou-
reiro prétendit que c'était le produit d'une caryophyllée
de la Cochinchine, à laquelle il donna le nom A'Aloe
agallochum ; mais l'existence même de cette plante a
été mise en doute ; l'on s'accorde aujourd'hui à voir
dans l'aguru le bois d'une thymélacée des montagnes
du Silhet, VAquUaria agallocha *.
Quelque riche qu'elle fût en condiments, en aro-
mates et en plantes médicinales, l'Inde en importa dès
longtemps quelques autres d'origine étrangère ; tels
que le basilic, la coriandre, le cumin, Tasa fœtida,
originaires de l'Asie antérieure ^ ; on peut ajouter le
crocus, venu aussi de cette contrée, mais acclimaté
depuis une époque reculée dans le Cachemire*. Quand
des relations suivies furent établies entre l'Inde, Tlndo-
1. Ou kucandana. Sucruta-Samhilâ, lib. I, cap. 38, 5, 16,
19, 22, 25.
2. Roxburgh, Flora indica, vol. II, p. 422. — Watt, Dictio-
nary, vol. I, p. 279.
3. Voir livre I, chap. 2 et livre II, chap. 2, p. 90, 173 et 258.
't. G. Maw, A monography of the genus Crocus. London,
1886, in-'i, p. 59-60.
LES PUNTKS DANS LA MÉDFXINE 651
Chine et l'archipel de la Sonde et des Moluques, elle
reçut, mais assez tard*, de ces îles les clous de girofle,
sansc. lavanga — Engenia caryophyllata — , ainsi
que le benjoin — Styrax benzoin — , et de la région
indo-chinoise le camphre — karpiira — produit d'une
laurinée, le Cinnamomum campkora. D'un autre côté
y pénétra la réglisse — madhuka — , originaire de la
Haute-Asie, qui figure dans plusieurs recettes de Su-
çruta^. Le nom turnshka du storax liquide, dont le
dernier fait aussi mention ^, pourrait faire croire que
cette substance ne fut importée dans l'Inde qu'assez
tard, si le styrax n'y avait été connu dès le premier
siècle de notre ère.
Mais si la pharmacopée hindoue a emprunté quel-
ques plantes ou produits végétaux aux contrées étran-
gères, l'Asie antérieure et tout le monde connu des
Anciens lui en ont demandé un bien plus grand nom-
bre*, tels que le lycion ^ les poivres noir et long, le
cardamome, le gingembre et le sucre, le malabathron,
le cinnamome et le cassia, parmi les condiments ; le
guggulu, le nard, le bois d'aloèset de santal parmi les
parfums. Dès la fin du iv" siècle avant notre ère,
1. L'auteur hindou le plus ancien qui, à ma connaissance,
ait parlé des clous de girofle, du benjoin et du camphre est
Amarasimha, II, 6, 3. Il est fait aussi mention des premiers
dans Paul d'Égine, lib. VII et au livre XI de la « Topographie
chrétienne » de Cosmas Indi copie ustes.
2. Samhiiâ, lib. I, cap. 38, 17, 19, 23, 26.
3. Lib. I, cap. 38, 11. — Charles Joret, Les plantes dans
rantiquité, vol. L p. 334. — Periplus maris Erythraei^ cap.
39 et 49.
4. J.-F. Royle, An essay of Ihe antiquùy of Hindoo medicine.
London, 1837, in-8, p. 76-91. Cf. Charles Joret, La Flore de
VInde d'après les écrivains grecs, p. 21-53. Je rappelle ici pour
mémoire que le coton, l'indigo et la laque furent aussi exportés.
5. Dioscoride, lib. I, cap. 82.
652 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Théophraste a décrit le poivre; il ne dut pas tarder à
être importé, en Grèce, s*ii n'y avait déjà pénétré ;
il en est fait mention dans les écrits hippocratiques *;
au premier siècle il était aussi connu en Italie, ainsi que
le gingembre et le sucre*. Bien avant ces derniers, il
semble, Tamome et le cardamome avaient été importés
dans l'Asie antérieure, d'où on les regarda comme ori-
ginaires, ainsi qu'en Grèce ; Théophraste en fait men-
tion, mais il en ignorait la patrie véritable. 11 parle
aussi du cinnamome et du cassia qu'il faisait venir
d'Arabie ^ Ces aromates, dont il est déjà question
dans la Bible*, sont produits aujourd'hui par deux
espèces de laurinées, le Cinnamomum zeylanicum,
originaire de Ceylan, et le (7. cassia, arbuste de la
Chine ; mais il est douteux que ce soit leur écorce qui
jadis ait été exportée dans l'Asie antérieure et les pays
gréco-romains ; le kiddah de l'Exode — cassia des
auteurs grecs et latins — , le kinnamon de l'Apoca-
lypse — cinnamomum des écrivains classiques — ,
étaient produits vraisemblablement par les Cinna-
momum obtusifolium du Bengale oriental, iners de
l'Inde méridionale ou tamala de la région sous-hima-
layenne*. Les feuilles de ce dernier — tamdlapat-
ira — , séchées, furent aussi exportées dès le pre-
mier siècle de notre ère, comme épice, sous le nom
de malabathron, dans l'Asie antérieure et jusqu'en
1. Il y est prescrit sous les formes les plus diverses. Trad.
Littré, vol. II, 465; V, 183, 40 ; 245, 67 ; 329, 13 ; 429, 64, etc.
2. Pline, livre XII, 14 et 17. Cf. pi. haut, p. 260-265.
3. Historia plantarum^ lib. IX, cap. 7, 2.
4. Exodus, XXX, 24. — Proverbia, VU, 17. — Apocalysis,
XVIII, 13.
5. Voir livre II, chap. 2. p. 263. — Flùckiger et Hanbury,
Histoire des drogues^ vol. II, p. 239.
LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 653
Italie ; mais on en ignorait la vraie nature et Torigine *.
Nous savons par le Périple de la mer Erythrée qu'à
cette époque on exportait aussi de Tlnde le curcuma
et le costus ^ ; mais je ne saurais dire au juste quel
était ce dernier produit ; si c'était le kemûka — Costus
speciosus — ou le kushtha — Saussurea lappa — ;
mais peut-être les deux étaient-ils exportés de la
Péninsule, el alors il faudrait voir dans Tun, le « costus
d'Arabie », dans l'autre, le « costus de Tlnde », de
Dioscoride. Il semble bien que le Périple parle aussi
de Timportation en Egypte du bois de santal ; nous
savons du moins, par le témoignage de Gosmas Indi-
copleustes, qu'il était au vi® siècle un des objets de
trafic entre l'Inde et l'Occident'. L'aloès aussi en
était un autre d'après lui ; il est impossible de douter
qu'il s'agisse ici de Vaguru, Yagallochon de Diosco-
ride, cet aromate connu déjà de la Bible sous le nom
à^ahalothy ahalim^ dérivé probable du tamoul agila *.
Exportait-on aussi de l'encens de la presqu'île gan-
gétique? La plus grande partie de celui dont on se
servait dans l'Occident provenait du pays des Somalis,
où depuis un temps immémorial on est allé le chercher;
mais on peut voir dans « l'encens indien brunâtre et
arrondi en petits cylindres », dont parle Dioscoride ^
1. Dioscoride, lib. I, cap. 11. — Pline, lib. XII, cap. 59.
2. Cap. 39. — Dioscoride, I, 15. — Pline, XII, 25 (12) et
XXI, 70, 2.
3. Periplus, cap. 36. — Xpia-navixTj Tonoypoioiaiy lib. XI.
4. C'est le ÇuXov ivSixov de Paul Eginète, VII, 3, l'âXoT] de
l'Évangile de saint Jean, XIX, 39. — De materia medica, lib.
I, cap. 21. — Numeri, XXIV, 6; Provevbia, VU, 17; Psalmt,
XLV,9;Crtn/îCMm, IV, 14.
5. De materia rnedica, lib. I, cap. 81. L'encens — Xi^avoç —
figure au nombre des produits exportés de l'Inde, d'après le
Périple, cap. 28.
654 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
un produit de la Boswellia serraia si commune dans
la Péninsule. Quant au bdellium des auteurs grecs et
latins*, il ne peut y avoir de doute sur son identité;
il s*agit bien du gugguiu, cette résine exsudée par le
Balsamodendron mukulj dont il est fait déjà mention
dans la Bible' sous le nom de bedollach. Elle avait,
on le voit, pénétré de bonne heure dans TAsie anté-
rieure ; c'était, au premier siècle de notre ère, un des
principaux aromates importés de Tlnde dans l'Occi-
dent ; Dioscorideet Pline en parlent longuement; mais
ils en ignoraient encore Torigine véritable. A côté du
bdellium et du costus, le Périple fait aussi mention
du nard, cet aromate non moins célèbre dans l'anti-
quité '. Il semble avoir été déjà connu de Théophraste ;
Pline en faisait « le principal ingrédient dans les par-
fums », mais il en ignorait comme Dioscoride la vraie
nature. Quant au Calamus aromaticus, que Dioscoride
fait croître dans Tlnde \ comme il se trouvait aussi
dans TAsie antérieure, c'est de là, aussi bien que de la
Péninsule gangétique, que les Grecs et les Romains le
recevaient. Mais on a vu par ce qui précède combien
cette dernière contrée leur fournissait, dès le commen-
cement de notre ère, de produits rares et précieux.
1. Dioscoride. lib. 1, 80. — Pline, lib. XII, 19. — Periplus,
37, 39.
2. Genesis, cap. ii, 12. — Sumeri, cap. xi, 7.
3. Pei'iplus, cap. 48. — Historia plantarum, lib. ÏX, cap. 7,
3. — De mater ia rnedica, 1,6. — Historia naturalis, XII, 26.
4. De materia mediea, lib. [. cap. 17. — Pline, XII, 48,
vante surtout le roseau odorant de Syrie. Le calamus aroma-
ticus de Dioscoride, calamus odoratus de Pline, le kaneh de
la Bible, est probablement YAcorus calamus, un des médica-
ments favoris des Hindous. Watt, Dictionary, vol. I, p. 99. —
Dutt, Materia medica, p. 251.
TABLE
Pages.
Préface vu
Additions et corrections. xiii
LIVRE PREMIER
LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS
Chapitre pre&iier. — La flore et les habitants de Tlran
et de la région transcaspienne 1
1. La flore de l'Iran • . . . 1
a. Configuration du sol et climat 1
b. Caractères et types principaux de la flore
iranienne 11
c. La flore de Tlran d'après les Grecs 33
d. Les plantes alimentaires et industrielles du
plateau iranien 38
2. Habitants de l'Iran 49
Chapitre II. — L'agriculture et l'horticulture des Ira-
niens. Les plantes dans l'alimentation et dans
l'industrie 58
1. L'agriculture et l'horticulture iraniennes. ... 58
a. Culture des céréales et des plantes alimen-
taires et fourragères 64
b. Culture des plantes textiles, tinctoriales et
oléagineuses 69
c. Les arbres fruitiers 72
d. Les jardins dans la Perse ancienne. ... 82
2. Les plantes dans l'alimentation et dans l'industrie. 88
a. Les plantes alimentaires 88
b. Les plantes fourragères 98
c. Les plantes tanifères, tinctoriales et oléagi-
neuses 103
d. Bois de construction et textiles 106
Chapitre III. — Les plantes dans l'art et dans la poésie
iraniennes 112
1. Les plantes dans l'art 112
2. Les plantes dans la poésie 139
656 TABLE
Chapitre IV. — Les plantes dans les légendes reli-
gieuses, dans le culte et dans la médecine des
Iraniens I'i2
1. Les plantes dans les légendes religieuses. . . . 142
2. Les plantes dans le culte. Le haoïpa 154
3. Les plantes dans la médecine 162
LIVRE SECOND
LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS
Chapitre premier. — La flore et les habitants de l'Inde
ancienne 183
1. La flore de l'Inde 183
a. Configuration du sol et climat 183
b. Caractères et types principaux de la flore
hindoue 197
c. Plantes alimentaires et industrielles. . . . 226
2. Habitants de l'Inde 230
a. Les populations dravidiennes et aryennes. . 230
6. Conquêtes dans l'Inde de Darius etd'Alexandre. 233
c. La flore de l'Inde d'après les écrivains grecs. 234
Chapitre II. — Les plantes dans l'agriculture et l'hor-
ticulture des Hindous 239
1. L'agriculture hindoue 239
a. Culture des céréales, des plantes potagères
et des condiments 242
h. Culture des plantes oléagineuses et tinctoriales. 269
c. Culture des textiles 274
d. Les arbres fruitiers 278
e. Les plantes d'agrément et les jardins. . . . 303
Chapitre III. — Les plantes dans l'alimentation et dans
l'industrie des Hindous 312
1. Les plantes dans l'alimentation 312
a. Aliments végétaux, condiments et fruits. . . 312
b. Vins et boissons fermentées 331
c. Huiles alimentaires 338
d. Plantes fourragères 340
2. Les plantes industrielles 345
a. Plantes tinctoriales et tanifères 345
b. Textiles et plantes de vannerie 352
c. Bois de construction 363
d. Plantes dans la toilette et parfums 371
TABLE 687
Chapitre IV. — Les plantes dans Fart et dans la poésie. 381
1. Les plantes dans l'art 381
a. L'architecture 381
b. La sculpture et rornementation 391
c. La peinture, les monnaies, Torfèvrerie et la
poterie 409
2. Les plantes dans la poésie 422
a. Les plantes dans les descriptions poétiques. . 422
h. Allégories et métaphores empruntées au
monde végétal 444
Chapitre V. — Les plantes dans les légendes religieuses
et dans le culte 472
1. Les plantes dans les légendes religieuses. . . . 472
a. La cosmogonie et la théogonie hindoue. . . 472
b. Légendes divines des plantes 488
2. Les plantes dans le culte 527
a. Les plantes et le culte privé et public. . . 531
b. Le soma 558
3. Culte des plantes 569
Chapitre VÏ. — Les plantes dans la magie et dans la
médecine 582
1. Les plantes dans la magie 584
2. Les plantes dans la médecine 593
a La médecine magique 593
h. Origine de la médecine proprement dite. . . 614
c. Les traités médicaux 627
d. Remèdes végétaux empruntés à la flore de
rinde par les Perses, les Grecs et les
Romains 631
JoRET. — Les Plantes dans Vantiquité. II. — 42
CHABTBËS. — IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.