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Full text of "Les plantes dans l'antiquité et au moyen âge"

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LES  PLANTES 

DANS  L'ANTIQUITÉ  ET  AU  MOYEN  AGE 

HISTOIRE,    USAGES  ET  SYMBOLISlilE 
l'ttliMlftltE  PARTIK 

LES    PLANTKS    DANS   l'ORIENT   CLAS81((UK 
II 

L'Iran  et  l'Inde 

Charles  JORET 


PARIS 

LIBRAIRIE  ÉuiLK  BOUILLON,  ÉDITEUR 
«1.  RUE  DE  RICHELIEU,  AU  PREMIER 

I90i. 


LES  PLANTES 


DANS  L'ANTIQUITE  ET  AU  MOYEN  AGE 


] 


I 


1 

J 

1 


PRINCIPALES  PUBLICATIONS  DU  MÊME  AUTEUR 

Du  c  dans  les  langues  romanes.  Paris,  1874,  Ln-8. 
Herder  et  la  Renaissance  littéraire  en  Allemagne  au  xviii«  siècle. 
Paris,  1875,  in-8.  Épuisé. 

De  la  littérature  allemande  au  xviiic  siècle  dans  ses  rapports  avec  la 

littérature  française  et  la  littérature  anglaise.  Paris,  1876,  in-8. 
Essai  sur  lo  patois  du  Bessin,  suivi  d'un  dictionnaire  étymologique. 
Paris,  1881.  in-8.  Épuisé. 

Du  caractère  et  de  l'extension  du  patois  normand.  Étude  de  phoné- 
tique et  d'ethnographie,  suivie  d'une  carte.  Paris,  1883,  in-8. 
Mélanges  de  phonétique  normande.  Paris,  1884,  in-8. 
Des  rapports  intellectuels  de  la  France  avec  l'Allemagne  avant  1789. 
Paris,  1884,  in-8.  Épuisé. 

J.-B.  Tavemier,  écuycr,  baron  d'Aubonne,  chambellan  du  Grand- 
Électeur.  Paris,  1886,  in-8. 
La  Flore  populaire  de  Normandie.  Caen-Paris,  1887,  in-8. 
Le  P.  Guevarrc  et  les  bureaux  de  charité  au  xvn»  siècle.  Pari»;  1889, 

in-8. 
Le  voyageur  Tavernier  d'après  des  documents  inédits  (1670-1685). 

Paris,  1890,  in-8. 
Pierre  et  Nicolas  Forment.  Un  banquier   et  un  correspondant  du 

Grand -Électeur.  Caen-Paris,  1890,  in-8. 
La  Rose  dans  l'antiquité  et  au  moyen  âge.  Histoire,  légendes  et  sym- 
bolisme. Paris,  1892,  in-8. 
Fabri  de  Peiresc,  humaniste,  archéologue,  naturaliste.  Aix,  1894,  in-8. 
Le  comte  du  Manoir  et  la  cour  de  Weimar.  Paris,  1896,  in-8. 
Les  Plantes  dans  l'antiquité  et  au  moyen  âge.  l""®  partie.  Les  Plantes 
dans  rOrient  classique,  I,  Egypte,  Chaldée,  Assyrie,  Judée,  Phc- 
nicie.  Paris,  1897,  in-8. 
Madame  de  Staël  et  la  cour  de  Weimar.  Bordeaux- Paris,  1900,  in-8. 
La  Flore  de  l'Inde  d'après  les  écrivains  grecs.  Paris,  1901,  în-8. 
La  Bataille  de  Formigny,  d'après  les  chroniqueurs  contemporains. 

Paris,  1903,  in-8. 
Un  helléniste-voyageur  normand.   J.-B.   Le  Chevalier.   Paris,  1903, 
in.8. 


r.HABTRFS.    —    IMPRIMEHIB    DIUANI),    RUK    PULBEHT 


LES  PLANTES 

DANS  L'ANTIQUITÉ  ET  AU  MOYEN  AGE 


PREMIÈRE  PARTIK 

LBS   PLANTFS    DANS    L'ORIENT   CLASSIQUE 


L'Iran  et  l'Inâe 


Charles  JORET 

MainbrK  de  l'IiutUnl. 


PARIS 

LIBRAIRIE  ÉMiLs  BOUILLON,  ÉDITEUR 

6^.  RUE  DE  RICHELIEU,  AU  PREMIER 

I90i 


i.  ;* .  ■ 


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V 


*  J 


A  LA  MEMOIRE 


OE    MON   AMI 


ABEL   BERGAIGNE 


v^  *w- 


PRÉFACE 


Le  volume  que  j'offre  aujourd'hui  au  public  —  le 
second  de  mon  Histoire  des  Plantes  —  paraît  beaucoup 
plus  tard  que  je  n'aurais  voulu  et  que  je  ne  le  croyais, 
quand  je  l'ai  commencé.  J'espérais  alors  pouvoir  le 
donner  dans  le  courant  de  1901,  il  paraît  seulement  à 
la  fin  du  printemps  de  1904.  L'étendue  et  les  diflScultés 
du  sujet  expliquent  assez  ces  longs  délais,  et  je  crains 
bien  plutôt  qu'on  me  reproche  de  m'être  trop  pressé 
que  d'avoir  attendu  trop  longtemps  à  le  publier. 

Lorsque,  dans  les  derniers  mois  de  1897,  je  me  suis 
mis  à  écrire  cet  ouvrage,  j'en  avais  déjà,  neuf  ans 
auparavant,  fait  une  première  rédaction,  et  quelque 
abrégé  que  fût  ce  travail  préparatoire,  je  me  flattais 
que  trois  années  me  suffiraient  amplement  pour  le 
revoir  et  lui  donner  les  développements  qu'il  compor- 
tait. Le  remaniement  du  premier  livre,  consacré  aux 
plantes  de  l'Iran,  a  été,  en  effet,  assez  rapide  ;  il  n'en 
a  pas  été  de  même  du  second,  qui  traite  de  la  Flore  de 
l'Inde.  Des  ouvrages  qui  m'étaient  restés  d'abord  in- 
connus, comme  le  Dictionary  of  the  économie  Pro- 
ducts of  India  de  Watt,  les  Indischc  Sprïtche  de 
Boohtlingk,   l'étude    plus  approfondie  de    la   poésie 


VIII  PRÉFACE 

épique  et  dramatique,  celle  des  traités  religieux, 
m'ont  montré  que  tout  ou  à  peu  près  était  à  refondre 
dans  ce  second  livre,  et  comme  je  n'en  prévoyais  pas 
de  longtemps  rachèvement,  je  me  suis  décidé  à  faire 
imprimer  le  premier  pendant  l'hiver  de  1901-1902. 
C'est  seulement  Tannée  dernière  que  j'ai  pu  commencer 
l'impression  des  Plantes  de  l'Inde,  et  j'ai  dû  encore 
l'interrompre  plusieurs  mois,  afin  de  soumettre  les 
derniers  chapitres  à  un  remaniement  indispensable. 
Ces  remarques  étaient  peut-être  nécessaires  pour  ex- 
pliquer la  lente  genèse  et  la  tardive  apparition  de  ce 
volume;  elles  serviront  du  moins  à  excuser  l'igno- 
rance inévitable  où  j'ai  été  de  quelques  ouvrages, 
qu'il  m'eût  été  peut-être  utile  de  consulter,  mais  que 
je  n'ai  pu  mettre  à  profit,  parce  qu'ils  n'ont  été  publiés 
qu'après  l'impression  des  chapitres  auxquels  ils  se 
rapportent. 

Malgré  les  soins  que  j'ai  pris  pour  le  rendre  le 
moins  imparfait  possible,  je  sens  tout  ce  qui  manque 
à  mon  ouvrage,  peut-être  y  découvrira-t-on  des  la- 
cunes, inévitables  dans  un  sujet  aussi  vaste;  peut-être 
par  contre  trouvera-t-on  que  j'ai  trop  développé  cer- 
taines parties  qui  n'avaient  pas  un  lien  assez  étroit 
avec  mon  sujet.  J'avoue  que,  plus  d'une  fois,  je  me 
suis  laissé  trop  séduire  à  l'attrait  que  m'offrait  le 
monde  mystérieux  de  l'Inde,  monde  que  j'avais  à  peine 
entrevu  jusque-là,  et  dont  les  légendes  religieuses  et 
profanes,  la  poésie  et  l'art  exercent  une  irrésistible 
fascination  sur  quiconque  essaie  de  les  pénétrer  et  de 
les  approfondir.  Il  y  avait  là  d'ailleurs  quelque  chose 
de  bien  fait  pour  me  retenir.  La  vie  d'aucun  peuple  de 
l'antiquité  n'a  été  dans  un  contact  aussi  constant  et 
intime  avec  la  nature  ;  aucun  peuple  n'a  connu,  aimé, 


PRÉFACE  IX 

exalté,  le  monde  des  plantes,  aucun  ne  Ta  associé 
d'une  manière  aussi  étroite  à  ses  croyances,  à  ses  aspi- 
rations, à  son  existence  de  tous  les  jours,  comme 
Font  fait  les  Hindous.  Il  n*est  point  de  manifestation 
de  leur  activité  où  les  plantes  n'aient  eu  part  ;  faire 
rhistoire,  dans  ses  principaux  et  plus  utiles  représen- 
tants de  la  Flore  de  l'Inde,  c'est  faire  l'histoire  de  la 
civilisation  de  cette  vaste  contrée.  On  comprendra  que 
j'aie  cédé  à  la  pensée  de  l'essayer  ;  on  m'excusera 
aussi,  je  l'espère,  si  j'en  ai  retracé  un  tableau  trop 
incomplet;  mais  peut-être  voudra-t-on  bien  me  tenir 
compte  des  efforts  que  j'ai  faits  pour  en  réunir  quel- 
ques-uns des  traits  les  moins  connus  ;  je  m'estimerais 
heureux  s'ils  assuraient  à  ce  nouveau  volume  l'accueil 
bienveillant  qu'a  rencontré  son  aîné,  qu'il  dépasse  en 
intérêt,  je  crois,  aussi  bien  qu'en  étendue. 

Il  y  a  sept  ans,  en  publiant  celui-ci,  j'exprimais  le 
vœu  qu'il  me  fût  donné  de  pouvoir  faire  paraître,  dans 
un  avenir  prochain,  les  trois  volumes  que  devait  encore 
comprendre  mon  Histoire  des  Plantes  ;  le  second  a 
exigé  un  temps  si  long,  l'état  de  mes  yeux,  qui  m'a 
rendu  singulièrement  pénible  la  correction  des  der- 
nières épreuves,  est  devenu  si  mauvais,  que  je  n'ose 
plus  former  d'espoirs  aussi  ambitieux  ;  j'ose  encore 
moins  maintenant  songer  à  publier  l'Histoire,  com- 
mencée et  annoncée  depuis  tant  d'années,  des  rapports 
intellectuels  de  la  France  et  de  l'Allemagne  ;  puisse- 
t-il  au  moins  m'être  permis  de  donner  quelques  frag- 
ments déjà  terminés  de  ces  deux,  ouvrages,  dont  je 
rêvais  la  publication  entière  comme  le  couronnement 
le  plus  cher  de  ma  carrière. 

Condamné,  pour  un  temps  dont  j'ignore  la  durée,  à 
un  repos  presque  absolu,  je  me  trouve  dans  l'impossi- 


X  PRÉFACE 

bilité  de  faire  en  ce  moment  Tindex  général,  que  je  me 
proposais  de  mettre  à  la  fin  de  ce  volume  ;  je  compte 
l'entreprendre  dès  que  ma  santé  se  sera  améliorée  ; 
j'espère  qu'on  n'aura  pas  trop  à  l'attendre  ;  je  ferai 
du  moins  tout  ce  qui  dépendra  de  moi  pour  qu'il  soit 
aussi  complet  et  paraisse  aussitôt  que  possible. 

Un  mot  maintenant  sur  l'orthographe  que  j'ai  suivie. 
Pour  les  noms  géographiques  et  les  noms  propres 
d'homme  universellement  connus,  j'ai  adopté  notre 
orthographe  usuelle  ;  je  représente,  en  particulier,  ii 
par  ou  et  sh  par  ch.  J'ai  procédé  autrement  pour  les 
autres  noms;  dans  le  premier  livre,  j'ai  suivi  l'ortho- 
graphe employée  par  James  Darmesteter  dans  sa  tra- 
duction du  Zend-Avesta  ;  dans  le  second  livre,  je  me 
suis  servi  des  signes  le  plus  généralement  adoptés  au- 
jourd'hui pour  la  transcription  des  lettres  sanscrites  ; 
ainsi  on  trouvera  représentées  par  c,  /,  les  palatales 
tch,  djy  par  t,  d,  n,  les  cérébrales,  par  n  et  h  respec- 
tivement les  n  guttural  et  palatal,  par  ç  et  sh  —  je 
reconnais  que  les  signes  ^  et  ^  eussent  été  préférables 
—  les  chuintantes  presque  identiques  ç  et  sh,  par  ri  la 
demi-voyelle  >*,  par  m  l'anusvàra  ou  nasale  affaiblie. 

Mais  ici  se  présentait  une  difficulté;  les  auteurs 
d'ouvrages  botaniques  ignorent  ces  transcriptions  ;  il 
en  est  de  môme  de  la  plupart  des  traducteurs,  môme 
hindous  ;  ils  ne  distinguent  jamais  les  cérébrales  des 
dentales  proprement  dites  ;  ils  ne  distinguent  morne 
pas  toujours  les  voyelles  longues  des  brèves  ;  ainsi 
Brandis  écviisinsapa  pour  çithçapâ,  nom  du  Dalbergia 
sissoo  ;  Watt  met  hingu,  knshtha  à  la  place  de  hinyu, 
kushtha  ;  on  trouve  dans  Protap  Chandra  Ray,  le  tra- 
ducteur du  Mahâbhârata,  Pândii,  Pàndavas,  au  lieu 
de  Pàndu,  Pdndavas,  etc.  Je  ne  parle  pas  des  tran- 


PRÉFACE  Xï 

scriptions  de  Fauche  et  des  autres  traducteurs,  qui, 
par  condescendance  pour  leurs  lecteurs,  ont  cru  devoir 
donner  un  costume  français  aux  mots  sanscrits.  Je  me 
suis  attaché  à  rendre  à  ces  mots  leur  forme  originelle  ; 
mais  comme  j'ai  parfois  oublié  de  le  faire  ou  dans 
mon  manuscrit  ou  sur  les  épreuves,  je  prie  les  lec- 
teurs de  se  rapporter  à  Verrata  qui  se  trouve  ci-après. 
Je  rappelle,  au  cas  où  quelques  mots  n'auraient  pas 
été  corrigés,  que  Vn  suivi  de  g  ou  de  k  doit  être  écrit 
û^  qu'après  la  chuintante  sh,  il  faut  toujours  les  céré- 
brales t(h),  n  et  non  i(h),  n  ^  J'ajouterai  enfin  que  dans 
les  notes,  j'ai  laissé,  pour  plus  de  simplicité,  Rig- 
Veda  sans  r. 

Il  me  reste,  en  terminant,  à  adresser  mes  bien  vifs 
remerciements  à  MM.  Barth  et  Senart  pour  les  rensei- 
gnements que  ma  connaissance  imparfaite  de  la  langue 
et  de  la  littérature  sanscrites  m'a  souvent  forcé  de 
leur  demander,  et  qu'ils  m'ont  donnés  avec  un  si  géné- 
reux empressement.  Je  me  reprocherais  d'oublier 
dans  l'expression  de  ma  gratitude  M.  le  D'  Dorveaux, 
bibliothécaire  de  l'École  supérieure  de  Pharmacie, 
qui,  depuis  quatre  ans,  a  mis  à  ma  disposition  avec 
la  plus  grande  libéralité  les  livres  du  riche  dépôt  con- 
fié à  ses  soins. 

Paris,  le  15  mai  1904. 


1.  La  cédille  du  ç  a  été  parfois  omise  devant  t,  e  dans  quel- 
ques mots,  par  exemple  Urvaci,  au  lieu  de  Urvaçi. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 


fAOEt  AU    LIRU    DK  URI 

1        ligne    5      transcapienne  transcaspienne 

31        note     1       RojpaUra  Bhojpattra 

P.  34,  ligne  7.  Dans  un  ouvrage  récent,  Botariische  For- 
schungen  des  Alexanderzuges.  Leipzig,  1903,  in-8,  p.  272, 
M.  Hugo  Bretzl  a  identifié  l'épine  à  rameaux  verticillés  avec 
répine  aphylle  de  Théophraste  et  cru  qu'elles  n'étaient,  Tune 
et  l'autre,  que  VEuphorbia  antiquorum, 

P.  34,  ligne  12.  On  lit  dans  Joh.  L.  Schlimmer,  Terminolo- 
gie médico-pharmaceutique  française-persane.  Téhéran,  1874, 
in-fol.  Art.  Nerium,  «  Ses  feuilles  sont  un  violent  poison  pour 
les  bètes  de  somme  ;  aussi  partout  où  la  plante  croît  le  long 
des  routes,  on  ferme  la  bouche  des  ânes,  mulets  et  chevaux  au 
moyen  d'un  petit  sac...  pour  empêcher  ces  animaux  de  tou- 
cher à  la  séduisante  verdure  ».  On  voit  que  Schlimmer  dit  du 
laurier-rose  ce  que  Théophraste  rapporte,  peut-être  par  erreur, 
de  la  Calotropis. 

ariennes  aryennes 

yudjeh,  sdpist  yondjeh,  aspist 

ajwain  ajwan  ou  ajouan 

Nes.Perien  Notes.  Persien 

Aitchiso  Aitchison. 

n'en  ne  * 

relevés  relevées 

Tristam  Tristram 

Ziziphora  Zizyphora 

théo  —  théom  — 

hestiateris  hestiatoris 

Sir  Daria  Syr  Daria 


50 

ligne  10 

68 

note      5 

90 

2 

98 

-    2,3 

—        4 

101 

ligne  28 

126 

22 

129 

note     3 

167 

ligne    3 

168 

16 

25 

note      4 

XIV  ADDITIONS  ET  CORftECTIONS 

PACK»  AU  LIXC  OC  (.MB 

184        ligne    4       dakshina  dakshxnn 

190  —     27       le  Kousi  la  Kosi 

2t5         —       5       atteint  atteignent 

227        note      1       zanlhoxyloides  xanthoxyloide» 

231        ligne  22       Rishi  Rishis 

236         —       4       ampan  empan 

239  —      18       Vishnu  Vishçiu* 

248  —       3       Samhitâ  Samhitâ 

265  —     25       kancani  kàncanî 

P.  271  et  suiv.  I.es  noms  sanscrits  d'une  plante  ne  sont  pas 
une  preuve  aussi  absolue  que  je  Tai  dit  parfois  de  la  grande 
ancienneté  de  sa  culture. 

273  —        5       jingî  jingi 

P.  277,  ligne  17.  En  réalité  rien  n'indique  que  le  chanvre 
ait  été  invoqué  dans  TAtharva-Véda  comme  narcotique. 

ksihrimi  kshîriijt 

açvatha  açvattha 

coco-  cocoa- 

kàshthilA  kâsfKhUâ 

varanabushA  vàraijabusâ 

Urvaci  Urvaçi  * 

et  de  et  du 

ankola  ankola 

nunja  munja 

P.  368.  On  faisait  aussi  des  cure-dents  en  bois  de  khadira 
(S.  Beal,  Buddhist  Records,  vol.  I,  p.  68,  note  2),  d*udumbara 
(Hiranyakeçin  et  Pâraskara,  Grihya  SutrUy  I,  3,  9  ;  II,  25,  17), 
ainsi,  d'après  Caraka(lib.  I,  leçon  5,  65,  p.  61),  qu'en  bois  de 
karanja,  karavira,  arka,  mâlatî,  kakubha  et  asana  ^,  etc. 

P.  376-377.  D'après  Caraka  (lib.  ï,  leçon  3,  88,  p.  63),  l'usage 
des  couronnes  de  fleurs  et  des  parfums  fortifie,  donne  de  la 
gaieté  et  assure  une  vie  longue  et  agréable. 

P.  381.  Outre  les  piliers  des  quatre  angles,  il  y  avait,  au 
milieu  de  la  maison  védique,  un  poteau  central  destiné  à  sou- 
tenir le  toit. 
443        ligne  10       pâtalîs  pàtalis 

1.  De  même  p.  243,  note  4,  245,  note  5. 

2.  De  même  p.  465,  lignes  9  et  11. 

3.  Pongamia  glabra,  Nerium  odorum,  Calotrnpis  giganiea 
Echites  carf/ophyUata^  Terminalia  arjunn  et  tnmentosa. 


290 

ligne 

5 

291 

21 

300 

note 

301 

ligne 

9 

305 

note 

5 

325 

ligne 

15 

17 

356 

— _ 

7 

ADDITIONS  ET  CORRECTIONS  XV 


PAGES 

AU    LIBII    DR 

UBK 

465,  468      —  17,  21 

entr'ouve(nt) 

entr'ouvre(nt) 

469        note      5 

Rakshasas 

Rakshasas 

481       ligne    15 

escondes 

secondes 

489          —       8 

karnikâra 

karçikàra 

506        ligne    9 

partout 

partant 

519          —     15 

Purâna 

Puràça 

532        note      1 

wichtigten 

wichtigsten 

P.  533.  Outre  Tencens  et  le  guggulu,  on  brûlait,  en  Thon- 
neur  des  dieux,  des  bois  parfumés,  comme  ceux  de  santal,  de 
Juniperus  excelsa,  de  Tabemaemontana  coronaria,  etc. 

P.  354,  ligne  13.  Les  Lois  de  Manod  prescrivent  longuement 
les  offrandes  funéraires  qu'on  devait  faire  aux  Mânes.  Lib.  III, 
82,  90,  122,  267. 

542  ligne  25       puroâdça  purodàça 

543  —       9       Pushan  Pûshàn 

579         —     19      d'un  chef  village         chef  d'un  village 
608  —     20      mùnja  muftja 

P.  639,  ligne  16.  Le  Bower  Mss.  connaît  un  remède  qui  pro- 
curait à  la  fois  santé,  force  et  une  bonne  mémoire  et  pouvait 
même  faire  vivre  jusqu'à  1000  ans.  Part  I,  52-54. 


LIVRE  PREMIER 


LES  PLANTES  CHEZ   LES  IRAKIENS 


CHAPITRE  PREMIER 


LA  FLORE  ET  LES  HABITANTS    DE  L*IRAN  U   DE   LA 

RÉGION  TRANSCAPIENNE 


1 


La  partie  orientale  de  l'Asie  antérieure  —  Tlran  — 
forme  dans  son  ensemble  un  vaste  plateau  calcaire  et 
argileux,  d'une  hauteur  moyenne  de  1  OOOà  1 2(X)mètres, 
entouré  d'une  ceinture  de  montagnes,  qui  l'isolent  de 
la  mer  et  des  pays  voisins  \  A  TOccident  se  dresse  la 
chaine  qui,  sous  des  noms  divers,  le  sépare  du  bassin 
du  Tigre  et  du  golfe  Persique,  et  dont  les  rameaux 
parallèles  courent  à  travers  le  Louristan  et  le  Khou- 
zistan  —  Tancienne  Susiane  —  du  Nord-Ouest  au  §ud- 
Est,  en  s'élevant  des  monts  du  Kourdistan  —  le  Zagros 
des  Grecs  — ,  aux  massifs  presque  inabordables  de  la 


1.  Cari  Ritter,  Die  Erdkunde  im  Verhàltnhs  2ur  Natur  und 
zur  Geschichle  des  Menschen.  Berlin,  1838,  in-8,  vol.  VIII, 
p.  3-8.  —  Karl  Prellberg,  Persietiy  eine  hisiorische  Land&chaft. 
Leipzig,  1891,  in-8,  p.  3. 

JoRET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité.  II. -1 


^ 


2  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

Perside  —  le  Farsistan  actuel  ^  — .  Au  Sud  s'étagent 
parallèlement  à  la  côte  les  monts  du  Laristan,  la  triple 
terrasse  du  Mékran  et  la  haute  plaine  du  Béloutchistan. 
A  TEst  s'élèvent  les  monts  Brahoui  et  Khirtar,  con- 
treforts orientaux  de  cette  plaine,  qui  dominent  le 
cours  inférieur  du  Sindhou  Indus  ;  plus  loin  se  dresse, 
du  Sud  au  Nord,  la  double  chaîne  des  monts  Sou- 
leïman  :  le  Souleïman-dagh  oriental,  qui  appartient 
au  bassin  de  Tlndus,  dont  les  affluents  de  droite 
traversent  ses  cols,  et  le  Souleïman-dagh  occidental, 
que  suit  la  ligne  de  partage  des  eaux.  A  leur  extrémité 
septentrionale  ces  monts  s'appuient  contre  le  Séfid- 
koh,  qui  limite  au  Sud  la  vallée  du  Kaboul-roud,  — 
le  Kophès  ou  Kophen  des  Grecs  —  et  s'abaisse  à  son 
extrémité  orientale  vers  le  passage  célèbre  de 
Khaïber  *.  Au  delà  du  Kaboul-roud  s'étendent  les 
contreforts  méridionaux  de  l'Hindou-kouch,  que  sé- 
pare du  Karakoroum  le  col  de  Baroghil,  haut  de 
3  000  mètres,  par  lequel  le  bassin  de  l'indus  commu- 
nique avec  celui  de  TOxus  ou  Amou-Daria  \ 

Courant  de  TEst  au  Sud-Ouest  avec  des  sommets, 
comme  le  Tiritchmir,  d'une  hauteur  de  7  500  mètres, 
l'Hindou-kouch  —  le  Paropamise  des  anciens  —  sert, 


9 

1.  Elisée  Reclus,  Nouvelle  Géographie  universelle,  vol.  VI, 
p.  \97.  —  Herthelot,  art.  Asie  dans  la  Grande  Encyclopédie.  — 
A.  Stieler's //aM<^/a//<w,  pi.  62.  —  Vidal-Lablache,  Allas  général, 
Paris,  1894,  pi.  120. 

2.  Fr.  Spiegel,  Erânische  Aller thumskunde,  Leipzig,  1871, 
in-8,  vol.  I,  p.  12  et  23  —  Elisée  Reclus,  op.  laud,,  vol.  IX, 
p.  37-'i2. 

3.  W.  Geiger,  Die  Ostiranische  Kullur  im  Altertum.  Erlan- 
gen,  1882,  in-8,  p.  54. —  Guillaume  Gapus,  Pamir  et  Tchitral. 
(^Bulletin  delà  Société  de  géographie,  17«  série,  vol.  XI  (1890), 
p.  522). 


i 
I 


LA  FLORE  DE  L'IRAN       •  3 

ainsi  que  ses  prolongements  occidentaux,  de  limite 
septentrionale  au  plateau  de  l'Iran.  Mais  à  mesure 
qu'il  s'avance  vers  l'Ouest,  il  diminue  d'altitifBe  jus- 
qu'à la  passe  de  Bamian,^qui  n'a  plus  que  2500  mè- 
tres. Au  delà  commence  le  Koh-i-baba,  auquel  suc- 
cède la  double  chaîne  du  Séfld-koh  et  du  Siyah-koh  ; 
puis  vient  le  massif  du  Khaïtou,  qui  s'abaisse  à  sa 
partie  occidentale  pour  permettre  à  l'Héri-roud  de 
gagner  la  plaine  du  Touran^  Là  finit  la  chaîne  de 
l'anciei^  Paropamise.  Plus  loin  commence  le  système 
complexe  du  «  Caucase  des  Turkmènes  »,  qui,  enser- 
rant le  double  bassin  del'Atrek  et  du  Gourgan,  affluents 
de  la  Caspienne,  se  rattache  vers  Astrabad  à  l'El- 
bourz,  ce  la  plus  vieille  des  montagnes  »,  dont  un  pic 
isolé,  le  Démavend,  domine  de  sa  cime  volcanique, 
haute  de  plus  de  6500  mètres,  la  plaine  de  Téhéran*. 
L'Elbourz,  qui  court  parallèlement  à  la  ccTle  méridio- 
nale de  la  Caspienne  et  ne  s'entrouve  que  pour  livrer 
passage  au  Séfid-roud  ou  Kizil-ouzen,  va  rejoindre 
à  l'Ouest  le  Kara-dagh,  limite  septentrionale  du  pla- 
teau de  l'Aderbeidjan,  qui  relie  l'Iran  an  massif  armé- 


nien ^ 


La  ceinture  de  montagnes,  qui  borde  ainsi  l'Iran, 
envoie  dans  l'intérieur  de  cette  vaste  région  des  ra- 
meaux plus *ou»  moins  étendus,  tel»  que  le  Lahori, 
qui  se  détache  de  rHindf)u-Kouch  près  du  col  de  Ba- 

1.  Klisée  Reclus,  op.  laud.,  vol.  IX,  p.  30-37. 

2.  kvX,  Asie  dans  la  Grande  Encyclopédie.  —  M.  J.  de  Morgan, 
Mission  scientifique  en  Perse.  Paris,  1894,  in-4,  vol.  I,  p.  12, 
ne  donne  que  6  080  mètres  au  Démavend.  E.  Tietze  lui  attri- 
buait 18  600  pieds.  Ueber  die  Bodenplastik  und  die  geologische 
Beschaffenheit  Persiens.(Mittheilungen  derKais.  Kônigl,  geogra- 
phischen  Gesellschafi.  Wien,  1886,  vol.  XXIX,  p.  521). 

3.  Elisée  Reclus,  op.  laud.,  vol.  IX,  p.  150-160. 


Ln. 


^'■.».> 


.^.. 

^<*' 


K* 


4    <^  LBS  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

roghil  ;  telles  encore  que  les  chaînes  parallèles  du 
Paghmân  et  du  Goul-koh,  qui  se  rattachent  au  môme 
systènfe*.  Des  massifs  indépendants  se  dressent  aussi 
çà  et  là  dans  l'intérieur  du  plateau,  comme  les  monts 
Nihbandan  à  TOuest  du  lac  Hamoun,  le  Sahend  et  1# 
Savalan,  volcans  éteints,  qui  se  dressent  au  milieu  de 
TAderbeidjan*;  enfin  parallèlement  aux  montagnes  du 
Louristan  et  du  Farsistan  court,  dans  la  direction  du 
Nord-Ouest  au  Sud-Est,  de  la  vallée  du  Kizil-ouzen 
au  centre  du  Mékran,  la  chaîne  du  Kouh-roud,  dont 
plusieurs  pics,  entre  autres  celui  d'Elvend— l'Orontès 
des  Grecs,  —  au  Sud  de  Hamadan  —  l'ancienne  Ecba- 
tane — ,  et  le  Kouh-i-Hazar,  dans  le  Kirman,  atteignent 
le  premier  3270,  le  second  jusquTà  4500  mètres  de 
hauteur  ^. 

Cette  chaîne  sépare  la  région  montueuse  de  l'Ouest 
des  plaines*  arides  du  plateau  iranien,  le  grand  désert 
salé  —  le  Dacht-i-kévir  —  au  Nord  et  le  désert  de 
Lout  —  le  l)acht-i-lout  —  au  Sud.  Plus  loin  se  trouve 
le  désert  de  Kirman  et  au  centre  du  Béloutchistan,  à 
rOuest  des  monts  Brahoui,  s*étend  celui  de  Kha- 
rar^\  Dans  ces  dépressions  stériles,  formées  dg  fonds 
do  mers  intérieures,  desséchées  par  Tévaporation  et 
comblées  par  les  alluvions,  le  niveau  du  sol  se  trouve 
bien  au-dgssous  des  collines  les  moins^  élevées  ;  il  n'a 
plus  que  300   mètres  d'altittide   dans   le    désert   de 


!• 


0 

1.  W.  Geiger,  Ostiranische  KuUur,  p.  5V56.  —  Elisée  Reclus, 
op.  laud.,  vol.  IX,  p.  31  et  35.  * 

2.  J.  de  Morgan,  Mission  en  Perse,  vol.  I,  p.   9.   —  Elisée 
Reclus,  op.  laud.,  vol.  IX,  p.  165. 

3.  Elisée   Reclus,  op.   laud.,   vol.  IX,    p.    172.  —  Andrée, 
Handatlas,  pi.  80. 

4.  Elisée  Reclus,  op.  laud.,  vol.  IX,  p.  118  et  153. 


•  * 


LA  FLORE  DE  L'IRAN  5 

Lout.  Les  parties  les  plus  basses  de  ces  plaines  déso- 
lées sont  occupées  par  des  marécages  salins  —  les 
kévir  ou  kéfih  — ,  parfois  aussi  par  des  lacs  —  ha- 
moun  — ,  restes  des  mers  disparues,  aliraentçs  par  jes 
cours  d'eau  qui  s'y  jettent  *. 

Malgré  son  étenduÔ,  le  plateau  de  l'Iran  compte  peu 
de  riviènes  considérables  ;  presque  tous  les  grands 
cours  d'eau,  descendus  des  montagnes  qui  l'environ- 
nent, appartiennent  aux  contrées  voisines.  Mais  ilren- 
ferme  un  certain  nombre  de  bassins  intérieurs.  Le 
plus  important  est  celui  de  THilmend  —  l'Erymanthe 
ou  Etymander  des  géographes  grecs  et  romains,  le 
Haitumat  de  l'Avesta  —  ;  sorti  à  3000  mètres  de  hau- 
teur du  massif  du  Paghmân,  près  du  col  de  Hadji-kak 
'entre  THindou-kouch  et  le  Koh-i-baba,  il  coule  d'a- 
bord  dans  la  direction  du  Nord-Est  au  Sud-Ouest, 
puis  après  avoir  reçu  l'Arghandàb,  qui  recueille  les 
eaux  du  Tarnak  et  de  l'Arghesân,  il  se  replie  vers  le 
Nord-Ouest,  pour  aller  se  perdre,  réuni  §u  Khach-roud, 
dans  le  Hamoun-i-Savaran  S  un  des  lajss  qu'a  laissés, 
en  se  desséchant,  la  mer  du  Seistan  ^.  A  l'époque  de 
la  fonte  des  neiges  THilmend  roule  une  quantité  d'eau 
considérable,  et,  comme  le  Nil,  il  est  soumis  à  des 
débordements  périodiques.  Deux  autres  cours  d'eau, 
issus  du  Siyah-koh,  se  jettent  dans  le  Hamoun-i-Fa- 
rah,  lac  voisin  du  Hamoun-i-Savaran  et  de  même  ori- 
gine que  lui  *.  Au  Sud  de  l'Hilmend  coulent  le  Mech- 


1.  Art.  Aiie  dans  la  Grande  Encyclopédie.  —  Karl  Prellberg, 
Persien,  ejnc  historischc  Landscha/t,  p.  9. 

2.  W.  Geiger,  op.  laiid.,  p.  90-100. 

3.  W.  Hughes,  Grand  atlas  universel j  2«  édi , «revue  et  corri- 
gée parE.  Cortambert.  Paris,  1875,  fol.,  pi.  31. 

4.  Fr.  Spîegel,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  32-47.  —  Art.  Afgha- 


6  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

kid,  qui  draine  le  désert  de  Kharan,  et  le  Lora,  dont 
les  eaux  se  perdent  dans  le  hamoun,  auquel  il  donne 
son  nom*,  et,  à  TEst  de  l'Arghandâb  s'étend  le  bassin 
du  Ghazni,  qui  alimente  le  lac  salé  et  amer  d'Ab- . 
Istâda,  à  une  altitude  de  2500  mètres.  Au  milieu  des 
montagnes  du  Farsistan  s'étend  aussi,  à  une  hauteur 
de  plus  de  1000  mètres,  un  lac,  celui  de  Nkis  ',  ali- 
menté par  les  eaux  du  Bandémir  —  T Araxès  — ,  grossi 
du  Polvar  —  Tancien  Médos'.  —  Il  faut  citer  aussi  les 
affluents  du  lac  d'Ourmiah,  qui  occupe,  à  une  alti- 
tude de  1  300  mètres,  le  fond  occidental  de  la  plaine 
élevée  de  TAderbeidjan  *. 

A  Tangle  Nord-Est  du  plateau  iranien  coule  la  ri- 
vière de  Caboul,  sortie  de  la  chaîne  du  Paghmân, 
près  du  col  d'Ounnah,  qui  fait  communiquer  la  vallée* 
qu'elle  forme  avec  celle  de  THilmend  ;  dans  son  cours 
supérieur  et  moyen  elle  recueille  par  ses  affluents, 
dont  le  plus  important,  le  Kounar,  forme  la  vallée  de 
Tchitral,  les  eaux  du  Séfid-koh  et  des  contreforts  mé- 
ridionanx  de  THindou-Kouch.  Après  avoir  franchi  le 
col  de  Khaïber,  elle  cesse  d'appartenir  à  l'Iran  et  dé- 


nistan  dans  la  Grande  Encyclopédie.  —  Art.  I/ilmend  dans 
Brockhaus,  Conversât ionstexicon.  —  Klisée  Reclus,  op.  laud., 
vol.  IX,  p.  47-49.  Le  Haraoun-i-Savara  et  le  Hamoun-i-Farah 
sont  le  plus  souvent  représentés  sur  les  cartes  comme  ne  for- 
mant qu'un  seul  et  même  lac. 

1.  Elisée  Reclus,  op.  laud.,  vol.  IX,  p.  117-119. —  W.Geiger, 
op.  laud.,  p.  109;  donne  à  ce  lac  le  nom  d'Ab-Istâd. 

2.  Fr.  Spiegel,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  93,  lui  donne  le  nom  de 
Koum-i-Firouz. 

3.  Strabon,  Geographica,  11  b.  XV,  cap.  3,  6.  —  Andrée, 
Ilandallas,  pi.  80.  —  Elisée  Reclus,  o/f  laud.,  vol.* IX,  p.  186 
et  265.  ^ . 

4.  Fr.  Spiegel,  ojD.  laud.,  vol.  I,  p.  127-128.  —  Elisée  Reclus, 
op.  laud.,  vol.  IX,  p.  181-185.  * 


U  FLORE  DE  L'IRAN  7 

pend  désormais  du  bassin  deTIndus,  dans  lequel  elle  se 
jette.  Il  en  est  de  même  du  Kouram  et  du  Gomoul  ou 
Gomal,  sortis  l'un  et  Tautre  du  Souleiraan-dagh  oc- 
cidental *.  Le  versant  de  l'Océan  indien  ne  compte  que 
des  cours  d'eau  insignifiants  ;  le  plus  considérable  est 
le  Dacht  ou  Bagva,  qui,  avec  le  Sarbas  ou  Koudjou/ 
recueille  les  eaux  du  Mékran  central  *.  Comme  la*mer 
Erythrée  et  plus  encore,  le  golfe  Persique,  ne  reçoit 
aussi  que  des  rivières  sans  importance;  mais  les  an- 
ciens en  ont  connu  plusieurs,  qui  méritent  par  là  d'être 
mentionnées,  comme  TAréôn  —  Nabend,  —  le  Sita- 
cos  —  Presktaf — ,  le  Granis  —  Séfid  —  et  l'Oroatis  — 
Thab,  —  la  plus  grande  de  toutes,  d'après  Strabon^ 
Tandis  que  le  versant  occidental  de  la  chaîne  du 
Louristan  et  du  Khouzistan  envoie  au  Tigre  de  puis- 
sants affluents,  tel  queleDiyalah  —  l'ancien  Gyndès — , 
la  Kerkha  —  le  Choaspès  des  Grecs  —  et  le'Karoun  — 
probablement  le  Pasitigris,  —  il  ne  sort  du  versant 
oriental  que  des  cours  d'eau  peu  considérables,  comme 
le  Karatchaï,  qui,  avec  l'Abagar,  arrose  l'ancienne 
Médie  et  va  se  perdre  dans  le  lac  Haus-i-Soultan,  et  le 
Zayendeh-roud,  qui  se  jette  dans  le  lac  d'fepahan*.  Maîs« 
du  pied  oriental  du  Zagros  sort  le  Kizil-ouzen  ou  Séfid- 
roud  —  l'ancien  Merdos  — ,  qui,  après  un  long  détour, 
traverse  TElbourz  pour  porter  à  la  Caspienne  les  eaux 
de  la  région  orientale  du  plateau  de  l'Aderbeidjan  \ 

1.  Fr.  Spiegel,  ojo.  laud.,  vol.  I,  p.  13-16.  —  W.   Hughes, 
Allas,  pi.  31.  —  Elisée  Reclus,  op.  laud,,  vol.  IX,  p.  44. 

2.  Art.  Béloutchistan  dans  la  Grande  Encyclopédie.  —  Elisée 
Reclus,  op.  laud.j  vol.  IX,  p.  117. 

3.  Arrien,  Historia  indica^  cap.  38,  7  et  8,  et  cap.  39,  3  et 
8.  —  Strabon,  Geographica,  lib.  XV,  cap.  3,  1. 

4.  Andrée,  HandaÛas,  pi.  80. 

5.  Fr.  Spiegel,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  75-78.  • 


•   • 


8  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

J*ai  déjà  mentionné  le  Gourgan  et  TAtrek,  autres 
affluents  de  cette  grande  mer  intérieure,  ainsi  que 
le  Héri-roud  —  l'Arios  des  Grecs  — ,  qui,  après 
avoir  coulé  de  TEst  a  l'Ouest  entre  la  double  chaîne  du 
Séfid-koh  et  du  Siyah-koh,  se  dirige  brusquement  au 
Nord  et  va  se  perdre  dans  la  steppe  du  Touran.  Le 
Mourghab  —  l'ancien  Margos  — ,  né  sur  le  versant 
septentrional  de  la  même  chaîne,  disparait  lui  aussi  au 
milieu  des  sables  de  la  plaine  de  Merv  *. 

On  voit  qu'une  partie  des  cours  d'eau  de  l'Iran  dé- 
passent ses  frontières  et  se  rattachent  ainsi  aux  con- 
trées voisines,  qui,  si  l'on  en  excepte  le  versant  de 
rindus,  en  dépendent  géographiquement  ou  histori- 
quement. Telle  est  la  bande  littorale  comprise  entre 
rOcéan  indien,  les  monts  du  Mékhran  et  le  plateau  du 
Béloutchistan  ;  telle  encore  la  région  côtière  de  la 
Caspienne  —  le  Mazandéran  et  le  Ghilan  —  située  au 
Nord  de  la  chaîne  de  TElbourz*.  11  faut  y  joindre  la 
région,  qui  s'étend  de  cette  mer  à  THindou-Kouch, 
au  Pamir  —  le  Toit  du  monde  —  et  à  la  chaîne  du 
Thian-chân.  Bornée  au  Sud  par  les  montagnes  qui 
•fervent  de  limite  septentrionale  à  l'Iran,  elle  forme 
une  vaste  plaine,  traversée  de  l'Est  à  TOuest  par 
TAmou-Daria  —  l'ancien  Oxus  —  et  le  Sir-Daria  — 
rYaxarte  des  Grecs  — ,  et  qui  se  confond  au  Nord  avec 
la  région  des  steppes  de  l'Asie  centrale.  Un  preraierdé- 
sert,  celui  de  Kara-koum  —  les  «  Sables  noirs  »  — , 
dans  lequel  se  perdent  les  eaux  de  l'Héri-roud  et  du 
Mourghab,  s'étend   des  montagnes  de  l'Iran  jusqu'à 

1.  Fr.  Spiegel,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  49-53.  —  Art.  Asie  dans 
la  Grande  encyclopédie.  —  Vidal-La blache,  Atlas  général,  pi. 
4  et  120. 

2.  Karl  T^rellberg,  Persien,  p.  424  et  51. 


LA  FLORE  DE  L'IRAN  9 

• 

r Amou-Daria  ;  un  autre  désert,  le  Kizil-koum  — les 
«  Sables  rouges  »  — ,  sépare  le  cours  moyen  de  ce 
fleuve  du  Sir-Daria,  et,  au  delà  du  bassin  inférieur  de 
ce  dernier,  se  déroulent  les  «  Sables  blancs  »  —  Ak- 
koum  — ;  ils  vont  rejoindre  à  l'Est  la  «  Steppe  de  la 
faim  »  —  Bek-pak-dala  — ,  dernier  rempart  de  cette 
vaste  contrée  contre  les  incursions  des  nomades  du 
Nord\ 

A  l'Ouest,  entre  la  Caspienne  et  lat  mer  d'Aral, 
s'étend  le  plateau  crétacé  de  TOust-Ourt,  élevé  de 
200  mètres  au-dessus  de  la  première*.  Avant  notre  ère 
TAral,  qui  était  beaucoup  plus  vaste  que  de  nos  jours, 
recouvrait  au  Sud  une  partie  du  désert  de  Kara-koum, 
et  étart,  par  une  espèce  de  canal,  TOugbaï,  aujourd'hui 
desséché',  relié  à  la  Caspienne,  qui  se  trouve  main- 
tenant à  plus  de  vingt  mètres  au-dessous  de  l'Océan. 

L'Amou-Daria,  après  avoir,  sou?  le  nom  de  Piandj, 
drainé  tout  le  versant  méridit)nal  du  Pamir  *,  reçoit 
par  ses  affluents  de  gauche,  le  Koktcha  et  la  rivière 
de  Koundouz  ou  Akseraï,  les  eaux  du  versant  septen- 
trional de  THindou-Kouch  ;  les  autres  rivières,  sorties 
de  cette  chaîne  ou  du  Kohi-baba,  se  perdent  dans  les 
sables,  avant  d'atteindre  le  grand  fleuve.  Le  premier 


9 

1.  Elisée  Reclus,  op,  laud.,  vol.  VI,  p.  376. 

2.  A.  Grisebach,  Die  Vegelalion  der  Erde.  Leipzig,  1884, 
in-8,  t.  l,p.  383. 

3.  X.  Hommaire  du  Hel),  Les  steppes  de  la  mer  Caspienne,  le 
Caucase,  etc.  Paris,  184i, in-8,  vol.  III,  p.  233.  —M.  Venukov, 
art,  Aral  dans  la  Grande  encyclopédie.  —  S\T2i\^ox\,y}eogra- 
phica,  lib.  XI,  cap.  7,  4,  confondant  l'Oughaï  avec  l'Oxus,  dont 
il  n'était  qu'un  réservoir,  fait  se  jeter  dans  la  Caspienne  le  grand 
fleuve  touranien. 

4.  W.  Geiger,  Die  Pamir  Gebie te.  Eine geographische  Mono- 
graphie. Wien,  1887,  in-4,  p.  153-169. 


10  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

des  affluents  de  droite  de  TAraou-Daria,  le  Mourghab, 
lui  apporte  les  eaux  du  Pamir  central,  les  autres,  le 
Sourkhab,  le  Kafîrnagan  et  le  Sourkhân,  recueillent 
,^  celles  qui  descendent  du  versant  méridional  de  TAlaï 

et  du  mont  Hissar  *.  Peu  après  avoir  reçu  le  Sourkhân, 
TAmou-Daria,   «  le  plus  grand  des  fleuves  de  TAsie, 
à  Texception  de  ceux  de  Tlnde  »,  suivant  Aristobule*, 
,  quitte  la  région  montagneuse  et  pénètre  dans  celle  des 

sables  ;  mais»le  désert  n'envahit  point  complètement 
ses  bords  ;  sur  la  rive  gauche  la  végétation  persiste 
victorieuse  de  la  steppe.  Vers  le  42"  degré,  TAmou 
traverse,  en  la  fertilisant,  l'oasis  du  Kharizme. 
Aujourd'hui  il  se  divise  en  plusieurs  branches,  avant 
de  se  jeter  dans  la  mer  d'Aral  ;  à  une  époque  puéhisto* 
rique,  et  plus  tard  encore,  il  se  perdait  dans  la  mer 
Touranienne,  dont  le  trop  plein,  après  s'être  frayé  un 
chemin  entre  le  grtind  et  le  petit  Balkhan,  se  déver- 
sait, par  le  canal  de  l'Ougbaï,  dans  la  baie  actuelle  de 
Krasnovodsk  \ 
•  Entre  le  bassin  de  ce  dernier  fleuve  et  celui  de 
l'Amou-Daria  s'étend  la  vallée  du  Zarafchan  resserrée 
entre  les  chaînes  du  Hissar  au  Sud  et  de  l'Aktau  au 
Nord,  contreforts  occidentaux  de  l'Alaï.  Sorti  d'un 
glacier  de  cette  montagne,  le  Zarafchan  —  l'ancien 
Polytimète  —  traverse  d'abord  la  haute  région  du 


1.  J.  Wood,  ^1  Journey  to  the  source  of  the  river  Oxxis. 
London,  1872,  in-8,  p.  125-233.  —  W.  Geiger,  Die  Osliranische 
Kultur^p.  13  et  15-24. 

2.  Strabofl,  Geographica,  liL.  XII,  cap.  7,  3. 

3.  Fr.  Spiegel,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  46.  —  M.  Venukov,  art. 
Amou-Daria  dans  la  Grande  Encyclopédie.  —  \V.  Geiger,  Die 
Pamir 'Gebiele,  p.  79-100.  —  Henri  Mcser.  .4  travers  l'Asie 
centrale...  Impressions  de  voyage.  Paris,  1885,  in-'*,  p.  281. 


', 


i 


LA  FLORE  DE  L'IRAN  11 

Kohistan*,  en  coulant  dans  la  direction  de  TOiiest, 
qu'il  garde  jusqu'à  sa  sortie  de  la  région  montagneuse 
au  delà  de  Samarkand  ;  alors  s'inclinant  vers  le  Sud, 
comme  pour  rejoindre  rAmou;Daria,^  après  avoir 
arrosé  de  ses  eaux  fécondes  Toasis  de  Boukhara,  il  va 
se  perdre  au  milieu  des  sables,  en  donnant  naissance 
au*  lac  Dengiz  '. 

Le  Sir-Dai*ia  prend  naissance  dans  le  massif  du 
Thian-chân,  et,  sous  le  nom  de  Narim,  coule  d'abord 
vers  l'Ouest  ;  il  se  dirige  ensuite  vers  le  Sud-Ouest, 
reçoit  le  Kara-Daria,  descendu  du  massif  de  TAlaï, 
puis,  sous  le  nom  de  Sir-Daria,  reprenant  sa  route 
vers  rOuest,  il  traverse  la*  longue  dépression  du 
Ferghâna  ^  ;  au  delà  de  Khodjend  il  incline  vers  le 
Nord  son  cours. Changeant,  et,  après  un  long  circuit 
autour  de  la  mer  desséchée  de  Kizif-koum,  il  se  jette, 
presque  tari  par  sa  longue  course  à  travers  le  désert, 
dans  la  mer  d'Aral  *. 


II 


Peu  de  pays  offrent  une  aussi  grande  variété  dans 
leur  climat  et  dans  leurs  produite;  que  le  plateau  de 
riran  et  les  contrées  qui  s'y  rattachent  :  la  plaine  du 
Touran,  qui  le  continue  au  Nord  et  les  deux  bandes 

1.  Ch.-E.  de  Ujfalvy,  Le  Kohistanj  le  Ferghanah  et  le 
Kouldja.  Paris,  1878,  in-4,  p.  3. 

2.  Fr.  Spiegel,  op.  laiid.,  vol.  ï,  p.  275.  —  Elisée  Recftis,  op. 
laud.,  jfo\.  Vi^  p.  396.  —  W.  Geiger.  Ostiranische  KtiUur,  p. 
8-10. 

3.  Ch.-E.  de  Ujfalvy,  op.  laud.,  p.  46.  —  W.  Geiger,  op.  laud., 
p.  7.  • 

4.  Fr.  Spiegel,  op.  taud.,  vol.  I,  p.  270. 


i2  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

littorales  qui  bordent,  Tune  la  Caspienne  au  Sud, 
l'autre  la  côte  septentrionale  de  l'Océan  indien.  Entre- 
coupée de  montagnes,  qui  interceptent  presque  toute 
commuiy(;atiQn  entre  les  divers  torritoires  dont  elle 
se  compose,  renfermant  d'immenses  déserts  sablon- 
neux ou  salés  qui  ne  recouvrent  pas  moins  d'un  tiers 
de  sa  surface  *,  cette  vaste  contrée  présente  dans  •sa 
température  et  sa  végétation  les  contrastes  les  plus 
grands,  soit  qu'on  s'élève  de  la  plaine  dans  la  région 
montagneuse,  soit  qu'on  descende  de  celle-ci  sur  les 
côtes  de  la  mer  Caspienne  ou  de  l'Océan  indien  ;  aussi 
se  divise-t-ellé  en  plusieurs  régions  distinctes,  mais 
qui  cependant  ont  entre  "elles  certaines  ressemblances 
caractéristiques.  Dans  toute*  les  printemps  sont  courts 
et  soudains,  les  étés  secs  et  brûlants,  et  des  hivers 
d'une  longueur  et  souvent  d'une  rigueur  excessives 
leur  succèdent  presque  sans  l'intermédiaire  de  l'au- 
tomne. L'altitude  du  sol  neutralise  la  différence  de 
latitude  ;  dans  les  montagnes  du  Farsistan,  dont  la* 
latitude  est  bien  plus  méridionale  que  celle  du  Caire, 
il  tombe  une  quantité  de  neige  aussi  considérable  que 
dans  l'Europe  centrale.  La  pureté  de  l'atmosphère,  en 
favorisant  l'évaporation,  contribue  encpre  à  l'abaisse- 
ment et  aux  écarts  le*s  plus  grands  de  la  température  ; 
à  Chiraz,  pendant  trois  mois,  le  thermomètre  descend 
fréquemment  le  matin  au-dessous  de  zéro  ^  ;  en  plein 
été,  dans  le  plateau  central,  où,   pendant  le  jour,  le 

1.  A.  Grisebach,  Die  Végétation  der  Erde,  vol.  ï,  p.  405,  le 
dit  de  la  Perse  ;  cela  n'est  pas  moins  vrai  du  Tufkestan, 

2.  A.  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  375-376.  —  Otto  Stapf, 
Der  Landschaftscharakter  der  persischen  Steppen  und  Wûsten. 
(Oesterreichische-Ungarische  Revue,  vol.  IV,  188?,  p.  231).  — 
KarhPrellberg,  op,  laud.,  p.  5. 


LA  FLORE  DE  L'IRAN  13 

thermomètre  atteint j)arfois  à  l'ombre  jusqu'à  60  de- 
grès,  il  s'élève,  au  milieu  de  la  nuit,  à  14  ou  15  seule- 
ment \ 

A  la  rigueur  et  au  caractère  excessif  du  climat 
s'ajoute  sa  sécheresse  ;  les  vapeurs  venues  de  l'Océan 
se  déposent  sur  les  flancs  des  montagnes,  et  quand 
les  vents»  qui  les  ont  portées,  atteignent  la  plaine,  iîs  y 
arrivent  desséchés  et  n'y  peuvent  déposer  qu'une 
humidité  insufiSsante  ;  par  suite  la  rareté  des  pluies  y 
est  extrême  ;  daiîs  la  région  montagneuse  même,  elles 
sont  de  courte  durée  ;  Aucher-Eloy  dit  qu'il  ne  pleut  dans 
le  Farsistan  que  de  la  mi-février  à  la  fin  mars  '  ;  même 
dans  les  contrées  les  plus  favorisées,  les  pluies  n'em- 
brassent guère  que  la  période  comprise  entre  décembre 
et  avril  ;  mais  passé  cette  époque,  elles  cessent  com- 
plètement. Aussi  les  sources  tarissent-elles  bientôt, 
et  beaucoup  de  cours  d'eau  restent  à  sec  une  partie 
de  l'année.  Toute  vie  végétale  est  alors  suspendue 
dans  la  plaine  iranienne,  pour  ne  reparaître  qu'au 
printemps  suivant. 

Les  Persans  donnent  le  nom  de  bidbàn,  «  qui  n'a 
pas  d'eau  »,  à  la  région  inférieftre  de  l'Iran  —  la  sous- 
région*des  plateaux  de  Boissier^  — ,  qu'atteignent  en 
quantité  insufSsante  les  pluies  du  printemps,  et  qui, 
privée  de  sources  vives  et  de  cours  d'eau  durables, 
ne  peut  par  suite  avoir  de  végétation  arborescente  que 


1.  J.  de  Morgan,  Miision  en  Perse,  p.  26.  «  Pendant  labour- 
née  il  avait  fait  (à  Téhéran)  40o  à  l'ombre  ;  pendant  la  nuit  le 

.  thermomètre  s'est  abSissé  à  12»  »,  dit  M>»«  Dieulafoy,  La  Perse, 
la  Chaldée  et  la  Susiane.  Paris,  1887,  in-fol.  p.  165. 

2.  Relations  de  voyage  en  Orient  de  1830  à  1838.   Paris, 
1843,  in-8,  p.  485. 

3.  Flora  orientalis,  vol.  I,  préface,  p.  7. 


14  •  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

dans  quelques  rares  vallées,  et  n^e  couvre  de  verdure 
qu^  pendant  un  petit  nombre  de  mois.  Là  surtout  les 
hivers  sont  rigoureux,  la  chaleur  de  Tété  excessive,  et 
en  toute  saison  la  différence  entre  la  température  de 
la  nuit  ou  du  matin  et  celle  du  milieu  du  jour  y  pré- 
sente les  écarts  les  plus  considérables*. 

rlus  égale  est  la  température  de  la  région  qui  s'étend 
au-dessus  du  Biaban  ;  arrosée  par  les  pluies  d'hiver  que 
retiennent  les  gorges  rocailleuses  de  ses  vallées,  rece- 
vant aussi  dans  ses  parties  élevées  d'anondantes  chutes 
de  neige,  elle  n'est  presque  jamais  dénuée  de  l'humi- 
dité nécessaire  aux  plantes  ;  aussi  se  couvre-t-elle  d'une 
végétation  arborescente  plus  ou  moins  épaisse,  c'est  le 
djaengael —  la  «  région  boisée  »  —  comme  l'appellent 
les  habitants  du  pays  *. 

Plus  haut,  entre  cette  région  et  la  limite  des  neiges 
éternelles  ou  la  cime  des  montagnes,  s'étend  le  saerhadd 
—  le  «  haut  plateau  »  — ,  région  où  les  précipitations 
d'eau,  comme  les  chutes  de  neige,  sont  considérables  et 
suffisent  pour  entretenir,  sans  qu'elle  s'interrompe,  la 
végétation  ;  mais  où  celle-ci,  à  cause  de  la  rigueur  et 
de  la  longueur  de  l'hivfer  ne  dure  que  peu  de  teftips  et 
dès  lors  ne  peut  devenir  arborescente  \  • 

Malgré  la  diversité  que  présgnljp  nécessairement  la 
végétation  de  régions  où  elle  se  trouve  dans  des  con- 
ditions si  différentes,  elle  offre  cependant  dans  toutes 
un  caractère  (fommun*  celui  de  la  flore  des  steppes  ; 
on  rqpcontre  quelques-unes  des  plantes  qui  distinguent 

1.  0.  Stapf,  op.  laud.{Oe$t,-Ung.  Revue,  vol.  IV,  p.  353). 

2.  0.  Stapf,  op.  laud.  (Oest.-Urvj.  lievue,  vol.  IV,  p.  355).  — 
0.  Drude,  Handbuch  der  Pflanzengeographie.  Stuttgart,  1890, 
in-8,  p.  402. 

3.  0.  Stapf,  op.  laud.  (Oest.-Ung.  Revue ,  vol.  IV,  p.  357). 


LA  FLORE  DE  L'IRAN  «  15 

cette  dernière  dans  le  Biaban,  comme  dans  le  Saerhadd, 
et  m^e  au  milieu  des  clairières  du  Djaengael.  Con- 
traintes de  s^adapter  à  la  brièveté  de  la  saison  pendant 
laquelle  seule  elles  peuvent  se  développer,  obligées  de 
résister  aux  températures  extrêmes  et  à  la  sécheresse 
excessive  de  l'Iran  ou  de  la  plaine  touranienne,  en  un 
mot  de  c(  lutter  pour  Teau  »,  suivant  l'expression  pit- 
toresque d'Otto  Stapf*,  elles  se  font  remarquer  par  une 
organisation  et  une  existence  végétales  toutes  parti- 
culières. 

Les  unes,  graminées  annuelles,  liliacées,  crucifères 
ou  silénées  herbacées,  comme  pressées  de  vivre,  se 
hâtent  de  parcourir,  dans  l'espace  de  quelques  semaines 
ou  de  quelques  jours,  le  cycle  borné  de  leur  existence. 
Dès  les  premières  pluies  du  printemps  ou  aussitôt  après 
la  fonte  des  neiges,  s'éveillant  brusquement  à  la  vie, 
elles  se  revêtent  d'une  verte  parure  et  émaillent  de  leurs 
fleurs  brillantes  la  surface  naguère  désolée  des  steppes 
ou  des  hauts  plateaux;  tantôt  isolées,  tantôt  en  groupes 
compactes,  elles  se  répandent  sur  la  plaine  ou  s'élancent 
à  l'assaut  des  coteaux;  les  unes  préfèrent  le  sol  im- 
prégné de  substances  salines  des  bas-fonds  des  steppes, 
les  autres  les  terres  gypseuses  des  pentes  abruptes  ou 
les  gorges  calcaires  de  la  région  montagneuse;  elles 
s'élèvent  ainsi  des  plaines  aritfes  du  Biaban  aux  pentes 
boisées  du  Djaengael*  et  jusqu'aux  hauts  plateaux  du 
Saerhadd  ;  elles  ne  disparaissent  presquer  complètement 
que  sur  les  cimes  les  plus  élevées  ^  Cette  végétation 

1.  Oester.-Ung.  Revue,  yo\,  IV,  p.  349. 

2.  «  Les  prairies  qui  se  continuentjusqu'au  milieu  des  forêts 
sont  entremêlées  d'iris,  de  tulipes  et  de  mille  fleurs  ».  J.  de 
Morgan,  op.laiid.,  vol.  II,  p.  186. 

3.  0.  Stapf,  op,  laud.  (pesL-Ung.  Revue,  vol.  IV,  p.  360). 


16  •  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

toutefois  n'a  dans  les  steppes  surtout  qu'une  courte 
durée  ;  à  l'approche  de  l'été  elle  se  fajie  et  se  flétrit  et, 
à  la  place  de  la  tendre  verdure  et  des  fleurs  éclatantes, 
qui  naguère  égayaient  la  monotonie  de  la  plaine,  il  ne 
reste  plus  que  des  chaumes  jaunis  et  desséchés,  que 
les  vents,  en  se  jouant,  arrachent  et  poussent  devant 
eux,  hrisés  et  réunis  en  boule  ;  comme  animés  d'une 
vitesse  propre,  ces  «  coureurs  de  la  steppe  »  répandent, 
en  la  traversant,  les  semences  fécondes  qui  germeront 
au  printemps  prochain  pour  lui  donner  une  vie  nou- 
velle*. 

Véritables  éphémères  qui  succombent  aux  premières 
atteintes  de  Tété,  ces  végétaux,  pendant  leur  courte 
existence,  n'ont  pas  besoin  de  protection  contre  l'inclé- 
mence des  éléments  ;  elles  n'offrent  aussi  rien  d'anor- 
mal dans  leur  organisation.  Il  en  est  tout  autrement 
des  plantes  dont  la  période  de  végétation  dépasse  le 
printemps  et  qui,  affrontant  les  ardeurs  de  Tété,  pour- 
suivent pendant  plus  d'une  année  leur  existence  sous  le 
climat  excessif  de  la  plaine  ou  des  hauts  plateaux. 
Pour  se  défendre  contre  les  ardeurs  du  soleil  et  la 
sécheresse  de  l'air,  celles-ci,  ou  retardent  leur  dévelop- 
pement, ce  qui  épargne  l'eau  nécessaire  à  leur  crois- 
sance, ou  le  plus  souvent  modifient  profondément  leur 
organisme*.  Les  unes,  comme  les  chénopodées  ou  les 


1.  K.-E.  von  Bâer,  Caspische  Sludien,  p.  123,  ap.  A»  Grise- 
bach,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  421.  Une  chénopodée  des  collines 
sablonneuses  du  Béloutchistan,  Y Agriophyllum  latifoliurriy  en 
particulier  est  ainsi  roulée  par  les  vents;  en  Perse,  une  com- 
posée commune,  la  Gundelia  Tourneforliiy  entraînée  de  même, 
malgré  ses  dimensions,  jette  la  panique  parmi  les  troupeaux. 
J.-E.-T.  Aitchison,  Notes  on  Products  of  western  Afghanis- 
tan and  North-East  Persia.  Edinburgh,  1890,  in-8,  p.  6  et  96. 

2.  Tschirch,  Ueber  einiye  Beziehungen  des    anatomischen 


LA  FLORE  DE  L*IRAN  17 

salsolacées,  s'entourent  d'une  carapace  épidermique 
ou  d'un  vernis  mauvais  conducteur  de  la  chaleur,  qui 
diminue  Tévaporation,  ou  bien  elles  se  gonflent  de  sucs 
imprégnés  des  sels  de  soude  fournis  par  le  sol,  solutions 
qui  s'évaporent  moins  rapidement  que  la  sève  ordinaire  ; 
d'autres  —  légumineuses,  composées,  borraginées, 
labiées,  —  se  revêtent  d'une  couche  de  poils  ou  s'en- 
tourent d'une  atmosphère  aromatique,  afin  de  modérer 
l'action  des  rayons  solaires  et  de  limiter  en  même  temps 
la  transpiration  ;  d'autres  encore  se  hérissent  d'épines 
ou  d'aiguillons,  formés  soit  des  pétioles  lignifiés,  soit 
de  bourgeons  avortés  ou  bien  encore  de  la  pointe 
foliaire  endurcie*,  organisation  qui  tend  à  faire  résis- 
tance à  l'évaporation,  en  diminuant  le  nombre  et  la 
dimension  des  surfaces  par  lesquelles  elle  s'exerce. 

Pour  la  môme  raison  les  feuilles  de  certaines  espèces, 
par  exemple  les  tamariscinées,  sont  réduites  aux 
dimensions  les  plus  exiguës  ou  môme  supprimées, 
comme  chez  les  chénopodées  aphylles.  Chez  d'autres, 
certaines  graminées  en  particulier,  les  feuilles  s'en- 
roulent ou  prennent  la  position  verticale  pour  diminuer 
l'action  du  soleil  et  atténuer  en  même  temps  la  trans- 
piration*. D'autres  fois  encore  les  cellules  épidermiques 
se  remplissent  de  mucilage,  rebelle  à  l'évaporisation  ; 
ou  bien  les  s<,omates,  par  lesquels  se  fait  la  transpira- 
tion, sont  abrités  dans  les  cavités  de  l'épiderme  — 


Baues  der  Assimilationsorgane  zu  Klima  und  Standorl.  {Lin- 
naeay  vol.  XLIII  (1880-82),  p.  139-252).  —  0.  Drude,  Hand- 
buch,  p.  27. 

1.  Grisebach,  op.  /aurf.,  vol.  I,  p.  426.  —  Trad.  Tchihatchef, 
vol.  I,  p.  633.  —  0.  Stapf,  op,  laud.  {Oest,-Ung,  Bévue,  vol. 
IV,  p.  349  etsuiv.) 

2.  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  421-424. 

JoRET.  —  Les  Plantes  datis  l'antiquité.  II.  —  2 


iÔ  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

c'est  le  cas  pour  le  hâd — -,  ou  dans  des  rainures  garnies 
de  cils,  comme  chez  les  Aristida\ 

Cette  organisation  particulière  permet  aux  plantes 
qui  la  possèdent  de  continuer  de  vivre  et  de  se  déve- 
lopper pendant  la  saison  sèche  et  brûlante  de  Tété; 
grâce  à  Tabondance  de  sève  alcaline  dont  elles  sont 
pourvues,  quelques-unes  même  peuvent  atteindre  à 
des  dimensions  considérables  ;   tel  est  le  saksaul  — 

r 

Haloxylon  ammodendron  — ,  salsolacée  répandue  de  la 
région  de  TAral  jusque  dans  les  déserts  sablonneux 
du  Béloutchistan*.  Dans  un  voyage  qu'il  fit  d'Oren- 
bourg  à  Khiva,  le  naturaliste  Basiner  rencontra  sur  le 
plateau  d'Oust-Ourt  une  forêt  de  saksauls  qui  avaient 
des  troncs  de  2  décimètres  de  diamètre  et  5  à  6  mètres 
de  hauteur'.  Cet  arbre  singulier  se  couvre  de  fleurs  et 
porte  des  fruits,  mais  il  n'a  pas  de  feuilles  véritables  ; 
elles  sont  remplacées  par  de  petites  écailles,  longues 
d'environ  deux  millimètres.  Le  tronc  n'est  pas  formé  non 
plus  de  couches  concentriques  rassemblées  autour  de 
l'axe  primitif,  mais  d'espèces  de  bourrelets  réunis  en 
faisceau  ;  le  bois  est  néanmoins  d'une  extrême  dureté 
et  sa  pesanteur  spécifique  dépasse  celle  de  l'eau*. 
Toutes  les  plantes  des  steppes  cependant  ne   sont 

1.  Georg  Volkens,  Die  Flora  der  Mgyptisch- Arabischen 
Wiisle  auf  Grundlage  analomischphysiologischer  Forsckungen 
dargestellt.  Berlin,  1887,  in-4,  p.  43. 

2.  Aitchison,  Notes  on  products  of  Western  Afghanistan,  etc., 
p.  98.  Les  Perses  lui  donnent  le  nom  de  tùrgaz  ;  saksaul  est 
celui  que  lui  donnent  les  Turcomans. 

3.  fieise  durch  die  Kirgisensleppe  nach  Chiva.  (Beilrâge  zur 
Kenntniss  des  Russischen  Reichs^  vol.  XV,  p.  93).  Aitchison  dit 
en  avoir  mesuré  un  qui,  à  2  pieds  du  sol,  avait  4  mètres  de 
circonférence. 

4.  Al.  Petzholdt,  Turkestan.  Leipzig,  1874,  in-8,  p.  13.  — 
A.  Grisebach,  op,  laud.,  vol.  I,  p.  424. 


LA  FLORE  DE  L'IRAN  19 

pas  armées  contre  la  chaleur  et  la  sécheresse  du  cli- 
mat; il  en  est  qui,  quoique  vivaces,  ne  présentent  rien 
de  particulier  dans  leur  organisation,  si  ce  n  est  peut- 
être  l^extrêrae  division  du  feuillage  de  quelques-unes 
d'entre  elles.  Leur  végétation,  il  est  vrai,  n'est  guère 
plus  longue  que  celle  des  éphémères;  mais  si  leurs  tiges 
et  leurs  feuilles  se  dessèchent  presque  aussi  rapide- 
ment sous  les  ardeurs  du  soleil,  elles  laissent  dans  le 
sol  une  partie  de  leur  organisme,  qui  survit  à  la  pé- 
riode de  sécheresse  et  dont  la  plante  renaît  au  prin- 
temps suivant.  Pendant  la  durée  de  leur  rapide  crois- 
sance elles  emmagasinent  dans  leur  partie  souterraine 
des  provisions  pour  leur  développement  futur,  et  éla- 
borent, dans  cet  atelier  secret,  les  organes  qui  s'éveil- 
leront à  la  vie  lors  d*un  nouveau  printemps  *. 

Les  dimensions  auxquelles  peuvent  atteindre  ces 
plantes  leur  permettent  de  prendre  les  formes  les  plus 
variées;  les  unes,  comme  les  férules  et  quelques ombel- 
lifères  du  même  groupe,  avec  leurs  feuilles  finement 
découpées,  se  rapprochent  encore  des  éphémères  ; 
d'autres,  telles  que  les  rhubarbes  s'en  écartent  déjà 
par  leur  large  feuillage;  d'autres  enfin  s'en  distinguent 
complètement  par  les  oignons  ou  les  bulbes,  qui  assu- 
rent leur  persistance  ;  mais  toutes  ont  ceci  de  parti- 
culier qu'une  portion  de  leur  tige  plus  ou  moins  con- 
sidérable reste  vivante  dans  le  sol,  et  se  couronne  au 
printemps  d'unerosettede  feuilles,  du  milieu  de  laquelle 
s'élance  une  tige  nue  ou  fouillée,  qui  porte  les  fleurs. 
La  souche  jadis  arrêtée  dans  son  développement  en- 
treprend maintenant,  soit  seule,  soit  unie  à  une  ra- 
cine puissante,  la  tâche  de  fournir  en  quantité  suffl- 

1.  0.  Stapf,  op.  laud,  (OesL-Ung.  Revue,  vol.  IV,  p.  362). 


^  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

santé  les  matériaux  nécessaires  à  la  production  des 
parties  aériennes  de  la  plante,  à  la  formation  future 
des  boutons  et  des  fleurs,  matériaux  qu'elle  tient 
cachés  au  milieu  d'enveloppes  protectrices  pendant 
le  repos  forcé  du  prochain  hiver.  Tel  est  le  rôle  que 
jouent  en  particulier  les  oignons,  les  bulbes  et  les  grif- 
fes d'un  nombre  si  considérable  de  plantes  de  l'Iran. 
«Dans  son  développement,  l'oignon  des  liliacées  est, 
suivant  la  remarque  ingénieuse  de  Grisebach*,  comme 
le  symbole  de  la  conservation  et  de  la  résurrection 
périodique  des  forces  organiques  de  la  nature,  engagée 
dans  la  lutte  avec  le  climat.  » 

Les  plantes  d'organisation  si  variée,  dont  je  viens 
d'essayer  de  donner  une  idée  générale,  sont  très  iné- 
galement réparties  dans  les  diverses  régions  de  l'Iran 
et  du  Turkestan  ;  chacune  de  ces  contrées  a  sa  flore 
particulière,  qui  présente  même  parfois  des  difl'érences 
notables,  suivant  la  nature  du  sol  et  son  degré  plus 
ou  moins  grand  d'humidité  ou  de  sécheresse.  Quel- 
ques espèces  ou  quelques  familles  cependant  croissent 
presque  également  dans  les  diverses  régions  du  plateau 
iranien,  seulement  à  des  époques  difl'érentes.  Dés  les 
premiers  jours  du  printemps  les  steppes  de  la  plaine 
s'émaillent  ici  de  liliacées  —  tulipes  *,  Gagea,  Ere^ 
mwrw5,muscaris,etc. — ;  là  d'iridées  —  glaïeuls, iris, 
Ixiolirion  — ,  ailleurs  d'amaryllidées  ou  de  colchica- 


1.  Die  Végétation  der  Erde,  vol.  î,  p.  430.  Trad.  Tchihatchef, 
vol.  I,  p.  638. 

2.  Les  tulipes  surtout  sont  nombreuses  dans  l'Iran  ;  Baber 
dit  qu'il  fit  compter  celles  qui  émaillaient  de  leurs  riches  cou- 
leurs les  pieds  de  la  montagne  du  touman  de  Gour-Bend  dans 
le  Caboul,  et  qu'on  en  trouva  32  ou  33  espèces.  Mémoires,  tra- 
duits par  Pavet  de  Courteille.  Paris,  1871,  in-8,  vol.  I,  p.  297. 


LA  FLORE  DE  L'IRAN  .  21 

cées,  auxquelles  se  mêlent  parfois  des  anémones*  et  des 
Draba^.  Bientôt  ces  fleurs  envahissent  les  hauteurs,  où 
se  plaisent  seulement  plusieurs  d'entre  elles,  comme 
la  Couronne  impériale,  qu'on  ne  rencontre  que  dans  les 
montagnes  des  environs  de  Chiraz,  et  si,  à  l'exception 
des  aulx,  elles  sont  rares  dans  la  région  du  Djaengael, 
elles  abondent,  au  contraire,  dans  le  Saerhadd,  où  quel- 
ques-unes apparaissent  dès  la  fonte  des  neiges,  tandis 
que  les  autres  ne  fleurissent  qu'au  milieu  ou  même  à 
la  fin  de  Tétél 

Mais  là  elles  se  mêlent  aux  plantes  frutescentes 
propres  à  cette  région  :  astragales  tragacanthes,  non 
moins  nombreuses  dans  les  parties  élevées  de  l'Iran 
ou  du  Turkestan*  que  sur  le  plateau  anatolien^  cara- 
ganas,  onobrychides,  spirées  ligneuses,  férules  et 
autres  grandes  ombellifères  au  feuillage  finement  dé- 
coupé*, borraginées  frutescentes  et  toufi'ues^  rhubar- 
bes aux  larges  feuilles  d*un  vert  sombre  et  à  reflets  mé- 
talliques, qu'on  rencontre  là  où  le  sol  est  plus  maigre. 
D'autres  plantes  semi-frutescentes  occupent  les  colli- 

1.  Par  exemple  IMfiemone  biflora,  Boissier,  op.  laud.,  vol.  I, 
p.  12.  Parmi  les  amaryllidées  il  faut  citer  Je  Narcisstts 
tazella. 

2.  G.  Capus,  Cltmal  et  végélalion  du  Turkestan.  (Annales  des 
sciences  naturelles^  6*  série.  Botanique,  lib.  XV,  p.  202). 

3.  0.  Stapf,  op.  laud,  (Oester.'Ungar.  Revue,  vol.  IV,  p.  36'i- 
365).  —  Boissier,  Flora  orientalis,  s.  v. 

4.  Mission  Capus,  Plantes  du  Turkestan.  (Annales  des  sciences 
naturelles j  vol.  XV,  p.  254-261). 

5.  Bunge  a  évalué  à  800  le  nombre  des  astragales  du  do- 
maine des  steppes  de  l'ancien  monde.  Grisebach,  op.  laud., 
vol.  I,  p.  556.  Cf.  Les  plantes  dans  l'antiquité  et  au  moyen  âge  y 
vol.  I,  p.  328. 

6.  Telles  que  les  CachrySy  Dorema,  Ferulago,  etc. 

7.  Comme  les  Solenanthus,  Paracaryurn,  Cyphomattia, 
Trichodesma,  etc. 


22  LES  PUNTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

nés  ou  les  premières  hauteurs  qui  précèdent  la  région 
du  Djaengael  :  silénées  épineuses,  maWacées  aux  bel- 
les fleurs  blanches,  jaunes  ou  écarlates,  hedjsarums 
aux  feuilles  velues  et  argentées,  inules,  centaurées  aux 
larges  fleurons,  labiées  aux  longs  épis  de  fleurs,  etc/ 
Et  plus  bas,  dans  la  plaine  inculte,  des  réglisses,  dont 
les  rameaux  traînants  étouffent  toute  autre  végéta- 
tion, des  phlomides  cotonneuses,  des  chardons  hérissés 
et  de  nombreux  représentants  du  genre  Cotisinia, 
composée  propre  surtout  à  Tlran  et  au  Turkestan*, 
ainsi  que  V Acantholimon,  plumbaginée  épineuse,  dont 
les  tiges  presque  dépourvues  de  feuilles  sont  couvertes 
de  fleurs  roses  et  délicates';  enfin  des  armoises  au 
feuillage  soyeux,  répandues  en  nombreuses  espèces, 
des  steppes  de  la  plaine  aux  sommets  neigeux  du 
Saerhadd. 

Les  plantes  frutescentes  et  épineuses,  qui  croissent 
en  si  grande  quantité  sur  les  versants  déboisés  des 
montagnes  ou  sur  les  hauts  plateaux,  se  rencontrent  par- 
fois aussi  dans  les  steppes  ;  la  flore  de  ces  dernières 
varie  d'ailleurs  singulièrement  avec  l'altitude  et  sur- 
tout avec  la  nature  du  sol,  ici  dépourvu  de  substances 
salines  et  mêlé  d'humus,  là  sablonneux  ou  alcalin. 
Aussitôt  après  les  premières  pluies  du  printemps,  les 
steppes  de  la  première  espèce  —  les  steppes  à  humus* 
—  se  couvrent  de  liliacées  et  d'autres  plantes  bulbeu- 


1.  0.  Stapf,  op,  laud.  (flester.-Ung,  Revue,  vol.  V,  p.  155- 
157). 

2.  Boissier,  op.  laud.,  vol.  I II,  p.  463-513,  indique  104  espèces 
de  Cousinia  dans  cette  double  région. 

3.  Sur  74  espèces  à'Acanlholimorty  Boissier  en  indique  56  sur 
le  plateau  de  Tlran. 

4.  Grisebach  les  appelle  steppes  herbeuses  ou  à  graminées. 


LA  FLORE  DE  L4RAN  23 

ses,  ainsi  que  de  graminées',  qui  les  revêtent  pendant 
quelque  temps  d'un  tapis  de  verdure,  mais  qui  se 
dessèchent  et  meurent  dès  que  le  sol  a  perdu  son  hu- 
midité ;  seules  quelques  espèces  vivaces,  comme  les 
Aristida  et  les  stipes  —  le  thyrsa  des  Russes  — ,  ré- 
sistent, grâce  à  leur  organisation  spéciale  et  plus  ro- 
buste, aux  premières  atteintes  du  soleil,  mais  elles  ne 
laissent  bientôt  que  des  chaumes  jaunis,  impropres  à 
l'alimentation  du  bétail.  A  côté  de  ces  graminées 
croissent  aussi  quelques  plantes  herbacées  ou  sous-fru- 
tescentes :  crucifères,  silénées,  légumineuses  et  com- 
posées, borraginées  surtout  ^ 

Quelques-unes  de  ces  plantes  se  rencontrent  aussi 
dans  les  steppes  sablonneuses,  mais  à  titre  d'excep- 
tion ;  celles-ci  ne  sont  pas  complètement  dénudées 
toutefois  ;  plusieurs  légumineuses  semblent  même  en 
rechercher  le  sol  aride,  tels  que  les  Ammodendron  et 
les  Ammothamnus  des  bords  orientaux  de  la  Cas- 
pienne et  du  désert  de  Kizil-koum^  le  genêt  aphylle*  de 
celui  de  Kara-koum  ;  telles  encore  que  les  nombreuses 
tragacanthes  frutescentes,  répandues  en  touffes  épi- 
neuses sur  toutes  les  hautes  steppes  de  l'Iran*,  les 
alhagis,  demi-buissons  épineux  aussi  des  régions  plus 
basses,  ainsi  que  la  rose  à  feuilles  d'épine-vinette  — 
Hulthemia  berberifolia  —  de  la  steppe  des  Kirghis®; 


1.  Entre  autres  la  Festuca  ovina  et  le  Trilicum  cristatum. 

2.  F.-J.  Basiner,  op.  laud.  (Beitràge,  vol.  XV,  p.  62).  —  A. 
Grisebach,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  435-437. 

3.  Boissier,  Flora,  vol.  II,  p.  627-628. 

4.  Eremosparton   aphyllum.    Boissier,  op.   laud.,   vol.  II, 
p.  197. 

5.  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  439.  Trad.,  vol.  I,  p.  648. 

6.  Grisebach,  0/7.  laud.,  vol.  I,  p.  'i26.  Trad.,  vol.  I,  p.  633. 


24  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

les  zygophyllées  *,  dont  nçus  avons  rencontré  plusieurs 
espèces  dans  les  déserts  libyque  et  arabique';  les 
polygonées  du  genre  Atraphaxis  ^,  et  surtout  les  cal- 
ligonées*,  sous-arbustes  aux  rameaux  grêles  et  divari- 
quées,  aux  feuilles  ténues  ou  nulles,  dont  le  représen- 
tant le  plus  curieux  est  le  Calligonum  Pallasii^  des 
sables  mouvants  voisins  de  la  Caspienne. 

Quand  le  sable  fait  place  à  Targile  et  que  les  pluies 
ne  sont  pas  assez  abondantes  pour  empêcher  ou  en- 
traîner les  formations  alcalines,  la  steppe  change  alors 
de  caractère,  elle  devient  plus  ou  moins  saline  et  sa 
flore  se  compose  presque  exclusivement  de  plantes 
halophyles  ;  les  salsolacées  surtout  y  développent 
leurs  nombreuses  espèces  *  et  leurs  formes  variables  ; 
tantôt  annuelles  et  herbacées  avec  des  feuilles  courtes 
et  cylindriques,  tantôt  vivaces  et  frutescentes  et  sou- 
vent presque  aphylles,  elles  bravent,  grâce  à  Tabon- 
dance  de  leur  sève  alcaline,  les  ardeurs  du  soleil,  et, 
continuant  de  se  développer  au  milieu  des  chaleurs  de 
Tété,  elles  peuvent  atteindre,   comme  le  saxaul,  des 


1.  Niiraria  Schoheri  ;  Zygophyllum  Karelini,  macropteitim, 
eurypteruniy  brachyplerum,  miniatum,  ovigerum,  Turcomani- 
cum,  etc.  Boissier,  voL  I,p.  900-S19. 

2;  Les  plantes  dans  Vantiquitèy  voL  I,  p.  11. 

3.  Atraphaxis  Aucheri,  Afghanica,  candidoy  compacta^  py- 
rifolia,  spinosa,  suaedaefolia.  Boissier,  vol.  IV,  p.  1019-1024. 

4.  Calligonum  Bungei,  denticulalum,  stenopterum,  Persicurriy 
comosum,  crinitum,  eriopodum,  Calliphysa,  caput-Medusae, 
Boissier,  voL  IV,  p.  997-1001. 

5.  Ou  Pterococcus  aphyllus.  Grisebach,  op.  laud.,  voL  ï, 
p.  425.  Trad.,  vol.  I,  p.  631. 

6.  'A triplex,  Ceratocarpus,  Camphorosma,  Kochia,  Salicor- 
nia  y  HalostachySy  Suaeda,  Haloxylon,  Salsola,  Anabasis, 
IlalochariSy  Ilalimocnemis,  Ilalarckoriy  Halanthium,  Cornu- 
laça,  etc.  Boissier,  Flora,  vol.  IV,  p.  907-?85. 


LA  FLORE  DE  L'IRAN  25 

proportions  arborescentes.  A  ces  plantes  s'associent 
parfois  V Hahmodendron  argenteum,  légumineuse  du 
Khorâsan  et  du  Turkestan,  ainsi  que  des  euphorbia- 
cées,  mais  surtout  des  armoises  *  au  feuillage  velu  et 
blanchâtre  et  des  chénopodées  dont  le  nombre  et  les 
dimensions  augmentent  avec  Thumidité  et  diminuent 
avec  elle.  Dans  la  steppe  desséchée  de  Mangichlak,  sur 
le  versant  caspien  de  l'Oust-Ourt,  par  exemple,  on  ne 
voit  plus  en  été  qu'une  seule  chénopodée  aux  rameaux 
dénudés,  YAnabasis  aphylla  *. 

Malgré  les  dimensions  considérables  qu'elles  at- 
teignent parfois,  ces  plantes  n'appartiennent  pas  à  la 
flore  arborescente  proprement  dite  :  on  ne  rencontre 
les  représentants  de  cette  dernière  qu'aux  bords  des 
rivières  de  la  plaine,  dans  les  vallées  arrosées  du  ver- 
sant des  montagnes  ou  sur  les  croupes  de  celles-ci  dans 
la  région  humide  du  Djaengael.  Partout  où  l'eau 
abonde  ou  se  trouve  en  quantité  suffisante,  la  végéta- 
tion se  transforme;  une  flore  nouvelle  apparaît  près  des 
sources  et  aux  bords  des  torrents  ;  on  voit,  ici  des  buis- 
sons de  ronces  '  ou  d'églantiers  *,  là  des  fourrés  de 
tamaris  5,,  ces  grands  arbustes  au  feuillage  aciculé  et 

1.  Ariemisia  eriocarpa,  erantkema,  aongarica,  salsolotdes, 
scoparia,  lobulifolia^  herba-albUf  fragrans,  Sogdiana,  sero- 
tina,  Tourne  fort  icuia  y  etc.  Boissier,  vol.  III,  p.  361-376. 

2.  ï^BLer^  Kaspische  Sludien,  p.  119  et  127,  ap.  Grisebach, 
op.  laud.j  vol.  I,  p.  4'jO.  Trad.,  vol.  I,  p.  650. 

3.  Bubus  caesius,  collinus,  discolor,  glandulosus,  Persicus. 
Boissier,  Flora,  vol.  II,  p.  692-695. 

4.  Bosa  asperrÛMiy  Cabuiica,  catiina,  albicanx,  anserinae- 
folia,  feroXf  glutinosa,  KoUchyana,  lacerans,  Lehmanniana, 
lulea,  moscfiata,  oxyodon,  Rapini,  Tuschetica,  etc.  Boissier, 
Flora,  vol.  II,  p.  671-687. 

5.  Tamarix  Bungei,  Bachtiarica,  dubia,  elongala,  florida, 
hpahanica,  Kotschyi,  laxa,   leptopelala,  macrocarpa,  man- 


26  LES  PUNTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

grisâtre,  parfois  charnu,  aux  belles  grappes  de  fleurs 
roses  ou  écarlates,  qui  accompagnent  tous  les  cours 
d'eau  douce  et  les  lacs  salés  de  la  Perse  et  du  Turkes- 
tan.  Parfois  il  s'y  mêle  des  gattiliers  \  ainsi  que  des 
lauriers-roses  odorants  et  des  myrtes,  arbrisseau  mé- 
diterranéen, qu'on  rencontre  aussi  dans  la  région  mon- 
tagneuse de  l'Iran.  Sur  les  collines  croissent  également 
l'arbre  de  Judée  —  Cercis  siliquastrum  — ,  des  chèvre- 
feuilles frutescents  '  et,  dans  les  sous-bois,  des  bague- 
naudiers',  des  daphnés,  des  épines-vinettes*,  ainsi  que 
des  vignes  non  sarmenteuses  \ 

On  trouve  encore  au  milieu  des  rochers,  où  se  plai- 
sent ces  vignes,  des  figuiers  aux  feuilles  larges  et 
sombres  *,  des  nerpruns  \  des  épines",  des  pistachiers* 
et  des  amandiers  *°.  Mais  on  rencontre  ces  derniers  en 
bien  d'autres  lieux,  depuis  les  steppes  de  la  plaine 
jusqu'à  la  région   du  Djaengael,  seulement  sous  des 


nifera,  octandra,  rosea,  serotina,  stricia.  Il  faut  y  joindre  les 
Reaumuria  fruticosUy  Persica,  Oxiana,  squarrosa,  Slocksii. 
Boissier,  vol.  I,  p.  759-777. 

1.  Vitex  agnus-castus  et  negundo.  Boissier,  vol.  IV.  p.  535. 

2.  Lonicera  IbencŒj  orientalis^  Persica  ou  nummularifolia, 
etc.  Boissier,  vol.  III,  p.  4-8. 

3.  Colutea  Persica,  triphylla.  Boissier,  vol.  II,  p.  196. 

4.  Daphne  acuminala.  —  Berberis  vulgaris  et  densiflora. 
Boissier,  vol.  IV,  p.  1048,  et  vol.  I,  p.  102. 

5.  vais  Persica    ou  Cissus  vilifolia.   Boissier,  vol.    I,  p. 
955. 

6.  Ficus  Persica,  virgata.  Boissier,  vol.  IV,  p.  1154-53. 

7.  Rhamnus  cornifolia,  Kurdica,  Persica.  Boissier,  vol.  II, 
p.  17-20. 

8.  Crataegus  melanocarpa,  pectinata.   Boissier,  vol   II,  p. 
662-663. 

9.  Pisiacia  Cahulicay  Khinjuk,  Boissier,  vol.  II,  p.  6-7. 

10.  Amygdalus  eburnea,  hotriday  leiocarpa,  scoparia,  spino- 
sissima,  Boissier,  vol.  II,  p.  643-645. 


LA  FLORE  DE  L'IRAN  27 

aspects  et  avec  des  formes  différentes  ;  nains  et  ram- 
pants dans  les  steppes*,  ces  arbres  prennent  des  pro- 
portions considérables  sur  les  collines  rocailleuses  et 
dans  les  gorges  des  montagnes,  où  ils  croissent  sou- 
vent en  compagnie  d'une  paronychiée  frutescente,  le 
Gymnocarpum  fruticosum^y  mais  surtout  des  Ephe- 
dra^  particulièrement  communs  sur  le  plateau  iranien. 
La  plupart  de  ces  espèces  appartiennent  à  la  région 
qui  précède  le  Djaengael;  mais  beaucoup  aussi  pénè- 
trent dans  celle-ci  et  se  mêlent  aux  grands  arbres 
dont  la  présence  la  caractérise.  Si,  en  effet,  on  en 
rencontre  quelques-uns  aux  bords  des  rivières  de  la 
plaine:  peupliers*,  en  particulier  celui  de  TEuphrate 
—  patta  — ,  et  saules^  mêlés  aux  tamaris,  parfois 
aussi  aux  chalefs  à  feuilles  argentées,  ainsi  qu'à 
de  gigantesques  roseaux,  retraite  d'innombrables 
oiseaux  et  des  fauves*,  les  arbres  n'apparaissent  véri- 
tablement que  sur  les  hauteurs  alpestres  \  mais  ils  y 
sont  communs,  là  où  la  main  de  l'homme  ne  les  a  pas 
détruits  :  chênes  du  Kourdistan  et  de  la  chaîne  du 


1.  Àmygdalus  nana.  Basiner,  BeUrâge,  vol.  XV,  p.  63. 

2.  Gri&ebach,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  140. 

3.  Ephedra  disiachya,  pachyclada,  Nebrodensis,  foliata, 
polylepiSy  peduncularis,  alala.  Boissier,  vol.  V,  p.  715-717. 

4.  Populus  albtty  Euphratica.  Boissier,  F/ora,  vol.  IV,  p. 
1193-1194. 

5.  Salix  alba,  angustifolia^  Daviesii,  Persica,  etc.  Boissier, 
vol.  IV,  p.  1183-1187. 

6.  A.  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  430.  Trad.,  vol.  II, 
p. 638. 

7.  Il  faut  dire  que,  sans  parler  dupeuplier  del'Euphrate,  les 
tamaris  ont  parfois  des  dimensions  arborescentes.  Aitchison , 
Notes,  p.  201,  dit  avoir  vu  sur  les  bords  de  THilmend  des  Ta- 
marix  articulata  qui  avaient  de  6  à  9  pieds  de  circonférence 
et  près  de  40  pieds  de  haut. 


28  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

Zagros^  dont  ils  couvrent  toutes  les  pentes  jusqu'à 
2000  mètres  d'altitude;  frênes  des  hauteurs  du  Kour- 
distan  et  du  Khoràsan';  peupliers  de  l'Euphrate  et 
diverses  espèces  de  saules  au  bord  des  torrents  ;  pla- 
tanes des  hautes  vallées  du  Nord-Ouest  ;  genévriers  des 
montagnes  du  Khoràsan  et  de  TElbourz  méridional'; 
cyprès  —  sàfwi  kuhi  —  de  la  Perse  septentrionale*  ; 
pins  du  Khoràsan  oriental  et  de  la  Perse  méridio- 
nale ^  etc. 

Quelque  nombreux  qu'ils  soient,  ces  arbres  cepen- 
dant sont  le  plus  souvent  trop  isolés  pour  former  de 
véritables  forêts  ;  celles-ci  n'apparaissent  à  vrai  dire 
en  Perse  que  sur  le  versant  septentrional  de  l'Elbourz, 
dans  le  Ghilan,  le  Mazandéran  et  le  Daghistan.  Grâce 
au  climat  exceptionnellement  humide  de  cette  contrée, 
la  végétation  arborescente  s'y  trouve  dans  les  conditions 
les  plus  favorables  ;  aussi  y  est-elle  aussi  riche  que 
variée  ^  A  part  quelques  ifs  isolés,  l'es  conifères  toute- 
fois y  font  défaut  ^  ;  mais  on  y  rencontre  de  nom- 
breuses espèces  d'arbres  à  feuilles  caduques  ou  per- 

1.  QuerctLS  baloUOy  Libani,  Persica.  Boissier,  Flora,  vol.  IV, 
p.  1165-1167.  —  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  H,  p.  453.  Trad., 
vol.  II,  p.  669. 

2.  Fraxiniis  oxyphylla,  var.  oligophylla,  et  parvifoHa. 
Boissier,  vol.  IV,  p.  40-41. 

3.  Juniperus  conimunis,  macropoda,  oxycedrus,  sahina. 
Boissier,  vol.  V,  p.  707  et  710.  Aitchison,  NoteSy  p.  108,  men- 
tionne aussi  le  Juniperus  excelsa  dans  le  Khoràsan  et  sur  les 
contreforts  septentrionaux  du  Paropamise. 

4.  Cupressîis  sempervirens.  Boissier,  vol.  V,  p.  705. 

5.  Pinus  Brutia  et  Persica,  Boissier,  vol.  V,  p.  695  et  698. 

6.  «  Densa  silvis  est  »,dit  Strabon  de  la  Parthyène,  lib.  XII, 
cap.  9,  1. 

7.  A.  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  452.  Trad.,  vol.  I,  p. 
668.  «  Aristobulus  ait  Hyrcianiam  silvosam  esse  et  quercum 
ferre,  picea,  ablete,  acpinucarere  ».  Strabon,  lib.  XI,  cap.  7,  2. 


LA  FLORE  DE  L»IRAN  29 

sîstantes,  depuis  le  buis  et  le  houx  jusqu'au  platane 
oriental',  des  tilleuls,  des  charmes  et  des  aunes',  des 
érables^,  diverses  espèces  de  chênes  et  de  frênes*,  de 
peupliers  *  et  surtout  de  saules*;  le  hêtre,  qui  atteint 
là  sa  limite  orientale  ;  le  Zelkova  crenata,  grand  arbre 
semblable  à  Terme,  qu'il  remplace  dans  cette  région; 
une  belle  hamalidée,  voisine  du  Liquidambar  —  la 
Parrotia  Persica'' — ;  une  légumineuse  à  l'élégant 
feuillage,  le  fèvier  de  la  Caspienne  —  Gleditschia 
Caspica  —  ;  une  gracieuse  mimosée,  VAlbizzia  Juli- 
brizzin^y  enfin  des  fusains®,  des  nerpruns,  des  épines  ,*° 
sans  parler  des  arbres  à  fruits,  dont  il  sera  question 
plus  loin".  Jouissant  i  la  fois  des  tièdes  hivers  de  l'Ir- 
lande et  des  étés  de  l'Andalousie,  la  végétation  de  cette 
contrée  privilégiée  diffère  profondément  de  celle  de 
l'Iran  proprement  dit,  et  sa  flore  n'a  rien  de  celle  des 
steppes,  qu'on  rencontre  de  l'autre  côté  de  l'Elbourz. 
C'est,   au   contraire,   la  flore    des    steppes    qu'on 

1.  Boissier,  Flora,  voL  IV,  p.  34,  1144  et  1161. 

2.  Tifia  rubra,  —  Carpinus  betulus  et  Duinensis.  —  Alnus 
cordifolia  et  orientalis.  Boissier,  vol.  I,  p.  847  ;  vol.  IV,  p. 
1177  et  1179. 

3.  Acer  campestre,  insigiiCj  laetum,  Tataricunij  opulifolium, 
Boissier,  vol.  I,  947-948. 

4.  Quercus  sessiliflora y  mannifera,  et  caslaneaefolia.  — 
Fraxinus  oxyphlla.  Boissier,  vol.  IV,  p.  40,  1164  et  1174. 

5.  Populus  alba,  Euphratica  et  nigra.  Boissier,  vol.  IV,  p. 
1193-1194. 

6.  Salix  alba,  angustifolia,  capraea,  cinerea,  purpurea, 
triandra,  etc.  Boissier,  vol.  IV,  1185- 1186. 

7.  Boissier,  Flora,  vol.  II,  p.  818. 

8.  Boissier,  Flora,  vol.  II,  p.  631,  633,  639. 

9.  Evonymus  latifolius.  Boissier,  Flora,  vol.  I,  p.  10. 

10.  Hhamnus  grandi/lora,  Persica,  etc.  —  Crataegus  lagena- 
ria,  pectinata,  Boissier,  vol.  II,  p.  17,  22,  663-664. 

11.  Das  Amland,  an.  1868,  p.  495.  —  Drude,  Handbuch,  p. 
402-409. 


30  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

retrouve  encore  dans  la  partie  orientale  du  plateau 
iranien,  en  même  temps  que,  par  quelques-uns  de 
ses  représentants,  elle  se  rapproche  de  celle  de  THin- 
doustan  occidental  ;  cette  contrée  forme  ainsi  comme 
une  région  botanique  intermédiaire  entre  la  Perse  et 
rinde.  Dans  les  plaines  brûlantes  ou  sur  les  collines  du 
Béloutchistan  et  de  l'Afghanistan  méridional,  on  ren- 
contre un  certain  nombre  d'espèces  végétales  :  mélia- 
cées,  célastrinées,  sapindacées,  pomacées,ljthrariées, 
lagoniacées,  apocynées,  bignoniacées  *,  mimosées  * 
surtout,  etc.,  propres  au  Sindh  et  au  Pendjab;  puis 
dans  les  hautes  vallées  et  sur  les  flancs  du  Souleiman, 
ainsi  que  dans  les  régions  élevées  de  l'Afghanistan 
septentrional,  en  particulier  sur  les  montagnes  qui 
enserrent  l'étroite  vallée  du  Caboul,  des  jasmins  ^  des 
lilas*,  des  chèvrefeuilles,  des  viornes*,  etc.,  formant 
les  sous-bois  avec  des  essences  arborescentes  nou- 
velles :  frênes ^   chênes",  bouleaux,    le    marronnier 


1.  Melia  azedarach  ;  Celastrus  spinosus  et  senegalenxis  ; 
Dodonaea  viscosa  ;  Coloneaster  nummularia  ;  Woodfordia 
floribunda;  Buddleia  pnnicuîata;  Rhazya  slricta  ;  Bignonia 
undulata.  Brandis,  The  Foresl  Flora  of  North-  We$l  and  central 
India.  London,  1874,  in-8,  p.  81,  113,  209,  237,  318,  322,  352. 
—  A.-W.  Hughes,  The  eountry  of  Balochistan,  ils  geography, 
ethnology,  etc.  London,  1877,  in-r2,  p.  19. 

2.  Acacia  eburnea^  modesta,  Boissier,  Flora,  vol.  II,  p.  637- 
638. 

3.  Jasminum  officinale,  revolutum  dans  le  Waziristan.  Bois- 
sier, vol.  IV,  p.  42.  —  Brandis.  Foresl  Florayp,  313. 

4.  Syringa  Persica,  Emodi.  Brandis,  Foresl  Flora,  p.  306. 

5.  Lonicera  quinquelobaris.  —  Viburnum  colinifolium. 
Brandis,  Flora,  p.  255  et  258. 

6.  Fraxinus  Mobrcraftiana  ou  xanthoxyloxdes,  Boissier, 
Flora,  vol.  IV,  p.  41. 

7.  Quercus  dilatata,  semecarpifolia.  Brandis,  Flora,  p.  479 
et  481. 


LA  FLORE  DE  UIRAN  31 

d'Inde*,  Tébénier  sissou',  et  surtout  des  conifères, 
que  nous  rencontrerons  dans  THimalaya  occidental  : 
déodara  de  la  vallée  du  Kouram',  sapins*  et  pins  du 
Kafiristan,  des  monts  Souleiman  et  du  Séfid-Kouh^, 
etc.  La  plupart  des  derniers  représentants  de  cette 
flore  arborescente  se  retrouvent  aussi  dans  le  haut 
Turkestan,  surtout  dans  la  vallée  du  Zarafchan  et  dans 
le  Ferghâna,  en  même  temps  que  des  espèces  incon- 
nues dans  riran  proprement  dit:  tamaris  de  Karelin  et 
de  Pallas,  hippophaés,  frêne  de  la  Sogdiane,  orme,  peu- 
plier baumier,  bouleau  blanc,  sapin  de  Schrenck  ®,  etc. 
L'Iran  oriental  et  le  haut  Turkestan  forment,  on  le 
voit,  une  région  botanique  particulière,  mais  sans 
caractère  bien  tranché;  la  bande  littorale,  qui  va  du 
détroit  d'Ormuz  à  Tembouchure  du  Sindh,  en  forme, 
au  contraire,  une  bien  caractérisée,  non  plus  tempérée, 
comme  la  côte  méridionale  de  la  Caspienne,  mais  semi- 
tropicale  par  son  climat  et  la  nature  de  ses  produits  ; 
c'est  le  germsir,  la  «  terre  chaude'  ».  A  la  fois  sèche 

1.  Betulus  BojpaUra.  —  Aesculus  indicus.  Brandis,  Flora, 
p.  103  et  458. 

2.  Dalbergia  Sissoo  de  la  vallée  de  Kouram.  Aitchison,  On 
the  Flora  of  ihe  Kuram  valley.  (Journal  of  Ihe  Linnean  So- 
ciety y  vol.  XIX,  p.  160). 

3.  Journal  of  the  Linnean  Society,  vol.  XVIII,  p.  98. 

4.  Abies  Smithiana,  Webbiana.  Boissier,  vol.  V,  p.  700  et 
704.  —  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  I.  Trad.,  vol.  II,  p.  606. 

5.  Pinus  excelsa,  Gerardiana,  Brandis,  Flora,  p.  506-510. 
—  Aitchison,  Notes-,  p.  153  et  Journal  of  the  Linnean  So- 
ciety, vol.  XVIII,  p.  98. 

6.  Capus,  Indications  sur  la  végétation  du  Turkestan.  (An- 
nales des  sciences  naturelles.  Botanique,  6«  série,  vol  XV  (1883), 
p.  206,  et  Franchet.  Plantes  du  Turkestan,  vol.  XVIII  (1884), 
p.  247-253). 

7.  Otto  Stapf,  Oest.-ungarische  Revue,  vol.  IV  (1887),  p.  357. 
Oscar  Drude,  Ilandbuch,  p.  401. 


32  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

et  brûlante,  on  y  trouve  des  plantes  du  Sahara,  en 
même  temps  qn'un  certain  nombre  d'espèces  propres 
aux  steppes  ou  aux  coteaux  arides  de  Tlran.  Parmi  les 
premières  il  faut  mentionner  Vasher  —  Calotropis 
procera^  — ,  asclépiadée au  feuillage  glauque  et  épais, 
au  suc  acre  et  laiteux,  aux  rameaux  tortueux,  que 
nous  avons  rencontrée  dans  les  déserts  de  TÉgypte  et 
de  la  Syrie,  et  qui  croît  également  dans  le  voisinage 
du  golfe  Persique,  ainsi  que  près  de  l'oasis  de  Khab- 
bis  et  même  dans  l'Afghanistan  ;  le  mada  des  Perses 
—  Periploca  aphylla  *  — ,  plante  de  la  même  famille, 
mais  dénuée  de  feuilles,  qui  se  trouve  à  la  fois  dan^ 
le  Laristan,  et  dans  le  Béloutchistan  ;  le  konar  — 
Zizf/phus  Spina  Chrisli  '  — ,  jujubier  de  la  tlore 
d'Egypte  et  de  la  région  du  lac  Asphaltique,  qui  appar- 
tient aussi  à  celle  de  l'Iran  méridional. 

A  ces  plantes  ou  grands  arbustes  il  faut  ajouter 
des  amandiers*,  ainsi  que  des  tamaris ^  qui  se  plai- 
sent sur  le  littoral  brûlant  de  l'Océan  indien,  des  mi- 
mosées  et  surtout  des  palmiers*.  Sans  doute  querques 
représentants  de  la  tribu  des  Mimosées,  tel  que  le 
Prosopis  stephaniana,  se  rencontrent  dans  la  Perse 
centrale  et  même  septentrionale,  comme  dans  l'Iran 
méridional  ;   mais  c'est  dans  cette  dernière   région 

1.  Boissier,  Florùy  voL  IV,  p.  57.  Cf.  Les  Plantes  dans  Van- 
tiquitéy  vol.  I,  p.  9  et  338. 

2.  Boissier,  Flora,  voL  IV,  p.  51. 

3.  Boissier,  Flora,  vol.  II,  p.  13.  Cf.  Les  Plantes  dans  ran- 
tiquilé,  vol.  I.  p.  125  et  338. 

4.  Amygdalus  scoparia,  Stocksii,  Drahouica.  Boissier,  Flora, 
vol.  II,  p.  644-646. 

5.  Tamarix  articulata,  etc.  Boissier,  vol.  V,  p.  777. 

6.  «  Ichthyophagorurn  regio  ...  maximam  partem  arbori- 
bus  caret,  praeter  palmas,  acanthum  et  myricam  ».  Strabo, 
lib.  XV,  cap.  2,2. 


Là  flore  de  L'IRAN  33 

seulement  que  croissent  le  Prosopù  spicigera,  ainsi 
que  les  acacias  rupestre  et  de  Nubie  \  Là  aussi  seu- 
lement croit  le  dattier,  qui  se  rencontre  à  Tétat  spon- 
tané, en  même  temps  qu'il  est  cultivé,  des  bords  du 
golfe  Persique  aux  bouches  de  Tlndus*.  Tandis  que  le 
dattier  est  confiné  dans  la  «  terre  chaude  »  et  dans 
quelques  oasis  privilégiées,  un  autre  palmier  à  feuilles 
en  éventail,  le  Chamœrops  de  Ritchie,  dont  les  touffes 
tapissent  le  lit  des  torrents  delà  région  du  Germsir^, 
s'élève  au  Nord  jusque  dans  l'Afghanistan;  Aitchi- 
son  Ta  recueilli  en  particulier  dans  la  vallée  du  Kou- 


ram*. 


Différentes  comme  elles  Tétaient  de  celles  de  la 
Grèce  ^  certaines  espèces  végétales  de  Tlran  ne  purent 
manquer  de  frapper  les  compagnons  d'Alexandre. 
Plus  ou  moins  fidèlement  reproduites  par  les  écri- 
vains postérieurs,  en  particulier  par  Théophraste,  les 
descriptions  qu'ils  en  ont  données,  tout  incomplètes 
qu'elles  sont  parfois,  n'en  sont  pas  moins  précieuses, 
car  elles  nous  montrent  quelle  idée  les  Grecs  du 
IV"  siècle  avant  notre  ère  se  faisaient  de  la  flore  ira- 
nienne. Je  remets  au  paragraphe  des  arbres  fruitiers 
à  examiner  ce  que  Théophraste  a  dit  du  pommier 
de  Médie  et  du  térébinthe  de  la  Bactriane.  Pour  le 
moment,  je  me  bornerai  à  passer  en  revue  quelques 

1.  Boissier,  Flora,  vol.  H,  p.  633-638. 

2.  «  Phœnicis  patria  in  Asia...  omnis  est  Arabiae  Persidisque 
tractus,  qui  ab  India  adrubrum  mare  protenditur.  »  Kaempfer, 
Amcenilaies  exoticae,  p.  669. 

3.  Ern.  Aycoghe  Ployer,  Unexplored  Balûchislan.  A  survey 
with  observations  asironomical,  geographical,  botanicaL  etc. 
London,  1882,  in-8,  p.  23.  —  Aitchison,  Notes,  p.  138. 

4.  The  Journal  of  the  Linnean  Society,  vol.  XVIIÏ,  p.  99. 

5.  Théophraste,  Historia  plantarum,  lib.  IV,  cap.  4,  12. 

JoRET.  —  Les  Plantes  dans  Vantiquité.  II.  —  3 


3i  I.KS  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

plantes  de  TArie  et  de  la  Gédrosie,  dont  il  a  parlé 
d'après  les  historiens  d'Alexandre. 

Dans  le  pays  qu'on  appelle  Arie,  dit  le  naturaliste  grec  S 
vient  une  épine,  sur  laquelle  se  forment  des  espèces  delarmes, 
semblables  d'aspect  et  d'odeur  à  la  myrrhe  ;  mais  ces  larmes 
fondent  aux  premiers  rayons  de  soleil.  ...Ailleurs  croît  une 
épine  blanche  à  rameaux  verticillés  par  trois,  dont  on  fait  des^ 
baguettes  et  des  cannes  ;  elle  eut  poreuse  et  pleine  de  suc. 
Une  autre  plante  de  la  grandeur  du  raifort  a  des  feuilles  dont 
la  forme  et  la  dimension  rappellent  celles  du  laurier;  elle  est 
mortelle  pour  les  animaux  qui  en  mangent;  aussi  les  Grecs  en 
gardèrent-ils  soigneusement  leurs  chevaux.  Dans  la  Gédrosie 
croît  aussi,  dit-on,  une  plante  à  feuilles  de  laurier,  qui  fait 
mourir  presque  aussitôt,  au  milieu  de  convulsions  épileptîques, 
les  bêtes  de  somme,  pour  peu  qu'ils  les  broutent.  On  y  trouve 
également  une  espèce  d'épine  dont  les  tiges,  issues  d'une 
souche  unique  et  dépourvues  de  feuilles,  sont  couvertes  d'ai- 
guillons acérés;  quand  on  en  brise  une  ou  qu'on  la  frotte,  il  en 
découle  en  abondance  un  suc  capable  de  faire  perdre  la  vue 
aux  animaux,  comme  aux  hommes,  dans  les  (yeux  desquels  il 
en  tomberait  une  goutte. 

Il  est  probable  que  la  première  de  ces  plantes  repré- 
sente deux  arbustes  différents,  confondus  par  Théo- 
phraste,  mais  distingués  par  Pline,  VAlhagi,  qui  pro- 
duit la  manne,  et  le  Balsamodendron,  qui  distille  le 
bellium.  J'incline  à  voir  dans  la  seconde  VEti- 
pliorbia  osyridea,  dont  les  longues  pousses  ressemblent 
à  des  cravaches,  dit  Aitchison".  Sprengel,  qui  s'est 
déclaré  incapable  de  déterminer  la  troisième,  a  cru 
reconnaître  dans  la  quatrième  une  Gerbera,  E.  Meyer 
a  rejeté  avec  raison  cette  hypothèse  ';  mais  il  n'a  pas 
été,  je  crois,  plus  heureux  que  son  devancier,  quand 

1.  Histon'a  plantarum.  lib.  IV,  cap.  4,  12  13. 

2.  Notes  on  prodticts  of  Western  Afghanistan,  p.  68. 

3.  K.  Sprengel,  Theophrasf's  NaturgeschichtederGewâchse. 
Altona,  1822,  in-8,  II,  151.  —  Botanische  Erlâiiterungen, 
p.  82. 


LA  FLORE  DE  L'IRAN  35 

il  a  voulu  voir  dans  l'arbuste  du  naturaliste  grec  un 
Aegiceras.  Strabon  a  décrit'  la  quatrième  plante  de 
Théophraste,  presque  dans  les  mêmes  termes  que  lui, 
niais  il  n'a  rien  dit  de  la  troisième  ;  Pline,  lui,  les  a 
décrites  toutes  les  deux,  la  quatrième,  en  lui  attribuant 
les  mômes  caractères  que  Théophraste,  la  troisième  en 
renchérissant  sur  quelques-unes  des  propriétés  que  lui 
donne  le  naturaliste'. 

On  ne  saurait  tirer  des  amplifications  de  Pline  au- 
cune induction  sur  la  nature  des  plantes  dont  il  s'agit; 
il  n*est  pas  impossible  toutefois  de  les  déterminer.  La 
troisième  ne  petit  être  que  la  Calotropù  procera  — 
goul  bad  samour  — ,  dont  le  suc  est  un  poison  violent, 
et  dont  Tombre  môme,  suivant  le  P.  Ange  de  Saint- 
Joseph,  passait  pour  mortelle.  La  quatrième  est  sans 
aucun  doute  le  laurier-rose  odorant  —  kherzehreh  — , 
ainsi  nommé,  dit  Chardin,  parce  que  les  animaux  do- 
mestiques qui  en  mangent  meurent  en  peu  de  temps  ^ 
Quant  à  la  cinquième,  Strabon,  qui  en  a  donné  à  peu 
près  la  même  description  que  Théophraste,  ajoute, 
trait  inexact,  que  «  ses  fruits  couvrent  le  sol  à  Tinstar 
des  concombres  »  ;  Arrien*,  qui  en  parle  aussi,  en  in- 
sistant sur  la  force  de  ses  aiguillons,  remarque  que 

1.  Geographica,  lib.  XV,  cap.  2. 

2.  Ainsi  il  dit  que  «  l'odeur  de  cet  arbrisseau  vénéneux  atti- 
rait les  chevaux  et  avait  ainsi  fait  perdre  à  Alexandre  une 
partie  de  sa  cavalerie  ».  Hist.  naturalis,  lib.  XII,  cap.  18. 

3.  Pharmacopoeia  persica.  Paris,  1681,  in-8,  p.  365.  — 
Voyages  en  Perse,  vol.  II,  p.  12. 

4.  De  expeditione  Alexandri,  lib.  VI,  cap.  22,  7-8.  «  Ei  adeo 
validam  spinam  adnasci,  ut  si  cujus  adequitantis  vestis  impli- 
cata  fuerit,  eques  citius  equo  detrahatur  quam  ipsa  a  caule 
avellatur.  »  H.-O.  Lenz  (Z)ie  Botanik  der  allen  Griecken  unU 
Rômer.  Leipzig,  1859,  in-8,  p.  737)  a  supposé  à  tort  qu'Arrien 
avait  eu  en  vue  V Acacia  Calechu. 


36  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

«  la  tige  se  laisse  couper  facilement,  et  qu'il  en  dé- 
coule alors  un  suc  plus  abondant  et  plus  acre  que  celui 
du  figuier  ».  D'après  ces  divers  caractères,  Sprengel 
a  cru  pouvoir  identifier  cette  plante  avec  VEuphorbia 
antiquorum,  identification  acceptée  par  E.  Meyer  et 
qui  ne  saurait  faire  de  doute. 

Dans  le  second  des  chapitres  qu'il  a  consacrés  aux 
plantes  marines,  Théophraste  a  décrit  aussi  trois  es- 
pèces d'arbres,  dont  deux  au  moins  croissent  dans  le 
golfe  Persique*. 

Dans  certaines  îles  que  le  âtix  submerge  croissent  de  grands 
arbres,  de  la  taille  des  platanes  et  des  peupliers  les  plus  hauts. 
A  la  marée  montante,  ils  sont  recouverts  en  entier  par  les  flots, 
à  l'exception  des  plus  hautes  branches,  auxquelles  on  attache 
les  amarres  des  bateaux  ;  on  les  fixe  aux  racines  à  marée  basse. 
Ces  arbres  ont  le  feuillage  du  laurier,  la  fleur,  par  la  couleur 
et  le  parfum,  rappelle  celle  du  violier;  le  fruit  a  la  forme 
d'une  olive  et  une  odeur  agréable.  Ils  ne  perdent  pas  leurs 
feuilles  ;  les  fleurs  et  les  fruits  paraissent  à  l'automne  et  tom- 
bent au  printemps. 

Dans  la  partie  de  la  Perse  qui  confine  à  la  Carmanie  on  voit, 
au  moment  du  flux,  s'élever  du  milieu  des  eaux  de  grands 
arbres,  dont  le  port  et  le  feuillage  rappellent  ceux  de  l'an- 
drachlé.  Ils  sont  couverts  de  fruits  nombreux,  qui,à  Textérieur, 
ont  la  couleur  de  Tamande,  et  dont  le  noyau  a  les  cotylédons 
repliés  l'un  sur  l'autre.  Corrodés,  jusqu'à  mi-hauteur  par  l'eau 
de  mer,  ils  semblent,  comme  des  polypes,  fixés  au  sol  par 
leurs  racines. 

Et  en  terminant  Théophraste  remarque  que  le  manque 
d'eau  douce  dans  le  voisinage  porte  à  conclure  que  ces 
arbres  se  nourrissent  de  l'eau  de  la  mer.  Et  plus  loin  : 

Sur  la  côte  orientale  de  Tylos  se  trouve,  dit-un,  une  si  grande 
quantité  d'arbres  que,  quand  la  mer  se  retire,  ils  forment 
comme  un  rempart  à  l'île.  Ces  arbres  sont  de  la  grandeur 

1.  Hi&toria  planlarum,  lib.  IV,  cap.  7,  4-5. 


LA  FLORE  DE  L'IRAN  37 

d'un  figuier  ;  ils  portent  des  fleurs  d'un  parfum  exquis  et  leurs 
fruits  non  comestibles  ressemblent  à  des  gousses  de  lupins. 

Quels  sont  les  arbres  ainsi  décrits  par  Théophraste? 
Sprengel  a  supposé*,  malgré  ce  qu'il  y  a  là  d'invrai- 
semblable, que  les  premiers  étaient  probablement  des 
lauriers-roses  odorants  ;  quant  aux  seconds,  il  n*a  pas 
cru  pouvoir  les  identifier  ;  il  serait  parvenu  à  les  dé- 
terminer les  uns  et  les  autres,  s'il  avait  rapproché  de 
la  description  de  Théophraste  celles  qu'on  trouve  àans 
Pline  et  dans  Arrien. 

Sur  les  côtes  de  la  mer  Persique,  dit  le  premier  2,  là  où  les 
marées  s'avancent  loin  dans  les  terres^  croissent  des  arbres 
d'une  nature  merveilleuse.  Corrodés  par  le  sel,  ils  ressemblent 
à  des  végétaux  qui  ont  été  apportés  et  délaissés  par  les  flots  ; 
on  les  voit,  le  rivage  à  sec,  étreindre  de  leurs  racines  nues, 
comme  des  polypes,  les  sables  arides.  Quand  la  mer  monte, 
ballottés  par  les  flots,  ils  résistent  immobiles  ;  bien  plus,  à  la 
mer  haute,  ils  sont  complètement  couverts,  et  le  fait  prouve 
que  ces  eaux  salées  leur  servent  d'aliment.  La  grandeur  en  est 
étonnante  ;  ils  rappellent  l'arbousier  ;  le  fruit  en  dehors  est 
semblable  à  l'amande;  au  dedans  le  noyau  est  contourné. 

Cette  description  n'ajoute  rien  d'essentiel  à  la  se- 
conde de  Théophraste  ;  mais  elle  montre,  comme  elle, 
qu'il  est  évidemment  question  ici  d'un  palétuvier. 
Voyons  maintenant  ce  que  dit  Arrien  ^. 

Parmi  les  arbres  de  la  Gédrosie  il  y  en  a  dont  les  feuilles 
ressemblent  à  celles  du  laurier  ;  croissant  sur  les  côtes  baignées 
par  la  mer,  ils  restent  à  sec  au  moment  du  reflux  ;  mais  à  la 
haute  mer,  ils  sont  recouverts  par  les  flots.  Ceux  qui  se  trouvent 
dans  les  bas-fonds,  d'où  la  mer  ne  se  retire  pas,  non  seule- 
ment n'ont  point  à  souffrir  de  l'eau  salée,  mais  ils  s'en  nour- 

1.  TheophraiCs  Naturgeschichte,  vol.  II,  p.  163. 

2.  ffistoria  naluralts,  lib.  XH,  cap.  20,  1.  Trad.  Littré. 

3.  De  expedùione  Alexandrie  lib.  VI,  cap.  22,  6-7. 

II.  —  3. 


38  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

rissent.  Ces  arbres  ont  jusqu'à  trente  toises  de  haut  et  leurs 
fleurs  rappellent  celles  du  violier  blanc,  mais  elles  ont  un 
parfum  plus  agréable. 

Malgré  les  différences  qu'elles  présentent,  la  des- 
cription d'Amen  et  la  première  de  Théophraste  se 
rapportent  évidemment  à  un  même  arbre  ;  j'incline  à 
y  voir  la  Rhizophora  mucronata  ;  quant  à  l'arbre  de 
Pline,  le  second  de  Théophraste,  dans  lequel  Lenz  *  a 
vu  aussi  une  rhizophorée,  sans  dire  de  quelle  espèce, 
et  que  Littré  a  identifié  avec  la  Rhizophora  mangle  ", 
c'est  encore  un  palétuvier,  mais  tout  différent,  VAr)i- 
cennia  officinalis.  Enfin  dans  les  arbres  de  Tylos,  à 
fruits  semblables  à  des  lupins,  que  Théophraste  fait 
croître  aussi  avec  les  Rhizophora  des  iles  submergées 
de  rOcéan  et  les  Avicennia  des  côtes  de  la  Perside, 
que  Pline  connaît  également^  mais  dont  Arrien  et 
Strabon  ne  disent  rien,  il  est  impossible  de  ne  pas  y 
reconnaître  VAegiceras  majxiSy  myrsinée  des  mers 
tropicales. 

On  voit  par  ce  qui  précède  combien  était  riche  et 
variée  la  flore  de  l'Iran  et  du  Turkestan  ;  aussi  mal- 
gré l'aridité  d'une  partie  considérable  de  son  terri- 
toire,  cette  vaste  contrée  offrait  aux  populations  qui 
s'y  établirent  d'abondantes  ressources  pour  leur  ali- 
mentation et  pour  leur  industrie.  A  part  Torge  toute- 

1.  Botanik  der  alten  Griechen  und  Rômery  p.  676. 

2.  Traduction  de  Pline,  vol.  ï,  p.  480.  La  R,  mangle  est  plutôt 
une  plante  de  TAmérique  tropicale. 

3.  Hist.  plantanirriy  IV,  7,  5  et  6.  —  Hîst.  naf.,  XIÏ,  21  (10), 
XIII,  41. 


LA  FLORE  DE  L'IRAN  39 

fois,  qui  paraît  avoir  été  trouvée  à  Tétat  sauvage  dans 
la  Perse  méridionale  et  dans  le  Béloutchistan,  cette 
immense  région  ne  produisait  spontanément  aucune 
céréale,  car  il  est  douteux  que  le  seigle  soit  indigène 
dans  l'Afghanistan,  quoique  Griffith  dise  l'y  avoir 
rencontré*. 

Si  les  céréales  font  défaut  au  plateau  iranien,  une 
partie  des  autres  plantes  alimentaires  et  des  condiments 
y  croissent  certainement  à  l'état  spontané.  M.  Capus  a 
trouvé  le  pois  chiche  et  le  pois  gris,  le  premier  à  Karap 
(ïurkestan),  le  second  dans  la  vallée  du  Jaghnau*.  Regel 
n'indique  Tail  comme  indigène  que  plus  à  l'Est  dans  la 
Dzoungarie^;  mais  De  Candolle,  je  l'ai  rappelé  autre- 
fois*, n'est  pas  éloigné  de  regarder  cette  plante  comme 
une  simple  variété  de  quelqu'une  des  espèces  à'Alliiim, 
qu'on  rencontre  depuis  l'Ouest  de  l'Europe  jusque  dans 
l'Asie  centrale  "*;  le  type  de  l'ail  ordinaire  peut  donc 
fort  bien  s'être  trouvé  dans  l'Iran.  Quant  à  l'oignon, 
on  l'a  découvert  à  l'état  sauvage,  à  la  fois  dans  le 
Khorâsan,  TAfghanistan  et  le  Béloutchistan*.  L'aneth 
aussi,  le  fenouil,  l'ache,  la  laitue,  la  carotte  viennent 


1.  Aitchison,  Notes,  p.  186,  pense  aussi  que  le  seigle  serait 
indigène  dans  le  Khorâsan  et  la  vallée  de  Kouram,  mais  com- 
ment alors  les  anciens  Iraniens  ne  l'auraient-ils  pas  cultivé  ? 

2.  Annales  des  sciences  naturelles,  6»  série.  Botanique,  vol. 
XV,  p.  266  et 268. 

3.  Alliorum  monographia.  Petropolis,  1875,  p.  44,  ap.  V. 
Hehn,  op.  laud.,  p.  201. 

4.  Les  plantes  dans  Vantiquité  et  au  moyen  âge,  vol.  I,  p.  65. 

5.  Origine  des  plantes  cultivées,  p.  52.  M.  Schweinfurth 
regarde  l'Asie  antérieure  comme  la  patrie  de  Tail,  aussi  bien 
que  de  l'oignon.  Aus  den  Verhandlungen  der  Berliner  anthro- 
pologischen  Gesellschaft,  an.  1891,  p.  666. 

6.  A.  de  Candolle,  op,  laud,,  p.  54.  —  Engler  ap.  V.  Hehn^ 
op,  laud,,  p.  203. 


40  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

spontanément  en  Perse  et  le  cumin  a  été  rencontré 
dans  le  désert  de  Kizil-koumV  Mais  quoi  qu'en  ait 
affirmé  Linné,  il  semble  bien  que  ni  les  concombres,  ni 
les  melons  ou  les  pastèques  ne  sont  indigènes  dans  la 
région  iranienne*. 

La  plupart  de  nos  arbres  fruitiers,  au  contraire, 
croissent  naturellement  dans  cette  contrée  ;  on  peut 
dire  que  le  plateau  de  Tlran  ei>  est  la  patrie  d'élection. 
Le  poirier  commun  est  indigène  dans  la  Perse  septen- 
trionale, sur  le  versant  delà  Caspienne',  et  une  variété 
à  feuilles  tomenteuses  a  été  trouvée  par  M.  Capus  dans 
les  gorges  du  Tchotkal*  ;  le  poirier  de  Syrie  croit  aussi 
dans  les  montagnes  de  la  Perse  septentrionale,  et  le 
poirier  à  feuilles  glabres  —  andjudjek  —  dans  celles 
du  Farsistan^  Le  cognassier  a  été  signalé  dans  la 
province  d'Astrabad  et  sur  tout  le  littoral  persan  de 
la  Caspienne.  Le  pommier  commun  se  trouve  dans  les 
forêts  du  Ghilan*;  M.  Capus  Ta  découvert  aussi  dans 
les  vallées  du  Jaghnau  et  du  Pskem,  en  Boukharie, 
ainsi  que  dans  le  Ferghâna\  Au  Sud  de  Wernoje,  il 
existe  une  vallée  appelée  Almati  à  cause  de  la  grande 
quantité  de  pommiers  sauvages  qui  s'y  trouvent  '.  Le 


1.  Boissier,  Flora,  vol.  II,  p.  856,  975, 1026, 1076  et  1080. 

2.  Il  faut  dire  toutefois  que  le  Cucumis  trigonuSy  dont  on  a 
voulu  parfois  faire  le  type  du  melon,  parait  indigène  dans 
l'Iran.  Aitchison,  Notes,  p.  49. 

3.  Boissier,  Flora,  vol.  II,  p.  653. 

4.  Annales  des  sciences  naturelles,  vol.  XVIIÏ,  p.  284. 

5.  Boissier,  Flora,  vol.  Il,  p.  655-656. 

6.  Boissier,  Flora,  vol.  II,  p.  656.  Kôppen,  Geographische 
Verhreitung  der  Uolzgewàchse.  (Beitrâge  zur  Kenntniss  des 
russischen  Reichs,  vol.  V,  p.  'i09). 

7.  Annales  des  sciences  naturelles,  vol.  XV,  p.  266;  vol.  XVIII, 
p.  285. 

8.  M.  Przéwalsky  a,  paraît-il,  trouvé  dans  la  vallée  du  Youl- 


LA  FLORE  DE  L'4RAN  41 

néflier  de  Germanie  vient  au  pied  de  TElbourz,  sur  le 
versant  de  la  Caspienne  ;  l'azerolier  dans  la  Perse  mé- 
ridionale près  de  Pérézend  et  sur  le  Kouh-Delou  *. 
L'alisier  et  ses  variétés  croissent  dans  le  Nord  de  la 
Perse*;  le  sorbier  du  Turkestan  aux  bords  de  Tlskan- 
der-koul  et  le  sorbier  des  oiseleurs  dans  les  vallées 
des  monts  Karatau^. 

Les  arbres  fruitiers  à  noyau  sont  encore  plus  com- 
muns dans  l'Iran  et  le  Turkestan  que  les  arbres  fruitiers 
à  pépins.  Le  merisier  croit  dans  les  forêts  de  la  province 
de  Ghilan,  en  même  temps  que  le  laurier-cerise*;  il  a 
été  aussi  trouvé  dans  des  terrains  pierreux  du  Turkestan 
HiéridionaP;  plus  au  Nord,  sur  les  bords  du  Pskem» 
à  1 200  mètres  d'altitude,  a  été  également  découvert  le 
cerisier  mahaleb®,  si  répandu  à  l'Ouest  du  Zagros. 
M.  Gapus  mentionne  aussi  comme  fréquent  dans  la 
vallée  du  Vorou  le  cerisier  à  basse  tige';  le  voya- 
geur Basiner  l'avait  aussi  rencontré  dans  la  steppe  des 
Kirghis®.  Le  prunier  épineux  est  spontané  dans  les 
forêts  du  Ghilan  et  le  prunier  à  rameaux  divariqués 
dans  les  basses  terres  de  cette  province  et  de  celle 


douz,  au  Turkestan  oriental,  des  bois  entiers  de  pommiers.  An- 
nales, vol.  XVIII,  p.  284. 

1.  Boissier,  FlorUy  vol.  II,  p.  659-662. 

2.  Boissier,  Flora,  vol.  II,  p.  658. 

3.  Annales  des  sciences  naturelles,  vol.  XVI,  p.  287.  —  Bois- 
sier, ibid. 

4.  Boissier,  Flora,  vol.  II,  p.  649. 

5.  Annales  des  sciences  naturelles,  vol.  XVI,  p.  281.  Toute- 
fois M.  Capus,  ibid.,  vol.  XVIII,  p.  283,  dit  qu'il  ne  l'a  pas 
rencontré  à  l'état  spontané,  ni  subspontané  dans  la  montagne. 

6.  Annales,  vol.  XVI,  p.  281. 

7.  Cera^us  chamaecerasus.  Annales,  vol.  XVflI,  p.  283. 

8.  Beitràge  zur  Kenntniss  des  russischen  Beiches,  vol.  XV, 
p.  63. 


42  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

d'Astrabad  '  ;  il  a  été  trouvé  encore  sur  les  bords  de  la 
rivière  Pskem  et  dans  les  gorges  du  Tchotkal'.  Le 
prunier  domestique,  si  répandu  dans  le  Caucase,  a  été 
également  rencontré  par  Buhse  dans  l'Elbourz'. 

M.  Capus  a  trouvé  l'abricotier  à  l'état  spontané  sur 
les  bords  de  l'Iskander-koul,  à  Chirabad  en  Boukharie, 
ainsi  que  dans  la  vallée  du  Pskem  et  dans  celle  de  l' Abla- 
toun  au  Tchotkal,  à  1300  mètres  d'altitude*;  mais  il 
n'est  point  indigène  dans  l'Iran  proprement  dit  ni  dans 
le  Caucase,  pas  plus  d'ailleurs  que  le  pêcher,  encore 
que  Boissier*  et  Buhse*  indiquent  ce  dernier  comme 
spontané  dans  les  provinces  de  Ghilan  et  d'Astrabad, 
où  il  n'est  que  naturalisé. 

On  trouve  aussi  dans  la  vallée  du  Séfid-roud,  où  il 
forme  de  véritables  forêts,  l'olivier  ordinaire  que  Buhse 
regarde  comme  indigène  \  tandis  que  Koppen  le  con- 
sidère à  tort  comme  simplement  naturalisé*.  En  tout 
cas  on  rencontre  dans  leBéloutchistan  et  l'Afghanistan, 
en  particulier  dans  la  vallée  du  Kouram*,  une  espèce 
d'olivier  —  Olea  cuspidata  —  qui  ne  diffère  de  l'oli- 
vier ordinaire  —  Olea  europaea  —  que  par  ses  feuilles 


1.  Boissier,  Flora,  vol.  II,  p.  650.  —  Koppen,  Beitràge,  vol. 
V,  p.  266. 

2.  Annales,  vol.  XVI,  p.  281  et  vol.  XVIII,  p.  283. 

3.  Koppen,  Beilrâge,  vol.  V,  p.  261. 

4.  Annales,  vol.  XV,  p.  206,  XVI,  p.  281  et  XVIII,  p.  280. 

5.  Flora  orientalis^  vol.  II,  p.  650  et  653. 

6.  Koppen,  Beitràge,  vol.  V,  p.  255.  Cf.  De  CandoUe.  o/?. 
laud.,  p.  181. 

7.  Boissier,  Flora,  vol.  IV,  p.  36. 

8.  Beitràge,  vol.  V,  p.  573.  Strabon,  lib.  XI,  cap.  13,  7, 
constate  la  présence  de  l'olivier  en  Médie  ;  il  dit  seulement  que 
ses  fruits  y  manquent  d'huile. 

9.  Journal  of  Ihe  Linnean  Society,  vol.  XIX,  p.  79.  —  Bois- 
sier, vol.  IV,  p.  36. 


LA  FLORE  DE  L^IRAN  43 

plus  acuTïiinées  et  ferrugineuses  en  dessous.  Il  ne  faut 
pas  oublier  ici,  quoique  j'en  aie  déjà  fait  mention  pré- 
cédemment, le  chalef  —  Elaeagnus  angnstifolius  — 
qu'on  rencontre  au  bord  des  cours  d*eau  de  Tlran  et 
de  Touran  presque  entiers  à  partir  de  1  000  mètres 
d'élévation  '.  Bien  que  plus  importants  pour  leur  excel- 
lent bois  que  pour  leurs  fruits  médiocres,  on  peut  encore 
mentionner  les  micocouliers  ;  Tespèce  ordinaire  — 
Celtis  atislralis  —  a  été  trouvée  dans  la  province 
d'Astrabad,  sur  le  Karatau  et  dans  la  vallée  du  Zaraf- 
cban  ;  le  micocoulier  du  Caucase  croit  à  la  fois  dans 
la  Perse  septentrionale  et  méridionale,  le  Khoràsan, 
le  Béloutchistan  et  le  royaume  de  CabouP. 

L'amandier  commun  est  aussi  très  répandu  sur  le 
plateau  iranien.  On  le  rencontre  à  Tétat  spontané  dans 
l'Aderbeidjan  et  le  Khoràsan,  ainsi  que  dans  les  monta- 
gnes du  Turkestan.  M.  Capus  a  trouvé  les  deux  variétés 
à  amandes  douces  et  amères  dans  la  vallée  du  Zaraf- 
chan,  à  une  altitude  de  1 300  mètres  et  une  autre  variété 
à  feuilles  ovales  sur  les  bords  du  Pskem  et  dans  les 
rochers  du  Vorou*.  Le  pistachier  «  vrai  »,  dont  le  nom 
paraît  venir  du  zend  —  pers.  pista,  pistak^  — ,  croît  à 
Tétat  sauvage  dans  les  terrains  primitifs  du  Turkestan 


1.  Boissier,  FlorUy  vol.  IV,  p.  1056.  On  a  supposé  que  l'oli- 
vier, qui  croissait  dans  la  région  montagneuse  de  l'Inde,  d'après 
Théophraste,  lib.  ÏV,  cap.  4,  11,  était  le  chalef;  je  crois  bien 
plutôt  qu'il  s'agit  de  l'olivier  à  feuilles  cuspidées. 

2.  Boissier,  Flora,  vol.  IV,  p.  1156.  —  Annales^  vol.  XVIII, 
p.  250. 

3.  Kôppen,  Beitrâge,  vol.  V,  p.  164.  —  Annales,  vol.  XVI, 
p.  281  et  XVIII,  p.  281.  —  De  Candolle,  op.  laud.y  p.  174.  — 
Boissier,  Flora  y  vol.  II,  p.  642. 

4.  A.  Schrader,  ap.  V.  Hehn,  KuUurpflanzen,  p.  414.  Un  lieu 
planté  de  pistachiers  s'appelle  pislalik. 


44  LES  PLANTES  CHEZ  LES  ÎRANFENS 

et  de  riran  septentrional.  Le  voyageur  Lehmann  rap- 
porte qu'en  1841,  dans  la  vallée  du  Zarafchan,  au  milieu 
des  monts  situés  à  l'Est  de  Pendjakend,  il  traversa,  sur 
une  longueur  de  50  verstes,  un  bois  presque  entièrement 
formé  de  pistachiers  sauvages.  M.  Capus  a  rencontré 
aussi  cet  arbre  près  des  sources  du  Jaghnau,  ainsi  que 
dans  les  monts  de  Hissar  et  de  Baissoun\  Aitchison 
dit  ^  qu'il  en.  existe  de  vastes  forêts  dans  les  Badghis 
et  au  milieu  des  collines  du  Khoràsan.  Une  autre  espèce 
du  même  genre  à  fruits  comestibles  aussi,  le  pistachier 
mutique,  est,  elle,  indigène  dans  l'Iran  tout  entier  ; 
on  l'a  rencontrée  dans  TAderbeidjan,  dans  les  mon- 
tagnes voisines  de  Yezd,  ainsi  que  dans  l'Afghanistan, 
entre  Hérat  et  Tebbes,  et  dans  la  vallée  du  Kouram'. 
Le  noyer  ordinaire  —  Juglana  regia  —  croît  aussi 
spontanément  dans  la  Perse  boréale  et  dans  le  Bélout- 
chisfan;  M.  Capus  Ta  indiqué  également  dans  les  val- 
lées du  Pskem  et  de  TAblatoun,  à  une  altitude  de  1  000 
à  1 500  mètres.  Une  espèce  différente,  le  noyer  à  fruits 
ailés  —  Juglans  pterocarpa  — ,  fruits  peu  comestibles, 
il  est  vrai,  se  rencontre  dans  la  province  de  Ghilanet 
de  Mazandéranetprèsd'Astrabad*.  D'après  Ledebour, 
le  châtaignier  serait  aussi  indigène  dans  la  Perse  sep- 
tentrionale; mais  Kôppen  a  mis  le  fait  en  doute'. 

Le  grenadier,  lui,  est  bien  spontané  dans  l'Iran  ;  on 
le  trouve  à  la  fois  sur  les  monts  Avroman  et  Chahou 

1.  Kôppen,  Beilrâge,  vol.  V,  p.  16'*. —  Annales,  vol.  XV,  p. 
250  et  vol.  XVIII,  p.  281. 

2.  Notes  on  the  products  of  Western  Afghanistan,  p.  156. 

3.  Boissier,  Flora,  vol.  H,  p.  7.  —  Journal  of  the  Linnean 
Society,  vol.  XIX,  p.  157.  —Aitchison,  Notes,  p.  155. 

4.  Boissier,  Flora,  vol.  IV,  p.  1160-1161.  —  Annales,  vol. 
XVIH,  p.  286. 

5.  Boissier,  Flora,  vol.  IV,  p.  1175.  —  Beitràge,  vol.  V,  p.  142. 


LA  FLORE  DE  L'IRAN  45 

dans  le  Kourdistan  perse,  ainsi  qu'au  milieu  des 
rochers  du  Béloutchistan  et  de  l'Afghanistan,  entre 
autres  dans  le  district  de  Kourara  *.  Le  figuier  ordinaire 
—  Ficus  carica  —  n'est  pas  moins  répandu  sur  le 
plateau  iranien  ;  on  a  trouvé  la  variété  rupestris  dans 
les  monts  Kouh-Kilouyeh  et  une  autre  variété,  le  Ficus 
Johannis,  dans  l'Afghanistan,  entre  Tebbes  et  Hérat, 
ainsi  que  dans  le  Béloutchistan  ^  La  vigne  à  l'état  sau- 
vage n'est  guère  moins  commune  que  le  figuier  dans 
riran,  quoiqu'elle  s'avance  moins  loin  vers  le  Sud  ;  on 
l'a  rencontrée  dans  le  Ghilan  et  sur  plusieurs  points 
du  Turkestan;  MM.  Capus  et  Regel  entre  autres  l'ont 
trouvée  dans  les  vallées  du  Pskemetdel'Ablatoun  à  une 
hauteur  de  1 250  mètres  ;  elle  y  portait  des  grappes 
bien  fournies,  mais  dont  les  baies  étaient  petites  ^ 

On  rencontre  aussi,  dans  les  provinces  de  Ghilan, 
de  Mazandéran  et  d'Astrabad,  ainsi  que  dans  l'Afgha- 
nistan, une  espèce  de  plaqueminier  —  le  Diospyros 
lotus,  le  kharmandu  des  Perses*.  On  a  signalé  dans  le 
Daghestan  l'existence  des  groseilliers  à  maquereau  et 
à  fruits  rouges'';  M.  Capus  a  trouvé  aussi  dans  les 
montagnes  de  Tchirtchik  et  Tchotkal  l'espèce  à  fruits 
noirs  ou  cassis*;  enfin  le  groseillier  oriental  croît  dans 
TElbourz.  Dans  la  région  du  Sud-Ouest  on  rencontre 
le  jujubier  nummulaire ',  dans  le  Khorâsan  et  ailleurs  le 

1.  Boissier,  Flora,  vol.  Il,  p.  737.  —  Journal  of  the  Linnean 
Society,  vol.  XIX,  p.  163. 

2.  Boissier,  Flora,  vol.  IV,  p.  1154-1155. 

3.  Boissier,  Flora,  vol.  I,  p.  955.  —  Annales^  vol.  XV,  p. 
247  et  XVIII,  p.  286. 

4.  Boissier,  Flora,  vol.  IV,  p.  34. 

5.  Boissier,  Flora,  vol.  III,  815. 

6.  Annales,  vol.  XVIII,  p.  287. 

7.  Brandis,  Forest  Flora,  p.  89. 


46  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

jujubier  commun,  et  presque  partout,  au-dessus  de2000 
pieds,  répine-vinette  \  tandis  que  dans  l'Afghanistan 
oriental  croissent  aussi,  entre  autres,  àTétat  spontané, 
la  Myrsine  Africana  et  la  Reptonia  buocifolia,  arbustes 
du  Pandjab,  dont  les  fruits  quoique  petits  sont  recher- 
chés*. Il  semble  bien  que  le  mûrier  à  fruits  noirs  soit 
également  indigène  et  ne  soit  pas  seulement  acclimaté 
sur  le  versant  persan  de  la  Caspienne  '.  Enfin  il  faut 
rappeler  en  terminant  que  diverses  espèces  de  ronces 
à  fruits  comestibles  croissent  sur  les  points  les  plus 
divers  du  plateau  iranien  et  touranicn. 

S*il  était  moins  riche  en  plantes  textiles,  tinctoriales, 
oléifères  et  autres  propres  à  Titidustrie  qu'en  plantes 
alimentaires  et  en  arbres  fruitiers,  l'Iran  en  renfermait 
néanmoins  plus  d'une  espèce  précieuse.  Le  cotonnier 
n'y  est  point  indigène  sans  doute,  comme  on  l'a  dit  à 
tort*;  mais  on  y  rencontre  à  l'état  spontané  de  nom- 
breuses espèces  de  lin";  le  chanvre  a  été  trouvé  au 
Sud  et  à  l'Est  de  la  Caspienne,  dans  la  vallée  alpestre 
du  Jaghnau  et  même  dans  le  district  de  Kouram^;  des 
astragalées,  quelques  apocynées,  en  particulier  YApo- 
cynum  venetum,  sont  riches  en  fibres  ^  Plusieurs  gra- 
minées des  steppes  ou  du  bord  des  eaux,  des  laîches,  etc. 

1.  Aitchison,  Notes  on  products  of  Western  Afghanistan,  p. 
25  et  225. 

2.  Brandis,  Flora,  p.  283  et  285. 

3.  Boissier,  Flora,  vol.  IV,  p.  1153.  —  Kôppen.  Beitràge, 
vol.  VI,  p.  15.  —  Aitchison.  Noies,  p.  134,  semble  croire  que  le 
mûrier  blanc  est  indigène  dans  le  Khorâsan,  où  il  est  commun. 

4.  Spiegel,  Eranische  Aller thumskunde,  vol.  J,  p.  259. 

5.  Linum  angustifolium,  humile,  Bungaei,  perenne,  persi- 
çum,  etc.  Boissier,  vol.  1,  p.  861. 

6.  DeCandolle,op. /au(/.,p.  118. —  Capus,  ^/iwa/e/î,  vol.XVIII, 
p.  249.  —  Journal  ofthe  Linnean  Society,  vol.  XIX,  p.  94. 

7.  Aitchison,  Notes  on  products,  p.  75. 


LA  FLORE  HE  L'IRAN  47 

sont  propres  aux  divers  ouvrages  de  vannerie.  On 
trouve  aussi  dans  Tlran  quelques  plantes  tinctoriales 
dès  longtemps  recherchées  ;  l'indigotier  tinctorial  '  et 
probablement  le  safan*  y  sont,  il  est  vrai,  exotiques; 
mais  la  garance  y  croît  à  Tétat  sauvage  *,  tout  comme 
Tarbre  au  henné,  spontané  dans  le  Bëloutchistan  et 
peut-être  dans  la  Perse  méridionale  *  ;  Técorce  des 
racines  de  diverses  espèces  indigènes  :  épine-vinette, 
érable,  prunier,  ronce,  celle  des  fruits  du  grenadier,  les 
tiges  et  les  fleurs  d'autres  espèces,  par  exemple  de  la 
dauphinelle  zalil,  les  galles  du  chêne,  du  pistachier 
mutique,  du  Prosopts,  etc.,  les  feuilles  du  sumac  des 
corroyeurs,  arbuste  de  la  Perse  septentrionale,  du  Kho- 
râsan  et  du  Turkestan,  offrent  aussi  des  matières 
colorantes  variées.  Les  galles  de  ces  divers  arbres  ou 
arbustes  et  d'autres  encore,  l'écorce,  les  feuilles  et  les 
brindilles  d'autres  espèces  indigènes  peuvent  servir 
pour  le  tannage  ^  Eniiti  si  le  sésame  y  est  exotique,  on 
trouve  dans  la  plupart  des  provinces  de  l'Iran  la  roquette 
et  des  sénevés  à  graines  riches  en  huile *^,  et  nous  avons 
vu  qu'on  y  rencontre  aussi  l'olivier,  le  chalef,  le  noyer, 
ainsi  que  le  lin  et,  dans  le  Touran,  le  chanvre,  dont 
les  fruits  ou  les  graines  renferment  également  de  Thuile 
en  abondance. 

Enfin  l'Iran  et  le  Touran  possèdent  de  nombreuses 
plantes  aromatiques  ou  officinales,  dont  la  plupart  ont 

1 .  L'Iran  méridional  et  oriental  renferment  plusieurs  espèces 
d'indigotier,  mais  non  le  linctoria. 

2.  Boissier,  Flora,  vol.  V,  p.  100,  ne  l'indique  que  dans  la 
Grèce  et  l'Asie  Mineure  occidentale. 

3.  Boissier,  Flora,  vol.  III,  p.  i7. 

4.  Boissier,  Flora,  vol.  Il,  p.  744. 

5.  Aitchison,  Notes  on  products,  p.  62,  205. 

6.  Erucasativa  et  Sinapisjuncea.  Boissier,  vol.  I,  p.  392-896. 


48  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

dû  être  connues  dès  la  plus  haute  antiquité  et  employées 
par  les  habitants.  Strabon  dit*  que  la  Gédrosie,  «  la 
contrée  la  plus  aride  de  TAsie,  produit  cependant  des 
aromates,  en  particulier  le  nard  et  la  myrrhe  ».  Ni 
la  myrrhe,  ni  encore  moins  le  nard  ne  sont  indiqués 
par  les  botanistes  modernes  dans  cette  province  ou 
dans  aucune  autre  de  Tlran  ;  mais  sur  les  rochers 
brûlants  ]du  Béloutchistan  croissent,  d'après  Stocks, 
deux  arbustes  à  encens,  les  Balsamodendron  pubes- 
cens  et  mukul^y  et  tous  les  endroits  arides  sont  cou- 
verts d'AndropoffOîi  laniger  qui  dégage,  quand  on  le 
foule  aux  pieds,  une  odeur  agréable  ^.  Dans  la  région 
des  steppes,  on  rencontre  de  nombreuses  astragales 
qui  produisent  la  gomme  adragante^  ;  on  trouve  dans 
celle  de  la  Caspienne  le  Datura  stramonium  ;  les 
grandes  orabellifères  \  d'où  on  extrait  Tasa  fœtida,  le 
galbanum,  le  sagapenum,  la  gomme  ammoniaque  et 
Topopanax  croissent  également  en  abondance  sur  les 
points  les  plus  divers  du  plateau  iranien  et  touranien  ; 
la   rhubarbe   ordinaire  ^  —  le  rivas  des  Perses  — 

1.  Geographica,  lib.  XV,  cap.  2,  3.  «  L'armée  d'Alexandre, 
ajoute  Strabon.  s'en  servit  pour  abri  et  comme  de  couche,  ce 
qui  lui  permit  de  respirer  un  air  plus  sain  et  parfumé.  » 

2.  Boissier,  Flora ,  vol.  II,  p.  8. 

3.  Aitchison,  Notes  on  products  of  Western  Afghanistan,  p. 
12. 

4.  Astragalus  adscendens,  brachycalyx,  gummifer,  Kurdi- 
eus,  etc.  F. -A.  Fliickiger  et  D.  Hanbury,  Histoire  des  drogues 
d*origine  végétale,  traduite  par  J.-L.  de  Lanessan.  Paris,  1878, 
in-8,  vol.  I,  p.  346. 

5.  Ferula  osa- fœtida,  galbaniflua  ou  rubescens,  alliacea, 
rubricaulis,  etc.  Ferulago  macrocarpa,  lophoptera,  Cardu- 
chorum,  cinerea,  contracta,  etc.  —  Dorema  ammoniacum,  Au- 
cherij  aureum.  —  Opopanax  Persicum.  Boissier,  vol.  IV,  p. 
988-1010. 

6.  Bheum   ribes.   Boissier,   vol     IV,  p.  1003.  —  Aitchison, 


LES  HABITANTS  DE  LIBAN  40 

est  commune  au-dessus  de  2000  mètres  dans  les  ter- 
rains argileux  de  TAderbeidjan,  du  Farsistan  et  du 
Khoràsan,  sur  le  versant  Nord  du  Paropamise  et 
même  dans  les  montagnes  du  Béloutchistan,  et  une 
autre  espèce  aux  larges  feuilles  radicales,  la  rhubarbe 
de  Tartarie,  croît  en  particulier  dans  les  plaines 
d  alluvions  de  la  vallée  du  Héri-roud  et  dans  le  désert 
de  Kara-koum  *. 


III 


Quelles  populations  sont  venues  tour  à  tour  mettre' 
en  valeur  les  richesses  végétales  que  leur  offrait  la 
vaste  région,  dont  je  viens  d'essayer  de  faire  connaî- 
tre la  flore.  L'histoire  des  premiers  siècles  de  l'Orient 
ne  renferme  aucune  réponse  à  cette  question.  Il  semble 
que  le  plateau  iranien  fût  d'abord  occupé  par  des  po- 
pulations de  race  obscure,  dont  on  retrouve  peut-être 
les  restes  épars  dans  les  tribus  négroïdes  de  la 
Susiane  '  et  chez  les  Brahouis  du  Béloutchistan  \  En 

Notes,  p.  174. 11  est  inutile  de  dire  qu'il  n'y  a  rien  de  com- 
mun entre  cette  plante  et  le  Ribes  —  groseillier  — ,  qu'on  a 
parfois  confondu  avec  elle.  Cf.  A.  de  Gubernatis,  Mythologie 
des  Plantes i  vol.  II,  p.  317. 

1.  Rheum  Tataricum  L.,  Rheum  Caspicum  Pal.  Cette  espèce 
se  rencontre  aussi  dans  la  Russie  méridionale,  la  Dzoungarie  et 
la  région  de  l'Altaï.  Boissier,  Floraf  vol.  IV,  p.  1003.  —  Ait- 
chison,  Notes  y  p.  174. 

2.  Fr.  Houssay,  Les  langues  humaines  de  la  Perse,  Lyon, 
1887,  in-8,  p.  40.  Cf.  Les  plantes  dans  V antiquité,  y q\.  I,  p.  359. 

3.  Ceux-ci  paraissent  d'origine  dravidienne,  comme  les 
populations  d'une  partie  de  l'Hîndoustan.  Fr.  Spiegel,  Era* 
nische  Aller thumskunde,  Leipzig,  1871,  vol.  I,  p.  337.  —  M. 
Duncker,  Geschichte des  Alterthums.  Leipzig,  1879,  in-8,  vol.  III, 
p.  10.  Il  faut  dire  toutefois  qu'on  a  fait  aussi  venir  les  Brahouis 

JORET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité,  II.  —  4 


50  LES  PUNTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

même  temps  ou  à  une  époque  de  peu  postérieure, 
riran  dut  être  traversé  par  des  peuplades  aralo-al- 
taïques  ou  touraniennes,  ancêtres  probables  des 
Sumériens  de  la  Babylonie,  dont  quelques  tribus  se 
fixèrent  dans  les  vallées  du  Zagros  \  D'autres  tribus 
paraissent  s'être  arrêtées  plus  au  Nord,  dans  la  con- 
trée comprise  entre  le  Zagros  et  l'Elbourz  *,  mais  elles 
ne  devaient  pas  en  rester  toujours  seules  maîtres- 
ses ;  elles  furent  obligées  ou  de  la  partager  ou  de  la 
céder  aux  tribus  ariennes,  qui  envahirent  à  leur  tour 
le  plateau  de  l'Iran. 

A  une  époque  où  les  empires  de  Ninive  et  de  Baby- 
lone  étaient  déjà  arrivés  au  plus  haut  degré  de  civili- 
sation, ces  tribus  menaient  encore  la  vie  nomade 
dans  la  haute  plaine  du  Touran  '  ;  d'où  étaient-elles 
venues*?  On   l'ignore.  Depuis  combien  de  temps  y 


de  rinde  dans  Tlran  à  Tépoque  de  rinvasion  des  Ariens  dans 
la  Péninsule.  A.-W.  Hughes,  The  country  of  Baluchislan,  p. 
38.  Cf.  Fr.  Spiegel,  Erânische  Aller thumskunde,  vol.  I,  p.  335. 

1.  Les  Karkhes,  les  Korbrènes,  les  Corséens  et  autres  peu- 
plades guerrières.  Polybe,  Bes  Syriacae,  lib.  V,  cap.  44,  7. 

2.  M.-J.  Oppert,  Le  peuple  des  Mèdes,  Paris,  1879,  in-8,  p.  15- 
25,  a  supposé  que  ces  tribus  touraniennes  portaient  le  nom  de 
Madai  —  les  Mèdes  —,  et  qu'elles  auraient  donné  à  cette  région 
leur  nom,  conservé  par  les  peuplades  ariennes  qui  se  mêlèrent 
à  elles  sans  les  subjuguer.  —  Duncker,  Geschtchte  des  Aller-- 
thumSy  vol.  IV,  p.  206,  note  3,  a  refusé,  au  contraire,  toute  réa- 
lité aux  Touraniens  de  Médie.  Cf.  A.  Delattre,  Le  peuple  el  l'em- 
pire des  Mèdes  jusqu'à  la  fin  du  règne  de  Cyaxare.  (^Mémoires 
couronnés  par  r  Académie  des  sciences  j  etc.,  de  Belgique  y  vol.  XL  V 
(1883),  p.  5  et  suiv.).  —  Fr.  Spiegel,  o;?.  laud,,  vol.  I,  p.  384. 

3.  Fr.  ^^\Qge\  Die  arische  Période.  (jOp,  /aurf,  vol.  I,p.  424). 

4.  Schleicher  (fiompendium  der  vergleichenden  Grammatik 
der  indogermanischen  Sprachen.  Leipzig,  1876,  p.  8  )  a  consi- 
déré la  haute  plaine  du  Touran  comme  le  berceau  de  la  race 
arienne;  Rud.  von  Jhering  {Vorgeschichle  der  Indoeuropàer. 
Leipzig,  1894,  in-8,  p.  21)  les  fait  aussi  vivre  réunis  pendant 


LES  HABITANTS  DE  L'IRAN  51 

étaient-elles  établies  ?  On  ne  le  sait  pas  davantage. 
Tout  ce  qu'on  peut  dire,  c'est  qu'elles  n'étaient  qu'un 
rameau  détaché  de  la  grande  famille  des  nations  indo- 
européennes :  Slaves,  Lettons,  Germains,  Celtes,  Ita- 
liotes  et  Grecs,  avec  lesquels  elles  avaient  erré  durant 
des  siècles  dans  les  steppes  qui  avoisinent  la  Cas- 
pienne \  Séparés  d'eux,  les  Ariens  avaient  occupé  le 
haut  bassin  de  ITaxarte  et  de  l'Oxus,  avec  celui  du 
Polytimète  ;  puis  poussés  par  une  force  inconnue, 
peut-être  une  invasion  des  peuplades  touraniennes, 
ils  avaient,  tout  en  laissant  des  colonies  dans  les 
anciens  pays  qu'ils  possédaient,  franchi  le  Paropa- 
mise  ;  mais  là  ils  se  divisèrent  ;  une  partie,  les 
Ariens  proprement  dits,  s'engageant  dans  la  vallée  du 
Kophen,  alla  occuper  le  bassin  de  l'Indus,  fleuve  dont 
elle  a  pris  le  nom  ;  le  reste  de  la  nation,  les  ancêtres 
des  Iraniens  —  Arjana,  dérivé  de  Arja^  —  se  répan- 
dit sur  tout  le  plateau  de  l'Iran  ;  quelques  tribus  occu- 
pèrent les  bassins  du  Margos  et  de  l'Arios,  d'autres, 
ancêtres  des  Afghans  d'aujourd'hui  ",  descendirent  au 

des  milliers  d*années  au  Nord  de  THindou-Kouch  ;  mais  à  Tori- 
gine  asiatique  des  Indo-européens  on  a,  depuis  un  quart  de 
siècle,  opposé  une  origine  européenne  ;  Isaac  Taylor,  en  par- 
\\(^\ï\\ev  {L'origine  des  Aryens  el  V homme  préhistorique,  trad. 
de  Henri  de  Varigny.  Paris,  1895,  in-12,  p.  296),  a  été  jusqu'à 
supposer  que  la  langue  aryenne  primitive  avait  été  formée 
ce  dans  l'Europe  centrale  »  ;  hypothèse  bien  aventureuse  et  qui 
importe  d'ailleurs  fort  peu  ici. 

1.  A.  Schrader,  Sprachvergleichung  und  Urgeschichte. 
Linguistisch-historische  Beitràge  zur  Erforschung  des  indo- 
germanischen  Altertums,  2»  éd.  léna,  1890,  p.  629. 

2.  EduardMeyer,  Geschichte  des  Alterthums.  Stuttgart,  1884, 
in-8,  vol.  I,  p.  526. 

3.  «  Les  Afghans  sont  Éraniens  et  leur  langue  est,  quant  au 
fond,  purement  éranfenne  ».  Victor  Henry,  Études  afghanes 
Paris,  1882,  in-8,  p.  95. 


hî  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

Sud  dans  ceux  de  TEtymander  et  de  TArachotos  ; 
d'autres,  au  contraire,  se  dirigèrent  vers  l'Ouest  et 
gagnèrent  les  vallées  de  TElbourz.  Là,  elles  se  heur- 
tèrent aux  peuplades  touraniennes  qui  y  étaient 
campées.  Après  les  avoir  subjuguées,  les  tribus,  dont 
la  réunion  a  formé  le  peuple  arien  des  Mèdes  *,  s'éta- 
blirent à  demeure  dans  le  pays  qui  a  porté  leur  nom 
pendant  toute  l'antiquité,  et  qui  fut  le  premier  foyer 
de  la  civilisation  iranienne.  D'autres  tribus,  lesParses, 
après  avoir  pénétré  peut-être  jusqu'aux  bords  du  lac 
d'Ourmiah  ',  les  quittèrent,  et,  longeant  la  chaîne  du 
Zagros  et  le  massif  des  monts  Élamites,  allèrent  se 
axer  dans  le  Farsistan  et  le  Laristan  actuels. 

Un  souvenir  confus  de  ces  longues  migrations  se 
conserva  dans  la  mémoire  des  Iraniens,  et  l'auteur  du 
Zend-Avesta  a  cru  devoir  les  rappeler  en  les  symboli- 
sant '.  Le  premier  fargard  ou  chapitre  du  Vendidad 
contient  Fénumération  des  seize  «  pays  excellents  », 
créés  par  Ahura  Mazda  —  Ormuzd  — ,  occupés  suc- 
cessivement par  les  tribus  iraniennes,  et  des  fléaux 
envoyés  par  Angra  Mainyu  —  Ahriman  —  pour  en 
rendre  le  séjour  intolérable  *.  Mais  l'histoire  ne  sait 
rien  de  ces  établissements,  ni  de  ces  persécutions,  et 

1.  OIBtjMtjSoi  ÊxaXéovTo  naXûtl  Ttpo  jïoJvtcjv  *'Apioi.  tiérodote, 
Uistoriaej  lib.  VII,  cap.  62. 

2.  C*est  Topinion  de  M.  A.  Amiaud,  Cyrus,  roi  de  Perse.  (J/e- 
langes  Renier,  Paris,  1886,  in-8,  p.  255-256).  Mais  rien  ne 
prouve  que  les  Parsua  des  inscriptions  de  Salmanassar  II 
fussent,  comme  il  l'admet,  les  ancêtres  ou  les  frères  des  Perses 
proprement  dits. 

3.  M.  Bréal,  De  la  géographie  de  CAvesta.  {Mémoires  de  my- 
thologie et  de  linguistique  y  p.  187  et  suiv.). 

.  4.  J.  Darmesteter,  Le  Zend-Avèsta,  traduction  nouvelle  avec 
commentaire  historique  et  philologique,  vol.  II,  p.  5,  note  4. 
(^Annales  du  musée  Guimet,  vol.  XXII). 


LES  HABITANTS  DE  L*IRAN  53 

elle  ignore  complètement  ce  que  furent  et  ce  que 
devinrent  les  habitants  de  Tlran,  jusqu'au  moment  où 
ils  entrèrent  en  relation  avec  les  Assyriens. 

Les  montagnes  qui  les  sép£u*aient  de  la  Mésopo- 
tamie avaient  longtemps  protégé  les  Iraniens  contre 
leurs  redoutables  voisins  ;  mais  lorsque  les  rois 
d'Ashshur  eurent  définitivement  établi  leur  domination 
sur  la  Syrie  et  rArraénie,  ils  songèrent  à  subjuguer 
les  pays  situés  à  l'Est  de  leurs  états,  comme  ils 
avaient  asservi  ceux  qui  les  bornaient  à  l'Ouest  et  au 
Nord.  Abritées  dans  leurs  montagnes  inaccessibles,  les 
tribus  pillardes,  qu'ils  rencontrèrent  d'abord,  leur 
opposèrent  une  longue  et  énergique  résistance.  Quand 
ils  les  eurent  vaincues,  l'Iran  se  trouva  ouvert  devant 
eux.  Après  avoir  reçu  le  tribut  de  vingt-sept  rois  des 
Parsua,  peuple  qui  habitait  au  Sud  du  lac  Ourmiah, 
Salmanassar  II,  dans  la  vingt-quatrième  année  de  son 
règne,  pénétra  une  première  fois  dans  le  pays  des 
Amada  — .  les  Mèdes  — ,  et  il  se  vante,  dans  une 
inscription*,  d'en  avoir  pris  et  rançonné  les  villes.  Ses 
successeurs  Shamshiramàn  et  Rammânnirâri  III  enva- 
hirent aussi  cette  province  ',  mais  sans  la  soumettre. 
Les  armées  de  Téglathphalassar  II  y  parurent  à  leur 
tour,  et  les  inscriptions  de  ce  prince  nous  apprennent 
qu'il  en  ravagea  plusieurs  cantons  et  imposa  un 
tribut  «  à  tous  les  chefs  mèdes  jusqu'au  pays  de 
Bikni  '  ».  Sargon  continua  l'œuvre   de  conquête  de 

1.  Inscription  de  Nimrod,  publiée  par  H.  Winckl'er.  KeUin- 
schriftliche  Biblioikek,  herpg.  von  Schrader,  vol.  1(1889),  p.  143).  ■ 

2.  Keilimchr.  Bihliothek,  vol.  I,  p.  175  et  189.  —A.  Delattre, 
Le  peuple  et  l'empire  desMêdes,  p.  74-  et  8'*.  —  Hugo  Winckler, 
Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens.  Leipzig,  1892,  in-8,  p. 
203. 

3.  Keilinschr.  Biblioiheky  vol.  II,  p.  17  et  19.  —  A.  Delattre, 


54  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

ses  prédécesseurs  ;  il  s'empara  des  villes  les  plus 
importantes  de  la  Médie  orientale,  leur  imposa  un 
tribut,  détruisit  celles  qui  voulurent  résister  (715-716) 
et  bâtit  des  forteresses  dans  le  Zagros  pour  surveiller 
le  pays*.  Malgré  quelques  révoltes  passagères,  les 
Mèdes  restèrent  pendant  plus  d'un  siècle  soumis  à  la 
suzeraineté  de  l'Assyrie. 

Il  était  réservé  à  Cyaxare  —  Uhvakhshatara  —  de 
les  affranchir.  Après  avoir  établi  sa  suprématie  sur 
tous  les  chefs  indigènes,  le  fils  de  Phraorte  —  Fra- 
vartish  —  organisa  une  forte  armée  et  marcha  contre 
Ninive.  Une  invasion  dos  Scythes  Tarrêta  au  moment 
où  il  venait  de  battre  le  roi  d'Ahshshur  '  ;  mais  quel- 
ques années  plus  tard,  il  vainquit  et  chassa  les  enva- 
hisseurs. Il  reprit  alors  la  lutte  contre  les  amis 
héréditaires  de  son  pays  ;  uni  à  Nabopolassar  de 
Babylone  ',  il  battit  Ashshurakhiddin  II,  dernier  roi 
d'Assyrie,  s'empara  de  Ninive,  où  ce  prince  s'était 
réfugié,  et  réunit  ses  états  à  la  Médie  (607)*.  Non  con- 
tent de  cette  conquête,  Cyaxare  aspira  à  soumettre 
toute  l'Asie  antérieure  à  son  empire.  Laissant  Nabo- 
polassar régner  en  paix  sur  la  Babylonie  et  la  Syrie, 
il  tourna  ses  armes  contre  les  peuples  qui  habitaient 
à  l'Occident  de  ses  états,  et  s'avança  en  vainqueur 


op,  laud.,  p.  85-99.  —  Max  Duncker,  op.  laud.,  vol.  IV,  p.  216, 
a  dit  à  tort  que  les  armées  de  Téglathphalassar  avaient  pénétré 
jusqu'à  Niséeet  même  dans  le  pays  des  Sagartiens  —  Zikroutî 
—  et  dans  i'Arachosie. 

1.  Keilinschr.  Bibliothek,  vol.  II,  p.  41,  55  et  61.  —  A.  De- 
lattre,  op.  laud.,  p.  99-109. 

2.  Hérodote,  Hùtoriae,  lib.  I,  cap.  103  et  lib.  IV,  cap.  1  et  2. 

3.  Eduard  Meyer,  op.  laud.,  vol.  I.  p.  576. 

4.  Diodore,  Bibliotheca,  lib.  II,  cap.  23-28. 


LES  Habitants  de  l'irân  55 

jusqu'aux  frontières  de  la  Lydie*.  La  résistance 
d'Aljattes  mit  un  terme  aux  conquêtes  de  Cyaxare  ; 
mais  bien  que  la  paix  eût  été  conclue  entre  les  deux 
états  (585)*,  la  conquête  de  la  Lydie  n'était 
qu'ajournée  ;  toutefois  ce  fut  un  monarque  perse,  non 
un  souverain  mède,  qui  la  fit. 

Restée,  grâce  à  son  éloignement,  indépendante  de 
l'Assyrie,  la  Perse  était,  après  la  chute  de  Ninive, 
tombée  sous  la  domination  de  la  Médie  victorieuse. 
Mais  Astyage  —  Ishtuvegu  — ,  le  successeur  de 
Cyaxare,  n'avait  pas  les  talents  nécessaires  pour  con- 
server à  son  pays  le  rang  élevé  où  le  fils  de  Phraorte 
l'avait  porté.  Un  prince  de  la  famille  perse  des  Aché- 
ménides,  Cyrus,  fils  (Je  Cambyse,  vassal  d' Astyage,  se 
révolta  contre  le  faible  monarque  ;  il  le  battit,  enleva 
à  la  Médie  la  suzeraineté  qu'elle  exerçait  depuis  un 
demi-siècle,  et  la  rendit  tributaire  de  la  Perse  (550). 
Après  la  défaite  des  Mèdes,  Cyrus  tourna  ses  armes 
contre  la  Lydie,  vainquit  Crésus,  roi  de  ce  pays,  et 
réunit  ses  états,  avec  toute  l'Asie  mineure,  à  son 
empire  '.  Sa  domination  s'étendait  à  l'Occident  jusqu'à 
la  mer  Egée,  il  résolut  d'en  reculer  les  bornes  à 
l'Orient  et  au  Nord-Est  jusqu'aux  confins  du  plateau 
iranien  et  de  la  plaine  du  Touran  :  la  Margiane,  la 
Sogdiane,  la  Bactriane,  le  pays  des  Khorasmiens 
—  rUvârazmiya  — ,  furent  soumis  ;  les  Sakes,  qui 
habitaient    dans   les  steppes   de  la  Transcaspienne, 


t.  Hérodote,  ffistoriae,  lib.  I,  cap.  71. 

2.  Max  Duncker,  op.  laud.,  vol.  IV,  p.  226  (585).  —  Mas- 
pero,  Histoire  ancienne  des  peuples  de  VOrient  classique,  vol. 
IH,  p.  529. 

3.  Max  Duncker,  op.  laud.,  vol.  IV,  p.  325-344.  —  Maspero, 
Histoire  anciennCf  vol.  III,  p.  613-624. 


56  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

battus  et  rendus  tributaires  ^  De  là  descendant  vers  le 
Sud,  Cyrus  parcourut  TArie —  Haraiva — ,  TArachosie 
—  Harahvaiti  — ,  le  pays  des  Zarangiens  —  la 
Drangiane  —  et  la  vallée  du  Kophen  ;  une  légende 
voulait  qu'il  eût  pénétré  jusque  dans  la  Gédrosie  *. 
Son  pouvoir  maintenant  s'exerçait  sur  presque  tout  le 
plateau  iranien  ;  il  allait  bientôt  s'étendre  jusqu'aux 
rivages  de  la  Syrie  et  de  la  Phénipie. 

En  538,  Cyrus  attaqua  Nabonide,  roi  de  Babylone, 
et  s'empara  successivement  de  toutes  les  villes  de  son 
royaume'.  La  Chaldée,  ainsi  que  tous  les  états  qui  en 
étaient  tributaires:  Syrie,  Phénicie,  Arabie,  recon- 
nurent la  domination  du  conquérant.  Le  chef  d'une 
peuplade  jusque-là  ignorée  de  l'Iran  occidental  était 
devenu  le  maître  de  l'Asie  antérieure  tout  entière. 
La  puissance  perse  devait  encore  s'accroître  sous  les 
successeurs  de  Cyrus  ;  Cambyse  y  ajouta  l'Egypte  ; 
Darius,  l'Hapta-hiridu  —  le  Pendjab  actuel  — .  Ja- 
mais empire  aussi  grand  n'avait  encore  existé,  et  l'or- 
ganisation que  lui  donna  le  génie  politique  du  fils 
d'Hystaspe  lui  permit  de  durer  pendant  deux  siècles*. 
Les  armes  d'Alexandre  seules  parvinrent  à  le  renver- 
ser. Mais  la  prospérité  dont  il  avait  joui  durant  de  si 
longues  années,  le  luxe  de  ses  princes,  l'impulsion 
qu'ils  donnèrent  aux  entreprises  commerciales,  eurent 
sur  Tagriculture  et  l'horticulture  une  influence  consi- 


1.  Ctesias,  Persica,  éd.  Mùller,  par.  2  et  3. 

2.  Spiegel,  Erânische  Allerlhumskundej  vol.  Il,  p.  286-287. 
—  Maspero,  op,  laud.,  vol.  III,  p.  626. 

.  3.  Maspero,  op.Zaurf.,  vol.  III,  p.  635-638.  —  Eduard  Meyer, 
op,  laud,,  vol.  I,  p.  605. 

4.  James  Darmesteter,  Coup  d*  œil  sur  Vhihtoire  delà  Perse, 
Paris,  1885,  in-18,  p.  17. 


LES  HABITANTS  DE  L'IRAN  «  57 

dérable.  Elle  continua  de  se  faire  sentir  sous  les  Ar- 
sacides  de  la  Parthiène  et  les  Sassanides,  qui  se  suc- 
cédèrent tour  à  tour  dans  la  domination  de  la  Haute 
Asie.  Des  cultures  nouvelles  furent  découvertes,  des 
espèces  indigènes  anoblies,  des  essences  exotiques, 
inconnues  jusque-là,  acclimatées,  et  de  Tlran  et  de  l'A- 
sie antérieure,  répandues  dans  le  monde  hellénique  et 
dans  l'empire  romain. 


CHAPITRE  II 


l'agriculture  bt  l'horticulture  des  iraniens 

LES  PLANTES  DANS  l' ALIMENTATION  ET  DANS  l'iNDUSTRIE 


Aussi  loin  que  nous  pouvons  remonter  dans  le  passé, 
les  Iraniens  nous  apparaissent  à  la  fois  comme  un  peu- 
ple de  pasteurs  et  d'agriculteurs  \  La  nature  du  pays 
qui  a  reçu  leur  nom,  comme  celle  de  la  plaine  du 
Touran,  les  invitait  à  la  vie  pastorale*.  Au  printemps 
ils  trouvaient  dans  leurs  immenses  steppes,  Tété  sur 
les  pentes  des  collines  impropres  à  la  culture,  puis  sur 
les  hauteurs  herbeuses  de  la  région  montagneuse,  des 
pâturages  abondants  et  variés  pour  leurs  troupeaux*; 
aussi  l'élevage  du  bétail  et  des  botes  de  somme  resta- 
t-il  toujours  une  de  leurs  occupations  favorites  ;  parmi 
les  sept  tribus  d'importance  secondaire  dont  parle 

1.  Fr.  Spiegel,  Die  arische  Période.  Leipzig,  1887,  in-8,  p. 
66-71. 

2.  «  Herbosa  equisque  abundans  »,  dit  déjà  Arrîen  de  la 
Carmanie  {Historia  indica,  cap.  xxxii,  4);  mais  il  vante  surtout 
les  pâturages  de  la  région  moyenne  de  la  Perside  :  «  Regio- 
nemque  ipsam  herbosam,  multa  irrigua  prata  habere  ».  76irf., 
cap.  XL,  3.  Les  pâturages  de  la  Médie  aussi  étaient  célè- 
bres, en  particulier  pour  la  nourriture  des  chevaux.  Stra- 
bon,  lib.  XI,  cap.  13,7.  M.  de  Morgan  vante  également  (pp. 
laud.y  vol.  V,  p.  268  et  II,  p.  136),  les  pâturages  alpestres  du 
Louristan  et  ceux  des  montagnes  du  Talych  persan. 


L'AGRICULTURE  ET  L*HORTrCULTURE  DES  IRANIENS       59 

Hérodote  ^  il  y  en  avait,  d'après  Thistorien  grec,  trois 
qui  se  livraient  à  l'agriculture  et  quatre  à  la  vie  pas- 
torale, et  aujourd'hui  encore  un  tiers  de  la  population 
de  l'Iran  est  nomade  '. 

Mais  s'ils  n'ont  jamais  renoncé  à  la  vie  pastorale, 
les  Iraniens  se  sont  toujours  aussi  livrés  aux  travaux 
de  l'agriculture  ;  ils  l'avaient  pratiquée  dès  les  temps 
les  plus  reculés,  alors  qu'ils  vivaient  en  commun  sur 
les  hauts  plateaux  du  Turkestan  actuel  avec  leurs 
frères  Ariens,  futurs  colonisateurs  de  la  presqu'île 
hindoustanique  ;  la  présence  dans  le  zend  et  dans  le 
sanscrit  des  mêmes  termes  pour  désigner  le  labourage 
en  est  la  preuve  '.  Ils  continuèrent  à  plus  forte  raison 
de  se  livrer  à  la  culture  du  sol,  après  leur  établisse- 
ment dans  les  fertiles  vallées  de  l'Iran,  sans  négliger 
toutefois  l'élevage  du  grand  et  du  petit  bétail,  que  l'a- 
bondance dos  pâturages  de  la  région  alpestre  et  celle 
même  des  steppes  leur  rendait  si  facile.  L'Avesta  fait 
mention  à  la  fois  de  la  possession  des  troupeaux  et  des 
champs,  n  La  terre  est  heureuse,  dit  Àhura  Maida 
dans  le  Yendidad  ^,  là  où  l'homme  sème  le  plus  de 
blé  et  d'herbe...  là  où  se  multiplient  le  plus  le  petit 
et  le  gros  bétail  » .  Cependant  il  semble  que  l'écrivain 
sacré  mette  la  culture  des  champs  au-dessus  du  soin 
des  troupeaux.  «  L'homme  qui  réjouit  la  terre  delà  joie 
la  plus  grande,  dit-il  ^  est  celui  qui  sème  le  plus  de 

1.  Hisloriae,  lib.  I,  p.  125. 

2.  Polak,  Persien.  Dos  Land  uni  seine  Bewohner.  Leipzig, 
1865,  in-8,  vol.  II,  p.  90. 

3.  Fr.  Spiegel,  Die  arische  Période,  p.  69.  —  W.   Geiger, 
Die  Ostiranische  Kullur,  p.  393. 

4.  Fargard  III,  4-5.  Trad.  James  Darmesteter.  {Annales  du 
musée  Guimet^  vol.  XXII,  p.  34-35). 

5.  Yendidad,  Fargard  III,  23-27. 


aO  LES  PLÂPiTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

blé  et  d*herbe...  car  la  terre  n*est  point  joyeuse  qui 
git  longtemps  en  jachère,  ,au  lieu  d'être  ensemencée  : 
elle  désire  un  bon  labour  ».  Aussi  récompenser t-elle 
celui  qui  la  travaille  de  ses  bras,  en  portant  pour  lui 
du  blé  en  abondance,  en  produisant  pour  lui  tous  les 
aliments,  tandis  qu'elle  voue  à  la  misère  et  condamne  à 
mendier  honteusement  son  pain  celui  qui  ne  la  cultive 
pas.  Mais  en  cultivant  la  terre,  l'homme  ne  travaille  pas 
seulement  pour  lui,  il  fait  avancer,  il  nourrit  la  reli- 
gion :  «  Qui  sème  le  blé,  sème  le  bien,  dit  le  Vëndidad*, 
il  fait  marcher,  il  allaite  la  religion  de  Mazda.  » 

Avec  de  tels  préceptes  et  de  telles  croyances  l'agri- 
culture ne  pouvait  manquer  d'être  en  honneur  chez  les 
Iraniens  ;  Xénophon  nous  apprend  *  que  les  rois  eux- 
mêmes  la  tenaient  en  grande  estime  et  qu'ils  ne  l'en- 
touraient pas  de  moindres  soins  que  l'art  militaire.'  Ils 
inspectaient  eux-mêmes  leurs  domaines,  dit  l'historien 
grec,  et  comblaient  de  présents  et  d'honneurs  les  gou- 
verneurs qui  les  avaient  bien  entretenus  et  cultivés. 
Dans  une  lettre  adressée  par  Darius,  fils  d'Hystape, 
au  satrape  de  l' Asie-Mineure,  Gadatas,  on  voit  le  grand 
roi  féliciter  ce  gouverneur  «  d'appliquer  ses  soins  à 
cultiver  sa  terre  ».' 

Et  Plutarque  rapporte  qu'Artaxerxès  II,  à  la  vue 
d'une  grosse  et  belle  grenade  qu'un  certain  Onésimos 
lui  avait  offerte,  s'écria  que  cette  homme  serait  capa- 
ble, d'une  petite  ville  qu'il  aurait  à  gouverner,  d'en 
faire  en  peu  de  temps  une  grande  cité  *,  tant  l'habileté 

1.  FargardlII,  30-31. 

2.  Oeconomicus,  cap.  iv,  4-8. 

3.  Ttjv  e(xr)v  exTrovEî;  ytjv.  Bulletin  de  correspondance  helléni- 
que, vol.  XIII  (1890),  p.  529. 

4.  Artoxerxes,  cap.  v. 


L'AGRICULTURE  ET  L'HORTICULTURE  DES  ÎRAiNIENS       61 

que  ce  paysan  avait  montrée  en  obtenant  un  si  beau 
fruit,  inspirait  d'admiration  au  monarque  perse. 

Mais  pour  que  Tagriculture  prospérât,  il  fallait,  le 
législateur  des  Iraniens  le  comprit,  fournir  en  abon- 
dance à  la  terre  Teau  qui,  sous  le  ciel  aride  de  leur 
pays,  lui  fait  trop  souvent  défaut.  L'irrigation  et  Tas- 
séchement  des  marécages  pouvaient  seuls  rendre 
fructueuse  la  culture  du  sol  et  en  accroître  l'exten- 
sion ;  aussi  sont*ils  recommandés  dans  le  Vendidad  en 
même  temps  que  le  labourage  et  l'ensemencement, 
tt  L'homme  qui  amène  l'eau  dans  une  terre  qui^n  est 
privée,  enseigne  Ahura  Mazda  à  Zoroastre  *,  et  re- 
tire l'eau  d'où  il  y  en  a  trop,  fait  œuvre  bonne  et  ré- 
jouit la  terre  à  l'égal  de  celui  qui  sème  le  blé  et 
l'herbe.  »  Ce  précepte  fuLentendu  et  mis  en  pratique 
dès  la  plus  haute  antiquité  ;  les  rivières  des  vallées 
furent  divisées  en.  plusieurs  bras  et  leurs  eaux  répan- 
dues dans  les  plaines  environnantes,  à  l'aide  d'un 
système  ingénieux  de  canaux  et  de  rigoles.  Ailleurs 
encore,  comme  à  l'entrée  du  défilé  du  Kah-roud,  des 
barrages  furent  construits  pour  retenir,  dans  de  spa- 
cieux réservoirs,  l'eau  provenant  de  la  fonte  des  nei- 
ges. C'est  ainsi  que  la  vallée  du  Zarafchan  a  été 
transformée  en  un  véritable  paradis*,  que  les  eaux 
du  Mourghab  ont  rendu  si  fertiles  les  environs  de 
Merv,  que  les  canaux  dérivés  du  Zayendeh-roud  ont 


1.  Vendidad.  Fargard  III,  4  et  23. 

2.  Aboulféda  n'a  pas  assez  d'admiration  pour  «  renchevètre- 
ment  ininterrompu  de  verdure  et  de  jardins  et  les  champs 
cultivés  »  du  Sogh  de  Samarcande,  «  le  plus  agréable  de  tous  les 
pays  que  Dieu  adonnés  à  l'homme  ».  Géographie,  trad.  Guyard, 
vol.  II,  p.  23.  «  C'est  un  long  jardin  »,  dit  H.  Moser,  A  travers 
rAsie  centrale,  p.  125. 


62  LES  PUNTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

donné  une  fécondité  sans  égale  à  la  plaine  d'Ispahan  S 
et  que  d'anciennes  digues  élevées  auprès  de  Persépo- 
lis  avaient  gagné  à  la  culture  de  vastes  territoires 
aujourd'hui  desséchés  et  stériles. 

Quand  les  rivières  ou  les  montagnes  couvertes  de 
neige  étaient  trop  éloignées  pour  qu*on  en  pût  dériver 
Feau  nécessaire,  on  creusait  dans  la  plaine  des  puits 
de  profondeur  variable,  réunis  entre  eux  par  des  gale- 
ries souterraines  —  des  kanât  •  — ,  ayant  une  pente 
convenable  pour  l'écoulement  de  l'eau  et  prolongées 
jusqu'au  point  où  l'on  désirait  l'amener  '.  On  7  puisait 
sans  doute  l'eau  nécessaire  à  la  culture,  comme  on  le 
fait  aujourd'hui,  à  Taide  d'un  seau  fixé  à  une  longue 
corde,  passée  sur  une  espèce  de  treuil  et  qu'un  bœuf 
tire  par  l'extrémité  opposée*.  Des  ouvrages  de  ce  genre 
firent  l'admiration  d'Antiochus  le  Grand,  lorsque,  tra- 
versant le  désert  de  la  Parthyène,  il  y  trouva  de 
Teau  ainsi  emmagasinée  par  les  habitants  de  ce  pays 
aride.'' 

Dans  quelques  parties  de  la  Médie  et  du  Kourdis- 
tan,  les  pluies  du  printemps  suffisent  pour  faire  pro* 
duire  à  la  terre  quelques  récoltes  hâtives  ;  mais,  même 
dans  ces  provinces  favorisées,  elles  ne  sont  pas  assez 


1.  Polak,  op.  îaud.y  vol.  Il,  p.  119-120. 

2.  Ces  galeries  portent  dans  le  Béloutchistan  le  nom  de 
kariz.  Fischer,  Die  Existenzhedingungen  dei*  Datlelpalme, 
(Petermann's  Geographische  Mitlheilungen,  Ergànzungsheft 
XV  (1880-1881). 

3.  R.  Ker  Porter,  Travels  in  Georgia,  Persia,  Armenia  du- 
ring  ihe  years  1817,  1818,  1819  anrf  1820.  London,  1821,  in-4, 
vol.  I,  p.  296.  —  G.  Rawlinson,  The  five  great  monarchies, 
vol.  III,  p.  54. 

4.  Polak,  op.  laud.y  vol.  II,  p.  120. 

5.  Polybe,  Reliquiae,  lib.  X,  cap.  28,  2. 


L'AGRICULTURE  ET  L'HORTICULTURE  DES  IRANIENS        63 

abondantes  pour  permettre  de  cultiver  le  sol  pendant 
toute  Tannée.  Il  en  est  ainsi  à  plus  forte  raison  dans 
les  autres  contrées,  où  les  précipitations  aqueuses  sont 
plus  rares  et  de  moins  longue  durée.  L'irrigation  y 
est  par  suite  la  première  condition  de  toute  culture, 
aussi  de  tout  temps  a-t-elle  été  encouragée  par  les 
rois  perses.  Suivant  une  tradition  recueillie  par  Po- 
lybe  *,ils  accordaient  pendant  cinq  générations  la  jouis- 
sance des  fruits  et  de  tous  les  produits  à  ceux  qui 
avaient  amené  de  l'eau  dans  une  terre.  Tant  Tarrosage 
était  regardé  dans  Tlran  comme  la  condition  première 
de  l'agriculture! 

Quand  le  sol  avait  été  suffisamment  irrigué,  on  le 
labourait.  Les  Iraniens  devaient  employer  pour  ce  tra- 
vail une  charrue  aussi  grossière  que  celle  dont  se  ser- 
vent encore  aujourd'hui  les  Persans  et  les  Turcomans, 
et  qui  consiste  en  un  simple  morceau  de  fer  recourbé, 
fixé  à  l'uiie  des  extrémités  d'une  barre  de  bois,  dont 
l'autre  extrémité  est  attachée  au  joug  d'une  paire  de 
bœufs  ".  Après  avoir  ainsi  écorché  plutôt  que  retourné 
le  sol,  on  répandait  la  semence  sur  la  glèbe  que  l'on 
aplanissait  ensuite,  soit  en  la  faisant  fouler  aux  pieds 
des  bestiaux,  soit  en  faisant  passer  dessus  une  es- 
pèce de  herse.  De  nos  jours,  il  en  était  probablement 
de  même  dans  l'antiquité,  on  divise  les  champs  en  car- 
rés, séparés  par  des  rigoles  destinées  à  recevoir  l'eau. 

Les  semailles  avaient  lieu  sans  doute  au  commen- 
cement de  l'automne  ;  quant  à  la  moisson,  elle  se  fai- 
sait à  des  époques  variables  suivant  les  contrées  ;  au- 


1.  Beliquiae,  lib.  X,  cap.  28,  3. 

2.  Polak,  Per8ien,yol.  II,  p.  131.  —  Pelzholdt,  Tûrkeslan, 
p.  52. 


6i  LES  PUNTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

jourd'hui  elle  a  lieu  dans  TArabistan  dès  le  mois  dé 
mars  ;  à  Kachan  elle  ne  commence  qu'en  juin  ;  aux 
environs  d'Ispahan  elle  né  se  fait  qu'en  juillet  ^  ;  à  une 
altitude  plus  considérable  elle  est  encore  plus  tardive  ; 
mais  vers  le  commencement  de  septembre  toutes  les 
récoltes  étaient  rentrées,  et  à  cette  date  on  célébrait  la 
fête  de  la  moisson.  Il  est  vraisemblable  qu'on  faisait 
aussitôt  fouler  les  gerbes  aux  pieds  des  bœufs  pour  en 
retirer  le  grain,  tandis  qu'aujourd'hui,  après  les  avoir 
étendues  sur  Taire,  on  fait  passer  dessus  une  espèce 
de  rouleau. 


Le  nombre  des  céréales  cultivées  par  les  anciens 
Iraniens  paraît  avoir  été  assez  restreint  ;  l'Avesta  les 
désigne  toutes  indistinctement  sous  le  nom  de  yava — 
lith,  yavas  —  mot  qu'on  a  parfois  traduit  par  orge, 
mais  qui  désigne  tout  aussi  bien  le  froment.  L'inscrip- 
tion du  palais  de  Cyrus,  lue  par  Alexandre,  nous 
apprend  que  les  Perses  possédaient  d'ailleurs  ces  deux 
espèces  de  grains,  ainsi  que  Tépeautre*,  dès  les  pre- 
miers temps  de  la  dynastie  des  Achéménides.  Il  est 
même  probable  qu'ils  connaissaient  l'orge  et  le  fro- 
ment, sinon  l'épeautre,  dès  l'époque  où  ils  pénétrè- 
rent sur  le  plateau  de  l'Iran  ^  Ils  devaient  alors  aussi 
connaître  une  autre  céréale,  qui  peut-être  même  oc- 
cupa d'abord  dans  leurs  cultures  une  place  plus  con- 


1.  Polak,  0/).  laud,,  vol.  Il,  p.  132. 

2.  Polyen,  Strategicay   lib.  IV,  cap.  3,  32.  On  cultive  en 
Perse  à  la  fois  Torge  commune  et  l'orge  à  six  rangs. 

3.  Fr.  Kôrnike,  Die  Artén  und  Varietàten  des  Getreides, 
Bonn,  1885,  in-8,  p.  250. 


L'AGRICULTURE  ET  L'HORTICULTURE  DES  IRANIENS       65 

sidérable  que  les  premières^  :  le  millet  commun.  Du 
-temps  d'Hérodote,  il  était  encore  la  céréale  la  plus 
cultivée  chez  les  Hyrcaniens,  les  Parthes,  les  Saran- 
giens  et  les  Thamanéens  ;  ils  le  semaient  en  été,  nous 
apprend  Thistorien  V  Cette  céréale  a  continué  d'être 
chltivée  dans  Tlran  jusqu'à  nos  jours  ;  on  y  sème  aussi 
le  millet  d'Italie  et  même,  dans  le  Béloutchistan  et 
la  vallée  de  l'Hilmend,  le  millet  à  épis^;  mais  je  ne 
saurais  dire  à  quelle  époque  remonte  la  culture  de  ces 
derniers.  Vers  le  iv°  ou  le  m®  siècle  avant  notre  ère, 
se  joignit  aux  céréales  déjà  cultivées,  au  moins  dans 
les  terres  humides,  le  riz,  originaire  de  l'Inde; 
Strabon  rapporte,  d'après  Aristobule*,  qu'on  le  cul- 
tivait dans  la  Bactriane  et  même  dans  la  Babylonie  et 
la  Susiane  ;  on  ne  tarda  guère  sans  doute  à  le  semer 
au  Sud  de  la  Caspienne,  où  il  est  surtout  répandu  de 
nos  jours.  Quant  au  Sorgho,  il  n'a  dû  être  introduit 
dans  l'Iran  que  lo^temps  ^rès  notre  ère*.  Le  seigle  y 
a  pénétré  aussi  assez  tard;  inconnu  des  Iraniens, 
comme  des  autres  peuples  de  l'ancien  Orient,  il  n'est 
d^  nos  jours  encore  qu'exceptionnellement^cultivé  dans 
le  Turkestan*  et  ne  réussit  que  dans  quelques  contrées 
montagneuses  de  la  Perse'. 

1.  Ed.  Hahn,  Die  haustiere.  Leipzig,  1896,  in-8,  p.  138  et 
410. 

2.  Historiae,  lib.  III,  cap.  117. 

3.  Panicum  miliaceum,  Italicum,  spicatum.  Aitchison, 
Notes,  p.  147,  150  et  187. 

4.  Geographica,  lib.  XV,  cap.  1,  18. 

5.  Polak  ne  compte  pas  le  sorgho  au  nombre  des  céréales  de 
l'Iran. 

6.  Par  les  Russes  seuls,  dit  Petzholdt,  Turkestan,  p.  16. 

7.  Polak,  Persien,  vol.  Il,  p.  137.  —  Aitchison,  Notes,  p.  186, 
dit  qu*il  croit  comme  une  mauvaise  herbe  dans  les  champs  de 
blé  du  Khoràsan. 

JoRET.  —  Les  Plantes  dans  f antiquité.  II.  —  5 


66  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

L'Iran  possède  aujourd'hui  la  plupart  de  nos  légu- 
mes, mais  on  ne  saurait  dire  avec  certitude  combien- 
d'entre  eux  furent  connus  des  anciens  habitants  du 
pays,  ni  à  partir  de  quelle  époque  ils  les  cultivèrent. 
On  peut  croire  que  les  lentilles  —  ddas  —  répandues 
dans  toute  l'Asie  antérieure,  ainsi  que  les  fèves,  pfî- 
rent,  dès  les  temps  les  plus  reculés,  place  dans  les 
potagers  iraniens  ;  il  en  fut  sans  doute  de  môme  des 
petits  pois,  des  pois  chiches,  comme  de  l'ervillier  — 
mâsh  — ,  un  des  légumes  favoris  des  Perses  actuels  V 
Il  est  vraisemblable  qu'on  cultiva  aussi  dans  Tancien 
Iran  la  plupart  des  légumes  verts  :  laitues,  chicorées, 
épinards,  auroches,  indigènes  d'ailleurs  dans  cette 
contrée.  Il  en  fut  de  môme  probablement  des  carottes* 
et  des  betteraves,  qui  croissent  spontanément  dans 
l'Asie  antérieure.  On  peut  encore  ajouter  les  radis,  les 
raves  et  peut-être  les  navets,  sinon  les  choux.  Il  est 
question  du  cresson  et  du  persil,  ainsi  que  des  raves  et 
des  radis,  des  oignons  et  des  aulx  dans  l'inscription 
de  Cyrus  à  Pe^sépolis^  ce  qui  prouve  l'ancienneté 
de  la  culture  de  ces  plantes  en  Perse. 

Le  cresson  ou  la  roquette  et  le  persil,  comme  l'ail  et 
même  l'oignon,  sont  moins  des  légumes  véritables  que 
des  condiments^  ces  derniers:  aneth,  cumin,  nigelle, 

1.  Polak,  Persieri,  vol.  H,  p.  138.  C'est  VErvum  ervilia.  On 
cultive  aussi  aujourd'hui,  dans  les  champs  des  régions  éle- 
vées, le  Lalhyrus  sativus  —  la  jirousse  —  et,  dans  le  Bélout- 
chistan  et  la  région  de  l'Hilmend,  le  Phaseolus  radiatus  ;  mais 
j'ignore  depuis  quelle  époque.  Aitchison,  Notes,  p.  124  et  151. 
Le  botaniste  anglais  donne  au  dernier  le  nom  de  mâsh. 

2.  La  carotte  indigène  dans  la  Perse  occidentale  est  le 
Daucus  maximus  Desf.  G.  Schweinfurth,  Zeitschrift  fur  Eth- 
nologie, an.  1891,  p.  632.  —  Aitchison,  Notes,  p.  55,  dit  que  la 
carotte  est  indigène  dans  la  vallée  du  Kouram  et  leCachemir. 

3.  Polyen,  Strategica,  lib.  IV,  cap.  3,  32. 


L'AGRICULTURE  ET  ï/HORTfCULTURE  DES  IRANIENS        67 

silphiumou  asa-fœtida,  moutarde,  câpres,  étaient,  Tin- 
scription  de  Cyrus  nous  l'apprend,  connus,  sinon  tous 
cultivés,  par  les  anciens  Perses.  Ils  connurent  aussi 
peut-être  la  coriandre,  dont  leBundehesh  fait  mention*. 
On  ne  peutguère  douter  que  les  Iraniens  n'aient  connu 
encore  et  cultivé  de  bonne  heure  les  melons,  les  con- 
combres, les  gourdes  et  les  pastèques,  dont  les  graines 
sont  si  faciles  à  transporter,  et  qui  donnent,  en  par- 
ticulier les  melons,  des  produits  délicieux  dans  leur 
pays  ;  ce  n'est  pas  une  raison  toutefois  pour  que  la 
culture  en  remonte  à  une  très  haute  antiquité,  encore 
moins  pour  que  ces  fruits-légumes  soient  originaires  de 
riran  ou  du  Turkestan,  comme  M.  Vambéry  n*a  pas 
hésité  à  le  dire  pour  celte  dernière  contrée  '. 

Les  Iraniens  ne  s'adonnèrent  pas  seulement  à  la  cul- 
ture des  céréales  et  des  légumes,  ils  cultivèrent  aussi 
plusieurs  plantes  fourragères.  Si  les  herbes  des  step- 
pes, dès  les  premiers  jours  du  printemps  ;  pendant  les 
premiers  mois  de  Tété,  les  graminées  des  clairières  ', 
avec  le  feuillage  des  arbres  de  la  région  forestière;  enfin 
plus  tard  les  prairies  du  Saerhadd  offraient  une  nour- 
riture abondante  et  variée  à  leurs  troupeaux  de  bœufs 
et  de  moutons  ou  de  chèvres,  ainsi  qu'à  leurs  nom- 
breux chevaux  et  à  leurs  chameaux  ;  ni  les  unes  ni  les 
autres  ne  pouvaient  leur  être  d'aucun  secours  en  hiver, 

• 

1.  The  Bundahishy  chapt.  xxvii,  \h.(^Pahlam  Tex^*  transla- 
tée by  E.-W.  West,  Part.  I.  Sacred  Booksofthe  East,  vol.  V). 
Le  Bundehesh  en  fait  mention,  en  mdme  temps  que  de  l'ail  et 
du  cresson. 

2.  Die  primitive  CuUur  des  Ttirko-Talarischen  Volkes. 
Leipzig,  1879,  in-8,  p.  219. 

3.  (c  Equis  aliisque  jumentis  pascendis  idoncam  esse  »,  dit 
Arrien  de  la  région  moyenne  de  la  Perside,  Histona  indica, 
cap.  XL,  4. 


68  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

et  les  premières  mêmes  cessaient  de  leuf  servir  en  été; 
irs  durent  aussi  chercher  de  bonne  heure  dans  la  cul- 
ture des  plantes  fourragères  de  quoi  suppléer  à  Tin- 
suffisance  des  prairies  naturelles  et  à  la  pénurie  des 
fourrages  en  hiver.  Quelles  espèces  choisirent-ils  à 
cette  intention,  parmi  celles  qui  croissaient  naturelle- 
ment dans  leur  pays?  Aujourd'hui  les  Perses  cultivent 
dans  ce  but,  outre  Torge,  Tesparcette  ou  sainfoin,  le 
trèfle  renversé  et  le  fenugrec,  une  espèce  de  vesce,  que 
mangent  avidement  les  brebis,  ainsi  que  fe. luzerne*. 
Quoique  ces  diverses  légumineuses  soient  également 
indigènes  dans  Tlran,  la  luzerne  —  Medicago  sativa — 
est  la  seule  peut-être  qu'on  y  ait  cultivée  avant  no- 
tre ère  ;  c'est  la  seule  du  moins  dont  les  écrivains  an- 
ciens fassent  mention  ;  connue  déjà  de  Théophraste*, 
Strabon  remarque  qu'on  lui  avait  donné  le  nom 
d'<(  herbe  de  Médie  »  à  cause  de  son  abondance  dans 
cette  province^  et  Pline  dit  que,  étrangère  à  la  Grèce, 
la  luzerne  y  fut  apportée  par  les  Mèdes,  pendant  les 
guerres  de  Darius*.  Avant  de  pénétrer  en  Europe, 
elle  avait  été  acclimatée  en  Mésopotamie;  sous  la 
forme  assyrienne  aspasti,  qui  rappelle  le  zend  aspest, 
perse  uspust,  pehlvi  aspast^,  cette  plante  figure  dans 
la  liste  dressée  par  le  jardinier  du  monarque  babylo- 


1.  Polak,  Persien,  vol.  II,  p.  135,  mentionne  l'orge,  l'espar- 
cette,  le  trèfle,  la  vesce  et  la  luzerne;  Aitchison,  p.  77,  ne  parle  pas 
de  l'esparcette,  ni  de  la  vesce,  mais  il  fait  mention  du  fenugrec. 

2.  Ilistoria  plantavum,  lib.  VIII,  cap.  7,  7. 

3.  Ttjv  pOTàv7)v,..  a::ô  tou  TiXeoyâÇsiv  evrauOa  i8îwç  MtjBixtjv  xaXoCf- 
(jLEv.  Geographica,  lib.  XI,  cap.  13,  7. 

4.  «  Medica  externa  etiam  Graeciae  est,  ut  a  Médis  advecta 
per  bella  Persarum  quae  Darius  intulit  ».  IHstoria  naiuralis, 
lib.  XVIII,  cap.  144. 

5.  La  luzerne  s'appelle  aujourd'hui  yudjeh  et  sdpist. 


L^AGRICULTURE  ET  L'HORTICULTURE  DES  IRANIENS        69 

nien  Mardukbalidin  —  Mérodach-Baladan  — ,  contem- 
porain d'Ezéchias,  roi  de  Juda\  Ce  document  montre 
que  la  luzerne  était  déjà  connue  au  viii®  siècle  avant 
Jésus-Christ  dans  la  vallée  de  TEuphrate.  Son  nom 
araméen  aspastà  prouve  qu'elle  a  dû  aussi  être  cultivée 
anciennement  en  Syrie.  Elle  ne  cessa  jamais  de  Têtre 
en  Perse  sur  une  vaste  échelle;  vers  le  milieu  du  vi' 
siècle  de  notre  ère,  Khosrou  frappa  les  champs  de 
luzerne  d'un  impôt  qui  devint  pour  lui  une  source  con- 
sidérable de  revenus',  tant  était  grande  l'importance 
qu'avait  prise  de  son  temps  la  culture  de  cette  plante» 
Indigène  dans  la  Perse  septentrionale,  le  lin  a  dû  y 
être  cultivé  aussi  très  anciennement  ;  mais  les  monu- 
ments nationaux  et  les  écrivains  grecs  ne  nous  four- 
nissent à  ceUégard  aucun  renseignement.  Nous  igno- 
rons également  à  quelle  époque  le  chanvre,  de  la 
région  de  TAral  et  de  la  Caspienne,  où  il  croît  spon- 
tanément, a  été  importé  et  cultivé  dans  l'Iran  propre- 
ment dit;  s'il  Test  aujourd'hui  et  probablement  depuis 
longtemps,  ce  n'est  pas  comme  textile  toutefois  ;  et 
le  lin,  planté  presque  uniquement,  de  nos  jours, 
dans  le  Mazandéran  et  le  Turkestan,  n'est  plus  guère, 
lui  aussi,  cultivé  comme  tel.  La  seule  plante  textile  qui 
soit  cultivée  maintenant  est  le  cotonnier,  mais  il  est 
exotique  :  depuis  quand  a-t-il  été  importé  en  Perse  de 
l'Inde,  son  pays  d'origine  ?  Théophraste,  qui  le  range 
parmi  les  plantes  de  cette  dernière  contrée  et  en  a 


1 .  J.  Halévy ,  Mélanges  étymologiques,  {Mémoires  de  la  Société 
de  linguistique,  vol.  XI  (1900),  p.  73).  Cf.  0.  Schrader,  ap.  V. 
Hehn,  Kulturpflanzen,  p.  401. 

2.  NÔldeke,  Geschichte  der  Perser  und  Araber  zur  Zeit  der 
Sassanideuy  aus  der  arabischen  Chronik  des  Tabari  ûhersetzt. 
Leiden,  1879,  in-8,  p.  2'i4. 


70  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

donné  une  description  détaillée  *,  rapporte  qu'on  le 
trouvait  aussi  dans  l'île  de  Tylos,  au  milieu  du  golfe 
persique,  et  après  avoir  dit  quelle  était  la  forme  des 
feuilles  et  du  fruit,  ainsi  que  la  nature  des  fibres  qu'on 
en  retirait,  il  ajoute  qu'il  croissait  également  en 
Arabie*.  De  son  temps,  on  le  voit,  le  cotonnier  avait 
déjà  été  importé  dans  l'Asie  antérieure;  on  peut  donc 
supposer  que,  s'il  n'était  pas  encore  introduit  en 
Perse,  il  ne  tarda  pas  à  y  être  cultivé.  Le  Bundehesh, 
qui  nous  reporte  à  l'époque  des  Sassanides,  en  parle 
comme  du  plus  important  des  textiles  connus  ^ 

Dès  longtemps  on  dut  aussi  cultiver  dans  l'Iran  la 
garance,  le  carthame,  le  safran,  Tarbre  au  henné  et 
même  l'indigotier.  11  est  probable  qu'indigène  dans 
cette  contrée,  la  garance  y  a  été  plantée  à  une  époque 
reculée;  mais  aucun  écrivain  de  l'antiquité  ne  nous 
renseigne  à  cet  égard  ;  le  Bundehesh  lui-même  n'en  fait 
pas  mention,  et  Edrisî  est  le  premier  écrivain  qui  en 
parle;  elle  était,  dit-il*,  cultivée  sur  une  grande  échelle 
entre  Derbend  et  Tiflis.  La  mention  du  safran  et  du 
carthame  dans  l'inscription  de  Cyrus*  montre  que  ces 
deux  plantes  étaient  connues  et  probablement  cultivées 
en  Perse  dès  le  temps  des  premiers  Achéménides  ;  le 
carthame  Tétait  d'ailleurs  dans  l'Egypte  ancienne 
depuis  l'époque   la  plus  reculée®.  Le  Bundehesh  ne 

1.  Ilistoria  planlarum^  lib.  IV,  cap.  4,  8.  Cf.  plus  loin,  livre 
II,  chap.  2. 

2.  ffistoria  pfantarum,  lib.  IV,  cap.  7,  7.  Cf.  Pline,  Ilistoria 
naturalis,  lib.  XII,  cap.  21. 

3.  The  Bundahfsh,  chapt.  xxvn,  16. 

4.  Ernst  Meyer,  Geschichte  der  Botaniky  Kônigsberg,  1856, 
in-8,  vol.  III,  p.  299. 

5.  Polyen,  Strategica,  lib.  IV,  cap.  3,  41  et  42. 

6.  Les  plantes  dans  Vanliquitéy  vol.  I,  p.  49. 


L'AGRICULTURE  ET  L'HORTICULTURE  DES  IRANIENS        7i 

parle  point  de  ce  dernier,  mais  il  met  le  safran  au 
premier  rang  des  plantes  tinctoriales  de  l'Iran*.  La 
culture  en  Perse  de  Tarbre  au  henné  remonte  certai- 
nement à  une  haute  antiquité.  M.  Schweinfurth  a  môme 
supposé  qu'elle  avait  été  importée  de  la  Perse  en 
Egypte*.  Elle  a  maintenant  encore  une  grande  impor- 
tance auK  environs  de  Yezd  et  de  Minab'*.  Quant  à 
Tindigotier,  il  n'est  pas  douteux  qu'il  a  été  apporté 
de  rinde  en  Perse  ;  mais  on  ignore  |i  quelle  époque  a 
eu  lieu  cette  importation*. 

Il  est  diffi<yile  de  dire  quelles  plantes  oléagineuses 
furent  cultivées  dans  l'antiquité  par  les  Perses  ;  le  ricin 
et  le  sésame,  qui  fournissent  aujourd'hui  presque  toute 
l'huile  dont  se  servent  les  habitants,  ne  sont  pas  indi- 
gènes dans  l'Iran  ;  mais  ils  ont  dû  y  pénétrer  de  bonne 
heure.  L'inscription  du  palais  royal  de  Persépolis  fait 
déjà  mention  de  l'huile  de  sésame';  cette  plante  était 
donc  connue  et  probablement  cultivée  en  Perse  dès  le 
temps  des  premiers  Achéménides,  ce  qui  ne  doit  pas 
surprendre,  car  elle  l'était  depuis  l'époque  la  plus 
reculée  en  Mésopotamie®.  Hérodote,  de  son  côté,  nous 
apprend  que  le  sésame  était  cultivé  chez  les  Parthes, 
les  Hyrcaniens  et  les  Sarangiens  ^  ;  il  l'était  aussi  sans 
doute,  comme  de  nos  jours,  dans  la  Médie  et  la  Car- 


1.  The  Bundahish,  chapt.  xxvii,  18. 

2.  Zeitschrift  fur  Ethnologie,  an.  1891,  p.  658. 

3.  Polak,  Persien,  voL  If,  p.  152.  —  Elisée  Reclus,  Géogra- 
phie, vol.  IX,  p.  279. 

4.  Aujourd'hui  la  culture  en  est  pratiquée  aux  environs  de 
Chouster  dans  TArabistan.  —  Polak,  Persien,  vol.  il,  p.  152.* 

5.  Polyen,  Strategica,  lib.  IV,  cap.  3,  23. 

6.  Les  plantes  dans  Vantiquité,  vol.  I,  p.  140. 

7.  Historiae,  lib.  111,  cap.  117. 


72  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

manie  \  Quant  au  ricin,  si  la  culture  en  a  pris  une 
grande  importance  dans  Tlran,  aucun  document  ne 
nous  dit  à  quelle  époque  elle  y  a  pénétré  ;  toutefois  on 
peut  admettre  qu'elle  y  était  connue  bien  avant  notre 
ère.  En  fut-il  de  même  de  la  culture  de  la  roquette  — 
mandâo,  —  plantée  de  nos  jours  dans  quelques  districts 
de  la  Perse  occidentale*.  Cela  n'est  pas  invraisem- 
blable ;  mais  rien  ne  permet  de  l'affirmer.  Pour  l'olivier, 
il  a  dû  être  cultivé  dès  longtemps  dans  la  région  Cas- 
pienne, où  il  est  encore  commun  aujourd'hui  ;  mais  il 
ne  l'a  été  ni  dans  la  Médie,  ni  dans  la  Perside  ou  la 
Carmanie',  encore  moins  dans  la  Bactriane*  et  les  pro- 
vinces  centrales  et  orientales  de  l'Iran . 


* 


Les  Iraniens  ne  cultivaient  pas  les  arbres  à  fruits 
avec  moins  de  soin  que  les  plantes  alimentaires  ou 
industrielles.  Nous  avons  vu  combien  nombreux  et 
variés  étaient  ceux  qui  croissaient  spontanément  dans 
leur  pays  et  dans  les  vallées  de  la  haute  plaine  du 
Touran  ;  s'ils  n'essayèrent  pas  d'en  anoblir  toutes  les 
espèces,  ils  en  cultivèrent  du  moins  quelques-unes  des 
plus  productives.  Ahura  Mazda  n'avait-il  pas  lui-même 
recommandé  à  ses  sectateurs  la  plantation  des  arbres 
à  fruits?  «  L'homme  qui  réjouit  la  terre  de  la  joie  la 
plus  grande,  dit  le  Yendidad  dans  un  passage  que  j'ai 


1.  Polak,  Persien,  vol.  II,  p.  150. 

2.  Polak,  Persieriy  vol.  II,  p.  151.  On  peut  encore  moins  se 
pi^noncersur  l'époque  à  laquelle  remonte  la  •ulture  du  colza. 

3.  Arrien,  fffstoria  indica,  cap.  xxxii,  5  ;  xxxiii,  2  et  XL,  3. 

4.  «  Bactria...  omnium  rerumferax,  exceptooleo  »,  Strabon, 
lib.  XII,  cap.  11,  1. 


L'AGRICULTURE  ET  L'HORTICULTURE  DES  IRANIENS        73 

déjà  cité*,  est  celui  qui  sème  le  plus  de  blé  et  d^herbes 
et  d'arbres  fruitiers.  »  Dans  la  lettre  à  Gadatas,  dont 
il  a  été  aussi  question  plus  haut,  Darius  louait  ce  satrape 
d*avoir  planté  dans  ses  domaines  de  la  basse  Asie  des 
arbres  à  fruits  des  pays  d'au  delà  de  TEuphrate^.  Ce 
qu'avait  tenté  Gadatas  n'était  pas  sans  doute  un  fait 
isolé;  dès  longtemps  on  dut  s'attacher  à  transporter 
d'une  province  dans  une  autre  les  meilleures  espèces 
étrangères,  en  même  temps  qu'on  cultivait  celles  qui 
étaient  indigènes.  Quels  étaient  les  arbres  à  fruits 
plantés  dans  les  vergers  iraniens  ? 

Si  les  écrivains  de  l'antiquité  nous  apprennent  que 
ces  arbres  étaient  nombreux  dans  certaines  provinces'*, 
il  ne  nous  en  ont  fait  connaître  qu'un  très  petit  nombre. 
Arrien,  qui  parle,  à  plusieurs  reprises,  de  ceux  que 
Néarque  et  ses  compagnons  avaient  vus,  dans  leur 
voyage  le  long  des  côtes  de  la  Carmanie  et  de  la  Per- 
side,  ne  mentionne  nominativement  que  le  dattier*  et 
la  vigne,  pour  les  autres  il  se  borne  à  dire  que  c'étaient, 
à  l'exception  de  l'olivier,  les  mêmes  qu'on  cultivait  en' 
Grèce.  Strabon  aussi  n'indique  que  ces  deux  arbres  à 
fruits  dans  l'Iran  méridional  :  le  dattier,  dans  la 
Susiane,  la  Perside,  la  Carmanie,  la'Gédrosie  et  le 
pays  des  Ichthyophages';  la  vigne  dans  la  Carmanie 
et  la  Perside'.  Le  dattier  était-il  autrefois,  comme 

1.  Fargard  III,  23.  CfTp.  59. 

2.  Touç  jcépav    Eù^oaiou    xap7:où;  ènl   xà  xato)  x^ç    'Aaia;   [lEpT] 
xaxa^t»XEU(i>v. 

3.  Strabon,  Geographica^  lib.  XV, cap.  2,  14.  —  Arrien,  Z^i<- 
toria  indica,  cap.  xxxn,  5. 

^    4.  Hisloria  indica^  cap:  xxxvii,  2  ;  xxxviii,  6  ;  xxxjx,  2  Bt 
XL,  3, 

5.  Geographica,  lib.  XV,  cap.  2,  2  et  5,  et  3,  1. 

6.  Geographica,  \\p.  XV,  cap.  2,  14  ;  lib.  XVI,  cap.  1,  5. 


74  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRAMËiNS 

aujourd'hui,  cultivé  plus  au  Nord  V  Depuis  quelle  époque 
Tétait-il  dans  les  provinces  du  Sud?  Les  habitants  en 
avaient-ils  trouvé  eux-mêmes  la  fécondation  artificielle 
ou  Tavaient-ils  apprise  des  Babyloniens'?  Ce  sont  là 
des  questions  auxquelles  il  est  impossible  de  répondre; 
mais  on  peut  dire  que  la  culture  de  cet  arbre  précieux 
remonte  en  Perse  aux  temps  les  plus  reculés.  Celle  de 
la  vigne  n'y  est  sans  doute  pas  moins  ancienne  et  elle 
fut  pratiquée  au  Nord  comme  au  Sud  de  Tempire  des 
Achéraénides,  dans  TAsie,  la  Margiane  et  THyrcanie, 
provinces  septentrionales,  comme  dans  les  provinces 
méridionales  de  la  Carmanie  et  de  la  Perside.  Les  vigno- 
bles de  Carmanie  en  particulier  étaient  célèbres;  ils 
produisaient  entre  autres  une  variété  de  raisins  appelée 
carmanique  du  oom  de  la  province  \  variété  aussi 
remarquable  par  les  dimensions  de  ses  grappes  —  elles 
avaient  souvent  jusqu'à  deux  coudées  de  long  —  que 
par  la  grosseur  et  la  fermeté  des  grains.  Les  vignes  de 
la  Margiane  ne  produisaient  pas  de  moins  belles  grappes 
et  elles  atteignaient  parfois  des  dimensions  énormes  ; 
Strabon  rapporte  qu'on  en  voyait  de  tellement  grosses 
que  deux  hommes  en  auraient  pu  difficilement  embras- 
ser le  tronc.  Le  géographe  vante  aussi  la  fécondité 
exceptionnelle  des  vignes  de  THyrcanie.  Celle  des 
figuiers  de  cette  province  n'était  pas  moindre  d'après 
lui*. 

1.  Dans  le  Khorâsan,  par  exemple,  en  particulier  dans  les 
oasis  de  Khabbis  et  de  Tebbès.  Th.  Fischer,  Ileimaik  nnd  Ges- 
chichie  der  Verbreiiung  der  Daltelpalme.  (Petermann's  geogra- 
phische  MittheUungerij  an.  1881.  Ergànzuiigsheft  64,  p.  79. 

2.  Th.  Fischer,  op.  laud.,  p.  11,  suppose  que  la  fécondation  « 
artificielle  du  dattier  a  été  découverte  en  Arabie. 

3.  Strabon,  Gengraphicn,  lib.  XV,  cap.  2,  14. 

4.  Geographica,  lib.  VI,  cap.  7,  2  et  cap.  10,  1  et  2. 


L^AGRICULTURE  ET  L'HORTICULTURE  DES  IRANIENS        75 

Indigène  dans  l'Iran,  le  figuier  devait  être  cultivé 
dans  bien  d'autres  provinces  que  THyrcanie.  Plus 
répandu  encore  était  le  grenadier  et  ses  fruits  étaient 
plus  estimés  ;  il  en  est  fait  mention  dans  l'inscription 
de  Persépolis*,  qui  ne  parle  pas  de  ceux  du  figuier; 
mais  le  Bundehesh  n'a  pas  oublié  de  mentionner  ces 
derniers.  L'inscription  de  Persépolis  mentionne  aussi 
les  fruits  de  Tamandier,  d'où  l'on  peut  conclure  que 
cet  arbre  ét<ait  vraisemblablement  cultivé  dans  l'an- 
cienne Perse.  Le  noyer  l'y  était  sans  doute  également 
et  peut-être  même  le  châtaignier*,  sinon  le  noisetier. 

Il  faut  ajouter  à  ces  arbres  le  khormandu  —  Dios^ 
pijros  lotus  —  dont  les  fruits  frais  et  séchés  sont  re- 
cherchés en  particulier  par  les  Afghans  d'aujourd'hui. 
Il  est  permis  de  supposer  aussi  que  le  mûrier  noir  fut 
cultivé  par  les  anciens  Iraniens,  comme  il  l'est  de 
nos  jours  à  cause  de  ses  fruits  '  ;  on  doit  l'admettre 
encore  plus  du  cognassier  et,  dans  les  cantons  mon- 
tagneux, où  ils  peuvent  seulement  prospérer*,  des 
poiriers,  des  pommiers,  des  cerisiers  et  des  pruniers, 
tous  indigènes  dans  l'Iran.  On  cultivait  peut-être 
même,  dans  l'Iran  central  et  oriental,  le  chalef  et  le 
jujubier  commun';  mais  les  écrivains  anciens  ne  nous 
en  ont  rien  appris.  Il  en  est  tout  autrement  de  quelques 
autres  arbres  fruitiers  dont  la  nature  encore  inconnue 
les  avait  frappés  :  le  pistachier,  le  cédratier  ou  citron- 
nier, Tabricotier  et  le  pêcher. 


1.  Polyen,  Strategica,  lib.  IV,  cap.  3,  32. 
-  2.  The  Bnndahish,  chapt.  xxvïi,  23. 

3.  Aitchison,  Notes,  p.  134,  indique  surtout  comme  cultivé 
aujourd'hui,  au  moins  dans  le  Khoràsan,  le  mûrier  blanc. 

4.  Polak,  Persien,  vol.  Il,  p.  147  et  149. 

5.  Aitchison,  Noies,  p.  63  et  224. 


76  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

J'ai  parlé  plus  haut  de  Tindigénat  du  pistachier  dans 
le  Turkestan  septentrional  —  Tancienne  Sogdiane  — , 
ainsi  que  dans  le  Khorâsan.  Les  compagnons  d'Alexan- 
dre l'avaient  vu  dans  la  Bactriane.  On  ne  peut  guère 
douter,  en  effet,  que  «  le  térébinthe  ou  l'arbre  semblable 
à  un  térébinthe  »  que,  d'après  Théophraste*,  ils  aper- 
çurent dans  cette  province,  et  «  dont  les  fruits  rappe- 
laient ceux  de  l'amandier,  mais  avaient  un  goût  plus 
agréable  »,  soit  autre  chose  que  le  pistachier  vrai.  Cet 
arbre  pénétra  bientôt  dans  l'Iran  méridional.  Au  i®""  siècle 
avant  notre  ère,  Nicandre,  qui  lui  donnait  le  nom  de 
piorixicv  ou  de  ©tTrixtov,  nous  le  montre  croissant  en 
Susiane,  dans  la  vallée  du  Choaspès  '.  Vers  la  même 
époque,  Posidonius  le  connaissait  aussi  déjà  en  Syrie  ^ 
contrée  que  les  écrivains  grecs  et  romains  postérieurs 
ont  même  regardée  comme  sa  patrie,  tant  les  fruits 
qu'il  y  portait  étaient  excellents  *.  S'il  en  donnait  de 
si  bons  dans  la  région  méditerranéenne,  le  pistachier 


1.  Historia  plantarum,  lib.  IV,  cap.  4,  7.  Les  térébinthes 
des  défilés  du  Paropamise,  dont  parle  Strabon  (XV,  2,  10), 
étaient  probablement  aussi  des  pistachiers. 

2.  Xo«<J7COU 

B'.aTGtxi*  axpefidveaaiv  ajxoYÔaXdevTa  TciçavTat. 

TheriakUj  vers  Syo.  Le  nom  TciaTaxiov  apparaît  d'abord  dans 
Dioscoride. 

3.  <ï>ep£i8è  xai  t6  ::lpactov  V^P*^^*  **'^  ^  Suoîa  (x«l)  t6  xaXou^xs- 
vov  picjTàxiov.  J*ai  cru  autrefois  (Revtie  des  éludes  grecques,  vol. 
XI  (1899),  p.  47)  pouvoir  changer  rcipasiov  en  TUEpaixov  ;  il  est 
préférable  de  conserver  ce  mot  et  de  se  borner,  comme  me  Ta 
fait  remarquer  M.  G.  Schweinfurth,  à  supprimer  xal  après 
Supîa;  le  passage  de  Posidonius  signifie  alors:  l'Arabie  pro- 

*duit  aussi  le  ^epaeiov  (perséa)  et  la  Syrie  le  soi-disant  piaiaxio» 
(pistachier). 

4.  Dioscorides,  De  malen'a  medica,  lib.  I,  cap.  177  —  Pline, 
lib.  Xllf,  cap.  51. —  Galenus,  De  simplicium  medicamenlorum 
temperamentis  et  facullatibus,  lib.  VIII,  cap.  21. 


L'AGRICULTURE  ET  L'HORTICULTURE  DES  IRANIENS        77 

en  devait  produire  encore  de  meilleurs  dans  l'Iran  ; 
c'est  un  des  arbres  de  ce  pays  dont  le  Bundehesh  loue 
en  premier  lieu  les  fruits.  Il  est  aussi  question  dans  ce 
texte  sacré  du  citronnier  ou  cédratier,  dogt  Théophraste 
le  premier  a  fait  mention. 

Au  quatrième  livre  de  son  Histoire  des  Plantes;  le 
naturaliste  grec,  parlant  des  arbres  de  l'Asie,  dit  que 
la  Médie  et  la  Perse  en  produisaient  un,  le  «pommier 
de  Médie  »  ou  «  pommier  de  Perse  »  *,  qui  leur  était 
particulier,  et  il  ajoute  : 

Les  feuilles,  par  leur  forme  et  leur  dimension,  rappellent 
celles  de  Ta^bousier;  les  aiguillons  sont  presque  semblables  à 
ceux  du  poirier  ordinaire  et  de  l'aubépine,  mais  ils  sont  lisses, 
forts  et  très  aigus.  Le  frnit  ne  se  mange  pas,  mais  il  exhale, 
ainsi  que  les  feuilles,  une  odeur  agréable^.  ...Cet  arbre  porte 
toute  l'année  et  se  couvre  à  la  fois  de  fleurs  et  de  fruits  mûrs 
et  non  mûrs  3. 

Malgré  ce  qu'elle  a  d'incomplet,  il  est  difficile  de  ne 
pas  reconnaître  dans  cette  description  une  espèce  de 
citronnier,  sans  doute  le  cédratier,  que  les  compa- 
gnons d'Alexandre  avaient  vu  en  Médie  et  en  Perse, 
et  dont  quelques  fruits,  nous  apprend  un  passage  sou- 
vent cité  de  la  comédie  d'Antiphane,  la  Béotie^^  furent 
apportés  en  Grèce  vers  cette  époque. 

1.  MijXov  t6  fjiT)8ix6v  fl  TÔwepaixdv.  Hiêloria  plantarum,  lib.  IV, 
cap.  4,  2 

2.  «  Le  fruit  est  rugueux,  de  couleur  d'or,  dit  Dioscoride, 
lib.  I,  cap.  166,  et  d'une  bonne  odeur  mélangée  de  quelcjTie 
chose  de  désagréable.  » 

3.  «  Arbor  ipsa  omnibus  horis  pomifera  est,  aliis  cadentibus, 
aliis  maturescentibus,  aliis  subnascentibus  ».  Pline,  lib.  XII, 
cap.  7. 

4.  Deipnosophislae,  lib.  IH,  cap.  27  (84).  Athénée  cite  aussi 
un  passage  de  la  Mélibée  d'Ériphe,  qui  n'est  qu'une  répétition 
de  celui  d'Antiphane. 


78  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRAKIENS 

Cet  arbre  qui,  inconnu  dans  la  Mésopotamie  et 
rÉgypteS  existait  quatre  siècles  avant  notre  ère,  dans 
riran  occidental,  n'y  était  pas  indigène,  et,  d'après 
son  mode  de  culture,  on  peut  supposer  qu'il  n  y  était 
même  pas  encore  acclimaté  et,  par  suite,  y  avait  été 
imJ)orté  depuis  peu  de  temps. 

On  sème  au  printemps,  dit  Théophraste^,  les  pépins  retirés 
des  fruits^ur  des  plates-bandes  bien  préparées;  on  les  arrose 
tous  les  quatre  à  cinq  jours  ;  quand  les  jeunes  plants  sont  suf- 
fisamment forts,  on  les  repique  dans  une  terre  un  peu  com- 
pacte, mais  humide  et  non  point  trop  légère.  ...On  cultive 
aussi  le  cédratier,  comme  les  palmiers,  dans  des  vases  en  terre 
percés  de  trous.  Il  vient  dans  la  Médie  et  en  Perse. 

Pline,  parlant  des  tentatives  qui  avaient  été  faites 
ailleurs  pour  acclimater  le  cédratier,  remarquait  que 
cet  arbre  «  ne  voulait  croître  »  que  dans  ces  deux  pro- 
vinces ^.  A  quelle  époque  et  de  quel  pays  y  avait-il  été 
importé?  Des  formes,  qui  se  rapportent  plus  ou  moins 
à  cette  espèce  ou  au  citronnier,  ont  été  trouvées,  à  Tétat 
sauvage,  dans  les  régions  basses  et  chaudes  de  'l'Hi- 
malaya, du  Garwal  au  Sikkim,  ainsi  que  dans  les 
Ghâtes  occidentales,  et  les  monts  Satpoura*;  c'est  de 


1.  M.  Victor  Loret,  Le  cédratier  dans  Vœntiquité.  Paris, 
1891,  in  8,  p.  36,  a  voulu  prouver,  mais  sans  y  réussir,  que  dès 
le  XVIII'  siècle  avant  notre  ère,  le  cédratier  aurait  existé  aux 
bords  du  Tigre.  Cf.  Bévue  critique,  vol.  XXXV  (1892).  n°  7,  p. 
tl5. 
*2.  Lib.   IV,  cap.  4,  3. 

3.  (c  Nisi  apud  Medos  et  in  Perside,  nasci  noluit  ».  Ibid.  Kn 
réalité  le  citronnier  ou  cédratier  ne  réussit  que  sur  la  côte  de 
la  Caspienne  et  dans  la  Perse  méridionale,  de  Cbiraz  au  golfe 
persique  (Pohk,  vol.  11,  p.  139)  ;  c'est  là,  et  non  en  Médie,  où 
il  ne  peut  croître  en  pleine  terre,  qu'il  était  cultivé  au  moins 
du  temps  de  Pline. 

4.  .\.  de  Cai^olle,  Origine  des  plantes  cultivées,  p.  143. 


L'AGRICULTURE  ET  L'HORTICULTURE  DES  IRANIENS        79 

ces  contrées,  les  plus  occidentales  où  croisse  sponta- 
nément le  cédratier,  que  cet  arbre  s'est  répandu  dans 
le  bassin  de  Tlndus,  et  de  là  il  aura  sans  doute  passé 
dans  riran,  à  la  suitêdes  expéditions  que  les  monarques 
perses,  firent  dans  cette  contrée  ou  des  relations  qu'ils 
entretinrent  avec  ses  habitants. 

Parmi  les  nombreux  arbres  fruitiers,  autres  que  le 
cédratier  S  qu'on  trouvait  encore,  d'après  Théophraste, 
en  Perside  et  en  Médie,  le  naturaliste  grec  a-t-il  com- 
pris l'abricotier  et  le  pêcher  ?  Cela  est  peu  probable  ; 
inconnus  en  Grèce,  ces  arbres  n'auraient  guère  moins 
frappé  *  les  compagnons  d'Alexandre  que  le  cédratier. 
Quoi  qu'il  en  soit,  étrangers,  comme  ce  dernier,  à  la 
flore  de  l'Iran,  ils  finirent  par  être,  ainsi  que  lui,  culti- 
vés dans  cette  contrée  et  dans  toute  l'Asie  antérieure. 

L'abricotier  croît  spontanément,  on  ^avu^  dans  la 
vallée  du  Zarafchan  et  dans  le  Ferghâna,  ainsi  que 
dans  TAlatau  transilien  et  le  territoire  de  Wernoje;  il 
ne  pouvait  manquer  de  se  répandre  de  là  dans  l'Iran. 
S'il  n'y  était  pas  encore  acclimaté  avant  la  conquête 
d'Alexandre,  il  devait  y  être  planté  avant  notre  ère. 
De  l'Iran,  l'abricotier  ne  tarda  pas  à  pénétrer  dan^w 

1.  Jlistoria  plantarum,  lib.  IV,  cap.  4,  2. 

2.  M  L'expédition  d'Alexandre,  disait,  en  1855,  A.  deCandoUe 
(Géographie  botanique  raisonnëe^  p,  881),  à  propos  du  pocher, 
est  probablement  ce  qui  l'avait  fait  connaître  à  Théophraste, 
lequel  en  parle  comme  d'un  fruit  de  Perse  ».  Théophraste  ne 
parle  nullement  du  pêcher,  et  l'on  s'étonne  que  le  savant  bota- 
niste genevois  ait,  en  1883,  répété  cette  erreur  dans  V Origine 
des  plantes  cultivées,  p.  177. 

3.  Chap.  I,  p.  42.  L'abricotier  croît  aussi  spontanément  plus 
à  l'Est  dans  la  Dzoungarie,  où  Przewalski  a  vu  des  bois  entiers 
d'abricotiers  sauvages  sur  les  bords  du  Youldouz,  dans  la 
Mandchourie  méridionale  et  dans  la  Daourie.  Engler,  ap.  V. 
Hehn,  p.  418. 


»    ♦ 


'^ 


80  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

toute  l'Asie  antérieure  et  bientôt  même  en  Europe. 
Vers  le  milieu  du  premier  siècle  de  notre  ère,  nous  ap- 
prend Pline*,  cet  arbre  était  cultivé  en  Italie  déjà  de- 
puis une  trentaine  d'années.  La  précocité  de  ses  fruits 
leur  avait  fait  donner  chez  les  Romains,  le  nom  de 
prœcoqua^  ;  mais  ils  leur  donnaient  aussi,  comme  les 
Grecs  d'ailleurs,  celui  de  «  pommes  d'Arménie'  »,  en- 
core que  l'abricotier  ne  fût  pas,  nous  le  savons,  ori- 
ginaire de  cette  contrée. 

En  même  temps  que  des  abricots,  Pline  fait  mention 
des  pêches  — persica  — ,  dont  le  nom  indiquait  l'ori- 
gine étrangère  ;  mais,  quoiqu'on  ait  dit  l'écrivain  latin  *, 
cette  origine  n'était  pas  persique,  pas  plus  que  celle 
des  abricots  n'était  arménienne.  Bien  qu'on  ait  cru 
le  pêcher  indigène  dans  le  Ghilan,  il  n'y  est  certaine- 
ment qu'acclimaté,  et  il  faut  en  chercher  la  patrie 
dans  une  région  encore  plus  éloignée  que  le  pays  d'o- 
rigine de  l'abricotier.  Jusqu'ici  le  pêcher  n'a  été  trouvé 
à  l'état  vraiment  spontané  qu'en  Chine  ;  l'on  rencontre 
dans  les  montagnes  des  environs  de  Pékin,  ainsi  que 
dans  les  provinces  chinoises  de  Chensi  et  de.Kansou  ^ 
une  espèce  de  prunier —  Prunus  Davidiana  — ,  voi- 
sine de  notre  pêcher  —  Prunus  Persica  — ,  et  les  di- 
verses variétés  *  de  cet  arbre  aux  fruits  savoureux  sont 


1.  Ilisloria  naluralis,  lib.  XV,  cap.  11. 

2.  Ou  praecocia. 

3.  Mala  armeniaca  ou  simplement  armenia.  Ta  Se  (iixporfipa, 
xaXou(x£va  Vt  âpuEviaxà,  p(ii]xar9Tl  8è  scpacxdxia.  Dioscorjde,  lib.  I, 
cap.  165. 

4.  «  Persica,  peregrina  ..  ex  nomine  ipso  apparet  atque  ex 
Perside  advecta  ».  Hist.  naluralis,  lib.  XV,  cap.  13. 

5.  Engler,  ap.  V.  Hehn,  op.  laud.,  p.  418. 

6.  A.  de  Candolle,  op.  laud,,  p.  181,  en  distingue  cinq  prin- 
cipales. 


IMGRICULTURE  ET  L»HORTICULTURE  DES  IRANIENS        81 

cultivées  depuis  un  temps  immémorial  dans  Tempire 
du  Milieu. 

Comment  et  quand  le  pécher  a-t-il  pénétré  dans 
l'Asie  antérieure.  On  peut  croire  qu'il  y  a  été  intro- 
duit à  la  suite  des  relations  commerciales,  qui  s'éta- 
blirent entre  la  Chine  et  la  Bactriane,  depuis  le  voyage 
d'exploration,  entrepris,  en  139  avant  notre  ère,  sur 
l'ordre  de  l'empereur  Hsiawouti,  par  le  général  Tchang- 
Kiën,  voyage  qui  le  conduisit,  onze  ans  après,  jusque 
dans  le  bassin  del'Yaxarte  et  de  l'Oxus  *.  A  partir  de 
114  et  surtout  depuis  la  conquête  du  Ta-wan  —  le 
Ferghâna  —  par  la  Chine,  conquête  qui  eut  lieu  peu 
après,  des  caravanes  nombreuses  et  chargées  de  ri- 
ches présents  furent  envoyées  à  diverses  reprises  par 
les  Fils  du  Ciel  dans  le  pays  des  'Ansi  —  peut-être  le 
royaume  des  Parthes.  —  Des  ambassades  se  rendirent 
à  leur  tour  de  la  Bactriane  et  de  la  Sogdiane  en 
Chine'.  Ces  échanges  de  relations  contribuèrent  à 
faire  connaître  et  à  répandre  dans  l'Occident  les  pro- 
duits agricoles  et  industriels  de  l'Empire  du  Milieu  ; 
peut-être  est-ce  une  des  caravanes  dont  je  viens  de 
parler  qui  apporta  le  pêcher  dans  la  région  Caspienne. 


1.  De  Guignes,  Réflexions  générales  sur  les  liaisons  et  le 
commerce  des  Romuins  avec  les  Tar tares  et  les  Chinois.  (^Mé- 
moires de  r  Académie  des  inscriptions  et  belles -lettres,  vol. 
XXXII  (1768),  p.  357-358).  —  Abel  Rémusat,  Remarques  sur 
Vextension  de  Vempire  chinois  du  côté  de  VOccident.  {Mémoires^ 
nouv.  série,  vol,  VIII  (1827),  p.  116.  —  Ferdinand  Freiherr 
von  Richthofen,  China.  Ergebnisse  eigener  Reisen,  Berlin, 
1877,  in-4,  vol.  II,  p.  449-456. 

2.  p.  Hyacinthe  Bitchacrine.  Recueil  de  renseignements  sur 
les  peuples  gui  habitaient  en  Asie  centrale  dans  les  anciens 
temps,  ap.  Nicolas  Svertzow,  Etude  de  géographie  historique 
sur  les  anciens  itinéraires  à  travers  le  Pamir.  (Bulletin  de  la 
Société  de  géographie,  vol.  XI  (1890),  p.  596-597). 

JORET.  —  Les  Fiantes  dans  tantiquité.  II.  —  6 


I    *     i 


82  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

Quoi  qu'il  en  soit,  du  Turkestan,  où  il  avait  été  d'a- 
bord importé  *,  cet  arbre  ne  tarda  pas  à  pénétrer  dans 
la  Perse,  puis  dans  l'Asie  antérieure,  et,  dès  le  pre- 
mier siècle  de  notre  ère,  il  passa  en  Europe.  Pline 
nous  apprend  *  qu'il  était  cultivé  de  son  temps  en  Ita- 
lie et  en  Gaule  et  qu'il  y  avait  déjà  donné  plusieurs 
variétés  '. 

Les  arbres  fruitiers  ne  sont  pas  les  seuls  végétaux 
qui  fussent  cultivés,  avec  les  légumes  et  les  autres 
plantes  alimentaires  par  les  Iraniens  ;  les  rois  et  les 
grands  ne  pouvaient  se  contenter  de  jardins  purement 
potagers  ou  de  vergers  remplis  seulement  d'arbres 
fruitiers  ;  il  leur  fallait  aussi  des  parcs,  plantés  de 
grands  arbres,  qui  servissent  d'abri  aux  fauves  qu'ils 
aimaient  à  chasser,  des  jardins  d'agrément  garnis 
d'arbustes  rares  et  même  de  fleurs,  où  ils  pussent  ve- 
nir prendre  le  frais  et  se  reposer  de  leurs  fatigues  ; 
aussi  faisaient-ils  établir  de  ces  paradis,  comme  ils 
les  appelaient,  partout  où  ils  résidaient*,  et  ils  pre- 


1.  Charles  Joret,  Uabricotier  et  le  pêcher.  Aix-en-Provence, 
1899,  in-8,  p.  7. 

2.  Historia  naturalU,  lib.  XV,  cap.  11. 

3.  Joh.  Gottfr.  Wetzstein,  p.  18  de  la  préface  de  l'ouvrage  de 
Karl  Koch,  Die  Baume  und  S  trancher  des  alten  Griechenlands. 
Berlin,  1884,  in-8,  a  fait  dériver  le  nom  de  l'espèce  duracina, 
à  laquelle  Pline  «  donnait  la  palme  »,  de  Durak  —  mieux 
Dorak  — ,  ville  du  Khouzistan  —  ancienne  Susiane  — ;  mais  cette 
étymologie  que  j'ai  eu  le  tort  d'accepter  (Bévue  des  études 

^grecques,  vol.  XI,  1899,  p. 46),  doit,  je  crois,  après  examen,  être 
:  rejetée.  Cf.,  ibid.,  T.  R.,  Duracinum,  p.  48. 
•    4.  Xénophon,  Oeconomicus,  cap.  iv,  13. 


L'AGRICULTURE  ET  L'HORTICULTURE  DES  IRANIENS 


83 


naient  soin  qu'ils  fussent  «  remplis  de  tout  ce  que  la 
terre  peut  produire  de  beau  et  de  bon  ». 

Aussi  loin  que  nous  pouvons  remonter  dans  le  passé, 
nous  trouvons  des  preuves  nombreuses  du  goût  que  les 
Iraniens  avaient  pour  les  jardins  et  pour  les  parcs. 
Une  tradition  *  attribuait  au  roi  légendaire  Manosheir 
l'invention  des  jardins  d'agrément  et  de  la  culture  des 
arbres  fruitiers.  Si  Ton  en  croit  Xénophon  ^  il  y  avait 
auprès  d'Ecbatane  un  grand  parc,  rempli  de  fauves, 
qu'Astyage,  afin  de  le  retenir  auprès  de  lui,  donna  à 
son  petit-fils  Cyrus.  On  voyait  à  Pasargade,  l'ancienne 
capitale  des  Achéménides,  les  «  jardins  de  Cyrus  », 
arrosés  d'eau  courante,  couverts  de  gazons  épais  et 
remplis,  dit  Arrien^  d'arbres  de  toute  espèce.  C'est 
dans  ces  jardins,  dont  les  arbres,  au  rapport  de  Stra- 
bon  *,  le  dérobaient  à  la  vue,  que  fut  édifié  le  tom- 
beau du  conquérant  perse.  Quand  Darius  transporta 
la  capitale  de  son  empire  à  Persépolis,  il  n'oublia  pas, 
l'inspection  des  lieux  donne  lieu  de  le  croire*^,  d'y  éta- 
blir aussi  des  réservoirs  et  des  jardins  ;  il  en  établit 
également  sans  doute  auprès  du  palais  de  Suse,  l'une 
de  ses  résidences  favorites.  Mais  auquel  des  rois  perses 
faut-il  attribuer  l'établissement,  dans  le  voisinage  de 
la  ville  mède  de  Khavon,  du  vaste  paradis  décrit  par 
Diodore*,  et  dont,  avec  le  crédule  Ctésias,  il  fait  hon- 
neur à  Sémiramis?  On  ne  le  saurait  dire.  Si  ce  para- 


1.  Pr.  Spiegel,  Dieeranische  AUerlhumskunde,  vol.  I,  p.  555. 

2.  Cyri  institutio,  lib.  I,  cap.  13,  14. 

3.  Alexandri  Anabasis.  liv.  VI,  cap.  29,  4. 

4.  Geographica,  lib.  XV,  cap.  3,  7. 

5.  E.  Flandin,  Voyage  en  Perse,  Relation  du  voyage.  Paris, 
1851,  in-8,  vol.  II,  p.  141. 

6.  Bibliotheca,  lib.  II,  cap.  13,  3. 


84 


LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 


dis  était  contemporain  du  parc  voisin,  situé,  d'après 
le  compilateur  grec*,  au  milieu  des  rochers  deBaghis- 
tan,  il  remonterait  à  Darius.  Est-ce  à  cette  époque  aussi 
ou  à  une  date  plus  récente  qu*il  faut  placer  la  création 
des  beaux  parcs  qu'on  voyait,  au  milieu  d'une  contrée 
nue  et  déboisée,  près  de  la  résidence  royale,  où  Ar- 
taxerxès  Mnémon,  raconte  Plutarque',  vint  se  reposer 
des  fatigues  de  sa  pénible  campagne  contre  les  Cadu- 
siens?  On  Tignore.  Si  ce  prince  ne  créa  pas,  il  réta- 
blit du  moins  à  Suse  le  paradis  de  Tancien  palais  de 
Darius,  restauré  ou  rebâti  par  ses  soins';  c'est  dans  la 
cour  de  ce  jardin  que,  d'après  le  livre  d'Esther,  Ahas- 
vérus* donna  un  festin  au  peuple  assemblé;  c'est  sous 
ses  bosquets  que  ce  prince  se  retira,  «  plein  de  co- 
lère »,  quand  la  reine  lui  eut  révélé  les  desseins  san- 
guinaires de  Haman  '. 

Pharnabaze,  qui  commandait  en  Phrygie  pour  Ar- 
taxerce  Mnémon,  avait  près  de  sa  résidence  de  Dascy- 
lium  de  vastes  vergers  entourés  de  clôtures,  oùil  lui  était 
loisible  de  chasser  *.  Lorsque  Cyrus  le  Jeune  eut  été 
chargé  du  gouvernement  de  l'Asie  Mineure,  son  premier 
soin  fut  de  faire  établir  à  Célènes,  où  il  résidait,  un  parc 


>•  •• 


1.  Bibliolhecay  lib.  Il,  cap.  13,  1-2. 

2.  Artoxerxes,  cap.  xxv,  1. 

3.  Perrot,  Histoire  de  l'art  dans  l'antiquité,  vol.  V,  p.  763. 
—  M.  Dieulafoy,  V Acropole  de  Suse.  Paris,  1893,  in-fol.,  p.  279 
et  142. 

4.  L'Assuénis  de  Saint-Jérôme,  i'Artaxerxès  des  Septante,  dans 
lequel  les  commentateurs  ont  voulu  voir,  les  uns  Artaxerxès 
Longuemain,  les  autres  Xerxès  ou  même  Carabyse. 

5.  Cap.  I,  vers.  5  et  cap.  vu,  vers.  7.  M.  Dieulafoy,  Le  livre 
cf'Esther  et  le  palais  d'Assuérus.  Paris,  1888,  in-8,  p.  17-24.  — 
Edouard  Reuss,  Littérature  politique  et  polémique  :  Ruth,  Da- 
niel, Esther,  etc.  Paris,  1879,  in-8,  p.  286-289. 

6.  Xénophon,  Ifellenica,  lib.  IV,  cap.  1,  15. 


L»AGRICULTURE  ET  L'HORTICULTURE  DES  IRANIENS        85 

immense  plein  de  fauves  pour  se  livrer  au  plaisir  de  la 
chasse  à  courre  \  Il  possédait  auprès  de  Sardes  un 
paradis  d'une  nature  toute  différente  ;  là,  c'était  à  la 
culture  des  plantes,  non  au  plaisir  de  la  chasse,  qu'il 
se  livrait.  Xénophon  raconte  qu'il  le  montra  avec 
fierté  à  Lysandre,  quand  celui-ci  vint  lui  rendre  vi- 
site ^  Comme  le  général  Spartiate,  frappé  de  la  beauté 
des  arbres  qui  y  étaient  plantés,  de  leur  ingénieuse  dis- 
position en  quinconces  et  du  parfum  qu'en  exhalaient 
les  fleurs,  dit  à  son  hôte  que,  plus  encore  que  la  beauté 
de  ce  jardin,  il  admirait  l'habileté  de  celui  qui  avait 
si  bien  tout  ordonné,  Cyrus,  charmé  de  cet  éloge,  lui 
répondit  que  c'était  lui-même  qui  en  avait  réglé  la  dis- 
tribution, et  il  ajouta  que  ce  jardin  renfermait  plus 
d'un  arbre  qu'il  avait  planté  de  ses  propres  mains. 

Quelque  embelli  que  soit  le  récit  de  Xénophon,  on  ne 
peut  guère  douter  qu'il  ne  soit  exact  dans  ses  traits 
généraux,  et  il  nous  fournit  un  exemple  manifeste  de  la 
passion  des  grands  et  des  monarques  de  l'Iran  pour 
les  jardins  et  les  parcs.  Un  exemple  différent,  mais 
non  moins  frappant,  nous  est  donné  par  Diodore  ^.  Si 
l'on  en  croit  cet  historien,  ce  fut  pour  plaire  à  une  de 
ses  femmes,  qui,  originaire  de  la  Perse,  regrettait  les 
verts  ombrages  des  montagnes  de  sa  patrie,  que  le  roi 
Nabuchodonosor  *  aurait  fait  élever  près  de  son  palais 


1.  Xénophon,  Cyri  Anabasis,  iib.  I,  cap.  2,  7.  Deux  bas- 
reliefs  de  Takht-i-Bo6tan,  de  l'époque  des  Sassanides,  il  est  vrai, 
nous  montrent  ce  qu'étaient  ces  parcs  aménagés  pour  la 
chasse.  F.  Flandin  et  P.  Coste,  Voyage  en  Perse.  Paris,  s.  d., 
in-fol.,  vol.  I,  pi.  10  et  12.  —  J.  de  Morgan,  Mission  scientifique 
eti  Perse,  vol.  IV,  2,  pL  XXXVIl  et  XXXVIII. 

2.  Oeconomiciis,  cap.  iv,  20-23. 

3.  Bibliotheca,  Iib.  II,  cap.  10. 

4.  Josèphe,  Antiquiiates  Judaicae,  Iib.  X,  cap.  11,  45.  '^ 


••»  -• 


^  ■*  j 


86  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

des  jardins  suspendus,  où  Ton  voyait  les  arbres  les 
plus  propres  à. charmer  et  à  réjouir  la  vue  *. 

Malheureusement  les  historiens  ne  nous  ont  pas  fait 
connaître  quels  étaient  les  arbres  plantés  dans  les  jar- 
dins suspendus  de  Babylone  et  dans  les  paradis  de 
riran.  Ils  devaient  varier  suivant  que  ces  paradis 
étaient  des  parcs  destinés  à  la  chasse  ou  des  jardins 
d'agrément.  Dans  les  premiers,  c'étaient  surtout  de 
grands  arbres,  pins,  et  autres  conifères  %  chênes  et 
frênes,  etc.,  qui  étaient  plantés  ;  dans  les  seconds,  on 
voyait  plutôt  des  arbres  recherchés  pour  Tombre  qu'ils 
donnaient,  tel  que  le  platane,  le  cyprès  qu'on  aperçoit 
sur  tant  de  bas-reliefs,  ainsi  probablement  que  les 
principaux  arbres  fruitiers  indigènes:  vignes,  grena- 
diers, figuiers,  etc.  et,  là  où  le  climat  le  permettait,  des 
dattiers.  On  y  cultivait  aussi  sans  doute  quelques  ar- 
bustes d'ornement  et  quelques  fleurs.  Quels  étaient- 
ils? 

L'Iran,  nous  l'avons  vu,  renfermait,  au  bord  des 
eaux  et  dans  ses  montagnes,  nombre  d'arbustes  et  de 
plantes  d'agrément  :  lilas,  chèvrefeuilles,  lauriers- 
roses,  jasmins,  gattiliers,  tulipes,  iris,  lis,  fritillaires, 
narcisses,  cyclamens,  malvacées  ',  anémones,  etc., 
dont  plusieurs  font  aujourd'hui  l'ornement  de  nos  par- 
terres. Quelques-uns  durent  pénétrer  dans  les  paradis 
perses.  Arrien  rapporte  *  que  Néarque  vit  dans  un 
jardin  d'une  ville  des  Ichthyophages,  voisine  de  la 
Carmanie,  des  myrtes  et  diverses  Heurs,  dont  les  habi- 

1.  Quinte  Curce,  Alexandri  historia,  lib.  V,  cap.  1,  35.  Cf. 
Histoire  des  plantes  dans  Vantiquitéy  vol.  I,  p.  384. 

2.  Plutarque,  Artoxerxes,  cap.  xxv,  1. 

:    3.  Par  exemple  les  Altha^a  lavaieraeflora  et  Hohenackeri, 
l     k.  Ilistoria  indica,  cap.  xxvii,  2. 


L'AGRICULTURE  KT  L'HORTICULTURE  DES  IRANIENS        87 

tants  faisaient  des  couronnes.  Si  des  fleurs  étaient 
ainsi  cultivées  dans  les  jardins  d'un  pays  à  moitié  sau- 
vage, il  devait  y  en  avoir  à  plus  forte  raison  dans  ceux 
des  provinces  centrales  de  la  monarchie  iranienne,  la 
Perse,  la  Médie,  la  Susiane.  Leurs  paradis  renfer- 
maient, on  n'en  peut  douter,  au  moins  dans  les  derniers 
temps  de  la  domination  des  Achéménides,  et  plus 
encore  sous  les  Arsacides,  une  partie  des  fleurs  que 
nous  avons  rencontrées  dans  les  jardins  de  l'Egypte 
et  de  la  Mésopotamie  et  quelques  autres  qu'on  n'y  trou- 
vait pas.  De  ce  nombre  furent  probablement,  avec  le 
myrte,  le  laurier  rose,  des  chèvrefeuilles,  et  des  ar- 
bres de  Judée,  des  jasmins,  l'arbre  au  henné,  qui  se 
recommandait  non  moins  par  la  beauté  et  le  parfum 
de  ses  fleurs  que  par  l'emploi  industriel  qu'on  faisait 
de  ses  feuilles  desséchées  et  broyées,  quelques  lilia- 
cées,  etc.  Quand  l'Egypte  fut  tombée  au  pouvoir  des 
Achéménides,  ces  princes  durent  en  rapporter  le  lotus 
blanc,  tandis  qu'ils  firent  connaître  en  retour  dans  la 
vallée  du  Nil,  le  lotus  rose,  venu  de  l'Inde  dans  l'Iran'. 
Ils  durent  aussi,  à  l'exemple  des  Grecs,  qui  l'avaient 
anoblie  depuis  longtemps  ',  cultiver  U  rose  dans  leurs 
jardins  ;  enfin,  nous  avons  vu  qu'ils  y  avaient  accli- 
maté le  cédratier.  Le  Bundehesh  cite  parmi  les  fleurs 
«  que  fait  croître  le  travail  de  l'homme  »,  la  rose,  le 
jasmin,  l'églantine,  le  narcisse,  la  tulipe,  le  crocus,  la 
violette  et  d'autres  semblables  '. 


1.  Schweinfurth,   Zeitschrift  fur    Ethnologie,    an.    1891, 
p.  659. 

2.  La  rose  dans  V antiquité  et  au  moyen  âge,  Paris,  1892,  in- 
8,  p.  30-44. 

3.  The  Bundahiêh,  chapt.  xxvu,  11. 


88  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 


>•   *! 


•  • 


II 


Si  nous  n'avons  que  des  renseignements  incomplets 
sur  la  nature  et  l'extension  de  la  culture  des  céréales 
et  des  plantes  potagères,  tinctoriales,  oléifères,  etc., 
chez  les  anciens  habitants  de  Tlran  et  de  la  plaine  du 
Touran,  nous  en  avons  tout  aussi  peu  sur  Temploi  qu'ils 
en  faisaient  dans  leur  alimentation  et  leur  industrie. 
Ils  se  nourrissaient,  l'inscription  du  palais  de  Cyrus 
nous  l'apprend*,  de  pain  fabriqué  avec  de  la  farine  de 
froment  ou  d'orge,  ainsi  que  de  gruau  d'épeautre  ;  mais 
ce  n'étaient  pas  là  certainement  les  seules  céréales 
dont  ils  faisaient  usage.  Le  millet  commun  entrait 
aussi,  mais  cuit  en  bouillie,  dans  l'alimentation  du 
peuple,  ainsi  que,  du  moins  dans  certaines  provinces, 
et  plus  ou  moins  tôt,  le  millet  d'Italie  et  le  millet  en 
épis*.  Enfin,  quand  la  culture  du  riz  eut  été  importée 
dans  riran,  il  servit  à  son  tour  à  l'alimentation,  en 
particulier  des  classes  riches. 

A  côté  des  céréales,  les  légumes  les  plus  variés  for- 
mèrent de  temps  immémorial  un  appoint  considérable 
de  la  nourriture  des  Iraniens;  Tinscription  de  Cyrus 
nous  en  fait  connaître  quelques-uns  ;  mais  il  y  en  avait 
bien  d'autres,  les. uns  cultivés,  les  autres  croissant  à 
Tétat  sauvage.  Tels  étaient  les  fèves,  les  lentilles  — 
ddas  — ,  les  pois  chiches,  les  petits  pois,  peut-être 
aussi  l'ervilier  —  Ervum  ervilia  —  et  la  jarousse  — 
Lathyrus  sativus  — .  Il  est  probable  que  les  anciens 


1.  Polyen,  Strategica,  lib.  IV,  cap.  3,32. 

2.  Aitchison,  Notes  on  products,  p.  150  et  187, 


LES  PUNTES  DANS  L'ALIMENTATION  DES  IRANIENS        89 

habitants  de  Tlran,  comme  ceux  d'aujourd'hui,  man- 
geaient aussi  les  graines  de  quelques  autres  légumi- 
neuses, par  exemple  celles  de  Y Astragalus  gompholo- 
hium,  qui,  avant  la  maturité,  ont  le  goût  des  petits  pois*. 
Puis  venaient  les  plantes  à  racines  :  radis,  raves,  navets 
peut-être,  carottes  et  plus  ou  moins  tôt  la  betterave, 
la  terre-noix,  les  salsifis  et  les  scorsonères  indigènes  ', 
l'oignon  et  même  les  bulbes  de  la  tulipe  de  montagne  ; 
ensuite  les  nombreuses  plantes  potagères,  cultivées  ou 
sauvages,  dont  les  feuilles  ou  les  jeunes  pousses  étaient 
mangées  cuites  ou  crues  :  chicorées,  laitues,  cresson, 
choux,  auroches  de  diverses  espèces',  épinards,  fenu- 
grec,  centaurée  musquée,  jeunes  pousses  de  la  rhubarbe 
commune,  même  de  la  férule  asa-fœtida,  feuilles  du 
Smymium  cordifolitim  et  de  la  Zozimia  absinthifolia, 
du  kangar  —  Gundelia  Tourne fortii  — ,  composée  qui 
rappelle  le  cardon  et  est  répandue  dans  Tlran  presque 
entier,  môme  celles  de  la  morelle  et  de  YEremurus 
aurantiacus,  liliacée  de  l'Afghanistan,  etc.  *  Les  habi- 
tants de  certains  districts  mangent  encore  et  sans 
doute  depuis  un  temps  immémorial,  la  tige  charnue  de 
certaines  orobanches  et  d'une  borraginée  —  la  Caccinia 
glaiica  — ,  commune  en  particulier  dans  la  vallée  de 
THeri-roud*.  Dans  la  région  méridionale  on  mangeait 


1.  Aitchison,  Notes  on  producls,  p.  17. 

2.  Carum  bulbocastanum,  Tragopogon  coloratum,  Scorzo- 
nera  mollis  et  tuberosa.  Aitchison,  Notes  on  products,  p.  34, 
185  et  211. 

3.  Atriplex  flabellum  et  monela,  recherchées  par  les  Af- 
ghans, comme  le  Lepidiumdrnba,  Aitchison,  Notes,  p.  19  et  24. 

4.  Aitchison,  Notes  on  producls,  p.  36,  66,  96,  195,  196,  225. 
Les  artichauts  et  les  cardons  sont  cultivés  aujourd'hui  en 
Perse,  mais  on  ignore  depuis  quelle  époque. 

5.  Aitchison,  .\otes  un  products,  p.  30  et  146. 


90  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

également,  comme  en  Babylonie  et  en  Egypte,  le  cœur 
du  dattier,  «  le  chou  palmiste  »,  et  même  probablement 
celui  du  Chamœrops  de  RitchieV  II  faut  ajouter  à  ces 
aliments  les  condiments,  qui  servaient  à  assaisonner  les 
divers  mets  :  ail  cultivé  et,  dans  quelques  provinces,  Tail 
à  pétales  aigus,  aneth,  cumin,  anis,  coriandre  et  graines, 
d'autres  ombellifères,  par  exemple  du  persil  et  du  carvi 
des  Coptes  *,  ainsi  que  de  la  nigelle,  du  séfievé,  du  sésame 
et  du  carthame,  câpres  confits  dans  la  saumure,  extrait 
de  silphium,  c'est-à-dire  d*asa-fœtida',  safran,  sac  de 
grenades  acides*,  etc.  Plus  tard,  quand  les  relations 
se  multiplièrent  avec  l'Inde,  le  poivre  et  le  gingembre, 
le  curcuma  et  la  cannelle  furent  importés  dans  l'Iran, 
comme  ils  devaient  l'être  dans  l'Asie  antérieure  tout 
entière . 

On  vit  aussi,  probablement  assez  tôt,  sur  les  tables 
perses,  des  gourdes,  des  concombres,  des  pastèques  et 
des  melons  ;  mais  nous  ignorons  à  quelle  date  ils  y 
apparurent.  Dès  les  temps  les  plus  reculés,  au  contraire, 
les  fruits  entrèrent  dans  Talimentation  des  Iraniens, 
les  fruits  sauvages  d'abord,  plus  tard  ceux  des  arbres 
cultivés.  Leur  pays  en  produisait,  nous  l'avons  vu,  de 
nombreuses  espèces  ;  ici  les  glands  doux  du  chêne 
balout,  des  noix  et  des  amandes,  là  les  fruits  des  pis- 
tachiers vrai  et  mutique  ou  du  chalef,  des  micocou- 
liers, du  khormandu^  et  des  épines-vinettes ;  ailleurs 


\  m  ( 
I  •  < 


1.  «  The  young  white  heart  of  thls  tree  is  eaten,  like  that  of 
the  date  ».  Ployer,  Unexplored  Balûchistan,  p.  24. 

2.  Carum  copticum  —  ajwain.  —  Aitchison,  Notes f  p.  31,  34 
et  44. 

3.  L'asa-foetida  passait  pour  digestive.  Strabon,  Geographica, 
lib.  XV,  cap.  2,  10. 

:  :  4.  Polyen,  Stralegetica,  lib.  IV,  cap.  3,  32. 

*  •  5.  Diospyros  lolus.  «  The  fruit  ismuch  prized  by  the  Afghan 


LES  PLANTES  DANS  L'ALIMENTATION  DES  IRANIENS        91 

des  mûres,  des  figaes  et  des  grenades,  des  nèfles,  des 
azeroles  et  des  sorbes,  des  coings,  des  poires  et  des 
pommes  ;  ailleurs  encore  des  merises,  des  fruits  du  ceri- 
sier rampant,  du  prunier  divariqué  dont  le  goût,  paraît- 
il*,  rappelle  celui  des  mirabelles,  ainsi  que  du  prunier 
épineux,  des  ronces  et  de  certains  églantiers  ;  puis  dans 
la  région  orientale  ou  méridionale  les  baies  des  Myrsine 
africana,  Reptonia  buxifolia  et  du  jujubier  commun, 
ainsi  que  les  fruits  du  dattier  et  du  Charaaerops  de 
Ritchie*.  Mais  quel  rôle  ces  fruits  si  nombreux  et  variés 
jouaient-ils  dans  Talimentation  des  anciens  habitants 
de  riran  ? 

Quelques  anecdotes  éparses  dans  les  écrivains  de 
Tantiquité  nous  font  connaître  Tusage  qu'ils  faisaient 
de  plusieurs  d'entre  eux.  Ainsi,  dans  le  récit  qu'il  a 
fait  de  l'expédition  d'Artaxerxès  contre  les  Cadusiens, 
Plutarque  rapporte  que  leur  pays  âpre  et  nébuleux  ne 
produisait  point  de  céréales,  et  qu'il  n'ofirait  à  ses 
farouches  et  belliqueux  habitants  que  des  poires,  des 
pommes  et  autres  fruits  semblables.  De  la  bouillie  et 
des  fruits,  suivant  Ctésias,  composaient  aussi  la  nour- 
riture des  Dyrbéens  '.  D'après  Strabon,  les  peuplades 
de  la  région  montagneuse  et  inculte  de  la  Médie  ne 
se  nourrissaient  aussi  que  des  fruits  des  arbres;  ils 
faisaient  dit  le  géographe  grec,  des  espèces  de  gâteaux 
avec  des  pommes  séchées  et  écrasées  et  du  pain  avec 

tribes,  who  eat  it  fresh  or  dried  »,  Brandis,  The  Foresl  Flora, 
p.  298.  Ces  tribus  lui  donnent  le  nom  d^âlmlôk,  suivant  Aitchi- 
son.  Notes,  p.  56.  Brandis  dit  amlok. 

i.  Capus,  Annales  des  sciences  naturelles,  vol.  XVIII  (1884), 
p.  283. 

2.  «  The  fruit  is  eaten  though  not  much  esteemed  ».  Ployer, 
The  unexplored  Balûchistan,  p.  23. 

3.  Arloxerxes,  cap.  x.xiv,  1.  —  Persica,  lib.  VII-XI,  33. 


92  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

des  amandes  rôties*.  Aujourd'hui  encore  les  habitants 
des  Badghis,  par  exemple,  réduisent  en  farine  les  poires 
sauvages,  aussi  bien  que  les  mûres  et  les  fruits  du 
micocoulier  du  Caucase  préalablement  séchés,  et  les 
mêlent  à  de  la  farine  ordinaire  pour  en  faire  du  pain  '. 
Nous  savons  par  le  témoignage  de  Strabon*  qu'on 
accoutumait  les  jeunes  Perses  à  vivre  en  plein  air  et 
à  se  nourrir  de  fruits  sauvages  :  noix  de  térébinthe, 
glands*  et  poires  agrestes.  Et  le  jour  de  leur  couron- 
nement à  Pasargade,  les  rois  de  Perse,  en  souvenir  de 
la  simplicité  des  mœurs  de  leurs  ancêtres,  après  avoir 
revêtu  la  robe  de  Cyrus,  mangeaient  un  plat  de  figues 
et  des  noix  de  térébinthe*. 

Les  progrès  de  l'horticulture  chez  les  Perses  ne 
purent  qu'augmenter  l'usage  qu'ils  faisaient  des  fruits 
dans  leur  alimentation.  Si  avant  de  cultiver  le  dattier 
et  la  vigne,  ils  mangeaient  déjà  des  dattes  et  des  rai- 
sins, ils  en  consommèrent  bien  plus  encore  quand  ils 
eurent  anobli  les  arbres  qui  les  produisaient.  Il  en  fut 
de  même  des  fruits  des  autres  arbres,  cognassiers, 
pommiers,  poiriers,  grenadiers,  figuiers,  mûriers, 
amandiers,  pistachiers,  noyers,  etc.  Une  partie  de  ces 
fruits,  en  particulier  les  raisins,  les  dattes  et  les  figues, 

1.  Geographica,  lib.  Xï,  cap.  3,  18.  Les  Massagètes  des  lies 
aussi,  d'après  Strabon,  «  qui  ne  semaient  pas,  avaient  pour 
nourriture  des  racines  et  des  fruits  sauvages  ».  Lib.  XII,  cap. 
8,  7. 

2.  Aitchison,  Note^  on  thc  producls,  p.  76. 

3.  Geographica^  lib.  XV,  cap.  3,  18. 

4.  Dans  les  districts  les  plus  sauvages,  comme  ceux  d'Avro- 
man,  etc.,  les  glands  doux,  aujourd'hui  encore,  constituent  la 
principale  nourriture  des  habitants.  De  Morgan,  op,  laud.,  vol. 
i,  p.  37. 

5.  Plutarque,  Artoxerxes,  cap.  m,  1.  Il  s'agit  sans  doute  ici 
des  fruits  du  pistachier  mutique. 


LES  PLANTES  DANS  L'AîiMENTATrON  DES  IRANIENS        93 

ainsi  que  les  amandes  et  les  noix^  se  mangeaient  soit 
frais,  soit  séchés,  soit,  les  premiers,  souvent  aussi  sans 
doute  pétris  en  gâteaux.  Trois  talents  de  raisins  noirs 
secs  et  trois  artabes  d'amandes  douces  également 
sèches  étaient  réservés  chaque  jour  pour  la  table  du 
grand  roi *.  Les  dattes  formaient  un  appoint  important 
de  Talimentation  dans  la  région  méridionale  ;  les  fruits 
et  le  cœur  des  palmiers,  qu'ils  rencontrèrent  dans  les 
déserts  de  la  Gédrosie,  sauvèrent  de  la  mort  les  soldats 
d'Alexandre  exténués  de  faim*.  Les  dattes  n'étaient 
guère  moins  recherchées  ou  en  usage  dans  la  Perside 
et  surtout  en  Susiane  ;  Philostrate  nous  montré  l'eu- 
nuque, qui  reçoit  Apollonius  de  Tyane,  à  son  entrée 
dans  les  états  du  roi  des  Parthes^,  lui  oflFrant  «  des 
dattes  couleur  d'ambre  et  d'une  grosseur  exceptionnelle 
avec  du  pain  levé  et  des  légumes  ». 

Il  faut  ranger  la  manne  au  nombre  des  aliments  d'o- 
rigine végétale,  dont  faisaient  usage  les  anciens  Ira- 
niens ;  elle  a  figuré  dans  leur  cuisine  dès  les  temps 
les  plus  reculés.  Lorsque  le  grand  roi  demeurait  en 
Médie,  il  recevait  chaque  jour  pour  sa  table  cent  paniers 
de  manne  du  poids  de  10  mines  chacun*;  ce  qui  sup- 
pose une  production  énorme  de  cette  substance.  Nous 
ignorons  quel  emploi  on  en  faisait  à  l'époque  des  Aché- 
ménides.  D'après  Athénée*  on  s'en  servait  comme  de 
miel  pour  sucrer  les  boissons.  C'était  donc  à  la  fois  un 


1.  Polyen,  Strategetica,  lib.  IV,  cap.  32.  Le  talent  valait  60 
mines  ou  environ  26  kilogrammes  ;  l'artabe  équivalent  du 
médimne,  mesurait  à  peu  près  56  litres. 

2.  Strabon,  Geographica^  lib.  XV,  cap.  2,  5. 

3.  Vita  Apollonii  Tyaniy  lib.  I,  cap.  21. 

4.  Polyen,  Strategica,  lib.  IV,  cap.  3,  32. 

5.  Deipnosophistae,  lib.  XI,  cap.  102. 


94  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANfENS 

condiment  et  un  assaisonnement.  Aujourd'hui  on  la 
mange  comme  des  confitures  avec  du  pain  ;  on  fait  aussi, 
et  on  faisait  sans  doute  autrefois,  avec  les  diverses 
mannes  des  espèces  de  flans  recherchés  \  Quelles  sont 
celles  que  Ton  employait  et  que  produit  Tlràn?  C'est  ce 
que  j'examinerai  plus  loin. 

Il  est  probable  qu'un  autre  produit  végétal,  ou  plu- 
tôt une  plante,  longtemps  ignorée  des  naturalistes,  la 
Parmelia  esculenia,  entra  aussi  de  bonne  heure  dans 
l'alimentation  des  habitants  de  l'Iran  et  de  la  plaine 
du  Touran.  Trouvé  en  abondance  par  Evermann  en 
1822,  dans  son  voyage  d'Orenbourg  à  Boukhara',  ce 
lichen  a  été  rencontré  de  nouveau,  en  1842,  par  Basi- 
ner  dans  la  steppe  d'Oust-Ourt  et  décrit  avec  soin 
par  ce  voyayeur'*.  De  la  grosseur  d'une  noix  ou  plus 
souvent  d'une  noisette,  de  forme  arrondie,  mais  irré- 
gulière, avec  une  surface  plus  ou  moins  granuleuse, 
de  couleur  blanche  à  l'intérieur  et  d'un  gris  plus  ou 
moins  foncé,  tirant  un  peu  sur  le  vert  à  l'extérieur,  il 
est,  par  un  temps  sec,  dur  et  comme  cartilagineux  ; 
on  dirait  une  petite  pierre  siliceuse  ;  mais  il  se  ramol- 
lit, quand  on  le  met  dans  l'eau.  Imparfaitement  fixé 
au  sol,  il  en  est  enlevé  par  les  orages  et  va  retomber, 
souvent  à  de  grandes  distances,  sous  la  forme  d'une 
a  pluie  de  manne»,  que  les  vents  amoncellent  par- 
fois en  tas  considérables.  Dans  certaines  parties  de 
la  Perse,  où  cette  lichénacée  apparaît  dans  l'intervalle 


1.  A.  Hausknecht,  Ueber  Manna-Sorien  des  Orients,  (Ar^ 
chiv  der  Pharmacie^  vol.  192, 1  (avril  1870^,  p.  244).  —  Polak, 
Persien,  p.  285. 

2.  Reise  vonOrenburg  nach  Bukhara,  Berlin,  1823,  in-4,p.  15. 

3.  Reise  durch  die  Kirgisensleppe.  {Beilràge  zur  Kenntniss 
des  Russischen  Reichs,  voL  XV,  p.  65-66). 


LES  PLANTES  DANS  L'ALIMENTATION  DES  IRANIENS        95 

d'une  nuit,  et  souvent  en  énorme  quantité,  elle  sert 
aujourd'hui  d'aliment  aux  habitants,  qui  la  regardent 
comme  tombée  du  ciel. 

Nous  sommes  aussi  incomplètement  renseignés  sur 
les  boissons  que  sur  les  aliments,  dont  les  anciens  Ira- 
niens faisaient  usage  ;  le  vin  paraît  avoir  été  la  plus 
répandue  ;  ils  en  consommaient  de  grandes  quantités 
et  en  usaient  parfois  avec  excès  *.  Ils  en  buvaient  même, 
si  Ton  en  croit  Strabon*,  en  traitant  des  affaires  sérieu- 
ses. L'inscription  de  Persépolis  nous  apprend  que  cin- 
quante congés  de  vin  doux  et  cinq  mille  congés  de  vin  or- 
dinaire étaient  livrées  chaque  jour  à  la  maison  royale*. 

Malgré  l'excellence  de  quelques-uns  des  crus  de 
riran,  comme  ceux  de  Chiraz  et  de  Kaswin  en  parti- 
culier, les  Perses  ne  se  contentaient  pas  des  vins 
qu'on  y  récoltait  ;  quand  la  Syrie  eut  été  réunie  à  leur 
empire,  le  vin  célèbre  de  Khelbon  devint  la  boisson 
privilégiée  du  grand  roi*.  Pressés  avant  leur  maturité, 
les  raisins  donnent  un  breuvage  aigrelet — Vabegurre — , 
qui  devait. être  recherché  autrefois,  comme  il  l'est 
aujourd'hui.  Le  moût  épaissi,  qui  sert  de  sirop  et  de 
sucre  pour  la  préparation  de  certaines  pâtisseries, 
n'était  pas  sans  doute,  comme  le  vinaigre,  plus  inconnu 
des  anciens  Iraniens  que  des  Perses  actuels  ^ 


1.  Hérodote,  Historiae,  lib.  I,  cap.  133,  3.  —  Xénopîion, 
Ci/ri  Anabasis,  lib.  I,  cap.  3,  10. 

2.  Geographica,  lib.  XV,  cap.  3,  20. 

3.  Polyen,  Slrategetica,  lib.  IV,  cap.  3,  32,  Polyen  dit  cinq 
maris  et  cinq  cents  maris,  mesure  perse  qui,  d'après  lui,  valait 
dix  yosç  ou  congés. 

4.  Strabon,  Geographicay  lib.  XV,  cap.  3,  22. 

5.  Polak,  Persien,  vol.  II,  p.  142,  dit  que  le  vinaigre  perse 
est  d'une  qualité  supérieure.  Celui  de  Hérat,  aussi,  est  re- 
nommé. Aitchison,  Notes,  p.  219. 


96  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

Les  Perses  ne  faisaient  pas  seulement  du  vin  avec 
des  raisins;  ils  en  fabriquaient  encore  avec  d'autres 
fruits,  en  particulier  avec  les  dattes  et  sans  doute 
aussi  avec  les  grenades.  Lorsque  que  le  grand  roi  ré- 
sidait à  Suse,  on  ne  donnait  pour  sa  maison  que  la 
moitié  du  vin  de  raisin,  fourni  dans  les  autres  résiden- 
ces; l'autre  moitié  était  remplacée  par  du  vin  de  dat- 
tes \  L'usage  du  vin  de  dattes  resta  toujours  en  hon- 
neur et  ne  fit  même,  ce  semble,  que  se  généraliser. 
Pline  rapporte*  que  lesParthes  en  buvaient,  ainsi  que 
tous  les  habitants  de  TOrient,  et  il  nous  apprend  qu'on 
le  préparait  en  faisant  macérer  les  dattes  dans  deTeau 
et  en  pressant  ensuite  le  tout.  Les  Iraniens  fabri- 
quaient aussi  des  boissons  avec  d'autres  substances 
que  les  fruits  ;  suivant  Strabon  ^,  les  habitants  à  demi 
sauvages  de  la  région  montagneuse  de  la  Médie  sep- 
tentrionale faisaient  du  vin  avec  certaines  racines. 

Les  anciens  Perses  connaissaienMls  aussi  la  bière  ? 
Cela  est  probable,  mais  les  écrivains  grecs  et  latins  ne 
nous  renseignent  pas  à  cet  égard  ;  nous  savons  toute- 
fois que  les  Arméniens,  voisins  occidentaux  des  Ira- 
niens et  de  même  race  qu'eux,  faisaient,  ainsi  que  les 
Thraces  et  les  Scythes,  usage  de  cette  boisson*.  Ils  la 
fabriquaient  sans  doute  en  mettant  simplement  de  Teau 
à  fermenter  sur  les  grains  d'orge  ;  ce  qui  ne  l'empê- 
chait pas  d'être  enivrante. 


1.  Polyen,  Strategetica,  lib.  IV,  cap.  3,  32. 

2.  Hisloria  naturalis,  lib.  XIV,  cap.  19,  3. 

3.  Geographica,  lib.  XI,  cap.  13,  11. 

4.  Xénophon,  Anahasis,  lib.  IV,  cap.  5,  26.  Cf.  Rudolf 
Robert,  Zur  Geschichte  des  Bières.  {llUtorische  S  Indien  atts 
dem  pharmakologischen  Institut  der  Universita,t  Dorpat,  vol.  V 
(1896),  p.  135). 


LES  PLANTES  DANS  L'ALIMENTATION  DES  IRANIENS       97 

Les  Iraniens,  comme  les  autres  peuples  anciens 
de  TÂsie  antérieure,  se  servaient  de  plusieurs  es- 
pèces d'huiles  :  Tinscription  du  palais  de  Persépolis 
fait  mention  de  Thuile  de  sésame,  de  fruits  du  térébin- 
the  —  probablement  du  pistachier  mutique  — ,  d'a- 
mandes douces  et  de  graines  d'acanthion';  maisellene 
parle  ni  de  Thuile  d'oUve,  ni  de  celle  de  navette  ou  de 
roquette,  ni  de  Thuile  de  ricin.  Il  semble  donc  que  le 
rédacteur  de  l'inscription  ignorait  ces  dernières.  L'huile 
d'olive  ne  devait  pas  cependant  être  inconnue  au  moins 
dans  la  région  de  la  Caspienne,  qui  renferme,  nous 
l'avons  vu,  de  véritables  forêts  d'oliviers  ;  mais  si  l'on 
en  croit  Strabon  *,  les  fruits  en  étaient  sans  valeur.  On 
ne  dut  pas  tarder  non  plus  à  connaître  l'huile  de  ro- 
quette et  de  navette,  ainsi  que  celle  de  ricin  ;  très  an- 
ciennement aussi  fut  connue  l'huile  de  lin,  du  moins 
dans  la  Perse  septentrionale  et  dans  le  Tarkestan  ;  on 
en  peut  dire  autant  de  l'huile  qu'on  retire  des  noix,  des 
fruits  du  chalef,  des  graines  de  cucurbitacées,  sinon 
du  pavot  ;  mais  on  est  réduit  sur  tous  ces  points  à  des 
hypothèses.  On  n'est  pas  mieux  renseigné  au  sujet  de 
l'emploi  que  faisaient  les  anciens  habitants  de  l'Iran 
de  ces  diverses  huiles.  Il  est  probable  que,  comme  au- 
jourd'hui, l'huile  de  sésame,  de  noix,  des  fruits  du 
pistachier  et  du  chalef  servait  dans  la  cuisine;  l'huile 
de  roquette,  de  navette  et  de  lin  était  employée  à  la 
fois  dans  l'alimentation  et  pour  l'éclairage.  C'est  à 


1.  ?o\yen,  Slrategica,  lib.  IV,  cap.  3,  32.  On  regarde  d'ordi- 
naire VAcanlhion  comme  étant  VOnopordon  acanthion  ;  mais 
il  est  difficile  qu'il  s'agisse  ici  de  cette  composée:  j'inclinerais 
à  y  voir  le  carthame. 

2.  Geographica,  lib.  XI,  cap.  7. 

JoRET.  —  Us  Plantes  dans  l'antiquité.  II.  ^  7 


98  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

réclairage  surtout  que  servait  l'huile  de  ricin*.  Dans  le 
Touran,  celle  de  chènevis  a  dû  aussi  dès  longtemps 
être  employée  comme  huile  à  brûler  *.  Nous  ver- 
rons que  la  plupart  de  ces  huiles  ont  égalemenl  leur 
emploi  dans  la  médecine  ;  quelques-unes  servaient 
aussi  dans  Tindustriei  par  exemple  à  préparer  des  ver- 
nis ',  etc. 

Mais  elles  ne  servaient  pas,  comme  chez  nous,  à  fabri- 
quer du  savon  produit  inconnu  des  anciens  ;  à  la  place 
de  celui-ci,  on  se  servait  sans  doute,  comme  aujour- 
d'hui, des  racines  de  certaines  plantes,  par  exemple  de 
V Acanthophyllum  grandiflonim  et  de  la  Gypsophila 
paniculataj  caryophyllées,  la  première  du  Béloutchis- 
tan,  la  seconde  de  la  Perse  septentrionale*.  Il  me  faut 
encore  signaler  l'emploi  singulier  qu'on  fait  du  bulbe 
charnu,  desséché  et  réduit  en  poudre,  de  VEremums 
Aucherianus,  grande  asphodèle  répandue  dans  toute  la 
Perse  ;  cette  poudre  délayée  dans  de  l'eau  donne  une 
espèce  de  colle  végétale  très  tenace,  avec  laquelle  on 
fabrique  des  vases  résistants,  et  dont  on  se  sert  pour  dif- 
férents autres  usages  de  préférence  à  la  colle  animale'. 


Si  les  pâturages  alpestres  de  l'Iran  et  de  la  plaine 
du  Touran  sont  bien  inférieurs  en  qualité  à  ceux  de 

1.  Ker  Porter,  Travels,  vol.  II,  p.  138. 

2.  Aitchison,  Nés  on  products,  p.  33,  125  et  142. 

3.  Polak,  Perieriy  vol.  II,  p.  150-151. 

4.  Aitchiso,  Notes  on  products,  p  4  et  97.  —  On  emploie  aussi, 
en  guise  de  savon,  les  feuilles  du  konar  battues  dans  de  Teau. 
Joh.  L.  Schlimmer,  Terminologie  médico-pharmaceutique 
française-persane,  Téhéran,  1874,  in-fol.,  p.  567. 

5.  Aitchison,  Notes  on  products,  p.  65. 


LES  PLANTES  DANS  L'ALIMENTATION  DES  IRANIENS       99 

l'Europe*,  on  y  trouve  cependant  un  certain  nombre 
de  graminées  de  nos  régions  :  fétuques,  fleuves,  vul- 
pins,  avoines  des  prés,  paturins,  bromes,  agrostides, 
etc.  ',  qui  offraient  autrefois,  comme  ils  offrent  aujour- 
d'hui, une  nourriture  de  bonne  qualité  pour  le  bétail 
des  habitants.  Il  faut  y  ajouter  quelques  espèces  des 
steppes  et  du  bord  des  eaux,  d'une  qualité  inférieure, 
mais  dont  s'arrangent  fort  bien  les  moutons,  les  chè- 
vres et  les  chameaux:  agropyre,  éragrostide,  aristide 
plumeuse,  kandar,  orges  sauvages^,  panic  dichotome, 
roseaux  mêmes  ;  puis  de  nombreuses  légumineuses,  les 
unes  herbacées  :  trèfles  *,  trigonelles  ^  lotiers  %  luzer- 
nes"' et  onobrychides *,  vesces'  et  gesses*®;  les  autres  : 
astragales  et  alhagis,  sous-frutescentes  ou  épineuses  ; 
ensuite  des  ombellifères,  des  composées,  des  oroban- 
chées  et  des  labiées,  des  plumbaginées,  des  polygonées, 

1.  Ils  n*en  sont  pas  moins  estimés  par  les  indigènes  ;  Baber, 
Mémoires,  \o\.  \,  p.  283,  dit  d'une  prairie  située  aux  environs 
de  Caboul  que  «  Therbe  en  est  d'une  excellente  qualité  et  très 
bonne  pour  les  chevaux  ». 

2.  Basiner,  Reise  {Beitràge,  vol.  XV,  p.  62).  Parmi  les  gra- 
minées le  Poa  bulbosa  paraît  être  surtout  un  excellent  four- 
rage. Aitchîson,  Notes,  p.  160. 

3.  Agropyrumcrislatum,  Eragrostiscynosuroïdes,  Aeluropus 
littoralis,  Hordeum  caput-Medusae  et  Uhaburense,  Aitchison, 
Noies,  p.  6, 15,  65,  100-101. 

4.  Trifolium  pratense,  repens,  fragiferum,  agrarium,  etc. 

5.  TrigoneUa  foenum  graecum,  striata,  Persica,  Brahuica, 
grandiflora,  Monspeliaca,  incisa,  Noeana,  eUiptica,  0tc. 

6.  Lotus  eorniculatus,  tenuifolius,  Gebelia,  Garcini,  Stocksii. 

7.  Medicago  falcata,  orbicularis,  coronata,  denticulata, 
maculata,  minima. 

8.  Onobrychis  melanotricha,  oxyptera,  scrobiculata,  num- 
mularia,  dealbata,  eubrychidea,  Chorassanica,  etc. 

9.  Vicia  truncatttla,  Pannonica,  Hyrcanica,  sativa,  angus- 
lifolia,  etc. 

10.  ùuhyrus  aphaca,  amarus,  Cicera,  amoenus,  sativus,  etc. 


iOO  tES  PUNIES  CHEZ  LES  IRANIENS 

ainsi  que  des  chénopodées  et  des  salsolacées.  L*aristide 
plumeuse  des  steppes  sablonneuses  est  recherchée  par 
les  moutons  ;  les  chevaux  mêmes  mangent  les  tiges 
desséchées  du  panic  dichotome;  on  recuille  les  jeunes 
pousses  des  roseaux  donax  et  commun  comme  four- 
rages frais.  Inutile  de  faire  remarquer  que  toutes  les 
légumineuses  herbacées  sont  avidemment  mangées  par 
les  troupeaux  des  nomades  ;  les  ânes,  les  chèvres  et  sur- 
tout les  chameaux  recherchent  aussi  les  légumineuses 
frutescentes,  comme  Vushi  —  Astragalus  hyrcanus  — 
et  le  khâr^  —  Alhagi  camelorum  — ,  une  des  plantes 
les  plus  épineuses  des  steppes,  mais  qui  reste  verte, 
quand  toutes  les  autres  sont  mortes  et  desséchées. 

Les  plantes  les  moins  propres  en  apparence  à  être 
des  fourrages  servent  et  ont  servi  de  tout  temps  à  l'a- 
limentation des  troupeaux  iraniens.  C'est  le  cas  pour 
certaines  férules,  qui,  malgré  leur  odeur  repoussante, 
sont  broutées  avec  avidité  par  les  moutons  et  sont 
môme  employées  pour  la  nourriture  des  chevaux. 
L'auteur  de  Y  Itinéraire  d'Alexandre,  qui  donne  aux 
férules  le  nom  de  Silphium,  dit  *  que  «  les  brebis  en 
aiment  les  fleurs,  les  fruits  et  les  racines  ».  Boissier 
remarque  de  la  Ferula  ovina  qu'elle  est  surtout  re- 
cherchée par  les  moutons  '  ;  elle  ne  Test  pas  moins 
par  les  chèvres.  Polak  aflSrme  la  même  chose  de  la 
Ferula  asa  fœtida  des  environs  de  Persépolis  et  de  Pa- 

1.  Ou  khâr-i'buz,  'akûl  des  Arabes.  Cf.  Les  plantes  dans 
Vantiquité,  vol.  I,  p.  11,  et  Aitchison,  Notes,  p.  7  et  18. 

2.  Cap.  Lxxv.  «  Oves  floris  ejus  esu  et  usu  frugis  et  radi- 
cium  delectatas.  » 

3.  Flora  orientaliSy  vol.  II,  p.  987.  Boissier  donne  à  cette 
férule  le  nom  de  kumâ,  que  Polak  attribue  à  la  F.  gummi^gal- 
banum.  Aitchison  donne  à  la  première  le  nom  de  kema-koht,  à 
la  seconde  celui  de  bâdra-kema.  Noies  on  products,  p.  73-74. 


LES  PLATïTES  DANS  I/âLIMENTATION  DES  IRANIENS      101 

sargade,  ainsi  que  d'une  autre  ombellifère  voisine,  le 
Dorema  ammoniacum,  qui  croit  en  abondance  entre 
Yezd  et  Ispahan,  et  il  dit  que  la  Ferula  gummi-galba- 
num  —  kumâ  — ,  mangée  fraîche,  donne  du  ton  aux 
chevaux*.  On  considère  aussi  comme  un  excellent 
fourrage  pour  les  chèvres  et  les  moutons  une  autre 
ombellifère  des  pentes  Nord  des  collines  du  Khorâsan, 
le  Prangos  pabularia  *. 

Certaines  composées  servent  aussi  de  fourrage  aux 
troupeaux  de  l'Iran  ;  les  ânes  et  les  chameaux  ne  dédai- 
gnent pas  Tarmoise  des  champs  et  l'armoise  marine, 
en  dépit  de  leur  amertume,  et  ils  s'en  trouvent  bien, 
ainsi  même,  dit-on,  que  les  chevaux.  Les  brebis  et  les 
chèvres  broutent  avidement  les  feuilles  d'une  autre 
composée  frutescente,  le  Codonocephalum  Peacoc^ 
kianuniy  répandue  en  abondance  dans  le  Khorâsan. 
Certaines  orobanchées,  celle  du  tamaris  en  particulier, 
sont  récoltées  par  les  chameliers  pour  leurs  bêtes.  Des 
labiées,  comme  le  Stachys  trinervis  des  plaines  pier- 
reuses de  THéri-roud,  sont  mangées  également  par 
les  chèvres  et  les  moutons.  Les  chameaux  aiment 
aussi  à  brouter  certaines  plumbaginées  épineuses 
des  steppes,  du  genre  Acantholimon\  chameaux,  bre- 
bis et  moutons  mangent  encore  avec  avidité  diverses 
polygonées,  tel  que  le  Calligonuni  comosum,  sous- 
arbrisseau  répandu  surtout  dans  la  Perse  méridionale 
et  le  Béloutchistan'.  Les  tiges  rigides  et  salines  des 
chénopodées  et  des  salsolacées  n'en  sont  pas  moins 
recherchées  par  les  moutons  et  surtout  par  les  cha- 

1.  Persien,  vol.  II,  p.  136.  La  Ferula  gummi-galbanum  de 
Polak  est  la  F.  galbaniflua  de  Boissier. 

2.  Aitchîson,  Notes  on  products,  p.  164. 

3.  Aitchison,  Noies  onproducls,  p.  4,  16,  43,  145,  198  et  31. 


102  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

meaux.  Le  voyageur  anglais  Ayscoghe  Floyer  affirme  * 
que  sans  le  irât,  espèce  de  Salsolacée,  les  chameaux 
ne  peuvent  rester  longtemps  en  santé,  ni  conserver 
leur  appétit.  Ils  recherchent  aussi,  d'après  Aitchison  *, 
la  Salsola  arbuscula,  plante  de  la  même  famille  ré- 
pandue dans  les  déserts  du  Béloutchistan  et  du  Tur- 
kestan,  ainsi  que  le  hâd —  Comulaca  monacantha  —^ 
autre  salsolacée  du  désert  lybique,  commune  égale- 
ment dans  les  steppes  de  Tlran  méridional  \  Les  mou- 
tons n'aiment  pas  moins  une  salsolacée  annuelle  de 
la  steppe  de  Kizil-koum,  le  Gamanthtis  ovinus  *. 

Outre  ces  plantes  herbacées  ou  sous-frutescentes, 
les  feuillages  et  les  brindilles  des  arbres  et  des  arbus- 
tes forment  un  appoint  considérable  de  l'alimentation 
du  bétail  ;  feuilles  et  jeunes  pousses  des  saules  et  du 
jujubier  commun,  de  l'aubépine  et  du  peuplier  de 
TEuphrate,  du  pistachier,  des  tamaris,  du  Prosopis 
Stepkaniana,  du  câprier  surtout,  dont  on  fait  provi- 
sion comme  fourrage  vert^  Les  chameaux  aiment 
également  à  brouter  les  rameaux  du  saksaul  —  Halo- 
xylon  ammodendron  —  ;  on  recueille  aussi  pour  eux 
les  bulbes  de  YUngemia  trisphaera,  amaryllidée  com- 
mune dans  certaines  provinces,  et  môme,  comme  four- 
rage d'hiver,  les  souches  du  Cranibe  cordifolia^  dont 
les  pousses  annuelles  et  les  feuilles  servent  à  l'alimen- 
tation des  brebis  et  des  chèvres  •. 

1.  Unexplored  Balûchistan,  p.   28.    Floyer  rappelle  Sali- 
cornia^  mais  sans  désigner  l'espèce. 

2.  Notes  on  productSy  p.  181. 

3.  Les  plantes  dans  Vanliquitë,  vol.   I,  p.  li.  —  Boissier, 
Flora,  vol.  IV,  p.  984. 

4.  Boissier,  Flora,  vol.  IV,  p.  960  et  980. 

5.  Aitchison,  Notes  onproducts,  p.  33  et  77. 

6.  Aitchison,  Notes  on  products,  p.  47,  98  et  215. 


LES  PUNTES  DANS  L'ALIMENTATION  DES  IRANIENS      103 

Les  habitants  de  Tlran  ne  font  pas  de  foin  avec  les 
graminées  ;  mais  ils  font  provision  des  débris  de  quel- 
ques plantes  sauvages  desséchées;  par  exemple,  des 
feuilles  des  ombellifères,  des  tiges  de  la  Giindelia  Tour^ 
neforlii\  mais  surtout  des  fanes  des  légumineuses  culti- 
vées et  de  la  paille  des  céréales.  L'usage  de  la  paille, 
qu'on  donne  aujourd'hui  hachée  ou  brisée  au  bétail,  re- 
monte à  la  plus  haute  antiquité  ;  dix  mille  artabes  de 
paille,  ainsi  que  cinq  mille  voitures  de  glui,  étaient 
livrées  chaque  jour  pour  les  bêtes  de  somme  du  grand 
roi  *.  On  leur  réservait  aussi  vingt  mille  artabes 
d'orge.  Il  s'agit  sans  doute  d'orge  en  grain,  employée 
de  temps  immémorial  en  Orient  pour  l'alimentation 
des  animaux.  Aujourd'hui  on  se  sert  aussi  de  Forge 
coupée  en  vert.  Si  les  anciens  habitants  de  l'Iran  ne  con- 
naissaient pas  cet  usage,  ils  cultivaient,  nous  Tavons 
vu,  certaines  espèces  indigènes,  destinées  à  compléter 
la  provision  de  fourrage  dont  ils  avaient  besoin  ;  telle 
était  en  particulier  la  luzerne,  employée  surtout  pour  la 
nourriture  des  chevaux,  usage  auquel  Aristophane  fait 
déjà  allusion*  ;  elle  en  composait  en  Médie,  Strabon 
le  dit  expressément',  le  principal  aliment  ;  on  a  même 
voulu  tirer  son  nom  aspast  de  cet  usage*. 


* 

aie     * 


Rien  à  peu  près  ne  nous  renseigne  sur  l'emploi  que 
les  anciens  habitants  de  l'Iran  faisaient  des  substances 

1.  Polyen,  Stralegetica,  lib.  IV,  cap.  3,  32. 

2.  "HaO'.ov  5i  toùç  na^oùpo'jç  àvrl  noiaç  ^irfiixf^^.  Equités,  v.  606. 

3.  Geographica,  lib.  XI,  cap.  13. 

4.  Asp  cheval  et  asl,  part,  de  ad,  manger.  Th.  Nôldeke, 
ZeiUchrift  der  deuUchen  morgenl.  Gesellschaft,  vol.  XXXII 
(1878),  p.  408. 


104  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

propres  aa  tannage,  fournies  par  la  flore  indigène  ; 
mais  on  peut  l'affirmer  :  écorce  du  chêne,  du  sumac, 
du  jujubier  commun,  des  fruits  du  grenadier  et  peut* 
être  de  XApocyiium  venetam,  feuilles  et  brindilles  de 
\diSaIsola  arbuscula  et  surtout  du  sumac  des  corroyeurs, 
noix  de  galle  du  chêne,  du  pistachier  ou  du  tamaris 
de  Gaule,  gousses  de  Prosopis,  etc.,  broyées  et  ré- 
duites en  poudre,  durent  servir  de  temps  immémorial» 
du  moins  la  plupart  d*entre  elles,  pour  la  préparation 
des  cuirs*.  Mais  c'est  tout  ce  que  nous  en  pouvons  dire. 
On  en  sait  à  peine  davantage  au  sujet  de  Tusage 
qu'on  faisait  dans  l'ancien  Iran  des  plantes  tinctoriales 
indigènes.  De  bonne  heure  on  dut  se  servir  des  noix  de 
galle  pour  la  teinture,  comme  pour  le  corroyage.  Il  est 
probable  que  dès  longtemps  on  fît  également  usage  des 
écorces,  des  racines  ou  des  fleurs  de  quelques-unes  des 
espèces  sauvages  dont  j'ai  donné  la  liste  plus  haut: 
épine- vinette,  érables,  ronces,  dauphinelle,  etc.  La  ga- 
rance, non  seulement  sauvage,  mais  cultivée,  leur 
fournit  sans  doute  dès  Tépoque  la  plus  reculée  la  cou- 
leur rôuge  qui  en  porte  le  nom.  Le  carthame,  accli- 
maté dès  la  plus  haute  antiquité,  —  il  en  est  question 
dans  l'inscription  de  Cyrus  —  leur  fut  encore  d'une 
plus  grande  utilité  ;  ses  fleurs,  séchées  et  dépouillées 
par  un  lavage  prolongé  de  la  couleur  jaune  sans  va- 
leur qu'elles  renferment,  leur  donnaient  un  rouge 
pourpre,  cerise,  rose  ou  couleur  chair,  suivant  le  mor- 
dant employé'.  Ils  demandaient  au  safran,  lui  aussi 
très  anciennement  acclimaté,   une  couleur  jaune  re- 


1.  Âitchison,  Notes  on  producls,  p.  205. 

2.  H.  Drury,  The  useful  Plants  of  India,  Madras,  1873,  in-8, 
p.  117. 


\ 


LES  PUNTES  DANS  L'INDUSTRIE  DES  IRANIENS         10& 

cherchée.  Si  Ton  en  croyait  Eschyle,  les  chaussures 
du  grand  roi  étaient  teintes  avec  du  safran  ^  Bien 
avant  de  cultiver  Tindigotier  et  même  après,  les  an- 
ciens Perses  durent  importer  de  Tlnde  l'indigo,  dont 
ils  avaient  besoin  pour  teindre  en  bleu  leurs  étoffes.  Il 
n'est  point  douteux  non  plus  que,  comme  les  Égyp- 
tiens, ils  ne  se  soient  servi  de  bonne  heure  du  henné 
pour  se  colorer  les  ongles  et  la  peau  des  mains  et  des 
pieds,  ainsi  peut-être  que  les  cheveux.'. 
.  Il  est  à  peine  besoin  de  faire  remarquer  que  les  Ira- 
niens, comme  tous  les  peuples  anciens,  demandaient 
exclusivement  au  règne  végétal  le  combustible  dont 
ils  avaient  besoin  '.  Parmi  les  diverses  essences  arbo- 
rescentes dont  j'ai  fait  l'énumération,  les  chênes  dans 
la  région  occidentale,  les  frênes  des  contrées  monta- 
gneuses, lés  conifères  du  Touran  oriental  et  de  la 
chaîne  du  Souleiman,  les  peupliers  et  les  saules,  ainsi 
que  les  tamaris  du  bord  des  eaux,  les  micocouliers  de 
riran  septentrional,  les  pistachiers  du  Paropamise  et 
du  Turkestan,  les  divers  amandiers  de  la  région  méri- 
dionale fournissaient  le  combustible  dont  les  habitants 
de  ces  contrées  avaient  besoin.  Cent  voitures  de  bois 
coupé  étaient  réservées  chaque  jour  pour  le  service  de 
la  maison  du  grand  roi,  quand  il  résidait  à  Babylone 
ou  à  Suse^. 

Là  où  les  arbres  faisaient  défaut,   on  brûlait  les 
broussailles  ;  les  racines  de  la  réglisse  donnent  entre 


1.  Kpox<^pa}rro(  c^ifjLapiç.  Pertoe,  v.  661. 

2.  On  importe  encore  aujourd'hui  en  Perse  la  plus  grande 
partie  de  Findigo  qu'on  y  emploie.  Polak,  vol.  Il,  p.  152. 

3.  Je  fais  abstraction  des  substances  d'origine  animale  qu'ils 
brûlaient  parfois. 

4.  Polyen,  Strategetica^  lib.  IV,  cap.  3,  32. 


106  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

autres  un  combustible  recherché  ;  les  armoises  des 
lieux  arides  sont  impitoyablement  arrachées  pour  être 
brûlées,  laissant  les  lieux  où  elles  croissent  dans  un  état 
complet  d'aridité.  Le  saksaul  des  steppes  de  l'Est  et 
du  centre  iraniens  et  du  Turkestan  avec  son  bois  dur 
et  résistant  fournit  un  combustible  durable  ;  il  donne 
aussi  un  excellent  charbon  *.  On  fait  également  de  très 
bon  charbon  avec  le  bois  de  quelques-uns  des  arbres  les 
plus  communs  de  Tlran,  tels  que  les  amandiers  ivorin 
et  des  Brahouis,  le  genévrier  élevé,  les  saules,  etc. 
Enfin  on  fabriquait  avec  certaines  plantes  velues  ou 
poreuses  Tamadou  nécessaire  pour  allumer  le  feu.  Les 
feuilles  tomenteuses  des  Cousinia,  une  fois  sèches,  en 
fournissaient  naturellement;  on  prépare  aujourd'hui,  et 
on  préparait  aussi  peut-être  autrefois,  de  Tamadou  avec 
les  tiges  d\xBumex,  brunies  au  feu;  le  liber  ainsi  des- 
séché et  enlevé  s'enflaiûme  sans  peine  et  brûle  lente- 
ment '.  Ajoutons  encore  que  Ton  trouve  dans  la  région 
iranienne  de  nombreuses  plantes  riches  en  soude  et  en 
potasse,  dont  la  cendre  a,  dès  une  époque  reculée,  dû 
être  utilisée  dans  la  fabrication  du  verre  et  le  tannage 
des  peaux.  Presque  toutes  les  salsolacées  :  Anabasis, 
Salicornla,  Salsola,  Suaeda,  etc.,  en  fournissent  en 
abondance,  mais  la  meilleure  soude  est  retirée  de 
V Anabasis  eriopoda^. 


* 
*  * 


La  flore  indigène  de  Tlran  et  du  Touran  fournissait 


1.  Voir  plus  haut,  chap.  i,  p.  18.—  Aitchison,  Notes,  p.  98. 

2.  Aitchison,  Notes  on  products,  p.  38,  46, 108, 165, 178  et  180. 

3.  Aitchison,  Notes  on,  products,  p.  22. 


LES  PLANTES  DANS  L'INDUSTRIE  DES  IRANIENS         107 

à  leurs  habitants  la  plapart  des  bois  qui  leur  étaient 
nécessaires  pour  le  charpentage,  le  charronnage  et 
Tébénisterie,  ainsi  que  les  textiles  et  les  «latières  fi- 
breuses employées  pour  le  tissage  et  la  vannerie.  Si  le 
nombre  des  espèces  arborescentes  n'était  probablement 
pas  plus  considérable  dans  ces  contrées  autrefois 
qu'aujourd'hui,  les  arbres  s'y  trouvaient  en  quantités 
bien  plus  grandes  ;  il  y  avait  là  une  abondance  de 
matériaux  presque  inépuisables  pour  les  industries  les 
plus  diverses.  Chênes  du  Zagros,  pins  de  l'Afgha- 
nistan, genévriers  élevés  du  Khorâsan,  noyers,  éra- 
bles, micocouliers  de  la  Perse  septentrionale  et  de 
l'Afghanistan,  platanes  et  zelkovas  de  la  région  cas^ 
pienne,  frênes  des  montagnes  de  l'Iran  tout  entier, 
saules  et  peupliers  des  vallées,  fournissaient  d'excel- 
lents  bois  de  charpente  et  de  charronnage.  Des  essences 
plus  petites,  comme  le  buis  duMazandéran,  les  tamaris 
si  communs  dans  toute  la  région,  les  Cotoneaster  et 
Lonicera  nummularia  *  du  Khorâsan  et  de  l'Af- 
ghanistan, les  chalefs  de  l'Iran  oriental  et  du  Tur- 
kestan,  le  jujubier  commun,  le  mûrier,  les  pistachiers 
du  Nord  et  les  amandiers  du  Midi,  les  pruniers,  poi- 
riers et  épines  des  montagnes  de  l'Iran  occidental  pou- 
vaient servir  aux  ouvrages  d'ébénisterie,  à  la  fabrique 
des  armes,  des  instruments  agricoles,  des  ustensiles  de 
ménage^  etc. 

Malheureusement  nous  n'avons  que  des  renseigne- 
ments bien  incomplets  sur  les  espèces  de  bois  employées 
par  les  anciens  habitants  de  l'Iran  et  sur  l'usage  qu'ils 
faisaient  de  chacune  d'elles.  D'après  Polybe',  les  co- 

1.  Aitchison  dit  que  ces  chèvrefeuilles  arborescents  ont 
jusqu*à  20  pieds  de  haut  et  5  pieds  de  circonférence. 

2.  Beliquiae,  lib.  X,  cap.  27,  10. 


108  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

lonnes,  les  poutres  et  les  lambris  du  palais  d'Ecbatane 
étaient  en  bois  de  cèdre  et  de  cyprès.  Le  bois  de  cèdre 
aussi,  si  nous  en  croyons  Quinte-Curce  *,  entrait  dans  la 
construction  du  palais  de  Persépolis. 

Si  le  cyprès  est  indigène  dans  les  montagnes  de 
riran,  le  cèdre,  au  contraire,  ne  s'y  rencontre  pas; 
mais,  à  l'époque  de  leur  grandeur  politique,  les  Mèdes 
et  les  Perses  ne  se  contentaient  pas  des  essences  indi- 
gènes, ils  en  employaient  aussi  d'exotiques  :  le  cèdre 
en  était  déjà  une  ;  le  palmier  doum  en  était  peut-être 
une  autre.  Théophraste  dit*  que  les  Perses  estimaient 
beaucoup  le  bois  de  cet  arbre  et  qu'ils  s'en  servaient 
pour  fabriquer  les  pieds  de  leurs  lits;  mais  s'il  est 
indigène  en  Egypte,  le  doum  paraît  avoir  toujours  été 
étranger  à  l'Iran.  Comme  les  Egyptiens  et  les  habitants 
de  la  Syrie  et  de  la  Mésopotamie,  les  Perses  faisaient 
aussi  usage  du  bois  d'ébène  pour  les  ouvrages  d'ébé- 
nisterie  et  comme  eux  ils  le  tiraient  de  l'étranger.  Tous 
les  trois  ans,  les  Éthiopiens  envoyaient  en  présent  au 
grand  roi  deux  cents  troncs  d'ébéniers  avec  vingt 
grandes  dents  d'éléphant'.  Les  Perses  faisaient  aussi 
probablement  venir  de  Tlnde  du  bois  d'ébène*,  mais 
d'une  autre  espèce  que  celui  qu'ils  recevaient  d'Egypte  \ 

1.  ce  Multa  cedro  aedificata  est  regia.  »  Dt  rébus  Alexandri 
Magni,  lib.  V,  cap.  7,  5. 

2.  Hisloria  plantarum,  lib.  IV,  cap.  2,  7. 

3.  Hérodote,  Historiae,  lib.  III,  cap.  97.  —  Pline,  Historia 
naturaliê,  lib.  XII,  cap.  8,  1. 

4.  Perxpltis  maris  Erythraei,  cap.  36. 

5.  L'ébène  d'Egypte,  importé  dans  cette  contrée  de  l'Ethio- 
pie, est  le  Dalbergia  metanoxylon.  Dr. -G.  Beauvisage,  Bêcher- 
ches  sur  quelques  bois  pharaoniques.  M.  Le  bois  d'ébène. 
{Becueil  de  travaux  relatifs  à  la  Philologie  et  à  V Archéologie 
égyptiennes  et  assyriennes,  vol.  IX  (1897),  p.  17-23).  Quant  à 
l'ébène  de  l'Inde,  c'était  probablement  un  Diospjros,  peut-être 


/ 


LES  PLANTES  DANS  L'INDUSTRIE  DES  IRANIENS         109 

Plus  tard  ils  importèrent  aussi  du  bois  de  tek  de  Tlnde  ; 
la  ville  de  Siraf  sur  le  golfe  Persique,  fondée  par  les 
Sassanides,  fut  construite  en  entier  avec  cette  essence 
précieuse  ^  On  s'en  était  aussi  servi  pour  faire  les 
boiseries  du  palais  de  Khosrou  à  Ctésiphon. 

La  flore  iranienne  n'était  pas  moins  riche  en  textiles 
et  en  matières  fibreuses  qu*en  bois  de  construction  ; 
les  branches  flexibles  des  saules  si  communs  le  long 
des  cours  d'eau,  les  jeunes  pousses  des  tamaris  répan- 
dus dans  l'Iran  et  le  Touran  tout  entiers,  celles  de 
Tarbre  de  Judée  ont  servi  sans  doute  de  tout  temps  à 
fabriquer  des  corbeilles,  des  claies  et  autres  ouvrages 
semblables;  Técorcedes  racines  de  plusieurs  astragales, 
comme  les  jeunes  branches  de  VApocynum  venetum, 
fournissent  des  fibres  qui  ont  dû  être  aussi  très  ancien- 
nement utilisées  pour  faire  des  cordages  ;  les  Turko- 
mans  Kazak  fabriquent  même  du  drap  avec  les  der- 
nières'. Les  graminées  des  steppes  et  des  marécages, 
les  diverses  laiches,  massettes,  etc.,  devaient  égale- 
ment servir  à  fabriquer  des  paniers,  des  nattes,  des 
cordes  grossières,  etc.  Le  roseau  commun,  si  abondant 
au  bord  des  eaux,  et  le  roseau  donax,  étaient  employés 
à  ces  divers  usages,  ainsi  qu'à  construire  des  huttes 
et  à  les  couvrir.  L'Erianthus  Ravennae,  belle  et  grande 
graminée,  qui  atteint  deux  à  trois  mètres  de  haut,  ne 
devait  pas  être  moins  employée  autrefois  qu'aujourd'hui 


le  D.  Ebenum,  mais  les  Perses  connurent  sans  doute  aussi  le 
Dalbei'gia  Sissoo,  qu*on  trouve,  nous  Tavons  vu,  dans  la  vallée 
du  Kouram. 

1.  Chr.  Lassen,  Indische  Alterihunukunde,  vol.  I,  p.  252.  — 
J.-T.  Reinaudy  Relations  de  V empire  romain  avec  VAsie  orien- 
tale. Paris,  1863,  in-8,  p.  171. 

2.  Aitchîson,  Notes  on  products,  p.  13  et  18. 


110  LES  PUNTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

dans  riran  et  le  Touran  pour  faire  toute  sorte  d'ouvra- 
ges de  vannerie  et  de  sparterie  *.  Dans  le  Midi  on  se  ser- 
vait des  feuilles  et  des  fibres  du  dattier;  les  Ichthyo- 
phages,  rapporte  Strabon  *,  fabriquaient  leurs  filets  avec 
Técorce  ou  le  liber,  c'est-à-dire  sans  doute  avec  les  fibres 
de  cet  arbre,  et  Arrien  remarque'  qu'ils  les  tressaient 
comme  le  lin.  Dans  le  Béloutchistan  on  fait  des  cordes 
avec  les  feuilles  du  Chamérops  de  Ritchie,  et  les  feuilles 
de  ce  palmier  servent  aussi  à  fabriquer  des  corbeilles 
et  des  nattes*. 

Les  anciens  Iraniens  se  servaient  du  lin  pour  la  con- 
fection des  étofi'es,  comme. leurs  voisins  delà  Mésopo- 
tamie, Strabon  nous  apprend  que  le  soir  une  des  occu- 
pations des  jeunes  Perses  était  de  tisser  le  lin  '. 
Abradate,  roi  de  Susiane  et  allié  de  Cyrus,  portait  une 
cuirasse  tressée  avec  ce  textile;  et  Xénophon,  qui  rap- 
porte ce  fait',  donne  aussi  pour  armement  aux  Chalybes 
d'Arménie,  voisins  et  sujets  des  Perses,  une  longue 
cuirasse  de  lin\  Mais  lorsque  le  coton  fut  connu,  il  se 
substitua  peu  à  peu  au  lin  ;  aujourd'hui  celui-ci  n'est 
plus  guère  employé  dans  la  fabrication;  les  étoffes 
perses  sont  tissées  en  coton  ou  en  poils  de  chameau 
et  de  chèvre'.  Quant  au  chanvre,  il  n'est  cultivé 
qu'exceptionnellement  en  Perse  pour  la  préparation 
du  haschish;  mais  dans  le  Turkestan  on  en  retire  les 


1.  Aitchison,  Noies  on  products,  p.  67. 

2.  Geographica,  lib.  XV,  cap.  2,  2. 

3.  Indica,  cap.  x.xix,  10.  «  Instar  Uni.  » 

4.  Aitchison,  Journal  of  the  Lxnnean  Society,   vol.   XÏX, 
p.  369. 

5.  Geographicn,  lib.  XV,  cap.  3,  18. 

6.  Cyropaedia,  lib.  VI,  cap.  4,  2. 

7.  Anabasis,  lib.  IV,  cap.  7,  15. 

8.  Polak,  Persien,  vol.  II,  p.  152. 


LES  PLANTES  DANS  L'INDUSTRIE  DES  IRANIENS  111 

fibres  qui  servent  à  faire  des  cordages  excellents*, 
emploi  dont  Pline  parle  comme  connu  de  tout  le  monde', 
et  qui  de  la  région  Caspienne  s'était  répandu  avec  la 
culture  du  chanvre  dans  l'Occident. 


1.  Aitchison,  Notes  on  producls,  p.  33. 

2.  Historia  naluralis,  lib.  XIX,  cap.  9  (56). 


CHAPITRE  III 

LES   PLANTES   DANS   l'aRT  ET  DANS  LA    POESIE    DES 

IRANIENS 


I 


Les  Iraniens  qui  demandaient  en  si  grande  quantité 
au  règne  végétal  des  matériaux  pour  leurs  construc- 
tions \  ne  pouvaient  manquer  de  lui  emprunter  aussi 
des  formes  architecturales  et  des  motifs  de  décora- 
tion. Les  Égyptiens  et  les  Sémites  de  la  Mésopotamie 
leur  avaient  donné  l'exemple;  s*ils  les  imitèrent,  ainsi 
que  les  Grecs  d'Ionie,  ils  ne  le  firent  pas  cependant 
sans  originalité.  Ils  semblent  même  avoir  tiré  direc- 
tement de  Tobservation  de  la  nature  végétale  la  forme 
de  la  colonne  ;  ce  n'est  pas  sans  raison  qu'on  a  cru 
celle-ci  sortie  de  l'imitation  d'un  tronc  d'arbre  élancé*, 
et  qu'on  l'a  comparée  aux  piliers  en  bois,  qui  aujour- 
d'hui encore  supportent  le  toit  en  saillie  des  maisons 


1.  «  L'architecture  nationale  de  la  Perse  et  de  la  Médie  ad- 
mettait le  bois  d'une  manière  à  peu  près  exclusive  dans  les 
constructions  anciennes  ».  M.  Dieulafoy,  Uart  antique  de  la 
Perse.  Paris,  in-fol,  IV»  partie,  1895,  p.  60. 

2.  Perrot  et  Chipiez,  Histoire  de  Cart  dans  V antiquité ^  vol. 
V,  p.  496. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  DES  IRANIENS  113 

champêtres  du  Mazandéran'.  En  bois  elle-même  sans 
doute  à  Torigine,  comme  le  toit  auquel  elle  servait 
d'appui,  reposant  sur  un  simple  bloc  de  pierre  gros- 
sièrement équarri,  et  qui,  évidé  à  sa  partie  supérieure, 
lui  servait  de  base,  son  sommet  aminci  supportait  aussi 
sans  doute  directement  les  poutres  du  toit.  Mais  si 
telle  elle  était  d'abord  et  telle  elle  est  restée  dans  sa 
forme  générale,  avec  le  temps,  la  matière,  Taspect  et 
les  proportions  en  ont  changé  :  le  bois  a  fait  place  à  la 
pierre  ;  le  fût  s'est  allongé  et  rayé  de  cannelures,  la 
base  s'est  développée  et  couverte  d'ornements,  le  cha- 
piteau a  pris  naissance  et  s'est  embelli  de  formes  em- 
pruntées à  la  nature  vivante. 

L'unique  colonne,  qui  subsiste  du  monument  dési- 
gné sous  le  nom  de  tombeau  de  Cyrus,  nous  montre 
l'antique  pilier  à  son  premier  degré  de  transforma- 
tion'; la  pierre  a  remplacé  le  bois,  dont  le  fût  était 
composé;  mais  celui-ci  est  resté  uni  dans  toute  sa 
longueur  et  un  disque  plat  en  marbre  noir,  seul,  lui 
sert  de  base.  Le  chapiteau  ayant  été  détruit,  on  ne 
peut  rien  en  dire  ;  mais  il  était  sans  doute  aussi  peu 
compliqué  que  la  base.  Les  colonnes  d'un  autre  monu- 
ment de  la  même  région,  le  Qabr-i-madèr-i-Suleiman 
—  le  tombeau  de  la  mère  de  Soliman  "  — ,  témoignent 
déjà  d'un  progrès  architectural  considérable  ;  le  fût 
en  est  encore  uni,  il  est  vrai,  mais  au  lieu  du  simple 
disque,  sur  lequel  il  repose  dans  la  colonne  du  tombeau 

1.  Marcel  Dieulafoy,  Lart  antique  de  la  Perse  y  II»  partie, 
1884,  p.  47,  fig.  35.  —  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,p.  498,  fig  319. 

2.  M.  Dieulafoy,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  30,  fig.  28.  —  Perrot, 
op.  laud.,  vol.  V,  p.  455,  fig.  291. 

3.  Flandin  et  Coste,  Perse  ancienne,  pi.  CLXXVII.  —  M. 
Dieulafoy,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  43  et  45,  fig.  46  et  50.  —  Perrot, 
op.  laud.,  vol.  V,  p.  488  et  517,  fig.  309  et  328. 

JoKET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité-  II.  —  8 


114  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

de  Cyrus,  la  base  est  formée  d'un  tore,  rayé  de  canne- 
lures horizontales,  posé  sur  un  socle  cubique.  L'orne- 
mentation végétale  toutefois  fait  ici  encore  défaut  ; 
elle  apparaît,  au  contraire,  avec  profusion  dans  le  pa- 
lais de  Darius  et  de  Xerxès  à  Persépolis  et  surtout  dans 
celui  d'Artaxerxès  à  Suse,  palais  où  la  colonne  perse  a 
atteint  son  dernier  degré  d'élégance  et  de  beauté.  Main- 
tenant, le  fut  est  toujours  cannelé,  et  ce  qui  est  plus 
important  au  point  de  vue  de  la  décoration,  le  socle 
campaniforme  de  la  base ,  que  relie  au  fût  un  renfle- 
ment attique,  est  couvert  d'ornements  tirés  du  règne 
végétal. Ici,  dans  les  propylées  de  Xerxès*, ce  sontdes 
pétales  conventionnels  de  lotus,  la  pointe  tournée  en 
bas,  et,  à  la  partie  supérieure,  terminés  en  fer  de  lance; 
là,  dans  le  palais  du  même  Xerxès*,  une  rangée  de  pé- 
tales accouplés,  la  pointe  tournée  encore  vers  le  sol, 
sont  surmontés  d'une  autre  rangée  de  fleurs  à  trois  pé- 
tales, entre  chacune  desquelles  se  dresse  une  palmette; 
ailleurs,  dans  le  petit  palais  de  Suse^  le  socle  est  orné 
de  fleurs  conventionnelles,  composées  de  deux  pétales 
soudées  entre  eux,  et  au-dessus  desquelles  court  une 
rangée  d'oves.  Enfin,  dans  la  colonne  du  grand  palais 
de  Suse,  dont  un  fragment,  rapporté  par  M.  Dieulafoy , 
existe  au  musée  du  Louvre  *,  le  socle  est  sillonné  de 


1.  Flandin  et  Coste,  op.  laud.,  pi.  LXXV.  —  Dieulafoy,  op. 
laud.y  vol.  II,  p.  84,  fig.  64  et  pi.  XX.  —  Perrot,  op.  laud.,  vol. 
V,  p.  493. 

2.  Flandin  et  Coste,  op.  laud.,  pi.  XCIIÏ.  —  M.  Dieulafoy,  o;?. 
laud.,  vol.  II,  p.  85,  fig.  72.  —  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  491. 

3.  M.  Dieulafoy,  op.  laud.,  vol.  II,  p.  85,  fig.  73.  —  Id., 
Lacropole  de  Suse.  Paris,  1890,  in-fol.,  p.  328,  fig.  205.  — 
Perrot,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  456,  fig.  292. 

4.  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  489,  fig.  310.  —  M.  Dieulafoy, 
L'Acropole  de  Suse,  p.  296  et  327,  fig.  170  et  204. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  DES  IRANIENS  115 

barres  doubles  et  verticales,  réunies  par  deux  demi- 
cercles,  dont  le  supérieur  enveloppe  un  globe  can- 
tonné d'une  palmette  renversée,  seul  ornement  végétal 
de  ce  socle. 

Tandis  que  la  flore  a  fourni  des  motifs  si  divers  de  . 
décoration  à  la  base  de  la  colonne,  elle  n*en  a  pres- 
que pas  donné  au  chapiteau.  Ici  ce  sont  des  formes 
ornementales  d'une  origine  toute  différente  que  Ton 
rencontre  presque  exclusivement;  le  chapiteau  perse, 
tel  que  nous  le  connaissons,  est  composé  de  deux  demi- 
taureaux  adossés  \  qui  supportent  de  leur  tête  puis- 
sante le  poids  de  Tentablement  et  reposent,  tantôt 
directement  sur  le  fût,  comme  dans  les  colonnes  des 
tombes  royales  de  Nakch-i-Roustem  ^  ou  celles  du  pa- 
lais de  Xerxès  à  Persépolis,  tantôt  cdui  sont  reliés  par 
tout  un  système  compliqué  d'ornements  interposés  »', 
ainsi  que  cela  a  lieu  dans  les  colonnes  des  propylées 
du  même  Xerxès  ou  dans  celles  du  palais  d*Artaxerxès 
à  Suse  \  Dans  le  premier  cas  le  chapiteau  n'a  d'autre 
ornementation  végétale  que  la  rosace  qui  s'étale 
parfois  au  milieu  du  carré  destiné  à  séparer  les  deux 
taureaux  ^  Dans  le  second  cas,  outre  cette  rosace  deux 


1.  Flandin  et  Costa,  op.  laud.,  pi.  CLXXVII.  —  M.  Dieula- 
foy,  op.  laud, y  vol.  Il,  p.  83,  fig.  63.  —  Perrot,  op.  laud.,  vol. 
V,  p.  452,  fig.  289.  Dans  le  portique  du  grand  palais  de  Xerxès, 
les  taureaux  sont  remplacés  par  des  licornes. 

2.  Flandin  et  Coste,  op.  laud.,  pi.  CLXVI  et  CLXXII.  —  M. 
Dieulafoy,  op.  laud.,  vol.  III,  pi.  I. —  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V, 
pi.  I,  p.  619,  fig.  384,  p.  623,  fig.  386  et  p.  629,  fig.  392. 

3.  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  491,  fig.  311. 

4.  Flandin  et  Coste,  op.  laud.,  pi.  LXXV.  —  Perrot,  op.  laud., 
vol.  V,  p.  393,  fig.  312,  et  p.  780,  781,  fig.  665  et  666. 

6.  Propylées  de  Xerxès.  Flandin  et  Coste,  op.  laud.,  pi. 
XCHI.  —  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  491,  492  et  701,  fig.  311, 
312,  313  et  430. 


116  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANfENS 

fois  répétée,  on  trouve  encore  des  motifs  de  décora- 
tion empruntés  au  monde  végétal  dans  le  prolonge- 
ment compliqué,  dont  l'architecte  perse  a  cru  devoir 
couronner  la  nudité  du  fût,  espèce  de  chapiteau  divisé, 
dans  le  sens  vertical,  en  deux  parties  égales  et  de 
formes  contraires*.  «  L'une,  celle  qui  repose  sur  le  fût 
aminci,  est  un  cylindre  dont  les  génératrices,  à  l'ex- 
trémité supérieure,  se  raccordent  avec  un  quart  de 
rond  renversé;  sur  ce  quart  de  rond  repose  l'autre 
moitié  du  chapiteau,  qui  affecte  ainsi  au  point  de  dé- 
part, la  forme  cylindrique;  la  partie  supérieure  est 
terminée  par  un  cavet  '.» 

On  a  proposé  d'admettre  que  l'idée  première  de  ce 
double  chapiteau  a  été  suggérée  par  la  tête  du  palmier; 
la  partie  inférieure  avec  ses  masses  tombantes  figure- 
rait les  frondes  desséchées,  rabattues  sur  le  tronc  ;  la 
partie  supérieure  avec  ses  divisions  ascendantes  re- 
présenterait les  feuilles  nouvelles,  qui  s'élancent  au- 
dessus  du  feuillage  flétri,  légèrement  courbé  sous  leur 
poids  ^.  On  peut  donner  de  ces  formes  une  explica- 
tion plus  simple  et,  je  crois,  plus  vraisemblable, 
et  voir  dans  la  partie  inférieure  du  chapiteau  une  re- 
production non  évasée  du  socle  campaniforme,  tel  que 
le  présentent  les  colonnes  du  grand  palais  de  Suse; 
dans  la  pai^tie  supérieure  une  imitation  du  chapiteau 


1.  Propylées  de  Xerxès  à  Persépolis.  Flandin  et  Coste,  op, 
laud.,  pi.  LXXV.  —  Perrot,  op.  laud,,  vol  V,  p.  493,  fig.  312 
et  313,  p.  497,  fig.  318  et  pi.  VI.  —  M.  Dieulafoy,  L Acropole 
de  Suse,  p.  325,  fig.  203. 

2.  Ch.  Chipiez,  Histoire  critique  de  Vorigine  et  de  la  forma- 
tion des  ordres  grecs.  Paris,  1876,  in-4,  p.  101. 

3.  Flandin,  Relation  du  voyage  en  (Perse),  vol.  II,  p.  156.  — 
Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  492. 


LES  PUNTES  DANS  L'ART  DES  IRANIENS  117 

papyriforme  égyptien*,  surmonté  seulement  par  un 
quart  de  rond  orné  d'oves,  décoration  que  ne  connaît 
pas  celui-ci.  Quoi  qu'il  en  soit,  Tornementation  végétale, 
on  le  voit,  serédui^ici  à  peu  de  chose.  Elle  n'apparaît 
véritablement  que  dans  les  rosaces  des  quatre  volutes 
appliquées  aux  deux  côtés  du  prisme  cannelé,  qui  relie 
le  chapiteau,  que  je  viens  de  décrire,  au  groupe  des 
deux  demi-taureaux  '.  Ces  rosaces  d'ailleurs  ne  sont 
pas  les  seules  qui  servent  d'ornementà  la  colonne  perse; 
chacun  des  demi-taureaux,  qui  en  forment  le  couron- 
nement, porte  un  collier,  couvert  de  rosaces  sembla- 
bles, et  auquel  pend,  au  milieu  du  fanon,  une  espèce 
de  fleur  de  lotus. 

Les  rosaces  ou  anthémions,  qui  occupaient. une  si 
grande  place  dan»  la  décoration  des  monuments  assy- 
riens n'ont  pas  jolie  un  moindre  rôle  dans  celle  des 
monuments  perses  ;  de  dimensions  variables,  tantôt  à 
six,  d'autres  fois  à  huit  ou  à  douze  fleurons,  elles  ont 
servi  à  orner  non  seulement  les  détails  des  chapiteaux, 
mais  les  chambranles  des  portes  ou  des  fenêtres,  la 
main  courante  des  escaliers,  les  soubassements  et  les 
frises,  etc.  Elles  n'y  apparaissent  pas  seules  toutefois  ; 
on  y  rencontre  aussi  les  autres  formes  empruntées  par 
l'art  égyptien  ou  assyrien  au  règne  végétal,  en  par- 
ticulier les  palmettes  qu'on  trouve,  soit  isolées,  soit 
portées  sur  des  tiges  flexibles  et  parfois  alternant 
avec  des  lotus.  Ces  derniers  ornements  ont  surtout  été 
mis  en  œuvre  par  les  enlumineurs  des  derniers  temps 


1.  Charles  Joret,  Les  plantes  dans  V antiquité j  vol.  I,  p.  223. 
—  Cf.  M.  Dieulafoy,  op.  laud.,  vol.  II,  p.  82. 

2.  Flandin  et  Coste,  op.  laud.,  pi.  LXXV.  —  Perrot,  op. 
aud.,  voL  V,  p.  493,  494,  497  et  780-78i,  fig.  312,  313,  318,  465, 
et  466. 


118  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

des  Achéménides,  les  rosaces  ont  été  plutôt  employées 
comme  motifs  de  décoration  par  les  sculpteurs.  C'est 
ainsi  que  la  porte  d'une  des  tombes  royales  de  Persé- 
polis  est  encadrée  d*une  triple  rangée  d'anthémions  ^ 
De  même  les  ressauts  du  quart  de  rond  godronné,  par 
lequel  se  termine  la  main  courante  dos  escaliers  aux 
palais  de  Darius  et  de  Xerxès,  sont  décorés  chacun 
d'une  rosace*.  Des  rangées  de  larges  rosaces  aussi  en- 
cadrent les  différentes  scènes  représentées  sur  les  bas- 
reliefs  des  palais  persépoli tains  :  défilé  des  grands  du 
palais,  des  archers  doryphores'  et  des  tributaires*, 
combat  d'un  lion  et  d'un  taureau*,  etc.  Ce  dernier 
comme  les  taureaux  des  chapiteaux,  porte  môme  un 
collier  orné  de  rosaces.  Les  taureaux  à  figure  humaine 
qui  se  dressent  à  l'entrée  du  portique  Viçadahyu  de 
Xerxès,  portent  aussi  un  collier  décoré  de  rosaces  et 
leur  mitre  est  également  ornée  d'une  rangée  de  ces 
mêmes  fleurs*. 
Sur   le   bas-relief  de  la  salle  hypostyle  de  Xerxès, 


1.  M.  Dieulafoy,  op,  Jaud.,  vol.  H,  p.  31,  fig.  18.  —  Perrot, 
op,  laud.,  vol.  V,  p.  527,  fig.  338. 

2.  Flandin  et  Coste,  op.  /awrf.,  pi.  XCIV.  —  M.  Dieulafoy, 
op.  laud.j  vol.  m,  p.  80,  fig.  111.  —  Perrot,  op.  laud.y  vol.  V, 
p.  531  et  532,  fig.  340  et  341.  —  Flandin  et  Costa,  op.  laud., 
pi.  XCV,  XCVI,  XCVII. 

3.  Flandin  etCoste,  op.  laud.,  pi.  LXXV,  XCVII  et  XCIX.— 
Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  798,  821  et  822,  fig.  472,  483  et 
484. 

4.  Flandin  et  Coste,  op.  laud.,  pi.  CV,  CVIII,  CIX.  —  M. 
Dieulafoy,  op.  laud.,  vol.  Il,  pi.  XV.  —  Perrot,  op.  laud.,  vol. 
V,  p.  800,  804  et  805,  fig.  473,  475,  476. 

5.  Flandin  et  Coste,  op.  laud.,  pi.  Cil.  —  M.  Dieulafoy,  op. 
laud.,  vol.  III,  pi.  XVIIl.  —  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  835, 
fig.  491. 

6.  Flandin  et  Coste,  op.  laud.,  pi.  LXXV,  —  M.  Dieulafoy, 
op.  laud.,  vol.  II,  pi.  XII. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  DES  IRANIENS  119 

on  voit  aussi  se  dresser,  entre  les  divers  groupes  de 
personnages,  des  conifères  qu'à  leur  forme  pyrami- 
dale on  reconnaît,  malgré  la  représentation  conven- 
tionnelle des  branches  et  des  fruits,  pour  des  cyprès*. 
A  cet  arbre  s'associe  sur  le  couronnement,  encadré 
d'anthémions,  de  l'escalier  du  palais  n®  2  de  Persépo- 
lis,  la  forme  conventionnelle  du  dattier,  avec  la  pal- 
mette  qui  le  termine  à  son  sommet  et  sa  tige  garnie 
de  feuilles  courtes  et  recourbées  ou  plutôt  d'écaillés 
destinées,  dans  la  pensée  du  sculpteur  iranien,  à  re- 
présenter les  restes  du  pétiole  des  frondes  tombées*. 
Le  cyprès  et  le  palmier  servent  sur  ce  bas-relief  à 
remplir  un  espace  nu  bien  plus  qu'ils  ne  sont  un  motif 
de  décoration.  Tel  est  encore  le  rôle  dos  rangées  de 
palmiers  de  grandeur  inégale,  mais  aux  mêmes  for- 
mes conventionnelles,  qu'on  voit  sur  le  couronnement 
des  escaliers  aux  palais  n**"  2  et  4  de  Persépolis  \ 

Ces  motifs  de  décoration  ne  sont  pas  particuliers 
aux  bas-reliefs;  à  part  les  cyprès,  on  les  retrouve  éga- 
lement et  souvent  combinés  avec  plus  d'ingéniosité 
sur  les  brique^  émaillées,  qui  sont  entrées  en  si  grande 
quantité,  dans  la  construction  et  l'ornementation  du 
palais  d'Ârtaxerxès  à  Suse.    Des  briques   émaillées, 

1.  Flandin  et  Costa,  op.  /au^./pl.  CV,  CVI,  etc.  —  Stolze  et 
Andréas,  Persépolis ,  ap.  F.  Justi,  Geschichte  des  alten  Persiens, 
p.  106.  —  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  800,  804,  805  et  841, 
fig.  473,  475,  'j76  et  \9'S. 

2.  Flandin  et  Coste,  op.  laud.,  pi.  XCVIII  et  XCIX.  Charles 
de  Linas  a  voulu  voir  dans  ce  palmier  si  bien  caractérisé  une 
«  graminée  ».  Les  origines  de  V orfèvrerie  cloisonnée.  Paris,  1877- 
1887,  in-4,  vol.  I,  p.  286. 

3.  Flandin  et  Coste,  op.  laud.,  pi.  CX  et  CXXXV.  —  Perrot, 
op.  laud.,  vol.  V,  p.  537  et  543,  fig.  345  et  349.  Trois  dattiers 
semblables  se  dressent  aussi  derrière  le  lion  qui  dévore  un 
taureau. 


120  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

découvertes  par  M.  Dieulafoy  et  dont  un  bon  nombre 
se  trouvent  au  musée  du  Louvre,  nous  offrent,  les  unes 
des  rosaces,  les  autres  des  palmettes,  des  feuilles 
conventionnelles  de  dattier  ou  même  des  fleurs  de  lo- 
tus'. L'une  d'elles,  dessinée  par  M.  Saint-Elme  Gau- 
tier, présente  sur  sa  face  supérieure  une  belle  rosace 
à  double  rangée  de  fleurons  arrondis,  qu'encadre  un 
listel  à  zigzags  *;  une  autre,  ornée  sur  le  plat  d'une 
rosace  semblable,  en  montre  trois  plus  petites  sur  le 
côté*. 

Les  débris  que  nous  possédons,  ornementation  en 
briques  émaillées  du  palais  de  Suse,  offrent  tous  ces 
motifs  de  décoration  combinés  souvent  de  la  manière 
la  plus  ingénieuse.  Sur  l'un,  qui  faisait  partie  de  la 
main  courante  du  grand  escalier  de  TApadâna  à  Suse, 
se  dressent  des  colonnes  formées  de  fleurs  de  lotus, 
lesquelles,  de  couleur  différente  et  à  deux  pétales  seuls 
visibles,  sont  superposées  les  unes  aux  autres;  la  der- 
nière  est  surmontée  par  une  palmette,  tandis  que  les 
briques  terminales  sont  décorées  de  rosaces  et  qu'une 
rangée  de  rosaces  court  aussi  à  la  base  du  revêtement*. 
Un  autre  fragment  de  la  main  courante  d'un  escalier 
de  Suse  a  également  pour  décoration  des  rangées  de 
fleurs  de  lotus,  mais  à  pétales  plus  recourbés  et  soudés 
complètement  entre  eux^ 

Il  faut  rapprocher  de  ce  genre  d'ornementation  la 

1.  M.  Dieulafoy,  L'Acropole  de  Suse,  p.  297-298. 

2.  Perrot,  op,  laud.,  vol.  V,  p.  537,  fig.  34'i.  —  M.  Dieulafoy, 
L'Acropole  de  Suse,  pi.  X,  1. 

3.  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  374,  fig.  350.  —  Dieulafoy, 
V Acropole  de  Suse,  p.  301,  fig.  176. 

4.  M.  Dieulafoy,  U Acropole  de  Suse,  pi.  VIII  et  p.  299,  fig. 
173.  —  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  538,  ûg.  346. 

5.  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V.  p.  763,  fig.  458. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  DES  IRANIENS  121 

décoration  d'un  merlon  de  travail  archaïque,  signalée 
par  M.  Dieulafoy  ^  ;  les  fleurs  de  lotus  superposées  dont 
elle  est  composée  ont  les  pétales  recourbés  et  munis 
d'appendices  lenticulaires  ou  de  déchirures  de  fantaisie. 
Un  fragment  de  litre  décorative,  provenant  également 
de  Suse  et  qui  occupe  sept  briques  en  hauteur,  a  pour 
motif  décoratif  central  des  disques  réunis  par  des  rubans 
et  entre  lesquels  s'appliquent  des  palmettes  opposées 
deux  à  deux  par  la  base*. 

Les  motifs  de  décoration  les  plus  beaux  et  les  plus 
élégants  sont  sortis  de  la  combinaison  des  palmettes 
entre  elles  ou  des  palmettes  et  des  fleurs  de  lotus.  Telle 
est  la  rangée  de  palmettes  qu'on  voit  sur  la  frise  des 
archers  et  sur  celle  des  lions  passant  à  Suse.  Au-dessus 
et  au-dessous  des  archers  doryphores'*,  au-dessus  des 
lions  seulement*,  règne  un  listel  composé  de  demi-cer- 
cles, reliés  deux  à  deux  par  un  nœud  surmonté  de  deux 
arcs  recourbés  que  couronne  une  palmette.  Une  rangée 
parallèle  d'anthémions  achève  la  décoration  florale 
de  ces  frises.  Sur  un  carreau  de  faïence,  provenant 
aussi  de  Suse,  on  voit  un  listel  d'une  élégance  encore 


1.  L Acropole  de  Suse,  p.  302,  fig.  178  et  pi.  XIII,  2. 

2.  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  539,  fig.  347.  —  M.  Dieulafoy, 
V Acropole  de  Suse,  p.  303  et  304,  fig.  180  et  pi.  XIIÏ,  1.  Le 
lotus,  employé  comme  motif  décoratif,  ne  se  rencontre,  à  ma 
connaissance,  dans  la  sculpture  iranienne,  que  sur  le  bas- 
relief  de  la  tombe  n»  10  à  Persépolis,  où  l'on  en  voit  une  fleur, 
couronnée  d'une  palmette,  se  dresser  entre  deux  lions  af- 
frontés. Flandin  et  Coste,  pi.  CLXIV.  —  Perrot,  vol.  V,  p.  544, 
fig.  350. 

3.  J.  Dieulafoy,  A  Suse,  p.  295.  —  Perrot,  op,  laud.,  vol. 
V,  p.  541,  fig.  348.  —  M.  Dieulafoy,  LAcropole  de  Suse,  p. 
288,  fig.  160  et  pi.  IV. 

4.  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  pi.  XI,  p.  818. 


122  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

plus  raffinée*;  la  disposition  générale  en  est  la  même 
que  pour  celui  des  frises  ;  mais  ce  qui  en  augmente  la 
grâce,  ce  sont  les  fleurs  de  lotus  qui  alternent  avec  les 
palmettes,  genre  de  décoration  où  Ton  ne  peut  mécon- 
naître une  influence  assjrio-égyptienne.  Les  deux  ran- 
gées de  losanges  qui  encadrent  ce  listel  sont,  eux,  bien 
perses  d'origine. 

Il  est  probable  que,  comme  les  émailleurs,  les  potiers 
iraniens  empruntèrent  —  parfois  au  moins  —  des 
motifs  de  décoration  au  règne  végétal;  mais  les  quel- 
ques spécimens  que  nous  avons  de  leur  art  sont  lisses 
ou  n'ont  d'autres  ornements  que  des  dessins  géomé- 
triques ;  je  ne  connais  qu'un  seul  vase,  bassin  rapporté 
de  Suse',  dans  le  fond  duquel  on  aperçoive  quelques 
traces  de  décoration  végétale,  une  espèce  de  rosace  au 
centre  et  trois  fleurs  indéterminées  aux  trois  renflements 
d'une  courbe  sinueuse  encadrée  dans  un  triangle. 

Si  la  glyptique  dédaignait  les  motifs  de  décoration 
tirés  du  règne  végétal,  elle  ne  négligeait  pas  néanmoins 
de  faire,  à  l'occasion,  figurer  des  arbres  ou  des  plantes 
dans  les  scènes  qu'elle  représentait.  C'est  ainsi  que 
sur  le  cachet  de  Darius,  au  Musée  britannique,  qui  nous 
montre  ce  prince  se  livrant  à  la  chasse  au  lion,  on  voit 
se  dresser  deux  palmiers,  l'un  devant,  l'autre  derrière 
le  char  royal'.  Sur  un  cylindre  qui  représente  une 
scène  analogue  à  celle  du  bas-relief  de  Béhistoun, 
Darius  châtiant  les  chefs  révoltés  qui  ont  été  faits  pri- 


1.  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  877,  fig.  352.  —  M.Dîeuiafoy, 
V  Acropole  de  S  use,  pi.  X.  2. 

2.  M.  Dieulafoy,  L'Acropole  de  Sùse,  pi.  Xlf,  13. 

3 .  J  asti ,  Gesch  ichle  des  alten  Per siens ,  p .  1 1 2 .  —  M .  Dieulafoy, 
Uart  antique  de  la  Perse,  vol.  III,  p.  93.  —  Perrot,  op.  laud., 
vol.  V,  p.  848,  fig.  496, 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  DES  IRANIENS  123 

sonniers,  on  voit  aussi  derrière  les  quatre  prisonniers, 
qu'on  amène  enchaînés  au  monarque,  se  dresser  un 
palmier  garni  de  spadices*.  Un  autre  cylindre,  le  «  ca- 
chet de  la  femme  Khsarsya  »,  représente  un  person- 
nage, une  couronne  à  la  main,  debout  devant  It  symbole 
de  vie  *. 

Regardés  comme  inutiles  parla  glyptique,  les  motifs 
de  décoration  végétale  furent,  au  contraire,  recherchés 
par  les  artistes  qui  travaillaient  les  métaux.  On  en 
trouve  une  application  curieuse  dans  le  revêtement  de 
la  grande  porte  qui  donnait  accès  à  Tenceinte  où  s*é- 
levait  le  palais  d'Artaxerxès  Mnémon\  Ce  revêtement 
était  formé  de  longues  plaques  de  bronze  quadrangu- 
laires,  au  centre  desquelles  s'étalait  une  double  rosace, 
dont  les  contours  étaient  repoussés  au  marteau.  Si  la 
décoration  végétale  était  ainsi  en  usage  dans  les  tra- 
vaux métalliques  les  plus  grossiers,  elle  devait  Têtre 
bien  plus  encore  dans  la  bijouterie  et  l'orfèvrerie  ;  mal- 
heureusement toutes  les  œuvres,  dont  ces  arts  avaient 
enrichi  les  palais  de  la  Perse  et  de  la  Susiane,  ont  été 
dispersées  et  détruites  après  la  chute  de  l'empire  des 
Achéménides,  et  nous  ne  pouvons  que  nous  représenter 
par  la  pensée  quels  gracieux  motifs  de  décoration  les 
embellissaient.  Nous  savons  au  moins  par  le  témoi- 
gnage des  anciens  que  les  artistes  grecs,  auxquels  les 
monarques  perses  firent  souvent  appel  à  l'époque  de 
leur  puissance,  avaient  fabriqué  pour  eux  des  bijoux 


1.  J.  Menant,  Recherches  sur  la  glyptique  orientale,  vol.  II, 
pi.  IX,  fig.  1.  —  Perrot,  op.  laud.,  vol  V,  p.  851,  fig.  498. 

2.  J.  Menant,  Recherches,  vol.  11,  p.  172,  fig.  150.  —  Perrot, 
op.  laud.,  vol.  V,  p.  850,  fig.  497. 

3.  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  557,  fig.  353.  —  Dieulafoy, 
L'Acropole  de  Suse,  p.  238,  fig.  129. 


124  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

dont  les  formes  étaient  empruntées  au  monde  des 
plantes  ;  telle  était  la  vigne  d'or  *,  dont  les  grappes 
étaient  faites  en  pierres  cabochons  de  toute  espèce, 
œuvre,  croyait-on  ',  de  Théodore  de  Samos,  qui  ombra- 
geait lai  couche  du  grand  roi,  auquel  elle  avait  été 
donnée  par  le  lydien  Pythies*.  Tel  encore  le  platane 
d'or,  présent  du  même  Pythies  à  Darius,  qu'on  voyait 
dans  un  des  palais  royaux,  peut-être  dans  la  salle  du 
trône,  mais  dont  un  ambassadeur  grec,  rapporte  Xé- 
nophon*,  aurait  dit  par  dérision  qu'  «  il  ne  donnerait 
pas  assez  d'ombre  pour  mettre  même  une  cigale  à  l'abri 
du  soleil  ». 

Les  étoffes,  —  tapis,  robes,  tentures,  —  que  les 
artistes  de  l'Iran  aimaient  à  embellir  de  dessins  variés, 
géométriques  parfois,  mais  qui  souvent  aussi,  sinon 
plus  souvent,  reproduisaient  des  fleurs  ou  d'autres 
formes  végétales,  ont,  comme  les  bijoux  et  les  tra- 
vaux d'orfèvrerie,  disparu  sans  laisser  d'autre  trace 
qu'un  vague  souvenir.  Les  bas-reliefs  et  les  briques 
éraaillées  toutefois,  en  représentant  les  personnages 
qui  s'en  paraient  ou  les  édifices  qu'elles  ornaient,  nous 
permettent  de  nous  faire  une  idée  du  genre  de  décora- 
tion végétale  qui  les  embellissait.  La  rosace  s'y  rencon- 
trait le  plus  souvent.  Le  bord  frangé  de  la  robe  du 
personnage  symbolique,  qu'on  s'accorde  à  regarder 
comme  l'effigie  de  Cyrus^  est  garnie  d'une  rangée 

1 .  Himerius,  Eclogae,  XXXI,  8. 

2.  Athénée,  Deipnosophistae,  lib.  XII,  514  f.  —  Charles  de 
Linas,  Les  origines  de  Vorfèvrerie  cloisonnée^  vol.  I,  p.  213. 

3.  Hérodote,  Historiae,  lib.  VII,  cap.  27. 

4.  Ilellenicay  lib.  I,  cap.  7,  38. 

5.  M.  Dieulafoy,  L'art  antique  de  la  Perse,  vol.  I,  p.  34,  pi. 
XVII  et  L'Acropole  de  Suse,  p.  50,  fig.  34.  —  Perrot,  op.  laud., 
vol.  V,  p.  787,  fig.  467. 


LES  PLANTES  DANS  L'AftT  DES  IRANIENS 


125 


d'anthémions.  Une  dalle  émaillée  de  Suse,  qui  reproduit 
un  morceau  de  la  robe  d'un  archer  perse,  est  couverte 
de  fleurons  à  quatre  pétales  allongés,  qui  dépassent  un 
cercle  concentrique  à  Tovaire  et  sont  inscrits  eux- 
mêmes  dans  un  losange*.  Les  robes  que  portent  une 
partie  des  Immortels  et  des  archers,  sur  les  frises  du 
palais  de  Suse,  sont  couvertes  de  rosaces,  tandis  que 
les  autres  sont  ornées  de  figures  géométriques*.  Ces 
longues  robes  ornées  de  dessins  brillamment  colorés 
frappèrent  d'étonnement  les  Grecs,  accoutumés  à  la 
simplicité  uniforme  de  leur  costume,  et  leurs  artistes 
n'ont  pas  manqué  d'en  reproduire  la  richesse  et  l'éclat, 
mais  d'une  manière  bien  souvent  conventionnelle  ou 
approximative,  quand  ils  ont  eu  à  représenter  les  sujets 
des  Achéménides'. 

La  décoration  des  tapis  et  des  tentures  devait  natu- 
rellement être  encore  plus  riche  et  plus  variée  que  celle 
des  robes  et  des  simples  étoffes  ;  les  figures  d'animaux 
réels  ou  fantastiques  y  abondaient*,  mêlées  à  des  dessins 
géométriques  ou  à  des  ornements  empruntés  au  règne 
végétal.  Si  la  dalle  de  revêtement,  ornée  d'un  listel  de 
palmettes,  alternant  avec  des  fleurs  de  lotus,  et  de  deux 
rangées  de  losanges,  que  j'ai  décrite  plus  haut,  est 
bien,  comme  Ta  supposé  M.  Dieulafoy%  la  copie  d'un 


1.  Perrot,  op,  laud.,  vol.  V,  p.  875,  fig.  531. 

2.  J.  Dieulstfoy,  A  Suse,  p.  295.  —  M.  Dieulafoy,  L'Acropole 
de  Suse,  pi.  V  et  VI  et  p.  288,  fig.  160.  —  Perrot,  op.  laud., 
vol.  V,  p.  541,  fig.  348  et  pi.  XII. 

3.  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  882. 

4.  Athénée  parlant  des  tapis  perses,  étendus  dans  la  salle 
des  fêtes  de  Ptolémée  Philadelphe,  dit  que  le  tissa  en  figurait 
<c  des  animaux  de  toute  sorte,  très  bien  représentés  ».  Deip- 
nosophistae,  lib.  V,  cap.  26,  p.  197.  B. 

5.  L Acropole  de  Suse,  p.  303. 


126  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

tapis,  elle  peut  nous  donner  une  idée  de  la  décoration 
de  Qe  genre  d^étoffes  chez  les  Iraniens.  La  reproduction 
du  dais  royal,  ciselé  sur  une  des  portes  de  la  salle 
aux  cent  colonnes,  nous  montre  ce  qu^étaient  les  ten- 
tures des  palais  perses*.  On  y  voit  deux  rangées,  Tune 
de  lions  passant,  Tautre  de  taureaux  s'avançant  de 
droite  à  gaucbe  et  de  gauche  à  droite  vers  remblême 
ailé  d'Ahura  Mazda,  placé  au  milieu  d'eux  ;  au-dessous 
du  défilé  des  lions  règne  une  rangée  simple  de  rosaces, 
au-dessus  du  défilé  des  taureaux  court  aussi  une  double 
rangée  de  ces  mêmes  fleurs. 


La  chute  de  Tempire  des  Achéménides  entraîna  la 
ruine  de  la  civilisation  et  de  l'art  perse  ;  celui-ci  était 
déjà  en  pleine  décadence  quand  Alexandre  vainquit 
Darius  Codoman  et  asservit  Tlran  ;  cette  décadence  se 
précipita  sous  la  domination  des  Séleucides.  <(  Les 
antiques  palais,  remarque  StrabonS  furent  abandonnés 
pour  des  demeures  plus  modestes  »  et  les  résidences 
grandioses,  dans  lesquelles  les  monarques  perses  s'é- 
taient eflbrcés  de  rivaliser  entre  eux  et  avec  les  sou- 
verains de  la  Mésopotamie  ou  les  pharaons  de  l'Egypte, 
tombèrent  en  ruines  et  ne  devaient  jamais  être  relevés. 
Les  Parthes,  qui  mirent  fin  à  la  puissance  des  Séleu- 
cides, n'essayèrent  pas  de  les  rebâtir  et  leurs  archi- 


1.  Flandin.et  Coste,  op.  laud,,  pi.  CLIV.  —  Dieulafoy,  Uart 
antique  de  la  Perse,  vol.  III,  p.  86,  fig.  115.  — Id.,  VAcropole 
de  Suse,  p.  307,  fig.  186.  —  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  716, 
fig.  436.  Le  dessin  de  M.  Dieulafoy  représente  une  double  pro- 
cession de  taureaux  seulement  et  point  de  lions. 

2.  Geographica,  lib.  XV,  cap.  3,  3. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  DES  IRANIENS  127 

tectes,  à  en  juger  par  les  rares  monuments  contempo- 
rains de  leur  domination,  n'étaient  point  en  état  d'arrêter 
la  décadence  de  l'art  iranien  ou  de  s^inspirer  de  ses 
anciennes  traditions.  Les  monuments  qu'ils  ont  élevés 
ne  rappellent  que  de  bien  loin  ceux  de  l'époque  des 
Achéménides  et  témoignent  des  influences  nouvelles 
auxquelles  ils  obéissaient. 

C'est  ainsi  qu'un  édifice  religieux,  dont  les  restes 
sont  englobés  dans  les  maisons  du  village  de  Kingavar, 
est  «  construit  dans  un  style  grec  abâtardi*  ».  Ruine 
d'un  temple  de  Diane,  contemporain  des  premiers 
Arsacides,  les  colonnes  qui  appartiennent  à  l'ordre 
dorique  méritent  de  fixer  l'attention  ;  mais  comme  elles 
n'ont  aucun  caractère  iranien  et  qu'on  n'y  trouve  aucun 
motif  de  décoration  végétale,  elles  n'offrent  rien  qui 
doive  nous  arrêter.  11  en  est  tout  autrement  du  palais 
de  Hatra,  situé  sur  la  rive  gauche  du  Tigre  à  140  kilo- 
mètres environ  au  Sud-Ouest  de  Mossoul*.  Si  la  modé- 
nature  en  est  occidentale,  suivant  la  remarque  de 
M.  Dieulafoy ',  l'aspect  général  de  la  façade  composée 
d'arcs  «  portés,  à  la  manière  perse,  sur  des  pilastres 
ou  des  demi-colonnes  liées  à  la  maçonnerie  »,  trahit 
l'influence  asiatique  qui  a  présidé  à  la  construction  de 
ce  monument.  La  décoration  surtout  est  originale. 
«  Tous  les  arcs  sont  couronnés  par  une  archivolte 
ornée  d'oves*  allongées  et  de  feuilles  d'acanthe  »,  motif 


1.  M.  Dieulafoy,  Larl  antique ,  vol.  V,  p.  7. 

2.  Ross,  Journal  of  Ihe  royal  geographical  Society,  vol.  IX, 
p. 467-470.  —  Fergusson,  Hixlory  of  Architecture,  vol.  II,  p. 
423-425.  —  Ainsworth,  Geographical  Journal,  \o\.  XI,  p.  13. 
—  George  Rawlinson,  The  sixth  great  oriental  Monarchy, 
London,  1873,  in  8,  p.  375. 

3.  L'art  antique  de  la  Perse,  vol.  V,  p.  17. 


128  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

de  décoration  emprunté  à  la  Grèce,  et  c<  au  centre  des 
oves  est  encastrée  une  olive  de  marbre  noir*  ».  Le 
listel  des  pilastres  est,  comme  Tarchivolte  des  arcs, 
décoré  d'oves  et  d'olives  de  marbre.  Une  élégante 
corniche,  formant  astragale,  qui  règne  au-dessous  des 
chapiteaux  des  pilastres,  est  couverte  de  fleurs  légères, 
qui  correspondent  à  un  rang  de  demi-oves  disposées 
sur  un  listel  inférieur*. 

Non  moins  curieux  que  la  décoration  des  archivoltes 
et  des  pilastres  est  le  couronnement  de  la  porte  qui 
conduit  du  vestibule  C  à  la  salle  carrée  intérieure'.  Si 
on  y  retrouve,  comme  le  dit  M.  Dieulafoy,  tous  les 
éléments  de  Tentablement  persépolitain,  la  décoration 
en  est  moderne.  En  haut  du  linteau  un  listel  avec  des 
fleurs  lotiformes  ;  au-dessous  une  longue  bordure  for- 
mant zoophoron,  orné  de  têtes  et  d'animaux  symbo- 
liques ;  plus  bas  une  rangée  d'oves  ;  enfin  des  feuilles 
d'acanthe  finement  sculptées  qui  dissimulent  l'archi- 
trave. 

Les  débris  d'un  monument  funéraire,  découvert  à 
Warka  dans  l'ancienne  Chaldée  par  sir  William  Kennett 
Lofius*,  achève  de  nous  faire  connaître  l'emploi  que 
l'architecture  parthe  faisait  de  la  décoration  végétale. 
C'est,  par  exemple,  sur  un  chapiteau  quatre  feuilles 
d'acanthe  qui  soutiennent  les  angles  de  l'abaque; 
un  couronnement  de  pilastre  orné  à  sa  base  d'une 
rangée  d'oves  et  plus  bas  de  rosaces  et  de  feuilles, 


1.  M.  Dieulafoy,  L'art  antique^  vol.  V,  p.  18,  fig.  9. 

2.  M.  Dieulafoy,  op.  laud.^  vol.  V,  p.  19. 

3.  Rav^rlinson,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  379.  —  M.  Dieulafoy,  op. 
laud.y  vol.  V,  p.  20,  fig.  10. 

4.  Travels  and  researches  in  Chaldaea  and  Susiana,  p.  202- 
214. 


/ 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  DES  IRANIENS  129 

OU  une  frise  ornée  d'un  cep  chargé  de  raisins  et  de 
feuilles*. 

Ces  ornements  nouveaux  de  décoration  se  retrouvent 
sur'  les  monuments  contemporains  des  Sassanides  ; 
mais  ils  n'y  sont  pas  seuls.  Les  princes  de  cette 
dynastie  furent,  surtout  les  derniers,  de  grands  con- 
structeurs ;  ils  aspirèrent  à  rivaliser  avec  les  Achémé- 
nides,  dont  ils  se  prétendaient  les  légitimes  succes- 
seurs ;  aussi  l'art  de  bâtir  fit-il  de  grands  progrès 
sous  leur  règne;  la  décoration,  qui  doit  seule  nous 
occuper  ici*,  fut  entièrement  transformée.  Deux  mo- 
numents sassanides  de  nature  différente,  mais  l'un  et 
l'autre  contemporains  de  KhosrouII,  l'arc  de  triomphe 
de  Tak-i-Bostan  et  le  palais  de  Machista  en  Syrie  en 
sont  la  preuve  manifeste. 

Édifié  dans  le  pays  de  Moab  à  60  kilomètres  envi- 
ron à  l'Est  de  l'embouchure  du  Jourdain^,  le  palais  de 
Machista  se  fait  remarquer,  plus  encore  que  par  son 
étendue,  par  la  décoration  luxueuse  de  ses  façades;  un 
soubassement  en  assez  bon  état  permet  d'en  juger.  Un 

1.  Loftus,  op,  laud.,  p.  226.  —  Rawlinson,  op.  laud,,  vol.  V, 
p.  383.  —  M.  Dieulafoy,  op.  laud.,  voL  V,  p.  27,  fig.  16,  15  et 
11. 

2.  Pour  cette  raison  je  ne  dirai  rien  ni  des  palais  de  Sarvistan 
de  Firouz-Abàd  et  de  Ferach-Abâd^  monuments  voûtés,  dont 
M.  Dieulafoy  a  voulu  faire  remonter  la  construction  jusqu'à 
l'époque  des  Achéménides,  ni  du  Takht-i-Khosrou,  élevé  par 
Khosrou  I  à  Ctésiphon,  ou  du  Tak-î-Kesra,  palais  sassanide 
bâti  sur  les  bords  de  la  Kerkha,  mais  dont  il  ne  reste  que  des 
voûtes  et  des  arcatures  avec  quelques  créneaux.  M.  Dieulafoy, 
op.  laud.,  vol.  IV,  p.  1-59,  et  vol.  V,  p.  63-73.  —  Justi,  Ges- 
chichie  des  allen  Persien,  p.  209.  —  Perrot,  op.  laud.,  vol.  V, 
p.  561-577. 

3.  H.-B.  Tnstam,  The  land  o^  Moab.  TraveU  and  diicove- 
ries  on  Ihe  east  side  of  the  dead  Sea  and  the  Jordan.  London, 
1873,  in-8,  p.  195-215. 

JoRET.  —  Les  Plantes  dans  ranliquité.  II.  —  9 


iâO  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

socle  aux  profils  fort  accentués  porte  une  plinthe  divisée 
en  triangles  équilatéraux  par  des  moulures  saillantes. 
Dans  chacun  de  ces  triangles  est  inscrite  une  rosace 
en  haut-relief  et  au  contour  sinueux  ;  des  rosaces  sem- 
blables ornent  l'espace  resté  vide  entre  les  divers 
triangles.  Deux  rinceaux  formés  de  ceps  de  vigne, 
chargés  de  feuilles  et  de  raisins,  en  remplissent  Tinté- 
rieur;  les  souches  surgissent  d'un  vase  entouré  de 
fauves  et  des  oiseaux  se  jouent  dans  les  branches*.. 
Des  pampres  courent  également  entre  les  triangles. 
Les  listels  formés  par  leurs  doubles  côtés  sont  cou- 
verts de  feuilles  d'acanthe  ;  des  ornements  végétaux 
peu  distincts  décorent  aussi  les  moulures  de  la  base. 
On  voit,  au  contraire,  sur  les  chapiteaux  de  la  porte 
centrale  deux  rangées  de  feuilles  d'acanthe  finement 
sculptées.  Si  Ton  excepte  les  triangles  d'origine  bien 
iranienne,  ces  divers  motifs  de  décoration  nous  repor- 
tent tous  à  l'art  byzantin.  Ceux  du  talar  justement 
vanté  de  Tak-i-Bostan  sont,  eux,  incontestablement 
perses. 

Situé  près  de  Kermanchah,  il  se  compose  d'une 
voûte  cintrée,  dont  l'arc  extérieur  s'appuie  sur  deux 
colonnes  dépourvues  de  base  et  flanquées  de  deux  lar- 
ges pilastres*.  Sur  les  tympans  de  la  grande  arche 
d'entrée  sont  figurés  deux  génies  ailés,  une  couronne  à 
la  main  ;  trois  personnages  symboliques  remplissent 
l'espace  libre  du  cintre,  et  dans  le  registre  inférieur 
entre  les  deux  pilastres  un  bas-relief  représente  Khos- 

1.  Tristram,  op.  laud.,  p.  199  et  200,  n»»  21  et  22.  —  M. 
Dieulafoy,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  91  et  92,  fig.  66  et  67. 

2.  Flandin  et  Coste,  Voyage  en  Perse,  pi.  5.  —  Perrot,  op. 
laud.y  vol.  V,  p.  53 i,  fig.  343.  —  Dieulafoy,  op.  laud.,  vol.  V, 
p.  95-100,  fig.  69,  70,  71,  etc. 


I 
i 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  DES  IRANIENS  13J 

rou,  armé  de  toutes  pièces,  lalanceen  main  et  le  casque 
en  tête.  Il  est  surmonté  d'une  litre  garnie  d  un  cordon 
de  feuilles  de  vigne,  et  les  deux  pilastres  qui  le  flan- 
quent de  chaque  côté  sont,  ainsi  que  les  chapiteaux 
des  colonnes,  couverts  de  rinceaux  et  de  fleurs,  dont 
il  est,  au  premier  abord,  difficile  de  reconnaître  la  na- 
ture. Mais  si  on  examine  à  part  chaque  fragment  des 
rinceaux,  on  reconnaît  bien  vite,  «sous  Taspect  foliacé 
qui  les  déguise»,  les  palmettes  des  frises  persépoli- 
-  taines  ou  susiennes  *,  mêlées  à  des  feuilles  de  vigne  ou 
d'acanthe,  à  des  boutons  et  à  des  fleurs  de  convention, 
de  manière  à  former  un  ensemble  harmonieux  et  élé- 
gant. Les  chapiteaux  offrent  à  leur  partie  supérieure 
un  listel  orné  de  courbes  cordiformes,  dans  lesquelles 
sont  encastrés  des  espèces  de  lotus  héraldiques;  à 
la  base  règne  une  rangée  de  fausses  palmettes;  au  cen- 
tre se  dresse  une  tige  articulée,  qui  porte  à  chaque 
nœud,  en  guise  de  palmettes,  une  paire  d'ailes  ou  de 
vols,  accompagnés  de  lotus  transformés  ou  de  margue- 
rites. 

L'artiste  iranien  ne  s'était  pas  contenté  de  repré- 
senter sur  les  bas-reliefs  de  Tak-i-Bostan  le  portrait 
équestre  de  Khosrou  et  l'image  symbolique  de  son 
avènement  au  trône,  il  avait  aussi  sculpté  des  deux 
côtés  du  cintre  deux  grandes  chasses  *,  qui  rappellent 
des  scènes  analogues  que  nous  avons  vues  sur  les  bas- 
reliefs  égyptiens.  Une  de  ces  sculptures  représente 
une  chasse  aux  sangliers  ;  au  centre  est  un  étang  dans 
lequel  nagent  des  poissons,  tandis  que  des  canards 
prennent  dessus  leurs  ébats  ;  à  gauche  des  rabatteurs 


1.  M.  Dieulafoy,  opJaud.,  vol.  V,  p.  97. 

2.  Flandin  et  Coste,  Voyage  en  Pense,  vol.  I,  pi.  X  et  XII. 


132  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

montés  sur  des  éléphants  ramènent  les  sangliers  qui 
fuient,  les  uns  vers  l'étang,  les  autres  vers  la  droite 
du  parc,  où  des  filets  les  arrêteront  ;  le  roi  monté  sur 
une  barque  frappe  au  hasard  les  fuyards  de  ses  traits. 
Le  tableau  de  la  chasse  est  parlant  ;  mais  le  paysage 
est  négligé  ;  il  est  difficile  en  particulier  de  reconnaî- 
tre aucune  des  plantes  ou  des  arbustes  du  parc  ;  ce 
sont  de  simples  broussailles  ou  de  grandes  herbes, 
telles  qu'on  en  voit  autour  des  marécages.  Sur  le  second 
bas-relief  apparaissent  quatre  arbres;  mais  tout  ce 
qu'on  en  peut  dire,  c'est  qu'ils  appartiennent  à  deux 
espèces  différentes.  La  chasse  est  d'ailleurs  traitée 
d'une  manière  analogue  à  celle  du  premier. 

Les  orfèvres  sassanides  ont  eu  recours,  dans  leurs 
œuvres,  aux  mêmes  motifs  de  décoration  que  les  sculp- 
teurs. C'est  ainsi  que  sur  une  coupe  en  argent  massif  de 
cetteépoque*,  présent  de  M.  le  duc  de  Luynes  à  la  Biblio- 
thèque, nationale,  on  voit  une  scène  de  chasse  analo- 
gue à  celles  que  représentent  les  bas-reliefs  de  Tak-i- 
Bostan,  mais  sans  aucun  ornement  d'origine  végétale. 
On  voit  également  des  scènes  de  chasse,  qui  semblent 
bien  être  encore  un  travail  sassanide,  sur  des  coupes 
du  Musée  de  l'Ermitage,  trouvées  dans  le  gouverne- 
ment de  Perm;  l'artiste,  il  est  vrai,  a  négligé  de  dessi- 
ner le  paysage,  au  milieu  duquel  se  trouve  le  chasseur 
royal  et  les  fauves  qu'il  poursuit  ;  mais  sur  l'une  d'elles 
il  a  représenté  un  palmier    qui    se  dresse  au    mi- 


1.  A.  de  Longpérier,  Explication  d'une  coupe  sassanide  iné» 
dite.  (Annales  de  VInstitut  de  correspondance  archéologique , 
vol.  XV  (1843),  p.  100).  —  M.  Chabouillet,  Catalogue  général 
et  raisonné  des  camées  et  pierres  gravées  de  la  Bibliothèque 
impériale.  Paris,  1838,  in-12,  p.  468,  n^  2881  (3114  du  catalogue 
actuel).  —  M.  Dieulafoy,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  103,  fig.  94. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  DES  IRANIENS  133 

lieu  de  la  scène  ;  sur  une  autre,  au-dessous  de  Tune  des 
chasses,  on  voit  un  sanglier  atteint  par  un  trait  et  cou- 
ché au  milieu  d'arbustes  sur  le  bord  d  une  pièce  d'eau 
qu'animent  de  leurs  ébats  un  canard  et  deux  petits  pois- 
sons*. Au  fond  d'une  coupe  en  argent  également  sas- 
sanide,  au  Cabinet  des  médailles  de  la  Bibliothèque 
nationale,  est  représenté  un  tigre  marchant  au  milieu 
d'un  fourré  de  lotus  conventionnels*.  Un  motif  ana- 
logue de  décoration  nous  offre  le  col  d'une  œnochoé 
du  musée  de  l'Ermitage,  sur  lequel  on  voit  des  cigognes 
chassant  au  milieu  de  plantes  aquatiques.  Au-dessous 
de  ce  paysage  vivant  court  une  zone  de  fleurons,  et 
sur  la  partie  la  plus  renflée  du  vase  est  représenté  en 
double  un  griffon  que  fait  boire  un  enfant,  et  sur  les 
petits  côtés  deux  personnages  chevauchant  un  monstre 
fantastique  à  tête  humaine  ;  deux  arbustes  ombragent 
de  leurs  rameaux  ces  scènes,  qu'encadre  une  ceinture 
de  palmettes  et  de  feuillage  conventionnel'. 

L'origine  et  la  date  de  cette  œnochoé  sont  incertai- 
nes ;  on  a  daté  du  iv°  siècle  et  vu, non  sans  raison,  une 
œuvre  sassanide  dans  une  aiguière  en  argent  massif, 
qui  porte  le  numéro  31 12  dans  le  Cabinet  des  médailles 
à  la  Bibliothèque  nationale  ;  elle  a  pour  ornement  deux 
groupes  semblables  de  lions  «  qui  se  croisent  pour  s'é- 
lancer en  sens  contraire  »;  entre  ces  groupes  se  dresse 

1 .  Charles  de  Linas,  Les  origines  de  Vorfèvrerie  cloisonnée ^ 
vol.  II,  p.  45-48.  —  Compte-rendu  de  la  commission  impériale 
archéologique  pour  Vannée  1867.  Saint-Pétersbourg,  1868,  in- 
fol.,  p.  154-155.  —  Joseph  Hampel,  Der  Goldfund  von  Nagy- 
Szent'Miklôs  sogenannier  «  Schatz  des  Attila  ».  Budapesth, 
1886,  in-4,  p.  90-93,  fig.  46-49. 

2.  M.  Chabouillet,  op.  laud.,  p.  469,  n»  2882  (3183  du  nou- 
veau catalogue). 

3.  J.  Hampel,  op.  laud.,  p.  22  et  83,  fig.  10,  13. 


134  LES  PLANTES  CHE2  LES  IRANIENS 

la  tige  rameuse  du  hom  sacré*.  Deux  coupes  du  même 
Cabinet  doivent  encore  fixer  notre  attention  :  la  coupe 
en  or  dite  de  Khpsrou  et  la  coupe  en  argent  de  la  déesse 
Anaïtis.  Au  fond  de  la  première,  bien  souvent  décrite, 
est  représenté  Khosrou  en  costume  royal  et  assis  sur 
un  trône  supporté  par  deux  chevaux  ailés  ;  autour  de 
cette  figure  règne  une  triple  rangée  circulaire  de 
fleurons  décroissants  à  quatre  lobes  et  à  quatre  poin- 
tes, entremêlés  de  losanges  de  diverses  couleurs  '.  La 
coupe  de  la  déesse  Anaïtis  —  Nana-Anat  — ,  œuvre 
d'art  de  l'époque  sassanide  encore,  représente  cette 
déesse  assise  sur  un  marticoras  et  entourée  par  huit 
personnages  afférentes  deux  par  deux  ;  l'un  d'eux  tient 
de  la  main  droite  un  oiseau  —  un  épervier,  dit  M.  Cha- 
bouillet  — ,  de  la  gauche  une  branche  conventionnelle 
de  lotus,  «  au  haut  de  laquelle  s'épanouit  une  fleur  vue 
de  face,  à  côté  d'une  deuxième  fleur,  dont  le  calice 
est  plus  maigrement  profilé  »  ;  un  autre  tient  dans  la 
main  droite  une  coupe  et  do  la  main  gauche  une  espèce 
de  palme^  ou  de  flabellum. 

Bien  qu'on  en  ait  contesté  l'origine  sassanide  et 
qu'on  ait  voulu  y  voir  un  produit  de  cet  art  semi-bar- 


1.  M.  Chabouillet,  op.  laud.y  p.  467,  n»  2880.  —  Charles  de 
Linas,  op,  laud.,  vol.  H.  p.  357.  —  M.  Dieulafoy,  op,  laud., 
vol.  V,  p.  104,%.  95  et  96. 

2.  Chabouillet,  op.  laud.,  p.  36i,  n«  2538  (374  du  catalogue 
actuel).  —  Charles  de  Linas,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  225,  pi.  \ bis. 

—  M.  Dieulafoy,  op.  laud.,  pi.  XXII. 

3.  M.  Chabouillet,  op.  laud.,  p.  469,  n«»  2883  (3114  du  nou- 
veau catalogue).  —  Charles  de  Linas,  op.  laud.,  vol.  II,  p.  358. 

—  A.  Odobesco,  Coupe  d'argent  de  la  déesse  Nana-Anat. 
(Gazette  archéologique,  vol.  X  (1885),  p.  286-296  et  vol.  XI 
(1886),  p.  5-15  et  70-86). 


LES  PLANTES  DANS  L»ART  DES  IRANIENS  135 

bare*,  contemporain  de  Tinvasion,  si  bien  caractérisé 
par  M.  Ferdinand  de  Lasteyrie  ',  il  me  faut  dire  un  mot 
au  moins  de  quatre  des  pièces  du  célèbre  trésor  dé- 
couvert, en  1837,  à  Pétrossa  en  Valachie  :  une  tasse 
octogone  à  deux  anses,  et  une  autre  tasse  dodécagone 
analogue  à  la  précédente,  un  grand  plat  et  une  patère 
historiée \  Un  fleuron  central,  tel  que  nous  en  avons 
rencontré  sur  les  monuments  perses  et  assyriens*,  con- 
stitue Tornement  principal  du  plateau  et  s'étend  jusqu'à 
la  bordure  ;  celle-ci  consiste  en  un  chevronné  courant, 
«  dont  chaque  triangle  inscrit  une  sorte  de  feuille  de 
vigne  côtelée  qu'épousent  des  pampres"  ».  La  patère 
historiée,  qui  consiste  en  une  écuelle  circulaire,  mon- 
tée sur  un  pied  très  bas,  est  faite  de  deux  lames  épais- 
ses en  or,  appliquées  Tune  sur  l'autre;  l'extérieure  est 
unie,  l'intérieure  est  décorée  d'une  série  de  figures 
ou  d'ornements  disposés  en  zones  concentriques.  Au 
centre   se  dresse  la  statuette  massive  d'une  femme 


1.  A.  Odobesco,  Le  trésor  de  Pétrossa.  Historique.  Descrip- 
tion. Étude  sur  Vorfèvrerie  antique.  Paris,  1889,  in-fol.,  vol.  I 
(le  seul  paru  malheureusement),  p.  83.  «  Le  trésor  de  Pé- 
trossa prouve  l'existence  d'une  industrie  toute  spéciale,  prati- 
quée soit  directement  par  les  Goths,  soit  par  des  ouvriers 
étrangers  à  cette  nation,  mais  travaillant  pour  l'usage  et  selon 
le  goût  des  Barbares.  » 

2.  Ferdinand  de  Lasteyrie,  Histoire  de  Vorfèvrerie  depuis 
les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  nos  jours.  Paris,  1875,  in-12, 
p.  67. 

3.  Dr.  Fr.  Bock,  Dcr  Schatz  des  Westgothenkônigs  Athana- 
rich.  (Mittheilungen  der  K.  K.  Central  Commission  zur  Er- 
forschung  und  Krhaltung  der  Baudenkmale.  Wien,  vol.  XIII 
(1868),  in-4,  p.  105-120).  —  Charles  de  Linas,  o/?.  laud.y  vol.  1, 
p.  232  et  vol.  III,  p.  292-293. 

4.  A.  Odobesco,  Le  trésor  de  Pétrossa,  vol.  I,  p.  212. 

5.  Dr.  Fr.  Bock,  op.  laud,,  p.  108.  —  Charles  de  Linas,  op. 
laud.,  vol.  III,  p.  293." 


136  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

assise  sur  un  escabeau  massif  que  décore  un  pampre  ; 
sur  la  première  zone  qui  l'entoure  est  représenté  un 
berger  couché  dans  l'attitude  du  sommeil  ;  un  chien 
repose  à  ses  pieds  et  derrière  sa  tête  on  voit  une  pan- 
thère que  suivent  deux  ânes,  un  lion  et  un  ânon.  La 
seconde  zone  beaucoup  plus  large,  que  sépare  de  la 
première  un  double  filet  et  une  torsade,  montre  seize 
personnages,  entre  lesquels  grimpent  ça  et  là  des  plan- 
tes sarmenteuses,  lierre  et  coloquinte.  La  troisième 
zone,  comprise  entre  une  torsade  et  un  filet  de  perles, 
qui  borde  la  coupe,  est  ornée  d'une  guirlande  de  vi- 
gne conventionnelle,  dont  les  pampres  et  les  grappes 
mordent  par  intervalles  le  champ  de  la  seconde  zone*. 

Tout  autre  est  la  décoration  des  deux  tasses  ;  des 
fleurons  cloisonnés  en  sont  l'élément  essentiel.  Ainsi  la 
tasse  octogone  se  compose  d'un  double  rang  de  quatre 
panneaux  chacun,  qui  sont  séparés  par  des  traverses 
gemmées  et  encadrent  des  rosaces  ajourées,  celles  d'en 
bas  à  huit,  celles  d'en  haut  à  douze  pétales  ^  La  tasse 
dodécagone  est  composée  de  deux  rangs,  chacun  de  six 
panneaux,  disposés  comme  dans  la  tasse  octogone  ; 
mais  les  rosaces  massives  à  claire-voie  n'ont  toutes 
que  huit  pétales.  Un  fleuron  semblable  décore  de 
plus  le  fond  de  la  tasse  ^. 

Si  les  formes  symboliques  ou  les  ornements  tirés  du 


1.  Jules  Labarte,  Histoire  des  arts  industriels  au  moyen  âge. 
Paris,  1872,  in-4,  vol.  I,  p.  333.  —  Charles  de  Linas,  op.  laud., 
vol.  III,  p.  298-301. 

2.  Dr.  Fr.  Bock,  op.  laud.,  p.  111.  —  Charles  de  Linas,  op. 
laud.,  vol.  I,  p.  233-234.  —  A.  Odobesco,  Le  trésor  de  Pétrossa. 
Atlas,  pi.  XI. 

3.  Charles  de  Linas,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  234.  —  A.  OdobescO) 
op.  laud.  Atlas,  pi.  XII. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  DES  IRANIENS  137 

monde  végétal  sont  fréquents  sur  les  monuments  et 
les  objets  d'art  perses  ou  sassanides,  ils  sont  rares, 
au  contraire,  sur  les  monnaies  ^  On  n*en  trouve  même 
guère  que  sur  les  monnaies  frappées  par  les  gouver- 
neurs achéménides  ou  par  les  dynastes  tributaires 
des  provinces  occidentales  de  l'Empire.  Ces  orne- 
ments ou  ces  symboles  sont  d'ailleurs  analogues  à 
ceux  dont  j'ai  signalé  la  présence  sur  les  monnaies  phé- 
niciennes ou  syriennes  des  derniers  siècles':  grappe 
de  raisin,  épi,  branche  verdoyante.  Par  exemple,  au 
revers  de  plusieurs  monnaies  frappées  à  Soli  en 
Cilicie,  les  premières  de  450  à  400,  les  deux  dernières 
de  400  à  360  avant  notre  ère,  on  voit  une  grappe  de 
raisin  et  une  branche,  qui  semble  être  de  laurier  ou  de 
chêne  vert^  Une  monnaie,  frappée  à  Tarse  de  400  à 
360  environ,  présente  au  revers  un  épi  barbulé  *.  Sur 
des  monnaies  de  Mazaios,  également  ciliciennes,  mais 
un  peu  plus  récentes  —  elles  datent  de  361  à  333  — , 
est  représenté  au  droit  un  buste  d'Athéna,  au  revers 
le  demi-dieu  Baaltars,  assis  et  appuyé  de  la  main 
droite  sur  un  long  sceptre,  surmonté  d'une  fleur  de 
lotus,  tandis  que  dans  le  champ  à  gauche  a  été  gravé 
un  épi  et  une  grappe  de  raisin  '^  ;  sur  l'une  de  ces  mon- 

1.  T.-E.  Mionnet,  Description  des  médailles  antiques,  vol.  V, 
p.  641-648. 

2.  Les  plantes  dans  Vantiquité  et  au  moyen  âge,  vol.  I,  p. 
444. 

3.  E.  Babelon,  Catalogue  des  monnaies  de  la  Bibliothèque 
nationale.  Les  Perses  Achéménides,  les  satrapes  et  les  dynastes 
tributaires,  Paris,  1893,  in-4,  p.  19-20,  n°«  147,  148,  149,  150, 
151  ;  pi.  m,  8,  9,  10,  11,  12.  La  branche  de  laurier  ne  se  voit 
que  sur  les  n»«  148  et  149. 

4.  E.  Babelon,  op.  laud.,  p.  17,  n«  143;  pi.  IIÏ,  5. 

5.  E.  Babelon,  op.  laud.,  p.  34-35,  n"  245,  247,  250,  253, 
254;pl.  VI,  1,  2,  3,  4, 


138  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

naies  sont  en  outre  figurées  dans  le  champ  à  droite  la 
lettre  B  et  une  feuille  de  lierre*;  sur  une  autre,  c'est 
Baaltars  lui-même  qui  tient  de  la  main  droite  Tépi  et 
la  grappe  de  raisin  ^  Deux  monnaies  de  la  même  région 
un  peu  plus  anciennes,  frappées  par  Datame  de  378  à 
372,  représentent  également  Baaltars  tenant  encore, 
sur  Tune,  de  la  main  droite,  sur  l'autre,  de  la  main 
gauche,  un  épi  et  une  grappe  de  raisiné  Au-dessus  de 
son  trône,  sur  la  monnaie  qui  porte  le  n**  187,  se 
trouve  de  plus  dessinée  une  fleur  de  lotus. 

Ces  ornements  symboliques  empruntés  au  règne  vé- 
gétal ne  se  rencontrent  pas  plus  sur  les  monnaies  des 
Arsacides  que  sur  celles  des  rois  Achéménides  ;  car  on 
ne  peut  considérer  comme  ornement  la  couronne  *  ou 
la  palme  ^  qu'une  femme  —  la  Victoire  —  présente  au 
Souverain  parthe  de  la  main  droite,  tandis  que  de  la 
gauche  elle  tient,  soit  une  corne  d'abondance®,  soit 
plus  rarement  une  lancée  Sur  les  monnaies  des  Sassa- 
nides,  ces  emblèmes  mêmes  ont  disparu,  pour  faire 
place  à  l'autel  du  feu,  qui  se  dresse  au  milieu  du 
revers  en  même  temps  que,  dans  le  champ,  sont  figurés 
le  soleil  ou  une  étoile  et  la  lune  ^ 

Les  formes  végétales,  qui  occupèrent  une  si  grande 
place  dans  la  décoration  des  vêtements  et  des  tapisse- 


1.  F.  Babelon,  p.  35,  n°  253  ;  pi.  VI,  4. 

2.  F.  Babelon,  p.  35,  n^  256;  pi.  VI,  5. 

3.  F.  Babelon,  p.  25-27,  n°«  193,  187  ;  pl.  IV,  18  et  15. 

4.  T.-E.  Mionnet,  op.  laud.,  vol.  V,  n"»  33,  36,  40,  47,53,  59, 
65,  67.  70,  etc.  ;  vol.  VIII,  n««  32,  57,  58,  59,  60,  62,  63,  65. 

5.  T.-E.  Mionnet,  op.  laud.,  vol.  V,  n*»»  34,  37,38,  46,  48,  49, 
56,  57  ;  vol.  VIII,  no»  28,  46,  47,  48,  49,  76. 

6.  T.-E.Mionnet,o;?./aMrf.,vol.  VIII,no«33,  34,  40,46,  57,etc. 

7.  T.-E.  Mionnet,  op.  laud.,  vol.  VIII,  n«»  38,  47. 

8.  T.-E.  Mionnet,  op.  laud.,  vol.V,  n"«  30,  33,  etc. 


LES  PLANTES  DANS  U  POÉSIE  DES  IRANIENS  139 

ries  perses,  ne  durent  pas  jouer  un  moindre  rôle  dans 
Tornementation  de  ces  étoffes  sous  les  Arsacideset  les 
Sassanides,  mais  l'absence  de  monuments  contempo- 
rains ne  nous  permet  guère  d'en  parler  que  par  induc- 
tion. On  rapporte  que  les  généraux  d'Omar  trouvèrent 
dans  le  palais  de  Ctésiphon  une  magnifique  tapisserie 
longue  de  60  coudées  et  représentant  un  parterre,  où 
chaque  fleur,  formée  de  pierreries,  s  élançait  d'une 
tige  en  or  pur*. 


II 


De  même  que  le  monde  des  plantes  avait  fourni  aux 
artistes  de  l'Iran  les  motifs  de  décoration  les  plus  va- 
riés, il  dut  aussi  fournir  à  ses  poètes  des  légendes  et 
des  comparaisons  nombreuses  ;  malheureusement  la 
vieille  poésie  iranienne  est  perdue  pour  nous  ;  «  il  ne 
nous  en  reste  qu'un  débris  sans  grand  charme,,  les  fa- 
meuses Gàthas  du  Zend-Avesta,  sermons  rythmés  d'une 
morale  irréprochable,  remarque  M.James  Darmesteter*, 
et  qui  offrait  tout  l'intérêt  poétique  d'un  catéchisme  ». 
C'est  dire  qu'on  ne  trouve  dans  ce  recueil  rien  de  ce 
qui  fait  la  vie  et  la  grâce  de  la  poésie  véritable.  Plus 
didactiques  encore,  les  autres  parties  de  TAvesta  sont, 
s'il  est  possible,  moins  poétiques  que  les  Gâthas. 
Il  ne  faut  pas,  en  particulier,  y  chercher  ces 
images  et  ces  métaphores  que  les  écrivains  hébreux 
ont'si  souvent  empruntées  au  monde  des  plantes.  Voici 
cependant  une  comparaison  tirée  de  la  nature  végé- 
tale, qu'on  rencontre  dans  le  Vendidad  '. 

1.  Charles  de  Linas,  op.  laud.^  vol.  1,  p.  222. 

2.  Lex  origines  de  la  poésie  persane.  Paris,  1887,  in-12,  p.  3. 

3.  Fargard  V,  2^i,  6.    Le  Zend-Avesta  traduit  par  James 


140  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

Autant  Tarbre  le  plus  haut  couvre  le  frêle  arbuste,  ô  Çpitama 
Zarathushtra,  dit  Ahura-Mazda  à  son  prophète,  autant  cette  loi 
ennemie  des  Daèvas,  cette  loi  de  Zarathushtra,  est  plus  grande, 
meilleure  et  plus  belle  que  toutes  les  autres  paroles. 

Dans  les  écrits  recueillis  ou  conservés  parlesParses, 
ces  comparaisons  sont  plus  fréquentes,  si  elles  ne  sont 
pas  plus  poétiques  ;  je  me  bornerai  aussi  à  en  citer 
une  tirée  du  Bahman-yasht,  et  qui  est  remarquable  au 
moins  par  son  caractère  archaïque  ^ 

0  seigneur  du  ciel  et  des  mondes,  dit  Zartush  — Zarathushtra 
—  à  Ormazd  —  Ahura  Mazda  —  j'ai  vu  la  racine  d'un  arbre 
où  il  y  avait  quatre  branches.  —  La  racine  de  Tarbre  que  tu 
as  vue  et  ses  quatre  branches,  répond  Ormazd,  ce  sont  les 
quatre  âges  qui  se  succéderont  :  l'âge  d'or,  l'âge  d'argent,  l'âge 
d'airain  et  l'âge  de  fer. 

Inutile  de  multiplier  les  exemples  ;  aucun  ne  nous 
offrirait  rien  qui  ressemble  aux  ingénieuses  fictions  ou 
aux  figures  gracieuses  que  le  spectacle  de  la  nature 
végétale  a  inspirées  aux  poètes  de  la  Judée.  Pour  ren- 
contrer quelque  chose  d'analogue,  il  faut  descendre  jus- 
qu'en plein  moyen  âge  ;  mais  alors  images,  métapho- 
res, tirées  du  règne  végétal,  abondent  dans  les  œuvres 
des  poètes  persans.  Roudagui  lui  demande  ses  ingé- 
nieuses comparaisons;  Saadi,  Hafiz,  Djami,  ces  «  rhé- 
toriciens  de  génie  »,  trouvent  dans  son  spectacle  char- 
mant des  images  qui  embellissent  leurs  vers  '.  En  fut- 
il  de  même  pour  les  contemporains  des  Achéménides  ? 

Darmesteter,  vol.  II,   p.  74.  (Annales  du  Musée  Guxmety  vol. 
XXll). 

1.  Fr.  Spiegel,  Die  traditionnelle  Literatur  der  Parsen  in 
ihrem  Zusammenhange  mit  den  angrenzenden  Literaluren. 
Wien,  1860,  in-8,  p.  129. 

2.  James  Darmesteter,  op.  laud.,  p.  6  et  11-28. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  DES  IRANIENS      ,    141 

La  poésie  de  ces  temps  reculés  emprunta-t-elle  au 
monde  végétal  des  figures  et  des  fictions  analogues 
à  celles  que  les  poètes  du  x*  et  du  xi*  siècle  de  notre 
ère  en  ont  tirées?  Si  nous  Tignorons,  nous  savons  du 
moins  que  les  plantes  ont  occupé  dans  les  anciennes 
légendes  iraniennes  une  place  considérable,  et  qui  est 
allée  toujours  en  grandissant  jusqu'aux  derniers  temps 
de  l'indépendance  nationale. 


CHAPITRE  IV 

LES  PLANTES  DANS  LES  LEGENDES  RELIGIEUSES,  DANS  LE 

CULTE  ET  DANS  LA  MEDECINE 


I 


A  Torigine  le   dieu  souverain  —  sanscrit  Asura, 
zend  Ahura  —  des  Indo-Iraniens  n'était  autre  que  le 
ciel  étoile,    Varana  -r-  rOjpovd;   des  Grecs  —  qui, 
faisant  couple  avea  Mithra,  la  lumière,  avait  pour  fils 
réclair  et  pour  épouses  les  eaux\  Hérodote  affirmait 
encore  que  les  Perses  adoraient  «  le  cercle  entier  du 
ciel  »'.  Mais  depuis  longtemps  il  n'en  était  plus  ainsi. 
Tandis  que,   chez   les  Hindous,    Varuna,   équivalent 
sanscrit  de  l'indo-européen  Varana,  s'était  effacé  de- 
vant Indra,  chez  les  Iraniens,  le  mot  varena  ne  servit 
plus  qu'à  désigner  le  ciel  matériel  — ,  le  «  ciel  aux 
quatre  angles    »    de  la  mythologie  mazdéenne  — ,  et 
il  avait  fait  place  à  Ahura  —  le  Seigneur  — ,  tout  puis- 
sant et  très  sage  ou  omniscient  —  mazda  — ,  qui  a 
pour  œil  le  soleil'.  Ainsi  se  constitua  le  dieu  suprême 


1.  James  Darmésteter,  Ormazd  et  Ahriman,  Leurs  origines 
et  leur  histoire.  Paris,  1876,  in-8,  p.  68. 

2.  Historiae,  lib.  1,  cap.  131. 

3.  «  J'invoque  le  soleil  aux  chevaux  rapides,  œil  d'Ahura- 
mazda  ».    Yasna,  Ha  I,  34  (35).  Le  Zend-Avesta,  traduction 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES         143 

des  Iraniens  —  l'Aura  mazda  des  inscriptions  cunéi- 
formes, l'Ahura  mazda  du  Zend-Avesta,  TOrmazd  des 
textes  pehlvis,  V  'OpcixijSy;;  d'Aristote  *  — ,  qui,  sous  ces 
différents  noms,  ainsi  que  le  Zeus  des  Grecs  et  le  Ju- 
piter des  Latins,  est  invoqué  comme  le  créateur  et  Tar- 
bitre  de  l'univers  '. 

Un  Dieu  puissant  est  Auramazda ,  disent  les  inscriptions  de 
Darius  et  de  Xerxès',   il  a  créé  le  ciel,  —  il  a  créé  la  terre, 

—  il  a  créé  Thomme,  —  il  a  donné  à  l'homme  le  bonheur. 

Je  suis  le  Gardien,  je  suis  le  Créateur  et  le  Conservateur. 

—  Je  suis  celui  qui  sait,  je  suis  l'esprit  bienfaisant.  —  Je  me 
nomme  le  Guérisseur...  Je  me  nomme  le  Seigneur  (Ahura),  je 
me  nomme  le  sage  (Mazda). 

Ainsi  parle  le  dieu  lui-même  à  Zarathushtra  —  Zo- 
roastre  —  dans  le  Zend-Avesta*.  Et  ailleurs*  : 

C'est  par  moi  que  subsiste  dans  sa  nature  céleste  le  firma- 
ment, aux  limites  lointaines...  par  moi  la  terre,  qui  porte  les 
êtres  matériels...  par  moi  le  soleil,  la  lune,  les  étoiles  pro- 
mènent dans  l'atmosphère  leur  corps  rayonnant...  C'est  moi 
qui  ai  fait  les  nuages,  qui  portent  Teau  à  ce  monde  et  font 
tomber  la  pluie  où  il  leur  plait  ;  moi  qui  ai  fait  Tair  qui  monte 
et  descend...  Toutes  ces  choses,  c'est  moi  qui  les  ai  faites. 


nouvelle  avec  commentaire  historique  et  philologique  ^bt  James 
Darmesteter,  vol.  I,  p.  1 4.  (Afinales  du  Musée  Guimet,  vol.  XXI). 

1.  Plutarque,  J)e  Iside  et  Osiride,  cap.  46,  lui  donne  le  nom 

d"OpO{xa^7]ç. 

2.  Fr.  Spiegel,  Er/tnische  Aller thumskunde,  vol.  II,  p.  25.  — 
J.  Darmesteter,  The  Zend-Avesta,  Sacred  books  of  Ihe  East 
translated,  vol.  IV.  Introduction,  p.  58. 

3.  Fr.  Spiegel,  Die  altpersischen  Keilinschriflen.  Leipzig, 
1862,  in-8,  p.  45,  49,  55,  etc.  —  Joachim  Menant,  Les  Aché- 
ménides  et  les  inscriptions  de  la  Perse.  Paris,  1872,  in-8, 
p.  44,  47,  53,  81. 

4.  Yasht  1.  —  Ormazd  Yashl,  12,  13,  15.  (Le  Zend-Avesta, 
vol.  II,  p.  337,  339). 

5.  J.  Darmesteter,  Ormazd  et  Ahrimati,  p.  19. 


lU  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

C'était  aussi  surtout  comme  Dieu  créateur  et  bienfai- 
sant  qu'Âhura  Mazda  était  invoqué  par  ses  adorateurs. 
Avant  de  manger  le  pain  consacré  —  datiin  — ,  le 
zaotar  ou  prêtre  disait  en  prenant  l'eau  des  libations  *  : 

Nous  sacrifions  à  Ahura  Mazda,  qui  a  créé  le  bien  —  y(uha 
— ,  qui  a  créé  les  bonnes  eaux  et  les  bonnes  plantes;  qui  a  créé 
la  lumière,  qui  a  créé  la  terre  et  tous  les  biens. 

S'il  a  créé  le  monde,  Ahura  Mazda  toutefois  ne  le 
gouverne  pas  seul  ;  au-dessous  de  lui,  la  mythologie 
mazdéenne  avait  placé  six  génies  «  immortels  et  bien- 
faisants »,  les  Amesha-Çpentas  —  les  Amshaspands  des 
textes  pehlvis  — ,  omniscients  comme  Ahura,  comme 
lui  habitant  la  lumière  infinie,  regardés  même  parfois 
comme  ayant  pris  part  à  l'acte  de  la  création,  espèce 
d'incarnation  ou  de  dédoublement  des  facultés  sou- 
veraines d'Ahura,  et  dont  chacun  veille  sur  une 
partie  de  l'univers  et  aide  le  dieu  suprême  à  y  main- 
tenir l'ordre  et  la  paix*.  Mais  Ahura  Mazda  ne  règne 
pas  sans  opposition  avec  les  Amshaspands  ;  en  face  do 
lui,  «  l'esprit  du  bien  »  par  excellence  —  Çpenta 
mainytt,  —  se  dresse  «  l'esprit  destructeur  »  — 
Angra  maijiyu  — ,  l'Ahriman  des  écrivains  pehlvis, 
r  'Ap£'.[ji.avio;  de  Plutarque  —  principe  du  mal  avec  le- 
quel il  est  en  lutte  perpétuelle. 

Les  plantes,  ainsi  que  tous  les  autres  êtres,  'étaient 
soumises  à  Ahura  Mazda  et  aux  Génies  qui  gouver- 
nent le  monde  avec  lui.  Comme  Jahvé,  au  troisième 


1.  Yasna,  Hà  5  (JSrôsh  Darûn),  1,  et  Hà  37,  1. 

2.  Fr.  Spiegel,  Erânische  Allerthumskundey  vol.  II,  p.  28.  — 
J.  Darmesteter,  Ch'mazd  et  Ahriman,  p.  39-43.  —  Ibid.,  The 
Zend-Avesla.  Introduction,  p.  60.  —  M.  Bréal,  Le  Zend-Avesla, 
(Journal  des  savants,  janvier  1894,  p.  6-7). 


LES  PUNIES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        145 

jour,  créa  «  les  plantes  verdoyantes  avec  leur  se- 
mence »  et  «  les  arbres  avec  des  fruits  chacun  selon 
son  espèce  »,  Ahura  Mazda  a  appelé  à  la  vie  le  règne 
végétal.  L'Avesta  l'invoque  comme  celui  «  qui  a  créé 
les  bonnes  eaux  et  les  bonnes  plantes  »  ^ 

C'est  moi,  dît-il  dans  le  Bundehesh^,  qui  ai  organisé  les 
grains  de  telle  sorte  que,  semés  en  terre,  ils  poussent,  gran- 
dissent et  sortent  au  dehors;  c'est  moi  qui  ai  tracé  leurs  veines 
dans  chaque  espèce  déplantes,  moi  qui  dans  les  [plantes  et  les 
autres  herbes  ai  mis  un  feu  qui  ne  les  consume  point. 

Mais  si  Ahura  Mazda  les  a  créées,  c'est  Tamshas- 
pand  Ameretât,  le  génie  de  l'immortalité,  qui  conserve 
et  gouverne  le  monde  des  plantes  ',  comme  c'est 
Haurvatât,  l'amshaspand  de  la  santé  ^,  qui  règne  sur 
les  eaux. 

Le  Bundehesh  nous  montre*  Amerôdad  —  Ame- 
retât  — ,  (c  le  maître  de  la  végétation  »,  broyant  en 
petits  morceaux  les  plantes  desséchées,  les  mêlant 
avec  de  l'eau,  dont  s'enapare  Tishtar  et  qu'il  répand 
sur  toute  la  terre.  Et  la  terre  se  couvre  de  plantes. 

A  la  conception  si  simple  de  la  création  des  plantes 
par  Ahura  Mazda  les  traditions  postérieures  en  mêlè- 
rent d'autres  obscures  ou  symboliques.  Le  Bundehesh 
rapporte  qu'après  la  mort  du  premier  taureau  cinquante- 


1.  Hâ37.  —  Yasna  Hapianhâiti  3,  1. 

2.  J.  Darmesteter,  Ormazd  et  Ahriman,  p.  19. 

3.  Fr.  Spiegel,  Erânische  Aller thumskunde,  vol.  II,  p.  39.  — 
J.  Darmesteter,  HaurvcUâf  et  Ameretâf.  Eêsai  sur  la  mytholo- 
gie de  VAvesta.  Paris,  1875,  in-8,  p.  15-56. 

4.  Plutarque,  De  Iside  et  Osiride,  cap.  46,  en  fait  le  «  Dieu 
de  la  richesse  ». 

5.  The  Bundahish,  chapt.  ix,  2.  {Pahlavi  Texts  translated  by 
E.-W.  West.  Oxford,  1880,  in-8,  vol.  I,  p.  31). 

JoRBT.  —  Les  Plantes  dans  Vanliquité.  II.  —  10 


146  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

cinq  espèces  de  plantes  alimentaires  et  douze  espèces 
de  plantes  médicinales  sortirent  de  chacun  de  ses 
membres  *■  ;  des  cornes  naquirent  les  pois  ;  des  na- 
rines, l'ail  ;  du  sang,  la  vigne  ;  des  poumons,  la  rue  ;  du 
milieu  du  cœur,  le  thym,  et  ainsi  de  suite  '. 

Leur  origine  surnaturelle,  la  protection  qu'exerçait 
sur  elles  un  amshaspand,  les  vertus  qu'on  leur  attribuait, 
assignaient  par  avance  aux  plantes  une  place  dans  les 
légendes  mazdéennes.  Chaque  fleur  fut  consacrée  à  un 
génie  particulier'  ;  ainsi  le  jasmin  blanc  fut  dédié  à 
Vohu-Manô,  le  myrte  à  Ahura  Mazda  lui-môme,  le 
lis  à  Haurvatât,  la  rose  anx  cent  feuilles  fut  la  fleur 
de  Din,  l'églantine  celle  de  Rashnu,  etc.  D'après  une 
tradition  *,  Ahura  plaça  l'esprit  ou  l'âme  du  prophète 
dans  un  arbre  qui  croissait  au  plus  haut  des  cieux,  et 
qu'il  transplanta  ensuite  sur  le  sommet  d'une  mon- 
tagne de  l'Aderbeidjan.  Le  ciel,  comme  la  terre,  avait 
sa  flore,  type  mythique  de  la  flore  terrestre.  Des  dif- 
férentes régions  dont  se  compose  le  Paradis,  suivant 
le  Dabistan^  les  végétaux  appartiennent  à  la  seconde; 
deux  arbres  entre  tous  s  y  font  remarquer,  le  platane 
et  le  cyprès.  Zoroastre,  raconte-t-on  •,  avait  rapporté 
deux  branches  de  ce  dernier  et  les  avait  plantées, 
l'une  devant  ITitash-gâh  ou  pyrée  de  Kichmer,  l'autre 


1.  The  Bundahinh,  chapt.  x,  1. —  Ferdinand  Justi,  Der  Bun- 
dehesh.  Leipzig,  1868,  in-^,  p.  11. 

2.  The  Bundahish,  chapt.  xiv,  2. 

3.  The  Bundahish  y  chapt.  xxvii,  24. 

4.  Fr.  Spiegel,  Erânische  AUerthumskundey  voL  I,  p.  688. 

5.  The  Dabxstan  or  School  of  matiners,  translated  from  the 
original  Persian  by  David  Sea  and  Anthony  Troyer.  Paris, 
1843,  in-8,  vol.  I,  p.  150. 

6.  Le  Farhangi'Jihângtri,  cité  par  Hyde,  Historia  reli- 
gionis  veterum  Persarum.  Oxonii,  1760,  in-8,  p.  332. 


LES  PUNTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        147 

dans  un  village  du  Khorâsan,  elles  y  donnèrent  bien- 
tôt naissance  à  deux  arbres  puissants.  Une  autre  tra- 
dition ^  rapporte  que  Zoroastre  avait  aussi  planté  à 
Kicbmer  un  cyprès,  dont  elle  n'indique  pas  d'aiUeurs 
la  provenance  ;  mais  elle  ajoute  que,  ce  cyprès  étant 
devenu  grand,  on  construisit  sur  ses  branches  un  pa- 
lais merveilleux  de  quarante  coudées  de  haut  et  de 
large.  Gushtap  s'y  retira  pour  de  là  s'élever  au  ciel 
quand  son  heure  serait  venue.  Toutefois  ces  légendes 
sont  récentes  et  ne  prouvent  point,  comme  Ta  cru  La- 
jard  *,  que  le  cyprès  eût  été,  chez  les  anciens  Iraniens, 
l'objet  d'une  vénération  particulière  '. 

Les  plantes  prirent  place  aussi  dans  l'histoire  primi- 
tive et  mythique  du  genre  humain  ;  le  premier  couple, 
Mashya  et  Mashyana,  serait  né  sous  la  forme  d'un 
pied  de  rhubarbe  —  rîvâs  — ,  garni  de  quinze  feuilles, 
et  n'aurait  pris  que  peu  à  peu  sa  forme  définitive*. 
D'abord  adorateurs  fidèles  d'Ahura  Mazda,  Mashya  et 
Mashyana  se  corrompirent  par  la  suite  ;  ils  dédai- 
gnèrent la  nourriture  végétale  dont  ils  s'étaient  jus- 
que-là contentés,  se  repurent  de  lait,  puis  ayant  tué 
une  brebis,  en  mangèrent  la  chair,  après  l'avoir  fait 
cuire  au  feu,  qu'un  génie  leur  apprit  à   faire  avec  du 


1.  Tirée  du  Muntekhab-el-lewarik,  cité  par  Anquetil-Duper- 
ron.  Zend'AveHa.  Paris,  1771,  in-4,  vol.  J,  2,  p.  46. 

2.  Recherches  sur  le  culte  du  cyprès  pyramidal,  p.  128-131. 
(Mémoires  de  l* Académie  des  inscriptions,  vol.  XX  (1854),  2« 
partie). 

3.  Fr.  Spiegel  Ta  nié  formellement  et  a  supposé,  ce  qui 
parait  peu  vraisemblable,  que  le  cyprès  de  Kicbmer  était  pro- 
bablement  un  tout  autre  arbre,  un  figuier  religieux.  Erànische 
Allerthumskunde,  vol.  I,  p.  258  et  703. 

4.  The  Bundahish,  chapter  xv,  2.  —  Windischmann,  Zoro- 
astrische  Studien,  p.  212. 


148  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

bois  de  konâr  —  le  faux  lotus  —  et  de  myrte,  des 
feuilles  de  palmiers  et  des  herbes  sèches*.  Désormais 
eux  et  leurs  descendants  furent  en  butte  aux  attaques 
des  démons.  Sous  le  règne  de  Yima,  le  fondateur  de 
la  civilisation,  le  premier  organisateur  deThumanité,  il 
n'y  avait  eu  pendant  mille  ans,  «  ni  froid,  ni  chaleur,  ni 
vieillesse,  ni  mort,  père  et  fils  marchaient  dans  la  taille 
d'un  jeune  homme  de  quinze  ans  ».  Mais  au  bout  de  ce 
temps  tout  changea  et  Tinâuence  funeste  d*Ahriman  se 
fit  sentir  dans  le  monde.  Âhura  Mazda  annonça  à 
Yima  le  châtiment  réservé  aux  hommes,  avec  le 
moyen  d'y  échapper. 

Beau  Yima,  lui  dit-iP,  voici  que  sur  le  monde  des  corps 
vont  fondre  des  hivers  de  malheur,  apportant  le  froid  dur  et 
destructeur...  Des  hivers  de  malheur,  qui  feront  tomber  la 
neige  à  gros  flocons,  à  Tépaisseur  d'une  aredvi^  sur  les  mon- 
tagnes les  plus  hautes...  Fais-toi  donc  un  var,  long  d*une 
course  de  cheval  sur  chacun  des  quatre  côtés...  Tu  y  appor- 
teras les  germes  de  toutes  les  plantes,  les  plus  hautes  et  les 
plus  parfumées^  ...Tu  y  apporteras  les  germes  de  tous  les 
fruits,  les  plus  savoureux  et  les  plus  parfumés'  qui  soient  sur 
cette  terre. 

C'est  de  ce  var,  demeure  mythique  de  Yima,  qui 
fait  songer  à  la  fois  à  l'arche  de  Noé  et  au  Paradis 
terrestre,  que  sortira  l'humanité  nouvelle,  appelée  à 

1.  The  Bundahish,  chapter  xv,  10-15.  —  Fr.  Spiegel,  Erâ- 
nUche  AUerthumskunde,  vol.  I,  p.  512,  dit  un  <c  bélier  ». 

2.  Vendidad.  Fargard  H,  22  (46),  25  (61),  27  (70)  et  28  (7i). 
Le  Zend'Avesta,  vol.  II,  p.  24-26. 

3.  Un  pied. 

4.  «  Les  plus  hautes,  comme  le  cyprès  et  le  platane  ;  les 
plus  parfumées,  comme  la  rose  et  le  jasmin  »,  dit  le  commen- 
taire. 

5.  «  Les  plus  savoureux,  comme  la  datte  ;  les  plus  parfumés, 
comme  le  citron  »,  dit  encore  le  commentaire. 


J 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        149 

remplacer  Tàncienne  humanité  détruite  par  l'hiver  et 
les  neiges. 

Le  platane,  le  cyprès  et  la  rhubarbe  n'ont  revêtu 
qu'assez  tard  un  caractère  mythique  ;  il  en  est  tout  au- 
trement d'une  plante  sacrée,  objet,  dès  l'époque  arienne 
primitive,  d'un  culte  qui  ne  fit  que  se  développer  dans 
la  suite  :  le  haoma  des  Iraniens  et  le  soma  des  Hin- 
dous*. Cette  plante,  le  chef  ou  ratu  du  monde  végé- 
tal, a  donné  naissance  à  une  longue  série  de  mythes, 
où  elle  apparaît  tantôt  comme  l'arbre,  qui  porte  les 
semences  de  toutes  les  espèces  végétales,  tantôt 
comme  l'arbre  qui  renferme  tous  les  remèdes  ^ 

Les  eaux  coulent  purifiées  de  la  mer  Pùitika  à  la  mer  Vou- 
ru-kasha  vers  Tarbre  bien  arrosé  —  Hvâpa  —_,  dit  Ahura  dans 
le  Vendidad^;  là  croissent  toutes  mes  plantes,  de  toute  espèce, 
par  centaines,  par  milliers,  par  dizaines  de  mille.  Et  ces  plantes 
je  les  laisse  tomber  dans  la  pluie,  moi,  Ahura  Mazda,  aliment 
pour  le  fidèle,  herbage  pour  le  bœuf  bienfaisant. 

Dans  le  Rashn  Yasht*,  il  est  question  de  «  l'arbre  de 
l'Aigle  »  — çaêna — ,  qui  se  dresse,  lui  aussi,  au  centre 
de  la  mer  Vouru-kasha,«  l'arbre  aux  bons  remèdes,  aux 
hauts  remèdes,  l'arbre  de  tous  remèdes —  Vîçpôbish  —  ; 
l'arbre  sur  lequel  sont  déposés  les  germes  de  toutes 
les  plantes —  Viçpôtaokhma — ».  Cette  dernière  phrase 
prouve  l'identité  de  l'arbre  de  tous  remèdes  et  de 
l'arbre  de  toutes  semences,  identité  qui  se  retrouve 


1.  Adalbert  Kuhn,  Die  Herahkunft  des  Feuera  und  des  Gôt- 
tertranks.  Berlin,  1859,  in-8,  p.  118. 

2.  J.  Darmesteter,  Haurvatât  et  Ameretâf,  p.  55,  note  4. 

3.  Fargard  V,  19  et  20  (56-60).  (le  Zend-Avesta,  vol.  II,  p. 
72-73). 

4.  Yasht  XII.  Rashn  Ya^ht,  il.  {Le  Zend-Avesta,  vol.  II,  p. 
495). 


150  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

également  dans  le  Minôkhard,  encore  qu*ll  donne  au 
premier  le  nom  de  «  Chasse-mal  »  ou  «  qui  repousse 
la  soufiFrance  »  —  Jad-bésh^,  —  Mais  on  ne  peut  guère 
douter  que  cet  arbre  Jad-bhh  ne  soit  le  même  que 
l'arbre  Hvdpa,  représenté  comme  croissant,  avec  des 
centaines,  des  milliers  et  des  dizaines  de  mille  de 
plantes,  dans  la  mer  Vouru-kasha.  Or  le  vingtième  far- 
gard  du  Vendidad  '  nous  montre  ces  plantes,  regar- 
dées comme  guérissantes,  «  poussant  autour  de  Tunique 
Gaokerena».  C'est  là  sans  doute  simplement  un  autre 
nom  du  même  arbre  mythique,  c'est-à-dire,  nous  le 
verrons,  du  haoma  blanc  ou  haoma  céleste  '. 

Si  on  continua  d'identifier  l'arbre  de  tous  remèdes 
et  l'arbre  de  toutes  semences,  on  les  distingua,  au  con- 
traire, de  l'arbre  gaokerena  ou  du  haoma. 

Dix  mille  espèces  de  plantes  médicinales  et  cent  mille  es- 
pèces de  plantes  ordinaires  sont  sorties,  lit>on  dans  le  Bunde- 
hesh%  des  semences  de  Tarbre  opposé  au  mal,  de  l'arbre  aux 
nombreuses  semences,  qui  se  dresse  dans  le  vaste  océan. 
Lorsque  les  semences  de  toutes  ces  plantes  sont  nées  sur  cet 
arbre,  un  oiseau  Ten  dépouille  et  mêle  toutes  ces  se- 
mences dans  Teau;  Tishtar  les  saisit  et  les  répand  avec 
Teau  de  pluie  sur  toutes  les  régions.  Â  côté  de  cet  arbre, 
le  Hôm  blanc,  guérissant  et  pur,  croit  près  de  la  source 
Arêdvîvsûr;  quiconque  en  mange  devient  immortel;  on  l'ap- 
pelle l'arbre  Gôkard  —  Gaokerena  —  parce  que  le  Hôm  — 
Haoma  —  éloigne  la  mort...  et  il  est  le  chef  ou  maître  des 
plantes. 

Dans  uii  autre  passage  du  même  recueil  ^  le  Gôkard — 

1.  Ap.  J.  Darmesteter,  Haurvatât  et  Ameretât,  p.  55,  note  1. 

2.  4  (15),  Le  Zend-Aveêta,  vol.  H,  p.  278. 

3.  Voir  sur  ces  deux  arbres  mythiques  Fr.  Windischmann, 
Zoroastrisehe  Studien^  p.  165-170. 

4.  The  Bundahish,  chapt.  xxvn,  2-5. 

5.  The  Bundahish,  chapt.  ix,  5-6. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        15i 

Gaokerena  —  est  représenté  aussi  comme  croissant 
près  de  Tarbre  d'où  sont  sortis  tous  les  germes  des 
plantes  ;  mais  c'est  lui  et  non  ce  dernier  qui  fournit  les 
remèdes  contre  les  maladies,  et  d'où  est  issu  ce  qu'il 
y  a  de  perfection  en  ce  monde.  Quant  à  la  légende  de 
la  dispersion  des  semences ,  elle  est  complétée  par  le 
récit  du  Mînôkhard.  Sur  l'arbre  qui  les  porte  toutes  et 
qui  repousse  la  souffrance,  y  lit-on  *,  «  est  le  siège  de 
l'oiseau  Çînamrû  ;  quand  il  se  lève  mille  branches 
poussent  à  l'arbre  ;  quand  il  se  pose,  il  brise  mille 
branches  et  en  disperse  les  graines.  Mais  dans  le  voi- 
sinage de  Çînamrû  est  perché  l'oiseau  Cafimrôsh  », 
qui  recueille  les  graines  .dispersées  de  l'arbre  Jad-bêsh 
et  les  porte  à  Tîshtar,  pour  que  celui-ci  les  prenne 
avec  les  eaux  et  les  fasse  tomber  dans  le  moude. 

Symbole  de  vie  et  d'immortalité,  l'arbre  Gaokerena 
ou  le  Haoma  devait  faire  ombrage  à  Arigra  Mainyu  ; 
il  créa,  dit-on',  dans  la  profondeur  des  eaux,  une  gre- 
nouille pour  lutter  contre  lui  et  le  détruire.  Mais 
Âhura  Mazda  créa  à  son  tour  les  poissons  Karay  qui 
nagent  sans  cesse  auprès  de  l'arbre  saint,  la  tête  tour- 
née vers  la  grenouille. 

La  légende  du  haoma  prit  encore  une  autre  forme  ; 
cette  plante  mythique  fut  personnifiée.  Le  dix-septième 
Yasht'  nous  la  montre  sous  la  forme  d'un  jeune  homme, 
«  plein  de  vigueur,  guérisseur  habile,  beau  souverain 

1.  Livre  LXII,  37  et  40-42.  Ap.  J.  Darmesteter,  le  Zend- 
Avesta,  vol.  Il,  p.  495,  note  26. 

2.  The  Bundahish,  chapt.  xviii,  2-3.  tr.  West,  dit  un  lézard 
et  dix  poissons  Kara.  Cf.  J.  Darmesteter,  Le  Zend-Avesta,  vol. 
II,  p.  279,  note  18.  D'après  le  Yasht  XIV,  29,  le  poissson  Kara 
distingue  un  repli  d'eau  de  Tépaisseur  d'un  cheveu. 

3.  Ashi  ou  Ard  Yaikt,  VI,  37.  (Le  Zend- Avesta,  vol.  II,  p. 
606). 


152  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

aux  yeux  d'or,  sur  le  sommet  le  plus  élevé  du  mont 
Haraiti  »,  sacrifiant  aux  dieux  et  implorant  leur  fa- 
veur. Puis  par  un  autre  avatar,  cette  plante-homme, 
nous  apprend  le  deuxième  sîrdza,  «  prière  des  trente 
jours  »  \  devient  une  plante-Dieu,  à  laquelle  les 
croyants  adressent  leurs  hommages  et  ofirent  des  sa- 
crifices, comme  à  Âhura  Mazda  lui-même  et  aux  Ams- 
haspands : 

Nous  sacrlâons  à  Ameretât,  Amesha  Çpefita...  Nous  sacri- 
fions au  Gaokerena  puissant,  créé  par  Mazda...  Nous  sacrifions 
à  la  lumière  infinie  et  souveraine...  nous  sacri6ons  au  blond 
et  grand  Haoma;  nous  sacrifions  au  vivifiant  Haoma,  qui  fait 
croître  le  monde  ;  nous  sacrifions  à  Haoma,  qui  éloigne  la  mort. 

Dans  le  premier  Yasht  *,  consacré  au  Haoma,  on 
voit  la  plante-Dieu  apparaître  à  Zoroastre  au  moment 
où  celui-ci  vénéra  le  feu  :  «  Qui  es-tu,  ô  homme  »,  lui 
demande  le  réformateur  ',  «  toi  qui  de  tout  le  monde 
des  corps  es  la  plus  belle  créature  que  j'aie  jamais 
vue  avec  ton  air  d'immortel  ?  »  Et  Haoma  répond  :  «  Je 
suis  le  saint  Haoma,  qui  éloigne  la  mort  ;  prends-moi, 
ô  Çpitâma,  prépare-moi  pour  me  boire  ;  chante  en  mon 
honneur  des  chants  de  louange  ».  Et  comme  Zoroastre 
continue  de  l'interroger,  Haoma  lui  révèle  Thistoire 
du  culte  que  lui  ont  rendu  les  ancêtres.  Alors  le  pro- 
phète frappé  d'étonnement  et  d'admiration,  entonne 
un  hymne  en  l'honneur  du  Dieu  Qt  implore  son  appui. 


1.  Jour  7  et  30.  (Le  Zend-Avesta,  vol.  II,  p.  324  et  330). 

2.  Les  Yasht,  dit  Anquetil-Duperron.  {Zend-Avesia,  vol.  II, 
p.  699),  sont  a  des  prières  accompagnées  d'une  bénédiction  effi- 
cace, en  forme  d'éloges,  qui  présentent  les  principaux  attri- 
buts des  esprits  célestes  ». 

•  3.  Ya8na9.  —  Nom  Yasht,  1,27.  Le  Zend-Avesta,  vol.  I,  p. 
8'i,  et  vol.  II,  p.  642. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        153 

Prière  à  Haoma^  Haoma  est  bon;  Haoma  est  bien  créé,  il 
est  créé  juste;  il  est  créé  bon  et  guérisseur.  Il  est  beau  de 
forme,  il  veut  le  bien,  il  est  victorieux.  De  couleur  d'or,  de  tige 
flexible,  il  est  excellent  à  boire  et  le  meilleur  des  viatiques 
pour  l'âme.  0  Haoma,  je  te  demande  la  sagesse,  la  force  et  la 
victoire;  la  santé  et  la  guérison,  la  prospérité  et  la  grandeur; 
la  force  de  tout  le  corps  et  la  science  universelle. 

Et  poursuivant  sa  prière,  Zoroastre  demande  tour  à 
tour  au  dieu  *  :  «  le  Paradis  des  Justes,  la  santé  du 
corps,  longueur  de  vie  »,  avec  la  grâce  de  vivre  satis- 
fait sur  cette  terre,  «  fort  et  prospère,  enfin  victorieux 
de  la  malfaisance  et  le  premier  à  voir  les  voleurs  » . 

Ce  culte  rendu  à  Haoma  n'était  pas  un  privilège  qui 
lui  fût  exclusivement  réservé,  il  s'adressait,  quoique 
à  un  moindre  degré,  à  toutes  les  plantes  ;  c'est  que 
pour  les  Iraniens  les  plantes  étaient  des  êtres  doués 
de  vie,  conscients,  actifs;  elles  accompagnent  Mithra, 
quand  il  lance  son  char  contre  les  infidèles  ;  elles 
ont  tressailli  de  joie  à  la  naissance  de  Zoroastre', 
et  dans  le  grand  combat,  dit  M.  James  Darmesteter  *, 
que  les  créatures  du  bien  soutiennent  contre  les  créa- 
tures du  mal,  elles  luttent  avec  les  eaux  contre  la  ma- 
ladie et  la  mort,  et  sont  ainsi  les  auxiliaires  des  génies 
de  la  santé  et  de  l'immortalité  :  comment  s'étonner 
dès  lors  que,  comme  aux  eaux,  on  leur  rendît  un  culte! 
«  Nous  sacrifions  à  toutes  les  eaux  saintes,  créées 
par  Mazda  »,  disent  les  Yaçnas^;  «  nous  sacrifions 
à  toutes  les    plantes   saintes,    créées  par  Mazda  ». 

i.  Yasna  9.  —  Nom  Yashi,  I,  16  (48)  et  17  (54). 

2.  Hom  Yasht,  I,  19-21  (64-69). 

3.  Ycuht  13.  —  Farvardin  Yasht,  93.  (Le  Zend-Avesla,  vol. 
II,  p.  529). 

4.  Haurvatât  et  Ameretât,  p.  56. 

5.  Ha  VI,  M  (39).  Le  Zend-Avesta,  vol.  I,  p.  67. 


151  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

Cette  vénération  dont  les  plantes  étaient  l'objet 
est  un  des  traits  les  plus  frappants  de  la  religion 
mazdéenne,  et  il  s'en  est  conservé  jusqu'à  nos  jours  un 
souvenir  inconscient  dans  l'Iran.  Hérodote  raconte* 
que  Xerxès,  ayant  aperçu  sur  la  route  de  Sardes  un 
platane  d'une  beauté  remarquable,  y  suspendit  un  col- 
lier d'or  en  signe  de  respect,  et  le  confia  à  la  gardé 
d'un  «  Immortel  »,  c'est-à-dire,  à  l'un  des  pupilles  de 
l'amshaspand  Ameretât*,  que  le  grand  roi  vénérait 
ainsi  dans  une  de  ses  productions.  Et  nous  savons 
par  le  témoignage  des  voyageurs  que  les  Persans,  tout 
musulmans  qu'ils  sont  devenus,  ne  manquent  point, 
s'ils  rencontrent  quelque  vieil  arbre  sur  leur  chemin, 
d'attacher  à  ses  branches  des  chapelets,  des  amulettes 
ou  même  des  morceaux  de  leurs  vêtements.  Ils  vont 
aussi  faire  leurs  prières  à  l'ombre  de  ces  «  arbres  ex- 
cellents »  —  dirakht'i-fâzil  — ,  comme  dans  un  lieu 
sainte  C'est  pour  une  raison  analogue  que  certains 
arbres  :  micocouliers,  peupliers,  etc.,  sont  plantés 
souvent  auprès  des  sanctuaires  iraniens  *. 


Si  les  plantes  étaient  ainsi  chez  les  Iraniens  l'objet 

1.  Ilistoi'iae,  lib.  VII,  cap.  31. 

2.  «  La  légion  des  immortels  était  la  légion  consacrée  à 
Tarnshaspand  de  l'Immortalité,  Ameretât  ».  J.  Darmesteter, 
I/aurvatât  et  Ameretât ^  P-  52,  note  5. 

3.  Chardin,  Voyage  en  Perse.  Amsterdam,  1735,  in-4,  vol.  II, 
p.  200.  —  W.  Ouseley,  TraveU  in  various  countrtes  of  the  Easty 
more  particularly  Persia.  London,  1819,  in-4,  vol.  I,  p.  313  et 
371-376. 

4.  Aitclrison,  Notes  onproducts,  p.  35,  162,  etc. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  155  \ 

d'une  vénération  particulière,  elles  prenaient  place 
aussi,  et  une  place  considérable,  dans  le  culte  qu'on 
rendait  aux  Dieux  et  aux  Génies.  Elles  fournissaient 
le  bois  qu'on  brûlait  en  leur  honneur,  les  rameaux  liés 
en  faisceau  que  le  zaotar  ou  prêtre  tenait  dans  sa  main  en 
les  invoquant  ;  enfin  c'était  à  la  plus  vénérée  d'entre 
elles,  au  hôm  ou  haoma,  qu'on  demandait  le  jus  pré- 
cieux et  salutaire,  dont  la  consommation  constituait  la 
partie  principale  du  sacrifice.  Quelle  était  cette  plante, 
équivalent  iranien  du  soma  indien?  M.  Darmesteter, 
qui  dit  que  ce  dernier  est,  de  nos  jours,  extrait  de 
VAsc/epias  acida\  n'a  indiqué  ni  le  nom,  ni  le  carac- 
tère de  l'espèce  végétale  d'où  l'on  extrait  le  haoma, 
bien  qu'il  en  ait  donné  une  représentation  *.  On  a  sup- 
posé, mais  sans  citer  aucun  texte  à  l'appui  de  cette  as- 
sertion, qu'on  exprimait  le  haoma  du  psoralier  à  feuilles 
de  coudrier*.  On  regarde  aussi,  paraît-il,  VEphedra 
pachyclada  comme  aypnt  été  le  haoma,  et  les  Parsis 
de  Bombay  le  brûlent,  en  guise  d'encens,  dans  leurs 
sanctuaires  *.  Anquetil-Duperron  affirme,  d'après  le 
Farhangi  Jihângîri,  que  le  hom  est  un  arbuste,  qui 
ressemble  à  la  bruyère,  dont  les  nœuds  sont  très  rap- 
prochés et  les  feuilles  analogues  à  celles  du  jasmin  ^  Il 
ajoute  qu'il  croît  dans  le  Chirvan,  leGhilan,  leMazan- 


1.  Ormazd  et  Ahriman,  p.  99,  note  3. 

2.  Le  Zend-Avesta^vol.  I,  pi.  2. 

3.  Psoralea  corylifolia.  Cette  légumineuse,  que  ne  connaît 
pas  la  Flora  orientalù,  est,  dit-on,  prescrite  contre  la  lèpre. 
Dictionnaire  de  Larousse,  s.  v.  Hom.  La  Psoralea  bituminosa 
sert  à  préparer  une  boisson  fermentée,  d'après  Bâillon,  Dic- 
tionnaire de  botanique,  vol.  III,  p.  656. 

4.  Aitchison,  Notes  on  producls,  p.  65. 

5.  Zend-Avesta,  ouvrage  de  Zoroastre.  Paris,  1771,  in-4,  vol. 
II,  p.  î>35. 


156  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

déran  et  les  environs  d'Yezd.  Aujourd'hui,  a-t-on  dit  ', 
les  Parsis  de  Tlnde  font  venir  du  Kirman  les  rameaux 
dont  ils  extraient  le  haoma.  D'après  TAvesta,  cette 
plante  vénérée,  «  au  beau  corps,  aux  jaunes  couleurs, 
aux  tiges  ployantes  et  excellente  à  manger  »,  croît  sur 
les  montagnes*;  mais  c'est  tout  ce  que  nous  en  apprend 
ce  texte  sacré. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  nature  et  du  nom  véritable 
de  la  plante  qui  produisait  le  haoma,  la  préparation 
et  la  consommation  de  ce  breuvage  sacré  étaient  chez 
les  Perses,  et  sont  encore  chez  les  Parsis,  précédées 
de  cérémonies  préliminaires  —  le  paragra  —,  dans 
lesquelles  les  plantes  jouent  un  rôle  important.  Tout 
d'abord  le  zot  ou  zaotar  —  le  prêtre  ou  officiant  — 
choisit  sur  un  arbre  propice  les  tiges  du  barsom  —  ba- 
remian  —  ^;  puis  après  les  avoir  dépouillées  de  leurs 
feuilles  et  de  leurs  nœuds,  il  les  lave  trois  fois  dans 
l'eau  pure  ;  il  en  retranche  ensuite  l'extrémité  et  les 
coupe  près  du  tronc  ;  puis  il  les  dépose  sur  un  support 
—  mâhrû  — ,  formé  d'une  tige  métallique,  terminée 
par  un  croissant. 

Cette  première  opération  terminée,  le  zot  s'approche 
d'un  dattier,  planté  près  d'un  puits  dans  la  cour  du 
temple,  en  lave  et  coupe  une  feuille,  d'après  le  même 
rite  que  pour  les  tiges  du  barsom  ;  puis  il  la  déchire  en 


1.  Fr.  Spiegel,  Erânische  AUerthumskunde,  vol.  III,  p.  572. 

2.  «  0  Haoma,  tu  pousses  sur  la  montagne.  »  Yasna.  Hâ  10, 4. 
Le  Zend-Avesta,  vol.  I,  p.  99. 

3.  J.  Darmesteter,  Le  Zend-Avesta.  Introduction,  p.  73. 
«  Descends  vers  les  arbres  qui  croissent,  ô  Çpitama  Zara- 
thrushtra,  et  devant  l'un  d'entre  eux,  beau,  de  haute  crois- 
sance et  puissant,  prononce  ces  paroles  :  Hommage  à  toi,  bel 
arbre,  créé  par  Mazda  et  saint  »,  dit  Ahura  Mazda  dans  le 
Vendidad.  Fargard  XIX,  18  (60). 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  .    157 

six  bandes  qu'il  noue  bout  à  bout,  et  dépose  Vevanghin 

—  aivyâohhanem — ainsi  formé  dans  un  vase,  placé  sur 
une  espèce  d'autel  ou  table  de  pierre  —  Vurvts  — . 
Le  prêtre  s'avance  alors  vers  un  grenadier,  qui  doit 
lui  fournir  Vurvardm,  en  lave  diverses  tiges,  les  dé- 
tache du  tronc  et  les  place  sur  Turvis  ;  puis,  après 
s'être  procuré  le  lait  —  jivâm  — ,  nécessaire  à  la 
préparation  du  liquide  sacré,  et  avoir  rempli  d'eau  pure 

—  zôhro\i  zoathra  —  les  coupes  des  libations,  il  lie 
avec  Tevanghin  le  barsom,  le  lave,  le  remet  sur  le 
mâhru  et  dépose  au  pied  de  celui-ci  l'urvarâm*. 

Prenant  ensuite  les  tiges  de  hôm,  le  prêtre  les  lave 
dans  la  coupe  à  zohr,  en  met  trois  brins  sur  le  mortier 

—  hdvan  —  et  dépose  les  autres  au  pied  ;  après  quoi  il 
découpe  Turvarâm,  et  en  prononçant  les  paroles  sacra- 
mentelles :  «  Nous  offrons  ce  Hôm,  pieusement  pré- 
paré^ »,  il  introduit  dans  le  mortier  le  hôm  et  Turvaràm  ; 
puis  il  les  broie,  en  faisant  tourner  trois  fois  le  pilon 
dans  le  hàvan  et  en  prononçant  ces  mots*  :  «  Bonheur  à 
celui  qui  est  saint  de  la  sainteté  suprême!...  Voici  les 
Haomas  âltrés,  ô  Mazda,  Kshathra,  Âsha,  ô  Maîtres  1  » 
Après  quoi  il  verse  au-dessus  du  filtre,  placé  sur  le 
hâvan,  trois  gouttes  d'eau  et  le  jivâm,  en  disant^  : 

Je  me  déclare  adorateur  de  Mazda,  disciple  de  Zarathrastra, 
ennemi  des  Daôvas,  sectateur  de  la  loi  d'Ahura...  olTrant  sacri- 
fice, prière,  réjouissance  et  glorification  aux  génies  des  veilles^ 
des  jours,  des  mois,  des  fêtes  de  saison  et  des  années. 

Ce  n'est  pas  la  seule  prière  que  le  zot  prononce  pen- 


1.  J.  Darmesteter,  Le  Zend-Avesla.  Introduction,  p.  75. 

2.  Yasna.  Hà  25.  Le  Zend-Aveslay  vol.  I,  p.  190. 

3.  Ywma,  Hà  27,  5  et  6.  Le  Zend-Avesta,  vol.  I,  p.  200. 

4.  Yasna.  lia  27,  11.  Le  Zend-Àvesta,  vol.  I,  p.  202. 


158  LES  PUNTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

dant  la  préparation  de  la  liqueur  sacrée  —  le  para- 
haoma  —  ;  le  Hâ  33  en  renferme  une  autre  plus  étendue 
qu'il  récite,  comme  la  première,  en  broyant  le  hôm  et 
rurvarâm  ;  je  la  donne  ici  à  cause  de  son  caractère 
religieux. 

J'appelle  Graosha  à  mon  secours  à  l*heure  où  viendra  la 
grande  affaire'  :  fais-nous  atteindre  Tempire  de  Vobu  Manô^ 
toute  la  durée  de  la  longue  vie  ;  (fais-nous  atteindre)  par  la  vertu 
les  voies  pures  où  demeure  Mazda  Ahura. —  Moi,  le  zaotar,  sain- 
tement pur,  j'appelle  (les  dieux)  du  paradis;  pour  cela  Vohu 
Manô  viendra  m'aider,  quand  s'accomplira  l'oeuvre  projetée  ^  ; 
car  il  est  deux  choses  que  je  désire  de  toi,  ô  Ahura  Mazda,  te 
voir  et  t'entretenir.  —  Je  viens  à  vous  :  que  votre  bouche  m'en- 
seigne, ô  Mazda,  les  choses  excellentes;  les  choses  que  les  très 
purs  proclament  par  Asha  et  Vohu  Manô,  faites  apparaître 
pour  nous  les  dons  que  demandent  nos  prières!  —  Faites-moi 
connaître  votre  loi,  afin  que  je  marche  en  Vohu  Manô:  le  sacri- 
fice, ô  Mazda,  dû  à  un  dieu  tel  que  vous  et  les  paroles  de 
louanges  qui  vous  sont  dues,  ô  Âsha  !  Donnez-moi  la  force 
dWmeretàt  et  les  festins  de  Haurvatât.  ...Tous  les  biens  du 
monde,  venus  du  passé,  venant  du  présent  ou  à  venir,  ô 
Mazda,  qu'il  te  plaise  de  nous  les  donner!  Puissé-je  aussi  gran- 
dir en  bonne  pensée,  en  pouvoir,  en  sainteté  et  en  bien-être 
du  corps. 

Après  cette  prière  le  zôt  jette  dans  le  filtre  le  hôm 
et  Turvarâm  qu'il  vient  de  piler;  il  verse  ensuite  le 
djivâm  et  le  zôhr  dans  le  hâvan  et  du  hâvan  dans  le 
filtre;  puis  il  presse  entre  les  doigts  le  hôm  et  Turva- 
ram  et  en  fait  couler  la  sève  dans  la  coupe  à  parahôm  *, 
en  prononçant  une  dernière  prière. 

1.  La  résurrection.  J.  Darmesteter,  Le  Zend-Avesta^  vol.  I, 
p.  245,  note  19.  Çraosha  protège  l'àme  des  justes  à  la  mort. 

2.  Le  premier  des  Amesha-Çpentas,  «  la   Bonne  Pensée  », 
celui  qui  veille  sur  les  troupeaux. 

3.  Encore  la  résurrection. 

4.  Yasna.  Hâ  XXVII,  7-9  et  XXXIII,  10-12.  Le  ZetidAvesta, 
vol.  I,  p.  201  et  247. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  159 

Le  breuvage  sacré,  qui,  par  sa  composition,  a  con- 
centre en  lui  les.  qualités  des  eaux,  des  plantes  et  de  la 
vie  animale^  »,  est  prêt  maintenant  à  être  consommé; 
mais  le  sacrifice  n*est  pas  pour  cela  terminé  :  il  manque 
encore,  pour  qu*il  soit  complet,  les  fumigations  qui  en 
accompagnent  les  différents  ^ctes,  la  consommation  de 
Toffrande  solide  —  myazda  —  et  les  libations  ofiertes 
à  la  divinité  des  Eaux.  C'est  le  râspi,  l'auxiliaire  du 
zôt,  qui  accomplit  les  fumigations  ;  à  chacune  des  céré- 
monies dont  l'ensemble  compose  le  sacrifice,  il  jette  de 
l'encens  sur  le  feu';  celui-ci,  entretenu  sur  un  autel 
particulier,  est  alimenté  par  des  bois  odoriférants', 
œuvre  pie  qu'Atar  lui-même  —  le  dieu  du  feu  —  recom- 
mande à  ses  fidèles^.  Chaque  fois  que  le  râspi  y  répand 
de  l'encens,  le  zôt  prononce  une  prière  appropriée  à  la 
cérémonie.  Il  y  en  a  même  une  toute  particulière  et 
fort  longue,  l'Atash  nyâyish  —  «  la  Prière  du  feu  ^  »  — , 
qu'ils  récitent  de  concert  dans  la  partie  du  sacrifice 
consacrée  à  l'adoration  du  feu.  Les  paroles  par  lesquelles 
s'ouvrent  le  hâ  10  du  Hôm  yasht2',  prononcées  au  mo- 
ment où  le  râspî  jette  de  l'encens  sur  le  feu  :  «  Qu'ils 
s'enfuient  d'ici  !  Que  s'enfuient  les  Daêvas  et  les  ado- 


1.  Michel  Bréal,  Le  Zend-Avesta,  p.  5.  (Journal  des  savants, 
décembre  1893). 

2.  Yasna.  Hàs  VIII,  IX,  XI,  LI,  LXXII. 

3.  Les  Parsis  de  l'Inde  brûlent  aujourd'hui  du  bois  de  santal 
sur  Tautel  du  feu. 

4.  «  Maître  de  la  maison,  lève-toi,  lave  tes  mains,  va  prendre 
du  boÎH,  apporte-le-moi,  fais  flamber  en  moi  du  bois  bien  pur.  » 
Vendidad,  Fargard  XVIII,  19  (14).  «  Alors  »,  dit  un  fragment 
du  Rivàyat,  «  le  feu  d*Ahura  satisfait,  bien  ra&sassié,  le 
bénit  ».  Le  Zend-Avesta,  vol.  III,  p.  11.  (Annales  du  musée  Gui- 
met,  vol.  XXIV). 

5.  Yasna,  Hâ  LXII,  Le  Zend-Avesta^  vol.  I,  p.  386. 

6.  Hôm  Yasht  2,  i.  Le  Zend-Avesta,  vol.  I,  p.  98. 


160  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

rateurs  des  Daèvas  !  »  montrent  quelle  était  la  signi- 
fication symbolique  des  fumigations. 

L*ofifrande  solide  ou  myazda  est  représentée  par  les 
darûnsy  petits  pains  azymes  ronds  et  aplatis.  Le  râspi 
debout,  tourné  vers  le  couchant,  met  sur  le  feu  de  l'en- 
cens et,  debout  à  la  gauche  du  zôt,  il  dit  :  «  Mangez  ce 
myazda,  ô  hommes,  si  vous  vous  en  êtes  rendus  dignes 
par  votre  vertu  et  votre  piété*  »,  paroles  par  lesquelles 
il  invite  tous  les  fidèles  à  consommer  le  darûn  et  à 
participer  à  cette  communion  symbolique.  Après  cette 
abjuration  le  zaotar,  retirant  la  main  gauche  dubarsôm 
sur  lequel  il  la  tenait  posée,  brise  avec  la  main  droite 
un  bout  du  darûn,  le  saisit  avec  le  gôshôda  et  l'avale*. 

Il  ne  lui  reste  plus  pour  achever  le  sacrifice  qu'à 
boire  le  parahaoma  si  minutieusement  préparé.  C'est 
en  l'honneur  du  Haoma  céleste  qu'il  le  boit;  oflFrant 
ainsi  le  haoma-plante  au  haoma-dieu^  La  main 
gauche  posée  sur  le  lien  du  barsôm,  les  yeuK  fixés  sur 
le  paràhôm  que  lui  présente  le  râspî,  il  dit*  : 

0  saint  Haoma,  saint  de  nature,  je  te  donne  ce  corps  qui 
me  semble  si  beau,  à  toi,  le  rapide  Haoma,  pour  que  j'aie 
science,  paix  de  conscience  et  sainteté.  Et  toi,  donne -moi, 
saint  Haoma,  qui  éloignes  la  mort,  le  Paradis  des  justes,  lumi- 
neux et  bienheureux. 

Puis,  tandis  que  le  râspî  jette  de  l'encens  sur  le  feu, 
le  zaotar  boit  à  trois  reprises  diflférentes  le  parahaoma 
contenu  dans  la  coupe  sacrée.  Restent  maintenant  les 


1.  Yasna.  Hâ  VIÏI.  Srôsh  Darûn,  2. 

2.  Le  Zend-Avesta,  vol.  I,  p.  77. 

3.  J.  Darmesteter,  Le  Zend-Avestaj  vol.  I,  p.  105,  note  44. 

4.  Yasna.  Hà  XI.  Hôm  Yasht,  10  (25).  Le  Zend-Avesta,  vol.  1, 
p.  113. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  DES  IRANIENS     161 

libations*  —  Vâb-zâhr  —  ;  quand  elles  sont  terminées, 
le  zôt  récite  les  longues  invocations  du  Vîsp-Yasht, 
enseignées  par  Zoroastro  à  son  disciple  Frashaoshtra'*  ; 
puis  il  délie  successivement  les  nœuds  du  barsôm,  tout 
en  prononçant  de  nouvelles  prières  ;  après  quoi  il  répand 
des  parfums  sur  le  feu  et  en  récitant  Vashem  vohû,  — 
la  «  prière  très  sainte  »,  —  la  face  tournée  vers  l'Orient, 
il  jette  dans  le  puits  le  reste  du  zôhr  et  finit  par  cette 
dernière  bénédiction':  «  Bonheur  à  celui  qui  est  saint 
de  la  sainteté  suprême  !  » 

Le  parahaoma  et  le  darùn  n'étaient  pas  les  seules 
offrandes  que  les  Iraniens  fissent  aux  Dieux  et  aux 
Génies;  ils  leur  offraient  aussi  des  fruits:  grenades, 
dattes,  etc.,  ainsi  que  des  fleurs  et  des  aromates*.  Les 
fêtes  qu'on  célébrait  à  la  fin  de  l'année  étaient  en  par- 
ticulier marquées  par  des  offrandes  nombreuses  —  les 
afrinagân  —  composées  de  fleurs,  de  fruits,  de  lait, 
de  vin  et  de  gâteaux  \  On  faisait  des  offrandes  ana- 
logues aux  morts  pendant  les  quatre  jours  qui  suivaient 
leur  décès.  Quand  des  animaux  étaient  sacrifiés  aux 
Dieux,  les  victimes,  recouvertes  de  branches  de  myrte 
et  de  laurier,  étaient  portées  sur  le  bûcher  autour 
duquel  on  répandait  de  l'huile  et  du  lait". 

On  ne  peut  douter  que,  sous  les  Achéménides  et  à 
plus  forte  raison  sous  les  Arsacides  et  les  Sassanides, 
les  fleurs  n'aient,  comme  dans  les  fêtes  religieuses, 
occupé  une  grande  place  dans  les  fêtes  profanes  et  les 


1.  Ya$na,  Hàs  lxih-lxix.  Le  Zend-Avesta,  vol.  I,  p.  392-425. 

2.  Yasna,  Hà  lxxi.  Le  Zend-Avesta,  vol.  I,  p.  429-437. 

3.  Yoêna.  Hà  lxxii.  Le  Zend-Avesta^  vol.  1,  p.  438-442. 

4.  Fr.  Spiegel,  Erânische  Alterthumskunde,  vol.  III,  p.  572. 

5.  Fr.  Spiegel,  op.  laud.,  vol.  III,  p.  577. 

6.  Strabon,  XV,  3,  14.  Fr.  Spiegel,  op,  laud.,  vol.  III,  p.  591. 

JORET.  —  Les  Plantes  dans  Vantiqxiité.         II.  — Il 


162  LES  PUNTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

banquets  des  Iraniens.  Ils  empruntèrent,  on  peut  le 
croire,  en  particulier  aux  Grecs,  Tusage  de  se  couron- 
ner alors  de  fleurs.  S'il  fallait  s'en  rapporter  à  Héro- 
dote ^  quand  il  immolait  la  victime,  le  prêtre  avait  la 
tête  ceinte  de  rameaux  de  myrte.  Lorsqu'on  enterrait 
les  morts,  au  lieu  de  les  exposer  d'après  la  loi  maz- 
déenne,  des  fleurs  figuraient  aussi  aux  funérailles  ;  dans 
un  sarcophage  de  l'époque  des  Arsacides,  découvert 
par  Loftus  à  Warka*,  on  a  trouvé  des  restes  d'un 
bouquet. 


II 


On  voit,  par  ce  qui  précède,  quel  rôle  considérable 
les  plantes  jouaient  chez  les  Iraniens  dans  tous  les 
actes  de  la  vie  et  en  particulier  dans  le  culte;  elles 
n'en  occupaient  pas  une  moins  grande  dans  la  méde- 
cine. D'après  le  Vendidad  il  y  avait  trois  espèces  de 
médecins  \ 

On  guérit  par  TAsha,  dit  le  Zend-Avesta*,  on  guérît  par  la 
loi,  on  guérit  par  le  couteau,  on  guérit  par  les  plantes,  on 
guérit  par  la  parole;  de  toutes  les  guérissons  la  plus  guéris- 
sante est  celle  de  la  parole  divine;  c'est  elle  qui  guérit  et  re- 
pousse le  mal  du  sein  du  juste. 

Les  maladies  étant  considérées  par  les  Iraniens 
comme  l'œuvre  d'Afigra  Mainyu,  on  comprend  qu'ils 

1.  Hisloriae,  lib.  I,  cap.  131. 

2.  Justi,  Geschichle  des  alten  Persieiu,  p.  89. 

3.  Vendidad.  Fargard  VII,  44  (118).  «  Les  uns  qui  guérissent 
par  le  couteau,  les  autres  par  les  plantes,  d'autres  par  la  parole 
divine.  » 

4.  Yashl  III.  Ardibahxshl  Yasht,  6.  Le  Zend-Avesta,  vol.  Il, 
p.  353. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  DES  IRANIENS        163 

aient  eu  recours  pour  les  combattre  aux  prières  et  aux 
incantations  aussi  bien  qu'aux  remèdes  humains.  «  Dans 
la  guérison  des  malades,  d'après  le  Nask  Hûspâram\ 
la  part  céleste  revient  à  un  arnshaspand  —  Ashvahist 
ou  Airyaman  — ,  la  part  mondaine,  aux  drogues  du 
médecin.  »  —  «  Si  moi,  Ahura  Mazda,  lit-on  ailleurs ', 
n'avais  envoyé  Airyaman  avec  sa  vertu  de  guérison,  la 
peine  resterait  peine,  malgré  toutes  les  drogues  que 
prennent  les  mortels  pour  la  détruire.  »  Les  drogues, 
tant  s'en  faut,  n'étaient  pas  pour  cela  regardées  comme 
inutiles;  «  Ahura  Mazda  a  créé,  dit  le  Dînkart',  au 
moins  une  plante  pour  endormir  chaque  maladie.  »  Il 
les  créa,  nous  apprend  le  Vendidad*,  à  la  demande  de 
Thrita,  «  le  premier  parmi  les  guérisseurs,  les  sages, 
les  heureux,  qui  lutta  contre  la  maladie  et  la  mort.  » 

Il  demandait  une  source  de  remèdes  et  il  Tobtint  de  Khsha- 
thra  Vairya'^  pour  résister  à  la  Maladie  et  résister  à  la  Mort; 
pour  résister  à  la  Douleur  et  résister  à  la  Fièvre...  pour  ré- 
sister à  la  pourriture  et  à  l'impureté  qu'Aftgra  Mainyu  a  créées 
contre  le  corps  des  mortels.  Et  moi,  Ahura  Mazda,  j'apportai 
les  plantes  guérissantes,  qui,  par  centaines,  par  milliers,  par 
myriades,  poussent  autour  de  l'unique  Gaokerena*^.  Tout  cela 
nous  l'accomplissons,  tout  cela  nous  l'ordonnons,  toutes  ces 
prières  nous  les  faisons  pour  le  bien  du  corps  des  mortels  ; 
pour  résister  à  la  Maladie  et  résister  à  la  Mort:  pour  résister  à 
la  Douleur  et  résister  à  la  Fièvre...  pour  résister  à  la  pourri- 


1.  Dtnkari,  lib.  VIÏI,  cap.  37, 14-29,  ap.  J.  Darmesteter,  Le 
Zend-Aveslay  vol.  II,  p.  115. 

2.  Le  Zend-Avesta,  vol.  H,  p.  319. 

3.  16.  Cité  par  J.  Darmesteter,  Le  Zend-Avesla,  vol.  II,  p.  115. 

4.  FargardXX,  2(ll>4(t5). 

5.  Le  génie  des  métaux  qui  fournit  à  Thrita  le  couteau  du 
médecin-chirurgien . 

6.  Le  Bundehesh  fait  sortir  55  espèces  de  plantes  médici- 
nales du  corps  du  taureau  primordial.  The  Bundahish,  chapt. 
X,  1,  p.  31. 


164  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

tare  et  à  Timpureté  qu*Afigra  Mainyu  a  créées  contre  le  corps 
des  mortels. 


II  y  a  là  comme  un  résumé  de  la  médecine  iranienne 
depuis  ses  premières  origines.  Khshatra  Vairya  en- 
seigna d'abord  à  Thrita  l'art  de  la  chirurgie,  mais 
cet  art  était  insuffisant  ;  Ahura  Mazda  apporta  alors 
au  héros  les  plantes  médicinales  ;  elles  sont  un  don  de 
sa  bonté,  comme  les  plantes  vénéneuses  sont  Tœuvre 
malfaisante  d'Angra  Mainyu.  Mais  la  prière  doit  par- 
faire et  compléter  l'œuvre  des  simples.  On  lit  dans 
le  vingtième  fargard  du  Vendidad: 

A  la  maladie  je  dis  arrière  !  et  arrière  !  à  la  Mort.  A  la  dou- 
leur, je  dis  arrière  !  et  arrière  !  à  la  Fièvre  ^  ! 

Et  dans  un  autre  fargard  du  même  traité*  : 

Qu'Airyaman,  qui  comble  les  vœux,  vienne  ici  pour  la  joie 
des  hommes  et  des  femmes  de  Zarathushtra!...  Qu'Airyaraan, 
qui  comble  les  vœux,  frappe  toute  maladie  et  toute  mort. 

Le  Barashniim  —  le  remède  suprême  — ,  préparé 
par  l'Amshaspand,  avec  les  formules  avestéennes  qui 
l'accompagnent,  brise  la  force  du  démon  et  de  la  ma- 
ladie'. 

Si  les  livres  sacrés  de  l'Iran  regardaient  ainsi  la 
prière  et  les  incantations  comme  les  premiers  remèdes, 
auxquels  on  devait  avoir  recours  contre  les  maladies, 
ils  n'en  accordaient  pas  moins  la  place  la  plus  grande 
aux  plantes  dans  le  traitement  de  ces  dernières.  Il  n'en 

1.  Fargard  XX,  7  (19)  et  8  (21).  (Le  ZendAvesla,  vol.  II,  p. 
279). 

2.  Fargard  XXII,  23-24.  (Le  Zend-Avesta,  vol.  II,  p.  292). 

3.  J.  Darmesteter,  Le  Zeiid-Avesta,  vol.  II,  p.  288. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  DES  IRANIENS        163 

pouvait  être  autrement,  étant  donnée  Torigine  divine  et 
Tefficacité  toute  puissante  qui  leur  étaient  attribuées  ; 
en  elles  Ahura  Mazdaavait  mis  une  vertu  surnaturelle; 
elles  étaient  ses  auxiliaires  dans  la  lutte  que  ce  dieu 
soutenait  contre  Angra  Mainyu  et  contre  les  99  999 
maladies,  qu'au  commencement  des  choses  le  génie  du 
mal  avait  lancéescontre  lui.  Malheureusement,  c'est  à 
ces  indications  générales  que  se  bornent  le  Zend- 
Avesta*,  et  il  ne  nous  fait  guère  connaître  explicite- 
ment d'autre  remède  végétal  que  le  haoma;  mais  il 
le  représente  comme  doué  des  propriétés  les  plus  mer- 
veilleuses ;  symbole  sur  terre  du  haoma  céleste,  qui 
éloigne  la  mort  et  confère  l'immortalité*,  comme  son 
prototype,  il  passait  pour  procurer  la  santé  et  la  force. 
C'est  un  dieu  bon,  vaillant  et  sage,  qui  Ta  formé,  un 
dieu  bon  qui  l'a  déposé  sur  les  hauteurs  de  la  Haraithi, 
d'où  les  oiseaux  divins  l'ont  porté  sur  toutes  les  mon- 
tagnes iraniennes.  Là,  il  pousse  en  espèces  multiples, 
savoureux  et  couleur  d'or.  Les  paroles  qu'on  lui 
adresse,  les  chants  dits  à  sa  louange  guérissent.  Des 
vertus  de  santé  se  mêlent  en  sa  liqueur  précieuse  ;  elle 
donne  une  ivresse  légère,  qui  pénètre  et  illumine  ^. 
Le  premier  aliment  qu'on  faisait  prendre  aux  nou- 
veau-nés était  du  jus  de  haoma  —  du  parahaoraa  — 
avec  un  peud'aloès*.  Mais  le  haoma  ne  guérissait  pas 

1.  Il  ne  faut  pas  s'étonner,  aussi,  que  l'étude  de  M.  A.  lïove- 
lacque:  Les  médecins  et  la  médecine  dans  VAvesta,  ne  nous 
apprenne  rien  sur  l'art  de  guérir  chez  les  Perses. 

2.  Yama  IX,  Ilôm  Yasht  I,  16-20  ;  II,  7.  —  The  Bundahish, 
chapt.  xxvii,  4. 

3.  Yasna  X.  —  Hôm  Yasht  II,  10  (26),  12  (31)  et  18  (56),  19 
(60)  (Le  Zend-Avesta,  vol.  I,  p.  101-103  et  107). 

4.  Shâyast  LâShâyast,  chapt.  x,  16.  {Pahlavi  Texls,  vol.  I, 
p.  282). 


i6d  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

seulement  les  souffrances  du  corps,  il  jouissait  aussi 
de  vertus  surnaturelles:  «  La  moindre  louange  du 
haoma,  la  moindre  gorgée  de  haoma  suffît  à  tuermille 
Daèvas.  Tout  le  mal  fait  par  les  démons  disparait  à 
l'instant  de  la  maison  où  l'homme  fait  le  service  de 
Haoma*.   » 

Si  le  haoma  était  le  remède  iranien  par  excellence, 
il  n  était  pas  le  seul  auquel  on  pût  s'adresser;  les  lé- 
gendes, nous  l'avons  vu,  admettaient  l'existence  de 
beaucoup  d'autres,  moins  efficaces  sans  doute,  mais 
qui  pouvaient  aussi,  employés  à  propos,  servir  à  gué- 
rir les  diverses  maladies.  La  flore  indigène  renferme 
d'ailleurs  un  nombre  considérable  de  plantes,  dont  les 
fleurs,  les  fruits,  les  graines  ou  les  racines  sont 'douées 
des  vertus  médicinales  les  plus  variées  ;  telles  les 
fleurs  des  malvacées*,  et  de  certaines  composées', 
borraginées*  ou  labiées,  de  la  dauphinelle  zalil,  etc., 
'^  les  fruits  secs  de  l'épine-vinette,  de  la  morelle,  etc.  : 

les  graines  de  la  Rœmeria  hijbriday  du  Sisymbriuni 
sophia,  du  Peganum  harmala,  de  la  Prosopis  stepha- 
niana,  du  lupin,  du  concombre,  de  la  chicorée,  du  frêne, 
de  diverses  labiées,  du  plantain,  de  la  Merendera  per^ 
stca,  etc.  ;  les  racines  de  la  Valeriana  Wallichiana, 
du  Zygophyllum  fabago,  de  la  Glycyrrhiza  glabra, 
du  câprier",  etc;  les  bulbes  de  V Eremoslachys  labiosa, 

1.  Yasna  10.  Hom  Yasht  2,  6-7.  Le  Zend  Avesta,  vol.  I,  p. 
100. 

2.  AUhaea  Ilohenackeri  etof/îcinalis,  Malva  silvestris. 

3.  l)iy erses esp^cesd*Artemisia,d'AchîUaea,û* Anthémis,  etc. 

4.  Anchusa  italicay  Caccinia  glauca,  Perowskia  atriplici- 
folia,  etc.  Stocks,  Notes  on  Beloochistan  plants.  (Hooker's 
Journal,  IV,  176.) 

5.  Aitchison,  Notes  on producls,  p.  57-58.  Joh.  L.  Schlimmer, 
Terminologie  pharmaceutique,  p.  73, 108,  309,  350,  477, 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  DES  IRANIENS        167 

de  plusieurs  orchidées*,  etc.;  les  tiges  ou  les  feuilles 
de  VEphedra  pachyclada^  dés  Salvia  ceraiophylla  et 
Ziiiphora  tenuior,  du  Zelkova  crenatay  etc* 

Il  faut  ajouter  le  pavot  et  certaines  Solanées  :  stra- 
moine,  jusquiames',  dont  les  propriétés  sédatives  ou 
narcotiques  ont  dû  être  connues  de  bonne  heure  en 
Perse,  comme  dans  la  Grèce,  ainsi  que  la  mandragore, 
qui  a  joué  un  rôle  si  important  dans  la  médecine  popu- 
laire des  anciens  '.  Mais  là  se  borne  ce  que  nous  pouvons 
dire.  Si  ces  plantes,  avec  beaucoup  d'autres,  figurent 
dans  la  pharmacopée  moderne  de  la  Perse,  aucun  do- 
cument ne  nous  renseigne  sur  les  usages  auxquels 
elles  servaient  chez  les  anciens  habitants  de  cette  con- 
trée ou  du  Turkestan,  et  nous  savons  encore  moins  à 
quelle  époque  ils  ont  commencé  à  s'en  servir. 

Il  est  une  plante  cependant  qui  fait  exception, 
c'est  le  chanvre  —  shadaneh  — ,  dont  Hérodote  nous 
a  fait,  connaître  l'emploi  singulier  qu'en  faisaient  les 
Scythes  *. 

Après  être  entrés  sous  des  pieux  qu'enveloppent  leurs  man- 
teaux, les  Scythes  jettent  sur  des  pierres  rougies  au  feu  de  la 
graine  de  chanvre  qu'ils  ont  apportée  ;  elle  fume  aussitôt  et 
répand  une  vapeur  aussi  abondante  que  celle  d'une  étuve 
grecque.  Cette  vapeur  excite  les  Scythes  au  point  qu'ils  en 
poussent  des  cris  de  contentement. 

Il  y  a  là  une  allusion  manifeste  aux  propriétés  eni- 
vrantes du  chanvre  touranien  ;  c'est  par  les  Perses 

1.  Par  exemple  de  VEulophia  campestrû  de  l'Afghanistan  et 
du  Béloutchistan,  des  Orchis  latifolia  et  laxiflora,  Aitchison, 
Noies,  p.  144-145. 

2.  Hyoscyamus  muticus  (Scopolia  mvlica),  niger  et  pusil- 
lus,  Boissier,  vol.  IV,  p.  293-295. 

3.  Polak,  Persien,  vol.  II,  p.  262 

4.  llistoriaCy  lib.  IV   cap.  75. 


168  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

qa'Hérodote  en  avait  entendu  parler  ;  ce  peuple  avait- 
il  cherché,  dès  le  temps  de  l'historien  grec,  à  en  tirer 
parti?  Nous  l'ignorons  ;  toutefois  on  peut  aflBrmer  que 
très  anciennement  les  habitants  de  Tlran  septentrional 
ont  fait  usage  du  chanvre,  mais  un  autre  usage  que  les 
Scythes.  De  même  qu'aujourd'hui,  ils  ont  dû  utiliser, 
comme  stupéfiant \  non  les  graines,  mais  les  feuilles 

—  beng  — ,  et  la  gomme-résine  —  cers  — ,  répandue 
sur  toute  la  plante  et  en  particulier  sur  les  rameaux 
fructifères. 

Aux  plantes  qui  précèdent  faut-il  ajouter  les  végé- 
taux auxquels  les  Perses  attribuaient  des  vertus  ma- 
giques, et  dont  Démocrite,  si  Ton  en  croit  Pline*, 
avait  «  rapporté  les  choses  les  plus  étranges  »  ?  Telle 
Vaglaophotis,  dont  les  Mages,  dit-il,  se  servent,  quand 
ils  veulent  invoquer  les  Dieux  ;  tel  encore  le  théo- 
brotion,  que  les  rois  de  Perse  auraient  pris  en  boisson 
contre  les  dérangements  de  l'esprit,  aussi  bien  que 
contre  les  indispositions  corporelles,  et  la  théangelis, 
dont  une  infusion  donnait  aux  Mages  la  faculté  divina- 
toire ;  telles  encore,  —  sans  parler  de  Varianis,  qui  en- 
flammait par  son  simple  contact  les  bois  frottés  d'huile, 

—  la  gélotophyllis,  qui,  prise  avec  de  la  myrrhe  et 
du  vin,  faisait  voir  des  figures  fantastiques  et  provo- 
quait un  rire  inextinguible,  ou  YhesiiateriSy  qui  répan- 
dait la  gaieté  dans  les  repas.  «  On  l'appelle  aussi 
protomedia,  ajoute  le  plus  crédule  des  compilateurs, 
parce  que  les  courtisans  qui  en  jnangent  obtiennent  le 
premier  rang  auprès  des  rois.  » 


1.  Polak,  Persien,  vol.  II,  p.  244.  —  Fliickiger  et  Hanbury, 
Histoire  des  drogues,  vol.  Il,  p.  285-288.  Schlimmer,  p.  106. 

2.  Ilistoria  naluralis,  lib.  XXIV,  cap.  102. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECLNE  DES  IRANIENS        169 

Évidemment  nous  sortons,  avec  ces  plantes  fabu- 
leuses, du  domaine  de  la  pharmacopée  véritable  et 
même  de  la  réalité.  Et  cependant  on  peut  retrouver 
quelque  chose  d'analogue  à  leurs  propriétés  merveil- 
leuses dans  celles  qu'on  attribue  aujourd'hui  encore  à 
certaines  espèces  iraniennes.  C'est  ainsi  que  les  racines 
du  Trachydixmi  Lehmanni^  passent  pour  conserver  la 
mémoire  et  fortifier  les  facultés  cérébrales.  D'autres 
plantes  servent  par  leur  seule  présence  à  écarter  les 
esprits  mauvais.  Dans  quelques  provinces  de  la  Perse, 
par  exemple,  on  attache  au-dessus  de  la  porte  des 
maisons  des  bouquets  de  Peganum  harmala  pour  en 
protéger  les  habitants  contre  les  attaques  des  mauvais 
génies.  De  même  une  branche  fleurie  de  férule  galba- 
nifère,  fixée  à  la  demeure  d'une  femme  en  couches,  est 
un  charme  tout  puissant  qui  écarte  les  daèvas.  On 
suspend  dans  le  même  but  des  morceaux  de  bois  de 
micocoulier  au  cou  des  enfants  et  des  femmes.  On 
croit  aussi  que  les  baguettes  d'amandier  et  de  tamaris 
peuvent  écarter  les  serpents;  aussi  fait-on  le  manche 
des  fouets  avec  le  bois  de  ces  arbres.  Le  cône  du  pin 
est  considéré  également  comme  portant  bonheur  ^ 

Mais  il  faut  revenir  à  la  pharmacopée  véritable, 
dont  ces  croyances  populaires  nous  ont  trop  éloignés. 
Les  substances  extraites  d'un  certain  nombre  déplantes 
iraniennes  :  huiles,  mannes,  gommes  et  gommes-ré- 
sines, etc.,  nous  y  ramènent.  Quelques-unes  des  huiles 
qui  servaient  dans  l'alimentation  et  pour  l'éclairage 
sont  et  ont  été  aussi  sans  doute  de  temps  immémorial 
employées  dans  la  pharmacopée;  telle  que  l'huile  de 


1.  Aitchison,  Notes  on  products,  p.  210. 

2.  Aitchison,  Notes  on  products,  p.  U9,  74,  35,  164  et  201, 


170  LES  PUNTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

roquette,  de  noix,  de  pistaches,  de  sésame,  de  ricin  ; 
il  faut  y  ajouter  Thuile  d'amandes  amères  et  dans  le 
Turkestan  l'huile  de  lin  et  peut-être  de  chanvre. 

La  manne  était  peut-être  chez  les  anciens  habitants 
de  l'Iran,  plus  un  aliment  ou  un  condiment  qu'un  re- 
mède, il  convient  néanmoins  d'en  parler  ici.  De  nom- 
breuses plantes  de  l'Iran  produisent  la  manne  —  le  miel 
aérien,  comme  l'appelle  Athénée*  —  :  tamaris,  chênes, 
astragales,  alhagi,  Atraphaxis  spinosa,  saule  fragile, 
Cotoneaster  nummularia,  poirier  à  feuilles  glabres^ 
d'autres  encore.  Chaque  province  presque  a  sa  manne 
particulière;  toutefois  malgré  les  différences  qu'elles 
présentent  dans  leur  composition,  ces  diverses  mannes 
ont  des  propriétés  et  des  caractères  communs.  Elles  se 
forment  la  nuit,  tantôt  spontanément,  le  plus  souvent 
à  la  suite  de  la  piqûre  d'un  insecte,  et  presque  toujours 
à  l'époque  des  grandes  chaleurs;  le  matin  on  recueille 
l'exsudation  solidifiée  sous  forme  de  grains  plus  ou 
moins  gros  ou  de  larmes  ;  elle  a  un  goût  sucré  et 
agréable. 

Les  Perses  distinguent  quatre  espèces  principales 
de  manne:  le  gez-engebin,  le  ter-engebin,  le  shir- 
khisht  et  le  bid-khisht  *.  Le  gez-engebin  est  exsudé 
par  trois  plantes  différentes.  La  meilleure  sorte  est 
produite  par  une  astragale  des  environs  d'Ispahan'; 
la  seconde  sorte  provient  de  l'exsudation  du  tamaris  à 
manne — gez — ,  qu'on  rencontre  à  l'Est  d'Ispahan,  dans 
la  vallée  du  Zayendeh-roud,  et  dans  l'ancienne  Carma- 


1.  DeipnosophistaCj  lib.  XI,  cap.  102  (501). 

2.  Polak,  Persien,  vol.  II,  p.  285.  Engebin  ou  enjehin. 

3.  Les  Astragalus  florulentus  et  adscendens  d'après  A.  Haus- 
knecht.  Ueber  Manna-Sorlen  des  Orients.  {Archiv  der  Pharma- 
cie, vol.  192,  1  (avril  1870),  p.  2'i6). 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  DES  IRANIENS        171 

nie*;  la  troisième  sorte  de  gez-engebin  et  la  plus 
commune  est  fournie  par  un  chêne  du  Kourdistan  —  le 
Qiierctis  ballola  d'après  Polak,  les  Quercus  vallonea 
etpersica,  suivant  Hausknecht*.  — C'est  probablement 
ces  mannes,  en  particulier  la  première  et  la  troisième 
sorte,  qui  étaient  recueillies  pour  la  table  du  grand  roi; 
c'est  elles  encore  aujourd'hui  qui  entrent  dans  la  pré- 
paration des  pâtisseries  persanes  dont  j'ai  parlé  au 
chapitre  de  l'alimentation. 

Le  ter-ejigebin  est  produit  par  l'exsudation  de  YAl- 
hagi  camelorttm,  astragale  répandue  dans  tout  l'Iran, 
mais  surtout  dans  le  Khoràsan,  l'Afghanistan  et  le 
Béloutchistan.  Il  semble  qu'il  soit  question  de  cette 
manne  dans  un  passage  de  Théophraste  cité  plus  haut', 
où  le  naturaliste  grec  parle  du  suc  exsudé  par  un  arbuste 
épineux  de  l'Asie.  Toutefois  la  manne  de  TAlhagi  n'a 
pas,  comme  le  dit  Théophraste,  l'odeur  de  la  myrrhe, 
mais  celle  du  séné,  dentelle  a  les  propriétés  purgatives*. 

Le  shir-khisht  provient  indifféremment  de  VAlrapha- 
xisspinosa,  polygonée  répandue  surtout  dans  l'Afgha- 
nistan et  le  Turkestan,  et  du  Cotoneaster  nummularia, 
arbrisseau  de  la  même  région*.  Enfin  le  saule  fragile 
des  environs  montagneux  de  Téhéran  produit  vers  la 
fin  de  l'automne  le  bid-khisht,  manne  blanchâtre  re- 


1.  Hausknecht,  Ibxd.,  p.  248,  dit  qu^entre  Ispahan  et  Téhé- 
ran les  exsudations  ne  se  produisent  que  dans  certaines 
années.  Schlimmer,  p.  358,  lui  donne  le  nom  de  gez  khunçar. 

2.  Archiv  der  Pharmacie  y  vol.  192,  1,  p.  244.  C*est  le  gez 
èléfi  de  Schlimmer. 

3.  Historia  planlarum^  lib.  IV,  cap.  4,  12.  Cf.  p.  lOp.  Polak 
et  Brandis  donnent  à  cet  Alhagi  le  nom  à' A.  Maurorum. 

4.  A.  Hausknecht,  op.  laud.  {Archiv  der  Pharmacie ,  vol.  192, 
1,  p.  247).  —  Polak,  vol.  II,  p.  286. 

5.  A.  Hausknecht,  Jbid.,  p.  249.  —  Polak,  vol.  II,  p.  286. 


172  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

cueillie  en  petite  quantité  et  peu  employée*.  Le  poirier 
à  feuilles  glabres,  commun  dans  les  montagnes  boisées 
du  Louristan,  en  produit  une  qui  rappelle  celle  du 
chêne.  La  Scrophularia  rigida,  plante  du  Farsistan  et 
la  Salsola  fœtida^  commune  dans  l'Afghanistan,  pro- 
duisent également  des  exsudations  sacchariformes 
analogues  à  la  manne*. 

Les  anciens  Perses  connurent  sans  doute  et  em- 
ployèrent la  plupart  de  ces  espèces  de  manne;  il  est 
probable  qu'ils  connurent  aussi  dès  longtemps  la 
gomme  adragante,  substance  concrétée  qu'exsudent 
naturellement  la  tige  et  les  rameaux  de  diverses  astra- 
gales de  la  Médie',  mais  que  Dioscoride*,  par  une 
confusion  évidente,  fait  découler  d'une  incision  pra- 
tiquée dans  la  racine.  A  côté  de  la  gomme  adragante 
il  faut  placer  la  sarcocolle,  gomme  produite  par  un 
petit  arbre  du  Laristan,  dit  Polak^  d'après  Dioscoride, 
mais  qui,  suivant  Dymock,  provient  en  réalité  de 
VAstragahis  sarcocolla^.  Enfin  on  peut  ajouter  ici  la 
gomme  exsudée  par  le  pistachier  mutique,  commua, 


1.  Polak,  Persieriy  vol.  II,  p.  287. 

2.  A.  Hausknecht, 0/)  laud.,^.  249.  —  Aitchison,M)/e5,p.l81, 
dit  que  la  manne  de  la  5.  fœtida  porte  le  [nom  de  shakar: 
sucre. 

3.  Entre  autres  les  Astragalus  adscendens.gummifer^pycno' 
cladm  et  Kurdicus.  A. -F.  Fiûckiger  et  D.  Hanbury,  histoire 
des  drogues,  trad.  Lanessan.  Paris,  1878,  in-8,  vol.  I,p.  346-347. 

4.  De  maleria  medica,  lib.  III,  cap.  20. 

5.  Persien,  vol.  II,  p.  285.  —  De  materia  medica,  lib.  111, 
cap.  90. 

6.  Pharmacographia  indica.  London-Bombay,  1890,  in-8, 
vol.  I,  p.  476.  Aitchison,  Notes,  p.  19,  s*est  demandé  s'il  ne 
faudrait  pas  rattacher  cette  espèce  à  une  de  celles  décrites  par 
Bunge.  D'après  Schlimmer,  p.  425,  la  sarcocolle  serait  produite 
par  la  Penaea  mucronala,  plante  étrangère  à  la  flore  persane. 


LES  PUNIES  DANS  LA  MÉDECINE  DES  IRANIENS        173 

en  particulier,  dans  le  Kourdistan  et  le  Farsistan,  d'Is- 
pahan  à  Çhiraz,  ainsi  que  par  le  pistachier  vrai  \ 

Bien  autrement  importantes  que  ces  derniers  pro- 
duits, bien  plus  anciennement  connues  pour  la  plupart 
et  d'un  plus  grand  emploi  chez  les  anciens  Perses, 
furent  les  diverses  gommes-résines,  fournies  par  les 
grandes  ombellifères  répandues  sur  le  plateau  iranien 
tout  entier  et  dans  le  Turkestan:  asa  fœtida,  galba- 
num,  sagapenum,  opopanax  et  gomme  ammoniaque. 
L*asa-fœtida — anguza^y  hind.  hiiig — ,  est  produite  par 
le  Narthex  asa  fœtida  Falc.  —  Fer  nia  asa  fœtida  B. 
—  du  Farsistan  et  le  Scorodosma  fœtidum  Bunge  du 
Khorâsan',  plantes  pourvues  d'une  racine  épaisse  de 
plusieurs  pouces  et  dont  la  tige  atteint  de  2  à  3  mètres*. 

1.  Polak,  Persien,  vol.  II,  p.  284.  —  Aitchison,  Notes,  p.  95. 

2.  Ènguzeh,  d'après  Schlimmer,  Tei^minologie,  p.  56. 

3.  Kaempfer  regardait  comme  appartenant  à  la  même  espèce 
les  ombellifères  du  Laristan  et  du  Khorâsan  qui  produisent 
Tasa  fœtida.  Boissier,  qui  n'a  pas  admis  le  genre  Scorodosma, 
semble  regarder  la  plante  de  Bunge  comme  la  Fertila  allia- 
cea,  ombellifère  très  répandue  dans  l'Iran  oriental.  H.  W. 
Beliewa  trouvé  en  grande  quantité  une  ombellifère  qui  produit 
Tasa  fœtida  sur  toutes  les  collines  de  l'Afghanistan,  ainsi  que 
dans  les  plaines  élevées  qui  s'étendent  de  Kandahar  à  Ilérat, 
région  où  Bunge  l'avait  déjà  observée.  From  the  Indus  to  Ihe 
Tigris,  London,  1874,  p.  101-102,  286,  321,  etc.,  ap.  Histoire 
des  drogues  y  vol.  I,  p.  558  et  561. 

4.  L'ombellifère  à  asa  fœtida  a  été  découverte  par  Lehmann, 
en  1841,  sur  les  collines  du  Karatagh  au  Sud  du  Zarafshan. 
Vers  1859,  elle  a  été  recueillie  entre  la  mer  Caspienne  et  la 
mer  d'Aral  par  le  botaniste  russe  Borszcow.  {Histoire  des  dro- 
gues, vol.  I,  p.  557-558).  Elle  a  été  aussi  observée  par  Wood 
dans  un  district  situé  au  Nord  du  haut  Oxus.  Journey  to  the 
source  of  the  River  Oxus.  London,  1872,  in-8,  p.  131.  Enfin 
cette  férule  a  été  vue  en  abondance  dans  la  Steppe  de  la  Faim 
entre  le  Sir  Daria  et  le  Karatau.  Wold.  von  Lentner,  Ueber  das 
Vorkommen  von  Scorodosma  fœtidum  im  tûrkestanischen  Ge- 
biete,  (Pharm.  Zeitschrift  fur  Bussland,  X  (1871),  p.  738). 


171  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIEiNS 

On  doit  à  Kaempfer  une  description  détaillée  du  pro- 
cédé très  compliqué,  qui  était,  de  son  temps,  employé 
dans  le  Laristan,  pour  recueillir  Tasa-fœtida*,  et  ne 
demandait  pas  moins  de  plusieurs  semaines.  La  ré- 
colte se  fait  plus  simplement  dans  TAfghanistan. 

D'après  Bellew  ',  aux  environs  de  Kandahar,  on  se 
borne,  après  avoir  enlevé  les  feuilles  nouvellement 
poussées  et  fait  une  petite  fosse  autour  de  la  souche, 
à  pratiquer  plusieurs  incisions  profondes  à  la  partie 
supérieure  de  la  racine;  cela  suflSt  pour  déterminer 
l'écoulement  de  la  gomme-résine,  sans  faire  périr  la 
plante.  On  répète  l'opération  tous  les  trois  ou  quatre 
jours,  et  on  la  continue  tant  que  le  suc  continue  à  cou- 
ler. Il  est  douteux  que  Théophraste  ait  connu  Tasa- 
fœtida  véritable';  mais  il  semble  bien  que  ce  soit 
d'elle  que  parle  Dioscoride  sous  le  nom  de  silphion*, 
plante  d'une  odeur  pénétrante,  qui  croît,  dit-il,  en 
Syrie  et  en  Médie.  On  peut  se  demander  toutefois  si 
la  substance  qu'il  a  décrite  est  bien  la  même  que  Tasa- 
fœtida  du  Laristan  et  du  Khorâsan.  Celle-ci  pénétra 
enfin  dans  l'empire  romain  ;  elle  figure  au  second 
siècle  de  notre  ère,  sous  le  nom  de  laser,  au  nombre 
des  produits  de  la  Perse  et  de  l'Inde,  sur  lesquels  un 
droit  était  perçu  par  la  douane  d'Alexandrie*. 

Le  galbanum,  gomme-résine  exsudée  par  une  plante 

* 

1.  Amœnitates  exoticœ,  p.  545-547.  Schlimmer,  p.  58,  a 
décrit  le  procédé  non  moins  long  qu'on  emploie  aujourd'hui 
encore  à  Hérat  pour  récolter  l'asa-fœtida. 

2.  Journal  of  a  mission  to  Afghanistan.  London,  1862,  p. 
270,  ap.  Fiuckiger  et  Hanbury,  vol.  I,  p.  561. 

3.  Le  silphion  dont  il  parle,  lib.  VI,  cap.  3,  1,  en  parait  du 
'  moins  tout  différent. 

4.  De  materia  medica,  lib.  III,  cap.  84. 

5.  Fiuckiger  et  Hanbury,  Histoire  des  drogues,  vol.  I,  p.  559. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  DES  IRANIENS        175 

de  la  même  famille  que  Tasa-foelida,  dut  être,  comme 
celle-ci,  connue  anciennement  des  Perses.  Théophraste 
n'en  ignorait  pas  le  nom  ^  ;   mais  c'est  tout  ce  qu'il  en 
savait,  ainsi  que  NicandreV  Dioscoride^  et  Pline*  en 
parlent  comme  d'une  résine,  fournie  par  un  narthex, 
qui  croissait  en  Syrie  sur  le  mont  Amamus.  Diverses 
ombellifères  méditerranéennes  paraissent  avoir  pro- 
duit une  substance   semblable  au  galbanum,  mais  la 
vraie  résine  de  ce  nom  provient  de  deux  férules  de 
riran  — les  Ferula  galbaniflua  B.  et  rubricaulis  ou 
erubescens  — ,  grandes  plantes  à  tige  robuste,  à  feuilles 
tomenteuses,  qui  croissent,  la  première  sur  les  pentes 
du  Démavend  et  dans  la  région  montagneuse  située 
entre  Mechhed  et  Hérat,  la  seconde  dans  les  gorges  de 
la  chaîne  du  Kouh-Daëna,  ainsi  peut-être  que  sur  les 
pentes  de  l'Elwendprès  deHamadan*.  Le  suc,  qui  dé- 
coule des  parties  inférieures  de  la  tige  et  de  la  base 
des  feuilles,  d'abord  d'un   blanc   laiteux,   prend  une 
teinte  jaunâtre  en  se  solidifiant  à  l'air  libre  ;  il  en- 
trait dans  la  composition  de  l'encens  chez  les  Hébreux®, 
et  servait,  d'après  Dioscoride,  comme  excitant  et  réso- 
lutif dans  la  médecine  grecque  et  probablement  aussi 
dans  la  thérapeutique  persane. 

Suivant  Dioscoride  encore,  le  sagapenum,  aussi  ré- 
puté chez  les  Anciens  qu'il  est  dédaigné  aujourd'hui, 


1.  Hiitoria  plantarum,  lib.  IX,  cap.  1,  2. 

2.  rAeriaAa,  vers  938. 

3.  De  maieria  medica,  lib.  III,  cap.  87. 

4.  Historia  naturalis,  lib.  XII,  cap.  25,  56. 

5.  Boissier,  Flora^  vol.  Il,  p.  988  et  995.  D'après  Aitchison, 
Notes,  p.  73,  la  F.  galbaniflua  seule  produirait  le  galbanum. 

6.  Exodus,  lib.  XXX,  vers.  34.  W.-H.  Groser,  The  trees  and 
plants  mentioned  in  the  Bible,  p.  213. 


176  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

provenait  également  de  laMédie,  c'est-à-dire  de  l'Iran. 
C'était,  dit  le  pharmacopole  grec^  une  résine  trans- 
parente, jaune  à  l'extérieur,  blanche  à  l'intérieur, 
d'une  saveur  piquante  et  dont  l'odeur  était  intermé- 
diaire entre  celle  de  l'asa  fœtida  et  du  galbanum.  Elle 
était  produite,  ajoute-t-il,  par  une  plante  semblable  à 
une  férule ;.Lenz  a  supposé  que  ce  pouvait  être  la  Fe- 
rida  pe7'sica,  orabellifère  du  Ghilan';  d'après  Po- 
lak  ce  serait  la  Ferula  sagapenum,  inconnue  de  Bois- 
sier;  Djmock  la  rapporte  en  hésitant  à  la  Fenda 
Szovùsianà,  petite  plante  des  terrains  pierreux  de  la 
vallée  de  l'Héri-roud*. 

Aucune  incertitude,  au  contraire,  n'existe  au  sujet 
de  la  gomme  ammoniaque.  Cette  dernière  est  produite 
par  le  Dorema  ammoniacum,  ombellifère  à  tige  dres- 
sée, haute  d'environ  deux  mètres  et  commune  surtout 
dans  l'Iran  oriental.  Une  autre  espèce  du  même  genre, 
le  Dorema  Aticheriy  indigène  plutôt  dans  la  Perse 
occidentale,  donne  aussi  naissance  à  un  produit  ana- 
logue*. A  l'époque  de  la  maturité  des  fruits,  de  petits 
coléoptères  viennent  attaquer  les  tiges  du  Dorema  ;  le 
suc  visqueux  et  blanchâtre  qui  coule  en  abondance  des 
piqûres  qu'ils  y  font,  concrète  sous  forme  de  grains 
ou  de  larmes,  constitue  ce  qu'on  appelle  gomme  am- 
moniaque. A  quelle  époque  les  Perses  ont-ils  com- 
mencé à  l'employer  ?  Nous  ne  pouvons  le  dire.  Théo- 

1.  De  materia  médira^  lib.  III,  cap.  85. 

2.  Botanik  der  allen  Griechen  und Borner,  p.  564.  —  Boissier, 
Flora,  vol.  II,  p.  992. 

3.  Pharmacofjraphia  indica,  vol.  II,  p.  161. 

.  4.  Boissier,  Flora,  \o\.  IV,  p.  1008.  D'après  Aitchison,  Notes, 
p.  57,  le  Dorema  glabrum  exsuderait  également  une  gomme- 
résine  rougeâtre  et  cassante,  analogue,  elle  aussi,  à  la  gomme 
ammoniaque. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  DES  IRANIENS        177 

phraste  Tignoràit  encore;  Dioscoride  et  Pline*  en 
parlent  bien,  mais  comme  d'une  résine  exsudée  par 
un  narlhex  qui  croissait  aux  environs  du  temple  de 
Jupiter  Ammon  ;  il  s'agit  probablement  de  la  Ferula 
tingitana  L.,  plante  indigène  dans  le  Maroc  et  dans 
la  Palestine' et  qui  fournit  une  gomme-résine  analogue 
à  celle  du  Dorema  ammoniacum,  mais  différente  aussi 
à  certains  égards.  La  vraie  gomme  ammoniaque  — 
nshak  ou  kandal  —  ne  paraît  pas  avoir  été  connue  dans 
rOccident  avant  le  x®  siècle,  époque  où  Isaac  Judaeus 
en  a  fait  mention  \ 

Parmi  les  nombreuses  et  belles  ombellifères  de 
riranilyen  a  encore  une  qu'il  faut  mentionner  ici, 
c'est  VOpopanax  persicum,  qu'on  rencontre  dans  TEl- 
bourzet  les  montagnes  du  district  de  Kouh-Kilouyéh*; 
cette  plante  fournit  une  gomme-résine,  qui  rappelle, 
sans  y  ressembler  entièrement,  l'opopanax  de  Diosco- 
ride et  de  Pline  ^,  extrait  du  Panaces  heracleion,  — 
la  Ferula  opopanax  de  Sprengel,  VOpopanax  orien- 
tale de  Boissier  — ,  ombellifère  de  la  Boétie  et  de 
TArcadie,  qui  croissait  aussi  dans  la  Macédoine  et  la 
Cyrénaïque®. 

Nous  ne  savons  rien  de  l'usage  que  les  anciens 
Perses  ont  pu  faire  de  l'opopanax  ;  nous  ne  sommes 
pas  mieux  renseignés  à  Tégard  de  la  rhubarbe;  mais 
le  rôle  mythique  de  cette  plante  peut  faire  croire  à 

V.  De  materia  medica^Wh.  III,  cap.  88.  —  Hisl.  naturalisa 
lib.  XII,  cap.  49. 

2.  Boissier,  Flora  y  vol.  II,  p.  992. 

3.  Histoire  des  drogues^  voL  I,  p.  571-572. 

4.  Boissier,  Flora^  vol.  II,  p.  1059. 

5.  De  materia  medica,  lib.  IH,  cap.  48.  —  Hist.  naturalisa 
lib.  XXV,  cap.  12. 

6.  Boissier,  Flora^  vol.  Il,  p.  99. 

JoRET.  —  Les 'Plante&  dons  VaniiquUé.         II.  —  12 


178  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

Tantiquité  de  son  emploi.  Quoi  qu'il  en  soit,  elle 
semble  avoir  été  connue  dans  l'empire  romain  au  pre- 
mier siècle  de  notre  ère.  Dioscoride*,  qui  lui  donne 
le  nom  de  rhâ  ou  rhéon  et  Ta  bien  décrite,  dit  qu'elle 
était  importée  des  contrées  situées  au  delà  du  Bos- 
phore, mais  sans  désigner  autrement  ces  contrées.  C'est 
d'elle  aussi  sans  doute  qu'au  iv*  siècle  parle  Ammien 
Marcellin^  quand  il  rapporte  que  «  sur  les  bords 
du  Rha  —  le  Volga  — ,  d'où  elle  tire  son  nom,  croît 
une  racine,  qu'on  emploie  comme  remède  dans  nombre 
de  maladies  ».  Il  s'agit  évidemment  ici  du  Rheiim 
caspicum  ou  tatariciim,  commun  dans  la  Russie  mé- 
ridionale, ainsi  que  dans  la  vallée  du  Héri-roud  et  le 
Turkestan,  plante  dont  la  racine  et  les  fruits  sont 
employés  dans  la  médecine  persane.  Quant  au  Rheum 
ribes,  répandu  dans  les  terrains  argileux  et  élevés  de 
riran,  les  habitants  en  mangent  les  feuilles  comme 
légumes,  et  la  racine  est  utilisée  pour  teindre  le  cuir 
en  rouge  ^. 

Bien  que  l'Iran  renferme,  on  vient  de  le  voir,  un 
nombre  assez  considérable  de  plantes  médicinales,  qui 
lui  sont  propres  et  dont  les  autres  pays  lui  doivent  la 
connaissance,  ses  habitants  ne  paraissent  pas  toutefois 
avoir  fait  faire  de  grands  progrès  à  la  thérapeutique  ; 
et  ils  ont  plus  emprunté  aux  nations  voisines  qu'ils  ne 
leur  ont  donné.  Les  premières  auxquelles  ils  demandè- 
rent des  recettes  médicales  furent  les  Sémites  de  la 


1.  De  maleria  medica^  lib.  III,  cap.  2.  Cf.  Pline,  lib.  XXVIF, 
cap.  12. 

2.  «  Ra...  in  ciijus  superciliis  quaedam  uegetabilis  eiusdem 
nominis  gignitur  radix  proficiens  ad  usus  multipliées  medela- 
rum  ».  Rerum  ffestarum,  lib.  XXI ï,  cap.  8,  28. 

3.  Aitchison,  Xotes  on produrls,  p.  174. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  DES  IRANIENS        179 

Babylonie  et  de  TAssyrie,  disciples  eux-mêmes  des 
Égyptiens.  Plus  tard  quand  ils  furent  entrés  en  relation 
avec  les  Grecs,  ils  eurent  recours  aux  connaissances 
thérapeutiques  de  ces  derniers  \  On  vit  même  des  mé- 
decins grecs,  comme  Ctésias,  établis  à  là  cour  des  rois 
de  Perse,  preuve  de  la  supériorité  qu'on  reconnaissait 
àia  médecine  hellénique  sur  celle  de  l'Iran. 

Mai  s  les  Perses  devaient  aller  plus  loin  encore  chercher 
des  remèdes  et  des  enseignements  ;  ils  avaient  tiré  de 
THindoustan,  quand  ils  eurent  pénétré  dans  cette  con- 
trée, plusieurs  végétaux  alimentaires  ou  industriels; 
ils  en  importèrent  aussi  des  plantes  médicinales,  et 
étudièrent  les  ouvrages  des  pharmacopoles  hindous. 
A  l'époque  des  Sassanides,  sous  le  règne  de  Khosroès 
Anoshirvan,  le  médecin  Barzujeh  fut  envoyé  dans 
rinde  pour  y  recueillir,  avec  des  recettes  médicales, 
quelques-unes  des  plantes  salutaires  de  cette  contrée*. 
Ces  plantes,  nous  les  retrouverons  dans  la  pharma- 
copée hindoue  ;  inutile  dès  lors  d'en  parler  maintenant. 
11  en  est  une  toutefois  que  je  dois  mentionner  ici,  encore 
qu'aujourd'hui  elle  soit  employée  comme  condiment  et 
non  comme  remède  ;  c'est  le  pommier  de  Médie  ou  de 
Perse  —  cédratier  —  importé,  nous  l'avons  vu,  dans 
l'Iran  occidental  sous  les  Achéménides. 

Les  habitants  de  cette  contrée  n'en  mangeaient  pas 
les  fruits,  mais  ils  en  employaient  le  suc  comme  mé- 
dicament. Mêlé  à  du  vin,  dit  Théophraste*,  il  dégage 

1 .  J.  Berendes,  Die  Pharmacie  bei  den  allen  Cullurvôlkern, 
vol.  I,  p.  35. 

2.  Silvestre  de  Sacy,  Le  livre  de  Calila  apporté  de  l'Inde  à 
Nouschirvan.  (Notices  et  extraits  des  manuscrits,  vol.  X,  p. 
147-149). 

3.  Historia  planlarum,  iib.  IV,  cap.  4,  2.  —  Pline,  Historia 
naturalis,  Iib.  XII, cap.  7.  Cf.  Virgile, Geor^.,  Iib.  II,  v.  126-128. 


180  LES  PUNTES  CHEZ  LES  IRANIENS 

la  bile  et  expulse  le  poison.  Et  Athénée,  renchérissant 
sur  le  naturaliste  grec,  raconte  une  anecdote',  d'après 
laquelle  les  cédrats  auraient  été  l'antidote  et  le  pré- 
servatif le  plus  efficace  contre  la  morsure  des  serpents. 
Mais  ces  fruits  avaient  encore  d'autres  propriétés  et 
d'autres  usages  ;  leur  chair,  suivant  Théophraste  et 
Athénée*,  cuite  dans  le  jus  de  viande  ou  quelque 
autre  liquide  et  mâchée  ensuite,  servait  à  parfumer  Tha- 
leine.  Cet  usage  subsista  longtemps  en  Orient  ;  Pline 
rapporte*  que  chez  les  Parthes  les  grands,  pour  com- 
battre la  mauvaise  odeur  de  la  bouche,  faisaient  mettre 
dans  leurs  mets  des  graines  de  cédrats.  A  cause  de 
leur  odeur  pénétrante,  les  fruits  du  cédratier  —  il  en 
était  peut-être  de  même  des  feuilles  non  moins  par- 
fumées* —  passaient  pour  préserver  des  teignes  les 
étoffes  au  milieu  desquelles  on  les  plaçait. 

Le  cédratier  nous  ramène  naturellement  aux  aro- 
mates, dont  les  Iraniens,  ainsi  que  tous  les  peuples  de 
rOrient,  faisaient  un  si  grand  usage.  Ils  n'en  avaient 
pas  besoin  sans  doute,  comme  les  Egyptiens,  pour  em- 
baumer les  morts  qu'ils  exposaient  au  haut  de  tours 
particulières  ou  dakhraas  quand  ils  ne  les  inhumaient 
pas  tout  simplement,  ainsi  qu'on  le  fait  chez  nous, 
mais  ils  se  servaient  de  substances  aromatiques  pour 
purifier  le  lieu,  considéré  comme  souillé,  où  le  défunt 
avait  rendu  le  dernier  soupir. 


1.  Deipno^iophxstae,  lib.  Ifl,  cap.  28  (8'»  é). 

2.  Jfistoria  plantarum,  lib.   IV,  cafK  4,   2.  —  Deipnoso- 
phislae,  lib.  IH.  cap.  26  (83  é). 

3.  Hisloria   naturalisa  lib.  XI,  cap.   115  (53)  et  lib.  XII, 
cap.  7. 

4.  To  ôî  rx:^Xov...  é'joa|xov  Se  nàvu  xal  ç'jXXa  to-j  oevooov.  Théo- 
phrastc,  Ibid.y  lib.  IV,  rap.  4,  2. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  DES  IRANIENS         18! 

Le  Vendidad  ordonne  ^  de  parfumer,  aussitôt  après 
sa  mort,  la  demeure  du  défunt  avec  Yurvâsni,  — 
plante  à  odeur  alliacée*,  —  le  vohû-guona  —  probable- 
ment Toliban  ou  encens,  —  le  vohiUkereti —  peut-être 
le  bois  d'aloès —  et  le  hadhdnaépata  —  le  grenadier  — 
ou  avec  toute  autre  plante  odoriférante.  Il  est  probable 
que  parmi  les  plantes  employées  dans  cette  circon- 
stance figurait  le  genévrier  élevé,  dont  les  feuilles  sont 
aujouFd'hui  encore  brûlées  en  guise  d'encens  dans  cer- 
taines provinces'*,  et  surtout  le  Balsamodendroii  Mukul, 
espèce  d'encens,  indigène  dans  le  Béloutchistan. 

Ce  n'était  pas  d'ailleurs  la  seule  occasion  solennelle 
où  Ton  eût  besoin  d'aromates.  Quand,  pour  une  raison 
quelconque,  les  vêtements  d'un  homme  avaient  été 
souillés*,  on  les  exposait  d'abord  aux  rayons  du  soleil, 
et  pendant  neuf  nuits  à  la  clarté  des  étoiles  ;  puis  au 
bout  de  ce  temps  on  allumait  un  feu  de  bois  sec  et 
dur,  sur  lequel  oîi  jetait  du  vohû-guona,  —  de  l'en- 
cens — ,  afin  de  parfumer  ces  vêtements,  dont  la  pu- 
rification était  ainsi  achevée.  De  nos  jours,  usage  qui 
remonte  sans  doutp  très  haut,  en  temps  d'épidémie, 
les  habitants  du  Khoràsan  brûlent  dans  les  rues  des 
fascines  d'une  espèce  derutacée  odorante,  le  Peganum 
harmala^,  afin  de  purifier  l'air. 

1.  Fargard  VIII,  1,  2.  Le  Zend'Avesta,\o\.  II,  p.  119. 

2.  Peut-être  une  férule,  la  Ferula  galbani/lna  Buhse. 

3.  Aitchison,  Notes  on  products,  p.  108. 

4.  Vendidad,  Fargard  XIX,  28  (76)-24  (80).  Le  Zend- 
Avesta,  vol.  II,  p.  267. 

5.  Aitchison,  Notes  on  products,  p.  I'i9. 


LIVRE  SECOND 


LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 


CHAPITRE  PREMIER 


LA  FLORE  DE  L  INDE  ET  SES  HABITANTS 


La  vaste  péninsule,  que  l'Asie  projette  entre  la  mer 
d'Arabie  à  Toccident  et  le  golfe  de  Bengale  à  l'orient, 
est  rattachée  au  continent  par  Timmense  cirque  de 
montagnes,  formé  de  l'Himalaya  et  de  l'Hindou-Kouch 
au  Nord,  des  monts  Souleïman-Dagh  et  Khirtar  à 
rOuest,  enfin  des  monts  Patkoï,  Bourail  et  de  leurs 
prolongements  méridionaux  à  l'Est.  Mais  les  divers 
pays,  compris  dans  ces  vastes  limites,  n'appartiennent 
point  au  même  système  géographique  ;  en  réalité,  ils 
constituent  deux  régions  distinctes,  qui,  toutes  deux 
de  forme  triangulaire  et  ayant  une  base  commune, 
n'en  forment  pas  moins  Tune  avec  l'autre  un  contraste 
complet*  :  la  contrée  montueuse  du  Sud  —  la  pénin- 


1.  Christian  Lassen,  Indische  Alterthumskunde.  Bonn,  1866, 
in-8,  voL  I,  p.  101.  —  H.-B.  Middlecott  and  W  -ï.  Blanford, 


184  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

suie  proprement  dite  —  et  la  plaine  indo-gan- 
gétique. 

Le  triangle  méridional,  avec  sa  partie  centrale,  le 
Dekkan  —  Dakshina-patha ,  «  la  région  qui  se  trouve 
à  droite  »,  c'est-à-dire  au  Sud,  —  est  un  plateau  d'une 
altitude  moyenne  de  300  à  1000  mètres,  qui,  incliné 
d'une  manière  générale  de  l'Ouest  à  l'Est,  est  borné  au 
Nord  par  le  double  bassin  de  la  Narbada  et  de  la  Ma- 
hanadi,  et  dont  la  pointe  méridoniale  porte  le  nom 
de  cap  Comorin.  Au  Sud-Est  s'étend  la  grande  île  de 
Ceylan  —  Simhala  dvipa,  —  qui  en  a  été  sans  doute 
séparée  à  une  époque  géologique.  Deux  chaînes 
côtières,  les  monts  Sahyadri  ou  Ghates  occidentales  et 
les  Ghates  orientales  forment  comme  le  double  rebord 
du  Dekkan  ^ 

Les  Ghates  occidentales,  qui,  sous  divers  noms, 
courent  des  bouches  de  la  Tapti  au  cap  Comorin,  en 
ne  laissant  entre  elles  et  la  mer  qu'une  étroite  bande 
de  terrain,  dressent  au-dessus  des  flots  leurs  crêtes 
hautes  de  1000  mètres  et  davantage  ;  une  des  cimes 
du  massif  des  Nilghiri  —  les  Montagnes  bleues  — 
atteint  même  2650  mètres,  et  est  encore  dépassée  par 
l'Anamoudi  a  le  Front  des  Eléphants  »,  sommet  le 
plus  élevé  de  TAnamalaï,  massif  isolé,  qui  continué 
par  la  chaîne  des  Cardamomes,  limite  orientale  duTra- 
vancore,  va  expirer  en  pente  douce  au  cap  Comorin. 

Les  Ghates  orientales,  qui  no  commencent  qu'au 
nord  de  la  dépression  où  serpentent  les  eaux  de  la 


A  manual  ofthe  Geology  of  India.  Calcutta,  1879,  in-8,  p.  2. 
—  Elisée  Heclus,  Nouvelfe  Gfhf/raphie  universelle,  yo\.\\U. 
Llnde  et  Vlndo-Chine.  Pari»,  1883,  in-4,  p.  25. 

1.  (hr.  Lassen,  op.  laud.,  vol,  I,  p.  179-180.  —  A.-H.Keane, 
Southern  and  iveiteîii  Asia.  London,  1896,  in-8,  p.  55. 


LA  FLORE  DE  L'INOE  185 

Kaveri,  vont,  en  une  série  de  crêtes  qui  ne  dépassent 
guère  500  mètres,  se  terminer  dans  TOrissa  par  un 
groupe  appelé  Nilghiri,  comme  la  chaîne  du  Dekkan 
méridional,  mais  d'une  altitude  deux  fois  moindre'. 

Au  nord  du  Dekkan  court  de  TOuest  à  TEst,  entre 
les  bassins  de  la  Tapti  et  de  la  Narbada,  la  chaîne  des 
monts  Satpoura,  regardée  parfois  comme  la  limite 
septentrionale  du  plateau  ;  d'une  hauteur  moyenne  de 
650  mètres,  ils  rejoignent  à  l'Est  le  massif  central  du 
Mahadeo ,  dont  une  cime  le  Deogarh  mesure  1 375  mètres 
d'altitude  ;  plus  loin  se  dressent  les  monts  peu  élevés  du 
Maïkal,  puis  l'Amarkantak,  du  sommet  duquel,  haut 
de  1  356  mètres,  découlent  les  eaux  de  la  Narbada.  Pro- 
longée, à  travers  le  plateau  de  Tchota-Nagpore,  vers 
la  plaine  du  Gange,  cette  chaine,  après  avoir  formé  la 
montagne  sainte  de  Parasnath  d'une  altitude  de  1  345 
mètres,  se  termine  par  les  collines  basaltiques  de 
RadjmahaP. 

Formée  par  les  deux  bassins  du  Gange  et  de  Tlndus 
et  par  les  territoires  intermédiaires,  la  partie  septen- 
trionale de  rinde  est  une  vaste  plaine  d'alluvions 
d'une  largeur  d'environ  2400  kilomètres,  que  tra- 
versent seulement  de  rares  montagnes.  Au  Sud  c'est  la 
chaine  des  monts  Vindhya,  qui  courent  parallèlement 
aux  monts  Satpoura,  des  rivages  occidentaux  de  la 
péninsule  vers  la  Djoumna  ;  d'une  hauteur  qui  atteint  à 
peine  aux  points  culminants  650  mètres,  ils  se  conti- 
nuent par  les  monts  Kaïmour,  jusqu'au  centre  de 
l'Hindoustan.  A  l'Ouest,  de  l'autre  côté  de  la  plaine 

1.  Elisée  Reclus,  op.  laud.,  vol.  VIII,  p.  27.  —  Silvain  Lévy, 
article  Inde  dans  la  Grande  Encyclopédie. 

2.  Klisée  Reclus,  op,  laud.,  vol.  VIII,  p.  38.  —  Art.  Inde 
dans  la  Grande  Encyclopédie. 


186  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

de  Malwa,  se  dresse  la  chaîne  des  Aravalli,  qui  borde 
du  Nord  au  Sud  le  désert  de  Thar. 

Bien  que  servant  de  limite  septentrionale  à  la  pénin- 
sule hindoustanique,  THimalaya  n'en  forme  pas  moins 
un  monde  à  part,  indien  à  sa  base,  par  sa  végétation, 
par  son  climat,  par  les  fleuves  qui  s'en  épanchent, 
tibétain,  par  l'énorme  protubérance  terrestre  dont  il 
forme  le  rebord  méridional*.  S 'étendant  de  l'Ouest  à 
l'Est  sur  une  longueur  de  plus  de  2200  kilomètres, 
ce  massif  énorme  se  compose  de  deux  chaînes 
parallèles,  l'Himalaya  proprement  dit,  c'est-à-dire  la 
rangée  méridionale,  qui  se  dresse  immédiatement 
au-dessus  des  plaines  de  l'Inde,  et  le  Trans-Himalaya, 
qui  borne  au  Nord  la  dépression  où  coule  le  Tsangbo. 
C'est  ce  dernier  qui  forme  véritablement  la  ligne  de 
faite.  Sur  une  longueur  de  près  de  800  kilomètres,  les 
monts  qui  le  composent  se  succèdent  sans  laisser  une 
seule  brèche  par  laquelle  puissent  s'échapper  les  eaux 
'de  la  dépression  médiane,  située  entre  les  deux  chaînes. 
La  rangée  du  Sud,  au  contraire,  avec  ses  hauteurs 
colossales  est  percée  de  vallées  et  de  gorges  profondes, 
qui  livrent  passage  à  de  nombreux  affluents  du  Gange. 
A  rOuest  des  sources  du  grand  fleuve,  le  rempart 
himalayen  est  même  coupé  en  entier  par  le  cours  du 
Satledj,  qui  s'échappe  par  une  succession  de  cluses 
pour  aller  rejoindre  l'Indus  vers  le  Sud-Ouest*. 

La  chaîne  de  l'Himalaya  n'est  point  composée  de 
roches  très  anciennes,, et  les  couches  qui  se  sont  dépo- 


9 

1.  Elisée  Reclus,  op.  /aMrf.,vol.  VIII,  p.  35.  —  Middlecott, 
op.  laud.,  p.  viii-x.  —  Chr.  Lassen,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  41-81. 
—  Charles  Vélain,  art.  Himalaya  dans  la  Grande  Encyclo- 
pédie. 

2.  Elisée  Reclus,  op.  laud.,  vol.  VIII,  p.  41. 


LA  FLORE  DK  L^INDE  187 

sées  sur  les  flancs  des  monts  tournés  vers  les  plaines 
de  THindoustan  appartiennent  aux  dernières  périodes 
des  âges  tertiaires*.  Disposés  en  chaînes  parallèles  à 
Taxe  principal,  les  avant-monts  qu'elles  forment  —  le 
sous-Himalaya  des  géologues  —  se  composent  presque 
tous  de  grès  massifs,  associés  à  des  Conglomérats  et 
à  des  argiles.  La  plus  considérable  et  la  plus  régulière 
de  ces  chaînes  est  celle  du  Siwalik,  qui  se  développe 
du  Sud-Est  au  Nord-Ouest,  sur  une  longueur  de 
300  kilomètres,  entre  la  porte  du  Gange  à  Harid>\'ar  et 
celle  du  Bias,  Tune  des  cinq  grandes  rivières  du  Pand- 
jab.  Des  deux  côtés  du  renflement  du  Siwalik  se 
trouvent  d'autres  zones  de  terrain,  dont  la  nature  du 
sol  et  les  produits  dépendent,  non  de  la  difierence 
d'altitude,  mais  de  la  disposition  des  couches  super- 
ficielles et  de  l'écoulement  des  eaux^  La  plus  méri- 
dionale est  celle  du  Teraî  «  pays  humide  »,  région 
marécageuse  couverte  de  jungles,  de  roseaux  et  de 
bouquets  d'arbres,  qui  retiennent  les  brouillards  de 
miasmes  entretenus  par  Tévaporation  du  sol  imprégné 
d'eau'.  La  zone  parallèle,  qui  s'étend  entre  les  doiins 
—  vallées  —  au  nord  du  Siwalik  et  la  base  des 
roches  gréyeuses  du  sous-Himalaya,  est  la  région 
forestière  du  Bfiaver,  dont  la  sécheresse  contraste 
avec  l'humidité  du  Teraï. 

Couverte  de  montagnes  dont  quelques-unes  comp- 
tent parmi  les  plus  élevées  du  globe,  la  presqu'île  hin- 

1.  Ed.  Suess,  La  face  de  la  terre,  Trad.  Paris,  1897,  vol.  I, 
p.  565-592. 

2.  Klisée  Reclus,  op.  laud.,  vol.  VIII,  p.  54  et  suiv. 

3.  Grisebach,  Die  Végétation  der  Erde,  vol.  Il,  p.  37.  Trad. 
vol.  II,  p.  48.  —  J.-D.  Hooker  and  Thomson,  Flora  indica  : 
being  a  syatematic  account  of  the  Plants  of  British  India. 
London,  1855,  in-8,  vol.  I,  p.  149. 


188  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

doustanique  renferme  aussi  un  grand  iiombre  de  cours 
d'eau;  mais  ils  sont  inégalement  répartis  entre  les 
versants  des  deux  grands  golfes  qui  baignent  ses  flancs. 
Courant  presque  sans  interruption  le  long  de  la  côte 
qu'elles  serrent  de  près,  les  Ghates  occidentales  n'en- 
voient aussi  dans  la  mer  d'Arabie  que  des  torrents  sans 
importance  ;  les  eaux  qui  en  découlent,  suivant  Tincli- 
naison  du  plateau,  vont  gagner,  à  travers  les  dépres- 
sions des  Ghates  orientales,  le  golfe  du  Bengale.  C'est 
ainsi  qu'au  lieu  des  torrents  sans  nom,  qui  se  perdent 
dans  la  mer  d'Oman,  ce  golfe  reroit  des  fleuves  puis- 
sants :  la  Kaveri,  les  deux  Panar,  la  Krishna  et  la 
Godavari,  qui  drainent  toutes  les  eaux  du  Dekkan*. 
C'est  au  delà  des  Ghates  occidentales  seulement  et 
au  Nord  du  plateau  que  se  forment  les  seuls  afiluents 
considérables  de  la  côte  occidentale,  la  Tapti  et  la 
Narbada,  dont  les  bassins  parallèles  sont  séparés  par 
les  monts  Satpoura;  toutes  deux  se  jettent  dans  le 
golfe  de  Cambaye  ;  plus  au  nord  s'y  déverse  aussi  la 
Sabarmati,  sortie  de  l'extrémité  méridionale  des  monts 
Aravalli.  Quant  aux  cours  d'eau  que  reçoit  le  golfe  de 
Katch,  véritables  torrents  formés  par  les  pluies  pas- 
sagères et  taris  aussitôt  qu'elles  ont  cessé,  ils  ne  mé- 
ritent pas  d'être  mentionnés*.  Mais  au  delà  des  lagunes 
dans  lesquelles  ils  se  perdent,  se  trouve  l'embouchure 
du  plus  grand  fleuve  de  l'Hindoustan  occidental,  le 
Sindh  —  Sindhu,  l'Indos  des  Grecs  et  des  Latins. 

Descendu  des  hauteurs  inexplorées  du  mont  Kaïlas, 
dans  le  Tibet,  ce  fleuve  coule  d'abord  de  TEst  à  l'Ouest 


t.  Art.  Inde  dans  la  Grande  encyclopédie. 
2.  Il  faut  citer  cependant  la  Louni,  qui  recueille  les  eaux  du 
versant  occidental  des  Aravallis. 


LA  FLORE  DE  L'INDE  189 

parallèlement  au  Trans-Himalaya,  s'engage  ensuite 
entre  cette  chaîne  et  le  Karakoroum,  puis,  tournant 
brusquement  vers  le  sud  à  la  passe  de  Gilgit,  il  longe 
le  massif  de  l'Himalaya  occidental  et  pénètre  enfin 
dans  la  plaine  hindoustanique.  Il  reçoit  alors  sur  la 
droite  la  rivière  de  Caboul,  —  la  Kiibhâ  des  chants 
védiques  —  et  plus  bas  le  Kouram  ;  puis  sur  l'autre 
rive,  à  Mithankot,  après  un  long  parcours  dans  la 
direction  du  Sud,  les  cinq  rivières  du  Pandjab,  réunies 
sous  le  nom  de  Pandjnad  :  le  Tchinab  —  Asiknî  ou 
Candrabhâga,Y Akesines  des  Grecs, —  grossi  du  Jheham 
—  Vitastà,  Yhydaspes  —  et  de  la  Ravi  —  Airâvati, 
VHydraoies,  —  le  Bias  —  Vipâça,  VHyphasisy  —  et  le 
Satledj  —  Çatadrûy  leZaradros,  —  Il  continue  ensuite 
sa  route  vers  le  Sud,  à  travers  une  plaine  aride  que 
ses  eaux  sont  impuissantes  à  féconder;  puis  à  150  kilo- 
mètres de  la  mer,  il  se  partage  en  un  vaste  delta, 
envahi  par  les  sables  *, 

Deux  causes  contribuent  à  affaiblir  l'Indus  dans  son 
cours  inférieur,  Téloignement  croissant  des  montagnes 
dont  les  eaux  Talimentent  et  la  sécheresse  de  la  con- 
trée qu'il  traverse  depuis  sa  jonction  avec  le  Pandjnad. 
Il  en  est  tout  autrement  du  Gange  qui,  coulant  au  mi- 
lieu de  la  région  des  moussons  et  parallèlement  à 
l'Himalaya,  dont  ses  aflluents  de  gauche  recueillent 
les  eaux,  voit  son  cours  incessamment  grossi  par  les 
pluies  et  par  la  fonte  des  neiges'.  Sorti  à  4  200  mètres 
d'altitude  d'une  caverne  —  la  «  Bouche  de  la  Vache,  » 
située  à  la  base  d'un  glacier  élevé  de  l'Himalaya  cen- 

1.  Elisée  Reclus,  op.  laud,,  p.  207-220.  —  Art.  Inde  dans  la 
Grande  Encyclopédie.  —  Alexander  Cunningham,  The  ancient 
Goography  of  India .  London,  1871,  in-8,  carte  V.  —  Lassen,  1, 55. 

2.  Art.  Ganf/e  dans  la  Grande  Encyclopédie, 


190  LFS  PLANTKS  CIIKZ  LES  HINDOIS 

tral,  le  Gange  —  la  Gang  fi  —  court  d'abord,  comme 
simple  torrent  de  montagne,  dans  la  direction  du  Nord- 
Ouest;  puis,  après  avoir  reçu  la  Djahnavi,  il  tourne  à 
rOuest  et  se  fraye  un  passage  à  travers  le  massif  de 
Kedarnath  ;  il  continue  encore  de  serpenter  au  milieu 
des  contreforts  de  THimalaya,  jusqu'à  sa  jonction  avec 
l'Alakananda  ;  arrose  les  vallées  pittoresques  de  Dehra- 
Doun,  retraite  légendaire  du  héros  épique  Râma,  et 
débouche  enfin  dans  la  plaine  à  Haridwar;  s'inflé- 
chissant  alors  au  Sud-Kst,  il  draine  par  ses  affluents, 
les  eaux  de  l'Himalaya  méridional  et  de  la  plaine  qu'il 
traverse.  C'est  déjà  un  fleuve  puissant,  quand  il  reçoit 
la  Djoumna  —  Yamunà,  —  sortie  comme  lui  des 
retraites  intérieures  de  l'Himalaya,  à  3328  mètres 
d'altitude,  et  non  moins  sainte  que  lui  ;  elle  lui  apporte, 
par  ses  affluents  de  droite*,  les  eaux  des  monts 
Vindhya  et  Aravalli.  Continuant  toujours  sa  route  vers 
le  Sud-Est,  le  Gange  reçoit  sans  cesse  de  nouveaux 
affluents,  à  gauche  la  Goumti,  sortie  des  marais  du  bas 
Himalaya;  puis  sur  la  droite,  le  Karamnas,  «aux  eaux 
maudites  »,  venu  des  collines  de  Kaïmour;  plus  loin 
à  gauche,  la  Goghra,  descendue  comme  son  affluent  le 
Sarda,  des  profondeurs  du  haut  Himalaya  ;  à  droite, 
le  Son,  né  dans  le  plateau  d'Amarkantak  et  dont  le 
débit  est,  dans  la  saison  des  pluies,  plus  de  mille  fois 
supérieur  à  son  débit  ordinaire;  puis  à  gauche,  la 
Ghandak  sortie  des  hauteurs  du  Népal,  et  le  Kousi,  qui 
recueille  en  partie  les  eaux  des  sommets  de  l'Himalaya 
oriental.  Enfin  à  350  kilomètres  de  la  baie  du  Ben- 
gale, le  Gange,  se  divise  en  plusieurs  branches,  dont 
Tune  va  se  confondre  avec  le  cours  du  Brahmapoutre. 

1.  (Dn  particulier  le  Chambal,  grossi  de  la  Sipra  et  du  Banas. 


LA  FLOUK  DE  l/JNDE  191 

Sorti  comme  Tlndus*,  de  l'important  massif  du 
Kaïlas,  près  du  lac  sacré  de  Mânasarowar,  celui-ci 
sous  le  nom  deTsangbo,  que  lui  donnent  les  Tibétains, 
coule  d'abord  dans  la  direction  de  TEst,  au  fond  d'une 
vallée  à  peine  explorée.  Grossi  par  les  nombreux  tri- 
butaires, venus  soit  de  l'Himalaya,  soit  des  montagnes 
du  Tibet  méridional,  qui  en  font  déjà  un  fleuve  consi- 
dérable, il  contourne  l'Himalaya,  se  dirige  vers  le 
Sud-Ouest,  pénètre  dans  l'Hindousian,  sous  le  nom  de 
Brahmapoutre  «  fils  du  Créateur  »,  et  réuni  au  Gange, 
après  avoir  recueilli  les  eaux  del'Assam,  il  forme  avec 
le  grand /fleuve  un  vaste  delta  de  80000  kilomètres 
carrés,  rempli  d'iles  recouvertes  de  jungles  et  d'impé- 
nétrables fourrés  et  entrecoupé  d'un  réseau  inextri- 
cable de  canaux. 

L'Inde  présente  dans  sa  constitution  géologique  et 
dans  son  climat  les  contrastes  les  plus  grands.  La 
Péninsule  est,  dans  son  ensemble,  formée  par  des 
terrains  primitifs  ;  schistes  cristallins,  gneiss,  quartz, 
avec  quelques  granits,  qu'ont  recouverts,  dans  la  partie 
du  Nord-Ouest,  des  couches  horizontales  de  roches 
basaltiques,  qui  ont  fait  éruption  au  début  de  l'époque 
tertiaire  ;  les  trapps  dont  ces  roches  sont  surtout 
composées,  se  sont  décomposés,  à  la  surface,  en  une 
sorte  d'argile,  appelée  latérite,  qui,  d'une  épaisseur 
souvent  considérable,  s'étend  au-dessus  des  roches 
primitives  du  sous-sol  ;  c'est  cette  latérite  qui  donne 
aux  terrains  du  Dekkan,  leur  couleur  rougeâtre  carac- 
téristique '.  Dans  les  vallées  seules  on  rencontre  quel- 
ques terrains  d'alluvions.  Ce  sont  les  alluvions,  au 


1 .  Art.  Bra/imapoulra  dans  la  Grande  Encyclopédie, 

2.  Middlecott,  op.  laud.,  p.  v. 


192  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

contraire,  qui  composent  presque  en  entier  la  plaine  indo- 
gangétique;  formées  de  lits  de  tourbe,  alternant  avec 
des  dépôts  de  chaux,  de  sable  et  d'argile,  elles  ont 
successivement  comblé  la  dépression,  que  le  soulève- 
ment graduel  de  THimalaya  avait  laissée  entre  sa 
masse  énorme  et  le  plateau  du  Dekkan.  Des  îlots  de 
terrains  plus  anciens,  grès  rouges  ou  verts,  schistes, 
gneiss  et  granits,  émergent  seuls  par  place,  comme 
des  témoins  de  la  constitution  géologique  primitive  de 
rimmense  plaine.  Tels  au  Nord-Ouest  les  grès  rpuges, 
de  la  chaîne  salifère  —  Sait  range,  —  et  les  couches 
de  terrains  primaires  qui  s'avancent  du  plateau  de 
Malwa  jusqu'à  la  Djoumna,  et  forment  toute  la  vallée 
septentrionale  du  Son,  ainsi  que  les  roches  basaltiques 
du  Radjmahal,  qui  expirent  aux  bords  du  Gange,  près 
de  son  confluent  avec  la  KousiV 

Non  moins  grandes  que  les  diflFérences  présentées 
par  la  constitution  des  terrains  sont  celles  qu'offre  le 
climat  de  Tlnde.  S'étendant  des  côtes  de  Ceylan,  dans 
le  voisinage  deTéquateur,  aux  neiges  du  Karakoroum, 
qui  recouvrent,  à  3  500  kilomètres  plus  près  du  pôle, 
des  pics  élevés  de  6  à  8000  mètres,  cette  immense 
contrée  connaît  toutes  les  températures  et  tous  les 
climats.  «  Tandis  que  dans  certaines  régions  l'air  est 
embrasé,  il  en  est  d'autres  où  l'homme  ne  peut  séjourner 
à  cause  du  froid  et  de  la  raréfaction  de  l'atmosphère'.  » 
Cependant  si  l'on  considère  le  rempart  des  monts  qui 
se  dressent  au-dessus  des  plaines  du  Gange  et  de 
l'Indus,  comme  un  domaine  géographique  à  part,  on 


i.  Suess,  La  face  de  la  terre.,  vol.   I,  p.  558,  589-591.  — 
Vidal-Lablache,  Atlas,  122,  carte  géologique  de  l'Inde. 
2.  Elisée  Reclus,  op.  laud.,  p.  65. 


La  flore  de  l'indë  m 

trouve  que  les  zones  de  température  moyenne  se  suc- 
cèdent assez  régulièrement  du  cap  Coraorin  aux  pre- 
mières vallées  himalayennes  ;  mais  dans  son  ensemble 
la  presqu'île  indo-gangétique  est  une  des  contrées 
les  plus  chaudes  du  globe  ;  Téquateur  de  la  plus 
grande  chaleur  moyenne  passe  immédiatement  au  Sud 
de  la  Péninsule,  et  la  ligne  isothermique  de  24  degrés 
atteint  dans  les  plaines  septentrionales  les  premiers 
contreforts  de  THimalaya. 

La  plus  grande  égalité  de  température  se  maintient 
naturellement  dans  les  régions  de  Tlnde  méridionale  ;  ' 
grâce  à  Tinfluence  modératrice  des  eaux  et  des  brises 
marines,  elle  est  presque  constante  sur  les  côtes.  A 
mesure  qu'on  s'éloigne  de  la  mer,  les  inégalités  ther- 
miques deviennent  plus  fortes  ;  les  chaleurs  de  Tété 
sont  beaucoup  plus  intenses  sur  les  plateaux  du  Dekkan 
que  sur  les  côtes  de  Malabar  ou  de  Coromandel,  mais 
Tair  y  est  plus  sec  et  la  chaleur  moins  accablante. 
Mais  c'est  la  différence  de  latitude  qui  détermine  sur- 
tout récart  de  température  entre  les  diverses  saisons  ; 
écart  qui  va  augmentant,  quand  on  s'avance  du  Sud 
au  Nord  ;  la  chaîne  des  Satpoura,  diaphragme 
géologique  de  l'Inde,  peut  être  regardée  comme  for- 
mant aussi,  au  point  de  vue  météorologique,  une  limite 
secondaire  entre  l'Inde  septentrionale  et  le  Dekkan. 
Dans  cette  dernière  contrée  l'écart  est  à  peine  de 
5  degrés  et  il  est  encore  moindre  dans  l'ile  de  Ceylan  ; 
dans  le  Pandjab  il  est  d'environ  26  degrés  entre  la 
température  du  mois  le  plus  froid,  janvier  (9**),  et 
celle  de  juillet,   mois  le  plus  chaud  (35°;  \   En  été 


1.  Lassen,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  218.  —  Elisée  Reclus,  op. 
laud.,  vol.  VIII,  p.  67-69. 

JORET.  —  Les  Nantes  dans  V antiquité.        II.  —  13 


194  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IIIN^ÔLS 

réquateur  thermal  se  replie  vers  le  Nord  de  manière 
à  passer  sur  cette  région. 

Les  Aryas,  qui  s'étaient  établis  dans  les  plaines  du 
Nord,  avaient  divisé  Tannée  en  quatre*,  en  cinq^  ou 
même  en  six  saisons,  les  «  six  jeunes  hommes  »,  qui 
font  tourner  la  roue  de  Tannée  '.  Mais  cette  division 
est  loin  de  convenir  également  à  toutes  les  régions  de 
TInde.  En  réalité  les  divisions  nettement  tranchées  du 
climat  s'y  réduisent  à  trois  :  ce  «ont  les  saisons  de  la 
chaleur,  dç  la  pluie  et  du  froid,  cette  dernière  même 
à  peu  près  inconnue  dans  le  Sud*.  Au  point  de  vue  de 
la  végétation,  c'est  la  pluie  qui  compte  surtout,  car 
sa  venue  ou  son  absence  en  détermine  les  progrès  ou 
Tarrêt. 

En  hiver,  les  vents  du  Nord-Est,  qui  arrivent  des 
déserts  arides  de  TAsie  centrale  dans  les  plaines  de 
THindoustan  sont  dépouillés  de  leur  humidité  et  ne 
déterminent  que  par  des  contre-courants  des  pluies 
rares  et  peu  abondantes.  Mais  tout  change  au  prin- 
temps; Tatmosphère  de  la  Péninsule  échauffée  par  les 
rayons  du  soleil,  se  dilate  et  s'élève  en  colonnes  dans 
les  régions  supérieures  ;  «  TInde  entière  se  change  en 
fournaise  d'appel  ;  les  masses  aériennes  qui  reposent 

1.  Le  printemps,  l'été,  l'automne  et  la  saison  des  pluies. 
BUjVeda,  lib.  X,  90,6. 

2.  Atharva-Veda,  lib.  VI,  55,  2. 

3.  Lassen,  op.  laud.,  voL  I,  p.  219.  —  Heinrich  Zimmer, 
AUindtsches  Leben.  Die  Cultur  der  vedischen  Arier  nach  den 
Samhità  dargestelU.  Berlin,  1879,  in-8,  p.  40-42.  —  Ces  six 
saisons  sont  l'automne  çarad,  l'hiver  hêmanta^  le  printemps 
vasanln,  l'été  grisàrnUy  la  saison  des  pluies  varsha,  et  celle 
des  brouillards  cicira. 

4.  Le  dixième  livre  de  VAlharva-Véda  parle  de  six  mois 
froids  et  de  six  mois  chauds,  livre  VIII,  9,  17,  c'est-à-dire  six 
mois  de  pluie  et  six  mois  de  sécheresse. 


LA  PLOHE  DÉ  L'INDE  195 

sur  rOcéan,  saturées  de  vapeurs,  s'ébranlent  et  se 
portent  vers  la  Péninsule*.  »  C'est  là  ce  qui  constitue 
la  mousson  ;  mais  celle-ci  ne  se  produit  pas  à  la  même 
époque,  ni  suivant  la  même  direction,  dans  la  mer 
d'Arabie  et  sur  le  golfe  de  Bengale.  Dans  la  première 
elle  souffle  du  Sud- Ouest,  dans  le  second  du  Nord-Est*. 
Au  commencement  de  juin  s'amassent  les  premiers 
nuages  de  la  tempête,  ils  s'avancent  lentement  vers  la 
terre  ;  enfin  ils  atteignent  les  Ghates  occidentales  et 
aussitôt  l'orage  éclate  ;  les  éclairs  se  succèdent  sans 
interruption,  la  foudre  gronde  incessamment  et  la  pluie 
s'abat  en  torrents.  Après  ce  premier  orage  commencent 
les  pluies  régulières  ;  elles  durenl  jusqu'au  mois  de 
septembre  ;  mais  elles  ne  tombent  pas  partout  avec  la 
môme  intensité  ;  c'est  sur  la  côte  de  Malabar,  qu'elles 
abordent  de  front,  qu'elles  sont  le  plus  abondantes; 
plus  au  Sud  ou  au  Nord  elles  tombent  avec  moins  de 
force  ;  il  en  est  de  même  au-delà  de  la  chaîne  des 
Ghates  ;  quand  ils  la  franchissent,  les  nuages  ont  déjà 
perdu  une  partie  de  leur  humidité  ;  ils  arrivent  presque 
épuisés  sur  le  plateau  central  du  Dekkan,  et  quand  les 
vents  qui  les  chassent  atteignent  la  côte  orientale,  ils 
y  apportent  la  sécheresse  et  non  la  pluie. 

Mais  tous  les  nuages  de  la  mousson  sont  loin  de 
franchir  les  Ghates  ;  arrêté  par  elles,  le  courant  qui 
les  apporte  s'infléchit  vers  le  Nord,  aborde  succes- 
sivement la  presqu'île  de  Goudjerat,  et  le  delta  de 
rindus,  qu'il  traverse,  ainsi  que  le  Sindh,  sans  ren- 
contrer d'obstacle,  et  en  n'y  répandant  que  quelques 
pluies  d'orage;  puis  il  atteint  le  Pandjab,   où  il  ne 


9 

1.  Elisée  Reclus,  op.  laud.,  p.  71. 

2.  J.-D.  Hooker  and  Thomas  Thomson,  Flora  indica,  p.  79. 


196  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

détermine  souvent  aussi  que  des  précipitations  insuffi- 
santes ou  irrégulières,  et  enfin  les  premiers  contreforts 
de  l'Himalaya,  qui  le  font  dévier  vers  TEst*;  là,  les 
nuages  qu'il  entraîne  achèvent  de  déverser  leurs  eaux, 
et  ils  arrivent  épuisés,  quand  ils  atteignent  l'Himalaya 
central.  Au  delà  cependant,  les  vallées  inférieures  du 
Gange  et  du  Brahmapoutre  ne  sont  point  privées  de 
pluies  même  à  cette  époque  de  l'année,  mais  ce  sont 
les  vents  du  Levant  qui  les  y  amènent,  devançant  ainsi 
la  mousson  du  Nord-Est. 

Celle-ci,  qui  commence  en  octobre,  envahit  d'abord 
le  littoral  du  Bengale;  vers  le  milieu  du  mois  elle 
atteint  la  côte  de  Coromandel  et  arrose  de  ses  eaux 
fécondes  toute  la  presqu'île  orientale  ;  les  pluies  con- 
tinues cessent  en  décembre,  et  il  ne  tombe  plus  dans 
toute  cette  région  que  quelques  orages  ;  au  mois 
d'avril  ceux-ci  disparaissent  complètement,  et  la 
période  de  sécheresse  commence  sur  la  moitié  orien- 
tale du  Dekkan,  en  même  temps  que  la  saison  des 
pluies  sur  sa  moitié  occidentale*.  Au  Nord  dans  la 
plaine  gangétique  les  choses  se  passent  autrement;  les 
pluies  qui  n*ont  pas  cessé  pendant  le  printemps  et 
l'été  redoublent  avec  la  mousson  du  Nord-Est  ;  poussés 
par  les  vents,  les  nuages  s'engouffrent  dans  les  basses 
vallées  du  Brahmapoutre  et  du  Gange  inférieur,  et 
vont  s'abattre  en  torrents  sur  les  contreforts  de  l'Hi- 
malaya oriental  ;  les  pluies  qu'ils  déversent  sur  toute 
cette  contrée  coïncident  avec  la  fonte  des  neiges,  et 
«  les  fleuves  grossissent  à  la  fois  des  eaux  que  leur 
apporte  le  vent  et  de  celles  que  leur  envoie  la  mon- 


1.  Lassen,  op.  laud,,  vol.  I,  p.  211-213. 

2.  Lassen,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  211. 


LA  FLORK  DE  L'INDE  197 

tagne*.  »  La  quantité  de  pluie  qui  tombe  annuellement 
dans  cette  région,  surtout  dans  le  Sikkim,  est  énorme; 
elle  est  cependant  encore  plus  considérable  sur  les 
hauteurs  qui  dominent  la  rive  gauche  du  Brahma- 
poutre; dans  une  vallée  des  monts  Khasia  elle  atteint 
16  mètres  en  moyenne.  Elle  dépasse  à  peine  7  mètres, 
ce  qui  est  encore  prodigieux,  dans  certaines  vallées 
des  Ghates  occidentales  ouvertes  du  côté  de  TOuest  *. 

Ce  sont  là  les  hauteurs  d'eau  les  plus  grandes  qui 
tombent  dans  THindoustan  ;  elles  diminuent  singuliè- 
rement, quand  on  s'avance  vers  le  Sud  ou  vers  le 
Nord-Ouest;  dans  les  plaines  basses  du  Travancore  la 
moyenne  des  précipitations  n'est  plus  que  de  deux  mè- 
tres et  d'un  mètre  seulement  au  cap  Comorin,  à  l'extré- 
mité méridionale  de  la  Péninsule  ;  elle  peut  descendre 
aussi  de  1",50  à  1  mètre  dans  le  Sindh  et  le  Pandjab, 
ainsi  que  dans  le  haut  bassin  du  Gange.  Ces  différences 
dans  les  quantités  d'eau  que  reçoit  le  sol  de  l'Inde,  la 
durée  inégale  surtout  de  la  période  pluvieuse  ont  une 
influence  considérable  sur  la  végétation  de  cette  con- 
trée ;  «  là  où  la  chute  d'eau  moyenne  est  de  3  mètres 
à  3™, 75  ou  davantage  encore,  là  se  développe  dans 
toute  sa  fougue  l'impénétrable  forêt  tropicale  avec 
son  feuillage  toujours  vert  ;  dans  les  endroits  où  la 
précipitation  varie  de  1™,50  à  2'°,50,  les  pentes  des 
collines  n'offrent  plus  qu'un  fourré  de  bambous  parsemé 
d'arbrisseaux'.  » 

L'inégalité  dans  les  précipitations  aqueuses  et  dans 
la  température  de  l'Inde  a  exercé,  avec  les  différences 

1.  Elisée  Reclus,  op.  laud.,  vol.  VI H,  p.  78. 

2.  Hermann  von  Schlagentwcit-Sakùrilunski,  Heisen  in  In- 
dien und  Hochasxen,  lena,  1869,  in-8,  vol.  I,  p.  106. 

3.  Elisée  Reclus,  op.  laud.,  vol.  VIII,  p.  76-77. 


198  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

d'altitude,  Tinfluence  la  plus  grande,  non  seulement 
sur  la  croissance,  mais  encore  sur  la  distribution  des 
espèces  végétales  à  la  surface  du  sol  hindou,  non 
moins  que  sur  les  formes  qui  les  caractérisent.  Ce 
sont  elles  en  particulier  qui  ont  établi  une  distinction 
entre  la  flore  tropicale  et  la  flore  non  tropicale  de  cette 
contrée.  La  plus  grande  partie  du  Nord-Ouest,  le 
désert  de  Thar  et  le  Pandjab  presque  entier  se  rat- 
tachent à  la  flore  des  steppes  de  TAsie  antérieure, 
dont  plusieurs  représentants  atteignent  là  leur  limite 
orientale.  Au  Sud  de  cette  région  ont  môme  pénétré  de 
nombreuses  espèces  de  la  flore  africaine  ou  déser- 
tique *.  Au  Nord,  au  contraire,  dans  la  haute  vallée  de 
rindus  et  dans  THimalaya  occidental  ce  sont  surtout 
des  espèces  européennes  que  Ton  rencontre'.  C'est  à 
l'Est  de  cette  double  région  que  commence  le  domaine 
de  la  flore  véritablement  hindoustanique  ;  exclusive- 
ment tropicale  dans  la  presqu'île  proprement  dite 
—  plateau  du  Dekkan,  côtes  de  Malabar  et  de  Coro- 
mandel,  —  ainsi  que  dans  l'île  de  Ceylan  ;  flore  tropi- 
cale encore  dans  la  région  himalayenne  orientale  jus- 
qu'à 900  mètres  d'altitude,  elle  devient  sous-lropicale, 
de  1000  à  3  600  mètres  \ 

Variant  avec  la  quantité  plus  ou  moins  grande  de 
pluie,  la  nature  du  sol  ou  l'élévation  de  la  température, 
la  flore  de  chacune  de  ces  contrées  a  revêtu  un  carac- 

1.  «  More  thannine-tenthsofthe  Si ndh  végétation...  consists 
of  plants  which  are  indigenous  in  Africa  ».  J.-D.  Hooker  and 
Thomas  Thomson,  Flora  indien,  vol.  I,  p.  152. 

2.  Dietrich  Brandis,  The  Foi-est  Flora  of  North-  Wesi  aiid 
central  India.  Préface,  p.  vu.  —  Oscar  Drude,  Handbuch  der 
Pflanzengeographie,  p.  478. 

3.  J.-I).  Hooker  and  Th.  Thomson,  Flora  indica,  vol.  I, 
p.  101-114. 


I.A  FLORE  HE  L'INDE  199 

tère  particulier  ;  les  espèces  s'y  sont  diversement  ré- 
parties et  y  ont  pris  un  aspect  différent  et  distinct. 
Sur  les  terrasses  planes  et  humides  du  Teraï,  le  sol 
de  gravier  porte  des  sais  et  des  sissous  *,  qui  se  dres- 
sent au-dessus  des  bambous  et  des  palmiers  nains.  La 
dépression  marécageuse  qui  s'étend  au-dessous  est 
complètement  garnie  d^herbes  hautes  et  de  roseaux, 
fourrés  habités  par  le  tigre  et  assez  élevés  pour  cacher 
les  éléphants*.  Plus  haut  dans  la  montagne  s'étend  la 
forêt  dont  le  développement  est,  surtout  dans  le  Sik- 
kim  et  dans  la  région  du  Khasia,  favorisé  par  Tabon- 
dance  des  précipitations  aqueuses  et  l'humidité  pres- 
que constante  de  l'atmosphère.  «  Variée  dans  ses  formes, 
réunissant  les  représentants  des  climats  tempéré  et 
tropical,  riche  en  teintes  diverses,  abondante  en  pro- 
duits les  plus  rares  et  à  configuration  la  plus  délicate, 
cette  magnifique  végétation,  dit  Hooker^  ne  se  déve- 
loppe point  sous  l'action  de  Thaleine  réchauffante  d'un 
printemps  serein,  mais  croit  mystérieusement  au  mi- 
lieu des  épais  brouillards  ;  privée  du  ciel  azuré  et  des 
rayons  radieux  du  soleil,  indifférente  aux  torrents  de 
pluie  qui  l'inondent,  elle  pousse,  sans  s'en  inquiéter,  ses 
bourgeons,  ses  fleurs  et  ses  fruits.  » 

Les  pluies  abondantes  des  monts  Khasia,  en  particu- 
lier, ont  donné  naissance  à  la  végétation  la  plus  luxu- 
riante et  la  plus  variée  ;  toutes  les*  vallées  de  ce  pays 
privilégié  sont  couvertes  de  forêts  éternellement  vertes, 
et  on  y  trouve  réunies  les  espèces  de  la  flore  hindous- 


1.  Shorea  robusta  Gaertn.  et  Dalbergia  Sissoo  Roxb. 

2.  Grisebach,  Die  Végétation der  Erde,  vol.  II, "p.  37.  Trad., 
vol.  II,  p.  48. 

3.  Mission  ta  India.  {Hookers  Journal  of  Bolany,  vol.  II, 
p.  59). 


200  LKS  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

tanique  et  celles  de  la  flore  malaise  ou  de  la  Chine*. 
Dans  les  contrées  plus  occidentales  de  la  même  région 
himalayenne,  Assam,  Bhoutan,  Népal,  quoique  les 
précipitations  soient  moins  considérables,  les  pluies 
sont  suffisantes  pour  entretenir  la  végétation  arbores- 
cente ;  les  forêts  de  jungles  s'y  étendent  sur  une  longueur 
d'environ  36'.  Mais  à  l'Ouest  du  Népal,  elles  dimi- 
nuent d'importance  et  deviennent  plus  uniformes  ;  les 
espèces  tropicales  y  disparaissent  successivement,  et 
dans  la  vallée  de  Tlndus  elles  font  place  aux  plantes 
de  la  flore  iranienne  ou  même  européenne. 

Ces  dernières  apparaissent  aussi,  mêlées,  à  partir 
d'une  certaine  hauteur,  aux  espèces  des  tropiques  dans 
les  forêts  de  l'Himalaya;  arrosées  par  les  pluies  des 
moussons  et  par  la  fonte  des  neiges,  double  source 
d'irrigation  qui  agit  simultanément  pour  élever  la 
limite  des  arbres,  les  pentes  de  la  grande  chaîne 
offrent  les  conditions  les  plus  favorables  à  la  végétation 
forestière  et  herbacée.  «  L'Himalaya  indien  peut  être 
considéré,  dit  A.  Grisebach  ^  comme  un  groupe  de  cen- 
tres de  végétation,  où  la  nature  a  produit  une  énorme 
variété  de  formes...  Par  la  richesse  en  végétaux 
ligneux  qui  lui  sont  propres,  il  l'emporte  sur  toutes 
les  hautes  montagnes  de  l'ancien  monde.  En  exceptant 
les  graminées,  les  genres  européens  de  la  plupart  des 
autres  familles  se  retrouvent  ici  enrichis  par  de  nom- 
breuses espèces  endémiques,  et  les  espèces  tropicales 
sont  représentées  au  moins  par  quelques  formes 
indigènes.  »  La  prédominance  de  ces  organisations 


1.  J.  D.  Hooker  and  Thomson,  Flora  indica,  vol.  1,  p.  99. 
-Grisebach,  op,  laud.,  vol.  II,  p.  40.  Trad.  II,  p.  52. 

2.  Die  Végétation  der  Erde,  vol.  II,  p.  56.  Trad.,  II,  p,  72. 


LA  FLOrtK  DE  L'fNDE  201 

particulières  permet  de  caractériser  les  diverses  ré- 
gions végétales  de  l'Himalaya. 

Ce  qui  distingue  spécialement  la  végétation  de  la 
grande  chaîne  hindoustanique,  c'est  le  mélange  de 
formes  européennes  et  même  arctiques  ou  sibériennes 
avec  celles  des  tropiques,  ainsi  que  des  plantes  immi- 
grées avec  les  plantes  endémiques.  Dans  l'Himalaya 
occidental,  des  herbes  vivaces  tropicales,  aussi  bien 
que  des  plantes  annuelles  ayant  une  courte  période  de 

4 

végétation,  s'élèvent  jusqu'aux  forets  de  la  zone  tem- 
pérée, où  elles  peuvent,  durant  Tété,  parcourir  les  di- 
verses phases  de  leur  vie  végétative.  Avec  l'accroisse- 
ment de  l'humidité  et  la  diminution  des  différences 
entre  les  saisons,  le  même  phénomène  se  reproduit  au 
Sikkim  pour  d'autres  plantes  tropicales,  insensibles 
à  l'abaissement  de  la  température.  Dans  les  plus  hautes 
régions  de  l'Himalaya  indien,  les  végétaux  de  la  zone 
arctique  retrouvent  par  suite  de  la  fonte  graduelle  de 
la  neige  hivernale,  la  période  réduite  de  végétation  qui 
correspond  à  leur  développement,  mais  ils  y  sont  mé- 
langés avec  des  espèces  indigènes  tellement  analogues 
à  celles  de  leur  propre  zone,  qu'on  peut  se  demander 
si  celles-ci  ne  constituent  pas  autant  d'espèces  immi- 
grées*. L'Himalaya  occidental  présente  également  des 
formes  de  steppes,  tantôt  elles  y  habitent  les  régions 
alpines  ;  d'autres  fois  elles  s'élèvent  de  la  plaine  du 
Pandjab  dans  le  massif  montagneux,  qui,  par  l'inter- 
médiaire de  l'Afghanistan,  se  rattache  aux  climats 
secs  de  l'Asie  et  de  l'Afrique.  La  zone  qui  s'étend  du 
Koumaon  à  la  vallée  de  l'Indus  est  caractéristique  à 
cet  effet  comme  domaine  de  transition  :  sa  flore  ne  ren- 

1.  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  II,  p.  57.  Trad.,  II,  73. 


202  LES  PLANTES  CHEZ  LES  UINDOUS 

ferme  que  peu  d'espèces  indigènes,  la  plupart  sont 
originaires  des  pays  voisins.  Ainsi  la  plupart  des  ar- 
bres forestiers  paraissent  fournis  par  l'Himalaya  in- 
dien ;  les  plantes  de  steppe  viennent  du  Tibet,  et  les 
plantes  de  la  flore  tempérée  sont  venues  de  la  région 
du  Caucase  et  de  plus  loin  encore*. 

Le  Khasia  et  le  Sikkim  possèdent  en  commun  dans 
leurs  parties  élevées  beaucoup  d'espèces  de  la  région 
tempérée  ;  on  en  trouve  même  un  certain  nombre  dans 
les  Nilghiris,  massif  le  plus  considérable  des  Ghates 
occidentales,  qui  n*a  de  jungles  forestières  que  dans 
ses  vallées  abruptes,  et  dont  les  hauteurs  sont  en  grande 
partie  déboisées.  On  y  rencontre  aussi  plusieurs 
genres  européens  :  gentianées,  labiées,  rosacées,  qui 
font  défaut  aux  plaines  de  la  Péninsule.  Mais  c'est 
en  plantes  indigènes  surtout  que  la  flore  de  Tlnde  tro- 
picale est  riche.  A  Texception  du  Cap,  c*est  dans  la 
région  des  moussons  que  le  chiffre  de  ces  plantes  est 
le  plus  considérable  '.  On  a  estimé  que  la  flore  indienne 
pouvait  compter  12  à  15000  espèces,  dont  les  trois 
quarts  lui  appartiennent  en  propre  ;  mais  ces  espèces 
sont  disséminées  très  inégalement  sur  tout  le  terri- 
toire '.  C'est  dans  l'Assam,  où  se  trouvent  réunies  les 
diverses  végétations  de  l'Himalaya,  du  Khasia  et  du 
Bengale,  que  le  nombre  des  espèces  indigènes  est  le 
plus  grand.  Les  districts  arides  sont  naturellement  bien 
moins  riches  que  ceux  qui  sont  placés  sous  un  climat 
humide.  Les  plaines,  ainsi  que  les  collines  de  THin- 
doustan,  sont  pauvres  en  plantes,  et  elles  le  seraient 

• 

1.  Grisebach,  op.  laud.j  voL  II,  p.  58.  Trad.,  Il,  74. 

2.  Grisebach,  op.   laud.y  vol.    II,  p.   58-61.  Trad.,  vol.  II, 
p.  75-80. 

3.  J.-D.  Hooker  and  Thomas  Thomson,  Flora  indica,  p.  91. 


J 


LA  FLORE  DK  L'LNDE  203 

encore  davantage  si  pendant  la  saison  pluvieuse  on  ne 
voyait  pousser  une  foule  d'herbes  vivaces  :  légumi- 
neuses, scrofulariées,  acanthacées,  etc.,  qui  n'offrent 
d'ailleurs  que  peu  de  variété»  et  dont  la  fleuraison 
même  est  de  bien  courte  durée*. 

Dans  la  flore  de  Tlnde  presque  toutes  les  familles 
végétales  du  globe  sont  représentées,  et  elles  y  sont 
plus  régulièrement  réparties  que  dans  la  zone  tem- 
pérée, mais  le  nombre  de  genres  ou  d'espèces  qu'elles 
renferment  est  bien  différent.  Les  l(?gumineuses,  les 
rubiacées  et  les  orchidées  sont  celles  qui  en  comptent 
le  plus;  les  urticées  en  contiennent  aussi  un  nombre 
considérable  ;  les  graminées,  au  contraire,  y  sont  rela- 
tivement peu  nombreuses.  Mais  les  aurantiacées,  les 
diptérocarpées,  de  même  que  la  plupart  des  balsami- 
nées,  semblent  être  originaires  de  cette  région.  Pres- 
que aucune  de  ses  familles,  toutefois,  ne  paraît  circon- 
scrite dans  une  région  déterminée.  Loin  de  là,  il  y  a 
des  espèces  arborescentes  qu'on  rencontre  également 
dans  les  contrées  les  plus  éloignées.  Néanmoins  des 
montagnes  d'une  structure  particulière,  telles  que  celle 
du  Khasia  et  des  Nilghiri,  semblent  posséder  plu- 
sieurs formes  qui  leur  sont  propres*.  L'altitude,  la 
sécheresse  ou  l'humidité  sont  les  facteurs  qui  agissent 
le  plus  énergiquement  sur  la  répartition  des  espèces 
prédominantes.  Certaines  formes  végétales,  par  exem- 
ple, tout  en  descendant  très  bas,  sont  limitées  aux 
pentes  montueuses  de  la  région  tropicale  de  l'Himalaya 

1.  «  La  végétation  qui  les  couvre  (les  montagnes  de  l'Hima- 
laya), est  monotone  comme  elles  »,  dit  Victor  Jacqueraont. 
Voyage  dam  Vlnde,  Paris,  1841,  in-fol.,  vol.  II,  p.  130.  — 
Grisebach,  op.  laud.,  vol.  H,  p.  62.  Trad.,  II,  82. 

2,  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  II,  p.  63.  Trad.,  II,  83, 


20i  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

et  des  Ghates  et  n'atteignent  point  la  plaine  propre- 
ment dite  ;  d'autres  se  rencontrent  seulement  dans  les 
parties  les  plus  humides  de  la  chaîne  himalayenne 
orientale  et  disparaissent  progressivement  à  mesure 
qu'on  pénètre  dans  la  région  plus  aride  du  bassin  de 
^ndus^ 

Un  des  traits  caractéristiques  de  la  flore  tropicale 
de  rinde  c'est  le  grand  nombre  de  végétaux  ligneux 
qu'elle  renferme  et  l'abondance  des  plantes  volubiles 
qui  y  croissent,  ainsi  que  des  épiphytes  fixés  aux 
troncs  des  arbres  qu'ombragent  les  sombres  voûtes  de 
la  forêt*.  Au  milieu  de  cette  variété  si  grande  d'espè- 
ces, Grisebach  a  distingué  certains  types  végétaux 
caractéristiques.  Un  deâ  plus  curieux  est  celui  des 
palmiers,  dont  le  tronc  indivis  porte  à  son  sommet, 
non  une  couronne  de  rameaux,  mais  un  feuillage  lar- 
gement et  subitement  épanoui,  flabelliforme  ou  penné, 
réuni  en  rosette.  Ces  arbres  monocotylédonés,  si  nom- 
breux dans  la  région  hindoustanique  des  moussons 
—  on  en  compte  plus  de  123  espèces,  —  constituent  le 
trait  le  plus  saillant  de  la  physiognomie  du  paysage 
tropical.  Ils  ne  sont  pas  d'ordinaire  de  haute  taille  et 
quelques-uns  mêmes  ont  des  proportions  naines;  d'au- 
tres, les  plus  nombreux,  affectent  la  forme  de  lianes; 
mais  plusieurs  aussi  comptent  parmi  les  espèces  végé- 
tales les  plus  grandes,  tel  que  le  Cori/pha  parasoP, 
qui,  au  Malabar  et  dans  l'île  de  Ceylan,  atteint  22  mè- 
tres de  hauteur,  tel  surtout  que  le  cocotier  *  des  îles 


1.  Grisebach,  op.  laud.,  voL  II,  p.  67.  Trad.,  II.  p.  89. 

2.  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  II,    p.  8.  Trad.,    Il,  10.    — 
J.  Costantin,  La  nature  tropicale.  Paris,  1899,  in-8,  p.  27. 

3.  Corypha  umbraculifera  L. 

4.  Cocos  nucifera  L.  ;  Grisebach  dit,  op.  laud.,  vol.  II,  p.  10 


LA  FLORE  DE  L'INDE  205 

Andanian,  dont  le  tronc  s'élève  parfois  jusqu'à  30  mè- 
tres. 

En  leur  qualité  d'arbres  toujours  verts,  les  palmiers 
exigent  un  contingent  constant  d'eau  fourni  par  les 
racines  ;  aussi  la  variété  de  leurs  espèces  augmente 
avec  l'intensité  et  la  durée  des  précipitations  aqueuses, 
comme  avec  l'accroissement  de  la  température.  Quel- 
ques-uns réclament  les  climats  arides,  tel  que  le  pal- 
mier à  éventail',  qui  habite  les  plateaux  desséchés  de 
Mysore,  mais  ne  pousse  plus  sur  le  Gange  supérieur 
près  de  Dehli.  Pour  cette  raison  les  formes  de  pal- 
miers sont  moins  variées  et  moins  nombreuses  dans 
rinde  antérieure'  que  dans  le  reste  de  la  Péninsule.  La 
plaine  supérieure  du  Gange  n'en  possède  qu'une  espèce, 
le  dattier  sauvage  ;  sur  la  côte  peu  arrosée  du  Gar- 
natic,  on  ne  trouve  aussi  que  quatre  palmiers  de  haute 
taille,  dont  un  seul  même  indigène.  Les  forêts  hu- 
mides du  littoral  d' Crissa  elles-mêmes  en  renferment 
encore  assez  peu  ;  le  nombre  ne  s'en  accroît  considé- 
rablement que  lorsqu'on  entre  du  Bengale  dans  le 
bassin  si  puissamment  arrosé  du  Brahmapoutre  '. 
Outre  l'humidité  et  la  chaleur  les  palmiers  ont  besoin 
de  beaucoup  de  lumière  ;  aussi  croissent-ils  dispersés 
au  milieu  des  forêts  à  essences  feuillues,  s'écartant 

« 

des  ombrages  épais  pour  recevoir  les  rayons  du  soleil, 
ou,  lorsqu'ils  sont  assez  grands,  s'élevanl  au-dessus 
de  la  couronne  des  arbres  dicotylédones. 


(13)  que  le  cocotier  est  originaire  de  TAmérique  tropicale  ; 
Hooker,  Flora  of  Britiih  India.  London,  1894,  vol.  VI,  p.  483, 
rindiqae,  d*après  Kurz,  comme  indigène  dans  l'île  d*Andaman. 

1.  Borassus  flabellifer  L.,  flabelliformis  Roxb. 

2.  Elle  n'en  compte  que  19  espèces. 

3.  Grisebach,  op,  laud.,  vol.  11,  p.  10-12.  Trad.,  II,  14-13. 


V. 


206  LES  l'UNTKS  CIlIlZ  LES  HINDOUS 

Les  différences  qu'on  remarque  dans  la  végétation 
des  palmiers  tiennent  à  leurs  dimensions,  à  la  forme 
cylindrique  ou  renflée  de  leur  tronc,  à  sa  flexibilité  ou 
à  sa  rigidité,  aux  épines  de  certaines  espèces,  ainsi 
qu'aux  racines  aériennes  destinées  à  servir  d*appui  à 
Tarbre.  Tandis  qu'en  Afrique  le  palmier  nain  n'appa- 
raît qu'au  Nord,  à  la  limite  septentrionale  de  l'ancien 
continent,  dans  le  domaine  des  moussons  on  trouve 
des  palmiers  nains  à  feuillage  persistant  dans  les  con- 
trées les  plus  chaudes  de  la  zone  tropicale  ;  tel  est  le 
Nipa  des  côtes  des  Sanderban  et  de  Ceylan,  qui 
enfonce  ses  organes  souterrains  dans  le  sol  limoneux 
du  littoral  et  élève  rarement  de  quelques  pieds  au- 
dessus  de  ce  dernier  son  tronc  que  couronne  une  puis- 
sante rosette  de  feuilles  pinnatifides  de  4  à  8  mètres 
de  longueur,  une  des  formations  les  plus  remarquables 
de  l'océan  Indien*. 

Les  palmiers-lianes  —  les  rotangs,  ainsi  qu'on 
les  appelle  du  nom  d'une  espèce  du  Sud  de  l'Hindous- 
tan,  —  diffèrent  des  palmiers  à  haute  taille  en  ce  qu'en 
leur  qualité  de  végétaux  volubiles,  ils  s'appuient  sur 
les  arbres  des  jungles  et  s'élèvent  sur  eux  à  une  hau- 
teur considérable  ;  leur  tige,  qui  n'a  pas  besoin  de  se 
soutenir  par  elle-même,  n'a  souvent  que  la  grosseur 
du  doigt,  mais  parfois  elle  prend  en  grimpant  d'un 
arbre  à  l'autre,  un  développement  extraordinaire  ;  on  a 
pu  suivre  des  troncs  de  rotangs  sur  une  distance  de 
plusieurs  centaines  de  pieds,  sans  atteindre  leur  extré- 
mité. Souvent  ils  se  cramponnent  à  l'aide  de  vrilles 
épineuses  produites  par  le  prolongement  de  leurs  pé- 


1.  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  II,  p.  13.  Trad.,  vol.  II,  p.  16. 
—  Hooker,  op.  laud.,  vol.  VI,  p.  424. 


La  flore  de  L'INDE  207 

tioles,  et  les  épiues  dont  les  gaines  de  leurs  feuilles  se 
trouvent  ordinairement  hérissées  sont  bien  plus  fortes 
encore  *.  Ce  sont  ces  rotangs,  répandus  partout  dans 
les  forêts  du  domaine  des  moussons,  qui,  plus  que 
toute  autre  liane  volubile,  rendent  les  jungles  indiennes 
inaccessibles,  et  offrent  aux  grands  fauves  de  la  ré- 
gion un  refuge  assuré.  On  ne  peut  y  pénétrer  qu'en  se 
frayant  un  passage  à  coups  de  hache. 

Les  pandanées,  qui  prennent  place  à  côté  des  pal- 
miers, en  diffèrent  par  une  rosette  composée  de  feuilles 
simples  et  recourbées,  ainsi  que  par  leur  tronc  divisé 
en  plusieurs  branches.  J.  D.  Hooker  a  représenté'  un 
de  ces  arbres  dans  la  vallée  de  la  Tista,  qui,  haut  de 
50  pieds,  se  cramponne  aux  rochers  par  ses  racines 
adventices,  comme  par  autant  de  câbles.  Les  panda- 
nées  semblent,  d'après  leur  constitution,  avoir  moins 
besoin  de  Tabsorption  constante  de  Teau  par  leurs 
racines  que  de  Thumidité  atmosphérique  qui  s'oppose, 
non  moins  que  leur  rigide  feuillage,  à  Tévaporation  de 
la  sève'.  Aux  pandanées  on  peut  joindre  les  dracénées, 
qui  représentent  les  liliacées  arborescentes  dans  la 
région  hindoustanique  des  moussons.  On  peut  aussi 
en  rapprocher  le  bananier,  genre  de  la  familte  voisine 
des  scitaminées,  caractéristique  de  la  flore  des  jungles 
de  THindoustan  oriental.  Son  axe  très  court  porte  des 
feuilles  alternes,  qui,  munies  d'une  gaine  large  et 
longue,  sont  terminées  par  un  limbe  très  développé, 
garni  en  dessous  d'une  nervure  dorsale  saillante.  En 
s'emboîtant  les  unes  dans  les  autres,  ces  gaines  simu- 
lent une  tige  uniquement  composée  de  parties  appen- 

1.  Grisebach,  op.  land.,  vol.  II,  p.  14.  Trad.,  II,  17. 

2.  Ilimalayan  Journals,  London,  1354,  in-8,  vol.  Il,  p.  9. 

3.  Grisebach,  op.  iaud.,  vol.  II,  p.  15.  Trad.,  II,  20. 


208  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

diculaires  et  aa  sommet  de  laquelle  s'étalent  les  lim- 
bes réfléchis  des  feuilles  ;  ce  qui  donné  à  la  plante  le 
port  et  l'aspect  d'un  palmier.  Un  régime  spiciforme, 
allongé  et  recourbé,  qui  sort  du  milieu  des  feuiUes, 
complète  Tanalogie  * . 

Parmi   les  végétaux  ligneux  monocotylédonés,  les 
bambous  se  distinguent  comme  les  palmiers,  par  une 
grande  variété  de  formes  et  par  une  extension  encore 
plus  étendue.  Leur  taille  ordinaire  est  de  3  à  16  mè- 
tres ;  mais  il  est  des  espèces  dont  le  tronc  atteint  au 
delà  de  32  mètres  de  hauteur.  L'épaisseur  du  tronc 
varie  entre  3  décimètres  et  quelques  millimètres.  La 
couleur  de  leur  feuillage  varie  du  vert  pur  aux  teintes 
jaunes  mates.  Les  bambous  épineux  sont  plus  bas  ; 
leurs  tiges  entrelacées  entre  elles  forment  des  fourrés 
presque  impénétrables.   La  plus  grande  longueur  est 
atteinte  par  les  espèces  à  végétation  de  lianes,  dont 
les  branches,  munies  de  délicates  toufies  de  feuilles, 
pendent  élégamment  de  la  couronne  des  arbres  qu'elles 
enlacent.    Semblables    à  des   roseaux    gigantesques, 
leurs  stipes  s'élancent  du  sol,  où  gazonnent  leurs  sou- 
ches entremêlées,  et  s'inclinent  ensuite  de  tous  côtés 
en  décrivant  des  arcs  de  verdure*.  Si,  sous  l'influence 
de  précipitations  abondantes,  ils  poussent  pour  ainsi 
dire  à  vue  d'œil,  ils  peuvent  aussi  supporter  un  climat 
sec  et   les  arrêts  forcés   que   le  manque  d'humidité 
amène   dans   leur   développement  ;   partant   ils  sont 
aussi  bien  indigènes  dans  les  forêts  humides  que  dans 
les  savanes  arides,  et  ils  peuvent  même  prospérer  à 
une  température  relativement  basse. 


1.  H.  Bâillon,  Dictionnaire  de  Botaniquey  vol.  I,p.  359. 

2.  Grisebach,  op,  laurL,  vol.  Il,  p.  14.  Trad.,  II,  18. 


LA  FLORE  DE  L»INDE  200 

Les  fougères  arborescentes  de  la  région  tropicale 
de  THimalaya  oriental  terminent  la  série  des  formes 
végétales  à  tronc  ligneux  non  ramifié.  Peu  élevées 
dans  la  majorité  des  cas  et  n'atteignant  guère  la  cou- 
ronne des  essences  dicotylédonées  qui  les  ombragent, 
on  les  rencontre  dans  les  forêts  et  les  montagnes,  où 
s'accumule  et  se  condense  la  vapeur  aqueuse,  appor- 
tée de  la  surface  des  mers,  et  où  domine  cette  tempé- 
rature uniforme  qui  rend  possible  une  végétation  non 
interrompue  *. 

Malgré  l'abondance  des  diverses  formes  de  monoco- 
tylédonées  dans  les  forêts  tropicales  de  l'Hindoustan, 
ce  sont  les  arbres  dicotylédones  néanmoins  qui  en 
constituent  de  beaucoup  l'élément  dominant;  mais 
leur  variété  est  si  grande  qu'il  est  difficile  de  prendre 
aucune  espèce  pour  type  déterminant  ;  on  peut  et  on 
doit  toutefois  signaler  certains  caractères  particuliers 
que  présente  la  végétation  de  quelques  espèces.  Si 
dans  leur  ensemble  les  essences  forestières  de  la  ré- 
gion tropicale  n'égalent  pas  d'ordinaire  en  hauteur  les 
espèces  des  pays  tempérés,  il  en  est  quelques-unes 
cependant  qui  s'élèvent  fort  haut,  tel  que  le  rasamala^ 
qui  atteint  jusqu'à  25  mètres  d'altitude,  et  surtout  le 
gurpin  \  le  plus  grand  des  arbres  des  forêts  de  l'Hin- 
doustan, dont  le  tronc  mesure  parfois  60  mètres,  • 
mais  a  ceci  de  remarquable  que,  sur  une  longueur  de 
16  à  20  mètres,  il  ne  subit  au-dessous  de  la  couronne 
aucun  amincissement  notable,  condition  de  force  re- 
quise pour  supporter  le  poids  énorme  des  branches. 

1.  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  H,  p.  16.  Trad.,  II,  21. 

2.  Altingia  exceUa  Noronha. 

3.  Dipterocarpus  lurbinatus  Gaertn. —  J.-D.  Hooker,  Hima 
layan  JournaU,  vol.  II,  p.  3^8. 

JoRET.  —  Les  Plantes  dans  V antiquité.        IL  —  14 


210  LES  PLANTES  CÏIEZ  LES  HINDOUS 

Chez  les  végétaux,  dont  la  ramification  descend  très 
bas,  comme  dans  le  type  des  bombacées,  le  même  but 
est  atteint  par  le  gonflement  du  corps  ligneux.  A  cet 
eflfet  servent  bien  plus  fréquemment  les  tablettes  li- 
gneuses ou  bandes  verticales,  qui  font  saillie  au  bas  du 
tronc  des  arbres  tropicaux.  Ces  excroissances  ou  sup- 
ports, qui  ne  se  forment  ou  n'entrent  en  fonction  que 
quand  Tarbre  a  atteint  un  certain  âge  et  que  sa  cou- 
ronne a  acquis  un  certain  développement,  sont  rem- 
placés dans  d'autres  cas  par  des  racines  aériennes  qui 
se  détachent  librement  du  tronc*. 

L'échafaudage  de  racines  aériennes,  qui,  dans  les 
végétaux  appartenant  aux  formes  de  banians  et  de 
mangliers,  servent  d'appui  aux  couronnes  de  feuilles 
et  les  rattachent  énergiquement  les  unes  aux  autres, 
manifeste,  de  la  manière  la  plus  frappante,  la  tendance 
naturelle  que  les  arbres  semblent  avoir  de  se  consoli- 
der sur  le  sol.  Ce  qu'il  y  a  de  remarquable,  c'est  que 
ces  racines  aériennes  lignifiées  ne  viennent  point  de  la 
surface  latérale  du  tronc,  mais  croissent  sur  les  bran- 
ches de  haut  en  bas.  «  Chez  le  banian*  et  chez  toute 
une  série  d'autres  espèces  de  figuiers  tropicaux,  le 
tronc  principal  reste  faible  et  même  assez  bas  jus- 
qu'au point  de  sa  ramification  ;  il  germe,  à  ce  qu'il 
paraît,  presque  toujours  à  titre  de  parasite  sur  d'autres 
arbres,  tels  que  les  palmiers,  qu'il  embrasse  de  ses 
premières  racines  aériennes  et  finit  par  étouffer.  Une 
fois  les  supports  de  ses  propres  branches  assurés,  le 
développement  de  ces  dernières  en  sons  horizontal 
devient  illimité.  Los  supports  sont  convertis  en  nou- 

1.  Griscbach,  op.  land.,  vol.  H,  p.  18.  Trad.,  II,  23. 

2.  Ficus  indica  Roxb.  ou  hrngairnxis  L.,  appelé  aussi  par- 
fois «  figuier  des  pagodes.  » 


LA  FLORE  DE  L'INDE  211  \ 

veaux  troncs,  et  Ton  voit  alors  les  couronnes  se  suc- 
céder comme  pour  former  autant  de  dômes  d'une  seule 
colonnade*.  »  Ici  les  figuiers  ont  pour  appui  leurs  pro- 
pres racines  aériennes,  leur  tronc  n'étant  pas  en  état 
de  leur  en  offrir  un  à  lui  seul.  Dans  d'autres  cas, 
comme  chez  la  Wightia  *,  les  racines  aériennes  s'enla- 
cent autour  des  arbres  voisins  *,  ou  bien  leurs  troncs 
mômes  deviennent  des  lianes,  passant  ainsi  de  la  forme 
indépendante  à  la  forme  volubile  par  une  transition 
que  nous  ont  offerte  déjà  certains  palmiers,  et  qu'on 
rencontre  encore  dans  d'autres  familles. 

C'est  à  soutenir  le  tronc  lui-même  non  moins  que 
l'échafaudage  des  branches  que  servent  les  racines 
adventives  chez  les  palétuviers  ou  mangliers.  «  Bordant 
les  côtes  tropicales,  dont  le  sol  uni  consiste  en  limon 
fortement  argileux,  les  troncs  rabougris  de  ces  arbres 
couronnés  de  coupoles  d'un  feuillage  luisant,  s'élèvent 
de  3  à  9  mètres  au-dessus  de  la  surface  de  la  mer, 
dont  les  flots  pénètrent  dans  leur  enceinte  forestière. 
A  l'époque  du  reflux  on  voit,  mises  à  nu,  les  racines 
qui,  surgissant  en  guise  d'arcs-boutants  ramifiés,  plon- 
gent par  leur  extrémité  inférieure  dans  le  sol  limo- 
neux et  supportent  par  l'autre  extrémité  le  tronc  qui 
se  balance  librement  dans  les  airs.  Sur  un  sol  mou, 
qui  chaque  jour  se  trouve  deux  fois  fortement  sub- 
mergé par  la  mer,  la  germination  de  la  semence  et  la 

1.  Grîsebach,  op.  laud.,  vol.  II,  p.  20.  Trad.,  H,  25. 

2.  Wightia  gipanlea  V^all.,  plante  de  la  famille  des  Scro- 
phularices,  dont  les  racines  adventives  enlacent  le  tronc  de 
Farbre-support,  à  côté  duquel  elle  se  dresse.  J.-l).  Ilooker, 
Himalayan  Journnla,  vol.  I,  p.  16'*. 

3.  Un  autre  exemple  de  cette  végétation  aérienne  et  parasite 
nous  est  offerte  par  le  Ficus  parasilica  Kœn.,  F,  Ampelos 
Roxb.  —  Brandis,  The  Forest  Flora,  p.  420. 


12  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IIINDOLS 

fixation  delà  radicule  seraient  impossibles  ;  c'est  pour- 
quoi les  fruits,  allongés  en  silique  et  suspendus  verti- 
calement, ne  se  détachent  des  branches-mères  que 
lorsqu'ils  ont  donné  naissance  ù  un  nouvel  arbre,  qui. 
semblable  à  un  vaisseau  reposant  sur  plusieurs  ancres, 
est  assez  fortement  étayé,  pour  résister  au  mouvement 
des  vagues*.  » 

Les  feuilles  des  arbres  dicotylédones  de  THindous- 
tan  n'offrent  pas,  dans  leur  formation,  de  caractère 
moins  distinctif  que  leur  tronc  ;  le  plus  important  et  le 
plus  général  est  la  solidité  et  la  persistance,  consé- 
quence de  la  température  uniforme  et  de  la  durée  de 
la  période  pluvieuse.  La  flore  de  la  région  des  mous- 
sons est  la  plus  riche  en  arbres  toujours  verts.  Le  type 
de  laurier,  qui  en  est  une  des  formes  caractéristiques, 
est  le  plus  fréquent  qu'on  rencontre  dans  les  jungles 
de  rilindoustan  tropical.  Les  forets  humides  de  cette 
vaste  contrée  sont  riches  en  espèces  de  certaines  fa- 
milles qui  appartiennent  à  ce  type,  telles  que  les  ru- 
biacées,  les  urticées  et  anonacées,  sapotacées,  com- 
brétacées,  guttifères  et  myristicées,  myrtacéos, 
magnoliacées,  hamamélidées  et  diptérocarpées,  etc. 
Tandis  que  la  persistance  des  feuilles  est  un  des  traits 
caractériques  des  arbres  de  la  zone  tropicale,  quelques 
essences  font  exception  et  perdent,  comme  cela  a  lieu 
pour  tant  d'espèces  soudanîennes,  leurs  feuilles  pen- 
dant la  saison  sèche.  Tel  est  le  teck,  verbenacée  à 
feuilles  dont  le  diamètre  dépasse  un  pied,  et  qui  tom- 
bent dès  que  la  saison  sèche  commence  \ 

1.  A.  Grisobach,  op.  laufl.,  vol.  H,  p.  20.  Trad.,  Il,  26.  — 
A.-F.-\V.  Schimper,  Pflanzen'ireographie  auf  physiologischer 
Grmullaf/e.  Jena,  1808,  in-8,  p.  Vi6. 

2,  A.  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  II,  p.  22.  Trad.,  II,  29. 


LA  FLORE  DE  L'INDE  213 

Le  type  le  plus  fréquent,  après  la  forme  de  laurier, 
est  celui  du  tamarin,  à  feuillage  toujours  vert  aussi, 
mais  composé  ;  il  est  représenté  par  des  légumineuses, 
sapindacées,  méliacées  et  térébinthacées.  Par  le  dé- 
croisseraent  graduel  du  nombre  des  organes  latéraux, 
la  forme  de  tamarin  passe  graduellement  à  un  type 
foliacé  plus  simple,  comme  dans  le  paiera  \  dont  les 
feuilles  n'ont  que  trois  divisions,  de  dimensions  con- 
sidérables, il  est  vrai.  Chez  les  aurantiacées  même, 
la  feuille  originellement  pennée  se  change  en  feuille 
indivise  de  laurier,  à  la  suite  de  la  suppression  des 
sections  latérales,  qui  se  trouvent  cependant  encore 
indiquées  par  Tarticulation  et  la  forme  du  pétiole. 
Lorsque  des  jungles  humides  de  THimalaya  indien  on 
passe  dans  les  plaines  arides  du  Pandjab,  le  contraste 
des  climats  se  manifeste  dans  les  formes  végétales, 
et  Ton  voit  les  feuilles  simples  du  laurier  faire  place 
au  type  composé  des  feuilles  propres  aux  mimosées 
épineuses  ;  on  retrouve  encore  ces  dernières,  associées 
au  palàça  dans  la  région  chaude  et  presque  dénuée  de 
pluie  du  Dekkan*. 

La  transition  de  la  forme  de  laurier  à  la  forme 
d'olivier,  et  de  celle-ci  à  la  forme  foliaire  grêle  des 
essences  résineuses,  se  trouve  représentée  dans  certains 
conifères  indiens,  les  podocarpes,  qui  habitent  les 
monts  Khasiaet  l'Himalaya  tropical;  quant  aux  feuilles 
aciculaires  des  autres  conifères  qui,  de  persistantes 
qu'elles  sont  d'ordinaire,  deviennent  caduques  chez 
le  mélèze^  du  Népal  et  du  Bhoutan,  elles  dispa- 
raissent complètement  dans  les  casuarinées  de  la  côte 

1.  Butea  frondosa  Roxb. 

2.  A.  Grisebach,  op.  laud.,  voL  II,  p.  23.  Trad.,  II,  30. 

3.  Larix  Griffithii  Hooker. 


214  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

orientale    du  Bengale,  chez  lesquelles    ractivité   du 
feuillage  est  remplacée  par  des  branches  aphyllesV 

Les  végétaux  ligneux  à  basse  tige,  qui  forment  le 
sous-bois  des  forêts  de  TAsie  antérieure,  sont  bien 
plus  nombreux  dans  les  jungles  et  les  régions  fores- 
tières de  THindoustan  ;  on  y  trouve  des  fourrés  de 
menus  bois  composés  particulièrement  de  buissons 
appartenant  aux  formes  d'oléandre  et  de  myrte  —  mé- 
lastomacées,  rubiacées,  éricacées,  urticées.  —  Dans 
les  parties  arides  de  la  Péninsule,  les  végétaux  ligneux, 
petits  bambous,  arbustes  épineux  et  autres  formes 
qui  rappellent  les  maquis,  forment  presque  à  eux 
seuls  les  jungles,  au  milieu  desquelles  se  dressent 
quelques  arbres  rabougris,  qui  perdent  leurs  feuilles 
pendant  la  saison  d'été.  Plus  le  sol  devient  aride 
et  le  climat  sec,  plus  le  nombre  des  arbustes  épi- 
neux augmente;  Ton  passe  ainsi,  dans  la  plaine  du 
Nord-Ouest,  d'une  manière  insensible  de  la  flore  tro- 
picale à  celle  des  steppes  de  TAsie  antérieure  ou 
même  des  déserts  do  l'Afrique '. 

Parmi  les  plantes  non  ligneuses  des  forêts  tropi- 
cales, les  scitaminées,  les  aroïdées  et  les  fougères  her- 
bacées offrent  les  formes  les  plus  caractéristiques  par 
la  configuration  particulière  de  leurs  feuilles  et  par  leur 
mode  de  croissance.  Parleurs  feuilles,  les  scitaminées, 
dont  le  groupe  indien  le  plus  important  est  celui  des 
zingibéracées,  ressemblent  au  bananier  ;  leurs  tiges  . 
groupées  en  faisceaux  peuvent  atteindre  jusqu'à  près 
de  cinq  mètres,  mais  leur  tronc  reste  tendre  et  her- 
bacé. Des  épis  floraux,  resplendissants  de  belles  teintes 

1.  J.-I).  llooker,  The  Flora  of  British  India,  vol.  V,  p.  655 
et  598.  —  A.  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  II,  p.  2'*.  Trad.  II,  31 

2.  A.  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  II,  p.  31.  Trad.,  H,  40. 


LA  FLORE  DE  L'INDE  215 

rouges  OU  orangées,  s'élèvent  soit  du  bas  de  la  tige, 
soit  de  son  sommet*. 

Les  aroïdées  se  font  remarquer  par  une  rosette  de 
feuilles  longuement  pétiolées,  souvent  sagittées  ou 
cordées  à  leur  base  et  qui  atteint  parfois  des  dimen- 
sions colossales.  Agglomérées  le  long  des  cours  d  eau, 
elles  animent  de  leur  luxuriante  végétation  les  rives, 
sur  lesquelles  on  les  voit  surgir  du  fond  du  sol  limo- 
neux. Malgré  Ténorme  quantité  d'eau  qu'exige  leur 
développement,  elles  croissent  également  au  milieu 
des  fourrés  des  jungles,  et  parmi  les  épiphytes  des 
arbres.  Le  développement  des  feuilles  prédomine  éga- 
lement chez  les  fougères  herbacées  ;  revêtant  le  sol 
ou  tapissant  les  rameaux  des  arbres  de  la  variété  de 
leurs  formes,  ces  gracieux  végétaux,  par  la  diversité 
que  leurs  frondes  présentent,  soit  dans  leurs  dimen- 
sions, soit  dans  leur  configuration,  occupent  le  pre- 
mier rang  parmi  les  plantes  verdoyantes  qui  recher- 
chent l'ombrage  des  forêts  humides.  Le  nombre  de 
leurs  espèces  et  leur  fréquence  s'accroît  avec  la 
fréquence  des  précipitations  aqueuses  ;  abondantes 
dans  le  Bengale  et  dans  la  région  orientale  de  l'Hima- 
laya exposée  aux  pluies  de  la  mousson,  elles  dispa- 
raissent sur  les  plateaux  arides  à  l'occident  de  la 
Péninsule^ 

Si  quelques  plantes  vivaces,  telles  que  les  acantha- 
cées,  si  richement  représentées  dans  la  flore  hindous- 
tanique,  passent  fréquemment,  sous  les  tropiques,  aux 
formes  frutescentes,  par  suite  de  la  lignification  des 
parties  inférieures  de  la  tige,  d'autres  espèces  :  bégo- 

1.  A.  Grisebach.  op.  laud.,  vol.  H,  p.  32.  Trad.,  II,  40. 

2.  A.  Grisebach,  op.  laud.y  vol.  II,  p.  32.  Trad.,  II,  41. 


216         LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

niacées  des  forêts  humides,  balsaminées  des  diverses 
régions  de  Tliide  antérieure,  présentent  un  phénomène 
tout  différent  ;  leur  tissu  reste  tendre  et  translucide. 
La  forme  la  plus  singulière  est  offerte  par  les  népen- 
thées,  sous-arbrisseaux  de  la  région  forestière  des 
montagnes  équatoriales,  qui  rampent  sur  le  sol  ou  sur 
la  surface  de  la  roche,  et  chez  lesquelles  les  fouilles 
se  convertissent  en  grosses  outres  pleines  d'eau  pota- 
ble et  susceptibles  d'être  fermées  à  l'aide  d'un  cou- 
vercle*. L'énumération  des  formes  végétales  herbacées 
de  la  flore  indienne  serait  incomplète,  si  je  ne  rappe- 
lais en  finissant,  parmi  les  plantes  aquatiques,  les 
nymphéacées,  dont  une  espèce  en  particulier,  le  Ne- 
lumbiitm,  répandue  dans  l'Inde  entière,  a  pris,  nous 
le  verrons,  un  caractère  symbolique  qui  la  recommande 
déjà  à  l'attention. 

Nous  arrivons  maintenant  aux  deux  formes  caracté- 
ristiques de  la  végétation  tropicale,  celles  du  moins 
qui  en  forment  le  tableau  le  plus  riche  :  les  lianes  et 
les  épiphytes.  On  rencontre  des  plantes  volubiles  sous 
tous  les  climats  ;  mais  nulle  part  ces  plantes  ne  se 
comptent  en  aussi  grand  nombre  que  dans  la  région 
des  tropiques  ',  ni  n'appartiennent  à  autant  de  familles 
différentes;  on  trouve  dans  Tlnde  des  lianes  dicotylé- 
donées  à  tronc  mince  et  ligneux  parmi  les  légumi- 
neuses, les  euphorbiacées,  les  urticées,  les  ampélidées  ; 
quelques  familles,  comme  les  sapindacées,  les  mélas- 
tomacées,  les  olacinées,  les  gentianées,  les  pipéracées, 
les  laurinées,  renferment  des  genres  caractéristiques  à 
cet  égard;  d'autres,  comme  les  convolvulacées,  les  cucur- 


1.  A.  Grisebach,  op.  iaud.,  vol.  II,  p.  33.  Trad.,  II,  43. 

2.  A.-F.-W.  Schimper,  Pflanzen-Geographie,  p.  212. 


LA  FLORE  DE  L'INDE  217 

bitacées  et  les  asclépiadées,  ne  sont  composées  que  de 
plantes  volubiles  ;  il  en  est  de  même  de  la  famille  mo- 
nocotylédonée  des  dioscorées  et  du  genre  srailax;  les 
bambous,  les  aroïdées,  les  fougères  mêmes, et  surtout 
les  palmiers  en  renferment  un  nombre  considérable  *. 
Chez  ces  plantes  le  grossissement  du  tronc  est  sa- 
crifié au  développement  des  parties  constitutives  de 
la  tige  ;  mais  cette  dernière  devient  incapable  de  sup- 
porter le  poids  des  organes  latéraux  ;  ce  soin  est 
réservé  aux  arbres  ou  aux  corps  voisins  qui  servent 
d'appui.  Le  poids  des  parties  supérieures,  le  contact 
avec  les  corps  étrangers,  ainsi  que  Tinfluence  de  la 
lumière,  modifient  la  tension  des  tissus  et  par  suite 
la  direction  de  Taxe  ;  en  même  temps,  les  jeunes 
pousses  se  transforment  en  organes  divers  propres 
à  servir  de  crampons.  «  Adhérant  au  tronc  comme 
le  lierroi  Tenlaçant  comme  le  houblon,  ou  s'y  fixant  à 
l'aide  de  vrilles  comme  la  vigne,  les  plantes  volubiles 
des  tropiques  ajoutent  à  ces  caractères  des  formes 
connues  de  la  zone  tempérée,  l'entrelacement  réci- 
proque de  leurs  axes  aphylles  dans  leurs  parties  infé- 
rieures, et  vont,  tantôt  en  s'élevant,  tantôt  en  s'enla- 
çant  ou  en  s'enroulant  en  spirales,  dissimuler  dans  le 
dais  de  la  forêt  leurs  fleurs  et  leur  feuillage.  Elles 
jouissent  de  la  faculté  qui  leur  est  propre  de  passer 
d'un  appui  et  d'un  arbre  à  un  autre,  qu'elles  enlacent  en 
suivant  sa  surface  verticale  ou  inclinée,  ou  bien  en 
restant  suspendues  à  sa  cime.  Elles  se  cramponnent 
d'ailleurs  tout  aussi  bien  aux  pentes  abruptes  des 
rochers   qu'aux    arbres,    parce    qu'elles    empruntent 

1.  A.  Grisebach,  op.  laud.,  vol.  FF,  p.  26.  Trad.,  FF,  33-34.  — 
0.  Drude,  liandbuch,  p.  233.  Trad.  G.  Poirault.  Paris,  1897, 
in-8,  p.  215. 


218  LES  Pr.ANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

leurs  substai)ces    nutritives   au   sol   et  non  à  leurs 
supports  *.  » 

On  donne  le  nom  (l*épiphytes  aux  plantes  fixées  non 
au  sol,  mais  sur  d'autres  végétaux,  sans  toutefois 
qu'ils  empruntent  leur  sève  à  ces  derniers.  Us  diffé- 
rent en  cela  des  parasites,  les  loranthées  par  exem- 
ple, qui,  sans  former  de  racines,  perforent  jusqu'à 
l'aubier  Técorce  des  arbres,  sur  lesquels  ils  sont 
fixés,  vivent  du  liquide  qui  monte  du  sol  jusqu'aux 
feuilles  et  circule  dans  les  parties  externes  des  cou- 
ches ligneuses.  Pour  les  épiphytes  proprement  dits, 
au  contraire,  les  troncs  et  les  branches  des  arbres  leur 
servent  seulement  de  support;  ils  empruntent  leur 
nourriture  à  un  substratum  inorganique,  qui  reçoit  les 
précipitations  aqueuses  de  la  forêt  ou  bien  aux  préci- 
pitations elles  mômes  dont  ils  pompent  Teau  par  l'ex- 
trémité do  leurs  racines.  «  Parfois  aussi  leurs  racines 
aériennes  leur  procurent  le  moyen  d'absorber  l'humi- 
dité du  sol,  lors  même  qu'ils  se  trouvent  éloignés  de 
ce  dernier  ;  d'autres  fois  ils  trouvent  un  aliment  suffi- 
sant dans  les  insignifiantes  quantités  de  substances 
inorganiques  accumulées  par  les  vents  sur  les  saillies 
du  tronc  et  fécondées  par  l'humus  que  fournit  la 
putréfaction  de  l'ôcorce,  des  mousses  et  des  feuilles 
mortes,  maintenues  humides  par  la  pluie  ^.  »  On  com- 
prend dès  lors  que,  avec  la  nature  du  milieu,  l'endroit 
où  se  fixent  les  épiphytes  peut  changer;  ainsi  le  bulbe 
d'une  orchidée  peut  aussi  bien  adhérer  à  un. rocher 
qu'à  un  tronc  ligneux,  tandis  que  les  parasites  vérita- 
bles ne  peuvent  être  transplantés  de  l'arbre   qui  les 

1.  A.  Grisebach,  op.  laxid.,  H,  p.  25.  Trad.,  II,  'M. 

2.  A.  Grisebacli,  op.  laud.^  vol.  II,  p.   27.  Trad.,  II,  35. 
A.-P\-W.  Schimper,  Pflanzen-Geographiey  p.  214. 


LA  FLORE  DK  L'INDE  219 

porte  sur  le  sol,  ou  même  de  cet  arbre  sur  un 
autre. 

Les  épiphytes  croissent  en  nombre  prodigieux  dans 
les  forêts  humides  de  Tlnde  tropicale,  et  leur  variété 
dépasse  de  beaucoup  même  celle  des  lianes  ;  aussi  il 
ne  saurait  être  question  de  leur  assigner  de  forme 
déterminée,  les  plantes  les  plus  diverses  pouvant 
pousser  sur  tous  les  supports  oùrimmidité  leur  permet 
de  germer,  et  où  il  est  possible  à  leurs  racines  de  se 
fixer.  Celles  qui  se  développent  le  plus  souvent  dans 
les  forêts  de  la  région  des  moussons  appartiennent, 
soit  à  la  forme  d'oléandre,  soit  à  la  famille  des  érica- 
cées,  des  mélastomacéos,  des  solanées,  des  urticées, 
des  scitaminées,  des  aroïdées,  des  fougères  surtout  et 
enfin  des  orchidées  qui  occupent  une  place  à  part 
parmi  ces  végétaux  aériens,  et  qui,  par  la  structure  si 
diverse,  les  dimensions  et  le  coloris  de  leurs  fleurs, 
semblent  rivaliser  avec  les  insectes  brillants  auxquels 
leur  corolle  sert  d'appui  *. 

C'est  dans  les  forêts  humides  de  la  zone  équato- 
riale  que  sont  répandues  surtout  les  orchidées  ;  com- 
munes déjà  dans  le  Sikkim,  elles  sont  encore  plus 
nombreuses  dans*  les  monts  du  Khasia;  Hooker  en  a 
compté  250  espèces  dans  cette  dernière  région^.  Elles 
s'y  élèvent  souvent  à  d'assez  grandes  hauteurs  ;  le 
voyageur-botaniste  dit  avoir  trouvé  dans  un  bois  de 
chênes  rabougris,  non  loin  de  Nurtiung,  à  l'altitude  de 
1000  à  1300  mètres,  d'énormes  quantités  de  Vanda 
caerulea.  Exposée  à  Tair  et  au  soleil,  avec  une  tempé- 
rature médiocrement  élevée,   cette  gracieuse  plante 

1.  A.  Grisebach,  op.  latid.,  vol.  II,  p.  29.  Trad.,  II,  37.  — 
Drude,  Ilandbuch,  p.  233-237. 

2.  Himalayan  JournalSj  vol.  11,  p.  321. 


220  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IHNDOUS 

n'en  croît  pas  avec  moins  de  vigueur,  et  ni  le  froid  de 
l'hiver,  ni  la  sécheresse  de  Tautomne  ne  la  font  périr. 
Dans  ces  mêmes  conditions,  ajoute  Hooker,  prospè- 
rent les  plus  belles  orchidées  de  THindoustan.  Il  cite 
des  espèces,  du  genre  Cypripediurn  entre  antres,  qui 
habitent  des  régions  froides  et  élevées  de  plus  de 
1:300  mètres  dans  le  Khasia  et  de  2000  à  2300  mè- 
tres dans  le  Sikkini  *.  Leurs  tubercules  permettent  à 
ces  plantes  de  supporter  un  long  temps  d'arrêt  dans 
leur  croissance  et,  grâce  aux  matières  nutritives  qui  y 
sont  tenues  en  réserve,  après  être  demeurées  des 
mois  entiers  dans  un  état  complet  de  stagnation  végé- 
tale, elles  reprennent  la  faculté  de  produire  de  nou- 
velles feuilles  et  de  charmants  épis  de  fleurs*. 


II 


La  multiplicité  des  formes  végétales  que  je  viens  de 
signaler  dans  la  flore  de  l'Inde  peut  déjà  donner  uîie 
idée  des  ressources  qu'elle  off*rait  aux  habitants  de 
cette  contrée  pour  leur  alimentation  et  pour  tous  les 
usages  de  la  vie.  Aucun  pays  de  l'ancien  monde  n'en 
présentait  autant.  Ni  Torge,  ni  le  blé,  n'y  étaient  in- 
digènes, il  est  vrai,  et  les  Aryens  durent  les  apporter 
du  dehors  avec  eux  ;  mais  ils  y  trouvèrent  d'autres  gra- 
minées alimentaires,  en  particulier  le  riz,  qui  croît 
spontanément  dans  les  marais  du  Uadjpoutana,  le  Sik- 
kini, le  Bengale,  les  monts  Khasia,  les  provinces  cen- 


1.  Jlimalayan  Journals,  vol.  II,  p.  3*J2. 

2.  A.  Grisebach,  op.  laud.,  voL  II,  p.  30.  Trad.,  Il,  38. 


LA  FLORE  DE  L'INDE  221 

traies  et  les  Circars  *  ;  le  coracan,  indigène  dans  toutes 
les  parties  basses  de  la  Péninsule*;  divers  panics, 
qu'on  rencontre  dans  les  régions  chaudes,  du  Pandjab 
à  la  Birmanie  et  à  Ceylan  ^ 

L'Inde  ne  produit  à  Tétat  spontané  ni  petits  pois 
ou  pois  chiches,  ni  fèves,  ni  lentilles;  mais  elle 
renferme  d'autres  légumineuses,  non  moins  utiles, 
des  genres  haricot,  cajan,  Dolic/ios  et  Mucuna^,  sans 
parler  des  espèces  arborescentes  dont  les  graines  peu- 
vent être  mangées.  On  y  trouve  aussi  de  nombreuses 
cncurbitacées,  on  particulier  le  concombre,  probable- 
ment le  melon,  ainsi  que  la  calebasse,  des  Momordica 
et  des  Lvffa'\  L'Inde  produit  encore  en  abondance 
nombre  de  plantes  herbacées  ou  aquatiques,  njm- 
phéacées,  amarantacées,  chénopodées,  dioscoréacées, 
aroïdées,  cypéracées,  etc.,  dont  les  feuilles,  .les  tiges 
ou  les  racines  sont  comestibles.  Les  fleurs  mêmes  et 
les  feuilles  de  certains  arbres  peuvent  entrer  dans 
ralimentation.  Enfin  cette  vaste  contrée  est  la  patrie 
des  condiments  des  plus  recherchés  ;  on  n'y  rencontre 
point,  sans  doute,  à  Tétat  sauvage  l'ail,  l'oignon,  le 
poireau  ou  l'échalotte,  pas  plus  que  l'aneth,  le  cumin 
et  la  coriandre  ;  mais  on  trouve  dans  le  Nord  une 
espèce  de  moutarde,  et  la  région  tropicale  produit  les 


1.  Roxburgh,  Flora  indien,  vol.  II,  p.  200.  —  J.  D.  Hooker, 
The  Flora  ofindin,  vol.  VII,  p.  92.  —  Fr.  Kœrnicke,  Die 
Arten  und  Varietûten  des  GelreideHj  p.  227. 

2.  Ilooker,  The  Flora,  vol.  VII,  p.  29:l 

3.  Roxburgh.  Flora  indica,  vol.  I,  p.  283,  302,  304,  etc.  — 
Ilooker,  The  Flora,  vol.  VII,  p.  10,  78  et  82. 

4.  Roxburgh,  Flora  indira,  vol.  III,  p.  302-322.  —  G.  Watt, 
Dictionary  of  Ihe  économie  products  of  fndia.  I^ondon,  1889- 
1893,  in-8,  vol.  VI,  1,  p.  364-368. 

5.  Hooker,  Flora,  vol.  II,  p.  613-620. 


222  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

épices  les  plus  précieuses  :    le  gingembre,    le  carda- 
mome, le  poivre  et  la  cannelle*. 

Mais  c'est  surtout  ert  arbres  à  fruits  que  la  flore  de 
rinde  est  d'une  richesse  vraiment  prodigieuse.  Si  Ton 
fait  abstraction  de  quelques  poiriers*,  peut-être  de 
deux  espèces  de  pommiers  ',  de  trois  cerisiers  *,  d'un 
ou  deux  sorbiers  ^  qui,  ainsi  que  plusieurs  espèces 
d'épines- vinettes**,  de  vignes "^  et  de  groseilliers^,  le 
micocoulier,  le  noyer  et  deux  coudriers®,  croissent 
spontanément  dans  la  région  tempérée  ou  alpine  de 
l'Himalaya,  mais  ne  viennent  que  là,  l'Inde  propre- 
ment dite  ne  produit  à  l'état  sauvage,  le  grenadier 
excepté,  aucun  des  arbres  fruitiers  de  TAsie  anté- 
rieure*'^; mais  que  d'espèces  indigènes  aux  fruits  re- 
cherchés offre  en  échange  cette  immense  contrée  ! 
Presque  .toutes  les  familles  végétales  :  diliéniacées, 
tiliacées  et  rutacées,  rhamnées,  anacardiacées  sur- 
tout et  saxifragées,  myrtacées,  cornacées,  rubiacées  et 
sapotacées,  myrsinées,  ébénacées,  boraginées  etver- 


1.  Hooker,  The  Flora,  vol.  VI,  p.  2^1  et  251  :  vol.  V,  p.  132 
et  90. 

2.  Pi/rus  comrminis  L.,  variofosa  (pashia)  et  vestita  Wall. 

3.  Mafus  communia  Desf.  et  bacraln  Desv. 

4.  Cera'suH  padus  Bois.,  puddum  Roxb.  eiprostrala  Labillar- 
dière. 

5.  Sorbus  lanata  Don  Pro(lr.,et«/r«/wrt\Venz.(/b/io/î^  Wall.). 

6.  Berberis  vuUjaris  L.,  asialicn  Koxb.  et  nepalensis  Spren- 
gel. 

7.  Vitis  carmosa  Wall.,  indiva  L.,  lanala^  latifolia  et  parvi- 
folia  Roxb. 

8.  nihea  grossularia,  nigrum  et  ruhrum  L.,  glaciale  Wall, 
et  orientale.  Poiret. 

9.  Corylus  cnhtrna  L.  et  ferox  Wall. 

10.  La  plupart  des  espèces  d'arbres  qui  précèdent,  à  l'excep- 
tion des  vignes,  du  grenadier  et  du  pommier,  ne  sont  même 
pas  cultivées  dans  l'Inde  proprement  dite. 


LA  FLOnE  DE  L'INDE  223 

bénacées,  urticées  et  euphorbiacées,  scîtaminées  et 
palmiers,  etc.,  en  contiennent  quelques-unes,  incon- 
nues de  TAsie  occidentale  et  à  plus  forte  raison  de 
TEurope. 

Un  autre  trait  qui  distingue  la  flore  de  Tlnde  de 
celle  de  TOccident,  c'est  le  grand  nombre  de  plantes 
aromatiques  que  renferme  '  presque  toute  la  région 
tropicale  ou  semi-tropicale  :  baumiers  du  Sindh  et  du 
Bengale  oriental  ^  ;  olibans  des  forêts  du  bas  Hima- 
laya' et  de  rinde  centrale  ;  santal  blanc  du  Dekkan*; 
nard  de  THimalaya  moyen '^;  patchouli  de  Ceylan  et 
de  la  péninsule  occidentale '^j  bois  d'aloès  de  TAssam 
et  des  collines  de  Khasia"';  cost  des  lieux  ombragés  du 
Concan  et  de  la  côte  de  Coromandel  *  ou  des  pentes 
élevées  du  Cachemire®;  enfin  nombreuses  espèces 
d'andropogon  dans  les  régions  les  plus  diverses  de 
rinde  *^  etc. 

L'Inde  n'est  pas  moins  riche  en  plantes  propres  à 
rindustrie  ou  aux  usages  domestiques  les  plus  divers 
qu'en  plantes  alimentaires  :  plantes  tinctoriales  ou  tan- 

1.  Watt,  Dictionary,  vol.  VI,  1,  p.  134-139. 

2.  Bahamodendron  mukul  Ilook.,  lioxburghii  Xrn., pubescens 
Stocks.  —  llooker,  Flora,  vol.  I,  p.  529. 

3.  BosireUia serrala  Stackh.,  Ihurifera  Roxb.  —  J.-D.  Hooker, 
Himalayan  Journals,  vol.  I.  p.  29,  dit  avoir  rencontré  sur  les 
collines  de  Bihar  une  petite  forêt  d'olibans,  dont  les  troncs 
exsudaient  en  abondance  une  fjomme  translucide  et  odorante. 

'*.  Sanlalum  album  L.  (Asialic  Rcxeorches^  vol.  IV,  p.  257). 

5.  Valeriuna  Wallichii  !)(.'.  ou  Jatamansi  Jones.  ÇAsialic 
Besearches,  vol.  IV,  p.  'i51),  Nardostachys  Jatamansi  \)C 

6.  Pogosiemon  Patchouli  Pel.,  Origanum  indicum  Hoth. 

7.  j\quilaria  agallocha  Roxb.  Flora  indica,  vol.  11,  p.  422. 

8.  Cosiiis  speciosus  Sm.  (Asialic  Besearches,  vol.  XII,  p.  349). 

9.  Saussurea  lappa  Clarke,  Aucklaudia  costus  Falc. 

10.  Andropogon  cilratus  DC,  nardus  L.,  schamanthus  L.  (mu- 
ricntus  Retz.),  iivarancusa  Jones  (Jtaniger  Desf.). 


22i  LES  PLANTES  CHEZ  LES  lU.NDOUS 

nifères,  textiles,  bois  de  charpente  ou  de  charronnage, 
combustibles,  abondent  et  abondaient  encore  plus 
autrefois  dans  la  Péninsule,  aussi  bien  que  dans 
THindoustan.  S'ils  n'y  sont  peut-être  pas  indigènes, 
le  sésarae,  le  ricin  et  le  carthame,  ces  plantes  oléa- 
gineuses par  excellence  de  TAsie  antérieure,  y  sont 
acclimatés,  ainsi  que  plusieurs  sénevés,  depuis  un 
temps  immémorial.  Et  les  graines  ou  les  fruits  des 
espèces  appartenant  aux  familles  les  plus  diverses: 
guttifères,  menispermacées  et  méliacées,  célastrinées 
at  anacardiacées,  légumineuses,  rosacées  et  combré- 
tacées,  sapotacées  et  euphorbiacées,  etc.,  fournis- 
sent dos  huiles  comestibles,  médicinales  ou  industriel- 
les'. Le  nombre  des  plantes  indigènes  dans  Tlnde, 
dont  on  peut  retirer  de  la  gomme  ou  de  la  résine, 
n'est  guère  moindre  ;  on  en  trouve  dans  la  plupart  des 
familles  que  je  viens  d'énumérer,  ainsi  que  dans  celles 
des  rubiacées,  des  asclépiadées  de  l'Inde  tropicale, 
et  des  conifères  delà  région  himalayenne^  Un  nom- 
bre considérable  de  familles,  entre  autres  les  bur- 
séracées  et  les  anacardiacées,  les  légumineuses  et 
les  rhizophoréos,  les  combrétacées  et  les  lythrariées, 
les  euphorbiacées^  et  les  cnpulifères,  renferment  aussi 
de  nombreuses  espèces  riches  en  tanin. 

Les  plantes  tinctoriales  ne  sont  pas  moins  communes 
dans  rinde  que  les  plantes  oléagineuses  ou  gommi- 
fères  ;  si  le  carthame  n'y  est  que  cultivé,  si  le  safran 
y  est  exotique,  la  garance  y  est  indigène;  l'indigotier 
parait  bien  aussi  y  croître  spontanément,  et  les  feuilles 

1.  Watt,  Dictionary,  vol.  V,  p.  45'*. 

2.  Watt,  Dictionary,  vol.  IV,  p.  183  et  vol.  VI,  1,  p.  437-38. 
;{.  Brandis,   Flora,  p.   62,  118,  158,  217,  222-25,  239,  444- 

452. 


LA  FLORE  DE  L'INDE  225 

et  les  fleurs,  Técorce  ou  les  racines  des  végétaux  les 
plus  divers:  anacardiacées,  légumineuses,  rubiacées 
et  sapotacées,  apocynées  et  euphorbiacées,  scitami- 
nées,  etc.,  renferment  des  principes  colorants,  dont 
beaucoup  ont  dû  être  connus  dès  l'antiquité  la  plus 
reculée*^ 

Les  Mutiles  sont  encore  plus  répandus  dans  Tlnde 
que  les  fiantes  tinctoriales,  gommifères  ou  tannifères. 
Le  lin,  le  textile  dont  ont  fait  surtout  usage  les  ancien- 
nes populations  de  TAsie  antérieure,  le  chanvre,  si  usité 
depuis  bientôt  deux  mille  ans  dans  l'Occident,  ne  se 
rencontrent  peut-être  à  l'état  spontané  que  dans  la  ré- 
gion himalayenne  du  Nord-Ouest*,  et  l'Inde  ancienne 
semble  avoir  ignoré  Temploi  de  leurs  fibres  ;  mais  les 
textiles  les  plus  précieux  —  il  suffît  de  citer  ici  le 
cotonnier,  —  et  fournis  par  les  familles  les  plus  difi'é- 
rentes  :  malvacées  et  tiliacées,  légumineuses,  asclé- 
piadées,  urticées,  etc.,  abondent  dans  toutes  les  pro- 
vinces de  l'Hindoustan  et  de  la  Péninsule.  Enfin,  la 
flore  hindoue  renferme  nombre  de  végétaux  d'espèce 
et  de  nature  très  diverses  —  bouleaux  de  la  région 
élevée  de  THimalaya,  saules  de  ses  vallées  et  de  celles 
du  Pandjab,  rotins  du  Siwalik  et  du  Teraï,  palmiers 
de  la  Péninsule,  cypéracées  des  régions  marécageuses, 
bambous  et  autres  grandes  graminées  de  l'Inde  presque 
entière*,  —  qui  peuvent  être  et  ont,  de  temps  immé- 
morial, été  utilisés  dans  la  sparterie  et  la  vannerie. 


1.  Hooker  ne  les  considère  même  que  comme  cultivés  ou 
naturalisés  dans  cette  région.  Flora,  vol.  F,  'ilO  et  V,  437. 

2.  En  particulier  les  Calamus,  les  Borassus  et  les  Corypha, 
les  Typha,  les  Bambusa  et  les  Arundinaria,  les  Dendroca- 
lamus  et  les  Thamnocalamus.  —  Drury,  The  use  fut  Plants, 
p.  83,  96,  159,  435,  6'i  et  180.  —  Braii'iis,  p.  559-570. 

JORET.  —  Lps  Plantes  dans  l'antiquité,        IL  —  15 


226  LES  PLANTES  CIJEZ  LES  HINDOUS 

Quelque  grand  que  soit  le  nombre  des  plantes  in- 
dustrielles de  rinde,  dont  je  viens  de  parler,  celui 
des  essences  de  cette  contrée  propre  aux  travaux  du 
charronnage,  de  la  charpente  ou  de  rébénisterie  est 
encore  plus  considérable.  Le  bois  de  la  plupart,  sinon 
de  la  totalité,  des  arbres  à  fruits,  celui  également  d'une 
partie  des  espèces  qui  fournissent  le  tanin,  la  résine 
et  la  gomme  ou  renferment  des  fibres  textiles,  peuvent 
être  employés  à  ces  travaux;  mais  combien  d'autres 
essences  y  conviennent  et  mieux  encore  !  Il  n'est  pres- 
que point  de  famille  végétale,  celles  même  qui  ne  sont 
représentées  en  Europe  que  par  des  plantes  herbacées 
ou  à  peine  frutescentes,  qui  ne  renferme  dans  Tlnde 
tropicale  quelques  espèces  arborescentes,  propres  aux 
ouvrages  de  charronnage  ou  d'ébénisterie. 

Ces  essences  varient  d'ailleurs  quand  on  passe  de 
la  région  tempérée  ou  glacée  du  bas  ou  du  haut  Hima- 
laya ou  du  climat  aride  du  Sindh  et  d'une  partie  du 
Pandjab  à  la  plaine  largement  arrosée  du  Gange  ou 
au  plateau  brûlant  du  Dekkan.  Dans  le  Sindh  et  le 
Pandjab  méridional  nous  rencontrons  les  rares  repré- 
sentants delà  flore  arborescente  du  désert,  ses  acacias 
et  ses  mimeuses  en  particulier.  Dans  la  rt^gion  monta- 
gneuse ot  froide  du  Nord-Ouest  et  dans  les  hautes 
vallées  de  T Himalaya  nous  trouvons  une  végétation 
forestière  qui  rappelle  celles  des  contrées  élevées  de 
l'Asie  antérieure;  les  mêmes  genres,  sinon  toujours  les 
mêmes  espèces,  y  croissent:  érables*,  qui  s'élèvent 
parfois  aux  plus  grandes  altitudes,  mais  préfèrent 
d'ordinaire  la  région  intermédiaire  de  THimalaya  ou 


1.  Acer  caesium,  caudalum,  laevirfatum,  ohlongum  et  villo- 
sum  Wall.,  piclum  Thunb.,  etc. 


LA  FLORE  DE  L»INDE  227 

même  celle  du  Siwalik  ;  frênes*,  ormes*  et  charmes  ' 
des  hauteurs  moyennes  ;  chênes  *  répandus  dans  le 
puissant  massif  de  THindoustan  septentrional,  de 
rindus  à  Textrémité  Est  du  Bengale,  ainsi  que  les 
castanopsis  ^  du  Bhoutan,  du  Népal  et  du  Sikkim  ; 
aunes',  bouleaux ^  en  particulier  le  bhu?ya,  et  saules* 
pouvant  atteindre  aux  plus  grandes  hauteurs;  peu- 
pliers des  régions  moins  élevées'*,  et  dont  une  espèce, 
le  peuplier  de  l'Euphrate  —  bahan  — ,  descend  jus- 
que dans  le  Sindh;  cèdre  déodara  —  devadaru  — 
des  montagnes  du  Nord-Ouest  ;  ifs  et  cyprès  *^,  gené- 
vriers", sapins**  et  pins  *^  du  haut  et  moyen,  et  pin  à 
longues  feuilles  —  sarala  — du  bas  Himalaya,  mélèze** 
et  podocarpe*^  du  Bhoutan  et  du  Népal.  Et  dans  les  au- 

1.  Fraxi'nus  excelsior  L.,  florxbunda  et  zanthoxyloxdes 
(moorcrofliana)  Wall. 

2.  Ulmus  inlegrifolia  Roxb.,  parvifoUa  Jacq.,  wallichiana 
Planchon. 

3.  Carpinus  faginea  Lindley,  viminea  Wall. 

4.  Quercus  semecarpifoUa  Smith,  ilex  L.,  lanuginosa  Don., 
incana  Roxb.,  dilatata  Lindley,  annulata  Smith,  etc.,  à 
rOuest  ;  «^ra/a  Thunb.,  lamellosa  et  spicala  Smith,  plus  à 
TEst,  etc. 

5.  Castanopsis  indica  et  tribuloxdes  DC. 

6.  Alnus  nepalensis  D.  Don.,  nitida  Endl. 

7.  Belula  acuminala  et  bhojpattra  WalL 

8.  Salix  tetrasperma  Roxb.,  amorphylla  Bois.,  Wallichiana, 
eleganSy  insignis,  oxycarpa  And.,  etc.,  dans  l'Himalaya  occi- 
dental; sikkimensis,  daltonia,  longiflora  And.,  etc.,  plus  à  l'Est 
et  ichnoslacfiys  dans  le  Dekkan. 

9.  Populus  alba  L.,  ciliata  Wall.,  microcarpa  Hooker. 
10.  Cupressus  torulosa  Don. 

il.  Juniperus  recurva,  excelsa  DC,  etc. 

12.  Abies  dumosa   Lond.,  excelsa  DC,  Smithiana  Forbes, 
Webbiana  Lindl. 

13.  Pinus excelsa  et  Gerardiana  Wall.,  longifolia  Roxb. 

14.  Larix  Griffithii  Hooker. 

15.  Podocarpus  neriifolia  D.  Don. 


228  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

très  régions  de  nombreuses  espèces  de  presque  toutes  les 
familles  végétales  :  dilléniacées  et  magnoliacées,  gut- 
tifères,  par  exemple  le  Mesua  ferrea  —  le  kinjal  ou 
iron-ivood  —  du  Bengale  oriental  et  de  la  Péninsule  ; 
tamariscinées  et  diptérocarpées,  entre  autres  le  Sho- 
rea  robusta  —  çâla  —  du  sous-Himalaya  et  de  Tlnde 
centrale  ;  raalvacées  et  sterculiacées,  tiliacées,  rutacées 
et  méliacées,  comme  le  nimfm  —  Melia  azadirackta, 
—  le  rohitaka  —  Amoora  rohitiika,  —  le  tunna  — 
Cedrela  toona,  —  le  Chloroxylon  sivietenia  —  salin- 
wood  —  et  le  Chic/crassia  tabularis,  des  provinces 
centrales  et  méridionales  ;  sapindacées  et  anacardia- 
cées,  comme  le  piydla  *  ;  légumineuses  surtout,  telles 
que  le  paldça,  le  tinisa,  le  çimçapd  et  le  blackicood  ou 
bois  de  rose,,  le  btja  et  le  bois  de  fer*,  divers  prosopis 
et  acacias,  des  provinces  occidentales,  centrales  ou 
méridionales;  combrétacées,  comme  les  û.ça/icr,  arjuna, 
haritakiy  tusha^\  myrtacécs  et  lythrariées,  cornacées, 
rubiacées  et  sapotacées,  ébénacées,  en  particulier  les 
Diospyros  melanoxylon  —  tinduka,  —  montana  et  ebe- 
num;  oléinées  et  apocynées,  comme  le  saptaparna  — 
Alstojiia  scholaris  —  ;  boraginées,  bignoniacées  etver- 
bénacées,  tel  que  le  çàka  ou  teck*  du  Dekkan,  urticacées 
et  euphorbiacées  mêmes,  rép<indues  de  l'Himalaya 
sous-tropical  au  cap  Comorin*\ 
L'existence  de  tant  d'essences  arborescentes  dans 

1.  Buchanania  latifoli a  Hoxh. 

2.  liutea  frondosa  Roxb.,  Ougeinia  dalbcrgioides  Benth., 
Halbergia  sissoo  et  lalifoHa  Roxb.,  Pterocarpus  marsupium 
Roxb.  et  Xytia  dolabriformis  Henth. 

3.  Terminalia  tomentosa  W'.-A.,  arjuna  Bedd.,  chebula  Ret- 
zius,  et  bellei'ica  Roxb. 

i.   Tectoîia  grandis  L. 

5.  Watt,  Dictionary,  vol.  II,  p.  1-2;  IV,  300-301. 


LA  FLORE  DE  L'INDE  220 

rinde,  un  de»  caractères  de  la  flore  tropicale,  montre 
combien  cette  contrée  était  riche  en  bois  de  construc- 
tion, de  même  qu'en  combustibles.  Si  Ton  ajoute  que 
beaucoup  de  ces  arbres  et  d'autres,  que  je  n'ai  pas 
cités,  comme  le  kharnikâra,  les  kharvallika  et  kovi- 
dàra  \  le  yiiandâra,  les  çirisha  et  julibrissin,  le 
pàtali',  etc.,  ainsi  que  de  nombreux  arbrisseaux  appar- 
tenant aux  familles  les  plus  diverses,  magnolias*, 
camélias,  aucubas,  fusains,  le  Philadelphus  coronaria, 
d(\s  sumacs,  la  Colutea  nepalensis  et  la  Casalpinia 
piilcherrima,  la  Sesbania  aegyptiaca,  des  chèvre- 
feuilles *  et  des  viornes  de  l'Himalaya,  des  gardénias 
et  des  rhododendrons  ^  le  lilas  de  l'Emode,  des  troènes, 
jasmins^  et  lauriers-roses,  des  cléro Jendrons  ^  et  gatti- 
liers\  se  faisaient  remarquer  par  la  beauté  de  leur 
feuillage,  l'éclat  ou  le  parfum  de  leurs  fleurs  ;  que  de 
non  moins  nombreuses  plantes  herbacées  ou  sous-frutes- 
centes sont  tout  aussi  recherchées,  on  reconnaîtra  que 
les  habitants  de  l'Inde  trouvaient  dans  la  flore  indi- 
gène tout  ce  qui  pouvait  les  charmer,  comme  tout  ce 
qui  était  nécessaire  à  leurs  besoins. 

1.  Pterospermum  acerifolium  Willd.,  Bauhinia  purpurea  et 
variegnta  Roxb. 

2.  Erylhrina  indica  Lam.,    Albizzia  lehbek  et  julibrissin 
Bois,  et  Stereospermum  suaveolens  DC. 

3.  Michelia  champaca    L.   et  exceha  Blume,    Schizandra 
grandiflora  H.  R.,  etc. 

'i.  Lonicera  augustifolia  Wall.,  spinosaJ&cq.j  myriillus  Hf., 
quinquelocularxs  Hardw.,  orientalis  Lam.,  etc. 

5.  Rhododendrum  arboreum  Sm.,  campanulatum  et  Antho- 
pogon  Don.,  lepidotum  WalL 

6.  Jasminum  sambac  Aiton,  arborescens  (latifolxum)  Roxb., 
hirsutum  Willd.,  grandiflorum  L.,  etc. 

7.  Clcrodendron  phlomoïdes  L.,  infortunatum   L.,   inerme 
Gaertn.,  serralum  Spreng.,  siphonantlius  R.  Brown. 

8.  Vitex  negundo  et  trifolia  L. 


230  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 


III 


On  voit  par  ce  qui  précède  quelles  ressources  im- 
menses la  âore  de  Tlnde  offrait  aux  habitants  de  cette 
vaste  région  ;  mais  quelles  populations  les  mirent  à 
profit  et  s'en  servirent  pour  les  divers  usages  de  la 
vie,  depuis  leur  établissement  dans  la  Péninsule  jusqu'à 
Torigine  des  temps  modernes.  On  ignore  comment  fut 
colonisée  l'Inde  antique  ;  tout  ce  que  l'on  peut  dire, 
c'est  qu'au  moment  où  cette  contrée  entra  en  rapport 
avec  les  nations  occidentales,  elle  était  habitée  par 
deux  peuples  d'origine  et  de  racos  différentes*  :  les 
«  immigrants  »,  tribus  au  teint  blanc  et  de  race  cau- 
casique,  au  Nord  ;  les  «  aborigènes  »,  peuplades  dra- 
vidiennes  à  la  peau  noire,  divisées  en  plusieurs 
groupes*  et  répandues  au  sud  des  monts  Vindhya  et 
dans  le  Bengale  ;  do  race  caucasique  peut-être  aussi  ', 
elles  se  distinguaient  par  là  des  tribus  inférieures 
éparses  dans  la  chaîne  des  Vindhya;  mais  les  unes, 
comme  les  autres,  étaient  par  la  religion,  ainsi  que 
par  la  langue,  différentes  des  populations  du  Nord  de 
l'Inde*. 


1.  Lassen,  Indische  Alterthumkundey\o\.  I,  p.  360. 

2.  Vivien  de  Saint-Martin,  Étude  sur  la  géographie  et  les 
populations  primitives  du  Nord- Ouest  de  VInde  diaprés  les 
hymnes  védiques.  Paris,  1860,  in-8,  p.  127-138.  —  Lassen,  op. 
laud.,  vol.  I,  p.  -162.  —  Zimtner,  Altindische^  Leben.  p.  118. 
—  K.  Horatio  Bickerstalfe  Rowney,  The  ivild  tribes  of  India, 
London,  1882,  in-8,  p.  ix. 

3.  Lassen,  op,  laud.,  vol.  I,  p.  409. 

4.  Lassen,  op.  laud.,  vol,  I,  p.  383.  —  Zimmer,  op.  laud,, 
p.  114-115.  —  S.  Lefmann,  Geschichte  des  alten  Indiens,  p.  27. 


LES  HABITANTS  \)\i  l/INDE  231 

D'origine  aryenne  et  étroitement  apparentées  aux 
peuples  de  Tlran,  celles-ci  avaient  pénétré  dans  THin- 
dousian  à  une  époque  relativement  récente,  bien  posté- 
rieure du  moins  à  celle  de  rétablissement  des  tribus 
dravidiennes,  qui  les  avaient  précédées  dans  la  Pénin- 
sule. Après  s'être  séparées  des  autres  peuples  de  la 
famille  indo-européenne,  elles  avaient,  à  une  époque 
antéhistorique,  occupé,  sous  le  nom  commun  d'Aryens, 
les  bassins  supérieurs  de  Tlaxarte  et  de  TOxus  ;  mais 
après  un  séjour  plus  au  moins  prolongé  dans  cette 
région  de  pâturages,  une  scission  eut  lieu  entre  les 
deux  peuples  frères,  et  franchissant  les  défilés  de 
THindoukouch,  les  ancêtres  des  Hindous  pénétrèrent, 
longtemps  avant  l'époque  des  Védas,  dans  la  vallée  de 
Caboul,  et  de  là  dans  le  haut  bassin  de  l'Indus  —  le 
Sindhit,  —  vers  2000  ans  avant  notre  ère.  Puis  après 
avoir  chassé  ou  exterminé  les  tribus  dravidiennes  — 
les  Dasj/m  des  hymnes  védiques*,  —  ils  s'établirent 
dans  la  région  des  sept  rivières  —  les  Sapta  Sindhavas, 
—  le  Pandjab  actuel,  et  dans  la  vallée  moyenne  de 
rindus^  après  de  longs  combats',  dont  les  chants  des 
Rishi  ont  gardé  le  souvenir*. 

Divisés  en  plusieurs  tribus  indépendantes  et  parfois 


1.  Alfred  Ludwig,  Die  Mantralitteratur  und  dos  aile  Indien, 
aïs  lu'nleilung  zur  Uebersetzung  des  Rigveda.  Prag,  1878,  in- 8, 
p.  208  et  suivantes.  —  G.  Oppert,  On  tke  original  inhahitants 
of  Bharatavarsa  or  India.  {The  Madras  Journal  of  Literature 
and  Science,  vol.  VI,  1887-1888,  p.  ^lO). 

2.  nig-Veda,  lib.  H,  12,  i.  —  Max  Duncker.  Geschichte  des 
Allerihums,  vol.  III,  p.  11. 

3.  H.  Zimraer,  Altindiaches  Leben.  p.  lO'i.  —  S.  Lefmann, 
op.  laud.,  p.  31-32. 

4.  Hig-Veda,  A  Indra,  lib.  I,  33,  1-15;  I,  3,  5;  VI,  47,  20- 
21,  etc. 


232  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

hostiles*,  ils  continuèrent  leur  marche  versTEst,  occu- 
pèrent le  bassin  de  la  Yamunâ  —  laDjoumna, — puis 
celui  de  la  Gangd  —  le  Gange,  —  chassant  toujours 
devant  eux  les  populations  indigènes,  dont  les  débris 
furent  rejetés  dans  les  vallées  de  THimalaya  ou  refou- 
lés vers  le  Sud-Est,  au  delà  des  monts  Vindhya*.  A  la 
fin  de  répoque  épique  la  puissance  des  Aryens  s'éten- 
dait sur  tout  le  territoire  compris  depuis  V Himavanl — 
THimalaya  —  jusqu'à  une  ligne  courbe  tracée  au  Nord 
des  monts  Vindhya,  de  Tembouchure  de  la  Vaitarani, 
près  du  cap  Palmyra,  à  TEst,  à  la  pointe  de  la  pres- 
qu'île de  Surâshtra  —  Goudjarate  —  à  TOuest*. 

Tel  fut  TAryâvarta  «  demeure  des  Aryens  »,  com- 
posé des  puissants  royaumes  des  Magadha,  des  Koçala, 
des  Bharata,  desMathila,  des  Kari,  etc.*.  Au  delà  de 
ces  frontières  ne  devaient  guère  s'étendre  les  conquêtes 
ou  les  établissements  militaires  des  Hindous  ;  mais 
leurs  colonies  religieuses  devaient  singulièrement  les 
dépasser.  Celles-ci  pénétrèrent,  à  l'Est,  jusqu'au  delà 
des  bouches  de  la  Gangâ,  au  Nord  dans  les  contre- 
forts de  l'Himalaya  et  en  particulier  dans  le  Cache- 
mire, déjà  occupé  d'ailleurs  à  l'époque  védique  par 
des  tribus  aryennes'^;  enfin  elles  s'avancèrent  au  Sud, 
le  long  des  côtes  du  Dekkan,  jusque  dans  l'île  de 
Ceylan,   dont   la   conversion  au  brahmanisme  a  été 


1.  H.  Zimmer,  op.  laud.,  p.  123-133.  —  S.  Lefmann^  op. 
laud.,  p.  160-166  et  320-325. 

2.  G.  Oppert,  op.  laud.,  p.  51.  —  H.  Zimmer,  op.  laud. y 
p.  107. 

3.  S.  Lefmann,  op.  laud. y  p.  335. 

4.  Max  Duncker,  op.  laud.,  vol.  III,  p.  245. 

5.  Chr.  Lassen,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  515.  —  H.  Zimmer,  op. 
laud.,  p.  102  et  541. 


LES  HABITANTS  DK  L'INDE  233 

chantée  par  Vâlmîki  dans  le  Ràmâyana^  La  civilisa- 
tion aryenne  avait  ainsi  conquis  l'Inde  tout  entier^;  le 
bouddhisme  devait  la  répandre  bien  au  delà  des  fron- 
tières naturelles  de  la  Péninsule  et  multiplier  les  rap- 
ports de  cette  contrée  avec  les  pays  voisins.  Depuis 
longtemps  elle  était  en  relations  politiques  avec 
riran. 

Cyrus  avait  peut-être,  dès  le  vi°  siècle,  soumis  la 
tribu  des  Gandariens,  voisine  de  son  empire.  Darius, 
du  moins,  subjugua  toutes  celles  du  Nord-Ouest,  et  il 
envoya  de  la  ville  de  Caboul  —  Kaspyros  —  des  explo- 
rateurs, qui,  sous  la  conduite  de  Scylax,  descendirent 
rindus,  pénétrèrent  dans  la  mer  Erythrée  et  débar- 
quèrent dans  le  golfe  arabique.  Les  tribus  soumises 
formèrent  une  satrapie  perse,  et  Ton  vit  des  soldats 
hindous  dans  l'armée  que  Xerxès  envoya  contre  la 
Grèce'.  La  conquête  iranienne  avait  mis  en  rapport 
rinde  avec  TAsie  antérieure,  l'expédition  d'Alexandre 
établit  pour  quatre  siècles  des  relations  suivies  entre 
cette  contrée  et  le  monde  hellénique.  Les  pays  qu'il 
avait  subjugués  furent  abandonnés,  il  est  vrai,  par 
Séleucus  à  Candragupta  —  Sandracottos;  —  mais  un 
traité  d'alliance  fut  signé  entre  les  deux  souverains, 
et  une  fille  du  prince  macédonien  épousa  même  le  roi 
hindou  \  Un  siècle  après,  un  successeur  de  Candra- 
gupta, Açoka,  parle  des  négociations  qu'il  avait  euga- 

i.  Max  Duncker,  op.  laud.,  vol.  III,  p.  282-284.  —  S.  Lef- 
mann,  op.  laud.,  p.  548-552. 

2.  Hérodote,  Historiae,  lib.  VIII,  cap.  113.  —  Chr.  Lassen, 
op.  laud. y  vol.  II,  p.  112-114.  —  Max  Duncker,  op.  laud. y 
vol.  ni,  p.  294. 

3.  Chr.  Lassen,  op.  laud.,  vol.  II,  p.  119-120.  —  S.  Lefmann, 
op.  laud. y  p.  744-760.  —  Albert  Grûnwedel,  Buddhistische 
Kunsl  in  Indien.  Berlin,  1900,  in-12,  p.  75. 


234  I.ES  PLANTES  CHEZ  LES  HLNDOUS 

gées  avec  les  rois  des  Javanas  —  les  rois  grecs  de  Sj'rie 
et  d'Egypte.  —  L'établissement  en  Bactriane  d'une 
dynastie  grecque,  dont  la  domination  s'étendit  jusque 
dans  le  bassin  de  l'Indus,  plus  tard  la  fondation  d'une 
monarchie  indo-hellénique  dans  le  Pandjab  même*, 
établirent  d'une  manière  victorieuse  l'influence  de  la 
Grèce  dans  l'Inde;  mais  en  même  temps  celle  de  l'Inde 
se  fit  à  son  tour  sentir  dans  l'Asie  antérieure  hellé- 
nisée; ses  doctrines  religieuses  et  philosophiques  y 
pénétrèrent  avec  la  connaissance  de  son  climat,  de 
sa  faune  et  de  sa  flore.  Toutefois  cette  pénétration  fut 
lente  et  tardive  ;  la  plus  grande  partie  de  l'Inde  môme 
resta  toujours  ignorée  des  Grecs.  «  Il  y  a,  rapporte 
Strabon^  bien  peu  de  Grecs  qui  jusqu'ici  aient  pu 
explorer  rinde,  et  ceux-là  mêmes  qui  l'ont  visitée  n'en 
ont  vu  que  des  parties  et  comme  en  courant,  et  ils 
ont  parlé  de  tout  le  reste  sur  de  simples  ouï-dire.  » 
Lorsque  le  célèbre  géographe  faisait  cette  remarque, 
il  y  avait  à  peine  cin(|  siècles  que  les  premiers  Grecs 
avaient  visité  l'Inde,  et  c'est  depuis  lors  seulement 
qu'on  avait  commencé  à  entrevoir,  dans  l'occident,  ce 
qu'était  cette  contrée  mystérieuse  «  la  plus  peuplée  du 
monde^»,  comme  le  remarquait  Hérodote.  Homère  en 
avait  ignoré  jusqu'à  l'existence.  Ctésias  et  Hérodote 
en  connaissaient  uniquement  ce  que  les  récits  inté- 
ressés ou  mensongers  des  Perses  leur  en  avaient  ré- 
vélé; aussi  leur  apparaissait-elle  comme  un  pays  demi- 
fabuleux  et  aux  merveilleux  produits.  Hérodote  parle 

t.  Lcopold  von  Schroeder,  Indiens  Literatur  und  Cultur  in 
historicher  Entwickelung.  Leipzig,  1887,  in-8,  p.  307.  — 
S.  Lefmann,  op:  laud.,  p.  809. 

2.  Gt'Ofjraptiica^  lltr.  XV,  cap.  1,  2. 

3.  Ilistoriae,  lib.  III,  cap.  94, 


LA  FLORE  DK  L'INDE  D'APRÈS  LES  GRECS  235 

de  ces  arbres  qui  ont  pour  fruits  une  laine  surpassant 
en  beauté  et  en  bonté  celle  des  troupeaux*.  Suivant 
Ctésias,  sur  les  bords  de  Tlndus  croissait  une  espèce 
de  roseau,  si  gros  que  deux  hommes  pouvaient  à  peine 
l'embraser  et  dont  la  tige  atteignait  presque  en  hau- 
teur un  mut  de  vaisseau*.  Les  palmiers  de  Tlnde,  dit- 
il  ailleurs,  donnent  des  fruits,  trois  fois  plus  gros  que 
les  palmiers  de  la  Babylonie.  Il  parle  aussi  d'une 
plante  à  fleurs  rouges  qui  croît  près  des  sources  du 
fleuve  Hyparque  et  fournit  une  pourpre  supérieure  à 
celle  des  Grecs.  11  y  a  dans  les  montagnes  de  la  même 
région,  raconte-t-il  encore,  un  arbre,  le  siptakkoî'a , 
qui  distille  pendant  trente  jours  de  l'ambre,  et  dont 
les  fruits  d'une  saveur  douce  se  mangent  verts  ou 
séchés.  Dans  un  autre  passage  conservé  par  Suidas, 
il  décrit  un  arbre  non  moins  singulier,  le  myro- 
rhodon,  de  la  taille  du  cèdre  ou  du  cyprès,  mais  dont 
les  feuilles  sont  plus  larges  que  celles  du  palmier,  et 
qui  laisse  suinter  de  ses  fleurs  stériles  une  huile  rou- 
geâtre  et  épaisse  d'un  parfum  exquis^. 

On  voit  tout  ce  qu'il  y  a  de  vague  et  d'incertain  dans 
ces  descriptions;  l'inexactitude  et  la  fantaisie  sont 
encore  poussées  plus  loin  dans  celle  du  parebon,  arbre 
cultivé  seulement,  dit  Cfédas^y  dans  les  jardins  royaux. 
«  De  la  grandeur  d'un  olivier,  cet  arbre  ne  portait  ni 


1.  Ilistoriaey  lib.  III,  cap.  106,  3. 

2.  De  rébus  indicis,  frag.  6.  Cf.  Victor  Bail,  On  tlte  identifia 
cation  of  the  Animais  and  Plants  of  îndia,  which  were  known 
to  early  Greek  authors.  (Proceedings  of  the  royal  iris  h  Aca- 
demy,  sér.  2,  vol.  II  (1885),  p.  336).  —  Charles  Joret,  La  Flore 
de  VInde  d'après  les  écrivains  grecs.  Paris,  1901,  in-8,  p.  7. 

3.  De  rébus  indicis,  frag.  13,  19,  21,  22  et  28.  —  La  Flore 
de  Vlnde,  p.  13-18. 

4.  De  rébus  indicis,  fragm.  \S.  La  Flore  de  Vlnde,  p.  10-13, 


236  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

fleurs,  ni  fruits  ;  mais  il  avait  quinze  racines,  d'une 
grosseur  considérable  et  qui  s'enfonçaient  profondé- 
ment dans  la  terre....  Un  morceau  d'une  de  ces  racines, 
de  la  longueur  d'un  ampan,  attirait  à  lui  l'or,  l'argent, 
le  cuivre,  tout,  excepté  Tarabre;  de  la  longueur  d'une 
coudée  il  attirait  les  agneaux  et  les  oiseaux  ;  un  grain 
suffisait  pour  coaguler  l'eau  et  même  le  vin. 

Nous  sortons  ici  du  domaine  de  la  réalité;  nous 
y  rentrons  avec  Néarque,  Onésicrite,  Aristobule  et 
Mégasthène.  Les  trois  premiers  avaient  accompagné 
Alexandre  et  descendu  avec  lui  le  cours  de  l'Indus  ;  le 
quatrième,  envoyé  par  Séleucus  en  ambassade  auprès 
de  Sandracottos,  avait  parcouru  presque  toute  la  val- 
lée du  Gange*;  aussi,  malgré  plus  d'une  inexactitude 
et  un  penchant  trop  fréquent  à  l'exagération,  nous 
ont-ils  laissé  d'inappréciables  renseignements  sur  les 
produits  de  l'Inde.  Ce  qui  les  frappa  avant  tout,  c'est  la 
fécondité  prodigieuse  de  cette  contrée  et  le  caractère 
particulier  de  sa  flore  •  si  diff'érente  de  celle  de  la 
Grèce.  La  terre,  suivant  Mégasthène*,  y  produit  chaque 
année  deux  récoltes.  Érathostène  parle  aussi  des  dou- 
bles semailles  qu'on  faisait  dans  Tlnde  en  hiver  et  en 
été,  et  il  ajoute  que  cette  contrée  est  riche  entre 
toutes  en  arbres  fruitiers  et  en  plantes  à  racines,  sur- 
tout en  roseaux  de  haute  taille  et  d'une  saveur  natu- 
rellement douce.  Arbres,  arbustes,  herbes,  remarque 
Théophraste^  qui  les  a  suivis,  sont  dans  l'Inde,  à  un 
petit  nombre  d'exceptions,  tout  autres  que  dans  la  Grèce. 

1.  Strabon,  Geographica^  lib.  XV.  cap.  1,  36. 

2.  Ap.  Strabon,  Geographica,  lib.  XV,  1  cap.,  20. 

3.  Ilistoria  planlarum,  lib.  IV,  cap.  4,  5.  Théophraste  a  mis 
ausi.i  à  profit  les  observations  faites  par  les  savants  attachés  à 
l'armée  d'Alexandre. 


LA  FLORE  DE  L'INDE  D'APRÈS  LES  GRECS  237 

Onésicrite  vante  la  grosseur  de  certains  arbres  de 
la  Péninsule,  «  dont  cinq  hommes  auraient  peine  à 
embrasser  le  tronc  »,  et,  dans  sa  description  du 
royaume  de  Musican,  il  parle  de  grands  arbres,  dont 
les  branches,  après  avoir  atteint  douze  coudées,  se 
recourbent  jusqu'à  ce  qu'elles  aient  atteint  le  sol,  où 
elles  prennent  racine  pour  repousser  comme  autant  de 
tiges  nouvelles.  Aristobule  raconte  également  avoir  vu 
sur  les  bords  de  TAkésine  de  ces  arbres  aux  branches 
retombantes  et  aux  dimensions  telles  que  cinquante 
cavaliers  pouvaient  se  tenir  à  l'ombre  dessous*.  On 
reconnaît  là  le  figuier  des  Banians  ou  de  l'Inde.  Théo- 
phraste,  dans  son  Histoire  des  Plantes,  en  a  décrit 
aussi  l'immense  coupole  et  les  racines  adventives, 
«  qui  donnent  naissance  à  autant  de  troncs  nouveaux 
et  forment  comme  un  rempart  autour  de  l'arbre,  sous  la 
cime  ombreuse  duquel  les  hommes  viennent  s'abriter 
comme  sous  une  tente  »  ;  mais,  par  une  erreur  singu- 
lière, il  lui  attribue  des  feuilles  de  la  largeur  d'un 
bouclier  ^ 

Aristobule  cite  encore,  parmi  les  végétaux  de  l'Inde, 
un  arbre  qui  porte  des  gousses  de  la  longueur  de  dix 
doigts  et  toutes  pleines  de  miel,  mais  mortelles  pour 
ceux  qui  en  mangent^.  Théophraste  en  a  parlé  égale- 
ment, ainsi  que  d'un  grand  arbre  aux  fruits  gros  et 
savoureux,  dont  se  nourrissaient  les  gymnosophistes. 
11  mentionne  encore,  en  le  distinguant  à  tort  du  précé- 
dent, un  autre  arbre  aux  feuilles  oblongues  de  la  lon- 

1.  Strabon,  Geographica,  lib.  XV,  cap.  1,  21.  Onésicrite  dit 
quatre  cents. 

2.  Hûtoria  plantarum,  lib.    IV,  cap.  4,  4. 

3.  Strabon,  Geographica,  lib.  XV,  cap.  1,  21.  —  La  Flore 
de  l'Inde,  p.  28. 


^ 


238  Les  PLAISTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

gueur  de  deux  coudées  et  semblables  à  des  ailes  d'au- 
truches, de  même  que  deux  espèces  d'ébéniers,  et  il  dit 
que,  dans  plusieurs  provinces,  croissaient  de  nom- 
breux palmiers*.  Néarque  rapporte  que  la  laine  de 
certains  arbres  —  Théophraste  en  a  donné  la  descrip- 
tion —  servait  à  faire  les  tissus  les  plus  fins,  et  il 
remarque  que,  sans  le  secours  des  abeilles,  certains 
roseaux  produisaient  du  miel.  Il  y  avait  aussi,  dit-il, 
dans  rinde',  un  arbre  dont  les  fruits  enivraient. 
Ennn  ces  écrivains,  Onésicrite  en  particulier,  ont 
insisté  sur  le  grand  nombre  de  racines  salutaires  ou 
nuisibles,  de  poisons  et  de  plantes  tinctoriales,  que 

renfermait  cette  contrée.  Suivant  Onésicrite  encore, 
I 

la  partie  méridionale  de  la  Péninsule,  produisait, 
aussi  bien  que  l'Arabie  et  l'Ethiopie,  le  cinnamome, 
le  nard  et  les  autres  parfums'.  Ainsi  peu  à  peu  la 
connaissance  de  la  flore  de  Tlnde  et  de  quelques-uns 
de  ses  produits  les  plus  recherchés  pénétrait  chez  les 
Grecs  ;  voyons  quel  parti  en  avaient  tiré  les  habitants 
de  cette  contrée,  restée  si  longtemps  mystérieuse  et 
ignorée. 

1.  Hhtoria  plantannn,  lib.  IV,  cap.  4,  5,  6,  8. 

2.  Strabon,  Geographica,  lib.  XV,  cap.  1,  20. 

3.  Strabon.  Geograpliica^  lib.  XV,  cap.  1,  22. 


CHAPITRE  SECOND 


LES   PLANTES   DANS   L'aGRICULTURE   ET   DANS 

l'horticulture 


Alors  qu'ils  vivaient  en  commun  avec  leurs  frères  de 
rirau,  les  Arjens  connaissaient  déjà  la  culture  des 
céréales  ;  ils  continuèrent  de  s'y  livrer  après  leur 
entrée  dans  le  bassin  de  Tlndus,  et  ils  lui  donnèrent 
une  extension  plus  grande,  quand  ils  eurent  formé  des 
établissements  durables  dans  la  région  fertile  du 
Pandjab.  D'après  un  poète  védique,  c'étaient  les  Açvins 
eux-mêmes,  ces  divinités  bienfaisantes,  qui  avaient  été 
les  promoteurs,  sinon  les  inventeurs  de  Tagriculture. 
((  En  semant  le  grain  avec  la  charrue,  ô  Açvins  *,  en 
donnant  la  nourriture  aux  hommes,  en  sonnant  du 
bah'ura  —  cor  de  guerre  —  contre  les  Dasyus,  vous 
avez  procuré  au  peuple  des  Aryens  un  grand  bonheur.  » 
Suivant  TAtharva-Véda',  le  labourage  et  l'ensemence- 
ment (des  terres),  remontaient  à  Prithî  Vainya,  fils  de 
Manu  Vaivasvata,  le  père  des  mortels,  et  depuis  lors 
<c  les  hommes  en  vivent  ».  «  Lorsqu'ils  eurent  réussi, 
dit  le  Vishnu  Puràna^,  à  se  mettre  à  l'abri  dans  des 
lieux  surs,  entourés  de  fossés  et  de  palissades,  et 
qu'ils  se  furent  construit  des  habitations  pour  se  dé- 


1.  niff-Veda,  iib.  I,  117,21. 

2.  Lib.  VIII,  10,  2'i. 

3.  Lib.  1,  cap.  6. 


240  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

fendre  du  chaud  et  du  froid,  les  hommes  se  livrèrent 
au  travail  qui  devait  les  faire  vivre,  ils  cultivèrent  les 
céréales  et  divers  légumes.  » 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  récits,  à  l'époque  védique 
déjà  Tagriculture  occupait  une  place  importante  dans 
la  vie  des  anciens  Hindous,  la  première  après  l'élève 
du  bétail*,  n  La  charrue,  dit  un  ancien  poète*,  en 
labourant  donne  la  nourriture  ».  Les  habitants  de 
rinde  le  savaient  bien;  aussi  dès  longtemps  tinrent-ils 
en  honneur  la  culture  des  terres.  La  religion  boud- 
dhique promettait  le  ciel  à  ceux  qui  plantent  des  jar- 
dins et  défrichent  des  forêts  \ 

Mais  il  ne  suffit  pas  de  labourer  le  sol  ;  il  faut,  pour 
qu'il  produise,  que  les  Dieux  protecteurs  de  Tagri- 
culture,  Pushan  et  Savitar  le  bénissent  et  le  protègent, 
et  que  les  eaux  fécondantes  du  ciel,  «  joie  des  champs  », 
les  arrosant  en  temps  opportun,  fassent  germer  et 
pousser  les  moissons.  «  La  pluie  nous  vient  des  Dieux, 
lit-on  dans  le  Mahâbhârata*,  elle  donne  les  plantes 
desquelles  dépend  le  bien-être  des  hommes.  »  De  là 
les  invocations  si  fréquentes  adressées  par  les  anciens 
Hindous  aux  Dieux  des  eaux  et  de  l'orage  ^  Le  pays 
où  ils  s'établiront  tout  d'abord  était  loin  de  recevoir 
une  quantité  d'humidité  toujours  suffisante.  Sous  le 
climat  brûlant  de  l'Inde  la  végétation  exige  des  préci- 
pitations aqueuses  considérables  ;  quand  les  pluies  se 

1.  H.  Zimmer,  op.  laud.,  p.  235. 

2.  Big-Veda,  lib.  X,  117,7. 

3.  P.  MinaïefT,  Recherches  $ur  le  BouddhUme^  trad.  par 
Assier  do  Pompignan.  Paris,  1894,  in-8,  p.  166. 

4.  Adi-Parva,  Distique  1721. 

5.  lUg-Veda,  Aux  Maruts,  lib.  II,  34,  1;  V.  53.  5-6;  57,  5  ; 
58,  3.' A  Mitra- Varuna,  lib.  V,  63,  1-6;  VII,  64,2,  A  Parjanya, 
lib.  VII,  101,5. 


LES  PLANTES  DANS  L'AGRICULTURE  241 

réduisent  à  de  légères  ondées,  la  famine  est  inévitable  ; 
dans  le  Pandjab  elle  est  à  craindre  même,  quand  la 
moyenne  en  est  inférieure  à  1",50*.  Aussi  les  mau- 
vaises récoltes  ny  sont  et  n'y  ont  jamais  été  rares*. 
Pour  les  prévenir  et  fournir  au  sol  la  quantité  d'humi- 
dité nécessaire,  on  eut  recours  de  bonne  heure  à  l'irri- 
gation du  sol  ;  les  Védas  parlent  déjà  de  canaux  creusés 
pour  les  eaux  ^. 

Les  procédés  de  culture  des  Hindous  durent  être 
d'abord  d'une  grande  simplicité;  cependant  ils  connurent 
de  bonne  heure  la  charrue  *  ;  garnie  à  l'origine  d'un 
soc  en  bois  —  elle  est,  dans  certaines  contrées,  restée 
telle  pendant  longtemps,  —  l'Atharva-Véda  la  décrit 
déjà  pourvue  d'un  soc  en  métal.  Elle  était  traînée  par 
une  ou  plusieurs  paires  de  bœufs  ^  Le  chef  de  la  famille 
ou  du  clan  —  sthapati  —  revêtu  de  ses  habits  de  fête, 
après  avoir  fait  une  offrande  aux  Dieux,  traçait  lui- 
même  le  premier  sillon  ^  Des  çudras,  loués  à  cet  eflfet, 
achevaient  de  préparer  avec  le  hoyau  le  sol  retourné 
par  la  charrue;  puis  le  semeur  répandait  le  grain  dans 
le  sein  fécond  de  la  terre.  Cette  opération  si  impor- 
tante était  accompagnée  et  suivie  de  prières  destinées 
à  en  assurer  le  succès  et  à  écarter  les  dangers  qui 
menacent  les  récoltes  '. 
f 

i.  Elisée  Reclus,  op.  laud.,  vol.  VIII,  p.  79. 

2.  Rig-Veda,  lib.  I,  127,  6.  —  Roxburgh,  Flora,  vol.   IH, 
p.  293. 

3.  Big-Veda,  lib.  VII,  49,  2.  —  Atharm-Veda,  lib.  I,  64; 
XIX,  2,  2. 

4.  Lib.  III,  17,  3.  —  Zimmer,  op.  laud,,  p.  236. 

5.  «  This  barley  they  did  plough  with  yokes  of  eight  and 
yokesof  six  ».  Alharvà-Veda,  lib.  VI,  91,  l.Trad.  Bloomfîeld. 

6.  Mânasara  ap.  Ràm  Ràz,  Essag  on  the  architecture  of 
the  IlindiU.  London,  183i,  in-4,  p.  17. 

7.  Atharva-Veda,  lib.  Vf,  50,  79,  142,  etc. 

JoRET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité,         IL  —  16 


242  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Lève,  crois  par  ta  propre  puissance,  6  grain;  que  1  éclair  des 
cieux  ne  te  détruise  pas.  —  Nous  t'invoquons,  bon  grain, 
écoute-nous  ;  élève-toi  jusqu'au  ciel  et  sois  inépuisable  comme 
la  mer. —  Innombrables  sont  ceux  qui  t'attendent,  qu'innom- 
brables soient  tes  gerbes,  innombrables  ceux  qui  t'offriront 
en  sacrifice,  innombrables  ceux  qui  se  nourriront- de  toi. 

Que  la  faveur  des  dieux  réponde  à  notre  prière  ^  et  le  grain 
pourra  mûrir  et  s'offrir  de  lui-même  à  la  faucille. 

Après  la  maturité,  la  moisson  était  coupée,  réunie 
en  gerbes,  portée  sur  Taire  et  battue  —  les  textes  ne 
disent  pas  comment;  —  puis  des  femmes  vannaient  et 
criblaient  le  grain,  «  comme  le  sage  fait  passer  au 
crible  ses  discours  *.  » 

Mais  quelles  céréales  étaient  cultivées  par  les  anciens 
Hindous?  Les  chants  du  Rig-Véda  ne  donnent  à  cet 
égard  que  des  renseignements  bien  incomplets.  Le 
grain  employé  pour  faire  le  pain  portait  le  nom  géné- 
rique de  yava,  qui,  indéterminé  à  l'origine,  ne  servit 
plus  à  la  fin  qu'à  désigner  Torge.  Des  grains  —  dhànà 
—  étaient  aussi  ofi'erts  aux  Dieux,  mais  nous  ignorons 
à  quelle  céréale  ils  appartenaient*.  Quant  au  riz,  qui 
a  occupé  plus  tard  une  si  grande  place  dans  Taliraen- 
tation  des  Aryens  de  l'Inde,  son  nom  vrihi,  no  figure 
pas  dans  les  anciens  Védas  ;  mais  YAtliarva*coï\m.\i 
cette  céréale,  ainsi  que  l'orge,  ces  «  fils  immortels  et 
salutaires  du  ciel  »,  «  nourriture  que  porte  la  terre  », 
condition  première  de  la  respiration  de  l'homme*.  La 
Taittirtyasaï'ahità  distingue  ^  même  trois  espèces  de 
riz,  le  clair,  le  blanc  et  le  sombre,  ce  qui  prouve  une 

t.  RigVeda,  lib.  X,  101,3. 

2.  Hig-Veda.Wh.  X,  72,  2. 

3.  li.  Zimmer,  op.  laud.,  p.  239. 

4.  Lib.  VllI,  7,20;  XII,  1,  'ri;  XI,  'i,  13. 

5.  Lib.  II,  3,  1,  3. 


LES  PLANTES  DANS  L'AGRICULTURE  243 

culture  déjà  ancienne.  Il  est  aussi  question  ailleurs  de 
«  riz  qui  mûrit  vite,  »  offert  à  Savitar,  et  de  «  grand 
riz  »  pour  Indra  \  tandis  que  du  «  riz  sombre  »  était 
présenté  à  Agni.  Zimmer  fait  remarquer  avec  raison 
que  par  le  «  riz  qui  mûrit  vite  »,  il  faut  entendre  pro- 
bablement une  espèce  particulière  «  qui  mûrit  en  soi- 
xante jours*  ».  On  semble  aussi  avoir  donné  à  cette 
variété  le  nom  de  «  riz  rouge  »  ;  on  le  cultivait  sur  un 
sol  humide  ou  arrosé  ;  le  riz  blanc,  au  contraire,  pous- 
sait en  eau  profonde  \  Il  est  fait  mention  encore  d'une 
autre  espèce  de  riz  *,  le  nîvâra,  qui  croissait  à  l'état 
sauvage  et  est  le  type  des  nombreuses  variétés  cul- 
tivées. 

Si  les  contemporains  des  premiers  Védas  ne  con- 
nurent pas  lé  riz,  cela  tient  à  ce  que  la  culture  de  cette 
céréale  si  précieuse  dans  les  pays  où  régnent  les  mous- 
sons, n'avait  pas  encore  pénétré  dans  le  Pandjab  ;  mais 
elle  existait  probablement  depuis  longtemps  dans  la 
région  tropicale  de  l'Est  et  du  Sud,  où  elle  semble  indi- 
gène. Comment  la  pratiquait-on?  Aucun  texte  ne  nous 
renseigne  à  cet  égard.  Ératosthène  nous  apprend  seu- 
lement qu'on  semait  le  riz  pendant  la  saison  des  pluies °; 
aujourd'hui  l'ensemencement  a  lieu  en  juin,  au  moment 
où  elles  commencent  ;  quinze  à  vingt  jours  après,  on 
arrache  les  jeunes  pieds  et  on  les  repique  dans  les 
rizières  qu'on  submerge  jusque  vers  Tépoque  de  la 
maturation.  La  récolte  a  lieu  de  septembre  h,  novembre. 

1 .  Acu  vrihij  mahàvrihi,  krishna  vrihi.  —  Tailliriyasamh  ilà , 
lib.  I,  3;  10,  1. 

2.  «  Shashfika  ».  —  Allindisches  Leben,  p.  239. 

3.  Chr.  Lassen,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  2'i6. 

4.  Vâjasaneyasathhitâ,  lib.  XVHI,  12.  —  Vishnu  Puràna, 
lib.  I,  cap.  7. 

5.  Strabon,  Geographica,  lib.  XV,  cap.  1,  18  (692). 


244  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Quelques  jours  avant  de  la  faire,  on  fait  écouler  Teau 
des  rizières;  puis  quand  les  chaumes  sont  coupés,  on 
laisse  sécher  les  gerbes  et  au  bout  de  8  à  15  jours  on 
procède  au  battage*.  Dans  les  provinces  où  les  pluies 
sont  fréquentes,  le  riz  peut  se  passer  d'irrigation  ;  on 
le  sème  alors  sur  le  sol  fumé  et  retourné,  tout  comme 
Torge  et  le  froment;  les  précipitations  aqueuses  four- 
nissent rhumidité  nécessaire  à  son  développement. 
C'est  ainsi  qu'on  le  cultive  en  particulier  dans  cer- 
taines vallées  de  THimalaya,  jusqu'à  une  hauteur  con- 
sidérable. 

L'orge  a  été  connu  des  tribus  aryennes  bien  plus 
anciennement  que  le  riz  ;  elles  en  pratiquaient  déjà 
la  culture  quand  elles  pénétrèrent  dans  cette  contrée; 
elle  portait  le  nom  de  «  divine  »  —  divya,  —  Il  en 
existait  une  variété  particulière  appelée  upavâka  ou 
Indrayava  «  grain  d'Indra'  »  ;  mais  on  ignore  ce 
qu'elle  pouvait  être.  L'orge  à  six  rangs  ou  escourgeon 
est  la  seule  espèce  qui,  d'après  Roxburgh^  soit  de 
nos  jours  cultivée  dans  l'Hindoustan  ;  on  peut  croire 
qu'il  en  était  à  plus  forte  raison  de  même  dans  Tanti- 
quilé.  Le  froment  est  maintenant  bien  plus  répandu 
que  l'orge  dans  l'Inde  occidentale  ;  il  n'en  était  pas 
ainsi  avant  notre  ère;  il  n'est  point  question  de  cette 
céréale  dans  les  Védas,  et  la  Vâjasaneyasaùihitd  est 
le  premier  ouvrage  qui  en  fasse  mention  sous  le  nom 

1.  Drury,  Use  fui  Plants,  p.  322-323.  —  Watt,  Dictionary, 
vol.  V,  p.  584,  604  et  609.  Quelquefois  le  riz  est  semé  en  jan- 
vier et  la  récolte  se  fait  alors  en  mai. 

2.  H.  Zimmer,  op.  laud.,  p.  240. 

3.  Flora  indica,  vol.  I,  p.  358.  Toutefois  J.-D.  Hooker,  The 
Flora,  vol.  VIII,  p.  371-372,  indique  aussi,  d'après  Stocks, 
Vl/ordeum  dialichan  et  la  variété  aerjiceraa  comme  cultivées, 
le  premier  à  Quetta,  la  seconde  dans  i*Himalaya. 


LES  PLANTES  DANS  L»AGRICUI,TURE  245 

de  godhûma  *.  Mais  peu  à  peu  le  froment  a  fini  par  se 
répandre  dans  Tlnde,  surtout  dans  les  provinces  de 
rOuest,  où  Tirrigation  est  difficile  ou  impossible.  Il 
était  à  l'origine  considéré  comme  la  nourriture  des 
Barbares  *  —  mlêcchaça^  —  ce  qui  prouve  son  impor- 
tation de  l'étranger.  L'orge  et  le  froment  se  sèment 
après  la  saison  des  pluies,  vers  le  mois  d'octobre,  — 
Eratosthène  dit  en  hiver,  —  et  on  les  récolte  en  avril 
et  en  mai  '. 

Il  est  probable  que  le  millet  ordinaire*  —  anu —  fut 
cultivé  dans  l'Inde  aussi  anciennement,  sinon  plus  an- 
ciennement, que  le  froment;  on  le  trouve  pas  toutefois 
plus  que  lui  mentionné  dans  les  Védas^  et  il  n'en  est 
d'abord  question  que  dans  la  Vàjasaneyasainhità  \ 
Ce  recueil  mentionne  aussi,  de  même  que  la  TaittiHya- 
sarhhitd^j  le  millet  à  grappes  ou  panic  d'Italie'  — 
priyamgu  ou  kahgxi  —  et  le  millet  ou  panic  fro- 
mental  —  çyâmdka^.  —  La  culture  de  ces  céréales 
dut  donc  exister  de  bonne  heure  dans  l'Inde.  Elle  est 


1.  Lib.  XVIH,  12;  XiX>  22,  89;  XXI,  29.  Cf.  Zimmer,  op. 
laud.y  p.  241. 

2.  Chr.  Lassen,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  247,  note  2. 

3.  Strabon,  Geographica,  lib.  XV,  cap.  1,  13. 

4.  Panicum  miliaceum  ou  miliare,  que  Hooker,  vol.  Vil, 
p.  46,  donne  comme  une  seule  espèce,  tandis  que  Roxburgh  en 
fait  deux  espèces  différentes,  Flora  indicOy  vol.  I,  p.  309-310. 
Watt,  qui  les  distingue  également,  dit  que  la  seconde,  à  grains 
plus  petits,  est  surtout  cultivée  dans  les  sols  pauvres  de  l'Inde 
méridionale  et  centrale,  et  il  attribue  au  P.  miliaceum  le  nom 
hindoui  chenay  au  P.  miliare  celui  de  kungu. 

5.  Lib.  XVIII,  12.  Cf.  The sacred Laws  ofthe  ^rya«,translated 
by  Georg  Bûhler.  Oxford,  1879,  in-8,p.  263.  Le  Vishnu  Puràna, 
lib.  I,  cap.  7,  en  fait  aussi  mention. 

6.  Lib.  IL  2. 

7.  Panicum  italicum  L.  ou  Setaria  ilalica  Beauv. 

8.  Panicum  L.  ou  Paspalum  Roxb.  frumentaceum. 


246  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

surtout  pratiquée  de  nos  jours  dans  les  contrées  dont 
le  sol  est  riche,  tout  en  étant  sec  et  léger.  On  a  dû 
aussi,  dès  une  époque  reculée,  car  on  ne  les  trouve 
plus  à  Tétat  sauvage,  cultiver,  dans  les  terres  médiocres 
ou  légères  du  Nord-Ouest  et  du  centre,  \ekoràdus/ia  ou 
kodrava^,  et,  dans  presque  toutes  les  provinces  de 
rinde  ancienne»  le  panic  en  épi^  Ces  millets,  dont  il 
existe  plusieurs  variétés,  se  sèment  presque  tous  au 
moment  de  la  saison  des  pluies,  en  juin  ou  juillet,  et 
se  récoltent  en  septembre  ou  octobre  ;  Yanu  cependant 
fait  exception  ;  on  le  sème  en  mars  et  on  le  récolte  dès 
la  fin  de  mai^ 

On  a  probablement  aussi  cultivé  dès  longtemps  dans 
rinde  le  coracan  *  —  7*âjika.  —  11  en  existe  plusieurs 
variétés  ;  Tune  d'elles  que  la  flore  de  Hooker  identifie 
avec  le  type,  mais  dont  Roxburgh  faisait  une  espèce 
particulière  —  Eleusine  stricta,  —  est  répandue  dans 
rinde  entière  et  est  remarquable  par  son  extrême  fé- 
condité; une  de  ses  sous-variétés  rend  jusqu'à  cinq 
cents  pour  un  dans  un  sol  riche  et  dans  les  bonnes 
années.  Roxburgh  rapporte  '  que  deux  pieds  de  cette 
dernière,  qui  avaient  poussé  par  hasard  dans  son  jar- 
din, lui  donnèrent  81  000  grains.  Ernst  Meyer  a  sup- 
posé que  le  bosmoron,  «  ce  grain  plus  petit  que  le  fro- 


1.  Paspalum  scrobiculatum  L.,  hind.  koda.  Le  mot  kodrava 
désigne  surtout  une  variété  malsaine. 

2.  Panicum  spicalum  Roxb.,  IIolcus  spicatus  L.,  Peiiicellaria 
spicala  Willd.  ou  Pennisetum  typhoideum  Rich.,  hind.  hajra. 

3.  Roxburgh,   Flora,  vol.  I,  p.   278,   284  et  302.  —  Watt, 
Dictionary,  vol.  VI,  1,  p.  9,  13,  112  et  127;  vol.  VI,  2,  p.  547. 

4.  Eleusine  coracana.  Gaertner,  Cynosurus  coracanus  L. 

5.  Flora  indica,  vol.  I,  p.  344.  —  Drury,   Use  fui  Plants  ^ 
p.  193. 


r 


LES  PLANTES  DANS  L'AGKICILTURE  247 

ment  »,  mentionné  par  Strabon,  d'après  Ératostliène 
et  Onésicrite*,  était  peut-être  le  coracan. 

L'absence  de  nom  sanscrit  pour  le  sorgho  commun  ^ 
ne  permet  guère  de  penser  que  la  culture  de  cette  cé- 
réale dans  rinde  remonte  à  un  passé  très  reculé. 
Toutefois  si  Ton  admet,  avec  Watt,  que  le  sorgho 
d'Alep^y  est  indigène,  on  peut  croire  aussi  que  cette 
céréale  a  dû  y  être  cultivée  plus  anciennement  qu'on 
ne  l'a  dit.  De  Candolle  n'était  pas  éloigné  de  penser 
que  le  inilium,  dont  parle  Pline  *,  comme  intro- 
duit de  son  temps  de  l'Inde  en  Italie,  était  une  espèce 
de  sorgho.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  hypothèse,  il 
est  vraisemblable,  comme  le  croit  Watt,  que  quelques 
variétés  de  sorgho  ont  pris  naissance  dans  l'Inde,  et 
sont,  depuis  un  temps  immémorial,  cultivées  dans  les 
régions  froides  et  élevées  où  le  riz  ne  peut  réussir. 
Depuis  une  époque  reculée  aussi  sans  doute  diverses  for- 
mes de  Coix  lacryma  ont  été  cultivées  dans  le  district 
de  Khasia,  où  cette  grarainée  paraît  indigène  ;  l'ama- 
rante fromentale  l'était,  pour  ses  graines  comestibles, 
par  les  tribus  indigènes,  quand  le  D'  Buchanan  l'a 
découverte  dans  le  Dekkan  ^. 

Outre  les  céréales,  les  Hindous  ont  dès  longtemps 

1.  Geographica,  11  b.  XV,  cap.  1,  13  (690).  —  Botanische 
Erlàulerungen,  p.  64. 

2.  flolcus  sorghum  L.,  Andropogon  sorghiim  Roxb.,  Sorghum 
vulgare  Pers. 

3.  Sorghum  haie  pense  Pers.,  Holcus  haiepensis  L.,  Andro- 
pogon sorghum,  var.  halepensis  Hack.  G.  Watt,  Dictionary , 
vol.  VI,  3,  p.  281-292. 

4.  «  Milium  intra  hos  decem  annos  ex  India  iii  Italiam 
invectum  est».  Lib.  XVIII,  cap.  7.  —  A.  de  Candojle,  Vori 
gine,  p.  305. 

5.  Roxburgh,  Flora  indica,  vol.  III,  p.  568  et  609.  —  Watt, 
Dicliotmry,  vol.  I,  p.  24  et  II,  496. 


2i8  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

cultivé  un  certain  nombre  de  légumineuses  indigènes 
dans  leur  pays.  Il  est  fait  mention  dans  TAtharva- 
Véda  et  la  Taittirîyasamhitâ  du  màsha  —  Phaseolus 
radtatus\  — haricot  aux  graines  petites  et  noirâtres, 
tachetées  de  gris.  Un  autre  recueil  contemporain^ 
parle  du  mudga  —  Phaseolus  mungo,  —  espèce  du 
même  genre,  à  peine  différente  du  màsha  \  On  a  dû 
aussi  cultiver  dès  longtemps  dans  l'Inde,  comme  on  le 
faitaujourd'hui,  lesharicots  à  feuilles  d'aconit,  à  éperon, 
multiflore  et  trilobé  *  ;  mais  on  ignore  à  quelle  époque 
en  remonte  la  culture.  La  mention  du  cajan*^  —  âdkaki 
.  —  et  du  Dolichos  biflorus  — kulattha —  dans  les  Purà- 
nas*,  les  noms  sanscrits  qu'ils  portent,  ainsi  que  le 
catiang  —  sitamâsha  —  et  le  lablab  —  rimbi\  — 
ne  laissent  pas  de  doute  sur  l'ancienneté  de  cette  cul- 
ture. Non  moins  ancienne  peut-être  est  celle  de  la  Ca- 
navalia  ensifor?nis^.  Le  cajan,  le  kulattha,  le  catiang 
et  le  lablab  possèdent  de  nombreuses  variétés  ^  répan- 
dues dans  la  plupart  des  provinces  de  l'Inde.  Il  en  est 
de  même  du  markatV^y  autre  légumineuse  remarquable 

1.  A.  F.,  lib.  XII,  cap.  2,  53.  —  T.  5.,  5,  1. 

2.  Vâjasaneyasathhitâ,  18,  12. 

3.  Hooker,  The  Flora,  vol.  II,  p.  203,  considère  le  Phaseolus 
radiatus  Roxb.  comme  une  simple  variété  du  P.  mungo. 

4.  Phaseolus  aconilifolius  Jacq.,  calcaratus  Roxb.,  multiflo- 
rus  Willd.  et  trilobus  Ait.  —  G.  Walt,  Dictionafy,  vol.  VI,  1, 
p.  192-194. 

5.  Cytisus  cajan  L.,  Cajanus  indicus  SprengeL 

6.  Vishnu  Puràna^  translated  by  Wilson,  lib.  I,  cap.  6.  (Wil- 
son's  Complète  Works ,  vol.  V,  p.  95). 

7.  Vtgna  EndL,  Dolichos  L.  catjang,  Dolichos  lablab  L. 

8.  Canavalia  gladialaUc,  Dolichos  ensiformis  L.,  gladia- 
lus  Willd.  —  G.  Watt,  vol.  II,  p.  97  et  673. 

9.  Roxbiirgh,  Flora,  vol.  III,  p.  304,  305,  313  et  326. 

10.  Mucunaprurita,  var. iitilis,  capitataeX  monosperma  DC.  — 
Carpogon  prurienSy  capitatvm,  ni veum  eimonospermum  Koxb, 


LES  PLANTES  DANS  L'AGRICULTURE  249 

par  ses  grandes  fleurs  pourpres  et  par  ses  gousses  re- 
courbées en  S  et  couvertes  de  poils  rudes  et  piquants. 
La  plupart  de  ces  plantes  sont  des  cultures  d'été  ;  on 
les  sème  en  même  temps  que  les  diverses  espèces  de" 
millet,  et  avec  elles  ou  au  bord  des  rizières  ;  les  graines 
mûrissent  pendant  l'automne,  en  octobre  ou  novembre. 
Les  légumineuses  dont  je  viens  de  parler  sont  toutes 
originaires  de  Tlnde  ;  il  n'en  est  pas  de  même  du  pois 
chiche  —  Cicer  arietinum,  — qui  y  est  également  cul- 
tivé pendant  la  saison  froide.  Le  nom  sanscrit  canaka 
de  cette  plante,  ainsi  que  la  mention  qui  en  est  faite 
dans  les  Puninas,  montrent  qu'elle  a  dû  être  importée 
à  une  époque  reculée  dans  la  péninsule  hindoustanique. 
Elle  est  très  répandue  dans  les  provinces  septentrio- 
nales ;  il  en  est  de  même  des  lentilles,  qu'on  n'y  trouvait 
pas  du  temps  d'Alexandre,  sil'on  en  croit  Théophraste  \ 
mais  qui  doivent  y  être  cultivées  depuis  longtemps, 
comme  le  prouvent  leur  nom  sanscrit  mastha  et  la 
mention  qu'en  fait  le  Vishnit  Purâna  '.  Il  est  probable 
qu'on  cultive  aussi  dans  l'Inde  septentrionale,  depuis 
une  époque  reculée,  les  petits  pois  —  Pisum  satïvum, 
dont  l'origine  est  incertaine  ;  et  si  l'on  admet  que  les 
pois  des  champs  sont  indigènes  dans  cette  contrée, 
comme  Royle  l'a  supposé  ',  on  en  conclura  qu'ils  sont 
aussi  sans  doute  cultivés  de  temps  immémorial  ;  tou- 
tefois aucun  texte  ancien  n'en  fait  mention. 


1.  Ilistoria  plantarum,  lib.  IV,  cap.  4,  9. 

2.  Hooker,  The  Flora,  vol.  II,  p.  176,  179  et  181.  -—  Rox- 
burgh,  Flora,  vol.  III,  p.  321,  323et324,  ditquelepois  chiche 
est  cultivé  dans  l'Inde  entière,  la  lentille  dans  le  Bengale  et 
les  provinces  voisines,  et  qu'une  variété  de  fève  à  graines  noi- 
râtres est  semée  dans  le  Népal.  Le  type  Test  aussi  dans  le 
Cachemire  et  la  région  du  Nord-Ouest. 

3.  G.  Watt,  Dictionanj,  vol.  VI,  1,  p.  277. 


250  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Nous  sommes  mieux  reaseignés  au  sujet  des  cucur- 
bitacées.  Il  est  question  dans  l'Atharva-Véda  de  ïur- 
varû  et  de  son  fruit  urvarûka,  mot  que  H.  Zimmer  a 
traduit  par  kurbiss\  Il  s'agit  évidemment  de  la  gourde 
ou  calebasse*  —  alàbu  —  cultivée  de  nos  jours  comme 
autrefois  dans  Tlnde,  où  elle  parait  indigène  ;  une  tra- 
dition rapportée  par  Athénée  *  la  faisait  venir  de  ce  pays 
dans  rOccident.  Quant  aux  autres  espèces  du  genre 
Cnctirbitay  d'origine  probablement  américaine*,  leur 
culture  dans  Tlnde,  quelque  répandue  qu'elle  y  soit 
aujourd'hui,  y  est  relativement  récente  et  ne  doit  pas 
dès  lors  nous  occuper.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  la 
plupart  des  diverses  espèces  de  Cucumis,  de  Citnillus, 
de  Liiffa  et  de  Momordica,  qu'on  y  rencontre. 

Le  genre  Cucumis  est  représenté  dans  l'Inde  par 
plusieurs  espèces  comestibles,  réunies,  dans  la  flore  de 
Hooker,  sous  les  noms  de  Cucumis  trigonus  %  —  lequel 
n'existe  qu'à  l'état  sauvage,  —  Cucumis  m,elo,  le 
melon,  et  Cucumis  sativus,  le  concombre.  On  ne 
connaît  ce  dernier  qu'à  l'état  cultivé;  mais  le  Cucu- 
mis Hardivickii ,  recueilli  par  Royle  au  pied  de  l'Hi- 
malaya, du  Koumaon  au  Sikkim  *,  paraît  être  le  type 


1.  AUindisches  Leben,  p.  242. 

2.  CucurbUa  lagenariaL.,  Lagenaria  vulgdris  Seringe. 

3.  Deipnosophistae,  lib.  Il,  cap.  53. 

4.  Wittmack,  Berichte  der  deulschen  boianUchen  Gesell- 
srhaft,  voL  IV  (1886),  p.  xxxiv.  Il  faut  dire  toutefois  que  A.  de 
Candolle,  Origine  y  p.  202,  a  supposé  la  Cucurbita  maxima 
—  le  potiron  —  «  originaire  de  l'ancien  monde  ». 

5.  Le  Cucumis  trigonus  de  Hooker  comprend  les  Cucumis 
mnderaspanuSj  pubescenSy  turbinatus  et  trigonus  de  Roxburgh, 
Flora,  vol.  III,  p.  721-723.  —  The  Flora,  vol.  H,  p.  619. 

6.  Illustrations  of  the  botany  of  I/imalayan  Plants^  p.  220, 
pi.  XLVII.  J.-D,  Hooker,  Botanical  Magazine,  tab.  6206,  dit 
que  les  fleurs  et  les  feuilles  des  deux  plantes  sont  presque 


LES  PLANTES  DANS  L'AClUCrLTURE  251 

d'où  il  est  sorti  ;  on  peut  donc  le  regarder  comme  indi- 
gène dans  THindoustan;  c'est  dans  cette  contrée  qu'il 
a  dû  d'abord  être  cultivé,  et  comme  le  fait  supposer 
son  nom  sanscrit  sukhdça,  dès  une  éqoque  reculée. 
C'est  de  cette  contrée  aussi  qu'il  a  pénétré  dans  l'Asie 
antérieure  et  de  là  dans  la  Grèce  et  l'Italie  *.  Il  était 
déjà  connu  de  Théophraste  *.  J.D.  Hooker  a  découvert 
dans  le  Sikkim  une  espèce  comestible  de  concombre  à 
longs  et  gros  fruits,  le  Cucumis  sikkimensis^,  Rox- 
burgh  a  décrit  aussi  une  espèce  voisine*,  le  Cucumis 
utilissimus  —  karkatt,  —  qui,  d'après  lui,  serait  indi- 
gène dans  les  stations  élevées,  tout  en  étant  parfois 
cultivé.  La  Flore  de  l'Inde  a  réuni  cette  forme  au 
Cucumis  melo^.  Celui-ci  ne  se  rencontre  qu'à  l'état 
cultivé  ;  mais  Clarke  le  regarde  comme  dérivé  du 
Cucumis  trigonus,  indigène  dans  les  terres  hautes  de 
THindoustan.  C'est  dans  cette  région  qu'il  a  d'abord 
été  cultivé,  et  c'est  de  là  également  qu'il  a  été  importé 
dans  l'Iran  et  l'Asie  occidentale  tout  entière  ;  mais 
on  ignore  à  quelle  époque. 

Trouvée  à  l'état  sauvage  dans  les  sables  de  la  côte 
de  Coromandel,  la   coloquinte*  —  vtçâld,   suvarna, 

identiques,  mais  les  fruits  du  C.  Hardxoickii  sont  petits,  lisses, 
et  amers. 

1.  C'est  de  là  également  qu'il  a  été  importé  en  Chine  au 
second  siècle  avant  notre  ère.  Breitschneider,  Botanicon  sîni' 
cunty  vol.  I,  p.  197.  (Journal  of  China  Branch  of  the  Royal 
Asiatic  Society,  vol.  XXV,  1892). 

2.  Hisloria  plantarum,  lib.  VII,  cap.  4,  6. 

3.  Botanical  Magazine,  tab.  6206. 

4.  Flora  indica,  vol.  III,  p.  721. 

5.  The  Flora  ofBrUish  India,  vol.  II,  619-620.  Clarke  rattache 
aussi  au  Cucumis  melo  les  C.  chala  WalL,  flexuosus,  L.,  etc. 

6.  Cilrullus  ou  Cucumis  colocynthis.  Roxburgh,  Flora, 
vol.  III,  p.  720. 


252  LRS  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

indravàrunikâ  —  a  dii  être  cultivée  de  bonne  heure 
dans  rinde  ;  c'est  là  d'ailleurs  tout  ce  qu'on  en  peut 
dir'e.  Originaire  de  l'Afrique,  la  pastèque  —  Citmllus 
vulgaris  —  a  été  aussi  d'abord  cultivée  dans  cette  ré- 
gion* ;  de  là  elle  a  pénétré  de  bonne  heure  dans  les 
pays  sémitiques,  puis  dans  Tlran  tout  entier  et  enfin 
dans  l'Inde  ;  mais  rien  n'est  venu  nous  renseigner  sur 
la  date  de  cette  importation  ;  peut-être  a-t-elle  eu  lieu 
à  l'époque  où  une  dynastie  grecque  régna  sur  le 
Pandjab. 

Si  les  luffa  cylindrique  et  anguleux  sont  cultivés 
dans  rinde  presque  entière,  on  les  y  trouve  également, 
ainsi  que  plusieurs  formes  qui  s'en  rapprochent*,  à 
l'état  sauvage  ;  on  peut  donc  les  regarder  comme  in- 
digènes dans  la  péninsule  gangétique  et  leur  grand 
nombre  de  variétés  doit  faire  supposer,  bien  que 
de  Candolle  ait  admis  le  contraire,  qu'ils  y  sont 
cultivés  depuis  une  époque  reculée,  ha.  Momordica 
charaniia  et  muricata,  simples  formes  d'un  type  com- 
mun, sont  aussi  sans  doute  originaires  de  l'Inde,  bien 
qu'on  ne  les  y  rencontre  plus  à  l'état  spontané,  et  le 
nom  sanscrit  sushavi  attribué  à  l'une  d'elles'  permet 
de  croire  que  leur  culture  y  est  ancienne. 

La  Flora  indira  ne  mentionne  pas  non  plus  à  l'état 
sauvage,  les  Trichosantes  anguina  et  dioïca\  on  ne 
doit  pas  moins  regarder  comme  indigènes  dans  l'Inde 


1.  A.  de  Candolle,  L'origine^  p.  209.  —  Les  Plantes  dans 
Vanliquitô,  voL  I,  p.  59. 

2.  Par  exemple  les  Luffa  amara,  clavata,  penlandra, 
racemosa,  etc.  Roxburgh.  Flora,  vol.  III,  p.  712-715.  —  Hooker, 
The  Flora,  vol.  II,  p.  614. 

S.  A  la  Aïomordica  muricata  Willd.  par  Roxburgh,  III,  708  ; 
à  la  M.  charaniia  par  le  Dictionnaire  de  Saint-Pétersbourg. 


LES  PLANTES  DANS  L'AGRICULTURE  253 

ces  cucurbitacées  «  au  fruit  allongé  comme  une  gousse 
charnue  de  légumineuse  »  ;  le  nom  sanscrit  knlaka, 
donné  à  la  seconde,  montre  qu'elle  y  est  cultivée  et 
depuis  un  temps  assez  long.  Il  est  probable  qu'on  a 
aussi  dès  longtemps  cultivé  dans  Tlnde  le  bénincasa*; 
mais  y  est-il  indigène?  Il  n'y  croît  pas  à  Tétat  sauvage, 
tandis  qu'on  a  rencontré  spontanées  au  Japon  et  à 
Java  des  cucurbitacées  qui  ne  paraissent  pas  en  diffé- 
rer ^  C'est  du  Japon  aussi  que  de  Candolle  inclinerait 
à  faire  venir  le  bénincasa';  dans  ce  cas  sa  culture  en 

Hindous  tan  ne   saurait  remonter    bien    loin   dans   le 

< 

passé  ;  mais  la  question  de  son  origine  est  loin  d'être 
tranchée. 

Malgré  les  différences  spécifiques  qui  la  distinguent 
des  cucurbitacées,  on  peut  placer  ici  l'aubergine  — 
Solanwn  melongena^  —  dont  la  culture,  à  en  juger 
par  le  grand  nombre  de  ses  noms  sanscrits  et  indi- 
gènes* a  dû  être  très  ancienne  dans  l'Inde.  Cette 
plante  n'y  existe  plus  à  l'état  sauvage  ;  mais  dans  la 
province  de  Madras  croissent  spontanément  les  Sola- 
num  inmnum  Roxb.  et  incanum  L.,  considérés 
comme  le  type  d'où  elle  est  sortie  \  On  connaît  deux 
variétés  d'aubergine  cultivée  ;  dans  Tune,  la  tige,  les 
feuilles  et  le  calice  sont  armés  d'aiguillons  ;  dans  l'au- 
tre ils  en  sont  dépourvus  ou  à  peu  près  ;  les  fruits  de 

1.  Benincasa  hispida  Thunberg,  cerifera  Savi. 

2.  Cucurbila  hispida  Thunberg,  Lagenaria  dasystemon 
Miquel,  Cucurbita  litloralis  licasskarl  et  Gymnopetaium  sep- 
temlobum  Miquel. 

3.  L'origine  des  Plantes  cultivées ^  p.  214. 

4.  Sansc.  bhan^Ahi,  vârttàka,  vangana,  hind.  bangan. 

5.  A.  de  Candolle,  op.  laud.,  p.  229.  —  Hooker,  The  Flora, 
vol.  IV,  p.  235^  réunit  les  trois  espèces  sous  le  nom  de  melon- 
gêna. 


204  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

ces  variétés  sont  d'ailleurs  plus  ou  moins  ovoïdes  ou 
globulaires  et  plus  ou  moins  blancs  ou  lavés  de 
violet*. 

Les  cucurbitacées  et  l'aubergine  sont  cultivées  pour 
leurs  fruits  ;  les  légumes  proprement  dits  le  sont  pour 
leurs  racines,  leurs  feuilles  ou  leurs  tiges  comestibles. 
Parmi  ceux  de  la  première  classe,  il  faut  citer  avant 
tout  la  colocase*  —  kacu,  —  aroïdée  aux  feuilles 
peltées  et  ovales  ;  Roxburgh  en  distingue  trois  variétés 
sauvages,  outre  la  colocase  à  feuille  de  nymphéa, 
dont  il  fait  une  espèce  douteuse  —  le  sar-kacu^  —  et 
deux  variétés  cultivées  aux  gros  tubercules  comes- 
tibles'. Autant  que  la  colocase,  sinon  plus,  sont  cul- 
tivés le  gouet  de  l'Inde  et  le  gouet  campanule*,  le  pre- 
mier —  man-kacu  —  aux  feuilles  cordiformes  et 
arrondies,  aux  racines  fibreuses,  terminées  par  de 
petits  tubercules  ;  le  second  —  kunda  ou  kidla  — 
acaule,  aux  feuilles  composées,  bi  ou  trifides,  aux 
énormes  tubercules  vivaces. 

Comme  les  aroïdées,  on  cultive  aussi  pour  ses  rhi- 
zomes comestibles  une  autre  plante  aquatique,  mais 
d'une  famille  toute  différente,  le  nélumbo  ou  lotus 
rouge  ^  —  padma,  —  seulement  on  le  reproduit,  non  à 


1.  Drury,  op.  laud..  p.  398.  —  Watt,  VI,  3,  p.  359,  ainsi  que 
Hooker,  disent  que,  échappée  des  cultures,  Taubergine  devient 
épineuse. 

2.  Arum  Co/oca«ia  VVilld.,  Coloca»ia  antiquorum  Schott. 

3.  Flora^  vol.  III,  p.  495.  Watt,  Diclionary ,  vol.   II,  p.  510. 

4.  Arummdicum  Uoxb.,  Alocasia  indica  Schott.  —  Arum 
campanulalum  Roxb.,  Amorphophallus  campanulatus  Blume. 
Roxburgh,  Flora,  vol.  III,  p.  498  et  510.  —  Watt,  Dictionary, 
vol.  I,  p.  179  et  226. 

5.  Nelumhium  speciosum  Willd.,  Nymphaea  Nelumbo  L.  — 
Watt,  Diclionary,  vol.  V,  p.  344. 


LES  PLANTES  DANS  L'AGRICULTURE  2ô5 

Taide  des  tubercules,  mais  des  graines.  Après  avoir 
entouré  celles-ci  de  terre  glaise,  on  les  laisse  tomber 
au  fond  de  Teau.  Elles  ne  tardent  pas  à  germer  et 
s'attachent  au  sol  par  leurs  racines.  Les  anciens 
Égyptiens,  nous  Tavons  vu,  avaient  recours  au  même 
procédé*. 

On  ignore  à  quelle  époque  remonte  la  culture  des 
ignames  —  ang.  ijam,  hind.  alu^ —  très  répandue  de 
nos  jours  dans  Tlnde,  à  cause  de  Texcellente  fécule 
que  renferment  leurs  rhizomes  charnus  ;  Roxburgh 
en  indique  plusieurs  espèces^,  qui,  preuve  vraisem- 
blable d'une  culture  déjà  ancienne,  n'existent  plus  à 
Tétat  sauvage  et  pourraient  bien  n'être  que  des 
variétés  d'un  môme  type,  comme  il  semble  l'admettre 
lui-même  ;  mais  il  ignorait  et  on  ignore  encore  quel 
est  ce  type.  Toutes  ces  ignames  ont  leurs  racines 
fibreuses  et  garnies  de  tubercules,  qui  servent  à  leur 
reproduction,  les  tiges  herbacées  et  grimpantes,  les 
feuilles  cordiformes  et  longuement  pétiolées,  les  fleurs 
dioïques  et  parfois  odorantes. 

A  ces  légumes  à  racines  comestibles,  il  faut  ajouter 
la  carotte,  indigène  dans  le  Cachemire  et  l'Himalaya 
occidental,  et  cultivée  dès  longtemps  dans  Tlnde 
entière,  ainsi  que  le  radis  —  Raphanus  sativus  —  et 
la  rave  —  Brassica  râpa,  —  qui,  importés,  il  semble,  de 

1.  Drury,  The  use  fui  Plants,  p.  310.  —  Les  Plantes  dans 
V antiquité,  vol.  I,  p.  169. 

2.  Dioscorea  alata  L.,  fasciculata,  globosa,  purpurea, 
rubetla  Hoxb.  Flora  indica,  vol.  III,  p.  797-799  et  801.  —  The 
Flora  of  India,  vol.  VI,  p.  '296.  —  Drury,  op,  laud.,  p.  183.  — 
A.  de  CandoHo,  op.  laud,,  p.  6'f.  La  variété  pourprée  porte  à 
Pondichéry  le  nom  de  «  pomme  de  terre  sucrée  ». 

3.  Hooker,  The  Flora,  vol.  II,  p.  718.  —  Watt,  Dictionary, 
vol.  III,  p.  44. 


256  LES  PLANTKS  CHEZ  LES  HINDOUS 

la  Perse  depuis  une  époque  reculée,  —  le  nom  sanscrit 
mûlaka  de  la  rave  en  est  la  preuve,  —  sont  cultivés 
pendant  la  saison  sèche,  dans  la  plupart  des  provinces 
de  rinde*. 

Bien  que  la  flore  indigène  leur  offrît  une  grande 
quantité  d'espèces  végétales,  dont  les  feuilles  ou  les 
tiges  sont  comestibles,  les  anciens  Hindous  en  culti- 
vaient plusieurs  dans  leurs  jardins.  De  ce  nombre  ont 
été,  mais  probablement  assez  tard,  le  cresson  alénois 
—  Lepidium  sativum  —  etl'épinard —  Spinacia  oie- 
raceUy —  originaires  l'un  et  Tautrede  l'Asie  antérieure, 
ainsi  que  la  bette  du  Bengale  —  Beta  bengalensis,  — 
plante  indigène  dans  l'Inde,  comme  l'indique  son 
nom*.  Depuis  longtemps  aussi,  a  du  être  cultivée  dans 
l'Inde  une  chénopodêe  tropicale,  qui  y  est  très  répan- 
due aujourd'hui,  la  baselle  —  tel.  batsalla,  sansc. 
utpàdaka,  picchila,  etc.,  —  plante  vivace  et  grim- 
pante, aux  leuilles  cordiformes  et  charnues,  aux 
petites  fleurs  en  grappes  pourprées,  aux  baies  d'un 
rouge  sombre,  indigène  dans  la  Péninsule,  en  particu- 
lier sur  la  côte  de  Malabar.  De  nos  jours  plusieurs 
variétés,  surtout  les  variétés  à  tige  blanchâtre  et  à 
feuilles  cordiformes  ^  sont  Tobjet  d'une  culture  impor- 
tante. On  reproduit  cette  espèce  à  Taide  de  simples 
boutures,  et  on  la  fait  grimper  sur  des  treillages  dres- 
sés d'ordinaire  auprès  des  habitations,  auxquelles  ses 

1.  Roxburgh,  Flora,  vol.  III,  p.  117  et  126. 

•2.  Roxburgh,  Flora,  vol.  III,  p.  116  et  771  et  vol.  II,  p.  59.  — 
Watt,  Diclionavy,  vol.  IV,  p.  628;  Vf,  3,  p.  330,  et  I,  p.  448. 

3.  Basella  albn,  lucida  et  cordifolia  Willd.,  formes  que  la 
flore  de  Ilooker,  vol.  V,  p.  20,  réunit,  avec  les  espèces  préten- 
dues ramosa  et  japonica,  sous  le  nom  de  Basella  rubra  L.  — 
Roxburgh,  Flora^  vol.  II,  p.  104-105.  —  Watt,  Dictionary, 
vol.  I,  p.  404. 


LES  PUNTES  DANS  L'AGRICULTURE  ^57 

longues   liges  et  ses  feuilles  épaisses  procurent  une 
ombre  agréable  et  bienfaisante. 

Parmi  les  plantes  potagères  cultivées  dans  l'Inde 
ancienne  figuraient  aussi  sans  doute  diverses  espèces 
d'amarante,  en  particulier  YAmarantus  anardana  et 
Tamarante  du  Gange  *  —  la  brède  du  Malabar,  —  aux 
grandes  feuilles  rhomboïdales.  Il  y  a  de  cette  dernière 
espèce  plusieurs  variétés,  qui  diffèrent  par  la  hauteur 
de  la  tige  ou  par  la  couleur  des  feuilles,  et  dont  quel- 
ques-unes sont  de  jolies  plantes  d'ornement.  On  a  dû 
cultiver  aussi  très  anciennement  dans  Tlnde,  comme 
plante  potagère,  aussi  bien  que  comme  textile,  le  Cor- 
chorus  oiùoriifSy  mais  rien  ne  nous  renseigne  sur 
l'époque  à  laquelle  remonte  la  culture  de  cette  tilia- 
cée*,  ainsi  que  celle  des  amarantes  et  des  autres 
plantes  potagères  dont  il  vient  d'être  parlé. 

La  flore  indigène  offrait  aux  Hindous  un  grand  nombre 
de  condiments  ;  ils  ont  emprunté  néanmoins,  et  à  une 
époque  reculée,  la  plupart  de  ceux  de  T^sie  antérieure 
ou  centrale,  en  particulier  l'ail,  l'oignon,  Téchalotte, 
le  poireau,  la  ciboule  ;  la  mention  des  trois  premiers 
dans  les  lois  de  Manou  '  est  une  preuve  de  Tancienneté 
de  leur  importation.  L'ail  a  du,  ainsi  que  l'oignon, 
être  dès  longtemps  l'objet  d'une  culture  étendue  *,  à  en 

1.  Àmaranius  gangelicus  L.,  oleraceus  Hoxb.  La  flore  de 
Hooker,  vol.  IV,  p.  719,  réunit  ces  deux  formes  et  les  A.  tri- 
color,  tn'stis,  lanceolatus,  poli/gamus,  etc.  en  une  seule  espèce. 
—  G.  Watt,  Dictxonary,  vol.  I,  p.  210  et  212. 

2.  Watt,  II,  5'»l-42,  qui,  tout  en  admettant  que  la  culture  du 
Corchorus  était  inconnue  des  anciens  Hindous,  suppose  que  la 
forme  oUtorius,  a  pris  nais.sance  dans  l'Inde. 

3.  Lea  Lois  de  Manou,  trad.  G.  Strehly,  liv.  V,  5.  (Annali'S 
du  Musée  Guimet,  vol.  II,  p.  13o).  Cf.  Gautama,  chap.  xvn,  32. 
{The  sacred  Laws  ofthe  Avya^.  Part  1,  p.  266). 

4.  Toutefois,  au  vn"  siècle  de  notre  ère,  le  pèlerin  chinois 

JoRRT.  —  Les  Planées  dans  l'auliquilé.  11.  —  17 


258  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

juger  par  le  nombre  de  leurs  noms  sanscrits  :  laçuna, 
mahau^hadhdy  grwjanârtshta,  etc.,  pour  Taii;  pa- 
lându^  sukandaka,  etc.,  pour  l'oignon  \  Suivant  Rbx- 
burgh,  on  plante  beaucoup  l'échalotle,  à  la  fin  de  la 
saison  des  pluies  et  pendant  les  mois  froids  et  secs  de 
l'hiver*  ;  mais  il  est  douteux  que  cette  culture  remonte 
à  une  date  reculée. 

On  cultive,*  au  contraire,  dans  Tlnde  entière,  et  depuis 
un  temps  considérable,  à  en  juger  par  leurs  noms 
sanscrits,  Taneth,  la  coriandre,  le  cumin  et  Tajouan. 
Roxburgh  mentionne  deux  espèces  d'aneth,  cultivées 
toutes  deux  pour  leurs  graines  et  toutes  deux  à  fleurs 
jaunes  ',  le  sowa  —  miçreyd,  —  indigène  dans  le 
Bengale,  et  le  panmori  —  madhurikd,  —  espèce  qui 
ressemble  au  fenouil  et  paraît  également  indigène  dans 
l'Inde.  On  les  sème  après  les  pluies  et  on  récolte  les 
graines  au  mois  de  mars.  On  cultive  également  pon- 
dant la  saison  froide,  la  coriandre  —  dhanijàka,  — 
orabellifère  exotique,  mais  introduite  depuis  longtemps 
sans  doute  dans  THindoustan.  On  peut  en  dire  autant 
du  cumin  — jira,jirakay  — originaire  de  la  région  ira- 
nienne, d'où  il  a  pénétré  dans  la  presqu'île  gangétique, 


Iliuen-Tsiang  affirmait  encore  que  l'oignon  et  l'ail  étaient  peu 
cultivés  dans  l'Inde.  Si-yu-ki.  Buddhist  recorda  of  Ihe  western 
World,  transi,  from  the  chinese  of  Hiuen-Tsiang  (a.  D.  629)  by 
Sam.  Heal.  London,  1884,  in-8,  vol.  I,  p.  88. 

1.  Amarakoça,  liv.  IV,  chap.  iv.  sect.  5,  p.  110-111. 

2.  Allium  ascalonirum  L.  Flora  indica,  vol.  II,  p.  142. 
Roxburgh  mentionne  aussi  la  culture  dans  le  Bengale  de  l'ail 
tubéreux,  considéré  par  Regi»!  comme  une  simple  forme  de 
YMlium  odorum  L. 

3.  Flora  indica,  vol.  II,  p.  95-96.  La  flore  de  Hooker,  vol.  Il, 
p.  695  et  709,  rattache  VAneihum  sowa  au  f/raveolens  et  iden- 
tifie VA,  panmori  Roxb.  avec  le  Fœinculum  officinale  L, 


LES  PLANTES  DANS  L'AGRICULTURE  259 

corame  en  Egypte,  à  une  époque  reculée  *.  L^ajouan 
—  brahmadarbha,  yavanika  ^  etc.  —  est  cultivé  dans 
rinde  depuis  une  époque  non  moins  ancienne,  sinon 
plus  ancienne.  Annuel,  sa  tige  dressée  est  couverte  de 
feuilles  éparses,  finement  découpées  ;  les  fleurs  en  om- 
belles de  six  à  huit  rayons'  sont  blanches  et  les  fruits 
ont  une  odeur  aromatique  agréable.  . 

On  peut  placer  à  côté  de  ces  ombellifères  deux  au- 
tres plantes  de  la  famille  des  labiées,  cultivées  plu- 
tôt, il  est  vrai,  comme  plantes  aromatiques  ou  pour 
leur  caractère  sacré  que  comme  condiments;  le  basi- 
lic et  la  tulasi.  Plante  herbacée  de  Tlran,  le  basilic', 
qui  se  rencontre  aussi  spontané  dans  le  Pandjab,  est 
cultivé  dans  la  péninsule  hindoustanique  tout  entière. 
Il  fleurit  à  Tépoque  des  pluies  et  pendant  la  saison 
froide.  La  tulasî  — parnâsuy  —  comme  sa  variété  hir- 
sute —  arjakay  —  dont  Roxburgh  a  fait  une  espèce 
particulière*,  est  un  petit  arbrisseau  aromatique  d'ori- 
gine inconnue,  à  rameaux  velus,  à  feuilles  ovales,  den- 
tées et  tomenteuses,  couvert  toute  Tannée  de  petites 
fleurs  plus  ou  moins  purpurines  ;  on  le  trouve  planté 
dans  les  jardins  de  tous  les  temples  hindous. 

Avec  le  poivrier  nous  retrouvons  un  véritable  condi- 
ment et  un  condiment  d'une  importance  économique 


1.  Coriandrum  sativum  L.,  Cuminum  cyminum  Willd. 
Roxburgh,  Flora,  vol.  II,  p.  92  et  94. 

2.  Ligusticum  ajowan  R.  et  D.  C,  Bumum  aromaticum  L., 
Carum  copticum  Benth.  —  Àsiatic  Researchex,  vol.  II,  p.  170.  — 
Hoxburgh,  Flora,  vol.  H,  p.  91,  dit  qu'il  n'a  point  rencontré 
l'ajouan  à  l'état  sauvage. 

3.  Ocimum  baailicnm  L.  —  Roxburgli,  Flora,  vol.  IH,  p.  18. 
—  Ilooker,  The  Flora,  vol.  IV,  p.  608. 

4.  Ocimum  sanrium  L.,  var.  hirxula  llooker.  Ocimiim  viUo- 
£um  Koxb.  —  Flora  indica,  voL  III,  p.  14. 


260  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINliOUS 

et  commerciale  supérieure  à  celle  de  tous  ceux  dont  je 
viens  de  faire  mention.  Indigène  dans  les  forêts  du 
Malabar  et  du  Travancore,  le  poivrier*  — pippalt,  — 
dont  le  nom  sanscrit  à  peine  transformé  a  été  adopté 
par  les  peuples  classiques  de  Tancien  monde  et  a  passé 
dans  toutes  les  langues  de  l'Europe  moderne,  est  une 
plante  grimpante  qui  ne  réussit  bien  qu'entre  le  b°  et 
le  15®  degré  delatitude^  11  se  reproduit  par  boutures. 
Avant  la  saison  des  pluies,  on  plante  les  drageons  dans 
un  sol  riche  et  non  trop  humide,  en  les  disposant  au 
pied  d'arbres  àTécorce  rugueuse  ou  couverts  d'épines  ; 
les  pousses  s'enlacent  rapidement  autour  des  troncs 
jusqu'à  une  hauteur  considérable.  Dans  un  sol  conve- 
nable, elles  peuvent  porter  dès  la  première  année  ;  la 
production  augmente  jusqu'à  la  cinquième  et  continue 
pendant  quinze  à  vingt  ans.  Les  fleurs,  disposées  en 
grappes  pendantes,  commencent  à  paraître  au  mois  de 
mai  ;  chaque  grappe  peut  donner  de  vingt  à  trente  baies. 
D'abord  vertes,  ces  baies  deviennent  rouges  avant  la 
maturité  complète  ;  on  les  cueille  à  ce  moment  et  ou 
les  fait  sécher  pendant  deux  ou  trois  jours  sur  des 
claies  ;  elles  prennent  alors  une  couleur  brune  ou  gris 
noirâtre.  On  fait  deux  ou  trois  récoltes  par  an. 

Théophraste  distinguait  deux  espèces  de  poivriers  \" 


1.  Piper  nigrum  L.,  Piper  trioicumY{o\h.  La  Flora  indica, 
vol.  1,  p.  151,  lui  attribue  les  noms  sanscrits  vellaja,  marica, 
colaka,  etc.,  tandis  qu'elle  réserve  pour  le  Piper  longum  L.,  le 
nom  de  pippali. 

2.  Cosmas  Indicopleustes,  Topographia  chrisliana,  lib.  XI, 
s.  V.,  col.  414-415.  —  J.  Mandevillè,  chap.  XVIII.  {The  buke  of 
S.  Maundeville,  éd.  by.  G.  F.  Warner.  Westminster,  1889,  in- 
fol.,  p.  83).  Lassen,  Indische  Allerthumkunde,  vol.  I,  p.  277. — 
il.  Drury,  Tlie  nue  fui  plants,  p.  .'j'i'*.  —  F. -A.  Fliickiger  et 
Daniel  Hanbury,  Histoire  des  drogues  végétales,  vol.  Il,  p.  338. 

3.  Historia  plantarum,  lib.  IX,  cap.  20,  1. 


LES  PLANTES  DANS  L'AGRICULTURE  261 

Tune  à  fruits  ronds  et  semblable  à  une  baie  de  laurier  ; 
Tautfe  à  fruits  allongés  et  noirâtres,  d'une  saveur  plus 
forte.  Faut-il  y  voir  les  Piper  nigriim  et  longum  des 
botanistes?  Ce  dernier*,  abondant  aux  Moluques  et 
aux  Philippines,  croît  aussi  dans  Tlnde,  des  monts 
Khasia,  du  Bengale  et  de  TAssam,  jusqu'au  Travan- 
core  au  Sud  et  Bombay,  à  l'Ouest.  Les  tiges  sont  an- 
nuelles, mais  les  racines  vivaces  repoussent  pendant 
plusieurs  années.  Les  baies,  de  petite  dimension,  sont 
étroitement  serrées  autour  d'un  axe  commun  et  forment 
un  épi  long  de  4  centimètres  environ,  qu'on  cueille 
avant  la  maturité  des  fruits. 

Quoique  le  bétel*  ne  soit  pas  un  véritable  condiment, 
il  faut  mentionner  ici  la  culture  de  cette  pipéracée,  des 
feuilles  de  laquelle  les  habitants  des  Indes  orientales 
et  de  la  Malaisie  font  un  si  grand  usage.  Aux  tiges 
ligneuses  et  grimpantes,  avec  de  nombreuses  racines 
adventives,  aux  feuilles  obovales,  aux  petites  fleurs 
dioïqucs,  le  bétel  est  peut-être  originaire  de  Java; 
mais  il  a  du  pénétrer  de  bonne  heure  dans  la  pé- 
ninsule hindoustanique»  comme  en  témoignent  ses 
noms  sanscrits  nâgavaUi  et  tâmbûlî.  On  le  cultive 
en  grand  dans  les  terres  humides  et  riches  du  Bengale 
et  de  la  Péninsule.  Il  se  reproduit  par  boutures,  qu'on 
plante  dans  des  endroits  ombragés,  à  l'abri  des  rayons 
du  soleil  \ 

1.  Chavica  Roxburghii  Miquel,  Piper  o/pctnarum  G.  de  Can- 
dolle.  Piper  longum  Linné.  Roxburgh,  Flora,  vol.  I,  p.  154, 
lui  attribue  les  noms  sanscrits  upakulyôy  îishanâ,  capald,  kanâ, 
kùla,  /irisfina,  mdgadhi,  etc.  —  Watt,  Diciionary,  vol.  VI,  1, 
p.  258. 

2.  Piper  betleL.j  Chavica  hetle  Miq. 

3.  Roxburgh,  Flora,  vol.  I,  p.  158.  —  Drury,  op.  laud., 
p.  130.  —  Watt,  Dictionary,  vol.  VI,  1,  p   248-254. 


262  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

L'emploi  du  bétel  est  resté  confiné  dans  la  région 
des  moussons,  la  cannelle  ou  cinnamome  s*est  répan- 
due, dès  Tépoque  la  plus  reculée,  dans  toute  TAsie  anté- 
rieure, et  elle  était  connue  bien  avant  notre  ère  dans 
la  Grèc^.  Il  en  est  question  dans  la  Bible  ^  Hérodote 
en  parle  aussi;  mais  il  ignorait  quel  végétal  produisait 
ce  condiment  et  il  en  a  entouré  la  récolte  des  légendes 
les  plus  fabuleuses*;  Théophraste  les  a  rapportées 
aussi,  mais  sans  y  croire,  et  il  connaissait  déjà  quelque 
chose  de  Tarbre  qui  le  donne,  mais  il  le  fait  croître  en 
Arabie'.  D'après  Dioscoride  et  Pline  le  cinnamome 
aurait  été  originaire  de  TÉthiopie.  On  voit  combien, 
au  i®""  siècle  de  notre  ère,  l'ignorance  était  grande  en- 
core, dans  rOccident,  au  sujet  de  cet  aromate  recher- 
ché. Originaire  de  Cejlan,  le  cannellier*'  est  un  arbre 
de  petite  taille,  toujours  vert  et  très  rameux,  de  la 
famille  des  lauracées  ;  garni  de  longues  feuilles  oppo- 
sées, luisantes  en  dessus  et  glauques  en  dessous,  il 
se  couvre,  au  mois  de  janvier  ou  de  février,  de  pani- 
cules  de  fleurs  d'un  blanc  grisâtre  et  d'une  odeur  dé- 
sagréable ;  il  a  pour  fruits  des  baies  peu  charnues  et 
d'un  rouge  foncé  qui  mûrissent  en  avril. 

On  cultive  en  grand  le  cannellier  dans  la  région  Sud- 
Ouest  de  Ceylan,  dont  le  sol  léger,  le  climat  doux  et 
uniforme  et  les  pluies  fréquentes  lui  conviennent. 
L'aménagement  des  plantations  qu'on  en  fait  ressemble 
à  celui  de  nos  taillis  de  chênes.  On  taille  les  jeunes 
arbres  pour  les  empêcher  de  trop  s*élever  et  leur  faire 

1.  Canticum  canlicorum,  cap.  IV,  14. 

2.  Hûtoriae,  lib.  111,  cap.  110  et  111. 

3.  Historia  planiarumy  lib.  IX,  cap.  5. 

4.  Laurus  Cinnamomum  L.  ou  Cinnamomum  zeylanicum 
Breyn.  —  Brandis,  Foresl  Flora,  p.  375. 


LES  PLANTES  PANS  L'ACKICULTURE  203 

former  une  soucke,  de  laquelle  parlent  quatre  ou  cinq 
rameaux  ;  quand  ils  ont  deux  à  trois  mètres  de  haut  et 
trois  à  cinq  centimètres  de  diamètre,  on  coupe  ces  ra- 
meaux à  l'époque  de  la  sève,  en  mai  et  en  juin,  et  de 
nouveau  en  novembre  et  en  décembre  ;  on  les  divise 
ensuite  en  fragments  longs  de  30  centimètres  à  peu 
près  —  Théophraste  dit  d'une  palme,  —  puis  on  enlève, 
opération  qui  ne  présente  pas  de  difficulté,  l'écorce  à 
Taide  d'un  couteau  et  on  la  fend  dans  le  sens  delà  lon- 
gueur ;  on  emboîte  ensuite  les  morceaux  d*écorce  les 
uns  dans  les  autres,  et  on  les  lie  en  faisceaux,  au  bout 
de  vingt-quatre  heures,  on  en  racle  avec  soin  la  couche 
externe,  puis  on  les  met  à  sécher  sur  des  claies  K  Quand 
la  dessiccation  est  suffisante,  on  les  réunit  de  nouveau 
en  faisceaux  ;  c'est  la  cannelle  du  commerce. 

D'autres  cinnamomes,  en  particulier  le  cinnamome 
inerte  de  la  côte  de  Malabar  "^  et  le  cinnamome  tamala, 
qui  croit  dans  les  monts  Khasia,  au  Sikkim,  au  Népal 
et  auKoumaon^,  fournissent  aussi  une  espèce  de  can- 
nelle *  ;  mais  ces  arbres  ou  arbustes  ne  sont  pas  cul- 
tivés de  nos  jours  et  ont  dii  l'être  moins  encore  dans 
l'antiquité.  Il  n'y  a  donc  pas  lieu  d'en  parler  ici.  Il  en 
est  autrement  du  cardamome  et  du  gingembre,  scita- 

1.  Leschenault  de  la  Tour.  Notice  sur  le  cannelier  de  Vile  de 
Ceylan.  Mémoires  du  Muséum  d'histoire  naturelle^  voL  VIII 
(1822),  p.  'i36-46). 

2.  Cinnamomum  iners  Reinw.  —  Drury,  op.  laud.^  p.  137. 

3.  Cinnamomum  tamala  Fr.  Nées.  —  F.-A.  Flùckiger  et 
Daniel  Hanbury,  op.  laud.  Trad.  vol.  Il,  p.  239.  —  Hooker, 
Flora,  vol.  V,  p.  129. 

4.  Roxburgh,  II,  297,  indique  un  Laurus  cassia  Willd, 
comme  indigène  dans  les  montagnes  de  Tllindoustan  :  mais 
Hooker  considère  cette  espèce  comme  identique  avec  le  Laurus 
cinnamomum j  et  il  regarde  le  vrai  Laurus  ou  Cinnamomum 
cassia  comme  une  plante  chinoise. 


264  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

minées  qui  sont,  du  moins  la  seconde,  Tobjet  d'une 
culture  importante  et  qui  remonte  sans  doute  à  une 
haute  antiquité. 

Pour  le  cardamome  *,  qui  croît  spontanément  dans 
les  forêts  montagneuses  de  la  côte  de  Malabar,  les 
indigènes  se  bornent  le  plus  souvent  à  en  faciliter  la 
végétation.  Quand  ils  ont  trouvé  quelque  endroit  où 
ces  plantes  poussent  en  certaine  quantité  à  Tétat  sau- 
vage, ils  y  pratiquent  des  éclaircies  pour  qu'elles  puis- 
sent se  développer  en  liberté.  Les  cardamomes  attei- 
gnent pendant  la  première  saison  une  hauteur  de  30 
à  60  centimètres.  On  débarrasse  alors  le  sol  des  mau- 
vaises herbes  ;  on  l'entoure  d'une  cloison  et  on  aban- 
donne les  plants  à  eux-mêmes.  Au  bout  de  deux  années 
ils  commencent  à  produire,  et  ils  continuent  à  le  faire 
pendant  six  ou  sept  ans.  Dans  le  Nord  du,  Canara,  le 
cardamome  est  l'objet  d'une  culture  véritable  ;  on  le 
sème  sur  couche,  et  quand  les  jeunes  pousses  ont 
atteint  une  hauteur  suffisante,  on  les  transporte  dans 
les  plantations  d'aréquiers,  en  les  disposant  entre  ces 
palmiers  et  des  bananiers,  qui  leur  fournissent  Tombre 
nécessaire.  Les  fleurs  paraissent  après  la  saison  des 
pluies  et  les  fruits  commencent  à  mûrir  en  octobre  ; 
la  récolte  dure  pendant  deux  ou  trois  mois*. 

Les  nombreux  noms  sanscrits  du  cardamome  — 
bàhula,  candravdlâ,  vayastha,  etc.  — sont  une  preuve 
de  l'ancienneté  de  son  emploi,  sinon  de  sa  culture, 


1.  Amomum  Cardamomum  L.,  Elettaria  Cardamomum 
Maton,  Alpinia  cardamomum  Roxb.  —  Flora  indica,  vol.  I, 
p.  70. 

2.  Drury,  The  use  fui  Plants,  p.  192.  —  Flûckiger  et  Hanbupy, 
op.  laud.,  vol.  II,  p.  4'ii-i'i7.  —  Watt,  Dictionary,  vol.  Wh 
p.  228-232. 


LES  PLANTES  DANS  L'AORPCULTURE  265 

dans  rinde  ;  le  gingembre*  —  drdrakay ,kaiukanda, 
indrabheshaja,  çringavera,  etc.  —  ne  portait  pas 
moins  de  noms  indigènes  et  sa  racine  était  encore 
plus  employée.  Il  réussit  surtout  dans  les  terres  rouges 
et  grasses  du  distict  de  Shernaad  sur  la  côte  de 
Malabar.  Au  commencement  de  la  mousson  on  établit 
des  platos-bandes  de  3  à  4  mètres  de  long  et  de  un  à 
un  et  demi  de  large  ;  on  y  pratique  de  3  en  3  déci- 
mètres de  petits  trous  qu'on  remplit  de  fumier  ;  puis 
on  y  enfonce  des  morceaux  de  racines  choisies  de 
gingembre,  qu'on  recouvre  de  feuilles  sèches.  Ils 
ne  tardent  pas  à  se  développer  en  rhizomes  hori- 
zontaux, sur  lesquels  poussent  des  tiges  fouillées 
hautes  de  9  à  12  décimètres  et  de  tiges  florifères 
moins  élevées  et  enveloppées  par  des  écailles  engai- 
nantes et  obtuses  ^  Les  fleurs  en  épis  courts  et  de  cou- 
leur pourpre  s'épanouissent  d'août  en  octobre;  l'a 
plante  est  alors  arrivée  à  sa  pleine  croissance  ;  il  ne 
reste  plus  qu'à  arracher  les  rhizomes  et  à  les  faire 
sécher. 

On  peut  croire  qu'on  cultivait  dans  Tlnde  autrefois 
comme  aujourd'hui  le  curcuma  long^^  —  le  turmeric 
des  Anglais,  —  autre  araomacée,  dont  plusieurs  espèces 
congénères  croissent  à  Tétat  sauvage  dans  le  Malabar. 
Ses  nombreux  noms  sanscrits  haridrà,  kancam,  nirà, 
etc.;  témoignent  de  l'importance  qu'avait  prise  l'emploi 

1.  Amomum  zinziber  L.,  Zinziber  officinale  Roscoe.  — 
II.  Dufrené»  La  Flore  sanscrite.  Paris,  1887,  in-8,  p.  30  et  64. 
—  Roxburgh,  Flora,  vol.  I,  p.  47  et  71. 

2.  Drury,  op.  laud.,  p.  456.  —  Flûckiger  et  D.  Hanbury, 
op.  laud.,  vol.  II,  p.  430-434.  —  Watt,  Dictionary,  vol.  VI, 
4,  p.  360. 

3.  Curcuma  longa  L.,  Amomum  Curcuma  Gmel.  Roxburgh, 
Flora,  vol.  ï,  p.  32-33. 


266  LES  PUNTESCIIEZ  LES  HINDOUS 

de  cette  plante,  sinon  de  l'antiquité  de  sa  culture. 
Celle-ci  se  pratique  d'ailleurs  à  peu  près  comme  celle 
du  gingembre.  Outre  les  principes  colorants  et  aroma- 
tiques connus  qu'ils  renferment,  les  rhizomes  du 
curcuma  contiennent  encore,  quand  ils  sont  jeunes, 
une  fécule  abondante*. 

De  ces  épices  précieuses,  cultivées  à  des  titres 
divers,  on  peut  rapprocher  la  canne  à  sucre  —  Sac- 
charvm  o/ficmanim,  —  dont  le  suc  concrète  a  été  de 
bonne  heure  un  des  condiments  les  plus  recherchés. 
Originaire  de  la  région  Nord-Est  de  l'Inde,  patrie  de 
la  plupart  des  espèces  de  saccharum^  en  particulier 
du  Bengale,  le  pays  du-sucre  —  ganda,  —  la  canne  a 
dii  y  être  plantée  depuis  une  époque  reculée.  La  mul- 
tiplicité de  ses  variétés  \  et  cette  circonstance  qu'on 
ne  la  trouve  plus  à  l'état  sauvage  témoignent  incon- 
testablement d'une  culture  ancienne.  On  peut  aussi, 
avec  Lassen,  en  voir  une  autre  preuve  dans  le  grand 
nombre  des  noms  sanscrits  et  indigènes,  qui  serv^ent  à 
désigner  ses  propriétés  ou  ses  divers  états,  ainsi  que 
les  produits  qu'on  en  retire*.  La  mention  que  font  les 


1.  Les  tubercules  d'une  autre  espèce  sauvage  de  Curcuma,  le 
C.  anguslifoHa  Roxb;  renferment  aussi  une  fécule  recherchée. 

2.  A.  de  Candolle,  L'origine,  p.  122.  —  Edm.  D.  von 
Lippmann,  Geschichte  des  Zuckers.  Leipzig,  1890,  in-8,  p.  32 
et  'S9.  —  Watt,  Dictionaru,  vol.  VI,  2,  p.  31. 

3.  D'après  Grierson  {Bihâr  Peasanl  Life.  Calcutta,  1885,  in-8, 
p.  232),  il  y  a  dans  la  seule  province  de  Bihâr  plus  de  vingt 
variétés  de  cannes  à  sucre,  ayant  des  noms  particuliers  avec 
d'innombrables  sous  variétés. 

'*.  Indische  AUerthiunsknnde,  vol.  I,  p.  318.  Ilishu,  ikshu- 
hànda,  rasâla  «  plein  de  suc  »,  la  canne;  pundra  et  kântàraka, 
la  variété  rougoître  ;  çàrkara,  prak.  sakkara  ,  le  sucre  en  grains, 
d'où  le  persan  shakary  ar.  sukkar,  grec  aâxyapov,  lat.  sac- 
char  um. 


LES  PLANTKS  DANS  L'AGIIICULTUKE  267 

anciens  textes  de  la  canne  à  sucre  est  une  preuve 
encore  plus  manifeste  de  l'antiquité  de  sa  culture  ou 
au  moins  de  Tusage  qu'on  a  fait  de  ce  roseau  précieux 
dès  les  temps  les  plus  reculés.  Il  est  question  de  la  canne 
dans  un  passage  du  Vdjasanej/asamhitâ  ;  elle  joue 
aussi  un  rôle  dans  une  formule  magique  de  TAtharva, 
Véda*.  Les  lois  de  Manou  font  à  la  fois  mention  de  la 
canne  à  sucre  et. du  breuvage  enivrant  —  g(iff(Ji,  — 
qu'on  retire  do  la  mélasse*  —  (juda. 

A  partir  du  iv®  siècle  avant  notre  ère,  Texistence 
de  la  canne  fut  connue  des  Grecs  ;  c'est  d'elle, 
en  effet,  que  parlait  Néarque\  quand  il  dit  que,  sans 
le  secours  des  abeilles,  certains  roseaux  de  l'Inde  pro- 
duisent  du  miel.  Eratosthène  v  fait  sans  doute  aussi 
allusion,  lorsqu'il  mentionne  les  roseaux  «  doux  par 
nature  »  de  l'Inde,  et  Théophraste,  quand  il  affirme 
que  «  le  miel  est  aussi  produit  par  certains  roseaux*  ». 
Mais  on  le  voit,  la  connaissance  que  les  Grecs  anté- 
rieurs à  notre  ère  avaient  de  la  canne  à  sucre  était  bien 
vague  et  incertaine  ;  il  faut  arriver  à  Dioscoride  pour 
trouver  un  écrivain  mieux  informé.  «  Il  y  a,  dit-il% 
une  espèce  de  miel,  appelé  sakkharon,  qu'on  recueille 
sur  les  roseaux  de  l'Inde  et  de  TArabie  heureuse  ;  il  a 
la  consistance  du  sel,  et  craque  comme  lui  sous  les 
dents  !  » 


t.  V.  S.  25,  1,  11.  —  A.  V..  !ib.  I,  3'i,  5.  Zimmer,  .4/^1»- 
disches  Lehen,  p.  72. 

2.  Lib.  VIII,  341  et  XI,  90. 

3.  Fragmenta,  VIII,  61.  Mais  il  ajoute,  ce  qui  prouve  qu'il 
n'avait  pas  vu  de  cannes  à  sucre,  qu'on  retirait  le  miel  de  leur 
fruit. 

'i.  Strabon,  Geographica,  lib,  XV,  cap.  1,  20.  —  "AXXt)  oà  (toû 
IxéX'.to;  Yîvcai;)  yivêTai  âv  toT;  xaXajjioi;.  Fragm.  CXC. 
5.  De  materia  medica,  lib.  II,  cap.  iO'i. 


268  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HLNDOUS 

Il  ne  s'agit  plus  ici  d'une  substance  incertaine  et 
douteuse,  mais  d'un  produit  bien  déterminé  et  connu 
maintenant  dans  l'Occident,  où  il  avait  enfin  pénétré, 
quoiqu'il  y  fût  rare.  D'après  Pline,  qui  en  parle  dans 
les  mêmes  termes  à  peu  près  que  Dioscoride,  comme 
d'après  Galien*,  le  sucre  était  à  la  fois  un  produit  de 
rinde  et  de  l'Arabie.  La  canne  n'est  pas  indigène  dans 
cette  dernière  contrée  ;  elle  avait  dû  par  suite  y  être 
importée.  Ainsi  au  premier  siècle  de  notre  ère  la  cul- 
ture de  la  canne  s'était  répandue  au  delà  des  limites 
de  son  pays  d'origine  ;  à  plus  forte  raison  existait-elle 
dans  celui-ci.  Depuis  combien  de  temps  y  était-elle 
pratiquée  ?  Aucun  document  ne  nous  renseigne  à  cet 
égard  ;  mais  on  peut  supposer  qu'elle  remontait  à  une 
haute  antiquité.  Il  est  possible  toutefois  qu'elle  y  ait 
été  longtemps  sans  grande  importance  ;  peut-être  se 
borna-t-on  d'abord  à  planter  autour  des  habitations 
quelques  cannes,  dont  le  suc  exprimé  suffisait  aux 
besoins  de  la  famille  ;  mais  quand  la  consommation  de 
celui-ci  eut  augmenté,  quand  surtout  on  eut  trouvé  le 
moyen  de  le  concréter,  la  culture  en  grand  de  la 
canne  s'imposa;  on  s'attacha  à  l'anoblir,  et  le  nombre 
considérable  des  variétés,  qui  sont  sorties  du  type 
aujourd'hui  perdu,  prouve  le  soin  qu'on  y  apporta. 

Ces  formes  ou  variétés  dépendent  de  la  nature  du  sol 
et  sont  distinguées  par  la  couleur  de  la  canne  ;  mais 
quelles  qu'elles  soient,  toutes  exigent  des  labours  pro- 
fonds, un  arrosage  bien  réglé,  des  fumures  abondantes, 
des  sarclages  répétés.  Au  mois  d'avril  ou  au  commen- 
cement de  mai  on  retourne  le  champ  où  doit  se  faire  la 


1.  Ilisloria  naturalts,  lib.  XII,  cap.  17.  —  De  simplicium 
medicamentorum  facuUalibus,  lib.  VII,  3. 


LES  PLANTES  DANS  L'AGRICULTURE  369 

plantation*;  puis  on  Tirrigue  abondamment.  On  coupe 
alors  la  partie  supérieure  des  cannes  arrivées  à  leur 
entière  croissance  ;  on  en  fait  des  boutures  de  la  lon- 
gueur d'un  ou  deux  entrenœuds,  et  on  les  plante  de  40  à 
50  centimètres  de  distance,  en  lignes  écartées  d'environ 
12  à  13  décimètres.  Au  bout  de  huit  jours  les  boutures 
commencent  à  pousser  ;  on  bine  alors  légèrement  le  sol, 
et,  tous  les  15  ou  20  jours,  on  le  sarcle  et  on  Tirrigue, 
tant  que  les  pluies  ne  sont  pas  suffisantes.  En  août  ou 
en  septembre  les  cannes  ont  1  à  2  mètres  de  haut,  et 
ne  réclament  plus  de  soins  ;  trois  ou  quatre  mois  après, 
elles  ont  atteint  leur  complet  développement;  on  les 
dépouille  alors  de  leurs  feuilles;  puis  après  avoir 
retranché  les  cimes  inutiles,  on  coupe  les  tiges  près  du 
collet  et  on  les  divise  en  fragments  qu'on  porte  au 
moulin. 


Après  les  céréales,  les  légumes  et  les  condiments, 
les  plantes  oléagineuses  et  tinctoriales  occupaient,  avec 
les  textiles,  une  place  considérable  dans  l'agriculture 
des  Hindous.  La  mention  du  sésame  —  tila  —  et  de 
l'huile  qu'on  en  retire,  dans  les  lois  de  Manon  et  dans 
l'Atharva-Véda  ^  ne  permet  pas  de  douter  que  cette 
plante  n'ait  été  dès  longtemps  connue  dans  l'Inde. 
Mégasthène  parle  de  la  culture  dont  elle  y  était 
l'objet,  et  c'est  cette  contrée  aussi  que  Pline  regar- 
dait comme  son  pays  d'origine'*.  Aujourd'hui  on  cultive 

1.  lîoxburgh,  Flora,  vol.  I,  p.  238. 

2.  Lib.  III,  210;  V,  7,  etc.  —  A.  V.,  lib.  L  72;  XVIII,  432. 

3.  Strabon,   Geographica,   lib.  XV,  cap.  1,  13.  —  Ilistoria 
naturalis,  lib.  XVIII,  cap.  22. 


27Ô  LES  PLANTKS  CIIF7.  U:S  lIINDors 

le  sésame  dans  toutes  les  provinces  hindoues.  Il  y  en 
a  deux  variétés  ;  l'une  à  graines  blanchâtres,  moins 
commune,  Tautre  plus  riche  en  huile,  à  graines  noirâ- 
tres*. On  sème  la  première  espèce  au  mois  de  février 
après  la  récolte  du  riz;  la  maturité  a  lieu  en  mai.  La 
seconde  espèce,  cultivée  dans  des  stations  élevées, 
est  semée  vers  le  mois  de  juin,  au  commencement  de 
la  saison  des  pluies,  date  indiquée  par  Eratosthène,  et 
la  récolte  se  fait  en  septembre. 

Originaire  peut-être  de  l'Afrique  tropicale,  le  ricin 
a  dû  pénétrer  de  bonne  heure,  néanmoins,  de  son  pays 
d'origine  dans  l'Inde  ;  ses  nombreux  noms  sanscrits  : 
erancfa,  citrnha,  gandharcahafitaka, . vydgkrapuccha *, 
etc.,  sont  une  preuve  de  l'antiquité  et  de  l'importance 
de  sa  culture  dans  cette  contrée  ;  cependant  il  n'est 
question  du  ricin  ni  dans  les  Védas,  ni  dans  les  lois  de 
Manou,  et  rien  ne  nous  renseigne  sur  l'époque  où  il  a 
pénétré  dans  THindoustan,  ni  sur  la  manière  dont  les 
habitants  de  cette  contrée  le  cultivaient  dans  l'anti- 
quité'*. 

Nous  ne  sommes  pas  mieux  informés  au  sujet  de 
l'ancienne  culture  du  lin  —  atasi — dans  l'Inde  ;  tout 
ce  qu'on  en  peut  dire,  c'est  que  de  la  région  monta- 
gneuse du  Nord -Ouest,  où  il  paraît  indigène,  il  a  dû 
se  répandre  assez  tôt  dans  le  Pandjab  ;  il  y  était  cul- 
tivé  au  IV''  siècle  avant  notre  ère  ;  Eratosthène  qui 

1.  Roxburgh.  Flora,  vol.  ÏII,  p.  10,  donne  à  la  première  le 
nom  de  Sesamum  orientale  Willd,  à  la  seconde  celui  de  5. 
indicum.  L.  Hooker,  Fiora,\o\.  IV,  p.  337,  ne  les  distingue  pas, 
pas  plus  que  Watt,  Diclionary,  vol.  VI,  2,  p.  502-533. 

2.  Amarakoçn,  liv.  Il,  chap.  4,  2;  vol.  I,  p.  90. 

3.  Walt,  VI,  1,  519,  incline  à  croire  néanmoins  que  le  ricin 
est  indigène  dans  l'Indo,  aussi  bien  que  dans  l'Afrique  tropicale, 
et  qu'il  y  a  été  cultivé  dès  une  haute  antiquité. 


LES  PLANTES  lUNS  L'AGRICULTURE  271 

Vy  vit,  nous  apprend  qu'on  le  semait  pendant  la  saison 
des  pluies  '  ;  mais  il  ne  nous  dit  pas  si  on  le  cultivait 
pour  ses  fibres  ou,  comme  on  le  fait  aujourd'hui, 
uniquement  pour  Thuile  qu'on  retire  de  ses  graines. 
De  nos  jours  les  Hindous  sèment  le  lin,  non  à  l'époque 
des  pluies,  mais  en  automne,  du  commencement 
d'octobre  à  la  mi-novembre  -,  et  parfois  avec  la  mou- 
tarde ou  sénevé.  Plusieurs  crucifères  de  ce  nom  ont 
été  de  temps  immémorial  —  leurs  noms  sanscrits  en 
sont  la  preuve  —  cultivées  dans  l'Inde;  telles  sont  en 
particularité  les  formes  asiatiques  du  chou  des  champs  : 
les  Hrassica  dichotonia  —  sarshopa,  —  glauca  —  sid- 
dharlhaka  —  et  toria  —  tuverika^,  ' —  ainsi  que  le 
Brassica  juncea  —  rdji/câ,  —  la  moutarde  hindoue 
propreprement  dite*. 

Bien  que  la  flore  indigène  leur  offrit  les  matières 
tinctoriales  les  plus  diverses,  les  ai^ciens  Hindous  de- 
mandaient surtout  ces  substances  à  quelques  espèces 
cultivées  :  l'indigotier,  le  carthame,  la  garance,  peut- 
être  le  chay-root  et  le  morinda,  sinon  le  safran  et 
l'arbre  au  henné.  L'indigotier  —  nili  —  sous-arbrisseau 
aux  feuilles  soyeuses  et  pinnées,  aux  petites  lieurs  en 
grappes  rosées  ^  est  planté  dans  l'Inde,  où  il  est  peut- 
être  indigène,  depuis  un  temps  immémorial,  encore  que 


1.  Strabon,  Geographica,  lib.  XV,  cap.  I,  13(690). 

2.  Drury,  Use  fui  Plants,  p.  279-281. 

3.  Sinapis  dicholomn,  glauca  Hoxhurgh  et  glauca  L'oyle 
{Brassica  campesln's)  L.  UAmarakoça  donne  encore  au  5. 
dicholoma  le  nom  de  iantuhha, 

4.  Sinapis  ramosa  Roxb.  —  Walt,  Diclionary,  voL  I,  p.  523- 
529. 

5.  Indigo  fer  a  tincloria  L.  Outre  celui  de  nili,  VAmara- 
koça,  I,  99,  lui  donne  les  noms  les  plus  divers  :  kàlâ,  rafijani, 
tuttkâ,  etc. 


272  LES  PLANTES  ClItZ  LKS  HINDOUS 

Dioscoride  et  Pline  soient  les  auteurs  les  plus  anciens 
qui  aient  parlé  de  son  produit. 

De  nos  jours  l'indigotier  est  cultivé  dans  le  Sud  de 
la  péninsule,  le  Sind,  le  Pandjab  oriental,  mais  surtout 
dans  le  delta  du  Gange,  dont  le  sol  humide  lui  con- 
vient. Les  champs,  destinés  à  Tensemencement,  sont 
soigneusement  labourés  en  octobre  et  en  novembre, 
aussitôt  que  les  pluies  ont  cessé.  Quatre  ou  cinq 
mois  après,  en  mars  ou  au  commenceme^it  d'avril,  se 
font  les  semailles,  et  Ton  coupe  les  plantes  en  juillet, 
au  milieu  de  leur  pleine  floraison,  moment  où  elles 
renferment  le  plus  de  matière  colorante  *. 

Depuis  combien  de  temps  le  carthame  a-t-il  été  cul- 
tivé dans  rindc  ?  On  Tignore  ;  mais  les  nombreux 
noms  sanscrits  qu'il  porte  —  kusumbha,  kamalol- 
tara,  pila,  raktaka,  maliàrajana,  vahnicikha,  etc.  * — 
tirés  de  la  couleur  ou  de  la  forme  de  ses  fleurs, 
témoignent  de  l'importance  qu'y  a  pris  de  bonne 
heure  sa  culture.  Celle  du  safran  —  kunkiwia,  — 
au  contraire,  n'a  jamais  pénétré  dans  l'Inde  propre- 
ment dite  ;  un  de  ses  surnoms  en  sanscrit,  kàimira- 
jannui,  «  issu  du  Cacheuiire»,  indique  le  pays  d'où  il 
était  importé  autrefois  dans  la  Péninsule  et  le  seul  où 
il  soit  encore  cultivé.  Avant  qu'on  le  tirât  de  cette 
contrée,  les  Hindous  le  demandaient  peut-être  à  la 
Bactriane,  d'où  son  autre  surnom  vàldlka  «  du  pays 
de  Balk''  ». 


1.  Herm.  von  Schlagintweit,  liexêen  in  Indien,  vol.  I,  p.  263. 
—  Drury,  op.  laud.,  p.  256. 

2.  Amarakoça,   liv.  II,  chap.  9  et  liv.  III,  chap.   4,  vol.  1, 
p.  227  et  ;J17.  —  Asiatic  Besearches,  vol.  III,  p.  415. 

3.  Amarakoça,   iiv.    H,  chap.  6,  3;  vol.  I,  p.  155. —  Watt, 
Diclionary,  vol.  Il,  p.  592. 


LES  PLANTES  DANS  L'AGRICULTURE  Î73 

Le  carthame  est  peut-être  exotique  dans  VInde,  la 
'  garance  *  est  indigène  dans  les  contrées  montagneuses 
situées  au  Nord-Est  de  THindoustan,  et  à  en  juger  par 
les  noms  si  variés  qu'elle  porte  en  sanscrit  —  jingt, 
manjishthâ,  samangâ,  kâlamêshîkâ,  mandûkaparnt, 
bhandîrî,  etc.  *  — elle  a  dû  être  cultivée  ou  du  moins 
employée  dès  longtemps  dans  THindoustan  ;  elle  Test 
surtout  aujourd'hui  dans  son  pays  d'origine  et  dans  le 
gouvernement  de  Bombay.  On  cultive  également,  mais 
depuis  combien  de  temps?  je  l'ignore,  dans  les  terrains 
sablonneux  de  la  côte  de  Coromandel  et  des  Concans 
où  elle  est  indigène,  une  autre  rubiacée,  le  chay-root 
des  Anglais,  le  saya  des  Tamouls\  à  cause  de  la  couleur 
rouge  fournie  par  ses  racines.  C'est  aussi  pour  la  cou- 
leur jaune  écarlate,  retirée  de  ses  racines,  qu'on  plante 
dans  rinde  entière  YacyiUa  *,  petit  arbre  de  la  même 
famille  que  la  garance  et  le  chay-root,  aux  feuilles 
opposées,  ovales,  aux  fleurs  blanches  en  capitule.  On 
cultive  de  nos  jours  encore  dans  l'Inde  l'arbre  au 
henné  —  mendhi^  —  ;  à  quelle  époque  remonte  cette 
culture  ?  Rien  ne  nous  l'apprend  ;  mais  bien  que  cet 
arbre  soit  peut-être  indigène  dans  la  Péninsule,  on  ne 

1.  Rubia  cordifolia  L.,  munjista  Roxb. 

2.  Amarakoça,  liv.  II,  chap.  4,  2;  vol.  1,  p.  98.  —  Roxburgh, 
Flora,  vol.  I,  p.  374. 

3.  ffedyolis  Lam.,  Oldenlandia  umbellata  L.  —  Roxburgh, 
Flora,  vol.  I,  p.  431.  —  Drury,  p.  240. 

4.  Morinda  citrifolia  L.  var.  hracteata  et  .V.  tinctoria  Roxb., 
ainsi  que  les  M,  muUi/lora  et  exserta  Roxb.,  que  Hooker  re- 
garde comme  de  simples  formes  ou  variétés  du  M.  tinctoria. 
—  Asiatic  Researches,  vol.  IV,  p.  25-27.  —  Watt,  Dictionary, 
vol.  V,  p.  274,  lui  donne  le  nom  à'acchuka. 

5.  Lawsania  alba  Lam.,  Lawsonia  inermis  L.  —  Watt,  Dic- 
tionary, vol.  IV,  p.  597.  Cf.  Les  plantes  dans  V antiquité,  vol. 
I,  chap.  2,  p.  50-51. 

JoRBT.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité.  II.  —  18 


l 


274  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

le  plante  peut-être  que  depuis  roccupation  musul- 
mane. 

Les  anciens  habitants  de  Tlnde  ne  se  sont  pas  plus 
contentés  des  plantes  fibreuses  ou  textiles  qui  crois- 
saient à  Tétat  sauvage  dans  leur  pays  que  des  plantes 
tinctoriales  indigènes  ;  ils  en  ont  cultivé  un  certain 
nombre,  tel  que  le  cotonnier,  Thibiscus  chanvrin  et 
d'autres  espèces  du  même  genre,  la  sida  rhomboïdale, 
sinon  le  jute,  tiliacée  que  nous  avons  déjà  eu  occasion 
de  rencontrer,  une  légumineuse  aussi  connue  qu'utile, 
la  crotalaire,  enfin  diverses  urticées,  en  particulier 
les  orties  hétérophylles  et  des  Nilghirri,  peut-être 
aussi  quelques  asclépiadées  et  une  liliacée,  la  San- 
seviera. 

Il  existe  deux  espèces  de  cotonnier  —  karpâsa^  — 
indigènes  dans  l'Inde,  l'arborescent  et  l'herbacé  *  ; 
mais  si  toutes  deux  sont  et  ont  été  cultivées  de  tout 
temps,  c'est  de  la  seconde  qu'il  s'agit  surtout,  quand 
on  parle  du  textile  de  ce  nom.  La  culture  et  l'usage 
en  remonte  à  l'époque  la  plus  reculée.  Il  est  question 
de  l'emploi  de  ses  fibres  dans  les  lois  de  Manou  *  ;  Héro- 
dote dit  de  ((  la  laine  »  qu'on  recueillait  sur  les  coton- 
niers de  l'Inde,  qu'elle  surpassait  en  finesse  et  en  bonté 
celle  des  brebis*.  Deux  siècles  plus  tard  Néarque, 
en  parlant  à  son  tour,  remarquait  que  les  habitants 
s'en  servaient  pour  fabriquer  leurs  vêtements  \  Théo- 
phraste  ne  s'est  pas  borné  à  mentionner  cet  emploi  des 
fibres  du  célèbre  textile,  il  en  a  donné  la  description. 

1.  Gossypium  arboreum  L.  et  herbaceum  Roxb.  ou  indicum 
L.  —  Watt,  bictionary,  vol.  IV,  p.  5  et  25. 

2.  Lib.  II,  44  et  Vm,  397. 

3.  Historiae,  lib.  III,  cap.  106. 

4.  .Arrien,  Tndica,  lib    1,  cap.  16. 


LES  PLAÎîTES  DANS  L'AGRICULTURE  275 

Les  arbres  qui  fournissent  le  coton  ont  les  feuilles  analogues 
à  celles  du  sycomore  '  ;  mais  en  somme  ils  ressemblent  à  des 
églantiers.  On  les  plante  en  rangs  dans  les  plaines,  où,  vus  de 
loin,  on  les  prendrait  pour  des  vignes...  Ils  ne  portent  pas  de 
fruits  véritables,  mais  des  capsules  de  la  grosseur  d'une  pomme 
printanière,  dans  lesquelles  leur  laine  est  renfermée;  quand 
elles  sont  arrivées  à  maturité,  elles  s'ouvrent  et  l'on  enlève  cette 
laine,  dont  on  tisse  à  volonté  des  étoffes  fines  ou  communes. 

Dans  le  dernier  passage  que  je  viens  de  citer,  Théo- 
phraste  nous  apprend  que  le  cotonnier  était  aussi 
planté  dans  Tîle  de  Tylos  ;  ainsi,  au  iv**  siècle  avant 
notre  ère,  la  culture  de  ce  textile  précieux  s'était  déjà 
répandue  hors  des  frontières  de  Tlnde*;  on  ne  peut 
douter  qu'elle  n'eût  pris  dès  lors  l'importance  la  plus 
grande  dans  cette  contrée,  et  cette  importance  ne 
devait  que  grandir  par  la  suite.  Le  cotonnier  réussit 
surtout- dans  un  sol  léger  et  sablonneux,  mêlé  de  dé- 
tritus végétaux  et  médiocrement  humide,  sans  être 
aride  toutefois.  Les  semailles  se  font  en  avril  ou  tout 
au  commencement  du  mois  de  mai  ;  la  fleuraison  a  lieu 
à  la  fin  de  juillet  ou  dans  les  premiers  jours  d'août;  les 
graines  s'ouvrent  au  bout  de  six  semaines,  et  la  récolte 
se  fait  en  septembre'.  Après  les  pluies  d'hiver  les 
plantes  poussent  de  nouveaux  jets  et  de  nouvelles 
fleurs,  et  vers  la  fin  de  février  une  seconde  récolte 
commence  et  se  continue  jusqu'en  avril. 

C'est  le  duvet  dont  sont  entourées  les  graines,  qui 

1.  HUtorxa  plantarum,  lib.  IV,  cap.  4,  8  et  7,  7.  Au  chapitre 
7,  7,  il  est  dit  :  «  leurs  feuilles  ressemblent  à  celles  de  la  vigne, 
mais  sont  plus  petites  ». 

2.  rîvETai  8à  ToiÎTO  xai  âv  *Iv8oîç...  xat  âv  'ApaS^qt,  cap.  7,  8. 
Comme  Tliéophraste  a  dit  plus  haut  que  l'île  de  Tylos  est  située 
dans  le  golfe  arabique,  on  peut  se  demander  s'il  ne  parle 
point  encore  ici  de  cette  ile  plutôt  que  de  l'Arabie  continentale. 

3.  Forbes  Royle,  lllitslralions,  vol.  I,  p.  90-91. 


276  LES  PUNTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

fait  du  cotonnier  une  plante  si  précieuse  ;  c'est  à  la 
fois  le  duvet  soyeux  qui  enveloppe  les  graines  de  Varka 
—  Calotropis  gigantea  —  et  les  fibres  de  sa  tige  qui 
constituent  la  valeur,  comme  textile,  de  cette  asclé- 
piadée;  mais  elle  est  si  commune  dans  tous  les  ter- 
rains incultes  des  diverses  provinces  hindoues  qu'on 
la  cultive  à  peine  de  nos  jours  et  qu'elle  a  dû  être 
encore  moins  cultivée  autrefois*.  Une  malvacée  indi- 
gène dans  la  région  située  à  l'Est  des  Gbates  septen- 
trionales, l'hibiscus  chanvrin*  —  nâli  —  est,  au  con- 
traire, pour  ses  fibres  excellentes,  cultivé  dans  l'Inde 
presque  entière,  le  Bengale  excepté.  On  sème  d'ordi- 
naire cette  plante  dans  la  saison  froide  et  en  rangs 
épais  ;  au  bout  de  trois  mois  elle  a  acquis  tout  son 
développement  ;  on  l'arrache  alors  ou  on  la  coupe,  et 
on  la  porte  au  rouissoir.  Bien  que  les  fibres  n'en 
soient  peut-être  pas  inférieures  à  celles  de  l'hibiscus 
chanvrin,  la  culture  d'une  autre  malvacée,  la  sida  rhom- 
boïdale' —  atibald,  — est  à  peu  près  inconnue;  et  celle 
du  jute*,  si  importante  aujourd'hui  ne  remonte  guère 
haut  dans  le  passé,  bien  que  ce  textile  ait  été  sans 
doute  connu  de  temps  presque  immémorial. 

Si  la  culture  du  jute  est  récente  dans  l'Inde,  celle 
du  soun  ^  —  çaiia  — ,  petite  légumineuse  indigène  aux 


1.  Watt,  Dxctionary,  vol.  H,  p.  38-41. 

2.  Hibiêcus  cannabinus  L.  —  Drury,  p.  243.  —  Watt,  Die- 
tionary,  vol.  IV,  p.  231-235. 

3.  Sida  rhomboidea  Roxb.,  rhombifolia  Wild.  —  Watt, 
Dictionari/y  vol.  VI,  2. 

4.  Corchorus  capsularis  L.  —  kâlatâka  —  eiolilorius  L.  — 
patia  — .  Royle,  On  the  ftbrous  Plants  of  India.  —  Watt,  Die- 
tronary,  vol.  II,  p.  536-547. 

5.  Crotalaria  juncea  L.  —  Roxburgh,  Flora,  vol.  III,  p.  259- 
261.  —  Drury,  Useful  Plants,  p.  163. 


LES  PLANTES  DANS  L'AGRICULTURE  277 

fleurs  jaunes,  comme  le  genêt,  y  existe,  au  contraire, 
depuis  Tépoque  la  plus  reculée,  et  elle  est  pratiquée 
dans  la  plupart  des  provinces,  mais  surtout  dans  le 
Dekkan  et  le  Mysore.  On  sème  le  soun  d'ordinaire  au 
commencement  de  la  saison  des  pluies  ;  quelquefois 
aussi  en  octobre  ou  en  novembre.  Il  pousse  vite;  dès  que 
la  fleuraison  est  terminée,  et  avant  que  les  graines  mû- 
rissent, en  septembre  ou  au  mois  de  mars,  on  arrache  les 
pieds  avec  les  racines  ;  on  les  laisse  à  moitié  sécher  au 
soleil,  puis  on  les  lie  en  gerbes  et  on  les  fait  rouir,  comme 
les  tiges  du  chanvre  ou  de  Y  Hibiscus  cannabinus.  On 
ne  doit  pas  être  surpris  aussi  que  les  fibres  de  ces 
trois  plantes  aient  été  souvent  confondues  et  appelées 
du  même  nom  çana\  Le  chanvre  —  bhangay  ganja — 
a  été  cultivé  dès  longtemps  dans  Tlnde,  mais  moins 
comme  textile  toutefois  que  pour  ses  propriétés  nar- 
cotiques ou  curatives.  C'est  à  cause  d'elles  qu'il  est, 
sous  le  nom  de  bhanga,  invoqué  dans  l'Atharva  Véda*. 
Laramie^  le  China  grass  des  Anglais,  arbrisseau 
indigène  dans  le  Nord-Est  de  l'Inde,  a  été,  il  semble, 
cultivé  dès  longtemps  par  les  indigènes  de  cette  ré- 
gion, mais  il  n'a  pénétré  qu'au  siècle  dernier  dans 
les  autres  provinces.  Quant  à  l'ortie  hétéro phylle 
aux  tiges  touffues  et  vivaces,  aux  feuilles  larges  et 
cordiformes,    hérissées   de   longs   poils,  elle  fournit. 


1.  Watt,  Dictionary,  voL  II,  p.  597. 

2.  Lib.  XI,  cap.  6, 15.  Dans  un  autre  passage  (lib.  H,  cap.  4, 
5),  le  poète  védique  invoque  le  çana,  mot  que  Bloomfield  tra- 
duit, comme  bhangay  par  chanvre.  Zimmer,  Altindisches 
Leben,  p.  68,  pense  qu'il  s'agit  de  deux  espèces  différentes  de 
chanvre,  mais  sans  dire  lesquelles. 

3.  Boehmeria  Hook.,  Urtica  L.  nivea,  tenacissima  Roxb.  — 
Hooker,  Flora,  vol.  V,  p.  576.  —  Watt,  Dictionary,  vol.  II, 
p.  468-472. 


278  '    LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

ainsi  que  ses  variétés*,  des  fibres  d'une  grande  finesse; 
mais  bien  qu'indigène  dans  l'Himalaya  sous-tropical 
et  les  Nilghirri,  la  culture  en  paraît  assez  récente  dans 
rinde  ;  il  n'y  a  donc  pas  lieu  d'en  parler  plus  longue- 
ment ici,  ainsi  que  de  la  ramie. 


* 


Si  les  anciens  habitants  de  l'Inde  se  contentèrent 
longtemps  des  fruits  sauvages  que  leur  ofi'rait  la  flore 
indigène,  ils  finirent  cependant  par  cultiver  près  de 
leurs  demeures,  pour  les  anoblir  ou  les  avoir  plus  à 
leur  portée,  quelques-unes  des  espèces  qui  les  pro- 
duisaient. A  quelle  époque  remonte  cette  culture? 
Nous  l'ignorons  ;  mais  nous  la  trouvons  pratiquée  dès 
les  temps  les  plus  reculés,  et  elle  s'appliqua  non  seu- 
lement aux  arbres  indigènes,  mais  encore  à  de  nom- 
breuses espèces  exotiques.  Parmi  les  arbres  fruitiers 
de  l'Asie  antérieure,  plusieurs  qui  croissent  égale- 
ment à  l'état  spontané  dans  les  vallée  de  l'Himalaya, 
durent  être  cultivés  très  anciennement  dans  cette 
région  ;  tel  fut  le  noyer,  qu'on  trouve  planté  de  temps 
immémorial,  entre  1  000  et  3000  mètres,  dans  le 
Cachemire,  les  provinces  du  Nord-Ouest,  le  Népal,  le 
Sikkim  et  même  dans  les  monts  Khasia;  mais  il  ne 
réussit  plus  dans  la  plaine  du  Gange.  Le  noisetier 
colurna  avait  à  peine  besoin  d'être  cultivé,  on  ne  Ta 
aussi  planté  qu'exceptionnellement  dans  la  région  occi- 

1 .  Girardinia  D.  C. ,  Urtica  Willd . ,  heterophylla  Wedd . ,  pal- 
mata  Forsk.  —  Watt,  Dictionary,  vol.  in,p  .  498,  admet  encore 
la  variété  zeyianica  Den.,  que  Hooker,  Flora,  V,  550,  réunit  au 
type. 


LKS  ARBRES  FRUITIERS  279 

dentale  de  THimalaya,  où  il  vient  à  l'état  sauvage 
au-dessus  de  1 500  mètres  ^ 

Étranger  à  la  flore  de  Tlnde,  Tamandier  a  été,  dès 
longtemps  sans  doute,  importé  dans  le  Cachemire  et 
jusque  dans  le  Pandjab  ;  mais  dans  cette  dernière 
contrée  ses  fruits  sont  médiocres.  Les  espèces  de  ceri- 
siers indigènes  dans  la  région  himalayenne  ne  méri- 
taient guère  d'être  cultivées  ;  on  y  a  importé,  à  une 
époque  probablement  ancienne,  le  cerisier  proprement 
dit  et  le  merisier,  et  ils  sont  cultivés  dans  le  Nord- 
Ouest  jusqu'à  plus  de  2500  mètres  d'élévation*.  On  a 
cru  à  tort  que  la  variété  insititia  du  prunier  commun 
était  indigène  dans  Tlnde  septentrionale  ;  les  noms 
qu'y  portent  ses  fruits,  alû  et  alu-bukhâra,  semblent 
bien,  au  contraire,  indiquer  que  cet  arbre  est  d'origine 
étrangère  et  qu'il  a  été,  à  une  date  reculée  sans 
doute,  importé  de  l'Iran  dans  le  Cachemire  et  dans 
quelques  stations  élevées  du  Pandjab,  où  il  s'est 
acclimaté  '. 

Si  le  poirier  commun  est  peut-être  spontané  dans  le 
Cachemire,  il  parait  n'être  que  naturalisé  dans  la  région 
du  Nord-Ouest,  et  même  les  fruits  qu'il  y  donne,  ainsi 
que  dans  le  Pandjab,  où  il  est  également  planté,  y  sont 
durs  et  sans  saveur^.  Bien  qu'exotique  le  cognassier 
donne,  au  contraire,  jusqu*à  une  hauteur  de  2500 
mètres,  de  très  bons  fruits,  dans  les  provinces  du  Nord- 


1.  Brandis,  Flora,  p.  494  et  498.  —  Watt,  Dictionnry,  vol. 
II,  p.  575  et  IV,  550. 

2.  Brandis,  Flora,  p.  191  et  193.  —  Watt,  Dictionary,  vol. 
VI,  1,  p.  343  et  346. 

3.  Watt,  Dictionary,  vol.  VI,  1,  p.  347. 

4.  Brandis,  Flora,  ji.  204.  —  Watt,  Diclionary,  vol.  VI,  1, 
p.  374  et  377. 


280  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Ouest,  OÙ  il  a  dû  être  importé  très  âncieimement  *.  Le 
pommier,  qui,  lui,  croit,  il  semble,  à  Tétat  sauvage  dans 
la  région  occidentale  de  THimalaya  jusqu'à  3  000  mètres 
d'altitude,  y  est  aussi  cultivé  de  temps  immémorial  ; 
on  Ta  planté  également  dans  le  Pandjab,  le  Sindh  et 
même  dans  le  Dekkan,  où  il  donne  des  fruits  savoureux, 
bien  que  petits  ^  Indigène  dans  le  Souleiman  oriental 
et  dans  les  montagnes  du  haut  Pandjab,  le  grenadier 
—  dâdima,  dàlima  —  s'est  de  bonne  heure  répandu 
de  là  dans  tout  THindoustan  proprement  dit.  D'après 
le  pèlerin  chinois  Hiuen-Tsiang,  il  aurait,  au  vi"  siècle 
de  notre  ère,  été  cultivé  dans  l'Inde  entière.  Il  réussit 
surtout  dans  les  contrées  montueuses  ;  il  y  fleurit  en 
avril  ou  mai  et  ses  fruit  mûrissent  de  juillet  à  sep- 
tembre '. 

Si  Ton  a  supposé  peut-être  à  tort  que  la  vigne  était 
indigène  dans  le  Nord-Ouest  de  l'Himalaya,  elle  n'en 
a  pas  moins  été  cultivée  de  temps  immémorial  dans 
l'Inde  ;  ses  noms  sanscrits  drâkshâ,  mridcikay  ou  plu- 
tôt ceux  de  ses  fruits,  en  sont  déjà  une  preuve  ;  nous 
savons  de  plus  par  le  témoignage  d'Onésicrite,  qu'elle 
croissait  au  iv®  siècle  avant  notre  ère  et  produisait  du 
vin  dans  le  royaume  de  Musican*,  c'est-à-dire  dans 
le  Sindh  actuel;  à  plus  forte  raison  était-elle  cultivée 
dans  les  provinces  plus  septentrionales.  Théophraste 
nous  la  montre  dans  toute  la  région  montagneuse,  et 

1.  Brandis,  Flora,  p.  206.  —  Watt,  Dictionary,  vol.  II, 
p.  676. 

2.  J.  Forbes  Royle,  Illustrations  ofthe  Botany  of  the  Hima- 
layan  mountains,  vol.  I,  p.  206.  —  Brandis,  p.  205.    . 

3.  Buddhist  Records,  vol.  I,  p.  88.  —  Hrandis,  Flora,  p.  2U. 
Outre  le  nom  de  dâdima,  Amarasimha  donne  encore  au  grena- 
dier le  nom  de  karaka. 

4.  Strabon,  Geographica,  lib.  XV,  cap.  1,  22. 


LES  ARBRES  FRUITIERS  281 

une  tradition  rapportée  par  Strabon  la  faisait  croître 
dans  le  pays  de  Nysa  et  des  Oxydraques*.  Elle  a  con- 
tinué d'être  cultivée  dans  le  Pandjab  et  les  vallées  de 
l'Himalaya  occidental,  en  particulier  dans  le  Cache- 
mire, et  elle  y  donne  aujourd'hui  encore  des  raisins 
renommés.  On  la  plante  môme  — j'ignore  depuis  com- 
bien de  temps,  —  mais,  il  est  vrai,  seulement  pour  ses 
fruits,  dans  les  parties  élevées  des  provinces  cen- 
trales*. 

Bien  plus  récente  dans  l'Inde  que  la  culture  de  la 
plupart  des  arbres  fruitiers  dont  je  viens  de  parler, 
est  celle  du  pêcher  et  de  l'abricotier.  Quoique  Royle 
l'ait  regardé  comme  indigène  dans  plusieurs  districts 
de  l'Himalaya^,  le  pêcher,  en  réalité,  n'y  est  qu'accli- 
maté ;  il  a  été  apporté  de  Chine  dans  l'Inde,  comme 
dans  l'Iran,  et  probablement  vers  la  même  époque  ; 
mais  encore  que  sa  culture  ait  pris  une  certaine  exten- 
sion dans  le  Nord  du  bassin  du  Gange,  ses  fruits  y 
sont  médiocres  et  acides*.  Dans  quelques  vallées  du 
Sikkim  même,  ils  tombent  avant  la  maturité,  bien  que 
la  fleuraison  se  fasse  dans  de  bonnes  conditions.  L'abri- 
cotier a  mieux  réussi  que  le  pêcher  dans  l'Hindoustan 
septentrional,  où  il  a  pénétré  sans  doute  en  même  temps 
que  lui  ;  aujourd'hui  on  en  voit  de  véritables  bosquets 
auprès  de  presque  tous  les  villages  de  l'Himalaya.  Ses 

1.  Historia  plantarum,  lib.  IV,  cap.  4,  11.  —  Geographica^ 
lib.  X,  cap.  1,  7  et  8. 

2.  Herm.  von  Schlagintweit,  Heisen  in  Indien^  vol.  II,  p.  386 
et  425.  —  Brandis,  p.  98.  —  Watt,  vol.  VI,  4,  p.  269-276. 

3.  Illustrations  of  the  Botany,  vol.  I,  p.  204-205.  —  Le  pè- 
lerin chinois  HïuenTsisingj  Buddhist  BecnrdSy  vol.  I,  p.  88,  dit 
que  la  pêche  et  Tabricot  ont  été  importés  du  Cachemire  dans 
THindoustan.  V.  plus  haut,  liv.  I,  chap.  2,  p.  42  et  79-80. 

4.  J.-D.  Hooker,  Himalayan  Journals,  vol.  I,  p.  159. 


282  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

fruits  y  mûrissent  jusqu'à  l'attitude  de  10  000  pieds.  Il 
est  aussi  cultivé  dans  les  plaines  du  PaQdjab^ 

Originaires  de  la  région  himalayenne  ou  de  contrées 
plus  septentrionales  que  l'Inde  proprement  dite,  les 
arbres  fruitiers  dont  il  vient  d'être  question  sont 
presque  tous  restés  cantonnés  dans  le  Nord  ou  le 
Nord-Ouest.  Il  n'en  a  pas  été  de  même  de  ceux  dont 
il  me  faut  parler,  et  qui,  indigènes  dans  la  région 
tropicale  ou  sous-tropicale,  ont  été,  dès  les  temps  les 
plus  reculés,  cultivés  pour  la  plupart  dans  la  plaine  du 
Gange  et  dans  la  Péninsule.  L'habitat  primitif  des  deux 
premiers  que  nous  rencontrons  dans  l'ordre  de  la  clas- 
sification naturelle,  \es  Averrhoa  carambola  —  karma- 
ranga  —  et  bilimhi^  est  incertain*;  mais,  quel  qu'en 
soit  le  pays  d'origine,  ces  généraciacées  arbores- 
centes, aux  rameaux  toufi'us,  aux  feuilles  imparipen- 
nées,  sont  depuis  des  siècles  cultivées  dans  l'Inde 
tropicale  à  cause  de  leurs  fruits.  Ceux  du  carambola, 
de  couleur  jaune,  obovales  et  anguleux,  ont  jusqu'à 
neuf  centimètres  de  long  et  mûrissent  en  décembre 
ou  en  janvier.  Les  fruits  du  bilimbi  sont  plus  petits  et 
acides. 

Si  l'on  excepte  le  pamplemousier,  le  mandarinier  et 
peut-être  aussi  l'oranger  à  fruits  doux  ',  la  plupart  des 

1.  Brandis,  Flora,  p.  191.  —  Watt,  Dictionary,  vol.  VI,  1, 
p.  3'*5.  —  Al.  Cunningham,  Laler  Indo-Scythians  {The  numi$- 
matic  Chronicle,  vol.  XIIL  1893,  p.  104),  a  voulu  voir  dans  les 
fruits  du  fabuleux  tiptachora  de  Ctésias  des  pêches  ou  des 
abricots  ;  inutile  de  montrer  combien  est  peu  fondée  cette  sup- 
position. 

2.  Drury,  Use  fui  Plants,  p.  58,  dit  que  1*^4.  carambola  est 
originaire  de  Ceylan  et  VA.  bilimbi  du  Travancore.  —  Hooker, 
Flora,  vol.  I,  p.  439,  les  considère  l'un  et  l'autre  comme  d'ori- 
gine inconnue. 

S.  Cilrus  (iecumanaV>l\\[d.,nobilis  Lour.  et  auranlium Risso. 


LES  ARBRES  FRUITIERS  283 

espèces  du  genre  Citrus  sont  origninaires  de  l'Inde. 
C'est  de  là,  nous  Tavons  vu,  que  Tune  d'elles,  le  cédra- 
tier*, a  pénétré,  probablement  sous  les  Achéménides, 
dans  la  Perse  et  dans  la  Médie  ;  mais  les  écrivains 
grecs  et  romains,  qui  ont  décrit  cet  arbre,  le  regar- 
daient comme  appartenant  à  la  flore  de  l'Iran  ^  et  ont 
ignoré  qu'il  venait  de  l'Inde.  Chose  qui  peut  surpren- 
dre, les  anciens  textes  sanscrits  n'en  font  pas  mention. 
Croissant  à  l'état  sauvage  dans  les  monts Khasia,  ainsi 
que  dans  le  Koumaon,  le  cédratier  —  vijapûra  — 
s'est  répandu  dans  toute  la  région  chaude  et  humide 
de  rinde.  On  a  attribué  le  même  habitat  au  citronnier 
proprement  dit  ou  limonier^  —  keçarâmba\  —  mais 
si  Ton  en  croit  Watt,  son  origine  véritable  serait  incer- 
taine. Quoi  qu'il  en  soit,  cet  arbre  est  cultivé  aujour- 
d'hui dans  rinde  entière,  et  il  l'a  été  dès  longtemps  ; 
un  poète  nous  le  montre  planté  en  haies  dans  les  jar- 
dins*. Toutefois  il  semble  n'avoir  pénétré  dans  l'Occi- 
dent qu'au  moyen  âge.  Non  moins  anciennement  que  le 
limonier,  a  dû  être  cultivé,  dans  l'Inde,  le  citronnier 
acide  *  — jamblra^  —r  qu'on  trouve  à  l'état  spontané  dans 
toutes  les  vallées  tropicales  de  l'Himalaya,  ainsi  proba- 
blement que  dans  les  régions  montagneuses  des  pro- 
vinces centrales  et  occidentales  de  la  Péninsule.  Une 


1.  Citrus  medica  L.,  le  citron  des  Anglais,  le  cedro  des  Ita- 
liens. Brandis,  p.  52. 

2.  Théophraste,  Historia,  lib.  [V,  cap.  4,  3.  —  Pline,  lib. 
XII,  cap.  7. 

3.  Citrus  timonum  Risso,  le  lemon  des  Anglais,  le  limone 
des  Italiens.  Le  mot  lemon  est  dérivé  du  persan  limàn.  Watt, 
Dictionary,  vol.  Il,  p.  352. 

4.  Bhavabhuti,  Mâlati  et  Mâdhava,  acteVI.Trad.  L.  Fritze, 
p.  77.  Bhavabhuti  donne  au  citronnier  le  nom  de  mâtulungd. 

5.  Citrus  acida  Roxb.  —  Watt,  Dictionary,  vol.  II,  p.  355. 


284  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

autre  espèce,  le  citronnier  doux  ou  limette*  —  madhu- 
karkatikûy  —  qu'on  croit  indigène  dans  les  Nilghirri, 
est  aussi  cultivée  dans  la  plus  grande  partie  de  Tlnde  ; 
mais  j'ignore  depuis  quelle  époque. 

Les  orangers  à  fruits  doux  et  à  fruits  amers  sont 
répandus  dans  une  partie  de  Tlnde  ;  mais  on  ignore 
depuis  combien  de  temps  ils  y  sont  cultivés.  Indigène, 
comme  le  citronnier  acide,  dans  le  sous-Himalaya,  du 
Garhwal  aux  monts  Khasia,  l'oranger  à  fruits  amers 
ou  bigaradier'  —  nâgaranga  —  a  dû  être  planté  de 
bonne  heure  dans  les  jardins  hindous,  mais  c'est  tout 
ce  que  Ton  peut  dire.  Quant  à  l'oranger  à  fruits  doux^ 
il  paraît  étranger  ;  originaire  de  Tlndo-Chine  et  de  la 
Chine  méridionale,  il  n'a  été  cultivé  dans  l'Inde  qu'assez 
tard.  De  CandoUe  suppose  qu'il  a  pu  y  être  importé 
vers  le  commencement  de  notre  ère  ;  au  vu®  siècle, 
d'après  le  pèlerin  chinois  Hiuen  Tsiang*,  il  était  com- 
mun dans  l'Hindoustan  ;  on  le  cultive  surtout  dans  les 
monts  Khasia,  dans  les  provinces  centrales  et  dans 
quelques-unes  des  vallées  semi-tropicales  de  l'Hima- 
laya. 

Indigène  dans  les  forêts  du  sous-Himalaya  situées 
à  l'Est  de  la  Ravi,  et  dans  les  plaines  de  l'Inde  cen- 


1.  Cttrus  limeita  Risso.  —  A.  de  Candolle  (Origine  des  Plantes  y 
p.  142)  réunit  à  cette  espèce,  comme  Risso,  le  C.  /Mmta,  variété 
à  fleurs  teintées  de  rouge. 

2.  Citruft  higaradia  Risso,  Varancio  forte  des  Italiens,  la 
pomeranze  des  Allemands.  —  Watt,  Dictionary^  vol.  II, 
p.  3'*5.  —  Brandis,  p.  53. 

3.  Citrus  aurantium  L.,  appelé  aussi  iiàgarahga  en  sanscrit, 
hind.  nârangi,  ar.  nàranjy  pers.  nârang^  esp.  naranjOy  port. 
laranjeira,  it.  arancio  ou  melarancio.  Watt,  vol.  II,  p.  336.  — 
Hoxburgh,  Flora,  III,  p.  392. 

4.  Buddhist  Records,  vol.  F,  p.  88. —  A.  de  Candolle,  p.  145. 


LES  ARBRES  FRUITIERS  285 

tral,  le  pommier  des  éléphants*  —  kapittha  —  a  été 
sans  doute  cultivé  depuis  longtemps  ;  il  est  planté  au 
bord  des  routes,  dans  le  voisinage  de  presque  tous  les 
villages.  D'une  hauteur  moyenne,  à  la  cime  élégam- 
ment arrondie,  cet  arbre  fleurit  de  février  à  mai,  et 
ses  fruits  globuleux,  pleins  d'une  pulpe  charnue  et 
acide,  mûrissent  en  octobre.  Il  faut  rapprocher  du  ka- 
pittha le  bel'  —  bilva  OM  màlûra,  — arbre  de  la  même 
famille,  spontané  de  THimalaya  oriental  au  Travan- 
core,  et  cultivé  de  temps  immémorial  dans  l'Inde  en- 
tière. Il  peut  atteindre  une  hauteur  de  35  pieds  ;  son 
tronc  droit  et  comprimé  est  garni  d'un  petit  nombre  de 
rameaux,  armés  d'épines  fortes  et  tranchantes  et  cou- 
verts de  feuilles  trifoliées  d'un  vert  pâle.  Les  fleurs, 
d'un  blanc  grisâtre,  à  odeur  mielleuse,  sont  disposées 
en  panicule  ;  elles  fleurissent  vers  le  mois  de  mai,  et 
les  fruits,  recouverts  d'une  écorce  lisse  et  jaunâtre, 
mûrissent  en  octobre  ou  novembre.  Tantôt  globuleux, 
tantôt  oblongs  oii  pyriformes,  mais  toujours  d'une  gros- 
seur considérable,  ils  renferment  une  pulpe  douce  et 
aromatique  de  couleur  orangée. 

La  famille  des  rhamnées  renferme,  comme  celle  des 
rutacées,  plusieurs  arbres  à  fruits  cultivés  dans  l'Inde. 
Originaire  peut-être  du  Népal,  VHovenia  duicS  est,  de 
nos  jours  et  probablement  depuis  longtemps,  planté 
dans  la  région  moyenne  de  l'Himalaya  et  parfois  même 
dans  le  haut  Pandjab  '^  ;  son  tronc  droit  et  élancé,  que 
surmonte    une  large  couronne   de   rameaux    touffus, 

1.  Feronia  elephanlum  Gorr.,  Kralaeva  vallanga  Kœn.  — 
Brandis,  p.  56.  —  Watt,  vol.  lïl,  p.  324. 

2.  Aegle  Corr.  (Cralaeva  L.),  marmetos.  —  Drury,  Useful 
Plants,  p.  17.  —  Brandis,  p.  57. 

3.  Roxburgh,  Flora,  vol.  I,  p.  630.  —  Brandis,  p.  94. 


286  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

s'élève  à  une  hauteur  de  30  pieds  ;  en  avril  ou  mai,  il 
se  couvre  de  fleurs  blanchâtres,  et  le  fruit,  porté  sur 
un  pédicelle  mince,  mais  épaissi  à  sa  partie  supérieure, 
mûrit  en  juillet. 

Des  différents  jujubiers,  indigènes  dansTInde,  trois 
surtout,  les  jujubiers  nummulaire,  commun  et  propre- 
ment dit*,  paraissent  avoir  été  de  temps  immémorial 
cultivés  dans  cette  contrée.  Spontané  dans  la  région 
dq  Nord-Ouest  et  dans  les  parties  arides  de  Tlnde 
méridionale,  le  Ziujplus  nummularia  est  un  arbrisseau 
souvent  planté  en  clôtures  autour  des  jardins  et  des 
champs.  Les  jujubiers  commun  et  jujuba  atteignent 
aux  dimensions  de  petits  arbres;  le  premier,  origi- 
naire du  Pandjab,  y  est  aussi  cultivé,  ainsi  que  dans  les 
contrées  voisines  ;  le  second  —  badart,  karkandhu  et 
kôli  —  est  planté  dans  Tlnde  entière,  où  il  est  aussi 
indigène,  de  THimalaya  au  Sud  de  la  Péninsule.  Tous 
deux  fleurissent  du  mois  de  mars  ou  avril  au  mois  de 
juin,  suivant  Taltitude,  et  leurs  fruits,  comme  ceux 
du  jujubier  nummulaire,  mûrissent  pendant  Thiver*. 

Indigène  sur  les  collines  de  Khasia,  dans  le  Sikkim 
et  les  vallées  des  monts  Satpoura  et  des  Ghates  occi- 
dentales, le  manguier  —  âmra^  —  s'est,  à  cause  de  la 
beauté  de  son  feuillage  vert  sombre  et  persistant,  le 
parfum  de  ses  fleurs  et  surtout  la  saveur  de  ses  fruits, 
répandu  de  là  dans  Tlnde  entière.  Il  y  est  cultivé 
depuis  l'époque  la  plus  reculée.  Dans  une  de  ses  in- 
scriptions, Açoka  se  vante  d'avoir  fait  des  plantations 

1.  Zizyphus  nummularia  Prodr.,  vulgaris  et  jujuba  Lam. 

2.  Brandis,  Flora,  p.  85-88.  —  Watt,  Dictionary,  vol.  VI,  4, 
p.  368-373. 

3.  Mangifera  indica  L.  —  Amarasimha  lui  donne  encore  les 
noms  de  cuti  et  rasâli,  vol.  I,  p.  86. 


LES  ARBRES  FRUITIERS  287 

de  manguiers*.  L'exemple  donné  par  le  célèbre  mo- 
narque a  été  suivi.  A  l'exception  du  Pandjab,  où  ses 
fruits  ne  mûrissent  pas,  le  manguier  est  planté  dans 
tous  les  jardins  hindous,  du  pied  de  THimalaya  au  cap 
Comorin  ;  il  réussit  surtout  sur  la  côte  de  Malabar, 
dans  rOrissa,  et  au  Bengale.  On  en  compte  plusieurs 
centaines  de  variétés.  Cet  arbre,  de  la  famille  des  Ana- 
cardiacées,  atteint  parfois  des  dimensions  considé- 
rables, il  s'élève  jusqu'à  70  pieds,  et  Roxburgh  parle  de 
vieux  manguiers  qui  n'avaient  pas  moins  de  15  pieds 
de  circonférence*.  Les  fleurs  d'un  jaune  pâle  s'épa- 
nouissent à  la  fin  de  l'hiver,  en  même  temps  que  les 
feuilles  commencent  à  pousser,  et  les  fruits,  «  les  meil- 
leurs de  l'Hindoustan  '  »  mûrissent  du  mois  de  mai  au 
mois  de  juillet  ;  de  la  forme  et  de  la  couleur  à  peu  près 
d'un  abricot,  ils  peuvent  atteindre  la  grosseur  d'un 
œuf  d'oie.  On  plante  aussi  —  j'ignore  depuis  quelle 
époque  —  dans  les  jardins  hindous  un  autre  arbre  de  la 
même  famille  que  le  manguier,  mais  plus  petit  que  lui, 
Vâmrataki  ou  kaptlana^.  Couvert  de  longues  feuilles 

—  elles  ont  jusqu'à  7  décimètres  —  pinnatifides  et  d'un 
vert  brillant,  mais  caduques,  ses  larges  panicules  de 
fleurs  blanches  s'épanouissent  en  avril,  et  ses  fruits 
ovoïdes  et  charnus  mûrissent  pendant  la  saison  froide. 

Les  deux  arbres  fruitiers  dont  il   me  faut  parler 
maintenant,  le  moringa  et  le  tamarin,  ne  portent  point 

1.  Asiaiic  Journal  of  Bombay,  vol.  VI,  p.  595.  — Senart, 
Le»  inscriptions  de  Piyadasi.  Paris,  1881,  in-8,  vol.  II,  n»  8, 
p.  96. 

2.  Flora  indica,  vol.  I,  p.  642. 

3.  Mémoires  de  Baber,  traduit  par  Pavet  de  Courtellle, 
vol.  II,  p.  208. 

4.  Spondias  mangifera  Pars.  —  Amarakoçaj  vol.  I,  p.  85. 

—  Brandis,  Flora,  p.  128. 


288  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

de  drupes   ou  de  baies,  comme  ceux  que  je  viens  de 
décrire,  mais  des  gousses.  Le  premier*  — çôbhânjanay 
—  indigène  dans  le  sous-Himalaya  moyen,  est  un  petit 
arbre  au  tronc  droit,  aux  grandes  feuilles  tripinnées, 
à  fleurs  blanches,  tâchées  4e  jaune,  odorantes  et  réu- 
nies   en  panicules   à   Textrémité   des   rameaux,  aux 
longues  gousses  pendantes.  Il  est  cultivé  dans  la  plus 
grande    partie  de  l'Inde.  Le  second  —  Tamarindus 
indica  —  peut  atteindre  à  des  proportions  considéra- 
bles ;  Brandis  parle  de  80  pieds  et  davantage^  Sa  cime 
large  et  ombreuse,  ses  feuilles  pinnées  et  persistantes, 
ses  fleurs   en   grappes  pendantes,  aux  pétales  jaunes 
et  rayés  de  rouge,  font  de  cet  arbre  un  des  plus  beaux 
de  rinde.  Il  fleurit  pendant  la  saison  chaude  et  ses 
gousses   arrivent   à  maturité  au  milieu  de  l'hiver*. 
Répandu  de  nos  jours  dans  Tlnde  entière,  le  Nord- 
Ouest  du   Pandjab  excepté,    il  y  est  cultivé   depuis 
l'antiquité  la  plus  reculée,  encore  qu'on  Tait  regardé 
comme  exotique*.  Il  portait  en  sanscrit  les  noms  d'am- 
lika   et   de  tintidî;  celui  que  nous  lui  donnons  est 
dérivé  de  l'arabe  tamar  hindi  «  palmier  de  l'Inde  ». 
Malgré  la  médiocrité  de  ses  fruits,  le  jambousier 
ou  pomme  rose  **  — jambu,  —  arbre  de  la  famille  des 
myrtacées,  a  été  très  anciennement  cultivé,  et  du  Sik- 
kim,  où  il  semble  indigène,  il  a  pénétré  dans  tous  les 


1.  Moringa  pterygosperma  Gàrtn.  —  Hyperanthera  morxnga 
Roxb.  —  Aaialic  Besearches,  vol.  IV,  p.  277. 

2.  Tke  Forest  Flora,  p.  163. 

3.  Asiatic  Researches,  vol.  IV,  p.  247.  —  Roxburgh,  vol.  III, 
p.  216. 

4.  Hooker,  The  Flora,  vol.  II,  p.  273,  après  Brandis,  le  dit 
originaire  de  l'Afrique  tropicale. 

5.  Eugenia  jamhos  L.,  Jambosa  vulgaris  DC.  —   Asiatic 
Researchea,  vol.  I,  p.  419.  —  Brandis,  Flora,  p.  233. 


LES  ARBRES  FRUITIERS  289 

jardins  de  l'Inde,  et  il  est  devenu  comme  le  symbole 
de  cette  contrée.  De  petite  taille,  avec  les  feuilles 
entières  et  coriaces,  de  15  à  25  centimètres  de  long, 
de  grandes  fleurs  aux  pétales  blancs,  son  fruit  demi- 
globuleux,  de  un  à  deux  pouces  de  long,  mûrit  de 
juillet  en  août.  On  cultive  aussi  dans  Tlnde  un  autre 
arbre  du  même  genre,  le  jambula^,  indigène  du 
Pandjab  à  la  côte  de  Coromandel  ;  grand  et  robuste, 
il  atteint  de  70  à  80  pieds  et  réussit  dans  tous  les  ter- 
rains et  à  toutes  les  altitudes  ;  ses  fleurs  petites  et 
grisâtres  apparaissent  en  mars  ou  avril  et  le  fruit 
qui  ressemble  à  un  œuf  de  pigeon,  mûrit  en  juillet. 

Le  kadamba  ou  nipa  ^  grand  arbre  de  la  famille 
des  rubiacées,  s*est,  du  Canara,  où  il  parait  indigène, 
répandu  et  a  été  cultivé  dès  longtemps  dans  toute  la 
région  humide  de  llnde  septentrionale  ;  ses  feuilles 
opposées,  entières  et  ovales  sont  lisses  et  coriaces  ;  ses 
fleurs  orangées  sont  petites,  mais  parfumées;  ses  fruits 
jaunes  à  la  maturité  sont  charnus  et  remplis  de  graines 
nombreuses  '. 

Dans  les  descriptions  des  poètes  hindous  il  est  sou- 
vent question  du  bakula  ou  keçara^^  sapotàcée,  ana- 
logue au  perséa  des  anciens  Égyptiens,  mais  indigène 
dans  les  forets  du  Dekkan.  Au  feuillage  toujours  vert 
brillant,  avec  des  bouquets  de  fleurs  blanches  et  odo- 
rantes, son  ombr^  épaisse  et  le  parfum  de  ses  fleurs  ont 
fait  dès  longtemps  planter  cet  arbre  dans  tous  les  jar- 
dins ;  on  le  rencontre  dans  Tlnde  entière  à  Texception 

1.  Eugenia  jamboîana.  —  Roxburgh,  Flora,  vol.  II,  p.  484. 
—  Brandis,  Flora,  p.  234. 

2.  Anthocephalus  Benth.,  Nauclea  Roxb.,  cadamba. 

3.  Brandis,  Flora,  p.  262. 

4.  Mî'musops  elengi  L.  —  Brandis,  Flora,  p.  293. 

JoRET.  —  Les  Plantes  dans  l*anliquité.  II.  —  19 


290  LES  PI.ANTKS  CHEZ  LES  HINDOUS 

de  la  contrée  du  Nord-Ouest.  Il  produit  de  petites 
baies  qui  deviennent  jaunes  à  la  maturité  et  sont  rem- 
plies d'une  pulpe  douceâtre,  d'un  goût  assez  agréable. 
On  cultive  aussi  dans  Tlnde  une  autre  espèce  de 
mimusops*  —  le  kshirimi; — indigène  comme  le  bakula 
dans  les  forêts  montagneuses  de  la  Péninsule,  il  rappelle 
cet  arbre  par  son  port,  ses  fleurs  et  ses  fruits.  On  le 
plante  aux  bords  des  routes  dans  le  voisinage  des 
villages.  On  rencontre  aussi  dans  l'Inde  centrale,  mais 
plus  à  l'état  spontané  que  cultivé,  une  autre  sapotacée, 
le  raohwa  *  —  madhiika,  —  arbre  de  12  à  15  mètres  de 
haut,  aux  feuilles  alternes,  oblongues  et  épaisses,  aux 
fleurs  blanc-crêrae  et  charnues,  qui  s'épanouissent  en 
mars  ou  avril  ;  les  baies  verdâtres,  de  la  grosseur  d'une 
petite  pomme,  mûrissent  en  juin  et  juillet. 

Le  Carissa  carandas  —  karamarda  —  arbuste  de  la 
famille  des  apocynées,  garni  d'épines  géminées  fortes 
e(,  tranchantes,  qui  le  rendent  propre  à  faire  d'impé- 
nétrables palissades  ;  ses  fleurs  blanches,  inodores^  en 
corymbes  terminaux,  s'épanouissent  de  janvier  en 
avril  ;  le  fruit  mûrit  en  juillet  ou  août;  c'est  une  baie 
ovoïde  rouge  d'abord  noire  à  la  maturité,  d'un  goût 
un  peu  acidulé.  Indigène,  dit-on,  dans  le  pays  d'Oudh, 
le  karamarda  est  cultivé  dans  l'Inde  presque  en- 
tière'. 

Nous  connaissons  déjà  le  sébestier  —  Cordia  myxa, 
—  cet  arbre  de  la  famille  des  boraginées,  cultivé  an- 
ciennement en  Egypte,  où  il  avait  été  probablement 

1.  Mimusnps  indica  DC,  hexandra  !..  —   Brandis,   Flora, 
p.  291.  —  Watt,  Dictionary,  vol.  V,  p.  252. 

2.  Bassia  latifolia  Roxb. —  Drury,  Useful  Plants,  p.  69. — 
Brandis,  Flora,  p.  289. 

3.  Drury,  Useful  Plants,  p.  116.  —  Brandis,  Flora,  p.  320. 


LES  ARBRES  FRUITIERS  291 

importé^;  indigène  dans  le  sous-Himalaya  et  dans 
rinde  centrale  et  méridionale,  il  y  est  en  même  temps 
et  depuis  Tépoque  la  plus  reculée,  l'objet  d'une  culture 
étendue.  Il  portait  en  sanscrit  le  nom  de  selu.  S'éle- 
vant  à  10  à  12  mètres,  ses  branches  touffues  et  étalées 
forment  une  cime  arrondie  et  ombreuse  ;  ses  feuilles 
rudes,  ovales,  arrondies  à  la  base,  mesurant  8  à  15  cen- 
timètres de  long,  persistent  jusqu'à  la  fin  de  Thiver  ; 
les  fleurs  blanches  réunies  en  corymbe  s'épanouissent 
en  mars  ou  avril  ;  le  fruit  mûrit  de  mai  à  juillet  ;  c'est 
une  drupe  d'environ  trois  centimètres  de  long,  sup- 
portée par  le  calice  élargi  et  persistant,  et  remplie  d'une 
pulpe  visqueuse  avec  un  noyau  très  dur  au  centre  *. 

Plusieurs  des  nombreuses  espèces  de  figuiers  hin- 
doustaniques  ont  été  cultivés  de  temps  immémorial 
dans  la  péninsule,  mais  plus  à  cause  de  leur  ombre,  de 
leur  port  majestueux  ou  de  leur  caractère  religieux,  il 
est  vrai,  que  pour  leurs  fruits.  Les  lois  de  Manou, 
prescrivaient  de  planter^  comme  bornes  des  champs, 
entre  autres  arbres,  le  nyayrorf//a,  ou  figuier  de  l'Inde, 
et  Vacvatha,  ou  figuier  religieux.  Indigène  dans  la  région 
sous-himalayenne  et  dans  l'Inde  centrale,  le  premier*, 
«  l'arbre  des  Banians  »,  portait  encore  en  sanscrit  le 

1.  Les  Plantes  dans  V antiquité ,  vol.  1,  p.  124. 

2.  Drury,  op.  laud,,  p.  159.  —  Brandis,  Flora,  p.  336. 

3.  Lois  de  Manou^  liv.  VIII,  246.  On  y  mettait  aussi  des 
kimçukas  —  Butea  frondosa  Roxb.,  —  des  çalmalis  —  Bom- 
bax  malabaricum  DC,  —  des  çàlas,  des  tâlas,  des  bambous, 
des  çamis  —  Acacia  suma  Kurz.  ou  Prosopis  spicigera  L.,  — 
des  roseaux  et  des  touffes  de  kubjakas,  enfin  des  lianes,  telles 
peut-être  que  la  Cœsalpinia  sepiaria  Roxb.,  que  Haîder  Ali 
faisait  planter  autour  de  ses  forteresses  pour  en  rendre  l'ap- 
proche inaccessible.  Brandis,  p.  156. 

4.  FictAS  indica  Roxb.  ou  Ficus  bengalensis  L.  —  Brandis, 
Flora,  p.  413. 


i 


292  LfiS  PI,ANTES  CUEZ  LES  HINDOUS 

nom  de  vata,  et  le  grand  nombre  de  ses  racines  adven- 
tives  lui  avait  fait  donner  le  surnom  de  bahupada 
«  aux  pieds  nombreux  ».  Ses  feuilles  entières,  cordées 
à  la  base,  ont  de  12  à  24  centimètres  de  long  ;  ses 
branches  étalées  répandent  une  ombre  épaisse,  qui 
l'ont  fait  cultiver  de  tout  temps,  a  J'ai  planté  au  bord 
des  routes,  dit  Açoka  dans  un  de  ses  édits*,  des  nya- 
grodhas  pour  qu'ils  donnent  de  l'ombre  aux  hommes 
et  aux  animaux.  »  Il  y  avait  et  il  y  a  encore  un  figuier 
des  Banians,  —  le  grâmadruma  «  l'arbre  du  village  », — 
dans  presque  tous  les  bourgs  de  l'Inde,  à  l'endroit  où 
se  croisent  les  rues  principales  *.  A  l'époque  de  la  ma- 
turité, en  avril  ou  mai,  les  fruits  dunyagrodha  devien- 
nent rougeâtres  ;  ils  sont  comestibles,  mais  petits  et 
de  médiocre  qualité.  La  grandeur  du  figuier  de  l'Inde, 
ses  dimensions  vraiment  énormes,  qui  le  font  ressem- 
bler à  un  temple  de  verdure,  ont  frappé  tous  les  voya- 
geurs depuis  l'antiquité  grecque* jusqu'à  nos  jours,  et 
l'ont  fait  célébrer  par  les  poètes  comme  le  plus  beau  des 
arbres  de  la  terre.  Il  atteint  parfois  à  des  proportions 
colossales.  Roxburgh  dit  avoir  vu  des  banyans  hauts  de 
100  pieds  et  dont  les  branches  couvraient  un  espace  d'au 
moins  500  toises  de  circonférence*.  Il  y  en  a  un  dans 
une  île  de  laNarbada,  un  peu  au-dessus  de  Barygaza,  qui, 
avant  d'être,  en  1783,  détruit  en  partie  par  un  ouragan, 
avait  plus  de  1300  troncs  principaux  et  plus  de  3000 

1.  E.  Senart,  Lti  inscriptions  de  Piyadasiy  vol.  II,  n®  8, 
p.  96. 

2.  Râmùyana,  lib.  H,  cant.  6. 

3.  Strabon,  Geographica,  lib.  XV\  cap.  1,  21  (694).  Pline, 
lib.  XH.  11.  —  Tavernier,  Voyages  de  Perse,  liv.  V,  chap.  23, 
p.  736;  Voyages  des  Indes,  liv.  III,  chap.  6,  p.  420.  Cf.  plus 
haut,  p.  237. 

4.  Lassen,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  255. 


LES  ARBRES  FRUITIERS  293 

troncs  plus  petits  ;  une  armée  de  6  à  7  000  hommes 
pouvait  camper  sous  son  ombre.  On  lui  donne 
500  ans  d'existence,  mais  il  en  a  probablement  bien 
davantage.  Quand  les  graines  du  nyagrodha,  empor- 
tées par  les  oiseaux,  tombent  dans  l'axe  des  feuilles 
du  palmier  en  éventail,  elles  y  germent  et  les  racines 
descendent  le  long  du  tronc  qu'elles  enlacent  peu  à  peu, 
à  l'exception  de  la  cime.  A  la  fin  on  ne  voit  plus  que 
la  tête  et  les  feuilles  du  palmier  émerger  du  milieu 
du  banyan  ;  c'est  là,  aux  yeux  des  indigènes,  une 
union  sainte,  et  ils  la  regardent  avec  vénération  *. 

L'açvattha,  ou  figuier  religieux  ^  est  aussi  un  arbre 
de  grandes  proportions;  il  atteint  jusqu'à  90  pieds  de 
haut,  et  son  tronc  de  forme  irrégulière  et  cannelé 
peut  avoir  de  25  à  30  pieds  de  circonférence.  Mais  les 
branches,  nombreuses  et  divergentes,  ne  se  recourbent 
pas  vers  le  sol  et  n'y  envoient  pas  de  racines  adven- 
tives  comme  le  nyagrodha.  Les  fruits  sessiles,  axil- 
laires  ont  à  la  maturité  la  couleur  et  la  grosseur  d'une 
petite  cerise  noire.  Les  oiseaux  en  sont  friands,  et  la 
graine,  portée  par  eux  sur  d'autres  arbres,  y  germent 
et  donnent  naissance  à  de  gigantesques  épiphytes  qui 
font  bientôt  périr  leur  support.  Les  feuilles  de  l'açvat- 
tha pendantes,  cordiformes,  de  9  à  12  centimètres  de 
large,  sont  terminées  par  une  longue  pointe  et  portées 
par  un  pétiole  mince  et  long,  qui  les  rend  excessive- 
ment mobiles  ;  cela  a  fait  donner  à  ce  figuier  le  nom 
de  caladala  «  aux  feuilles  tremblantes  ».  Les  Boud- 
dhistes lui  ont  attribué  celui  de  bôdhidruma  «  arbre 


1.  Roxburgh,  Flora,  vol.  III,  p.  540-541. 

2.  Ficus  religiosa  L.,  Urosligma  religiosum  Gasp.  —  Rox- 
burgh,  Flora,  vol.  III,  p.  548.  —  Brandis,  Flora,  p.  415. 


29i  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

I 

de  l'intelligence  ».  Ses  fruits  ont  reçu  le  nom  de  pip- 
/îû/a,  que.  portait  aussi  d'ailleurs  l'arbre  lui-même*. 
Indigène,  comme  le  nyagrodha  dans  la  région  sous- 
himalayenne  et  dans  les  provinces  centrales,  l'açvattha 
a  été  planté  de  temps  immémorial  dans  l'Inde  entière, 
et  les  Bouddhistes  l'ont  porté  bien  au-delà  des  fron- 
tières de  ce  pays.  Au  bout  de  la  grande  rue  de  Pes- 
hawer,  on  en  voit  encore  un,  remarquable  par  ses 
dimensions  colossales  et  son  antiquité*.  Son  nom  ap- 
paraît déjà  dans  le  Rig  Véda,  qui  ne  parle  pas  du  nya- 
,  grodha  ;  il  est  d'abord  question  de  celui-ci  dans 
l'AtharvaVéda\ 

Ce  dernier  recueil  et  la  Taittiriyasamhità  font  aussi 
mention  du  figuier  tinctorial* — plaksha,  —  ainsi  que  du 
figuier  à  fruits  agglomérés*^  —  udumbaroy  —  espèces 
indigènes,  la  première  dans  la  chaîne  du  Souleiman, 
les  monts  Salifères  et  la  région  du  Siwalik,  la  seconde 
dans  le  bas  Himalaya  et  la  Péninsule.  Aux  feuilles 
coriaces,  brillantes  et  brusquement  acuminées,  le 
plaksha  porte  des  fruits  globuleux,  mais  petits  et  blan- 
châtres à  la  maturité.  Il  croît  avec  rapidité,  ce  qui  le 
rend  propre  à  faire  des  avenues,  et  atteint  jusqu'à  12  à 
13  mètres  de  haut;  de  ses  branches  se  détachent  assez 
souvent  des  racines  adventives,  mais  elles  ne  donnent 


1.  D'où  le  nova  pipul  on  pipai,  par  lequel  les  Hindous  dé- 
signent aujourd'hui  le  figuier  religieux.  Asiatic  Hesearches, 
vol.  IV,  p.  309. 

2.  A.  Foucher,  Sur  la  frontière  indo- afghane.  Paris,  s.  d. 
(1901),  in-12,  p.  212. 

3.  Rig  Veda,  lib.  I,  135,  8.   Alharva  Veda,  lib.  V,  cap.  5,  5. 

4.  Ficus  infectoria  Willd.  Atharva  Veda,  lib.  V,  cap.  5,  5. 
—  Taittiriyasamhità  y  VII,   4  ;  XII.  l.  —  Brandis,  p.  416. 

5.  Ficus  glomerata  Roxb.  —  Atharva  Veda,  XIX,  31,  1.  — 
T.  6'.,  II,  1;  I,  6,  V,  4;  7,  3.  Cf.  H.Zimmer,  p.  59. 


/ 


LES  ARBRES  FRUITIERS  295 

pas  naissance  à  de  nouveaux  arbres.  L'udiirabara  est 
plus  grand  que  le  plaksha  ;  Brandis  parle  d'udumbaras 
de  la  vallée  du  Satledj,  qui  mesurent  de  27  à  34  mètres 
de  haut*.  Cet  arbre  vit  parfois,  comme  le  nyagrodha 
et  raçvattha,  en  parasite  sur  d'autres  arbres.  Ses 
feuilles,  lancéolées  et  entières  ont  de  12  à  18  centi- 
mètres de  long;  ses  rameaux  sont  pleins  d'un  suc  ou 
latex  abondant  ;  ses  fruits  demi-globuleux,  de  la  gros- 
seur d'une  figue  ordinaire,  mûrissent  du  mois  d'avril 
au  mois  de  juillet,  suivant  l'altitude;  ils  prennent 
alors  une  couleur  rouge-orange. 

On  plante  souvent  aussi  dans  la  région  sous-hima- 
layenne  et  dans  les  plaines  du  Nord-Ouest  le  figuier 
ordinaire  '  aux  feuilles  cordiformes,  dentées  et  plus  ou 
moins  profondément  lobées;  étranger  à  la  flore  de 
rinde,  il  a  été  importé  de  l'Iran  dans  ce  pays  à  une 
époque  inconnue,  mais  qui  n'est  peut-être  pas  bien  re- 
culée ;  car  ni  les  Védas,  ni  les  textes  sanscrits  plus 
récents  n'en  font  mention. 

La  culture  du  mûrier  à  fruits  noirs  —  Morus  nigra 
—  si  répandue  dans  l'Asie  antérieure,  est-elle  ancienne 
dans  l'Inde?  Il  est  impossible  de  le  dire  par  suite  du 
manque  de  renseignements;  mais  on  peut  supposer 
que  cet  arbre  avait  déjà  pénétré  à  une  époque  reculée 
dans  le  Cachemire,  le  Nord-Ouest  de  l'Himalaya  et  le 
Pandjab,  oii  il  est  planté  aujourd'hui  surtout  à  cause 
de  ses  fruits'.  On  cultive  également  dans  l'Hindoustan, 
de  nos  jours  et  sans  doute  depuis  longtemps,  une  autre 


1.  The  Forest  Flora,  p.  422. 

2.  Ficus  carica  L.  —  Brandis.  Flora,  p.  418.  —  Watt,  Dic- 
tionary,  vo!.  III,  p.  347,  lui  attribue  le  nom  sanscrit  anjira. 

3.  Brandis,  The  Flora,  p.  408. 


296  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

espèce  de  mûrier,  le  lula  *,  indigène  dans  la  région 
sous-himalayenne  et  sur  les  collines  du  Pandjab,  ainsi 
que  dans  les  vallées  du  Sikkim.  Arbre  de  petite  taille,  à 
feuilles  caduques,  ovales,  longuement acuminées,  dente- 
lées et  souvent  profondément  lobées,  il  porte  des  fruits 
petits,  ovoïdes,  noirs  à  la  maturité,  mais  sans  valeur; 
aussi  ce  mûrier  n*est-il  cultivé  que  pour  ses  feuilles. 

Avec  le  jacquier'  — panasa,  le  jack-tree  des  An- 
glais —  nous  retrouvons  un  arbre  à  fruit  d'une  réelle 
importance.  D'une  origine  incertaine,  mais  probable- 
ment indigène  dans  les  Ghates  occidentales',  cet  arbre 
est  cultivé,  et  depuis  longtemps  sans  doute,  dans  le 
centre  et  le  Sud  de  la  Péninsule,  le  Bengale,  TOudh 
et  la  région  du  Nord-Ouest  ;  un  sol  sec  est  celui  qu'il 
préfère.  D'assez  grande  taille,  avec  une  cime  touffue  et 
ombreuse,  des  feuilles  obovales  et  coriaces,  brillantes 
en  dessus  et  rudes  en  dessous,  il  porte  attachées  au 
tronc  ou  aux  branches  des  thyrses  de  fleurs  mâles  et 
femelles  ;  celles-ci,  réunies  en  grand  nombre  sur  un 
même  réceptacle  donnent  naissance  à  un  fruit  oblong 
et  charnu  de  3  à  8  décimètres  de  long  sur  15  à  30  centi- 
mètres de  large,  et  pouvant  peser  jusqu'à  30  kilogram- 
mes. Dans  la  pulpe  sont  logées  les  graines,  chacune 
d'environ  la  grosseur  d'une  muscade  *.  La  floraison  a 


1.  Morus  indien  L.  —  Roxburgh,  III,  596,  ne  le  dit  même 
que  cultivé.  Brandis,  p.  409,  indique  aussi  comme  cultivés 
les  Morus  laevigata  Wall,  et  serrata  Rpxb.  ;  mais  ils  sont  sans 
importance. 

2.  Artocarpus  integrifolia  L.-Amarasimha,  p.  92,  lui  donne 
aussi  le  nom  de  kanfakaphala. 

3.  D'après  Wight  et  Beddome,  cités  par  Brandis,  p.  426. 
Cf.  A.  de  Candolle,  Lorigine,  p.  239. 

4.  Roxburgh,  Flora^  vol.  III,  p.  323.  — H.  Drury,  Theuseful 
Plants,  p.  54. 


LES  ARBRES  FRUITIERS  297 

lieu  en  novembre  et  décembre,  et  les  fruits,  les  plus  gros 
qu'on  connaisse  d'un  arbre,  mûrissent  quatre  à  cinq 
mois  après.  On  cultive  aussi  parfois  dans  la  région  du 
Siwalik  une  autre  espèce  de  jacquier,  le  lakuca^.  Indi- 
gène sur  les  collines  du  Koumaon  et  du  Sikkim,  ainsi 
que  dans  les  forêts  toujours  vertes  des  Ghates  occiden- 
tales, ce  grand  arbre,  aux  larges  feuilles,  porte  un 
fruit  jaune  à  la  maturité,  moins  gros  que  celui  du  pa- 
nasa  et  d'une  saveur  acide. 

On  voit  combien  nombreux  sont  les  arbres  à  fruits 
que  la  famille  des  urticées  renferme  dans  Tlnde  ;  celle 
des  euphorbiacées  en  contient  aussi  un,  commun  dans 
les  forêts  de  la  région  tropicale,  et  qui  a  sans  doute 
dès  longtemps  été  planté  dans  les  jardins,  Vamala  ou 
dmalaka'^.  Couvert  de  feuilles  linéaires,  aux  bords 
épais  et  imbriquées  dans  leur  jeunesse,  ce  qui  les  fait 
paraître  comme  pinnatifides,  avec  des  fleurs  petites 
d'un  jaune  verdàtre,  il  porte  des  baies  charnues  et 
rougeâtres  à  la  maturité,  d'un  goût  acide  et  astrin- 
gent. 

Pour  terminer  cette  longue  énumération  des  arbres 
à  fruits  cultivés  dans  l'Inde  ancienne,  il  faut  men- 
tionner les  palmiers,  qui  jouent  un  si  grand  rôle  dans 
Téconotnie  domestique  des  régions  tropicales  et  sous- 
tropicales.  L'un  des  plus  utiles,  il  est  vrai,  le  dattier  est 
exotique  et  paraît  n'avoir  été  importé  dans  le  Sindh  et 
le  Pandjab  méridional,  à  plus  forte  raison  dans  la 
vallée  du  Gange  et  sur  le  plateau  du  Dekkan,  que 
longtemps  après  notre  ère'\  probablement  à  la  suite 

1.  Artocarpus  Lakoocha  Roxb.  —  Brandis,  p.  427. 

2.  Phyllanlhus  emhlica  L.,  Emblica  officinalis  Gaertn.  — 
Brandis,  Floraj  p.  454.  —  Watt,  Diclionary,  vol.  VI,  1,  p.  218. 

3.  Auvn«  siècle,  le  pèlerin  chinois  Hiuen-Tsiang  remarquait 


298  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

de  la  conquête  musulmane;  mais  la  Péninsule  en  pos- 
sède plusieurs  autres  espèces  non  moins  précieuses. 
Doit-on  compter  au  nombre  de  celles-ci  Taréquier* 
—  guvdka,  —  originaire  peut-être  des  îles  de  la  Sonde 
et  non  de  la  Péninsule?  Quelle  que  soit  sa  patrie,  il  est 
cultivé  de  temps  immémorial'  sur  la  côte  de  Malabar, 
au  Canara  et  dans  le  Mysore  ;  aussi  peut-on  le  mettre 
au  rang  des  palmiers  de  l'Inde  ;  il  en  est  un  des  plus 
beaux  et  le  plus  élégant.  Sa  tige  élancée  et  mince 
atteint  jusqu'à  25  à  30  mètres  de  hauteur,  et  porte  à 
sa  cime  des  feuilles  pinnatifides  à  divisions  linéaires 
oblongues  ;  les  fleurs  mâles  et  femelles  sont  renfer- 
mées dans  un  même  et  long  spadice  ;  et  les  fruits 
prennent  à  la  maturité  une  belle  couleur  orangée.  On 
les  cueille  au  mois  de  juillet  et  d'août. 

Le  palmier  à  éventaiP  est  plus  répandu  dans  l'Inde 
que  Taréquier;  on  le  cultive  dans  tout  le  Sud  et  le 
centre  de  la  Péninsule,  dans  le  Bengale,  le  Sindh  infé- 
rieur et  même  dans  les  jardins  de  la  vallée  du  Gange 
et  du  Pandjab.  S'il  est  exotique,  comme  le  dit  la  flore 
de  Hooker  *,  il  a  été  importé  dans  l'Inde  à  l'époque  la 

qu'il  n'y  avait  pas  de  dattiers  dans  l'Inde.  Buddhist  Records, 
vol.  I,  p.  88. 

1.  Areca  catechu  L.,  le  hetel-palm  des  Anglais.  Asxatic 
ResearcheSy  vol.  IV,  p.  312. 

2.  Il  en  est  question  dans  Màlati  et  Màdhava,  pièce  de  Bha- 
vabhuti,  qui  n'est  probablement,  il  est  vrai,  que  du  vn«  siècle 
de  notre  ère.  On  le  \oit  aussi  représenté  sur  les  fresques 
d'Ajantà,  dont  on  ne  connaît  point  la  date  exacte,  mais  qui 
remontent  peut-être  à  une  époque  plus  ancienne.  John  Griffiths, 
The  paintings  of  Ajan\à.  London,  1896,  in-fol.,  vol.  I,  p.  21, 
fig.  60  et  pi.  17  et  31. 

3.  Borassus  flabeUifer  L.,  Borassus  flabelliformis  Murr., 
Lanlarus  domestica  Kumph.,  le  palmyra  tree  des  Anglais. 

4.  Vol.  VI,  p.  481,  elle  le  prétend  originaire  de  la  Malaisie. 
Brandis,  p.  544,  ne  parle  pas  de  son  indigénat. 


LES  ARBRES  FRUITIERS  299 

plus  reculée.  Il  semble  que  les  écrivains  grecs  le  con- 
naissaient déjà  ;  peut-être  est-ce  de  lui  que  Mégasthène 
a  fait  mention  sous  le  nom  indigène  de  tâla  K  D*une 
taille  élevée,  avec  des  feuilles  longues  de  1  à  2  mètres, 
composées  de  60  à  80  folioles  brillantes,  ses  épis 
mâles  penchés,  aux  fleurs  délicates  d'un  jaune  rosé, 
ses  gros  fruits  brunâtres  —  ils  ont  de  15  à  20  centi- 
mètres de  diamètre,  —  le  palmier  a  éventail,  par  son 
port  imposant,  mérite  le  surnom  de  trinarâja  «  roi  des 
herbes  »,  que  lui  ont  donné  les  anciens  habitants; 
mais  s'ils  sont  gros,  ses  fruits  sont  médiocres,  et  c'est 
moins  pour  eux  qu'on  le  cultive  que  pour  la  liqueur 
qui  découle  des  pédoncules  des  fleurs  mâles  et  pour  ses 
^  emplois  industriels. 

C'est  à  la  fois  pour  ses  fruits  et  pour  les  usages 
nombreux  auxquels  il  sert  qu'on  a  de  temps  immémo- 
rial cultivé  dans  l'Inde  le  cocotier'  —  nârikeray  ndri- 
kela,  nâlikela.  —  De  grandes  proportions  —  son  tronc 
annelé  atteint  parfois  100  pieds,  —  avec  ses  feuilles 
pinnées,  qui  n'ont  souvent  pas  moins  de  4  mètres  de 
long,  son  spadice  droit  et  ramifié,  couvert  à  la  base 
de  fleurs  femelles,  en  haut  de  fleurs  mâles,  ce  bel 
arbre  se  fait  encore  remarquer  par  la  grosseur  de  ses 
fruits,  ces  «  noix  d'Inde  »  qui  ont  frappé  les  anciens 
voyageurs  ^  Aimant  les  brises  salines  de  la  mer,  un 

1.  Fragmenta,  23.  —  Arrien,  Indica,  VII. —  W.  Hoernie, 
Epigraphical  Note  on  Palmleaf,  p.  42,  a  voulu  voir  dans  le 
tàla  de  Mégasthène  la  caryote  (C.  urens  L.),  encore  que  ce 
palmier  ne  porte  ni  le  nom  de  tâla  ni  de  nom  semblable,  et 
qu'il  ne  soit  pas  cultivé  dans  l'Inde  septentrionale,  la  seule  que 
connaissait  Técrivain  grec. 

2.  CocoB  nucifera  L. 

3.  Le  plus  ancien  écrivain  qui  en  fait  mention,  à  ma  con- 
naissance, est  Cosmas  Indicopleustes,  qui  vivait  au  VP  siècle 


300  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

climat  égal  et  chaud,  exposé  aux  pluies  tropicales,  il 
réussit  surtout  sur  la  côte  de  Malabar  et  à  Ceylan,  où 
il  forme  de  véritables  forêts  ;  on  en  voit  dans  cette  île 
une  qui  compte  près  de  11000  pieds.  Rare  sur  la  côte 
aride  de  Coromandel,  il  se  plaît,  au  contraire,  dans  le 
Delta  humide  du  Gange;  on  Ta  même  planté  dans 
rintérieur  de  la  péninsule  sur  le  plateau  de  Mysore  ; 
mais  il  n'y  croît  jamais  aussi  bien  que  dans  le  voisinage 
de  la  mer.  Sa  culture  est  d'ailleurs  d'une  grande  sim- 
plicité ^  ;  on  se  borne  à  déposer,  un  peu  avant  la 
saison  des  pluies,  dans  des  trous  suffisamment. espacés, 
et  remplis  aux  deux  tiers  d'engrais,  les  noix  de  coco 
arrivées  à  leur  pleine  maturité;  au  bout  de  trois  à 
quatre  mois  elles  commencent  à  pousser.  Quand  la 
saison  des  pluies  est  passée  on  a  soin  d'arroser  les 
jeunes  plantes  et  de  tenir  les  racines  couvertes  de 
terre.  On  continue  ces  soins  jusqu'à  la  quatrième  ou 
cinquième  année,  époque  où  les  cocotiers  commencent 
à  porter  des  fruits.  Ils  sont  en  plein  rapport  de  25  à 
30  ans;  mais  ils  continuent  de  croître  et  de  produire 
jusqu'à  80  ans,  et  vivent  parfois  jusqu'à  100.  Us  fleu- 
rissent tous  les  mois  pendant  la  bonne  saison,  et  sont 
couverts  en  môme  temps  de  fleurs  nouvelles,  de  fruits 
naissants  et  de  fruits  mûrs.  Un  arbre  peut  donner  de 
80  à  100  noix  par  an. 

Ces  arbres  fruitiers  ne  sont  peut-ôtre  pas  les  seuls 


de  notre  ère.  XpKjriav.xr)  TOTtoypaoïa,  lib.  XI,  (336),  s.  v.  ioytXkla. 
(Migne,  Palrologia  graeca,  t.  LXXXVIII,  p.  444-45).  —  The 
Christian  topography,  translated  by  J.  W.  Mac  Crindle.  Lon- 
don,  1897,  in-8,  p.  362.  iïobson-Jobson,  A  glossary^  s.  v.  coco- 
nut. 

1.  Drury,   Useful  PlantSj  p.  148.  —Watt,  Dictionary,  II, 
p.  417. 


LES  ARBRES  FRUITIERS  301 

qui  aient  été  cultivés  dans  l'Inde  ancienne  ^  ;  mais  ce 
sont  les  plus  connus  comme  tels  ;  voilà  pourquoi  je  me 
borne  à  les  citer.  Il  me  faut  toutefois  mentionner 
encore  une  plante  toute  différente  par  sa  constitution 
végétale,  mais  qui  s'en  rapproche  par  la  nature  de  ses 
fruits  :  le  bananier,  le  plantain  des  Anglais  '.  Amara- 
simha  met  cette  scitaminée  en  tète  des  plantes 
utiles,  et  il  lui  attribue  les  noms  sanscrits  les  plus 
divers':  kadalî,  varana/jushd,  rambhd,  kdshthild,  etc. 
11  n'est  point  aussi  de  végétal  plus  précieux  dans  la 
région  des  tropiques.  Exigeant  peu  de  soins,  il  croît 
encore  avec  une  extrême  rapidité  ;  en  neuf  mois  sa  tige 
herbacée  atteint  son  plein  développement,  elle  a  alors 
environ  2  à  4  mètres  de  haut.  Les  feuilles,  qui  la  dépas- 
sent de  leurs  extrémités  réunies  en  touffes,  l'entourent  de 
leurs  gaines  embrassantes.  Aux  fleurs,  qui  dressent 
leurs  épis  composés  au-dessus  de  la  plante^  succèdent 
bientôt  des  fruits  charnus,  oblongs,  légèrement  cour- 
bés et  anguleux  qui,  dès  le  onzième  mois,  arrivent  à 
maturité.  On  coupe  alors  la  tige  et  de  nombreux  reje- 
tons —  on  en  a  compté  jusqu'à  180  —  repoussent  vite 
de  la  souche,  et  portent  des  fruits  au  bout  de  six  mois. 
Chaque  pied  fournit  de  30  à  40  livres  de  substance 
alimentaire,  et  sur  le  même  espace  un  bananier,  130  fois^ 
plus  que  le  froment.  La  culture  augmente  encore  cette 

1.  Lassen,  op.  laud.,  vol.  I,  p.  32^,  en  a  mentionné  plusieurs 
autres,  qui,  originaires  de  l'Amérique,  sont  d'importation  ré- 
cente et  n'ont  évidemment  pas  à  figurer  ici. 

2.  Musa  sapientum  L.  et  paridisiaca  L.  —  llooker,  Flora^ 
vol.  VI,  p.  262,  considère  la  Mu&a  paridisinca  de  Linné, 
comme  une  simple  forme  de  la  M.  sapientum.  —  Watt,  Dictio- 
nary,  vol.  V,  p.  291.  —  Le  nom  musay  ar.  muza,  semble  être 
une  déformation  du  sanscrit  moca  «  banane  » . 

3.  Livre  IF,  chap.  iv,  sect.  4;  vol.  I,  p.  103. 


302  LES  PUNTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

fertilité  et  elle  a  donné  naissance  aux  variétés  les  plus 
nombreuses  K 

Indigène,  dans  certains  districts  du  Nord-Est,  le  ba- 
nanier a  été,  de  temps  immémorial,  cultivé  dans  Tlnde 
entière ,  la  région  extrême  du  Nord-Ouest  exceptée;  il 
réussit  dans  les  vallées  de  THimalaya  jusqu'à  une  hau- 
teur de  4  à  5000  pieds.* Les  poètes  nous  le  montrent 
planté  dans  presque  tous  les  jardins  qu'ils  décrivent; 
on  en  voit  des  bouquets  près  des  palais,  que  re- 
présentent les  fresques  d'Ajantâ*.  Les  compagnons 
d'Alexandre,  qui  le  virent  dans  le  pays  des  Oxydraques, 
furent  frappés  des  grandes  dimensions  de  ses  feuilles 
ainsi  que  de  la  bonté  de  ses  fruits.  C'est  sans  doute  le 
bananier  que  Théophraste  avait  en  vue  ^  quand  il  parle 
de  ces  arbres,  dont  l'un  avait  des  feuilles  longues  de 
deux  coudées  et  qui  ressemblaient  à  des  pennes  d'oi- 
seau *,  l'autre  des  fruits  d'une  grosseur  et  d'une  dou- 
ceur merveilleuses.  Mieux  renseigné,  Pline  n'est  pas 
tombé  dans  l'erreur  du  naturaliste  grec;  pour  lui  ces 
deux  arbres  n'en  faisaient  qu'un,  le  bananier,  et  il  en 
connaissait  même  un  des  noms  indigènes,  pala'*. 


1.  Le  botaniste  Desvaux  en  a  clistingué  44  espèces.  A.  de 
Candolle,  L'origine,  p.  243. 

2.  Griffiths,  The  paintings  of  Ajantâ,  pi.  6,  7,  45,  etc. 

3.  Historia  plantarum^  iib.  IV,  cap.  4,  5.  Cf.  pi.  haut, 
chap.  I,  p  237. 

4.  En  vieillissant,  les  feuilles  du  bananier  se  déchirent  per- 
pendiculairement à  la  nervure  principale  et  deviennent  pin- 
natifides. 

5.  Historia  naturalis,  Iib.  XII,  cap.  12.  On  a  regardé  ce 
nom  comme  analogue  à  celui  vala  que  porterait  encore  au- 
jourd'hui le  bananier  dans  la  contrée  de  Malaya.  Quant  à  ce 
que  Pline  dit  des  fruits  dont  un  seul  suffit  pour  nourrir  quatre 
personnes,  il  faut  l'entendre  d*un  régime  entier,  non  d'une 
simple  banane. 


LES  JARDINS  DANS  L'INDE  ANCIENNE  303 


Le  anciens  Hindous  ne  se  sont  pas  bornés  à  planter 
autour  de  leurs  habitations  des  arbres  à  fruits,  ils  en 
cultivaient  aussi  auxquels  ils  ne  demandaient  que  Tom- 
bre  si  précieuse  sous  leur  climat  torride  \  des  sen- 
teurs délicieuses,  dont,  comme  tous  les  orientaux,  ils 
étaient  avides,  et  les  ornements  naturels,  qui  servaient 
à  parer  les  temples  des  dieux,  à  rehausser  la  beauté 
des  femmes,  ou  qui  étaient  le  signe  de  la  dignité  et 
du  rang  des  hommes.  Si  la  flore  indigène  leur  offrit 
longtemps  de  quoi  satisfaire  à  leurs  goûts,  elle  finit 
cependant  par  ne  plus  leur  suffire;  d'ailleurs  elle 
variait  avec  les  saisons  et  les  diverses  contrées  ;  pour 
avoir  toujours  près  d*eux  les  arbres  qu'ils  aimaient  ou 
les  fleurs  qui  les  charmaient,  ils  songèrent  à  les  cul- 
tiver ;  c'est  ainsi  qu'à  côté  des  jardins,  où  de  temps 
immémorial  se  trouvaient  les  plantes  potagères  néces- 
saires à  leur  alimentation,  les  Hindous  en  eurent  d'au- 
tres destinés  à  leur  agrément. 

Tels  étaient  les  jardins  de  plaisance  privés  ou 
publics,  dont  parle  Amarasiifaha',  et  que  ministres, 
grands  et  rois  établissaient  près  de  leurs  demeures, 
pour  y  venir  goûter  le  repos  et  le  frais.  Les  écrivains, 
les  poètes  surtout  postérieurs  à  notre  ère,  nous  ont 
laissé  de  nombreuses  descriptions  de  ces  parterres, 
«  où  fleurs  et  fruits  abondaient  en  toute  saison'  ». 
Grâce  à  elles  nous  pouvons  en  reconstituer  les  traits 

1.  «  L'ombre  d'un  arbre  est  un  vrai  bonheur  pour  celui  qui 
est  brûlé  par  le  soleil  »,  dit  le  Roi  dans  Urvaçi. 

2.  Amarakoça,  liv.  II,  chap.  iv,  1  ;  vol.  I,  p.  79. 

3.  Le  Mahàbhârata.  Adi-Parva,  7587  et  suivants. 


304  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

principaux.  Là  des  arbres  aux  feuillages  épais,  aux 
fleurs  brillantes  ou  parfumées  dressaient  leur  tige 
élancée*,  autour  de  laquelle  s'enroulaient,  retombant 
en  festons,  des  lianes  grimpantes  *  ;  ici  des  arbustes 
toujours  verts  et  taillés  avec  art,  formaient  de  gra- 
cieux et  d'odorants  berceaux  pavés  de  mosaïques'. 
Les  héroïnes  ne  dédaignaient  pas  d'arroser  et  de  cul- 
tiver de  leurs  propres  mains  les  arbres  qui  leur  étaient 
chers  *.  Les  allées  étaient  soigneusement  entretenues  et 
ratissées^;  des  grottes  ornées  de  tableaux,  y  offraient 
d'agréables  réduits  ;  des  étangs  naturels  ou  des  bas- 
sins creusés  de  main  d'homme,  couverts  de  plantes 
aquatiques,  et  garnis  de  jets  d'eau*,  y  entretenaient  la 
fraîcheur  et  servaient  d'asile  aux  cygnes  et  aux  oiseaux 
aquatiques"^,  tandis  que  des  paons  et  des  faisans 
trouvaient  une  retraite  assurée  dans  les  fourrés  et  les 
bosquets,  que  des  perroquets,  des  kokilas  et  d'autres 
oiseaux  chanteurs  faisaient  entendre  leurs  concerts*, 


i.  LalUa  Vistara,  chap.  xv.  Trad.  Foucaux,  p.  186. 

2.  Vasantasêna,  acte  VII,  scène  3.  Trad.  Kellner,  p.  136. — 
Meghadûta,  str.  75. 

3.  Urvaçi,  acte  II.  Tra'l.  L.  Fritze,  p.  23.  —  Çakuntala, 
acte  VI,  scène  4.  Trad.  Kellner,  p.  83.  —  Nâgànanda,  acte  III, 
trad.  Bergaigne,  p.  70. 

4.  Meghadûla,  trad.  L.  Fritze,  str.  72.  Çakunfala,  acte  1, 
scène  4.  Trad.  Kellner,  p.  17. 

5.  Nâgnnanda,  acte  I,  p.  62. 

6.  Meghadûta,  strophe  73.  —  Mahâbhûrata.  Adi-Parva, 
7590.  —  Lalita  Vistara,  chap.  xv.  Trad.  Foucaux,  p.  186.  — 
Mudrârâkshasa,  acte  VI,  trad.  L.  Fritze.  —  Nùgananda,  p.  71. 

7.  Mahàbhàrata.  Adi-Parva,  7587  et  suivants.  —  Mâlâvi- 
kâgnimitra,  acte  II.  Trad.  L.  Fritze,  p.  27. 

8.  Mahàf)hârata.  Adi-Parva,  7587  et  suivants.  —  Lalita. 
Vistara,  chap.  xv,  p.  186.  —  Meghadûla,  str.  76.  —  Mâlati 
und  Màdhava,  trad.  Fritze,  p.  38. 


LES  PLANTES  D'AGRÉMENT  305 

cachés  dans  les  branches  touffues  des  arbres,  dont  des 
singes  avides  mangeaient  les  fruits  \ 

Si  par  certains  côtés,  ces  parterres  ressemblaient  à 
ceux  de  TÉgypte,  de  TAssyrie  et  de  la  Perse,  ils  en 
différaient  aussi  par  bien  d'autres  ;  ils  n*avaient  rien 
des  parcs  immenses  où  les  rois  achéménides,  comme 
avant  eux  les  monarques  assyriens,  aimaient  à  chasser 
les  grands  fauves  ;  tout  respirait  ici  le  calme  et  la 
paix,  tout  y  était  préparé  pour  le  plaisir  des  sens, 
non  pour  les  jeux  sanglants  de  la  chasse.  La  flore  de 
rinde,  si  différente  de  celle  de  l'Asie  antérieure,  don- 
nait aussi  à  ces  retraites  charmantes  un  caractère  tout 
autre.  Point  do  ces  longues  rangées  de  pins,  de  cyprès 
ou  de  vignes  des  bas-reliefs  assyriens,  plus  de  sycomo- 
res, de  dattiers  ou  de  palmiers  doums,  comme  on  en 
voit  sur  les  peintures  des  tombes  pharaoniques.  Des 
arbres  tout  différents  croissaient  dans  les  parterres 
hindous.  C'étaient  des  campakas^  aux  grandes  fleurs 
jaunes  d'un  parfum  si  pénétrant  que  les  abeilles,  dit- 
on,  craignent  d'en  approcher';  des  açokas  aux  co- 
rymbes  de  fleurs  orangées*;  des  mandâras,  «arbres 
de  corail  »,  aux  longs  thyrses  de  fleurs  écarlates'^;  des 

1.  Mricchaka(ik(L  Trad.  Kellner,  p.  136. 

2.  Mickeliu  champaca  L.  —  Hatnûvalî,  Trad.  Fritzo,  p.  18. 

3.  W.  Jones,  ap.  Drury,  p.  292.  Bhavabhùti  parle,  au  con- 
traire, (le  campakas,  dont  les  fleurs  ont  été  ouvertes  par  un 
essaim  d'abeilles.  Màlali  et  Mâdhava,  acte  III,  trad.  Fritze. 
p.  38. 

4.  Jonesia  asoka  Roxb.  —  Çakunlalù,  acte  I,  trad.  Ber- 
gaigne,  p.  17.  —  MAlavikâ  et  Aynimitra,  actes  III  et  V,  trad. 
Fritze,  p.  32  et  63.  —  Urvaci,  acte  II,  trad.  Fritze,  p.  22,  23, 
etc. — Meghadûla,  str.  75.  —  Mâlalî  et  Miïdhava,  acte  III, 
p.  37. 

5.  Erylhrina  indien  Lam.  —  Çakuntalà,  acte  VII,  p.  163.  — 
Urvaci,  acte  I,  p.  12.  —  MeyhndiUn,  str.  72. 

JoRET.  —  Les  Piaules  duiis  Vanliquité.  II.  -—  20 


306  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

candânas  rouges,  de  grands  saptaparnas,  aux  panicu- 
les  de  fleurs  blanchâtres*  et  des  tamâlas  au  sombre 
feuillage*,  des  sinduvàras,  ces  gattiliers  de  l'Inde',  etc. 
Puis  des  arbustes  ou  des  lianes,  tels  que  lés  bandhù- 
kas*,  «  flammés  des  bois  »,  aux  fleurs  rouge  brillant; 
des  jasmins  simples  ou  doubles  ;  la  màlatî  aux  grandes 
fleurs  ^  la  mallikâ  et  la  navamallikâ  parfumées^,  la 
çephâlî,  dont  les  fleurs  odorantes  d'un  blanc  orangé 
s*ouvrent  le  soir  et  se  ferment  ou  tombent  aux  pre- 
miers ravons  du  soleiF:  la  mâdhavî  ou  atimukta  aux 
fleurs  parfumées  *,  etc.  On  y  voyait  aussi  des  aré- 
quiers', entourés  parfois  de  lianes  de  bétel,  et  d'autres 
palmiers. 

A  ces  arbres  ou  arbustes  d'agrément  se  mêlaient 
des  arbres  à  fruits  ;  avant  tout  des  manguiers  *°,  plan- 
tés dans  la  plupart  des  jardins  hindous,  presque  autant 
pour  leur  épais  feuillage  et  leurs  fleurs  odorantes  que 

1.  Alstonia  schoIarU.  R.  Brown.  -•-  Priyadarçikâ ,  acte  II, 
p.  29,  30.  —Ndgânanda,  acte  H,  p.  66. 

2.  Cinnamomum  lamala  Nées. 

3.  Vitex  trifolia  L.  —  Batnùvali,  acte  I,  p.  22. 

4.  Ixora  coccinea  L.  —  Priyadarrikù,  p.  29,  30. 

5.  Jasminum  (jrandiflorum  L.  —  Mricchakaiikâ,  acte  IV, 
trad.  Kellner,  p.  95. 

6.  Jasminum  sambac  L.  —  Çakunlalâ,  acte  I,  p.  13.  — Hat- 
nàvalif  acte  I,  p.  i9,  etc. 

7.  Nyctanthes  arbor  Iristis  L.  —  Prxyadarçikù ,  p.  29,  30 
et  31. 

8.  Gaerlnera  raccmosa  Roxb.  —  Asialic  Renearches,  vol.  IV, 
p.  282.  —  Urvaçi,  p.  22  et  28.  —  Çakuntain,  p.  13.  —  Megha- 
dûla,  str.  73.  —  liatnôvali,  p.  18.  —  Màlati  et  Mûdhava, 
p.  57.  —  Mficchakatikây  p.  95. 

9.  Mâlali  et  Mùdhava,  p.  77.  —  The  paintviys  of  Ajan(â, 
p.  21,  fig.  60  et  pi.  3,  55,  58,  66. 

10.  Mangifera  indica  L.  —  Çakuntalô,  p.  17.  —  MAlavikn  et 
Agnimilra,  p.  32  et  63.  —  Urvaci,  p.  22  et  23.  —  Mâlati  et 
Mddhava,  p.  39,  42,  etc. 


LES  PLANTBS  D'AGRÉMENT  307 

pour  leurs  fruits  si  recherchés  ;  des  citronniers  \ 
d'ombreux  kadambas  ou  nîpas  aux  fruits  d'or  *,  des 
keçaras  ou  bakulas  aux  fleurs  odorantes  d'un  blanc 
immaculé'*,  des  panasas*,  ainsi  que  d'épais  massifs  de 
bananiers  ^  etc. 

Le  Mahâbhârata  renferme  une  description  curieuse 
d'un  de  ces  jardins  d'agrément,  celui  ou  plutôt  ceux 
qui  embellissaient  Khândavaprastha,  capitale  du 
royaume  des  Pàndavas  ®  : 

Tout  autour  de  la  ville  s'élevaient  des  jardins  délicieux, 
plantés  de  manguiers,  d^amràtakas  et  de  kadambas  7,  d'açokas 
et  de  campakas,  de  purimàgas  et  de  nâgapushpas^,  de  la- 
kucas^  et  d*arbres  à  pain,  de  çàlaset  de  tâlas^^,  de  tamâlas  et  de 
bakulas,  de  ketakis^'  aux  fleurs  odorantes,  de  beaux  et  grands 
âmalakas  ^^  aux  branches  courbées  sous  le  poids  des  fruits,  de 
lodhras  et  d'ankolas  y  gracieusement  fleuris,  de  jambousiers 
et  de  pâtalis  **,  de  kunjakas*^  et  d'atimuktas,  de  karavîras  — 


1.  Mâlavikà  et  Agnimilra,  p.  29.  —  Màlati  el  Mâdhava, 
p.  17.  —  Râmàyana,  lib.  II,  cap.  C,  27. 

2.  Nanclen  cadamba  Roxb.  —  Nâgànanda^  p.  70. 

3.  Mimuxops  elengi  L.  —  Mâlati  et  Màdhntm,  p.  16  et  26.  — 
Halnùvdli,  p.  17.  —  Priyadarçikâ,  p.  29,  etc. 

4.  Artocarpus  integrifolia  L.  —  Mricchakatik/i,  p.  136. 

5.  Meghadàla,  str.  74.   —  Ralnâvali,  p.  26.  —    The  pain- 
iings  of  Ajnntày  pi.  5,  6,  7,  31,  45,  46,  etc. 

6.  Adi   Parva  7582-90.  Trad.  Protap  Chandra  Roy,    section 
CCIX,  vol.  I,  p.  578. 

7.  Spondias  mangifera  et  Nauclea  cadamba  Roxb. 

8.  Boulera  lincloria  Roxb.  et  Meffua  ferrea  L. 

9.  Artocarpus  lakoocka  Roxb.  RùmthjanaAxb.  II,  cap.  C,  27. 

10.  Shorca  robusta  Roxb.  et  Borassus  flabeUiforniis  L. 

11.  Le  Pandanus  odoratissimus  L.,  «aux  fleurs  d'or  »  les  plus 
parfumées  de  l'Inde. 

12.  Phyllanthus  emblica  L.  ou  Emblica  officinalis  Gaertn. 

13.  Symplocos    racemosa     Roxb.    et    Alangium    Lamarkii 
Thwaites. 

14.  Bignonia  Roxb.  {Stereospermum  Cham.)  suaveolens  DC. 

15.  A  brus  precatorius  L. 


310  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

cyprès,  etc.  ;  dans  le  centre  et  le  Sud  de  la  Péninsule, 
des  figuiers,  des  palmiers,  en  particulier  le  palmier 
ilabelliforme  —  tàla  — ,  etc*. 

En  même  temps  que  ces  arbres,  ces  arbustes  ou  ces 
lianes,  cultivait-on  aussi  dans  les  jardins  hindous  des 
plantes  herbacées  d'ornement  ?  Dans  leurs  descriptions, 
les  poètes  postérieurs  à  notre  ère,  parlent  souvent  des 
kuravakas,  qu'on  regarde  d'ordinaire  comme  des  ama- 
rantes cramoisies  ',  ainsi  que  des  nélumbos  et  autres 
nymphéacées,  dont  les  fleurs  brillantes  énjaillaient  les 
étangs \  mais  qu'on  peut  à  peine  considérer  commodes 
plantescultivées.Entout  cas,  il  n'est  point  fait  mention 
dans  les  vers  d'aucun  poète  d'autres  plantes  herbacées,  et 
il  est  probable  que  pendant  longtemps  on  n'en  vit  guère 
d'autres  dans  les  parterres  de  l'Inde.  A  en  juger  par 
le  silence  des  écrivains,  ces  plantes  restèrent  indiffé- 
rentes aux  anciens  habitants  de  cette  contrée.  Ils 
n'ont  point  songé  à  cultiver  dans  leurs  jardins  les 
grandes  fougères  des  sous-bois,  dont  nous  admirons  le 
feuillage  élégant  et  gracieux  ;  ils  ont  encore  moins  cru 
y  devoir  planter  —  pour  ne  pas  parler  du  buis  —  le 
lierre  de  l'Himalaya  occidental,  dont  la  vue  frappa  si 
vivement  les  compagnons  d'Alexandre*,  mais  qui  était 
pour  eux  sans  signification;  ils  ont  ignoré  la  rose  qui, 


1.  Brandis,  Flora,  p.  123,  'i3'i,  533,  5'i5.  —  Roxburgh,  Flora 
indica,  vol.  III,  113. 

2.  Amarantus  atropurpureus  Roxb.  On  y  a  vu  aussi,  et  peut- 
être  avec  plus  de  raison,  la  Barleria  prionitis  L.  —  Mriccha- 
ko(ikâ,  p.  95.  —  Mâlavikâ  et  Agnimitra,  p.  31,  34. 

3.  Mâlali  et  Màdhava,  p.  42.  —  Nàgànanda,  p.  38.  —  Me- 
ghadûla,  str.  73.  —  Priyadarçikâ,  p.  29  et  32,  etc. 

4.  Arrien,  Anabasis,  lib.  V,  cap.  2,  5-7. 


LES  PLANTES  D'AGRÉMENT  311 

bion  qu'indigène  dans  la  région  montagneuse  du  Nord- 
Ouest*,  n'a  pénétré  dans  les  parterres  hindous  que  sous 
la  domination  musulmane  ;  ils  ont  dédaigné  les  lilia- 
cées,  peu  nombreuses  sans  doute  dans  Tlnde,  mais 
dont  quelques-unes  sont  si  belles*;  ils  n'ont  pas  remar- 
qué davantage,  encore  moins  cherché  à  cultiver,  les 
orchidées  des  forêts  hymalayennes  ou  des  Nîlghiri, 
malgré  leurs  formes  parfois  si  étranges,  leurs  cou- 
leurs souvent  si  vives  et  le  suave  parfum  qu'exha- 
lent leurs  fleurs.  Les  arbres  et  les  arbustes  d'ornement 
leur  ont  suffi;  ce  sont  eux  seuls  qui,  avec  quel- 
ques arbres  fruitiers,  paraient  leurs  jardins  et  dont 
le  feuillage  ou  les  fleurs  les  charmaient.  Eux  seuls 
embellissaient  les  retraites  ombreuses,  où  les  poètes 
épiques  ou  dramatiques  de  l'Inde  ancienne  aiment  à 
nous  montrer  leurs  héros. 


1.  On  y  trouve  en  particulier  les  Hosa  moschata  et  lutea, 
Mil!.,  cultivées  aujourd'hui  dans  les  jardins. 

2.  Comme  la  Gloriosa  superba  Willd.,  «  one  of  the  most 
ornamental  plants  any  country  can  boast  of  »,  dit  Hoxburgh, 
Flora,  vol.  II,  p.  143. 


CHAPITRE  m 


LES  PLANTES  DANS  l'aLIMENTATION  ET  DANS  l'iNDUSTRIE 


Bien  que  la  flore  de  Tlnde  offrît  aux  tribus  aryennes 
qui  s'établirent  dans  cette  contrée  les  ressources  ali- 
mentaires les  plus  variées,  elles  ne  se  contentèrent  pas 
des  grains  et  des  fruits  qu'un  sol  fécond  leur  donnait  de 
lui-môme.  Dès  leur  arrivée  dans  le  bassin  do  Tlndus, 
les  nouveaux  habitants  joignirent  aux  produits  naturels 
du  sol  ceux  que  leur  procurait  la  culture  des  champs  et 
des  jardins.  Les  céréales  —  dhànya  —  constituèrent 
dès  lors,  avec  le  lait  de  leurs  troupeaux,  la  base  de  leur 
alimentation*  C/était  avec  elles  qu'ils  triomphaient  de 
la  faim,  comme  chante  le  poète  védique \  Ils  en  man- 
geaient les  grains  —  dhànâ  —  tantôt  simplement  rôtis, 
tantôt  cuits  avec  du  lait*;  mais  le  plus  souvent  ils  les 
broyaient  entre  deux  pierres^  ou  les  écrasaient  dans 
une  espèce  de  mortier*,  pour  les  réduire  en  farine. 
Ajoutée  en  petite  quantité  à  du  lait,  dont  elle  augmen- 
tait les  qualités  nutritives,  cette  farine  formait  avec  lui 

1.  /?/7- VWflf,  lib.  X,  V2,  10. 

2.  lUg-Veda,  lib.  VIII,  77,  \(i.  —  AtharmVcda.Wh.WW,  2, 
80. 

3.  Rig-Veda,  lib.  IX,  112,  3. 

4.  Bas-relief  de  Sânchi.  Porte  orientale. 


LKS  PLANTES  DANS  L'ALIMENTATION  313 

un  mélange  liquide  resté  longtemps  en  usage  —  le 
viantha^  — ;  pétrie,  soit  seule,  soit  avec  du  beurre, 
elle  servait  à  faire  du  pain  ou  des  gâteaux  -  —  pûpa  — . 
Une  espèce  de  bouillie  —  karambha  —  faite  avec  de  la 
farine  d*orge,  à  laquelle  on  ajoutait  parfois  des  grains 
de  sésame,  constituait  un  mets  particulier,  destiné  aux 
Dieux,  surtout  au  Dieu  des  bergers'. 

Parmi  les  céréales,  c*est  de  Forge  que  les  Aryens 
paraissent  d'abord  s'être  nourris,  comme  c'est  l'orge 
qu'ils  ont  d'abord  cultivée  ;  ils  y  joignirent  le  froment 
dès  répoque  de  leur  établissement  dans  la  vallée  de 
l'Indus;  enfin,  quand  ils  eurent  pénétré  dans  le  bassin 
du  Gange  et  qu'ils  connurent  le  riz,  celui-ci  prit  place 
à  son  tour  dans  leur  alimentation.  Désormais,  l'orge 
et  le  riz  apparaissent  comme  la  condition  première 
de  leur  existence;  ce  sont  eux,  avant  tout,  qui  les 
défendent  contre  la  famine*.  Avec  le  temps,  le  nMe  du 
riz  dans  Talimentation  ne  fit  que  grandir.  Il  y  entrait 
sous  les  formes  les  plus  diverses  ;  on  le  mangeait  grillé 
ou  cuit  à  Teau^  et  façonné  en  boulettes  ;  on  en  servait 
des  «  montagnes  »  dans  les  banquets*;  le  plus  souvent 
on  en  faisait  avec  du  lait  une  espèce  de  bouillie ',  qu'on 
assaisonnait  parfois  avec  du  beurre  et  du  mieP.  Les 
diverses  variétés  de  riz  étaient  également  employées 


1.  Grec  homérique  zyxcf.iv.  (T.  Zimmer,  o/?.  laud.,  p.  268. 

2.  Rig-Veda,  lib.  X,  'i5,  9.  —  Mahàbhàrata,  Karna-Parva, 
203'i  et  20:}5. 

3.  VôjnsaneyafiamliUiL  19,  22.—  Atharva-Veday  lib.  IV, 
7,  3.  —  Zimmer,  op.  laud.y  p.  270. 

4.  Athnrva-Veda,  lib.  Il,  28,  .7  ;  VIII,  7,  20;  XI,  'i,  13. 

5.  Mahàbhàrata.  Karna-Parva,  20'j5. 

6.  Hnmâyana,  lib.  1  (Adikânda),  LIV,  3. 

7.  MrirchakaiikA,  p.  25  et  181. 

8.  Buddhût  Birlh  stories,  vol.  I,  p.  88. 


314  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

dans  la  cuisine  hindoue;  mais  à  celles  qu'on  cultivait 
on  préférait  le  riz  sauvage  ;  il  servait  à  faire  des  espèces 
de  pâtisseries*. 

Plus  tôt  que  le  riz,  sinon  que  le  froment  et  Torge,  le 
millet  ordinaire  —  anu  —  et  peut-être  les  millets  ou 
panics  d'Italie  — priyangu  —  et  fromental  —  çyàmàka 
—  entrèrent  dans  l'alimentation  des  classes  pauvres 
de  rinde,  de  celles  en  particulier  de  la  région  du  Nord- 
Ofiest.  11  en  fut  de  même  du  panic  en  épi,  du  raji  et 
du  koradihha^.  Les  grains  en  étaient  parfois  grillés; 
d'autrefois  ils  étaient  moulus  et  servaient  à  fabriquer 
du  pain  ou  des  gâteaux;  mais  le  plus  souvent  on  en 
faisait  une  espèce  de  bouillie.  Ils  entraient  aussi  dans 
la  composition  de  certains  mets  particuliers  que  décri- 
vent les  anciens  textes.  La  Vâjasaneyaamhhitâ^,  entre 
autres,  parle  d'un  mets  fait  avec  du  riz  et  du  millet 
bouillis,  auxquels  on  ajoutait  de  la  farine  et  des  grains 
de  froment  grillés. 

Divers  sorghos  —  nous  ignorons  à  quelle  époque, 
mais  à  une  date  certainement  reculée,  —  sont  entrés 
aussi  dans  l'alimentation  des  Hindous  et  des  peuplades 
indigènes,  dans  laquelle  ils  jouent  un  si  grand  nMe 
aujourd'hui.  Il  en  a  probablement  été  de  même  dans 
certains  districts  do  la  frontière  du  Nord-Est  du  Coix 
lacryma^.  Mais  les  graines  de  ces  espèces  cultivées  ne 
sont  pas  les  seules  qui  servent  et  qui  ont  servi,  surtout 


1.  Roxbargh,  Flora,  vol.  II,  p.  201.  —  Çakuntalà,  acte  IV, 
p.  8'i,  trad.  Bergaigne. 

2.  Panicum  spicatum  Roxb.,  Eletisino  coracana  Gacrtn.  et 
Paspalum  scvobicnlatum  L.  —  Watt,  s.  v. 

3.  XIX,  l'i.  Zimmer,  op.  lauiL,  p.  269. 

4.  Drury,  Usefiil  Planls,  p.  ^lOO.  —  Watt,  vol.  II,  p.  497  et 
VI,  3,  291. 


Lf:S  PLANTES  DANS  L'ALIMKNTATION  315 

en  temps  do  diseile,  à  nourrir  les  habitants  de  Tlndo; 
celles  do  nombreuses  graminées  sauvages  sont  et  ont 
été  aussi  autrefois,  comme  aujourd'hui,  employées  à 
cet  usage,  en  particulier  les  graines  de  bambous,  de 
panics  et  de  quelques  espèces  analogues*. 

Les  graines  des  graminées  n'entraient  pas  seules 
dans  l'alimentation  des  habitants  de  Tlnde;  celles  de 
bien  d'autres  plantes  y  servaient  également  autrefois, 
comme  elles  y  servent  de  nos  jours:  graines  crues, 
bouillies  ou  rôties  du  nélumbo,  bouillies,  des  nymphaea 
blanc,  comestible  ou  lotus  et  étoile*;  graines  surtout 
de  Tamarante  fromentale,  «  Tune  des  sources  les  plus 
importantes  de  la  nourriture  des  tribus  demi-sauvages 
des  contrées  montagneuses'  »  ;  on  les  réduit  en  farine 
pour  en  faire  de  la  bouillie  ou  du  pain,  ainsi  que  celles 
de  quelques  sterculiacées  de  la  Péninsule* et  des  cyca- 
dées  de  la  côte  de  Malabar'\  Enfin,  dans  la  région 
himalayenne  on  mange  grillées  les  semences  du  pin  de 
Gérard,  —  «  un  seul  arbre  peut  nourrir  un  homme 
durant  tout  Thiver  »  —  et  même,  malgré  leur  odeur 
de  térébenthine,  celles  du  pin  à  longues  feuilles*. 

Mais  ce  sont  les  graines  des  légumineuses  surtout 
qui,  de  tout  temps,  ont,  après  les  céréales,  offert  aux 

1.  Bamhusa  arundinacca  Retz  et  vulgaris  Wendl.  ;  Dendro- 
rnlamus  strie  tus  Nées.  —  Panicum  colonum  L.,  crusgalli  L.  — 
Cenchrus  échinât  us  Kich.  —  Chrysopogon  morUanus  Trin.,  etc. 
—  Watt,  Dictionary,  vol.  I,  p.  390  et  394;  II,  2'i6  et  274  ;  111, 
77  ;  V,  7-8. 

2.  Roxburgh,  Flora,  vol.  II,  p.  577-79  et  647. 

3.  Watt,  Dictionary,  vol.  I,  p.  211. 

4.  Sterculia  fœiida  L.  et  giUtata  Roxb.  —  Watt,  vol.  VI,  3, 
p.  363.  —  Roxburgh,  vol.  III,  p.  156. 

5.  Cycas  circinalis  L.  et  ftumphii  Miq.  —  Watt,  vol.  II, 
p.  675. 

6.  Brandis,  Flora,  p.  508  et  509. 


316  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

habitants  de  l'Inde  les  ressources  alimentaires  les  plus 
variées.  Les  grains  du  mâsha,  du  mungo  et  du  cajan 
figuraient  sans  doute  au  premier  rang  autrefois,  comme 
aujourd'hui  ;  puis  venaient  les  graines  des  haricots  à 
feuilles  d'aconit,  éperonné,  multiflore  et  trilobé,  et 
enfin  celles  des  Dolichos  biflorus  et  lahlab,  recherchées 
surtout  des  classes  pauvres.  A  ces  espèces  se  sont 
joints  plus  tard  les  pois  chicjies  et  les  lentilles  ;  puis 
les  petits  pois,  sinon  les  fèves*.  Les  Hindous  consom- 
maient aussi  sans  doute  autrefois,  comme  de  nos  jours, 
les  graines  de  plusieurs  légumineuses  arborescentes  ou 
frutescentes  sauvages,  telles  que  Y  Acacia  leucophlaea, 
la  mimeuse  grimpante,  les  Baiihinia  tomentosa  et 
Va/ilii,  le  tamarin-, etc.  Ces  graines  si  diverses  étaient 
mangées  tantôt  crues,  plus  souvent  grillées  ou  bouillies, 
parfois  aussi  réduites  en  farine,  que  Ton  mêlait  à  celle 
du  riz  ou  du  froment. 

Ce  n'étaient  pas  seulement  les  graines,  c'étaient 
aussi  les  gousses  des  légumineuses,  cultivées  ou  sau- 
vages, que  les  Hindous  mangeaient  crues  ou  cuites 
autrefois,  comme  ils  le  font  aujourd'hui;  gousses  des 
divers  haricots  et  Dolichos,  et  mémo  de  la  markatî, 
dont  Tenveloppe  extérieure  a  été  enlevée,  avec  les 
poils  qui  la  garnissent,  ainsi  que  celles  de  la  liauhi- 
nia  Vahlii,  de  la  sesbanie  grandiflore,  de  V Acacia 
leucophlaea  et  la  pulpe  farineuse  que  renferment  les 
gousses  du  Prosopis  spicir/era^.  Outre  les  gousses  et 
les  graines  des  légumineuses,  on  mangeait  également 
les  fruits  encore  verts  ou  incomplètement  formés  et 

1.  Watt,  vol.  III,  181  et  190  ;  VI,  1,  186,  191,  193,  19'j  et  280. 

2.  Brandis,  p.  161,  163,  168,  184.  —  Watt,  vol.  III,  p.  313- 
320. 

3.  Brandis,  Flora,  p.  137,  160,  171  et  184. 


LES  PUNTKS  DANS  L'ALIMENTATIO.X  317 

même  les  boutons  de  nombre  de  plantes  ;  tels  que  les 
boutons  du  Capparis  aphyllay  des  çobhâhjana,  khar- 
vallika  et  komdâra\  du. Periploca  aphylla  et  de  TOr- 
tanthera  viminea,  etc.  ;  ainsi  que  les  fruits  non  mûrs, 
cuits  ou  confits,  des  Capparis  spinosa  et  hornda,  des 
Moringa  concanensis  et  jjterygospeiima,  du  selu  et  de 
VEhretia  serrala^^  etc. 

Les  anciens  habitants  de  Tlnde  devaient  aussi  se 
nourrir,  comme  ceux  d'aujourd'hui,  des  fleurs  ou  des 
enveloppes  florales  de  certains  arbres  ou  arbustes,  tels 
que  les  sépales  charnus  ou  persistants  do  la  Dillenia 
indica,  le  calice  du  çobhâhjana,  du  çalmalî  et  de 
YHibisciis  sabdariffa  ;  les  fleurs  du  Rhododendron 
arborenm,  des  Vaccinhifn  et  du  Clerodendron  serra- 
tnm,  du  Calligonum  polygonoïdes^,  etc.  ;  mais  sur- 
tout celles  d'une  sapotacéo  arborescente  bien  connue,  la 
Bassiaà  larges  feuilles  —  madhi)ka,  hind.  inoliwa  — . 
La  récolte  et  la  vente  des  fleurs  de  cet  arbre  donnent 
lieu  aujourd'hui  à  un  trafic  important,  en  particulier 
dans  le  pays  des  Bhils.  Pendant  la  saison  un  seul  arbro 
peut  fournir  20  kilogrammes  de  fleurs  et  davantage. 
Elles  tombent  en  grande  quantité  pendant  la  nuit  et 
on  les  ramasse  le  matin  sous  les  arbres  ;  elles  ont  alors 
un  goût  douceâtre,  auquel  se  mêle  une  odeur  acre  et 
musquée,  ce  qui  n'empêche  pas  les  indigènes  de  les 
manger  crues  ;  les  chacals  en  sont  aussi  très  friands. 
D'ordinaire  cependant  on  les  fait  sécher  au  soleil,  puis 
griller  ;  elles  prennent  alors  un  goût  agréable  ;  aussi 

1.  Moringa  pterygouperina  Gaertn.,  Bauhinin  purpurea  et 
variegata  L. 

2.  Brandis,  Flora,  p.  14  et  15,  130,  160,  330,  335,  337  et  339. 

3.  Brandis,   Flora,  p.   1,  31,   130,  281,   372,   'i26.  —  Watt, 

8.  V. 


318  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

les  roel-on  dans  les  sauces  et  les  plats  sucrés.  Les 
fleurs  (le  la  Bassia  à  longues  feuilles  sont  également 
mangées,  après  avoir  été  préalablement  séchées  et 
grillées  ;  souvent  aussi  on  les  écrase  et  on  les  fait 
bouillir  jusqu'à  consistance  sirupeuse  ;  puis  on  en  fait 
des  boulettes  qui  sont  vendues  au  marché*. 

D'après  Hérodote,  les  habitants  de  l'Inde  se  nour- 
rissaient surtout  d'herbages*;  malgré  ce  qu'il  y  a 
d'exagéré  dans  cette  affirmation  de  l'historien  grec,  il 
n'en  est  pas  moins  vrai  que  les  feuilles,  les  tiges  et  les 
jeunes  pousses  de  nombreux  végétaux  ont  joué  autre- 
fois, comme  aujourd'hui,  un  grand  rôle  dans  l'alimen- 
tation des  Hindous.  Une  fois  devenu  anachorète,  Yayâti 
ne  se  nourrit  plus  que  d'herbes  et  de  racines'.  Le 
chantre  du  Mahâbhâi'ata représente  les  religieux,  auprès 
desquels  Damayanti  trouve  un  refuge,  comme  ne  vivant 
que  d'air  et  d'eau  et  n'ayant  pour  nourriture  que  des 
feuilles  d'arbres  *.  Feuilles,  jeunes  pousses,  tiges  en- 
core tendres  de  nombre  de  plantes  sauvages  ou  culti- 
vées servent  aujourd'hui  à  ralimentation  des  habitants 
de  rinde,  surtout  des  tribus  demi-sauvages,  et  y  ont 
servi  autrefois,  crues,  cuites  ou  mêlées  à  d'autres 
mets.  Telles  les  feuilles  du  Cramhe  cordifoUa,  de  la 
mauve  à  fouilles  rondes,  peut-être  du  jute,  de  la  vigne 
quadrangulaire,  du  Sesuviiim  portulacaslrum,  que  les 

1.  Astatic  Heaearches,  vol.  I,  p.  300-308. —  Roxburgh,  Flora^ 
vol.  II,  p.  525  et  526.  —  Brandis,  Flora,  p.  290.  ■—  Drury, 
Use  fui  Plants,  p.  70  et  71.  —  Rousselet,  Au  pays  des  liadjahs, 
Paris,  1875,  p.  457,  a  écrit  par  inadvertance  Cassia  au  lieu  de 
Bassia,  erreur  reproduite  dans  la  Mythologie  des  Plantes^  vol. 
II,  p.  50. 

2.  J!ist07*iae,  lib.  VU,  cap.  181. 

3.  MahAbhôraia.  Adi-Parva,  3536. 

4.  Nala  und  Damayanti,  iibers.  von  C.  Kellner,  p.  57. 


LES  PLANTES  DANS  L'ALIMENTATION  319 

habitants  du  littoral  mangent  en  guise  d'épinards,  de 
la  mollugine  hirsute,  du  nimba  et  du  çobhdiijana^  du 
manddra  ou  parijdta,  du  pourpier  et  de  la  Salvadora 
persica,  ainsi  que  de  diverses  labiées  *,  de  la  Lysima- 
chia  candida,  la  seule  primulacée  comestible,  de  la 
Phytolaca  acinosay  de  plusieurs  espèces  d'amarantes 
et  de  baselles,  de  chénopodées,  telles  que  Tansérine 
blanche,  la  Salsola  indica^  etc.,  et  de  diverses  poly- 
gonées,  entre  autres  du  Rumex  vesicariiis,  Toseille  de 
rinde.  Il  faut  ajouter  les  tiges  de  la  rhubarbe  dans  la 
région  de  TPIimalaya,  les  feuilles  de  YEremunis  spec^ 
tahilis,  liliacée  du  Pandjab,  les  jeunes  pousses  du 
figuier  des  teinturiers,  les  feuilles  encore  tendres  du 
Nannorhops  de  Ritchie,  les  bractées  de  la  ketakî,  les 
tiges  naissantes  du  tàlaet  des  bambous,  les  pétioles  et 
les  feuilles  de  la  colocase  et  d'autres  aroïdées^; 
môme  la  Marsilea  quadrifolia  et  peut-être  les  champi- 
gnons, dont  un  grand  nombre  d'espèces*  entrent  au- 
jourd'hui dans  l'alimentation  des  Hindous  et  y  servaient 
peut-(Hre  aussi  autrefois. 

A  coté  de  ces  plantes  potagères  prennent  place  les 
condiments,  qui  servent  à  assaisonner  les  mets  et  sont 
parfois  eux-mêmes   de  véritables  aliments.  IJien  que 

1.  Melia  azadirachla  L.,  Moringa  pterygosperma  Gaertn., 
Erythrina  indica  L. 

2.  Menlha  sylvestrtx  L.,  viridis  L.,  etc.  ;  Leucas  aspera, 
cephaloles  Spreng.  et  mo/lissima  Wall.  ;  Origanum  vulgare  L. 
et  Péri  lia  ocimoïdett  L. 

3.  Koxburgh,  Flora,  vol.  II,  p.  104  et  165,  58  et  59,  62,  464 
et  469;  vol.  III,  p.  603,  607,  740  et  771.  —  Brandis,  Flora, 
p.  48.  100,  129,  159  et  160,  371,  414,  416,  545,  548,  567.  — 
Watt,  Dîclionary,  s.  v. 

4.  En  particulier  les  Agaricus  campealris  L.,  Morchella 
escnlenia  Pers.,  Ilclvella  crispa  Pries,  et  Vl/ydnum  coralloïdes 
Scop.  —  Watt,  vol.  I,  p.  131  et  III,  p.  455. 


320  LES  PLANTES  CHEZ  LES  UÎNODUS 

proscrits  par  la  loi  religieuse  ^  Tail,  l'oignon,  Técha- 
lotte,  sinon  le  poireau,  figurèrent  dès  longtemps  dans 
la  cuisine  des  anciens  Hindous*,  tout  exotiques  qu'ils 
sont.  L'aneth  —  sotva  — ,  le  carvi  —  sushavi  —  et 
l'ajouan,  la  coriandre,  le  curain  et  le  fenouil,  la  mou- 
tarde et  l'asa  fœtida,  peut-être  aussi  le  fenugrec  et  le 
basilic  y  prirent  place  dès  longtemps,  et  plus  ancien- 
nement encore  le  sésame,  le  poivre  et  le  gingembre, 
le  cardamome,  le  curcuma  et  sans  doute  la  cannelle^. 
Le  pèlerin  chinois  Hiuen-Tsiang,  que  j'ai  déjà  si  sou- 
vent cité,  mentionne  au  premier  rang  des  plantes  co- 
mestibles de  rinde,  le  gingembre  et  la  moutarde*.  Et 
dans  le  drame  de  Mricchakatikîï,  l'un  des  personnages, 
Sariisthânaka,  attribue  la  beauté  prétendue  de  sa  voix 
à  l'usage  qu'il  fait,  dans  ses  aliments,  de  l'asa  fœtida\ 
du  cumin,  du  souchet  et  du  gingembre,  et  aussi  à" 
ce  qu'il  mange  de  la  chair  de  coucnu  fortement 
assaisonnée  de  poivre  et  préparée  avec  de  l'huile  de 


sésame*. 


1.  «  I/ail,  l'oignon,  récbalotto  no  doivent  pas  être  mangés 
par  les  Dvijas.  »  Loû  de  Manou,  Uv.  V,  5.  —  «  Peu  de  per- 
sonnes les  mangent,  disait  au  vi*=  siècle  le  pèlerin  chinois  Hiuen- 
Tsiang;  si  quelqu'un  en  use,  on  le  chasse  hors  des  murs  de  la 
ville.  »  liuddhist  Hecords,  vol.  l,  p.  88. 

2.  I/ail  servait  de  condiment  à  la  trihu  méprisée  des  Vàhî- 
kas.  Mahâhhàrata.  Karna-Parva, 'iO.Ti  (\UV,  11).  El  Ton  voit 
le  héros  de  NàfjAnanda  se  nourrir  d'oii^non.  Acte  l,  p.  \'l. 

3.  Watt,  Dirtionan/,  vol.  VI,  3,  p.  323-329. 

4.  Buddkisl  Rerords,  vol.  I,  p.  88. 

5.  Hingûjivnla.  Il  s'agit  probablement  de  la  gomme-résine 
produite  par  la  Fernla  Jaeschkeana  Vatke  ;  l'extrait  liingu 
qu'on  en  retirait  était  très  usitédanslacuisine  hindoue.  «Je  viens 
de  sentir  sur  ses  lèvres  l'odeur  de  Vhiùgu  »,  dit  un  personnage 
de  V  m  topa  deçà,  p.  187,  trad.  Joh,  Hertel. 

6.  Acte  Vlfl.  scène  3.  Trad.  Fritze,  p.  137;  trad.  Paul  Re- 
gnaud.  vol.  IV,  p.  50. 


LES  PLANTES  DANS  L'ALIMENTATION  321 

On  se  servait  peut-être  aussi  dans  l'Inde,  comme 
condiment  autrefois,  ainsi  que  de  nos  jours,  des  fruits 
aromatiques  du  Zanlhoxybmi  alatmn  et  des  feuilles 
odorantes  de  diverses  rutacéos  :  Murraya  Kœniyii, 
Skimmia  latireola  et  Toddalia  aciihata,  sinon  du  jus 
de  citron  ou  de  la  Limonia  acidissvna  ^  ;  mais  on  y  a, 
de  temps  immémorial,  fait  usage  du  sucre.  Dans  le  Rîi- 
mâyana',  il  est  question  du  krisara,  riz  préparé  avec 
du  sésame,  et  assaisonné  de  sucre  et  de  cardamome  ; 
et  le  Mahâbhâshya  de  Pataiijali^  parle  d'une  espèce 
de  boisson  fermentée,  qui  était  «  épicée  avec  du  sucre 
doux  et  du  piquant  gingembre  ».  Le  sucre,  que  nous 
rencontrons  là  à  côté  du  cardamome  ou  du  gingembre, 
est,  comme  ceux-ci,  un  véritable  condiment,  qui  prit 
chaque  jour  une  importance  plus  grande  dans  la  cui- 
sine des  Hindous.  Hiuen-Tsiang  le  mettait  au  nombre 
de  leurs  principaux  aliments*.  A  l'origine,  et  il  en  fut 
peut-être  longtemps  ainsi,  on  se  bornait  à  exprimer  le 
suc  des  tiges  de  canne ^  ;  mais  quand  par  la  cuisson  on 
fut  arrivé  à  concréter  celui-ci,  on  employa  ce  nouvel 
ingrédient  aux  usages  les  plus  divers  ;  il  servit  à  con- 
fire des  fruits,  à  préparer  des  pâtisseries,  des  mets 
doux,  des  breuvages  fermentes,  etc.  On  pourrait  ici 
encore  placer  la  manne  qu'on  rencontre  sur  certains 
arbres,  à  certaines  époques  de  Tannée  et  en  des  régions 
très  diverses  de  l'Inde.  Dans  le  Pandjab  et  le  Sindh, 

1.  Brandis,  Flora,  p.  47-'i8.  —  Watt,  Dietionary,  voL  V^ 
p.  290;  VI,  3,  p.  245;  VI.  4,  p.  67  et  324. 

2.  Lib.  II  (Ayodhyâkânda),  cap.  lxxlx,  13. 

3.  Indisrhe  Sltidien^  voL  XIII,  p.  466. 

4.  Buddhist  Records^  vul.  I,  p.  88.  —  Kliadirangàra  Jâtaka. 
N"^  40  (les  S  tories  of  the  Buddha's  former  Birtlts.  Transi, 
from  the  Pâli.  Cambridge,  1895,  in-8»,  vol.  I,  p.  100. 

5.  Laliin  Vistara,  chap.  xxiv.  Trad.  Foucaux,  p.  318. 

JOHCT.  —  Les  Plantes  dans  i'antiifuitê.  H.  —  21 


322  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

par  exemple,  il  se  forme,  par  un  temps  chaud,  sur  les 
rameaux  du  tamaris  articulé,  d'après  Brandis,  du  ta- 
maris dioïque,  suivant  Stocks*,  une  exsudation  sucrée, 
déterminée  par  la  piqûre  d'un  insecte,  et  qui  sert  à 
adultérer  le  sucre  ou  à  faire  des  pâtisseries.  Dans  les 
hautes  régions  himalajennes,  il  se  dépose,  également, 
durant  les  grands  froids  de  Thiver,  sur  les  feuilles  et 
les  branches  du  pin  élevé  une  sécrétion  liquide,  qui 
durcit  bientôt  et  se  transforme  en  une  espèce  de 
manne  blanche  et  sucrée  que  mangent  les  indigènes*. 
Je  suis  loin  d'avoir  terminé  l'énumération  des  sub- 
stances alimentaires  dontifaisaient  usage  les  Hindous, 
puisque  je  n'ai  pas  encore  parlé  des  racines  et  des 
fruits  que  les  plantes  les  plus  diverses,  sauvages  ou 
cultivées,  leur  fournissaient  en  abondance.  C'est  avec 
des  racines  et  d(3s  fruits  des  bois  que  Dhaumaya  reçoit 
les  fils  de  Pandou^.  Dans  le  Râmâyana*,  on  voit  le  fils 
de  Vibhàndaka  en  offrir  aux  nymphes  qui  viennent  le 
visiter;  et  le  poète  nous  montre  l'anachorète,  père  du 
héros,  pliant  sous  le  poids  des  racines  et  des  fruits 
sauvages  qu'il  rapporte  de  la  forêt.  Les  rhizomes °  des 
nénuphars  comestible,  bleu,  rouge  et  étoile,  du  lotus 
et  du  nélumbo^  les  radis  et  les  carottes,  peut-être  les 
raves,  sinon  les  navets;  les  racines  de  diverses  légu- 


1.  Watt,  Diclionary,  vol.  VI,  3,  p.  411. 

2.  Brandis,  Flora^  p.  23  et  512. 

3.  MahàbMrata.  Adi-Parva,  6919. 

'i.  Lib.  I  (Adikânda),  cap.  ix,  28-29.  D'après  le  Çan/irafffAa, 
II,  19  et  le  Yairùgyaçataka^  27,  des  racines  suffisent  comme 
nourriture  à  l'homme  sage. 

5.  VAlhanm-  Veda,  lib.  IV,  3'i,  5,  leur  donne  le  nom  de  6i»a, 
mulâlin,  ràluka.  Cf.  Zimmer,  p.  70. 

6.  Kàhlara,  pushkara,  kallaka,  kumuda  et  padma. 


mineuses  s  de  la  Momordica  dioîca,  de  la  Codonopsis 
ovata,  et  des  Ceropegia  bulbosa  et  tuberosa\  celles 
du  Coleus  barbatus  et  de  VUrtica  tuberosa;  les  bulbes 
de  VEulophia  campeslf^is,  orchidée  du  Pandjab  et  de 
la  région  himalayenne;  les  oignons  du  Crinum  de- 
fixum  et  de  la  Tulipa  stellata  ;  les  tubercules  de  nom- 
breuses espèces  sauvages  ou  cultivées  d'ignames  et 
de  curcumas*,  de  la  Tacca  pinnatifida^  d'une  maran- 
tacée,  la  Canna  vidica,  et  du  kakangi^,  espèce  de  naïadée 
delà  Péninsule;  les  bulbes  de  plusieurs  aroïdées,  telles 
que  la  colocase  et  ses  variétés,  Talocase,  Tarum  cam- 
panule; enfin  les  racines  bulbeuses  de  certaines 
cypéracées\  entrent,  depuis  un  temps  immémorial  et 
sous  des  formes  différentes,  dans  Talimentation  des 
habitants  de  l'Inde  ^  Souvent  ils  se  bornent  à  faire 
cuire  à  l'eau  ou  griller  les  racines  de  ces  diverses 
plantes;  d'autres  fois  ils  extraient  la  matière  fécu- 
lente que  renferment  certaines  d'entre  elles,  en  par- 
ticulier les  racines  de  divers  curcumas.  A  cet  effet, 
ils  les  coupent  par  tranches  ou  les  raclent  avec  un 
morceau  de  bois;  tranches  ou  raclures  sont  jetés 
dans  un  baquet  plein  d'eau;  au  bout  de  quelque 
temps  la  fécule  se  dépose  au  fond  du  récipient;  on 
la  recueille,  et,  séchée,  elle  donne  une  espèce  d'ar- 


1.  Eriosema  chinense  Vog.,  Flemingia  veslila  l^ent.,  Pa- 
chyrhizus  angulatus  Rich.,  Phaseolus  adeuanthus  Wight,  Pu- 
erarta  tuberosa  DC.  (^Hedysarum  luberosium  Hoxb.)- 

2.  Dioscorea  aculeata,  alala,  bulùifera,  fasciculata,  glo- 
bosa,  peiUaphylla,  purpurea^  rubella,  saliva  L.,  etc.  —  Cuv- 
cuma  anfjuslifoliaj  amada,  caulina  et  leucorhiza  Koxb. 

3.  Aponogeton  monostachyon  Willd. 

4.  Souchet  bulbeux  (jCyperus  jemenicus  L.  ou  bulbosus  Vahi), 
Scirpus  dubius  et  kysoor  Roxb. 

5.  Watt,  Diclionaryy  s.  v. 


■  : 


il 


I 

LES  PLANTES  DANS  L'ALIMENTATION  323  ! 


1 


324  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

row-root,  dont  on  fait  de  la  bouillie,  des  gâteaux*,  etc. 

Les  racines  des  scitaminées  ne  sont  pas  les  seules, 
avec  les  graines  des  céréales,  dont  on  retirait  une 
substance  féculente  ou  amylacée  nutritive  ;  on  en  ex- 
trayait sans  doute  également,  autrefois  comme  au- 
jourd'hui, une  espèce  particulière  —  le  sagou  —  de  la 
moelle  de  divers  palmiers,  en  particulier  de  la  caryote 
brûlante,  des  Ghates  occidentales  et  du  district  d*Orissa, 
du  dattier  farinifère,  du  Dekkan  et  du  Travancore,  et 
même  de  la  Corypha  ttmbraculifera,  de  la  côte  de 
Malabar,  ainsi  que  delà  Wallichiadisticha,  du  Sikkim*. 
Pour  extraire  le  sagou  du  dattier  farinifère,  les  indi- 
gènes dépouillent  de  ses  feuilles  et  de  son  écorce  ex- 
térieure le  tronc,  qui  n'a  guère  qu'un  demi-mètre  de 
long,  puis  ils  le  fendent  en  cinq  ou  six  morceaux, 
qu'ils  laissent  sécher  quelque  temps  ;  après  quoi  ils 
les  pilent  dans  un  mortier  pour  séparer  des  fibres  la 
partie  farineuse;  ils  tamisent  le  tout  et  recueillent 
ainsi  une  espèce  de  farine,  qui,  bouillie,  donne  un 
gruau  épais  et  nourrissant \  Ils  en  font  aussi  du  pain. 

Les  fruits  n'occupaient  pas  dans  l'alimentation  des 
Hindous  une  moindre  place  que  les  racines  ;  ils  compo- 
saient avec  elles  la  principale  nourriture  des  anachorè- 
tes*. La  flore  sauvage  en  offre  un  nombre  considérable, 
que  les  indigènes  recherchent  encore  de  nos  jours, 
comme  ils  le  faisaient  autrefois,  surtout  en  temps  de 

i.  Drury,  Use  fui  Plants,  p.  168. 

2.  On  retire  également  du  sagou,  des  graines  séchées  des 
Cycas  peclinata  Grifl*.,  Bumphii  Mig.  et  circinalis  Wild.  — 
Drury,  Useful  Plants,  p.  118,  171  et  339.  —  Watt,  vol.  II,  p.  207 
et  576;  VI,  1,  206. 

3.  /?^im^?//««a,  lib.  H,  cap.  xxviii,  22,  xlvh,  ^'i  et  liv,  19. 
—  Mahâbhârata,  lib.  111,  39  et  15371  ;  IX,  2796. 

4.  Roxburgh,  Flora,  vol.  III,  p.  786. 


LES  PLANTES  DANS  L'ALIMENTATION  325 

disette.  Tels  par  exemple,  dans  la  région  tempérée  ou 
élevée  de  l'Himalaya,  les  baies  de  plusieurs  épines-vi- 
nettes*qu*on  mange  surtout  séchées  aujourd'hui,  des 
mures  '  et  des  cynorrhodons  ^  quelques  cerises  et  poires 
médiocres*,  des  ponunes,  des  sorbes,  des  cormes*  et 
des  groseilles,  des  raisins,  ainsi  que  des  fruits  de  di- 
verses viornes*  et  du  micocoulier  du  Midi,  dos  noix  et 
des  noisettes  ;  puis  dans  le  sous-Himalaya,  la  plaine  du 
Gange  et  la  Péninsule,  les  fruits  des  Dillenia  indien  et 
pentagyna,  de  la  Flacourtia  sapida  et  de  la  Gaixinia 
pedimciilata,  de  nombreuses  Grewia\  tiliacées répan- 
dues dans  rinde  presque  entière; ceux  du  Chrysophyl- 
Inm  Roxburghii  et  de  YAglaïa  dulcis,  du  piyâla  et  de 
Vamràtaka,  du  Rhua  scmialatus,  de  la  Careya  arborea 
eià^Rliodomyrtus  lomenlosa  —  le  myrte  des  monta- 
gnesdela  Péninsule — ,lesnoixdelaf>'ni^4/âr^  lamàcre 
de  rinde  ;  les  fruits  de  l'^n/co/a*  et  de  diverses rubiacées 
et  myrsinées  ',  des  Bassin  latifolia  et  butyracea,  ainsi 
que  les  baies  des  Diospyros  melanoxylon  et  kaki,  de 
la  Maba  buxifolia  et  de  la  Salvador  a  oleoïdrs,  dans 

1.  Berberis  aristala  ei  asiatica  Roxb.,  nepnletisis  Spreng.  et 
vulfjaris  L. 

2.  Huhus  hiflorns  Hani.,  frulicosus  L.,  lasiocarpus  Smith, 
macilentus  Cumb.,  niveus  Wall.,  rosaefolius  Smith,  etc. 

3.  Bosa  macrophylla  Lindl.,  gigantea  Coll.,  Webbiana 
Wall. 

'i.  Voir  liv.  II,  chap.  i,  p.  222. 

5.  Cornus  capital  a  et  macrophylla  Wall. 

6.  Vibiamum  cotinifoliumy  foetenSy  nervosum  Don.  et  sieltu- 
lalum  Wall. 

7.  Grewia  asiatica  L.,  opposilifolia  et  sclerophylla  Roxb., 
liliaefolia  Vahl.,  veslita  Wall,  villosa  Willd. 

8.  Alangium  Lamarckii  Thwaites. 

9.  Gardénia  gummifera  L.,  Randia  dumelorum  Lam.  et 
uliginosa  DC.  —  Myrsine  africana  L.,  capitella  et  semiserrata 
Wall. 


326  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

le  Pandjab  et  le  Sindh,  du  Strychnos  potatontm,  du 
Melodiïius  monogymis  et  de  la  Willughbeia  edulis, 
du  Cordia  vestita  et  du  Lycitim  rutheniciim  ;  les 
drupes  de  quelques  verbénacées  —  Ehretia  laevis  et 
•  Gmelina  arborea,  —  et  des  Elaeagnus  lalifolia  et 
umbellata,  ainsi  que  les  fruits  de  plusieurs  euphorbia- 
cées  S  en  particulier  le  rnyrobalan  emblic  —  âmalaka, 
—  vanté  par  le  pèlerin  chinois  Hiuen-Tsiang,  et  ceux  du 
lakuca,  les  baies  du  mûrier  de  Tlnde  et  de  divers 
figuiers  ",  en  particulier  celles  de  Viidumbara,  que  le 
même  Hiuen-Tsiang  mettait  au  nombre  des  meilleurs 
fruits  qu'il  eût  vus  dans  l'Inde,  mais  qui,  à  en  croire 
Roxburgh,  seraient  d'un  goût  peu  agréable  '  ;  puis  en- 
core les  baies  du  Myrica  sapida  et  de  VEphedra  vul- 
garis;  enfin,  malgré  leur  médiocrité,  les  fruits  de 
quelques  palmiers*  entrent  et  sont  entrés  de  tout  temps, 
comme  tous  ceux  des  arbres  que  je  viens  d'énumérer 
et  d'autres  encore'',  dans  l'alimentation,  surtout  des 
classes  pauvres  de  l'Inde. 

Les  fruits  des  espèces  cultivées  ofi'rent,  on  le  com- 
prend, encore  plus  de  ressources  aux  habitants  de  cette 
contrée.  Les  cerises  et  les  prunes  du  Cachemire  et  de 
l'Himalaya  occidental  rappellent  celles  de  l'Asie  anté- 
rieures, d'oii  elles  ont  été  importées  ;  si  les  poires  sont 
de  mauvaise  qualité,  les  pommes,  les  coings  et  les 


1.  Briedelia  retusa  Spreng.,  Securinega  obovala  et  leuco- 
pyrus  Mull.  —  Brandis,  p.  'i'i9  et  456. 

2.  Ficus  bengalensis  L.  —  nyagrodha,  —  cnnia  Roxb.,  glo- 
merata  Hoxb.,   Roxburghii  Wall,  et  Humphii  Bl.  (cordifolia 

Roxb.). 

3.  Huddh ht  Records,  vol.  I,  p.  88.  —  Flora indica,  vol.  I II, 559. 
'».  Rorasaus  flabelli formis  L.,  Chamœrops  Martiana  Wall.  — 

Brandis,  p.  545  et  547. 
5.  Watt,  Dictionary,  vol.  IIÏ,  p.  445-451. 


LES  PLANTES  DANS  L'ALIMENTATION  327 

grenades  de  ces  mêmes  conlrées  et  du  Pandjab  sont 
excellents  ;  les  raisins  en  sont  également  délicieux,  et 
les  abricots  n'y  sont  pas  moins  succulents  *.  Mais  ces 
fruits,  à  part  les  grenades,  ne  se  rencontrent  guère 
que  dans  la  région  du  Nord  et  du  Nord-Ouest;  dans 
la  plaine  gangétique  et  dans  la  Péninsule,  ils  sont  rem- 
placés par  les  fruits  des  espèces  indigènes,  dont  beau- 
coup nous  paraissent  médiocres,  mais  n'en  sont  pas 
moins  aimés  des  indigènes.  Tels  sont  d'abord  les 
fruits  des  Averrhoa  hilimhi  et  carambola^  dont  le  pre- 
mier n'est  guère  que  confit,  tandis  que  le  second,  de 
la  grosseur  d'une  pêche,  est  mangé  cru  ou  cuit  ^  A  cinq 
côtes  saillantes,  jaune  à  la  maturité,  il  passe  pour  ra- 
fraîchissant. 

C'est  pour  la  pulpe  juteuse  qu'ils  renferment  que  les 
fruits  du  biha  et  du  kapittha^,  ainsi  que  ceux  des  di- 
vers Cilrus,  étaient  recherchés  ;  mais  c'est  à  peu  près 
tout  ce  que  nous  en  pouvons  dire.  On  peut  supposer 
toutefois  qu'on  faisait  des  cédrats,  dans  leur  pays 
d'origine,  le  même  emploi  que  dans  Tlran*.  Un  poète 
du  vi°  siècle^  nous  montre,  preuve  du  prix  qu'on  y 
attachait  déjà,  des  citrons  offerts  en  présent.  Si  Hiuen- 
ïsiang  a  vu  réellement  dans  Tlnde  *,  et  il  n'est  guère 
possible  de  révoquer  en  doute  son  témoignage,  des 
oranges  douces  en  abondance,  on  doit  admettre  que 
les   habitants   les  mangeaient   alors   comme  aujour- 


1.  Brandis,  F/ora,  p.  98,  191,  192,  193,  203,  205. 

2.  Baber,  Mémoires,  vol.  II,  p.  211.  —  Watt,  vol.  I,  p.  360. 

3.  Aegle  marmelos  et  Feronia  elephantum  Roxb.  —  Drurj', 
Useful  Planté,  p.  18  et  212. 

4.  Voir  livre  I,  chap.  IV,  p.  179. 

5.  Kàlidâsa,  Màlavikâ  et  Agnimitra,  acte  III,  p.  29. 

6.  BuddhUt  HecordSf  vol.  I,  p.  88. 


328  LES  PLANTKS  CIIKZ  LtS  HINDOUS 

d'hui.  Les  fruits  de  VHovenia  dtilcis  ont  un  goût 
agréable  et  qui,  non  sans  rapport  avec  celui  de  lîi  ber- 
gamotte,  devait  les  faire  rechercher  ';  ils  n'ont  toute- 
fois joué  qu'un  rôle  sans  importance  dans  ralimentation 
des  anciens  Hindous.  Il  en  fut  tout  autrement  des  fruits 
du  manguier  —  âmra,  —  considérés  comme  les 
meilleurs  de  Tlnde,  et  dont  on  a  fait,  depuis  Tépoque 
la  plus  reculée,  le  plus  grand  usage.  Avant  la  maturité, 
on  les  confit  et  on  en  fait  des  conserves  ;  mûrs,  ils 
plaisent  par  leur  saveur  aigrelette.  Tantôt  on  les  presse 
pour  en  exprimer  le  jus  qu'on  avale,  ou  bien  on  les 
pèle  et  on  les  mange,  comme  une  pêche  ;  d'autres  fois 
on  en  fait  une  espèce  de  salade,  ou  on  les  met  dans  les 
sauces  pour  en  relever  le  goût  ^  Les  fruits  des  divers 
jujubiers  ont  été  recherchés  de  tout  temps;  ceux  des 
jujubiers  commun  et  nummulaire,  également  parfu- 
més, sont,  les  premiers,  acides,  les  seconds,  sucrés  ; 
les  fruits  du  badarî  sont  farineux,  mais  doux  et  plai- 
sants au  goût  '. 

C'est  la  pulpe  abondante  qu'ils  contiennent  qui  fait 
la  valeur  des  fruits  du  tamarin  ;  de  tout  temps  on  Ta 
recueillie  avec  soin  ;  la  grande  quantité  d'acide  citri- 
que et  malique  qu'elle  contient  la  rend  éminemment 
rafraîchissante  et  stomachique*.  En  dépit  de  leur 
sécheresse,  les  fruits  du  jambu,  de  la  grosseur  d'une 
petite  pomme  et  dont  l'odeur  rappelle  la  rose,  sont  re- 
cherchés par  les  indigènes.  Ils  n'aiment  guère  moins 
ceux  àw  jatnbula,  malgré  leur  saveur  douceâtre  et  quel- 


1.  Brandis,  Flora,  p.  94. 

2.  Baber,  Mémoires,  vol.  Il,  p.  208.  —  Watt,  vol.  V,  155. 

3.  Brandis,  p.  8'i-86.  —  Watt,  vol.  VI,  4,  p.  668-673. 

4.  Drury,  Use  fui  Plants ,  p.  412. 


LES  PLANTES  OANS  L'ALIMENTATION  329 

que  peu  astringente*.  Jaunes  à  la  maturité,  de  la  gros- 
seur d'une  orange  moyenne  et  charnus,  les  fruits  du  Aa- 
damba  sont  également  comestibles  ;  le  pèlerin  chinois 
Hiuen-Tsiang  les  mettait  au  rang  des  plus  savoureux  de 
rinde*.  Les  baies  des  Mimuaops  indica  et  elengi  sont 
petites  et  n'ont  que  peu  de  valeur  alimentaire,  mais  elles 
sont  «  très  mangeables  ^  ».  Bien  préférable  toutefois 
Q^iVavigna, —  telestlenom  du  îvmi àxxkaramarda^ — ; 
avant  la  maturité,  on  le  confit  ;  mûr,  on  en  fait  une  gelée 
excellente;  cru,  il  plait  aussi  beaucoup  aux  indigènes. 
Ils  n'aiment  pas  moins  la  pulpe  visqueuse  que  renfer- 
ment les  drupes  des  diverses  espèces  de  sébestiers  ; 
les  lois  de  Manou  défendaient  de  se  nourrir  de  celles 
du  selu^\  on  les  mange  aujourd'hui,  non  seulement 
mûres,  mais  encore,  comme  légumes,  quand  elles  ne 
sont  encore  qu'à  moitié  formées. 

Avec  celui  du  jacquier,  —  panasa  —  nous  retrouvons 
un  fruit  essentiellement  alimentaire;  les  indigènes 
trouvent  délicieuse  la  pulpe  jaunâtre  qui  entoure  les 
graines,  et  celles-ci  grillées  ont  le  goût  des  meilleures 
châtaignes.  Dans  le  Sud  de  l'Inde,  où  le  jacquier 
atteint  une  taille  considérable,  ses  fruits  forment  un 
appoint  considérable  de  la  nourriture  des  habitants*. 
Bien    plus    important   et  plus   général  toutefois  est 


1.  Brandis,  Flora,  p.  233. 

2.  Buddhisl  Records ,  vol.  I,  p.  88.  Les  noms  bhadra  «  bon  » 
et  priyaka  «  agréable  »,  qu'on  donne  aux  fruits  du  kadamba, 
témoignent  de  leur  qualité. 

3.  Brandis,  Flora,  p.  291-293. 

4.  Carissa  carandas  L.  —  Brandis,  Flora,  p.  321. 

5.  Cordia  myxa  L.  —  Lois  de  Manou,  lib.  V,  6.  —  Brandis, 
Flora,  p.  336-339. 

6.  Roxburgh,  Flora,  vol.  III,  p.  523.  —  Brandis,  Flora, 
p.  'j2G.  —  Watt,  vol.  I,  p.  332. 


330  LES  PLAiNTES  CilEZ  LES  HINDOUS 

le  rôle  joué  dans  ralimentation  par  les  bananes  — 
moca^  bhânuphala  «  fruits  lumineux  »,  stiphala  «  bon 
fruit  »  ;  —  ce  qui  en  fait  la  valeur  nutritive,  c'est 
la  fécule  qu'elles  contiennent  en  aussi  grande  quantité 
que  la  pomme  de  terre.  On  les  mange  fraîches  ou 
séchées  par  tranches  au  soleil.  On  en  retire  aussi,  par  la 
dessiccation  et  en  les  écrasant,  une  farine  légère,  com- 
parable à  celle  du  riz^ 

Pour  terminer  cette  énumération  des  fruits  comes- 
tibles, il  me  faut  encore  mentionner  les  noix  de  coco  — 
nârikela,  —  qui  entrent,  sous  des  formes  diverses,  dans 
l'alimentation  des  indigènes.  Cueillies  avant  la  matu- 
rité, elles  renferment  un  liquide  sucré,  le  lait  de  coco, 
et  une  pulpe  molle  et  crémeuse  d'un  goût  agréable. 
Après  la  maturité,  le  liquide  sucré  diminue  ou  se  soli- 
difie et  la  couche  albumineuse,  qui  constitue  Tintérieur 
du  fruit,  devient  plus  épaisse  et  plus  ferme  ;  on  la 
mange  avec  du  riz  ;  on  s'en  sert  aussi  pour  assaisonner 
les  sauces  ou  faire  des  plats  doux  *. 

Aux  fruits  proprements  dits,  se  rattachent  l'auber- 
gine —  vdrtla  — ,  le  concombre,  les  melons,  etc.,  qui 
tiennent  la  plupart  autant  et  plus  des  légumes  que  des 
fruits.  Les  Hindous  mangent  les  aubergines,  coutume 
probablement  très  ancienne,  en  ragoût,  cuites  sous  la 
cendre  et  farcies,  ou  coupées  en  tranches  et  grillées, 
ou  encore  confites  avec  divers  ingrédients  '.  Les  con- 
combres, arrivés  à  moitié  de  leur  croissance,  sont  con- 
fits ;  une  fois  mûrs  les  indigènes  les  mangent  crus  ou 

1.  Drupy,  (Ueful  Plants,  p.  301. 

2.  Watt,  vol.  II,  p.  448.  Hiuen-Tsiang  met  les  fruits  du  jac- 
quier, du  bananier  et  du  cocotier  au  nombre  des  meilleurs  de 
rinde.  Bnddhint  Records,  vol.  I,  p.  88. 

3.  Watt,  iJîctionary,  vol.  VI,  3,  p.  262. 


LES  PLANTES  DANS  L'ALIMENTATION  331 

ils  les  mettent,  coupés  en  tranches,  dans  les  ragoûts. 
Les  fruits  des  Lttffa,  Momordica  et  Trichosanthes  ser- 
vent, eux  aussi,  avant  d'être  mûrs  à  faire  des  ragoûts  et 
relever  les  sauces*.  Quant  aux  melons  et  aux  pastèques, 
leur  rôle  dans  Talimentation  était  le  môme  chez  les 
anciens  Hindous  que  chez  les  autres  peuples  de  l'anti- 
quité et  chez  les  modernes. 

Pour  en  finir  avec  ce  que  j'ai  à  dire  du  rôle  des 
plantes  dans  l'alimentation,  il  faut  ajouter  que,  surtout 
en  temps  de  disette,  on  devait  manger  autrefois,  comme 
de  nos  jours,  les  noyaux  d'un  certain  nombre  de  fruits, 
ceux,  par  exemple,  du  manguier,  A\\ piyàla,  du  hahe^ 
ruka^y  du  selu,  etc.  Les  noyaux  du  dernier  ont  le  goût 
de  noix  de  filbert  ;  ceux  du  piyàla  rappellent  les  pista- 
ches \  L'écorce  de  plusieurs  arbres  entrait  aussi  dans 
Talimontation  des  Hindous*;  c'est  ainsi  qu'en  temps 
de  famine  on  mêle  à  la  farine  des  céréales  l'écorce 
moulue  do  V Acacia  leucophlaea, du  Prosopis spicigera^ 
de  YEhretia  laevis'',  etc.  Les  Lahûpas  du  Manipour 
coupent  en  tranches,  avant  l'apparition  des  feuilles, 
Técorce  du  bouleau  acuminé  et  en  mangent  la  couche 
intérieure  préalablement  séchée,  ou  bien  encore 
ils  la  réduisent  en  farine  et  en  font  une  espèce  de 
bouillie". 

Le  règne  végétal  ne  fournissait  pas  seulement  aux 
habitants  de  l'Inde  des  aliments  agréables  et  nourris- 
sants, il  leur  donnait  aussi  la  plupart   des  boissons 


1.  Koxburgh,  Flora,  vol.  III,  p.  701,  707,  IV*. 

2.  Buchanania  latifolia  et  Terminalia  belkrica  Roxb. 

3.  Brandis,  Flora,  p.  127,  128,  222,  337. 
'*.  Arrlen,  Indica,  cap.  VII,  3. 

5.  Brandis,  p.  18'*,  3'i0.  —  Watt,  vol.  Vf,  1,  p.  341. 

6.  Watt,  Dictiotmry,  vol.  I,  p.  451. 


332  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

dont  ils  faisaient  usage.  L'eau  et  le  lait  de  leurs  trou- 
peaux avaient  été  d'abord  la  seule  boisson  des  Aryens  ; 
mais  ils  ne  s'en  contentèrent  pas  longtemps.  En  quel- 
que haute  estime  qu'ils  eurent  toujours  l'eau,  bien 
qu'elle  renfermât  à  leurs  yeux  tous  les  remèdes,  qu'elle 
donnât  au  corps  la  santé,  et  procurât  une  longue  vie, 
à  la  fin,  ils  la  regardèrent  comme  un  breuvage  plus 
fait  pour  leurs  génisses  que  pour  eux*.  Le  lait  lui- 
môme,  s'ils  en  ont  toujours  fait  largement  usage  *, 
finit  aussi  par  ne  plus  leur  suffire  ;  il  leur  fallait  des 
boissons  fermentées.  Dès  les  premiers  temps  de  leur 
histoire,  le  soma,  ce  breuvage  divin,  préparé  avec  une 
plante  sacrée  des  montagnes,  en  fut  une  réservée  pour 
les  fêtes  et  les  occasions  solennelles;  la  surà^,  dont 
l'origine  n'est  guère  moins  ancienne,  fut  la  boisson  des 
jours  ordinaires  ;  «  le  premier  était  la  meilleure  nourri- 
ture des  dieux,  la  seconde  celle  des  hommes  ». 

L'usage  de  la  surâ  devint  si  général  que  sa  fabrica- 
tion donna  naissance  aune  industrie  particulière  exer- 
cée par  la  classe  des  Surâkâra^.  Il  est  question  dans 
l'Atharva-Véda,  d'une  boisson  appelée  kildla':  quelle 
était-elle?  Nous  l'ignorons;  mais  c'était,  il  semble, 
une  liqueur  analogue  à  la  surâ.  Quant  au  parisrut, 
breuvage  fermenté  «  ni  soma,  ni  surâ  »,  dont  parlent 


1.  Rig-Veda,  lib.  I,  16,  23  et  23,  18. 

2.  a  Le  lait,  lit-on  dans  le  MahAbhàrata,  est  la  première 
des  nourritures  pour  les  classes  moyennes  ».  rdyoga-Parva, 
1143.  «  Sur  le  lait,  dit  le  ÇalapaihaBrâhmana,  XIV,  4,  3,  '*, 
repose  tout  ce  qui  respire  ».  Il  est  à  chaque  instant  question 
dans  le  Ràmâyana  de  lait  doux  ou  caillé.  Lib.  Il,  cap.  C,  49  et 

67. 

3.  TaiUiriya-BrAhmana,  1,3,  3,  2.  Zimmer,  p.  280. 
'i.  Zimmer,  Altindisches  Leben,  p.  281. 

5.  Lib.  JV,26,  6  et  27,  5;  VI,  69,  1. 


LES  PUNTES  DANS  L'ALIMENTATION  333 

(ranciens  textes,  on  a  supposé  qu'il  était  fait  avec  des 
herbes  '  ;  P.  von  Bohlen  y  a  vu  à  tort  une  liqueur 
obtenue  par  la  distillation  *  ;  Eggeling'  la  regarde  comme 
une  boisson  qui  ne  dififérait  de  la  surâ  que  parce  qu'elle 
était  préparée  avec  des  végétaux  non  encore  arrivés  à 
leur  complet  développement.  Pour  la  surà,  tout  ce 
qu'on  en  peut  dire,  c'est  que  c'était  un  breuvage  fer- 
menté et  enivrant*.  Les  anciens  Hindous  possédaient 
un  grand  nombre  de  boissons  de  ce  genre,  d'origine  et 
de  composition  les  plus  diverses.  Tel  était  par  exemple 
le  (Ihânyarasa  de  T Atharva-Véda  ^  espèce  do  bière 
préparée  avec  des  grains  écrasés  d'orge,  de  rajî  ou 
de  froment,  plus  tard  de  riz  ou  de  sorgho.  Les  écri- 
vains grecs  semblent  avoir  connu  ce  breuvage  —  ce 
«  vin  »,  —  fait  avec  du  riz,  d'après  Strabon,  avec  du 
riz  ou  des  cannes  à  sucre,  suivant  Élien  ®. 

Le  jus  de  certains  fruits  durent  aussi,  dès  l'épo- 
que la  plus  reculée,  servir  de  boisson  rafraîchissante 
aux  habitants  de  l'Inde.  Tel  est  en  particulier  le 
liquide  sucré,  encore  «  plus  délicat  que  n'importe  quel 
breuvage  »,  renfermé  à  l'intérieur  des  noix  de  coco 
non  encore  mftres.  Le  jus  exprimé  de  nombre  d'autres 
fruits  furent  et  sont  encore  employés  au  même  usage. 


1.  ÇatapathaBrùhmana,  lib.  V,  1,  2,  14.  —  V.  S.,  2,  34.  — 
Mahîdhara,  ap.  Zimmer,  p.  28t. 

2.  Dasalte  Indien.  Kônigsberg,  1830,  in-8,  vol.  II,  p.  164. 

3.  Çatapatha-BrAhmana fYol.  III,  p.  9,  note  1. 

4.  «  Potus  fervidus,  potus  inebrians  in  universum  »,  dit  Bopp. 
Le  Çatapatha-Drâhmarfa,  V,  1,  2,  13,  semble  en  faire  le  (suc) 
d*une  plante. 

5.  Lib.  II,  26,  5.  «The  sapof  the  grain  »,  trad.  Bloomfîeld. 

6.  OTvov...  TcivEiv  8'  otTz*  opuÇTjç.  Gcographica,  lib.  XV, 
cap.    153.^ —   Tôv   [jL£v  (olvov)  eÇ  Ôoû^t);     yz'.ooup-^oîi'Ji,    tov    oà     ex 

xaXà{Aou.  Elien,  De  nalurâ  animalium,  lib.  XIII,  cap.  8. 


/ 


334  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Mais  les  Hindous  fabriquèrent  aussi  de  bonne  heure 
avec  eux  du  vin  ou  du  cidre*,  et,  pour  le  parfumer,  ils 
y  ajoutaient  souvent  les  fleurs  de  certains  arbres.  On 
donnait  parfois  à  ce  mélange  un  nom  tiré  de  la  fleur 
qui  lui  donnait  son  bouquet.  C'est  ainsi  que  le  vin  aro- 
matisé avec  des  fleurs  de  kadamba  prenait  celui  de 
kddambara'^ ,  Quand  la  vigne  eut  pénétré  et  eut  été 
cultivée  dans  THindoustan,  on  fit  aussi  du  vin  avec  des 
raisins.  Si  Ton  en  croyait  Ctésias',  ce  vin  aurait  même 
été  excellent. 

La  sève  ou  le  suc  de  certaines  plantes,  comme  le  suc 
de  la  canne  à  sucre,  la  sève  qui  découle  de  divers  pal- 
miers *et  autres  arbres,  oflfraient  encore  aux  Hindous 
des  boissons  dont  ils  firent  très  anciennement  usage. 
Ils  se  bornèrent  d'abord  pendant  longtemps  à  mâcher 
les  cannes,  comme  le  font  encore  aujourd'hui  les  habi- 
tants demi-sauvages  des  îles  de  TOcéanie;  plus  tard 
ils  en  recueillirent  le  suc  exprimé.  Au  nombre  des  mets 
servis  sur  la  table  de  Çuddhôdana  figurait  du  jus  de 
canne  et  du  sucre  ^  On  peut  croire  que  l'usage  du  suc 
de  canne,  qui  était  plutôt  un  condiment  qu'un  vrai 
breuvage,  diminua,  s'il  ne  disparut  pas  complètement, 
après  la  découverte  de  la  fabrication  du  sucre  ;  si  Ton 

1.  Bohlen,  Da$  aile  Indien,  voL  II,  p.  164. 

2.  Lois  de  Manou,  lib.  II,  95.  On  aromatisait  encore  le  vin 
avec  des  fleurs  de  dhâtri  —  Phyllanthus  emhlica  —  et  de  dha- 
taki  —  Grislea  tomentosa. 

3.  Indien,  29.  Il  est  aussi  question  de  vin  rouge  de  T Inde  dans 
Arrien.  Ilisloria  indica,  cap.  xiv,  9. 

4.  Phœnix  sylvestris  Roxb.,  Borassus  flabelliformis  L.,  Ca- 
ryota  urens  L.  et  Cocos  nucifera  L. — A  ces  palmiers,  on  pour- 
rait ajouter  le  Nipa  frulicans  Wurmb.  ;  mais  il  est  douteux 
que  les  anciens  Hindous  aient  connu  cette  plante  des  Sunder- 
bands,  ou  ils  ne  Tont  connue  qu*assez  tard. 

5.  Lalita  VistarOy  cap.  5,  p.  42. 


LES  PLANTES  DANS  L'ALIMENTATION  335 

en  croit  Hiuen-Tsiang  toutefois*,  on  faisait  de  son  temps 
avec  ce  suc  et  du  jus  de  raisin  un  sirop  non  fermenté, 
qui  servait  de  boisson  aux  Brahmanes.  Mais  cet  usage 
du  suc  de  canne  a  fini  par  tomber  en  désuétude  ;  on 
n'a  point  cessé,  au  contraire,  de  recueillir  et  d'em- 
ployer comme  boisson  la  sève  des  palmiers  et  ses 
divers  produits. 

Pour  obtenir  celle  du  kharji\ra  —  le  dattier  sau- 
vage, —  au  commencement  du  mois  d'octobre,  on 
pratique  au-dessous  de  la  couronne  des  feuilles  une 
entaille  profonde  par  où  cette  sève  s'écoule  ;  elle  s'arrête 
au  bout  de  trois  jours  ;  le  sixième,  quand  la  blessure 
est  cicatrisée,  on  fait  une  nouvelle  entaille  et  on  con- 
tinue ainsi  jusqu'à  la  fin  de  la  saison.  L'année  suivante 
on  laisse  reposer  le  palmier,  mais  on  recommence 
l'opération  la  troisième  année,  et  on  peut  la  répéter 
pendant  près  de  dix  ans  '.  Pour  le  tala,  la  caryote  et  le 
nârikela,  on  procède  d'une  manière  différente  ;  on  ne 
pratique  pas  d'entaille  dans  leur  tronc,  on  coupe,  avant 
que  les  fleurs  s'épanouissent,  le  haut  des  pédoncules 
et  on  recueille,  dans  un  vase  attaché  à  leur  partie  infé- 
rieure, la  sève  qui  en  découle  en  abondance*.  Cette 
sève  sucrée  et  d'un  goût  agréable  —  celle  du  kharjûra 
toutefois  est  légèrement  amère  —  donne  par  la  fer- 
mentation une  boisson  capiteuse  et  enivrante,  le  tari 
—  ang.  toddy  —  ou  vin  de  palmier.  Du  tronc  du  nimba 
ou  de  ses  racines  incisées  au  printemps  coule  aussi 


1.  Buddhisi  Records ,  vol.  [,  p.  89. 

2.  Drury,  Use  fui  Plants,  p.  340-341. 

3.  Brandis,  p.  545,  550,  558.  —  Roxburgh  dit  que  la  Car^o/a 
nrens  peut  fournir  jusqu'à  100  litres  de  sève  en  24  heures. 
Flora,  vol.  III,  p.  626.  Une  spathe  de  cocotier  en  peut  donner 
pendant  un  mois.  Watt,  vol.  II,  p.  450. 


336  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

une  sève  employée  comme  boisson  rafraîchissante  et 
susceptible  de  fermenter*.  Cosmas,  par  une  confusion- 
manifeste,  donne  au  lait  de  coco  le  nom  de  rhonkho- 
soura  —  rdkshâsurâ  d'après  Bohlen-  — .  Ce  nom  était 
probablement  attribué  aux  différents  tari. 

Si  le  tî\ri  reste  quelque  temps  exposé  à  Tair,  la  fer- 
mentation acide  se  produit  et  il  se  change  en  vinaigre. 
Si,  au  lieu  de  la  laisser  fermenter,  on  fait  bouillir  la 
sève  du  tàla,  de  la  caryote  ou  du  cocotier,  elle  prend 
une  consistance  sirupeuse  appelée  jaggery,  espèce  de 
mélasse,  avec  laquelle,  par  le  raffinage,  on  obtient 
le  sucre  de  palme  ^  On  sait  que  Tarak  et  le  rhum 
—  âçava''  —  sont  le  produit  de  la  distillation,  le  pre- 
mier du  tari,  le  second  du  suc  de  la  canne  ;  depuis 
quelle  époque  ces  liqueurs  spiritueuses  sont-elles  con- 
nues dans  rinde  ?  Nous  ne  pouvons  le  dire  ;  mais  dans 
un  livre  du  Mahâbhârata^  dont  par  malheur  on  ignore 
YkgQ,  les  Vàhîkas,  peuplade  méprisée  des  Brahmanes, 
sont  représentés,  eux  et  leurs  femmes,  comme  des 
buveurs  d*âçava  et  de  surfi. 

Outre  les  boissons  dont  je  viens  de  parler,  les  Hin- 
dous en  possédaient  un  grand  nombre  d'autres,  com- 
posées d'ingrédients  très  divers.  Une  des  plus  renom- 
mées était  une  espèce  d'eau-de-vie  —  maireyuy  —  faite 
avec  de  Técorce  bouillie  à'Odinapinnata,  à  laquelle  on 
ajoutait  de  la  mélasse,  une  quantité  convenable  de 
poivre  long  et  de  Strychnos  potatorum,  ainsi,  plus 


1.  Brandis,  p.  67.  Le  nimba  est  le  ^felia  indica  Brandis, 
M.  azadirachta  L. 

2.  Das  aile  Indien,  voL  II,  p.  16'i. 

3.  H.  von  Sclilagintweit,  Reisen  in  Indien^  vol.  1,  p.  72. 

4.  Ou  àsavn;  on  lui  donne  aussi  le  nom  de  gaudi. 

5.  Karna-Parva,  2U3'i  et  2050. 


LES  PLANTES  DANS  L'ALIMENTATION  337 

tard  du  moins,  que  des  noix  de  muscade  et  d'aréca  et 
des  clous  de  girofle.  Des  feuilles  de  Feronia  elephan- 
tum  et  du  miel  servaient  aussi,  de  môme  que  l'écorce 
de  Cassia  et  du  riz,  avec  une  addition  de  mélasse,  à 
faire  des  liqueurs  —  surâs  —  estimées*.  On  en  fabri- 
(juait  également  une  très  capiteuse,  le  dhânâgaudâ- 
sava^,  avec  du  suc  fermenté  de  canne  ot  du  riz.  Dès 
longtemps  sans  doute  on  a  fait  encore  avec  les  fleurs 
distillées  de  madhiika  une  boisson  enivrante,  très  re- 
cherchée aujourd'hui  des  indigènes,  malgré  ses  pro- 
priétés nocives.  Quand  a-t-on  aussi  commencé  à  tirer 
parti  des  fleurs  de  la  Bassia  butyracea,  pour  en  fabri- 
quer une  espèce  de  mélasse  ou  de  sucre,  comme  avec 
la  sève  bouillie  de  palmier^?  Rien  ne  nous  Tapprend, 
mais  il  n*est  pas  impossible  que  cette  préparation  n*ait 
été  anciennement  connue. 

Bien  que  l'usage  des  boissons  fermentées  fût  sévè- 
rement défendu*,  les  Hindous,  nous  venons  de  le  voir, 
en  possédaient  un  nombre  considérable,  et  ils  en  bu- 
vaient abondamment  et  parfois  avec  excès  \  Aux 
noces  de  la  fille  de  Viràta,  la  surâ  et  le  maireya 
coulent  à  flots.  Et  on  voit  une  Nishiidî  s'enivrer  de 
liqueurs  spiritueuses  avec  ses  cinq  fils^  Le  poète 
du  Rîimàyana  nous  montre  Tarmée  de  Bharata  telle- 
ment ivre  à  la  suite  d'un  festin  qui  lui  avait  été  donné 


1.  Dos  Kâmasûtram  des  Vàlsyâyana,  nbeTsei/Xyon  Richard 
Schmidt,  Leipzig,  1897.  in-4o,  p.  69. 

2.  Bohlen,  Dos  aile  Indien^  vol.  II,  p.  165. 

3.  Drury,  Useful  Plants,  p.  69-70.  -  Watt,  vol.  I,  p.  'i06. 

4.  Lois  de  Manou,  liv.  Il,  91. 

5.  «  Cujus  (vini)  omnibus  Indis  largus  est  usus.  »  Quintus 
Curtius,  fJisloria,  lib.  VIII,  cap.   9. 

6.  Mahâùhârata.  Adi-Parva,  5826  et  Virâta  Parva,  236'i. 

JORET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité.  II.  —  22 


338  LES  PLANTES  CIIEZ  LES  HINDOUS 

par  Bharadvâja,   que  les  cavaliers  «   oublient  leurs 
chevaux,  les  cornacs  leurs  éléphants  *  ». 

•Parmi  les  nombreuses  plantes  oléagineuses  que  ren- 
ferme rinde,  les  anciens  habitants  mirent  sans  doute 
à  profit  dès  l'époque  la  plus  reculée  un  nombre  consi- 
dérable d'entre  elles  ;  mais  Tabsence  de  renseigne- 
ments contemporains  ne  nous  permet  guère  de  dire,  à 
part  quelques-unes,  quelles  furent  les  espèces  aux- 
quelles ils  demandèrent  les  huiles  dont  ils  avaient 
besoin  pour  leur  alimentation  ou  pour  s'éclairer. 
L'huile  de  sésame  —  taila  —  dont  il  est  question  dans 
l'Atharva-Veda,  dut  être  une  des  premières  dont  ils 
se  servirent.  Ils  la  fabriquaient  de  la  même  manière 
que  les  Égyptiens  et  les  Sémites  de  l'Asie  Mineure,  et 
la  conservaient  dans  des  vases  clos  ".  Ils  s'en  servaient 
pour  préparer  leurs  mets  et  faire  des  gâteaux.  Elle 
constituait,  d'après  le  Mahàbhàrata',  le  principal  ali- 
ment des  classes  pauvres.  C'était  aussi,  avec  les  graines 
qui  la  fournissent,  un  assaisonnement  recherché. 
«  Dans  le  grain  de  sésame  et  l'huile  de  sésame,  dit  un 
poète*,  réside  le  charme  du  manger  ».  La  propriété 
qu'elle  a  de  se  garder  pendant  des  années,  sans  pren- 
dre de  goût  ni  d'odeur,  la  rendait  précieuse  et  permet- 
tait de  la  transporter  au  loin.  Au  premier  siècle  de 
notre  ère,  et  sans  doute  déjà  bien  avant,  elle  était  un 
des  principaux  produits  qu'on  exportait  de  l'Inde  en 
Egypte  ^ 

i.  Hàmàyana,  lib.  II  (Ayedhyàkarida),  cap.  C,  53. 

2.  Alharva  Veday  lib.  1,  7,  2.  —  Amarakoçay  lib.   III,  cap. 
6,  5. 

3.  Utlyoga-Parva,  1143. 

4.  Boehtlingk,  Indische  Sprûche,  n^  2563. 

5.  Periplus  maris  Erylhraei,  14,  32  et  41.  lid.  B.  Fabricius. 
Leipzig,  1888,  in-8,  p.  52  et  83. 


LES  PLANTKS  DANS  L'ALIMENTATION  339 

Après  rhuile  de  sésame,  cellede  sénevé  paraît  avoir 
été  une  des  plus  employées  ;  le  pèlerin  chinois  Hiuen- 
Tsiang  en  constatait,  au  vi*  siècle,  Tusage  général  dans 
rinde*.  Il  est  probable  que  dès  longtemps  aussi  l'huile 
de  carthame,  ainsi  que  celle  de  ricin  furent  connues 
et  employées  par  les  Hindous.  Le  grand  nombre  de 
noms  sancrits  de  ces  deux  plantes  est  une  preuve  à  la 
fois  de  l'ancienneté  de  leur  culture  et  de  Tusage  qu'on 
faisait  de  leurs  produits*.  Il  est  question  dans  Çakun- 
talà  de  l'huile  d'ingudî^  dont  s'oignent  les  ermites. 
Ils  s'en  servaient  aussi  sans  doute  pour  s'éclairer,  et 
elle  est  également  bonne  à  manger.  On  en  faisait 
des  gâteaux  funèbres*.  On  l'extrait  des  noyaux  des 
fruits  de  cet  arbre,  qu'on  écrase  après  les  avoir  préala- 
blement fait  sécher  au  soleil  pendant  quelques  jours  *. 

L'exemple  que  je  viens  'de  citer  montre  que  l'huile 
d'ingudî  était  connue  au  vi®  siècle  de  notre  ère  ;  on  a 
dû  non  moins  anciennement  sans  doute  faire  usage  de 
l'huile  retirée  des  noix  de  coco  et  des  nombreuses 
graines  qui  en  fournissent  de  nos  jours,  telles  que  les 
graines  du  Balanites  Roxburghii  et  du  nimba  •,  de  la 
Schleichera  trijugay  des  piydla  et  des  karanjakdy  des 
Bassia  à  larges  et  à  longues  feuilles,  du  keçara,  du 
Diospyros  emhryopteris,  du  Salvadora  oleoides,  si 
commun  dans  le  Sindh,  etc.,  huiles  dont  les  habitants  se 
servent,  et  sans  doute  depuis  longtemps,  pour  l'éclai- 


1.  Buddhist  Records ,  vol.  1,  p.  88. 

2.  Watt,  Dictxonary,  vol.  II,  p.  194;  VI,  1,  508.    . 

3.  Terminalia  catappa  L.  —  Acte  II,  scène  3,  p.  33. 
^.  Ràmàyapa,  Yuddhakàçda,  XCVI,  16. 

5.  Drury,  Useful  Plants,  p.  418. 

6.  Il  est  question  de  l'huile  de  nimba  dans  Màlati  et  Ma- 
dhavaj  acte  V,  p.  56. 

II.  —  22. 


340  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

rage  et  parfois  aus^i  pour  la  cuisine,  ainsi  que  dans  la 
médecine  ^  Connaissaient-ils  aussi  depuis  une  époque 
reculée  le  beurre  qu'on  retire  des  graines  de  la  Bassia 
butyracea'^.  Je  Tignore;  mais  ils  ont,  on  peut  TaflBr- 
mer,  très  anciennement  fait  usage  des  gommes  et 
gommes-résines  que  fournissent  tant  d'essences  indi- 
gènes :  Gochlospermum  gossypium,  çàla  et  autres 
diptérocarpées,  Odina  tcodier,  palâça,  ptérocarpes  et 
acacias,  Anogeissus  latifolia,  etc.';  mais  ces  substances 
sont  plutôt  employées  dans  la  pharmacopée  ou  Tin- 
dustrie  que  dans  Talimentation  ;  c'est  ailleurs  aussi 
qu'il  conviendra  d'en  parler. 


* 


A  côté  des  plantes  si  nombreuses  qui  entrent  dans 
l'alimentation  des  habitants  de  l'Inde  prennent  place 
les  plantes  encore  plus  nombreuses  qui  servent  à  la 
nourriture  des  animaux  domestiques.  L'Inde  n'est  pas  un 
pays  de  pâturages  ;  mais  elle  n'en  renferme  pas  moins 
dans  les  vallées  alpestres,  tempérées  ou  semi-tropi- 
cales de  ses  montagnes,  dans  ses  plaines  plus  ou  moins 
arrosées,  au  bord  de  ses  cours  d'eau,  au  milieu  de  ses 
marécages  et  jusque  dans  ses  déserts,  nombre  de  gra- 
minées propres  à  l'alimentation  du  gros  et  du  petit 
bétail.  Dans  les  vallées  élevées  et  tempérées  de  l'Hi- 
malaya on  rencontre  une  partie  des  graminées  de 
l'Asie  antérieure  et  même  de  l'Europe  :  agropyres, 
agrostides  et  andropogons,  avoines,  brachiopodes,  bri- 


1.  Brandis,  p.  59,  67,  105,  127,  154,  293,  298,  316,  etc.  Watt, 
vol.  V,  p.  447-48.  Le  karanjnka  est  la  Pongamia  glabra  Vent. 

2.  Watt,  vol.  IV,  p.  188  et  VI,  437. 


^  LES  KOfIRRAGRS  3il 

zes  et  bromes,  dactyles,  élymes  et  éragrostides,  fétu- 
ques,  fléoles  et  flouves,  glycères,  ivraies  et  kéléries, 
méliques,  orges  et  panics,  paturins,  roseau  commun, 
rottbolies  et  vulpins,  ainsi  que  d'autres  espèces*,  parti- 
culières à  la  ftore  indigène,  des  genres  Arundinaria, 
Hierochletty  Ischaemiim,  Muehlenbergia,  Oplismenus, 
Penniseinm,  PoUinia,  Stipa,  Tripogon,  Trisetum,ete. 
Et  dans  la  région  tropicale  de  la  grande  chaîne,  de 
même  que  dans  les  plaines  de  l'Hindoustanou  de  la  Pé- 
ninsule, des  AeluropuSy  des  aristides,  des  Cenchros  et 
des  Elionurtis,  propres  aux  lieux  arides  ou  sablonneux 
du  Pandjab  ;  des  Andropogon,  des  Chïoris  et  des  Coix, 
le  Cynodon  dactylon —  diïrvâ  —  répandu  de  l'Himalaya 
au  cap  Comorin,  des  Eleusine  et  des  Eriochloa,  Vlm- 
perata  arnndinacea,  de  nombreux  Isehaemon  et  pa- 
nics, des  Paspalum  et  des  Pennisetum,  des  Sporobo- 
lus,  de  hauts  Saccharum,  des  bambous  .  arbores- 
cents ^  etc. 

Ces  graminées  si  nombreuses,  —  je  suis  loin  de  les 
avoir  toutes  énumérées  —  offraient,  quelques-unes 
surtout,  pendant  une  partie  de  Tannée,  une  nourriture 
abondante  et  variée  aux  bêtes  de  somme  et  aux  trou- 
peaux des  Hindous.  La  diirvfi,  «  la  meilleure  pour 
l'engraissement  et  la  production  du  lait  »,  et,  malgré 
sa  petitesse,  «  la  plus  nourrissante  »  des  graminées 
de  l'Inde,  convient  à  tous  les  bestiaux  et  en  particu- 
lier aux  chevaux  ^.  Le  Pennisetum  cenchroides  passait 


1.  a  At  4-5  000  feet  élévation  in  the  Khasia  we  hâve  collected 
upwards  of  fifty  species  of  Gramineae  alone,  in  an  eight  mile's 
walk.  »  J.-I).  Hooker  and  Th.  Thomson,  Flora  indica,  vol.  I, 
p.  93. 

2.  Watt,  vol.  III,  p.  420.'i27,  433-434  et  434-437. 

3.  Duthie,  ap.  Watt,  vol.  III,  p.  680. 


3i2  LKS  PLANTKS  CHEZ  LES  MINDOl'S 

aussi  pour  faire  donner  du  lait  aux  vaches  ;  YEleusine 
flagellifera  était  recherché  des  moutons;  VEragrostis 
cfjnostiroïdes,  par  les  buffles;  les  bambous,  VElio- 
nurus  hirstitus  et  \q  Saccharum  spontannim  sont  man- 
gés avidement  par  les  éléphants,  ainsi  que  la  raassetto 
à  feuilles  étroites  *. 

Nombre  de  plantes  herbacées,  autres  que  les  grami- 
nées, entraient  encore  dans  l'alimentation  du  gros  et 
du  petit  bétail  des  Hindous  :  crucifères  —  Brassira, 
Eruca,  Lepidium  —  légumineuses  —  caraganas,  cro- 
talaires,  Desmodium  et  gesses,  indigotiers,  luzernes, 
mélilots  etpsoralées,  trèfles,  trigonellesetvesces,  etc. 

—  composées  —  armoises  et  chardons  —  ;  convolvu- 
lacées, labiées  môme,  amarantes  et  chénopodées,  po- 
lygonées  et  urticées,  etc.,  servent,  les  légumineuses 
surtout,  de  fourrage  dans  les  diverses  provinces  de 
rinde^  Les  chameaux  recherchent  les  chardons,  les 
Kochiaindica  et  Salicorniabrachiata,  les  Suaeda  fm- 
licosa  et  Salsola  foetida  et  kali  du  Pandjab  et  du 
Sindh,  ainsi  que  VHaloxylonnuiltiflorumy  VAlhagi 
maurorum,  arbustes  des  mômes  contrées^.  Les  mou- 
tons et  les  chèvres  aiment  à  brouter,  outre  les  plantes 
herbacées  qui  y  sont  répandues,  —  trèfles,  vesces, 
potentilles,  armoises,   renouées,  etc.,  —  les  arbustes 

—  épines,  cotoneastcr,  chèvrefeuilles,  cornouillers, 
éphédras,  —  des  vallées  de  l'Himalaya*. 

Le  feuillage  et  les  jeunes  pousses  des  arbres  forment 
surtout  pendant  la  saison  sèche  une  partie  importante 
de  la  nourriture  des  animaux   domestiques;  il  n'est 

1.  Typha  angustifolia  L.  ou  elephantina  Roxb. 

2.  Watt,  Dictionary,  vol.  III,  p.  'i07-'j20. 

3.  Watt,  IHctionnvy,  vol.  II,  p.  58-61. 

4.  Watt,  Dictionary,  vol.  III,  p.  427-432. 


LES  FOURRAGES  343 

point  de  famille  végétale  de  la  région  des  plaines  ou  de 
celle  des  montagnes»  dont  quelques  représentants  ne 
servent  à  cet  usage.  Seulement  le  feuillage  de  toutes 
les  espèces  ne  paraît  pas  plaire  également  aux  diffé- 
rents animaux.  Les  éléphants  sont  surtout  avides  des 
feuilles  de  la  Capparis  horrida,  du  hilva  et  de  VOdina 
ivodipr,  des  acacias,  du  çâla  et  du  palâça^  du  ricin, 
du  tamarin,  des  figuiers  et  du  jacquier',  etc.  Les  cha- 
meaux recherchent  le  feuillage  des  tamaris,  du  nimba, 
des  jujubiers  et  des  pistachiers,  du  sissou  et  de  la 
Prosopis  spicigera,  des  Salvadora  persica  et  oleoides, 
du  Pandjab  et  du  Sindh,  du  chêne  vert*,  etc.  Les  buf- 
fles et  les  vaches  aiment  en  particulier  les  feuilles  des 
Dillenia,  du  varana  et  du  kapittha^,  ainsi  que  des 
Eugenias,  de  la  Gardénia  latifolia  et  de  la  marsdénie 
tenace,  du  Mimusops  hexandra^  des  Cordia,  même  des 
Litsea,  Ma/lotus  et  Phyllanlhus,  euphorbiacées  de  la 
région  tropicale  et  semi-tropicale,  mais  surtout  des 
Banhinia  racemosay  Dalbergia  oojeinensis,  Xf/lia 
dolabriformis  et  autres  légumineuses*. 

De  tout  temps  les  Hindous  ont  dépouillé  les  arbres 
de  leurs  feuilles  pour  les  donner  à  leurs  bestiaux;  elles 
leur  servent  de  fourrage  vert  et  les  dispensent  d'en 
cultiver,  ou  leur  permettent  de  n'en  cultiver  qu'excep- 
tionnellement. Roxburgh  a  dit  que  dans  l'Inde  on  ne 
sème  ni  légumineuses  ni  aucune  autre  plante,  destinée 
exclusivement  à  l'alimentation  du  bétail.  Il  y  a  là  une 
exagération  manifeste,  puisqu'il  mentionne  lui-môme 
la  culture  de  l'ers  velu  dans  les  provinces  centrales, 

1.  Watt,  Dictionaryy  vol.  IIÎ,  p.  225. 

2.  Watt,  Dictionaryy  vol.  II,  p.  60-61. 

3.  Crataeva  religiosa  Forst.  et  Feronia  elephantum  Roxb. 
i.  Watt,  Diciionary,  vol.  III,  p.  407-420  et  427  432. 


3ii  LKS  PLANTES  CIIKZ  I.FS  IlINhOUS 

du  Dolichos  biflorus  dans  le  Pandjab,  et  de  la  crota- 
laire  joDcée  dans  les  Circars  *;  on  sème  aussi,  paraît- 
il  ^  dans  la  région  du  Nord-Ouest,  une  autre  légunii- 
neuse,  la  Cyamopsis  psoralioides.  Il  n'en  est  pas  moins 
vrai  toutefois  que  les  habitants  comptent  surtout  sur 
le  feuillage  des  arbres,  pour  nourrir  leurs  bestiaux 
pendant  la  saison  sèche.  Mais  ils  n'emploient  pas  seu- 
lement les  feuilles  vertes  comme  fourrage  frais  ;  ils 
font  aussi  sécher  et  conservent  pour  Thiver  les  feuilles 
de  nombreuses  tiliacéos,  sterculiacées,  sapindacées  et 
légumineuses',  d'une  euphorbiacée  même,  la  Puiraîi- 
Jiva,  de  forme,  de  divers  saules  et  chênes  et  même, 
dans  l'Himalaya,  du  sapin  de  Webb*. 

Les  Hindous  font  aussi  du  foin  avec  quelques  plantes 
cultivées  ou  sauvages,  telles  que  la  crotalaire  joncée, 
avec  les  tiges  de  YOxybaphus  hymalaictis^y  etc.  Ils 
se  servent  également  comme  fourrage  sec  des  fanes 
des  haricots  à  feuilles  d'aconit  et  radié,  des  pois,  dulab- 
lab,  du  kulattha^,  etc.,  ainsi  que  de  la  paille  des  cé- 
réales, en  particulier  de  celle  du  riz,  qui,  dans  cer- 
taines provinces,  constitue  presque  en  hiver  la  seule 
nourriture  du  bétail.  Ils  emploient  aussi,  en  guise  de 
fourrage,  les  gousses  encore  fraîches  de  diverses  plantes , 
par  exemple  des  Acacia  arabica  et  Prosopis  spicigera, 


1    Flora  indien,  vol.  III,  p.  261,  29'i,  31'i  et  323. 

2.  Watt,  Diclionary,  vol.  II,  p.  673. 

3.  Greioia  laevignta  Vahl  et  oppositifolia  Roxb.  ;  Sterculia 
colorata  Roxb.  ;  Aesculua  indiens  Colebr.  :  Schleichera  Irijuga 
Willd.  ;  Bauhinia  purpurea  L.  ;  Alhizzia  odoratissima  Benth.: 
Acacia  modesta  Wall. 

'i.  Forbes  Royle,  The  fihvous  Plants  of  India.  London,  1855, 
in-8,  p.  235.—  Brandis,  p.  38,  185,  'i52,  'i6'i,  'i80,  529. 

5.  Watt,  Dictionary,  vol.  V.  )).  6''i. 

6.  Roxburgli,  Flora,  vol.  III,  p.  297,  300,  305,  306. 


LKS  PLANTES  DANS  L'INDISTRIE  345 

etc.,  ainsi,  surtout  pour  la  nourriture  des  chevaux,  que 
les  graines  de  quelques  légumineuses,  par   exemple,, 
dos  haricots  radié,  trilobé  et  mungo,  do  la  crotalaire*, 
etc.,  et  les  grains  de  diverses  céréales:  riz,  froment, 
orge. 


Il  n'est  pas  douteux  qu'une  partie  considérable  des 
espèces  végétales  de  Tlnde,  propres  à  l'industrie 
n'ait,  dès  l'époque  la  plus  reculée,  été  employée  par 
les  habitants  ;  mais  les  anciens  textes  ne  nous  font 
connaître  qu'un  bien  petit  nombre  de  celles  dont  ils 
se  sont  servis  autrefois,  et  nous  ne  pouvons  guère 
parler  de  l'usage  qui  en  a  été  fait  dans  le  passé  que 
par  comparaison  avec  celui  qu'on  en  fait  de  nos  jours. 

Les  Hindous  ont  de  temps  immémorial  demandé  au 
règne  végétal  les  couleurs  les  plus  diverses*;  mais  celles 
dont  ils  se  sont  le  plus  servis  et,  que  leur  offrait  aussi 
le  plus  communément  la  flore  indigène  sont  le  bleu,  le 
jaune  et  le  rouge.  Le  bleu  était  fourni  surtout  par  l'in- 
digotier, et  on  le  retirait  sans  doute  aussi  autrefois 
comme  aujourd'hui  des  feuilles  et  des  tiges  de  cette 
légumineuse,  opération  d'une  grande  simplicité  ■\ 
Quand  la  plante  est  en  fleurs,  on  la  coupe,  et  l'on  met 
les  tiges  à  macérer  dans  des  cuves  remplies  d'eau  froide, 


1.  Roxburgh,  Flora,  vol.  III,  p.  261,  297,  306. 

2.  Strabon,  Geographica,  lib.  XV,  cap.  1,  22.  D'après  Açva- 
lâyana  (Grihya  Sutra,  I,  19,  H)  la  robe  des  représentants  des 
trois  premières  classes  devait  être  teinte,  celle  des  Brahmanes 
et  des  Vaiçyas,  en  jaune,  celle  des  Kshatriyas,  en  rouge  clair. 

3.  Schlagintweit,  Reisen  in  Indien,  vol.  I,  p.  263.  —  Drury, 
Use  fui  Plants^  p.  255. 


340  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

OÙ  elles  se  désagrègent  peu  à  peu  ;  on  déverse  alors  le 
liquide  dans  une  autre  cuve  ;  on  l'agite  pour  amener 
la  séparation  complète  de  la  matière  colorante  en  sus- 
pension dans  Teau  ;  on  filtre  ensuite  et  on  fait  sécher 
à  l'ombre  le  résidu  dans  des  moules  en  bois.  La  cou- 
leur d'un  bleu  foncé  —  nîlt  ou  kdlâ  —  qu'on  obtient 
ainsi  fut  connue  de  bonne  heure  au  delà  des  frontières 
de  rinde;  au  premier  siècle  de  notre  ère  elle  avait 
pénétré  dans  l'empire  romain  ;  c'était  alors,  et  sans 
doute  depuis  longtemps,  un  des  produits  qu'on  exportait 
des  ports  hindous  en  Egypte*.  Mais  les  écrivains  grecs 
et  latins  en  ignoraient  la  véritable  origine;  Pline,  qui 
en  admire  la  belle  nuance,  «  mélange  de  pourpre  et  de 
bleu  »,  la  regardait,  ainsi  que  Dioscoride',  comme  pro- 
venant de  l'écume  d'un  roseau. 

On  retire  aussi  une  belle  couleur  bleue  des  feuilles 
d'une  apocynée,  la  Wrightia  tinctoria,  et  d'un  asclé- 
piadée  grimpante,  la  marsdénie  des  teinturiers  '  ;  mais 
il  est  peu  probable  que  l'usage  en  ait  été  connu  dans 
l'antiquité.  Quoique  le  Strobilanthes  flaccidifolinsj 
acanthacée  de  l'Assam,  soit  cultivée  par  les  indigènes 
de  cette  province,  je  ne  crois  pas  non  plus  qu'on  ait 
utilisé,  dès  une  époque  reculée,  la  matière  bleue  que 
renferment  ses  feuilles.  Il  est  encore  plus  douteux 
qu'on  retire  depuis  très  longtemps  cette  môme  couleur 
des  feuilles  de  la  Tephrosia  tinctoria,  légumineuse 
originaire  du  Mysore*. 

Un  nombre  considérable  de  plantes  de  l'Inde  peuvent 

1.  Periplus  maria  Erythraei,  cap.  39. 

2.  Ilisioria  naluralis^  lib.  XXXIV,  cap.  5,  27.  —  De  materia 
medica,  lib.  V,  cap.  107. 

3.  Watt,  Dictionary,  vol.  V,  p.  191  et  VI,  4,  p.  316. 

4.  Watt,  Diciionary,  vol.  VI,  3,  p.  15  et  375. 


LES  PLAÎSTKS  DANS  L'INDUSTRIE  347 

fournir  une  couleur  jaune,  depuis  Tépine-vinettearistée, 
la  Garcinia  morella,  la  Morinda  umhellata  ou  la  Bn- 
tpa  frondosa,  jusqu'au  lodlira,  au  kaméla^  ou  au  cur- 
cuma  ;  mais  on  ignore  à  quelle  époque  remonte  l'em- 
ploi delà  plupart  de  ces  matières  tinctoriales.  L'extrait 
jaunîitre  qu'on  retire  de  la  racine  et  des  jeunes  tiges 
de  l'épine-vinette  n'est  probablement  pas  d'un  usage 
très  ancien,  et  il  sert  plutôt  pour  la  préparation  du  cuir 
que  pour  teindre  les  étoffes.  haButea  frondosa  fournit 
un  jaune  brillant,  mais  fugitif,  qu'on  obtient,  soit  en 
exprimant  le  suc  des  fleurs  encore  fraîches,  soit  en 
plongeant  les  fleurs  sèches  dans  le  double  de  leur  poids 
d'eau  bouillante  ;  mais  on  ignore  depuis  quelle  époque 
on  en  fait  usage  ^  Tout  ce  qu'il  y  a  lieu  de  dire  ici 
de  la  Morinda  umhellata,  c'est  que  sa  racine  fournit 
une  couleur  jaune  ;  mais  l'emploi  n'en  parait  pas  ancien 
et  n'en  est  même  pas  aujourd'hui  bien  répandu.  Plus 
général  est  celui  de  la  racine  de  la  Morinda  angustifo- 
lia  ;  mais  on  ne  sait  pas  davantage  à  quelle  époque  il 
remonte  ^ 

La  gomme-résine,  exsudée  par  la  Garcinia  unibel- 
lata  a,  dès  longtemps,  au  contraire,  dû  être  employée 
pour  teindre  les  robes  des  prêtres  bouddhistes.  D'un 
grand  et  ancien  usage  aussi  est  la  couleur  jaune  que 
renferment  1  ecorce  et  les  feuilles  des  Symplocos  cra- 
taegoïdes  et  racemosa  —  le  vrai  lodhra  ;  —  on  emploie 
ces  substances  moins  seules  toutefois  que  comme  mor- 
dant, les  premières  avec  la  garance,  les  secondes  avec  la 


1.  Symplocos  racemosa  Roxb.    et    Malloius  philippinensts 
MûU. 

2.  Brandis,  p.  142.  —  Watt.  vol.  ï,  p.  445  et  450. 

3.  Walt,  Diclionary,  vol.  V,  p.  260  et  275. 


3i8  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Morinda  citrifolia  \  Plus  important  comme  matière  co- 
loranteest  la  poudre  jaune  qui  recouvre  les  fruits  duMa/- 
lo/us  phtlippineîisis  ;  mais  les  propriétés  thérapeutiques 
de  cette  substance  semblent  avoir  été  connues  et  uti- 
lisées avant  qu'on  l'employât  dans  la  teinture*.  La  cou- 
leur jaune  retirée  de  la  racine  du  curcuma  a  été,  elle, 
très  anciennement  connue  et  employée,  et  son  bon 
marché,  non  moins  que  son  caractère  demi-sacré,  ont 
contribué  à  en  répandre  et  à  en  populariser  l'usage. 
Autrefois  les  vêtements  portés  le  jour  du  mariage 
étaient  teints  en  curcuma  et  l'on  frottait  le  corps  des 
nouveaux  époux  avec  une  pâte  composée  de  cette  sub- 
stance. D'après  une  croyance  populaire,  ceux  qui  por- 
tent des  vêtements  teints  avec  le  curcuma  sont  à 
l'abri  des  atteintes  de  la  fièvre'. 

De  nombreuse^  plantes  de  l'Inde  renferment  une 
couleur  rouge  ;  des  légumineuses,  comme  les  Caesai- 
pinia  sappan  et  Pterocarpus  santalinus;  des  rubiacées 
surtout,  telles  que  les  Morinda  citrifolia  et  tincloria, 
\Oldenlandia  umhellata  et  la  Riibia  tinctoria;  enfin  le 
carthame,  que  nous  avons  déjà  rencontré  en  Egypte  et 
dans  l'Asie  antérieure.  Le  bois  de  santal,  employé 
depuis  longtemps  pour  la  belle  teinte  rouge  qu'on  en 
retire,  était,  pour  cette  propriété,  connu  en  Europe  dès 
le  moyen  âge  *.  On  s'en  sert  et  on  s'en  servait  surtout 
dans  l'Inde  comme  pigment  pour  teindre  les  idoles  ou 
marquer  au  front  les  officiants  dans  les  cérémonies 
religieuses.  11  suffit  de  mettre  des  copeaux  de  bois  de 


1.  Watt,  Dictionary,  vol.  III,  493;  VI,  3,  397-98. 

2.  Brandis,  Flora,  p.  443.  —  Watt,  vol.  V,  p.  116. 

3.  Watt,  Diclionary,  vol.  II,  p.  664-66. 

4.  Flûckiger  et  Hanbiiry,  Histoire  dea  drogues,  vol.  I,  p.  364 


LES  PLAiNTES  DANS  L'iNDUSTRIE  3i9 

sappan  dans  l'eau  pour  colorer  celle-ci  en  rouge,  et  d'y 
ajouter  un  alcali  pour  fixer  la  teinte.  Mais  d'ordinaire 
on  écrase  préalablement  le  bois  et  on  le  fait  bouillir 
jusqu*à  ce  que  Teau  soit  réduite  aux  deux  cinquièmes. 
Si  Ton  ajoute  à  la  solution  du  curcuma,  elle  prend  une 
nuance  lie  de  vin  ;  y  met-on  de  l'indigo,  elle  devient 
pourpre*. 

L*écorce  et  les  racines  des  Morinda  cilrifolia  et 
tinctoria  donnent  une  couleur  rouge,  belle,  mais  fugi- 
tive; on  s'en  sert  en  faisant  bouillir  dans  l'eau,  avec 
rétoffe  qu'on  veut  teindre,  des  noix  de  galle  en  poudre 
de  Terminalia  chehula  et  un  peu  d'alun.  Avec  Técorce 
des  racines  de  V Oldenlandia  umbellata  —  le  chay- 
root  —  on  obtient  par  le  même  procédé  une  couleur 
semblable,  mais  plus  fixe,  très  employée  autrefois  dans 
la  régence  de  Madras  pour  teindre  les  cotonnades.  La 
racine  de  la  garance  à  feuilles  cordées  —  manjishtha 
—  est  très  employée  par  les  indigènes  du  Népal  et  de 
TAssam,  surtout  pour  teindre  en  rouge  leurs  grossières 
étofi*es  de  coton  ;  ils  se  bornent  pour  cela  à  faire  infuser 
les  racines  et  à  plonger  l'étoffe  dans  la  décoction  ainsi 
préparée  ^  J'ai  eu  occasion  de  parler  du  carthame  et 
des  diSerentes  nuances  qu'on  peut  obtenir,  suivant  les 
mordants,  avec  les  fleurs  de  cette  composée.  Le  car- 
thame a  été  dès  longtemps  en  usage  dans  l'Inde.  C'est 
avec  lui  qu'était  teint  le  bord  écarlate  de  la  tunique 
des  grands,  ainsi  que  l'étoffe  —  duknla  —  qui  ceignait 
la  taille  des  femmes  coquettes^. 

Si  le  bleu,  le  rouge  et  le  jaune,  avec  leurs  différentes 

1.  Watt,  Dictionary,  vol.  II,  p.  10,  11  ;  VI,  1,  p.  360. 

2.  Watt,  Dictionary,  vol.  V,  p.  262-274  et  481  ;  VI,  1,  p.  572. 

3.  Batnâvali,  acte  I.  Trad.  Fritze,  p.  21.  —  Bitusathhdra, 
chant  VI,  5. 


35U  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

nuances,  étaient  les  couleurs  que  les  anciens  Hindous 
paraissent  avoir  le  plus  recherchées  et  celles  que  le 
règne  végétal  leur  offrait  en  plus  grande  abondance, 
ils  lui  demandaient  aussi,  à  l'occasion,  d'autres  couleurs, 
comme  le  brun  et  le  noir.  Les  semences  de  la  Strychnos 
nux-vomica,  Técorce  des  racines  du  Terminalia  arjuna 
donnent  par  TébuUition  une  couleur  brune  ou  khaki  assez 
employée.  Avec  Técorce  des  racines  de  la  Venti/aço 
madraspatana,  on  prépare  une  couleur  nuance  chocolat 
qui  devient  noire  par  l'addition  d'un  sel  de  fer.  Une 
décoction  de  l'écorce  du  Quercus  fenestrata  change 
en  noir  le  bleu  produit  par  le  Strobilanthes  flaccidifo- 
lim\  Enfin  on  fabrique,  probablement  de  temps  immé- 
morial, de  l'encre  avec  les  fruits  calcinés  du  Zizyphtis 
xylocarpa  et  du  Terminalia  bellerica,  ainsi  qu'avec  les 
feuilles  carbonifiées  du  Pintis  longifolia^.  Il  faut  encore 
rappeler  ici,  quoiqu'il  ne  s'agisse  pas  d'un  produit  d'ori- 
gine végétale,  qu'on  recueille  sur  Técorce  de  certains 
arbres,  par  exemple  sur  celle  du  jujubier,  de  V Acacia 
arabica^,  etc.,  la  laque,  dont  on  a  fait,  dans  l'Inde  et 
l'extrême  Orient,  depuis  l'époque  la  plus  reculée,  un 
si  grand  emploi. 

On  ne  peut  douter  que  les  anciens  Hindous  n'aient 
connu  une  grande  partie  des  plantes  qui  fournissent  le 
tanin  ;  mais  aucun  document  ne  nous  apprend  à  quelles 
espèces  ils  ont  demandé  celui  dont  ils  avaient  besoin  ; 
on  peut  supposer  toutefois  qu'ils  ont  employé  la  plupart 
de  celles  qui,  aujourd'hui  encore,  sont  le  plus  en 
usage  :  par  exemple  l'écorce  et  les  noix  de  galle  des 

1.  Watt,  Dictionary,  vol.  VI,  1,  p.  380;  3,  p.  275  et  380; 
4,  p.  16  et  227. 

2.  Brandis,  Flora,  p.  90,  223,  508. 

3.  Brandis,  Flora,  p.  88,  181.  —  Watt,  vol.  IV,  p.  570. 


LES  PLANTES  DANS  LMNDUSTRIE  351 

tamaris  articulé,  dioïque  et  de  Gaule,  1  ecorce  du 
Rhus  coliniiSy  du  jujubier  et  du  pistachier  du  Pandjab, 
des  palétuviers  des  estuaires  fluviaux*  ;  ils  ont  dû  aussi 
employer  les  gousses  de  la  Cassia,  Técorce  de  diverses 
mimosées  et  myrtacées^  celle  du  grenadier  et  d'autres 
lythrariées^  si  riches  en  tanin  et  encore  les  fruits  et 
Técorce  des  rayrobalans  belleric  et  chebula,  du  syonaka 
et  de  diverses  euphorbiacées*,  ainsi  que  du  noyer  ptéro- 
coque, des  chênes  de  THimalaya,  de  l'aune  et  du  pin 
à  longues  feuilles  ^  etc. 

La  flore  de  Tlnde  offrait  aussi  en  abondance  aux 
habitants  de  cette  contrée  dos  plantes  dont  les  fruits, 
les  racines  ou  les  feuilles,  les  cendres,  la  farine  môme, 
servaient  à  blanchir  les  étoffes  ;  tels  en  particulier  les 
fruits  des  Sapindus  Mukorossiet  trifoliatus,  du  Bala- 
7iites  Roxburghii,  etc.  ;  les  gousses  de  Y  Acacia  con- 
cinna,  les  racines  de  la  Malva  pai^iflora  et  du  Poly- 
ifonatum  multiflorum,  les  racines  et  les  feuilles  du 
Lychinis  indica  et  du  Silène  Ginfpthii,  les  cendres  des 
Avicennia  tomentosa,  Casnarinfi  equisetifolia,  etc.,  la 
farine  du  haricot  mungo®.  D'autres  plantes  étaient 
employées  pour  coaguler  les  liquides.  Telles  les  tiges 
de  Pedalium  murex,  qui,  agitées  dans  Teau,  lui  don- 


1.  Hhizophora  mucronala  Lam.,  Btuguiera  gymnorhiza 
Lam. 

2.  Acacia  arabica  et  ca/ec/iw  Willd.,  Albizzia  lebbek  et  lo- 
phanta  Behth.  —  Eugenia  jambolana  Lam.  et  Barringtonia 
acutangula  Gaertn. 

3.  Lagerslroemia  parviflora  Roxb. 

4.  Bignonia  (Calosanthes)  indica  L.  —  Briedelia  retusa 
Spr.,  Pkyllanthus  nepalensis  Mùll.  et  emblica  L. 

5.  Brandis,  p.  28,  118,  121,  128,  16'i,  180,  217,  219,  222-23, 
234,  2'i0,  241,  347,  349,  452,  460,  500,  506,  etc. 

6.  Watt,  Dictionary,  voL  III,  p.  86-87  et  s.  v. 


352  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

nent  un  aspect  mucilagineux  ;  le  suc  des  feuilles  du 
Cocculus  villosiis,  les  fleurs  des  Pterospermum  aceri- 
folium  et  suberifolium,  ainsi  que  les  graines  du  Streblus 
a5/?^r,  jouissent  de  la  même  propriété.  Le  suc  de  cette 
dernière  plante,  de  même  que  les  fruits  de  la  Rhazya 
stricta  et  des  Witkaiiia  coagulons  et  somnifera  servent 
aussi  à  cailler  le  lait.  Les  graines  du  Slrychnos,  pota- 
torum  —  kataka  —  ont  été,  au  contraire,  de  temps 
immémorial  employées  pour  clarifier  Teau*. 


*   * 


Parmi  les  nombreuses  plantes  textiles  propres  à 
Tindustrie,  que  possède  la  flore  indigène,  les  Hindous 
ont  dû,  dès  les  temps  les  plus  reculés,  en  mettre  un 
grand  nombre  à  contribution.  Les  anciens  anachorètes 
étaient  vêtus  d'écorces  d'arbres  et  de  peaux  ^  et  ce 
costume  est  aujourd'hui  encore  celui  de  diverses  tri- 
bus sauvages.  Ainsi,  pour  se  vêtir,  les  indigènes  du 
Dekkan  découpent  de  larges  bandes  d'écorce  d'une 
artocarpée  de  la  région,  VAnfiaris saccidora;  après  les 
avoir  fait  tremper  dans  l'eau,  ils  les  battent  jusqu'à  ce 
qu'elles  deviennent  souples  et  moelleuses  et  ils  s'en 
taillent  des  morceaux  qui,  cousus  ensemble,  leur  ser- 
vent de  vêtement  \ 

Cet  emploi  de  l'écorce  des  arbres  toutefois  était  une 
exception  ;  les  Hindous,  nous  le  savons  par  le  témoi- 

1.  Watt,  Dictxonary,  s.  v. —  Drury,  p.  335  et  408. 

2.  MahâbhârcUa.  Adi-Parva,  4086,  808i,  etc.  —  Ràmàyana, 
lib.  II,  cap.  xxvni,  23;  xxxvii,  7,  8,  11,  etc. 

3.  Il  paraît  que  certaines  tribus  de  TAssam  emploient  l'au- 
bier du  micocoulier  oriental  au  môme  usage.  On  fait  aussi  des 
espèces  de  sacs  avec  l'ôcorce  de  VAntiaris.  Drury,  Usefui 
Planls,  p.  45  et  280. 


LES  PLANTES  DANS  L'INDUSTRIE  353 

gnage  d^Hérodote  et  de  Néarque  *,  étaient  vêtus 
d'étoffes  faites  avec  la  «  laine  de  certains  arbres  ». 
Quelle  était  la  nature  de  cette  laine  et  sur  ^els  arbres 
la  trouvait-on?  On  pourrait  croire  qu'il  s'agit  du 
Bombax  malabaricum  —  çalmali  —  ou  de  VErioden- 
dron  anfractuosum^  raalvacées,  dont  les  graines  sont 
entourées  d'un  épais  duvet  ;  mais  Arrien  nous  apprend 
que  leur  soie  était  si  courte  que  les  Macédoniens  s'en 
servaient  uniquement  pour  faire  des  coussins  ou  pour 
rembourrer  les  selles  de  leurs  chevaux*.  Si  donc  les 
Hindous  remployaient  parfois  dans  la  fabrication  de 
leurs  étoffes,  ils  devaient,  aussi  et  surtout,  se  servir 
pour  les  faire,  du  duvet  —  karpâsa  — ,  produit  par  une 
plante  de  la  même  famille,  le  cotonnier,  décrit  par 
Théophraste.  C'est  avec  ce  duvet  «  plus  blanc  que  le 
lin  »,  qu'était  fait  le  costume  national  ^,  la  longue  tuni- 
que —  vâsas  ou  vastra,  —  serrée  autour  du  corps  par 
une  espèce  de  ceinture  ou  tablier  —  nivi  *  —  et  qui 
descendait  jusqu'à  mi-jambe,  chez  les  grands  même 
jusqu'aux  chevilles.  C'était  en  coton  aussi  qu'était  faite 
l'espèce  de  toge  ou  de  manteau — adhîvâsa^,  —  qui, 


1.  Hisloriae,  lib.  III,  cap.  106.  —  «  Quibusdam  (arboribus) 
lanam  innasci,  ex  qaà  Nearchus  ait  sindones  subtilis  etreticu- 
lati  operis  texi.  »  Fragm.  8. 

2.  Indica,  cap.  xvi,  2.  On  s'en  sert  aujourd'hui  encore 
comme  de  bourre.  Watt,  vol.  I,  p.  489  et  III,  p.  262. 

3.  «  Corpora  usque  pedes  carbaso  vêlant.  »  Curtius,  Vita 
Alexandriy  lib.  VIII,  cap.  9.  A  l'époque  védique,  cette  tunique 
était  tissée  avec  de  la  laine  filée  —  ûrnâsûtra.  —  Zimmer, 
p.  261. 

4.  Souvent  aussi,  comme  aujourd'hui  encore,  les  Hindous  ne 
portaient  que  cette  ceinture. 

5.  Souvent  toutefois  le  manteau  couvrait  les  deux  épaules. 
Bifj-Veda,  lib.  I,  40,  9;  162,  16;  X,  5,4.  -^  Alharva-Veda, 
iib.  VIII,  2,  16.  —  Arrien,  Indien,  cap.  xvi,  2. 

JoRET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité.  II.  —  23 


35i  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDQUS 

rejetée  sur  Tépaule  gauche  et  attachée  sous  l*épaule 
droite,  recouvrait  la  tunique.  Les  étoffes  de  coton 
—  sindones,  —  teintes  parfois  de  couleurs  vives  et 
brillantes*,  furent  bientôt  connues  au  delà  des  fron- 
tières de  rinde  ;  les  Iraniens  en  faisaient  usage  dès  le 
temps  de  Xerxès  *,  et  le  Périple  de  la  mer  Erythrée 
nous  apprend  qu'elles  étaient  un  des  produits  importés 
le  plus  souvent  de  la  Péninsule  en  Egypte  '. 

Mais  les  Hindous  ne  se  bornèrent  pas  à  tisser  le 
duvet  qui  entoure  les  graines  du  cotonnier  et  des  autres 
malvacées  dont  j'ai  parlé,  ils  se  servaient  aussi  pour 
fabriquer  les  étoffes  qui  leur  étaient  nécessaires,  des 
fibres  convenablement  préparées  de  quelques-unes  des 
plantes  textiles  indigènes.  Parmi  les  plus  anciennement 
employées  furent  la  crotalaire  joncée  —  çana  —  et 
THibiscus  chanvrin,  ce  succédané  du  chanvre*,  dont 
les  fibres  servaient,  ainsi  que  celles  du  çana,  à  faire  le 
cordon  du  sacrifice  des  Kshatriyas,  tandis  que  celui 
des  Brahmanes  était  tissé  en  coton \  Néarque  parle® 
des  étoffes  d'une  grande  finesse  qu'on  tissait  avec  cer- 
taines écorces;  Ernst  Meyer  a  supposé"^  que  récrivain 
grec  avait  eu  peut-être  en  vue  la  Caloiropis  gigantea, 
asclépiadée  avec  les  fibres  soyeuses  de  laquelle  on  fabri- 
quait autrefois  les  tissus  dont  se  vêtaient  les  princes  et 
les  grands  ^ 

1.  \)din^\e  Mahâbhàrala  (Adi-Parva,  7719),  Tilauttamâ  est 
couverte  d'une  tunique  écarlate.  —  Strabon,  XV,  1,  30  et  S't. 

2.  Hérodote, //is/ona(?,  lib.  VII,  cap.  181. 

3.  Cap.  14,  31,  32,  39,  41,  49,  51. 

4.  Roy  le,   Illustrations  of  the  Botany  of  the  Bimalayan 
mountains,  p.  84. 

5.  Lois  de  Manou,  livre  II,  44. 

6.  Fragment  8.  —  Strabon,  lib.  XV,  cap.  1,  20. 

7.  Botanische  Erlàulerungen,  p.  69. 

8.  Brandis,  Flora,  p.  331. 


LES  PLANTES  DANS  LMNDUSTRIE  355 

Les  Hindous  ont  fiiit  aussi  très  anciennement  sans 
doute  des  étoffes  avec  le  jute  et  peut-être  certaines 
orties,  comme  celle  des  Nîlghiri  ;  mais  rien  ne  permet 
de  croire  qu'ils  aient  fait  usage  des  fibres  du  chanvre 
ou  même  du  lin  :  ils  ont,  au  contraire,  probablement 
de  temps  immémorial,  mis  à  contribution  les  fibres 
d'un  grand  nombre  d'autres  espèces,  pour  fabriquer 
des  cordages  et  des  liens  :  malvacées,  comme  lesAbu- 
tilon  Avicennae,  gi^aveolejis  et  indicmn,  \diKydia  caly- 
cinuy  les  Sida  cordifolia  et  rhonihifolia\  tiliacées, 
telles  que  les  gréwies  d'Asie,  à  feuilles  opposées  ou  de 
tilleul  ;  nombre  de  légumineuses — Bauhinia  racemosa, 
Vahiii,  etc.,  Butea  frondosa,  Entada  scandens,  Ses- 
baniaacideata,  grandiflora,  etc.  ;  —  des  sterculiacées, 
—  Abroma  augusta,  He  lie  ter  es  isora,  Sterculia  colo- 
rata,  fœtida  ou  guttata,  etc.,  —  des  asclépiadées, 
entre  autres,  outre  la  Calotropis  procera,  les  Marsde- 
nia  tenacissima,  Ortanthera  viminea,  etc.  ;  une  bora- 
ginée  enfin,  la  Cordia  Rothii^,  etc. 

Les  feuilles  d'un  certain  nombre  de  plantes  indigènes 
fournissent  aussi  des  textiles  précieux  ;  telles  sont 
celles  de  la  mtïrvâ^^,  longues  de  10  à  13  décimètres  et 
garnies  de  fibres  résistantes  ;  après  les  avoir  séparées  de 
la  matière  pulpeuse  qui  les  entoure,  les  indigènes  des 
Circars  en  tressent  les  cordes  de  leurs  arcs.  Le  nom 
sanscrit  de  la  Sanseviera  témoigne  déjà  de  l'usage  an- 
cien dont  on  a  fait  aussi  des  fibres  de  cette  liliacée. 
C'était  une  des  matières  avec  lesquelles  les  lois  de 

1.  Brandis,  p.  29,  34,  37-41,  137-141,  159,  161,  167,  332,  334, 
338.  —  Watt,  Dictionary,  vol.  H,  p.  566  67.  —  Koyle,  The 
pbrous  Plants  of  India,  p.  251-311. 

2.  Sanseviera  zeylanica  Willd.  —  Asialic  ResearchcSj  vol. 
IV,  p.  271. 


356  LKS  PUNTKS  CHEZ  LES  HINDOUS 

Manou  recommandaient  de  tresser  la  ceinture  d'un 
kshatriya*.  Dès  longtemps  aussi  on  s'est  servi  des 
fibres  solides  que  renferment  en  quantité  les  feuilles 
du  bananier  et  celles  du  vaquois  — ketakt  —  ;  on  en  fait 
des  cordes,  des  filets,  des  nattes*.  On  fabrique,  avec 
les  feuilles  battues  et  tressées  des  Sacchariim  sara 
et  niinja,  des  liens,  qu'on  emploie,  à  cause  de  leur 
solidité,  pour  attacher  le  bétail,  amarrer  les  bateaux, 
etc.  Les  feuilles  d'une  autre  espèce  de  Saçcharum 
le  S.  sponianeum,  servent  à  tresser  des  nattes';  il 
en  est  de  même,  dans  la  région  du  Nord-Ouest,  de 
celles  des  massettes  convenablement  préparées*.  Les 
indigènes  emploient  aussi  ces  dernières,  ainsi  que  les 
feuilles  de  bananier  et  du  Saçcharum  sponianeum  j 
pour  couvrir  leurs  huttes.  Avec  celles  à'Hedychium 
spicaiuniy  scitaminée  de  THimalaya,  les  habitants  de 
Simla  fabriquent  des  nattes  excellentes''.  Les  feuilles 
du  bananier,  de  la  Canna  indica,  etc.,  sont  également 
employées  en  guise  de  toile  d'-emballage. 

Les  tiges  de  nombreuses  cypéracées,  typhacées  et 
graminées,  servent  et.  Ton  peut  l'affirmer,  ont,  de  temps 
immémorial,  servi  aux  Hindous  à  faire  les  ouvrages 
les  plus  divers  de  vannerie  et  même  des  cordages. 
Celles  du  bhadray  patî  ou  valu  °  en  particulier  sont  d'un 


1.  Livre  H,  chap.  42,  trad.  Strehly,  p.  27. 

2.  Koyle,  The  fibrous  Plants  of  India,  p.  79  et  326.  On  em- 
ploie les  racines  de  vaquois  aux  mêmes  usages. 

3.  Drury,  Use  fui  Plants,  p.  371  et  376. 

4.  Typha  angustifolia  L.,  elephantina   Hoxb.  et  latifolia 
Willd.  —  Roy  le,  The  fibrous  Plants,  p.  35. 

5.  Watt,  Dictionary,  vol.  IV,   p.   207;    V,  p.  302;   Vf,   2, 
p.  H;   VI,  4,  p.  207. 

6.  Phrynium  dichotomum  Roxb.,  Maranta  dichotoma  Wall. 
—  Roxburgh,  Flora,  vol.  I,  p.  2. 


LES  PLANTES  DANS  L'INDUSTRIE  357 

grand  usage.  Fendues  dans  le  sens  de  la  longueur  — 
elles  ont  de  un  à  deux  mètres  —  en  bandes  aussi  minces 
que  du  papier  et  d'un  millimètre  environ  de  largeur, 
on  en  fait  des  nattes  souples  et  recherchées  pour  leur 
fraîcheur.  Les  montagnards  do  THimalaya  emploient 
des  tiges  de  YEriophonim  cannabinum  pour  faire  des 
cordes*.  On  fabrique  des  nattes  d'une  grande  finesse 
avec  les  chaumes  du  ?wrtrf;/rÂ:a/t*.  On  les  divise,  vertes 
encore,  en  trois  ou  quatre  et  on  les  tresse  une  fois 
qu'elles  sont  sèches.  Les  tiges  fendues  de  VArimdo  karka 
—  imla  ou  nada  —  sont  également  employées  pour 
faire  des  nattes  et  des  coussins^.  Battues,  elles  donnent 
aussi  des  fibres,  avec  lesquelles  on  tresse  des  cordages. 
Les  longues  tiges  de  V Arundinaria  falcata  servent 
dans  la  région  himalayenne  à  faire  des  nattes  et  des 
corbeilles.  On  fait  encore  des  nattes  et  des  cordages 
avec  les  chaumes  de  VIschaemon  anf/itstifotwm^. 

Cet  emploi  des  graminées  et  des  cypéracées  remonte 
à  l'époque  la  plus  reculée.  C'était  sans  doute  avec 
l'une  d'elles  que  les  habitants  de  l'Inde,  d'après  Héro- 
dote", fabriquaient  ces  espèces  de  nattes,  dont  ils  se 
revêtaient  en  guise  de  cuirasse.  Dans  un  hymne  du  Rig 
-Véda,  cent  nattes  de  balhnja^  sont  données,  avec 
d'autres  présents,  à  un  chantre,  en  récompense  de  son 
habileté.  La  ceinture  des  Vaiçyas  était  tressée  parfois 

1.  Royle,  The  fibrous  PlanU,  p.  3'i. 

2.  Cyperus  Icfjetum  Roxb.,  corymbosus  Roltb.,  Papyrus  Pan- 
gorei  Nées.  .—  Roxburgh,  Flora,  vol.  I,  p.  208.  Watt,  Dictio- 
naryy  vol.  II,  p.  683. 

3.  Atharva-Veda,  lib.  VI,  138,  5.  —  Roxburgh.  Flora,  vol.  l, 
p.  347. 

'i.  Brandis,  p.  563.  —  Watt,  vol.  IV,  p.  527. 

5.  Jlistoriae,  lib.  III,  cap.  98. 

6.  Eleusine  indica  L.  —  I\ig-  Veda,  lib.  VIII,  55, 3. 


35S  LKS  PLAMKS  CHKZ  LES  HINDOIS 

avec  des  chaumes  de  la  même  graminée.  Celle  des 
Brahmanes  était  faite  avec  un  triple  fil  de  minija  ; 
mais  à  défaut  de  celui-ci,  on  la  tressait  avec  du  kuça, 
à  défaut  de  kuça,  avec  Vaçmanlaka,  ou  encore  avec  le 
halhaja^.  Ajoutons  pour  terminer  que  les  tiges  de  Sac- 
c/mr^/m.^Y^rû  étaient  employées  pour  faire  des  flèches  S 
et  que  les  charmeurs  de  serpents  font  leurs  pipeaux 
avec  celles  de  VAriindo  karka^. 

Parmi  les  graminées,  les  bambous  surtout — vcuhra^ 
—  ont  de  tout  temps  servi  aux  habitants  de  Tlnde  aux 
usages  les  plus  divers.  Tenant  le  milieu  entre  les  plantes 
textiles  proprement  dites  et  les  bois  de  construction, 
ayant  la  souplesse  des  premières  et  la  force  de  résis- 
tance des  seconds,  ils  peuvent  également  les  rempla- 
cer. Avec  leurs  tiges  on  fait  indifféremmentdes  cannes 
à  pêche  ou  des  manches  de  lance,  des  flèches,  des 
arcs  et  des  carquois,  des  mats,  des  jambages  de  porte, 
des  échelles  ou  des  chaises  *,  des  échafaudages  et  des 
théâtres  portatifs,  des  ponts  rustiques  et  des  plan- 
chers, etc.  Les  chevrons  du  toit,  qui  reposaient  sur  les 
poutres  de  la  maison  védique,  étaient  faits  avec  des 
tiges  de  bambou*.  Découpées  en  tranches  minces,  ces 
tiges  servent  encore  à  fabriquer  des  nattes,  des  cor- 

1.  Vormantaka  est  inconnu.  —  Lois  de  Mnnou,  lib.  II,  42 
et  43.  D'après  \çvBi\tiyain&  (Grihya-Sitirn,  F,  19,  12),  elle  était 
en  laine. 

2.  Mharva-Veda,    lib.   I,  2,  1;  3,  1.  —  Zimmer,  p.  73. 
W.  Roxburgh,  Flora,  I.  348. 

4.  En  particulier  les  Bambiisa  arundinacea  Retz,  tulda  et 
balcoa  Roxb.,  vulgaris  Wendl.,  etc.;  Dendroca/aniK^  s  (rictus 
et  I/nmiltonii  Nées  ;  Thamnocalamus  spalhiflorus  Munro  ; 
Arundinaria  falcata  Nées,  racemosa  Munro. 

5.  Mudrârâkshnsa,  acte  I,  trad.  L.  Fritze,  p.  15. 

6.  Athanm-Vcda^  lib.  IX,  3,  \. —  VAmxa^Ty  AUindisches 
Lebeiis  p.  153. 


LES  PLANTES  DANS  LMNDrSTRfE  359 

beilles,  des  stores,  même  des  voiles  de  bateaux.  Gar- 
dant, quand  elles  sont  vertes,  leur  humidité,  on  en  fait 
de  petites  caisses  qui  conservent  frais  les  objets  qu'on 
y  renferme.  Un  morceau  de  tige  compris  entre  deux 
nœuds  forme  une  boite  naturelle  ;  c'est,  dit-on,  dans 
une  caisse  de  ce  genre  qu'étaient  renfermés  les  œufs 
de  vers  à  soie  qui  furent  apportés  de  Chine  à  Constan- 
tinople,  sous  le  règne  de  Justinien.  Avec  les  tiges  de 
bambou  on  fait  encore  des  conduits  pour  les  eaux  ;  on 
les  emploie  même  pour  transporter  et  mesurer  les  li- 
quides;   enfin   elles  servent   à  fabriquer   des  chalu- 


meaux*. 


Les  palmiers  ne  sont  pas  moins  utiles  que  les  bam- 
bous. Les  rotins* —  vetasa  —  du  Siwaliketdes  Ghates 
occidentales  fournissent  des  cannes  renommées  ;  leurs 
tiges  flexibles  sont  employées  pour  canner  les  chaises, 
faire  des  lits,  des  paniers,  etc.  Fendues  dans  le  sens 
de  la  longueur  et  tressées,  ces  tiges  servent  encore  à 
fabriquer  des  nattes,  des  cordages,  même  des  câbles, 
dont  les  voyageurs  vantent  la  force  de  résistance,  et  des 
ponts  flexibles,  mais  solides^.  J'ai  eu  l'occasion  de  par- 
ler des  usages  variés  du  Nannorhops  de  Ritchie  ;  l'utilité 
du  Borassus  flabelliformisy  des  Corypha  umbraculi- 
fera  et  taliera,  ainsi  que  des  Livistona  Jenkinsiana  et 
Caryota  ureiis,  n'est  pas  moindre,  si  elle  est  autre.  Les 
fibres  des  pétioles  servent  à  faire  des  cordes  très  ré- 
sistantes ;  les  feuilles  à  couvrir  les  maisons  et  à 
construire  des  tentes  rustiques  ;  on  en  tresse  des 
nattes,  des  corbeilles,  des  chapeaux  ;  on  en  fait  aussi 


1.  Drury,  Useful  Plants, -p,  65. 

2.  Calamus  rotang  \^'\\\{\.y  fasicalatxis  Roxb.,  etc. 

a.  Drury,  Useful  Plants,  p.  96.  —  Watt,  vol.  II,  p.  99. 


3ft0  LKS  PLANTES  CIIKZ  LES  HINDOUS 

des  ombrelles  légères  et  des  éventails.  Découpées  en 
bandes,  séchées  et  polies,  après  que  les  libres  en  ont 
été  enlevées,  celles  du  tàla  et  du  Corypha  taliera 
donnent  une  espèce  de  papier  presque  indestructible, 
connu  de  temps  immémorial*. 

Le  cocotier,  qui  joue  un  si  grand  rôle  dans  ralimen- 
tation,  n'est  pas  moins  employé  dans  Tindustric  indi- 
gène. Ses  feuilles,  aux  nervures  finement  entrela- 
cées, servent  à  couvrir  les  toits  ;  découpées  en  lanières, 
elles  sont  employées  dans  la  vannerie;  on  en  fabrique 
des  nattes,  des  écrans,  même  des  voiles.  Il  n*est  pas 
jusqu'aux  fibres  —  coir  —  qui  entourent  les  noix,  dont 
on  ne  tire  parti  ;  après  une  immersion  plus  ou  moins 
longue  dans  Teau,  on  en  fait  de  la  bourre,  des  cor- 
dages, etc.  Les  cables  des  bateaux  qui  naviguaient  au- 
trefois dans  la  mer  des  Indes  étaient  presque  exclusi- 
vement faits  avec  des  fibres  de  noix  de  coco  *. 

Les  tiges  de  cotonnier,  les  jeunes  pousses  de  saules, 
de  bouleau,  d'orme,  de  Bauhinia^  de  vignes  sauvages  ', 
d'autres  espèces  encore,  servaient  aux  mêmes  usages 
que  les  fibres  des  palmiers.  On  fabriquait  avec  elles 
autrefois,  comme  aujourd'hui,  des  ouvrages  de  vannerie 


1.  Roy  le,  The  ftbrous  Plants,  p.  197.  —  Driiry,  Use  fui 
Plants,  p.  8iet  160.  —  Brandis,  p.  545,  5'*9,  550.  Il  existe  des 
manuscrits  en  feuilles  de  palmier  qui  remontent  au  vi*  siècle 
de  notre  ère.  G.  Bûhler,  Buddhist  Texts  from  Japan,  p.  8  et 
Researches  on  the  Ilôriuzi  Palm-leaf  Mss.,  p.  66.  (Anecdota 
Oxoniensia.  Aryan  Séries,  vol.  I,  part  1  and  3). 

2.  «oyle,  The  fibrous  Plants,  p.  110-115.  —  Drury,  Useful 
Plants,  p.  150. 

3.  Salix  acmophylla  Boiss.,  daphnoides  Vill.,  Belula  hhoj- 
pattra  Wall.,  Ulmns  wallichiana  FManch.,  Bauhinia  antjuina 
Roxb.,  macrostachya  Wall.,  Vahlii  W.  et  A.  —  Watt,  Dictio- 
nnnj,  vol.  Il,  p.  '.19,  V2i,  452:  IV,  39:  VI,  2,  p.  387  et  390  ; 
VI,  4,  p.  56,  209,  251. 


LES  PLANTES  DANS  L'INDUSTRIE  361 

(le  toute  sorte.  On  construisait  même  des  ponts  sus- 
pendus avec  des  branches  d'arbres  entrelacées.  Les 
rameaux  résistants  et  flexibles  de  la  Parrotia  Jacqiie- 
7)iontiana  servent  de  préférence  à  tous  les  autres  pour 
cet  usage  dans  la  région  himalayenne.  Quelquefois  ces 
ponts  ont  jusqu'à  cont  mètres  de  long;  ils  se  composent 
d'une  étroite  passerelle  en  rameaux  tressés  de  Parrotia, 
avec  deux  cordes  de  chaque  côté  servant  de  garde-fous 
et  reliées  entre  elles  par  des  cordes  plus  petites.  On 
remplace  parfois  les  branches  de  Parrotia  par  celles 
do  saules  *.  On  employait  Técorce  de  sapin  de  Webb 
pour  couvrir  les  toits  et  faire  des  auges  ^  ;  avec  celle 
do  micocoulier  on  faisait  des  sandales  ;  Técorce  de  bou- 
leau servait,  dans  la  région  himalayenne,  de  papier  k 
écrire^  ;  on  l'employait  également  pour  faire  des  om- 
brelles et  emballer  des  objets  grossiers. 

Les  essences  arborescentes,  si  variées  et  si  nom- 
reuses  dans  Tlnde,  offrent  aux  habitants  et  leur  offraient 
encore  plus  autrefois  des  ressources  inépuisables  en 
bois  de  construction.  Malheureusement  l'absence  ou  la 
pénurie  des  documents  ne  nous  permet  qu'exception- 
nellement de  dire  quelles  espèces  furent  mises  autrefois 
à  contribution.  On  peut  affirmer  néanmoins  que  la  plu- 
part de  celles  dont  on  fait  encore  usage  aujourd'hui 
ont  été  employées  de  temps  immémorial  par  les  Hin- 

1.  Brandis,  Flora,  p.  2i6  et  469. 

2.  Watt,  Dietionaryy  vol.  I,  p.  6. 

3.  Indische  Spruche,  éd.  L.  Fritze,  n®  200.  —  Urvaçi,  acte 
II,  p.  27.  —  Bûhler  a  découvert  dans  le  Cachemire  d'anciens 
textes  sanscrits,  écrits  en  entier  sur  des  écorces  de  bouleau. 
On  fait  aussi,  mais  peut-être  seulement  depuis  cinq  ou  six 
siècles,  du  papier  avec  Taubier  bouilli  et  battu  du  Daphne 
papyracea.  Brandis,  p.  386,  429  et  458.  —  J.  H,  A,  S.  an.  1891, 
p.  689. 


362  LES  PLANTKS  CHEZ  LES  HINDOUS 

dous,  soit  dans  Tindustrie  du  bâtiment,  soit  pour  la 
construction  des  bateaux,  les  travaux  de  charronnage, 
l'ébénisterie  ou  la  tabletterie. 

Si  les  huttes  des  peuplades  demi-sauvages  de  l'Inde 
étaient — elles  le  sont  encore  de  nos  jours  dans  plus  d'une 
province  — faites  avec  des  roseaux  et  des  bambous,  ces 
habitations  primitives  ne  pouvaient  convenir  aux  tri- 
bus aryennes  qui  s'établirent  dans  le  Pandjab  ;  dès 
les  temps  les  plus  reculés  ils  se  construisirent  des 
maisons  avec  du  bois  —  aujourd'hui  encore  une  partie 
des  habitants  de  rHinialçiya  n'en  connaissent  point 
d'autres  *  —  et  ils  s'en  contentèrent  pendant  de  longs 
siècles.  Arrien  parle,  d'après  les  historiens  d'Alexandre, 
des  maisons  en  bois  qu'on  voyait  sur  le  littoral  de 
rOcéan  indien  et  près  des  cours  d'eau  *.  Nous  savons 
par  le  témoignage  de  Mégasthène^  que  l'enceinte  for- 
tifiée de  Pàtaliputra —  la  Palibothra  des  Grecs —  était 
faite  en  planches  percées  de  meurtrières. 

La  flore  indigène  fournissait  des  matériaux  pour  ces 
rustiques  constructions,  comme  elle  fournit  ceux  que 
réclamèrent  la  charpente  et  l'ameublement  des  édifices 
en  pierre  qu'on  éleva  dans  la  suite.  Cèdres,  pins,  sapins 
et  mélèzes,  cyprèsetautres  conifères,  bouleaux,  ormes 
et  aunes,  chênes  et  frênes,  platanes  et  micocouliers 
du  haut  et  du  moyen  Himalaya,  le  sal,  «  le  bois  de 
charpente  le  plus  important  de  l'Inde  septentrionale  w, 
le  tinisa,  le  dhaiira  et  Yharitaki,  le  selii  et  le  pthia^, 

1.  J.-A.  llogdson,  Journal  of  a  survey  to  the  Ileads  of  (he 
Hivers  Ganga  andJumna.  (^Asialic  JResearches,  toI.  XIV,  p.  6'i). 

2.  IndicOy  cap.  x,  2. 

3.  Strabon,  Geographica,  lib.  XV,  cap.  1,  36. 

'i.  Ougeiîia  dalbergioides  Ben  th.,  Anogeissus  lalifolia^-Kll, 
ot  Termtfinlia  chcbula  Retzius,  Cordia  myxa  L.  et  Ehreiia 
laevis  Roxb. 


LES  PLANTES  DANS  L'INDUSTRIE  363 

etc.,  de  la  même  contrée  ;  la  çimçapd  et  le  khâr^,  les 
acacias  et  albizzias,  etc.,  du  Nord-Ouest;  le  tunna  et 
le  bija,  les  asana  et  tiisha  *,  les  ébéniers\  etc.  de  Tlnde 
centrale  ;  le  nâgakeçara,  le  chikrassi,  le  jarûl  et  le 
saptapama^y  le  teck,  etc.  de  la  Péninsule,  et  bien 
d'autres  encore  servirent  à  la  construction  des  habi- 
tations en  bois  des  anciens  Hindous  et  à  la  charpente 
des  maisons  en  pierre  qu'ils  édifièrent  plus  tard  \ 

Quelques-unes  de  ces  essences  étaient  également 
employées  dans  la  construction  des  barques  dont  ils 
se  servirent,  dès  les  temps  les  plus  reculés®,  pour  les 
transports  fluviaux,  et  des  navires,  avec  lesquels  ils 
firent  le  commerce  sur  la  mer  Erythrée,  quand  ils  en 
eurent  atteint  les  bonk.  A  l'origine  leurs  embarca- 
tions étaient  de  simples  troncs  d'arbres,  creusés  de 
main  d'homme,  des  radeaux  ou  des  canots,  formés  de 
tiges  assemblées  de  roseaux  ou  de  bambous,  tels  que 
ceux  dont  parle  Hérodote^  ;  mais  ils  ne  durent  pas  tar- 
der à  construire  de  véritables  bateaux,  et  ils  dé- 
ployèrent, il  semble,  une  grande  habileté  dans  ce 
genre  de  travail  \   Ce  fut  grâce  à  leur  concours  que 

1.  Dalhd'ffin  siswn  Roxb.  et  Prosopis  spicigera  L. 

2.  Cedrela  tootui  et  Plcrocarpus  marsupium  Uoxb.,  Termi- 
nalia  tomenlosa  et  bellerica  Roxb. 

3.  Diospyros  embryopleris  Pers.,  melanoxylon  et  montana 
Roxb. 

4.  Mesua  ferrea  L.,  Chikrassin  labularis  A.  Jus.,  Lager- 
strœmin  floi^reginne  Roxb.  et  Alatonia  scholaria  R.  IJrown. 

5.  Watt,  Diclwnan/,  vol.  IV,  p.  300-301. 

6.  Rig-Vedn,  lib.  V,  4,  9;  IX,  70,  10:  X,  155,  3. 

7.  //t/f/orirt/»,lib.ni,cap.98.  —  Ri\mnyann,  lib.  II,  ca|).  LV,  12. 

8.  Dans  un  hymne  de  Rig  Veda  (ï,  156)  il  rst  question  d'un 
navire  à  cent  rames  que  les  Açvins  ramènent  au  port  à  tra- 
vers les  flots,  et  le  deuxième  livre  du  Râmàyana  (XCVII,  17) 
parle  de  grands  vaisseaux  bien  joints  et  armés  de  longues 
rames,  destinés  à  la  traversée  du  Gan^e. 


364  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Scylax  put  réunir  les  vaisseaux,  avec  lesquels  il 
visita  les  cotes  de  TOcéan  indien,  et  que  plus  tard 
Alexandre  construisit  la  flotte,  sur  laquelle  Néarque 
descendit  Tlndus  et  gagna  Tembouchure de  TEuphrate. 
Le  conquérant  macédonien  trouva  dans  les  montagnes 
du  haut  Pandjab  les  bois  nécessaires  à  son  entreprise  : 
pins,  sapins,  cèdres  et  autres  arbres,  ditStrabon  \  qu'il 
n'eut  qu'à  faire  couper  et  amener  près  dos  lieux  où 
campait  son  armée  sur  les  bords  de  Tlndus.  Et  la 
rapidité  avec  laquelle  sa  flotte  fut  achevée  est  la  meil- 
leure preuve  de  l'aide  utile  que  lui  prêtèrent,  en  cette 
circonstance,  les  tribus  alliées  ou  qui  lui  étaient  sou- 
mises. 

Mais  des  espèces  arborescentes  autres  que  celles 
dont  parle  Strabon  devaient  être  anciennement  em- 
ployées dans  les  constructions  navales  des  anciens 
Hindous;  outre  quelques-unes  de  celles  dont  il  se 
servaient  dans  la  construction  des  maisons,  ils  em- 
ployaient sans  doute  aussi,  sinon  toutes,  du  moins  un 
grand  nombre  des  bois  dont  on  fait  usage  de  nos  jours, 
comme  ceux  des  chênes,  des  conifères  de  l'Himalaya, 
du  peuplier  de  TEuphrate,  du  pumnâga  et  du  nimba,  du 
rohituka  et  du  nicula^y  de  bien  d'autres  encore  qu'offre 
et  qu'offrait  encore  plus  autrefois  la  flore  indigène. 

Elle  ne  fournissait  pas  moins  d'essences  excellentes 
pour  la  construction  des  ponts,  des  chars,  des  instru- 
ments aratoires  ou  des  ustensiles  de  ménage,  etc.  Les 
bois  d'aune,  de  saule  et  de  chêne,  de  cèdre  ou  de  pin,  de 

1.  Strabon,  Geographicn,  lib.  XV,  cap.  1,  29.  Cf.  Diodore. 
Bibliotheca,  lib.  xVlI,  89,  4. 

2.  Calophyllum  inophyllum  L.,  Melia  azadirachia  L., 
Amoora  rohituka  W.  et  A.,  Barringionia  acutanguln  Gaertn. 
—  Watt,  Diclionary,  vol.  II,  p.  126. 


LES  PLANTES  DANS  L'INDUSTRIE  365 

sal,  àftgurâr  et  de  madhûka\  de  toun  ou  de  leck,  etc., 
servaient,  suivant  les  régions,  à  faire  des  ponts.  Avec 
des  troncs  du  pin  élevé  creusés,  on  fabriquait  des  con- 
duits ;  on  faisait  des  auges  avec  le  bois  du  mûrier  de 
rinde  et  du  peuplier  cilié,  etc.  ^  A  l'époque  védique  le 
char  de  la  mariée  était  construit  en  bois  léger  de  çal- 
mali^.  Des  bois  plus  résistants  et  plus  solides,  comme 
ceux  du  sitsdl  ou  rosewood  et  de  la  çiriiçapâ,  du  bîja 
et  du  boja  ou  ironwood,  du  jarûl  et  du  dliaura^\  le 
bois  des  asana,  haritakî,  ttisha  et  kinjaP,  du  jujubier 
xylopyre,  du  bhirra  ou  satinwood^,  etc.,  servaient  à 
fabriquer  les  lourdes  voitures  de  transport  et  les  usten- 
siles aratoires.  Mânasàra  recommande  de  faire  le 
corps  de  la  charrue  en  bois  de  khadira  ou  de  nimba\ 
On  faisait  les  socs  autrefois  sans  doute,  comme 
aujourd'hui,  avec  le  bois  du  tamaris  articulé  ou  de 
Gaule,  de  Kydia  calycinay  d'Alhizzia  amara  et  de 
Soymida  fcbrifiigay  etc.  Les  bois  de  kapitthay  et  de 
bilva,  de  beli  peut -être,   de  tinisa^,  et  d'aratu^y  etc., 

1.  Shorea  robusla  Gaerin.,  Alfn'zzia  procera  Benth.,  Bassin 
latifolia  Roxb.  —  Watt,  Diclionary,  vol.  I,  p.  535. 

2.  Brandis,  Flora,  p.  410,  476  et  511. 

3.  Dombax  malabaricum  L.  —  Big-  Veda,  lib.  X,  85. 

4.  Dalbergia  latifolia  et  sissoo  Roxb.,  PLerocarpus  marsu- 
pium  Roxb.  et  Xijlia  dolabriformis  Benth.,  Lagerstrœmia  flos- 
reglnae  Retz,  et  parvifolia  Roxb. 

5.  Tej'minalia  lomentosa  Prodr.,  chebula  Retz.,  bellerica 
Roxb.  et  panicidatn  Roth.  — -  Brandis,  Flora,  p.  222-227. 

6.  Chloroxylon  swietenin  I)C.  —  Watt,  Dictionary ,  vol.  II, 
p.   183. 

7.  Acacia  catechu  Willd.  et  Melia  azadiravhla  L.  —  Râm 
IVaz,  Fssay  on  the  architecture  of  the  Ilindus,  p.  17. 

8.  Feronia  elephantum  Roxb.,  Aegle  marmelos  Roxb.,  Limo- 
nia  acidissima  L.,  Ougeina  dalbergioides  Benth. 

9.  Calosanthes  (Bignonia)  indica  Blume.  —  Big-Veda,  lib. 
VIII,  'i6,  27.  Watt,  Dictionary,  s.  v.  Oroxylon  indicum. 


366  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

étaient  employés  pour  fabriquer  les  essieux  et  les 
moyeux  des  roues;  avec  le  bois  de  kikar^  ou  faisait 
des  maillets,  des  jougs  avec  celui  Aojhanghan,  de  piyàla 
et  de  khâja^,  etc.,  des  bêches  en  bois  de  pin  élevé,  des 
pieux  en  pishor  ;  les  bois  de  divers  acacias  et  albiz- 
zias^,  du  bilva,  etc.,  étaient  employés  pour  faire  des 
pilons  ;  avec  le  bois  d'if  de  l'Himalaya  on  fabriquait 
des  arcs,  ainsi  qu'avec  celui  de  diverses  gréwies,  du 
pishor,  etc.  *.  Ce  dernier  servait  aussi  à  faire  des 
hampes  de  lance,  des  manches  d'outil,  etc. 

Les  bois  qui  se  travaillent  facilement  étaient  employés 
pour  faire  des  coupes,  des  cuillères  et  autres  objets 
analogues.  La  plus  grande  des  trois  cuillères  du  sacri- 
fice, la  dhruvây  était  en  bois  de  vikahkata'"  \  la  petite 
cuillère  —  sruva  —  qui  servait  à  verser  Thuile, 
était  en  bois  de  khadira*.  On  faisait  en  bois  de  parna' 
la  cuillère — jtdiù  —  avec  laquelle  on  répandait  sur  le 
feu  le  beurre  clarifié —  ghvita  — ,  comme  le  couvercle 
du  chaudron  et  des  vases  sacrés.  Le  bois  d'arvattha 
était  employé  pour  fabriquer  les  vases  où  Ton  recueil- 
lait lesoma,  de  même  que  la  cassette  du  médecin  et  de 


1.  Nom  hindoui  de  V Acacia  arabica  L.,  qui  s'ap})elle  aussi 
babul  dans  Tlncie  centrale  et  les  provinces  du  Nonl-Ouest. 

2.  Odina  vodifr  Hoxb.,  Ihiçhannnia  lalifolia  Hoxb.  et 
Briedelia  retusa  Spreng.  —  Watt,  Dictiouarij,  voL   I,  p.  l'*5. 

3.  Acacia  arabica  et  catechu  Willd..  Albizzia  lebbek  Benth. 

4.  Watt,  Dictionary,  vol.  I,  p.  518.  Le  pishor  est  IsiParrofia 
Jacquemontiann  Decaisne. 

5.  Flacourlia  sapfda  Uoxb.  ou  Hamonlchi  Hook.  On  faisait 
aussi  avec  ce  bois  la  coupe  âsoma  —  manlhipàlra.  —  T.  S.,  3, 
5,  7,  3  et  6.  't,  10,  5. 

6.  TaiUirxyasamhiin,  3,  5,  7,  1. 

7.  liulea  frondosa ,  L.  —  T.  S.,  3,  5,  7,  2.  —  Atharva  Veda, 
lib.  XVIII,  'i,  53. 


LES  PLANTES  DANS  LMNDUSTRÏE  367 

l'herboriste*.  Avec  le  bois  de  nyagrodhaon  faisait  les 
coupes  —  camasa^  —  et,  parfois,  avec  celui  d'udum- 
bara,  les  cuillères  du  sacrifice.  Le  bois  de  ce  dernier, 
comme  celui  de  bilva,  servait  aussi  à  faire  les  poteaux 


sacrés'. 


L'ébénisterie  et  la  tabletterie  trouvaient  dans  les  bois 
durs,  aux  teintes  variées  et  susceptibles  d'un  beau  poli, 
si  communs  dans  Tlndo,  les  matériaux  les  plus  pré- 
cieux*. Outre  la  plupart  de  ceux  qui  étaient  employés 
dans  le  charronnage,  il  faut  citer  les  bois  de  cèdre,  du 
cyprès  toruleux  et  d'autres  conifères,  ainsi  que  ceux 
des  érables,  du  buis,  des  noyers,  des  cerisiers  et  poi- 
riers de  l'Himalaya;  les  bois  des  acacias,  en  particu- 
lier la  çamî,  du  nimba  et  du  sissou,  du  Nord-Ouest; 
ceux  des  ébéniers^  de  Xayuijma^  de  Xharttaki^  et 
du  campaka,  de  \ Adina  cordifolia  et  des  Cordia 
Macleodii  et  Gmelina  arborea  de  la  région  sous- 
himalayenne  et  des  provinces  centrales  ;  les  santals 
rouge  et  blanc,  le  bhlrra,  le  tunna  et  le  sitsâT  —  bois 
de  rose  ou  bois  noir,  —  enfin  les  ébéniers*  de  l'Inde 
méridionale,  etc.  Avec  ces  bois  on  fabriquait  des  meu- 
bles de  prix,  des  cofi'rets,  des  statuettes,  etc.  Avec 
celui  de  nimba,  par  exemple,  on  sculptait  les  idoles. 
Les  bois  de  la  Crataeva  reli(/losa,  de  divers  gardé- 
nias, de  l'olivier  ferrugineux,   de  la  Schrebera  swie- 

1.  BigVeda,  lib.  I,  135,  8:  X,  97,  5. 

2.  y.  S.,  23,  13.  —  T.  S.,  7,  4;  12,  1. 

3.  T.  S.,  5,  4,  7,  3;  2,  1,  1,  6  et  8,  2.  —  A,   V.,  XIX,  31,  1. 

4.  Walt,  Dictionary,  vol.  II,  p.  1-2. 

5.  Diospyros  monlana  et  melanoxylon  Roxb. 

6.  Alslonia  scholaris  R.   Brown,   Terminalin  chebula  Retz. 

7.  Chloroxylon  swietenia  DC,  Cedrela  toona  Roxb.  et  Dal- 
bvrgia  latifoiia  Roxb. 

8.  Diospyros  ebenumKœn,  ei  chloroxylon  Roxb. 


368  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

tenioides,  etc.,  étaient  employés  pour  fabriquer  des 
peignes*.  On  faisait  des  cure-dents  avec  des  jeunes 
tiges  de  bétel  ',  des  brosses  à  dents  avec  des  brindilles 
(ï Acacia  modesta,  des  Streblus  asper  et  Tephrosia 
tennis,  etc.  '. 

Quelques-uns  des  bois  ouvrables  de  Tlnde  furent,  à 
une  date  reculée,  connus  bien  au  delà  des  frontières  de 
cette  contrée.  Théophraste,  nous  l'avons  vu,  parle  de 
deux  espèces  d'ébène  qui  croissaient  dans  Tlnde,  Tune, 
de  bonne,  Tautre,  de  mauvaise  qualité*  ;  mais  on  ignore 
en  quoi  elles  différaient  au  point  de  vue  botanique; 
on  ne  sait  pas  davantage  quels  ébéniers  Mégasthène 
pouvait  avoir  vus  au  delà  de  THypanis*.  Quoiqu'il  en 
soit,  le  véritable  ébène  finit  par  être  connu  dans  l'Oc- 
cident; Virgile  et  Pline  le  regardaient  comme  un 
produit  de  l'Inde®;  de  leur  temps,  on  l'apportait  des 
ports  de  la  Péninsule  en  Egypte,  d'où  il  était  ensuite 
amené  en  Italie  \ 

Mais,  bien  avant  notre  ère,  l'ébène  de  l'Inde  avait 
aussi  sans  doute  pénétré  dans  l'Asie  antérieure,  que 
nous  trouvons  en  relations  commerciales   avec  cette 


1.  Watt,  Diciionary,  vol.  II,  p.  515  et  s.  v.  —  Brandis, 
Floray  p.  28,  272,  308,  448. 

2.  Khadirangàra-Jâtaka.  Slories  of  the  Buddha's  former 
Dirlhs,  vol.  I,  p.  103,  n«  40. 

3.  Watt,  Diciionary,  vol.  I,  p.  5'»  ;    VI,  3,  p.  374  et  4,  p.  15. 

4.  Ilisloria  planiarum,  lib.  IV,  4.  Comme  Théophraste  com- 
pare les  ébéniers  dont  il  parle  au  cytise,  il  semble  qu'il  ail  en 
vue  un  Dalbergiay  non  un  Diospyros. 

5.  Strabon,  Geographica,  lib.  XV,  cap.  1,  37. 

6.  Georgica,  lib.  II,  v.  117. —  Ilisl.  naturalisa  lib.  XII,  cap.  9. 

7.  Peripius  maris  Erythraei,  cap.  xxxv.  L  ebène,  importé 
en  Étrypte,  venant  de  l'Inde  méridionale,  devait  être  le  Dios- 
pyros ehenum. 


LES  PLANTES  DANS  L^NDUSTRIE  369 

contrée  depuis  l'époque  la  plus  reculée*.  Il  ne  fut  pas 
le  seul  bois  de  la  Péninsule  qui  y  fut  importé;  j'ai 
eu  occasion  de  rappeler  que  la  ville  de  Siraf  sur  le 
golfe  persique  avait  été  construite  en  bois  de  teck'  ;  il 
semble  qu'on  l'apportait  aussi  de  Barygaza  dans  les 
ports  de  la  mer  Rouge  ;  peut-être  dans  les  ^aXi^T^v 
aa^raiJLivwv  du  Périple  faut-il  voir,  non  des  blocs  ou  des 
poutres  de  sycomore  —  auxaixivtvwv,  —  comme  Ta 
prétendu  Fabricius^  mais  des  poutres  de  teck  —  cay-a- 
IJL(va);,  de  çdka  (sâka),  nom  sanscrit  de  cet  arbre. 

Il  peut  paraître  oiseux  de  mentionner  de  quels  bois 
les  habitants  de  Tlnde  faisaient  leurs  bâtons  ;  il  faut 
en  dire  un  mot  cependant,  puisque  les  législateurs  de 
ce  pays  n'ont  pas  dédaigné  de  prescrire  les  essences 
auxquelles  il  fallait  les  demander.  D'après  les  lois  de 
Manou*un  brahmane  devait  de  préférence  porter  un 
bAton  de  bilva  ou  de  palâça  ;  un  kshatriya  en  devait 
avoir  un  de  vata  ou  de  khadira  ;  le  bâton  d'un  vaiçya 
devait  être,  au  contraire,  en  bois  de  pilu"  ou  d'udum- 
bara.  Une  fois  sorti  de  noviciat  cependant  un  brah- 
mane pouvait  se  contenter  d'un  bâton  de  bambou.  Dans 
Çakuntalà,  le  chambellan  paraît  sur  la  scène  un  bambou 
à  la  main.  Dans  le  Mahâbhârata,  un  bâton  de  bambou 
est  donné  à  Vasu  par  le  vainqueur  de  Vritra,  «  comme 


1.  Bùhler,  Indian  Antiquary,  vol,  xi  (1882),  p.  270.  — Tiele, 
Babylonisch-Assyrische  Geschtchle.  Gotha  1886,  8»,  p.  605.  — 
Jos.  Dahlmann,  Das  Mahâbhârata  nls  Epos,  Berin.  1895, 
8",  p.  189-192. 

2.  Voir  livre  I,  chap.  2,  p.  109. 

3.  Der  Periplus,  p.  75.  —  Cf.  La  Flore  de  VInde,  p.  40. 

4.  Livre  II,  45.  trad.  Sirehly,  p.  28. 

5.  Salvadora  persica  L.  D'après  Açvalàyana,  I,  19,  13,  le 
bâton  d'un  brahmane  devait  être  en  bois  de  palâça,  celui  d'un 
kshatriya,  en  udumbara,  enfin  celui  d'un  vaiçya  en  bois  de 

JORET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité,  ïï.  —  24 


370  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

insigne  que  la  fonction  des  rois  est  de  punir  et  de 
défendre'  ». 

Les  arbres  ne  fournissent  pas  seulement  les  maté- 
riaux employés  dans  la  charpente,  le  charronnage, 
Tébénisterie  et  les  autres  métiers,  ils  donnent  encore 
le  bois  de  chauffage  nécessaire  aux  usages  domestiques 
et  aux  cérémonies  religieuses.  A  l'occasion  on  demande, 
et  on  demandait  sans  doute  autrefois,  comme  aujour- 
d'hui, à  tous  les  arbres  ou  arbustes  le  combustible  dont 
on  avait  besoin  ;  mais  en  temps  ordinaire  on  brûlait  de 
préférence,  on  le  comprend,  les  bois  impropres  aux 
travaux  industriels  *.  D'autres,  tout  en  y  pouvant  ser- 
vir, étaient  employés,  à  cause  de  la  grande  quantité  de 
chaleur  qu'ils  donnent  ou  de  la  qualité  supérieure  du 
charbon  qu'ils  fournissent*.  Des  raisons  d'un  autre 
ordre,  qu'on  entrevoit  à  peine,  avaient  présidé  au 
choix  des  bois  destinés  au  feu  des  sacrilSces  ;  c'était  à 
l'époque  védique  raçvattha,  le  nyagrodha,  l'udumbara 


bilva.  Pârâskara,  II,  5,  26-27,  lui,  attribue  auràjanya  —  ksha- 
triya —  un  bâton  de  bilva,  au  vaiçya,  un  bâton  d'udumbara. — 
lihavabhùti,  Uttararâmacarila,  acte  iV,  donne  au  jeune  guer- 
rier Lava  un  bâton  de  pippala —  Ficus  religiosa. 

1.  Acte  V,  scène  3.  —  Adi-Parva,  2350. 

2.  Par  exemple  les  Xylosma  longifolium  Clos,  Balaniles 
Roxburghii  Planch.,  Boswellia  Ihurifera  Col.,  Grislea  tomen- 
tosa  Roxb.,  Sonneratia  acida  L.,  Rhododendron  arhoreum  Sra., 
Ardisia  humilis  Vahl.,  Myrsine africana  L.,  Periplocn  nphylla 
Dec,  Premna  mucronala  Roxb.,  etc.  Brandis,  p.  19,  59,  61, 
238,  242,  281,  286,  287,  330,  366.  etc.  —  Watt,  Dictionart/, 
vol.  III,  p.  452-53. 

3.  Comme  le  jhavûka —  Tamarix gallica  L.  ou  indien  Roxb. 
—  le  kihar  —  Acacia  araôioa  Willd.,  —  le  kajidi —  Prosopis 
xpicigpra  L.  —  Brandis,  p.  21,  170,  181.  Il  est  question  de 
charbon  d'acacia  dans  le  Khadirartga-Jâtaka,  Stories  of  the 
Buddhn's  former  Births^  vol.  I,  p.  104,  n^  40. 


LES  PLANTKS  DANS  U  PARURE  371 

et  le  plaksha,  ainsi  que  le  viknnkata,  le  vibhtdaka  * 
et  l'incertain  târshtôgha.  On  se  servait  aussi  du  bois 
de  certains  arbres  pour  s'éclairer  ;  tels,  par  exemple, 
le  jujubier  pyrocarpe  et  le  pin  élevé*,  etc.,  dont  les 
branches  ou  le  bois  font  d'excellentes  torches.  Les 
tiges  velues  de  la  Gerbera  lanuginosa  étaient  employées 
en  guise  d'amadou  '. 


III 


Les  plantes  n'ont  pas  seulement  leur  place  —  et 
nous  avons  vu  combien  elle  est  grande  —  marquée 
dans  l'alimentation;  elles  ne  sont  pas  seulement  les 
agents  les  plus  actifs  de  l'industrie  ;  elles  sont  encore 
—  elles  l'étaient  surtout  chez  les  anciens  Hindous  — 
associées  à  tous  les  actes  de  la  vie  ;  il  n'en  est  pres- 
que aucune  qui  n'y  ait  eu  part.  C'est  ainsi  que  les 
graines  do  quelques  espèces  servaient  de  poids,  surtout 
dans  le  commerce  de  l'orfèvrerie  ;  le  plus  petit  poids 
végétal  était  la  graine  de  moutarde  noire,  puis  venait 
celle  de  la  moutarde  blanche,  considérée  comme  trois 
fois  plus  lourde;  six  graines  de  celle-ci  avaient  pour 
équivalent  un  grain  d'orge  moyen  ;  trois  grains  d'orge 
moyens  pesaient  un  krishnala  —  graine  de  gunia^ 
— et  cinq  graines  de  guhja,  un  mâsha'^\  quatre  graines 

1.  Flacoitrtia  sapida  ou  Halmonlchi  L'Hér.,  Terminait  a 
bellerica  Hoxb.  —  Ziramer,  Altindisches  Lehen,  p.  60-63. 

2.  Brandis,  Flora,  p.  90  et  512. 

3.  Walt,  Dirtionary,  vol.  III,  p.  490. 

4.  Abrus  precatoriux  L.  Une  graine  d'Abrus  s'appelait  aussi 
raktikAy  hindoui  relli,  elle  est  aujourd'hui  considérée  comme 
l'unité  de  poids.  Drury,  Use/'ul  Platits,  p.  338. 

5.  Lois  de  Manon,  livre  VIII,  133  et  134. 


372  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

de  guûja  équivalent  encore  aujourd'hui  à  une  graiae 
de  kucandana\ 

Les  graines  brillantes  de  diverses  plantes,  servaient 
aussi  d^ornement  et  de  parure  ;  ainsi  avec  les  graines 
de  gunja,  de  kucandana  et  de  Canna  indica  entre 
autres,  on  fabriquait  des  bracelets  ou  des  colliers;  avec 
les  noyaux  polis  et  percés  de  Reptonia  biixifolia,  de 
rudraksha,  deguvàka',  de  Nannorhops  deRitchie,  etc., 
on  fabrique  et  on  fabriquait  autrefois  des  rosaires  '.  Les 
feuilles  aussi  trouvaient  leur  emploi  ;  sèches  ou  même 
fraîches,  elles  servaient  de  couche  aux  anachorètes^; 
avec  les  feuilles  larges  et  rigides  de  divers  arbres  ou 
arbustes  on  faisait  des  ombrelles  et  des  éventails  ^  ;  on 
en  employait  d'autres,  —  celles  par  exemple  A'arush- 
kâra,  de  piyâla,  de  palâca  ou  parna*,  de  marwâry 
etc.,  —  en  guise  d'assiettes.  Les  feuilles  rudes  et  ru- 
gueuses des  Ficus  asperrima,  cunia  et  gibbosa',  et  du 
Streblus  asper  servaient  à  polir. 

Mais  c'était  des  fleurs  surtout  que  les  Hindous  fai- 
saient usage  dans  la  vie  ordinaire.  Elles  étaient  Tac- 


1.  Adenanthera  pavom'na  L. —  Brandis,  p.  168. —  Drury. 
Use  fui  Plants,  p.  16.  Le  mâsha  est  le  Phaseolus  Roxburghii 
ou  radia  tus  L. 

2.  Eleocarpus  ganilrus  L.,  Areca  catechu  L. 

3.  Brandis,  Forest  Flora,  p.  43,  139,  148,  237,  549,  551.  — 
Watt,  Dictionary,  voL  I,  430-433. 

4.  liâmàyana,  lib.  ï,  cap.  xxvi,  1  ;  H,  cap.  .xliv,  14. 

5.  Par  exemple    avec  les  feuilles   de  marwâr  (Bauhinfa 
Vahlii  W.-A.),  de  tâli  (Jlorypha  umbraculifera  L),  de  Nan- 
norhops de  Ritchie.   Avec  celles  de  marwàr  et  do  Cochlnsper- 
num  gossypium  on  faisait  aussi  des  chapeaux  et  même  des 
soufflets. 

6.  Semecnrpns  anaeardium  L.,  Buchanania  latifolia  Roxb., 
Bulea  frondosa  Roxb. 

7.  Watt.  Dictionary,  vol.  lïl,  350  ;  VI,  3,  374. 


LES  PLANTES  DANS  LA  PARURE  373 

compagnement  obligé  de  toutes  les  fêtes  et  de  toutes 
les  réjouissances.  Dans  les  circonstances  solennelles, 
les  rues,  après  avoir  été  arrosées,  étaient  jonchées  de 
fleurs  ;  les  palais  étaient  ornés  de  guirlandes  de  fleurs. 
Des  festons  en  décoraient  les  plafonds;  des  fleurs  en 
diapraient  le  sol  *.  Dans  les  sacrifices  on  en  parait 
même  la  victime*.  Elles  jouaient  surtout  un  rôle  con- 
sidérable dans  les  fêtes  du  mariage.  Le  char  de  la 
mariée  était  orné  de  fleurs  écarlates  de  kimruka'. 
Des  fleurs  variées  embellissaient  aussi  sa  toilette,  c'est 
ainsi  que  des  pousses  de  dûrvâs,  entremêlées  de 
jeunes  sinapis,  relèvent  Téclat  de  la  tunique  d'Umâ, 
et  qu'une  guirlande  de  madhûkas,  dont  les  fleurs 
blanches  se  mariaient  aux  dùrvâs,  ceignent  ses  che- 
veux*. Le  paranymphe  avait  une  couronne  de  fleurs 
sur  la  tête.  Les  amis  chargés  par  le  prétendant  de 
demander  la  main  de  la  fiancée,  en  portaient  aussi  \ 
Des  couronnes  de  fleurs  étaient  la  récompense 
des  anciens  aèdes.  Dix  couronnes  sont  données  à 
Tun  d'eux  par  le  chef  des  Ruçama*.  Dans  le  premier 
Jàtaka,  un  farfadet  se  présente  au  marchand  qu'il  veut 
tromper,   les  cheveux  ornés  de  fleurs   de  lotus,  ainsi 


1.  Rdmâyatfa,  lib.  I,  cap.  Lxxvnr,  16,  17  ;  lib.  H,  cap.  v, 
17.  —  Nâla  et  Damayanti,  chant  25.  —  Lalita  Vistara, 
chap.  XV.  —  MafiAbhArala.  Adi-Parva,  7996,  etc.  —  The  Pahi 
iings  of  Ajan(â.  Cave  I,  pi.  13,  19,  etc. 

2.  Bdmâyaf.m,  lib.  I,  cap.  xiii,  32. 

3.  Butea  frotidosa  Hoxb.  —  /?.  V.,  lib.  X,  85,  20. 

'i.  Kuînâra-Sambhava ,  lib.  VII,  7.  De.s  fleurs  blanches 
d' Ifolarrhena  dyaenierica  ont  dû  aussi  dès  longtemps  servir 
de  parure  aux  fiancées.  Brandis,  p.  336. 

5.  Big-Veda,  lib.  IV,  38,  6. 

6.  Atharva-Veda,  lib.  X,  127,  .\.  3. 


374  I.KS  PLANTKS  CMKZ  LtS  IIIMiOUS 

que  les  gens  de  sa  suite*.  D'après  les  lois  de  Manou, 
une  couronne  de  mùrvà* était  l'insigne  des  guerriers. 
Le  chef  de  famille  avait  la  tête  ceinte  d'une  guirlande 
de  fleurs,  quand  il  traçait  le  premier  sillon  de  son 
champ  ^.  On  en  ornait  même  les  animaux.  Dans  le 
Nandi-  Visàla-Jâlaka,  le  brahmane  fait  mettre  au  cou 
de  son  taureau  une  guirlande  de  fleurs  \ 

Tous  les  héros  et  les  héroïnes  de  Tépopée  et  des 
drames  hindous  se  parent  de  fleurs  ou  en  portent  des 
couronnes.  Le  poète  du  Mabâbhàrata  représente  les 
princes  convoqués  à  la  cour  de  Bhiraa,  ainsi  que  les 
guerriers  qui  les  accompagnent,  le  front  ceint  de  cou- 
ronnes brillantes  et  parfumées.  Et  Damayanti  choisit 
Nala  pour  époux  en  lui  mettant  une  merveilleuse  guir- 
lande de  fleurs  sur  les  épaules"'.  Dans  Çakuntalà,  les 
guerrières  de  la  garde  du  roi  s  avancent  la  tète  cou- 
ronnée de  fleurs  des  champs  ^  Les  cheveux  de  Pàrvatî, 
qu'on  pare  pour  ses  noces,  sont  entrelacés  de  fleurs^. 
«  J  ai,  dit  un  des  personnages  de  Nàgânanda',  unecou- 
ronnne  sur  la  tête,  comme  une  suivante  qui  ne  me 
quitte  jamais.  »   Des  fleurs  parfumées  de  keçara,    en- 


1.  Apannaka-Jâtaka.  Stories  of  the  Buddhas  former  Birlhs, 
vol.  I,  p.  5. 

2.  Sanseviera  zeylanica  L.  —  Manou,  lib.  II,  42  et  44. 

3.  Mânasâra,  ap.  Ràm  Ràz,  Easay,  p.  57. 

4.  S  tories  of  the  Buddha's  former  Births,  vol.  I,  p.  71. 
N«  28. 

5.  A^ala  et  Damayanlîj  chant  II.  Draupadi  choisit  de  môme 
Arjuna  pour  époux.  Adi-Parva,  7059. 

6.  Acte  I,  scène  1.  Dans  la  version  bengah'e,  suivie  par  Ber- 
gaigne,  c'est  le  roi  qui  porte  une  couronne  de  fleurs  cham- 
pêtres. 

7.  PârvatVs  Ilochzeil.  Ein  indisches  Schauspiel,  ûbersetzt 
von  K.  Glaser.  Triest,  1886,  in -8»,  p.  32. 

8.  Acte  111,  trad.  Bergaigne,  p.  59. 


LES  PLANTES  DANS  LA  PAHIJBE  375 

trelacées  à  celles  d'atimukta,  embellissent  le  sein  de 
MàlatiV  Çakuntalà  porte  autour  du  cou  une  guirlande 
de  fibres  de  lotus,  qui  brille  sur  sa  poitrine,  dit  le  roi 
Dushyanta,  comme  les  rayons  de  la  lune  d'automne*. 
Kàlidàsa  représente  Urvaçî  parée  d'une  guirlande  de 
fleurs,  dont  le  soulèvement  incessant  trahit  Tagitation 
de  son  cœur.  Et  Purûravas  reconnaît  sa  trace  aux 
pétales  de  kadamba  tombés  de  sa  chevelure  ;  il  parle 
des  fleurs  de  jasmin  tressées  dans  ses  cheveux,  de 
celles  de  mandàra  qui  les  parfument,  et  il  loue  la 
reine  repentante  de  n'avoir  d'autre  parure  que  les 
tiges  sacrées  de  dûrvâ  mises  dans  sa  chevelure  \ 

Les  anciens  poètes  de  Tlnde  aiment  à  rappeler  cet 
emploi  que  les  femmes  faisaient  des  fleurs,  comme 
d'un  élément  indispensable  de  leur  toilette.  Ils  nous 
les  montrent,  suivant  les  saisons,  mettant  dans  leurs 
cheveux,  des  fleurs  d'açoka,  de  mandâra  ou  de  jasmin; 
se  parant  de  couronnes  de  kadambas,  de  keçaras  ou 
de  campakas  fraîchement  éclos,  de  ketakls  entrela- 
cés avec  des  mâlatls  aux  fleurs  nouvellement  épanouies 
ou  avec  des  yuthikas  au  calice  à  peine  entr'ouvert  ;  ou 
encore  s'attachant  aux  oreilles  des  fleurs  d'açoka,  de 
bakhuba,  de  kadamba,  de  çirîsha,  de  lotus  bleu  ou 
de  karnikâra*,  parfois  même  des  épis  d'orge  \  Qui  hé- 
siterait, par  crainte  des  abeilles,  dit  un  personnage  de 
Màlavikà  et  Agnimitra%  à  mettre  à  son  oreille  une 
branche  fleurie  de  manguier?  Et  nous  voyons  l'héroïne 


1.  Màlafi  vl  Mâdfiavn,  acte  V,  trad.  L.  Fritze,  p.  57. 

2.  Çakuntalf'tj  acte  VI,  scène  5,  trad.  11.  C.  Kellrier,  p.  88. 

3.  brvaçi,  acte  lïl  et  IV,  trad.  L.  Fritze,  p.  12,  43,  60,  64,65. 

4.  Riiu-Samhàra,  chant  II,  21  et  25;  III,  13  ;  VI,  6. 

5.  Kumâra-Samhhava,  VII,  17.  —  Baghu-Vamçay  IX,  42. 

6.  Acte  m,  trad.  L.  Fritze,  p.  31). 


376  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

de  la  pièce  se  faire  un  pendant  d'oreille  d*un  rameau 
d'açoka,  qu'elle  a  cueilli  dans  le  jardin  royal.  Dans  le 
drame  de  Mricbhakatikà*,  Vasantasenâ  parait  aussi 
sur  la  scène,  une  fleur  dekadamba  à  l'oreille. 

Les  femmes  aimaient  à  cueillir  elles-mêmes  les 
fleurs  dont  elles  se  paraient  et  elles  savaient  les 
arranger  avec  goût;  elles  s'y  exerçaient  dès  leur  jeu- 
nesse. Parmi  les  soixante-quatre  arts  que  devaient, 
d'après  le  Kàmasûtra*,  apprendre  les  jeunes  filles, 
figure  celui  de  faire  les  différentes  espèces  de  cou- 
ronnes, ainsi  que  l'art  de  disposer  d'une  manière 
agréable  des  fleurs  de  couleurs  diverses  et  de  dessiner 
avec  elles  et  des  grains  de  riz  des  figures  sur  le  sol. 
11  y  avait  d'ailleurs  aussi,  chez  les  Hindous,  des  fleu- 
ristes —  mâlàkàras\  —  «  bouquetières  »  ou  «  guir- 
landières  »,  dont  le  métier  ordinaire  était  de  tresser 
des  couronnes  et  de  faire  des  bouquets.  Onvoitsur  des 
fresques  d'Ajantà  des  suivantes,  qui  portent  des  fleurs 
de  nymphéa  et  de  lotus  dans  une  espèce  de  bassin 
oblong*.  Dans  ÇakuntaU,  l'amie  de  Théroïne,  Ana- 
snyà,  attache  à  une  branche  de  manguier  des  fleurs 
de  keçara  renfermées  dans  une  noix  de  coco  \ 

Les  élégants  ne  recherchaient  pas  les  fleurs  avec 
moins  de  passion  que  les  femmes  ;  des  guirlandes 
d'amarante  jaune  étaient  suspendues  dans  leurs  cham- 
bres ;  des  fleurs  recouvraient  les  bancs  en  terre  de 

1.  Acte  V,  scène  5,  trad.  H.  C.  Kellner,  p.  109. 

2.  Das  Kàmasûtram  des  Vdtsynyana,  iibersetzt  u.   hergg. 
von  Richard  Schmidt.  Leipzig,  1897,  iii-8»,  p.  '#3,  45.  et  'i6. 

3.  Cullaka-Setthi-Jâtaka.    Stories  of  the    BuidIuCs  former 
Births,  vol.  1,  p.  19.  N»  4. 

4.  J.  Griffiths,  Tke  paintings  of  Ajan^ù,  p.  18,  fig.  53  Cave 
I,  pi.  14  et  16.  Cave  II,  pi.  31.  Un  nain  môme  en  porte,  pi,  34. 

5.  Çakunlalàj  acte  IV,  scène  3,  trad.  L.  Fritze,  p.  54. 


LES  PLANTES   DANS  LA   PARURE  377 

leurs  parcs  ;  le  matin,  au  moment  de  sortir,  ils  se  met- 
taient une  couronne  sur  la  tète;  ils  en  portaient  même 
une  pendant  la  nuit  \  Une  fresque  dWjantà  nous  mon- 
tre un  dandfj  qui  s'avance,  tenant  une  fleur  de  lotus  à 
la  main.  D'autres  personnages  en  portent  aussi*. 

L'emploi  des  parfums,  si  général  de  nosjours,  n'était 
pas  moins  répandu  dans  Tlnde  ancienne.  On  brûlait, 
dans  les  fêtes,  de  Tencens  et  des  parfums  exquis  dans 
les  rues  et  sur  les  places  publiques  '*  ;  on  répandait  dans 
les  maisons  des  eaux  de  senteur  et  de  la  poudre  de 
bois  de  sappan  ou  des  racines  aromatiques  de  cur- 
cuma,  de  kachûr  et  peut-être  aussi,  comme  aujour- 
d'hui, de  souchet  odorant*.  Les  femmes  hindoues  fai- 
saient un  usage  conshint  des  parfums;  elles  s'oignaient 
les  cheveux  avec  de  Thuile  de  nard,  d'urîra  ou  vétiver 
et  de  rusa  ghAz  '\  qui  passent  pour  les  faire  pousser. 
Elles  les  lavaient  peut-être  également,  comme  de  nos 
jours,  avec  une  décoction  de  feuilles  de  sésame  ou 
à'Albizzia  amara^.  Elles  s'oignaient  aussi  le  corps 
avec  de  l'huile  aromatisée  de  sésame^  et  les  seins  avec 
du  santal*,  puis  elles  les  frottaient  avec  de  la  poudre 


1.  Dos  KAmasûtram,  p.  58  et  61. 

2.  The  paintings  ofAjanfâj  p.  39.  Cave  XVII,  pi.  88.  Cave 
I,  pi.  13,  16,  19. 

3.  BâmAyana,  lib.  Il,  chap.  v,  17;  C,  31.  —  Mahâbhârala. 
Adi-Parva,  7996. 

4.  Le  kachûr  est  V fledychium  spicatum  L.,  le  souchet 
odorant,  le  Cyperus  rotundus  L.  —  Roxburgh,  Flora,  vol.  I, 
p.  198.  —  Watt,  vol.  IV,  n^  207. 

5.  Andropogon  muricalus  Retz,  et  schœnanlhus  L. 

6.  Watt,  Dictionary,  vol.  III,  p.  86. 

7.  PârvatVs  Hochzeit,  acte  IV,  p.  30. 

8.  BUU'Samhàra,  I,  4  et  6;  III,  20.  —  Amaru,  Anthologie 
erotique.  Trad.  Apudy.  Paris,  1831,  in-8o,  XXIIl,  p.  42.  — 
Mahâbhàrata^  Vana-Parva,  1824. 


378  LES  PLANTES  ClIf^iZ  LES  HINDOUS 

de  lodhra*  ou  d'aguru'.  Un  des  signes  caractéristiques 
de  leur  condition  ^  les  femmes  mariées  se  coloraient 
les  bras,  et  parfois  aussi  la  poitrine,  avec  du  safran  ^. 
Elles  se  fardaient  aussi  le  visage  avec  le  pollen  rou- 
geàtre  des  tleurs  de  lodhra,  mêlé  àlapoudre  d'un  jaune 
brillant  de  la  gorocami*.  Enfin,  elles  se  teignaient  les 
doigts  et  les  ongles  des  pieds,  que  leurs  chaussures 
laissaient  à  découvert,  avec  de  la  laque*.  On  voit  dans 
Mùlavikâ  et  Agnimitra  une  des  suivantes  de  la  reine  or- 
ner le  pied  de  Màlavikâ  de  dessins  à  la  laque  artistement 
tracés".  Les  anciens  textes  ne  parlent  pas  du  henné; 
maison  adii  sans  doute  assez  anciennement  faire  usage 
de  ses  feuilles  broyées  pour  colorer  la  peau  des  mains 
et  des  pieds.  Pétries  avec  du  cachou,  elles  forment 
une  pâte  que  Ton  applique  toute  fraîche  le  soir,  avant 
de  se  coucher,  et  qu'on  enlève  en  se  levant  ;  la  couleur 
reste  jusqu'à  ce  que  la  peau  se  renouvelle*. 

Les  hommes  faisaient  aussi  usage  des  parfums.  Les 
Védas  nous  montrent  les  Maruts  s'oignant  d'onguents 
brillants  '.  Le  Gîta-Govinda  représente  Hari  tout  oint 


I.  Rilu-SamhAra,  lib.   H.  22. 

X.  Bois  d'aloès  —  Àquilaria  agalloeka  Hoxb. 

îl.  D'après  Shakar  Pandit.  (Irvari,  trad.  L.  Fritzp.  p.  'i5, 
note.  Lés  autres  si'jnes  étaient  un  bandeau  rou;^p  et  un  collier 
de  perles. 

'i.  PàrvalVs  IJochzeil,  3iCie  \',  p.  31.  —  GUa-Govinda,  lib.  I, 
2,  8.  ;  XI,  11  et  12.  —  BhngàmtaPurânOy  lib.  X,  cap.  Il,  32. 

5.  MephadtUa,  strophe  65.  —  Mudràrâkshasa,  acte  V,p.  110. 
—  KumàraSambhava,  VII,  17. 

6.  PârvalVs  flochzeil,  acte  V,  p.  31.  —  Rilu-Sattihàra, 
lib.  I,  5.  —  GUa-Govinda,  lib.  X,  7. 

7.  Acte  III,  trad.  L.  Fritze,  p.  35. 

8.  Roxbur^h,  Flora,  vol.  II,  p.  259. 

9.  Bifj'Veda,  lib.  I,  6'i,  'i  ;  X,  78,  1. 


LES  rUNTKb  DANS  LA  PAKUÏIE  37Ô 

de  santal*.  On  parfumait  les  hôtes  auxquels  on  voulait 
faire  honneur  *.  Ceux  qui  se  piquaient  de  galanterie 
surtout  faisaient  usage  de  parfums.  A  la  tête  du 
lit  des  élégants,  une  place  était  réservée  pour  les 
onguents  et  les  couronnes  de  la  nuit;  là  se  trouvait 
aussi  un  vase  rempli  de  parfums,  de  Técorce  de  citron 
et  du  bétel  tout  préparé^.  Le  matin,  ils  s'oignaient 
d'huile  de  senteur,  après  avoir  brûlé  dans  leur  chambre 
du  bois  d'aloès  ou  une  autre  substance  odoriférante  ; 
et  avant  de  sortir,  ils  croquaient,  pour  se  parfumer  la 
bouche,  une  pastille  aromatique  et  y  mettaient  une 
boulette  de  bétel  *.  Depuis  une  époque  reculée  Tusage 
de  ce  stimulant  était  devenu  général  et  sa  composition 
était  un  art.  Pour  le  préparer,  on  enveloppait  dans  une 
feuille  de  cette  pipéracée  une  noix  d'aréquier  coupée 
en  tranches  minces,  avec  quelques  grains  de  carda- 
mome ;  plus  tard  on  y  a  ajouté  un  peu  de  camphre. 
On  laissait  le  tout  Inacérer  avec  de  la  chaux,  avant  de 
le  mâcher.  Le  bétel  colore  en  rouge  les  lèvres  et  les 
dents  ;  mais  quand  on  en  cesse  Tusago  pendant  quelque 
temps,  celles-ci  prennent  une  couleur  livide'.  Il  n'en 
était  pas  moins  avidement  recherché  et  on  lui  attri- 
buait les  vertus  les  plus  grandes.  «  Le  bétel  est  pi- 
quant, dit  un  poète*,  amer,  chaud,  doux,  salé  et  astrin- 
gent ;  il  éloigne  la  mauvaise  odeur  de  la  bouche  et  en 
est  la  parure.  » 

i.  Gita-Govinda,  I,  38.  Le  roi,  dans  Urvaçî,  acte  111,  p.  41, 
parle  aussi  du  santal  dont  son  corps  est  oint. 

2.  E.   Burnouf,  Introduction   à   r Histoire   du  Buddhisme 
p.  249.  Pîtha-Jàtaka,  Stories,  vol.  III,  p.  79,  n°  337. 

3.  Das  Kdmasûtram,  p.  58. 

4.  Das  Kâmasûtrarriy  p.  61. 

5.  Bohlen,  Das  alte  Indien^  vol.  II.  p.  173. 

6.  BÔhtlingk,  Indische  Sprùche,  n®  2356. 


380  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Les  hommes  ne  prenaient  pas  moins  de  soin  de  leur 
barbe  que  les  femmes  de  leur  chevelure*  ;  ils  Toignaient 
de  parfums  et  se  la  teignaient  avec  diverses  substances 
destinées  à  lui  donner  plus  de  lustre.  Ils  se  teignaient 
sans  doute  aussi  les  cheveux  en  noir,  comme  on  le 
fait  aujourd'hui*;  ils  les  oignaient  d'huiles  parfumées. 
Une  coutume  singulière  était  celle  qu'avaient  les 
anachorètes  de  s'oindre  les  cheveux  d'une  substance 
visqueuse,  du  jus  de  nyagrodha  par  exemple,  et  de  les 
tresser  ensuite  en  une  seule  natte'.  Les  élégants  se 
fardaient  comme  les  femmes,  et  comme  les  femmes 
aussi,  ils  se  coloraient  les  lèvres  et  jusqu'aux  pieds 
avec  de  la  laque*.  Dans  le  Haghu-Varhça,  poème  attri- 
bué à  Kàlidàsa,  on  voit  le  roi  fainéant  Agnivarna  offrir 
à  la  vénération  de  ses  sujets  son  pied  brillant  du  fard 
qui  en  teignait  les  ongles  ^ 

1.  Strabon,  lib.  XV,  cap.  1.  54.  —  Arrien,  Indica,  cap.  xvi. 

2.  Dans  le  Pandjab  on  se  sert  à  cet  effet  des  noix  de  galles 
du  chêne.  Brandis,  Flora,  p.  481. 

3.  l^ne  jatâ.  —  Ràmâyanay  lib.  II,  cap.  ui,  2-3. 

4.  Das  KâmasHlram,  p.  61. 

5.  Chant  XIX,  strophe  8. 


CHAPITRE  IV 


LES   PLANTES   DANS   l'aRT  ET   DANS   LA   POESIE 


ï 


Les  plantes  n'occupaient  pas  une  moindre  place  dans 
Tart  que  dans  Tindustrie  des  anciens  Hindous.  C'est 
au  monde  végétal  qu'ils  ont  demandé  d'abord  -^  on  le 
fait  encore  aujourd'hui  dans  certaines  régions  *  —  les 
matériaux  nécessaires  à  la  construction  de  leurs  de- 
meures ;  c'est  le  monde  végétal  aussi  qui  leur  a  fourni 
quelques-unes  des  formes  architecturales  de  leurs  édi- 
fices et  une  partie  des  motifs  de  décoration  dont  ils 
les  ont  embellis. 

La  maison  des  anciens  Hindous  était  d'une  grande 
simplicité  ;  quatre  piliers,  dressés  aux  quatre  angles  et 
reliés  à  leur  partie  supérieure  par  des  poutres,  sur 
lesquelles  reposait  le  toit,  composaient,  avec  des  so- 
lives, qui  les  soutenaieut  en  s'arc-boutant  contre  eux, 
la  carcasse  des  murs,  dont  les  vides  étaient  remplis 
avec  des  roseaux,  de  la  paille  ou  de  la  terre.  Au  milieu 
de  Tune  des  faces,  des  piliers  moins  élevés,  surmontés 

1.  Par  exemple  dans  la  région  de  l'Himalaya.  William  Simp- 
son, Some  suggestions  of  origin  in  Indian  Architecture.  (The 
Journal  of  the  Asiatic  Society.  London,  1888.  New  Séries, 
vol.  XX,  p.  49). 


382  LES  PUNTFS  CflEZ  LES  HÎNHOUS 

d'un  linteau,  formaient  Tencadrement  de  la  porte  K 
Telle  était  l'habitation  des  temps  védiquos  et  telle  elle 
resta  pendant  de  longs  siècles  dans  les  pays  de  plaine 
et  surtout  de  montagne  ;  plus  tard  elle  prit  dos  formes 
architecturales  plus  complexes  ;  on  lui  donna  plusieurs 
étages;  dans  les  villes,  les  demeures  des  grands 
s'embellirent  de  colonnades,  d'arcades,  de  poi'tiques  et 
s'ornèrent  de  sculptures  ;  malheureusement  nous  ne 
pouvons  dire  quelle  était  la  nature  de  ces  décorations, 
puisque  toutes  les  constructions  de  cette  époque  primi- 
tive ont  disparu  sans  laisser  de  trace,  et  les  descrip- 
tions que  les  épopées  nous  donnent  des  palais  royaux 
sont  peut-être  trop  récentes,  pour  que  nous  puissions 
rien  conclure  de  leur  état  véritable.  Quant  aux  édifices 
du  culte,  ils  ont  été  inconnus  de  l'Inde  des  Védas;  la 
religion  naturaliste,  ainsi  que  les  conceptions  philo- 
sophiques des  rishis,  n'étaient  pas  favorables  aux  arts-; 
aucun  monument  religieux  ne  paraît  avoir  été  élevé  à 
Tépoque  où  elles  dominèrent. 

Il  en  fut  autrement  à  l'époque  du  brnhmanisme  ; 
il  en  fut  autrement  surtout  à  colle  du  jainisme  et  du 
])Ouddhisme.  Le  culte  dont  le  fondateur  de  cette  der- 
nière religion  fut  bientôt  l'objet  rendit  nécessaire 
la  construction  d'édifices  qui  lui  fussent  appropriés. 
Peu  nombreux  à  l'origine  toutefois  et  vivant  dispersés, 
les  sectateurs  de  Çàkyamuni  durent  se  contenter 
d'abord  de  simples  édifices  en  bois  pour  leurs  réunions  ; 
de  simples  tumulus  en  terre  aussi  conservèrent  seuls, 
dans  les  premiers  temps,  le  souvenir  des  lieux  sanc- 

1.  Zimmer.  Altmdiftches  Lehm,  d.  153.  —  Wallis,  Thff  cos- 
mology  of  the  lUg-Vcda.  Iiondon,  1887,  in-8*»,  p.  17. 

2.  Albert  Grùnwedel,  iÎM(/rf/n'.s7i*so/u?  Knuat  in  Indieu.  Berlin, 
2«  Aufl.,  1900.  in-12,  p.  5  et  11. 


LES  PLANTES  DANS  L'AUT  383 

tifiés  par  la  présence  du  Réformateur.  Tout  changea  le 
jour  où  Açoka  eut  reconnu  officiellement  la  religion 
nouvelle.  Non  seulement  les  monuments  du  culte'  se 
multiplièrent  de  toutes  parts  sur  le  sol  de  Tlnde  ;  mais 
les  fragiles  constructions  en  bois  du  passé  firent  place 
à  de  solides  monuments  en  pierre  ;  les  grossiers  tu- 
mulus  en  terre  furent  remplacés  par  d'élégants  édi- 
fices ;  avec  ceux-ci  prit  véritablement  naissance  l'archi- 
tecture hindoue,  civile,  comme  religieuse*  ;  mais  toute 
nationale  qu'elle  est  par  ses  origines  et  son  inspiration, 
elle  n'en  porte  pas  moins  des  traces  d'imitation  étran- 
gère. 

L'époque  de  la  fondation  du  bouddhisme  est  celle 
même  où  Tlnde  sortit  de  l'isolement,  dans  lequel  elle 
avait  vécu  depuis  l'occupation  du  Pandjab  et  de  la 
vallée  du  Gange  par  les  tribus  aryennes.  Çâkyamuni 
vivait  encore,  quand  Darius  pénétra  dans  le  bassin  de 
r Indus  et  réunit  à  ses  états  le  pays  des  Gandhariens 
—  la  vallée  inférieure  du  Kophès  —  et  celui  des  Hin- 
dhu,  c'est-à-dire  la  contrée  voisine  du  Sindh  moyen  *. 
En  326,  Alexandre,  à  son  tour,  s'empara  du  Pandjab 
occidental;  ce  fut  une  conquête  éphémère,  il  est  vrai; 
mais  si  les  rois  de  Syrie,  qui  héritèrent  des  provinces 
orientales  de  son  empire,  ne  purent  les  conserver,  ils 
n'en  restèrent  pas  moins  en  rapport  avec  les  souverains 
du  Magadha.  Açoka,  dans  ses  inscriptions,  parle  des 

1.  Cette  manière  de  voir  a  été  combattue  par  le  P.  Jos. 
Dahlmann:  «Quand  le  bouddhisme,  dit-il,  prit  rarchitecture 
à  son  service,  celle-ci  était  déjà  arrivée  à  un  haut  degré  de 
développement.  »  (Duddha,  FAn  Ctillurbild  des  Ostens,  Perlin, 
1898,  in- 8,  p.  167).  Malheureusement  cette  affirmation  suppose 
que  toutes  les  descriptions  du  Mahâbhàrata  et  du  Ràmàyaça 
sont  également  anciennes,  ce  qui  est  précisément  en  question- 

2.  V^oir  plus  haut,  livre  II,  chap.  i,  p.  233. 


38i  LES  PU.XTKS  CHEZ  LES  HI!«[)ULS 

traités  qa*il  fit  avec  Tun  d*entre  eux  et  les  autres  princes 
grecs*.  L'établissement,  vers  180,  dans  la  Bactriane 
d'une  dynastie  hellénique,  dont  la  domination  finit 
par  s'étendre  jusqu'à  la  presqu'île  de  Goudjarat,  loin 
de  les  interrompre,  ne  fit  que  rendre  plus  étroites  encore 
les  relations  de  Tlnde  avec  TAsie  antérieure,  et  de 
celle-ci  avec  l'Inde.  Le  plus  célèbre  des  rois  de  cette 
dynastie,  Ménandros,  —  le  Milinda  des  auteurs  hin- 
dous —  parait  avoir  embrassé  le  bouddhisme^.  L'as- 
servissement de  la  Bactriane,  plus  tard  du  Pandjab, 
par  les  Touraniens  Yue-chi  ne  mit  pas  fin  aux  rapports 
de  rinde  avec  l'Occident  ^.  Les  envahisseurs  subirent 
l'influence  des  peuples  qu'ils  avaient  subjugués  ;  Ka- 
nishka,  l'un  de  leurs  rois,  fut  un  protecteur  fervent  du 
bouddhisme,  et  les  arts  de  la  Grèce  furent,  comme  la 
science  hindoue,  en  honneur  à  sa  cour  et  à  celle  de 
ses  successeurs. 

C'est  au  milieu  de  ces  relations  avec  l'Asie  occiden- 
taie  que  l'architecture  et  la  statuaire  de  l'Inde  se  sont 
développées  et  ont  pris  leur  forme  définitive.  Après  la 
période  archaïque*,  qui  en  précéda  l'épanouissement 
et  dont  il  ne  reste  aucun  monument,  mais  dont  on  peut 
affirmer  qu'elle  connut  et  pratiqua  l'art  de  sculpter  le 
bois*',  parut  une  première  école,  l'école  indo-arienne, 
qui  emprunta  à  l'architecture  de  la  Perse  quelques-uns 

1.  E.  Senart,  Lex  inscriptions  de  Piyadasi,  vol.  I,  p.  310, 
xnr-  édit. 

2.  Plutarqiie,  Praecepla  gerendae  reipuhlicae,  XXVIII,  8.  — 
A.  Grùnwedel,  Buddhisliscke  Kunst,  p.  75. 

3.  James  Fergusson,  llistory  of  Indian  and  Eastem  Archi- 
tecture. I-ondon,  1899,  in-8^,  p.  27  et  7'i. 

4.  A.  Cunningham,  Archaeoiogical  Survc^y  vol.  III  (1875). 
liondon,  in-S^,  p.  2. 

5.  A.  Grùnwedel,  Buddhisliscke  Ktinnt,  p.  28. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  385 

de  ses  procédés  et  de  ses  formes  caractéristiques  ;  ce 
sont  les  artistes  de  cette  école  qui  ont  élevé  lesstam- 
bhas  contemporains  d'Açoka  et  construit  les  stupas  de 
Baruhat  —  Bharhut — ,  deSAncî  —  Sànchi — ,  de  Bud- 
dha  ou  Bodh-Gayà  et  en  partie  dWmaràvatî.  Plus  tard, 
à  l'époque  des  Yue-chi,  prit  naissance  une  école  nou- 
velle, Técole  gréco-bouddhique  ou  du  Gandhàra*,  qui 
emprunta  à  Tart  classique  quelques-unes  de  ses  formes 
architecturales  et  dont  les  premiers  artistes,  venus  de 
TAsie  occidentale  ou  même  de  la  Grèce  ^  fournirent 
aux  statuaires  de  l'Inde  des  types  jusque-là  inconnus'. 
Née  sous  Tinfluence  du  bouddhisme,  Tancienne  ar- 
chitecture hindoue  est  essentiellement  religieuse,  et 
nous  n'en  connaissons,  à  part  les  stambhas  d'Açoka, 
que  dos  monuments  d'un  caractère  religieux.  Ce  n*est 
pas  sans  doute  qu'elle  n'ait  élevé  aussi  des  édifices 
profanes,  mais  aucun  d'eux  n'est  resté.  A  en  juger  par 
les  dessins  qu'on  voit  de  quelques-uns  d'entre  eux  sur 


1.  M.  E.  Senart,  Notes  (Vépxgraphie  indienne,  \\\  (1890), 
p.  'i2,  place  au  milieu  du  ii"  siècle  de  notre  ère  l'époque  où 
fleurit  l'école  de  Gandhàra,  et  il  croit. que  les  premiers  monu- 
ments n'en  remontent  pas  plus  haut  que  le  P"*.  C'est  aussi 
l'opinion  de  M.  A.  Foucher,  Uart  bouddhique  d'après  un  livre 
récent.  Paris,  1895,  in-S®,  p.  11. 

2.  A.  Grûnwedel,  Buddhislische  Kunst,  p.  79  et  suiv.  — 
M.  V.  A.  Schmidt  a  prétendu  que  c'était  de  l'art  romain,  non 
de  l'art  grec,  que  relevait  l'école  de  Gandhàra,  assertion  qui 
a  été  acceptée,  mais  sans  être  appuyée  d'arguments  nou- 
veaux, par  M.  William  Simpson.  —  Schmidt,  Gréco-Roman 
influence  on  the  Civilisation  o  fanaient  India  (./outrai  of  the 
Asialic  Society  of  Bcngal,  vol.  LVIII  (1889),  1,  p.  107-197).  — 
Simpson,  The  classical  influence  in  the  architecture  of  the 
Indus  région  (Journal  of  the  royal  Institule  of  British  Archi- 
tects,  vol.  I  (1893),  p.  93-112). 

3.  A.  Foucher,  L'art  bouddhique,  p.  *7.  —  Id.,  Sur  la  fron- 
tière indo-afghane,  p.  48. 

JORET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité.        II.  —  25 


386  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

le  slûpa  de  Bharhut,  ils  n'offraient  rien  de  particulier  ; 
le  palais  des  Devas  —  Vijayanta  Prâsâda  — ,  par 
exemple,  avec  ses  trois  étages*,  ses  fenêtres  cintrées 
et  garnies  de  balustrades,  ne  diffère  guère  d'un 
caitya  que  par  ses  moindres  dimensions.  Dans  son 
Histoire  de  Vart,  Fergusson  a  cru  inutile  d'en  parler 
et  moins  que  lui  encore  j'ai  à  m'en  occuper. 

On  a  distingué  cinq  espèces  de  monuments  dans 
l'Inde  ancienne:  1°  les  stambhasy  hind.  lâts,  piliers 
ou  colonnes  de  hauteur  variable  et  surmontés  d'ordi- 
naire d'un  emblème  religieux  ;  2°  les  stUpas,  ang.  topes, 
qui  sont  tantôt  des  espèces  de  tumulus  en  pierre,  érigés 
en  commémoration  de  quelque  épisode  de  la  vie  du 
Buddha,  '  tantôt  des  dagobas  —  dhâtugarbhasy  —  cel- 
lules destinées  à  renfermer  des  reliques  du  Réforma- 
teur ou  de  quelque  saint  de  sa  religion  ;  3°  les  balus- 
trades, ang.  rai/ings,  qui  environnent  les  topes,  les 
arbres  sacrés,  etc.  ;  4°  les  caitt/as,  ang.  ehaityas,  lieux 
d'assemblée  des  fidèles,  analogues  à  nos  églises  ; 
5°  enfin  les  vihâras  ou  monastères,  creusés  souvent, 
de  môme  que  les  caityas,  dans  le  roc  et  formant  ainsi 
des  demeures  souterraines,  dont  l'entrée  ou  la  façade 
sont  seules  visibles  au  dehors  ^ 

Parmi  ces  monuments  les  stambhas,  comme  les 
colonnes  des  édifices  égyptiens  ou  persépolitains,  rap- 
pellent par  leur  forme  élancée  les  troncs  d'arbres, 
élément  principal  des  constructions  en  bois.  Les  stam- 
bhas les  plus  anciens  sont  ceux  sur  lesquels  Açoka 
fit,  la  31°  année  de  son  règne,  graver  ses  édits.  L'un 


1.  AI.  Cunningham,   The  Slûpa  of  Bharhut.  London.  1879, 
in-fol.,  p.  118,  pi.  XVI,  1. 

2.  J.  Fergusson,  Uistory,  p.  50. 


LES  PUNIES  DANS  L'ART  387 

(les  plus  remarquables  est  celui  qu*on  a  trouvé,  en 
1837,  renversé  sur  le  sol  à  Allahabâd.  A  part  un  listel, 
le  chapiteau  a  été  détruit;  il  en  a  été  de  même  de  la 
base,  si  tant  est  qu'il  y  ait  eu  une  base  ;  le  fût  seul  est 
resté  intact.  De  1 1  mètres  do  haut,  cylindrique  et  uni 
dans  toute  sa  longueur,  il  n'offre  d'autre  particularité 
que  d'aller  en  s'amincissant  de  la  base,  où  il  a  un 
mètre  de  diamètre,  au  sommet,  large  de  72  centi- 
mètres *.  On  dirait  le  tronc  d'un  jeune  sal.  A  peine 
moins  important  est  le  stambha  de  LauriyaV  On  peut 
rapprocher  de  ces  lâts  les  piliers  monolithes  en  granit 
dressés  autour  du  tope  de  Thuparamaya  dans  l'île  de 
Ceylan;  mais  ces  piliers  semblent  avoir  été  quadran- 
gulaîres  à  l'origine;  ils  le  sont  restés  jusqu'à  la  hau- 
teur de  3  mètres;  au-delà,  les  angles  en  ont  été  coupés, 
do  manière  îi  leur  donner  la  forme  octogonale  ^.  Un 
autre  dagobade  Ceylan,  mais  beaucoup  plus  moderne  *, 
celui  de  Laiikaramaya,  est  aussi  entouré  de  piliers 
analogues  à  ceux  de  Thuparamaya. 

Les  stambhas  que  l'on  trouve  soit  isolés,  soit  rangés 
autour  des  stupas  ou  des  dagobas,  sont  en  général 
d'une  grande  simplicité  de  formes  ;  il  n'en  est  pas  de 
même  des  colonnes  élevées  de  chaque  côté  des  portes 
des  balustrades  ou  à  l'entrée  des  caityas  et  des  vihâ- 
ras,  ainsi  que  des  pilastres  dressés  le  long  des  murs 

1.  Journal  of  the  Aatalic  Society  of  Bengal,  vol.  III  (1834), 
p.  105,  pL  III. 

2.  Archaeological  Survey  of  India.  Simla,  in-8*»,  vol.  I 
(1871),  p.  73,  pi.  XXV.  Le  stambha  de  Lauriya  a  32  pieds  9 
pouces  de  haut,  39  pouces  de  diamètre  à  la  base  et  26  pouces 
au  sommet. 

3.  J.  Fergusson,  Ilistory,  p.  192  et  194,  fig.  101  et  102. 

4.  Il  a  été  bâti  Tan  221  après  notre  ère,  le  stambha  de  Thu- 
paramaya, 250  avant. 


388  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

de  ces  derniers  monuments  pour  en  cacher  la  nudité. 
Ils  présentent  la  plus  grande  diversité  dans  leurs 
formes  et  leur  ornementation  ;  mais  les  diverses  par- 
ties :  base,  fût  et  chapiteau,  dont  ils  se  composent,  ne 
les  offrent  pas  également.  De  ces  trois  parties  la  base 
est  celle  que  les  architectes  hindous  ont  le  plus  né- 
gligée ;  parfois  elle  n'existe  pas  et  le  fût  repose  direc- 
tement sur  le  sol*,  ou  bien  elle  est  simplement  carrée 
et  à  faces  unies-.  Plus  tard  toutefois  on  donna  à  la 
base  une  forme  plus  compliquée  ;  elle  se  composa  d'un 
soc,  d'un  nombre  variable  de  filets  ou  moulures  et  d'un 
tore  plus  ou  moins  renflé,  soit  uni',  soit,  mais  rare- 
ment, décoré  d'une  double  rangée  de  pétales  de  né- 
lumbos*,  soit  parfois  encore  accompagné  d'un  listel 
orné  d'oves  et  de  dessins  géométriques  \ 

Parfois  simplement  carré,  plus  souvent  octogonal,  à 
pans  unis®  ou  encore  cannelé  \  le  fût  est  souvent  aussi 
couvert  d'ornements;  tantôt  ce  sont  des  dessins  géo- 


1.  Par  exemple  dans  les  piliers  de  la  grotte  de  Bajà,  des 
grottes  n^MO,  17  et  26  d'Ajantà  et  de  celle  de  Viçvakarma  à 
Klura.  Fergusson,  Ilistory,  p.  123  et  55,  fîg.  57  et  85.  Jas. 
Burgess,  Report  on  the  Buddhist  Cave  Temples.  London,  1883, 
in-fol..  p.  7,  fîg.  7  et  p.  59,  tig.  19. 

2.  Piliers  des  vi haras  n'^*  16  et  17  et  des  grottes  1  et  26 
d'Ajantâ.  Fergusson,  Hislory,  p.  154  et  156,  fig.  84  et  86.  Jas. 
Burgess.  lieporl.  pi.  II  et  III,  et  p.  49,  fig.  14. 

o.  Piliers  des  grottes  de  Karli,  Nâsik,  etc.  Fergusson,  His- 
tory,  p.  120,  150,  lig.  56,  79. 

4.  Piliers  d'un  dagoba  à  Amaràvatî.  Fergusson,  Hislory, 
p.  102,  fig.  39. 

5.  .1.  Fergusson,  Illustrations  of  the  Uock-cut  Temples  of 
India.  London,  1845,  in-fol.,  pi.  XI.  2. 

6.  Piliers  des  grottes  de  Karli  et  de  Nâsik.  Fergusson, 
I/istory,  p.  120  et  150,  fig.  56  et  79. 

7.  Slambha  de  Bharhut  et  de  Karli.  Fergusson,  flùlory, 
p.  88  et  118,  fig.  27  et  55. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  389 

métriques  que  surmonte  une  rangée  de  demi-fleurons  \ 
tantôt  les  dessins  s'étalent  entre  deux  bandes,  com- 
posées, rinférieure  de  palmettes,  la  plus  haute  de 
losanges  séparés  par  des  fleurons  '.  Ailleurs  des  can- 
nelures obliques,  séparées  par  une  rangée  de  fleurons, 
viennent  s'appuyer  en  bas  sur  une  ligne  de  palmettes, 
en  haut  sur  un  cordon  de  guirlandes  que  couronnent 
des  fleurons  ^  D'autres  fois  le  fût  est  orné  dans  sa  partie 
moyenne  de  cannelures,  entre  lesquelles  courent  des 
arabesques,  que  bordent  une  double  rangée  de  fleu- 
rons*. Ailleurs  encore  des  sujets  de  fantaisie,  entourés 
ici  d'arabesques,  là  de  fleurs  délicates,  occupent  la 
plus  grande  partie  du  fût  qu'ornent  en  outre  des  fleu- 
rons, des  arabesques  ou  des  tiges  feuillées  et  fleuries ^ 
Les  chapiteaux  ne  présentent  pas  une  moins  grande 
variété  de  formes  et  d'ornementation  que  les  fûts; 
mais,  sous  leur  diversité,  ces  formes  se  rapportent  à 
deux  types  difi'érents,  qui  correspondent  aux  deux 
écoles  architecturales  de  l'Inde.  Dans  les  monuments 
de  l'école  indo-bouddhique  ou  indo-iranienne,  le  cha- 
piteau est  en  général  campaniforme  ou  papiriforme 
renversé  ;  tels  sont  les  chapiteaux  des  stambhas  de 
Sankissa —  la  Sànkàcya  du  Râmâyana*  — ,  de  Lauriya 

1.  Piliers  du  vihàra  n<»  16  d'Ajaptà.    Fergusson,  History, 
p.  154,  fig.  84. 

2.  Véranda  du  vihàra  n®  2  d'Ajaritâ.  Fergusson,  Illustra- 
tions, pi.  IX. 

3.  Piliers  de  la  grotte  n^*  1  et  2  d'Ajantà.  Jas.  Burgess,  Report 
on  the  Buddhist  Cave  Temples,  p.  49,  ^g.  14  et  pi.  XVIII,  2  et 

XXII,  1. 

4. Vihàra   n»  17    d'Ajantà.    Fergusson,    Uistory,    p.    156, 

fig.  86. 

5.  Pilastre  de  la  véranda  de  droite  d'Ajantà.  Jas.  Burgess, 

Report,  pi.  XVIII,  3. 

6.  Archaeological  Survey  of  India   vol.   I  (1871),    p.    72, 


390  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

et  de  Tirhut,  qui,  avec  leurs  cannelures  arrondies  et 
relevées  à  Textrémité,  rappellent  le  chapiteau  persé- 
politain.  Tels  sont  encore  les  chapiteaux  desstarabhas 
élevés,  l'un  près  de  la  porte  orientale  de  Bharhut, 
l'autre  à  Tentrée  du  caitya  de  Bedsâ  et  de  celui  de 
Karli,  ainsi  que  les  chapiteaux  des  quinze  piliers,  qui 
se  dressent  de  chaque  côté  à  l'intérieur  de  ce  dernier, 
et  ceux  des  colonnes  de  Nàsik*.  Parfois  comme  dans 
les  piliers  du  caitya  de  Kanheri,  par  exemple,  la  cam- 
pane  du  chapiteau  est  remplacée  par  un  tore  analogue 
à  celui  de  la  base'  ;  d'autres  fois  enfin  les  chapiteaux  ont 
la  forme  octogonale  ou  même  carrée  comme  le  fût  '. 
Dans  les  chapiteaux  des  stambhas  d'Açoka,  au-dessous 
de  la  campane  court  un  double  filet  garni  d'oves  ou 
de  lignes  obliques;  au  dessus  un  filet  encore  la  sépare 
de  l'abaque,  qui,  parfois  uni,  plus  souvent  couvert  de 
divers  ornements,  supporte  un  éléphant  ou  un  lion  *. 
Ces  formes  si  simples  ne  tardèrent  pas  à  se  compli- 
quer ;  on  éleva  au-dessus  de  l'abaque  comme  un  second 
chapiteau,  composé  tantôt  d'une  campane  en  sens 
inverse  de  la  première,  tantôt  d'une  espèce  de  dé,  orné 
de  diverses  sculptures  et  de  filets  superposés,  qui,  en 
nombre  variable,  font  saillie  les  uns  sur  les  autres  ^ 

pi.  XXV  et  p.  271,  pL  XLVI.  —  F'ergusson,  I/islory,  p.  5'i, 
fig.  5  et  6. 

1.  J.  Fergusson,  Ilislory,  p.  il3,  il'i,  118,  120  et  150,  fig.  50, 
52,  55,  56  et  79. 

2.  Jas.  Burgess,  Report  on  the  Buddhist  Cave  Temples,  p.  62, 
fig.  21. 

3.  Piliers  des  vihàras  16  et  17  d'Ajantà.  Fergusson,  Histori/y 
p.  15'i  et  156,  fig.  8'i  et  86. 

4.  J.  Fergusson,  liistory,  p.  54,  fig.  5  et  6. 

5.  Piliers  de  la  nef  de  Karli  et  des  grottes  de  Nahapana  et  de 
Gautamiputra  près  de  Nâsik.  Fergusson,  Ilisiory,  p.  120  et 
150,  fig.  56,  79  et  80. 


LES  PLANTKS  DANS  L'ART  391 

Si  les  chapiteaux  campaniformes  ou  persépolitains 
ont  été  parfois  remplacés  par  d'autres  formes  archi- 
tectoniqiies  dans  les  monuments  de  l'Inde  septentrio- 
nale et  centrale,  ils  n'en  ont  pas  moins  été  les  plus 
employés  dans  toute  cette  région  jusqu'à  la  fin  de 
l'époque  bouddhique.  Ils  ont  même  pénétré  dans  le 
Gandhâra;  les  chapiteaux  des  pilastres  qui  encadrent 
certains  bas-reliefs  trouvés  dans  cette  contrée  sont 
persépolitains*;  mais  c'est  là  une  exception;  les  co- 
lonnes des  vihàras  si  communs  autrefois  dans  le  Gan- 
dhâra sont  grecques;  quelquefois  ioniques ',  elles  sont 
corinthiennes  d'ordinaire  ;  elles  ont  la  base  simple,  le 
ffitnu,  qui  caractérise  cet  ordre,  avec  le  chapiteau  orné 
de  larges  feuilles  d'acanthe,  sous  la  retombée  des- 
quelles, trait  particulier  à  l'architecture  gréco-boud- 
dhique, se  dressent  souvent  des  statuettes  du  Réfor- 
mateur'. 

L'état  de  ruines  dans  lequel  se  trouvent  les  stupas 
encore  existants  rend  difficile  de  dire  quelle  en  était 
la  décoration;  si  l'on  s'en  rapportait  au  dessin  d'un 
stupa  qu'on  voit  sur  la  balustrade  d'Amaràvatî  *,  l'or- 
nementation de  ces  monuments  eût  offert  la  variété  la 


1.  Relief  de  Jamàlgârhi.  A.  Grùnwedel,  Buddhistische  Kumt, 
p.  121.  —  Relief  de  Mohammed  Nàrî.  H.  Cola,  PresertMlion  of 
national  MonumenU  of  India,  S.  1.  (1885),  in-fol.  Graeco-Bud- 
dhist  sculptures  from  Yuzufzai,  pi.  I. 

2.  Fergusson,  Ilistoryy  p.  176,  fig.  97. 

3.  Fergusson,  Ilistori/y  p.  173,  fig.  9'i  et  95. —  Cola,  Graeco- 
Buddhist  sculptures  from  Yusufzai,  pi.  X,  XIII,  XV. 

'i.  Fergusson,  Ilistory,  p.  72,  11g.  17.  On  peut  en  rapprocher 
le  stùpa  sculpté  sur  une  muraille  an  marbre  du  monument 
bouddhiste  de  Bauddha  Vanam  près  Ghantaçâla  dans  Tlnde 
méridionale.  Alex.  Rea.,  South  Indian  Budkist  Antiquities, 
pi.  XXVII  (Archaeological  Survey  of  India.  New  Séries,  vol. 
XV  (1894),  Madras,  in-4). 


392  LKS  PLANTKS  CHEZ  LKS  IlINDOrS 

plus  grande;  des  épisodes  de  la  vie  du  Buddha,  des 
scènes  d'adoration,  etc.,  y  auraient  été  sculptés  en 
bas-reliefs  ;  des  chapelles,  encadrées  de  piliers,  se 
seraient  élevées  sur  le  pourtour  ;  des  lions  accroupis 
se  dressaient  sur  les  entablements  et  des  guirlandes  en 
auraient  décoré  le  dôme,  surmonté  d'une  élégante  ba- 
lustrade non  moins  ornée.  Mais  peut-être  n'est-ce  là 
que  le  dessin  embelli  du  stûpa  même  d'Amarâvatî  et 
du  railing  qui  l'entourait.  A  l'origine  la  surface  des 
stupas  paraît  avoir  été  nue  ou  à  peu  près  ;  la  plupart 
des  dagobas  sculptés  sur  la  balustrade  de  Sànchi* 
n'ont  d'autre  décoration  qu'une  guirlande  qui  les  en- 
toure à  rai-hauteur.  Toutefois,  les  stupas  proprement 
dits  furent  de  bonne  heure  aussi  couverts  d'ornements 
géométriques  ;  il  s'en  trouvait  sur  les  topes  de  Jara- 
sanda-ka-Baithak  et  de  Bîmaràn  dans  le  Gandhâra', 
on  ajouta  bientôt  aussi  à  ces  dessins  des  ornements 
d'origine  végétale  :  lotus  stylisés,  fleurons,  feuillage 
conventionnel,  comme  on  le  voit  sur  un  panneau  heu- 
reusement conservé  de  Sarnath  '. 

Mais  si  nous  ne  pouvons  parler  que  par  induction 
de  l'ornementation  des  stupas,  il  n'en  est  pas  de  môme 
de  celle  des  balustrades  qui  les  entouraient  ;  les  tra- 
vaux qui  ont  été  consacrés  à  quelques-uns  de  ces  mo- 
numents nous  ont  fait  connaître  quelle  en  était  la 
richesse  et  la  diversité  ;  les  artistes  qui  ont  sculpté,  en 


1.  .1.  Fergusson,  The  tree  Worship.  London,  1868,  in-fol., 
pi.  XXVIII,  1  et  3. 

2.  Cunninphani,  Archneologicnl  Survry  of  India,  vol.  I 
(1871),  pi.  XV.  —  H.  H.  Wilson,  Ariana  anh'qua,  p.  70  et  72; 
pi.  IIF,  2et3. 

3.  Fergusson,  History,  p.  68,  fîg.  15.  —  F.  Schlagintweit, 
Indien  in  Worl  und  Bild,  vol.  I,  p.  55  et  57. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  393 

particulier,  les  balustrades  de  Bharhut,  de  Sânchi  et 
d'Amarâvati  \  pour  ne  rien  dire  de  celle  de  Bodh- 
Gayâ',  ont  déployé  dans  la  décoration  toutes  les 
ressources  du  talent  le  plus  libre  d'entraves  et  de 
Tesprit  le  plus  inventif.  Ils  ont  entassé  sur  les  cloisons, 
mais  surtout  sur  les  larges  piliers  et  la  triple  archi- 
trave des  portes  monumentales,  qui  conduisent  au  tope 
central,  les  motifs  d'ornementation  les  plus  divers  ; 
médaillons  curieusement  ciselés,  dessins  géométriques, 
fleurs  naturelles  ou  conventionnelles,  épisodes  de  la 
vie  du  Buddha,  légendes  se  rapportant  à  ses  nais- 
sances antérieures  —  Jàlakas,  —  représentations  du 
culte  des  arbres  et  du  serpent,  des  dagobas  et  de  la 
roue,  personnages  debout  ou  montés  à  cheval  ou  sur 
des  éléphants,  animaux  seuls  ou  en  groupe  sur  les 
piliers  ou  sur  les  architraves,  etc.,  font  de  ces  balus- 
trades des  merveilles  de  l'art.  Les  façades  de  plusieurs 
caityas^  ou  viharas  n'offraient  pas  une  décoration  moins 
riche  ou  moins  originale. 

C'est  au  monde  végétal  que  les  artistes  hindous  en 
ont  emprunté  les  plus  beaux  motifs,  et  presque  tous 


1.  La  balustrade  do  lUiarhut  est  de  la  fin  du  in«  ou  des  pre- 
mières années  du  ii«  siècle  avant  Jésus-Christ;  celle  de  Sànchi, 
commencée  vers  le  milieu  du  n«  siècle,  n'a  été  terminée  qu'au 
commencement  de  notre  ère.  La  balustrade  d'Amaràvati  est 
beaucoup  plus  récente;  la  partie  extérieure,  la  plus  ancienne 
aussi,  parait  avoir  été  commencée  seulement  l'an  319  de  notre 
ère;  la  partie  intérieure  plus  moderne  ne  semble  l'avoir  été 
que  vers  400.  P'er^usson,  History,  p.  85.  —  A.  Cunningham, 
The  Siûpa  of  Bharhut^  p.  14.  —  Griinwedel,  Buddhistische 
Kunst,  p.  26. 

2.  r^unningham,  Archncological  Survey  of  India,  vol.  I 
(1871),  p.  1-lt,  pi.  Vill-XI. 

3.  La  façade,  par  exemple,  du  caitya  souterrain  n*»  19 
d'Ajantâ.  Fergusson,  Uistory,  p.  125,  fig.  60. 


394  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

lui  ont  fait  une  large  place  dans  les  scènes  dont  ils  ont 
embelli  les  monuments.  Parmi  les  bas-reliefs  les  plus 
anciens  de  ces  monuments,  il  en  est  peu  où  n'aient  été 
sculptés  quelque  arbre  ou  quelque  plante.  Sur  les  bas- 
reliefs  où  est  représenté  le  culte  des  arbres,  c'est,  on 
le  comprend,  un  arbre,  quelle  qu'en  soit  la  nature,  qui 
forme  le  centre  de  la  représentation.  Ailleurs  les  arbres 
apparaissent  comme  l'emblème  ou  la  demeure  des  divi- 
nités dont  on  raconte  l'histoire,  ou  bien  ils  forment 
l'encadrement  delà  scène  sculptée  par  l'artiste.  Aussi 
les  retrouve-t-on  à  profusion  sur  la  balustrade  de 
Bharhut,  plus  encore  sur  celle  de  Sânchi,  parfois  aussi 
à  Bodh-Gayâ  et  à  Amaràvati.  On  voit,  par  exemple, 
sur  deux  bas-reliefs  de  Bharhut,  se  dresser,  ici  un 
pâtali,  là  un  àmalaka  ou  un  nimba*,  le  premier  à  côté 
de  la  devatà  Culakokà,  le  second  près  de  la  yakshini 
Candâ,  et  une  branche  fleurie  de  ces  arbres  ombrage 
la  tête  des  deux  divinités  gardiennes,  l'une  de  la  porte 
Sud,  l'autre  de  la  porte  Nord  du  stupa.  Sur  l'archi- 
trave du  même  monument  est  sculpté  un  arbre  du  tronc 
duquel  sortent  deux  mains,  qui  donnent,  l'une  le  boire, 
l'autre  le  manger  à  un  homme  assis  '. 

Les  arbres  sont  un  élément  indispensable  dans  la 
représentation  des  scènes  sculptées  sur  ces  deux  bas- 
reliefs  ;  non  moins  indispensable  est  la  présence  sur 
deux  sculptures  de  l'architrave,  ici  des  tiges  de 
bambous  que  mangent  avidement  des  éléphants,  là  du 
riz  —  Cunningham  dit  à  tort,  je  crois,  du  froment,  — 
que  coupe  une  femme',  nécessaires  à  l'intelligence  de 

1.  Al.  Cunningham,   Tke  Stupa  of  Bharhut,  pi.  XXII,  3  et 
XXIII,  3. 

2.  The  Stûpa  of  Bharhut.  pi.  XLVIII,  11. 

3.  The  Siùpa  of  Bharhut,  pi.  XL,  2  et  XLVI,  6. 


LES  PLANTES  DANS  L^\RT  395 

la  scène  représentée  par  Tartiste  du  stupa.  Peut-être 
aussi  le  bananier,  si  c'est  un  bananier,  que  Cunninghara 
a  cru  reconnaître  près  d'un  arbre  à  Tarrière-plan  d'un 
petit  tableau  d'intérieur,  sculpté  sur  la  même  partie  du 
même  monument,  contribuet-il  aussi  à  en  indiquer  la 
signification  ;  mais  je  ne  vois  guère  qu'un  accessoire 
dans  les  kharjùras,  placés  sur  un  pilier  de  chaque  côté 
d'une  scène  d'adoration,  sinon  dans  les  deux  tilas 
—  ce  sont  peut-être  des  arbres  sacrés,  —  qui  se  dres- 
sent devant  un  palais  sur  un  autre  bas-relief*. 

C'est  plus  qu'un  accessoire,  c'est  un  élément  de 
vérité  dans  les  scènes  représentées,  que  les  deux  arbres 
du  bas-relief,  où  Ton  voit  un  rishi,  assis  près  d'un 
cours  d'eau,  avec  unpanierde  provisions,  en  compagnie 
de  deux  chats  et  de  deux  chiens,  ou  les  arbres  placés 
à  l'arrière-plan  de  deux  autres  bas-reliefs  représentant, 
le  premier  un  rishi  accroupi,  qui  paraît  s'entretenir 
avec  unnâga;  le  second,  un  homme  sur  le  point  d'égor- 
ger une  antilope  ^  Plus  grand  encore  est  le  rôle  que 
jouent  les  arbres  sur  deux  bas-reliefs,  qui  représentent, 
l'un,  un  jardinier  et  des  singes  qu'il  a  chargés  d'arro- 
ser le  parc  confié  à  ses  soins'^  ;  l'autre,  un  combat  humo- 
ristique livré  par  des  singes  à  des  passants.  Sur  un 
troisième  bas-relief,  où  l'on  voit  deux  hommes,  des 
moines  peut-être,  et  deu'x  singes,  dont  l'un,  grimpé  sur 
un  arbre,  paraît  les  regarder,  un  autre  arbre  a  été 
ajout*  par  l'artiste  pour  donner  plus  de  pittoresque  au 
tableau  *. 

1.  The  Stùpa  bf  BImrhal,  pL  XIV,  6;  XIII,  2  et  XXX,  'i. 

2.  The  Stùpa  of /iharhiU,  pi.  XLVI,  2  ;  XLII,  l.et  XLIII,  8. 

3.  Aràmadùsa-hilaka.     Slnries    of   Ihn    Buddhas    former 
nirths.  Vol.  I,  p.  118,  et  H,  237.  >>•  '«6  et  268. 

4.  The  Stùpa  ofBharhut,  pi.  XLV,  5  ;  XXXHI,  4  et  XLV  I,  8; 
p.  75  et  76. 


396  LES  PLANTKS  CHEZ  LES  HINDOUS 

Les  arbres,  on  le  comprend,  ne  sont  pas  moins  néces- 
saires pour  rintelligence  des  scènes  suivantes  sculptées 
sur  deux  médaillons  du  même  Bharhut*-.  Sur  le  premier, 
qui  représente  le  Nigrodhaîniga-Jdtaka,  légende  qui  se 
rapporte  à  une  incarnation  du  Buddha  en  cerf,  les  trois 
arbres  qu'on  aperçoit  au  haut  du  bas-relief  sont  desti- 
nés à  figurer  la  forêt,  qui  sert  d'abri  au  cerf  et  aux  cinq 
biches  dont  il  est  accompagné.  Au-dessous,  pour  com- 
pléter le  tableau  du  légendaire  récit,  on  voit,  traver- 
sant une  rivière,  un  autre  cerf;  plus  loin,  un  chasseur 
qui  le  menace  de  ses  flèches,  tandis  que  trois  person- 
nages les  mains  jointes  semblent  intercéder  en  sa 
faveur.  Sur  le  second,  où  est  sculpté  un  épisode  ana- 
logue —  le  Kitrunga-miga-Jâtaka  —  de  la  vie  du 
Buddha,  celui  où  ce  dernier,  qui,  sous  la  figure  d'un 
cerf  encore,  vit  retiré  dans  la  solitude,  en  compagnie 
d'un  pivert  et  d'une  tortue,  est  menacé  par  un  chasseur 
et  arraché  à  la  mort  par  ses  deux  compagnons,  des 
arbres  figurent  la  forêt  qui  sert  de  refuge  au  cerf  et 
d'abri  au  pivert  et  à  sa  couvée;  plus  bas  est  l'étang, 
asile  de  la  tortue,  et  sur  ses  bords  le  piège  dont  elle 
ronge  la  courroie,  afin  de  délivrer  le  cerf  et  de  rendre 
vaine  la  poursuite  du  chasseur.  Il  n'y  a  point  d'arbre 
sur  un  troisième  bas-relief*,  que  Cunningham  regarde 
comme  le  tableau  d'un  jataka inconnu;  mais  seulement 
des  nélumbos,  emblème  et  signe  caractéristique  d'un 
marais  peu  profond  ;  un  buffle  qu'on  voit  au  milteu  et 
deux  loups,  qui  sont  sur  les  bords,  l'un  accroupi,  l'autre 


1.  The  Stûpa  of  Dharhtit,  p.  51,  pi.  XXV,  1  et  XLIIÏ,  2; 
p,  67,  pL  XXVII,  9.  —  St07'i€s  of  the  Buddha  s  former  Births, 
vol.  I,  p.  39  et  II,  106.  N«'*  12  et  206. 

2.  The  Slùpa  of  Bharhut,  p.  69,  pi.  XXVII,  10. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  397 

qui  semble  pris  à  un  piège,  complètent  ce  tableau  sym- 
bolique. 

Sur  le  médaillon  d'un  des  piliers  de  la  balustrade 
du  Sud-Est,  qui  représente  un  épisode  célèbre  de  la 
vie  du  Buddha,  la  fondation  du  monastère  de  Jeta- 
vana  par  Anapidu  —  Anâtha-pindika  —  les  arbres 
reparaissent  et  y  jouent  un  rôle  indispensable'.  Au 
premier  plan,  on  en  voit  trois,  qui  figurent  sans  doute 
le  jardin  du  prince  Jeta  ;  plus  loin  se  dressent  deux 
temples  et  au-dessous  du  premier  et  à  droite  du  second 
un  arbre  sacré,  entouré  d'un  balustrade;  à  gauche  des 
deux  temples,  six  personnages,  peut-être  le  prince  Jeta 
et  ses  amis  ;  sur  le  devant  un  chariot,  dont  les  bœufs 
dételés  se  reposent;  en  face,  deux  hommes,  que  Cun- 
ningham  croit  être  Anepidu  lui-même  et  son  trésorier; 
plus  haut  deux  autres  personnages  assis,  occupés,  il 
semble,  à  couvrir  la  surface  du  jardin  des  pièces  d'or 
qui  doivent  servir  à  en  payer  l'acquisition  ;  enfin  au 
milieu  du  tableau  un  autre  personnage  tenant  des  deux 
mains  le  vase  —  kalaça  —  qui  contient  l'eau  de  la 
donation*. 

On  voit  à  quel  point  les  arbres  des  divers  bas-reliefs 
que  je  viens  d'étudier  servent  à  l'intelligence  des  scènes 
qui  y  sont  représentées.  Il  en  est  de  même  de  ceux  qui 
se  dressent  sur  quatre  sculptures  dont  il  me  reste  à 
parler^;  les  manguiers  du  médaillon,  intitulé  Asadisa- 


1.  The  Slûpa  of  Bharhut,  p.  84,  pi.  XXVIIÏ,  3  et  pi.  LVII. 
—  Spense  Hardy,  Manual  of  Buddhism,  p.  218-219. 

2.  A.  Foucher,  Scènes  figurées  de  la  léf/ende  du  Bouddha. 
{Htudes  de  critique  et  d'histoire,  2«  série,  1896,  p.  113). 

3.  The  Stûpa  of  Bharhut,  pi.  XXVI,  1;  XXVH,  13;  XLV'lI, 
5  et  9  ;  p.  58,  70,  77.  Asadi.sa,  Latukika  et  Kukkuta-Jâtaka. 
Stories,  H,  60  ;  III,  115  et  168. 


398  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Jdtaka,  qui  représente  le  fils  du  roi  de  Bénarès  abat- 
tant avec  sa  flèche  un  fruit  de  Tun  d'eux,  ainsi  que 
Tarbre,  sur  lequel  on  voit  perchés,  ici  une  caille  mé- 
ditant la  vengeance  qu'elle  tirera  d'un  éléphant,  qui  a 
écrasé  sa  couvée;  là  un  coq,  qu'un  chat  essaie  en  vain 
de  faire  descendre  de  ce  lieu  de  sûreté;  ou  l'arbre  dans 
lequel  nous  voyons  se  réfugier  une  femme,  que  deux 
chacals  semblent  poursuivre. 

Les  artistes  du  stùpa  de  Sanchi  n'ont  pas  moins  que 
ceux  de  Bharhut  fait  au  monde  des  plantes  une  large 
place  dans  les  scènes  qu'ils  y  ont  sculptées  ;  ils  n'ont 
même  pas  hésité,  dans  leur  goût  pour  la  nature  végé- 
tale, à  mettre  des  plantes  et  des  arbres  dans  des  tableaux, 
où  leur  présence  était  sans  utilité  ou  sans  rapport  avec 
le  sujet.  Ainsi  sur  un  bas-relief  qui  représente  le  culte 
du  serpent*,  on  voit  à  l'arrière-plan  des  arbres,  dans 
l'un  desquels,  un  figuier  peut-être,  un  singe  se  régale 
de  fruits;  au  centre  paraît  le  dieu  entouré  de  ses  ado- 
rateurs, et  au  premier  plan  se  déroule  une  scène  cham- 
pêtre, aux  bords  d'un  étang  couvert  de  nélumbos  et 
sur  lequel  nagent  des  oies  de  Brahmâ.  Sur  un  autre 
bas-relief*,  où  est  représentée  la  roue  sacrée,  à  la- 
quelle viennent  rendre  hommage  ses  adorateurs,  ac- 
compagnés d'une  troupe  de  cerfs,  des  arbres  de  diverses 
espèces,  dont  l'un  pourrait  bien  être  un  bilva,  rem- 
plissent tout  le  fond  du  tableau.  De  même  on  voit  au 
coin  d'un  bas-relief,  où  est  sculptée  une  scène  d'ado- 


1.  J.Fergusson,  Tree  and  Serpent  Worship.  Sànchi,  pi.  XXIV, 
1.  Face  intérieure  de  la  porte  orientale.  —  F.  (/.  Maisey,  Sdn- 
chi  and  ils  remains.  London,  1892,  in-fol.,  pi.  XllI,  2. 

2.  Tree  Worship,  pi.  XXIX,  2.  —  Maisey,  Sànchi,  pi.  XXVÏ. 

3.  Tree  worship^  pi.  XXVII,  2.  Porte  occidentale.  Le  sculp- 
teur de  la  porte  méridionale  n  a  pas  oublié  non  plus  de  cou- 


LES  PLANTES  DANS  VkWt  399 

ration,  un  petit  étang  couvert  de  lotus,  avec  des  plantes 
aquatiques  et  deux  arbres  ombreux  sur  les  bords. 
Deux  grands  arbres  se  dressent  aussi,  à  côté  de  Tarbre 
sacré,  dans  un  bas-relief  de  la  porte  septentrionale*, 
de  manière  à  remplir  tout  Tarrière-plan.  Tout  en  sculp- 
tant trois  brahmanes,  qui  préparent  du  feu  devant  un 
dagoba,  tandis  que  deux  disciples  apportent  du  bois 
de  la  forêt  prochaine,  l'artiste  du  pilier  de  la  porte 
orientale  a  eu  soin  de  représenter  au  fond  du  tableau 
des  arbres  chargés  de  fleurs  et  de  fruits  *.  Celui  de  la 
porte  septentrionale,  qui  a  voulu  représenter  un  vil- 
lage, dans  lequel  pénètrent  deux  rajas,  pendant  que  les 
habitants  se  livrent  à  leurs  occupations  habituelles  ', 
n'a  eu  garde  également  d'oublier  les  arbres  qui  om- 
bragent leurs  maisons  ou  bordent  la  route,  ainsi  que 
la  pièce  d'eau  voisine  avec  ses  lotus  et  ses  roseaux. 

Même  soin  du  décor  emprunté  au  monde  végétal, 
dans  la  représentation  des  scènes  empruntées  à  la  vie 
de  Çàkjamuni.  On  ne  voit  qu'un  arbre,  il  est  vrai,  sur 
un  bas-relief*,  qui  nous  montre  le  jeune  prince  sortant 

vrir  des  lotus  traditionnels  une  pièce  d'eau  où  Ton  voit  des 
baigneurs  s'exercer  à  nager,  et  sur  laquelle  vogue  une  barque 
chargée  d'une  espèce  de  châsse.  PI.  XXXI,  1. 

1.  Tree  worship,   pi.  XXVI,  2.  —  Maisey,  Sànchi,  pl.  IX,  1. 

2.  Tree  worship,  pi.  XXXII,  1.  —  F.  C.  Maisey,  Sânchi 
and  Us  Remains j  pl.  XIII,  \.  —  Griinwedel,  Buddhislische 
Kunst  in  Indien,  p.  65,  fig.  24. 

3.  Tree  worship,  pl.  XXXII,  2.  Une  pièce  d'eau  avec  ses 
lotus  se  voit  aussi  au  premier  plan  d'un  bas-relief  du  pilier  de 
gauche  de  la  porte  orientale,  où  est  représentée  une  vaste 
villa,  près  de  laquelle  des  femmes  se  livrent  aux  occupations 
préliminaires  de  la  fabrication  du  pain  (Pl.  XXXV,  2).  On 
voit  aussi  un  étang  avec  des  roseaux  et  un  arbre  dans  un 
autre  bas-relief  qui  représente  une  espèce  de  village  (Pl. 
XXXVI,  1). 

4.  Tree  worship.  j)l.  XXXIV,  2. 


400  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

monté  sur  son  cheval,  hors  des  murs  de  Kapilavastu  ; 
mais  les  arbres  sont  nombreux  dans  le  vaste  tableau, 
où  Tartiste  a  sculpté  les  principaux  événements  de  la 
vie  du  Réformateur*  :  sa  descente  dans  lo  sein  de  Maya, 
endormie  sur  la  terrasse  du  palais,  sa  sortie  triom- 
phante de  la  capitale,  monté  sur  son  char  et  accom- 
pagné d'une  suite  nombreuse,  puis  son  arrivée  au  pied 
de  Tarbre  de  Tlntelligence,  où  il  se  dépouille  de  ses 
vêtements  royaux,  en  présence  de  ses  cinq  disciples. 
Derrière  ceux-ci  sont  sculptés  deux  arbres  et  un  ar- 
brisseau; au-dessus  de  l'arbre  de  Rodhi  se  dressent 
trois  autres  arbres  :  un  tâla,  peut-être  un  manguier  et 
un  saptaparna  ou  un  âmalaka.  Sur  un  autre  bas-relief  ^ 
six  arbres  encadrent  la  scène  de  l'inondation,  provo- 
quée par  le  Buddha,  pour  amener  la  conversion  de 
Kâçyapa;  un  arbre  de  Bodhî,  symbole  du  Réfor- 
mateur, que  l'artiste  n*apas  cru  devoir  représenter  lui- 
même,  puis  cinq  arbres  d'espèce  différente  —  des 
singes  mangent  les  fruits  de  l'un  d'eux  —  surgissent 
du  milieu  des  flots  agités  ;  une  barque  d'une  simplicité 
primitive,  dans  laquelle  est  monté  Kâçyapa  avec  deux 
brahmanes,  vogue  sur  les  eaux  débordées,  au  milieu  des 
lotus  qui  les  couvrent  et  des  oiseaux  aquatiques  qui  y 
prennent  leurs  ébats. 

Il  faut  encore  mentionner  deux  bas-reliefs  bien  dif- 
férents, mais  sur  lesquels  le  sculpteur  hindou,  et  c'est 
pour  cela  que  j'en  parle,  a  donné  aux  arbres  une  place 
considérable.  Sur  lepremier  malheureusement  en  partie 
effacé,  qui  représente  une  campagne  traversée  par  une 

1.  Tree  worship j  pi.  XXXIII.  Pilier  droit  de  la  porte  orien- 
tale. 

2.  Tree  worship.  pi.  XXXI,  2.  Façade  de  la  porto  orientale. 
—  Griinwedel,  Buddhislische  Kunst  in  Indien^  p.  64,  fig.  23. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  401 

rivière  \  on  aperçoit  vers  le  bas,  à  gauche,  un  guerrier 
tirant  une  flèche,  en  présence  d*un  râja  et  au  son  de  la 
musique,  tandis  qu'au  delà  du  ruisseau  des  biches  se 
reposent  à  l'ombre  des  arbres,  dans  lesquels  des  singes 
se  jouent.  Sur  le  second  bas-relief*  est  représenté  une 
espèce  de  jardin  de  plaisance,  avec  ses  kiosques,  ses 
plantes  verdoyantes  et  ses  fleurs  ;  une  vaste  pièce  d'eau 
couverte  de  lotus  en  occupe  toute  la  partie  basse  ;  près 
d'elle  et  sous  les  kiosques  quatre  couples  joyeux  s'en- 
tretiennent et  se  désaltèrent  \ 

Malgré  le  nombre  et  la  variété  des  bas-reliefs 
d'Amarâvatî,  malgré  l'intérêt  qu'ils  peuvent  présenter 
au  point  de  vue  historique,  ils  n'offrent  presque  rien 
qui  doive  nous  arrêter  ;  c'est  que,  dans  les  scènes  qui 
y  sont  sculptées,  les  artistes  n'ont  donné  qu'une  place 
insignifiante  au  monde  végétal.  On  pourrait  croire 
qu'ils  ont  été  moins  sensibles  que  ceux  de  Sânchi  aux 
beautés  de  la  nature.  Sur  le  bas-relief  d'un  disque  de 
la  balustrade  extérieure,  où  un  ràja,  monté  sur  un  élé- 
phant avec  deux  de  ses  femmes,  nous  est  montré  tra- 
versant, lui  et  sa  suite,  une  rivière  dans  un  bac,  on 
ne  voit  à  l'arrière-plan  que  deux  arbres  sans  caractère 

î.  Tree  worship,  pi.  XXXVl,  2.  Pilier  de  la  porte  occiden- 
tale. Fergusson,  p.  137,  a  cru  voir  dans  ce  bas-relief  la  repré- 
sentation d'un  épisode  qui  précéda  le  mariage  de  Çàkyamuni. 
Au-dessus  de  cette  scène  s'en  trouve  une  autre  —  le  Sàma- 
Jâtaka,  d'après  M.  A.  Foucher,  Scènes  figurées,  p.  105,  — 
qui  offre  un  paysage  semblable. 

2.  Tree  worship,  pi.  XXXVII,  2.  —  F.-C.  Maisey,  pi.  XXII, 
1.  Une  scène  analogue  est  représentée  sur  un  autre  bas- 
relief  (pi.  XXXVII,  1). 

3.  S.  Beal,  Some  remarks  on  ihe  Great  Tope  at  Sânchi. 
(Journal  of  the  Royal  Asialic  Society.  New  Séries,  vol.  V, 
p.  119)  a  voulu  voir,  assez  plaisamment,  dans  ces  scènes  réa- 
listes, un  tableau  des  a  Joies  du  ciel  ». 

JoKKT.  —  Les  Piaules  dans  Vautiquiiè.  li.  —  20 


précis.  Sur  un  autre  bas-relief  de  même  provenance  \ 
qui  représente  à  la  fois  le  culte  du  trident  et  un  roi 
des  Nâgas,  assis  sur  un  trône  avec  deux  de  ses  femmes 
et  entouré  de  sa  cour,  rien  ne  rappelle  le  règne  végétal 
que  des  nélunibos  d'une  pièce  d'eau  sur  laquelle  nagent 
des  oies,  et  de  chaque  côté  un  arbre  indéterminé, 
auquel  une  Nâgi  semble  attachée  par  un  bras.  Le  sculp- 
teur des  bas-reliefs  de  la  frise,  qui  a  représenté  à 
gauche  une  espèce  de  litière  *  portée  par  des  hommes, 
avec  des  cavaliers  en  marche  et  à  droite  deux  trou- 
peaux de  buffles  n'a  mis  qu*un  arbre  au  centre  de  la 
composition  et  deux  autres  d'espèce  différente  à  Tar- 
rière-plan.  Il  y  en  a  trois  de  forme  et  d'aspect  sem- 
blables', qui  se  dressent  au  milieu  des  scènes  diverses 
représentées  sur  un  bas-relief  du  même  monument  ; 
mais  ce  sont,  il  semble,  des  arbres  sacrés. 

Dans  les  scènes  sculptées  sur  le  stùpa  d'Amàravaiî 
le  monde  des  plantes,  on  le  voit,  figure  à  peine  ;  il  est 
inutile  aussi  de  nous  y  arrêter  plus  longtemps.  Les  autres 
monuments  bouddhiques  de  la  région  gangétique  et  de 
l'Inde  centrale  n'ayant  aucun  bas-relief,  analogue  à  ceux 
dont  il  vient  d'être  question,  il  est  encore  moins  besoin 
d'en  parler*.  Il  me  faut  dire  un  mot,  au  contraire,  des 
bas-reliefs  du  Gandhara,  sur  lesquels  des  épisodes  de 
la  vie  du  Buddha  ont  été  représentés.  Les  artistes  qui 
les  ont  sculptés  ont  eu  soin,  comme  ceux  d'Amâravatî, 


1.  Tree  worshlp,  pi.  LXXII,  1  et  2. 

2.  Tree  worship,  pi.  LXXXIV,  1. 

3.  Tree  worahip,  pi.  LXXXVI. 

4.  Tout  au  plus  y  aurait-il  lieu  de  mentionner  l'arbre  de 
Bodhi  qui  ombrage  la  niche  dans  laquelle  on  voit,  sur  une 
poterie  de  Bodh-Gayâ,  un  Buddha  assis  au  milieu  de  petits 
stupas.  Musée  de  Berlin,  ap.  Grùnwedel,  p.  156,  fig.  87. 


LES  PLANTES  DANS  L»ART  403 

de  Sânchi  et  de  Bharhut,  d*y  placer  quelque  plante  ou 
quelque  arbre  pour  figurer  le  paysage  au  milieu  duquel 
se  passe  la  scène.  Ainsi  sur  un  bas-relief  qui  nous 
montre  le  Réformateur  accompagné  de  Vajrapânî, 
s'entretenant  avec  un  nfiga,  on  voit  un  arbre  se  dresser 
derrière  ces  personnages*.  Un  arbre,  sur  un  bas-relief 
du  Musée  de  Lahore,  figure  le  bois  de  Lumbinî,  où 
naquit  le  prince  Siddhârtha.  Sur  un  autre  bas-relief 
du  môme  Musée  on  voit  des  lotus,  que  le  Buddha  a  fait 
miraculeusement  surgir,  en  versant  de  Teau  sur  le  sol, 
et  des  arbres  fleuris  qui  ornent  le  fond  du  tableau*. 
Deux  arbres,  sur  des  bas-reliefs  deNathu — Nuttu — , 
qui  représentent  la  scène  du  Nirvana,  figurent  les 
çàlas  sous  lesquels  Çâkjamuiri  expira  \  Insoucieux 
de  la  vérité  historique,  le  sculpteur  qui  les  a  faits  a 
donné  à  ces  çàlas  Taspect  de  palmiers  ;  on  pourrait 
croire  que  les  artistes  du  Gandhàra  et  du  pays  des  Yû- 
sufzai  aimaient  à  représenter  de  préférence  ces  derniers 
arbres;  ils  les  ont  prodigués;  ainsi  sur  un  bas-relief 
qui  nous  montre  le  Buddha  rendant  visite  à  Termite 
Kâçyapa  dans  son  bois  de  bilvas,  c'est  un  palmier  qui 
a  été  substitué  à  ceux-ci.  Ce  sont  encore  des  palmiers, 
probablement  des  kharjùras,  qui  se  dressent  de  chaque 
côté  d'une  niche  où  le  Buddha  apparaît  entouré  d'ado- 
rateurs*. 

Si  on  ne  voit  pas  sur  tous  les  monuments  de  l'Inde 

i.  Grûnwedel,  Buddhistische  Kunst,  p.  102,  fig.  47. 

2.  Grûnwedel,  p.  125,  fig.  65  et  p.  119,  fig.  60. 

3.  H.-H.  Cole,  Graeco-Buddhist  Sculptures  from  Yûsufzai, 
pi.  XVI  et XXII.  —  Grûnwedel,  p.  111,  112  et  113,  fig.  54,  55 
et  58. 

4.  H.-H.  Cole,  Graeco-Buddhist  Sculptures,  pi.  IX  et  XII.  — 
Au-dessus  de  la  tête  du  Buddha  se  courbent  des  branches  de 
jacquier,  arbre  inconnu  dans  le  Gandhàra. 


40i  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

des  scènes  où  figurent  des  arbres  et  des  plantes  ;  sur 
tous,  les  motifs  de  décoration,  tirés  du  règne  végétal, 
se  rencontrent  à  profusion  et  dans  une  étonnante  va- 
riété ;  mais  ils  peuvent  se  ramener  à  trois  formes  prin- 
cipales :  la  palmette,  le  lotus  —  fleur,  bouton  et  fruit 
—  et  le  fleuron,  avec  le  médaillon  qui  en  est  sorti.  La 
palmette,  que  les  artistes  de  Tlnde  semblent  avoir  em- 
pruntée à  l'architecture  iranienne,  apparait  sur  les  plus 
anciens  monuments  ;  un  listel  du  stambha  d'Allahabàd 
etTabaque  de  celui  de  Sankissa  ont  pour  ornement  des 
palmettes*,  qui,  flanquées  de  chaque  côté  de  fleurons, 
se  dressent  entre  des  lotus  conventionnels,  motif  de 
décoration  qui  rappelle  ceux  des  monuments  de  Persé- 
polis.  Une  palmette  aussi  se  dresse  derrière  les  lions 
sur  le  chapiteau  des  piliers  de  la  porte  orientale  à 
Bharhut,  et  des  palmes  sont  sculptées  au-dessous  de 
la  tête  de  chacun  de  ces  animaux^.  Des  palmettes, 
flanquées  de  fleurons  séparent  les  lions  ailés,  qui  cou- 
rent sur  Tabaque  d'un  pilier  de  Sànchi  '.  Une  rangée 
de  palmettes  conventionnelles  encore,  accompagnées 
ici  de  boutons,  là  de  fruits  de  nélumbos,  décorent  le 
milieu  des  piliers  do  droite  et  de  gauche  de  la  porte 
septentrionale  du  même  Sànchi,  ainsi  que  la  partie  cen- 
trale d'un  pilier  d'Amaràvatî*. 

Quelque  élégante  qu'elle  soit,   la  palmette  n*a  étc» 
cependant  qu'assez  peu  employée  dans  l'ornementation 

1.  Fergusson,  History^  p.  53  et  5^,  fig.  4  et  5. 

2.  The  Stûpa  of  Bharhut,  pi.  X,  XI  et  XII. 

3.  Fergusson,  Tree  Worship,  pi.  XXXIX,  2.  Une  palmette, 
que  flanquent  deux  boutons  de  lotus,  est  aussi  sculptée  entre 
les  têtes  des  deux  lions  qui  se  dressent  sur  Tabaque  de  ce  même 
pilier. 

4.  F'ergusson,  Tree  Worship,  pi.  X,  XI  et  LXXXIX.  —  Id., 
Hislory,  p.  97,  fig.  34  et  35. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  405 

des jïionuments  de  l'Inde;  il  en  est  tout  autrement  du 
lotus  ou  nélumBo  et  du  fleuron,  que  les  artistes  de  cette 
contrée  ont  empruntés,  comme  elle,  à  ceux  de  l'Asie 
antérieure,  mais  dont  ils  ont  fait  l'usage  le  plus  heu- 
reux et  le  plus  original.  J'ai  parlé  plus  haut  des  rangées 
de  pétales  de  lotus  pointus  ou  arrondis  qui,  motif  de 
décoration  ordinaire  des  monuments  de  la  Perse  et  de 
l'Egypte,  ornent  le  triple  chapiteau  de  la  porte  orien- 
tale de  Bharhut  ;  des  fleurs  de  lotus  à  moitié  ouvertes, 
autre  motif  de  décoration  iranien  et  égyptien,  se  dres- 
sent entre  des  lignes  géométriques,  sur  ierebordde  l'ar- 
chitrave. Des  fleurs  et  des  fruits  de  lotus  servent  aussi 
d'encadrement  aux  médaillons  de  la  porte  orientale  et 
à  certains  bas-reliefs  du  même  stùpa,  par  exemple  à 
celui  qui  représente  le  jardin  de  Jeta*.  Des  fleurs  de 
lotus  accompagnent  aussi  les  médaillons,  qui  décorent 
un  pilastre  de  la  grotle  de  Nasik,  ainsi  que  les  piliers 
de  la  balustrade  extérieure  d'Amaràvatî  ".  On  voit  un 
gros  bouton  de  lotus  do  chaque  côté  de  Tabaque  du 
chapiteau  des  piliers,  couronnés  do  chakras,  des  petits 
topes  de  Sânchi,  tandis  que  de  chaque  côté  de  l'un 
d'eux  sont  sculptées  des  fleurs  épanouies,  entre  les- 
quelles des  boutons  entr'ouverts  sont  opposés  deux  à 
deux  '. 

Les  pétales  qui  décorent  les  chapiteaux  de  Bharhut 
appartiennent,  comme  les  fleurs  de  l'architrave,  aune 
espèce  incertaine  de  lotus  ;  ce  sont  des  fleurs  de  né- 
lumbos,  au  contraire,  qui  pendent,  à  ce  qu'il  semble 
bien,  du  pilier  de  la  porte  orientale  de  Sânchi,  et  qu'on 

1.  The  Stûpaof  Bharhut,  ^\.   XL-LXVIII,  XXVIII  et  LVII. 

2.  Fergusson,  Hûtory,  p.   150,   fig.  80.  —    Tree   Worship, 
p.  168,  fig.  19. 

3.  Tree  Worship,  pi.  X LU,  1  et  2. 


406  LES  PLANTES  CHEZ  I.ES  HINDOUS 

voit  aussi  de  face  sur  les  pilastres  des  petits  topes  de 
cette  localité.  Ce  sont  encore  des  fleurs  et  des  boutons 
de  nélumbos,  que  tient  à  la  main  le  Nàga  qui  se  dresse 
sur  un  chapiteau  de  Bhilsa,  tandis  que,  sur  Tabaque, 
on  voit  des  oies  accroupies  au  milieu  de  touffes  de  cette 
nymphée*.  Des  rangées  de  bouquets  de  nélumbos  en 
fleurs,  séparés  ici  par  des  lions  courants,  là  par  des 
animaux  fantastiques  ou  des  feuillages  conventionnels, 
encadrent  les  bas-reliefs  de  la  frise  ou  les  médaillons 
des  deux  piliers  extérieurs  d'Amaràvatî*.  D*aatresfois 
c'est  une  tige,  couverte  de  boutons  et  de  fleurs,  do 
cette  même  plante,  qui  serpente  gracieusement  autour 
des  médaillons  ou  se  dresse  sur  des  piliers,  dont  elle 
couvre  la  surface  de  ses  méandres,  ici  soutenue  par 
la  main  d'un  enfant,  là  surgissant  d'une  espèce  d'am- 
phore ^.  Plus  tard  les  nélumbos  prirent  des  formes 
conventionnelles  ;  leurs  boutons  s'étalèrent  en  pal- 
mettes,  leurs  feuilles  s'allongèrent  en  feuilles  d'acanthe. 
C'est  ainsi  qu'ils  apparaissent  au  pourtour  de  plusieurs 
médaillons,  sur  des  piliers  évidemment  de  date  plus 
récente  et  au-dessous  d'un  fragment  de  frise  d'Araarà- 
vatî.  On  leur  a  même  parfois  substitué  des  tiges  à 
feuilles  palmées*. 

Des  nélumbos,  qu'on  voit  ainsi  serpenter  autour  des 


1.  Tree  Worship,  pi.  XLV,  1. 

2.  Tree  Worship,  pi.  LVI-LVIII,  2;  LXV,  3.  —  Al.  Rea, 
South  Indian  antiquities,  pi.  XXXVII-XLI. 

3.  Tree  Worship,  pi.  XI,  XIII,  LXXXIX,  1,  3,  4:  XCVI,  4.— 
H. -H.  Cole,  Great  Buddhisl  tope  at  Sanchi,  pi.  VII.  —  Ce  der- 
nier motif  de  décoration  se  retrouve  sur  un  panneau  en  marbre 
de  Bauddha  Vanam.  AI.  Rea,  South  Indian  Buddhist  anli- 
quities,  pi.  XVIII. 

4.  Tree  Worship,  pi.  LXVIII,  LXIX,  LXX,  LXXXIV  et 
LXVII.  —  Al.  Rea,  pi.  XXXIX,  1,  2,  3;  XL,  l,  2. 


LFS  PLANTES  lUNS  L'ART  407 

médaillons  ou  des  bas-reliefs  du  stûpa  d'Amaràvatî,  on 
peut  rapprocher  les  tiges  qui  courent,  sur  Tarchitrave 
de  la  balustrade  de  Bharhut,  autour  des  bas-reliefs 
ou  mênie  des  gros  fleurons  qui  y  sont  sculptés,  tiges 
portant  des  fruits,  ici  de  jacquier,  là  de  manguier, 
ailleurs  des  fleurs  ou  des  objets  divers*.  Les  artistes 
du  Gandhâraont  également  sculpté,  sur  les  bas-reliefs 
des  vihâras  de  cette  région,  des  guirlandes  chargées 
de  fruits  de  jacquier  ou,  motif  de  décoration  grecque, 
des  branches  de  vignes,  portées  par  des  enfants,  qui 
tiennent  parfois  aussi  à  la  main  des  grappes  de  raisin*. 
Sur  un  bas-relief  de  SAnchi,  on  voit  déjà  un  person- 
nage, monté  sur  un  lion  cornu,  une  grappe  de  raisin  à 
la  main,  tandis  qu'un  autre  tient  des  boutons  de  né- 
lumbos  '. 

Les  fleurons,  avec  les  médaillons,  ne  jouent  pas  un 
rôle  moins  grand  que  le  lotus  dans  la  décoration  des 
monuments  de  l'Inde.  Les  sculpteurs  de  cette  contrée 
les  avaient  peut-être  empruntés  à  leurs  devanciers  de 
r Asie  antérieure  ;  les  fleurons  à  quatre  ou  à  huit  pétales 
qu'on  voit  sur  des  piliers  de  Bharhut,  sur  le  tope  de 
Sàrnâth  ou  les  chapiteaux  de  Sànchi,  etc.  *,  ressemblent 
singulièrement  à  ceux  des  édifices  iraniens  ou  assy- 
riens. Mais  les  sculpteurs  de  Tlnde  modifièrent  bientôt 
les  formes  qu'ils  avaient  adoptées  ;  sous  leur  ciseau, 
le  fleuron  assyrien  tendit  à  devenir  une  fleur  de  lotus 
le  plus  souvent  double.  Tels  apparaissent  déjà  lesfleu- 


1.  The  Slùpa  of  Barhut,  pL  XL-XLVIII.  On  voit  aussi  des 
tiges  feuillées  sur  une  plinthe  d'Amaràvati,  pi.  LVII. 

2.  H. -H.  Cola,  Préservation,  pi.  7,  14,  16. 

3.  A.  Griinwedel,  Buddhislische  Kutmtj  p.  34,  fîg.  7. 

4.  The  Stûpa  de  Bharhut,  pi.  X.  —  Fergusson.   Histonjj 
p.  68,  fig.  15  et  Tree  Worship,  pi.  XL,  1  ;  XLI,  2  et  XLII,  1. 


408  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

rons  qui  décorent  la  première  et  la  seconde  architrave 
de  la  porte  orientale  de  Bharhut,  les  bas-reliefs  su- 
périeurs du  pilier  de  Prasenajit  et  les  balustrades  de 
certains  arbres  sacrés  ;  on  peut  ajouter  les  fleurons 
dont  la  rangée  orne  l'architrave  extérieure  de  la  porte 
orientale  S  et  ceux  qu'on  voit  sur  quelques  parties  de 
la  chape.  Tels  sont  encore  les  gros  fleurons  à  fleurs 
doubles  semés  à  profusion  au  milieu  des  bas-reliefs  des 
frises  d'Amarâvatî  et  sur  les  dagobas  qui  décorent  les 
piliers  de  ce  stupa  '. 

Agrandis,  les  fleurons  sont,  genre  de  décoration 
propre  à  l'architecture  hindoue,  devenus  des  rosaces, 
des  médaillons  ou  des  espèces  de  disques,  formés,  non 
plus  d'une  seule  rangée  de  pétales,  mais,  comme  on 
en  voit  sur  les  piliers  d'Amaràvatî,  de  trois,  quatre 
ou  même  cinq  rangées  de  fleurs  de  lotus,  que  sépa- 
rent parfois  des  filets  et  qu'entourent  parfois  aussi 
des  palmettes  ou  des  dessins  géométriques,  mais  le 
plus  souvent  des  bouquets  de  composition  variable  ^ 
Les  sculpteurs  des  parties  plus  récentes  du  stùpa 
d'Amaràvatî  ont  remplacé  les  rangées  de  fleurs  par  des 
rangées  de  pétales  aux  formes  conventionnelles  et 
parfois  même  par  des  lignes  géométriques*.  Les  rosaces 
ou  médaillons  de  Bharhut  sont  aussi  formés  par  des 
rangs  de  pétales  plus  ou  moins  conventionnels,  en- 
tourés, ici  d'une  rangée  de  fleurons  ou  de  palmettes, 
là  d'une  tige  fleurie  de  nélumbos  ou  de  feuilles  de  fan- 


1.  The  Stupa  of  Bharhut,  pi.  VIH,  IX,  XI,  XIII,  XVÏI,  XL, 
XLVIII. 

2.  Tree    Worship,   pi.    LXXVI,    LXXVII,   LXXVIII,  1,    3; 
LXXIX,  1,  2,  3;  LXXX,  1,  2,  3  et  LXXXI,  1,  2,  3. 

3.  Tree  Worship,  pi.  L-LXÏ. 

4.  Tree  Worship,  pi.  LXVI-LXX. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  409 

taisie,  de  dessins  géométriques  ou  encore  d*animaux 
passants  et  même  de  têtes  denâgas*.  D'autres  fois,  les 
pétales  de  lotus  ont  disparu  et  ont  fait  place  à  des 
compositions  diverses  :  éléphants  posés  sur  des  fruits 
de  nélumbos  et  arrosant  avec  leur  trompe  la  déesse  Cri, 
assise  sur  cette  fleur  sacrée  ;  éléphant  marin  que  che- 
vauche un  dieu  ;  palmette  accompagnée  de  fleurs,  de 
feuilles  et  de  boutons  de  nélumbos  ;  feuilles  pinnées, 
entre  la  courbure  desquelles  s*élancent  des  animaux 
ailés  et  se  dressent  en  haut  une  palmette  convention- 
nelle et  des  boutons  de  lotus;  bouquet  de  nélumbos 
enfin  surgissant  d'un  vase  ciselé  et  sur  les  fleurs  duquel 
sont  posées  des  oies  de  Brahmâ',  etc.  Des.  médaillons 
composés  de  trois  rangées  de  pétales  conventionnels 
de  lotus  se  voient  aussi  sur  les  piliers  de  la  balustrade 
bien  plus  récente  de  Bodh-Gayâ;  mais  le  plus  sou- 
vent la  rangée  du  milieu  a  été  supprimée  et  au  centre 
du  médaillon  ont  été  sculptés,  ici  une  divinité  tenant 
une  fleur,  là  un  oiseau  picorant,  ailleurs  un  animal 
fantastique  :  antilope  ailée,  centaure',  etc. 


Comme  la  sculpture,  la  peinture  hindoue  a  emprunté 
au  monde  végétal  les  motifs  de  décoration  les  plus 
beaux  et  lui  a  fait,  dans  ses  compositions,  une  place 
considérable.  Nous  ignorons  à  quelle  époque  cet  art 

1.  The  Stûpa  of  Bharhui,  pi.  XXXVf,  5,  6,  7  et  8;  XXXVII, 
2,  6,  7,  8,  10;  XXXVIII,  4,  6,  7,  8,  9, 11. 

2.  The  Stupa  of  Bharhut,  pi.  XXXVI,  l,  2;  XXXVII,  1,  3; 
XXXVIII,  1,  3. 

3.  Râjandralàla  Mitra,  Ruddha  Gayày  the  h  ermitage  of 
Çàkya  Muni,  Calcutta,  1878,  in-'*»,  pi.  XXXVIII,  2,  3,  5»,  5»>; 
XLIV,  1  ;  XLV,  9,  10,  12. 


4iO  LKS  PLANTES  CHKZ  LES  HINDOUS 

prit  naissance  ;  mais  on  peut  dire  qu'il  fut  exercé  dès 
les  temps  les  plus  reculés.  Une  légende,  preuve  de  son 
ancienneté,  en  attribuait  l'origine  aux  dieux.  Il  fleurit 
d'abord  dans  le  Magadha,  puis  dans  les  provinces  de 
rOuest  et  dans  le  Bengale,  plus  tard  dans  le  Népal*. 
A  Tépoque  de  la  rédaction  du,  Mahàbhàrata,  à  plus 
forte  raison  du  RaraAyana,  la  pratique  en  était  géné- 
rale. Le  poète  du  Mahàbhàrata  parle  d'une  ville  que 
des  peintres  avaient  décorée;  ailleurs,  il  fait  mention 
de  salles  garnies  de  tableaux.  D'après  l'auteur  du  Rà- 
mâyana,  il  y  avait  dans  le  palais  de  Râvana  des  salles 
ornées  de  peintures  ^  Une  partie  du  premier  acte  de 
V (Jttarardmacarita,  pièce  de  Bhavabhùti,  se  passe 
dans  une  galerie  de  tableaux,  qui  représentent  l'his- 
toire même  de  Ràma'.  Dans  les  drames  de  Çakuntalà, 
de  Nâgânanda^  de  Ratndvali  et  de  Mdiattet  Mddhava, 
un  portrait,  dessiné  parle  héros  ou  l'héroïne,  prépare  le 
dénouement  de  la  pièce*.  Dans  Çakuntalii,  il  s'agit  même 
de  plus  que  d'un  portrait.  La  critique,  que  Dushyanta, 
qui  avait  tracé  celui  de  l'héroïne  absente,  fait  de  son 
œuvre  inachevée,  montre  que  le  royal  artiste  aspirait  à 
peindre  un  véritable  tableau.  «  Il  serait  bon,  dit-il,  d'y 
représenter  encore  le  cours  de  la  Mâlinî  avec  un  couple 
de  flamands,  posés  sur  un  banc  de  sable;  et  au  delà 


1.  John  Grjffiths,  The  paintiiigs  of  Ajmifà,  vol.  I,  p.  22.  — 
11  est  question  des  tableaux  du  roi  Paseuadi  au  iv«  siècle  avant 
notre  ère.  H.  Oldenberg,  Aus  Indien,  p.  113. 

2.  Adi-Parva,  5006  et  7898.  —  Sundarakandâ,  cap.  xiv,  65. 

3.  V.  i\ève,  Le  dénouement  de  Vhistoirede  Rama.  Bruxelles, 
1880,  in-8,  p.  U2-157. 

4.  Çakuntalà,  acte  \'I,  scène  5.  —  \ùgnnanda,  acte  Iï,p  43. 
—  Ratnt'ivalif  acte  II,  p.  '46.  —  Môlati  et  Mndhava,  acte  II, 
p.  28.  Il  est  aussi  question  d'un  portrait  dans  MallikàMarulnj 
mitation  de  Màlati  et  Màdhava. 


LES  PLANTKS  DANS  L'ART  411 

les  majestueux  contreforts  de  THimalaya,  sur  lesquels 
on  mettrait  quelques  antilopes.  Enfin  je  voudrais,  sous 
l'arbre  où  sont  suspendues  les  tuniques  d'écorce  (des 
ermites),  voir  une  gazelle  qui  vint  se  frotter  aux  cornes 
de  son  compagnon.  » 

Je  ne  sais  si,  en  faisant  cette  description,  Kàlidàsa 
songeait  à  quelque  tableau  connu  ;  mais  les  fresques 
qu'on  a  découvertes  sur  les  murs  des  grottes  d*Ajantâ 
ofi'rent  des  compositions,  sinon  semblables,  du  moins 
analogues  '  ;  sous  leur  diversité,  toutes  ont  d'ailleurs 
un  caractère  commun  ;  les  artistes  qui  les  ont  peintes 
n'ont  jamais  omis  d  y  représenter  avec  quelques-uns 
des  animaux  indigènes  :  éléphants,  singes,  antilopes  ou 
daims,  paons,  etc.,  les  plantes  ou  les  arbres  d'agrément 
les  plus  répandus  :  banians  et  pipais,  aréquiers  ou 
kétakîs,  açokas  et  palàças,  bananiers,  lotus,  etc.  Ainsi 
la  partie  gauche  d'une  fresque  de  la  grotte  I*  est  occu- 
pée par  un  grand  arbre  à  longues  feuilles  aiguës  et 
comme  verticillées  et  réfléchies,  sous  lequel  croissent 
divers  arbustes,  entre  autres  un  bananier.  Sur  des 
fresques,  qui  représentent  la  salle  d'un  palais  donnant 
sur  un  jardin,  on  voit,  parmi  divers  autres  arbres,  un 
bananier  et  un  aréquier.  Sur  une  autre  fresque,  le 
peintre  a  placé  ses  personnages  encore  au  milieu  de 
bananiers,  d'aréquiers  et  d'açokas  ^  Les  représenta- 
tions de  scènes  empruntées  à  la  vie  du  Buddha*,  celles 
des  Jâtakas,  que  les  décorateurs  d'Ajanta,  comme  les 
sculpteurs  de  Bharhut,  ont  affectionnées,  leur  ont  per- 

1.  Jas.  Burgess,  The  Ajan(à  Caves.  (The  Indian  Antiquary, 
vol.  III  (1874),  p.  25-28  et  271). 

2.  John  Grifûths,  The  paintings  of  Ajanfdy  vol.  I,  pi.  17. 

3.  The  paintings  of  Ajan(â,  caves  II et  XVII,  pi.  31,  55  et  59. 

4.  Parexemple  sa  naissance,  sesjeux,  la  tentation  de  Mâra,  etc. 


412  LES  PLANTES  CHKZ  LES  HINDOUS 

mis,  en  particulier,  de  se  livrer  à  leur  penchant  pour 
la  nature  champêtre.  Le  peintre  du  ChkadanUya-Jâta" 
ka\  par  exemple,  nous  montre  le  roi  des  éléphants 
retiré,  avec  ses  deux  reines,  sous  un  immense  banian  ; 
tout  près  d'autres  éléphants  se  jouent  au  milieu  de 
marécages,  couverts  de  nélumbos,  et  sur  les  bords  des- 
quels se  dressent  des  arbres  tropicaux,  entre  autres  des 
kétakls  et  un  palàra  en  âeurs,  dont  les  corolles  écarlates 
et  les  calices  d'un  vert  sombre  sont  rendus  avec  une 
scrupuleuse  exactitude.  Sur  une  autre  fresque ',  qu'on 
a  cru  à  tort  représenter  le  Guna-Jâtaka,  on  voit  un 
daim,  sa  femelle  et  une  troupe  de  biches  qui  prennent 
leurs  ébats  au  milieu  de  buissons,  tandis  qu'un  lion 
les  épie  du  haut  d'un  rocher.  Une  autre  encore  nous 
montre  la  jungle  dans  laquelle  se  trouvent  cinq  élé- 
phants, dont  deux  sont  aux  prises'. 

Les  artistes  des  vihâras  d'Ajantà  n'ont  pas  seule- 
ment couvert  les  murs  de  scènes  empruntées  à  l'his- 
toire ou  aux  légendes  indigènes,  ils  se  sont  aussi 
complus  à  y  représenter  les  figures  desBuddhas,  motif 
d'édification  religieuse  aussi  bien  que  de  décoration. 
Comme  les  sculpteurs  de  Bodh-Gayâ,  ils  nous  mon- 
trent ces  saints  accroupis  ou  debout  sur  une  fleur  de 
lotus,  quelquefois  aussi  assis  à  la  manière  ordinaire, 

1.  The  paintings  of  Ajan(â,  caves  I,  XVII  et  XIX,  pi.  15, 
61  et  91.  Les  enluminures  des  anciens  manuscrits  hindous 
représentent  non  seulement  des  Buddhas,  mais  encore  des 
Boddhisattvas ;  elles  nous  les  montrent  ici  debout,  entourés  des 
fidèles  qu'ils  instruisent,  là  assis  à  l'indienne  et  plongés  dans 
la  méditation  sous  la  châsse  où  ils  reposent.  A.  Foucher,  Étude 
sur  Viconographie  bouddhique.  Paris,  1900,  in-8°,  pi.  11,2,  3; 
111,1,2,  /i,  5,6;  IV,  1,  2,3,  5;  V,  1,  2,  3,  '*  ;  VI,  1,3,  4,5, 
6,  etc. 

2.  The  paintings  ofAjanfâ,  p.  32  et  36  ;  cave  X,  pi.  41  et  63. 

3.  The  paintings  ofAjantâ,  p.  39,  cave  XVII,  pi.  87. 


LES  PLAÎSTES  DANS  L'ART  413 

ici  entourés  de  bouquets  formés  denélurabos,  de  lotus 
blancs  ou  étoiles  et  d'autres  fleurs,  là  accompagnés 
de  Tarbre  symbolique  qui  leur  servait  d'attribut*. 

Les  scènes  représentées  sur  les  murs  des  cryptes 
d'Ajantâ  ne  sont  pas  la  seule  ornementation  de  ces 
constructions  souterraines  ;  les  artistes  qui  les  ont 
peintes  n'ont  pas  décoré  avec  moins  de  soin,  s'ils  l'ont 
fait  autrement,  les  plafonds  et  les  piliers  de  ces  édi- 
fices sacrés,  et  ils  y  ont  déployé  un  art  et  une  richesse 
de  palette  qu'on  ne  saurait  trop  admirer.  C'est  d'ail- 
leurs à  la  nature  végétale  que  sont  empruntés  la  plupart 
des  motifs  ornementaux  qu'ils  ont  employés.  Tantôt  ce 
sont  de  simples  fleurons  à  quatre  ou  à  huit  pétales, 
inscrits  dans  un  carré,  au-dessus  et  au-dessous  duquel 
se  dressent  trois  ou  cinq  pétales,  formant  une  sorte 
de  palmette*  ;  tantôt  ce  sont  des  espèces  de  rosaces, 
composées  soit  de  longs  pétales  arrondis  ou  triangu- 
laires, rangés  autour  d'un  cercle  coloré  figurant 
Tovaire,  soit  de  courts  pétales  placés  vers  l'extérieur 
ou  au  milieu  du  fleuron  général  \  Parfois  aussi  on  voit 
des  rangs  de  palmettes  servir  d'encadrement  à  d'autres 
sujets  d'ornementation*,  mais  les  motifs  les  plus  ordi- 
naires sont  des  bouquets  formés  de  fleurs  seules  ou  de 
fleurs  et  de  fruits,  au  milieu  desquels  l'artiste  a  capri- 
cieusement placé  tantôt  un  enfant   ou  un   éléphant, 


1.  The  painttngs  of  Ajanfâ,  p.  44,  cave  XIX,  pi.  153.  On 
pourrait  y  joindre  la  fresque  de  la  planche  114,  qui  représente 
le  combat  de  deux  taureaux. 

2.  The  paintings  of  Ajan(â,  vol.  II,  cave  I,  pi.  98,  fig.  95  ; 
pi.  101,  fig.  95  et  95». 

3.  The  paintings  of  Ajan(â,  vol.  II,  cave  I,  pi.  100,  fig.  94  ; 
cave  IX,  pi.  137. 

4.  Cave  XVII,  pi.  144,  4  ;  141,  c.  d.  Cave  XlX,  pi.  152. 


41  i  LES  PUNTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

(Faulres  fois  des  buffles  ou  des  chevaux  marins,  des 
singes  ou  des  zébus,  ou  encore  et  plus  ordinairement 
des  oiseaux:  oies,  perroquets,  etc.  *. 

Les  fleurs  qui  entrent  dans  la  composition  de  ces 
bouquets  sont  le  plus  souvent  des  nélumbos  *,  puis  des 
lotus  blancs  ou  étoiles  ',  seuls  ou  mêlés  à  des  fleurs  à 
quatre  pétales,  blanches  ou  jaunâtres*  ;  — j'ignore  ce 
qu'elles  sont.  —  Les  espèces  de  fruits  sont  plus  nom- 
breuses: ce  sont,  autant  qu'on  en  peut  juger  parleurs 
formes  un  peu  conventionnelles,  tantôt  des  mangues', 
tantôt  des  fruits  du  bil va *^,  souvent  d'autres  fruits,  dans 
lesquels  M.  Griffiths'  a  voulu  voir  ceux  de  ÏAnona 
sguammosa  %  encore  que  cet  arbre  soit  originaire  de 
l'Amérique,  ainsi  même  que  des  grenades'  ;  puis,  il 
semble  bien,  des  concombres  ou  une  autre  cucurbitacée  *", 
représentée  avec  des  feuilles  en  godet,  ainsi  que  les 
fruits  ronds  d'un  arbre  à  feuilles  entières,  peut-être  le 


1.  Cave  I,  pL  96,  3,  12;  pi.  97,  71,  91,  92'>;  pi.  98,  94^,  66 
pi.  99,  96,  22«;  pi.  100,  4%  5;  pi.  102,  2^,  2%  2«;  pi.  104,  8^ 
8»»,  6»»;  pi.  105,  11»,  IH,  etc. 

2.  Cave  I,  pi.  102,  H;  103,  3^»,  V:  105,  10^,  13*;  107,  24,  25 
108,  30%  31»>;  109,  40-,  45»»;  110,  57»,  57^  111,  60%  63»;  112 
54,  86,  etc. 

3.  Cave  I,  pi.  102,  1,  If;  104,  8«>;  105, 10»»:  106,  15,  17,17J,  etc 

4.  Cave  1,  pL  100,  5;  101,  27;  102,  1^;  107,  25;  109,  45;  110 
57"»,  etc. 

5.  Cave  I,  pL  103,  3^;  105,  10»»,  11»»:  106,  17*»;  107,  V 
108,  35b;  109,  45<^;  110,  57\;  111,  60;  112,  8k,  64. 

6.  The  paintigs  of  Ajatitâ,  vol.  I,  p.  17. 

7.  Cave  I,  pL  102,  1«,  2<J;  103,3-;  104,  8«;  105,  10^;  107,  7»» 
108,  31*,  35e,  etc. 

8.  Cave  I,  pi.  102,  2»;  103,  3»»;  104,  6»;  105,  10»,  13»»;  106 
17%  17?;  108,  30»»,  34». 

9.  Cave  I,  pi.  102,  1^;  106,  15»;  123,  2,  3,  4  ;  122,  9;  124,  6 
Au  lieude  grenades  ce  sont  peut-être  simplement  des  fruits  du 
lotus. 

10.  Cave  I,  pi.  102,  2f;  103,  3»;  104,  8«;  105,  11»>;  106,  17d. 


LES  PLANTKS  DANS  L'ART  4L») 

jAmbîra',  tandis  que  le  bilva  a  les  feuilles  composées 
de  trois  ou  parfois  de  cinq  folioles. 

Comme  les  simples  fleurons,  les  bouquets,  dont  je 
viens  d'indiquer  la  composition,  sont  inscrits  dans  des 
carrés  ;  mais  les  artistes  d*Ajantâ  en  avaient  peint 
d'autres,  qui  tantôt  occupaient  des  panneaux  entiers, 
tantôt  ornaient  les  bandes  du  plafond  ou  en  décoraient 
les  quatre  coins.  Tels  sont  les  gracieux  bouquets,  com- 
posés d'un  nélumbo  stylisé,  autour  duquel  rayonnent 
des  lotus  étoiles  et  des  fleurettes  à  cinq  pétales,  qui 
s'étalent  aux  angles  du  plafond  de  la  grotte  II*.  Telle  la 
bande  fleurie  qui  forme  l'ornement  principal  du  plafond 
de  la  véranda  et  du  sanctuaire  de  la  même  grotte^; 
composé  de  bouquets  successifs  formés  chacun  d'une 
gerbe  de  fleurettes  à  quatre  ou  cinq  pétales,  de  lotus 
étoiles  ou  bleus  et  d'un  nêlumbo  double,  elle  est,  par 
l'heureux  accord  des  couleurs  et  la  grâce  délicate  des 
formes,  du  plus  heureux  effet.  Telles  encore  ces  tiges  de 
nélumbos,  accompagnés  aussi  de  lotus  étoiles  ou  bleus, 
de  fleurettes  diverses,  au  milieu  desquelles  se  glissent 
des  oies  ou  des  perroquets,  et  qui  serpentent  le  long 
des  panneaux  *.  Parfois  ces  tiges  se  replient  de  ma- 
nière à  renfermer  dans  leurs  ondulations  des  motifs 
divers  de  décoration  :  fleurs  conventionnelles,  enfants 
qui  gambadent,  animaux  courant,  oiseaux  qui  pico- 
rent \  Ailleurs,  l'ornementation  consiste  en  une 
rangée  de  fleurs  de  nélumbos,  inscrites  entre  des  lotus 
héraldiques  opposés  entre  eux  et  qui  se  dressent,  en 

1.  Citronnier.  Cave  I,  pi.  105,  lU. 

2.  Cave  II,  pi.  119,  24  et  121. 

3.  Cave  II,  pi.  117,  118,  20  et  36;  119,  24  et  25,  et  120. 

4.  Cave  II,  pi.   123,   124,   125,  126,   127,  128,  129  et  130. 

5.  Cave  XVII,  pi.  141,  c.  d.  —  Cave  XIX,  pi.  152.  a.  b.  c. 


416  LKS  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

les  encadrant,  de  chaque  côté  de  ces  fleurs  *.  Ou  bien 
encore  les  fleurs  de  nélumbos  sont  disposées  en  une 
bande  circulaire  qui  enveloppe  un  médaillon  central, 
tandis  qu'au-delà  on  voit  des  dessins  géométriques, 
puis  une  bande  de  palmettes  conventionnelles  ^ 

Les  monnaies  hindoues  reçurent  aussi  parfois  des 
emblèmes  tirés  du  monde  végétal.  Les  princes  gréco- 
bactriens,  dont  l'influence  se  fit  sentir  bien  vite  dans 
la  Péninsule,  avaient  donné  Texemple*  Au  revers  de 
leurs  monnaies,  on  voit  tantôt  les  Dioscures'  ou  une 
Niké^  tenant  à  la  main  une  palme,  ainsi  parfois  qu'une 
guirlande^  tantôt  un  pileus  entre  deux  palmes*,  ou 
bien  une  couronne  ou  une  palme  ',  ou  encore  une  femme 
tenant  une  fleur  de  la  main  droite  ^  Deux  monnaies 
d'Agathoclès  présentent  un  symbole  tout  difierent  ; 
sur  l'une,  c'est  une  panthère,  qui  tient  dans  une  de  ses 

1.  The  paintings  of  Ajai}(â,  p.  43,  fig.  85. 

2.  Cave  II,  pL  117,  118,  20  et  36;  et  119,  24  et  25. 

3.  M  ion  net.  Description  des  médailles  antiques,  vol.  VIII, 
p.  468,  470,  471;  no»  23,  24,  26,  27,  29. —H. -H.  Wiison,  ^rtVzna 
antiqua,  A  descriptive  accomit  ofthe  antiquities  and  coins  of 
India.  London,  1841,  in-4o,  p.  238-240,  pi.  III,  1,  2,  3,  9  et  10, 
etc.  —  Percy  Gardner,  The  coins  of  Greek  and  Scythic  Kings 
of  Bactria  and  India.  London,  1886,  in-8*>,  p.  13, 14,  16,  pi.  V, 
4,  7  et  8;  VI,  1,  2,  3,  4,  etc.  Les  Dioscures  sortt  parfois  rem- 
placés par  Poséidon,  Zeus  ou  Héraclès. 

4.  Mionnet,  p.  476,  477,  482,  494,  n«»  44,  45,  64,  67,  109.  — 
Wilson,  p.  241,  274,  285,  etc.,  pi.  III,  11,  10,  15;  IV,  4,  5  et  6. 
—  Gardner,  p.  18,  43,  48,  57,  61,  pi.  VI,  6  et  7  ;  XI,  4,  13; 
VIII,  9;  XIV,  10. 

5.  Wilson,  p.  242  pi.  suppl.,  fig.  6  et  VIII,  10. 

6.  Mionnet,  p.  468,  483,  n^»  24,  67,  68.  —  Wilson,  p.  241, 
278;  pi.  III,  12;  II,  13.  -  Gardner,  p.  16,  27,  pi.  VI,  5:  VIII, 
2,3. 

7.  Wilson,  p.  279,  287;  pi.  suppl.,  fig.  H,  IV,  11.  — Gardner, 
p.  28,  48,  55;  pi.  VIII,  4;  XII,  2;  XIII,  4. 

8.  Gardner,  p.  9,  pi.  III,  9. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  417 

pattes  de  devant  une  grappe  de  raisin  ;  sur  une  autre, 
c'est  encore  une  panthère,  mais  cette  fois  devant  une 
vigne,  dont  elle  semble  vouloir  manger  les  fruits*. 

Les  monnaies  des  rois  sakes  offrent  souvent  les 
mêmes  emblèmes  que  celles  des  princes  gréco-bac- 
triens  ;  on  y  voit  fréquemment  en  particulier  une  Nikè 
tenant  une  palme  à  la  main';  mais  elles  en  offrent 
d'autres  aussi  ;  tels  ces  deux  arbustes  —  Percy  Gard- 
ner  dit  deux  vignes  — ,  entre  lesquels  est  représentée 
debout  une  femme  qui  s'appuie  de  la  main  droite  sur 
l'un  d'eux  et  tient  de  la  main  gauche  la  branche  supé- 
rieure de  l'autre'.  En  même  temps  que  ces  emblèmes 
gréco-bactriens  les  monnaies  des  Sakes  en  montrent 
d'autres  tout  différents,  en  particulier  divers  animaux 
indigènes  dans  la  région  du  Nord-Ouest,  comme  le  bœuf 
indien  à  bosse  ou  zébu,  le  lion  et  l'éléphant,  ainsi  que  le 
dromadaire,  qui  y  avait  été  importé  du  bassin  de  l'Oxus 
par  ces  conquérants.  Outre  ces  images  symboliques, 
les  monnaies  des  Yue-Chi  et  surtout  desKuçanas,  leur 
principale  tribu,  en  présentent  d'autres  empruntées 
aux  croyances  ou  aux  produits  de  leur  nouvelle  patrie*, 
tels  par  exemple  Çiva,  Mitra,  le  dieu  de  la  Lune,  le 


1.  Wilson,  p.  299,  pi.  VI,  5  et  6. 

2.  Mionnet,  p.  494,  n<»  109.  —  Wilson,  p.  320,  324,  325,  etc., 
pi.  VI,  12,  18,  VIII,  5;  etc.  —  Gardner,  p.  69,  83,  104,  107, 
109,  110;  pi.  XVI,  2;  XVIII,  12;  XXII,  11  ;  XXIII,  1,  3,  9. 

3.  Mipnnet,  p.  490,  n«  91.  —  Wilson,  p.  314,  pi.  VII,  5.  — 
Gardner,  p.  70,  pi.  XVII,  1,  2.  Gardner  mentionne  encore, 
p.  89,  pi.  XIX,  10,  une  monnaie  sur  le  revers  de  laquelle, 
dit-il,  est  représentée  une  femme  tenant  dans  chaque  main  une 
longue  branche  de  vigne  ;  mais  cette  monnaie  n'est  autre  que 
le  n®  91  de  Mionnet  et  VII,  5  de  Wilson. 

4.  E.-J.  Rapson,  Indian  Coins.  Strassburg,  1897,  in-S»,  p.  18. 
(GrundrUs  der  Indo-arischen  Philologie  und  AUerlumskunde, 
vol  II,  fasc.  3.) 

JoRET.  —  Les  Plantes  dans  V antiquité,        II.  —  27 


418  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Buddha  surtout',  et  —  car  c'est  bien  il  semble  à 
Tépoque  de  cette  dynastie,  comme  Ta  pensé  Wilson  ', 
qu'il  faut  rapporter  les  monnaies  qui  ont  cet  emblème 
—  l'arbre  sacré  des  Bouddhistes,  entouré  d'une  balus- 
trade. UAriana  antiqua  avait  déjà  signalé  une  de  ces 
monnaies^;  James  Prinsep  en  a  fait  connaître  plusieurs 
autres,  découvertes  à  Behat*.  Comme  sur  la  monnaie 
de  VAriana  antiqua,  ces  emblèmes  se  composent  d'un 
tronc  avec  deux  ou  trois  paires  de  branches  horizon- 
tales recourbées  à  l'extrémité,  ce  qui  les  fait  ressem- 
bler à  l'arbre  sacré  des  Babyloniens  ;  mais  parfois  aussi 
les  branches  sont  plus  ou  moins  droites  et  feuillées, 
forme  qui  diffère  complètement  des  arbres  sacrés  de  la 
Chaldée  et  de  l'Assyrie. 

Le  monde  des  plantes  n'occupait  pas  moins  de  place 
sans  doute  dans  la  décoration  des  produits  des  arts 
industriels  que  dans  celle  des  monuments  de  la  sculp- 
ture et  de  la  peinture  ;  mais  la  disparition  de  la  plu- 
part de  ces  produits  :  bijoux,  poteries,  meubles,  étoffes, 
etc.,  ne  permet  pas  d'en  connaître  toute  la  riche  orne- 
mentation. Toutefois,  la  découverte  de  quelques  rares 
objets  échappés  à  la  destruction,  la  représentation 
d'un  certain  nombre  d'autres  sur  les  stupas  de  Bharhut, 


1.  Gardner,  p.  124,  125,  126,  130,  131,  132,  133,  139,  etc., 
pi.  XXV,  6,  11,  12,  etc.  ;  XXVI,  8,  10,  13,  etc.  ;  XXVÏÏ,  2,  17, 
18,  19,  20,  etc. 

2.  Ariana  antiqua ,  p.  414. 

3.  P.  415,  pi.  XV,  23.  Les  monnaies  des  n«»  24  et  25,  dont 
Wilson  ne  dit  rien,  semblent  bien  aussi,  entre  autres  emblèmes, 
avoir  un  arbre  sacré,  mais  sans  balustrade.  JMnciine  encore  à 
en  voir  un  sur  la  monnaie  du  n<>  32. 

4.  Essays  on  fndian  antiquities,  London,  1858,  in-8«,  vol.  I, 
pi.  IV,  1,  4-22,  3,  4,  5,  22;  VII,  4;  XIX,  5,  8,  l5,  15,  16,  18, 
23;  XX,  28,  38,  41,  44,  48. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  419 

de  Sânchi  et  d'Amarâvatî,  ainsi  que  sur  les  murs 
d'Ajantà,  nous  ont  révélé  quelques-uns  des  motifs  de 
décoration  les  plus  usités  dans  la  joaillerie,  la  poterie, 
Tébénisterie  et  la  fabrication  des  étoffes.  Sur  un  sceau 
métallique  trouvé  à  Bighram  est  gravé  un  arbre,  devant 
lequel  un  personnage  ou  un  animal  semblent  en  ado- 
ration, tandis  que  des  oiseaux  volent  vers  les  bran- 
ches. Sur  une  cornaline  provenant  de  Hidda  est  aussi 
gravé  un  arbre,  que  vénère  un  homme  appuyé  sur  une 
espèce  d'auteP.  Une  urne  en  bronze,  trouvée  à  Dje- 
làlpour  dans  le  Pandjab  et  conservée  au  Musée  de 
Lahore  *,  est  ornée  de  gravures  représentant  des  scènes 
tirées  du  Râmàjana  —  enlèvement  de  Si.tâ,  siège  de 
Lanka  — ,  ainsi  que  les  incarnations  de  Yishnu  ou  de 
Çiva. 

Mais  autant  que  nous  pouvons  en  juger,  les  fleurons 
surtout  servaient  à  la  décoration  des  joyaux  et  des 
bijoux.  Un  fleuron  à  six  pétales,  par  exemple,  entouré 
d'une  ligne  de  points,  se  voit  sur  un  bijou  en  or  trouvé 
dans  le  stûpa  de  Kotpour  ^.  On  a  trouvé  dans  les  fouilles 
de  Bhattiprobu  des  fleurons  en  or  à  6  ou  8  pétales  ^. 
On  en  voit  aussi  parfois  un  au  milieu  du  bandeau  qui 
retient  les  cheveux  des  femmes,  sur  les  fresques 
d*Âjantâ^  Des  fleurons  à  huit  pétales  arrondis  ou  à 
deux  fois  quatre  pétales  aigus  et  entre-croisés  ornent 
des  boucles  d'oreilles  dessinées  par  Cunningham. 
Deux  fleurons  à  huit  pétales,  parfois  aussi  deux  feuilles. 


1.  Wilson,  Ariana  antiqua,  p.  54,  pL  IV,  8  et  10. 

2.  Indian  ArUiquaryy  vol.  III  (1874),  p.  158. 

3.  Wilson,  Ariana  antiqua^  p.  54,  pi.  IV,  14. 

4.  Al.  Rea,  South  Indian  Buddhist  Anliquities,  Madras,  1894, 
in-fol.,  pi.  IV  et  VI. 

5.  The  painlings  ofAjar^fâ,  vol.  I,  p.  10,  ûg.  12. 


420         LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

servent  d'ornement  à  des  colliers  de  Bbarhut  ;  Cunnin- 
gham.en  a  reproduit  un  autre  formé  d'une  rangée  de 
demi-fleurons  avec  un  fleuron  entier  au  milieu'. 
D'autres  ont  pour  ornement  un  cordon  de  palmettes 
opposées  deux  à  deux.  Sur  une  fresque  d'Ajantâ  on 
voit  une  mère  et  sa  fille  porter  un  collier,  d'où  pend 
un  large  médaillon*.  Des  fleurons  servent  encore  le 
plus  souvent  à  décorer  les  bracelets  que  portent  les 
femmes  sur  les  sculptures  de  Bharhut  ou  les  fresques 
d'Ajantâ.  Il  y  en  avait  aussi  sur  les  brassards'.  Des 
rangées  de  fleurons,  métalliques  sans  doute,  entraient 
également  dans  la  composition  du  système  souvent  si 
compliqué  des  ceintures  des  femmes  hindoues.  On  en 
voit  aussi  un  gros  au  centre  de  l'espèce  d'écharpe  que 
porte  le  personnage  d'une  fresque  d'Ajantâ*.  On  ne 
doit  pas  être  surpris  que  des  fleurons  aient  orné  la 
poignée  des  épées,  ni  que  les  boutons  de  la  bride  des 
chevaux  sur  les  bas-reliefs  de  Sanchi  et  les  fresques 
d'Ajantâ  en  afl*ectent  la  forme.  Une  rangée  de  fleurons 
à  huit  pétales  décore  aussi  le  frontal  d'un  éléphant 
sur  un  chapiteau  du  stupa  de  Sanchi  ^. 

Des  fleurons  servaient  également,  toutefois  avec 
d'autres  ornements,  à  la  décoration  des  vases  en 
métal  ou   en  pierre  tendre.   Ainsi  un  fleuron  à  huit 

1.  Tfie  Stâpa  of  Rharhul,  pi.  XLIV,  1,  4,  7,  8  et  11,  13,  14  ; 
L,  2,  5,  6,  7. 

2.  Tree  Worship.  Sânchi,  pi.  XLIV,  1. —  The  paintings  of 
Ajanfây  vol.  I,  p.  40,  fig.  76. 

3.  The  Slùpa  of  Bharhut,  pi.  XLIX,  16  et  17.  —  The  pain- 
tings of  AjantA,  vol.  I,  p.  9,  fig.  9  ;  p.  11  et  40,  fig.  15  et  76  et 
pi.  14. 

4.  The  Stûpa  of  Bharhut,  pi.  LI,  2,  3.  —  The  paintings  of 
Ajantây  vol.  I,  p.  7,  fig.  5;  p.  19,  fig.  54. 

5.  The  paintings  of  Ajan^à,  vol.  I,  p.  15,  fig.  35  ;  p.  13, 
fig.  23.  —  Tree  Worship,  pi.  III,  7:  XL,  1. 


LES  PLANTES  DANS  L'ART  421 

pétales  orne  le  couvercle  d'un  vase  métallique  trouvé 
à  Manikidjala  *.  Un  fleuron  à  huit  pétales  stylisés,  entre 
lesquels  sont  enchâssés  des  lotus  héraldiques,  décore 
le  fond  d'une  coupe  en  métal  d'origine  relativement 
récente.  On  voit  aussi  un  fleuron  à  huit  et  un  autre  à 
douze  pétales  sur  le  couvercle  de  deux  vases  en  stéa- 
tite  découverts,  le  premier  à  Darunta,  le  second  dans 
le  tope  do  Kotpour.  Enfin,  outre  des  dessins  géomé- 
triques, une  ligne  de  fleurons  ou  de  fleurs  de  lotus 
grossièrement  dessinées,  décore  la  panse  d'un  vase 
également  en  stéatite,  qui  provient  du  stûpa  de  Deh 
Bimaran  ^ 

Si  les  poteries  hindoues  étaient  souvent  d'une  grande 
élégance  de  formes**,  elles  étaient  aussi  le  plus  sou- 
vent unies  ou  simplement  ornées  de  dessins  géomé- 
triques; parfois  cependant  des  ornements  d'origine 
végétale  :  fleurons  ou  palmettes,  en  relevaient  l'unifor- 
mité. Le  vase  à  col  étroit,  par  exemple,  d'où  surgissent 
des  lotus  sur  un  pilier  d'Amarâvatî,  est  décoré,  dans  sa 
partie  renflée,  de  filets  sur  lesquels  sont  disposés  des 
fleurons,  tandis  qu'au-dessous  court  un  rang  de  pal- 
mettes, alternant  avec  des  demi-fleurons.  Sur  une 
fresque  d'Ajantà,  on  voit  des  ghoràs  ou  vases  à  par- 
fums ornés  d'un  cordon  de  fleurons,  qui  serpente  entre 
un  double  filet  séparé  par  une  ligne  de  points  ;  une 
rangée  de  pétales  palmiformes,  au  sommet  et  à  la  base 
du  vase,  en  complète  la  décoration  *. 


1.  Prinsep,  Essays,  vol.  I,  p.  98,  pi.  V,  1. 
'  2.  Wilson,  Ariana  anliqua,  p.  54,  pL  IV,  3;  p.  51,  pi.  I,  1  ; 

p.  53,  pi.  III,  2;  p.  52,  pi.  II,  1. 

3.  The  paintinqs  of  Ajatj(à,  voi.  I,  p.  20,  fig.  56  et  57. 

4.  Tree  Worship,  pl.  LXXXIX,  3  et  XC'VI,  4.  -  The  pain- 
tings  of  Ajai}(â,  vol.  I,  p.  20,  fig.  56  et  57;  cave  I,  pl.  57. 


422  LES  PUNTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Des  ornements  d'origine  végétale  étaient  aussi  em- 
ployés dans  l'ébénisterie  ;  sur  un  bas-relief  peut-être 
récent  d'Amarâvati,  des  fleurons  aux  formes  variées 
ornent  le  rebord  et  le  dossier  du  trône  et  l'escabeau 
du  roi,  ainsi  que  le  devant  sculpté  du  fauteuil  où  est 
assise  la  reine.  Le  Bodhimanda,  où  l'on  voit,  sur  un 
autre  bas-relief,  trôner  le  Réformateur,  est  également 
décoré  de  fleurons  à  quatre  pétales.  Un  rang  de  fleu- 
rons forme  aussi  l'encadrement  du  dossier  des  trôûes, 
sur  lesquels  sont  assis  certains  Buddhas  d'Ajantâ*. 

Les  tapis  et  les  tentures  étaient  ornés  des  fleurs  les 
plus  diverses;  tantôt  ce  sont  des  corolles  à  quatre, 
cinq  ou  huit  pétales  ;  d'autres  fois  des  panicules  ou  des 
branches  fleuries,  des  feuilles  palmées,  etc.,  qui  ont 
été  tissés  dessus*.  Si  à  l'origine  les  étofifes»  dont  était 
fait  le  léger  vêtement  des  anciens  Hindous,  étaient  d'une 
couleur  uniforme,  on  les  teignit  aussi  plus  tard  de 
nuances  diverses  ;  la  tunique  de  certains  personnages, 
représentés  sur  des  fresques  d'Ajantâ,  est  rayée  de  bleu, 
de  rouge  ou  d'une  autre  couleur.  On  en  voit  même 
un,  dont  la  robe  est  ornée  de  dessins  géométriques, 
d'arabesques,  de  médaillons  et  de  fleurons  à  quatre 
pétales  ^ 

II 

La  flore  indigène,  qui  a  fourni  de  si  nombreux  motifs 

1.  Tree  Worship,  pi.  LXXXVÏ  et  LXXXIV,  3.  -  The  pain- 
lings  of  Ajaniàj  cave  IX,  pi.  89. 

2.  The  paintings  of  Ajan{ây  p.  9,  fig.  9  et  cave  I,  pi.  5,  13  ; 
cave  X,  pi.  42,  43;  cave  XVII,  pi.  82,  85,  86;  cave  IX,  pi.  89. 
II  est  difficile  parfois  de  dire  si  ce  sont  des  fleurs  tissées  dans 
TétofFe  ou  des  fleurs  naturelles  répandues  sur  le  sol. 

3.  Cave  I,  pi.  6  et  7  ;  VJ,  pi.  134  et  135;  XVII,  pi.  55. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  423 

de  décoration  aux  artistes  de  Tlnde  ancienne,  et  qui 
leur  a  servi  si  heureusement  à  embellir  et  à  animer 
les  scènes  qu'ils  ont  sculptées  sur  les  monuments,  n'a 
pas  été  moins  largement  mise  à  contribution  par  les 
écrivains  de  cette  vaste  contrée.  Les  poètes  ont  tiré 
du  monde  charmant  des  plantes  et  des  fleurs  d'ingé- 
nieuses fictions  ;  ils  lui  ont  emprunté  les  comparaisons 
les  plus  gracieuses  et  y  ont  trouvé  matière  aux  des- 
criptions les  plus  variées  et  les  plus  pittoresques.  C'est 
dans  les  forêts,  à  l'ombre  des  grands  arbres,  que  se 
déroulent  quelques-uns  des  épisodes  les  plus  célèbres 
des  deux  épopées  nationales  ;  c'est  dans  les  jardins 
ou  les  parcs  que  les  poètes  de  la  Renaissance  ont  placé 
les  plus  belles  scènes  de  leurs  drames. 

La  Mahàbhârata  s'ouvre  au  milieu  de  la  forêt  Nai- 
misha;  comme  Yayàti,  son  aïeul,  s'était  fait  anacho- 
rète, Pandu,  le  père  des  plus  grands  héros  du  poème, 
se  retire  au  milieu  des  bois  de  l'Himavat  ;  c'est  là  que 
naissent  ses  cinq  fils  et  qu'ils  passent  leurs  premières 
années  *.  C'est  dans  une  forêt  qu'il  meurt,  et  que  plus 
tard,  exilés  volontaires,  ses  fils  vivent  pendant  douze 
années.  Dushyanta  rencontre  Çakuntalâ  en  chassant 
dans  les  bois  '.  C'est  dans  une  forêt  déserte  que  Nala 
fugitif  abandonne  sa  chère  Damayanti.  C'est  là  aussi 
que  se  retire  Dyutmatsina,  aveugle  et  dépouillé  de  ses 
états,  et  que  grandit  son  fils,  le  vertueux  Satyavat'. 
Dhritaràshtra,  le  frère  et  le  rival  de  Pandu,  passe  les 
dernières  années  de  sa  vie  dans  un  ermitage  au  fond 
d'un  bois,  comme  l'avait  fait  Arvatthaman  après  la 


1.  Adi-Parva,  3,  3635-36,  463048  614767-4851. 

2.  Adi-Parva,  4877,  5877-6924  et  2839-66. 

3.  Vana-Parva,  2851,  16666-67. 


424  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

mort  de  Duryodhana*.  Ainsi,  partout,  excepté  dans  les 
livres  consacrés  aux  combats  que  se  livrent  les  Pân- 
davas  et  les  Kauravas,  les  événements  du  Mahâbhâ- 
rata  se  déroulent  au  milieu  des  forêts  et  des  paysages 
grandioses  de  Tlnde. 

Les  scènes  les  plus  belles  du  Ràmâyana  se  passent 
aussi  dans  les  forets,  et  le  monde  des  plantes  joue 
dans  ce  poème  un  rôle  encore  plus  considérable  que 
dans  la  Mahàbhârata*.  C'est  dans  les  bois  que  Râma 
vit  les  longues  années  de  Texil  qui  lui  est  imposé. 
Nous  le  voyons,  après  avoir  franchi  la  Gangà,  entrer 
dans  la  forêt  de  Prayâja  aux  «  arbres  chargés  de  fruits 
pour  tous  les  désirs  »,  et  visiter  Termitage  de  Bha- 
radvàja  ;  traverser  le  bois  de  Nîla,  «  rempli  de  palâ- 
ças,  de  badaris,  de  bambous,  de  manguiers  et  de 
madhukas  »,  et  atteindre  la  forêt  encore  plus  belle, 
qui  couvre  les  flancs  du  Citrakùta  ^.  Ensuite  le  poète 
nous  le  montre,  résolu  à  chercher  une  retraite  plus 
solitaire,  se  mettant  en  route  avec  Lakhsmana,  visitant 
le  bois,  ((  charmant  comme  le  Nandana  )),dans  lequel 
est  caché  l'ermitage  de  l'anachorète  Agastya,  puis  se 
rendant  dans  la  forêt  de  Pancavatî,  et  y  construisant, 
près  des  bords  enchanteurs  de  la  Godàvarî,  la  chau- 
mière qui  lui  servira  de  demeure  *. 

L'enlèvement  de  Sîtà  et  la  poursuite  de  son  ravis- 


1.  Sauplika-Parva  et.  Açrama-Parva.  —  Holtzmann,  Die  neun" 
zehn  Bûcher  des  Mahàbhàrala,  Kiel,  1893,  in-8,  p.  203  et  265. 

—  P.  E.  Pavolini,  Mahôàhârala,  Milano,  1902,  iii-12,  p.  219 
et  255. 

2.  H.  F'auche,  fiàmâyana,  poème  sanscrit.  Paris,  1854,  in-12. 

—  G.  Gorresio,  Il  Hàmàyana  di  Valmici.  Milano,  1869,  in-12. 

3.  Ayodhyàkânda,  LU,  13  et  32  ;  LIV,  29-42;  LV,   19;  LVI 
18-32. 

4.  Arajiyakàpda,  XVII,  6-18;  XXI,  2-21. 


LES  PLANTES  DANS  U  POÉSIE  425 

seur,  qui  forcent  le  héros  à  reprendre  sa  vie  errante, 
donnent  occasion  au  poète  de  nous  décrire  les  paysages 
de  rindo  méridionale  et  de  Ceylan  :  bois  des  bords 
enchanteurs  de  la  Pampà,  que  domine  le  mont  Rishya- 
mûka  «  aux  arbres  fleuris  »  *,  étangs  couverts  de  né- 
lumbos  et  de  nymphées,  forêts  aux  essences  parfumées 
du  Gandhamâdana  et  du  Vindhya^  rivages  de  la  mer 
bruyante  avec  leurs  cocotiers,  leurs  tàlas  et  leurs 
kétakîs,  jardins  et  bois  de  Lanka,  bosquets  d'açokas 
du  palais  de  Râvana  ^  etc. 

Non  seulement  les  jardins  et  les  forêts  occupent  une 
place  considérable  dans  les  deux  grandes  épopées  de 
l'Inde,  des  arbres  isolés  y  jouent  aussi  un  rôle  impor- 
tant. Damayantî  abandonnée  adresse  une  prière  tou- 
chante à  un  açoka  qu'elle  aperçoit  au  milieu  de  la 
forêt*.  Dans  leur  fuite,  loin  de  la  ville  de  Vàranàvata, 
Bhîma  dépose  sa  mère  et  ses  jeunes  frères  au  pied  d'un 
immense  nyagrodha,  et  quand,  après  leur  exil,  ils 
quittent  la  forêt  où  ils  s'étaient  réfugiés,  les  cinq  frères 
cachent  leurs  armes  dans  un  acacia*.  C'est  aussi 
campés  sous  un  nyagrodha  aux  larges  rameaux  que 
les  trois  derniers  héros  de  l'armée  de  Duriyodhana 
vaincu,  Açvatthâman,  Kripa  et  Kritavarman,  con- 
çoivent le  projet  de  surprendre  l'armée  endormie  des 
Pàndavas  ^. 

Arrivé  près  de  la  Gangà,  Râma  fait  halte  sous  une 

1.  Aranyakànda,  LXXVI,  26-27. 

2.  Kishkindhyakâçïda,  XLIV,  54  ;  L,  30. 

3.  Sundarakàcida,  VIII,  26;  IX,  4-9;  XVI,  2-4;  XX,  8-9.  — 
Yuddhakânda,  XV,  3-6. 

4.  IVala  et  Damayantî,  chant  XII,  102. 

5.  Adi-Parva,  5896-97.  -  Viràta-Parva,  1306. 

6.  Holtzmann,    Die  neunzehn    Bûcher    des    Mahâbhôrata, 
p.  199.  —  Pavoiini,  Mahâbhârata,  p-  207. 


426  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

ingudi  couverte  de  fleurs  ;  et  après  avoir  traversé  le 
fleuve  sacré,  il  s'arrête,  la  nuit,  avec  Sîtâet  Lakshmana, 
sous  les  branches  onabreuses  d'un  nyagrodha  *.  Et  afin 
d'épier  en  sûreté  ce  qui  se  passe  dans  le  bois  d'açokas 
de  LaAkâ,  le  singe  Haaumat  grimpe  sur  une  çiriaçapâ, 
que  l'infortunée  Si  ta,  «  comme  une  liane  en  fleurs  », 
étreignait  de  ses  bras  '. 

Chose  qui  peut  surprendre  au  premier  abord,  mais 
qui  s'explique  de  la  part  d'un  peuple  vivant,  comme 
le  faisaient  les  Hindous,  en  communion  constante  avec 
la  nature,  et  tient  aussi  à  la  forme  de  leur  drame 
national,  où  tout  se  passe  en  plein  air,  les  scènes  les 
plus  importantes  de  leurs  pièces  se  déroulent  au  milieu 
du  calme  des  jardins  ou  des  «  riants  paysages  »  des 
forêts  tropicales*.  C'est  dans  un  parterre  que  le  poète 
de  Mâlavikd  et  Agnimitra,  Kâlidâsa,  nous  montre  le 
roi  révélant  son  amour  à  son  confident,  et  que  Mâla- 
vikâ,  en  venant  préparer  Téclosion  des  fleurs  de  l'açoka, 
achève  de  l'enflammer*.  Çakuntalâ  nous  transporte  au 
milieu  des  bois  dans  le  voisinage  du  riant  ermitage  de 
Kanva  ;  c'est  là  que  le  roi  Dushyanta  rencontre  l'hé- 
roïne du  drame,  occupée  à  arroser  les  arbres  favoris 
de  son  père  supposé,  et  qu'il  s'en  éprend  *.  Dans  Urvaçi, 
dernière  pièce  de  Kâlidâsa,  le  roi  Purûravas  vient  dans 
le  parc  de  Pratishthâna  chercher  un  délassement  au 
chagrin  que  lui  cause  le  départ  de  la  divine  Âpsaras  ; 
celle-ci  y  est  ramenée  par  l'amour  qu'elle-même  éprouve 


1.  Ayodhyàkàoda,  XLVII,  5  et  XCV,  26  ;  LU,  34  et  LUI,  1. 

2.  Sundarakànda,  XVI,  46;  XVII,  36. 

3.  André  Lefèvre,  Les  parcs  et  les  jardins.  Paris,  1882,  in-12, 
3«  édit.yp.  23. 

4.  Màlavikà  el  Agnimitra,  acte  III.  Trad.  L.  Fritze,p.  32-36. 

5.  Çakuntalâ,  acte  I,  scènes  2-4. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  427 

pour  le  héros  ;  et  quand  elle  a  été  changée  en  liane, 
pour  avoir  pénétré  dans  le  bocage  sacré  du  dieu  Ku- 
mâra,  nous  voyons  le  roi  parcourir  les  bois,  à  la  re- 
cherche de  sa  bien-aimée,  interrogeant  sur  son  sort 
leurs  sauvages  habitants  ^ 

C'est  dans  le  parc  de  Makaranda  que  se  déroulent 
encore  les  principales  scènes  du  drame  de  RatnâvaH, 
attribué  au  roi  Çrî-Harsha^  Il  y  a  également,  dans 
Nâgânanday  pièce  du  même  poète  royal,  un  parterre, 
dont  la  jardinière  Pallavikâ  est  chargée  de  ratisser  les 
allées  de  tamâlas^  et  où,  leurs  noces  achevées,  se 
promènent  le  héros  et  l'héroïne. 

Dans  Pryadarçikây  autre  drame  de  Çrî-Harsha, 
nous  trouvons  aussi  un  parterre,  dans  lequel  le  roi 
Vatsa  rencontre  Théroïne  et  s'en  éprend,  comme  dans 
Ratnàvali  *.  Le  Pârvatiparinaya  «  les  Noces  de  Pâr- 
vatî  »,  pièce  attribuée  à  Bâna,  a  été  découpé  dans  le 
Kumârasathbhava  et,  comme  l'original,  il  nous  trans- 
porte au  milieu  des  paysages  divins  de  l'Inde  mythique. 
Çûdraka,  l'auteur  royal,  croit-on,  de  la.  Mricchakatikâ, 
nous  montre,  au  début  du  cinquième  acte,  Çârudatta, 
^  un  des  personnages  du  drame,  assis  dans  un  parc 
ombreux;  au  septième  acte,  il  nous  conduit  encore 
dans  un  parterre,  vraie  «  corbeille  de  fleurs  »  —  push- 
pakarandaka  — ,  aux  arbres  enlacés  de  lianes  impé- 
nétrables, et  c'est  là  qu'arrive  la  catastrophe  finale  ^ 


1.  Urvaci,  actes  II  et  IV.  Trad.  Fritze,  p.  22-34 et  52-68. 

2.  Actes!,  II,  III.  Trad.  Fritze,  p.  17,  28,  60  et  suiv. 

3.  Acte  IL  Trad.  A.  Bergaigne,  p.  62. 

4.  Acte  H.  Cf.  S.  Lévi,  Le  théâtre  indien.  Paris,  1890,  in  8, 
p.  188. 

5.  Acte  V,  scène  1  ;  acte  VII,  scène  1  ;  acte  VIII,  scène  1. 
Cf.  98.  127  et  133. 


428  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Dans  Mâlati  et  MAdhava,  drame  de  Bhavabhùti, 
Màdhava,  plongé  dans  la  rêverie,  se  rend,  au  premier 
acte,  dans  le  jardin  de  Kâma  ;  là  assis  sous  un  kânca- 
nâra,  dont  les  fleurs  épanouies  remplissent  le  parc  de 
leur  parfum,  il  raconte  à  son  confident  Makaranda 
comment  il  s'est  épris  de  Mâlatî,  et  le  troisième  acte 
nous  conduit  dans  un  autre  jardin,  «  le  parterre  fleuri  », 
qui  entoure  le  temple  de  Çiva,  où  Kâmandaki  a  ménagé 
une  entrevue  entre  les  deux  amants*.  Imitation  de 
Màlati  et  Mâdhava,  le  drame  d'Uddandi,  Mallikâ  et 
Mdrtita,  se  passe  aussi  en  partie  dans  un  jardin,  le 
parterre  du  temple  de  Kàtjâyanî-,  Dans  VUttara- 
râmàcarita,  Bhavabhùti,  nous  promène  à  travers  les 
forêts  où  Kàma  avait  erré  pendant  son  long  exiP.  Il 
va  sans  dire  que  le  Mahdviracarita  nous  ofl*re  les 
mêmes  paysages  que  le  Ràmàyana,  dont  cette  pièce, 
de  Bhavabhùti  n'est  qu'un  résumé  fait  pour  la  scène  *. 
Quant  aux  pièces  postérieures  au  milieu  du  viii*  siècle, 
époque  de  la  littérature  hindoue  où  j'ai  résolu  de  m'ar- 
rêter,  leur  examen  ne  saurait  trouver  place  ici.  Je  ferai 
exception  toutefois  pour  le  Mndrdrdkskasa,  pièce  ori- 
ginale d'un  disciple  de  Cûdraka,  Viçàkhadatta,  ainsi 
que  pour  la  «  Colère  de  Kauçika  »  —  Candakauçika 
—  drame  de  Kshemîçvara,  d'une  date  incertaine,  mais 
dont  la  mise  en  scène  est  digne  de  Tàge  classique. 
Le  sixième  acte  de  Mudràràkshasa  se  passe  en  entier 
dans  un  parc^;  le  Candakauçika  nous  conduit  au  milieu 


1.  Trad.  L.  Fritze,  p.  15,  16  et  37. 

2.  Actes  III,  IV  et  V.  S.  Lévi,  Le  théâtre  indien,  p.  217-218. 

3.  Félix  Nève,  Le  dénouement  de  V histoire  de  Hâma,  Outtara- 
Ràma-Charita.  Paris,  1880,  in-8. 

i.  S.  Lévi,  Le  théâtre  indien,  p.  269-272. 
5.  Trad.  L.  Fritze,  p.  111. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  429 

des  bois  qui  entourent  Termitage  de  Tanachorètô'  Kau- 
çika*. 

Les  poètes  hindous  ne  se  sont  pas  contentés  de 
donner  place  dans  leurs  œuvres  au  monde  des  plantes  ; 
ils  se  sont  complus  à  en  faire  connaître  les  divers  re- 
présentants, à  décrire  les  lieux  où  ils  croissent  et  au 
milieu  desquels  vivent  et  agissent  leurs  héros.  L'au- 
teur du  Mahâbhârata  n'y  a  pas  manqué.  Dans  Tépisode 
célèbre  des  amours  du  roi  Dushyanta  et  de  Çakuntalâ, 
il  ne  nous  transporte  pas  seulement  au  milieu  des 
bois,  où  s'élève  l'ermitage  de  Kanva  et  où  vient  chasser 
Dushyanta,  il  nous  les  dépeint. 

Telle  était  la  charmante  et  magnifique  forét*  où  entra  ce 
grand  chasseur.  Revêtus  de  leur  parure  aux  mille  couleurs  et 
résonnant  du  doux  ramage  des  oiseaux,  les  arbres  s'élevaient 
en  rangs  pressés  jusqu'aux  cieux.  Leurs  rameaux,  embellis  de 
grappes  fleuries,  s'agitaient  doucement  au  doux  souffle  des 
vents,  en  répandant  leurs  fleurs  sur  la  tète  du  monarque. 
Autour  de  leurs  branches,  courbées  sous  le  poids  des  fleurs, 
bourdonnaient  les  essaims  d'abeilles,  avides  d'en  sucer  le  miel. 
Ces  rangées  d'arbres  aux  rameaux  fleuris,  entrelacés  les  uns 
dans  les  autres,  et  ressemblant  à  autant  d'arcs-en-ciel  par 
l'éclat  et  la  variété  des  couleurs,  donnaient  à  la  forêt  une  inex- 
primable beauté.  Et  le  roi  à  la  grande  énergie,  en  contemplant 
ces  lieux  couverts  de  berceaux  de  lianes,  ornées  d'épais  bou- 
quets de  fleurs,  éprouvait  une  joie  et  un  charme  infinis. 

Là  et  plus  loin,  où  il  décrit  les  ermitages  répandus 
sur  les  bords  enchanteurs  de  la  Miilinî,  le  poète  nous 
peint  encore  un  paysage  hindou  ;  dans  l'épisode  de  Nala 
et  Damayantî,  il  semble,  au  contraire,  s'être  plu  uni- 
quement à  énumérer  les  arbres  de  la  forêt  où  l'héroïne 
erre  abandonnée.  Et  quand  elle  interroge  sur  Nala  la 

1.  Acte  II.  Trad.  L.  Fritze,  p.  27-42. 

2.  Adi-Parva,  2852-2857.  The  Mahâbhârata,  translated  by 
Protap  Chandra  Roy.  Calcutta,  188'*,  in-8,  vol.  I.  p.  209. 


430  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

haute  montagne  aux  pics  nombreux  qu'elle  rencontre 
sur  son  chemin  S  Damayanti  n'oublie  pas  encore  de 
nommer,  avec  les  fauves  auxquelles  elle  sert  de  retraite, 
les  arbres  —  kiihçukas,  açokas  et  bakulas,  pumnagas, 
dhavas,  plakshas  et  karnikàras  aux  belles  fleurs  — ,  qui 
la  couvrent  et  Tembellissent.  Toutes  les  fois  que  le 
poète  parle  d'une  forêt,  qu'il  s'agisse  de  celle  où  Pandu 
finit  sa  vie,  des  solitudes  boisées  des  bords  du  Dvai- 
tavana,  où  les  fils  du  héros  vont  établir  leur  de- 
meure',  etc.,  il  montre  le  même  souci  de  faire  con- 
naître les  essences  diverses  qui  croissent  dans  ces 
lieux  fortunés. 

Cependant  quelque  nombreuses  qu'elles  soient  dans 
le  Mahâbhârata,  les  descriptions  de  forêts  et  de  pay- 
sages le  sont  encore  bien  plus  dans  le  Ràmâyana  ;  on 
peut  reprocher  à  Vàlmîki,  l'auteur  de  ce  beau  poème, 
de  les  avoir  parfois  faites  trop  longues,  de  s'être  attardé 
à  d'interminables  énumérations  d'arbres  et  de  plantes, 
mais  quel  coloris  aussi,  quel  art  il  a  le  plus  souvent 
mis  dans  ses  tableaux  !  Il  est  impossible,  par  exemple, 
de  décrire  avec  plus  de  charme  que  ne  le  fait  Rama 
la  forêt  de  Citrakûta,  où  il  va  se  retirer  avec  Sîtâ  et 
son  frère  Lakshmana  *. 

Sità  aux  grands  yeux,  vois  près  de  la  Mâlini,  ces  kîihçukas, 
revêtus  de  fleurs  couleur  de  feu  à  la  fin  de  la  saison  froide  ;  vois 
le  long  de  la  Mandàkini  cette  forêt  de  karnikàras,  toute  illuminée 
de  fleurs  splendides  et  flamboyantes.  Vois  ces  bhallâtakas,  ces 
bilvas,  ces  panasas,  ces  plaquemiers  et  tous  ces  autres  arbres 
dont  les  branches  sont  courbées  sous  le  poids  de  leurs  fruits. 

t.  VanaParva,  2437-2440. 

2.  Adi-Parva,  4868.  —  Vana-Parva,  934-935. 

3.  Ràmâyana,  Ayodhyâkânda,  LVÏ,  7-10  et  U-17.  Fauche, 
vol.  II,  321*.  —  Gorresio,  vol.l,  p.  269.  Le  bhalUUaka  est  le 
Semecarpus  anacardium. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  431 

Oh  !  bonheur  !  Nous  voici  donc  arrivés  au  mont  Citrakûta,  ce 
séjour  délicieux  et  semblable  au  Paradis.  Ici,  femme  à  la  taille 
svelle,  nous  pourrons  vivre  de  simples  fruits...  Vois,  belle 
amie,  comme,  sur  les  bords  de  la  Mandâkini,  ces  grappes 
fleuries  qui  couvrent  les  arbres  semblent  nous  offrir  des  lits 
moelleux  !...  Sur  cette  montagne,  couverte  de  délicieux  bocages, 
égayée  par  le  ramage  des  oiseaux,  nous  vivrons  heureux,  ma 
bien  aimée  Vidéhaine.  Ici,  tu  goûteras  avec  moi  les  joies  les 
plus  douces. 

L'idylle  se  continue  dans  cette  solitude  enchantée, 
où  chaque  jour  Rama  découvre  de  nouvelles  beautés  et 
goûte,  divin  exilé,  des  joies  nouvelles  : 

Quand  je  contemple  cette  délicieuse  montagne,  Sitâ^  ni  la 
perte  de  la  couronne  tombée  de  ma  tête,  ni  Texil  même  loin 
de  mes  amis  ne  tourmente  plus  mon  âme.  Vois  quelle  variété 
d'oiseaux  peuple  cette  montagne,  parée  de  hautes  crêtes,  qui 
s'élèvent  presquç  jusqu'au  ciel...  Elle  renferme  en  elle  une 
source  de  prospérité,  riche  comme  elle  l'est  en  manguiers  et 
en  jambons,  en  lodbras,  kakubhas,  piyàlas  et  dhavas,  en  ankolas, 
panasas,  bilvas  et  tindukas,  en  bambous  et  en  gambhâris,  en 
arishtas,  varunas  et  madhùkas,  en  amàlàkas,  kadambas  et 
roseaux,  en  santals,  déodaras  et  autres  arbres,  revêtus  de 
fleurs,  couverts  de  fruits,  opulents  d'ombrage  et  agréables  à  la 
vue. 

Vâlmîki  aime  ces  descriptions,  où  il  peut  faire  éta- 
lage de  son  érudition  ;  la  recherche  du  lieu  où  Kâma 
se  fixera  définitivement,  la  vue  des  saints  ermitages 
réunis  dans  le  Dandaka,  lui  ont  permis  de  les  accu- 
muler dans  la  suite  de  son  poème.  Un  premier  exemple 
est  offert  par  la  description  du  paysage  où  l'ascète 
Sutîkshna  conseille  à  Rama  de  s'arrêter  ^  :   «  solitude 

1.  Ayodhyàkânda,  CIII,  3-4  et  8-10.  —  Gorresio,  vol.  I,  p.  360. 
Le  kakuhha  est  la  Terminalia  arjuna,  lepiyâla,  la  Buchanania 
latifoliay  le  dhava,  la  Griêlea  tomentosa,  la  gambkâri,  la 
Gmelina  arborea,  Varish(a,  le  Melia  azadirachta  et  le  varuna 
ou  varatja,  la  Crataeva  religiosa. 

2.  Aranyakà^ida,  XI,  14-16.  —  Gorresio,  vol.  Il,  p.  20, 


432  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

heureuse,  où  abondent  les  fleurs  et  les  eaux,  pleine 
d'arbres  à  fruits  et  de  succulentes  racines,  riche  en 
odeurs  suaves,  en  fruits  nourrissants,  embellie  de  lacs 
émaillés  par  des  pépinières  de  lotus,  et  ornée  de  char- 
mants bosquets.  » 

Mais  le  héros  ne  peut  y  rester,  et  il  continue  sa  route 
avec  Sitâ  et  son  frère  Lakshmana,  contemplant  «  les 
bocages  et  les  bois  délicieux,  les  montagnes  et  les  ri- 
vières, les  étangs  parsemés  de  lotus»,  qu'il  rencontre 
sur  son  chemin,  tout  en  cherchant  «  le  site  heureux  et 
charmant,  abondant  en  herbes,  riche  en  fleurs,  en  ra- 
cines et  en  fruits»,  où  réside  l'auguste  Agastya*. 
«  De  grands  arbres  aux  branches  courbées  sous  les 
fleurs  et  les  fruits  et  résonnant  du  chant  des  oiseaux, 
avec  les  senteurs  pénétrantes  des  poivriers  murs  », 
lui  signalent  l'ermitage  du  saint.  Enfin,  il  y  arrive  et  , 
il  s'empresse  aussitôt  d'en  décrire  à  son  frère  la  riche 
et  brillante  végétation  K 

Et  plus  tard,  lorsque,  dans  sa  course  errante,  Ràma 
a  découvert,  au  milieu  de  la  Paiicavatî,  un  site  propre 
à  f^  fixer,  avec  quel  ravissement,  mais  aussi  avec  quelle 
prolixité,  il  le  dépeint  à  son  frère  ^ 

Voici  un  lieu  délicieux  et  beau,  entouré  de  jeunes  arbres 
tout  eh  fleurs  ;  veuille  bien  nous  bâtir  ici,  bel  ami,  un  asile  qui 
nous  convienne.  Non  loin  se  découvre  la  belle  et  pure  rivière 
de  Godâvari,  pleine  de  lotus  aux  senteurs  les  plus  douces  et 
brillants  comme  le  soleil...  Vois  combien  est  ravissante  cette 
haute  montagne,  couverte  de  plantes  grimpantes  disposées  en 
bosquets,  ombragée  d'arbres  en  fleurs;  dattiers,  tamâlas,  çâlas, 
tàlas  en  font  la  parure.  Elle  est  ornée  par  des  roseaux,  des 
syandanas,  palàças,  dhavas,  arjunas,  etc. 

1.  Aranyakânda,  XV,  2-3  et  41.  —  Gorresio,  vol.  II,  p.  26. 

2.  Aranyakânda,  XVI,  5-7  ;  XVII,  5-17. 

3.  Aranyakânda,  XXI,  10-16.  — Gorresio,  vol.  II,  p.  39.  Le 
syandana  est  la  Dalbergia  oogeiniensis. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  433 

Et  passant  en  revue,  après  ceux  de  la  montagne, 
les  arbres  de  la  plaine,  il  continue,  comme  séduit  au 
spectacle  de  cette  végétation  variée  et  luxuriante,  sa 
longue  énumération,  sans  craindre  de  se  répéter  ou  de 
fatiguer.  On  retrouve  partout,  dans  le  Râmâyana,  ce 
procédé  un  peu  primitif  et  conventionnel.  S'agit-il 
par  exemple  d'indiquer  la  route  suivie  par  Râvana, 
le  ravisseur  de  Sîtâ,  le  poète  dira*  «  qu'il  s'en  est 
allé  par  le  chemin,  où  l'on  voit  ces  arbres  fleuris  et 
charmants  :  gréwies,  bilvas,  palâças,  figuiers  aux 
feuilles  ondulées,  nyagrodhas,  kendus  et  açvatthas, 
karavîras,  madhûkas,  beaux  santals  et  dhavas  ».  Le 
grave  défaut  de  ces  descriptions,  c'est  de  se  ressem- 
bler toutes  et  de  ne  tenir  point  compte  des  différences 
essentielles /que  présente  la  flore  indigène;  ainsi  le 
singe  Hanumat,  en  se  rendant  à  Ceylan,  aperçoit  dans 
sa  route  les  mémos  arbres  que  Rama  avait  admirés 
sur  les  bords  de  la  Godàvarî,  ou  même  aux  environs 
d'Ayodhj'à^  Ce  sont  encore  les  arbres  de  l'Inde  cen- 
trale ou  même  septentrionale  que  découvrent  les  singes, 
auxiliaires  de  R;una,  à  leur  arrivée  devant  Lanka, 
capitale  de  la  grande  île^ 

Toute  remplie  de  eampakas,  d'açokas,  de  çâlas,  de  bakulas, 
de  kharjùras,  ombragée  par  les  bois  de  xanthocymes  et  cou- 
verte de  karailjakas,  Lanka  resplendissait  de  tous  côtés,  comme 
r.\maràvatî  d'Indra,  par  les  gazons  verdoyants   (qui  Tentou- 

1.  Aranyakânda,  LXXVI,  2-3.  —  Gorresio,  vol.  Il,  p.  IGO  : 
«  Kgle,  buchananie  e  butée,  hibischi,  mimose  et  diospyri,  sacre 
ficaie,  pterospermi,  bassie,  grislee  e  sirii.  » 

2.  Sundarakànda,  VIII,  5-9.  Le  kendu  est  le  Diospyros 
iomentom  et  le  kar aviva  ^  le  laurier-rose  odorant. 

3.  Yuddhakârida,  XV.  2-6.  —  Gorresio,  vol.  III,  p.  179.  Le 
karafijaka  est  la  Pongamia  glabra,  et  le  lilaka,  le  Cleroden- 
dron  plUomoïdes. 

JoKET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité.        JL  —  28 


434  LES  PUNTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

raient),  les  arjunas,  les  saptaparnas,  les  tilakas,  les  karpikâras 
et  les  pàtalîs;  arbres  sylvestres  parés  de  fleurs  variées, 
arbres  aux  tendres  bourgeons  rouges,  aux  boutons  épanouis, 
aux  cimes  fleuries  et  aux  tiges  embrassées  par  des  lianes. 

Et  Vàlmîki  poursuit  la  description  du  paysage  qui 
s'offre  aux  regards  de  Tarmée  simienne,  presque  sans 
y  ajouter  un  trait  qui  le  distingue  de  ceux  qu'il  nous 
a  déjà  peints.  Inutile  aussi  de  s'y  arrêter. 

Le  monde  des  plantes  ne  joue  pas  un  rôle  moins 
considérable  dans  les  poèmes  de  la  Renaissance  hin- 
doue que  dans  le  Mahàbhîirata  et  le  Râmâyana.  Qu'on 
lise,  par  exemple,  dans  le  Meghadûta  de  Kâlidâsa,  la 
description  de  la  demeure  enchantée  où  le  «  Nuage 
messager  »  trouvera  Tamie  du  poète,  qu'il  doit  saluer 
de  sa  part,  et  Ton  verra  quelle  place  l'auteur  de  ce 
poème  gracieux  se  plaît  à  donner  aux  plantes  dans  ses 
vers  *. 

Là  est  notre  maison...  On  la  distin^çue  de  loin  au  portique 
qui  s'élève  semblable  à  Tare  d'Indra.  Dans  son  jardin  est  un 
jeune  mandàra,  que  ma  bien-aimée  cultive  comme  un  enfant 
adoptif  et  dont  les  gerbes  de  fleurs  se  penchent  à  la  portée  de 
sa  main.  Un  étang  s'y  trouve,  rempli  de  lotus  aux  brillants 
pétales,  aux  tiges  d'émeraudes...  Sur  ses  bords  s'élève  un  mon- 
ticule artificiel,  à  la  cime  formée  d'étincelants  saphirs;  une 
haie  de  bananiers  l'environne  et  l'embellit.  Il  a  pour  mon  amie 
un  charme  particulier...  Près  d'un  berceau  qu'entourent  des 
kuravakas  et  qu'une  madhavi  enlace  de  ses  tiges  grimpantes, 
se  dresse,  à  côté  d'un  élégant  kecara,  un  rouge  açoka  aux 
rameaux  tremblants. 

Malgré  son  caractère  particulier,  le  Raghuvaiiiça y 
poème  dans  lequel  Kâlidâsa  a  chanté  l'histoire  de  la 


1.  Œuvrrs  complètes  de  Kàlidâsn,  trad.  Fauche.  Paris,  1859, 
in  ft,  vol.  I,  p.  '*69-70,  str.  73-76.  —  Meghadûta,  iibers.  von 
L.  Fritze,  p.  31-32,  str.  72-75. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  435 

famille  royale  de  Raghu,  abonde  en  descriptions  em- 
pruntées à  la  flore  de  Tlnde.  Elle  lui  a  fourni  quelques- 
uns  des  traits  de  ses  plus  gracieuses  peintures.  Telle, 
par  exemple,  la  plainte  inspirée  à  Aja  parla  mort  sou- 
daine de  son  épouse*. 

N'est-ce  point  là  ce  manguier  et  ce  priyanga  que  tu  voulais 
marier?  Ce  n'est  pas  bien  à  toi  de  partir,  sans  avoir  célébré 
leur  hymen.  La  fleur  que  va  produire  cet  açoka,  provoqué  par 
toi,  parure  destinée  à  tes  cheveux  bouclés,  comment  la  chan- 
gerai-je  en  une  guirlande  offerte  à  tes  mânes?  Ta  mort,  femme 
charmante,  est  déplorée  par  cet  açoka,  qui  verse  des  fleurs  en 
guise  de  larmes,  se  rappelant  qu'il  fut  touché  par  ton  pied  au 
son  gracieux  de  tes  nùpuras. 

Les  principaux  traits  de  la  description  que,  dans  le 
même  poème,  ainsi  que  dans  le  Kumârasarhbhava, 
Kâlidàsa  a  donnée  du  printemps,  sont,  cela  ne  saurait 
surprendre,  également  tirés  du  monde  des  plantes^; 
mais  il  ne  s*est  pas  borné  à  lui  emprunter  quelques 
images  isolées  ;  généralisant  et  développant  ce  qu'il 
avait  fait  dans  ces  deux  poèmes,  il  a,  dans  une  autre 
œuvre,  le  Ritusamhàra,  demandé  au  règne  végétal 
presque  seul  tous  les  traits  qui  lui  ont  servi  à  carac- 
tériser la  succession  des  diverses  saisons  et  à  peindre 
les  scènes  de  la  vie  sociale  propres  à  chacune  d'elles'. 

La  saison  des  pluies,  qui  commence  vers  le  mois  de 

1.  Chant  VU,  60-63.  Baghuvansa  edidit  Ad.  Fr.  Stenzler. 
London,  1832,  in-4o,  p.  59.  --  H.  Fauche,  Kâlidàsa,  vol.  I, 
p.  263. 

2.  Raghu-Vamça,  chant  IX,  27-29.  —  Kumâra'Sambhava, 
Kâlidâsae  carmen  edidit  Ad.  Fr.  Stenzler.  Berlin,  1838,  in-4, 
cap.  III,  25-29.  —  Fauche,  KàlidAsaj  vol.  I,  p.  277-78  et  II, 
290. 

3.  Ritusanhàray  id  est  Tempeslalum  cyclus,  carmen  satiscri- 
lum...  edidit  P.  Bohlen.  Lipsiae,  1840,  in-8.  —  H.  Fauche, 
Kâlidàsa,  vol.  II,  p.  3-48. 


436  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

juin,  inaugare  pour  la  nature  tropicale  de  THindoustan 
une  vie  nouvelle  ;  pendant  la  chaleur  torride  des  mois 
précédents,  la  végétation  avait  paru  s'arrêter,  et  Kà- 
lidâsa  ne  cite  pas  une  seule  fleur  dans  la  partie  de  son 
poème  consacré  à  cette  époque  de  Tannée'.  Mais  les 
pluies  ont  bien  vite  ranimé  la  nature  alanguie  ;  la 
terre  fécondée  par  elles  se  couvre  des  pousses  des 
kadalis  et  des  herbes  nouvelles  ;  les  lacs  et  les  étangs 
s'embellissent  de  lotus  ;  les  fleurs  des  kadambas,  des 
sarjas,  des  arjunas,  des  nipas  et  des  ketakis,  embau- 
ment les  airs  et  portent  le  trouble  du  désir  dans  les 
âmes,  et  avec  les  fleurs  fraîchement  épanouies  des 
keçaras,  des  mâlatîs  et  des  yûthikàs,  elles  servent  à 
orner  les  cheveux  et  les  oreilles  des  femmes  aimées  *. 
L'automne  amène  le  complet  épanouissement  de  la 
flore  tropicale. 

Alors  les  champs  s'émaillent  de  kàças  fleuris;  Jes  étangs, 
des  nymphées  épanouies  ;  les  bois,  des  saptacchadas,  qui  plient 
sous  le  poids  de  leurs  fleurs,  et  la  neige  des  mâlatîs  fait  res- 
plendir les  jardins.  La  terre  se  rougit  du  pollen  que  répandent 
les  fleurs  du  bandhûka;  les  tiges  mûrissantes  des  moissons 
tapissent  les  champs.  Est-il  un  cœur  que  ne  trouble  pas  la  vue 
du  kovidàra  aux  larges  rameaux,  agités  par  le  zéphyr  et  cou- 
verts de  milliers  de  fleurs,  d'où  découle  un  miel  que  viennent 
recueillir  les  abeilles?  Quand  il  secoue  les  champs  du  riz 
incliné  sous  le  poids  de  ses  graines  ;  quand  il  fait  danser  les 
grands  arbres  chargés  de  fleurs  et  qu'il  agite  les  lacs  émaillés 
des  padmas,  des  kumudas  et  des  kahlàras  entr'ouverts,  le  vent 
remue  avec  force  l'âme  des  jeunes  gens.  Délaissant  le  kadamba, 
le  kutaja,  Tarjuna,  le  sarja  et  le  nîpa,  Çrî  visite  à  leur  tour  les 
saptacchadas,  qu'elle  couvre  de  fleurs.  Le  parfum  des  fleurs  de 
la  çephàlikà  ravit  Tàme...  L'éclat  de  la  lune  pâlit  devant  les 


1.  I.  Tempestas  Grîshma. 

2.  II.  Tempestas  Varshâ,  5,  14,  17,  21,  25.  Le  sarja  est  la 
Shorea  robusta,  la  kadali,  le  bananier,  le  ntpa^  VAnthoce- 
phnius  codamba  et  la  yûtliikô,  le  Jasminum  auriculatum. 


LES  ri.ANTKS  IXANS  LA  POÉSIE  437 

nélumbos  épanouis  ;  la  vivacité  des  yeux  que  le  plaisir  fait 
trembler  le  cède  aux  lotus  bleus.  Les  sombres  lianes,  aux 
rameaux  inclinés  sous  le  poids  des  fleurs,  éclipsent  la  beauté 
des  bras  que  les  femmes  ont  chargés  de  parures,  et  le  jasmin 
frais  éclos,  uni  aux  fleurs  de  l'açoka,  surpasse  la  blancheur 
éblouissante  des  dents  dans  une  bouche  qui  sourit...  Que  belle 
par  sa  bouche  de  nélumbo  épanoui,  par  ses  yeux  de  lotus  bleu 
en  fleur,  par  sa  robe  blanche  de  kâças  aux  fleurs  nouvelles, 
par  son  radieux  sourire  de  lotus  blanc,  (cette  saison  de)  l'au- 
tomne vous  donne  la  suprême  joie  des  âmes'  !. 

L'hiver  même  no  met  pas  fin  à  cette  fête  de  la  na- 
ture. Les  lodhras  continuent  de  fleurir;  les  lotus  bleus, 
d'embellir  les  étangs,  dont  les  raivalas  envahissent  les 
ondes  transparentes  -.  Mais  c'est  le  temps  de  la  mois- 
son, bien  plus  que  celui  des  fleurs.  Celles-ci  com- 
mencent à  reparaître  avec  la  saison  de  la  rosée  ;  la 
verdure  nouvelle  les  précède  et  les  annonce  ;  la  canne 
à  sucre  et  le  doux  riz,  d'autres  céréales  encore,  en- 
chantent les  yeux  de  leurs  chaumes  grandissants^. 
Le  printemps  rend  enfin  à  la  nature  embellie  toute  sa 
parure  : 

Les  étangs  se  tapissent  de  lotus,  les  manguiers,  qui  plient 
sous  le  poids  de  leurs  grappes  fleuries,  remplissent  de  vagues 
désirs  l'àme  des  femmes.  Portant  une  multitude  de  fleurs  entre- 
mêlées de  bourgeons,  les  açokas,  rouges  jusqu'à  la  racine 
comme  la  couleur  du  corail,  rendent  soucieux  le  cœur  des 
jeunes  filles.  Les  fleurs  entr'ouvertes  de  l'atimukta,  que  les 
abeilles  enivrées  effleurent  de  leurs  baisers,  et  les  gracieux 


i.  III.  Tempestas  Sarad,  2,  5.  6,  10,  13,  !'•,  15,  17,  18.  27 
et  28.  Fauche,  vol.  11,  p.  19-26.  Le  Av/caestle  Saccharum  spon- 
taneum,  le  saptacchada,  VAlstonia  scholaris,  le  bandhùkUy 
VIxora  grandiflora,  le  kovidâra,  la  Bauhinia  variegata,  le 
kahlàra,  la  Nymphœa  esculenta  ou  cyanea  et  le  ku((ija,  la 
Wr ightia  ani  idysenterica . 

2.  IV.  Tempestas  Hcmanta,  1,  9. 

3.  V.  Tempestas  (.'içira,  16. 


438  LES  PUNTKS  CHKZ  LKS  HINDOUS 

et  tendres  rameaux  agités  par  le  zéphyr,  allument  d'inquiets 
désirs  dans  Tàme  des  amants  ^ 

Et  après  avoir  rappelé  «  la  beauté  supérieure  des 
kuravakas,  aux  grappes  nouvelles  écloses,  qui  effacent 
le  brillant  éclat  dont  rayonne  le  visage  d'une  amante  », 
Kàlidàsa  ajoute  : 

Aujourd'hui  que  la  saison  du  printemps  est  arrivée,  les  pàri- 
jàtas,  semblables  eux-mêmes  à  un  feu  ardent,  et  les  forêts  de 
kimçukas,  couvertes  de  fleurs,  brillent,  sous  leur  manteau  de 
pourpre,  comme  une  nouvelle  épouse...  Les  bosquets  enchan- 
teurs embellis  par  les  jasmins,  dont  la  blancheur  est  comme  le 
sourire  d'une  belle  fiancée,  dérobent  à  l'anachorète  lui-même 
son  âme  libre  des  passions...  A  l'aspect  des  montagnes,  dont 
les  sommets  sont  couverts  d'arbres  en  fleurs,  tout  le  monde 
s'enivre  de  plaisir...  Les  manguiers  fleuris  et  les  aimables 
karnikàras  sont  comme  des  traits  acérés,  dont  l'âme  des  amantes 
est  blessée  par  le  Dieu  à  l'arc  de  fleurs...  Formant  avec  les 
sombres  açokas  le  nectar  de  ses  lèvres,  étalant  avec  ses  bou- 
quets de  jasmins  comme  une  blanche  guirlande  de  dents,  la 
face  belle  comme  un  nélumbo  épanoui...  que  la  saison  des 
fleurs,  chère  à  Kàma,  vous  procure  une  félicité  durable  jusqu'à 
la  fin  de  ce  kalpa  ^. 

Il  était  impossible  d'attribuer  aux  plantes  un  rôle 
plus  considérable  dans  une  œuvre  littéraire  ;  le  sujet 
le  comportait  sans  doute  ;  mais  il  faut  y  voir  encore 
plus  un  effet  du  penchant  dos  poètes  hindous  de  la 
Renaissance  à  peindre  la  nature  végétale.  Kàlidàsa 
trouva  aussi  des  émules  et  des  imitateurs.  Dans  la 
première  partie  de  ses  sentences  ^  Bhartrihari  a  essayé 

1.  VI.  Tempestas  Vasanta,  2,  3,  15,  17.  Vatimukla  est  la 
Gaertnera  racemosa. 

2.  Tempestas  Vasanta,  18,  19,  23,  25,  27,  3f.  Le  Mthçtika  est 
est  un  autre  nom  de  la  Butea  frondosa,  le  palâca. 

3.  Çrihfjdraçalnkam.  Kdiditet  latine  vertit  Petrus  a  Bohlen. 
Berolini,  i833,'in-'i,  p.  87-90.  Trad.  Fauche.  Paris,  1852,in-12, 
p.  85-9'i. 


LES  PLANTKS  DANS  LA  POfiSIE  439 

de  rivaliser  avec  lui  et,  à  son  exemple,  il  a  emprunté 
au  monde  changeant  des  plantes  les  principaux  traits 
du  tableau  qu'il  a  retracé  de  la  succession  des  saisons. 
L'auteur  du  Gitagovinday  Jayadeva,  a  également 
imité  le  poète  du  Ritusamhâra  et,  comme  lui,  il  a 
emprunté  à  la  flore  indigène  les  traits  charmants  avec 
lesquels  il  a  peint  le  printemps  *. 

Ce  goût  des  écrivains  hindous  pour  les  descriptions 
de  la  nature  se  manifeste  dans  tous  les  poèmes  de 
cette  époque,  de  quelque  espèce  qu'ils  soient.  On  le 
retrouve  dans  les  œuvres  dramatiques,  comme  dans  les 
épopées  et  les  poésies  didactiques  ou  lyriques.  Les 
descriptions  du  monde  des  plantes,  la  peinture  des 
paysages  de  Tlnde  «  sous  leurs  aspects  les  plus  divers  » 
ne  se  rencontrent  pas  moins  souvent  dans  les  premiers 
que  dans  les  seconds.  «  Elles  ont,  comme  l'a  remarqué 
Félix  Nève  ^  été  dictées  aux  poètes  par  un  senti- 
ment profond  de  la  nature  ;  »  et  ils  ont  —  quelques- 
uns  du  moins  —  «  su  en  choisir  les  traits  les  plus  purs 
et  les  plus  expressifs  *.  » 

Ces  derniers  mot&,  qui  s'appliquent  à  Kàlidâsa,  ca- 
ractérisent finement  le  talent  et  la  manière  de  l'auteur 
de  Çaktmtalâ,  cet  (c  artisan  de  style  »,  dans  lequel  se 
personnifie  la  Renaissance  hindoue.  Quelles  images 
gracieuses  il  a  empruntées  aux  plantes!  Quels  pay- 
sages ravissants  il  a  peints  dans  ses  drames,  où  on 
s'attendait  si  peu  à  les  rencontrer  !  Tel  est,  par  exemple, 
le  tableau  des  frais  ombrages,  au  milieu  desquels, 
comme   dans  le  Mahâbharata,   Dushyanta   rencontre 

1.  I,  29-30.  Trad.  Fauche.  Paris,  1850,  in-8",  p.  10. 

2.  Le  dénouement  de  Vhistoire  de  Ràma,   Outtara-Hùma- 
Chariia.  Paris,  1880,  in-8,  p.  82. 

3.  A.  Bergaigne,  Kàlidâsa.  Sacounlala,  Préface,  p.  vi. 


440  LES  PLANTP:S  CHEZ  LES  HINDOUS 

rakuntalà*.  Quels  souhaits  doux  et  touchants  aussi 
adressent  à  Théroïne,  au  moment  où  elle  quitte  l'er- 
mitage paternel,  les  Divinités  des  arbres*. 

Qu'il  lui  soit  donné  de  poùter  le  repos  près  des  étangs  ver- 
doyants sous  leurs  lotus  bleus  !  Que  le  toit  ombreux  des  arbres 
la  défende  contre  les  feux  brûlants  du  jour  !  Puisse  la  pous- 
sière du  chemin  se  changer  pour  elle  en  pollen  parfumé  !  Que 
pour  elle  le  souffle  du  zéphyr  agite  doucement  le  feuillage  de 
la  forêt  ! 

Dans  Urvaçi,  Kàlidâsa  n'a  pas  peint  avec  moins  de 
gn\co  les  bosquets  du  palais  roj'al  où  se  déroule  l'ac- 
tion. 

Le  Vidûshaka^.  —  Considère  la  magnificence  dont  le  prin- 
temps redescendu  parmi  nous  a  embelli  ce  parc  ! 

Le  Roi.  —  Je  contemple  ces  arbres  pressés  les  uns  contre  les 
autres  !  Voici  la  fleur  du  kuravaka,  à  la  pointe  rouge  comme 
l'ongle  d'une  jeune  fille  et  blanche  de  chaque  côté  ;  là  la  jeune 
fleur  de  l'açoka  sort  à  demi  de  son  enveloppe,  et  déjà  apparaît 
sa  pourpre  délicate  ;  le  manguier  se  pare  de  grappes  nouvelles, 
brunies  par  le  pollen  qui  a  commencé  à  s'y  déposer.  Le  prin- 
temps éclatant  a  acquis  la  moitié  de  ses  forces  :  ce  n'est  plus 
un  enfant;  mais  ce  n'est  pas  encore  un  jeune  homme. 

Et  quand,  dans  Mâlavikâgnimitra,  Gautama,  pour 
l'engager  à  venir  contempler  les  beautés  du  jardin 
royal,  dit  à  Agnimilra  que  la  «  nymphe  de  co  parc  a 
pris  le  costume  des  tleurs  printanières,  qui  fait  honte 
à  la  toilette  des  jeunes  femmes  les  plus  belles  »,  le  roi 
reprend,  non  sans  afféterie,  mais  avec  une  singulière 
connaissance  du  monde  des  tieurs  ^  : 

Oui,  je  le  vois  avec  surprise.  Comme  le  fard  des  lèvres  em- 
pourprées pâlit  devant  le  rouge  açoka  !  Combien  le  cède  aux 

1.  Acte  I,  scène  3.  Bergaigne,  p.  li.  —  Fritze,  p.  15. 

2.  Acte  IV,  scène  6.  Bergaigne,  p.  89.  —  Fritze,  p.  57. 

3.  Le  a  bouffon  »,  acte  II.  Trad.  F^Yitze,  p.  22. 

4.  Acte  III.  Trad.  V.  Henry,  p.  40.  —  Trad.  Fritze,  p.  32. 


LES  PLANTKS  DANS  LA  POÉSIE  4il 

fleurs  à  la  couleur  sombre,  nuancées  de  blanc  et  de  rose,  du 
kuravaka,  le  tilaka,  qui  sert  à  parer  les  fronts.  Comme  le  signe 
de  beauté,  empreint  entre  les  sourcils,  est  inférieur  aux  tilakas 
en  fleur  avec  leurs  abeilles  en  guise  de  fard  ! 

Crî-Harsha  a  rivalisé  avec  Kâlidâsa  dans  la  des- 
cription  qu'il  a  faite  du  beau  parc  de  Makaranda  où  se 
noue  Tintrigue  de  RatndvaliK 

0  magnificence  de  ce  jardin  !  Les  arbres  qui,  dans  leur 
pourpre  majestueuse,  brillent,  parés  de  jeunes  pousses,  belles 
comme  le  corail,  ces  arbres,  qui  chancellent,  agités  par  le  vent 
qui  souffle  du  Malaya,  apparaissent  comme  ivres  en  cette  belle 
saison  du  printemps.  Les  bakulas  répandent  autour  d'eux  une 
pluie  de  fleurs,  comme  si  une  vierge  avait  arrosé  leurs  racines 
de  la  douce  salive  de  sa  bouche.  Les  campakas  embellissent  le 
visage  des  jeunes  filles,  que  le  vin  a  légèrement  rougi.  A  leurs 
chevilles  résonnent  les  nùpuras,  tandis  que  du  pied  elles  tou- 
chent les  açokas  qu'elles  veulent  faire  fleurir. 

On  retrouve  des  traits  analogues  à  ceux  que  nous 
offre  Ratnavali  dans  un  autre  drame  de  Harsha,  Nd- 
gdnanda,  «  la  Joie  des  Serpents  »  ;  le  poète  en  a 
décrit  avec  le  même  soin  le  parterre,  où  se  passe  la 
pièce  presque  entière  ^ 

0  merveilleuse  richesse  de  ce  parterre  !  Ici,  on  voit  des  ber- 
ceaux de  lianes  pavés  de  mosaïques  et  rafraîchis  par  les  sucs 
qui  découlent  des  arbres  de  santal  ;  le  paon  danse  au  bruit 
clair  des  douches  de  pluie  ;  les  jets  d'eau  lancent  des  gerbes 
rapides  qui  retombent  dans  les  rigoles  creusées  au  pied  des 
arbres,  colorées  par  le  pollen  des  fleurs  que,  sous  leur  léger 
poids  ells  entraînent  dans  leur  chute.  Faisant  résonner  de  leur 
chant  les  berceaux  de  lianes,  qui  portent  sur  elles,  comme  des 
parfums,  le  pollen  des  fleurs,  les  abeilles  semblent  jouir  de 
tous  les  plaisirs  d'un  festin. 

Même  luxe  de  descriptions  et  d'images  empruntées 


1.  Acte  1.  Trad.  Fritze,  p.  17. 

2.  Acte  III.  Trad.  A,  Bergaigne,  p.  70. 


4^2  LES  PU?îTES  CHEZ  LES  HL'^DOIS 

au  monde  des  fleurs  dans  Priyadareikâj  troisième 
pièce  attribuée  à  Harsha:  le  roi  et  le  vidùshaka  — 
le  bouffon  —  y  semblent  rivaliser  dans  la  peinture  du 
a  Jardin  des  Jets  d'eau  »,  où  le  premier  s'est  retiré 
pour  dissiper  le  chagrin  que  lui  cause  Téloignement 
de  la  Reine  V 

Le  Vidmhaka.  — Ami,  regarde  !  Comme  il  est  beau  ce  jardin 
aux  fontaines  jaillissante.s.  Les  fleurs  variées  qui  tombent  per- 
pf^tuellement  sur  le  banc  de  pierre  en  rendent  la  surface  moel- 
leuse; le  réseau  de  lianes,  de  jismins  et  de  bakulas  plie  sous 
le  )K)ids  des  abeilles  avides  de  leurs  parfuns  ;  un  vent  vif,  chargé 
des  senteurs  du  lotus,  entrouvre  les  fleurs  du  bandhùka,  et  les 
tamâlas  touffus  forment  un  abri  contre  la  chaleur  du  soleil. 

Ae  Roi.  —  Les  çephâlikàs  cachent  le  sol  sous  leurs  tendres 
rameaux,  Todeur  des  saptacchadas  touffus  fait  penser  au  par- 
fum de  la  liqueur  que  distille  l'éléphant'  ;  ces  abeilles  dont  le 
corps  est  jauni  par  Tépais  pollen  qui  s'échappe  des  lotus  épa- 
nouis, font  entendre,  ivres  de  la  liqueur  qu'elles  boivent,  je 
ne  sais  quel  chant  confus. 

Si  l'auteur  du  Mricchakatikà  «  le  Chariot  de  terre 
cuite  »,  Çfidraka  n'a  pas  cru  devoir  donner  une  des- 
cription complète  du  jardin  de  Vasantasenà,  Théroïne 
de  la  pièce,  il  en  a,  cédant  au  goût  de  son  époque, 
fait  célébrer  par  deux  de  ses  personnages  les  fleurs  et 
les  fruits. 

Le  Vi(a^.  —  Considère  la  magnificence  de  ce  jardin.  Vois 
briller,  .sous  leur  riche  parure  de  fleurs  et  de  fruits,  ces  arbres 
qu'enlacent  d'impénétrables  et  solides  lianes... 

Samsthùnaka.  —  Oui,  la  terre  est  toute  diaprée  de  milliers 
de  boutons  fleuris  ;  les  arbres  se  courbent  sous  le  poids  de  leurs 
fleurs;  les  lianes  semblent  nous  saluer  de  la  cime  des  arbres, 
et  les  singes  se  régalent  des  fruits  de  l'arbre  à  pain. 

1.  Acte  11.  Trad.  G.  Strehly,  p.  28.  La  çephàlikâ  est  le 
Nyclanthes  arbor-trUtis. 

2.  Liqueur  qui  découle  des  tempes  des  éléphants  en  rut. 

3.  Le  confident.  Acte  Vlll,  scène  3.  Trad.  L.  Fritze,  p.  136. 
—  Trad.  P.  Regnaud,  vol.  111,  p.  48. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  ^  443 

Bhavabhûti  a  donné,  dans  ses  descriptions,  une  place 
encore  plus  grande  au  monde  des  plantes  que  les  poètes 
dramatiques  qui  Tavaient  précédé  ;  la  peinture  que  fait, 
par  exemple,  dans  Mâlati  et  Mddhava,  la  magicienne 
Saudàminî  des  environs  pittoresques  de  la  ville  de 
Padmâvatî,  située  au  confluent  du  Sindhu  et  de  la 
Para,  en  est  une  première  preuve  *. 

Ces  régions  montueuses  et  forestières,  embaumées  par  les 
fruits  odorants  du  bilva,  me  rappellent  avec  leurs  épais  taillis 
de  candanas  et  d'açvakarnas,  de  keçaras  et  de  pàtalîs,  les  mon- 
tagnes couronnées  de  forêts  du  Dekhan,  dont  les  vastes  pentes 
résonnent  délicieusement  des  murmures  de  la  Godàvarî,  ré- 
pétés par  les  grottes  profondes  des  fourrés  obscurs  de  kadam- 
bas,  de  tarunas  et  de  jambus  qui  la  dominent. 

Et  dans  une  autre  scène,  Makaranda,  Tami  du  héros, 
Tinvitant  à  contempler  le  beau  paysage,  qui  se  déroule 
sous  leurs  yeux,  avec  ses  lotus,  «  dontTaile  des  cygnes 
agite  et  fait  trembler  les  longues  tiges  »  : 

Regarde  donc,  lui  dit-iP,  ces  fourrés  de  jeunes  rotins  dont 
le  parfum  a  pénétré  les  eaux  des  torrents  ;  tout  près  la  màlati 
entr  ouvre  ses  fleurs  ;  semblables  à  des  tentes,  se  dressent  les 
nuages  accrochés  aux  angles  de  la  montagne,  dont  ils  dépassent 
les  cimes,  souriantes  sous  leur  parure  de  kutajas  en  fleurs. 
Les  collines  sont  couvertes  de  kadambas,  dont  les  milliers  de 
corymbes  brillent  comme  autant  de  fleurs  isolées...  Les  rives 
humides  des  fleuves  sont  parées  de  touffus  et  gracieux  kétakis; 
tous  les  bois  semblent  sourire,  et  leslodhras  et  les  çiliihdhras^ 
sont  en  fleurs. 

Dans  sa  réponse,  Màdhava,  tout  en  se  reprochant 
de  ne  pouvoir,  loin  de  sa  chère  Màlatî,  contempler  les 


1.  Acte  IX.  Prologue.  ïrad.  L.  Fritze,  p.  100.  —  Trad.  G. 
Strehly,  p.  219.  Vaçvakariia  est  la  Shorea  rohusla,  le  taruna, 
peut-être  le  ricin. 

2.  Acte  IX.  Trad.  Fritze,  p.  103.  —  Trad.  G.  Strehly,  p.  225. 

3.  Un  des  noms  du  bananier. 


4ii  LES  PLAMKS  CIIKZ  LES  IILNDÔI'S 

beautés  de  ia  nature,  ne  décrit  pas  avec  moins  d*amour 
le  spectacle  qu'elles  offrent  à  ses  regards  ravis,  en  ces 
jours  de  la  saison  des  pluies,  où  «  les  troupes  de 
nuages  épais  fuient  devant  le  vent  d'Est,  imprégné  du 
parfum  des  sarjas  et  des  arjunas  entr'ouverts  ». 

Bhavabhùti  ne  s*est  pas  moins  complu,  dans  VUiia- 
raràmacarita  et  le  Mahdviracarila,  que  dans  Màlati 
et  Màdhava,  aux  descriptions  de  la  nature.  Il  avait 
pour  lui  servir  de  modèle  celles  du  RàmAyana,  et  il 
s'en  est  inspiré  dans  une  partie  de  ses  deux  drames  ; 
c'est  ainsi  que  dans  le  premier,  rivalisant  avec  Vàl- 
mîki,  il  nous  peint  tour  à  tour  les  ravissants  bocages 
de  la  foret  de  Dandaka,  les  l)ords  enchanteurs  de  la 
Pampà  ou  de  la  Godàvarî,  couverts  d'arbres  en  fleurs, 
lieux  dont  l'aspect  rappelle  au  héros  ses  années  d'exil. 

Voici  CCS  mômes  montagnes*,  qui  retentissent  des  cris  des 
paons  ;  voici  ces  massifs  boisés  remplis  de  gazelles  ivres 
d'amour  ;  voici  les  bords  de  la  même  rivière,  garnis  des  lianes 
du  gracieux  vanjula  et  sur  lesquels  les  bleus  niculas  crois- 
sent en  buissons  sen'és!  Et  ce  mont  que  l'on  aperçoit  de  loin 
semblable  à  une  couronne  de  nuages,  c'est  le  Prasravapa,  au 
pied  duquel  est  la  rivière  Godàvarî.  Sur  le  plus  haut  sommet 
était  la  demeure  du  roi  des  vautours  Jatâyu.  Tout  auprès  nous 
nous  sommes  plus  dans  les  huttes  de  feuillage,  là  où  la  déli- 
cieuse lisière  de  la  foret  retentit  sans  cesse  du  chant  des 
oiseaux,  et  où  s'étale  la  beauté  de  ses  arbres  de  couleur  sombre 
projetant  leurs  branches  jusque  dans  les  eaux  du  fleuve. 


Los  plant(^s  n*ont  pas  seulement  fourni  aux  poètes 
hindous  les  traits  les  plus  gracieux  de  leurs  descrip- 
tions champêtres;  leurs  qualités  bonnes  ou  mauvaises 

1.  Acte  II,  2«  tableau.  Trad.  F.  Nève,  p.  189.  Le  vanjula 
est  le  Calamus  rotang^  le  nicula,  la  Barringtonia  acutangula. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  445 

leur  ont  suggéré  aussi  d'ingénieuses  fictions,  des  allé- 
gories ou  des  apologues  instructifs,  et  ils  en  ont  tiré 
des  comparaisons  et  des  métaphores  charmantes. 

Cet  arbre  *  —  un  cocotier  —  est  grand  et  gros  en  est  le  fruit, 
(dit)  en  l'apercevant  un  perroquet  tout  réjoui;  il  quitta  aus- 
sitôt le  champ  de  riz  mur  (où  il  se  trouvait),  et  dans  sa  sottise 
vola  vers  le  cocotier;  puis  grimpant  dessus,  il  en  attaqua,  pour 
apaiser  sa  faim,  les  noix  à  coup  de  bec  :  qu'en  résulta-t-il  ?Son 
espoir  fut  déçu  et  son  bec  se  couvrit  de  barbes. 

Une  abeille,  qui  avait  passé  sa  vie  parmi  de  jeunes  lotus  et 
en  avait  sucé  le  miel  à  cœur  joie,  qui  avait  toujours  pris  libre- 
ment ses  ébats  au  milieu  des  fleurs  de  jasmin,  alla,  attirée  par 
son  mielleux  parfum,  visiter  un  buisson  degunja^.  0  fatalité  ! 
Quel  ne  fut  pas  le  sort  de  cette  abeille? 

Une  abeille  vole  dans  le  bec  d'un  perroquet,  s'imaginant  que 
c'est  un  bouton  de  palàça  ;  et  de  son  côté  le  perroquet  veut 
retenir  l'abeille,  pensant  que  c'est  un  fruit  de  jambu  '. 

Telle  est  encore  cette  gracieuse  allégorie*  : 

Dans  le  jardin  céleste  do  Cittalatâ  croit  la  liane  Âsâvatî. 
Une  fois  en  mille  ans,  et  pas  plus,  elle  porte  un  fruit  ;  les  fils 
des  dieux  l'attendent  avec  patience.  Espérez,  ô  Roi  :  le  fruit 
de  l'espéranco  est  doux.  Qui  espère,  ne  connaît  pas  la  défaite, 
ses  souhaits,  à  la- fin,  sont  satisfaits...  Doux  est  le  fruit  de 
l'espérance. 

Laboauto  des  nymphôacées,  le  miel  qu'elles  four- 
nissent aux  abeilles,  la  propriété  mystérieuse  qu'ont 
les  fleurs  du  nélumbo  ou  lotus  rouge  —  padma  ou 
aravinda  —  de  so  fermer  et  de  se  cacher  sous  Teau  au 


1.  Otto  Bôhtlingk,    Indische  Spriiche,  S«-Petersburg,  1870, 
in-8,  n«  1161. 

2.  Abrus  precatorius  L.,  légumineuse  à  fleurs  inodores. 

3.  Bôhtlingk,  n«-  3798  et  3998. 

'#.  Asanka  Jàtaka.    Sion'es  of  the    BudluCs  former  BirthSy 
n"  38U,  vol.  III,  p.  162. 


446  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

coucher  du  soleil,  pour  se  montrer  de  nouveau  et  se 
rouvrir  à  son  lever,  tandis  que  celles  du  lotus  blanc  — 
kumnda  ou  kairava  —  s'ouvrent  au  contact  des  rayons 
de  la  lune  et  se  ferment  à  Taurore,  avaient  vivement 
frappé  les  poètes  hindous  de  la  Renaissance  ;  ils  re- 
viennent à  chaque  instant  sur  cette  propriété  singu- 
lière, et  ils  ont  emprunté  à  ces  fleurs  aimées  les  plus 
gracieuses  comparaisons. 

Je  n'appelle  point  eau',  celle  qui  n*est  pas  couverte  de  bril- 
lants lotus  ;  je  n'appelle  point  lotus  la  fleur  dans  laquelle  ne  se 
cachent  pas  d'abeilles. 

Les  premières  lueurs  du  jour  font-elles  pâlir  le  disque  de 
la  lune  *,  le  lotus  blanc  —  kumuda  —  cache  alors  soigneuse- 
ment sa  corolle  odorante. 

Le  lotus  blanc  —  kairava  —  ne  s'ouvre  qu'aux  rayons  de  la 
lune  et  non  à  ceux  du  soleil  ^. 

Un  rayon  de  la  reine  des  nuits  ne  peut  ouvrir  le  sein  d'un 
lotus  rouge  —  aravinda  — ,  dont  le  calice  reste  fermé  jusqu'à 
l'heure  où  il  revoit  l'astre  du  jour. 

Les  rayons  de  la  lune  ne  pénètrent  pas  dans  un  lotus  rouge, 
ni  ceux  du  soleil  dans  un  lotus  blanc  —  kumuda  ^. 

Son  visage  tour  à  tour  joyeux  et  troublé  est  l'image  du  né- 
lumbo,  tel  qu'il  s'ouvre  le  matin  au  lever  du  soleil  et  se  ferme 
à  son  coucher  ^ 

Chacun  a  son  ami  et  son  confident  ;  le  soleil  fait  ouvrir  la 
fleur  du  nélumbo  —  padma  —  et  se  fermer  celle  du  lotus 
blanc. 

0  lotus  de  jour,  inutile  a  été  ta  vie  :  tu  n'as  pu  contempler 


1.  Bôhtiingk,  n»  3250. 

2.  Kàlidâsa,  Çakunlalâ,  acte  III,  scène  2,  p.  44. 

3.  Kàlidâsa,  Urvaçîy  acte  III.  Trad.  Kritze,  p.  46. 

4.  Kàlidâsa,  Ragàu-Vatitça,  chant  VI,  66  et  75. 

5.  Kàlidâsa,  Môlavikà  et  Agnimitra,  acte  IV.   Fritze,  p.  52. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  447 

le  disque  de  la  lune.  Ta  naissance  aussi  a  été  stérile,  ô  lune, 
puisque  tu  n'as  pas  vu  fleurir  le  lotus  de  jour  ^ 

N'est-il  pas  étonnant  que  ces  nélumbos  ne  se  soient  pas  su- 
bitement fermés,  comme  au  contact  des  rayons  de  la  lune 
aimée,  en  touchant  les  mains  dé  cette  belle  ?  dit  le  roi  dans 
Priyadarçikâ  *,  en  voyant  l'héroïne  cueillir  des  fleurs  au  bord 
d'un  étang. 

Semblable  au  nélumbo  qui  se  ferme  le  soir,  quand  le  soleil 
a  disparu,  chante  le  poète  des  Noces  de  PârvaK^j  elle  ne  sup- 
porte pas  la  lourde  douleur  de  la  séparation  et  renonce  entiè- 
rement aux  pensées  amoureuses. 

L'ami  cher  qui  nous  fit  tant  de  bien,  que  nous  ne  le  voyons 
pas,  ce  dieu  du  soleil,  s'abîmer  dans  les  flots,  privé  de  ses 
rayons!  Ainsi  se  disaient  entre  elles  ses  épouses  —  des  nym- 
phées  de  jour  —  et  elles  fermèrent  les  yeux  —  leurs  fleurs. 

Lorsqu'au  printemps  lekokila,  qui  craint  le  froid,  fait  en- 
tendre son  chant  dans  la  forêt,  les  nélumbos  montent  à  la  sur- 
face de  l'eau  comme  pour  l'écouter. 

La  nuit  passera  ;  une  belle  aurore  lui  succédera  ;  le  soleil  se 
lèvera  et  les  nélumbos  s'ouvriront.  Tandis  qu'une  abeille, 
enfermée  dans  une  fleur  de  padma,  s'abandonnait  à  ces  pensées, 
arrive  un  éléphant,  qui  arrache,  hélas!  la  touffe  de  nélumbos. 

L'açoka,  ce  bel  arbre  aux  fleurs  orangées  ^  n'occupe 
pas  moins  de  place  dans  les  légendes  poétiques  de 
rinde  que  le  lotus.  Ses  fleurs,  croyait-on^  ne  s'en- 
tr'ouvraient  que  quand  le  pied,  convenablement  orné, 
d'une  femme  jeune  et  belle,  l'avait  touché.  Dans  Rat- 
nâvalî^,  le  roi  Udayana,  le  jour  de  la  fête  de  Kâma  et 

1.  Bôhtlingk,  n»»  3568  et  3743. 

2.  Acte  II.  Trad.  G.  Strehly,  p.  34. 

3.  PàrvatVs  Hochzeit,  acte  II,  p.  21. 

4.  Bôhtlingk,  n»»  1877,  5999  et  5777. 

5.  Orangées  au  moment  de  leur  épanouissement,  elles  pas- 
sent peu  à  peu  au  rouge  écarlate  ;  d'où  le  surnom  de  «  rouge  » 
donné  si  souvent  à  l'açoka. 

6.  Acte  I.  Trad.  Fritze,  p.  18. 


448  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

du  printemps,  entendant  dans  le  parc  de  Makaranda 
le  cliquetis  des  anneaux  que  portent  aux  chevilles  les 
suivantes  de  la  reine,  s'écrie  qu'elles  viennent  toucher 
Taçoka  du  parterre  pour  le  faire  fleurir.  Et  dans  Mdla- 
vikâffnimitra,  Taçoka  doré  du  jardin  royal  de  Vidiçâ 
attend,  pour  prendre  sa  parure  de  fleurs,  l'approche 
de  la  reine  Dhârinî*;  comme  celle-ci,  empêchée  par 
une  blessure,  ne  peut  se  rendre  auprès  de  l'arbre 
divin,  elle  envoie  Mâlavikâ  pour  la  remplacer,  et  Thé- 
roïne,  après  avoir  cueilli  sur  Taçoka  un  rameau  qui 
lui  sert  de  pendant  d'oreille,  le  touche  délicatement 
de  son  pied,  enduit  de  laque  et  orné  de  l'anneau  môme 
de  la  reine  :  acte  symbolique,  qui  achève  d'enflammer 
le  cœur  du  roi. 

O  arbre  intelligent,  dit  Hàla^,  c'est  à  bon  droit  que  tu 
t'appelles  açoka  —  exempt  de  souci  — ,  toi  qui,  heurté  par  le 
pied  de  lotus  d'une  belle,  ouvre  avec  joie  tes  fleurs. 

O  rouge  açoka,  s'écrie  un  autre  poète  3,  où  est  allée  ma  belle  au 
corps  élancé,  après  m'avoir  quitté,  moi  l'ami  si  dévoué  ?  Pour- 
(juoi  secouer  ta  tète  agitée  par  le  vent,  comme  si  tu  ne  l'avais 
pas  vue?...  Si  le  pied  de  ma  bien-aimée  ne  t'avait  pas  touché, 
comment  tes  fleurs  auraient-elles  paru,  ces  fleurs  autour  des- 
quelles bourdonnent  les  abeilles  impatientes  ? 

Une  intervention    étrangère    devait    aussi  amener 
l'épanouissoinent  des  flcMirs  du  bakula  ou  keçara  ;  pour 

1.  Acte  m,  p.  3'»-35.  Trad.  L.  Fritze. 

2.  A.  Weber,  Ueber  das  Sapiaçatakam  des  Hàla^  n«  405. 
{Ahhandlungen  fur  die  Kunde  des  Morgenlandes,  vol.  VII, 
p.  161.) 

3.  Kâvyaprakàça,  105.  «  Comme  à  toi,  dit  un  autre  poète,  le 
contact  du  pied  d'une  belle  fait  ma  joie.  Tout  est  égal  entre 
nous;  seulement,  ô  Açoka,  tu  es  exempt  de  souci,  tandis  que 
le  créateur  m'en  a  accablé.  »  Kuvalayùnanday  74  b,  75  n,  c. 
Bohtlingk,  n"-  5691  et  5693.  L.  von  Schrœder,  Indiens  Lite- 
t'atur,  p.  573. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  449 

qu'elles  s'ouvrent,  il  faut  qu'une  jeune  vierge  arrose 
cet  arbre  aimé  de  sa  douce  salive  \ 

Près  d'un  berceau  de  mâdhavîs,  qu*enibrasse  à  l'entour  une 
haie  de  kuravakas,  se  dresse,  associé  à  un  aimable  keçara,  un 
rouge  açoka  aux  rameaux  tremblants  ^.  L'un  désire  avec  moi 
toucher  le  pied  charmant  de  mon  amie,  l'autre  aspire  à  sa- 
vourer le  breuvage  enivrant  de  sa  jolie  bouche. 

Le  manguier  et  le  kadamba  avaient  pris  aussi  dans 
la  poésie  de  Tlnde  ancienne  une  signification  symbo- 
lique ;  l'apparition  des  boutons  du  manguier  était  le 
signe  de  l'approche  du  printemps  ;  la  vue  des  fleurs  du 
kadamba  rappelait  à  l'amie  le  souvenir  de  son  ami 
absent*.  Si  tous  les  arbres  n'ont  point  donné  naissance 
à  d'aussi  gracieuses  légendes,  la  plupart  néanmoins 
ont  fourni  aux  poètes  de  l'Inde  d'instructifs  et  ingé- 
nieux apologues. 

Les  grands  arbres  donnent  de  l'ombre  aux  autres,  tandis 
qu'ils  restent,  eux,  exposés  à  l'ardeur  du  soleil  ;  ils  portent  des 
fruits  pour  les  autres,  non  pour  eux. 

Il  ne  faut  louer  que  l'arbre  dont  toutes  les  parties  procurent 
de  la  joie  à  une  foule  d'êtres  ;  à  l'ombre  duquel  se  reposent 
les  gazelles,  dont  les  volées  d'oiseaux  déchiquètent  les  feuilles, 
dont  les  trous  sont  remplis  d'insectes...  sur  les  fleurs  duquel 
butinent  joyeusement  les  abeilles  ;  tout  autre  arbre  est  un 
fardeau  pour  la  terre. 

J'estime  heureux  ^  cause  de  leurs  feuilles,  de  leurs  fleurs  et 
de  leurs  fruits,  à  cause  de  l'ombre  qu'ils  donnent,  ainsi  que  de 
leurs  racines,  de  leur  écorce  et  de  leur  bois,  les  arbres  dont 
les  besoigneux  ne  s'éloignent  pas  sans  espoir^. 

1.  Batnâvalt,  acte  I.  Trad.  Fritze,  p.  17. 

2.  Meghadûia,  strophe  75  (76). 

3.  Abhandlungen  fur  die  Kunde  des  Morgenlandes,  Y,  132  ; 
Vil,  253. 

4.  Bôhtlingk,  n"  2307,  2309  et  3896. 

JORET.  —  Les  Plantes  dans  VanliquUé.  II.  —  29 


450  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Le  tronc  d*un  arbre  même  grand  et  fort  et  aux  puissantes 
racines  peut,  quand  il  est  isolé,  être  brisé  en  un  instant  par 
la  tempête;  mais  les  arbres  fortement  enracinés  bravent, 
réunis  en  nombre,  grâce  à  leur  mutuel  appui,  les  efforts  des 
vents  les  plus  impétueux  ^ 

Un  grand  arbre  pousse  et  croît,  et  nombre  de  créatures  se 
réunissent  sous  son  ombre  :  cet  arbre  est-il  abattu  et  brûlé, 
ses  protégés  restent  sans  abri. 

A  quoi  sert  un  arbre,  que  courbe  Tabondance  des  fruits,  si 
au  milieu  de  ses  racines  habite  un  serpent,  dont  la  gueule 
vomit  le  poison  ? 

Si  un  arbre,  une  fois  défleuri,  ne  donne  pas  de  fruits, 
rhomme  qui  en  a  eu  soin  ne  goûtera  pas  de  joie  '. 

Choisis  un  grand  arbre  qui  ne  manque  ni  d^ombre,  ni  de 
fruits  en  abondance  ;  si  le  sort  veut  que  les  fruits  fassent 
défaut,  personne  ne  te  privera  de  son  ombre  '. 

Cueille  les  fleurs  les  unes  après  les  autres,  mais  ne  coupe 
pas  l'arbre  par  la  racine  ;  agis  comme  un  jardinier  dans  son 
parterre,  non  comme  un  charbonnier. 

Rien  ne  naît  sans  semence  ;  sans  semence  il  n'y  a  pas  de 
fruit;  delà  semence  sort  la  semence;  de  la  semence  seule 
aussi,  nous  enseigne-t-on,  vient  le  fruit. 

La  semence  germe  sans  en  avoir  conscience,  quand  le  temps 
est  venu  ;  elle  fleurît  aussi  avec  le  temps  et  porte  des  fruits. 

La  semence  répandue  sur  un  champ  cultivé  à  son  heure  y 
germe,  et  on  la  reconnaît  à  ses  qualités^. 

Qui  abattra  avec  la  hache  un  manguier  et  prendra  soin  d'un 
nimba?  Car  à  celui  qui  l'arrose,  ce  dernier  ne  donnera  pas  de 
doux  fruits. 

Celui  qui  abat  un  bois  de  manguiers  et  arrose  une  forêt  de 
palàças  aura  la  tristesse  de  voir  des  fleurs  en  automne,  alors 
qu'il  désirerait  des  fruits. 

1.  Mahàbhàrata.  Udyoga-Parva,  1321-1322. 

2.  Bôhtlingk,  n^»  4768,  4884  et  5110. 

3.  nUopndeça,  livre  III,  2«'  récit,  10.  Trad.  J.  Hertel,  p.  109. 

4.  Bohllingk,  n»-  4152,  3597,  3'i21  et  5455. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  451 

Qu'on  taille  le  nimba  avec  la  serpe^  qu  on  l'arrose  avec  du 
miel  et  du  beurre  fondu,  qu'on  Torne  de  guirlandes  parfumées, 
son  fruit  conserve  toujours  le  même  goût  acide  ^ 

Un  homme  qui,  désirant ^les  fruits,  quitte  un  bois  de  man- 
guiers et  se  rend,  séduit  par  la  beauté  de  leurs  fleurs,  dans 
une  forêt  de  palâças,  se  voit,  une  fois  venue  la  saison  des 
fruits,  trompé  dans  son  attente  ^. 

Le  pollen  des  manguiers  et  des  campakas,  que  les  vents  font 
tournoyer  dans  un  jardin  de  plaisance,  remplissent  de  larmes 
les  yeux  des  passants,  même  quand  ils  ne  les  touchent  pas. 

Nombre  d'arbres  s'inclinent  vers  la  terre  sous  le  poids  des 
fleurs  odorantes  et  des  fruits  savoureux  qui  les  couvrent,  mais 
ne  communiquent  pas  pour  cela  leur  parfum  à  un  autre  arbre  ; 
cette  gloire,  ô  candana,  n'appartient  qu'à  toi  3. 

Au  contact  des  santals  tous  les  arbres  du  Malaya  sont  devenus 
d'autres  santals  ;  mais  le  bambou  ne  devient  jamais  un  santal, 
parce  qu'il  a  le  cœur  trop  vide^. 

Si  le  ricin  ne  portait  pas  de  fruit  en  temps  voulu,  quelle 
différence  existerait-il  entre  lui  et  les  autres  arbres  de  la 
forêt  ? 

Encore  que  le  fruit  du  kataka  rende  claire  l'eau  trouble, 
celle-ci  ne  devient  pas  claire  cependant  au  seul  nom  de  ce 
fruit  '\ 

Celui  qui  cueille  sur  un  arbre  des  fruits  non  encore  mûrs 
n'en  retire  aucun  jus  et  la  graine  même  est  perdue  pour  lui. 


1.  Bôhtiingk,  n*»»  980, 1591  et  5325. 

2.  Hàmàyana,  Ayodhyâkàçda,  LXV,  7. 

3.  Bôhtiingk,  n»»  1251  et  1509. 

4.  Bôhtiingk,  n»  5441.  Cette  sentence  se  retrouve,  n®*  349 
et  350,  sous  une  forme  un  peu  autre.  «  Pour  ceux  qui  man- 
quent de  fonds,  il  n'y  a  pas  d'instruction  possible  ;  le  bambou 
au  contact  du  Malaya  ne  devient  pas  un  santal.  »  —  «  A  quoi 
peut  servir  un  bon  compagnon  pour  ceux  qui  manquent  de 
fonds  ?  Pour  croître  sur  le  Malaya,  le  bambou  reste  bambou  et 
ne  devient  jamais  santal.  » 

5.  Bôhtiingk,  n"  1580  et  4369.  Le  kataka  est  le  Slrychnoa 
potatorum. 


f52  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Celui,  au  contraire,  qui  cueille  un  fruit  niûr  et  pris  au  bon 
moment,  en  retire  du  jus  et  sa  graine  lui  donnera  un  autre  fruit. 

Une  tige  tordue  de  padma.  qu*il  avait  brisée  pour  la  manger, 
il  n'en  peut  jouir,  parce  qu*il  y  croit  voir  la  lune  ;  les  gouttes 
d>au  qui  sont  sur  les  feuilles,  quoique  tourmenté  par  la  soif, 
il  ne  les  ose  pas  boire,  parce  qu'elles  ont  Taspect  d'étoiles  ; 
aperçoit-il  la  couleur,  assombrie  par  un  essaim  d'abeilles,  du 
lotus  blanc,  il  prend  ce  qui  n'est  pas  crépuscule  pour  le  cré- 
puscule: ainsi  un  cakravâka,  qui  redoute  d'être  séparé  de 
son  amie,  regarde  le  jour  même  comme  la  nuit'. 

Quelquefois  ces  apologues,  au  lieu  de  la  forme  apho- 
ristlque  ou  allégorique,  ont  pris  celle  plus  piquante 
du  dialogue. 

Qui  es-tu,  ami  *-*  ?  —  Ecoute,  je  vais  te  le  dire  :  un  çâkbotaka, 
que  le  sort  a  frappé.  —  Tu  parles,  comme  si  le  dégoût  de  la 
vie  te  tourmentait.  —  Tout  juste.  —  Et  pourquoi,  dis-le  moi. 
—  Â  ma  gauche  se  dresse  un  figuier,  que  les  voyageurs  visitent 
avec  empressement;  mais  moi,  bien  que  je  sois  au  bord  du 
chemin,  je  n'ai  point  d'ombre  pour  rendre  service  aux  autres. 

A  quoi  bon  tant  de  paroles?  Tes  fruits  sont  inutiles,  ô  nimba  ; 
aussitôt  qu'ils  sont  mûrs,  les  corneilles  viennent  les  dévorer 
jusqu'au  dernier. 

Tu  résides  loin  du  chemin,  ô  çalmalî  ;  tu  es,  de  plus,  couvert 
d  épines  ;  tu  ne  donnes  point  d'ombre  et  les  singes  mêmes  ne 
veulent  pas  de  tes  fruits;  étant  sans  parfum,  tu  es  évité  par 
les  abeilles  et  dépourvu  de  toute  chose  bonne.  La  visite  que 
nous  te  ferions  serait  sans  utilité  pour  nous  ;  reste  où  tu  es  ; 
pour  nous,  en  soupirant,  nous  continuerons  notre  chemin'. 

Les  abeilles,  qui,  dès  l'instant  où  se  sont  épanouis  tes  bou- 
tons, sont  venues  chaque  jour  se  poser  sur  toi,  bourdonnent 
sans  cesse  maintenant  autour  de  tes  fruits.  Tu  les  vois  et  tu  ne 
les  salue  pas.  Les  vers,  au  contraire,  que  tu  n'avais  pu  voir 

1.  Bôhtlingk,  n«»  5925,  5926  et  4529. 

2.  Ucihtlingk,  n"  1603.  —  Tritze,  Indische  Sprûche,  n^  233, 
p.  52.  Le  çàkho(aka  est  la  Trophis  aspera  (Slreblus  asper). 

3.  Bohtlingk,  n»*  3733  et  2919. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POfiSIE  453 

jusqu'ici,  sont  installés  au  cœur  de  tes  fruits.  Fi  donc,  ô  man- 
guier, que  tu  ne  saches  pas  distinguer  le  meilleur  du  pire^ 

Sur  Toranger  et  la  ketaki,  les  épines  sont  à  leur  place  ; 
mais  pourquoi,  ô  karitakiirikà,  toi  qui  es  sans  saveur  ni  odeur, 
as-tu  des  épines*? 

Tes  feuilles  sont  garnies  de  iniliiers  d'aiguillons;  on  n'a 
jamais  entendu  parler  de  ton  miel  ;  tu  assombris  Tair  de  ton 
pollen  ;  mais  tes  défauts,  ô  ketaki,  ne  sont  pas  remarqués  par 
l'abeille,  qui  n'a  de  sens  que  pour  les  parfums  ! 

Bien,  ô  ketaki,  que  tu  serves  de  demeure  aux  serpents,  que 
tu  ne  portes  pas  de  fruits,  que  tu  sois  garnie  d'épines  et  toute 
tordue,  que  tu  croisses  sur  un  sol  marécageux  et  sois  de  diffi- 
cile accès,  par  ton  parfum  tu  es  pour  tout  le  monde  un  agréable 
voisin.  Une  seule  qualité  fait  oublier  bien  des  défauts  ^. 


Le  Buddha  aimait  à  emprunter  au  monde  végétal 
des  exemples  et  des  comparaisons.  Dans  le  Lotus  de 
la  Bonne  Loi*,  il  compare  les  hommes;  d'après  leurs 
qualités,  les  uns  à  des  plantes  à  basse  ou  haute  tige, 
les  autres  à  des  arbres.  C'est  aussi  à  Taide  d'une 
allégorie  tirée  du  règne  végétal  qu'il  montre  l'inanité 
des  castes,  fondées  sur  l'origine  prétendue  diverse  de 
ceux  qui  les  composaient  ^ 

L'udumbara  et  le  panasa  produisent  des  fruits  qui  naissent 
des  branches,  de  la  tige,  des  articulations  et  des  racines  ;  et 
cependant  ces  fruits  ne  sont  pas  distincts  les  uns  des  autres, 
et  l'on  ne  peut  pas  dire  :  ceci  est  le  fruit  brahmane;  cela,  le 
fruit  kshatriya;  celui-ci,  le  vaiçya;  celui-là,  le  çùdra  ;  car  tous 

1.  Bohtlingk,  n«  5553. 

2.  Bohtlingk,  n°  1159.  La,  kan(akârikâ  est  \e  Solanum  Jac- 
quini;  la  ketaki,  le  Pandanus  oUoratissimus. 

3.  Bohtlingk,  no«  3897  et  6331. 

'i.  The  SaddharmjL-Pumlarika,  translated  by  Kern,  chapt.  v, 
28-32  (The  sacred  Books  of  the  East,  vol.  XXI). 

5.  E.  Burnouf,  Introduction  à  l'histoire  du  Buddhisme, 
p.  193. 


454  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

sont  nés  du  même  arbre.  De  même  il  n*y  a  pas  quatre  classes, 
il  n'y  en  a  qu'une. 

Les  divers  recueils  des  enseignements  du  Réfor- 
mateur sont  remplis  d'apologues  tirés  de  la  nature  des 
plantes. 

Telle  une  fleur  aux  couleurs  brillantes  mais  sans  parfum, 
tel  est  le  langage  élégant,  mais  sans  profit  pour  personne,  de 
rhomme  qui  n'agit  pas  (comme  il  parle).  Telle  une  fleur  aux 
couleurs  brillantes  et  parfumées,  tel  est  le  langage  élégant  et 
profitable  à  tous  de  celui  qui  agit  (comme  il  parle). 

Autant  on  peut  faire  de  couronnes  diverses  avec  un  amas 
de  fleurs  ;  autant,  une  fois  né,  un  mortel  doit  faire  du  bien  ^ 

Le  parfum  de  la  fleur  vassiki  ne  va  point  contre  le  vent, 
ni  celui  du  santal,  ni  celui  du  tagara  ou  de  la  mallikà  ;  mais 
il  va  contre  le  vent  le  parfum  de  la  vertu  ;  la  bonne  odeur  de 
l'homme  de  bien  pénètre  en  tous  lieux  2. 

Quel  que  soit  le  parfum  du  santal  ou  du  tagara,  celui  du 
lotus  ou  de  la  vassiki,  le  parfum  de  la  vertu  les  surpasse  tous. 

Peu  de  chose  est  le  parfum  qu'exhalent  le  sandal  et  le  ta- 
gara ;  délicieux,  au  contraire,  est  le  parfum  de  ceux  qu'ex- 
halent les  hommes  de  bien  ;  il  s'élève  jusqu'aux  dieux  -\ 

Coupez  par  le  pied  la  forêt  entière  (des  désirs)  et  non  un 

1.  The  Dhammapaday  compUed  hy  Dharmatrâta,  translated 
by  M.  MûUer.  Oxford.  1881,  in-8,  p.  18.  Flowers,  51-53.  — 
Le  Dhammapada,  traduit  par  Fernand  Hù.  Paris,  1878,  in-18, 
p.  14.  La  Fleur,  51-53. 

2.  V  Le  parfum  des  fleurs  ne  peut  aller  contre  le  souffle  du 
vent  ;  mais  la  vertu  des  hommes  exhale  un  parfum  qui  se 
répand  de  tous  côtés.  »  Ràmùyana.  Ayodhyâkàçida,  LXI, 
19-20. 

3.  Dhammapada^  IV.  Flowers,  5'i-56.  M.  Millier,  p.  18.  F. 
Hû,  p.  14.  —  Udânavarga,  VI.  Morality,  16-18.  p.  31-32.  — 
Texls  from  the  Buddhisi  CanoUy  etc.  Translated  from  the  Chi- 
nese  by  Samuel  Beal.  London,  1878,  in-8,  XII.  The  Flower, 
p.  76.  —  La  vassiki  semble  être  le  bois  d'aloès,  le  tagara, 
l'encens  ou  la  Tabernaemonlana  coronaria. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  lôo 

arbre  seulement.  Le  danger  vient  de  la  forêt  (les  désirs).  Quand 
vous  aurez  coupé  à  la  fois  la  forêt  et  les  broussailles,  alors, 
Bhikshus,  vous  serez  débarrassés  de  la  forêt  et  serez  libres  ^ 

Bien  qu*il  ait  été  coupé,  tant  que  sa  racine  est  intacte,  un 
arbre  continue  de  vivre  et  repousse  de  nouveau  ;  de  même 
tant  que  les  racines  de  la  passion  ne  sont  point  coupées,  cette 
cause  de  souffrance  renaîtra  toujours  à  nouveau  *. 

J'appelle  brahmane  —  sage  —  Thomme  qui  ne  s'attache  pas 
plus  aux  plaisirs  que  Teau  n'adhère  à  la  feuille  de  lotus,  la 
graine  de  moutarde  à  la  pointe  d'une  aiguille  ^. 


Les  allégories  tirées  du  monde  végétal  abondent 
dans  la  littérature  didactique  et  religieuse  des  Hin- 
dous. Dans  la  Bhagavadgltd,  par  exemple,  le  cours  de 
la  vie  humaine  est  comparé  à  un  açvattha^  qui  a  les 
racines  en  haut,  les  branches  en  bas,  et  dont  les 
feuilles  sont  les  Védas.  Et  VAnugitâ  représente,  sous 
remblème  d'une  forêt  remplie  d'arbres  couverts  de 
fleurs  magnifiques  et  de  fruits  de  difi'érentes  couleurs, 
les  diverses  opérations  des  sens  et  de  Tesprit*. 


1.  Dhammapada,  XX.  The  way,  283.  M.  Mùller,  p.  68.  — 
La  voie,  283.  F.  Hù,  p.  70. 

2.  Dhammapada.  XXIV.  Thirst,  338.  M.  Millier,  p.  80.  La 
convoitise,  338.  F.  Hù,  p.  82.  —  Udànavarga,  III.  Lust,  18, 
p.  16.  —  Texts  from  the  Buddhist  Canon.  Lecture  XXXll, 
Lust,  p.  148. 

3.  Dhammapada,  XXVI,  The  Bràhhiana,  401.  M.  MûUer, 
p.  91.  F.  Hû,  p.  93.  —  The  Sutta-Nipâta:  A  Collection  of 
Discour  ses  being  one  of  the  Canonical  Books  of  the  Buddhist, 
Translated  from  the  Pâli  by  V.  Fausbôll.  Oxford,  1881,  in-8. 
III  Mahàvagga,  9.  Vàsetthasutta,  32,  p.  113.  Cf.  IV.  Attaka- 
vagga,  6.  Jaràsutta,  9,  p.  155.  «  Comme  une  goutte  d'eau 
n'adhère  pas  à  un  lotus,  de  même  un  mouni  ne  s'attache  à  rien 
de  ce  qu'on  voit,  entend  ou  pense.  » 

4.  BhagavadgUâ,  chap.  xv,  1.  —  Ànugîtâ,  chap.  xii,  8.  — 
Transi,  by  Kàshinâth  Trimbak  Telang,  p.  111  et  285.  (The 
sacred  Books  of  the  East,  vol.  VIII). 


456  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Le  méchant  découvre  chez  les  autres  des  défauts  de  la  gros- 
seur d'un  grain  de  sénevé  ;  les  siens,  au  contraire,  fussent-ils 
aussi  gros  que  les  fruits  du  bilva,  il  ne  veut  pas  les  voir,  même 
quand  ils  lui  sautent  aux  yeux  ^ 

Un  chauve  à  qui  les  rayons  de  Tastre  du  jour  brûlaient  la 
tète,  chercha  un  lieu,  qui  ne  fût  point  exposé  au  soleil,  et 
alla,  poussé  par  le  destin,  s'étendre  au  pied  d'un  bilva.  Mais 
un  énorme  fruit  étant  venu  à  tomber,  lui  fracassa  le  crâne. 
En  quelque  lieu  qu'aille  l'homme  que  la  fortune  a  abandonné, 
le  malheur  le  suit'. 

Malheureux  celui  qui  en  ce  monde,  où  les  bonnes  œuvres 
déterminent  le  sort  futur,  n'exerce  pas  la  pénitence  ;  il  res- 
semble à  un  homme  qui  ferait  bouillir  du  sésame,  dans  une 
chaudière  de  lapis-lazuli,  avec  du  bois  de  santal  pour  com- 
bustible, ou  à  celui  qui  retournerait  une  terre,  avec  un  soc 
d'or,  pour  y  semer  une  herbe  stérile,  et  abat  une  forêt  de  cam- 
phriers pour  enclore  un  champ  de  kodravas^. 

Le  cœur  des  femmes  est  insaisissable,  comme  l'image  sur 
le  miroir...  Leur  pensée,  au  dire  des  sages,  est  mobile  comme 
la  goutte  de  rosée  sur  la  feuille  de  lotus.  La  femme  grandit 
avec  ses  défauts,  comme  les  lianes  avec  le  poison  qu'élaborent 
leurs  tiges  *. 

Les  esprits  éveillés  et  non  lourds  se  montrent  dignes  d'in- 
struction ;  le  sésame  porte  des  fleurs  odorantes,  l'orge  jamais. 

Des  graines  de  sésame,  mises  en  contact  avec  des  fleurs  de 
campaka,  se  parfument;  mais  leur  huile,  en  prenant  l'odeur 
des  fleurs,  cesse  d'être  mangeable  ;  toutes  les  bonnes  qualités 
peuvent  se  changer  en  leur  contraire. 


1.  Bôhtlingk,  n°  2045.  --  Fritze,  n°  203. 

2.  Bhartrihari.  Niticataka,  VIIl,  86.  Trad  P.  a  Bohlen, 
p.  107.  —  Trad.  Fauche,  p.  148.  —  Trad.  Regnaud,  p.  63. 

3.  Bhartrihari,  NUiçalaka,  IX,  98.  Trad.  Fauche,  p.  153.— 
P.  Kegnaud,  Les  stances  erotiques ,  morales  et  religieuses  de 
Bhartrihari.  Paris,  1875,  in-18.  II.  La  morale,  p.  67.  Le  ko- 
drava  est  le  Paspalum  scrobiculatum  L. 

4.  P.  Regnaud,  Études  sur  les  poètes  satiscrits  de  Vépoque 
classique^  Bhartrihari^  Les  Centuries.  Paris,  1871,  in-8,  p.  42. 
—  Id.  Les  stances,  etc.  Supplément,  15,  p.  113. 


LES  PLANTES  DANS  LÀ  POÉSIE  457 

Le  majestueux  kimçuka,  si  richement  paré  de  fleurs,  n'a 
aucun  parfum  ;  le  candana  odorant,  mais  entouré  de  serpents, 
n'a  point  de  fleur  ;  la  canne  à  sucre  ne  porte  pas  de  fruits,  et 
la  ketaki  est  garnie  d'aiguillons  ;  en  ces  trois  mondes  on  ne 
trouve  pas  facilement  sur  une  seule  eX  même  chose  réuni  tout 
ce  qui  est  bon. 

L'homme  sans  considération,  emblème  des  êtres  faibles,  est 
comme  un  brin  d'herbe  ;  à  l'approche  du  moindre  vent,  il  se 
courbe  de  lui-même. 

Une  couronne  qu'on  a  tressée,  du  santal  qu'on  a  frotté  de 
ses  propres  mains  et  un  éloge  qu'on  a  écrit  soi-même,  feraient 
perdre  à  Indra  lui-même  sa  haute  dignité  ^ 

Un  homme  méchant  ne  devient  jamais  bon,  n'importe  de 
quelque  manière  qu'on  le  traite  ;  les  fruits  du  nimba  ne  de- 
viendraient pas  doux,  quand  on  l'arroserait  avec  du  lait  et  du 
beurre  fondu. 

La  tempête  ne  déracine  pas  les  chaumes  qui  s'inclinent 
devant  elle  ;  elle  ne  fait  du  mal  qu'aux  arbres  élevés.  Les 
grands  n'exercent  leur  force  que  contre  les  grands. 

Près  des  candanas  habitent  des  serpents  ;  dans  l'eau  sont 
des  lotus,  mais  aussi  des  crocodiles  ;  à  côté  de  chaque  jouis- 
sance sont  des  jaloux,  qui  nous  la  gâtent  :  il  n'est  point  de  joie 
sans  trouble. 

Le  feu  brûle,  fût-il  produit  même  par  du  bois  de  santal  ; 
un  méchant  reste  méchant,  descendit-il  d'une  race  noble  -. 

Un  santal  ne  perd  pas  son  parfum,  même  quand  on  l'abat  ; 
où  qu'on  la  porte,  la  canne  à  sucre  garde  sa  douceur  ;  un 
homme  généreux  ne  dégénère  pas,  même  dans  la  détresse. 

Le  santal  conserve  son  agréable  parfum,  encore  qu'on  le 
frotte;  une  canne  à  sucre  qu'on  coupe  reste  douce,  comme 
auparavant,  et  l'or  garde  sa  belle  couleur,  quand  on  le  fond  ; 
les  qualités  innées  des  grands  ne  changent  pas  même  dans  la 
mort  3. 

L'homme  noble  pratique  la  vertu  même  contre  ses  ennemis, 


1.  Bôhtlingk,  n«»  4336i,  2562,  7311,  7607  et  7333. 

2.  Bôhtlingk,  n«»  3295,  2588,  2241  et  2313.        * 

3.  Bôhtlingk,  n"  2313  et  2219.  —  L.  Fritze,  n^  235, 


458  LES  PLA.NTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

comme  la  canne  à  sucre  offre  de  la  nourriture  avec  son  doux 
suc  à  celui-là  même  qui  larrache^ 

Tendre  dans  le  bonheur,  dur  dans  1*1  n fortune,  tel  est  le  cœur 
de  rhomme  bon  :  la  feuille  de  l'arbre,  tendre  au  printemps,  se 
durcit  sous  les  feux  de  Tété. 

En  souvenir  du  peu  d  eau  qu'ils  ont  bue,  dans  leur  première 
jeunesse,  alors  qu'un  lourd  fardeau  pesait  sur  leur  tête,  les 
cocotiers  donnent  aux  hommes,  pendant  toute  leur  vie,  leur 
liqueur  ambroisienne  ;  les  cœurs  nobles  n'oublient  jamais  le 
service  qu'on  leur  a  rendu  *. 

Pour  le  bien  des  autres,  le  bouleau  souffre  qu'on  le  dé- 
pouille de  son  écorce  ;  le  çana,  au  contraire,  sert  à  enchaîner 
d'autres  êtres  :  voyez  quelle  différence  *  !* 

L'homme  habile  renverse  son  adversaire,  en  s'attachant 
doucement  à  lui  ;  un  grand  arbre  même  succombe,  on  le  sait, 
quand  une  liane  s'enlace  autour  de  son  tronc. 

Un  homme  bien  élevé  ne  fait  pas  entendre  un  langage  rude, 
même  quand  on  l'insulte  ;  un  suc  rebutant  ne  sorfpas  du  can- 
dana  que  la  hache  abat  sur  le  mont  Malaya^. 

Les  méchants  seuls  jouissent  des  richesses  mal  acquises  ; 
les  corneilles  et  nul  autre  oiseau  dévorent  le  concombre  kim- 
pàka. 

Un  seul  arbre  couvert  de  fleurs  parfumées  embaume  toute 
la  forêt;  un  fils  bien  élevé  est  la  parure  de  toute  sa  famille. 

Comme  le  rameau  du  figuier,  déposé  dans  un  sol  riche,  y 
pousse  avec  vigueur,  ainsi  fructifient  les  dons  qui  tombent 
dans  les  mains  de  qui  en  est  digne. 

Où  personne  n'est  habile,  un  esprit  faible  lui-même   est 


1.  Màdhava  et  Sidocana.  A.  Fr.  von  Schack,  Stimmen  vom 
Ganges.  Stuttgart,  1877,  in-8,  p.  161. 

2.  Bôhtlingk,  n"»  6871  (Fritze,  n^  61)  et  4249. 

3.  Bôhtlingk,  n^  4G18.  Il  faut  rapprocher  de  cette  sentence 
celle  du  n°  2990,  où  il  est  dit  que  si  le  créateur  n'a  pas  donné 
de  fruits  au  bouleau,  son  écorce  n'en  comble  pas  moins  les 
vœux  de  milliers  de  malheureux. 

4.  Bôhtlingk,  n»'  '»32  et  401.  —  Fritze,  n«*  320  et  321. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  459 

estimé  ;  dans  une  contrée  dont  les  arbres  ont  été  arrachés,  le 
ricin  passe  pour  un  arbre  ^ 

C'est  dans  l'homme  âgé  qu'apparaît  la  maturité  de  l'intelli- 
gence ,  c'est  dans  le  vieux  santal  que  s'engendre  le  parfum. 

Ceux  qui,  isolés,  ne  peuvent  rien,  deviennent  forts  quand 
ils  sont  amis  ;  on  tresse  avec  du  gazon  des  cordes  qui;  servent 
à  attacher  même  des  éléphants. 

La  tige  de  bambou,  qui  n'a  point  été  séparée  de  la  souche, 
ne  peut  être  détruite;  il  en  est  de  même  de  celui  qui  reste  uni 
avec  ses  frères  '. 

Comme  l'orge  à  corneille  et  le  sésame  sauvage  ne  sont  pas 
en  réalité,  mais  seulement  de  nom,  de  l'orge  et  du  sésame, 
ainsi  les  gens  sans  argent  ne  sont  hommes  que  de  nom. 

De  même  qu'une  abeille,  qui,  dans  sa  soif,  suce  la  fleur  du 
kàça,  mais  n'y  trouve  pas  de  miel  ;  ainsi  l'amitié  est  vaine  avec 
ceux  qui  n'en  sont  pas  dignes. 

Voyez,  quoiqu'elles  en  soient  déjà  tout  proches,  ces  abeilles 
s'éloignent  de  ce  magnifique  karciikàra,  parce  qu'il  n'a  pas  de 
parfum  ;  les  honnêtes  gens  en  font  précisément  ainsi  avec  un 
homme  riche,  quand  il  est  de  basse  origine. 

l'ne  bonne,  comme  une  mauvaise  action,  attend  le  temps 
des  fruits  ;  c'est  en  automne  que  mûrit  le  riz,  jamais  au  prin- 
temps. 

La  fleur  parfumée  de  la  ketaki  est  garnie  d'aiguillons  ;  à  cette 
fleur  ressemble  un  prince  entouré  de  gens  de  rien  ^. 

Un  syandana,  quoique  petit,  est  capable  de  porter  un  far- 
deau, ce  que  ne  peuvent  faire  d'autres  arbres;  ainsi  les 
hommes  de  bonne  race  sont  propres  à  faire  des  choses  difli- 
ciles,  non  les  hommes  ordinaires. 

Comme  les  épines  empêchent  de  cueillir  les  fruits  de  Tarbre 
qui  en  est  couvert;  ainsi  la  société  des  méchants  rend  impos- 
sible la  société  des  bons. 


1.  Bôhtlingk,  n""  754,  1418,  38il  et  5074. 

2.  Bôhtlingk,  n*»  4262,  4425  et  6678. 

3.  Bôhtlingk,  n«»  5091,  5126,  4015,  6489  et  7073 


460  LES  PUNIES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Une  tige  de  padma  donne  la  mesure  de  la  profondeur  de 
l'eau  (où  il  croit)  ;  le  bon  caractère  d'un  homme,  la  mesure  de 
la  noblesse  de  sa  race. 

Comme  les  lotus  sont  conservés  par  une  eau  profonde  ;  de 
même  la  puissance  d'un  prince  Test  par  l'intelligence  ^ 

Fugitive  au  delà  de  toute  mesure  est  la  vie  et  tout  aussi  mo- 
bile que  l'eau  sur  la  feuille  d'un  nélumbo. 

Le  parfum  précieux  des  bois  de  santal  et  d'aloès  ne  dure 
pas  aussi  longtemps  que  celui  de  la  gloire  des  hommes. 

Les  gens  de  basse  naissance  se  sentent  désagréablement 
touchés,  quand  les  autres  dépensent  de  l'argent  ;  est-ce  que 
l'arbre  à  manne  ne  se  dessèche  pas,  quand  le  nuage  répand 
ses  eaux  -  ? 

On  verra  plutôt  une  fleur  sur  un  figuier  que  ce  qui  est  caché 
dans  le  cœur  d'une  femme. 

Le  soleil  fait  s'épanouir  le  lotus  de  jour  —  le  nélumbo  — ,  la 
lune  fait  fleurir  le  lotus  de  nuit,  le  nuage  répand  la  pluie  sans 
en  être  prié  :  les  hommes  généreux  emploient  leur  activité 
pour  le  bien  des  autres. 

La  fleur  est  la  cause  du  fruit  et  le. fruit  détruit  la  fleur  ;  les 
bonnes  œuvres  sont  la  cause  de  la  loi  et  la  loi  anéantit  les 
bonnes  œuvres^. 

Quelquefois  les  sentences  et  les  allégories  prennent 
un  caractère  symbolique  ou  deviennent  même  de  véri- 
tables devinettes. 

Dans  ce  jardin  —  le  corps  de  sa  bien  aimée  —  j'ai  vu  une 
liane  —  un  bras  — -  avec  cinq  rameaux  —  les  cinq  doigts  — 
et  sur  chacun  des  rameaux  de  cette  plante  un  bouton  de  fleur 
rouge  sombre  —  un  ongle. 

Dans  la  forêt  de  la  vie  les  saralas  —  les  hommes  droits  — 
sont  rares  ;  les  kalis,  —  amis  de  la  dispute  —  au  contraire,  sont 

1.  Bôhtlingk,  n°«  7158,  7491,  2355  et  3408. 

2.  Bôhtlingk,  n«  3407,  2242  et  3936. 

3.  Bôhtlingk,  n»»  7490,  3909  et  4373. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  461 

pressés  les  uns  contre  les  autres  ;  mais  il  ne  8*y  trouve  pas  de 
çamis  —  d'hommes- intérieurement  tranquilles  —  et  point  de 
puriinâgas  —  d*hommes  distingués  ^ 

Notre  monde  est  un  arbre  chargé  de  fruits  vénéneux  ;  mais 
il  fait  aussi  mûrir  deux  nobles  fruits  ;  Tun  est  le  commerce 
agréable  des  gens  de  bien  ;  Tautre,  fruit  semblable  au  nectar, 
est  la  poésie. 

Un  conseil  secret  est  une  semence  ;  garde-le  aussi  soigneu- 
sement qu'une  graine  semée  ;  lui  cause-t-on  le  moindre  pré- 
judice, une  plante  n'en  peut  plus  naître  '. 

Là  se  dresse  Tarbre  honoré  de  la  vertu  ;  la  foi  est  sa  semence  ; 
Teau  avec  laquelle  les  Brahmes  Tarrosèrent  est  le  Véda  ;  ses 
rameaux  sont  les  quatorze  sciences,  ses  fleurs  sont  les  avan- 
tages (qu'elle  procure),  ses  deux  fruits,  les  agréments  de  la  vie 
et  la  rédemption  finale,  lun  plus  grossier,  l'autre  plus  délicat. 

La  lune  est-elle  la  fleur  d'un  arbre  du  ciel  ?  Et  comment 
s'appellent,  ô  mère,  les  plantes  qui  portent  des  perles  en  guise 
de  baies  ^  ? 

Plusieurs  des  apologues  et  des  allégories  que  je 
viens  de  citer  ne  sont  guère  que  des  comparaisons  ou 
de  gracieuses  métaphores.  De  bonne  heure  le  monde 
des  plantes  en  a  fourni  aux  poètes.  On  en  rencontre 
déjà,  quoiqu'elles  y  soient  rares*,  dans  les  plus  anciens 
monuments  de  la  langue.  Le  Rig-Véda  dit  de  l'hymne 
d'actions  de  grâce  à  Indra  que  c'est  un  «  rameau 
mCir  pour  l'homme  pieux  »  ;  il  compare  les  ennemis 
vaincus  à  des  «  chaumes  fauchés  pour  le  lieu  du  sa- 

1.  Bôhtlingk,  n<"  185  et  6895.  Le  sarala  est  le  Pinus  longi- 
folia,  le  kali,  la  Terminalia  bellerica,  la  çnmîy  V Acacia  sumaj 
le  pumnâga,  la  Rottleria  tinctoria. 

2.  mtopadeça,  lib.  I,  118  et  H,   132.  Hertel,  p.  46  et  95. 

3.  Bôhtiingk,  n««  6547  et  7498. 

4.  Arnold  Hirzel,  dans  son  étude  sur  les  comparaisons  et  les 
métaphores  du  Rig-Véda  (Gleichnisse  und  Metapkern  in  Pgr- 
veda  in  cuUurhistorischer  Hinsicht,  I^ipzig,  1890,  in-8),  n'en 
mentionne  aucune. 


4Ô2  LES  PU5TES  CHEZ  LES  HI7ID0US 

crifice  l'y  et  il  dous  montre  le  démon  Vala  «  se 
lamentant  sur  ie  rapt  des  vaches,  comme  les  arbres 
sur  le  feuillage  dont  Thiverles  a  dépouillés  »'. 

De  m«''me  qu'on  rompt  une  tige  de  lotus,  elle  brisa  la  crête 
des  rochers,  renverra  avec  Timpétueuse  force  de  ses  flots  les 
fondementji  des  monts. 

Par  9a  lumière  il  chassa  les  ténèbres  de  Tatmosphère,  de 
même  que  le  vent,  le  çipala  de  la  surface  de  Teau. 

Comme  les  gouttes  de  sueur  coulent  tout  autour  de  son  corps, 
que  les  traits  tombent  inutiles  de  tous  côtés!  Que  le  mauvais 
vouloir  s'éloigne  de  nous,  comme  se  dispersent  les  semences 
des  épis  mûrs  de  la  dûrvà  !  ^ 

De  même  dans  T Atharva- Véda  '  : 

Je  coupe  ces  liens,  comme  la  racine  d*une  gourde.  —  Je  te 
délie,  comme  le  fruit  d'une  gourde  de  son  pédoncule.     ^ 

Dans  les  traités  religieux  ou  didactiques  postérieurs, 
ces  comparaisons  allégoriques  sont  encore  plus  fré- 
quentes. 

1.  Tel  un  arbre,  roi  des  forêts,  tel  e^ten  vérité  un  homme. 
Ses  poils,  ce  sont  les  feuilles;  sa  peau,  c'e^t  Técorce.  —  2.  De 
la  peau  de  Thomme  blessé  coule  le  sang,  comme  la  sève  de 
l'arbre  qu'on  frappe.  —  4.  Mais  tandis  qu'un  arbre,  qui  a  été 
coupé,  repousse,  plus  jeune,  de  sa  racine,  de  quelle  racine, 
dites-moi,  un  homme  repousse-t  il,  quand  la  mort  Ta  abattu  ? 
—  6.  Si  un  arbre  a  été  arraché  avec  sa  racine,  il  ne  repoussera 
plus  :  de  quelle  racine,  dites-moi,  l'homme  abattu  par  la  mort 
pourrait-il  renaître  ^? 


1.  I{i(j-\eda,  lib.  I,  8,  8  ;  X.  33,  4  et  68,  10. 

2.  Lib.  VI,  61,  2;  X,  68,  5  et  X,  134,  5.  Cf.  Zimmer,  AUin- 
disches  Leben^  p.  70. 

3.  Lib.  VI,  14,  2  et  XIV,  1,  17. 

4.  Brihadàranyaka-Upanishad,  III  Adii.,  9  Bràhm.  28.  {The 
Upanisfiads,  iran&\.  by  Max  Millier.  Part  H,  Oxford,  1884, p.  149). 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  463 

Comme  le  parfum  dans  la  fleur,  Thuile  dans  le  grain  de 
sésame,  le  feu  dans  le  bois,  le  beurre  dans  le  lait  et  le  sucre 
dans  la  canne,  perçois  au  moyen  de  ton  intelligence  l'âme 
dans  le  corps  ^ 

Mais  c'est  surtout  pour  peindre  la  beauté,  et  plus 
particulièrement  la  beauté  féminine,  que  les  écrivains 
hindous  ont  demandé  au  monde  des  plantes  les  méta- 
phores et  les  images  dont  ils  se  sont  servis.  L'auteur 
du  Lalita  Vistara  dit  de  Mâyà,  la  mère  du  Buddha*, 
que  ses  yeux  ressemblent  aux  pétales  d'une  fleur  de 
lotus  grand  ouverte.  Ils  sont  aussi  purs,  remarque-t-il 
ailleurs,  que  la  fleur  de  lotus  à  cent  pétales,  épanouie 
sous  les  rayons  du  soleil  de  la  sagesse  et  de  la  science; 
ses  lèvres  sont  rouges  comme  les  fruits  du  bimba  et 
ses  dents  blanches  comme  la  fleur  de  la  sumanâ  et  du 
vârshika\  Pour  lui,  le  Buddha  est  un  grand  arbre  de 
vertu;  c'est  un  lotus  immaculé,  une  fleur  qui  a  le  par- 
fum delà  bonne  conduite.  Il  a  les  lèvres  rouges  comme 
le  bimba,  dit  de  lui  son  épouse,  et  des  yeux  de  lotus*. 
Il  est  même  dit  dans  un  jâtaka'  de  la  bouche  d'un 
cerf,  incarnation,  il  est  vrai,  du  Buddha,  qu'elle  est 
rouge  comme  un  bouquet  de  fleurs  de  kamala. 

Vàlmîki  parle  des  yeux  de  Sîtâ  «  beaux  comme  une 
fleur  de  lotus  »  et  de  sa  «  taille  de  liane  »  ;  il  dit  de 
même  des  yeux  de  Ràma  qu'ils  a  ressemblent  aux 

—  VUpanishad  du  grand  Aranyaka,  trad.  par  A.  Ferd.  Hérold. 
Paris,  189'i,  in-12.  3«  lecture  30-34,  p.  88. 

1.  Bohtlingk,  n°  4154  (4561). 

2.  Trad.  Foucaux,  chap.  n,  p.  12.  —  Chap.  xv,  p.  189. 

3.  Chap.  II,  p.  10.  —  Chap.  ni,  p.  27. 

4.  Chap.  .w,  p.  195,  196  et  202.  —  Chap.  xxi,  279.  La 
sumanà  est  le  Jasminum  grandi florum  ou  le  Datura  rnetel, 
le  bimba  le  fruit  de  la  Momordica  monadelpha;  mais  j'ignore 
ce  qu'est  le  vârshika. 

5.  Buddhist  Birtli  Stories,  n»  12,  p.  205. 


Mi  LES  PU5TeS  CHEZ  LES  HINDOUS 

pétales  charmants  da  lotus'  ».  Kàlidâsa  célèbre  la 
taille  flexible d'Umà,  «qui  la  fait  ressembler  à  une  liane 
inclinée  sous  l'abondance  de  ses  fleurs  »,  et  il  Tante 
ses  «  lèvres  debimba,  autour  desquelles  Tiennent  bour- 
donner les  abeilles,  qu'attire  son  baleine  parfumée'  ». 
Avec  quel  art,  dans  un  autre  passage,  il  a  su  encore 
tirer  du  monde  charmant  des  fleurs  les  traits  qui  doi- 
vent peindre  la  beauté  de  la  «  fille  du  roi  des  monts'». 

Comme  an  lotus  qui  vient  de  s'ouvrir  sous  les  rajons  du 
soleil,  son  corps  d'une  irréprochable  splendeur  se  distinguait  par 
la  plus  fraîche  jeunesse.  Ses  deux  pieds  imitaient  la  beauté 
changeante  de  Thibiscus  par  le  brillant  éclat  dont  les  ongles  en 
étaient  colorés.  Ses  bras  avaient  une  délicatesse,  qui  surpas- 
sait la  fleur  du  çirîsha.  Ses  deux  mains  aux  ongles  charmants 
faisaient  honte  aux  pétales  de  Taçoka...  Quand  elle  fut  revêtue 
de  sa  robe,  Umâ  brilla  telle  que  la  terre  couverte  de  kàças  en 
fleurs..,  (Et)  à  mesure  qu*on  la  parait  de  ses  atours,  elle  res- 
plendissait comme  une  liane  chargée  de  fleurs. 

Kàlidàsa  ne  peint  pas  avec  moins  de  grâce  Çakun- 
talà,  dont  «  la  ravissante  jeunesse  pare  les  membres 
d*une  fleur  de  beauté  »  ;  «  délicate  comme  la  fleur  du 
jasmin  à  peine  éclose  »,  «  sa  bouche  qui  sourit  semble 
un  bouton  qui  s*ouvre,  ses  bras,  deux  tendres  lianes  »,  et 
quand  elle  languit,  en  proie  aux  tourments  de  famour, 
a  on  dirait  la  liane  màdhavi  que  le  souffle  brûlant  d'un 
vent  desséchant  a  touchée^».  Mêmes  comparaisons 
charmantes  dans  UrvacV\ 

En  contemplant  cette  liane,  qui  n'a  pas  encore  poussé  de 

1.  Râmâyana.  Ayodhyâkànda,  LIX,  25;  LXII,  9. 

2.  Kumûra-Sambhava,  chant  II I,  54  et  56.  Ed.  Stenzler, 
p.  38-39.  —  Fauche,  II,  295. 

3.  Kumàra-Sambhftva,  chant  I,  32-33  et  41-42;  VII,  Il  et  21. 

4.  Acte  I,  scène  4  et  acte  III,  scène  2. 

5.  Acte  V.  Trad.  Fritze,  p.  54  et  56.  LaAa(fa/t  est  le  bananier. 


• 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  465 

fleurs,  mon  cœur  se  réjouit  avec  raison  :  cette  plante  délicate 
ne  ressemble-t-elle  pas  à  ma  bien-aimée  ?  Ses  rameaux,  que  la 
pluie  a  mouillés,  me  font  penser  à  ses  lèvres  humides  de 
larmes.  Si  elle  n*a  pas  encore  de  fleurs,  parce  que  leur  temps 
n'est  pas  venu,  je  crois  voir  mon  amie  qui  s*est  dépouillée  de 
sa  parure... 

Avec  ses  fleurs  dont  le  bord  est  rouge  et  qui  cachent  des 
gouttes  d'eau  dans  leur  intérieur,  cette  jeune  kadalî  me  rap- 
pelle les  yeux  d'Urvacî,  gonflés  de  larmes  par  la  colère. 

Dans  la  même  pièce,  le  roi  parle  aussi  des  «  mains 
de  lotus  »  d'Urvacl  et  il  dit  de  la  reine  qu'elle  a  le 
corps  aussi  délicat  que  la  racine  du  nélumbo^  Dans 
Mdlavikâgnimitray  le  roi  compare  «  la  main  de  Thé- 
roïne,  qui  pend  nonchalemment,  à  un  rameau  de 
çyâmâ,  et  son  visage  souriant,  «  auquel  ses  dents  ser- 
vent de  parure  »,  lui  paraît  «  un  nymphéa  qui  s'en- 
tr'ouve  et  ne  montre  qu'à  demi  ses  étamines*  ».  Et 
plus  loin*  : 

Mâlavikâ  me  paraît  toute  difl'érente  qu'autre  fois,  ses  joues  sont 
pâles  comme  des  chaumes  de  sara,  et  elle  ressemble  au  kUnda 
—  jasmin,  —  dont  le  printemps  a  déjà  développé  les  feuilles, 
mais  n'a  fait  pousser  que  peu  de  fleurs...  Elle  pâlit  à  vue  d'oeil, 
comme  se  fane  une  guirlande  de  jasmins  quand  le  froid  l'a 
touchée. 

Sâgarikà,  ma  bien-aimée,  dit  le  roi  dans  Ratnàvali^,  ton 
visage  brille  comme  la  lune  ;  tes  yeux  sont  des  lotus  bleus  ; 
tes  mains,  des  fleurs  ;  tes  bras,  des  racines  de  nymphée. 

Bhavabhûti  a  accumulé  dans  Màlati  et  Màdhava  les 
images  les  plus  gracieuses  pour  peindre  le  charme 

1.  Acte  III.  Trad.  Fritze,  p.  44. 

2.  Acte  II.  Trad.  V.  Henry,  p.  28  et  30.  —  Trad.  Fritze, 
p.  24  et  26.  La  cyâmà  est,  comme,  le  priyangu,  probablement 
ici  le  poivrier  long. 

3.  Acte  III,  p.  34  et  37.  V.  H. 

4.  Acte  III.  Trad.  Fritze,  p.  65. 

JORET.  —  Les  Plantes  dans  VanUquUé,  11.  —  30 


/ 


466  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

langoureux  de  son  héroïne  au  sein  «  pâle  comme  une 
tige  mûre  de  lotus*  ». 

Elle  languit  comme  un  rameau  brisé  d'açoka,  et  est  sans 
force  comme  une  fleur  fanée  de  jasmin...  Elle  m'apparait 
comme  un  jeune  lotus,  qui  ne  jouit  qu'un  instant  du  lever  de 
la  pleine  lune  et  puis  se  fane.  —  Avec  ses  membres,  sembla- 
bles à  des  fleurs  fanées  de  campaka,  et  qu'elle  meut  avec 
lenteur,  Màlati  enflamme  avec  plus  de  force  mon  ardeur  amou- 
reuse, elle  enivre  mon  cœur  et  charme  mes  yeux...  En  enten- 
dant sa  voix  à  l'instant  pour  la  première  fois,  j'ai  éprouvé 
un  frisson  de  plaisir,  et  je  ressemble  au  kadamba,  qui  se 
couvre  de  boutons  quand  une  pluie  nouvelle,  versée  par  les 
nuages,  vient  l'arroser. 

Ailleurs  ",  il  parle  du  visage  «  semblable  au  lotus  » 
de  Màdhava  et  il  nous  le  montre  saisissant  de  sa  main 
la  «  main  de  lotus  »  de  Màlati,  (lotus)  «  dont  son  bras 
est  la  tige  et  ses  doigts  humides,  les  pétales  »,  et  dans 
Tardeur  de  son  amour,  il  croit  voir  partout  le  «  visage 
semblable  à  un  lotus  d'or  entr'ouvert  »  de  sa  bien- 
aimée,  etc.  Dans  YUttararâmacarita^,  Bhavabhûti 
compare  aussi  à  un  doux  et  charmant  lotus  «  la  liane 
du  corps  »  de  l'héroïne. 

Tous  les  poètes  erotiques  de  Tlnde  ont  à  l'envi 
emprunté  au  monde  des  fleurs  quelque  image  pour 
peindre  la  beauté  de  leurs  bien-aimées. 

Après  avoir  fait  tes  yeux  avec  un  lotus  bleu,  ton  visage  d'un 
brillant  nélumbo,  tes  dents  avec  le  jasmin,  tes  lèvres  avec  de 
jeunes  boutons,  tes  flancs  des  feuilles  du  campaka,  comment  le 
créateur  a-t-il  pu,  mon  amie,  tailler  ton  cœur  dans  la  pierre  **  ? 

1.  Actes  II  et  III.  Fritze,  p.  45,  29,  42  et  39.  Strehly,  p.  76 
et  80. 

2.  Acte  VI  et  VII.  Trad.  Fritze,  p.  78  et  84. 

3.  F.  Nèvc,  Le  di*nouement  de  Vhialoire  de  Ràma,  p.  217. 

4.  Çringàratilakiun.  Kàlidâsa,  trad.  Fauclie,  vol.  III,  p.  130. 
—  Bohtlingk,  n»  423. 


I 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  467 

Qu'une  fleur  croisse  sur  une  fleur,  on  ne  l'a  encore  ni  en- 
tendu dire,  ni  vu  :  d'où  viennent  donc,  ô  jeune  fille,  ces  deux 
lotus  bleus  —  ses  deux  yeux  —  sur  le  lotus  blanc  de  ton  visage? 

Ton  visage  et  le  lotus  sont  tous  deux  grands  ouverts  et  par- 
fumés ;  le  lotus  est  entouré  d'abeilles  bourdonnantes^  ton  visage 
est  embelli  d'yeux  mobiles. 

Un  lotus  blanc  est  comme  ton  visage,  et  ton  visage  est  comme 
un  lotus  :  comment  pourrions-nous  découvrir  si  tu  n'es  pas 
cachée  au  milieu  des  lotus  '  ? 

Le  jour  où,  pour  te  baigner,  tu  descendis  dans  cet  étang,  le 
lotus  blanc  te  ravit  la  grâce  de  ton  sourire,  le  lotus  bleu,  le 
charme  de  tes  yeux,  le  nélumbo,  qui  se  ferme  le  soir,  la  grâce 
de  ton  visage  2. 

Vaincu  par  la  beauté  de  ton  visage,  ô  mon  amie,  le  disque 
de  la  lune  se  cache  dans  le  nuage  et  le  lotus  blanc  dans  l'étang. 

Ce  visage  n'est  pas  un  lotus  blanc,  ces  yeux  ne  sont  pas 
des  lotus  bleus  :  ô  abeille,  ne  vole  pas  ainsi  en  vain  dans  le 
voisinage  de  cette  belle  aux  beaux  yeux  '•^. 

Tes  sourcils  sont  des  lianes  charmantes,  tes  lèvres  roses 
sont  des  boutons;  ton  visage  est  le  jardin  des  Dieux...  Touché 
par  les  rayons  du  soleil,  il  s'épanouit  en  une  fleur  rose...  Mais 
puisque  il  est,  ô  belle,  en  tout  semblable  au  lotus,  pourquoi  ne 
voit-on  pas  d'abeilles  en  sucer  le  miel  *. 

Cette  lèvre  est  la  sœur  en  éclat  du  bandliùka,  dit  Hari  à 
Ràdhâ  ;  ta  joue  lisse  a  le  brillant  d'une  fleur  de  madhùka  ; 
tes  yeux...  resplendissent  comme  des  lotus  bleu  foncé  ;  ton  nez 
semble  un  épi  de  tila  en  fleur  ;  toi,  de  qui  les  dents  sont  comme 
les  pétales  du  jasmin,  l'univers  est  vaincu  par  le  dieu,  qui  a 
pour  flèches  des  fleurs,  parce  que  ton  visage,  où  elles  sont 
toutes  réunies  en  abondance,  lui  sert  pour  armer  ses  dards  ". 

Ce  n'est  pas  seulement  pour  peindre  la  beauté  que 


1.  Bôhtlingk,  n^»  18'i6,  2660  et  9528. 

2.  Kâvyàdarça,  II,  274.  Bôhtlingk,  n«  4269. 

3.  Bôhtlingk,*  n«  4918  et  5917. 

4.  Nâgâîiandaf  acte  III.  Trad.  Bergaigne,  p.  73  et  75. 

5.  GUa-Govinda,  X,  14.  Trad.   Lassen,    p.  135.  —  Trad. 
Fauche,  p.  82.  Le  bandhûka est  VIxora  grandi flora  ou  coccinea. 


468  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

les  poètes  hindous  ont  emprunté  ces  comparaisons 
imagées  au  règne  végétal,  ils  lui  en  ont  aussi  demandé 
pour  représenter  plus  vivement  aux  yeux  les  choses  et 
les  hommes  dont  ils  parlent.  C'est  ainsi  que  le  poète 
du  Mahâbhârata,  dit  des  Paiidavas,  qu'ils  «  ressemblent 
à  des  arbres  sans  fruits  et  à  des  sésames  stériles*  », 
et  que  Vâlmîki,  pour  donner  la  plus  haute  idée  de  la 
bonté  de  Rama,  le  compare  à  «  un  arbre,  sous  les 
branches  duquel  habitent  les  hommes  de  bien  ». 

L'anachorète,  dit-il  également  ailleurs,  vit  là  devant  ses  yeux 
la  grande  vie  de  Hâma,  comme  une  fleur  d'àmalaka  qu'il  aurait 
tenue  dans  ses  mains  '^. 

Le  chantre  du  divin  héros  affectionne  ces  manières 
de  parler;  on  en  rencontre  des  exemples  à  chaque 
instant  dans  son  poème. 

Que  ta  promesse,  comme  une  liane  en  fleurs,  ne  tarde  pas 
à  nous  donner  son  fruit  ! 

On  le  verra  s'en  aller  se  consumant  peu  à  peu  comme  un 
lac  aux  lotus  flétris,  dont  le  vent  et  le  soleil  ont  tari  les  eaux  ^. 

La  grande  armée  des  singes  ressemblait  à  un  lac  de  lotus, 
dont  les  fleurs  entr'ouvent  leurs  calices. 

Le  palais  du  roi,  plein  d'hommes  et  de  femmes  dans  la  joie, 
brillait  comme  un  lac  émaillé  de  lotus  épanouis,  au  milieu 
desquels  se  joue  une  volée  d'oiseaux  *. 

Kàlidâsa,  cela  ne  saurait  surprendre,  a  imité  ce 
procédé  de  ses  devanciers  et  renchéri  sur  eux. 

On  eût  dit  que  les  fenêtres  étaient  ornées  de  lotus,  à  voir, 
dans  les  embrasures,  s'épanouir,  pleines  d'une  vive  curiosité, 

1.  Vana-Parva,  2526. 

2.  Ràmâyana-  Adikânda,  IH,  36.  —  Kishkindhyakâçda, 
XIV,  17. 

3.  Kishkindhyakànda,  XIll,  31  et  XV,  34. 

4.  Kishkindhyakàrida,XXXVin,40.  — Ayodhyàkânda,IV,14. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POf:SIE  469 

ces  tètes  de  femmes  aux  yeux  qui  semblaient  voltiger  comme 
des  abeilles  K 

La  maison  de  Raghu  était  semblable  à  un  lac  où  végète  un 
lotus  unique  et  non  -encore  éclos. 

Tu  portes  l'apparence  d'un  être  accablé  de  tristesse,  comme 
un  champ  de  lotus  qu'une  gelée  blanche  aurait  fané  ^. 

Les  poètes  épiques  ont  eu  recours  aux  comparai- 
sons de  ce  genre  pour  peindre  en  particulier  Téclat  du 
sang  qui  coule  des  blessures. 

Les  membres  couverts  de  flèches,  ils  brillaient  tels  qu'au 
printemps  deux  kimçukas  couverts  de  leurs  fleurs  bigarrées  '. 

A  voir  le  sang  dont  il  était  souillé,  on  eût  dit  un  immense 
arbre  kimcuka  en  fleurs  au  milieu  d'une  forêt. 

à 

Par  le  sang  caillé  de  ses  blessures,  il  ressemblait  à  l'arbre 
qui  porte  l'encens,  quand  il  exsude  sa  racine  odorante^. 

Bàli,  que  le  fils  de  Danu  labourait  avec  la  pointe  de  ses 
cornes,  parut  bientôt  comme  un  açoka  tout  en  fleurs  ^. 

Et  encore*  : 
Sous  le  coup  des  flèches  décochées  la  face  rouge  du  singe 

1.  Raghu- Vamça,  chant  VIÎ,  11.  Bhavabhùti  a  dit  de  même 
dans  Mâlatî  et  Mùdhava  :  «  De  quelque  côté  qu'on  porte  ses 
regards,  toutes  les  fenêtres  de  la  ville  paraissent  garnies  de 
lotus.  »  Acte  II,  p.  35. 

2.  RaghU'Vamça,  chant  XVIIÏ,  36  et  XVI,  7.  On  trouve  déjà 
dans  le  Ràmàyanay  Sundarakânda,  LVIII,  12  :  «  Les  membres 
sans  couleur  comme  un  étang  de  lotus  à  l'arrivée  des  neiges.  » 

3.  Mahâbhârala.  Bhisma-Parva,  16682. 

4.  Râmâyana.  Yuddhakûnda,  LXXXVIII,  7.  — Aranyakànda, 
XXVI,  28. 

5.  Kishkindhyakànda,  IX,  76.  Et  plus  loin  :  «  L'Indra  blessé 
des  Rakshasas  paraissait  alors  comme  un  açoka  en  fleurs, 
planté  au  milieu  des  armées.  »  Yuddhakûnda,  LXXVII,  29. 

6.  Sundarakûoda,  XXXIX,  22.  —  Yuddhakâi.ida,  XIX,  68. 
Ailleurs,  il  est  aussi  question  de  «  gouttes  de  sang  larges 
comme  des  fleurs  de  bandhujîva  ».  Et  XX,  10  :  «  On  eut  dit 
à  les  voir  deux  palàças  en  fleurs.  »  Le  bandhujîva  est  Ylxora 
coccfnea. 


470  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

brilla  telle  qu'en  automne  un  nélumbo  épanoui,  frappé  des 
rayons  du  soleil. 

Blessés  par  les  traits  empennés  d'or,  ces  guerriers  magna- 
nimes ressemblaient  à  des  bouquets  de  bandhujîva. 

Les  comparaisons  tirées  du  règne  végétal  sont  fré- 
quemment aussi  employées  par  les  poètes  épiques  pour 
peindre  Taccablement  causé  par  une  grande  douleur 
ou  la  chute  des  guerriers  frappés  dans  le  combat. 
Ainsi  dans  le  Mahâbhârata  : 

Gandharî,  épuisée  par  la  douleur,  tomba  aussitôt  sur  la  terre, 
comme  une  kadali  coupée  dans  la  forêt  *. 

Kuntî  effrayée  se  laissa  tomber  sur  sa  couche  irréprochable 
comme  une  liane  qu'on  a  brisée. 

Mordu  par  ce  vil  serpent,  le  père  du  roi  Janamejaya  tomba 
dans  la  mort,  comme  un  arbre  frappé  par  la  foudre  *. 

Karoa  vit  son  frère  tomber  du  char,  comme  un  arbre  en 
fleurs  que  le  vent  précipite  de  la  cime  d'une  montagne  ^. 

De  morne  dans  le  Râmâyana  *  : 

Le  Ràkshasa,  comme  un  arbre  que  le  tonnerre  a  frappé, 
tomba  sur  la  terre. 

Bharata  s'affaissa  tout  à  coup  sur  la  terre,  tel  un  arbre,  sapé 
par  la  racine,  tombe  dans  la  forêt. 

Kâlidàsa  a  eu  recours  à  la  même  figure^  : 

Les  fils  de  Dacaratha  virent  leurs  deux  mères  tombées  dans  une 

• 

1.  Éd.  Foucaux,  Le  Mahâbhârata.  Onze  épisodes  ti7^és  de  ce 
poème  épique.  Paris,  1862,  in-8,  p.  253. 

2.  Vana-Parva,  17124.  —  Adi-Parva.  838. 

3.  Drona-Parva,  1717-18.  Pavolini,  p.  177.  Et  encore:  «  Dhri- 
taràshtra  tombe  à  terre  comme  un  arbre  superbe  abattu  par  le 

vent  ». 

4.  Kishkindhyakànda,  XLVIIl,  22.  —  Yuddhakànda,LXXVIl, 

115. 

5.  Raghu-Vamça,  chant XIV,  1. 


LES  PLANTES  DANS  LA  POÉSIE  471 

condition  lamentable  depuis  la  mort  de  leurs  époux,  comme 
deux  lianes,  une-fois  sapé  T^rbre  qu'elles  tenaient  embrassé. 

Les  poètes  du  Mahâbhàrata  et  du  Râmâyana  com- 
parent encore  le  tremblement  des  membres  émus  à 
celui  des  feuilles. 

Le  roi  tremblait  comme  une  feuille  d'açvattha  agitée  par  le 
vent*. 

Sitâ  frissonnait,  tremblante  comme  les  feuilles  du  bananier 
au  souffle  du  vent.  —  Vivement  émue,  Sîtà  tremblait  comme 
un  bananier  superbe  qu'un  éléphant  a  brisé  2. 


1.  AdiParva,  7297. 

2.  Aranyakànda,  VII,  24  et  LUI,  61.  Plus  haut,  II,  17,  le 
poète  parle  aussi  d'Anasùyâ  «  aux  membres  tremblants  comme 
les  feuilles  d'un  bananier  au  souffle  du  vent  ». 


CHAPITRE  V 

LES  PLANTES  DANS  LES  LEGENDES  RELIGIEUSES 

ET  DANS  LE  CULTE 


I 


D'après  les  Rishis,  l'univers  se  compose  du  ciel  — 
le  monde  supérieur  et  lumineux  —  et  de  la  terre  — 
le  monde  inférieur  —  ;  entre  lesquels  s'étend  le  monde 
des  nuages  —  rajas  —  ou  l'atmosphère*.  La  voûte 
du  ciel  —  le  firmament  — ,  sur  laquelle  sont  fixés  les 
astres,  sépare  le  monde  invisible  de  la  lumière  du 
monde  visible  de  l'atmosphère*.  La  région  la  plus 
élevée  de  cette  dernière,  celle  des  orages  et  de  la  pluie, 
était  d'ailleurs  souvent  confondue  avec  la  région  infé- 
rieure du  ciel'.  Quant  à  la  terre,  un  hymne  védique* 


1.  Big-Veda,  lib.  VIII,  10,  6.  —  Roth,  Die  hôchsten  Gôtter 
fier  arischen  Vôlker.  (Zeitschrift  der  deutschen  morgenlàn- 
diachen  GeselUchafl,  vol.  VI  (1852),  p.  675.  —  A. -A.  Macdonell, 
Vedic  Mythology,  p.  8.  (^Grundriss  der  indo-arischen  Philo- 
logie ^  vol.  III,  1,  A.). 

2.  Le  ciel  est  représenté  comme  comprenant  trois  régions  : 
une  inférieure,  une  moyenne  et  une  supérieure.  Big-Veda, 
lib.  I,  35,  6  et  VII,  37,  5. 

3.  BigVeda,  lib.  I,  108,  9,  10  et  VII,  87,  5. 

k.  Big-Veda,  lib.  I,  35,  8.  Un  autre  hymne  (X,  19,  8)  divise 


LES  PLANTES  DxVNS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        473 

lui  attribue  trois  continents,  huit  montagnes  et  sept 
fleuves.  Cette  cosmologie  des  Védas,  toute  primitive 
qu'elle  est»  subsista,  dans  ses  traits  principaux, 
durant  les  siècles  suivants*. 

Toutefois,  si  la  conception  védique  du  ciel  et  de 
l'atmosphère  resta  à  peu  près  la  même,  celle  que  les 
poètes  des  Purànas  ou  des  épopées  nationales  et  plus 
encore  les  écrivains  bouddhistes  se  faisaient  de  la 
terre,  bien  que  non  moins  mythique,  est  autrement 
compliquée.  Pour  eux.  la  terre  a  la  forme  d'un  disque 
aplati,  terminé  par  une  muraille  circulaire  de  rochers. 
Quatre  continents  —  dvîpas  — ,  suivant  les  écrivains 
bouddhistes  de  la  Chine  *,  sept  continents  d'après  le 
Vishnu  et  le  Bhagavata  Purâna*,  couvrent  sa  surface. 
Ils  sont  entourés  par  autant  de  grandes  mers  :  la  mer 
d'eau  salée,  celle  de  jus  de  canne  et  de  vin,  la  mer  de 
beurre  clarifié,  celle  de  caillé,  enfin  les  mers  de  lait  et 
d'eau  douce*.  Les  quatre  continents  des  Bouddhistes 
étaient  le  Jarabudvîpa  au  Sud,  le  Viàeha  à  l'Est,  TUtta- 
rakuru  au  Nord  et  le  Gadhànya  à  TOuest.  Le  plus 
vaste  de  tous,  le  Jambudvîpa  renferme  neuf  varshas 


la  terre  en  quatre  vastes  continents.  Cf.  H.-W.   Wallis,   The 
cosmogony  ofthe  Rigveda.  London.  1887,  in-8,  p.  112. 

1.  «  Le  ciel  est  la  demeure  des  Dieux;  l'atmosphère,  le 
séjour  des  Bhùtas  ;  la  terre,  le  monde  des  hommes.  »  Bhaga- 
vata Puràna,  lib.  XI,  cap.  24,  12. 

2.  Samuel  Beal,  A  calena  of  Buddhisl  Script ures  from  the 
Chinese.  London,  1871,  in-8,  p.  35. 

3.  Vishnu  Purâtta,  lib.  II,  cap.  2.  Trad.  H. -H.  Wilson,  vol. 
Il,  p.  109.  —  Bhùgavata  Punina,  lib.  V,  p.  16,  7.  Les  Jainas, 
d'après  M.  de  Milloué  {Muséon,  vol.  111  (188'*),  p.  197),  pla- 
çaient à  TEst  le  Bhàrata,  à  TOuest  le  Videha  et  au  Nord  l'Ai- 
ravati. 

4.  Vishnu  Purâna,  lib.  II,  cap.  2,  vol.  II,  p.  109. 


474         LES  PLAMTES  CUEZ  LES  HINDOUS 

OU  territoires  séparés  les  uns  des  autres  par  des  mon- 
tagnes élevées.  Celui  du  milieu  est  rUâvrita;  tout 
autour  sont  rangés  huit  autres  varshas,  trois  au  NiDrd, 
entre  autres  le  Kuru  —  TUttarakuru  des  écrivains 
bouddhistes  — ,  trois  au  Sud,  dont  le  plus  important, 
le  Bhàrata,  est  l'Inde  proprement  dite,  enfin  l'un  à 
l'Est  et  un  autre  à  l'Ouest*. 

Au  centre  de  l'Ilâvrita  se  dresse  le  Meru  «  le  roi  des 
Monts  »  ;  entièrement  formé  d'or,  il  a  la  forme  d'un 
tronc  de  cône  renversé,  mesurant  32000  yojanas  de 
diamètre  au  sommet  et  16000  seulement  à  la  base*. 
Le  Vishnu  et  le  Bhàgavata  Purâna  le  comparent  au 
fruit  du  lotus,  dont  les  huit  varshas,  qui  entourent 
l'Ilâvrita,  sont  comme  les  pétales.  D'après  le  Padma 
Puràna,  le  Meru  ressemble  à  la  fleur  du  datura.  Quatre 
monts,  le  Mandara,  le  Mcrumandara,  le  Supârçva  et 
le  Kumuda  lui  servent  de  contreforts  '.  Le  Bhàgavata 
Purâna  place  un  lac  sur  chacun  de  ces  monts  :  un  de 
lait,  un  autre  de  miel,  un  lac  de  suc  de  canne,  enfin 
un  lac  d'eau  pure*.  L'un  de  ces  lacs,  d'après  le  Vishnu 
Purâna,  était  le  Manâsa  —  l'Anotatta  du  Sùryodga- 
mana-sûtra  ^  — ,  lac  célèbre  dans  les  légendes  et  la 
poésie  hindoues  ;  il  était  entouré  de  tous  côtés  par  des 
montagnes.  Des  montagnes,  restées  célèbres  aussi,  for- 
maient également  la  limite  des  divers  varshas  ;  telles 
l'Himavat  au  Sud  de  l'Ilâvrita  et  le  Gandhamâdana  à 

• 

1.  Bhàgavata  Puràna,  lib.  V,  cap.  16,  6-9. 

2.  VUht}u  Puràna f  lib.  II,  cap.  2.  —  Bhàgavata  Puràna , 
lib.  V,  cap.  16,  7. 

3.  Le  Vishpu  Purâna  substitue  le  Gandhamâdana  au  Meru- 
mandara  et  le  Vipula  au  Kurauda.  Lib.  II,  cap.  2,  p.  115. 

4.  Bhàgavata  Puràna,  lib.  V,  cap.  16,  12  et  1'*. 

5.  Spencft  Hardy,  A  manual  of  Buddhism.  London.  1886, 
in-8,  p.  15-16. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        475 

l'Est;  il  faut  mentionner  encore  le  Citrakûta  et  le 
Kailâsa,  qui  a  conservé  son  nom  jusqu'à  aujourd'hui. 
Des  forêts  immenses  couvraient  ces  montagnes.  Tel 
était,  d'après  les  croyances  des  anciens  Hindous,  le 
séjour  des  hommes  et  de  tous  les  êtres  animes  ;  tel  était 
aussi  celui  des  Dieux,  dont  leur  fertile  imagination 
avait  peuplé  l'univers. 

Les  divinités  du  Panthéon  hindou  étaient  de  simples 
personnifications  des  forces  ou  des  phénomènes  de  la 
nature  *  ;  mais  elles  étaient  loin  d'avoir  toutes  la  même 
puissance  ;  parmi  elles  s'en  trouvait  une  —  non  tou- 
jours la  même  et  qui  varia  suivant  les  temps  — ,  supé- 
rieure aux  autres  et  regardée  comme  le  dieu  suprême, 
père  et  maître  de  l'univers  et  créateur  de  tous  les  êtres 
qu'il  renferme.  A  l'origine  ce  Dieu  fut,  comme  chez  les 
autres  nations  indo-européennes,  le  ciel  lumineux  — 
Dyaus  pitar,  Zcj;  r.x-Tftp,  Ju-piter*  — ,  qui,  uni  à  la  Terre 
—  Prithivî  «  la  large  »  — ,  a  fait  et  conserve  tous  les 
êtres.  Mais  Dyaus  ne  garda  pas  longtemps  ce  rang 
élevé;  il  finit  par  le  céder  à  Varuna'* —  TO-ipavoç  des 
Grecs  —  de  même  origine  que  lui,  puisqu'il  person- 
nifiait la  voûte  céleste.  «  Roi  des  Dieux,  des  hommes 
et  de  tout  ce  qui  existe  »,  «  maître  du  ciel  et  de  la 
terre  »,  «souverain  arbitre  »  —  asura  —  de  l'univers*, 
Varuna  a  été  parfois  identifié  à  Ahura  Mazda'.  Ainsi 

1.  Macdonell,  Vedic  Mythology^  p.  2. 

2.  Leopold  von  Scliroeder,  Indiens  Literatur  und  KuUur, 
p.  22.  —  Macdonell,  Vedic  Mylhology^  p.  21. 

3.  Rig-Veda,  lib.  I,  159,  2  et  160,  2  et  4.  — J.  Muir,  Original 
Sanscrit  Texts,  vol.  V,  p.  21  et  suiv.  —  Lefmann,  Das  aile 
Indien  y  p.  44. 

4.  BigVeda,  lib.  ï,  25,  20  ;   II,  27,  10;  V,  85,  1;  VII,  87,  6. 

5.  J.  Darmesteter,  Le  dieu  suprême  dans  la    Mythologie^ 
aryenne.  {Essais  orientaux,  Paiis,  1883,  vol.  Il,  p.  105).  — 


476  LES  PU!ITFS  CHEZ  LES  HINDOUS 

que  lai,  il  ne  régnait  pas  seul  ;  il  partageait  le  gouver- 
nement du  monde  avec  les  Aditvas,  «  ses  espions  », 
qui  rappellent  les  Amshapands  de  la  mythologie  ira- 
nienne, abstractions  personnifiées  presque  toutes  sans 
importance,  mais  dont  Tune,  Mitra  —  le  Mithra  des 
Perses  —  apparait  comme  son  auxiliaire  inséparable  '. 
Gardien  comme  lui  et  souverain  du  monde,  Mitra 
semble  avoir  plutôt  présidé  au  jour,  tandis  que  Varuna 
régnait  sur  la  nuit  ^.  Tous  deux  d'ailleurs,  ainsi  qu'Arva- 
man  et  les  autres  Âdityas  \  n*étaient  point  regardés 
comme  éternels  ;  ils  étaient  fils  d'Aditi,  «  Timmen- 
sité  »  *. 

En  même  temps  que  Tun  des  Âdityas,  Mitra  était 
aussi  Dieu  solaire  ;  mais  il  ne  représentait  pas  à  lui 
seul  le  soleil  ;  cet  astre  était  surtout  personnifié  en 
Sûrya,  Savitri  et  Vishnu  :  Sùrya,  le  fils  de  Dyaus  ^,  qui 
éclaire  de  ses  rayons  le  firmament  et  connaît  tout; 
Savitri,  Tasura  «  aux  yeux  d'or  »,  qui  éclaire  par  sa 
présence  le  ciel  et  la  terre  et  vivifie  toutes  les  créa- 

Ph.  Collinet,  Divinité  personnelle  dans  VInde  ancienne.  (Mu- 
séon,  vol.  \\\  (188'i),  p.  141.)  C'est  au  contraire  à  Dyaus  que 
p.  von  Bradke  (^Dyaus  Asura,  Ahura  Mazda  und  die  Asuras. 
Halle,  1885,  in-8,  p.  80),  semble  identifier  le  dieu  suprême  des 
Iraniens. 

1.  Rig-Veda,  lib.  V,  62,  3;  69,  1  et  '»  ;  VII,  61,  3. 

2.  Riff-Veda,  lib.  VIII,  25,  1.  —  A.  Hillebrandt,  Varuttaund 
Mitra.  Breslau,  1877,  in-8,  p.  44-53.  —  Muir,  Sanscrit  Texts, 
vol.  V,  p.  58.  —  A.  Bergaignc,  Les  Dieux  souverains  de  la 
Religion  vrdique.  Paris,  1877,  in-8,  p.  116. 

3.  Bhaga,  Daksha  et  Ariiça.  A.  Barth,  The  Religions  of  India. 
London,  1882,  in-8,  p.  19.  ' 

'i.  Rig-Vedn,  lib.  VIII,  25,  3;  47,  9.  --  Muir,  V,  37-38. 

5.  Rig-Vcda,  lib.  X,  37,  1;  I,  50,  1  et  4.  —  A.  Barth,  The 
Religions,  p.  20.  —  Edmund  Hardy,  Die  vcdish-brahmanische 
Période  der  Religion  des  allen  Indiens.  Miinster  i.  W.,  1898, 
in-8,  p.  29.  —  Macdonell,  Vedic  Mythology,  p.  30. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        477 

tures*;  Vishnu,  «l'agile  »,  rami d'Indra,  qui  parcourt 
le  monde  en  trois  pas*.  Enfin  le  dieu  pasteur  et  bien- 
faisant Pushan,  «  protecteur  du  monde  ^  »,  était  encore 
une  personnification  du  soleil,  tel  qu'un  peuple  d'agri- 
culteurs avait  pu  aimer  à  se  figurer  le  dieu  de  la  lu- 
mière*. Parmi  les  autres  divinités  célestes,  il  faut 
encore  citer  Vivasvat,  le  Ciel  ou  le  Soleil  personnifié, 
organisateur  du  culte  et  Tancêtre  du  genre  humain  '  ; 
Ushas,  l'Aurore,  fille  brillante  du  Ciel  et  épouse  du 
Soleil*,  si  souvent  chantée  par  les  Rishis,  et  les  Açvins 
divinités  secourables  et  propices  aux  mortels  \  qui 
annoncent  la  venue  de  l'Aurore. 

Les  divinités  de  Tair  n'étaient  pas  moins  nombreuses 
que  celles  du  ciel;  au  premier  rang  figurait  Indra, 
personnification  des  éclairs  et  de  la  foudre,  qui,  après 
avoir  été  l'auxiliaire  de  Varuna,  finit  par  lui  enlever 
son  antique  suprématie,  et  devint  le  dieu  national  des 
Hindous*.  Vainqueur  de  Vrita  et  défenseur  des  Dieux, 
il  fait  trembler  les  deux  mondes,  soutient  et  gouverne 
la  terre  et  le  cieP.  Créateur  du  soleil  et  de  Taurore^^, 

1.  Rig-Veda,  lib.  I,  35,  7  et  8;  II,  38,  1. 

2.  RigVcda,  lib.  1,22,  17.  —  H.  Oldenberg,  La  Religion 
du  Véda.  trad.  V.  Henry.  Paris,  1903,  in-8,  p.  191. 

3.  RigVeda,  lib.  X,  17,  3. 

4.  L.  V.  Schroeder,  op.  laud.,  p.  58. 

5.  J.  Ëhni,  Der  vedische  MythusdesYama.  Sir2i&sb\iTf^yiS90, 
in-8,  p.  19-26. 

6.  Rig-  Veda,  lib.  VII,  75,  6.  —  Macdonell,  Vedic  Mythology, 
p.  46. 

7.  RigVeda,  lib.  I,  112,  116,  118.  —  L.  v.  Schroeder,  op. 
laud.f  p.  54. 

8.  Muir,  op.  laud.,  p.  72  et  139.  —  A.  Barth,  The  religions^ 
p.  12.  —  L.  V.  Schroeder,  op.  laud.,  p.  59.  —  Macdonell,  Vedic 
Mythology,  p.  54. 

9.  Rig-Veda,  lib.  IV,  19, 1-3 ;  VIII,  86, 14  ;  II,  12, 1-2;  Vï,  30, 5. 
10.  Rig-Veda,  lib.  V,  37,  4-5. 


478  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

c'est  lui  qu'invoquent  les  armées  en  marchant  au 
combat,  et  invincible  lui-même,  il  rend  invincibles  ses 
adorateurs. 

A  côté  d'Indra,  le  dieu  de  l'orage,  prenaient  place 
Vàyu  et  Vàta,  les  dieux  salutaires  du  vent*,  puis 
Rudra,  le  dieu  rapide  et  terrible,  mais  bienfaisant  aussi, 
de  la  tempête',  ainsi  que  les  Maruts,  ses  fils,  personni- 
fications des  ouragans  et  des  éclairs,  associés  d'Indra 
dans  sa  lutte  contre  Vrita';  enfin  Parjanya,  dieu  antique 
de  la  pluie  et  du  tonnerre,  créateur  des  plantes,  qui 
fait  penser  au  Perkunas  lithuanien  *. 

La  terre  avait  aussi  ses  divinités  non  moins  puis- 
santes que  celles  de  Tair  et  du  ciel  ;  les  deux  princi- 
pales étaient  Agni  et  Soma.  Agni  est  le  feu  que  recèle 
les  plantes,  celui  qui  brûle  au  foyer  et  sur  les  autels  ; 
mais  il  est  aussi  engendré  par  l'éclair  dans  la  nue,  et, 
personnification  du  soleil,  il  brille  au  matin  dans  le 
firmaments  Ainsi  comme  à  la  terre,  il  appartient  à 
l'atmosphère  et  au  ciel.  Regardé  parfois  comme  fils 
de  Dyaus  et  de  Prithivî,  son  rôle  dans  le  sacrifice  l'a 
élevé  au  rang  des  Dieux  les  plus  grands  de  l'âge  vé- 
dique; il  est  invoqué  comme  l'organisateur  du  monde 
et  la  source  de  toute  vie  S   Soma,  le  jus  enivrant  qui, 


1.  Muir,  op,  laud.f  vol.V,p.  143-1 46.  —  Macdonell,  0/7.  Inud.y 
p.  82. 

2.  Rig-Veda,  lib.  X,  103,  8;  II,  33,  7. 

3.  Rig-Veda,  lib.  VIII,  65,  2-3.—  Macdonell,  op.  laud,, 
p.  77-81. 

4.  Barth,  op.  laud.,  p,  14.  — Schroeder,  op.  laiid.,  p.  66.  — 
Macdonell,  op.  laud.,  p.  83-85.  —  G.  Biihler,  Orient  und  Occi- 
dent, vol.  I  (1882),  p.  226. 

5.  Rig-Veda,  lib.  III,  2,  2;  25,  1,  etc. 

6.  RigVeda,  lib.  III,  6,  5;  X,  88,  4.  —  Muir,  op.  laud., 
vol.  V,  p.  214.  —  Macdonell,  op.  laud.,  p.  89-100. 


LES  PUNTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        470 

exprimé  de  la  plante  de  ce  nom,  est  offert  aux  Dieux, 
a  été  non  seulement  personnifié,  il  est  comme  le  haoma 
iranien,  devenu  lui-même  un  dieu  immortel  et  même 
le  plus  puissant  des  Dieux  védiques,  leur  père  et  leur 
créateur*. 

En  même  temps  que  ces  dieux  souverains,  prirent 
naissance  une  foule  de  divinités  secondaires  plus  ou 
moins  puissantes  ou  connues.  Tels  Tvashtri,  le  Vulcain 
hindou,  divin  artisan,  qui,  habile  dans  tous  les  arts, 
connaît  aussi  tous  les  êtres,  dans  leur  diversité  infinie, 
les  a  tous  créés  et  les  nourrit  et  conserve  tous  *  ;  Bri- 
haspati  ou  Brahmanaspati,  le  maître  et  Tinspirateur 
de  la  prière,  qui,  du  haut  du  ciel,  maintient  Tordre 
dans  Tunivers'  et  partage  les  principaux  attributs 
d*Agni,  de  Soma  et  d'Indra.  Tels  encore  Trita  et  Màta- 
riçvan,  d'origine  incertaine;  le  premier,  peut-être 
divinité  atmosphérique,  fut  l'auxiliaire  d'Indra  dans 
sa  lutte  contre  Vritra,  et  devint  aussi  de  bonne  heure 
le  compagnon  d'Agni  et  des  Maruts  ;  le  second  fit 
jaillir  Agni  du  sein  du  bois  qui  le  récèle  et,  Prométhée 
hindou,  apporta  le  feu  du  ciel  sur  la  terre*. 

La  mythologie  hindoue  n'éleva  pas  seulement  au 
rang  des  Dieux  les  forces  personnifiées  de  la  nature  ; 
vers  la  fin  des  temps  védiques,  elle  déifia  encore  de 
simples  abstractions.  Prajàpati,  épithète  personnifiée 
de  Savitri  et  de  Soma,  devint  le  dieu  de  la  fécondité  \ 
et  fut  plus  tard  regardé  comme  le  principe  et  le  sou- 


1.  Rifj'Veda,  lib.  I,  43,  9  ;  IX,  73,  1  et  42,  4.  —  Muir,  op. 
laud.y  vol.  V,  p.  266-67. 

2.  Rig-Veda,  lib.  IH,  55,  19;  IV,  42,  3  ;  X,  53,  9. 

3.  Rig-Veda,  lib.  II,  23,  1-4;  I,  40,  5  et  90,  l-'i;  IV,  50,  4. 

4.  Rig-Veda,  lib.  VIII,  7,  24;  III,  2,  13;  X,  128,  2. 

5.  Rig-  Veda,  lib.  X,  169,  4  et  184,  1. 


480  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

tien  de  l'univers  *.  L'épithète  d*Indra  et  du  soleil  dans 
deux  hymnes  du  Hig-Veda*,  Viçvakarman  «  produi- 
sant tout  »,  est  devenue,  en  se  personnifiant,  le  créa- 
teur et  l'organisateur  des  mondes,  l'architecte  de 
l'univers,  le  père  des  hommes.  Dans  TAtharva-Véda^ 
Rohita«  le  rouge  »,  qualificatif  du  feu  ou  du  soleil, 
est  le  créateur  du  ciel  et  de  la  terre.  Ucchishta,  les 
restes  du  sacrifice,  sont  représentés,  dans  un  hymne  du 
même  recueil^,  comme  ayant  donné  naissance  à  tout 
ce  qui  respire,  ainsi  qu'à  tous  les  Dieux  du  ciel  et  aux 
hommes. 

Cette  tendance  ne  fit  que  se  généraliser;  la  colère, 
surtout  la  colère  redoutable  d'Indra  —  Manyu  — ,  la 
la  faveur  des  Dieux  «—  Anumati  — ,  la  piété  —  Ara- 
mati — ,  etc.,  furent  tour  à  tour  personnifiées.  Un  hymne 
Tédique  est  consacré  à  la  louange  de  la  bonne  foi  — 
Çraddhîi  —  ;  on  l'invoquait  le  matin,  à  midi  et  le  soir*. 
Le  Désir  —  Kâma  — ,  le  premier  mouvement,  dit  un 
rishi  ",  qui  naquit  dans  le  cœur  de  l'Être  appelé  à  la 
vie,  apparaît  dans  l'Atharva-Véda  comme  le  premier 
né  et  le  plus  grand  des  Dieux  ;  il  abat  sous  ses  coups 
les  ennemis  de  celui  qui  l'implore;  mais  ses  flèches 
servent  aussi  à  un  dessein  moins  cruel  ;  si  elles  per- 
cent les  cœurs,  c'est  pour  les  rendre  sensibles  à ramour\ 
et  c'est  aussi  comme  Dieu  de  l'amour  seulement  qu'il 
est  chanté  par  les  poètes  do  l'âge  suivant.  Ainsi  que  le 


1.  Çatapalha  Brâhmana,  lib.  II,  2,  4,  1  ;  VI,  8,  10,  14. 

2.  Lib.  X,  81,  2;  82,  2  et  3. 

3.  Lib.  XIII,  1,  6.  —  Muir,  op.  laud.,  vol.  V,  p.  395. 

4.  Lib.  XI,  7,  23  et  27. 

5.  RigVeda,  lib.  X,  83  et  84;  59,  6  et  167,  3  ;  151. 

6.  HigVeda,  lib.  X,  129,  4. 

7.  Àiharva-Veda,  lib.  IX,  2,  10-11  et  19;  III,  25,  1-2. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        481 

Désir,  le  Temps  a  été  personnifié  ;  un  poète  de  TAtharva- 
Véda  le  représente  comme  un  coursier  infatigable  et 
aux  mille  yeux,  le  promoteur  et  l'arbitre  de  l'univers*. 
Bien  d'autres  abstractions  sont  personnifiées  dans 
TAtharva-Véda,  ou  l'ont  été  plus  tard  ;  c'est  ainsi  que 
Skarabha,  le  support  de  l'univers,  créé  par  Prajâpati, 
est  devenu  pour  un  poète  du  recueil  sacré  le  Dieu  tout 
puissant  *. 

Le  Panthéon  védique  renfermait  des  déesses  non 
moins  nombreuses  que  les  Dieux  ;  les  unes  indépen- 
dantes ou  isolées  dans  leur  rôle  particulier  ;  les  autres 
épouses  des  Dieux,  dont  elles  partageaient  la  grandeur 
et  les  attributs.  Telles,  parmi  les  premières,  Ushas, 
l'Aurore,  que  nous  connaissons  déjà,  et,  parmi  les 
escondes,  Indranî,  l'épouse  obscure  d'Indra;  Prishnî, 
la  mère  des  Maruts  ;  Sûryâ,  la  fille  du  soleil  et  l'épouse 
des  Açvins  *  ;  Sarasviitî,  déesse  de  la  rivière  de  ce 
nom  et  épouse  du  dieu  Sarasvat,  transportée  au  ciel, 
d'où  elle  descend  pour  le  sacrifice  à. la  prière  de  ses 
adorateurs*;  Lakshmî,  qui,  inconnue  des  Védas,  en 
tant  que  divinité,  apparaît,  dans  l'âge  suivant,  comme 
l'épouse  de  Vishnu. 

Outre  les  innombrables  divinités  dont  je  viens  de 
parler,  des  génies  ou  êtres  mythiques  non  moins  nom- 
breux avaient  pris  place  dans  le  Panthéon  védique. 
Tels  sont  les  Ribhus,  fils  de  Manu,  élevés  au  rang 
suprême  pour  leur  merveilleuse  habileté  et  en  récom- 
pense des  services  qu'ils  avaient  rendus  aux  immortels  ^ 

1.  Lib.  XIX,  53,  1,  8  et  9. 

2.  Lib.  X,  8,  2.  Cf.  Macdonell,  op.  laud,,  p.  120. 

3.  Rig-Veda,  lib.  I,  119,  5;  IV,  48.  6;  X,  39,  11. 

4.  Rig-Veda,  lib.  V,  43,  11  ;  VIH,  115,  3-4. 

5.  Rig-Vèda,  lib.  III,  60,  1  et  4;  IV,  35,  3. 

JORET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité.  \\,  —  31 


482  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HLNDOUS 

Les  GandharTas  aux  formes  demi-animales  —  on 
les  a  assimilés  aux  Centaures  —  ont  été  également 
transportés  au  ciel,  où  ils  détiennent  le  Soma  ;  mais 
on  les  a  regardés  aussi  comme  habitant  au  milieu  des 
eaux  \  et  les  poètes  épiques  en  ont  fait  les  musiciens 
célestes  ;  comme  tels  nous  les  rencontrerons  à  la  cour 
dlndra,  en  compagnie  des  Apsaras.  Divinités  des  eaux, 
au  milieu  desquelles  elles  aiment  à  se  jouer,  celles-ci 
errent  parfois  aussi  dans  la  région  des  nuages  et  des 
éclairs  '.  Le  Çatapatha-Bràhmana  les  représente  comme 
se  transformant  à  leur  gré  en  oiseaux  aquatiques  et  en 
fait  les  compagnes  des  Gandharvas  ^  Toutefois  elles 
accordent  aussi  à  l'occasion  leur  amour  à  des  mortels. 
L'union  d'Urvaçî  et  de  Purûravas,  connue  déjà  dans 
les  derniers  temps  védiques,  est  restée  célèbre  dans 
la  poésie  hindoue^. 

Au-dessous  de  ces  génies  ou  demi-dieux,  la  mytho- 
logie hindoue  connaissait  encore  d'autres  êtres  my- 
thiques, héros  ou  prêtres,  que  la  reconnaissance  popu- 
laire avait  immortalisés.  Tels  furent  les  Bhrigus,  qui, 
après  avoir  reçu  le  feu  des  mains  de  Matariçvan,  le 
déposèrent  au  sein  du  bois,  et  le  placèrent,  comme  un 
trésor,  dans  la  demeure  des  hommes';  Atharvan, 
ancien  prêtre,  qui,  lui  aussi,  fit  jaillir  Agni  du  bois 
qui  le  recelait,  et,  le  premier,  établit  Tordre  sur  les 


1.  TaiUiriya-Samhilâ,  lib.   VI,  I,  16.  —  Hig-Veda^Wh,  X. 
10,  4. 

2.  Atharva-Veda,  lib.  H,  2,  3-4. 

3.  Lib.  XI,  5,  1,  4:  XIII,  4,  3,  7-8. 

4.  Rig-Veda,  lib.  X,  95.  —  Vishtiu-Purâna,  lib.  I,  cap.  6.  — 
K.  Geldner,  Purûravas  und  Urvari.  (Vedische  Studien.  Stutt- 
gart, 1888,  in-8,  vol.  1,  p.  243). 

5.  lUg-Veda,  lib.  I,  58,  6;  VI,  15,  2:  X,  92,  10. 


LKS  PLANTES  DANS  LKS  I.ÉGENDKS  RELIGIEUSES         483 

sacrifices  ;  les  Aiigiras,  musiciens  consommés,  à  qui 
leur  piété  fit  obtenir  l'immortalité  et  Tamitié  d'Indra ^ 

Les  hommes,  d'après  la  tradition  védique,  avaient 
une  origine  divine  ;  Manu,  le  père  de  la  race,  était  fils 
de  Vivasvat.  Instituteur  du  sacrifice,  le  premier  il  pré- 
senta une  ofi'rande  aux  Dieux  et,  grâce  à  sa  piété, 
échappa  au  déluge*.  Yama  —  TYima  des  légendes 
iraniennes  —  était,  lui  aussi,  fils  de  Vivasvat  et  par- 
tant frère  de  Manu  ;  mais  tandis  que  celui-ci  est  le 
père  des  vivants,  Yama,  le  premier  qui  ait  a  parcouru 
la  route  d'où  il  n'y  a  pas  de  retour  »,  est  le  roi  qui 
règne  sur  les  Morts  ;  élevé  au  rang  suprême,  il  réside 
au  ciel  au  milieu  des  Dieux,  où  les  Rishis  nous  le  mon- 
trent  accueillant  les  ancêtres  et  Jeur  préparant  leur 
dernière  demeure  *. 

Pour  terminer  cet  exposé  de  la  religion  védique,  il 
me  faut  dire  un  mot  des  génies  ou  êtres  malfaisants 
qu'elle  opposait  aux  Dieux  et  aux  génies  bienfaisants, 
dont  je  viens  de  parler.  Ce  sont  d'abord  les  Asuras, 
dieux  déchus  de  leur  grandeur  première  et  relégués, 
comme  démons,  du  ciel  dans  les  régions  souterraines, 
ils  régnent  dans  la  nuit  ;  d'égaux  aux  Immortels  deve- 
nus leurs  ennemis,  ils  sont  éternellement  en  lutte  avec 
eux\  Puis  viennent  les  Panis,  démons  puissants  de 
Tair,  dont  le  plus  célèbre  est  Vritra,  l'adversaire  prin- 
cipal d'Indra,  serpent  immense  qui  repose  au  milieu 
des   Eaux   célestes  ;   on  peut  y  joindre,  parmi  bien 

1.  Rig-Veda,  lib.  VI,  16,  13;  X,  62,  1  ;  92,  10. 

2.  Hig-Veda,  lib.  X,  63,  7.  —  Çatapatha-BrAhmana^  lib.  I, 
8,  1.  —  Macdonell,  op,  laud.,  p.   14. 

3.  RigVeda,  lib.  IX,  113,  8;  X,  14;  135,  1.  —  A.  Barth, 
The  Religions,  p.  22. 

4.  Çatapatha-Brâfimana,  lib.  II,  4,  2,  5.  —  TailiMya-Sath' 
hiiû,  lib.  I,  5,  9,  2. 


484  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

d'autres,  Namuci,  autre  génie  malfaisant,  qui,  comme 
Vritra,  tomba  sous  les  coups  d'Indra'.  Enfin  les  démons 
terrestres  si  célèbres  dans  les  légendes  et  la  poésie 
sous  le  nom  de  Râkshasas,  monstres  aux  formes 
hideuses,  ennemis  des  mortels,  comme  les  Asuras  et 
les  Panis  le  sont  des  Dieux  ';  puis  les  Yâtus,  génies 
apparentés  aux  Râkshasas,  et  les  Piçâcas,  démons 
non   moins  malfaisants  et  redoutables  que  les  der- 


niers '. 


Telle  était  la  théogonie  des  Védas  ;  elle  subsista,  en 
se  modifiant,  pendant  les  siècles  qui  suivirent.  De  nou- 
velles divinités  secondaires  prirent  place  autour  des 
grands  dieux  ;  quelques-uns  de  ceux-ci  changèrent 
d'attributs  ;  d'autres  s'unirent  entre  eux.  Ainsi  dès 
l'époque  des  derniers  Védas,  Varuna,  l'antique  dieu 
du  ciel,  devint  le  souverain  des  eaux  et  des  mers  *  ; 
Soma,  le  breuvage  divin,  apparaît  dans  l'Atharva 
comme' la  personnification  delà  lune";  Agni,  Vâyuet 
Surya  —  le  feu,  l'air  ou  le  vent  et  le  soleil  —  forment 
une  première  triade  sous  la  suprématie  de  Prajâpati  *. 
Malgré  ces  changements,  les  Dieux  des  Védas  conti- 
nuèrent toutefois  d'être  adorés  dans  l'Inde  ancienne  ; 
mais  ils  durent  partager  l'empire  du  monde  avec  des 
Dieux  inconnus  jusque-là  ou  négligés,  qui  finirent  par 
les  rejeter  dans  l'ombre. 


1.  Hig-Veda,  lib.  I,  12i,  11;  II,  11,  19. 

2.  Rig-Veda,  lib.  V,  30,  7;  VII,  19,  5;  Vdl,  lO'i,  21-22. 

3.  Oldenberg,  La  Religion  du  Vêda,  p.  222,  note  1.  —  Mac- 
donell,  op.  laud.,  p.  163-16'». 

4.  Rig-Veda,  lib.  VII,  64,  2.  —  Hillebrandt,   Varuna  und 
Mitra,  p.  40  et  83.  —  Oldenberg,  La  Religion  du  Véda,  p.  169. 

5.  Alharva-Veda,  lib.  XI,  6,   7.   —  Çalapatha-Brâhmana, 
lib.  I,  6,  4,  5;  XI,  1,  3,2. 

6.  A.  Barth,  op.  laud.,  p.  41.  —  E.  Hardy,  op.  laud.,  p.  85. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        485 

L*idée  abstraite  de  prière,  Brahman,  élargie  et  con- 
sidérée comme  l'équivalent  de  la  sainteté,  du  divin,  de 
l'absolu  en  soi,  devint,  sous  le  nom  de  Brahmâ,  la 
personnification  de  l'âme  universelle,  le  dieu  créateur 
et  conservateur  du  monde  *.  Mais  ce  dieu  suprême  ne 
régna  pas  longtemps  seul  dans  les  hauteurs  inacces- 
sibles du  ciel;  à  côté  de  lui  prirent, place  deux  anciens 
Dieux,  d'un  rang  secondaire  à  l'origine,  mais  qui,  grâce 
en  partie  à  la  révolution  religieuse  suscitée  par  Çàkya- 
muni,  arrivèrent  au  premier  :  Çiva  et  Vishnu. 

Parmi  les  divinités  védiques,  Rudra,  le  père  des 
Maruts,  avait  été  un  des  plus  souvent  invoqués  par  les 
Rishis  ;  il  ne  cessa  pas  de  l'être  dans  Tàge  suivant, 
sous  les  noms  les  plus  divers,  et,  loin  de  diminuer,  son 
crédit  alla  augmentant  ;  dans  la  Maitràyànîsamhitâ, 
il  est  devenu  le  «  grand  Dieu  »  —  Mahàdeva  —  et 
aussi  le  «  dieu  bon  »  ou  «  gracieux  »  —  Çiva  *  — . 
C'est  sous  ce  dernier  nom,  qui  fit  oublier  celui  de 
Rudra,  qu'il  atteignit  au  rang  suprême.  Le  Mahâbhà- 
rata  le  célèbre  comme  la  cause  innée  des  mondes,  le 
principe  de  tous  les  êtres,  le  créateur  de  l'univers^. 
Son  culte  était  surtout  répandu  dans  la  région  monta- 
gneuse du  Nord-Ouest  ;  il  portait  lui-même  le  surnom 
de  Giriça,  «  seigneur  de  la  montagne  »,  et  avait  pour 
épouse  Umâ  —  Durgâ  ou  Pârvatî  —  fille  d'Himavat  ; 
on  le  regardait  comme  trônant  sur  le  Kailàsa,  entouré 
de  divinités  ^  nouvelles  :  Skanda,  son  fils  adoptif  et 
le  dieu  de  la  guerre  ;  Ganeça,  le  «  chef  de  ses  trou- 
pes )s  l'inspirateur  des  bons    conseils,   plus    tard  le 

1.  A.  Barth,  op,  land.,   p.  92.  —  L.  v.  Schrœder,  op.  laud., 
p.  2'i'*. 

2.  L.  V.  Schroeder,  op.  laud. y  p.  344-346. 

3.  Drona  Parva,  v.  2838  et  suiv. 


4M  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

protectear  des  arts  et  des  lettres  ;  Kubera  ou  Kuvera, 
le  dieu  de  la  Richesse,  d'autres  encore  auxquels  il 
faut  ajouter  de  nombreux  génies  :  Yakshas,  Bhùtas, 
etc.,  ennemis  des  hommes*. 

Vishnu  n*était  qu'un  dieu  secondaire  pour  les  Rishis, 
et  il  resta  tel  pour  les  auteurs  du  Yajur-Véda  et  des 
Bràhmanas;  ces  recueils  cependant  lui  donnent  un 
titre  qui  prépara  sa  grandeur;  ils  l'identifient  avec  le 
sacrifice.  Il  semble  qu'en  même  temps  il  se  confondit 
avec  plusieurs  divinités  indigènes  dont  il  usurpa  les 
attributs'.  C'est  ainsi  que  peu  à  peu  il  fut  élevé  au 
rang  suprême.  Dans  le  Mabâbhàrata,  il  est  en  pleine 
possession  de  cet  honneur,  et  le  Puràna,  qui  porte  son 
nom,  nous  le  montre  comme  le  protecteur  des  Dieux 
vaincus  par  les  Asuras,  Tàmede  l'univers,  la  cause  des 
causes,  le  principe  de  toutes  choses,  Je  centre,  le  con- 
servateur du  monde  '.  Dépouillant  son  caractère  so- 
laire, il  se  retire  dans  un  mystérieux  éloignement  ;  là, 
suivant  qu'il  veille  ou  s'abandonne  à  un  sommeil  mys- 
tique, il  donne  la  vie  à  de  nouveaux  êtres  ou  les  rap- 
pelle à  lui.  On  le  faisait  trôner  à  Vaikuntha,  en  com- 
pagnie de  son  épouse  Çrî  ou  Lakshmi,  déesse  de  la 
beauté*. 

Brahmà,  Vishnu  et  Çiva  sont  les  trois  grands  dieux 
de  l'Hindouisme;  tous  trois  également  puissants  et 
égaux  entre  eux,  ils  se  confondirent  en  un  seul  être, 
et  formèrent  une  triade  —  trirmïrti  — ,  qui  domine  le 
Panthéon  de  l'Inde  moderne.  Les  dieux  védiques,  pro- 
scrits  par  le   Bouddhisme,   subsistèrent   néanmoins, 

1.  A.  Barth,  op.  lauci.,  p.  163-165. 

2.  L.  V.  Schroedep,  op.  laud.,  p.  325-327. 

3.  VishnU'Purâna,  lib.  III,  cap.  17  et  lib.  V,  cap.  1. 

4.  A.  Barth,  op.  laud. y  p.  168-169. 


LKS  PLANTES  IiANS  LKS  LEGENDES  RELIGIErSES        487 

quoique  à  un  rang  inférieur;  ils  veillent  sur  Tunivers, 
dont  Brahmâ,  Vishnu  et  Civa  sont  les  créateurs.  Les 
gardiens  des  huit  régions  du  monde,  les  Lokapâlas, 
sont  Indra,  qui  règne  sur  TOrient;  Yama,  sur  le  Midi  ; 
Varuna,  sur  l'Occident;  Kubera,  dieu  nouveau,  qui 
veille  sur  le  Septentrion,  puis  Agni,  Sùrya,  Vâyu  et 
Soma,  qui  président  aux  contrées  intermédiaires*. 

Si  Vishnu  a  pris  rang,  comme  Brahmà,  parmi  les 
grands  Dieux  deTInde,  c'est  en  s'incarnant  en  Krishna 
qu'il  est  devenu,  ce  que  ne  fut  jamais  Brahmâ,  une 
divinité  populaire  et  nationale.  Par  son  caractère  hé- 
roïque à  la  fois  et  humain,  par  ses  exploits,  comme 
par  ses  faiblesses,  le  fils  de  Vasudeva  et  de  Devakî 
était  bien  fait  pour  séduire  l'imagination  hindoue  ; 
aussi  no  tarda-t-il  pas  à  détrôner  le  dieu,  dont  il  n'était 
que  rincarnation  et  il  en  usurpa  tous  les  titres  ;  comme 
lui,  «  il  est  la  beauté  suprême,  le  premier  principe, 
lïime universelle,  le  maître  et  le  protecteur  du  monde; 
immuable,  éternel  et  incréé,  dont  le  nom  est  inconnu, 
la  nature  insondable  et  l'univers,  la  forme  visible  '.  » 
Des  bords  de  la  Yamunâ,  où  il  avait  pris  naissance, 
son  culte  se  répandit  rapidement  dans  presque  toute 
la  Péninsule;  Mégasthène,  qui  le  trouva  établi  dans 
la  plaine  gangétique,  a  fait  de  Krishna  un  Hercule 
indien,  comme  il  a  cru  reconnaître  dans  Civa  le  Dio- 
nysos  grec'. 

La  légende  de  Ràma,  en  qui  Vishnu  s'est  incarné 
pour  affranchir  le  monde  de  la  tyrannie  des  Ràkshasas, 

1.  L.  von  Schroeder,  op.  laud.,  p.  559  et  368. 

2.  Bhnff((,vala'Purôna,  lib.  X,  1,  cap.  10,  29-31.  —   Vishnu- 
Purônaj  lib.  V,  cap.  18. 

3.  Fragmenta f  cap.  9,  éd.  C.  Mûller.  —  Dùncker,  Geschichte 
des  AUerihums,  vol.  III,  p.  323  et  329. 


48S  LES  PLANTES  CHtiZ  LES  HINDOUS 

comme  il  est  descendu  en  Krishna,  afin  de  délivrer 
les  Dieux  de  la  crainte  des  Asuras,  est  loin  d'avoir  la 
même  importance  mythique  et  religieuse  que  celle  du 
prince  des  Yâdavas  ;  le  fils  de  Daçaratha  n'est  guère 
qu'un  personnage  épique  ;  les  Hindous  le  regardent 
comme  un  ami  et  un  personnage  bienfaisant  \  non 
comme  un  dieu,  et  ils  ne  lui  rendent  pas  de  culte. 


Les  forces  de  la  nature,  les  phénomènes  et  les  corps 
célestes  n'avaient  pas  seuls  été  personnifiés  par  les 
Hindous;  tous  les  êtres,  les  objets  les  plus  ordinaires 
eux-mêmes  :  armes,  ustensiles  et  vases  du  sacrifice,  etc. , 
avaient  pris  à  leurs  yeux  quelque  chose  de  surnaturel  *. 
Nous  avons  vu  la  terre  —  Prithivî  —  déifiée  à  l'égal 
du  ciel  ;  les  montagnes  furent  considérées  comme  ani- 
mées par  un  génie  particulier'  ;  les  eaux  —  dpas  —  et 
les  rivières  mêmes  étaient  l'objet  d'un  culte  qu'expli- 
quent leurs  propriétés  et  leur  indispensable  utilité.  Les 
vertus  salutaires,  possédées  par  un  si  grand  nombre 
de  plantes  —  oshadi  — ,  leur  emploi  dans  l'alimenta- 
tion, leurs  nombreux  usages,  leur  firent  attribuer  éga- 
lement un  caractère  divin;  les  grands  arbres  surtout, 

1.  Wilkins,  llindoo  Mylhology,  s.  v.  Il  faut  dire  toutefois  que 
dans  le  Ehàgavata-Purùna,  Râma  est  regardé  comme  le  frère 
et  l'égal  de  Krishria  :  «  Vous  êtes  l'un  et  l'autre  la  cause  su- 
prême de  rrnivers...  l'àme  du  monde  »,  leur  dit  le  fleuriste 
Sudâman.  Lib  X,  cap.  41,  'i6-47. 

2.  Dans  le  Vishnu-Purâna,  lib.  V,  cap.  6,  on  voit  Yaçodà 
honorer  avec  des  fleurs,  des  fruits,  du  lait  frais  et  du  caillé, 
des  débris  de  pots  et  une  voiture  renversée. 

3.  Le  Vishnu-Purntja,  lib.  V,  cap:  10,  recommande  d'ho- 
norer les  montagnes  «  dont  les  esprits  errent  dans  les  bois  sous 
la  forme  qui  leur  plaît  ». 


LKS  PLANTKS  DANS  LES  LEGKNDRS  RELIGIEUSES        489 

«  les  seigneurs  de  la  forôt  »  —  vanaspati,  —  étaient 
un  objet  de  vénération  spéciale*.  On  croyait  qu'un 
génie  ou  une  divinité  particulière  résidait  en  eux,  et 
qu'il  en  faisait  sa  demeure  habituelle,  et  veillait  sur 
eux  et  leur  entourage  \  Le  Bodhisattva,  dans  ses  nom- 
breuses incarnations,  avait  été  43  fois  Tesprit  d'un 
arbre  ;  tantôt  d'un  âmalaka,  d'un  arjuna  ou  d'un  asana, 
tantôt  d'un  campaka,  d'un  kuravaka  ou  d'un  karni- 
kâra;  ou  bien  d'un  bambou,  d'un  nâga  ou  d'un  pàri- 
jâta,  d'autres  fois  d'un  pàtali  ou  d'un  puudarîka,  d'un 
priyaftgu  ou  d'un  çâla,  d'un  çirisha  ou  d'un  ricin,  ou 
bien  encore  d'un  nimba,  d'un  palàra  ou  d'un  calmali  ; 
enfin  d'un  udumbara,  d'un  nyagrodha  et  d'un  açvatha 
et  même  d'une  touffe  de  kuça^. 

Il  est  question  à  chaque  instant,  dans  la  légende  du 
Buddha,  des  génies  des  arbres.  Une  fois  le  démon 
Pàpiyâna,  poussé  par  l'envie,  afin  d'empêcher  le  Buddha 
de  sortir  d'un  étang  où  il  était  entré,  en  suréleva  à 
l'excès  les  bords;  mais  la  divinité  d'un  grand  kakubha, 
qui  croissait  sur  la  rive,  abaissa  une  branche  de  cet 
arbre  ;  le  Buddha  s'y  appuya  et  sortit  de  l'eau*.  Non 
moins  touchante  est  l'histoire  de  la  divinité  de  l'arbre 
du  bois  de  Véluvana,  qui  se  changea  un  jour  en  écu- 
reuil pour  réveiller  le  roi  de  Râjagaha,  qu'un  nàga 
était  sur  le  point  de  mordre'.  Pendant  que  Gautama, 
en  attendant  Tillumination  suprême,  était  assis  sous 

1.  Rig-Veda,  lib.  I,  90,  8;  VII,  3'»,  23;  X,  68,  8. 

2.  W.  (Tooke,  The  popular  Religion  and  Folklore  ofnor- 
thern  India.  Westminster,  1896,  în-8,  vol.  II,  p.  84. 

3.  Ruddhisl  Birlh  Stories,  p.  ci,  40-51,  212,  228,  230,  317.  — 
The  JfUaka,  vol.  I,  p.  187,  253,  307,  311  ;  III,  240:  IV,  97,  etc. 

'i.  Le  Lalita  Vistara,   traduit  par  Ph.-Ed.   Foucaux.   Paris 
1880,  in-4,  vol.  I,  chap.  xvni,  p.  229. 
5.  Spence  Hardy,  A  manual  of  Buddftism,  p.  198. 


490  LKS  PLANTKS  fJIKZ  LKS  IIINDOIS 

l'arbre  de  Tlntelligence,  les  quatre  divinités  deTarbre' 
vinrent  lui  rendre  hommage.  Et  lorsque  Açoka,  visi- 
tant les  lieux  que  le  Buddha  avait  sanctidés  de  sa  pré- 
sence, pénétra  dans  le  bois  de  Lumbinî,  la  divinité  du 
plaksha.,  à  Tombre  duquel  le  Réformateur  était  né, 
apparut  au  roi  «  sous  sa  propre  figure  »,  pour  rendre 
hommage  au  Maître,  dont  la  première  elle  avait  con- 
templé la  splendeur  et  entendu  les  premières  paroles*. 
Les  esprits  des  arbres  interviennent  souvent  dans  les 
Jàtakas';  tel  celui  d'un  nimba,  qui  favorise  la  fuite 
d'un  voleur,  pour  qu'on  no  le  pende  pas  aux  branches 
de  cet  arbre,  ou  Tesprit  d'un  râla,  qui  empêcha  les 
architectes  du  roi  Hrahmadatta  de  faire  couper  Tarbre 
dans  lequel  il  habitait.  Dans  un  autre  jàtaka,  c'est  le 
Bodhisattva,  qui,  changé  en  caméléon,  préserve  de 
la  destruction  Tarbre  que,  au  désespoir  de  l'esprit  qui 
y  résidait,  le  charpentier  du  roi  voulait  abattre  pour 
refaire  la  poutre  centrale  du  palais.  On  trouve  aussi 
dans  le  Pancatantra^  l'histoire  d'un  sissou,  qu'un  tisse- 
rand se  proposait  de  couper,  mais  que  le  génie,  qui  en  fai- 
sait sa  demeure,  parvint  à  sauver  de  la  destruction.  Dans 
un  conte  du  Kathd  Sarit  Sàgara  deux  femmes  à  l'ex- 
térieur céleste,  qui  habitaient  un  banian,  offrent  au 
roi  Çridarçana  des  racines  et  des  fruits  \ 

Sans  en  être  les  esprits,  les  génies  de  la  terre  et  de 

1.  Venu,  Valgii,  Suinanas  et  Ojopati.  Lalitn  Vistara^  vol.  I, 
cap.  xrx,  p.  *i3U. 

2.  K.    Burnouf,  Introduction    à    Vliistoire    du   Buddhisme, 
p.  341,  2^'  édition. 

3.  Jâtakas  311,  '»65  et  121.  Storics  of  t/ie  Buddha  s   Birihs, 
vol.  l,p.  267;  m,  23  et  IV,  97. 

4.  Lib.  V,  5.  Trad.  Lancereau,  p.  333. 

5.  The  Kathâ  Sarit  Sâgara  or  Océan  ofUie  Streams  ofSlory, 
transi,  by  G.  II.  Tawney.  Calcutta,  1884,  in-8,  vol.  il,  p.  213. 


LKS  PLANTKS  l»ANS  LKS  Lf^GKNOKS  UKIJGIKUSKS         iOI 

Tair  recherchaient  le  séjour  des  arbres  ;  ils  affection- 
nent surtout  celui  des  figuiers  à  Tépais  feuillage. 
D'après  l' Atharva-Véda  \  les  Apsaras  se  plaisent  dans 
les  açvatthas  et  les  nyagrodhas,  et  Ton  entend  leurs 
cymbales  et  leurs  luths  résonner  au  milieu  des  bran- 
ches ;  elles  aiment  également,  ainsi  que  les  Gandhar- 
vas,  à  résider  dans  les  udumbaras  et  les  plakshas  '. 
Les  Rùkshasas  se  cachaient  parfois  aussi  dans  les 
arbres  pour  guetter  les  passants  ^.  Non  seulement  les 
arbres  isolés,  mais  les  forêts  avaient  leur  divinité  tuté- 
laire  spéciale,  qui  en  personnifiait  en  quelque  sorte  la 
solitude  ;  c'était  Aranyànî,  «  mère  des  bêtes  sauvages, 
comme  chante  un  rishi  *,  productrice  d'aliments 
variés,  encore  qu'elle  ne  laboure  pas  », 

Comme  tous  les  êtres,  les  plantes  avaient  une  ori- 
gine surnaturelle;  elles  devaient  leur  naissance  aux 
Dieux,  et  les  Dieux  veillaient  sur  leur  croissance  H 
leur  conservation.  D'après  un  hymne  védique  ^  les 
plantes  seraient  descendues  du  ciel,  et  c'est  Brihas- 
pati  qui  les  a  produites.  Quand,  au  commencement 
des  Temps,  raconte  un  des  PurAnas,  Brahmâ  tira  des 
différentes  parties  de  son  corps  les  animaux,  des  poils 
qui  le  couvraient  sortirent  les  herbes,  les  racines  et  les 
fruits.  Une  autre  légende  du  même  Puràna  rapporte 
que  Prithu,  ayant  recueilli  dans  ses  mains  le  lait  de  la 
Terre,  créa  toutes  les  espèces  de  grains  et  de  légumes 


1.  Lib.  IV,  37.  4-5. 

2.  Taittiriya-Samhitày  lib.  III,  cap.  4,  8,  4.  Cf.  Macdonell, 
op.  laud.y  p.  13'i. 

3.  W.    Crooke,    The  popular    Religion  of  norihern  India^ 
vol.  1,  p.  3'i8. 

4.  Riff-  Vefia,  lib.  X,  146,  6.  —  Macdonell,  op.  laiid.,  p.  15'i. 

5.  /?i>  Veda,  lib.  .\,  97,  17  et  19. 


W2  LBS  PLAÎf TKS  IIHEZ  LKS  HLNDOL'S 

dont  \iveDt  les  hommes*.  Suivant  une  autre  tradition, 
lorsque  parut  le  quatorzième  Manu,  la  pluie  tomba  sur 
la  terre  et  toutes  les  espèces  végétales  utiles  pous- 
sèrent alors  :  le  blé  pour  nourrir  les  hommes,  le  coton 
pour  les  vêtir,  les  fleurs  avec  leur  parfum  *.  Les  divi- 
nités des  Eaux  passaient  pour  avoir,  sinon  créé  les 
plantes,  du  moins  pour  présider  à  leur  croissance. 
«  Parjanya,  chante  un  rishi  ',  en  versant  des  torrents 
de  pluie  sur  la  terre,  a  produit  les  plantes  pour  Futi- 
lité générale  ;  il  en  a  formé  le  germe  et  il  les  fait  croî- 
tre. »  Mitra  et  Varuna,  qui  envoient  la  pluie  ici-bas, 
font  également  pousser  les  plantes.  Rudra,  qui  règne 
sur  les  Eaux,  fut  aussi  regardé  comme  le  seigneur  des 
champs  et  des  arbres  *. 

Le  caractère  divin  attribué  aux  plantes  dans  Flnde 
ancienne  explique  le  rôle  mythique  qu'elles  jouent  dans 
les  traditions  nationales,  ainsi  que  la  place  considérable 
qu^elles  occupent  dans  les  légendes  des  dieux,  surtout 
des  dieux  de  Tépoque  postvédique  :  Vishnu  et  Krishna. 
Le  lotus  et  la  tulasî  sont  étroitement  unis  à  la  légende 
de  ces  divinités.  Tandis  qu'il  méditait  sur  la  mission 
qu*il  avait  à  remplir,  racontent  les  Puranas^  Vishnu 
tomba  dans  un  sommeil  mystérieux  ;  et  alors  de  son 
nombril  sortit  un  lotus,  qui  avait  l'éclat  de  mille 
soleils,  et  au  milieu  duquel  apparut  Brahmâ. 

La  légende  singulière  du  barattemcnt  de  l'Océan  est 


1.  VishtiH-Purâna^  lib.  I,  cap.  5  et  13. 

2.  A.  de  (iubernatis,   La  Mythologie  des  Plantes,  vol.   1, 
p.  195. 

3.  Hig-Veda,  lib.  V,  83,  10;  lib.  VII,  101,  1-2  et  102,  2. 

'*.  RigVeda,  lib.  V,  62,  3.  —  Oldenberg,  op.  laud.,  p.  169 
et  186. 

5.  iihûgavata-Purânaj  lib.  III,  20,  16. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELICIEL'SES         493 

aussi  liée  étroitement  à  celle  de  Vishnu  et  aux  légendes 
végétales.  Le  grand  saint  Durvâsas,  ayant  un  jour 
rencontré  une  nymphe  de  Tair  parée  d'une  couronno 
de  fleurs,  la  lui  demanda;  elle  s'empressa  de  la  lui 
donner.  Et  Durvâsas,  après  l'avoir  mise  sur  son  front, 
continua  son  chemin.  Peu  après  il  aperçut  Indra,  qui 
s'avançait. monté  sur  son  éléphant  Airâvana.  En  signo 
d'hommage,  il  offrit  sa  couronne  au  Dieu.  Indra  l'ac- 
cepta et  la  plaça  sur  la  tête  de  l'éléphant.  Excité  par 
l'odeur  des  fleurs,  celui-ci  saisit  la  couronne  avec  sa 
trompe  et  la  jeta  à  terre.  Le  saint,  irrité  de  voir  son 
présent  ainsi  méprisé,  maudit  Indra  dans  sa  colère,  et 
lui  prédit  la  ruine  de  son  empire.  A  partir  de  ce; 
moment  la  puissance  d'Indra  commença  à  déchoir  ;  la 
désolation  se  répandit  dans  les  trois  mondes,  et  les 
Dieux,  attaqués  par  les  Dinavas,  furent  vaincus.  Dans 
leur  détresse,  ils  cherchèrent  un  refuge  auprès  de 
Hrahmà.  Il  leur  conseilla  de  s'adresser  à  Vishnu  et 
avec  eux  il  se  rendit  auprès  du  maître  de  l'Univers. 
Touché  de  leur  prière,  Vishnu  leur  dit  *  :  Après  avoir 
fait  la  paix  avec  vos  ennemis,  recueillez  les  diverses 
espèces  de  plantes  médicinales  ;  jetez-les  dans  la  mer 
de  lait;  puis  avec  la  montagne  de  Mandara,  en  guise 
de  battoir,  barattez  l'Océan,  afin  de  produire  le  breu- 
vage, source  d'immortalité.  J'aurai  soin  que  vos  enne- 
mis, bien  qu'associés  à  vos  efforts,  n'aient  point  part 
à  votre  récompense,  et  ne  puissent  boire  de  l'immortel 
breuvage. 

Ainsi  conseillés  par  Vishnu,  les  dieux  font  alliance 
avec  les  Asuras  ;  ils  recueillent  ensuite  toutes  les 
herbes  salutaires,  les  jettent  dans  la  mer  de  lait,  et 

1.    Vishnu-Purânay  lib.  I,  cap.  9. 


49i  LES  PLANTES  CHEZ  LES  ULNDOUS 

avec  le  mont  Mandara  se  mettent  à  battre  les  flots. 
D'abord  sortent,  du  milieu  des  eaux  agitées,  la  vache 
divine  Surabhî*  et  Vârunî,  la  déesse  du  vin;  après, 
Tarbre  Pàrijàta,  délices  des  vierges  célestes,  qui  em- 
baume le  monde  de  ses  fleurs  parfumées  ;  ensuite  la 
troupe  divine  des  Apsaras  et  la  lune  aux  froids  rayons, 
puis  Dhanvantari,  revêtu  d'une  robe  blanche  et  por- 
tant dans  ses  mains  la  coupe  d'ambroisie,  dont  la  vue 
réjouit  les  fils  de  Diti  ;  enfin,  assise  sur  une  fleur  épa- 
nouie de  lotus  et  en  tenant  une  autre  à  la  main,  la 
déesse  Çrî  s'éleva,  rayonnante  de  beauté,  du  sein  des 
flots,  et  tous  les  Dieux  et  les. nymphes  du  ciel  s'em- 
pressèrent de  la  saluer  ".  Cependant  les  Daityas 
s'étaient  saisis  de  la  coupe  d'ambroisie  ;  mais  Vishnu, 
prenant  une  forme  féminine,  détourna  leur  attention, 
et  s'emparant  de  la  coupe,  il  la  remit  aux  Dieux,  qui 
burent  aussitôt  le  nectar  qu'elle  contenait.  Les  Asuras 
irrités  les  attaquèrent  avec  leurs  armes  ;  mais,  fortifiés 
par  le  céleste  breuvage,  les  Dieux  les  repoussèrent  et 
les  mirent  en  fuite. 

Étroitement  associées  déjà  à  la  légende  de  Vishnu, 
les  plantes  le  sont  bien  plus  encore  à  celles  de  ses 
avatars  Rama  et  Krishna.  Héros  épique  encore  plus 
que  Dieu,  —  il  n'apparaît  comme  tel  qu'à  la  fin  de  sa 
vie,  —  Ràma  a  sa  place  marquée  plutôt  dans  l'histoire 
de  la  poésie  que  dans  celle  de  la  religion.  En  parlant 
des  légendes  poétiques  de  l'Inde,  j'ai  eu  ample  occasion 
de  montrer  le  rôle  que  les  descriptions  de  plantes  et 


1.  Après  la  vache,  le  Bhàgavata-Purâria  fait  sortir  de  la  mer 
barattée  un  cheval  et  leléphant  d'Indra,  Airàvata,  lib.  VIII, 
cap.  8,  3-4. 

2.  Le  Bhâgavata-Paràna  donne  à  la  déesse,  qui  sort  de  la 
mer,  le  nom  de  Ramâ. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LEGENDES  HEL!GIEUSES         495 

de  paysages  jouent  dans  Tépopée  consacrée  au  fils  de 
Daçaratha*;  on  a  vu  quel  accord  intime  les  quatorze 
années  d'exil  qu'il  avait  passées  dans  les  forêts  avaient 
établi  entre  le  monde  des  plantes  et  l'époux  de  SîtA, 
fille  de  la  Terre,  et  à  quel  point  elles  lui  en  avaient  fait 
sentir  le  charme  intime.  Mais  si  les  descriptions  abon- 
dent dans  le  Ramâyana,  les  légendes  végétales  en  sont 
absentes  ;  aussi  n'ai-je  rien  à  ajouter  ici  à  ce  que  j'ai 
dit  plus  haut  de  cette  épopée.  Je  ne  m'étendrai  que 
davantage  sur  la  vie  mythique  de  Krishna,  telle  que  la 
racontent  les  Purànas*,  vie  étrange,  qui  tient  de 
l'épopée  et  de  l'idylle  et  où  les  plantes,  surtout  dans 
la  première  partie,  occupent  une  place  et  jouent  un 
rôle  exceptionnels. 

Proscrit  avant  sa  naissance,  échappé  à  la  mort 
comme  par  miracle,  Krishna  passe  ses  premières  années 
au  milieu  des  bergers  ;  et  dès  son  enfance  il  révèle  par 
sa  force  prodigieuse  sa  divine  nature.  Il  triomphe, 
comme  en  se  jouant,  des  monstres  envoyés,  sous  les 
formes  les  plus  diverses,  pour  le  faire  périr  ^.  En  même 
temps,  avec  son  frère  Balarâma,  dieu  comme  lui,  et 
les  enfants  des  bergers,  il  se  livre  aux  jeux  de  son  âge. 
La  grâce  qui  le  distingue  ne  fait  que  croître,  à  mesure 
qu'il  grandit  ;  on  dirait  que  la  nature  champêtre  qui 
l'entoure  lui  prête  ses  charmes  et  sa  beauté  ;  comme  il 
sent  aussi  tout  ce  qu'elle  a  de  ravissant  !  Quel  éloge 
touchant  il  fait  des  arbres  qui  donnent  si  généreuse- 
ment aux  mortels  leur  ombre,  leurs   fleurs  et  leurs 


1.  Livre  II,  chap.  4,  p.  430-434. 

2.  Vishnu-Piirânn,  lib.   IV,  cap.  15;  lib.  V,  cap.  1-37. — 
Bhôgavata-Puràna,  lib.  X,  cap.  1-89. 

3.  Vishnii-PurâtMi,  lib.  V,  cap.  8  et  14.  —  Bhâgavata-Pu- 
rnna,  lib.  X,  cap.  3-11. 


496  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

fruits  M  Comme  les  guirlandes,  sa  parure  habituelle*, 
lui  siéent  bien  !  On  comprend  Tenivrement  où  sa  vue 
plonge  les  Gopîs  —  bergères,  —  enfants  de  la  nature, 
qui  se  livrent  sans  résistance  au  penchant  de  leurs 
cœurs  épris,  et  prennent  les  objets  qui  les  entourent 
pour  confidents  des  doux  sentiments  qu'elles  éprouvent'. 

0  Açvattha,  Plaksha,  Nyagrodha,  avez-vous  vu  le  fils  du 
berger  Nanda,  qui  nous  a  pris  nos  cœurs  par  son  sourire  et  ses 
regards  affectueux?  —  Est-il  passé  par  ici,  ô  Kuruvaka,  Açôka 
i\àga,  Puriinâga.  Campaka,  le  frère  cadet  de  Râma,  dont  le  sou- 
rire abat  l'orgueil  des  femmes  superbes? —  Ki  toi,  propice 
Tulasî,  qui  chéris  les  pieds  de  Govinda,  Tas-tu  vu  ton  bien- 
aimé  Acyuta,  dont  vous  faites  la  parure,  toi  et  tes  essaims 
d'abeilles  ?  —  L'avez-vous  vu,  ô  Mâlatî,  Jàtî,  Mallikâ,  Yûthikâ*? 
Kst-il  passé  ici  le  héros,  descendant  de  Madhu,  qui  nous  rem- 
plit de  joie  au  contact  de  sa  main?  —  Dites,  ô  Cùta,  Priyàla, 
Panasa,  Asana,  Kovidàra,  Jambu,  Arka,  Bilva,  Bakula,  Amra, 
Kadamba,  Nipa"*  et  vous  tous  qui  ne  vivez  que  pour  le  bien  des 
autres,  ô  arbres  voisins  de  la  Yamunà,  dites-nous  le  chemin 
qu'a  suivi  Krishna,  alors  qu'il  nous  a  soudain  délaissées.  — 
Le  bras  appuyé  bur  sa  bien -aimée,  un  lotus  à  la  main,  et  par- 
tout ^uivi  d'essaims  d'abeilles  qu'enivrent  les  parfums  de  la 
tulasî.  le  frère  cadet  de  Kàma,  alors  qu'il  passe  ici  et  que  vous 
vous  inclinez  devant  lui,  ô  arbres,  répond  il  à  votre  salut  par 
des  regards  affectueux  ? 

L'idylle  se  poursuit  dans  la  forêt  de  Vrindâvana  au 
milieu  des  jeux  variés,  auxquels  les  Dieux  eux-mêmes 

1.  Bhâgnvata-Purâna,  lib.  X,  cap.  22,  33-35. 

2.  Bhôgavata-Purûva,  lib.  X,  15,  10;  23,  22;  32,  2  ;  44,  3  : 
51,  4,  etc. 

3.  Rhûgnvata-Purâna,  lib.  X,  cap.  30,  5-12. 

4.  Les  Jasminum  grandi florwnL.,  Sambac  Roxb.  et  auricu- 
latnm.  Le  pumnàga  est  le  Mallotus  philippinenais  ou  Rottieria 
tincloria. 

5.  Cûta  et  àmra  désignent  le  manguier;  kadamba  et  nipa, 
le  .\auclea  cadamba:  priyâla  est  le  nom  de  la  Buchanania 
latifolia,  asana,  celui  de  la  Terminalia  tomentosa  DC.  et  Aori- 
dâra,  le  nom  de  la  Banhinia  variegata  L. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        497  1 


applaudissent;  idylle  que  le  Bhâgavata-Puràna  s'est 
plu  à  prolonger,  en  lui  donnant  un  caractère  volupr 
tueux,  que  le  Vishnu-Purâna  a  eu  hâte  de  terminer 
pour  montrer  Krishna  dans  sa  vie  héroïque.  Rappelé  à 
Mathurà,  le  fils  de  Vasudeva  quitte  pour  toujours  la 
société  des  Gopîs  et  rentre  dans  sa  ville  natale  ;  il  met 
à  mort  Kairisa,  son  persécuteur,  place  Ugrasena  sur 
le  trône,  triomphe  des  princes  voisins  qui  l'attaquent, 
biitit  entre  temps  la  ville  de  Dvîirakà  au  bord  de 
rOcéan,  l'embellit  de  jardins  et  de  réservoirs  et  y 
transporte  les  habitants  de  Mathurâ  ;  enfin,  il  enlève  et 
épouse  Rukminî,  malgré  la  résistance  de  son  père  et 
dès  chefs  alliés.  Sa  renommée  se  répand  jusqu'au 
ciel  et  Indra  vient  lui-même  à  Dvàrakâ  implorer  son 
aide  contre  le  fils  de  la  Terre,  Naraka,  «  qui  insulte 

toutes  les  créatures*  ».  Monté  sur  Garuda,  Krishna 

•  •       • 

attaque  l'ennemi  des  Dieux,  met  ses  troupes  en  fuite 
et  le  tue.  Il  se  rend  alors,  avec  les  dépouilles  de  Na- 
raka, dans  le  Svarga,  et  visite,  en  compagnie  de  Satya- 
bbàmà,  son  épouse,  le  Nandana  et  les  autres  parcs  des 
Dieux.  Là,  le  pàrijàta,  qui,  né  dans  le  barattement  de 
l'Océan,  avait  été  transporté  dans  le  ciel,  avec  son 
écorce  d'or  et  ses  grappes  do  fruits  parfumés,  frappe 
d'admiration  Satyabhâmà  ;  elle  souhaite  de  voir  dans 
le  jardin  de  son  palais  cet  arbre,  cher  entre  tous  à 
Çacî.  Pour  plaire  à  son  épouse,  Krishna  l'arrache, 
malgré  les  protestations  des  gardiens  du  parc  divin,  et 
le  place  sur  Garuda.  Irrité  de  cette  audace,  Indra 
marche  avec  les  autres  Dieux  contre  le  ravisseur.  Mais 
Krishna  triomphe  des  Immortels  et,  après  avoir  fait  la 

1 .   Vishttu-Purâna,  lib.  V,  cap.  18-26.  — -  Bhôgavata-Puràna, 
lib.  X,  37,  44,  50,  51,  53,  65,  etc. 

JoRET.  —  Les  Nantes  dans  V antiquité.  II.  —  32 


498  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HIND0U6 

paix  avec  Indra,   il  emporte  le  pârijâta  et  le  plante 
dans^les  jardins  de  Dvârakâ*. 

Cet  exploit  ne  met  pas  fin  aux  hauts  faits  de  Krishna  ; 
mais  ceux  que  lui  prêtent  les  Purânas  n'ont  rien  de 
commun  avec  les  légendes  végétales  ;  d'ailleurs  le 
ternie  de  son  séjour  sur  terre  approche  ;  les  Yâ- 
davas  eux-mêmes  vont  disparaître  ;  dans  une  lutte 
fratricide,  ils  tombent  sous  les  coups  les  uns  des  autres. 
Krishna,  qui  ne  peut  arrêter  leur  fureur,  les  frappe 
lui-même  avec  une  poignée  d'herbe,  en  guise  de 
massue.  Puis  quand  son  frère  Balarâma  a  expiré,  il 
se  laisse,  dans  sa  douleur,  tomber  au  pied  d'un  figuier 
sacré.  Là,  tandis  que,  revêtu  de  ses  insignes  divins, 
brillant  de  clarté,  il  s'abîme  dans  la  méditation,  un 
chasseur,  par  méprise,  le  frappe  au  talon.  Il  pardonne 
à  son  meurtrier,  et  après  avoir  prédit  la  destruction 
par  les  flots  de  Dvûraka,  «  il  ferme  ses  yeux  de  lotus  » 
et  se  réunit  aux  Dieux,  dont  il  était  la  manifestation 
sur  terre  ^ 

Le  rôle  des  plantes  dans  la  légende  de  Krishna,  telle 
que  la  raconte  surtout  le  Bbagavata-Purûna,  n'est  pas, 
pour  grand  qu'il  soit,  comparable  à  celui  qu'elles 
jouent  clans  la  légende  du  Buddha;  sans  elles,  on  ne 
comprendrait  pas  cette  dernière  ;  elles  en  sont  l'élé- 
ment indispensable.  «  L'arbre,  dans  la  légende  boud- 
dhique, a  pu  dire  M.  Senart\  a  pris  une  telle  impor- 
tance qu'il  ne  le  cède  guère  au  Buddha  lui-même.  » 
Depuis  sa  naissance  jusqu'à  sa  mort  les  plantes  sont 

1.  VishnU'Purânn,  lib.  V.  cap.  29-31. 

2.  Vishnu-Puràna,  lib.  V,  cap.  37.  —  Bhôgnvala  Purùnaj 
lib.  XI,  cap.  30,  12-^7  et  cap.  31,  5. 

3.  Essai  sur  la  Jôgpnde  du  Buddha.  Paris,  2»  édit..   1882. 
in-8,  p.  209. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES         499 

associées  à  tous  les  actes  de  la  vie  du  Réformateur. 
C'est  SOUS  un  arbre  et  au  milieu  des  fleurs  qu'il  vient 
au  monde  ;  c'est  encore  sous  un  arbre  qu'il  atteint  à 
l'Illumination  suprême  ;  c'est  entre  deux  arbres  et 
sous  une  pluie  de  fleurs  qu*il  expire  et  entre  dan^  le 
Nirvana.  La  légende  de  Çàkyamuni  semble  tissue 
avec  dos  fleurs  et  elle  est  embaumée  des  plus  suaves 
parfums. 

Le  Bodhisattva,  ayant,  à  la  prière  des  Dieux,  con- 
senti à  sauver  les  hommes,  résolut  de  s'incarner  dans 
le  sein  de  Màyà,  l'épouse  de  Çuddhodana,  roi  deKapi- 
lavastu.  Un  songe  annonra  à  la  reine  Tévénement  qui 
se  préparait.  Le  soir  du  septième  jour  de  la  fête  d'été 
et  du  premier  jour  de  la  pleine  lune  du  mois  d'aesala 
(juillet-août),  après  être  remontée  dans  ses  appar- 
tements, elle  s'endormit,  tandis  que  les  Apsaras  ré- 
pandaient sur  elle  des  parfums  et  des  fleurs,  et  elle 
eut  un  rêve.  Il  lui  sembla  que  les  gardiens  du  monde 
la  portaient  sur  l'Himavat  et  la  déposaient  à  l'ombre 
d'un  immense  çàla.  Là,  les  déesses  leurs  épouses,  ayant 
apporté  de  l'eau  du  lac  d'Anotatta,  la  baignèrent,  l'oi- 
gnirent d'essences  parfumées  et  la  revêtirent  des 
vêtements  les  plus  beaux  ;  puis  ils  la  conduisirent  dans 
le  palais  d'or  bâti  sur  la  colline  d'argent,  et  la  dépo- 
sèrent sur  une  couche  divine,  la  tête  tournée  vers 
l'Orient.  Alors  le  Bodhisattva,  qui  avait  pris  la  figure 
d'un  éléphant  blanc,  descendit  sur  la  colline,  tenant 
un  lotus  avec  sa  trompe,  et,  entrant  dans  le  palais,  il 
frappa  doucement  sa  mère  sur  le  côté  droit*.  A  ce 

1.  Buddhist  Birth  Slories^  p.  63.  D'après  une  autre  légende, 
rapportée  par  Spence  Hardy,  p.  142,  le  Bodhisattva  apparaît 
«  semblable  à  un  nuage  éclairé  par  la  lune  »  et  tenant  un  lotus 
à  la  main,  .le^^/a  est  l'équivalent  cinghalais  du  sansc.  iUhùdha. 


\ 


I 


500     .  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

moment  une  lumière  surnaturelle  pénètre  tous  les 
mondes  et  éclaire  les  deux.  Toutes  les  plantes  aqua- 
tiques et  terrestres,  les  branches  et  les  troncs  mêmes 
des  arbres  se  couvrent  de  fleurs  ;  des  lotus  à  mille 
feuilles  surgissent  par  groupes  de  sept  sur  les  étangs 
et  aux  flancs  mêmes  des  rochers,  tandis  que  d'autres 
lotus  pendent  des  voûtes  du  firmament.  Les  essences 
les  plus  exquises  embaument  l'atmosphère,  et  les  dix 
mille  mondes,  roulant  les  uns  vers  les  autres,  se.  rap- 
prochent en  un  faisceau  de  fleurs  divines,  guirlande 
tressée  avec  les  sphères  célestes,  aussi  odorante  et 
aussi  brillante  que  celles  dont  on  pare  les  autels  ^. 

Dix  mois  après  de  nombreux  prodiges  annoncent 
que  le  moment  de  la  naissance  du  Bodhisattva  ap- 
proche. Toutes  les  fleurs  du  parc  royal,  les  lotus  blancs, 
rouges  et  bleus  des  étangs  s'entr'ouvrent,  mais  ne 
s'épanouissent  pas  ;  de  jeunes  arbres  surgissent  du 
sol,  tout  couverts  de  boutons,  qui  restent  fermés  ;  des 
eaux  fraîches  et  imprégnées  de  suaves  parfums  se  met- 
tent à  couler '.Alors  la  reine,  sentant  que  sa  délivrance 
était  proche,  résolut  de  se  rendre  à  Koli  auprès  de  ses 
parents*.  Elle  quitta  Kapilavastu,  accompagnée  d'une 
nombreuse  suite.  Mais  arrivée  au  bois  de  Lumbinl, 
situé  entre  les  deux  villes,  à  la  vue  des  arbres  couverts 
de  fleurs,  et  dont  les  doux  parfums  semblaient  l'in- 
viter, elle  descendit  de  sa  litière  et  entra  dans  le  parc  ; 

1.  The  legend  of  Gaudama  of  Ihe  Burmese,  translated  by  P. 
Bigandet.  London,  1880,  in-8,  vol.  I,  p.  3t.  —  Ihiddhist  Birlh 
Stories,  p.  6'i-65.  —  Le  Lalila  Vislara,  vol.  I,  chap.  v, 
p.  42-47. 

2.  Laliia  Vistara,  vol.  I.  chap.  vu,  p.  73. 

3.  Spence  Hardy,  A  Manunl  ofBudhism,  p.  i\-*.  —  Le  Lalita 
Vislara,  chap.  vu.  p.  74,  dit,  seulement  que  la  reine  eut  le 
désir  de  visiter  le  bois  de  Lumbinî. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES         501 

là  tout  en>marchant,  elle  arriva  auprès  d'un  plaksha, 
«  le  plus  précieux  des  arbres  »,  chargé  de  fleurs  divines 
exhalant  les  plus  suaves. parfums.  A  son  approche 
l'arbre  inclina  ses  rameaux  devant  elle  en  signe  de 
respect  ;  et  au  moment  où,  étendant  le  bras,  elle  en 
saisissait  un  rameau,  l'enfant  qu'elle  portait  dans  son 
sein  sortit  de  son  flanc  droit*.  Au  même  instant  la 
terre  s'agita  «  comme  un  vaisseau  battu  par  les  vents  »; 
une  pluie  de  lotus  et  de  nymphées  avec  du  santal 
tomba  du  ciel  sans  nuage  ^  Cependant  les  quatre  gar- 
diens du  monde  s'empressent  de  recevoir  le  divin 
enfant;  mais  lui,  se  dégageant  de  leurs  mains,  s'élance 
à  terre  et  aussitôt  un  immense  lotus  surgit  à  la  place 
même  qu'avait  touchée  son  pied.  Tandis  que  les  fils 
des  Dieux  baignent  son  corps  avec  des  eaux  de  sen- 
teur et  le  couvrent  de  fleurs  fraîches  et  parfumées, 
debout  sur  le  lotus,  il  regarde  les  quatre  régions  de 
l'espace  ;  puis  il  fait  dix  pas  successivement  vers  le 
Midi,  rOuest,  le  Nord,  l'Est  et  vers  les  quatre  points 
intermédiaires;  et  partout  où  il  posait  le  pied,  partout 
aussi  naissaient  des  lotus  ^.  Le  même  jour,  dans  la  forêt 
d'Uruvilvà  surgit  l'arbre  de  Bodhi,  l'açvatha,  sous  lequel 
il  devait  atteindre  à  l'Illumination  suprême*. 

Les  fleurs  et  les  plantes  qui  saluent  ainsi  le  futur 
Buddha  à  son  entrée  dans  la  vie,  ne  cessent  pas  de  l'y 
accompagner.  Lorsqu'on  le  porte   à  Kapilavastu,  la 


1.  Buddhist  Birlh  Siories,  p.  66-67. —  The  Legend  of  Gau- 
damayp.  35-37. 

2.  Le  Buddhacarita  d'Arvaghosha,  traduit  par  S.  L6vi,  p.  41- 
'i4.  (Journal  asiatique,  an.  1892,  n®  3). 

3.  Le  Lalita  Vistara,  chap.  vu,  p.  86, 

4.  Spence  Hardy,  A   manual,  p.   149.    r-  Buddhist  Birth 
Slories,  p.  68.  —  The  Legend  of  Gaudama^  p.  39. 


502  LKS  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

route  qui  y  conduit  est  toute  jonchée  de  fleurs,  et  les 
jeunes  filles  de  la  ville  le  reroivent  portant  des  pal- 
mes de  tâla  dans  les  mains*.  C'est  au  milieu  de  la 
fumée  des  parfums  qu'on  le  mène  au  temple,  où  il  doit 
recevoir  un  nom,  et  qu'il  entre  dans  le  parc  de  Vima- 
lavyûha,  salué  par  la  divinité  du  lieu,  qui  le  couvre 
de  fleurs  '.  Un  épisode  plus  important  de  Tenfance  de 
Siddhârtha  —  c'est  le  nom  qu'il  avait  reçu  — ,  celui 
de  sa  première  méditation,  montre  encore  mieux  l'étroite 
intimité  qui  existait  entre  lui  et  le  monde  des  plantes. 
Cinq  mois  après  sa  naissance,  fut  célébrée  la  fête  de 
l'agriculture,  dans  laquelle  le  roi  devait  tracer  lui- 
même  un  sillon.  Toute  la  cour  s'y  rendit,  et  le  jeune 
Siddhârtha  y  fut  aussi  porté  par  ses  nourrices,  qui  lui 
dressèrent  une  couche  à  l'ombre  d'un  jambu'.  Mais 
elles  ne  tardèrent  pas  à  le  quitter,  afin  de  mieux  jouir 
du  spectacle  ;  se  voyant  seul,  il  se  leva,  s'assit  les 
jambes  croisées  et  se  livra  au  premier  degré  de  la  mé- 
ditation *.  Et  pendant  que  l'ombre  des  autres  arbres 
avait  tourné,  celle  du  jambu,  sous  lequel  il  se  trou- 
vait, était  restée  immobile,  protégeant  ainsi  le  jeune 
prince  contre  les  rayons  du  soleil  \  Plus  tard,  quand 
on  le  conduisit,  entouré  d'innombrables  enfants,  à  la 
salle  d'écriture,  il  s'y  rendit  au  milieu  des  fleurs  que 
lui  jetaient  les  filles  des  Dieux  ;  et  un  déva,  à  la  vue  de 


1.  Le  Lalita  Vistara,  chap.  vu,  p.  89. 

2.  Le  Lalita  Vistara,  chap.  viii  et  ix,  p.  107  et  111. 

3.  Spence  Hardy,  A  manual,  p.  153.  —  The  Legend  of  Gau- 
dama,  p.  51. 

4.  D'après  une  autre  légende,  Siddârtha  se  serait  élevé  dans 
Tair  et  y  serait  resté  suspendu,  sans  aucun  appui.  Spence 
Hardy,  A  mnnnal,  p.  153. 

5.  The  Legend  of  Gartdama,  p.  51.  Cf.  H.  Kern,  Manual  of 
Indian  Buddhism,  p.  15. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES         503 

la  splendeur  qui  l'environnait  et  de  sa  merveilleuse 
habileté,  Thonora,  lui  aussi,  avec  des  fleurs  divines  *. 

Son  entrée  dans  la  vie  mondaine  semble  avoir  pour 
un  temps  mis  un  terme  à  ces  hommages  des  plantes  et 
des  fleurs.  Bien  qu'il  fût  «  né  pour  la  contemplation  », 
à  seize  ans,  cédant  aux  sollicitations  de  son  père, 
Siddhàrtha  épousa  la  princesse  Yaçodharâ,  conquise 
par  sa  valeur,  et,  pendant  quelque  temps,  il  ne  vécut 
que  pour  les  plaisirs  '.  Enfin,  frappé  de  la  fragilité  des 
choses  humaines,  il  renonce  aux  honneurs  de  son  rang, 
quitte  secrètement  la  cour  et  se  retire  dans  la  solitude 
pour  se  préparer  à  sa  haute  mission.  C'est  au  milieu 
du  monde  enchanteur  des  plantes  qu'il  va  la  remplir  ; 
plus  que  jamais  elles  sont  associées  à  sa  vie  ;  elles 
marquent  toutes  les  étapes  de  sa  nouvelle  existence. 
C'est  dans  le  bois  de  manguiers  d'Anupiya  qu'elle 
s'ouvre  ;  elle  se  continue  pendant  six  années,  passées 
dans  la  forêt  d'Uruvilvâ,  au  milieu  des  austérités  les 
plus  grandes  ;  mais  elles  ne  suffisent  pas  pour  le  con- 
duire à  la  perfection,  à  laquelle  il  aspire.  Le  moment 
approche  cependant  où  il  va  l'atteindre,  et  un  quin- 
tuple rêve  la  lui  annonce  \ 

Un  matin,  il  était  revenu  dans  la  forêt  d'Uruvilvâ, 
après  une  de  ses  courses  quotidiennes  ;  il  s'asseoit,  la 
face  tournée  vers  l'Orient,  au  pied  d'un  nyagrodha 
—  l'arbre  Ajapâla  —  ;  il  y  reçoit  le  riz  parfumé  que 
Sujîita,  la  fille  du  chef  d'un  village  voisin,  ofi*rait  à  la 
divinité  de  l'arbre  ;  puis  il  se  rend  aux  bords  de  la  Nai- 
ranjarà,  s'y  baigne,  revêt  le  costume  d'un  arhat  — 
saint  —  et  mange  le  mets  apporté  par  Sujâtâ.  Il  passe 

1.  Le  Lalila  Vistara,  chap.  x,  p.  113. 

2.  Spence  Hardy,  A  manualy  p.  152-153. 

3.  Spence  Hardy,  A  manual,  p.  159-166. 


504  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

ensuite,  au  pied  d'un  râla,  dans  la  méditation,  les 
heures  brûlantes  du  jour.  Enfin,  le  soir,  il  se  dirige 
vers  le  figuier  sacré  —  le  Bodhidruma  — ,  en  suivant 
le  sentier  arrosé  d*eaux  de  senteur  et  semé  de  fleurs 
que  les  Dieux. avaient  préparé  pour  lui  ^  A  son  appro- 
che, tous  les  arbres  des  bords  du  chemin  inclinent 
leurs  cimes  devant  lui  et  se  couvrent  de  fruits  ;  le  sol 
s'émaille  de  fleurs  sous  ses  pieds  ;  les  quatre  divinités 
du  Bodhidruma  l'entourent  d'une  septuple  rangée  de 
tàlas  et  l'ornent  à  l'envi  de  guirlandes  et  de  cou- 
ronnes; des  essences  embaument  le  lieu  où  il  se  dresse; 
une  clarté  incomparable  environne  Siddhârtha  lui- 
même  ^  ;  toute  la  nature  est  dans  l'attente  du  grand 
événement  qui  se  prépare. 

En  se  rendant  auprès  de  l'arbre  sacré,  il  avait  ren- 
contré le  faucheur  Svastika,  qui  lui  avait  donné  huit 
bottes  de  kuça  ;  il  les  répand  sur  le  sol  à  l'Orient  du 
Bodhidruma,  et  d'elles-mêmes  elles  y  forment  un  trône 
de  quatorze  coudées  de  haut  ;  il  s'y  asseoit  rempli  de 
joie,  et  c'est  là  que,  plongé  dans  la  méditation  sur 
l'enchaînement  des  causes  et  de  leurs  efi'ets,  il  recevra 
l'Illumination  suprême.  En  vain  Màra,  le  chef  des 
démons,  vient  l'attaquer  à  la  tête  de  ses  troupes  in- 
nombrables ;  ses  armes  sont  sans  effet  contre  la  sain- 
teté du  grand  ascète  ;  les  traits  qu'il  lui  décoche,  les 
rochers  qu'il  lui  lance  tombent  à  ses  pieds,  changés 
en  fleurs  parfumées.  En  vain  il  cherche  à  le  persuader 
par  la  parole  et  ses  filles  à  le  séduire;  tout  est  inu- 
tile. Vaincu  par  la  constance  inébranlable  de  Sid- 
dhârtha, il  prend  la  fuite,  tandis  que  les  Çakras,  les 


1.  Spence  Hardy,  A  manual,  p.  168-170. 

2.  Le  Lalila  Vistara,  chap.  xix,  p.  235-240. 


LKS  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDKS  UELIGIKLSES        505 

Brahmâs  et  les  Nàgas  célèbrent  la  victoire  du  Saint  et 
lui  offrent  des  guirlandes  de  fleurs  et  des  parfums  \  Le 
triomphe  est  complet,  et  à  la  dixième  heure  Siddhârtha 
atteint  à  l'Intelligence  parfaite,  à  la  Bodhî,  et  revêt 
la  qualité  de  Buddha. 

Maintenant,  couronnement  de  sa  divine  mission, 
commence  la  prédication  de  sa  doctrine  ;  les  plantes, 
témoins  des  actes  merveilleux  qui  l'avaient  préparée 
ou  annoncée,  ne  jouent  pas  dans  cette  seconde  partie 
de  sa  vie  un  moindre  rôle  que  dans  la  premièi^e  ;  plus 
que  jamais  il  en  vit  entouré.  C'est  à  l'ombre  des  arbres 
que,  dans  la  belle  saison,  il  répand  ses  enseignements, 
ou  qu'il  se  livre  à  la  méditation  ;  c'est  au  milieu  des 
bois  ou  dans  les  vihâras  qui  y  sont  construits,  qu'en- 
vironné de  ses  disciples,  il  passe  le  temps  des  pluies. 
Après  être  arrivé  à  la  dignité  de  Buddha,  il  reste  deux 
semaines  entières  sous  le  Bodhidruma,  occupé  à  réflé- 
chir à  la  sagesse  du  dharma —  la  loi  suprême  — ,  et  il 
ne  le  quitte  que  pour  aller  poursuivre  ses  méditations 
sous  le  nyagrodha  Ajapâla  —  «  l'arbre  du  chevrier  »  — , 
puis  sous  l'arbre  Midella  et  dans  une  forêt  de  kiripa- 
lus-.  Après  huit  semaines,  consacrées  ainsi  à  la  con- 
templation, il  se  retire  dans  le  Parc  des  Gazelles, 
près  de  Bénarès,  où  il  expose  devant  ses  cinq  premiers 
disciples  le  «  Lotus  de  la  Bonne  Loi  »,  résumé  de  sa 
doctrine.  C'est  là  aussi  qu'il  passa  la  première  saison 
des  pluies  depuis  son  élévation  à  la  dignité  de  Buddha. 
L'année  suivante,  il  séjourne  trois  mois  dans  la  forêt 

1.  Spence  Hardy,  \  manual,  p.  171-180.  —  Buddhisi  Birlh 
Stories,  p.  96-101. 

2.  Spence  Hardy,  A  manual,  p.  186.  —  The  Mahdvagga,  I,  2-  \. 
(Vinaya  Texts,  translatée  by  Rhys  Davids  and  H.  Oldenberg, 
vol.  I,  p.  74-84).  L'arbre  Midella  se  trouvait  près  d'un  lac  habité 
par  le  nàga  Mucilinda. 


506  LKS  PI.ANTKS  CHEZ  LKS  HINDOUS 

d*Uruvilva,  où  de  nouveaux  disciples  se  joiguirent  à 
lui.  C*<îst  encore  assis  au  pied  d'un  arbre  dans  la  forêt 
de  Yashti,  qu'il  reçoit  là  visite  du  roi  Bimbi.<âra.  Et 
quand,  dans  la  suite,  il  se  rendit  auprès  de  ses  parents, 
le  roi  son  père  fit  préparer,  pour  le  recevoir,  le  jardin 
du  Nyagrodha  près  de  Kapilavastu  \ 

Les  parcs  et  les  bois  d'un  accès  facile  pour  la  foule 
qui  venait  l'écouter,  pas  trop  animés  le  jour,  silencieux 
la  nuit,  éloignés  du  tumulte  et  partout  favorables  à  la 
méditation^,  étaient  son  séjour  favori.  Aussi  était-il 
impossible  de  mieux  l'honorer  ou  de  lui  être  plus 
agréable  qu'en  lui  faisant  présent  d'une  de  ces  retraites 
calmes  et  paisibles.  C'est  pour  cela  que  Bimbisàra  lui 
abandonna  le  Veluvana  —  le  bois  des  bambous  ou  des 
Écureuils  — ,  célèbre  par  les  fréquents  séjours  qu'il  y 
fit  dans  la  suite  ;  c'est  pour  cela  encore  que  le  riche 
Cittra  lui  donna  le  jardin  d'Ambâtaka,  que  l'un  des 
plus  ardents  zélateurs  de  sa  doctrine,  le  marchand 
Anâthapindika,  acheta  à  prix  d'or  pour  la  communauté 
naissante  le  parc  de  Jeta  qui  devint  une  des  retraites 
de  prédilection  du  Maître'. 

Les  arbres  et  les  plantes  ne  prêtaient  pas  seulement 
au  Buddha  leur  ombre  rafraîchissante,  leurs  fleurs  ou 
leurs  fruits,  ils  lui  servaient  aussi  à  manifester  sa  puis- 
sance. Le  jardinier  du  roi  de  Kosala,  Gandamba,  lui 
ayant  fait  présent  d'une  magnifique  grappe  de  man- 
gues, le  «  Parfait  »,  après  avoir  mangé  un  des  fruits, 
lui  en  donna  le  noyau  et  lui  dit  de  le  mettre  en  terre, 
en  même  temps  il  recommanda  à  son  disciple  Ananda 

1.  Spencc  Hardy,  A  manual,  p.  188,  191  et  200. 

2.  Oldenberg,  Le  Biiddha,  traduit  par  A.  Fouchor.  Paris,  1894, 
in-8,  p.  146. 

3.  Spence  Hardy,  A  î?ianual,  p.  198,  199  et  224. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        507 

de  se  laver  la  bouche  et  d'en  rejeter  Teau  à  la  place  où 
le  noyau  avait  été  déposé;  la  terre  s'entr'ouvrit  sur-le- 
champ,  une  jeune  pousse  en  sortit,  et  bientôt  parut, 
chargé  de  fleurs  et  de  fruits,  un  arbre  avec  cinq 
grosses  branches  principales  et  une  infinité  de  rameaux 
plus  petits,  qui  ombragèrent  toute  la  ville*.  Une  autre 
fois,  ayant  planté  en  terre  une  branchette  de  saule, 
avec  laquelle  il  s'était  nettoyé  les  dents,  elle  prit  aus- 
sitôt racine  et  devint  un  épais  buisson^. 

Le  rôle  des  arbres  et  des  plantes,  si  grand  dans  la 
jeunesse  et  dans  Tàgemûr  du  Buddha,  sembla  encore 
croître  dans  les  derniers  temps  de  sa  vie  ;  ils  en  devaient 
être  les  témoins  fidèles,  comme  ils  l'avaient  été  de  ses 
premiers  pas.  On  le  voit  se  reposer  tour  à  tour  dans 
le  jardin  de  la  courtisane  Ambapàlî  à  Vaiçâli,  dans  le 
verger  du  forgeron  Cunda,  dont  il  avait  reçu  Thospi- 
talité,  puis  dans  un  bois  de  manguiers,  voisin  de  Kuçi- 
nagara^  Enfin,  quand  il  sent  sa  mort  prochaine,  c'est 
encore  dans  un  bois  —  le  bois  de  çâlas  d'Upavarttana 
—  qu'il  se  retire.  Là  son  disciple  fidèle  Ananda  lui  pré- 
pare une  couche  entre  deux  de  ces  arbres  ;  «  avec  l'iné- 
branlable intrépidité  d'un  lion  »,  il  s'y  étend  sur  le  côté 
droit  et  la  tête  tournée  vers  le  septentrion*.  Aussitôt 
les  deux  çàlas  se  couvrent  de  fleurs  ;  il  en  est  de  même 
de  tous  les  arbres  de  la  forêt  et  de  ceux  des  dix  mille 
mondes  ;  les  arbres  fruitiers  se  chargent  aussi  de  fruits 
d'une  beauté  et  d'une  saveur  inconnues,  «  encore  que 
ce  ne  fût  pas  leur  saison  »  ;  les  cinq  espèces  de  lotus 
sortent  de  terre  en  tous  lieux,   offrant  aux  regards 

1.  Spence  Hardy,  A  manual,  p.  295-296. 

2.  Samuel  Beal,  Buddhist  Records ^  vol.  I,  p.  63. 

3.  Spence  Hardy,  A  manual,  p.  343  et  457. 

4.  p.  Bigandet,  The  Legend  ofGaudama,  voL  II,  p.  44-'i7. 


508  LES  PLANTKS  CHEZ  LES  HINDOUS 

étonnés  le  spectacle  le  plus  ravissant.  L*Hiraavat  tout 
entier  s'illumine,  tandis  que  les  génies  des  deux  çàlas 
ne  cessent  d'en  répandre  sur  le  Bienheureux  les  fleurs 
parfumées.  C'est  au  milieu  de  cette  fête  de  la  nature 
que  le  Buddha  entre  dans  le  Nirvana,  pendant  que 
arbres,  arbustes,  herbes,  plantes  médicinales,  s'incli- 
nent avec  respect  vers  lui  *. 

Les  légendes  divines  dont  je  viens  de  parler  ne  sont 
pas  les  seules  où  figurent  les  plantes;  non  seulement 
elles  jouent  un  rôle  dans  la  plupart  des  mythes  hin- 
dous, elles  ont  elles-mêmes  été  l'objet  de  légendes 
particulières,  destinées  à  expliquer  leur  apparition  ou 
à  mettre  en  lumière  quelqu'une  de  leurs  propriétés. 
Lorsque  la  Gàyatrî,  l'aigle  mythique,  apporta  le  soma 
du  ciel,  des  gouttes  de  la  liqueur  divine  tombèrent  sur 
des  tiges  de  kuça;  les  serpents,  auxquels  on  l'avait 
dérobée,  s'empressèrent  de  venir  les  lécher;  mais  les 
feuilles  aiguës  de  la  plante  leur  fendirent  la  langue, 
qui  depuis  lors  est  restée  fourchue  '.  Mais  pour  avoir 
touché  l'ambroisie,  le  kura  reçut,  lui,  la  vertu  de  pu- 
rifier. Dès  les  temps  les  plus  reculés,  cette  plante 
aussi  revêtit  un  caractère  sacré,  et  prit  place  dans 
toutes  les  cérémonies  religieuses.  On  raconte  que  la 
déesse  Pàrvatî  s'étant,  agitée  par  une  violente  passion, 
assise  sur  un  tronc  de  çami,  dans  le  cœur  de  l'arbre 
se  développa  une  forte  chaleur  qui  éclate  en  flammes 
au  moindre  frottement  \ 

Les  Hindous  se  sont  plu  —  les  Grecs  et  les  Romains 


1.  L.  Feer,  Entretien  du  Buddha  et  de  Brahmà  sur  V Origine 
des  choses.  ((  ongrès  international  des  Orientalistes  de  1873, 
D.  47 


5). 

2.  Mahàbhârata,  lib.  I.  Adi-Parva,  1543-44. 

3.  H.  C.  Kellner,  SakUntafa,  p.  53,  note. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        509 

l'ont  fait  également  —  à  attribuer  à  un  certain  nombre 
de  végétaux  une  origine  mythique.  Suivant  une  légende 
qui  semble  récente  S  Arjuna,  lors  de  son  voyage  au 
ciel,  aurait  rapporté  un  rameau  de  bétel,  lequel,  planté 
en  terre,  donna  naissance  à  cette  plante  précieuse. 
L'ail,  d'après  une  tradition,  aurait  surgi  des  gouttes 
d'amrita  que  Vainetaya  —  Garuda  — ,  fatigué,  aurait 
laissé  tomber  du  ciel  sur  un  sol  souillé  d'ordures. 
Suivant  une  autre  légende,  ce  condiment  recherché 
devrait  sa  naissance  aux  gouttes  du  nectar,  bu  par  le 
chef  des  Asuras,  et  qui  seraient  tombées  à  terre  quand 
Janàrdana  —  Vishnu  —  lui  coupa  la  tête.  Le  myro- 
balan  chebulic  aussi  serait  né  d'une  goutte  d'am- 
broisie qu'en  buvant  Çakra  —  Indra  —  aurait  laissé 
tomber  ^  D'après  la  Taittirîya-Samhità,  le  khadira^ 
aurait  pris  naissance  du  rasa  —  émanation  —  de  la 
Gâyatrî,  quand  elle  apporta  le  soma  du  ciel  sur  la 
terre.  Et  une  plume  —  parna  — ,  tombée  alors  d'une 
des  ailes  du  divin  oiseau,  se"  serait  changée  en 
palâça  ou  parna.  Un  rameau  détaché  de  la  plante  cé- 
leste aurait  aussi  donné  naissance  au  çyenahrita*. 
Le  çyâmâka,  lui,  devrait  son  origine  au  soma,  dont 
Indra,  qui  en  avait  bu  avec  excès  chez  Tvashtri,  aurait 
rejeté  une  partie.  D'après  une  autre  légende,  cette 
espèce  de  millet  serait  née  de  «  Tacuité  »  —  tejas  — 

1.  Vincenzo  Maria  da  Santa  Caterina,  ap.  A.  de  Gubernatis, 
La  Mythologie  des  Plantes,  vol.  Il,  p.  39. 

2.  Hârita-Samhitù,  V,  407.  —  The  Bower  Mamiscfipt,  edited 
by  A.  Rudolf  Hoernle.  Calcutta,  1893,  in-fol.,  part  I,  p.  11, 
10-11,  et  note  5,  part  II,  fasc.  2,  p.  164,  922. 

3.  Acacia  catechu  L.  —  Taittirtya-Samhitd,  lib.  Ilï,  cap.  5, 
7,  1  et  2.  Le  mot  rasa  signifie  proprement  suc. 

4.  Espèce  de  plante  parasite.  Çatapalha-Brâhmana,  lib.  V, 
cap.  5,  10,  13. 


ôtO  LES  PLANTES  CHKZ  LES  HINDOUS 

du  fabuleux  Makha,  qui  s'échappa  de  lui  avec  un  sou- 
rire*. Le  Çatapatha  Brâhmaria  conte  qu'Indra  ayant 
bu  du  soraa  magique  préparé  par  Tvashtri,  toute  force 
vitale  abandonna  ses  membres  ;  alors  ce  qui  s'écoula  de 
ses  cils  devint  le  froment  ;  le  soma  exsudé  de  sa  moelle 
donna  le  riz  ;  de  ses  larmes  naquit  le  jujubier;  de  sa 
salive  écumeuse,  l'orge  ;  la  pensée  émanée  de  sa  cheve- 
lure produisit  le  millet  ;  l'honneur  écoulé  de  sa  peau, 
Taçvattha  ;  la  liqueur  sortie  de  ses  os,  le  nyagrodha;  la 
force  de  sa  chair,  l'udumbara.  Dans  ce  dernier,  qui 
leur  était  resté  fidèle  pendant  leur  lutte  avec  les  Asu- 
ras,  les  Dieux,  suivant  un  autre  récit,  ont  mis  la  puis- 
sance de  tous  les  autres  arbres'.  L'apàmarga  serait,  à  ce 
qu'on  raconte  aussi,  sorti  de  la  tête  de  Namuci,  frappé 
à  mort  avec  de  l'écume  par  Indra  ;  et  il  aurait  servi 
aux  Dieux  à  chasser  les  Asuras\  Le  rudrâksha,  lui, 
serait  né  des  larmes  que  Çiva  aurait  versées  par 
repentir  d'avoir  brûlé  trois  villes  dans  la  guerre  des 
Dieux  contre  les  Asuras  *.  Une  tradition  attribue  la 
naissance  de  la  tulasî  à  la  métamorphose  d'une 
favorite  de  Vishnu,  qui,  descendue  au  rang  de  mor- 
telle par  la  malédiction  d'une  rivale,  aurait  ensuite 
été  changée  en  plante.  On  Ta  fait  aussi,  comme 
le  pârijàta,  sortir  du  barattement  de  l'Océan ^  On  a 

1.  Taiillrya  SamhitA,  lih.  II,  cap.  3,  2,  6.  —  H.  Oldenberg, 
La  Religion  du  Véda,  p.  411.  Le  cyàmàka  est  le  Panicum 
frumentaceum  L. 

2.  Lib.  XII,  7,  1,  2-9;  VI,  6,  3,  2-3. 

3.  Achyranthes  aspera  L.  —  Atfiarva- Veda,  lib.  IV,  19,  4. — 
Yajur-Veday  II,  95,  ap.  A.  de  Gubernatis,  vol.  H,  p.  12. 

4.  Hlaeocarpuê  ganitrus  Roxb.  — •  J.  Garrett,  A  classical 
Dictionai'y  of  India.  Madras,  1871,  in-8,  p.  520. 

5.  Ward,  Account  of  the  wrifings,  religion  and  manners  of 
the  Hiiidous.  Ser^m\)ore,  1822,  in-8,  vol.  III,  p.  340,  appelle 
cette  rivale  Lakshmi.  .Monier-Williams  lui  donne  le  nom  de 


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LES  PLAiNTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        511 

également  attribué  la  même  origine  mythique  au 
chanvre \ 

Parmi  les  légendes  végétales  les  plus  curieuses 
comptent  celles  qui  se  rapportent  aux  arbres  ou  aux 
plantes,  dont  la  cosmogonie  hindoue  s'est  servie  pour 
symboliser  ou  désigner  les  divers  continents  et  les  mon- 
tagnes qu'on  y  rencontrait.  Des  sept  continents  que 
connaissent  les  Purànas,  six*  ont  respectivement  pour 
emblème  un  jambu,  un  plaksha,  un  çalmali,  Therbe 
kuça,  un  çaka  et  le  pushkara  ou  lotus  bleu  \  Les  quatre 
continents  des  légendes  bouddhiques  étaient  aussi 
distingués  chacun  par  un  arbre  symbolique  particulier; 
le  continent  de  TEst  par  un  kadamba,  celui  du  Sud  par 
un  jambu  ;  les  deux  autres,  par  les  arbres  ghanta  et 
ambala  *. 

Le  Vishnu-Purana  et  le  BbAgavata-Puràna  placent 
également  sur  les  contreforts  du  Meru  quatre  arbres, 
«  qui  en  sont  comme  les  étendards  ».  D'après  le  Vishnu 
Purana\  c'étaient  un  kadamba  sur  le  mont  de  l'Est, 
un  jambu  sur  celui  du  Sud,  sur  le  contrefort  de  TOuest 
un  pippala  et  un  vata  sur  celui  du  Nord.  Le  Bhâga- 
vata-PurAna*  a  remplacé  le  pippala  par  un  manguier, 

Sîtà;  suivant  d'autres,  dit-il,  elle  portait  celui  de  Rukminî,  Beli- 
gious  Thought  and  Life  in  India.  London,  1883,  in-8,  p.  333. 

1.  Udoy  (-hand  [)utt,  The  materia  medica  of  the  I/indus, 
Calcutta,  1900,  in-8,  p.  337. 

2.  Le  septième  est  désigné  par  une  montagne. 

3.  Vishnu- Pur âna,  lib.  II,  cap.  1.  —  Bhôgavata-Purâna, 
lib.  V,  cap.  1,  32.  Le  septième  est  le  Kraunca, 

4.  S.  Beal,  A  catena,  p.  35-37.  Le  ghanta  est  la  Schrebera 
swietenioides  et  Vambala  —  ûmala  —  le  Phillanthus  emblica, 

5.  Lib.  II,  cap.  2.  Pippala,  hind.  pipai,  est  un  autre  nom  de 
VaçvaUha  (Ficus  religiosa),  vata  un  des  noms  du  nyagrodha 
(Ficus  indica). 

6.  Lib.  V,  cap.  16,  3.  D  après  le  récit  des  Buddhistes  chinois, 


512  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

qui  porte  des  fruits  gros  comme  le  sommet  d'une  mon- 
tagne et  dont  le  goût  rappelle  Tambroisie  ;  de  ces 
fruits  s'  échappe  en  abondance  un  suc  doux  et  d'un 
parfum  délicieux,  d'où  naît  le  fleuve  qui  va  arroser 
l'Orient  de  rilàvrita.  Le  kadaraba  laisse  couler  de  ses 
branches  cinq  rivières,  dont  les  eaux  délicieuses  rem- 
plissent de  joie  Tllâvrita  occidental.  Les  fruits  du 
jambu,  qui  en  volume  égalent  le  corps  d'un  éléphant, 
en  se  brisant  dans  leur  chute,  forment  de  leur  suc  ré- 
pandu le  fleuve  de  la  région  méridionale  du  varsha.  En- 
lin  du  figuier  Çatavalça  —  le  vata  du  Vishnu-Purâna — , 
qui  s'élève  sur  le  mont  Kumuda,  découlent  du  lait,  du 
caillé,  du  beurre,  du  miel,  de  la  mélasse,  du  riz  cuit, 
et  à  ses  branches  sont  suspendus  des  étoffes,  des  lits, 
des  sièges  et  des  parures.  Tous  ces  objets  descendent, 
à  travers  la  partie  septentrionale  du  môme  varsha,  en 
un  fleuve  qui  offre  ainsi  tout  ce  que  peuvent  désirer 
les  habitants  *- 

Le  Vishnu-Puràna  attribue  aussi  au  jambu  des  fruits 
d'une  grosseur  prodigieuse,  qui  tombent  au  moment  où 
ils  viennent  à  pourrir,  et  dont  le  jus  en  s'écoulant 
forme  une  rivière^;  les  habitants  qui  en  boivent  les 
eaux  passent  leurs  jours  dans  le  contentement  et  l'opu- 
lence et  sont  exempts  d'infirmités.  D'après  une  autre 
source  "S  c'était  dans  la  forêt  himalayenne  que  se  trou- 
vait le  jambu  mythique,  haut  de  100  yojanas,  il  avait 


un  autre  arbre  mythique,  le  kûtaçalmali,  croissait  au  Nord 
du  grand  Océan,  près  du  palais  des  dragons  et  des  Gandharvas. 
S.  Beal,  A  Catenay  p.  50. 

1.  Bhûgavala-Purànay  lib.  V,  cap.  16,  17-26. 

2.  Vishnu-Purâita,  lib.  H,  cap.  2  ;  voL  II,  p.  116. 

3.  Spence  Hardy,  -ri  manual,  p.  19.   Un  yojana  équivaut  à 
environ  l'i  kilomètres  et  demi. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        513 

300  yojanas  de  tour,  et  était  garni  de  quatre  branches 
maîtresses;  de  ces  branches  et  du  tronc  coulaient 
autant  de  puissantes  rivières.  Depuis  le  commencement 
du  kalpa  —  âge  —  actuel,  il  porte  un  fruit  d'or  im- 
mortel, aussi  large  que  la  cuve  la  plus  large  *  ;  quand 
ce  fruit  tombe  dans  les  rivières  qui  découlent  de 
l'arbre,  ses  graines  se  changent  en  pépites  d'or,  qui 
sont  entraînées  jusqu'au  rivage  de  l'Océan. 

La  forêt  himalayenne  renfermait  un  autre  arbre  non 
moins  merveilleux,  le  Manjùshaka,  qui  se  dressait  près 
de  l'entrée  de  la  grotte  des  Gemmes^;  il  produisait 
toutes  les  fleurs  qui  croissent  sur  la  terre  et  dans  l'eau, 
rappelant  par  là  l'arbre  Gaokérana  de  la  mythologie 
iranienne.  Dans  TUttarakuru  — le  continent  ou  varsha 
du  Nord  —  croissait  un  arbre  encore  plus  étonnant, 
le  Kalpavriksha  ouKalpadruma';  d'une  hauteur  pro- 
digieuse, il  produisait  aussi  bien  des  vêtements,  des 
parures,  que  des  mets  ;  dès  que  quelqu'un  désirait  une 
chose  dont  il  avait  besoin,  il  n'avait  qu'à  étendre  la 
main  et  les  branches  s'abaissaient  d'elles-mêmes  pour 
la  lui  présenter.  Suivant  un  autre  récit  *,  les  feuilles 
de  cet  arbre,  dans  lequel  il  faut  reconnaître  le  figuier 
Çatavalça  du  Bhàgavata-Purâna,  distillaient  sans  cesse 
une  rosée  céleste  et  son  fruit  parfumé,  arrivé  à  matu- 
rité, s'ouvrait  de  lui-même  pour  fournir  aux  habitants 
toute  espèce  d'aliments.  L'auteur  des  Noces  de  Par- 
vati^,  Bâna,  place  cet  «  Arbre  de  tous  les  souhaits  » 


1.  Le  texte  dit  mahâkala,  cuve  17  fois  plus  grande  que  les 
kalas  ordinaires  qui  contiennent  à  peu  près  4  galions  (18  litres). 

2.  Spence  Hardy,  A  manualy  p.  16. 

3.  Spence  Hardy,  A  manualy  p.  14. 

4.  Le  Dirghâgama-Sûtra ,  ap.  S.  Beal,  A  Catena,  p.  37-38. 

5.  Acte  II.  PAfvatts  Hochzeit,  iibersetzt  von  Glaser,  p.  7. 

JoRET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité.  II.  —  33 


514  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HLf  DOCS 

dans  le  Nandana  ;  c'estsur  lui  que,  par  Tordre  de  Çiva, 
la  déesse  des  Bois,  Vàsaniikà,  va  cueillir  les  fleurs, 
a  qui  remplissent  de  leur  parfum  toutes  les  régions  du 
monde  ».  D'après  un  conte  de  THitopadeça*,  l'arbre 
de  tous  les  souhaits  croit,  au  contraire,  au  milieu  de 
rOcéan  ;  il  émerge  du  sein  des  flots  tous  les  quinze 
jours,  et  à  son  ombre  vient  s'asseoir,  sur  un  divan 
étincelant  d'or  et  de  pierres  précieuses,  une  vierge 
richement  parée  et  belle  comme  Lakshmî. 

Tandis  que  l'imagination  inventive  des  Hindous  a  attri- 
bué aux  régions  inaccessibles  de  l'Himalaya  une  flore 
mythique  aussi  merveilleuse,  leur  anthropomorphisme 
a,  par  contre,  placé  dans  le  ciel  les  plantes  indigènes 
de  rinde.  C'est  surtout  dans  les  légendes  postérieures 
à  l'époque  des  Védas  que  se  manifeste  cette  concep- 
tion naturaliste  ;  mais  on  en  trouve  déjà  la  trace  dans 
plusieurs  hymnes  du  recueil  sacré.  Toutefois  elle  ne 
se  manifeste  d'abord  que  d'une  manière  symbolique 
ou  métaphysique.  Lorsqu'un  rishi  nous  parle' de  l'arbre 
que  Varuna  a  dressé  au  milieu  de  l'abime,  il  n'y  a  là 
peut-être,  en  effet,  qu'une  image  symbolique  destinée 
à  représenter  un  simple  phénomène  atmosphérique. 
C'est  encore  un  symbole,  mais  peut-être  d'un  autre 
genre,  que  représente  «  l'arbre  antique  »  du  Kdtha- 
Upanishad^,  arbre  dont  les  racines  poussent  en  haut 


4.  Livre  II,  5«  récit.  Trad.  Hertel,  p.  84.  Trad.  Lancereau, 
p.  128.  La  légende  de  l'Arbre  de  tous  les  Souhaits  est  restée 
longtemps  vivante  dans  l'Inde  ;  c'est  évidemment  le  colparaquin 
de  Vincenzo  Maria  da  Santa  Caterina,  arbre  céleste  de  dimen- 
sions telles  qu'aucun  homme  ne  peut  le  mesurer,  et  qui  donne 
à  chacun  tout  ce  qu'il  peut  désirer  en  vivres  et  choses  déli- 
cieuses. A.  de  Gubernatis,  vol.  II,  p.  196. 

2.  Rtg-Veday  lib.  I,  24,  7. 

3.  Adhyàya  II,  6,  1. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        515 

et  les  branches  en  bas,  comme  celles  du  nyagrodhaou 
vata,  et  qui  est  appelé  le  «  Lumineux  Brahmâ,  le  seul 
Immortel  ».  L'açvattha,  «  qui  pleut  du  soma  »,  dans 
le  monde  ou  ciel  de  BrahmâS  a  encore  une  signiâca- 
tion  toute  symbolique,  et  il  en  est  de  même  probable- 
ment de  Tarbre  Ilya  que  rencontrent  les  défunts, 
après  avoir  traversé  «  en  esprit  »  le  lac  Ara  et  la 
rivière  Vijarà  '. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  leur  signification,  ces  symboles 
nous  montrent  comment  les  Hindous  ont  été  amenés, 
dès  les  temps  les  plus  reculés,  à  admettre  Texistence 
des  arbres  dans  le  ciel  ;  aussi  il  ne  faut  pas  être  sur- 
pris d'en  trouver  déjà  la  mention  dans  les  derniers 
hymnes  védiques.  C'est  évidemment  un  arbre  véritable 
qu'avait  en  vue  le  rishi  qui  représente,  dans  une  scène 
réaliste',  Yama  buvant  avec  les  Dieux  l'ambroisie 
sous  un  arbre  au  beau  feuillage.  C'est  aussi  un  açvat- 
tha  réel  sous  lequel,  d'après  TAtharva-Véda*,  les  Dieux 
siègent  dans  le  troisième  ciel;  c'est  encore  sous  un 
véritable  çâlmali,  on  n'en  peut  douter,  que  le  poète 
du  Mahâbhârata  fait  se  reposer  Pitàmaha  —  Brahmà 
—  après  la  création  *.  Et  l'immense  figuier,  à  l'ombre 
duquel  les  Dieux,  dans  le  Bhâgavata-Purâna  ®,  aper- 
çoivent, sur  le  Kailâsa,  Çiva,  plongé  dans  la  médita- 
tion, est  aussi  réel  que  l'acvattha  de  la  légende  du 
Buddha. 

Les  plantes  terrestres  ont,  en  eflfet,  fini  par  pénétrer 


1.  Chândogya-Upanishad,  VIII,  5,  3. 

2.  KaushUaki-Bràhmana-Upanishadj  I,  3,  4  et  5. 

3.  Rig-Veda,  lib.  X,  135,  1. 

4.  Lib.  V,  4,3;  XIX,  39,  6. 

5.  Lib.  XII  (Cânti-Parva),  5847. 

6.  Lib.  IV,  cap.  9;  31-33. 


516  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

dans  les  demeures  des  Dieux.  Ceux-ci  d'ailleurs  n'ha- 
bitent plus  «  le  inonde  d'inépuisable  splendeur  où 
siège  le  soleil  »,  le  «  triple  ciel  inondé  de  lumière*  »; 
les  poètes  des  Purânas  et  du  Mahâbhârata  les  ont  fait 
descendre  des  hauteurs  inaccessibles  du  firmament  sur 
les  cimes  mystérieuses  de  THirnavat,  le  Kailâsa,  le 
Vaikuntha,  le  Trikûta,  le  mythique  Meru  *.  C'est  là 
maintenant  que  résident  les  Immortels;  là  s'élèvent 
leurs  cités  et  se  dressent  leurs  palais,  avec  les  parcs 
fleuris  et  les  étangs  couverts  de  lotus,  qui  les  avoi- 
sinent  ou  les  entourent.  On  dirait  la  demeure  d'un 
raja  contemporain.  Qu'on  compare,  par  exemple,  Ayo- 
dhyà,  résidence  de  Daçaratha,  père  de  Rama,  avec 
Amarâvatî,  capitale  d'Indra  ;  les  jardins  de  Dvârakâ, 
cité  de  Krishna,  avec  les  parcs  de  Vishnu,  de  Çiva, 
de  Kuvera  ou  de  Varuna',  on  verra  qu'il  n'existe  au- 
cune difierence  entre  les  premiers  et  les  seconds. 

La  description  du  séjour  de  Yama  dans  les  Védas  et 
dans  le  Mahâbhârata  *  montre  à  quel  point  la  concep- 
tion que  les  Hindous  se  faisaient  de  la  demeure  des 
Dieux  avait  changé  de  l'époque  des  Védas  à  celle  des  épo- 
pées ;  dans  l'hymne  que  j'ai  cité  plus  haut,  Yama  réside 
sous  un  açvattha;  dans  le  Mahâbhârata,  il  habite  un 
palais  magnifique  où  sont  réunies  toutes  les  espèces 
de  mets  agréables,  et  où  se  trouvent  en  abondance  des 
parfums  exquis,  de  belles  guirlandes,  de  frais  bos- 
quets avec  des  arbres  couverts  en  toute  saison   des 


1.  Big-Veda,  lib.  IX,  113,  7  et  suiv. 

2.  À.  Barth,  The  Religions,  p.  16  et  17. 

3.  Bhâgavala-Purâna,  lib.  I,  cap.  11,  13;  IV,  6,  12-29;  V, 
2,  4;  VIII,  2,  9-18;  15,  12-19.  —  Beal,  A  Catena,  p.  75-78.  — 
Hâmàgana,  lib.  I. 

4.  Lib.  II,  VanaParva,  v.  311-350. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        517 

«  fruits  que  Ton  désire  ».  On  a  là  le  type  d'une  rési- 
dence divine,  telle  que  la  conçoivent  maintenant  les 
poètes  et  les  écrivains  sacrés  :  un  palais  orné  de  por- 
tiques et  embelli  de  pierres  précieuses  \  environné  de 
parterres  et  de  jardins  dont  les  arbres  plient  sous  le 
poids  des  fleurs  et  des  fruits,  où  bourdonnent  les 
abeilles  et  où  retentissent  les  concerts  ou  les  cris  des 
oiseaux,  que  des  fauves  animent  de  leur  présence,  et 
que  des  étangs,  couverts  de  lotus,  rafraîchissent  de 
leurs  eaux  vives  et  pures  '. 

Quant  à  la  flore  des  parcs  ou  des  jardins  célestes, 
elle  n'est  autre  que  celle  des  jardins  ou  des  parcs  ter- 
restres; on  trouve  les  mêmes  arbres  d'agrément  dans 
les  premiers  que  dans  les  seconds.  Qu'on  lise,  entre 
autres,  ce  que  l'auteur  du  Bhâgavata^  après  avoir 
décrit  le  Trikûta,  sa  configuration,  ses  rivières  et  ses 
lacs,  énuméré  les  animaux  qu'on  y  trouve,  dit  du  jardin 
de  Varuna  : 

Dans  une  de  ces  vallées  était  le  jardin  du  magnanime  Va- 
runa... Des  arbres  divins  toujours  couverts  de  fleurs  et  de  fruits 
l'embellissent  de  toutes  parts.  —  C'étaient  le  mandâra,  le  pâri- 
jàta,  le  pàtala,  l'açoka,  le  campaka.  le  manguier,  le  priyàla,  le 


'1.  Bhâgavata  Purânaj  lib.  Vil,  cap.  4,  8-11. 

2.  Bhâgavata- Puràna,  lib.  IV,  cap.  6,  12  et  20  :  VIII,  15, 
12-22.  Le  Paradis  des  Bouddhistes  du  Nord  n'était  pas  autre  ; 
on  nous  le  représente  comme  rempli  de  beaux  arbres,  d'ar- 
bustes parfumés  et  de  fleurs  brillantes  ;  peuplé  d'oiseaux  et  de 
bêtes  des  forêts,  et  ré.sonnant  sans  cesse  d'une  divine  musique. 
A  short  note  on  the  Paradise  of  ihe  Northern  Buddhists  by 
Bàbù  Sarat  Chandra  Dûs.  (^Proceedings  of  Ihe  Asiatic  Society 
of  Bengal,  1891,  p.  71). 

3.  Bhâgavata-Purdnhj  lib.  VIIl,  cap.  2,  9-14  et  1618.  Le 
picumanda  est  le  Melia  azidarachta,  ïaksha,  la  Terminalia 
hellerica,  Vabhayâ,  la  Terminalia  chebuta,  le  kunda,  le  Jasmi- 
num  hirsulum  et  le  jâlaka,  le  bananier. 


518  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

panasa,  Tàinra  et  ràmràtaka.  —  L'arbre  qui  produit  la  noix 
d*arec,  le  cocotier,  le  dattier*,  le  citronnier,  le  madhuka,  le 
çàla,  le  palmier,  le  tamâla,  l'asana  et  Tarjuna.  —  L'arishta,  le 
figuier,  le  plaksha,  le  vata,  le  kimçuka,  le  santal*  le  picumanda, 
le  kovidàra,  le  sarala,  le  devadâru.  —  La  vigne,  la  canne  à 
sucre,  le  "bambou,  le  jambu,  le  jujubier,  Taksha,  l'abhayâ,  le 
myrobalan,  le  bilva,  le  kapittha,  le  jambîra,  le  bhaliâtaka  et 
d'autres  encore.  —  Là  se  trouvait  un  lac  étendu  sur  lequel  se 
balançaient  des  lotus  d'or,  qu'embellissaient  des  lotus  rouges, 
bleus,  blancs  et  le  nélumbo  aux  cent  feuilles,  au-dessus  duquel 
bourdonnaient  des  abeilles  enivrées  et  chantaient  des  oiseaux 
à  la  voix  harmonieuse  -...  Ses  rives  étaient  bordées  de  kadam- 
bas,  de  rotins,  de  roseaux,  de  nîpas,  de  cannes  —  de  kundas, 
de  kuravakas,  d'açokas,  de  çirishas,  de  kutajas,  d'ingudis,  de 
kubjakas,  de  svarnayùthis,  de  diverses  espèces  de  nâgas  et  de 
purïinâgas,  —  de  jasmins,  de  mâdhavis,  de  jàiakas  et  d'autres 
arbres  ornés  de  leurs  parures  dans  toutes  les  saisons. 

Le  poète  sacré  s'est  donné  libre  carrière  et  n'a  pu 
résister  au  penchant. à  la  prolixité  si  chère  aux  écri- 
vains hindous,  et  il  n'a  pas  craint  de  réunir  dans  un 
même  lieu  des  végétaux  qui  appartiennent  aux  régions 
les  plus  diverses,  tel  que  le  devadâru  des  contreforts 
de  THimalaya  et  le  cocotier  ou  le  santal  de  Ceylan  '. 
On  ne  retrouve  point  ces  exagérations,  ni  ces  accumu- 
lations de  végétaux  étrangers  la  plupart  les  uns  aux 
autres  dans  les  descriptions  du  jardin  de  Kuvera  et  du 
p^adis  de  Vishnu  ;  il  n  y  a  qu'une  douzaine  d'arbres 


1.  Le  dattier  n'ayant  été  importé  dans  l'Inde  que  longtemps 
après  notre  ère,  .sa  présence  dans  cette  description  montre 
qu'elle  ne  saurait  remonter  très  haut  ou  qu'elle  a  été  remaniée 
à  une  époque  relativement  récente. 

2.  «  Les  cygnes,  les  kàraçdavas,  les  cakravàkas  et  les  grues 
en  couvraient  la  surface  ;  des  troupes  de  poules  d'eau,  de  van- 
neaux, de  dâtyûhas  y  faisaient  entendre  leurs  cris.  » 

3.  De  même  le  bouleau  des  hautes  vallées  de  THimalaya  et 
l'aréquier  des  côtes  de  Malabar,  placés  également  sur  le  Kai- 
làsa.  Bhàgavala-Purâna,  lib.  IV,  6,  17. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        519 

OU  de  plantes  dans  ce  dernier^  :  mandâras,  jasmins, 
campakas,  arnas,  pumnâgas  et  nâgas,  bakulas  et  pàri- 
jâtas,  amarantes,  lotus  de  nuit  et  lotus  de  jour  avec 
la  tulasl.  Le  poète  du  Mahàbbârata  ne  nomme  même 
aucun  des  «  arbres  saints  »  qui  embellissent  les  bos- 
quets d'Amarâvatî,  capitale  d'Indra;  il  se  borne  à  dire 
qu'ils  V  se  parent  de  fleurs  en  toutes  les  saisons  ^  ». 

Les  fleurs  des  jardins  célestes  servaient  d'ailleurs  aux 
mêmes  usages  que  les  fleurs  des  parterres  terrestres  ; 
les  Dieux  aimaient  à  en  respirer  les  parfums  et  à  en 
contempler  Téclat  ;  leurs  palais  en  étaient  ornés  ;  ils 
en  portaient  des  guirlandes  qui,  par  un  privilège  par- 
ticulier, ne  se  fanaient  jamais.  Les  Açvins,  dans  les 
Védas*,  ont  le  front  ceint  d'une  couronne  de  lotus  bleu 
—  pushkara  — .  Le  Puràna,  qui  porte  son  nom,  nous 
montre  Bhagavat  paré  d'une  guirlande  des  fleurs  des 
bois*.  Purusha,  lui  aussi,  en  porte  une  faite  de  fleurs 
sauvages.  Il  en  est  de  même  de  Vasudeva\  Lorsque, 
pour  séduire  les  Daityas,  Vishnu  prend  une  figure  fé- 
minine, «  sur  sa  chevelure  repose  une  guirlande  de  jas- 
mins^  en  fleurs^  ».  Au  moment  où  Bali,  le  chef  des 
Asuras,  va  marcher  contre  Indra  et  les  Dieux,  son 
grand-père  Prahrâda  lui  donne  une  guirlande  de  fleurs 

1.  BhAgnvaia-Purâno ,  lib.  III,  cap.  15,  19. 

2.  Vana-Parva,  1756.  Il  dit  aussi  seulement  du  Nandanaque 
«  les  arbres  semblent  se  disputer  à  qui  produira  le  plus  de 
fleurs  divines.  » 

3.  Big-Veda,  lib.  V,  53,  4  et  X,  18'i,  2.  —  Alharva-Veda, 
lib.  III,  22. 

4.  Lib.  III,  cap.  28,  15  ;  IV,  7,  21  ;  XII,  42.  Deux  Devas,  placés 
à  la  porte  de  la  septième  enceinte  du  Paradis  de  Vishpu,  por- 
tent sur  la  poitrine  une  guirlande  de  fleurs  couverte  d'abeilles 
enivrées.  Lib.  III,  15,  28. 

5.  Ehàgamia-Puràna,  lib.  IV,  cap.  30,  7,  X,  44,  13. 

6.  Bhâgavata-Purânay  lib.  VIII,  cap.  8,  44  et  15,  16. 


590  LES  PLAINTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

toujours  fraîches.  Dans  ses  courses  à  travers  les  bois, 
Krishna  se  montre  sans  cesse  arec  des  guirlandes 
fleuries.  Les  Gopis,  au  milieu  desquelles  il  vit,  sont, 
elles  aussi,  parées  de  couronnes  ;  leurs  vaches  elles- 
mêmes  en  portent*.  «  Les  yeux  aussi  beaux  qu*une 
fleur  de  lotus,  une  couronne  de  fleurs  variées  sur  la 
tête,  et  sur  la  poitrine  une  guirlande  de  célestes  kar- 
nikàras,  »  tel  est  le  portrait  que  fait  du  héros  divin  le 
Vishnu-Puràna*.  Une  couronne  de  fleurs  est  égale- 
ment un  des  insignes  auxquels  on  reconnaît  le  guerrier 
Paundraka,  roi  de  Kàcî  et  l'adversaire  de  Krishna. 
Lakshmi  donne  à  Balarâma,  qui  va  combattre  le  démon 
Naraka,  une  fraîche  guirlande  de  lotus  envoyée  par 
Varuna'.  Et  quand  après  avoir  entendu  la  lecture  des 
douze  livres  du  Bhàiravata,  le  héros  Dhundhukàrin  renaît 
à  une  vie  nouvelle,  il  apparaît  comme  un  dieu  orné  de 
guirlandes  de  tulasi  ^.  De  même  dans  le  Ràmâyana, 
lorsque,  secouant  la  cendre  du  bûcher,  qui  vient  de 
consumer  son  corps  immense  et  difforme,  Danu  — 
Kabandha  —  s'envole  vers  les  cieux,  une  guirlande  de 
fleurs  célestes  pare  ses  habits  \ 

Les  fleurs  du  ciel  servaient  surtout  aux  Dieux  à 
marquer  leur  présence  ou  leur  intervention  dans  les 
affaires  humaines  ;  ils  ne  manquent  jamais  d'en  faire 
pleuvoir  sur  les  héros  ou  les  héroïnes  qu'ils  protègent 
ou  qu'ils  favorisent.  Rares  dans  le  Vishnu-Puràna,  les 


1.  Bhâgavala-Purâtfa,  lib.  X,  cap.  7,  16;  15,  10;  18,  9  ;  23, 
22:  XIII,  'j,  2. 

2.  Lib.  V,  cap.  17.   Cf.  B.  P.,  III,  cap.  15,  40  ;  28,  15. 

3.  Vishnu  Purâ^a,  lib.  V,  cap.  25;  vol.  V,  p.  68. 

4.  BhàgavataPurâna,  lib.  X,  cap.  66,  13  ;   XIII,  5,  51.  Cf. 
VUhf}u-Purâna,  lib.  V,  cap.  34. 

5.  Aranyakâçda,  lib.  III,  cap.  75,  53-54. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES        521 

pluies  de  fleurs  célestes  apparaissent  à  chaque  instant 
dans  le  Bhâgavata.  Au  moment  où  Bhishma  se  réunit 
à  Brahmâ,  retentissent  les  timbales  frappées  par  les 
Devas  et  une  pluie  de  fleurs  tombe  des  cieux*.  Une 
pluie  de  fleurs  aussi  tombe  du  haut  des  airs,  lorsque 
Dhruva  va  monter  au  ciel,  et  il  atteint  le  séjour  de 
Vishnu,  couvert  des  fleurs  que  lui  jetaient  les  Suras, 
qui,  du  haut  de  leurs  chars,  chantaient  ses  louanges, 
à  mesure  qu'il  avançait*.  Après  que  Cri  eut  choisi  pour 
époux  Mukunda  —  Vishnu  — ,  en  lui  plaçant  sur  les 
épaules  une  ravissante  guirlande  de  frais  lotus,  tous 
les  Dieux,  créateurs  de  Tu  ni  vers,  répandirent  sur  l'au- 
guste couple  une  pluie  de  fleurs  *.  Lorsque  Bhagavat 
fut  engendré  dans  le  sein  de  Devahûti,  on  vit  tomber 
des  fleurs  divines,  répandues  par  les  habitants  del'air. 
Et  quand  Prithu  vint  au  monde,  les  chefs  des  Gan- 
dharvas  entonnèrent  leurs  chants,  tandis  que  les  Sid- 
dhas  jetaient  des  fleurs  sur  le  divin  enfant*.  De  même 
à  la  naissance  d'Ajana  —  Krishna — ,  les  Munis  et  les 
Dieux,  remplis  d'allégresse,  répandent  sur  la  terre  une 
pluie  de  fleurs  ^  Plus  tard,  en  apercevant  le  jeune 
héros,  qui  soutenait  en  Tair  le  mont  Govardhana,  les 
troupes  des  Dieux,  les  Siddhas,  les  Gandharvas,  les 
Câranas,  dans  leur  joie,  répandent  sur  lui  des  fleurs  à 
profusion.  Brahmâ,  Çiva  et  les  autres  puissances  cé- 
lestes, témoins  de  sa  victoire  sur  Kaihsaet  ses  frères, 
Tacclament  en  le  couvrant  également  d'une  pluie  de 


1.  Bhâgavata- Pur àf/Œy  lib.  I,  cap.  9,  45. 

2.  Bhâgavata- Purâna,  lib.  IV,  cap.  12,  30  et  33. 

3.  Bhâgavata-Purâna,  lib.  VIIl,  cap.  8,  24  et  27. 

4.  Bhâgavata- Purâna,  lib.  III,  cap.  24,  8;  IV,  15,  7. 

5.  Vishnu- Purâna j  lib.  V,  cap.  3.  —  B.  P.,  lib.  X,  cap.  3, 


622  LES  PLANTKS  CHEZ  LES  HI?ÏDOUS 

fleurs*.  Quand  le  roi  des  Singes  tombe  frappé  par 
Bala,  les  mots  «  Victoire,  Bien,  très  Bien  »  reten- 
tissent dans  le  ciel,  prononcés  par  les  Suras  et  les 
Siddhas,  qui  jettent  des  fleurs  au  héros.  Les  Dieux 
voyant  Krishna  percer  d'une  de  ses  flèches  le  poisson 
mythique,  répandent  en  signe  de  contentement  des 
fleurs  sur  la  terre.  Et  lorsque,  frappé  par  Çiva,  Tasura 
Vrika  s'affaisse,  privé  de  la  tête,  les  Rishis  applau> 
dissent  en  versant  des  pluies  de  fleurs  '. 

Les  pluies  de  fleurs  sont  tout  aussi-  fréquentes  dans 
la  légende  du  Buddha  que  dans  celles  de  Vishnu  et  de 
Krishna.  Au  moment  de  la  naissance  du  Réformateur 
une  pluie  de  lotus  et  de  nymphées  tombe,  avec  du 
santal,  du  ciel  sans  nuage  ^  ;  une  pluie  de  fleurs  divines 
tombe  encore  sur  son  cortège,  quand  on  conduit  le 
noble  enfant  au  temple,  où  il  recevra  un  nom  ;  et  un 
jour  qu'on  l'avait  porté  au  jardin  de  Vimalavyùha,  la 
déesse  du  lieu,  Vimalà,  le  couvre  de  fleurs.  Plus  tard 
c'est  au  milieu  des  fleurs  répandues  par  les  filles  des 
Dieux  qu'il  est  conduit  chez  son  maître  d'écriture,  et 
pendant  les  jeux  qui  précèdent  son  mariage,  les  divi- 
nités du  ciel,  témoins  de  son  habileté  à  tirer  de  l'arc, 
jettent  aussi  sur  le  jeune  héros  des  fleurs  à  profusion*. 
Lorsqu'il  quitte  le  palais  paternel  pour  embrasser  la 
vie  d'ascète,  les  Dieux  répandent  encore  sur  lui  une 
pluie  de  fleurs,  et  les  quatre  gardiens  du  monde  accou- 
rent avec  leur  suite  innombrable  de  Gandharvas,  de 
Nàgas,  etc.,  tous  portant  dans  les  mains  des  fleurs 

1.  Bhâgavata-PurAna,  lib.  X,  cap.  25,  31  et  44,  42. 

2.  Bhàgavala-Purâm,  lib.  X,  cap.   67,  26;  83,  27;  88,  27. 

3.  Açvaghosha,  Buddhacarita,  p.  41. 

4.  LalUa   Vistara,  cap.  VIII,  p.  108;   IX,  p.  112;  X,  p.  Ii4; 
XII,  p.  141. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LEGENDES  RELIGIEUSES        523 

divines.  De  même  lorsque  sa  mère,  qui  Ta  aperçu  sur 
les  bords  de  la  Nairanjanà,  plongé  dans  ses  austères 
méditations,  cherche  en  vain  à  le  ramener  à  la  vie 
commune,  pleine  d'admiration  pour  sa  constance  sur- 
humaine, elle  se  retire  dans  sa  céleste  demeure  au  son 
des  instruments  divins,  après  Tavoir  couvert  de  fleurs 
do  mandâra  *.  C'est  par  un  sentier  couvert  de  fleurs 
aussi  que  le  Réformateur  se  rend  vers  le  Bodhimanda; 
une  pluie  de  fleurs  Taccueille  au  moment  qu'il  s'en 
approche  et  aussi  longtemps  qu'il  reste  sous  l'arbre  de 
l'Intelligence,  les  génies  du  ciel  et  de  l'atmosphère 
jettent  sur  lui  des  guirlandes  et  des  bouquets  de  fleurs  ^ 
De  même  quand  il  a  triomphé  de  Màra,  les  Dieux,  les 
Asuras  et  les  Garudas,  pour  célébrer  sa  victoire,  font 
pleuvoir  des  fleurs  et  de  la  poudre  d'aguru,  de  tagara 
et  de  santal  sur  le  Bienheureux'.  Et  le  septième  jour 
après  sa  mort,  lorsqu'il  est  porté  sur  le  bûcher,  du 
haut  des  espaces  lumineux  du  ciel,  les  Dieux  répandent 
sur  son  corps  des  lotus  de  toutes  couleurs  et  des  pou- 
dres parfumées  de  santal  *. 

Comme  dans  les  légendes  de  Vishnu  et  du  Buddha, 
les  pluies  de  fleurs  servent  aux  Dieux  dans  le  Mahâ- 
bhârata  à  manifester  leur  sympathie  pour  les  héros  du 
poème.  C'est  une  pluie  de  fleurs  célestes  qui  proclame 
la  naissance  légitime  des  fils  de  Pandu  ^  Comme  mar- 
que de  son  admiration  pour  les  hauts  faits  d'Arjuna, 
Indra  verse  une  pluie  de  fleurs  sur  la  tête  du  héros, 

1.  Lalita  Vistaray  cap.  xv,  p.  191  et  195;  cap.  xvii,  p.  219. 

2.  Lalita  Vistara,  cap.  xix,  p.  236;  cap.  xx,  244  et  254. 

3.  Lalita  Vistara,  cap.  xxi,  p.  286  et  xxiii,  299.  —  Spence 
Hardy,  A  manual,  p.  182. 

4.  Lalita  Vistaray  appendice,  vol.  I,  p.  385. 

5.  Sabha-Parva,  Cf.  A.  Hoitzmann,  Die  19  Bûcher  des  Mahâ- 
bhârata,  p.  32. 


524  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

en  même  temps  que  de  tous  côtés  des  fleurs  tombent 
du  ciel.  Quand  Devavrata  promet  de  renoncer  au 
royaume  de  son  père  et  à  toute  postérité,  pour  témoi- 
gner de  leur  assentiment,  les  chœurs  des  Rishis  et  les 
Dieux  font  pleuvoir  des  fleurs  du  haut  des  airs*.  Au 
moment  où  le  fils  de  Kuntî  —  Arjuna —  pénètre  dans 
le  bois  épineux,  qu'il  devait  traverser  pour  atteindre 
les  cimes  de  THimavat,  une  grande  pluie  de  fleurs 
couvre  la  surface  de  la  terre,  tandis  qu'un  bruit  de 
conques  éclate  dans  le  ciel  ^.  De  même  lorsque  le  Vent, 
invoqué  par  Damayantî,  proclame  son  innocence  et 
ordonne  à  Nala  de  se  réunir  à  son  épouse  digne  de  lui, 
comme  il  était  digne  d'elle,  une  pluie  de  fleurs  tombe 
du  ciel,  tandis  que  retentissent  les  cymbales  divines'. 
Non  moins  que  dans  le  Mahàbhârata  les  pluies  de 
fleurs  sont  fréquentes  dans  le  Ràmàyana.  Quand  Râma, 
rejeton  bien-aimé  de  Raghu,  part  pour  remplir  son 
auguste  mission,  en  compagnie  de  Viçvàmitra,  une 
pluie  de  fleurs  tombe  sur  lui,  et  l'on  entend  dans  les 
airs  des  concerts  de  voix  suaves,  les  fanfares  des  con- 
ques et  le  roulement  des  cymbales  célestes.  Pendant 
le  mariage  de  Rama  et  de  son  frère  Lakshmana  avec 
les  filles  de  Janaka,  roi  du  Videha,  une  pluie  de  fleurs, 
où  se  trouvaient  mêlés  en  abondance  des  grains  frits, 
tomba  sur  la  tête  de  tous  ceux  qui  avaient  pris  part  à 
la  cérémonie  sacrée  *.  Lorsque  Sîtâ  sortit  du  sillon, 
tracé  par  son  père  autour  du  lieu  du  sacrifice,  et  que 


1.  Adi-Parva,  7054-7055,  1531  et  4062. 

2.  Vana-Parva,  1531.  —  A.  Holtzmann,  Arjuna.  Strassburg, 
1879,  in-8,  p.  12. 

3.  Nala  et  Damnya7iti,  chant  XXIV.  —  F'élix  Nève,  Histoire 
littéraire  de  l'Inde,  p.  142. 

4.  Adikàrida,  lib.  XXV,  5;  LXXV,  26. 


LES  PLANTES  DANS  LES  LÉGENDES  RELIGIEUSES         525 

le  roi,  la  prenaot  dans  ses  bras,  s'écria  qu'elle  était  sa 
fille,  la  voix  d'un  être  invisible  répondit  Oui  !  en  même 
temps  que  tombait  une  pluie  de  fleurs,  accompagnée 
par  les  sons  harmonieux  des  tambours  célestes.  De 
même  quand  Rama  abat  le  démon  Kharu  d'une  de  ses 
flèches,  les  tambours  célestes  résonnent  dans  les  airs 
et  une  pluie  de  fleurs  tombe  au  milieu  du  champ  de 
bataille  sur  le  front  même  de  Ràma*.  Plus  tard,  lors- 
que Sîtâ  retrouvée,  mais  accusée  injustement,  subit 
triomphalement  l'épreuve  du  feu,  en  signe  d'approba- 
tion, une  pluie  de  fleurs  encore  tombe  du  ciel,  tandis 
que  retentissent  les  cymbales  divines  *. 

Les  poètes  de  la  Renaissance  n'ont  pas  manqué,  à 
l'imitation  des  auteurs  du  Râmâyana  et  du  Mahâbhâ- 
rata,  dé  donner  place  dans  leurs  récits  aux  fleurs  cé- 
lestes ;  Kàlidàsa  en  particulier  en  fait  usage  à  chaque 
instant  dans  le  Raghu-  Vamça,  poème  où  il  célèbre  la 
gloire  et  les  ancêtres  de  Râma.  Ainsi,  quand  le  roi 
Dilîpa  ofi're,  comme  un  mets  funèbre,  son  corps  à  un 
lion  afi'amé,  une  pluie  de  fleurs,  répandue  par  la  main 
des  Vidyàdharas,  tombe  du  ciel  sur  le  généreux  mo- 
narque. Lorsque  Priyamvada,  changé  en  éléphant, 
reprend,  frappé  au  front  par  la  flèche  d'Aja,  flls  de 
Raghu,  sa  forme  première,  il  couvre  le  jeune  prince 
de  fleurs, cueillies  sur  l'arbre Kalpa'.  A  la  naissance  de 
Râma,  une  pluie  de  fleurs  tombe  du  ciel  sur  le  palais 
royal,  en  signe  de  réjouissance  pour  cet  heureux  évé- 
nement. Et  quand  le  héros  a  abattu  les  têtes  mena- 
çantes de  Ravana,  les  Dieux  surpris  répandent  du  haut 


1.  Aranyakânda,  lib.  IV,  12-15  ;  XXXV,  96. 

2.  Adikànda,  lib.  I,  88. 

3.  Chant  11,  60  et  V,  52. 


626  LES  PLANTKS  CHEZ  LES  HINDOUS 

du  firmament  sur  le  front  du  vainqueur  une  pluie  de 
fleurs,  que  suivent  des  essaims  d'abeilles  célestes.  Des 
fieurs  divines  viennent  encore  lui  inonder  le  front  pour 
honorer  sa  victoire  sur  un  autre  démon,  Lavana. 
Enfin  lorsque  le  héros  Kuça  reçoit  la  main  de  Kumud- 
\atî,  les  sons  d*une  musique  divine  se  font,  signe 
d'heureux  augure,  entendre  jusqu'aux  plages  célestes 
et  des  nuages  merveilleux  déversent  sur  la  tête  des 
deux  époux  une  pluie  de  fleurs  parfumées*.  Dans  le 
poème  de  Kumârasariibhava,  Kàlidàsa  raconte  encore 
que  le  jour  de  la  naissance  d'Umâ,  fille  d'Himavat,  on 
vit  une  pluie  de  fleurs  accompagner  les  fanfares  de 
conques,  qui  retentissaient  du  haut  du  ciel*. 

De  même  que  le  ciel,  l'enfer  des  poèmes  épiques  et 
des  Purânas  avait  sa  flore,  empruntée,  elle  aussi,  à  la 
flore  terrestre,  mais  dont  les  rares  représentants  aux 
tiges  et  aux  fruits  épineux,  aux  feuilles  aiguës,  comme 
leçâlmali,  le  Scirpus  kysoor,  le  duhsparça  — Hedy- 
sanim  alhagi  —  la  tîkshnakuhà  —  Datura  meiel  — , 
étaient  tels  qu'il  convenait  dans  ce  lieu  «  pour  le  sup- 
plice des  méchants  »  —  yàtanâ  pâpakarmàndm  — . 
Dans  le  Mahàbhârata ',  lorsque  Yudhishthira  va  dans 
TFlnfer  à  la  recherche  de  ses  frères,  il  aperçoit  une 
forêt  dont  les  arbres  avaient  pour  feuilles  des  épées 
tranchantes,  et  des  plaines  d'un  sable  blanc  et  brûlant 
couverts  de  kutaçâlmalikas  aux  épines  acérées  et  dou- 
loureuses à  toucher.  Parmi  les  difi'érents  enfers  dont 
parle  le  Mârkandeya-Purâna,  il  y  en  a  un,  appelé  Asi- 
çattravana,  au  milieu  duquel  se  trouvait  une   forêt 


1.  Chant  X,  78  et  XIF,  102  ;  XV,  25  et  XVI,  87. 

2.  Chant  I,  23. 

3.  XVIII.  Svargàrohana-Parva,  23-25. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  527 

dont  les  arbres  agréables  à  la  vue  avaient  des  feuilles 
semblables  à  des  lames  d'épée*.  D'après  le  Bhagavata, 
cet  enfer  était  destiné  à  ceux  qui  se  livrent  à  Thérésie, 
et  la  forêt  était  composée  de  palmiers,  dont  les  feuilles, 
épées  à  deux  tranchants,  déchiraient  le  corps  des 
condamnés  '. 


Il 


On  voit  par  ce  qui  précède  quelle  place  considérable 
les  plantes  avaient  prise  dans  les  légendes  des  Dieux, 
surtout  des  Dieux  de  la  Trinité  brahmanique;  elles  n'en 
occupaient  pas  une  moindre  dans  le  culte  qu'on  leur 
rendait;  elles  leur  servaient  d'attributs;  elles  ont 
fourni  les  premières  offrandes  qu'on  leur  ait  faites. 
Brahmâ  est  représenté  un  lotus  à  la  main  et  trônant 
sur  un  lotus  ^  Vishnu,  lui  aussi,  tient  une  tige  de  lotus 
dans  une  de  ses  quatre  mains  *.  Le  lotus  était  égale- 
ment un  des  attributs  de  Krishna  ;  il  portait  sous  cha- 
cun de  ses  pieds  la  marque  de  cette  fleur;  il  aimait 
à  s'en  parer  ;  le  Bhàgavata-Puràna  le  montre  agitant 
un  nélumbo  ou  lotus  rouge  d'une  main  et  ayant  un 
lotus  bleu  fixé  à  son  oreille  ^  Sarasvatî  est  représentée 
au  milieu  d'une  guirlande  de  ces  fleurs  divines®. 

Quand  Lakshmî  —  Çrî  —  sortit  du  sein  des  flots, 
lors  du  barattement  de  l'Océan,  elle  s'élança  à  terre, 


1.  Léon  Feer,  L enfer  indien   Paris,  t892,  in-8,  p.  52. 

2.  Lib.  V,  cap.  26,  15. 

3.  Vishnxi'Purài}a,  lib.  IV,  cap.  t. 

4.  W.  J.  Wilkins,  Hindu    Mythology.  Calcutta,   1882,  in-8, 
p.  102. 

5.  Bhàgavata-Puràna,  lib.  X,  23,  22;  30,  25;  32,  2;  35,  16. 

6.  Wilkins,  Hindu  Mythology,  p.  92. 


528  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

un  lotus  à  la  main  ;  le  lotus  est  resté  un  de  ses  attri- 
buts, comme  du  dieu  son  époux;  elle  est  figurée  assise 
sur  une  fleur  de  padma  et  entourée  des  rameaux  de 
cette  plante  sacrée*.  Toutes  les  fleurs  étaient  d'ailleurs 
chères  à  cette  déesse  ;  le  poète  du  Mahâbhârata  dit" 
qu'elle  est  Tamie  fidèle  de  ceux  qui  en  possèdent. 
Les  fleurs  n'étaient  pas  moins  aimées  du  dieu  de 
r Amour,  Kâma;  mais  celles  du  manguier  surtout  lui 
étaient  chères.  D'après  une  légende,  cinq  espèces  de 
fleurs  lui  servaient  de  flèches  ;  les  fleurs  d'aravinda — 
lotus  de  jour  — ,  d'açoka,  de  çirlsha,  de  cùta  —  man- 
guier —  et  d'utpala  —  lotus  bleu  ^  — .  Mais  quoique 
d'une  nature  si  délicate,  ses  traits,  remarque  Kâlidâsa*, 
étaient  néanmoins  aussi  durs  que  le  iliamant.  «  Ses 
flèches,  dit  également  Hàla",  sont  très  dures;  bien 
qu'elles  ne  touchent  pas  directement,  elles  causent  une 
brûlure  intolérable  et  cuisante  et  qui  pourtant  fait  du 
plaisir.  » 

Comme  le  lotus,  la  tulasî  était  consacrée  à  Vishnu 
et  à  Krishna.  Krishna  est  représenté  portant  une  cou- 
ronne de  tulasî.  En  voyant  le  culte  que  le  dieu,  qui 
se  pare  de  ses  rameaux,  rend  à  la  tulasi,  tous  les 
arbres  et  toutes  les  plantes  du  paradis  de  Vishnu 
témoignent,  dit  le  Bhàgavata,   un  profond  respect  à 


1.  Vishnu- Pur ôna,  lib.  I,  cap.  9.  —  Ràmûyana.  Ayodhj'à- 
kànda,  lib.  XIII,  8.  —  Wilkins,  p.  108. 

2.  Sabha-Parva,  850. 

3.  Weber,  Abhandlungen  fur  die  Kunde  des  Morgenlandes, 
vol.  V,  p.  132,  dit  que  les  flèches  de  Kàma  pouvaient  aussi 
être  composées  de  fleurs  de  campaka,  cùta,  nàgakeçara,  ke- 
takî  et  biiva. 

4.  ÇakuntalA,  Acte  III,  scène  1. 

5.  Saptaçalaka.  n<»  329.  Abliandlungen,  vol.  V,  p.  186. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  529 

ce  petit  arbrisseau \  Des  arbres  aussi  étaient  consacrés 
aux  Dieux  ;  Tacvattha  l'était  au  soleil  —  Sûrya  — , 
ainsi  qu'à  Vishnu,'le  plaksha  àYama;  le  nyagrodha 
était  regardé  comme  l'arbre  de  Varuna,  Tudumbara, 
celui  de  Prajâpati,  le  bilva  était  l'arbre  de  Çiva  *.  Le 
nyagrodha  encore  servait  d'emblème  à  Kâla  —  le 
Temps  —  et  Tarka  à  Sûrya  ^  Une  herbe  aussi,  la  dûrvâ, 
était  l'emblème  de  Ganeça. 

Les  plantes,  qui  jouent  un  si  grand  rôle  dans  la  lé- 
gende de  Çàkyamuni,  occupent  également  une  place 
considérable  dans  la  religion  dont  il  fut  le  fondateur  ;  un 
arbre,  celui  même  près  duquel  il  était,  croyait-on, 
arrivé  à  TlUumination  suprême,  était  consacré  à  chaque 
Buddha  :  Taçvattha  à  Gautama  ou  Çàkyamuni,  le  nya- 
grodha à  Kâcyapa,  son  prédécesseur,  l'udumbara  à 
Kanakamuni,  le  çirîsha  à  Krakucchanda,  le  çâla  à 
Viçvabhu,  le  pundarîka  ou  nymphéa  blanc  à  Çikhin, 
le  pâtali  à  Vipaçyin,  l'amanda  à  Pushya,  Tasana  à 
Tishya  et  le  karnikâra  à  Siddhârtha,  pour  ne  citer 
que  les  dix  derniers  Buddhas  *. 

Mais  le  nélumbo  ou  padma  était  l'emblème  le  plus 
ordinaire  des  Buddhas  et  même  des  Bodhisattvas  ;  ils 
sont  presque  toujours  iSgurés,  soit  debout,  soit  assis, 
sur  une   fleur  double  de  padma  ^  image  du  bodhi- 


1.  BhAgavata-Puràna,  lib.  X,  35,  tO  ;  III,  15,  19. 

2.  Gobhila,  Grihya-Sûtra,  lib.  IV,  cap.  7,  24.  Wilkins, 
p.  391. 

3.  Monier- Williams,  Religions  Thought  in  India,  p.  337-338. 

4.  Cunningham,  The  Stûpa  of  Bharhut,  p.  45-46,  pi.  XXIX, 
1,  2,  3,  4  ;  XXX,  1,  2.  —  GrifRths,  The  painlings  of  Ajan(â, 
vol.  I,  p.  36.  —  Spence  Hardy,  A  manual,  p.  95.  IJasana  est 
la  Terminalia  tomentosa;  Vamanday  le  Bicinus  communis. 

5.  Râjendralâla  Mitra,  i5wrf<//iaV;at/f!,  pi.  XX,  2  et  3;  XXI, 
1.  —  H.  H.  Gole,  Buddhisl  sculptures  of  Gandhara,  pi.  I.  — 

JoRET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité.  II.  —  34 


530  LES  PUNTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

manda.  Une  fleur  de  nélumbo  est  parfois  même  figarée 
sous  chacun  de  leurs  pieds  *.  Dans  une  des  niches  du 
temple  de  Bodh-Gajâ,  on  voit  le  Buddha  enseignant, 
assis  sur  une  fleur  double  de  nélumbo,  une  tige  fleurie 
de  cette  plante  passée  sous  chaque  bras.  Dans  une 
autre  niche,  il  apparaît  encore  tenant  à  la  main  une 
fleur  de  padroa*.  Dipankara,  le  24*  prédécesseur  de 
Gautama,  est  représenté  sur  des  miniatures  d'anciens 
manuscrits,  étudiées  par  M.  A.  Foucher,  au  milieu  du 
<(  grand  Océan  »,  une  fleur  de  lotus  dans  la  main 
gauche;  sur  une  autre  miniature,  où  il  est  accompagné 
du  bodhisattva  Yajrapâni,  celui-ci  tient  également  à 
la  main  un  lotus ,  tandis  que  de  Tautre  côté  de  Dlpan- 
kara  se  dresse  une  tige  de  nélumbo  surmontée  de  trois 
fleurs  épanouies  ^  Les  statues  des  bodhisattvas  des 
grottes  d'Ëlurâ  ont  aussi  des  nélumbos  dans  la  main 
gauche  *.  On  voit  au  Musée  de  Calcutta  une  sculpture 
qui  représente  le  bodhisattva  Avalokiteçvara  une  fleur 
de  lotus  rouge  à  la  main  ;  il  en  porte  une  aussi  sur 
diverses  miniatures.  Au  lieu  d*un  nélumbo  ou  lotus 
rouge,  c'est  un  lotus  bleu  que  tiennent,  de  la  main 
gauche,  les  bodhisattvas  Maîijuçrî  et  Vajrapâni,  tandis 
qu'un  autre  bodhisattva,  Maitreya,  a,  sur  une  statue 
du  Maghada,  pour  attribut  une  fleur  blanche  à  cœur 
d'or  —  campa  — ,  passée  sous  le  bras  gauche.   Une 

Grûnwedel,  Buddhistische  Kunst,  fig.  78,  85,  87,  etc.  —  A. 
Foucher,  L'Iconographie  bouddhique,  pi.  HI,  3,  4,  5,  6  ;  VI, 
4,  5,  6  et  fig.  14. 

1.  Bas-reliefs  de  Sànchi  et  d'Amaràvatî.  Fergusson,  History 
of  Indian  Architecture,  p.  97  et  184. 

2.  Buddha-Gayà,  pi.  XX,  2;  XXIII,  1  ;  XXVI,  1  et  XXXII,  1. 

3.  A.  Foucher,  L'Iconographie  bouddhique,  pi.  Il,  2,  3  et  4. 

4.  Arvhaeological  Survey  of  Weite^'n  India,  vol.  V,  pi.  19, 
6  et  20. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  534 

espèce  de  âeur  d'or  de  forme  lancéolée  est  aassi  portée 
de  la  même  manière  par  le  bedhisattva  Samanta- 
bhadra.  Une  statue  du  Musée  de  Calcutta,  provenant 
encore  du  Maghada,  et  qui  représente  Jambhala,  nous 
montre  ce  bodhisattva  tenant  dans  le  creux  de  la  main 
droite  un  citron  —  jambhara  — ,  fruit  dont  il  tire  pro- 
bablement son  nom  *. 

Quelques  déesses  inférieures  ont  également  reçu  des 
fleurs  comme  attributs.  A  Bodh-Gayâ,  Padmapânî  est 
représentée  ayant,  ici  une  fleur  de  lotus  dans  chaque 
main,  là  une  tige  fleurie  à  la  main  gauche.  On  y  voit 
aussi  Mâyâdevî,  tenant  une  tige  terminée  par  une 
fleur  '.  A  côté  d'une  statue  de  Tara,  au  Musée  de  Cal- 
cutta, se  dresse  un  lotus  bleu  et,  sur  plusieurs  minia- 
tures, cette  déesse  en  porte  un  à  la  main  gauche,  tandis 
que  la  déesse  Cundâ,  dans  une  de  ses  seize  mains,  a 
un  lotus  d'or.  Kurukulâ,  qui  semble  être  le  nom  d'une 
Tara  à  quatre  mains,  tient  de  l'une  d'elles  une  fleur 
d'açoka.  C'est  également  cette  dernière  fleur  que  Mà- 
rici,  sur  diverses  miniatures,  porte  de  la  main  gauche'. 


Le  culte  des  Dieux  chez  les  Hindous  —  il  en  était 
de  même  chez  les  autres  peuples   indo-européens  — 

1.  A.  Foucher,  L Iconographie  bouddhique,  p.  103,  fîg.  i2 
et  13;  pi.  IV,  1,  2,  3,  4,  5;  pL  V,  1,3;  p.  112,  fig.  14;  p.  115, 
fig.  15  et  17  ;  p.  120  et  121,  pi.  II,  3  ;  pi.  VI,  2,  3,  4,  5;  p.  123- 
124,  fig.  20  ;  pi.  III,  1  et  IX,  2. 

2.  Râjendralâla  Mitra,  Buddha-Gayà,  pi.  XXIII,  1;  XXVIII, 
1  ;  XXVÎ,  3  ;  XXIX,  1  ;  XXXII,  3. 

3.  A.  Foucher,  U Iconographie  bouddhique,  p.  131-36,  fîg.  23, 
pi.  VII,  1,  2,3,  4,  5,  6;  p.  I'i2et  145,  fig.  24  et  25:  pi.  VIII,  3, 
4;  p.  147,  pi.  VIII,  2,5. 


532  LES  PUNTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

consistait  essentiellement,  à  Torigine,  dans  l'oblation 
—  havis  ou  ishti  —  de  mets,  de  breuvages  enivrants 
ou  rafraîchissants.  De  l'eau,  du  lait  et  du  beurre  fondu, 
des  grains  d'orge  ou  de  froment  —  dhdnâ  ou  pari- 
vâpa  — ,  préalablement  grillés,  des  gâteaux  pétris 
avec  de  l'eau  —  purodâça  —  ou  préparés  avec  du 
beurre  —  apûpa  — ,  de  la  bouillie  faite  avec  de  la 
farine  d'orge  —  karambha  — ,  ainsi  que  du  riz  au 
lait  —  sthâlîpâka  — ,  telles  étaient  les  offrandes  que 
faisaient  à  leurs  Dieux  les  contemporains  des  premiers 
Védas*.  Les  produits  du  règne  végétal,  on  le  voit,  y 
occupaient  une  large  part  ;  ils  en  occupèrent  une  plus 
grande  encore  par  la  suite.  Le  Vishnu-Purâna  compte 
quatorze  espèces  de  grains  qui  pouvaient  servir  d'of- 
frandes. C'étaient,  outre  l'orge  et  le  froment  des 
temps  védiques,  le  millet,  le  riz  cultivé  et  le  riz  sau- 
vage, le  sésame  sauvage  ou  cultivé,  le  priyaûgu,  le 
çyâmâka  et  le  markataka,  la  gavedhukâ  et  le  venuyava, 
enfin  le  mâsha  et  le  kulatthaka  *.  Il  faut  y  ajouter  les 
fruits  et  les  racines,  et,  surtout,  depuis  l'établissement 
du  bouddhisme  et  du  brahmanisme,  les  fleurs  et  les 
parfums.  Les  offrir  aux  Dieux,  n'était-ce  pas  leur 
rendre  hommage  comme  à  des  hôtes  qu'on  voulait 
honorer  ? 

Çratadeva,  dans  le  Bhâgavata-Purâna,  en  recevant 
Krishna  dans  sa  demeure,  se  concilie  la  bienveillance 
du  dieu  avec  une  offrande  de  fruits,  de  racines  d'uçîra, 


1.  BigVeda,  lib.  III.  35,  3  et  X,  45,  9.  —  Vâjasaneya-Sam- 
hilù,  lib.  XIX,  22.  —  W.  Caland,  AUindisches  ZauberrituaL 
Probe  einer  Uebersetzung  der  wichiigten  Theile  des  Kauçika- 
Sûtra.  Amsterdam,  1900,  in-4,  p.  52. 

2.  Lib.  I,  cap.  6.  La  gavedhukâ  est  la  Çoix  barbaia,  le 
veffuyava,  la  graine  de  bambou. 


LKS  PLANTES  DANS  LE  CULTE  538 

de  fleurs  de  tulasî,  d'herbe  kuça  et  de  tiges  de  lotus; 
«  présents  dus  à  la  simple  nature.  »  Dans  le  même 
poème  sacré,  les  fidèles  offrent  à  Vishnu,  tantôt  des 
gâteaux  d'orge  et  de  riz  ou  des  grains  de  riz  grillés, 
tantôt  des  fruits  avec  des  racines  des  bois,  des  guir- 
landes ou  des  couronnes  de  fleurs,  avec  la  plante  tulasî, 
du  gazon  sacré  et  même  des  feuilles  d'arbre*.  «  Quand, 
après  m'être  baigné  dans  la  Gangâ,  dit  un  poète^  et 
t'avoir  honoré,  ô  Çiva,  avec  des  fleurs  et  des  fruits 
purs...  secouerai-je  la  souffrance  que  me  cause  le  ser- 
vice des  hommes.  »  Dans  le  Mahâbhârata,  on  voit 
Virâta  ordonner  do  rendre  hommage  aux  Dieux  avec 
des  offrandes  de  fleurs,  et  Sambarana  honorer  dévo- 
tement  le  soleil  avec  des  parfums  et  des  bouquets  de 
fleurs ^ 

Les  offrandes  de  fleurs  et  de  parfums  constituaient 
presque  tout  le  culte  des  bouddhistes.  Rien  que  de 
jeter  des  fleurs  en  Thonneur  du  Buddha  était  aux 
yeux  de  ses  sectateurs  une  œuvre  pie  *.  On  en  parait 
les  vihâras  où  ils  se  rassemblaient;  on  en  répandait 
devant  ses  reliques  et  ses  images  ou  celles  des  autres 
Buddhas  ou  Bodhisattvas,  en  même  temps  qu'on  y 
allumait  des  lampes  ^  Les  jours  de  fêtes  on  sortait  du 
vihâra  de  Kanyâkubja  la  châsse  où  était  renfermée  la 
dent  du  Buddha;  on  l'exposait  sur  un  trône  en  public, 
et  la  foule  y  brûlait  de  l'encens  et  répandait  des  fleurs 

1.  Ehàgavala-Puràna,  lib.  X,  86,  41;  XI,  3,  53. 

2.  Bhartrihari,  Les  stances  erotiques  morales  et  religieuses, 
trad.  par  P.  Regnaud,  III,  88. 

3.  Virâta-Parva,  2184.  —  Adi-Parva,  6529. 

4.  Lalita-Visiara,  cap.  27,  p.  373. 

5.  Fà-Hien,  A  Record  of  Buddhisiic  Kingdoms,  etc.,  trans- 
lated  by  James  Legge.  Oxford,  1886,  in-8,  p.  45 et  83.  —  Hiuen- 
Tsiang,  Buddhist  Records^  vol.  II,  p.  174  et  184. 


53i  LES  PUNTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

devant  elle  ^  On  honorait  de  même  les  bodbidrumas 
et  les  stupas.  Les  bas-reliefs  nous  font  assister  au 
culte  dont  ces  monuments  étaient  Tobjet  et  auquel  des 
animaux  eux-mêmes  prenaient  part.  Les  pèlerins  chi- 
nois Fâ-Hien  et  Hiuen-Tsiang  racontent  la  légende  des 
éléphants,  qui  apportèrent,  les  uns  des  branchages,  les 
autres  des  fleurs,  pour  rendre  hommage  au  stûpa  de 
Râmagràma,  tandis  que  d*autres,  avec  leur  trompe,  en 
arrosaient  le  pourtour  -. 

Avec  le  temps,  les  offrandes  de  fleurs  et  de  parfums 
prirent  dans  le  culte  hindou  une  place  toujours  plus 
grande  ;  on  en  faisait  à  tous  les  Dieux.  D'après  Hiuen- 
Tsiang,  les  femmes  du  Moultan  allumaient  des  torches 
dans  un  temple  du  Soleil,  qui  se  trouvait  près  Mùla- 
sthânapoura,  capitale  de  la  contrée,  et  elles  y  offraient 
en  rhonneur  du  Dieu  des  fleurs  et  des  parfums  ^.  La 
reine,  dans  Urvaçî*,  salue,  avec  une  offrande  de  fleurs, 
les  rayons  de  la  lune,  et  dans  Çakuntalâ^  l'une  des 
jardinières  du  palais,  offre  à  Kàma  un  rameau  de 
fleurs  de  manguier.  «  Honore  le  Dieu  d'Amour,  dit  un 
personnage  de  Ratnâvali®,  en  parant  de  tes  propres 
mains  cet  arbre  de  fleurs,  de  safran,  de  santal  et  de 
parfums».  On  n'offrait  pas  seulement  des  fleurs  aux 
Dieux,  on  en  ornait  les  victimes  et  on  en  répandait  avec 
des  eaux  de  senteur  sur  le  sol  ;  on  parait  aussi  de 
festons  et  de  guirlandes  les  piliers  et  les  portiques  des 
édifices  sacrés,  tandis  qu'on  brûlait  dans  l'enceinte  de 


1.  Hiuen-Tsiang,  Buddhisi  Records,  voL  I,  p.  122. 

2.  A  Record,  p.  69.  —  Buddhist  Records,  vol.  II,  p.  28. 

3.  Buddhist  Records,  voL  If,  p.  274. 

4.  Acte  m.  Trad.  L.  Fritze,  p.  44. 

5.  Acte  VI,  scène  2.  Trad.  L.  Fritze,  p.  80. 

6.  Acte  I.  Trad.  L.  Fritze,  p.  21. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  535 

l'encens  et  des  parfums*.  Cet  usage  a  persisté.  Les 
fleurs  de  kadamba,  dd  rhododendron  arborescent,  de  la 
Bignonia  chelonoïdes,  du  Clerodendron  siphonantheSy 
du  daphné  papyracé,  etc.,  en  particulier,  sont  encore 
aujourd'hui,  et  sans  doute  depuis  longtemps,  offertes 
dans  les  temples  hindous.  On  plante  aussi  dans  leur 
voisinage  des  arbres  à  (leurs  éclatantes  ou  parfumées, 
tels  que  le  campaka,  Taçoka,  l'olivier  odorant  ',  etc. 
Les  plantes  et  les  fleurs  ne  figuraient  pas  unique- 
ment dans  les  oblations  qu'on  faisait  aux  Dieux  ;  elles 
avaient  leur  place  marquée  dans  les  cérémonies  ou 
rites,  qui  accompagnaient  les  principaux  actes  de  la 
vie  privée  et  publique  de  l'hindou  *  et  devaient  assurer 
son  bonheur  et  son  bien-être  pendant  son  existence 
et  après  sa  mort  :  collation  du  nom,  première  coupe 
des  cheveux  ou  de  la  barbe,  entrée  à  l'école,  mariage, 
construction  d'une  maison,  funérailles,  etc.  Ces  rites 
commençaient  dès  avant  sa  naissance.  Ainsi  le  qua- 
trième ou  sixième  mois  de  la  grossesse,  à  l'époque  du 
croissant  de  la  lune,  après  avoir  fait  une  ofirande  d'un 
plat  de  riz,  cuit  avec  des  haricots  mungo,  le  père  se 
plaçait  derrière  la  jeune  épouse,  assise  à  l'Ouest  du 
foyer  et  la  face  tournée  vers  l'Orient,  sur  une  poignée 
de  darbha  ou  de  kuça  ;  puis  successivement  avec  un 
chaume  de  darbha,  une  tige  de  vîratara  ou  uçîra  et  un 
piquant  de  porc-épic,  il  lui  faisait  une  raie  dans  les 
cheveux  ;  après  quoi  il  lui  attachait  autour  du  cou  un 


1.  Ràmàyana.  Âdikâcida,  lib.  XIII,  33.  —  Mudrârâkshasa, 
acte  II,  scène  3,  p.  58. 

2.  Brandis,   Flora,  p.   167,  262,  281,  309,  352,  386,  etc.  — 
J.  D.  Hooker,  Himalayan  JournalSy  vol.  I,  p.  387. 

3.  A.   Hillebrandt,  Hitual-LiUeratur,    p.  ^.  {Grundriss  dcr 
indo-arischen  Philologie,  vol.  III,  fasc.  2). 


" 


536  LES  PUNTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

collier  de  fruits  d*nduinbara  non  mûrs  et  en  nombre 
impairs  ^  Dès  que  l'enfant  paraissait,  le  père  répan- 
dait des  tiges  de  darbha  autour  du  foyer  et  y  faisait 
deux  oblations  de  beurre  clarifié —  àjya  —  ;  puis  avant 
que  personne  le  touchât,  il  lui  faisait  prendre,  à  Taide 
d'une  cuillère  d'or,  à  laquelle  était  fixée  une  tige  de 
dharba,  —  ou  simplement  à  Taide  du  pouce  et  du 
quatrième  doigt  — ,  un  peu  de  farine  de  riz  et  d'orge, 
ou,  suivant  d'autres,  un  mélange  de  miel  et  de  beurre, 
cérémonie  symbolique  —  medhâjanana  — ,  destinée 
à  ouvrir  l'intelligence  du  nouveau-né.  En  même 
temps,  il  lui  donnait  an  nom  secret,  connu  de  lui  seul 
et  de  la  mère,  et,  dix  jours  après,  le  nom  qu'il  devait 
porter  en  public^. 

Cette  dernière  cérémonie  est  sans  importance  au 
point  de  vue  qui  nous  occupe  ;  des  libations,  accom- 
pagnées d'une  invocation  aux  Dieux,  marquaient  sim- 
plement aussi  celle  dans  laquelle,  le  sixième  mois,  le 
père  donnait  pour  la  première  fois  des  aliments  solides 
à  l'enfant'.  La  cérémonie  de  la  première  coupe  de 
cheveux  —  cûdâkarman  — ,  qui  avait  lieu  la  troi- 
sième année,  revêtait,  au  contraire,  un  caractère  so- 

1.  Grihya-Sûtras.  Cànkhâyana,  I,  22.  Âçvalàyana,  I,  14. 
Pâraskara,  I,  15.  Gobhila,  II,  7.  Hiraoyakeçin,  II,  1.  Âpastamba, 
VI,  14.  (Sacred  Booksofthe  East,  vol.  XXIX  et  XXX).  Le  mois 
varie  suivant  les  auteurs,  ainsi  que  les  détails  de  la  cérémonie. 
Gobhila,  entre  autres,  ne  connaît  pas  le  collier  de  fruits 
d'udumbara  ;  il  ne  parle  pas  non  plus  d*oblation  préliminaire, 
mais  d'un  plat  de  riz  —  KthâUpAka  — ,  cuit  avec  des  grains  de 
sésame,  recouverts  de  beurre  fondu,  emblème  de  fécondité, 
sur  lequel,  après  la  cérémonie,  Tépouse  devait  jeter  les  yeux. 

2.  C'ànkhàyana,  I,  24,  3-4.  Pâraskara,  I,  16,  4.  Khàdira,  II, 
2,  32-33.  Hiranyakecin,  II,  1,  3,  9.  Âpastamba,  VI,  15,  4. 
Gobhila,  II,  7,  14  et  18-19. 

3.  Çàftkhàyana,  I,  27.  Âçvalàyana,  I,  16.  Pâraskara,!,  19,  etc. 


I 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  537 

i 

lennel  et  les  plantes  y  jouaient  un  rôle  considérable  *. 
Avant  d'y  procéder,  on  plaçait  d'abord  au  Sud  d'un 
feu  allumé  à  l'Est  de  la  maison,  sur  un  emplacement 
enduit  de  bouse  de  vache,  vingt  et  une  tiges  de  kuça, 
un  vase  en  airain  rempli  d'eau  chaude,  un  rasoir  en 
bois  d'udumbara  et  un  miroir;  puis,  au  Nord,  de  la 
bouse  de  la  vache,  recouverte  de  tiges  de  kuça*,  un 
plat  de  riz  bouilli  et  des  vases  respectivement  pleins 
de  riz  et  d'orge,  de  sésame  et  de  haricots.  Ensuite  la 
mère,  après  être  allée  s'asseoir  sur  un  coussin  d'herbe 
kuça,  à  rOuest  du  feu  et  la  face  tournée  vers  l'Est, 
prenait  l'enfant  sur  ses  genoux.  Le  père  se  plaçait 
alors  à  l'Occident  de  la  mère,  et  après  une  invocation 
à  Savitri  et  à  Vàyu,  avec  de  l'eau  tiède  et  du  beurre 
frais  ou  du  lait  caillé,  il  frottait  par  trois  fois  la  tête 
de  l'enfant,  en  allant  de  gauche  à  droite,  puis  réunis- 
sant en  touffe  les  cheveux  du  côté  droit,  il  y  intro- 
duisait trois  tiges  de  kuça,  la  pointe  tournée  vers  la 
peau,  en  disant  :  «  0  herbe,  protège-le;  »  il  prenait 
ensuite  le  rasoir  en  bois  d'udumbara  et  l'approchait 
des  cheveux,  en  prononçant  les  mots  :  «  Hache,  ne  le 
blesse  pas  ^  »  Il  procédait  de  la  même  manière  pour 
le  derrière  et  le  côté  gauche  delà  tête.  Après  ce  simu- 
lacre, le  barbier,  avec  un  rasoir  de  métal,  procédait  à 
la  véritable  opération,  en  déposant  chaque  fois  les  che- 
veux coupés  sur  la  bouse  de  vache,   qu'on  enterrait, 

1.  Çânkhàyana,  I,  28.  Âçvalâyana,  I,  17.  Gobhila,  II,  9,  etc. 
Il  est  inutile  de  relever  les  dilTérences  qui  se  rencontrent  dans 
les  divers  sûtras.  Cf.  Kirste,  Indogermaniche  Gebràuche  beim 
Ilaarschneiden.  Analecta  Graeciensia.  Wien,  1893,  in-i. 

2.  Açvalâyana  dit  de  feuilles  de  çamî  —  Prosopis  spicigera. 

3.  Gobhila  seul  parle  du  rasoir  en  bois  d'udumbara  et  de 
ce  simulacre  de  coupe.  Cf.  A.  Hillebrandt,  Rilual-LiUeratur, 
p.  49. 


538  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOLS 

quand  tout  était  fini,  dans  un  endroit  herbeux  et  près 
d'un  cours  d*eau.  La  cérémonie  de  la  première  coupe 
de  barbe  à  seize  ans  —  keçdnta  —  se  passait  de  la 
même  manière. 

Quelque  importantes  qu'elles  fussent,  Fadmission  à 
l'école  et  l'initiation  —  upanâyana  —  à  l'étude  du 
Véda  ne  doivent  guère  nous  arrêter,  parce  que  les 
plantes  y  jouent  an  rôle  tout  à  fait  secondaire  '.  C'était 
à  huit,  onze  ou  douze  ans,  suivant  la  caste  à  laquelle 
il  appartenait,  que,  la  tète  rasée,  le  futur  étudiant 
était  conduit  chez  le  maitre  qui  devait  Tinstruire. 
Celui-ci,  qui  l'attendait,  assis  sur  un  siège  de  kuça,  à 
l'Ouest  du  feu  allumé  pour  l'occasion,  faisait  d'abord 
une  oblation  d'àjya,  puis  il  remettait  au  novice  un 
costume  neuf  et  le  ceignait  d'un  triple  cordon  de 
munja.  Le  disciple  prenait  alors  un  léger  repas  ; 
ensuite  le  maitre  lui  énumérait  les  devoirs  qu'il  aurait 
à  remplir.  Quand  il  avait  fini,  il  donnait  à  son  élève 
le  bâton  propre  à  sa  condition.  Celui-ci  inaugurait  sa 
nouvelle  existence  en  mettant  au  feu,  qu'il  était 
désormais  chargé  d'entretenir,  sept  bûches  de  palàça. 
Son  noviciat  était  commencé  ;  il  pouvait  durer  douze  ans 
et  davantage ^  Quand  ses  études  étaient  terminées, 
après  avoir  pris  un  bain,  s'être  oint,  avoir  mis  une 
dernière  bûche  au  feu  et  posé  une  couronne  sur  sa 
tête,  le  disciple  disait  adieu  à  son  maître,  et  prenant, 
dès  que  les  étoiles  avaient  paru,  un  bâton  de  bambou  à 
la  main,  il  regagnait  la  maison  paternelle  ^. 

1.  (.'ànkhàyana,  II,   1-12.  Gobhlla,  II,  10.  Hiraciyakeçin,  I, 
1.  A.  Hillebrandt,  Ritual-Lilleratur,  p.  51-55. 

2.  A.  Hillebrandt,  HUual-Litleratur,  p.  51. 

3.  Cànkhàyana,  III,  1.  Pàraskara,  II,  6.  Gobhila,  III,  4. 
Hiraçyakeçin,  I,  3,  9-10.  Àpastamba,  V,  12. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  53d 

Désormais  il  pouvait  prétendre  aux  honneurs  aux- 
quels un  homme  de  sa  caste  avait  droit  ;  ceux  de 
Vargha  —  réception  hospitalière  — ,  en  particulier  lui 
étaient  rendus  par  Thôte  chez  lequel  il  s'arrêtait  au 
retour.  A.  son  arrivée  il  recevait  une  botte  de  gazon, 
sur  laquelle  il  s'asseyait,  pendant  qu'on  lui  lavait  les 
pieds  ;  puis  Teau  d'honneur  —  arghya  — ,  dont  il  buvait 
quelques  gorgées  ;  ensuite  on  lui  offrait,  dans  un  vase 
d'airain,  posé  sur  deux  touffes  d'herbe,  le  madhuparka, 
mélange  de  lait  caillé,  de  miel  et  de  beurre  clarifié,  aux- 
quels on  ajoutait  parfois  aussi  de  l'eau  et  de  la  farine  *. 
11  le  déposait  sur  le  sol,  «  nombril  de  la  terre  », 
remuait  le  tout  trois  fois  et  le  mangeait.  Même  dans 
cet  acte  si  simple, les  plantes,  on  le  voit,  intervenaient 
par  leurs  produits  ;  elles  jouaient  un  rôle  bien  autre- 
ment important  dans  les  rites  si  divers  du  mariage-. 

Quand  la  demande  du  prétendant,  faite  par  ses  amis, 
était  agréée,  les  assistants,  en  signe  d'accord,  posaient 
la  main  sur  un  vase  rempli  de  fruits,  de  fleurs  et  de 
grains  d'orge  frits  ;  puis  l'un  d'eux  le  plaçait  sur  la 
tête  de  la  future.  Le  jour  fixé  pour  la  cérémonie,  on 
allumait  un  feu  près  duquel  on  posait  une  cruche 
d'eau,  une  corbeille  remplie  de  grains  frits  et  de  feuilles 
de  çamî,  ainsi  qu'une  pierre  meulière.  C'est  là  qu'après 
s'être  baignée  et  ointe  de  parfums,  la  fiancée,  revêtue 
d'une  robe  neuve  attendait  son  fiancé.  Celui-ci  arrivait, 
couvert  de  ses  plus  beaux  habits,  et  prenait  place  à 
côté  d'elle  sur  une  natte  de  jonc.  Alors  tenant  de  la 
main  gauche  des  tiges  de  kuça,  il  faisait  de  la  droite 

1.  Hirapyakeçin,  I,  4,  12  et  13.  Âpastamba,  V,  13. 

2.  Zimmer,  AUindisches  Leben,  p.  311.  —  M.  Winternitz, 
Das  altindische  Hochzeitsrilual.  (Denkschrifien  der  kôn.  Aca- 
démie der  Wissenschaften  zu  Berlin,  vol.  XL,  1892.) 


t 


540  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

avec  le  sruva  et  en  invoquant  les  dieux,  trois  offrandes 
à'Ajya  ;  pendant  ce  temps,  la  fiancée  tenait  la  main 
droite  sur  son  épaule  gauche.  Puis  tous  deux  se  levaient, 
et  il  la  conduisait,  en  allant  de  droite  à  gauche,  trois 
fois  autour  du  feu*,  et  chaque  fois  il  lui  faisait  poser 
le  bout  du  pied  sur  la  pierre.  Après  cela  le  frère  de  la 
fiancée  ou,  suivant  d'autres,  le  fiancé  lui-même,  plaçait 
dans  ses  mains  des  grains  frits,  arrosés  d'âjya;  elle 
les  répandait  sur  le  feu  en  disant  :  «  Puissé-je  apporter 
bénédiction  aux  miens  !  puisse  mon  mari  vivre  long- 
temps !  »  Alors  il  lui  faisait  faire  sept  pas  dans  la 
direction  du  Nord-Est;  puis,  d'après  Gobhila,  on  les 
aspergeait  d'eau  tous  les  deux.  Enfin  la  prenant  par  la 
main  droite,  le  fiancé  prononçait  ces  paroles  sacra- 
mentelles :  «  Je  prends  ta  main,  gage  de  bonheur. 
C'est  moi,  c'est  toi.  Je  suis  le  Ciel,  tu  es  la  Terre. 
Sois-moi  dévouée  ^  » 

Maintenant  commençaient  les  diverses  réjouissan- 
ces :  concerts  d'instruments,  chants  et  danse,  accom- 
pagnement ordinaire  de  la  fête  ;  quand  elles  étaient 
terminées,  la  jeune  épouse,  montait,  avec  son  mari,  sur 
le  char  nuptial,  qui,  primitivement  en  bois  de  çalmali 
et  orné  de  fleurs  de  kimçuka'*,  devait  la  conduire  à  sa 
nouvelle  demeure*.  A  peine  arrivés,  leur  premier  soin 
était  d'allumer  le  foyer  avec  le  feu  apporté  de  la  mai- 
son paternelle  ;  puis  après  avoir  fait  asseoir  sa  jeune 


1.  Dans  le  Mahâbhàrata,  c'est  l'archibrame  qui  conduit 
Krishna  et  Yudhishthira  auteur  du  feu  sacré.  AdiParva,  7340. 

2.  Çâfikhâyana,  I,  12-l'i.  Âçvalàyana,  I,  7,  3-19.  Pâraskara. 
I,  4-8.  Gobhila,  H,  1,  18  :  2,  tt*.  Khâdira,  I,  3,  6-26.  Hirapya- 
keçin,  I,  6,  19-22.  Âpastamba,  II,  4,  1-16. 

3.  Bâmàyafja.  Adikâçida,  LXXV,  28. 

4.  BigVeda,  lib.  X,  85,  7-8  et  10.  —Gobhila,  II,  4,  1. 


:  LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE     ,  541 

I 


femme  sur  une  peau  de  taureau,  le  mari  sacrifiait  aux 
dieux.  Cependant  la  nuit  était  venue  ;  il  sortait  alors 
avec  elle  et  lui  faisait  voir  Tétoile  polaire  ;  quand  ils 
étaient  rentrés,  elle  préparait,  avec  leur  premier  repas, 
une  bouillie  de  riz  qu'elle  offrait  à  Agni  *. 

Lorsque,  n'ayant  pas  de  maison  à  lui,  Thindou  vou- 
lait en  édifier  une,  les  plantes  intervenaient  encore 
dans  ce  nouvel  acte  de  sa  vie.  Il  choisissait  pour 
l'élever  un  terrain  incliné  vers  l'Est,  à  Tabri  des 
inondations  et  sur  lequel  croissaient  du  kuça  et  du 
vîrina  ou  une  autre  espèce  d'herbe  tendre,  mais  point 
de  plantes  épineuses  ou  à  suc  laiteux  *  ;  puis  après  en 
avoir  délimité  l'emplacement,  il  l'aspergeait  avec  un 
rameau  de  çamî  ou  d'udumbara  trempé  dans  l'eau,  en 
en  faisant  trois  fois  le  tour.  Il  creusait  ensuite  les 
trous  destinés  à  recevoir  les  piliers  de  la  maison,  et 
y  jetait  des  touffes  d'avakâ  ou  çîpâla,  plante  aquatique 
qui  devait  empêcher  qu'un  incendie  ne  détruisît  la 
nouvelle  construction.  Il  étendait  en  outre  dans  la  fosse 
du  pilier  central  des  chaumes  de  kuca,  les  pointes 
tournées  vers  l'Est  et  vers  le  Nord,  et  versait  dessus 
de  l'eau  avec  des  grains  de  riz  et  d'orge.  Puis  il  dres- 
sait les  divers  piliers  et  plaçait  dessus  la  poutre-maî- 
tresse du  toit  avec  des  paroles  de  bon  augure  ^  Il 
disposait  le  foyer  ensuite  à  l'angle  Nord-Est  de  la  mai- 
son et  creusait  au  Sud  une  fosse,  destinée  à  recevoir 
le  baril  à  eau,  et  dans  laquelle  il  répandait  des  tiges 


1.  Çànkhàyana,  1,  15-17.  Hiranyakeçin,  I,  7,  22-23. 

2.  D'après  Gobhila,  IV,  7,  22,  il  ne  devait  point  y  avoir  non 
plus  d'açvattha  à  l'Est  de  la  maison,  de  plaksha  du  côté  du 
Sud,  de  nyagrodha  au  couchant  ou  d'udumbara  au  Nord. 

3.  Gobhila,  IV,  7,  1-20.  —  Hiranyakeçin,  I,  8,  27.  —  Àpas- 
tamba,  7,  17,  1>6.  —  Àçvalàyana,  H,  7-8. 


542  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

de  kuça,  puis  des  grains  d'orge  et  de  riz.  Enfin,  le 
soir  venu,  il  allumait  le  nouveau  foyer  avec  du  feu 
apporté  d'un  foyer  étranger,  où  brûlait  du  bois  de 
palâça  ou  de  çamî,  et  il  y  faisait  une  offrande  expia- 
toire \ 

Tous  les  actes  de  la  vie  de  Thindou,  même  les  plus 
ordinaires,  étaient  ainsi  marqués  par  quelque  pratique 
religieuse,  et  à  chacune  d'elles  étaient  associées  les 
plantes  ou  leurs  produits.  Chaque  jour,  matin  et  soir, 
il  offrait  à  Agni  et  à  Prajâpati  une  poignée  de  grains 
d'orge  et  de  riz*,  et  répandait  sur  le  foyer  domestique 
une  oblation  de  lait  —  Vagnihotra  — ,  mêlé  parfois  de 
grains  frits  d'orge  ou  de  riz.  Il  prélevait  à  chaque 
repas  les  prémices  dés  mets,  qu'il  déposait  en  divers 
lieux  de  son  habitation,  en  l'honneur  des  divinités  de 
la  terre,  de  l'air  et  des  eaux.  Les  travaux  agricoles,  en 
particulier,  qui  occupaient  une  si  grande  place  dans  la 
vie  des  anciens  Hindous,  étaient  accompagnés  de  rites 
pieux.  Ainsi  avant  de  labourer,  le  père  de  famille,  à 
l'extrémité  orientale  du  champ,  offrait,  en  les  invo- 
quant, un  bali  —  oblation  de  mets  —  au  Ciel  et  à  la 
Terre ^  Quand  les  bœufs  étaient  attelés,  il  fixait  le  soc 
à  la  charrue  en  prononçant  des  paroles  de  bon  augure*  ; 
après  quoi,  il  ouvrait  le  premier  sillon.  Et  à  chaque 
sillon  tracé,  il  offrait  à  Indra  un  puroâdça  et  un  sthâ- 

1.  Pàraskara,  ÏII,  5,  2.  —  Âpastamba,  VU,  17,  7-13. 

2.  Hiranyakeçin,  I,  6,  23,  8. 

3.  Çâxlkhàyana,  IV,  13,  2.  Suivant  Pàraskara,  II,  13,  1-2,  il 
faisait  aussi  alors  à  Indra,  à  Parjanya,  aux  Açvins,  aux  Maruts, 
à  Sîtà,  etc.,  une  offrande  de  lait  caillé,  de  grains  de  riz  et  de 
parfums. 

4.  D'après  le  Çalapatha-Brâhmana,  VII,  2,  3-5,  la  charrue 
devait  être  en  bois  d'udumbara  et  on  y  fixait  le  soc  à  l'aide  d'un 
triple  cordon  en  muîlja. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  543 

lîpâka  aux  Açvins.  On  sacrifiait  à  ces  mêmes  divinités, 
ainsi  qu'aux  Maruts,  àSîtâ,  à  Parjanya,  etc.,  au  moment 
des  semailles,  delà  moisson  et  de  Tengrangement  delà 
récolte*.  Quand  elle  était  terminée,  on  en  offrait  les 
prémices  —  âgrayana  —  à  Indra  et  à  Agni,  en  leur 
faisant  une  oblation  de  grains  de  riz  bouilli  avec  du 
lait  et  de  quatre  âjya  ^.  Chaque  jour  aussi,  à  la  sortie 
et  à  la  rentrée  des  vaches  à  Tétable,  on  faisait  Ime 
offrande  d'une  bouillie  de  riz  au  lait  à  Agni,  à  Pushan, 
à  Indra  et  à  Içvara,  parfois  encore  à  Yama  et  à  Varuna, 
et  on  aspergeait  le  taureau  et  les  vaches  avec  une  touffe 
de  dûrvâ,  trempée  dans  de  Teau  parfumée.  Pen- 
dant l'offrande  à  Agni,  on  les  plaçait  également  autour 
du  feu,  afin  qu'elles  respirassent  la  fumée  salutaire  du 
sacrifice^.  En  honneur  des  divinités  connues  et  incon- 
nues des  champs,  on  déposait  aussi,  en  différents 
endroits,  des  feuilles  de  palâça,  sur  lesquelles  on  avait 
mis  un  peu  de  bouillie  de  riz.  Pour  se  défendre  contre 
les  maléfices  de  Rudra  et  de  sa  troupe,  on  façonnait 
également  avec  des  feuilles  une  petite  corbeille,  dans 
laquelle  on  plaçait  entre  deux  couches  de  beurre  fondu 
une  boulette  de  riz  cuit  ;  et  on  allait  au  delà  de  la 
limite  du  pâturage,  la  suspendre  à  un  arbre,  en  disant  : 
«  Porteurs  de  carquois,  touchez-le  !  Salut  aux  por- 
teurs de  carquois.  i>  Et  le  sacrifiant  ajoutait  :  «  Ado- 
ration au  porteur  de  carquois  !  Adoration  au  maître 
des  voleurs.  »  On  avait  coutume  encore  pour  se  conci- 


1.  Kaucika-Sûtra,  X,  1-14.  —  Pâraskara,  II,  13.  —  Gobhila, 
IV,  4,  30.' 

2.  Çànkhàyana,  III,  8,  1.  —  Acvalâyana,  II,  2,  4.  —  Pâras- 
kara, III,  1,  3-6.  —  Gobhila,  III,  8,  9-10. 

3.  Gobhila,  IIK  6,  9-15.  -  Hiranyakeçin,  II,  3,  8,  6-10  et  9, 
7.  —  Apastamba,  Vil,  20,  a  remplacé  Içvara  par  Isàna. 


5i4  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

lierKshetrapati,  le  «  Seigneur  des  champs  »,  démettre 
de  la  bouillie  de  riz  sur  quatre  ou  sept  feuilles,  que 
Ton  plaçait  au  milieu  du  sentier  suivi  d'ordinaire  par 
les  vaches*. 

Les  plantes  ne  figuraient  pas  seulement  dans  les 
rites  de  la  vie  privée  des  Hindous,  elles  occupaient 
une  place  encore  plus  considérable  dans  les  actes  de 
leur  vie  publique,  en  particulier  dans  les  sacrifices  du 
feu  et  du  soma,  condition  ou  accompagnement  de 
presque  tous  les  autres.  Apportés  du  ciel  sur  la  terre 
pour  le  bien-être  et  la  consolation  des  hommes,  élevés 
au  rang  de  divinités,  le  feu  et  le  soma  devinrent  chez 
les  Hindous,  comme  chez  les  Iraniens,  l'objet  d'une 
vénération  particulière,  sans  arriver  toutefois  à  revêtir 
une  existence  personnelle  indépendante,  qui  les  sépa- 
rât nettement,  comme  cela  a  eu  lieu  chez  les  Grecs 
et  les  Romains  pour  Hephaistos-Vulcain  ou  pour 
Dionysos-Bacchus,  de  leur  nature  primitive  '.  Ils 
subsistèrent  toujours  sous  leur  forme  primordiale,  et 
le  premier  acte  des  sacrifices  où  ils  figuraient  était  de 
les  faire  sortir  du  bois  ou  de  la  plante  qui  les  recelait. 

Auxiliaire  indispensable  de  toutes  les  cérémonies 
religieuses,  Vagnyâdhàna,  qui  consistait  à  allumer  le 
feu,  les  précédait  toutes  et  en  était  comme  le  prélude. 
On  pouvait  emprunter  le  feu  à  un  foyer  étranger'i  mais 
dans  les  circonstances  solennelles,  on  Tallumait  en 
frottant  deux  morceaux  de  bois  —  arani  —  l'un  contre 


1.  Hiranyakecin,  II,  3,  9,  2-6  et  8.  — -  Apastamba,  VU,  20, 
5-7  et  13. 

2.  S.  Lefmann,  Geschichte  des  allen  Indiens,  p.  78. 

3.  Çânkhâyana,  I,  1,  8-9.  -  Gobhila,  I.  1,  15-16.  —  Alfred 
Hillebrandt,  Vedische  Mythologie,  vol.  II,  Ushas,Agn%,  Rudrn. 
Breslau,  1899,  in-8,  p.  76.  —  Id.,  liitual-Litteratur,  p,  69. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  545 

Tautre  \  L'un  de  ces  morceaux,  Tinférieur,  était  une 
planche  cubique  taillée  dans  une  branche  qu'on  avait 
coupée,  «  sans  se  retourner  »,  sur  un  açvattha  ;  autant 
que  possible,  celui-ci  devait  avoir  poussé  sur  le  tronc 
d'une  çami*  ;  Tautre  morceau  était  un  bâton,  qu'on 
faisait  tourner  avec  les  mains,  en  appuyant  l'extrémité 
dans  une  entaille  pratiquée  dans  la  planche'.  Ce  pro- 
cédé primitif,  le  seul  que  parait  avoir  connu  l'âge 
védique,  et  qu'on  employait  parfois  encore  à  l'époque 
des  Brâhmanas  ^,  fut  dans  la  suite  remplacé  par  un 
appareil  construit  sur  le  même  principe,  mais  plus 
compliqué.  Il  se  composait  d'une  planche  quadrangu- 
laire  en  açvattha,  —  Taraiii  proprement  dit  —  et  de 
l'agitateur  —  pramantha  — ,  bâton  également  en 
açvattha,  aminci  à  Tune  des  extrémités,  carré  à  l'autre, 
dans  laquelle  s'engageait  un  fuseau  en  khadira,  garni 
de  fer  aux  deux  bouts  et  pourvu  d'une  rainure  trans- 
versale, afin  que  la  corde  qui  devait  le  mettre  en  mou- 
vement ne  glissât  pas  ^  Pour  se  servir  de  cet  appareil, 
on  enfonçait  la  pointe  inférieure  du  pramantha  dans 
un  trou  pratiqué  au  milieu  de  l'arani,  tandis  qu'on 
maintenait  fixe  la  partie  supérieure  au  moyen  d'une 
pièce  de  bois  carrée,   Vovili\  puis  après  avoir  placé 

1.  Vishnu-Purânay  lib.  IV,  cap.  6. 

2.  Taitliriya  Brâhmana,  lib.  I,  1,  9,  1. 

3.  Rig-Veda,  lib.  III,  29,  1-2  et 5-7;  VII,  1,  1. 

4.  Çataphtha  Bràhmntjn,  lib.  III,  4,  20-23. 

5.  R.  Roth,  Indischer  Feuerzeug,  {Zeiischrift  der  deutschen 
morgenlàndischen  Gesellschaft,  vol.  XLIII  (1889),  p.  590  et 
Buiv.).  Il  y  avait  deux  planches  en  açvattha  ;  je  laisse  de  côté 
la  seconde  pour  ne  pas  compliquer  la  description.  Aujourd'hui 
encore  certaines  tribus  hindoues  contemporaines  se  servent 
pour  allumer  le  feu  sacré  de  bois  de  santal  ou  de  palâça,  et, 
pour  le  produire,  d'un  araçii  en  çamî.  W.  Crooke,  The  Tribes 
and  Castes  ofthe  North- Western  Provinces ^  vol.  I,  p.  31. 

JORET.  —  Les  Plantes  dans  Vantiquité.  II.  —  35 


546  LE^  PLANTES  CUFJL  \S.<  HlxnOI'S 

sur  TaraDÎ  deux  brins  de  kura  et  de  la  bouse  de  vache 
séchée.  on  faisait  tourner  le  fuseau  à  l'aide  de  la  corde. 
Des  étincelles  ne  tardaient  pas  à  se  dégager  de  Tarant; 
elles  mettaient  le  feu  à  la  bouse  de  vache.  Quand 
cette  substance  était  suffisamment  embrasée,  on  s'en 
servait,  en  j  mettant  des  broutilles  —  oshadi  —  ou 
des  copeaux  —  bi/ma  — ,  pour  allumer  le  feu  du  fojer 
domestique  —  rjârhapatya  — ,  feu,  qui  devait  brûler 
sans  interruption  dans  toute  maison  hindoue,  et  était 
entretenu  avec  des  bûches  d'essences  déterminées  : 
açvattha,  udumbara,  paiiia,  çami,  vikaûkata,  ou  encore 
d'un  arbre  frappé  par  la  foudre,  tué  par  le  froid  ou 
brisé  par  le  vent*.  C'était  avec  ce  feu  qu'on  cuisait  les 
aliments  ;  c'était  sur  lui  aussi  que  le  père  de  famille 
accomplissait  tous  les  rites  domestiques,  qu'il  versait, 
dans  les  cérémonies  dont  j'ai  parlé,  l'offrande  de 
l'âjya  et  que,  matin  et  soir,  il  faisait,  en  l'honneur 
d'Agni,  l'oblation  de  l'agnihotra. 

Mais  si  le  feu  du  fovcr  domestique  suffisait  seul 
pour  les  rites  de  la  vie  privée  et  à  un  simple  père  de 
famille,  les  brahmanes,  les  chefs  de  districts,  etc., 
étaient  tenus  d'en  entretenir  plusieurs,  et  trois  feux 
au  moins  étaient  nécessaires  p(»ur  la  célébration  des 
fêtes  et  des  sacrifices  publics.  Ces  feux  disposés  autour 
de  la  vedi,  espèce  de  fosse  quadrangulaire  creusée 
dans  la  direction  du  Nord  au  Sud  et  recouverte  de 
g^on  sacré,  étaient  le  gàrhapatya  de  forme  circulaire, 
placé  à  rOuest,  Yahavanhja  de  forme  carrée  du  côté 
de  l'Est,  entin  au  Sud  l'autel  demi-circulaire  du  dak- 
shinâfjiii^.  On  allumait  d'abord  le  gàrhapatya,  puis  avec 


1.  Âpastamba,  V,  2,  4.  —  Taitliriya-Brâhmana,  I,  1,  3,  9. 

2.  L.  von  Scliroeder,  Indiens  Literatur  und  CuUur,  p.  97. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  547 

une  bûche  d'açvattha,  enflammée  à  celui-ci,  l'àhavanîya, 
en  dernier  lieu  le  dakshinâgni.  Chacun  de  ces  feux 
avait  d'ailleurs  son  emploi  et  sa  signification  particu- 
lière. Le  gârhapatya  était  le  feu  de  la  terre;  Tâha- 
vanîya,  considéré  comme  Temblème  du  soleil,  était  le 
feu  du  ciel  et  de  ses  divinités  ;  le  dakshinâgni  était 
consacré  à  Tair  et  en  particulier  à  Vâyu  ;  c'était  sur  lui 
qu'étaient  faites  les  offrandes  aux  Mânes*. 

Parmi  les  sacrifices  qui  exigeaient  l'emploi  des  trois 
feux  sacrés   figuraient  au  premier  rang  ceux  qu'on 
célébrait  à  l'époque  de  la  nouvelle  et  de  la  pleine  lune. 
D'ordinaire  ils  duraient  deux  jours   et  peuvent  être 
regardés  corhme  le  modèle  ou  le  type  des  ishtis  ou 
offrandes  solennelles  faites  par  les  anciens  Hindous. 
Le  premier  jour,  qui  était  un  jour  de  jeûne,  était  rem- 
pli par  les  rites  préliminaires  du  sacrifice.  Après  avoir 
balayé  avec  des  chaumes  de  dharba  ou  kuça  l'empla- 
cement —  vihâra  —  o\x  il  devait  se  faire,  l'adhvariyu 
l'enduisait  de  bouse  de  vache  et  y  traçait  trois  lignes 
avec  une  espèce  de  latte  en  bois  —  le  sphya  —  ;  puis 
à  l'aide  d'une  bûche  empruntée   au   gârhapatya,   il 
allumait  successivement  les  feux  de  l'âhavanîya  et  du 
dakshinâgni.  Ensuite  il  coupait  une  branche  de  çami  ou 
de  palàça,  qui  devait  servir  à  écarter  les  veaux,  au 
moment  de  la  traite  des  vaches.  Celle-ci  avait  lieu  le 
soir  et  était  suivie  de  l'agnihotra,    oMation  de  lait 
qu'on  répétait  le  lendemain  matin,  jour  du  véritable 
sacrifice  *. 

Avant  d'y  procéder,  on  disposait  d'abord  autour  du 


1.  A.  Hillebrandt,  Vedische  Mythologie,  vol.  II,  p.  90-91. 

2.  A.  Hillebrandt,  Das  allindische  Neu- und  Vollmondsopfer 
in  seincr  einfachsten  Forni.  lena,  1880,  in-8,  p.  1-15,  16-38. 


5;8  LKS  PL\?iTKS  CHEZ  LES  lIlNflOlS 

Tihâra  les  sièges  destinés  aux  prêtres  ou  officiants  et 
on  les  recouvrait  de  kuça  ;  puis  radhvarra  répandait 
une  couche  de  ce  gazon  —  le  barhis — autour  des  trois 
feux,  en  commençant  par  râhavaniya,  et  en  donnant 
aux  pointes  des  herbes  une  direction  déterminée  ;  il 
rangeait  ensuite  les  vases  et  les  objets  nécessaires  au 
sacrifice  au  Nord  du  gârhapatya  ou  de  Tâhavanija. 
Diverses  oblations  avaient  alors  lieu  ;  elles  étaient 
suivies  parle  décorticage  des  grains  sacrés,  qui  étaient 
ensuite  écrasés  entre  deux  pierres,  tandis  qu*un  des 
officiants,  Tagnidhra,  chauffait  à  Taide  de  charbons 
ardents  les  tablettes  en  pierre  —  kapâlas  — ,  sur  les- 
quelles devaient  cuire  les  gâteaux.  Après  cela,  un 
autre  officiant,  le  yajamiina,  façonnait  avec  une  poi- 
gnée de  kura  le  vpda^  ou  balai  sacré,  pendant  que 
IJadhvariyu  versait  dans  un  plat  la  farine  des  grains 
écrasés.  Alors  Tagnidhra,  tenant  à  la  main  deux  tiges 
de  kuça,  —  les  purificateurs  —  répandait  dessus  l'eau 
chaude  nécessaire  pour  pétrir  la  pâte  ;  Tadhvariyu  en 
faisait  deux  boules  qu'il  étalait  sur  les  kapâlas,  dont  il 
avait  auparavant  enlevé  les  charbons  ardents. 

A  ce  moment,  suivant  certains  sùtras,  avait  lieu 
rétablissement  de  la  vedi  ;  quand  la  surface  en  avait 
été  mesurée,  creusée  et  balayée,  on  y  étalait,  la  pointe 
tournée  vers  le  Nord,  des  tiges  de  kuça  ou,  à  son  défaut, 
d'une  autre  herbe  tendre,  mais  non  fragile*.  Après 
avoir  nettoyé  les  cuillères  du  sacrifice,  purifié  le 
beurre  au  moyen  du  pavitra,  aspergé  les  bûches  à 
brûler  et  la  jonchée  de  la  vedi,  l'adhvaryu  y  déposait 
les  diverses  oblations.  Ensuite  il  plaçait  auprès  un 
siège  en  bois  de  varaiia,  recouvert  de  kuça,  pour  le 

1.  A.  Hillebrandt,  Das  Neu-  und  Vollmondsopfer,  p.  44-60. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  5i9 

hotar  ou  sacrificateur.  Alors  se  faisaient  d'abord  les 
oblations  de  beurre  fotidu,  puis  les  offrandes  de  gâteaux 
au  milieu  de  prières  et  de  rites  divers*,  mais  où  les 
plantes  n'intervenaient  pas.  Quand  ces  rites  étaient 
terminés,  Tadhvariyu  remettait  le  veda  à  l'épouse  du 
sacrifiant,  et  lui-même,  après  avoir  rassemblé  le  barhis 
dans  la,  juhû  ou  grande  cuillère  du  sacrifice,  il  le  jetait 
au  feu.  Enfin  quand  il  avait  répandu  les  eaux  lustrales 
—  pranttas  —  sur  la  vedi,  le  sacrifiant  y  faisait  les 
trois  pas  de  Vishnu  *,  rite  qui  terminait  cette  céré- 
monie compliquée. 

On  faisait  aussi  au  commencement  des  trois  saisons 
principales  des  sacrifices;  ainsi  le  jour  de  la  pleine 
lune  du  mois  de  çràvana,  le  premier  de  la  saison  des 
pluies,  on  offrait  aux  serpents,  dans  une  coupe  ou  ca- 
masa  en  bois,  un  bali  de  farine  provenant  de  grains 
préalablement  grillés,  décortiqués  et  moulus,  et  le  soir 
on  offrait  à  Vishnu,  Agni,  Pràjapati  et  aux  Viçve- 
Devàs  une  bouillie  de  riz  au  laif*.  Les  plantes,  on  le 
voit,  n'avaient  ici  d'autre  rôle  que  de  fournir  la  matière 
des  offrandes.  Elles  en  jouaient  un  grand,  au  contraire, 
dans  le  rite  du  sacre  des  rois,  de  toutes  la  cérémonie  la 
plus  solennelle  de  la  liturgie  hindoue.  Elle  ne  durait 
pas  moins  d'une  année  entière,  pendant  laquelle  était 
offert  chaque  mois,  en  l'honneur  du  nouveau  souve- 
rain, le  sacrifice  do  la  nouvelle  et  de  la  pleine  lune  et 
étaient  multipliés  les  havis  et  les  offrandes  les  plus 
diverses*.  Il  y  eu  avait  pour  lui  concilier  la  bienveil- 

t.  A.  Hillebrandt,  Das  Neu-  und  VoUmondsopfer,  p.  73-161. 

2.  A.  Hillebrandt,  Das  Neu-  und  Vollmond^opfer,  p.  169-175. 

3.  Gobhila,  Grihya-Sûtra,  III,  7. 

4.  A.Weber,  UeberdieKônigsweiheyden  ni\jasûya.(Abhand- 
lungenderkôn.  Akademie  der  Wissenschaften  zu ^er/<Vi, an.  1893). 


/ 


550  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IIINDOLS 

lance  des  cinq  divinités  tutélaires  du  monde,  d'autres 
pour  lui  gagner  la  faveur  d'Agni,  de  Varuna,  de  Rudra 
et  d*Indra;  d'autres  encore  étaient  faites  en  Thonnear 
d*Agni  ou  dlndra  et  de  Vishnu,  d*Agni  et  de  Pùshan, 
d'Indra  et  de  Sonia,  etc.  Toutes  ces  offrandes  n'étaient 
encore  que  les  rites  préparatoires  (Je  la  cérémonie  du 
sacre  proprement  dit*.  Des  havis  faits  dans  la  maison 
de  chaque  courtisan  l'inauguraient  véritablement.  Puis 
venait  une  double  cérémonie  expiatoire,  comprenant 
un  carti  '  offert  à  Soma  et  Rudra,  un  autre  à  Mitra  et 
Brihaspati.  Elle  était  suivie  d'une  première  lustration 
et  de  l'onction  du  roi.  De  nouvelles  oblations  avaient 
alors  lieu  ;  puis  l'officiant  coupait  solennellement  les 
cheveux  du  monarque  et  offrait  pour  lui  le  sacrifice  du 
soma  et  trois  victimes  animales'.  Après  cette  cérémo- 
nie, il  l'aspergeait  de  nouveau  d'eau  lustrale;  ensuite 
on  apportait  le  trône  en  bois  d'udumbara*,  sur  lequel 
il  devait  s'asseoir,  une  peau  de  tigre  pour  le  recouvrir, 
des  cordons  en  munja  pour  en  fixer  les  pieds,  une 
cuillère  également  en  bois  d'udumbara,  remplie  de  lait 
caillé,  de  miel,  de  beurre  clarifié  et  d'eau  de  pluie, 
recueillie  pendant  que  le  soleil  luisait,  puis  de  jeunes 
pousses  de  gazon,  de  la  liqueur  —  soma  —  et  des  tiges 
de  dûrvâ,  enfin  un  rameau  d'udumbara,  emblème  de 
force  et  de  vie.  Après  avoir  adressé  une  prière  aux 
dieux,  le  roi  montait  sur  le  trône,  puis  invoquait  les 


1.  A.  Weber,  Ueher  den  fiâjasûi/a,  p.  19. 

2.  Oblation  de  grains  bouillis  dans  du  lait. 

3.  A.  Weber,  Ueber  den  Bàjasûya,  p.  33  et  suiv. 

4.  Das  Sàmnvidhânabrûhmat^a,  Ein  allindisches  Handbuch 
der  Znuherei,  libers,  von  Sten  Konow.  Halle,  1893,  in-8,  V,  1, 
p.  73.  D'après  A.  Weber,  p.  62,  le  trône  aurait  été  en  bois 
de  khadira. 


LES  PLANTRS  DANS  LE  CULTE  551 

Eaux  ;  Tofficiant,  plaçant  alors  sur  sa  tête  le  rameau 

d'udumbara,  y  versait  le  contenu  de  la  cuillère  sacrée, 

en  prononçant  les  paroles  sacramentelles.  Le  roi  buvait 

ensuite  un  peu  de  soraa,  puis  il  descendait  du  trône 

en  faisant  face  au  rameau  d'udumbara  qu'on  avait  posé 

sur  le  sol  ;  après  avoir  adoré  Brahmâ,  il  mettait  un 

bâton  au  feu  âhavanîya,et  faisait  successivement  trois 

pas  dans  la  direction  de  TOrient  et  de  l'Occident, 

symbole  de  la  possession  qu'il  prenait  de  ces  contrées  *. 

Les  prescriptions  liturgiques  que  je  viens  de  résumer 

assignent  déjà  aux  plantes  un  rôle  considérable  dans 

les   rites  du   sacre;  les  descriptions  du  Bhàgavata- 

Purana  et  du  Raghuvamça  leur  attribuent  une  place 

encore  plus  importante  dans  cette  auguste  cérémonie. 

Le    Bhîigavata,    par    exemple  -,    nous    montre    les 

Vrishnis  de  la  race  do  Krishna  entrant  dans  la  salle 
•       •  •       • 

de  la  consécration  parés  de  fraîches  guirlandes  de 
lotus,  les  membres  oints  de  parfums  et  les  mains 
chargées  d'offrandes  ;  puis,  tandis  que  les  instruments 
do  musique  retentissent,  que  les  Gandharvas  font 
entendre  leurs  chants,  les  prêtres  oignent  Vasudeva 
aux  yeux  et  sur  tous  les  membres,  puis  versent  sur 
lui  et  sur  ses  épouses  l'eau  lustrale.  De  môme,  dans 
le  Raghuvariiça  ^  quand  Atithi  va  être  mis  sur  le 
trône,  les  conseillers  de  l'empire,  au  son  des  instru- 
ments de  musique,  versent  l'onde  apportée  des  étangs 
sacrés,  sur  la  tête  du  héros  ;  puis  lorsque  les  vieillards 
ont  célébré  la  cérémonie  de  la  ntrdjanâ  avec  Técorce 
du  figuier  sacré,  des  épis  d'orge  et  des  feuilles  de 


1.  Aitareya-Brâhmana^  lib.  VII,  2,  9. 

2.  Lib.  X,  cap.  84,  44. 

3.  Lib.  XVII,  10-12  et  22-24. 


552  LES  PUNIES  CHEZ  LES  HINDOUS 

dûrvà,  des  serviteurs  habiles  tressent  dans  la  cheve- 
lure du  jeune  roi  des  guirlandes  de  fleurs  et  oignent 
ses  membres  d'huile  de  santal. 

A  l'époque  védique  les  Hindous  enterraient  ou  brû- 
laient presque  indiflféremment  le  corps  des  défunts  *  ; 
mais  dans  les  deux  cas  les  plantes  jouaient  un  rôle 
considérable,  quoique  différent,  dans  les  funérailles. 
Quand  on  enterrait  les  morts,  on  cherchait,  en  les 
entourant  d'aromates,  à  assurer  la  conservation  de 
leur  dépouille.  C'est  ainsi  que  le  corps  de  Nimi*, 
«  embaumé  avec  des  huiles  parfumées  et  des  résines, 
reste  entier,  comme  s'il  était  immortel  ».  Lorsqu'on 
brûlait  les  corps,  genre  de  funérailles  qui  finit  par  être 
presque  seul  usité,  les  obsèques  se  compliquaient  de  la 
construction  d'un  bûcher  ;  on  le  formait  avec  les  bois 
les  plus  variés,  çamîs,  pippalas,  palâças,  udumbaraset 
autres,  mais  surtout  avec  les  bois  odoriférants  d'aloès 
et  de  santal,  mêlés  à  des  substances  aromatiques,  gui- 
mauves changeantes,  fibres  de  lotus,  cardamomes, 
racines  parfumées  de  vîrina'. 

On  commençait  la  cérémonie  par  creuser  dans  la 
direction  du  Sud-Est  ou  du  Sud-Ouest,  une  fosse  — 
la  vedi  —  en  pente  vers  le  Midi,  longue  d'une  toise, 
large  d'une  brasse  et  profonde  d'un  empan  *.  Près  de 
là  on  déposait  du  beurre  fondu  et  des  bottes  de  gazon, 
du  feu  et  les  ustensiles  du  sacrifice.  Ensuite,  après 
l'avoir  baigné,  lui  avoir  coupé  les  cheveux,  la  barbe  et 


1.  Rig-Veda,  lib.  X,  16  et  18. 

2.  Vishnu-Puràna,  lib.  IV,  cap.  5. 

3.  Ràmâyana.  Ayodhyâkànda,  lib.  LXXXIII,  29-30.  Yuddha- 
kâçida,  lib.  XCVI,  7-9. 

4.  Âçvalâyana,  Grihya-Sûlra,  IV,  1,  9-10,  dit  de  la  longueur 
d'un  homme  les  bras  levés. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  553 

les  ongles,  on  apportait  le  corps  du  mort,  oint  avec  du 
nard  et  la  tête  ornée  d'une  couronne  de  cette  plante 
aromatique.  Puis  le  chef  des  brahmanes  faisait  trois 
fois  le  tour  de  la  vedi  en  l'aspergeant  avec  une  branche 
de  çami,  trempée  dans  de  Teau,  et  il  disposait  aux 
angles,  les  trois  feux  du  sacrifice,  tandis  que,  au  mi- 
lieu, un  des  aides  dressait  le  bûcher  ;  un  autre  assistant 
y  répandait  le  gazon  sacré  qu'il  recouvrait  de  la  peau 
d'une  chèvre  noire*.  On  étendait  dessus  le  corps  du 
défunt,  la  tête  tournée  vers  le  Sud-Est,  c'est-à-dire 
vers  le  feu  âhavanîyaV  Puis  l'ordonnateur  de  la  céré- 
monie plaçait  les  vases  et  les  nombreux  ustensiles  du 
sacrifice  sur  les  diverses  parties  du  corps,  en  y  répan- 
dant des  grains  de  sésame.  Il  faisait  aussi  creuser 
au  Nord-Est  de  l'àhavanîya  un  trou  et  y  jetait  des 
tiges  de  la  plante  aquatique  çîvala.  Enfin  après  avoir 
fait  une  quadruple  oblation  d'àjya  sur  le  dakshinàgni 
et  une  sur  la  poitrine  du  mort,  il  donnait  l'ordre  d'al- 
lumer les  trois  feux  '.  Dans  le  Ràmâvana,  Bharata  met 
le  feu  au  bûcher  lui-même,  qu'il  a  d'abord  arrosé  de 
beurre  clarifié  et  d'huile  de  sésame*.  Parfois  on  plaçait 
des  guirlandes  sur  le  corps  qu'on  inondait  de  parfums 
et  de  grains  frits,  en  même  temps  qu'on  répandait 
tout  à  l'entour  du  bûcher  des  «  fleurs  aux  douces  sen- 


1.  Açvalàyana,  Grihya-SiUra,  IV,  2,  10-15.  —  M.  MûUer, 
Die  Todlenbestnttung  bei  den  Brahmanen.  {Zeilschrift  (fer 
deutschen  morgeiilàndischen  Gesellschafl,  vol.  IX  (1855),  1-5). 

2  D'autres  fois  le  corps  était  déposé  dans  la  fosse  et  le 
bûcher  dressé  dessus.  Hâmâyana,  Arariyakàrida,  LXXV, 
49-56. 

3.  Açvalàyana,  IV,  3,  1-27  et  4,  1.  D'après  Â(;valàyana,  on 
plaçait  aussi  sur  le  corps  du  défunt  les  membres  dépecés  de 
la  victime. 

4.  liAmàyana.  Ayodhyâkànda,  LXXXIII,  38. 


554  LKS  PLA^ïTES  CIIKZ  LES  HINDOUS 

teurs  »  *.  Après  la  cérémonie,  les  parents  du  défunt  se 
plongeaient  dans  une  eau  voisine  ;  puis  ils  regagnaient 
leurs  demeures  sans  se  retourner  ;  enfin  arrivés  à  leur 
porte,  ils  mâchaient  des  feuilles  de  picumanda,  buvaient 
une  gorgée  d'eau,  posaient  la  main  sur  de  la  bouse  de 
vache,  des  graines  de  moutarde  blanche  et  de  Thuile, 
mettaient  le  pied  sur  une  pierre  et  entraient  alors 
chez  eux*. 

La  cérémonie  des  funérailles,  quelque  solennelle 
qu'elle  fût,  n'épuisait  pas  les  hommages  que  les  Hin- 
dous rendaient  aux  morts  ;  ils  les  entouraient  d'une 
vénération  telle  qu'aucune  autre  nation  indo-euro- 
péenne n'en  connut  de  semblable.  Chaque  jour,  le  fils 
aîné  faisait  en  Thonneur  de  son  père  et  de  ses  an- 
cêtres une  oblation  d'eau  lustrale  et  de  mets  funéraires, 
et  tous  les  mois  ou  au  moins  trois  fois  par  an,  il  leur 
ofi'rait  un  sacrifice  solennel.  C'était  là  un  devoir  sacré 
auqu^l  nul  ne  se  pouvait  soustraire.  Dès  qu'il  apprend 
la  mort  de  son  père^  Ràma  se  rend  avec  son  frère 
Lakshmana  à  un  gué  de  la  Mandàkint,  et  y  puisant 
une  onde  pure,  il  la  répand  en  l'honneur  du  héros  ; 
puis  sur  la  rive  il  lui  fait,  sur  une  jonchée  de  kuça, 
une  off'rande  avec  un  gâteau  à  l'huile  d'ingudî  — 
pinda  — ,  garni  de  jujubes. 

D'après  la  croyance  hindoue,  Tàme  du  défunt  n'en- 
trait pas  aussitôt  après  la  mort  dans  le  séjour  des 
Mânes;  pendant  un  certain  laps  de  temps,  elle  errait 
comme  esprit  — prêta  —  dans  le  voisinage  des  vi- 

1.  Mahâhharata.  Adi-Parva,  4937-50.  —  Mmâyana.  Yud- 
dhakâoda,  XCVI,  16. 

2.  Pàraskara,  Grihya-SîUra,  III.  10,  16  et  23-24.  Le  picu- 
manda ou  nimba  est  la  Melia  indica  ou  azadirachta. 

3.  Hâmàyana.  Ayodhyàkànda,  XXI,  30-31  et  34-35. 


KES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  555 

vants*.  Pour  Tarracher  à  cet  état  transitoire,  le  jour  du 
premier  anniversaire  de  sa  mort  —  ou  plus  tôt,  si  un 
événement  le  permettait  — ,  une  oblaUon  particulière 
était  faite  pour  amener  la  réunion  du  défunt  avec  ses 
ancêtres  —  pitaras,  —  Quatre  vases  pleins  d  une  eau, 
dans  laquelle  on  avait  mis  des  grains  de  sésame  et  des 
parfums  étaient  offerts,  un  pour  lui,  les  trois  autres 
pour  les  Mânes*.  A  partir  de  ce  moment  il  avait  droit 
au  culte  que  tous  les  mois,  à  Tépoque  de  la  nouvelle 
lune,  on  rendait  à  ceux-ci.  Ce  jour-là  le  «  deux  fois 
né  »,  c'est-à-dire  celui  qui  avait  achevé  la  longue  étude 
du  Véda,  était  tenu,  pendant  trente  ans,  de  sacrifier  aux 
Mânes  de  ses  ancêtres.  Il  pouvait  le  faire  devant  le 
foyer  domestique»;  mais  si  sa  fortune  le  lui  permettait, 
il  offrait  son  sacrifice  sur  les  trois  feux  allumés  pour  la 
fête  de  la  nouvelle  lune,  fête  à  laquelle  les  rites  funé- 
raires se  rattachaient  étroitement.  Cette  cérémonie 
pouvait  prendre  les  formes  les  plus  diverses  ^  mais 
quelle  qu'elle  fût,  les  plantes  y  jouaient  un  rôle  con- 
sidérable. 

La  veille  du  jour  où  la  lune  était  nouvelle,  le  sacrifiant, 
après  avoir  purifié  sa  maison,  allait  inviter  des  brah- 
manes versés  dans  les  Védas,  deux  comme  représentants 

1.  W.  Crooke,  Tke  popular  Religion  nnd  Folklore  of  Nor- 
thern India.  Westminster,  1896,  in-8,  vol.  I,  p.  9'*. 

2.  W.  Caland,  Ueber  die  Totenverehrung  bei  einigen  der 
indogermanisc/ien  Vo/Aer,  p.  22,  27,  31  et  34.  {Verhandelingen 
der  kon.  Akademie  van  Wetenschappen.  Amsterdam,  1888 
(XVII). 

3.  M.  Oidenberg  a  décrit,  dans  sa  Religion  védique,  p.  469, 
les  rites  funéraires  d'après  le  Grihya-Sûtra  de  Gobhila,  je  suis, 
en  les  abrégeani,  les  ÇriXddhas  des  Bhàradvàjins,  des  Baudhà- 
yanîyas  et  surtout  des  Àpastambiyas,  tels  que  les  a  donnés 
M.  W.  Caland,  dans  son  AUindischer  AhnencuU.  Leiden,  1893, 

i  n  8. 


556  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

(les  Viçve-Devâs,  trois  pour  représenter  ses  ancêtres. 
Le  lendemain  après  avoir  préparé  le  repas  funèbre,  il 
disposait  deux  emplacements,  Tun  carré  dans  la  direc- 
tion du  Nord,  Tautre  circulaire  au  Sud  du  premier  ;  il 
recouvrait  le  premier  de  fleurs,  de  grains  d'orge  et  y 
plaçait  deux  tiges  de  kuça  tournées  vers  l'Est  ;  sur  le 
second,  il  répandait,  outre  des  fleurs,  des  grains  de 
sésame  et  y  mettait  trois  chaumes  de  kuça  dans  la 
direction  du  Sud.  Il  faisait  asseoir  les  brahmanes  qui 
représentaient  les  Viçve-Devàs  sur  des  sièges  placés 
dans  la  première  enceinte,  les  représentants  des  Pères, 
dans  la  seconde  ;  il  leur  versait  tour  à  tour  de  Teau 
sur  les  pieds  ;  ensuite  il  les  menait  au  bain  et  en  pre- 
nait un  lui-même  ^  Après  les  cérémonies  de  midi 
commençait  le  çrâddha,  le  véritable  rite  funéraire. 

Le  sacrifiant  préparait  d'abord  remplacement  où  il 
devait  se  faire,  y  disposait  du  côté  du  Nord-Est  le  feu 
domestique,  et  au  Sud  la  place  destinée  au  riz  sacré  ; 
à  rOuest  de  celle-ci  il  mettait  les  sièges  des  deux 
représentants  des  Viçve-Devàs,  au  Midi  ceux  des  trois 
brahmanes  qui  représentaient  les  Pères.  Là  il  les  fai- 
sait asseoir,  les  deux  premiers,  le  visage  tourné  vers 
l'Orient,  les  trois  autres,  le  visage  tourné  vers  le  Sep- 
tentrion. Après  avoir  placé  près  des  premiers  brah- 
manes deux  vases,  surmontés  chacun  de  deux  chaumes 
de  kuça  —  les  purificateurs  — ,  dirigés  vers  l'Est,  il 
y  versait  de  l'eau,  puis  des  grains  d'orge.  Il  mettait 
de  même  auprès  des  trois  autres  brahmanes  trois 
vases,  sur  chacun  desquels  il  posait,  la  pointe  dans  la 
direction  du  Sud,  trois  tiges  de  kuça,  pliées  en  deux, 
et  il  versait  dans  ces  vases,  comme  dans  les  premiers, 

1.  W.  Caland,  AUindischer  Ahnencult,  p.  23,  'il  et  52. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  657 

de  l'eau,  puis  des  grains  de  sésame,  en  disant:  «  Tu  es  le 
sésame, consacré  à  Soraa  et  créé  par  lesdieux,  va  cheïs  les 
Pères,  pour  nous  source  de  bénédiction,  et  rends-nous 
ces  mondes  favorables.  »  Il  terminait  en  répandant 
des  fleurs  et  des  parfums  sur  les  différents  vases  V 
Ensuite  il  évoquait  successivement  les  Viçve-Devâs  et 
les  Pères,  tout  en  couvrant,  des  pieds  à  la  tête,  les 
brahmanes  des  premiers  de  grains  d'orge,  les  brah- 
manes des  seconds  de  grains  de  sésame;  puis,  après 
avoir  remis  à  chacun  des  brahmanes  un  purificateur, 
il  leur  répandait  sur  les  mains  Teau  lustrale,  en  pro- 
nonçant ces  paroles  :  «  Dieux,  Père,  Grand-Père, 
Aïeul,  voici  Teau  d'honneur.  »  Il  versait  ce  qui  restait 
dans  le  vase  du  Père,  le  couvrait  avec  le  purificateur 
et  le  déposait  sur  la  jonchée  de  kuça,  en  disant  :  «  Tu 
seras  le  siège  des  Pères.  »  Puis  il  faisait  cadeau  à 
tous  les  brahmanes  de  parfums,  de  fleurs,  de  lampes 
et  de  vêtements  '. 

Alors  avait  lieu  dans  les  formes  prescrites  une 
offrande  à  Agni,  à  Soma  et  à  Yama;  puis  après  avoir 
répandu  une  poignée  de  gazon  sacré  au  Sud  du  feu,  le 
sacrifiant  versait  dessus  de  Teau,  en  invitant  chacun 
des  ancêtres  à  venir  s'y  purifier.  Ensuite  il  faisait,  du 
riz  qu'il  avait  préparé,  trois  boulettes  qu'il  déposait  sur 
la  jonchée,  et  conviait  les  Pères  à  s'en  rassasier.  Il 
engageait  aussi  les  Brahmanes  à  manger,  et  pendant 
leur  repas   il   répandait  devant  eux  des    grains   de 


1.  \V.  Caland,  Altindischer  Ahnencull,  p.  23,  53-54. 

2.  W.  Caland,  AlUndischer  AhnencuU,  p.  26-27,  42-43,  54- 
55.  D'après  Gobhila,  le  sacrifiant  creusait  trois  fosses,  qu'il 
recouvrait  de  kuça,  et  c'est  près  d'elles  que,  après  les  avoir 
arrosées  d'eau,  il  évoquait  les  Pères.  Grihya-Sûtra,  IV,  2, 16; 
3,  46. 


î»o8  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

sésame.  Quand  ils  avaient  fini,  et  qu'ils  s  étaient  lavé 
la  bouche,  il  les  accompagnait  jusqu'à  la  limite  de  son 
domaine.  Revenu  au  lieu  du  sacrifice,  il  y  faisait  une 
nouvelle  jonchée  de  kuça,  l'arrosait  d'çau,  invitait  une 
fois  encore  les  Pères  à  s  y  purifier,  et  à  manger  les 
boules  de  riz  qui  restaient  ;  puis  il  les  congédiait,  mais 
en  les  conviant  à  revenir  le  mois  suivant*. 

On  voit  par  ce  qui  précède  quelle  place  considérable 
les  plantes  occupaient  dans  les  rites  de  Tlnde;  c'était 
une  plante  môme  qui  était  la  matière  du  sacrifice  le 
plus  auguste  de  la  religion  védique,  celui  du  soma. 
Quelle  était  cette  plante?  J'ai  déjà  examiné  cette  ques- 
tion à  propos  du  haoma,  mais  il  faut  y  revenir  ici  à 
cause  des  difficultés  qu'elle  soulève.  L'obscurité  qui 
l'entoure  tient  à  ce  que  ni  les  Védas,  ni  les  Écrits 
liturgiques  postérieurs  n'ont  donné  une  description 
suffisamment  claire  et  complète  du  soma  ;  cependant 
ils  indiquent  un  certain  nombre  des  caractères  qu'on 
attribuait  à  cette  planta,  ce  qui  permet  au  moins  de 
s'en  faire  une  idée. 

D'après  les  Védas,  le  soma,  comme  le  haoma  ira- 
nien, croît  dans  la  région  des  montagnes.  «  Varuna, 
chante  un  rishi^  dans  le  cœur  a  créé  la  volonté,  dans 
les  nuages  l'éclair,  au  ciel  le  soleil,  le  soma  sur  les 
montagnes.  »  D'après  l'Atharva-Véda,  des  montagnes 
«  portent  le  soma  sur  leur  dos'  ».  «  Là,  dit  le  Çata- 
patha-Bràhmana *,  croît  une  plante  appelée  Uçânâ... 
On  l'y  va  chercher  et  on  la  presse.   »  Cette  plante  est 

1.  W.  Caland,  Altindischer  AhnencuU,ji.  29-33,  44-47,  56-59. 

2.  Rig-Veda,  lib.  V,  85,  2.  «  Un  aigle,  dit   un  autre,    l'a 
apporté  des  montagnes.  »  I,  93,  6. 

3.  Lib.  III,  21,  10. 

4.  Lib.  m,  cap.  4,  3,  13. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  559 

ailleurs  décrite  comme  ayant  des  rameaux  bas*,  de 
couleur  rouge  clair  ou  dorée,  probablement  anguleux 
et  regorgeant  de  sève.  Les  commentateurs  en  ont  fait 
de  plus  une  plante  grimpante,  dépourvue  de  feuilles, 
charnue,  à  suc  laiteux  et  aigrelet  ^  On  a  ainsi  été 
amené  à  considérer  le  soma  comme  une  espèce  de 
l'ancien  genre  Asclepias,  le  Sarcostemma  viminale  ou 
aciV/wm,  regardé  aussi  comme  représentant  duhaoma'. 
Etait-ce  là  le  soma  des  Védas?  Il  est  impossible  de 
le  dire  ;  ce  que  nous  savons,  c*est  que  la  plante  qui 
servait  à  préparer  le  breuvage  sacré  était  rare  ou  du 
moins  difficile  à  se  procurer;  qu'elle  était  apportée  de 
loin,  et  vendue  fort  cher  par  ceux  qui  étaient  assez 
heureux  pour  la  découvrir  ;  une  génisse  d'un  ou  deux 
ans,  de  couleur  brune  et  aux  yeux  rouges*,  en  était  le 
prix.  Le  Mûjavant  était  renommé  pour  le  soma  qu'il 
produisait.  Mais  on  n'avait  pas  toujours,  au  moment 
du  sacrifice,  le  vrai  soma  à  sa  disposition  ;  on  le  rem- 
plaçait alors  par  une  autre  plante. 

Quand  on  ne  trouve  pas  le  soma,  dit  le  Catapatha-Brâhmana^, 


1.  Big-Veda,  hb.  H,  13,  1;  III,  53,  14  ;  VII,  98,  1;  VIII,  9, 
19;  IX,  92,  1.  —  A.  Hillebrandt  {Vedische  Mythologie,  voL  I, 
St)ma  und  venoandte  Gôlter^  Breslau,  1891,  in-8,  p.  18),  dit 
des  rameaux  pendants. 

2.  Sâyana  {TaittiriyaSamhHày  I,  8,  3),  cité  par  Eggeling 
(Çaiapalha-Brahmana ,  vol.  I,  p.  394,  note  2),  le  compare  au 
karîra  —  Capparis  aphylla. 

3.  Voir  à  ce  sujet  Tarticle:  The  original  Home  of  the  Soma 
dans  M.  Wiiller,  Biographies  of  Words  and  the  Home  of  the 
Aryas.  London,  1888,  in-8,  p.  222-242. 

4.  Çatapatha- Bràhmafitty  lib.  III,  3,  1,  14. 

5.  Lib.  IV,  5,  10,  1-6.  Le  phâlguna  esWa,  Termina  lia  arjuna, 
ïâdâra,  appelé  aussi  pûtlka  et  à  qui  le  Ç.-Br.  attribue  une 
origine  surnaturelle,  est  la  Caesalpinia  bonducella;  Tincertain 
çyenahrita  n*est  guère  qu'une  épithète  du  soma. 


560  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

il  y  a  à  cela  un  remède.  Il  existe  deux  espèces  de  phâiguna. 
Tune  à  fleurs  rouges,  l'autre  à  fleurs  brunes.  Qu'on  écrase  des 
phâlgunas  à  fleurs  brunes,  car  ils  ressemblent  au  soma;  qu'on 
écrase  donc  des  phàlgunas  à  fleurs  brunes.  —  Si  on  ne  peut  se 
procurer  des  phàlgunas  à  fleurs  brunes,  qu'on  écrase  le  çyenah- 
rita.  Car  lorsque  la  Gàyalrî  alla  chercher  le  soma,  en  l'apportant, 
elle  en  laissa  tomber  un  rameau,  qui  donna  naissance  au 
çyenahrita  ;  qu'on  écrase  donc  le  çyenahrita.  —  Si  on  ne 
peut  se  procurer  le  çyenahrita  qu'on  écrase  l'âdâra.  Car  lorsque 
la  tête  de  la  victime  fut  coupée,  des  âdàras  naquirent  du  sang 
qui  en  jaillit;  pour  cela  qu'on  presse  des  âdàras.  —  Si  on  ne 
peut  se  procurer  des  âdàras,  qu'on  écrase  des  dûrvàs,  car  les 
sombres  dùrvâs  ressemblent  au  soma  ;  qu'on  écrase  donc  des 
dùrvâs.  —  Si  on  ne  peut  se  procurer  des  dûrvàs,  qu'on  écrase 
une  espèce  de  kuça  de  couleur  jaunâtre. 

On  voit  combien  étaient  nombreuses  les  plantes 
qu'on  pouvait  substituer  au  soma,  et  encore  le  passage 
du  Çatapatha  que  je  viens  de  citer  ne  les  énumère  pas 
toutes;  le  Kàtyâyana-Çrauta-Sûtra  en  cite  plusieurs 
autres  *  ;  il  semble  qu'il  faille  encore  y  ajouter  le  palâça 
ou  parna,  sans  doute  à  cause  de  son  origine  surnatu- 
relle*. Enfin  il  paraît  que  dans  certains  cas,  on  devait 
substituer  au  soma  le  jus  d'une  autre  plante.  Ainsi 
le  Kâtyâyana-Çrauta-Sùtra  prescrit  aux  prêtres', 
même  quand  ils  ont  du  vrai  soma,  de  n'en  point  donner 
à  un  râjanya  ni  à  un  vaiçya,  mais  de  le  remplacer  par 
le  JQs  du  fruit  de  nyagrodha  exprimé  dans  du  lait. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  nature  véritable  du  soma  et 
des  succédanés  que  parfois  on  lui  substituait,  le  suc 
—  indu  —  de  cette  plante,  fut  de  temps  immémorial 
l'offrande  et  le  breuvage  préférés  des  dieux  et  en  par- 

• 

1.  H.  Zimmer,  Altindisches  Leben,  p.  276. 

2.  Çatapatha- Brâhmann^  lib.  VI,  5,  1,  1  ;  6,  3,  7.  —  Kau- 
shUaki' Brâhmana,  lib.  Il,  2. 

3.  Lib.  X,  9,  30.  Ap.  A.  Kuhn,  Die  Herabkunft  des  Feuers, 
p.  173.  Cf.  Aitareya-Brâhmana^  lib.  VIII,  30. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  5  ;4 

ticulier  dlDdra.  Sa  préparation  était  un  des  actes  les  plus 
importants  de  la  liturgie  hindoue.  C'était  des  rameaux 
—  arhçu  — ,  les  textes  sont  unanimes  à  cet  égard,  et 
non  des  fruits  oud*une  autre  partie  de  la  plante,  qu^on 
Textrayait*.  «  La  tige  rameuse  laisse  couler  le  jus 
doux  et  limpide,  né  sur  les  monts*  ».  «  Ce  qu'ils  ont 
brisé  en  toi  avec  la  pierre,  ô  roi  Soma',  tes  membres 
bien-aimés,  guéris-les  et  que  ce  beurre  les  fasse  croître». 
Ce  dernier  passage  du  Taittirîya-Bràhmana  nous  indi- 
que, ainsi  que  la  matière  employée,  le  mode  de  pré^ 
paration  du  soma.  Si  parfois,  en  effet,  on  écrasait  dans  un 
mortier  —  ulûkhala  — ,  comme  le  font  les  Parsis  pour 
le  haoma,  les  rameaux  du  soma,  le  plus  souvent  on  les 
broyait  avec  des  pierres,  procédé  auquel  les  hymnes 
védiques  font  de  fréquentes  allusions*,  et  qui  est 
décrit  tout  au  long  dans  les  6râhmanas^ 

Après  avoir  disposé  l'emplacement  du  sacrifice  et 
s'être  préparé  par  le  jeûne  et  la  prière  à  l'accomplir, 
la  veille  du  jour  où  il  devait  se  faire,  on  creusait 
quatre  fosses  circulaires  profondes  d'une  coudée  et 
reliées  entre  elles  par  des  canaux";  on  les  aspergeait 
avec  de  leau,  et  on  répandait  dessus  des  chaumes  de 
kuça;  puis  on  posait  sur  ces  trous  deux   planches, 

1.  A.  Hillebrandt,  Soma,  p.  32.  Ceci  montre  Tinanité  deThy- 
pothèse  de  Thiselton  Dyer,  d'après  laquelle  Vindu  aurait  été 
le  vin  et  les  tiges  de  soma,  les  grains  allongés  du  raisin  de 
l'Afghanistan.  Il  est  non  moins  évident  que  le  breuvage  sacré 
des  Védas  n'a  pu  davantage  être  préparé  avec  le  houblon.  Cf. 
M.  Mûller,  Biographies  ofthe  Words,  p.  231  et  235. 

2.  Rig-Veda,  lib.  V,  43,4. 

3.  Taitiirîya-Brâhmana,  lib.  III,  7,  13.  Ap.  A.  Hillebrandt, 
Soma,  p.  30. 

4.  Rig-Veda,  lib.  VIII,  2,  2;  IX,  66,  29;  X,  100,  8. 

5.  Cf.  A.  Weber,  Die  Kennlnisa  des  vediscfien  OpfeJTituals. 
(Indische  Studien,  vol.  X,  p.  352  et  suiv.). 

JoRET.  —  Lez  Plantes  dans  Vanliquité.         II.  —  36 


562  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

qu'on  assujettissait  avec  de  la  terre,  et  on  recouvrait 
kuça  et  trous  avec  la  peau  d'une  génisse  de  couleur 
rouge,  sur, laquelle  on  mettait  les  cinq  pierres  qui 
devaient  servir  à  écraser  le  soma.  On  plaçait  ensuite 
sur  un  petit  monticule  recouvert  de  sable  les  vases  du 
sacrifice  et,  six  pas  plus  loin,  on  dressait  une  grosse 
branche  d'udumbara,  puis  on  déposait  sous  un  hangar 
Teau  nécessaire,  ainsi  que  le  lait  des  libations.  Le 
lendemain  \  à  la  première  heure  du  jour,  après  une 
prière  du  hotar  à  Agni,  à  Ushas  et  aux  Açvins,  on  fai- 
sait cuire  les  gâteaux  et  la  bouillie  et  griller  les  grains 
d'orge  destinés  aux  offrandes  ;  puis  quand  tout  était 
disposé,  l'adhvaryu  faisait  une  quadruple  libation  à 
Agni  et  aux  autres  dieux  ;  il  allait  ensuite,  avec  ses  trois 
compagnons  et  celui  qui  offrait  le  sacrifice,  s'asseoir 
près  de  la  table  à  presser.  Alors  prenant  une  des  cinq 
pierres  et,  invoquant  les  dieux,  il  étalait,  à  cinq  re- 
prises différentes,  sur  la  peau  les  rameaux  de  soma 
qu'il  écrasait,  tout  en  versant  de  l'eau  dessus.  Il  répé- 
tait trois  fois  l'opération,  et  chaque  fois  un  des  aides, 
tenant  six  tiges  de  kuça  entre  les  doigts  de  la  main 
gauche,  recevait  dessus  le  jus  du  soma,  qui  passait  à 
travers  ses  doigts  et  les  six  tiges  et  s'écoulait  de  là 
dans  une  espèce  de  cuve  —  amatra  — ,  tenue  par  le 
hotar*.  Le  liquide  ainsi  obtenu  servait  à  une  première 
libation. 

Quand  l'adhvaryu  l'avait  faite,  il  retournait  avec  ses 
aides  s'asseoir  autour  de  la  table  du  pressoir,  et,  cette 
fois,  tous,   avec  les  cinq  pierres,  procédaient,  d'ail- 


1.  A.  Weber,  Opferritual  (J.-S.,  voL  X,  p.  369  et  suiv.). 

2.  Rig-Veday  lib.   V,  51,   4.   —    KâtyAyana-Çrauta-Sûtra, 
iib.  IX,  4,  1. 


LES  PUNTES  DANS  LE  CULTE  563 

leurs  de  la  même  façon  qu'auparavant,  au  broyage  du 
soma  qui  restait.  L'opération  terminée,  on  versait 
avec  une  cuillère  —  sruva  —  le  liquide  écoulé  sur  un 
filtre  en  laine  de  brebis  —  pavitra  — ,  qu'un  des 
prêtres  tenait  au-dessus  du  vase  en  bois  de  vikankata 
—  le  dronakalaça  *  — .  Pendant  que  celui-ci  se  rem- 
plissait, le  soleil  se  levait,  et  aussitôt  après  son  appa- 
rition commençaient  les  offrandes  aux  dieux,  précédées 
d'une  invocation  que  leur  adressait  un  des  prêtres. 
Diverses  libations  terminaient  la  cérémonie;  on  la 
faisait  dans  des  conditions  analogues  à  midi  et  le 
soir. 

Le  soma,  qui  y  jouait  le  principal  rôle,  débarrassé 
par  le  filtrage  des  impuretés  dont  il  était  souillé,  était 
alors  limpide  et  d'une  couleur  jaune  doré  ou  bru- 
nâtre, comme  celle  de  la  plante  dont  il  était  ex- 
primé. Mais  si  parfois  on  l'ofl^rait  pur,  —  c'était  le  cas 
pour  certaines  libations  — ,  on  le  mêlait  le  plus  sou- 
vent à  d'autres  substances  :  lait  frais,  aigre  ou  caillé, 
miel,  farine  d'orge  ou  de  froment.  C'était  comme  une 
parure  qu'on  lui  donnait,  en  même  temps  qu'on  en 
adoucissait  ^âcreté^  «  Comme  les  rois  sont  glorifiés 
par  le  chant,  ainsi  le  soma  est  embelli  par  le  lait 
(qu'on  y  mêle)  »,  dit  un  hymne.  Et  dans  un  autre 
hymne  qui  rappelle  sa  préparation  :  «  Belle  est  la 
plante  (du  soma)  ;  les  dieux  la  désirent  ;  la  tige  en  est 
lavée  dans  les  eaux  ;  des  prêtres  la  pressent,  et  le  lait 
des  vaches  en  rend  le  jus  plus  savoureux.  »  Pur  ou  mé- 
langé, le  soma  était  versé,  en  l'honneur  des  dieux,  sur 


1.  Big-Veda,   lib.  I,   135,   6;  VIII,   2,2;  IX,   101,   3-4.— 
Kâlyâyana-Çrauta-Sûlra,  lib.  IX,  4,  17.  —  Weber,  p.  371-72. 

2.  fiigVeda,  lib.  VIII,  2,  3;  IX,  10,  3,  et  62,  5. 


56i  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

le  feu  de  Tautel  ;  mais  tous  n*y  avaient  pas  une  part 
égale  ;  c'était  surtout  aux  dieux  du  ciel  et  de  Tair, 
Ihdra  et  Vâyu,  Mitra  et  Varuna,  aux  Açvins  et  aux 
Maruts  qu'on  TofiFrait',  ainsi  parfois  qu'à  Pûshan  et  à 
Ârjaman,  à  Vishnu  et  à  Bhaga.  Mais  Indra  surtout 
en  était  avide. 

Roi  du  Soma,  chante  un  rishi^,  Indra,  bois  ce  soma,  cette  belle 
libation  de  midi...  dételle  tes  deux  coursiers  et  viens  ici  t'eni- 
vrer.  —  Bois,  Indra,  ce  blanc  breuvage,  mélangé  de  lait:  du 
soma  que  nous  te  versons,  avec  la  troupe  amie  des  Maruts, 
avec  les  Rudras,  abreuve -toi  jusqu'à  satiété,  jusqu'à  Tivresse^... 

C'est  pour  toi  ce  soma*,  ô  Indra;  descends  et  bois-en  à  longs 
traits  ;  repose-toi  sur  ce  gazon  sacré  ;  emplis-toi,  Indra,  de  ce 
breuvage.  —  Pour  toi  a  été  épandu  ce  kuça,  pressé  ce  soma. 
Pour  nourrir  tes  deux  coursiers,  ces  grains  ont  été  grillés  ; 
c'est  à  toi,  suivant  la  coutume..!  à  toi,  qu'accompagnent  les 
Maruts,  que  sont  faites  ces  offrandes.  —  Hommes,  monts,  eaux, 
t'ont  préparé,  ô  Indra,  avec  le  lait,  ce  breuvage  doux  comme  le 
miel; joyeux,  boison...  Les  Maruts,  ô  Indra,  auxquels  tu  as 
donné  part  au  soma,  eux  qui  ont  fait  ta  force,  qui  furent  tes 
compagnons,  avec  eux  et  d'un  même  esprit,  bois,  Indra,  ce 
soma  avec  la  langue  de  feu  d'Agni. 

Aux  libations  du  soma  se  joignaient  des  ofirandes, 

1.  RigVeda,  lib.  IX,  33,  3;  3'*,  2;  108,  14  et  16;  109,  1. 
L'oblation  du  soir  était  faite  aux  Àdytyas,  à  Savitar,  à  Agni  et 
même  aux  Ribhus. 

2.  RigVèda,  lib.  III,  32,  1-2. 

3.  Indra  e^^t  représenté  parfoiscomme  buvant  en  réalité  jusqu'à 
l'ivresse,  et  les  Rishis  se  sont  plus  à  peindre  le  délire  dans 
lequel  elle  le  jetait.  R.V.,  X,  119,  2-3,  4,  7-8,  11-12.  «Comme 
des  vents  impétueux,  les  breuvages  m'ont  transporté...  Ils 
m'ont  emporté  comme  des  chevaux  rapides  entraînent  un 
char...  Les  chants  s'offrent  à  moi,  comme  une  vache  à  son 
petit  bien-aimé...  Les  deux  mondes  n'égalent  pas  une  moitié 
de  mon  être...  J'ai  surpassé  en  grandeur  le  ciel  et  cette  terre 
immense...  Une  de  mes  ailes  touche  au  ciel,  l'autre  frôle  la 
terre...  Dans  ma  grandeur  démesurée,  je  me  suis  élevé 
jusqu'aux  nuages  :  ai-je  donc  bu  du  soma  ? 

4.  Hig-Veda,  lib.  III,  35,  6-9. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  565 

variables  suivant  l'heure  du  jour  et  le  dieu  auquel 
elles  s'adressaient,  mais  preque  toujours  ,  d'origine 
végétale:  gâteaux,  bouillie,  grains  rôtis,  lait  caillé,  etc. 

Accepte,  ô  Indra  ^  avec  ces  grains  frits,  avec  ce  karambha 
et  cet  apùpa,  notre  soma...  Mange,  ô  glorieux,  avec  la  libation 
du  matin,  ce  purodàça...  Agrée,  Indra,  ces  grains  rôtis  et  ce 
purodâça,  offrande  de  midi...  Fais  honneur  au  purodàça  que 
nous  t'offrons;  puissant  associé  des  Ribhus,  avec  cette  troisième 
libation...  Comme  allié  de  Pûshan,  nous  t'avons  préparé  un 
karambha,  nous  avons  fait  griller  des  grains  d'orge  pour  toi  et 
tes  coursiers  ;  mange  cet  apùpa  en  compagnie  des  Maruts,  et 
bois  ce  soma,  héros  vainqueur  de  Vrita. 

Mais  le  soma  n'était  pas  seulement  offert  en  liba- 
tions aux  dieux  ;  on  le  buvait  aussi  ;  aux  prêtres  était 
réservé  celui  qui  restait,  quand  étaient  terminées  les 
oblations,  et  ils  paraissent  avoir  singulièrement  aimé 
ce  breuvage  sacré  ;  les  Rishis  se  sont  complus  à  décrire 
ses  merveilleux  effets,  l'enthousiasme  poétique  qu'il 
leur  inspirait  et  la  force  surnaturelle  dont  il  les  rem- 
plissait*. 

Nous  avons  bu  le  soma,  nous  sommes  devenus  immortels  ; 
nous  sommes  arrivés  à  la  lumière;  nous  avons  atteint  les 
dieux  ;  que  pourrait  sur  nous  désormais  la  malveillance  ?  Que 
pourrait  sur  nous,  ô  immortel,  la  perfidie  d'un  mortel  ?  —  Sois 
propice  à  notre  cœur,  ô  soma,  quand  nous  t'avons  bu;  sois-nous 
propice,  comme  un  père  à  son  fils  ;  sois  pour  nous  comme  un 
ami  à  son  ami,  ôtoi  dont  le  pouvoir  s'étend  au  loin  ;  toi  qui  es 
sage,  ô  soma,  prolonge  notre  vie.  —  Somas  glorieux  et  secou- 
rables,  vous  avez,  quand  je  vous  ai  bus,  attaché  solidement 
mes  articulations,  comme  les  courroies  attachent  le  char;  que 
les  somas  empêchent  mon  pied  de  glisser,  qu'ils  me  gardent 
des  entorses  ! 


1.  Rig-Veda,  lib.  III,  52,  1,  4.  » 

2.  Rig-Veda,  lib.  VIII,  48,  3-5.  Cf.  A.  Bergaigne,  La  religion 
védique,  vol.  I,  p.  152  et  192.  —  A.  Hillebrandt,  Soma,  p.  263. 


566  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HLNDOUS 

Si  ce  breuvage,  préparé  par  la  main  des  hommes, 
jouissait  de  vertus  si  merveilleuses,  c^est  qu'il  était  le 
symbole  ou  plutôt  une  émanation  du  soma  céleste: 
quelle  était  donc  cette  liqueur  mystérieuse  ?  Dans  un 
hymne*,  où  il  célèbre  les  noces  de  Suryâ —  le  soleil  — 
et  de  Soma  —  la  lune  — ,  un  rishi  en  fait  entrevoir  la 
nature  :  «  Lorsque  les  dieux  te  boivent,  tu  te  remplis 
de  nouveau,  dit-il,  en  s*adressant  évidemment  à  la 
lune,  dont  il  remarque  dans  une  autre  strophe:  «  Elle 
renaît  sans  cesse  et  précurseur  du  jour  (qui  va  venir), 
devance  Taurore.  Chemin  faisant,  elle  assigne  aux 
dieux  la  part  (qui  leur  revient).  La  lune  allonge  la  durée 
de  la  vie*.  »  Ainsi  le  soma  céleste,  Tamrita,  est  ren- 
fermé dans  la  lune,  ou  plutôt  il  est  la  substance  même 
de  Tastre,  ou  mieux  encore  la  lune  elle-même  ^,  «  dont 
les  phases  ont  été  expliquées  par  les  repas  que  les 
dieux  font  à  ses  dépens  *  » . 

Ces  conceptions  mythiques  des  Védas  sur  la  nature 
du  soma  céleste  se  retrouvent  dans  les  Brahmanas  et 
les  écrits  postérieurs.  «  Les  dieux  dirent:  rien  que  le 
soma  ne  rassasiera  Indra\  Préparons-lui  du  soma.  Et 
ils  lui  préparèrent  du  soma.  Or  ce  soma,  la  nourriture 
des  dieux,  n'est  autre  que  la  Lune.  La  nuit  où  on  ne 
la  voit  ni  à  TOrient  ni  à  TOccident,  elle  visite  notre 


1.  Hig-  Veda,  lib.  X,  85,  5  et  19. 

2.  «  Après  que  la  lune,  bue  par  les  dieux,  a  décru,  le  soleil, 
d'un  seul  de  ses  rayons,  la  remplit  ».  Vis  htm- Pur  àna,  lib.  II, 
12.  D'après  une  tradition,  à  l'époque  de  la  nouvelle  lune,  cet 
astre  se  réunissait  au  soleil.  Urvncî.  acte  III. 

3.  (c  E  la  luna  stessa  ».  A.  de  Gubernatis,  Letture  sopra  la 
mitologia  vedica.  Firenze,  1874,  ir\-8,  p.  107.  —  A.  Hillebrandt, 
Soma,  p.  272-273. 

4.  A.  Bergaigne,  La  religion  védique^  vol.  I,  p.  154. 

5.  Çatapaiha-Brâhmana,  lib.  I,  6,  4,  5  et  15. 


LES  PLANTES  DANS  LE  CULTE  567 

monde  et  pénètre  dans  les  eaux  et  dans  les  plantes.  » 
Plus  loin,  revenant  sur  la  même  fiction,  l'écrivain  sacré 
ajoute*  :  «  Après  avoir  recueilli  (le  soma)  dans  les  eaux 
et  dans  les  plantes,  le  prêtre,  à  Taide  des  libations, 
le  fait  se  reproduire,  et  une  fois  reproduit,  il  (le  soma- 
lune)  devient  visible  dans  le  ciel  d'Occident.  »  Et  ail- 
leurs^ :  «  La  lune  est  le  roi  Soma,  la  nourriture  des 
dieux.  Lorsqu'ils  veulent  s'en  nourrir,  ils  la  pressent  le 
jour  précédent.  Quand  elle  décroit,  c'est  qu'ils  en 
mangent.  »  On  lit  encore  dans  le  Vishnu-Purâna  '  : 
«  L'amrita,  qui  se  trouve  dans  la  lune,  rassemblé  pen- 
dant un  demi-mois,  est  bu  par  les  dieux,  mangeurs 
de  nectar;  c'est  pour  cela  qu'ils  sont  immortels.  »  Et 
dans  le  Vâyu-Purâna*:  «  A  partir  du  second  jour  (de  la 
pleine  lune)  les  dieux,  pendant  toute  la  durée  de  son 
décours,  boivent  sa  douce  et  délicieuse  substance 
composée  d'eau  et  de  nectar.  » 

C'est  cette  substance  mystérieuse,  donnée  tantôt 
comme  plante \  tantôt  comme  breuvage®,  que  la  Gâya- 
trî,  changée  en  oiseau,  a  apportée  du  ciel  sur  terre  : 
«  L'aigle,  oiseau  rapide,  dit  un  hymne  védique"',  alla 
au  loin  chercher  (le  divin)  rameau  —  athcti  — ,  le 
doux  breuvage  —  mada  —  ;  le  saisissant  fortement, 
il  apporta  le  soma,  protégé  par  les  dieux  ;  il  l'avait 
pris  au  plus  haut  du  ciel.  »  Depuis  lors  le  breuvage 
des  dieux  fut,  bien  qu'un  rishi  ait  dit  qu'il  leur  était 

1.  Çatapalha-Bràhmana,  lib.  II.  4,  2,  7. 

2.  Çatapatha-Bràhmaytny  lib.  II,  4,  'i,  15. 

3.  Lib.  Il,  cap.  12.  Wilson's  Works,  vol.  II,  p.  300. 

4.  Ap.  A.  Hillebrandt,  Soma,  p.  293. 

5.  Hig-Veda,  V,  45,  9;  IX,  68,  6  ;  etc.  Ç.-Br.,  III,  4,  3,  13. 

6.  Rig-Veda,  I,  80,2;  I,  93,  7;  III,  43,  7;  VIII,  71,  7-9;  IX, 
36,  24. 

7.  RigVeda,  lib.  IV,  26,  6.  Cf.  Ç.-Br.,  XI,  7,  2,  8. 


56S  LES  PLA5TeS  CHEZ  LES  UINDOLS 

ioconDu  \  accessible  aux  mortels  :  «  Le  soma,  qui  se 
trouve  dans  la  cuve,  était  contenu  dans  la  lune  »,  est-il 
dit  dans  an  hymne  des  Védas.  Et  dans  un  autre  : 
«  La  liqueur  mystérieuse,  née  là  haut  dans  le  ciel, 
a  trouvé  sur  la  terre  une  forte  et  auguste  demeure'.  » 
Ainsi,  le  breuvage  que  le  sacrificateur  presse  et  verse 
sur  le  filtre',  pour  Toffrir  aux  immortels,  n'est  autre 
que  le  soma  céleste,  Tambroisie,  que  la  lune  donne 
aux  dieux  *  ;  il  n'en  est  pas  seulement  Tirnage,  il  se 
confond  avec  elle  ;  c*est  une  portion  de  l'amrita,  de  la 
substance  divine  de  la  lune  que  le  sacrifice  fait  descen- 
dre du  ciel  sur  la  terre. 

De  là  il  n'y  avait  qu'un  pas  pour  voir  dans  le  soma 
un  dieu  ;  dès  l'époque  védique,  il  fut  regardé  et  invo- 
qué comme  tel:  a  0  roi  Soma,  fais  durer  notre  vie... 
Sois  nous  propice  ;  nous  te  sommes  liés  par  un  vœu  ; 
ne  l'oublie  pas.  »  On  alla  encore  plus  loin  ;  on  fit  du 
soma  le  plus  grand  des  dieux,  le  créateur  de  toutes 
choses*:  «  Soma,  coule,  père  des  prières,  créateur  du 
ciel,  créateur  de  la  terre,  créateur  d'Agni  et  créateur 
du  soleil,  créateur  d'Indra  et  de  Vishnu.  »  Mais  quoi- 
que Dieu,  Soma  n'en  reste  pas  moins  un  breuvage,  et 
une  plante.  Comme  breuvage,  nous  l'avons  vu,  il  con- 
fère à  ceux  qui  le  prennent  une  force  et  une  intelli- 
gence .surnaturelles.  Comme  plante,  il  règne  sur  le 
monde  végétal  :  «  Honore  le  roi  Soma  qui  est  le  maitre 

1.  «  On  croit  boire  le  soma,  quand  on  écrase  la  plante  ;  mais 
personne  ne  goûte  de  ce  que  les  prêtres  regardent  comme 
soma.  »  Big-VedOy  lib.  X,  85,  3. 

2.  Rip'Veda,  lib.  IX,  12,  5;  61,  10. 

3.  Rig-  Veda,  lib.  IX,  3,  9.  «  Dieu  exprimé  pour  les  dieux, 
il  coule  jaune  d'or  à  travers  le  filtre.  » 

4.  Hig-Veda,  lib.  VIII,  48,  7-8. 

5.  Hig-Veda,  lib.  IX,  96  5.  B.  1. 


CULTE  DES  PLANTES  569 

des  plantes  »,  chante  un  rishi.  «  Soma,  dit  à  son  tour 
le  Çatapatba-Brâhmana,  est  le  seigneur  des  plantes  \  » 
Ce  rôle  assigné  au  soma  était  la  conséquence  natu- 
relle de  Pétroit  rapport  qui  existait  entre  lui  et  la  lune. 
De  tout  temps  et  chez  tous  les  peuples  cet  astre  a  été 
regardé  comme  exerçant  une  influence  sur  la  végéta- 
tion. «  Brahma,  dit  le  Vishnu-Purâna',  a  établi  la 
lune  pour  présider  aux  étoiles,  aux  planètes  et  aux 
plantes.  »  Le  soma  qui  descend,  avec  les  rayons  de  la 
lune,  sur  la  terre  et  pénètre  dans  les  eaux  et  dans  les 
plantes,  a  été,  ainsi  que  Tastre  qui  y  préside,  regardé 
comme  le  roi  des  végétaux  —  oshadipati — .  Le  haoma, 
nous  Tavons  vu,  a  été  élevé  au  même  rang. 


Les  plantes  ne  figuraient  pas  seulement  comme 
offrandes  ou  comme  accessoires  dans  les  cérémonies 
religieuses  des  Hindous,  elles  étaient  aussi  pour  eux, 
comme  pour  tous  les  peuples  anciens^,  Tobjet  d'un 
véritable  culte.  Divinisées,  comme  tous  les  autres  êtres 
de  la  nature,  on  leur  adressait,  comme  à  eux,  des 
prières  et  on  invoquait  leur  secours*.  «  Nous  implo- 
rons les  Eaux,  les  Arbres,  les  Montagnes,  dit  un  poète 
védique,  de  venir  en  aide  à  Agni.  »  Et  dans  un  autre 
hymne  :  «  Que  les  Montagnes,  les  Eaux,  les  Plantes  et 

1.  BigVeda,  lib.  ÏX,  114.  5.  Cf.  IX,  12,  7.  —  p.-^r.,  lib. 
VIII,4,  3, 17. 

2.  Lib.  I,  22,  2.  D'après  Kàlidàsa,  la  lune  est  la  déesse  des 
plantes  salutaires.  Çakuntala,  IV,  1,  p.  45. 

3.  OuTOt  ye  àçis'pojiav  xai  x^;  yi;;  pXaaTTfaaia  xal  Geoù;  ivO[jLi?av, 
xa*  Tcpoacxûvouv  Tauia...  rat  yoàç  xai  £7CiOu7£t(  sjcoiouv,  dit  Sancho- 

niaton  en  parlant  des  Phéniciens.  Éd.  C.  Orelli,  p.  12. 

4.  Rig-  Veda,  lib.  X,  64,  8  ;  VII,  34,  23  et  25;  I,  90,  8. 


570  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Dyaus,  Prithivî  unie  aux  Arbres,  que  les  deux  moitiés 
du  Monde  nous  protègent...  Qu'Indra,  Varuna,  Mitra, 
Agni,  les  Eaux,  les  Herbes  et  les  Arbres  acceptent 
favorablement  notre  offrande.  »  Et  ailleurs  encore  : 
c(  Que  l'arbre  de  la  forêt  nous  soit  riche  en  douceur.  » 

Les  grands  arbres  surtout  étaient  Tobjet  d'une  véné- 
ration particulière.  Le  Mahàbhârata  et  le  Râmâyana 
nous  offrent  des  exemples  frappants  du  respect  que  les 
Hindous  avaient  pour  ces  rois  du  règne  végétal.  Dans 
le  second  chant  du  premier  \  il  est  question  d'un 
arbre  antique  —  un  açvattha  —  «  à  la  cime  aérienne  », 
honoré  de  tous  les  habitants  du  Magadha,  comme  un 
caitya,  et  sans  cesse  comblé  par  eux  d'encens  et  de 
guirlandes,  que  les  fils  de  Pandu  font  tomber  sous 
leurs  coups,  comme  pour  priver  la  ville  de  son  voisi- 
nage protecteur.  Dans  un  autre  chant  du  même  poème, 
Théroïne  de  Tépisode  célèbre  de  Nala  et  Damayantî, 
rencontrant  au  milieu  des  forêts,  où  elle  cherche  en  vain 
Nala  qui  l'a  quittée,  un  açoka  tout  couvert  de  sa  parure 
de  fleurs,  demande  à  cet  arbre  béni  et  au  nom  pré- 
destiné* d'éloigner  d'elle  le  chagrin  qui  la  consume 
et  de  lui  apprendre  si  le  fugitif  a  pénétré  dans  cette 
solitude.  Et  tout  en  Timplorant  elle  fait  respectueuse- 
ment le  tour  du  divin  acoka. 

Lorsque,  dans  le  RâmAyana,  le  héros  du  poème, 
son  frère  Lakshmana  et  Sità  son  épouse,  après  avoir 
traversé  la  Yaraunà,  arrivent  auprès  du  figuier  Çyâma, 
situé  sur  l'autre  rive,  Silù  rend  hommage  à  cet  arbre 
immense  et  au  frais  ombrage,  en  joignant  les  deux 

1.  Sahha-Parva,  816-817. 

2.  Açoka,  en  sanscrit,  signifie  «  exempt  de  chagrin  ».  Vana- 
Parva,  2501-2507.  —  F.  Nève,  Les  époques  littéraires  de  VInde, 
p.  130. 


CULTE  DES  PLANTES  571 

mains  et  elle  lui  adresse  une  prière.  Puis  tous  les  trois 
s'approchent  de  Tarbre  saint,  le  saluent  et  en  font, 
religieusement  le  tour.  De  même»  lorsque  ayant  franchi 
le  Saradanda,  ils  rencontrent  plus  tard  un  figuier, 
<(  consacré  comme  un  caitya  et  renommé  pour  ne 
jamais  tromper  les  \œux  que  la  dévotion  lui  adresse  », 
ils  s'empressent  encore  de  le  saluer  en  s'inclinant 
profondément  *.  Le  Râmàyana  nous  montre  ailleurs 
encore  les  chœurs  des  Apsaras  elles-môraes  honorant 
d'un  culte  perpétuel  le  jambu  divin  du  Gandhamàdana 
et  chantant  sans  cesse  des  hymnes  à  sa  gloire*. 

L'établissement  du  bouddhisme  ne  fit  qu'entretenir 
et  favoriser  le  culte  qu'on  rendait  aux  arbres:  les 
honorer,  n'était-ce  pas  honorer  aussi  le  Réformateur, 
qui,  dans  tous  les  actes  de  sa  vie,  les  avait  eus 
pour  témoins  ou  pour  auxiliaires  ?  L'açvattha  de  Gayà 
surtout,  sous  lequel  le  Buddha  était  arrivé  à  l'Illumi- 
nation suprême,  devint  l'objet  d'une  vénération  parti- 
culière. Açoka  fit  construire  devant  la  terrasse  où  il  se 
dressait  un  vihâra,  qui  était  en  ruine  depuis  longtemps 
déjà,  quand  Hiuen-Tsiang  en  visita  l'emplacement, 
mais  dont  le  pieux  pèlerin  put  voir  encore  les  fonda- 
tions'. Lorsque  le  fils  aîné  de  ce  grand  prince,  Mahendra, 
eut  établi  le  bouddhisme  dans  l'île  de  Ceylan,  il  envoya 
chercher  un  rameau  de  l'açvattha  de  Gayà;  Açoka 
consentit  à  le  donner;  ce  rameau  fut  reçu  par  le  roi 
même  du  pays,  porté  dans  la  capitale  et  solennelle- 
ment planté  dans  le  jardin  de  Mahâmegha,  qui  lui  était 
destiné.  Des  miracles  en  attestèrent  la  sainteté,  et  le 


t.  Ayodhyàkâpda,  LV,  15-18  et  LXX  ;  14-15. 

2.  Kishkindhyakànda,  XLIV,  37. 

3.  Buddhist  Becords  of  western  countries,  vol.  II,  p.  95. 


572  LKS  PLA.NTKS  CIIKZ  LKS  HINDOUS 

roi  fut  le  premier  à  oflfrir  des  guirlandes  de  fleurs  et 
de  l'encens  au  rameau  sacré.  Celui-ci  prit  racine,  et 
.  les  rejetons  qu'il  produisit  furent  envoyés  en  diverses 
localités,  et  des  arbres  de  Bodhi  se  répandirent  ainsi 
peu  à  peu  dans  Tlle  entière*. 

On  n'y  faisait  que  suivre  en  cela  l'exemple  donné  sur 
le  continent.  Partout  où  avait  été  prêchée  la  doctrine 
de  Çâkyamuni  des  arbres  de  Bodhi  avaient  été  plantés; 
ils  étaient  comme  le  symbole  de  chaque  communauté 
nouvelle,  Temblème  même  du  Buddha,  et,  comme  tels, 
un  objet  de  respect  et  de  vénération  pour  les  fidèles*. 
Les  sculptures  des  monuments  bouddhiques  nous  mon- 
trent quel  culte  leur  était  rendu.  Entourés  d'une 
balustrade  ou  d'une  espèce  d'autel  — ,  le  bodhimanda, 
«  trône  de  la  connaissance  »  — ,  se  dressent,  parfois  sur- 
montés d'un  chatta  ou  parasol,  ces  arbres:  açvatthas, 
nyagrodhas,  udumbaras  ou  çâlas,  pàtalis,  jambus  ou 
manguiers,  çirîshas,  etc.,  suivant  le  Buddha  flont  ils 
rappellent  le  souvenir  ou  auquel  ils  sont  consacrés;  des 
fidèles  viennent  les  adorer,  les  uns  debout  et  les  mains 
jointes,  d'autres  dévotement  agenouillés,  tandis  que 
d'autres  offrent  des  présents  ou  attachent  des  guirlandes 
aux  branches,  et  que  des  dévas  apportent  des  ofi'randes 
à  travers  les  airs'. 


1.  The  Mahâwanso  with  the  Translation  by  George  Tur- 
nour.  Ceylon,  1837,  in-'i,  chapt.  18.  and  19. 

2.  K.  Fr.  Koeppen,  Die  Religion  des  Buddha  und  ihre 
Enlslehung.  Berlin.  1857,  in-8,  p.  529. 

3.  The  Slàpa  of  Bharhut,  pi.  XIII,  12;  XIV,  3;  XVI,  2; 
XVII,  1,  2,  3;  XXIX,  1,  2,  3,  4  :  XXX,  1,  2,  3;  XXXI,  1,  3.  — 
The  Tree  Worship.  Sânchi,  pi.  V,  VI,  VII,  VIII,  IX,  XV, 
XXV,  I,  2,  3  ;  XXVI,  1,  2  ;  XXVII,  1,  2,  3  ;  XXVIII.  1,  2,  3; 
XXX,  2  ;  XXXIV,  2.  -  Amarâvatî,  pi.  XLIX,  LVÏII,  1,  2; 
LXXVIII,  2.  —  BuddhaGayâ,  pi.  XXXV,  4;  XXXVIl,  4. 


CULTE  DES  PLANTES  573 

Les  animaux  eux-mêmes  prennent  part  à  ces  hom- 
mages, ainsi  que  les  Nâgas.  Le  panneau  d*un  pilier 
de  Barhut  nous  montre  le  roi  Erapâtra,  entouré  de 
nâgas  et  de  nâgis,  adorant  un  arbre  sacré,  emblème 
du  Buddha  —  un  çirîsha  d'après  Cunningham  —  ;  au 
milieu  un  serpent  qui  paraît  sortir  de  terre,  en  dres- 
sant ses  cinq  têtes,  achève  de  caractériser  le  tableau  \ 
Un  bas-relief  curieux  de  la  partie  inférieure  du  même 
pilier,  représente  une  troupe  d'éléphants  qui  adorent 
un  nyagrodba,  les  plus  jeunes  humblement  agenouillés 
devant  l'arbre  sacré,  les  plus  âgés  lui  apportant  des 
guirlandes.  Des  daims,  sur  une  sculpture  de  l'archi- 
trave, rendent  hommage  à  un  autre  arbre  sacré,  un 
jambu*.  Les  sculptures  de  Sânchi  nous  offrent  des 
scènes  analogues.  Faut-il  voir,  sur  un  bas-relief  du 
pilier  de  gauche  de  la  porte  occidentale,  un  hommage 
rendu  par  le  roi  des  Nâgas,  environné  de  ses  femmes 
et  de  musiciennes  ou  de  suivantes,  à  l'arbre  sacré,  au 
pied  duquel  il  est  assis  ?  Je  ne  saurais  le  dire  au  juste  ; 
mais  un  bas-relief  du  second  architrave  de  la  porte 
orientale  représente  tous  les  animaux  de  la  création  : 
lions,  daims,  éléphants,  buffles,  béliers  et  brebis,  cha- 
meaux et  même  un  garuda  et  un  nâga,  venant  rendre 
hommage  à  un  arbre  sacré.  Sur  le  bas-relief  d'un 
pilier  de  la  porte  occidentale  on  voit  aussi,  outre  ses 
adorateurs  ordinaires,  une  espèce  de  géant  au  milieu 
d'une  troupe  d'animaux  :  cheval,  buffle,  éléphants, 
sanglier,  lion,  qui  viennent  honorer  le  bodhidruma. 
Et  l'artiste  du  pilier  de  la  porte  septentrionale  a  éga- 

1.  Erapalo  Nâga  Râja  Bhagavalo  vamdaie.  «  Erapâtra,  roi 
des  Nâgas,  vénère  Bhagavat  »,  dit  Tinscription  pâlie.  Cun- 
ningham, The  Stûpa  of  Bharhut,  p.  27,  pi.  XIV,  'A. 

2.  The  Stupa  of  Bharhut,  pi.  XV,  3,  XXX,  2  et  XLIV,  3. 


574  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

lemeut  représenté  deux  singes,  qui,  mêlés  aux  fidèles, 
vénèrent  un  açvattha,  Tun  lui  apportant  un  vase  d'of- 
frandes, l'autre  en  s'inclinant  dévotement  devant  lui*. 

Les  Jainas  n'avaient  pas  moins  de  respect  pour  les 
arbres  que  les  Bouddhistes  ',  et  comme  les  disciples  de 
Çâkyamuni,  ils  regardaient  surtout  raçvattha  comme 
sacré.  Les  adorateurs  de  Brahmà,  de  Civaet  de  Vishnu, 
honoraient  aussi  cet  arbre  d'un  culte  particulier  ;  pour 
eux  il  était  le  symbole  de  la  divinité  et  de  la  vie'.  Les 
sectateurs  du  Brahmanisme  aussi  —  les  épisodes  du 
Ràmiiyana  que  j'ai  rappelés  plus  haut  en  font  foi  — 
n'ont  pas  eu  une  moindre  vénération  pour  le  nyagro- 
dha,  et  ils  l'ont  planté  partout  où  ils  ont  établi  des 
communautés  *. 

Le  culte  que  les  Hindous  rendaient  aux  arbres  avait 
frappé  les  Anciens:  «  Ils  honorent,  dit  Quinte-Curce^ 
les  arbres  comme  des  dieux  et  c'est  à  leurs  yeux  un 
crime  capital  que  de  les  mutiler.  »  Cette  vénération 
des  Hindous  pour  les  arbres,  dont  parle  l'écrivain 
latin,  ne  devait  point  disparaître  dans  l'âge  suivant; 
les  récits  duKathîi-Sarit-Sâgara,  recueil  duxi*  siècle, 
nous  mojitrent  qu'elle  était  aussi  vivace  au  moyen  âge 
qu'à  l'époque  d'Alexandre  ou  de  Quinte-Curce  ou  à 
celle  du  Mahâbhàrata  et  du  Râmâyana.  Dans  un  conte 
de   cette   précieuse  compilation  nous  voyons  l'exilé 


1.  Fergusson.  Tree  Worship,  pi.  XXIV,  2;  IX;  XXVI,  2; 
XXVII,  2. 

2.  A.  Barth,  The  Religions  of  India,  p.  263. 

3.  ((  Je  suis  raçvattha  parmi  les  arbres.  »  BhagavadgitA, 
X,  20.  Cf.  XV,  1.  —  «  Le  grand  arbre  de  Brahman  est  éternel.  » 
Anugitâ,  cap.  xxxii,  12.  Cf.  cap.  xii,  8. 

4.  K.  Fr.  Koeppen,  Die  Religion  des  Buddha,  p.  529. 

5.  Ilistoria  Alexandrie  lib.  VIII,  cap.  9,  34. 


CULTE  DES  PLANTES  575 

Somadatta  faire  respectueusement  le  tour  d'un  açvat- 
thaen  restant  à  sa  droite,  puis  s'incliner  respectueuse- 
ment devant  lui  et  lui  offrir  une  oblation,  avant  de 
labourer  le  champ  voisin.  Dans  un  autre  récit  du 
même  recueil,  le  brahmane  Çrutadhi  adresse  une  prière 
à  l'arbre  de  Ganeça  ;  ailleurs  encore  on  voit  le  roi 
Naravahanadatta  adorer  le  santal  de  Mandaradeva,  qui 
lui  adresse  la  parole  et  lui  promet  la  victoire*. 

Loin  de  diminuer,  le  culte  rendu  aux  arbres  par  les 
Hindous  a,  comme  la  plupart  de  leurs  anciennes 
croyances,  persisté  jusqu'à  nos  jours,  au  milieu  de 
toutes  les  révolutions  sociales  et  politiques  de  leur 
pays.  Le  pîpal  —  pippala  ou  açvattha  —  est  tout  aussi 
honoré  aujourd'hui  qu'au  temps  où  florissait  le  boud- 
dhisme. A  l'ombre  de  cet  arbre  sont  placées  souvent 
les  pierres  frustes  qui  servent  d'autel  à  la  divinité 
protectrice  du  village.  Le  quinzième  jour  de  chaque 
mois,  quand  ce  jour  tombe  un  lundi,  les  femmes  des 
premières  castes  vénèrent  le  pipai  de  la  localité  ;  elles 
en  arrosent  les  racines,  couvrent  son  tronc  de  poudre 
de  santal,  et  en  font  dévotement  8  fois  le  tour,  en  dé- 
posant, à  chaque  tour,  une  offrande  au  pied.  Chaque 
dimanche  aussi,  après  s'être  baignés,  tous  les  habi- 
tants apportent  une  cruche  d'eau  au  pied  de  cet  arbre 
sacré  et  en  font  quatre  fois  le  tour  ^ 

Le  nyagrodha  n'est  pas  moins  vénéré  que  le  pîpal, 
des  brahmanes  surtout.  De  temps  immémorial  ils  ont 
aimé  construire  des  pagodes  à  l'ombre  de  ses  rameaux^ 


1.  C.-H.  Tawney,  Kalhâ-Sarit-Sâgara  or  Océan  of  the 
Streams  of  Slory.  Calcutta,  1880,  in-8,  voL  I,  p.  153;  II,  387 
et  460. 

1.  \V.  Crooke,  Thepopular  Heligioriy  vol.  II,  p.  99-100. 

3.  Pietro   délia  Valle,    Viaggi  descritli  da    lui  medesimo. 


516  LES  PU.NTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

et  c'est  du  nom  d^une  de  leurs  sectes  que  cet  arbre  a 
pris  le  nom  de  banian  ou  de  figuier  des  Banians.  Dans 
le  Radjpoutana,  le  29*  jour  du  mois  de  bairâkh  (avril- 
mai),  les  femmes  rendent  hommage  au  nyagrodha  et 
elles  croient  par  là  être  préservées  du  veuvage*. 
L*udumbara,  dont  le  bois  est  d'un  si  grand  usage  dans 
le  culte,  ne  pouvait,  lui  aussi,  manquer  de  revêtir  un 
caractère  sacré  ;  depuis  longtemps  il  est  de  la  part 
des  nouveaux  mariés,  l'objet  d'une  vénération  particu- 
lière*. Le  5®  jour  après  les  noces,  les  deux  époux  sor- 
tent du  village,  et  quand  le  mari  a  trouvé  un  udum- 
bara,  il  en  balaie  soigneusement  le  dessous  et  y  répand 
des  parfums  en  disant:  «  De  même,  0  arbre,  que  tu 
dresses  dans  les  airs  tes  cent  rameaux,  puissions-nous 
croître  aussi  cent  fois  en  postérité  et  en  biens.  »  Et 
en  y  répandant  des  fleurs,  il  ajoute  :  «  De  même  que 
tu  es  riche  en  fruits,  puissions-nous  avoir  en  abon- 
dance enfants  et  bétail!  »  Puis  ils  prennent  sous  cet 
arbre  béni  leur  repas.  Une  légende  veut  que,  dans  la 
nuit  de  la  Dîvalî,  les  dieux  se  rassemblent  pour  re- 
cueillir toutes  les  fleurs  de  Tudumbara  ;  aussi  n'en 
a-t-on  jamais  vu  sur  cet  arbre'. 

Parmi  les  arbres  sacrés  des  Hindous,  il  faut  men- 
tionner encore  Vaonla  —  ârnalaka  — ,  que  les  Brah- 
manes considèrent  comme  un  arbre  de  bon  augure.  Le 
onze  du  mois  de  phâlguna  (févner)  lui  est  spécialement 
consacré  ;  en  ce  jour  on  verse  au  pied  des  libations,  et 


Roma,  1663,  in-fol.,  vol.  III,  p.  28.  —  J.-B.  Tavernier,  Voyages 
de  Perse  y  liv.  V,  ch.  23. 

1.  W.  Crooke,  The  popular  Religion,  \o\.  II,  p.  98-99. 

2.  Bhaudhâyanâya-Grihya-Sûtra,   ap.  M.  Winternitz,  Dos 
altindische  HochzeitHrituell,  p.  101. 

3.  W.  Crooke,  The  popular  Religion,  vol.  II,  p.  99. 


CULTE  DES  PLANTES  577 

on  lui  adresse  des  prières  pour  la  fécondité  de^ 
femmes  et  du  bétail  et  pour  ]a  réussite  des  moissons  ; 
on  termine  la  cérémonie  en  s'inclinant  dévotement 
devant  lui.  Le  jand  —  Prosopis  spicigera  —  est  aussi 
l'objet  d'une  grande  vénération  dans  le  Pandjab  ;  c'est 
une  coutume  de  revêtir  sous  son  ombre  les  enfants  de 
leur  première  robe,  après  avoir  fait  une  offrande  de 
riz  et  de  sucre.  Quant  au  nimba,  il  est  regardé  comme 
en  relation  étroite  avec  les  divinités  des  maladies  ; 
elles  sont  réputées  —  Sîtalâ,  en  particulier,  et  ses  six 
sœurs  —  résider  au  milieu  de  ses  branches  ;  aussi  à 
l'époque  des  épidérpies,  les  femmes  lui  font  des 
offrandes  de  riz,  de  bois  de  santal  et  de  fleurs  ;  parfois 
aussi  elles  brûlent  de  l'encens  devant  lui.  Le  cocotier^ 
cela  ne  saurait  surprendre,  a  aussi  revêtu  un  caractère 
religieux  ;  son  fruit,  considéré  comme  sacré  entre  tous, 
est  appelé  çriphala  «  fruit  de  Çrî  »  ;  il  est  devenu  un 
emblème  de  fécondité  dans  l'Inde  supérieure*. 

Des  tribus  dravidiennes  ne  le  cèdent  pas  aux  Hin- 
dous aryens  dans  leur  respect  pour  les  arbres  ;  celles 
qui  habitent  dans  les  monts  Vindhya  et  Kaïmour, 
par  exemple,  rendent  au  karam  —  Nauclea  parvifolia 
—  un  véritable  culte  à  Toccasion  des  travaux  agri- 
coles du  mois  de  bhadon  (août-septembre).  Les  ha- 
bitants des  jungles  ont  également  en  grande  véné- 
ration le  sâl,  qu'ils  regardent  comme  hanté  par  les 
esprits.  Les  Bauris  du  Bengale  se  marient  sous  une 
hutte  faite  de  rameaux  entrelacés  de  cet  arbre.  Le 
tamarin  est  aussi  vénéré  par  une  autre  tribu  de  cette 
contrée  qui  enterre  ses  morts   sous   son   ombre.  Le 

1.  W.  Crooke,  The  popular  Jieligion,  vol.  II,  p.  101,  102, 
104  et  106. 

JORET.  —  Les  Plantes  dans  Vanliquité.  II.  —  37 


578  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

mahwa  n'est  pas  moins  honoré  par  les  habitants  indi- 
gènes de  rinde  centrale  ;  le  fiancé  et  la  fiancée  en 
portent  des  branches  à  la  main  le  jour  de  leur  ma- 
riage*. 

Les  cérémonies  qui  accompagnaient  Tabatage  des 
arbres  sont  une  preuve  manifeste  de  la  vénération  que 
de  temps  immémorial  les  Hindous  ont  eue  pour  eux. 
Dans  le  Ehadda-Sâla-Jâtaka^,  les  bûcherons,  chargés 
d'abattre  le  plus  beau  sâl  du  parc  royal,  se  rendent 
au  pied  de  ce  roi  de  la  forêt  les  mains  pleines  de  guir- 
landes parfumées  ;  ils  y  attachent  une  couronne,  l'en- 
tourent d'un  cordon,  auquel  ils  fixent  uu  bouquet  de 
fleurs  et  une  lampe  allumée,  et  ils  le  vénèrent.  L'abat- 
tage des  arbres  destinés  à  faire  les  poteaux  du  sacri- 
fice était  en  particulier  entouré  de  longues  pratiques 
religieuses  '.  On  commençait  par  oindre  avec  du  beurre 
clarifié  le  pied  de  l'arbre  que  l'on  devait  abattre  ;  puis 
on  appliquait,  la  tête  en  haut,  des  tiges  de  darbha  à 
la  place  où  l'on  voulait  le  couper,  en  disant:  «  0  herbe, 
protège-le.  »  Ensuite  le  bûcheron,  tenant  sa  hache 
perpendiculairement  au  darbha,  frappait  l'arbre,  en 
prononçant  ces  mots  :  «  0  hache,  ne  le  blesse  pas.  » 
Quand  il  était  abattu,  un  prêtre  versait  le  reste  du 
beurre  clarifié  sur  la  souche,  restée  en  terre,  et  lui 
adressait  cette  prière,  d'après  la  Taittirîya-Samhitîi  : 
«  Seigneur  de  la  forêt,  grandis  et  pousse  cent  ra- 
meaux. »  Puisse  touchant  le  cœur,  il  ajoutait:  «  Puis- 
sions-nous aussi  grandir  et  pousser  cent  rameaux.  » 

1.  W.  Crooke,  The  popular  Religion,  vol.  Il,  p.  94, 100,  103. 

2.  Stories  ofthe  Buddha's  former  Births,  n*»  465. 

3.  Taf'Uiriya-Samhitâ,  lib.  I,  3,  5.  —  J.  Schwab,  Das  allin- 
discke  Tkieropfer.  Erlangen,  1886,  in-8,  p.  4-7.  —  H.  Olden- 
berg,  La  Religion  du  Véda,  p.  216. 


CULTE  DES  l'UNTES  579 

Après  cela,  on  enlevait  les  branches  du  tronc  et  on 

réquarrissait   en    continuant  de   l'invoquer,  puis  on 

Toignait,  on  l'entourait  d'une  guirlande  de  gazon,  et 
on  lui  adressait  cette  dernière  et  longue  prière  *  : 

Des  hommes  pieux,  en  ce  jour  de  fête,  t'oignent,  seigneur  de 
la  forêt,  du  doux  mets  des  dieux  ;  accorde-nous  tes  bienfaits, 
quand  on  t'aura  dressé  et  que  tu  reposeras  sur  le  sein  de  ta 
mère...  Élève-toi,  ô  seigneur  de  la  forêt,  sur  la  surface  de 
cette  terre,  toi  qu'on  a  habilement  mesuré  ;  prête  ton  éclat  au 
sacrificateur...  Puissent  ceux  qui  t'ont  abattu,  dressé  et  pourvu 
de  breuvage  être  une  source  de  bénédiction  pour  nos  champs 
et  porter  nos  dons  jusqu'aux  dieux...  Seigneur  de  la  forêt,  crois 
avec  mille  rameaux  ;  avec  mille  rameaux  fais-nous  croître 
aussi,  toi  que  cette  hache  tranchante  a  préparé  pour  un  grand 
bonheur  et  comme  une  source  de  bénédiction. 

Parfois  c'était  non  à  l'arbre  lui-même,  mais  au 
génie  qui  l'avait  pris  pour  résidence  que  les  dévots 
adressaient  leurs  hommages.  L'histoire  de  Sujâtîi,  fille 
du  Senânî,  d'un  chef  village  voisin  de  la  foret  d'Uru- 
vilvâ,  en  est  un  exemple  curieux  ^  Un  jour  qu'elle  était 
venue  faire  hommage  à  la  divinité  d'un  nâga,  elle  lui 
promit,  s'il  lui  procurait  un  mari  de  noble  condition 
et  que  son  premier-né  fût  un  fils,  de  lui  offrir  chaque 
année  du  riz  au  lait  et  un  lack  d'argent.  Son  vœu 
ayant  été  exaucé,  Sujâtâ  se  mit  en  devoir  de  préparer, 
avec  du  lait  exquis,  du  santal  et  des  parfums,  le  riz 
qu'elle  voulait  off'rir.  En  attendant,  elle  envoya  sa  ser- 
vante balayer  soigneusement  le  dessous  de  l'arbre.  Elle 
s'y  rendit  ensuite;  mais  en  arrivant,  elle  aperçut, 
plongé  dans  la  méditation,  le  Buddha,  qu'elle  prit  pour 
le  génie  du  nâga  et  auquel  elle  offrit  le  riz. 

1.  RigVeda,  lib.  III,  8,  1,  3,  7,  11. 

2.  Spence  Hardy,  A  manual  of  Buddhism,  p.  170.  Le  nàga 
est  la  Mesua  Roxbuvghii. 


580  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Comme  les  génies  particuliers  des  arbres,  on  invo- 
quait aussi  les  Gandharvas  et  les  Apsaras,  qui  aimaient 
à  y  faire  leur  demeure  '.  Quand  une  noce  passait  auprès 
de  quelque  açvattha  ou  nyagrodha,  elle  ne  manquait 
pas  d'adresser  ses  hommages  à  ces  divinités,  et  leur 
demandait  de  ne  pas  nuire  à  la  fiancée  et  à  ceux  qui 
l'accompagnaient.  «  Que  les  Gandharvas  et  les  divines 
Apsaras,  qui  résident  dans  ces  arbres,  rois  de  la 
forêt,  se  montrent  gracieux  à  cette  jeune  femme, 
qu'ils  ne  fassent  pas  de  mal  à  la  noce  qui  passe  ici 
près.  » 

Ce  n'est  pas  seulement  aux  grands  arbres  que  les 
Hindous  ont  rendu  et  rendent  encore  hommage  ;  de 
simples  arbrisseaux  ou  même  des  plantes  semi-herba- 
cées étaient  et  sont»  aussi  pour  eux  un  objet  de  véné- 
ration. Telle  est  la  tulasi  ;  consacrée  à  Yishnu,  elle  a 
participé  au  culte  rendu  à  ce  dieu  :  «  J'adore,  dît  une 
prière',  la  tulasi,  dont  les  racines  sont  le  but  de  tout 
pèlerinage,  dont  la  tige  est  le  séjour  des  dieux,  et  sur 
les  branches  supérieures  de  laquelle  sont  tous  les 
Védas.  »  On  trouve  la  tulasi  chez  presque  tous  les  Hin- 
dous ;  parfois  cultivée  en  pot,  elle  est  le  plus  souvent 
plantée  dans  la  cour  des  maisons,  avec  un  espace  libre 
qui  permet  d'en  faire  le  tour.  Cette  plante  est  surtout 
vénérée  par  les  femmes  au  mois  de  kârttik  (dé- 
cembrel,  à  l'époque  de  la  pleine  lune.  Les  gens  pieux 
aiment  aussi  à  célébrer  son  mariage  avec  le  jeune 
Krishna. 

Je  suis  loin  d'en  avoir  fini  avec  toutes  les  plantes 

1.  Atharva-Veda,  lib.  XIV, 2,  9.  —  TaiUiriya'Samhitâ,  lib. 
III,  4,  8,  4.  Cf.  Oldenberg,  La  Religion  du  Véda,  p.  212. 

2.  Monier-Williams, /îWi^tou*  Thought,  p.  333.  —  W.  Crooke, 
The  popular  Religion,  vol.  H,  p.  110111. 


CULTE  DES  PLANTES  581 

qui  ont  revêtu  un  caractère  sacré  dans  Tlnde  ;  les 
propriétés  merveilleuses,  que  de  toute  antiquité  les 
habitants  ont  attribuées  à  nombre  d'entre  elles,  les 
firent  entourer  d'un  véritable  culte,  en  même  temps 
qu'elles  leur  ont  fait  prendre  place  dans  la  magie  et  la 
médecine. 


CHAPITRE  VI 


LES  PLANTES  DANS  LA  MAGIE  ET  DANS  LA  MEDECINE 


Au-dessous  des  Dieux  du  Panthéon  védique,  tous, 
Rudra  excepté,  bons  et  bienveillants,  les  Hindous, 
nous  l'avons  vu,  admettaient  l'existence  de  génies  in- 
férieurs, Piçâcas,  Rakshasas,  Yàtudhânas,  etc.,  hos- 
tiles pour  la  plupart  aux  mortels*.  Ce  sont  ces  génies 
qui  sont  la  cause  de  presque  tous  les  maux  dont  souf- 
frent les  hommes.  Ils  se  glissent  dans  le  corps  de 
ceux  qu'ils  poursuivent  ;  ils  dévorent  leur  chair, 
sucent  la  moelle  de  leurs  os,  boivent  leur  sang  et  por- 
tent le  désordre  dans  tout  leur  être.  Tantôt  ils  troublent 
leur  raison,  d'autres  fois  ils  leur  enlèvent  l'usage  de 
la  parole  *.  Leur  action  se  fait  sentir  surtout  dans  les 
grands  événements  de  la  vie:  mariage,  grossesse,  ac- 
couchement, funérailles,  etc.  Malfaisants  aux  hommes, 
ils  ne  le  sont  pas  moins  au  bétail  ;  ils  tettent  le  lait  des 
vaches,  rongent  la  chair  des  chevaux.  Il  n'est  pas  jus- 


i.  H.  Oldenberg,  La  Religion  du  Vèda,  p.  225-227.  Dans  les 
V^édas  les  seconds  portent  le  nom  de  Rakshâs,  forme  mascu- 
line du  neutre  ràkshas  «  injure  »  ;  à  l'époque  bouddhique,  à 
Hakshâs  s'est  substitué  son  dérivé  Ràkshasa. 

2.  Athanm-Veda,  lib.  VIII,  60,20;  V,  29,  5;  VI,  33.  —  Hi- 
raçyakeçin,  Grihya-Sûtra,  I,  4, 15,  5. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MAGIE  583 

qu'aux  habitations  qui  n'aient  à  redouter  leurs  atteintes  ; 
une  maîtresse  poutre  vient-elle  à  se  rompre,  c'est 
qu'un  messager  de  la  mort  s'est  assis  dessus  \  Aussi 
la  liturgie  des  Védas  est-elle  remplie  de  formules 
d'exorcisme  contre  ces  génies  du  mal,  témoignage 
manifeste  de  la  lutte  qu'à  chaque  instant  l'Hindou  se 
croyait  obligé  d'engager  contre  eux. 

Mais  ce  n'est  pas  contre  eux  seuls  qu'il  avait  à  com- 
battre et  à  se  défendre.  Il  lui  fallait  se  préserver  des 
funestes  atteintes  des  âmes  des  morts  condamnées  à 
errer  jusqu'au  jour  de  leur  réunion  aux  Mânes;  enfin 
il  lui  fallait  repousser  les  maléfices  des  hommes  per- 
vers, qui  le  menaçaient  de  leurs  sortilèges.  Comme 
tous  les  peuples  primitifs,  les  anciens  Hindous  croyaient 
que  l'homme  peut  atteindre  à  une  puissance  surnatu- 
relle, que,  grâce  à  certaines  pratiques,  il  peut  com- 
mander aux  éléments,  et  soit  seul,  soit  avec  l'aide  des 
esprits  du  mal,  troubler  l'ordre  de  la  nature  ou  en 
asservir  les  forces  à  sa  volonté  *.  Telle  est  la  magie,  à 
laquelle  tous  peuvent  se  livrer,  mais  dont  le  sorcier  de 
profession  connaît  seul  tous  les  secrets.  A  l'origine 
elle  se  confondait  avec  le  culte,  et  si,  dans  l'Inde, 
elle  s'en  sépara  peu  à  peu,  elle  ne  lui  fut,  à  l'époque 
védique  et  même  plus  tard,  jamais  complètement  étran- 
gère; la  plupart  des  cérémonies  religieuses  étaient 
imprégnées  de  symbolisme  mystique  ou  mêlées  de  pra- 


1.  H.  Oldenberg,  La  Religion  du  Voda,  p.  227-230. 

2.  Dieterici  Tiedemann,  Dixputalio  de  qiLoeslione  quae  fuerit 
artium  magicarum  origo.  Marburgi,  1787,  in-'*,  p.  5.  —  A. 
Maury,  La  Magie  el  V Astrologie  dans  V antiquité  et  au  moyen 
âge.  Paris,  1860,  in-8,  p.  2.  —  F. -G.  Frazer,  The  golden  Bough. 
A  study  in  comparative  Religion,  London,  1890,  in-8,  vol.  I, 
p.  32. 


584  LES  PLANTES  CHEZ  LES  IILNDOUS 


tiques  magiques*,  et  quelques-unes  de  celles-ci  ont 
pénétré  jusque  dans  le  rituel  brahmanique. 

Mais  Tenchanteur  n'avait  pas  uniquement  recours 
aux  génies  malfaisants,  il  mettait  en  œuvre  aussi 
«  certaines  entités,  substances  ou  vertus  plus  ou  moins 
impersonnelles,  tantôt  douées  d'une  existence  indé- 
pendante, tantôt  inhérentes  à  d'autres  objets  »  ;  mais 
qui,  comme  un  fluide,  peuvent  passer  de  Têtre  qui  les 
recèle  à  un  autre.  Souvent  nocives  et  funestes,  ce^ 
entités  mystérieuses  sont  aussi  parfois  bonnes  et  pro- 
pices ;  mais  quelle  qu'en  soit  la  nature,  leurs  propriétés 
peuvent  se  communiquer  par  le  contact;  elles  pénètrent 
aussi  dans  le  corps  par  onction,  par  aspersion  ou  par 
friction  ;  elles  s'y  introduisent  avec  le  boire  et  le 
manger,  par  les  narines  et  avec  l'haleine  ;  le  regard 
même  peut  leur  servir  de  véhicule  et  les  envoyer  dans 
un  autre  sujet  ^  C'est  ainsi  que  certains  mets  donnent 
à  celui  qui  en  mange  quelque  chose  de  la  vertu  qu'ils 
sont  supposés  renfermer;  que  la  fermeté  de  la  pierre, 
sur  laquelle  le  marié  lui  fait  poser  le  pied,  se  commu- 
nique à  la  jeune  épouse. 


I 


Pour  écarter  les  mauvais  génies,  détruire  l'effet  des 
substances  nocives  ou  rendre  efficaces  celles  qui  étaient 
bonnes,  le  sorcier  avait  recours  à  des  pratiques  di- 
verses :  exorcismes,  conjurations,  incantations,  — 
«  formules  récitées  à  un  certain  moment  de  l'opération 


1.  H.  Oldenberg,  La  Religion  du  Véday  p.  407-408. 

2.  H.  Oldenberg,  La  Religion  du  Véda,  p.  409-411. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MAGIE  585 

r 

magique  »  *  et  d'ordinaire  versifiées  — ,  où  tantôt  il 
mêlait  le  charme  à  la  prière,  le  commandement  à  la 
menace,  tantôt  annonçait  comme  arrivé  ce  qu'il  avait  en 
vue,  afin  d'en  amener  l'événement',  etc.  Ces  pratiques 
variaient  suivant  les  circonstances  ;  l'enchanteur  en 
connaissait  pour  tous  les  cas,  et  ne  se  faisait  pas  faute 
d'y  avoir  recours.  De  même,  nous  l'avons  vu,  que  tous 
les  événements  de  la  vie  étaient  accompagnés  de  céré- 
monies religieuses  particulières,  de  même  et  encore 
plus  ils  le  furent  à  l'origine,  et  ils  continuèrent  presque 
toujours  de  l'être,  par  des  opérations  magiques  ;  point 
d'acte,  quelque  insignifiant  qu'il  pût  être,  pour  lequel 
l'intervention  du  sorcier  —  le  plus  souvent  il  n'était 
autre  que  le  prêtre  —  ne  fût  jugée  nécessaire. 

Des  charmes  préservaient  la  grossesse  de  la  mère 
et  assuraient  la  naissance  de  l'enfant  ;  des  charmes 
donnaient  à  l'étudiant  l'intelligence  des  Védas  '  et 
dirigeaient  le  jeune  homme  après  son  entrée  dans  la 
vie  ;  des  charmes  permettaient  de  connaître  l'avenir, 
l'issue  des  afi*aires  qu'on  entreprenait  et  la  femme 
qu'on  devait  choisir,  ou  faisaient  retrouver  ce  qu'on 
avait  perdu  et  percevoir  môme  ce  qui  est  invisible*.  Il 
y  avait  des  charmes  pour  gagner  l'afi'ection  d'une 
personne  aimée  et  en  assurer  la  constance,  pour 
écarter  une  rivale  ou  en  triompher ^  Il  y  en  avait  pour 

1.  Fossey,  La  magie  assyrienne.  Paris,  1902,  in-8,  p.  17. 

2.  H.  Oldenberg.  La  Religion  du  Véda,  p.  439-440. 

3.  Altindisches  Zauberritual.  Probe  einer  Uebe^'setzung  der 
wichtigsten  Theile  des  Kauçika  Sulra  von  W.  Caland.  Amster- 
dam, 1900,  in-4,  cap.  X,  1-24  ;  XXXIV,  311;  XXXV,  1-4,  8-10, 
16-19. 

4.  K.-S.,  cap.  XXXVIÏ,  1-3,  4-6,  7-12;  LU,  12-14. 

5.  K.-S.,  cap.  XXXV,  25-28  ;  XXXVI,  5-9,  12,  13-14,  15-17, 
18,  19,  etc.  Sàmavidhânabràhmana,  cap.  III,  4,  1-2. 


586  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

maintenir  ou  ramener  la  concorde  dans  les  familles  ou 
parmi  les  habitants  d'un  même  village  S  pour  gagner 
un  procès,  rendre  certain  le  succès  d'une  entreprise  ou 
d'un  voyage,  être  heureux  au  jeu  et  dans  tout  ce  que 
Ton  faisait  ',  ainsi  que  pour  préserver  le  bétail,  bénir 
les  travaux  du  labourage  et  les  semailles'.  Il  j  avait 
des  charmes  pour  rétablir  un  prince  exilé  sur  son 
trône,  porter  le  désordre  dans  les  rangs  d'une  armée 
ennemie,  en  mettre  en  fuite  les  éléphants  et  remporter 
la  victoire  *.  Il  y  en  avait  également  pour  conjurer  une 
tempête  ou  la  foudre,  faire  cesser  une  pluie  excessive, 
détourner  un  cours  d'eau*,  etc.  Des  incantations  aussi 
servaient  à  détourner  les  présages  funestes,  à  détruire 
les  mauvaises  herbes  qui  étouffaient  les  récoltes,  à 
chasser  la  vermine  des  champs*.  Enfin  il  y  avait  des 
imprécations  magiques  contre  les  démons  et  les  sor- 
ciers, pour  se  venger  de  ses  ennemis  et  renvoyer  contre 
eux  leurs  maléfices',  etc. 

Les  vertus  merveilleuses,  dont  la  croyance  popu- 
laire revêtit,  de  temps  immémorial,  nombre  de  plantes 
dans  rinde,  leur  fit  prendre  place  de  bonne  heure  dans 
la  magie  ;  on  les  invoqua  comme  des  génies  tout 
puissants  et  bienfaisants.  C'est  ainsi  qu'un  hymne  de 
TAtharva-Véda  nous  montre  une  femme  délaissée  im- 


1.  K.S.,  cap.  XXXVI,  10-11  ;  XL,  6-4. 

2.  K.-S.,  cap.   XXIV,  3-10,  41-'i6;  XXXVIIÏ,  17-21,  27-31; 
XLÏ,  8-9,  iO-13,  15-17  ;  XLÏI,  1-5,  etc. 

3.  K.-S..  cap.  XXIII,  12-16,  17;  XXIV,  1-2,  3536. 

4.  K.-S.,  cap.  XIV,  1,  7,  17,  22,  24,  27-29;  XV,  1  ;  XVI,  1, 
27. 

5.  A'.-5.,  cap.  XXXVIIÏ,  1-6,  7,  8-11  ;  XL,  1-10. 

6.  K.-Sy  cap.  XLVI,  53-55;  LI,  15-16,  17-22. 

7.  À.'V,,  lib.  I,  7  et  8;  II,  14;  111,9:  V,  14  et  31;  X,  1,  etc. 
— /C.-5.,  cap.  XVIII,  1-18  ;  XXXIX,  8-31, 


LES  PLANTES  DANS  LA  MAGIE  587 

ploraot  Tassistance  d'une  plante,  qui  malheureusement 
n'est  pas  nommée,  pour  écarter  sa  rivale  et  regagner 
le  cœur  de  son  époux*. 

Je  déracine  cette  plante  riche  en  vertus,  avec  laquelle  on 
chasse  sa  rivale  et  on  reconquiert  son  époux.  —  0  toi,  dont 
les  feuilles  sont  larges,  plante  heureuse,  envoyée  des  Dieux, 
fais  fuir,  toute-puissante,  loin  de  moi  cette  rivale  ;  fais  que  mon 
époux  soit  exclusivement  à  moi. 

Dans  un  autre  hymne  du  même  recueil,  une  espèce 
de  réglisse,  le  madhukà,  est  invoqué  pour  gagner 
Taffection  d'une  personne  aimée.  Ailleurs  le  poète- 
magicien  prie  le  dharba  d'apaiser  la  colère  de  ses 
proches,  comme  des  étrangers-,  et  Tarundhatî  de  pro- 
téger son  bétail.  Ailleurs  encore  il  demande  à  l'açvat- 
tha,  à  râhva,  au  bàdhaka,  d'abattre,  de  déchirer, 
d'exterminer  ses  ennemis  ^  Une  autre  plante  non  moins 
puissante,  la  pâtà,  est  implorée  pour  obtenir  le  gain 
d'un  procès'. 

Que  mon  ennemi  ne  remporte  pas  dans  ce  débat  !  lu  es 
forte  et  toute -puissante.  Triomphe  des  arguments  de  ceux  qui 
luttent  contre  moi  ;  prive-les  de  leur  force,  ô  plante.  —  Un 
aigle  t*a  trouvée,  de  son  museau  un  sanglier  t'a  déterrée. 
Triomphe,  etc.  —  Indra  te  plaça  sur  son  bras,  afin  de  vaincre 
les  Asuras.  Triomphe,  etc.  —  Avec  ton  aide  je  l'emporterai  sur 
mon  ennemi,  comme  Indra  sur  les  Sàlàvrikas.  Triomphe,  etc. 

Au  premier  rang  des  plantes  magiques  était  l'açvat- 


1.  Atharva-Veday  lib.  III,  18.  Bloomfield,  p.  167. 

2.  Atharva-Veda,  lib.  I,  34;  VI,  39  et  43;  VIII, 8,  3.  Varun- 
dhati  est  une  liane  incertaine  ;  Vàhva  est  inconnu,  le  bâjhaka 
a  été  identifié  avec  VHolarrhena  antidyxenterica. 

3.  Ou  bànaparni (Clypea  hemandifolia).  A.-V.,  lib.  II,  27, 
1-5.  Une  feuille  de  cette  plante  convenablement  disposée  est 
employée  dans  le  Kauçika-Sùtra,  cap.  III,  36,  19-21,  pour 
triompher  d'une  rivale. 


588  LES  PU.^TES  CHEZ  LES  HINDOL'S 

tha  ;  ses  dimensions  considérables,  sa  tendance  à  s'im- 
planter sar  les  autres  arbres,  qu*il  étouffait  de  sa 
croissance,  son  caractère  sacré,  lui  avaient  fait  attri- 
buer une  puissance  destructive  irrésistible ,  aussi  lui 
demandait-on  de  faire  périr  les  ennemis  qu*on  redou- 
tait'. 

Comme  ta  pénètres,  ô  açvattha,  au  milieu  des  vagues  de 
Tatmosphère,  renverse  tous  ceux  que  je  bais  et  qui  me  haïs- 
sent. —  Toi  qui  ^avances  en  conquérant,  comme  un  taureau 
vainqueur,  puisse- je  avec  toi  vaincre  mes  rivaux  !  Que  la  Nirriti 
enchaine  dans  les  entraves  de  la  mort,  qu'on  ne  peut  dénouer, 
les  ennemis  que  je  hais  et  qui  me  haïssent!  — Toi  qui  grimpes 
sur  les  arbres,  ô  açvattha,  et  les  domines,  fends  en  deux  la 
tête  de  mes  ennemis  et  dompte-les...  Je  les  chasse  à  Taide  de 
ma  volonté,  de  mon  intention,  avec  cette  incantation.  Nous  les 
chassons  avec  line  branche  d'acvattha. 

Comme  on  ne  pouvait  toujours  avoir  à  sa  disposition 
la  plante  magique  que  Ton  devait  invoquer,  on  en  por- 
tait sur  soi  ',  on  en  donnait  au  sujet  qu'il  fallait  protéger, 
des  fragments  en  guise  de  talisman.  Un  hymne  de 
TAtharvanous  montre  un  prince  invoquant  l'assistance 
d'une  amulette,  faite  en  bois  de  parna',  contre  ses 
ennemis,  et  lui  demandant  de  fortifier  son  pouvoir  et 
de  le  faire  régner  longtemps.  Un  autre  hjmne  exalte 
longuement  les  vertus  d'une  amulette  du  «  divin  » 
varana,  «  taureau  qui  détruit  les  rivaux  »,  et  préserve 
de  tous  les  dangers  *. 

Avec  elle  tombe  sur  tes  ennemis  et  écrase  ceux  qui  veulent 
te  nuire.  —  Brise-les,  écrase-les,  tombe  sur  eux  ;  que  cette 
amulette  te  guide  et  te  précède  !  Avec  ce  varaça  les  Dieux  ont 

1.  Atharva-Veday  lib.  III,  6,  3-6  et  8. 

2.  «  Cette  amulette  de  varaça  se  trouve  sur  ma  poitrine  ». 
Atharva-Veda,  X,  3, 12. 

3.  Ou  palâça  (Butea  frondosa).  A.-V.^  lib.  III,  5. 

4.  Crataeva  Roxburghii,  Atharva-Veda,  lib.  X,  3,  1-3. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MAGIE  589 

triomphé  de  Tassaut  des  Âsuras.  —  Cette  amulette  de  varana 
jettera  à  tes  pieds  tes  ennemis  ;  attaque  le  premier  ceux  qui  te 
haïssent. 

Ailleurs  un  talisman  en  bois  de  sraktya*  est  célébré 
comme  doué  des  vertus  les  plus  hautes.  C'était  avec 
lui  qu'Indra  avait  tué  Vritra,  vaincu  les  Asuras  et 
conquis  le  ciel  et  la  terre. 

Plein  de  force,  il  tue  les  rivaux,  fait  d'un  homme  un  héros, 
le  protège  de  toutes  parts,  lui  est  d'un  bon  augure...  Victo- 
rieux, conquérant,  triomphant,  redoutable,  il  marche  à  ren- 
contre des  maléfices  et  les  détruit.  —  11  est  un  tigre,  un  lion, 
un  taureau,  il  déchire  ses  ennemis,  celui  qui  porte  ce  talisman. 
—  Ni  les  Apsaras  ne  le  tuent,  ni  les  Gandharvas,  ni  les  hommes  ; 
il  règne  au  loin  sur  toutes  les  régions,  celui  qui  porte  ce 
talisman. 

Non  moins  puissante  était  une  amulette  en  bois  de 
khadira*,  symbole  de  force  à  cause  de  sa  dureté,  à 
laquelle  on  avait  donné,  sans  doute  pour  en  augmenter 
TefiScacité,  la  forme  jd'un  soc  de  charrue  ;  «  créée  par 
Prajâpati,  donnée  aux  Dieux  par  Brihaspati  dans  leur 
lutte  contre  les  Asuras  »,  elle  conférait  puissance, 
bien-être,  postérité  et  richesse  à  ceux  qui  la  por- 
taient. 

Les  plantes  magiques  et  les  amulettes  étaient  sur- 
tout invoquées  contre  les  pratiques  des  sorciers  et  les 
menaces  incessantes  des  génies  malfaisants.  Dans  un 
hymne  connu  de  l'Atharva,  un  rishi  implore  une 
plante  qu'il  ne  nomme  pas,  mais  à  laquelle  il  demande 
de  le  défendre  contre  les  maléfices  des  sorciers^: 

Un  aigle  t'a  trouvée,  de  son  museau  un  sanglier  t'a  déterrée, 

1.  Ou  tilaka  (Clerodendron phlomotdes).  A.-V.,  lib.  VIII,  5, 
1-2,  3  et  12-13.  Cf.  A'. -5.,  cap.  XIV,  22-27. 

2.  Acacia  calechu,  Atfiarva-Veda,  lib.  X,  6,  4,  19,  23  et  35. 

3.  Atharva-Veda,  lib.  V,  14,  1-2,  4  et 9. 


590  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINOODS 

efforce-toi,  ô  plante,  de  nuire  à  celui  qui  cherche  à  nous  nuire. 
...  Extermine  les  magiciens,  extermine  celui  qui  prépare  un 
charme  (contre  nous).  Tue,  ô  plante,  celui  qui  cherche  à  nous 
nuire...  Saisis  et  renvoie  ce  charme  contre  celui  qui  Ta  pré- 
paré... Prends  tes  armes  et  frappe,  tue  celui  qui  prépare  des 
charmes  (contre  nous). 

Dans  une  autre  incantation  du  même  recueil*,  nous 
voyons  le  prêtre-sorcier  implorer  contre  les  Raksbâs 
et  les  Piçàcas  —  après  Agni,  Rudra  et  Varuna  —  une 
plante  innomée  encore,  mais  dont  «  l'universel  pou- 
voir doit  les  unir  à  Yama  »  —  la  mort  — .  Ailleurs 
c'est  à  une  plante  connue  et  «  à  l'antique  renommée  », 
rajaçringî',  qu'il  demande  assistance  contre  les  génies 
des  airs  et  des  eaux. 

Avec  toi,  ô  herbe,  les  Atharvans  d'abord,  avec  toi  Kaçyapa, 
avec  toi  Kaçiva  et  Agastya  tuèrent  les  Rakshâs.  —  Avec  toi  nous 
disperserons  les  Apsaras  et  les  Gandharvas.  0  ajaçriûgî,  perce 
de  tes  aiguillons  les  Hakshàs,  que  ton  odeur  les  chasse!...  0 
herbe,  poursuis  et  écrase  les  Piçàcas  qui  dévorent  les  avàkâs 
et  illuminent  les  eaux  de  leurs  petites  flammes  scintillantes  ! 

Une  araarantacée,  que  rien  d'ailleurs  ne  recom- 
mande à  l'attention,  ^apâmârga^  est  invoquée  à  chaque 
instant  contre  les  démons,  et  comme  détruisant  par 
sa  puissance  victorieuse  toutes  les  incantations. 

Toi  qui  as  mille  séjours,  jette  ta  malédiction  sur  les  démons 
Viçikha  et  Vigrîva,  retourne  cette  incantation  contre  celui  qui 
Ta  faite...  Avec  cette  plante  je  mets  à  néant  tous  les  charmes, 
ceux  qui  ont  été  jetés  sur  tes  champs,  sur  ton  bétail,  sur  tes 
serviteurs...  L'apàmàrga  effacera  toutes  les  malédictions, 
elle  dispersera  tous  les  enchanteurs,  tous  les  démons  envieux... 
0  plante,  tu  marches,  semblable  à  une  forte  armée  ;  où  tu 

1.  Atharva-Veda,  lib.  IV,  32. 

2.  Odina  pinnata.  A.-V.,  lib.  IV,  37,  1-3  et  10. 

3.  Ackyranthes  aspera.  A.V.,  lib.  IV,  17;  18,  4,  5,  7  ;  19, 
2-4,  7-8. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MAGIE  501 

arrives,  il  n'y  a  plus  rien  à  craindre...  Tu  es  à  la  fois  la  pro- 
tectrice des  faibles  et  la  destructrice  des  Hakshàs.  —  Quand^ 
à  Torigine  des  choses,  avec  toi  les  Dieux  chassèrent  les  Asuras, 
tu  fus  engendrée  comme  apâmârga.  —Toi  dont  le.s  fruits  sont 
recourbés,  écarte  de  moi  toute  malédiction,  les  armes  destruc- 
tives. —  Protégc-moi,  que  ta  centuple  force  me  garde  !  Le  dieu 
fort  Indra  a  mis  la  force  en  toi,  ô  Souveraine  des  Plantes  ! 

Les  prêtres-sorciers,  dans  leurs  enchantements  se 
contentaient  rarement  de  simples  formules  conjura- 
toires,  ils  y  joignaient  le  plus  souvent  des  pratiques 
diverses,  destinées  à  donner  plus  d'importance  ou 
d'efficacité  à  leurs  incantations  ;  les  plantes  eurent 
place  dans  ces  opérations  magiques,  comme  dans  les 
simples  charmes  ;  elles  y  apparaissent  tantôt  comme 
ingrédients  indispensables,  tantôt  à  titre  d  auxiliaires 
ou  même  comme  emblèmes  symboliques  de  Faction 
qu'il  s'agissait  de  produire.  C'est  ainsi  que  dans  un 
charme  de  TAtharva,  fait  en  vue  de  découvrir  les  sor- 
ciers et  les  Piçâcas  que  le  magicien  veut  .combattre,  il 
tient  à  la  main  un  rameau  de  sadaihpushpâ  S  «  l'œil 
de  Kaçyapa  ».  La  plante  brâhmi ^  mangée  après  un 
jeûne  de  huit  jours,  avec  accompagnement  d'une  cer- 
taine mélopée,  mettait  en  état  de  répéter  tout  ce  qu'on 
avait  entendu.  Un  bâton  de  karavîra,  convenablement 
consacré,  portait  bonheur  à  qui  le  portait  à  la  main^. 
L'incertaine  varshâpâ  était  employée  dans  un  charme 
pour  amener  la  pluie.  Des  tiges  du  balbaja,  qui  avait 

1.  Calotropis procera.  A.-V.^  lib.  IV,  20,  6-9. 

2.  Herpeslis  monniera  d'après  Hoernle.  Bower  Mss.,  p.  16, 
n«52. 

3.  Le  karavira  est  le  Nerium  odorum»  Bas  Sàmavidhâna- 
brâhmatja,  cap.  II,  7,  '*  ;  4,  1.  Un  cure-dent  d'apàmàrga,  con- 
sacré suivant  le  rite,  et  employé  pendant  un  an  sans  cracher 
et  en  récitant  chaque  fois  une  stance  appropriée,  faisait  aimer 
de  qui  l'on  voulait.  Cap.  II,  6, 1-2. 


592  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

poussé  à  Tendroit  où  une  vache  pleine  avait  uriné, 
liées  aux  bûches  du  sacrifice  oifert  avant  la  bataille, 
fortifiaient  le  courage  de  Tarmée  *.  Voulait-on  con- 
naîtra le  sexe  d'un  enfant  à  naître,  on  déterrait,  sui- 
vant le  rite  prescrit,  une  plante  sraja,  inconnue  d'ail- 
leurs ;  si  la  racine  était  simple  et  non  rongée  des  vers, 
c'était  un  garçon  '.  Afin  d'assurer  à  une  femme  enceinte 
une  heureuse  délivrance,  on  lui  remettait  le  troisième 
mois  de  la  grossesse,  une  triple  amulette  faite  de 
bourgeons  de  nyagrodha  et  de  racines  de  bambou  et 
solennellement  consacrée  ;  elle  la  portait  dans  sa  cein- 
ture et  était  sûre  d'accoucher  sans  peine  et  même 
d'avoir  un  garçon*.  Un  pâtre,  qui  menait  son  troupeau 
au  pâturage,  avait  soin  de  brandir  derrière  lui  un  épieu 
de  khadira,  oint  avec  le  résidu  de  la  graisse  du  sacri- 
fice :  simulacre  de  combat  qui  préservait  le  troupeau 
de  l'attaque  des  fauves  et  des  voleurs.  Pour  amener  le 
retour  dans  ses  états  d'un  prince  exilé,  le  purohita 
mettait  à  cuire  sur  un  feu  de  branches  de  kâmpîla, 
repoussées  de  la  souche,  une  bouillie  faite  avec  du  riz 
de  la  seconde  récolle  et  du  lait  d'une  vache,  qui  avait 
un  veau  de  même  couleur  qu'elle;  puis  après  avoir 
versé  dessus  les  restes  du  beurre  qui  avait  servi  au 
sacrifice,  et  l'avoir  bénie,  il  la  donnait  à  manger  au 


1.  TaiUiriya-Samfiitâ,  1  et  2,  4,  10,  3.  A.  Hillebrandt,  Ve- 
dische  Opfer  und  Zauber,  p.  173. 

2.  Kauçikâ-Sùtra,  cap.  XXXIII,  9-12. 

3.  SâmavidhAnabrâhmana,  lib.  II,  2,  1.  Cf.  K.-S.,  XXXIII, 
1-3,  un  moyen  de  savoir  si  une  femme  enceinte  aura  ou  non 
une  délivrance  heureuse.  Ces  procédés  magiques  des  médecins 
Hindous  frappèrent  les  Grecs.  «  Posse  eos  et  fecundas  facere 
mulieres,  et  marium  et  feminarum  procreationem  medica- 
mentis  praestare  »,  dit  Strabon,  XV,  1,  60. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MEDECINE  593 

prince.  Le  quatrième  jour  ses  anciens  sujets  le  rappe- 
laient*. 

On  devine  facilement  la  signification  de  ces  diverses 
pratiques  ;  on  s'explique  sans  peine  aussi  remploi  des 
lacets  en  bois  d'açvattha  et  des  filets  en  çana,  munis 
de  manches  en  bois  de  bâdhaka,  qui,  après  avoir  été 
enduits  des  résidus  de  l'offrande,  étaient  déposés  sur 
le  chemin  que  devait  suivre  l'armée  ennemie  :  emblème 
de  la  captivité  dans  laquelle  elle  devait  fatalement 
tomber.  Non  moins  clair  est  l'usage  symbolique  des 
plantes  dans  le  charme  destiné  à  mettre  en  déroute 
les  ennemis.  En  face  de  l'armée,  sur  un  feu  de  bois 
de  bâdhaka,  le  purohita  faisait  une  libation  d'huile 
d'ingida,  en  prononçant  les  paroles  sacramentelles  ; 
puis  au  Nord  du  feu  il  plantait  en  terre  une  branche 
d'açvattha,  teinte  en  rouge  ^  et  après  l'avoir  entourée 
de  deux  cordons,  l'un  bleu  foncé,  l'autre  rouge,  il  la 
lançait  dans  la  direction  du  Sud,  la  région  des  Mânes, 
en  prononçant  les  mots  :  «  Victoire  à  ceux-ci,  défaite 
pour  ceux-là;  de  noir  et  rouge,  je  les  enveloppe.  » 


II 


Les  charmes  et  les  amulettes  n'étaient  pas  moins 
employés  dans  la  thérapeutique  que   dans  la  magie 

1.  K.'S.,  cap.  LI,  1  ;  XVI,  27-33.  D'après  Bloomfield,  Hymns 
ofthe  Atharva-Veda,  p.  240,  et  W.  Caland,  Kauçika-SiUra, 
p.  15,  le  kâmpîla  serait  le  Crinum  amaryllocee  —  il  faudrait 
au  moins  amaryllaceum  — ;  mais  le  Crinum  amaryllaceum 
n'existe  pas;  de  plus,  les  Crinum  sont  des  plantes  herbacées 
et  n'ont  point  de  branches  ;  j'incline  à  voir  dans  le  kâmpîla 
le  Mallotus  philippinensis. 

2.  Kauçika-Sûtra,  cap.  xvi,  16-17  et  19-20. 

JoRET.  —  Les  Plantes  dans  V antiquité.  H.  —  38 


591  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

ordinaire  ;  ils  servaient  à  guérir  les  maladies,  aussi 
bien  qu'à  écarter  les  dangers  et  les  maléfices  dont  on 
était  menacé  ;  le  médecin  à  Torigine  ne  se  distinguait 
pas  du  sorcier  ;  comme  lui  il  était  prêtre  ;  parfois 
même  il  n'était  que  prêtre  ou  sacrificateur.  Si,  de 
même  que  tous  les  autres  maux,  les  maladies  ont  été 
regardées  longtemps  comme  produites  par  une  influence 
mauvaise,  à  l'origine  elles  furent  plutôt  considérées 
comme  une  manifestation  de  la  colère  des  Dieux*,  la 
punition  d'une  off'ense  envers  leur  majesté  '.  Le  repentir 
et  l'expiation  de  ses  fautes  ou  de  celles  de  ses  proches, 
des  sacrifices,  des  prières  adressées  aux  Dieux,  qui 
président  à  la  santé  :  Varuna,  Rudra,  les  Maruts, 
Soma,  etc.,  pouvaient  seuls,  en  les  apaisant,  éloigner 
les  maux  qui  menaçaient  le  coupable  ou  guérir  ceux 
dont  il  était  déjà  atteint  ^ 

Pardonne-nous  les  péchés  commis  par  nos  pères;  pardonne- 
nous  ceux  que  nous  avons  commis  nous-mêmes;  comme  la 
génisse  débarrassée  du  lien  (qui  la  retenait),  laisse  en  liberté 
Vasishtha  *. 

Tu  as  des  remèdes  par  centaines,  par  milliers,  ô  Roi,  dit 


1.  Charles  Daremberg,  Recherches  sur  Vétal  de  la  médecine 
durant  la  période  primitive  de  l'histoire  des  Indous,  p.  6. 
{Union  médicale^  an.  1869.)  —  W.  Crooke,  The  popular  Reli- 
gion of  northej*n  India,  vol.  I,  p.  123. 

2.  «  Je  cherche  avidement  quel  est  mon  péché  et  Je  le 
demande  aux  sages,  dit  aussi  Vasishtha  atteint  d'hydropisie  ;les 
voyants  me  donnent  pour  toute  réponse,  c'est  Varuna  qui  est 
irrité  contre  toi.  »  Big-Veda,  lib.  Vil,  86,  3. 

3.  Grohmann,  Medicinisches  aus  dem  Alharva-Veda.  (In- 
dische  Studien,  vol.  IX  (1865),  p.  408  et  suivantes). 

4.  A  Varuna.  Atharva-Veda,  lib.  VII,  86,  5.  Et  ailleurs,  II, 
28,  9  :  «  Kemets-^ous  nos  propres  méfaits,  implore  Gritsamada, 
que  je  n'aie  pas  à  expier  le  mal  commis  par  autrui.  Bien  des 
aurores  se  lèveront  encore,  accorde-moi  de  les  voir  en  pleine 
vie.  rt 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  595 

Çunahçepa  '  ;  large  et  profonde  aussi  est  ta  bonté  ;  repousse 
loin  de  nous  la  ruine,  délivre-nous  du  péché  commis...  Je 
l'implore  en  f  honorant  de  mes  prières  ;  sacrificateur,  je  te  le 
demande  avec  cette  libation  ;  ô  Varuna,  toi  qui  règnes  au  loin, 
ne  t'irrites  pas  contre  nous,  ne  nous  ravis  pas  la  vie.  —  La 
voix  de  mon  cœur  me  le  dit  le  jour,  elle  me  l'annonce  la  nuit  ; 
le  roi  Varuna,  que  Çunahçepa,  jadis  prisonnier,  a  imploré, 
nous  délivrera...  0  Varuna,  que  nos  sacrifices  et  nos  prières, 
que  ces  libations,  détournent  ta  colère  !  Toi  qui  es  la  force,  roi 
sage,  remets-nous  les  péchés  que  nous  avons  commis. 

Quelquefois,  comme  s'il  n'eût  eu  la  conscience 
d'aucune  faute,  le  malade  se  bornait  à  adresser  une 
simple  prière  aux  Dieux,  protecteurs  de  la  santé*. 

Que  ta  faveur  soit  sur  nous,  ô  Père  des  Maruts;  ne  nous 
retiens  pas  loin  de  la  vue  du  soleil  !  Sois  favorable,  héros,  à 
nos  rapides  coursiers  !  Donne-nous,  Rudra,  de  continuer  de 
vivre  dans  nos  enfants...  Chasse  loin  de  nous  la  maladie  et  la 
souffrance,  et  écarte  de  nous  toutes  les  attaques  du  mal...  Tu 
te  laisses  fléchir  par  la  prière  et  par  le  sacrifice  ;  je  te  veux 
apaiser  par  mes  chants. 

Comme  on  le  voit  dans  cet  hymne,  parfois  c'était  le 
malade  lui-même  qui  demandait  aux  Dieux  la  guétrison 
de  ses  souffrances  ;  mais  le  plus  souvent  c'étaient  des 
prêtres-médecins,  qui  avaient  pour  mission  de  les 
apaiser  par  leurs  supplications  et  par  leurs  offrandes 
et  d'en  obtenir  laguérison  du  patient. 

1.  A  Varuna.  Rig-Veda,  lib.  I,  24,  9,  11-12  et  14.  Et  encore, 
Vï,  74,  2-3.  «  0  Soma  et  Rudra,  chassez  la  maladie,  qui  a 
pénétré  dans  notre  demeure  ;  repoussez  loin  de  nous  la  ruine 
et  qu'une  heureuse  renommée  soit  notre  partage  !  —  0  Soma 
et  Rudra,  procurez  à  nos  corps  tous  les  remèdes  connus  de 
vous;  déliez,  détachez  de  nous  ce  qui  reste  inhérent  à  nos  c-orps 
des  péchés  que  nous  avons  commis  !  » 

2.  Big-Veda,  lib.  Il,  33,  1-2,  3  et  5.  Et  ailleurs,  X,  59,  4  : 
«  i\e  nous  livre  pas,  ô  Soma,  en  proie  à  la  mort;  puissions- 
nous  voir  souvent  encore  le  soleil  se  lever  ;  puisse  notre  vieil- 
lesse durer  de  longs  jours  ;  puisse  la  Nirriti  fuir  loin  de  nous  !  » 


596  LKS  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Par  cette  oblation  je  le  rends  à  la  vie*,  affranchi  de  son  mal 
inconnu  et  grave  ;  et  si  la  maladie  le  saisit  de  nouveau,  qu'In- 
dra et  Agni  le  délivrent!  —  Quand  il  serait  demi-mort,  qu'il 
toucherait  à  sa  fin  ou  serait  déjà  trépassé,  j'irai  le  chercher  au 
sein  de  la  destruction,  je  le  sauverai,  afin  qu'il  vive  cent  prin- 
temps. —  Avec  cette  oblation  aux  cent  yeux,  qui  recèle  cent 
automnes  et  une  centuple  vie,  je  l'ai  délivré,  afin  qu*Indrale 
conduise  pour  cent  hivers  au  rivage  éloigné  de  tout  mal.  — 
Qu'il  vive  dans  le  bien-être  cent  automnes,  cent  hivers  et  cent 
printemps  joyeux  ! 

L'Atharva-Véda^  renferme,  comme  le  Rig-Véda  et 
encore  plus,  de  nombreuses  prières  adressées  aux 
Dieux  par  le  patient  ou  le  prêtre-médecin  pour  obte- 
nir la  guérison  des  maladies,  ainsi  qu'une  longue  vie 
et  la  santé.  Toutefois  il  arrivait  aussi  que,  dédaignant 
d'invoquer  les  Dieux,  le  prêtre-médecin  commandait 
lui-même  à  la  souffrance,  et  c'étaient  ses  paroles  libé- 
ratrices qui  la  chassaient  et  rappelaient  le  malade  a, 
la  vie. 

Reste  ici,  ô  homme',  ne  suis  pas  les  messagers  de  Yama; 
reviens  au  séjour  des  vivants.  — Ne  crains  rien;  tu  ne  mourras 
pas;  je  te  ferai  vivre  jusqu'à  la  vieillesse.  J'ai  banni  de  tes 
membres  la  maladie  qui  les  ravageait.  —  La  maladie  qui  tor- 
turait et  ravageait  tes  membres,  la  détresse  de  ton  coeur,  ont 
fui  au  loin  comme  l'aigle,  vaincus  par  mon  charme. 

Cependant  à  côté  de  la  conception  qui  voyait  dans 
les  maladies  un  effet  de  la  colère  des  Dieux  ou  la 


1.  Rig-Veda,  lib.  X,  161,  1-4. 

2.  Lib.  II,  28;  III,  11  et  28;  VI,  113,  115,  120,  etc.,  VII,  53. 
Telle  celle-ci,  lib.  V,  23, 1-2.  «  J'ai  invoqué  leCiel  et  la  Terre  ; 
j'ai  invoqué  la  déesse  Sarasvatî  ;  j'ai  invoqué  Indra  et  Agni. 
Qu'ils  écrasent  ces  vers  !  Tue,  Indra,  les  vers  de  cet  enfant, 
ô  toi,  maître  des  trésors  !  Toutes  les  puissances  ont  été  tuées 
par  mon  imprécation.  » 

3.  Atharva-Veda,  lib.  V,  30,  6,  8  et  9.  Cf.  II,  28  ;  III,  11  et 
31;  VII,  53;  VIII,  1,  etc. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  597 

punition  de  fautes  commises,  s'en  rencontra  de  bonne 
heure  une  autre  toute  différente,  qui  les  attribuait, 
comme  tous  les  autres  maux  dont  les  hommes  sont 
atteints,  à  l'influence  nocive  des  démons  de  la  nuit  ou 
des  esprits  de  l'air,  surtout  de  Nirriti  «  la  Perdition  », 
personnifiée  et  devenue  la  plus  redoutable  des  puis- 
sances ennemies  des  mortels  *  ;  il  faut  ajouter  aux  prati- 
ques des  sorciers.  C'est  contre  ces  puissances  invisibles 
et  funestes  qu'on  invoque  maintenant  la  protection  des 
Dieux. 

Anéantis  avec  tes  feux  les  Yâtudhânas,  que  ta  chaleur  dévo- 
rante, ô  Agni^,  détruise  les  Rakshâs  ;  que  ta  flamme  chasse, 
disperse  les  Mùradevas,  ces  démons  qui  s'attaquent  à  notre 
vie...  au  Yàtudhâna,  qui  se  repaît  de  chair  humaine,  de  la 
chair  des  coursiers  et  du  bétail,  qui  tarit  le  lait  des  vaches,  que 
tes  traits  brûlants,  ô  Agni,  fendent  la  tête  ! 

Au  lieu  de  s'adresser  aux  Dieux,  on  cherchait  par- 
fois à  apaiser  le  démon,  cause  de  la  maladie,  par 
d'humbles  soumissions  ou  par  des  prières  \ 

Que  tu  sois  flamme,  que  tu  sois  chaleur...  toi  qu'on  appelle 
Hrùdu  *,  ô  dieu  de  la  jaunisse,  aie  pitié  de  nous,  épargne-nous, 
ô  Takman.  —  Que  tu  brûles,  que  tu  écorches,  que  tu  sois  fils 
du  roi  Varuna,  toi  qu'on  appelle  Hrûdu,  aie  pitié  de  nous, 
épargne-nous,  ô  Takman. 

1.  Outre  Nirriti,  on  trouve  aussi  comme  divinités  du  mal, 
Aràti,  a  l'impiété  »,  Gràhi,  «  la  rapacité  »,  etc.  Nirriti  a  été 
identifiée  par  M.  Speyer  avec  Nerthus,  la  déesse  chthonienne 
desK^ermains,  Eene  Indische  Vf  rivante  de  Germansche  Godin 
Nerthus.  {Verhnndelingen  van  de  Maatschappij  dernederl.Let- 
terkunde  te  Leiden^  1901-1902). 

2.  AtharvaVeda,  lib.  X,  87,  14  et  16.  Et  ailleurs,  V,  22: 
«Qu'Agni  chasse  loin  d'ici  le  takman — la  fièvre  personnifiée — ! 
Que  Soma  et  Varuna  à  l'habileté  éprouvée  le  chassent  au  loin  !  » 

3.  H.  Zimmer,  op.  laud.,  p.  396.  L'hymne  V,  7  est  un  hom- 
mage d'adoration  et  d'obéissance  rendu  à  Aràti  et  à  Nirriti 
«  aux  cheveux  d'or  ». 

4.  Atharva-Veda,  lib.  I,  25,  2,  3,  4. 


598  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Au  froid  Takman  ^  au  Takman  qui  brûle  et  donne  le  délire, 
je  rends  hommage.  Au  Takman  qui  revient  le  matin,  à  celui 
qui  revient  tous  les  deux  jours,  au  Takman  qui  revient  le  troi- 
sième jour,  je  rends  hommage. 

Le  plus  souvent  toutefois  on  combattait  la  maladie 
ou  les  esprits  mauvais  à  Taide  d^une  conjuration  ;  on 
cherchait,  par  un  contre-charme  plus  puissant,  à  ren- 
voyer le  sort  malfaisant  sur  celui  qui  Tavait  jeté  '. 

Le  mal  de  tête,  la  douleur  de  tête,  les  élancements  d*oreilIes, 
la  décomposition  du  sang,  toute  maladie  de  la  tête,  nous  les 
bannissons  par  ce  charme... 

L*envoùtement,  qui  a  été  préparé  par  un  çùdra  ou  par  un 
râja,  préparé  par  une  femme  ou  par  les  Brahmanes,  comme 
une  matrone  rejetée  par  son  mari,  qu'il  se  retourne  contre 
celui  qui  Ta  fabriqué  et  contre  ses  parents. 

Ce  moyen  de  combattre,  par  une  incantation,  les 
maux  dont  on  souffrait  ou  qu*on  redoutait  était  le  plus 
ordinairement  employé  dans  les  derniers  temps  védi- 
ques. L*Atharva-Véda  est  rempli  d'incantations  contre 
toutes  les  maladies,  dont  on  pouvait  être  atteint  ;  le 
takman',  espèce  de  fièvre  paludéenne  particulièrement 
redoutée,  et  certaines  affections  qui  s'y  rapportent  : 
le  bab\sa,  son  «  frère  »,  et  sa  «  sœur  »  la  kâsiki  —  la 
toux  — ,  ainsi  que  son  «  neveu  »  le  pâman  —  une 
espèce  d'éruption*  —  ;  les  différentes  formes  de  yak- 
shma*  —  la  phtisie — ,  le  visalyaka  et  le  vidradha,  ses 
symptômes  incertains  ;  les  douteux  apvà,  vâtîkârgL  et 

1.  Athm'va-V€da,\\b,X,\.  Cî.  lib.  1,  25;  VI,  20;  VII,  116,  etc. 

2.  A.-V,,  lib.  IX,  8,  1;  X,  1,3.  Et  encore  V,  8:  «OAgni,toi 
qui  gapne  les  batailles,  par  un  contre-charme  rejette  cette  con- 
juration sur  celui  qui  l'a  faite.  » 

3.  Lib.  I,  25;  V,  22;  VI,  20;  VII,  116. 

4.  Lib.  V.  22,  11-12  ;  VI,  li  et  105.  -  Grohmann,  Medicini- 
sches.  (Indische  Stvdien,  vol.  IX,  p.  381-407). 

5.  Lib.  IX,  8  ;  XIX,  44,  2.  Zimmer,  op.  laud.,  p.  375-379. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MEDECINE  599 

visbkandha\  le  kilâsa  ou  lèpre  ^,  le  kshetriya,  espèce 
de  maladie  héréditaire  ^,  etc.  ;  puis  la  jaunisse,  le 
dérangement  et  les  douleurs  d'entrailles  *,  la  constipa- 
tion et  la  rétention  d'urine,  Thydropisie  *,  Tapacit 
—  scrofules*  — ,  les  hémorragies  et  Tophtalmie'',  les 
arças* —  hémorrhoïdes  — -,  les  vers  intestinaux',  les 
poisons,  le  venin  des  serpents  et  les  piqûres  d'insectes *°, 
la  folie  enfin,  regardée  comme  une  possession  du 
démon".  Il  y  avait  également  des  charmes  pour  faire 
pousser  les  cheveux  et  faciliter  les  accouchements  ", 
s'assurer  une  santé  parfaite  et  l'immunité  contre  toute 
espèce  de  maladie,  obtenir  une  longue  vie  et  même 
l'exemption  de  la  mort  *^. 

Comme  les  autres  charmes  magiques,  les  charmes 
curatifs  étaient  souvent  accompagnés  d'une  prière  ou 
d'une  incantation,  adressée  à  une  plante  dont  on  im- 
plorait le  secours  comme  celui  d'une  divinité  toute- 
puissante  :  c'est  ainsi  qu'un  rishi  invoque  la  plante 


1.  Lib.  VI,  127,  1  et  3;  IX,  8,20;  I,  16,  3;  III,  2,  5  et  9,6. 
Pour  A.  Weber,  Tapvâ  était  une  espèce  de  diarrhée.  Indische 
Studien,  vol.  IX,  p.  'i82. 

2.  Lib.  I,  23  et  24 .  T.  A .  VVise,  Commeniary  on  ihe  II indu  System 
ofmedicine.  Calcutta,  1845,  in-8.  p.  258. 

3.  Lib.  II,  Set  10;  111,7.  —  Zimmer,  op.  laud.,  p.  391. 

4.  Lib.  I,  22;  I,  2;  II,  3;  VI,  44  et  90. 

5.  Lib.  I,  3,  I,  10;  VI,  24;  VU,  83. 

6.  Lib.  VI,  83,  1-3;  VU,  74,  1-2  et  76,  1-2. 

7.  Lib.  I,  17;  VI,  16.  —  Wise,  op.  laud., p.  272  et  291. 

8.  Vàjasaneya'Samhiiâ,  XII,  98.  —  Wise,  op.  laud.,  p.  209 
et  384.  —  Zimmer,  op.  laud.,  p.  393. 

9.  Lib.  II,  31  et  32  ;  V,  23.  —  Zimmer,  op.  laud.,  p.  394. 

10.  Lib.  IV,  6  et  7,  V,  13;  VI,  12;  VII,  56. 

11.  Lib.  VI,  45  et  111  ;  II,  9.  —  Zimmer,  op.  laud.,  p.  393. 

12.  Lib.  VI,  21,  136 et  137;  I,  11;  VI,  17. 

13.  Lib.  II,  32;  IX,  8;  II,  29;  III,  11,  28,  31,  53;  V,  30;  VII, 
53;  VIII,  let2. 


600  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

priçniparnî  *,  contre  le  démon  Kanva,  personnification 
d'une  maladie  indéterminée. 

La  déesse  priçniparnî  a  préparé  pour  nous  le  bonheur,  le 
malheur  pour  Nirriti.  C'est  une  tière  destructrice  des  Kauvas  ; 
j'ai  eu  recours  à  sa  vertu.  —  La  déesse  priçniparnî  a  été  en- 
gendrée toute-puissante;  avec  elle  j'abats  les  têtes  de  cette 
engeance  mauvaise,  comme  celle  d'un  oiseau.  0  priçniparnî, 
détruis,  dompte  le  démon  qui  suce  le  sang  et  qui  tente  de  nous 
ravir  la  santé,  le  Kanva,  qui  dévore  notre  postérité.  Repousse 
au  milieu  des  montagnes  ces  Kaçvas  destructeurs  de  nos  vies  ; 
poursuis-les,  brûlante  comme  le  feu,  ô  déesse  Priçniparçjî.  — 
Chasse  ces  Kanvas  destructeurs  de  nos  vies  ;  qu'ils  s'enfuient 
ces  mangeurs  de  chair  dans  la  région  des  ténèbres  ! 

Plus  puissant  encore  était  le  jangida*;  «  créé  à 
trois  reprises  par  les  Dieux  sur  terre  »,  il  était  doué 
de  vertus  sans  limites  ;  il  mettait  en  fuite  toutes  les 
maladies,  protégeait  surtout  contre  le  visbkandha  et 
le  samskandha,  le  balâsa  et  le  takman,  les  convulsions 
et  les  douleurs  musculaires  ;  enfin  il  détruisait  les 
Rakshàs  et  les  malintentionnés  ;  mais  c'était  surtout 
contre  les  charmes,  qu'ils  fussent  ourdis  par  les 
hommes  ou  les  Dieux,  qu'on  l'invoquait. 

Que  le  jangida  nous  protège  ',  comme  le  trésorier  fait  de  ses 
trésors,  lui  dont  les  Dieux  et  les  Brahmanes  ont  fait  un  refuge 
qui  met  à  néant  les  puissances  du  mal.  Parla  vigilance,  détruis, 
ô  plante  aux  cent  yeux,  des  malintentionnés  le  mauvais  œil, 
le  criminel  qui  m'approche  !  Que  le  jangida  me  protège  contre 
tout  ce  qui  me  menace,  (qu'il  vienne)  du  ciel,  de  la  terre  ou 
de  l'atmosphère,  du  passé  ou  de  l'avenir;  qu'il  nous  protège 
dans  toutes  les  directions  !  Que  le  jangida,  remède  universel, 

1.  Hemionitis  cordifolia.  A.-V.,  lib.  II,  25,  1-5. 

2.  Le  jongitfa  paraît  être  la  Terminalta  arjuna.  H.  Zimmer, 
op.  laud.y  p.  69.  —  M.  Bloomfield,  Jlymns  of  the  Atharva- 
Veda,  p.  280.  Le  samskandha  ne  semble  pas  différent  du  vish- 
kanda 

3.  Athana-Veda,  lib.  XIX,  35,  2-5.  Cf.  lï,  4  et  XIX,  34. 


LKS  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  601 

rende  impuissants  les  charmes  préparés  par  les  Dieux,  comme 
ceux  des  mortels  ! 

L'apâmârga,  cette  amarantacée  qui,  par  une  espèce 
de  jeu  de  mot,  avait  été  douée  de  vertus  si  merveil- 
leuses, jouait  un  rôle  considérable  dans  la  médecine 
magique  ;  elle  écartait  les  maladies,  comme  elle  met- 
tait en  fuite  les  esprits  malfaisants  et  effaçait  les 
souillures  du  péché  ;  on  s'explique  par  là  l'enthousiasme 
avec  lequel  en  parle  le  prêtre-médecin  qui  s'en  sert*. 

Nous  te  saisissons,  ô  maîtresse  victorieuse  des  remèdes.  J'ai 
fait  de  toi,  ô  plante,  un  remède  d'une  force  centuple  bon  pour 
tous.  —  Infaillible  et  victorieuse,  protectrice  puissante,  toi  qui 
détournes  la  malédiction,  je  t'ai  recueillie,  avec  toutes  les 
plantes,  afin  que  tu  nous  délivres  de  notre  trouble...  —  La 
mort  par  la  faim,  la  mort  par  la  soif,  la  pauvreté  en  bétail,  le 
manque  de  postérité,  tout  cela,  ô  apàmârga,  nous  l'évitons  par 
toi.  —  La  mort  par  la  soif,  la  mort  par  la  faim,  la  malechance 
au  jeu,  tout  cela,  ô  apàmârga,  nous  l'évitons  par  toi.  —  L'apà- 
màrga  est  le  souverain  maître  des  plantes,  avec  lui  nous  écar- 
tons de  toi  le  malheur  :  vis  désormais  exempt  de  maladie. 

Au  lieu  de  la  plante,  c'en  était  souvent  un  simple 
fragment,  une  amulette,  dont  on  se  servait  dans  les 
incantations  ;  telle  une  amulette  en  bois  de  varana, 
«  qui  renfermait  mille  remèdes  et  gardait  contre  tout 
mal  ».  Il  arrivait  même  parfois  qu'on  réunissait  en- 
semble plusieurs  morceaux  de  plantes  différentes,  afin 
sans  doute  de  donner  plus  de  force  au  talisman  ;  tel 
est  celui  composé  de  dix  espèces  de  bois  —  daça- 
vriksha  — ,  auquel  un  atharvan  —  prêtre-médecin  — 
demande  la  guérison  d'un  malade*. 

O  (amulette)  de  dix  espèces  de  bois,  délivre  cet  homme  du 


1.  A.-V.,  lib.  IV,  17,  1-2,  6-8  et  18.  Cf.  VII,  65.  3. 

2.  Atharva-Veda,  lib.  X,  3,  3-4  ;  II,  9,  1,  4  et 5. 


«02  LES  PI.ANTKS  CIIKZ  LES  HINDOUS 

démon  et  du  mal  qui  a  saisi  ses  membres.  Ramëne-le,  6  plante, 
au  monde  des  vivants.  —  H  est  revenu  à  lui ,  il  a  regagné  la 
société  des  vivants.  Il  est  devenu  le  père  de  fils  (nombreux)  et 
le  plus  heureux  des  hommes...  car  il  a  cent  médecins  et  mille 
herbes  bienfaisantes.  —  Les  Dieux  t'ont  inventée  ;  les  Brah- 
manes ont  trouvé  les  plantes  (qui  te  composent)...  Le  (dieu) 
qui  a  envoyé  le  mal,  le  guérira;  il  est  lui-même  le  meilleur 
des  médecins. 

C'est  contre  leyakshma,  que  i'arundhatî,  cette  liane 
magique  non  identifiée,  dont  le  poète  de  l'Atharva 
exalte  les  vertus  et  qu'il  nous  montre  s'enlaçant  autour 
des  arbres  comme  une  «  courtisane  amoureuse  »,  était 
d'ordinaire  invoquée  ;  mais  on  la  regardait  également 
comme  souveraine  pour  la  réduction  des  fractures*. 

La  nuit  est  ta  mère,  le  nuage  ton  père,  Aryaman  ton  grand- 
père,  Silâcî  ton  nom  ;  tu  es  la  sœur  des  Dieux.  —  Qui  te  boit, 
vit;  protège  cet  homme,  toi  qui  es  le  recours  de  toutes  les 
générations,  le  refuge  de  tous  les  hommes...  Tu  es  la  guérison 
des  blessures  faites  par  le  bâton,  la  flèche  ou  le  feu;  guéris 
donc  cet  homme.  —  Tu  grimpes  et  crois  sur  Tombreux  plak- 
sha,  l'açvattha.  le  khadira,  le  dhava,  ainsi  que  sur  le  noble 
nyagrodha  et  le  parna  ;  viens  à  nous,  ô  arundhatî.  —  De  cou- 
leur d'or,  bienfaisante,  brillante  comme  un  rayon  de  soleil,  ô 
belle  (plante),  attache-toi  à  cette  fracture;  guérison  est  ton 
nom.  —  De  couleur  d'or,  bienfaisante,  parfumée,,  aux  tiges 
velues,  tu  es  la  sœur  des  eaux,  ô  lâkshâ;  le  vent  est  ton  souffle. 
—  Tombée  de  la  bouche  du  brun  coursier  de  Yama,  tu  t'es, 
ruisseau  ailé,  élancée  sur  les  arbres;  viens  à  nous,  ô  arun- 
dhatî. 

C'est  cette  plante  encore  qui  est  invoquée  à  la  fin  de 
l'incantation  suivante,  d'un  caractère  si  archaïque  et 
vraiment  indo-européen*. 

1.  A.-V.,  lib.  V,  5,  12,  4-7  et  9:  VI,  59,  1-3.  M.  Caland  a 
voulu,  à  cause  de  son  surnom  lâkshâ,  voir  dans  I'arundhatî, 
la  laque;  mais  alors  pourquoi  serait-ejlc  décrite  comme  une 
liane  ?  Cf.  M.  Bloomfield,  Hymnx,  p.  387. 

2.  Al/iarva-Veda,  lib.  IV,  12,  2-6. 


LKS  PLANTKS  DANS  LA  MEDECINE  603 

Les  os  de  tes  membres  froissés  et  brisés,  que  Dhâtar  les  re- 
joigne doucement,  quil  en  unisse  les  parties  séparées  ?  —  Que 
la  moelle  s'unisâe  à  la  moelle,  que  ta  chair  disparue,  que  tes 
08  croissent  de  nouveau  !  —  Que  la  moelle  se  joigne  à  la  moelle, 
la  peau  à  la  peau.  Que  ton  sang,  tes  os  croissent,  que  ta  chair 
croisse  unie  à  ta  chair  !...  0  plante,  rejoins  ce  qui  est  séparé! 

Mais  dans  cette  conjuration,  Tarundhatl  n'agit 
guère  que  par  sa  présence  ;  ce  sont  les  paroles,  pro- 
noncées par  le  prêtre-médecin,  comme  dans  les  for- 
mules germaniques  connues  *,  qui  produisent  la  guéri- 
son  des  membres  brisés. 

Dès  longtemps,  à  en  juger  par  le  nombre  des 
incantations  qui  s'y  rapportent,  on  attacha  une  impor- 
tance particulière  à  la  croissance  des  cheveux  ;  une 
plante  indéterminée,  la  nitatnî,  était  invoquée  pour  la 
favoriser. 

Tu  es  née.  ô  plante  2,  comme  une  déesse  sur  la  terre  divine  ; 
nous  t'arrachons,  ô  nitatnî,  afin  que  tu  fortifies  la  croissance 
de  ses  cheveux,  -r-  Fortifie  ceux  qui  sont  déjà  vieux,  fais-en 
pousser  de  nouveaux.  Rends  plus  vigoureux  ceux  qui  sont 
venus.  —  Sur  ceux  de  tes  cheveux  qui  tombent  et  dont  la 
racine  est  détruite,  sur  tous  je  secoue  cette  herbe  salutaire. 

C'était  aussi  sans  doute  la  nitatnî  que  Jamadagni 
avait  déterrée  pour  faire  pousser  les  cheveux  de  sa 
fille,  et  qui,  apportée  par  Vîtahavya  de  la  demeure 
d'Asita,  dit  un  hymne  ^  les  fit  croître  de  la  longueur 
d'une  toise. 

Bien  d'autres  plantes,  aujourd'hui  connues  ou  incon- 
nues, étaient  employées  dans  les  incantations  raédi- 

1.  Kuhn,  Indische  und  germanische  Segensprnche.  {Zeii- 
schrift  fur  vergteichende  SprachforRchung,  vol.  XIII  (1864), 
p.  51-57).  -  J.  Grimm,  Deutsche  Mythologie,  p.  1030  (1182). 

2.  Atharva-Veda,  lib.  VI,  136, 1-3. 

3.  Atharva-Veda,  lib.  VI,  137,  1-3. 


604  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOLS 

cales;  telle  Tâsuri,  la  moutarde  de  l'Inde ^  dont  le 
goût  piquant  avait  peut-être  fait  une  plante  magique  ; 
telle  aussi  la  pippall,  grain  de  poivre,  qu'on  trouve 
dans  une  incantation  destinée  à  guérir  les  blessures 
faites  par  les  armes  de  trait  et  par  les  instruments 
contondants;  l'orge  «  fille  du  ciel  »,  remède  universel  ; 
l'indéterminé  cîpudru,  imploré  contre  les  abcès,  le 
flux  de  sang  et  le  balàsa^;  le  çana,  qu'on  invoquait 
avec  le  jangida,  contre  le  vishkandha  ;  la  vishànakà, 
plante  inconnue,  à  laquelle  on  demandait  la  guérison 
des  dérangements  d'entrailles  ;  l'incertain  âbayu,  «  au 
jus  fort  »,  qui  était  invoqué  contre  l'ophtalmie  ;  le 
guggulu,  dont  la  douce  odeur  faisait  fuir  les  maladies  ^ 
Bien  autrement  important  que  toutes  ces  plantes 
était  le  kushtha,  «  le  bon  ami  de  soma  »,  plante  semi- 
mythique,  qui  apparaît  dans  les  plus  anciennes  lé- 
gendes; renommée  entre  toutes  par  sa  «  puissance 
divine  »,  elle  était  surtout  employée  pour  combattre  le 
takman,  ce  mal  si  redouté  et  si  redoutable  *. 

Que  le  divin  protecteur  kushtha  vienne  ici  de  l*Himavant, 
détruire  tous  les  takmans  et  tous  les  charmes  féminins.  —  Tu 
portes  trois  noms  :  «  kushtha  »,  «  point  de  mort  »,  «  point  de 
dommage  ».  Qu'il  ne  souffre  aucun  dommage  celui  pour  lequel 
je  t'implore  matin  et  soir  et  tout  le  jour.  —  Le  nom  de  ta  mère 
est  jîvahà  «  vivifiante  »,  le  nom  de  ton  père  jivanta  «  vivant  ». 
Qu'il  ne  souffre,  etc.  —  Tu  es  la  plus  excellente  des  plantes, 
comme  le  taureau  au  milieu  du  troupeau,  le  tigre  au  milieu 
des  bètes  de  proie.  Qu'il  ne  souffre,  etc.  —  Trois  fois  procréé  par 
le  Çâmbu  Aôgîras,  trois  fois  par  les  Âdityas  et  trois  fois  par 
tous  les  Dieux,  ce  kushtha,  remède  universel,  combat  avec  le 


1.  S  inapis  die  ho  toma,  Magoun,  The  Asuri-kalpa,  {The  ame- 
rican  Journal  of  Philology,  vol.  X  (1889),  1.  p.  172). 

2.  A.V.,  lib.  VI,  91,  1;  109,  1-2  et  127,  1. 

3.  A.-V.,  lib.  II,  4,  5;  VI,  44,  2;  16,  1;  XIX,  38,  1. 

4.  A.'V.y  lib.  XIX,  39,  1-5  et  10.  Cf.,  V,  4. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  605 

sonia.  Détruis  tous  les  takmans,  tous  les  charmes  féminins... 
—  Le  takman  qui  revient  tous  les  trois  jours,  celui  qui  se  con- 
tinue sans  interruption,  celui  qui  revient  chaque  année,  ô 
plante  à  la  force  irrésistible,  chasse-les  loin  d'ici*. 

Outre  les  plantes  magiques  que  je  viens  de  citer  il  y 
en  avait,  nous  en  avons  déjà  vu  des  exemples,  beau- 
coup d'autres  dont  l'Atharva  ne  donne  pas  les  noms, 
mais  dont  il  célèbre  complaisamment  les  vertus  mer- 
veilleuses. Il  y  est  question  entre  autres  d'une  plante 
«  de  couleur  sombre  »,  invoquée  pour  guérir  la  lèpre  ; 
une  autre  «  par  son  éclat  »  servait  à  écarter  le  kshe- 
triya,  espèce  de  maladie  héréditaire  ;  d'autres  plantes 
également  anonymes  figurent  dans  des  conjurations 
contre  les  poisons,  ainsi  que  contre  le  venin  des  ser- 
pents et  les  piqûres  d'insectes.  Il  y  avait  une  plante 
qui  fortifiait  la  virilité*. 

A  ces  panacées  de  la  médecine  védique,  il  faut 
joindre  la  plus  célèbre,  le  soma.  L'hymne,  que  j'ai  cité 
dans  le  chapitre  précédent,  représente  les  maladies, 
efi'rayées  à  l'approche  du  divin  breuvage,  «  s'enfuyant 
impuissantes  au  milieu  des  ténèbres,  »  et  il  se  termine 
par  ces  vers,  qui  nous  montrent  que  cette  liqueur  sacrée 
n'était  pas  moins  une  boisson  médicinale  qu'une  offrande 
aux  Dieux  ^.  «  Le  puissant  soma  est  descendu  en  nous, 
nous  sommes  arrivés  au  point  où  la  vie  se  prolonge... 
Tu  es,  ô  soma,  un  restaurateur  de  nos  forces  ;  pénètre  en 
nous  de  toutes  parts.  »  Si  les  maladies  s'enfuient  de- 
vant le  soma,  s'il  est  invoqué  ici  comme  un  protecteur. 


1.  Outre  le  takman,  le  kushtha  guérissait  les  maux  de  tète 
et  d'yeux,  ainsi  que  les  douleurs  d'entrailles.  A.-V,.  lib.  V,  4, 
10.  Cf.  Ziramer,  p.  6'». 

2.  A.-K,  lib.  I,  24;  II,  8,2;  IV,  7,  4;  VII,  56,  2;  IV,  4. 

3.  Rig-Veda,  lib.  VIII,  48,  11  et  15. 


e06  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

c'est  qu'il  avait  la  vertu  de  rendre  et  d'entretenir  la 
santé.  «  J'ai  pris  du  soma  au  lever  du  soleil,  c'est  le 
remède  du  malade  »,  dit  un  rishi\  résumant  par  ces 
mots  toutes  les  vertus  salutaires  qu'on  attribuait  à  ce 
breuvage  sacré. 

Parfois  ce  n'était  pas  une  plante  particulière,  mais 
les  plantes  en  général  que  l'on  invoquait.  C'est  ainsi 
qu'un  rislii  demande  aux  «  nombreuses  plantes  au  cen- 
tuple aspect  »  ou  aux  «  cinq  royaumes  des  plantes  et 
à  soma  leur  roi  »  la  délivrance  des  maux  qui  le  mena- 
cent; que  pour  obtenir  un  fils,  un  autre  rishi  implore 
«  les  plantes  dont  Dyaus  est  le  père,  dont  Prithivî  est  la 
mère  et  l'Océan  la  racine*  ».  C'est  à  toutes  les  plantes 
indistinctement,  considérées  comme  remède  universel, 
que  s'adresse  encore  l'auteur  de  l'hymne  suivant  \ 

Les  brunes  et  les  blanches,  les  rouges  et  les  mouchetées,  les 
plantes  à  la  sombre  couleur,  les  noires,  toutes  nous  Qes)  invo- 
quons. —  Qu'elles  sauvent  Thomme  que  voici  de  la  maladie 
envoyée  par  les  Dieux...  Les  plantes  que  je  connais  et  celles 
que  mon  œil  contemple,  les  inconnues  et  celles  que  nous  con- 
naissons, que  toutes  les  plantes  écoutent  ma  parole,  afin  que 
nous  arrachions  cet  homme  à  l'infortune  et  le  mettions  en 
sûreté...  Celles  que  connaissent  les  serpents  et  les  Gandharvas, 
je  les  appelle  à  son  secours.  —  Celles  qui  relèvent  des  Angiras, 
et  que  connaissent  les  aigles  et  les  faucons  célestes,  celles  que 
connaissent  les  oiseaux^  les  flamants  et  tous  les  volatiles,  celles 
que  connaissent  les  bétes  sauvages,  je  les  appelle  à  son  secours. 
—  Toutes  celles  que  paissent  les  bœufs  et  les  vaches,  les 
chèvres  et  les  brebis,  que  toutes  ces  plantes,  appliquées  sur 
toi,  te  donnent  protection. 

Si  à  l'origine  les  prières  aux  Dieux  et  les  incanta- 

t.  Rig-Vcda,  lib.  VIII.  61,  17. 

2.  A.-V.,  lib.  VI,  96,  1;  XI,  6,15;  III,  2,3,  6. 

3.  A.'V..  lib.  VIII,  7,  1-2,  18-19,  23-25.  Ludwig,  Der  Rig- 
Veda,  vol.  lll,  p.  505.  —  Bloomfield,  Hymns,  p.  41-44.  — 
V.  Henry,  Les  livres  VIII  et  IX  de  l'Alharua-Veda,  p.  20-22. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  607 

tions  étaient  considérées  comme  pouvant  à  elles  seules 
amener  la  guérison  des  maladies,  les  sorciers-médecins 
y  joignirent  bientôt  diverses  pratiques,  doutTAtharva 
a  omis  ou  dédaigné  de  faire  mention,  mais  que  le 
Kauçika-Sùtra  nous  fait  connaître  en  détail  *  ;  ces 
pratiques  constituaient  la  partie  matérielle  du  traite- 
ment, dont  les  conjurations  n'étaient  que  Taccompa- 
gnement  religieux  et  traditionnel.  Les  causes  tout 
extérieures  que  les  anciens  Hindous  attribuaient  aux 
maladies  devaient  en  rendre  singulièrement  uniforme 
la  thérapeutique  ;  le  môme  traitement  servait  souvent 
pour  plusieurs  maladies  différentes  et  quelquefois 
même  pour  n'importe  quelle  maladie*.  Quant  aux  pra- 
tiques qui  se  joignaient  aux  incantations,  elles  étaient 
d'une  grande  simplicité  :  avec  les  amulettes,  elles 
comprenaient  presque  exclusivement  des  ablutions  et 
des  lotions  d'eau  ordinaire,  des  frictions  ou  des  onc- 
tions, des  boissons  d'une  composition  souvent  bizarre, 
des  mets  ordinaires  et  parfois  aussi  des  inhalations. 
Mais  les  prières  prononcées  en  les  faisant  ou  en  les  pré- 
parant, les  substances  consacrées  qu'on  y  ajoutait,  les 
incantations  qui  en  accompagnaient  l'emploi  leur  don- 
naient un  caractère  religieux  et  magique  particulier. 
D'après  le  Kaudka-Siitra  \  par  exemple,  avant 
d'employer  une  amulette,  le  prêtre-médecin  la  faisait 
tremper  trois  jours  dans  un  mélange  de  lait  caillé  et 
de  miel;  puis,  après  avoir  sacrifié,  il  versait  dessus, 


1.  Gap.  XXV-XXXVII,  W.  Caland.  p.  67-125. 

2.  A'.,S.,cap.XXV,4-5,20-22;XXVI,  40;  XXVII,  3;  XXVIII, 
8,  17-20;  XXX,  1-18. 

3.  Cap.  XIX.  22.  Cf.  Oldenberg,  La  Religion  du  Vêda, 
p.  437.  —  V.  Ueary,  La  Magie  dans  V Inde  antique.  Paris,  1904, 
in-12,  p.  40. 


608  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

avant  de  s'en  servir,  les  restes  du  beurre  clarifié 
—  sampâta  — ,  qui  avait  servi  à  l'oblation  ;  par  là 
seulement  l'amulette  acquérait  toute  sa  vertu.  De  même 
Teau,  qui  servait  aux  ablutions  d*un  malade  devait 
être  préalablement  consacrée  et  mêlée  de  sampâta  ;  on 
en  versait  aussi  sur  la  bouillie  qu'il  mangeait,  dans  les 
potions  qu'on  lui  faisait  prendre,  etc.  Tous  ces  remèdes 
avaient  ainsi  quelque  chose  de  sacré  ;  quant  à  leur 
composition,  elle  dépendait  bien  plus  de  considérations 
magiques  que  de  Tefficacité  réelle  des  ingrédients  qui 
y  entraient,  et  un  assez  petit  nombre  de  plantes  ser- 
vaient à  les  préparer.  On  comprendra  dès  lors  que  je 
ne  m'y  arrête  guère.  Je  me  bornerai,  pour  donner  une 
idée  de  cette  médecine  magique,  à  faire  connaître  le 
traitement  de  quelques-unes  des  maladies  pour  la  gué- 
rison  desquelles  étaient  employés  surtout  des  remèdes 
d'origine  végétale. 

Commençons  par  la  fièvre  paludéenne,  —  le  takman, 
de  l'Atharva,  l^jvara  des  écrivains  postérieurs*.  Pour 
combattre  cette  afi'ection  si  redoutable  dans  les  pays 
tropicaux,  on  suspendait  au  cou  du  malade,  à  l'aide 
d'un  cordon  en  mûnja,  un  épi  de  cette  plante,  enduit 
de  sampâta  et  consacré  par  une  incantation  de  cir- 
constance, puis  on  lui  faisait  boire  une  potion  d'eau, 
mêlée  de  sampâta  et  «  bénie  »  suivant  le  rite,  dans 
laquelle  on  avait  mis  du  gazon  et  de  la  terre  de  four- 
millière  piles.  D'autres  fois  on  lui  donnait  une  décoc- 
tion de  grains  de  riz  grillés*.  S'agissait-il  d'un  malade 
atteint  de  consomption  —  yakshma  — ,   on  lui  atta- 


1.  Julius  Jolly,  Medicin,  p.  17  et  70.  (Grundriss  der  indo- 
arischen  Philologie,  III,  10). 

2.  /iT.-S.,  cap.  XXV,  6  8;  XXIX,  18.  Voir  plus  haut,  p.  598. 


'       LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  60» 

chait,  en  récitant  l'incantation  appropriée,  une  amulette 
en  bois  de  varana  *.  Pour  guérir  une  rétention  d'urine, 
le  traitement  était  plus  compliqué.  Après  avoir  fixé  au 
cou  du  malade,  en  guise  d'amulette,  un  fruit  d'harîtakî, 
on  lui  donnait  à  manger  le  lait  et  le  miel  dans  lesquels 
il  avait  trempé  ;  puis  on  lui  faisait  prendre  un  mélange 
composé  de  terre  de  fourmilière,  d'herbe  pûtîka,  de 
branchettes  repoussées  d'une  souche,  le  tout  réduit  en 
poudre,  mis  dans  du  lait  caillé  et  délayé  dans  de  l'eau. 
D'autres  fois  il  buvait  une  infusion  plus  agréable  d'ala, 
de  bisa  et  d'ula.  Enfin  le  prêtre-médecin  lançait  une 
flèche  dans  sa  direction,  ou  ce  qui  était  évidemment 
plus  efficace,  il  le  sondait  avec  un  roseau  consacré*. 
Une  incantation  prononcée,  tandis  qu'on  versait  sur 
la  tête  du  malade  de  l'eau  dans  laquelle  on  avait  mis 
21  poignées  de  darbha  ou  21  chaumes  d'une  couverture 
en  paille,  tel  était  le  traitement  de  l'hydropisie.  Par- 
fois on  y  ajoutait  une  friction  faite  de  haut  en  bas, 
pendant  que  le  malade  buvait  quelques  gorgées  d'eau'. 
Cette  eau  et  celle  qu'on  versait  sur  lui  agissait  par 
sympathie.  On  combattait  aussi  la  jaunisse  par  un 
procédé  sympathique.  On  faisait  manger  à  celui  qui 
en  était  atteint  une  bouillie  de  riz  cuite  avec  du  cur- 
cuma,  puis  on  le  frottait  de  la  tête  aux  pieds  avec  ce 
qui  restait.  Ensuite  avec  un  fil  jaune,  on  attachait,  par 
la  patte  gauche,  des  oiseaux  jaunes  de  couleur  au  pied 
du  lit  du  patient  ;  on  l'y  faisait  étendre  et  on  l'arrosait 
alors  avec  de  l'eau  ;  les  oiseaux  la  recevaient  et  en 

1.  K.-S.,  cap.  XXVI,  37.  Voir  plus  haut,  p.  588. 

2.  K.-S.,  cap.  XXV,  1-10,  14-15  et  18.  Uala  et  Vula  sont 
inconnus;  le  pûHka  est  la  Cœsalpinia  bonducella  ;  le  mot  bisa 
désigne  une  tige  de  lotus  et  Vharîtaki  est  lemyrobalan  chebulic. 

3.  K.-S.,  cap.  XXV,  37;  XXXII,  14. 

JoRBT.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité.  11.  —  39 


610  LES  PLANTFS  CHKZ  LES  HINDOUS 

s*enYolaDt  emportaient  le  mal  dont  elle  était  impré- 
gnée *. 

Pour  guérir  une  blessure  ou  une  fracture,  au  point 
du  jour,  (c  quand  les  étoiles  disparaissent  »,  on  les 
lavait  avec  une  décoction  de  làkshà,  et  Ton  donnait  à 
boire  au  malade  un  mélange  de  lait  et  de  beurre  fondu. 
D'autres  fois  on  se  bornait  à  lui  faire  boire,  tandis 
qu'on  récitait  une  incantation  dé  circonstance,  une 
infusion  de  lâkskâ  dans  du  lait^.  Quand  il  y  avait 
hémorragie,  on  touchait  la  plaie  saignante  avec  un 
roseau  garni  de  cinq  nœuds  ;  on  la  saupoudrait  de  sable 
et  de  gravier  ;  puis  on  remettait  au  malade,  en  guise 
d'amulette,  un  tesson  ramassé  dans  des  décombres,  et 
on  lui  faisait  boire  un  mélange  de  lait  caillé  et  d'eau, 
dans  lesquels  on  avait  mis  des  graines  écrasées  de 
sésame  avec  quatre  brins  de  dùrvâ  piles ^  Si  la  bles- 
sure était  faite  avec  une  flèche  empoisonnée,  le  brahme- 
médecin  commençait  par  faire  hommage  au  roi  des 
serpents  Takshaka,  puis  il  faisait  boire  au  malade  un 
peu  d'eau,  soit  pure,  soit  dans  laquelle  il  avait  mis  un 
morceau  de  krimuka  réduit  en  poudre  ;  il  en  aspergeait 
aussi  la  plaie,  et  il  arrosait  le  corps  entier  du  malade 
avec  de  l'eau,  bénite  d'après  le  rite  et  qu'il  avait  fait 
tiédir,  en  y  jetant  des  objets  de  rebut  chauffés  ;  en- 
suite dans  une  bouillie,  mêlée  d'eau  et  de  sampâta,  et 
qu'il  remuait  avec  deux  flèches  enduites  de  poison,  la 
pointe  tournée  en  l'air,  il  mettait,  en  récitant  à  chaque 


1.  K.'S.,  cap.  XXVI,  18. 

2.  K.'S..  cap.  XXVIII,  5-6  et  i4.  —  Bloomfield,  Hymns. 
p.  385.  Lâkshâj  nous  l'avons  vu,  est  un  autre  nom  de  Yarun- 
dhatiy  ainsi  que  celui  de  la  laque. 

3.  K.-S.,  cap.  XXVI,  10-13.  On  broyait  au.ssi  un  fragment  de 
tesson  et  on  le  faisait  boire,  délayé  dans  de  Teau,  au  patient. 


LKS  Pr.ANTES  DANS  LA  MÉDFXINE  6li 

fois  une  incantation,  des  fruits  de  madana  et  il  la  don- 
nait à  manger  au  blessé,  qu'il  faisait  ainsi  vomir  ^ 

Les  serpents  venimeux  ont  été  de  tout  temps  re- 
doutés dans  rinde,  où  ils  font  tant  de  victimes. 
Aujourd'hui  pour  s'en  préserver,  on  porte  àja  main 
des  baguettes  flexibles  et  tachetées  de  citra^  ou  de 
Bauhinia  aîiguina.  Le  Kaùçika-Sûtra  recommandait, 
comme  moyen  de  s'en  garantir,  d'envelopper  dans  un 
coin  de  sa  tunique  une  espèce  d'insecte,  le  paidva,  sur 
lequel  on  murmure  une  incantation.  Avait-on  été  mordu, 
le  brahme-sorcier  frictionnait  le  malade  de  la  tête  aux 
pieds,  en  récitant  un  charme  de  circonstance,  et,  à 
la  dernière  strophe,  il  brûlait  la  blessure  avec  un 
tison,  qu'il  jetait  ensuite  dans  la  direction  du  serpent  \ 
S'il  s'agissait  d'une  piqûre  d'insecte,  on  mettait  au  cou 
du  blessé,  une  amulette  en  bois  doux,  consacrée  d'après 
le  rite,  et  on  lui  faisait  boire  un  mélange  d'eau  et  de 
miel,  du  beurre  fondu  et  de  l'eau,  ou  encore  une  in- 
fusion de  réglisse*. 

Pour  guérir  les  maladies  d'yeux  on  attachait  au  cou 
du  patient  une  amulette  de  sénevé  bénite,  et  on  lui 
donnait  à  manger  des  feuilles  de  cette  plante,  bouillies 
dans  de  l'huile,  ou  quatre  fruits  de  çâka,  dont  le  jus 
servait  à  lui   oindre  les  yeux^  Le  brahme-médecin 

1.  K.-S.,  cap.  XXVHI,  1-'*.  Les  fruits  de  madana  aonX  peut- 
être  des  graines  d'un  datura;  le  krimuka  n'a  point  été  identifié. 

2.  Staphylea  Emodi.  —  Brandis,  p.  114.  —  Roxburgh,  II,  328. 

3.  K.S.y  cap.XXXII,  22  et  23-24.  Au  chapitre  XXIX,  114,  est 
indiqué  un  traitement  bien  plus  compliqué,  mais  où  les  plantes 
ne  jouent  aucun  rôle. 

4.  K.S.,  cap.  XXXI 1, 5-7.  LeK.S.,Ibid.,  6,  parle  aussi  d'une 
amulette  composée  de  gazon  et  de  terre  de  fourmilière  piles  et 
enveloppés  dans  une  peau  d'animal  non  mort  de  maladie  ou 
de  vieillesse. 

5.  K.'S.,  cap.  XXX,  1-5.  Le  çàka  est  la  Teclona  grandi». 


612  LES  PUNTFS  CHEZ  LES  HINDOUS 

suspendait,  en  récitant  une  incantation,  au  cou  de 
l'épileptique  ou  du  possédé,  une  amulette  en  sadam- 
pushpâ,  et  il  lui  faisait  manger  le  miel  et  le  lait  caillé, 
dans  lesquels  elle  avait  trempé.  D'autres  fois  il  mettait 
dans  ses  mets  des  feuilles  pulvérisées  de  çamî,  et  il 
répandait  tout  autour  de  sa  maison  une  poudre  ma- 
gique *. 

Le  traitement  des  vers   intestinaux,  auxquels   on 
attribuait  sans  doute  plus  d'un  mal  dont  ils  n'étaient 
pas  cause,  était  singulièrement  compliqué'.  Il  com- 
mençait par  une  offrande  de  pois  chiches,  d'algandus 
et  de  hananas,  mêlés  de  beurre  fondu  ;  après  quoi  le 
prétre-médecin  enveloppait  de  gauche  à  droite,  avec 
les  crins  d'une  queue  de  vache,  un  bambou  tacheté  de 
noir  ou  une  racine  de  karîra  ;  il  l'écrasait  avec  une 
pierre,  en  mettait  les  morceaux  au  feu  et  en  faisait 
respirer  la  fumée  au  malade.  Il  répandait  aussi  sur 
lui  du  sable  qu'il  avait  broyé  fin  dans  sa  main  gauche 
en   se  tenant  tourné  vers  le  Sud.   S'agissait-il  d'un 
enfant,  on  l'asseyait  à  l'Ouest  du  feu  sur  les  genoux 
de  sa  mère,  et  à  trois  reprises,  avec  le  bout,  enduit 
de  beurre  frais,  d'un  pilon,  qu'on  ramenait  chaque  fois 
d'arrière  en  avant,  on  lui  touchait  le  palais.  On  endui- 
sait aussi  la  partie  endolorie  de  graines  (écrasées)  de 
çigru,  délayées  dans  du  beurre.  On  écrasait  de  même 
21  racines  d'uçîra  et  on  les  administrait  à  l'enfant;  enfin 
on  l'aspergeait  avec  de  l'eau  bénite,  dans  laquelle  on 
avait  mis  des  racines  pulvérisées  d'uçîra  et  du  sampàta. 

1.  K.S..  cap.  XXVIII,  7,  9  et  11. 

2.  K  -S.,  cap.  XXVII,  14-18  et  20  ;  XXIX,  20,  22-16.  On 
ignore  ce  que  sont  Valgan4u  et  Vhanana  ;  le  karira,  est  la  Cdp- 
paris  aphylla.  Vuçira,  VAndropogon  muricatus  et  le  çigru,  le 
Moringa  pterygosperma. 


! 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  613 

Les  maladies  cutanées  et  les  tumeurs  étaient  Tobjet 
de  traitements  variés  ;  je  me  bornerai  à  mentionner 
celui  de  la  lèpre.  Le  sorcier-médecin  frottait  d'abord, 
avec  de  la  bouse  de  vache  desséchée  et  jusqu'à  ce  que 
le  sang  parût,  la  partie  atteinte  ;  puis  il  étendait  dessus 
du  curcuma,  du  bhrifigaràja,  de  la  coloquinte  et  de 
l'indigo,  réduits  en  poudre  et  bénits,  substances  dont 
la  co.'lour  foncée  faisait  disparaître  la  blancheur 
livide  de  la  lèpre*.  Pour  rendre  l'opération  plus  effi- 
cace, il  oignait  ensuite  le  malade  de  la  tête  aux  pieds 
d'une  pommade  faite  avec  du  beurre  frais  et  de  la 
racine  pulvérisée  de  kushtha'%  tout  en  récitant  une 
incantation  appropriée  à  la  circonstance. 

Pour  combattre  le  kshetriya,  maladie  héréditaire 
ou  invétérée  de  caractère  incertain,  la  médecine  ma- 
gique avait  multiplié  les  remèdes  ;  je  ne  parlerai  que 
d'un  seul  des  divers  traitements  qu'elle  employait  ^ 
En  dehors  de  la  maison,  le  sorcier  faisait  sur  le  malade 
une  aspersion  d'eau  mêlée  de  sampâta  ;  puis  il  lui  sus- 
pendait au  cou  une  amulette  faite  de  copeaux  de  jaA- 
gida,  de  baies  d'orge  et  d'épis  de  sésame.  Il  lui  remet- 
tait aussi,  en  guise  d'amulette,  du  gazon  et  de  la 
terre  de  fourraillière  réduits  en  poudre  et  cousus  dans 
la  peau  d'un  animal,  qui  n'était  mort  ni  de  maladie, 
ni  de  vieillesse.  Puis  il  lui  répandait  sur  le  corps  une 
écuelle  d'eau  consacrée,  en  tenant  au-dessus  de  la  tête 
un  joug  de  charrue.  Enfin  après  une  oblation  faite 
suivant  le  rite,  il  versait  une  partie  du  sampàta  dans 


1 .  K.-S.y  cap.  XXVI,  22-2'».  —  .1.-  V.,  lib.  1,  23  et  24.  Le  même 
traitement  était  employé  contre  lès  cheveux  gris.  Le  bhrin- 
garâja  est  VE clip  la  prostrata. 

2.  K.-S.,  cap.  XXVIH,  13.  —  A.-V.,  lib.  V,  'i,  3  et  4. 

3.  K.-S.,  cap.  XXVI,  U-43;XXVI1,  l-'i. 


614  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

une  maison  abandonnée,  Tautre  dans  une  vieille  fosse, 
où  il  avait  déposé  quelques  chaumes  du  toit  de  la 
maison  ;  puis  il  faisait  boire  au  malade,  qui  était 
descendu  dans  la  fosse,  un  peu  d*eau  et  il  le  lavait. 


*  * 


Les  recettes  qui  précèdent  suffisent  pour  donner  une 
idée  de  ce  qu'était  la  médecine  magique  des  Hindous; 
les  pratiques  auxquelles  elle  avait  recours  étaient-elles 
d'un  emploi  général,  et  constituaient-elles,  même  à 
Tépoque  des  Védas,  tout  l'art  de  guérir?  Il  est  permis 
d'en  douter  ;  les  incantations  de  TAtharva  et  les  for- 
mules du  Kauçika-Sûtra  nous  reportent  à  un  état  do 
choses  antérieur  à  la  civilisation  védique,  aux  pratiques 
d'un  chamanisme  primitif*,  qui  avaient  persisté  à  côté 
des  moyens  de  guérir  plus  rationnels,  et  que  les  peu- 
plades indigènes  conservèrent  fidèlement,  alors  que 
les  tribus  aryennes  demandaient  depuis  longtemps  aux 
plantes  des  remèdes  véritables.  Pour  ces  tribus,  les 
végétaux  n'étaient  pas  doués  seulement  de  vertus 
magiques,  en  quelque  sorte  tout  extérieures,  ils  possé- 
daient par  nature  des  propriétés  médicinales,  propres  à 
combattre  les  maladies  et  à  les  guérir.  On  trouve  déjà 
comme  un  écho  de  cette  croyance  dans  l'hymne  <c  Aux 
Plantes  »  de  TAtharva,  que  j'ai  cité  plus  haut;  on  la 
retrouve  plus  nettement  affirmée  encore  dans  un  des  der- 
niers hymnes  du  Rig-Véda.  S'il  faut  faire  dans  ce  chant 
la  part  de  la  rhétorique  propre  aux  compositions  de  ce 
genre  et  de  cette  époque,  il  ne  nous  fournit  pas  moins  la 

1.  W.  Caland,  Allindischea  Zauberntual,  p.  ix.  —  V.  Henry, 
La  Magie  dans  VInde  antique  y  p,  20. 


V       LES  PLANTKS  DANS  LA  MÉDECINE  615 

preuve  manifeste  que  les  plantes  étaient,  au  temps  des 
Védas,  déjà  employées  dans  le  traitement  des  maladies 
à  cause  des  vertus  curatives  qui  leur  étaient  inhérentes, 
et  leur  connaissance  était  le  premier  mérite  et  le  pre- 
mier devoir  du  médecin  \ 

Des  plantes  issues  des  Dieux  avant  les  trois  âges  des  hommes 
je  veux  rappeler  les  cent  sept  vertus.  —  Oui,  centuples  sont  ^ 
vos  formes,  multiple,  votre  aspect,  ô  vous  douées  de  cent  ver- 
tus, guérissez-moi  ce  malade.  —   Joyeuses  venez  à  son  aide 
avec  vos  fleurs,  avec  vos  fruits  ;  semblables  à  la  cavale,  qui 

gagne  le  prix,  que  les  plantes  nous  conduisent  au  succès! 

Celui  chez  qui  l'essaim  des  plantes  se  trouve  réuni,  comme 
le  prince  et  ses  dignitaires  dans  le  conseil,  on  rappelle  méde- 
cin habile,  dompteur  des  monstres  et  des  maladies.  — 
Aqueuses,  laiteuses,  nourrissantes,  fortifiantes,  toutes  je  les  ai 

rassemblées  pour  guérir  son  mal Votre  mère  s'appelle  santé 

et  vous  aussi  donnez  la  santé  ;  pareilles  à  des  torrents  rapides, 
vous  écrasez  tout  ce  qui  rend  malade.  —  Aucun  obstacle  ne 
les  arrête  ;  elles  sont  comme  le  voleur  qui  se  fraie  un  chemin 
à  travers  les  haies  ;  elles  entraînent  tout  ce  qu'il  y  a  de  malsain 
dans  le  corps.  —  Quand,  ô  simples,  je  vous  tiens  dans  mes 
mains,  en  menaçant  la  maladie,  languissante  elle  s'enfuit, 
comme  tremblante  devant  la  main  de  l'archer.  —  0  plantes, 
vous  glissant  de  membre  en  membre,  de  jointure  en  jointure, 
vous  chassez  devant  vous  le  Yakshma,  comme  par  la  sentence 
d'un  juge  sévère.  —  Envole-toi,  Yakshma,  avec  les  pies  et  avec 
les  geais  ;  va-t-en  sur  l'aile  des  vents,  disparais  dans  l'ouragan. 

Si  les  derniers  vers  de  cet  hymne  rappellent  encore 
les  incantations  d'autrefois,  c'est  là  une  concession 
faite  à  la  phraséologie  traditionnelle  et  qui  n'infirme 
en  rien  la  croyance  sincère  en  l'efficacité  guérissante 
des  Plantes  ;  cette  croyance  générale  chez  tous  les 
peuples  apparaît  chez  les  Hindous  avec  je  ne  sais 
quoi  de  mystique  ;  quelques  strophes  ajoutées,  à  une 

1.  Rig-Veda,  lib.  X,  97.  A  «  Le  Chant  du  Médecin  »,  1-3, 
6-7,  9-13. 


616  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

époque  postérieure,  au  «  Chant  du  médecin  »  qui  pré- 
cède, en  fournissent  une  preuve  éclatante  ^ 

Unissez-vous,  aidez-vous  les  unes  les  autres,  toutes  dans  un 
même  sentiment  obéissez  à  ma  parole.  —  Que  celles  qui  por- 
tent des  fruits  et  celles  qui  n'en  ont  pas,  que  celles  qui  sont 
couvertes  de  6eurs  et  celles  qui  en  sont  dépourvues,  suscitées 
par  Brihaspati,  nous  délivrent  de  l'adversité  l  —  Qu'elles  nous 
délivrent  des  maux  envoyés  par  la  malédiction  de  Varupa,  des 
entraves  de  Yama,  de  toute  souillure  et  de  toute  faute  envers 
les  Dieux.  —  En  volant  du  haut  du  ciel,  les  plantes  ont  dit  : 
L'homme  que  nous  trouverons  encore  en  vie,  aucun  mal  ne 
lui  arrivera.  —  De  toutes  les  plantes  dont  Soma  est  le  roi,  de 
ces  plantes  nombreuses  et  intelligentes,  tu  es  la  meilleure, 
toujours  prête  au  désir,  salutaire  au  cœur.  —  De  toutes  les 
plantes  dont  Soma  est  le  roi,  qui  sont  répandues  sur  la  terre, 
que  Brihaspati  a  produites,  la  vertu  (de  guérir)  a  été  donnée  à 
celle-ci.  —  Qu'il  n'arrive  pas  malheur  à  celui  qui  vous  déterre, 
ni  à  celui  pour  qui  il  vous  déterre;  que  chez  nous  bipèdes  et 
quadrupèdes  soient  exempts  de  maladie.  —  Vous  qui  entendez 
ma  parole  et  vous  qui  êtes  au  loin,  ra.ssemblez-vous,  plantes, 
et  réunissez  toutes  vos  forces  en  cette  herbe  !  —  Les  plantes 
se  concertent  ainsi  avec  Soma  leur  roi  ;  nous  sauvons,  ô  roi, 
celui  pour  qui  un  brahmane  remplit  le  service  sacré.  —  Tu  es, 
ô  Soma,  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  ;  les  arbres  sont  tes  vassaux; 
qu'il  nous  soit  soumis  celui  qui  nous  attaque  en  ennemi. 

Il  était  impossible  d'exalter  en  termes  plus  enthou- 
siastes les  vertus  curatives  des  plantes  ;  le  caractère 
divin  que  les  Hindous  leur  attribuaient  ne  pouvait 
qu'entretenir  cette  ferme  croyance  en  leur  efficacité; 
pour  eux  —  il  en  était  de  même,  nous  l'avons  vu  pour 
les  Iraniens  — ,  les  plantes,  comme  les  eaux',  étaient 
réputées  un  remède  infaillible  et  tout-puissant;  c'est 

1.  Lib.  X,  97.  B.  «  Aux  Plantes  »,  14-23.  H.Grassmann, /?2^- 
Veda,  vol.  II,  p.  380. 

2.  «  Que  les  Eaux  nous  apportent  le  bien-être,  que  les 
Plantes  nous  soient  propices  !»  —  «  Les  Eaux  vraiment  sont 
des  guérisseuses  ;  les  eaux  chassent  et  guérissent  toutes  les 
maladies.  »  A.-V.,  lib.  II,  3,  6;  VI,  91,  3. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  617 

pour  le  salut  des  hommes  qu'elles  ont  été  créées  ;  elles 
sont  avant  tout  les  secourables  et  les  guérisseuses,  et 
le  nom  oskadi  (aushadi)  qu'elles  portaient  en  sanscrit, 
devint  dans  cette  langue  celui  même  de  remède  en 
général.  Mais  quelques  vertus  qu'on  attribuât  aux 
plantes,  leur  emploi  ne  supplanta  pas  de  longtemps 
celui  des  procédés  magiques  ;  on  eut  encore  recours  à 
ceux-ci  bien  après  Tépoque  védique,  de  même  toutefois 
qu'aux  plantes.  Dans  le  Mahâbhàrata ',  si  Parîkshit, 
redoutant  la  mort,  s'entoure  de  brahmanes  experts 
dans  les  incantations,  il  fait  en  même  temps  provision 
de  simples. 

L'emploi  des  plantes  médicinales  et  des  remèdes 
qu'elles  procurent,  remontait,  le  témoignage  des  Védas 
est  formel  sur  ce  point,  à  l'époque  la  plus  reculée.  Les 
Dieux  eux-mêmes  en  avaient  donné  l'exemple.  S'il 
envoyait  des  maladies,  Varuna  dispensait  aussi  les 
remèdes  qui  les  guérissent.  Un  autre  dieu,  Rudra, 
«  le  meilleur  des  médecins  »,  est  représenté  comme 
offrant  aux  hommes,  de  sa  main  secourable,  les  remèdes 
qui  calment  leurs  maux  et  les  font  vivre  de  longs 
hivers.  LesMaruts,  ses  fils,  possédaient  également  des 
remèdes  salutaires  et  bienfaisants  ^  Les  Açvins  surtout 
étaient  maîtres  dans  l'art  de  guérir.  Divinités  secou- 
rables aux  mortels  ',  ils  viennent  en  aide  à  tous  ceux 
qui  sont  dans  la  détresse  et  leur  procurent  les  remèdes 
infaillibles  que  renferment  les  eaux  et  les  plantes  ;  ils 
éloignent  d'eux  les  maladies  et  prolongent  leur  vie  *.  Ils 

1.  Adi-Parvsi   1754. 

2.*  Big-Veda,  lib.  I,  24;  II,  33,  2,  4,  7,  13. 

3.  Big-Veda,  lib.  I,  47,  5;  112,  4-7,  etc. 

4.  fiig-Veda,  lib.  I,  34,  6;  157,  4  et  6;  Ilï,  58,  6;  VIII,  9,  5 
et  15. 


618  LKS  PLANTES  CHKZ  LES  HINDOUS 

guérissent  les  aveugles  et  les  infirmes,  rajeunissent  le 
voyant  Kali  et  le  vieux.  Cyavàna,  et  donnent  par  sur- 
croît une  jeune  femme  à  ce  dernier*.  Ils  mettent  une 
jambe  d'airain  à  Viçpalâ  pour  remplacer  celle  qu'elle 
avait  perdue  dans  une  bataille  ;  ils  rendent  la  vue  à 
Rijràçva  frappé  de  cécité  par  son  père,  ainsi  qu'à 
Kanva,  qui  les  avait  invoqués'. 

Ces  fictions  nous  laissent  entrevoir  ce  qu'était  la 
médecine  dans  l'Inde  des  Védas  ;  la  pratique  devait 
déjà  en  être  portée  fort  loin  ;  on  faisait  déjà,  on  le 
voit,  des  opérations  chirurgicales  ;  quelques  hommes 
privilégiés  avaient  une  grande  habileté  dans  le  traite- 
ment des  blessures,  et  des  simples  nombreux,  et  non 
pas  seulement  des  plantes  magiques,  étaient  employés 
pour  guérir  les  malades.  Il  en  fut  de  même  à  plus  forte 
raison  à  l'époque  des  épopées.  «  Que  Ton  guérisse  les 
maux  du  corps  par  les  simples,  dit  Vyâdha  dans  le 
Mahâbhàrata  ;  c'est  là  le  pouvoir  de  la  science  ». 
C'est  à  eux  aussi  que,  dans  un  autre  chant,  on  con- 
seille au  fils  de  Prithà  d'avoir  recours'.  Pour  le  poète 
de  la  Bharatide  les  plantes  sont  des  «  remèdes  divins  », 
efficaces  entre  tous'  et  salutaires,  «  de  la  plus  haute 
vertu  »  et  «  qui  repoussent  la  mort  »*.  Et  il  les  a  en 
si  haute  estime  qu'il  les  place  au  premier  rang  des 
choses  rares  que  renferme  le  palais  de  Çakra. 

L'auteur  du  Ràmâyana  n'accorde  pas  aux  plantes 
moins  de  puissance  que  celui  du  Mahâbhàrata;  mais 
pour  les  deux  poètes  les  simples  qui  croissent  sur  les 

1.  Rig-Veda,  Mb.  I,  112.  8  et  15;  116,  10;  117,  13  et  19;  VII, 
68,  6;  71,  5;  X,  39,  4  et  8, 

2.  Big-Veda,  lib.  I,  116,  16,  18;  117,  17,  19,  23:  118,  7. 

3.  Vana-Parva,  14079.  —  Sabhâ-Parva,  223. 

4.  Sabhâ-Parva,  300  et  1862.  —  Vana-Parva,  13857. 


LES  PLANTKS  DANS  LA  MÉDFXINE  619 

montagnes  possèdent  les  vertus  les  plus  grandes.  C'est 
sur  le  Meru  *,  aux  herbes  d'une  puissance  merveilleuse, 
et  dans  THirnavat,  aux  lieux  où  les  monts  Drona  et 
Candra  plongent  leurs  pieds  dans  la  Mer  de  lait,  sur  les 
flancs  du  Gandharaâdana  et  le  versant  septentrional 
du  Kailâsa  qu'on  les  rencontre  ;  voisin  de  ce  dernier  et 
de  la  montagne  d'or  de  Rishabha,  le  mont  Oshadi  ou 
des  Simples,  «  que  la  réunion  de  toutes  les  herbes 
médicinales  revêtait  d'une  flamboyante  splendeur  », 
en  produisait  quatre  en  particulier,  douées,  d'après  le 
chantre  de  Râma,  des  propriétés  les  plus  merveil- 
leuses*. 

Sur  le  faîte  végètent  quatre  plantes  à  la  splendeur  enflam- 
mée, dont  elles  illuminent  les  dix  points  de  l'espace.  Une 
d'elles,  herbe  précieuse,  ressuscite  de  la  mort,  une  autre  fait 
sortir  les  flèches  des  blessures;  la  troisième  cicatrise  les  plaies  ; 
une  autre,  enfin,  ranime  (sur  les  membres)  la  couleur  native. 
A  peine  Ràma  et  Lakshmapa  ont-ils  respiré  l'odeur  exhalée 
par  les  célestes  panacées  que  les  flèches  sortent  des  plaies, 
et  leur  corps  est  guéri  même  de  toutes  ses  blessures...  Alors 
aussi  tous  les  singes,  privés  de  vie,  sortirent  de  la  mort, 
comme  on  sort  du  sommeil  à  la  fin  de  la  nuit. 

La  seconde  de  ces  panacées,  qui  fait  penser  au  dic- 
tame  de  Virgile,  est  employée  par  Sushena,  le  mé- 
decin de  Sugrîva,  roi  des  Singes,  pour  guérir  le  frère 
de  Râma,  qu'une  flèche  avait  transpercée 

Cette  plante  divine  est  de  la  famille  des  lianes  ;  elle  ressemble 
au  santal  rouge;  ses  feuilles  ont  la  teinte  de  l'orpiment  jaune, 
ses  fleurs  ont  la  couleur  du  cuivre  et  ses  fruits  sont  verts... 
Arrivé  sur  la  cime  (du  Gandhamàdana),  Hanumat  aperçut 
l'herbe  brillante  et  salutaire.  Aussitôt  il  l'arracha  et  descen- 


1.  MahAbhârala,  Vana-Parva,  11890. 

2.  Bâmâyat^a,  Yuddhakâpda,  26*,  6;  53,  35-39. 

3.  Bâmâyatta,  Yuddhakàrida,  82,  60-61  et  83,  54-57. 


620  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

dant  dans  la  plaine,  il  l'écrasa  avec  une  pierre.  Alors  Sushena, 
médecin  habile,  la  prit  et  la  fit  respirer  au  héros  blessé.  Â  peine 
Lakshma^a  en  eùt-il  senti  Todeur  qu'il  se  leva,  délivré  de  ses 
flèches  et  guéri  de  ses  blessures. 

J'ignore  quelle  est  Torigine  de  la  légende  des  quatre 
panacées  du  Ràmàyana  ;  mais  elle  n*est  point  particu- 
lière au  poème  de  Vàlmîki  ;  on  la  rencontre  aussi  dans 
le  Lotus  de  la  bonne  Loi*  ;  seulement  les  quatre  simples 
du  recueil  bouddhique  ne  croissent  pas  sur  TOshadi, 
mais  dans  THirnavat  ;  elles  n'ont  pas  non  plus  les 
mêmes  propriétés  que  les  plantes  célébrées  par  le 
chantre  de  Ràma,  mais  leurs  vertus  ne  sont  pas  moins 
grandes.  La  première  possède  toutes  les  saveurs  et 
toutes  les  couleurs  ;  la  seconde  délivre  de  toutes  les 
maladies  ;  la  troisième  neutralise  tous  les  poisons  ;  la 
quatrième  procure  le  bien-être  dans  quelque  situation 
que  ce  soit. 

Les  quatre  panacées  du  Ràmàyana  et  du  Lotus  de 
la  Bonne  Loi  symbolisent  bien  plutôt  les  propriétés 
curatives  que  Ton  attribuait  à  la  plupart  des  plantes 
qu'elles  n'ont  une  existence  réelle  ;  le  Mahàbhàrata  ne 
les  connaît  pas;  mais,  nous  l'avons  vu,  il  ne  se  lasse 
pas  de  célébrer  les  vertus  des  simples;  quoique  sous' 
ce  nom  il  paraisse  confondre  les  plantes  magiques  et 
les  plantes  plus  particulièrement  médicinales  ;  c'est  à 
peine  s'il  distingue  quelques-unes  de  ces  dernières, 
comme  la  viç.alyâ,  connue  aussi  du  Ràmàyana,  employée 
pour  guérir  les  blessures  ^  Cependant  depuis  long- 
temps l'expérience  avait  fait  découvrir  les  vertus  cu- 

1.  Le  Lotus  de  la  bonne  Loi,  traduit  par  E.  Burnouf.  Paris, 
1852,  in-fol.,  p.  83,  chap.  v. 

2.  Vana-Parva,  16470.  Trad.  P.  Chandra  Rày,  II,  851.  La 
viçalyà  est  le  Menispermum  cordifolium. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  621 

ratives  d'un  grand  nombre  de  plantes  ;  parmi  celles 
mêmes  que  cite  TAtharva-Véda  et  le  Kauçika-Sûtra, 
plusieurs  en  possédaient  de  Véritables,  et  ont  pris  place 
pour  toujours  dans  la  pharmacopée  hindoue.  Une  lé- 
gende représente  les  anciens  Rishis  errant  de  compa- 
gnie dans  les  bocages  de  THimalaya,  en  quête  des 
goûts,  des  propriétés,  de  l'aspect  et  des  noms  des 
plantes  médicinales  \  Leur  demandant  les  remèdes 
contre  les  maladies,  il  était  naturel  qu'ils  s'attachas- 
sent à  les  connaître,  à  savoir  à  quel  moment  conve- 
nable il  fallait  les  recueillir,  quelles  parties  :  Heurs, 
fruits  ou  racines,  en  étaient  plus  particulièrement  sa- 
lutaires. C'était  là  ce  qui  constituait  d'abord  la  science 
du  médecin,  car,  à  cette  époque  reculée  et  longtemps 
après  encore,  il  ne  se  distingua  pas  de  Therboriste. 
Après  être  allé  lui-même  cueillir  les  simples,  il  les 
conservait  soigneusement  dans  une  boîte  d'açvattha  ou 
de  palâça  *,  en  attendant  le  moment  de  s'en  servir. 
Son  habileté  consistait  à  en  bien  régler  l'emploi. 

C'est  ainsi  que,  chez  les  Hindous,  la  médecine  se 
forma  et  se  constitua  peu  à  peu  ;  mais  ce  développe- 
ment si  naturel  était  trop  simple  pour  leurs  esprits 
épris  du  merveilleux;  loin  de  l'admettre,  ils  préfé- 
rèrent attribuer  à  cet  art  une  origine  surnaturelle  : 
c'étaient  les  Dieux  eux-mêmes  qui  l'avaient  inventé. 
Suivant  une  traditiop  universellement  adoptée,  Brah- 
man,  avant  de  créer  les  hommes,  avait  rédigé  «  la 
science  de  la  vie  »  —  YÂyurveda  —  en  1 000  chapitres 
et  100000  çlokas.  Plus  tard,  prenant  en  considération 


1.  The  Bower  Manuscripty  n»  8,  p.  11. 

2.  «  Votre  couche  est  en  bois  d'açvattha,  votre  résidence  en 
palàça.  »  /?.  V.,  lib.  X,  97,  5. 


622  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

la  brièveté  de  la  vie  et  rétroitosse  de  Tintelligence 
humaine,  il  le  résuma  en  huit  livres.  Prajàpati  le  reçut 
sous  cette  forme  abrégée  et  le  donna  aux  Açvins,  qui 
à  leur  tour  le  transmirent  à  Cakra  —  Indra  — .  C'est 
ce  Dieu  qui  enseigna  aux  mortels  la  médecine;  mais  ici 
les  renseignements  ne  concordent  plus.  Suivant  une 
légende,  Indra  aurait  révélé  les  préceptes  de  TÂyur- 
veda  à  Dhanvantari,  «  le  chirurgien  des  Dieux'  », 
nom  sous  lequel  se  cache  Divodâsa,  roi  de  Kâçî  ;  Dhan- 
vantari,  à  son  tour,  aurait  communiqué  ces  enseigne- 
ments salutaires  à  ses  six  disciples,  dont  l'un  Suçruta 
les  rédigea  en  120  chapitres,  répartis  en  cinq  livres. 
D'après  une  autre  légende*,  ce  serait  à  Bharadvàja 
qu'Indra  aurait  d'abord  révélé  l'art  de  guérir.  L'un 
des  50rishis  qui  l'accompagnaient,  le  sage  Punarvasu, 
fils  d'Atri  —  Âtreya  —  en  aurait  fait  connaître  les 
préceptes  à  ses  disciples  Agniveça,  Bheda  ou  Bhela, 
Hârîta,  etc.  ;  ceux-ci  les  auraient  soigneusement  rédi- 
gés, et  leur  travail,  approuvé  par  Atreya  et  revu  en- 
suite par  Caraka,  aurait  donné  naissance  au  recueil 
qui  porte  le  nom  de  ce  dernier. 

Ces  récits  légendaires  confirment,  ce  que  nous  savions 


1.  The  Suçrula-Sainhità  or  the  Ilindu  System  of  Medicine 
according  la  Suçruta,  translatée!  by  A.  F.  K.  Hœrnie,  Calcutta, 
1897,  in-8,  n«»  3'et  8. 

2.  CharakaSamliitâ ,  pubiished  by  Avinash  Chandra  Kavi- 
ratna.  Calcutta,  1890,  in-8,  p.  2.  —  Suivant  V Ash(àhgasamgraha 
de  Vàgbhata,  Atreya  serait  allé  lui-même  avec  les  sages  Dban- 
vantari,  Bharadvàja,  Kaçyapa,  etc.,  demander  à  Indra  le  moyen 
de  guérir  les  maux  qui  affligeaient  les  mortels  ;  le  dieu  leur 
aurait  alors  enseigné  l'Ayurveda.  et  redescendus  sur  terre,  ils 
l'auraient  communiqué  à  leurs  disciples,  dont  chacun  en  aurait 
rédigé  une  partie.  Iwan  Bloch,  Indische  Mediziriy  dans  Th. 
Puschmann,  Handbuch  der  Geschichteder  Medizin.  lena,  1902, 
in-8,  vol.  1,  p.  123. 


UKS  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  •  623 

d'autre  part,  que  dès  les  temps  les  plus  reculés  il  y 
eut  des  médecins  dans  Tlnde,  et  les  noms  qu'ils  nous 
ont  conservés  sont  ceux  des  praticiens  et  des  maîtres 
des  siècles  passés  ;  mais  à  quelle  époque  véritable  ont- 
ils  vécu  ?  Âtreya,  que  Tune  des  légendes  dont  je  viens 
de  parler  donne  comme  le  père'  de  la  médecine,  est 
cité  dans  le  Mahâbhârata*,  ainsi  que  dans  le  Buddha- 
carita  d'Açvaghosha*  ;  on  a  cru  aussi  pouvoir  Tidentifier 
avec  le  maître  de  Jlvaka';  mais  les  traités  mis  sous 
son  nom  et  sous  celui  de  Harîta  sont  apocryphes  et 
d'une  époque  relativement  récente. 

D'après  des  documents  chinois,  un  médecin  du  nom 
de  Caraka  fut  attaché  au  roi  Kanishka,  au  i*""  siècle 
de  notre  ère  *  :  faut-il  le  regarder  comme  l'auteur  de  la 
Caraka-Sanihitâ  que  nous  possédons  ?  On  ne  le  saurait 
dire,  mais  une  tradition  nationale,  que  connaissait 
encore  Albiruni,  regardait  Caraka  comme  le  plus 
ancien  des  écrivains  médicaux  de  l'Inde,  en  tout  cas 
comme  antérieur  à  Suçruta^  Bhartrihari,  écrivain  du 
vu®  siècle,  fait  trois  fois  mention  de  lui®.  Quant  au 
traité,  qui  porte  son  nom,  après  avoir  été  traduit  en 
persan,  il  le  fut  au  viii®  siècle,  de  cette  langue  en 
arabe  ^  Cet  ouvrage  était  donc  connu  depuis  assez 
longtemps  ;  mais  s'il  est  possible  d'en  reculer  la  date 


1.  Çânti-Parva,  210,  21.  Trad.  P.  Chandra  Rày,  p.l34. 

2.  Buddha-Carita,  cap.  I,  48. 

3.  Woodville  Rockhill,  The  Life  of  the  Buddha,  p.  65. 

4.  S.  Lé^vi,  Notes  sur  les  Indo-Scythes.  (Journal  asiatique, 
vol.  VIII  (1896),  p.  447). 

5.  Udoy  Chànd  Dutt.    Tfie  Materia  medica  of  the  Hindus. 
Calcutta,  1900,  in-8,  p.  viii. 

6.  F.  Kielhorn,  On  the  grammarian  Bharirihari .  (Jndian  an- 
iiquary,  voL  XII  (1883),  p.  227,  2). 

7.  JuliusJolly,  Medicin,  p.  11. 


624  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

d'un  siècle  ou  deux,  il  est  douteux  qu'on  doive  le  faire 
remonter  beaucoup  plus  haut.  Suçruta  figure  au  nom- 
bre des  Munis  fabuleux  que,  au  iv"  siècle,  le  Bower's 
Manuscrit  nous  montre  allant  à  la  recherche  des  sim- 
ples dans  THimalaya,  et  c'est  à  lui,  en  particulier, 
que  le  sage  Kâçirâja  fait  connaître  les  propriétés  mer- 
veilleuses de  Tail.  Il  est  aussi  fait  mention  de  lui  dans 
la  Mahâhhàrata\  comme  fils  de  Viçvâmitra.  Quant  à 
la  Sarhhitii  qu'on  lui  attribue,  elle  fut,  au  ix®  siècle, 
traduite  en  arabe  sur  Tordre  du  barmécide  Yahyâ  ibn 
Khàlid*,  ce  qui  la  reporte  au  moins  au  siècle  précé- 
dent. D'un  autre  côté,  Tabsence  de  l'opium  dans  la 
liste  des  remèdes,  de  la  variole  parmi  les  maladies, 
l'ignorance  où  Suçruta  paraît  avoir  été  de  l'usage  de 
tâter  le  pouls  comme  moyen  de  diagnostique,  assi- 
gnent à  son  traité  une  date  relativement  reculée  ;  il  ne 
saurait  donc  être  aussi  moderne  que  l'a  prétendu  Haas, 
qui  le  considérait  comme  ayant  été  composé  entre  le 
XII*  et  le  XV®  siècle'';  mais  il  ne  saurait  davantage  re- 
monter à  1  000  ans  avant  Jésus-Christ,  ainsi  que  l'a 
affirmé  si  aventureusement  son  premier  traducteur 
Hessler^;  ni  même  être  des  premiers  temps  de  notre 
ère.  11  lui  est  vraisemblablement,  comme  la  Samhitâ 
de  Caraka,  postérieur  de  plusieurs  siècles. 

Mais  si  nous  n'avons  pas  de  traité  authentique  de 
médecine  qui  remonte  jusqu'au  commencement  de  Tère 

1.  Anuçasana-Parva,  4,  55.  Trad.  P.  Chandra  Rày,  p.  19. 

2.  G.  Flûgel,  Zur  Frage  ûber  die  àlleslen  Uebersetzungen 
indischer  und  persischer  medicinischer  Werke  tus  Arabische. 
(Z.  D.  M.  G.,  vol.  Xi  (1857),  p.  326). 

3.  Ueberdie  Ursprûnge  der  indischen  Medizin.{Z.  D.  M.  G., 
vol.  XXX  (1896),  p.  667). 

4.  Su'srulas.  Ayurvedas.  Id  est  Medicinae  systema,,.  vertit 
Fr.  Hessler.  Erlangae,  1844,  in-4,  p.  v. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE         625 

chrétienne*,  cet  art  n'en  ét^it  pas  moins,  nous  l'avons 
vu,  dès  longtemps  pratiqué  dans  Tlnde.  En  faisant  du 
soin  des  malades  et  des  infirmes  un  des  premiers 
devoirs  des  fidèles,  le  bouddhisme  en  favorisa  les  pro- 
grès. Dans  un  des  récits  qui  racontent  l'histoire  du 
Buddha,  il  est  question  de  l'école  médicale  de  Taksha- 
çilâ;  là,  au  cœur  du  pays  de  Gandhâra,  vécut  un 
maître  à  la  renommée  universelle,  Âtreya,  dont  la 
science  attirait  des  points  les  plus  reculés  une  foule 
d'étudiants  *.  Parmi  eux  vint  prendre  place  le  fils  na- 
turel, plus  tard  le  médecin,  du  roi  Bimbisâra,  Jîvaka, 
si  célèbre  dans  les  légendes  des  bouddhistes.  Elles  lui 
attribuent  l'honneur  d'avoir,  par  un  traitement  qui 
mérite  d'être  rapporté,  guéri  le  Réformateur  d'une 
grave  indisposition.  Ayant  découvert  qu'il  y  avait  trois 
causes  à  sa  maladie,  il  prépara,  pour  les  éloigner, 
trois  fleurs  de  lotus,  dans  chacune  desquelles  il  mit 
une  certaine  quantité  de  médecine.  Ces  fleurs  furent 
données  au  malade  à  trois  intervalles  différents,  et 
chacune  d'elles,  quand  il  vint  à  la  flairer,  émut  dix 
fois  ses  entrailles.  La  première  écarta  la  première 
cause  de  la  maladie,  la  seconde  et  la  troisième  firent 
cesser  les  deux  autres,  et  le  Buddha  fut  guéri  ^ 
Les  fleurs  de  lotus,  encore  que  leur  parfum  semble 


1 .  Faut-il  faire  exception  pour  les  Bh€4a  Samhitâ  et  Agyâveça- 
Samhitâ,  comme  a  paru  le  croire  M.  P.  Cordier,  Origines, 
Évolution  et  Décadence  de  la  Médecine  indienne  (^Aiinales  d* hy- 
giène coloniale,  vol.  IV  (1901),  p.  81)?  Cela  est  peu  probable  ; 
M.  J.  Jolly,  Medizin,  p.  12,  regarde  la  première  comme  une 
autre  rédaction  de  Caraka. 

2.  Rockhill,  The  Life  of  the  Buddha,  p.  65.  —  P.  Cordier, 
L'enseignement  médical  dans  l'Inde  ancienne.  (La  France  mé- 
dicale, an.  1902,  p.  179  et  suiv.) 

3.  Spence  Hardy,  A  Manual  of  Buddhism,  p.  238  et  246. 

JoRET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité.  il.  —  40 


626         LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

avoir  agi,  dans  ce  cas,  au  moins  par  sympathie,  ne 
servent  guère  ici  que  d^enveioppe  au  remède  véritable 
que  Jîvaka  avait  déposé  dans  leur  corolle.   C'est  ce 
remède  qui,  grâce  à  une  préparation  spéciale,  amène 
la  guérison.  Avant  d*être  donnés  au  malade,  les  sim- 
ples maintenant  étaient  soumis  a  certaines  manipu- 
lations*. «Tantôt  le  médecin  les  mâchait  préalablement 
avec  les  dents,  tantôt  il  les  pilait  et  les  réduisait  en 
poudre  ;  d'autres  fois  il  les  faisait  bouillir,  après   les 
avoir  mêlés  à  quelque  autre  substance,  ou  bien  il  les 
mélangeait  sans  les  faire  cuire;  d'autres  fois  encore, 
il  en  introduisait  le  suc  dans  une  veine  avec  une  lan- 
cette; enfin,  il  les  combinait  avec  les  aliments  et  avec 
les  boissons.  »  Ces  préparations  variées  nous  montrent 
qu'à  répoque  où  nous  reporte  le  Lotus  de  la  Bonne  Loi 
la  médecine  était  devenue  un  art  véritable.  Chaque 
jour  le  goût  et  la  pratique  s'en   développaient.   Le 
Buddha  lui-même  avait  des  connaissances  en  thérapeu- 
tique;    d'après  une  tradition',   il    aurait    prêché  un 
Sûtra    sur  l'art  de  guérir.   Le  Mahâvagga'  nous  le 
montre  conseillant  aux  Bhikshus  —  religieux  — ,  ma- 
lades, l'usage  de  racines,  de  feuilles  et  de  fruits  salu- 
taires, ainsi  que  de  décoctions,  de  poudres,  dégommes, 
d'huiles  et  de  collyres,  etc.,  dont  l'usage  bienfaisant 
devait  les  rendre  à  la  santé  :  recettes  qui  témoignent 
de  connaissances  pharmaceutiques  aussi  positives  qu'é- 
tendues*. Un  roi  de  Ceylan  du  iv®  siècle,  Buddhadâsa, 


1.  The  Suddharma'Pun4arika  (Le  Lotus  de  la  Bonne  Loi), 
translated  by  Kern.  Oxford,  1884,  in-8,  p.  130. 

2.  I-tsing,  A  Hecord  of  the  Buddhist  Religion.  Translated  by 
J.  Takakusu,  p.  131. 

3.  Khandhaka  Vf,  3-7  et  11. 

4.  Lea  recettes  du  Mahàvagga  renferment  une  vingtaine  de 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  627 

composa  même,  dit-on*,  un  traité  complet  de  matière 
médicale  et  ordonna  qu*il  y  eût  un  médecin  par  dix 
villages.  Les  Grecs  furent  frappés  de  Thabileté  des  pra- 
ticiens hindous  et  de  la  simplicité  du  traitement  qu'ils 
prescrivaient  parfois  à  leurs  malades-. 
.  En  présence  de  cet  exercice  général  de  la  médecine, 
on  ne  peut  douter  qu'il  n'ait  existé  de  bonne  heure 
dans  rinde  des  recueils  de  recettes,  des  formulaires 
plus  ou  moins  étendus.  Los  Bouddhistes  en  portèrent 
dans  les  pays  où  ils  répandirent  leur  doctrine,  en  par- 
ticulier dans  le  Tibet  et  TAsie  centrale.  Tels  sont,  par 
exemple,  les  traités  médicaux  manuscrits  découverts 
en  1890  par  le  lieutenant  Bower,  à  Mingai,  près 
Kuchar,  dans  la  Kachgarie.  Probablement  du  v**  siècle', 
d'une  langue  plus  archaïque  que  lesSamhitàs  de  Caraka 
et  de  Suçruta,  ils  sont  jusqu'à  présent  le  recueil  mé- 
dical le  plus  ancien,  ayant  quelque  importance,  que 
nous  possédions  sur  la  thérapeutique  hindoue  ^ 

plantes,  comme  l'uçîra,  le  curcuma,  le  poivre,  le  gingembre, 
les  trois  myrobolans,  le  nimba,  le  kutaja,  le  nattaraàla  —  Pon- 
gamia  glabra,  —  Thingu,  le  sésame,  la  moutarde,  etc.,  qui  sont 
restées  dans  la  pharmacopée  hindoue. 

1.  G.  Turnour,  The  Mahàvanma,  Colombo,  1889,  in- 8,  p.  156. 

2.  D'après  Strabon,  XV\  1, 60,  ils  avaient  plus  de  confiance  en 
un  bon  régime  de  nourriture  que  dans  les  remèdes,  et  les  lini- 
ments  et  les  cataplasmes  étaient  les  médicaments,  dont  ils  se 
servaient  de  préférence,  ce  qui  est  loin,  nous  l'avons  vu,  d'être 
entièrement  exact. 

3.  Rudolf  Hoernle,  On  ihe  date  of  Ihe  Bower  Mas.  (Journal 
of  the  Royal  Asiatic  Society,  vol.  60(1891),  p.  92).  —  Id.. 
Proceedings  of  the  Asiatic  Society  of  Bengaly  an.  1891,  p.  62 
et  an.  1895,  p.  84.  —  G.  Biihler,  The  new  sanscrit  Ms.  from 
Mingai  et  A  further  note,  etc.  {Wiener  Zeitschrift  fur  die 
Kunde  der  Morgenlandes,  vol.  V,  p.  103-110  et  303-310). — 
R.  Hoernle,  A  note  on  the  date  of  the  Botver  manuscripl  {The 
Indian  Antiguary,  vol.  XXI,  jan.  1892). 

4.  Il  y  a  dans  le  Tanjur  tibétain  toute  une  série  de  textes 


\* 

628  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HLNDOUS 


Malgré  sa  nature  composite  et  irrégulière,  —  il  ren- 
ferme plusieurs  traités  de  nature  et  de  longueur  très 
différentes,  —  le  Bower  Manuscrit  n'en  a  pas  moins 
une  grande  importance,  non  seulement  à  cause  de  son 
ancienneté,  mais  parce  qu'il  nous  laisse  entrevoir  ce 
qu'était  la  médecine  hindoue  à  l'époque  où  il  a  été  ré- 
digé.  Le  chapitre  sur  l'ail  —  laçtina  — ,  par  lequel 
s'ouvre  la  première  partie,  la  doctrine  du  mjrobalan 
chebulic  et  du  plumbago,  dans  la  seconde,  nous  mon- 
trent quelles  vertus  merveilleuses  on  attribuait  encore 
à  certaines  plantes  ;  la  divination  par  les  dés,  exposée 
dans  les  parties  IV  et  V,  et  les  charmes,  que  renfer- 
ment les  deux  parties  suivantes  et  dernières  —  il  y  en 
a  un  donné  comme  enseigné  par  le  Buddha  à  Ânanda 
pour  guérir   la  morsure  des  serpents  — ,  témoignent 
aussi  de  la  croyance  toujours  vivante  en  la  puissance 
des  incantations.  Mais  les  derniers  paragraphes  de  la 
première  partie  et  toute  la  troisième  renferment  de 
précieux  renseignements  sur  la  pharmacopée,   et  la 
seconde,  le  Nâvanîlaha,  est,  l'auteur  le  dit  expressé- 
ment, un  traité  complet  de  matière  médicale  \  Dans 
les  seize  chapitres  dont  elle  se  compose,  on  trouve  lon- 
guement indiquée  la  composition  des  principales  pré- 
parations pharmaceutiques  :  poudres  et  pilules,  gruaux, 
beurre  clarifié  et  huiles  médicamentées,  énémas,  toni- 

sur  la  médecine,  attribués  à  Nâgàrjuna,  le  14«  patriarche, 
mais  ils  sont  certainement  plus  récents  que  le  Bower  Manus, 
crit.  —  A.  Barth,  Le  pèlerin  chinois  I-l$ing.  (Journal  des  Savants , 
an.  1898,  p.  536). 

1.  «  Whatever  is  bénéficiai  to  men  and  women  afflicted 
with  varions  diseases,  whatever  is  also  bénéficiai  to  children, 
that  will  be  declared  in  this  book.  »  P.  77.  Le  mot  Nâvanîlaka, 
qui  signifie  «  crème,  quintessence  »,  indique  que  ce  traité  est 
comme  un  extrait  des  divers  ouvrages  médicaux. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  629 

ques  et  aphrodisiaques,  collyres  et  liniments\  etc., 
ainsi  que  Tindication  des  remèdes  propres  à  guérir  les 
maladies  les  plus  ordinaires  dans  Tlnde  :  lèpre  et  ma- 
ladies  cutanées,  diarrhée  et  dysenterie,  hémorragie, 
toux  et  fièvre,  maladies  du  cœur  et  des  yeux,  maux  de 
tête,  de  dents  ou  d'oreilles,  inflammations,  strangurie  et 
vomissements,  érysipèle  et  jaunisse,  enfin  les  maladies 
des  enfants*.  Pour  rehausser  le  mérite  de  quelques- 
unes  de  ces  formules,  l'auteur  du  Bower  Manuscrit  leur 
attribue  une  origine  divine  ;  c'est  ainsi  qu'une  poudre, 
des  pilules,  un  tonique,  etc.,  sont  donnés  comme  ayant 
été  inventés  par  les  Acvins.  Ce  sont  eux  qui  avaient, 
entre  autres,  donné  la  formule  de  l'huile  d'amrita,  com- 
posée de  quatre-vingt  trois  ingrédients,  et  qui  «  aussi 
bonne  que  l'ambroisie,  guérit  tous  les  maux  »  ^  Comme 
Kâçinija  fit  connaître  à  Suçruta  les  propriétés  salutaires 
de  l'ail,  c'est  Brahman  aussi  qui  révèle  à  ces  Dieux  bien- 
faisants les  vertus  du  mvrobalan  chebulic,  et  Dhanvan- 
tari,  à  Keçava,  celles  du  plumbago,  ces  plantes  aux- 
quelles nulle  maladie  ne  saurait  résister.  Le  résumé  qui 
précède  montre  l'intérêt  présenté,  en  dépit  de  ses 
lacunes,  par  le  Bower  Manuscrit;  mais  il  ne  donne 
qu'une  idée  incomplète  des  renseignements  précieux 
qu'on  y  trouve  sur  l'ancienne  pharmacopée  hindoue  ;  la 
flore  médicinale  de  l'Inde  y  figure  déjà  presque  entière  ; 
en  le  parcourant,  on  est  frappé  de  voir  quel  nombre 
considérable  de  plantes  avaient  dès  lors  pris  place  dans 


1.  Ghap.  I,  II,  in,  11-403;  v,  vi,  vn,  viii,  ix,  618-890.  Cf.  Part 
I,  53-59  ;  Part  III,  1-72. 

2.  Chap.  XI,  927-949  ;  xiv,  968-974.  Cf.  Part  I,  9-43. 

3.  Part  II,  chap.  i,  xxvin,  80-84,  xxix,  85-86,  xxxi,  96-101; 
chap.  n,  xxill,  21^-222,  xxiv,  223-225,  xxvn,  241-244,  etc.  ; 
chap.  ni,  287  et  suiv. 


630  LES  PU!fTES  CHEZ  LES  HI!IDOUS 

les  préparations  pharmaceutiques  ;  j'en  ai  compté  plus 
de  deux  cent,  vingt,  toutes  indigènes,  à  l'exception  de 
quelques  condiments  importés  de  Tlran  et  de  deux  ou 
trois  épices  des  Moluques.  On  a  là  une  preuve  que  la 
pharmacopée  hindoue  s  était  formée  sur  place  et  à  Tabri 
—  da  moins  à  Torigine  —  de  toute  influence  étrangère  '. 
Dans  le  Bower  Manuscrit  la  thérapeutique  apparaît 
déjà  constituée  dans  l'Inde';  il  ne  restait  plus  qu'à  en 
compléter  les  données  et  à  coordonner  le  tout  en  un 
corps  de  doctrine  ;  c'est  ce  qui  ne  tarda  pas  à  être  fait. 
D'après  le  pèlerin  chinois  I-tsing\  qui  visita  la  Pé- 
ninsule gangétique  au  vu*  siècle  de  notre  ère,  la  méde- 
cine y  était  en  grand  honneur;  elle  était  a  une  des  cinq 
sciences  de  l'Inde  »  ;  elle  se  composait  de  huit  parties, 
qu'on  venait,  dit-il,  de  résumer  et  de  réunir  en  un  seul 
livre  ;  quel  était  l'auteur  de  ce  manuel  ?  Nous  l'ignorons  ; 
mais  les  huit  parties  dont  le  pieux  voyageur  donne  les 
titres  rappellent,  malgré  quelques  différences,  celles 
qui  sont  énumérées  au  début  de  la  Sathhitd  mise  sous 
le  nom  de  Suçruta.  I-tsing  avait  étudié  la  médecine, 
mais  il  n'avait  pas  poussé  cette  étude  fort  loin  et  y  avait 
bientôt  renoncé;  ses  connaissances  en  pharmacopée 
aussi  ne  sont  ni  très  étendues,  ni  très  précises  ;  le  Cor- 
chorus  capsuiaris,  qu'il  indique  comme  une  plante  de  la 


1 .  Dans  quellemesure  put-elle  subir  plus  tard  cette  influence? 
Je  n'ai  pas  à  l'examiner  ici  ;  je  me  bornerai  à  dire  que  dans 
Caraka,  I,  26,  2,  il  est  question  de  Kànkàyana,  le  plus  grand 
des  médecins  de  la  contrée  de  Vàlhika  —  Bactres. 

2.  Nombre  de  recettes  qu'il  contient  se  retrouvent  sans 
changement  dans  les  traités  postérieurs. 

3.  A  Record  of  iht  Buddhist  Religion,  cap.  27,  p.  127-128.  — 
J.  Jolly,  l'tsing.  (Z.  D.  M,  G.,  vol.  LVI  (t902),  p.  570).  —  Dr. 
Liétard,  Le  pèlerin  chinoit  I-tsing,  {France  médicale,  an.  1902, 
p.  463). 


LES  PLANTKS  DANS  LA  MÉDECINE  631 

«  Terre  divine  »  —  la  Chine  — ,  croît  également  dans 
rinde*;  il  en  est  de  même  des  cardamones,  qu'il  donne 
comme  originaires  de  la  Dvàravatî  — le  Siam  —  ;  on  ne 
comprend  guère  non  plus  que  Tharitaki  soit  à  peu  près 
la  seule  plante  dont  il  fasse  mention,  comme  usitée  en 
médecine  dans  la  Péninsule',  avec  le  «  crocus  du 
Nord  »  et  <(  Tasa  fœtida  de  la  frontière  occidentale  », 
ainsi  peut-être  que  le  «  camphre  de  la  mer  du  Sud  »  et 
les  deux  espèces  de  clous  de  girofle  de  Poulo  Condor. 
Ou  a  supposé  que  le  manuel  de  médecine  récemment 
rédigé,  dont  parle  I-tsing,  pouvait  être  la  Suçruta- 
Sariihità  ;  cela  me  paraît  peu  vraisemblable  ;  ne  serait- 
ce  pas  plutôt  un  des  deux  traités  attribués  à  Vâgbhata, 
VAshtangaltridaya  etVAshtangasamgraha^  M.  Julius 
Jolly'  admet  que  le  second,  dont  le  premier  ne  sem- 
ble qu'un  résumé,  ne  saurait  être  postérieur  au  viii® 
siècle  ;  l'hypothèse  n'est  donc  pas  invraisemblable  ; 
mais  ce  n'est  qu'une  hypothèse.  Quant  aux  traités  eux- 
mêmes,  comme  Vâgbhata  s'y  montre  disciple  ou  imi- 
tateur de  Suçruta  *,  nous  n'avons  point  à  nous  en  occu- 


1.  Les  autres  plantes  chinoises  mentionnées  par  I-tsing  sont 
les  Aralia  quinguefolia  et  cordala,  les  Aconiium  Fischeri  et 
varicgalumy  VAsarum  Sieholdii,  le  Polijf/ala  sibirica  et  le  Pa- 
chyma  cocos.  V Aralia  quinquefolia  —  ginseng  —  est  le  récon- 
fortant par  excellence  des  Chinois. 

2.  Chap.  28,  p.  134,  il  donne  toutefois  la  formule  d'une  pilule 
composée  d'écorce  d'harîtaki,  de  gingembre  et  de  sucre. 

3.  Zur  Quellenkunde  der  indischen  Medizin.  Vâgbhata.  {Z.  D. 
M.  G.,  vol.  LIV(1900),  p.  273.) 

\.  «  C'est  une  compilation  méthodique,  ne  contenant  rien  ou 
peu  de  chose  d'original...  Suçruta  et  Caraka  en  sont  les  prin- 
cipaux inspirateurs  »,  dit  du  second  M.  P.  Cordier  (  Vâgbhata 
et  l'As(angahridayasamhit(ï,  Besançon,  1896,  in-8,  p.  5),  qui 
place  Vâgbhata  au  xii°  siècle,  ce  qui  serait  une  raison  de  plus 
pour  ne  pas  m'y  arrêter. 


632  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

per.  Mais  il  nous  faut  nous  arrêter  longuement  sur  la 
Samhitâ  de  ce  dernier  et  sur  celle  de  Caraka,  dont  les 
rédactions  actuelles  ne  remontent  pas  au  delà  du  xi* 
siècle,  mais  qui  existaient  déjà  dans  leurs  grandes 
divisions  au  moins  quatre  siècles  auparavant. 

La  Caraka-Saihhitâ,  la  plus  ancienne  des  deux,  se 
compose  de  huit  livres  ou  slhânas,  comprenant  en  tout 
120  leçons —  adhyâyas^\  —  les  deux  derniers  qui 
traitent  de  la  thérapeutique  générale  et  la  fin  du  cin> 
quième,  consacré  au  diagnostique,  ne  sont  pas  Tœuvre 
de  Caraka  ;  ils  ont  été  extraits  «  de  nombreux  ou- 
vrages »  antérieurs  par  un  médecin  du  Panjab,  Dri- 
dhabala.  Le  quatrième  livre,  qui  traite  de  Tanatomie 
et  de  l'embryologie,  n'a,  comme  le  cinquième,  rien  ou 
à  peu  près  qui  doive  nous  retenir  ;  il  y  a  peu  à  pren- 
dre aussi  dans  le  troisième,  où  est  exposée  la  théorie 
dé  l'alimentation,  ainsi  que  la  pathologie  générale; 
mais  les  trois  autres  livres,  le  sixième,  consacré  à  la 
thérapeutique  particulière,  le  second,  qui  traite  des 
huit  maladies  principales,  et  le  premier,  qui  com- 
prend, outre  un  essai  de  pharmacopée,  un  traité  de 
l'hygiène  et  une  énumération  des  divers  aliments,  ren- 
ferment les  renseignements  les  plus  étendus  sur  la 
matière  médicale  et  sur  l'emploi  des  ingrédients  que 
fournit  la  flore  indigène.  On  trouve  par  exemple,  au 
début  du  premier  livre,  quelques  recettes  aussi  cu- 
rieuses que  compliquées,  suivies  d'une  description  des 
poudres  et  des  emplâtres,  d'une  longue  énumération 
des  purgatifs,  des  astringents,   des  divers  collyres, 


1.  Julius  Jolly,  Medicin,  p.  12.  Au  livre  I,  chap.  30,  p.  422, 
Caraka  donne  une  division  toute  différente,  mais  qu'il  n'a  pas 
suivie. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  633 

avec  l'exposé  détaillé  des  soîds  qu^on  doit  prendre  des 
dents,  de  la  tête  et  du  corps  tout  entier  *  ;  enfin,  après 
des  conseils  d'hygiène  générale  et  des  notions  sur  le 
goût  et  les  propriétés  froides  ou  chaudes,  douces  ou 
acides,  piquantes  ou  salées,  amères  ou  astringentes 
des  plantes,  vient  Tindication  des  racines,  légumes 
verts,  fruits,  feuilles  et  fleurs,  ainsi  que  des  huiles  et 
des  vins,  du  suc  de  canne,  qui.  tout  en  pouvant  servir 
la  plupart  à  Talimentation,  fournissent  des  remèdes 
appropriés,  suivant  les  saisons  et  les  tempéraments, 
aux  diverses  indispositions  -. 

De  même  que  la  Sariihitâ  de  Caraka,  celle  de  Suçruta 
se  compose  de  120  chapitres  ou  adhyâyas,  répartis 
toutefois,  non  en  huit,  mais  en  cinq  sthànas'.  Plus  tard 
a  été  ajouté  un  sixième  sthâna,  qui,  en  26  chapitres, 
traite  des  maladies  des  yeux  et  de  quelques  points 
oubliés  de  la  thérapeutique,  etc*.  Quant  aux  cinq  sthâ- 
nas  primitifs,  le  deuxième  et  le  troisième  renferment 
la  pathologie  et  Tanatomie,  et  ne  doivent  dès  lors 
pas  plus  nous  occuper  que  les  sthànas  analogues  de 
Caraka  ;  le  quatrième,  qui  a  trait  à  la  thérapeutique, 
et  le  cinquième,  consacré  à  la  toxicologie,  au  con- 
traire, doivent  nous  retenir  quelque  temps.  Il  en  est  de 
même  encore  plus  du  premier,  où,  comme  dans  le  sthâna 
correspondant  de  Caraka.  sont  étudiées  les  questions 


1.  Adhyàyas,  1-3,  4  et  5. 

2.  Adhyàyas,  13,  27  et  28.  Parmi  les  fruits,  il  faut  mention- 
ner l'orange,  nâranga  ;  le  citron  est  mis  au  rang  des  légumes. 

3.  The  Sus'rutaSamhitâ.  The  hindu  systcm  of  Medicine 
according  to  SusYuta,  translated...  by  Udoy  Chànd  Dutt.  Cal- 
cutta. 1883,  in-8...  by  A.  F.  R.  Hoernle.  Calcutta,  1897,  in-8. 
Il  n*a  paru  que  deux  fascicules  entiers  de  la  première  de  ces 
traductions  et  un  de  la  seconde. 

4.  Suçruta-Satithitâ,  lib.  I,  cap.  1,  30  et  31. 


634  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

médicales  les  plus  diverses,  en  particulier  la  classifi- 
cation et  la  composition  des  remèdes,  ainsi  que  Ténu- 
mération  des  divers  aliments  et  boissons*. 

Les  remèdes  de  Tancienne  médecine  hindoue  étaient 
surtout  d'origine  végétale  ;  les  diflFérentes  parties  des 
plantes,  racines,  écorce,  feuilles,  fleurs  et  fruits,  la 
gomme  ou  la  résine,  qu'elles  exsudent,  les  sucs  qu'on 
en  extrait,  ou  les  vins  qu'on  en  retire,  servaient  éga- 
lement, suivant  les  cas,  à  les  préparer.  Caraka  divise 
d'abord  les  plantes  en  arbres  qui  portent  des  fruits 
sans  fleurs  (apparentes),  arbres  qui  portent  des  fleurs 
et  des  fruits,  plantes  annuelles  et  plantes  grimpantes'; 
mais  il  abandonne  bien  vite  cette  division  assez  inu- 
tile, pour  répartir,  au  chapitre  Iv^  d'après  les  effets 
qu'elles  produisent,  les  plantes  en  50  groupes  de 
remèdes,  dont  chacun  se  compose  de  dix  simples.  Cela 
fait  un  total  de  près  de  500  plantes  médicinales.  Les 
50  remèdes,  dans  la  composition  desquels  elles  entrent, 
sont  qualifiés  d'astringents  par  Caraka,  qui  les  divise 
en  doux,  acides,  piquants,  amers  et  astringents  pro- 
prement dits.  Il  compte  aussi  133  espèces  de  purga- 
tifs, mais  ne  nomme  que  13  des  plantes  qui  entrent 
dans  leur  composition. 

Au  chapitre  xxxviiidu  premier  livre  de  son  recueil*, 
Suçruta  divise  les  plantes  médicinales  en  37  gat^as, 
distingués  d'après  les  maladies  qu'elles  peuvent  servir 
à  guérir,  et  qui  portent  en  général  le  nom  de  la  pre- 
mière des  plantes  de  chaque  liste.  Mais  ce  n'est  pas 
là  la  seule  classification  qu'il  ait  suivie.  Au  chapitre  xi, 

1.  Suçrula-Samhitd,  lib.  I,  cap.  3,  28,  29  et  43.'i6,  p.  616. 

2.  Samhiià,  Part  I,  adhyàya  1,  71. 

3.  Part  I,  adhyàya  4,  556,  p.  28-47. 

4.  Samhità.  Trad.  L'doy  Chànd  Dutt,  p.  157-194. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉI>ECINE  635 

il  avait  donné  deux  listes  de  plantes  dont  la  cendre 
servait  à  fabriquer  des  caustiques  ;  au  xvi*,  sont  énu 
mérées  les  poudres  propres  à  arrêter  le  sang  ;  enfin, 
dans  le  chapitre  xxxix,  Suçruta  indique  sept  classes 
de  plantes  laxatives  ou  altératives.  Cela  forme  un  en- 
semble vraiment  considérable  de  plantes  médicinales 
—  il  y  en  a  plus  de  700  — ,  nombre  qui  n'avait  pas 
encore  été  atteint.  Mais  si  Suçruta  connaissait  plus 
de  plantes  médicinales  que  les  Rishis  qui  l'avaient 
précédé,  il  n'avait,  comme  eux,  qu'une  connaissance 
empirique  de  leurs  prétendues  vertus  curatives,  et  il 
attribuait  ces  vertus  bien  moins  à  leur  nature  propre 
qu'à  celle  du  sol  dans  lequel  elles  poussaient  ',  à  Tétat 
de  développement  et  à  la  saison  où  on  les  recueillait, 
au  soin  enfin  qu'on  apportait  à  les  ramasser,  comme  à 
les  conserver. 

Le  sol,  suivant  qu'il  était  rocailleux,  ferme  ou 
friable,  lourd  ou  léger,  frais  ou  sec,  noir  ou  bleu 
foncé  ou  encore  de  couleur  blanche  ou  cendrée,  cou- 
vert d'arbres  épais  ou  aux  branches  clairsemées,  avait 
des  propriétés  très  diflFérentes,  auxquelles  correspon- 
daient celles  des  plantes  qui  y  croissaient.  Celles-ci 
d'ailleurs,  selon  qu'on  leur  demandait  d'être  chaudes 
ou  froides,  devaient  aussi  être  recueillies  dans  la  sai- 
son chaude  ou  froide.  Il  importait  également  qu'elles 
fussent  arrivées  à  leur  pleine  croissance,  qu'elles 
eussent  des  racines  longues  et  épaisses.  Les  unes 
devaient  être  employées  fraîches  ;  les  autres  pouvaient 
l'être  indifféremment  fraîches  ou  sèches.  Quelques- 
unes,  comme  les  graines  A'Embelia  ribes,  du  poivre 
long,  gagnaient  en  vieillissant.  Enfin  elles  devaient 

1.  Suçruta-Samhitâj  lib.  I,  cap.  37. 


«36  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

être  recueillies  avec  des  précautions  particulières,  qui 
en  assuraient  l'efficacité.  Voici,  par  exemple,  comment 
on  se  procurait  le  bois  de  mushkaka  —  Stereosper^ 
mum  suaveolens  — ,  dont  la  cendre  servait  à  préparer 
un  caustique  très  employé 


A I 


Un  jour  d'automne,  après  s  être  purifié  et  avoir  jeûné,  le 
médecin-herboriste  ayant  choisi  an  mushkaka  de  grande  taille, 
d'an  âge  moyen,  que  rien  n*avait  endommagé,  aux  fleurs  som- 
bres, et  qui  croissait  en  un  lieu  propice  sur  une  montagne 
isolée,  accomplissait  Vadhivàiana  ou  «  cérémonie  prélimi- 
naire »,  en  prononçant  l'incantation  suivante  :  «  0  !  arbre  à 
l'ardente,  à  la  grande  vertu,  que  ta  vertu  ne  soit  pas  perdue. 
Arbre  propice,  reste  ici  et  accomplis  mon  œuvre  !  Quand  mon 
œuvre  sera  achevée,  qu'alors  tu  ailles  au  ciel!  »  Après  quoi,  il 
lui  faisait  une  offrande  de  mille  fleurs.  Le  lendemain,  au  lever 
du  jour,  s1l  n'observait  aucun  changement,  ni  rien  de  parti- 
culier, il  procédait  de  la  manière  suivante.  Il  coupait  des  mor- 
ceaux convenables  (de  l'arbre),  et  après  les  avoir,  pour  les 
brûler,  empilés  en  un  lieu  abrité  du  vent,  il  y  mettait  le  feu 
avec  des  chaumes  de  sésame.  Quand  le  feu  avait  cessé  de 
brûler,  il  recueillait  à  part  les  cendres  du  bois  et  les  nodules 
formées  dans  les  cendres. 

On  brûlait  de  la  même  manière,  avec  leurs  bran- 
ches, leurs  feuilles,  leurs  fruits  et  leurs  racines,  les 
arbres  kutaja,  palàca,  açvakarna  et  dix-neuf  autres 
arbres  ou  plantes,  ainsi  que  quatre  espèces  de  lufia  ; 
leurs  cendres,  lessivées  avec  une  quantité  déterminée 
d'eau  et  d'urine  de  vache,  étaient  ensuite  filtrées,  et 
le  liquide  ainsi  obtenu  était  bouilli  et  soumis  à  diverses 
manipulations,  qui  en  augmentaient  l'efficacité.  Quelque 
compliqué  déjà  que  soit  ce  procédé,  il  ne  donne  tou- 
tefois qu'une  faible  idée  des  soins  minutieux  qu'on 
apportait  dans  la  préparation  de  certains  remèdes  et 
des  nombreux  ingrédients  qui  y  entraient.  Qu'on  en 

1.  Suçruia-SamhiUt ,  lib.  I,  cap.  11,5,  Trad.  Hoernle. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  637 

juge  par  la  manière  dont  se  faisait  un  des  vomitifs  les 
plus  usités*. 

Après  avoir  pris  des  fruits  de  Vangueria  spinosa  bien  for- 
més, et  ni  trop  verts,  ni  trop  jaunes,  le  praticien  les  mêlait 
avec  du  kuça,  de  la  terre  et  de  la  bouse  de  vache  délayée  dans 
de  l'eau;  il  faisait  cuire  le  tout  pendant  huit  (jours  et  huit) 
nuits  avec  une  certaine  quantité  d'orge,  de  Terminalia  helle- 
ricUf  de  Phaseolus  mungo  et  radiatus,  de  riz  et  d'autres  cé- 
réales ;  il  les  mouillait,  les  écrasait,  y  ajoutait  de  VEchites 
antidyitenterica  et  du  poivre  long,  puis  il  faisait  sécher  le  tout 
au  soleil.  Une  poignée  de  cette  substance  mêlée  avec  du  lait 
caillé,  du  miel  et  des  grains  de  sésame  écrasés,  mise  dans  un 
vase,  en  même  temps  qu'une  infusion  chaude  de  Siphonantkus 
indica  et  de  Bauhiniavariegata  était  broyée  pendant  toute  une 
nuit,  puis  cuite  de  nouveau  ;  on  y  ajoutait  alors  du  miel  et  du  sel 
gemme,  en  prononçant  la  formule  consacrée  ;  ensuite,  le  visage 
tourné  vers  le  Nord,  le  médecin  présentait  le  breuvage  au 
malade,  qui,  lui,  regardait  vers  l'Orient,  et  il  prononçait  cette 
incantation  :  «  Que  Brahmâ,  Daksha,  les  Açvins,  Rudra,  la  Terre, 
la  Lune,  le  Soleil,  le  Feu,  l'Air,  les  Rishis,  la  multitude  des 
Plantes  annuelles  et  la  troupe  des  Bhùtas  te  conservent  !  Que  ce 
médicament  soit  pour  toi  un  élixir  de  vie,  semblable  à  l'ambroi- 
sie des  Rishis  et  des  Dieux,  au  nectar  des  excellents  Nâgas  î  » 

Dans  le  chapitre  consacré  au  traitement  d'une  ma- 
ladie qu'on  a  considérée  comme  le  diabète*,  on  trouve 
une  recette  toute  empreinte  encore  du  caractère  reli- 
gieux qu'avait  revêtu  la  médecine  hindoue.  Après  avoir 
recommandé  de  prendre  les  «  fruits  des  arbres  astrin- 
gents, qui  croissent  sur  les  rivages  de  la  mer  occi- 
dentale, et  dont  les  branches  sont  constamment 
secouées  par  les  vents  nés  de  l'agitation  des  Hots  », 


1.  Suçruta-Samhitây\\b,  I,cap.  43. Trad.  Dutt.  he Siphonan- 
thus  indica  —  Clerodendron  siphonanthus  —  est  la  bràhmikâ. 

2.  Suçruta-Samhilâ,  lib.  IV,  cap.  13.  Caraka,  I,  23,  16, 
prescrit  pour  tout  traitement  dans  ce  cas  des  myrobalans  che- 
bulics,  réduits  en  poudre  et  mêlés  à  du  lait  de  beurre,  ou  une 
infusion  des  trois  myrobalans. 


638  LES  PLANTKS  CHEZ  LES  HINDOUS 

Suçruta  ordonne  d'extraire  la  pulpe  de  ces  fruits,  de 
la  faire  sécher,  de  l'écraser  et  d'en  exprimer  l'huile  ; 
puis  après  avoir  fait  bouillir  celle-ci  jusqu'à  ce  qu'elle 
fût  suflBsamraent  réduite,  on  devait  la  laisser  reposer 
pendant  deux  semaines,  mêlée  à  de  la  bouse  de  vache. 
Alors  oint,  purgé,  tout  mouillé  de  sueur,  n'ayant  pris, 
pendant  quinze  jours  d'exercice,  que  le  quart  de  sa 
.nourriture  ordinaire,  le  malade  devait,  le  premier  jour 
du  croissant  de  la  lune  —  jour  propice  — ,  boire  en 
abondance  de  cette  huile,  après  qu'on  avait  prononcé  ces 
paroles  sacrées  qui  achevaient  de  la  rendre  efficace. 

Essence  de  la  moelle,  douée  d'une  grande  force,  purge  tous 
les  éléments  de  ce  corps  !  Le  dieu  Acyuta  —  Vishou  — ,  qui 
tient  à  la  main  une  conque,  un  disque  et  une  massue,  te  le 
commande. 

Les  exemples  qui  précèdent  montrent  quel  était  le 
caractère  à  la  fois  minutieux  et  sacré  de  la  thérapeu- 
tique hindoue.  Un  autre  caractère  qui  la  distinguait, 
c'est  la  complication  des  recettes  médicales  qu'elle  em- 
ployait ;  le  vomitif  à  base  de  Vangtieria  spinosa,  dont 
il  a  été  question  plus  haut,  nous  en  a  donné  un  exem- 
ple; et  les  purgatifs,  si  nombreux  dans  les  recueils  de 
Caraka  et  de  Suçruta,  nous  en  fourniraient  d'autres  ; 
non  moins  compliqués  étaient  les  remèdes  employés 
contre  la  fièvre  et  la  dysenterie,  ainsi  que  les  anti- 
dotes, si  nécessaires  dans  un  pays  comme  l'Inde,  où 
abondent  les  animaux  venimeux.  L'un  des  antidotes 
décrit  par  Suçruta  *  ne  contenait  pas  moins  de  soixante- 
dix-sept  ingrédients  végétaux  et  trois  ingrédients  d'ori- 
gine animale  :  fiel  de  taureau,  miel  et  beurre  clarifié. 

1.  Lib.  V,  cap.  7.  Les  recettes  du  Borver  Mss.,  on  l'a  vu,  ne 
sont  pas  moins  compliquées. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  639 

Il  passait  pour  doué  d'une  grande  vertu  :  «  Le  roi  qui 
en  est  oint,  dit  l'Ayurvéda,  devient  cher  à  tous  ses 
sujets,  et  il  se  revêt  d'une  splendeur  plus  grande,  en 
entrant  dans  le  ciel  de  Çakra.  »  Ce  qui  surprend,  c'est 
que  ces  remèdes  bizarres  étaient,  paraît-il,  vraiment 
efficaces  ;  Alexandre,  nous  apprend  Arrien  *,  avait  tant 
de  confiance  dans  l'habileté  des  médecins  hindous  à 
guérir  la  morsure  des  serpents  qu'il  leur  confia  ceux 
de  ses  soldats  qui  avaient  été  atteints. 

La  médecine  hindoue  n'avait  pas  seulement  pour  but 
de  guérir  les  maladies,  elle  se  proposait  aussi  de  sup- 
primer la  douleur,  ainsi  que  de  prolonger  la  vie,  ou 
môme  d'assurer  l'immortalité,  et  elle  prétendait  avoir 
trouvé  des  remèdes  qui  lui  permettaient  d'atteindre  ce 
double  but  et  rendaient  ainsi  l'homme  presque  l'égal 
des  Dieux'.  Suçruta  compte  vingt-deux  plantes,  qui, 
(f  aussi  efficaces  que  le  soma  »,  faisaient  disparaître 
la  douleur.  De  ces  plantes,  VAloe  perfoliata,  le  Cow- 
volmdus  paniculatus,  la  Calotropis  giganted,  le  Doli- 
chos  pniriens,  le  Solarium  melongena  et  la  IVebera 
corymbosa  seuls  sont  connus  ;  les  autres  n'ont  pu  être 
identifiées,  ce  qui  pourrait  faire  penser  qu'elles  avaient 
la  plupart  une  existence  toute  mythique. 

Les  plantes  qui  passaient  pour  prolonger  la  vie 
n'étaient  pas  moins  recherchées  que  celles  qui  sup- 
primaient la  douleur;  comme  les  panacées  du  Rcàmâ- 
yana  elles  étaient  supposées  croître  dans  la  région 
hymalayenne.  I-tsing  parle  d'un  de  ses  compatriotes, 

1.  Historin  indica,  cap.  xv,  11. 

2.  «  Comme  les  Dieux  vivent  au  Ciel  exçmpts  de  douleur  et 
dans  la  joie,  ainsi  vivent  dans  la  joie  sur  terre  les  hommes  qui 
ont  trouvé  les  plantes  salutaires.  »  Suçruta- S arhhitâ,  lib.  IV, 
cap.  30,  1. 


640  LES  PLAr^TES  CHEZ  LES  HINDOUS 

qu'on  y  avait  envoyé  cueillir  la  plante  qui  rend  im- 
mortel \  C'est  là  aussi  qu'avait  été  découvert  l'ail, 
cette  autre  panacée,  dont  l'emploi,  suivant  le  Bower 
Manuscrit  ',  «  fait  vivre  cent  ans,  sain  de  corps  et 
d'esprit,  plein  de  vigueur  et  exej[ipt  de  rides  ».  Mais 
bien  d'autres  plantes  que  l'ail  passaient  pour  prolonger 
la  vie  autant  et  mieux  que  lui.  D'après  Suçruta,  elles 
étaient  plus  nombreuses  que  celles  qui  étaient  réputées 
supprimer  la  douleur  ;  il  y  en  avait  pour  tous  les  âges  ; 
un  médecin  prudent  en  donnait  au  jeune  homme, 
comme  à  Thorame  avancé  en  âge,  pourvu  qu'il  fût 
sain  et  bien  fait  de  corps  ;  dans  ces  conditions,  on 
comprend  que  ces  plantes  pouvaient  produire  un  effet 
salutaire,  sinon  tout  celui  que  promettait  Suçruta  ; 
leur  emploi  était  d'ailleurs  accompagné  de  précautions 
particulières  et  de  pratiques  religieuses,  destinées 
à  en  assurer  l'efficacité,  ou  du  moins  à  en  garantir 
la  renommée,  en  cas  de  non  réussite;  mais  en  les  em- 
ployant, on  n'avait  rien  à  craindre  de  l'atteinte  des 
ans.  «  La  vie  de  celui  qui  mange  des  fruits  de  la  Pen- 
taptera  tomentosa^  préparés  avec  du  lait,  ne  sera  pas 
détruite,  »  lit-on  dans  le  dernier  çloka  du  vingt-sep- 
tième chapitre  du  Çârîrasthàna  de  Suçruta*.  L'écorce 
A'Aegle  marmelos  n'était  pas  moins  riche  en  vertus. 
Quiconque,  après  s'être  purifié  avec  soin  et  avoir  sa- 
crifié, en  buvait  chaque  jour  une  infusion  dans  du  lait, 
avec  une  décoction  de rsiciues  d'Arum  campamilatum, 
pouvait  vivre  dix  mille  ans,  sans  perdre  la  mémoire. 
Une  décoction  de  fibres  du  nélumbo,  mêlée  avec  du 

1.  Les  Religieux  éminents  qui  allèrent  chercher  la  loi  dafis 
les  pays  d'Occident.  Mémoire  composé  par  I-tsing,  traduit  par 
Ed.  Chavannes.  Paris,  1894,  in-8,  p.  23. 

2.  Part  I,  42,  p.  15. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  041 

miel  et  des  grains  de  froment,  jouissait  des  mêmes 
vertus,  et  ces  préparations  conservaient  indéfiniment 
la  santé;  il  y  en  avait  d'autres,  conime  celles  de  santal, 
deDatura  metel,  de  réglisse,  de  miel  et  d'or,  qui,  bues 
dans  de  Teau,  donnaient  la  beauté.  D'autres  encore 
assuraient  le  bonheur  ou  procuraient  à  qui  en  usait  la 
force  des  Nâgas  et  le  rendaient  semblable  aux  Im- 
mortels *. 

Si  les  anciens  Hindous  portèrent  ainsi  l'arbitraire  et 
la  fantaisie  dans  l'emploi  qu'ils  firent  des  plantes  en 
thérapeutique,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'ils  possé- 
dèrent une  connaissance  étendue  des  remèdes  d'origine 
végétale,  et  beaucoup  de  ceux-ci  sont,  preuve  de  leur 
incontestable  utilité,  encore  en  usage  de  nos  jours  '. 
Telles  sont  entre  autres  les  racines  des  Aconitum  he- 
terophyllum,  Nymphaca  cœrulea  —  pushkara  — ,  etc. 
Pavonia  odorata  —  bâlâ,  hrîvera  — ,  Sida  cordifolia^ 
Cardiospermiim  halicacabwn,  Saussurea  auriculata  — 
kushtha  — ,  Plumhago  zèylanica  —  citraka  — ,  Ipo- 
maea  turpethum  —  trivrit  — ,  Contwlvulus paniculalus 
—  vidârî  — ,  Argyreia  speciosa,  Solanum  Jacquinii  et 
indicum,  Withania  (Pliysalis)  somnifera,  Picrorrhiza 
kurroa  —  katukâ  — ,  Gmelina  arborea,  Clerodendron 

m 

siphona7ithiiSy  Premna  serralifolia,  Boerhavia  diffusa, 
Hypoxis  (Curculigo)  orchioides,  Amorphallus  campa- 
ntilatiis,  Zinziber  officinale,  zoTumhet,  etc.,  Curcuma 
longa,  aroniatica,  etc.,  Vanda  Roxburghii^  Asparagus 
racemosus,  Gloriosasîiperba,etc.;Véc(îvce  des  Crataeva 

1.  Suçruta-Sanihilâ,  lib.  IV,  cap.  28. 

2.  Udoy  Chând  Dutt,  The  materia  medica  of  the  Hxndus, 
s.  V.  —  W.  Dymock,  The  vegetable  materia  medica  of  western 
India.  Bombay,  s.  d.,  in-8.  —  Kanny-Lall  Dey,  The  indigenous 
Drugs  of  India.  Calcutta,  1896,  in-8,  s.  v.  —  Watt,  Dictio- 
nary,  s.  v. 

JORET.  —  Les  Plantes  dans  l'antiquité.  II.  —  41 


6i2  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

religiosa,  Melia  azadirachta  ou  tndica  —  nimba  — , 
Terminalia  arjuna,  Punica  granatum,  Alsionia  scha- 
laris,  Holarrhena  antidysenterica  —  kutaja  — ,  Calo- 
santhes  indica  —  çyonâka  — ,  Stereospermum  sua- 
veolens  —  pâtali  — ,  Myrica  sapida.  Ficus  religiosa, 
bengalensis,  glomerata,  infectoria  ',  etc.  ;  les  feuilles 
des  lotus  ^  Oxalis  comiculata,  Cassia  alala,  sophora, 
tara,  Eugenia  jambolana,  Trichosanthes  dioica,  Wede- 
lia  caJendulacea,  Justicia  adhotada,  Ocymum  sanctum 
—  tulasî  — ,  etc.  ;  les  fibres  de  nélumbo  ;  les  fleurs 
des  Moringa  pterygosperma,  Mesiia  ferrea,  Ptereo- 
spermum  suberifolium,  Woodfordia  floribunda,  etc.  ; 
les  étamines  du  padma;  les  graines  des  Nigellasativa, 
Sinapis   ramosaj    Tribulus   terrestris,  A  brus  preca- 
torius,  Pongamia  glabra,  Serratula  anthelmintica, 
Embelia  ribes,  Hyoscyamus  niger,  Sesamum  indicum, 
Croton  tiglium,    Baliospemium   montanum,  Bicinus 
communis.  Piper  nigrum  et  longum,  etc.  ;   enfin  les 
fruits  des  Ciirus  acida^,  Aegle marmelos,  Feroniaele^ 
phantuniy  Semecarpus  anacardium,  Mucuna  pruriens, 
Butea  frondosa,  Cassia  fistula,    Tamarindus  indica, 
Benincasa   cerifera,    Citrullus    colocynthis,    Bandia 
dumetorum,  Mimusops  indica^  les  raisins  et  les  gre- 
nades, les  trois  myrobalans  —  triphald  — ,  si  renom- 
més dans  la  pharmacopée  hindoue  *  :  Terminalia  che- 

1.  Avec  la  Thespesia  populnea,  ces  figuiers  sont  les  cinq 
arbres  à  suc  laiteux  du  Bower  Mss.,  I,  89  et  94.  —  Si^çruta, 
lib.  I,  cap.  38,  24.  —  L'écorce  de  ces  figuiers  est  encore  em- 
ployée en  poudre  ou  en  décoctions.  T.  A.  Wise,  Commentary, 
p.  154. 

2.  Un  onguent  d'uçîra  et  des  feuilles  de  lotus  servent  à  cal- 
mer la  fièvre  de  Çakuntala.  Acte  III,  prologue. 

3.  Suçruta,  lib.  I,  cap.  39. 11  est  surprenant  qu'aucun  citrus 
ne  figure  dans  les  37  classes  de  remèdes  du  chap.  38. 

4.  D'après  une  légende,  pour  guérir  le  Buddha   malade, 


■I 
■I 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  643 

bula  —  harîtakî  — ,   T,   bellerica  —  vibhîtaka  — , 
Phyllanthus  emblica  —  âmalakî  — \  etc. 

Il  faut  ajouter  à  cette  liste  les  produits  retirés  d'un 
certain  nombre  de  plantes  ;  telles  les  huiles  extraites 
des  graines  de  sénevé,  de  sésame,  de  lin,  de  Bûcha- 
mania  latifolia  —  piyâla  — ,  de  carthame  et  de  ricin  ; 
les  résines  des  çâla,  sarala  —  Pinus  longifolia  — , 
devadâru,  etc.;  la  gomme  de  çâlmali,  de  palâçaet  de 
divers  acacias,  en  particulier  de  VA.  catechu,  etc.  ;  le 
suc  laiteux  du  Ficus  glomeratay  de  VEuphorbia  ne- 
riifolia,  etc.  ;  ainsi  que  le  bois  d'un  certain  nombre 
d'arbres,  par  exemple  des  santals  rouge  et  blanc,  du 
déodara,  du  sarala,  etc.,  et  les  cendres  des  plantes  les 
plus  diverses,  en  particulier  de  l'apâmârga,  du  pa- 
lâça,  etc.  L'huile  de  sésame  —  taila  —  n'était  pas 
moins  employée  dans  la  thérapeutique  que  dans  l'ali- 
mentation ;  elle  passait  pour  tonique,  chaude  et  astrin- 
gente, et  mêlée  à  d'autres  substances,  elle  était  capa- 
ble, croyait-on,  de  guérir  toutes  les  maladies.  L'huile 
de  ricin  était  tout  aussi  usitée  ;  elle  servait  à  combattre 
les  fièvres  chroniques,  les  tumeurs  abdominales,  même 
la  lèpre;  elle  était  en  même  temps  le  meilleur  des 
purgatifs  *.  La  résine  de  çâla  était  utilisée  surtout  en 
fumigations,  ainsi  que  dans  la  préparation  de  certains 
emplâtres  ou  onguents  ;  la  gomme  de  palâça  servait  à 
la  fois  à  l'usage  externe  et  à  l'intérieur  contre  la  diar- 
rhée chronique  ^   La  concrétion  cristalline  —  tabâ- 


Çakra  lui-même  aurait  apporté  un  fruit  de  myrobalan  au  Ré- 
formateur. Rockhill,  The  Life  ofthe  Buddha,  p.  34. 

1.  Caraka-Sarkhità,  lib.   1,   cap.  27.   —  Suçruta-Sanihitâ, 
lib.  I,  cap.  38  et  39. 

2.  Caraka-SamhUâ,  lib.  I,  cap.  13  et  27,  p.  139  et  380. 

3.  Udoy  Chànd  Dutt,  Materia  medica,  p.  120  et  149. 


644  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

shîr  hind.  *  — ,  qui  se  forme  dans  les  entrenœuds  des 
tiges  des  bambous,  en  particulier  du  Bambusa  arundi- 
nacea,  était  très  employée  et  a  été,  hors  de  l'Inde, 
connue  dès  une  époque  reculée.  Saumaise,  suivi  par 
Fée  et  Sprengel,  a  prétendu  que  c'était  elle,  et  non  le 
sucre  véritable,  que  Dioscoride  et  Pline  avaient  dési- 
gnée sous  le  nom  de  aixxapov,  saccharon  ;  mais  si  les 
descriptions  de  Dioscoride  et  de  Pline  sont  incomplètes 
ou  peu  exactes,  ce  n'est  pas  à  dire  qu'elles  se  rapportent 
au  tabâshir,  qui  n'est  point  doux,  plus  qu'au  sucre  ^, 
que  Théophraste,  après  Néarque,  comparait  déjà  au 
miel. 

Les  poisons  avaient  leur  place  marquée  dans  l'an- 
cienne pharmacopée  hindoue  ^  ;  on  en  distinguait  neuf 
particulièrement  virulents,  qui  paraissent  être  tous  des 
préparations  différentes  de  la  racine  A'Aconitum  ferox, 
et  sept  moindres,  entre  autres  les  graines  à'Abrus 
precatorius,  les  racines  de  Nerium  odorum  et  de  G/o- 
riosa  superba,  le  suc  laiteux  des  Calotropis  gigantea^ 
et  Euphorbia  neriifolia.  A  côté  des  poisons  prennent 
place  les  narcotiques  si  recherchés  par  les  peuples  civi- 
lisés, comme  par  les  peuples  sauvages.  Le  tabac  était 
ignoré  des  anciens  Hindous  ;  l'opium  ne  parait  avoir 
été  connu  dans  leur  pays  qu'après  l'invasion  musul- 
mane ;  le  nom  sanscrit  ahiphena,  pour  aphena,  hind. 
afhiiy  de  ce  narcotique,  est  une  simple  déformation  de 

1.  Ou  «  manne  de  bambou  ».  iy%%\.\2LXugàkshiri  de  Suçruta, 
lib.  I,  cap.  38,  17.  On  lui  donne  aussi  le  nom  de  vamça  rocana. 

2.  Watt,  Dictionaryy  vol.  I,  p.  383.  Henry  Yule,  À  gloêsary 
of  anglo'indian  coUoquial  lerms  and  phrases.  London,  1886, 
in-8,  p.  654.  —  Théophraste,  Fragm.  140.  —  Strabon,  XV,  1, 20. 

3.  Udoy  Chànd  Dutt,  Materia  medica,  p.  7  et  97-98. 

4.  Le  suc  (le  la  Calotropis  passait  pour  rendre  aveugle. 
Mahâbhârata,  I,  176. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  645 

l'arabe  afjun,  qui  vient  lui-même  du  grec  S^'.ov  *.  Ni  le 
Bower  Manuscrit,  ni  Caraka  ou  Suçruta,  ne  connaissent 
cette  substance,  ni  même^  il  semble,  les  vertus  sopori- 
fiques  du  pavot.  L'ignorance  où  étaient  les  anciens  ha- 
bitants de  rinde  de  l'opium  et  du  tabac  a  dû  leur  faire 
adopter  d'autant  plus  facilement  l'usage  du  haschishet 
du  bétel. 

Depuis  quelle  époque  les  propriétés  narcotiques  du 
chanvre  ont-elles  été  connues  dans  l'Inde?  On  l'ignore. 
La  plante  çana  que  Bloomfield ,  après  Zimmer  et  Weber, 
regarde  comme  le  chanvre,  encore  que  ce  soit  bien 
plutôt  la  crotalaire,  est  invoquée,  dans  l'Atharva- 
Véda  ^  à  côté  du  jangida.  Ailleurs  *  le  poète  védique 
réclame  la  protection  du  hhanga  —  le  vrai  chanvre  — , 
en  même  temps  que  du  dharba,  de  l'orge  et  de  l'in- 
certain saha  ;  mais  rien  ne  nous  permet  de  dire  quelles 
vertus  sont,  dans  ces  incantations,  attribuées  au  bhanga 
pas  plus  qu'au  çana  ;  en  tout  cas  le  bhaAga  n'apparaît 
pas  dans  ces  formules  comme  narcotique  ou  excitant. 
Comme  tel,  cette  plante  a  dû  être  employée  d'abord 
dans  la  région  himalayenne,  où,  nous  l'avons  vu,  elle 
est  indigène,  hypothèse  que  justifie  le  surnom  de  kàç- 
mîra,  qui  lui  a  parfois  été  donné  ;  mais  on  ignore  à 
quelle  époque  en  remonte  l'usage,  ou  la  culture.  Au- 
jourd'hui les    feuilles   des    pieds    sauvages    servent 

1.  Watt,  Dictionary,  vol.  VI,  1,  p.  17-24.  —  J.  Jolly,  Medi- 
cin,  p.  30.  —  W.  Dymock,  The  Materia  medica^  p.  30. 

2.  Lib.  II,  4,  5.  M.  Bloomfield,  Hymns  of  the  A.  V.,  p.  284, 
ce  qu'avait  déjà  paru  admettre  Weber,  veut  que  le  çana  figure 
ici  comme  textile  ;  le  contexte  n'autorise  aucune  supposition 
de  ce  genre.  A.  Weber,  Indische  Studien,  vol.  XIII,  p.  142. 
Zimmer,  Altindisches  Leben,  p.  68. 

3.  Lib.  XI,  6,  15.  V.  Henry,  Atharva-Véda,  liv.  X-XII, 
p.  119. 


646  LES  PUNTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

encore  sous  le  nom  de  bhang  ;  mais  elles  sont  moins 
énergiques  que  les  divers  produits  du  chanvre  cultivé  : 
le  carasj  résine  exsudée  par  les  feuilles  et  les  jeunes 
pousses  des  pieds  femelles,  et  la  gânjâ,  nom  donné 
aux  cimes  fleuries  et  visqueuses  des  mêmes  pieds  *. 
Réduit  en  poudre,  le  bhang,  mêlé  d'ordinaire  avec  du 
poivre  noir  et  délayé  dans  de  Teau,  produit  une  ivresse 
gaie,  qui  dure  deux  à  trois  heures.  La  gâfijâ  est  fumée, 
ainsi  que  le  caras,  dont  la  meilleure  sorte  est  importée 
d'Yarkand  et  de  Kachgar;  mais  cet  usage  ne  remonte 
pas  très  haut  dans  le  passé.  Si  l'emploi  du  bhaiîg, 
comme  narcotique  et  exhilarant»  était  inconnu  des 
anciens  Hindous',  ils  ont,  au  contraire,  fait  de  temps 
immémorial  usage  des  feuilles  de  bétel  comme  stimu- 
lant, en  même  temps  qu'elles  servaient  de  remède 
populaire  contre  une  foule  d'indispositions'. 

Les  condiments  et  les  aromates  occupaient  une  place 
plus  grande  que  les  narcotiques  et  les  poisons  dans  la 
pharmacopée  hindoue  ;  la  moutarde,  la  coriandre, 
l'ajouan,  le  cumin  et  le  sowa,  l'asa  fœtida,  les  deux 
basilics,  les  poivres  noir  et  long  et  le  gingembre,  — 
«  les  trois  épices  »  trikatu  — ,  les  poivres  orangé  et 
chaba,  les  curcuma  long  et  zédoaire,  le  cardamome, 
le  crocus  —  kuAkuma  — ,  entraient  dans  la  compo- 
'  sition  de  nombre  des  remèdes  prescrits  par  le  Bower 

1.  Flûckiger  et  Hanbury,  Histoire  des  drogues,  vol.  II, 
p.  285-288.  —  W.  C.  Dutt,  Materia  medica,  p.  237-238.  — 
Watt,  Diciionaryy  vol.  II,  p.  105.  Cf.  plus  haut,  p.  168. 

2.  W.  Dymock,  The  Materia  medica,  p.  604,  attribue  toute- 
fois, mais  sans  en  donner  de  preuves,  une  haute  antiquité  à 
cet  emploi  du  chanvre,  d'où  les  surnoms  qu'il  porterait  de  w- 
jàyà  qui  procure  le  succès,  ânanda  qui  provoque  le  rire,  etc. 

3.  Cf.  chap.  IV,  p.  267.  William  Dymock,  Pharmcuiogra- 
phia  indica.  London,  1892,  in-8,  vol.  III,  p.  184,  qui  croit 
encore  que  le  malabathron  des  Grecs  n'était  autre  que  le  bétel. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  647 

manuscrit,  Garaka  et  Suçruta,  comme  dans  ceux  de 
nos  jours  *.  Il  en  était  de  même  des  aromates,  tels  que 
le  souchet  odorant  —  musta  —  VAcorus  calamus  — 
vacâ  — ,  Técorce  —  tvac  —  et  les  feuilles  — pattra  — 
du  cinnamome,  ainsi  que  le  cassia,  l'encens,  le  kushtha, 
le  nard,  divers  andropogons,  le  bois  de  santal  et  le  bois 
d'aloès  '.  Il  n'y  a  rien  à  ajouter  à  ce  qui  a  été  dit  pré- 
cédemment du  souchet  odorant  et  de  Tacorus,  plantes 
de  TAsie  antérieure,  comme  de  la  Péninsule  gangé- 
tique,  mais  les  autres  aromates  appelent  quelques  re- 
marques. 

Des  divers  andropogons  odoriférants,  le  citratus 
paraît  avoir  été  inconnu  de  Tancienne  pharmacopée 
hindoue  ;  mais  elle  faisait  un  grand  usage  des  Andro- 
pogon  aciciilatiis,  espèce  dédaignée  aujourd'hui,  mu- 
ricahts,  schœnanthtiSy  iwarancusa  et  laniger  ;  ces 
derniers  figurent  dans  de  nombreuses  préparations  du 
Bower  manuscrit,  ainsi  que  des  Samhitâs  de  Garaka 
et  deSuçruta^.  h' A.  miiricatus  Retz.,  sqttarrosus  L. 
—  7içîra,  virana,  vîrina^  — ,  connu  surtout  aujour- 
d'hui sous  le  nom  malais  de  vettiver,  est  commun  dans 
les  plaines  et  sur  les  collines  peu  élevées  du  Goncan 
et  du  Pandjab  ;  il  servait  à  parfumer  les  huiles  et 
était  employé  comme  réfrigérant.   On  employait  aux 

1.  Bower  Ms8.,  I,  91,  97,  107,  125,  etc.  ;  II,  11,  l't,  25,  27, 
29,  30,  41,  45,  56,  63,  267,  353,  888,  etc.  —  Suçruta,  lib.  I, 
cap.  38,  7,  8,  10,  11,  25,  27,  29,  30. 

2.  Bower  Mss.,  I,  90,  91,  94,  96,  97,  106,  107,  108;  II,  46, 
56,  63,  64,  80,  96,  130,  144,  145,  266,  299,  353,  354,  386, 
888, 1049,  1052,  1115,  etc.  —  Sucruta,  lib.  I,  cap.  38,  10,  II, 
12,  19,  20,  24,  25,  27. 

3.  Bower  Mss.,  I,  90,  94,  299,  etc. —  Sucruta,  lib.  I,  cap.  38, 
8,  11,  19. 

4.  Ou  encore  vîratara,  hind.  khus-kkus  ou  ctiscus.  W. 
Jones,  Asiatic  Besearches,  vol.  IV  (1799),  p.  306. 


648  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

mêmes  usages  VA.  schosnanlhus  L.  —  bhûstrina  ou 
dhyâmaka,  hind.  rAsâ  ghâz  — ,  espèce  commune  dans 
les  provinces  centrales,  ainsi  que  les  A,  iwarancusa 
et  laniger.  VA,  iwarancusa  Roxb.  —  Idmajjaka 
—  est  considéré  par  Hooker  *  comme  la  forme  type 
(l'une  espèce  dont  1*^4.  laniger  Desf..  commutatus 
Stocks,  ne  serait  qu'une  forme  secondaire  ;  mais 
ces  deux  plantes  ont  une  aire  très  différente  ;  indi- 
gènes l'un  et  l'autre  dans  le  Nord  de  THindoustan, 
en  particulier  dans  la  région  sous-himalayenne,  Viiva- 
rancusa  y  est  cantonné,  tandis  que  le  laniger  est  ré- 
pandu d'un  côté  jusqu'au  Tibet,  de  l'autre,  à  travers 
les  déserts  de  l'Afghanistan,  du  Béloutchistan  et  de  la 
Mésopotamie,  jusque  dans  l'Afrique  septentrionale. 
C'est,  je  crois,  cet  andropogon  que  les  soldats 
d'Alexandre  trouvèrent  en  abondance  dans  la  Gédrosie, 
et  dont  les  Phéniciens,  qui  accompagnaient  l'armée, 
le  prenant  pour  le  nard,  firent  une  ample  récolte*. 

C'est  à  cette  graminée  aussi,  il  semble  bien,  que 
Strabon  donne  le  nom  de  nard  et  dont  il  dit  que  les 
soldats  s'en  faisaient  des  lits^.  Quant  au  vrai  nard,  la 
mâfhsi  des  écrivains  sanscrits,  c'est  une  espèce  de 
valérianée  des  parties  élevées  du  Népal  et  du  Bhoutan, 


1.  The  Flora  ofthe  British  India,  vol.  VU,  p.  203.  —  Bois- 
sier,  Flora  orienlalis,  vol.  V,  p.  465-466,  en  fait,  au  contraire, 
deux  espèces  distinctes. 

2.  Arrien,  Anabasis,  lib.  VI,  cap.  22,  5. —  Lassen,  Indische 
AUerthumskunde,  vol.  I,  p.  288,  a  pris  aussi  le  prétendu  nard 
de  Gédrosie  pour  le  nard  véritable,  erreur  qu'on  retrouve 
encore  dans  Reinhold  Sigismond,  Die  Aromala  in  ihrer  Be- 
deutung.  Leipzig,  1884,  in-8,  p.  32,  note  1.  Cf.  Watt,  Dictionary, 
I,  244.  VA.  laniger  est  le  S/oivo;  de  Dioscoride,  I,  16,  le  Juncus 
aromaticus  de  Pline,  XXÏ,  72. 

3.  Strabon,  Geographica,  lib.  XV,  cap.  2,  3. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  649 

le  Nardostachys  jatamansi\  dont  la  vraie  nature  est 
restée  presque  inconnue  jusqu'à  la  fin  du  xviii®  siècle. 
Celle  du  costus  —  kushtha  —  de  Suçruta  et  des  autres 
pharmacologues  sanscrits  a  été  aussi  longtemps  igno- 
rée. On  Ta  confondu  avec  le  Costus  speciosiis,  belle 
scitaminée  des  jungles  tropicales,  qui  porte  en  sanscrit 
le  nom  de  kernûka,  tandis  que  le  kushtha  est  une 
composée  du  Cachemire,  la  Sausmrea  ou  Aplotaxis 
lappa^. 

Deux  espèces  d'encens,  la  sallakî  et  le  guggulu, 
figurent  dans  les  recettes  médicales  sanscrites,  la  pre- 
mière est  fournie  par  la  Boswellia  serrata  '  — ^  kundu- 
rukî  — ,  burséracée  répandue  dans  la  plus  grande 
partie  de  Tlnde  tropicale,  du  bas  Himalaya  au  Dekkan, 
ainsi  que  dans  les  Ghates  occidentales  et  la  chaîne 
du  Satpoura  ;  la  seconde  espèce  est  la  résine  exsudée 
par  un  baumier  commun  sur  les  rochers  du  Sindh  et 
du  Cathiawar,  le  Balsamodendron  mtihil^.  Cet  arbre 
vient  aussi,  nous  l'avons  vu,  dans  le  Béloutchistan,  où 
Stocks  l'a  découvert.  Les  soldats  d'Alexandre  Tv 
avaient  déjà  rencontré  ;  «  les  arbres  à  myrrhe,  plus 
grands  que  les  arbustes  à  myrrhe  ordinaires  »,  qui 
croissaient,  d'après  Aristobule^  dans  les  déserts  de 
la   Gédrosie,  et   dont  les  marchands   phéniciens  de 

1.  Asiatic  Re&earches,  vol.  IV  (1799),  p.  433  et  suiv. 

2.  On  lui  attribue  aussi  le  nom  de  Saussurea  auricidata 
Hook.  et  d'Aucklandia  costus  Falc.  —  Watt,  vol.  Il,  p.  481. 

3.  Ou  thtirifera.  Brandis,  The  Flora,  p.  62.  — Watt,  vol.  I, 
p.  366. 

4.  Asiatic  Besearches,  vol.  IX  (1809),  p.  37  et  XI  (1812), 
p.  158.  Cf.  livre  I,  chap.  1,  p.  48. 

5.  Arrien,  Anabasis,  lib.  VI,  cap.  22,  4.  —  Brandis,  The 
Flora,  p.  65  et  Boissier,  Flora  orienlalis,  vol.  II,  p.  3,  signa- 
lent aussi  dans  le  Béloutchistan  le  Balsamodendron  pubescens, 
mais  il  fournit  une  très  petite  quantité  de  résine. 


«50  LES  PLA!«TKS  CHKZ  LES  HIlfDOUS 

rarmée  recueillirent  en  grande  quantité  les  larmes, 
n'étaient  autres  sans  doute  que  des  Balsamodendron 
mukul. 

Le  candana  —  Santalum  album  — ,  dont  on  a,  de 
temps  immémorial,  brûlé  le  bois  comme  parfum  et  qui 
fournit  une  poudre  ou  une  pâte  aromatique  employée 
dans  la  toilette,  était  aussi  d'un  fréquent  usage  en 
médecine,  comme  amer  et  comme  rafraîchissant  ;  il  en 
était  de  même  du  raktacandana  —  Pterocarpus  san- 
talinus  *  — .  Non  moins  employé  comme  parfum,  Taguru 
avait  pris  place  aussi  très  anciennement  dans  la  phar- 
macopée hindoue  ;  cependant  la  nature  en  est  restée 
longtemps  peu  connue,  au  moins  en  Occident.  Lou- 
reiro  prétendit  que  c'était  le  produit  d'une  caryophyllée 
de  la  Cochinchine,  à  laquelle  il  donna  le  nom  A'Aloe 
agallochum  ;  mais  l'existence  même  de  cette  plante  a 
été  mise  en  doute  ;  l'on  s'accorde  aujourd'hui  à  voir 
dans  l'aguru  le  bois  d'une  thymélacée  des  montagnes 
du  Silhet,  VAquUaria  agallocha  *. 

Quelque  riche  qu'elle  fût  en  condiments,  en  aro- 
mates et  en  plantes  médicinales,  l'Inde  en  importa  dès 
longtemps  quelques  autres  d'origine  étrangère  ;  tels 
que  le  basilic,  la  coriandre,  le  cumin,  Tasa  fœtida, 
originaires  de  l'Asie  antérieure  ^  ;  on  peut  ajouter  le 
crocus,  venu  aussi  de  cette  contrée,  mais  acclimaté 
depuis  une  époque  reculée  dans  le  Cachemire*.  Quand 
des  relations  suivies  furent  établies  entre  l'Inde,  Tlndo- 

1.  Ou  kucandana.  Sucruta-Samhilâ,  lib.  I,  cap.  38,  5,  16, 
19,  22,  25. 

2.  Roxburgh,  Flora  indica,  vol.  II,  p.  422.  —  Watt,  Dictio- 
nary,  vol.  I,  p.  279. 

3.  Voir  livre  I,  chap.  2  et  livre  II,  chap.  2,  p.  90, 173  et  258. 
't.  G.  Maw,  A  monography  of  the  genus  Crocus.  London, 

1886,  in-'i,  p.  59-60. 


LES  PUNTKS  DANS  LA  MÉDFXINE  651 

Chine  et  l'archipel  de  la  Sonde  et  des  Moluques,  elle 
reçut,  mais  assez  tard*,  de  ces  îles  les  clous  de  girofle, 
sansc.  lavanga  —  Engenia  caryophyllata  — ,  ainsi 
que  le  benjoin  —  Styrax  benzoin  — ,  et  de  la  région 
indo-chinoise  le  camphre  —  karpiira  —  produit  d'une 
laurinée,  le  Cinnamomum  campkora.  D'un  autre  côté 
y  pénétra  la  réglisse  —  madhuka  — ,  originaire  de  la 
Haute-Asie,  qui  figure  dans  plusieurs  recettes  de  Su- 
çruta^.  Le  nom  turnshka  du  storax  liquide,  dont  le 
dernier  fait  aussi  mention  ^,  pourrait  faire  croire  que 
cette  substance  ne  fut  importée  dans  l'Inde  qu'assez 
tard,  si  le  styrax  n'y  avait  été  connu  dès  le  premier 
siècle  de  notre  ère. 

Mais  si  la  pharmacopée  hindoue  a  emprunté  quel- 
ques plantes  ou  produits  végétaux  aux  contrées  étran- 
gères, l'Asie  antérieure  et  tout  le  monde  connu  des 
Anciens  lui  en  ont  demandé  un  bien  plus  grand  nom- 
bre*, tels  que  le  lycion  ^  les  poivres  noir  et  long,  le 
cardamome,  le  gingembre  et  le  sucre,  le  malabathron, 
le  cinnamome  et  le  cassia,  parmi  les  condiments  ;  le 
guggulu,  le  nard,  le  bois  d'aloèset  de  santal  parmi  les 
parfums.   Dès  la  fin  du  iv"  siècle  avant   notre   ère, 

1.  L'auteur  hindou  le  plus  ancien  qui,  à  ma  connaissance, 
ait  parlé  des  clous  de  girofle,  du  benjoin  et  du  camphre  est 
Amarasimha,  II,  6,  3.  Il  est  fait  aussi  mention  des  premiers 
dans  Paul  d'Égine,  lib.  VII  et  au  livre  XI  de  la  «  Topographie 
chrétienne  »  de  Cosmas  Indi copie ustes. 

2.  Samhiiâ,  lib.  I,  cap.  38,  17,  19,  23,  26. 

3.  Lib.  I,  cap.  38,  11.  —  Charles  Joret,  Les  plantes  dans 
rantiquité,  vol.  L  p.  334.  —  Periplus  maris  Erythraei^  cap. 
39  et  49. 

4.  J.-F.  Royle,  An  essay  of  Ihe  antiquùy  of  Hindoo  medicine. 
London,  1837,  in-8,  p.  76-91.  Cf.  Charles  Joret,  La  Flore  de 
VInde  d'après  les  écrivains  grecs,  p.  21-53.  Je  rappelle  ici  pour 
mémoire  que  le  coton,  l'indigo  et  la  laque  furent  aussi  exportés. 

5.  Dioscoride,  lib.  I,  cap.  82. 


652  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

Théophraste  a  décrit  le  poivre;  il  ne  dut  pas  tarder  à 
être  importé,  en  Grèce,  s*ii  n'y  avait  déjà  pénétré  ; 
il  en  est  fait  mention  dans  les  écrits  hippocratiques  *; 
au  premier  siècle  il  était  aussi  connu  en  Italie,  ainsi  que 
le  gingembre  et  le  sucre*.  Bien  avant  ces  derniers,  il 
semble,  Tamome  et  le  cardamome  avaient  été  importés 
dans  l'Asie  antérieure,  d'où  on  les  regarda  comme  ori- 
ginaires, ainsi  qu'en  Grèce  ;  Théophraste  en  fait  men- 
tion, mais  il  en  ignorait  la  patrie  véritable.  11  parle 
aussi  du  cinnamome  et  du  cassia  qu'il  faisait  venir 
d'Arabie  ^  Ces  aromates,  dont  il  est  déjà  question 
dans  la  Bible*,  sont  produits  aujourd'hui  par  deux 
espèces  de  laurinées,  le  Cinnamomum  zeylanicum, 
originaire  de  Ceylan,  et  le  (7.  cassia,  arbuste  de  la 
Chine  ;  mais  il  est  douteux  que  ce  soit  leur  écorce  qui 
jadis  ait  été  exportée  dans  l'Asie  antérieure  et  les  pays 
gréco-romains  ;  le  kiddah  de  l'Exode  —  cassia  des 
auteurs  grecs  et  latins  — ,  le  kinnamon  de  l'Apoca- 
lypse —  cinnamomum  des  écrivains  classiques  — , 
étaient  produits  vraisemblablement  par  les  Cinna- 
momum obtusifolium  du  Bengale  oriental,  iners  de 
l'Inde  méridionale  ou  tamala  de  la  région  sous-hima- 
layenne*.  Les  feuilles  de  ce  dernier  —  tamdlapat- 
ira  — ,  séchées,  furent  aussi  exportées  dès  le  pre- 
mier siècle  de  notre  ère,  comme  épice,  sous  le  nom 
de  malabathron,  dans  l'Asie  antérieure  et  jusqu'en 

1.  Il  y  est  prescrit  sous  les  formes  les  plus  diverses.  Trad. 
Littré,  vol.  II,  465;  V,  183,  40  ;  245,  67  ;  329,  13  ;  429,  64,  etc. 

2.  Pline,  livre  XII,  14  et  17.  Cf.  pi.  haut,  p.  260-265. 

3.  Historia  plantarum^  lib.  IX,  cap.  7,  2. 

4.  Exodus,  XXX,  24.  —  Proverbia,  VU,  17.  —  Apocalysis, 
XVIII,  13. 

5.  Voir  livre  II,  chap.  2.  p.  263.  —  Flùckiger  et  Hanbury, 
Histoire  des  drogues^  vol.  II,  p.  239. 


LES  PLANTES  DANS  LA  MÉDECINE  653 

Italie  ;  mais  on  en  ignorait  la  vraie  nature  et  Torigine  *. 

Nous  savons  par  le  Périple  de  la  mer  Erythrée  qu'à 
cette  époque  on  exportait  aussi  de  Tlnde  le  curcuma 
et  le  costus  ^  ;  mais  je  ne  saurais  dire  au  juste  quel 
était  ce  dernier  produit  ;  si  c'était  le  kemûka  —  Costus 
speciosus  —  ou  le  kushtha  —  Saussurea  lappa  —  ; 
mais  peut-être  les  deux  étaient-ils  exportés  de  la 
Péninsule,  el  alors  il  faudrait  voir  dans  Tun,  le  «  costus 
d'Arabie  »,  dans  l'autre,  le  «  costus  de  Tlnde  »,  de 
Dioscoride.  Il  semble  bien  que  le  Périple  parle  aussi 
de  Timportation  en  Egypte  du  bois  de  santal  ;  nous 
savons  du  moins,  par  le  témoignage  de  Gosmas  Indi- 
copleustes,  qu'il  était  au  vi®  siècle  un  des  objets  de 
trafic  entre  l'Inde  et  l'Occident'.  L'aloès  aussi  en 
était  un  autre  d'après  lui  ;  il  est  impossible  de  douter 
qu'il  s'agisse  ici  de  Vaguru,  Yagallochon  de  Diosco- 
ride, cet  aromate  connu  déjà  de  la  Bible  sous  le  nom 
à^ahalothy  ahalim^  dérivé  probable  du  tamoul  agila  *. 

Exportait-on  aussi  de  l'encens  de  la  presqu'île  gan- 
gétique?  La  plus  grande  partie  de  celui  dont  on  se 
servait  dans  l'Occident  provenait  du  pays  des  Somalis, 
où  depuis  un  temps  immémorial  on  est  allé  le  chercher; 
mais  on  peut  voir  dans  «  l'encens  indien  brunâtre  et 
arrondi  en  petits  cylindres  »,  dont  parle  Dioscoride ^ 

1.  Dioscoride,  lib.  I,  cap.  11.  —  Pline,  lib.  XII,  cap.  59. 

2.  Cap.  39.  —  Dioscoride,  I,  15.  —  Pline,  XII,  25  (12)  et 
XXI,  70,  2. 

3.  Periplus,  cap.  36.  —  Xpia-navixTj  Tonoypoioiaiy  lib.  XI. 

4.  C'est  le  ÇuXov  ivSixov  de  Paul  Eginète,  VII,  3,  l'âXoT]  de 
l'Évangile  de  saint  Jean,  XIX,  39.  —  De  materia  medica,  lib. 
I,  cap.  21.  —  Numeri,  XXIV,  6;  Provevbia,  VU,  17;  Psalmt, 
XLV,9;Crtn/îCMm,  IV,  14. 

5.  De  materia  rnedica,  lib.  I,  cap.  81.  L'encens  —  Xi^avoç  — 
figure  au  nombre  des  produits  exportés  de  l'Inde,  d'après  le 
Périple,  cap.  28. 


654  LES  PLANTES  CHEZ  LES  HINDOUS 

un  produit  de  la  Boswellia  serraia  si  commune  dans 
la  Péninsule.  Quant  au  bdellium  des  auteurs  grecs  et 
latins*,  il  ne  peut  y  avoir  de  doute  sur  son  identité; 
il  s*agit  bien  du  gugguiu,  cette  résine  exsudée  par  le 
Balsamodendron  mukulj  dont  il  est  fait  déjà  mention 
dans  la  Bible'  sous  le  nom  de  bedollach.  Elle  avait, 
on  le  voit,  pénétré  de  bonne  heure  dans  TAsie  anté- 
rieure ;  c'était,  au  premier  siècle  de  notre  ère,  un  des 
principaux  aromates  importés  de  Tlnde  dans  l'Occi- 
dent ;  Dioscorideet  Pline  en  parlent  longuement;  mais 
ils  en  ignoraient  encore  Torigine  véritable.  A  côté  du 
bdellium  et  du  costus,  le  Périple  fait  aussi  mention 
du  nard,  cet  aromate  non  moins  célèbre  dans  l'anti- 
quité '.  Il  semble  avoir  été  déjà  connu  de  Théophraste  ; 
Pline  en  faisait  «  le  principal  ingrédient  dans  les  par- 
fums »,  mais  il  en  ignorait  comme  Dioscoride  la  vraie 
nature.  Quant  au  Calamus  aromaticus,  que  Dioscoride 
fait  croître  dans  Tlnde  \  comme  il  se  trouvait  aussi 
dans  TAsie  antérieure,  c'est  de  là,  aussi  bien  que  de  la 
Péninsule  gangétique,  que  les  Grecs  et  les  Romains  le 
recevaient.  Mais  on  a  vu  par  ce  qui  précède  combien 
cette  dernière  contrée  leur  fournissait,  dès  le  commen- 
cement de  notre  ère,  de  produits  rares  et  précieux. 


1.  Dioscoride.  lib.  1,  80.  —  Pline,  lib.  XII,  19.  —  Periplus, 
37,  39. 

2.  Genesis,  cap.  ii,  12.  — Sumeri,  cap.  xi,  7. 

3.  Pei'iplus,  cap.  48.  —  Historia  plantarum,  lib.  ÏX,  cap.  7, 
3.  —  De  mater ia  rnedica,  1,6.  —  Historia  naturalis,  XII,  26. 

4.  De  materia  mediea,  lib.  [.  cap.  17.  —  Pline,  XII,  48, 
vante  surtout  le  roseau  odorant  de  Syrie.  Le  calamus  aroma- 
ticus  de  Dioscoride,  calamus  odoratus  de  Pline,  le  kaneh  de 
la  Bible,  est  probablement  YAcorus  calamus,  un  des  médica- 
ments favoris  des  Hindous.  Watt,  Dictionary,  vol.  I,  p.  99.  — 
Dutt,  Materia  medica,  p.  251. 


TABLE 


Pages. 

Préface vu 

Additions  et  corrections. xiii 

LIVRE  PREMIER 

LES  PLANTES  CHEZ  LES   IRANIENS 

Chapitre  pre&iier.  —  La  flore  et  les  habitants  de  Tlran 

et  de  la  région  transcaspienne 1 

1.  La  flore  de  l'Iran •     .    .     .  1 

a.  Configuration  du  sol  et  climat 1 

b.  Caractères  et  types  principaux  de  la  flore 

iranienne 11 

c.  La  flore  de  Tlran  d'après  les  Grecs 33 

d.  Les  plantes  alimentaires  et  industrielles  du 

plateau  iranien 38 

2.  Habitants  de  l'Iran 49 

Chapitre  II.  —  L'agriculture  et  l'horticulture  des  Ira- 
niens. Les  plantes  dans  l'alimentation  et  dans 

l'industrie 58 

1.  L'agriculture  et  l'horticulture  iraniennes.     ...  58 

a.  Culture  des  céréales  et  des  plantes  alimen- 

taires et  fourragères 64 

b.  Culture  des  plantes  textiles,  tinctoriales  et 

oléagineuses 69 

c.  Les  arbres  fruitiers 72 

d.  Les  jardins  dans  la  Perse  ancienne.     ...  82 

2.  Les  plantes  dans  l'alimentation  et  dans  l'industrie.  88 

a.  Les  plantes  alimentaires 88 

b.  Les  plantes  fourragères 98 

c.  Les  plantes  tanifères,  tinctoriales  et  oléagi- 

neuses   103 

d.  Bois  de  construction  et  textiles 106 

Chapitre  III.  —  Les  plantes  dans  l'art  et  dans  la  poésie 

iraniennes 112 

1.  Les  plantes  dans  l'art 112 

2.  Les  plantes  dans  la  poésie 139 


656  TABLE 

Chapitre  IV.  —   Les  plantes  dans   les  légendes  reli- 
gieuses, dans  le  culte  et  dans  la  médecine  des 

Iraniens I'i2 

1.  Les  plantes  dans  les  légendes  religieuses.     .     .     .  142 

2.  Les  plantes  dans  le  culte.  Le  haoïpa 154 

3.  Les  plantes  dans  la  médecine 162 

LIVRE  SECOND 

LES  PLANTES   CHEZ   LES  HINDOUS 

Chapitre  premier.  —  La  flore  et  les  habitants  de  l'Inde 

ancienne 183 

1.  La  flore  de  l'Inde 183 

a.  Configuration  du  sol  et  climat 183 

b.  Caractères  et  types   principaux  de  la   flore 

hindoue 197 

c.  Plantes  alimentaires  et  industrielles.     .     .     .  226 

2.  Habitants  de  l'Inde 230 

a.  Les  populations  dravidiennes  et  aryennes.     .  230 

6.  Conquêtes  dans  l'Inde  de  Darius etd'Alexandre.  233 

c.  La  flore  de  l'Inde  d'après  les  écrivains  grecs.  234 

Chapitre  II.  —  Les  plantes  dans  l'agriculture  et  l'hor- 
ticulture des  Hindous 239 

1.  L'agriculture  hindoue 239 

a.  Culture  des  céréales,  des  plantes  potagères 

et  des  condiments 242 

h.  Culture  des  plantes  oléagineuses  et  tinctoriales.  269 

c.  Culture  des  textiles 274 

d.  Les  arbres  fruitiers 278 

e.  Les  plantes  d'agrément  et  les  jardins.  .     .     .  303 

Chapitre  III.  —  Les  plantes  dans  l'alimentation  et  dans 

l'industrie  des  Hindous 312 

1.  Les  plantes  dans  l'alimentation 312 

a.  Aliments  végétaux,  condiments  et  fruits.  .     .  312 

b.  Vins  et  boissons  fermentées 331 

c.  Huiles  alimentaires 338 

d.  Plantes  fourragères 340 

2.  Les  plantes  industrielles 345 

a.  Plantes  tinctoriales  et  tanifères 345 

b.  Textiles  et  plantes  de  vannerie 352 

c.  Bois  de  construction 363 

d.  Plantes  dans  la  toilette  et  parfums 371 


TABLE  687 

Chapitre  IV.  —  Les  plantes  dans  Fart  et  dans  la  poésie.  381 

1.  Les  plantes  dans  l'art 381 

a.  L'architecture 381 

b.  La  sculpture  et  rornementation 391 

c.  La  peinture,  les  monnaies,  Torfèvrerie  et  la 

poterie 409 

2.  Les  plantes  dans  la  poésie 422 

a.  Les  plantes  dans  les  descriptions  poétiques.  .  422 
h.  Allégories   et    métaphores    empruntées   au 

monde  végétal 444 

Chapitre  V.  —  Les  plantes  dans  les  légendes  religieuses 

et  dans  le  culte 472 

1.  Les  plantes  dans  les  légendes  religieuses.     .     .     .  472 

a.  La  cosmogonie  et  la  théogonie  hindoue.    .     .  472 

b.  Légendes  divines  des  plantes 488 

2.  Les  plantes  dans  le  culte 527 

a.  Les  plantes  et  le  culte  privé  et  public.     .     .  531 

b.  Le  soma 558 

3.  Culte  des  plantes 569 

Chapitre  VÏ.  —  Les  plantes  dans  la  magie  et  dans  la 

médecine 582 

1.  Les  plantes  dans  la  magie 584 

2.  Les  plantes  dans  la  médecine 593 

a    La  médecine  magique 593 

h.  Origine  de  la  médecine  proprement  dite. .     .  614 

c.  Les  traités  médicaux 627 

d.  Remèdes  végétaux  empruntés  à  la  flore  de 

rinde   par  les  Perses,  les  Grecs  et   les 

Romains 631 


JoRET.  —  Les  Plantes  dans  Vantiquité.  II.  —  42 


CHABTBËS.    —    IMPRIMERIE    DURAND,    RUE    FULBERT.