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LES POLITIQUES
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GALETAS.
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LES POLITIQUES
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GALETAS.
1788
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LES POLITIQUES
D U
GALETAS.
JL/AN s un de ces réduits enfumés, où lapenfée
reçoit de plus près les influences du ciel , réfide
une de ces fublimes intelligences, qui fe croyent
faites pour gouvernerles villes & les royaumes.
Le local n'efi: pas trop commode pour y mon-
ter ; l'efcalier eft un vrai caffe-cou ; on arrive
par une corde dans une grande pièce , dont les
meubles ont fervi jadis aux convulfions de St.
Médard ; plus récemment , un difciple de Méf-
ier y avoit placé fon baquet ; une tireufe de
cartes venoit d'en fortir ; enfin , elle étoit oc-
cupée par un politique qui eft le bureau d*a-
dreflfe de Tes confrères. Cet homme connu dans
les anti-chambres de tous les Minières y a fait
plus de cent fois le voyage de Verfailles , dans
les voitures de la cour ou à pied , pour pré-
Ai
( 6 )
fenter de beaux projets au gouvernement. La
grande affaire dont il s'occupe dans ce moment-
ci y c'eft la formation des Etats - Généraux,
Prefque tous ceux qui écrivent fur cette ma-
tière , gentils-hommes , roturiers , abbés , ( 6c
le nombre n'en eft pas petit.) font en relation
avec lui , à caufe de la haute opinion qu'on a
de fa fumTance. Ces meilleurs ont pris de rhu-
meur de ce que le gouvernement avoit affem^
blé les notables , pour une chofe qu'ils auroient
parfaitement réglée à eux feuls. Ils ont cru que
l'autorité empiétoit fur leurs droits , & ils s'en
çonfolent de leurs mieux , en faifant pleuvoir
brochures fur brochures.
Comme je fuis curieux de toutes le raretés
<3e la capitale , & qu'il n'y a fociété qui ne
m'intérefle , depuis l'académie françaife, jufqu'à
la dernière loge de francs-maçons , j'ai voulu
çonnoître celle de 'nos politiques raffemblés de
tous les lieux qui dominent le plus fur nos
têtes, On doit leur tenir compte de defcendre
de fi haut , pour fa voir un peu ce qui ce palTe
dans la rue ; c'eil: ainfi que j'appelle nos petits
intérêts nationaux , comparés aux fub limes
fpécuîations auxquelles on fe livre fouvent près
des toits. Ces mefîîeurs , faits pour obferver ,
§c étant plus a portée que d'autres ? de nous;
(7)
donner de bons mémoires du ciel , ont aufli
un grand avantage , quand ils daignent fe ra-
baiffer aux chofes communes. Nous leur avons
dans ce moment-ci , l'obligation de quantités
de pièces curieufes , qu'il importe de recueillir ,
pour rinftruclion de la poftérité la plus re-
culée.'
Je mourois d'envie de me trouver au milieu
d'eux ; mais n'ayant aucun titre pour cela , il
m'a fallut donner ma brochure. Car c'eft une
loi fondamentale de cette fociété , de n'ad-
mettre que des membres qui ont fait imprimer
fur les Etats-Généraux. Cette condition me pa-
rut d'abord un peu dure , par la crainte que
j'avois de n'être pas lu , ou de ne pas trouver
de libraire. Par un fîngulier bonheur , j'obtins
l'un & l'autre , & me voilà initié parmi les
Politiques du Galetas.
Le jour que je fus préfenté , l'affemblée
étoit nombreufe ; mais mon embarras ne fut
pas peu considérable s de ne connoître per-
fonne dans les vifages dont j'étois environné.
Le hazard voulut qu'au bout d'un quart-d'heure,
un de mes amis entra ; je courus me placer
auprès de lui , & nous nous fîmes part mu-
tuellement de nos réflexions.
J'étois nouveau-venu , & par conféquent s
A4
C?)
l'objet des attentions du maître de la maifon ,
qji me dit d'un grand air de gravité : Mon-
iieur , ouvrez bien tous vos yeux pour ne rien
perdre de ce que vous allez voir. C'eft ici que
fe raffemblent les plus grands génies de la na-
tion ; vous voyez comme je fuis logé : c'eft un
peu haut , & pas trop gai ; mais la plupart de
mes confrères , ne font pas mieux que moi 3
c'eft une des grandes injuftices du gouverne-
ment , qui fera réparée , nous f efpérons , aux
prochains Etats - Généraux. Nous avons déjà
chargé l'un d'entre nous , de rédiger le cahier
de nos doléances.
Ce début me parut plaifant , vu le férieux
du porfonnage , & je fis un grand effort fur
moi-même , pour m'empêcher de lui rire au
nez, Mais comme il eft dangereux de fe per-
mettre de ces gaiétés-îà , en face de la nation
irafeibie des auteurs , je renforçai mon férieux,
Ôc affe&ai même cette contenance trifte , que
la pofition de celui qui parloit , fembloij
exiger.
Il y avoit au milieu de la (aile où nous
étions raffemblés , une longue table , toute
couverte de brochures , où les mots d*Etats-
Çénéraux , en lettres majufcules , fautoient aux
yeux , de toutes parts. La feuille bleue ou
(p)
blanche de chacune étoit retroufTée , afin qu'on
pût voir les titres plus commodément. Il n'y
en avoit pas un feul qui fe reffemblât ; c'étoit
fur quoi l'imagination des auteurs avoit le plus
travaillé. Je diftis en moi-même : qu'il feroit
avantageux que le même ufage eût lieu dans la
fociété , pour ne confondre , ni les rangs , ni
les perfonnes.
Un homme qui étoit là , m'ayant regardé
fixement , montra une forte d'inquiétude dont
je m'apperçus ; fétois pour lui un vifage nou-
veau ; le maître de la maifon , pour le tirer
de peine , lui fis figne de la main & des yeux ,
que j'étois de la grand'bande ; alors le vifage
inquiet fe dérida , & notre homme prit la parole
avec un air de confiance , qui charma toute
l'aiTemblée.
Meilleurs , dit-il, les chofes vont le mieux du
monde. Nous fommes enfin arrivés au tems où
la légèreté françaifeva fe fixer. Par-tout, il
U'eft queftion que des Etats -Généraux ; nos
plumes ne tariffent point fur cette matière.
Nous avons fait tomber les romans anglais,
les voyages traduits de l'anglais , les poëfies
fugitives des allemands , & nous touchons
même à l'époque heureufe où l'on ne fera plus
que bailler au théâtre. Les libraires ne peuvent
( 10 )
plus fuffire à nous vendre , ni les amateurs a
nous lire. Nous feuls occupons tous les impri-
meurs. Que de belles chofes nous avons devi-
nées, par une efpece d'infpiration, & fans nous
donner la peine de les étudier'! Vive le génie!
il fupplée à tout : on nous demande des faits ,
nous répondons par des réfultats.
Des faits , dit un autre qui avoit écouté la
fin impatiemment : eh parbleu , on ne voit
que cela dans la plupart de nos écrits; plufieurs
d'entre nous , ( je vous en demande pardon ,
meilleurs , ) fe tuent à nous répéter des extraits
de procès verbaux , en ftyle verbeux, pour être
mieux entendus de la multitude , & ce qui rend
la chofe piquante , ils y joignent des obferva-
tions de leur crû. C'eft donc à tort qu'on nous
reproche d'être économes fur les faits. Il n'eft
pas bien difficile d'en ramaffèr ; tout eft connu
aujourd'hui grâce à nos infatigables travaux.
Les porte-feuilles font pleins , & fi les libraires
ne font pas contens , je ne fais qu'y faire. Lei
faits & les réflexions fe débondent avec une
rapidité , qui ne laiffe pas le tems de refpirer.
Affurément , il faut fe lever de grand matin a
& fe coucher bien tard , pour lire les bro-
chures qui chargent tous les jours les comp-
toirs.
C ii )
Un petit homme , qui attendoit fon tour de
parler, interrompit brufquement , & dit, que
les affaires n'alioient pas fi bien que l'autre le
prétendoit ; que les plaintes & les doléances des
libraires rouloie^t précifément fur le trop
grand nombre & Etats- Généraux , & fur l'en-
gorgement que cela mettoit dans leurs bouti-
ques ; que les uns faifoient tort aux autres , &
qu'il feroit à propos d'établir une efpece de
police dans la compagnie des Etats , afin que
chacun écrivît & imprimât à fon tour.
Cette obfervation fut appuyée par le récit
d'une petite aventure que le voifin de celui-ci
raconta lui être arrivée la veille. J'avois
porté , dit-il , mon ouvrage tout chaud de la
forge, chez madame la marquife *** , qui eft
une excellente patriote. Le lendemain , je fus
chez elle dès le matin , pour favoir ce qu'elle
en penfoit. Elle venoit de quitter fa toilette ,
pour un moment ; je trouvai la femme-de-
chambre occupée à effayer un fer à toupet,
fur un papier imprimé. Bon Dieu ! m'écriai-
je , fi c'étoit un feuillet de ma brochure ! Mon
preffentiment n'étoit que trop vrai : la mar-
quife rentre , je jette hauts cris ; elle m'en de-
monde la raifon ; j'arrache Aqs mains de la
femme-de -chambre , & du milieu du fer fatal ,
(12)
la feuille à moitié brûlée ; lifez & voyez , luî
dis-je , tout rouge de honte ; elle me répond
d'un grand fang-froid ; moi , je ne lis point ces
chofes-là. Toute cette politique , de la manière
dont on la traite , me feroit périr d'ennui. J'ai
tenté de vous lire , & vous m'êtes tombé des
mains. Cela peut être fort bon , mais cela
n'efl pas amufant : du refte , tranquillifez-vous ,
j'en ai fait autant à vingt autres de vos con-
frères.
Là - deffus , quelqu'un dit que c'étoit une
confpiration de la noblefTe contre le tiers- état
trop bien traité dans les ouvrages du moment.
Je difois en moi-même : eft-ce qu'en attaquant
les prérogatives de la noblefTe , on veut encore
lui faire acheter le privilège de l'ennuyer ! Mais
je n'eus garde de mettre cette per.fiée-làau jour.
Elle m'auroit valu , probablement , dès i'inftant
même , une exclufion peu agréable.
Un gentil-homme qui étoit pré(ent9 ( il s'en
trouvoit plufîeurs dans la compagnie , qm
avoient donné fur les Etats-Généraux, ) prit
fait & caufe pour fon ordre , & fou tint que
meilleurs du tiers pouvoient bien avoir le
droit de les faire payer , mais non pas de les
obliger à acheter leurs brochures , 'orfqu'il y
avoit aflez de fujets de s'ennuyer fans cela.
c 13 )
La querelle allcît s'échauffer entre le noble &
le roturier , fi l'hôte du galetas ne leur eût im-
pofé Hlence j le calme étant revenu, on paffa à
d'autres objets.
Le premier fut> d'examiner la valeur refpec-
tive des ouvrages mis fur le bureau. Chacun
foutenoit , comme de raifon , que le fien étoit
meilleur. L'un fe prévaloit d'avoir dit ce groffss
injures au gouvernement; l'autre, d'avoir gliiTé
dans Ton œuvre , des personnalités outrageantes;
celui-ci alléguait la fingularité de fon titre ;
celui-là citoit le nombre d'exemplaires qui
étoient déjà vendus. Les uns fe félicitoient
d'avoir fait imprimer clandeftinement , & d'a-
voir gardé un parfait incognito ; les autres d'a-
voir bataillé avec le cenfeur , pour fe faire
pafler des hardiefles de chofes , plutôt que du
ftyle; enfin, c'étoit à qui mieux mieux. Comme
tout le monde parloit à la fois , on autoit eu
befoin d'un huiiîier pour faire filence; je riois
$n moi-même ou dans l'oreille de mon ami.
On eût cru que ces meilleurs écrivoient en-
core , tant ils avoient de peine à s'entendre.
Le fécond objet qui fe préfer.toit naturelle-
ment , étoit de favoir lefquels d^s auteurs
fufdits avoient plus de droit à la confédération
de la compagnie. Il y avoit là des geas qui
(H)
foutenoient avec chaleur le parti des brochures
qui n'ont point de nom. Ils prétendoient ,
contre l'expérience de tous les jours , que la
modeftie étoit un titre de recommandation pour
les grands hommes. Dites plutôt , interrompit
quelqu'un , que c'efl: une fource de défagré-
mens. J'étois l'autre jour , chez mon libraire ;
il s'avifa de propofer mon ouvrage ; aufli-tôt
plusieurs perfonnes qui ne favoient pas qu'il
étoit de moi , le traitèrent de déteftable. Mon
libraire un peu embarrafle ( je l'étois encore
plus que lui ) vouîoit faire tomber la conver-
fation fur autre chofe ; il tiroit par la manche
celui des dénigrans le plus acharné , en me
défignant des yeux. Moi , je lui lançois des
regards furieux , aimant mieux être déchiré
incognito , que d'être poignardé par le filence
qui auroit fuivi le déchaînement général , fi on
rn'avoit enfin connu.
Monfieur a raifon , dit il à un autre. Il faut
que je vous conte une malice bien noire que<"
m'a faite une petite femme de ma connoif-
fance. Elle favoit de quelqu'un ( nous autres
auteurs nous ne gardons jamais bien un fecret )
que j'avois fait aufïi mes deux ou trois feuilles
fur les Etats - Généraux. Elle traita cent fois
devant moi , l'auteur de fot , d'impertinent ,
( *;)
d'ennuyeux mortel. Si je m'étois nommé à la
tête de mon ouvrage , j'en au rois été quitte à
meilleur marché : les bienféances de la fo _iité"
lui auroient impofé filence.
On ne fait comment faire , dit un troifième:
fi on fe nomme , on rifque de fe déshonorer
dans l'efprit de bien des gens ; fi on ne fe
nomme pas , perfonne ne vous lit , à moins que
vous n'ayez de ces grands talens qui ne font
pas donnés à tous ceux qui fe mêlent de poli-
tique. Mais queft-ce que cela fait au mérite
de l'ouvrage , ajouta un quatrième ? Il eft boa
ou il eft mauvais ; la témérité ou la poltron-
nerie de l'auteur n'intéreffent en rien le public ;
il faudra voir les libraires.
A merveille ! s'écria un de la compagnie
dont l'édition étoit épuifée. C'eft aux libraires
à décider la queftion. Je ne me fuis pas nom-
mé , & j'ai déjà tout vendu.
Cette gafconnade fit bailler les yeux à une
douzaine d'auteurs dont les balots étolent em-
pilés aux coins de la falle, & qui attendoient,
mais en vain , des demandes de la province.
Tout de fuite , le maître de la maifon envoya
un des membres pour courir chez les difïe-'
rens libraires , & !es prier de fe rendre fans
faute , le plutôt poflible , dans le galetas.
( 16)
En attendant on procéda à l'inventaire des
brochures dont les échantillons étoient étalés
fur la table. Toutes étoient d'auteurs inconnus
ou qui avoient eu la modeftie de ne fe nom-
mer qu'à leurs connoiffance^ & à leurs amis.
[Voici les titres de quelques-unes.
— Effai fur la manière de compofer & de
convoquer les Etats- Généraux.
Celui-ci en eflayant de faire un ouvrage paf-
fable n'a eu que le mérite fort ordinaire d'en
faire un mauvais. Il veut compofer & convo-
quer les Etats-Généraux fur les affemblées pro-
vinciales qui n'ont point d'exiftence légale. Il
fixe la quotité des vingtièmes qu'on doit payer
pour être élu. Ne voilà-t il pas un excellent
léglflateur ?
— Recherches & réflexions nouvelles fur la
convocation & la compofition des Etats Gé-
néraux.
; L'auteur-critique l'arrêt du confeil d'état -, &
prétend que les formes des états ont toujours
çté les mêmes. Si cela n'étoit pas faux en cent
manières , on pourroit croire aux recherches
& aux réflexions nouvelles de l'auteur déjà
vieux chez les marchands de nouveautés.
— Differtation fur le droit de convoquer
les Etats-Généraux , tirée des capitulaires , des-
ordonnances
( n )
Ordonnantes du royaume > & des autres mé-
moires de l'hiftoire de France.
Nous pouvons afïurer que l'auteur n'a lu ni
les capitulaires , ni les ordonnances , ni les
mémoires. Il coftnoît mieux les auteurs anglois
que les monumens nationaux. Il ne s'attendent
pas apparemment que quelqu'un s'aviferoit de
lire l'ouvrage , pour le comparer au titre.
— Vues d'un citoyen fur le moyen de con-
noître promptement par le vœu de la nation ,
les formes & la composition à donner aux
Etats-Généraux.
On pardonne aux écrivains politiques de as
pas favoir la langue 3 & de l'eftropier dans
leurs titres. Mais on leur voudroit dos vues
moins courtes , & quand ils le font â&s diffi-
cultés , qu'ils en donnaffent à-peu-près la folu-
tion. Celui-ci , en parlant dos élections i vou-
droit un député fur fix mille électeurs. Si le
roi approuve ce projet , nous aurons un armée
*au lieu d'une afTemblée d'états.
Je ne veux pas fuivre pièces par pièces >
cet inventaire qui feroit au moins aufli long
que celui de la bibliothèque de dom Quichote.
Tous les auteurs étoient préfens , & chacun
portant la main fur fa brochure , difoit : ceci eft
à' moi. Les yeux pétilloient de gloriole à plu-
B
f iS )
£eurs qui fe voyoient auteurs , grâce aux
Etats-Généraux. Il ne s'agiffoit plus que de
faire fenfation dans le public , ce qui étoit un
peu difficile , vu la multitude de réputations
nouvelles auxquelles il falloit, travailler. D'ail-
leurs , rincoguito eft un aifez méchant parti
pour la rénomaiée.
Comme on s'agitoit en différens fens , & que
chacun propofoit fon expédient , voici M. de
, L. . . . qui entre» Eh bien , mefïieurs , vous
parliez d'auteurs qui fe cachent fous le mafque.
Voici un brave qui fe montre dans l'arène , le
Vifage à découvert & avec toutes fes qualités. Il
eft avocat , & qui plus eft , membre de nombre
d'académies. Sa noble ambition ne s'eft pas
bornée à quelques feuilles. Il n'eft pas non plus
aufti volumineux que la collection de. Buiflbn.
Son libraire , qui fe connoît en mérite , a mis
fous les yeux du public , en l'annonçant , la
table q^s chapitres en un carton féparé , afin
de donner aux cqnnoifleurs , un avant-goût des
grandes conceptions de M. de L. ... Il eft
vrai qu'il y a tant de chapitres fur la noblefle,
& fi peu fur le tiers-état , que l'on croiroit
qu'il ne veut être lu que par dos gentilshommes.
^N'importe ; M. de L, . . . , académicien &c
avocat fera mis à part. Il mérite bien qu'on
C 19 )
le diftingue , au cas qu'on voulût îe confondre
avec un tas d'auteurs obfcurs qui ne font ni
avocats , ni de plufieurs académies.
A peine rinlffbit-on M. de L.. . . • , que la
porte s'ébranla '^pour donner paffage à M. de
La \ Il en étoit à la féconde édition de fon
mémoire Car la prochaine tenue des Etats-Gé^
néraux , & fur les objets qui doivent y être mis
en délibération. Ce petit prophète a donc de-
viné les objets qui feront mis en délibération
aux Etats-Généraux , s'écrièrent plufieurs ! nous
le félicitons bien fincereroent de fon don de
prophétie , & de la vente de fa première édi-
tion.
M. de la Gré * * ne fe fit point attendre.
Fier de (es fuccès récens , il entra avec con-
fiance , tenant à la main (on petit mémoire très-
métaphyfique & très-embrouille. Il l'avoit écrit
en flvle d'académie , Se il fembloit demander
au moins Vaccejfit pour cette pièce nouvelle.
*Les bravos de l'aiïemblée annoncèrent à la
ronde un des virtuofes ies plus didingués de
la compagnie.
L'auteur des obfervations fur Tarrêt du corr-
feil du y octobre , qui vint à fa fuite , quoique
premier en date pour fon apparition dans les af-
faires d'état , foutint que fa pièce coblerva-
B 2
(20)
tions étoit un chef-d'œuvre d'éloquence , d«
preuves & de raifon. Il y avoit bien là quel-
ques incrédules qui fecouoient la tête , en
riant fous ca*ppe. Cela n'empêcha point qu'on
riç le mît au rang d^s illuflres .tuai n'avoient pas
eu le courage de fe nommer.
Après avoir rendu hommage au mérite pu-
blic , on revint au mérite modefte des
inconnus. Le fonge cPun bon citoyen françois y
fuivi dt la lettre à un anglois , réveilla un mo-
ment l'attention. Mais elle fe rallentit dès les
premières pages , au point que fi l'auteur eut
continué , tout le monde alloit s'endofmir , es
qui auroit pu produire une belle fuite de fon-
gzs y comme un bâillement en compagnie , en-
gendre vingt baillemens. Par bonheur pour
î'affemblée , le fongeur s'apperçut de l'effet
qu'il opéroit ; il s'arrêta tout court , & l'on
rie penfa plus ni au fonge , ni à la lettre à un
anglois,
Le fongeur ayant quitté la partie , un homme
vêtu de noir préfenta fes détails authentiques ,
relatifs à la tenue des Etats Généraux , e n 1614. *
tirés du mercure françois , & de V intrigue du
Colinet. On fut d'abord féduit par la difficulté
incroyable que l'auteur avoit eue de décou-
vrir dus fources aufïi peu connues, On lui fut
(ai )
gré d'avoir déterré ces monumens précieux de
notre ancienne conftitution ; on loua beaucoup
le préambule qui accompagnait le titre de la
brochure modeftement qualifiée de tableau.
On trouva feulement que les couleurs étoient
un peu ternes pour un fujet de cet importance.
On étoit preifé de tout voir , & à mefure
que les auteurs préfens manquoient , on par-
couroit les productions dos abfens , étendues
fur la table. On fut frappé du titre de celle-ci 2
coup-d'œil rapide ou notice hiflorique. Un bel
efprit qui étoit-là, trouva que coup-d'œil rapide
& notice hiftorique ne rimoient gueres eniem-
ble. Allez toujours 3 dit un autre ; vous vétilles
fur un rien. Comment diable voulez-vous qu'on,
faïle? Les titres s'ufent à force de les employer *
comme les caractères d'imprimerie , à force de
s'en fervir. Cette faillie fit rire les afliftans , Ôc
on abandonna le coup-d'œil rapide.
Je ne fais pas , obferva quelqu'un , ce que
yeut dire un de nos meilleurs dont le titre eft
conçu ainfi : des Etats-Généraux , de leurs
formes , & de la caufe de leur convocation, La
caufe de leur convocation ! Eh , morbleu , la
bonté du prince , les befoins de l'état , Tordre
à remettre dans la nation Qui pourroit nom-*
brer toutes les caufes3 & calculer tous les effets
f 22 )
M. Lévrier , auteur du mémoire fur les for-
mes qui doivent précéder & accompagner la
convocation des Etats-Généraux , auroit reçu
un compliment mérité ? s'il eût été préfent. Ii
fut décidé que la meilleure tête de l'affemblée
( ici plufieurs s'exeuferent ) lui écriroit une
lettre de remercîmens pour avoir mieux traité
la queftion que bien des auteurs de la capitale.
Il n'en fut pas de même de l'ouvrage inti-
tulé vues générales fur notre conftitution , &
fur nos ajfemblées nationales. Quoi ! Toujours
des vues qu'on donne pour générales & qui
ne font que vagues ! Parce que les vues ont
réuiîi à Bufton , le moindre barbouilleur de
papier fe croira aufîi des vues ! Allons , que
juftice foit faite , & qu*on le mette au rebut.
On voyoit lettres fur lettres fe précipiter fur
ie bureau , tant la foule étoit grande pour ap-
porter fes productions. L'un écrivoit à un plé-
béien , comme s'il eût été tribun de Rome ;
l'autre à la nation françoife , bien afluré dé
n'avoir jamais de réponfe.
Mais le plus joli étoit Yécho de VElifeé qui
avoit calculé les fyllabes de fon titre pour le
faire agréer des dames. C'étoient quelques
morts célèbres qui difoient des chofes de l'autre
monde fur les Etats - Généraux de la nation
C 23 )
& des provinces. On voyoit bien au titre feul
que ces pauvres morts n'y étoient plus : car
ils n'auroient point parlé clés Etats-Généraux:
des provinces qui n'en ont que de particuliers,
La manière équitable & jujîe de convoquer &
(Taflanbler les Etats-Généraux , décéioit encore
un auteur qui mettoit la charrue devant les
bœufs , en faifant empiéter V équitable fur le
jujîe. Le fond de l'ouvrage prouvoit la préten-
tion injufte de l'écrivain qui vouloit que la na-
tion fe réglât d'après fes idées.
Je faifois toutes ces réflexions, à part , moi,
tandis que le bruyant inventaire continuoit.
Mais à travers les faux jugemens de la cohue,
les préventions de l'ignorance & de l'intérêt,
il échappoit de tems en tems à ces meilleurs
de bonnes vérités qui me faifoient juger que
les auteurs affemblés valoient en général , mieux
que leurs écrits : dans ceux-ci , ils cachent
fouvent leur penfée , ils fouciennent le pour &
le contre , l'ouent à tort & à travers ; mais
quand leur amour-propre eft irrité par la pré-
fence de l'ennemi , ils ne fe pardonnent rien ,
& la vérité brife les liens qui la retenoient
captive dans leur cœur.
Tandis qu'on étoit à faire main baffe fur
les défauts , & à s'inve&lver mutuellement , les
( H )
libraires mandés arrivent : ils apportoîent de
trilles nouvelles , les brochures ne fe vendoient
point ; plufieurs revendiquoient leurs frais d'im-
prelïion ; le public , quelque échauffé qu'il fût
fur les affaires préfentes, ne.»vouloit rien lire,
quoiqu'on lui fît peur de fon indifférence fur
les intérêts de l'état. Les femmes qui donnent
toujours le ton en France , trouvoient tous
ces livres d'un ennui infupportable , & auroient
defiré qu'une brochure fur les Etats-Généraux
fût écrites du ftyle de Galathée ou tiEjlelle. Il
falloît donc reprendre tous les exemplaires de
ces nouveautés d'un genre nouveau , & don-
ner une tournure plus agréable aux écrits du
jour , fi l'on vouloit être lu. Il y avoit là dQS
gens fages qui étoient bien de cet avis ; mais
ils penfoient aufiî à la difficulté de trouver
dans fa tête des relïburces que depuis long-
tems, on ne cherche que dans les livres.
On annonça une comteffe qui fe mêle auflî
d'écrire fur ces chofes-là. Il fe fit un graryi
filence dans l'affemblée, & on la confulta fur
les plaintes des libraires ; elle trouva qu'ils ,
avoient raifon ; que meilleurs les auteurs fem-
bloient s'être donnés le mot , pour leur faire
perdre leurs pratiques , en excédant la bonne
compagnie par leurs écrits ennuyeux. Elle re-
grettoit
grettoit tout bonnement le fiecle des allégo-
ries d'Alain-Chartier ; de Villon , & du roman
de la Rofe. Il y avoit au moins quelque efpric
là-dedans , difoit-elle , avec cette liberté dé-
cente , qui fied au beau fexe : au lieu que ( pafTez -
moi le terme ) vous ne vous amufez plus qu'à
compiler des bouquins. Voulez -vous amener
les françois au bonheur par l'ennui ? Vous
n'y réuflîrez pas. Il faut les égayer fur les
chofes les plus importantes. On fe regarda , on
battit des mains , & Ton convint que madame
en favoit plus par le fimple bon fens , que
ces meilleurs n'en avoient appris dans leurs
£ros volumes poudreux.
Il falloit fe tirer d'embarras avec les libraires ;
ce qui n'étoit pas trop aifé. Chacun les prenoit
eîi particulier , pour les appaifer fur les pertes
qu'ils faifoient,ou les gains qu'ils ne faifoient
pas. Ils objectoient que la fureur d'écrire fur
les Etats -Généraux , alloit les ruiner , fi on ne
le dépêchoit de les affembler & de les tenir ;
que toutes les autres branches de leur com-
merce étoient en fouffrance , & qu'ils alloient
comploter entre eux , de ne plus recevoir de
ces maudites brochures.
Pendant ce conflit d'intérêt , ( chofe mer-
veilleufe ) je me crus tranfporté un moment au
C
( 26 )
tems où les bêtes partaient ; j'entendis près
du coin où j'étois afiîs , des rats cachés dans
des balles de brochures , qui fe félicitoient .
entre eux de l'excellence curée qu'on alloit
leur abandonner. ïls fe partageoient déjà le
in , & c'étoit une chofe plaifante , de leur
: :dre nommer les auteurs , comme s'ils les
/oient connus. & fréquentés, toute leur vie.
je ne fi fi je revois, ou fi réellement ces pe-
tites bêtes tenoient la çqnverfation que je leur
prête ; tout ce que je puis dire , c'eft que le
réfutât n'en étoit point favorable à la bril-
lante littérature des Etats -Généraux.
Cependant , les auteurs difputoient encore
avec , les libraires • lorfque l'un d'entre eux
s'offrit à les concilier. J'ai fouvent remarqué ,
dit-il , que les livres qui relient dans les ma-
grains , quand on les vend en détail, ont un
débit prodigieux , lorfqu'on les met en col-
lection. Cédez-moi vos droits , meilleurs les
auteurs , & vous, mes confrères, les libraires,4.
C'eit une politeffe que je vous fais , & dont
nous nous difpenfons quelquefois. Vous avez
là de quoi faire au. moins cinquante volumes ;
je m'en charge ; cela fera fuite à la collection
des mémoires, fur. rhidoire de France, &. à la
" J:énue des daines. Four ;.'j; '•-' le pu-
( 27 1
blic , nous offrions d'imprimer à la tête de
chaque volume , les noms féparés des fouf-
cripteurs & des foufcriptrices. Quelle petite
maîtrefle ne fera glorieufe de voir fon nom &
fes qualités moufées au revers du titre d'une col-
lection de cette importance ? Croyez-moi. , cela
réufîira ; je m'y connois ; j'ai de bons crou-
piers qui feront l'éloge de l'entreprife , dans
tous les journaux; ils en font les maîtres, & ils
font vendre la drogue. Vous ne demanderez pas
trop cher de votre refte ; & je vendrai la réim-
preffion de mon mieux.
Mais dit un libraire qui écoutoit ce difcours ,
en ricannant ; ne craignez-vous pas l'auteur de
la petite lettre , qui ne paroît pas être fort
porté pour les collections? L'homme aux col-
lections demanda alors ce que l'autre vouloit
dire , avec fa petite lettre ; le libraire en tira
un exemplaire de fa poche , & fur le titre ,
l'entrepreneur des Etats - Généraux lui dit; je
Vous remercie bien ; je renonce à mon nrojet ,
Vous êtes de mes amis , & je m'en fouviendrai
dans l'occafion.
En même-temps on frappe aux- portes de la
falle, avec grand bruit ; c'étoient deux- épiciers'
de la halle qui arrivoient. Un plaifant de la
fociété, (il s'en glifle toujours quelqu'un dans
C 28 )
ks compagnies les plus refpe&ables ) leur
avoit dit , qu'il y avoit là beaucoup de vieux
papiers à vendre. Les épiciers intimidés de pa-
roître devant une fi augufte afTemblée , ne fai-
îoient que balbutier. On les preffa de s'expli-
quer -y ils dirent comme quoi on les avoit en-
voyés là , mais qu'afïurément , on leur avoit
donné une faufTe adreflV. Point du tout , s'écria
l'hôte de la maifon , à qui les libraires fai-
foient figne de les appuyer; je ne veux point
que ma falle foit plus long-temps embarraffée
de ces écritures. Il eft douloureux , j'en con-
viens , de faire de tels facrifiçes ; mais à quoi
lanéceflité ne force-t-elle point? Il ne tient qu'à'
vous, meilleurs , que dans quinze jours, il n'y
en ait encore autant. Allons, dit - il , en
s'adrefTant aux épiciers , faites vos proportions.
Elles furent acceptées ; une douzaine de forts
de la halle , qu'ils avoient amenés , entrèrent
avec leurs crochets, on emporta le tout , &
Taffemblée fe diflipa.
P. S. La Compagnie s* eft ajournée , dit-on ,
h quinzaine. Nous pourrons rendre compte de
cute féance.
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