Skip to main content

Full text of "Les politiques du Galetas. "

See other formats


£A£C 

SX 

no.  \Hh 


LES  POLITIQUES 

D    U 

GALETAS. 


H 


LES  POLITIQUES 

D    U 

GALETAS. 


1788 


Digitized  by  the  Internet  Archive 
in  2013 


http://archive.org/details/lespolitiquesdug 


LES  POLITIQUES 

D    U 

GALETAS. 


JL/AN  s  un  de  ces  réduits  enfumés,  où  lapenfée 
reçoit  de  plus  près  les  influences  du  ciel ,  réfide 
une  de  ces  fublimes  intelligences,  qui  fe  croyent 
faites  pour  gouvernerles  villes  &  les  royaumes. 
Le  local  n'efi:  pas  trop  commode  pour  y  mon- 
ter ;  l'efcalier  eft  un  vrai  caffe-cou  ;  on  arrive 
par  une  corde  dans  une  grande  pièce  ,  dont  les 
meubles  ont  fervi  jadis  aux  convulfions  de  St. 
Médard  ;  plus  récemment  ,  un  difciple  de  Méf- 
ier y  avoit  placé  fon  baquet  ;  une  tireufe  de 
cartes  venoit  d'en  fortir  ;  enfin ,  elle  étoit  oc- 
cupée par  un  politique  qui  eft  le  bureau  d*a- 
dreflfe  de  Tes  confrères.  Cet  homme  connu  dans 
les  anti-chambres  de  tous  les  Minières  y  a  fait 
plus  de  cent  fois  le  voyage  de  Verfailles  ,  dans 
les  voitures  de  la  cour  ou  à  pied ,  pour  pré- 

Ai 


(  6  ) 
fenter  de  beaux  projets  au  gouvernement.  La 
grande  affaire  dont  il  s'occupe  dans  ce  moment- 
ci  y  c'eft  la  formation  des  Etats  -  Généraux, 
Prefque  tous  ceux  qui  écrivent  fur  cette  ma- 
tière ,  gentils-hommes  ,  roturiers ,  abbés  ,  (  6c 
le  nombre  n'en  eft  pas  petit.)  font  en  relation 
avec  lui ,  à  caufe  de  la  haute  opinion  qu'on  a 
de  fa  fumTance.  Ces  meilleurs  ont  pris  de  rhu- 
meur  de  ce  que  le  gouvernement  avoit  affem^ 
blé  les  notables  ,  pour  une  chofe  qu'ils  auroient 
parfaitement  réglée  à  eux  feuls.  Ils  ont  cru  que 
l'autorité  empiétoit  fur  leurs  droits  ,  &  ils  s'en 
çonfolent  de  leurs  mieux ,  en  faifant  pleuvoir 
brochures  fur  brochures. 

Comme  je  fuis  curieux  de  toutes  le  raretés 
<3e  la  capitale ,  &  qu'il  n'y  a  fociété  qui  ne 
m'intérefle  ,  depuis  l'académie  françaife,  jufqu'à 
la  dernière  loge  de  francs-maçons ,  j'ai  voulu 
çonnoître  celle  de 'nos  politiques  raffemblés  de 
tous  les  lieux  qui  dominent  le  plus  fur  nos 
têtes,  On  doit  leur  tenir  compte  de  defcendre 
de  fi  haut ,  pour  fa  voir  un  peu  ce  qui  ce  palTe 
dans  la  rue  ;  c'eil:  ainfi  que  j'appelle  nos  petits 
intérêts  nationaux  ,  comparés  aux  fub limes 
fpécuîations  auxquelles  on  fe  livre  fouvent  près 
des  toits.  Ces  mefîîeurs  ,  faits  pour  obferver  , 
§c  étant  plus  a  portée  que  d'autres  ?   de  nous; 


(7) 
donner  de  bons  mémoires  du  ciel ,  ont  aufli 
un  grand  avantage  ,  quand  ils  daignent  fe  ra- 
baiffer  aux  chofes  communes.  Nous  leur  avons 
dans  ce  moment-ci  ,  l'obligation  de  quantités 
de  pièces  curieufes ,  qu'il  importe  de  recueillir  , 
pour  rinftruclion  de  la  poftérité  la  plus  re- 
culée.' 

Je  mourois  d'envie  de  me  trouver  au  milieu 
d'eux  ;  mais  n'ayant  aucun  titre  pour  cela  ,  il 
m'a  fallut  donner  ma  brochure.  Car  c'eft  une 
loi  fondamentale  de  cette  fociété  ,  de  n'ad- 
mettre que  des  membres  qui  ont  fait  imprimer 
fur  les  Etats-Généraux.  Cette  condition  me  pa- 
rut d'abord  un  peu  dure  ,  par  la  crainte  que 
j'avois  de  n'être  pas  lu ,  ou  de  ne  pas  trouver 
de  libraire.  Par  un  fîngulier  bonheur ,  j'obtins 
l'un  &  l'autre  ,  &  me  voilà  initié  parmi  les 
Politiques  du  Galetas. 

Le  jour  que  je  fus  préfenté  ,  l'affemblée 
étoit  nombreufe  ;  mais  mon  embarras  ne  fut 
pas  peu  considérable  s  de  ne  connoître  per- 
fonne  dans  les  vifages  dont  j'étois  environné. 
Le  hazard  voulut  qu'au  bout  d'un  quart-d'heure, 
un  de  mes  amis  entra  ;  je  courus  me  placer 
auprès  de  lui  ,  &  nous  nous  fîmes  part  mu- 
tuellement de  nos  réflexions. 

J'étois  nouveau-venu  ,   &  par  conféquent  s 

A4 


C?) 

l'objet  des  attentions  du  maître  de  la  maifon  , 
qji  me  dit  d'un  grand  air  de  gravité  :  Mon- 
iieur ,  ouvrez  bien  tous  vos  yeux  pour  ne  rien 
perdre  de  ce  que  vous  allez  voir.  C'eft  ici  que 
fe  raffemblent  les  plus  grands  génies  de  la  na- 
tion ;  vous  voyez  comme  je  fuis  logé  :  c'eft  un 
peu  haut ,  &  pas  trop  gai  ;  mais  la  plupart  de 
mes  confrères  ,  ne  font  pas  mieux  que  moi  3 
c'eft  une  des  grandes  injuftices  du  gouverne- 
ment ,  qui  fera  réparée  ,  nous  f  efpérons ,  aux 
prochains  Etats  -  Généraux.  Nous  avons  déjà 
chargé  l'un  d'entre  nous ,  de  rédiger  le  cahier 
de  nos  doléances. 

Ce  début  me  parut  plaifant ,  vu  le  férieux 
du  porfonnage ,  &  je  fis  un  grand  effort  fur 
moi-même  ,  pour  m'empêcher  de  lui  rire  au 
nez,  Mais  comme  il  eft  dangereux  de  fe  per- 
mettre de  ces  gaiétés-îà  ,  en  face  de  la  nation 
irafeibie  des  auteurs  ,  je  renforçai  mon  férieux, 
Ôc  affe&ai  même  cette  contenance  trifte ,  que 
la  pofition  de  celui  qui  parloit  ,  fembloij 
exiger. 

Il  y  avoit  au  milieu  de  la  (aile  où  nous 
étions  raffemblés  ,  une  longue  table  ,  toute 
couverte  de  brochures  ,  où  les  mots  d*Etats- 
Çénéraux  ,  en  lettres  majufcules  ,  fautoient  aux 
yeux ,  de   toutes  parts.    La  feuille    bleue   ou 


(p) 

blanche  de  chacune  étoit  retroufTée  ,  afin  qu'on 
pût  voir  les  titres  plus  commodément.  Il  n'y 
en  avoit  pas  un  feul  qui  fe  reffemblât  ;  c'étoit 
fur  quoi  l'imagination  des  auteurs  avoit  le  plus 
travaillé.  Je  diftis  en  moi-même  :  qu'il  feroit 
avantageux  que  le  même  ufage  eût  lieu  dans  la 
fociété  ,  pour  ne  confondre  ,  ni  les  rangs  ,  ni 
les  perfonnes. 

Un  homme  qui  étoit  là  ,  m'ayant  regardé 
fixement ,  montra  une  forte  d'inquiétude  dont 
je  m'apperçus  ;  fétois  pour  lui  un  vifage  nou- 
veau ;  le  maître  de  la  maifon  ,  pour  le  tirer 
de  peine ,  lui  fis  figne  de  la  main  &  des  yeux , 
que  j'étois  de  la  grand'bande  ;  alors  le  vifage 
inquiet  fe  dérida ,  &  notre  homme  prit  la  parole 
avec  un  air  de  confiance  ,  qui  charma  toute 
l'aiTemblée. 

Meilleurs  ,  dit-il,  les  chofes  vont  le  mieux  du 
monde.  Nous  fommes  enfin  arrivés  au  tems  où 
la  légèreté  françaifeva  fe  fixer.  Par-tout,  il 
U'eft  queftion  que  des  Etats -Généraux  ;  nos 
plumes  ne  tariffent  point  fur  cette  matière. 
Nous  avons  fait  tomber  les  romans  anglais, 
les  voyages  traduits  de  l'anglais  ,  les  poëfies 
fugitives  des  allemands  ,  &  nous  touchons 
même  à  l'époque  heureufe  où  l'on  ne  fera  plus 
que  bailler  au  théâtre.  Les  libraires  ne  peuvent 


(    10  ) 

plus  fuffire  à  nous  vendre  ,  ni  les  amateurs  a 
nous  lire.  Nous  feuls  occupons  tous  les  impri- 
meurs. Que  de  belles  chofes  nous  avons  devi- 
nées, par  une  efpece  d'infpiration,  &  fans  nous 
donner  la  peine  de  les  étudier'!  Vive  le  génie! 
il  fupplée  à  tout  :  on  nous  demande  des  faits  , 
nous  répondons  par  des  réfultats. 

Des  faits ,  dit  un  autre  qui  avoit  écouté  la 
fin  impatiemment  :  eh  parbleu  ,  on  ne  voit 
que  cela  dans  la  plupart  de  nos  écrits;  plufieurs 
d'entre  nous ,  (  je  vous  en  demande  pardon , 
meilleurs ,  )  fe  tuent  à  nous  répéter  des  extraits 
de  procès  verbaux  ,  en  ftyle  verbeux,  pour  être 
mieux  entendus  de  la  multitude  ,  &  ce  qui  rend 
la  chofe  piquante ,  ils  y  joignent  des  obferva- 
tions  de  leur  crû.  C'eft  donc  à  tort  qu'on  nous 
reproche  d'être  économes  fur  les  faits.  Il  n'eft 
pas  bien  difficile  d'en  ramaffèr  ;  tout  eft  connu 
aujourd'hui  grâce  à  nos  infatigables  travaux. 
Les  porte-feuilles  font  pleins ,  &  fi  les  libraires 
ne  font  pas  contens  ,  je  ne  fais  qu'y  faire.  Lei 
faits  &  les  réflexions  fe  débondent  avec  une 
rapidité ,  qui  ne  laiffe  pas  le  tems  de  refpirer. 
Affurément  ,  il  faut  fe  lever  de  grand  matin  a 
&  fe  coucher  bien  tard  ,  pour  lire  les  bro- 
chures qui  chargent  tous  les  jours  les  comp- 
toirs. 


C  ii  ) 

Un  petit  homme ,  qui  attendoit  fon  tour  de 
parler,  interrompit  brufquement ,  &  dit,  que 
les  affaires  n'alioient  pas  fi  bien  que  l'autre  le 
prétendoit  ;  que  les  plaintes  &  les  doléances  des 
libraires  rouloie^t  précifément  fur  le  trop 
grand  nombre  &  Etats- Généraux  ,  &  fur  l'en- 
gorgement que  cela  mettoit  dans  leurs  bouti- 
ques ;  que  les  uns  faifoient  tort  aux  autres ,  & 
qu'il  feroit  à  propos  d'établir  une  efpece  de 
police  dans  la  compagnie  des  Etats  ,  afin  que 
chacun  écrivît  &  imprimât  à  fon  tour. 

Cette  obfervation  fut  appuyée  par  le  récit 
d'une  petite  aventure  que  le  voifin  de  celui-ci 
raconta  lui  être  arrivée  la  veille.  J'avois 
porté ,  dit-il ,  mon  ouvrage  tout  chaud  de  la 
forge,  chez  madame  la  marquife  ***  ,  qui  eft 
une  excellente  patriote.  Le  lendemain  ,  je  fus 
chez  elle  dès  le  matin  ,  pour  favoir  ce  qu'elle 
en  penfoit.  Elle  venoit  de  quitter  fa  toilette  , 
pour  un  moment  ;  je  trouvai  la  femme-de- 
chambre  occupée  à  effayer  un  fer  à  toupet, 
fur  un  papier  imprimé.  Bon  Dieu  !  m'écriai- 
je ,  fi  c'étoit  un  feuillet  de  ma  brochure  !  Mon 
preffentiment  n'étoit  que  trop  vrai  :  la  mar- 
quife rentre  ,  je  jette  hauts  cris  ;  elle  m'en  de- 
monde  la  raifon  ;  j'arrache  Aqs  mains  de  la 
femme-de -chambre ,  &  du  milieu  du  fer  fatal , 


(12) 

la  feuille  à  moitié  brûlée  ;  lifez  &  voyez ,  luî 
dis-je ,  tout  rouge  de  honte  ;  elle  me  répond 
d'un  grand  fang-froid  ;  moi ,  je  ne  lis  point  ces 
chofes-là.  Toute  cette  politique  ,  de  la  manière 
dont  on  la  traite ,  me  feroit  périr  d'ennui.  J'ai 
tenté  de  vous  lire ,  &  vous  m'êtes  tombé  des 
mains.  Cela  peut  être  fort  bon  ,  mais  cela 
n'efl  pas  amufant  :  du  refte ,  tranquillifez-vous  , 
j'en  ai  fait  autant  à  vingt  autres  de  vos  con- 
frères. 

Là  -  deffus  ,  quelqu'un  dit  que  c'étoit  une 
confpiration  de  la  noblefTe  contre  le  tiers-  état 
trop  bien  traité  dans  les  ouvrages  du  moment. 
Je  difois  en  moi-même  :  eft-ce  qu'en  attaquant 
les  prérogatives  de  la  noblefTe  ,  on  veut  encore 
lui  faire  acheter  le  privilège  de  l'ennuyer  !  Mais 
je  n'eus  garde  de  mettre  cette  per.fiée-làau  jour. 
Elle  m'auroit  valu ,  probablement ,  dès  i'inftant 
même  ,  une  exclufion  peu  agréable. 

Un  gentil-homme  qui  étoit  pré(ent9  (  il  s'en 
trouvoit  plufîeurs  dans  la  compagnie  ,  qm 
avoient  donné  fur  les  Etats-Généraux,  )  prit 
fait  &  caufe  pour  fon  ordre  ,  &  fou  tint  que 
meilleurs  du  tiers  pouvoient  bien  avoir  le 
droit  de  les  faire  payer  ,  mais  non  pas  de  les 
obliger  à  acheter  leurs  brochures  ,  'orfqu'il  y 
avoit  aflez   de  fujets  de  s'ennuyer  fans    cela. 


c  13  ) 

La  querelle  allcît  s'échauffer  entre  le  noble  & 
le  roturier ,  fi  l'hôte  du  galetas  ne  leur  eût  im- 
pofé  Hlence  j  le  calme  étant  revenu,  on  paffa  à 
d'autres  objets. 

Le  premier  fut>  d'examiner  la  valeur  refpec- 
tive  des  ouvrages  mis  fur  le  bureau.  Chacun 
foutenoit ,  comme  de  raifon  ,  que  le  fien  étoit 
meilleur.  L'un  fe  prévaloit  d'avoir  dit  ce  groffss 
injures  au  gouvernement;  l'autre,  d'avoir  gliiTé 
dans  Ton  œuvre ,  des  personnalités  outrageantes; 
celui-ci  alléguait  la  fingularité  de  fon  titre  ; 
celui-là  citoit  le  nombre  d'exemplaires  qui 
étoient  déjà  vendus.  Les  uns  fe  félicitoient 
d'avoir  fait  imprimer  clandeftinement ,  &  d'a- 
voir gardé  un  parfait  incognito  ;  les  autres  d'a- 
voir bataillé  avec  le  cenfeur  ,  pour  fe  faire 
pafler  des  hardiefles  de  chofes ,  plutôt  que  du 
ftyle;  enfin,  c'étoit  à  qui  mieux  mieux.  Comme 
tout  le  monde  parloit  à  la  fois  ,  on  autoit  eu 
befoin  d'un  huiiîier  pour  faire  filence;  je  riois 
$n  moi-même  ou  dans  l'oreille  de  mon  ami. 
On  eût  cru  que  ces  meilleurs  écrivoient  en- 
core ,  tant  ils  avoient  de  peine  à  s'entendre. 

Le  fécond  objet  qui  fe  préfer.toit  naturelle- 
ment ,  étoit  de  favoir  lefquels  d^s  auteurs 
fufdits  avoient  plus  de  droit  à  la  confédération 
de  la  compagnie.  Il  y  avoit  là  des  geas  qui 


(H) 

foutenoient  avec  chaleur  le  parti  des  brochures 
qui  n'ont  point  de  nom.  Ils  prétendoient  , 
contre  l'expérience  de  tous  les  jours  ,  que  la 
modeftie  étoit  un  titre  de  recommandation  pour 
les  grands  hommes.  Dites  plutôt ,  interrompit 
quelqu'un  ,  que  c'efl:  une  fource  de  défagré- 
mens.  J'étois  l'autre  jour ,  chez  mon  libraire  ; 
il  s'avifa  de  propofer  mon  ouvrage  ;  aufli-tôt 
plusieurs  perfonnes  qui  ne  favoient  pas  qu'il 
étoit  de  moi ,  le  traitèrent  de  déteftable.  Mon 
libraire  un  peu  embarrafle  (  je  l'étois  encore 
plus  que  lui  )  vouîoit  faire  tomber  la  conver- 
fation  fur  autre  chofe  ;  il  tiroit  par  la  manche 
celui  des  dénigrans  le  plus  acharné  ,  en  me 
défignant  des  yeux.  Moi  ,  je  lui  lançois  des 
regards  furieux  ,  aimant  mieux  être  déchiré 
incognito  ,  que  d'être  poignardé  par  le  filence 
qui  auroit  fuivi  le  déchaînement  général ,  fi  on 
rn'avoit  enfin  connu. 

Monfieur  a  raifon  ,  dit  il  à  un  autre.  Il  faut 
que  je  vous  conte  une  malice  bien  noire  que<" 
m'a  faite  une  petite  femme  de  ma  connoif- 
fance.  Elle  favoit  de  quelqu'un  (  nous  autres 
auteurs  nous  ne  gardons  jamais  bien  un  fecret  ) 
que  j'avois  fait  aufïi  mes  deux  ou  trois  feuilles 
fur  les  Etats  -  Généraux.  Elle  traita  cent  fois 
devant  moi  ,  l'auteur  de  fot  ,  d'impertinent  , 


(  *;) 

d'ennuyeux  mortel.  Si  je  m'étois  nommé  à  la 
tête  de  mon  ouvrage ,  j'en  au  rois  été  quitte  à 
meilleur  marché  :  les  bienféances  de  la  fo  _iité" 
lui  auroient  impofé  filence. 

On  ne  fait  comment  faire ,  dit  un  troifième: 
fi  on  fe  nomme  ,  on  rifque  de  fe  déshonorer 
dans  l'efprit  de  bien  des  gens  ;  fi  on  ne  fe 
nomme  pas  ,  perfonne  ne  vous  lit  ,  à  moins  que 
vous  n'ayez  de  ces  grands  talens  qui  ne  font 
pas  donnés  à  tous  ceux  qui  fe  mêlent  de  poli- 
tique. Mais  queft-ce  que  cela  fait  au  mérite 
de  l'ouvrage ,  ajouta  un  quatrième  ?  Il  eft  boa 
ou  il  eft  mauvais  ;  la  témérité  ou  la  poltron- 
nerie de  l'auteur  n'intéreffent  en  rien  le  public  ; 
il  faudra  voir  les  libraires. 

A  merveille  !  s'écria  un  de  la  compagnie 
dont  l'édition  étoit  épuifée.  C'eft  aux  libraires 
à  décider  la  queftion.  Je  ne  me  fuis  pas  nom- 
mé ,  &  j'ai  déjà  tout  vendu. 

Cette  gafconnade  fit  bailler  les  yeux  à  une 
douzaine  d'auteurs  dont  les  balots  étolent  em- 
pilés aux  coins  de  la  falle,  &  qui  attendoient, 
mais  en  vain  ,  des  demandes  de  la  province. 
Tout  de  fuite  ,  le  maître  de  la  maifon  envoya 
un  des  membres  pour  courir  chez  les  difïe-' 
rens  libraires  ,  &  !es  prier  de  fe  rendre  fans 
faute ,  le  plutôt  poflible ,  dans  le  galetas. 


(  16) 

En  attendant  on  procéda  à  l'inventaire  des 
brochures  dont  les  échantillons  étoient  étalés 
fur  la  table.  Toutes  étoient  d'auteurs  inconnus 
ou  qui  avoient  eu  la  modeftie  de  ne  fe  nom- 
mer qu'à  leurs  connoiffance^  &  à  leurs  amis. 
[Voici  les  titres  de  quelques-unes. 

—  Effai  fur  la  manière  de  compofer  &  de 
convoquer  les  Etats- Généraux. 

Celui-ci  en  eflayant  de  faire  un  ouvrage  paf- 
fable  n'a  eu  que  le  mérite  fort  ordinaire  d'en 
faire  un  mauvais.  Il  veut  compofer  &  convo- 
quer les  Etats-Généraux  fur  les  affemblées  pro- 
vinciales qui  n'ont  point  d'exiftence  légale.  Il 
fixe  la  quotité  des  vingtièmes  qu'on  doit  payer 
pour  être  élu.  Ne  voilà-t  il  pas  un  excellent 
léglflateur  ? 

—  Recherches  &  réflexions  nouvelles  fur  la 
convocation  &  la  compofition  des  Etats  Gé- 
néraux. 

;  L'auteur-critique  l'arrêt  du  confeil  d'état  -,  & 
prétend  que  les  formes  des  états  ont  toujours 
çté  les  mêmes.  Si  cela  n'étoit  pas  faux  en  cent 
manières  ,  on  pourroit  croire  aux  recherches 
&  aux  réflexions  nouvelles  de  l'auteur  déjà 
vieux  chez  les  marchands  de  nouveautés. 

—  Differtation  fur  le  droit  de   convoquer 
les  Etats-Généraux ,  tirée  des  capitulaires ,  des- 
ordonnances 


(  n  ) 

Ordonnantes  du  royaume  >  &  des  autres  mé- 
moires de  l'hiftoire  de  France. 

Nous  pouvons  afïurer  que  l'auteur  n'a  lu  ni 
les  capitulaires  ,  ni  les  ordonnances  ,  ni  les 
mémoires.  Il  coftnoît  mieux  les  auteurs  anglois 
que  les  monumens  nationaux.  Il  ne  s'attendent 
pas  apparemment  que  quelqu'un  s'aviferoit  de 
lire  l'ouvrage  ,  pour  le   comparer  au  titre. 

—  Vues  d'un  citoyen  fur  le  moyen  de  con- 
noître  promptement  par  le  vœu  de  la  nation  , 
les  formes  &  la  composition  à  donner  aux 
Etats-Généraux. 

On  pardonne  aux  écrivains  politiques  de  as 
pas  favoir  la  langue  3  &  de  l'eftropier  dans 
leurs  titres.  Mais  on  leur  voudroit  dos  vues 
moins  courtes  ,  &  quand  ils  le  font  â&s  diffi- 
cultés ,  qu'ils  en  donnaffent  à-peu-près  la  folu- 
tion.  Celui-ci ,  en  parlant  dos  élections  i  vou- 
droit un  député  fur  fix  mille  électeurs.  Si  le 
roi  approuve  ce  projet ,  nous  aurons  un  armée 
*au  lieu  d'une  afTemblée  d'états. 

Je  ne  veux  pas  fuivre  pièces  par  pièces  > 
cet  inventaire  qui  feroit  au  moins  aufli  long 
que  celui  de  la  bibliothèque  de  dom  Quichote. 
Tous  les  auteurs  étoient  préfens  ,  &  chacun 
portant  la  main  fur  fa  brochure  ,  difoit  :  ceci  eft 
à' moi.  Les  yeux  pétilloient  de  gloriole  à  plu- 

B 


f  iS  ) 
£eurs  qui  fe  voyoient  auteurs  ,  grâce  aux 
Etats-Généraux.  Il  ne  s'agiffoit  plus  que  de 
faire  fenfation  dans  le  public  ,  ce  qui  étoit  un 
peu  difficile  ,  vu  la  multitude  de  réputations 
nouvelles  auxquelles  il  falloit, travailler.  D'ail- 
leurs ,  rincoguito  eft  un  aifez  méchant  parti 
pour  la  rénomaiée. 

Comme  on  s'agitoit  en  différens  fens  ,  &  que 
chacun  propofoit  fon  expédient ,  voici  M.  de 
,  L.  .  .  .  qui  entre»  Eh  bien  ,  mefïieurs  ,  vous 
parliez  d'auteurs  qui  fe  cachent  fous  le  mafque. 
Voici  un  brave  qui  fe  montre  dans  l'arène  ,  le 
Vifage  à  découvert  &  avec  toutes  fes  qualités.  Il 
eft  avocat ,  &  qui  plus  eft ,  membre  de  nombre 
d'académies.  Sa  noble  ambition  ne  s'eft  pas 
bornée  à  quelques  feuilles.  Il  n'eft  pas  non  plus 
aufti  volumineux  que  la  collection  de.  Buiflbn. 
Son  libraire  ,  qui  fe  connoît  en  mérite ,  a  mis 
fous  les  yeux  du  public  ,  en  l'annonçant  ,  la 
table  q^s  chapitres  en  un  carton  féparé  ,  afin 
de  donner  aux  cqnnoifleurs  ,  un  avant-goût  des 
grandes  conceptions  de  M.  de  L.  ...  Il  eft 
vrai  qu'il  y  a  tant  de  chapitres  fur  la  noblefle, 
&  fi  peu  fur  le  tiers-état  ,  que  l'on  croiroit 
qu'il  ne  veut  être  lu  que  par  dos  gentilshommes. 
^N'importe  ;  M.  de  L,  .  .  .  ,  académicien  &c 
avocat  fera  mis  à  part.  Il  mérite  bien  qu'on 


C  19  ) 

le  diftingue ,  au  cas  qu'on  voulût  îe  confondre 
avec  un  tas  d'auteurs  obfcurs  qui  ne  font  ni 
avocats  ,  ni  de  plufieurs  académies. 

A  peine  rinlffbit-on  M.  de  L..  .  .  •  ,  que  la 
porte  s'ébranla  '^pour  donner  paffage  à  M.  de 
La  \  Il  en  étoit  à  la  féconde  édition  de  fon 
mémoire  Car  la  prochaine  tenue  des  Etats-Gé^ 
néraux ,  &  fur  les  objets  qui  doivent  y  être  mis 
en  délibération.  Ce  petit  prophète  a  donc  de- 
viné les  objets  qui  feront  mis  en  délibération 
aux  Etats-Généraux ,  s'écrièrent  plufieurs  !  nous 
le  félicitons  bien  fincereroent  de  fon  don  de 
prophétie  ,  &  de  la  vente  de  fa  première  édi- 
tion. 

M.  de  la  Gré  *  *  ne  fe  fit  point  attendre. 
Fier  de  (es  fuccès  récens  ,  il  entra  avec  con- 
fiance ,  tenant  à  la  main  (on  petit  mémoire  très- 
métaphyfique  &  très-embrouille.  Il  l'avoit  écrit 
en  flvle  d'académie  ,  Se  il  fembloit  demander 
au  moins  Vaccejfit  pour  cette  pièce  nouvelle. 
*Les  bravos  de  l'aiïemblée  annoncèrent  à  la 
ronde  un  des  virtuofes  ies  plus  didingués  de 
la  compagnie. 

L'auteur  des  obfervations  fur  Tarrêt  du  corr- 
feil  du  y  octobre ,  qui  vint  à  fa  fuite ,  quoique 
premier  en  date  pour  fon  apparition  dans  les  af- 
faires d'état  ,  foutint  que   fa  pièce  coblerva- 

B  2 


(20) 

tions  étoit  un  chef-d'œuvre  d'éloquence  ,  d« 
preuves  &  de  raifon.  Il  y  avoit  bien  là  quel- 
ques incrédules  qui  fecouoient  la  tête  ,  en 
riant  fous  ca*ppe.  Cela  n'empêcha  point  qu'on 
riç  le  mît  au  rang  d^s  illuflres  .tuai  n'avoient  pas 
eu  le  courage  de  fe  nommer. 

Après  avoir  rendu  hommage  au  mérite  pu- 
blic ,  on  revint  au  mérite  modefte  des 
inconnus.  Le  fonge  cPun  bon  citoyen  françois  y 
fuivi  dt  la  lettre  à  un  anglois  ,  réveilla  un  mo- 
ment l'attention.  Mais  elle  fe  rallentit  dès  les 
premières  pages  ,  au  point  que  fi  l'auteur  eut 
continué ,  tout  le  monde  alloit  s'endofmir ,  es 
qui  auroit  pu  produire  une  belle  fuite  de  fon- 
gzs  y  comme  un  bâillement  en  compagnie ,  en- 
gendre  vingt  baillemens.  Par  bonheur  pour 
î'affemblée  ,  le  fongeur  s'apperçut  de  l'effet 
qu'il  opéroit  ;  il  s'arrêta  tout  court ,  &  l'on 
rie  penfa  plus  ni  au  fonge  ,  ni  à  la  lettre  à  un 
anglois, 

Le  fongeur  ayant  quitté  la  partie  ,  un  homme 
vêtu  de  noir  préfenta  fes  détails  authentiques  , 
relatifs  à  la  tenue  des  Etats  Généraux  ,  e n  1614.  * 
tirés  du  mercure  françois  ,  &  de  V intrigue  du 
Colinet.  On  fut  d'abord  féduit  par  la  difficulté 
incroyable  que  l'auteur  avoit  eue  de  décou- 
vrir dus  fources  aufïi  peu  connues,  On  lui  fut 


(ai  ) 

gré  d'avoir  déterré  ces  monumens  précieux  de 
notre  ancienne  conftitution  ;  on  loua  beaucoup 
le  préambule  qui  accompagnait  le  titre  de  la 
brochure  modeftement  qualifiée  de  tableau. 
On  trouva  feulement  que  les  couleurs  étoient 
un  peu  ternes  pour  un  fujet  de  cet  importance. 

On  étoit  preifé  de  tout  voir ,  &  à  mefure 
que  les  auteurs  préfens  manquoient  ,  on  par- 
couroit  les  productions  dos  abfens  ,  étendues 
fur  la  table.  On  fut  frappé  du  titre  de  celle-ci  2 
coup-d'œil  rapide  ou  notice  hiflorique.  Un  bel 
efprit  qui  étoit-là,  trouva  que  coup-d'œil  rapide 
&  notice  hiftorique  ne  rimoient  gueres  eniem- 
ble.  Allez  toujours  3  dit  un  autre  ;  vous  vétilles 
fur  un  rien.  Comment  diable  voulez-vous  qu'on, 
faïle?  Les  titres  s'ufent  à  force  de  les  employer  * 
comme  les  caractères  d'imprimerie ,  à  force  de 
s'en  fervir.  Cette  faillie  fit  rire  les  afliftans ,  Ôc 
on  abandonna  le  coup-d'œil  rapide. 

Je  ne  fais  pas  ,  obferva  quelqu'un  ,  ce  que 
yeut  dire  un  de  nos  meilleurs  dont  le  titre  eft 
conçu  ainfi  :  des  Etats-Généraux  ,  de  leurs 
formes ,  &  de  la  caufe  de  leur  convocation,  La 
caufe  de  leur  convocation  !  Eh  ,  morbleu ,  la 
bonté  du  prince  ,  les  befoins  de  l'état ,  Tordre 
à  remettre  dans  la  nation  Qui  pourroit  nom-* 
brer  toutes  les  caufes3  &  calculer  tous  les  effets 


f  22    ) 

M.  Lévrier  ,  auteur  du  mémoire  fur  les  for- 
mes qui  doivent  précéder  &  accompagner  la 
convocation  des  Etats-Généraux  ,  auroit  reçu 
un  compliment  mérité  ?  s'il  eût  été  préfent.  Ii 
fut  décidé  que  la  meilleure  tête  de  l'affemblée 
(  ici  plufieurs  s'exeuferent  )  lui  écriroit  une 
lettre  de  remercîmens  pour  avoir  mieux  traité 
la  queftion  que  bien  des  auteurs  de  la  capitale. 

Il  n'en  fut  pas  de  même  de  l'ouvrage  inti- 
tulé vues  générales  fur  notre  conftitution  ,  & 
fur  nos  ajfemblées  nationales.  Quoi  !  Toujours 
des  vues  qu'on  donne  pour  générales  &  qui 
ne  font  que  vagues  !  Parce  que  les  vues  ont 
réuiîi  à  Bufton  ,  le  moindre  barbouilleur  de 
papier  fe  croira  aufîi  des  vues  !  Allons  ,  que 
juftice  foit  faite ,  &  qu*on  le  mette  au  rebut. 

On  voyoit  lettres  fur  lettres  fe  précipiter  fur 
ie  bureau ,  tant  la  foule  étoit  grande  pour  ap- 
porter fes  productions.  L'un  écrivoit  à  un  plé- 
béien ,  comme  s'il  eût  été  tribun  de  Rome  ; 
l'autre  à  la  nation  françoife  ,  bien  afluré  dé 
n'avoir  jamais  de  réponfe. 

Mais  le  plus  joli  étoit  Yécho  de  VElifeé  qui 
avoit  calculé  les  fyllabes  de  fon  titre  pour  le 
faire  agréer  des  dames.  C'étoient  quelques 
morts  célèbres  qui  difoient  des  chofes  de  l'autre 
monde  fur  les  Etats  -  Généraux  de  la  nation 


C  23  ) 

&  des  provinces.  On  voyoit  bien  au  titre  feul 
que  ces  pauvres  morts  n'y  étoient  plus  :  car 
ils  n'auroient  point  parlé  clés  Etats-Généraux: 
des  provinces  qui  n'en  ont  que  de  particuliers, 

La  manière  équitable  &  jujîe  de  convoquer  & 
(Taflanbler  les  Etats-Généraux  ,  décéioit  encore 
un  auteur  qui  mettoit  la  charrue  devant  les 
bœufs  ,  en  faifant  empiéter  V équitable  fur  le 
jujîe.  Le  fond  de  l'ouvrage  prouvoit  la  préten- 
tion injufte  de  l'écrivain  qui  vouloit  que  la  na- 
tion fe  réglât  d'après  fes  idées. 

Je  faifois  toutes  ces  réflexions,  à  part  ,  moi, 
tandis  que  le  bruyant  inventaire  continuoit. 
Mais  à  travers  les  faux  jugemens  de  la  cohue, 
les  préventions  de  l'ignorance  &  de  l'intérêt, 
il  échappoit  de  tems  en  tems  à  ces  meilleurs 
de  bonnes  vérités  qui  me  faifoient  juger  que 
les  auteurs  affemblés  valoient  en  général ,  mieux 
que  leurs  écrits  :  dans  ceux-ci  ,  ils  cachent 
fouvent  leur  penfée ,  ils  fouciennent  le  pour  & 
le  contre  ,  l'ouent  à  tort  &  à  travers  ;  mais 
quand  leur  amour-propre  eft  irrité  par  la  pré- 
fence  de  l'ennemi ,  ils  ne  fe  pardonnent  rien , 
&  la  vérité  brife  les  liens  qui  la  retenoient 
captive  dans  leur  cœur. 

Tandis  qu'on  étoit  à  faire  main  baffe  fur 
les  défauts ,  &  à  s'inve&lver  mutuellement ,  les 


(  H  ) 
libraires  mandés  arrivent  :  ils  apportoîent  de 
trilles  nouvelles  ,  les  brochures  ne  fe  vendoient 
point  ;  plufieurs  revendiquoient  leurs  frais  d'im- 
prelïion  ;  le  public ,  quelque  échauffé  qu'il  fût 
fur  les  affaires  préfentes,  ne.»vouloit  rien  lire, 
quoiqu'on  lui  fît  peur  de  fon  indifférence  fur 
les  intérêts  de  l'état.  Les  femmes  qui  donnent 
toujours  le  ton   en   France  ,   trouvoient  tous 
ces  livres  d'un  ennui  infupportable  ,  &  auroient 
defiré  qu'une  brochure  fur  les  Etats-Généraux 
fût  écrites  du  ftyle  de  Galathée  ou  tiEjlelle.  Il 
falloît  donc  reprendre  tous  les  exemplaires  de 
ces  nouveautés  d'un  genre  nouveau  ,  &  don- 
ner une  tournure  plus  agréable  aux  écrits  du 
jour ,   fi  l'on  vouloit  être  lu.  Il  y  avoit  là  dQS 
gens  fages  qui  étoient  bien  de  cet  avis  ;  mais 
ils   penfoient   aufiî  à   la    difficulté   de    trouver 
dans  fa  tête  des  relïburces   que  depuis  long- 
tems,  on  ne  cherche  que  dans  les  livres. 

On  annonça  une  comteffe  qui  fe  mêle  auflî 
d'écrire  fur  ces  chofes-là.  Il  fe  fit  un  graryi 
filence  dans  l'affemblée,  &  on  la  confulta  fur 
les  plaintes  des  libraires  ;  elle  trouva  qu'ils  , 
avoient  raifon  ;  que  meilleurs  les  auteurs  fem- 
bloient  s'être  donnés  le  mot ,  pour  leur  faire 
perdre  leurs  pratiques ,  en  excédant  la  bonne 
compagnie  par  leurs  écrits  ennuyeux.  Elle  re- 

grettoit 


grettoit  tout  bonnement  le  fiecle  des   allégo- 
ries d'Alain-Chartier  ;  de  Villon  ,  &  du  roman 
de  la  Rofe.  Il  y  avoit  au  moins  quelque  efpric 
là-dedans ,  difoit-elle  ,  avec  cette  liberté   dé- 
cente ,  qui  fied  au  beau  fexe  :  au  lieu  que  (  pafTez  - 
moi  le  terme  )  vous  ne  vous  amufez  plus  qu'à 
compiler  des   bouquins.  Voulez -vous  amener 
les    françois    au   bonheur  par   l'ennui  ?    Vous 
n'y    réuflîrez  pas.    Il  faut  les   égayer  fur   les 
chofes  les  plus  importantes.  On  fe  regarda  ,  on 
battit  des  mains ,  &  Ton  convint  que  madame 
en  favoit  plus  par  le  fimple  bon  fens  ,    que 
ces  meilleurs   n'en   avoient   appris  dans   leurs 
£ros  volumes  poudreux. 

Il  falloit  fe  tirer  d'embarras  avec  les  libraires  ; 
ce  qui  n'étoit  pas  trop  aifé.  Chacun  les  prenoit 
eîi  particulier  ,  pour  les  appaifer  fur  les  pertes 
qu'ils  faifoient,ou  les  gains  qu'ils  ne  faifoient 
pas.  Ils  objectoient  que  la  fureur  d'écrire  fur 
les  Etats -Généraux  ,  alloit  les  ruiner  ,  fi  on  ne 
le  dépêchoit  de  les  affembler  &  de  les  tenir  ; 
que  toutes  les  autres  branches  de  leur  com- 
merce étoient  en  fouffrance  ,  &  qu'ils  alloient 
comploter  entre  eux ,  de  ne  plus  recevoir  de 
ces  maudites  brochures. 

Pendant    ce  conflit   d'intérêt ,  (  chofe  mer- 
veilleufe  )  je  me  crus  tranfporté  un  moment  au 

C 


(    26    ) 

tems    où   les   bêtes   partaient  ;   j'entendis  près 
du  coin  où  j'étois  afiîs  ,  des   rats  cachés  dans 
des    balles  de  brochures  ,    qui   fe   félicitoient . 
entre    eux  de   l'excellence    curée   qu'on    alloit 
leur  abandonner.   ïls    fe    partageoient  déjà  le 
in ,  &  c'étoit  une  chofe  plaifante  ,  de  leur 
:  :dre  nommer  les  auteurs  ,  comme  s'ils  les 
/oient  connus.  &  fréquentés,  toute   leur  vie. 
je  ne  fi  fi  je  revois,  ou  fi  réellement  ces  pe- 
tites bêtes  tenoient  la  çqnverfation  que  je  leur 
prête  ;  tout  ce  que  je  puis  dire ,  c'eft   que  le 
réfutât   n'en  étoit  point  favorable  à   la   bril- 
lante littérature  des  Etats -Généraux. 

Cependant  ,  les  auteurs  difputoient  encore 
avec ,  les  libraires  •  lorfque  l'un  d'entre  eux 
s'offrit  à  les  concilier.  J'ai  fouvent  remarqué , 
dit-il  ,  que  les  livres  qui  relient  dans  les  ma- 
grains  ,  quand  on  les  vend  en  détail,  ont  un 
débit  prodigieux ,  lorfqu'on  les  met  en  col- 
lection. Cédez-moi  vos  droits  ,  meilleurs  les 
auteurs  ,  &  vous,  mes  confrères,  les  libraires,4. 
C'eit  une  politeffe  que  je  vous  fais  ,  &  dont 
nous  nous  difpenfons  quelquefois.  Vous  avez 
là  de  quoi  faire  au.  moins  cinquante  volumes  ; 
je  m'en  charge  ;  cela  fera  fuite  à  la  collection 
des  mémoires,  fur.  rhidoire  de  France,  &.  à  la 
"    J:énue   des  daines.   Four  ;.'j;  '•-'   le  pu- 


(  27  1 
blic  ,  nous  offrions  d'imprimer  à  la  tête  de 
chaque  volume  ,  les  noms  féparés  des  fouf- 
cripteurs  &  des  foufcriptrices.  Quelle  petite 
maîtrefle  ne  fera  glorieufe  de  voir  fon  nom  & 
fes  qualités  moufées  au  revers  du  titre  d'une  col- 
lection de  cette  importance  ?  Croyez-moi. ,  cela 
réufîira  ;  je  m'y  connois  ;  j'ai  de  bons  crou- 
piers qui  feront  l'éloge  de  l'entreprife  ,  dans 
tous  les  journaux;  ils  en  font  les  maîtres,  &  ils 
font  vendre  la  drogue.  Vous  ne  demanderez  pas 
trop  cher  de  votre  refte  ;  &  je  vendrai  la  réim- 
preffion  de  mon  mieux. 

Mais  dit  un  libraire  qui  écoutoit  ce  difcours , 
en  ricannant  ;  ne  craignez-vous  pas  l'auteur  de 
la  petite  lettre  ,  qui  ne  paroît  pas  être  fort 
porté  pour  les  collections?  L'homme  aux  col- 
lections demanda  alors  ce  que  l'autre  vouloit 
dire  ,  avec  fa  petite  lettre  ;  le  libraire  en  tira 
un  exemplaire  de  fa  poche  ,  &  fur  le  titre  , 
l'entrepreneur  des  Etats  -  Généraux  lui  dit;  je 
Vous  remercie  bien  ;  je  renonce  à  mon  nrojet , 
Vous  êtes  de  mes  amis ,  &  je  m'en  fouviendrai 
dans  l'occafion. 

En  même-temps  on  frappe  aux-  portes  de  la 
falle,  avec  grand  bruit  ;  c'étoient  deux- épiciers' 
de  la  halle  qui  arrivoient.  Un  plaifant    de   la 
fociété,  (il  s'en  glifle  toujours  quelqu'un  dans 


C  28  ) 

ks    compagnies    les   plus  refpe&ables  )    leur 
avoit  dit ,  qu'il  y  avoit  là  beaucoup  de  vieux 
papiers  à  vendre.  Les  épiciers  intimidés  de  pa- 
roître  devant  une  fi  augufte  afTemblée ,  ne  fai- 
îoient  que  balbutier.   On  les  preffa  de  s'expli- 
quer -y  ils  dirent  comme  quoi  on  les  avoit  en- 
voyés là  ,   mais  qu'afïurément ,  on  leur  avoit 
donné  une  faufTe  adreflV.  Point  du  tout ,  s'écria 
l'hôte  de  la   maifon  ,    à  qui  les   libraires    fai- 
foient  figne  de  les  appuyer;  je  ne  veux  point 
que  ma  falle  foit  plus  long-temps  embarraffée 
de  ces  écritures.  Il  eft  douloureux ,  j'en  con- 
viens ,  de  faire  de  tels  facrifiçes  ;  mais  à  quoi 
lanéceflité  ne  force-t-elle  point?  Il  ne  tient  qu'à' 
vous,  meilleurs ,  que  dans  quinze  jours,  il  n'y 
en    ait    encore   autant.  Allons,    dit  -  il  ,    en 
s'adrefTant  aux  épiciers  ,  faites  vos  proportions. 
Elles  furent  acceptées  ;  une  douzaine  de  forts 
de  la  halle  ,  qu'ils  avoient   amenés ,  entrèrent 
avec  leurs  crochets,  on  emporta  le   tout  ,  & 
Taffemblée  fe  diflipa. 

P.  S.  La  Compagnie  s* eft  ajournée  ,  dit-on , 
h  quinzaine.  Nous  pourrons  rendre  compte  de 
cute  féance. 


3W3oo«-/GS>2iô<y9