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Full text of "Les poètes du terroir du 15e siècle au 20e siècle; textes choisis accompagnés de notices biographiques, d'une bibliographie et de cartes des anciens pays de France"

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LES 

POÈTES  DU  TERROIR 


sous    PRESSE  : 

Les  Poètes  du  terroir,  duquinzième  siècle  au  ving- 
tième siècle,  tame  III.  Languedoc  et  Comte  de 
Foix ,  Lorraine,  L^yonnais ,  Maine  et  Orléauais. 
Nivernais, ^Normandie,  Picardie  et  Artois,  Poitou, 
Angoumois  et  Saintonge,  Provence,  Comtat  Ve- 
naissin  et  Comté  de  Nice ,  lioussillon.  Savoie, 
Tou  raine. 


LES 


POÈTES  DU  TERROIR 


du  W  siècle  au  XX°  siècle 


TEXTES     CHOISIS 

Accompagnés  de  Notices  biographiques,  d'une  Bibliographie 
et  de  cartes  des  anciens  pays  de  France 

PAR 

Ad.  van  BEVER 


Dauphiné  —  Flandre 

Franche-Comté  —  Gascogne  et  Guyenne 

Ile-de-France  —  Limousin  et  Marche 


PARIS 

LIBRAIRIE    CH.    DELAGRAVE 

15,     RUE     SOUFFLOT,     15 


n 

IlLS 

■t.z 


LES 

POÈTES  DU  TERROIR 

DAUPIIINÉ 

VIENNOIS,  VALENTINOIS,  TRICASTIN,  DIOIS,  GAPEXÇOIS, 
GIIÉSIVAUDAN,  ETC. 


Historiens  et  géographes  s'accordent  à  reconnaître  au  Daii- 
phiné  l'aspect  d'une  province  méridionale,  mais  prêtent  à  sa  . 
race  le  caractère  du  Français  moyen,  jiratique,  chevaleresque, 
avec  une  pointe  de  gaieté  native,  de  iinesse  et  de  bon  sens.  «  Les 
Provençaux,  écrit  Michelet',  appellent  les  Dauphinois  les  Fran- 
ciaux.  Le  Dauphiué,  ajoute-t-il,  appartient  déjà  à  la  vraie  France, 
à  la  France  du  Nord.  Malgré  la  latitude,  la  jolie  vallée  de  l'Isère, 
ses  vignes,  ses  mûriers  elle  sourire  italien  dont  elle  salue  l'étran- 
ger au  passage,  cette  province  est  septentrionale.  Là  commence 
cette  zone  de  pays  rudes  et  d'hommes  énergiques  qui  cou^*eut 
la  France  à  l'est.  D'abord  le  Dauphiné,  comme  une  forteresse 
sous  le  vent  des  Alpes:  puis  le  marais  de  la  Bresse;  puis,  dos  a 
dos,  la  Franche-Comté  et  la  Lorraine,  attachées  ensemble  par 
les  Vosges,  qui  versent  à  celle-ci  la  Moselle,  à  l'autre  la  Saône 
et  le  Doubs...  Du  Dauphiné  à  Liège,  à  la  Normandie,  l'esprit 
général  est  la  critique.  On  trouve  dans  les  habitudes  de  lan- 
gage des  Dauphinois  des  traces  singulières  de  leur  esprit  pro- 
cessif. Avant  la  Révolution,  quand  les  enfants  avaient  passé  un 
an  ou  deux  chez  un  procureur  à  mettre  au  net  des  exploits 
et  des  appointements,  leur  éducation  était  i'aite,  et  ils  retour- 
naient à  la  charrue.  Le  Dauphiné  a  été  longtemps  la  terre  clas- 
sique du  régime  dotal;  les  familles  avaient  l'orgueil  de  faire  un 

1.  Notre  France. 

II.  1 


^  LES    POETES    DU    TEKROIR 

héritier,  un  aîné,  n'accordant  aux  cadets  que  les  exigences  do 
la  loi,  à  la  fille  le  moins  possible.  Le  paysan,  dans  son  humble 
condition,  imitait  le  seigneur.  Au  demeurant,  très  avisé.  On  sait 
le  dicton  :  «  Fin,  rusé,  courtois,  sent  venir  le  vont  et  connaît  la 
0  couleur  de  la  bise.  » 

«  Mais  leur  vie  morale  et  leur  poésie,  à  ces  hommes  do  la 
frontière,  a  lonctemps  été  la  guerre.  Qu'on  leur  fasse  encore 
appel,  vous  verrez  que  les  Bayard  ne  manqueront  pas  au  Dau- 
phiné,  ni  les  Ney,  les  Fabert  à  la  Lorraine.  Il  y  a  sur  la  fron- 
tière des  villes  héroïques  où  ce  fut  de  père  en  fils  un  invariable 
usage  de  se  faire  tuer  pour  le  pays...  » 

«  Malgré  l'esprit  processif  du  Dauphinois,  il  y  a  dans  les 
mœurs  communes  une  vive  et  franche  simplicité  à  la  monta- 
gnarde, qui  charme  tout  d'abord.  En  montant  vers  les  Alpes, 
surtout,  vous  trouverez  l'honnêteté  savoyarde,  la  mémo  bonté, 
avec  moins  de  douceur.  Celte  simplicité,  ces  mœurs  patriar- 
cales qui  s'en  vont,  hélas!  de  toute  la  France,  ont  tenu  en 
grande  partie  à  l'isolement  de  ces  populations.  Avant  qu'on 
eût  ouvert  des  routes,  pendant  neuf  mois  d'hiver  les  neiges  les 
séparaient  du  reste  du  monde.  De  là  la  conservation  des  tra- 
ditions antiques...  Quoique  ces  montagnards  soient  souvent  eu 
procès  entre  eux,  comme  ceux  de  la  ])laine,  il  existe  un  senti- 
ment de  i'raternité.  Survient-il  un  malheur,  une  inondation,  un 
incendie,  tout  le  pays  accourt  pour  relever  la  maison,  apporter 
les  matériaux  nécessaires.  Chacun  donne  imo  journée  de  travail* 

«  Là,  il  faut  bi(!n  que  les  hommes  s'aiment  les  uns  les  autres- 
la  nature,  ce  semble,  ne  les  aime  guère.  Sur  ces  pent(!S  exposées 
au  nord,  au  fond  de  ces  sombres  entonnoirs  où  sifllo  le  vent 
maudit  des  Alpes,  la  vie  n'est  adoucie  que  par  le  bon  cœur  et  le 
bon  sens  du  peuple... 

■  Hélas!  quoi  que  fasse  le  soleil,  le  pays  reste  pauvre,  la 
récolte  est  insuflisante.  Du  Vercors  et  de  l'Oisans  partent  des 
émigrations  annuelles.  Mais  ce  no  sont  pas  seulement  dos  ma- 
çons, des  porteurs  d'eau,  des  rouliers,  des  ramoneurs,  comme 
dans  le  Limousin,  l'Auvergne,  le  Jura,  la  Savoie;  ce  sont  sur- 
tout des  instituteurs  ambulants... 

«  Dan»  les  plaines  du  I)auphiiu'>,le  i)aysan,mt)ins  bon  et  moins 
modeste,  est  souvent  bel  esprit  et  fait  des  vers...  » 

Qu'ajouter  à  celte  page  écrite  hier,  mais  (|ui  dépeint  d'une 
façon  saisissaulo  les  ressources  de  la  province?  Ici  la  littéra- 
ture est  trop  souvent  inférieure  aux  vertus  de  la  race  *.  11  y  a 
bien  la  poésie  populaire,  les  menus  propos  de  l'esprit  rural,  le 

1 .  Sur  ce  sol  inclément,  rebelle  à  la  tradition,  à  Técole  d'art,  Henry 
Bcylcoslune  exception.  Kucorc  faut-il  observer  que  bej  le  n'est  pas 
un  génie  spontané,  mais  un  fruit  de  culture.  Son  (i-iivrc  n'a  rien  de 
'éloquence  niériilioiiale. 


DAUPHINE  J 

domaine  des  patois,  la  contribution  à  l'irnvro  nationale,  la  satire 
de  mœurs,  le  théâtre  local,  mais  tout  cela  tient  peu  de  place 
dans  riiistoire  du  Dauphiné.  Une  succincte  cniimcration  de  noms, 
un  catalogue  de  pièces  anonymes,  de  poèmes  de  circonstances, 
cela  suffit  amplement  à  la  curiosité  du  lettré  et  du  bibliophile 
attardés  en  ces  lieux. 


^-*.- limite  d'Etat. 

.     .    de  haviace. 

.     ..    de  Département 
0   lieu  de  naissance  . 
des  poètes. 


LE   DAUPHINli 


On  l'a  dit,  au  point  de  vue  dialectal,  le  Dauphiné  comprend 
une  région  de  langue  d'oc  se  rattachant  à  la  Provence  (Drôme, 
Hautes-Alpes),  et  une  région  de  patois  franco-provençal  (Isère); 
sa  limite  approximative  est  la  suivante  :  confluent  du  Rhône  et 
de  l'Isère,  Komans,  vallée  de  la  Vernaison,  Monestier-de-Cler- 
mont,  Bourg-d'Oisans,  vallée  de  la  Romanche  et  crête  des  Alpes 


4  LES    POETES    DU    TERROIR 

au  Galibier*.  Jusqu'au  xiv»  siècle,  cette  province  fournit  une 
légion  de  troubadours,  parmi  lesquels  on  signale  le  célèbre 
Floquet  de  Romans  (xiii»  siècle);  puis  le  dialecte  dauphinois- 
issu  de  la  langue  romane,  cesse  d'être  cultivé  et  s'éteint  ou  se 
corrompt.  Il  faut  signaler  pourtant  la  collection  des  cinq  Mys- 
tères trouvés  dans  le  Grésivaudan,  et  les  (ouvres  des  patoisauts, 
entre  autres  Laurent  de  Briançon,  le  plaisant  auteur  du  Banquet 
des  Fées,  du  Caquet  de  l'Accouchée,  de  la  Physionomie  du  Cour- 
tisan, de  La  Commère  de  Grenoble;  Blanc  la  Goutte,  épicier  gre- 
noblois du  XYiii"  siècle,  rimeur  burlesque  d'un  célèbre  ouvrage, 
Grenoble  malheureux,  sur  la  désastreuse  inondation  de  1733; 
enfin  Boch  Grivel,  pauvre  tisserand  de  Crest*,  qui  composa 
plusieurs  comédies  en  vers  et  un  poème  héroi-comique,  La  Car- 
covelado.  Récemment,  le  mouvement  félibréen  a  eu  sa  réper- 
cussion dans  la  partie  méridionale  du  Dauphiné,  grâce  à  l'ini- 
tiative du  sénateur  ^laurice  Faure,  félibre  majorai,  auteur  de 
poésies  eu  langue  d'oc  fort  appréciées,  et  fondateur  à  Paris,  avec 
le  peintre  Baudoin  et  Xavier  de  Ricard,  de  la  société  La  Cigale 
(1875)3. 

1.  Albert  Grimaud,  La  llacc  et  le  Terroir. 

1.  li  clail  né  le  :ju  décembre  1S16.  Kufant  trouvé  à  la  porte  de 
riiospicc  de  Crest,  on  l'inscrivit  tout  dabord  au  registre  de  l'étal 
civil  sous  le  nom  de  Pliiiippe  Hoc.  l.o  6  mars  l84:i,jourde  sou  ma- 
riage, il  fut  icconnu  par  sa  niere  Madeloitie  Grivel.  Ouvrier  tisseur 
de  drap,  Rocli  Grivel  se  rendit  célèbre  en  composant  des  comi'dies 
qui  furent  jouées  avec  succès  sur  la  scène  du  tliéâlrc  de  Grcsl.  Sou 
poème  satirique  LaCarcooela<lo  {\9.W\\cc,  Ciieueviercl  Cliavct,  1873, 
in-8")  est  une  sorte  d  ouvrage  fantastique  où  sont  décrites  avec  une 
verve  incomparable  les  nid-urs  dun  quartier  pittoresque  de  sa  ville 
natale.  Soulfranl,  las  du  métier  de  tisserand  (juil  uavail  jamais 
cessé  d'exercer  depuis  son  jeune  âge,  Grivel  entra  sur  le  lard  dans 
les  bureaux  de  renregistrcmeut.  11  mourut  le  'it  novembre  1888.  Ses 
tiiuvrcs  ont  élé  réunies  deux  fois  de  son  vi\anl.  Voyez.  :  Poésies, 
Théâtre  patois,  Mélanges  (Valence,  Tcyssier,  1878,  in-S")  ;  Mas 
Flours d'hyver,  Mélanges,  Poésies,  n',')f-i^f>3{Crcsl,  Brocliier,  1887, 
in-8").  On  consultera  utilement  sur  cet  auteur  :  Jules  Saiul-Keuiy, 
Jtoch  firivet.  Valence,  i87i,  in-S";  J.  Brun-Durand,  Le  Poète  patois 
Jt.  Grivel  et  son  Œuvre,  confér.  faite  au  lliéàlre  de  Cresl,  iO  juill. 
1889,  Valence,  1881»,  in-8»:  A.  Lacroix,  niùl.  hislor.  du  Dauphiné, 
(ircnoble,  Brevet,  s.  d.,  in-8'>. 

3.  •<  La  (!if/ule,i\\ii,a\i  début,  poursuivait  un  but  littéraire,  linguis- 
tique et  même  politique,  ne  tarda  pas  à  être  transformée  en  quel(|Uft 
sorte  en  une  société  amicale  de  Méridionaux,  félibre»  ou  non.  Aussi, 
eu  187y,  Maurice  l'aure,  Bapli^ite  Bonnet,  le  baron  de;  Tourloulon, 
le  marquis  de  Villeneuve-lisclapon,  Ionien  reconnaissant  les  a\au- 
lagCH  immenses  des  réunions  <le  Gigalier»,  fondèrent  la  Société  des 
i''èlibres  de  Paris,  où  ils  n'admirent  que  des  provincialisles  éprou\és, 
capables  d'écrire  en  langue  d'oc  leur  discours  «le  réception.  Kesdeux 
groupes,  loin  de  se  combaltrc,  s'allièrent  étroitement;  on  les  a  vus 
courir  enscuible  le  Baupliiné  el  la  l'rovence  en  1888  ;  le  Uuorcy,  l'Ar- 


DAUPHINE  «> 

«  Actuellement,  écrit  en  substance  M.  A.  Grimaud,  il  y  a  en 
Daiiphiné  tin  j^roupe  de  poètes  amoureusement  lixés  au  sol  de  la 
petite  patrie  et  la  célébrant  avec  enthousiasme  dans  la  lan';uc 
de  leur  berceau  :  l'abbé  Louis  Moutier  [mort  récemment^,  curé 
d'Etoile,  capiscol  des  lëlibres  de  la  Drùmo,  auteur  de  jolis  noi-ls, 
du  curieux  poème  Z,ou  Rose  (le  Rhonc),  de  plusieurs  études  philo- 
logiques et  d'ime  o:rammaire  des  dialectes  dauphinois;  Gatieu 
Almoric,  de  Cliabrillan,  poète  plein  de  verve  et  de  charme,  qui 
a  eu  l'idée  originale  de  créer  une  troupe  d'acteurs-paysans  allant 
donner  des  représentations  dans  les  villages  voisins;  Léopold 
Bouvat  et  Célestin  Fraud,  de  Crest;  enlin,  le  plus  célèbre  de 
tous,  Pierre  Dévoluy,  capoulic  du  Félibrige  eu  remplacement 
de  Félix  Gras.  » 

De  tout  temps  le  Dauphiné  a  eu  ses  poètes  de  langue  fran- 
çaise. Quoique  régionaux  pour  la  plupart,  ceux-ci  n'ont  rien 
qui  les  distingue  des  écrivains  de  l'Ile-de-France.  Citons  suc- 
cinctement quelques  noms,  sans  commentaire,  afin  de  ne  point 
étendre  cette  notice  déjà  trop  louguo.  Au  surplus,  on  retrou- 
vera plus  loin,  dans  notre  choix  de  textes,  ceux  qui  se  sont 
souvenus  do  leur  pays  d'origine  et  qui  nous  ont  paru  mériter 
mieux  qu'une  simple  mention.  Tout  d'abord  au  xvi»  siècle  :  Gil- 
bert Gondoin,  de  Romans,  Jean  Figon,  Alexandre  de  Poutay- 
mery,  auteur  d'un  poème  médiocre,  La  Cité  de  Montcliniar  ;  Fau- 
cheran  de  Montgaillard,  Claude  Expilly,  Pierre  de  Cornu,  Pierre 
Davity,  Charles  do  Clavcson;  puis  du  xvii"  siècle  jusqu'à  la 
Révolution:  Balthasar  Baro,  David  Rigaud,  marchand  drapier 
et  poète  local;  Louise-Anastasie  de  Serment,  Delisle  de  la  Dre- 
velière,  Jacques-Jacques,  Gentil  Bernard;  enfin,  au  xix«  siècle 
et  de  nos  jours  :  Ch.  Reynaud,Fr.Ponsard,  Adèle  Genton',  Mel- 
chior  des  Essarts,  L.  Gallet,  E.  Augier,  Antonin  Grangeneuve*, 

niagnac,  la  Bigorre  et  le  Béarn  eu  1800;  la  basse  Provence,  du 
Hhbne  à  Nice,  en  1891  ;  le  Comlat  Yenaissiu,  en  1894;  leValentinois 
et  le  bas  Dauphiné  en  1897,  lors  de  la  fameuse  «  desconlc  «  de 
1897,  où  l'on  inaugura  à  Valence  la  statue  d'Emile  Augier,  et  où  l'on 
assista  aux  mémorables  représentations  du  Théâtre  antique  d'Orange. 
Cliacjue  année  Cigaliers  et  Fclibres  de  Paris  se  réunissent  à  Sceaux, 
près  de  la  maison  du  fabuliste  Floriau,  qui  étail  Cévenol.  » 

1.  Femme  d'un  avocat  de  Monlélimar,  Adèle  Genton  mourut  acci- 
dentellement le  28  octobre  18G9,  laissant  une  œuvre  inachevée,  d'un 
charme  prenant  et  discret.  Un  do  ses  ouvrages,  Piccoline,  recueil  do 
poésies  intimes  publié  en  1864  (Paris,  Douniol,  in-S»),  contient  quel- 
ques pièces  originales,  célébrant  le  pays  natal.  L'une  d'elles,  Les 
Cascatelles  de  la  Vernaison,  aurait  trouvé  place  dans  notre  choix, 
si  nous  n'avions  dû  reslrcimlre  nos  citations. 

2.  De  son  vrai  nom,  César-Antoine  Colomb,  père  de  M.  Victor 
Colomb,  le  bibliophile  bien  connu  du  Dauphiné.  Cet  écrivain  naquit 
à  Die  en  1814  et  mourut  à  Valence  le  9  janvier  1888.  Successivement 
avucal  au  barreau  de  sa  ville  natale  et  négociant,  il  se  délassa  de  ses 


O  LES    POEÏKS    DU    TERROIR 

Adèle  Souchier',  Léon  Hai-racand,  Gustave  Trolliet,  Henri  Se- 
cond, Gustave  iSivet,  Louis  Le  Gardonnor-,  André  lUvoirc'*, 
Charles  Vellay,  Fabre  des  Essarts,  Maurice  Cliampavier,  Zénou 
Fière,  S.  Joiiglard,  Louis  Ficre,  Moricc  Viel*,  Béret,  Jules  Ron- 
jat.  etc.,  etc.  Nous  n'osons  dire  que  nous  en  passons  et  des 
meilleurs. 

Faut-il  conclure?  Ici  le  nombre  exclut  le  génie.  Beaucoup  de 
rimailleurs,  peu  de  poètes.  En  pourrait-il  être  autrement  en 
«m  lieu  qui  donna  le  jour  à  ces  deux  médiocrités  notoires  :  Pon- 
sard  et  Emile  Augier?  Seule  la  poésie  dialectale  est  ici  digne 
d'intérêt.  Encore  n'est-elle  trop  souvent  qu'une  faible  imitation 
du  provençal.  Reste  le  domaine  des  patois.  On  sait  que  ces 
derniers  agonisent.  Rien  ne  nous  donne  à  croire  quune  llamme 
jaillira  d'un  foyer  éteint... 

BiBi.iOGRAi'iiiE.  —  Guy  Allard,  Bibliothèque  du  Dauphiné,  con- 
tenant les  noms  de  ceux  qui  se  sont  distingués  par  leur  sçavoir 
dans  cette  province,  etc.;  Grenoble,  1680,  in-fol.  (Voir  aussi  l'édi- 
liun  publiée  par  Gariel,  Grenoble,  18(54). — J.-J.  Champollion- 
Figcac,  Nouvelles  Recherches  sui-  les  Patois  ou  Idiomes  vulgaires  de 
la  France,  et  en  particulier  sur  ceux  du  départ,  de  r Isère,  Paris, 
Goujon,  1809,  in-12.  —  Delacroix,  Statistique  du  départent,  de  la 
JJronic,  Paris,  F.  Didol.  1835,  iu-4».  —  P.  Colomb  de  Batines 
Essai  bibliographique  sur  les  dialectes  vulgaires  du  Dauphiné, 
dans  les  «  Mélanges  biogr.,  bibliogr.,  hislor.,  littéraires  du  Dau- 
phiné »,  Valence,  1837,  I,  p.  187-232;  Catalogue  des  Dauphinois 
dignes  de  mémoire,  I  (A-J),  Grenoble,  1840,  Jn-8°.  —  Chaix, 
Préoccupations  statistiques  des  Ilautcs-Alpcs,  Grenoble,  Allier, 

travaux  en  collaborant  aux  pério(ii(|iics  «le  sa  province.  On  lui  doit 
quclr|ue9  poésies  locaie<,  entre  autres  une  pièce  sur  le  Château  <!<• 
(JruRsol,  pultliéc  à  Cireuoble,  chez  Drevcl,  <'n  1S72,  in-8". 

1.  De  vieille  famille  dauphinoise.  M'""  Adèle  Sonchier  est  n^e  ii 
Romans.  Elle  a  fait  paraiire  jus(|u'à  ce  jour  une  série  de  recueils 
iiil6res!?anl  la  poésie  locale.  Citons  parmi  ces  derniers  :  Les  Hosrs 
du  Dauphiné,  Lyon,  Nie.  Schcuriii;;,  |X7U,in-18;  /irnnehes  de  JAlas, 
Paris,  Lihr.  de»  Bihliopliile»,  1874,  in-12;  L'fJiseau  blessé,  Paris, 
Blond,  1878.  in-12.  etc. 

i.  .\6  à  Valence  en  i8(ii,  M.  Louis  l.e  CardonncI  a  <Ionné  un  volume 
de  vers,  /'o«'hi/,'«  (Paris.  Mercure  île  France,  l'.ioi,  in-8"). 

3.  Né  il  Vienne  (Im-ic)  le  .i  mai  1872.  On  lui  doit  plusieurs  recueils, 
Les  Viet'{/es  (Paris,  l.cmerre,  IS'.t.i,  in-l8i  ;  llertiie  aux  f/rands  pieds 
(ibld..  18119.  t»-\H)  ;  Le  Simge  de  lAniuiir  (ihid.,  llHiOet  lUOt»,  in-18): 
A<'  Chemin  de  i Oubli  (il.id.,  190i,  inl8),  etc. 

i.  Poète,  romancier  ci  «Icssinaleur,  M.  .Moricc  Vjel  naijuil  à  Pin- 
giron  (l)rùnie)  en  I8.il.  Il  est  actuellement  liihiiolliécaire  de  la  villr 
de  Monlélimar.  Il  a  fait  paraître  im  (;rand  nomlire  d'ouvrages,  parmi 
lcs<|uels  on  trouve  (piel(|iies  poésies  locales,  el  un  recueil  de  Iégen<lc8 
dauphinoises.  Au  bord  duJahon,  Paris,  Vainer,  1S75,  in-B». 


DAUPHINE  J 

18'*5,  in-S".  — J.-C.-F.  I.adoiicpttc,  Histoire,  Topographie,  An- 
tiquités. Usages,  Dialectes  des  Hautes-Alpes,  S"  éd.  Paris,  Gide, 
1848,  in-8».  —  Ad.  Rochas  :  Biographie  du  Dauphinr,  etc.,  Paris, 
Charavay,  1856-1860,  2  vol.  in-8\  —  Les  Muses  du  Midi,  186:t, 
18d-I8G5,  Carcassonne,  aux  bureaux  du  Recueil,  186'i,  2  vol.- 
j^r.  in-B"  (ouvrage  très  médiocre).  —  Léon  Jacqiiemet,  Biblio- 
graphie dauphinoise,  Bull,  de  la  Soc.  archéol.  de  la  Drôme, 
1869,  IV,  p.  217-219.  —  Jules  Saint-Remy  (Victor  Colomb),  Les 
Poètes  patois  du  Dauphiné,  Valence,  Cliencvier  et  Chavet,  1872, 
1873,  2  br.  in-8»:  Petite  Anthologie  des  poètes  de  la  Drd/ne  {{]n 
xvp  siècle  jusqu'à  nos  jours),  Valence,  Chêne vier  et  Chavet, 
1875-1877,  3  broch.  iu-S».  —  Au<^.  Boissicr,  Glossaire  du  Patois 
de  Die,  etc..  Valence,  Chenevier  et  Chavet,  1874,  in-S»;  Les 
Poètes  patois  du  Dauphiné,  Valence,  1873,  in-S».  —  Recueil  de 
Poésies  en  patois  du  Dauphiné,  co/npren.  notamment  Grenobln 
malheirou,  Dialogo  de  le  Quatro  Coniare,  etc.,  Introd.,  texte  revu 
et  trad.  avec  comment,  par  J.  Lapaume,  Grenoble,  Xav.  Drevet, 
1878,  in-8».  —  L.  Moulier,  Bibliogr.  des  dialectes  dauphinois. 
Valence,  1885, in-8»;  Cramni.  dauphinoise,  Jlontélimar.  Rourran. 
1882,  in-8°.  —  Charbot  el  Rlanchet,  Dictionnaire  des  patois  du 
Dauphiné,  Grenoble,  1885,  in-8».  —  Chabrand  et  Rochas  d'Aiorlun, 
Patois  des  Alpes  Cotticnnes,  1887,  in-8».  —  A.  Devaux,  Essai  sur 
la  langue  vulgaire  du  Dauphiné  scptentr.  au  moyen  âge,  etc., 
1892,  in-8<>.  —  D.  Behrens,  Bibliogr.  des  patois  gallo-romans, 
2»  éd.,  Berlin,  W.  Gronau,  1893,  in-8».  —  Terrebasse,  Poésies 
dauphinoises  du  dix-septième  siècle,  Lyon,  L.  Brun,  1896,  in-B» 
(Recueil  très  curieux  de  poésies  satiriques).  —  G.  Jourdanne, 
Histoire  du  Félibrige,  I85'i-Î89G,  Avignon,  Roumanille,  1897, 
in-16.  — Jules  Rey,  Quelques  vieux  Noels  dauphinois,  Grenoble, 
Gralier,  1898,  in-4".  —  L.  Roucoiran,  Dictionn.  analogique  et 
étymol.  des  idiomes  méridionaux ,  etc.,  Paris,  1898,  in-8».  — 
J.  Rriin-Durand,  Dictionnaire  biographique  et  biblio-icorihgr. 
de  la  Drame,  etc.,  Grenoble,  Libr.  Dauphinoise,  1900,  2  vol. 
in-8».  —  J.  Tiersot,  Chansons  populaires  recueillies  dans  les 
Alpes  françaises  (Savoie  et  Dauphiné),  Grenoble,  1903,  in-B».  — 
Paul  Mariéton,  La  Terre  provençale,  Paris,  Soc.  d'édit.  littér.  et 
artist.,  1903,  in-18.  (Voir  p.  60  à  80.)  —  A.  Grimaud,  La  Race 
et  le  Terroir,  Cahors,  Petite  Ribliolh.  provinciale,  1904,  in-18. 

—  J.  Michelet,  IS'otre  France,  9»  édit.,  Paris,  Colin,  1907,  in-8°. 

—  J.-J.-A.  Pilot  do  Thorey,  Usages,  Fêtes  et  Coutumes  existant 
ou  ayant  existé  en  Dauphiné,  Grenoble,  Xav.  Drevet,  s.  d.,  2  vol. 
in-12. 

Voir  en  outre  :  Nicolas  Chorier,  Hist.  génér.  du  Dauphiné, 
Grenoble,  1672;  Rivoire  de  la  Bâtie,  Armoriai  du  Dauphiné, 
1687  :  A.  Lacroix,  Valence  ancien  et  moderne;  G.  Azaïs.  Diction- 
naire des  idiomes  romans  du  midi  de  la  France,  1877  ;  Constant 
Henrion,  Les  Fleurs  félibresques,  1883;  Piat,  Dictionn.  français- 


8  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

i^ccitanien,  1893-94;  Vidal  de  la  Blache,  Tableau  de  la  Gêogr.  de 
la  France,  3«  édit.,  1908:  enfin,  Album  du  Dauphiné,  Grenoble, 
1835;  Revue  du  Dauphiné,  années  1857  etsuiv.;  La  Cigale  (1880); 
Armana  Doufincn  (1885-1886)  :  Revue  des  Alpes;  Revue  de  Viennes- 
Petite  Revue  des  bibliophiles  dauphinois  (1869-1874):  Bulletin  de 
la  Société  archéologique  de  la  Drôme;  V Alouette  Dauphinoise, 
La  Grande  Revue  (16  mars  1907):  Bulletin  de  la  Société  d'Études 
des  Hautes-Alpes;  Annales  Dauphinoises  ;  Le  Dauphiné;  Revue 
Dauphinoise,  Prouvenço  (Avignon),  etc.,  etc. 


CHANSONS   POPULAIRES 


LE    MOINE    ET    LES    TROIS    FILLES» 

De  là-bas  vient  un  moine  —  Habillé  de  blanc. 
Trouve  ti'ois  fillettes  —  Qui  cueillaient  des  g-lands. 
«  Qui  est  de  vous  autres  —  Qui  veut  n'embrasser  ? 

—  Non,  dit  la  plus  vieille,  —  Certes  ce  n'est  pas  moi. 

—  Non,  dit  la  cadette,  —  Certes  ni  moi  non  plus.  » 
Répond  la  plus  jeune  :  «  Moi,  je  le  ferai  bien, 

«  Pourvu  que  tu  me  donnes  —  Cent  écus  que  tu  as, 
«  Pourvu  que  tu  me  donnes  —  Ton  beau  cheval  que  tu  as.» 
Le  moine  plus  simple  —  S'en  va  le  brider. 
La  fille  plus  fine  —  S'en  va  le  monter. 


TEXTE 


De  laï  ven  un  mouiné 
Habillas  de  blaac, 

Allou  lette. 
Tour  la  ringuette. 
De  laï  ven  un  mouiné 
Habillas  de  blanc. 
Trœve  très  filletas 
Cueillissiant  d'aglands. 

«  Quant'es  de  vos  aôstrcs 
Que  vaô  m'embrassas? 

—  Nen',  dit  la  plus  vièilla, 
Certa  n'es  pas  io. 


—  Nen',  dit  la  cadètta,  ^ 
Certa  ni  mas  io.  » 
Respond  la  plus  zeuna  : 
«  Si  fariou  bien  io. 
«  Mai  que  tu  me  donnas 
Cent  escus  que  n'as, 
n  ^faï  que  tu  me  donnas 
Ton  bel  tchival  qui  n"as. 
Lou  mouiné  plus  simple 
S'en  vaï  lou  brida. 
La  mionne  plus  fine 
Si  li  vaï  lou  mon'ta. 


1.   Pièce  rccuoillic  àGIanda-e  (Diois)  et  publiée  par  M.  Julien  Ticr- 
sot  :  Chansons  popid.  des  Alpes  françaises,  19U3. 


10  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Le  choval  prend  sa  course,  —  Le  moine  trotte. 
«  Attendez-moi,  belle,  —  Arrêtez-vous  donc! 

—  Que  lui  t'attende,  —  Et  moi  je  t'attendrai. 

—  Au  château  de  mon  père  —  Il  y  a  trois  pendus. 

—  Moine,  pauvre  moine,  —  Tu  feras  quatre  si  tu  y  vas. 
«  Adieu,  pauvre  moine,  —  Fais  comme  tu  voudras. 

«  Adieu,  pauvre  moine,  —  Tu  es  bien  moqué.  » 

JARDIN    D'AMOUR* 


La  belle  est  au  jardin  d'amour 
Pour  y  passer  quelques  semaines. 
Son  père  la  cherche  partout, 
Et  son  amant  est  en  grand'peine. 

Oh!  va-t'en  dire  à  ces  bergers 
Qui  sont  là-bas  dedans  la  plaine  : 
Berger,  berger,  mon  doux  berger, 
N'auriez-vous  vu  passer  la  belle? 

Elle  est  là-bas  dans  ce  vallon 
Assise  auprès  d'une  fontaine; 
Entre  ses  mains  tient  un  oiseau, 
A  qui  la  bell'  conte  ses  peines. 

Oiseau,  oiseau,  tues  heureux 
D'être  entre  les  mains  de  ma  belle! 


Lou  tcliival  a  cui'km.i,  —  Muuiuù,  paiivru  mouiaé, 

Loii  ntoiiin'a  trottns.  F'era  quatre  si  ùs  va. 

«  AlteiKlv-moi,  bollo,  ,  Adieu,  pauvre  mouind. 

Arrcstc/.-YOUs  donc!  y^^^  coinmo  o  voudras. 

—  Que  louis  t'nttcndèH!  .. 

Et  io  faltcndrai.  '.'^'^T^  P''''^":"  •""'""«. 


—  Au  chastcau  de  mon  pon?. 
Très  pendus  les  y  a. 


tjias  boa  couillonnas.  » 


i.  Le»  doux  pièce»  qui  siiivonl  sont  oxlrnilcs  du  rocuoil  de  M.  Ju- 
licu  Tiersot  :  l'hansout  jiopul.  ilm  Alprs  frauraisfs. 


DATJPHINE 


11 


Et  moi  qui  suis  son  amoureux, 

Je  ne  puis  pus  m'approcher  d'elle. 

Faut-il  être  près  du  rosier 

Sans  en  pouvoir  cueillir  la  rose? 

Cueillez,  cueillez,  mon  bien-aimé. 

Car  c'est  pour  vous  quelle  est  éclose. 

Recueilli  à  Névache  (Briançonnais). 
Provenance  du  Champsaur. 

LA   MAUMARIÉE 

RONDE 

«  Mon  père  m'a  mariée,  —  Oui,  m'a  mariée,  —  Bon  la 
dériiou,  —  Oui,  m'a  mariée. 

«  A  un  vieillard  il  m'a  donnée,  —  Oui,  il  m'a  donnée. 

«  Jeluiprépai'eraibiensonlit,  —  Luigarderai  sa  plume. 

«  Que  lui  mettrons-nous  à  son  oreiller?  —  Une  pierre 
très  dure. 

((  Que  lui  mettrons-nous  à  son  côté?  —  Une  brebis 
tondue.  » 

Quand  vient  la  minuit,  —  La  brebis  saute  à  terre. 

«Vous  qui  êtes  de  l'autre  côté, — Arrètez-moi,  ma  mie! 

—  Ta  mie  n'a  pas  les  pieds  blancs,  —  Ni  la  tète  fleurie.  » 


TEXTE 


Moun  paire  m'a  maridada, 

Amai  m'a  maridada, 

Bon  la  deritou, 

Amai  m'a  maridada. 
A  un  vieillart  si  m"a  donna, 

Amai  me  li  a  donnada. 
You  11  parerei  bieu  sonn  liet, 

Li  garderei  sa  pluma. 
Que  li  metren  a  soun  couisi? 

Una  peira  ben  dura. 


«  Que  li  metren  a  sou  oosta? 

Une  feda  touududa.  » 
Quand  m'en  ven  la  miéya  nuech, 

La  feda  sauta  en  terra. 

«  Vous  que  sias  de  dedolai, 
Arresta-me,  ma  mial 

—  Ta  mia  n'a  pas  les  pes  blancs 
iSi  la  testa  flourida.  » 


LAURENT   DE   BRIANCON 


XVl"     SIEC 


Les  documents  font  complètement  défaut  sur  ce  personnage, 
auteur  de  pièces  recherchées  en  patois  du  Dauphiné.  On  n'est 
d'accord  ni  sur  le  lieu  de  sa  naissance  ni  sur  son  orirrine. 
L'abbé  Aubert,  dans  son  Histoire  du  diocèse  d'Embrun  (l,  p.  249), 
le  fait  naître  à  Briançon,  et  Guy  Allard  place  son  berceau  à  Gre- 
noble. A  croire  les  anciens  biographes,  il  fut  recteur  de  l'Uni- 
versité do  Valence,  en  1560,  puis  avocat  au  parlement  dauphi- 
nois; on  ignore  la  date  de  sa  mort.  Il  laissa  quelques  écrits 
savoureux  :  Lo  Banquet  de  la  Faye  (Le  Banquet  des  Fées),  sorte 
do  poème  fantastique  et  moral,  et  trois  satires  de  mœurs  lo- 
cales :  Le  Vieutcnanci  du  courtizan  (La  Physionomie  du  courti- 
san), Lo  Batifcl  de  la  gisen  (Le  Badinage  de  l'accouchée)  et 
La  Coniare  de  Garnoblo  (La  Commère  de  Grenoble;.  Sur  ces 
quatre  ouvrages  publiés  de  sou  vivant,  il  n'existe  plus,  à  notre 
connaissance,  ([ue  l'édition  originale  du  Badinage  de  l'accou- 
chée, dont  un  exemplaire  appartient  à  la  Bibliothèque  nationale. 
Fort  heur<;usemeut  pour  la  mémoire  du  poète,  ses  opuscules  se 
retrouvent  dans  un  Recueil  de  diverses  pi'cccs  faites  à  l'anticn 
(sic)  langage  de  Grenoble  par  les  plus  beaux  esprits  de  ce  temps 
(Grenoble,  Cliarvvs,  1662,  iu-12).  Ils  ont  été  réimprimés  sur 
cette  version  on  1878,  par  Xavier  Drevet,  dans  un  clioix  fort 
judicieux  de  poèmes  dauphinois  (Cf.  llccueil  de  poésies  en  patois 
du  Dauphiné,  introd.,  texte  revu  et  traduit  avec  commentaire 
par  J.  Lapaume,  etc.).  La  |)Iacc'  nous  man(|iie  pour  déliuir  ainsi 
qu'il  convii.-ndrait  lo  génie  poéticiuo  de  <-ct  écrivain  d'esprit 
])opulairc.  Disons  seulement  que  Laurent  do  Briançon  est  lo 
meilleur  dcîs  poètes  en  langage  vulgaire  dont  s'Iionoro  lo  Dau- 
l)hiué.  Par  le  pillore8<|ue  do  ses  d(!Scriplions  et  la  belle  hu- 
meur do  m'H  propos,  uou  s«!ulomcnt  il  svuthcliso  le  caractère 
(.■thui(|ue  des  habitants  de  sa  province,  mais  nous  donne  un 
tableau  achevé  «l  plaisant  des  coutumes  rurales  do  la  lin  du 
XVI*  siùclo.  On  nous  saura  gré  de  substituer  à  un  jugement 
forcément  incomplet  des  extraits  assez,  étendus  d<;  son  a>uvre. 

BiiiLtooiiAPiiie.  —  A.  Hochas,  Biographie  du  Dauphiné,  I,  — 
J.  Lapnumc,  Commentaires  au  Bccueil  de  poésies  en  patois  du 
Dauphiné,  etc  ,  Groooblo,  Xavier  Drevet,  1878,  in-8". 


DAUPHINÉ  13 

LA    COMMÈRE    DE    GRENOBLE 

REPRÉSENTÉE    A    UN    BALLET 
SATIRE 

(Il  ne)  faut  pas  s'ébahir  si  la  peste  —  Fait  plus  de  mal 
:[ue  la  tempête,  —  Ni  si  la  faim  qui  me  déplaît  —  Fait 
lux  pauvres  le  ventre  plat;  —  Ni  si  la  guerre  est  dou- 
ilement  —  Cause  du  malheur  et  du  trouble.  —  Le  monde 
est  maintenant  si  pervers,  —  Que  tout  ce  qui  existe  va 
(h  travers.  —  Le  monde  en  tout  se  contrefait;  —  Je  ne 
sus  ce  qu'il  devient;  —  Vous  voyez  qu'un  homme  bien 
fait  —  En  beaucoup  de  Yétemenls  se  rend  difl'orme;  — 
Il  s'habille  selon  toutes  (les)  modes  —  Et  jamais  (il)  ne 
s'aiTange  bien.  —  Tantôt  il  est  plus  bigarré  —  Qu'un 
Savoyard  de  Pont-Charra;  —  Tantôt  (il  est)  Aôtu  à  l'es- 
pagnole —  Et  tantôt  à  la  carmagnole.  —  Tantôt  tout  cou- 
vert de  clinquant,  —  (II)  n'oublie  pas  sa  peau  de  bouc  : 
—  Tantôt  (il)  faut  qu'il  porte  et  qu'il  ait  —  Le  manteau 
couit,  jusqu'aux  (même  les)  culottes.  —  Il  (en)  est  té- 
moin (la  preuve)  notre  voisin,  —  Moitié  figue,  moitié  rai- 
sin. —  Pour  ces  belles  demoiselles,  —  Qui  font  tant  de 
miroimirelles  (minauderies),  — Elles  portent  plus  d'at- 
tifels(ornements) —  Sur  la  tête,  que  le  buffet  (la  montre) 


LA  COMARE  DE  GARNOBLO  Y  MEI  DE  LE  DANSfi 

Faut  pas  s'eibay  si  la  pesta  Tanto  vl  et  plu  bigarra 

Fat  mei  de  ma  que  la  tempesta,  Qu'vn  Savoyard  de  Pontcharra; 

Ni  si  la  f;in  que  me  deiplat  Tanto  veitu  à  l'Espagnola, 

Fat  V  porc  le  ventre  plat;  Et  tanto  à  la  Carmagnola. 

Ni  si  la  guerra  et  v  doublou  Tanto  tout  couuert  de  clinquan, 

Causa  du  malheur  et  dutroublou  N'obliet  pa  son  boquinquan; 

Lo  mond'  et  ore  si  peruer,  Tanto  faut  qu'v  porte  et  qu'vl  ave 

Que  tout  ce  qu'ét,  va  de  trauer.  Lomantetcourt,jusqu'à  le  brave 

Lo  mond'  en  tout  se  deigomine;  YI  et  tesmoin  nostron  voisin, 

le  ne  sauo  ce  qu'y  divine;  Meita  figua,  meita  reisin. 

A'o  veyé  qu'vn  home  bien  fat  Per  ceste  belle  dameiselle, 

En  prou  d'oure  se  contrafat;  Que  font  tan  de  miron  mirelle, 

V  s'abilhet  en  toute  mode,  Ele  porton  mey  d'attifet 

Et  iamei  bien  ne  s'accommode;  Su  la  testa,  que  lo  buffet 


14  LES    POÈTES    DU    TERKOIK 

—  D'un  mui'cliand  de  nouveautés;  —  Car  tout  sur  elles 
résonne  creux,  —  Elles  s'enfarinent  les  cheveux;  — 
Elles  se  regardaillent,  et  puis  —  S'élreignent  de  gros- 
ses attaches,  —  Avec  leurs  cols  (en  forme)  de  buisson 
d'épines.  —  Et  pour  faire  enrager  complètement  —  Les 
garçons  qui  courent  partout,  —  Elles  parent  de  fine  toile 

—  Leur  afTéterie  de  belette.  —  D'elles  (il)  ne  faut  pas  s'é- 
tonner; —  Elles  ont  de  quoi  se  pomponner.  —  Mais 
quand  ces  filles  (femmes)  de  chambre...  —  ...  —  Font  de 
leurs  maîtres  leurs  valets  —  Pour  porter  autant  de  be- 
sogne (parure),  —  iS'est-ce  pas  une  véritable  honte.?  — 
Elles  se  coupent  les  cheveux,  —  Chose  qui  jamais  ne  s'es. 
vue;  —  Elles  se  font  de  si  grandes  frisures,  —  Que  vqU'î 
diriez  que  tout  s'envole;  —  Elles  sont  plus  glorieuses 
qu'un  pediius ;  —  Elles  se  font  toutes  le  toupet;  —  J'ai 
vois  une  qui  se  cache,  —  Qui  a  plus  qu'un  laquais  Je 
moustaches.  —  Ne  sont-elles  pas  bien  dévicrgées  (chon- 
tées)  —  De  se  coifler  comme  un  laquais  .'  —  Elles  sembhnt 
des  sarrasines.  —  Regardez  mes  proches  voisines  :  — 
Elles  montrent  leur  belle  j)eau —  Et  leurs  seins  jusqu'à 
la  fraise...  —  Mais  j'ai  beau  leur  chanter  (mon  refrrin); 
—  11  vaudrait  autant  parler  —  A  cette  muraille  ju'à 
elles.  — Gîir  je  veux  que  l'on  m'écorche,  — 


D'vninurclitinddechosu  noiiiicll  Elle  se  copon  Ion  chaiicii, 

Car  tout  sur  elle  carcaiiello.  Chousa  que  ianiey  ne  s'ét  vcii. 

Klle  s'oiifat-ioon  lou  pou;  I  se  font  de  si  gran  bergoole, 

Elle  se  iniralhon,  et  peu  Que  vo  diria  que  tout  s'enuole  ; 

S'enfrageou de  grosse/. eitaclje,  1  son  plu  glorioiise  qu'vn  pet; 

Auoy  lour  colet  d'eipiuachc.  I  se  font  toutte  lo  topot. 

Et  per  far'  cura^^id  du  tout  l'en  veyo  vna  que  se  cache, 

Lou  nioina  qu<;  couron  pi-rtout,  (Ju'atnitïy  qu'un  laciuay  de  most, 

Elle  paron  do  prima  lola  Ne  sont  ti  pa  bien  dfiurguey 

I.our  alfeitari  d(!  nioutelln.  De  se  coiflic  counn'vu  laquey  ? 

D'elle  ne  faut  pa  s'eitona;  Elle  seniblon  tie  sarra/.ine. 

Eli' ont  de  <ju(!  so  pimponn.  Regarda  \\\o  proche  voisine  : 

.MaisquHUcrtic  (ilhiidechanibre  Elle  monsirou  luu  bcUa  pet 

Dequila  plusparts'cicalambre,  Et  lour  telet  jusqu'v  poupet... 

Per  farc  luiou  lo  fournelet,  Mais  i'av  biau  lour  ohaninrela  : 

Font  de  lour  niaistro  lour  valet,  E  ventariet  aulau  parla 

Per  j)orln  autan  d.;  besogni,  A  cella  luuralhi  qu'à  elle. 

N'él  lo  pa  vnu  vray   ver^oj^ni!  (^ar  ie  voie  que  l'on  ni'eipelle 


DAUPHINE 


15 


Si  di^main  vous  ne  les  verrez  (pas)  —  Plus  belles  qu'une 
poire  pourrie,  —  Ou  qu'une  pomme  dans  la  paille,  —  Qui 
n'a  de  beau  que  la  peau.  —  Vous  les  verrez  éparpillées  — 
Comme  la  cime  d'un  monceau  de  paille.  —  Eh!  qu'elles  se 
mordront  les  lèvres —  Pour  les  avoir  plus  rouges  que  main- 
tenant! —  Leur  fait  n'est  que  gourmandise,  —  Leur  fait 
n'estque  ripaille,  — Pourvu  qu'elles  fassent  la  fine  bouche 
(bouche  en  cœur) —  Comme  une  vraie  sainte  n'y  touche  ; 

—  Et  quelles  sachent  se  démener,  —  Il  leur  semble  que 
]es  garçons  —  Sont  plus  fous  de  leurs  bonnes  grâces  — 
Qu'un  gros  mendiant  ne  (r)est  de  ses  besaces.  —  Ah  !  que 
les  filles  du  temps  jadis  —  Se  comportaient  toutes  mieux  ; 

—  Elles  semblaient  par  les  rues  —  Des  nonnes  qu'on  ne 
peut  pas  voir.  —  La  plus  riche  n'osait  pas  —  Porter  le 
moindre  point-coupé;  —  La  plus  belle  ne  se  montrait  — 
Que  quand  sa  mère  le  commandait.  —   Mais  à  présen 
la  plus  laide  va  —  Ronflant  comme  un  vrai  chat-huant 

—  Et  la  plus  pauvre  sur  sa  cotte  —  Met  plus  vaillant  (de 
valeur)  qu'elle  n'a  de  dot.  —  Telle  n'a  que  cinquante 
écus  —  Qui  a  des  bandes  (volants)  jusqu'au /?orf/cem;  — 
Jamais  je  ne  vis  tant  de  gloriole:  —  Les  servantes  qui 
portent  cuire  —  La  pâte  au  four,  vont  étriquées  (serrées) 

—  Gomme  les  culottes  d'un  laciuais  ;  —  Elles  portent 
l'écharpe  noire  —  Comme  la  belle  jai-dinière  ; 


Si  domau  vo  ue  le  verri 
Plu  belle  qu'vn  perut  piirri, 
Ou  qu'vna  poma  din  la  palhi 
Qtie  n'a  de  biau  que  la  pelalhi. 
Vo  le  verri  ciparpalliié 
Coma  la  ciina  d'vn  palhô. 
Hé  !  qu'elle  se  mordron  le  loro 
Per  lez  auei  plus  roge  qu'orc! 
Lour  ca  n'ét  que  lichonari, 
Lour  ca  n'ét  que  fistonari. 
Ma  qu'y  fasson  la  prima  bonchi 
Com'vna  vray  saincta  ni  touchi; 
Et  qu'i  sachon  se  deimena, 
Louz  et  aui  que  lou  meina 
Son  plus  (bu  de  leur  bonne  grâce 
Qu'vn  gro  capon  u'ét  de  sebiasse 
Ah  !  que  le  filhe  du  tem  vieu 
Se  comportauoa  toute  mieu  1 


I  semblauon  per  le  charreire 
De  none  qu'on  ne  pot  pas  veiro 
La  plu  richi  n'osaue  pa      » 
Porta  lo  moindre  poinct  coupa  ; 
La  plus  belle  ne  se  montraue 
Que  quan  sa  mare  v  comandaue. 
Mais  ore  la  plus  leida  vat 
I{onflan  comm' vn  vr.iy  charauat 
Et  la  plus  pora  sur  sa  cota 
Met  plu  valhen  qui  n'at  de  dotta. 
Talla  n'at  que  cinquanl'  eicu 
Qu'at  de  bandageo  iusqu'v  ...; 
lamei  ie  ne  vi  tan  de  gloire  : 
Le  servente  que  porton  coeirc 
La  pat'v  four,  vont  eitriaquey. 
Coma  le  braye  d'vn  laquey; 
Elle  porton  l'eicherpa  neiri 
Coma  la  bella  iardiueiri; 


16 


LES    POETES    DU    TEKROIR 


—  Et  sans  considérer  s'il  pleut,  —  Elles  portent  de  plus 
grosses  houppes  —  Sur  leurs  souliers  à  l'aiguillette,  — 
Que  la  Claude  de  la  Pernette.  —  Et  quand  quelque  pauvre 
malheureux  —  Les  a  prises  pour  quelque  butin,  —  Elles 
se  gonflent  plus  que  les  maîtresses,  —  Ou  qu'un  dindon 
que  l'on  voit  croître.  —  Cela  n'est-il  pas  trop  fort?  —  Je 
vous  jure  que  cela  fait  —  Parler  tous  les  jours  sur  sa 
porte  —  La  Bruande,  qui  n'est  pas  morte.  —  Celles  qui 
ont  bon  bec  comme  elle,  — Pour  en  parler  deçà,  delà,  — 
Font  bien  de  quitter  leur  besogne  —  Pour  leur  en  faire 
honte.  —  Pour  moi,  je  ne  leur  cache  rien;  —  Leur  plaire 
m'est  indifférent;...  —  Et  tant  que  je  pourrai  aller,  —  .le 
leur  dirai  mon  radotage...  —  Est-il  bien  (de)  besoin  qu'on 
aille  —  Toucher  toutes  les  nuits  les  timbales  —  Aux 
filles  de  Saint-Laurent.'  —  II  leur  faut,  comme  dit  le 
Marren,  —  Une  poignée  de  remontrances, —  Et  non  pas 
jour  et  nuit  la  danse;  —  Car  elles  n'ont  pas  lu  la  moitié 
—  Du  livre  de  civilité... 


Et  sc'u  cousidc-ru  si  plut. 
Elle  porton  de  plu  gro  flot 
Sur  leur  solar  à  l'aiguilhetta, 
Que  la  Lhauda  de  la  Pernetta. 
Kt  quan  quoquo  porc  creitin 
Lez  at  pri;i  pcr  quoque  buttin, 
I  se  conflon  inieu  que  le  meitre, 
Ou qu'vn  dinde  que  l'on  vetcreit 
Cellei  n'ét  to  |)a  trop  forfat? 
I((  vo  iuro  que  cellci  fat 
l'aria  tout  lou  iour  sur  sa  porta 
La  Hruauda  (jue  n'ét  pa  niorta. 
Celle  qu'où   hou  bec  coma  Ici, 
l'er  en  parla  decei,  delei. 


Fonbiende  quitta  Iour  besogni 
Per  louz  en  fare  la  vergogni. 
Par  mi,  ei  ne  Iour  cacho  ren  ; 
Lour  plaisi  m'ét  indiferen... 
Et  tan  que  ei  pourrei  alla, 
le  lour  dirai  ma  râtela... 
Et  to  bien  de  besoin  qu'on  aie 
Tochic  tout  lou  not  le  timbale 
A  le  lilhe  de  Saint  Loren? 
Lour  faut,  coma  dit  lo  Marren, 
Vna  pugna  de  remonstranci. 
Et  non  pas  iour  vt  not  la  dansi. 
Car  i  n'ont  pas  lit  la  meita 
Du  liuro  de  Ciuilita... 


CLAUDE   D'EXPILLY 

(1561-1636) 


Claude  d'ExpilIy,  chevalier,  seigneur  de  la  Poëpe,  naquit  lo 
21  décembre  de  l'an  1561,  an  bourg  de  Voiron,  à  trois  lieues  de 
Grenoble,  où  sa  famille  tenait  une  honnOte  aisance.  Son  père, 
officier  distingué,  avait  épousé  Jeanne  de  Richard,  de  la  maison 
des  Richard  de  lîeaulmont,  quil  laissa  bientôt  veuve  avec  trois 
enfants,  dont  Claude  était  l'ainé. 

Claude  d'Expilly  devint  conseiller  du  roi  et  président  au  Par- 
lement de  Grenoble;  il  mourut  le  25  juillet  1636,  laissant  des 
Plaidoyers,  publiés  à  Paris  en  1612.  in-i»,  et  des  poésies  qui 
avaient  vu  le  jour  en  1624  (Voy.  Les  Poèmes  de  Mess.  Claude  d'Ex- 
pilly, etc.,  Grenoble,  imprim.  de  Pierre  Verdier,  in-4'').  On  lui 
doit  encore  un  Supplément  à  la  Vie  de  Bayard,  jointe  à  la  Vie 
de  ce  dernier  (édit.  de  1651),  et  un  Traité  de  l'orthographe 
française  (Lyon,  1618,  in-fol.).  Claude  d'Expilly  a  peu  célébré 
son  pays  natal;  il  s'est  plutôt  exercé  à  décrire  les  «  Fontaines 
de  Vais  en  Vivarais  ».  Son  œuvre  jioétique  nous  montre  ce 
qu'était  Vais  aux  environs  de  1610.  Parmi  les  poèmes  où  il  fait 
l'éloge  de  ces  «  eaux  »  déjà  célèbres  en  son  temps,  il  faut  citer 
des  stances,  des  odes  et  jusqu'à  de  menues  pièces  galantes. 
L'une  d'elles  a  pour  titre  :  Stances  pour  Mademoiselle  Lucrèce 
Mirman  s'en  allant  de  Vais.  Elle  débute  par  ces  vers  assez  mé- 
diocres : 

Elle  s'en  va,  Lucrèce,  et  mon  âme  insensée 
Parmi  ces  déplaisirs  ne  sait  ([ue  devenir. 
Helle,  mon  seul  resrrct,  si  chère  à  ma  pensée, 
Oue  ne  le  puis-jo  suivre,  ou  bien  te  relenii-!..- 

BiBi.iOGRAPiiiE.  —  Abbé  Goujat,  Biblioth.  franc.,  t.  XV,  p.  380. 
—  Henri  Vaschalde,  Claude  Expilly,  prcsid.  au  J'arlem.  de  Gre- 
noble, et  les  Eaux  de  Vais,  Revue  Dauphinoise,  15  nov.  1899. 


18  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

SUR    LE    RETOUR    DE    PROVENCE 

DU  SEIGNEUR  [DE  LjESDIGUlÈRES 

QUA>D    IL  VINT   DE  DONNER  LA  BATAILLE    DE  PONTCHARRA, 
EN    SEPTEMBRE    1591 

Le  Soleil  se  levant  dissipe  la  nuit  sombre, 

Ses  larves,  ses  démons,  son  horreur  et  son  ombre  : 

De  mêmes  arrivant,  magnanime  et  vainqueur, 

Tu  décbasses  l'effroi  de  nos  faces  blêmies, 

Tu  fais  trembler  de  peur  les  troupes  ennemies, 

Et  fais  renaître  en  nous  l'espérance  et  le  cœur. 

Rien  ne  retardera  ta  fatale  entreprize, 

La  fortune  te  suit,  le  Ciel  te  favorize. 

L'Izère,  que  tu  vois  ondoyante  en  son  cours, 

T'offre  le  large  sein  de  ses  rives  fertiles, 

Le  vouloir  de  son  Peuple,  et  les  murs  de  ses  Villes, 

Et  d'une  voix  commune  implore  ton  secours. 

Advienne  que  ta  main  rende  à  cette  contrée 
La  paix  tant  attendue  avec  la  belle  Astrée, 
Que  le  Peuple  retourne  en  son  repos  premier! 
Plante  parmi  nos  champs  lo  laurier  et  l'olive; 
Guerrier  victorieux,  si  ce  bonheur  arrive, 
Pour  nous  sera  l'Olive,  et  pour  toi  le  Laurier. 


DAVID   RIGAUD 

(P-1659) 


MarcYiaud  de  drap  et  poète  do  la  ville  do  Crest,  David  Rigaud 
était  de  Crupies,  petit  village  des  environs  de  Bourdcaux-sur- 
Roubion,  où  il  y  avait  dés  ce  temps-là 

pour  un  papiste 
Pour  le  moins  deux  cents  huguenots. 

Il  a  pris  la  peine  de  nous  faire  connaître  le  lieu  où  il  vit  le 
jour,  mais  nous  ignorons  la  date  de  sa  naissance.  On  sait  seu- 
lement qu'en  1616  il  avait  encore  quelque  jeunesse.  Fils  d'un 
])auvre  cardeur  de  laine,  il  dut  abandonner  do  bonne  heure  le 
loyer  natal  pour  tenter  la  fortune.  Bien  lui  en  prit,  car  de  col- 
porteur qu'il  était  à  son  début,  courant  la  campagne,  balle  au 
dos  et  débitant  de  menues  merceries  et  des  fadaises  en  mé- 
chantes riu\es,  il  devint  un  négociant  possédant  pignon  sur 
rue,  et  un  auteur  ayant  trois  recueils  de  vers  chez  le  libraire. 
Comment  s'opéra  ce  miracle,  on  l'ignore;  mais  ce  qu'il  y  a  de 
certain,  c'est  que  notre  homme  adjoignit  à  son  premier  négoce 
celui  de  toutes  sortes  de  gros  draps  qu'on  fabriquait  alors  dans 
les  montagnes  du  Diois,  et  qu'il  s'enrichit  promptement.  Quand 
il  mourut,  en  mai  16.59,  il  jouissait  de  l'estime  de  ses  conci- 
toyens, et  l'on  peut  dire  qu'il  devait  cette  estime  à  ses  tahsnts 
de  lyrique  autant  qu'à  ses  aptitudes  de  commerçant.  Aussi  bien 
confondait-il  les  ressources  qu'il  tirait  également  des  unes  et 
des  autres.  Sa  seule  excuse  tînt  au  genre  qu'il  aborda  et  qui  fie 
de  lui  un  rimeur  à  la  manière  d'Adam  Billaut,  le  menuisier  de 
Nevors.  Ses  vers  se  ressentent  de  son  manque  de  culture,  mais 
ils  révèlent  une  vivacité  d'esprit  peu  commune  chez  un  liomme 
de  sa  profession.  Ils  furent  imprimés  à  Lyon,  chez  son  ami 
Claude  Rivière,  et  parurent,  le  premier  en  1637,  le  second  en 
1635,  et  le  troisième  en  1653  '.  De  ces  trois  recueils  aujourd'hu 

1.  Les  Œuvres  poétiques  du  sieur  David  Rigaud  marchand  de 
Cî-e«^  etc.  (Lyon,  Cl.  Rivière,  11)37,  in-12)  ;  Au^-es  Œ livres  poéti- 
ques,gIc.  (ibid.,  lQ3\i,  in-i '2  );  Meciteil  des  Œuvres  poétiques  du  sieur 
Jiif/aud,  marchand  de  la  ville  de  Crest  en  Dauph  i/té,  avec  le  Poème 
delà  Cigale  autant  merveilleux  en  ses  conceptions  qu'en  sa  suite 
(ibid.,  1653,  in-12). 


20  LES    POÈTES    DU    TEKROIR 

recherchés,  le  deuxième  et  le  troisième  sont  à  peu  près  introu- 
vables. Le  second  est  môme  d'une  si  insigne  rareté  que  le  seul 
exemplaire  connu  a  fait  l'objet  d'une  réimpression,  grâce  aux 
soins  de  M,  Brun-Durand  :  Antres  Œuvres  poétiques, etc.,  accom- 
pagnées d'une  notice  et  de  notes  (Paris,  Aubry,  1870,  in-12).  In- 
sister après  cela  sur  la  valeur  littéraire  de  David  Rigaud,  serait 
d'autant  plus  inulile  que  notre  Crestois  ne  vaut  évidemment  ni 
plus  ni  moins  que  la  plupart  des  autres  poètes  de  province  de 
son  temps.  Il  fut  homme  de  négoce,  et  partant  mal  prédisposé 
aux  belles-lettres,  ce  qui  lui  vaut  notre  indulgence  pleine  et 
entière.  Ses  vers,  assez  peu  châtiés  au  point  de  vue  de  la  forme, 
ont  au  moins  cet  unique  mérite,  dans  un  temps  où  l'on  se  pi- 
quait de  préciosité,  d'être  une  sorte  de  manifestation  de  l'es- 
prit populaire,  c'est-à-dire  du  vieil  esprit  français.  Ne  soyons 
pas  plus  exigeants  qu'il  ne  Je  fut  lui-même,  et  gardons-nous 
bien  de  vouloir  faire  un  grand  homme  de  ce  gai  compagnon  qui 
eut  autant  de  facilité  et  de  bon  sens  que  d'esprit  pratique. 

BiuLiofiiiAiMiiE.  —  J.  Brun-Durand,  David  Rigaud,  marchand 
et  poète  de  la  ville  de  Crest,  etc.,  sa  famille  et  son  temps;  Lyon, 
1868,  in-8\  —  Le  même,  David  Rigaud,  etc.,  et  son  entourage, 
Revue  Dauphinoise,  15  févr.,  15  mars  et  15  avril  l'JOO. 


A   UN    GENTILHOMME 

QUI    ME    DEMANDOIT   QUE    JE  LUY    FISSE    DES    VERS, 

SUR   LE  RAVAGE    DES    EAUX  ARRIVÉ 

l'an   1651 

Monsieur,  lu  misère  du  temps 
A  rendu  ma  veine  muette, 
Et  de  plus  le  nombre  des  ans 
Me  prive  du  nom  de  Potito; 
Je  ne  suis  plus  dans  ceslo  humeur 
De  passer  toujours  pour  rymour, 
Car  il  est  ches  moy  tousjours  foire  ; 
De  sorte  <[uo  présentement. 
L'aune,  le  poids,  et  l'escritoire, 
Sont  tout  mon  divertissement. 

Pour  bien  descrire  le  detrac, 
Je  n'ay  pas  le  cœur  assez  inasie, 
Qu'a  fait  riscre  avec  le  Drac 


DA.UPHINÉ  21 

A  nosti'e  ville  capitale; 

Et  de  plus  je  sçuy  que  Millet 

En  dira  plus  dans  un  feuillet, 

Que  non  pas  moy  dans  quatre  pages, 

Car  je  n'en  8çay([ue  ce  (ju'on  dit, 

Mais  luy  qui  voyoit  les  ravages, 

En  dressera  mieux  le  récit. 

Pour  vous  dire  mon  sentiment, 

Je  ne  si^^aurois  icy  me  lairo. 

Que  c'est  un  advertissement 

A  tous  les  hommes  de  la  terre, 

Et  que  la  divine  bonté, 

Ayant  longtemps  patienté, 

A  la  fin,  comme  juste  juge, 

Par  feu  doit  destruire,  ou  par  eau, 

Le  monde  d'un  socoiid  déluge, 

Pour  le  refaire  de  nouveau. 

L'Isère  a  mis  de  comble  à  fonds 
Les  forces  les  plus  immobiles, 
Les  digues,  les  tours,  et  les  ponts. 
Avec  les  murailles  des  villes, 
Elle  qui,  depuis  si  longtemps, 
Cliarrioit  pour  ses  habitants 
Toutes  les  choses  plus  propices, 
A  plus  fait  de  mal  dans  doux  jours, 
Qu'elle  n'a  rendu  de  services, 
Depuis  le  moment  de  son  cours- 
Tout  fut  submergé  par  les  eaux,  • 
Qu'on  voyoit  à  perte  de  veile. 
Si  bien  qu'on  alloit  par  bateaux 
Et  sur  radeaux  en  chaque  rile. 
Les  chevaux  furent  estoufFez, 
Les  meubles  et  vins  emportez, 
Et  les  habitans  pour  demeure 
Furent  chassez  des  lieux  plus  bas. 
Pour  n'avoir  retraicte  plus  seure, 
Que  les  toicts  et  les  galetas. 

Estant  environné  de  l'eau, 

Un  homme  ayant  la  peur  dans  l'ùme. 


22  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Monta  dessus  un  arbrisseau, 
Avec  ses  enfants  et  sa  femme, 
Les  liant  au  milieu  du  corps 
Aux  troncs  les  plus  fermes  et  forts. 
Il  les  laissa  cueillir  des  meures, 
Souffrant  le  froid  et  le  danger, 
L'espace  de  trente-six  heures, 
Sans  jamais  boire  ny  manger. 
Pour  ne  trouver  d'autre  quartier, 
Un  autre  foible  dans  le  monde 
Sejetta  dessus  un  gerbier, 
Lequel  alloit  flottant  sur  l'onde. 
Mais  il  fut  tost  par  ses  sillons, 
Tantôt  dessus,  tantôt  à  fonds, 
Et  celuy  qui  les  eaux  gouverne 
Le  fit  regorger  sur  le  bord. 
Et  fit  qu'une  plante  de  verne 
Luy  servit  d'asyle  et  de  port. 
On  dit  aussi  que  dessus  l'eau 
L'on  vit  arriver  à  Valence 
Un  enfant  dedans  un  berceau. 
Sans  de  mal  aucune  apparence. 
Très  gaillard  et  bien  esveillé. 
Sans  estre  tant  soit  peu  mouillé, 
Que  le  bon-heur  mit  en  franchisa' 
Dans  le  mandement  de  Soyon, 
Ainsi  comme  un  second  Aloysc 
Par  la  fille  de  Pharaon. 

Ayant  despecé  les  radeaux, 
L'Isère  fut  tant  en  colère. 
Qu'ayant  jà  chargé  des  vaisseaux^ 
Elle  veut  charger  la  gallere, 
Elle  ravage  les  bas  lieux, 
En  chasse  les  Religieux, 
Rien  n'y  peut  faire  résistance. 
Fait  fuyr  les  plus  engourdis, 
Esbranic  la  tour  de  Constance, 
£t  fuit  puslir  les  plus  hardis. 
J'ai  veu  que  vous  plaigniés  sur  toui 
Lu  liqueur  qui  vient  de  la  souche, 


DAUPIIINÉ  23 

En  quoy  vous  trouvés  si  bon  g-oust, 
Quand  vous  la  mettes  à  la  bouche  ; 
Mais  si  vous  aviés  veu  sur  l'eau, 
Bacchus  assis  sur  un  tonneau, 
Le  voyant  en  cette  posture, 
Vous  lui  voudriez  un  si  grand  mal, 
Que  vous  voudriez  que  sa  monture 
Fust  seiche  comme  mon  cheval. 

Pour  adoucir  un  peu  ces  vers 
Je  n'ay  pas  pris  la  pierre  ponce, 
Mais  voicy  de  quoy  je  me  sers, 
C'est  de  te  faire  une  responce. 
Où  je  t'ay  fait  des  vers  si  bons, 
Si  grotesques,  et  si  bouffons, 
Que  j'en  ris  quand  je  les  oy  lire, 
Et  tu  n'y  verras  pas  un  mot, 
Qu'Adam  '  y  trouvast  à  redire, 
Y  fust-il  avec  son  rabot. 

Enfin  je  te  donne  ces  vers, 

Mais  j'entends  que  tu  les  publies. 

Et  pour  en  farcir  l'univers, 

Fais  en  faire  force  copies. 

Mande  à  Grenoble  tout  exprès, 

Mande  à  Romans  puisqu'ils  sont  frais. 

Et  qu'à  Valence  tu  en  parles, 

iS'e  me  les  tiens  point  en  secret. 

Car  de  Lyon,  jusques  en  Arles, 

Tous  les  lieux  y  ont  interest. 

{Recueil  des  Œufres  poétiques  du  sfeur 
Din>id  nigaud,  1653.) 

1.  Adam  Billaul,  le  poèlc-monuisicr  tic  Xevcrs. 


JEAN    MILLET 

(?-v.  1675) 


Jean  Millet  naquit  à  Grenoble  dans  la  première  moitié  du 
wii"  siècle  et  mourut  vers  1675.  On  ignore  tout  de  sa  vie,  sinou 
que  Sebastien  Pourroy,  président  du  parlement  de  Grenoble,  fut 
•son  Mécène  et  l'aida  de  ses  conseils  et  de  sa  bourse.  «  11  n'avait 
point  étudié,  dit  Guy  Allard,  mais  la  nature  luy  avoit  été  si  favo- 
rable pour  la  poésie,  que  quelques-uns  de  ses  ouvrages  en  lan- 
gage du  pays  ont  été  admirés.  »  Colomb  de  Batines,  dans  ses 
Mélanges  biographiques  et  bibliographiques,  a  dressé  une  liste 
de  ses  productions.  On  voit  qu'il  écrivit  La  t'ayt  de  Sassenage 
\La  t'èe  de  Sassenage]  (Grenoble,  IG'.il,  iu-4"):  La  Pastorale  de 
la  constance  de  Philin  et  Margoton,  dédiée  à  M.  le  comte  tie 
Sault  (Grenoble,  Raban,  1635,  petit  in-4")  :  La  Bourgeoise  de  Gre- 
noble, comédie  composée  à  l'occasion  de  la  prise  de  possession 
du  gouvernement  de  Dauphiné  parle  comte  de  Sault  (Grenoble» 
Charvys,  1665,  iu-8")  ;  La  Pastorale  et  tragi-comédie  de  Janin, 
pièce  lyrique  représentée  dans  la  ville  de  Grenoble,  etc.  (Gre- 
«oble,  R.  Colson,  1633,  petit  in-i»,  réimprimé  en  1636,  16'i*i, 
1648,  1650,  1659,  1676,  1686,  1692,  1700,  1706,  1738  et  1800);  La 
Vénérable  Abbaye  de  Bongovert  de  Grenoble,  sur  la  rcsjouissance 
de  la  paix  et  du  mariage  du  Roy  (Grenoble,  Andr.  Galles,  1660, 
in-4").  Le  même  auteur  lui  attribue  Le  Dialogo  de  le  quattro 
■comarc,  réimprimé  en  1662,  par  Charvys.  dans  son  Recueil  de 
diverses  pièces  faites  à  l'ancien  langage  de  Grenoble,  etc.  (et 
plus  récemment  par  l'éditeur  Xavier  Drevet)  et  qu'on  a  donné 
jusqu'ici  à  Hlauc  la  Goutte.  Jean  Millet,  poète  populaire  fort 
.apprécié  jadis  eu  Daupiiiué,  fait  parler  ses  personnages  tantôt 
en  patois,  tantôt  eu  franc-ais. 

DlBLlooRAiMiiK.  —  A.  Rochas,  Biographie  duDauphiné,  Paris, 
1860,  I.  —  J.-J.  Champolliou-Figeac,  Nouv.  Recherches  sur  Us 
patois  ou  idiomes  vulgaires  de  la  France,  etc. ,  Paris,  Goujon,  1809, 
in-18.  —  Colomb  do  batines.  Mélanges  biographiques  et  bibliogr. 
relatifs  à  l'histoire  littér.  du  Dauphiné,  etc. 


DAUPIIINE 


25 


CHANSON 

Les  femmes  de  Grenoble —  Sont  des  mécontentes;  — 
11  faut  avoir  une  bonne  bourse  —  Et  la  faire  tinter. 

Quand  leurs  jambes  sont  lasses,  —  Les  pieds  leur  faut 
g'ratter;  —  Quand  le  sommeil  les  attaque,  —  [II]  faut 
vite  chuchoter. 

Quand  le  jour  les  réveille,  —  Des  œufs  frais  leur  faut 
porter.  —  A  la  mode  nouvelle  —  [II]  les  faut  attifer. 

Pour  dîner  [il]  faut  attendre  —  Qu'elles  aient  prié  Dieu  , 
—  Et  qu'après  leurs  servantes  —  [Elles]  aient  tempêté. 

Aux  cartes,  aux  danses,  —  [II]  faut  de  leur  part  tout 
supporter  :  —  Bienheureux  sont  les  hommes  —  Qui  les 
laissent  attendre! 


CANSOU 


Le  Fene  de  Grenoble 

Sont  de  maii  contenta, 

Faut  avey  bona  boursa 

Et  la  fare  tinta. 

Quand  leur  chnmbe  sont  lasse, 

Lou  pied  leur  faut  gratta; 

Quand  la  sou  les  attaque 

Faut  vite  chuchuta. 

Quand  lo  jour  le  reveille 

D'œu  frais  leur  faut  i)orta, 


A  la  moda  nouvella 

Le  faut  attifesta. 

Per  dina  faut  attendre 

Qu'elle  ayont  bigotta. 

Et  qu'après  lour  servente 

Ley  ayont  terapesta. 

A  le  carte,  à  le  danse, 

Lour  faut  tout  supporta,         • 

Bien-heurous  sont  lous  home 

Qui  le  lavssoun  evta. 


BLANC    LA   GOUTTE 

(xviii*  siècle) 


François  Blanc,  dit  la  Goutte, — ou  encore  Le  Podagre,  —  était 
vraisemblablement  de  cette  ville  de  Grenoble  qu'il  a  célébrée; 
en  accents  burlesques,  et  où  il  a  vécu  au  début  du  xviii»  siècle. 
Il  exerçait  la  profession  d'épicier  en  gros  dans  «  l'île  Clavei- 
son  »,  c'est-à-dire  au  centre  d'un  groupe  circulaire  de  maisons 
éloigné  des  autres  lieux  de  la  cité.  Il  dut  son  surnom  à  une 
atteinte  de  goutte  dont  il  souffrit  pendant  de  longues  années, 
ce  qui  ne  l'empêcha  point  de  chanter  et  de  se  montrer  sans 
cesse  d'humeur  joyeuse.  De  toutes  les  particularités  de  son 
existence,  nous  ne  connaissons  que  ce  qu'il  a  bien  voulu  en  dire 
dans  ses  œuvres  patoises.  Il  est  vrai,  ajouterons-nous,  qu'il  ne 
tarit  pas  souvent  sur  son  propre  compte,  bien  qu'il  paraisse 
s'inquiéter  uniquement  des  événements  dignes  de  mémoire  et 
des  faits  et  gestes  de  ses  contemporains.  Sa  notoriété  s'est  faite 
sur  un  poème  qu'il  écrivit  à  propos  de  l'inondation  de  Grenoble 
par  l'Isère  et  le  Drac,  les  14  et  15  septembre  173.3,  et  qui  fut 
publié  la  même  année,  à  Grenoble,  chez  André  Faure,  Greiioblou 
/nalheirou  (Grenoble  malheureux),  1  vol.  in-4".  Il  avait  donné 
précédemment  un  récit  de  l'inondation  du  20  décembre  1740  : 
Couple  de  la  Icttra  escrita  per  Blanc  dit  la.  Goutte,  etc.,  et  sous 
ce  titre:  Le  Dialogo  des  qiiatlro  coniare  (Le  Dialogue  des  quatre 
commères),  fait  paraître  une  ingénieuse  et  mordante  satire  des 
mœurs  de  ses  concitoyens.  Les  poésies  de  Blanc  la  Goutte  ne 
sont  peut-être  pas  ce  qu'on  a  composé  do  meilleur  en  langage 
dauphinois,  mais  elles  constituent  une  u-uvre  unique  en  leur 
genre.  Productions  hybrides,  tenant  tout  à  la  fois  du  poème 
épique  et  de  la  satire,  elles  ont  tour  à  tour  été  exaltées  et  dé- 
criées, sans  toutefois  rien  perdre  des  sud'ragcs  du  populaire 
dont  elles  sont  l'interprète  fidèle.  Leur  vulgarité  est  rachetée 
par  une  grande  variété  de  détails,  le  pittoresque  dans  les  ima- 
ges et  des  expressions  heureuses  et  piquantes  qu'on  cherche- 
rait en  vain  chez  les  meilleurs  poètes  du  cru. 

Blanc  la  Goutte  mourut  à  la  fin  du  xviii"  siècle,  laissant  une 
famille  nombreuse  :  deux  fils,  quatre  filles  et  plusieurs  petits- 
enfants. 


DAUPHINK  27 

Grenoblou  malheirou,  de  même  que  les  deux  autres  opuscules 
du  poète,  fut  réimprimé  maintes  fois,  à  Grenoble,  au  xviii»  et  au 
XIX»  siècle.  Nous  en  avons  compté  neuf  éditions,  et  nous  som- 
mes loin  de  les  avoir  toutes  vues.  Des  versions  du  siècle  der- 
nier, nous  citerons  celles  qui  furent  données  enlSÔO.par  Colonib 
de  Batines  d'abord  (Grenoble,  Merle,  in-8")  et  ensuite  par  Ed. 
Pilot  (Grenoble,  Maisonville  et  fils  et  Jourdan,  in-8").  Nous  no 
saurions  omettre  dans  cette  cnumcration  une  édition  illustrée, 
mise  au  jour  la  môme  année,  et  les  éditions  populaires  publiées 
par  l'éditeur  Xavier  Brevet.  Les  trois  ouvrages  de  lilanc  la 
Goutte  ont  été,  de  plus,  insérés  dans  le  curieux  Recueil  de  poé- 
sies en  patois  du  Dauphinois  formé  par  ce  dernier  éditeur  en  187t* 
et  commenté  par  J.  Lapaume. 

Bibliographie.  —  A.  Rochas,  Biographie  du  Dauphiné,  I,  etc. 
—  J.  Lapaume,  Commentaire.  (Voir  ci-dessus.) 


GRENOBLE    MALHEUREUX 

FRAGMENT 

A  peine  rassurés  de  la  peur  de  la  peste, 

Croyant  (d')avoir  fléchi  la  colère  céleste, 

Les  pauvres  habitants  de  tout  le  Dauphiné 

Vivaient,  tant  bien  que  mal,  du  jour  à  la  journée. 

A  Grenoble,  surtout,  les  plaisirs  commeni^aient, 

Lebon  temps  revenait,  les  montagnards  s'apprivoisaient  ; 

Les  gens  de  qualité  payaient  leurs  marchands; 

Si  vous  vouliez  dessous,  vous  en  aviez  sur-le-champ; 

Le  blé,  le  vin,  la  chair,  comme  l'autre  pitance,  * 


G  B  E  N  O  B  L  0    MALHEIROU 

A  peina  rassura  de  la  pou  de  la  pesta, 
Creyan  d'auey  fleichi  la  colera  celesta, 
Lou  pourouz  habitant  de  to  lo  Dauphina 
Viuion,  tant  bien  que  ma,  du  iour  à  la  iourna. 
A  Grenoble,  su  tout,  lou  plei/.i  commençauon, 
Lo  bon  temps  reueniet,  lou  bit  s'apriueysauon 
Le  gen  de  qualita  payauon  lou  marchan; 
Si  vou  voulia  de  sou,  vous  'navia  su  lo  champ 
Lo  bla,  lo  vin,  la  chair,  coma  l'autra  pidanci, 


28  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

(De)  par  tout  le  pays  venaient  en  abondance. 

Dans  le  sein  de  la  Paix  les  artisans  contents 

Buvaient  quelques  chopines  et  passaient  le  temps. 

Mais,  dans  (le)  moins  d'un  an,  toutes  choses  changèrent  ; 

L'argent  se  resserra,  et  les  vivres  augmentèrent, 

Tant  il  y  a  que  désormais  tout  va  de  mal  en  pis. 

(Il)  vient  un  nouveau  malheur  quand  l'autre  est  assoupi  : 

L'on  n'entend  raconter  que  de  tristes  nouvelles  ; 

L'on  ne  voit  que  brigands,  que  procès,  que  querelles; 

La  religion  se  perd,  (il)  n'y  a  plus  de  Réguliers; 

Les  gens  d'églises  font  comme  les  séculiers; 

Le  palais  retentit  des  procès  qu'ont  les  prêtres: 

(II)  n'y  a  plus  de  sûreté,  pas  même  dans  les  cloîtres. 

Mille  contrebandiers  remplissent  les  prisons, 

Ces  déterminés  tuent  les  saute-buissons. 

Les  loups  de  temps  en  temps  ravagent  cette  terre; 

Le  ciel,  l'eau,  le  feu,  nous  déclarent  la  guerre. 

Une  année  (il)  n'y  a  point  de  blé,  l'autre  (il)  n'y  a  point  de  vin 

Et  l'or  fond  dans  les  mains,  sans  savoir  '  qu'il  devient. 


Dg  pcr  tout  lo  paï  vcniet  en  abondauci. 

Din  lo  sein  de  la  Pay  loiiz  artisan  conten 

Beuion  qiioque  picote  et  passauon  lo  teuip. 

Mais,  din  lo  moia  d'vn  an,  tonte  chouse  cliangiron; 

L'argent  se  ressarrit,  et  lou  vinre  augmentiron; 

Tant  y  at  que  du  deipui  tout  va  de  mal  en  pi. 

Vint  vn  nouveau  mallieiir  quan  l'autre  eyt  assoupi  : 

L'on  n'enten  raconta  que  de  triste  nouuelle; 

L'on  ne  veit  que  brigand,  que  proceis,  que  querelle; 

La  religion  se  perd,  n'y  at  plu  de  regulié; 

Le  gen  d'Egleizi  fan  coma  lou  soiculié; 

Lo  palai  retentit  du  proceis  qu'ont  lou  preitro; 

N'y  at  plu  de  sureta,  pas  nieime  dcn  lou  cloître. 

Mille  contrebandié  rcniplissou  le  preison, 

Celou  dcitermina  tuon  lou  sauta  buisson. 

Lou  loup  de  tcmpz  en  temp  rauageon  cetta  terra; 

Lo  ciel,  l'aigua,  lo  feu  nous  deiclaron  la  guerra. 

Vn  an,  n'y  at  point  de  bla;  l'autro,  n'y  at  point  de  vin  , 

Et  l'or  fond  din  lo  man,  sans  sauey  qu'v  doiuin. 


Sans  qu'on  sache  ce. 


DAUPHINE 


29 


(Si)  n'étaient  les  soudarts  qui  sont  dans  la  pi'ovince, 
Labourse  de  beaucoup  degensseraitencore  plus  mince. 

Qui  pourra  penser  que  des  contrebandiers, 

Des  manants  qui  n'ont  rien,  de  méchants  vauriens. 

Aient  fait  complot  d'exterminer  les  gardes? 

Les  uns  les  mettent  nus,  font  encan  de  leurs  bardes; 

Les  autres  d'un  logis  tirent  deux  malheureux, 

Et  leur  font  (res)sentir  ce  que  peut  la  fureur, 

A  la  queue  des  chevaux  les  sortent  d'un  village, 

Leur  donnent  mille  coups,  leur  coupent  le  visage, 

Le  pistolet  en  main  les  mènent  dans  le  bois. 

Et  leur  font  prendre  fin,  les  voyant  aux  abois. 

(Il)  ne  s'était  jamais  vu  de  telles  insolences, 

(11)  ne  s'était  jamais  fait  de  si  grandes  violences, 

Nous  les  avons  vues  finir,  quand,  par  ordre  du  Roi, 

En  Savoie,  en  (dans  le)  Gomtat  (il)  y  eut  des  troupes  réglées 

Qui  sans  coups  de  fusil,  ni  sans  donner  bataille, 

Dispersèrent  bientôt  toute  cette  canaille. 

Cent  sont  allés  ramer  (aux  galères),  mais  leur  maître  Baret 

A  eu  le  même  sort  que  Cartouche  et  Nivet. 


Si  u'eyre  loii  soudar  que  sou  din  la  prouinci, 
La  boursa  de  prou  gen  sarit  incou  plu  minci. 

Qui  pourra  to  pensa  que  de  contrebandié, 

De  manan  qui  n'ont  ren,  de  meichan  garaudié, 

Ayezon  fat  complot  d'extermina  lou  garde? 

Lonz  vn  lou  metton  nud,  font  incan  de  lourz  arde  ; 

Louz  autrou  d'vn  logi  tiron  dou  malheirou, 

Et  lou  font  ressenti  ce  que  pot  la  furou, 

A  la  couat  du  cliiuau  lou  soitou  d'vn  villageo, 

Lou  donon  mille  coup,  lou  coupon  lo  visageo, 

Lo  pistolet  en  man  lou  meinon  din  lo  bois. 

Et  lou  font  prendre  fin,  lou  veyan  vz  abois. 

Ne  s'eyre  iamey  veu  de  talez  insolence, 

Ne  s'eyre  ianicy  fat  de  si  grand  violence. 

Nou  lez  ont  veu  fini,  quan  per  ordre  du  Rey, 

En  Savoey,  en  Contatz  y  eut  de  troupe  reigley 

Qui  sans  coup  de  fezuit,  ni  sans  donna  batailli, 

Dispersiron  bieutau  touta  cela  canailli. 

Cent  sont  alla  rama,  mais  lor  maître  Baret 

At  eu  lo  meimo  sort  que  Cartouche  et  Niuet. 


30 


LES    POETES    DU    TERROIR 


Bientôt  le  Drac,  grossi  des  neiges  qui  (se)  fondent, 

Ou  des  torrents  qui  en  bruyant  de  tous  les  rochers  tombent, 

Coulant  rapidement  tout  le  long  de  l'îlot, 

Vient  mettre  la  frayeur  jusque  dans  la  ville; 

Les  arches  vainement  lui  barrent  le  passage, 

Enversantpar-dessus(débordant)partoutelIefaitravage; 

Tous  les  Champs-Elysées  sont  couverts  de  graviers; 

Les  meubles,  les  tonneaux  flottent  tous  chez  Reinier. 

Le  paysan  qui  voit  que  l'eau  l'environne, 

Fait  sortir  ses  bestiaux,  les  chasse,  les  abandonne; 

La  garde  du  canon,  les  meuniers  de  Canel, 

Montent  sur  le  toit,  tout  comme  (un)  ramoneur. 

Les  gj-anges,  les  glacis,  les  fossés,  se  remplissent; 

Par  dehors,  par  dedans,  mille  cris  retentissent; 

Commandant,  Intendant,  aux  flambeaux  vont  au  Cours, 

Font  partir  des  bateaux  pour  donner  des  secours. 

Mais,  hélas!  sur-le-champ  l'eau  devient  si  forte. 

Qu'elle  fait  tomber  le  pont  qui  aboutit  à  la  porte. 

Beaucoup  de  gens  qui  sont  dessus  tombent  dans  les  débris, 

Et  un  jeune  marié  funestement  périt. 

Tantôt  le  loup  surprend  un  enfant  qui  s'égare, 

Tantou  lo  Drac,  groussi  de  le  ney  que  se  fondon, 
Ou  du  rut  qu'en  bruyan  de  tou  lou  rochié  tombon, 
Coulan  rapidamen  tout  lo  long  duz  ila, 
Vin  mctta  la  frayou  jusqu'à  diu  la  villa; 
Lez  arche  vainamen  l'y  barron  lo  passageo; 
En  versan  pe  dessu  per  tout  y  fat  rauageo; 
Tout  lou  Champ/.  Elysez  sont  couuert  de  grauio 
Lou  mcublo,  lou  toneau  lloton  tout  chieu  Reinié. 
Lo  païsan  que  veit  que  l'aiga  l'euuirone, 
Fat  sorti  son  beitial,  lo  chasse,  l'abandone; 
La  garda  du  canon,  lo  mounié  de  Cnnel 
Monton  su  lo  couuert,  tout  coma  chantarel. 
Le  grange,  lou  glaci,  lou  fossé  se  rcmplisson; 
Po  dehor,  pe  dedin,  mille  cris  retentisson; 
Commandant,  intendant,  v  flambeau  vont  v  cour. 
Font  parti  de  l)atleu  pe  donna  de  sccour. 
Mais,  lassa!  su  lo  champ  l'aigua  duuint  si  forta, 
Qu'y  fat  tomba  lo  pont  qu'aboutit  à  la  porta. 
Prou  gon  que  son  dessu  chayon  diu  lou  deibri, 
Et  vn  iof'uo  maria  funestamen  peirit. 
Tantou  lo  loup  surprcn  vn  efan  que  s'eigare, 


DAUPHINE 


31 


Tantôt  le  vient  blesser  dans  les  bras  de  sa  mère; 

L'un  tue  une  fille,  lui  fait  traverser  le  Drac, 

Ici  l'on  voit  un  pied,  là  l'on  voit  un  bras; 

L'autre  prend  au  cou  un  homme  qui  laboure, 

Qui  en  bien  se  défendant  en  est  quitte  pour  ses  lèvres; 

Et  un  liardi  berger  qui  s'est  précautionné, 

Revientdes champs  sanglant  et  sans  mains  et  sans  nez. 

D'où  vient  tant  de  bruit,  qu'est-ce  encore  que  j'entends  ? 

Au  feu  !  le  tocsin  réveille  tout  le  monde. 

Il  est  (le  feu)  vers  l'Arsenal,  tout  court  de  ce  côté, 

Les  gens  de  police  sont  chez  les  bennatiers  ; 

De  Teavi!  tout  est  perdu;  voyez  monter  les  flammes; 

Préservez  les  Récolets,  l'Evèché,  Notre-Dame! 

Vite  des  charpentiers  pour  couper  le  toit, 

Tandis  que  pour  monter  le  chemin  est  ouvert; 

Avec  le  ventqu'(il)  fait,  chaque  quartier  doit  craindre: 

L'on  voit  voler  le  feu,  l'on  voit  voler  les  cendres. 

Et  jamais  l'Etna,  dont  on  fait  grand  cancan, 

Ne  fit  (au)tant  de  fracas  que  ce  nouveau  volcan. 

Combien  de  familles  sont  ruinées  sans  ressource! 


Tantou  le  vint  nafra  diu  dou  brat  de  sa  mare: 

L'vn  tuët  vna  filli,  l'y  trauerse  lo  Drac, 

Iquy  l'on  veit  vn  pied,  y  ley  l'on  veit  vn  bra; 

L'autro  pren  v  colen  vn  home  qui  labore, 

Qu'en  bien  se  deifendan  'n  eit  quitto  pe  se  lore  ; 

Et  vn  hardi  bergié  que  s'eit  preicautiona; 

Reuin  du  champ,  sanglant,  et  san  man  et  sans  ua.     • 

D'où  vint  to  tant  de  brut,  qu'eit  to  mei  que  i'eutendo? 

V  feu!  Lo  tokacin  reueille  tout  lo  moudo, 

VI  eyt  ver  l'Arcenat;  tout  court  de  ceu  coutié, 
Le  gen  de  polici  sont  chieu  lou  banatié  ; 
D'aigua  !  tout  eit  perdu;  veyé  monta  la  flame: 
Gara  lou  Recole,  l'eueclie,  Notre-Dame! 
Vitou  de  charpentié  pe  coupa  lo  couert, 
Tandi  que  pe  monta  lo  chamin  est  ouuert! 
Auec  l'ora  que  fat,  chaque  quartié  deit  craindre  : 
L'on  veit  vola  le  feu,  l'on  veit  vola  le  cindre. 

Et  iamey  l'Actna,  dont  on  fat  grand  cancan, 
Ne  fit  tant  de  fracat  que  ce  nouuel  volcan. 
Combien  de  famille  sont  ruiney  sans  ressourça! 


32  LES    POÈTES    DU    TERKOIR 

(Il)y  enaqui  n'ontrien  sauvé,  meubles,  linge,  niboursc. 

L'argent,  le  fer,  l'acier  comme  plomb  s'est  fondu. 

Et  le  peu  qui  est  resté  se  trouve  confondu, 

L'évêque,  l'intendant,  font  de  grandes  largesses, 

Pour  soulager  ceux  que  la  cruelle  faim  presse. 

Ici  je  cesserai  de  vous  entretenir. 

Mais,  hélas!  nos  malheurs  ne  sont  pas  tous  finis... 


'N  y  at  que  n'en  ren  sauua,  meuble,  lingeo,  ni  boursa. 

L'argent,  lo  fer,  l'acier  coma  plomb  s'eit  fondu. 

Et  le  pou  qu'a  resta  se  troue  confondu. 

L'Eueque,  l'intendant,  font  de  grande  largesse, 

Pe  soulagié  celou  que  la  mala  fan  presse. 

Ici  le  cessarin  de  vouz  entreteni. 

Mais,  las!  noutrou  malheur  ne  sont  pas  tou  fini... 


FRANÇOIS    PONSARD 

(18I4-18G7) 


No  à  Vienne  (Isore)  le  l«"jiiin  ISl'i,  François  Ponsard  mourut 
à  Paris  lo  13  juillet  1867.  Ueçu  avocat  eu  1837,  il  abandonna  le 
barreau  pour  les  lettres,  devint  bibliothécaire  du  Sénat  après 
le  2  décembre  1851,  et  fut  reçu  à  l'Académie  française  en  1856.  A 
défaut  d'autre  renseignement  sur  cet  honnête  survivant  de  la 
vieille  école  littéraire,  nous  donnerons  la  liste  de  ses  œuvres  : 
Manfrcd,  poème  dramatique  trad.  de  Hyron  en  vers  (Paris,  Gos- 
selin,  1837,  in-18):  Lucrèce,  tragédie  en  cinq  actes  en  vers  (Paris, 
Furne,  1843,  in-8")  :  Agnès  de  Mcranie,  trag.  en  cinq  actes  en  vers 
(ibid.,  1847,  in-S")  ;  Charlotte  Corday,  pièce  en  cinq  actes  en  vers 
(Paris,  Blanchard,  1850,  in-8»);  Horace  et  Lydie,  comédie  en 
vers  (ibid.,  1850,  in-8»);  Théâtre  complet  (Paris,  Àlichel  Lévy,  1851; 
gr.  in-8»);  Homère,  poème  (ibid.,  1852,  in-8»i;  Ulysse,  tragédie 
avec  chœurs  [musique  de  (îounod]  (ibid.,  1852,  in-8");  Etudes 
antiques,  Homère,  Ulysse  (ibid.,  1852,  in-8'');  L'Honneur  et  V Ar- 
gent, comédie  en  cinq  actes  en  vers  (ibid.,  1853,  in-8»);  La 
Bourse,  comédie  en  cinq  actes  en  vers  (ibid.,  1856,  in-8»);  Dis- 
cours de  réception  à  l'Académie  française  (ibid.,  1856,  ia-8"); 
Ce  qui  plaît  aux  femmes,  trilogie  en  vers  (ibid.,  18G0,  in-8»); 
Le  Lion  amoureux,  pièce  en  cinq  actes  en  vers  (ibid.,  1866, 
in-8»);  Galilée,  pièce  en  trois  actes  en  vers  (ibid.,  1867,  in-8»); 
Œuvres  complètes  (ibid.,  1866-1867,  3  vol.  gr.  in-8»).  Ce  n'est 
point  sans  raison  qu'on  a  dit  de  Ponsard  :  «  Il  est  de  la  race 
des  Viennot.  Comme  M.  Viennet,  il  peut  s'appeler  La  Fosse, 
Sarrien,  du  Belloy,  La  Touche,  c'est-à-dire  du  nom  de  tous  les 
gens  de  lettres  qui  ont  bâti  des  tragédies  !  La  première  de  ces 
choses  qui  l'a  posé,  comme  on  dit,  et  sur  le  souvenir  de  laquelle 
il  vit  toujours,  fut  L^ucrèce,  imitation  grossière  et  faible,  dans  le 
détail  et  dans  le  style,  de  Corneille  et  d'André  Chénier.  Il  est 
des  mains  qui  ne  respectent  rien.  Les  mains  lourdes  et  gourdes 
de  M.  Ponsard  traînent  sur  la  pourpre  romaine  du  vieux  Cor- 
neille et  sur  les  diaphanes  albâtres  grecs  d'André  Chénier! 
C'était  à  faire  crier  «  à  bas  »  à  tous  ceux  qui  ont  le  respect  des 
belles  choses.  Eh  bien,  cela  n'indigna  personne  dans  les  mai- 
sons où,  pendant   dix-huit  mois,  Yadius  triomphant  et  pudi- 


34  lES    POETES    DU    TERROIR 

bond,  M.  Ponsard  alla  lire  sa  tragédie  tous  les  soirs  !...  On  était 
las  des  excès  du  romantisme,  et  la  vieille  rengaine  classique 
parut  neuve.  M.  Ponsard  fut  proclamé  le  poète  du  bon  sens,  parctj 
qu'il  était  le  poète  de  la  vulgarité,  ces  deux  choses  qu'en  France 
nous  confondons  toujours'.  » 

Bibliographie.  —  A.  Desplaces,  Galerie  des  poètes  vivants^ 
1847.  —  Cuvillier-Flenrv,  Etudes  et  portraits,  Paris,  Calmann- 
Lévy,  1868,  II.  —  P.  Blanc,  Ponsard,  biographie,  Vienne,  Savi- 
gné,  1870,  in-12.  —  J.  Janin,  F.  Ponsard,  Paris,  Libr.  des  Bi- 
blioph.,  1872,  in-18.  —  D.  Stern,  Ponsard,  esquisse  de  sa  vie  et 
de  son  œuvre.  Voy.  Œuvres  coinpiètes,  I.  —  E.  Savigné,  Ponsard 
inconnu.  Vienne,  Savigné,  1886,  in-12.  —  Ed.  Grenier,  Souvenirs 
littéraires,  Paris,  Lemerre,  1894,  in-18. 


LA    CASCADE    DE    GRESY 

Le  torrent  mugissant  écume 
Contre  les  roches  qu'il  polit  ; 
Il  tombe,  rejaillit  et  fume, 
Et  couvre  d'une  épaisse  brume 
Les  arbres  penchés  sur  son  lit. 

Les  cascades  qui  rebondissent 
Et  qui  confondent  leurs  fracas 
Partout  tonnent,  partout  mugissent. 
Et  les  airs  au  loin  retentissent 
De  leurs  effroyables  éclats. 

A  quelques  pas  de  ce  tonnerre. 
On  voit  le  torrent  furieux 
Qui,  devenu  tout  débonnaire, 
Se  couche,  uni  comme  du  verre, 
Sur  le  sable  silencieux. 

Ainsi  dans  les  jeunes  années, 

Quand  l'amour  commande  en  vainqueur, 

Quand  les  passions  déchaînées 

Luttent  contre  les  destinées. 

Tout  est  tumulte  dans  le  cœur. 

I.  J.  Harbcy  «l'Aurevilly,  Les  Quarante  Médaillons  de  l' Académie 
frmiçaise,  18G3. 


DAUPHINÉ  35 

Puis  vient  Tùge  où  l'àme  s'émousse 
Et  ne  sait  plus  que  s'nbstenir  : 
Les  jours  s'écoulent  sans  secousse, 
Endormis  dans  leur  pente  douce, 
Et  murmurant  un  souvenir. 

Hélas!  tout  s'éteint,  tout  s'efface, 
Le  crépuscule  suit  le  jour  ; 
L'ardente  jeunesse  fait  place 
A  la  vieillesse  qui  nous  glace! 
L'amitié  succède  à  l'amour! 

Ah!  s'il  faut  un  jour,  cœur  sans  flamme, 

Cesser  d'aimer  et  de  souffrir; 

Si  le  pas  connu  d'une  femme 

IV'e  fait  plus  tressaillir  noire  âme. 

Plutôt  cent  fois,  plutôt  mourir! 

[Œuvres  complètes.) 


xMAURIGE   FAURE 

(1850) 


M.  Maurice  Faure  est  né  à  Saillans  en  1850.  Il  appartient  par 
sa  mère  à  une  lignée  hellène,  et  descend  par  son  père  d'une 
vieille  famille  dauphinoise  établie  dans  la  vallée  de  Die.  Suc- 
cessivement publiciste,  fonctionnaire  au  ministère  de  l'inté- 
rieur, député,  membre  du  conseil  supérieur  des  prisons,  ancien 
vice-président  de  la  Chambre,  il  est  actuellement  membre  du 
conseil  supérieur  des  beaux-arts,  président  du  conseil  général 
et  sénateur  de  la  Drôme.  Orateur  écouté,  M.  Maurice  Faure  est 
également  un  écrivain  de  tempérament.  Ses  travaux  le  prou- 
vent, et  en  particulier  son  ouvrage  Souvenirs  du  général  Chani- 
pionnet.  Il  n'a  point,  ainsi  qu'on  pourrait  le  craindre,  oublié  sa 
petite  patrie  :  au  contraire,  chaque  année  il  revient  en  sa  pitto- 
resque cité  de  Saillans,  «  site  de  prédilection,  coin  de  terre 
aimé  entre  tous,  angulus  souriant  où  convergent  sans  cesse 
toutes  ses  aspirations  ».  «  En  littérature,  aussi  bien  qu'en  art, 
a  écrit  l'un  de  ses  biographes,  c'est  un  irréductible  décentrali- 
sateur. Il  ne  pense  pas,  comme  François  Villon,  qu'i/  n'est  bon 
bec  que  de  Paris.  Il  croit  aux  dialectes  locaux,  au  charme  des 
antiques  légendes,  à  la  vieille  Provence,  au  vieux  Dauphiné. 
dont  il  étudie  passionnément  l'histoire.  »  M.  Maurice  Faure  esl 
l'auteur  de  poésies  en  langue  d'oc  qui  eurent  un  grand  succès. 
(Juelques-unes  de  ces  pièces  ont  été  publiées  dans  un  recueil 
collectif,  La  Cigale  (Paris,  Fischbacher,  1880,  in-8'),  parmi  des 
])ublications  félibréeunes. 

HiBLlooFiAPiiiK.  —  Fabre  des  Essarts,  Maurice  Faure,  La 
France  contemporaine,  t.  IV.  —  C.  Hcnuion,  Les  Fleurs  Féli- 
bresques,  188.3.  — Anonyme,  Compte  rendu  delà  fête  donnée  le 
'J(j  jant'ier  1001  en  l'honneur  de  31.  Maurice  Faure  (Paris,  Hou- 
valot-Jouve,  1907,  in-8"). 


DALI'H1>E 


L'OLIVAISON 


Nous  sommes  près  de  la  Toussaint  :  la  bise  furieuse 

—  Du  mistral  a  déjà  dépouillé  de  leurs  feuilles  plaines 
et  monts;  —  Des  arbres  qui  se  lamentent  la  dernière 
ramée  —  Fuit  en  tourbillonnant.  Cependant,  là-haut, 

L'olivette,  malgré  le  grand  vent  furibond,  —  Jette 
fièrement  son  ombre  au  Roc  de  Substantion,  —  Fière- 
ment, comme  elle  doit,  car  c'est  le  temps  de  l'olivaison, 

—  C'est  l'heure  où  va  ruisseler  l'eau  dorée,  son  sang 
blond. 

Comme  le  fruit  bruni  pleut  dans  les  frêles  claies  d'o- 
sier —  Et  comme  allègrement  les  fillettes  frappent  à 
coups  de  gaule,  —  En  riant,  en  chantant,  même  en  par- 
lant d'amour  ! 

0  novembre!  impitoyable  bourreau  de  l'automne,  — 
Tu  nous  donnes  l'huile  exquise,  si  tu  détruis  nos  tonnelles, 

—  Et,  pour  ce  don,  je  t'aime  autant  qu'un  mois  de  mai. 

[La  Cigale,  1880.) 


L'  0  U  L I  VA  D  O 

Sèn  proche  la  Toussant  :  la  rispo  enferounado 

Doù  mistrau  a  déjà  despampa  piano  et  mount; 

Dos  aubres  gingoulant  la  darriéiro  ramado 

Fugis  revoulunant.  Pamens,  aperamount,  ' 

L'oulivado,  mangrat  l'aurasso  esfoulissado, 

Oumbrejo  fieramen  au  Ro  de  SiistaDciotin, 

Fieramen,  coumo  déii,  car  es  teras  d'oulivado, 

Es  roiiro  oiint  val  raja  l'aigo  d'or,  soun  sang  blound. 

Caumo  plou  lou  fru  brun  dins  las  canasteletos, 

E  coinuo  bravainen  acanou,  las  drouletos, 

En  risènt,  en  cantant,  en  calignant  amai  ! 

O  nouvèinbre  !  bourrêl  despietoiis  de  l'autouno. 

Nous  baies  l'oli  fin  s'espalanques  la  louno, 

E,  pèr  aco,  iou  t'aime  autant  qu'un  mes  de  mai. 


EMILE   TROLLIET 

(1856-1905) 


Emile-Maurice-HippolyteTrolliet  naquit  le  10  juillet  1856,  à 
Saint-Victor  de  Morestel,  presque  au  bord  du  Rhône,  «  sur  cetbc 
marche  septentrionale  du  Dauphiné  dont  l'extrôme  pointe  porte 
les  grands  faubourgs  lyonnais  de  la  Guillotière  et  des  Brot- 
teaux  ».  11  était  fils  d'Hippol.yts  TroUiet,  propriétaire-agricul- 
teur au  même  lieu,  et  do  Joséphine  Chanteur.  D'abord  pré- 
cepteur dans  une  famille,  il  devint  professeur  au  collège  de 
Châtellerault,  puis  au  lycée  de  Laval  et  à  Nîmes,  et  finalement 
au  collège  Stanislas  à  Paris.  Il  mourut  dans  c(!tte  ville  d'une 
méningite,  le  25  janvier  1905,  laissant  trois  recueils  de  poèmes  : 
Les  Tendresses  et  les  Cultes  (Paris,  1886,  in-18):  La  Vie  silencieuse 
(Paris,  1892,  in-18):  La  Route  fraternelle  (Paris,  1900,  in-18); 
un  roman  autobiographique,  L'Ame  d'un  résigné  (Paris,  1895, 
in-18),  et  un  volume  de  critique.  Médaillon  de  poètes  (Paris, 
1901,  in-18). 

Admirateur  complaisant,  servile  de  Victor  Hugo,  Emile  Trol- 
lieta  trop  souvent  exagéré  sa  mission  de  poète.  Confondant  et 
ses  devoirs  d'éducateur  et  le  culte  des  lettres,  il  s'est  regarde; 
quelque  jour,  selon  son  expression,  comme  un  «  fonctionnaire 
de  l'idéal  ».  Uien  que  sa  poésie  se  ressente  de  celte  erreur  et  de 
son  absence  d'originalité,  il  a  donné  parfois  des  pages  pleines 
d'émotion.  Ses  meilleures  pièces  sont  celles  où  il  inscrivit  ses 
souvenirs  du  pays  dauphinois.  Sou  expression  est  surtout  sen- 
timentale, et  en  un  certain  sens,  a-t-on  dit,  symbolique,  mais 
d'«m  symbolisme  atténué  et  timide.  «  C'est  peut-être  parce 
qu'il  a  connu  les  sommets  de  son  pays,  qu'il  a  tenté  de  s'élever 
par  l'esprit  au-dessus  du  vulgaire.  Collaborateur  au  Téléphone, 
ensuite  rédacteur  en  chef  de  la  Hevuc  idéaliste,  Emile  TroUiet 
a  donné  eu  outre  de  nombreux  articles  à  des  périodiques, 
llécemment  on  a  publié  une  édition  de  ses  Œuvres  choisies 
précédée  d'une  biographie  par  Olivier  Billa/  (Paris,  Pion,  s.  d., 
iu-S"). 

BiBLiooRAPiiiB.  —  Eug.  de  Bibier,  Emile  TroUiet;  Corres- 
jiondant,  25  septembre  1902;  —  01.  Billaz,  Emile  TroUiet.  (Voir 
ci-dessus.) 


DAUPHINÉ  39 


LA   CHANSON    DU   DAUPHINE 

A  Paul  Morillot. 

Ah!  la  clianson  du  Dauphiné! 
Si  je  pouvais,  prédestiné, 
En  syllabes  d'or  la  traduire, 
Comme  aux  ravines  de  mon  cœur 
Je  l'écoute  parler  et  bruire 
Sur  un  rythme  des  ans  vainqueur' 

Car  en  vain  les  longues  années, 
Sous  les  doigts  des  temps  égrenées, 
Vont  m'éloignant  de  mon  berceau, 
Sans  cesse  je  l'entends  qui  chante. 
Source  intime,  jaseur  ruisseau, 
La  chanson  naïve  et  touchante. 

Ta  chanson,  mon  pays  natal, 

Roulant  ses  notes  de  cristal 

En  tous  les  coins  de  ma  mémoire; 

Musique  altière  que  tu  fais 

Dans  la  nature  ou  dans  l'histoire. 

Et  tes  hauts  pics  et  tes  hauts  faits. 

Une  race  chevaleresque 

Vit  en  ce  cadre  pittoresque, 

Et  ton  passé  vaut  ton  décor; 

Et  du  grand  Bayard  au  brin  d'herbe. 

Hommes  et  choses  sont  d'accord 

Pour  chanter  romance  superbe. 

Et  d'accord  cimes...  et  cités 

Qui,  sur  les  sommets  indomptés, 

Ont  dressé  leurs  tours  indomptables; 

Cités  de  souiùre  et  d'orgueil, 

Par  leurs  créneaux  très  redoutables 

Et  très  douces  par  leur  accueil. 

Et  les  trois  roses  delphinales 
Aux  patriotiques  annales 
Fleurissent,  éclatant  blason; 
Et  n'allez  pas  croire  que  noble 


LES    POETES    DU    TERROIR 

Rime  au  hasard  et  sans  raison 
Si  richement  avec  Grenoble. 

L'Allobroge,  aux  creux  des  torrents, 

A  bu  le  mépris  des  tyrans, 

Mais,  calme  et  fier,  il  appareille 

La  raison  et  la  liberté  ; 

Car  l'Alpe  joue  à  son  oreille 

Une  hymne  de  sérénité. 

Oui,  sublimes  sont  les  arpèges 
Que  sur  le  blanc  clavier  des  neiges 
Ou  dans  l'orgue  sombreMes  pins 
Exécute  l'Alpe  éternelle; 
Et  des  Mozarts  et  des  Ghopins 
L'âme  harmonique  habite  en  elle. 

Si  chantante  est  la  voix  des  eaux 

Qui  dévident  leurs  bleus  fuseaux 

Dans  les  prés  verts,  molle  couchette, 

Et  dont  le  grelot  ruisselant 

Se  marie  avec  la  clochette 

Des  troupeaux  roux,  tachés  de  blanc!... 

{La  Route  fraternelles) 


PIERRE   DEVOLUY 

(1862) 


M.  Pierre  Dévoluy  (pseudonyme  de  Paul  Gros-Long,  capi- 
taine du  génie)  est  né  le  27  juin  1862,  à  Chàtillon-i^n-Diois 
(Drôme).  Il  appartient  à  une  vieille  famille  dauphinoise,  et 
c'est,  dit-on,  par  amour  pour  son  pays  uatal  qu'il  a  choisi  le 
nom  sous  lequel  il  s'est  fait  connaître  comme  poète  français  et 
provençal.  Le  «  Dévoluy  »  serait  une  petite  terre  du  Dauphinc, 
aux  confins  de  Châtillon-en-Diois.  Toute  son  enfance  s'écoula 
dans  ce  pays,  où  se  parle  encore  un  vieux  provençal,  analogue 
au  langage  limousin.  M.  Pierre  Dévoluy  vint  à  Paris  en  1882  et 
publia  successivement  deux  recueils  de  poèmes  français,  Flu- 
men  (Melle,  Goussard,  1890,  in-12)  et  Bois  ton  ^aw^- (Paris,  Li- 
brairie de  l'Art  Indépendant,  1892,  iu-I6).  De  retour  dans  le 
Midi,  après  une  lecture  de  Mireille,  il  s'éprit  soudain  de  son 
parler  local  et  se  jeta  tout  entier  dans  le  Félibrige.  Il  n'écrivit 
plus  alors  qu'en  provençal.  Elu  félibre  majorai  en  1900,  il  de- 
vint capoulié  en  1901,  et  fut  réélu  aux  mêmes  fonctions,  pour 
sept  années,  en  1905. 

M.  Dévoluy  a  fait  paraître,  en  1903,  Les  Noms  de  lieux  ducomt 
de  Nice  (Avignon,  Koumauille,  in-18).  Il  a  collaboré  en  français 
à  l'Echo  des  liosati,  à  La  Plume,  à  la  Revue  Indépendante,  aux 
Ecrits  pour  l'Art,  à  VActioji  rcgionaliste,  à  la  Revue  du  Sud-Est, 
de  Lyon,  etc.;  et  en  provençal  à  tous  les  journaux  et  péri<jjdi- 
ques  du  Félibrige,  entre  autres  :  La  Cigalo  d'or,  La  Campana 
de  Magalonna  (Montpellier),  Videio  prouvençale,  Lou  Félibrige, 
hi  Revue  de  Provence  (Marseille),  Lou  Gau  (Avignon),  les  Reclams 
de  Biarn  e  Gasconne  (Pau),  Le  Pays  cévenol.  Il  a  donné  en  outre 
à  VAioli,  journal  de  Mistral,  une  série  d'études  formant  un 
corps  de  doctrine  :  Le  Mistralisme.  Il  dirige  depuis  janvier  1905 
le  journal  Prouvcnço !  (Avignon). 

M.  Dévoluy  a  obtenu  en  1899  le  prix  d'Arles  pour  une  His- 
toire de  la  Provence  et  du  Midi  encore  inédite.  Comme  capoulié, 
il  a  fait  aboutir,  en  1905,  la  réforme  du  statut  félibréen  de;  1876, 
ce  qui  lui  a  valu,  après  d'ardentes  polémiques,  l'approbation  de 
la  grande  majorité  des  félibres.  Orateur  éloquent  et  convaincu, 
il  a  présidé  les  fêtes  de  Sainte-Estelle  et  prononcé  de  nom- 
breux discours  à  Avignon,  à  Apt,  à  Béziers,  à  Pau,  à  Font- 


42  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Ségugne,  à  Arles,  à  Cette,  à  Périgueux,  etc.  Quelques-unes 
de  ses  poésies  provençales  lui  ont  valu  une  place  dans  le  mou- 
vement littéraire  du  Midi. 

Bibliographie.  —  Fréd.  Charpin,  Biographie  littér.,  L'Union 
républic.  d'Aix,  28  avril  1901.  —  Elzéar  Rougier,  Biographie, 
Revue  de  Provence,  juin  1901.  —  Edmond  Lefèvre,  Catalogue 
fêlibréen,  Marseille,  Ruât,  1901,  in-8».  — J.  Véran,  Le  Capoulié 
Dévoluy,  Libre  Parole,  24  mai  1904.  —  Eugène  Joubert,  Pierre 
Dévoluy,  L'Eclaireur  de  Nice,  15  déc.  1902;  etc. 


LE    DEUIL    D'AMOURi 

—  0  mère,  coupez-moi 
Les  rubans  de  mes  culottes. 

Ma  mie  est  morte 
A  la  pointe  du  jour, 
Je  veux  porter  le  deuil  d'amour. 

—  Mon  fils,  console-toi, 
Nous  en  trouverons  une  autre 

A  Barcelonnette 
Et  même  à  Draguignan; 
Il  n'en  manque  pas  chez  les  marchands. 

—  Les  filles  des  marchands 
Sont  bien  trop  orgueilleuses, 

Pour  leur  parure 
Et  leur  parler  pointu, 
Il  leur  faudrait  cent  mille  écus. 


LOU   DOU  D'AMOUR 

«  O  maire,  coupas-me  Emai  à  Draguignan 

Li  riban  demi  culoto  *  :  N'en  manco  pas  vers  li  marchand, 

Ma  migo  es  morte  _  j^i  fiho  di  marchand 

A  la  primo  doujour.  N'en sounbùn trop  ourguoiouso 

\  Ole  pourta  lou  dou  d  amour,  p .  ^  ^j  j^^^^j^ 

—  Moun  fiéu,  assolo-te.  Et  soun  parla  pounchu 

Quen'ontroubarasunoautro;  lé  faudrié  bèn  cent  milo  escut. 
A  Barcilouno 

1.  Prouvenço,  7  janvier  1907. 

2.  On  bisse  les  deux  premiers  vers  de  chaque  couplet. 


^2 


DAUPHINS 

—  Mon  fils,  en  Avignon, 
On  dit  qu'elles  sont  coquettes, 

Et  dansent  le  branle 
Tous  les  jours  de  l'année 
Avec  leurs  frères  et  leurs  galants. 

—  Les  filles  d'Avignon 
Sont  bien  trop  délurées  : 

Elles  vous  enjôlent 
Avec  leurs  paroles  mielleuses 
Et  en  ont  vite  assez  d'un  amoureux. 

—  Mon  fils,  pour  la  beauté, 
Cours  vite  en  terre  d'Arles. 

Il  y  a  des  princesses 
Plus  belles  que  le  jour 
Qui  te  feront  pûmer  d'amour. 

—  Qu'importe  la  beauté?... 
J'ai  le  cœur  malade,  mère. 

Les  filles  d'Arles 
Ne  savent  que  s'attifer 
Et  par  les  rues  se  pavaner. 

—  Mon  fils,  passe  la  mer, 
Va  chercher  en  Amérique  : 

A  ce  que  l'on  m'a  dit, 
Les  filles,  là-bas, 
Portent  l'argent  à  pleins  cabas. 


—  Moun  fiéu,  en  Avignoiiu,  Plus  belle  que  lou  jour 
Dison  que  soun  cafignoto,  Que  te  faran  fringa  d'amour. 

E  fan  lou  brande  _  Dequ'enchau  la  bèuta?... 

Touti  h  jour  de  l'an  Ai  lou  cor  que  me  dou,  maire; 

Emé  SI  fraire  et  si  galant.  LJs  Arlatenco 

—  Li  fîho  d'Avignoun  Sabon  que  se  pimpa 
N'en  soun  bèn  trop  degouiado  :  E  pèr  carrière  s'alarga. 

Nous  embelinou  _  ^i^^,^  ^ -.y^  p.,sso  la  ^^r, 

Eme  soun  teta-dous,  y^i  cerca  dins  l'Americo  : 

En  anleupround'unamourous.  M'an  voufu  dire 

—  Moun  fiéu,  pèr  la  bèuta,  Que  li  fîho  eilabas 
Courre  lèu  en  terro  d'Arlo  :  Porton  l'argent  à  plen  cabas. 

l'a  de  princesso 


44  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

—  De  tant  d'argent  sonnant, 
Mère,  que  voulez-vous  en  faire? 

Dans  notre  chaumière 
Ce  serait  gros  embarras. 
0  mère,  laissez-moi  pleurer. 

—  Mon  fils,  s'il  ne  te  chaut 
Gentillesse,  ni  richesse, 

Fais-toi  donc  moine 

Dans  quelque  monastère 

Pour  prier  Dieu,  ta  vie  entière. 

—  J'ai  bien  trop  prié  Dieu 
Qui  m'a  ravi  moo  amie. 

Je  vais  la  retrouver. 
Vite,  pour  votre  enfant, 
Tissez,  ô  mère,  un  linceul  blanc. 


—  De  taut  d'argent  tintin,  Dins  quauquo  mounastié, 

Maire,  que  n'en  voulès  foire?..  Pèr  prega  Diéii  tijourentié. 

Dins  nostro  granjo  _  ^j  bon  trop  prega  Dieu 

Sarié  gros  embarras...  q^^  ^,^  r,^„l,a  mounamigo; 

O  maire,  leissas-me  ploura.  j^a  vau  rejoiigne  : 

—  .Moiinfiéu,senoun  t'enchan  Léu-lèu,  pèr  veste  enfant, 

Galantiso  ni  richesse,  Teissès,  o  maire,  un  linçouManc. 
Rénde-to  moungc 


FLANDRE 


FLANDRE  WALLONNE,  FLANDRE  FLAMINGANTE,  HAÏNAUT 
CAMBRÉSIS.  ETC. 


Ce  n'est  pas  en  vain  qu'un  critique  a  récemment  écrit  que 
l'on  ne  connaît  de  la  Flandre  que  «  la  monotonie  de  ses  plai- 
nes, la  tristesse  désolante  de  son  ciol,  l'ivresse  bruyante  et 
lourde  de  ses  kermesses  et  son  activité  industrielle  et  commer- 
ciale^  ».  En  effet,  quand  on  l'a  dépeinte  plantureuse  et  grasse 
et  si  fertile  que  peu  de  provinces  septentrionales  peuvent  lui 
être  comparées,  on  croit  l'avoir  définie.  C'est  la  juger  superfi- 
ciellement. Rien  n'est  plus  varié  que  son  sol,  où  cent  éléments 
divers  se  combinent  et  lui  prêtent  celte  existence  complexe 
qu'on  lui  reconnaît  lorsqu'on  a  su  profondément  la  pénétrer. 
Opposition  brusque  du  terroir  et  de  la  race,  éléments  antithé- 
tiques du  climat  et  du  paysage,  cette  multiplicité  de  ses  res- 
sources constitue  à  la  Flandre  un  caractère  original  d'un  charme 
prenant  et  discret,  qui  la  situe  entre  les  plus  pittoresques  de 
nos  pays  de  France.  «  Ceux-là  seuls  l'apprécient  pleinement 
qui  ont  connu  —  écrit  M.  Léon  Bocquet,  — puisé  aux  traditions, 
respiré  dans  l'air  même  l'initiation  préalable  pour  atteindre*à 
cette  beauté,  une  beauté  voilée  et  douce.  L'étendue  de  la  Flan- 
dre n'a  point,  pour  l'autochtone,  l'uniformité  plane  qu'ensei- 
gnent les  géographies  sommaires.  Son  atmosphère,  moins  lim- 
pide que  celle  d'autres  régions  davantage  favorisées  du  soleil, 
ni  sa  lumière  papillotante  et  mouillée,  ne  révèlent  aux  regards 
habitués  à  s'y  baigner  la  désolation.  Ses  paysages  et  ses  sites 
comportent  une  poésie  de  brume  intense,  une  pacification  pro- 
fonde, propice  aux;  rêveries  délicieuses  et  aux  langueurs  de 
nonchalance.  La  plaine  est  coupée  de  ces  rivières  aux  méandres 
de  musardise  :  l'Escaut  aux  flots  verts,  la  Scarpe  paresseuse, 
la  Sambre  flexible,  activant  les  vannes  des  moulins,  la  Deùle 
bourbeuse  et  noire,  la  Lys  surtout,  aux  eaux  fécondes  et  bonnes 
au  rouissage  des  lins,  et  qui  coule  si  calme  dans  sa  vallée  humble 

1.  Léon  Bocquet,  La  Flanrlre^  Grande  Revue,  1"  mai  1906. 


46  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

et  heureuse.  Et  le  sol  gras,  opulent  et  sain,  ondule  d'une  montée 
insensible  du  côté  du  Ferrain  et  du  Pévèle,  tandis  qu'à  l'autre 
extrémité,  bleuissant  l'hémicycle  de  l'horizon,  le  sol  se  mame- 
lonné des  monts  de  Bailleul  et  de  Cassel  pour  s'enclore  à  la  fron- 
tière par  les  collines  basses  du  Tournaisis.  Rivières  et  canaux 
sinuent  et  serpentent  dans  les  trois  Flandres,  la  flamingante, 
la  -wallonne  et  colle  proprement  française,  à  l'entour  des  villes 
anciennes  dont  l'existence  raconte  une  épopée  :  Landrecies  et 
Maubeuge,  Valenciennes  et  Bouchain,  Douai,  Bavay  et  Lille. 
Bardées  de  fer  et  closes  de  remparts,  c'étaient  les  cités  fortes, 
orgueilleuses  et  invincibles  qui  commencent  à  peine  de  se 
désentraver  de  la  gêne,  devenue  inutile,  de  leurs  fortifications. 
Ailleurs  ce  sont  des  cités  déchues,  Wervicq,  rivale  d'Ypres, 
Halluin,  Comines,  célèbres  toutes  deux  dans  les  annales  et 
mortes  irrémédiablement;  Bailleul  la  dentellière,  Cassel,  Haze- 
brouck,  Hondschoote  et  tant  d'autres  encore  qu'on  oublie.  » 
Aussi  bien  l'histoire  de  la  Flandre  française  se  confond-elle 
avec  celle  de  tous  les  pays  du  Nord;  mais  elle  a  pour  nous 
séduire  des  pages  hautement  significatives  où  s'est  inscrit  le 
sentiment  de  son  indépendance.  Il  y  a  autre  chose  que  de  la 
brutalité  dans  le  génie  de  sa  race.  La  force  prolifique  des  Bolgs 
d'Mande  se  trouve,  selon  l'expression  de  Michelet,  chez  les 
peuples  originaires  de  Belgique  et  des  Pays-Bas.  Chez  ceux 
de  Flandre,  le  sens  belliqueux  s'atténue  à  mesure  qu'on  s'avance 
vers  la  Picardie. 

Peu  guerrier  de  sa  nature,  le  Flamand,  à  part  quelques  ins- 
tants de  révolte  et  d'héroïsme,  répugne  volontiers  à  la  guerre 
qui  entrave  son  goût  de  négoce  et  perturbe  son  désir  de  paix 
laborieuse.  On  a  beau  citer  les  fastes  de  son  histoire,  rappeler 
ces  noms  glorieux  et  significatifs  pour  la  nation  ,  Cassel,  Bon 
vines,  Fontenay,  Denain,  Wallignies,  etc.,  on  ne  caractérise 
point  ainsi  son  rôle  dans  l'évolution  sociale  des  derniers  siè- 
cles. Il  eut  un  but  plus  haut  que  celui  qu'on  lui  prête.  Le  sol 
de  sa  patrie  fut  sans  doute  un  champ  de  bataille,  mais  la  pros- 
périté de  ses  cités  ne  dut  rien  à  la  conquête.  Peuple  fort  et  po- 
sitif, ayant  sans  cesse  le  souci  du  réel,  nul  plus  que  le  Flamand 
ne  montra  tout  à  la  fois  le  goût  de  l'industrie,  de  l'agriculture 
et  des  arts  pacifiques.  Nul  ne  comprit  mieux  les  nécessités  de 
la  vie,  les  usages  du  monde,  ne  sut  mieux  agir  et  conter.  «  La 
Champagne  et  la  Flandre,  a-t-on  dit',  sont  les  seuls  pays  au 
moyen  Agequi  puissent  lutter  avec  l'Italie.  La  Flandre  a  son 
Villani  dans  Froissart,  et  dans  Comines  son  Machiavel.  Ajou- 
tez-y ses  empereurs-historiens  de  Constanlinople.  Les  auteurs 
de  fabliaux  sont  encore  des  historiens,  au  moins  en  ce  qui  con- 
cerne les  mœurs  publiques.  Mœurs  peu  édifiantes,  sensuelles  et 

1.  J.  Michelel,  Noire  France. 


FLAN  DU  i:  4/ 

grossières.  Et  plus  on  avance  au  nord  dans  cette  grasse  Flan- 
dre, sous  cette  douce  et  humide  atmosphère,  plus  la  contrée 
s'amollit,  plus  la  sensualité  domine,  plus  la  nature  devient  puis- 
sante. L'histoire,  le  récit,  ne  sufTist-nt  plus  à  satisfaire  le  besoin 
de  la  réalité,  l'exigence  des  sens.  Les  arts  du  dessin  viennent 
au  secours.  La  sculpture  commence  eu  Franco  même  avec  lo 
fameux  disciple  de  Michel-Ange,  Jean  do  Bologne*.  L'architec- 
ture aussi  prend  l'essor;  non  plus  la  sobro  et  sévère  architec- 
ture normande,  aiguisée  en  ogives  et  se  dressant  au  ciel  comme 
un  vers  de  Corneille:  mais  une  architecture  riche  et  pleine  en 
ses  formes.  L'ogive  s'assouplit  en  courbes  molles,  en  arrondis- 
sements voluptueux.  La  courbe  tantôt  s'adaisso  et  s'avachit, 
tantôt  se  boursoufle  et  tend  au  ventre  *.  » 

On  a  décrit  ses  églises,  parées  comme  toute  habitation  fla- 
mande, éblouissantes  de  propreté  et  de  richesse;  on  ne  saurait 
méconnaître  ses  betl'rois  où  sautillent  les  carillons. 

«  Les  betï'rois!  Ils  attestent  les  laborieux  enfantements  de  la 
liberté  dans  le  pays  et  les  luttes  pour  l'indépendance  commu- 
nale. Ils  dominent  les  maisons  municipales  où  lo  peuple  se 
gouverne  et  fait  ses  lois,  où  les  corporations,  les  gueldes,  l'é- 
chevinage  et  les  confréries  se  rendent  en  procession  comme 
aux  cathédrales. 

«  Avec  leurs  poivrières,  leurs  créneaux,  leurs  échauguettes, 
leurs  donjons  du  guet  où  se  tient  lo  veilleur,  ils  ont  surgi  à 
la  Renaissance  espagnole  sur  tous  les  points  de  la  province, 
dressant  en  face  de  la  beauté  pieuse  des  églises  leur  beauté 
plus  humaine.  Ils  sont  le  geste  de  l'oHort  et  de  la  défense,  à 
côté  du  geste  de  la  prière  et  do  la  supplication.  Les  sonneries 
des  uns  fraternisèrent  aux  jours  de  fête  avec  la  sonnerie  des 
autres.  L'heure  continue  d'y  alterner,  car  aux  calmes  villes  des 
Flandres,  du  haut  des  tours,  sur  lo  clavier  des  carillons,  d'hum- 
bles artisans  savent  encore,  quand  viennent  les  ducasses,  faire 
descendre  sur  la  foule  les  musiques  joyeuses.  - 

«  Sur  un  même  sol,  l'union  des  bellrois  et  des  cathédrales 
symbolise,  ce  semble,  lo  caractère  du  peuple  en  ses  deux  élé- 
ments fonciers  :  lo  mysticisme  grave  et  fastueux,  l'énergie 
combative  et  têtue.  Ils  sout  les  monuments  comniémoratifs 
d'une  race  ficre  et  volontaire  qu'aucun  choc  ne  fait  plier  et  qui 
se  redresse  après  chaque  coup,  tenace  et  indomptable^...  » 

De  même  que  les  autres  arts  nés  du  terroir,  la  littérature  est 
ici  pittoresque,  colorée,  presque  toujours  réaliste  à  l'excès.  En 
valu  nous  ol)jectera-t-on  que  la  Flandre  apporta  sans  cesse 
sa  contribution  à  la  culture  française,  fournit  ses  chansons  de 

i.  Né  à  Douai. 

2.  J.  Micholct,  Xotre  France. 

3.  Léon  Bocquet,  La  Flandre. 


48  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

geste,  ses  poèmes  épiques,  s'enoroueillit  des  vers  de  Frois- 
sart  et  do  Robert  Gaguia,  sa  poésie  est  esseatielleiiient  popu- 
laire. Lille, à  l'égal  des  autres  villes  du  Nord,  eut  sou  Puy  da- 
mour,  SCS  mystères  dramatiques,  ses  fabliaux,  ses  chansons, 
ses  satires  de  mœurs'.  Le  peuple  flamand  a  gardé  presque 
intacts  ses  dialectes.  Deux  langues  se  partagent  la  province  : 
l'une  d'origine  tudesque,  l'autre  française.  La  Lys  sépare  leur 
domaine-.  Le  français  et  les  patois  Avallons-])icards  dominent, 
plus  bas.  à  Roul)aix.  à  Valenciennos,  à  Cambrai,  etc.  Ce  der- 
nier, au  vocabulaire  touffu,  aux  mots  expressifs  et  imagés,  mais 
dont  l'harmonie  est  indigente  par  défaut  de  syllabes  sonores  et 
par  excès  de  consonnes  chantantes,  reste  la  langue  commune.  U 
a  eu  longtemps  ses  rapsodes,  satisfaits  de  dire  oralement  les 
coutumes  et  les  faits  locaux  :  Cottignies,  dit  IJrùle-Maison,  puis 
le  célèbre  Desrousseaux,  surnommé  le  Mistral  du  Septentrion '. 
Alexandre  Desrousseaux  réussit  à  fixer  la  langue  instable  de 
ses  devanciers,  à  lui  donner  une  grammaire,  enfin  à  perpétuer 
j)ar  le  verbe  la  tradition  des  vieilles  fêtes  flamandes  :  le  bro- 
qaetet,  fête  des  dentellières;  la  braderie,  foire  nocturne  de  Lille 
dont  aucune  ville  du  Nord  ne  peut  offrir  l'équivalent.  Il  fonda 
cette  école  contemporaine  qui  s'affirme  à  Valencicnnes  avec 
Georges  Fidit,  à  Tourcoing  avec  Watteuw,  et  à  Deuain  avec  le 
mineur  Jules  Mousseron*. 


1.  Voyez  entre  autres  :  Lille  on  vers  burlesques,  Les  Embarras 
(lu  jour  de  l'an,  Les  Mœurs  des  Lillois  anciens  et  modernes  ou  Lille 
civilisée  sous  la  domination  française,  par  rétablissement  des  Aca- 
démies, Les  I^romenades  de  l'Esplanade,  Sur  l'imprimé  citez.  G.-E. 

Vroi/e,  etc.,  1731,  in-1:!.  Réimpression  de  l'original  (un  exemplaire  u 
la  Bibliothèque  nationale  :  Réserve  Y"  4333).  Louis  Vermcsse,  dans 
sou  Dictionnaire  des  patois  de  la.  I-'landre  française,  signale  eu  outre 
un  recueil  dcCliansons  lilloises,  par  F.-K.  Faucompré,  bille,  1838,  bro- 
chure. IVous  n'avons  pas  vu  cet  ouvrage,  mais  nous  supposons  qu'il 
s'agit  là  d'une  iiiiilalion  des  poèmes  du  célèbre  Brùle-Maisou,  alors 
fort  goùlé  eu  Flandre. 

2.  A  partir  de  Vieux-Bcrquin  (mi-francais  et  mi-flamand),  toull'ar- 
rondisseuieul  de  Ilazebrouck  et  celui  de  j[)unkcrquc,  sauf  vers  Rosen- 
dael  et  Gravelines,  parlent  le  vieux  flamand.  Les  jeunes  gens  seuls 
ont  quelque  teinture  de  français,  mais  dans  leur  village  ils  délaissent 
volontiers  la  langue  officielle  pour  le  «  parler»  du  cru.  On  consultera 
utilement  àce sujet  l'inléressaut  travail  de  M.  .1.  Dewacliler,  Le  Fla- 
mand et  le  Français  dans  le  nord  de  la  France,  in-S».  (Voir  notre 
Bibliogra|)lii(>.) 

3.  Louis  V'crmc'sse  en  signale  d'autres,  des  pasticheurs  sans  doute. 
Voyez  les  Chansons  et  Pasqnilles  valenciennoises,  par  Querlinier, 
Valenciennos,  1801  ;  puis  les  Chansons  tournaisiennes,  par  A.  Del- 
môe  et  A.  Le  Hay,  etc. 

4.  Can)brai  a,  dit-on,  aussi  son  poète  en  patois  local  :  M.  Cliailes 
Lamy,  né  le  3  octobre  1848.  On  lui  doit  une  série  de  ])laqueltes,  Passe- 
timjts  Kimberlot  (Canibray,  inq)r.  Régnier  frères,  a  fasc.  in-8»),  La 


FLAN DUE 


49 


Plus  productif  dans  ses  manifestations  anciennes  apparaît 
l'idiome  de  la  Flandre  flamingante,  pou  dissemblal)lo  de  la  lan- 
gue parlée  couramment  dans  une  grande  partie  de  la  Belgiquo 
etqui  reste  le  seul  en  usagée  dès  qu'on  a  dépassé  le  pays  des  Rues 
pour  aller  vers  la  mer  du  Nord.  On  lui  doit,  dit-ou,  les  litanies 
gracieuses  des  fleurs  et  les  cantiques  à  la  gloire  de  la  bonne 
terre  productrice.  A  ces  deux  formes  expressives  do  l'esprit 
flamand,  si  l'on  ajoute  les  témoignages  de  quelques  écrivains 


limite   d£tat.  . 

de  Ji'ovince . 

..   de  Départanaat. 
lieu  de  naissance 
des  poètes. 


j  ^■"        ^       '  "Wsixrinïïios 

JPAS     DE -CALAIS       >  m  q 


K.! 


lllonâ^ris  > 


|sa^E^A^j"^-Ji) 


-*_^__,--  N^  y   le  Ljte.au 


.        ,-  v„> ^\RocroP 


LA    FLANDRE 

français,  dont  l'œuvre  nouvelle  constitue  une  sorte  de  renais- 
sance de  la  pensée  flamande,  l'on  aura  délini  le  caractère  d'une 
de  nos  riches  provinces. 

A  l'heure  actuelle,  la  Flandre  possède  un  certain  nombre  de 
poètes  dignes  d'être  avantageusement  connus.  Nous  avons  fait 


Vie  de  l'Ouvrier  (ibid.),  JSos  douches  et  trisses  saquois  (ibid.),  Uii 
tiot  peu  d' toutes  sortes  (ibid.),  5m?'  ifes  Geins  d'nous  autes.  Contes 
d'pépère  (ibid.).  Sur  des  Saquois  (ibid.).  Les  monologues,  chansons 
et  autres  productions  de  Cii.  Lamy  n'ont  été  remarquées  que  parce 
qu'elles  empruntent  aux  formes  locales  leur  expression  pittoresque. 
Dégagées  de  leurs  parures  verbales,  ce  sont  d'assez  pauvres  ciioses 
dépourvues  de  couleur,  de  franc  esprit,  d'imaginaliou  et  surtout  de 
celle  grâce  vivante  qui  rend  durable  toute  œuvre  populaire. 


50  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

une  place  à  MM.  Auguste  Dorchain,  A. -M.  Gossez,  Léon  Boc- 
qiiet,  Amédée  Prouvost,  Faute  de  pouvoir  faire  mieux,  nous 
croyons  devoir  signaler  à  l'attention  des  lettrés  MM.  Ed- 
mond Blanguernon,  Paul  Castiaux.  Achille  Segard ,  René- 
Mary  Clerfeyt,  Emile  Lante,  Floris  Delattre,  Georges  Houbron, 
Cliarles  Droulers,  etc. 

Tous  ces  poètes  ont  célébré  à  l'envi  le  pays  natal,  cette  Flan- 
dre des  buveurs  de  bière,  des  kermesses  et  des  dncasses,  qui 
n'ignore  rien  de  ses  origines  et  demeure  justement  fiére  de  son 
passé;  «  la  P'Iandre  aux  pâtures  abondantes,  aux  champs  bario- 
lés, aux  routes  interminables  bordées  de  saules  et  d'ormes,  à 
l'ombre  desquelles  sont  assises  les  fermes  et  les  censés  régu- 
lièrement alignées,  pareilles  en  leur  propreté  aux  intérieurs  • 
hollandais;  la  Flandre  des  hauts  fourneaux,  des  filatures  et  des 
centres  miniers,  où  l'activité  des  fosses  bourdonne  et  gronde 
sourdement... 

Bibliographie.  —  Bruzen  de  la  Martinière,  Grand  Diction-' 
naire,  Géographie  historique,  etc.,  t.  II,  Paris,  P.-G.  Le  Mercier, 
1740,  in-folio.  —  ExpiUy,  Dictionn.  histor.,  pol.  et  gcogr.  de  la 
France,  etc.,  1764.  —  G-A.-J.  Hécard,  Dictionn.  rouchi-français, 
etc.,  1833,  in-8°.  —  Le  Glay,  Analectes  historiques,  etc.,  Lille,  1838, 
in-8".  —  Quenson,  Gayant  ou  le  Géant  de  Douai,  etc.,  Douai,  1839, 
in-8».  —  Aristide  Guilbert,  Histoire  des  villes  de  France,  t.  III, 
Paris,  Fume  et  C'«,  1845,  in-8''.  —  H.  Brimeel,  Histoire  popuL 
de  Lille,  Lille,  1848,  in-8''.  —  Louis  do  Baecker,  Chants  histo- 
riques de  la  Flandre,  Lille,  1855,  in-8».  —  A.  Dinaux,  Descript. 
des  Fêtes  popul.  données  à  Valenciennes  le  11-13  mai  1851,  par 
la  Soc.  des  Incas,  Lille,  1856,  in-S".  —  P.  Legrand,  Dict.  du  pa- 
tois de  Lille,  1856.  in-8».  —  E.  de  Coussinaker,  Chants  populaires 
des  Flamands  de  France,  rec.  et  publics  avec  les  mélodies  origin., 
une  trad.  frauç.  et  des  notes,  Gand,  imprim.  F.  et  E.  Gyso- 
lyuck,  185G,  iu-8».  —  Louis  Vermosse,  Vocabulaire  du  patois 
lillois,  Lille,  A.  Béhaguc,  1861,  in-12;  Dictionnaire  du  patois 
de  la  Flandre  française.  Douai,  L.  Crépin,  1867,  iu-8».  —  A.  Du- 
rieux  et  A.  Bruyelle,  Chants  et  Chansons  populaires  du  Cam- 
brésis,  avec  les  airs  notés,  Cambrai,  Durieux,  1864-1868,  2  vol. 
in-8».  —  Em.  Van  den  Busscho,  Bibliographie  des  Flamands  de 
France,  etc.,  Lille,  imprim.  Lcfebvre-Ducrocq,  1867,  in-8°. — 
Th.  Denis,  Qu'est-ce  que  Gayant,  nouv.  èdit.  augm.  d'un  essai 
de  Bibliographie  Gayantesque,  Douai,  1889,  in-8».  —  A.  Des- 
rousseaux,  Mœurs  populaires  de  la  Flandre  française,  Lille, 
L.  Quarré,  1889,  2  vol.  in-18.  —  C.  Lootcn,  La  Langue  des  Fla- 
mands de  France,  1\g\uo  de  Lille,  1890,  I,  p.  278;  1804,  p.  435- 
461;  La  Littérature  des  Flamands  de  France,  Revue  do  Lille, 
1890,  II  et  III,  etc.  —  Abbé  Lcniiro,  M.  Dehacne  et  la  Flandre, 
Lille,  Désolée  et  de  Browcr,  1891,  in-S».  —  A.  de  Saint-Léger, 


FLANDRE  51 

La  Flandre  rnaiit.  et  Dunkerque  s.  la  domination  franc.,  IG-'iO- 
1189,  Paris,  Taillandier,  1900,  ia-8».  —  A. -M.  Gossez,  J'oi-tcs  du 
Nord,  1880'100'2,  Morceaux  choisis,  Paris,  Ollendorff,  1902, 
in-18j  Les  Provinces  poétiques.  Le  Havre,  La  Province  nouvelle, 
1908,  in-S".  —  Albert  Grimaud,  La  Race  et  le  Terroir,  Cahors, 
Petite  Biblioth.  provinciale,  1903,  in-S».  —  Léon  Bocqiict,  La 
Flandre,  La  Grande  Revue,  1"'  mai  19i)(j.  —  Emile  Laute,  La  Bra- 
derie, La  Grande  Revue,  1"''  mai  1906.  —  Henry  Pote/.,  De  l'in- 
fluence des  écrivains  du  Nord  sur  la  pensée  française,  La  Grande 
Revue,  1«  mail906.  —  Raoul  Blanchard,  La  Flandre,  Paris,  Co- 
lin, 190G,  in-8».  —  J.  Michelet,  Notre  France,  9°  éd.,  Paris,  Colin, 
1907,  in-18.  —  H.  Cochin,  Tableaux  flamands,  Paris,  Pion,  1908, 
in-18.  —  J.  Dewachter,  Le  flamand  et  le  français  dans  le  nord 
de  la  France,  avec  une  carte  (Congères  pour  l'extens.  et  la  cuit, 
de  la  langue  fr.,  2"  session,  Paris,  Cliampion,  1908,  iu-8"). 

Voir  en  outre  :  Hécart,  Sur  le  goût  des  habitants  de  Valcn- 
cicnnes  pour  les  lettres,  1826;  —  L.  de  Baecker,  La  langue  fla- 
mande en  France,  1893;  —  G.  Kurtii,  La  Frontière  linguistique 
en  Belgique,  1890-1898;  —  Mk''  Dehaisnos,  Les  délimitations  des 
langues  dans  le  nord  de  la  France  (Bulletin  de  la  Commission 
histor.,  1897);  —  H.  Taine,  Carnets  de  Voyage  (1863-1865),  1897; 

—  Vidal  de  la  Blache,  Tableau  de  la  géogr.  de  la  France.  1908; 

—  J.-H.  Berlhou,  Des  chroniques  et  traditions  surnaturelles  de 
la  Flandre,  etc.  ;  —  enfin  la  Revue  du  Nord,  la  Revue  de  Lille, 
La  Vaclcttc  (Lille),  Annales  de  l'Fst  et  du  Nord,  La  Flandre  ar- 
tiste, la  Revue  septentrionale,  Le  Beffroi,  etc. 


CHANSONS   POPULAIRES 


PETIT   JEAN   REVENANT    DE    LILLE* 

RONDE 

Petit  Jean  revenant  de  Lille, 
Go,  co,  co,  se  dira  la,  la-  ! 
Petit  Jean  revenant  de  Lille, 

Tout  chargé  de  rémolas^.  (^'*) 

Sa  femm'  lui  prépare  sa  soupe, 
Co,  co,  co,  se  dira  la,  la! 
Sa  femm'  lui  prépare  sa  soupe 

Et  un  gros  morceau  de  lard.  (^''*) 

Mais  pendant  qu'il  mangeait  sa  soupe, 
Co,  co,  co,  se  dira  la,  la! 
Mais  pendant  qu'il  mangeait  sa  soupe, 

Le  chat  lui  a  pris  son  lard.  (^'*) 

A  qui  je  donnerai  la  trique  ? 
Co,  co,  co,  se  dira  la,  la! 
A  qui  je  donnerai  la  trique? 

A  ma  femme  ou  à  mon  chat?  {bis) 

Si  je  donn'  la  trique  à  ma  femme, 
Co,  co,  co,  se  dira  la,  la! 
Si  je  donne  la  trique  à  ma  femme, 

Le  curé  mo  grondera.  (^'*) 

Si  je  donn'  la  trique  à  mon  chat, 
Co,  co,  co,  se  dira  la,  la  ! 
Si  je  donn'  la  trique  à  mon  chat, 

Le  matou  me  griffera.  (^'*) 

1.  Dcsrousseaux,  Mœurs  po/ml.  dn  In  Flandre  francaisn,  Lillo, 
h.  OiKiriY',  1889. 

t.  Dans  corlainos  localités,  co.  rpfraiii  est  remplacé  par  celui-ci  : 
Youp!  yoiip!  i/on/t!  Ira,  la,  la,  la,  la!  Dans  <i  antres,  à  Houliaix 
nolammonl,  on  dit  la  chanson  sur  un  autre  air,  avec  ce  scconti  refrain. 

:i.  Gros  radis  noirs. 


I 


5;} 


Bah!  bah!  bah!  j'ies  laiss'rai  tout  faire, 
Co,  co,  co,  se  dira  la,  la! 
Bah!  bah!  bah!  j'Ies  laiss'rai  tout  faire. 
En  paradis  n'iront  pas.  {bis) 


LE   MESSAGER   D'AMOURS 

Un  petit  oiseau,  blanc  comme  neige,  se  balan(;ait  sur 
une  branche  d'épine. 

—  Veux-tii  être  messager?  —  Je  suis  trop  petit,  et  ne 
suis  qu'un  petit  oiseau. 

—  Si  tu  es  petit,  tu  es  subtil;  tu  sais  le  chemin?  — 
Oui,  je  le  connais  bien. 

Il  prit  le  billet  dans  son  bec,  et  l'emporta  en  s'envo- 
lant. 

Il  s'envola  jusqu'à  la  demeure  de  ma  mie.  —  Dors-tu, 
veilles-tu,  es-tu  trépassée  ? 


DE    MINNEBODE 

Daer  was  een  sneeuwwit  vogeltje, 
Al  op  een  stekend  doornetje, 
Din  don  deyne,  al  op  een  stekende  doornetje, 
Din  don  don. 

—  Wilt  gy  nict  raynen  bode  zyn? 

—  Ik  ben  te  kleyn  een  vogelkyn.  0 

Din  don,  enz. 

—  Zyt  gy  maer  kleyne,  gy  /yt  snel; 

Gy  weet  den  weg  ?  —  Ik  weet  hem  wel. 

Diu  don,  enz. 
Hy  nam  denbrief  in  zynen  bek, 
En  vloog  er  meè  tôt  over't  hek, 

Din  don,  enz.^ 
Hy  vloog  tôt  aen  myn  zoetlîefs  deur. 
En  slaep  ye,  of  waek  ye,  of  zi  t  gy  doodt  ? 

Din  don,  enz. 

1.  Les  trois  pièces  publiées  ici  sont  extraites  des  Chants  populaires 
'fes  Flamands  de  France,  de  E.  de  Coussmaker,  Gand,  imprimerie 
F.  et  E.  Gysclynck,  1856. 


54  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

—  Je  ne  dors  ni  ne  veille,  je  suis  mariée  depuis  une 
demi-année. 

—  Tu  es  mariée  depuis  une  demi-année.  11  me  sem- 
blait que  c'était  depuis  mille  ans. 


JEANNE 

—  Ah!  Jeanne,  disait-il,  Jeanne,  — Pourquoi  necliantes- 
tu  pas?  —  Eh!  que  chanterai-je,  dit-elle,  —  Dans  trois 
jours  je  ne  serai  plus. 

Jeanne  était  à  peine  en  terre,  —  Jean  se  maria  à  une 
autre  femme.  —  Et  celle-ci  donna  des  coups  aux  enfants, 
—  En  disant  :  Pourquoi  n'allez-vous  pas  chercher  votre 
pain? 

Le  lendemain,  à  neuf  heures,  —  On  vit  aller  les  trois 
petits  enfants  —  Vers  le  tombeau  de  leur  mère  —  Et  s'y 
arrêter  tous  trois. 


—  'K  en  slape  hoch  'k  eu  wake  niet; 
Ik  ben  petrouwd  al  een  half  jaer. 

Dio  don,  cnz. 

—  Zyt  gy  gotrouwd  al  een  half  jaerj 
Het  dochte  my  >vel  duyzcnd  jaer. 

Din  don,  enz. 

TJANNE 

—  Ach!  Tjanne,  zyde  hy,  Tjannnc, 
Wacrom  en  zingdc  gy  niet? 

—  En  wat  zoudiir  ik  g.ion  /.ingon, 
By  dry  dagcn  en  bondcr  ik  niet. 
Tjanne  was  schnors  in  d'aerde, 
Yan  trouwde  mot  een  ander  lief. 
En  zy  gaf  de  kinderen  slagen, 

En  zy  zeyd'  :  Waeroin  zockt  gy  niot. 
'S  Morgens  ton  nr-gon  uren, 
Zag  ineu  de  dry  kiudjes  gaen, 
Naer  bct  graf  vau  hulder  inoedcr 
En  zy  bleven  daor  stille  staen. 


FLANDRE  55 

Ils  prièrent  beaucoup  —  Et  se  mirent  à  genoux.  —  Et 
sur  la  prière  qu'ils  y  firent,  —  La  tombe  s'ouvrit  en  ti'ois 
endroits. 

Elle  prit  son  deuxième  enfant —  Et  le  plaça  sur  ses 
g-enoux,  —  Et  elle  prit  son  plus  jeune  —  Et  le  porta  à 
son  sein. 

Et  elle  lui  donna  de  son  lait,  —  Comme  font  les  mères 
chastes.  —  Ah!  enfants,  dit-elle,  enfants,  —  Que  fait 
votre  père  à  la  maison.' 

—  Ah!  mère,  dirent-ils,  mère,  —  Notre  faim  est  bien 
grande.  —  Levez-vous  et  venez  avec  nous,  —  Nous  irons 
ensemble  mendier  notre  pain. 

—  Ah!  enfants,  dit-elle,  enfants,  je  ne  puis  vraiment 
me  relever;  mon  corps  est  couché  sous  terre;  c'est  mon 
àme  que  vous  voyez  ici. 


Zy  lazen  en  zy  badon, 
Zy  vielen  op  hulder  knièn. 
Op  't  gebed  dat  zy  daer  lazen, 
Het  graf  sprong  open  in  drien. 
Zy  nam  het  middelste  zoontje. 
En  zy  ley  't  op  haren  schoot. 
En  zy  nam  het  jongste  zooatje 
En  zy  ley  't  aen  haer  borst  bloot. 
En  zy  gaf  t  nog  eerst  te  zuygen, 
Gelyk  al  de  moeders  kuisch. 

—  Ach!  kinders,  zeyde  zy,  kinders, 
Wat  doet  uwen  vador  al  l'huys  ? 

—  Ach  !  moeder,  zeyden  zy,  moeder, 
Myn  honger  is  wel  te  groot. 

Staet  op  en  gauwe  gy  mede, 

Wy  zullan  t'saem  vragen  ons  brood. 

—  Ach  !  kinders,  zeyde  zy,  kinders, 
'K  en  kan  voorwaert  niet  opstaen, 
En  myn  lichaem  ligt  onder  d'aerde, 
En  den  geest  doet  my  hier  staen. 


56  LES    POÈTES    DU    TERROIR 


L'ABSENCE 


O  Islande,  tristes  parages,  —  ïu  fais  souffrir  bien 
des  cœurs  !  —  Tu  mets  les  jeunes  filles  dans  l'inquiétude 

—  Pendant  les  tristes  jours  de  l'été,  —  Durant  cinq 
grands  mois,  —  Elles  doivent  rester  séparées  de  leurs 
amants.  —  Les  marins  sont  partis  pour  l'Islande;  — Les 
jeunes  filles  meurent  de  tristesse. 

On  les  voit  marcher  le  long  des  rues,  —  La  tète  bais- 
sée, le  cœur  gros  de  tristesse  —  Et  les  yeux  pleins  de 
larmes  ;  —  Leur  cœur  est  si  plein  de  chagrin  d'amour  — 

—  Qu'on  serait  volontiers  disposé  à  les  plaindre.  — 
Cupidon  soit  leur  consolateur, —  Et  daigne  les  protéger. 

Elles  poussent  soupirs  sur  soupirs  —  Pendant  les  longs 
jours  de  l'été.  Elles  ont  recours  à  la  Petite  Chapelle;  — 
Que  vont-elles  y  faire  ?  —  On  les  voit  en  foule  au  sermon. 


II ET    AFZYN 

Wel  Island,  gy'n  bcdrocfde  kust, 

Gy  doetcr  inenij^  licrlc  lyden  : 

Gy  mackt  de  ineisjes  g'heel  oogcrust 

In  de  bedroef  do  zoincrtyden. 

Ora  dat  /y  hiiu  licf  plaisant 

Vyf  groote  macndeu  moetcn  dcrveu. 

Ze  /.va  gevareu  naer  Islaud, 

De  meisjes  /.y  al  cm  te  stervcn. 

Me  /ien  7.c  gnen  al  langst  de  straet, 

Mot  hulder  hoofd  nodergebogen, 

En  hulder  hertje  /.waer  gelaêu, 

Met  do  trancn  in  hulder  oogcu. 

Hulder  hertje  vol  miDncpyu, 

Dat  mo  ze  /ouden  gcirnc  klagcn. 

Cupide  wil  luiii  trooster  zyn, 

En  wil  zorgeu  voor  hulder  dragon! 

Nu  geven  /.y  daer  zucht  op  zucht 

In  do  lange  /oinersclie  dagen. 

'T  kapolletjo  is  hulder  toevliigt  : 

Wîo  gaen  ze  daer  al  gaen  makon. 

In  hct  sorinocn  al  van  don  Hoor 


FLANDRE  57 

—  .,.  —  Si  les  jeunes  gens  étaient  moins  rares,  —  Elles 
iraient  plutôt  à  la  danse. 

L'un  conserve  ses  épargnes  —  Pour  acheter  une  croix 
d'or,  —  L'autre  pour  une  chaîne  d'or.  —  Bien  des  jeunes 
filles  vont  coquettement  parées;  —  D'où  cela  viont-il? 
Le  diable  le  sait  peut-être.  —  Elles  se  disent  honnêtes, 

—  Lors  même  qu'elles  devraient  avoir  le  remords  au 
cœur.  —  Ceux  qui  s'unissent  à  de  telles  filles  doivent 
à  la  fin  s'en  repentir. 

GIROFLE,    GIROFLAi 

VIEILLE  RONDE    ENFANTINE 

Que  t'as  de  belles  filles, 

Girofle,  Girofla, 

Que  t'as  de  belles  filles, 

L'amour  m'y  compt'ra. 

Ell's  sont  bell's  et  gentilles, 

Girofle,  etc. 

Donne-moi  z'en  donc  une. 

Girofle,  etc. 

Pas  seul'ment  la  queu'  d'une, 

Girofle,  etc. 

J'irai  au  bois  seulette, 

Girofle,  etc. 


Mon  zie  ze  komen  by  heele  hoopen.  • 

Waren  de  jongmans  maer  gemeen, 

Ze  zoèn  liever  ten  danse  loopen. 

Den  een  vergaert  om  een  gouden  kruys, 

Den  and'rea  om  een  gouden  keten. 

Daer  gaen  veel  meisjes  proper  en  kuys, 

Hoe  gaet  dat?  denduyvel  moeten  wetea. 

Zy  zeggen  dat  zy  eerelyk  zyn, 

Al  moesten  z'haer  zelvea  rouwen. 

Die  met  zoo  meisjes  gezevit  zyn, 

Ze  moeten  hulder  oorea  krouwen. 

1.  Chants  et  Chansons  populaires  du  CambrésiSj  recueillis  par 
A.  Durieux,  Cambrai,  Durieux,  1864. 


58 


LES    POETES    DU    TEKROIR 

Quoi  faire  au  bois  seulette 
Girofle,  etc. 

Cueillir  la  violette, 
Girofle,  etc. 

Quoi  fair'  de  la  violette? 
Girofle,  etc. 

Pour  mettre  à  ma  coirrette, 
Girofle,  etc. 

Si  le  Roi  t'y  rencontre? 
Girofle,  etc. 

J'Iui  frai  trois  révérences 
Girofle,  etc. 

Si  la  Rein'  t'y  rencontre .'j 
Girofle,  etc. 

J'Iui  frai  six  révérences, 
Girofle,  etc. 

Si  le  Diabr  t'y  rencontre  ? 
Girofle,  etc. 

Je  lui  ferai  les  cornes. 
Girolle,  girofla, 
Je  lui  ferai  les  cornes, 
L'amour  m'y  compt'ra. 


BRULE-MAISON 

(1678-1740) 


Le  plus  populaire  de  tous  les  chansonniers  lillois,  et  peut- 
ôtre  le  créateur  du  genre  eu  province  flamande,  François  Coti- 
gnies,  —  et  non  de  Cotignios,  comme  on  l'a  écrit  par  erreur,  — 
dit  Brùle-Maison,  naquit  le  16  janvier  1678  et  mourut  eu  1740. 
On  sait  peu  de  chose  sur  sa  vie,  sinon  qu'il  se  maria  avec 
Marie-Thérèse  Gouviou,  le  \<"  juillet  1706,  et  eut  un  lils  qui 
se  fit  appeler  Jacques  de  Cotignies.  L'auteur*  d'un  poème  eu 
vers  burlesques  sur  la  bataille  de  Fontenoy  (Lille,  Audré-J. 
Panckouke,  1745,  in-16)  a  donné  quelques  renseignements  sur 
ce  poète,  mais  il  faut  s'y  référer  prudemment,  car  ceux-ci  four- 
millent d'inexactitudes  et  furent  cause  que  les  faiseurs  de  dic- 
tionnaires altérèrent  singulièrement  sa  physionomie.  On  y  peut 
lire  néanmoins  en  toute  confiance  que  lirùle-Maisou,  d'origine 
très  médiocre,  fut  mercier  de  son  état  et  divertit  le  peuple  de 
Lille  pendant  quarante  années  par  ses  satires  patoises  sur  les 
habitants  de  Tourcoing.  Il  fit  deux  pèlerinages  à  Saiut-Jacques 
en  Galice,  patron  des  merciers,  à  Lorette  et  à  Rome,  vendant 
en  cours  de  route  ses  pasquilles  et  pasquinades.  Aussi  bien  eut- 
il  une  incroyable  célébrité.  On  l'avait  surnommé  Brûle-Maison 
de  ce  qu'il  brûlait  fréquemment  en  place  publique  une  maisou 
de  cartes  fichée  au  bout  d'un  bâton,  afin  d'attirer  les  badauds. 
Il  faisait  aussi  des  tours  de  physique  et  toutes  sortes  d'exeiw 
cices  d'adresse;  mais  on  assure  qu'il  abandonna  ce  genre  de  facé- 
ties sur  la  naïve  interrogation  d'un  paysan  qui  se  prit  à  lui 
demander  pourquoi  il  souffiait  également  dans  ses  doigts  afiu 
de  les  réchauffer,  et  sur  sa  soupe  chaude  afin  de  la  refroidir. 
Les  chansons  qu'on  lui  attribue  et  qui  font  son  unique  mérite 
sont  souvent  des  couplets  d'un  style  grossier,  bien  qu'ayant  un 
ton  naïf,  et  qui,  presque  toujours,  prennent  à  partie  les  Tour- 
quennois  en  leur  attribuant  toutes  sortes  de  balourdises. 

Elles  parurent  pour  la  première  fois,  grâce  aux  soins  de  l'im- 
primeur Vanackère,  à  la  fin  du  xvii''  siècle. 

«  La  mode,  dit-on-,  était,  en  ce  temps-là,  de  vendre,  au  nouvel 

1.  Platiau,  pseudonyme  de  A. -J.  Panckouke. 

2.  Eugène  iJebièvre,  Uràle-Maison  et  ses  chansons. 


60  LES    l'OÎiTES    DU    TERROIR 

an,  en  guiso  d'almanachs,  des  recueils  d'ariettes,  de  chansons 
plus  ou  moins  légères,  et  de  poésies  plus  ou  moins  fugitives. 
Ces  alnianachs  paraissaient  sous  le  titre  d' Etrennes  ;  c'est  pour- 
quoi Vanackère  publia  ses  recueils  de  chansons  patoises  en  les 
intitulant  Etrennes  toarquennoises.  II  mit  aussi  au  jour  dix  pe- 
tits recueils  in-24,  au  milieu  desquels  il  intercalait  un  calen- 
drier. La  bibliothèque  de  Lille  en  possède  un  pour  l'année  1791 
qui  porte  sur  le  titre  -.Seconde  édition.  lien  existe  de  plus  anciens 
dans  des  collections  particulières,  et  l'on  nous  en  signale  un 
daté  de  1784. 

Dans  sa  préface,  l'éditeur  ne  nous  dit  pas  précisément  où  il  a 
puisé  ses  textes,  mais  il  apparaît  clairement  qu'il  les  tira  tan- 
tôt de  copies  manuscrites  provenant  de  bibliothèques  privées, 
tantôt  d'anciens  placards  que  Brûle-Maison  distribuait  et  ven- 
dait de  sou  temps.  Quelques-uns  de  ces  placards  sont  arrivés 
jusqu'à  nous;  ils  sont  imprimés  au  recto  et  au  verso  et  contien- 
nent tout  à  la  fois,  par  exemple,  le  Grand  Voyage  de  Lille  a 
Douay  par  la  barque,  des  complaintes  sur  la  Destruction  de 
Thérouanne,  la  Prise  d'Albiac,  la  Mort  du  partisan  Marin,  la 
légende  de  Lydèric  et  Phinaert.  On  comprend  qu'à  employer 
une  telle  méthode  de  publication,  Vanackère  ait  rendu  ses  re- 
cueils suspects.  On  peut  dire  même  qu'il  ne  se  fil  point  faute 
d'y  introduire,  afin  de  les  rendre  plus  compacts,  des  pièces 
composées  après  la  mort  de  notre  auteur.  Il  l'avoue  d'ailleurs 
explicitement  à  partir  du  sixième  recueil,  transformant  son 
titre  en  celui  d'un  ouvrage  collectif.  Dans  les  recueils  précé- 
dents, déjà  il  semble, faire  une  distinction  entre  certaines  pièces 
sous  lesquelles  il  ajoute  le  nom  de  Brûle-Maison  et  d'autres 
qu'il  se  garde  d'attribuer.  La  réputation  du  vieux  chansonnier, 
prenant  plus  d'actualité  qu'elle  n'en  avait  jamais  connu  et  s'é- 
tendant  au  delà  de  sa  province,  provoqua  tout  à  la  fois  et  dos 
critiques  acerbes  et  la  cupidité  des  libraires.  Tandis  que  les 
uns,  comme  Victor  Derodo  dans  son  Histoire  de  Lille,  Roussol- 
Desfontaines  dans  celle  de  Tourcoing,  nièrent  l'existence  do 
Itritle-Maisou,  allant  jus(iu'à  prétendre  que  ses  chansons  avaient 
été  composées  par  un  chanoine  do  Saint-Pierre  de  Lille,  d'au- 
tres, tel  If  libraire  Blocquel-Castiaux,  s'ingénièrent  à  donner 
uno  contrefaçon  des  Etrennes  tourquennoises*  et  ne  se  gênèrent 
nullement  pour  y  faire  entrer  des  productions  contemporaines. 
On  lut  ainsi  des  couplets  chantés  à  des  ban(|uets  et  à  des  céré- 
monies localiîs  donni'os  vers  184.').  Il  faut  dire  pourtant  que  ce 
dernier  rcctu'il  oH'rait  parfois  au  public  des  chansons  anciennes 
que  Vanackère  ne  connut  pas  ou  bien  laissa  do  côté. 

Voici  une  courte  bibliographie  des  recueils  de  Brûle-Maison 

1.  Chnnsnnx  toiirqnennoinps,  lilloises  et  douaisiennes  en  patois  du 
pays,  par  Drùh'-Mainon,  Lille,  s.  d.,  1  vol.  iu-32., 


FLANDRE  61 

me  nous  avons  pu  consulter  à  la  Bibliothèque  nationale  :  Etrcn- 
les  tourqneniioises,  etc.,  2«  éd..  Tourcoing  et  Lille,  chez  l'éditeur, 
m  IX,  cinq  parties  en  un  vol.  iu-'i2  ;  Chansons  tourqucnnoises  et 
illoiscs,  avec  les  airs  notes,  etc.,  Lille,  impr.  de  Blocquel,  1813 
î  vol.  in-32;  Etrennes  tnurquennoises  et  lilloises,  etc..  Tourcoing 
;t  Lille.  Blocquel,  1813, 4  vol.  iu-32  ;  Lille,  Vanackére,  1813, 1822, 
823,  1831.  in-32;  Tourcoing  et  Lille,  Vanackùre  fils.  1833,  in-32 
•j»  édit.);  Chansons  tourquennoises,  etc..  Lille,  Castiaux,  1833, 
n''^2^,  Etrennes,  etc..  Lille,  Vanackcre  fils,  s.  d.,  1843,  s.  d.  etc., 
n-32;  Les  Chansons  et  histoires  facétieuses  et  plaisantes  de  feu 
•\  deCottignies  (publ.  par  Em.  Chasles,  Lille,  Vanackére,  1856. 
n-12);  Etrennes,  etc.,  7«  éd., Tourcoing  et  Lille,  Vanackére,  1880, 

0  p.  in-32.  Ajoutons  que  tous  ces  recueils  out  en  partie  repro- 
luit  des  pièces  qu'on  trouve  dans  un  manuscrit  de  la  bibliothè- 
[ue  de  Lille,  provenant  de  la  collection  Genlil-Descanips.  Ce 
aanuscrit,  qui,  avant  de  passer  entre  les  mains  de  son  dernier 
)ossessour,  appartint  successivement  à  «  J.  de  Cottignies  l'aîné, 
ils  de  Brùle-Maison»,  puis  aux  bibliophiles  Libert  de  Beaumont 

t  V.  Godefrin,  porte  le  titre  suivant  :  Trésor  ou  Recueil  de  plu- 
ieurs  belles  chansons,  et  renferme  874  pages  in-4''.  Il  contient 

u  dire  de  M.  Eugène  Debièvre,  qui  en  a  fait  le  dépouillement, 
:n  grand  nombre  de  pièces  inédites  ou  non  de  Brùle-Maison, 
>armi  une  foule  d'autres   qui  peuvent  lui    être   attribuées  ou 

ppartenir  à  des  poètes  de  son  école.  On  s"est  beaucoup  occupé 

es  dernières  années  du  poète  lillois.  Des  écrivains  de  tous 
;enres  ont  fait  son  éloge.   Le  bon  chansonnier  Desrousseaux 

'est  appliqué  à  faire  revivre  cet  ancêtre  de  la  Muse  populaire, 

1  lui  a  consacré  une  notice  curieuse,  d'où  nous  détachons  cette 
necdote  curieuse  et  nouvelle   qui,  depuis,  s'est  vulgarisée  : 

Original  toute  sa  vie,  Brùle-Maison  voulut  l'être  encore  après 
a  mort.  Il  habitait  une  petite  maison  sur  la  place  du  Théâtre; 
escalier  en  était  tellement  étroit  qu'il  ne'permettait  d'intro- 
uire  aucun  meuble  dans  le  trou  qui  lui  servait  de  chambre.* 
eu  de  temps  avant  sa  mort,  il  lit  appeler  un  charpentier,  l'o- 
ligea  de  construire  son  cercueil  sur  place,  et  le  jour  de  son 
aterrement,  au  grand  ébahissement  de  tous  les  spectateurs, 
n  fut  obligé  de  le  descendre  par  la  fenêtre.  » 

Bibliographie.  —  Louis  Verniesse,  Biogr.  de  François  Coti- 
ny  dit  Brùle-Maison,  Lille,  Leleu,  1863,  in-r2.  —Desrousseaux, 
râle-Maison,  Etude  biogr.,  Lille,  imprim.  L.  Danel  (extr.  des 
lém.  de  la  Soc.  des  Se,  de  l'Agricult.  et  des  Arts  de  Lille), 
383,  in-8»,  —  Eugène  Debièvre,  Brùle-Maison,  ses  chansons, 

evue  du  Nord,  1896,  XI,  p.  38  et  73. 


62  LES    POETES    DU    TERROIR 


CHANSON 

SUR  LE  MALHEUR  ARRIVÉ  A  UN  TOURQUENNOIS 

QUI  ESPÉROIT  FAIRE  FORTUNE 

EN  VENANT  VENDRE  DES  BRUANTS*  A  LILLE 

Air  :  De  mon  Jacques. 

Non,  je  ne  saurois  pu  faire 
Sans  canter  à  m'n'  ordeinaire 
Sur  chés  folies  de  Tourcoing. 

Pour  boire, 
Ghela  me  vient  ben  à  point. 
Un  Tourquennois  ben  habillé, 
Ghès  jour  en  passant  par  Lille, 
A  aperchu  un  enfant 

Subtile, 
Courir  avecque  un  bruant. 

Un  autre  enfant  par  derrière, 
Crioit,  dijoit  à  se  mère  : 
Wettiez*,  clicst  un  bioun  meunier, 

Ma  mère, 
Aquatez  m'en,  s'il  vous  plet. 

Pour  contenter  se  fillette. 
Pour  un  liard  en  d'aquiotte  : 
Le  Tourquennois  interdit; 

Y  wette, 
Chela  est  ben  quer  drochi*. 

Le  Tourqucnnoia  ben  allertc, 

Sitôt  a  pris  se  brouette, 

Et  so  femme  et  ses  s'enfanls, 

Tout  net, 
S'en  vont  cacher  ù  bruants. 

Il  s'en  fut  d'un  plein  corage, 
Par  chés  hnyos  et  chés  bocages; 

\.  Ilaiinelons. 

2.  Hcpardcz. 

3.  Ici. 


FLANDRE 

Il  en  rempli  un  tonniau, 

Bennagei, 
Dit  ché  du  bon  et  du  biau. 

Y  n'davot  pu  de  chen  mille, 
S'en  venoit  tout  droit  à  Lille; 
Broutoit  tout  en  chifllotant, 

Jean  Gille, 
Pour  amuser  chés  bruants. 

Ari'ivé  au  Pont-à-Marcq, 
Sitôt  un  commis  l'attaque  : 
Que  broutte-tu  si  pesant? 
Jean  Jacques 

Y  répond:  Sont  des  bruants. 

Le  commis  se  mit  ù  dire  : 
Crois-tu  que  nous  volons  rire? 
Oeuvre  cbela  à  l'instant; 

Faut  vire 
Chen  qu'il  y  a  sous  chés  bruants. 

Grois-m'hardiment  su  m'parole, 
Che  n  sont  nen  des  fariboles, 
Sont  des  bruants  et  du  verd, 
Cha  vole, 

Y  faut  les  tenir  couverts. 

Aussitôt  toute  le  bende 
Dit  :  Nia  de  le  contrcbende  ; 
Passe  te  n'épée  dedent. 

Arrête  ! 
Te  tùra  tous  mes  bruants. 

S'animant  sur  che  l'affaire. 
Encore  pu  qu'à  l'ordinaire, 
Ont  renversé  le  tonniau 

Par  terre, 
Et  l'ont  mis  le  cul  en  haut. 

Non,  jamais  rien  de  pu  drôle; 
Chés  bruants  sans  nulle  frivole. 


63 


Content  (bien  aise). 


64  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Dés  auî  ont  vu  le  solai 

Tous  vole 
Sur  chés  camps  et  sur  ches  haye*. 
Sitôt  y  s'est  mis  à  braire, 
Digeant  :  Bon  Dieu,  queuUe  affaire. 
Les  velà  tou  t'envoles, 

Quoi  faire  ? 
Hélas!  je  suis  ruenné. 
11  est  tout  comme  immobile, 
Digeant  à  s'femme  et  se  fille  : 
J'en  devois  faire  mille  florins, 

A  Lille, 
Je  les  coiilois  comme  den  m'main. 


LA   PILEUSE 

CHANSON   NOUVELLE  d'uNE   FILLE    DE    VILLAGE 

Tourne,  mon  cariot,  tourne. 
L'amour  me  fet  plaisir. 
Tout  le  bonheur  me  tourne, 
Me  n'amoureux  de  Fourne 
Me  venra  vir  bétot, 
Tourne,  men  cariot. 
Je  ne  suis  nen  honteuse 
Quand  qui  vient  pour  me  voir; 
Car  je  suis  amoureuse, 
Ne  suis-je  point  heureuse, 
Quand  qui  vient  tous  les  jours 
Pour  me  faire  l'amour? 
Encore  trois  babaines, 
Il  tra  j\  pan  près  l'heure 
Qui  me  dira  :  llélaine, 
J'altendo»  avec  peine 
L'heure  de  vous  contenté, 
Bagemme'  à  doux  côtés. 
Il  me  trouve  si  bielle 
Quand  je  file  ù  men  car, 

1.  Baiscz-moi. 


65 


Me  contant  des  nouvelles 
Men  filet  il  appielle; 
Quand  j'ai  fait  un  niquet, 
Je  qucurre  au  corniquet. 
Au  cornet  derrière  l'porte, 
Nous  devisons  de  sens, 
Se  n'amour  vient  si  forte, 
11  m'agrouille,  me  fajotte 
D'un  amour  déréglé, 
Tout  prête  à  m'étranné. 
Après  les  tours  de  bouque, 
Quand  il  m'a  pourlequié, 
Sen  cœur  fé  touque  touque, 
Et  le  mien  flouque  flouque; 
Je  li  répond  à  l'heure  : 
Je  su  fille  d'honneur. 
Aussitôt  me  rapage 
Par  des  douches  raigeons, 
Il  me  fait  si  benage 
D'un  amoureux  langage, 
Sitôt  me  dit  :  Bonsoir, 
Belle,  du  qu'au  , revoir. 
J'plains  les  filles  et  servantes 
Qui  n'ont  point  d'amoureux; 
Car  une  fille  qu'elle  hante 
L'amour  est  pu  j^esante 
A  porter  pour  certain 
Qu'un  'rasière  de  grain. 

PRÉDICTIONS 

Air  :  V'ià  d'bon  foin. 

Pour  tous  les  mios  de  l'année, 
J'vois  vous  fair'  des  prédictions. 
Acoutez  vos  destainées, 
Et  fait'z'y  ben  attention. 

I  n'y  a  point 
D'armena  pu  véritable  ; 

I  n'ment  point. 


66  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

En  Janvier,  le  vent  de  bize 
F'ra  y'nir  le  roiipi  au  nez  ; 
Et  cheus'  qui  cangeront  d'quemige 
Sentiront  leu  dos  r'froidié. 
I  n'y  a  point,  etc. 

En  Février,  pour  nouviello, 
J'vous  annonce  que  vin  vieux 
Bu  en  compagni  femelle, 
N'porra  point  faire  ma  aux  yeux. 
I  n'y  a  point,  etc. 

Au  mos  de  Mars  les  court'  haleines 
Sentiront  de  l'embarras, 
Et  du  fond  de  leu  poitraines 
Unp'tit  chifllé  sortira.  . 
I  n'y  a  point,  etc. 

En  Avril,  les  sourd-oreilles 
Entendront  mal  aisément; 
Et  cheu's  qui  couront  sans 
A  queva  s'ront  durement. 
I  n'y  a  point,  etc. 

Au  mos  d'Mai,  dessus  l'herbette 
Les  bergères  et  les  bergers. 
En  roufcoulant  leu  musette, 
Pens'ront  à  aut'cose  après. 
I  n'y  a  point,  etc. 

Pendant  Tmos  d'Juin,  deux  cornes 
A  la  lune  paroîtront, 
Qui  rendra  les  gens  bien  mornes, 
Les  sentant  dessus  leu  fronts. 
I  n'y  a  point,  etc. 

Les  hétiques,  nu  mos  crjuillote, 
N'aront  point  grand  appétit  : 
Un  verra  des  c(»us  d'houlettes 
Aveuc  de»  visages  bouflls. 
I  n'y  a  point,  etc. 

Pendant  l'Août  pour  mervaile, 
Bien  des  nogottes  s'ront  croqués  ; 
Cheus'  qui  buv'rons  à  l'boutaile 


67 


N'aront  point  besoin  d'goblé. 
I  n'y  a  point,  etc. 

Si  les  puclieir  en  Septembre 
Ne  sont  point  cueille  en  temps, 
Malgré  l'sé,  malgré  Tgengembre, 
Eir  pourriront  pas  l'mitant. 
I  n'y  a  point,  etc. 

En  Novembre,  queurra  vite 
Qui  f'ra  deux  cbeu  lieux  par  jour 
Et  tout'  les  tartes  seront  cuites, 
Quand  qu'ell'  seront  brûlé  au  four. 
I  n'y  a  point,  etc. 

Les  femmes  souffleront  les  bresses 
En  Déchembre  pou  s'récaufîer; 
Et  cheus'  qu'eir  brul'ront  leu  fesses 
N'os'ront  jamais  les  montré  : 

I  n'y  a  point 
D'armena  plus  véritable  : 

I  n'ment  point. 

{Etrennes  tourquennoises.) 


MARCELINE  DESBORDES-VALMORE 

(1786-1859) 


Marceline-Félicité-Joséphine  Desbordes  —  plus  tard  Des- 
diordes-Valmore  —  naquit  h  Douai  le  20  juin  1786,  rue  Notre- 
Dame,  32,  et  mourut  à  Paris  le  23  juillet  1859,  rue  de  Rivoli,  73. 
Nous  ne  retracerons  pas  sa  vie,  qui  fut  racontée  en  détail  par 
Sainte-Beuve  et  ensuite  par  Auguste  Lacaussade,  en  tète  de 
l'édition  délinitive  que  Lemerre  publia  de  ses  œuvres.  Tout 
•enfant,  la  misère  la  chassa  de  sa  ville  natale,  avec  sa  mère, 
■qu'elle  perdit  en  Amérique.  Jeune  flUe,  n'ayant  pour  ressource 
<iu'une  jolie  voix,  elle  se  lit  chanteuse  et  vint  à  Paris.  Après  bien 
des  péripéties,  stoïquement  acceptées,  et  qui  l'iuitiérent  à  la 
(mélancolie,  nous  la  trouvons  à  l'âge  do  seize  ans  sur  le  théAtre 
Feydau,  où  elle  obtint  de  réels  succès  d'artiste.  Mais,  dit-on,  la 
«arrière  dramatique,  qu'elle  n'embrassa  que  pour  venir  en  aide  à 
sa  famille,  elle  la  délaissait  bientôt  en  faveur  d'une  inspiration 
qui  la  devait  diriger  dans  une  autre  voie  et  qui  décida  en  quelque 
sorte  de  son  génie. 

On  lui  doit,  après  des  vers  publiés  dans  le  Chansonnier  des 
Crdccs,  1815-1816,  —  et  qui  semblent  ses  premiers  essais  im- 
primés, —  des  Elégies  et  Romances  (Paris,  [''rançois  Louis,  1818- 
1819,in-12).  Il  en  parut,  en  1820,  une  2»  édition  in-S»,  puis  une 
troisième  augmentée  de  pièces  inédites,  1822  (in-18,  avec  gra- 
vures, chez,  T.  Grandin),  une  4»  in-16,  en  1825,  chez  Ladvocat  : 
Elégies  et  Poésies  nouvelles;  enfin  une  5»,  en  1830,  chez  HouUand 
(2  vol.  gr.  in-8'>  et  3  vol.  in-12),  résumant  et  complétant  les  pré- 
cédentes. Vinrent  ensuit*  :  Poésies  inédites  (Paris,  Uoulland, 
1829,  in-18);  Album  du  jeune  dgc,  poésies  (ibid.,  1829,  in-12); 
Les  Pleurs,  poésies  nouvelles  précédées  d'une  préface  d'Alexan- 
dre Dumas  (Paris,  Charpentier,  1833,  in-8«);  Pauvres  Fleurs, 
poésies  (Paris,  Dumont,  1839,  in -8»);  L'Inondation  de  Lyon, 
poésie  (Paris,  18ï0,  in-S»);  Poésies,  précédées  d'une  notice  iné- 
dite de  Sainto-Deuvo  (Paris,  Charpentier,  1842,  1860  et  1872, 
in-18);  Bouquets  et  Prières  (Paris,  Dumont,  1843,  in-S»);  Les 
Poésies  de  l'enfance  (Paris,  Garnier  frères,  1881,  in-18).  Des 
romans:  L'Atelier  d'un  peintre,  presque  une  étude  autobiogra- 
phique (Paris,  Charpentier,  1833,  2  vol.  in-8»);  Une  liaillerie  de 


FLANDRE  69 

l'Amour  (Paris,  1833,  in-S»);  Le  Salon  de  lady  Betty  (Paris,  1836, 

2  vol.  in-8'')  ;  Violette  (ibid.,  1839,  2  vol.  in-8»);  Contes  et  Scènes  de 
la  vie  de  famille  (Paris,  Garnier  frères,  1873,  2  vol.  in-18):  des 
Contes  en  vers  et  en  prose  pour  les  enfants  (Lyon,  Boitel  et  Guy- 
mon,  1840,  in-S");  Contes  en  vers  pour  les  enfants  (ibid.,  in-S"): 
Contes  en  prose  pour  les  enfants  (Paris,  Maison,  1840,  in-12);  Les 
Anges  de  la  famille  (Paris,  1850,  in-12)  ;  Jeunes  Têtes  et  Jeunes 
Cœurs  (Paris,  1855,  in-18).  Notons  encore  l'édition  des  Poésies 
inédites,  publiée  par  M.  Auguste  Revilliod,  à  Genève,  chez 
J.  Fick,  1860,  et  à  Paris,  chez  Dentu,  au  Palais-Royal.  Enfin 
pour  terminer,  signalons  la  publication  de  ses  œuvres  choisies 
par  les  soins  de  M.  Auguste  Lacaussade,  chez  Leraerre,  1886-87, 

3  vol.  in-12). 

Collaboratrice  à  divers  journaux  de  son  temps,  M™«  Desbor- 
dcs-Valmore  publia  une  partie  de  ses  poésies  dans  La  Musc 
Française ,  Le  Musée  des  Familles,  Le  Conteur  (1833),  La  Cou- 
ronne de  fleurs  (1837).  Elle  a  écrit  en  outre  de  nombreuses  pages 
pour  Le  Cent  et  un;  Les  Femmes  de  Shakespeare,  Le  Kcepsakc 
parisien,  le  Journal  des  Jeunes  Personnes,  Les  Beautés  de  Wal^ 
ter  Scott... 

Rappelons  que  sa  Correspondance  intime,  appartenant  à  la 
bibliothèque  de  Douai,  a  été  éditée  par  les  soins  de  M.  Rivière, 
bibliothécaire  de  cette  ville  (Paris,  Lemerre,  1896,  2  vol.  in-8''). 

Bibliographie.  —  Sainte-Beuve,  Portraits  contemporains, 
t.  II;  Causeries  du  lundi,  t.  XIV;  Nouveaux  Lundis,  t.  XII,  réu- 
nies depuis  en  un  volume  et  augmentées  de  documents  nou- 
veaux, Paris,  Michel  Lévy,  1870,  un  vol.  in-18.  —  J.  Barbey 
d'Aurevilly,  Les  Œuvres  et  les  Hommes,  III,  Paris,  1862.  —  Paul 
Verlaine,  Les  Poètes  maudits,  Paris,  Vanier,  1884,  in-18.  —  Ro- 
bert de  Montesquiou,  Autels  privilégiés,  Félicité,  Paris,  Lemerre, 
1894,  in-18.  —  A.  Pougin,  La  Jeunesse  de  M"*"  Desbordes- Valmore, 
Paris,  Calmann-Lévy,  1898,  in-18.  —  G.  Rodenbach,  L'Élite, 
Paris,  Fasquelle,  1899,  in-18.  —  C.  Lecigne,  ^fn'e  Desbordes- 
Valmore.  Arras,  Sueur-Gharruey,  1905,  in-18.  —  Vicomte  de 
Spoeberch  de  Lovenjoul,  Bibliographie  et  Littérature,  Paris, 
Daragon,  1903,  in-16. 


UNE    RUELLE    DE    FLANDRE 

A  Madame  Desloges,  née  Leurs. 

Dans  l'enclos  d'un  jardin  gardé  par  l'innocence 
J'ai  vu  naître  vos  fleurs  avant  votre  naissance; 
Beau  jardin,  si  rempli  d'œillets  et  de  lilas. 
Que  de  le  regarder  on  n'était  jamais  las. 


70  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

En  me  haussant  au  mur  dans  les  bras  de  mon  frère, 
Que  de  fois  j'ai  passé  mes  bras  par  la  barrière, 
Pour  atteindre  un  rameau  de  ces  calmes  séjours, 
Qui,  souple,  s'avançait  et  s'enfuyait  toujours  ! 
Que  de  fois,  suspendue  aux  frôles  palissades, 
Nous  avons  savouré  leurs  molles  embrassades, 
Quand  nous  allions  chercher  pour  le  repas  du  soir 
Notre  lait  à  la  censé',  et  longtemps  nous  asseoir 
Sous  ces  rideaux  mouvants  qui  bordaient  lamelle! 
Hélas!  qu'aux  plaisirs  purs  la  mémoire  est  fidèle! 
Errant  dans  les  parfums  do  tous  ces  arbres  verts, 
Plongeant  nos  fronts  hardis  sous  leurs  flancs  entr'ouverts, 
Nous  faisions  les  doux  yeux  aux  roses  embaumées, 
Qui  nous  le  rendaient  bien,  contentes  d'être  aimées! 

Nos  longs  chuchotements  entendus  sans  nous  voir, 

Nos  rires  étouffés  pleins  d'audace  et  d'espoir, 

Attirèrent  un  jour  le  père  de  famille, 

Dont  l'aspect,  tout  d'un  coup,  surmonta  la  charmille. 

Tandis  qu'un  tfonc  noueux,  me  barrant  le  chemin. 

M'arrêta  par  la  manche  et  fit  saigner  ma  main. 

Votre  père  eut  pitié...  C'était  bien  votre  père! 

On  l'eût  pris  pour  un  roi  dans  la  saison  prosp  ère... 

Et  nous  ne  partions  pas  à  sa  voix  sans  courroux; 

Il  nous  chassait  en  vain,  l'accent  était  si  doux! 

En  écoutant  souffler  nos  rapides  haleines, 

En  voyant  nos  yeux  clairs  comme  l'eau  des  fontaines, 

11  nous  jeta  des  fleurs  pour  lu\ter  notre  essor; 

Et  nous  d'oser  crier  :  «  Nous  reviendrons  encor!  » 

Quand  on  lavait  du  seuil  la  pierre  large  et  lisse 
Où  dans  nos  jeux  flamands  l'osselet  roule  et  glisse. 
En  rond,  sihmcieux,  penchés  sur  leurs  genoux. 
D'autres  enfants  jouaient,  enhardis  comme  nous; 
Puis,  poussant  ù  la  fois  leurs  grands  cris  de  cigales. 
Ils  jetaient  pour  adieux  des  clameurs  sans  égales, 
Si  bien  qu'apparaissant  tout  rouges  de  courroux, 
Des  vieux  fAchés  criaient:  «  Serpents!  vous  tairez- vous!  » 
Quelle  peur!...  Jamais  plus  n'irai-je  ù  celte  porte 
Où  je  ne  sais  quel  vent  [)ar  force  me  remporte  ? 

1.  Vieux  mol  sis:nifianl  ferme.  Douai,  alors  cnloiuY' de  rcmparls, 
rcnrcrmail<lan»sou  ciicciulcdos  «  fermes  ciladincs»  ou  u  norlcrics». 


FLANDRE 


71 


Quoi  donc!  quoi!  jamais  plus  ne  voudra-t-il  do  moi, 
Ce  pays  qui  m'appelle  et  qui  s'enfuit?...  Pourquoi? 

Alors  les  blonds  essaims  des  jeunes  Albertines, 

Qui  hantent  dans  l'été  nos  fermes  citadines 

Venaient  tourner  leur  danse  et  cadencer  loui's  pas 

Devant  le  beau  jardin  qui  ne  se  fermait  pas. 

C'était  la  seule  porte  incessamment  ouverte 

Inondant  le  pavé  d'ombre  ou  de  clarté  verte, 

Selon  que  du  soleil  les  rayons  ruisselants 

Passaient  ou  s'arrêtaient  aux  feuillag'es  tremblants. 

On  eût  dit  qu'invisible  une  indulgente  fée 

Dilatait  d'un  soupir  la  ruelle  étouffée, 

Quand  les  autres  jardins  enfermés  de  hauts  murs 

Gardaient  sous  leurs  verrous  leur  ombre  et  leurs  fruits  mûrs. 

Tant  pis  pour  le  passant!  A  moins  qu'en  cette  allée, 

Elevant  vers  le  ciel  sa  tête  échevelée, 

Quelque  arbre,  de  l'enclos  habitant  curieux, 

Ne  franchît  son  rempart  d'un  front  libre  et  joyeux. 

On  ne  saura  jamais  les  milliers  d'hirondelles 

Revenant  sous  nos  toits  chercher  à  tire-d'ailes 

Les  coins,  les  nids,  les  fleurs  et  le  feu  de  l'été. 

Apportant  en  échange  un  goût  de  liberté. 

Entendra  qui  pourra  sans  songer  aux  voyages 

Ce  qui  faisait  frémir  nos  ailes  sans  plumages, 

Ces  fanfares  dans  l'air,  ces  rendez-vous  épars 

Qui  s'appelaient  au  loin  :  «  Venez-vous  ?  Moi,  je  pars  !  » 

C'est  là  que  votre  vie  ayant  été  semée 
Vous  alliez  apparaître  et  charmante  et  charmée,         • 
C'est  lu  que,  préparée  à  d'innocents  liens, 
J'accourais...  Regardez  comme  je  m'en  souviens! 
Et  les  petits  voisins  amoureux  d'ombre  fraîche 
N'eurent  pas  sitôt  vu,  comme  au  fond  d'une  crèche, 
Un  enfant  rose  et  nu  plus  beau  qu'un  autre  enfant, 
Qu'ils  se  dirent  entre  eux  :  «  Est-ce  un  Jésus  vivant?» 

C'étaitvous  !  D'aucuns  nœuds  vos  mains  n'étaient  liées, 
Vos  petits  pieds  dormaient  sur  les  branches  pliées, 
Toute  libre  dans  l'air  où  coulait  le  soleil; 
Un  rameau  sous  le  ciel  berçait  votre  sommeil, 
Puis,  le  soir,  on  voyait  d'une  femme  étoilée 


72  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

L'abondante  mamelle  à  vos  lèvres  collée, 

Et  partout  se  lisait  dans  ce  tableau  charmant  ;jJ 

De  vos  jours  couronnés  le  doux  pressentiment.  ^ 

De  parfums,  d'air  sonore  incessamment  baisée, 

Gomment  n'auriez-vous  pas  été  poétisée? 

Que  l'on  s'étonne  donc  de  votre  amour  des  fleurs  ! 

Vos  moindres  souvenirs  nagent  dans  leurs  couleurs, 

Vous  en  viviez,  c'étaient  vos  rimes  et  vos  proses. 

Nul  enfin  n'a  jamais  marché  sur  tant  de  roses  ! 

Mon  Dieu!  s'il  n'en  doitplus  poindre  au  bord  de  nos  jours, 

Que  sur  ma  sœur  de  Flandre  il  en  pleuve  toujours! 


UN    RUISSEAU    DE    LA   SCARPE 

Oui,  j'avais  des  trésors...  j'en  ai  plein  ma  mémoire, 
J'ai  des  banquets  rêvés  où  l'orphelin  va  boire. 
Oh!  quel  enfant  des  blés,  le  long  des  chemins  verts, 
N'a  dans  ses  jeux  errants  possédé  l'univers? 
Emmenez-moi, chemins!...  Mais  non,  ce n'estplus  l'heur. 
Il  faudrait  revenir  en  courant  où  l'on  pleure, 
Sans  avoir  regardé  jusqu'au  fond  le  ruisseau 
Dont  la  vague  mouilla  l'osier  de  mon  berceau. 

Il  courait  vers  la  Scarpc  en  traversant  nos  rues 
Qu'épurait  la  fraîcheur  de  ses  ondes  accrues, 
Et  l'enfance  aux  longs  cris  saluait  son  retour 
Qui  faisait  déborder  tous  les  puits  d'alentour. 

Ecoliers  de  ce  temps,  troupe  alerte  et  bruyante, 
Où  sont-ils  vos  présents  jetés  à  l'eau  fuyante  : 
Le  livre  ouvert,  parfois  vos  souliers  pour  vaisseaux, 
Et  vos  petits  jardins  de  mousse  et  d'arbrisseaux  .■" 

Air  natal!  alimtînt  de  saveur  sans  seconde, 
Qui  nourris  tes  enfants  et  les  baise  à  la  ronde; 
Air  natal  imprégné  des  souffles  d  ;  nos  champs, 
Qui  fait  les  cœurs  pareils  et  pareils  les  penchanis. 

Et  la  longue  innocence,  cl  le  joyeux  sourire 
Des  nôtres,  qui  n'ont  pas  de  plu»  beau  livre  à  Vivo 
Que  leur  visage  ouvert  et  lc;urs  grands  yeux  d'azur. 
Et  leur  timbre  profond  d'où  sort  l'entretien  sûr!... 


FLANDRE  73 

Depuis  que  j'ai  quitté  tos  haleines  bénies, 

Ces  familles  aux  mains  facilement  unies, 

Je  ne  sais  quoi  d'amer  à  mon  pain  s'est  mêlé, 

Et  partout  sur  mon  jour  une  larme  a  tremblé. 

Et  je  n'ai  plus  osé  vivre  à  poitrine  pleine 

Ni  respirer  tout  l'air  qu'il  faut  à  mon  haleine  : 

On  eût  dit  qu'un  témoin  s'y  serait  opposé... 

Vivre  pour  vivre,  oh  non  !  je  ne  l'ai  plus  osé! 

Non!  le  cher  souvenir  n'est  qu'un  cri  de  souffrance  ! 

Viens  donc,  toi,  dont  le  cours  peut  traverser  la  France, 

A  ta  molle  clarté  je  livrerai  mon  front, 

Et  dans  tes  flots  du  moins  mes  larmes  se  perdront. 

Viens  ranimer  le  cœur  séché  de  nostalgie, 
Le  prendre  et  l'inonder  d'une  fraîche  énergie. 
En  sortant  d'abreuver  l'herbe  de  nos  guérets, 
Viens,  ne  fût-ce  qu'une  heure,  abreuver  mes  regrets! 

Amène  avec  ton  bruit  une  de  nos  abeilles, 
Dontl'essaim,  quoique  absent,  bourdonne  en  mes  oreilles! 
«  Elle  en  parle  toujours!  »  diront-ils.  Mais,  mon  Dieu! 
Jeune,  on  a  tant  aimé  ces  parcelles  de  feu, 
Ces  gouttes  de  soleil  dans  notre  azur  qui  brille, 
Dansant  sur  le  tableau  lointain  de  la  famille, 
Visiteuses  des  blés  où  logent  tant  de  fleurs. 
Miel  qui  vole  émané  des  célestes  chaleurs  ! 

J'en  ai  tant  vu  passer  dans  l'enclos  de  mon  père 
Qu'il  en  fourmille  au  fond  de  tout  ce  que  j'espère,  ^ 

Sur  toi  dont  l'eau  rapide  a  délecté  mes  jours, 
Et  m'a  fait  cette  voix  qui  soupire  toujours. 

Dans  ce  poignant  amour  que  je  m'efforce  à  rendre, 
Dont  j'ai  souffert  longtemps,  avant  de  le  comprendre. 
Gomme  d'un  pâle  enfant  on  berce  le  souci, 
Ruisseau,  tu  me  rendais  ce  qui  me  manque  ici. 

Ton  bruit  sourd  se  mêlant  au  rouet  de  ma  mère, 
Enlevant  à  son  cœur  quelque  pensée  amère, 
Quand  pour  nous  le  donner  elle  cherchait  là-bas 
Un  bonheur  attardé  qui  ne  revenait  pas. 

Cette  mère,  à  ta  rive  elle  est  assise  encore  ; 
La  voilà  qui  me  parle,  ô  mémoire  sonore! 

II.  5 


*  LES    POETES    DU    TERROIR 

O  mes  palais  natals  qu'on  m'a  fermés  souvent, 
La  voilà  qui  les  rouvre  à  son  heureuse  enfant! 

Je  ressaisis  sa  robe,  et  ses  mains,  et  son  âme! 
Sur  ma  lèvre  ontr'ouverte  elle  répand  sa  flamme  ! 
Non!  par  tout  l'or  du  monde  on  ne  me  paîrait  pas 
Ce  souffle,  ce  ruisseau  qui  font  trembler  mes  pas. 

{Poésies  posthumes .) 


ALEXANDRE  DESROUSSEAUX 

(1820-1892) 


«  Celui-ci,  a-t-on  écrit,  est  sorti  du  peuple  pour  le  peuple. 
Il  a  vécu  parmi  les  humbles  et  a  partagé  leur  vie.  »  Fils  d'ua 
pauvre  passementier,  —  d'aucuns  disent  d'un  épicier,  —  Alexan- 
dre-Joachim  Desrousseaux  naquit  à  Lille  le  !"■  janvier  1820, 
dans  le  quartier  Saint-Sauveur,  «  là  où  le  dialecte  est  le  plus 
vivace  et  le  plus  fort  de  la  province.  »  Dés  l'âge  de  six  ans  il 
fut  mis  en  apprentissage  chez  un  tisserand  du  nom  de  Vilmot, 
qui,  toute  la  journée,  chantait  en  maniant  son  métier.  L'enfant 
prit  en  l'écoutant  le  goût  de  la  chanson.  A  la  mort  de  ce  dernier, 
Desrousseaux  passa  chez  un  tailleur  qui  se  piquait  de  musique 
et  de  poésie.  Plus  tard,  il  connut  les  fantaisies  satiriques  de 
Brûle-Maison,  et  sa  vocation  se  décida.  A  quinze  ans,  il  écrivit 
ses  premiers  couplets,  puis  débuta  par  une  chanson  de  carnaval, 
La  Comédie  gratis,  qui  reste  parmi  ses  meilleurs  ouvrages.  L'ar- 
mée le  prit.  Pendant  sept  ans  il  joua  de  la  clarinette  au  416"  de 
ligne,  et  il  étudia  la  musique  afin  de  pouvoir  noter  les  airs  de 
ses  compositions.  De  retour  à  Lille,  sans  emploi,  sans  ressour- 
ces, il  connut  la  misère.  Il  chanta.  Et  ses  chansons,  loin  de  le 
conduire  à  l'indigence,  le  sauvèrent.  En  1848,  parut  son  premier 
recueil.  Peu  après,  il  accepta  un  emploi  à  l'hôtel  de  ville.  De- 
puis le  jour  où  il  n'eut  plus  à  s'inquiéter  du  pain  quotidien*  sa 
verve  ne  tarit  point  un  seul  instant.  Il  donna  successivement 
plusieurs  volumes  de  chansons.  Le  succès  vint  à  tel  point  qu'une 
manufacture  de  Sarreguemines  fit  fabriquer  une  série  d'assiettes 
ornées  de  ses  pièces  patoises.  Et  ce  fut  la  gloire...  Ses  pas- 
quilles  sont  de  ravissants  tableaux  de  mœurs  du  pays  flamand, 
et  certaines  de  ses  chansons  demeurent  justement  célèbres.  Sa 
Canchon  dormoire  a  fait  le  tour  de  la  France,  et  il  n'est  point  de 
réunions  provinciales  où  ne  se  chantent  L'Habit  d'min  vieux 
grand'p'cre,  L'Petit  Violette,  L'Cabaret,  César  Fiqueux,  Le  P'tit 
Quinquin,  Vive  les  Lillos  et  tant  d'autres  charmantes  œuvres 
que  nous  sommes  au  regret  de  ne  pouvoir  citer. 

(I  Comme  il  n'avait  jamais  quitté  son  pays,  qu'il  aimait  pro- 
fondément, il  en  connaissait  à  fond  les  mœurs  et  les  habitudes; 
aussi,  ses  scènes  d'intérieur    sont   des    petits  chefs-d'œuvre 


76  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

dexactitiide  et  de  vérité  qui  l'ont  fait  surnommer  avec  raison 
le  Téniers  de  la  Chanson'.  » 

«  Le  poète  avait  pénétré  avant  dans  la  vie  du  peuple;  il  n'a- 
vait qu'à  se  laisser  aller  au  gré  des  souvenirs  pour  en  noter  les 
menus  détails  et  les  particularités  savoureuses.  Il  le  fit  avec 
amour.  Son  œuvre  en  vers  ou  en  prose  devint  ainsi  une  sorte 
de  geste  des  Lillois  d'avant-hier,  une  épopée  en  raccourci  de 
la  Flandre  natale...  Dans  les  Chansons  et  l'asquiUes,  dans  les 
Etrennes  ou  almanachs  rimes,  dans  Mes  Passe-Temps,  une  épo- 
que revit,  de  mœurs  à  jamais  disparues,  une  société  surannée 
s'ébauche,  autour  de  laquelle  réside  un  grand  charme  de  naïveté 
vétusté.  Les  futiles  incidents  qui  défilent  là,  les  choses  ancien- 
nes qui  s'y  trouvent  consignées,  empruntent  à  la  situation  de 
l'auteur  un  bel  accent  de  vérité.  Et  la  langue  —  ce  patois  ex- 
pressif et  nombreux  —  ajoute  encore  au  rendu  et  au  fini  par 
une  compréhension  large  et  un  coloris  exubérant,  le  seul  qui 
convenait,  afin  de  brosser  ces  tableaux  d'un  mouvement  intense 
et  d'un  pittoresque  achevé-.  » 

Travailleur  infatigable,  quand  il  eut  ainsi  décrit  sur  les  airs 
connus,  avec  une  verve  maligne,  mais  pleine  de  bonhomie,  les 
coutumes  du  pays  natal,  Desrousseaux  paracheva  l'œuvre  en 
vers  par  des  études  d'érudit.  Ses  deux  volumes  sur  les  Mœurs 
populaires  de  la  Flandre ■'',  auxquels  nous  avons  fait  des  em- 
prunts, furent  très  remarqués.  Il  donna  aussi  une  vie  et  un  éloge 
de  Brûle-Maison*.  Enfin,  après  avoir  réalisé  divers  travaux 
d'intérêt  purement  provincial,  il  publiait  dans  la  Revue  du  Nord 
une  série  d'articles  sur  les  Guerrières  de  Flandre,  quand  sou- 
dain la  mort  vint  arrêter  son  activité  et  sceller  à  jamais  son 
verbe  éloquent.  Il  s'éteignit  au  mois  d'octobre  1892,  laissant 
une  <ruvrc  digne  de  prendre  place,  dans  le  domaine  des  litté- 
ratures populaires,  à  côté  de  celle  d'un  Jasmin.  Avec  Desrous- 
seaux, selon  l'expression  d'un  critique,  la  douce  et  vivante 
poésie  d'un  autre  temps  disparaissait.  Mais  le  bagage  du  poète 
évocatcur  de  l'Ame  flamande  ne  saurait,  ajouterons-nous,  périr 
tout  entier.  Au  mois  d'août  l'J02,  les  conii)alriotes  d'Alexandre 
Desrousseaux  élevèrent  à  sa  mémoire,  sur  un  terre- plein  du 
square  Jussicu,  un  monument  digne  de  perpétuer  leur  recon- 
naissance. De  ses  recueils  de  chausous  qui  furent  imprimés 
tant  et  tant  do  fois,  nous  citerons  l'édition  suivante,  la  plus  com- 
plète à  notr»!  sens  :  Chansons  et  Pasquilles  lilloises,  nouvelle  cdit. 
avec  musique  (notation  d'airs  anciens  et  nouveaux,  diverses 

1.  ErncslLaut,  Alex,  Desrousseaux. 

2.  Léon  bocquel,  Le  Chansonnier  lillois. 
'A.  Lille,  L.  Quarré,  1891),  i  vol.  in-18. 

4.  Drùle-Maison,  Etude  hiogr.,  Lille,  iniprim.  L.  Dancl  (cxlr.  des 
Mém.  de  la  Soc.  d'agric,  sciences  et  arts  de  Lille),  1883,  in-8». 


FLANDRE  JJ 

modifications  et  un  vocabulaire),  Lille,  chez  les  principaux 
libraires,  chez  l'auteur,  rue  Beauharnais,  48,  et  par  la  suite  chez 
L.  Danel,  imprimeur,  1880-188j,  5  vol.  in-18. 

La  leçon  contenue  là  est  bien  souvent  meilleure  que  celle  qui 
parut  en  1860  «  chez  tous  les  libraires  do  Lille  et  chez  l'auteur  », 
avec  des  illustr.  de  Boldoduc. 

BrBLiOGRAPiiiE.  —  Léon   Bocqiiet,  Le   Chansonnier   Lillois, 

l'Echo  du  Nord,  30  août  1902 Ernest  Laut,  Alex.  Desrous- 

seaux,  Revue  du  Nord,  1892,  IV,  p.  322. 


L'CANCHON-D  OR  MOIRE 

«  Dors,  min  p'tit  quinquiu, 
Min  p'tit  poucliii», 
Miu  gros  rojin  ; 
Te  m'f'ras  du  chagrin, 
Si  te  n'dors  point  qu'à  dmaiii.  » 
Ainsi  l'aut'  joui*  eun'  pauv'  dintellière, 
In  amiclotant  siii  p'tit  garchon 
Qui, d'puis  trois quiU'ts  d'heure,  n'faisaitqu' braire, 
Tachot  dTendormir  par  eun'  canchon. 
Eir  li  dijot  :  «  Min  Narcisse, 
D'main  t'aras  du  pain  u'épice. 

Du  chue  à  gogo, 
Si  t'es  sache,  et  qu'te  fais  dodo. 
«  Dors,  min,  etc. 
«  Et  si  te  m'iaich'  faire  eun'  boiin'  semaine, 
J'irai  dégager  tin  biau  sarrau. 

Tin  patalan  d'drap,  tin  giliet  d'iaine...  • 

Comme  un  p'tit  milord  te  s'ras  farau  ! 
J't'acat'rai,  l'jour  de  l'ducasse, 
Un  porichineir  cocasse. 

Un  turlututu. 
Pour  jouer  l'air  du  Capiau  pointu. 
«  Dors,  min,  etc. 
«  Nous  irons  dins  l'cour  Jeannette-à-Vaques ', 
Yir  les  marionnett's,  Comm'  te  riras, 

1.  Nom  d'une  cité  populeuse  ou  des  «  pupazzi  »  manœuvraient  pour 
un  sou. 


LES    POETES    DU    TEUROIR 

Quand  t'intiiidras  dire  :  Un  doup  pou  Jacques^ 
PaT  poricliineir  qui  pari'  mag-as!... 
Te  li  mettras  diiis  s'menottes 
Au  lieu  d'doupe,  un  rond  d'carotte  ! 

I  t'dira  :  Merci!... 
Pins'  comm'  iious  arons  du  plaisi! 

«  Dors  min,  etc. 

«  Et  si  par  hasard  sin  maîte  s'fàche, 
Gh'est  alors,  Narciss',  que  nous  rirons! 
Sans  n'navoir  invi',  j'prindrai  m'n  air  maclie^, 
J'ii  dirai  sin  nom  et  ses  sournoms, 

J'ii  dirai  des  fariboles, 

I  m'in  répondra  des  drôles, 
Infin,  un  cliacun 

Verra  deux  pestac'  au  lieu  d'un... 

«  Dors  min,  etc. 

«  Allons,  serr'  tes  yeux,  dors,  min  bonhomme, 
J'vas  dire  eun'  prière  à  P'tit-Jésus, 
Pour  qu'i  vienne  icbi  pindant  tin  somme, 
T'fair'  rêver  qu'j'ai  les  mains  plein's  d'écus, 

Pour  qu'i  t'apporte  eun  coquille, 

Avec  du  chirop  qui  guile 

Tout  riong  d'tin  minton... 

Te  pourléqu'ras  tros  heur's  de  long! 

«  Dors,  min,  etc. 

«  L'mos  qui  vient,  à' Saint-Nicolas  ch'esl  rfiète, 
Pour  sûr,  au  soir,  i  viendrji  l'trouver, 
I  t'f'ra  un  sermon,  et  t'I'aich'ra  mette 
In  d'zous  du  balot^,  un  grand  painnier. 

I  l'remplira,  si  l'es  sache, 

D'séquois  qui  t'rindront  bénachc, 
Sans  cha,  sin  baudet 

T'invoira  un  grand  martinet. 

«  Dors,  min,  »  etc. 


1.  Nom  qu'on  dunnc  à  Policliincllc. 

2.  Méchant. 

3.  Cliciniiiéc. 


FLANDRE  79 

Ni  les  marionneltes,  ni  l'pain  n'épice 
N'ont  produit  d'effet.  Mais  l'martinet 
A  vit'  rappajé  l'petit  Narcisse, 
Qui  craingnot  d'vir  arriver  l'baudet. 

Il  a  dit  s'eanchon-dormoire... 

S'mèr'  l'a  mis  dins  s'nochennoire ', 
A  r'pris  sou  coussin, 

Et  répété  vingt  fos  che  r'frain  : 

«  Dors,  min  p'tit  quinquin, 
Min  p'tit  pouchin, 
Min  gros  rojin; 
Te  m'f'ras  du  chagrin, 
Si  tu  n'dors  point  qu'à  demain.  » 

{Chansons  et  Pasquîlles  lilloises,  1869.) 
1.  Berceau  à  bascule,  en  osier. 


GUSTAVE   NADAUD 

(1820-1893) 


Poète  chansonnier,  Gustave  Nadaiid  naquit  à  Roubaix  le 
20  février  1820,  et  mourut  à  Paris  en  1893.  De  toutes  ses  produc- 
tions, dont  la  liste  serait  longue  et  vaine  à  dresser  ici,  nous 
n'avons  retenu  que  les  quelques  strophes  qu'il  ëcrivit  sur  son 
foyer  natal. 

Les  chansons  populaires  de  Gustave  Nadaiid,  publiées  pour 
la  première  fois  en  1849,  se  sont  augmentées  avec  les  ans.  Le 
meilleur  recueil  qu'on  en  connaisse  parut  en  1879-1880,  à  la  Li- 
brairie des  Bibliophiles,  3  vol.  in-8*.  L'auteur  donna  par  la  suite 
un  complément  k  ses  pièces;  son  bagage  s'augmenta  en  1888 
de  Miettes  poétiques,  et  en  1889  de  Nouvelles  Chansons  à  dire  ou 
à  chanter;  il  mit  au  jour  aussi,  en  1893,  un  choix  de  Théâtre 
inédit. 

«  La  chanson,  a  écrit  Armand  Silvestre,  trouva  dans  Nadaud 
un  défenseur  qui  eut  pour  cette  noble  tAche  tout  le  talent  et 
tout  l'esprit  nécessaires,  plus  une  foi  robuste  en  un  genre  dont 
aucune  des  délicatesses  ne  lui  échappa*.  » 

Bibliographie.  —  F.  Loliéc,  Les  Disparus,  G.  Nadaud,  Nou- 
velle Revue,  1893,  p.  603-606.—  Georges  Montorgueil,  Gustave 
Nadaud,  Revue  Encyclopédique,  1893,  p.  531-538. 


MA   MAISON 

On  dit  (juc  ce  pays  est  triste, 
Que  son  climat  est  sombre  et  froid, 
Que  le  voyaj^-cur  et  l'artiste 
S'éloignent  de  ce  ciel  étroit. 

Et  pourtant,  lorsque  j'examine 
Ce  site  à  l'horizon  prochain, 


t.  La  Plume,  1893. 


81 


Qui  commence  et  qui  se   termine 
Dans  un  pli  lég-er  du  terrain, 

Il  me  paraît  que  la  nature 
West  pas  la  même  ici  qu'ailleurs, 
Et  qu'en  aucun  lieu  la  verdure 
N'a  de  ces  profondes  couleurs. 

Parmi  la  broussaille  touffue 
Brille  la  tuile  au  ton  joyeux  ; 
Du  vert  qui  repose  la  vue 
Et  du  rouge  qui  rit  aux  yeux. 

C'est  moins  un  bois  qu'une  charmille, 
Plus  un  vallon  qu'une  hauteur; 
C'est  chaste  comme  la  famille 
Et  calme  comme  le  bonheur. 

On  sent  qu'une  douce  existence 
Doit  s'abriter  en  ce  réduit  ; 
Elle  s'ouvre  sur  le  silence 
Et  se  referme  au  premier  bruit. 

Oui,  tout  me  charme  et  me  pénètre 
Dans  ce  coin  de  terre  et  de  ciel. 
Si  j'étais  fleur,  j'y  voudrais  naître  ; 
Abeille,  j'y  ferais  mon  miel. 

Rossignol,  je  serais  fidèle 
Aux  échos  de  ce  site  ombreux. 
Et  je  nicherais,  hirondelle, 
A  l'angle  de  ce  toit  heureux. 

Pourquoi?  je  m'en  vais  vous  le  dire, 
Et  vous  me  donnerez  raison  : 
Ce  site  et  ce  toit  que  j'admire, 
C'est  mon  pays  et  ma  maison. 

{Chansons,  1870. 


JULES  WATTEEUW 

(1849) 


I 


Ce  poète  populaire  est  nô  à  Tourcoing  en  1849,  au  momonl 
où  la  foire  annuelle,  la  grande  ducasse,  ainsi  qu'on  l'appelle 
dans  le  Nord,  menait  son  train.  Sa  famille  le  destina  au  com- 
merce. Plus  tard,  il  se  rendit  célèbre  en  composant  des  chan  - 
sons  patoises;  l'une  d'elles,  L'Coalonnciix,  est  fort  répandue 
dans  la  région.  M.  Jules  Watteeuw  diriga  pendant  plus  de  vingt- 
cinq  ans  un  journal  patoisant,  Le  Broutteux,  dout  le  titre  et  le 
caractère  sont  un  singulier  défi  à  la  médisance  de  Brûle-Maison, 
qui  prétendait  que  les  Tourquennois  manquent  de  finesse  e% 
de  malice.  Il  a  fait  paraître  en  outre  un  Armenaque  (1888  à  1908> 
et  plusieurs  recueils  de  Chansons,  Fables  et  Pasquilles  (Tour- 
coing, chez  l'auteur,  1882,  1891,  189"  et  1902,  4  vol.  in-8°)  :  ces 
derniers  ont  fourni  la  matière  d'une  sorte  d'Anthologie  de  luxe, 
illustrée  par  les  artistes  de  Roubaix-Tourcoing  et  publiée  en 
1901.  M.  Jules  Watteeuw,  on  l'a  dit,  n'est  point  seulement  un 
écrivain  d'humeur  populaire;  c'est  encore  un  historien  local  et 
un  linguiste  d'un  réel  mérite.  Le  glossaire  de  ses  œuvres  est  un 
commencement  de  dictionnaire  d'un  dialecte  où  le  vieux  picard 
domine,  et  que  l'on  consultera  utilement.  Il  est  l'auteur  de  deux 
ouvrages  documentaires  :  Jlist.  de  Tourcoing  (Tourcoing,  1902, 
in-8")  et  Tourcoing  au  dix-ncuvi'enie  siècle  (ibid.,  1904,  in-8»). 

niBLlOGRAPniK.  —  Léon  Hocquet,  M.  Jules  Watteuw  et  sa 
brouette,  Journal  do  Roubaix,  7  octobre  1907. 


L'COULONNEUX 

Ah!  lin.  ch'est  vus,  quoq'  vus  nvcz,  Adèle, 
Qu'in  n'vous  vot  pus  jamais  A  nou  majon.' 
C'malin  acore,  je  rdijos  A  Fidèle, 
Quo  qui  arot  bon,  voyons,  pou  tcheuc  raijoni 
—  Ah!  ouais,  taiji-vus,  Elisse, 


FLANDRE 


83 


Ch'est  que  j'ai  po  l'tcliœur  contint; 
T'nez,  pei'dcz  inn'  petit'  prisse, 
J'vas  vous  conter  min  cliongrin. 

REFRAIN 

Mon  Di!  Mon  Di!  Elisse, 
Wetti  qu'ch'est  malliureux 
Eu  d'vir  que  min  Bâtisse 
Y-a  tourné  coulonneux. 

Faut  vir  m'n'homm',  c'est  piss'  qu'in  harondelle, 
D'vin  nou  majon,  y  vol'  du  haut  in  bas, 
A  tous  momints,  y  faut  l'vir  batte  d  l'aile. 
Chin  qui  a  d'pus  drôl'y  n'peut  pus  vir  iu  cat. 
Le  via  r'périi  de  s'n'ovrache, 

Y  n'a  po  l'temps  de  m'wetti*, 

Y  tclieur^  mingi  sin  potache* 
Au  mitan  d'sin  coulombi. 

D'vin  sin  guerni,  je  n'sais  nin  chin  qui  brasse, 
Mais  j'vous  asseure  que  si  cha  continu, 

Y  n'me  laich'ra  mé  pus  foque^  m'payasse, 
Tut  min  ménache  est  beteu  disparu. 

Y  a  pris  pou  fair'  des  nichettes 
L'reu  d'min  car  à  babeigner"; 

Y  a  ben  pris  pou  ces  sal'  bêtes 
L'porte  de  l'comodité. 

Et  d'vant  dormir  au  qu'minch'mint  d'nou  ménache 

Y-allot  wetti  ses  afants  vin  leu  lit, 

Mais  ch'teur  du  soir  c'sans  tchœur  et  sans  corache 

Y  prind  l'tchandelle  et  grimpe  à  sin  guerni. 

Comben  d'fos  que  j'dis,  Baptisse, 
Te  boutras  l'fu  à  l'majon. 
Savez  chin  qui  m'dit,  Elisse? 
Ch'trot  damacli'  pour  mes  coulons. 

L'jour  d'in  concours,  y  nous  faut  faire  l'tchaine 
Gomme  des  pompis,  tout  l'iong  de  l'z'émontés', 
Et  t'nez,  y-ara  juste  aujord'hu  tros  s'maines, 

1.  De  retour.  2.  De  me  regarder.  3.  II  court.  4.  Soupe  de  lait  battu 
très  en  vogue  parmi  les  ouvriers  de  Koubaix-Tourcoing.  o.  Seulement. 
().  La  roue  de  mou  chariot  à  bobiner.  7.  Marche  d'escalier. 


84  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Qu'mi  et  m'z'afants  in  a  tertus  bourlés. 
In  tchéant  min  p'tit  Filisse 
S'avot  cassé  in  gros  din; 
J'sus  contint,  dijot  Baptisse, 
Qu'mim  beau  coulon  y  n'a  rin. 

Allons,  voyons,  n'te  faut  pus  braire,  Adèle, 
Te  vos  ben,  mi,  que  m'n'homme  cli'est  in  buveu? 
A  tous  momints,  j'sus  matclii,'  pa  Fidèle, 
Tin  wett ,  je  n'ai  encore  m'n'œil  tout  bleu. 
^  Allons,  vins  clii  boire  inn'  goutte 

A  l'majon  Sopliie  Gabus; 
Eu  n'te  mets  po  in  déroute 
D'z'hommes,  y  n'd'a  po  pou  quatt'sus. 

1 .  Frappée. 


A.    DE   GUERNE 

(1853) 


M.  André-Charles-Romaia  vicomte  de  Guerne  est  né  à  Paris 
le  18  juin  1853,  mais  il  appartient  par  ses  origines  à  la  Flandre 
française.  Sa  famille  vint  se  fixer  à  Douai  après  la  conquête  de 
Louis  XIV;  plusieurs  de  ses  ancêtres  occupèrent  dans  la  pro- 
vince le  siège  de  président  au  Parlement.  Ses  études  termi- 
nées, il  suivit  le  cours  d'épigraphie  sémitique  et  assyrienne  que 
professe  à  l'Ecole  du  Louvre  M.  Ledrain,  puis  au  Collège  de 
France  les  leçons  du  savant  orientaliste  Opport  et  de  Renan. 
Ses  premières  productions  littéraires  se  ressentent  de  ses 
préoccupations  d'alors.  De  1890  à  1897  il  donna  trois  recueils  de 
poèmes  où  demeure  inscrit  son  culte  des  antiquités  :  Les  Siècles 
Morts  :  I.  L'Orient  antique  (Paris,  Lcmorre,  1890,  in-S");  II.  L'O- 
rient  grec  (ibid.,  1893,  iu-8»)  ;  III.  L'Orient  chrétien  (ibid.,  1897, 
in-8»).  Il  fit  paraître  ensuite  deux  autres  volumes  :  Le  Bois  sacré 
(ibid.,  1898,  in-8°)  et  Les  Flûtes  alternées  (ibid.,  1900,  in-8'>).  C'est 
dans  ces  derniers  ouvrages  que  vibre  l'écho  attendri  de  sa  race 
et  de  la  tradition  flamande.  Son  art  rigide  et  froid,  dune  forme 
toute  parnassienne,  a  obéi,  en  les  concevant,  à  une  émotion  inat- 
tendue, mais  sincère  et  puissante. 

M.  le  vicomte  André-Charles  de  Guerne  est  un  pieux  disciple 
de  Leconte  de  Lisle. 

Bibliographie.  —  Camille  Yergniol,  Les  Flûtes  alternées,  hn 
Quinzaine,16  juin  1900.  —  Ed.  Champion,  Z,c^  Œnt-res  du  vicomte 
de  Guerne,  Chronique  des  Livres,  10  avril  1901.  —  A. -M.  Grossez, 
Poètes  du  Xord,  Paris,  OUendorff,  1902,  in-18. 


LES    MINEURS 

Dans  les  fangeux  matins  des  plaines  embrumées. 
Sous  l'orage  grondant,  l'averse  ou  l'aquilon, 
Vers  la  fosse  aux  toits  plats  où  traînent  des  fumées, 
Ils  vont,  par  les  chemins  que  borde  le  houblon. 


86  LES    POÈTES    DU    TERKOIR 

Ils  vont,  courbant  le  dos,  d'un  pas  lent,  sans  rien  dire. 
Farouches,  liaillonneux,  blêmes,  la  pipe  aux  dents. 
Le  passant  qui  les  croise  hésite  en  voyant  luire 
Dans  les  visages  noirs  l'émail  des  yeux  ardents. 

Tel  un  muet  troupeau  qu'on  embarque  et  dénombre, 
L'équipe  lamentable  emplit  l'étroit  réduit; 
Et  la  cage  commence,  obscur  vaisseau  qui  sombre, 
Le  voyage  elïaré  dans  l'abîme  et  la  nuit. 

Profondeur  insondable  où  l'homme  esclave  rampe 
Plus  bas  que  le  plongeur  dans  les  gouffres  marins. 
Et  taille,  armé  du  pic,  aux  lueurs  de  sa  lampe, 
D'un  nocturne  univers  les  sentiers  souterrains. 

A  genoux,  éventrant  la  basse  catacombe, 
Sans  relâche  il  poursuit  son  noir  labeur,  sachant 
Qu'il  est  un  fossoyeur  creusant  sa  propre  tombe 
Et  que  la  brusque  mort  le  guette  au  bout  du  champ. 

Le  père  est  tombé  là;  le  fils  a  pris  sa  place, 
Fouille,  peine,  halète  et  souffre  afin  qu'un  jour, 
Défiguré,  raidi,  souillé  de  houille  grasse, 
Sous  le  hangar  banal  on  l'étende  à  son  tour. 

Lutte,  agonise  et  meurs,  captif  des  puits  funèbres! 
Qu'importe  si,  toujours  privé  du  chaste  azur, 
Tu  ne  fais  en  mourant  que  changer  de  ténèbres, 
Qu'habiter  un  tombeau  moins  profond  et  moins  dur? 

Est-il  vrai  qu'il  soit  juste  et  qu'il  soit  nécessaire 
A  la  vie,  au  progrès  sinistre  et  radieux. 
Que  des  êtres  sans  nombre  ignorent,  ô  misère! 
La  marche  du  soleil  dans  l'infini  des  cieux? 
O  destin!  faut-il  donc  qu'un  éternel  mystère 
Réserve  aux  uns  l'abîme,  à  d'autres  les  sommets, 
Et  que  sur  ton  écorce  infâme,  6  vieille  terre  1 
L'aube,  égale  pour  tous,  n'étincello  jamais? 
Aux  uns  le  jour  serein  comme  aux  autres  la  mine: 
Aux  uns  le  blond  froment;  le  pain  noir  de  charbon 
A  ceux  <pu!  l'ombre  couvre  et  que  le  sort  domine, 
O  Nature;  et  cela  te  i)araît  sage  et  boni 

Tu  n'as  jamais  senti  que  l'œuvre  coutumière 
Est  douce  au  laboureur  dans  l'aube  et  la  clarté. 


87 


Mais  que  l'irrémissible  exil  de  la  luniière 
Faille  travail  coupable  et  le  cœur  révolté. 

Tu  n'as  jamais  frémi,  marâtre  avide  et  rude! 
D'engloutir  tes  enfants  dans  tes  flancs   ténébreux, 
Ni  de  les  voir  garder  cette  âpre  inquiétude 
D'être  comme  étrangers  aux  astres  des  heureux. 

C'est  la  loi  sombre.  Roue  énorme,  écrase  et  foule, 
O  nature!  et,  fatale  en  ton  aveuglement, 
Roule  sur  les  puissants  que  l'oubli  berce,  roule 
Sur  les  maudits,  sur  tous  roule  indifl'éremment, 

Jusqu'à  l'heure  qui  sonne  au  fond  du  crépuscule 
Où  le  libre  avenir,  brandissant  son  flambeau. 
Arrachera  soudain  l'esclave  à  l'ergastule. 
Les  vivants  â  la  nuit  et  les  morts  au  tombeau. 

[Le  Bois  sacré.) 


AUGUSTE   DORGHAIN 

(1857) 


4 


M.  Auguste  Dorchaia  est  né  à  Cambrai,  le  19  mars  1857.  Il  fut 
élevé  dans  cotte  ville  d'abord,  chez  ses  orands-parcnts,  puis 
à  Elbeuf,  où  son  pèro  était  marchand  de  drap,  et  lit  ses  études 
au  lycée  Corneille  de  Rouen.  11  vint  ensuite  à  Paris,  suivit  les 
cours  de  l'Ecole  de  Droit  et  débuta  dans  les  lettres  en  1881. 
Il  se  rendit  célèbre  en  écrivant  des  poèmes  du  genre  officiel,  où 
il  mit  plus  d'art  que  le  sujet  n'en  comporte  ordinairement,  et  en 
faisant  jouer  sur  la  scène  du  théâtre  de  l'Odéon  des  œuvres 
dramatiques  en  vers  :  Conte  d'avril  (Paris,  Lemerre,  1885,in-I8); 
Maître  Ambros,  en  collaboration  avec  François  Coppée  (ibid., 
1886,  in-18);  Rose  d'Automne  (ibid.,  1895,  in-18);  Pour  l'Amour 
(ibid.,  1901,  in-18).  Son  premier  recueil  de  poèmes,  La  Jeunesse 
pensive,  pavutchez  Lemerre,  en  1881  (1  vol.  in-18);  il  fut  suivi  d'un 
autre  volume,  Vers  la  Lumière  (ibid.,  1894,  in-18),  inspiré  parle 
mariage  de  l'auteur  avec  M""  Marie  Barthélémy,  débutante  à 
rOdéon  et  poète.  Ce  livre  recueillit  le  prix  .\rchon-Despérouses, 
et  l'Académie  française  se  montra  pleine  d'égards  pour  M.  Au- 
guste Dorchain,  qu'elle  combla  materuellement  de  ses  dons, 
pour  chacun  de  ses  volumes  en  particulier,  puis  pour  l'ensem- 
ble, La  bibliographie  de  l'œuvre  de  M.  Dorchain  a  été  excellem- 
ment établie  dans  les  Poètes  du  Nord  de  M.  A. -M.  Gossez.  Ses 
poésies  complètes  ont  été  publiées  récemment  et  forment  la  ma- 
tière d'un  volume  comprenant  tout  à  la  fois  La  Jeunesse  pen- 
sive, Vers  la  Lumière  et  des  Poèmes  divers,  1881-1894  (Paris,  Le- 
merre, 1895,  iu-12).  Depuis  il  a  donné  quelques  jiièces  nouvelles, 
entre  autres  une  Ode  à  Michelet  (ibid.,  1898,  in-18),  des  Stances 
à  Sainte-Beuve  (ibid.,  1898,  in-18),  un  Chant  pour  Léo  Delibes 
(ibid.,  1899,iu-t8),  Les  Danses  françaises  (ibid.,  1900,  in-18),  un 
Traite  de  l'Art  des  Vers  (Paris,  IJibliothèquo  des  Annales  polit, 
ol  littér.,  1905,  in-18),  et  diverses  réimpressions  de  poètes  fran- 
çais. M.  Auguste  Dorchain  appartient  au  groupe  des  derniers 
parnassiens. 

HiBMonnAPHiE.  —  A. -M.  Gosse/,,  Poètes  du  Nord,  Paris,  01- 
Icndorfr,  1902,  in-18  :  —  J.  Lemailre,  Imprcss.  de  Théâtre,  Paris, 


FLANDRE  89 

Lecène  et  Oudin,  1893-1896,  t.  VI  et  IX;  —  Gaston  Deschamps, 
La  Vie  et  les  Livres,  Paris,  Colin,  1896,  in-18.  —  A.-E.  Sorel, 
Auguste  Dorchain,  Paris,  Sansot,  1908,  in-18. 


LA  CHANSON  DU  MATELOT-CORSAIRE» 

A  Henri  Malo. 

I 

Ils  ont,  tout  riiiver,  sur  les  oaux 

Tenu  campagne; 
Ils  ont  coulé  trois  grands  vaisseaux 

Du  roi  d'Espagne; 
Ils  ont  fait,  les  hardis  marins, 

Riches  captures  : 
On  entend  sonner  les  florins 

Dans  leurs  ceintures. 

«  Demain,  quand  nous  aborderons, 

Quelles  orgies! 
Ah!  comme  nous  nous  griserons 

Aux  tabagies  ! 
A  nous  les  femmes  et  le  vin  ! 

Faisons  largesses! 
Nous  ne  verrons  jamais  la  fin 

De  nos  richesses!...  » 

II  « 

Hélas  !  le  pauvre  matelot 
Ne  sera  pas  bien  longtemps  riche  : 
Il  perd  son  argent  au  tripot, 
Sans  s'apercevoir  qu'on  y  triche. 

Le  cabaret  n'est  pas  moins  cher; 
La  femme  n'est  pas  moins  avide... 
Pauvre  marin,  reprends  la  mer, 
Il  faut  partir  :  la  bourse  est  vide. 

On  le  reconduit  jusqu'au  port. 
Déjà  sa  marche  est  incertaine; 

1.  Fragment  inédit  d'un  opéra. 


90  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Il  va  de  tribord  à  bâbord... 
Mais,  pour  noyer  à  fond  sa  peine, 

«  Allons,  avant  l'embarquement, 
Encore  un  coup  de  bonne  bière!  » 
Dit  le  pauvre  homme.  Et,  tristement, 
Il  boit  —  dix  fois  —  le  dernier  verre. 


il 


ALBERT  SAMAIN 

(1858-1900) 


Albert-Victor  Samaia  naquit  à  Lille  le  3  avril  18.-)8,  Encore 
adolescent,  il  quitta  le  lycée  de  sa  ville  natale  pour  entrer  en 
qualité  de  commis  dans  une  maison  de  banque.  Sa  jeunesse  se 
passa  en  de  successifs  travaux  peu  favorables  à  l'éclosion  d'un 
talent  qui  devait  lentement,  et  tard,  se  manifester.  Inquiet  de 
son  avenir,  il  vint  se  fixer  à  Paris  et  obtint  en  1882,  grâce  à  la 
recommandation  du  romancier  Octave  Feuillet,  un  emploi  à  la 
préfecture  de  la  Seine.  De  cette  époque  date  sa  collaboration 
au  Chat  Noir,  au  Scapin  et  surtout  au  Mercure  de  France,  dont  il 
fut  un  des  fondateurs  et  où  parurent  la  plupart  des  poèmes  qui 
composent  son  premier  livre  :  Au  Jardin  de  l'Infante  (Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1893,  in-lC).  Indépendamment 
d'une  nouvelle  édition  de  cet  ouvrage,  augmentée  d'une  partie 
inédite  (ibid.,  189T,  in-18),  Albert  Samain  a  fait  paraître  un  autre 
volume  :yi«a;  Flancs  du  i'ase  (ibid.,  1898,  in-S»),  et  semé  dans  des 
revues  [La  Revue  des  Deux  Mondes,  Mercure  de  France,  La  Re- 
vue Hebdomadaire,  La  Revue  Septentrionale,  La  Revue  du  Nord, 
L'Ermitage,  Le  Beffroi)  la  matière  d'un  recueil  de  poèmes  pu- 
blié posthumément  :  Le  Chariot  d'Or  (ibid.,  1901,  iu-18),  et  trois 
contes  en  prose,  Xanthis,  Divine  Bontemps,  Hyalis  Rov'ere  et 
Angis'ele  (Voy.  l'édition  qu'en  a  donnée  le  Mercure  de  France 
sous  ce  titre  :  Contes,  en  1902,  iu-18).  Une  pièce  en  un  acte  en 
vers,  Polyphème,  tvouxée  dans  ses  papiers,  complète  son  bagage 
littéraire.  Miné  depuis  longtemps  par  une  affection  de  poitrin% 
.\lbert  Samain  s'est  éteint  le  18  août  1900,  àMagny-les-Hameaux, 
près  de  Port-Royal  des  Champs,  laissant  lié  à  une  œuvre  d'har- 
monie mélancolique  —  témoignage  d'une  sensibilité  rare  —  le 
souvenir  attendri  d'une  âme  douce  et  fière,  timide  et  grave. 

BlBMOGRAPiîiE.  —  Léon  Bocquet,  Albert  Samain,  sa  Vie,  son 
Œuvre,  Paris,  Société  du  Mercure  de  France,  1905,  in-18; — 
A.  Jarry,  A.  Samain,  Paris,  V.  Lemasle,  1907,  in-18.—  Ad.  van 
Bover  et  P.  Léautaud,  Poètes  d'aujourd'hui,  II,  Paris,  Soc.  du 
Mercure  de  France,  1908,  in-18.  —  Douze  Lettres  de  A.  Samain  à 
M.  Edmond  Rocher,  plaq.  hors  commerce,  tirée  à  5  exemplaires. 


92  LES    POÈTES    DU    TEKKOIK 


FLANDRE 

Mon  enfance  captive  a  vécu  dans  des  pierres, 
Dans  la  ville  où  sans  fin,  vomissant  le  charbon, 
L'usine  en  feu  dévore  un  peuple  moribond  : 
Et  pour  voir  des  jardins  je  fermais  les  paupières... 

J'ai  grandi;  j'ai  rêvé  d'orient,  de  lumières, 
De  rivages  de  fleurs  où  l'air  tiède  sent  bon, 
De  cités  aux  noms  d'or,  et,  seigneur  vagabond, 
De  pavés  florentins  où  traîner  des  rapières. 

Puis  je  pris  en  dégoût  le  carton  du  décor, 

Et  maintenant  j'entends  en  moi  l'âme  du  Nord 

Qui  chante,  et  chaque  jour  j'aiine  d'un  cœur  plus  fort 

Ton  air  de  sainte  femme,  ô  ma  terre  de  Flandre, 
Ton  peuple  grave  et  droit,  ennemi  de  l'esclandre. 
Ta  douceur  de  misère  où  le  cœur  se  sent  prendre, 

Tes  marais,  tes  prés  verts  où  rouissent  les  lins, 
Tes  bateaux,  ton  ciel  gris  où  tournent  les  moulins. 
Et  cette  veuve  en  noir  avec  ses  orphelins... 

A   MARCELINE    DESBORDES-VALMORE 

L'Amour,  dont  l'autre  nom  sur  terre  est  la  Douleur, 
De  ton  sein  fil  jaillir  une  source  écumanto, 
Et  ta  voix  était  triste  et  ton  âme  charmante, 
Et  de  toi  la  Pitié  divine  eût  fait  sa  Sœ'ur. 

Ivresse  ou  désespoir,  enthousiasme  ou  langueur, 
Tu  jetais  tes  cris  d'or  à  travers  la  tourmente; 
Et  les  vers  qui  brûlaient  sur  ta  bouche  d'amante 
Formaient  leur  rythme  aux  seuls  battements  de  ton  cœur. 

Aujourd'hui,  la  Justice,  à  notre  voix  émue, 
Vient,  la  palme  à  la  main,  vers  ta  noble  statue, 
Pour  proclamer  ta  gloire  au  vieux  soleil  flamand. 

Mais  pour  mieux  attendrir  ton  bronze  aux  tendres  charmes 
Peut-être  il  suflirait  —  quehiue  soir  —  simi)lement  ^ 

Qu'une  amante  vint  là  jeter,  négligemment,  jj 

Une  loufle  de  fleurs  où  trembleraient  des  larmes.  ■ 


9a 


NOCTURNE    PROVINCIAL 

La  petite  ville  sans  bruit 

Dort  profondément  dans  la  nuit. 

Aux  vieux  réverbères  à  branches 

Agonise  un  gaz  indigent; 

Mais  soudain  la  lune  émergeant 

Fait  tout  au  long  des  maisons  blanches 

Resplendir  des  vitres  d'argent. 

La  nuit  tiède  s'évente  au  long  des  marronniers... 
La  nuit  tardive,  où  flotte  encor  de  la  lumière. 
Tout  est  noir  et  désert  aux  anciens  quartiers; 
Mon  âme,  accoude-toi  sur  le  vieux  pont  de  pierre, 
Et  respire  la  bonne  odeur  de  la  rivière. 

Le  silence  est  si  grand  que  mon  cœur  en  frissonne. 
Seul,  le  bruit  de  mes  pas  sur  le  pavé  résonne. 
Le  silence  tressaille  au  cœur,  et  minuit  sonne! 

Au  long  de  grands  murs  d'un  couvent 
Des  feuilles  bruissent  au  vent. 
Pensionnaires...  Orphelines... 
Rubans  bleus  sur  les  pèlerines... 
C'est  le  jardin  des  Ursulines. 

Une  brise  à  travers  les  grilles 

Passe  aussi  douce  qu'un  soupir-  ♦ 

Et  cette  étoile  aux  feux  tranquilles, 

Là-bas,  semble,  au  fond  des  charmilles, 

Une  veilleuse  de  saphir. 

Oh!  sous  les  toits  d'ardoise  à  la  lune  pâlis, 

Les  vierges  et  leur  pur  sommeil  aux  chambres  claires 

Et  leurs  petits  cous  ronds  noués  de  scapulaires, 

Et  leurs  corps  sans  péché,  dans  la  blancheur  des  lits  !.. 

D'une  heure  égale  ici  l'heure  égale  est  suivie, 

Et  l'Innocence  en  paix  dort  au  bord  de  la  vie... 

Triste  et  déserte  infiniment 
Sous  le  clair  de  lune  électrique. 
Voici  que  la  place  historique 


yi  LES    POETES    DU    TERROIR 

Aligne  solennellement 

Ses  vieux  hôtels  du  Parlement. 

A  l'angle,  une  fenêtre  est  éclairée  encor. 
Une  lampe  est  là-haut,  qui  veille  quant  tout  dort  ! 
Sous  le  frêle  tissu,  qui  tamise  sa  flamme, 
Furtive,  par  instants,  glisse  une  ombre  de  femme. 

La  fenêtre  s'ent'rouvre  un  peu  ; 

Et  la  femme,  poignant  aveu, 

Tord  ses  beaux  bras  nus  dans  l'air  bleu... 

O  secrètes  ardeurs  des  nuits  provinciales! 
Cœurs  qui  brûlent!  Cheveux  en  désordre  épandus! 
Beaux  seins  lourds  de  désirs,  pétris  par  des  mains  pâles. 
Grands  appels  suppliants,  et  jamais  entendus  ! 

Je  vous  évoque,  ô  vous,  amantes  ignorées. 

Dont  la  chair  se  consume  ainsi  qu'un  vain  flambeau. 

Et  qui  sur  vos  beaux  corps  pleurent  désespérées,  A 

Vous  coucherez  un  soir,  vierges,  dans  le  tombeau!        9 

Et  mon  âme  pensive,  à  l'angle  de  la  place. 
Fixe  toujours  là-bas  la  vitre  où  l'ombre  passe. 

Le  rideau  frêle  au  vent  frissonne...  ■ 

La  lampe  meurt...  Une  heure  sonne.  « 

Personne,  personne,  personne. 

{Le  Chariot  d'or,) 


JULES   MOUSSERON 

(1868) 


Jules  Mousseron  est  »a  ouvrier  mineur  de  Dennin.  Il  vit  le 
jour  dans  cette  ville,  le  l»''  janvier  1868,  en  un  modeste  logis, 
«  au  quartier  des  Corons-Plats,  entre  In  rue  do  Lourches  et  la 
rue  de  Douai,  aux  abords  de  l'Usine  Cail  ».  Sa  mère  était  née  à 
Denain;  son  père,  pupille  de  l'Assistance  publique,  venait  do 
Paris.  L'incertitude,  le  mystère  de  ses  origines,  l'ut  peut-être 
l'unique  cause  de  sa  vocation  de  poète.  A  douze  ans,  le  2  jan- 
vier 1830  exactement,  il  quitta  l'école  pour  entrer  à  la  mine,  eu 
qualité  de  g-a/i'io^  c'est-à-dire  d'aide  (charrie-bois)  do  l'ouvrier 
boiseur.  Depuis  ving-huit  années  bientôt,  il  n'a  cessé  do  descen- 
dre dans  les  puits  et  do  partager  le  sort  de  ces  compagnons 
mineurs  qu'il  a  si  bien  décrits  et  chantés.  Quelqu'un  a  raconte, 
avec  une  éloquence  émue,  cette  vie  exemplaire  de  l'ouvrier 
poète,  partagée  sans  cesse  entre  le  désir  de  se  rendre  utile  aux 
autres  et  de  contribuer,  par  des  chansons  et  des  vers  d'un  tour 
simple,  mais  expressif,  à  enrichir  le  patrimoine  de  beauté  po- 
pulaire. Ses  premiers  essais,  insérés  dans  des  revues  dont  les 
noms  n'importent  pas,  le  firent  connaître  dans  sa  cité  même. 
«  Cette  ville  de  Denain,  a-t-on  dit,  poussée  en  un  siècle  à  peine 
sur  le  sol  des  houillères,  où  dormait  un  pauvre  village  de  culture, 
autour  des  ruines  de  l'Abbaye  des  Dames,  n'a  pas  de  vieîtle 
bourgeoisie  sédentaire:  ses  riches,  issus  du  travail  et  du  savoir 
personnels,  ignorent  l'inertie  séculaire  des  provinces  arrié- 
rées. La  docilité  à  de  quotidiennes  innovations  qu'imposent  les 
travaux  de  grande  métallurgie  imprègne  l'esprit  public,  l'en- 
traîne aux  jugements  prompts;  les  réputations  s'y  forment 
avec  une  spontanéité  spéciale,  les  opinions  s'y  revisent  de 
même;  la  commune  dépendance  matérielle  do  tous  à  trois  ou 
quatre  puissantes  sociétés  crée  de  vastes  sympatiiics.  Il  sem- 
ble que,  malgré  la  chute  perpétuelle  des  suies  d'usines,  une 
atmosphère  dllfusante  y  règne,  propre  aux  rapides  enthousias- 
mes, et  dans  laquelle  le  silence  mortel  du  convenu  n'étoufl'o 
point  les  curiosités...  » 

Trop  timide  pour  s'imposer,  Jules  Mousseron  attendit,  tout 
en  rimant,  qu'on  s'intéressât  à  son  œuvre.  Un  petit  cénacle  qui 


^6  LES    POÈTES    DU    TEUUOIR 

'l'avait  découvert  alla  en  s'clargissant,  et  bientôt  il  connut  la  cé- 
lébrité, une  célébrité  qui,  à  son  tour,  s'étendit  au  delà  de  sa  pro- 
vince et  lui  valut  des  félicitations  de  toute  part.  Il  publia  alors 
successivement,  dans  une  langue  savourçuse  qui  est  le  patois 
de  la  mine,  et  où  se  retrouvent  de  vieux  mots  français  tombés  in 
•désuétude  :  Fleurs  d'en  bas,  préf.  d'André  Jurenil  (Denain,  chez 
tous  les  libraires,  1897,  in-18);  Croquis  au  charbon  (ibid.,  1899, 
lin-lS);  Feuillets  noircis,  préf.  d'Auguste  Dorchain  (Lille,  Libr. 
Centrale,  1901,  in-18);  Coups  de  pic  et  Coups  de  plume,  préface 
d'André  Jurenil  (Denain,  chez  tous  les  libr.,  190C,  in-18);  Au 
Pays  des  Corons,  préf.  de  Philéas  Lebesgue  (Lille,  Taillandier, 
1907,  in-18). 

«  Mousseron,  observait  M.  Léon  Bocquet  à  propos  de  Croquis 
au  charbon,  est  uu  ouvrier,  tout  simplement:  mais  combien 
délicat  et  doux  apparaît  cet  bomme  à  la  belle  figure  de  christ 
compatissant,  dont  la  seule  envie  est  de  faire,  dans  la  mesure 
du  possible,  du  bien  autour  de  lui  et  de  mettre  un  peu  de  joio 
dans  l'âme  de  ses  frères!  Ses  vers  furent  composés  aux  heures 
restées  libres  par  la  rude  tâche  quotidienne.  Tout  au  long  du 
livre,  qui  dit  les  «  choses  du  fond  »  et  les  «  choses  d'en  haut  », 
se  révèle  un  vrai  poète,  infiniment  sincère  et  bon.  »  11  n'y  a  rien 
à  ajouter  à  ce  qui  précède,  et  pourtant  l'œuvre  du  poète  s'aug- 
mente sans  cesse  avec  les  journées  de  labeur  quotidien.  Loin 
de  s'affaiblir,  de  s'atténuer,  à  l'égal  de  tant  do  productions  lit- 
téraires, elle  apparaît  plus  intense  et  plus  forte  que  jamais;  elle 
est  la  vivante  image  des  aspirations  populaires. 

BiBLiOGRAi'iriE.  —  P. -M.  Gahisto,  Jules  Mousseron,  Valen- 
ciennes  et  Denain,  chez  tous  les  libr.,  1907,  in-12.  Voir  en  outre 
les  Préfaces  d'André  Jurenil,  Aug.  Dorchain  et  Philéas  Lcbis- 
gue,  publiées  en  tète  des  recueils  du  poète. 


L'SOUlUS   DU    FO?iD 

Approch',  souris,  m'bonn'  petiot'  biête.  m 

N'cuch  point  craint'  :  je  n'té  ferai  rien.  f 

Té  vos  :  j'vas  esqueute  '  m'malelte' 
Pour  mi  t'donncr  des  miettes  d'puin. 

Au  jour,  si  tVs  ricrreur  del  femmo, 
Au  fond,  à  l'homm'  té  n'fais  point  peur. 


i 


1.  Secouer. 
i.  l'clil  sac. 


97 


Bin  au  contrair'  mi  l'premier,  j 't'aime. 
Grêl'  souris,  té  m.'mets  l'joie  au  cœur. 

Du  mineur  t'es  l'compagn'  fidèle; 
Il  a  quer'  vire  t'fin  musiau, 
Au  fond  de  l'fosse,  t'cri  li  rappelle 
El'  jour  et  l'gazourmint  d'I'osiau. 

J'sais  qn'timps  in  timps,  petit'  coquine, 
Té  nous  fais  un  peu  marronner* 
In  f'sant  des  tros  dins  not'  tartine. 
Bah!  i  t'faut  bin  aussi  minger... 

Hein!  comm'  té  rong'  là-d'dins,  heureusse, 
Quand,  par  tierre,  in  obli'  s'briquet. 
Mais  comme"  té  t'sauv'  aussi,  peureusse. 
Au  moinder  bruit  que  l'vint  i  fait  ! 

Va,  ch'n'est  rien  d'cha.  Pu  qu't'es  du  monne, 
I  faut  l'norrir...  Pis,  t'raing'  si  peu 
Que  té  n'fais  point  d'tort  à  personne, 
Souvint  même  in  n'y  vot  qu'du  feu... 

Qu'jaime  à  t'vir,  continte  et  légère. 
Courir,  banqu'ter,  l'iong  des  caillaux. 
Oh!  comm'  dins  t'sort,  t'as  l'air  dé  t'plaire, 
Margré  l'peu  d'saquois'  que  té  vos. 

Va,  gambad',  trott',  gambade  incore. 
Pu  qu'té  t'plais  dins  t'n'obscurité, 
N'cach'  point  à  vir  chuss  que  t'ignores. 
T'n'connos  rien,  rien  n'est  r'gretté. 

Té  n'es  point  non  pus,  bin  sûr,  sans  peine. 

Parfois  un  méchant  galibot 

Pou  t'avoir,  queurt  à  perdre  haleine 

Et  veut  l'écraser  sous  s'chabot. 

J'sais  bin  qu'du  côté  d  l'écurie, 
Si,  d'hazard,  té  dirig'  tes  pas, 
Té  risqu'  beaucoup  d'ia  laisser  t'vie, 
Egorgé  sous  les  grifî's  des  cats. 

1.  Il  aime. 

2.  Maugréer. 

3.  Quelque  chose  (je  ne  sais  quoi). 


98  LES    POÈTES    DU    TEKROIR 

J'sais  aussi  qu'dins  les  momints  d'grève, 
Quand  t'n'vos  pu  les  carbonniers, 
Kl  pain  i  t'manqu',  même  que  fin  ci-èves, 
Ti  qu'té  veux  vivr'  si  volontiers  ! 

Ali!  j'tai  remai-qué.  Ces  lend'mains  d'iulte, 
In  veyot  comm'  t'avos  souffert, 
Tout'  delianqué,  t'tiot'  panclie  ù  vute, 
Parfos  mêm'  les  quat'  patt'  in  l'air. 

Mais  n'parlons  pus  d'ces  triss's  affaires  : 
Nous  avons  du  pain  à  plaisi. 
Nous  brairons  quand  i  s'ra  temps  d'braire, 
Viens  faire  Ffestin  aujord'hui. 

Approch',  souris,  m'bonn'  petiot'  biète, 
N'euch'  point  craint'  :  je  n'té  ferai  rien, 
ïé  vos  :  j'vas  esqueute  m'mallette 
Pour  mi  t'donncr  des  miettes  d'pain. 

[Croquis  au  charbon.) 


LEON   BOGQUET 

(187fi) 


M.  Léon  Bocqiiet  est  né  le  11  août  18TG,  diins  un  petit  villajïo 
des  environs  de  Lille,  non  loin  de  la  Lys,  à  Marquillies.  Il  lit 
ses  études  aux  Universités  de  Lille,  fut  licencié  es  lettres  et  se 
fixa  pour  quelques  années  dans  cette  ville.  Il  habite  actuelle- 
ment Paris  et  collabore  aux  journaux  de  sa  province.  En  1900, 
il  fonda,  avec  MM.  A. -M.  Gossez  et  Edmond  IJlanguernon,  une 
petite  revue.  Le  Beffroi,  qui  donna  l'essor  à  une  véritable  renais- 
sance poétique  dont  il  fut  un  des  initiateurs.  Il  a  fait  paraître 
une  série  d'ouvrages  qui  l'ont  placé  parmi  les  meilleurs  écri- 
vains de  la  Flandre  :  Les  Sensations,  poésies  (Paris,  Vanier,  1897, 
in-18);  Un  mariage  manqué,  conte  (Paris,  La  Tradition,  1900, 
in-S"):  Flandre,  poème  (Paris,  Maison  des  Poètes,  1901,  in-16): 
La  Banale  histoire,  conte  (Lille,  édit.  du  Beffroi,  1902,  in-18); 
L'Imagier  Andhrè  des  Gâchons,  étude  (ibid.,  1903,  in-S");  Albert 
Samain,  sa  vie,  son  œuvre  (Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1905,  in-18);  Les  Cygnes  noirs,  poèmes  (ibid,,  1906,  in-18). 

A  propos  de  la  publication  de  Flandre,  recueil  de  poésies 
magnifiant  le  terroir,  M.  Pierre  Quillard  écrivait  dans  sa  chro- 
nique des  poèmes  du  Mercure  de  France  :  «  Les  poètes  du  Nord 
seraient  volontiers  plus  enclins  à  garder  les  traditions  qu'à  inno- 
ver; ils  célèbrent  des  gloires  mortes,  le  souvenir  d'opulences 
évanouies,  de  cavalcades  et  do  pennons  d'or  :  et  ils  s'essayent  à 
dégager  la  beauté  latente  du  monde  douloureux  qui  peine  dani 
lamine,  l'usine,  les  fonderies;  ils  hésitent  ainsi  entre  Rubens  et 
Constantin  Meunier;  mais  en  tous  leurs  efforts  ils  se  révèlent 
des  artistes  d'une  probité  et  d'une  conscience  admirables,  et 
M.  Léon  Bocquet  décrit  avec  un  scrupuleux  amour  les  villes  et 
les  plaines  natales,  et  sa  pitié  fraternelle  s'émeut  à  la  misère 
des  hommes.  »  M.  Léon  Bocquet  a  collaboré  à  bon  nombre  de 
revues  et  de  journaux  :  La  Revue  Encyclopédique,  L'Ermitage, 
La  Revue  Franco-Allemande,  Le  Penseur,  La  Clavellina,  L' Hémi- 
cycle, La  Tradition,  La  Province,  La  Revue  Bleue,  La  Revue  Ver- 
lainienne,  La  Revue  des  Poètes,  L'Effort,  l'Echo  du  Nord,  Le  Mer- 
cure de  France,  Le  Mois  littéraire,  La  Grande  Revue,  etc. 

Bibliographie.  —  Abbé  C.  Lecigne,  Un  Jeune  Poète  de  chtz 
nous,  Léon  Bocquet,  Arras-Paris,  Sueur-Charruey,  1901,  in-S".  — 


100 


LES    POETES    DU    TERROIR 


i 


H.  Potez,  Un  Recueil  de  poésies  septentrionales,  Journal  de  Douaî, 
19  mai  1901.  — M.-Th.  Cussac,  La  Flandre  et  son  Poète  dernier  venu, 
Le  Progrès  du  Nord,  26  juill.  1901.  —A. -M.  Gossez,  Poètes  du 
Nord,  Paris,  Ollendorfr,  1902,  in-18.  —  Georges  Casella  et  Ernest 
Gaubert,  La  Nouvelle  Littérature,  Paris,  Sansot,  190G,  in-18. 


A   LA   FLANDRE 

J'aime  tes  grands  prés  verts,  tes  plaines  de  houblon, 
Tes  vastes  champs  d'épis  où  courent  les  calandres, 
Et,  par  les  beaux  matins  de  brume,  tes  filandres 
Prenant  dans  leurs  lacis  l'herbe  et  le  colza  blond. 

Surtout,  j'aime  tes  soirs  qui  défaillent,  ma  Flandre, 

Et  tes  bois  sanglotants  comme  des  violons 

Aux  appels  répétés,  si  mornes  et  si  longs, 

Des  cloches  vers  ton  ciel  de  grisaille  et  de  cendre. 

Et  ton  pâle  soleil  qui  meurt  sur  tes  canaux, 

Et  ce  vent  qui,  sans  fin,  pleure  entre  les  roseaux 

Son  hymne  de  tristesse  et  de  lente  agonie. 

Tes  horizons  d'automne  éternel,  doucement 
En  mon  âme  ont  versé  leur  langueur  infinie, 
Un  charme  de  souffrance  et  de  recueillement. 


AUTREFOIS 

Des  marchands  t'apportaient  de  Tyr  et  de  Sidon 
De  fabuleux  trésors  pris  aux  îles  des  Fées  ; 
Des  poètes  chantaient  en  radieux  Orphées 
Pour  tes  Dames  d'amour  aux  poses  d'abandon. 

Vers  tes  autels  couverts  de  pourpre  et  de  trophées 
Des  pénitents,  quêteurs  d'absoute  et  de  pardons, 
Venaient,  la  chair  meurtrie  aux  bois  dur  des  bourdons, 
Epancher  leur  coeur  plein  de  larmes  étouffées  ! 

Dans  tes  fêtes,  traîné  comme  un  fleuve  changeant, 
Le  faste  des  manteaux  brodés  d'or  et  d'argent 
Luisait  dans  l'acier  clair  des  lances  et  des  piques; 


101 


Et  du  hennissement  cabré  des  palefrois, 

Montait  un  bruit  de  gloire  et  de  combats  épiques, 

Et  l'âme  du  pays  vibrait  aux  vieux  beffrois. 


LES    BATEAUX 

Ils  sont  venus  de  tout  là-bas,  des  mers  du  Nord, 
Traînés  parles  chevaux  à  la  forte  encolure, 
Et  des  filles,  l'air  frais  grisant  leur  chevelure, 
Poussaient  le  gouvernail  de  bâbord  à  tribord. 

Les  hommes  sur  la  gaule  appuyés  au  plat  bord, 
Les  petites  maisons  et  les  vertes  toitures. 
Les  volets  blancs,  les  pots  de  fleurs  et  les  boutures. 
Lentement  ont  passé  d'un  fort  à  l'autre  fort. 

Ils  sont  venus  au  long  des  chemins  de  halage 
D'un  bourg  à  l'autre  bourg,  de  village  en  village. 
Et  d'écluse  en  écluse,  aux  canaux  réguliers. 

Ils  dorment  maintenant  amarrés  près  des  berges 
Sous  l'ombre  des  ormeaux  et  des  grands  peupliers 
Où  fume  le  repos  tranquille  des  auberges. 


LE    HOUBLON 

Le  moment  est  venu  de  cueillir  les  houblons, 
Le  bouquet  parfumé  de  leurs  grappes  fleuries 
Sous  le  pampre  touffu  qui  borde  les  prairies, 
De  vendanger,  à  pleines  mains,  les  cônes  blonds. 

Francs  buveurs  du  pays  des  kermesses,  allons 
Emplir  la  hotte,  emplir  les  banneaux  qui  charrient 
Notre  raisin  superbe  et  l'orge  aux  brasseries 
Où  fermente  le  vin  des  gris  Septentrions. 

Quand  le  soir  violet  dormira  sur  les  mousses. 
Hors  des  cruchons  de  grès  débordera  la  mousse, 
Pour  les  fumeurs,  sous  les  tonnelles  de  rosiers. 

Et  la  belle  enfant  rose  aux  grands  yeux  de  lumière. 
Comme  aux  tableaux  de  Van  Ostade  ou  de  Téniers, 
Souriante,  viendra  verser  la  bonne  bière. 


102  LES  POÈTES  DU  TERROIR 


LES   JARDINS 

Les  beaux  jardins  de  Flandre  aux  treillis  bigarrés 

De  capucines  d'or,  de  gesse,  de  troènes, 

Du  bout  de  l'horizon  ourlent  les  lisérés 

De  leurs  enclos  touffus  de  plantes  et  de  graines. 

En  contours  sinueux,  ils  glissent  vers  les  prés 

Entre  les  pavots  blancs,  les  seigles,  les  avcines, 

Et  dévalent  sans  fin  et,  degré  par  degré, 

Aux  berges  des  ruisseaux  où  coassent  les  raines. 

L'ombre  y  chante,  et  l'amour  des  soirs  vient  abriter, 

Sous  la  fraîcheur  des  vertes  sèves  de  l'été, 

Le  trouble  des  baisers  aux  yeux  qui  s'extasient. 

Et  l'Heure,  à  l'éventail  argenté  du  bouleau. 

Disperse  le  parfum  mourant  des  tanaisies 

Vers  le  vent  tiède  et  doux  qui  passe  au  fil  de  l'eau. 

(Flandre.) 


AMEDEE    PROUVOST 

(1877-1909) 


D'une  très  ancienne  famille  du  pays,  Amcdée  Prouvost  naquit 
le  4  septembre  1877.  Il  appartenait  néanmoins  par  sa  mère  a 
une  lignée  bretonne;  un  de  ses  ancêtres,  Olivier  Morvan,  avo- 
cat à  Quimper  et  poète  distingué,  fut  l'un  des  vingt-six  admi- 
nistrateurs du  Finistère  exécutés  sur  la  place  du  Trioinphe-du- 
Peuple,  à  Brest,  le  26  mai  1794.  Ses  études  terminées,  Amédée 
Prouvost  passa  un  an  à  l'Université  de  Bonn,  comme  étudiant 
en  lettres.  Il  se  perfectionna  dans  la  langue  allemande  et 
s'enthousiasma  pour  Goethe,  Schiller  et  Henri  Heine.  Il  partit 
ensuite  pour  l'Egypte,  voyagea  en  Palestine,  en  Syrie,  visita  la 
Turquie  et  la  Grèce,  et  revint  avec  la  matière  d'un  premier  vo- 
lume qu'il  publia  en  1904,  sous  ce  titre  :  L'Ame  voyageuse  (Paris, 
Maison  des  Poètes,  in-16). 

Après  l'Ame  voyageuse,  il  donna  deux  autres  volumes  de  vers  : 
Le  Poème  du  travail  et  du  rêve  (Lille,  éd.  du  Beffroi,  1904,in-18), 
ivre  de  sonnets  à  la  gloire  de  sa  ville  natale,  et  Sonates  au  clair 
de  lune  (Paris,  Galmann-Lévy,  1905,  in-18),  qui  fut  couronné 
par  l'Académie  française,  en  1906.  Il  a  fait  paraître  de  plus  un 
acte  en  vers,  Conte  de  Noël,  illustr.  d'Andhré  des  Gâchons  (Paris, 
Taillandier,  1906,  in-18),  et  il  a  collaboré  au  Beffroi,  à  La  Re- 
naissance latine,  au  Correspondant,  à  Durendal  (Bruxelles),  à 
la  Revue  septentrionale,  au  Journal  de  lioubaix,  à  la  Revue  de 
Lille,  etc. 

Amédée  Prouvost  est  mort  le  samedi  8  mai  1909. 

Bibliographie.  —  Léon  Bocquet,  Les  Poèmes  de  M.  A.  Prou- 
vost, Le  Belfroi,  janv.  1905,  et  Journ.  de  Roubaix,  25  décembre 
1905.  —  Charles  Le  Goffic,  Chronique  des  poèmes.  Revue  hebdo- 
madaire, 22  sept.  1906. 


A    ROUBAIX 

Ville  sans  passé  d'art,  sans  beauté,  sans  histoire, 
Ville  de  l'énergie  et  des  âpres  labeurs, 


104 


LES    POETES    DU    TERROIR 


i 


Voici  que  l'incessant  effort  des  travailleurs 
Te  ceint  du  vert  laurier  des  fécondes  victoires. 

Dans  le  triste  décor  de  tes  murailles  noires, 
Sous  cet  épais  brouillard  de  suie  où  ton  ciel  meurt, 
Et  qu'emplit  le  travail  d'une  longue  rumeur, 
Tu  frémis,  volontaire  et  promise  à  la  g-loirc. 

Ville  énorme,  grand  corps  aux  vertèbres  de  fer, 
Ton  sol,  pareil  aux  durs  rochers  que  bat  la  mer, 
Tremble  au  trépidement  des  machines  brutales; 

O  cité,  ton  renom  s'étend  à  l'univers, 

Et  je  veux  exalter  ta  grandeur  en  mes  vers, 

Ville  des  artisans,  ô  ma  ville  natale  ! 


L'USINE 

Dans  l'enchevêtrement  multiple  des  courroies, 
Les  longs  arbres  de  couche  alésés  et  brillants 
Tournent,  le  jour  entier,  sur  des  paliers  brûlants 
Et  meuvent  les  volants  qui  sifflent  et  giroient. 

Les  cardes  à  tambour,  qui  laminent  leur  proie, 
Ont  leurs  rouleaux  couverts  d'un  léger  duvet  blanc. 
Et  la  bobine  au  banc  étire,  en  l'enroulant, 
La  laine  qui,  dans  l'air,  en  flocons  fins  poudroie. 

Et  les  fils,  allongeant  leurs  délicats  réseaux, 
S'envident  peu  à  peu,  sur  les  minces  fuseaux  : 
Et,  devant  le  travail  des  robustes  têtières, 

Entraînant  sans  répit  les  broches  dos  métiers, 
Dans  l'effluve  énervant  des  fiévreux  ateliers... 
Je  songe  aux  vieux  rouets  des  paisibles  grand'mères  !... 

LE    TISSERAND    A    LA    MAIN 

Comme  une  vieille  femme  au  sourire  tremblant, 
Sa  petite  maison,  qu'enguirlande  une  treille. 
Sous  son  bonnet  de  chaume  et  dans  son  torchis  bliinc, 
Devant  la  plaine  verte  et  le  ciel  bleu  sommeille. 


FLANDHE  105 

Mais,  dès  le  seuil  où  dort  le  chat  gris  indolent, 
Monte  un  murmure  aigu  de  vigilante  abeille, 
Car  la  navette  court  sur  le  métier  branlant 
Avec  une  cadence  à  l'horloge  pareille. 
Et  le  vieux  tisserand,  au  rythme  du  bras  nu, 
Chasse  la  trame  fine  entre  les  fils  ténus  ; 
Près  de  lui,  son  enfant,  hâtive  à  la  couture, 

Egayant  le  labeur  d'un  refrain  familier, 

Ourle  un  mouchoir  do  pauvre  ou  quelque  tablier 

Devant  le  châssis  clos  parfumé  do.  boutures. 

LES    NAVETTES 

Ainsi  que  des  esquifs  aux  subtiles  carènes. 
Que  rythmerait  un  bruit  strident  de  balancier, 
Trouant  les  fils  tendus  de  leur  pointe  d'acier. 
Rapides,  elles  vont  dans  la  nappe  des  chaînes. 

Leur  course  échevelée  assourdit  l'atelier. 

Et,  sillage  sans  fin,  à  leur  suite  elles  traînent 

L'imperceptible  fil  d'une  soyeuse  laine. 

Que  le  fuseau  dévide  en  anneaux  réguliers. 

L'incessant  va-et-vient  des  fébriles  navettes 

Trame  l'art  délicat  des  naïves  fleurettes, 

Guirlandes  et  damiers,  et  ramages  discrets. 

Et  l'étofTe  légère  où  peu  à  peu  émerge 

Le  dessin,  est  parfois  si  mince,  qu'on  dirait  • 

Une  écharpc  tissée  avec  des  fils  de  Vierge! 

CONCOURS    DE    PINSONS 

Sous  les  platanes  verts  de  la  place  publique, 
Le  dimanche,  au  soleil  des  lumineux  matins. 
Quand  sonnent  les  bourdons  dans  les  clochers  lointains. 
Les  pinsons  au  col  bleu  chantent  mélancoliques. 
Ils  tournent  vers  le  jour  leurs  pauvres  yeux  éteints... 
Tandis  que  leurs  becs  d'or  aux  cages  métalliques 
S'usent,  dans  un  effort  prolongé  de  supplique, 
Leurs  cris  déchirent  l'air  de  trilles  incertains. 


^06  LES    POÈTES    DU    TERKOIR 

Leur  chant  semble  un  regret  pour  la  cime  des  chênes 

Où  le  vent  balançait,  ainsi  que  des  carènes, 

Leurs  nids  de  foins  légers  proches  voisins  des  cieux. 

Pour  la  source  d'eau  claire  où  palpitaient  leurs  ailes. 
Alors  que  se  miraient  leurs  sœurs  les  hirondelles, 
Et  leur  chant  est  plaintif  comme  un  sanglot  d'adieu. 


COMBATS    DE    COQS 

Les  plantureux  Flamands  aux  trognes  violettes, 
Avec  leurs  cheveux  roux  et  plats,  vrais  descendants 
Des  types  de  Breughel,  de  Craesbeck  ou  Jordaens, 
Dans  la  cour  de  l'auberge  ont  des  cris  de  conquête  : 

Là,  dans  le  parc  étroit,  deux  coqs  entremêlant 
Becs  durs,  ergots  armés  et  la  pourpre  des  crêtes, 
Dans  un  duel  rageur  et  stupide  s'apprêtent 
A  ravir  à  la  mort  leur  désespoir  sanglant. 

Ils  luttent  acharnés  aux  coups.  Les  gosiers  râlent  : 
Et  les  plumes  bientôt  sont  comme  des  pétales 
Qu'effeuillerait  un  vent  d'orage  sur  le  sol; 

L'un  des  coqs  est  debout,  vainqueur.  Et  l'autre  expire 
Il  monte  une  clameur.  Dans  la  foule  en  délire 
Frémit  la  cruauté  du  vieux  sang  espagnol. 

{Le  Poème  du  Travail  et  du  Rêve.) 


A. -M.    GOSSEZ 

(1878) 


M.  AIphonse-Marius  Gosse/,  est  né  à  Lille  le  27  mars  1878 
D'extraction  lilloise,  il  descend  par  sou  père  doiivri*rs  ila- 
mands,  et  compte  parmi  les  siens  un  oncle,  candidat  ouvrier 
en  1848,  aux  élections  de  la  Constituante.  Lié  par  sa  mère  à  une 
famille  d'agriculteurs  de  Palmata,  près  do  Lucqiies  (Italie),  il 
s'enorgueillit,  non  sans  raison,  do  compter  comme  aïeul  mater- 
nel Alphonse  Blanchi,  poote,  journaliste  et  homme  politique  qui 
fit,  toute  sa  vie,  une  rude  opposition  à  l'Empire  et  fonda  suc- 
cessivement Le  Barbier  de  LiLLc,  Le  Messager  du  Nord  et,  après 
des  heures  inoubliables  d'exil,  Le  Progrès  du  Nord. 

M.  A. -M.  Gossez  termina  ses  études  à  la  Faculté  des  Lettres 
de  Lille,  et  débuta  en  publiant  des  vers  à  la  Nouvelle  Revue 
(1896).  Par  la  suite,  il  participa  à  la  fondation  d'une  petite  revue, 
L'Essor,  et  dirigea  avec  M.  Léon  Bocquet,  pendant  quatre  an- 
nées, de  1900  à  1904,  Le  Beffroi,  vivant  périodique  qui  groupa 
toutes  les  initiatives  et  tous  les  tidents  des  provinces  septen- 
ti'ionales.  Comme  s'il  n'avait  point  assez  fait  pour  la  décentra- 
lisation au  profit  des  lettres,  il  publia  eu  l'J02  une  anthologie 
des  Poètes  du  Nord,  qui  demeure  jusqu'ici  le  meilleur  livre  qu'on 
ait  réalisé  dans  le  genre.  L'ouvrage,  formé  de  matériaux  de  pre- 
mière main,  eut  assez  de  succès  pour  que  l'on  regrette  de  ne 
point  y  voir  figurer  les  écrivaius  d'expression  locale,  les  chan- 
tres du  terroir.  Peu  après,  les  hasards  de  la  vie  universitaire 
l'obligèrent  à  quitter  sa  ville  natale  et  le  conduisirent  au  Ha- 
vre, où  il  occupe  depuis  1905  les  fonctions  de  secrétaire  de 
rédaction  de  La  Province.  11  dirige  de  plus,  à  Rouen,  un  groupe 
de  XXX  artistes  et  littérateurs  dont  les  manifestations  ont  été 
déjà  remarquées.  Poète  et  historien,  M.  A. -AI.  Gossez  a  publié 
une  série  d'ouvrages  qui  le  désignent  non  seulement  à  latten- 
tion  des  lettrés,  mais  de  tous  ceux  qu'intéresse  le  grand  mou- 
vement régional  actuel.  On  lui  doit  ainsi  :  Le  Saint  Julien  de 
Flaubert,  documents  avec  illuslr.  d'Ed.  van  Offel.  V.  Prouvé  et 
G.  Vialte  (Lille,  éd.  du  Beffroi,  1903,  iu-S»);  £e  Dcpartement  du 
Nord  sous  la  deuxième  Ilcpublique,  18ii8-1852  (Lille,  Leleu,  1904, 
in-S");  Du  Soleil  sur  la  porte,  poèmes  suivis  de  Lettres  fami- 
lières (Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France,  1905,  iu-18);  Mémoires 


108  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

de  l'ouvrier  François  Leblanc  [Monville  en  iSkS)  (Paris,  Cornély 
1907,  in-8°):  enfta  un  travail  sur  Les  Provinces  poétiques  (Le  Ha- 
vre, édit.  de  La  Province,  1908,  in-S")  et  un  nouveau  recueil  de 
poèmes,  En  pays  wallon,  où  il  s'est  plu  à  élargir  les  frontières 
naturelles  de  sa  petite  patrie.  M.  A. -M.  Gossez  est  mieux  qu'uE 
poète  de  clocher.  Les  tableautins,  brossés  avec  passion,  dont 
abonde  son  dernier  ouvrage  le  rattachent  à  l'école  des  petits 
maîtres  flamands. 


HAINAUT 
Ici 

Commencent  et  finissent  les  pays. 

Sous  les  forêts  rampe  la  rude  cicatrice 

des  assises  profondes  et  rompues; 

les  frênes,  les  sapins  et  les  chênes  trapus 

vivent  dans  le  milieu  de  la  chaude  blessure, 

et,  tout  à  l'entour,  s'étend  l'herbe  verte  des  pâtures. 

Les  bœufs  d'engrais, 

les  vaches  aux  pis  lourds  de  lait 

et  les  chevaux  de  labourage 

trouvent  de  l'eau  dans  les  plis  croux, 

au  milieu  de  la  verdure  des  villages; 

dans  son  poing,  le  vacher  leur  apporte  du  sel, 

et  les  vachères,  de  leurs  seaux  mousseux, 

versent  le  lait  dans  la  terre  des  telles, 

trois  fois  chaque  journée,  en  rentrant  à  la  ferme; 

quand  vient  le  soir,  par  le  grand  travail  harassés, 

avant  neuf  heures,  toujours  leurs  yeux  se  ferment. 

Les  pays 

Commencent  et  finissent  ici. 

Vers  l'Est,  c'est  déjà  le  plateau  de  l'Ardenne, 
la  boue,  les  fagnes  d'ardoises  et  do  schiste  gris, 
l'hiver  dur...  et  lorsque  enfin  en  allé, 
c'est  l'été  court  et  joli  de  la  vallée. 

Mais  à  l'ouest,  au  nord,  c'est  la  Flandre,  la  plaine, 
la  plaine  riche,  grasse,  immense  et  montante, 
L'Ardenne,  ici,  baisse  sa  pente, 
ses  rocs  et  ses  sursauts, 


FLANDKE  10^ 

)ù  grimpent,  lourdes  et  puissantes, 
es  Flandres,  comme  des  taureaux. 

]'est  le  Hainaut. 

]e  pays  robuste  et  touchant, 

.'est  le  Hainaut  et  ses  champs, 

;es  forêts,  ses  pâturages, 

it,  surgies  pour  des  soirs  d'orages, 

es  hautes  tours  de  ses  fourneaux. 

Il'est  le  Hainaut  qui  verse  à  deux  fleuves  les  eaux 

jui  descendent  ses  faibles  côtes, 

;t,  de  Pâques  à  la  Pentecôte, 

întraînent  des  pétales  et  des  bouquets  entiers, 

îhus  de  ses  arbres  fruitiers, 

îtles  mènent,  par  la  Sambre,  vers  la  Meuse, 

iomme  aussi  vers  l'Escaut  et  ses  rives  heureuses. 

Puis,  à  l'automne,  les  rivières 

sentent  tomber,  s'éclabousser  et  tournoyer 

;t  puis,  avec  elles,  partir,  partir  et  se  noyer, 

es  pommes  mûres,  la  queue  en  l'air. 

l'ai  vu,  les  soirs  d'août,  la  hâte  des  retours, 

e  suprême  chariot  de  blé,  cahotant  et  lourd, 

:)asser,  en  s'écrasant,  la  grand'porte  des  granges; 

ît  la  fermière  avec  le  buis  bénit, 

oénir  cette  moisson  finie 

în  l'aspergeant  avec  les  gouttes  de  sa  branche. 

;  ]'ai  vu  des  nuits  d'octobre,  monter,  dessous  la  pluie, 

f  v'ers  la  petite  lumière  des  fabriques  de  sucre 

1  —  œil  luisant  de  misère  et  de  lucre  — 

i  monter,  disjoints  et  pleins,  les  chariots  pesants, 

t  oesant  des  milles  et  des  cents, 

j  :)leins  de  grosses  betteraves  sales  et  boueuses, 

'sur  les  routes  aux  pavés  gluants  d'argile  hideuse... 

1  'ejeter  cette  boue  au  pied  des  cheminées, 

;  ît  retourner  enfin,  les  tâches  terminées... 

i  l'ai  vu  des  charbonniers,  dans  la  forêt; 
!  i'ai  vu  des  sabotiers,  et  qui  chantaient! 
I  J'ai  vu  des  gas  dans  les  ducasses, 

dans  des  fêtes  et  des  concours,  sur  les  grand'places... 

it  leur  départ  bruyant  et  matinal,  le  lendemain, 

II.  7 


110  LES    POÈTES    DU    THIIUOIR 

dans  de  petites  gares  où  habitent  les  trains; 
j'ai  vu  leur  joie  hâtive  et  tôt  finie 
ot  la  fatigue  de  leur  nuit,.. 

Des  natives  campagnes,  ô  peuple  déserteur, 

—  mais  encor  chaque  soir  de  retour  en  tes  demeures, 

]e  sais  tous  les  aspects  et  toutes  les  histoires, 

depuis  toujours  jusqu'à  ce  soir  : 

sous  tes  pieds  tu  foules  des  voies  romaines, 

pendant  des  siècles  l'Europe  en  armes  s'y  promène, 

Sambre-et-Meuse  y  proclame  la  gloire  militaire 

avec  la  liberté!... 

Mais  tu  n'as  pas  encore  terminé  de  lutter  : 

mon  enfance  se  souvient  des  révoltes  ouvrières 

qu'on  lui  disait...  Fourmies... 

et  ses  combats,  de  massacres  suivis... 

Pays  de  pâturages  et  de  hauts  fourneaux, 
tes  métiers  ont  repris  la  tâche  coutumière! 
Tes  haies  se  fleurissent  d'aubépine,  ta  lumière 
éclaire  les  pommiers  en  fruits... 

Hainaut! 
Hainaut  de  Belgique  et  de  France, 
Souris  encore...  tu  as  souri  à  mon  enfance! 

{En  pays  wallon.) 


m 


FRANCHE-COMTÉ 

ANCIENS  BAILLIAGES  D'AMONT  ET  D'AVAL, 

DE  BESANÇON  ET  DE  DOLE, 

JURA  ET  PAYS  DE  MONTBÉLL\RD 


«  La  Franche-Comté  ou  Comté  de  Bourgogne,  dite  aussi  la 
Haute-Bourgogne,  Burguadise  comitatiis,  —  a  écrit  un  géogra- 
phe du  xYiii»  siècle  ' ,  —  est  proprement  le  pays  des  Séquaniens, 
ancien  peuple  celte  qui  fut  subjugué  par  César.  Elle  a  l'Alsace 
et  la  Suisse  au  levant;  la  Bresse,  le  Bugey  et  le  p;iys  de  Gex 
au  midi;  la  Lorraine  au  septentrion*,  le  duché  de  Bourgogne  et 
une  partie  de  la  Champagne  au  couchant.  Quelques-uns  la  divi- 
sent par  ses  bailliages,  et  les  autres  en  font  trois  parties,  qui 
sont  la  haute,  ou  d'amont;  la  moyenne,  ou  de  Dôle,  et  la  basse,  ou 
d'aval.  Dôle  était  autrefois  la  première  ville  de  Franche-Comté; 
les  autres  sont  Besançon,  qui  en  est  présentement  la  capitale; 
Gray,  Salins,  Vesoul,  Arbois,  Luxeuil  et  Pontarlier.  Les  moins 
considérables  sont  Saint-Claude,  Orgelet,  Saint-Amour,  Arlay, 
Lons-le-Saulnier,  etc.  Les  forts  Sainte-Anne  et  le  Château  de 
Joux  mériteraient  d'être  remarqués,  mais  le  premier  fut  démoli 
après  la  prise  de  16T4.  La  Franche-Comté  a  des  montagnes  au 
levant  et  au  septentrion.  Fertile  en  céréales,  vins  et  bois,  elle 
renferme  d'excellentes  salines,  des  carrières  de  jaspe  et  de 
marbre,  et  elle  est  en  partie  couverte  d'immenses  forêts,  cou- 
pée par  des  pâturages  et  arrosée  par  cinq  rivières  principales  : 
la  Saône,  qui  reçoit  les  eaux  tumultueuses  de  la  Loue;  le  Doubs, 
l'Oignon  et  le  Dain,  toutes  fort  poissonneuses.  Cette  province 
faisait  autrefois  partie  du  grand  royaume  de  Bourgogne  et  fut 
usurpée  sur  les  rois  de  France  qui  en  étaient  les  légitimes  sou- 
verains. »  Depuis,  elle  eut  des  seigneurs  particuliers  et  elle 
devint,  par  le  mariage  de  Marie,  fille  de  Charles  le  Téméraire, 
un  des  apanages  de  la  maison  d'Autriche.  Charles-Quint  la  pos- 
séda. Elle  eut  le  sort  des  pays  tour  à  tour  conquis,  convoités 

1.  Cf.  Dictionnaire  de  Moreri.  Voyez  aussi  ce  que  l'abbé  Eipilly 
dit  de  cette  province. 


112  LES    POÈTES    DU    TEUKOIR 

et  soumis,  jusqu'au  jour  où  elle  revint  à  la  couronne  de  France. 
«  Un  traité  nous  l'avait  enlevée,  a  dit  un  historien  judicieux, 
un  traité  nous  la  rendit.  Elle  n'avait  cessé  de  lutter  farouche- 
ment pour  son  indépendance.  On  la  nomma  Franche-Comté, 
au  dire  de  quelques-uns,  de  ce  qu'originairement  ses  habitants 
étaient  francs  et  libres  et  que  leur  comte  ne  pouvait  lever  sur  eux 
aucun  impôt.  La  paix  de  Nimègiie  (1678)  la  réduisit  au  silence 
et  à  l'inaction,  mais  elle  garda  longtemps  la  haine  de  l'envahis- 
seur, et  cette  haine,  muée,  au  cours  des  siècles,  en  un  sentiment 
de  révolte,  fait  encore  le  fond  caractéristique  de  sa  race.  Franc- 
Comtois  d'abord.  Français  ensuite,  telle  pourrait  être  la  devise 
des  hommes  fixés  sur  son  sol.  L'influence  de  l'Eglise  et  de  la 
féodalité  a  été  forte  dans  cette  région.  «  Ce  fut  sous  les  serfs  de 
l'Eglise,  à  Saint-Claude,  lieu  de  grand  pèlerinage,  comme  dans 
la  pauvre  Nantua,  de  l'autre  côté  de  la  montagne,  observe  Mi- 
chelet',  que  commença  l'industrie  franc-comtoise.  Attachés  à 
la  glèbe,  ils  taillèrent  d'abord  des  chapelets  pour  l'Espagne  et 
pour  l'Italie.  11  y  avait  encore  des  serfs  de  prêtres  en  89.  La 
Révolution  les  affranchit.  La  Franche-Comté,  fortement  espa- 
gnole d'inclination  et  de  mœurs,  fut  pourtant  celle  de  nos  pro- 
vinces qui  sentit  le  plus  vivement  le  bonheur  de  la  délivrance. 
Ces  serfs,  aujourd'hui  qu'ils  sont  libres-,  couvrent  les  chemins 
de  rouliers,  de  colporteurs,  de  gens  d'affaires.  Des  parties  les 
plus  stériles  du  Jura  et  du  Doubs,  celles  que  les  guerres  ont 
tant  de  fois  ruinées,  s'écoulent  les  émigrants.  Un  remarquable 
esprit  de  mesure  caractérise  les  Franc-Comtois.  Ils  ont  eu  de 
bonne  heure  deux  choses  :  savoir  faire,  savoir  s'arrêter.  Sa- 
vants et  jihilosophes,  érudits  et  littérateurs,  tous  les  Comtois 
distingués  se  recommandent  par  ce  caractère.  L'universalité 
est  précoce  en  Franche-Comté,  mais  aussi  la  précision,  la  me- 
sure, j'allais  dire  l'arrêt.  Ainsi  Nodier  commence  le  mouvement 
romantique  et  s'arrête.  Cuvier  donne  la  plus  grande  centrali- 
sation scientifique,  il  ne  la  fait  pas  marcher  on  avant.  C'est  là  le 
trait  caractéristique  :  savoir  tout  et  savoir  s'arrêter...  » 

«  En  général,  ajouterons-nous  avec  Francis  Wey,  l'habitant 
de  l'anliciue  Séquanie  réunit  au  fl(igme  du  Nord  le  bon  sens 
espagnol  et  la  dissimulation  italieuuo.  Ces  traits  s'expliquent 
par  les  origines  diverses  des  Comtois.  »  Tant  do  peuples  ont 
foulé  leur  terre!  «  Ils  ont  la  pensée  rapide  et  l'expression  très 
lento;  leur  accent  so  traîne  lourdement  et  contraste  avec  le 
mordant  de  leurs  phrases  débitées  sur  un  ton  do  naïveté  appa- 
rente. Endurants,  calmes,  ils  sont  vindicatifs  comme  des  Espa- 
gnols et,  rien  n'étant  plus  dissimule  qu'un  Franc-Comtois,  ils 

1.  Notre  France,  p.  185. 

2.  Ou  qu'ils  ont  rapparcnce  de  la  libcrlé,  faul-il  dire,  soumis  qu  'ils 
sont  à  d'autres  servitudes  sociales. 


FRANCHE-COMTE 


113 


savent  attendre,  sans  donner  l'éveil,  l'heure  des  représailles.  » 
La  causticité,  a-t-on  écrit  encore,  est  habilement  dissimulée 


V  ,a 


La.  Chaudeau  '*,*'« 


ET- LQ>RE  .loiis-l£Sauni€r,=^^ /'    Lausrnme 

^.  \    <--/"'!,       x'"'    \^-^l  Limite   d'État 


,_  ..    O    A  (\  .  N     ,   ^. 


de  Province. 

.     -     de  Département. 

^    L'eu  i/e  naissance 
des  Poètes. 


LA   FRANGHE-GOMrti 


SOUS  leur  bonhomie;  ils   raillent  sans  en  avoir  l'air,  de  façon 
onctueuse;  leurs  dards  sont  enveloppés  de  miel. 

Et  pourtant  que  de  différences  à  observer  entre  les  Comtois 


114  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

de  la  plaine  et  ceux  de  la  montagne  :  les  premiers  volontiers 
diserts,  grands  buveurs  et  grands  mangeurs;  les  seconds  ren- 
fermés, méditatifs,  défiants  et  sobres  ! 

Leur  parler,  la  forme  de  leur  patois,  les  distingue  les  uns 
des  autres,  j'allais  dire  les  trahit,  si  je  ne  m'étais  souvenu  que 
rien  n'a  jamais  pu  trahir  ces  rusés  compères.  Un  montagnard 
du  Jura  aurait  grand'peine  à  se  faire  entendre  d'un  citadin  ou 
d'un  habitant  du  Plateau'.  Ils  ont  leurs  idiomes  particuliers, 
leurs  légendes.  Là-dessus  l'imagination  superstitieuse  des  bar- 
des  a  brodé  d'infinies  variations.  Les  plus  anciens  monuments 
littéraires  de  la  Comté  sont  d'admirables  chants  populaires, 
auxquels  sont  venus  s'adjoindre,  au  cours  des  luttes  sanglan- 
tes, des  traits  de  satires  à  l'adresse  du  vainqueur,  des  menus 
propos  où  leur  penchant  à  la  raillerie  s'est  donné  libre  cours. 
Autant  que  leurs  voisins  bourguignons,  ils  ont  mêlé  au  témoi- 
gnage de  leur  foi  un  esprit  de  malice  qui  fit  douter  de  leur  cré- 
dulité. D'où  ces  Noc'ls  répandus  à  foison  dans  les  bourgs  et 
qui,  avec  les  divertissements  de  La  Crèche-,  firent  pendant 
longtemps  les  frais  d'une  littérature  nationale. 

Ici  point  n'est  besoin  d'observer  deux  courants.  La  poésie 
officielle  u"a  que  faire  sur  ce  sol  inclément  et  rude;  elle  re- 
tourne à  ses  origines,  cherche  ailleurs  un  centre  de  culture 
pour  s'épanouir.  Quel  Franc-Comtois  se  soucia  jamais  de  ces 
poêles  des  xv  et  xvi»  siècles  :  Pierre  Michault,  natif  de  la 
Chaux-Neuve  (Doubs),  auteur  du  Doctrinal  de  Court  et  de  La 
Dancc  aux  Aveugles  ;  ieixn  de  la  Baume,  seigneur  de  Marloroy, 
lequel  écrivit  La  Façon  de    vivre  en    Court  et   un   dialogue  en 


1.  On  désicrnc  ainsi  une  partie  du  Jura,  couverte  d'immenses  forêts 
de  sapins.  "  Le  Jura,  a-l-ou  écrit,  doime  sa  physionomie  propre  à  la 
vieille  Comté  :  sur  les  pcules  inférieures,  c'est  le  Vignoble;  au-dessus, 
c'est  le  Plateau  /enfin,  au  sommet,  c'est  la  Alontayne,  zone  des  gras 
pâtur.igcà,  aux  hivers  très  rigoureux.  » 

i.  Charles  Nodier,  dans  un  article  publié  par  la  Revue  de  Paris, 
en  I84;j.  a  donné  des  détails  savoureux  et  réjouissants  sur  ces  spec- 
tacles. L'origine  des  Cri'clies  remonle  sans  contredit  jusqu'aux  Mys- 
tères et  aux  confrères  de  la  l'assion;  mais  la  forme  naguère  adoptée 
de  ce  drame  populaire  ne  date  guère  que  du  xvii«  siècle.  I.e  héros 

f>rincipal  de  la  Crèche  bisontine  était  une  marionnette  connue  sous 
c  nom  de  liarbisicr,  liousbot  ou  bourgeois  de  Ballant,  «  exem- 
plaire typique  du  Franc-Comtois  de  terroir,  rclors,  honassc,  rusé, 
mélianl  »,  qui  entreprenait  de  conduire  à  la  Crèche  le  peuplc,lc  clergé, 
les  grands  de  l'époque,  el  d'exprimer  au  Dieu  nouveau-né  les  doléances 
de  la  province.  Ce  vigneron  patriote,  presque  toujours  accompagné 
de  sa  femme,  A^rtiVoHt'rr*?,  passait  en  revue  les  événemenls  actuels 
el  tanrail  assez  verlemcnt,  dans  son  palois  local,  les  mauvaises  doc- 
trincs,'l('s  mauvaises  actions  et  les  mauvaises  mœurs,  s'enhardissant 
parfois  jusqu'à  persifler,  raiHer  a  oulrancc,  les  mailrcs  et  les  puissanls 
du  jour. 


FRANCHE-COMTÉ  115 

ers  sur  le  trespas  de  très  haulte  dame  Antoinette  de  Mont- 
uirtin;  Ferry  Julyot,  Jean  Villemin,  Jean-Edouard  du  Monin, 
'ierre  Mathieu,  rimeur  des  Quatrains  de  la  Vanité  du  Monde, 
te?  Ces  derniers  oublièrent  volontiers  leurs   origines;  leurs 
oncitoyens  leur  rendirent  silence  pour  silence.  A  l'occasion, 
[uelque  bibliothécaire,  quelque  lettré   provincial,  prononcera 
eur  nom,  mais  on  ne  saura  jamais  si  c'est   par  souci  d'érudi- 
ionou  bien  pour  faire  état  de  notre  ignorance,  en  se  flattant 
le  connaître  mieux  que  nous  les  ouvriers  de  la  tradition  fran- 
■aise.  Le  peuple,  lui,  n'aura  garde  de  les  confondre  avec  ses 
uiteurs  préférés,  le  Père  Christin  Prost,  l'imprimeur  François 
lauthier,  de  Besançon* ,  tous  deux  noellistes  notoires,  et  Jean- 
Louis  Bizot,  le  naïf  conteur  de  la  Jacquemardade  et  autres  pa- 
toiseries  bisontines. 
[      Le  Comtois  ne  juge  point  des  écrivains  uniquement  sur  leur 
!  mérite  personnel,  mais  par  ce  qu'ils  ont  apporté   au   terroir 
natal.  En  parcourant  la  liste  des  gloires  locales,  il  sait  faire  la 
part  de  ce  que  le  génie  doit  à  la  tradition  et  à  la  race,  et  ne  con- 
fond pas  le  poète  de  cour  avec  le  poète  du  cru.  N'allez  pas  faire 
l'éloge  de  ce  qui  lui  paraît  impropre  à  son  pays.  Ce  serait  peine 
perdue.  Il  ne  se  soucie  pas  plus  de  Victor  Hugo,  né  par  hasard 
à  Besançon,  que  du  dernier  rimeur  du  xviii»  siècle.  S'il  parle 
d'Hugo,  c'est  presque  toujours  irrévérencieusement,  et  comme 
d'un  personnage  qui  aurait  usurpé  le  titre  de  Comtois.  On  com- 
prend qu'avec  de  telles  préventions  l'étude  des  ressources  lit- 
téraires en  Franche-Comté  n'ait  pas  donné  ce  que  l'on  en  pou- 
vait attendre.  Pourtant,  cette  province  est  riche  en  poètes;  et 
si  le  xvii«  siècle  ne  nous  donne  guère  que  les  noms  de  Claude 
d'Esternod,  gouverneur  du  château  d'Ornans,  plaisant  auteur 
de  V Espadon  satyrique-  -,  de  Jean  de  Mairet,  inventeur  tragique; 


1.  Tous  deux  vécurent  à  Besançon.  Le  premier  mourut  le  26  d^ 
ccmbre  1690,  et  le  second  en  1730.  L'un  et  l'autre  ont  écrit  une 
foule  de  pièces  rimées  en  patois  sur  les  événements  de  leur  pays. 
11  en  existe  un  grand  nombre  dédilions.  Parmi  les  plus  connues 
nous  citerons  les  suivantes  :  Noëls  nouveaux  en  patois  de  Besan- 
çon, sur  de  très  beaux  airs,  avec  la  relation  de  la  première  campa- 
gne des  Chrétiens  en  Honqrie.  En  vers  patois  héroï-burlesques, 
Besançon,  Fr.  Gauthier,  1717,  in-12;  Recueil  de  Noéls  anciens,  etc. 
A  Besançon,  chez  J.-Cl.  Bogillol,  1750,  in-12.  Les  Noëls  de  Christin 
Prost  et  de  Gauthier  ont  élé  réimprimés  au  xix»  siècle,  avec  des 
notes  explicatives  et  historiques,  par  Tk.  Belam\ .  Voyez  :  Recueil  de 
Noéls  anciens,  nouv.  éd.  corrigée  suivie  du  sermon  de  la  Crèche,  etc., 
Besançon,  impr.  deBintôt,  1842,  in-18;  La  même,  3«  éd.,  Besançon, 
Ch.  Marion,  s.  d.,  in-12, 

2.  Voyez  L'Espadon  satyriqiie,  par  le  sieur  d'Esternod,  réimpr. 
faite  sur  l'éd.  de  Lyon,  1636,  etc.,  Bruxelles,  Merlens,  1863,  in-12. 
Claude  d'Esternod  était  né  à  Salins  en  1500.  La  xvi"  satire  de  ce  re- 


116  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

de  J.-B.  Chassignet  et  Philémon  Gody,  tous  deux  interprètes 
des  textes  sacrés;  par  contre,  les  siècles  qui  suivent  peuvent 
fournir  la  matière  d'une  abondante  moisson.  Mais  qui  songera 
jamais  à  s'enquérir  de  Claude-Marie  Giraud,  de  François-Xavier 
Talbert,  de  Jean-Louis  Gabiot,  de  Cl. -M.  Guyétand,  d'Adrien 
Boys,  de  N.  Légier,  du  Père  Joly,  et  même  du  trop  fameux 
Rouget  de  l'Isle?  Parmi  ceux-là,  deux  ou  trois  à  peine  s'im- 
posent encore  à  l'attention  des  curieux.  Ce  sont  Claude-Mario 
Giraud  (Lons-le-Saulnier,  1711,  Paris,  1780)  et  l'abbé  François- 
Xavier  Talbert  (Besançon,  1728-1803).  Le  premier  abolit  la  main- 
morte et  la  corvée  sur  ses  terres  avant  qu'il  fût  question  de  cette 
réforme,  puis  écrivit  LaPcrjronie  aux  Enfers,  La  Thériacade.... 
La  Procopadc,  poèmes  en  une  infinité  de  chants;  le  second  ac- 
quit une  mince  célébrité  en  enlevant  à  Jean-Jacques  Rousso;iii 
le  prix  de  l'Académie  de  Dijon,  avec  un  discours  de  l'Origine 
de  l'Inégalité.  Il  fut  détenu  au  séminaire  de  Viviers,  puis  au 
château  de  Pierre-Encise,  pour  ses  pamphlets  contre  de  Boy- 
nes,  premier  président  au  Parlement-.  H  y  a  encore  Etienne 
Besançon,  de  Lavolte  (bailliage  de  Dôle),  imitateur  de  Gresset, 
Charles  Verny,  l'abbé  Granjacquet,  chantres  rustiques,  le  mar- 
quis de  Lezai-Marnesia,  honnête  homme  et  bienveillant  Com- 
tois, Des  Biefs,  conteur  libertin,  etc.  Mais  que  dire  des  autres, 
et  en  particulier  de  Rouget  de  l'Isle,  le  plus  médiocre  de  tous, 
bien  qu'il  ait  conquis  la  renommée  en  composant  des  poésies 
de  circonstance? 

Avec  Rouget  de  l'Isle  le  xvni»  siècle  finit.  Nous  sommes  à 
l'aube  d'une  renaissance.  Le  paysan,  maître  du  sol,  va  exalter 
le  sol.  La  poésie  d'expression  personnelle  va  prendre  la  place 
de  la  poésie  populaire  anonyme.  Parmi  tous  les  chanteurs,  un 
grand  nombre  sont  descendus  de  leurs  montagnes.  Ils  ont 
échangé  le  pipeau  rustique  et  la  corne  du  pAtre  pour  la  fliUo 
virgiliennc  et  l'accordéon  romantique.  Ils  célébreront  la  mois- 
son, la  vendange,  les  sites  pittoresques,  les  joies  de  la  famille, 
l'amour,  que  sais-jePLeur  art  sera  volontiers  Imaginatif,  buco- 
lique, anecdotiquo;  il  affectera  toutes  les  formes,  adoptera  tous 
les  genres,  de  l'héroïque  au  descriptif.  Naturellement,  il  appor- 
tera sa  part  de  lyrisme  et  do  fantaisie,  à  la  fois  lamartinicn  v\ 
satirique  :  la  fresque  à  coté  de  la  caricature.  Il  aura  ses  maî- 
tres et  ses  imitateurs.  Il  tentera  de  s'élever  aussi  haut  que  les 

cueil  roule  uniquement  sur  un  capuciu  de  DôIc  nommé  Gucnar  (pii, 
jetant  le  froc  aux  orlies,  s'était  enfui  à  Gcnc'^vc. 

L'Espadon  est  cerlainomnnt  le  meilleur  ouvrajje  poëliqup  qu'on  ail 
ftcrit  en  Comté,  mais  il  conlienl  des  vers  d'une  liberté  telle  que  nous 
serions  embarrassé  d'en  citer  un  morceau. 

2.  Cf.  Lnnffvognet  aux  Enfers  [pnrl'nhhr  Talbert  de  Nancroi/  . 
Besancon,  ITGO,  in-li!.  (Vovcz  à  j)rQpns  de  cet  ouvrage  Charles  .S'<> 
dior,  Dullet.  du  liiblinphil'e,  1838,  p.  iOO.) 


FRANCHE-COMTÉ  117 

cimes  qui  bornent  l'horizon  du  ciel  natal,  et  en  même  temps 
il  se  complaira  aux  querelles  de  clocher,  aux  traits  de  mœurs. 
De  l'ensemble  de  toutes  ses  ressources,  de  ses  facultés  d'assi- 
milation, de  son  originalité  propre  et  de  ses  dons  ethniques, 
le  Franc-Comtois  aura  créé  une  poésie  bien  à  lui,  rai-sérieuse, 
mi-goguenarde,  familière,  colorée  et  simple,  avec  laquelle  il 
excellera  à  refléter  son  caractère  et  à  peindre  —  car  il  est  pein- 
tre à  la  manière  des  Hollandais  —  ses  coutumes  locales. 

Terre  hospitalière  aux  idéalistes,  la  Franche-Comté,  depuis 
plus  d'un  demi-siècle,  regorge  do  poètes.  Entendons-nous.  Là, 
comme  ailleurs,  il  y  eut  sans  cesse  plus  de  versificateurs  que 
de  génies  vraiment  nés  pour  l'œuvre  lyrique.  A  peine  une  demi- 
douzaine  d'étoiles  clignotant  au  sommet  du  Parnasse,  puis  quel- 
ques astres  de  moyenne  grandeur.  On  les  trouvera  plus  loin. 
Est-ce  tout?  Non.  Il  faut  faire  la  part  des  oubliés,  des  mécon- 
nus. Ils  sont  nombreux  d'ailleurs,  ceux  que  l'exiguïté  de  notre 
cadre  nous  a  interdit  de  recueillir.  Nous  ne  les  oublierons  pas 
pour  cela;  au  contraire.  Puissent  leurs  noms,  cités  ici,  leur  va- 
loir un  regain  de  notoriété'.  C'est  Auguste  Demesniay,  l'un  des 
plus  sincères  folkloristes  de  la  vieille  école,  auteur  des  Soli- 
tudes {Paris,  Levavasseur,  1830,  in-12)  et  de  ce  recueil  intéres- 
sant, mais  faible,  Traditions  populaires  de  Franche-Comté 
(Paris,  1838,  in-S»)-;  c'est  Gindré  de  Mancy,  qui  rima  les  Echos 
du  Jura  (Lons-le-Saulnier,  imprim.  F.  Gauthier,  1841,  in-8''); 
c'est  Charles  Viancin  avec  ses  Carillons  francs-comtois  (Besan- 
çon, Ch.  Deis  et  Bintôt,  1840,  in-Soi^*;  c'est  Louis  de  Ronchaud, 

\.  On  n'y  lira  point  celui  de  Xavier  Marmicr,  l'un  de  nos  grands  pay- 
sagistes littéraires  du  xix«  siècle.  Il  a  laissé  trop  peu  de  \ers.  On  trouve 
néanmoins  quelques  pièces  se  rattachant  à  la  Franche-Comté  dans 
ce  volume  qu'il  donna  peu  avant  sa  mort  :  Prose  et  Vers,  i8'66-i886, 
Paris,  Lahnre,  1890,  in-1-2.  Voyez  la  poésie  intitulée  :  A  La  Chaudeau. 
Xavier  Marmicr  est  un  Franc-Comtois  dhumeur  cosmopolite. 

2.  Auguste  Dcmesmay  était  de  Pontarlier.  II  a  exploité  maintes 
légendes  régionales.  Voyez  dans  ses  Traditions  popidaires  les  pièces 
intitulées  :  Bolandseck,  Bert/ie  de  Joux,  Loise  de  Jeux,  le  Siège  de 
Pontarlier,  La  Vierge  de  liemonot.  Le  Pont  de  l'Abbaye  de  .Vont- 
Benoit,  etc.  Ses  livres  sont  très  recherchés.  Nous  eussions  voulu  don- 
ner un  spécimen  de  ses  récits  en  vers;  malheureusement  la  place 
nous  manque. 

3.  Charles  Viancin  naquit  en  1788  et  mourut  en  1874.  Ce  Bisontin 
fut  le  doyen  de  l'Académie  de  Besançon.  Ses  œuvres,  pleines  d'actua- 
lité, très  répandues  de  son  temps,  ont  fait  l'objet  dune  élude  de 
Charles  Thuriet  :  «  Charles  Viancin,  y  esl-il  écrit,  dut  sa  popularité 
à  la  poésie  délicate  et  légère,  à  la  chanson,  au  conte,  et  surtout  à  la 
fable...  Il  avait  un  grand  talent  de  diseur  et  tenait  sous  le  charme 
son  auditoire...»  (Cf.  Causerie  sur  C h.  Vmncni,  Besançon,  Dodivers, 
1882,  in-S").  C'est  beaucoup  dire  ;  Viancin  ne  fui  en  réalité  qu'un 
pâle  imitateur  de  Désaugiers.  Ses  ouvrages  ont  perdu  aujourd'hui  le 
sel  qui  les  faisait  admettre. 


118  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

observateur  scrupuleux  et  peintre  impartial  du  Jura,  prosateur 
plus  que  poète;  c'est  l'infortuné  Louis  Mercier,  horloger  de  Be- 
sançon', dont  l'œuvre  forme  deux  minces  volumes,  Au  Pays 
comtois  et  Nostalgie  (Besançon,  imprimerie  A,  Cariage,  1900, 
in-S»,  etc.);  c'est  enfin  A.  Berthet,  Henri  Pauthier,  puis  Charles- 
Kmilien  Thuriet,  ce  dernier  si  altaclié  à  son  sol  et  aux  tradi- 
tions qu'on  ne  saurait  parler  de  Franche-Comté  sans  citer 
quelques-uns  de  ses  ouvrages.  Il  écrivit  de  délicates  choses, 
justement  appréciées  de  ses  compatriotes  :  La  Polisseuse  de 
pipes,  La  Cancoillotte,  etc.*. 


1.  Il  était  né  à  Besançon  le  12  février  1830,  au  n»  2  de  la  rue  du 
Collège.  Fils  de  pauvres  ouvriers,  à  lâgc  de  douze  ans  il  quitta  l'école 
pour  l'alelier.  Louis  Mercior  était  membre  de  l'Académie  de  Besançon. 
Il  mourut  dans  sa  ville  natale,  à  l'hôpital  Saint-Jacques,  le  5  janvier 
1907,  laissant,  outre  les  deux  volumes  elles  plus  haut,  un  certain 
nombre  de  pièces,  notamment  des  Contes  et  des  Légendes  qui,  édités 
quelque  prochain  jour,  par  souscription,  pourront  lui  donner  «  la 
tombe  fleurie  qu'il  a  souhaitée  ». 

2.  M.  Cli.-Emilicn  Thuriet  naquit  à  Baume-lcs-Dames  le  8  octo- 
bre 1832.  Avocat  à  Besançon,  il  fut  successivement  jug<!  de  paix  à 
Annonay,  àKougemonlet  à  Baume-les-l)amos,  juge  d'instruction  et 
président  du  tribunal  civil  à  Saint-Claude.  Il  vit  actuellement  retiré 
a  Turin.  On  lui  doit  :  Proverbes  judiciaires  (Paris,  H.  Leclievalier, 
1892,  in-4")  ;  Traditions  popul.  du  iJoubs  (ibid.,  1891,  in-i»);  Tra- 
ditions popid,  de  la  Hante-Saône  et  du  Jura  {ihid.,  1892,  in-4»); 
Saint-Claude  et  ses  encirons  (Bourg,  Impr.  génér.,  1890,  in-8<>); 
Guyétand  du  Mont-Jura  et  le  Génie  vengé  (Besançon,  Jacquin,  190."i. 
in-S»)  ;  enfin  des  poésies  franc-comtoises  :  Cliansuns  d'un  villageois 
(Besançon,  C.  Marion,  187t),  in-8»);  Petites  Poésies  Iiaumoises,\iaumc- 
les-Dames,  Broihior,  1886,  in-321;  Petites  Poésies  San-Clnudiennes 
(Saint-Claude,  impr.  veuve  Knard,  1888,  in-32).  Bien  que  la  place  nous 
soit  parcimonieusement  comptée,  nous  ne  résistons  pas  au  dessein  de 
reproduire  quelques  vers  de  l'une  de  ses  compositions  les  plus  con- 
nues, La  Cancoillotte  : 

...  Vous  voulez  qu'à  ce  moment  Le  ]Annc  jirodiiit  qui  va  sous  jipu 

Oii  déjà  la  muse  (grelotte,  Se  Irausfoi mer  on  caufoillollc. 

J'obéis  et  vais»  de  mon  mieux  Ait  fait  doucement  fermenter 

Dire  commonl  la  ménagère  La  savoureuse  moisissure. 

Non»  prépare  ce  mois  des  dieux.  Kniicltez-la  de  temps  en  temps; 
Qu'on   nomme  aussi  In  fronimyrv.     Kl  quand  r'lmr[UP  iielito  molle 

Panit  un  beau  lintre  clair  mnillt-  Jaunit  comme  le  hié  de»  eliamps, 

Avec  amour  on  emmaillote  Faites  cuire  la  eancoillolte. 

r n  gros  amas  d..  lail. -aillé.  Dorn ière  préparation. 

Prmcipe  de  la  ..«n-oilloUe.  y,,.  ,,^j^  ^.^^l^^^^  .  ;^^  ^  y^^^^^  ^ 

Quand  bien  eomprim<'.  bien  tordu,  Mêlez,  avec  discrétion. 

Il  ne  re«le  plus  imc  kouUo  Kn  tournanl,  eau,  sel,  poivre  et  beurre 

I>e  liquide  en  ce  rrsidu.  Sur  le  fou  quand  tniil  est  fondu 

Son  aspect  déjà  vous  raKortto;  Kl  que  plus   un   ^runioau  ne  Hotte, 

Pans  un  vase,  non  loin  du  feu,  "Versez  chaud  votre  contenu  : 

A  l'abri  du  chat,  l'on  dépote  Vous  aurez  fait  la  cancoillotte. 


FRANCHE-COMTÉ  119 

Après  eux,  après  leurs  contiauateurs  ou  leurs  disciples  dont 
les  essais  sont  des  promesses,  c'est  la  cohue  anonyme  et  sans 
gloire  des  aèdes  de  sous-préfectures  et  des  muses  départe- 
mentales.Ne  les  raillons  pas  trop,  car  ils  ont  apporté,  eux  aussi, 
leur  épi  à  la  gerbe  commune.  Us  s'appellent  :  J.-Ch.  Jouvenot, 
A.  Dévoile,  Mandrillon,  Richard  Baudin,  Alexandre  de  Saint- 
Jean,  Casimir  Blondeau,  Adolphe  Chevassus,  Pierre  Mieusset, 
Léon  Delavelle,  Eugène  Tavernier,  Alfred  Marquiset,  Léon 
Huot,  Julien  Mauveaux,  M""»  Ernest  Brun,  etc.  Qui  se  souvien- 
dra de  ces  travailleurs  obscurs?  Vous  peut-être,  collectionneurs 
et  bibliophiles  qui  nous  avez  tant  aidé  dans  nos  recherches,  et 
que  nous  ne  nommons  pas,  car  votre  modestie  s'accommode 
mal  des  éloges  publics'... 

Bibliographie.  —  Bruzen  de  la  Martinière,  Grand  Diction- 
naire géographique,  historique,  etc.,  Paris,  P. -G.  Le  Mercier,  etc. 

—  Expilly,  Dictionnaire  géographique,  historique  et  politique 
des  Gaules  et  de  la  France,  t.  III,  Amsterdam,  Paris,  Desaint  et 
Saillant,  1764,  in-fol.  —  D.  Monnier,  Vocabulaire  de  la  langue 
rustique  et  populaire  du  Jura,  1824  (figure  en  outre  dans  le 
volume  donné  par  E.  Coquebert,  de  Montbret  et  l'abbé  J.  de  la 
Bouderie,  Mélanges  sur  les  dialectes  et  patois,  Paris,  Delaunay, 
1831,  in-S»^  ;  le  même,  Les  Jurassiens  recommandables  par  des 
bienfaits  et  des  vertus,  etc.,  Lons-le-Saulnier,  F.  Gauthier,  1828, 
in-8».  —  S. -F.  Fallot,  Recherches  sur  les  Patois  de  l'ranche-Conité, 
de  Lorraine  et  d'Alsace,  Montbéliard,  Deckherr,  1828,  in-r2.  — 
Charles  Nodier,  Mélanges  tirés  d'une  petite  bibliothèque,  Paris, 
Crapelet,  1829,  in-8°  ;  Notices  bibliogr.  et  littéraires,  Paris,  1834, 
in-S»;  —  Pyot,  La  Franche-Comté  ou  Comté  de  Bourgogne,  ses 
souverains,  ses  hommes  illustres  et  sa  géographie,  Dôle,  Prudout, 

1836,  in-12 Ed.  Clerc,  Essai  sur  l'histoire  de  la  Franche-Comté, 

Besançon,  1840-1846,  2  vol.  gr.  in-S».  —  Th.  Belamy,  Recueil  des 
Noèls  anciens  au  patois  de  Besançon,  nouv.  édit.  corrigée,  etc., 
Besançon,  imprimerie  Bintôt,  i842,  in-18.  —  Aristide  GuilbeijJ, 
Histoire  des  villes  de  France,  Paris,  Furne,  1848,  t.  V.  gr.  in-8». 

—  Alex.  Guénard,  Besançon,  description  historique,  1860,  in-S". 

Heureux  le  vigneroa  d'Arhois,  S'il  peut,  en  prenant  son  outil, 

Ou  de  Poligny,  non  moins  digne.  Cacher  dans  le  fond  <le  sa   hotte. 

Qui,  dans  sos  gros  sabots  de  bois,  Avec  la  miohe  et  le  baril, 

Dès  le  matin  part  pour  la  vigne.  Un  joli  bol  de  eancoilloUe  ! 

(Ces  vers,  de  même  que  la  matière  de  la  note  qui  précède,  nous  ont 
été  communiques  par  M.  l'abbé  Perrod.) 

1.  (Juclques-uns  de  ces  derniers  mériteraient  pourtant  un  meilleur 
sort  :  Adolphe  Chevassus,  Julien  Mauveaux,  Alfred  Marquiset  entre 
autres  ;  les  deux  premiers  par  leur  persévérance,  le  troisième  par  son 
esprit  local.  Alfred  Marquiset  a  publié  deux  recueils,  Rasure  et  lia- 
mandons  (Besanoou,  Jacquard,  1893,  in-18);  Grayloiseries  (Grov, 
impr.  Gilbert,  19u3,  in-8»),  assez  expressifs. 


120  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

—  Surchaiix,  Galerie  biographique  du  départ,  de  la  Haute-Saône. 
Vesoul,  impriin.  Siichaux,  1864,  in-S».  —  Max  Huchon,  Noé'ls  ei 
Chants  populaires  de  la  Franche-Comté,  Salins,  1865,  2  vol. 
ia-12.  —  J.  Tissot,  Les  Fourgs,  Les  Mœurs,  Besançon,  Marion, 
1873,  in-18.  —  Charles  Contejan,  Glossaire  du  patais  de  Montbé- 
■liard,  Montbéliard,  Barbier,  1876,  gr.  ia-S».  —  Alfred  Dantés, 
La  Franche-Comté  littéraire,  scientifique,  artistique,  rec.  de  no- 
tices sur  les  hommes  les  plus  remarquables  du  Jura,  du  Doubs  et 
de  la  Haute-Saône,  Paris,  1878,  gr.  in-18.  —  G.  Robert,  Catalo- 
gue des  manuscr.  relatifs  à  la  F.-C.  qui  sont  conservés  dans  les 

bibliothèques  publiques  de  Paris,  Paris,  Champion,  1878,  in-8». 

—  Eugène  Tavernier,  La  Poésie  et  les  Poètes  en  Franche-Comté 
avant  le  dix-neuvième  siècle,  Paris,  Lemerre,  1886,  in-8".  — 
Charles  Thuriet,  Traditions  populaires  du  Doubs;  Traditions 
populaires  de  la  Haute-Saône  et  du  Jura,  Paris,  Lechevalier, 
1891  et  1892,  2  vol.  in-4".  —  Charles  Beauquier,  Chansons  popu- 
laires recueillies  en  Franche-Comté,  Paris,  Lechevalier,  1894, 
in-8».  —  Louis  Tuetey,  Anthologie  des  Fabulistes  Franc-Comtois, 
Dole,  imprim.  L.  Bernin,  1895,  in-18.  —  Henri  Bouchot,  La 
Franche-Comté,  Paris,  Pion,  1900,  in-4°.  —  Albert  Grimaud,  La 
llace  et  le  Terroir,  Cahors,  Petite  Biblioth.  provinciale,  1903, 
in-18.  —  J.  Michelct,  Notre  France,  9°  édit.,  Paris,  Colin,  1907, 
in-18.  —  Vidal  de  la  Blache,  Tableau  de  la  géographie  de  la 
France  {Histoire  de  France,  d'E.  Lavisse,  t.  I),  3»  édit.,  Paris, 
Hachette,  1908,  in-4'.  —  J.  Févre  et  H.  Hauser,  Régions  et  pays 
de  France,  Paris,  Alcan,  1909,  in-18. 

Voyez  en  outre  la  Revue  Franc-Comtoise,  la  Revue  des  Deux 
Bourgognes,  Recueil  de  l'Académie  de  Besançon,  Mémoires  et 
documents  publiés  par  l'Académie  de  Besançon,  Bulletin  de  la 
Société  d'émulation  du  Doubs,  Bulletin  de  la  Société  d'émulation 
du  Jura,  Bulletin  de  l'Académie  de  Besançon,  Annales  franc- 
comtoises,  Bulletin  de  la  Soc.  grayloise  d'émulation.  Mémoires 
de  la  Soc.  d'émulation  de  Montbéliard,  Les  Gaudes,  etc.,  etc. 


CHANSONS   POPULAIRES 


CHANSON    DES    PETIGNATi 

C'est  les  garc;ons  de  Chèvremont  —  Qui  sont  partis 
pour  la  nation,  —  Qui  sont  allés  dedans  la  guerre  — 
Sans  dire  adieu  à  leurs  maîtresses.  —  Que  le  mauvais 
tonnerre  tue  les  Pé,  pé,  pé,  —  Que  le  mauvais  tonnerre 
tue  les  Pétignat,  —  Vive  Xqs  gens  de  l'Ajoie! 

Quand  il  fut  loin  de  son  pays,  —  Le  plus  jeune  s'en 
repentit;  —  Il  s'en  revient  droit  chez  sa  tante,  —  Là  où  sa 
belle  elle  y  fréquente. 

Eh!  bonjour,  ma  tante  Ali,  —  Est-ce  que  ma  mie  n'est 
point  joar  ici  ?  — 


CHANSON   DES  PETIGNAT 

C'a  lès  bôbes  de  Tchêvremont,  (bis) 

Que  sont  paitchis  pou  lai  nation,  (bis) 

Que  sont  aivus  dedans  lai  guerre 
Sans  dire  aidue  ai  lu  maîtresses -. 

Que  lou  ma  ten  tiuait  lès  Pe,  pe,  pe, 

Que  lou  ma  ten  tiuait  les  Petegnot, 

Vive  lès  Aidjoulots!  (bis) 

Quand  è  fut  louèn  de  son  paj's  (bis) 

Lou  pu  djuene  s'en  repentit;  (bis) 

E  s'en  revint  drai  tchè  sai  tante. 
Lai  vou  sai  belle  elle  y  fréquente. 

Que  lou  ma  ten  tiuait,  etc. 

E!  dobondjoué,  mai  tante  Ali;  (bis) 

A-c'que  mai  mie  n'a  pouèn  po  chi?  (bis) 

1 .  Cette  clianson  est  extraite  du  Glossaire  patois  de  Montbéliard, 
de  Ch.  Conlcjan.  Montbéliard,  imprini.  Barbier,  in-8»,  1876. 

2.  Mot  français.  Le  patois  dirait  bouène-aimée. 


122 


LES    POETES    DU    TERROIR 


Elle  est  au  haut  dedans  sa  chambre,  —  Qu'elle  y  pleur( 
et  qui  s'y  lamente. 

Le  beau  galant  monta  au  haut.  —  La  belle  a  tiré  se: 
rideaux  :  —  Retirez-vous,  je  vous  en  prie,  —  De  vous 
mon  cœur  n'a  plus  d'envie. 

—  Ma  mie,  faites-moi  un  bouquet  —  Qui  soit  de  ros( 
et  de  Ulas,  —  Qui  soit  lié  d'un  ruban  jaune.  —  J'ai  fai 
l'amour;  c'est  pour  un  autre. 

—  Ma  mie,  faites-moi  un  mouchoir;  —  Faites-moi  h 
plus  beau  mouchoir.  —  Faites-le  long,  faites-le  large,  — 
C'est  pour  essuyer  mon  visage. 

—  Allez-vous-en,  je  vous  le  dis.  —  Ma  mie,  je  vou:- 
apporte  ici  —  Un  beau  ruban  de  demoiselle.  —  Demeurt 
ici,  lui  dit  la  belle-. 


—  Elle  a  i  a  dedans  sai  tcliainbre, 
Qu'elle  y  puere  et  quo  s'y  lamcnto. 

Que  lou  ma  ten  liuait,  etc. 

Lou  bé  gelant  montit  i  a.  (bis) 

Lai  belle  ait  tirie  ses  ridas*  :  [bis) 

Relirie-vôs,  i  vos  en  prie. 

De  vos  mou  eue  n'ai  pu  d'eavie. 
Que  lou  ma  ten  tiuait,  etc. 

—  Mai  mie,  faites-mo  z'ia  bouquet  (bis) 
Que  fout  de  rose  et  de  raiguet,  (bis) 
Que  fout  loyie  d'in  riban  djane. 

—  J'ai  fait  l'aimour  ;  c'a  pour  lu  atre. 
Quo  luu  ma  ton  tiuait^  etc. 

Mai  mie,  faites-me  z'in  mouètchu  ,  (bis) 

Faites-mo  lou  pu  bo  mouotohu.  (bis 

Faites-lou  long,  faitos-Iou  lairdgo, 
(j'a  pou  biu  èchuo  mon  visaidge. 
Quo  lou  ma  ten  tiuait,  etc. 

—  OUai-vôs-en,  1  vos  lou  dis.  (bis) 

—  Mai  mio,  i  vos  aippoulchc  ci  (bis) 
In  bé  riban  do  dumoisollc. 

—  Dcmoùre  ci,  li  d^it  lai  boUo. 
Quo  lou  ma  ten  tiuait,  etc. 

^,.  Le  patois  dirait  q uni (c hoirs.  H'ula  est  du  français  Iravesli. 
2.  En  if  iU,  les  pajsans  de  lAjoic  essayèrent  de  secouer  la  Ijran- 


FRANCHE-COMTÉ  123 


LE   BEAU    PAYSAN» 

Madam'  l'hôtesse,  est-il  permis 
D'entrer  dans  votre  auberge 
Et  de  s'y  restaurer? 

—  Entre,  entre,  beau  paysan, 
Mon  mari  est  en  campagne  ; 

Entre,  entre,  beau  paysan, 
Mon  mari  n'est  pas  méchant. 

-  Madam'  l'hôtesse,  est-il  permis 

D'souper  à  votre  table 
Et  de  s'y  goberger? 

—  Soupe,  soupe,  beau  paysan, 
Mon  mari  est  en  campagne; 

Soupe,  soupe,  beau  paysan, 
Mon  niari  n'est  pas  méchant. 

-  Madam'  l'hôtesse  est-il  permii, 

D'coucher  dans  votre  auberge 
Et  de  s'y  reposer? 

—  Couche,  couche,  beau  paysan, 
Mon  mari  est  en  campagne; 

Couche,  couche,  beau  paysan. 
Mon  mai'i  n'est  pas  méchant, 

-  Madam'  l'hôtesse  est-il  permis 

D'filer  au  point  du  jour 


lie  de  leurs  princes-évôques.  Ils  étaient  dirigés  par  Pierre  Pélignat, 
le  Courgenay,  qui  fit  preuve  d'une  grande  intelligence  politique  et 
l'un  admirable  patriotisme.  L'évoque,  fort  effrayé,  s'adressa  au  roi  de 
■rance,  et  nos  soldats  éloufl'èrent  l'insurrection.  Pierre  Pétignat 
tant  allé  demander  du  secours  à  l'Etat  de  Berne,  fut  pris  à  Bellelav , 
ison  retour,  et  exécuté  en  place  publique  à  Porrenlruy,  le  31  octo- 
bre. 11  devait  être  tiré  à  quatre  chevaux;  mais  l'évoque  lui  octroya  la 
aveur  d'élre  décapité  préalablement.  A  ses  côtés  moururent  sur  l'é- 
ohafaud  Fridolin  Lion,  de  Cœuve,  et  Jean-Pierre  Riat,  de  Chevenez. 
Le  corps  de  Pétignat  fut  écarlelé,  et  ses  membres  furent  cloués  à  un 
poteau,  à  l'entrée  du  village  rebelle,  «  pour  l'exemple  ».  L'évèque 
s'appelait  Jcan-Sigismond  de  Reinacli.  Rentrés  dans  le  devoir,  les 
opprimés  curent  recours  à  leur  arme  habituelle,  la  chanson. 

1.  Ch.  ]ic,a.uqmcT,  Chansons  popul.  recueillies  en  Franche- Comté. 
Paris,  E.  Lechevalier,  1894,  in-S». 


124  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Sans  bourse  délier? 

—  File,  file,  beau  paysan, 
Mon  mari  est  en  campagne; 

File,  file,  beau  paysan, 
Mon  mari  n'est  pas  méchant. 

LA  VIEILLE  DE  MORTEAU* 

A  Morteau,  y  a-t-une  vioille 
Qu'a  passé  quatre-ving'ts  ans; 

La  bribrambran,  brambran 
La  vieille! 
Qu'a  passé  quatre-vingts  ans 

La  bribrambran! 
Jean  Droguet,  qui  la  courtise, 
Crut  qu'eir  n'avait  pas  vingt  ans, 

La  bribrambran,  etc. 
Jean  Droguet,  si  tu  m'épouses, 
Tu  seras  riche  marchand, 

La  bribrambran,  etc. 
Tu  auras  quatre-vingts  vaches 
Et  autant  d'argent  vaillant, 

La  bribrambran,  etc. 
Il  lui  r'garda  dans  la  bouche, 
Il  n'y  trouva  plus  qu'deux  dents. 

La  bribrambran,  etc. 
L'une  faisait  crique  croque. 
L'autre  en  faisait  tout  autant. 

La  bribrambran,  etc. 
Il  lui  r'garda  dans  l'oreille  : 
La  mousse  poussait  dedans. 

La  bribrambran,  etc. 
Le  mardi  se  fit  la  noce, 
L'mercrcdi,  l'enter  rement. 

La  bribrambran,  etc. 

1.  Pelilc  villo  du  DouIjs.  Cotio  chanson  csl  cxIrailcHu  recueil  de 
Max  Huclion,  Chants  po impaires  de  la  Franche-Comté  {P&r'in,  Sniu\oz 
el  Fischbachcr,  1878,  in-18). 


JEAN-LOUIS  BIZOT 

(1702-1781) 


Le  curieux  poème  dont  on  lira  plus  loin  un  court  fragment 
'St  l'œuvre  d'un  Comtois  du  xviii«  siècle,  Jean-Louis  Bizot,  con- 
seiller doyen  du  présidial  de  Besançon.  «  J.-L.  Bizot  —  écrit 
^L  Alfred  Vaissier  —  naquit  à  Besançon  en  1702  et  passa  la  plus 
jrande  partie  de  sa  vie  à  quelques  pas  du  clocher  de  Jacque- 
oart,  en  son  hôtel,  rue  de  la  Madeleine,  3,  et  rue  de  l'Ecole,  6. 
1  mourut  le  14  novembre  1781.  Son  père,  dixième  et  dernier 
nfant  d'unefamille  de  marchands,  rue  du  Pont-de-Battant,  était 
levenu  procureur  du  roi  en  la  maîtrise  des  eaux  et  forêts. 
ean-Louis,  après  avoir  reçu  une  éducation  complète,  figura  de 
>onne  heure,  en  même  temps  que  son  père,  au  tableau  des  avo- 
ats  du  parlement;  puis  il  acheta  une  charge  de  conseiller  au 
tailliage,  dont  il  remplit  les  fonctions  avec  beaucoup  de  zèlo 
t  d'intégrité...  »  Respecté  de  tous,  aimé  de  ses  voisins  pour 
on  obligeance,  il  l'était  aussi  pour  son  intarissable  gaieté,  dit 
nçore  Charles  Weiss  ;  à  ce  titre,  on  peut  le  considérer  comme 
m  des  plus  distingués  représentants  de  l'esprit  gaulois  dans 
a  cité  bisontine.  Naturellement  caustique,  il  composa,  dans  le 
)atois  de  sa  région,  dos  chansons  et  des  vers  pleins  de  sel  et 
le  gaieté,  mais  qui  ne  sont  pas  exempts  de  mauvais  goût.  De 
outes  les  poésies  si  nombreuses  qu'il  a  composées,  les  seules 
)onnes  sont  :  L'Arrivée  dans  l'autre  ninnile  d'une  dame  habillée 
n  panier,  Besançon,  C.  Gobillot,  1735,  in-S»)  et  La  Jacquemar- 
iade  (Dole,  J.-B.  Tonnet,  1753,  in-12),  poème  épi-comique  où, 

l'occasion  du  rétablissement  du  jacquemart  de  l'église  de 
?ainte-Madeleine,  alors  en  pleine  reconstruction,  il  a  raillé  as- 
ez  plaisamment  ses  compatriotes.  Plusieurs  traits  dirigés  con- 
re  les  principaux  membres  de  l'Académie  de  Besançon,  alors 
laissante,  et  la  critique  de  quelques  actes  de  l'autorité  locale 
ui  firent,  dit-on,  refuser  la  permission  d'imprimer  ce  badinage. 
1  consentit  à  supprimer  les  passages  incriminés;  mais  en  les 
établissant  à  la  plume,  dans  un  petit  nombre  d'exemplaires, 
l  y  joignit  des  explications  beaucoup  plus  malignes  que  le 
exte.  Ces  exemplaires  sont  très  rares.  La  Jacqucmardade  a  été 
éimprimée  récemment  avec  tout  un  appareil  critique,  des  notes 


126 


LES    POETES    DU    TERROIR 


philologiques  et  historiques,  par  M.  Alfred  Vaissier,  sous  les 
auspices  de  la  Société  d'émulation  du  Doubs  (Besançon,  impr. 
Dodivers,  1901,  in-S"),  et  la  satire  Les  Paniers  a  fait  l'objet 
d'une  étude  de  littérature  comparée,  publiée  par  M.  Arthur  Ros- 
sât dans  les  Archives  suisses  des  traditions  populaires  (Bàle, 
1904).  Voyez  Les  Paniers,  poème  en  patois  bisontin,  traduit  en 
patois  jurassien  par  Ferdinand  liaspieler,  curé  de  Courroux, 
Dans  ce  dernier  et  savant  travail,  M.  Rossât  s'est  plu  à  recher- 
cher les  analogies  qui  existent  entre  le  texte  de  notre  poète  et 
celui  des  manuscrits  d'un  autre  patoisant  du  Jura  suisse  sur 
le  même  objet. 

Bibliographie.  —  Alfr.  Vaissier,  Notice  sur  J.-L.  Bizot,  édit. 
de  La  Jacquemardade,  Besançon,  1901,  in-8». 


LES    PANIERS* 

...Sur  les  places,  aux  fenêtres,  aux  maisons,  aux  églises, 
On  ne  voit  que  donzelles  et  filles  fourmiller. 
Il  semble'  que  ce  soit  souvent  de  gros  essaims  d'abeilles. 
L'une  rit,  l'autre  saute  et  une  autre  se  trémousse. 
Elles  ne  pensent  qu'au  plaisir  depuis  le  grand  matin. 
Elles  se  fourrent  partout,  aux  veillées,  aux  festins, 
Aux  assemblées  de  fêtes,  aux  danses,  aux  promenades; 
Mais  il  leur  faut  surtout  de  jolis  camarades. 


TEXTE 

...Sus  las  pinice,  as  fenêtre,  as  mo("son,  as  moutier, 

On  ne  voit  que  Don/.ello  et  Feillo  grcvillie. 

y  semble  être  souvent  das  grous  jetton  d'aibeillo; 

L'enne  rit,  l'autre  saute,  et  n'autrc  que  j'aibeille; 

Ne  pensan  qu'au  plaisi  dépeu  lou  grand  maitin; 

Le  Se  fouran  pattoat,  as  voillio,  as  festin, 

As  aisserable  de  Ki'te,  as  danse,  as  jiromnenado  : 

Main  y  licus  fau  suttout  de  jouli  camarade. 

\.  L'extrait  du  poôme  des  Paniers  que  nous  publions  ici  cal  cm 
prunlé  à  l'ouvrage  riti'-  phis  liaul,  de  M.  Arthur  Hossal,  Les  l'aniiTS 
jioi-nie  pn  patois  hisoutin,  trad.  en  putois  jurassirn  jiur  F.  liaspieler 
etc.  On  sait  que  M.  Kossal  a  traduit  tout  à  la  fois  la  version  de  liizoï 
et  celle  de  Kaspieler. 


FRANCHE-COMTÉ  127 

les  dansent,  elles  font  les  folles,  sautent  et  bondissent 
)ut  comme  des  chevreaux  qui  sautent  au  printemps, 
les  s'en  vont  levant  le  nez,  comme  feraient  des  biches, 
'S  filles  du  commun  aussi  bien  que  les  riches, 
intôt  on  les  chatouille,  on  les  embrasse  aussi; 
;s  saloupes  ne  font  que  rire  de  tout, 
n  beau  inistifrisé  sous  le  bras  les  promène, 
ir  les  rues,  par  les  prés  les  mène  et  les  ramène; 
lies  sont  plus  éventées  que  des  pages  de  cour, 
out  le  jour  elles  tournaillent  et  font  plus  de  cent  tours» 
es  jeunes  malotrus  leur  content  des  fleurettes  ; 
lies  savent  répondre  au  ton  et  chantent  des  sornettes. 
Elles  ont  inventé  des  habits  qui  nous  profitent  bien, 
'u'on  appelle  paniers  ou  bien  vertugadins. 
Iles  ont  inventé  cet  habit  pour  bien  beaucoup  d'usages, 
our  celles  qui  sont  laides  ou  qui  ne  sont  pas  sages, 
les  déhanchées,  les  boiteuses  et  les  bossues  aussi, 
.es  corps  tout  de  travers  ;  le  panier  couvre  tout, 
•uand  les  filles  se  sont  laissé  gâter  la  taille, 
nies  se  les  affublent  pour  cacher  leurs  merveilles  ; 
nies  portent  dessous,  souvent,  de  gros  paquets  ; 


Le  friagau,  lirioulan,  ging.in  et  bczeillan, 
Tout  comme  das  chevris,  que  sautaa  au  printan, 
L'en  vaat  levaut  lou  na  coume  ferla  das  biche, 
Las  Feille  di  coumun,  aussi  biu  que  las  riche. 
Tantôt  on  las  gatoille,  on  las  embraisse  aitout; 
Las  salonpe  no  fant  que  de  rire  de  tout; 
In  bé  mistrifrisi  su  lou  brait  las  prouraenne, 
Pa  las  rue,  pa  las  pra,  las  mënne  et  las  raimenne, 
Le  sont  pu  aivanta  que  das  Paige  de  Coiiot; 
Tout  lou  jou  viroyan  et  fant  pu  de  cent  touot. 
Das  jueiies  Gaulegrus  lieu  contan  das  tleurette; 
Le  sçant  répondre  au  tou,  et  chantan  das  soumette. 

L'aut  jaubla  das  haibils  que  nous  proufitau  bin  : 
Qu'on  aipelle  Penie,  ou  biu  Vcrtugadiu  : 
L'ant  inventa  staibit  pou  bin  bécou  d'usaige. 
Pou  celles  que  sont  peutte,  ou  que  ne  sont  pas  saige, 
Las  airanchie,  las  canche,  et  las  boussue  aitout, 
Las  coe  tout  de  traiva:  lou  pcnie  couvre  tout. 
Quand  las  Feille  se  sont  laisie  gâta  lai  teille, 
Le  se  las  affublan  pou  caichie  lieus  marveille, 
Elle  pouttan  desou  souvent  de  grou  paiquet 


128  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Elles  n'en  disent  rien,  se  moquent  du  caquet. 
Elles  sont  fines;  cette  mode  est  un  couvre-malice, 
L'effet  de  leur  adresse  et  de  leurs  artifices. 
Dans  ces  habits,  elles  sont  comme  des  girouettes, 
Renflées  comme  des  tours,  plus  larges  que  des  vans. 
Tu  rirais  de  les  voir  quand  elles  entrent  dans  une  églis* 
Car  ce  n'est  pas  pour  elles  une  petite  entreprise. 
Comme  de  grosses  cloches,  en  ces  habits  affreux, 
Elles  semblent  un  battant  qui  pendille  dessous. 
Chacun  en  dit  la  sienne  et  chacun  les  satirise. 
Elles  n'ont  honte  de  rien,  elles  laissent  tout  dire. 
Vois  !dit  l'un,  ilsemblequecesoitun  gros  moulin  à  vent. 
—  Tu  as  bien  dit,  redit  un  autre;  je  crois  que  tuas  raiso 
Celles  qui  les  portent  ne  sentent  rien  de  bon. 
Leurs  paniers  sont  remplis  de  marchandise  à  vendre, 
Bien  fou  qui  s'y  fie  trop;  gare  de  s'y  surprendre! 
Elles  sont  comme  ces  rosses  [aux]  foires  tant  montrées. 
Personne  n'en  veut  plus;  elles  sont  des  bêtes  décriées. 
Un  garçon  l'autre  jour  menant  de  ces  donzelles 
Promenant  sous  le  bras  deux  de  ces  écervelées(?), 
Ressemblait  à  ces  ânes  ou  à  ces  grands  mulets 


PMle  n'en  disau  rau,  su  nioiiquan  di  caquot. 
Le  sont  finnes,  ste  moude  ot  in  couvre  malice 
L'effet  de  lieus  aidresse,  et  de  lieus  artifice. 
Dans  cas  haibits  le  sont  coume  das  touncvaat, 
Renfla  coume  das  touots,  jju  larges  que  das  vant. 
Te  rire  de  las  voc  quand  l'entrant  dans  n'Eglise, 
Ca  ce  n'ot  pas  pou  lieus  ne  pettete  eutreprise. 
Coume  de  grousse  douche,  en  cas  haibits  affrou, 
Le  semblau  in  baittant  que  pangoille  desou. 
Chaicun  en  dit  lai  sienne  et  chaicun  las  satire, 
Ne  l'iint  honte  de  ran,  elle  laissan  tout  dire. 
Ga  !  dit  l'un,  y  semble  être  iu  grou  melin  ait  vant... 
Tés  bin  dit,  redit  n'autre,  y  crai  que  tés  raison, 
Celles  que  las  pouettan  ne  sentant  ran  de  bon; 
Lieus  penier  sont  rempli  de  marohaiudiso  ai  vendre, 
Bin  fo  que  s'y  fie  trop,  gairo  do  s'y  surprendre. 
Le  sont  coume  cas  rosses  foire  tant  montra 
N'un  n'en  veut  pu,  le  sont  das  bote  daicria  : 
In  Gachon  l'atitre  jou,  menant  de  cas  Donzcllc, 
Proumenant  su  lou  bret  dou  de  cas  Gaulemello, 
R  sscmbla  de  cas  ânes  ou  de  cas  grand  mulut. 


FRANCHE-COMTÉ  129 

li  portent  des  paniers  qui  pendent  çà  et  là. 
;s  dames  qui  étaient  sages  et  se  moquaient  des  folles, 
)mmencent  d'en  porter,  tout  comme  ces  écervelées. 
'ec  cette  mode-ci,  nous  ferons  nos  choux  gras... 


Que  pouettant  das  penie  que  pendant  çai  qu'ai  let. 
Das  Dairae  qu'étint  saige  et  se  moquin  das  foule, 
Commençan  d'en  poutta,  tout  coumo  cas  brioule, 
Aivo  ste  moude  qui  nous  feran  nos  chos  gras... 


ADRIEN  DE  LEZAI-MARNESIA 

(1730-1800) 


Né  en  1730,  à  Metz  selon  les  uns,  à  Besançon  selon  les  a 
très,  Claude-François-Adrien  de  Lczaî-Marnésia  appartenai 
une  vieille  famille  comtoise.  Il  servit  dans  le  régiment  du  i 
avec  Vauvenargues,  et  habita  par  la  suite,  jusqu'en  1789,  sa  tei 
de  Saint-Julien,  près  de  Lons-le-Saulnier.  Il  avait  eu,  dans 
jeunesse,  pour  précepteur  Cl. -M.  Giraud,  qui,  poète  lui-mèn 
l'encouragea  à  cultiver  les  Muses.  Généreux  et  humain,  Lezi 
Marnésia  abolit  la  main-morte  et  la  corvée  sur  ses  terres  Ion 
temps  avant  qu'il  fiit  question  de  cette  réforme.  Cela  ne  l'c 
pccha  point  d'être  persécuté  au  moment  de  la  Révoluti 
française.  Député  du  tiers,  il  s'exila  en  1790,  revint  en  1792 
languit  dans  les  prisons  bisontines.  La  chute  de  Robespie 
le  sauva.  Il  vécut  par  la  suite  dans  sa  province  et  se  livra 
toute  sécurité  à  sa  passion  des  belles-lettres.  Son  Essai  sur 
nature  champêtre,  poème  en  plusieurs  chants,  publié  d'abord 
1787  (Paris,  Prault,  in-8»),  puis  réimprimé  avec  des  modifi< 
lions,  sous  ce  titre  Les  Paysages  (Paris,  Louis,  1800,  in-8»),  \'i 
née  môme  de  sa  mort,  a  fixé  sa  réputation.  Philippon  La  Mat 
leino  a  fait  l'éloge  de  cet  homme  de  bien,  dont  los  vers,  p( 
manquer  de  force,  n'en  sont  pas  moins  d'un  honnête  agréme 
«  ...  J'ai  eu,  dit-il,  le  bonheur  d'être  lié  avec  lui,  et  je  conserve 
souvenir  bien  cher  des  jours  que  nous  avons  passés  ensemi 
dans  ses  beaux  jardins  de  Moutonne.  C'est  là  que  je  l'ai 
composer  son  llpftre  à  mon  Curé,  où  la  plus  douce  sensibil 
s'embellit  des  cJiarmes  de  la  plus  douce  poésie.  Il  ne  voulait  j 
la  publier  ;  ce  fut  moi  qui,  presque  à  son  insu,  la  fis  insérer  di 
VAlmanach  des  Muses...  »  Elle  parut  en  effet  dans  cette  feui 
en  1780. 

Bini-IOORAIMIIK.  —  S.  Philippon  La  Madeleine,  Dict.  porte 
des  poètes  français,  etc.,  Paris,  CapcUo  et  Renaud,  1805. 
Eug,  Tavcrnier,  La  Poésie  et  les  Poètes  en  Franche-Comté  av( 
le  dix-neuvième  siècle,  Paris,  Lomcrro,  1886,  in-S». 


k 


FRANCHE-COMTÉ  131 


E PITRE    A   MON    CURE 

Patriarche  de  mon  villag-e, 
Pasteur  d'innocentes  brebis, 
Guide  éclairé,  prêtre  doux,  ami  sage, 
Je  quitte  les  pompeux  lambris, 
Pour  voler  dans  mon  hermitage. 
Loin  des  mcchans  et  loin  des  sots. 
Je  vais  dans  mon  manoir,  tranquille, 
Goûter  des  plaisirs  purs  ignores  à  la  ville, 
Jouir  de  l'amitié,  me  livrer  au  repos. 
Je  vois  déjà  la  nature  sourire; 

Son  front  est  couronné  de  fleurs  ; 
Je  sens  déjà  qu'elle  m'inspire 
Des  vers  plus  doux  et  de  plus  douces  moeurs. 
Ne  crois  pas  que,  semblable  aux  riches  imbéciles, 
Quitraînentdans  les  champs  leurs  soins  et  leurs  soucis 
J'aille  porter  dans  nos  asyles 
Le  luxe  et  le  ton  de  Paris. 
Suivis  de  coquettes  futiles, 
D'artistes  et  de  beaux  esprits, 
Ils  changent  bien  de  domiciles, 
Mais  ils  ne  changent  pas  d'ennuis... 
Ah!  ces  beaux  jours,  ces  jours  si  pleins  d'appas, 
Ne  luisent  plus  sur  la  France  éplorée. 
L'âge  d'or  étoit  l'âge  où  l'or  ne  régnoit  pas. 
Mais  dans  notre  demeure  agreste, 
Où  l'on  ne  voit  ni  riches,  ni  seigneurs. 
Le  crépuscule  nous  en  reste, 
Et  son  feu  réchauffe  nos  cœurs. 
J'y  sens  le  charme  d'être  père; 
J'y  sens  la  douceur  d'être  époux, 
Et  chacun  des  jours  qui  m'éclaire 
Me  promet  des  jours  aussi  doux. 
Il  faut  en  convenir  :  la  nature  nous  donne 
De  vrais  plaisirs  pour  tous  les  tems. 
Dédommagé  par  les  fruits  de  l'automne, 
Je  ne  regrette  pas  les  roses  du  printems. 
Si  je  n'ai  pas  les  feux  du  premier  âge, 


132  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Si  par  des  yeux  fripons,  par  un  joli  corsage, 

Je  ne  me  laisse  plus  charmer, 

Plus  libre,  plus  heureux,  plus  sage. 

J'aime  ce  que  je  dois  aimer. 

De  l'amitié  la  vive  flamme 

Te  fait  jouir  de  mon  bonheur; 

Chaque  sentiment  de  mon  âme 

Est  un  sentiment  pour  ton  cœur... 
Parlons,  si  tu  le  veux,  de  nos  prés,  de  nos  champs  : 

Rappelle-toi  ces  fraîches  matinées 
Où  l'hyver  règne  encor  sur  les  plantes  fanées. 
Où  l'éclatant  soleil  fait  briller  les  glaçons. 

En  vrais  amans  de  la  nature, 

Nous  allions,  malgré  la  froidure, 
Espérer  une  fleur,  épier  des  bourgeons. 

Chaque  instant  semblait  nous  promettre 

Pour  le  lendemain  un  plaisir; 

En  nous,  chaque  instant  faisoit  naître 
Un  nouvel  intérêt,  un  espoir,  un  désir. 
Heureux,  cent  fois  heureux,  l'homme  simple  et  champêtre! 
Son  bonheur  n'est  jamais  suivi  d'un  repentir. 
Coulez  rapidement,  volez,  heures  trop  lentes  : 
Rendez-moi  les  objets  d'un  innocent  amour  ; 
Rendez-moi  ces  berceaux,  ces  retraites  charmantes, 
Qui  nous  cachoient  aux  feux  du  brûlant  Dieu  du  jour. 
On  y  jouit  du  spectacle  sublime 

Des  monts  qui  s'élèvent  aux  cieux; 
On  y  voit  le  Jura,  dont  l'orgueilleuse  cime 

Arrête  la  foudre  des  dieux. 

Tandis  que  des  ardeurs  cruelles 

Dévorent  tout  pendant  l'été, 

L'œil  de  ses  neiges  éternelles 
Contemple  avec  respect  l'éclatante  beauté. 
L'esprit  plus  fier,  i\  l'aspect  des  montagnes, 

Vole,  plane  sur  leurs  sommets; 

Errant  sur  les  vastes  campagnes. 

Il  s'élève  ù  do  grands  objets. 

Guidé  par  des  lois  incertaines, 

Il  voit  dans  les  pays  divers 
L'homme  accablé  sous  le  poids  de  ses  chaînes 
Déplorer  lâchement  ses  t^niiuis  et  ses  peines... 


FRANCHE-COMTÉ  133 

Mais  je  m'élève  trop,  je  prends  un  vol  superbe; 
La  prudence  le  veut,  cher  pasteur,  descendons  : 
Sous  nos  verds  peupliers,  foulons  humblement  l'herbe. 

Et  revenons  à  nos  moutons. 

Ils  sont  conduits  par  des  bergères 

Douces,  innocentes  comme  eux. 
Ah!  permets-leur,  sous  les  yeux  de  leurs  mères, 

La  danse,  la  gaité,  les  jeux. 

Pour  être  toujours  vertueux, 

Ne  devenons  jamais  sévères. 
Sous  les  rustiques  toits  appelons  le  plaisir; 

Qu'il  vienne  aux  doux  sons  des  musettes; 
Pour  les  hameaux  embellissons  les  l'êtes  : 
C'est  aux  hameaux  qu'on  a  droit  d'en  jouir. 

Les  habitans  de  mon  village, 
La  bêche  en  main,  ont  orné  mon  séjour; 
C'est  par  leurs  soins  qu'il  me  plaît  davantage; 

Je  leur  dois  des  soins  à  mon  tour. 
Je  dois  écarter  d'eux  les  soucis,  la  misère, 
Les  consoler,  les  aimer,  les  servir. 
Ainsi  que  toi,  le  Ciel  m'a  fait  leur  père; 
A  ce  nom  seul  je  me  sens  attendrir. 
0  mon  pasteur!  ma  plus  douce  espérance 
Est  de  couler  au  sein  de  l'innocence 

Mes  paisibles  jours  avec  eux... 

{Atnianach  des  Muses,  1780.) 


CHARLES   NODIER 

(1780-1844) 


Charles  Nodier  naquit  à  Besançon  le  29  avril  1780.  Fils  d'i; 
avocat,  ancien  professeur  à  l'Oratoire,  il  commença  ses  étude 
avec  son  père,  puis  suivit  à  Strasbourg  les  leçons  du  célèbi 
helléniste  Euloge  Schneider.  Elu  à  douze  ans  membre  de 
Société  des  Amis  de  la  Constitution  de  Besançon,  il  fit  part 
d'une  députation  déléguée  à  Pichegru,  pour  le  féliciter  de  ; 
victoire  sur  les  Autrichiens.  Après  la  Terreur,  il  entra  à  l'Eco 
centrale  de  Franche-Comlé  et  en  sortit  à  dix-sept  ans,  bibljc 
thécaire-adjoint  à  Besançon.  Sa  jeunesse  fut  orageuse  et  indi; 
ciplinée.  Il  eut  des  démêlés  qui  l'obligèrent  à  quitter  la  pn 
vince.  A  peine  arrivé  à  Paris,  eu  1800,  il  brùla  de  faire  figu 
dans  les  groupes,  écrivit  au   Citoyen,   rédigea  des  ménioir 
scientifiques  et  publia  sous  le  manteau  la  fameuse  ode  La  Ni 
poleoiie  (s.  1.,  1802,  in-S").  Recherché  par  la  police  pour  cet 
violente  diatribe  et  découvert,  il  fut  tout  d'abord  enfermé 
Sainte-Pélagie,  puis  ramené  de  brigade  eu  brigade  jusqu'à 
ville  natale,  avec  ordre  d'y  demeurer  en  surveillance.  Il  cont 
nua  à  Besançon  sa  propagande  contre  le  gouvernement  consi 
laire.  Impliqué  dans  un  complot  dont  le  but  était,  dit-on,  u 
alliance  des  royalistes  et  dos  jacobins,  il  s'enfuit  dans  les  mo 
tagnes  du  Jura.  Après  une  vie  errante  do  quelques  mois, 
demande  et  obtient  unu  chaire  de  littérature  à  Dôle.  Il  se  m 
rie.  On  le  croit  fixé;  c'est  une  erreur.  Mal  rétribué,  il  reparl 
l'aventure,  se  fait  secrétaire  d'un  riche  Anglais  bibliophile,  i 
Herl)ert  Croft,  séjourne  au  loin,  en  Illyrie,  à   Laybach,  et 
rcnlic  à  Paris  que  jiour  prendre  cette  place  do  bibliotliécai 
do  l'Arsenal  qu'il  gardera  jusqu'à  la  fin  et  où  il  s'illustrei 
non  seulement  par  un  immense  labeur,  mais  par  son  influen 
sur  la  littérature  romantique.  Pcndaut  de  longues  années,  s 
salon  sera  tout  à  la  fois  le  rendez-vous  do  plusieurs  génératio 
d'artistes  et  de  toute  lEurope  littéraire. 

CharlesNodiermourut  le  a"  janvier  IS'i't,  à  soixante  ot  un  ai 
Il  était  depuis  dix  ans  de  l'Académie  française.  Sous  la  Rost 
ration,  il  collabora  au\  Di'-bats,  a  La  Quotidienne,  etc.  Il  fon 
do  i)lus  le  Bulletin  du  liibliophilc. 

C'est  peudant  ses  longues  courses  à  travers  le  monde  qu 


FRANCIIE-COMTE 


135 


Ivit  quelques-unes  de  ses  nouvelles  franc-comtoises  et  rima 
poésies.  Comme  ses  compatriotes,  il  garda  un  amour  pro- 
d,  ardent,  pour  la  terre  natale.  II  le  fit  voir  en  donnant  cette 
vre  de  piété  qui  est  en  môme  temps  une  œuvre  d'érudition  : 
</agcs  pittoresques  et  romantiques  dans  l'ancienne  France 
ris,  Didot,  1820,  in-8»).  Ses  premiers  vers  parurent  sous  ce 
■c  :  Essais  d'un  jeune  Barde  (Paris,  Cavanagh,  ISOi,  in-12)  ;  il 
blia  ensuite  Les  Tristes  ou  Mélanges  tirés  des  tablettes  d'un 
cWe  (Paris,  Debray,  1806,  in-12).  Enfin,  en  1827,  l'éditeur  De- 
igle  réunit  tous  ses  poèmes  et  en  forma  un  élégant  recueil 
lésies  de  Charles  Nodier  rec.  et  publiées  par  M.  Delangle,  etc.). 
livre  eut  deux  éditions.  Il  y  a  de  jolies  pièces  locales  dans 
mvre  de  Charles  Nodier,  mais  rien  n'honore  plus  le  pays  qui 
vil  naître  comme  cette  iVa/io^eoMe  de  scandaleuse  mémoire,  où 
trouvent  exprimées  avec  force  la  passion  de  la  liberté  et  la 
ine  de  l'usurpateur  qu'on  trouve  chez  tout  bon  Franc-Comtois. 

Bibliographie.  —  Louis  de  Loménie,  M.  Nodier,  par  un  homme 
rien,  18'»2,  etc.  —  Gratet-Duplessis,  Notice  bibliogr.  des  ouvr. 
Ch.  Nodier,  1844,  etc.  —  Francis  Wey,  Vie  de  Ch.  Nodier, 
44. —  Sainte-Beuve,  Charles  Nodier,  Revue  des  Deux  Mondes, 
40,  II,  p.  377-409.  —  Ph.  Boyer,  Ch.  Nodier  poète.  Bulletin  du 
blioph.,  1862,  p.  834-839.  —  M™«  Ancelot,  Les  Salons  de  Paris, 
édit.,  Paris,  Tardieu,  1858.  —  J.  Janin,  Ch.  Nodier,  V.  Hugo 
A.  de  Vigny  chez  Lamartine  a  Saint-Point,  Bulletin  du  Bi- 
ioph.,  1866,  p.  361.  —  M™»  Menessier-Nodier,  Ch.  Nodier,  épi- 
des  et  souvenirs  de  sa  vie,  etc.,  1867.  — P.  Mérimée,  Portr.  histor. 
littér.,  etc.,  1874.  —  J.  Levallois,  Nodier  d'après  sa  corresp. 
édite,  etc.,  Correspondant,  1879,  CXIV,  p.  32C.  —  Montégut, 
i.  Nodier,  les  Années  de  jeunesse,  Revue  dos  Deux  Mondes, 
82,  LI.  —  Ed.  Grenier,  Souvenirs  littér.,  etc.,  1894.  —  G.  Gazier, 
•i  ms.  autobiogr.  inéd.  de  Ch.  Nodier,  Besançon,  Dodivers,  1905. 
Michel  Salomon,  Charles  Nodier,  Paris,  Perrin,  1907  ;  etc. 


LE    RETOUR   AU    VILLAGE 

Je  vais  revoir  mon  village, 
Les  lieux  que  j'ai  tant  chéris, 
Et  la  montagne  sauvage, 
Et  les  églantiers  fleuris  : 

Douce  trêve 

Qu'un  long  rêve 


136  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Qui  s'achève 
Laisse  encore  à  mes  esprits. 

Je  verrai  la  croix  qui  penclie 
Au  front  des  rochers  alpins, 
Et  les  tapis  de  pervenche, 
Et  les  huiliers  d'aubépins, 
Et  la  mousse 
Qui  repousse, 
Molle  et  douce, 
A  Tabri  des  noirs  sapins. 

Je  reverrai  la  bruyère 
Qui  s'incline  en  gémissant, 
Je  reverrai  la  clairière 
Où  le  ruisseau  va  glissant, 

Et  son  onde 

Vagabonde, 

Qui  féconde 
Le  pacage  verdissant. 

Voici  la  vieille  ramée 
Où,  dans  ses  riches  habits, 
La  luciole  enflammée 
Tombe  en  nuages  subits, 

Quand  son  aile 

La  décèle 

Et  recèle 
Les  feux  de  mille  rubis. 

Mais  je  ne  verrai  plus  Lise, 
Après  un  joyeux  banquet, 
Essayer  devant  l'église 
Le  jeu  de  son  œil  coquet. 

Et  surprise, 

Par  méprise, 

A  la  brise 
Abandonner  son  bouquet. 

Mais  je  ne  verrai  j>lus  Flore, 
Qui  chantait  tous  les  matins; 
Mais  je  ne  verrai  phis  Laure, 
Boudeuse  aux  regards  mutins 
Clémentine, 


FRANCHE-COMTÉ  137 

Augustine, 

Et  Justine, 

Joli  trio  de  lutins. 

Le  soleil,  toujours  le  même, 
Parcourt  les  chemins  tracés; 
Et  de  son  beau  diadème 
Nuls  traits  ne  sont  effacés. 

Ce  qui  passe 

Et  s'efface, 

C'est  la  trace 
Des  plaisirs  qui  sont  passés. 

{Poésies,  1829.) 


AIME   DE   LOY 

(1798-1834) 


Jean-Baptiste  Desloye,  ou,  pour  laisser  à  son  nom  la  tournuri 
aristocratique  qu'il  s'avisa  plus  tard  de  lui  donner,  Aimé  d 
Loy,  naquit  à  Plancher-Bas  (Haute-Saône)  le  3  ventôse  an  V 
(21  février  1798).  Il  fit  «es  études  successivement  en  Alsace, 
Besançon  et  à  Dijon,  commença  son  droit  à  Strasbourg  et  1< 
finit  à  Toulouse.  Nous  ne  savons  s'il  dut  au  désordre  de  soi 
éducation  l'incertitude  de  son  destin,  mais  il  est  hors  do  douti 
que  sa  vie  fut  l'aventure  la  plus  inattendue,  la  plus  déroutante 
la  plus  contradictoire  qu'il  soit  possible  d'imaginer  en  un  temp 
où  le  romantisme  n'excluait  point  l'extravagance.  Taudis  qu'i 
envoyait  des  vers  à  l'Almanach  des  Muses,  il  prenait  la  directio 
d'une  papeterie  dans  la  Haute-Saône.  Il  se  mariait,  et,  loin  d 
fonder  un  foyer,  il  délaissait  les  siens,  abandonnait  son  indus 
trie  et  s'expatriait.  La  fortune,  néanmoins,  lui  souriant,  il  for 
dait  un  journal  au  Brésil,  prenait  une  réelle  inlluencc  dans  c( 
Etat,  devenait  le  favori  de  l'empereur  Pedro,  et,  à  peine  < 
possession  d'une  charge  à  la  cour,  rentrait  précipitamment  c 
Europe. 

Nomade,  aventureux,  inquiet,  il  passa  tour  à  tour  à  Paris,  i 
Angleterre,  en  Belgique,  à  Genève,  en  Portugal,  dans  I« 
Pays-Bas,  séjourna  dans  diverses  provinces,  occupa  à  Lyon  1» 
fonctions  do  secrétaire  d'une  Académie,  dirigea  successiv» 
ment  le  Mercure  Scgusicn,  à  Saint-Etienne,  le  Mémorial  de  < 
Scarpc,  à  Douai,  écrivit  à  la  Gazette  de  Franche-Comté,  et.  apr' 
cent  tours  et  mille  aventures,  vint  terminer  non  loin  de  sa  pr« 
vince,  le  26  mai  I83'i,  une  existence  si  agitée.  Ce  fut  son  prt 
mier  instant  de  repos.  Bien  doué,  mais  incapable  do  so  fixer  • 
de  poursuivre  un  but  unique,  Aimé  do  Loy  compromit  do  rée 
dons,  gAcha  cent  existences  et  ne  laissa,  pour  marquer  sa  pla 
ici-bas,  que  la  matif-re  de  deux  recueils  de  poèmes  aujourd'h 
bien  oubliés  :  Préludes  poétiques  (Lyon,  chez  tous  les  libraire 
1827,  in- 12)  ot  Feuillet  au  vent  (Lyon  et  Paris,  1840,  in-8°).  E) 
core  faut-il  observer  que  le  premier  do  ces  volumes  dut  le  je 
à  des  circonstances  presque  indépendantes  de  sa  volonté, 
que  le  second  fut  formé  dus  pages  que  ses  amis  recueillire 


FRANCHE-COMTÉ  139 

j)rès  sa  mort.  On  l'a  dépeint  exactement  vers  ses  derniers 
xirs.  «  C'était,  dit  un  do  ceux  qui  l'ont  connu  à  cette  époque, 
uo  excitation  de  tùte  et  une  agitation  de  corps  extraordinaires, 
n  besoin  de  mouvement  insatiable  :  il  marchait  dans  les  rues 
lin  pas  hâtif,  tète  baissée,  ne  regardant  personne  ;  on  le  sur- 
irenait,  la  nuit,  errant  dans  les  bois;  le  jour,  sa  promenade 
avorite  était  au  cimetière.  Aussi  nul  ne  fut-il  étonné  lorsqu'on 
pprità  Saint-Etienne  qu'une  lièvre  cérébrale  mettait  sesjours 
n  danger...  » 

Admirateur  d'André  Chénier,  élève  de  Lamartine,  Aimé  de 
Loy  ne  rappelle  ni  la  grâce  du  premier  ni  la  puissance  évoca- 
toire du  second;  mais  il  a  montré  une  maîtrise  précoce  du  vers, 
un  réel  sentiment  de  l'harmonie,  qui  le  distinguent  des  riraeurs 
de  son  temps.  Bien  qu'un  peu  sèches,  les  strophes  de  ses  Pré- 
ludes, pages  écrites  entre  la  vingtième  et  la  vingl-cinquième 
année,  nous  font  regretter  que  ce  poète  n'ait  pas  donné  de  meil- 
leurs instants  à  un  art  pour  lequel  il  semblait  destiné. 

Bibliographie.  —  Antoine  Bereur,  Un  Poète  oublié,  Aime  de 
Loy,  Besançon,  typogr.  Jacqnin,  1905,  in-8". 


LES    FRANCS-COMTOIS 

A  mon  illustre  compatriote 
Charles  Nodier. 

Vois-tu  ces  monts  altiers  où  couve  la  tempête.' 
C'est  là  qu'est  le  séjour  de  l'aigle  et  du  poète. 
Homme  libre,  ces  rocs  t'offrent  leur  boulevard; 
C'est  parmi  leurs  sommets  que,  versant  sur  le  monde 

Sa  lumière  féconde, 
La  liberté  s'assied  comme  sur  un  rempart. 
Rendez-moi  ce  nid  d'aigle,  où,  belle  d'espérance, 
Dans  un  air  vif  et  pur  s'éleva  mon  enfance! 
Menez-moi  sur  ces  monts,  d'où,  mesurant  les  cieux, 
Le  poète  inspiré,  fils  de  la  Séquanic, 

Sur  l'aile  du  génie, 
Comme  le  roi  des  airs,  s'envole  aux  pieds  des  dieux! 

O  Comté,  mon  pays  !  ô  terre  de  franchise  ! 
De  quels  noms  éclatants  ton  nom  s'immortalise! 
Ton  Jouffroy  de  Platon  ranime  le  flambeau; 
Doux  pays!  sous  ton  ciel  du  poète  de  Dôle 


140  LES    POÈTES    DU    TERllOIll 

Rayonne  l'auréole, 
Et  d'un  autre  Domat  n'es-tu  pas  le  berceau? 

Comté,  c'est  dans  ton  sein  qu'est  né  V enfant  sublime 
Qui  prit,  si  tendre  encor,  son  élan  vers  Soliine; 
Tercy  de  tes  bosquets  charma  l'asile  vert, 
Delort  fait  dans  ses  chants  passer  du  luth  d'Horace 

La  mollesse  et  la  grâce. 
Et  d'un  double  laurier  son  front  noble  est  couvert. 

Ah!  quand  l'astre  divin  fut  voilé  d'un  nuage, 
N'est-ce  pas  ton  Nodier  qui,  né  pour  un  autre  Age, 
Debout  sur  le  Jura,  loin  des  chemins  frayés; 
Jetait  ce  cri  sublime  et  de  forte  mémoire, 

Que  l'écho  de  l'histoire 
Portera  d'âge  en  âge  aux  tyrans  effrayés? 

Vous  qui  dans  un  temps  libre  osez  parler  d'entraves. 
Que  faisiez-vous  alors?  Répondez,  vils  esclaves! 
Vous  baisiez,  à  genoux,  les  carreaux  de  César. 
Républicains  d'un  jour,  en  flattant  son  ivresse, 

Votre  avide  bassesse 
Pour  nous  fouler  aux  pieds  se  traînait  à  son  char. 

Mais  lui,  digne  toujours  de  sa  libre  origine, 
Refusait  de  passer  sous  la  Fourche-Caudine! 
Conservant  de  nos  monts  la  robuste  fierté; 
Quand  la  foudre  éclatait  sur  l'Europe  tremblante. 

Sa  lyre  indépendante 
Des  afTronts  de  Sylla  vengeait  la  liberté! 

De  l'Elide  aujourd'hui  nous  ouvrant  la  barrière, 
11  est  des  Séquaiiais  la  vivante  bannière; 
Compagnons,  sous  ses  yeux  illustrez  vos  travaux! 
Courage!...  et  pour  ravir  la  palme  triomphale, 

Sur  la  borne  fatale 
Ecrasez,  en  passant,  les  chars  de  vos  rivaux! 

{Préludes  poétiques,  1827.) 


MAX   BUCHON 

(1818-1869) 


Maximin  ou  Max  Biichon  naquit  à  Salins  (Jura)  le  8  mai  1818'. 
Privé  de  bonne  heure  de  sa  mère,  il  fut  élevé  rudement  par  son 
père,  ancien  officier  de  l'Empire.  Il  fit  ses  études  d'abord  au 
petit  séminaire  d'Ornans,  puis  chez  les  Jésuites  de  Fribourg 
(Suisse),  où  il  eut  pour  condisciple  et  ami  son  compatriote  Gus- 
tave Courbet,  le  futur  peintre.  Héritier  d'une  honnête  fortune, 
ses  classes  terminées,  il  voyagea,  tantôt  parcourant  vallées  et 
montagnes,  tantôt  assistant  aux  cours  des  Universités.  En  1839, 
de  retour  en  Franche-Comté,  il  publia,  à  Besançon,  un  petit 
recueil  de  poèmes  intitulé  Essais  poétiques,  que  Courbet  illus- 
tra de  quatre  lithographies-.  Ce  fut  un  assez  médiocre  début. 
Cinq  ans  plus  tard,  en  184  4,  il  donna  à  Arbois  un  second  volume 
de  vers,  où  il  se  révéla  cette  fois  comme  un  bon  chantre  du 
terroir.  Epris  non  seulement  de  lyrisme,  mais  impatient  de 
jouer  un  rôle  dans  la  mêlée  sociale,  il  collabora  la  même  année 
aux  feuilles  libérales  du  Jura.  Gagné  aux  idées  nouvelles,  de 
libéral  qn'il  était  vers  1846,  il  se  lit  républicain.  En  1848,  il 
rédigea  le  Démocrate  salinois,  puis  écrivit  au  Peuple  de  Prou- 
dhon.  Poursuivi,  au  lendemain  du  coup  d'Etat,  par  la  police  et 
la  servile  magistrature  de  l'Empire,  il  fut  condamné, pour  délit 
de  presse,  à  trois  mois  de  prison.  Afin  d'éviter  les  rigueurs  dtt 
la  geôle,  il  s'enfuit  en  Suisse  et  se  réfugia  à  Berne  dans  une 
petite  maison  de  campagne,  au  milieu  des  bois.  Trop  fier  pour 
faire  sa  soumission,  il  attendit  des  jours  meilleurs  et,  plein  de 
foi  en  l'avenir,  se  livra  plus  que  jamais  aux  douceurs  des  lettres. 
Les  années  d'exil  exercèrent  une  grande  influence  sur  sa  des- 
tinée d'écrivain.  Quand  il  rentra  en  France,  en  1856,  il  comptait 
déjà  un  bagage  respectable.  Il  avait  successivement  donné  au 
public  une  traduction  de  quelques  poésies  de  Hebel,  puis  des 
pièces  de  Kœrner,  de  Uhland  et  de  Heine,  un  texte  français  des 
Scènes  villageoises  d'Auerbach  et  des  récits  bernois  de  Gothelf. 

En  1854,  la  Revue  des  Deux  Mondes  avait,  grâce  à  Champ- 


1.  Jules  Ti'oubat  donne  cette  autre  date  :  lo  avril  1818. 
1.  Voy.  Les  Gaudes,  1"  sept,  1900. 


142  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

fleury,  accueilli  deux  de  ses  nouvelles  composées  à  Berne  :  Le 
Matachin  et  Le  Gouffre  gourmand,  productions  d'une  vérité  sai- 
sissante qui  devaient,  par  la  suite,  faire  la  matière  d'un  volume 
publié  en  1858  chez  l'éditeur  Michel  Lévy.  Lié  avec  tous  les 
artistes  de  son  temps  et  surtout  avec  les  précurseurs  du  a  réa- 
lisme littéraire  »,  Max  Buchon  ne  quitta  plus  sa  province,  et 
c'est  au  lieu  même  où  il  vif.  le  jour,  et  qu'il  ne  cessa  de  glorifier, 
qu'il  fut  enlevé,  le  17  décembre  1869,  dans  toute  la  force  de 
l'âge,  à  ses  plus  chères  affections.  Encouragé  par  ses  amis  et 
surtout  par  Champfleury,  qui  le  tenait  en  profonde  estime,  Max 
Buchon  avait  donné  successivement  une  troisième  nouvelle  : 
Le  Fils  de  l'ex-maire  (1857),  des  Poésies  franc-comtoises  (Paris. 
M.  Lévy,  1862);  Salins-les-Bains  et  ses  Eaux  (1862);  Noëls  et 
Chants  popul.  de  la  Franche-Comte  (1863);  de  Nouvelles  Poésies 
comtoises  (18G8),  diverses  lettres  et  brochures  de  circonstance 
relatives  à  des  questions  locales  ou  politiques.  Entre  temps, 
il  avait  collaboré  à  la  Revue  littéraire  de  Franche-Comté  et  au 
Jura,  journal  dirigé  par  Jules  Grévy.  Il  laissait,  en  outre,  une 
traduction  des  Contes  populaires  des  frères  Grimm  (1869). 

Depuis  1848,  il  était  connu  du  grand  public  et  apprécié  de 
ses  plus  illustres  confrères.  George  Sand  on  1857,  Sainte-Beuve 
en  1862,  Victor  Hugo  on  1863,  plus  tard  Mouselet  et  Banville, 
saluèrent  de  quelques  lignes  flatteuses  le  sincère  écrivain  com- 
tois. Le  meilleur  de  ses  œuvres  a  été  réuni  en  1878  (Paris,  San- 
doz  et  rischbacher)  et  forme  trois  volumes  où  se  trouvent,  avec 
ses  poésies  et  ses  traductions,  quelques-unes  de  ses  nouvelle? 
et  les  Chants  populaires  de  la  Franche-Comté. 

Ce  n'est  point  en  vain  qu'on  a  écrit  que  Max  Buchon  s'esl 
appliqué  à  imprimer  à  ses  poèmes  le  caractère  franc-comtois. 
Il  n'a  pas  seulement  décrit  les  plus  beaux  paysages  de  sa  pro- 
vince, il  s'est  fait  l'interprète  des  vieux  usages  et  a  restitua 
jusqu'aux  anciennes  chansons  du  terroir... 

Champfleury  a  donné  de  lui  ce  portrait  vigoureux  :  «  Filf 
d'un  ancien  militaire,  Max  Buchon  en  avait  gardé  l'emprointi 
héréditaire;  une  sorte  d'estafilade  qui,  sillonnant  l'une  de  ses 
joues,  semblait  une  ancienne  cicatrice  de  coup  de  sabre,  et  la 
physionomie  résolue  do  l'homme  faisait  penser  à  quelque  capi- 
taine d'infanterie  retiré  dans  ses  foyer:*  avant  l'âge.  Mais  cett( 
impression  no  venait  que  d'un  premier  aspect.  Ses  yeux,  qu 
étaient  bons,  purs,  bien  r<;gardants  et,  malgré  tout,  songeurs 
conservaient  trace  des  mélancolies  d'un  enfant  dont  la  jeunesse 
a  été  douloureusement  comprimée...  » 

BiriLiooHAiMME.  —  Ch.  Baille,  Max  Huchnn,  Le  Doubs,  18  déc 
1869.  —  Champfleury,  Préface  aux  Œuvres  de  Buchon,  cdil.  d« 
1878,  t.  !•'•.  —  A.  Mandrillon,  Causeries  franc-comtoises,  Besan- 
çon, Ch.  Marion,  Morel  et  C'«,  1882,  in-8».  —  Jules  Troubat 


rRANCHE-COMTÉ  1^l3 

Une  Amitié  à  la  d'Arthcz  :  Champ  fleur  y,  Courbet,  Max  Biichon, 
Paris,  Duc,  1900,  in-18.  —  Voir  aussi  daas  le  journal  Les  Gau- 
des  :  Un  Poète  franc-comtois,  Max  Bnchon,  l"-  sept.  1906. 


LE    COCHON 

Tiens,  mange,  gros  goulu;  tiens,  mange,  insatiable; 
Peut-être  oublieras-tu  do  crier  comme  un  diable, 
Quand  ta  gueule  sera  garnie,  et,  Dieu  merci! 
Dans  un  mois  nous  pourrons,  nous,  te  manger  aussi. 

Car  n'imagine  point  que  ce  soit  pour  ta  laine 
Qu'ainsi  trois  fois  le  jour  on  te  sert  auge  pleine, 
Et  que  longtemps  gratis  tu  feras  ce  métier 
De  fainéant,  de  coq  en  pâte,  de  rentier. 

Tu  ne  sais  pas,  vraiment,  quelle  épargne  première 
Il  me  fallut,  à  moi,  pauvre  maigre  fermière, 
Pour  aller  te  payer,  en  beaux  écus  glissants. 
Tout  petit,  sur  la  foire,  aux  maquignons  bressans. 

Vous  étiez  là  des  tas,  parqués  dans  quelques  planches; 
Dès  l'abord  je  pris  goût  pour  tes  épaules  blanches 
Et  pour  ton  ventre  creux,  par  où,  quoique  petit, 
Je  vis  que  tu  serais  d'assez  bon  appétit. 

Sans  faire  attention  à  tes  cris  de  détresse, 

Je  te  mis  à  la  patte  un  fort  lien  de  tresse  , 

Et  marche...  Te  voilà,  des  pieds  et  des  genoux, 

Gomme  un  vrai  chien  d'aveugle,  en  route  pour  chez  nou; 

Ici,  chacun  pour  toi  d'éloges  fut  prodigue  ; 
Mes  deux  derniers  marmots,  en  voyant  ta  fatigue. 
S'émurent  même,  au  point  qu'ils  voulaient  bravement 
Faire  écuelle  commune  avec  toi  constamment. 

Le  fait  est  qu'il  n'est  pas  rare  qu'on  les  surprenne, 
Les  deux,  sur  ta  pâtée,  à  lever  leur  étrenne  ; 
Ce  qui,  bien  calculé,  n'empêche  pourtant  point 
Que  vous  n'ayiez  tous  trois  bien  assez  d'embonpoint. 

Après  tout,  plus  d'un  pauvre  envierait  ta  pitance. 
Ici,  chacun  te  traite  en  oiseau  d'importance; 


144  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

A  midi,  c'est  toujours  toi  qu'on  sert  le  premier; 
De  la  ferme  on  pourrait  te  croire  le  fermier. 

Pour  dormir  n'as-tu  pas  des  flots  de  paille  tondre 
Où  tu  peux  à  plaisir  béatement  t'étendre, 
Tandis  qu'avec  nos  bœufs,  nos  gens  et  nos  chevaux, 
Nous  suons  tout  l'été,  nous,  par  monts  et  par  vaux? 

Et  quand  on  rafraîchit  tes  draps  de  la  huitaine, 
Tous  les  samedis  soirs,  Dieu  sait,  vers  la  fontaine, 
Si  j'use  sur  ton  dos  des  torchons  dans  ma  main, 
Pour  que  tu  sois  aussi  tout  beau  le  lendemain! 

Sur  ton  derrière,  alors,  si  peu  que  tu  t'assoies, 
L'eau  d'une  perle  ornant  chacune  de  tes  soies, 
Ne  trônes-tu  pas,  dis,  en  de  pareils  moments. 
Gomme  un  roi  tout  couvert  d'or  et  de  diamants? 

Mais  à  force  de  g-lands,  d'avoine  et  de  laitage. 
Te  voilà  gras  à  fendre  l'ongle;  un  triple  étage 
De  plis  cercle  déjà  chacun  de  tes  jambons, 
Et  prouve  qu'à  saler  ils  seraient  déjà  bons. 

Vienne  la  Chandeleur,  ou  bien  la  mi-carême, 
Et  pour  notre  boudin  j'apprêterai  ma  crème; 
Et  nous  te  coucherons  sur  le  fatal  cuveau, 
Où  nos  gens  par  les  pieds  te  tiendront  comme  un  veau 
C'est  moi  qui  recevrai,  dans  une  seille  blanche, 
Ton  sang,  après  avoir  bien  retroussé  ma  manche, 
Et  plus  sous  le  couteau  ta  gueule  hurlera, 
Et  meilleur,  c'est  connu,  noire  boudin  sera. 
Le  boudin!  Ah!  c'est  là  que  mon  adresse  brille, 
Pour  gonfler  ce  boyau,  qui  fond  quand  on  h'  grille, 
Et  mettre  juste  à  point,  dedans,  tout  ce  ([u'il  faut, 
Pour  que  les  plus  gourmands  le  trouvent  sans  défaut' 

Sitôt  qu'auront  fini  tes  hurlements  féroces, 
Afin  d'avoir  du  poil  pour  en  faire  des  brosses. 
Dans  de  l'eau  bien  bouillante,  on  te  mettra  tout  ro 
Et,  quand  tu  seras  cuit,  nos  gens  t'épileront. 

Puis,  pour  mieux  le  i>rouver  combien  on  t'apprécie, 
Nos  enfants  so  battront  pour  avoir  ta  vessie, 
Sauf  à  la  mériter,  dès  (pi'cm  le  leur  dira, 
En  t'embrassanl,  ma  foi!.,,  partout  où  l'on  voudrai 


FRANCHE-COMTÉ  l'l5 

J'ai,  depuis  l'an  dernier,  un  reste  de  potasse 
Et  du  fenouil  aussi  dans  une  vieille  tasse, 
Du  santal,  des  liauts-goùts,  tout  ce  qu'il  faut  enfin 
Pour  obtenir  un  lard  du  fumet  le  plus  fin. 
Sans  compter  l'odorant  genévrier  sauvage, 
3ontnos  gens  auront  fait  depuis  longtemps  ravage, 
sûrs  et  certains  (|ue  rien  ne  peut  équivaloir 
Pour  fumer  la  dépouille  au  sortir  du  saloir. 
Un  grand  morceau  de  lard,  bien  ferme  et  bien  rougeâtre, 
Jandouilles  encadré,  comme  un  saint  près  de  l'àtre, 
il  n'est  pas  de  tableaux,  d'or  fin  tout  reluisants, 
Qui  nous  allèchent  plus,  nous  autres  paysans. 
Du  lard  avec  des  choux  bien  cuits  à  l'étouffée, 
1^'est  le  plat  dont  je  suis,  pour  moi,  le  plus  coiffée, 
Sans  compter  les  parents,  les  amis  qui  viendront 
Vu  gala  du  boudin,  et  qui  nous  le  rendront. 
Vlais  je  dis  là,  vraiment,  des  choses,  des  folies. 
I  Hourons  laver  un  peu  mes  mains  toutes  salies, 
I  3t  mettre  le  couvert,  car  voici  nos  garçons 
:  iui  de  leur  soupe  ont  plus  besoin  que  de  chansons. 

[Poésies  franc-comtoises,  Paris,  Michel  Lévy,1862.) 

P  O  U  P  E  T 

]omme  ils  sont  beaux  à  voir,  groupés  à  l'aventure, 

^es  effets  contrastés  de  splendide  nature, 

iue  déroule  partout,  au  regard  enchanté,  i 

^omme  un  royal  écrin,  notre  Franche-Comté! 

*ays  des  grands  rochers,  pays  des  grandes  plaines 

ît  des  sources  coulant  d'emblée  à  rives  pleines; 

*ays  des  vrais  savants,  des  nobles  songe-creux, 

)es  robustes  soldats  et  des  vins  généreux. 

k.  nous  tous  ces  vallons,  brillants  palais  de  fées, 

)ù  le  vent  libre  et  frais  souffle  à  grandes  bouffées 

L  nous  tous  ces  coteaux  tendus  de  verts  tapis, 

loelleux  velours  formé  de  pampres  accroupis... 

k.  nous  tous  ces  torrents  dont  d'abord  on  s'effraie, 

'uis,  qui  vont  s'endormir  derrière  une  oseraie; 


146  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

A  nous  ces  yieux  sapins,  famille  de  géants, 

Pleins  d'herbes,  de  murmure  et  d'oiseaux  fainéants. 

Et  les  Alpes,  toujours,  comme  des  nonnes  blanches. 
Drapant  au  loin,  là-bas,  leur  manteau  d'avalanches! 
Et  les  chalets  au  bord  des  glaciers  suspendus, 
Et  les  sentiers  étroits  dans  les  neiges  perdus. 

Et  le  pâtre  qui  vient,  sans  qu'on  la  lui  demande, 
Egrainer  à  vos  pieds  sa  roulade  allemande, 
Les  Alpes!  Et,  plus  près,  dans  les  cieux  bleuissants, 
Le  Jura  bigarré  de  troupeaux  mugissants. 

Et  notre  vieux  Poupet,  tel  qu'un  pâtre  de  Brie, 
Sur  son  coude  appuyé  près  de  sa  bergerie, 
Recomptant,  aussitôt  qu'un  peu  de  jour  a  lui. 
Son  Salins  qui,  là-bas,  s'allonge  devant  lui, 

A  travers  vignes,  champs,  ravines  convulsées. 
Que  l'on  prendrait,  en  mer,  pour  des  vagues  glacées 
Par  l'hiver,  sous  le  coup  d'horribles  ouragans; 
Chaos  d'où  nos  deux  forts  surgissent  arrogants... 

Poupet  qui,  par-dessus  les  collines,  renvoie 
Ses  salutations  au  Mont-Blanc  de  Savoie, 
Sans  trop  s'inquiéter  de  monticules  nains, 
Car  il  est  aussi,  lui,  frère  des  Apennins, 

Poupet,  oui,  c'est  à  lui  qu'au  loin  tout  se  rallie... 
Tenez,  voilà  Cicon,  Haute-Pierre  et  la  Flie, 
Puis  Mont-Mahoux  couvant  du  regard  Fons-Lizon. 
Les  Vosges  sont  là-bas,  derrière  l'horizon. 

Là-bas  c'est  la  Bourgogne  et  le  clocher  de  Dôle. 
Là-bas  c'est  Nozcroy,  le  Mont-Doreet  la  Dole; 
Le  Larmont,  le  Suchel,  le  Rizoux;  tous  grands  monl 
Qui  se  passent  entre  eux,  pendant  que  nous  dormonï 

Leur  qui  vive  sacré,  comme  des  sentinelles, 
lilt  dressent  au  matin  leurs  cimes  éternelles 
En  échangeant  sous  cape  un  clin  d'œil  souriant. 
Sitôt  qu'une  lueur  pointillé  à  l'Orient. 

{(JfJaures  complètes,  1878.) 


EDOUARD   GRENIER 

(1819-1901) 


Edouard  Grenier  naquit  le  20  juin  1819  et  mourut  le  5  décem- 
0  1901,  à  Baume-les-Dames,  dans  une  vieille  maison  où  il  a 
ccédé  à  trois  générations  des  siens.  Sa  vie  fut  accidentée  ainsi 
iB  celle  de  ses  compatriotes  qui  apprécièrent  l'indépendance  et 
rent  le  culte  des  arts.  Apparenté  par  sa  mère  aux  meilleures 
nilles  de  Besançon,  il  abandonna  ses  études  de  droit  pour 
trer  dans  la  carrière  diplomatique.  Nommé  secrétaire  d'am- 
ssade  à  Berne,  après  la  révolution  de  Février,  il  se  démit  de 
5  fonctions  lors  du  coup  d'Etat,  ne  voulant  pas  servir  un  ré- 
316  méprisé.  A-t-on  remarqué  déjà  que  la  plupart  des  poètes 
nc-comtois  se  refuseront  à  accepter  l'Empire?  Comme 
)dier,  et  plus  tard  Max  Buchon,  Edouard  Grenier  connut  les 
fueurs  de  l'exil.  Il  voyagea,  visita  tour  à  tour  l'Allemagne, 
vUtriche,  la  Turquie  et  la  Boumanie.  C'est  pendant  son  séjour 
'étranger  qu'il  prit  le  goût  des  lettres.  Nostalgique,  pressé 
revoir  les  lieux  où  s'était  écoulée  son  enfance,  il  revint  en 
ance.  Les  épreuves  de  1870,  la  mort  de  sa  mère  et  celle  de 
n  frère,  le  peintre  Jules  Grenier,  ne  lui  laissèrent  pas  de  répit 
changèrent  en  amertume  les  joies  du  retour.  Les  ans  le  trou- 
rent  résigné.  Résidantl'hiveràParis,  l'été  à  Baume-les-Dames, 
ns  sa  vieille  demeure  hospitalière  quil  a  décrite  amoureuse- 
ent,  M  le  doux  vieillard  partagea  la  (in  de  son  existence,  si 
uellement  éprouvée,  entre  les  devoirs  de  l'amitié,  le  culte 
sté  vivant  en  lui  de  la  belle  poésie  et  la  pratique  d'une  lucide 
enfaisance  ». 

Il  donna  successivement  des  poèmes  où  perce  son  goût  du  ter- 
ir:  Primavcra  (Paris,  1843,  in-18);  ïambes  (Paris,  1852,  in-18); 
:  Mort  du  Juif  errant  (Paris,  Hachette,  185",  in-12);  Petits  Poè- 
3S(Paris,  Charpentier,  1859,  in-18);  Poèmes  dramatiques  (Paris, 
.  Lévy,  1861,  in-18);  La  Mort  du  président  Lincoln,  Paris,  1867, 
-\%);Amicis  (Paris,  Lemerre,  1868,  in-18);  Sèméia  (ibid.,  1870, 
-18);  Marcel  (Paris,  Sandoz  et  Fischbacher,  1874,  in-18);  Hel- 
tia,  etc.  (ibid.,  1877,  in-18);  Jacqueline  Bonhomme  (Paris^ 
achette,  1878,  in-18);  Francine  (Paris,  Lemerre,  1884,  in-18); 
ayons  d'hiver  (Besançon,  P.  Jacquin,  1886,  in-18);  Penseroso 


148  LES  POÈTES  DU  TERROIK 

(ibid.,  1886,  in-18);  Poèmes  épars  (ibid.,  1889,  in-18),  etc.;  ] 
un  volume  de  Théâtre  inédit  (Paris,  Leinerre,  1889,ia-18)  et 
Souvenirs  littéraires  (ibid.,  1894,  io-lS). 

Ses  Poésies  complètes,  publiées  d'abord  par  l'éditeur  Charp 
lier  en  1882  et  en  1891,  ont  été  réimprimées  définitivement 
AI.  Alphonse  Lemerre  de  1895  à  1902  (Voy.  Œuvres  d'Edou 
Grenier,  3  vol.  in-l2).  Là  se  trouvent  de  nobles  pages  rap 
lant,  selon  Jules  Lemaître,  les  pures  beautés  d'André  Chén 
et  aussi  de  Lamartine,  dont  il  fut  dans  sa  jeunesse  l'admirai 
et  l'ami.  Le  doux  souvenir  du  pays  franc-comtois  s'y  affii 
vigoureusement;  dans  l'une  de  ses  meilleures  producti( 
Marcel,  le  poète  place  une  fraîche  et  gracieuse  idylle  aux  bo 
du  Doubs;  ailleurs  il  dit  en  termes  élégants,  faciles  et  tendi 
son  impérissable  amour  pour  sa  chère  province...  Au  lenden: 
de  sa  mort,  on  a  tracé  ce  portrait  vivant  d'Edouard  Greni. 
«  Personne  ne  sut  moins  s'aider  que  lui;  personne  no  fut  me 
courtisan  et  moins  intrigant.  Il  avait  l'àmo  singulièrement  fn 
L'habitude  de  vivre  sur  les  sommets  de  la  pensée  l'éloigi 
des  petitesses  et  des  combinaisons  vulgaires.  Il  aurait  eu  h 
reur  de  la  réclame,  de  tout  ce  qui  ressemble  à  la  manière  a 
ricaiue  de  faire  fortune...  » 

Bibliographie.  — Jules  Lemaître,  Les  Contemporains,  I, 
ris,  Lecèneet  Oudin,  1885,  in-18.  —  Gaston  Deschamps,  La 
et  les  Livres,  V,  Paris,  Colin,  1900,  in-18.  —  Charles  «aille 
Poète  E.  Grenier,  Paris,  lypogr.  Pion,  1902,  in-8». 


LES    GAUDES» 

Les  Gaudes!  à  ce  mot  tout  le  passé  se  lève; 
L'essaim  des  souvenirs  m'emporte  comme  un  rêve; 
Je  retrouve  mes  jours  d'enfance  et  mon  pays 
Avec  ses  bois  de  chêne  et  ses  champs  de  maïs. 
J'ai  sept  ans;  je  revois  la  maison  paternelle. 
Et  ma  mère,  et  les  jours  écoulés  sous  son  aile, 
Ces  jours  de  liberté,  d'amour,  sitôt  taris, 
Avant  les  ans  d'étude  et  de  g'eôle  à  Paris. 

1.  «  Plusieurs  des  cantons  sal)lonn(>ux  de  la  vall/-c  de  la  Saôn* 
du  Doubs,  a  ^'cril  M.  (Jh.  Grimaud,  connaissent  les  l>caui  cliai 
de  maïs  qui  en  sont  une  des  riclics-ses.  On  y  apprécie  W^yaudes 
savoureuse  bouillie  <le  farine  de  maïs,  dont  la  rusuri',  la  croûte  jai 
cl  brune  collée  au  fond  des  marniiles.  faisait  à  la  fois  les  (k'Iiccs 
petits  paysans  du  Doubs,  du  Jura,  de  Saônc-el-Loirc  et  de  1'/ 
C'est  ce  souvenir  qu'a  retracé  le  poète  avec  un  charme  si  allcndr 


1 


FRANCHE-COMTÉ  149 

revois  tous  les  coins  de  la  vieille  demeure; 

jardin  où  j'allais  marauder  à  toute  heure, 
le  blé  de  Turquie,  aux  pieds  souvent  pillés, 

jEFrait  des  rôts  laiteux  «[ue  je  mangeais  grillés; 

surtout  la  cuisine  antique  avec  son  àtre, 
le  grillon  chantait  dans  la  cendre  grisâtre; 

haut  bahut  rempli  de  linge  jus([u'au  fond  ; 

s  épis  de  maïs  suspendus  au  plafond, 

l'on  égrenait  le  soir  en  les  frottant  ensemble 

ur livrer  les  grains  mûrs  à  la  meule  qui  tremble  ; 
1  .  vaste  cheminée  en  manteau  surplombant 

la  table  de  chêne  avec  son  double  banc, 

i  toute  la  famille,  au  grand  complet  encore, 
!  iîment  et  sans  façon  s'asseyait  dès  l'aurore 

)ur  prendre  le  premier  déjeuner  du  matin. 

i!  comme  je  revois  ce  rustique  festin! 

aïeule  même,  au  front  orné  d'une  fontange, 

ms  sa  robe  de  chambre  au  grand  ramage  étrange, 
I  lissant  les  plus  petits  grimper  sur  ses  genoux, 

îscendait  pour  manger  sa  panade  avec  nous. 

IX  enfants  on  donnait  des  gaudes  ;  la  marmite 

X  gré  de  nos  désirs  n'allait  pas  assez  vite, 
îfin  l'instant  venait,  qu'on  attendait  debout, 
i  la  farine  d'or  du  maïs  chante  et  bout, 
lors  chacun  tendait  son  assiette  à  mesure; 

n  se  disputait  bien  le  fond  et  la  rasure, 
ais  chacun  contenait  son  envie  et  sa  faim, 
t  c'étaient  des  chansons  et  des  rires  sans  fin; 
ans  doute  au  cher  pays  on  mange  encor  des  gaudes; 
'été,  j'y  trouve  encor  des  amitiés  bien  chaudes; 
a  maison  est  toujours  debout,  mais  j'y  suis  seul, 
t,  quoique  sans  enfants,  c'est  moi  qui  suis  l'aïeul... 
-  0  maïs  aux  fruits  d'or,  à  la  tige  élancée, 
hamps  du  pays  natal  si  chers  à  ma  pensée, 
uand  pourrai-je  revoir  votre  ombrage  léger? 
ù,  dans  mon  exil,  où  fleurit  l'oranger, 

'hiver  n'est  qu'un  printemps  qu'un  air  plus  doux  embaume, 
lais  j'aime  mieux  encor  les  bords  du  Doubs  et  Baume 
!ue  l'azur  provençal,  la  mer  et  les  palmiers  : 
■ar  nos  vrais  et  nos  seuls  amours  sont  les  premiers. 

[Fleurs  de  Gii^re.) 


HENRI   BOUCHOT 

(18<9-1906) 


Henri  Bouchot  naquit  à  Beure  (Doubs)  en  1849.  Ancien  él 
de  l'Ecole  des  chartes,  conservateur  des  estampes  à  la  Bibl 
thèque  nationale  et  membre  de  l'Institut,  il  mourut  en  1906 

On  lui  doit  une  foule  d'ouvrages  d'érudition,  des  coii 
d'expression  populaire  et  des  poésies  comtoises  parmi  lesqi 
nous  citerons  :  Lettre  sur  l'hist,  du  l'erthois,  Vitrv-le-I'i'ançi 
imprim.  de  Pessez,  1880,  in-18:  Les  Caudes,  poésies  patoi; 
Besançon,  C.  Marion,  1883,  in-10;  Contes  franc-comtois,  D' 
Vernier-Arcelin,  1887,  in-18;  Hist.  anecd.  des  métiers  av.  11 
Paris,  Lecène  et  Oudin,  1887,  in-18:  Jean  Callot,  etc.,  Pa 
Hachette,  1889,  in-16;  La  hranche-Comtè,  Paris.  Plou.  1890,  in 
Le  Cabinet  des  Estampes,  Paris,  Dentu,  1895,  iu-18,  etc.,  oti 

Henri   Bouchot   organisa  en  1904  la  fameuse  exposition 
Primitifs  français. 

IJlBLiooRAiMiiE.  —  Le  Monument  H.  Bouchot  au  cimet 
Montparnasse  ;  Discours,  Les  Gaudes,  16    uin  1908. 


AUX    GENS    DE    BESANÇON 

Le  papier  se  laisse  écrire. 

Vous  croyez  que  c'est  là  une  vie,  —  Vous  croyez  ( 
nous  rigolons,  —  Que  nous  mangeons  des  ortoluns, 


AS    GENS    DK    BESANÇON 

0  rorlunalos  niniiuni  sun  si  bona  no 
Agricola!«  1 

Lou  païpie  se  lasse  écrire 


Vous  cràitcs  que  ç'ost  qui  ne  vie. 
Vous  craites  que  nous  rigoulans, 
Que  nous  migeans  das  outhoulans, 


I 


FRANCHE- COMTÉ  151 

i  nous  avons  la  table  servie,  —  Et  que  nous  faisons 
;  comme  a'ous —  Sautei'  comme  cela  la  carambole.  — 
s  avons  un  franc  moins  dix-neuf  sous...  —  C'est 
1  le  diable  qui  s'en  mêle  ! 

n  hiver  la  pluie  tombe  à  flots,  —  La  neige  entre  dans 
(  greniers,  —  Et  quelquefois,  la  nuit,  dans  nos  lits,  — 
!  vent  de  Pirey  nous  traverse;  —  Et  quand  nous  allons 
esançon  —  Vous  porter  du  lait  qui  gèle,  —  Nous  som- 
i  raides  comme  un  glaçon...  —  C'est  bien  le  diable 
s'en  mêle  ! 

-e  printemps  souffle  en  sifflant  sur  la  vigne  —  Et  fait 
isser  tous  les  boutons,  —  Les  feuilles  aux  quilleri- 
itons  (rosiers  sauvages).  —  Il  tonne  en  avril,  c'est 
1  signe,  —  Nous  aurons  du  pain  dans  le  pôtrin,  —  Nous 
irrons  boire  à  la  régalade...  —  Mais  voici  les  gelées 
mai  —  C'est  bien  le  diable  qui  s'en  mêle! 
)ès  les  premiers  jours,  les  chenilles,  —  Les  hannetons 
:c  leurs  vers  blancs,  — 


Que  nous  ans  lai  table  sarvie. 

Et  que  nous  fans  tout  coument  vous 

Sauta  dinlai  lai  cairambôle, 

Nous  ans  in  franc  moins  dix  ml  sous... 

(j'ost  bîn  lou  diâlo  que  s'en  môle! 

En  hivâ  lai  plleugc  renvache, 

Lai  noi'j:e  entre  dans  las  soûlés, 

Et  das  fois,  lai  neù  dans  nous  lés, 

Lou  vent  de  Pirey  nous  traivache  ; 

Et  quand  nous  vans  ai  Besançon 

Vous  pouthà  di  laissé  que  geôle, 

Nous  saus  roidhis  coume  in  glliaiçon.. 

Ç'ost  bîn  lou  dirde  que  s'en  môle  ! 

Lou  printemps  lUoiite  su  lai  vigne 

Et  fà  tresi  tous  las  boutons 

Lai  frdle  as  qnilleriboutons, 

Il  toune  en  aivri,  ç'ost  bon  signe, 

Nous  arans  di  pain  dans  lai  met, 

Nous  pourrans  boire  ai  lai  rigole... 

Main  voiqui  las  geolâs  de  mai, 

Ç'ost  bîn  lou  dirde  que  s'en  môle  ! 

Dcu  las  premés  jous  las  chenilles, 

Las  cancoîues  d'aivou  Ueus  cots, 


152  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Les  soucis,  puis  les  raboudots  (loirs),  —  Les  limaces,  1 
escargots  , —  Ont  bientôt  fait  de  nettoyer  —  Les  pois,  1 
choux,  et  les  haricots.  —  Allez-vous-en  voir  les  cueillir 

—  C'est  bien  le  diable  qui  s'en  mêle! 

II  n'est  pas  tombé  la  moindre  petite  goutte  —  Depu 
février  jusqu'en  juillet;  —  Notre  pauvre  jardin  qui  bâi 
lait  —  Est  creusé  comme  une  foussotte  (nuque).  —  To 
pour  le  coup,  c'est  saint  Médard  —  Qui  nous  verse  de' 
mois  sa  fiole.  —  Pour  moissonner,  c'est  un  peu  tard  : 
C'est  bien  le  diable  qui  s'en  mêle! 

Tant  pis,  tant  mieux,  comme  dit  l'autre,  —  Il  l'a 
prendre  le  temps  comme  il  vient,  —  Et  puis  il  y  a  e 
core  un  peu  de  vin  —  Malgré  Dieu  et  son  bon  apôtre 

—  Mais,  hélas!  voici  qu'un  beau  jour  —  Le  tonnerre, 
vent,  la  grêle  —  Raflent  l'espoir...  le  vin  aussi...  —  Ce 
bien  le  diable  qui  s'en  mêle! 

A  cette  heure-ci  les  nuits  sont  fraîches,  —  Et  plus  ' 
farine  au  grenier;  — 

Las  raites  peu  las  raibonduls, 
Las  limaices,  la  coqiierillcs 
Ant  bin  tôt  f;\  de  nantogi 
Lou  poi,  las  choiis  et  lai  faiviôle... 
OUâs  vous  ou  va  las  cuilli... 
Ç'ost  bin  lou  diAle  que  s'en  môle! 
N'ait  pas  chu  lai  nioinrn  gouttote 
Deu  feuvrii  jusqu'en  juillet, 
Nout  poure  coutlii  que  baillait 
Ost  crcuilli  coumcut  ne  foussotte; 
Tout  pou  lou  cùp  (-'ost  saint  MédA 
Que  nous  vAcho  doux  moi  sai  fiûlc... 
Pou  moissunA,  ç'ost  in  poutA, 
Ç'ost  bin  lou  diAle  que  s'en  inôlo! 
Tant  pés,  tant  m<\,  coumo  dit  l'autre, 
Faut  pronro  lou  temps  comme  vint. 
Et  peu  v'ait  corte  iu  pou  do  vin 
MaugrA  Duo  et  son  l)()u  aipôtre... 
Main  lAs  moi!  voiqui  qu'iu  bé  jou 
Lou  tounére,  lou  vent,  lai  grôlo, 
Raiflant  l'aispoir...  lou  vtn  itou... 
Ç'ost  biu  io  diAle  que  s'en  môlo  ! 
A  c't'heure  iqui  las  neits  sant  fraîches 
Et  pus  de  faircnne  ou  soulî; 


FUANCHE-COMTÉ  153 

Son  plus  de  vin  dans  le  cellier;  —  Plus  de  foin  à  donner 
lUx  vaches,  —  Point  de  paille  pour  leur  litière  (faire  du 
umier).  —  L'as  te  fiche  (le  diable  soit)  de  la  bricole!... 
—  Nous  sommes,  ma  foi,  dans  de  beaux  draps...  —  C'est 
)ien  le  diable  qui  s'en  mêle! 

Et  dites  que  c'est  ici  ma  vie!  —  Dites  voir  que  nous 
•igolons,  —  Que  nous  mangeons  des  ortolans,  —  Que 
lous  avons  la  table  servie,  —  Que  nous  faisons  tout 
3omme  vous  —  Sauter  comme  cela  la  carambole...  —  Il 
f'aut  encore  que  nous  vous  donnions  des  sous...  —  C'est 
bien  le  diable  qui  s'en  mêle! 

{Les  Gaiides,  1883.) 


Nisqiie  do  vin  dans  lou  celli; 

Plus  de  foin  ai  baillie  as  vaiches. 

Point  de  peille  pou  lou  matras, 

L'as  te  fiche  de  lai  bricole!... 

Nous  sans,  mai  (i,  dans  das  bés  draps... 

Ç'ost  bîn  lou  diâle  que  s'en  môle! 

Et  dites  que  ç'ost  qui  ne  vie, 

Dites  va  que  nous  rigoulans. 

Que  nous  migeans  das  outhoulans. 

Que  nous  ans  lai  table  sarvie. 

Que  nous  fesans  tout  coument  vous 

Sauta  dinlai  lai  cairambôle... 

Faut  coù  que  vous  baillin  das  sous... 

Ç'ost  bîn  lou  diâle  que  s'en  môle!... 


CHARLES   GRANDMOUGIN 

(1850) 


M.  Cliarlos  Grandmougin  est  né  le  17  janvier  1850  à  Vesoul, 
où  son  père,  bâtonnier  de  l'ordre  des  avocats,  a  laissé  le  sou- 
venir d'un  juriste  de  talent  et  d'un  liomme  de  bien.  Il  appartient 
à  une  lignée  de  Franc-Comtois  qui  a  donné  quelques  hommes 
notoires.  Son  grand-père  maternel,  J.-B.  Bizard,  était  comman- 
dant d'artillerie  de  la  première  garde  impériale  et  baron  de 
l'Empire;  son  aïeul  paternel,  ancien  officier  de  la  Révolution» 
puis  magistrat  à  Lure,  a  laissé  de  curieux  mémoires  littéraires 
(1792-1797)  qui  ont  paru  dans  la  Revue  franc-comtoise,  ^i.  Charles 
Grandmougin  se  destinait  au  barreau,  quand  la  guerre  éclata. 
11  fit  campagne,  et  par  la  suite  vint  se  fixer  à  Paris,  où  il  début? 
dans  les  lettres.  Il  a  collaboré  jusqu'ici  à  de  nombreux  jour- 
naux et  périodiques,  en  particulier  au  Parnasse  et  à  la  Noiu'cW 
Revue,  et  s'est  fait  une  place  parmi  les  écrivains  de  sa  génc 
ration  en  donnant  plusieurs  recueils  de  poèmes.  On  lui  doit 
Les  Siestes  (Paris,  Lemerro,  1874,  in-18);  Nouvelles  Poésies  (Pa- 
ris, Calmann-Lévy,  1880,  in-18);  Poèmes  d'amour  (Paris,  ibid. 
188.3,  in-S")  ;  La  Vouivre,  poème  franc-comtois  (Paris,  Ghio 
1884,  Jn-18);  IHnies  de  Combat  (Paris,  Lemerre,  1886,  in-18) 
A  pleine.-,  voiles  (ibid.,  1888,  in-18);  l.e  Naufrage  de  l'Amour 
(Paris,  OlIendorfT,  1889,  in-18^  ;  Les  Chansons  du  village  (Paris 
Lemerro,  1890,  in-18);  Les  Heures  divines  (Paris,  Cliamiiel,  1894 
in-18);  Terre  de  France  (Paris,  Baudoin,  1895,  in-18); />e  l( 
Terre  aux  étoiles  (Paris,  Rouam,  1896,  in-18);  Choix  de  poésie 
(Paris,  l'asquelle,  1900,  in-18);  Promenades  (Paris,  Emile  Paul 
190'i,  in-'i"),  etc.  M.  Charles  Grandmougin  a  do  plus  fait  roprë 
senter  avec  succès  quelques  drames  eu  vers  :  L'Enfant  Jésus 
mystère  en  cinq  parties  (Paris,  Rouam,  1892,  in-8°);  Le  Christ 
drame  sacré  (ibid.,  in-8'');  Le  liéveillon  {\h\d.,  1893,in-12)  ;  L'Em 
pereur  (ibid.,  1893,  in-S»);  et  publié  des  romans,  des  contes  e 
des  études  d'eslhéliquo. 

■  Poète  coloré,  M.  Charles  Grandmougin  —  a-t-on  écrit  - 
est  à  la  Franche-Comté  ce  que  Bri/.eux  fut  à  la   Bretagne,  c 
que  sont  Aicard  à  la  Provence,  Vicairr!  à  la  Bresse,  Theuriet 
la  Lorraine.  Il  a  chanté  tour  à  tour  la  caimo  majesté  do  se 


FRANCHE-COMTÉ  155 

nontagnes,  le  pittoresque  de  ses  sites,  le  charme  grandiose  de 
ies  forêts  de  sapins,  les  parfums  et  les  reflots  de  ses  vins  capi- 
eux,  son  amour  du  pays  et  de  la  liijerté'...  » 

BiBLiooRAPiiiE.    —    Jules   Ma/.é ,    Ch.    Grandmougiii ,    Paris, 
louara,  1897,  in-18. 


LOINTAINS    SOUVENIRS 

Le  vieux  chemin  du  nord,  derrière  la  colline, 

Serpente  au  bord  du  bois,  abrité  du  soleil  : 

j'est  un  endroit  désert  d'oii  le  regard  domine 

Jn  horizon  bleuâtre  et  vaste,  aux  mers  pareil. 

Là-bas...  là-bas...  ce  sont  les  Vosges  solennelles; 

Plus  loin  encor,  les  monts  d'Alsace,  vaporeux  : 

Pour  aller  vers  la  plaine,  on  prend  des  sentiers  creux 

3ù  la  mûre  noircit  à  côté  des  prunelles. 

Vh!  que  de  fois,  tout  seul,  sur  le  chemin  du  nord, 

Dans  des  terrains  marneux,  mordus  par  les  ornières, 

le  rêvais,  à  cette  heure  où  le  soleil  s'endort, 

3aignant  le  ciel  brouillé  de  ses  pourpres  dernières!... 

L'obscurité  paisible  emplissait  les  forêts. 

iwics  oiseaux  se  taisaient  déjà  dans  l'ombre  grise, 

lii,  frileux,  je  tremblais  pur  moment  sous  la  brise, 

Jaleine  de  l'automne  aux  soirs  brumeux  et  frais. 

5ur  les  routes,  parmi  d'anciennes  fondrières, 

Des  chariots  grinçaient,  cahotants  et  lointains, 

lit  de  lents  Aa;relus,  aux  tintements  éteints, 

Vibraient,  mystérieux  ainsi  que  des  prières; 

^es  pieds  trempés  de  bouc  et  les  yeux  attentifs, 

'e  m'arrêtais,  dompté  par  le  calme  des  choses. 

Trouvant  un  charme  exquis  dans  ces  brouillards  moroses 

A  des  rêves  de  paix  dans  ces  clochers  plaintifs. 

3t  quand,  sur  ce  pays  divinement  sauvage, 

La  nuit  s'épaississait,  absorbant  les  contours, 

Je  reprenais  pensif  le  sentier  du  village, 

Entre  les  bois  obscurs  et  de  vagues  labours. 

1.  Ernost  Figurey,  Charles  Grandmoiujin,  Rouen-Artiste,  1896. 


156  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Après  la  libre  course  en  pleins  champs,  en  plein  rêve, 
Qu'il  est  doux  de  rentrer  en  automne,  le  soir!... 
Les  vitres  des  maisons  luisent,  Vénus  se  lève, 
Et  les  bœufs,  en  meuglant,  marchent  vers  l'abreuvoir. 

Des  claquements  de  fouets,  des  grincements  de  roue 

Se  mêlent  sur  la  route  à  des  jurons  patois, 

Et  là-haut  la  fumée,  où  la  brise  se  joue. 

Tord  ses  moutonnements  au-dessus  des  vieux  toits  ; 

Pour  la  soupe  du  soir  on  allume  les  poêles  : 
Leurs  gueules,  scintillants  points  d'or,  charment  les  yeux 
A  travers  les  cari*eaux  leurs  rougeoiments  joyeux 
Naissent  comme  un  essaim  de  terrestres  étoiles! 

L'air  est  plein  de  l'odeur  des  vaches  et  des  bœufs, 
La  nuit  prête  un  mystère  et  des  formes  lointaines 
Aux  groupes  ébauchés  dans  les  chemins  bourbeux... 
Et  l'on  entend  chanter  d'invisibles  fontaines!... 

{Choix  de  poésies,  1900.) 


FREDERIC   BATAILLE 

(1850) 


«  Fils  de  paysans,  JI.  Frédéric  Bataille  est  né  à  Mandeurc, 
>ourg  de  l'ancien  comté  de  Montbéliard,  sur  le  Doubs,  le  17  juil- 
et  1850.  Après  avoir  exercé,  de  1870  à  1884,  les  fonctions  d'ins- 
ituteur  dans  sa  province,  il  fut  nommé  professeur  au  lycée 
*Iichelet,  à  Vanves  (Seine).  Retraité  depuis  peu,  il  s'est  fixé  à 
Jesançon.  Ses  premiers  essais  littéraires,  qui  lui  avaient  valu 
ïn  1881  son  admission  à  la  Société  des  gens  de  lettres,  le  signa- 
érent  à  l'attention  des  maîtres  de  la  poésie  et  du  public.  Il 
>'honora  des  suffrages  de  Victor  Hugo,  Leconte  de  Lisle,  José- 
Jhin  Soulary,  Edouard  Grenier,  Sully  Prudhomme,  etc.,  et  con- 
lut  des  succès  de  bon  aloi.  Son  bagage  est  considérable.  On  lui 
ioit  tout  à  la  fois  des  livres  d'enseignement  et  des  recueils  de 
vers,  parmi  lesquels  nous  citerons  :  Délassements,  etc.  (Paris^ 
Sandoz  et  Fischbacher,  1873,  in-18);  Le  Pinson  de  la  mansarde, 
sonnets  (ibid.,  1874,  in-18);  Premières  Rimes  (ibid.,  1875,  in-18) > 
Le  Carquois,  sonnets  (Besançon,  Bodivcrs,  1880,  in-18);  Une 
Lyre  (Paris,  Lemerre,  1883,  in-18);  Le  Clavier  d'Or,  préface  de 
J.  Soulary  (ibid.,  1884,  in-16);  La  Veille  du  péché  (ibid.,  1886, 
in-18)  ;ie  Vieux  miroir  (ibid.,  1887,  in-18);  Rédemption  (ibid.^ 

1889,  in-18);  Poèmes  du  soir  (ibid.,  1889,  in-18);  Les  Chansons 
de  l'école  et  de  la  famille,  préface  de  Michel  Bréal  (Paris,  Belin, 

1890,  in-18);  Choix  de  poésies,  préface  d'Eugène  Manuel  (Paris, 
P.  Dupont,  1892,  et  Juven,  1895,  in.l2);  Les  Fables  de  l'Ecole  et  de 
la  Jeunesse,  préface  d'O.  Gréard  (Paris,  Dupont,  1893,  in-12); 
Nouvelles  Poésies  (Paris,  Dupont,  1900,  in-18)  ;  Les  Trois  Foyers, 
préface  de  Ferd.  Buisson  (Paris,  Juven,  1905,  in-18),  etc.  Il  a 
de  plus  collaboré  à  bon  nombre  de  périodiques,  et  en  particu- 
lier aux  journaux  et  revues  de  sa  province,  tels  :  La  Revue  de 
Franche-Comté,  Les  Gaudes,  Le  Petit  Comtois,  Le  Pays  de  Mont- 
béliard, etc. 

Les  poésies  de  M.  Bataille  lui  ont  valu  deux  fois  le  prix  Al- 
fred de  Musset  et  un  prix  Chauchard  à  la  Société  des  gens  de 
Lettres.  Ses  fables  ont  été  couronnées  par  l'Académie  fran- 
çaise et  par  la  Société  d'encouragement  au  bien.  La  Société' 
d'instruction  et  d'éducation  populaires  a  couronné  ses  Chan^ 
sons  de  l'école  et  de  la  famille. 


158  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

«  M.  Frédéric  Bataille,  observe  M.  L,  Quénéhen,  est  un  poét 
pleia  de  cœur.  On  sent  qiril  éprouve  ce  qu'il  cbante.  Quand 
parle  de  la  nature  et  des  botes,  il  y  met  une  délicatesse  extrèm 
de  forme  et  de  pensée...  Il  célèbre  aussi  les  joies  du  foyer,  le 
charmes  de  l'amitié...  Il  peint  les  paysans  comme  ils  sont...] 
dit  encore  ce  qu'est  le  rêve,  et,  volontiers,  philosophe  sur  1 
mort.  C'est  un  optimiste  doublé  d'un  stoïcien...  » 

Bibliographie. —  Anonyme,  Frèd.  Bataille,  Le  Pays  Comtois 
10  mai  1901.  —  L.  Quénéhen,  Etudes  biogr.  :  Frédéric  BatailU 
Revue  de  Franche-Comté,  juin-juillet  1907.  —  Eugène  Manue; 
Préface  au  Choix  de  poésies  de  Fréd.  Bataille,  1892. 


AUX    FILLES    DE    MON   PAYS 

Filles  de  mon  pays,  du  cher  pays  comtois. 
Je  me  souviens  encoi*  de  vos  yeux  pleins  de  rêve, 
Gilles  miens  ù  vingt  ans  trouvaient  l'heure  trop  brève 
Quand  ils  s'y  reposaient  comme  à  l'ombre  d'un  bois. 

Filles  de  mon  pays,  du  beau  pays  comtois, 
Je  revois  dans  sa  fleur  votre  grâce  si  fière, 
Candide  ainsi  qu'un  lis  ouvert  à  la  lumière, 
Sous  le  joli  bonnet  qu'on  portait  autrefois. 

Filles  de  mon  pays,  du  doux  pays  comtois, 
J'ai  rappris  les  refrains  de  vos  chansons  naïves, 
Dont  la  musique  lente  et  les  notes  plaintives 
Bercèrent  ma  jeunesse  à  l'abri  de  vos  toits. 

Filles  de  mon  pays,  du  franc  pays  comtois, 

Je  n'ai  pas  oublié  le  parler  de  vos  mères, 

Et  toujours,  dans  mon  deuil  et  mes  peines  amères, 

La  voix  des  morts  aimés  me  console  en  patois. 

Filles  de  mon  pays,  du  bon  pays  comtois, 
Puissé-je  vous  revoir  au  village  que  j'aime, 
Et,  pour  mieux  m'endormir  à  mon  heure  suprême, 
Vous  entendre  chanter  une  dernière  lois  ! 

[Les  Trois  Foyers.) 


FELIX   JEANTET 

(1855) 


«  M.  Félix  Joantet,  ccrit  M.  René-Marc  Ferry,  est  un  Comtois 
e  pure  race.  Il  est  né  en  1855  à  Saint-Claude-sur-Bienne,  dans 
:  Jura.  Ses  études,  commencées  dans  sa  ville  natale,  se  sont 
Dntinuées  à  Lyon  et  à  Dijon.  Son  enfance  et  sa  jeunesse  n'ont 
onc  pas  eu  à  subir  les  altérations  que  l'instruction  reçue  dans 
;s  lycées  et  les  écoles  de  Paris  pouvait  produire  dans  les  ma- 
ières  de  sentir  que  lui  imposaient  sa  raco  et  son  pays.  A  Pa- 
is même,  il  resta  fidèle  à  sa  petite  patrie.  Il  fut  des  familiers 
u  peintre  Jean  Gigoux  et  du  poète  Louis  de  Ronchaud,  son 
oisin  de  campagne  à  Saint-Lupicin,  dans  le  haut  Jura;  il  est 
'ami  de  M.  Auguste  Pointelin,  le  peintre  des  solitudes  de  la 
nontagne.  »  M.  P'élix  Jeantet  a  collaboré,  comme  poète  et  comme 
rïlique,àhiNouveUeRefuc  (\8S6),  an  Monde  poétique  (1887-1888), 
1  la  Revue  illustrée,  à  L'Artiste,  à  L'Ermitage,  à  L'Indépendance 
nusicale,  à  Minerva,  clc;  il  a  fondé  en  1892  La  Revue  hebdonta~ 
laire  (qu'il  dirigea  jusqu'en  1901)  et  il  a  fait  paraître  un  volume 
le  vers,  Les  Plastiques  (Paris,  Charpentier,  1887,  in-18). 


POIXTELIN 

Pointelin,  mag-nanime  image  de  la  terre, 

Où  vivent  de  grands  ciels  sur  de  grands  horizons. 

Paysage  où  le  temps,  le  jour  et  les  saisons  < 

Célèbrent  gravement  leur  magique  mystère! 

Tu  fuis  l'homme;  à  l'écart  tu  laisses  ses  maisons  : 

Tu  recherches  la  paix,  la  solitude  austère, 

L'arbre  battu  des  vents  et  les  maigres  gazons, 

L'espace  nu  tout  palpitant  sous  la  lumière. 

Pour  susciter  l'ampleur  du  monde  à  notre  esprit, 

A  l'heure  qui  t'agrée  un  buisson  te  suffit 

Auprès  de  quelque  chêne  héroïque  et  superbe  : 

L'ombre  croît,  tout  se  tait,  le  soir  vient  à  son  tour, 

Et,  comme  un  doux  miroir  qu'il  oublierait  dans  l'herbe, 

Un  peu  d'eau  garde  encor  le  souvenir  du  jour. 


MADAME    MARIE   DAUGUET 


M™e  Marie  Dauguet  est  née  à  la  Chaiideau,  vieille  forge  blot 
tie  dans  une  étroite  vallée  des  Vosges,  au  nord  de  la  Conitt 
où  son  père  transporta  et  fit  progresser  une  branche  de  l'in 
dustrie  métallurgique.  Elle  appartient  tout  à  la  fois  à  deu: 
souches,  l'une  lorraine,  l'autre  bisontine  :  toutes  deux  d'es 
sence  paj'sanne  et  de  culture  bourgeoise.  Elevée  «  à  la  Rous 
seau  »,  avec  cette  indépendance  qui  fait  le  fond  du  caractér 
comtois,  elle  s'est  rappelé  les  beaux  jours  de  sa  jeunesse  et 
décrit  complaisamment  les  lieux  où  se  forma  sa  jiersonnalitc 
A'oici  le  paysage  pittoresque  des  confins  de  la  Franche-Comté 
voici  la  Ghaudeau  déjà  chantée  par  Xavier  ^larmier,  contré 
sauvage  et  fruste;  une  rivière  serpente  au  fond  de  la  vallée 
roule  sur  les  cailloux,  bondit  sur  les  roches;  des  sapinières 
des  hètraies,  dégringolent  les  pentes.  De  tous  côtés  se  dressent 
chargés  de  forêts,  des  sites  aux  noms  émouvants  :  là  c'est  I. 
l'oirmont,  plus  loin  le  Noirmont,  ailleurs  s'avancent  les  pre- 
miers contreforts  des  Vosges.  «  Ces  bois,  dit-elle,  ont  berc* 
mon  enfance.  J'ai  eu  pour  amis  leurs  plus  rudes  hôtes,  donl 
mon  oncle,  propriétaire  et  chasseur,  s'entourait  volontiers.  J» 
me  souviens  d'une  délicieuse  famille  de  petits  sangliers  (pii  si 
drôlement  accourait  à  mou  appel;  d'une  portée  de  louveteaux, 
])aDSUs  et  dodus,  dont  il  me  plaisait  de  palper  les  corps  sou- 
ples et  tièdes,  et  surtout  d'une  grande  louve,  excellente  gar- 
dienne, aflectueuse  et  intelligente  comme  un  chien,  à  laquolb 
ma  mère  nous  confiait,  ma  scuur  et  moi,  pour  nos  courses  ei 
forêt.  J'aime  à  évoquer  tous  ces  braves  gens  :  ouvriers,  bûche- 
rons, charbonniers,  notre  unique  voisinage  ;  les  hommes  solides 
sous  leur  blouse  courte  et  le  grand  feutre  noir,  et  surtout  let- 
bonnes  vieilles  filant  leurs  fuseaux,  disant  des  histoires  et 
chantant  des  complaintes...  Avec  tout  ce  monde,  se  parlait  le 
plus  pur  patois,  le  patois  de  chez  nous,  qui  n'est,  en  somme, 
«pi'un  beau  français  archaïque.  Auprès  du  feu,  à  la  veillée,  la 
servante  activait  son  rouet,  et  nous  l'écoutious  raconter  les 
fiauves  du  bon  vieux  temps.  Puis  ma  mère  faisait  de  la  musique 
pour  reposer  mon  père...  » 

Ailleurs,  elle  noiera  s(;s  souvenirs  du  Beuchol,  ancien  do- 
maine de  l'abbaye  de  Luxcuil,  acquis  jiar  les  siens  en  187.5,  où 


FRANCHE-COMTÉ  161 

«lie  s'est  établie,  où  elle  a  épousé  en  1880  un  ami  d'enfance  et 
un  compagnon  de  jeunesse,  M.  Dauguet.  C'est  là  qu'elle  a  tracé 
ses  premières  impressions  poétiques  et  composé  ces  recueils 
intenses  :  A  travers  le  voile  (Paris,  Messein,  1902,  in-18)  ;  rar 
l'Amour  (Paris,  Mercure  de  France,  1904)  ;  Les  Pastorales  (Paris, 
Sansot,  1908,  in-18).  Elle  a  donné  de  plus  un  volume  de  prose, 
Clartrs  (Paris,  Sansot,  1907,  in-18),  et  elle  prépare  une  série  de 
poèmes  conçus  au  cours  d'un  voyage  à  Naples,  où  chantera 
«  son  cœur  ivre  de  la  lumière  du  pays  des  Dieux  ». 

a  M™"  Dauguct  —  a  écrit  M.  Remy  do  Gourmont,  dans  la  pré- 
face à  son  second  \o\\xm.e ^  Par  l' Amour  (une  page  qu'il  faut  lire), 
—  répond  admirablement  à  l'idée  que  l'on  se  fait  d'un  poète  de 
la  nature,  chez  qui  toute  pensée,  avant  de  se  particulariser,  a 
besoin  de  s'aller  tremper  dans  les  ombres  forestières  ou  dans 
les  herbes  ensoleillées,  parmi  les  feuilles  vertes  et  les  feuilles 
mortes.  D  instinct,  elle  fraternise  avec  la  vie  végétale,  et  c'est 
là  qu'elle  prend  ses  rimes  et  ses  métaphores,  sa  philosophie 
et  sa  mélancolie.  Et  tout  cela  est  simple  :  en  somme,  accepter 
la  vie,  puisque  tout  est  vie;  la  mort,  puisque  tout  est  mort; 
cela  se  résume  en  un  mot  :  communier  avec  la  nature,  ce  qui 
est  la  manière  la  plus  profonde  de  l'aimer.  » 

Qu'ajouter  à  ce  jugement?  Et  pourtant  tout  n'a  pas  été  dit 
sur  cette  œuvre  sincère,  si  mal  connue.  Ce  qui  nous  frappe  le 
plus,  dirons-nous,  chez  M°»«  Marie  Dauguet,  ce  n'est  pas  seu- 
lement le  sens  réel,  précis,  de  son  inspiration,  ni  cette  sensi- 
bilité particulière  et  troublante  qui  lui  fait  rechercher  et  défi- 
nir la  valeur  musicale,  la  coloration  et  «  l'odeur  »  des  choses; 
c'est  quelque  chose  de  mieux  encore,  quelque  chose  de  plus 
large,  quelque  chose  d'indéfinissable  qu'elle  doit  à  sa  dualité 
d'origine  et  de  milieu,  et  qui  a  contribué  plus  qu'aucune  culture 
à  lui  donner  une  variété  d'expression  unique  chez  un  poète,  et 
en  particulier  chez  un  écrivain  de  terroir...  • 

Mme  Dauguet  a  collaboré  au  Mercure  de  France,  à  la  Plume, 
à  L'Ermitage,  à  La  Fronde,  à  Poesia,  à  La  Lorraine  artiste,  à  La 
Revue  latine,  à  La  Revue  hebdomadaire,  au  Journal  d'Alsace,  aux 
Lettres,  à  Miner  va,  etc. 

BiBLiooRAPHiR.  —  Remv  de  Gourmont,  Promenades  littéraires, 
'2"  série,  Paris,  Mercure  de  France,  1906,  in-18.  —  G.  Casella  et 
E.  Gaubert,  La  Nouvelle  Littérature,  Paris,  Sansot,  1906. 


S'ASSEOIR    SUR    UN    MURGER... 

S'asseoir  sur  un  murger,  les  pieds  dans  les  broussailles, 
Et  les  doigts  enlacés  aux  rugueuses  pierrailles, 


162  LES    POiiTES    DU    TERROIR 

Seule  avec  les  lointains  où  le  soleil  se  meurt, 

Seule  avec  sa  pensée  et  seule  avec  son  cœur. 

Respirer  le  parfum  des  herbes  attiédies, 

Ecouter  la  cigale  aux  lentes  psalmodies, 

Vibrer  parmi  les  brins  séchés  des  serpolets, 

Voir  s'embrumer  du  soir  le  vitrail  violet. 

Voir  s'élever  du  creux  des  placides  jachères, 

En  arceaux  imprécis,  l'encens  crépusculaire, 

Et  l'orchis  opalin  de  la  lune,  aux  prés  bleus 

Du  ciel,  éparpiller  son  pollen  nébuleux. 

Savourer  cette  odeur  do  la  lande  que  baigne 

Quelque  ruisseau  muet  et  filtrant  sous  les  sphaignes, 

Savourer  cette  odeur  enivrante  qui  sort 

Mystérieusement  de  la  glèbe  qui  dort. 

Goûter  le  souffle  obscur  de  la  forêt  prochaine 

Dont  le  frisson  murmure  au  feuillage  des  chênes, 

La  fauve  et  l'acre  odeur  qui  vient  comme  un  baiser 

De  faune,  sur  la  bouche   ardemment  se  poser. 

Et  n'être  que  la  nuit,  le  parfum,  la  bruyère. 

Le  tourbillon  léger  des  derniers  éphémères, 

Etre  le  serpolet  bruissant  sous  ma  main, 

Fuir  hors  de  ce  cachot  qu'on  nomme  corps  humain. 

Mais  dans  l'humilité  douce  des  moindres  choses. 

Devenir  l'herbe  morlo  où  le  grillon  repose, 

Ou  bien  le  roitelet  lassé  de  pépier 

Qui  perche  sommeilleux  aux  branches  des  ronciers. 

{Par  r Amour.) 

LA    MARK 

C'est  l'heure  où  l'on  mène  boire  les  vaches  rousses. 
Qui  s'en  vont  en  rêvant  et  foulent  la  nuit  douce. 
La  mare  niuetlenient  songe, 
Où  roml)re  du  troupeau  s'allonge, 
Sous  la  lune  si  calme  et  quand  vaches  et  veaux, 
Flairant  la  vase,  enfoncent  leurs  sabots  dans  l'eau. 

Dans  l'eau  couleur  des  joncs  et  de  la  terre  rousse 
La  lune,  oiseau  tremblant,  baigne  son  aile  douce 


FRANCHE-COMTÉ  163 

Et  le  vent  balance  insensible, 

Au-dessus  du  miroii-  qu'il  ride, 
A  peine,  avec  des  mots  sourdement  chuchotes, 
Tout  endormis,  deux  vieux  peupliers  étêtés. 

La  mare  à  travers  champs  est  poéti([ue  et  douce, 
Qu'abrite  un  cercle  descellé  de  pierres  rousses. 
Et  l'eau  captive  est  toujours  pleine, 
Jusqu'aux  rives,  do  clartés  vaines, 
Tantôt  louches  lueurs  et  tantôt  rayons  vifs. 
Des  matins  s'effeuillant  ou  des  couchants  furtifs. 

A  l'entour,  c'est  l'afflux  houleux  des  tiges  rousses  : 
Seigles,  blés,  sainfoin  rose  emmêlant  des  fleurs  douces, 

Puis,  des  navettes  et  des  raves, 

Dont  se  pénètrent  les  enclaves; 
Et  plus  près,  s'étalant,  des  touffes  de  plantains 
Et  des  serpolets  gris  aux  feuillages  déteints. 

A  l'entour,  c'est  l'odeur  du  pain  qu'on  désenfourne, 
Inépuisable  et  lente  et  qui  vogue  et  séjourne. 

Suave  autant  qu'une  prière, 

Parmi  l'heure  crépusculaire; 
C'est  un  flot  déroulé  de  bien-être  profond. 
Où  l'écho  du  jour  faux  s'eflacc  et  se  confond. 

Et  parfois,  sous  les  pieds  fangeux  des  vaches  rousses, 
La  chanson  des  crapauds  surgit  pure  et  très  douce, 

De  l'argent  flou  des  clairs  de  lune. 

Semant  ses  notes  une  à  une, 
Dont  flageolent,  discords,  les  tons  irrésolus,  • 

Par  les  champs  sommeilleux  que  berce  un  angélus. 


LES  PURINS  NOIRS  CHAMARRÉS  D'OR 

Les  purins  noirs  chamarrés  d'or 
Cernent  de  somptueux  reflets 
La  forme  trapue  et  qui  dort 
Sous  ses  lourds  tilleuls  violets. 

La  porto  ontr'ouverte,  l'étable 
Ardente  pesamment  parfume 


164  LES  POÈTES  DU  TERKOIR 

L'air  du  soii*.  Un  lis  adorable, 
Un  g-rand  lis  élancé  consume 

Son  cœur,  au  bord  de  la  croisée^ 
Près  êa  fumier  évapo-r-ant 
Sa  buée...  La  yitre  irisée 
Chatoie,  teintée  d'un  bleu  mourant. 

L'anis,  le  souci,  les  troènes 
Embaument  l'àme  de  la  nuit, 
Et  la  lune  baigne  incertaine 
Ses  pieds  frileux  à  l'eau  du  puits» 

LE  CIEL  EST  DE  CRISTAL  DE  ROCHE 

Le  ciel  est  de  cristal  de  roclie, 

Sur  le  mur  bleu 

Tremblent  un  peu 
Les  feuilles  des  aristoloches. 

Et  quelque  part  un  loriot  chante. 

Dans  l'air  qui  dort 

Sa  flûte  d'or 
Se  mélange  au  parfum  des  menthes. 

On  entend  sa  flûte  très  Ioti» 

Qui  s'énamoure, 

Et  l'on  savoure 
Dans  le  vent  l'haleine  des  foins. 

Ensuite,  c'^est  un  grand  silence 

D'isolement 

Où  seulement 
Jusqu'au  ca-ur  attendri  s'élance. 

Parmi  l'heure  sentimentale. 
L'odeur  des  rosiers  du  Bengale. 

{Les  Pastorales.) 


LOUIS   DUPLAIN 

(1860) 


Fils  et  petit-fils  d'ouvriers  horlogers,  M.  Louis  Duplain,  hor- 
foger  lui-même,  est  né  à  Besaaçoa  eu  1860.  Du  côté  maternel 
il  descend  d'une  famille  de  bonnetiers  et  compte  parmi  ses 
ancêtres  Grosley,  «  l'illustre  Troyen  ».  II  sortit  de  l'école  primaire 
à  douze  ans  et  l'ut  placé  comme  apprenti  chez,  un  oncle.  Depuis, 
il  n'a  cessé  de  réparer  ou  d'achever  des  montres,  occupant  les 
rares  loisirs  que  lui  laisse  son  état  à  la  lecture  des  grands  poè- 
tes et  à  l'exercice  de  la  versification.  Aussi  ne  faut-il  point 
s'étonner  qu'il  ait  débuté  tardivement.  Ses  premiers  essais  pa- 
rurent dans  une  feuille  locale.  Les  Gaudcs.  Par  la  suite,  il  colla- 
bora à  diverses  revues  et  fit  paraître  successivement,  en  1892  et 
en  1895,  deux  plaquettes  :  La  Loue  et  Glanes  de  maïs,  où  il  célé- 
bra les  sites  et  les  coutumes  de  la  Comté.  Ces  deux  petits 
ouATages  lui  valurent  de  précieux  encouragements.  Enfin,  en 
1906,  sur  l'initiative  d'un  groupe  d'admirateurs,  en  tète  des- 
quels s'inscrivait  ^I.  Edouard  Droz,  professeur  à  la  Faculté  des 
lettres  de  Besançon,  parut  sous  ce  titre  :  Autour  du  Clocher*, 
un  recueil  complet  de  ses  poèmes.  Ce  livre,  publié  avec  soin  et 
par  souscription,  le  classe  parmi  les  bons  poètes  du  terroir. 
M.  Louis  Duplain  a  chanté  les  divers  aspects  de  sa  province,  il 
en  a  décrit  les  paysages,  les  rivières,  les  habitants,  les  mœurs, 
avec  un  rare  talent  d'évocation  et  une  saine  et  originale  élo- 
quence. On  peut  dire,  avec  un  critique  récent,  que  c'est  l'àme 
moyenne  du  pays  qu'il  s'est  plu  à  exalter  en  ses  vers.  Chantra 
réaliste,  mais  plus  soucieux  de  la  forme  qu'un  tel  art  ne  le 
demande,  il  est  de  cette  école  qui  eut  pour  représentants 
Max  Buchon  et  Bouchot  en  littérature  et  Courbet  en  peinture. 
M.  Louis  Duplain  incarne  dans  son  œuvre  le  vrai  caractère 
franc-comtois. 

Bibliographie.  —  Daniel  Halévy,  Louis  Duplain  ou  le  poète 
iugé,  Pages  libres,  8  juin  1907. 

1.  Autour  du  Clocher,  poésies  comtoises  et  bisontines  avec  des 
coniposilions  de  Giacoraotti,  Iscnbart,  A.  Spitz^  Besancon,  Lmprim. 
Bossaune,  1906,  iu-10. 


166  LES  POÈTES  DU  TERKOIK 


BALLADE  DES  MANGEURS  DE  GAUDES 

Il  est  un  pays  où  la  Loue 

Hurle  comme  un  troupeau  de  loups, 

Où  le  rude  Jura  dénoue 

Sa  haute  chaîne  aux  bords  du  Doubs, 

Où  dans  les  prés,  cloches  au  cou. 

Paissent  les  génisses  rougeaudes. 

Eh  bien,  ce  pays,  c'est  chez  nous,  — 

Nous  sommes  les  mangeurs  de  gaudes! 

Il  est  un  pays  dont  on  loue 
Le  clairet  pétillant  et  doux, 
Où  les  filles  ont  sur  la  joue 
Le  hâle  d'or  des  soleils  roux; 
Où  les  donneurs  de  rendez-vous 
Ne  connaissent  ni  biais,  ni  fraudes. 
Eh  bien,  ce  pays,  c'est  chez  nous,  — 
Nous  sommes  les  mangeurs  de  gaudes  l 

Il  est  un  pays  où  la  roue 

Du  char  de  l'ennemi  jaloux 

Ne  passe  pas  sans  que  la  houe, 

La  faux  et  les  épieux  de  houx 

Ne  frappent  de  terribles  coups, 

Où  les  gars  sont  fiers  sous  leurs  blaudes. 

Eh  bien,  ce  pays,  c'est  chez  nous.  — 

Nous  sommes  les  mangeurs  de  gaudes  1 


Tyrans,  craignez  notre  courroux; 
Car  nous  comptons  des  tètes  cluiudes 
Dans  le  beau  pays  de  chez  nous.  — 
Nous  sommes  les  mangeurs  de  gaudes! 

{Autour  du  Clocher.) 


I 


CHARLES   DORNIER 

(1873) 


M.  Charles  Dornior  est  né  à  Liesles  (Doubs)  le  20  janvier  1873. 
1  appartient  à  une  vieille  famille  comtoise  issue  de  la  haute 
aontagne.  Le  village  d'Arçon,  près  Pontarlier,  patrie  du  ma- 
échal  d'Arçon,  est  presque  uniquement  peuplé  de  paysans  qui 
)ortent  le  nom  de  Dornier.  Un  Dornier  fut  conventionnel.  Le 
)ére  de  notre  poète  était  forgeron. 'L'enfance  de  M.  Charles  Dor- 
lier  se  passa  alternativement  à  Liesle ,  décor  pittoresque  où 
•erpente  la  Loue,  et  qu'une  vieille  légende  a  fait  appeler  le  Val 
l'Amour,  et  à  Saint-Juan,  près  de  l'abbaye  et  de  la  glacière  de 
a  Grâce-Dieu,  chez  des  grands-parents,  en  pleine  montagne, 
lans  un  pays  de  fortes  traditions.  .Après  son  service  militaire, 
lyant  pris  ses  grades  à  l'Université  de  Besançon,  il  entra  dans 
'enseignement,  séjourna  successivement  à  Meaux,  à  Chartres, 
i  Versailles,  et  vint  eulin  se  fixer  à  Paris.  Il  a  publié  deux  re- 
cueils de  poèmes,  La  Chaîne  du  Rêve  (Paris,  Société  de  libr.  et 
l'impr.,  l!)05,in-18),  et  L'Ombre  de  l'Homme  (ibid.,  1908,  in-18). 

M.  Charles  Dornier  est  un  de  nos  meilleurs  poètes  régio- 
aaux.  Son  vers  souple  et  d'une  facture  originale  rappelle  par- 
'ois  les  premières  productions  du  maître  Emile  Verhaeren.  Il 
i  décrit  avec  bonheur  quelques-uns  des  sites  pittoresques  du 
pays  comtois. 

Bibliographie.  —  G.  Zidler,  M.  Charles  Dornier,  Revue  des 
Poètes,  10  juin  1903. 


TOILE    D'HIVER 

L'hivei*  tisse  à  travers  la  plaine 
Les  flocons  neigeux  de  sa  laine. 

En  artiste  savant 
Il  roule  de  blanches  fourrures 
Aux  membres  grêles  des  ramures 

Tout  tordus  par  le  vent. 


168  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

De  ses  invisibles  aiguilles 
Il  tresse  de  fines  résilles 

Aux  cheveux  des  buissons, 
Et  met  des  édredons  de  plume 
Aux  coteaux  lointains  que  la  brume 

Pénètre  de  frissons. 

Il  tend  un  linceul  sur  les  landes, 
ReA'êt  les  toits  de  houppelandes, 

Les  maisons  de  manteaux. 
Comme  autour  de  fuseaux,  en  boule 
Autour  des  arbres  il  enroule 

Ses  milliers  d'écheveaux. 

Et  de  plus  en  plus,  par  la  plaine, 
Se  dévide  la  blanche  laine, 

Que  file  au  ciel  muet 
Un  soleil  aux  lueurs  cuivrées, 
Tournant  lentement  dans  les  nuées 

Son  paisible  rouet. 

[La  Chaîne  du  Réce.) 


FERME    COMTOISE 

Loin  du  chemin  étroit,  en  retrait  du  verger, 

La  maison,  basse  et  longue,  au  ras  du  pré  posée, 

Avec  sa  grange  haute  où  grimpe  la  levée 

Du  remous  des  noyers  touffus,  semble  émerger. 

La  barrière  du  seuil  est  en  osier  léger. 
•Grande  porte,  murs  lourds,  et  petite  croisée. 
Elle  éclaire  de  sa  géante  cheminée 
Le  fusil  du  chasseur,  la  trompe  du  berger. 

Les  draps  gardent  lodeur  subtile  des  lavandes 
Des  combes  où  les  bœufs  roux-mouchetés,  par  bande 
Font  tintinnabuler  les  cloches  de  leur  cou. 

Le  plafond  de  sapin  sent  toujours  la  résine, 
£t  dans  son  nid  de  bois  de  la  chambre  voisine 
A  chaque  heure  on  entend  le  chant  clair  d'un  couco' 
{L'Ombre  de  l'homme.) 


GASCOGNE  ET  GUYENiVE 

BORDELAIS,  ENTRE-DEUX-MERS, 

LANDES.  PÉRIGORD,  BAZADAIS.  ALBUET, 

AGENAIS,  QUERGY,  ROUERGUE,  LABOURD,  MARENSIX, 

PAYS  BASQUE,  BASSE-NAYARRE,  CIIALOSSE, 

MARSAN,  LES  LANNES,  TURSAN,  BUSTAN,  ARMAGNAC, 

FÉZENSAC,  GABABDAN,  CONDOMOIS, 

LOMAGNE,  PARDL\C,  ASTARAC,  NEBOUZAN, 

COMMINGES,  COUSERANS,  LAYEDAN,  BIGORRE, 

QUATRE-YALLÉES.  ETC. 


Ces  deux  provinces,  qu'une  similitude  de  mœurs  et  de  lan- 
gage nous  a  permis  de  rapprocher  ici.  ne  forment  pas,  en  réa- 
ité,  une  unité  géographique,  mais  un  assemblage  de  terroirs 
iistincts.  On  l'a  observé  déjà,  bien  que  bornée  au  nord  par  la 
iuyenne,  à  Touest  par  l'Océan,  à  l'est  par  le  Languedoc  et  au 
i  nidi  par  les  Pyrénées,  la  Gascogne  a  été  sans  cesse  confondue 
!  ivec  les  pays  voisins.  Peu  aisée  à  délimiter,  en  raison  de  son 
listoire,  cette  terre,  que  les  auteurs  latins  avaient  surnommée 
^'asconia,  est  en  somme  la  Novempopulanie   des  anciens.  On 
,  iffirme  qu'elle  prit  son  nom  de   certains  peuples  d'Espagne 
\  Jppelés  Yascons,  lesquels,  ayant  abandonné  la  région  qu'ils 
i  iiabitaient  sur  les  confins  de  la  Cantabrie  où  est  aujourd'hui 
j  la  Biscaye  et  la  Navarre,  au  pied  des  Pyrénées,  vinrent  s'y  éta- 
l  blir  dans  le  vi»  siècle  '.  Ces  peuples,  par  leur  barbarie,  n'avaient 
cessé  de  se  rendre  redoutables.  Pillards  et  mercenaires,  ils  se 
réfugiaient  avec  leurs  butins  dans  les  montagnes.  Ils  furent 
longtemps  intraitables  sous  les  premiers  rois  francs,  jusqu'au 
jour  où,  las  de  leurs  excès,  les  Aquitains  proprement  dits  firent 
itUiance  avec  eux.  Ils  avaient,  à  la  fin  du  viii«  siècle,  un  duc  sur- 
nommé Loup  qui  se  signala  par  son  intrépidité.  Lorsque  Char- 
lemagne  revint  d'Espagne,  ils  attaquèrent  son  arrière-garde, 
lui  tuèrent  un  grand  nombre  do  gens  et  se  saisirent  de  ses  ba- 
gages. C'est  le  tragique  épisode  de  Roland  à  Roncevaux,  tant 
célébré  depuis.  Par  la  suite,  Louis,  le  futur  Débonnaire,  les 

1.  En  580  exactement,  observe  J.-F.  Bladé  dans  sa  Géographie  his- 
torique  de  l'Aquitaine  autonome,  18'J3. 

10 


170  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

soumit  et  les  châtia  rudement.  La  Gascogne  eut  enfin  la  mè: 
destinée  que  le  reste  de  l'Aquitaine. 

Tout  autre  apparaît  la  Guyenne,  le  plus  grand  gouvememc 

de  France,  a-t-on  dit,  car  il  comprenait  à  la  fois  le  Bordela 

le  Médoc,  l'Entre-deux-Mers,  les  Landes,  le  Bazadais,  l'Agena 

le  Quercy,  le  Périgord  et  le  Rouergue.  Le  nom  de  cette  provii 

est  une  corruption  de  celui  que  portait,  aux  premiers  siècles. 

territoire  compris  entre  l'Atlantique  et  la  Narbonnaise.  «  Qu 

que  les  bornes  de  ce  gouvernement  soient  fort  différentes 

celles  d'Aquitaine,  tant   sous  Jules  César  que  sous  Augus 

a  écrit  l'abbé  de  Longuerue  (Description  de  la  France,  I,  p.  16 

cela  n'empùche  pas  que  le  nom  dont  on  l'a  sans   cesse  désig 

ne  tire  son  origine  de  celui  d'Aquitaine.  On  ne  voit  pas  que 

nom  ait  été  en  usage  avant   le  commencemeut  du   xiv«  siée 

car,  dans  ce  temps-là,  Guillaume   de  Guyart,   qui  a   compc 

vers  l'an  1306  une  histoire  de  France  intitulée  La  Branche  a 

royaux  lignages,  ne  se  sert  que  du  mot  d'Aquitaine;  mais  p 

après  le  roi  d'Angleterre   Edouard,   dans  ses  lettres   de  13< 

données  pour  la  paix,  se  sert  indifféremment  des  mots  Guyen 

et  Aquitaine,  désignant  tout  à  la  fois  la  France  du  Sud-Ouest, 

Poitou  et  les  pays  circouvoisins.  »  Les  Visigoths  avaient  p 

cette  terre  aux  Romains.   Clovis  s'en  empara  à  son   tour. 

Guyenne  eut  des  ducs  particuliers.  Ils  descendaient  des  coml 

de  Poitou.  Très  combatifs,  ils  se  croisèrent,  puis  firent  en  t 

pagne  la  guerre  aux  Sarrasins.  La  Guyenne,  retranchée  de  pi 

de  moitié  au  xiii»  siècle,  fut  laissée  à  Henri  III,  roi   d'Angl 

terre,  à  la  condition  que  lui  et  ses  successeurs  seraient  va 

saux  du  royaume  do  France.  Par  la  suite,  Edouard,  qui  ten 

prisonnier  le  roi  Jean,  le  conlraig'uit  de  lui  céder  la  souven 

neté  do   ce  duché,  que  Louis  IX  s'était  réservée.   La  (juyen 

resta  près  de  trois  siècles  aux  mains  do   l'étranger.  Elle  no 

revint  lorsque  l'ennemi  héréditaire  eut  son  armée  détruite  pr 

de  Castillou,  en  Périgord,  et  fut  ignominieusement  cliassé 

notre  sol.  Louis  XI,  après  la  mort  de  son  frère  Charles,  la  ré 

uit  à  la  couronne. 

Avant  de  définir  les  ressources  littéraires  de  ces  deux  pr 
vinces,  il  convient  de  chercher  les  rapports  qui  peuvent  ex 
ter  entre  la  nature  du  sol,  le  climat  et  le  génie  des  races  q 
ont  évolué  eu  Gascogne  et  en  Guyenne,  depuis  plus  de  dix  si 
clés.  TAcho  ingrate,  dont  l'utilité  n'est  pas  apparente.  No 
avouH  évoqué  ({uclques-uns  des  souvenirs  historiques  du  Su' 
Ouest.  Qui  peut  nous  assurer  que  nous  no  chercherons  point  ■ 
vain  ce  que  rhal)ilaut  doit  ici  au  terroir?  A  proprement  parli  ' 
l'éloquence  gasconne,  malgré  de  séduisantes  qualités,  marq 
une  décadence  dans  l'évolution  de  l'art  méridional.  N'antic 
pons  pas.  Avant  de  résumer  nos  impressions,  un  court  voya; 
s'impose.  Nous  ne  saurions  mieux  faire  que  d'cm])runtcr  l'it 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  171 

aire  tracé  jadis  par  Michelet.  La  vie  de  province  ne  s'est  pas 
Qsformée  à  ce  point  que  les  observations  de  l'historien  ro- 
iitiqiie  aient  perdu  toute  signification.  Les  contrées  les  plus 
'  erses  vont  défiler  sous  nos  yeux;  il  ne  nous  restera  qu'à 
>slituer  aux  noms  de  clochers  des  noms  de  poètes,  pour 
;erminer  ce  que  la  langue  et  l'inspiration  ont  produit  de  plus 
r  sur  cette  terre. 

:  On  peut  pénétrer  par  le  Rouergue  dans  la  grande  vallée  du 
di.  Cette  contrée  en  marque  le  coin  d'un  accident  bien  rude.  » 
ost-elle   pas  elle-même,  sous  ses  sombres  châtaigniers,  un 
orme  morceau  de  houille?  «  Cette  terre  maltraitée  et  du  froid 
du  chaud,  dans  la  variété  de  ses  expositions  et  de  ses  cli- 
its,  germée  de  précipices,    tranchée  par  deux   torrents,   le 
un  et  l'Aveyroa,  a  peu  à  envier  à  l'Apreté  des  CéAennes.  Il 
ut  mieux,  ajoute  Michelet^,  entrer  par  Cahors,   quoiqu'il  en 
ùte  à  surmonter  cette  rude  échine  de  la  France  :  Dorsum  im- 
ane  mari  suintno.  C'est  bien,  en  effet,  une  mer  figée  que  pré- 
;nte  le  Quercy   au  midi  de  la  Dordogne.  Terre   médiocre  et 
îche,  des  mamelons  dépouillés  s'abaissant  pour  se  relever  et 
emblotantavec  une  mollesse  que  dément  singulièrement  cette 
'idité.  La  Dordogne,  après  avoir  contourné  ces  rudes  mame- 
ms  au  pied  desquels  se  cachent   de  petites  cultures  intelli- 
entes,  a  laissé  lestement  tout  cela,  comme  un  cadet  de  Gasco- 
ns laisse  la  maison  paternelle.  I)  Elle  s'en  est  allée  faire  fortune 
Bordeaux,  tandis  que  nous  nous  attardons  dans  la  région  des 
ausses.  Un  matin  nous   tombons  à  Cahors,  vieille  petite  ville 
ntre  trois  montagnes.  «  Le  Lot  coule  au  pied.  Là,  tout  se  revêt 
ie  vignes.  Les  mûriers  commencent  à  Montauban,  mais  l'oli- 
ier  n'apparaît  pas  encore,  ni  même  à  Toulouse  ;  il  demande 
me  température  plus   méridionale.  En  revanche,  la  belle,  la 
rrande,  la  riche   plaine  est  couverte  d'une  culture  infiniment 
ariée.  On  ne  voit  nulle  part  ailleurs  un  si  étonnant  mélange  de 
)roductions,  blé,  vignes,  maïs,  chanvrières,  pâturages,  arbres 
ruitiers  chargés  à  rompre  le  long  des  routes.  Et  cette  richesse  « 
lu  sol  reproduite  à  l'infini;  un  paysage  de  trente  ou  quarante 
ieues  s'ouvre  devant  vous,  vaste  océan   d'agriculture,    masse 
mimée,  confuse,  qui  se  perd  au  loin  dans  l'obscur;  mais  par- 
lessus   s'élève   la   forme  fantastique  des    Pyrénées   aux  tètes 
d'argent.  Le  bœuf  attelé  par  les   cornes  laboure  la  fertile  val- 
ée,  la  vigne  puissante  monte  à  l'orme.  Généralement  les  figu- 
res, ici,  sont  fortes,  surtout  celles  des   filles  du   peuple.  C'est 

1.  Notre  France.  Los  paragraphes  qui  suivent,  placés  entre  guil- 
'emets,  ne  sont  qu'un  résumé  ou  plutôt  wne  paraphrase  du  texte  de 
•et  éminent  écrivain.  Après  Michelet,  il  nous  a  paru  qu'il  n'y  avait 
ilus  rien  à  écrire  sur  la  géographie  pittoresque  de  la  France  du  Sud- 
)uest. 


172  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

sans  doute  la  race  primitive,  Galls,  Tectosages.  Cette  popi  ■■ 
tion,  placée  dans  une  position  unique,  a  dû  donner  de  gra  ■ 
avantages  à  ce  pays.  On  sent  partout  l'aisance.  Montaubai 
découvre  en  un  bel  amphithéâtre.  Bien  assis  sur  son  plat 
bien  défendu,  en  bas,  par  ses  fossés  profonds,  il  arrêta  ce 
Louis  XIII,  lorsqu'il  vint  s'y  heurter  étourdiment,  en  essa 
le  siège...  » 

Ne  descendons  pas  plus  bas;  au  contraire,  éloignons-nous 
voisinage  de  Toulouse,  point  central  du  bassin  méridio 
frontière  naturelle  séparant  la  Guyenne  et  le  Languedoc.  « 
deux  contrées  si  différentes  sous  la  môme  latitude  ».  Ni 
sommes  en  Périgord.  Terre  pauvre  où  le  fer  affleure  sous 
bruyères  et  les  châtaigniers.  Horizons  restreints,  mais  p; 
assez  pittoresque.  Sur  la  route,  Brantôme,  l'abbaye  du  sire 
Bourdeilles.  «  cloître  sombre,  chargé  d'élégantesîvégétation 
puis  Périgucux,  curieuse  ville.  «  Déjà  le  pays  s'est  boisé  légè 
ment;  de  petites  vignes,  non  soutenues,  descendent  vers 
petites  prairies.  C'est  encore  la  pauvreté,  mais  non  pas  tris 
plutôt  souriante. 

«  Nous  avoQS  vu  la  Dordogne,  partie  des  monts,  tourner 
rudes  mamelons  du  Quercy  pour  descendre  au  midi  à  la  re 
contre  de  la  Garonne.  Ici  nous  suivons  le  cours  de  l'Isle,  jo 
rivière  qui  vient  du  Limousin.  De  grosses  fermes  commenci 
à  paraître,  la  route  peu  à  peu  se  peuple  de  gens  de  campag    i 
figures  fines  et  maigres,  le  teint  bilieux.  Le  mouchoir  griseï  \ 
des  Bordelaises  remplace  le  respectable  bonnet  de  nos  aïeul»   i 
Vous  le  rencontrez  dès  Mareuil.  Entre  Montpont  et  Liboun   ! 
d'où  l'on  découvre,  à  droite,  la  plaine  de  Coutras,  commence    = 
richesse  du  pays,  les  vastes  champs,  les  vignes  fortes  festo: 
nées  d'abord  en  arcades.  Elles  montent  sur  les  petites  collin 
qui  séparent  le  bassin  de  la  Dordogne  du  bassin  do  la  Garonn 
A  mesure  qu'on  avance,  tout  prend  un  air  de  richissse  anglai 
ou  coloniale.  Enfin  l'immense  fleuve  et  la  ville,  sous  la  forn 
d'un  croissant.   Bordeaux  peu  à  peu  se  découvre.  Bordeau 
longtemps  capitale  de  la  France  anglaise,  plus  longtemps  ai 
glaise  de  cœur,  est  tournée  par  l'intérêt  de  son  commorco  vei 
l'Océan,   vers  l'-Ainériquo.  La   Garonne,  disons  maintenant 
Gironde,  y  est  deux  fois  plus  large  que  la  Tamiso  à  Londrc 
Lorsqu'elle  passe  entre  les  vignobles  du  Médoc  et  les  moissoi 
de  Saintongo,  dans  une  largeur  de  trois  lieues,  ce  n'est  pli 
un  fleuve,  c'est  une  aimable  souveraine  qui  vient  s'oflrir  à  se 
gigantesque  époux,  lo  vieil  Oci-nn...  Los  Anglais,  en  perdant 
Guyenne,  perdirent  leur  paradis  de  France,  toutes  les  bénédi» 
lions  du  Midi,  l'olivier,  lo  vin,  le  soleil. 

«  La  légèreté  spirituelle  de  la  Guyenne  n'a  pas  été  assez  dif 
tinguée  du  fort  et  dur  génie  du  Languedoc.  II  y  a  pourtant  enti 
ces  deux  pays  la  même  difrércnce  qu'entre  les  Montagnards  < 


17i  LES    POÈTES    DU    TEKROIR 

les  Girondins,  entre  Fabre  et  Barnave,  entre  le  vin  fumeux  de 
Lunel  et  le  vin  de  Bordeaux.  La  conviction  est  forte,  intolé- 
rante en  Languedoc,  souvent  atroce,  et  l'incrédulité  aussi.  La 
Guyenne,  au  contraire,  a  de  bonne  heure  affecté  l'indirtérence 
religieuse...  Le  pays  de  Montaigne  et  de  Montesquieu  est  celui 
des  croyances  flottantes;  Fénelon,  l'homme  le  plus  religieux 
qu'ils  aient  eu,  est  presque  un  hérétique.  C'est  bien  pis  en 
avançant  vers  la  Gascogne,  pays  de  pauvres  diables,  très  nobles 
et  très  gueux,  de  drôles  de  corps  qui  auraient  tous  dit,  comme 
leur  Henri  IV  :  Paris  vaut  bien  une  messe... 

«  Quelque  belle  et  riche  que  soit  cette  vallée  de  la  Garonne, 
on  ne  peut  s'y  arrêter;  les  lointains  sommets  des  Pyrénées  ont 
un  trop  puissant  attrait.  Mais  le  chemin  est  sérieux.  Soit  que 
vous  preniez  par  Nérac,  triste  seigneurie  des  Albret  où  Mar- 
guerite de  Navarre  et  son  pelit-fils  Henri  IV,  roi  sans  royaume, 
tinrent  souvent  leur  cour,  soit  que  vous  cheminiez  le  long  de 
la  côte,  vous  ne  voyez  qu'un  océan  de  landes;  tout  au  plus  des 
arbres  à  liège,  de  vastes  pinadas,  route  sombre  et  solitaire 
sans  autre  compagnie  que  les  troupeaux  de  moutons  noirs  qui 
suivent  leur  éternel  voyage  des  Pyrénées  aux  Landes  et  vont 
des  montagnes  à  la  plaine  chercher  la  chaleur  au  nord,  sous  la 
conduite  du  pasteur  landais.  Naguère  —  car  le  caractère  des 
Landes  s'est  modifié  depuis  peu  —  le  voyageur  qui  avait  traîné, 
ou  plutôt  navigué  péniblement,  tristement,  sur  la  mer  grist 
des  sables  mouvants,  s'étonnait,  au  matin,  de  trouver,  au  bout 
du  désert  morne,  une  grande  ville  riche  et  vivante,  toute  mo- 
derne, Mont-de-Marsan,  u 

Cette  cité  n'est  point  digne  de  nous  arrêter.  Fondée  pai 
Charlemagne,  détruite  plus  tard  par  les  Normands,  voilà  tout 
son  passé.  L'intérêt  est  plus  bas,  au  fond  du  golfe  de  Gascogne, 
entre  Cordouan  et  Biarritz,  au  lieu  môme  où  le  flot,  s'échappant 
d'un  gigantesque  entonnoir,  dans  une  pression  épouvantable, 
remonte  à  une  hauteur  dont  nos  mers  ne  donnent  aucun  autre 
exemple.  L'Océan  et  la  montagne  ont  ici  lotrt.cs  leurs  illusions. 

«  Rien  de  plus  imaginatifque  les  hommes  de  ce  rivage,  amants 
de  l'impossible,  cherclicurs  acharnés  du  péril  aux  al)imes,  aux 
sombres  mers  des  pôles.  »  Ce  sont  les  Basques,  types  immua- 
bles des  races  d'Occident,  dont  les  origines  ne  se  comptent 
plus.  Serrés  longtemps  dans  leurs  roches,  ces  géants  descen- 
dirent peu  à  peu  parmi  les  Béarnais  et.  suivant  le  cliemiu  des 
Laudes,  réclamèrent  à  leur  tour  leur  part  des  belles  provinces 
sur  tant  d'usurpateurs  qui  s'étaient  succédé.  Au  vu»  siècle,  dans 
la  dissolution  de  l'empire  neu8trien,ils  tentèrent  de  renouvclor 
l'Aquitaine,  et  un  moment  la  possédèrent.  » 

Sur  la  droite  nous  aurons  soudain  l'éblouissante  vision  des 
Pyrénées.  Nousconnaissons  déjà  le  Béarn  ;  nous  n'aurions  rionà 
en  dire,  si  le  caractère  du  Gascon-Béarnais  ne  venait  solliciter 


GASCOGNE    ET    GUYENNE 


175 


notre  altention.  Ea  fait,  ces  «  petits  hommes  noirs  et  brûlés. 
;i  méchante  mine  »,  pleins  de  feu,  d'esprit  et  do  courage,  syn- 
thétisent ce  qu'il  y  a  peut-être  de  meilleur,  de  plus  personnel 
au  fond  des  populations  du  Sud-Ouest.  «  Il  fallut  qu'ils  fussent 
gens  de  ressources,  ayant  à  courir  le  monde.  Le  droit  d'ainosse 
régnait  en  Gascogne.  L'ainé  restait  fièrement  au  castel,  sur  sa 
roche,  sans  vassal  que  lui-même  et  se  servant  par  sin»i)licité. 
Los  cadets  s'en  allaient  gaiement  devant  eux,  tant  que  la  terre 


^-^.—  Limite  dEtâf 

.     .  de  PfOYince 

de  Beparlcment 
_      Lieu  d(  Pd  bznnte 


'.pïont-deTyrarsaii    Condoii 

•s*'        Marsan©  Cont/ornm 

S^Sçyrr  GERS^ 

^^^r/ou.  AL 

y!ontfori 
Arm  ; 
irandc 
^tara 


NAVAKK"-,    ^y 


L.UlJLUUJLi(It^  \  r> 


s'étendait,  bons  piétons,  comme  on  sait,  allant  à  pied  par  goût 
tant  qu'ils  ne  trouvaient  pas  un  cheval,  riches  d'une  épée  de 
famille,  d'un  nom  sonore  et  d'une  cape  percée  ;  du  reste,  nobles 
comme  le  roi,  c'est-à-dire  sans  fief...  »  Les  siècles  ont  changé 
leur  costume  et  leur  destinée,  mais  n'ont  point  modiQé  leur 
goût.  Ce  n'est  pas  que  tous  les  Gascons  du  Midi  ressemblent  à 
ce  portrait  déjà  ancien.  Il  en  est  d'autres  non  moins  caractéris- 
tiques. Aussi  bien  la  terre  qui  les  abrite  est-elle  presque  un 
royaume  pour  l'étendue. 

«  Tout  près  d'Auch,  ancienne  capitale  de  la  Gascogne,  vous 
trouverez  des  Gascons  d'une  autre  race.  Si  vous  descendez  du 


176  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Nord,  vous  rencontrerez,  par  delà  Bordeaux  et  Toulouse,  au 
coin  de  l'Aquitaine,  en  face  du  Rouergue,  un  petit  pays  dont  le 
nom  a  résumé  toutes  les  haines  du  Midi  et  du  Nord.  Ce  nom 
tragique  est  celui  d'Armagnac.  Rude  pays,  vineux  il  est  vrai, 
mais,  sous  les  grêles  de  la  montagne,  souvent  fertile,  souvent 
frappé.  Ces  gens  d'Armagnac,  de  Fézeusac,  pourtant  moins 
pauvres  que  ceux  des  Landes,  furent  pourtant  plus  inquiets. 
Persécuteurs  assidus  des  églises  surtout  pour  les  piller,  excom- 
muniés de  génération  en  génération,  ce  qui  ne  les  troublait 
guère,  ils  vécurent  la  plupart  en  vrais  fils  du  diable.  Saint  Louis 
leur  donna  plus  d'une  leçon  sévère;  ils  finiront  par  comprendre 
qu'ils  gagneraient  plus  à  servir  les  rois  de  France,  et  devinrent 
les  capitaines  du  Midi  au  service  de  la  royauté.  » 

Battant,  battus,  toujours  en  armes,  poussant  la  guerre  avec 
une  violence  inconnue  jusque-là,  ils  furent  comblés.  Nos  rois 
les  firent  généraux,  connétables  et  presque  rois.  Ils  connurent, 
sous  les  premières  dynasties,  gloire  et  honneurs,  mais  leur 
triomphe  ne  dura  quautant  que  leur  région  ne  fut  pas  réunie  à 
la  couronne.  Leur  histoire  se  confondit  ensuite  avec  celle  delà 
nation.  Alors  tous  ces  Gascons  de  la  plaine  et  de  la  montagne, 
de  môme  que  ceux  du  nord  au  midi,  depuis  les  limites  de  la 
Saintonge,  de  l'Angoumois  et  du  Limousin  jusqu'aux  confins 
dos  Pyrénées,  formèrent  un  peuple  presque  homogène,  respec- 
tueux des  traditions  et  des  coutumes  locales,  mais  plus  attaché 
à  son  accent  qu'à  ses  dialectes.  Lorsqu'on  étudie  les  princi- 
paux monuments  littéraires  de  la  Gascogne  et  do  la  Guyenne» 
on  demeure  surpris  de  constater  combien  s'exerça,  dans  les 
trois  siècles  qui  nous  précédèrent,  riuflucnco  des  races  du 
Nord.  Le  «  gentil  parler  français  »  fit  phis  peut-être  pour  l'uni- 
fication du  Midi  que  nos  succès  politiques.  Cela  s'explique  ai- 
sément. Les  langues  ont  i)ri3  sans  cesse  la  route  des  armées. 
Or,  tandis  que  le  Limousin,  éloigné  dos  grandes  voies  de  com- 
munication, a  gardé  sa  langue  d'oc  à  peine  entamée  au  nord 
vers  les  Marciies,  la  langue  d'oïl  s'est  avancée  jusqu'à  la  Dor- 
dogne,  à  Coutras,  et  jusqu'à  la  Gironde,  à  Blayc,  traçant  une 
limite  linguiste  parallèle  à  la  frontière  historiijue.  Ello  a  pris 
simplement  la  route  que  suivirent  longtemps  les  pèlerins  se 
rendant  à  Saiut-Jacques-do-Compostelle  :  la  grande  voie  où 
planent  encore  jusqu'aux  Pyrénées,  selon  l'expression  de  M.  Vi- 
dal de  la  Blachu',  les  souvenirs  do  Cliarlomagne  et  do  Roland. 

«  Une  chaiuo  do  populations  et  de  dialectes  s'étend  par  lu 
Herry,  le  Poitou  et  la  Saintonge.  Los  «  Gavacljcs  »,  ainsi  que  les 
appellent  les  Gascons,  pénétrèrent  commo  un  coin  on  plein  Sud- 
Ouest.  »  C'est  la  destinée  dos  peuples  soumis  d'accepter  la  loi 
du  nouveau  maître.   Le   Gascon,   bien  que  dans  unu  situation 

i.  Tableau  géojraphique  de  la  France,  Paris,  llacliclle,  iOOS. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  177 

particiiliùrement  favorable,  n'échappa  pas  à  la  règle  commune. 
La  poésie  dite  «  occitane  »,  celle  des  langues  romanes  (jiii  con- 
tinua le  latin  après  la  conquête  romaine,  possède  encore  aujour- 
d'hui, dit-on,  les  mêmes  limites  qu'au  moyen  Age',  mais  pendant 
longtemps  elle  a  cessé  d'apporter  son  tribut  de  beauté.  Elle 
a  cédé  la  place  aux  témoignages  de  la  langue  officielle.  Ses 
meilleurs  représentants  ne  furent  trop  souvent  que  des  patoi- 
sants ;  les  vrais  lyriques  s'exprimèrent  en  français.  Nous  sa- 
vons ce  qu'on  nous  objectera.  La  langue  d'oc  connut  en  Gas- 
cogne l'instant  d'une  renaissance.  Elle  eut  même  l'honneur  de 
prêter  le  jour  au  premier  poète  qui,  dans  le  Midi,  longtemps 
avant  Bellaiid  de  la  Bellaudière,  «  envisagea  la  nécessité  d'éle- 
ver à  la  dignité  littéraire  son  idiome  envahi  par  les  gallicismes  ». 
En  1565,  elle  donna,  par  la  voix  éloquente  de  Pey  de  Garros, 
les  Psaumes  de  David  virés  en  langage  gascon-.  La  tentative 


1.  Cf.  Paul  Mariélon,  Les  P7'('curseiirs  du  Félibrige,  Revue  Féli- 
bréenne,  lltOO.  «  L'ancienne  province  de  Gascogne,  —  écrit  encore 
cet  auteur,  dans  son  remarquable  essai  de  Géographie  littéraire  de  la 
Gascogne  (Revue  Félibréeune,  juill.-sept.,  1893),  —  formée  d'un  grand 
nombre  de  petits  pays  ou  Etals  admeltait,  à  côté  de  son  idiome  pro- 
pre, quelques  variétés  du  languedocien  et  la  langue  basque.  Nous  ne 
parlons  ici  cjuc  du  dialecte  gascon.  11  a  une  physionomie  à  part  dans 
la  langue  d'oc.  Les  transformations  d'f  en  h  et  d7  en  r,  sans  parier 
du  changement  de  u  en  6  d'ailleurs  commun  avec  les  régions  aqui- 
tano-languedociennes,  —  caractères  qui  frappent  à  première  vue,  lui 
donnent  une  sorte  d'autonomie.  Il  se  répartit  en  sis  principaux  sous- 
dialectes  :  le  bi'arnais,  le  landais,  le  bigourdan,  Yarmaganais,  le 
commingeois,  et  le  girondin  qui  s'étend  jusqu'à  l'Agenais.  Les  dif- 
férences de  ces  parlers  sont  légères  de  l'un  à  1  autre.  Un  seul  et 
même  idiome,  vraiment,  règne  sur  l'Aquitaine  de  César.  Ce  dialecte 
gascon  de  la  grande  langue  provençale  a  un  ensemble  de  Irails  phoné- 
tiques en  effet  si  personnels,  qu'à  la  suite  de  maints  auteurs  anciens, 
plusieurs  romanistes  modernes  persistent  à  la  considérer  comme 
une  langue  proprement  dite...  Le  gascon  est  parlé  par  plus  de  deux* 
millions  d'Iiommos.  Dialecte  unique  de  trois  départements  :  le  Gers 
(Condomois,  Astarac,  Armagnac  et  Lomagne  occidentale),  dont  le 
chef-lieu  Auch  fut  la  capitale  de  l'ancienne  Gascogne  ;  les  Landes 
(l'Albret,  laChalosse,  les  pays  de  Born,  de  Lannes  et  de  Marennes)  et 
les  Hautes-Pyrénées  (comté  de  Bigorre),  il  règne  en  partie  sur  six 
autres.  Sont  pays  de  parler  gascon  :  dans  XArieqe,  leCousei-ans  ;  dans 
la  JJaute-Garonne,  le  Commlngos  et  le  pays  de  Rivière  (Gascogne 
toulousaine);  Tarn-et-Garonne,  le  Gimoes  et  la  Limagne  orientale; 
dans  le  Lot-et-Garonne,  le  Condomois  et  l'Agenais  méridional  ;  dans 
la  Gironde,  le  Bordelais,  l'Entre-deux-Mers  et  le  Bazadals  ;  enfin 
dans  les  Basses-Pyrénées,  le  Béarn,  la  Navarre  septentrionale  et  le 
Labourd...  » 

2.  On  sait  que  Pierre  de  Garros  est  encore  l'auteur  d'un  vif  éloge  de 
la  langue  gasconne,  que  les  romanlsants  ont  considéré  jusqu'à  ce 
jour  comme  le  premier  manifeste  de  la  lano;ue  d'oc  dans  les  temps 
modernes.  On  trouve  celte  pièce  dans  ses  Poesias  (Toulouse,  lo67. 


178  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

était  intéressante.  Elle  eut  un  grand  retentissement,  grAce  non 
point  à  son  originalité,  mais  à  l'esprit  de  réforme  qui  l'animait. 
Pierre  do  Garros  était  calviniste;  son  œuvre  venait  à  point  pour 
répandre  dans  le  peuple  des  idées  qui  étaient  chères  à  ceux  de 
son  parti. 

Son  exemple  fut-il  suivi?  C'est  ce  que  nous  ne  saurions  éta- 
blir clairement,  quoique  la  Gascogne  et  la  Guyenne  aient  eu  au 
XVI»  et  au  xvii"  siècle  —  voire  môme  au  xix«  —  quelques  autres 
poètes  en  langue  vulgaire. 

Le  plus  grand  fut,  sans  nul  doute,  ce  Cortète  de  Prades  qui, 
en  dialecte  de  l'Agenais,  fît  vibrer  la  lyre  des  vieux  trouba- 
dours pour  exprimer  harmonieusement  la  courtoisie,  la  grâce 
aimable  de  ses  compatriotes.  Ses  pastorales  sont  trop  célèbres 
pour  que  nous  nous  attachions  à  les  commenter  ici.  Après  lui, 
—  avant  lui,  devrait-on  dire,  —  les  rimeurs  ne  manquent  pas. 
Chaque  région  tient  à  cœur  de  fournir  ses  disciples  des  Muses. 
Un  jour  Toulouse,  capitale  du  Languedoc,  connut  une  étoile  de 
première  grandeur,  Goudoiili.  On  s'en  souvint  longtemps.  Gou- 
douli  fut  un  admirable  lyrique,  auquel  les  imitateurs  ne  man- 
quèrent point  en  terre  gasconne. 

L'Armagnac,  à  lui  seul,  eût  suffi  à  donner  des  poètes  à  tout  le 
Midi.  Aussi  bien  est-ce  le  pays  le  plus  caractéristique  que  nous 
ayons  rencontré  dans  cette  partie  de  la  France.  Il  s'enorgueillit 
iustoment  de  Pierre  de  Garros,  de  Jean  de  (ïarros*,de  Guillaume 
Ader,  du  joyeux  Géraud  d'Astros,  enfîn  do  Salusto  du  Hartas. 
Du  Hartas,  no  l'oublions  pas,  fut  le  jilus  grand  homme  do  son 
époque,  dans  sa  petite  patrie.  Il  employa  avec  une  égale  force 
les  deux  langues.  Il  eut  une  place  digne  d'envie  prés  des  maî- 
tres de  la  Pléiade;  il  fut  inimitable  dans  sa  langue  maternelle. 
On  ne  possède  que   deux   poèmes  où   s'est   exercée  sa  verve 

in-S").  Aprt'S  lui,  un  aulre  Gascon,  d'Aslros,  a  préconisé  l'emploi  du 
dialecle  local.  H  l'a  fait  en  ces  termes  : 

«  Crois-moi,  (jascon,  ne  rougis  pas  d'cnlcndre  noire  langue,  ou  de 
la  parlor  comme  a  Lecloure  ou  à  Saint-Clar.  Certes  elle  osl  la  seule 
correcte,  la  (leur,  la  perle  du  gascon  pur  et  sans  mélange,  mais  seu- 
lement daus  un  rayon  de  sej>t  lieues.  Ses  voisines,  en  vraies  sottes, 
se  mêlent  à  l'aslaracais,  toulousain,  garounais,  espagnol,  landais,  a 
toutes  les  confusions,  d'où  résulte  un  idiome  rajtelassé,  décrépit,  el 
qui  iironciie  à  chaque  pas.  >< 

D'Aslros,  a-l-on  écrit,  a  singulicromonl  rétréci  les  limites  de  son 
i<liome.  C'est  un  poète  de  transition,  plus  altaclié,  semblo-l-il,  à  son 
clocli(!r  que  sensible  à  la  gloire  de  toute  la  «  (iasrogno  ». 

1.  Krt-redu  précédent,  il  fut  pourvu  du  sièjice  de  conseiller  au  séné- 
chal d'Armagnac  on  1570.  Il  est  l'auteur  d'une  jiastoraie  sin-  la  niori 
do  Henri  IV,  l'astonrn  de  Gn.scont'  sur  la  mort  den  tnnf/ni/ic...  Anrir 
fjitnrl  den  num,  Toulouse,  .1.  lîoudo.  1011,  in-S",  réimurimé  avec  une 
traduction  française,  en  IS'JO,  par  .VIcée  Durrieux  (Aucl>,  impr.  Gaston 
Foix,  in-li). 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  179 

Tasconnc;  mais  ces  textes  sont  devenus  presque  clnssiques. 
Sur  du  Bartas  nous  clorons  le  xvi<=  siècle.  Le  xvii<>  siècle,  à  son 
our,  apporta  en  Armagnac  et  en  Condomois  son  contingent 
Je  poètes.  Citons  parmi  les  plus  notoires  :  Louis  Baron,  Géraud 
3édout,  Gautier,  de  Lombez ',  Nicolas  Monestior,  Jean  Trébos, 
Sébastien  de  Pagos,  Dominique  Duguay,  de  Lavardens-.  Enfin 
e  xix«  siècle  nous  a  donné  les  noms  de  l'abbé  Jean-Bapliste 
jaflargue^,  de  Jean-IJapliste  Cassaignau*  et  mémo  de  Joseph 
>îoulens,  etc.  L'effort  ne  devait  d'ailleurs  pas  être  propre  à  une 
seule  région. 

De  toutes  parts,  à  tous  les  siècles,  des  voix  ont  surgi  pour 
célébrer  dans  la  langue  des  aïeux  l'amour  du  berceau,  la  douceur 
le  la  vie  rustique.  Nous  avons  déjà  nommé  l'Agenais  et  son 
•hantre  le  plus  illustre  ;  nous  n'avons  pas  dit  combien  ce  terroir 
"ut  favorable  à  l'inspiration  populaire.  L'.4genais  ne  se  contenta 
pas  des  accents  du  passé  et  de  ces  aimables  chantres,  Guil- 
aume  Delprat  (né  en  1G55),  traducteur  de  Virgile  en  langage 
lu  cru,  J.  Patrice  Grabi^res  (1746-1817);  X.-L.  Champmas  (1764- 
1832),  etc.;  au  xix"  siècle  il  produisit  eacore  Jasmin,  puis  ré- 

1.  On  sait  peu  de  chose  sur  ce  poète.  On  ignore  même  ses  prénoms 
3t  la  dale  de  sa  naissance.  Il  vivait  encore  en  177U.  Une  partie  de  ses 
compositions  ont  été  imprimées  à  la  suite  des  poésies  de  Goudouli.  On 
jislinguc  parmi  ces  dernières  des  odes,  des  chansons,  des  stances, 
et  môme  un  sonnet.  Gautier,  qui  écrivait  en  dialecte  du  liaul  Lan- 
guedoc, fut  un  poète  joyeux,  plaisant,  erotique  parfois.  Chez  lui,  a-t-on 
écrit,  l'expression  est  toujours  propre,  mais  la  pensée  se  ressent  trop 
du  voisinage  de  l'Espagne  et  de  la  recherche  du  faux  espritàlamode. 
Ou  lui  prête  des  strophes  célébrant  le  vin  et  une  pièce  sur  la  montre 
de  sa  maîtresse  qui  est  un  modèle  de  grâce  amoureuse. 

2.  Il  naquit  à  Lavardens  en  1G43  et  mourut,  croit-on,  en  1735.  II 
a  écrit  de  charmants  vers  patois.  11  obtint  aux  jeux  Floraux  la  Vio- 
lette et  l'Eglantine  pour  des  compositions  françaises.  Ses  œuvres 
consistent  en  trois  recueils  :  Hecueil  de  toutes  les  pièces  gasconnes 
et  françaises  qui  ont  été  récitées  à  l'Ac.  des  jeux  Floraux,  etc.,  par 
M»  Dom.  Duguay;  Toulouse,  A.  Colomicz,  1642,  in-8"  ;  Le  Triompht^ 
de  l'Eglantine,  etc..  ibid.,  1043.  in-S-;  La  Muse  gasconne  ou  le 
Triomphe  de  la  Violette,  ibid.,  1690,  in-4». 

3.  Né  le  G  septembre  17117,  à  Vic-Fézensac,  il  fut  curé  à  Crasies, 
dans  le  diocèse  d'Auch,  et  mourut  le  13  novembre  1866.  Ses  poésies 
fort  plaisantes  ont  été  publiées  récemment  par  M.  J.  Michelet  dans 
son  beau  livre.  Poètes  gascons  du  (iers  {Auch,  impr.  Bouquet,  1904^, 
in-8». 

4.  Né  à  Lamolhe-Cumont,  canton  de  Bcaumoul-de-Lomagne,  le  27 
mai  1821,  il  exerça  la  médecine  dans  son  pays  et  lit  des  vers  gascons. 
Il  a  laissé  deux  recueils  :  Fantesios  et  Loisirs  d'un  médecin  de  la 
Lomagne,  Toulouse,  Gary,  1881,  in-S";  Mas  darrèros  fantesios,  Tou- 
louse, Fournier,  s.  d.,  in-S".  M.  Jules  Michelet  a  réimprimé,  dans  ses 
Poètes  gascons  du  Gers,  un  grand  nombre  de  pièces  de  ce  recueil. 

0.  Né  à  Condom  le  29  oct.  1828.  Il  a  fait  paraître  La  Flahuto  gas- 
coutio,  Paris,  Bouillon,  1897,  in-8». 


180  LES    POÈTES    DU    TEKKOIK 

comment  Charles  Ralior',  André  Soiirreilh,  Charles  Dereanes, 
d'autres  plus  modestes. 

Ea  même  temps,  le  Bordelais  et  le  Périgord  mirent  en  lu- 
mière Pierre  liousst-t,  l'abbé  Girardcau-,  le  plaisant  auteur  des 
Macarieiiaes,  Maitre  Verdié'S  P.  Margontier  *,  Aug.  ChastanetS 

1.  Né  à  Agcn,  proclamé  majorai  du  Félibrige,  en  remplacement  de 
Tamizey  de  Larroque  (1898).  On  lui  doit  quelques  poésies  :  Las  Dos 
Ensourcilliairos,  Agen,  Ouillot,  1883,  iu-S»  ;  Septen  par  la  Faidito 
(poésies  agcnaises  dédiées  à  Philadelplie),  Agen,  Lamy,  1896,  in-S», 
et  des  travaux  d'histoire  lilléraire  loc:de. 

2.  Girardeau  naquit  le  l"  septembre  1700,  à  Pian,  paroisse  dépen- 
dant du  prieuré  de  Saint-Macaire;  il  en  fut  curé  depuis  mai  I7t)9  jus- 
qu'en mars  1771  et  y  mourut  le  iO  août  1774,  laissant  la  réputation 
d'un  esprit  généreux,  indépendant  et  narquois.  On  lui  allribue  cotte 
plaisante  satire  contre  IcsJésuiles,  Les  Macariennes,  poème  en  vers 
gascons  (A  .Nankin,  chez  Romain  Macaronv,  1763,  in-l:J;  et  ensuite 
Paris,  Aubry,  i86i,  in-i2. 

3.  VerJié  était  de  Bordeaux.  Il  vit  le  jour  le  11  déc.  1779,  dans 
l'ancienne  paroisse  Saint-Rcmy,  et  mourut  le  26  juillet  1820,  laissant 
une  réputation  dans  le  peuple.  Ses  compositions  paloises,  Abanture 
comique  île  Meste  Bernât  ou  Guillaoumet  de  retour  déns  sous 
fouyes,  Bertoumieu  à  Bourdeu,  Arribade  de  Guillaoumet  déns  lous 
enfers,  etc.,  d'une  expression  triviale  et  médiocre,  ont  été  maintes 
fois  réimprimées.  Voyez  (Euvres  complètes  de  Mestc  Vcr<//(,',  16<>  éd. 
corr.  et  augm.,  avec  une  notice  sur  la  vie  de  l'auteur  par  Ch.  Bal, 
Bordeaux,  C.  Lacoste,  s.  d.,  in-12. 

4.  11  naquit  à  Terrasson,  chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement 
deSarlat  (Dordogne),  le  8  janvier  1701,  et  mourut  dans  sa  ville  ualale, 
le  14  juin  187o.  .\ncien  chirurgien  de  l'armée,  il  exerça  la  médecine 
jusqu  à  sa  lin.  Ses  poésies,  parmi  lesquelles  on  remarque  plusieurs 
pièces  céli'brant  les  sites  du  Périgord  et  les  rives  de  la  Vézèrc,  pu- 
bliées piimilivcmcnt  dans  des  revues,  ont  été  réunies  par  les  soins  de 
son  compatriote  M.  Gabriel  Lafon,  avec  la  collaboration  de  M"»  Mar- 
guerite Genès.  Voyez  l'ouvrage  suivant  :  Pierre  Marf/oJitier,  /7.9/- 
1875,  notice  biographique  suide  des  Œuvres  du  poète  terrasson- 
7iais  iBrivc,  impr.  Hoche,  1902,  in-i6). 

5.  Né  à  Mussidan  (Dordogne)  le  7  septembre  1825,  mort  le  6  mai 
1902,  il  fut  élu  majorai  du  l'élibrigc  en  1876.  Il  a  donné  plusieurs 
recueils  de  prose  et  de  vers  :  Lous  Uouqueis  de  la  Jano  (iV-rigueux, 
Dupont,  1875,  in-8")  ;  Counties  et  Vjrjr/a«(Ribérac,  Delacroix,  1877, 
in-8»);  l'er  tua  Ion  temps  (Périgueux,  Dclage  et  Joucla,  1890,  in-S"). 
Auguste  Cliastanct  a  été  considéré,  ii  juste  titre,  comme  le  meilleur 
l)Oète  du  Périgord.  «  Ib-ureux  champion  du  troubar  r.lar  préconisé 
par  Giraut  de  Borucil,  a-t-on  dit,  il  a  écrit  dans  une  langue  claire  et 
pure,  mais  simple.  Imprégné  jusqu'à  la  moelle  de  l'atmosphère  du 
pays  natal  dont  il  ne  voulut  pas  se  déraciner,  peintre  habile  des 
nnr'urs  de  la  campagne,  interprèle  de  l'esprit  du  paysan,  passionné 
pour  notre  vieil  idiome,  dont  le  culte  se  confondait  chez  lui  avec  lo 
culte  du  terroir,  il  a  créé  un  genre  dans  lequel  il  ne  sera  jamais 
surpassé.  »  On  consultera  sur  ce  poète  A.  I)ujarric-D('scr)mbcs,  Auf/. 
CJiastanet,  Lou  Itournat  dou  l'erigord,  juill.  1902;  Le  Fèlibrige  en 
Lini'jusin,  Gram'e  Revue,  !•'  févr.  1907. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  181 

abert  Benoît'.  Les  Landes  ont  eu  :  Isidore  Salles  et  l'abbé 
jdegert-;  le  Rouergue:  Peyrot  de  Pradinas,  Dom  Gucrin  d^ 
ant-',  puis  l'abbé  Bessou;  le  Comminges  et  la  Bigorre  :  Ber- 
andde  Larado,  Philadelphe  de  Gerde  et  Camélat;  le  pays  bas- 
le  :  Oihenart;  le  Beaumontois  :  Bernard  de  Saint-Salvy,  auteur 
3S  Berscs  beuinonteses ;  le  Labourd  :  Justin  Larrébat;  enfin  le 
ucrcy  :  l'Anonyme  de  Cahors*,  Valés  de  Montech",  Daubasse,, 
ntoine  Brugié",  Jean  Castélat,  meunier  de  Loubéjac,  Augus- 

1.  Tout  à  la  fois  mainteneur  de  l'école  félibrécnne  et  coiiïeur  à 
rrigueux,  M.  Uobort  Benoit  est  né  à  Mussidan  (Doniognc)  le  7  mars 
Mj-.  Il  a  publié  '.es  Bii/oaitis  et  D' Autres  UigoiuUs,  deux  recueils 
■  vers  patois  qui  ont  fait  sa  réputation  et  lui  ont  vaUi  le  surnom  de 
isiiiiu  du  Périgord.  Des  qualités  de  grâce,  une  aimable  francluse,  de 

i;;iieté,  font  pardonner  a  ce  modeste  rimeur  la  timidité  d'une  musc 
lus  cesse  troublée  par  l'exemple  glorieux  de  l'auteur  des  Papillotes. 

.  Ilobert  Benoît  a  publié,  en  outre,  des  vers  de  circonstance  et  mi 

unie,  Seroilhoto,  pour  lequel  il  est  fier  d'avoir  obtenu  une  primevère- 
ax  jeux  P'Ioraux. 

-2.  .Né  à  Pontoux,  dans  les  Landes,  en  1809,  mort  chanoine  delà  calhé- 
rale  d'Aire,  en  18S1),  l'abbé  Pédegert  a  laissé  ce  charmant  recueil  : 
oas  Be)'s  gascowis,  Bourdéou,  Féret  et  llill,  1892,  in- 1:2. 

î.  Voyez  de  cet  auteur  :  Le  Testament  de  Couchart,  publié  et 
moté  par  MM.  Mazcl  et  Vigoureux  (Montpellier,  Impr.  centrale  du 

idi,  1882,  in-S"). 

i.  C'est  ainsi  que  l'on  désigne  l'auteur  d'une  poésie  lyrique,  L'A- 
"lunnix  ^'a/is/,  qui  nous  a  été  conservée  par  l'érudit  Pierre  Horel,  de 

i-tics,  dans  son  ouvrage  :  Trésor  des  recherches  et  antiqidtez  ç/au- 
ii>;('S  et  françaises,  imprimé  en  1655.  N'ous  regrettons  beaucoup  de 
e  pouvoir  insérer  ici  ce  petit  poème,  l'un  des  plus  parfaits  ([u'aient 
utmis  produits  les  littératures  méridionales.  Borel,  qui  l'a  fait  suivre 

iiue  bonne  traduction,  aftirme  que  L'Ainoureux  transi  lui  fut  com- 
uuiiqué  par  Paul  Pellisson,  l'ami  de  Fouquet. 
I.  Jean  Valès,  «  doyen  des  aumùniersde  l'armée  française  »,  naquit 

Moiilech  (Tarn-et-Garonne)  en  1595  et  mourut  dans  cette  ville  au 
lilieu  du  xviie  siècle.  Il  a  traduit  en  vers  burlesques  ou  héro'îques 

s  Satires  de  Perse,  les  Bucoliques,  les  Géorr/iques  et  l'Enéide,  ainsii 
uc  des  textes  sacrés.  Voyez  :  Virgilio  déguisât  o  l'Eneido  burlesco 
f'I  S.  de  Vnlès  de  Mountèch,  Toulouse,  impr.  F.  Boudes,  1G48,  in-4»  ; 
.oiis  Set  Salmes  penitencials  de  Dabid,  etc.,  Montalba,  1652,  in-4''. 
a  plupart  de  ses  ouvrages  sont  rarissimes.  «  11  faudrait  un  volume, 
'Ion  Mary-Lafon,  pour  analyser  les  œuvres  de  Vales.  Bien  supérieur 

(iauGer  et  à  d'Aslros,  le  joyeux  vicaire  de  Saint-Clair-de-Lomagne 
0  rapproche  beaucoup  de  Goudouli  par  le  talent  et  la  pureté  de  as 
uiiiue...  Le  mérite  vrai,  réel  et  remarquable  de  Valès  éclate,  non  dans 
•s  traductions  des  Eglogues,  des  Géorgiques  et  des  Satires  de  Perse, 
u'il  fallait  laisser  dans  leur  texte,  mais  dans  les  productions  qui  lui 
ont  personnelles;  là  il  a  droit  à  l'attention  et  à  l'estime  des  lettrés.  » 
'n  lui  doit  une  pastorale  qui  à  elle  seule  lui  assure  le  premier  rang 
!'  s  poètes  de  sa  province.  Le  docteur  Noulet,  dans  son  remarquable- 
)uvrage.  Essai  sur  V  histoire  Litti'raire  des  patois  dumidi  de  la  Fimnce, 
seizième  siècle,  a  donné  de  nombreux  extraits  des  poèmes  de  Valès. 

6.  Né  à  Salviac  (Lot)  le  27  décembre  1735.  Voyez  de  cet  auteur 

11 


182  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

tin  Quercy,  de  Montauban,  Léon  Cladel,  Paul  Froument,  Anto- 
uin  Perbosc',  etc. 

Jusqu'ici  nous  n'avons  pas  fait  la  part  des  écrivains  français- 
IIs  furent  si  nombreux  que  nous  aurions  quelque  peine  à  les 
signaler  tous.  Bien  que  nous  leur  donnions  rang  après  les 
poètes  de  langue  d'oc,  ils  mériteraient  la  première  place.  Leur 
influence  a  été  si  forte  que  nous  ne  pouvons  guère  leur  opposer 
que  deux  ou  trois  clianteurs  d'expression  populaire.  Encore  ces 
derniers  no  simposent-ils  que  comme  représentants  du  ter- 
roir. Qui  osera  jamais  comparer  à  l'œuvre  d'un  Clément  Marot, 
d'un  Olivier  de  Magny,  d'un  Théophile,  les  pâles  productions 
de  Guillaume  Ader,  de  Bédout  et  de  Peyrot  de  Pradinas? 

Répétons-le  pour  finir,  l'infiltration  de  la  langue  d'oïl  s'est 
faite  si  profondément  en  Gascogne  et  en  Guyenne,  que  ce  n'est 
point  trop  dire  que  l'habitant  a  oublié  la  tradition  dos  trouba- 
dours et  que  les  poètes  du  cru  ne  se  sont  jamais  si  bien  expri- 
més que  lorsqu'ils  ont  traduit,  «  paraphrasé  »  les  conceptions 
des  Septentrionaux.  La  tentative  récente  du  Félibrige  n'a  pas 
donné  là  ce  qu'on  était  en  droit  d'attendre. 

La  littérature  dite  classique  en  Bordelais,  en  Périgord,  en 
Rouerguo,  dans  le  Quercy,  r.\rmagnac,  les  Landes,  l'Agenais, 
la  Bigorre.  etc.,  pour  ne  citer  que  ces  régions,  nous  od're  cent 
noms  dignes  d'être  retenus.  On  ne  trouvera  ici  que  les  plus 
notoires,  sinon  les  plus  caractéristiques.  Ce  sont,  pour  les  xvi" 
et  XVII»  siècles,  Saluste  du  Bartas,  Pierre  de  Brach,  Jean-Léon 
de  Métivier,  Jean  Rus,  Jean  du  Vignau,  Pierre  de  Bourdeilles. 
seigneur  de  Brantôme,  Etienne  de  la  Boétie,  Pierre  de  Laval, 
Clément  Marot,  Olivier  de  Magny,  Jean  Fornier*,  Guillaume 
du  Buys,  Jean  du  Pré,  Gérard-Marie  Imbert'',  le  siour  de  Cail- 
lavet,  Le  Poulchre  de  la  Molte-Messemé,  Guillaume  du  Sable*, 

Boxino  Gorjo  e  Gulo  Fresco,  ou  lou  Gounuon  motat,  poonic  patois, 
«le,  Paris,  Teclicner,  1841,  in-S". 

1.  S'il  nous  fallait  faire  ici  la  part  des  pulilicalions  anonymes,  nous 
ne  manriuerions  pas  de  citer  des  «  Fables  clioisios  <lc  La  l'onlaine  • 
agréablement  interprétées  en  langue  gasconne  [Fables  causidos  de 
La  Fontaine  en  bcrs  f/ascouns.  Bayonne,  inipr.  P.  Fauvel-Duliard, 
1770,  iu-8'',  et  Dax,  Labèque.  181)1',  in-8"),  petits  cliefs-d'a'uvrc  do 
verve  et  d'observation,  cl  un  long  poème,  Le  Mirai  Moundi{Le  Miroir 
toulousain),  Toulouse.  Desclassan,  I781,in-I2;  ce  dernier  attribué  à 
Hillet  ou  au  I*.  Napian. 

2.  On  lui  donne  ce  petit  ouvrage  rarissime,  L'Affliction  de  Mon- 
tauban, poème,  latti. 

3.  Tamiz-cy  de  Larroque  a  donné  une  .savante  réimpression  des 
poésies  de  Gérard-Marie  Indicrt.  Voyez  :  /'remii-re  partir  des  son- 
nets exotiques,  etc.,  Bordeaux,  Gounouilliou,  lH7i,  in-8".  Imbert  a 
célébré  parfois  son  pavs.  (Vovez  :  Léonce  Coulure,  G. -M.  Imbert, 
Revue  de  Gascogne,  1870,  XVll,  p.  494  et  534.) 

4.  Ce  poète  véhément  cl  d'humeur  satirique  a  laissé  un  recueil  fort 


I 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  183 

La  Pujade',  Jean  de  Sponde,  Hugues  Salel,  Jean  de  la  Jessée*, 
Joseph  du  Cliesae,  F.  de  Belleforest,  Marc  de  Mailliet'^,  Lalaane, 
H.  de  la  Mesnardiére,  Théophile  de  Viau,  etc.;  enlin.  pour  les 
xviii»  et  XIX»  siècles  et  jusqu'à  nos  jours  :  Lefranc  de  l'ompi- 
guaa*,  La   Grange-Chancel,  Théophile  Gautier,  Mary-Lafon"*, 


iiil(''rcssanl,  La  Muse  cluissei^essp,  dédié  à  la  Jioyne  mère  reaente, 
A  Paris,  aux  frais  et  despcus  de  l'aullicur,  Ittll.  in-12  (réimprimé 
parlicUemcnt  par  la  Libr.  des  bibliophiles,  avec  une  uolicc  de  l'aui 
Lacroix,  en  1884,  in-lri).  Guillaume  du  Sable  n'est  pas,  à  proprement 
parler,  un  poêle  du  terroir.  11  ne  s'est  souvenu  de  son  pays  et  de  ses 
compatriotes  que  pour  les  railler  amèrement.  On  lira  avec  intérêt 
ses  sonnets  sur  les  Gascons,  et  en  particulier  ceux  qui  débutent  par 
ces  vers  : 

Gascons,  accordez-vous,  n'enlvez  plus  en  reproches,  etc. 
J'ai  juste  occasion  de  quitter  la  Gascogne,  etc. 

1 .  Il  était  d'Agen  et  du  xvi*  siècle.  Dans  ses  poésies  commentées  par 
Tamizcy  de  Larroque  (Voyez  G.  Collelet,  Vies  des  poètes  ar/enais), 
on  trouve  des  stances  sur  «  la  recherche  et  inventaire  des  archives  de 
la  maison  de  ville  d'Agen  en  l'année  1601,  adressée  à  MM.  les  Consuls 
et  jurais  de  ladite  cité  », 

2.  Il  était  né  à  Mauvaisin  vers  looO.  On  lui  doit  une  foule  d'ou- 
vrages eu  prose  et  en  vers,  inspirés  par  des  événements  conlempo- 
rains.  Ses  poésies  diverses,  qui  ont  fait  l'objet  de  nombreux  commen- 
taires, ont  élé  imprimées  par  Christophe  Planliu  en  1583,  4  fort  vol. 
in-4".  Jean  de  la  Jessée  est  l'auteur  de  la  jolie  chanson  qui  commence 
par  ces  vers  : 

Ce  temps  comblé  d'un  verd  honneur,  L'artisan  dedans  sa  cité. 

Couvre  la  terre  de  son  heur,  Le  pasteur  aux  champs  liabité 

Les  boys  île  cheveleure  :  Cliaiilant.  ses  soings  enchante; 

On  voit  rives,  plaines  et  prez,  Mesme  on  oyt  jaser  les  oiseaux 

De  gave  couleur  diaprcz  :  15ruire  l'air, Vt  couiir  les  eaux  : 

Las  !  tout  rid,  et  je  pleure.  Je  me  plains,  et  tout  chante. 

Il  s'est  fait,  à  l'occasion,  l'apologiste  de  sa  province.  Voyez,  à  ce  pro- 
pos, son  poème  intitulé  :  Temple  de  Xavarre,  où  se  trouvent  décrits 
ses  souvenirs  d'enfance. 

3.  Né  à  Bordeaux  vers  1568,  mort  vers  1628.  C'est  le  typedubohème, 
du  poète  crotlé,  tourné  en  raillerie  par  Saiut-Amanl.  Ses  Poésies 
ont  paru  à  Bordeaux,  chez  S.  Millanges,  en  1616,  in-8»,  et  à  Paris  en 
1620.  iMaillet  n'a  guère  chanté  sou  pays. 

4.  Jean-Jacques  le  Franc  marquis  lïe  Pompignan,  poète  lyrique  et 
dramatique,  né  à  Monlauban  en  1701»,  mort  en  1784.  11  a  donné  un 
texte  en  prose  mêlé  de  vers  intitulé  Voyage  de  Languedoc  et  de 
Provence.  Ses  œuvres  ont  été  recueillies  eu  1784;  elles  forment 
6  vol.  in-S". 

5.  Jean-Bernard  Lafon,  dit  Mary-Lafon,  né  à  la  Française,  en  Caor- 
sin,  le  26  mai  1810,  mort  à  Aussonnes,  près  Montauban,  le  24  juillet 
1884.  11  a  élé  considéré,  juslement,  comme  l'un  des  précurseurs  du 
mouvement  qui  aboutit  au  Félibrige.  Sa  production  est  considérable. 
Il  a  abordé  tous  les  genres.  On  lui  doit  un  grand  nombre  d'ouvrages 
d'histoire,  de  critique,  de  liltéralure,  fort  inégaux,  mais  des  romans 
cl  quelques  poésies  assez  faibles.  Historien,  critique,  traducteur,  phi- 


184  LES  POÈTES  DU  TERKOIR 

Catulle  Mendès,  Camille  Delthil,  Georges  Leygues,  Charles  de 
Pomairols,  François  Fabié,  Boyer  d'Agen,  Laurent  Tailhade, 
Francis  Maratuech',  Gaston  Garrisson,  Emile  Goudeau,  Jean 
Rameau,  Emmanuel  Auréjac,  Emmanuel  Delbousquet,  Ilaymond 
de  la  Tailhcide,  Francis  Jammes,  Paul  Maryllis,  Elie  Fourùs, 
Arthur  Poydenot,  Charles  Derennes  (poète  bilingue  déjà  nommé), 
Marc  Varenne,  Valmy-Baisse,  Emile  Despax,  Roger  Frêne,  etc.*. 
A  connaître  par  le  menu  la  production  de  tant  d'auteurs  di- 
vers, les  uns  originaux,  les  autres  médiocres,  mais  tous  égale- 
ment pénétrés  du  sentiment  de  la  race,  on  se  rendra  compte 
de  ce  que  l'esprit  gascon  a  réalisé  de  meilleur  ou  de  pire  en 
contribuant  à  révolution  du  génie  national. 

Bibliographie.  —  Bru/.en  de  la  Martiuiére,  Crand  Diction- 
naire de  Géographie  historique,  etc.,  t.  III,  Paris.  P. -G.  Lo  Mer- 
cier, 1728,  in-fol.  —  Grateloup,  Grammaire  gasconne,  etc.,  173". 
(Voy.  surtout  l'éd.  donnée  récemment.)  —  Expilly,  Diction- 
naire géographique,  histor,  et  politique  de  la  France,  Amster- 
dam et  Paris,  Desaiut  et  Saillant,  III,  1762,  etc.  —  Vidaillet, 
Biographie  des  hommes  célèbres  du  départem.  du  Lot,  etc.,  Gour- 
don,  iiiipr.  de  Lescure,  1826,  in-8".  —  A.  Maziire,  Histoire  du 
Béarn  et  du  pays  basque,  Pau,  Yignancour,  1839,  in-S».  —  P.-G. 
Brunet,  Notices  et  extr.  de  quelques  ouvrages  écrits  en  patois  du 
Midi  de  la  France,  etc.,  Paris,  Leleu,  1840,  in- 12.  —  Lamarqu.' 
de  Plaisance,  Usages  et  Chansons  populaires  de  l'ancien  liaza- 
dais,  Bordeaux,  1845,  in-8°.  —  .\ristido  Guilbert,  Histoire  des 
Villes  de  France,  Paris,  Furue  et  C'«,  1848,  t.  II,  gr,  in-S",  — 
Cénac-Moncaiit ,  Voyage  archéologique  et  historique  dans  les 
anciens  comtés  dWstarac  et  de  J'ardiac,  suivi  d'un  Essai  sur  la 


lologuc,  romancier,  poèlc  lyrique  et  satirique,  Mary-Lafon  fut  un 
fervent  patriote;  on  l'avait  surnommé  le  XIi<li  fait  homme. 

1.  .Né  dans  la  seconde  moitié  du  xix»  siècle,  à  Ferrièrcs  (Lot), 
mort  le  14  mai  11)08,  Francis  Maraluccli  a  dirigé  des  revues  et  des 
journaux  de  iirovincc  cl  s'est  fait  une  place  |)armi  les  chantres  qucr- 
cynois,  en  donnant  un  recueil,  liocailles,  choses  de  monpaijs,  Paris, 
Lemerre,  l.SHJ,  iu-i:i.  Il  est  en  outre  l'auteur  d'une  sorte  d'épopée 
régionale,  Les  Jùulourques.  «  Kéveur  avec  <lélices,  a>l-on  dit,  cet 
entêté  cam/itn/iiartl,  comme  il  se  qualifie  lui-même,  a  toujours  pré- 
féré les  gramis  et  lumineux  horizons  de  Kerrières  aux  villes,  où  il 
n'a  fait  que  de  courts  séjours;  sa  plumoesl  élégante  et  fine,  parfois 
un  peu  caustique,  avec  un  grand  sentiment  poétique  qu'il  dut  a  sa  vie 
de  contemplatif.  » 

2.  Signalons  enfin,  pour  mémoire,  dans  le  Quercy,  la  publication 
d'un  recueil  collectif,  La  Guirlande  des  Marguerites,  snniwi»  dédiés 
à  la  ville  de  Nérac  (Nérac,  ijidovic  Durey,  187(»,  in-8"),  qui  à  lui  seul 
peut  nous  fournir  encore  la  matière  d  une  aidrc  série  de  poètes,  la 
plupart  inconnus  et  dignes  de  l'être.  Néanmoins  l'ohjel  de  ce  livre 
est  curieux  et  méritait  de  n'être  point  oublié. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  185 

langue  et  la  littérature  gasconnes,  Paris,  Didier,  1856,  in-S»  ; 
Grammaire  gasconne,  Paris,  1863,  in-16  ;  Littérature  populaire 
de  la  Gascogne,  Paris,  Dentu,  1868,  in-18.  (Voy.  en  outre  son 
Dictionn.  gascon-français,  etc.)  —  B.  Rey,  Galerie  biographi- 
que des  personnages  célèbres  de  Tarn-et-Garonne,  Montauban, 
Forestié,  185",  in-8''.  —  Francisque  Micliel,  Le  Pays  basque,  Pa- 
ris, Firmin  Didot,  1857,  in-8°;  Le  Romancero  du  pays  basque, 
ibid.,  1859,  in-12.  —  [Louis  de  Lamothe],  Notes  pour  servir  à 
la  biographie  des  grands  hommes  de  la  ville  de  Bordeaux,  Bor- 
deaux, impr.  de  Gounouilhou,  1858,  in-8°;  Le  même,  augmenté, 
Paris,  Derache,  1863;  Genève,  1869.  et  Amsterdam,  IS"!},  in-8<>- 

—  D'-  J.-B.  Noulet,  Essai  sur  l'histoire  littéraire  des  patois  du 
Midi  de  la  France  aux  seizième  et  dix-septième  siècles,  Paris, 
Techener,  1859,  gr.  in-S»  (ouvragetrèsimportant):  Essai  sur  l'hist. 
littér.  des  patois  du  Midi,  etc.,  dix-huitième  s.,  Paris,  Maison- 
neuve,  1877,  in-8»,  —  E.  Forestié  neveu,  Biographie  de  Tarn- 
ct-Garonne,  etc.,  Montauban,  impr.  Forestié,  1860,  in-8».  —  F.-J. 
Bourdoau,  Manuel  de  Géographie  historique  ancienne,  Gascogne 
et  Béarn,  etc.,  Paris,  1861,  in-8».  —  F.  Couarraze  de  Laa,  Les 
Chants  du  Béarn  et  de  la  Bigorre,  Tarbes,  Th.  Telmou,  1861, 
in-8».  — Guillaume  Colletet,  Vies  des  poètes  gascons,  publié  par 
Tamizey  de  Larroque,  Paris,  Aubry,  1866,  in-8»:  Vies  des  poètes 
agenais,  etc.,  Agen,  impr.  Noubel,  1868,  in-8°;  Vies  des  poètes 
bordelais  et  périgourdins,  etc.,  Paris,  Claudin,  1873,  in-8».  — 
Pascal  Lamazou,  Chants  pyrénéens,  Pau,  Gacliau,  1869,  in-4».  — 
J.-D.  Sallabery,  Chants  populaires  du  pays  basque,  Bayonne, 
veuve  Lamaiguère,  1870,  in-8».  —  Jean-François  Bladé,  Géogra- 
phie historique  de  la  Gascogne,  Revue  de  Gascogne,  18G4  (V. 
p.  555-567);  Chansons  populaires  en  langue  française  recueillies 
dans  l'Armagnac  et  dans  l'Agenais,Varis,  Champion,  1879,  in-8»; 
Poésies  populaires  de  la  Gascogne,  Paris,  Maisonneuve,  1881- 
1882,  3  vol.  in-8».  —  Catalogue  de  la  Biblioth.  patoisc  de  Bour- 
gaud  des  Marets,  Paris,  Maisonneuve,  1873-1874,  2  vol.  in-8x  — 
Baron  Ch.  de  Tourtoulon,  Etude  sur  la  limite  géographique  de 
la  langue  d'oc  et  de  la  langue  d'oïl,  avec  une  carte  (en  coUab. 
avec  O.  Bringuier),  Paris,  Impr.  Nationale,  1876,  in-8»;  Des  Dia- 
lectes, de  leur  classification  et  de  leur  délimitation  géographique, 
Paris,  Maisonneuve,  1890,  in-8°.  —  R.  Reboul,  Bibliographie  des 
ouvrages  écrits  en  patois  du  Midi,  Paris,  Techener,  1877,  in-8». 

—  Abbé  Beaurredon,  Etudes  landaises,  etc.,  Pau,  Ménetière, 
1877,  in-8».  —  Achille  Luchaire,  Etude  sur  les  idiomes  pyrénéens, 
Paris,  Maisonneuve,  1879,  in-8»;  Rec.  de  textes  de  l'anc.  dialecte 
gascon,  ibid.,  1881,  in-S».  —  Y.  Lespy,  Grammaire  béarnaise, 
etc.,  Paris,  Maisonneuve,  1880,  in-8»:  V.  Lespy  et  Raymond, 
Dictionnaire  béarnais  anc.  et  mod.,  Montpellier,  Impr.  Contr., 
1886,  2  vol.  in-8».  —  H.  Affre,  Biographie  aveyronnaise.  Rodez, 
impr.   de   Rroca,   1881,  in-8».  —  A.    do   Roumejoux,  Essai  de 


186  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Bibliographie  pèrigourdinc.  Sauveterre,  J.  Chollet,  1882,  in-S". 
—  Abbé  Léonce  Couture,  Le  Génie  gascon,  discours,  Toulouse, 
Ed.  Privât,  1882,  io-S";  Trois  Poètes  condomois  du  seizième  siè- 
cle, Toulouse,  Privât,  s.  d.,  ia-8».  (Voir  du  môme  :  Esquisse  d'une 
hist.  littér.  de  la  Gascogne  pend,  la  Renaissance,  Bull,  du  Com. 
d'histoire  et  d'archéol.  de  la  prov.  d'Auch,  1861,  t.  II,  p.  507- 
565.)  —  Paul  Perret,  Les  Pyrénées  françaises,  Paris,  Oudin,  1881 
1882,  2  vol.  ia-8".  —  Ed.  Bourcier,  La  Conjugaison  gasc-,  Bor- 
deaux, 1881,  in-S»;  La  Langue  gasc.  à  Bordeaux,  Bordeaux,  1892 
ia-8».  —  Mary-Lafon,  IList.  littér.  du  Midi  de  la  France,  Paris' 
Reiawald,  1882,  in-8".  Voir  encore,  du  même  auteur.  Tableau 
histor.  et  comparatif  de  la  langue  parlée  dans  le  Midi  de  la 
France,  in-12;  Histoire  du  Midi  de  la  France,  etc.,  4  vol.  ia-8»' 

—  Julien  Vinson,  Le  Folklore  du  pays  basque,  Paris,  Maison- 
neuve,  1883,  ia-8'^  ;  Essai  d'une  bibliographie  de  la  langue  basque^ 
Paris,  Maisoancuve,  1891,  ia-8».  —  J.  Andrieu,  Bibliographie 
génér.  de  l'Agenais  et  des  parties  du  Condomois  et  du  Bazadais 
incorporées  dans  le  départ,  de  Lot-et-Gar,,  Paris,  Picard,  1886, 
3  vol.  in-8o.  —  Frédéric  Mistral,  Le  Trésor  du  Félibrige,  Paris, 
Champion,  1886,  iu-4».  —  F.  Aroaudia,  Contes  pop.  rec.  dans  la 
Grande-Lande,  le  Béarn,  les  Petites-Landes  et  le  Marensin,  Pa- 
ris, Lechevalier,  1887,  ia-12,  —  A.  Lavcrgae,  Les  Chemins  de 
Saint-Jacques  en  Gascogne,  Bordeaux,  P.  Chollet,  1887,  io-8». 

—  J.  de  Laporterie,  Les  Vieilles  Coutumes  de  la  Chalosse,  Les 
Chants  populaires;  Saiat-Sever,  1887,  ia-8»;  Les  Traditions  en 
Chalosse,  Caea,  H.  Delesques,  1890,  in-8»;  voir  aussi  Une  Noce 
de  Paysans,  Saint-Sever,  1885,  in-8«.  —  Emmanuel  Solovillo, 
Chants  popul.  du  bas  Qucrcy,  Paris,  Champion,  1889,  in-8».  — 
Joseph  Daymard,  Vieux  Chants  popul.  recueillis  en  Qiiercy,  etc., 
Cahors,  J.  Girma,  1889,  in-18.  —  IV.  Daleau,  Notes  pour  servir  à 
l'étude  des  traditions...  de  la  Gironde,  Bordeaux,  Uellior,  1889, 
in-8".  —  Norbert  Bosapelly,  Au  pays  de  Bigarre,  etc.,  Tarbes 
Croharé,  1891,  in-8».  —  [V.  Foix],  J'oésie  popul.  landaise,  Dax,' 
impr.  Hazael-Labéque,  1890,  in-12.  —  L.  Dardy,  Anthologie 
populaire  de  l'Albret,  Agon,  Michel  et  Mcdan,  1891,  2  vol.  in- 18. 

—  Froment  de  Beaurepaire,  Chansons  popul.  du  Qucrcy,  La  Tra- 
dition, V-VIII,  1891-1895.  —  Michel  Camélat,  Le  Patois  d'Arrens. 
Paris,  Picard,  1891,  in-8».  —  D.  Belirens,  Bibliographie  des  pa- 
tois gallo-romans,  2»  éd.,  trad.  par  E.  Rabiot,  Berlin,  W.  Gro- 
nau,  1893,  in-8'>.  —  .Maxime  Lanusse,  De  l'influence  du  dialecte 
gasc.  sur  la  langue  franc.,  Paris,  Maisonncuve,  1893,  in-8».  — 
G.  Bastit,  La  Gascogne  littéraire,  etc.,  Bordeaux,  Fi-ret,  1894, 
in-12.  —  J.-L  de  I/.tueta,  Textes  des  anciennes  danses  basques 
chantées,  WorAcaux,  Destouessc,  1894,  in-8»  (réinipr.  du  recueil 
do  Don  Juan  Ignacio  de  I/tuota  donné  primitivement  en  1824'. 

—  G.  Jourdanue,  Hist.  du  Félibrige,  IS'j'j-lSilli,  Avignon,  Bou- 
manille,  1897,  in-16.  —  D'  Collignon,  A.  Planté,  L.  Ètchcvcrry, 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  187 

Wentworth  Webster,  J.  D.  Sallaberry,  Ch.  Bordes,  J.  de  Jaur- 
gain,  A.  Campion,  etc.,  La  Tradition  au  pays  basque,  Varis,  aux 
bureaux  de  la  Tradition  nationale,  1899,  in-S".  —  J.    Forestier, 

Curiosités  patoises  recueillies  dans  un  coin  du  liouergue,  Paris, 
J.  Mersch,  1900,  in-18.  —  Paul  Mariéton,  Les  Précurseurs  du 
Félibrige,  IdoO-lSkS,  Revue  félibréenne,  1900.  Voir  surtout 
L'Evolution  félibréenne,  Revue  félibréenne,  1892-1895,  t.  A'III, 
IX  et  XI  (étude  très  importante  sur  l'histoire  littéraire  du  Midi). 
—  Ed.  Lefèvre,  Catalogue  félibrèen  et  du  Midi  de  la  France, 
Marseille,  Ruât,  1901,  in-8'' ;  Années  félibréennes  1903  et  190^, 
suppl.  au  précédent  ouvrage,  ibid.,  2  fasc.  in-8».  —  Paul  Dut- 
fard,  L'Armagnac  noir,  Auch,  1902,  in-8».  —  Abbé  Casse  et  abbé 
Chaminade,  Vieilles  Chansons  patoises  du  Périgord,  Périgueux, 
Cassard,  1902,  in-8»:  Cliansons  patoises  du  Périgord,  Paris, 
Champion,  1905,  in-S».  —  Albert  flrimaud,  La  Race  et  le  Terroir, 
Cahors,  Petite  Biblioth.  provinciale,  1903,  in-8».  —  J.  Michelet, 
Poètes  gascons  du  Gers  depuis  le  seizième  siècle  jusqu'à  nos 
jours,  Auch,  imprim.  Th.  Bouquet,  1904,  gr.  in-8».  —  J.  Miche- 
let, Notre  France,  9«  édit.,  Paris,  Colin,  1907,  in-12.  —  Vidal  de 
la  Blache,  Tableau  de  la  Géographie  de  la  France  {Histoire  de 
France  de  E.  Lavisse,  t.  I),  3«  éd.,  Paris,  Hachette,  1908,  in-4».  — 
Pierre  Lhande,  Autour  d'un  foyer  basque,  Paris,  Nouv.  Libr. 
nationale,  1908,  in-12.  —  Ant.  Perbosc,  Anthologie  d'un  cente- 
naire, Pages  choisies  des  écrivains  tarn-et-garonnais,  18ÛS-1908, 
Prosateurs,  Montauban,  P.  Masson,  1908,  in-8».  —  A.  Praviel, 
L'Empire  du  Soleil,  Paris,  Nouv.  Libr.  nationale,  1908,  in-12.  — 
E.  Gaubert  et  J.  Véran,  Anthologie  de  l'amour  provençal,  Paris» 
Mercure  de  France,  1909,  in-18,  etc.  On  consultera  en  outre  le 
Catalogue  de  la  Biblioth.  du  D'^  J.-B.  Noulet,  1893;  Tlntrod.  à 
l'édit.  du  Parterre  gascon,  de  Bédout  (1850),  par  Ph.  Abadie; 
La  Grande  Revue,  fasc.  consacrés  au  Périgord,  16  janv.-l»'"  févr. 
1907;  la  Revue  de  Gascogne  (Cf.  Table  générale  des  XLI premiers 
vol.,  Auch,  impr.  G.  Foix,  1900,  in-8'>);  VArniana  gasconn  (18^8- 
1874)  ;  l'/lr/na/ia  g-aroM/ifi/zc  (Villeneuve-sur-Lot  et  Agen,  1891, 
1892  et  1894);  VArnianac  patou'es  de  la  Bigorro  (1893),  V Ar- 
mana  gascon  (1894),  VArmanac  quercinou'es  (1893),  la  Collec- 
tion de  la  Revue  félibréenne  (1885-1900),  et  les  collections  des 
périodiques  suivants  :  La  Terre  d'oc  (Toulouse),  Revue  des  Pyré- 
nées, Les  Annales  du  Midi,  Revue  des  langues  romanes.  Revue 
Méridionale,  Bull,  de  la  Soc.  des  études  du  Lot,  Bull,  de  la  Soc. 

istor.  du  Périgord,  Lou  Bournat  dou  Périgord,  Reclams  de  Biarn 

Gascounhe,  Revue  du  Tarn,  Le  Félibrige  latin,  etc. 


CHANSONS  POPULAIRES 


I 


CHANSON   BASQUE* 
(texte  souletin) 

Le  chemin  des  étoiles  du  ciel  —  Si  je  savais,  —  Là  ma 
jeune  bicn-aiméc  —  {Tout)  droit  je  la  trouverais;  —  Mais 
à  partir  de  ce  soir  —  Plus  ne  la  verrai! 

A  un  jeune  chêne  par  la  cognée  —  Abattu  —  Est  pa- 
reil mon  cœur  —  Blessé  :  —  Ses  racines  périront  — 
Desséchées. 

S'il  se  pouvait  que  mon  œil  —  Se  ferme  (à  jamais),  — 
Pour  que  celui  de  ma  jeune  bien-aimée  —  Brille  [de  nou- 
veau) —  Je  mettrais  mon  sang-  —  Versé!  ! 

Parce  qu'elle  était  de  toutes  les  fleurs  —  La  plus  jolie, 
—  Et  de  mon  cœur  —  La  plus  aimée,  —  Pour  elle  sera 
mon  dernier  —  Soupir! 


ZELUKO    IZARREN    BIDIA 

(ZIBERUTAUREX) 

Zclilko  izarren  bidia 

Nik  bancki, 
Han  niro  enc  maitc  gaztia 


Chiichcn  khaiisi; 
Bcna  g.nir  jii<>uiti  uik  hura 

Ez  ikhiisi  ! 
Harilch  ga/.to  bat  nik  ailiotzaz 

Treiikattirik 
Udari  zait  cnc  bihotza 

Kolpatikrik  : 
Erruak  croriko  zaitzola 

Eihartilrik! 


Ahal  haliz  ene  bogia 

Zerrntiirik 
Eno  niaite  gaztiarcna 

ArgitilriU-, 
Ezar  niro  eue  odola 

Ichiiririk  ! 

Zcrtîii  l>citzcD  lili  ororcn 

Eijerreua, 
Bai  cta  <;no  bihotzeko 

Miiitouuna. 
Harcn  izauon  (la  cno  azkca 

Hasporuna! 


1,  Chansons  populaires  du  pays  hasqna,  rec.  parJ.-I).  Sallabfi'ij 
(Hayoïiiic,  impr.  veuve  Lamaiguièrc,  1870,  10-4»). 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  189 


KALLA   KANTUZi 

La  caille  chante  sous  les  blés  en  juillet  et  août  ;  —  Je 
l'ai  entendue  maintes  fois  en  revenant  de  chez  ma  mie; 
—  Car  l'amour  souvent  me  menait  à  sa  porte  ou  à  sa 
fenêtre. 

De  l'aniour  peut  prendre  celui  qui  en  veut.  —  Moi,  j'en 
ai  pour  une  et  jamais  je  ne  la  laisserai,  —  Non,  jamais 
jusqu'à  la  mort. 

Le  coucou  met  ses  petits  dans  un  petit  trou  sur  la 
cime  d'un  chêne;  —  Mère,  moi,  je  voudrais  me  marier 
lorsque  je  serai  en  âg-e  :  —  H  y  a  déjà  longtemps  que 
mes  compagnes  le  sont. 

Que  la  fleur  de  la  violette  est  belle  au  printemps!  — 
Il  y  a  longtemps  que  je  n'ai  vu  l'œil  de  ma  mie;  —  Peut- 
être  la  pauvrette  se  souvient-elle  de  la  foi  qu'elle  m'a 
jurée. 

Je  m'en  souviens,  je  m'en  souviens,  je  ne  l'ai  point 
oubliée; 


KALLA   KANTUZ 

Kalla  kantuz  ogi  petitk  iiztaril  agorri  letan  : 
Mnitea  ganik  etchera  koaa  entzun  izandut  bortzetan 

Amodioak  bainera  bilkaa  haren  athe  lei  hoetan. 

« 
Amodioa,  amodio  nahi  duenak  har  diro. 
Nik  batenzat  hartu  dut  eta  sckula  ez  utziko 
Ez  sekula,  toabaren  barnen  sarthu  artino. 
Kukuiak  umeak  chilho  ttipiaa  haritz  gainean; 
Ama,  ni  ère  nahi  niz  ezkondu  adinak  ditudanian; 
Ene  lagiinak  eginak  dire  juan  den  aspaldi  handian. 
Primaderan  zoinen  eder  brioletaren  loria! 
Aspaldiau  nit  ezdut  ikhusi,  neure  maitiaren  begia; 
Balinba  gaichoak  eztu  ahant/.e  niri  eman  fedia. 
—  Orhoitzea  nuzu  orhoitzen,  ez  zautazu  ahantzten; 

1.  Chanson  publiée  par  M.  Charles  Bordes  dans  le  recueil  Za  Ti'a- 
tHtion  au  pays  basque  (\^oy.  La  Musique  popul.  des  Basques,  etc.), 
Paris,  aux  bureaux  de  la  Tradition  nationale,  i899,  in-S». 


190 


LES    POETES    DU    TEKROIR 


—  Je  souffre  dans  ce  monde  autant  qu'une  Madeleine;  — 
Et  j  arrose  de  mes  larmes  le  pain  que  je  mang-o. 

La  nuit  est  sombre,  longue  la  route,  n'est-ce  pas 
grande  peine?  —  Nous  venons  vous  voir,  étoile  enchan- 
teresse; —  Ouvrez-nous  la  porto,  vous  qui  êtes  pleine 
de  tendresse, 

Quoiqu'il  fasse  nuit  noire,  nous  ne  manquons  point  de 
lumière  ;  —  Cette  étoile  charmante  se  tient  à  la  fenêtre.  — 
Elle  nous  éclairera  durant  le  temps  que  nous  rentrerons 
à  la  maison. 

CRIBETEi 

(chanson  recueillie  a  panassac,  gers) 

Cribete,  on  l'a  mariée,  —  La  fille  de  Cormesin.  —  Elle 
est  si  petite,  — Elle  ne  sait  pas  se  vêtir.  —  L'amour  lu 
tient,  l'amour  qui  ne  la  tient  —  Voudrait  la  tenir. 

Son  mari  va  à  la  guerre  —  Pour  la  laisser  grandir.  — 
Quand  la  guerre  est  finie,  —  \l  retourne  dans  son  pays. 

Il  s'en  va  frapper  à  la  porte.  —  «  Cribete,  viens  ouvrir.  » 

Madalena  batek  bezanbat  muadtiiaa  dut  sofritzen. 
Jaten  diidan  ogia  ère  nigarrez  dut  trenpatzen. 
Gaua  ilhun,  bidia  luze,  ezdea  phena  handia? 
Zure  ikhoustcra  jiteu  gira,  izar  charmagarria; 
Borlha  irek'aguzu,  zuk,  tendreziaz  bethia. 
Gaua  luze  izanagatik,  argi  mcntsik  ez  dugu 
Izar  charmagarri  hura  loihoan  oinca  dagozu  : 
Ou  etchian  sarlhu  artino,  harek  argituren  derauku. 


CIUHETO 

Cribeto.l'an  casado,  j    ..  Soun  mnrit  l)at  à  la  guerro 

Hillo  do  Cormesi,  J         *         l'er  la  dcclia  grandi. 
Ero  n'es  tant  petite.  Quant  la  guerro  es  finido. 

Non  se  sab  pas  besti.  Quetourao  au  soun  pais. 

L'amour  In  teng, 
L'amour  qui  nous  la  teng,  S'en  ba  tusta  a  la  porto, 

lioudrio  la  teni.  «  Cribolo,  sai  oul)ri.  » 

1.  Les  deux  pièces  qui  suivent  sont  extraites  du  recueil  do  Jean- 
François  iilad/',  J'oésifs  pojiulaires  de  la  Gascogne,  l'aris,  Maison- 
neuve,  1882,  .3  vol.  iu-12. 


i 


GASCOGNE    ET    GUYENNE 


191 


—  Sa  mère,  toute  pleurante  :  —  «  Gribete  n'est  pas  ici. 

«  Le  roi  Maure  l'a  prise,  —  Menée  dans  son  pays.  — 
Donnez-moi  la  cape  rouge,  —  Le  bûton  de  sapin.  » 

Il  va  demander  l'aumône  —  Dans  le  pays  Maure.  — 
Du  balcon  du  roi  Maure  —  Gribete  l'a  vu. 

Elle  peigne  sa  chevelure  —  Avec  un  peigne  d'or  fin. 

—  «  Fais  charité,  seïïora,  —  Au  pauvre  pèlerin. 

—  Je  ne  puis  pas,  senor,  —  Je  ne  suis  pas  d'ici.  »  — 
Le  roi  Maure  l'écoutait  —  Du  fond  du  grand  jardin. 

«  Fais  charité,  senora,  —  Au  pauvre  pèlerin.  —  Si  tu 
n'es  pas  ma  femme  à  présent,  —  Tu  le  seras  demain 
matin. 

—  Va  à  l'écurie,  — Prends  le  meilleur  roussin.  »  —  Le 
roi  Maure  les  poursuit  :  —  «  Gribete,  viens  ici.  » 

Quand  ils  sont  au  pont  d'Oviedo  —  Le  pont  vient  à 
partir.  —  «  Vierge  je  te  l'avais  prise,  —  Et  vierge  tu  l'as 
ici.  ))  —  L'amour  la  tient,  l'amour  qui  ne  la  tient  —  Vou- 
drait la  tenir. 


Sa  mai,  toute  plourouso  : 
«  Cribeto  n'es  aci. 

«  Lou  rèi  Maurou  l'a  proso, 
Miado  en  soun  pais. 

—  Doiinatz-me  la  capo  roiijo, 
Lou  bastouQ  de  sapin.  » 

Ba  demanda  l'aumoino, 
Dens  lou  pais  Mauri. 
Dou  balcoun  dou  rèi  Maurou. 
Cribeto  que  l'a  bist. 

Pintuo  cabeliino 
Dab  un  ]>intou  d'or  fin. 
«  Hè  caritat,  senora. 
Au  praube  pelegrin. 

—  Nau  podi  pas,  senor, 
Jeu  nou  soui  pas  d'aci.  » 


Rèi  Maurou  l'escoutano, 
Dou  houn  dou  gran  jardin. 
«  Hè  caritat.  senora, 
Au  praube  pelegrin. 
Si  n'es  ma  beuno  adaro, 

Seras  douman  maitin. 

• 

Bei  a  l'escuderio  : 
Preng  lou  milieu  roussin.  » 
Rèi  Maurou  lous  acasse  : 
a  Gribete,  sai  aci.  » 

Quant  soun  au  pountd'Obiedo  *  ,  . 
Lou  pount  beng  à  parti.  ) 

«  Bierge  te  l'aui  preso, 
E  bierge  l'as  aci.  » 
L'amour  la  teng, 
L'amour  qui  nous  la  teng' 
Boudrio  la  teui. 


1.  Dans  le  texlc  ces  deux  vers  n'eu  font  qu'un  seul. 


192 


LES    POETES    DU    TERROIR 


LA    FILLE    ENJOUEE! 

Quand  j 'étais />e//o^e,  —  Lanla,  —  Petiote  à  la  maison, 
—  Sous  l'olivier  d'olive,  —  Sous  l'olivier  d'amour, 
Nul  ne  venait  me  voir,  —  Sauf  un  joli  garçon. 

Maintenant  que  je  suis  g-randelette,  —  Tous  viennent 
«n  foule. 

L'un  me  prend  la  menotte,  —  Et  l'autre  le  menton. 

L'autre  me  dit  :  «  Petite,  —  Marie-toi  avec  moi.  » 

Je  ne  sais  que  leur  dire,  —  Leur  dirai-je  oui  ou  non? 

«  Galants,  revenez  dimanche,  —  Je  vous  contenterai 
tous. 

«  Au  jardin  de  mon  père,  —  Je  vous  fleurirai  de  fleurs. 

«  Celui  qui  aura  rose  sans  épines,  —  Lanla,  —  Celui-là 
aura  mes  amours.  »  —  Sous  l'olivier  d'olive,  —  Sous  l'o- 
livier d'amour. 

LA   FIANCÉE    DU   BARON 

Mon  père,  mariez-moi  donc, 
Ture  luraine. 


bis. 


LA    HILLO 

Quant  jeu  n'èri  petitcto, 

Lanla, 
Petitcto  à  la  inaisoiin, 
Dcbat  rouliuo  d'oiiliiio. 
Débat  rouliué  d'amou, 
Nat  non  me  bon^iiùtio  b<>se, 
Sounco  un  poiilit  garroiiii. 
Aro  que  soni  grauoto. 
Tout/,  bongoim  a  dcroun. 
L'un  inc  prcn  In  iiianeto, 
E  l'autc  luu  incutouu. 
L'autc  me  dit/.  :  «  Petite, 

i.  Hccuoilli  à  l'aiinssac  (Gers). 


ESHERIDO 

Marido-te  dab  jou.  » 
Sahi  pas  que  lous  dise. 
Lous  dirùi  o  ou  uou? 
«  Galant/.,  tournât/,  dimechc. 
Uous  countentorèi  tout/.. 
Au  casau  de  moun  paire, 
Bous  flourirui  de  Uous. 
()ui  auro  roso  sons  hurpios, 

Lanla, 
Kt  aura  mns  amous.  » 
Dcbat  l'ouliuù  d'ouliuo,  \ 


Débat  l'ouliué  d'amou.    ) 


bis. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  193 

Court  et  bon, 

Ture  luron. 
—  Vous  aurez  le  fils  du  baron, 

Ture  luraine,  etc. 
Vous  aurez  pour  constitution, 

Ture  luraine,  etc. 
Une  maison  et  un  mouton, 

Ture  luraine,  etc. 
Le  feu  a  pris  à  la  maison, 

Ture  luraine,  etc. 
Le  loup  a  mangé  le  mouton, 

Ture  luraine,  etc. 
Les  cornes  restent  au  baron, 

Ture  luraine,  etc. 
Pour  les  armes  de  sa  maison, 

Ture  luraine,  etc. 
J'en  connais  bien  qui  sont  barons, 

Ture  luraine,  etc. 
Sans  compter  ceux  qui  le  seront, 

Ture  luraine, 

Court  et  bon, 

Ture  luron'. 

DÉPART    DE    MONTAUBAN 

Adieu,  ville  de  Montauban, 

Adieu,  la  fleur  de  ma  jeunesse.  • 

Je  vous  quitte  et  m'en  vais  bien  loin, 

Faut  dire  adieu  à  ma  maîtresse. 

Tout  en  sortant  par  le  faubourg, 

Par  le  faubourg  de  cette  ville, 

J'ai  rencontré  la  jeune  fille 

Qui  m'avait  donné  son  amour. 

J'approche  tout  en  badinant, 

Si  m'a  dit  tout  doux  à  l'oreille  : 

1.  Celle  pière  et  la  suivante  sont  extraites  d'un  recueil  de  Poésies 
populaires  en  lanque  française  rec.  dans  l'Armagnac  et  l'Agenais 
et  publiées  par  J.-F.  Bladé  (Paris,  Champion,  1879,  in-S"). 


194  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

—  Gentil  galant,  quoi,  tu  t'en  vas, 
Sans  que  ta  main  louche  la  mienne! 
Ah!  lorsque  tu  étais  blessé. 

Tu  me  faisais  mille  promesses; 

Mais  à  présent  tu  es  lassé, 

Et  tu  cherches  d'autres  maîtresses. 

—  Pas  de  montagnes  sans  vallons. 
Et  pas  d'amours  sans  amourettes. 
Belle,  garde-toi  des  Gascons; 

Ils  trompent  tous  les  Quercynettes '. 

LES    JEUNES    FILLES2 

Toute  fille  aimante  —  Ne  devrait  pas  mourir. 

Comme  la  couronne  de  France  —  Elle  devrait  porter 
la  fleur  de  lis; 

La  fleur  de  lis,  la  mai'jolaine,  —  La  branche  frêle  du 
romarin. 

Il  n'y  a  aucune  flevir  de  France  —  Qui  surpasse  le  ro- 
marin. 

Si  ce  n'est  la  gaie  passe-rose  —  Qui  surpasse  le  ro- 
marin. 

La  tendre  rosée  la  tient  fraîche ,  —  Le  soleil  la  fait 
transir. 

Ainsi,  ainsi  font  les  jeunes  filles  —  Quand  elles  pas- 
sent saison  de  mari. 


LAS    HILLETOS 
Toute  hilléto  amouroiiséto  Que  surpassé  lou  roumauia  :  j 

Nou  diouië  pas  jamais  mouri.      Sounco  la  gayo  passo-roso 
Coumo  la  courouno  dé  Franco,     Que  surpasse  lou  roiimanin. 
Diourë  pourta  la  flou  dé  I3S;        i  .,  rousadéto  la  tônt  frosco, 
La  flou  dés  lys,  la  majouraine,      Lou  souréilloun  la  hô  transi. 
La  branquûto  dou  roumauiu.         Ataôu,  ataou  hônt  las  hillétos 
Nou  gn'a  pas  nàdo  ilou  dé  Franco  Quand  passon  saisoun  dé  marit. 

1.  Filles  du  Oucrcy.  Montauban  était  la  capitale  du  bas  Quercy. 

1.  Les  deux  pièces  <|ui  suiveiil  sont  extraites  de  louvrage  do  l>éo- 
pold  Dardy  :  Ant/iologie  po/ml.  dei.Mbret  {Sud-Ouest  de  l'Af/ennis 
on  Hascorpie  landaise),  Ageii,  J.  Michel  et  Médaii,  IROl,  i!  vol.  in-S». 


GASCOGNE    ET    GUYENNE 


195 


PETITE    MARION 

Quand  j'étais  petite,  lanla,  —  Quand  j'étais  petite,  — 
Petite  Marion, 

0  que  lanla  que  dondène,  —  Petite  Maria,  —  O  que 
ïanla  que  dondon. 

On  me  faisait  garder  les  brebis,  lanla,  —  Les  petits 
agneaux. 

Par  là  passèrent  en  chasse,  lanla;  —  Trois  chevaliers 
barons. 

Ils  m'ont  dit  :  Bonjour,  petite,  lanla,  —  A  qui  sont  ces 
moutons  ? 

Les  moutons  de  mon  père,  lanla,  —  La  bergère  est  à 
vous. 

0  page,  mon  beau  page,  lanla,  —  Montez-la  derrière 
moi. 

Monsieur,  si  j'y  monte,  lanla,  —  Je  ne  l'y  monte  pas 
pour  vous. 

Je  l'y  monte  pour  un  autre,  lanla,  —  Qui  vaut  bien 
plus  que  vous. 


PETITE    MARIOUN 


Quand  jeu  n'èri  petite, 

lanla. 
Quand  jeu  n'éri  pétito, 
Petite  Marieun, 

O  que  lanla  que  doundèno, 

Pétito  Marieun, 

O  que  lanla  que  douudoun. 

Mah/.ént  gouarda  las  ouillos, 

lanla, 
Lous  petits  agnéreus. 

Praqui  passent  en  casso, 

lanla, 
Trois  chibaliès  barons  ; 


M'an  dit  :  Bonjour,  maynâdo, 
lanla,  « 

A  qui  sont  ces  moutons? 

Lous  meutous  dé  moun  pèro, 
lanla, 

La  bergère  es  a  bous. 

O  page,  men  beau  page, 

lanla, 
Meuntats-la  darrè  jeu; 
Moussu,  se  jeu  l'y  meunti,' 

lanla. 
L'y  meunti  pas  per  bous; 
L'y  meunti  pér  un  aeuté, 

lanla. 
Que  baeu  bien  mèy  que  bous. 


196  LES  POÈTES  DU  TERROIR 


GHANSONi 

Toutes  les  chèvi*es  de  la  lande  —  iN'e  sont  pas  au  même 
berger;  —  Tous  les  châteaux  qui  sont  en  France  — Ke 
sont  pas  au  même  seigneur. 

Mon  Dieu  !  que  la  nuit  est  longue,  —  Auprès  de  ce  vieil- 
lard jaloux  !  —  Toute  la  nuit  il  me  demande  :  —  «  Jeanne, 
où  avez- vous  vos  amours? 

—  Je  n'en  ai  pas,  ni  n'en  veux;  —  Je  n'en  ai  pas  d'au- 
tres que  vous.  —  Quel  était  donc  celui-là,  la  Jeanne,  — 
Qui  parlait  hier  au  soir  avec  vous  ? 

—  C'était  un  de  mes  beaux-frères  —  Qui  parlait  de 
mes  neveux.  —  Palsambleu!  si  je  l'attrape,  —  Je  le 
tuerai  et  vous  battrai  ! 

—  Vous  ne  le  ferez  pas,  mon  ami  Pierre,  —  La  malice 
vous  passera; 

CANSOU 

Toutes  les  crabes  de  la  lane 
Ne  soun  pas  aou  même  piistoii; 
Tous  lous  castets  doua  soun  eu  Franco 
Ne  souu  pas  aou  mémo  seiguou. 
Mon  Diou!  la  neyt  que  tant  os  loungue, 
Aoupros  d'aquel  bicillart  jalons  ! 
Toute  la  noyt  que  m'y  damandc  : 
Jeanne,  oun  te  n'ats  bostes  amous? 

—  Jou  ne  u'ey  pas,  ni  mey  n'en  holi; 
Jeu  ue  n'cy  pas  d'aoutcs  que  bous. 

—  Qui  n'éro  d'oun  a([uet,  la  Jcauuc, 
Que  parléou  assey  dau  bous? 

—  Aco  qu'os  un  do  mous  beaux-frères 
Que  parléou  de  mous  ucbouts. 

—  Perlasemblu  !  si  jou  l'altrapi, 
Lou  tuorey  mey  battroy  bous! 

—  Nec  arats  pas,  moun  amie  Pierre, 
La  malice  bous  passera; 

i .  Cf.  Lamar(|ue  âo  Plaisance,  Usages  et  Chansons  populaires  de 
l'ancinn  Itazadnis,  iSorilcaux,  lîaiarac  jeune,  18ia,  in-8". 


f 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  197 

—  Elle  a  bien  passé  à  d'autres  —  Qui  l'avaient  aussi 
forte  que  vous.  » 

Toutes  les  chèvres  de  la  lande  —  Ne  sont  pas  au  même 
berger;  —  Tous  les  châteaux  qui  sont  en  France  —  Ne 
sont  pas  au  même  seigneur. 

DE   BON   MATIN   JE    ME    SUIS    LEVÉE* 

De  bon  matin  me  suis  levée;  —  C'est  pour  cueillir 
rose  dorée;  —  J'appointe,  j'aiguise,  je  couds  et  je  file, — 
Je  tourne  et  retourne,  —  Je  fais  les  boutons;  —  Je  file 
ma  quenouillette,  —  Et  garde  mes  moutons  et  garde 
mes  moutons. 

De  mes  ciseaux  je  l'ai  coupée,  —  A  mon  côté  je  l'ai 
placée. 

Elle  était  fleur  si  parfumée,  —  Que  j'en  étais  tout  em- 
baumée. 


Que  n'a  bien  passât  en  d'aoutes 

Que  l'aouen  ta  forte  que  bous. 

Toutes  les  crabes  de  la  lane 

Ne  soiin  pas  aou  même  pastou; 

Touts  lous  castets  doun  soun  en  France 

Ne  soun  pas  aou  môme  seignou. 

DE  BOUN  MOTI  ME  CHEY  LEYADO 

De  boun  moti  me  chey  levado  :  • 

Coy  per  culi  rojo  muscado, 
You  poundzi,  you  guli,  you  fiali,  you  couji, 
You  terni,  you  viri, 
You  fôu  luy  boutou, 
You  liali  ma  counoulheto 
May  gardi  mou  moutoù,  mai  gardi  mou  moutoù 
En  mouy  chijèu  you  lay  coupado, 
O  moun  coustà  you  lay  boutade. 
Obio  n'ôudoùr  to  perfumado, 
Ke  you  n'éri  tout  enbèumado. 

1.  Cf.  Chansons  pntoises  du  Périr/ord,  avec  adaptation  en  vers 
blancs  au  rytinne  musical,  trad.  littérale  par  E.  Chaminade  et  E. 
Casse  (Paris,  Champion,  s.  d.,  in-8»). 


198  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Notre  meunier  fait  sa  tournée,  —  Il  a  senti  rose  dorée. 

Par  mon  bras  droit  il  m'a  saisie  :  «  Donne-la-moi,  ta 
fleur  dorée. 

—  Oh!  cette  fleur  est  bien  placée,  —  A  mon  côté  je  l'ai 
fixée.  » 

Tant  que  j'ai  pu  je  l'ai  cacliée;  — Mais  le  coquin  la 
bien  trouvée. 

Il  me  tenait  les  mains  serrées!  —  Et  ce  fripon  me  l'a 
volée. 

«  Belle,  tu  n'es   point  mariée,  —  Yeux-tu  devenir  ma 
fiancée? 

«  Je  te  rendrai  rose  dorée  —  Si  mes  amours,  bien  sûr, 
te  plaisent. 

—  Meunier,  va  faire  ta  tournée  :  —  A  un  berger  suis 
fiancée.  » 

De  l'écouter  suis  agacée  :  —  J'ai  fait  un  tour,  m'en 
suis  allée. 


Un  moiiliuiè  fay  cho  tournado, 
El  m'o  chenti  rojo  muscade. 

Per  mouD  bra  drc  dul  m'otropado  : 
«  Douo-lo-me  to  fleur  dùurade?... 

—  Okele  fleur  ey  bien  plochade, 
O  mon  cousta  n'es  estocade.  » 

Tant  cay  pescù  you  l'ay  codzade; 
Me  leu  ceuki  l'o  be  trouvado, 

El  ne  tenio  moy  me  chorrado! 
Okél  fripoùn  me  l'o  voulado. 

«  Rolo,  nou  ché  pa  moridado; 
Voléy-tu  u'estre  mo  iienchado? 

«  Te  tournorày  roje  muscade 

Cl>i  meun  omeùr,  chcgùr,  t'ogrado. 

—  Moulinii;,  vay  fa  to  tournado  : 

O  d'uu  berdzio  yeu  chey  lioncliade. 

De  l'escoutà  choy  eyooud/ade  : 
N'ay  fa  mè  tour,  me  chey  nouado. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  199 

Et  j'ai  pleuré  rose  dorée.  —  Pour  mon  berger  l'avais 
coupée! 


LES    FILLES    DE    RABASTENS* 

A  Rabastens,  il  y  a  trois  fillettes;  —  Chacune  fait  sa 
lessive,  —  Rossignolet  d'un  bois  joli;  —  Avec  une  tige 
de  marjolaine,  nous  passerons  l'eau,  bel  ami. 

L'une  lave,  l'autre  éclaircit,  —  Et  l'autre  étend  (le 
linge)  sur  l'herbe  fraîche,  —  Rossignolet,  etc. 

Le  fils  du  roi  vient  à  passer;  —  Il  leur  demande  une 
serviette,  —  Rossignolet,  etc. 

—  Que  voulez- vous  faire  de  la  serviette?  — Je  veux 
prendre  une  alouette,  —  Rossignolet,  etc. 


E  n'ay  piirà  rojo  muscade, 

Per  moun  berdziè  l'obio  coupado  ! 

BcUesève,  près  du  Bugue. 

LAS  FJLHOS    DE    RABASTENS 

A  Rabastens,  i  a  très  filhetos  {bis 

Caduno  fa  sa  bugado, 
Rossignolet  d'un  bois  joli  : 
Amb'  un  branc  de  majoureleto, 

Passaren  l'aygo,  (^*-^) 

Bel  ami. 
L'uno  labo,  l'autro  refesco,  (bis) 
E  l'autro  estend  sur  l'herbe  fresco, 

Rossignolet,  etc. 
Lou  ai  del  rei  ben  a  passa;  (bis) 

Lour  demando  une  serbieto, 

Rossignolet,  etc. 

—  Que  boules  fa  de  la  serbieto?  (bis) 

—  Ne  boli  prendre  uno  lauseto, 

Rossignolet,  etc. 


1.  Les  trois  pièces  qui  suivent  sont  extraites  du  très  remarquable 
recueil  d'Emmanuel  Soloville,  Chants  populaires  du  bas  Quercy  rec, 
et  notés,  Paris,  Champion,  1889,  in-S". 


200  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

—  Que  voulez-vous  faire  de  l'alouette?  —  Je  veux  lui 
prendre  une  plume,  —  Rossignolet,  etc. 

—  Que  vouloz-vous  faire  de  la  plume?  —  Je  veux  en 
écrire  une  lettre,  —  Rossignolet,  etc. 

—  Pour  qui  sera  votre  lettre?  —  Pour  mon  amie,  ma 
petite  Marthe,  —  Rossignolet,  etc. 

—  Elle  n'a  pas  besoin  d'une  lettre;  —  Elle  aime  mieux 
une  petite  embrassade,  —  Rossignolet,  etc. 

LA   VIEILLE 

A  Monclar,  il  y  a  une  vieille  —  Qui  a  plus  de  quatre- 
vingts  ans;  —  Elle  court  toutes  les  veillées  —  Pour  se 
chercher  un  galant.  —  Ho!  la  vieille!  —  Elle  se  croit 
à  vingt  ans. 

Elle  se  mêle  à  la  danse,  —  Dans  la  ronde  des  frin- 
gants ;  —  Et  choisit  pour  la  contredanse  —  Le  goujat 
le  plus  charmant.  —  Ho!  la  vieille!  etc. 


—  Que  boules  fa  de  la  lauscto?  {bis) 

—  I  boli  prendre  une  plumeto, 

Rossignolet,  etc. 

—  Que  boules  fa  de  la  plumeto?  (bis) 

—  Ne  boli  escriure  uno  lotrcto. 

Rossignolet,  etc. 

—  Per  quai  sera  bostro  letreto?  (bis) 

—  Fer  la  niio  mio,  ma  Maltreto, 

Rossignolet,  etc. 

—  N'a  pas  l)esoun  d'uno  lotreto  ; 
Aimo  mai  uno  embrassadcto, 

Rossignolet,  etc. 


LA    HIKLHO 


A  Mounclar,  i  a  uno  biclho  Elo  n'es  dintrado  on  danso 

Qu'a  mai  de  quatre-bins  ans;  Dins  la  roundo  des  fringants; 

I{a  dins  toulos  la  bclhados  Causis,  per  la  countrodanso, 

Per  se  cerca  un  galant.  Lou  goujat  lou  pu  charmant 

Ho!  la  bielho!  (bis)  Ho!  la  biolho!  etc. 

Crcsio  n'abe  que  bint  ans. 


I 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  201 

—  Pierre,  lui  dit-elle  à  l'oreille,  —  Écoute-moi,  mon 
j  anfant,  —  Je  veux  te  payer  bouteille,  —  Si  tu  te  maries 

dans  l'année.  —  Ho!  la  vieille!  etc. 

—  Pas  avec  toi,  pauvre  vieille,  —  Aurais-tu  vingt  mille 
francs.  —  J'en  ai  cent  mille  dans  ma  bourse,  —  Dans 
mon  coffre  j'en  ai  autant!  —  Ho!  la  vieille!  etc. 

—  Puisque  ta  bourse  est  si  pleine,  —  Nous  pourrions 
voir  dans  un  an. —  Dans  un  an,  s'écrie  la  vieille,  —  Nous 
nous  marierons  demain.  —  Ho!  la  vieille!  etc. 

—  Donc,  elle  mande  au  notaire  —  De  porter  du  papier 
blanc.  —  Le  lundi,  on  l'a  fiancée;  —  Le  mardi,  nous  la 
marions.  —  Ho!  la  vieille!  etc. 

Le  mercredi  son  mari  l'a  battue;  —  Le  jeudi  elle  s'en 
va  pleurant;  —  Le  vendredi,  elle  était  morte;  —  Le  sa- 
medi, nous  l'enterrons.  —  Ho!  la  vieille!  etc. 

Le  dimanche,  on  fit  la  neuvaine;  —  Le  lundi,  le  bout 
de  l'an,  —  Quand  on  ouvrit  la  cassette,  —  On  trouva... 
trois  cheveux  blancs.  —  Ho!  la  vieille!  etc. 


—  Pierres,  i  dis  dias  l'aureilho,  Adounc,  al  noutari  manda 
E scoute  me,  moun  efant.  De  pourta  dé  papié  blanc, 
lo,  te  pagarei  boutelho,  Lou  dilus,  l'an  fiançado; 
Se  te  maridos  d'oungan.  Lou  dimas,  la  maridan. 

Ho  !  la  bielho  !  etc.  Ho  !  la  bielho  !  etc. 

—  Pas  ambe  tu,  pauro  bielho,  Lou  dimècres,  l'a  batudo; 
tjuant  aurios  bint  milo  fraus,  Lou  dijos,  s'en  ba  plouran; 

— N'ei cent  milo  dias  ma  bourso,  Lou  dibendres  éro  morto;        * 

Dins  moun  cofre  n'ei  autant.  Lou  dissate,  l'enterran. 
Ho!  la  bielho!  etc.  Ho!  la  bielho  !  etc. 

—  Se  n'as  tant  dins  ta  bourseto,  Lou  dimentje,  es  la  naubèno  ; 
Pourian  beire  dius  uu  an.  Lou  dilus,  lou  cap  de  l'an. 

—  Dins  un  an!  ça  dis  la  bielho.  Quand  dierberoun  la  casséto. 
Nous  maridaren  douman.  I  trouberoun...  très  piels  blanc. 

Ho  !  la  bielho  !  etc.  Ho  !  la  bielho  !  etc. 


202 


LES    POETES    DU    TERROIK 


LA    CONFESSION 

Je  me  confesse,  père,  —  Mon  cœur  va  se  briser,  — 
D'avoir  sur  la  fougère  —  Laissé  prendre  un  baiser.  — 
D'abord  je  fus  sévère,  —  Prompte  à  me  dégager...  —  Mais 
que  peut  la  colère  —  Contre  un  tendre  berger.' 

Je  vous  blâme,  fillette,  —  Et  ne  sais  que  penser,  —  De 
vous  voir  en  cachette  —  Accepter  ce  baiser.  —  Allons, 
plus  de  faiblesse,  —  Et  pour  fuir  le  danger,  —  Faites- 
moi  la  promesse  —  D'éviter  le  berger. 

—  Pèi'e,  je  vous  écoute,  —  Confuse,  à  deux  genoux,  — 
Mais,  hélas!  qu'il  m'en  coûte  —  De  fuir  son  œil  si  doux! 

—  Pierre  m'attend,  je  pense,  —  Et  pour  tout  arranger, 

—  Doublez  la  pénitence...  —  Laissez-moi  le  berger. 

LES    DEUX   AMOUREUX 

Garçons,  qui  êtes  à  marier,  —  N'allez  pas  à  Villeneuve. 


LA    CONFESSIOU 


Ion  me  coafessi,  pèro, 
Lou  cor  pic  de  doulou, 
D'abé  sur  la  fougoro 
Laissât  prendre  un  poutou. 
D'abord  iou  me  facheri, 
I  resisteri  prou... 
Mes  que  pod  la  couléro  (bis) 
Countro  un  tendre  pastou? 
—  Abés  i)ecat,  (ilheto, 
D'escoula  lou  pastou: 
Proumetès-mc,  paureto, 
D'abandouua  Picrrou  ; 


Plus  de  Picrrou,  ma  lilho, 

Aro  lou  cal  quitta, 

E  me  fa  la  prouuiesso  (bis) 

De  nou  plus  i  parla. 

—  Iou  besi  bc,  moun  péro, 

Que  bous  abés  rasou. 

Mes  que  m'en  cousto  onquéro 

D'oublida  moun  Picrrou. 

Es  abal  que  m'espéro; 

Allas!  bous  pregui  iou, 

Doublas  la  penitenço  {bis) 

Laissas-me  lou  pastou'. 


LES    DEUX  AMOUREUX 

Goujats,  que  ses  a  marida, 
Nou  n'anguez  pas  à  Billoncbo. 


t 


i.  Ou  oltservera  sansdoule  que  ce  texte  est  «lilWrcnl  de  la  traduc- 
tion i)ubli<'>e  ci-dessus.  Nous  n'avnns  pas  cru  devoir  modifier  l'une  ou 
l'autre  dos  deux  churuiautes  versions  fournies  par  Solcvilic. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  203 

L'autre  jour,  moi,  j'y  étais  allé,  —  J'y  étais  allé  en  voir 
une. 
Je  l'ai  trouvée  sur  son  lit,  —  Sur  son  lit  fort  malade. 

Je  lui  ai  dit  :  Jeanne,  m'amour,  —   Jeanne  m'amour, 
as-tu  courage  ? 

—  Pour  du  courage,  j'en  ai  assez,  —  Mais  pour   des 
forces,  je  n'en  ai  guère. 

La  belle  est  morte  à  minuit,  —  Et  le  galant  au  point 
du  jour. 

On  enterre  la  belle  sous  la  lavande,  —  Et  le  galant  au 
pied  de  l'arbre. 

Quand  ils  furent  au  bout  de  l'an,  —  La  lavande   et 
l'arbre  s'embrassèrent'. 


L'aoutré  tsour,  you  y  éri  anat, 
Y  éri  anat  ne  béré  une. 
You  l'ey  troubéio  sur  son  lit. 
Dé  sur  son  lit  en  fort  malaoudo. 

Se  you  y  ey  dit  :  —  Tsaao,  m'amour, 

Tsano,  m'amour,  aourios  couratsé? 

—  Per  dé  couratsé,  n'ey  bé  prou, 

Mais,  per  dé  forço,  nou  n'ey  gayro. 

La  bello  es  morto  a  metso  net, 

Et  lou  galaut  a  punto  d'albo. 

N'enterrount  la  bello  sous  Tespit, 

Et  lou  galant  al  pé  dé  l'arbre. 

Quand  né  sièrount  al  cat  dé  l'an,  , 

L'espit  et  l'arbre  s'embrassèrount. 

1.  Chanson  extraite  du  recueil  de  Vieux  Chants  populaires  du 
Quercy,  publiés  en  français  et  en  patois,  avec  traduction,  notes  et 
références,  par  Joscpli  Dayniard  (Galiors,  J.  Girina,  1889,  in-18). 


CLEMENT   MAROT 

(1495-1544) 


Fils  unique  de  Jean  Marot,  qui  fut  Normand  et  bon  poète,  il 
naquit  à  Cahors  en  1495.  Son  père  l'amena  à  Paris  dès  l'Age  de 
dix  ans  et  prit  soin  de  cultiver  son  goût  pour  les  lettres.  Ses 
études  furent  néanmoins  médiocres,  mais  il  faut  en  rejeter  la 
faute  sur  quelques  mauvais  maîtres  auxquels  on  l'avait  confié. 
D'abord  clerc  chez  un  praticien,  puis  page  de  Nicolas  de  Neuf- 
ville,  sieur  de  Villeroy,  il  passa  en  1513,  en  qualité  de  valet  de 
chambre,  au  service  de  Marguerite  de  Valois,  duchesse  d'An- 
goulème.  Il  suivit  cette  princesse  lorsqu'elle  épousa  en  secon- 
des noces  Henri  d'Albret,  roi  de  Navarre,  et  se  lit  remarquer  de 
toutes  les  personnes  de  sa  cour.  Sa  facilité  à  rimer  de  petites 
pièces  galantes,  la  politesse  de  ses  manières  et  l'enjouement 
de  sa  conversation  contribuaient  beaucoup,  selon  notre  véné- 
rable ami  H.  La  3iaynardière,  à  le  faire  reclierchcr.  Malgré  le 
crédit  qu'il  obtint,  il  prit  du  service  aux  armées,  et,  après  avoir 
été  à  Reims,  à  Ardres  et  dans  le  Ilaiuaut,  on  le  vit  à  la  funeste 
bataille  de  Pavie,  où  il  fut  blessé  et  fait  prisonnier  (24  février 
1525).  De  plus  grandes  infortunes  l'attendaient  à  son  retour. 
Accusé  de  partager  les  nouvelles  opinions  religieuses,  il  fut 
enfermé  dans  les  prisons  du  ChAtelet,  puis  à  Chartres,  et  n'en 
sortit  qu'en  1526,  lorsque  François  I""  recouvra  lui-même  la 
liberté.  Mais  bientôt  ses  sentiments  sur  la  croyance  lutlicrienno 
lui  suscitèrent,  malgré  ses  désaveux,  de  nouvelles  persécutions. 
D'ailleurs,  les  réflexions  qu'il  avait  pu  faire  sur  son  état,  pendant 
sa  captivité,  ne  l'avaient  pas  rendu  plus  prévoyant,  et  les  avis 
(pi'on  trouve  tout  au  long  de  son  poème  L'Enfer,  composé  alors, 
no  le  servirent  guère  dans  la  pratique. 

En  1530,  ayant  tiré  des  maius  des  archers  un  homme  qu'on 
menait  au  cachot,  il  y  fut  lui-même  mis  à  sa  place,  et  il  eut 
besoin  de  la  faveur  royale  pour  eu  sortir.  Un  p(;u  plus  tard,  on  so 
saisit  de  ses  papiers,  et  il  dut  s'uululr  à  l'errare,  puis  à  Venise, 
pour  éviter  les  rigucMirs  d'une  prompte  justice.  Rappelé  en 
France,  quoiqu'il  ait  fait  une  abjuration  solennelle  à  Lyon,  entre 
les  mains  du  cardinal  de  Tournon,  il  provoqua,  par  sa  traduc- 
tion des  J'saumes  de  David,  une  nouvelle  tempête,  et  ne  put  so 


GA.SCOGNE    ET    GUYENNE  205 

sauver  qu'en  gagnant  Genève,  puis  Turin,  où  il  alla  mourir,  dans 
l'indigence,  en  1544,  abandonné  de  ses  protecteurs  et  de  ses 
amis. 

On  a  de  lui  un  grand  nombre  de  poésies  qui,  toutes,  ont  été 
rassemblées  maintes  fois,  et  dont  les  meilleures  éditions,  sinon 
les  plus  connues,  sont  :  L'Adolescence  clémentine,  etc.  (Paris,  à 
l'enseigne  du  Faulcheur,  1534,  in-S");  La  Suite  de  l'Adolescence 
clémentine  (ibid.,  s.  d.  [1534].  in-S")  ;  L'Adolescence  clémentine, 
etc.,  Lyon,  François  Juste,  1535,  in-8»  :  Paris,  Ant.  Bonnemère,  et 
AnveiTS,  G.  du  Mont,  1539,  in-16  et  in-8°;  Les  Œin'res  de  Clément 
Marot{Lyon,  Gryphius,  s.  d.  [1538],  in-8»;  Lyon,  Estienne  Dolet, 
1542, 1543,  pet.  in-8»;  Lyon,  à  l'enseigne  du  Rocher,  1544,  in-S»; 
Lyon,  Jean  Détournes  {sic),  1546,  in-16;  Paris,  E,  GrouUeau, 
1549,  in-12  :  Paris,  Oudin,  1551,  in-12  ;  Lyon,  Jean  de  Tournes, 
1549  et  1579,  in-16;  Niort,  Thomas  Portau,  1596,  in-16;  Rouen, 
Raph.  du  Petit  Val,  1607,  in-12;  La  Haye,  Adr.  Moetjens,  1700, 
2  vol.  pet.  in-12:  Œuvres  de  Clément  Marot  avec  les  ouvr.  de 
Jean  Marot  son  père,  ceux  de  Michel  Marot,  son  fils,  etc.  (édit. 
publ.  par  les  soins  de  Lenglet  du  Fresnoy)  :  La  Haye,  Gosse  et 
Neaulme,  1731,  4  vol.  in-4»  et  6  vol.  in-12;  Œuvres  complètes 
(publ.  par  Paul  Lacroix),  Paris,  Rapilly,  1824,  3  vol.  in-8°  ; 
Œuvres,  etc.,  Lyon,  Scheuring,  1869-1870,  2  vol.  in-8<>;  Les  Œu- 
vres de  Clément  Marot...,  soigneusement  revues  par  Georges 
Guiffrey,  Paris,  impr.  Claye,  1875-1881,  2  vol.  in-8'>  (édit.  ina- 
chevée). Clément  Marot  n'a  presque  jamais  rappelé  le  souvenir 
du  pays  natal.  Aussi  ne  faut-il  voir  dans  ses  poèmes  champê- 
tres qu'une  réminiscence  atténuée  par  sa  double  origine  gas- 
conne et  normande. 

Bibliographie.  —  Nicéron,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire 
des  hommes  illustres,  etc.,  1731,  t.  XVI,  p.  108.  —  Abbé  Goujet, 
Bibliothèque  française,  t.  XI,  p.  37.  —  Guill.  CoUetet,  Notice 
biogr.  sur  les  trois  Marot,  publiée  par  Georges  GuifTrey,  Pays, 
Lemerre,  1871.  in-18.  —  O.  Douen,  Cl.  Marot  et  le  Psautier 
huguenot,  Paris,  1878-79,  2  vol.  in-8°.  —  Paul  Bonnefon,  Le  Dif- 
férend de  Marot  et  de  Sagon,  Revue  d'hist.  littér.  de  la  France 
1894,  p.  103  et  259. 


FRAGMENT  DU   POÈME    INTITULÉ   L'ENFER 

O  Roy  heureux,  soubz  lequel  sont  entrez 
Presque  perys,  les  lettres,  et  lettrez! 
Entens  après  (quant  au  point  de  mon  estre) 
Que  vers  midi  les  haults  Dieux  m'ont  fait  naistre, 

12 


206  LES  POÈTES  DU  TERUOIR 

Où  le  Soleil  non  trop  excessif  est  : 
Par  quoy  la  terre  avec  honneur  s'y  vest 
De  mille  fruitz,  de  raainte  fleur,  et  plante  : 
Bacclius  aussi  sa  bonne  vigne  y  plante 
Par  art  subtil  sur  montaignes  pierreuses. 
Rendans  liqueurs  fortes  et  savoureuses, 
Mainte  fontaine  y  murmure,  et  ondoyé. 
Et  en  tous  temps  le  laurier  y  verdoyé 
Près  de  la  vigne,  ainsi  comme  dessus 
Le  double  mont  des  Muses,  Parnassus  : 
Dont  s'esbahit  la  mienne  fantaisie, 
Que  plus  d'esprits  de  noble  Poésie 
N'en  sont  yssuz.  Au  lieu  que  je  declaire, 
Le  fleuve  Lot  couve  son  eau  peu  claire, 
Qui  maints  rochers  traverse  et  environne, 
Pour  s'aller  joindre  au  droict  fil  de  Garonne. 
A  brief  parler,  c'est  Cahors  en  Quercy, 
Que  je  laissay  pour  venir  querre  icy 
Mille  malheurs,  auxquelz  ma  destinée 
M'avoit  submis.  Car  une  matinée, 
N'ayant  dix  ans,  en  France  fus  mené  : 
Là  où  depuis  me  suis  tant  pourmené, 
Quej'oubliay  ma  langue  maternelle, 
Et  grossement  apprins  la  paternelle 
Langue  Fran('oise,  es  grandz  Cours  estimée, 
Laquelle  en  fin  quelque  peu  s'est  limée, 
Suyvantle  Roy  François  premier  de  nom, 
Dont  le  sçavoir  excède  le  renom. 
C'est  le  seul  bien  que  j'ay  acquis  en  France 
Depuis  vingt  ans  en  labeurs  et  souffrance... 

EGLOGUE  AU  KOY.  SOUBZ  LES  NOMS 
DE  PAN  ET  ROBIN» 

Un  Pastoureau  qui  Robin  s'appelloit, 
Tout  à  pur  soy  n'agueres  s'en  alloit 

1.  Marot  fit  celte  ^gloguc  dans  l'automno  de  sa  vie.  Il  paiail  qi 
ce  fut  au  rclour  de  son  premier  exil.  Il  s'aperçut  alors  (ju  il  falla 
dire  adieu  jt-unossc,  comme  il  le  martiuc  si  agK'abIcmcnt  dans  sr 
Adieu  à  la  ville  de  Lyon  {l'Jpitre  52). 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  207 

Parmy  fousteaux  (arbres  qui  font  umbrage) 

Et  là  tout  seul  faisoit  de  grand  courage 

Haut  retentir  les  boys,  et  l'air  serain, 

Chantant  ainsi  :  O  Pan,  Dieu  souverain, 

Qui  de  garder  ne  fus  onc  paresseux 

Parcs,  et  brebis,  et  les  maistres  d'iceulx, 

Et  remets  sus  tous  gentils  pastoureaulx, 

Quant  ilz  n'ont  prez,  ne  loges,  ne  taureaulx 

Je  te  supply  (si  onc  en  ces  bas  estres 

Daignas  ouyr  chansonnettes  champestres), 

Escoute  un  peu,  de  ton  verd  cabinet, 

Le  chant  rural  du  petit  Robinet. 

Sur  le  printemps  de  ma  jeunesse  folle, 

Je  ressembloys  l'arondelle  qui  vole. 

Puis  çà,  puis  là;  l'aage  me  conduisoit 

Sans  peur,  ne  soing,  où  le  cœur  me  disoit. 

En  la  forest  (sans  la  crainte  des  loups) 

Je  m'en  alloys  souvent  cueillir  le  houx, 

Pour  faire  gluz  à  prendre  oyseaux  ramages 

Tous  differens  de  chantz,  et  de  plumages  ; 

Ou  me  souloys  pour  les  prendre  entremettre 

A  faire  bries,  ou  caiges  pour  les  mettre; 

Ou  transnouoys  les  rivières  profondes. 

Ou  renforçoys,  sur  le  genouil  les  fondes. 

Puis  d'en  tirer  droict  et  loing  j'apprenoys 

Pour  chasser  loups,  et  abbatrc  des  noix. 

O  quantes  fois  aux  arbres  grimpé  j'ay 

Pour  desnicher  ou  la  pie,  ou  le  geay,  • 

Ou  pour  jetter  des  fruits  jà  meurs  et  beaux 

A  mes  compaings,  qui  tandoient  leurs  chappeaulx. 

Aucunefoys  aux  montagnes  alloye, 
Aucunefoys  aux  fosses  devalloye. 
Pour  trouver  là  les  gistes  des  fouynes, 
Des  hérissons,  ou  des  blanches  hermines  : 
Ou  pas  à  pas  le  long  des  buyssonnetz 
Allois  cherchant  les  nidz  des  chardonnetz, 
Ou  des  serins,  des  pinsons,  ou  lynotes. 
Desjà  pourtant  je  faisois  quelques  notes 
De  chant  rustique,  et  dessoubz  les  ormeaux 
Quasi  enfant  sonnoys  des  chalumeaux. 


208  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Si  ne  sçauroys  bien  dire  ne  penser, 
Qui  m'enseigna  si  tost  d'y  commencer, 
Ou  la  nature  aux  Muses  inclinée, 
Ou  ma  fortune,  en  cela  destinée 
A  te  servir  :  si  ce  ne  fut  l'un  d'eulx, 
Je  suis  certain  que  ce  furent  tous  deux. 

Ce  que  voyant  le  bon  Janot,  mon  père, 
Voulut  gaiger  à  Jacquet,  son  compère i. 
Contre  un  veau  gras,  deux  aignelets  bessons, 
Que  quelque  jour  je  ferois  des  chansons 
A  ta  louange  (ô  Pan,  Dieu  très  sacré), 
Yoyre  chansons  qui  te  viendroyent  à  gré. 
Et  me  souvient,  que  bien  souvent  aux  festes. 
En  regardant  de  loin  paistre  noz  bestes, 
11  me  souloit  une  leçon  donner, 
Pour  doulcement  la  musette  entonner, 
Ou  à  dicter  quelque  chanson  rurale 
Pour  la  chanter  en  mode  pastourale. 
Aussi  le  soir  que  les  trouppeanx  espars 
Estoient  serrez,  et  remis  en  leur  parcs. 
Le  bon  vieillard  après  moy  Iravailloit, 
Et  à  la  lampe  assez  tard  me  veilloit. 
Ainsi  que  font  leurs  sansonnetz,  ou  pyes. 
Auprès  du  feu  bergères  accroupies. 

Bien  est-il  vray,  que  ce  luy  estoit  peine  : 
Mais  de  plaisir  elle  estoit  si  fort  pleine, 
Qu'en  ce  faisant  sembloit  au  bon  berger, 
Qu'il  arrousoit  en  son  petit  verger 
Quelque  jeune  ente,  ou  que  teler  faisoit 
L'aigneau  qui  plus  en  son  parc  luy  plaisoit  * 
Et  le  labeur  qu'après  m«»y  il  mit  tant. 
Certes  c'estoit  affin  qu'en  l'imitant, 
A  l'advenir  je  chantasse  le  los 
De  toy  (ô  Pan)  (jui  augmentas  son  clos, 
Qui  conservas  de  ses  prez  la  verdure 
Et  qui  gardas  son  troui)eau  de  froidure. 
Pan  (disoit-il),  c'est  le  Dieu  triumphant 
Sur  les  pasteurs,  c'est  celuy  (mon  enfant) 

t.  Jnc'juel,  Jacques  Colin. 


I 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  209 

Qui  le  premier  les  roseaux  pertuysa, 

Et  d'en  former  des  flustes  s'advisa  : 

Il  daigne  bien  luy-mesme  peine  prendre 

D'user  de  l'art  que  je  te  veux  apprendre. 

Appren-le  doncq,  afin  que  monts  et  bois, 

Rocs,  et  estangz,  apprennent  soubz  ta  voix 

A  rechanter  le  haut  nom  après  toy 

De  ce  grand  Dieu  que  tant  je  ramentoy  : 

Car  c'est  celuy,  par  qui  foisonnera 

Ton  champ,  ta  vigne,  et  qui  te  donnera 

Plaisante  loge  entre  sacrez  ruisseaulx. 

Là,  d'un  costé,  auras  la  grand'  closture 

De  faulx  espez  :  où,  pour  prendre  pasture, 

Mousches  à  miel  la  fleur  succer  iront, 

Et  d'un  doulx  bruyt  souvent  t'endormiront  : 

Mesmes  alors,  que  ta  fleuste  champestre 

Par  trop  chanter  lasse  sentiras  eslre. 

Puis  tost  après,  sur  le  prochain  bosquet, 

T'esveillera  la  pie  en  son  caquet  : 

T'esveillera  aussi  la  colombelle, 

Pour  rechanter  encores  de  plus  belle. 

Ainsi,  soingneux  de  mon  bien,  me  parloit 
Le  bon  Janot,  et  il  ne  m'en  chaloit  : 
Car  soucy  lors  n'avois  en  mon  courage 
D'aulcun  bestail,  ne  d'aulcun  pasturage. 

Quand  printemps  fault  et  l'esté  comparoist, 
Adoncques  l'herbe  en  forme,  et  force  croist. 
Aussi  quand  hors  du  printemps  jeuz  esté, 
Et  que  mes  jours  vindrent  en  leur  esté, 
Me  creut  le  sens,  mais  non  pas  le  soulcy  : 
Si  emploiay  l'esprit,  le  corps  aussi 
Aux  choses  plus  a  tel  aage  sortables, 
A  charpenter  loges  de  bois  portables  : 
A  les  l'ouler  de  l'un  en  i'aultre  lieu, 
A  y  semer  la  jonchée  au  milieu, 
A  radouber  treilles,  buyssons  et  hayes, 
A  proprement  entrelasser  les  clayes. 
Pour  les  parquets  des  ouailles  fermer, 
Ou  à  tyssir  (pour  fromages  former) 
Panier  d'osier  et  fiscelles  de  jonc, 


210  LES    POETES    DU    TERROIR 

Donc  je  souloys  (car  je  l'aymois  adonc) 
Faire  présent  à  Heleine  la  blonde. 
J'apprins  les  noms  des  quatre  pars  du  monde, 
Japprins  les  noms  des  vents  qui  de  là  sortent, 
Leurs  qualitez,  et  quel  temps  ilz  apportent  : 
Dont  les  oiseaux,  sages  devins  des  champs, 
M'advertissoyent  par  leurs  volz  et  leurs  chants. 
J'apprins  aussi,  allant  aux  pasturages  : 
A  éviter  les  dangereux  herbages, 
El  à  cognoisti'e,  et  guérir  plusieurs  maulx, 
Qui  quelquefois  gastoyent  les  animaulx 
De  nos  pastiz  :  mais  par  sus  toutes  choses, 
D'autant  que  plus  plaisent  les  blanches  roses, 
Que  l'aubespin,  plus  j'aymois  à  sonner 
De  la  musette,  et  la  fis  resonner 
En  tous  les  tons,  et  chants  de  Buccoliqucs, 
En  chants  piteux,  en  chants  mélancoliques. 
Si  qu'à  mes  plaincls  un  jour  les  Oreades, 
,  Faunes,  Silvains,  Satyres,  et  Drijides, 

En  m'escoutant  jetterent  larmes  d'yeulx 
Si  firent  bien  les  plus  souverains  Dieux, 
Si  fit  Margot  bergère,  qui  tant  vaut'  : 
Mais  d'un  tel  pleur  esbahyr  ne  se  faut. 
Car  je  faisoys  chanter  à  ma  musette 
La  mort  (helas!)  la  mort  de  Loysettc, 
Qui  maintenant  au  ciel  prend  ses  esbat* 
A  veoir  encor  ses  trouppeaux  icy  bas. 

Ainsi,  et  donc,  en  l'esté  de  mes  jours 

Plus  me  plaisoit  aux  champestres  séjours 

Avoir  fait  chose  (ô  Pan)  qui  t'aggreast, 

Ou  qui  l'oreille  un  peu  te  recreast, 

Qu'avoir  aultant  de  moutons,  que  Tityre  : 

Et  pKis  (cent  fois)  me  plaisoit  d'ouyr  dire  : 

Pan  fais  bon  œil  à  Robin  le  berger, 

Que  veoir  chez  nous  troys  cents  beufz  héberger  : 

Car  soulcy  lors  n'avoys  en  mon  courage, 

D'aucun  bestail,  ne  d'aulcuu  pasturage. 

1.  Marfjof,  Margucrile  de  Valois,  sceur  de  François  I"  et  relue  ilc 
Navarre. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  211 

Mais  maintenant,  que  je  suis  en  l'automne, 
Ne  sçay  quel  soing  inusité  ni'estonne  : 
De  tel'  façon,  que  de  chanter  la  veine 
Devient  en  moy  (non  point  lassé,  ne  vaine) 
Ains  '  triste,  et  lente,  et  certes  bien  souvent 
Couché  sur  l'herbe,  à  la  Irescheur  du  vent, 
Voy  ma  musette  à  un  arbre  pendue  : 
Se  plaindre  à  moy,  qu'oysive  l'ai  rendue  : 
Dont  tout  à  coup  mon  désir  se  resveille, 
Qui  de  chanter  voulant  faire  merveille, 
Trouve  ce  soing-  devant  ses  yeulx  planté. 
Lequel  le  rend  morne,  et  espouvanté  : 
Car  tant  est  soing  basanné,  laid,  et  pasle, 
Qu'à  son  regard  la  Muse  pastoralle, 
Voyre  la  Muse  héroïque,  et  hardie, 
En  un  moment  se  trouve  refroidie, 
Et  devant  luy  vont  fuyant  toutes  deux, 
Comme  brebis  devant  un  loup  hydeux. 

J'oy,  d'autre  part,  le  pivert  jargonner, 
Siffler  l'escouffle,  et  le  butor  tonner, 
Yoy  l'estourneau,  le  héron,  et  l'aronde 
Estrangement  voler  tout  à  la  ronde, 
M'advertissant  de  la  froide  venue 
Du  triste  hyver,  qui  la  terre  desnuë. 

D'autre  costé,  j'oy  la  bise  arriver, 

Qui  en  soufflant  me  prononce  Fhyver  : 

Dont  mes  trouppeaux  cela  craignant  et  pis, 

Tout  en  un  tas  se  tiennent  accroupis; 

En  diroit-on,  à  les  ouyr  besler,  • 

Qu'avecques  moy  te  veulent  appeller 

A  leur  secours,  et  qu'ilz  ont  cognoissance, 

Que  tu  les  as  nourris  dès  leur  naissance. 

Je  ne  quiers  pas  (ô  bonté  souveraine) 
Deux  mille  arpens  de  pastiz  en  Touraine, 
Ne  mille  bœufz  errants  par  les  herbis 
Des  monts  d'Auvergne,  ou  aultant  de  brebis  ; 
Il  me  suffit  que  mon  troupeau  préserves 
Des  loups,  des  ours,  des  lyons,  des  loucerves, 


1.  Mais. 


212 


LES    POETES    DU    TERROIR 

Et  moy  du  froid,  car  l'hyver  qui  s'appreste, 
A  commencé  à  neiger  sur  ma  teste. 

Lors  à  chanter  plus  soing  ne  me  nuyra, 
Ains  devant  moi  plus  viste  s'enfuyra, 
Que  devant  luy  ne  vont  fuyant  les  Muses, 
Quand  il  voirra,  que  de  faveur  tu  m'uses. 
Lors  ma  musette,  à  un  cliesne  pendue. 
Par  moi  sera  promptement  descendue, 
Et  clianteray  l'hyver  à  seureté 
Plus  hault  (et  cler)  que  ne  feiz  onc  l'esté. 
Lors  en  science,  en  musique  et  en  son 
Un  de  mes  vers  vaudra  une  chanson  ; 
Une  chanson,  une  eglogue  rustique; 
Et  une  eglogue,  une  œuvre  bucolique. 
Que  dyrai  plus?  vienne  ce  qui  pourra  : 
Plus  tost  le  Rosne  en  contrcmont  courra, 
Plus  tost  seront  hautes  forests  sans  branches. 
Les  cygnes  noirs  et  les  corneilles  blanches, 
Que  je  t'oublie  (ô  Pau  de  grand  renom) 
Ne  que  je  cesse  à  louer  ton  haut  nom. 

Sus  mes  brebis,  trouppeau  petit  et  maigre, 
Autour  de  moi  saultez  de  cœur  allaigre, 
Car  desjà  Pan,  de  sa  verte  maison. 
M'a  faict  ce  bien  d'ouyr  mon  oraison. 

[Œuvres  de  Cli'-inent  Marol, 
édit.  GninVey,  t.  II.) 


i 


PIERRE   DE   GARROS 

(xvi»  siècle) 


Ce  précurseur  incontestable  du  Félibrigo.  selon  l'expression 
le  M.  Paul  Mariéton.  n'est  connu  que  depuis  peu.  Ses  poésies, 
(■unies  eu  doux  volumes.  Psaumes  de  David   viratz  en  rythme 
jascouji  (15GÔ)  et  Poesias  Casconas  (1567),  et  rééditées  en  1895' 
oar  son  compatriote   Alcée  Durrieux,    constituent  le  premier 
iionument  littéraire  du  dialecte  gascon  dans  sa  forme  moderne, 
aquelle  forme,  a-t-on  observé,  n'a  pas  plus  changé  que  la  pro- 
lonciation  elle-même.  Protestant  zélé  et  convaincu  «comme  la 
ilupart  des  fidèles  de  cette  couronne   de  Héarn  qui  avait  ac- 
lu  illi  Bonaventure  des  Périers  et  Clément  Marot.  sous  la  pre- 
iiieio  Marguerite  »,  il  était  originaire  de  Lcctoure.  La  date  de 
^i  naissance  a  été  longtemps  controversée,  mais  l'on  sait  aujour- 
riuii  qu'il  vit  le  jour  au  début  du  xvi"  siècle,  et  qu'il  apparte- 
nait à  une  riche  maison  de  Gascogne.   Alcée  Durrieux  a  donné 
lus  détails  intéressants  sur  la  vie  de  ce  poète;  mais  comme  il 
i  fait  plus  souvent  appel  à  son  imagination  qu'aux   documents 
,  originaux,  nous  nous  garderons  de  la  plupart  de  ses  assertions, 
î  Néanmoins  ou  doit  le  croire  lorsqu'il  affirme,  avec  des  preuves 
à  l'appui,  que  Pierre  dé  Garros,  étudiant  en  droit,  puis  licencié 
de  l'Université  de  Toulouse,  fut  successivement  conseiller  au 
siège  présidial  de  la  sénéchaussée  d'Armagnac,  lieutenant  par- 
i  ticulier  du  sénéchal  à  Lectoure  et  avocat  général  à  la  cour  sou- 
I  veraine  de  Pau.  Distingué  et  protégé  par  Jeanne  d'Albret,  il  fut 
chargé  de  diverses  missions,  et  en   lôTl  on  le  trouve  délégué, 
avec    quelques-uns   de    ses  compatriotes,  pour  aller  saluer  la 
reine  de  Navarre  et  le  prince  son  fils  (le  futur  roi  Henri  IV)  à 
Nérac.  Il  mourut  vraisemblablement  à  Pau.  après  l'an  1582.  On 
a  dit  qu'à  deux  reprises  il  dut  fuir  les   persécutions  exercées 
contre  les  calvinistes   et  gagner  même  une   terre  d'exil.  Rien 

1.  Las  Obros  de  Pey  de  Garros  :  l.  Psaumes  de  David  trad.  en  vers 
f/ascnns  par  Pierre  de  Garros,  etc.  Traduits  du  gascon  en  français 
I>ar  Alcée  Durrieux.  — II.  Poésies  Gasconnes  de  Pierre  de  Garros, 
Aucli,  imprim.  Gaston  Foix,  1895,  2  vol.  in-18,  100  ex.  C'est  une 
édition  fort  médiocre. 


214  LES    POÈTES    DU    TEKROIR 

n'est  moins  certain,  mais  il  est  hors  de  doute  que  Garros  fut  un 
des  plus  ardents  vulgarisateurs  de  la  Réforme.  Sa  science,  son 
dévouement  à  une  cause  chère,  ses  aptitudes  de  poète,  qui  déjà 
s'étaient  manifestées  dans  sa  jeunesse,  le  désignèrent  tout  natu- 
rellement pour  traduire  en  dialecte  du  cru  les  Psaumes  de  Da- 
vid. 11  le  fit  avec  une  sincérité,  un  talent  qui  lui  ont  valu  de 
nombreux  admirateurs.  Ses  psaumes,  répandus  et  chantés  par 
le  peuple,  eurent  un  retentissement  considérable  et  décidèrent 
de  son  génie  poétique.  Son  texte,  d'une  forme  à  la  fois  correcte  et 
élégante,  mais  qui  n'est  souvent  qu'une  ingénieuse  paraphrase 
de  l'original,  fut  en  Armagnac  l'équivalent  de  la  traduction  de 
Clément  Marot  dans  les  pays  de  langue  française,  c'est-à-dire 
un  chant  sacré  que  les  huguenots  adoptèrent  et  qui  guida  leur 
foi.  Les  Psaumes  de  David  viratz  en  rythme  gascoun  parurent 
à  Toulouse,  chez  Jacques  Colomès,  en  1565  (in-12).  précédés 
•d'une  dédicace  à  «  Très  illustre  et  très  haute  princesse  la  reine 
de  Navarre  ».  Encouragé  par  son  succès.  Garros  donna  deux 
ans  après,  sous  le  titre  Poesias  gasconas  (Toulouse,  Colomès, 
1567,  in-12).  un  recueil  de  poésies  diverses,  où  l'on  trouve  des 
héroïdes  à  l'imitation  des  anciens,  huit  églogues  touchant  les 
mœurs  rustiques  et  une  sorte  de  manifeste  en  faveur  de  la  lan- 
gue gasconne.  Après  avoir  fait  œuvre  de  foi  religieuse,  Pierre  de 
Garros  terminait  sa  carrière  par  une  manifestation  de  foi  litté- 
raire et  morale.  Ses  héroïdes  ne  sont,  à  proprement  parler,  qu'un 
exercice  d'éloquence,  mais  ses  églogues  demeurent  comme  un 
des  plus  authentiques  et  émouvants  témoignages  d'une  éjioquo 
troublée  de  notre  histoire.  Elles  renferment  des  pages  qui 
ont  sollicité  la  verve  de  ceux  qui  vinrent  après  lui,  en  créant 
un  genre.  Telles  pièces,  Mauberdot  (Méchant  Verdet)  et  Ifcrran 
(Le  Ferrailleur),  ne  sont  pas  déplacées  près  do  ce  tableautin  sai- 
sissant de  (îoudouli,  Loti  Croquant.  «  Abandonnant  les  sentiers 
étroits  du  sentimentalisme,  trop  battus  jusque-là.  écrit  M.  J.  Mi- 
chelet,  Garros  osa  aborder  avec  un  égal  mérite  la  poésie  bibli- 
que, héroïque  et  pastorale.  L'arme  ne  faiblit  jamais  dans  sa 
main  de  novateur,  et  le  langage  est  partout  au  niveau  de  la  pen- 
sée. Son  vers  est  clair,  lucide;  sou  style  simple,  ses  tableaux 
relevés  par  des  remarques  toujours  empreintes  de  sagesse,  qui 
font  ressortir  son  esprit  observateur,  judicieux,  indépendant. 
La  rapidité  et  lu  facilité  de  conception  sont  alliées  a  une  abon- 
dance de  coloris,  d'images  qui  donnent  à  son  talent  un  cachet 
particulier.  ■ 

BiBLiooRAPiiiE.  —  J.-C.  Brunot,  Manuel  du  Libraire.  —  Sup- 
plément à  la  Biographie  univ.  de  Michaud.  —  Alcée  Durrieux, 
Notice  biogr.,  eu  tête  de  la  réimpr.  des  l'sauines  de  Pey  de  (iar- 
ros,  etc.  —  J.  Michelet,  Poètes  f/ascons  du  fiers,  depuis  te  seizième 
siècle  jusqu'à  nos  Jours,  Auch,  impr.  Th.  Bouquet,  1904,  in-8». 


GASCOGNE    ET    GUYE.NNE 


215 


Voir  en  outre  Revue  (V Aquitaine,  t.  I"',  p.  125-126,  t.  IX,  p.  204, 
205;  Revue  de  Gascogne,  t.  I-,  p.  355,  405,  468,  499;  t.  II,  p.  571; 
t.  XIII,  p.  537. 


CHANT    NUPTIAL 

Debout,  allez,  filles  de  Lectoure,  —  Faire  bon  accueil 
à  l'épousée  qui  vient;  —  Revenez  de  bonne  heure,  jeunes 
filles  —  Qui  allez  ramasser  la  jonchée  '  ;  —  Portez  pleines 
corbeilles  —  De  verdures  fraîches,  —  Et  quand  vous  re- 
viendrez, —  Vous  tenant  la  main  dans  lu  main,  —  Gaies 
et  couvertes  de  fleurs,  —  Vous  chanterez  une  chanson. 

Sortez,  donzelles^  aux  cheveux  dorés  —  Qui  trop  sou- 
vent vous  faites  prier;  —  Sortez  mignonnes,  bien  pa- 
rées,—  Et  no  vous  faites  plus  tant  gourmander.  —  Qu'elles 
aillent  les  plus  jolies  —  Et  les  plus  diligentes  —  Aux 
champs  en  grand  nombre  ;  —  Montrez  qu'il  n'était  —  Nul 
besoin  —  D'aiguillon  aigu. 

Courez  ébrancher  la  ramée,  —  Gentils  compagnons  des 
bois,  —  En  revenant  au  long  de  la  prairie  —  Sautez  joyeux 
et  folâtres. 


GANT    NOB  lAU 


Svs  anatz  hilhas  do  Laytora 
La  nobia  qui  ven  arcuilhi, 
Tornatz  gojatas,  do  bon'  hora 
Qui  lajiincada  vatz  culei; 
Portât?,  pleas  descas 
De  verduras  phrescas, 
E  qan'  tornaratz, 
Man  a  mau  juntadas, 
Gayas,  enphlocadas, 
Ua  canson  diratz. 
Sortetz  danzeras  pou  dauradas, 
Que  ta  soen  vos  hetz  couvida, 


Sortetz  mignonas  e  paradas  : 
E  no  ra'hassatz  plus  tant  crida. 
Angan  las  mes  gentas 
E  mes  diligentas  ' 

Aus  camps  qanteqant, 
Mustratz  que  nobs  era, 
Degua  nessera, 
D'agulhon  picant. 
Corretz  desbrancâ  la  ramada, 
Gentius  compagnes  boscasses, 
Au  tornâ  peu  long  de  la  prada 
Sautatzgaujos,e  solasses. 


1.  La  jonchée  consiste  en  feuilles  el  fleurs  répandues  à  profusion 
depuis  la  maison  de  la  mariée  jusqu'à  l'église, 
i.  Filles  d'iionneur  de  la  mariée. 


216 


LES    POETES    DU    TERROIR 


—  Et  mes  gens  d'entendre  —  Ma  parole;  Ils  ont  saisi 

—  La  serpe  tranchante  :  —  Le  vent  d'allégresse  —  Fait 
hâter  leur  pas  —  Vers  les  bois  agréables. 

Là,  mainte  Nymphe  belle  —  Nous  verrons  prête  à  em- 
brasser—  Sa  tant  aimée  compagne  —  Qui  tant  qu'elle 
peut  s'approche  en  avant;  —  Et  nulle  envie,  —  Tant 
qu'elle  ne  nous  voit  pas,  —  N'a  de  se  réjouir.  —  Venez, 
Nymphe  nouvelle ,  —  La  première  et  la  dernière  —  Du 
bonheur  de  l'époux. 

Soufflez,  maîtres  (elle  est  entrée),  —  Tant  que  vos 
soufflets  pourront  donner.  —  Commencez  avec  galante 
aubade  —  A  célébrer  l'arrivée  :  —  Vous,  soyez  la  bien- 
venue, —  Joyeusement  accueillie,  —  Fleur  supérieure 
aux  fleurs  —  Avec  la  gentillesse,  —  L'honneur  et  la  no- 
blesse —  Que  vous  menez  avec  vous. 

L'époux  avec  sa  longue  suite,  — A  mille  plaisisirs  dis- 
posé, —  Pour  faire  l'accueil  espéré,  —  Est  sorti  avec 
solennité.  —  Là,  l'entoure  —  La  grande  couronne  du  menu 
peuple;  —  Là  de  tristesse,  —  Mère  de  la  vieillesse,  — 
Nul  mot  n'est  entendu. 


E  mas  gens  d'entene 
Ma  paraula.  e  prene 
Lo  hausset  prii/.cnt  : 
Le  vent  d'alegransa 
D'et/.  lo  pas  aiiansa 
Ent'  au  bosc  pla/cnt. 
Aqi  mantuA  Nympha  bera 
Vej'ran  prosta  per  al)rassa 
Sa  tant  amada  compagnera 
Qui  tant  que  pot  s'apropia  en  ça, 
E  deguii  enuuja. 
Deqià  que  nos  voja. 
N'a  do  s'argauzi. 
Vietz  Nympha  naucru 
l'rumera,  e  darrera. 
Do  l'uspos  gauzi. 
Hohatzmcstrcs(ora  es  antrada 
Tantqueusbarqis  vou  poyrand.-i 


Coaiensatz  de  galanta  aubada 

Las  amyansas  saludà  : 

Vos  siatz  beu  venguda. 
De  gay  reccbuda, 
Phlo  dessus  las  plilos, 
Dam  la  geutilessa. 
L'hono,  la  uoblessa 
Que  myâtz  dam  vos 

L'espos  dam  sa  longa  segucns: 
En  mila  plazes  convertit. 
Per  ha  la  sperada  arculhensa 
Magniphicaraent  es  sortit. 
Aqi  s'eaviroA 
La  graua  coroft 
Deu  pople  menut. 
Aqi  do  tristessa 
La  may  do  vielhessa 
Mot  u'es  entenut. 


I 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  217 

Epoux,  votre  chère  moitié,  —  Que  vous  voulez  unir 
avec  vous,  —  Dès  qu'elle  est  sortie  du  lieu  où  elle  était, 

—  Ne  peut  plus  être  sans  vous.  —  O  couple  amoureux, 

—  Soyez  aussi  heureux  —  Que  jamais  on  ne  vit;  —  Que 
tant  d'amour  vous  lie,  —  Qu'il  ne  se  délie  —  De  cent 
ans  et  plus. 

Tant  que  durera  ce  long  âge,  —  Que  vous  soyez  en 
grande  prospérité;  —  Multipliez  votre  lignage,  —  Et  que 
votre  postérité  —  Soit  famille  qui  dure,  —  Qui  craigne 
et  qui  aime  —  Le  Dieu  suprême;  —  Qu'elle  chante  et 
glorifie,  — Qu'elle  loue  et  magnifie  —  Son  nom  Eternel. 

{Traduction  d'Alcée  Durrieux, 
revue  et  corrigée.) 


Espos  vosta  mieja  partida  Mentrequedureaqet longatge, 

Que  dam  vos  voletz  ajusta  Vejatz  en  grand  prosperitat, 

S'es  deu  loc  on  era  partida  Multiplicâ  voste  liat^je, 

Perqe  ses  vos  no  pot  esta.  E  sia  vosta  posteritat 

O  copia  amoro/.a,  Ua  gont  qui  réclame, 

tjiatz  autant  vroza  Qui  crenga,  qui  amo 

Q'om  ne  vie  james  ;  Lo  Diu  supernau, 

Tant  d'amo  vos  ligue.  Gante,  e  gloriphiquo 

Que  no  se  desligue  Lauze.  e  magniphique 

De  Cent  ans  ou  mes.  Son  nom  Eternau. 

[Poesias  gasconas,  etc.,  Tolosa, 
J.  Colomiès,  1567.) 


13 


OLIVIER   DE   MAGNY 

(1529P-1560) 


Olivier  de  Magny,  comme  Clément  Marot,  naquit  à  Cahors,  on 
Qiiercy,  vers  l'an  1529.  Il  appartenait  à  l'une  des  plus  anciennes 
maisons  do  sa  ville  natale.  Son  père,  Michel  de  Magny,  exer- 
«.'ait  la  charge,  héréditaire  dans  sa  famille,  de  notaire  royal:  sa 
iiiere  se  nommait  Marguerite  de  Parra.  Il  fut  envoyé  de  bonne 
heure  à  Paris,  où  son  compatriote  Hugues  Salel,  de  Casais, 
enQuercy,  laccueillit  avec  bienveillance  et  le  fit  son  secrétaire. 
Après  la  mort  de  ce  dernier,  en  1554,  il  s'attacha  à  Jean  d'Avan* 
son,  conseiller  d'Etat,  et  le  suivit  dans  une  mission  diploma- 
tique auprès  du  pape  Jules  II,  à  Rome.  En  ce  pays,  il  lit  la 
rencontre  de  Joachim  du  Bellay,  secrétaire  d'ambassade  comme 
lui.  Les  deux  jioètes  se  lièrent.  De  retour  en  France,  après  un 
séjour  de  trois  années,  Olivier  de  Magny  s'arrêta  à  Lyon  et 
s'éprit  de  Louise  Labé.  C'est  vraisemblablement  à  notre  poète 
<iue  la  Belle  Cordière  écrivit  les  plus  passionnés  do  ses  vers 
d'amour.  Devenu  secrétaire  du  roi,  il  mourut  en  1560,  à  peine 
âgé  de  trente  ans.  Ses  œuvres  consistent  en  cinq  recueils  :  Les 
Amours  (Paris,  Est.  Groulleau,  1553,  et  Lyon,  B.  Rigaud,  1573, 
in-8»)  ;  Hymne  sur  la  Naissance  de  Madame  Marguerite  de  France, 
ai'cc  quelques  autres  vers  I.iriques  (Paris,  Arn.  l'Angelicr,  1553, 
in-S»);  Les  Gayetcz  (Jean  Dallier,  1554,  in-8»);  Les  Souspirs  (Pa- 
ris, "Vincent  Sertenas,  1557,  in-8")  et  Les  Odes  (Paris,  André  We- 
chcl,  1559,  in-8<>}.  Rien  n'est  plus  rare  que  ces  livres  originaux. 
Aussi  en  a-t-on  entrepris  il  y  a  peu  d'années  diverses  réimpres- 
sions. Voyez.  :  Les  Amours,  Les  Souspirs,  Les  Gayctez,  L.es  Odcs^ 
etc.,  publiés  par  Prosper  Blauchcmain,  Turin,  Gay,  1869,  1870, 
et  Lyon,  Scheuring,  1876,  4  vol.  iu-8";  Les  Œuvres  d'Olivier  de 
Magny  [Gayetez,  Soupirs,  Odes,  Amours,  Dernières  Poésies),  avec 
notices  et  index  par  E.  Courbet,  Paris,  A.  Lemcrrc,  1871-1881, 
G  vol.  in-12. 

Un  érudit  de  province,  Emile  Dufour,  do  Cahors,  a  publié  de 
curieux  renseignements  sur  la  famille  du  poète  et  sur  les  lieux 
<iui  sans  cesse  lui  furent  chers.  Nous  en  détacherons  ce  qui  suit: 
0  L'habitation  do  Magny  a  la  ville  était  encore  en  1560  —  lorsque 
fut  rédigé  le  grand  cadastre  do  Cahors  —  dans  la  rue  do  l'.lbes- 
cat,  rue  dont  l'emplacement,  ainsi  que  celui  de  plusieurs  autres 


GASCOGKE    ET    GUYICNNK 


19 


nielles  adjacentes,  fut,  bientôt  nprès,  absorbé  jiar  l'immense 
})alais  que  les  évèques  firent  construire  dans  ce  quartier,  et 
dont  les  chassa  si  vite  la  Révolution.  Sa  demeure  des  champs, 
«onime  le  poète  l'appelle  dans  l'une  de  ses  odes,  composée  d'un 
petit  jardin,  d'un  petit  champ,  d'un  petit  bois,  d'une  petite  fon- 
taine, était  évidemment  située  dans  la  vallée  accidentée  qui  se 
trouve  à  l'orient  et  en  face  de  la  cité,  dont  elle  n'est  séparée  que 
parla  rivière  et  que  l'on  nomme,  je  ne  sais  trop  pourquoi,  Ca- 
bessut,  Camp  haussât,  peut-être.  Ce  devait  être  la  maison  au- 
jourd'hui singulièrement  délabrée  qui,  aux  pieds  du  premier 
coteau,  où  finit  doucement  la  plaine,  se  pose  entre  deux  che- 
mins qui  ont  transformé  ses  dépendances  en  triangle,  comme 
une  espèce  de  promontoire  à  l'extrémité  duquel  se  trouvait 
[vers  1860]  un  petit  lac  qu'on  appelait  encore  le  lac  de  Magny. 
La  campagne,  aux  alentours,  presque  entièrement  dénudée 
aujourd'hui,  à  cause  des  cultures  spéciales  auxquelles  elle  est 
exclusivement  consacrée,  était  alors  couverte  de  magnifitiues 
chênes,  de  vignes  à  la  végétation  luxuriante  et  de  chàtaigniei  s 
gigantesques.  »  Poète  facile  et  fécond,  Olivier  de  Maguy  est  un 
des  plus  agréables  disciples  de  la  Pléiade. 

Bibliographie.  —  Emile  Dufour,  Etudes  historiques  sur  le 
Ouercy,  Cahors,  Plantade,  1864,  in-8".  —  J.  Favre,  Olivier  de 
Magny,  1529  {?)-156L  Etude  biogr.  et  littér.,  Paris,  Garnier,  1886, 
in-8».  (Consultez  en  outre  la  Revue  d'Histoire  littéraire  de  la 
france,  18'J8,  p.  167,  et  1903,  p.  467.) 


A   SA   DEMEURE    DES    CHAMPS 

Petit  jardin,  petite  plaine. 

Petit  boys,  petite  fontaine. 

Et  petits  coustaux*  d'alentour, 

Qui  voyez  mon  estre  si  libre, 

Combien  serois-je  heureux  de  vivre 

Et  mourir  en  vostre  séjour! 

Bien  que  vos  fleurs,  vos  bleds,  vos  arbres, 
Et  vos  eaux  ne  soyent  près  des  marbres, 
My  des  palais  audacieux, 
Tel  plaisir  pourtant  j'y  retire 


1.  Coteaux. 


220 


LES    POETES    DU    TERROIR 

Que  mon  heur,  si  je  l'ose  dire, 
Je  ne  vouldroy  quitter  aux  Dieux  : 
Car  ou  soit  qu'un  livre  je  tienne, 
Ou  qu'en  resvant  il  me  souvienne 
Des  yeux  qui  m'enflamment  le  sein, 
Ou  qu'en  chantant  je  me  promeine, 
Toute  sorte  de  dure  peine 
Et  d'ennuy  me  laisse  soubdain. 
Toutes  fois  il  faut  que  je  parte, 
Et  fault  qu'en  partant  je  m'escarte 
De  vos  solitaires  destours, 
Pour  aller  en  pays  estrange, 
Sous  l'espoir  de  quelque  louange 
Malement  travailler  mes  jours. 
O  chaste  vierge  Delienne, 
De  ces  montagnes  gardienne. 
Si  j'ay  tousjours  paré  ton  dos 
D'arc,  de  carquois  et  de  sagettes, 
Couronnant  ton  chef  de  fleurettes 
Et  sonnant  sans  cesse  ton  los  : 
Fais  que  long  temps  je  ne  séjourne, 
Ainçois'  que  bien  tost  je  retourne, 
En  ces  lieux  à  toy  dédiez, 
Revoir  de  tes  nymphes  la  bande. 
Afin  qu'en  ces  autels  j'appende 
Mille  autres  hymnes  à  tes  pieds. 
Mais  soit  qu'encore  je  revienne 
Ou  que  bien  loing  on  me  retienne, 
Il  me  resouviendra  tousjours 
De  ce  jardin,  de  cesle  plaine, 
De  ce  boys,  de  cestc  fontaine. 
Et  de  ces  cousteaux  d'alentour. 


{Odes.) 


SONNET 


Hien  heureux  est  celuy  qui,  loing  de  la  cité. 

Vit  librement  aux  champs  dans  son  propre  héritage, 

1.  Mais  plus. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  221 

Et  qui  conduyt  en  paix  le  train  de  son  mcsnage, 
Sans  rechercher  plus  loing  autre  félicité. 

Il  ne  sçait  que  veult  dire  avoir  nécessité, 
Et  n'a  point  d'autre  soing  que  de  son  labourage, 
Et  si  sa  maison  n'est  pleine  de  grand  ouvrage, 
Aussi  n'est-il  grevé  de  grand'  adversité. 

Ores  il  ante  un  arbre,  et  ores  il  marye 

Les  vignes  aux  ormeaux,  et  ore  en  la  prairie 

Il  desbonde  un  ruisseau  pour  l'herbe  en  arouzer  : 

Puis  au  soir,  il  retourne  et  souppe  à  la  chandelle 
Avecques  ses  enfans  et  sa  femme  fidelle, 
Puis  se  chauffe  et  devise  et  s'en  va  reposer. 

{Les  Soupirs.) 


ESTIENNE   DE   LA   BOETIE 

(1530-1563; 


Le  célèbre  auteur  de  La  Servitude  volontaire  ou  le  Contr'nn 
naquit  à  Sarlat,  dans  le  Périgord,  le  l"""  novembre  1530,  soit 
deux  années  avant  son  ami  Montaigne.  Nommé  conseiller  au 
Parlement  de  Bordeaux,  le  13  octobre  1553,  et  admis  dans  sa 
charge  le  17  mai  1554,  il  épousa  peu  de  temps  après  Margue- 
rite de  Carie,  sœur  du  poète  Lancelot  de  Carie,  évoque  de  Riez, 
et  veuve  de  Jean  d'Arsac.  Estienne  de  La  Boétie  vécut  en  par- 
faite communion  d'esprit  et  de  sentiment  avec  cette  dernière  et 
mourut  le  mercredi  18  août  1563.  Il  laissait  avec  le  fameux 
ouvrage  cité  plus  haut  —  objet  de  polémiques  récentes  — quel- 
ques traductions  de  Plutarqueet  deXénophonet  diverses  poé- 
sies latines  et  françaises  qui  furcmt  données  au  public  en  1571, 
en  1572  et  eu  lôHO.  Voyez  :  Vers  français  de  feu  Estienne  de  la 
Boétie,  conseiller  du  Roy  en  sa  cour  de  Parlement  de  Bordeaux, 
Paris,  Frédéric  Morel,  1571,  in-12;  La  Mesiiagerie  de  Xcnophon, 
Les  lùg-lcs  de  Mariage  de  Plutarque,  etc.,  Ensemble  quelques 
vers  latins  et  français  de  son  invention,  Paris,  F.  Morel,  1572, 
in-8";  Vingt-neuf  Sonnets  d' Estienne  de  La  Boétie,  etc.,  publiés 
dans  les  Essais  de  Michel,  seigneur  de  Montaigne...  AHourdeaus, 
par  S.  Millanges,  1580,  2  vol.  pet.  in-S».  Ces  poésies,  do  mémo  que 
La  Servitude  volontaire,  ont  été  maintes  fois  réimprimées.  Ou 
les  trouve  dans  l'édition  des  Œuvres  complètes  publiée  récem- 
ment avec  une  notice  biographique,  des  variantes,  des  notes 
et  un  index  par  M.  Paul  IJonnefon  (Hordeaux,  Gounouilliou, 
et  Paris,  Houam,  1892,  in-'i").  Montaigne  allectionnait  particu- 
lièrement les  vers  d'Eslienne  de  La  Hoétie.  Ses  sonnets,  et  en 
particulier  ceux  qu'il  a  consacrés  à  son  pays,  ont  de  la  chaleur. 
du  la  furcu  et  un  tour  original. 

HiBMOonAi'iiiR.  —  Paul  Bonnefon,  E.  de  La  Boétie,  sa  vie,  s,^ 
ouvrages  et  ses  relations  avec  Montaigne,  Bordeaux,  1888,  iu-M  . 
—  Fr.  Habasciue,  L'n  Magistrat  au  seizième  siècle,  Ageu,  impr. 
Noubel,  1876,  in-S»,  —  F.  Combes,  Les  Idées  politiques  de  La 
Boétie  et  de  Montaigne,  Bordeaux,  1882,  in-80.  —  A.  Armaingautl, 
La  Boétie,  Montaigne  et  te  Contr'nn,  Paris,  extrait  do  la  Revue 


Èi 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  223 

politique  et  parlementaire,  1906,  in-S".  —  A.  de  la  Valetto- 
Monbrun,  Autour  de  Montaigne  et  de  La  Doctic,  Paris,  Picard, 
1908,  in-8«.  —  Voyez  en  outre  les  travaux  de  R.  Dezeimeris  et 
L.  Feugère. 


SONXETS 


C'estoit  alors,  quand,  les  chaleurs  passées, 

Le  sale  automne  aux  cuves  va  foulant 

Le  raisin  gras  dessoubs  le  pied  coulant. 

Que  mes  douleurs  furent  encommencées. 

Le  paysan  bat  ses  gerbes  amassées, 

Et  aux  caveaux  ses  bouillants  muis  roulant. 

Et  des  fruitiers  son  automne  croulant. 

Se  vange  lors  des  peines  advancées. 

Seroit  ce  point  un  présage  donné 

Que  mon  espoir  est  dosjà  moissonné? 

]Son,  certes,  non.  Mais  pour  certain  je  pense, 

J'auroy,  si  bien  à  deviner  j'entends, 

Si  l'on  peult  rien  prognostiquer  du  temps, 

Quelque  grand  fruict  de  ma  longue  espérance. 


Je  veois  bien,  ma  Dourdouigne,  encor  humble  tu  vas; 
De  te  monstrer  Gasconne  en  Franco,  tu  as  honte. 
Si  du  ruisseau  de  Sorgue  on  fait  ores  grand  conte, 
Si  a[-t-]il  bien  esté  quelquefois  aussi  bas. 
Veoy  tu  le  petit  Loir  comme  il  haste  le  pas  ? 
Comme  desjà  parmy  les  plus  grands  il  se  conte? 
Comme  il  marche  haultain  d'une  course  plus  prompte, 
Tout  à  costé  du  Mince,  et  il  ne  s'en  plainct  pas  ? 
Un  seul  olivier  d'Arne,  enté  au  bord  de  Loire, 
Le  faict  courir  plus  brave  et  lui  donne  sa  gloire. 
Laisse,  laisse  moy  faire,  et  un  jour,  ma  Dourdouigne, 
Si  je  devine  bien,  on  te  cognoistra  mieulx; 
Et  Garonne,  et  le  Rhône,  et  ces  aultres  grands  dieux 
En  auront  quelque  envie,  et  possible  vergoigne. 


DU   BARTAS 

(1544-1590) 


Guillaume  de  Saluste  —  seigneur  du  Bartas  —  naquit  à  Mont- 
fort,  en  1544.  Son  père,  François  Saluste.  était  recereur  des  dîmes 
du  diocèse  de  Lombez ;  il  mourut  après  avoir  fait  l'acquisition 
du  domaine  du  Bartas,  dont  son  fils  prit  le  nom.  Le  château  du 
Bartas,  qui  existe  encore  de  nos  jours,  dépend  de  la  commune 
de  Saint-Georges,  dans  le  Fézansaguet;  il  est  situé  sur  les 
bords  d'un  ruisseau,  le  Sarrampion,  entre  Mauvezin  et  Cologne. 

Du  Bartas,  élevé  avec  le  goût  des  exercices  militaires,  se  dis- 
tingua tout  à  la  fois  comme  négociateur,  comme  capitaine  et 
comme  poète.  A  ses  débuts,  il  fut  gentilhomme  ordinaire  de  la 
chambre  du  roi  de  Navarre,  depuis  Henri  IV.  Par  la  suite,  il 
prit  le  parti  des  armes.  Sa  poésie,  il  faut  le  dire,  se  ressentit 
de  ses  multiples  occupations,  à  tel  point  qu'il  ne  parvint  jamais, 
quoi  qu'il  fit,  à  être  un  écrivain  correct  et  élégant.  C'était  — 
sa  rudesse  et  son  imperfection  en  témoignent  —  une  sorte  de 
génie  vulgaire  et  fort  confus.  Du  Bartas  servit  dans  la  cavale- 
rie et  commanda  une  compagnie  sous  le  maréchal  de  Matignon, 
gouverneur  de  sa  province.  Le  Béarnais  l'employa  pour  ses 
alfaires  près  de  Jacques  VI,  et  il  faillit  demeurer  en  Ecosse,  où 
ce  prince  tenta  de  se  l'attacher.  Il  mourut  dos  suites  do  ses 
blessures,  en  1590,  suivant  les  uns,  en  l'»91,  selon  les  autres. 
Ses  deux  ouvrages,  La  Semaine  ou  Création  du  monde,  et  la 
Seconde  Semaine,  publiés  l'un  en  1579  et  l'autre  en  1584,  lui  ont 
valu  une  réputation  universelle.  Ce  n'est  pourtant  pas  sur  ces 
livres  que  nous  le  jugerons  ici. 

On  l'a  observé  déjà,  quoiqu'il  ait  écrit  le  plus  souvent  on 
français,  Saluste  du  Bartas  se  laissa  gagner  à  rimer  en  gascon, 
sa  langue  maternelle.  II  écrivit  dans  ce  dialecte  un  sonnet  qui 
nous  a  été  conservé  par  son  ami  Pierre  de  Brach.  dans  son 
Voyage  en  Cascogne,  et  il  composa,  lorsque  Marguerite  do  Valois 
lit  son  entrée  à  Nérac,  en  l.")79,  un  poème  demeuré  fameux. 
C'est  une  sorte  de  dialogue  où  trois  Nymphes,  représentées  par 
du  jeunes  et  belles  tilles  (les  nymphes  latine,  française  et  gas» 
conne),  se  disputent  l'honneur  do  souhaiter  la  bienvenue  de  la 
reine  *.  «  Ce  jour-là,  écrit  le  docteur  Noulet,  rien  que  ce  jour-là 

i.  Ce  poème  a  616  réédité  en  1!>02,  parM.M.H.  (iuy  et  A.Jcanroy. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  225 

du  Bartas  se  trouva  naïvement,  c'est-à-dire  simplement  poète. 
Ce  fut  comme  une  voix  humaine  qui  lui  parla  au  cœur,  et  l'aus- 
tère calviniste  laissa  tomber  la  Bible  et  sa  cithare  d'or  pour 
écouter  cette  enchanteresse  et  redire  ses  accents...  » 

La  mise  en  scène  et  le  dialogue  font  de  ce  poème  un  petit  chef- 
d'œuvre;  la  manière  surtout  en  est  remarquable  :  c'est  une  sim- 
plicité relevée  qui  tranche  du  tout  au  tout  avec  le  style  am- 
poulé de  ses  autres  ouvrages.  Le  dialogue  des  trois  Nj-mphes 
se  trouve  généralement  inséré  à  la  suite  de  la  Semaine  et  des 
productions  diverses  de  du  Bartas.  Il  a  fait  ainsi  l'objet  de 
nombreuses  réimpressions.  Ce  n'est  point  trop  dire  qu'avec  une 
série  de  sonnets  intitulés  les  Neuf  Muses  pyrénéennes,  il  tient 
uue  large  place  dans  le  bagage  de  cet  auteur  et,  depuis  plus  de 
trois  siècles,  s'impose  à  l'admiration  de  ses  compatriotes. 

Nous  ne  donnerons  pas  ici  une  bibliographie  de  l'œuvre  de 
Saluste  du  Bartas  :  on  la  trouvera  dans  le  Manuel  du  Libraire  de 
J.-C.  Brunet  plus  complète  que  nous  ne  saurions  la  faire.  Rap- 
pelons néanmoins  qu'on  a  fait  paraître  assez  récemment  une 
petite  édition  destinée  a  populariser  quelques-unes  des  meil- 
Itiures  pages  du  poète  gascon  :  Choix  de  poésies  françaises  et 
gasconnes  avec  une  notice  biographique  et  des  notes  littéraires 
par  Olivier  de  Gourcuff  et  Paul  Bénètrix  (Auch.  impr.  J.  Capin, 
1890,  in-18). 

Bibliographie.  —  Abbé  Goujet,  Bibliothèque  françoise,  XIII, 
p.  304.  —  J.-B.  Noulet,  Essai  sur  l'histoire  littéraire  des  patois 
du  Midi  de  la  France,  Paris,  Techener.  1859,  in-S».  —  G.  Pellis- 
sier,  La  Vie  et  les  Œuvres  de  D.  B.,  1882.  —  J.  Micholet,  Poètes 
gascons  du  Gers,  Auch,  imprim.  Th.  Bouquet,  1904,  in-8».  — 
H.  Guy,  La  Science  et  la  Morale  de  du  Bartas  d'après  la  pre- 
mière Semaine,  Toulouse,  Privât,  1902,  in-8<>. 


FRAGMENT  DU  DIALOGUE  DES  TROIS  NYMPHES 
LATINE,   FRANÇAI'SE    ET    GASCONNE 

LA    NYMPHE    GASCONNE 

Baïse,  enfle  ton  cours,  prépare-toi  à  surpasser  —  Le 
Rhin,  le  Pô,  l'Ebre,  le  Tanaïs;  — 

LA    GASGOUNE 

Baïse,  enfle  toun  cous  :  coummence  t'hé  mes  grane 
Que  lou  Rhin,  que  lou  Po,  que  l'Ebre,  que  la  Tane  : 


226  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Glorieuse,  fais  retentir  ta  joie  dans  toute  la  région,  — 
Baïse,  enfle  ton  cours,  prépare-toi  à  te  rendre  plus  grande, 

—  Puisque  jamais  le  Rhin,  le  Pô,  l'Ebre,  le  Tanaïs  —  Ne 
virent  sur  leur  gravier  beauté  telle  que  sur  le  tien. 

Grandis,  ô  petit  Nérac  !  Nérac,  développe  tes  clôtures, 

—  Lève  tes  tours  jusqu'au  ciel;  ceins  de  tes  murailles  — 
Tout  ce  que  le  monde  n'a  jamais  entouré  de  plus  beau. 

—  Claire  aube  du  jour,  va  te  cacher,  de  grâce,  —  Fuis 
loin  d'ici,  fuis,  va  montrer  sur  l'autre  monde  ta  face  :  — 
Ici  brille  une  étoile  plus  éclatante  que  la  tienne. 

O  merle!  ô  rossignol!  ô  mésange!  ô  linotte!  —  Chan- 
tres du  beau  jardin  que  la  Baïse  engraisse,  —  Saluez 
d'un  doux  chant  la  plus  belle  du  monde  —  0  Parc, 
charge  de  fruits  tes  arbres  les  plus  sauvages!  —  Pour 
accueillir  ta  Dame  rassemble  tes  ramages!  — Parc,  on 
ne  vit  jamais  pareil  honneur  au  tien. 

Toi,  sois  la  bienvenue,  Etoile  qui  gouvernes  —  Notre 
bonheur  menacé  d'orages  et  de  tempêtes,  —  Et  d'un  re- 
gard bienveillant  affranchis  le  monde  de  nuages.  —  Es- 
prit angélique,  la  plus  belle  d'entre  les  belles,  — 

Gloiiiiousc,  lu;  hruuiiy  loua  j;ay  pur  tout  loti  inotiu. 
Haïse,  enfle  toun  cous  ;  comence  t'hé  mes  n;rane 
Piich  que  jamés  loii  Rhin,  loii  Pc.  l'Ebre.  la  Tanc 
Nou  biii  sur  lou  graué  tau  beutat  que  lou  toun. 
Creich,  ô  petit  Nerac!  Nerac,  crcich  tas  barralhcs, 
Leiie  tas  tous  au  cèu  :  cinto  de  tas  iiiuralhcs 
Tout  so  que  de  phis  bot  cintec  iamés  lou  nioun. 
Claio  halbe  deu  jour,  but  cscoune  de  grassie. 
Huch  hu.  huch,  b<i  mucha  sur  ïnuUi  inoiin  ta  fassie  : 
Assiu  raye  un  lugrau  plus  luseu  que  lou  toun. 
O  nKîile!  à  roussicnol!  ô  meillcngue!  o  leunoiche! 
Coures  dou  b<t  casau  que  la  Haïse  cngreichc. 
Saludals  d'un  dous  cant  la  plus  bore  dcu  moiin, 
O  parc,  carguo  do  fruts  tous  arbres  plus  saubatjcs! 
Por  arcouillii  ta  dauue  acato  tous  ramatjres  : 
Parc,  nou  se  bic  ianiés  tant  d'auuou  que  lou  toun. 
Tu  siés  la  ben  benjrudo,  Kstelc  qui  goubernes 
Nostre  niacau  batut  dauratK<'  <'  de  subcrnos, 
Et  d'un  espia  courtes  dcscncrumcs  lou  moun. 
Esperit  angclic,  la  bèrc  de  las  bùres, 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  227 

Que  mon  cou  vieux  de  cent  hivers  et  de  cent  printemps 
Ne  puisse  être  pelé  que  par  Ion  seul  joug"! 

Vois  comme  ta  naissance,  honneur  évident  de  notre 
âge,  —  A  ta  venue  a  fait  plus  beau  son  visage.  —  Il  me 
semble,  en  t'accueillant,  ([ue  je  conquiers  l'univers.  — 
Vois  comme  cette  cour  nage  toute  dans  la  joie.  —  Vois 
comme  tout  le  monde  sourit  à  ton  entrée,  —  Comme  le 
peuple  marie  sa  gaieté  avec  la  tienne. 

Surtout,  vois  ton  mari  dont  la  face  rayonnante,  —  La 
douceur,  le  grand  cœur,  la  renommée,  la  grâce,  —  A 
cent  fois  mérité  la  couronne  du  monde.  —  Vois,  vois 
comme  son  cœur  bat  de  bonheur;  —  Vois  comme,  pour 
satisfaire  son  amoureuse  envie,  —  Il  a  toujours  son  œil 
iixé  sur  le  tien. 

Que  Dieu  soit  lou  garde  du  corps;  que  Dieu  de  son 
doigt  trace  —  Sa  loi  sur  ton  corps  comme  sur  du  pa- 
pier indestructible!  —  Qu'il  puisse  faire  luire  ta  vertu 
aux  yeux  de  tout  le  monde!  -r-  Que  le  fléau  du  grand 
Dieu  s'éloigne  de  ta  tète!  —  Qu'un  fils  jaillisse  de  tes 
entrailles  au  bout  de  neuf  mois,  —  Qui  ressemble  au  père 
parle  cœur  et  à  loi  par  le  visage. 

Moiin  cet  de  cent  hiuors.  é  de  cent  primniicres, 

Nou  pousquo  este  pelât  d'aute  jua  que  deu  touii. 

Goué  couine  ta  cuahnade,  aiinou  cla  de  noste  atge, 

A  ta  bengude  a  lieit  plus  bèt  souu  but  bisatge. 

Eu  semble,  en  t'aquista,  conquista  tout  lou  moun! 

Goué  coume  aqueste  court  ea  aise  toute  iiade, 

Goué  coum'  tout  sa  guens  arrits  à  toun  entrade,  • 

Coinn  lou  pople  soun  gay  niaride  daa  lou  touu. 

Sus  tout,  goué  toun  marit,  de  qui  l'uberte  fassie 

La  doussou,  lou  p;ran  co,  la  meniorie,  la  grassie, 

A  cent  cops  méritât  la  couroue  deu  mouu; 

Gou.  gouè,  counio  de  ^ay  lou  co  IL  pataqueje  ! 

Goué  coum,  par  sadoura  soun  aniourouse  euibcje, 

Et  a  toustem  hicat  soun  ouil  dessus  lou  toun  ! 

Diu  sie  tonn  gouarde  cos  :  Diu  de  soun  dit  escriue 

En  pape  de  touu  cos  sa  lei,  qui,  toustem  bine, 

Pousque  hè  tas  bortuts  lusi  per  ton  lou  moun! 

Lou  lagét  deu  grand  Diu  de  la  teste  s'absente. 

Saille  an  cap  do  nau  mes  un  goujoun  de  toun  bente, 

Qui  semble  au  pay  deu  co,  de  la  care  sie  toun! 


228  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Que  Dieu  protège  ton  mari  à  l'ombre  de  ses  ailes,  — 
Que  Dieu  n'expose  jamais  ton  mari  à  des  malheurs!  — 
Qu'il  le  fasse  le  plus  grand  Roi  du  monde!  —  Et  puis- 
que votre  paix  est  celle  de  la  France,  —  Que  Dieu  vous 
tienne  longtemps  en  amitié  intime,  —  Que  tu  sois  à 
Henri  et  qu'il  soit  à  toi  pendant  cent  ans! 


SONNET 

Ah!  petit  dieu  malin,  ah!  traître  porteur  d'arc,  — 
Pourquoi  m'accables-tu  si  souvent  de  tes  coups  —  Qui 
font  dans  mon  cœur  brèche  sur  brèche,  —  Sans  jamais 
s'égarer? 

L'autre  jour,  ton  lacet  j'ôtai    d'autour  de  mon  cou; 

—  J'enlevai  les  fers   qui  retenaient  mes  pieds,  j'apaisai 
ta  colère;  — J'émoussai  la  pointe  de  ta  flèche  meurtrière 

—  Et  je  mis  (me  semble-t-il)  en  cent  morceaux  ton  arc 

Hélas!  pour  une  chaîne  maintenant  j'ai  cent  chaînes. 

—  Pour  une  entrave  cent  entraves,  —  Et  mon  sein,  nu 
lieu  d'un  trait,  est  traversé  de  cent. 


Diu  tenguc  toun  marit  abricat  de  sas  aies. 

Diu  nou  bâte  jamès  toun  marit  a-de-males! 

Diu  liasse  toun  marit  lo  mes  grand  rei  deu  moua! 

E  puch  que  boste  pats  es  la  pals  de  la  France, 

Diu  vous  tengue  loimgtems  en  pareille  amistance  : 

Cent  ans  sies-tu  d'Honric  :  cent  ans  Hcnric  sic  toun 

SONNET 

Ha!  chaton  maulia/.éc.  ha!  traidou  balcstë, 

Perqiié  débarres-tu  ta  sn-n  ta  pataqucre, 

Per  hé  di'gucns  mon  co  brequere  sur  brequcre, 

Et  ses  he  pauc  ni  prou,  bac,  ni  haut,  ni  cousté? 

L'autre  jour  ton  cordet  d'autour  deu  kot  jousté; 

Jou  desherrié  mous  j)es,  jou'  scanli  ta  coulere, 

La  punte.  jousmouché,  de  ta  bire  murtrdrc. 

Et  ton  arc  en  cent  tros  (samsemble)  jou  bouté. 

Hélas!  per  uc  cadeno  are  joué  cent  cadenes; 

Per  un  cep  joué  cent  ceps,  per  ne  peuo  cent  pencs: 

Et  au  scDg  per  un  trcit,  jou  o  cent  cap-hers  hikats. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  229 

Mais  tes  coups,  tes  tourments,  tes  entraves  et  tes  chai- 
les,  —  Amour,  me  plaisent  tant  que  je  n'ai  ni  repos  ni 
trêve  —  Si  toujours  je  ne  vis  en  si  douce  peine. 


LES  NEUF    MUSES   PYRENEES  PRESENTEES 

PAR  GUILLAUME  DE  SALUSTE.  SIEUR  DU  BARTAS, 
AU   ROY    DE   NAVARRE 

I 

Mon  prince,  approclie-toy,  viens,  ô  la  fleur  dos  Rois. 
Bacchus  sur  nos  costaux,  Pluton  dans  nos  entrailles, 
Gerès  par  nos  vallons,  Theniis  dans  nos  murailles, 
Les  Muses  dans  nos  eaux,  Pan  habite  en  nos  bois. 

Ne  mesprise  ces  Rocs,  ces  Rocs  ont  autrefois 
Nourri  ces  grands  Héros  qu'à  vaincre  tu  travailles, 
Héros  qui  par  duels,  par  sièges,  par  batailles, 
Ont  poussé  jusqu'au  seuil  l'honneur  du  sang-  de  Foix. 

Hercule  ayant  vaincu  le  triple  honneur  d'Espagne, 
Se  fit  père  du  Roy  de  ce  coin  de  Montagne, 
Qui  des  lils  de  ses  fils  a  tousjours  pris  la  loy. 

Henry,  l'unique  effroy  de  la  terre  Hesperide, 

Tu  ne  pourrois  avoir  plus  grand  ayeul  qu'Alcide, 

11  ne  pourroit  avoir  plus  grand  neveu  que  toy. 


Coupeaux  tousjours  chenus,  miracles  qui  touchez 
Les  astres  de  vos  fronts,  l'enfer  de  vos  racines, 
Espouventaux  du  ciel.  Rochers,  qui  dans  vos  mines 
Les  forcenez  désirs  de  l'avare  cachez. 

Tressaillez  de  plaisirs,  vos  pointes  clochez  ', 
Faites  jaillir  partout  des  sources  argentines. 


Mans  ton  treit.  ton  tiinnon.  ton  cep,  et  ta  cadone, 
Aniou,  me  plazea  laa  que  jou  né  paus  ni  pax, 
Si  toustem  jou  nou  biui  en  ue  ta  douce  pêne. 

Pour  ébranlez. 


233  LES  POÈTES  DU  TEKKOIK 

Ouvrez  vos  flancs  pierreux,  descouvrez  vos  poitriiie- 
A  vos  plus  chers  métaux  le  li'iste  frein  laschez. 

Invincible  rempart  de  l'Espagne  et  des  Gaules, 
Ainsi  que  vous  voyez  blancliir  sur  vos  épaules 
Les  montagnes  qui  font  plus  hautain  l'univers, 

O  sommets  escarpez,  ainsi  ce  Roy  qui  monte 
Sur  vos  dos  et  de  neige  et  de  sapins  couvers, 
Par  ses  belles  vertus  tout  autre  Roy  surmonte. 

III 

Fleuve  d'or  et  de  flot,  et  de  nom  et  de  sable, 
Riche  en  grains,  en  pastel  ',  en  fruicts,  en  vins,  on  bois 
Auriege  au  viste  cours,  clair  ornement  de  Foix. 
Qui  rends  par  ton  tribut  Garone  navigable, 

Fille  de  si  grand  Mont,  qui  cache,  espouvantablo, 
Son  front  dedans  le  ciel,  qui  chenu  tous  les  mois. 
Depuis  le  bord  de  Su  jusqu'au  bord  Escossois, 
Ne  void  autre  plus  grand  à  sa  valeur  semblable. 

Clair  flot,  je  te  feroy,  par  un  discours  facond. 
Plus  riche  que  Pactol,  plus  que  le  Nil  fécond. 
Plus  loin  que  l'Océan  on  orroit  tes  eaux  bruire. 

Fier,  ont  t'esgalleroit  aux  fleuves  les  plus  grands, 
On  te  verroit  au  ciel  comme  le  Po  reluire, 
Si  je  voyois  tes  bords  repurgez  de  brigands. 

IV 

Ce  roc  cambré  par  art,  par  nature,  ou  i)ar  laage, 
Ce  roc  de  ïaracon  hébergea  quelquefois 
Les  Géants  qui  rouloient  les  montagnes  de  Foix, 
Dont  tant  d'os  excessifs  rendent  seur  témoignage. 

Saturne,  mange-enfans,  Temps  constamment  vola^M 
Serrurier  fauche-tout,  change-mœurs,  ciiange-loix. 
Non  sans  cause  à  deux  fronts  on  t'a  peint  autrefois  ; 
Car  tout  change  sous  toi  chaque  heure  de  visage. 

Jadis  les  fiers  brigands,  du  pays  plat  bannis, 

1.  Nom  (le  la  pui'dc  «laiis  1p  ini*li  Hc  I;i  IVanrc    ^i!  .l 'f.-l'l.  haiim 
Iclcr  et  Thonia!»,  t.  Il,  p.  10'.* t.) 


GASCOGNt:    ET    CUVENNE  231 

Des  bourgades  chassez,  dans  les  villes  punis, 
Avoient  tant  seulement  des  grottes  pour  aziles. 

Ores  les  innocents,  paoureux,  se  vont  cacher, 

Ou  dans  un  bois  espais,  ou  sous  un  creux  rocher, 

Et  le  s  plus  grands  voleurs  commandent  dans  les  villes. 


PIERRE   DE   BRACH 

(1547-lfiO'j) 


Pierre  de  Brach,  sieur  de  la  Motte-Montnssan,  conseiller  dii 
Iloy,  etc.,  était  do  Bordeaux.  Il  naquit  le  22  septembre  1547,  fit 
son  droit  à  Toulouse  sous  le  fameux  Cujas,  et  dans  cette  ville 
se  lia  d'amitié  avec  son  compatriote  Saluste  du  Bartas.  De  re- 
tour à  Bordeaux,  il  vécut  dans  l'intimité  de  Michel  de  Mon- 
taigne. Après  une  courte  absence,  il  se  maria  et  se  prit  à  célé- 
brer dans  ses  vers,  sous  le  nom  d'Avmée,  la  femme  qu'il  avait 
élue  malgré  l'opposition  des  siens.  Il  mourut  vers  160%.  Pierre 
de  Brach  a  publié  successivement  trois  livres  de  poèmes  et  mé- 
langes, Les  l'oè/nes  de  P.  de  Brach,  etc.  (Bordeaux,  Simon  Mil- 
langes,  1576,  in-4»),  un  volume  d'Imitation.';,  dédié  à  la  reine  de 
Navarre  :  Aininte,  fable  bocagcre  prise  de  l'italien  de  Torqitato 
Tassa,  plus  VOlimpe,  imitation  de  l'Arioste  (ibid.,  1585,  in-16). 
et  une  traductiou  partielle  de  la  Jérusalem  délivrée,  Quatre 
Chants  de  la  llicrusalem,  etc.  (Paris,  Abel  l'Angelier,  1596,  petit 
in-8»).  Il  laissa  inédits  trois  livres  des  Amours  d'Aymée. 

Les  poésies  complètes  do  Pierre  de  Brach  ont  été  publiées, 
dans  une  édition  monumentale,  par  M.  Reinold  De/.eimeris  • 
Œui'res  poétiques  de  P.  de  Brach,  etc.  (Paris.  Aubry,  1861, 
2  vol.  in-8o).  L'amour  ressenti  i)ar  Pierre  do  Brach  pour  sa 
patrie  lui  a  inspiré  un  éloge  à  la  fois  poétique  et  historique  de 
.son  lieu  natal,  «pi'il  adressa  sous  ce  titre,  lli/mne  a  Bordeaux,  à 
Pierre  de  Ronsard,  et  le  récit  d'un  voyage  fait  en  Gascogne, 
avec  du  Bartas.  Le  premier  de  ces  ouvrages  est  un  long  poème 
qui  ne  manque  pas  d'intérêt  sur  l'origine  do  sa  ville,  ses  anti- 
(juités  et  l<;s  hommes  illustres  auxquels  elle  a  donné  naissance, 
et  le  second  un»;  attachante  description  de  sa  province.  •  Pierre 
do  Brach,  écrit  Viollet-Ie-Duc,  est  un  écrivain  correct,  un  vcrsi- 
licateur  élégant  et  harmonieux.  bi<-n  supérieur  sous  c(>  rapport 
à  tous  les  poètes  ses  contemporains.  » 

Bini.loORAiMilE.  —  Abbé  Goujot,  Uihliothèque  française,  XIIl, 
p.  .122.  —  Guillaume  Collelet,  Vie  de  Pierre  de  Brach,  etc.  — 
ViolIet-le-Duc.  Bibliothèque  poétique,  Paris.  Hachette.  1843, 
iii_8».  _  IL  De/.eimeris,  /'.  de  Brach,  Paris,  18  )8,  iu-8"  ;  Recher- 
ches sur  la  Vie  de  P.  de  Brach.  (Voyez  l'ôdil.  des  (JEuvros  de  ce 
poète,  Paris,  1861). 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  233 


LE    PORT   DE    BOURDEAUXi 

0  heureux  Océan,  dont  le  flot  nous  apporte 
Tant  de  commodités  de  différente  sorte, 
Remonte,  redescens,  rêvas,  reviens  tousjours, 
Sans  jamais  varier  ton  variable  cours? 

Car  c'est  toi  seul  qui  fais  au  reflet  de  ton  onde. 

Que  tout  ce  qui  nous  manque  en  nostre  port  abonde  ; 

Et  ce  que  du  levant  jusqu'au  Soleil  couchant, 

Avare,  va  chercher  un  ostrange  marchand, 

Le  nostre,  sans  se  mettre  au  hasard  du  naufrage, 

Le  trouve,  bien-heureux,  sur  son  mesme  rivage. 

Car  est-il  estranger,  pour  loin  qu'il  soit  logé, 

Qui  n'ait  en  nostre  port  mille  fois  voyagé? 

Et  qvii  n'ait,  hasardeux,  une  ou  deux  fois  l'année, 

Pour  aborder  à  nous  la  voile  au  vent  donnée? 

Jamais  à  nostre  port  ne  surgissant  vaisseau. 

Qui  n'ait  son  ventre  creux,  bas  enfoncé  soubs  l'eau, 

Dessoubs  le  faix  pesant  d'une  charge  marchande. 

Qui  se  troque  ou  se  vend,  selon  qu'on  le  demande. 

Par  où  double  proffit  tousjours  nous  recevons. 

Changeant  ce  qui  nous  reste  à  ce  que  nous  n'avons. 

N'est-ce  pas  un  plaisir  de  voir  franchir  les  toiles, 

D'une  lieuë  en  la  mer,  de  deux  ou  trois  cents  voiles? 

Qui  s'enflans  et  bouffans  dessoubs  un  vent  de  Nord,* 

La  prouë  à  leurs  vaisseaux  tournent  à  nostre  bord, 

Prenant  comme  en  biais  leur  route  tortueuse, 

Pour  éviter  d'un  banc  la  rade  sablonneuse. 

Le  vent  roide  les  pousse,  on  voit  les  uns  qui  vont 

Se  suivant  queue  à  queue,  ores  marchant  de   front, 

Ores  d'un  qui,  premier,  la  flotte  avoit  passée 

Par  un  meilleur  voilier  la  course  est  devancée; 

Ores  l'un  va  derrière,  or  l'autre  va  devant, 

Selon  qu'il  est  plus  vite  ou  qu'il  prend  mieux  le  vent. 

Mais  file  à  file  en  fin  toute  la  flotte  arrive 

Esparse  en  mille  endroits  sur  le  front  de  la  rive. 

1.  Extrait  de  l'Hymne  de  Bourdeaux. 


234  LES  POÈTKS  DU  TERROIR 

Ainsi  voit-on  souvent  suite  à  suite  voler 
Une  ti'oupe  d'oiseaux,  du  vent  portés  en  l'air  : 
Ceux-ci  passent  ceux-là  de  leur  aisle  esbranlée, 
Ceux-là  passent  ceux-ci  de  plus  roide  volée; 
Ores  l'un  après  l'autre,  ores  tous  à  la  fois, 
Jusqu'à  ce  qu'en  volant  ils  trouvent  quelque  bois 
Où  ils  fondent  ensemble,  et  pour  prendre  l'ombrage 
L'un  ici,  l'autre  là,  se  loge  en  ce  boscage... 


FRAGMENT  DU  VOYAGE  EX  GASCOGNE 

LE     CHATEAU     DE     BARTAS 

Le  Soleil  cependant  vers  l'Occident  décline, 
Plongeant  son  chef  flambant  au  sein  do  la  marine. 
Et  nos  chevaux  suants,  du  travail  harassés, 
En  allongeant  le  col  inarchoient  à  pas  forcés; 
Tellement  que  l'obscur  de  la  nuit  retournée. 
Au  chasteau  du  Bartas  borna  nostre  journée, 
Bartas  où  la  nature  et  l'art  industrieux 
Semblent  pour  l'embellir  avoir  mis  tout  leur  mieux. 

Car  de  haute  fustaie  un  bois  icy  s'osleve, 
Dont  l'ombre  s'allongeant  dans  les  doves  s'abrevc', 
Où  mille  rossignols,  branchés  en  mille  lieux, 
Degoisent  à  l'envi  leur  chant  mélodieux. 
Deçà,  le  grand  vivier,  ainsi  qu'une  rivière, 
Lèche  le  pied  des  murs  de  son  eau  poissonnière, 
Où  le  brochet,  la  carpe  et  mille  autres  poissons 
Se  pendent  quand  on  veut  aux  croches  hamessnns. 

Laissant  là  le  vivier,  un  chemin  vous  amené 
Soiibs  l'ombrage  feuillu  d'une  oposse  gai'one, 
Où  les  clapiers  voûtés  cachent  dedans  leurs  creux, 
Serpentes  en  canaux,  mille  connins  pourouxS. 
Là  le  clos  du  jardin  est  joint  avec  la  vigne, 
La  vigne  aux  ceps  pampres,  ([ui,  plantés  à  la  ligne 
Estendent  çà  et  là,  l'un  sur  l'autre,  les  bras, 
Que  la  grappe  déjà  fait  recourber  en  bas; 

).  S'alir(>iivc.  1.   l'i'iiroiix. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  235 

Et  vigne  que  l'on  tient,  au  goust  du  bon  yvrongne. 

Porter  le  meilleur  vin  de  toute  la  Gascongne. 

Mais  que  j'ay  tort  d'avoir,  d'un  vers  mal  ordonné, 

Parlé  premièrement  de  l'enfant  cuisse-né 

Que  de  leau  qui,  sortant  d'une  claire  fontaine. 

Embrasse  en  gargouillant  le  giron  de  la  plaine; 

Car  d'elle  je  devois  parler  premièrement, 

Pouree  que  je  ne  bois  ([ue  de  son  élément. 

Pour  vous  donques,  fontaine,  en  m'excusant,  je  prie 

Que  jamais  en  esté  vostre  eau  ne  soit  tarie; 

Que  jamais  le  pasteur  n'ameine  son  troupeau 

Pour  l'abrever  chés  vous,  souillant  vostre  belle  eau; 

Que  des  arbres  voisins  la  feuille  ne  se  sèche, 

Ains  *  qu'à  jamais  vostre  eau  par  leur  ombre  soit  freche. 

Que  le  bord  qui  vous  ceint  se  maintienne  couvert, 

Soit  riiyver,  soit  l'esté,  d'un  tapis  toujours  vert; 

Que  Salluste-,  approchant  de  vostre  bord  humide, 

Esprouve  en  vous  l'effet  de  l'onde  Aganippide  !... 

SONNET 

Ny  voir  à  mon  retour  mes  parens  contentés, 

Ny  voir  de  mes  amis  une  troupe  chérie  ; 

Ny  voir  les  champs  fertils  de  ma  chère  patrie, 

D'où  je  m.'estoy  bani  déjà  par  trois  estes! 

Ny  voir  en  nostre  port  mille  nouvelletés, 

Qu'apporte  lOcean  alors  qu'il  se  marie 

A  nos  fleuves  gascons,  desquels  le  cours  varie 

Par  le  regorgement  de  ses  flots  irrités;  ' 

Ny  me  voir  contenté  d'une  large  abondance. 

Me  voyant  estre  exempt  de  l'estroite  indigence 

Que  le  povre  escolier  a  toujours  près  de  soi  : 

Je  n'ay  de  tout  cela  reçeu  tant  de  liesse 

Que  du  seul  souvenir  de  ma  belle  maistresse, 

Qui  peut-estre  a  perdu  le  souvenir  de  moil 

[Œuvres  de  P.  de  Brach,  édit.  de  1862,  t.  H.) 

l.Rlais. 

2.  Guillaume  de  Salusle,  seiiincur  du  Barlas. 


BERTRAND   DE   LARADE 

(1581-?) 


Nous  savons  peu  de  chose  sur  ce  poète.  Il  naquit  en  1581  i 
Montréjeau  et  mourut  dans  la  première  moitié  du  xvii«  siècle 
Uniquement  voué  à  la  poésie  vulgaire  et  se  déclarant  inapte  ; 
tout  autre  genre  littéraire,  quoiqu'il  obtînt  un  prix  aux  jeu> 
Floraux  en  1610,  Larade  chercha  ses  Mécènes  à  Toulouse,  y  con 
tracta  d'honorables  amitiés  et  mérita  que  fioudouli  écrivît  à  s; 
louange  une  odelette  en  patois  toulousain  et  un  quatrain  en  mau- 
vais français.  Il  se  plaint,  en  quelque  endroit  de  ses  œuvres,  d( 
lâcheuses  affaires  que  lui  suscitèrent  ses  compatriotes  de  Mont 
réjeau,  mais  il  paraît  s'en  consoler  par  la  bonne  opinion  qu'i 
avait  de  sa  propre  valeur.  On  lui  doit  plusieurs  recueils,  aujour 
d'hui  à  peu  près  introuvables,  et  qui  n'ont  pas,  que  nous  sa- 
chions, été  réimprimés  :  La  Margalide  gasconne  de  Bertran  d< 
Larade  de  Mourejau  d'Arribere  (La  Marguerite  gasconne),  To- 
lose,  Ramon  Colomiez,  1604,  in-12;  La  Muse  gasconne  de  Ber- 
tran Larade,  etc.  (La  Muse  gasconne...),  Tolose,  Vefvede  I.  Co- 
lomiez et  Raymond  Colomiez,  1607,  in-12;  La  Muse  pirancse  d< 
Bertran  Larade,  etc.  (La  Muse  pyrénéenne),  Tolose,  Colomiez. 
1609,  in-12. 

Bien  que,  selon  l'expression  de  J.-B.  Noulet,  la  poésie  dt 
Larade  n'atteste  qu'un  esprit  de  culture  médiocre  et  no  relève 
d'aucune  qualité  d'élite,  son  triomphe  est  dans  la  chanson  et  le.-- 
pièces  de  courte  haleine.  «  Les  compositions  do  ce  genre  qu< 
nous  fournissent  ses  recueils  sont  de  véritables  Pastourelles  qui 
méritent  d'être  distinguées.  Ces  petits  poèmes,  d'une  invention 
peu  varice  et  roulant  tous  sur  les  peines  de  l'amour,  ne  man- 
quent pas  d'un  certain  charme,  qu'ils  empruntent  surtout  à  la 
grafcieuse  naïveté  des  tableaux  et  du  langage.  Sous  ce  rapport. 
Larade  est  le  précurseur  en  ligne  directe  do  cette  pléiade  de 
charmants  poètes  du  Réarn  groupés  autour  do  Despourrins.  » 

BiBLioaRAPiiiE.  --  J.-B.  Noulet,  Essai  sur  l'histoire  littéraire 
des  patois  du  Midi  de  la  France,  xvi»  et  xviP  siècle,  Paris,  To- 
chcner,  1859,  in-8°. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  237 


CHANSON» 

Adieu,  adieu  cent  mille  fois,  —  Bois,  puits,  coteaux  et 
petites  montagnes,  —  Puisque  je  perds  aux  meilleurs 
iésirs  [ou  besoins]  —  Les  pas,  le  temps,  les  chanson- 
lettes,  —  Adieu,  adieu,  petits  monticules  fourchus,  — 
Bois,  sapins,  chênes  branchus. 

Adieu,  canaux  de  moulin,  adieu,  rivières,  —  Adieu, 
joyeuses  saulaies,  —  Où  les  demi-morts  redevenaient 
vivants,  —  Dans  les  saisons  presque  plus  froides;  — 
Adieu,  gais  pastoureaux,  —  Rois  de  vous  autres  quand 
vous  le  voulez. 

Adieu,  moutons,  brebis,  agneaux,  —  Chèvres,  che- 
vreaux, veaux  et  petites  vaches,  —  Joncs  qu'en  de  si  jolis 
anneaux'^  —  Je  faisais  (tressais)  pour  de  petites  bergères, 
—  Quand  quelquefois  sur  la  verdeur  —  Je  livrais  la 
trancliise  de  ma  candeur. 


CANSOU 

Adieu,  adieu,  cent  mille  cepts, 
Bosques,  topes  et  mountaigaetes, 
Puch  que  jeu  perdy  aux  meillous  opts 
Lous  pas,  lous  tems,  les  cansounetes, 
Adiou,  adiou,  tepes  hourquts, 
Bosques,  avetz,  quasses  bronquts. 
Adiou,  esgoiians,  adiou,  arious, 
Adiou,  gaujouses  aubaredes. 
Ou  lous  mey  morts  teurnauen  bious, 
En  las  sasous  presque  mes  bredes  ; 
Adiou,  gais  pastourelets, 
Reis  de  beusautis  quan  boulets. 
Adiou,  moutous,  oeiles,  aignets. 
Crabes,  crabots,  braus  et  brauetes, 
Juncts  que  t'a  poulidets  anets 
Jeu  hasey  per  las  bergeretes, 
Quan  quauque  cep  sur  la  berdou 
Dauy  les  franc  de  ma  condou. 

1.  Traduction  de  M.  Louis  Batcavc. 

2.  Allusion  évidente  à  ces  brègues  de  joncs  que  tressent  les  enfants. 


GUILLAUME   ADER 

(1578-1638) 


A  lui  seul,  grâce  à  son  esprit  et  à  sa  facoade,  Guillaume  Ade 
suffit  à  personnifier  le  génie  de  sa  race.  Aussi  ne  doit-on  pa 
s'étonner  qu'il  ait  fait  suivre  fréquemment  son  nom  de  l'épi- 
thète  de  Gascon,  tirant  vanité  de  son  origine.  Il  naquit  à  Lom- 
bez,  selon  les  uns,  à  Gimont,  selon  les  autres,  en  1578,  exerç 
la  profession  de  médecin  à  Toulouse,  puis  dans  sa  ville  natale 
et  se  rendit  célèbre  par  divers  ouvrages  scientiliques  et  litté 
raires.  Il  mourut  à  Gimoot,  le  23  janvier  1638,  laissant  deu: 
enfants,  un  fils  et  une  fille,  qu'il  avait  eus  de  son  mariage  ave 
Magdelaine  de  Lux,  On  a  observé,  non  sans  justesse,  que  1 
légende  tient  lieu  de  vérité  dans  la  vie  de  ce  poète  obscur.  Lui 
même  paraît  l'avoir  fait  naître;  de  trop  zélés  admirateurs  l'en 
tretinrent.  Ainsi  Ader  aurait  été,  dit-on,  tenu  en  particulier 
estime  par  Henri  IV  et  sollicité  même  de  faire  (igure  à  la  coui 
Nous  ne  savons  ce  qu'il  faut  retenir  de  cette  information,  mai 
il  est  hors  de  doute  que  si  Ader  se  montra  rel)eHe  aux  grâce 
de  son  maître,  il  fut  le  premier  Gascon  qui  refusa  les  faveur 
de  la  fortune.  Il  se  plut  à  glorifier  le  Béarnais,  mais  il  le  fit  au 
tant  en  l'iionneur  de  la  «  nation  gasconne  »  que  pour  célèbre 
les  vertus  d'un  grand  prince.  Ce  fut  son  œuvre  de  début.  Eli 
parut  sous  ce  titre  :  Loti  Ccntilhomc  Cascoiin  c  Ions  hcits  d 
gouerre  deu  grau  é  pondérons  Ilenric  Gascoun,  Hey  de  France 
de  Naouarre  [Le  (Gentilhomme  gascon  et  les  actions  de  gnerre  d 
grand  et  pnissant  Henri  Gascon,  roi  de  France  et  de  Navarre 
Tolose,  Ramond  Colomiès,  10  10,  in-8».  C'est  un  livre  rarissimi 
Selon  le  doc teurJ.-B.Noulet,«  le  Gentilhomme  gascon  n'est  qu'un 
suite  do  récits  sans  couleur  et  sans  vie,  platement  versifiés,  ( 
ofi  ne  se  fait  jour,  même  pour  un  instant,  le  sentiment  poéliqui 
Par  la  suite,  Ader  fit  paraître  un  recueil  de  sentences  moralf 
rimées  à  la  manière  des  (|uatrains  de  Pibrac  et  de  Pierre  Mit 
thieu  :  Lon  Catonnet  Gascoun  [Le  Caton  Gascon],  Tolose,  Bond' 

1611,  petit  in-8".  Ce  livret,  fort  goûté  en  Gascogne,  a  été  maint» 
fois  réimprimé,  savoir  :   Lon  Catonnet.  etc.,  Tolose,  Colomié- 

1612,  in-12;  ibid.,  veuve  Colomiès,  1628,  iu-12;  ibid.,  Toulou8< 
Hénault,  1764i,  in-12;  ibid.,  Limoges,  A.  Combes  lils,  1784,  in-12 


GASCOGNE    ET    GUYENNE 


239 


bit!.,  Bordeaux,  Lafargiie,  1865,  in-12;  ibid.,  Auch,  iinprim. 
:ocharaux  (pour  la  Société  archéologique  du  Gers),  1904,  in-S». 
)n  doit  en  outre  à  Guillaume  Ader  plusieurs  ouvrages  savants  : 
.uillclmiAdcr  medici  E  narration  es  de  irgrotix  et  morbis  in  euan- 
jelis,  Tolosie,  typis  Ramundi  Colomerii,  1620,  in-S»;  De  pestis 
•ognitione  et  renicdiis...  Tolosa-,  tvpis  Ramundi  Colomerii, 
628,  in-12;  De  la  méthode  de  consulter  les  maladies  chirur- 
gicales... par  Guillaume  Ader,  Corningcois  (sic),  Paris,  C.  Be- 
iongne,  1628,  iu-12  (un  exemplaire  à  la  Bibliothèque  Sainte- 
jenevièvc). 

Les  poésies  complètes  de  Guillaume  Ader  ont  fait  assez  ré- 
■omment  l'objet  d'une  nouvelle  édition  publiée  avec  une  notice, 
me  traduction  et  des  notes  par  A.  Vignaux  et  A.  Jeanroy  (Tou- 
ouse.  Ed.  Privât,  1904,  in-S"). 

Ader  est  loin  dVtre  un  grand  poète,  mais  il  atteint  parfois  à 
me  ampleur  qui  lui  fait  pardonner  la  médiocrité  et  l'incorrec- 
ion  de  ses  vers. 

BiBi-iOGRAPuiE.  —  L.  Couture,  Revue  de  Cascogne,  VI,  1865. 
-  J.-B.  Noulet,  Essai  sur  l'flist.  littèr.  des  patois  du  Midi  delà 
"rance,  Paris,  Techencr,  1859,  in-8».  —  J.  Michelet,  Poètes 
gascons  du  Gers,  Auch,  imprim.  Th.  Bouquet,  1904.  in-S":  — 
V.  Vignaux  et  A.  Jeanroy,  Introduction  aux  Poésies  de  G.  Ader, 
itc,  1904,  etc. 


S  E  N  T  E  rs  C  E  S 

Naime  rien  que  ce  qui  t'appartienne,  —  Suis  le  droit 
:hemin  dans  toutes  tes  affaires,  —  Le  bien  acquis  à  tort 
3t  à  travers  —  N'existera  jamais  sans  qu'il  vienne  à 
mauvaise  fin.  • 

Ne  prends  jamais  plus  d'affaires  que  ta  peine  —  Et 
que  tes  moyens  ne  puissent  supporter.  — 


SENTENCES 

N'ames  arren  que  non  set  apartengue, 
Seguich  lou  dret  en  toutis  tous  ahèz, 
Ben  aquesit  de  tort  ou  de  traouèz, 
lamés  sera  qua  maie  fin  nou  bengue. 
Nou  prengues  pas  mes  ahèz  que  ta  pêne, 
E  tous  mouyens  nou  pousquen  supourta. 


240  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Celui  qui  veut  porter  une  charge  trop  lourde  —  S'expos( 
à  tomber  ou  à  perdre  l'haleine. 

Douce  est  un  temps  la  fréquentation  des  grands,  — 
Mais  elle  devient  à  la  fin  amère  comme  fiel,  —  Car  ui 
grand  seigneur  ne  tire  son  chapeau  —  Que  tant  qu'i 
sait  qu'on  peut  lui  rendre  service. 

En  tes  affaires  ne  t'obstine  pas  trop,  —  Examine  ei 
ce  cas  ce  que  feraient  les  gens  de  bien,  —  Car  un  procè 
est  la  ruine  d'une  maison,  —  Et  l'hôpital  attend  le  pro 
cédurier. 

Sage  est  le  jeune  homme  qui  s'exerce  au  travail.  - 
Car  celui  qui  ne  prend  de  la  peine  quand  il  est  poulain 

—  S'oblige  à  le  faire  quand  il  est  vieux  cheval.  —  L 
pain  des  vieux  doit  se  moudre  en  jeunesse. 

Ne  sois  pas  de  ceux  qui  épouseraient  une  femme  noire 

—  Un  avorton,  pourvu  qu'elle  ait  beaucoup  d'argent.  - 
Si  tu  n'as  une  femme  de  quelque  bonne  famille, —  L'ai 
gent  s'en  va,  et  la  bête  te  reste. 

[Le  Catonet  Gascon^ .) 

Aquet  que  bo  trop  gran  hech  apourta, 

E  eau  que  cage  ou  que  perde  l'alèoe. 

Dons  ei  vn  tems  deu  grauis  lou  seguiclii. 

Mes  à  la  lin  amarejant  coiim  hèu, 

Qu'un  gran  seignou  nou  tire  lou  chapèii, 

Que  tant  que  sab  qu'oui  lou  pot  hé  scrbiclii, 

En  tous  ahès  nou  t'aupiniastres  gounire, 

Estan  en  so  quen  haran  gens  de  beu,  ^ 

Que  Ion  proucés,  ei  la  quéro  d'vn  ben 

E  l'espilau  guigne  lou  plaidejaire. 

Sage  ei  lou  jouen  qu'a  tribailla  s'endrosse, 

Que  qui  nou  pren  peue  quan  ei  pourin, 

Prene  la  dèu  (juan  ei  bieil  arroeissin. 

Lou  pau  deus  bieils  se  dèu  mole  en  joucnosse. 

Nou  aies  d'aquets  qu'espousaran  ue  More, 

IIu  arrebrec,  mes  qu'âge  force  argent. 

Si  n'as  mouillé  de  quauque  bonne  gent, 

L'argeut  s'en  ba,  è  la  beslio  dcmore. 

(Lou  Catoiinct  Casconn.) 
1.  Tra.l.  de  J.  Michelcl. 


THEOPHILE   DE   VIAU 

(1590-1626) 


Théophile  de  Viau  naquit  ea  1590,  à  Boussères,  dans  l'Age- 
nais,  village  situé  sur  la  rive  gauche  du  Lot,  à  une  diuni-licuc 
de  Port-Sainte-Maric,  où  son  père,  ancion  avocat  au  parlement 
de  Bordeaux,  possédait  un  petit  domaine.  «  Là,  s'est-il  écrié 
quelque  part  en  ses  vers. 

Se  voit  un  petit  château 
Joignant  le  pied  d'uu  grand  coteau.  » 

«  Une  tourelle  bâtie  par  les  ancêtres  du  poète,  écrit  Théo- 
phile Gautier,  fait  apercevoir  le  manoir  d'assez,  loin  et  dépasse 
de  tonte  la  tète  les  maisons  plus  humbles  et  plus  bourgeoises 
groupées  tout  à  l'cutour.  L'aspect  du  paysage  est  des  plus  ro- 
mantiques. Sur  la  colline,  le  terroir  est  assez  maigre  et  coupé 
de  roches,  mais  il  produit  d'excellent  claret,  et  l'on  peut  vivre  la 
très  confortablement;  en  bas,  les  prairies  sont  fraîches  et  plan- 
tureuses, les  bois  feuillus  et  pleins  d'ombrages...  »  En  somme, 
un  vrai  paradis  terrestre,  si  l'on  ajoute  foi  aux  poétiques  descrip- 
tions qu'en  a  faites  le  pauvre  Théophile  au  fond  de  son  cachot... 
Sa  famille  était  huguenote.  Son  aïeul  avait  été  secrétaire  de  la 
reine  de  Navarre,  et  son  oncle  gouverneur  de  Tournon,  sous 
Henri  IV.  On  croit  qu'avant  d'aller  faire  sa  philosophie  à  Sau- 
mur,  où  les  protestants  avaient  une  Académie,  il  fréquenta  le 
collège  de  la  Flèclie,  que  dirigeaient  les  jésuites.  Sou  incrédu- 
lité, a-t-on  observé,  excitée  peut-être  par  cette  éducation  con- 
tradictoire, fut  précoce.  Théophile  vécut  et  mourut  en  libertin, 
.selon  le  sens  que  Ion  donnait  autrefois  à  ce  mot.  Eu  1610,  il  vint 
à  Paris,  se  lia  avec  quelques  beaux  esprits,  puis  visita  la  Hol- 
lande en  compagnie  de  Balzac.  De  retour  dans  la  capitale,  il  fut 
l'objet  d'un  ordre  d'expulsion  pour  avoir  répandu  des  vers  liber- 
tins (1619).  Il  vécut  à  Londres,  sollicita  sa  grâce,  l'obtint,  ren- 
tra en  Frauce,  se  convertit,  et  eût  peut-être  joui  en  paix  de  ses 
talents  et  de  hi  faveur  que  lui  valait  la  protection  de  Henri  II, 
duc  de  Montmorency,  sans  la  malheureuse  affaire  du  Parnasse 
satyrique  (1622),  où  il  fut  compromis  avec  Guillaume  CoUetet, 
Berthelot,  Nicolas  Freuicle  et  d'autres  écrivains,  ses  amis.  Sou 


242  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

impiété  et  plus  encore  ses  sarcasmes,  le  cynisme  de  ses  pro- 
pos et  ses  débauches  lui  avaient  valu  linimitié  des  jésuites.  Il 
eut  beau  désavouer  l'ouvrage  publié  sous  son  nom,  les  pères 
Voisin,  Garassus,  Guérin,  Renaud,  le  firent  poursuivre,  déclarer 
coupable  de  «  lèze-majesté  divine  »  et  condamner  par  le  Parle- 
ment de  Paris  à  être  brûlé  vif  en  place  de  Grève.  Le  poète  n'a- 
vait pas  attendu  l'exécution  de  cet  arrêt  pour  disparaître.  Il 
s'était  réfuoié  à  Chantilly,  cliez  son  protecteur,  le  duc  de  Mont- 
morency. Craignant  d'être  découvert,  ou  bien  d'inquiéter  son 
hôte,  il  s'enfuit,  changeant  chaque  jour  de  retraite;  mais,  arrêté 
auCatelet,  en  Picardie,  le  28  septembre,  il  fut  ramené  de  brigade 
en  brigade  et  finalement  jeté  à  la  Conciergerie,  dans  le  cachot 
où  avait  langui  Ilavaillac.  Il  put  se  croire  perdu,  abandonné  do 
tous,  et  il  prépara  une  justification  qu'il  adressa  sous  forme  d'a- 
polo^^ie  au  roi.  Son  procès  fut  revisé,  et  au  bout  de  deux  ans  sa 
peine  fut  commuée  en  un  bannissement  perpétuel  avec  confis- 
cation de   ses  biens.  Théophile  se  relira   à  Chantilly,  puis  an 
château  de  Selles,  en  Berry,  chez  le  comte  de  Béthuue.  C'est  do 
là  qu'il  revint  mourir  à  Paris,  —  des  suites  des  privations  et  des 
souffrances  injustement  supportées  dans  sa  prison, —  en  l'hôtel 
de  Montmorency,  le  25  septembre  1626.  âgé  de  trente-six  ans. 
Il  fut,  dit  l'abbé    Goujet,  inliumé  dans  le   cimetière  do  Saint- 
Nicolas  des  Champs.  Nous  ne  retiendrons  rien  du  libertin,  vic- 
time du  plus  sot  et  du  plus  misérable  des  fanatismes,  celui-là 
même  qui  s'oppose  à  la  liberté  des  miuurs  et  à  l'iudépendanco 
d'esprit.   Le  poète  seul   nous   occupera.  Théophile   fut  mieux 
qu'un  gentil  rimeur  de  cour.  Très  doué,  plus  doue  sans   doute 
<iue  la  plupart  des  poètes  contemporains,  il  connut  et  peignit 
la    nature   avec   des   couleurs   qu'on   n'avait   point  employée» 
avant  lui.  Selon  l'expression  de  La  Bruyère,  il  en  fit  l'histoire 
et  l'anatomie.  Il  en  lit  aussi  le  roman,  et  par  cela  il  mérita  d'ètro 
considéré    comme  un   ancêtre  du   romantisme   rustique.    Bien 
qu'il  ait  gi\té  parfois  par  des  toudies  «le  pn-ciosité  et  dos  exer- 
cices de  rhétorique  s<!S  gracieuses  inventions,  il  n'a  pas  laissé 
do  faire  montre  d'une  élégante  et  juste  simplicité.  Il  y  a,  écrit 
M.  Remy  de   Gourmont.  nu  Tln-ophil»»,  ivre  des  beautés  cliam- 
pètres  et  amoureux  de  son  pays   natal.  Il  so  révéla  après  son 
procès,  lors(|u'il  reprit  contact   par  le  souvenir  avec  le  ciel  et 
les  sites  de  son  pays.  On  a  donné  récemment  une  liste  de  tous 
les  ouvrages  du  poète.  Nous  croyons  inutile  de  la  repro<luiro 
ici.  La  première  édition  des  poésies  de  Théophile  est  de  1621. 
Voyez  :  Les  Œuvres,  etc.,  Paris,  QuesucI,  1021.  in-12.  Vinrent 
ensuite  :  Les  Œuvres,  etc..  1022.  in.l2;  Les  Œuvres...  revues,  cor- 
rigées et  aiigin.,  Paris,  Billain<!.  162:{,  1026.  in-12;  Rouen,  iJola- 
masso,  1627,  1628,  1029,  in  12:  Paris.  1629,  iii.l2-.  Lyon,  Michon, 
1G3(»,  in-12;  Rouen.  Delamasse,  WA'i,  in-12  (celte  dernière  édi- 
tion a  été  réimprimée  do  1633  à  1677,  tant  à  Paris  qu'à  Lyon,  à 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  243 

Rouen,  à  Bordeaux,  etc.,  un  grand  nombre  de  fois);  Œuvres  com- 
plètes... publiées  avec  une  notice  biogr.  par  JI.  Alloauuie,  Paris. 
1856,  2  vol.  petit  iu-lG;  Collection  des  plus  belles  pages,  Théo- 
phile, etc.,  notice  de  Remy  de  Gourniont,  Paris,  Soc,  du  Mer- 
cure de  France,  1907,  in -18. 

BiBLiooRAPiiiE.  —  Abbé  Goujet,  Biblioth.  française,  etc., 
t.  XIV,  p.  3C3.  —  Nicérou,  Mémoires  pour  seri'ir  à  l'histoire  des 
hommes  illustres,  etc.  —  Théophile  Gautier,  Les  Grotesques, 
nouv.  éd.,  Paris,  Charpeutier,  1897,  iu-18.  —  Alleaume,  Notice 
Sur  Théophile,  éd.  citée.  —  D'"  Kaethe  Schirmaclier,  Théophile  de 
Vian,  Leipzig,  1897,  ia-S».  — Ch.  Garrissou,  l'hcoph.  et  Paul  de 
Vian,  1897.  —  Frédéric  L.ichèvre,  Le  Procès  de  Théophile  (sous 
presse). 


LETTRE  DE  THEOPHILE  A  SON  FRERE 

Mon  frère,  mon  dernier  nppuy, 
ïoy  seul  dont  \o  secours  me  dure, 
Et  ({ui  seul  trouves  aujourd'huy 
Mon  adversité  longue  et  dure; 
Amy  ferme,  ardent,  généreux, 
Que  mon  sort  le  plus  malheureux 
Pique  d'avantage  ù  le  suivre, 
Achève  de  me  secourir  : 
Il  faudra  qu'on  me  laisse  vivre 
Après  m'avoir  fait  tant  mourir. 

Quand  les  dangers  où  Dieu  m'a  mis 
Verront  mon  espérance  morte; 
Quand  mes  juges  et  mes  amis 
T'auront  tous  refusé  la  porte  ; 
Quand  tu  seras  las  de  prier, 
Quand  tu  seras  las  de  crier, 
Ayant  bien  balancé  ma  teste 
Entre  mon  salut  et  ma  mort. 
Il  faut  enfin  que  la  tempeste 
M'ouvre  le  sépulchrc  ou  le  port. 

Mais  l'heure,   qui  la  peut  sçavoir  ? 
Nos  malheurs  ont  certaines  courses 
Et  des  flots  dont  on  ne  peut  voir 
Ny  les  limites  ny  les  sources. 


244i  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Dieu  seul  cognoist  ce  changement^ 
Car  l'esprit  ni  le  jugement 
Dont  nous  a  pourveus  la  nature, 
Quoi  que  l'on  Tueille  présumer, 
N'entend  non  plus  nostre  advanture 
Que  le  secret  flux  de  la  mer... 

En  quelle  plage  des  mortels 
Ne  peut  le  vent  crever  la  terre? 
Eu  quel  palais  et  quels  autels 
Ne  peut  se  glisser  un  tonnerre? 
Quels  vaisseaux  et  quels  matelots^ 
Sont  toujours  asseurez  des  flots? 
Quelquefois  des  villes  entières. 
Par  un  horrible  changement, 
Ont  rencontré  leurs  cimetières 
En  la  place  du  fondement. 

Le  sort,  qui  va  tousjours  de  nuit,. 
Enyvré  d'orgueil  et  de  joye, 
Quoyqu'il  soit  sagement  conduit. 
Garde  malaisément  sa  voye. 
^  Ha!  que  les  souverains  décrets 

Ont  tousjours  demeuré  secrets 
A  la  subtilité  des  hommes! 
Dieu  seul  cognoist  Testât  humain; 
11  scait  ce  qu'aujourd'hny  nous  sommes 
Et  ce  que  nous  serons  demain. 

,  Or,  selon  l'ordinaire  cours 

Qu'il  fait  observer  à  nature. 
L'astre  qui  préside  à  mes  jours 
S'en  va  changer  mon  advaulure; 
Mes  yeux  sont  cspuisez  de  pleurs; 
Mes  esprits,  usés  de  malheurs, 
\ivent  d'un  sang  gelé  de  craintes. 
La  nuit  trouve  enfin  la  clarté, 
Et  l'excez  de  tant  de  contraintes 
Me  présage  ma  liberté. 

Quelque  lac  qui  me  soit  tendu 
Par  de  si  subtil»  advcrsaii^es. 
Encore  n'ay-je  point  perdu 


1 


&ÀSCOGNË    Et    GUYENNE  2 'l  5 

L'espérance  de  voir  Boussères  : 
Encore  un  coup,  le  Dieu  du  jour 
Tout  devant  moy  fera  sa  cour 
Aux  rives  de  nostre  héritage, 
Et  je  verray  ses  cheveux  hlonds 
Du  mesme  or  qui  luit  sur  le  Tag-e 
Dorer  l'argent  de  nos  sablons. 

Je  verray  ces  bois  verdissans 
Où  nos  isles  et  l'herbe  frèche 
Servent  aux  troupeaux  mugissans 
Et  de  promenoir  et  de  crèche. 
L'aurore  y  trouve  à  son  retour 
L'herbe  qu'ils  ont  mangé  le  jour. 
Je  verray  l'eau  qui  les  abreuve, 
Et  j'oirrai  plaindre  les  graviers 
Et  repartir  l'escho  du  fleuve 
Aux  injures  des  mariniers. 

Le  pescheur,  en  se  morfondant, 
Passe  la  nuit  dans  ce  rivage. 
Qu'il  croit  estre  plus  abondant 
Que  les  bords  de  la  mer  sauvage. 
Il  vend  si  peu  ce  qu'il  a  pris 
Qu'un  teston  est  souvent  le  prix 
Dont  il  laisse  vuider  sa  nasse, 
Et  la  quantité  du  poisson 
Deschire  parfois  la  tirasse 
Et  n'en  paye  pas  la  façon. 

S'il  plaistà  la  bonté  des  cieux, 

Encore  une  fois  à  ma  vie 

Je  paistray  ma  dent  et  mes  yeux 

Du  rouge  esclat  de  la  pavie  ; 

Encore  ce  brignon  muscat, 

Dont  le  pourpre  est  plus  délicat  1 

Que  le  teint  uni  de  Caliste, 

Me  fera  d'un  œil  mesnager 

Estudier  dessus  la  piste 

Qui  me  l'est  venu  ravager. 

Je  cueilleray  ces  abricots, 

Ces  fraises  à  couleur  de  fiâmes. 


246  LES  POÈTES  DU  TEKKOIR 

Dont  nos  bergers  font  des  escots 

Qui  seroient  icy  bons  aux  dames, 

Et  ces  fig-ues  et  ces  melons 

Dont  la  bouche  des  aquilons 

N'a  jamais  sçeu  baiser  l'escorce, 

Et  ces  jaunes  muscats  si  chers, 

Que  jamais  la  g-resle  ne  force 

Dans  l'asile  de  nos  rochers. 

Je  verray  sur  nos  grenadiers 

Leurs  rouges  pommes  entr'ouvertes, 

Où  le  ciel,  comme  à  ses  lauriers, 

Garde  tousjours  des  fueilles  vorteS'. 

Je  verray  ce  touffu  jasmin 

Qui  fait  ombre  à  tout  le  chemiu 

D'une  assez  spacieuse  allée, 

Et  la  parfume  d'une  fleur 

Qui  conserve  dans  la  gelée 

Son  odorat  et  sa  couleur. 

Je  reverray  fleurir  nos  prez; 

Je  leur  verray  couper  les  herbes; 

Je  verray  quelque  temps  après 

Le  paysan  couché  sur  les  gerbes; 

Et,  comme  ce  climat  divin 

Nous  est  très  libéral  de  vin, 

Après  avoir  remply  la  grange, 

Je  verray  du  matin  au  soir, 

Comme  les  flots  de  la  vendange 

Escumeront  dans  le  pressoir. 

Là,  d'un  esprit  laborieux, 

L'infatigable  IJelIegarde, 

De  la  voix,  des  mains  et  des  yeux^ 

A  tout  le  revenu  prend  garde. 

Il  cognoist  d'un  exacte  soin 

Ce  que  les  prez  rendent  de  foin. 

Ce  que  nos  troupeaux  ont  de  laine, 

Et  sçait  mieux  qui»  les  vieux  paysans 

Ce  que  la  monlagnc  et  la  plaine 

Nous  peuvent  donner  tous  les  ans. 

Nous  cueillerons  tout  à  moitié, 

Comme  nous  avons  fuicl  encore» 


GASCOCrSE    ET    GUYENNE  247 

Ignorants  de  l'inimitié 
Dont  une  race  se  dévore; 
Et  frères,  et  sœurs,  et  neveux, 
De  mesme  soin,  de  mesines  vœux 
Flattant  une  si  douce  terre, 
Nous  y  trouverons  trop  de  quoy, 
Y  deust  l'orag-e  de  la  guerre 
Ramener  le  canon  du  roy. 

Si  je  passois  dans  ce  loisir 
Encore  autant  que  j'ay  de  vie, 
Le  comble  d'un  si  cher  plaisir 
Borneroit  toute  mon  envie. 
Il  faut  qu'un  jour  ma  liberté 
Se  lasclie  en  cette  volupté. 
Je  n'ay  plus  de  regret  au  Louvre, 
Ayant  vescu  dans  ces  douceurs; 
Que  la  niesine  terre  me  couvre 
Qui  couvre  mes  prédécesseurs. 

Ce  sont  les  droicts  que  mon  j^ays 
A  méritez  de  ma  naissance, 
Et  mon  sort  les  auroit  trahis 
Si  la  mort  m'arrivoit  en  France. 
Non,  non,  quelque  cruel  coniplot 
Qui  de  la  Garonne  et  du  Lot 
Vueille  esloigner  ma  sépulture, 
Je  ne  dois  point  en  autre  lieu 
Rendre  mon  corps  à  la  nature, 
Ny  résigner  mon  âme  à  Dieu... 


STANCES! 

...  Que  mon  sort  estoit  doux,  s'il  eust  coulé  mes  ans 
Où  les  bords  de  Garonne  ont  les  flots  si  plaisans! 

Tenant  mes  jours  cachez  dans  ce  lieu  solitaire, 
Nul  que  moy  ne  m'eust  fait  ny  parler  ny  me  taire  : 
A  ma  commodité  j'aurois  eu  Je  sommeil, 
A  mon  gré  j'aurois  pris  et  l'ombre  et  le  soleil. 

I.  Plaintes  de  Tliéopldle  à  un  sien  amy. 


248  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Dans  ces  vallons  obscurs,  où  la  mère  Nature 
A  pourveu  nos  troupeaux  d'éternelle  pâture, 
J'aurois  eu  le  plaisir  de  boire  à  petits  traits 
D'un  vin  clair,  pétillant,  et  délicat  et  frais, 

Qu'un  terroir  assez  maigre  et  tout  coupé  de  roches 
Produit  heureusement  sur  les  montagnes  proches. 
Là,  mes  frères  et  moy  pouvions  joyeusement, 
Sans  seigneur  ny  vassal,  vivre  assez  doucement. 

Là  tous  ces  rnédisans,  à  qui  je  suis  en  proye, 
?y^'eussent  point  envyé  ni  censuré  ma  joye, 
J'aurois  suivy  partout  l'objet  de  mes  désirs, 
J'aurois  pu  consacrer  ma  plume  à  mes  plaisirs. 

Là  d'une  passion,  ny  ferme  ny  légère, 
J'aurois  donné  ma  flamme  aux  yeux  d'une  bergère, 
Dont  le  cœur  innocent  eust  contenté  mes  vœux 
D'un  brasselet  de  chanvre,  avecques  ses  cheveux. 

J'aurois  dans  ce  plaisir  si  bien  flatté  sa  vie. 
Que  l'orgueil  de  Caliste  en  eust  crevé  d'envie; 
J'aurois  peint  la  douceur  de  nos  embrasemens 
Par  tous  les  lieux  tesmoins  de  nos  embrassemens. 

Et,  comme  ce  climat  est  le  plus  beau  du  monde, 
Ma  veine  en  eust  été  mille  fois  plus  féconde  : 
L'aisle  d'un  papillon  m'eust  plus  fourni  de  vers 
Qu'aujourd'huy  ne  feroit  le  bruit  de  l'univers... 

[Œuvres  complètes,  édit.  de  185(5.) 


ARNAULT    D'OIIIENART 

(1592-1667) 


Ce  curieux  représentant  de  l'ancienne  poésie  basque  naquît 
dans  la  maison  de  Poy  Adam,  à  Mauléou,  le  7  août  l.>y2.  Il  était 
le  deuxième  (ils  de  M.  Arnaiilt  d'Oihenart,  avocat,  procureur 
du  roi  au  pays  de  Soûle,  mort  peu  de  temps  après,  et  de 
Jeanne  d'Etchart.  Reçu  licencié  en  droit  à  Bordeaux,  le  7  sep- 
tembre 1612,  il  se  qualifiait  avocat  à  Mauléon,  lorscjue.  le  29  avril 
1618,  ses  compagnons  le  députèrent  avec  trois  de  ses  conci- 
toyens vers  le  gouverneur,  Jean  de  IJelsimce,  pour  lui  repré- 
senter que  ledit  de  Nantes  ne  permettait  pas  aux  protestants 
de  tenir  leurs  prêches  dans  les  maisons  de  la  ville.  Nommé- 
syndic  du  tiers  état  de  Soûle,  malgré  l'opposition  vive  du  clergé 
et  de  la  noblesse,  le  30  avril  1623,  il  épousa  en  1626  une  riche  et 
influente  veuve,  Jeanne  de  Erdoy.  Il  en  eut  trois  fils  :  Gabriel, 
dont  la  postérité  s'éteignit  en  179"î;  Pierre,  qui  devint  curé  de- 
Béguios.  et  Jacques,  qui  se  fit  jésuite.  On  croit  que  c'est  elle  qu'il 
célébra  dans  ses  vers  de  jeunesse.  Elle  mourut  en  1653,  et  il 
déplora  sa  mort  en  une  pièce  éloquente.  Après  son  mariage, 
s'étant  f.iit  recevoir  avocat  au  Parlement  de  Navarre,  il  s'établit 
à  Saint-Palais,  devint  jurât  de  cette  ville  et  s'y  éteignit  en  1667. 
Son  testament  porte  la  date  du  8  avril  1667,  et  il  est  cité  comme 
défunt  dans  un  acte  du  14  janvier  1668.  Il  laissait  divers  m^ 
moires  historico-juridiques  en  français  et  en  latin,  des  prover- 
bes basques  et  quelques  poèmes.  Ses  vers,  d'un  charme  agreste 
et  parfois  remplis  d'une  douce  ferveur  amoureuse,  sont  conte- 
nus en  un  mince  recueil  conservé  à  la  Bibliothèque  nationale 
sous  ce  titre  :  Les  Proverbes  banques  recueillis  par  le  sieur 
d'Oihenart,  plus  les  poésies  basques  du  même  auteur.  A  Paris,  s. 
n.,MDCLVII  (16Ô7),  in-12  (réserve  Z  2626).  Un  autre  exemplaire, 
mais  incomplet,  de  ce  livre  devenu  introuvable  figure  au  cata- 
logue de  la  bibliothèque  de  Bayonne.  Il  fut  donné  à  cette  bi- 
bliothèque par  un  collectionneur.  M.  Balasque,  lequel  l'avait 
acquis,  pour  la  somme  de  vingt-cinq  centimes,  d'un  cliitronnier. 
Les  poésies  d'Oihenart  ont  été  publiées  de  nouveau  en  1847, 
par  M.  Archu,  inspecteur  primaire  à  la  Réole  :  Proverbes  bas- 
ques recueillis  par  Amault  Oihcnart,  suivis  de  poésies  basques 


250 


LES    POETES    DU    TERROIR 


du  même  auteur,  sec.  édition,  revue,  corrigée,  augmentée  d'une 
traduction  française  des  poésies  et  d'un  appendice,  et  précédée 
d'une  introduction  bibliographique  [par  Francisque  Michel), 
Paris,  Jannet,  18  47,  ia-12.  Selon  M.  Vinson,  cette  jolie  réimpres- 
sion est  légèrement  défigurée  par  des  corrections  que  lui  a 
fait  subir  son  publicateur.  M.  J.-B.  de  Jaurgain,  à  qui  nous 
ilevons  la  source  de  nos  notes  sur  le  poète,  affirme  que  dans 
les  papiers  d'Oihenart,  conservés  à  Saint-Palais,  chez  M™"  de 
Branciou,  se  trouve  un  Dictionnaire  basque  manuscrit. 

Bibliographie.  —  J.-B.-E.  de  Jaurgain,  Arnaud  d'Oihenart 
et  sa  famille,  Paris,  Champion,  1885,  in-8»  (cxtr.  de  la  Revue  de 
Basse-Navarrei.  —  G.  Brunet.  Notice  sur  les  proverbes  basques 
rec.  par  A.  d'O.,  Paris,  Aubrv,  1859,  in-S".  —  Francisque  Mi- 
chel, Introduction  à  l'édit.  des  Proverbes  basques  de  1847.  — 
Julien  Vinson,  Essai  d'une  bibliographie  de  la  tangue  basque, 
Paris,  Maisonneuve,  1891,  in-8». 


A    LA   BRUNETTE 

Malgré  mes  serments,  Briinette,  te  refuseras-tu  tou- 
jours à  croire  que  je  te  chéris?  Je  suis  prêt  à  te  prouver 
({ue  je  t'ai  dit  la  vérité;  je  suis  prêt  à  exécuter  tous  tes 
ordres. 

Mets-moi  à  l'épreuve;  ordonne  ce  qu'il  te  plaira,  puis- 
qu'il faut  ainsi  parler.  A  quoi  te  sert  la  beauté,  si  ton 
cœur  peut  être  inaccessible  à  l'amour  ? 

L'objet  de  l'amour  doit  payer  l'amour  par  l'amour. 
Quoil  aurais-tu  donc  oublié  les  lois  de  Cupidon.' 


IJ  i:  L  X  A  H  A  N  A  il  I 

Nie  hamlatctnn  crraiia,  Ks-is  irequi, 

Nahi  estuna  finhctli,  Har  dun'  ostcla  btirutan; 

Aisel'  onhotsi  Ser  prouexu  odertasuna 

Is'isas,  aiiliiz,  Belxar.ma!  Da  hiro  gorpu/.ean, 

Bada  delà  hori  eguia  Tinc  biho/.can 

Prcst  nun  eracuslera,  Badaxon  gogortarsuna? 

Kt'  eguitcra  g,„.  jji,j  ,„j,itaiu  isateac 

Mana  uesana  gnsia  Ordainolan,  maita/.e 

Esar  ncsan  porogtitan,  Ser  al  !  aha/.e 

Ordea  hamhate<jui  Sausquin  iiiaituri  Icgueac  ? 


GASCOGNE    ET    GUYENNE 


251 


Il  est  temps,  la  belle,  d'aimer  à  ton  tour  celui  qui 
t'aime. 

Tu  m'as  réduit  à  une  position  dig-ne  de  pitié;  je  suis 
aux  portes  du  tombeau.  Si  tu  ne  viens  à  mon  secours, 
ton  devoir  te  le  commande,  mille  témoins  crieront  que 
tu  m'as  donné  la  mort. 

[Proverbes  basques,  rec.  par 
Arnauld  Oihenart,  trad.  de 
M.  Archu,   sec.   éd.,  1847.) 


Aldis  dun  maitariarcu 
Mail'  orde  hig'  Vkena 
Eder  estena 
Hi  bcsalaco  ederrareu. 
Halas  gaisqiii/.e  l)uuetan 
Nen  alabaia'  esarri, 


Dobi  eguin-gani, 

Huna  uiagoii  hil  minetan 

Espanuu  hant'  idokiten, 

Sordun  isan  besala, 

Hic  hil  niinala, 

Dinat  hil  aitorr  vzitcD. 


CORTETE   DE   PRADES 

(1586P-1667) 


François  de  Cortèto,  sieur  de  Cainbos  et  de  Prades,  du  nom 
de  terres  seigneuriales  qu'il  tenait  de  ses  ancêtres,  naquit  vrai- 
semblablement en  Ajrenais  vers  l'an  1586.  Destiné  à  la  carrière 
des  armes,  il  entra  fort  jeune,  en  qualité  de  page,  au  service  de 
François  dEsparbés  de  Lussan,  vicomte  d'Aubeterre,  alors  gou- 
verneur de  Blaye,  et  accompagna  son  maître  à  la  guerre,  lors- 
que celui-ci  devint  maréchal  de  France.  Par  la  suite,  il  servit, 
dans  les  troupes  du  roi,  sous  les  ordres  d'Adrien  de  Monluc, 
comte  de  Carmaing,  gouverneur  du  pays  de  Foix  et  des  terres 
de  Donnezan  et  d'Andorre,  et  assista,  en  1639,  à  la  prise  de  Sal- 
ées. Le  petit-fils  de  Biaise  de  Monluc  passait  à  juste  titre  pour 
undes  esprits  les  plus  cultivés  de  son  temps;  il  est  peu  douteux 
que  Cortète  se  ressentît  du  goût  de  ce  grand  seigneur,  auquel 
Goudouli  avait  dédié  ses  premiers  vers,  et  Mathurin  Régnier 
sa  satire  des  Poètes.  En  quittant  les  armées,  Cortète  se  retira 
dans  la  petite  ville  d'Hautefages  et  y  mourut  le  3  septembre 
1667.  Il  laissait  une  pastorale,  La  Mirainoiuido  (La  Miramonde), 
pastnuralo  en  lantgafrc  d'Agcn,  deux  comédies,  llamounct  ou  loti 
paisan  Agenez  tournât  de  lagucrro  (Ramonetou  le  paysan  revenu 
de  la  guerre),  etc.,  Sancho  Panso  al  palais  dcL  duc  (Sancho  Pansa 
au  palais  du  duc),  etc.,  et  plusieurs  compositions  inédites  qui 
furent  en  partie  publiées,  avec  des  modilications  regrettables, 
par  son  fils  Jean-Jacques,  lequel  se  piquait  de  littérature  gas- 
conne. Ces  ouvrages  eurent  plusieurs  éditions,  ainsi  qu'il  suit: 
Kamounet,  etc.  (Agen,  Gayau,  1684,  1692  et  1701,  in-8  ■)  :  Uanwii- 
nct...  aii/ncntado  dr  quantitat  de  bcrs  qu'cron  estais  onbUdats  à 
la pruinire  impression,  et  conrrijado  de  bcucops  de  f autos  (Bor- 
déus,  impr.  Séjourné,  1740,  in-S").  La  Miranioundo,  etc.  (Agen, 
Gayau,  1685)  (J.-B.  Noulet  cite  une  édition  de  1684  qui  semble 
perdue),  1695,  170(i  et  1701,  in-8").  Sancho  l'ança,  comédie  dé- 
couverte dans  les  papiers  de  la  famille  Cortète  do  Prades,  n'a 
été  donnée  que  fragmentairomeut  par  C.  Ratier,  dans  son  étude 
sur  le  poète  agenais. 

François  do  Cortète  de  Prades  s'éleva,  dit-on,  à  une  hauteur 
qui  le  rapproche  do  Goudouli.  «  Depuis  Goudeliu,  s'écriait  J.-B. 
N'oulet  en  1859,  nous  n'avions  point  rencontré  do  talent  aussi 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  253 

complet,  et  il  nous  a  semblé,  à  part  le  plaisir  que  nous  éprouvions 
à  exprimer  nos  impressions  à  ce  sujet,  que  nous  accomplissions 
un  devoir  en  rendant  une  tardive  justice  au  gentilhomme  poète 
qui,  le  premier,  illustra  l'idiome  agenais.  Sa  valeur  méconnue 
jusque  dans  son  pays  natal  nous  a  paru  un  de  ces  coupables 
abus  qu'il  était  bon  de  signaler  et  de  ilétrir.  Non,  ce  n'est  pas 
seulement  de  nos  jours  que  la  poésie  vulgaire  a  excité  l'admi- 
ration chez  vous  et  autour  de  vous,  Agenais  peu  soucieux  de 
votre  passé!  Le  poète  (Jasmin)  qui  de  notre  temps,  après  bien 
des  tâtonnements,  semble  avoir  voulu  se  renfi-ruier  dans  les 
récits  empruntés  aux  mœurs  populaires,  n'est  que  l'écho  allaibli 
de  cet  autre  poète  qui,  au  xvii«  siècle,  s'inspirait  si  bien  des 
mœurs  villageois<;s...  » 

«  La  langue  de  Cortéte,  observe  M.  Charles  lialicr,  est  une 
variété  du  sous-dialecte  gascon  de  l'Agenais;  variété  dilférant 
assez  sensiblement  de  celle  qui  existe  à  Agen.  Linguistique- 
ment  parlant,  le  Bas-Quercynois  est  descendu  presque  jusqu'aux 
portes  de  la  ville  natale  de  Jasmin  et  a  semé  quantité  de  ses 
vocables  sur  les  pays  de  coteaux  qui  bornent  son  horizon  au 
nord  et  à  l'est.  Quant  à  la  plaine,  séparée  seulement  par  la 
Garonne  de  la  Gascogne  proprement  dite,  sa  conjugaison,  tant 
en  amont  qu'en  aval  du  lleuve,  combiue  les  formes  de  la  rive 
droite  avec  celles  de  la  rive  gauche.  A  Prades,  situé  vers  l'est 
d'Agen,  dans  la  plaine,  mais  au  pied  même  des  coteaux  et  à 
quelques  centaines  de  mètres  de  la  Garonne,  ces  deux  grands 
traits  de  divergence  existaient  et  existent  encore.  Le  parler 
qu'on  y  entend  aujourd'hui  est,  à  part  quelques  termes  inusités 
ou  perdus  et  beaucoup  d'autres  corrompus  par  le  mélange  avec 
le  français,  le  môme  qu'écrivit  Cortète  avec  tellement  de  pureté 
qu'à  l'attrait  de  la  poésie  ses  œuvres  joignent  la  valeur  du  do- 
cument linguistique.  » 

Les  félibres  et  les  cigaliers,  réunis  à  Agen  le  10  août  1890, 
ont  inauguré  sur  le  grand  boulevard  de  la  ville  le  buste  de  Cor- 
tète de  Prades  par  Amy.  Entin,  ou  prête  à  M.  Charles  Ratier 
lintention  de  donner  sur  les  manuscrits  de  l'auteur  une  édition 
des  œuvres  complètes  du  meilleur  chantre  de  l'Agenais. 

Bibliographie.  —  Adrien  Donnodevie,  Etude  dans  la  Revue 
des  langues  romaues,  1812,  t.  I,  ill.  — Evn.hahad'ie.  Etude  dans  la 
Revue  de  l'Agenais,  1906.  —  P.  Lauzun  et  J.  Dubois,  Etude,  Uevue 
de  V Agenais,  1906.  —  Mary-Lafon.  Histoire  liitcraire  du  Midi 
de  la  France,  Paris,  Reinwald,  1882,  in-S».  —  J.-B.  Noulet,  Essai 
sur  l'histoire  littéraire  des  patois  du  Midi  de  la  France,  seizième 
et  dix-septième  siècle,  Paris,  J.  Techener,  1859,  in-8°.  —  Charles 
Ratier,  Notice  sur  François  de  Cortète,  Agen,  veuve  Lamy,  1890, 
grand  in-S»  (extr.  de  la  Revue  de  l'Agenais).  —  Paul  Roman,  Lou 
GaiSabé,  1907. 

15 


25't  LES    POÈTES    DU    TERROIR 


LES   LARMES    DU    GRAVIERS 

GraTier,  que  ta  perte  m'oppresse. 

Que  je  plains  ton  beau  tapis  vert!... 

Dans  le  carré  le  mieux  couvert. 

On  voit  la  terre  qui  s'abaisse. 

Tout  s'éboule  au  reflux  du  flot  : 

Le  pêcheur  a  son  gabarot 
Où  les  dames  d'Agen  se  sont  tant  promenées. 

Et  l'ag-neau  de  soif  est  mourant 
Où  les  plus  gros  poissons,  dans  moins  de  quatre  années, 
Plongeront  en  courant. 

Depuis  l'attaque,  la  première, 

Où  le  bord  fut  tout  dérangé. 

Des  ormes,  cinquante,  ont  plongé 

Et  fait  le  saut  dans  la  rivière; 

Encore  le  flot  arrivant 

"\'a  fouillant  toujours  plus  avant; 


LAS    LERMOS    DEL    G  R  A  U  M 

Grabè,  quo  ta  pcrto  m'es  aisso, 

Que  jou  pluDJi  touubel  lapis  ! 

Al  médis  loo  que  sc»  tiopis. 

Ou  bey  la  terro  quo  s'abuisso. 

Tout  s'esperrequo  al  moudre  aigat  : 

Lou  poscairu  tou  lou  bergat 
OuD  Ins  damos  d'Agou  fasiou  leurs  permenados, 

Et  l'aiguol  escano  de  set 
Ciun  lous  peichs  lous  plus  grans  dins  mens  de  quatre  aunadoî 
Faran  lou  capuchet. 

Despey  l'attaquo  las  prumoro, 

Que  lou  tap  fu  domarmaillat, 

Cinquautc  ouïmes  au  capillat. 

Et  tait  lou  saut  dins  la  ribèro; 

Enqueros  l'aigat  arribau 

Fouuillo  toutjour  plus  ubau, 


1.  Traduclion  de  Mary-Lalou. 


» 


GASCOGNE    ET    CV'ÏE.N>t- 


Î55 


Le*  arbres  Io<  plus  t''.>rt>.  i'  les  ivet  «?".  aijr-.ii-??. 

Et  chaque  toi>  tout  t^o:e  te:  : 
Ce  qui  fait  qu  on  dirait  '|u  '  ;^ar  i,'>  t!oU  de  larmes 

rSotre  tleuve  e<t  çi-'.^ss:. 

Mouta,çne<.  qui  dcliei  la  poifiCe 

Ju^qu  eu  1  a^ur  de>  eieu\  lJ.-b..i>. 

Que  vau*  avous-uau*  tait,  h.éla>! 

Q««  Tovs  »oos  porlîex  q«el<|«e  point»? 

Bt  p6ar  notts  ttvpper  de  MM-reau. 

Et  nous  mettre  toui  à  Tatu^reaia, 
Que  TO«s  nous  enrorex  taoïl  de  neige  foadae  ; 

Qvand  on  te  pleure  jour  et  nuit. 
Rire  qve  la  Gaoronoe  «xec  roge  «  uiordae 
Poor  y  diaoftger  son  lit  ? 

A  force  q[ae  le  fiol  s*j  lunse. 
Le  bord  nous  fait  iacessaoBunent, 
Bt  nous  perdons  un  ornement 
Qui  Tnut  le  trésor  de  Venise. 
Quand  le  flot  s'y  jette  au  tr«kTer$, 
Mettant  le  bonnet  à  IVnTers. 


K  met  al  tr«inolis  las  rasies  Us  plas  liemklll^s> 
Doan  eaaqiM  cop  toat  «a  n^ptt. 

P«r  TuM»  qae  se  fèj  d  «no  pl^  de  lumos» 
La  nàtak  de  l^ils*t. 
Moata^pnos  qaa  lbai|;:nas  la  panla» 
Jasqaos  dias  kkas  cffiuas  I 
Las!  qaia  tort  boas  fesaa  i 
Qaeboasnoas  poartas« 
£  trcqp  soi^en  par  dastanra, 
S  mettra  toat  à  tiaténa. 

Noaa  embials  à  trabàs  la  nca  toato  foaadado  ; 
Taadis  qaa  ploaiaa  îoar  et  a»t> 

La  ribo  qae  CUdtoaao  a  toato  coanfoaadado 
P*r  y  mada  soaa  limt? 
A  Ibr^  qae  la  tevto  es  tiiso 
Loa  tap  j  gvdlo  ineessomea, 
Taa  qae  pefdea  aa  omoaata» 
Qae  bal  loa  trésor  d»  B>ai«. 
Qaaa  Taigo  Py  bea  à  trabàs 
L»  coifo  bùrado  al  febès. 


256  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Pas  un  œil  qui  ne  pleure,  à  voir  ce  grand  ravage 

Mais,  s'il  vient  un  débordement. 
Tous  les  soupirs  alors  y  forment  un  orage, 
Qui  fait  le  mal  plus  grand. 

0  vous  qui  trouvez  tant  de  charmes 

(En  y  jouant  au  palamal), 

Tant  de  dégâts  et  tant  de  mal 

Ne  vous  coûtent  donc  pas  des  larmes  ? 

L'allée  à  morceaux  se  détruit, 

Chaque  an  nouveau  la  rétrécit. 
De  tous  elle  est  pleurée  et  de  nul  secourue, 

En  sorte  que  d'heure  ou  de  tard. 
Au  lieu  d'un  palamal  long  à  perte  de  vue. 
On  n'aura  qu'un  billard. 

Nous  n'oyons  pas,  nous,  ce  me  semble, 
Les  tristes  soupirs  des  ormeaux, 
Qui  sentent  s'augmenter  leurs  maux. 
Et  la  terre,  à  leurs  pieds,  qui  tremble. 
L'exemple  de  leurs  compagnons, 
Où  l'on  voyait  les  maquignons, 


N'es  pas  el  que  non  gloiipé  à  boire  lou  doiiniagt 
Mes  sel  arribo  ua  graa  aigat 

Alabcth  lous  soupirs  y  formon  un  auratgo 
Que  fay  tout  lou  baguât. 
Bousaiis  qu'abès  la  ma  ta  formo, 
Quan  yjougas  al  pallamal 
Tant  de  doumago  e  twiit  de  mal, 
Nou  bous  tiro  pas  cauquo  lermo? 
L'alleyo  se  per  à  bouois, 
Toula  lous  ans  elo  s'accourcis, 

Un  cadun  la  regrctto  e  dcgun  nou  l'assisto. 
De  faissou  que  d'iiouro  ou  do  tard. 

Al  loc  d'un  pallamal  loung  à  perte  du  bisto 
On  u'aoura  qu'un  billard. 
N'ausen  pas  nousails,  se  me  8Pml)lo, 
Lous  ouïmes  que  fan  de  gouspis 
De  beirc  tout  de  mal  en  pis, 
E  quai  pe  d'els  la  terro  tremble. 
L'exemple  de  lours  compagnons 
Ou  l'oti  besio  lous  maquignous, 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  25' 

Après  quelque  ruade,  attacher  leurs  montures, 

Du  sud  leur  fait  craindre  le  vent, 
Et  qu'en  fondant  la  neig-e,  ici  comme  à  Coutures, 
Ronge  le  sol  mouvant. 

Hélas!  il  va  cesser  de  plaire  : 

Où  nous  venions  nous  promener, 

Dans  peu  de  temps,  au  pire  aller, 

On  dira  :  «  Vogue  la  galère!  « 

Car,  éperonnant  le  courtaud, 

L'on  y  voit  courir  comme  il  faut 
La  bague  dont  le  jeu  notre  noblesse  entraîne; 

Mais  alors  la  bague  fera 
Que  vingt  seront  montés  sur  un  cheval  de  chêne, 
Qui  cabriolera. 

Cependant,  sans  buttes  ni  bosses, 
Cest  comme  un  tapis  de  velours. 
Où  sur  ce  qui  reste,  à  pas  lourds, 
On  peut  voir  rouler  les  carrosses. 
Un  goutteux  à  double  bâton 
Marche  comme  sur  du  coton. 


Aprep  qiiauquo  piafado  estaca  lours  mouutaros, 

Leur  fai  cregnè  loti  bea  del  sud, 
E  que  la  neu  fouudeii  el  sio  couaio  à  Couturos 
Où  tout  es  descousut. 

Jamai  plus  non  sara  ço  quèro  : 

Oun  l'on  s'anabo  permeua, 

Din  quauques  ans  al  pire  ana 

On  dira  :  «  Boguo  la  galère  !  » 

Car  se  montais  sur  un  roussi 

On  y  pot  courre  jusqu'aissi, 
La  baguo  ou  touts  lous  jouns  la  noblesso  s'ajusto 

Alabets  la  baguo  (ara 
Que  biiit  saran  mouutats  sur  un  chabal  de  fusto 
Que  capioulara. 
Entretan  ses  taps  ni  ses  bossos 

Sô  que  reste  n'es  qu'un  pelons, 
Que  seuiblo  un  tapis  de  belous, 

A  beire  rulla  lous  carossos. 

Un  goutous  à  gran  sabattou 

Marcho  coumo  sur  de  coutou 


258  LIÎS    l'OÈTKS    DU    TERROIR 

Sur  l'herbe  et  sur  les  fleurs,  qui  se  flétrissent  toutes; 

Mais  le  dégel,  levant  son  deuil. 
Nous  montre  ses  regrets,  et  l'on  compte  les  gouttes 
Qui  lui  brillent  dans  l'œil. 

Que  feront  les  pauvres  ancelles 
Qui  vont  chercher  l'eau  dans  les  puits? 
Du  nôtre  l'œil  se  ferme,  et  puis 
Toutes  rouges  sont  ses  prunelles, 
«  Ah!  diront-elles,  quel  malheur 
Que  celle  qui  fait  ta  douleur. 

Gravier,  perde  sa  source  et  mevire  de  misère!  » 
0  filles!  qui  tant  y  veniez, 

Semble-t-il  pas,  au  prix  de  ce  qu'il  fut  naguère, 
Un  pré  de  sept  deniers  ? 

Pauvre  pré  rasé  comme  un  rnongc. 
Gravier,  le  lieu  des  passe-temps, 
Souviens-toi  que  dans  peu  de  temps 
Tu  seras  passé  comme  un  songe  : 
Les  premières  eaux  qui  viendront 
Assurément  t'emporteront, 


Su  l'hcrbo  e  sur  las  flous  que  se  trepissoua  toutes, 

Mes  aprep  se  bey  lou  degol 
Del  regret  qu'el  ne  sent  on  bey  toutos  los  goutos 
Que  li  saillon  pel  Tel. 

Las  !  que  faran  las  pauros  goujos 

Que  ban  querre  l'aigo  à  la  foun, 

La  nostro  à  son  cl  que  se  foun, 

K  las  prunélos  toutos  roujos. 

Ah!  sa  diran  quin  desaguis, 

Grabo,  la  ([ue  te  porseguis, 
Posque  perdre  sa  douts  e  péri  de  scquéro! 

Filles  quan  bousaits  y  bcnés, 
Nou  bous  semble  pas  el  al  respet  de  ço  qu'oro, 
Un  prat  do  sept  dînes? 

Pauré  prat  rasât  coumo  uu  mouiigc, 

Grabo,  lou  loc  dos  passotonips, 

Su»*ben  te  que  din  pauc  de  temps, 

Tu  saras  passât  coinno  un  soiingo. 

Lous  prumés  aigats  que  bcndrau, 

Acos  ségu,  t'acabarau, 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  259 

Si  contre  ]e  courant  il  n'est  point  de  ressource. 

L'on  te  plaint  beaucoup  ;  mais  celui 
Qui  croit  que  tu  pourras  la  trouver  dans  ta  bourse 

Peut  bayer  là  tout  aujourd'hui. 


Se  costo  lou  coiUTon  tu  n'as  qtiauquo  ressourso. 

L'on  te  plan  be  tout  niey  e  mey, 
Mas  que  pensarios  tu  la  trouha  dins  la  bourso, 
Ha!  bado  aqui  tout  oi'iey. 


JEAN-GERAUD   D'ASTROS 

(1594-1648) 


Tons  les  Mcridionaux  ciirioux  des  meilleurs  monuments  d( 
la  langue  d'oc  connaissent  le  bon  abbé  d'Astros,  l'auteur  tan' 
de  fois  célébré  d'une  Apologie  des  Saisons  et  de  No('Is  où  perc» 
ime  humeur  quasi  rabelaisienne.  On  affirme  qu'il  naquit  It 
!<"■  août  1594,  à  Saint-Glar-de-Lomagne.  ou  plus  exactement;" 
Jandourdis,  lieu  situé  prés  du  village  nommé  ci-dessus.  Fib 
d'un  modeste  artisan.  —  son  père  était  tailleur,  —  il  eut  une  jeu- 
•nesse  studieuse  et  fut  l'objet  d'une  sollicitude  toute  particuliéri 
provoquée  par  son  tempérament  chétif,  auquel  se  joignait  uni 
infirmité  physique  :  il  était  bossu.  Destiné  à  l'état  ecclésias- 
tique, il  entra  au  séminaire  de  Toulouse.  Ses  études  termi- 
nées, le  jeune  clerc  reçut,  dit-on,  avec  l'ordre  de  prêtrise  li 
charge  de  vicaire  de  Saint-Clar-de-Lomagne.  en  témoignage  d( 
•confiance  pour  ses  belles  qualités.  Il  y  demeura  du  20  mars  161( 
jusqu'en  avril  1G47,  signant  les  registres  de  baptême,  de  décè 
et  de  mariage  de  sa  paroisse,  conjointement  avec  deux  autre 
,prètres,  ses  collègues,  et  avec  le  curé,  qui,  le  plus  souvent,  aban 
donnait  cette  tâche  à  ses  subordonnés. 

Les  exigences  de  sa  charge  ne  l'empêchèrent  pas  de  rontrac 
ter  avec  les  consuls  de  Saint-Clar  l'engagement  d'instruire  le 
enfants  de  la  commune.  Il  faut  croire  que  ce  ne  fut  point  assc 
pour  son  activité  surprenante,  car  d'Astros  trouva  encore  de 
loisirs  qu'il  consacra  à  l'entretien  des  Muses  gasconnes.  Il  dé 
buta  par  des  Noris  dans  lesquels  il  s'attacha  à  faire  ressorti 
le  mérite  de  son  dialecte  et  qui  obtinrent  les  sull'rages  de  se 
compatriotes.  On  en  a  signalé  une  édition  qui  parut  en  164 
sous  ce  titre  :  Loti  Trimfe  des  nouels  gascons^,  etc. 

Il  publia  par  la  suite  d'autres  ouvrages  qui  établirent  sa  repu 
lation  et  lui  assurèrent  une  place  au  premier  rang  des  restau 
rat(!urs  de  la  langue  romane,  soit  deux  poèmes  didactique 
réunis  sous  un  même  titre  :  I.oii  Trimfe  de  la  lengoito  gascom 


1.  L'édition  originale  do  cet  ouvrage  dalorait,  |)arait-il,  de  103< 
maison  n'en  a  trouvé  jui^qu'ici  aucun  exemplaire.  l>i'S  .Noëls  ont  él 
réimprimés  à  Toulouse,  chc/  Guillemcltc,  s.  d.,  in-l:i. 


GASCOGNE    ET    GUTENNE  261 

nui  playdciats  de  las  qnoiiatc  Sasous  et  des  quoiiatc  FAemens 
daoùaiit  lou  Pastau  de  Loumaigno  (Le  Triomphe  de  1.-»  lauguu 
o;asconiie,  etc.)  (Toiiloiiso,  J.  Boiido,  16'«2,  in-î2|';  «no  Dde  à 
Moussu  finudelin,  aboncat  à  Toulouso  (Cf.  liamelct  Mouiidi,  de 
P.  Goudelin),  et  enfin  un  Catéchisme,  mis  en  rimes,  pour  en 
rendre  la  récitation  facile  au  peuple,  La  Scolo  dcu  chrestian 
idiot,  OH  Petit  Cathachisme  gascoun,  heit  en  rith/ne  (Toulouso, 
J.  Boudo,  164Ô.  in-12/. 

Quoique  très  estimé  de  ses  paroissiens  et  protégé  do  quelques 
grands  qu'amusait  sa  verve  facile.  d'Astros  connut  une  singu- 
lière disgrâce.  Pour  des  motifs  demeurés  inconnus,  mais  aux- 
quels ne  paraît  point  étrangère  la  familiarité  par  trop  profane 
de  sa  muse  souvent  bachique  et  licencieuse,  il  lut  relevé  de  ses 
fonctions  ecclésiastiques  vers  la  fin  de  1647.  Il  essaya  de  s'en 
consoler  en  gardant  sa  belle  humour,  mais  ce  fut  en  vain  qu'il 
fit  appel  à  son  insouciance  de  philosophe  chrétien.  L'Age  était 
venu,  et  le  poète  imprévoyant  connut  les  rigueurs  de  l'infortune. 
Il  se  résigna  mal  au  rôle  de  quémandeur,  et.  désabusé,  chagrin, 
il  s'éteignit  à  Saint-Clar,  le  9  avril  16'i8,  non  sans  avoir  con>- 
posé  un  émouvant  adieu  à  la  vie  :  Lou  Chant  deou  (igné  (Le 
Chant  du  Cygne),  qui  est  certainement  le  seul  ;iccent  austère 
qu'il  ait  jamais  tiré  de  sa  lyre  enguirlandée  de  pampres.  Né  des 
entrailles  du  peuple,  d'Astros  est  un  vigoureux  interprète  de  la 
vie  et  des  mœurs  rustiques  de  la  Lomagne.  Sa  manière  réside, 
tout  entière,  dans  une  sorte  de  lyrisme  trivial  qui  n'exclut  point 
les  grâces  naïves  du  langage  populaire.  Son  vers  tient  à.  la  fois 
de  la  causerie  mesurée  et  de  l'évocation  sentimentale. 

Ce  qui  parait  irréprochable  chez  lui.  selon  J.-H.  Noulet,  c'est 
son  respect,  disons  mieux,  son  amour  pour  le  dialecte  de  la 
petite  patrie.  Au  contraire  des  autres  poètes  gascons,  qui  regar- 
dent leur  propre  patois  comme  la  fine  fleur  du  langage  de  la 
province  entière,  d'Astros,  lui,  n'assigne  pas  au  sien  un  terri- 
toire de  plus  de  sept  lieues.  Il  rétrécit,  semble-t-il,  afin  d*  le 
glorifier  mieux,  le  domaine  du  terroir  natal... 

Les  œuvres  complètes  de  J.-G.  d'Astros  ont  été  données  à  la 
fin  du  XIX"  siècle.  \o\e/.  Poésies  gasconnes  recueillies  et  publiées 
par  F.  T.  (Taillade) ,'nouv.  édit.,  Paris,  Tross,  1867-1869,  2  vol. 
in-4<>. 

BiLiOGRAPiiiE.  —  Docteur  J.-B.  Noulet.  Essai  sur  l'histoire  lit- 
téraire des  patois  du  Midi  de  la  France,  seizième  et  dix-septième 
siècle;Paris,  Techener,  1859,  in-8<>. — J.  Wichelet,  Poètes  gascons 

1.  On  a,  sous  le  môme  titre,  plusieurs  éditions  de  ce  livre  :  Tou- 
louso, J.  Boudo,  1700,  in-ii;  Toulouso,  Hirosse,  1762;  Toulouso. 
J.-H.  Guillcmetlo,  1703.  in-li.  Voyez  en  outre,  Lou  lierai/  e  Xntiirau 
Gascoun  en  las  quatre  sasous  de  l'An,  etc.,  Toulouso,  Pierre  Eslev, 
imprim.,  1636,  in-12. 


262  LES  POÈTES  DU  TEUROIK 

du  Gers  depuis  le  seizième  siècle  jusqu'à  nos  jours,  Auch,  impr. 
Th.  Bouquet,  1904,  in-S".  — Voyez  en  outre  les  études  de  Léonce 
Couture  et  de  Cénac-Moncaut  {Revue  d'Aquitaine  et  Revue  de 

Gascogne). 


PAYSAGE 

Regai*de-moi  ce  petit  tertre  —  Coiffé  d'un  joli  bosquet: 

—  Si  ce  coteau  ne  te  convient  pas,  —  Tourne  tes  yeux 
sur  la  prairie  —  Parsemée  en  haut  et  eu  bas  —  D'or- 
meaux, de  peupliers  et  de  saules. 

Quand  tu  auras  assez  contemplé  la  saulaie  —  Et  ad- 
miré le  froid  vallon,  —  Tes  yeux  auront  vite  gravi  —  Lu 
perspective  de  l'autre  vallon. 

Là,  tu  vois  plantée,  —  Au  cordeau,  la  lig-ne  qui  verdoie. 

—  Présentant  au  rayon  du  soleil  —  Son  fruit  coulé  du 
Paradis. 

Cela  fait,  prends  la  campagne,  —  Etends  ta  vue  vers  la 
plaine  —  Et  regarde  une  lieue  à  l'cntour,  —  En  faisant 
partout  un  tour  avec  tes  yeux  : 


PAYSAGE 

Espiom'  aquet  taparrot, 
Couhat  d'un  poulit  l)ouscarrot, 
E  s'aquet  tepé  nou  t'agrado, 
Debaro  tous  oiieils  en  Ja  prado 
Touto  broudado  liaut  c  bas 
D'oumos,  do  bioules,  é  d'aiibas. 
Quan  ajos  prou  bist  l'aubaredo 
E  remirat  la  counio  fredo. 
Tous  oiieils  auran  léou  escalat 
Lou  filh  de  l'autc  coustalat. 
Aquiou  tu  beses  à  la  ligno 
Plantado,  berjéda  la  bi^no, 
Que  i)réseutc  à  l'arrajadi.s 
Souu  frut  coulât  doou  Paradis. 
Après  aqiio  prcn  la  canipaigno, 
Estcn  ta  bisto  por  la  plaigno, 
Espiom'  iio  lèguo  à  l'outour, 
Da  pcr  tout  dab  tous  oiieils  un  tour, 


GASCOGNE    ET    GUYENNE 


263 


Il  ne  se  présentera  pas  un  seul  ol)jet  —  Qui  ne  te  soit 
bien  agréable;  —  Tu  ne  sauras  où  arrêter  ton  œil  —  Tant 
le  plaisir  sera  égal  pour  tout. 

Tu  vois  un  semis  qui  verdoie,  —  Un  labour  qui  paraît 
noir,  —  Tu  vois  secouer  ce  bosquet,  —  Et  puis  un  autre 
à  côté  de  celui-là,  —  Puis  un  verger  le  long  d'une  mé- 
tairie —  Bien  arrangé  à  fil  et  à  corde; 

Tu  vois  le  jardin  contigu,  —  Puis  la  maison  et  l'enclos  ; 
—  Puis  dirige  tes  yeux  au  delà,  —  Tu  verras  un  autre 
beau  manoir  —  Assorti  de  tout  ce  qui  est  nécessaire  — 
En  bois,  verger,  vigne  et  jardin. 

Tu  vois  encore  un  autre  labourage,  —  Et  puis  après 
un  village  —  Environné  d'un  beau  vignoble;  —  Enfin 
tu  n'apercevras  rien  —  Qui  ne  réjouisse  de  sa  vue  — 
L'âme  la  plus  triste  qui  soit... 

(Trad.  de  J.  Micbelet.) 


Causo  deou  moim  nou  set'  presento 

Que  non  sic  touto  plasento  ; 

Tu  non  sabes  oun  hica  l'oùéil. 

Tant  poou  plase  tout  t'es  pareil. 

Beses  un  samouat  que  berdcjo, 

Beses  un  baréyt  que  negrejo, 

Beses  liandouéj'  aquot  bousqiiet, 

E  puch  un  aute  auprès  d'aquet, 

Puch  un  berge  Ion  loung  duo  bordo, 

Plan  arrenjat  à  hiou  é  cordo; 

Beses  lou  casau  que  s'y  teng,  ^ 

E  puch  l'ayiiau,  é  lou  padouenc: 

Puch  dab  lous  oiieils  au  delà  bayne, 

E  beyras  un  aute  bet  mayne 

Assourtit  de  tout  sô  que  eau. 

De  bosc,  berge,  bigno  é  casau. 

Beses  un  aute  labouratge, 

E  puch  tu  beses  un  bilatge 

Embirouat  d'un  bét  bignares  ; 

Enfin  arre  tu  nou  beyres 

Que  n'arregausis  de  sa  bisto 

L'armo  deou  niounde  la  mes  tristo,.. 

(Lou  Beray  e  Naturaii  Gascoun 

en  las  quate  Sasous  de  l'An;  1636.) 


LOUIS   BARON 

(1612-1663) 


Louis  Baroa  naquit  à  Poiivloubrin,  dans  l'Astarac,  en  1612. 
Il  appartenait  à  une  famille  d'honnête  aisance.  Sou  père,  ancien 
avocat  au  Parlement,  occupait  les  fonctions  de  magistrat  dans 
sa  province.  Etudiant  à  Toulouse,  ses  heureuses  dispositions 
pour  les  lettres  le  firent  distinguer,  et  il  entra  à  vingt  et  un 
ans,  comme  professeur-régent,  au  fameux  collège  de  l'Esquille. 
Trois  fois  il  remporta  des  prix  aux  concours  des  jeux  Floraux, 
et  il  eut  par  la  suite  le  privilège  de  s'asseoir  parmi   ses  juges. 

Après  avoir  suivi,  ainsi  que  les  siens,  la  carrière  du  barreau, 
il  Se  retira  dans  son  vilhige  natal,  près  de  son  vieux  père,  et  là, 
grâce  à  des  goûts  modestes,  mais  élevés,  il  jouit  longtemps 
d'une  existence  égale  de  philosophe  et  de  poète.  Il  mourut  à 
Pouyloubrin  en  1663,  à  l'âge  de  cinquante  et  un  ans.  Baron  eut 
de  nobles  amitiés.  Il  connut  l'estime  de  la  noblesse  du  lieu, 
fut  visité  maintes  fois  dans  sa  retraite  par  l'évèque  d'Aire  et 
le  président  Berthier  et  entretint  des  relations  d'intimité  avec 
Goudouli.  Ce  dernier  corrigea  ses  premiers  vers  et  encouragea 
sa  muse  timide.  Lorsque  la  mort  eut  éteint  l'astre  éclatant  de 
l'art  méridional,  Baron  exhala  des  regrets  qui  méritèrent  d'être 
entendus  de  tous  ses  compatriotes.  Les  poésies  de  ce  bon  génie 
rustique,  ([u'on  a  surnommé  «  le  plus  gracieux  chantre  do  la 
Gascogne  »,  n'ont  pas  été  réunies.  Au  xviii»  siècle,  le  président 
d'Orbessan  se  flattait  d'en  i)OSsédcr  un  recueil  auloirraphe; 
il  en  a  inséré  un  choix  dans  des  Mémoires  manuscrits  pour 
servir  à  l'histoire  et  à  la  description  de  la  ville  d'Auch,  qu'on 
trouvera  dans  la  Bibliothèque  de  cette  ville.  Assez  récem- 
ment, AI.  J.  Michelet  a  publié  ces  poèmes,  avec  d'autres  de  pro- 
venance diverse,  en  les  faisant  suivre  de  commentaires  et  d'uni; 
traduction  française,  dans  son  excellent  ouvrage  sur  les  Poitr 
gascons  du  Gers. 

BlBLiooRAPiiiE.  —  Marquis  d'Aignan  d'Orbessan,  Variétés 
littéraires  pour  servir  de  suite  aux  Mélanges  histnr.,  critiques, 
de  physique,  de  littérature  et  de  poésie,  etc.,  Auch,  J.-P.  Duprat, 
1778-177'J,  II,  p.  133,  iu-8".  —  Léonce  Couture,  Etude  sur  Louis 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  265 

Baron,  etc.  —  Philibert  Abadie,  édition  du  Parterre  gascoun  de 
Bédout,  Aiich,  1850.  —  D'  J.-B.  Noulet,  Essai  sur  l'histoire  littè-' 
raire  des  patois  du  Midi  de  la  France,  seizième  et  dix-septi'eme 
siècle,  Paris,  Techeoer,  1859,  in-S».  —  J.  Michelet,  Poètes  gas- 
cons du  Gers,  etc.,  Auch,  impr.  Th.  Bouquet,  1904,  iii-8». 


ODE    A    POUYLOUBRIN 

F  K  A  G  -M  E  N  T 

Chantons,  gasconnes  pastourelles, —  Les  petites  mon- 
tagnes varit^es  —  De  lu  petite  montagne  de  Pouylou- 
brin,  —  Et  pour  sa  gloire  qui  est  belle  —  Faisons  résou. 
ner  le  long  de  la  rivière  —  Les  refrains  de  notre  haut- 
bois. 

Ce  beau  lieu  de  ma  naissance  —  Mérite  ])ar  recon- 
naissance —  Un  concert  si  bien  préparé,  —  Qu'aux  doux 
accents  de  notre  Muse  —  L'envie  se  trouve  confuse,  — 
Et  met  le  prix  de  notre  côté... 

Au  plus  haut  de  celte  éminence —  Mille  petits  arbres 
font  la  ramée,  —  Et  surfout  au  sommet  d'un  tertre  — 


ODE    A    POUYLOUBRIN 

Canlem,  gascounes  pastourettes, 
Las  bigarrades  niountagnetles 
Deu  tucoulet  de  Pouyloubrin; 
Et  per  sa  gloric  qu'es  ta  bere 
Hasau  linda  per  la  ribère 
Lous  fredous  de  nostre  clariu. 
Aquet  bèt  loc  de  ma  nechense 
Merile  per  recounechence 
Un  councert  ta  plan  aiuslat. 
Qu'au  dous  aire  de  noste  muse 
L'eml>cie  se  trobé  camuse, 
E  lou  prêts  de  uoste  coustat  .. 
Au  plus  haut  d'aquere  monlade 
Mille  arberels  héu  la  ramade 
E  surtout  au  soumeit  dun  tap 


266 


LES    POKTKS    DU    TERROIR 


Couvert  d'un  tapis  de  verdure  —  Où  tout  le  jour  l'ombre 
persiste,  —  Un  grand  orme  lève  la  tête. 

Ses  branches  si  bien  ornées  —  Tout  exprès  semblent 
préparées  —  Pour  garantir  contre  la  chaleur —  Qui,  sitôt 
qu'il  les  voit,  recule,  —  Lorsque  l'Eté  avec  la  canicule  — 
Fait  changer  l'herbe  de  couleur. 

Les  Nymphes  dansent  la  pavane  —  Sur  la  fière  barba- 
cane  —  Où  elles  tiennent  leurs  ébats;  —  Etjjitimour  qui 
leur  fait  des  gentillesses,  —  Pour  éprouver  si  elles  ont 
les  chairs  dures,  —  Vient  leur  y  donner  quelques  pin- 
cées. 

Un  château  de  pierre  carrée  —  De  sa  vieillesse  tire 
vanité,  —  Sur  une  tour  construite  en  voûte,  —  Qui  a  ses 
titres  en  lettres  rouges,  —  Où  le  froid,  le  vent  ni  la  pluie 
—  N'ont  effacé  le  moindre  mot... 

Ici  qu'un  air  salutaire  —  Est  médecin  et  apothicaire. 


Gilbert  d'nn  t.ipis  de  berdure, 
Oim  tout  loujour  l'oumbre  dure 
TJe  grane  oume  leùe  lou  cap. 
Sas  branques  ta  plan  ournadcs 
Tout  esprés  semblen  ajutades 
Per  tira  contre  la  calou, 
Qui,  taleu  que  las  bé,  recule, 
Quan  l'cstiu  dab  la  canicule 
Hé  caïubia  l'iierbe  de  coulou. 
Las  Nymphes  danseu  la  pabaoe 
Sur  la  jiQumpouse  barbacane 
Ouu  ère  teng  sas  arrasics; 
E  l'amour  quey  hé  bésiadures, 
l'or  esprouba  s'an  las  cars  dures, 
Lous  y  beug  da  quauqucs  pessics 
Un  castet  d(î  peyre  carrade. 
De  sa  bieillcsse  hé  parade, 
Sur  lie  tour  bastide  en  arbot, 
Qu'a  sous  litres  en  letre  rouge, 
Doiiii  lou  fret,  lou  beat  ni  la  plougo 
N'au  destiatat  lou  mendre  mot... 
Acy  qu'un  aire  salutari 
Es  médecin  é  pouticari, 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  267 

—  On  ne  parle  pas  d'ordonnances,  —  Et  sans  autre  mal 
ni  faiblesse,  —  Les  gens  meurent  de  vieillesse,  —  S'il* 
ne  se  détruisent  tout  exprès... 

Nos  bosquets,  où  tous  les  jours  —  Tant  de  petits  oi- 
seaux chantent  matines,  —  Sont  là  où  il  faut,  si  bien  pla- 
cés, —  Qu'à  seule  fin  tout  y  soit  agréable;  —  Les  petils 
aux  grands  font  grâce,  —  Kt  les  grands  respectent  les 
petits... 

Tojis  ces  monts  variés  —  De  mille  fleurs  parsemés  — 
De  Cérès  sont  les  échelons,  —  Et  les  mamelles  d'où  Na- 
ture —  Retire  le  lait  et  l'aliment  —  Dont  se  nourrissent 
les  vallons. 

Tant  de  rochers  et  de  friches,  —  Que  beaucoup  croient 
ennemis  —  Du  gain  des  travailleurs,  —  Favorisent  sous 
leur  maigre  apparence  —  L'ébat  des  oiseaux  de  rapine 

—  Et  le  plaisir  des  chasseurs... 


Non  parle  pas  do  rocipos: 
E  sens  autes  mau  ni  feblesse. 
Las  gens  moiiriohea  do  bieillesso. 
Si  nou  s'aussisen  tout  esprès... 

Nostes  bousqiicts,  oun  tout  lous  dics 
Tan  d'auzerets  canton  mailies 
Soun  pur  oun  eau  ta  plan  partits 
Que  per  affin  que  tout  y  j)lacio 
Lous  petits  aus  graus  baillea  gracie 
E  lous  grans  oundren  lous  petits... 

Aquostcs  bosses  bigarrades 
De  mile  flous  soun  piniparades; 
De  Cérès  soun  lous  escalous, 
E  las  poupètes  d'oun  Nature 
Tire  la  leit  e  la  pasturc 
Doun  se  nouirichea  lou  balous. 

Tant  de  rouquets  e  de  bousigucs, 
Que  force  cresen  enemigues, 
Deu  proufit  deus  tribailladoiis, 
Sauben  débat  lour  niagre  miuo 
L'esbat  deus  ausets  de  rapine 
E  lou  plazé  deus  cassadous... 


268  LKS  POÈTES  DU  TERROIR 

A  l'entour  de  la  rivière  la  plus  fertile  —  Un  si  bon 
fourrage  ne  s'amasse  —  Comme  celui  qui  croît  dans  nos 
prairies.  —  Tant  que  le  Gers  nous  avoisine,  —  Il  fera  sé- 
cher de  jalousie  —  Le  Sousson,  la  Lauze  et  l'Arrats. 

Les  grappes,  les  rouges  provins,  —  Yermillonnent  à 
belles  masses  —  Tant  dans  la  plaine  que  sur  le  roc;  — 
Et  le  jus  de  leur  ambroisie,  —  Plus  doux  que  le  miel, 
rassasie  —  Les  Grands  de  notre  endroit. 

Figues  blanches,  grises  et  noires,  —  Coings,  noisettes, 
pommes,  poires,  —  Griottes,  cerises,  bigarreaux...  —  Le 
moindre  jardin  en  produit,  —  Et  chaque  vigne  qui  est 
travaillée —  En  orne  ses  carreaux... 

La  source  de  notre  fontaine  contente  —  Le  plus  altéré 
satisfait,  —  Avec  son  cristal  qui  semble  vivant,  —  Et  le 
Gers,  quand  il  la  voit  si  fraîche,  —  Dissimulé  dans  les 
roseaux,  —  N'ose  se  montrer  l'été. 


Eu  la  ribere  la  mes  grasse. 
Un  ta  boun  pasteng  uou  s'amasse 
Coum  lou  qui  crech  en  nostes  prats, 
Tant  que  lou  Gers  mous  abesie 
E  hé  seca  de  ielousie 
Lou  Sousoun,  la  Lausc  et  l'Arrats. 
Las  aragues,  las  rouges  mailloques 
Bermillejen  à  bères  troques 
Tant  sur  la  plane  que  suou  roc; 
E  lou  jus  de  leur  ambrousie 
Mes  dous  que  lou  méou  rassasie 
Lous  majouraus  deu  noste  loc. 
Higues  blanques,  grises  è  nères, 
Coudoiiis,  auérats,  poumes,  pères, 
Guindouils,  sérides,  bigarreus... 
Lou  mes  simple  casau  ue  baille; 
E  quado  bigne  quès  tribaille 
Ne  passemente  sous  carreus... 
La  douts  de  noste  hount  contente, 
Lou  mes  altérât  destalcnte 
Dab  soun  crislail  qui  semble  biii; 
Et  lou  Gers,  ([uan  la  bé  ta  fresque, 
Tout  escounut  doguens  la  cesqtio 
Nou  gause  pareche  l'estiu. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  2^^ 

Quand  le  joyeux  printemps  —  Etale  sa  robe  la  plus 
belle,  — Les  petits  oiseaux  ressuscites  —  Se  rassemblent 
dans  les  allées  —  De  nos  étroites  vallées  —  Et  tiennent 
là  leurs  Etats. 

Par-dessus  tous,  un  chantre  sauvage  —  Que  les  habi- 
tants du  village  —  Nominent  le  Rossignolet,  —  D'un 
gosier  qui  avec  tout  s'accorde  —  Imite  sur  une  unique 
corde —  Luth,  épinette  et  flageolet... 

Ici  le  merle  fait  son  nid,  —  Là,  la  tourterelle  charrie, 

—  Et  sur  la  fin  du  mois  de  mai,  —  Avec  leur  famille  nou- 
velle, —  Dans  les  arbres  vous  trouvez  le  berceau  —  Du 
loriot,  du  tourd  et  du  geai. 

Mais  qui  pourrait  se  croire  dégagé  —  En  louant  le 
rare  mérite  —  D'un  terroir  si  renommé  ?  —  Sa  gloire  de 
tiédeur  m'accuse,  —  Et  réclame  de  quoique  autre  musc 

—  Un  ouvrage  mieux  limé. 


Qiian  la  gaiijouso  ]irimiiaèrc 

Desplegiie  sa  raiibc  mes  bère, 

Lous  auserets  resuscitats 

S'amasen  deguen  las  alées 

De  nostos  petites  balées 

E  tenguen  aquiu  lous  Estats. 

Dessus  touts,  un  coure  saubatge 

Que  lous  habitaus  deu  bilatge 

Apéreu  lou  Rouchinoulet, 

Dab  un  bec  qui  dab  tout  s'accorde, 

Soune  sur  iie  meticho  corde 

Luth,  espinete  et  flageoulet... 

Acy  lou  merle  nisereie, 

Acy  la  tourtere  carreie, 

E  sur  la  fia  deu  mes  de  mai, 

Dab  lour  mainadete  nauère, 

Peus  arbes  troubats  la  cuignèro. 

De  l'aurio,  deu  tour  et  deu  gay. 

Mes  qui  pouire  se  rende  quiti 

En  lau/.a  lou  rare  meriti 

D'uu  terradou  ta  renoumat? 

Sa  balou  de  peccat  m'accuse, 

E  prcteng  de  quauqu'aute  muse, 

Un  oumbratge  millou  limât. 


270  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Pour  n'avoir  pas  plus  de  honte  —  Je  mets  un  terme  ù 
ma  besogne;  —  Et  je  prie  que  de  ce  coteau  —  Toujours 
le  Ciel  prenne  soin,  —  Et  qu'aucune  mauvaise  aventure 
—  N'y  mette  jamais  le  pied. 

S  Que  tout  son  mal  reste  dehors,  —  Qu'aucune  tare  de 
ndore  —  N'y  apporte  trace  de  bruit  importun,  —  Et 
iise  à  Dieu  que  la  commune,  —  Avec  les  cartes  de  For- 
tune, —  N'ait  jamais  que  trente  et  un. 

Que  jamais  la  maladie  ni  la  guerre  —  Ne  viennent  sur 
cette  localité  —  Mettre  le  repos  à  l'écart,  —  Mais  pour  le 
moins,  tant  que  je  vive,  —  Le  bon  temps  s'y  répartisse 
si  bien  —  Que  j'en  aie  la  meilleure  part'. 


Per  u'iive  jias  nies  do  bergouignc 

Jeu  bouti  fin  à  ma  l)esoui<>ne; 

E  pregui  que  d'aquet  tcpé 

Toustem  lou  ceu  prengue  la  cure 

E  que  nade  maie  abentiire 

Noui  boute  jamés  lou  pô. 

Que  tout  soun  mau  sorte  delioro, 

Que  nade  tare  de  Pandore, 

Noui  porte  nat  brut  importun  : 

E  placie  à  Diu  que  la  coumuni; 

Dab  las  cartes  de  la  Fourtune, 

N'aie  jamès  que  trente-un. 

Jamés  l'agraiie  ny  la  guerre 

Nou  benguen  en  aquere  terre 

Bouta  lou  repaus  à  l'cscart; 

Mes  per  lou  mens,  tant  que  ion  bisque, 

Lou  boim  temps  ta  plan  s'y  ])artisquc 

Que  ioun  aie  la  meillou  part. 

1.  Trad.  de  M.  J.  Miclielol. 


GERARD   BEDOUT 

(1617-1692) 


La  ville  d'Aiich,  alors  capitale  do  l'Armagnac,  eut,  a-t-on 
écrit,  rhonneur  de  donner  le  jour  à  ce  poète.  Il  fut  baptisé  dans 
l'église  de  Saiut-Orens,  le  19  janvier  ItilT,  sous  le  nom  de  Gui- 
rault,  qui  était  celui  do  son  parrain  et  de  son  aïeul  maternel, 
bien  qu'en  réalité  il  s'appelât  Gérard.  Il  prit  les  leçons  des 
jésuites  au  collège  d'.A.ucIi  et,  son  éducation  terminéo,  se  rendit 
à  Toulouse  pour  se  livrer  successivement  à  l'étude  du  droit 
et  de  la  médecine.  A  cette  époque,  observe  M.  J.  Michelet,  la 
capitale  du  Languedoc  était  en  pleine  ellérvescence  littéraire. 
Goudouli  avait  remis  en  tel  honneur  le  culte  de  la  poésie  ro- 
mane, que  notre  étudiant  s'éprit  soudain  de  la  passion  des  vers 
et  ne  put  résister  au  désir  de  détacher  un  bouquet  de  la  cou- 
ronne des  Muses.  Il  fut  poète  et  médecin,  et  il  honora  cette 
double  carrière  en  donnant  ses  soins  à  ses  compatriotes  et  en 
charmant  leurs  loisirs  par  des  chants  infiniment  plus  gracieux 
que  personnels.  Gérard  Hédout,  qui  avait  épousé,  le  18  juillet 
1658,  une  demoiselle  Jeanne  Lesca,  fille  de  feu  Bernard  Lesca , 
ancien  receveur  des  tailles  d'Armagnac,  mourut  le  3  mai  1692. 
et  fut  inhumé  en  l'église  des  Cordeliers,  où  reposaient  déjà  son 
père  et  sa  femme.  Son  meilleur  ouvrage,  celui-là  même  qui  ren- 
ferme ses  vers  gascons,  parut  en  1642,  sous  ce  titre  :  Lou  Par- 
terre gascoiai  coutnpazat  de  quouate  carreus  (Le  Parterre  gas- 
con composé  de  quatre  carrés),  Bourdons,  P.  du  Coq,  1042,  in-4". 
Ce  recueil  a  été  réimprimé  deux  fois,  savoir  :  Lou  Parterre  gas- 
coun...  précède  d'une  introd.  et  suivi  d'un  choix  de  poésies  de  di~ 
vers  auteurs  et  d'un  Dictionnaire  des  principaux  termes  du  Dia- 
lecte gascon,  par  A.  Philibert  Abadie,  Auch,  1850,  in-12  ;  Lou  Par- 
terre  gascoun...,  nouv.  éd.  publiée  par  la  Société  archéologique 
du  Gers,  Auch,  impr.  Léonce  Cocharaux,  1908,  in-8''.  Le  Parterre 
gascon,  loin  d'être  un  livre  original,  est  plutôt  une  aimable 
paraphrase  de  vers  français  célèbres.  L'amour  y  occupe  la  plus 
grande  partie,  avec  une  poésie,  Soulitude  amourouse,  imitée  de 
Théophile  et  de  Sain  t- Amant,  et  diverses  autres  pièces,  telle  Dou- 
rimonn  que  se  plaigna  de  sa pastoure  Jaquetc,  que  nous  réimpri- 
mons plus  loin.  On  y  trouve  encore  une  foule  de  petits  poèmes 


272  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

piquants  où  la  fantaisie  spirituelle  de  l'auteur  s'est  donné  libre 
cours.  Bédout  a  moins  de  verve  que  d'Astros  et  moins  de  cor- 
rection que  Baron,  mais  il  sait  tourner  une  strophe  avec  facilité. 
On  lui  reprociie  néanmoins  de  refléter  incomplètement  Gou- 
douli  et  d'avoir  dérogé  sans  cesse  à  la  pureté  de  lidiome  aqui- 
tain. «  Si  Bédout  écrit  en  patois.  —  a  dit  le  docteur  Noulet,  — 
il  pense  en  français,  et  dès  lors  il  ne  fait  qu'un  très  rare  usage 
du  génie  particulier  au  dialecte  dont  il  se  sert,  renonçant  ainsi 
à  la  seule  pointe  d'originalité  qui,  après  tant  de  concessions 
faites  à  la  langue  d'outre-Loire,  restât  encore  à  la  littérature  mé- 
ridionale... »  On  donne  à  Gérard  Bédout  deux  autres  ouvrages 
de  médiocre  importance,  et  en  langue  française  :  Poésie  dévote 
dédiée  à  MM.  les  Pénitents  bleus  d'Auch,  Auch,  Arnaud  de  Sainct- 
Bonnet  imprim.,  1649.  in-l'i;  Ouvrages  poétiques  en  l'honneur 
desaint François Borgia...,k\xc\ï,  Pierre  François  imprim.  [1671], 
in-12. 


Bibliographie.  —  D'-  J.-B.  Noulet,  Essai  sur  l'histoire  littér. 
des  patois  du  Midi  de  la  France,  seizième  et  dix-septième  siècle, 
Paris,  Techener,  1859,  in-8».  —  J.  Michelet,  Poètes  gascons  du 
(iers  depuis  le  seizième  siècle  jusqu'à  nos  jours,  Auch,  impr.  Th. 
Bouquet,  1904,  in-8».  —  Anonyme,  Gérard  Bédout,  etc.,  introd. 
à  l'édition  du  Parterre  gascoun,  publiée  par  la  Soc.  archéol.  du 
Gers  (exemplaire  communiqué  par  M.  Louis  Batcave). 


DORIMONT    QUI    SE    PLAINT 

DE    SA    BERGÈRE    JACQUETTE 

Doux  air  de  mon  Gers,  et  toi,  douce  rivièro,  —  Où  mes 
yeux  ont  versé  un  ruisseau  de  pleurs,  —  Et  vous  autres, 
petits  arbres  qui  connaissez  ma  belle,  —  Contez-lui  mes 
douleurs. 


DORIMOUN  QUE  SE  PLAING  DE  SA  PASTOURE  JAQUETE 

Dous  aire  deu  men  Gers,  é  tu,  douce  ribcrc, 
A  un  mous  ouèils  an  jetât  uè  ribére  de  ploas. 
E  bous  avts,  arborcts,  qui  councguèts  ma  bére, 
Coundats-lou  mas  doulous. 


gascogm;  et  guyenne  273 

Petits  anges  des  bois  qui  sur  une  branchetle,  —  Pour 
me  donner  le  bonjour,  entonnez  une  chanson,  —  Si  vous 
voyez  par  ici  ma  bergère  Jacquette,  —  Faites-lui  la  leçon. 

Bergers  des  environs,  qui  venez  sous  l'ombrage  — 
Raconter  vos  amours  aux  accords  de  la  flûte.  —  Tandis 
que  l'Espagnol  se  brûle  le  béret  —  Au  feu  du  pistolet; 

Et  toi,  troupeau  d'agneaux,  qui  à  travers  cette  prairie 
—  Reposes  agréablement  sur  l'herbe  elles  fleurs,  —  Pen- 
dant que  Lidor,  Tkirsis  et  Filorade  —  Vont  chercher  des 
grillons  ; 

Secrétaire  d'amour,  qui  connais  ma  tristesse  —  Et 
qui,  pour  m'écouter,  chemines  lentement,  —  Ruisseau. 
vigne,  verger,  quand  vous  verrez  ma  maîtresse,  —  Dites- 
lui  mon  tourment. 

Mon  mal,  depuis  le  jour  où  sa  beauté  perfide  —  Mit. 
avec  mon  repos,  ma  liberté  au  crochet,  —  Trouve  moins 
de  pitié  auprès  de  ma  bergère  —  Que  près  de  ce  rocher. 

Mais  pourquoi  se  plaindre  de  mille  coups  de  poignards 


Petits  aajous  de  bosc,  qui.  dessus  uè  braaquetc, 
Perme  da  lou  boun  jour  entouaats  uè  causouu, 
Si  bezéts  per  aci  ma  pastoure  Jaqucte, 

Hazéts-lou  la  lessoua. 
Pastourets  d'alentour,  qui  benguéts  à  l'oumbrete 
Couada  bostes  amous  au  soun  deu  flajoulet, 
Mentre  que  VEspaignol  se  crame  la  berrele 

Au  houèc  deu  pistoulet: 
E  tu,  troupét  d'aignéts  qui  per  acere  prade 
Repauzes  à  plaze  dessus  lérb'  é  las  flous, 
Entretant  que  Lidor,  Thirsis  é  Filorade 

Ban  amassa  grillous; 
Secretari  d'amou,  qui  sabes  ma  tristesse, 
E  qui  per  mescouta  camines  lentement. 
Arriu,  bigne,  berge,  quan  bejats  ma  mastresse, 

Digats-lou  moun  turment. 
Moun  mau,  despush  lou  jour  que  sa  faciè  traidoure 
Boutét  dab  moun  repaus  ma  libertat  au  croc, 
Trobe  mens  de  piàtat  auprès  de  ma  pastoure 

Qu'auprès  d'aquet  arroc. 
Mes  perque  se  fâcha  de  mile  cops  de  dagues 


274  LES  POÈTES  DU  TEUROIR 

—  Que  ses  yeux  courroucés  lancent  à  tout  moment,  — 
Puisque  celui  qui  se  plaît  à  rechercher  ses  blessures  — 
Les  endure  justement? 

La  peine  qui  est  avec  moi  meurt  et  ressuscite,  —  Fait 
voir  que  mes  maux  sont  à  tort  reprochés  ;  —  Puisque  je 
veux  mourir  pour  qui  fuit  ma  vie,  —  Je  mérite  la  mort. 

Mais  si  je  ne  puis  m'entretenir  avec  ma  bergère,  — 
Maintenant  qvic  son  indifférence  m'interdit  la  guérison, 

—  Je  laisse  quatre  vers  pour  graver  sur  cette  pierre  — 
Avant  que  de  mourir... 

Adieu,  Jacquette,  adieu;  le  ciel,  le  temps,  ma  douleur, 

—  Feront  peut-être  qu'un  jour  tu  changeras  d'humeur, 

—  Quand  tu  verras  Darimont  renaître  de  ses  cendres,  — 
Comme  un  phénix  d'amour  '. 

[Le  Parterre  qascor),  etc.) 


Que  sous  ouùLls  courroussats  th-en  à  tout  moument, 
Push  que  lou  qui  se  plats  à  recorca  las  plagues 

Endure  justement. 
La  pêne  qui  dab  jou  mouris  6  ressuscite 
Hé  beze  que  mous  maus  soua  reprouchats  à  tort, 
Push  que  jou  boi  mouri  per  qui  hugis  ma  bite, 

Jou  merili  la  mort. 
E  si  nou  podi  pas  parla  dab  ma  bergéire, 
Are  que  sa  rigou  me  deilen  de  gouàri, 
Jou  léschi  quouâte  bérs  dessus  aqucsle  péire, 

Prume  que  de  mouri... 
Adiu!  Jaquet',  adiu  !  Lou  céu,  lou  tems,  ma  pêne, 
Haran  deiéu  qu'un  jour  tu  cambiaras  d'uniou, 
Quan  beges  Dorimoun  renésche  de  sa  cène 

Coum'  un  phœuix  damou. 

(Lou  Parterre  gascotin,  clc.) 
1.  Traduction  de  ]yi.J.  Micheicl. 


i 


PIERRE   ROUSSET 

(1626-1684; 


Parmi  les  poùtcs  périgoiirdins  il  fiiut  pléjcer  au  premier  ranpj 
l'abbé  Pierre  Roussel.  Il  uaquità  Sarlat,  eu  1C26,  de  parents  pau- 
vres, dans  les  premières  années  du  xvii»  siècle.  Elevé  à  la  maî- 
trise des  enfants  de  chœur  de  sa  ville  natale,  il  entra  dans  les  or. 
dres  et  obtint  une  prébende.  Il  mourut  et  fut  enseveli  à  Sarlat  le 
14  octobre  168i,  âgé  de  cinquante-huit  ans.  Ses  (euvres,  publiées 
pour  la  première  fois  en  1676,  ont  été  réimprimées  en  1694,  en 
1751  et  en  1839.  Voyez  Grizoulet,  loti  Jalons  otropat  ou  los  Omours 
de  Floridor  et  d'Oh/mpo  de  Rozilon  et  d'Oinelito  et  dé  la  Morg»i, 
loumedio,  Sorlat,  Coulombet,  1676  et  1694,  in-8»;  Grizoulet,  Ion 
Jaloux  otropat, etc.,  Sorlat,  J.-H.  Robin,  1751,  in-8»;  Œuvres  de 
Pierre  Rousset,  noin>.  cd.,  revue,  corrigea  et  augin.,  par  J-Ii.  L., 
avec  des  notes  et  éclaircissemens,  Sarlat,  impr.  Ant.  Dauriac, 
1839,  in-8».  Elles  consistent  en  une  comédie,  Le  Jaloux  attrapé, 
ou  les  Amours  de  Floridor  et  d'Olympe,  etc.  (1645),  en  une  élégie, 
I.o  Solitudo  (La  Solitude)  et  eu  diverses  pièces  de  poésie  légère, 
telle  Lo  Disputa  de  Baccus  et  de  Priapus  (La  Dispute  de  Bacchus 
«t  de  Priape),  où  la  verve  de  Rousset  s'est  exercée  avec  uue  tellu 
indépendance  que  c'est  à  peine,  selon  l'expression  de  Noulet,  si 
nous  pouvons  nous  faire  à  la  pensée  qu'un  ecclésiastique  en  a 
été  l'auteur. 

Bibliographie.  —  J.-B.  Noulet,  Essai  sur  l'histoire  littér.  des 
patois  du  Midi  de  la  France,  seizième  et  dix-septième  siècle, 
Paris,  Techeuer,  1859,  in-8". 


CHANSON 

Philis,  si  n'avez  le  cœur  —  D'une  tigresse.  —  Ecoutez 
celui  qui  meurt  —  Pour  vous  de  tristesse. 


C AN SOU 

Filis,  se  n'ovèz  lou  cor  Escoutaz  oquel  que  mor 

De  qualquo  tigre,  Per  vous  de  migro. 


276 


LES    POETES    DU    TERROIR 


Sortez,  bel  astre  d'amour,  —  Et  la  nuit  sombre,  —  Plus 
plaisante  que  le  jour,  —  Sera  sans  ombre. 

Car  tous  ces  petits  flambeaux  —  Qui  sont  à  l'air  — 
Céderont  à  votre  œil  —  Tout  leur  éclair. 

Je  crois  que  tout  me  plaint,  —   Mais  vous,  méchante, 

—  L'auteur  du  jour  qui   resplendit   —  ]N"èles  lang-uis- 
sante. 

Le  ciel  n'est  pas  plus  pur  —  Que  l'eau  de  ma  peine  — 
De  qui  vient  l'humidité  —  De  la  sereine. 

Vous  ne  pourriez  guère  dormir  —   Si  dans  votre  âme 

—  L'amour  faisait  comme  en  moi,  —  Si  mauvaise  alarme. 
Plût  à   Dieu  que  votre  œil  ouvert,  —  Que  le  sommeil 

clôt, —  Vit  combien  mon  cœur  découvert  —  Est  enflammé. 

[Œiwres  de  Pierre  Roussel,  etc.;  1839.) 


Sourtéz,  bel  astre  d'omoiir, 

Et  lo  néch  soumbro, 
Plus  plozento  que  lou  jour, 

Sero  sans  ourabro. 
Tuch  oquèùs  petits  florabùls, 

Que  sount  o  l'ayre, 
Céderont  o  vostres  els 

Tout  lour  esclayre. 
lo  crezi  que  tout  me  plant, 

Mas  vous,  meyssanto, 
L'echo  d'ol  tour,  que  resplant, 

N'es  longuisanto. 


Lou  cèl  puro  de  piotat, 

Quo  de  mo  peuo  : 
D'oqui  vet  l'huniiditat 

De  lo  sereno. 
Vousnoupouyriasgrodurmi, 

Se  dins  vostro  arnio 
L'omour  fo/.io  coumo  o  mi 

To  malo  olarmo. 
Plét  o  Diù,  rostre  él  dubèrt. 

Que  lo  sotiQ  cluquo, 
Veguèt  moun  cor  descubèrt 

Coumen  oluquo! 


ARNAUD   DAUBASSE 

(1657-1720) 


Selon  un  de  ses  plus  anciens  biojïraphcs.  l'abbé  Taîlh«.  Ar- 
naud Daubasse,  né  à  Moissac  (Tarn-et-G.)  lo  2  octobre  1657.  était 
le  fils  d'un  modeste  fabricant  de  peignes,  chef  d'une  nomlH'i><isc 
famille.  On  sait  peu  de  chose  sur  sa  vie,  et  moins  encore  sur  sa 
jeunesse.  Il  vint  habiter  Villeneuve-d'Ageuais  et  s'y  maria  lo 
20  janvier  1681.  avec  Jeanne  Laboury,  ainsi  qu'il  appert  de  son 
contrat  de  mai  iage  publié  récemment  par  sou  dernier  éditeur, 
M.  A.  Claris.  Daubasse  s'établit  comme  maître  peignier  et  caba- 
reticr  dans  la  maison  de  son  bcau-pére.  sise  rue  de  Bourgo- 
gne, à  Moissac.  et  ne  tarda  pas  à  acquérir  une  réputation  de 
plaisant  esprit.  Ses  premiers  vers,  qu'il  récitait  avec  vervo, 
lui  valurent  une  clientèle  choisie.  Le  duc  de  Biron,  le  comte 
de  Fumel.  le  marquis  de  Bel/.unce.  M'»»  do  Rigouliores.  etc.,  se 
faisaient,  dit-on.  un  honneur  de  l'attirer  dans  leurs  châteaux  et 
de  le  recevoir  à  leur  table.  Daubasse  payait  son  éeot  en  saillies 
et  en  rimes  que  le  populaire  se  plaisait  à  colporter  ensuite.  Il 
eut  dans  quelques  salons  renommés  d'Agen.  de  Montauban,  de 
Toulouse  et  de  Marseille,  des  succès  que  lui  auraient  enviés 
des  écrivains  notoires  ou.  plus  que  lui.  dignes  de  lètre.  et  l'on 
afQrme  que  le  maréchal  de  Moutrevel  et  le  duc  de  Berwick  lui 
témoignèrent  quelque  amitié.  Au  contact  des  grands,  sa  musc 
ne  perdit  rien  de  sa  belle  humeur  et  de  sa  franchise  rustique. 
Cet  artisan  avait  le  verbe  haut  et  le  trait  piquant.  Plus  d'un  de 
ses  compatriotes  éprouva  les  etVets  de  sa  causticité.  Il  moilTut 
le  6  octobre  1720.  laissant  un  bagage  varié  de  quatrains,  d'é- 
pigrammes.  de  chansons  et  de  pièces  diverses  :  impromptus 
légers  où  la  grâce  étincelle.  Simplicité,  humour,  fantaisie,  furent 
ses  meilleurs  dons.  Ses  poésies,  publiées  pour  la  première  fois 
par  l'abbé  Tailhé.  à  Villeneuvc-sur-Lot,  en  1796  (imprimerie 
CurriusfiIs.MDCCCLXXXXXVl  [sic],  in-12),  furent  réimprimées 
dans  la  même  ville,  chez  l'imprimeur  Glady,  en  18:59.  in-8».  On 
a  donué  assez  récemment  une  édition  plus  correcte  et  partant 
conforme  à  l'esprit  do  l'auteur  :  Œuvres  complètes  du  poète  Ar- 
naud Daubasse,  maître  peignier  de  VUleneuve-siir-Lot,  nouv.  éd. 
avec  une  notice,  de  nombreuses  notes  et  la  traduction  des  poé- 
sies patoiscs  en  icrs  français  par  A.  Claris.  Villeneuve-sur-Lot, 
impr.  Ed.  Chabrié,  1888,  iu-S».  Bien  qu'il  se  soit  exercé  dans 

16 


278  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

tous  les  genres  et  qu'il  ait  môme  écrit  des  cantiques,  Daubasse 
excelle  dans  les  petites  pièces. 

Bibliographie.  —  Abbé  Taiihé.  Préface  aux  Œuvres  d'A. 
Daubasse,  1796.  —  E.  Lebroue,  Mémoire  sur  le  poète  A.  D.,  sa 
Vie  et  ses  Œiwres,  1873,  in-8».  —  Mary-Lafon,  Histoire  littér.  du 
Midi  de  la  France,  1882.  — J.-B.  Noulet,  Essai  sur  l'hist.  littér. 
des  patois  du  Midi  de  la  France,  seizième  et  dix-septième  s.,  etc. 
1859.  —  A.  Claris,  Préface  à  la  3"  éd.  des  Œucres  complètes  de 
Daubasse,  1888.  — E.  Bourcie/.,  Les  Poés.  pat.  d'A.  D.,  Paris,  1888. 


A    MONSIEUR   DE    BIRON 

POUR    LUI    DEMANDER    LA    GRACE    d'uN    PAYSAN 
QUI    AVAIT    VOLÉ    DU    BOIS 

Monseigneur,  vous  voyez  que  cet  homme,  à  sa  mine, 
Annonce  sûrement  un  bien  pauvre  paysan. 
Voyez-le  par  devant,  voyez-le  par  l'échiné, 
C'est  un  vrai  malheureux  en  i^role  au  dénùment. 
Plus  qu'un  ver  affamé,  la  misère  le  mine. 
Et  sa  tête  et  ses  pieds  sont  nus  également. 
Pour  cet  infortuné  je  ne  veux  pas  de  grâce. 
Pour  l'exemple  de  tous,  je  veux  qu'il  soit  puni, 
A  condition  pourtant  que  son  bois,  mis  en  masse, 
Pèsera  le  laurier  que  vous  avez  cueilli. 


A   MOUSSU    DE    BIRON 

PEU    Y     D  A  M  A  N  D  A    LA     G  R  A  Ç  O     d'  U  X     PAY  S  A  \ 
QU'abIO    PANAT    DE    BOY 

Mounseigaur,  bous  besès  qu'aquel  home,  à  sa  miiio, 

Announro,  per  sigur,  un  paysan  bien  paùras. 

Gaytas-lou  per  daban,  gaytas-lou  per  l'esquiuo, 

Nou  besès  qu'un  gipou  tapissât  de  petas. 

Soun  cap  es  sans  capèl,  sas  cambos  sans  dcbas; 

!May  qu'un  bcrme  adamat,  la  paùrièro  lou  mino. 

Per  a  quel  malurous  daniandi  pas  de  graço; 

Per  l'exemple  do  louts,  boli  quo  sio  punit  : 

A  counditiù  pourtant  que  soun  boy  mes  en  masso 

Pesara  lou  hiùriè  ([no  bous  abès  ciilhit. 


I 


PEYROT   DE    PRADINAS 

(1709-1795) 


Jcan-Claiulc  Peyrot  naquit  à  Millau  on  1709.  Elève  des  jésui- 
tes, il  devint  prcbendier  »le  l'abbaye  de  Saint-Sernia  de  Tou- 
louse et  enfin  prieur  fie  Pradinas.  Il  ajouta  à  l'exercice  de  son 
ministère  l'entrelieu  des  lettres  et  la  pratique  de  la  musique. 
Il  écrivit  d'abord  en  langue  française,  puis  directement  en  dia- 
lecte rouergat.  Peyrot  de  Pradinas  avait  des  mœurs  douces,  un 
caractère  naturellement  enjoué  et  beaucoup  d'esprit.  Il  joignait 
à  une  foule  de  connaissances  rurales,  fort  appréciées  de  ses 
paroissiens,  une  réelle  culture  des  poètes  anciens  et  modernes. 
Couronné  dans  sa  jeunesse  par  les  Académies  de  Toulouse  et 
de  Rodez  pour  sept  opuscules  poétiques,  il  n'en  demeura  pas 
moins  fort  simple  et  attaché  à  son  humble  condition.  11  méprisa 
l'argent  à  l'égal  des  honneurs  et  mourut  pauvre,  pendant  la 
période  révolutionnaire,  à  Paillas,  petit  village  situé  à  deux 
lieues  de  son  clocher  natal,  en  1795.  Nous  ne  mentionnerons  pas 
ici  ses  travaux  de  jeunesse  :  nous  nous  contenterons  de  signaler 
les  éditions  complètes  de  ses  a-uvros.  et  en  particulier  des  Sai- 
sons, le  poème  qui  l'a  rendu  célèbre  :  Poésies  diverses  patoises 
et  françaises,  par  P.  A.  P.  D.  P.  En  Rouergue,  s.  n.,  1774.  in-S»; 
Les  Quatre  Saisons  on  les  Géorgiques  patoises,  etc.,  Villefranche, 
Vedeilhé,  et  Millau,  demoiselles  Rainaldis,  1781,  in-S»;  Œuvres 
patoises  et  françaises  de  Claude  Peyrot,  ancien  prieur  de  Plfa- 
dinas,  contenant  deux  parties,  2«  éd.,  Millau,  impr.  de  Chanson, 
an  XI,  in-8°;  La  nie  me,  3»  éd.,  soigneusement  revue,  corrigée 
et  augm.,  Milhau.  impr.  de  Chanson,  1810,  in-8»;  La  même,  etc., 
4«  éd.,  Millau,  Carrère,  1823.  in-S»  :  Les  Saisons,  poème  patois, 
trad.  en  vers  français  par  A.  Peyramale,  texte  en  regard,  Paris, 
Sorbet.  1862,  in-lC  La  muse  de  Peyrot  de  Pradinas  n'est  pas 
(îxempte  des  libres  propos  qu'on  rencontre  chez  presque  tous 
les  patoisants.  Elle  a  même  une  allure  fort  indépendante  et  ne 


1.  On  annonce  une  sixième  édition  dos  œuvres  du  poète  rouergat. 
Cotte  dernière,  établie  sous  la  direction  de  M.  Léopold  Cnnstans,  est 
actuellemcnl  sous  presse  chez  MM.  Arlièrcs  et  Maury,  imprimeurs  à 
•Millau.  Elle  paraîtra,  croit-on,  avant  la  lin  de  cette  année. 


280  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

répugne  aux  descriptions  scatologiques.  Les  œuvres  françaises 
de  cet  ecclésiastique  sont  édifiantes  à  cet  égard. 

Bibliographie.  —  Notice  sur  Peyrot  de  Pradinas,  au  début  des 
Œuvres  patoiscs,  1810.  —  Mary-Laron,  Histoire  littèr.  du  Midi 
de  la  France,  Paris.  Ileinwald,  1882.  in-S».  —  J.-B.  Noulet,  Essai 
sur  l'hist.  littèr.  des  patois  du  Midi,  dix -huitième  siècle,  Paris, 
Maisonneuve,  1877,  in-8». 


LA    MOISSONi 

Voici  par  la  Saint-Jean  la  récolte  annoncée, 

Bientôt  du  blé  nouveau  nous  ferons  la  jonchée. 

Aiguisez,  moissonneurs,  ces  fers  tranchants  et  longs 

Qui  vont  au  point  du  jour  luire  sur  les  sillons. 

De  la  couvée,  enfin,  meurt  la  lumière  pâle, 

Et  Ton  A'oit  resplendir  l'étoile  matinale. 

Aussitôt  le  fermier  court,  au  soleil  levant, 

Au  champ  où  l'orge  ondule  et  se  balance  au  vent. 

Après  cette  moisson  au  fer  abandonnée, 

De  ce  seigle  si  fier  la  tige  est  renversée. 

Au  lit,  avant  le  jour,  pas  un  chat  n'est  couché; 

On  dirait  qu'en  ce  temps  dormir  est  un  péché. 

Sauf  l'enfant  qu'au  berceau  nulle  voix  ne  console. 


LA   MOISSON 

Olerto!  oici  Sen-Jan  qu'onnounço  lo  recollo, 

Din  patic,  de  blat  noubel  pourren  faire  une  niolto. 

Segaïres,  ociilals.  ozugats  lou  boulouu. 

Que  lo  puncho  del  joun  dénia  tout  ])rengo  boun. 

Tout  cscas  de  brilla  cesso  lo  poulsinieyro. 

Et  coumenço  o  luzi  l'estelo  motinieyro, 

Qu'on  bey  lou  Poges  courre  ou  se  colo  ol  trobal. 

E  tout  premieyromen  toumba  su  l'ordical. 

L'ordi  u'és  pas  ol  sol.  quoi  ferré  obondounado. 

Dé  lo  fiéro  séguiol  lo  tijo  es  ronborsado. 

01  liech  obout  lou  jour  trouborias  pas  un  cat; 

Scmblo  qu'en  oquel  tems  dé  dounni  sio  pocat. 

Exceptât  lou  niaïuatgc  cncaro  o  lo  bressolo, 


i.  Traduction  de  Marv-Lafon. 


\ 


i 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  281 

Et  qui,  seul  tout  le  jour,  gémit  et  se  désole, 

Tout  le  monde  est  aux  champs  et  les  toits  sont  déserts. 

Ainsi,  quand  du  tambour  le  son  frappe  les  airs, 

Et  vient  d'une  bataille  annoncer  les  alarmes, 

Chacun  fuit  son  logis  et  veut  prendre  les  armes. 

Les  petits  et  les  grands  courent  à  l'ennemi; 

Du  poltron  même  alors  le  cœur  est  rafformi. 

Tel  le  plus  paresseux  à  la  tâche  s'escrime  : 

Du  bras  et  de  la  voix  le  fermier  les  anime; 

On  l'entend,  lorsqu'un  d'eux  semble  fléchir  tout  bas, 

Crier  comme  un  aveugle  :  «  Allons!  je  ne  dors  pas!  u 

Sur  les  riches  moissons  partout  son  regard  vole, 

Et  des  soins  du  passé  l'espoir  seul  le  console  : 

Bientôt  il  doit  avoir  des  gerbes,  de  l'argent. 

Cependant  du  dîner  arrive  le  moment  : 

Au  pied  d'un  chêne  vert  la  troupe  rassemblée 

Mange  la  soupe  à  l'ail  à  pleine  cuillerée. 

Quelques  instants  après,  ils  dorment;  mais  la  voix 

De  leur  chef  retentit  une  seconde  fois  : 

«  Alerte!  mes  enfants!  le  soleil  marche  et  fuit; 

Alerte,  levez-vous  !  nous  dormirons  la  nuit.  » 


Que  tout  lou  jour  soulet  se  plouro,  se  désolo, 

Tout  lou  niouadé  es  os  comps;  lous  houstals  sou  déserts. 

Otal  quond  del  tombour  lou  soun  frappo  lous  airs, 

E  que  d'une  botaillo  onnounço  los  olarmos, 

CaduQ  quitte  so  caso  é  bo  préné  los  armos. 

I.ous  gronds  é  lous  pichous  courrou  sus  l'énémic, 

Lou  pus  pouItrouQ  s'opresto  o  l'y  soca  soun  pic. 

Dé  mêmes  cl  trobal  lou  mens  boleut  s'escrimo, 

Del  bras  et  do  lo  boix  lou  Pogés  lous  onimo; 

L'ausissès  quond  quaouqu'un  s'ouso  un  bricou  pausa. 

Crida  coumo  un  obuglé  :  «  You  bésé  cal  y  fa  !  » 

Soun  uel  dé  cap  o  founds  persec  toujour  lo  colo, 

É  dé  toutes  dé  soins  l'espoir  soûl  lou  counsolo  : 

Sap  qu'auro  léoii  pei*  biouré,  é  dé  micho,  é  d'orgen. 

Del  dina  cépendent  orribo  lou  moumen; 

O  l'oumbro  d'un  gorric  lo  troupo  es  ossemblado; 

Cadun  dé  soupo  o  l'ail  mongeo  uno  escudélado, 

An  miéjo  houréto  oprès  per  faire  lo  dourmido; 

Mais  o  péno  an  culat  que  l'ocoulat  lour  crido  : 

«  Olerto  !  olerto!  éfous  !  lou  soulel  fo  comi; 

Lo  nuech,  noun  pas  lou  jour,  es  facho  per  dourmi.  » 


282  LES  POÈTES  DU  TEKROIR 

Il  faut  que,  vers  le  soir,  chaque  gerbe  dorée 
Soit,  de  peur  de  l'orage,  en  tas  amoncelée... 

Mais  qu'estceci,  grand  Dieu!  pleuvrait-il  de  la  flamme? 

Le  brandon  du  soleil  nous  brûle  jusqu'à  1  âme, 

Et  ses  coursiers  fougueux,  de  fatigue  altérés, 

Boivent  l'onde  des  champs,  l'humidité  des  prés. 

La  fleur  touche,  en  tombant,  la  terre  calcinée, 

Des  ruisseaux  les  plus  vifs  la  course  est  enchaînée. 

Et  de  l'astre  brûlant  la  cruelle  cuisson 

En  son  humide  abri  va  griller  le  poisson. 

Où  se  cacher?  Ses  feux  embrasent  la  nature; 

On  implore  à  grands  cris  la  nuit  et  la  verdure; 

Mais,  à  peine  la  nuit  reparaît  à  son  tour, 

Que  son  voile  aussitôt  est  percé  par  le  jour. 

Avec  son  char  d'argent  humide  de  rosée, 

La  femme  de  Tithon,  en  faisant  sa  tournée. 

Des  larmes,  au  printemps,  rafraîchisssait  les  fleurs; 

Elle  fuit  aujourd'hui  sans  répandre  des  pleurs. 

Du  Dieu  de  l'univers  la  descente  trop  prompte 

La  surprend  tellement  que,  soit  dépit,  soit  honte. 


Sul  ser,  tont  que  se  pot,  lo  gobélo  liado 

£s,  dé  poou  de  mal  tems,  ea  pilos  orrengado. 

Mais  qu'es  oïço?  grond  Diou  !  crésé  que  plcou  dé  flamo; 

Lou  broudou  del  soulel  nous  coy  jusquos  o  lamo  ; 

Sous  fougousés  chobals,  dô  fotigo  oitërats, 

Bubou  l'humou  dés  comps,  pouiupou  lou  suc  dés  prats, 

Los  flours  penjou  lou  col  sus  lour  combo  sécado, 

Del  riou  lou  pus  hordit  lo  courso  es  orrestado; 

É  dé  l'astre  brûlent  l'insuppourtablo  ordou 

Dins  soun  humide  obric  bo  grilla  lou  pcyssou. 

Ouut  se  téaë?  Soua  lioc  oluco  lo  noturo. 

ObcQ  bel  dé  lo  nuech  imploura  lo  frescuro. 

Se  mostro  pas  puléou  quo  despochat  souu  lour; 

Soua  crespé  entré  porétré  es  perçât  pc.-r  lou  jour. 

Sus  souu  carriol  dOrgen  é  trempé  de  rousado, 

Lo  mouilho  dé  Titouu,  quoud  Ibsio  so  tournado, 

Dé  larnios,  ol  priutems,  orrousabo  los  flours; 

Huey  passo  coumo  un  lious  sons  répendré  de  plours. 

Del  lun  dé  Tunibers  l'orribado  trop  proumpto 

Lo  surprend  talomen  que,  sio  despiech,  sio  houato, 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  283 


Après  avoir  rouvert  les  barrières  du  jour, 

Elle  part  :  le  soleil  est  déjà  de  retour. 

A  peine  ses  rayons  des  rocs  dorent  la  cime, 

Que  le  feu  de  la  veille  à  l'instant  se  ranime; 

Alors,  on  ne  voit  plus  un  seul  oiseau  voler, 

Alors,  sous  les  rameaux,  ils  restent  sans  chanter. 

Heureux  qui,  dans  les  bois,  sur  un  tapis  de  mousse, 

Peut  alors  du  zéphir  humer  l'haleine  douce! 

Ou  qui  pour  amortir  cette  ardeur  dans  les  eaux, 

Se  plonge  tout  entier  dans  l'onde  des  ruisseaux. 

Cependant,  sur  l'argile  avec  force  battue, 

Aux  regards  du  soleil  la  gerbe  est  étendue. 

Le  bataillon  s'avance,  et  bientôt  les  fléaux, 

Retombant  en  cadence,  imitent  les  marteaux... 

{Les  Saisons,  etc.) 


Entré  oburé  onnounçat  lo  bcngudo  del  jour, 

S'estrèmo,  é  lou  soiilel  es  d'obord  dé  rétour. 

O  péno  sous  royouns  dés  puechs  daourou  lo  cirao, 

Que  lou  lioc  dé  lo  beillo  o  l'iastcnt  se  ronimo. 

Olaro  on  noun  bey  pus  ua  aussélou  boula  ; 

Cadun  joust  ua  fuillatgé  es  topit  sons  pioula. 

Huroux  que  dias  un  bosc,  sus  un  topis  de  mousso. 

Pot  aro  del  zéphir  huma  l'holéno  douço  ! 

Ou  que  per  omourti  lou  brosié  dé  l'estiou. 

Se  ploungeo  jusqu'ol  col  dins  lou  cristal  d'un  riou. 

Sus  un  sol  moslicat  d'orgilo  pla  bottudo. 

Os  regards  del  soulel  lo  garbo  es  estendudo, 

Lo  colcado  coumenço,  é  déjà  lous  flogels 

Del  fabré,  sus  l'enclumé,  imitou  lous  mortels... 


JACQUES   JASMIN 

(1798-1864) 


En  réalité  il  s'appelait  Jacques  Boé,  le  nom  de  Jasmin,  qu'on 
portait  dans  sa  famille  depuis  deux  générations,  n'étant  qu'un 
])seudonyrae.  Il  était  né  à  Agon,  le  6  mars  1798,  de  Jean  Boo, 
pauvre  et  jovial  tailleur  d'habits,  et  do  Catherine  Arrès,  son 
épouse.  Il  a  raconté  dans  un  petit  poème,  Mous  Sonbenis,  poènio 
en  très  panusos.  les  premiers  souvenirs  de  son  enfance  et  révélé 
en  termes  touchants  le  dénuement  des  siens.  On  le  fit  entrer 
gratuitement  à  l'école,  et  de  là  il  passa  quelque  temps  au  sémi» 
naire.  Ce  fut  toute  son  éducation.  Placé  comme  apprenti  coif- 
feur, il  s'établit  par  la  suite,  pour  son  propre  compte,  sur  la 
promenade  du  Gravier,  prés  la  porte  Saint-Antoine.  Il  avait 
épousé,  en  1818,  Anne  Barrore.  Sa  boutique  —  cette  boutique  où, 
pendant  plus  de  quarante  années,  dédièrent  des  célébrités 
venues  de  toutes  parts  pour  rendre  visite  au  poète-artisan  — 
existe  encore,  face  au  monument  que  lui  ont  dressé  ses  compa- 
triotes. Jasmin  débuta  par  des  vers  d'amour  et  des  impromptus 
folAtres.  En  1825,  il  publia  son  premier  poème  important,  J.c/ 
Charibari*,  et  le  lit  suivre  d'une  foule  do  chansons,  de  pièces  <i 
circonstance,  et  voire  même  d'odes  patriotiques.  Encouragé  p 
ses  concitoyens  et,  assure-t-on,  par  le  célèbre  auteur  de  La  I 
aux  Miettes,  Jasmiu  cessa  brusquement  de  composer  de  menus 
poèmes,  dont  le  caractère  no  pouvait  guère  dépasser  le  cercle 
restreint  de  sa  ville  natale,  écrivit  la  Caritat,  le  Très  de  mai/. 
le  Maréchal  Ldnos,  et  envoya  hardiment  son  prenùer  recueil  i 
Paris  (Las  Papillotas  de  Jasmin,  coiffur,  etc.,  1825-1835,  Agcii. 
imprimerie  de  Prosper  Noubel, janvier  1835,  in-S").  Le  petit  livr  • 
trembla  peut-être  de  toutes  ses  feuilles,  selon  l'expression  d' 
M.  Boyer  d'Agen,  lorsqu'il  se  présenta  humblement  devant  la 
critique,  mais  quelle  ne  fut  pas  la  surprise  de  l'envoyeur  quand 
il  reçut  en  retour  le  Temps  du  10  octobre  1835,  avec  celte  ré- 
ponse de  Nodier  : 

«  ...  Voilà  qu'il  surgit  un  poète  et  un  grand  poète,  qui  n'a  do 

i .  Il  avait  donné  peu  avant  celte  jolie  romance  devenue  poiiulairc. 
Me  cal  nwuri,  Agcn,  lilli.  Lapoyrc,  s.  d.  [18i-J,  in-12. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  285 

commun  avec  La  Bellaiidicro,  Goiidoiili,  d'Astros  et  tous  ses 
]irédécesseurs  que  le  chiirme  piquant  d'un  idiome  plein  de 
nombre  et  d'harmonie,  mais  qui  les  surpasse  de  toute  la  portée 
d'un  talent  inspiré;  un  Lamartine,  un  Victor  Hugo,  un  Bérau- 
ger  gascon.  Ce  poète-phénomène  est  un  barbier-coiireur  d'Agen, 
qui  ferait  aisément  la  barbe  à  quelques-uns  de  nos  lauréats  et 
qui  s'appelle  Jasmin.  Il  a  modestement  intitulé  son  livre  Les 
Papillotes,  à  l'imitation  de  maître  Adam  de  Xevors  qui  appelait 
le  sien  Les  CheviLLes  et  qui  était  aussi  un  homme  de  beaucoup 
d'esprit.  Mais  que  la  distance  est  grande  entre  maître  Adam, 
qui  n'avait  que  beaucoup  d'esprit,  et  Jasmin,  qui  a  du  génie! 
Qu'elle  est  grande  surtout  entre  Jasmin  et  maître  André,  le 
seul  perruquier-poète  dont  la  littérature  française  ait  conservé 
jusqu'ici  le  souvenir!  Ce  n'est  certainement  pas  à  Jasmin  que 
Voltaire  aurait  dit:  «  Faites  des  perruques!  »  Ou,  s'il  le  lui  avait 
dit,  le  malin  vieillard,  c'est  parce  que  son  âme  jalouse  avait 
encore  plus  de  propension  à  s'effrayer  d'une  supériorité  qu'à 
s'égayer  d'un  ridicule.  Quant  à  moi,  je  n'ai  aucune  raison  pour 
ne  pas  lui  adresser  cet  avis,  dans  toute  la  sincérité  de  mon 
cœur.  Faites  des  perruques.  Jasmin!  parce  que  c'est  un  métier 
honnête  que  de  faire  des  perruques,  et  une  distraction  frivole 
que  de  faire  des  vers.  Faites  des  perruques,  parce  que  le  tra- 
vail de  la  main  de  l'homme  est  le  seul  dont  Ihomme  ait  le  droit 
de  s'honorer,  le  seul  dont  il  puisse  goûter  le  fruit  sans  le  trou- 
ver amer.  Faites  des  perruques,  pour  fournir  aux  besoins  de 
votre  digne  famille...  Faites  des  perruques,  pour  entretenir  le 
cours  de  ce  pitchou  riu  tan  argcntat  que  la  réputation  de  votre 
fer  à  toupet  fait  couler  dans  votre  boutique.  Faites  des  vers  aussi 
cependant,  quand  votre  journée  est  pleine  et  qu'elle  a  gagné  son 
pain;  faites  des  vers,  puisque  votre  merveilleuse  organisation 
poétique  vous  a  donné  ce  talent  ou  imposé  cette  destinée;  fai- 
tes des  vers.  Et  Dieu  me  garde  que  vous  n'en  fassiez  plus,  moi 
qui  m'engagerais  volontiers  à  ne  plus  lire  que  les  vôtres...  » 

Dès  lors  ce  fut  la  gloire.  Célébré  par  les  maîtres  de  la  criti- 
que, Sainte-Beuve,  Léonce  de  Lavergne,  Mazade,  Armand  de 
Pontmartin,  par  Lamartine  lui-même,  reçu  aux  Tuileries  par 
le  roi  Louis-Philippe,  fêté  dans  les  salons,  pensionné  et  décoré, 
Jasmin  connut  tout  ce  que  la  fortune  littéraire  peut  prodiguer 
d'honneurs  enviables.  En  son  humble  logis  d'Agen,  qu'il  n'aban- 
donna jamais,  il  recueillit,  pendant  plus  d'un  quart  de  siècle, 
une  abondante  moisson  de  lauriers,  mais  il  n'oublia  pas  ses 
origines  modestes  et,  dans  ce  festin  de  la  renommée,  sut  pré- 
lever la  part  des  pauvres.  A  l'opposé  de  ces  histrions  qui  n'ex- 
ploitèrent jamais  la  commisération  publique  qu'à  leur  profit, 
Jasmin  répandit  généreusement  son  éloquence  méridionale  au 
bénéfice  de  la  grande  foule  anonyme  des  déshérités.  «  Les  an- 
ciens, a-t-on  dit,  parlaient  de  ces  harmonieuses  théories  que 


286  LES  POÈTES  DU  TEUROIR 

leurs  a("!des  pieux  rondiiis.TÎent  autour  des  villes,  Amphions  do 
la  flûte  relevant  des  murailles  de  pierre.  Que  diront  les  mo- 
dernes de  ces  inoubliables  pèlerinages  que  leur  dernier  trouba- 
dour pratiqua  sa  vie  durant  sur  toutes  les  routes  de  France 
où  il  y  avait  im  hospice  à  construire,  un  orphelinat  à  approvi- 
sionner, une  école  à  rebâtir...  Sur  toutes  les  diligences  ce  com- 
mis-voyageur de  la  cliarité  eut,  quarante  années  durant,  sa 
place,  et  quand  les  chemins  de  fer  commencèrent  à  fonctionner, 
il  ne  fallut  pas  moins  qu'cme  carte  de  circulation  permanente 
pour  suffire  à  ses  déplacements.  De  l'innombrable  correspon- 
dance que  Jasmin  entretint  avec  les  miséreux  on  a  extrait  le 
chilîre  énorme  de  1.500.000  francs  que  sa  lyre  et  son  aumôniéro 
amassèrent  pour  eux.  Le  poète  retenait  à  peine  là-dessus  ses 
frais  de  voyage  et  de  subsistance  ! 

Trois  mois  avant  sa  fin,  le  corps  brûlé  de  fièvre,  mais  l'es- 
prit étincelant  de  verve  et  de  bonhomie,  il  se  présentait  encore 
sur  le  théâtre  de  Villeneuve- sur-Lot  et  déchaînait  l'enthou- 
siasme. Ce  fut  sa  dernière  séance.  Il  s'éteignit  parmi  les  siens, 
au  fond  de  son  étroite  boutique  du  Gravier,  le  soir  du  5  octo- 
bre 1864,  laissant,  avec  le  souvenir  d'une  âme  spirituelle  et 
droite,  le  témoignage  d'une  inspiration  charmante  qui  avait  pris 
sa  source  dans  l'obscur  génie  du  peuple. 

Ses  œuvres  ont  eu  un  grand  nombre  d'éditions.  Nous  cite- 
rons, d'après  la  bibliographie  établie  par  M.  Boyer  d'Agen  : 

Las  Papillotas,  Agen,  Noubel,  janv.  183.5,  in-8"  (éd.  déjà  citée- 
p.  285);  il  existe  dos  exempl.  avec  la  trad.  française;  La  même, 
ibid..  1838,  in-8»;  La  même  (1825-18^3),  ibid.,  1843,  in-80;  La.^ 
Papillotns,  t.  II  (1835-1842),  ibid.,  1842  et  1858,  in-8<>;  Las  Papil- 
lotas, t.  III  (1843-1851),  ibid..  1851,  in-8°  ;  Las  Papillotas,  t.  IV 
(1852-1863),  ibid.,  1863,  in-8»  :  l.as  Papillotas,  Paris,  F.  Didol. 
1860,  ia-12  ;  Ims  Papillotas.  Œuvres  complètes  de  Jacques  Jasmin , 
avec  un  essai  d'orthographe  gasconne  d'après  les  langues  romane 
et  d'oc  et  collation  de  la  trad,  littérale,  par  Bayer  d'Agen,  Paris, 
"V.  Havard,  1889,  4  vol.  in-S»;  La  même,  édit,  popul.  Paris,  Gar- 
nier,  s.  d.,  2  vol.  in-18. 

Nous  ne  nous  ferons  pas  l'interprète  de  ceux  qui  lui  ont  sans 
cesse  reproché  d'avoir  appauvri  et  parfois  dénaturé  les  vertus 
de  la  langue  maternelle.  Jasmin,  ne  l'oublions  pas.  ne  fut  qu'un 
artisan  sans  culture,  doué  d'une  verve  intarissable  et  d'une 
réelle  faculté  d'improvisation.  Son  bagage  ne  soulVre  pas  davan- 
lago  l'appareil  imposant  de  la  critique  actuelle  que  son  idiome 
uo  supporte  le  contrôle  philologique.  C'est  un  enfant  du  terroir 
(jui  se  fait  entendre  do  ceux-là  mêmes  qu'il  a  dépeints.  On  m 
saurait  lui  reprocher  ce  qui  constitue  à  nos  yeux  son  propre 
mérite,  comme  l'on  ne  saurait  reprocher  au  jiatois  gascon  do 
n'être  jjoint  la  langue  des  chefs-d'œuvre.  Toute  confusion  vient 
d'une  mauvaise  interprétation  de  ses  vers,  car  il  ne  faut  pas 


GASCOGNE    ET    GLl'KNNE  287 

prendre  à  la  lettre  cette  critique  qu'on  lui  a  faite  de  penser  en 
français  et  d'écrire  en  dialecte.  Il  eut  des  détracteurs  nombreux. 

Mary-Lafon  écrivit  un  jour  :  «  Flatteur  universel,  sauf  à  brû- 
ler le  lendemain  ce  qu'il  avait  adoré  la  veille,  et  fice  i'crsa,  — 
comme  il  fit  avec  Louis-Philippe,  qu'il  insultait  grossieremen 
quand  il  était  républicain,  et  qu'il  adula  de  même  lorsqu'il  en 
reçut  une  montre,  —  Jasmin  fit  fumer  son  encens  gascon  sou 
le  nez  de  tous  ceux  qui  pouvaient  le  sentir.  Cette  pratique  lui 
réussit,  et  il  conquit,  à  force  de  courses,  de  dédicaces  et  de 
récitations  deçà,  delà,  cette  sorte  de  notoriété  qu'on  prend  par- 
fois pour  de  la  gloire...  » 

Nous  ne  citerions  guère  ces  phrases  outrageantes  pour  la 
mémoire  du  coiffeur  agenais  si  nous  n'étions  décidé  à  les  rele- 
ver. Jasmin,  ou  l'éprouve  à  connaître  sa  vie,  à  lire  son  o?uvre, 
eut  exactement  des  défauts  nés  de  l'excès  des  qualités  de  sa 
race.  Ce  que  l'on  a  pris  chez  lui  pour  de  la  flatterie  et  une  com- 
plaisance intéressée  ne  fut,  presque  toujours,  que  l'elTet  de  sou 
exubérance  gasconne.  Le  verbe  était  outr",  mais  le  fond  de 
l'homme  recelait  une  abondance  de  candeur,  de  naïveté  d'esprit 
qu'on  n'aurait  point  été  tenté  de  découvrir  chez  ce  génie  rude 
et  facétieux  à  la  fois.  Bien  qu'il  ne  se  satisfit  pas  des  éloges 
qu'on  lui  décerna  et  qu'il  provoquât  sans  cesse  l'enthousiasm»; 
vulgaire,  il  ne  perdit  rien  des  dons  que  lui  avait  départis  sa 
nature  lyrique  et  sentimentale  jusqu'à  la  «  religiosité  ».  Ame 
de  comédien  autant  qu'âme  de  poète,  chez  lui  l'interprète  servit 
trop  éloquemment  l'improvisateur,  mais  il  rendit  au  centuple 
à  la  foule  les  émotions  qu'elle  lui  avait  procurées.  Pour  nous 
son  influence  fut  salutaire,  et  nous  ne  nous  résignons  pas  a 
censurer  celui  qui,  avant  nos  poètes-simples,  écrivit  ces  lignes, 
tout  un  acte  de  foi  sincère  et  émouvant  : 

«  La  poésie  est  partout  :  d'un  côté,  on  la  trouve  dans  les 
choses  les  plus  ordinaires  de  la  vie,  au  foyer  du  travailleur,  au 
chevet  du  malade,  dans  une  noce  qui  passe,  et,  d'un  autre  côté, 
elle  s'élève  au  sommet  des  cieux.  Elle  foule  la  terre  et  ^lle 
touche  les  étoiles.  Elle  est  ordinaire  et  elle  est  sublime.  Elle 
est,  à  la  fois,  la  semaine  et  le  dimanche.  Elle  est  simple  et  fami- 
lière, comme  lundi,  mardi,  mercredi,  jeudi,  vendredi  et  samedi, 
et  solennelle  comme  Pâques  !...  Pour  moi,  j'ai  cherché  le  vrai, 
le  simple,  le  naturel,  le  fond  du  cœur;  et  c'est  par  là  que  j'ai 
fait  éclater  tant  de  rires  et  couler  tant  de  larmes,  même  dans 
les  pays  où  on  ne  comprenait  pas  le  gascon  et  où  j'étais  obligé 
de  me  traduire...  » 

Bibliographie.  —  Maxime  de  Montrond,  Jasmin,  Paris  et 
Lille,  1865,  in-8o.  —  L.  Rabain,  Jasmin,  sa  vie  et  ses  œuvres, 
Paris,  F.  Didot,  1867.  in-18.  —  J.  Aadr'ieii,  Bibliographie  de  l'A- 
gcnais,  1886-1887,  etc.  —  Paul  Mariélon,  Jasmin,  H'J8-i8(JU, 


288  LES  POÈTES  DU  TERROIR 


1 


Paris,  Flammarioa,  1898.  iQ-18,  —  Bover  d'Agon,  Préface  aux 
Œuvres  complètes  de  J.,  Bordeaux,  Bellier,  et  Paris,  V.  Havard, 
1889,  etc. 


MA   YIGXE    A   PAPILLOTE 

A  madame  Louis  WeiLl,  de  Paris. 

Jolie  dame,  c'est  vrai  :  le  mois  dernier,  je  signai  —  Un 
morceau  carré  —  De  papier  timbré  ;  —  Et  je  me  vis  aus- 
sitôt maître,  —  Non  pas,  comme  vous  l'avez  appris,  — 
D'une  métairie  à  six  têtes  avec  un  jardin  anglais,  — J 
Toute  couverte  d'épis  et  de  groupes  d'arbres;  —  Mais^ 
d'une  petite,  petite  vigne  —  Que  j'ai  baptisée  :  A  Pa- 
pillote! —  Où  pour  chambre  je  n'ai  qu'une  grotte,  — 
Où  les  ceps  se  compteraient  aisément.  —  D'un  bout  de^ 
haie  à  l'autre  bout  —  Sa  longueur  guère  ne  se  déploie; 
—  Cent  de  mes  pareilles  ne  feraient  pas  une  lieue,  — Six 
linceuls  la  couvriraient. 

Eh  bien  !  pourtant,  telle  qu'elle  est,  vingt  ans  je  l'ai 
rêvée.  —  Vous  riez.  Madame,  de  mon  bonheur? 


MA    BINHO    X    PAPILHOTO 

Poulido  damo,  es  bray  :  loii  mes  darrè,  sianèri 
Un  brigal  carrât 
De  pape  marcat; 

Et  taleù  mèstre  me  besquèri, 

Nou'n  pas,  roumo  lalxis  appres, 
IViino  bordo  à  siés  cats  danib'iiu  caxal  angles, 
Claùlido  de  cabels  et  de  randals  espes; 

Mais  d'une  pitchoiiuo  binhùto 

Qu'èy  bali/.Ado  :  A  Paimlhôto! 

Ou»,  per  crainbo  n'ey  qii'iino  grôto. 

Oini  Ions  bidots  se  couutayoD. 

D'un  bord  de  sègo  à  l'aùlro  sègo. 

Sa  loungou  gayrc  se  despU'îgo; 

Cent  atàl  fayon  pas  h»  légo, 

Siés  liurjols  la  capclayon. 

Eh-beî  ponrtan,  coumo  es,  bint  ans  l'ey  saùnojado. 
Rizès,  Madame,  al  boualuir  qu'èy? 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  289 

—  Vous  rirez  bien  davantage  quand  je  vous  dirai —  Que, 
depuis  que  je  l'ai  achetée,  —  Plus  riche  en  fruit  —  Je  n'en 
vois  aucune.  —  Neuf  cerisiers,  voilà  mon  bois;  —  Dix 
rangs  de  vigne  font  ma  promenade.  —  Des  pêchers,  ils 
sont  miens;  des  noisettes,  elles  sont  miennes;  —  J'ai 
deux  ormeaux;  j'ai  deux  fontaines.  —  Que  je  suis  riche! 

—  Ma  Muse  est  une  métayère.  —  Oh!  je  veux  vous  pein- 
dre, pendant  que  je  tiens  le  pinceau,  — Notre  pays  aimé 
du  ciel. 

Ici,  nous  faisons  tout  naître,  en  égratignant  la  terre. 

—  Qui  en  possède  un  lambeau  se  prélasse  chez  soi;  — 
Il  n'y  a  pas  de  petit  bien,  sous  notre  soleil. 

Vous  me  direz  bien  qu'à  Paris,  dans  la  serre  chaude, 

—  Deux  mois  avant  nous,  vous  faites  tout  mûrir.  — 
Qu'est  votre  fruit?  De  l'eau  claire  —  Qu'un  feu  savant 
fait  roussir.  —  Mais,  belle  dame,  ici,  vous  ne  vivriez  que 
de  fruits.  —  Vous  ôteriez  votre  gant  luisant;  —  Nous 
vous  verrions  à  chaque  minute  —  Détacher  de  la  branche 
une  belle  pèche  fondante, 


Rires  be  may  quan  bous  dirèy 

Que,  dezumpèy  que  l'éy  croumpado, 
May  frutado 
N'en  bezi  uàdo. 

Naù  guindoulés,  baqui  moun  bos; 

Déts  causes  fan  ma  permenado. 
De  presseguès,  sount  meus;  d'abelânos,  sountmios; 

D'ourmes,  n'ey  dus;  de  founs,  n'èy  dibs. 
Que  sùy  riche  !  Ma  Muzo  es  uno  fazendéro. 
Oh!  boli  bous  pintrà,  tandis  qu'èy  lou  pincèl, 

Nostre  pais  aymat  del  ciel. 
Aciù  fazèn  tout  nayche,  en  grai^pinhan  la  tèrro. 
Qui  ne  tend  soun  brigal  se  palayzo  chez  el  ; 
Nh'a  pas  de  pitchou  be,  debàt  nostre  sourel. 
Dires  be  qu'à  Paris,  dins  la  sèrro  caùdetto, 
Dus  mes  abàn  nous-aù,  fan  tout  amadurà. 

Qu'os  bostre  frut?  D'aygo  claretto 

Qu'un  fèt  saben  fay  roussejà. 
Mais,  bèlo  damo,  aciù,  nou  biùyàsque  de  frùto. 

Tirayàs  bostre  gant  luzen. 

Bous  beyàn  à  càdo  minuto, 
Destacà  de  la  brenco  un  bel  precét  founden, 

17 


290  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

—  Y  planter  votre  blanche  dent;  —  Comme  nous,  vous 
la  boiriez  presque  —  Sans  en  ôler  la  fine  peau;  —  Car. 
depuis  la  peau  jusqu'au  noyau,  —  Elle  fond  dans  la 
bouche...  C'est  du  miel! 

Madame,  dans  le  Nord,  vous  avez  de  grandes  choses, 

—  Des  églises,  des  palais  qui  montent  haut,  bien  haut, 

—  Et  le  travail  de  l'homme  est  plus  beau  chez  vous  au- 
tres. —  Mais  venez  faire  quatre  ou  cinq  pauses  —  Sur 
les  bords  de  la  Garonne,  aux  beaux  jours  dété;  —  Vous 
verrez  que  le  travail  de  Dieu  —  Nulle  part  n'est  beau 
comme  ici.  —  Nous  avons  des  rocs  vêtus  en  velours, 
qui  verdoient;  —  Des  plaines,  toujours  dorées;  —  Des 
vallées,  où  nous  buvons  un  air  sain  :  —  Et,  quand  nous 
nous  promenons,  partout  nous  foulons  des  fleurs. 

La  campagne  de  Paris  a  bien  fleurs  et  pelouse;  —  Mais 
elle  est  trop  grande  dame,  elle  est  triste,  dormeuse.  — 
Ici,  mille  maisonnettes  rient  au  bord  d'un  ruisseau;  — 
Notre  ciel  est  riant,  tout  s'amuse,  tout  vit.  —  Depuis  le 
mois  de  mai,  quand  le  beau  temps  s'équilibre, 


Y  plautà  bostro  blauco  deu; 
Coumo  nous-aù,  lou  beùyàs  presque 
Sans  n'en  tira  la  fino  pèl; 
Car,  dumpéy  la  pèl  dinqu'al  clèsque, 
Found  dins  la  boùco...  Acos  de  mèl  ! 

Madame,  dins  lou  Nord  acos  de  grandes  caùzos. 
De  glèyzes,  de  palays,  que  meunton  liaù,  bien  haù, 
Et  lou  trabal  de  l'home  es  may  bel  chez,  beus-aù. 

Mais  benès  fà  quatre  ou  cinq  paùzos 
Sus  bors  de  la  Garèno,  as  bès  jours  de  l'estiù; 

Beyres  que  lou  trabal  de  Diù 

Enlet  n'es  tan  bel,  coumo  aciù. 
Abèn  de  rocs  bestits  en  belour,  que  lierdejon; 

De  planes,  que  toutjour  daùrejon  : 
De  coumbos,  oua  bebéa  un  ayre  sanitous: 
Et,  quan  nous  passejan,  pertout  traùlhan  de  flous. 

La  carapanho,  à  Paris,  a  be  flous  et  peloiizo: 
Mais  es  trop  grande  dame,  es  triste,  reumilheuze. 
Aci,  milo  oustalets  rizon,  al  bor  d'un  riii. 
Nostre  ciel  es  rizen,  tout  s'amuze,  tout  biîi; 
Dumpèy  lou  mes  de  mây,  quan  lou  bel  tenip  s'alinde. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  291 

—  Pendant  six  mois  dnns  l'air  une  musique  résonne.  —  A 
mille  rossi^-nols  cent  pûtres  font  coiieurrence;  —  Et  tous 
chantent  l'Amour,  l'Amour  qui  est  toujours  neuf.  —  Vo- 
tre Grand-Opéra,  surpris,  ferait  silence  —  Quand  lejour 
delà  nuit  déchire  le  rideau  —  Et  que,  sous  un  ciel  qui 
s'allume  aussitôt,  —  Ecouté  du  hon  Dieu,  notre  concert 
commence.  — Quels  refrains  !  Quelle  voix!  Tenez,  ils  s'v 
font,  aujourd'hui;  —  L'un  chante  sur  le  coteau,  et  lautre 
dans  le  guéret. 

«  Ces  montagnes,  —  Qui  sont  si  hautes,  —  M'empé- 
<;hent  de  voir  —  Où  sont  mes  amours.  —  Baissez-vous, 
montagnes,  —  Plaines,  haussez-vous,  —  Pour  que  je 
puisse  voir  —  Où  sont  mes  amours,  » 

Et  mille  voix,  aussitôt  résonnant  dans  les  airs,  vont, 
à  travers  les  rideaux  bleus,  —  Faire  sourire  les  anges 
là-haut. —  La  terre  embaume  les  chanteurs.  —  Les  ros- 
signols, sur  l'arbre  en  fleur,  —  Chantent  plus  fort,  à  qui 
mieux  mieux.  —  C'est  juste,  et  personne  ne  bat  la  mesure. 


Penden  siès  mes  Uins  l'iiyre  iiuo  muzico  tindo. 
A  mile  roiissiahols  ceut  pnstous  fao  rainpeù; 
Et  touts  canton  l'Amou,  r.A.mou  qu'es  toutjour  ncù. 
liostrc  (iran-Opera,  surpres,  favo  sileiiço 
Quan  lou  jour  de  la  néy  osquisso  loii  riduù 
Et  quo,  debàt  un  ciel  que  s'alùco  taleù. 
Escoutat  del  boun  Diù,  nostre  councèr  coumcnço. 
Quas  refrins!  Quinos  bîies  !  Tene!  s'y  fan,  anôy; 
Un  canto  pe  la  côsto,  et  l'autre  pel  barèy  : 
«  Aquelos  mountanhos'  Baycha-bous,  mou«tanhos, 

Que  tan  hautes  sount,  Plàuos.  haùssa-bous, 

M'empatchon  de  beyre  Per  que  posqui  bevre 

Mas  amous  oun  sount.  Oun  sount  mas  anious!  » 

Et  milo  bues,  atàl  brounzinan  dins  lous  ayres, 
Ban  à  trabés  lous  rideùs  blus, 
I"à  rire  lous  anges  lassùs. 
La  terro  embaùmo  lous  cantayres. 
Lous  roussinhols  su  l'aùre  en  flou, 
Canton  màv  fort,  à  qui  inilhou. 
Tout  bay  juste,  et  pourtan  digun  bat  la  mezuro. 

i.  Couplet  populaire  d'une  chanson  attribuée  à  Gaston  Pliébus. 


292  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

—  Et  pour  tout  entendre,  tant  que  le  concert  dure,  —  Ma 
vigne  est  un  siège  d'honneur;  —  Car  je  plane,  du  coteau 
où  ma  grotte  s'élève,  —  Sur  le  paradis  d'Agen,  la  vallée 
de  Vérone. 

Que  je  suis  bien,  dans  ma  vigne!  Oh!  je  n'y  vais  jamais 
assez.  —  Pour  clic,  je  me  suis  fait  poète-vigneron;  — 
Je  délaisse  même  les  chansonnettes.  —  Je  ne  rêve  qu'é- 
chalas,  que  pampres,  que  treilles,  —  Sur  le  chemin  je 
trouve  de  petites  pierres,  —  Je  les  porte  dans  ma  vigne 
et  j'en  fais  des  tas,  —  J'y  aurai  une  maisonnette  et  des 
tonnelles  fraîches.  —  Chaque  ami  à  son  tour  y  sera 
fêté  ;  —  Et,  quand  viendront  les  vendanges,  mon  cellier 
sera  fermé  :  —  Avec  tous  mes  amis,  sans  paniers,  sans 
corbeilles,  —  Nous  aurons  d'avance  tout  vendangé. 

Oh!  ma  jeune  vigne,  —  Le  soleil  te  l'cgarde  chaleureu- 
sement. —  Porte-moi  de  tout,  —  Aussi,  quand  il  bruine, 

—  N'en  perds  aucune  goutte.  —  Mon  feu  s'assoupit.  — 
Ma  Muse  se  fatigue;  —  Mes  amis,  demain,  —  Pourraient 
m'échapper  :  —  Mois  toi,  jeune  amie,  —  Vigne  au  fruit 
savoureux,  —  Avec  ta  fleur-figue, 

Etper  entendre  tout,  tant  que  lou  councer  dure. 
Ma  biuho  es  un  siéti  d'aunou; 

Car  plàni,  de  sul  tap  oun  naa  grôto  s'entrouno, 

Sul  paradis  d'Agen,  la  coumbo  do  lîerouno. 

Que  sùy  bien,  dins  ma  binho  !  Oh  !  n'y  baù  jamày  prou. 

Per  elo,  mo  siiy  fèyt  poùto  binhayroti. 
Daychi  mémo  las  cansounettos. 

Nou  rébi  que  paychols,  que  flàjos,  que  bidots. 
Pol  cami  trôbi  des  pcyretos, 

Las  porti  dins  ma  binho  et  n'en  faù  do  pilots. 

Y'aùrùy  un  oustaict  et  do  tounolos  frcscos. 

Càdo  auiit,  à  soun  tour,  y  sarà  fostejat; 

Et,  quau  brenlios  bondràn,  moun  ciiay  sarà  barrât  : 

Dambu  touts  mous  amits,  sans  panùs  et  sans  doscos, 
.\ùren  d'abanço  tout  brcnhat. 
Oh  !  ma  jiiyno  binho.  Ma  Mu/.o  fatigo  ; 

Lou  sourcl  te  guinho.  Mous  amits,  douma, 

Porto-mc  de  tout.  Pùyon  m'<!scfipa; 

Tabe,  quan  plebinlio.  Mais  tu,  jùvno  auii^ro, 

N'en  perdes  nat  ;'lout.  Hinlio  al  fnil  goustous, 

Mouu  fèt  s'amatigo,  Dambo  ta  iluu-ligo. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE 


293 


—  Et  tes  bons  raisins,  —  Attache-les-moi!  —  Récolte 
abondante  —  Ainsi  tu  me  vaudras.  —  Pour  l'âme  aimante, 

—  Récolte  ne  vaut  pas  —  Serrements  de  mains. 

Et  tout  pousse,  tout  croît.  Et   seul  je  n'y  suis  guère 

—  A  l'heure  où  je  n'ai  personne,  mes  souvenirs  fidèles 

—  Me  font  compagnie,  et  les  plus  vieux  —  Se  rajeunis- 
sent pour  me  plaire.  —  Aujourd'hui  une  nuée  m'en  est 
venue. 

Je  vois  la  prairie  où  je  sautillais;  —  Je  vois  la  petite 
île  où  je  broussaillais,  —  Où  j'ai  pleuré,  où  j'ai  ri. 

Je  vois  plus  loin  le  bois  feuillu  —  Où  près  de  la  fon- 
taine je  me  faisais  rêveur,  — Depuis  que  l'on  m'avait  dit 
qu'un  fameux  écrivain  —  Avait  doré  le  front  d'Agen,  — 
En  faisant  retentir  ses  vers,  dans  l'air,  —  Au  bruit  de 
cette  onde  d'argent. 

Mais  je  veux  dire  tout.  Devant,  à  gauche,  à  droite,  — 
Je  vois  plus  d'une  haie  épaisse,  que  j'ai  trouée; 


Et  tous  durançous  Per  l'àmo  amislouzo, 

Estaco-me  loiisl  llecolto  bal  pas 

Récolte  aboundouzo  Sarromens  de  màs. 

Atàl  me  baldràs. 

Et  tout  pousso,  tout  croy.  Et  soulet  n'y  sùy  gayre 
A  l'houro  oun  n'èy  digun,  mous  soubenis  fidèls 

Me  fan  coumpanho,  et  lous  may  biéls 

Se  refan  jùynes  per  me  playre. 

Anèy  un  fun  m'en  es  bengut. 

Bezi  la  pràdo  oua  saùticàbi; 

Bezi  l'ilhot  oua  broucalhàbi, 

Oun  èy  pleurât,  oun  éy  rigut. 

Bezi  mày  lèn  lou  bosc  fèlhut 
Oun,  proche  de  la  feun,  me  fazioy  saùnejayre, 
Dumiîèy  que  m'abion  dit  qu'un  famus  escribeu  ' 

Abio  daùrat  lou  froua  d'Agen, 

Eu  fan  seunà  sous  bèrs,  dins  l'ayre, 

Al  brut  d'aquelo  aygo  d'argen. 
Mais  boli  dire  tout.  Dabàn,  à  gaucho,  à  drelo, 
Bezi  mày  d'uno  sègo  espesso^  qu'èy  traùcat; 

1.  Scalisrer. 


294  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

—  Plus  dun  pommier,  que  j'ai  ébranché  :  —  Plus  d'une 
vieille  treille  où  l'on  ma  fait  la  courte  échelle  —  Pour 
atteindre  le  fin  muscat. 

Madame!  vous  le  voyez,  vers  mon  passé  je  retourne,  — 
Sans  que  mon  front  en  ait  rougi.  —  Que  voulez-vous! 
Ce  que  j'ai  dérobé  je  le  rends,  —  Et  je  le  l'ends  avec 
usure.  —  A  ma  vigne,  je  n'ai  pas  de  porte;  —  Deux 
ronces  en  barrent  le  seuil.  —  Lorsque  par  une  trouée, 
je  vois  le  nez  des  maraudeurs,  —  Au  lieu  de  m'armer 
d'une  gaule,  —  Je  m'en  retourne,  je  m'en  vais,  pour 
qu'ils  puissent  y  revenir.  —  Celui  qui  jeune  vola,  vieux 
se  laisse  voler. 

[Les  Papillotes,  etc.,  traduction 
de  Boycr  d'Agcn.) 
(Août  18iÔ.) 


Mày  d'un  poumè,  qu'ey  dcbrencat; 
Jlày  d'une  bièlho  trelho  oun  m'an  fèyt  esquiueto 

Per  attengo  lou  fx  muscat. 
Madame!  zou  bezès,  à  moun  passât  m'ontorni. 

Sans  que  moun  froun  n'atge  rougit. 

Que  Ijoulès?  V.o  qu'ey  près  zou  forni, 

Et  zou  torni  dambe  prou û t. 

A  ma  binho,  n'èy  pas  de  porto; 

Dios  roiimèls  n'en  barron  lou  pas. 
Quan  des  piconreyurs.  pes  traùs.  bezi  lou  uas, 

Aùlot  de  m'arma  d'uuo  endorto, 
Me  rebiri,  m'en  baù,  per  qu'y  posquen  tourna. 
Lou  qui  jùyne  panèt,  bièl  se  dayclio  paua. 

{Las  Papilhôtos,  éd.  populaire,  t.  I"'.) 
(Agoùs  18'é5.) 


THEOPHILE   GAUTIER 

(1811-1872) 


Oa  connaît  sa  vie.  Xé  à  Tarbes  (Hautcs-Pyronées)  1(^  ^1  aoiU 
1811  ',  il  vint  à  Paris  dès  son  jeune  Age,  lit  ses  études  au  lycée 
Louis-Ie-Grand,  puis  au  lycée  Charlemagnc.  et  se  passionna  dos 
premiers,  avec  son  camarade  Gérard  Lahrunie,  —  Gérard  de 
Nerval,  —  pour  les  audaces  de  la  nouvelle  école.  A  ses  débuts, 
il  voulut  être  peintre  et  fréquenta  l'atelier  de  Pioult.  La  mêlée 
romantique  l'emporta,  et  le  goût  des  poètes  de  la  Plèiado,  récem- 
ment vulgarisés  par  Sainte-lîeuve,  détermina  sa  vocation.  Il 
fut  de  toutes  les  batailles,  et  lorsqu'il  mourut  à  Neuilly-sur- 
Seine,.  le  22  octobre  1872,  laissant  un  bagage  considérable,  on 
put  dire  qti'il  avait  été  le  plus  caractéristique  représentant  des 
lettres   françaises  pendant  cjuarante  années. 

Le  romantisme  niilitrant  l'avait  singularisé.  Il  y  apporta  sa 
fougue  éloquente  et  celte  exubérance  méridionale  qu'on  re- 
trouve dans  les  moindres  manifestations  de  son  temps.  Ses 
faits  et  gestes  sont  devenus  légendaires,  et  son  costume  même 
lui  valut,  il  faut  bien  le  dire,  une  part  de  sa  notoriété.  On  ne 
trouvera  pas  ici  la  liste  de  ses  ouvrages  :  ils  sont  trop  et  n'ont 
d'ailleurs  qu'un  rapport  assez  lointain  avec  l'objet  du  présent 
livre.  Nous  nous  contenterons  d'énumérer  brièvement  ses  re- 
cueils de  poèmes.  On  en  connaît  six-  :  Poésies,  Paris,  Rignoux, 

1.  «  Ouoiqup,  sauf  le  temps  des  voyages,  j'aie  passé  toute  ma  vie 
à  Paris,  —  a-t-il  écrit,  —  j'ai  gardé  un  l'ond  méridional.  Mon  pÎTC,  du 
leste,  était  né  dans  le  Comtat  Venaissin,  el,  malgré  une  excellente 
éducation,  on  pouvait  reconnaître  à  son  accent  l'ancien  sujet  du  pape. 
On  doule  i)arfoisde  la  mémoire  des  enfanls.  La  mienne  était  Lelle,  et 
la  contiguration  des  lieuv  s'y  était  si  bien  gravée,  qu'après  plus  de  qua- 
rante ans  j'ai  pu  reconnaitre.  dans  la  rue  qui  mène  au  Mercadieu,  la 
maison  où  je  naquis.  Le  souvenir  des  silhouettes  de  montagnes 
bleues  qu'on  découvre  au  bout  de  cliaquc  ruelle  et  des  ruisseaux 
d'eaux  courantes  qui,  parmi  les  verdures,  sillonnent  la  ville  en  tous 
sens,  ne  m'est  jamais  sorti  de  la  Icte  et  m'a  souvent  attendri  aux 
heures  songeuses...  >>  [Autobiof/rapliie,  1873.) 

2.  Nous  n'avons  pas  cru  devoir  faire  figurer  ici  ce  petit  livre  rare  : 
Poésies  de  Th.  Gautier  qui  ne  fu/ureront  pas  dans  ses  œuvres,  pré- 
cédées d'une  autobiof/rapliie  et  ornées  d'un  portrait  singulier. 
France,  Imprimerie  particulière,  1873,  in-18.  C'est  un  recueil  libre. 


296  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

1830,  in-S»;  Albcrtus.  etc.,  Paris,  Paulin,  1833,  in-12;  La  Co- 
médie de  la  Mort,  Paris,  Desessart,  1838,  in-12  ;  Poésies  com- 
plètes, Paris,  Charpentier,  1845,  in-18;  Emaux  et  Camées,  Paris, 
Didier,  1852;  ibid.,  Poulet-Malassis,  1859,  et  Charpentier,  1884, 
in-12;  Poésies  nouvelles,  Paris,  Charpentier,  1863,  ia-12.  Les 
Poésies  complètes  de  Théophile  Gautier  ont  été  réunies  pour  la 
première  fois  et  publiées  en  1863,  par  le  même  Charpentier. 
Elles  forment  deux  volumes  in-18,  et  contiennent,  avec  une 
suite  de  vers  savoureux  et  pittoresques,  écrits  par  l'auteur  à 
son  retour  d'Espagne,  quelques  rares  poèmes  célébrant  les 
sites  pyrénéens  et  le  pays  de  Bigorre. 

Bibliographie.  —  Sainte-Beuve,  Portraits  contemporains, 
éd.  définitive,  II,  p.  203;  Premiers  Lundis,  II,  p.  339;  Nouveaux 
Lundis.  I,  290.  —  Ch,  Baudelaire,  Thcoph.  Gautier,  Paris,  Poulet- 
Malassis,  1859,  in-8».  —  Autobiographie,  publiée  en  tète  des  i'oc- 
sies  de  T.  G.  qui  ne  figureront  pas  dans  ses  œuvres,  etc.,  1873, 
in-S». —  Ch.  Asselineau,  Bibliogr.  romantique,  Paris,  Rouquette, 
1875,  in -8».  —  Th.  de  Banville,  Petites  Etudes  et  Mes  Souvenirs. 
Paris,  Charpentier,  1882,  2  vol.  in-18.  —  Maurice  Tourneux,  Th. 
Gautier^,  sa  bibliogr.,  Paris,  Baur,  1876,  iu-l8.  —  E.  Borgerat, 
Th.  Gautier,  Entretiens  et  .Souvenirs,  Paris,  Charpentier,  1879, 
in-18.  —  Maxime  Ducamp,  Th.  Gautier,  Paris,  Hachette,  1898, 
in-18.—  H.  Pote/.,  Th.  Gautier,  Paris,  Colin,  1903,  iu-18.  —  Sp.  do 
Lovenjoul ,  Bibliographie  et  littérature,  Paris,  Daragon,  190:^, 
in-18.  —  Judith  Gautier,  Le  Collier  des  Jours,  Paris,  Juven,  1902, 
in-18.  —  Hugo  P.  Thieme,  Guide  bibliogr.  de  la  littér.  fran- 
çaise de  1800  à  1006,  Paris,  Welter,  1907,  in-18,  etc. 


LE    PIX   DES    LANDES 

On  ne  voit,  en  passant  par  les  Landes  désertes, 
Vrai  Sahara  français,  poudré  de  sable  blanc, 
Surgir  de  l'herbe  sèche  et  des  flaques  d'eaux  vertes 
D'autre  arbre  que  le  pin  avec  sa  plaie  au  flanc; 

Car,  pour  lui  dérober  ses  larmes  de  résine, 
L'honune,  avare  bourreau  de  la  création, 
Qui  ne  vit  qu'aux  dépens  de  ceux  qu'il  assassine, 
Dans  son  tronc  douloureux  ouvre  un  large  sillon! 

Sans  regretter  son  sang  qui  coule  goutte  à  goutte, 
Le  pin  verse  son  baume  et  sa  sève  qui  bout, 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  297 

Et  se  tient  toujours  droit  sur  le  bord  de  la  route, 
Comme  un  soldat  blessé  qui  veut  mourir  debout. 

Le  poète  est  ainsi  dans  les  Landes  du  monde: 
Lorsqu'il  est  sans  blessure,  il  garde  son  trésor. 
Il  faut  qu'il  ait  au  cœur  une  entaille  profonde 
Pour  épancher  ses  vers,  divines  larmes  d'or. 


A    LA   BIDASSOA 

A  la  Bidassoa,  près  d'entrer  en  Espagne, 
Je  descendis,  voulant  regarder  la  campagne, 
Et  l'ile  des  Faisans,  et  l'étrange  horizon, 
Pendant  qu'on  nous  timbrait  d'un  nouvel  écusson. 
Et  je  vis,  en  errant  à  travers  le  village. 
Un  homme  qui  mettait  des  balles  hors  d'usage. 
Avec  un  gros  marteau,  sur  un  quartier  de  grès, 
Pour  en  faire  du  plomb  et  le  revendre  après. 
Car  la  guerre  a  versé  sur  ces  terres  fatales 
De  son  urne  d'airain  une  grêle  de  balles. 
Une  grêle  de  mort  qne  nul  soleil  ne  fond. 
Hélas!  ce  que  Dieu  fait,  les  hommes  le  défont! 
Sur  un  sol  qui  n'attend  qu'une  bonne  semaille 
De  leurs  sanglantes  mains  ils  sèment  la  mitraille 
Aussi  les  laboureurs  vendent,  au  lieu  de  blé. 
Des  boulets  recueillis  dans  leur  champ  constellé. 
Mais  du  ciel  épuré  descend  la  Paix  sereine, 
Qui  répand  de  sa  corne  une  meilleure  graine, 
Fait  taire  les  canons  à  ses  pieds  accroupis, 
Et  presse  sur  son  cœur  une  gerbe  d'épis. 

{Poésies  complètes.) 


ISIDORE    SALLES 

(1821-1900) 


Isidore  Salles  naquit  en  1821  à  Sainte-Marie-de-Gosse  (Lan- 
des). D'abord  commis  cliez  Emile  Détrovat,  banquier  à  Bayonne, 
puis  journaliste  à  Pau,  secrétaire  d'Achille  Fould  (1846-1848), 
sous-préfet  de  Dax  (1848),  préfet  à  Troyes  et  à  Colinar.  il  devint 
directeur  de  la  presse  au  ministère  de  rintérieur.  Après  la 
chute  de  l'Empire,  quittant  les  fonctions  publiques,  il  fut  nommé 
successivement  administrateur  et  président  de  la  ISanquc  des 
Pays-Bas.  Il  mourut  chez  sa  fille,  la  comtesse  Benedetti,  en 
octobre  1900.  Isidore  Salles,  qui  compte  parmi  les  meilleurs 
poètes  gascons  du  xix«  siècle,  a  laissé  trois  recueils  de  vers  pa- 
tois :  Debis  gascouns.  Adoti,  (iabc,  JSibe  (Débits  gascons,  etc.). 
Paris,  imprim.  Louis  Hugonis,  1885,  gr.  in-8"  :  Biarncs  et  Cas- 
coiin,  Ilcnric  IV  et  liincens  de  J'aiile,  1008  (Béarnais  et  Gascon, 
Henri  IV  et  Vincent  de  Paul),  Lagny,  impr.  Colin,  1892.  gr.  10-8"; 
fJascoimhe,  Le  Brabe  yent  de  Noste,  Nabets  Debis  (préface  de  V. 
Lespy) ,  Paris,  Maisonneuvc,  1893,  gr.  iu-8".  On  lui  doit  eu  outre 
un  livre  satirique  qui  fit  grand  bruit  en  son  temps  :  Histoire 
naturelle,  drolatique  et  pliilosophique  des  professeurs  du  Jardin 
des  Plantes,  par  Isidore  S.,  de  Ciosse,  Paris.  184  0,  in-12. 

BinMonnAPiiiK.  —  L.  Couture,  /.  Salles,  Bévue  de  Gascogne, 
XXVn,  j).  4(il.  —  Paul  Mariéton.  L'Evolution  fclibrèenne.  Les 
l'élibres  aquitain  s, Wevna  Félibréenne,juill.-sept.  189;{.  —  Lalou- 
rotte,  /.  Salles,  Indépendant  des  Pyrénées  (Pau),  10  novembre 
1900,  —  Jean  Rameau,  /.  Salles,  Beclam  do  Biarn,  1902,  p.  132. 


GASCOGNE    r.T    GUYF.NM.  299 


LE    FIGUIER 


Suspendue  à  la  mamelle  du  passé,  —  En  Gosse  à  la 
porte,  on  entrant,  —  Toute  maison,  grande  ou  petite,  — 
A  son  figuier,  petit  ou  grand. 

A  sa  vertu  chacun  se  fie  :  —  Gens  de  tout  rang,  de 
tout  métier,  — Aussitôt  la  maison  bâtie,  —  Aussitôt  le 
figuier  planté. 

D'heure  en  heure  à  la  pierre  blanche  —  Monte  l'ombre 
du  compagnon,  —  Et  bientôt  la  pierre  et  la  branche  — 
S'embrassent  au  bord  du  pignon. 

Si  Dieu  donne  grappe  à  la  vigne,  —  Maïs  au  champ, 
lait  au  pis,  — •  Des  voisins  l'envie  épie  :  —  «  De  belle» 
figues  au  figuier!  » 

Même  vieux,  quand  la  tige  ploie,  —  On  commettrait 
péché  mortel 


LOU    HIGUE' 

Dou  bielh  tems  peniide  à  le  tite. 
Eu  Gosse,  à  le  porte,  en  eiitraii, 
Toute  niavsoim,  grane  ou  petite, 
Qu'a  souu  liigiié.  petit  ou  gran. 
A  sou'  bertiit  cadun  ques'hide  : 
Yen  de  tout  ren,  de  tout  estât. 
Alita  leii  le  maysoun  bastide, 
Auta  leii  lou  higué  plautat. 
D'ore  en  ore  à  le  peyre  blanque. 
Puye  l'oumpre  dou  coumpagnoun 
E  bet  leii,  le  peyre  e  le  branque 
Qu'es  baysea  aii  bord  dou  piguoun. 
Si  Diil  balhe  gaspe  à  le  bigne, 
ladoun  ail  cam,  leyt  aii  bragué, 
Dous  besius  l'erabeye  que  higne  : 
«  Beres  higues  qu'a  lou  higué!  » 
Même  bielh  e  quen  lou  cap  plègue, 
Que  herem  un  pecat  mourtaii 


1.  Traducliou  de  Bcaurcpaire-Fromcnl. 


300  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

—  De  porter  la  haclie  ou  la  scie  —  Sur  l'ange  gardien  de 
la  maison.) 

Honte  à  l'homme  dont  on  peut  dire  :  —  k  Sans  pitié 
pour  le  père  nourricier,  —  Au  lieu  de  vendre  sa  che- 
mise, —  Il  laissa  vendre  son  figuier!  « 

Quand  la  maie  heure  est  la  plus  forte,  —  Que  le  sol 
tremble  sous  nos  pas,  —  Détachons  les  gonds  de  la 
porte,  —  Mais  au  figuier  ne  touchons  pas! 

Le  cœur  aussi  porte  des  figues,  —  Et,  Dieu  aidant,  heu- 
reux ou  non,  —  Jamais  le  sort  n'y  déracine  —  Le  figuier 
qui  s'appelle  :  Honneur! 

[Débits  Gascons). 


De  poiirta  le  hapche  ou  le  sègue. 
Sus  l'anyou  gardien  de  roustaii  ! 
Hounte  à  romi  de  quis' pot  dise  : 
«  Chens  pitat  dou  pay  nailrigué, 
Aii  loc  do  bène  la  camise, 
Qu'a  lâchât  bène  lou  higué!  » 
Qu'en  le  malore  es  le  mé  horte, 
Que  lou  80  broun  deban  lous  pas, 
Destacam  lous  gouns  de  le  porto. 
Mes  au  higué  ne  toquiin  pas  ! 
Lou  co  tabey  que  porte  higue, 
E  Diil  aydan,  urous  ou  nou, 
Yamcs  lou  sort  n'y  desarrigue 
Lou  higué  qui  s'apèro  :  ailnoii  ! 

(Dcbis  Cascouns.) 


JEAN    CASTELA 

(1827-1907) 


A  la  fois  meunier  et  poète  populaire,  Jean  Castela  naquit  à 
Albefeuille-Lapfarde  (Tarn-et-Garonne)  en  1827  et  mourut  à  Pi- 
quecos,près  Montauban.le  19  mars  1907.  Il  a  fait  paraître  suc- 
cessivement :  Mous  Farinais,  ponesios  patoubsos  per  J.  Castela, 
mouliniè  de  Scii  Peijre  (Mes  farines,  etc.,  par  J.  Castela,  meunier 
de  Saint-Pierre),  Montauban,  irapr.  Forestié  neveu,  1850  et  1873', 
in-18;  Mous  Cinqiianto  Ans...  sieguit  d'un  autre  pugnat  de  Fari- 
nais, etc.  (Mes  Cinquante  Ans...  suivis  d'un  autre  poignée  de  fari- 
nes), ibid.,  1878,  iu-18;  Cent  Fablos  i/nitados  de  La  Fount'eno 
anib'un  pessuc  de  Farinais,  etc.  (Cent  Fables  imitées  de  la  Fon- 
taine, etc.),  jrountalba,  Bousquet,  1891,  in-18.  Castela  avait  été 
proclamé  majorai  du  Félibrige  en  1881.  Ses  œuvres  posthumes 
(Resta  de  Farinais,  etc.)  ont  paru  chez  Forestié  à  Montauban,  en 
1908  (1  vol.  in-8»). 

Bibliographie.  —  Ed.  Forestié,  Notice  publiée  en  tète  des 
OEuvres  posthumes  de  J.  Castela. 


SEBASTIEN 
ballade' 

Enfants,  il  n'est  pas  tard  encore,  —  Revenez  un^peu 
vous  asseoir;  —  Le  temps  est  doux,  la  nuit  est  claire  ;  — 

S AB ASTI  AN 

BALL ADO 

Al  felibre  Mistral. 
Maynatges,  n'es  pas  tard  encaro, 
Tournas  un  bri  bous  assiéta, 
Lou  tems  es  dous,  la  nèch  es  claro... 

1.  Traduction  d'Antonin  Perbosc. 


302 


LES    POETES    DU    TERROIR 


Enfants,  il  n'est  pas  tard  encore,  —  J'ai  autre  chose  à 
vous  conter. 

Sébastien  aimait  Marthe,  —Et  Marthe  pour  Sébastien 
—  Aurait  tout  fait,  tendre  fillette!  —  Sébastien  aimait 
Marthe  —  Tant  qu'il  pouvait,  le  pauvre  garçon! 

Ils  n  avaient  jamais, /jecatVe/ —  Suivi  que  le  bon  che- 
min; —  Autant  la  jeune  fille  que  l'amoureux,  —  Ils  n'a- 
vaient jamais,  pecaire!  —  Su  ce  que  c'est  que  le  mal. 

Et  leurs  amours  pures,  —  Telle  l'eau  sortant  du  l'o- 
cher  —  Et  baignant  les  fleurs  de  la  prairie,  —  Et  leurs 
amours  pures  —  Etaient  comme  un  berceau  d'argent. 

Aussitôt  les  semailles  faites,  —  A  la  Saint- Martin,  sans 
tarder  davantage,  —  Les  bans  étant  tirés,  —  Aussitôt 
les  semailles  faites,  —  Ils  devaient  se  marier. 

Mais  ce  bonheur  qu'ils  poursuivaient  —  Était  une 
anguille  dans  leurs  mains... 

Maynatgcs,  u'es  pas  tard  encaro, 
E  quicon-may  à  bons  cou u ta  : 
Sabastian  aymabo  Maltreto; 
Et  Maltreto  per  Sabastiaa 
Aoiirio  tout  fach,  tendre  filloto  ! 
Sabastiaa  aymabo  Maltreto 
Tant  que  pondio,  Ion  paoure  of.m  ! 
Elis  n'abiona  jamay,  pecayre! 
Siegnit  qno  lou  boua  carrelai; 
Tiint  la  (illo  qno  Ion  fringayre, 
Elis  n'abionn  jamay,  pccayro  ! 
Sacbnt  qn't'S  aco  qno  Ion  mal. 
Et  lonrs  amours  pas  treboulados, 
Talo  l'aygo  del  roc  sourten 
Quand  bagno  las  (Ions  do  las  prados, 
Et  lonrs  amours  jias  trubonlados 
Se  fasiouu  coumo  un  brus  d'argeu. 
Taléon  las  cnrbisons  passados, 
A  Sent-Marti,  sans  may  tarda, 
Las  anounços  csten  tirados, 
Tiilèon  las  curbisous  passados, 
Elis  dibionn  so  marida. 
Mes  aqnci  bounhur  qu'acoussaboun 
Ero  uuu  unguilo  dius  lours  mas... 


i 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  303 

' —  Ces  beaux  jours  qu'ils  attendaient,  —  Comme  le  bon- 
heur qu'ils  poursuivaient,  —  0  ciel!  ils  ne  devaient  pas 
le  voir. 

Un  jouvent  jaloux,  un  vaurien,  —  Capable  de  tout 
faire,  Lucien,  —  S'était  juré  depuis  peu,  —  Un  jouvent 
jaloux,  un  vaurien,  —  De  faire  périr  Sébastien. 

Il  savait  qu'au  fond  de  la  prée,  —  Entre  deux  rocs 
surplombants  —  Où  la  rivière  était  resserrée,  —  Il  savait 
qu'au  fond  de  la  prée  —  Un  aune  servait  de  pont. 

A  deux  ormeaux  attachée,  —  Etait  une  branchette  de 
saule  —  De  temps  en  temps  renouvelée  —  Qui,  à  deux 
ormeaux  attachée,  —  Guidait  la  main  du  passant. 

Quand  il  allait  voir  Marthe,  —  La  nuit,  pour  ne  pas 
faire  un  grand  détour,  —  Sans  crainte,  sur  cette  passe- 
relle, —  Quand  il  allait  voir  Marthe, —  Sébastien  passait, 
au  retour. 


Aques  bèlis  jonns  qii'esperaboiin. 

Ce  unie  lou  l)ounhur  qu'acoussaboiiu, 

Dibioun,  ô  Cèl!  lou  beyre  pas. 

Un  droullat  jalons,  un  bal-gayre. 

Capable  de  tout  fa,  Lucian, 

S'èro  jurât  despèy  nagayre, 

Un  droullat  jalons,  un  bal-gayre. 

Que  fayo  péri  Sabastian. 

El  sabio  qu'ai  founs  de  la  prado. 

Entre  dons  rocs  coupats  d'aploun, 

Oun  la  ribièro  ère  sarrado, 

El  sabio  quai  founs  de  la  prado. 

Un  bèrgne  serbissio  de  poun. 

A  dous  ourmenats  estacado, 

Ero  uno  barreto  d'alba 

De  tems  en  tems  renoubélado, 

Quà  dous  ourmenats  estacado, 

Del  passan  guidabo  la  ma. 

Quand  anabo  beyre  Maltreto, 

La  nèch,  per  fa  pas  un  grandeur. 

Sans  poou,  sus  aquelo  planqueto. 

Quand  anabo  beyre  Maltreto, 

Sabastian  passabo,  al  retour. 


304  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Et  Lucien,  bouillant  de  haine,  —  Voyez  comme  il  tira 
parti  —  D'une  cii-constance  telle,  —  Et  Lucien,  bouillant 
de  haine,  —  Possédé  de  l'esprit  mauvais, 

Un  soir,  s'étant  mis  à  Vespère,  —  Profitant  d'une  obs- 
cure nuit,  —  Aycc  une  légère  scie,  — Un  soir,  s'étant  mis 
ù  Vespère,  —  Scia  le  bois  jusqu'à  moitié. 

Deux  heures  après,  le  galant,  —  Oh!  plaignons  ce 
triste  sort  —  Auquel  il  ne  s'attendait  pas,  hélas  !  —  Deux 
heures  après,  le  galant  —  Dans  l'eau  trouvait  la  mort. 

Le  jour  où  on  l'accompagna  à  la  tombe,  —  Ce  malheu- 
reux Sébastien,  —  Tous  ses  voisins  le  pleurèrent;  —  Le 
jour  où  on  l'accompagna  ù  la  tombe,  —  Un  seul  ne  le 
pleura  pas  :  Lucien. 

L'année  suivante,  Marthe,  —  Qui  à  vue  d'œil  dépéris- 
sait, —  Et  ne  se  plaisait  que  seulette,  —  L'année  sui- 
vante, Marthe  —  De  langueur  s'éteignait. 

Et  Lucian,  buUicn  de  bengenço. 
Pensas  coussi  tiret  partit 
Dune  pareille  circoiistenço, 
Et  Lucian,  btillicn  de  bengenço, 
Poussedat  del  maychant  esprit, 
Uq  se,  s'éstea  mes  à  l'cspèro, 
Prouliten  d'une  escuro  m-cli, 
Amb'uuo  ressègo  laeugéro, 
Un  se,  s'ésten  mes  à  l'espèro, 
Coiipct  lou  beuès  dinqiiios  à  méch... 
Deuos  heures  aprcp.  leu  fringayrc, 
—  Oh  !  planjcn  aquel  triste  sort 
Alqual  s'atendio  pas,  pccavre! 
Doues  houros  aprùp,  lou  f'ringjiyre  — 
Dins  l'ayge  troubabo  la  mort, 
Lou  joua  qu'ai  clôt  l'aceumpagnérouu, 
Aquel  malhurous  iSabastian  ! 
Toutis  sous  bosis  lou  plouroroun: 
Lou  joua  qu'ai  clôt  raceumpagnfroun, 
Un  soid  lou  plourét  pas  :  Lucian. 
L'annado  d'abonen,  Mallrelo, 
Qu'as  éls  bosens  deperissio 
Et  nou  se  plasio  que  soulclo, 
L'annado  d'abeiieo,  Maltrcto 
De  languino  s'cscaatissio. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  305 

Quant  à  Lucien,  un  jour  d'orage,  —  De  vent,  de  pluie, 
de  neige,  —  Un  soir  qu'il  revenait  d'un  voyage,  —  Quant 
à  Lucien,  un  jour  d'orage,  —  Il  voulut,  pour  arriver 
plus  tôt, 

Passer  aussi  sur  la  passerelle;  —  Mais,  la  peur  le  dé- 
vorant, —  Tant  il  s'appuya  sur  la  branchette  —  Qu'il 
tomba  de  la  passerelle  —  Et  se  précipita  la  tète  la  pre- 
mière dans  le  courant. 

Depuis,  quand  à  la  passerelle  ils  viennent,  —  Les 
voisins,  avant  de  passer,  —  Du  double  malbeur  se  sou- 
viennent; —  Depuis,  quand  à  la  passerelle  ils  viennent, 
—  Ils  ne  manquent  pas  de  se  signer... 

Enfants,  il  n'est  pas  tard  encore,  —  Tranquilles  vous 
pouvez  vous  en  retourner;  —  Le  temps  est  doux,  la  nuit 
est  claire;  —  Enfants,  il  n'est  pas  tard  encore,  —  Je  n'ai 
plus  rien  à  vous  conter. 

{Mes  Cinquante  Ans,  etc.) 


Quant  à  Lucian,  un  jeun  d'aouratge, 
Jouu  do  ben,  de  plèjo,  de  néon, 
Un  se  que  benio  d'un  bouyatge, 
Quant  à  Lucian,  un  jeun  d'aouratge, 
Boulguèt,  per  arriba  pu  lèou. 
Passa  tabe  su  la  planqueto  ; 
Mes  la  poou  lou  debouliguen. 
Tant  s'apuyèt  su  la  barreto 
Que  toumbel  do  su  la  planqueto 
Et  capusset  dins  lou  courren. 
Despèy,  quand  à  la  planco  benoun, 
Lous  besis,  aban  de  passa, 
Del  double  malhur  se  soubenoun, 
Despèy,  quand  à  la  planco  benoun, 
Nou  manquoun  pas  de  se  segna. .. 
Maynatges,  n'es  pas  tard  encaro. 
Tranquilles  poudez  bou'n  tourna: 
Lou  tems  es  dous,  la  nèch  es  claro; 
Maynatges,  n'es  pas  tard  encaro. 
Et  —  né  re  plus  à  bous  counta. 

(Mous  Cinquanto  Ans,  p.  63.) 


CAMILLE   DELTHIL 

(183'f-1902) 


Camille  Delthil  naquit  à  Moissac  (Tarn-et-Garonno)  le  30  juin 
1834.  Il  appartenait  à  une  vieille  famille  bourgeoise.  Ses  études 
lerminées,  il  vint  à  Paris,  incertain  de  la  carrière  qu'il  allait 
suivre.  C'était  au  moment  où  Baudelaire  venait  de  ressusciter 
le  symbole,  où  Lccoutc  de  Lisle  publiait  ses  poèmes  impassi- 
bles. Delthil  fréquenta  pou  le  cénacle  parnassien;  il  se  lia  avec 
Léon  Cladel,  son  compatriote,  et  fit  paraître  ses  premiers  vers 
d'inspiration  sentimentale,  Les  Caprices  (Paris.  Taride,  186Ô. 
in-12).Ildonnaensuito/'/-«me.ç(Paris,Poupart-Dav\l,  1866.in-12). 
poème  de  sept  à  huit  cents  vers,  dont  le  sujet  et  la  langue  évo- 
quent la  manière  de  l'auteur  de  Uolla,  et  les  l'o'emes  parisiens. 
Rappelé  en  province,  aux  derniers  jours  de  l'Empire,  il  se  maria 
et  fut  nommé  par  la  République  naissante  sous-préfet  à  Cas- 
telsarrasin.  Camille  Delthil  garda  ces  fonctions  juscju'au  24  mai. 
laissant  le  souvenir  d'un  homme  nccucillant  et  sincèrement 
attaché  au  régime  qui  venait  de  le  distinguer.  Fixé  par  la  suite 
à  Moissac,  dans  une  vieille  maison  familiale  «  bâlie  entre  cour 
et  verger  »,  il  consacra  les  loisirs  que  lui  laissèrent  le  journa- 
lisme local  et  une  vie  politique  active,  à  l'entretien  de  ses  goûts 
littéraires.  Alors  qu'il  dépensait  daus  un  petit  Journal,  La  Feuille 
villagenisc,  son  ardeur  de  polémiste,  il  pu]>liait  volume  sur  vo- 
lume, réalisant  ainsi  le  meilleur  de  son  inspiration.  Un  miner 
recueil.  Les  lliistiques  (Paris,  Lc^merre,  1875,  in-12),  le  class.i 
parmi  les  bons  poètes  du  clocher.  Les  volumes  (\\ù  suivirent 
ne  firent  qu'étendre  une  réputation  qui  déjà  s'aflranciiisFait  du 
cercle  provincial.  Kn  quelques  années  il  <ionna  Les  Martyrs  de 
l'Idéal,  poème  inspiré  i)ar  le  souvenir  de  Delesclu/.o  (Paris,  Le- 
mcrre,  1881,  in-12):  Les  Lambrnsqurs  (ibid.,  188'j.  in-12);  Les 
Tentations  (ibid.,  iu-12);  d(;ux  ro'luans  de  nucurs  locales,  Liicilt 
Chabaneau  et  Les  Deux  llnf/ins,  et  lit  rcprésenliM-  sur  la  8cèn<- 
de  sa  ville  natale  une  aimable  petite  |)ièee.  Il  projetait  de  com- 
pléter Les  Htistiqiies  et  d'en  faire  une  édition  nouvelle,  lorsqu"- 
ses  compatriotes,  désireux  d'honorer  ses  vertus  civiques,  l'en- 
voyèrent siéger  au  Sénat  (1902).  Il  ob<fit  à  leurs  v<l'ux,  mais  à 
peine  arrivé  à  Paris,  selon  l'expression  d'un  de  ses  admirateurs. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  307 

le  vieil  arbre  déraciné  se  courba.  Exemple  glorieux  et  touchant. 
ce  bon  républicain  s'éteignit  le  jour  du  quatorze  juillet  !  Il  n'a- 
vait été  sénateur  que  vingt-deux  jours. 

Camille  Dellliil  a  laissé  des  manuscrits,  parmi  lesquels  un 
poème  sur  les  cloches  que  son  fils  publiera. 


PAYSAGE 

Sur  les  flancs  d'un  coteau  riant  et  pittoresque, 

Au  fond  du  vieux  Quercy,  se  dresse  gigantesque 

Un  antique  manoir  par  le  temps  respecté. 

Les  tours  ont  conservé  leur  sombre  majesté, 

Et  jamais  du  maçon  la  truelle  brutale 

Ne  racla  de  ses  murs  la  mousse  féodale. 

Au  loin,  l'on  aperçoit  le  miroir  transparent 

D'un  fleuve  au  sinueux  et  rapide  courant. 

De  sombres  peupliers,  bataillons  immobiles, 

Gardent  depuis  cent  ans  ses  bords  frais  et  tranquilles, 

Exhalant  au  printemps  l'odeur  des  fenaisons. 

Dans  un  coin  du  tableau,  quelques  blanches  maisons 

Semblent  escalader  la  côte;  un  presbytère 

Sous  les  treillis  en  fleur  se  cache  avec  mystère. 

Parfois  le  cri  d'appel  des  robustes  meuniers. 

Les  grelots  des  mulets,  le  chant  des  mariniers, 

Font  retentir  récho  muet  de  ces  rivages, 

Et  mugir  les  grands  bœufs  au  fond  des  pâturages, 

{Framès.) 

MOULIN    A   VENT 

CoifFé  de  son  bonnet  pointu, 
Déployant  sa  longue  envergure, 
Le  vieux  moulin,  comme  un  augure, 
Demande  au  ciel  :  Quel  temps  fais-tu.' 

Et  le  meunier,  blanc  de  farine, 
Tantôt  sifflant,  tantôt  rêvant, 
Semble  toujours  flairer  le  vent 
Du  bout  de  sa  large  narine. 


L 


308  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Le  vent  souffle,  il  s'est  levé  tard; 
Tourne,  moulin,  de  tes  bruits  d'ailes 
Kffarouchant  les  hirondelles 
Qui  s'assemblent  pour  le  départ... 

Tourne,  tourne,  voici  la  bise... 
Et  de  loin,  le  regard  surpris 
Voit  l'énorme  chauve-souris 
Tournoyer  dans  la  brume  grise. 

[Les  Rustiques.) 

LES    SONNAILLES 

Par  les  soirs  fastueux  des  automnes  mourantes. 
Quand  le  long  des  sentiers  étroits  je  vais  rêvant, 
J'ai  plaisir  d'écouter,  apporté  par  le  vent. 
Le  doux  tin-tin  des  clochettes  chantantes. 

Elles  sonnent  au  cou  des  bœufs  graves  et  lourds 
Qui,  le  travail  fini,  reviennent  aux  étables. 
Et  leurs  clairettes  voix  se  mêlent,  agréables, 
Aux  raucités  des  mugissements  sourds. 

Et  c'est  un  charme  très  pénétrant  que  d'entendre. 
Dans  la  pâle  clarté  qui  doucement  s'éteint, 
Les  sonnailles  de  cuivre  au  carillon  lointain 
Qui  fait  rêver  de  quelque  idylle  tendre. 

Mais  aux  champs  de  l'azur,  d'une  invisible  main 
La  nuit  en  cheminant  sème  l'or  des  étoiles; 
L'horizon  a  couvert  son  front  de  légers  voiles 
Tissés  de  pourpre  et  pailletés  d'or  fin. 

Elle  se  tait,  la  cloche  à  la  note  menue; 
Le  silence  a  levé  son  doigt  mystérieux, 
Et  la  lune  apparaît  lentement  dans  les  cieux  : 
Un  petit  cri  de  grillon  la  salue. 


ABBE   JUSTIN   BESSOU 

(18i5) 


Voici  un  poète  simple  dont  l'œuvre  a  eu  un  juste  retentisse- 
ment, car  elle  traduit  la  vie  quotidienne  d'uue  population  atta- 
chée à  ses  mœurs,  à  ses  coutumes  et  sensible  à  la  beauté  du 
terroir.  Sa  vie  tient  en  quelques  lignes,  «  Je  suis  issu,  nous  a-t-il 
dit,  à  Méjalanou  (commune  de  Saiut-Salvadou,  arrondissement 
de  Villefranche-d'Aveyron),  le  30  octobre  1845,  d'une  famille  de 
paysans  dont  un  ancêtre,  mon  bisaïeul,  avait  été  avocat  de  cam- 
pagne et  qu'on  appelait  pour  cela  «  aboucat  de  farieiros  »  (avo- 
cat de  fougères).  J'ai  commencé  à  faire  des  chansons  patoises, 
sans  rime  ni  raison,  à  làge  de  treize  ans.  Le  curé  de  ma  pa- 
roisse natale  me  donna  les  premières  leçons  de  latin  et  m'en- 
voya au  petit  séminaire  de  Saint-Pierre,  en  classe  de  seconde. 
Après  un  court  séjour  au  séminaire  de  la  rue  des  Postes,  à  Pa- 
ris (Missions  étrangères),  j'ai  aclievé  mes  études  au  grand  sé- 
minaire de  Rodez.  Ordonné  prêtre  en  1871,  et  placé  comme  mis- 
sionnaire diocésain  à  Saiut-AlTrique,  j'ai  été  par  la  suite  vicaire 
à  Saint-Geniez-d'Olt  et  à  Marcillac,  curé  de  Lebous,  prés  Ré- 
quista,  et  pendant  vingt  et  une  années  curé  de  Saint-Andrë- 
de-Najac,  arrondissement  de  Villefranche,  Je  vis  retiré  à  Ro- 
dez, en  qualité  de  chanoine  honoraire,  depuis  le  mois  de  janvier 
1907.  » 

On  doit  à  M.  l'abbé  Bessou  plusieurs  volumes  de  vers  et  de 
prose  français  et  languedociens  :  D'Al  brès  a  la  tounibo[ùu. 
berceau  à  la  tombe),  Rodez,  Carrère,  1893  et  1899,  in-12;  Lyre 
et  Guitare,  ibid.,  1898,  in-18;  Bagateletos  (Bagatelles^,  vers  en 
parler  du  Rouergue  (Rodez,  Carrère,  1902,  in-18);  Countes  de  La 
tata  Maniiou  (Contes  de  la  tante  Mannou)  (Rodez,  Carrère,  1902, 
in-18).  Ajoutons  à  cette  courte  liste  une  plaquette  de  début. 
Merles  et  Fauvettes  (1874),  que  l'auteur  publia  lorsqu'il  était 
vicaire  à  Saint-Geniez,  mais  qu'il  se  garda  de  réimprimer,  eu 
raison  de  l'animosité  soulevée  dans  une  certaine  classe  bour- 
geoise par  le  côté  épigrammatique  de  ce  petit  recueil.  La  poé- 
sie de  M.  l'abbé  Justin  Bessou,  qui  atteint  son  ampleur  d'ex- 
pression dans  ce  curieux  ouvrage  If  AL  brès  à  la  toumbo  (Du 
berceau  à  la  tombe),  sorte  de  roman  lyrique  divisé  en  douze 


310  LES    POÈTES    DU    TEKliOIR 

chants,  témoigne  d'une  gr;"ice  chnmpètre  où  la  sincérité  s'ac- 
commode d'un  certain  penchant  h  la  finesse,  voire  même  à  la 
raillerie,  propre  à  tout  bon  Rouergat.  C'est  un  bucolique,  a-t-on 
dit,  mais  un  bucolique  d'humeur  joyeuse... 

M.  l'abbé  Bessou  a  collaboré  au  Journal  de  l'Aveyron  (Voy. 
Besucarietos,  Dcbineralos,  Besprados  de  l'oiinclc  PolUo,  etc.). 

Bibliographie.  —  Gaston  Jourdanne,  Histoire  du  Félibrige, 
Avignon,  Roumauille.  1897,  in-18.  —  F.  Mistral,  Dou  bres  à  la 
Toumbo,  L'Aioli,  7  mars  1892.  —  Emile  Pouvillon,  Countes  de 
la  Tata  Maniiou,  La  Dépêche  (Toulouse),  7  avril  1892.  —  Paul 
Mariéton.  L'Evolution  fclibrccnne,  t.  VIII.  1892,  et  XI,  1895.  — 
Edm.  Lefévre,  L'Année  fclibréenne,  l^r  suppl.,  Marseille,  Ruât, 
1904,  in-8o,  etc. 


LES    FAUCHEURS 

Les  faucheurs,  lù-bas,  entament  la  prairie.  —  Ils  sont 
trois,  renommés  dans  toute  la  contrée,  —  Trois  solides 
de  poigne  et  bien  noués  des  épaules,  —  Qui  enfoncent 
leurs  bras  profondément  dans  l'horbe  et  couchent  des 
andains  —  D'une  canne  de  large.  Regardez-les  :  en  ca- 
dence, —  Le  corps,  légèrement  plié,  tout  entier  se  ba- 
lance —  Sur  les  jambes;  les  pieds  glissent  doucement. 

—  Elles  bras,  qui  rament  l'air  en  un  mouvement  de  va- 
et-vient,  —  Lancent  de  tout  leur  élan  la  faux  bruissante 

—  Qui  rase  au  ras  du  sol  l'herbe  craquante. 


i 


LOUS    DALHAIRES 

PATOIS    ROUEnOAT 

Lous  dalhaires,  abal.  entemonou  la  prado. 
Lai  sou  très  rcnoummnts  dins  loulo  la  countrado, 
Très  soulidcs  de  pounho  et  pla  nougats  des  rens, 
Qu'abrassou  ploun  dins  l'herbo  et  dabalou  do  rcncs 
D'uno  cano  de  larg.  l'intns-lous  :  en  cudanso 
Lou  corps  un  pau  plegat  tout-cscas  se  balauso 
Sus  las  cambos:  lous  pès  lisorou  de  nouncu, 
El  lous  brasses  que  ramou  l'aire,  bai-et-l)en, 
Lansou  de  tout  lour  ban  la  dalhe  brounjissenco 
Que  raso  à  ras  de  trous  la  pasturo  crouissenco, 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  311 

—  Et  tous  trois  ainsi,  d'un  mouvement  mesuré,  —  Fau- 
chent du  haut  au  bas  une  grande  étendue  de  pré.  —  Mais 
il  faut  tenir  constamment  les  faux  aiguisées  :  —  Les  fau- 
cheurs sur  les  andains  s'arrêtent  de  temps  en  temps  : 
Passim-passam-passini,  ais^uise  tant  que  tu  pourras,  — 
Passam-passini-passam ,  coupe  fin,  coupe  ras.  —  De  la 
Planque  au  Maset,  dans  les  prés  du  voisinage,  —  Sur  les 
faux  les  pierres  à  aiguiser  font  retentir  ce  langage. 

{Du  Berceau  à  la  Tombe,  chant  VIII.) 


Et  toutes  très  aital,  d'un  branle  mesurât. 
Kufou  da  cirao  à  founs  un  cspandi  de  prat. 
Mes  cal  tene  soubcu  las  dallies  asugados  : 
Lous  dalliaires  sus  rencs  s'arreslou  dabegados  : 
l'asim-pasain-pasirn,  asugo,  asugaras, 
Pasani-pasini-pasam,  coupo-fi,  conpo-ras. 
Da  la  Plauco  al  Masct,  pes  prats  ilol  besinage, 
Sus  las  dalhes  las  couls  foù  linda  aqucl  lengage. 

{irAl  Brcs  à  la  Touinbo,  can  VIII.) 


CHARLES   DE   POMAIROLS 

(1843) 


Nous  avons  connu  le  poète-artisan,  puis  le  «  fonctionnaire 
de  l'idéal  »  ;  voici  maintenant  le  chantre  de  la  «  propriété  ru- 
rale ».  Nous  n'inventons  rien.  M.  Charles  de  Pomairols  reven- 
dique volontiers  ce  titre.  Il  naquit  le  22  janvier  1843  à  Yillc- 
franche-de-Rouergue  (Aveyron).  D'une  vieille  noblesse  de  robe, 
il  compte  parmi  ses  ancêtres  des  juges  au  Présidial  du  Roucr- 
gue  et  des  soldats.  Fidèle  à  la  terre  natale,  il  a  passé  presque 
entièrement  sa  vie  dans  son  domaine  patrimonial  de  «  la  Pèzo  », 
sis  près  de  Villefranche.  Un  court  séjour  en  Allemagne,  aux 
Universités  de  Berlin  et  de  Gœttinguc,  en  1867,  lui  a  donné  le 
goût  de  la  poésie  et  du  romantisme  allemand,  sans  lui  faire 
méconnaître  cependant  les  ressources  do  notre  littérature.  En 
1889,  il  a  donné  ce  livre,  Lamartine,  Etudes  de  morale  et  d'csthc' 
tique  (Paris,  Hachette,  in-18),  où  il  a  tenté  d'exprimer  sa  propre 
évolution  lyrique.  M.  Charles  de  Pomairols,  à  qui  l'on  doit  plu- 
sieurs recueils  :  La  Vie  meilleure  (Paris,  Lemerre,  1879,  in-18); 
Rêves  et  Pensées  (ibid.,  1881,  in-18)  ;  La  Nature  et  l'Ame  (ibid., 
1887,  in-18);  Regards  intimes  (ibid.,  1895.  in-18)  et  Pour  l'enfant 
(Paris,  Pion,  1904,  in-S»),  est,  semble-t-il,  un  de  ces  gentilshom- 
mes lettrés  qui  font  des  vers  comme  le  marquis  de  Marnésia  et 
le  sieur  de  La  Louptiore  en  savaient  faire  au  xvm»  siècle,  pour 
exprimer  des  sentiments  directs  et  peupler  d'aimables  images 
leur  solitude  campagnarde.  Il  a  décrit  la  nature  en  maître  inquiet 
et  jaloux  ;  mais  là  où  d^iutrcs  n'eussent  apporté  qu'une  modeste 
énumération,  il  a  dressé  un  copieux  et  touchant  inventaire  do 
ses  biens.  L'habitude  qu'il  prit  de  célébrer  sans  cesse  ce  qui  lui 
est  propre  a  beaucoup  nui  à  cet  esprit  distiugué,  jusqu'à  faire 
oublier  parfois  que  le  poète  a  souffert  et  pleuré  sa  douleur.  On 
a  voulu  expliquer  autrement  une  telle  manière  de  sentir,  mais 
nous  no  sommes  point  dupe  de  la  politesse  du  critique  à  qui 
l'on  doit  ces  lignes  :  «  A  force  do  considérer  la  structure  pro- 
fonde de  sa  terre,  lo  poète  des  Regards  intimes  a  senti  ses  jiro- 
pros  regards  se  détacher  de  lui  et  lui  revenir  aussitôt  comme 
des  regards  étrangers.  Les  choses  d'alentour  lui  semblent  main- 
tenant tenir  fixés  sur  lui  des  yeux  tendres,  profonds,  dont  les 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  313 

rayons  descendent  aux  entrailles  de  sa  pensée.  Ces  choses  appa- 
raissent pensantes  et  sentantes.  Et  leurs  pensées  régnent  sur 
lui.  Elles  disposent  de  tout  le  plan  de  sa  vie...  «  (Charles  Maur- 
ras.  Revue  encyclopédique,  !<"•  juin  1895.)  M.  Charles  de  Pomai- 
rols  ne  serait-il  pas,  simplement,  obsédé  par  un  amour  immo- 
déré du  terroir?... 

M.  Charles  de  Pomairols  est  candidat  à  l'Académie  française. 

BiBLiOGRAPriiE.  —  Paul  Bourget,  Œuvres  compl.,  Sociologie  et 
Littéral.,  Paris,  Pion,  1906,  in-8».  —  Fr.  Coppée,  Trois  Poètes, 
Correspondant,  25  oct.  1904.  —  Ed.  Schuré,  Psychologie  de  l'a- 
mour paternel,  La  Revue,  l»""  oct.  1904.  —  Izoulet,  Un  Poète  du 
Sol  et  du  Foyer,  Figaro,  5  juillet  1905. 


TON    PAYS 

Cette  contrée  intime  et  claire  qui  s'enferme 
Dans  un  proche  horizon  dont  l'œil  saisit  le  ternie, 
Ces  aspects  familiers,  ces  pentes  de  coteau 
Venant  avec  lenteur  des  sommets  du  plateau, 
Ce  sol  de  fin  rocher  qui  s'élève  et  se  ci-euse 
Dans  les  souples  contours  d'une  forme  onduleuse, 
Où  tant  et  tant  de  fois  se  sont  complu  mes  yeux. 
C'est  le  pays  aimé  que  jadis  nos  aïeux 
Ont  marqué  d'un  renom  qui  n'est  pas  éphémère. 
Le  pays  de  ton  père  et  celui  de  ta  mère. 
Le  pays  où  ton  cœur  tenait  par  un  doux  lien. 
Ce  devait  être  aussi,  c'était  déjà  le  tien. 
Sachant  si  bien  parler  l'humble  langue  locale 
Où  sonnait  le  doux  son  de  ta  voix  musicale, 
Les  usages,  les  mots,  dont  tu  faisais  un  jeu. 
Donnaient  à  ton  esprit  leur  saveur  peu  à  peu. 
Tu  devais  lentement,  dans  la  joie  et  la  peine, 
A  ton  tour  vivre  là  toute  une  vie  humaine, 
Et  dans  le  lot  des  jours  prendre  ta  juste  part 
En  mêlant  à  ces  lieux  ton  âme  et  ton  regard. 
N'est-ce  pas  pour  fleurir  et  garder  cette  place 
Qu'un  espoir  enchanté  te  donnait  à  ma  race 
Comme  une  pure  fleur  de  ce  calme  horizon? 
Et  voilà  qu'au  matin  de  ta  fraîche  saison, 
Sur  le  sol  paternel  à  peine  étais-tu  née, 

18 


314  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Un  orage  subit  t'en  a  déracinée  ! 

Tu  connaissais  déjà  la  grâce  de  ces  lieux  : 

Puisque  tu  les  aimais,  ils  semblaient  à  tes  yeux 

Les  plus  beaux  que  l'on  pût  contempler  sur  la  terre. 

Et  tu  les  as  quittés  pour  l'exil  solitaire, 

Bien  avant  que  leur  charme  eût  assouvi  ton  cœurl... 

Jadis  il  arrivait  qu'un  féroce  vainqueur, 

Surprenant  au  réveil  un  peuple  plein  de  joie. 

Dérobait  de  ses  mains  comme  une  douce  proie 

Des  enfants  éplorés  que  le  gouffre  des  eaux 

Emportait  dans  la  fuite  horrible  des  vaisseaux  : 

Ainsi  quand  tu  jouais  sur  la  rive  natale. 

Soudain  mettant  sur  toi  sa  dure  main  fatale, 

Fermant  au  jour  aimé  tes  yeux  évanouis, 

Un  ravisseur  cruel  t'a  prise  à  ton  pays, 

Aux  lieux  où  la  tendresse  abritait  ton  enfance, 

Pour  t  emporter  au  loin,  si  loin!  et  sans  défense, 

Dans  l'obscure  terreur  du  désert  inconnu, 

Où  je  ne  saurai  pas  ce  qui  t'est  advenu! 

[Pour  l'enfant.) 


FRANÇOIS   FABIE 


Issu  d'un  pèro  bûcheron  et  d'une  mère  paysanne,  M.  Fran- 
çois Fabié  est  né  le  3  novembre  18'iG  à  Durt-nquo  (Avoyron). 
Ses  origines,  ses  goûts,  ne  semblaient  pas  tout  dabord  le  pré- 
destiner à  une  autre  carrière  que  celle  de  ses  ancêtres.  Pour- 
tant il  fit  ses  études,  entra  dans  l'enseignement,  devint  pro-t 
fessenr  au  lycée  Charlemagne,  puis  directeur  de  l'école  Colbert- 
Retraité,  M.  François  Fabié  est  depuis  peu  retourné  au  pays  na- 
tal pour  finir  au  milieu  des  choses  et  des  gens  qu'il  a  décrits  sa 
double  existence  de  laborieux  et  de  rêveur.  On  a  délini  son  art 
un  peu  fruste  et  dénué  de  grâce,  mais  naturel  à  lexcès;  jamais 
on  n'a  peint  mieux  Ihomnie,  le  peintre  des  champs  et  de  la 
forêt  qu'en  ces  brèves  lignes  de  François  Coppée  :  «  Son  en- 
fance passée  en  pleine  nature,  à  déniclier  les  oiseaux,  à  courir 
sous  les  grands  hêtres  et  parmi  les  genêts  et  les  bruyères  du 
Ségala,  a  fait  de  lui  un  poète  rustique  d'un  accent  un  peu  Apre, 
mais  très  sincère  et  très  pénétrant.  Il  a  notamment  fixé  sou 
regard  sur  les  animaux  sauvages  et  domestiques,  et  souvent  il  a 
peint  leurs  mœurs  et  leur  caractère  avec  une  franchise  et  une 
vérité  qui  eussent  réjoui  le  bon  La  Fontaine...  »  Aussi  bien  ne 
saurait-on  lui  reprocher  quuu  excès  de  réalisme,  une  langue 
peu  châtiée  et  des  images  désuètes.  Sa  technique  s'apparente 
à  celle  du  Parnasse,  mais  il  rellète  souvent  les  faiblesses  des 
derniers  représentants  de  cette  école. 

M.  François  Fabié  a  donné  successivement  :  La  Pocsie  acs 
Bêtes  (Paris,  librairie  des  Bibliophiles,  1879,  in-12,  et  Paris,  Le- 
merre.  1886,  iu-12)  ;  La  Nouvelle  Poésie  des  Uctcs  (Paris,  librairie 
des  Bibliophiles,  1881,  in-12);  Le  Clocher  (Paris,  Lemerre,  1887, 
\'a.-\2);  Amende  honorable  à  la  terre  (ibid.,  1888,  in- 12):  La  Bonne 
Terre  (ibid.,  1889,  in-12)  :  La  Poésie  dans  l'éducation  et  dans  la 
Vie  (ibid.,  1891,  in-18);  Les  Voix  rustiques  (ibid..  1892,  in-12)  : 
Vers  la  Maison  (ibid.,  1899,  iu-lS).  Ses  poésies  complètes  ont 
été  réunies  et  publiées  par  l'éditeur  Lemerre,  dans  la  Petite 
Bibliothèque  El/.évirienne.  Voyez  Poésies,  iS^O-lVO'i  (Paris, 
1904-1905,  3  volumes  petit  in-12.  i 

Bibliographie.  —  Ad.  Brisson,  Portraits  intimes,  I,  Paris, 


316  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Colin,  1894,  in-18.  —  C.  Vergniol,  François  Fabié,  La  Quinzaine, 
16  déc.  1900.  —  Ch.  Fiister,  Les  Poètes  du  Clocher,  Paris,  Fisch- 
bacher,  s.  d.^  in-S». 


ENVOI 

A    MON    PAYS 

Rouergue,  je  t'envoie  un  lointain  souvenir, 

—  Heureux  si  tes  enfants  d'un  doux  regard  raccueillent  ! 

—  Je  fadresse  mes  vers  lorsque  tes  hêtres  feuillent, 
Et  ma  muse  ù  leur  ombre  accourt  se  rajeunir. 

Reçois-la  de  ton  mieux,  la  pauvre  voyageuse; 
C'est  ta  fille,  après  tout,  elle  est  née  en  tes  bois; 
Les  airs  de  son  berceau  vibrent  seuls  dans  sa  voix, 
Et  c'est  d'être  en  exil  qui  la  rend  si  songeuse. 

Elle  n'a  point  changé  :  tu  la  retrouveras 
Amoureuse  toujours  d'espace  et  de  lumière, 
Simple  et  franche,  et  vêtue  en  modeste  fermière. 
Une  gerbe  de  fleurs  agrestes  dans  les  bras. 

Elle  a  soif  de  revoir,  aux  campagnes  natales, 
Les  seigles  épier  et  les  genêts  fleurir, 
De  chanter,  de  rêver,  de  s'asseoir,  de  courir 
Sous  les  cerisiers  blancs  d'où  neigent  des  pétales. 

Elle  a  soif  de  parfums,  de  souffles,  de  rayons, 

De  s'éveiller  dès  l'aube  au  chant  de  Talouetle, 

De  dormir  à  midi  dans  la  foret  muette. 

Ou  dans  les  grand  prés  d'or  tout  vibrants  de  grillons 

De  voler  d'un  vol  fou  du  Tarn  ù  la  Truyère, 
Des  herbages  d'Aubrac  aux  saules  de  l'Alzou, 
Des  pentes  de  la  Caune  aux  flancs  du  Lévézou, 
Et  du  pâle  amandier  ù  la  rouge  bruyère; 

De  traverser  le  Causse  et  sa  mer  de  froment 
Qui  palpite  et  frissonne  aux  plus  douces  haleines, 
Puis  d'aller  —  dédaignant  la  richesse  des  plaines  — 
Chercher  au  Ségala  le  coin  pauvre  et  charmant, 

L  humble  nid  égaré  dans  les  bois  et  les  landes  : 
Le  moulin  et  l'étang  bordé  de  noisetiers. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  317 

Les  clairs  ruisseaux,  les  vieux  chemins,  les  frais  sentiers 
Où  les  ronces  en  fleur  déroulent  leurs  guirlandes; 

Les  fermes  que  des  houx  sombres  voilent  aux  yeux, 
Les  petits  clochers  bleus  annonçant  les  villages, 
Et  qui  laissent  s'enfuir,  à  travers  les  feuillages, 
Les  glas  tristes  et  lents,  ou  les  appels  joyeux  ; 

Et  l'école  où  jadis  on  apprenait  ses  lettres, 
Bourdonnante  toujours  d'un  essaim  de  marmots. 
Qui  sur  les  mêmes  bancs  braillent  les  mêmes  mots, 
Du  même  ton,  parfois  avec  les  mêmes  maîtres... 

Va  revoir  tout  cela,  muse!  et  revois  aussi 
Ceux  dont  le  souvenir  nous  demeure  fidèle; 
Entre  chez  eux  par  la  fenêtre,  en  hirondelle, 
Chante-leur  ta  chanson,  —  et  reviens  vite  ici: 

Car  j'ai  besoin,  pour  l'œuvre  où  tout  mon  cœur  s'épanche, 
De  sève  et  de  soleil,  de  force  et  de  couleurs; 
Ton  retour  du  pays  mettra  mon  âme  en  fleurs. 
Comme  un  souffle  d'avril  le  vieux  pommier  qui  penche. 

(Le  Clocher.) 


LAURENT   TAILHADE 

(1854) 


M.  Laurent  Tailhade  (Laurent- Bernard-Paul-Marie)  est  né  à 
Tarbes  le  16  avril  1854.  Il  descend  d'une  lignée  de  notaire& 
royaux  du  Nebouzan  et  du  Magnoac  (Hautes-Pyrénées).  Son  père, 
était  magistrat.  A  ses  débuts,  il  n'eut  d'autre  ambition  que  de 
faire  de  la  littérature  en  amateur.  Des  revers  de  fortune  l'obli- 
gèrent par  la  suite  a  demander  aux  lettres  des  ressources  qu'if 
avait  perdues,  pareil,  dit-il,  à  ces  femmes  du  monde  qui  don- 
nent des  leçons  de  piano,  après  avoir  joué  pour  leur  amusement 
personnel.  Il  collabora  à  une  foule  de  journaux  et  de  revues, 
éparpillant  dans  les  unes  et  dans  les  autres  la  plupart  des  poè- 
mes qui  composèrent  ces  recueils  :  Le  Jardin  des  Rêves  (Paris, 
Lemerre,  1880,  in-18);  Un  Dizain  de  Sonnets  (ibid.,  1881,  in-18), 
et  Vitraux  (Paris,  Vanier,  1891,  in-8°,  et  Lemerre,  1894,  petit 
iu-12).  Quelques  années  après  il  fit  paraître  une  série  de  pièces 
satiriques.  Au  Pays  du  Mufic  (Paris,  Vanier,  1891,  petit  in-12,  et 
Bibliothèque  artistique  et  littér.,  1894,  in-lG),  dont  le  succès  fut 
éclatant  et  provoqua  le  scandale.  En  ce  livre  qu'on  n'a  point 
oublié  —  mais  auquel  il  fit  subir,  en  le  réimprimant,  de  nom- 
breuses modifications  —  lise  plaisait  à  railleries  travers  bour- 
geois, et  en  particulier  l'outrecuidance  d'un  bon  nombre  de  ses 
confrères.  Nous  no  signalerions  pas  Au  Pays  du  Mufle,  si  nouS' 
ne  trouvions  là  une  des  plus  silres  manifestations  do  la  vervo 
et  de  la  causticité  méridionales.  On  n'a  guère  défini  jusqu'à  ce 
jour  le  caractère  de  ce  poète  à  la  fois  élégiaquo  et  satirique,  mai» 
qui  doit  plus  encore,  somble-t-il,  aux  vertus  do  ses  origines 
qu'à  la  culture  et  à  l'érudition.  Il  a  fallu  la  publication,  en  1897, 
de  cet  élociuent  ouvrage.  Terre  latine  (Paris,  Lemerre,  in-lS), 
où  il  a  mis  le  meilleur  de  lui-même,  pour  que  l'on  daignAt  lui 
assigner  sa  vraie  place  parmi  les  représentants  do  noe  provinces^ 

Aussi  bien  nul  n'a  plus  que  lui  le  sentiment  de  la  race  et  du. 
j)ays.  Qu'il  écrive  dos  poèmes  comme  ceux  que  contient  ce  plai- 
sant polit  livre  A  travers  les  grnuins  (Paris,  Stock,  1899,  polit 
in-12):  des  conférences  comme  I.a  l'àquc  socialiste  [Piwii^,  Stock, 
1899,  in-18);  L'Ennemi  du  peuple  (Paris,  Soc.  1.  d'éd.  des  gon» 
de  lettres.  1900,  in-18);  Discours  civiques  (Paris,  Stock,  1902, 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  319 

in-18),  etc.;  des  recueils  d'articles  comme  Imbéciles  et  Gre- 
dins,  1895-19C0  (Paris,  «  Maison  d'art  »,  1900,  in-16),  La  Touffe 
de  sauge  (Paris,  «  La  Plume  »,  1901,  in-18),  M.  Laun^nt  Tailhade 
ne  cesse  pas  un  instant  de  faire  montre  d'une  exubérance  toute 
gasconne.  C'est  un  Gascon  gasconnant,  dont  le  génie  spirituel, 
tout  à  lopposé  de  la  solennelle  faconde  d'un  du  Bartas,  a  eu 
pour  se  faire  entendre  des  hardiesses  inouïes. 

Son  éloquence  un  peu  lAche  est  relevée  par  une  impertinence 
de  mots,  un  choix  de  vocables  rares  et  expressifs,  une  conci- 
sion digne  non  seulement  de  Martial,  mais  de  ces  autres  LatinSr 
Pétrone  et  Plante,  qu'il  a  traduits  élégamment  pour  son  plaisir 
et  pour  le  nôtre. 

M.  Laurent  Tailhade,  qui  a  éprouvé  les  travers  d'une  destinée 
orageuse,  mais  qui  ne  saurait  se  plaindre  de  l'indifîérence  des- 
hommes, a  renoncé,  dit-on,  aux  polémiques  personnelles  et  :» 
pris  le  parti  de  la  retraite.  Il  a  mis  à  prolit  ce  recueillement 
pour  donner  de  menus  ouvrages  comme  La  yoirc  Idole;  Essai 
de  morphinoinanie  (Paris,  Messein,  1907,  in-12);  La  Corne  et 
l'Epée  (ibid.,  1908,  in-12)  :  Le  Troupeau  d'Aristée  (Paris,  Sansot. 
1908,  in-r2),  et  réunir  en  deux  volumes,  d'un  texle  corrigé  el 
définitif,  ses  meilleures  œuvres  poétiques  :  Poèmes  aristopha- 
nesques  et  Poèmes  élégiaqucs  (Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
1904  et  190".  2  vol.  in-18). 

Bibliographie.  —  Th.  de  Banville,  Préface  au  Jardin  des  Rê- 
ves (réimpr.  en  appendice  aux  Poèmes  aristophanesques,  1904). 
—  J.  Bertaut,  Chroniqueurs  et  Polémistes,  Paris,  Sansot,  190f>, 
ia-18.  —  Ad.  van  Bever  et  P.  Léautaud,  Poètes  d'aujourd'hui, 
t.  II,  édit.  de  1908. 


BAGXERES 

Gomme  un  cygne  qui  dort  au  pied  de  la  montagne. 
Avec  ses  blés  mûris,  ses  prés  de  velours  vert, 
Et  ses  blanches  maisons  dont  le  seuil  entr'ouvert 
Laisse  filtrer  des  chants  que  l'Adour  accompagne, 
La  ville  des  baisers,  Bagnère,  aux  vents  du  soir 
Livre  sa  nudité  de  nymphe  et  de  baigneuse. 
Les  paroles  d'amour  sur  sa  lèvre  rieuse. 
Pareilles  à  de  blonds  ramiers,  viennent  s'asseoir. 
Tempée  et  le  Lignon  n'ont  pas  d'ombres  plus  fraîches 
Que  ses  tilleuls  fleuris  d'où  pleuvent  des  parfums  : 
Ah!  vos  rires  perdus,  filles  aux  cheveux  bruns, 
Dont  la  bouche  eut  l'odeur  enivrante  des  pêches  ! 


320  LES  POÈTES  DU  TERROIR 


PROSOPOPEE    DE    TOULOUSE 

C'est  moi,  la  ville  du  Soleil  :  je  suis  Toulouse, 
Blanche  et  rose  sous  le  flot  noir  de  mes  cheveux. 
Ma  Garonne  d'azur  que  l'Univers  jalouse 
Chante  un  hymne  d'espoir  et  d'éternels  aveux. 
Le  long  des  murs  de  hrique,  en  l'illustre  prairie 
Où  hrille  encor  le  temple  auguste  d'Apollon, 
Son  onde  bienveillante  et  de  roses  fleurie 
Endort  le  jeune  dieu  riant  sous  ses  crins  blonds. 
Je  suis  Toulouse  chère  à  Pallas,  et  je  garde. 
Loin  du  troupeau  sans  âme  et  des  rois  odieux, 
Comme  un  lis  exalté  sur  la  foule  hagarde, 
Le  culte  de  la  Vie  et  des  antiques  Dieux. 
J'ai  chanté  la  Jeunesse  et  la  Gloire  féconde. 
Et,  quand  le  Christ  vainqueur  eut  souffleté  rAmoui 
Pour  éclairer  sa  nuit  et  refleurir  le  Monde, 
Jéveillai  doucement  le  luth  des  troubadours. 
La  lumière  divine  et  tutélaire  embrase 
Mes  remparts,  et  je  vais,  loin  des  cloîtres  malsains 
Par  les  sentiers  fleuris  de  treilles,  et  j'écrase 
Sur  mon  sein  marmoral  la  pourpre  des  raisins. 
Les  nocturnes  amants,  sonneurs  de  sérénades, 
Sous  les  tilleuls  qu'argenté  une  chaude  clarté, 
Éparpillent,  le  soir,  devers  les  promenades, 
Un  cantique  d'orgueil,  de  force  et  de  gaîlé. 
Toujours,  à  mon  appel,  se  dressent  les  poètes. 
L'éternelle  IJeauté  qui  n'a  jamais  pâli 
D'un  rameau  fraternel  a  couronné  vos  tètes, 
Maîtres  harmonieux,  Silvestre  et  Goudouli  ! 
Et  vous  tous,  curieux  d'art  et  de  poésie. 
Toulousains,  chers  enfants  grandis  à  mes  genoux, 
Je  vous  salue,  ù  foule  ingénue  et  choisie  : 
Athéniens  du  Languedoc!  Salut  à  vous! 

(Poèmes  (■lc<fia(/ucs.) 


JEAN   RAMEAU 

(1858) 


De  son  vrai  nom  Laurent  Labaïgt  [Labaigt,  en  vieux  patois 
gascon,  signifie  La  Vallée),  Jean  Rameau  est  né  à  Gaas  (Landes) 
le   19  février  1858.  Descendant  de  petits  propriétaires  habitant 
et  possédant  le  même  domaine   depuis  le  xvi"  siècle,  M.  Jean 
Rameau  acheta  un  coteau,  le  plus  élevé  de  la  région,  et  y  Ut 
construire.   De  là,   l'été,  il  domino  une  graude  partie   de  son 
département  et,  quand  le  temps  est  propice,  trois  cents  kilo- 
mètres de  la  chaîne  des  Pyrénées.  C'est  un  terrien  dans  toute 
Tacception  du  terme  et  qui  n'a  jamais  manqué  d'inscrire  dans 
ses  livres,  soit  en  prose,  soit  en  vers,  son  vif  amour  des  choses 
rustiques.  Dans  sa  jeunesse.  M.  Jean  Rameau  vint  à  Paris  et 
y  pulJlia  une  foule  d'ouvrages  qui  ont  fait  sa  fortune  plutôt 
que  sa  gloire.  Il  a  donné  cinq  recueils  de  poèmes  :  Poèmes  fan- 
tasques (Paris,  Monnier,  1883,  in-18);   La   Vie  et  la  Mort  (Paris. 
Giraud,  1886,  in-18);  La  Chanson  des  Etoiles  (Paris,  OllendorfT, 
1888,  in-12);  Nature  (Paris,   Savine,  1891,  in-18):  Les   Féeries 
(Paris,  Ollendorff,  1897,  in-18),  et  des  romans  dont  il  est  difficile 
d'évaluer  le  nombre.  La  bibliographie  de  ces  derniers  tiendra, 
elle  seule,  la  place  que  nous  avions  le  dessein  de  consacrer  au 
poète.  Citons  -.Fantasmagories  (Paris,  Ollendorff,  188",  in-18); 
Le  Satyre  {ih\d.,  1887,  in-18);  Possédée  d'amour  [\hià.,  1889.  in-18); 
La  Marguerite  de  trois  cents  mètres  (ibid.,  1890,  in-18):  Mounc, 
couronné  par  l'Académie  française  (Paris,  Dentu.  1890,  in-*8)  ; 
Simple  (Paris,  OllendorfT,  1891,  in-18);  L'Amour  d'Annette  (ibid., 
1892,  in-18);   La  Mascarade  (ibid.,  1893,  in-18);  Mademoiselle 
Azur  (ibid.,  1893,  in-18);  La  Chevelure  de  Madeleine  (ibid.,  1894, 
in-18)  ;  La  Rose  de  Grenade  (ibid.,  189'*,  in-18);  Yan  (ibid.,  1894, 
in-18)  ;  L'Amant  honoraire  (ibid.,  1895,  in-18)  ;  Ame  fleurie  (ibid., 
1896,  in-18);  Le  Cœur  de  Régine  (ih\à.,\^^&,  in-18);  La  Demoiselle 
à  l'ombrelle  mauve  (ibid.  ,189",  in-l^);  L' Ensorceleuse  (ibid.,  1897, 
iu-18);  Plus  que  l'amour  (ibid.,  1898,  in-18)  ;  La  Montagne  d'Or 
(ibid.,  1899,  iu-18);   Christiane  (ibid.,  1900.  in-18);  Le  Dernier 
Bateau  (ibid.,  1900,  in-18);  Tendre  Folie  (ibid.,  1900,  in-18);  La 
Vierge  dorée  (ibid.,  1901,  in-18)  ;  Le  Champion  (Paris,  Per  Lamm, 
1901,  in-18);  La  Blonde  Lilian  (Paris,  Ollendorif,  11)02,  in-18)  ; 


322  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Le  Roman  de  Marie  (ibid.,  1903,  in-18);  La  Belle  des  belles  {ibid., 
1903,  in-l8):  La  Jun-rle  de  Paris  (i\nd.,  1904.  in-18);  Zarette  (ibid., 
1904. in-18);firj/«èorfon(ibid., 1905, iii-18);  Le^  Chevaliers  de  l'an 
delà  (ibid..  190.5,  in-18);  La  Bonne  lUoilc  (ibid..  1906,  in-18),  etc. 
C'est  surtout  dans  les  romans  que  M.  Jean  Bameau  a  décrit 
son  pays  natal.  Plus  de  vingt  de  ces  précieux  ouvrages  mettent 
en  scène  des  habitants  des  Landes  ou  des  Pyrénées.  On  lui  doit 
en  outre  une  bonne  étude  sur  la  plus  pittoresque  de  nos  pro- 
vinces du  Centre  :  Le  Berry,  ses  beautés,  ses  richesses  (Bourges, 
inipr.  Tardy-Pigelct,  1903  et  1905,  ia-8»). 

BiBLiOGRAPfiiR.  —  G-.  Renard,  Critique  de  Combat,  I,  1894. — 
L.  Labat,  J.  Hameau,  Nouvelle  Revue,  1890,  LXVII,  p.  561-572- 


SALUT   AU    PAYS 

0  plantes,  arbres,  fleurs,  ramures  et  corolles! 
O  tous  les  végétaux  puissants  ou  gracieux! 
Marg-ueriles  dos  bois  plus  tendres  que  des  yeux  ; 
Trembles  au  gazouillis  plus  doux  que  des  paroles  ; 
Chênes  qui  grisonnez  comme  de  vieux  parents; 
Rosiers  ([ui  rougissez  comme  des  jeunes  filles; 
Liserons  amicaux,  qui  baisez  les  chevilles 
Des  laboureurs  lassés  et  des  pasteurs  errants; 
Saules  branlant  au  vent  vos  têtes  chevelues; 
Hêtres  ombreux,  faisant  la  nuit  sur  les  buissons; 
Vous  tous  dont  les  rameaux  balancent  des  pinsons, 
Comme  de  grosses  mains  joyeuses  et  velues  ; 
Pins  tristes  qui,  saignants,  chantez  à  pleine  voix 
Des  airs  graves  et  fiers,  comme  de  sombres  bardes  : 
Aloès  «pii  seniblez  pointer  les  hallebardes 
Que  nos  ancêtres  morts  brandissaient  autrefois; 
Platanes  au  tronc  blanc  comme  un  torse  d'athlète; 
Lierres  [>as8ionné8  comme  des  bras  d'amants; 
Coupoles  de  verdure  où  l'on  voit,  par  moments, 
Passer  un  oiseau  prompt  comme  un  trtiit  d'arbalète; 
Et  toi,  vigne  rieuse  aux  pampres  alourdis, 
O  mère  végf'ttale  aux  mamelles  pendantes, 
Dont  le  lait  clair  infuse;,  en  nos  veines  ardentes, 
La  pourpre  des  couchants,  la  flamme  des  midis; 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  323 

Et  vous,  herbes  sans  nom  de  nos  champs  mag'iiifiques, 
Qu'on  lie  en  croix,  tout  en  faisant  des  oraisons, 
Kt  qu'au  jour  de  Saint-Jean  l'on  met  sur  les  maisons 
Pour  écarter  du  seuil  les  esprits  maléfiques  ; 

Châtaigniers  roux,  figuiers  féconds,  pommiers  bénis, 
Vous  tous,  les  nourriciers  abondants  de  la  plaine, 
Ajoncs  où  les  agneaux  laissent  un  peu  de  laine 
Pour  que  les  oiselets  puissent  faire  leurs  nids; 

Et  vous  que  l'enfant  cueille  et  que  l'aïeul  embrasse, 
Plantes  de  tous  i)arfums  et  de  toutes  couleurs. 
Sourires  de  la  Terre  au  Soleil,  chères  fleurs, 
Miracles  de  lumière  et  chefs-d'œuvre  de  grâce; 

Mûriers  que  les  geais  vifs  pillent  en  voltigeant; 
Vieux  troncs  décortiqués  qu'un  pic  brutal  martelle> 
Sauges  de  velours  gris,  fougères  de  dentelle 
Où  l'araignée  a  mis  sa  toile  en  fil  d'argent; 

liruyères  aux  grelots  lilas  ;  joncs  aux  frivoles 
Panaches,  inclinés  sur  l'oreille;  flots  lents 
Des  ruisselets  bavards,  pavés  de  cailloux  blancs, 
Où  vont  danser  en  rond  les  libellules  folles  ; 

Et  vous,  prés  où  galope  une  pouliche;  et  vous. 
Champs  où  paissent  des  bœufs  aux  voix  retentissantes  ; 
Et  vous,  coteaux;  et  vous,  montagnes  bleuissantes 
Qui  dressez  dans  l'azur  vos  pics  neigeux  et  fous  ; 

Et  vous,  vous  toute  enfin,  ô  Terre  originelle 
Dont  je  retrouve  un  peu  la  couleur  dans  ma  chair, 
Terre  de  mon  pays,  dont  chaque  arbre  m'est  cher 
Comme  un  ami  d'enfance  à  la  voix  fraternelle. 

Salut!...  Pardonnez-moi,  bons  et  doux  compagnons. 
De  vous  nommei'  sans  suite  en  ce  pieux  poème  : 
Lorsque  après  vin  voyage  on  revoit  ceux  qu'on  aime, 
L  on  pleure,  et  l'on  ne  sait  que  murmurer  leurs  noms. 

[Nature.) 


ANTONIN   PERBOSC 

(1861) 


Ce  puissant  poète,  dio;ne  d'être  connu  de  tous  les  lettrés  de 
France,  selon  l'expression  d'un  critique  actuel,  est  né  à  La- 
Ijarthe,  en  Quercy,  le  25  octobre  1861,  Simple  instituteur,  il  a 
«inguliùrement  ennobli  sa  profession  en  célébrant,  avec  des 
accents  personnels  et  une  incomparable  maîtrise,  le  terroir  que 
ses  ancêtres  —  d'obscurs  laboureurs  —  ont  sans  cesse  retourné, 
pendant  des  siècles  i.  Il  a  fait  paraître  successivement  plusieurs 
recueils  et  il  a  donné  à  profusion  aux  publications  félibréennes 
ou  locales.  Revue  Félibrcenne,  Lcmouzi,  JMont-Segtir,  Occitania, 
Revue  Méridionale,  etc.,  des  poèmes  et  des  articles  en  langue 
d'oc.  Son  œuvre  est  celle  d'un  lyrique  sincèrement  attaché  à  la 
vertu  du  dialecte.  M.  Antonin  Perbosc  ne  s'est  point,  comme 
tant  d'autres,  contenté  d'exprimer  en  vers  sonores  le  jeu  de  sou 
inspiration,  il  a  régénéré  un  des  «  parlera  »  populaires  les  plus 
savoureux  de  nos  provinces  méridionales.  Les  principes  de  son 
effort  linguistique  ont  été  exposés  déjà,  mais  on  les  lira  volon- 
tiers ici,  ne  serait-ce  que  pour  mieux  connaître  leur  auteur.  Ils 
consistent  :  «  1»  à  adopter  la  graphie  classique  des  trobadors. 
ou  la  simplifiant;  2"  à  remonter  aux  vraies  sources  occitanes,  eu 
n'employant,  cependant,  les  vocables  anciens  que  dans  le  cas 
où  ils  ont  été  maintenus  par  l'un  ou  l'autre  des  parlcrs  actuels, 
ou  dans  le  cas  où  les  bous  vocables  modernes  font  défaut;  3"  à 
bannir  tous  les  mots  français  ([ui  ont  pris  la  place  do  mots  occi- 
tans disparus  dans  tel  terroir,  mais  conservés  dans  un  autre: 
ff  à  créer  des  mots  nouveaux  en  les  tirant  autant  ([ue  possible 
des  parlers  populaires  et  subsidiairement  des  langues  qui  sont, 
dans  le  passé  ou  dans  le  présent,  sœurs  de  la  nôtre.  » 

Ce  serait  j)cut-ètre  là,  a-t-on  observé  justement,  un  simple 
travail  de  marqueterie,  si  M.  Antonin  Perbosc  n'ajoutait  à  l'ap- 
plication de  ses  principes  rénovateurs  l'idée  qu'il  faut  faire 
«  œuvre  »  avec  l'Ame  du  peuple.  «  M.  .\nlonin  Perbosc,  écrit 

1.  Voyez  la  tlédicacc  de  L'Arada:  «  A  mes  anccHrcs  les  laboureur- 
qui  ont  tourné  cl  rclourné  le  terroir  que,  poète,  j'ai  chaule  et  cliaii- 
Icrai  tant  que  je  vivrai.  » 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  325 

.M.  Paul  Soiichon,  a  donné  dans  cette  langue  dite  «  occitane  • 
eu  qui  revit,  telle  ou  peu  s'en  faut,  «  la  langue  des  trobadors  » 
une  œuvre  superbe,  débordante  de  sève  païenne,  à  la  fois  bouil- 
lonnante d'inspiration  et  précise  de  forme  :  Lo  Got  Occitan  (La 
Coupe  Occitane)   (Tolo/.a,  Bibliotcca  occitana    de  Mont-Segur, 

1903,  in-8»).  Jamais,  comme  dans  ce  recueil  d'odes  et  de  chan- 
sons, on  n'avait  célébré  aussi  dignement  la  vigne  et  le  viu. 
C'est  le  poème  de  Bacchus.  le  chant  même  dos  éternelles  Dyo- 
nisies.  la  célébration  dos  mystères  naturels  qui,  chaque  automne, 
ressuscitent  dans  les  champs  languedociens.  » 

«  Il  faut  lire,  ajouterons-nous,  après  M.  Armand  Praviel,  relire 
et  méditer  ce  volume  admirable,  consacré  aux  paysans  et  à  leurs 
nobles  tâches,  où  passe  comme  un  puissant  souffle  virgilien.  Ce 
n'est  pas  seulement  une  suite  de  poèmes  agréablement  variés, 
tour  à  tour  lyriques  et  élégiaques.  descriptifs  et  rêveurs,  émus 
ou  purement  plastiques,  écrits  dans  tous  les  rythmes,  réglés 
sur  toutes  les  cadences,  développés  dans  toutes  les  formes  do 
strophes,  où  la  jonglerie  banvillesque  donne  la  main  à  la  sim- 
plicité de  la  ronde  villageoise  :  c'est  encore  nu  livre  d'action 
sociale  et  de  la  meilleure,  prêchant  à  tous  l'examen  du  sol  na- 
tal, le  culte  des  ancêtres  et  la  dévotion  passionnée  à  la  petite 
patrie  !  » 

M.  Antonin  Perbnsc.  dont  le  bagage  se  complète  par  d'autres 
ouvrages  d'expressit)n  rustique,  Rcinemhransa  (Toloza.  Bibl. 
occ.  de  Mont-Segur.  1902.  in-8»);  Gansons  del  Got  Occitan  (ibid,. 

1904,  in-8");  L'Arada,  Irad.  française  d'Arnaud  l'errand  (Toloza, 
J.  Marqueste.  1906,  in-S»),  un  poème  du  genre  épique,  Guilhc/n 
de  Toloza  (Toloza.  E.  Privât,  1908,  in-S").  Anthologie  d'un  Cen- 
tenaire, Pages  choisies  des  Ecrivains  Tarn-et-Garonnais,  1808- 
1908  (Montauban.  P.  Masson,  1908.  in-8");  et  dos  Contes  licen- 
cieux de  l'Aquitaine,  roc.  par  Galiot  et  Cercamors  (Kloinbronn 
(Paris.  FickerJ,  1908,  in- 12).  a  été  élu  majorai  du  Félibrige  en 
1892,  en  remplacement  d'Auguste  Fourès. 

Bibliographie.  —  Armand  Praviel.  A  travers  le  Félibrige,  Lo 
Mois  litlér.  et  pittor.,  août  1906:  L'Empire  du  soleil,  Paris, 
Nouv.  Libr.  Nationale,  1909,  in-17;  —  A.  Praviel  et  J.-R.  de 
Brousse.  L'Anthologie  du  Félibrige,  ibid.,  1909.  in-18.  —  E. 
Gaubert  et  J.  Véran,  Anthologie  de  l'amour  provençal,  Paris, 
Mercure  de  France,  1909,  in-18. 


19 


o26  LES    POÈTES    DU    TERROIR 


LE    PATURAGE 

C'est  l'heure  de  larguer  le  bétail  dans  les  prairies.  — 
Des  bordes  du  coteau  je  regarde  dévaler  vers  la  combe, 

—  Où  ils  pourront  à  souhait  se  repaître,  —  Poussés  par 
les  labris,  les  creuseurs  de  sillons. 

Les  tertres  sont  ornés  d'arbres  à  ramure  ombreuse. — 
Que  les  bœufs  sont  heureux  là,  sous  le  ciel  clair,  —  De 
pouvoir,  sans  chaîne,  brouter  et  vagabonder,  —  Dans 
votre  apaisement,  ô  vesprées  d'août  ! 

Je  me  remémore  le  temps  où,  gardeur  de  taureaux,  — 
Emmi  les  pacages  des  berges,  des  bois  et  des  fraus,  — 
Les  pieds  dans  le  serpolet,  la  sauge,  la  menthe. 

Je  regardais  au  couchant  décroître  la  grande  Lumière, 

—  Pendant  que  s'allongeait,  avec  mon  ombre  de  pâtre, 

—  L'ombre  de  mon  troupeau  pacageant  dans  l'herbage. 


LO    PASTENC 

Es  l'ora  d'alargar  lo  bestial  dins  las  pradas. 
De  las  bordas  del  pcch  agachi  dabalar 
Al  combel,  ont  poiran  à  plec  s'asadolar, 
Amodats  pals  labris,  lus  cro/.aires  d'aradas. 
D'arbres  à  ram  ombresc  las  tapias  son  ondradas. 
Que  les  bious  son  astrucs  aqui,  jos  lo  cel  clar, 
De  podor,  scnsestac,  paise,  rebordelar, 
Dins  vostre  amai/.amcnt,  agostcncas  vespradas! 
Me  remcmbri  lo  temps  ont,  gardairo  de  braus, 
Pels  pastencs  dels  ribals,  dels  bosques  et  dels  fraus, 
Los  peds  dins  lo  sorpol,  la  salvia,  lo  mentastre, 
Mirabi  al  solel  colc  mermar  lo  mage  Lum, 
Mentrc  que  fazia  cresc,  am  mon  ombra  de  pastre. 
L'ombra  de  mon  tropcl  pastencant  dins  l'erbum. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE 


LE    PATRE 


327 


Ce  pâtre  décrépit  qu'enveloppe  un  manteau  de  buro: 

—  Ah!  si  vous  l'aviez  vu,  jadis,  labourer,  le  jarret  tendu'. 

—  Toute  l'ardeur  de  sa  jeunesse,  la  vieillesse  l'a  éteinte: 

—  Contre  les  obstacles  et  les  revers  il  a  trop  rudement 
lutté. 

Sa  main  ne  tiendra  jamais  plus  le  mancheron  de  l'a- 
raire; —  Sa  tête  est  blanche,  tant  d'hivers  sur  ses  che- 
veux ont  neigé;  —  Mais,  comme  durant  ses  étés  levé  ù 
prime  aube,  —  11  n'en  creusera  pas  moins  son  sillon  jus- 
qu'au bout. 

Il  chemine  ù  travers  champs,  en  gardant  le  troupeau, 
—  Songeant  qu'il  ferait  bon  descendre  dans  la  tombe  — 
Sans  rester  trop  longtemps  gisant  dans  un  lit. 

0  bonne  et  douce  Mort  !  le  rêve  du  Pacan,  —  C'est  d'ê- 
tre par  ta  faux  couché  sur  le  sillon  —  Comme,  au  temps 
de  la  moisson,  un  palpitant  épi. 

{La  C/iarrue.) 


LO    PASTRE 

Aquel  pastre  arraulit  qu'estropa  una  manroga, 
Se  l'abiatz  vist,  antan,  laurar,  garron  tibat! 
Tôt  son  alert  jovenc,  lo  vielhuinTa  raiibat; 
Trabucs  e  patiments  i  an  fach  trop  ruda  brega. 
Am  l'esteba  sa  mau  jamai  plus  aura  frega; 
Es  cap  blanc,  tant  d'iberns  sus  son  piel  annevat; 
Mas,  com  à  ses  estius  à  prima  alba  levât, 
Obrara  saquela  duscal  cap  de  sa  rega. 
Camina  pel  campestre  en  gardant  lo  tropel, 
Soscant  que  faria  bon  capusar  al  tombel 
Sens  s'anar  trop  bel  briu  jaire  jos  la  flesada. 
O  bona  e  braba  Mort!  lo  raibe  del  Pacan 
Es  d'estre  per  ton  dal  colcat  sus  la  mosada 
Com,  quand  es  segador,  un  espic  bategant. 

{^L'Arada.) 


328  LES  POÈTES  DU  TEKROIR 


SOLEIL    COUCHANT 

Le  Soleil  va  mourir  à  l'hori/.on  qu'il  embrase,  —  De 
ses  derniers  rayons  daguant  les  nuages.  —  Pleine  d'une 
ivresse  suprême,  la  Terre,  palpitante,  à  son  amant  en- 
voie de  toutes  ses  cimes  l'encens  de  ses  serpolets. 

Des  baisers  de  la  Lumière  divinement  soûles,  —  Les 
Vignes,  dans  le  soir,  songent  que  les  rayons  puissants 
dont  l'astre  souverain  a  gonflé  leurs  moelles  —  Se  trans- 
muent en  vin  où  fleuriront  —  Les  audaces  des  esprits,  les 
vaillances  des  cœurs.    * 

Et  Celui  qui  s'éteint  songe,  lui,  qu'avec  sa  vie  —  11  a 
engendré  de  l'amour  et  de  la  i)ensée,  il  a  fait  —  Toute  la 
splendeur  sur  le  monde  épanouie,  —  Et,  dans  l'allé- 
gresse de  son  œuvre  accomplie,  —  Il  pose  sur  les  som- 
mets son  clignotant  regard. 

C'est  là,  sur  les  penchants  des  collines  pierreuses  — 
Que  la  Vigne,  tournant  l'échiné  au  vent  du  nord. 


SOLEL    COLCANT 

Lo  Solel  va  morir  al  orizon  qu'abranda, 
Ambe  sos  darriors  flans  daguejaiit  las  nibols. 
Comola  d'una  embriaigiiesa  subregi-anda, 
La  Terra,  bateganta,  à  son  aimador  manda 
De  totes  sos  acrins  l'encens  do  sos  scrpols. 
Dels  potets  delà  Lux  dinzcncament  sadolas, 
Las  Vinhas,  dins  lo  ser  soscan  qne's  raisos  forts 
Dont  l'astre  sobeiran  a  gonllat  lors  niezolas 
Se  tremiidan  en  vin  ont  seran  floribolas 
Las  air/.ors  dels  esprits,  las  valensas  dels  cors. 
Et  Lo  que  s'cscantis  sosca,  el,  qn'ambe  sa  vida 
A  congrelhat  d'amor  et  de  pensada,  a  fach 
Tota  la  resplondor  subre  l'monde  espandida, 
E,  dins  l'allegramcnt  de  son  obra  complida, 
Pau/.a  subre's  tucols  son  cliiqiicjant  agach. 
Es  aqui,  pals  i)onjals  do  las  serras  peiro/.as, 
Que  la  Vinha,  virant  l'esquina  al  iberseuc, 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  329 

—  Etale  vers  l'autan  ses  ceps  vigoureux,  —  Dont  les 
mille  branches,  ardentes  amoureuses,  —  Comme  des 
bouches  ont  bu  son  sang  divin. 

Et  tel  qu'un  roi  tombant  sur  un  chnmp  de  victoire,  — 
Orgueilleux  et  joyeux  d'avoir  sur  les  terroirs,  —  Qui  aux 
temps  à  venir  cflcbreront  sa  m»''moire,  —  Versi>  ce  sang 
gônùrateur  de  courages,  —  L'Astre  triomphalement  se 
couche  dans  sa  gloire. 

{La  Coupe  Occitane.) 


Estoloiia,  al  autan,  sas  socas  vcrturozas, 
Dont  las  milaiita  vits,  aCricas  amoro/.as. 
Coma  de  bocas  an  popat  son  sanc  diu/.enc. 
E  coin  nu  rei  tombant  sus  un  camp  de  Victoria, 
Orgolhos  et  gauchos  d'abor  pels  terradors. 
Qu'aïs  tempses  avenoncs  lau/aran  sa  momoria, 
Escampat  aqiiel  sanc  asermaire  d'ardors, 
L'Astre  ufano/.ament  se  colca  dins  sa  gloria. 


[Lo  Goi  Occitan.) 


PAUL  MARYLLIS 

(1867) 


Paul  Marvllis  —  de  son  vrai  nom  Paul  Biers  —  est  né  à  Vil- 
leneuve-sur-Lot le  12  mars  1867.  Attaché  au  Muséum,  il  appa- 
raît sous  le  double  aspect  d'un  scientifique  et  d'un  poète.  De 
sa  vie  nous  retiendrons  qu'il  fut  secrétaire  particulier  du  mi- 
nistre Georges  Leygues  (mai  1894  à  novembre  1895)  et  qu'il  con- 
tribua à  fonder  «  La  Prune  »,  société  amicale  des  «  Lot-et-Ga- 
ronnais  »  de  Paris.  De  son  œuvre,  en  prose  et  en  vers,  nous 
citerons  :  La  Citerne  de  Magnac,  légende  locale,  Villeneuve- 
sur-Lot,  imprim.  Delbergé,  1894,  in-S";  Fleurs  gasconnes,  poé- 
sies, Paris,  Ollendorir,  1895,  in-18:  Les  Harmonies  naturelles, 
Paris,  Rudeval,  1899,  in-18;  Rives  d'Olt,  poésies,  Bordeaux, 
Durand,  1902,  in-\&;Le  J'eceto  blanco,  conte,  Paris,  extr.  de  Li 
Soulciado,  livre  d'or  des  Félibres  de  Paris,  1903,  in-8'';  Les  ilfe- 
decins,  farce  moliéresque  en  un  acte,  Paris,  1903,  in-8»;  Le  Vieux 
Buveur,  Y>oés\e,:\\cc  une  eau-forte  d'André  Crochepierre,  Paris, 
l'.)()4,  in-8'';  La  Tour  hantée,  légende  gasconne,  ill.  de  A.  Calbet, 
Paris,  J.  Loubat,  1905,  in-8'>:  La  Messe  de  saint  Sccaire,  ill.  de  G- 
Barlangue,  ibid.,  1906,  in-S»;  Nos  Papillons,  nos  scarabées,  nos 
insectes,  Paris,  Laveur,  1907-1909,  in-*»,  etc.  Le  bagage  poéti- 
que de  M.  Paul  Maryllis,  on  vient  de  le  voir  dans  la  précédente 
éMumération,est  restreint,  mais  il  témoigne  d'un  talent  délicat, 
pénétré  des  choses  de  la  terre  et  attaché  à  ses  origines.  Deux 
plaquettes,  JUves  d'Olt  et  Fleurs  gasconnes,  ont  sufli  à  cet  aima- 
ble rimeur  pour  évoquer  les  sites  et  les  coutumes  de  son  pays. 
<Jue  n'a-t-il  étendu  jusqu'au  domaine  de  la  langue  d'oc —  qu'il 
l)arle  et  qu'il  écrit  à  merveille  —  ses  dons  do  pur  lyrique!  Il 
nous  efit  permis  d'entendre  alors  un  do  ces  poètes  virgiliens 
que  ses  i)remier9  vers  nous  avaient  fait  espérer  et  dont  la  race 
s'est  éteinte  eu  Agenais. 

BlBLIOORAPiliE.  —  Beauropaire-Fromont,  P.  Maryllis,  Natio- 
nal, sept.  1900,  —  A.  Grimaud,  La  Race  et  le  Terroir,  Cahors, 
1903,  in-8».  —  Anthologie  de  la  Société  des  Poètes  français,  etc., 
1907. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  331 

CHANSON   DE    LA  VIEILLE    PILEUSE 

d'après    le    TABLEAU    d'anDHÉ    CROCHEPIERRF 

Tourne,  fuseau. 
Ma  main  est  lente  et  mon  œil  ne  voit  guère, 
Pourtant  s'enroule  le  cordeau. 
Je  file  le  lin  le  plus  beau, 
Le  plus  solide  en  la  matière. 
Tourne,  fuseau. 

Tourne,  fuseau. 
Je  m'étonnais,  jadis,  de  la  fileuse 
Tout  le  jour  seule  à  l'écheveau. 
Moi,  j'avais  un  fier  jouvenceau 
Qui  me  rendait  la  plus  heureuse. 

Tourne,  fuseau. 

Tourne,  fuseau. 
On  me  disait,  au  meilleur  de  mon  iig"e, 
La  plus  active  du  hameau. 
Je  donnais  le  branle  au  berceau 
En  vaquant  aux  soins  du  ménage. 

Tourne,  fuseau. 

Toui'ne,  fuseau. 
Les  tout  petits,  malins,  me  font  la  mine. 
Ils  sont  comme  un  printemps  nouveau. 
Mais  l'hiver  les  prendra  tantôt;  ^ 

Où  seras-tu,  lors,  ma  «  ménine  ))? 
Tourne,  fuseau. 

(Fleurs  gasconnes.) 


MICHEL  CAMELAT 

(1871) 


Michel  Camélat,  épicier  à  Arrens-en-Bigorre.  est  né  dans 
cette  ville  le  26  janvier  1871.  Elu  majorai  du  Félibrige  en  mai 
1902,  il  a  collaboré  à  Reclams  de  Biarn  e  Gascougnc  (Pau),  au 
journal  Protivenço,  d'Avignon,  à  Mélusine  et  à  diverses  publi- 
cations régionales.  Il  a  publié  successivement  :  Le  Patois  d'Ar- 
rens,  notes  de  phonétique,  Paris,  Picard,  1891,  in-8"  ;  Arniana 
patonhs  de  la  Bigorro,  l""»  année,  Tarbes,  impr.  de  Lescamela, 
1893,  in-18:  El  pin  piu  dera  me  laguto  (chansonsK  ibid.,  1895. 
in-4»;  L'Elément  étranger  dans  le  patois  d'Arrcns,  Tarbes, 
Croharé,  1896,  in-S»;  Beline,  poème  gascon,  Tarbes,  impr.  de 
Lescamela.  1899.  in-8». 

Camélat  est  un  délicieux  poète  du  terroir.  II  a  donné  toute 
sa  mesure  dans  Beline,  sorte  de  roman  pastoral,  en  vers,  où 
sont  décrits,  avec  une  délicatesse  de  touche  et  une  pénétration 
psychologique  surprenantes,  les  caractères  et  les  mœurs  de  la 
Higorre.  Beline,  c'est  l'histoire  do  «  la  petite  montagnc^lc  de  la 
vallée  d'Azun,  sœur  cadette  de  Mireille,  l»  magnarelledes  plaines 
de  la  Crau  »  ;  c'est  aussi  l'exaltation  d'un  des  plus  beaux  sites  de 
nos  provinces  du  Sud-Ouest,  tout  à  la  fois  un  fidèle  récit  di- 
dactique et  un  touchant  poème  d'amour.  C'est  ea  outre  le  pre- 
mier essai  lyrique  de  longue  haleine  tenté  en  Gascogne  depuis 
Jasmin. 

«  Avant  l'auteur  do  Beline,  écrit  M.  Xavier  do  Cardaillac,  la 
poésie  romane  du  Sud-Ouest,  à  l'opposé  de  la  poésie  proven- 
çale, 80  confinait  dans  les  petites  pièces,  dans  les  morceaux 
détachés.  Avec  une  inspiration  variée  et  un  souffle  soutenu, 
Camélat  a  conduit  jusqu'au  dernier  vers  le  récit  en  trois  rhauls 
des  amours  do  ses  bergers...  Miquôu  Camélat,  à  l'exemple  du 
maître  de  Maillan(>.  a  vécu  la  vie  des  montagnards  du  pays  des 
(laves,  et  il  a  pu,  eu  idéalisant  ses  souvenirs,  écrire  la  plu» 
naïve  et  la  plus  sincère  des  bucoliques.  L'écrivain  s'est  mêlé  h 
SCS  héros,  tout  enfant  il  parla  leur  idiome;  depuis,  pour  mieux 
pénétrer  leurs  pensées,  il  s'est  déshabitué  do  manier  la  langue 
française  qu'il  avait  apprise  au  collège,  cl  il  s'est  cctnfiné  exclu- 


GASCOGNE    KT    GUYENNE 


333 


sivement  dans  l'usage  do  la  langue  romane  qu'il  balbutia  dans 
son  berceau.  Tout  eu  restant  lettré,  il  est  redevenu  paysan...  » 
Camélat.  ajouterons-nous  avec  le  même  commonlateur.  écri- 
vit ses  premières  œuvres  en  patois  de  la  vallée  d'Aziin.  coloré 
et  rude,  mais  particulier  à  ce  petit  pays.  Pour  être  mieux  com- 
pris de  tous,  il  adopta  ensuite  le  dialecte  béarnais  de  la  plaine 
de  Pau.  qui.  avec  ses  finales  adoucies,  est  aussi  clair  et  plus  gra- 
cieux que  le  roman  gascon,  et  il  réalisa  un  petit  chef-d'œuvre 
d'harmonie  et  de  grâce  poétique.  Du  parler  d'A/un  il  ne  garda 
que  les  termes  spéciaux  à  la  vie  des  bergers  de  la  montagui". 
tels  des  taches  violentes  de  plein  soleil  dans  un  paysage  d'aube 
ou  de  crépuscule. 

Bibliographie.  — Paul  Mariéton.  En  Aquitaine  ;  Revue  Féli- 
bréenne.  t.  XI,  1895.  — Edm.  Lefevre,  Catalogne  FcUbréen,  etc. 
—  A.  Praviel  et  J.-R.  de  Brousse,  L' Anthologie  du  Fèlibrige, 
Paris,  Nouv.  Libr.  nation.,  1909,  in-18. 


BELINE 

FRAGMENT 

Quand  le  vent  du  sud,  ce  loup  qui  dévore  la  neig-e, 
souffle  chaud  en  avril,  les  oisillons  se  becquètent  de  ca- 
resses, des  ouvriers  laborieux  s'occupent  à  vêtir  la  mon- 
tagne et  à  fourrer  l'arbuste.  L'agneau  boit  au  bord  de 
l'étang,  et  le  brouillard  ne  ramène  pas  le  mauvais  temps 
en  rasant  la  terre;  l'écho  de  moment  en  moment  nous 
renvoie  quelque  sifûement,  les  amoureux  sont  d'accowi, 
et  les  ruisseaux  murmurent. 


BELINE 

Que  lou  loup  de  la  neu  bouharréyé.  en  abriu 
Lous  auserots  que  s'amigalhen. 
De  balens  sartés  que  tribalhen 

A  besli  la  mountagne,  à  tapi  l'arboulet  : 

Au  can  dou  gourg  que  béu  l'anésque, 
La  brume  bâche  que  nou  pésque. 

Lou  reclam,  d'ore  en  aute  es  rembie  u  siulet 
Lous  amourous  que  non's  peléven. 
Lous  arriulets  que  goiu-gouléyen. 


334  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Comme  ils  sont  beaux,  ces  jours  pluvieux  du  printemps 
de  l'année!  La  terre  égoutte  sa  meilleure  sève,  la  fleur  de 
la  luzule  des  champs  s'épanouit;  dans  le  pré  purifié,  le 
regain  à  racines  blanches  vient  doubler  la  longue  tige 
de  foin  ;  brillants  comme  l'œil  de  la  poule,  les  rayons  du 
soleil  à  la  Saint-Jean  piquent  d'aplomb  ;  alors  le  bétail 
n'est  pas  dispendieux,  avec  une  poignée  de  sel  il  se  con- 
tente de  ses  pâturages.  L'estivandier  paresseux  s'esquive 
quand  il  le  peut  sous  les  ormes;  le  berger-chef  roule  en 
boules  le  beurre  jaune  et  ses  petits  fromages,  et  il  en 
garnit  ses  étagères.  Mes  amis,  est-ce  que  je  ne  dis  pas 
la  vérité?  Non  loin  d'ici,  il  y  a  de  beaux  coteaux  herbeux 
qui  sont  déjà  dépouillés  de  neige  lorsque  chez  nous  les 
premiers  jours  de  mai  projettent  encore  leurs  flocons 
dans  notre  vallée  profonde. 

Moi,  j'ai  parcouru  ce  pays-là  en  pèlerin  :  la  Lane  moii- 
n'ne,  quel  labour  chaud  et  brun!  Là,  le  froment  dresse  en 
mars  ses  tuyaux,  et  quand  il  n'est  chez  nous  que  gazon, 
il  pousse  là-bas  ses  grains  laiteux. 


Quins  bets  dies  plouyius  à  la  prime  de  l'an! 

Loti  sou  bou  chue  la  terre  ploure, 

Dou  cabidet  s'ourbech  l'esloiire; 
Au  hé  lounh,  qu'assegounde  l'ardalh  tout  cu-blanc. 

Clare.  coum  l'oelh  de  la  garie 

Ta  desberia  la  praderie 
Sourelhade,  a  Sen-Yuaii.  que  hisséyes  d'aploum. 

Labels,  la  bèsli  chic  que  goasle, 

Dap  sau  souléte  que  s'arpasle. 
L'cstibayre  s'arbéye  so  pot  débat  l'oum; 

Luu  mayourau  que  boule  eu  boles 

Lou  boudé  yauné.  é  de  cusoles 
Que  garnech  la  casére.  E  menléchi  caddels  ? 

Eula  d'aci  que  n'y-a  de  béres 

El  do  peludcs  arribères. 
Qui,  tcrrégnes  ne  souu  cjuoan  de  May  lous  cadets. 

Flislasscyan  la  bal  prégoune. 

Nous  arrounséu  do  neu  ardoune. 

You  la  lane  mourine  cy  batudo,  rouiniu, 
Quiue  laurade  caute  è  nére 
Oun  lou  hourmcn  en  mars  canérn  ! 

Quoan  tasquéye  pcr  noustc  eue  Icyt  qu'cy  aqiiiu. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  o35 

Les  pâtui'ages  s  y  garnissent  de  bonne  heure,  la  plu[)art 
des  arbres  fruitiers  y  mûrissent  en  juin.  L'Adour  farou- 
che, qui  aboya  à  travers  les  précipices,  apaise  sa  fidie,  la 
main  de  l'homme  le  conduit,  etpour  qu'il  marche  à  travers 
les  prés,  on  fait  des  saignées  à  ses  bords.  L'herbe  longue 
et  grasse  est  fécondée  et  s'agite  au  delà  des  haies.  C'est 
par  là  qu'on  achète  nos  veaux  de  lait;  à  peine  dégrossis 
dans  la  montagne,  en  quelques  mois  leurs  qualités  s'y 
affinent.  C'est  là  que  les  chevaux  aux  pieds  de  cerf  et  au 
souffle  de  tempête  empruntent  au  sol  herbeux  le  nerf  et 
l'agilité.  Sur  ces  coteaux  le  sarment  file  et  tisse  ses  [)am- 
pres  :  il  grandit  le  long  des  pieux  où  ses  rameaux  sont 
attachés.  Nous  parlons  des  travaux  des  champs;  pour 
que  la  A-igne  prospère  et  que  sa  grappe  se  dore,  il  faut  la 
biner  et  lu  labourer  avec  trois  paires  de  ces  bœufs  dont 
l'échiné  nous  rase  le  menton.  Le  cou  tendu,  cherches-tu 
des  épingles,  ami  vigneron,  quand  tu  déchausses  deux 
pans  de  terre  à  chaque  coup    de   bcche  ?  Retourne  ton 


Aquiu,  la  tasque  qu'ey  douribe, 

La  maye  rute  en  yulh  qii'arribc. 
De  l'Adoii  qui  per  pênes  heroutyé  layré 

Que  s'amatigue  la  houlie, 

La  ma  de  l'omi  Tescoulie  ; 
Ta  que  régué  pous  prats  qu'eu  sannèn  lou  glerè. 

Grasse  è  lounguéte  l'èrbe  saute 

Dera  las  sègues  en  susmaute. 
Qu'an  croumpat  per  aquiu  lou  neuris  dou  bacum 

Drin  escapiat  dens  la  mountagne; 

En  chic  de  mes,  de  ley  que  gnagne 
Qu'ey  aquiu  que  gahèn  lous  chibaus  au  pescum 

La  leslelat  é  lou  bou  nérbi, 

Palmou  de  haylc  è  pé  de  cérbi. 
Lou  chermen  sus  las  cosles  qui  hiéle  è  que  tech, 

E  pous  pachets  s'entourseligue. 

Tout  en  lous  hèn  la  came-ligue. 
Que  parlam  de  tribalh.  mes  la  bigne  nou  crech 

E  lous  gaspilhs  nou  lou  se  dauren, 

Se  nou  la  caussen  ne  la  lauren 
Dap  très  pas  doun  l'esquiau  rasaré  lou  mentou, 

Lou  cot  tenut,  sérques  esplingues, 

Amie  bregné,  quoan  desarringues 
Per  lou  méndré  dus  pams  de  terré?  Lou  coustou 


336  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

coteau,  de  croix  en  pile,  et  à  l'automne  le  moût  coulera 
dans  le  pressoir.  » 

(Adaptation  française 
de  M.  Xavier  de  Cardailhac.) 


De  crouts-en-pilles  que  s'aréye, 
Ta  qu'à  l'Abor  lou  yus  chourréye. 


PHILADELPIIE  DE  GERDES 

(1871) 


Celle  qu'cia  pcnirrail  dénommer  justement  la  Mnse  pyré- 
néenne, M'"«  Claude  Réqiiier,  —  naguère  M"»  Diiclos,  —  est 
née  à  Gerdes,  en  Bigorre,  le  28  mars  1871.  Elle  a  collaboré  à 
diverses  feuilles  félibréennes  et  s'est  fait  connaître  en  don- 
nant successivement,  sous  le  pseudonyme  de  «  Philadelphe  », 
quatre  recueils  de  vers  gascons  :  Posas  perdudos,  Soiibenis,  lin- 
pressions  (Moments  perdus,  souvenirs,  impressions),  Avignon. 
J.  Roumanille,  1892,  in-12;  Bru/nos  d'aïUoiino  (Brumes  d'au- 
tomne), ibid.,  chez  le  même  éditeur.  1894.  in-12:  Cantos  d'azur 
(Chansons  d'a/.ur),  ibid..  1897.  in-12;  Cantos  d'cisil  (Chansons 
d'exil),  sans  indication  de  lieu  et  sans  nom  d'éditeur  (Màcou, 
impr.  Protat  fr,),  l!)02.  petit  in-18. 

La  poésie  de  Philadelphe  de  Gerdes,  d'une  grAce  presque  ini- 
mitable et  d'un  lyrisme  ardent,  est  la  plus  pure,  la  plus  sou- 
riante expression  des  vertus  d'une  race  attachée  au  terroir. 
Aussi  ce  n'est  point  par  complaisance  qu'un  critique  a  dit  •' 
«  Philadelphe  est  une  femme...  une  enfant  des  montagnes  de 
la  Bigorre,  une  Sapho  instinctive  et  rustique,  ignorante  des 
trésors  de  poésie  et  de  sentiment  que  lui  répartit  la  bonne  fée 
de  son  berceau.  Elle  vit,  inconsciente  fleur  des  champs,  au 
seuil  de  cette  délicieuse  vallée  de  Campan,  la  Tempe  des  Py- 
rénées. Comme  la  gentiane  des  sommets  ouvre  ses  corolles 
aux  purs  effluves  de  la  vie.  son  enfance  et  sa  jeunesse  se  sont 
épanouies  dans  la  solitude,  loin  de  l'atmosphère  troublante  des 
cités,  loin  de  nos  passions,  de  nos  haines,  de  nos  angoisles. 
tout  près  du  ciel,  dans  cet  a/ur  enivrant  où  se  modulent  les 
accords  de  l'universelle  Harmonie...  Ses  vers  sont  l'écho  des 
mélodies  champêtres  au  sein  desquelles  elle  a  grandi.  On  y 
entend  mugir  le  torrent,  chanter  la  cascade,  bruire  le  ruisseau 
qui  serpente  dans  les  verts  pâturages  où  s'épandent  les  trou- 
peaux, où  se  repose,  sous  le  tremble  et  l'yeuse,  la  génisse  à 
l'œil  doux  et  rêveur...  Philadelphe  possède  le  sentiment  pro- 
fond de  la  communion  des  êtres  et  des  choses  ;  elle  peint  comme 
l'oiseau  chante,  mue  par  un  divin  instinct'...  » 

1.  Jean-F'aul  Clarens,  Préface  aux  Posos  Perdudos,  1892. 


338  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Qu'ajouter  à  ces  lignes  émues?  Pour  exprimer  la  «  Sapho  bi- 
gourdane  »,  rien  ne  vaut  les  accents  qu'elle-même  exhale  de  sa 
lyre  enguirlandée  de  pampres,  de  violettes  et  de  roses... 

Philadelphe  de  Gerdes  va  faire  paraître  un  nouveau  recueil 
de  poèmes  :  Cantos  de  Dol  (Chants  de  Deuil). 

Bibliographie.  —  J.-P.  Clarens.  Préface  aux  Posas  perdudos, 
etc.  —  E.  Portai,  Lctteratura  provençale,  I.  Moderni  trovatori, 
Milano,  Ulr.  Hoepli,  1907,  in-12.—  A.  Praviel  et  R,  de  Brousse, 
L'Anthologie  du  fclibrige,  etc.,  1909,  in-18.  —  E.  Gaubert  et  J. 
Véran,  Anthologie  de  l'amour  provençal,  Paris,  Mercure  de 
France,  1909,  in-18. 


I 


LA   VEILLEE 

Oh!  les  veillées  de  chez  nous  —  Devant  la  large  che- 
minée —  Où  flambait  la  bruyère  ! 

Oh!  la  marmite  des  châtaignes  —  Pendue  à  la  grande 
crémaillère  —  Toute  fleurie  de  fils  d'araignées  ! 

Oh!  la  torche  grésillant  —  Qu'on  mouchait  avec  les 
doigts  —  Et  qui  répandait  si  bonne  odeur! 

Et  ma  mère,   dans  la  pénombre,  —  Filant   sa  que- 
nouillée  de  lin...  —  Oh!  comme  tout  cela  me  souvient! 

Et  mon  père  chantant  près  d'elle  —  La  douce  chanson 
du  fuseau  —  Qui  fut  la  première  que  j'appris. 

File,  file,  — Joli  fuseau,  —  Roule,  roule  — Lestement. 


L.\    IJELHADO 

FRAGMENT   DE   «    CANTOS   d'eISIL   » 

Oh!  ras  bclhados  do  nousto         E  mia  mai  eno  meyo-oumbn> 
Dabant  ed  làrie  mantèt  Espelant  sué  croui  de  li... 

Ount  eslamabo  rabrousto!  Ohiquin  toutaco-mremoumbro 

Oh!  d  metau  de  ras  castagnos  f^  '"'"  P"''  cantant^près  d'Ero 

Penud  en  ed  cremalh  «rau  Ha  douço  canto  ded  hus 

,n     .11         .  j    1.-       i>  .  Ou  aprenoui  ra  tout  permero  : 

fout  hloucal  de  huis  daragnos!  ^"    ^  ^ 

Hielo,  hielo. 
Oh  !  ra  halho  eschorbilnnto  Beroi  hus, 

Ou'on  moucabo  dab  eds  dits  Pelo.  pelo 

E  qu'auduu  bouno  abè  tanto  !  Coumo  dus. 


GASCOGNE    ET    GUVENNK 


3:]i> 


—  Il  faut  quatre  fuselées  —  Pour  avoir  un  éclieveau;  — 
D'écheveaux  il  en  faut  vingt  —  Pour  faire  un  drap  de  lit. 

—  File,  file,  —  Joli  fuseau,  —  Roule,  roule  —  Lestement. 
Tourne,  tourne,  —  Fuseau  fin,  —  Tire,  tire  —  Sur  li- 

lin.  —  Tourne,  tourne  vite,  —  Et  Dieu  nous  assiste!  — 

Nous  ferons  du  bon  fil,   —  Avec  la   grâce  de  Dieu!  — 

Tourne,  tourne,  —  Fuseau  fin,  —  Tire,  tire  —  Sur  le  linl 

Yole,  vole,  —  Petit  fuseau.  —  Coule,  coule,  —  Joli  fil. 

—  La  fillette  grandit,  —  Le  garçon  devient  fort.  —  Je 
serai  tôt  grand'mère  :  —  Filons  le  trousseau!  —  Vole, 
vole,  — Petit  fuseau.  —  Goule,  coule,  —  Joli  fil! 

Filez,  filez,  —  Quenouille  et  fuseau;  —  Tirez,  tirez,  — 
Petits  doigts  roses.  —  La  veillée  est  longue;  —  Filons, 
filons  donc,  —  Et  puissions-nous  l'an  prochain  —  Etre 
aussi  nombreux  au  foyer  !  —  Filez,  filez,  —  Quenouille  et 
fuseau;  —  Tirez,  tirez,  —  Petits  doigts  roses! 

[Chaiisojîs  d'exil.) 


Husats  en  eau  couate 
Ent'  asso  rebate, 
En  eau  bint  d'assô 
Enta  hè  linsb. 

Hielo,  hielo 

Beroi  hus, 

Pelo,  pelo 

Coumo  dus! 

Biro,  biro, 

Huset  fi. 

Stiro,  stiro 

Sus  ed  li. 
Biro,  biro  biste, 
E  Diuze  cnz-assistc! 
Heram  de  bou  liiu, 
Pra  gràcio  de  Diu! 

Biro,  biro, 

Huset  fi. 

Stiro,  stiro 

Sused  li! 

Bolo,  bolo, 

Huset  choi; 


Colo,  colo, 

Hiu  beroi. 
Ba  drotle  es  hè  grano. 
Ed  drotle  es  hé  ))èt. 
Serèi  léu  inai-grano  : 
Hielem  edtroussét! 

Bolo,  bolo. 

Huset  choi; 

Colo,  colo, 

Hiu  beroi ! 

Hielo,  hielo, 

Hus  e  croui; 

Pelo,  pelo, 

Dito  roui. 
Ba  belhado  ei  lounco  : 
Hielem,  hielem  dounco. 
E  pouscam  iaute  an 
Este  à  caso  autant  1 

Hielo,  liielo, 

Hus  e  croui; 

Pelo,  pelo, 

Dito  roui! 


EiMMANUEL   DELBOUSQUET 

(1874-1909) 


Ce  vigoureux  évocatour  du  sol  est  né  le  27  avril  1874,  à  Sos 
(arrondissement  de  Nérac),  en  Albret,  aux  confins  des  grandes 
landes  de  Gascogne.  «  Mon  père,  nous  écrivait-il  en  juin  1907, 
est  issu  d'une  vieille  famille  du  bas  Quercy,  les  Fénelous,  dont 
une  branche  fut,  en  1848,  appelée  de  Fénelous  du  Bosquet  (en 
dialecte  quercinois  del  Bousquet,  du  nom  de  sa  propriété).  Mon 
grand'père  paternel  garda  ce  nom  seul,  après  l'avoir  longtemps 
accolé  à  celui  de  Fénelous.  Ma  mère  est  de  souche  mi-paysanne, 
mi-bourgeoise  du  pays  d'Albret.  Sos  parents,  anciens  maîtres 
de  forge  ou  meuniers,  possédaient  d'importantes  propriétés  dans 
les  Landes.  Enfant,  la  région  du  «  Terro-Hort  »  (le  terrain  dur) 
ne  m'attira  jamais.  Face  à  la  colline  de  Sos,  le  Pays  du  sable 
couvert  d'immenses  pignadas  (forêts  de  pins)  et  de  surrèdes 
(forêts  de  chênes-lièges),  s'étend  comme  une  mer  bleuàtrejus- 
qu'aux  plateaux  des  landes  rases.  Dès  que  je  pus  tenir  en  selle 
sur  un  vieux  poney,  je  partis  à  la  découverte  de  cette  contrée 
unique  dont  la  contemplation  passionnée  forma  mon  âme.  Au 
cours  des  déplacements  de  mon  père,  alors  fonctionnaire  en 
Agenais,  en  Quercy  et  dans  le  haut  Languedoc,  j'ai  ressenti 
une  âpre  souffrance  à  m'éK)igner  du  pays  landais.  Adolescent, 
au  polit  séminaire  de  Toulouse,  je  fus  en  proie  à  des  crises  de 
nostalgie  telles  que  je  passais  des  h(>urcs  hypnotisé  devant  une 
carte  de  géographie  où  j'avais  dessiné  les  limites  naturelles  do 
ma  région...  Le  seul  mot  «  lande  »  m'émouvait  jusqu'aux  lar- 
mes. J'étais  frêle  â  l'extrême.  Ma  sensibilité  maladive,  quand 
l'obsession  du  sol  natal  devenait  intense,  me  valut  deux  ou  trois 
crises  de  fièvre  cérébrale.  Plus  tard,  cependant,  je  revins  à  Tou- 
louse sans  regrets  et  j'y  contractai  dos  relations  d'amitié  qui 
durent  encore,  avec  dos  poètes  comme  Marc  Lafarguo,  les  frères 
Maurice  et  André  Magro,  Jean  Viollis.  Joseph  Bosc.  Je  fondai 
successivement  avec  eux  les  Essais  de  jeunes  (1891),  L'Effort 
(1896-1902),  le  Midi  fédéral  et  la  llevue  Provinciale.  L'un  des 
premiers,  sans  avoir  lu  Mistral,  Foiirès  et  les  Félibres,  j'avais 
eu  conscience  d'imo  renaissance  méridionale.  Par  la  suite,  dès 
mon  mariage  îi  Toulouse,  en  1895,  je  revins  on  Albret  pour  n'en 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  341 

plus  guère  sortir  et  pour  y  retrouver,  grAceau  repos,  à  la  pu- 
reté de  l'atmosphère,  aux  longues  randonnées  dans  la  lande 
la  paix  morale  et  la  santé.  J'y  mène  la  vie  de  propriétaire  cam- 
pagnard, m'occupant  de  mes  métairies,  élevant  du  bétail  et  des 
chevaux,  plantant  des  bois  de  pins.  Travail  et  solitude  me  tien- 
nent lieu  de  devise.  Je  parle  avec  amour  mon  vieux  dialecte 
gascon,  celte  langue  robuste  et  pure  que  Montaigne  et  du  Bar- 
tas  admiraient.  Je  jouis  le  plus  possible  de  la  terre,  selon  les 
traditions  des  miens.  J'ai  pris  conscience  de  moi-même.  » 

Emmanuel  Delbousquet  a  publié  une  plaquette  de  vers  :  En 
les  landes  (Toulouse,  1892,  in.l2),  puis  quatre  romans  de  mœurs 
landaises  :  Le  Mazareilh  (Paris.  OUendorlf,  1902,  in-18),  Margot 
(Toulouse,  Soc.  provinciale  d'édition.  1903.  in-18),  L'Ecarteur 
(Paris,  Ollendorff,  1904,  in-18),  Miguettc  de  Cantc-Cigale  (Paris, 
Nouvelle  Libr.  Nationale,  1908,  in-18).  On  lui  doit  en  outre  un 
recueil  de  poèmes,  Le  Chant  de  la  Race,  1893-1907  (Paris.  Mes- 
sein.  1908,  in-18),  où  s'inscrit  magnifiquement,  c'est  le  mot,  son 
amour  de  la  petite  patrie. 

Emmanuel  Delbousquet  a  collaboré  au  Télégramme  (Toulouse) , 
à  L'Almanach  du  Midi,  à  L'Ermitage,  au  Pays  de  France,  à  la 
Revue  Pérignurdine,  à  L'Ame  latine,  à  la  Revue  Forezienne,  à  la 
Revue  de  Paris,  à  L'Occident,  à  La  France  du  Sud-Ouest,  etc.  Il 
est  mort  le  20  mai  1909,  au  lieu  môme  de  sa  naissance,  lais- 
sant le  souvenir  d'un  artiste  noblement  inspiré  et  dun  homme 
de  cœur. 

Bibliographie.  —  A.  Grimaud,  La  Race  et  le  Terroir,  Cahors. 
1903,  in-8».  —  L.  Le  Cardonnel  et  Ch.  Vellay,  La  Littérature 
contemporaine,  Paris,  Mercure  de  France,  1905,  in-18.  —  G.  Ca- 
sella  et  E.  Gaubert,  La  Nouvelle  Littérature,  Paris,  Sansot,  1906, 
in-18.  —  R.  Davray  et  H.  Rigal,  Anth.  des  poètes  du  Midi,  Paris, 
Ollendorff,  1908,  in-18.  —  L'Ame  latine  (Toulouse),  juill.  ^909. 


A   LA    CITE    NATALE 

Devant  les  grands  plateaux  de  bruyère  et  de  brande 

Et  les  forêts  de  pins  éternellement  verts, 

Sur  ton  rocher  abrupt  tu  domines  la  Lande, 

Et  telle  que  jadis  tu  dominais  la  Mer  ! 

O  cité!  toi  qui  fus  la  Porte  Occidentale 

Ouverte  aux  bords  de  l'Océan,  aux  temps  anciens 

Où  les  galères  des  rameurs  faisaient  escale, 

Dans  ce  golfe,  parmi  les  vaisseaux  phéniciens; 


342  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

De  ton  enceinte  s'en  allaient  les  caravanes 

De  marchands  qu'escortaient  tes  rudes  cavaliers 

Vers  l'autre  mer,  à  l'orient  de  la  savane, 

Pour  atteindre  en  sept  jours  un  port  hospitalier'. 

Laissant  au  nord  le  fleuve  et  ses  rives  peu  sûres, 

Par  les  plateaux  qui  recelaient  le  cuivre  et  l'or, 

Liant  la  côte  ibère  au  rivage  ligure, 

Ils  suivaient  le  chemin  que  nous  suivons  cncor. 

Un  jour  vint  où  la  mer  ne  heurta  plus  tes  grèves. 

ïu  demeuras  mille  ans  debout  sur  ton  îlot, 

Regardant  s'élargir  autour  de  toi,  sans  trêve, 

La  blanche  aridité  des  sables  et  des  flots. 

Toi  que  César  nomma  la  Clef  de  l'Aquitaine 

(0  cité  dont  les  eaux  ne  battent  plus  les  murs), 

J'évoquerai  ta  gloire  aux  époques  lointaines, 

Pour  que  ton  souvenir  renaisse  ardent  et  pur. 

Car,  maintenant,  déchu  à  jamais  de  ta  gloire, 

Antique  Sos  qui  ne  sais  plus  te  souvenir! 

Ton  nom  s'est  effacé  des  pages  de  Thistoire. 

La  cendre  de  l'oubli  a  bien  pu  le  ternir... 

Tes  fils  ont  méprisé  la  langue  de  leurs  pères, 

Et  nul  ne  se  souvient  d'héroïques  aïeux. 

Mais  dans  mon  cœur  revit,  en  face  de  la  terre, 

Le  double  culte  de  sa  race  et  de  ses  dieux i... 

Et  je  dirai  cette  conquête  sarrasine 

Qui  mit  dans  notre  chair  la  flamme  et  la  beauté, 

Et  le  triomphe  en  nous  de  la  raison  latine 

Qui  remplit  notre  front  d'éternelle  clarté. 

L'ÉCARTEUR 

I 

l'écart 
Coiffé  d'un  béret  rouge  et  chaussé  de  sandales, 
En  veste  courte  de  velours  incarnadin. 
Il  s'accoude  au  toril  ou  salue  aux  gradins 
Quelque  éventail  dont  joue  une  main  fine  et  pâle. 

1.  Narbonnc. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  3'l.'} 

Un  regard.  D'un  saut  souple  il  a  cambré  ses  reins 
Au  milieu  de  l'arène  où  sa  voix  gutturale 
Fait  foncer,  par  bonds  fous,  sur  le  sable  en  rafale, 
La  vucbe  agile  aux  flancs  couleur  de  fauve  airain. 

Frappant  du  pied,  les  bras  levés  dans  le  soleil 
Brûlant  le  sable  noir  et  les  gradins  vermeils, 
Il  attend  que  le  front  l'effleure.  Un  cri  éclate 

Et  se  prolonge,  triompbal,  dans  lair  du  soir, 

Car  la  corne  a  troué  la  ceinture  écarlato 

Et  tacbé  de  sang  vif  le  blanc  vol  du  mouchoir  ! 

II 

LE     SAUT 

Qu'il  aille  droit  vers  elle,  ou,  campé,  qu'il  s'arrête,  — 
Les  pieds  joints  et  liés  par  le  nœud  du  mouchoir. 
Pour  la  franchir  d'un  bond  léger,  —  la  fauve  bête 
Le  guette  d'un  œil  fourbe  et  feint  de  point  ne  voir. 

Mais,  au  cri  rauque  et  dur,  elle  a,  baissant  la  tête. 
De  son  sabot  fourchu  creusant  le  sable  noir, 
Fait  tressaillir  le  peuple  et  l'arène  niuette. 
En  beuglant  longuement  au  ciel  pourpre  du  soir. 

Puis,  d'un  élan  farouche,  elle  fonce...  Il  rassemble 
Son  torse,  et,  d'un  seul  coup  de  jarrets,  bondissant 
Dans  le  poudroiement  d'or  qu'ils  soulèvent  ensemble, 

Saute...  —  et  sous  ses  pieds  joints  la  bête  passe  encore, 
Tandis  qu'immense,  vers  l'azur  éblouissant,  « 

Monte,  roule  et  se  perd  une  clameur  sonore. 

LE    CRÉPUSCULE 

Le  crépuscule.  L'odeur  fraîche  de  cette  eau. 

Le  soleil  qui  bleuit  la  pente  du  coteau. 

Le  chaud  silence  et  la  volupté  que  l'on  goûte 

A  puiser  dans  ses  doigts  l'eau  pure  du  bassin  • 

C'est  le  seul  bruit  léger  qu'en  mon  âme  j'écoute, 

Tant  le  soleil  tarit  le  rêve  qui  s'égoutte. 

Gomme  l'eau  de  la  source  au  creux  tiède  des  mains. 


il^  LES    POETES    DU    TEKROIR 

Dans  la  pinède  en  feu,  sur  la  blancheur  des  sables, 
Où  crépitent  sans  fin  leurs  cris  intarissables, 
Ivres  du  lourd' soleil  et  du  miel  de  1  été, 
Depuis  l'aurore,  les  cigales  ont  chanté... 
L'odeur  des  foins  coupés,  des  chênes,  des  résines, 
Dans  le  vent  embaumé  de  la  lande  voisine, 
Sur  les  coteaux  pierreux  et  les  dunes  qui  brûlent, 
S'exhale  enfin  dans  la  flamme  du  crépuscule. 

En  face  du  vallon  sauvag-e  où  les  rochers 

Sont  pleins  de  chênes  creux  et  d'antiques  ruchers.  — 

Au  bord  des  vignes  où  butinent  les  abeilles 

Sur  les  raisins  dorés  et  les  figues  vermeilles,  — 

Immobiles,  dressant  au  ciel  torride  et  bleu 

Leurs  grands  rameaux  d'or  vert  et  de  bronze  écailleux. 

Des  pins,  au  bout  du  roc  où  leur  tronc  nu  se  plante, 

Hors  du  sable  stérile  aux  bruyères  sanglantes. 

Parmi  les  lièges  argentés  aux  troncs  vermeils. 

Gardent  à  chaque  entaille  un  éclat  de  soleil, 

Tandis  que  le  soir  tombe  au  fond  des  landes  rases, 

Par  delà  les  bois  noirs  que  le  ciol  rouge  embrase. 

Et,  comme  notre  rêve,  en  l'ombre  chaude  eiicor, 

La  résine  à  leur  flanc  s'écoule  en  gouttes  d'or. 

[Le  Chant  de  la  Race.) 
Vallée  de  la  Gueyze. 


PAUL   FROMENT 

(1 875-1  .S<>7) 


Ce  fut  une  destinée  brièvement  tragique  que  celle  de  ce  «  gril- 
Ion  du  Quercy  »,  dont  l'âme  avait  éprouvé  prématurément  les 
mille  Aibralions  de  la  terre  et  qui  cadençait  ses  stances  au  pas 
rythmique  de  ses  bœufs.  Il  était  né,  ainsi  que  tous  les  siens,  sur 
le  sol  âpre  et  dur  des  cùles  du  Lot,  au  confin  méridional  du 
Causse,  à  la  Muraque,  commune  de  Floressac,  canton  do  Puy- 
l'Evèque,  le  17  janvier  187.").  D'une  pauvre  famille  paysanne,  il 
avait  quitté  l'école  primaire  pour  se  louer,  comme  valet  de  ferme, 
prés  de  Villencuve-sur-Lot  (Lot-et-Garonne).  Il  charmait  les 
instants  de  son  dur  labeur  en  composant  dos  vers  imprégnés 
d'un  parfum  tie  terroir  et  illuminés  par  un  rêve  juvénile.  Il  a 
raconté  comment  l'inspiration  lui  venait  en  labourant.  «  Au  bout 
de  chaque  sillon,  disait-il,  la  strophe  s'envole  {fraguolo)  ;  à  la 
(in  du  y'o»;7iai  (de  labour),  je  tiens  mon  poème.  »  L'amour,  ou 
plutôt  le  pressentiment  de  l'amour,  se  mêlait  à  ses  rimes  lors- 
qu'il donnait  à  une  feuille  locale,  Lou  Ca'.el,  les  prémices  de  sa 
muse  adolescente.  La  conscription  le  prit  alors  qu'il  venait 
de  recevoir  aux  Jeux  [<"loranx  une  marguerite  d'argent  pour  son 
manuscrit  Flous  de  primo  {Flcnvs  de  printemps).  Il  n'avait  publié 
jusqu'alors  qu'une  mince  plaquette,  A  trab'es  liégos,  rirnos  d'un 
pitiou  paysan  (A  travers  les  Sillons,  rimes  d'un  petit  paysan), 
Villeneuve-sur-Lot,  imprim.  Delborgé,  1895,  in-8",  tout  son  avoir 
poétique.  Il  partit  pour  Lyon  et  fut  incorporé,  le  16  nov^bre 
1897,  au  121o  régiment  de  ligne.  Le  15  juin  de  l'année  suivante 
on  retrouvait  sons  une  passerelle,  prés  du  grand  pont  Morand, 
son  ceinturon  et  son  fourreau  d'épée-baïonaette.  Le  lendemain  » 
des  pécheurs  arrêtaient  à  Vienne  (Isère)  le  corps  du  malheureux 
soldat  filant  vers  la  mer.  Crime  ou  mort  volontaire?  On  a  épi- 
logue longuement  sur  cette  fin  mystérieuse.  Aujourd'hui  o:i 
peut  le  dire,  —  c'est  du  moins  l'opinion  des  mieux  renseignés, 
—  Paul  Froment,  isolé  et  pauvre,  angoissé  par  la  médiocrité 
du  sort,  inquiet  de  l'avenir,  se  suicida.  Ses  amis  Francis  Mara- 
tuech,  Victor  Delbergé.  d'autres  encore,  ramenèrent  son  corps 
au  pays  natal,  et  quelques  années  après  firent  édifier  à  l'infor- 
tuné poète  un  modeste  monument  à  Peane  (26  juillet  1903). 


346  LES  POÈTES  DU  TERROIK 

Quelqu'un  l'a  écrit ',  «  rien  n'est  touchant  et  tout  ensemble 
douloureusement  fier  comme  cette  brève  existence...  Enfant  du 
rêve  et  du  devoir  que  la  splendeur  de  la  chimère  ne  détourna  pas 
de  sa  tâche,  et  qui  puisait  sa  beauté  dans  son  labeur  même,  la 
main  sur  la  charrue,  les  yeux  pénétrés  de  la  grâce  des  choses, 
il  avait,  dans  notre  monde  grisé  d'orgueil  et  de  civilisation, 
l'âme  d'un  laboureur  antique.  Un  nouveau  recueil  publié  avant 
sa  mort,  Flous  de  primo  (Fleurs  de  printemps)  (Villeneuve-sur- 
Lot,  impr.  E.  Chabrié,  1897,  in-8°),  était  venu  s'ajouter  au  livre 
de  la  première  heure.  Mince  bagage,  qui  suffit  à  imposer  son 
nom  dans  nos  mémoires.  Quelle  moisson  abondante  vaudra 
jamais  ce  mince  bouquet  de  fleurs  des  champs!...  » 

«  La  précision  et  l'originalité  de  l'image,  l'imprévu  du  rap- 
prochement, tels  sont  —  observait  naguère  le  regretté  Francis 
Maratuech  —  les  charmes  principaux  de  ce  talent  alerte  et  prime- 
sautier.  Froment  fut  un  tendre,  qui  rougissait  de  paraître  sen- 
timental; tout  en  finesse  et  en  nuances,  sans  mièvrerie  ni  bruta- 
lité. Avec  cela,  franchement  moderne,  parce  qu'il  avait  l'ironie 
du  moment  :  incisive  et  profonde,  mais  point  corrosive,  l'ironie 
innée  et  narquoise  du  paysan  qui  ne  s'étonne  pas,  parce  que 
de  longs  siècles  de  résignation  et  d'expériences,  toujours  les 
mêmes,  lui  ont  appris  que  les  saisons  et  les  hommes  ne  s'amé- 
liorent guère  sous  leur  apparente  instabilité.  » 

Bibliographie.  —  Aristide  Salères,  Paul  Froument,  notice 
biogr.,  Villeneuve-sur-Lot,  impr.  Delbergé,  1903,  in-S».  —  Ernest 
Lafont,  Paul  Froument,  Réveil  du  Lot-et-Garonne.  25  juin  1903. 
—  Francis  Maratuech,  Préface  à  Flous  de  primo,  1897.  —  A.  Pm- 
viel  et  J.-R.  de  Brousse,  L'Anthologie  du  Félibrige,  etc., 


1909 


AUX   CURIEUX 

Si  quelqu'un  demande  qui  je  suis,  —  De  quel  droit  ma 
plume  rimaille,  —  Vous  saurez  que  c'est  Dieu  qui  m'a 
fait,  —  Mais  qu'il  ne  m'a  baillé  ni  sou  ni  maille! 


AS    CURIOUS 

Se  caùqu'un  demande  cal  sei, 
Per  quin  dret  ma  plumo  rimalho, 
Saùrès  qu'aco  Diù  que  m'a  fei, 
Mais  que  m'a  bailbat  so  ni  malho  I 


1.  Henry  Lapauzc. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  'Vk'J 

Et  petit  valet  qui  travaille,  —  Depuis  l'îiiibe  jusqu'à  la 
nuit,  —  Si  je  u'ai  pas  du  foin,  je  mange  de  la  paille,  — 
Mais  je  me  contente  de  ce  que  j'ai. 

Sur  le  chemin  du  berceau  à  la  tombe  —  H  y  a  vingt 
ans  bientôt  que  de  colline  en  combe,  —  Avec  les  sabots, 
je  marche  en  guenille. 

D'argent  n'ai  point,  et  d'esprit  guère,  —  Et  je  mour- 
rai, comme  mon  père,  —  Paysan  du  chef  aux  talons! 

LA   LESSIVE 

Elles  se  sont  levées  de  bon  matin,  —  Les  lavandières, 
et,  pour  partir,  —  Vite,  sans  trop  se  peigner,  —  Chacune 
au  galop  s'est  coiffée,  —  A  grands  pas  le  petit  troupeau 
—  S'achemine  vers  le  ruisseau  :  —  Les  corbeilles  sur  le 
tombereau,  —  Les  bœufs  vont  traînant  la  lessive. 

Sur  la  charrette  est  leur  repas,  —  En  courant  elles 
mangent  une  croûte. 

E,  pitcliou  bailet  quo  trabalho 

Dumpei  l'albo  dinco  à  la  nej, 

S'ei  pas  de  fe,  minji  de  palho, 

Mes  me  counteuti  de  ço  qu'ei. 

Sul  cami  de!  brès  à  la  touinbo 

Y  a  bint  ans  leù,  de  pèt  en  coùmbo, 

Amb  lous  osclots,  marchi  pelhous; 

D'artgen  n'oi  pîel,  ni  d'esprit  gaire, 

E  mourirei,  coumo  mon  paire, 

Païsan  del  cap  dinco  as  talous  !  ^ 

LA   BUGADO 

Se  soun  lebados  pla  mati, 
Las  labairos,  e,  per  parti, 
Bisle,  sans  se  trop  escouti, 
Caduno  al  galop  s'es  coufado: 
D'un  grand  pas  lou  pitiou  troapcl 
Camino  cat  al  ribatel; 
Din  de  descos,  sul  toumbarel, 
Lous  beus  ban  traina  la  bugado. 
Sus  la  carrcto  an  lour  banquot, 
En  courren  miutjon  un  crouslet. 


3l8  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

—  Aussi  pauvres  d'esprit  que  peu   frileuses,  —  Elles  se 
retroussent  sans  honte,  —  Puis,  suffoquant  de  chaleur, 

—  Elles  laissent  brassières,  jupons,  — Afin  de  travailler 
mieux  —  Et  d'aller  plus  vile  en  besogne... 

Elles  ne  ferment  pas  la  bouche...  jamais!  —  Toutes 
elles  disent  ce  qui  leur  plaît,  —  L'une  beaucoup,  l'autre 
encore  plus...  —  De  chacun  elles  tirent  l'horoscope,  — 
Elles  salissent  trois  fois  plus  de  gens  —  Qu'elles  ne  la- 
vent d'habillements  :  —  Elles  égratignent  tout,  plus  ou 
moins,  —  Mais  leur  conscience  est  toujours  propre! 

Cependant,  sur  les  prés,  alentour,  —  La  moins  bavarde 
étend  toujours  —  Le  linge,  et  quand  tinte  midi  —  Il  est 
bien  temps  de  boire  un  peu.  —  Il  y  a  des  oignons  cuits 
au  four,  —  Du  pain,  du  vin,  du  saucisson.  —  Sans  ces- 
ser son  vain  bavardage  —  Aussitôt  la  troupe  déjeune. 

Ensuite,  elles  se  remettent  à  la  besogne.  —  Criant 
fort,  chantant  haut, 

Tan  paiiros  d'esprit  que  de  fret, 

Soun  retroussados  sans  bergougiid, 

Pei,  debouridos  de  caloti 

Qiiiton  brassièros,  coiitilhou, 

Pertan  de  trabalha  millou 

Et  d'ana  pus  biste  en  besougno... 

Barron  pas  la  bouco...  jamai  ! 

Toutes  dison  ço  que  lour  plai, 

Uno  bien,  l'autre  enquèro  mai... 

Sus  cadun  tiron  de  l'escopo, 

Salisson  très  cots  mai  de  gens 

Que  nou  labon  d'habillomens  ; 

Zou  graupignon  tout,  mai  ou  mens, 

Mais  lour  counscienço  es  toujoin*  propo  1 

Saquela.  pel  prat,  à  l'en':our 

La  men  babardo  esten  touijour 

Lou  lintge,  «;  quan  souno  metjour 

Es  ten  de  heure  uno  brigallio, 

Y  a  d'agnous  un  four  enipenat 

De  pa,  de  bi.  de  cerbelat, 

Sans  quitta  de  fa  soun  sabat 

Alabcls  la  troupo  brespallio. 

Apei.  86  tornon  meltre  en  trin, 

A  crida  fort,  à  canta  prin, 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  3i9 

—  Elles  pouffent  de  rire  et  mènent  grand  tapage.  — 
Cependant  le  soleil  descend,  —  Avant  qu'il  se  couche 
elles  ont  fini.  —  Qui  saurait  alors  combien  de  fois  elles 
ont  menti?  —  Qui  croirait  tout  le  mal  qu'elles  ont  dit  — 
Sur  un  tel  et  sur  une  telle  ? 

Et  quand  le  linge  est  rassemblé,  —  Dans  les  grandes 
corbeilles  quand  il  est  remis,  —  Et  que  sur  la  charrette 
il  est  chargé,  —  Le  bouvier,  qu'elles  appellent,  vient  le 
chercher;  —  Elles  s'en  vont  en  devisant  —  De  ce  ([u'elles 
aperçoivent  en  chemin,  —  Soit  des  trèfles  chétiis  de  Jean, 

—  Soit  des  gros  potirons  de  Pierre... 

Enfin,  le  soir,  c'est  grand  festin.  —  Dans  les  casseroles 
ronflantes  —  Cuisent  poulet  ou  lapin;  —  Et  la  marmite 
à  la  crémaillère  est  pendue;  —  Chacune  tout  autour 
d'un  grand  feu  —  Se  prélasse  comme  un  préfet!  —  Elles 
font  bombance,  repas  complet,  —  Et  puis  les  crêpes  pour 
la  veillée'. 

{A  travers  les  Sillons.) 

S'esclafan,  menon  un  fol  tria  : 

Entr'estan  lou  soulel  dabalo. 

Aban  que  se  coutchc  an  fenit. 

Cal  saurio  tout  col  qu'an  mentit? 

Cal  crerio  tout  lou  mal  qu'au  dit 

Sus  un  tal  e  sus  uno  talo? 

Lou  lintje  un  cot  arremousat, 

Dius  las  grandes  descos  tournât, 

Et  sus  la  carreto  cargat, 

L'home,  qu'an  cridat.  ben  lou  querre; 

S'en  tornon  en  bargaletjan 

De  çio  que  besoun  en  raarchan,  ^ 

Sus  la  piètro  trèflo  del  Jan 

Ou  las  brabos  coutsos  del  Pierre... 

Enfin,  lou  sero.  grand  festin; 

Dins  las  casseroles,  brutzin, 

Se  cosoun  poulet  ou  lapin. 

E  l'oulo  al  carmal  es  penjado; 

Caduno  a  l'entour  d'un  grand  fet 

Se  palaiso  counio  un  prelet  ! 

Fan  ripalho,  soupa  coumplet 

E  las  crespos  à  la  belhado. 

(A  trabhs  Rcg-os.) 
l.  Traduction  de  Paul  MarvUis. 


ROGER  FRENE 

(1878) 


Issu  d'une  famille  de  fonctionnaires,  M.  Bogcr  Frùne  est  ni* 
le  18  janvier  1878,  à  Rodez.  Il  a  vécu  jusqu'à  ce  jour  à  peu  près 
exclusivement  dans  son  pays  natal,  collaborant  à  des  revues 
locales  et  donnant  ses  soins  à  une  publication  décentralisatrice, 
La  Revue  provinciale,  dont  il  fut,  depuis  1900.  le  secrétaire  de  h» 
l'édaction.  Son  bagage  est  léger,  mais  plein  de  promesses.  En 
1904, il  a  pul)lié  un  volume  de  poèmes  où  chante  l'âme  rustique  : 
Paysages  de  l'âme  et  de  la  terre  (Toulouse,  Société  provinciale 
d'édition,  in-18),  et  il  vient  de  donner  un  nouveau  recueil  ([ui 
le  rattache  étroitement  aux  disciples  de  l'école  symboliste  :  Les 
Sèves  originaires,  suivies  deNoctarnes  (Paris,  Perria,  1908,  in-18). 
On  lui  doit  en  outre  deux  actes  en  vers,  écrits  en  collabora- 
tion avec  Henry  Bourjade.  La  Cathédrale  (Rode/..  Carrère,  190". 
in-12),et  représenlés  au  ihéâtre  de  laNalure  de  Rode/,  le  11  aoni 
1907.  M.  Roger  Frêne,  dont  l'œuvre  témoigne  d'une  consciente 
évolution,  est  un  bucolique  doublé  d'un  visionnaire.  Les  airs 
qu'il  tire  de  ses  pipeaux  n'évoquent  pas  seulement  l'hori/on 
étroit  de  la  petite  patrie,  mais  célèbrent  le  domaine  illimité  du 
rêve. 

BiBLiooRApniE.  —  Michel  Puy,  Roger  Frêne,  La  Revue  Pro- 
vinciale (Toulouse),  oct.  190i.  —  Francis  Carco,  Roger  Frêne, 
Le  Feu  (Marseille),  !<>■•  août  1908. 


LES    PLAINES   DE    LA    PIERRE 

Semés  de  chênes  courts,  les  causses, 
"Vastes  espaces  de  soleil, 
Grincent  sous  les  rayons  féroces 
Ou  bruissent  aux  champs  do  niéteil. 
Les  jn'erres  toutes  vocifèrent  : 
Les  grillons  s'exaltent  partout 


% 


GASCOGNE    ET    GUYENNE 

A  crisser  au  cliaud  de  la  terre 
Comme  une  grande  scie  qui  tourne. 

Au  pur  de  l'espace  tendues, 
Les  hautes  harpes  des  rayons 
Jusqu'aux  poussières  bleues  des  nues 
S'émeuvent  du  cri  des  grillons. 

Le  feu  baigne  les  jaunes  plaines, 
Fait  crépiter  le  blé  mûri 
Et  luire  les  toits  noirs  des  fermes 
Comme  de  lointains  incendies. 

Pendant  que  là-bas  se  dessine, 
En  larges  contours  reposés 
Cernant  la  fournaise,  la  ligne 
De  l'horizon  frais  et  boisé. 


Paix  des  labours  aux  causses  larges 
A  peine  s'éteint  l'horizon 
Par  delà  les  barrières  d'arbres 
Cuivreuses  au  soleil  qui  fond. 

Dans  le  calme  du  soir  austère, 
Unanime  voix  des  sillons, 
Résonne  au  ventre  de  la  terre 
Le  chant  dispersé  des  grillons. 
Les  feuillages  maigres  frémissent 
Sur  la  haie  où  pleure  un  hibou; 
Peu  à  peu  les  ombres  se  glissent 
Parmi  les  pierres  du  sol  roux. 
Les  chars  détruisent  du  silence 
Et  roulent  aux  chemins  rugueux, 
Cahotés  avec  somnolence 
Par  la  lenteur  lasse  des  bœufs. 
Un  voyageur  va  vers  la  combe, 
Sans  songer,  tout  passivement. 
Au  milieu  de  la  nuit  qui  tombe, 
Il  s'arrête  à  voir  un  moment, 
Grêles  parmi  des  cheminées, 
Sur  la  nudité  de  l'azur. 


35! 


152  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Voler  des  ombres  de  fumées 
En  traits  diaphanes  et  purs, 

Ou  les  fermes,  dont  les  lumières 
Piquent  la  nuit  venue  au  loin. 
Aux  sons  de  cloches  en  prières 
Disparaître  vers  le  couchant. 

{^Paysages  de  l'âme  et  de  la  terre. 


t 


EMILE   DESPAX 

(1881) 


P«lit-fils  du  médecin  Jean  Hameau,  «  qni  écrivit  un  Traite 
du  Virus  et  l'ut  le  précurseur  de  Pasteur  »,  M.  Emile  Despax 
est  né  le  14  septembre  1881,  à  Dax  (Landes).  Son  père,  magis- 
trat colonial,  l'emmena  très  jeune  aux  iles  Comores  et  à  la  Réu- 
nion. Rentré  en  France,  il  fit  ses  études  au  lycée  de  Bordeaux, 
puis  an  lycée  Henri  IV,  à  Paris.  H  était  encore  lycéen  qu'il  col- 
laborait au  Mercure  de  France,  à  La  Plume,  à  L'Ermitage,  à  La 
Renaissance  Latine,  et  réunissait  ses  premiers  vers  en  une  élé- 
gante plaquette  intitulée  :  Au  Seuil  de  la  Lande  (Paris,  édit.  du 
Mercure  de  France,  1902,  in-8">).  Peu  après  il  donnait  ce  recueil. 
La  Maison  des  Glycines  (ibid.,  1905,  in-18).  qui  le  classait  au 
premier  rang  des  poètes  nouveaux  et  lui  valait  en  1906  le  prix 
Archon-Despéronses.  M.  Emile  Despax,  qui  a  été  successive- 
ment secrétaire  d'un  sénateur  des  Landes  et  chef  du  secrétariat 
particulier  du  ministre  des  colonies  (1906-19081,  est  actuelle- 
iuent  attaché  au  cabinet  du  gouverneur  de  l'Indo-Chine. 

Poète  sincère,  au  talent  doublement  caractérisé  par  la  dou- 
ceur et  l'harmonie,  M.  Emile  Despax  est  un  élégiaqiie  d'esprit 
traditionnel  et  de  goiU  classique:  en  un  mot,  un  tendre  très 
épris  de  nos  anciens  poètes,  mais  sensible  aux  manifestations 
lyriques  des  derniers  venus.  Sapho.  "Virgile,  Léonard.  Lamartine, 
Desbordes-Valmore.  l'ont  tour  h  tour  ému,  mais  il  n'est  Boint 
resté  indifférent  à  l'art  de  Baudelaire,  de  "Verlaine,  et  de  Henri 
de  R-égnier.  Il  doit  au  romantisme  un  certain  penchant  à  la  rot 
luance,  et  au  symbolisme  le  goût  des  choses  fragiles.  Son  art 
délicat  est  plein  de  nuances,  d'impressions  où  persiste  le  sou- 
venir du  pays  natal.  Méridional  d'nn  Midi  gris  et  humide,  a  dit 
avec  justesse  je  ne  sais  quel  critique,  il  allie  à  une  grande 
habileté  du  vers  une  rare  pénétration  psychologique  et  d'heu- 
reux dons  de  couleurs  et  d'images. 

BiBUOGn.\PHiE.  —  .\d.  van  Bever  et  P.  Léautaud,  Poètes  d'au~ 
jourd'hui,  nouv.  édit..  I,  1908.  —  Raoul  Davray  et  Henry  Rigal, 
Anthologie  des  poètes  du  Midi,  Paris,  Ollendorff,  1908,  in-18. 


'Aoi  LES    POETES     DU    TERROIR 


LE    RETOUR   AUX   GLYCINES 

Plein  de  remous,  l'Adour  allait  dans  le  soir  triste. 

La  cloche  du  collège  a  monté  dans  le  soir 

Et  gravi  le  coteau  pesant  des  Lazjiristcs. 

Le  Boudigau  faisait  dans  le  vent  un  bruit  noir. 

L'heure  où  notre  àme  soufFre  et  pleure  est  éternelle. 

Il  a  pourtant  suffi  du  passage  d'une  aile 

(Chauve-souris  qui  va,  heurtant  la  nuit  d'été), 

De  cette  cloche  au  fond  de  cette  obscurité 

Et  des  sifflets  enfuis  qui,  par  instants,  s'élancent 

Des  trains  fous  emportés  à  travers  le  silence, 

Pour  que,  se  réveillant  soudain,  mon  cœur  flottant 

Comprît  qu'il  n'étreignait  qu'un  atome  du  temps. 

Qu'une  heure  de  douleur  n'est  rien,  dans  la  durée 

Des  mondes  bleus  épris  d'une  course  azurée; 

Qu'il  valait  mieux  quitter  pour  un  jour,  simplement, 

Cet  orgueil  de  poêle  et  ces  douleurs  d'amant 

Dont  tour  à  tour  mon  cœur  s'illumine  et  se  voile. 

Pour  rêver,  ébloui  d'immortelles  clartés, 

Et,  loin  des  bois  troués  de  pas  humains,  compter 

Les  pas  de  Dieu  marqués  dans  le  ciel  des  étoiles. 

Le  silence  se  fit  plus  profond.  Et  je  fus 

Tout  à  coup,  de  nouveau,  par  les  halliers  confus, 

Pareil  au  bois  tout  plein  d'hésitations  noires. 

Alors,  ô  mon  ;imi,  j'ai  béni  ta  mémoire. 

L'eau  près  de  moi  brillait,  et  j'ai  revu  le  puits 

Dans  la  cour,  près  du  puits  les  portes  des  trois  granges, 

La  maison,  le  bureau  qu'embaumaient  des  oranges, 

Et  le  jardin  de  sable  entre  des  rangs  de  buis. 

Et  je  m'en  suis  allé  vers  l'ombre  du  village. 

On  devinait  parfois  des  toits  sous  le  feuillage. 

Tous  les  chiens  aboyaient  au  passage.  J'allais. 

J'ai  passé  la  prairie  aux  osiers  violets, 

J'ai  vu,  sur  le  chemin,  l'ombre  du  presbytère 

Humblement  s'allonger  à  mes  pieds,  sur  la  terre, 

Et  j'ai  marché  sur  elle  et  je  m'en  suis  venu. 

Maintenant,  je  suis  là.  J'ai  posé  mon  front  nu 

Sur  la  pierre.  Le  vent  dans  mes  cheveux  ondule. 


GASCOGNE    ET    GUYENNE 


355 


Rien  ne  vit  plus  dans  la  maison.  On  n'entend  pas 

Le  moindre  bruit.  Pasmèmeuncliien.  Pas  même  un  pas 

De  servante  ou  le  balancier  d'une  pendule. 

Dors-tu  sans  un  remords  dans  ta  nuit,  au  tombeau.' 

Mon  ami,  qu'as-tu  fait.'  Ta  maison  était  belle. 

O  souvenir!  Il  est  cruel  qii'on  se  rappelle. 

En  septembre,  le  soir,  quand  le  ciel  était  beau, 

Les  étoiles  pointaient  aux  grappes  de  la  treille. 

Cette  maison  n'est  plus  à  ta  maison  pareille. 

La  pierre  reste  froide  et  me  glace  le  front. 

Mon  ami,  qu'as-tu  fait?  D'autres  hommes  viendront 

Boire  et  rire  à  la  place  où  rêvèrent  nos  âmes. 

Qu'as-tu  fait.'  Qu'as-tu  fait?  La  plus  belle  des  femmes 

Viendrait  dorer  ce  seuil  obscur  de  sa  gaité, 

Que  son  rire  serait  misérable,  à  côté 

De  la  grande  douleur  qui  t'accabla  naguère. 

Rien,  ici,  ne  vit  plus.  Et  jai  froid  sur  la  pierre. 

L;i  mort  ne  t'effraya  jamais.  0  souvenir! 

Tu  disais  :  11  faudra,  puisque  tout  doit  finir, 

M'en  aller  sans  fermer  moi-même  ma  demeure. 

Mais,  avec  moi,  que  rien  de  ces  choses  ne  meure. 

0  rêveur! 

Quelle  nuit!  Rien  n'y  vit-il  encor? 
Non.  Le  bourg  est  baigné  par  la  lune,  et  tout  dort. 
Mais,  là-bas,  loin,  le  front  dressé  sur  le  ciel  d'or. 
Un  homme,  en  sifflotant,  s'éloigne  sur  la  route. 
Et  moi  je  me  souviens,  hélas!  et  moi  j'écoule 
L'ami,  mort  aujourd'hui,  me  parler  de  la  mort. 

[La  Maison  des  Glycines.)   ^ 


CHARLES   DERENNES 

(1882) 


D'origine  méridionale  par  sa  mère.  M.  Charles  Derennes  est 
né  à  Villeneuve-sur-Lot.  aux  confins  de  la  Gascogne  et  du 
Quercy,  le  4  août  1882.  Son  père.  Gustave  Derennes,  un  pur 
Breton,  était  un  poète  de  talent  qui  mourut  jeune,  alors  qu'il 
se  proposait  de  célébrer  en  un  cycle  de  petites  épopées  la 
légende  et  l'histoire  de  la  Bretagne.  On  a  de  lui  en  ce  sens  un 
petit  livre,  Guy  la  Fontenellc,  publié  par  Lemerre  en  1882  (un 
vol.  in-12).  Talent  divers  et  fécond,  M.Charles  Derennes  s'est 
exercé  dans  tous  les  genres  avec  succès.  Il  a  donné  des  arti- 
cles, des  nouvelles,  des  vers  au  Figaro,  au  Gaulois,  au  Journal, 
au  Matin,  au  Soleil,  à  La  Vie  parisienne,  à  La  Grande  Revue,  au 
Mercure  de  France,  à  la  Revue  de  Paris,  à  La  Plume,  à  L'Ermi- 
tage, à  La  Renaissance  latine,  etc..  et  il  a  fait  paraître  succes- 
sivement des  romans  et  des  recueils  de  poèmes  :  L'Enivrante 
Angoisse,  poésies.  Paris.  Ollendorlf.  190'«.  in-18;  L'Amour  fesse, 
Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France.  1906.  in-18;  La  Tempête,  poé- 
sies, Paris,  Olleiidorir,  1906,  in-18:  Le  Peuple  du  pôle,  Paris, 
Soc.  du  Mercure  de  France,  1907,  in-18:  La  Vie  et  la  Mort  de 
M.  de  Tourncves,  conte,  Paris,  Bernard  Grasset.  1907,  in-18;  La 
Guenille,  Paris,  Louis  Mlchaud.  1908.  in-18,  etc.  Mais  il  faut  le 
dire,  ce  n'est  pas  en  sa  qualité  d'écrivain  français  ([ue  M.  Charles 
Derennes  doit  avoir  sa  place  ici.  Le  charmant  auteur  de  L'Eni- 
vrante Angoisse  et  de  La  Tempête  —  tout  le  monde  l'ignore  —  a 
écrit  en  langue  d'oc  la  matière  de  trois  volumes  de  vers.  Il  en 
écrivait  déjà  à  quatorze  ans,  et  Mistral,  à  cette  époque,  lui 
adressait  au  lycée  de  Bordeaux  ses  félicitations  et  ses  encou- 
ragements. Ses  premiers  essais  dans  un  genre  où  il  a  acquis 
nna  véritable  maîtrise  ont  paru  à  la  Terre  d'oc  (1897-1901)  et  à 
la  Revue  Félibrcenne  de  Paul  Mariéton  (1897). 

M.  Charles  Derennes,  ainsi  qu'il  le  donne  à  entendre,  s'est 
tenu  à  égale  dislance  des  procédés  d'archa'îsmes  des  novels  tro- 
badors  (Prosper  Estieu,  Anlonin  Perbosc,  Joseph  Boux)  et  des 
simplifications  un  peu  outrées  de  Mistral  et  des  «  Maillanisants  ». 
Il  est,  croyons-nous,  le  premier  à  avoir  tenté  en  langue  d'oc 
des  vers  autres  que  des  vers  syllabiquos  et  rimes.  Par  son  har- 


GASCOGNE    ET    GUYENNE  357 

monie  et  l'intonsité  de  l'accent  tonique,  cette  langue  se  prrto 
aisément  à  une  versification  basée  sur  l'accenliiation  ou  la  quan- 
tité, comme  les  versifications  italienne,  espagnole,  allemande 
ou  anglaise.  Félibre  absolument  indépendant,  M.  Cliarles  Deron- 
nes  garde  jalousement  son  œuvre  en  langue  d'oc,  d'autant  plus 
jalousement,  affirme-t-il,  qu'il  est  à  peu  près  si'>r  d'avoir  mis  là 
le  meilleur  de  lui-même.  Les  principales  séries  do  ses  vers 
inédits  ont  pour  titre  :  Cansons  ennivoulidos  c  sonlelhonzos 
(chansons  de  la  brume  et  du  soleil).  Verses  pagans  (vers  païens). 
Las  Alegourios  apassiéunados  (les  Allégories  passionnées).  Il 
est  infiniment  peu  probable  qu'il  se  hflte  de  les  faire  paraître  en 
volumes. 

Bibliographie.  —  Georges  Cnsella  et  Ernest  Gaubert,  La  Noit' 
velle  Littérature,  1895-1905,  Paris,  Sansot,  1906,  in-18.  —  Baoul 
Davray  et  H.  Rigal,  Anthologie  des  poètes  du  il/frft,  Paris,  OUen- 
dorfi*,  1908,  in-18. 


LANGUEUR 

Et  le  soleil  se  meurt.  Il  est  mort.  —  Paix  à  tes  songes, 
—  O  pauvre  cœur.  —  Un  peu  de  jour  se  traine  encore  sur 
les  champs  blonds.  —  Un  peu  de  jour  !  —  Paix  à  tes  songes. 

Le  vent,  on  dirait  la  plainte  d'un  cerf  à  l'agonie.  — 
L'odeur  des  bois  monte  vers  moi.  —  Je  ne  sais  pas  si  je 
suis  triste,  si  je  suis  gai.  —  Le  vent  du  soir  porte  à  mon 
âme  — 


LANGUINO 

E  lous  soulelh  se  mor.  Es  mort. 

Patz  als  téus  sounges, 

O  paure  cor! 

Un  pauc  de  journ 

Se  traino  enquèr'  subre's  camps  bloundes, 

-    Un  pauc  de  journ  !  — 

Patz  als  téus  sounges! 

L'auro,  on  diriô  Ion  planh  d'un  cerve  que  se  mor. 

L'audou  dels  bosqs  mounto  vès  ion. 

Nou  sàbi  pas  se  sei  doulent,  se  sei  gaujous; 

L'auro  dol  ser'  porto  a  moun  amo 


riOO  LES    POETES    DU    TERROIR 

•Sur  ses  ailes  —  Les  frêles  âmes  de  tant  de  fleurs...  — 
Leurs  âmes  entrent  dans  mon  âme.  —  Je  ne  sais  pas  si 
je  suis  gai. 

C'est  de  la  paix,  mon  Dieu  !  Et  déjà  le  soir  est  mort... 
—  Et  voici  que  du  haut  du  ciel  —  Les  étoiles  filent  de  la 
nuit  —  Comme  des  araignées  de  mystère.  —  Un  ruis- 
seau charrie  —  au  loin  —  Des  chansons,  de  l'ombre  et  du 
vif  argent,  —  au  loin...  — •  Je  ne  sais  pas  si  je  suis  triste. 

Le  temps  muet  s'enfuit  de  la  vie  vers  la  mort.  —  L'heure 
glisse.  Le  vent  tombe.  —  Et  dans  mon  âme...  —  Là-bas 
le  bois  est  obscur  —  Et  plein  d'un  silence  divin.  —  Je  ne 
sais  pas  si  je  suis  gai,  —  Si  je  suis  triste... 

La  lune  monte.  —  Paix  à  tes  songes! 


Subre  sas  aies 

Las  ametos  de  tant  de  flous... 

Lhours  araos  dintroun  dins  moim  amo. 

—  Nou  sàbi  pas  se  sei  gaujous. 

Acb  's  de  patz,  moun  Dieu!  E  ja  lou  sero  os  mort.. 

E  veici  que  del  naut  del  cel 

Fielon  de  nech 

Las  estellos,  coumo  d'aranhos  de  mistèri. 

Un  riéu 

Al  Icnh  carejo 

De  cansous,  d'oumbro  e  d'argent  viéu, 

—  Al  lonh... 

Nou  sabi  pas  se  sei  doulent. 

Lou  temps  mud  s'enfuch  de  la  vido  a  la  mort, 

L'ouro  li.',o.  Lou  vent  se  calo. 

E  dins  moun  amo... 

Alai  lou  bosq  es  souloumbrous 

E  pic  d'un  silènci  divcnc. 

Nou  sàbi  pas  se  sei  gaujous, 

Se  sei  doulent... 

La  luno  mounto. 

Patz  aïs  Icus  sounges  ! 


ILE-DE-FRANCE 

PARISIS,  IIUREPOIX,  MANTOIS,  VEXIN  FRANÇAIS, 

BRIE  FRANÇAISE,  GATINAIS,  VALOIS, 

PINSERAIS,  ETC. 


(I  Le  bassin  de  la  Seine,  écrivait  en  1848  J.  do  Gaullo,  dans 
son  introduction  à  ViJistoirc  des  villes  célèbres  de  l'Ile-de- 
France,  publiée  par  Aristide  Giiilbert,  forme  une  des  {grandes 
divisions  géographiques  de  la  France.  Dtifréiioy  et  Elie  dt? 
Beaumont  '  le  considèrent  comme  un  centre  attractif  vers  le- 
quel tout  converge.  La  nature,  prodigne  pour  cette  partie  do 
notre  pays,  disent-ils,  l'a  dotée  d'un  sol  fertih»  et  d'excellents 
matériaux  de  construction.  Environnée  de  contrées  moins  favo- 
risées, elle  représente  au  milieu  d'elles  comme  une  oasis,  et 
l'instinct  qui  a  dicté  à  nos  ancêtres  le  nom  d'Ile-de-France  ré- 
sume d'une  manière  heureuse  les  circonstances  géologiques  de 
sa  position.  Pendant  longtemps  on  désigna  sous  cette  dénomi- 
nation tantôt  la  province  de  ce  nom,  tantôt  un  vaste  gouverne- 
ment militaire  qui  comprenait,  outre  l'Ile-de-France,  le  Laon- 
nais,  le  Noyonnais,  le  Soissonnais.  le  Valois,  le  Beauvaisis,  dé- 
tachés de  la  Picardie,  et  le  Thimerais,  démembré  du  Perche. 
Considéré  comme  gouvernement,  ce  pays  eut  pour  limites  la 
Picardie  au  nord.  l'Orléanais  au  sud.  la  Champagne  à  Test  et  la 
Normandie  à  l'ouest.  Sa  capitale  était  Soissons,  la  ville  do  Va- 
ris  ayant  un  gouvernement  particulier  depuis  1594.  »  Les  di- 
verses parties  du  gouvernement  de  lIle-dc-France  retranchées 
delà  Picardie  et  du  Perche  devant  figurer  dans  la  description 
que  nous  donnerons  par  la  suite  de  ces  provinces,  auxquelles 
elles  appartenaient:,  nous  nous  occuperons  exclusivement  ici  do 
la  contrée  qui  en  formait  le  centre  et  qui  lui  donna  son  nom. 
Le  pays  appelé  Ile-de-France.  Insula  Francise,  ajoute  en  subs- 
tance l'un  des  auteurs  cités  plus  haut-,  parce  qu'autrelbis  res- 

1.  Explication  delà  carte  géologique  de  la  France,  Paris,  1841- 
1S48-1873,  3  vol.  in-4». 
1.  J.dc  Gaulle,  Descript.  géogr.  de  l'Ile-de-France,  etc. 


360 


LES    POETES    DU    TERROIR 


serré  entre  la  Seine,  la  Marne,  l'Oise,  l'Aisne  etlOurcq,  il  for- 
mait à  peu  près  une  île,  avait  plus  tard  étendu  ses  limites  vers 
l'Ouest  et  le  Midi.  Durant  les  trois  derniers  siècles  de  l'ancienne 
monarchie,  il  avait  renfermé  six  subdivisions  :  l'Ile-de-France 
proprement  dite,  ou  plutôt  le  pays  de  France,  Francia,  avec  le- 
quel le  Parlsis  et  la  Goëlle  étaient  confondus  ;  la  Brie  françoise- 
le  Gâtinois  françois,  le  Hurepoix,  le  Mantois  et  lo  Vexin  fran- 
çois  1.  Son  étendue  était  d'environ  trente  lieues,  de  l'est  à  l'ouest, 
depuis  Donnemarie  jusqu'à  Dreux,  et  de  vingt  lieues  du  nord 
au  sud,  depuis  Royaumont  jusqu'à  la  Ferté-Alais.  Avant  la  con- 
quôle  romaine,  la  presque  totalité  de  ce  pays  était  habitée  par 
un  peuple  qui,  sans  égaler  ea  puissance  les  Sénonais  et  les  Car- 
nutes,  ses  voisins,  méritait  d'être  compté  parmi  les  plus  bel- 
liqueux. Celaient  les  Parisii,  dont  le  territoire  était  borné  au 
nord  parles  Sylvanectes  et  les  Bellovaques,  au  sud  et  à  l'ouest 
par  les  Carnutes  et  les  Véliocassos,  à  l'est  par  les  Sénonais. 
César  les  réduisit,  non  sans  peine,  après  en  avoir  massacré  un 
grand  nombre,  parmi  lesquels  se  trouvait  leur  chef,  le  vieux 
Camulogéne.  Nous  ne  suivrons  pas  le  récit  des  événements  dont 
le  territoire  des  Parisii  fut  le  théâtre  dans  les  premiers  siècles 
de  son  histoire.  Ces  faits  trouveraient  naturellement  leur  place 
dans  une  monographie  de  Paris.  Devenue  capitale  du  royaume 
des  Francs  sous  Chlodwig,  cette  ville  exerça  bientôt  un  irré- 
sistible pouvoir  et  absorba  dans  ses  destinées,  selon  l'expres- 
sion d'un  historien,   celles   de   la  peuplade  gauloise  à  laquelle 
elle  devait  sa  fondation.  Le  duché  de  France,  point  central  au- 
tour duquel  la  nationalité  française  vint  se  reconstituer  après 
le  démembrement  du  royaume  carlovingien,  fut  créé  dans  la 
seconde  moitié  du  ix"  siècle.  Au  siècle  suivant,  Hugues  Capet, 
en  fixant  la  couronne  dans  sa  maison,  commença  d'établir  l'u- 
nité monarchique  française.  Une  fois  cette  œuvre  difficile  ac- 
complie, il  n'y  eut  plus  à  proprement  parler  d'histoire  locale 
en  Ile-de-France,   mais  une  succession  d'événements  intéres- 
sant les  destinées  nationales.   Pendant  longtemps  Paris  et  les 
territoires  circonvoisins  n'auront  été  que  les  agents  d'un  puis- 
sant organisme  donnant  la  vie  à  tout  un  pays.  Il  serait  à  sou- 
haiter qu'il  en  fût  de  mémo  aujourd'hui.  Disons-le  tout  d'abord» 
c'est  l'absence  de  personnalité  qui  distingue  l'Ile-de-France,  et 
en  particulier  Paris,  de  toutes  nos  provinces.  Là.  rien  de  précis 
ni  de  heurté.  Point  de  race,  mais  lemélangede  centraceslesplus 
opposées  ;  point  de  caractère  original,  mais  une  fantaisie,  une  va- 

1.  Dans  celle  énumération  on  fait  entrer  généralement  une  faible 
partie  du  Valois,  le  Pinserais,  l'Yveline  (lerriloire  en  partie  couverl 
par  laforôlde  Kambouillcl),  la  Madrie,  le  Drugcsin  ou  Drouais,  etc., 
petits  pays  plus  ou  moins  apocryphes,  cités  par  les  anciens  géo- 
graphes. 


II,E-DE-FKANt:i 


35] 


riélé  d'expression  se  substituant  au  génie  local.  Seuls,  les  lieux 
éloignés  des  grandes  voies  de  communication  gardent  encore 
des  types  particuliers,  mais,  à  tout  prendre,  ces  types,  qui  dis- 
paraissent peu  a  peu  devant  l'uniformité  de  la  vie  uioderne.  no 
ont,  le  plus  souvent,  que  dos  émigrés  des  provinces  limitro- 


Roueii"^  V^>^yBeaiiYais 


/1 


SE//Y£ 


(\ 


PICARDIE 

les  AiiJeJvà;      OISE 
iLomitersC-.     !   ■'c^^^'-f'  ■     •■/^^     \"    1    ■•■•••• 

■  i)reil:^v'>^    o  Sceaux)      .seine-et-marne 

EURE-  ET  -  LOî  rV ^^«nl)oiiillel      \\  Melim 

^'     Hurepoix 


Sleaux  r^ 


Cîrarli 
OK  LE  AXAIS 


Ktapipes 


FonîaiïiéWçt 


Si! 


lers^ 


Limite  de  province . 
Limite  de  département. 
Lieu  de  naissance 
des  poètes. 


NN/ 


1LE-Di:-FRANGE 


phes,  renouant  la  tradilion  de  leurs  ancêtres  et  des  pays  dont 
ils  sont  originaires.  Ceci  établi,  on  peut  croire  que  pour  définir 
les  ressources  littéraires  de  l'Ile-de-France,  il  suffit  de  recher- 
cher l'apport  individuel  et  de  faire  la  part  de  ce  que  l'habitant 
doit  au  milieu  social,  au  paysage  et  au  commerce  d'une  société 
polie.  Il  n'en  est  rien.  C'est  un  fait  incontestable,  avons-nous 
dit,  que  le  créateur  emprunte  au  terroir  le  meilleur  de  son  ins- 
piration; ici.  au  contraire,  le  poète  d'expression  française  doit 
tout  aux  événements.  II  est  impulsif,  rien  de  plus.  Le  flux  de 

II.  21 


362  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

lactualité  le  fait  naître;  le  reflux  l'eniporle  et  le  fait  oublier.  On 
ne  saurait  le  contester,  l'Ile-de-France  n'a  presque  jamais  pro- 
duit d'écrivains  lyriques,  sentimentaux,  élégiaques,  de  chan- 
tres directement  inspirés  de  la  nature.  Paris  na  eu  que  des 
satiriques,  des  peintres  de  mœurs,  des  chansonniers,  des  ri- 
meurs  de  circonstance.  Aussi  ne  faut-il  guère  s'étonner  si  le 
poète  n'est  point  là  originaire  du  lieu  où  il  a  conçu  et  signé 
son  œuvre.  On  voudra  bien  admettre  quelques  exceptions  : 
précisément  ces  exceptions  constituent  à  elles  seules  l'histoire 
littéraire  de  la  plus  illustre  de  nos  pr  ovinces. 

Il  y  aurait  un  curieux  ouvrage  à  publier  sur  Paris  où  l'his- 
torien céderait  la  place  aux  poètes;  mais  Paris  n'aurait  rien  à 
gagner  à  être  célébré  par  des  voix  étrangères'.  Ce  sujet  nous 
tentera  peut-être  un  jour.  On  en  trouvera  ici  les  premiers  élé- 
ments. Sans  remonter  jusqu'aux  origines,  jusqu'à  l'empereur 
Julien,  lequel  se  fit  l'apologiste  de  sa  «  chère  Lutèce-  »,  on  dé- 
couvre dans  les  pi'emicrs  siècles  quelques  monuments  dignes 
d'être  retenus.  Bien  qu'ils  appartiennent  à  un  tout  autre  genre 
que  celui  qui  nous  intéresse,  ils  témoignent  d'une  sincérité  et 
d'un  goût  très  vif  pour  la  petite  patrie.  La  poésie  en  Ile-de- 
France  ne  fut  au  début  qu'im  médiocre  passe-temps,  un  pré- 
texte à  réjouissance.  Aussi  demeure-t-elle  confondue  avec  les 
premiers  balbutiements  de  notre  art  théâtral. 

Un  éloge  latin  du  poète  Fortunat.  touchant  une  église  épis- 
copale  construite  sous  Childebert,  quelques  vers  sur  une  entrée 
de  Philippe-Auguste,  après  la  victoire  de  Bouvines  (1214),  le 
texte  pauvrement  rimé  d'une  description  des  Rues  de  Paris,  pai- 
Guillot^,  des  traits  satiriques  de  Rutebeuf,  des  mystères  figurés 
lors  des  réceptions  et  entrées  de  l'empereur  Charles  IV,  puis 
d'Isabeau  de  Bavière,  en  janvier  1377  et  en  juin  1385,  représen- 
tent à  nos  yeux  les  plus  antiques  objets  d'une  tradition  qui  de- 
vait se  perpétuer.  Des  spectacles  populaires  donnés  successi- 
vement sur  l'emplacement  do  la  Porte  Saint-Denis,  aux  Halles 
et  en  divers  autres  lieux,  par  les  Confrères  de  la  Passion,  les 

1.  Il  nous  fournirait,  entre  autres  noms,  ceux  de  Clément  Marot 
(Voyez  son  Epitre  aux  dames  de  Paris,  écrite  en  1529),  tle  Kogcr  de 
Colieryc  et  de  l'abbé  de  Bois-Robcrl,  ce  dernier  auteur  d'une  fort 
jolie  pièce,  L'Hi/ver  à  Paris.  On  se  garderait  bien  d'y  oublier,  parmi 
les  apologistes  de  la  grande  ville,  le  fameux  Michel  de  Marolle,  abbé 
de  Villeloin,  et  sa  /Jcscription  succincte  de  Paris...  par  un  certain 
7ïombre d'épigraynines  de guat7'r vei's chacune,  etc. (Paris,  1677,  iD-4"). 

2.  Voyez  Misoporjon  ou  l'Ennemi  de  la  Barbe  dans  les  Œuvres 
complètes  de  L'Empereur  Jidien,  trad.  par  lîugène  Talbot  (Paris, 
Pion,  1863,  in-8»,  p.  2'.)4-iJ95). 

3.  Cf.  Les  Jtues  de  Paris  mises  en  vers  à  la  fin  du  treizième  siècle, 
etc.,  d'après  un  7nanusci'it  du  quatorzième  siècle,  Paris,  Baillien, 
1866,  in-8». 


A 


ILE-DE-FRANCE 


a63 


Clercs  do  la  Basoche  et  les  Enfants-Sans-Soucï,  est  sorti  un  art 
qui,  pendant  longtemps,  fit  honneur  au  génie  national.  On  no 
saura  jamais  tout  ce  que  Ruiebeuf,  Villon,  et  plus  tard  Gringore, 
ont  dû  aux  naïves  interprétations  de  la  Fable  ou  de  l'histoire 
de  l'Ancien  Testament,  Malgré  leur  maîtrise  ot  leur  puissante 
originalité,  ils  ne  se  dégagèrent  jamais  complètement  de  l'at- 
mosphère crôée  par  les  soties,  farces,  moralités,  etc.,  mises  à 
la  mode  sous  les  premiers  Valois.  Rutebcuf,  lo  plus  ancien 
d'entre  ceux  qui  fixèrent  l'éclat  de  notre  poésie  parisienne,  pau- 
vre écolier  de  lUniversité.  précède  de  deux  siècles  cet  immor- 
tel rimeur  de  la  Bohème,  François  Villon  '.  Il  n'a  pas  écrit  une 
seule  chanson  d'amour,  mais  une  suite  de  satires  mordantes  et 
vigoureuses.  Contre  les  Béguines,  Contre  les  Ordres  de  J'aris,elc. 
où  se  trouvent  d'anières  allusions  aux  mu'urs  de  ses  contempo- 
rains. Après  lui.  après  Villon,  dont  nous  aurons  loisir  do  nous 
occuper  au  cours  du  présent  ouvrage,  il  faut  citer  Martial  d'Au- 
vergne, d'origine  douteuse,  auteur  des  Vigilles  de  Charles  VU, 
long  poème  renfermant  wn  tableau  émouvant  dos  misères  et 
calamités  du  royaume*;  puis  (îi'ingore,  entrepreneur  de  spec- 
tacles, Gringore,  entreparleur  de  mystères  que  l'on  connaît, 
Gringore,  poète  du  Jeu  du  Prince  des  Sots  et  mère  Sotte,  repré- 
senté aux  Halles  devant  une  grande  affluence  de  peuple,  le  mardi- 
gras  1511.  Il  n'était  pas  de  Paris,  a-t-on  dit,  mais  vraisembla- 
blement de  Lonaitio,  bien  que  quelques-uns  l'aient  cru  Nor- 
mand. La  politique  l'attacha  à  la  fortune  do  ses  maîtres.  L'art 
ot,  plus  encore,  la  popularité  dont  il  jouit,  le  fixèrent  dans  la 
capitale.  Un  jour  il  se  fit  l'interprète  d'un  de  ses  ouvrages  et 
convoqua  le  public  à  sa  représentation.  Il   prononça  alors  ce 


1.  Rutebcuf  a  vécu  à  Paris,  ot  il  ne  pouvait  èlre  que  de  Paris. 
«  C'était,  a  écrit  Louis  Moland,  un  simple  trouvère  de  profession, 
gagnant  sa  vie  à  faire  des  vers,  composant  des  oraisons  funèbres  aux 
i,'rands  seigneurs  qui  trépassaient,  des  fabliaux  pour  réciter  aux  noces 
et  aux  festins,  des  vies  de  saints  et  de  saintes  pour  les  couvent%  des 
facéties  pour  les  cliarlalans  et  les  boutions  des  rues,  des  pièces  d'a- 
propos  à  chaque  événomont  qui  nicltait  en  émoi  l'opinion  publique. 
A  ce  métier,  il  ne  s'enrichit  pas  ;  il  vécut  misérablenicnl;  c'est  à  lui 
que  remonte,  dans  notre  histoire  littéraire,  la  race  illustre  des  poètes 
faméliques.  » 

t.  On  ignore  s'il  était  de  Paris  ou  bien  d'Auvergne.  Il  naquit  vers 
1420  et  fut  inhumé  eu  1308  au  cimetière  des  Innocents,  où  Ion  pou- 
vait lire  encore  au  xvni»  siècle  son  épitaplie.  Les  Vigilles  avaient  été 
son  premier  ouvrage.  Ils  furent  imprimés  pour  la  première  fois  par 
l'auteur  lui-même,  en  1493.  Couslelier  en  a  donné  une  réimpression. 
11  y  a  dans  celle  œuvre  des  vers  d'une  saisissante  beauté.  L'amour  de 
la  patrie  s'y  sent  à  chaque  page,  et  aussi  «  la  pitié  du  pauvre  popu- 
laire »,  victime  de  l'occupation  anglaise  et  de  la  brutalité  des  gens 
d'armes. 


364  LES  POÈTES  DU  TEKROIR 

fameux  Cry  du  prince  des  Sots\  qu'on  nous  saura  grc  de  trou- 
ver ici  : 

Solz  lunatiques,  solz  estourdis,  sotz  sages, 
Sotz  de  villes,  de  chasleaulx,  de  villages, 
Solz  rassoies,  solz  nyais,  solz  sublilz, 
Sotz  amoureux,  solz  privez,  solz  sauvages, 
Sotz,  vieux,  nouveaux  et  sotz  de  toutes  âges, 
Sotz  barbares,  estranges  et  gentil/., 
Solz  raisonnables,  solz  pervers,  solz  relilz  ; 
Voslre  Prince,  sans  nulles  intervalles. 
Le  Mardy  gras  jouera  ses  Jeux  aux  Halles. 

Sottes  dames  et  soties  damoyselles, 
Soties  vieilles,  soties  jeunes,  nouvelles. 
Toutes  sottes  aymant  le  masculin. 
Sottes  hardies,  couardes,  laides,  belles. 
Sottes  frisques,  sottes  doulces,  rebelles. 
Sottes  qui  veulent  avoir  leur  picotin. 
Soties  trottantes  sur  pavé,  sur  chemin. 
Sottes  rouges,  mcsgres,  grasses  et  pâlies  ; 
Le  Mardy  gras  jouera  le  Prince  aux  Halles. 

Sotz  yvrongnes  aymans  les  bons  lopins, 

Sotz  qui  crachent  au  matin  jacopius-, 

Sotz  qui  aiment  jeux,  tavernes,  csbatz. 

Tous  sotz  jaloux,  sotz  gardans  les  palins'', 

Solz  qui  chassent  nuytz  et  jour  aux  congnins*. 

Sotz  qui  aiment  à  fréquenter  le  bas, 

Sotz  qui  faictes  aux  dames  les  choux  gras; 

Advenez  y,  solz  lavez  et  sotz  salles, 

Le  Mardy  gras  jouera  le  Prince  aux  Halles. 

Mère  Sotte  semont"*  loules  les  sottes; 
Ne  faillez  pas  à  y  venir,  bigottes, 
Car  en  secret  faictes  de  bonnes  chières. 
Sottes  gaves,  délicates,  mignoltes. 
Sottes  doulces  qui  rebrassez  vos  cottes. 
Sottes  qui  estes  aux  honnnes  familières, 
Sottes  nourrices  et  soties  chambcrières, 
Monstrer  vous  fault  doulces  et  cordiales. 
Le  Mardy  gras  jouera  le  Prince  aux  Halles. 

Fait  et  donné,  buvant  vin  à  plains  polz, 
Eu  recordant  la  naturelle  game. 
Par  le  Prince  des  Solz  et  ses  suppolz  ; 
Ainsi  signé  d'un  pet  de  prcude  femme. 

Nous  n'avons  pas  besoin  d'ajouter  que  sur  ce  Cry —  si  difTéreiit 

1.  Cf.  Œ livres  complètes  de  Gringore,  réunies  par  Ch.  d' Hrricault 
et  A.  de  Montaif/lon,  Paris,  Jannct,  18;)8,  t.  l"--,  p.  ■H)\. 
i.  Gros  et  gras  crachats. 
'i.  Maris  complaisants. 
4.  Lapins. 
;i.  Convoque. 


ILE-DE- FHA> CE 


3g: 


des  fameux  Cris  de  Paris  publiés  on  1584,  et  mainles  fois  réim- 
primés' —  se  clôt  la  poésie  du  moyen  Aj;*'.  Avant  d'alxn-der  la 
grande  époque  de  notre  littérature,  on  nous  permettra  de  citer 
encore  un  texte  curieux  do  la  lin  du  xv"  siècle.  Il  nous  est  ollert 
par  ce  livre  rarissime.  Le  Calendrier  des  Bergères,  pour  l'année 
1599,  et  il  contient,  sous  forme  de  dialogue,  le  plus  bel  éloge 
qu'on  ait  écrit  du  vieux  Paris.  En  voici  un  fragment.  Ce  soûl, 
des  bergères  qui  parlent  : 


...  Par  sus  Paris,  de  toute  pari. 

On  voit  maisons  cl  choniinéos, 

Kjrliscs  liauUes  fencstrôcs  ; 

On  voit  vignes,  on  voit  prairies. 

On  voit  terres  cl  métairies. 

On  voit  la  rivière  de  ."^einc. 

Kl  marchandise  quelle  meino. 

On  voit  aux  clianips  plusieurs  villa<;o> 

Les  foresls  et  pelis  bocages. 

Et  que  plus  est  enlour  Paris 

On  voit  quatre  lieux  de  pa\s. 


0  Paris  noble  cl  souveraine, 
Lite  de  justice,  fontaine, 
A  l'un  et  il  l'autre  pour  voir 
Tu  reuz  le  droit  qui  doit  avoii- 
Le  juste  est  par  loy  maintenu 
Hn  son  bon  droit  et  sousicnu. 
Et  l'iDJusIe  lu  lo  pimis 
Selon  le  cas  qu'il  a  commis. 


0  Paris  souveraine  et  digne, 

Source  de  science  divine,  ^ 

Comme  sainclc  théologie  ^ 

De  reale  philosopiiie. 

Et  sept  ars  libéraux  ensemble. 

Tu  as  l'honneur,  et  si  me  semble 

I.  Voyez  Les  Cris  de  Paris  que  l'on  crie  journellement  par  les 
rues  de  ladicte  ville.  Avec  ce,  le  contenu  de  ta  despence  qui  se  faict 
par  chacun  jour.  Ad  jouté  de  nouveau  la  despence  que  chacune  per- 
sonne doit  faire  par  chacun  jour,  ensemble  les  rues,  églises,  cha- 
pelles  et  collèges  de  la  cité,  ville  et  université  de  Paris.  Paris,  Ni- 
colas Bonfons,  1;)84.  in-16.  Il  existe  des  éditions  diflérenles  de  cet 
ouvrage.  L'une  d'elles,  publiée  à  Troyes,  chez  Pierre  Garuier,  1714, 
in-ltj,  a  été  réimprimée  par  P.-L.  Jacob  dans  cet  ouvrage  singulier, 
Pa}'is  ri'licule  et  burlesque  au  dix-septième  siècle,  Paris,  Ad.  Dela- 
hays,  1839,  iu-li. 


o66  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Oui  veult  ses  sciences  avoir 
En  tov  les  doil  venir  savoir. 


De  tout  pays  cl  toute  terre 
VicnneuL  a  toy  Paris  acquerre 
Honneur  et  science  lointains, 
Estrangiers  comme  tes  proucliains, 
Tu  as  en  toy,  cest  vérité, 
La  grant'mere  Université, 
four  science  et  honneur  comprendre 
Tant  que  chascun  en  veult  apprendre. 


Ne  t'est  il  Paris  cliose  noble 
Avoir  entour  toi  son  vinoble, 
Duquel  avous  oiiy  par  foys 
Dire  qu'il  n'est  que  vin  francoys. 
Tu  as  plaisantes  monlaignetês 
Pour  aller  joiler  bergerettes. 
Mener  moutons  et  brebis  pcslre  : 
Mieulx  assise  ne  pourroycs  csUe. 


0  cité  noblement  nommée, 
Paris  sus  autres  renommée 
Pour  ta  haulte  prééminence. 
N'es  tu  la  fleur  de  toute  France  ? 
N'es  lu,  diz  moy,  beaucoup  plus  lier 
Pour  la  bonté  de  ta  rivière, 
Seine,  la((uellc  te  fournit 
Des  biens  dont  elle  te  nourrit? 


Excellente  cité  heureuse, 
Paris  de  tous  biens  plantureuse. 
N'as-tu  tous  tes  plaisaus  souhaxs 
Belles  églises,  beau  palays, 
Saint  Innocent  et  le  Grand  Pont 
Qui  de  beaulté  honneur  te  font? 
Tu  as  sus  tout  le  noble  lieu 
Nostre  Dame  et  son  Ilostel  Dieu. 


Tu  as  Paris  en  ton  marchié, 
De  toutes  denrées  bon  mardi ié, 
De  pain,  de  via  et  de  poisson, 
De  chair,  gibier  et  venaison, 
Abondance  de  tout  fruictage 
Scion  le  temps  pour  ton  usage, 
Telz  que  lu  le  veulx  demander. 
Plus  ne  sauroye  cpie  souliaicler. 


ILE-Di:-FRANCE  367 

BIETRIS. 

Prcs  (le  loy  sont  les  marescliages 
Oui  le  donnent  mille  baicagcs  ; 
Le  jour  fleurettes  a  planté, 
Fèves  nouvelles  en  esté, 
Raves,  lestucs,  oingnons  et  aux, 
Porée,  persis,  clioux  et  navcaux, 
Que  baudet  sur  son  dos  le  porte 
Tous  les  matins  devant  ta  porte. 

SKBII.I.E. 

Paris,  diz-moy  combien  le  vaull 
Une  carrière  qu'est  la-bault, 
Aux  champs,  près  le  molin  a  vent. 
Trop  plus  que  d'or  mille  mardis  cent. 
C'est  ung  trésor  incomparable 
Pour  jamais  a  loy  pardurabie; 
Je  te  demande  respons  moy. 
Es  tu  bien  contente  de  loy  ? 


A  une  porte  croist  le  piastre; 
Do  toy,  Paris,  la  pierre  a  l'autre  ; 
Demandes- tu  plus  granl  noblesse 
Ou  sais  tu  quiers  '  autre  richesse 
Pour  édifier  ta  cité. 
Trésor  pareil  n'est  recité 
D'autre  que  toy,  ne  tel  plaisance 
Si  le  fault  rien  c'est  sul'fisance. 


N'as  tu  Paris  que  Dieu  le  gard, 

En  toy  l'Hostel  de  Beauregard, 

Que  l'on  a  fait  depuis  ung  an 

Pour  longer  le  roy  prestre  Jehan, 

Si  d'aventure  il  avenoit 

Et  nostre  seigneur  le  vouloil,  ^ 

Qui  vint  une  foys  a  Paris,  w 

beauregard  scroit  son  logis. 

SKlîlLLE. 

Paris,  quant  bien  je  te  remire, 

En  toy  ne  trouve  que  redire. 

Tu  es  assise  plaisamment 

Et  eslevée  très  haullement 

Par  édifices  magnifiques 

Composés  par  ars  mirifiques. 

De  toy  que  veul/-tu  qu'on  responde? 

Tu  es  non  pareille  au  monde-... 

1.  Quérir. 

2.  Cy  est  le  compost  et  kalendrier  des  berr/eres,  contenant  plu- 
sieurs matières  récréatives  et  de  notes,  nouvellement  composé  sans 
contredire  a  cellioj  des  bergiers,  etc.,  etc.  Imprimé  à   Paris  eu 


^68  LKS    i'OÈTlîS     DU    TliKKOiK 


On  nous  reprochera  peut-être  de  n'avoir  pas  tenu  compte  jus- 
qu'ici des  dillérents  changements  qui  se  sont  produits  peu  à 
peu  dans  la  cité.  Est-il  nécessaire  de  le  redire,  l'évolution  de 
Paris  nous  intéresse  moins  que  celle  du  pays  entier.  Au  xvi»  siè- 
cle ,  plus  encore  qu'aux  époques  antérieures,  le  poète  prend 
son  inspiration  dans  les  événements  du  jour.  Il  est  né  parti- 
san, c'est  le  mot.  Il  n'a  vu  la  nature  qu'à  travers  les  livres. 
D'où  cette  poésie  de  la  Renaissance  qui,  aux  bords  de  la  Seine, 
a  pris  l'accent  italien  et  emprunté  les  thèmes  lyriques  d'outre- 
Loire.  La  Réforme,  la  Ligue,  comme  plus  tard  la  Fronde,  ont 
•eu  des  versificateurs  à  gages:  des  poètes,  point.  Parmi  les  dis- 
ciples delà  Pléiade,  c'est  à  peine  si  nous  pouvons  retenir  quel- 
ques nomsi.  Paris  les  groupa,  mais  ils  n'oublièrent  pas,  au 
sein  des  plaisirs  et  de  la  gloire,  leurs  origines.  Les  uns  étaient 
du  Nord  ou  du  Centre,  les  autres  du  Midi.  Ils  le  firent  voir  à 
l'occasion.  Leurs  chants  sont  pleins  de  souvenirs  du  pays  na- 
tal. Ronsard  et  ses  disciples  ne  virent  tout  d'abord  dans  les 
sites  de  l'IIe-de-France  que  des  décors  propres  à  des  fêtes 
païennes.  Plus  tard,  ils  recherchèrent  à  Meudou,  à  Clamart,  a 
Arcueil,  aux  lieux  où  le  fleuve  de  Seine  ouvre  sa  boucle  miroi- 
tante, des  paysages  nostalgiques  leur  rappelant  les  belles 
iîampag-nes  angevines,  vendômoises  ou  tourangelles,  berceaux 
de  leur  enfance  et  de  leurs  amours.  Ils  les  aimèrent,  mais  se  gar- 
dèrent bien  de  les  célébrer. 

Les  poètes  du  xvii«  siècle,  eux,  n'eurent  pas  même  ce  scru- 
pule. Ils  ne  se  soucièrent  guère  de  rusticité,  et,  s'ils  recherchè- 
rent la  bonne  humeur  et  le  pittoresque,  il  les  durent  unique- 
ment au  spectacle  de  la  rue  et  au  goût  du  cabaret.  Ce  fut  l'âge 
d'or  de  la  satire  et  de  la  poésie  de  mœurs.  L'habitude  de  la  vie 
des  camps  avait  créé  sous  Henri  IV  le  genre  soudard;  la  Kronde 
iiutorisa  les  propos  cyniques.  De  tous  côtés  surgirent  des  ri- 
meurs  à  gages  et  des  chanteurs  populaires.  Les  Ma/ariuadcs 
jjlurent  autour  du  premier  ministre,  jonchèrent  le  trône:  l'in- 
jure atteignit  et  souilla  la  majesté  royale.  L'esprit  de  révolte, 

/oêtel  de  Bcauref/ard  en  la  rue  Cloppin  a  l'ensdffne  ilu  roy  prestir 
Jf'fiau,  on  quel  lien  sont  n  vendre,  etc.,  s.  d.,  in-4». 

1.  Seul  oc  la  Pléiade,  Klienne  Jodelle  était  de  la  région  parisienne. 
On  trouverait  dans  ses  u-uvrcs  tiuolqucs  vers  inlércssanl  riiisloirc 
de  Paris.  Ajoutons  que  le  xvi"  siècle  nous  lournil  fort  peu  de  poêles 
originaires  <le  l'Iic-de-Krance.  Retenons  pour  mémoire  les  noms  d'Hs- 
tiennc  Pasquier,  .Ican  Godard  (l'auteur  de  /,«  Fontaine  de  Gentilhj). 
Hcroët,  Nicolas  Kilain,  ainiabhisonneltistc,  (iliarics  Fontaine,  .lean  du 
Nesmes,  Jacques  Ooliorry,  Antoine  de  Colel,  Forrand  de  iJe/.,  (iillc-- 
Corrozet,  Isaac  Ilaljcrt,  Claude  de  Moronne,  cic. 


ILK-UE-IKANCE  3G9 

«me  certaine  tendance  an  libertinage,  une  licence  f(>rt  commune, 
caractérisent  la  poésie  sous  le  règne  de  Louis  XIII  et  pendant 
les  années  de  la  régence  d'Anne  d'Autriche.  Après  la  mort  do 
Mathurin  Régnier',  auteur  de  la  Macette  et  du  Mauvais  Gîtt, 
ces  peintures  audacieuses  d'une  époque  prise  sur  le  vif;  après 
l'extinclion  de  son  école  et  le  scandaleux  procès  du  Parnasse 
Satyrique  en  1623.  on  avait  pu  croire  que  la  littérature  dite 
jiarisienne  reviendrait  à  des  seiilinienls  meilleurs.  Vain  espoir! 
il  ne  fallut  rien  moins  que  la  fondation  de  l'Académie  française, 
le  faste  de  la  cour  de  Lonis  XIV.  enfin  le  triomphe  de  l'art 
officiel,  pour  glacer  la  verve  des  écrivains  militants  et  arrêter 
l'essor  d'un  lyrisme  de  mauvais  lieu. 

Rien,  au  demeurant,  n'est  plus  confus  que  la  poésie  française 
an  milieu  du  xvii»  siècle.  C'est,  pour  employer  une  image  du 
temps,  une  scène  assez  vaste  on  viennent  tonr  à  tour  s'exercer 
«t  s'applaudir  les  amants  déçus  et  les  beaux  esprits.  Tout  l<! 
monde  se  presse  là  comme  au  cours.  Chacun  a  grande  hâte  de 
briller,  mais  la  cohue  des  gentilshommes  en  bonne  fortune  et 
des  galants  en  mal  de  sonnet  se  voit  «ibligée  parfois  de  céder  le 
pas  à  quelque  troupe  de  débauchés.  De  même  que  les  émules 
de  Régnier  s'étaient  réunis  naguère  pour  faire  échec  à  Mallierbe. 
«le  même  les  rimeurs  du  groupe  de  Saint-.\mant-  s'opposèrent 
à  l'école  des  Précieuses.  Il  y  eut  au  début  deux  clans,  mais 
cette  ft)is  si  proches,  si  intimement  mêlés,  que  les  muses  n'eu- 
rent îi  souffrir  d'aucune  querelle.  Les  «  goinfres  »  ne  tardèrent 
pas  à  s'accommoder  de  toutes  les  ressources  ollertes  par  le  Par- 
nasse et  passèrent  aisément  du  cabaret  aux  ruelles.  La  poésie 
(le  la  rue  rejoignit  les  bureaux  d'esprit.  On  vit  alors  de  pau- 
vres «  nourrissons  des  neuf  sœurs  »  s'introduire  et  briller  dans 
les  salons... 

Nous  voici  arrivés  à  l'instant  où  la  satire  va  sombrer  dans  le 
burlesque  italien  avec  Scarron  et  périr  de  consomption  sous 

1.  On  sait  que  Mathurin  Régnier  était  Cliarlrain.  Paris  l'inspira. 
Ses  disciples  Bcrlliclol.  Sjgognos,  Molin,  enfin  tous  les  auteurs  du 
Cabinet  fiatyrigne  el  du  Parnasse  satyrique,  quoique  étrangers  a 
la  capitale,  ont  jiris  celle-ci  pour  décor  de  leurs  lubriques  fantaisies. 
C'est  dans  les  recueils  de  pièces  libres  —  plus  lard  les  Mazarinados 
—  qu'on  trouve  les  meilleurs  spécimens  de  la  poésie  parisienne  du 
xvne  siècle.  On  devinera  aisément  pourquoi  nous  avons  écarté  ces 
curieux  documents. 

2.  Ouoique  .Normand  d'origine  et  de  naissance,  Saint-Amant  brille 
au  premier  rang  du  Parnasse  parisien.  Nous  lui  aurions  fait  une 
large  place  parmi  les  poètes  de  cabaret  si  nous  n'avions  eu  le  des- 
soin de  le  situer  dans  sa  province.  Ses  poèmes.  Les  Cabarets,  La 
Chambre  fin  débauché,  La  Gazette  «hi  Pont-Neuf,  Les  Goinfres, 
sont  des  chefs-d'œuvre  d'originalité  burlesque  qui  nous  font  oublier 
tout  ce  qui  a  été  écrit,  avant  lui,  dans  le  genre  descriptif  et  pitto- 
resque sur  l'ancien  l'aris. 


370  LES  POÈTES  DU  TEKKOIR 

Boileau.  La  faconde,  la  causticité  de  Furetière  ne  retarderont 
pas  sa  fin.  La  poésie  de  cour,  les  bouquets  à  Chloris,  les  menus 
propos  des  ruelles,  enfin  tout  l'art  des  diseurs  de  riens,  rempla- 
cera l'œuvre  truculente,  imagée,  des  descendants  de  Villon  et 
de  Rabelais.  Il  faudra  l'avènement  du  xviiie  siècle  pour  que  se 
renoue  la  tradition  des  anciens  maîtres.  Encore  ceux  qui  s'y 
emploieront  ne  feront-ils  qu'en  hâter  la  décadence.  Paris  s'est 
renouvelé,  il  est  devenu  le  rendez-vous  de  tous  les  provinciaux 
de  marque,  attirés  par  l'éclat  d'une  cour  illustre  et  par  le  désir 
d'y  tenir  un  rôle.  Paris  abonde  en  madrigaliers.  Depuis  soixante 
années  et  plus,  les  Malleville,  les  Saint-Pavin,  les  Cotin,  les 
Benserade*,  les  Neufgermain,  les  Régnier- Desmarets ,  les 
Pavillon,  pour  ne  citer  que  les  auteurs  parisiens,  encombrent 
les  routes  du  mont  sacré.  Les  sieurs  Chapelain,  Desmarets  de 
Saint-Sorlin,  Gomberville,  Nicolas  Frenicle ,  Hedelin  d'Au- 
bignac,  C.  Coypeau  d'Assoucy,  Philippe  et  Germain  Habert. 
F.  Le  Coigneux  de  Bachaumout,  Chapelle-,  Jean  Grillet,  Gilles 
Boileau,  Le  Petit  de  Beauchâteau,  Pierre  du  Pelletier.  Claude 
de  l'Estoile,  Gabriel  Gilbert,  Pli.-Emm.  de  Coulanges,  La  Sa- 
blière, la  comtesse  de  la  Suze,  M"»"  des  Houlières,  etc.,  etc., 
précédent  une  génération  d'abbés  libertins  et  autres  joyeux 
rimeurs. 

Nous  allons  assister  à  la  fin  d'un  genre  où  l'esprit  tiendra  lieu 

1.  Isaacde  Benserade,  né  et  baptisé  à  Paris  le  5  novembre  1013,  — 
et  non  à  Lyons-la-Forèt,  en  Normandie,  comme  on  l'a  cru  pendant 
longtemps,  —  mort  dans  celle  ville,  le  ^0  oclobre  1691,  membre  de 
rAcadémie  française.  Ses  œuvres  poétiques,  publiées  à  Paris,  cliez 
Sercy,  en  1697,  conliennent  une  Description  de  la  Maison  de  Geu- 
tiUy  et  un  sonnet  Sur  la  ville  de  Paris.  Voici,  à  titre  de  pure  curio- 
sité, celle  dernière  pièce  : 

Rien  n'égale  Paris,  on  le  blâme,  on  le  loue, 

L'un  y  suit  son  plaisir,  l'aulie  son  inlerest; 

Mal  ou  bien  tout  s'y  fait,  vaste  et  graml  comme  il  est, 

On  y  vole,  on  y  tue,  on  y  pend,  on  y  roue. 

On  s'y  montre,  on  s'y  eaehe,  on  y  plaide,  on  y  joue, 

Ou  y'rit,  on  y  j)leurë.  on  y  meurt,  on  y  naist, 

Dans  sa  diversité,  tout  amuse,  tout  plaist, 

Juscjues  à  son  tumulte  et  jusques  ii  sa  boue. 

Mais  il  a  ses  défauts,  <'omme  il  a  ses  apas, 

Fatal  au  courtisan,  le  Roy  n'y  venant  pas, 

Avecque  sûreté  nul  ne  s'y  peut  conduire. 

Trop  loin  do  son  salut  pourètro  au  rang  des  Saints, 

Par  les  o<îcasions  de  pc^i'her  et  do  nuire. 

Kt  pour  vivre  longtemps  troj)  près  des  Médecins. 

2.  Claude-Emmanuel  Lbuillier  (dit  Cliapclle,  ou  la  Chapelle),  né  on 
1626,  à  la  Cliapclle  Saint-Denis,  près  Paris,  mort  en  septembre  1686. 
Il  a  donné  une  description  en  vers  de  l'ancien  couvent  de  Sainl- 
I.a/are,  actuellement  maison  de  détention,  sis  au  faubourg  Saint- 
Denis. 


ILE-DE-FRANCE  371 

de  mérite.  Après  l'ologie,  le  sonnet,  le  rondeau,  etc.,  d'expres- 
sion chevaleresque  et  tendre,  nous  connaitrons  l'impromptu, 
l'épigramme,  le  conte  en  vers  et  lo  couplet  gaillard.  Jamais  on 
n'aurait  cru  que  trois  siècles  de  littérature  dans  ime  province 
qui  produisit  Racine  et  Molière,  aboutiraient  à  d'étroites  for- 
mules erotiques  et  que  la  grAce  charmante  des  adulateurs  de  la 
femme  céderait  la  place  à  je  ne  sais  quelle  caustique  «  rimaille  » 
de  petites  maisons  ou  de  boudoirs  clandestins. 

Le  peuple,  il  faut  le  dire,  n'entendit  rien  à  ces  fausses  élé- 
gances. II  se  contenta  d'un  art  plus  fruste,  eu  rapport  avec  ses 
mœurs,  sa  langue  et  ses  usages.  A  défaut  de  poésie,  il  applau- 
dit les  auteurs  de  la  Foire,  se  pressa  autour  du  tréteau  des  far- 
ceurs et  fit  le  succès  du  refrain  politique.  Sa  belle  humeur  et  sa 
franchise  se  complurent  aux  fantaisies  médiocrement  versifiées 
des  Collé',  des  Laujon-.  des  Lécluse-',  des  Vadé*.  etc.  Le  genre 
0  poissard  »  donna  naissance  à  une  littérature  reflétant  les  aspi- 
rations et  la  vie  des  plus  basses  classes  sociales.  Les  tableaux 
saisissants  de  vérité,  de  couleur  et  do  mouvement  des  Halles, 


1.  Poêle,  auteur  comique,  mémorialiste  et  chansonnier,  Charles 
Collé  naquit  à  t'aris  en  1701),  et  mourut  en  1783.  Secrétaire  ordinaire 
et  lecteur  du  duc  d'Orléans,  il  nianifesta  dès  sa  jeunesse  son  goût 
pour  les  lettres,  se  lia  avec  Gallet,  l'anard,  Piron  et  plusieurs  auteurs 
de  chansons  anacréonliques,  et  contribua  à  former  la  société  dite  «lu 
Caveau.  Ses  chansons,  parmi  lcsc|uellcs  il  eu  est  de  fort  légères,  ont 
élé  réimprimées  en  1864,  par  l'éditeur  (iay.  Nous  publierons  1res  pro- 
chainement un  ^raud  fragment  de  sou  Juanial,  pour  les  années  1761 
et  1762,  demeuré  jusqu'à  ce  jour  inédit. 

2.  Né  à  Paris,  le  13  janvier  1727,  mort  le  13  juillet  1811.  Fils  d'un 
procureur  au  Parlement,  Pierre  Laujon  fut  destiné  au  barreau,  mais 
il  préféra  le  lliéàtre.  11  y  réussit  à  merveille,  en  donnant  des  paro- 
dies, des  pastorales  cl  des  comédies  grivoises.  Il  fut  parfois  le  colla- 
borateur de  Collé.  Très  courtisan,  sachant  l'art  de  (latter  el  de  plaire, 
il  s'attacha  successivement  au  comte  de  Clermont,  au  duc  de  Bour- 
bon et  au  duc  cl'Orléans.  Kn  1775,  il  succéda  à  Geulil-lJernard  comme 
secrétaire  général  des  Dragons.  11  fut  tout  a  la  fois  du  Caveau  et  de 
l'Académie  française. 

3.  Acteur  de  1  Opéra-Comique,  puis  chirurgien  dentiste  du  roi  Sta- 
nislas de  Pologne,  N.  Lécluse  naquit  en  1737  et  mourut  en  1792, 
laissant  un  ouvrage  jioissard  :  Lêdusade  ou  Drjeuner  de  la  Râpée 
(Paris,  1748,  in-8»),  réimprimé  plusieurs  fois  à  la  suite  des  Œuvres  de 
Vadé. 

4.  Avec  Vadé  et  Lécluse  finit  la  poésie  du  x\n\'  siècle.  Elle  nous  a 
fourni  les  noms  du  célèbre  Quiuault,  auteur  d'un  poème  en  deux  chants 
intitulé  Sceaux,  de  J.  Hesnault,  du  Président  de  Malézieux,  de  Rc- 
gnard,  Roy,  Houdart  de  la  Motte,  Tanevot,  l'abbé  Mangenot,  Moncrif, 
J.-B.  Rousseau,  Sedaine,  N.  de  Lisle,  Dorât,  Alexandre  de  Ségur,  La 
Harpe,  du  marquis  de  Villette,  de  Dufresuy,  La  Condamine,  Voltaire, 
Mérard  de  Saiut-Just,  Rulhières,  Piis,  et  vingt  autres  qui  n'importent 
guère. 


372  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

de  la  Grenouillère  et  des  Percherons  i  remplacèrent  le  décor 
banal  des  comédies  à  la  mode.  Un  peu  plus  tard,  la  Révolution 
changea  brusquement  les  paroles  des  couplets  de  nos  ancêtres, 
mais  elle  n'amoindrit  pas  le  goût  de  la  chose  chantée.  Les  sur- 
vivants du  grand  drame  national  et  des  guerres  de  l'Empire 
saluèrent  par  des  chants  l'aube  d'une  ère  nouvelle.  Le  xix«  siè- 
cle abusa  de  la  chanson  et  de  la  poésie  de  circonstance.  Sans 
la  chanson,  l'a- propos,  le  récit  en  vers,  qu'eùt-on  retenu  du 
Romantisme  et  de  l'évolution  parnassienne  ?  Grâce  à  la  chanson, 
Béranger  demeura  longtemps  notre  premier  lyrique -.  Musset, 
on  s'en  souvient,  fut  le  créateur  de  Mimi  J'inson.  Hugo  lui- 
même,  Hugo  que  Paris  revendique  comme  le  plus  illustre  de 
ses  enfants  adoptifs,  n'a  été,  aux  yeux  du  commun,  qu'une  sorte 
de  grand  chanteur  s'assimilant  les  haines  et  les  revendications 
de  la  populace.  Quelques-uns  lui  ont  donné  comme  successeur 
François  Coppée,  adulateur  des  «  humbles  »  et  dus  petits  bour- 
geois, François  Coppée,  poète  des  faubourgs...  Nous  osons  le 
demander  bien  haut,  quel  écrivain  noblement  inspiré  obtint 
jamais  un  succès  égal  à  celui  de  nos  Pindares  de  carrefour  et  de 
nos  Aristophanes  d'estaminet?  A  l'art  d'Auguste  Barbier,  de 
Gérard  de  Nerval,  de  Baudelaire,  Paris,  centre  cosmopolite  de 
la  beauté  et  du  plaisir,  préféra  les  couplets  du  Caveau  et  des 
chansonniers  du  Chat  noir^.  En  vain  dira-t-on  que  la  muse 
gréco-latine,  justement  alarmée  de  notre  indigence  intellec- 
tuelle, a  fui  la  Cité  et  s'est  réfugiée  en  quelque  lieu  perdu  dos 
rives  de  la  Seine.  Ne  savons-nous  pas  que  l'Ile-de-France  pro- 
prement dite  n'a  presque  jamais  favorisé  le  a  plaisant  jeu  de 
rimes?  «  En  vain  objectera-t-on  que  ces  anciennes  résidences, 
Fontainebleau,  Versailles,  Marly,  etc.,  ont  accordé  une  géné- 
reuse hospitalité  aux  porteurs  de  lyre;  et  que  le  Hurepoix,  le 
.Mantois,  le  Vexiu  français  et  la  Brie  ont  donné  naissance  à  des 
iiuteurs  du  cru.  Quels  furent-ils  ceux-hi  qui  se  souvinrent  de  la 
terre  des  aïeux?  Racine  chanta  la  Grèce;  Rotrou,  de  Dreux, 
Ducis,  de  Versailles,  travaillèrent  pour  la  scéue  tragique;  Go- 

1.  Voyez  dans  le  recueil  intitulé  Les  Fantaisies  poétiques  on  por- 
tefeuille  d'un  élève  de  Voltaire  (Faris,  Durand,  1780,  in-li)  le  poème 
des  Porcherons. 

2.  Il  cul  dos  émules  et  de  trop  nombreux  imitateurs.  On  ne  s'at- 
tend pas  à  voir  leurs  noms  ici.  On  n'y  trouvera  pas  davantage  celui 
de  r«  immortel  »  Uésaugiers.  Il  élail  de  Toulon.  11  a  célébré  Pans 
avec  un  léger  accent  provençal  ! 

3.  A  ceux,  de  nos  lecteurs  qui  nous  reproclicraieut  trop  vivement 
de  n'avoir  pas  fait  (igurer  ici  les  derniors  représentants  de  notre 
vieux  «  génie  gaulois  »,  nous  ferons  observer  que  la  plupart  des 
brillants  «  humoristes  »  qui,  depuis  plus  de  vingt  années,  font  la 
célébrité  de  U  butte  montmartroise  et  la  gloire  de  l'  «  esprit  fran- 
çais »  ne  sont  pas  originaires  de  Paris.  La  province  qui  les  a  pro- 
duits doit,  seule,  les  revendiquer. 


Il 


1LE-DB-F«ANCE  373 

Jeau  fit  des  vers  pfalants  et  paraphrasa  les  psaumes;  l'abbé  do 
V'oiseiion  écrivit  dos  ballets  et  des  comédies:  Noyarut  rima 
des  coules  galants.  Seul,  au  xvi"  siècle,  Gaucliet ,  prieur  du 
Dammartiii,  exalta  les  plaisirs  de  la  vie  rustique.  Sa  voix  un 
peu  rude,  son  acccat  de  terroir,  n'ont  pas  trouvé  d'écho'. 

Une  enquête  tentée  dans  le  domaine  de  l'art  populaire  don- 
nerait un  piètre  résultat.  Le  paysan  de  Seine-et-Oise.  de  Seine- 
et-Marne  ou  d'Eure-et-Loir,  ce  dernier  si  fortement  caraclérisi- 
par  Zola,  n'a  pas  de  chanson  locale.  Cela  ne  surjirend  guère,  car 
il  n'appartient  à  aucune  race  nettement  déterminée;  il  se  ratta- 
che à  divers  groupes  sociaux.  Individualiste  à  l'excès,  d'espril 
pratique,  d'intelligence  médiocre  et  de  moralité  douteuse,  sans 
autre  vertu  appréciable  qu'une  forte  résistance  au  travail  des 
champs,  influencé  par  le  mirage  trompeur  des  villes,  il  ne  de- 
mande à  la  terre  (pie  ses  revenus.  Sa  langue  est  une  altération 
du  français  courant,  auquel  se  mêlent  les  termes  techniques  de» 
milieux  agricoles  et  des  mots  empruntés  à  divers  patois  septen- 
trionaux et  à  l'argot  parisien.  Il  n'a  que  faire  des  antiques  usages 
observés  jadis  sur  le  sol  qu'il  exploite.  Non  seulement  il  ignore 
le  u  lyrisme  rural  »,  niais  il  méconnaît  la  beauté  des  choses  rus- 
tiques. C'est  le  plus  souvent  un  colon,  rarement  un  autochtone. 
La  poésie  célébrant  les  vertus  du  sol,  la  beauté  des  sites  en  Ile- 
de-France,  —  et  ce  sera  là,  si  l'on  veut,  notre  manière  do  cou- 
dure,  —  n'a  été  depuis  plusieurs  siècles  qu'un  hommage  rend.i 
par  des  écrivains  de  diverses  régions  au  centre  de  la  culture 
française.  Eu  choisissant  pour  thèmes  d'inspiration  Paris,  Ver- 
sailles, Fontainebleau,  les  jolies  vallées  du  Parisis,  des  poètes 
comme  François  de  Corseuïbleu  Desmahis-,  Chénier-',  Huj>o 
et  plus  tard  Paul  Verlaine*,   Henri  de  llégnier'',  Albert   Sa- 

i.  Exceplionncllemcnt,  dos  poêles  «  français  »  ont  chanté  la  ban- 
lieue, ses  cliani|ts  eu  Heur,  ses  eaux,  ses  forêts  et  ses  parcs.  Nous 
leur  avons  presque  loujours  accordé  la  place  à  laquelle  ils  ont  droit. 
Nous  nous  sommes  cru  autorisé  pourtant  a  exclure  l'un  d'eux,  .Mf  Jac- 
ques Madeleine,  en  raison  de  sa  cnédiocrité.  M.  Jacques  Madeleine 
dise/.  Jacques  Noimand)  s'est  elTorcé,  bien  inutilement,  de  peindre 
les  paysages  émouvants  de  Fontainebleau. 

2.  Né  à  SulIy-sur--Loire,  le  3  févr.  1722,  mort  à  Paris  le  23  févr. 
1701.  Il  écrivit  Le  Voi/age  d'Essones,  récit  en  prose  môle  de  vers- 
•i.  Voyez  dans  ses  Œuvres  l'ode  a  Versailles  : 
O  VersHille,  ô  bois,  ô  portique* 
Marbres  vivants,  berceaux  anticpies. 
Par  les  dieux  et  les  rois  Elysée  embelli,  etc. 

4.  On  ne  lira  pas  sans  agrément  la  pièce  intitulée  Xoctiœne  Pari- 
sien, dans  les  Poèmes  Saturniens  : 

Roule,  roule  ton  flot  indolent,  morne  Seine... 

5.  La  Cité  des  Eaux,  poèmes,  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
iy02,  in-18. 


Oy^  1,ES    POETES    DU    TERUOIR 

main',  la  gracieuse  comtesse  de  Noailles-,  etc.,  n'ont  pas  eu 
pour  objet  d'exalter  le  terroir,  mais  de  fixer  des  images  tradi- 
tionnelles. Ils  ont  été,  tour  à  tour,  les  interprètes  de  la  sensi- 
bilité française.  Qu'on  lise,  pour  s'en  convaincre,  cette  page  lumi- 
neuse de  Victor  Hugo  : 

AUX  RUINES  DE  MONTFORT-L'AMAURY 
1 

Je  vous  aime,  ô  débris  I  et  surlout  quand  l'aulomne 
Prolonge  en  vos  échos  sa  plainte  monotone. 
Sous  vos  abris  croulants  je  voudrais  habiter. 
Vieilles  tours  que  le  temps  l'une  vers  l'autre  incline, 
Et  qui  semblez  de  loin,  sur  la  haute  colline, 
Deux  noirs  géants  prêts  à  lutter. 

Lorsque  d'un  pas  rêveur  foulant  les  grandes  herbes. 

Je  monte  jusqu'à  vous,  restes  forts  et  superbes! 

Je  contemple  longtemps  vos  créneaux  meurtriers, 

Et  la  tour  octogone  et  ses  briques  rougies, 

Et  mon  œil,  à  travers  vos  brèches  élargies, 

Voit  jouer  des  enfants  où  mouraient  des  guerriers. 

Ecartez  de  vos  murs  ceux  que  leur  chute  amuse  ! 
Laissez  le  seul  poète  y  conduire  sa  muse. 
Lui  qui  donne  du  moins  une  larme  au  vieux  fort; 
Et  si  l'air  froid  des  nuits  sous  vos  arceaux  murmure, 
Croit  qu'une  ombre  a  froissé  la  gigantesque  armure 
D'Amaury,  comte  de  Montfort  ! 

Il 

Là,  souvent  je  m'assieds,  aux  jours  passés  fidèle. 
Sur  un  débris  qui  fut  un  mur  de  citadelle 
Je  médite  longtemps,  en  mon  cœur  replié  ; 
El  la  ville,  à  mes  pieds,  d'arbres  enveloppée. 
Etend  ses  bras  en  croix  et  s'allonge  en  épéc. 
Comme  le  fer  d'un  preux  dans  la  plaine  oublié. 

Mes  yeux  errent,  du  pied  de  l'antique  demeure. 
Sur  les  bois  éclairés  ou  sombres,  suivant  l'heure. 
Sur  l'église  gothique,  hélas!  prête  à  crouler. 
Et  je  vois,  dans  le  champ  où  la  mort  nous  appelle, 
Sous  l'arcade  de  pierre  et  devant  la  chapelle, 
Le  sol  immobile  onduler. 

Foulant  créneaux,  ogive,  écussons,  astragales, 
M'altacliant  comme  un  lierre  aux  pierres  inégales, 

1 .  Versailles  {Le  Chariot  d'or,  Paris,  Soc.  du  Mercure  de  France, 
l'JOi,  in-18). 

2.  Beauté  de  la  France.  Le  Poème  de  l'Ile  de  France,  Versail- 
les,  Les  bords  de  la  Seine,  Soirs  d'été  dans  le  parc  de  Saint-Cloud. 
La  Malmaison,  etc.  [Les  Eblouissements,  Paris,  Calmann-Lévy,  s.  d. 
11908],  in-18). 


ILE-DE-FRANCE  375 

Au  faîte  des  «rrands  murs  je  m'élève  parfois  ; 
Là,  je  môle  dos  chants  au  sifllcmcnt  des  brises  ; 
Et  dans  les  cicux  profonds  suivant  ses  ailes  grises, 
Jusqu'à  l'aigle  effrayé  j'aime  à  lancer  ma  voix  ! 

Là  quelquefois  j'entends  le  lulh  doux  et  sévère 
D'un  ami  qui  sait  rendre  au  vieux  temps  un  trouvore. 
Nous  parlons  des  héros,  du  ciel,  des  chevaliers, 
De  ces  âmes  eu  deuil  dans  le  monde  orphelines, 
Et  le  vent  qui  se  brise  à  l'angle  dos  ruines 
Gémit  dans  les  hauts  peupliors'. 

BtBLlOGRAPiiiK.  —  H.  Sauvai,  Histoire  et  Recherches  sur  les 
Antiquités  de  Paris,  etc.,  1724,  3  voL  in-fol.  —  Dom  Félibien, 
Jlistoire  de  la  ville  de  Paris,  etc.,  Paris,  1725,  5  vol.  in-fol.  — 
Bruzen  de  la  Martiniôre,  Grand  Dictionnaire  historique,  etc.,  III, 
1740,  in-fol.  —  Piganiol  de  la  Force,  Descript.  de  Paris,  de  Ver- 
sailles, de  Marly,  de  Meudon,  de  Saint-Cioud,  de  Fontainebleau, 
etc.,  Paris,  1742,  8  vol.  in-12.  —  Expilly,  Dictionn.  gt'ographi- 
que,  histor.  et  politique  de  la  France,  etc.,  1762.  —  Abbé  Lebeuf, 
Hist.  de  la  Ville  et  de  tout  le  diocèze  de  Paris,  1754-1758,  15  vol. 
ia-12.  (Voyez  surtout  l'édit.  publiée  par  Féchoz  et  Letouzcy, 
1883-1893.)  — Jaillot,  Les  Hues  et  les  Environs  de  Paris,  Paris,  1757, 
2  vol.  in-12;  Recherches  critiques,  histor.,  etc.,  sur  la  ville  de 
Paris,  Paris,  Le  Boucher,  1782,  8  vol.  in-S".  —  Mayeur  do  Saint- 
Paul,  Le  Désœuvré  ou  l'Espion  du  boulev.  du  Temple,  1782,  nouv. 
éd.,  Paris,  Sansot,  1907,  in-12.  —  Saiut-Foix,  Essais  historiques 
sur  Paris  (éd.  des  Œuvres  compl.  de  Saint-Foix,  Paris,  veuve  Du- 
chesne,  1778,  t.  III  à  VI,  in-8«.)  —  S.  Mercier,  Tableau  de  Paris. 
nouv.  éd.,  Amsterdam,  1783-1788,  12  tomes  in-8«.  —  XXX,  Des- 
cript. d'une  partie  de  la  vallée  de  Montmorenc;/,  Paris,  Moutard, 
1784,  in-8». —  Nougaret,  Tableau  mouvant  de  Paris,  etc.,  Lon- 
dres et  Paris,  Duchesne,  1787,  3  vol.  in-12.  —  N.  F.  Restif  de  la 
Bretonne,  Le  Palais  Royal,  Paris,  au  Palais  Royal,  1790,  ^vol. 
in-12.  —  J.-B.  Pugoulx,  Paris  à  la  fin  du  dix-huitième  siècle, 
etc.,  Paris,  1801,  in-8<>.  —  J.  Delort,  Mes  Voyages  aux  environs  de 
Paris,  Paris,  Picard-Dubois,  1821,  2  vol.  in-8°.  —  J.-A.  Dulaure, 
Histoire  civile,  physique  et  morale  de  Paris,  3*  édition,  Paris, 
Baudouin  fr.,  1825-1826,  10  vol.  in-12;  voir,  du  môme,  Hist.  des 
environs  de  Paris,  etc.  —  E.  et  H.  Daniel,  Biographie  des  hommes 
remarquables  de  Seine-et-Oise,  Rambouillet  et  Versailles,  1832, 
in-8"  ;  Paris,  Ange,  1837,  in-8'».  —  Le  Roux  de  Lincy,  Recueil  de 
chants  histor.  depuis  le  douzième  siècle  jusqu'au  dix-huitième  : 
Paris,  Gosselin,  1841-1842,  in-12.  —  Aristide  Guilbert,  Histoire 
des  villes  de  France,  Paris,  Furne,  1848,  t.  VI,  in-S».  —  Fr.  Michel 
et  Ed.  Fournier,  Le  Livre  d'or  des  métiers,  histoire  des  hôtelle- 

1.  Odes  et  Ballades,  cet.  182;i. 


376  LES  POÈTKS  DU  TEUKOIR 

ries,  cabarets,  etc.,  Paris,  Seré,  1851,  2  vol.  ia-8°.  —  Félix  et 
Louis  Lazare,  Dictionn.  administratif  et  historique  des  rues  et 
monuments  de  Paris,  Paris,  Revue  municipale,  18")5,  in-i".  — 
Emile  Agael,  Observation  sur  la  prononciation  et  le  langage  rus- 
tique des  eni'irons  de  Paris,  Paris,  1855,  in-S».  —  Georges  Kast" 
ner.  Les  Voix  de  Paris  :  Essai  d'une  histoire  littér.  et  musicale 
des  cris  popul.  de  la  capitale  depuis  le  moyen  âge  jusqu'à  nos 
Jours,  Paris,  Pionouard,  185",  in-4''.  — P.-L.  Jacob,  Paris  ridi- 
cule et  burlesque  au  dix-septième  siècle,  Varis,  Delahays,  1859. 
in-12.  —  A.  de  la  Fizeliére,  Vins  à  la  mode  et  cabarets  au  dix- 
septième  siècle,  Paris,  Pincebourde,  1866,  in-12.  —  Charles  Ni- 
sard,  Des  Chansons  populaires  chez  les  anciens  et  chez  les  Fran- 
çais, etc.,  Paris,  Dentu,  1867,  2  vol.  in-12;  Etude  sur  le  langage 
populaire  ou  patois  de  Paris  et  de  sa  banlieue,  précédée  d'un 
coup  d'œil  sur  le  commerce  de  la  France  au  moyen  âge,  les  che- 
mins qu'il  suii'uit,  etc.,  Paris,  libr.  Franck,  1872,  in-8».  —  A.  Jal, 
Dict.  de  biogr.  et  d'histoire,  Paris,  Pion,  1867,  in-8°.  —  [Délerot], 
Ce  que  les  Poètes  ont  dit  de  Versailles,  Versailles,  Bernard,  1870, 
in-12.—  A.  Franklin,  Les  Rues  et  les  Cris  de  Paris  audix-septième 
siècle,  publ.  d'après  les  mss,  etc.,  Paris,  Willem,  1874,  in-16.  — 
C.  Lenient,  La  Satire  en  France  et  la  Littérature  militante  au 
seizième  siècle,  Paris,  Hachette,  1877,  2  vol.  in-12.  —  Emile  Ban- 
nie, Chansonnier  historique  du  dix-huitième  siècle  [Recueil  Clai- 
rambault-Maurcpas),  Paris,  Quantin,  1879-1884,  10  vol.  in-18. 

—  Dom  Morin,  Histoire  du  Câlinais,  Pithiviers,  1883-1889,  3  vol. 
in-4'>.  —  Paul  Lacombe,  Bibliographie  parisienne,  etc.,  1600- 
1880,  Paris,  Rouquette,  1887,  in-8».  —  Catalogue  des  livres  rela- 
tifs à  l'histoire  de  la  ville  de  Paris  et  de  ses  environs  composant 
la  bibliothèque  de  M.  l'abbé  Bossuet,  Paris,  Morgand,  1888,  in-12. 

—  Edouard  Fournier,  Chroniques  et  Légendes  des  rues  de  Paris, 
nouv.  édit.,  Paris,  Dentu,  189."},  in-16:  voir,  du  même,  Histoire 
des  enseignes  de  Paris,  Histoire  du  Pont-Neuf,  Paris  démoli, 
Enigme  des  rues  de  Paris,  Corneille  à  la  butte  Saint-Roch,  etc.  — 
Bibliothèque  des  Concourt,  Dix-huitième  siècle.  Livres,  Manus- 
crits, autographes  dont  la  vente  aura  lieu  Hôtel  Drouot,  'J'J  mars. 
:i  avril  IS'Jl,  Paris,  Morgand,  1897,  in-S".  (Très  important.)  — 
Jacques  Madeleine,  Quelques  Poètes  français  des  seizième  et  dix- 
septième  siècles  a  Fontainebleau,  Fontainebleau,  iuipr.  Bourges. 
1900,  in-12.  —  P.  Yves  Plessis,  Bibliogr.  raisonnée  de  l'argot, 
etc.,  Paris,  Daragon,  1901,  in-8".  —  Ad.  Retté,  Les  Poètes  à  Fon- 
tainebleau, Bruxelles,  Weissenbruch,  190:<,  iu-8".  —  F.  Funck- 
Brentano,  Les  Nouvellistes,  Paris,  Hachette,  1905,  in-18.  —  Ed. 
Pilon,  Les  Jolies  Vallées  d'Ile-de-France,  etc.,  14  juill.,  22  sept. 
1906. —  Pierre  Lelong,  Au  Pays  des  Crcnouilles  bleues.  Montforf- 
l'Amaury,  Ombredanne,  1906,  in-18.  —  P.  Vidal  de  la  Blache, 
Tableau  de  la  géographie  de  la  France  (Histoire  de  France  de 
F.  Lavisse,  t.  I«S  3»  éd.,  Paris,  Hachette,  1908,  ia-4'').  —  L.  Cal- 


ILt-Dli-lKAACE 


377 


lois,  Régions  naturelles  et  I\'onis  de  pays.  Etude  sur  la  région 
parisienne,  Paris,  Coliu,  1008.  iu-S".  —  Henri  d'Alméras,  La  Vie 
parisienne  sons  la  Révolution  et  le  Directoire,  Paris.  A.  Michel, 
1908,  ia-8".  (Voir  eu  outre,  du  même,  l'édition  des  Mémoires  de 
Jean  Monnet,  directeur  du  Tliéàtre  delà  Foire,  Paris,  Louis  Mi- 
chaud,  s.  d.  [1908],  in-lG).  —  Bertrand  Milianvoyo.  Anthologie: 
des  poètes  de  Montmartre,  Paris,  OUendorfl",  1909,  in-18  (ouvrage 
médiocre).  —  Emile  Michel,  La  Foret  de  Fontainebleau,  etc.. 
Paris,  Laurens,  1909,  in-S",  etc. 

On  consultera  en  outre  les  Dictionnaires  d'argot  de  Delvau, 
d'Aristide  Hruaud,  les  Mémoires-Journaux  de  Pierre  de  L'Estoile 
lEd.  Hrunet,  A.  ChanipoUion,  E.  Halphen,  etc.,  Paris,  Libr.  des 
Bibliophiles,  et  A.  Lemerre,  12  vol.  in-8");  les  Historiettes  d<' 
Tallcmant  des  Ilôauv  {.'J"  éd..  piibl.  par  MM.  de  Monmorqué  et 
Paulin  Paris,  Paris,  Techener,185't,  9  vol.  in-S")  ;  la  Bibliographie 
des  Mazarinades  de  C.  Moreau;  Journal  et  Mémoires  de  Collé, 
etc.,  la  Correspondance  littér.  de  Crimm,  de  Diderot,  etc.  (éd.  de 
Maurice  Tourneux),  les  Mémoires  secrets  de  Bachaumont,  la 
Correspondance  secrète  de  Métra,  \gs  Mémoires  de  Saint-Simon, 
les  Journaux  et  Mémoires,  de  Mathieu  Marais,  tlu  duc  de  Luynes. 
<lu  marquis  d'Argenson,  de  Barbier,  etc.  ;  enfin  la  Revue  rétros- 
pective, 1833-18M8;  les  Mémoires  de  la  Société  de  l'Histoire  de 
J'aris;  les  Annales  du  Cdtinais,  la  Revue  de  l'Histoire  de  Versail- 
les et  de  Seine-et-Oise ;  les  Bulletins  de  la  Société  archéologique 
de  Rambouillet,  de  la  Société  histor.  du  sixième  arrondissement 
de  Paris  ;  de  la  Société  histor.  du  septième  arrondissement,  etc.  : 
La  Cité,  bulletin  histor.  du  quatrième  arrondissement,  etc.,  etc. 


POESIES   POPULAIRES 


CHANSON  NOUVELLE  DE  TOUS  LES  CRIS 
DE  PARIS,  QUI  SE  CHANTE  SUR  LA  YOLTE 
DE  PROVENCE  1. 


4 


Voulez  ouïr  chansonnette 

De  tous  les  cris  de  Paris? 

L'une  crie  :  Allumette! 

L'autre  :  Fusilz^,  bons  fusilz! 

Gostrets  socs,  à  la  masle  tache, 

Verres  jolis! 

Qui  a  de  vieux  souliés 

A  vendre  en  bloc  et  en  tache'  ? 

Beaux  œufs  frais!  gelés,  choux  gelés. 

Oranges!  citrons!  grenades! 

Fourmagc  dur  de  Milan! 

Faut-il  point  du  bon  pain,  chalans  ? 

Salladc!  belle  sallade! 

A  ramonner  la  cheminée 

Hault  et  bas!  Vieux  fer,  vieux  drapeaux! 

Beaux  choux  blancs!  ma  belle  poirée! 

Moutarde!  Almanacz  nouveaux! 

Vinaigre  bon!  bon  vinaigre! 
Sablon  ù  couvrir  les  vins! 
Charbon  do  rabais  en  grève, 

1.  Cetlc  chanson  csl  oxlrailc  do  la  collection  Maurepas.  Elle  a  {'[(' 
publiée  dans  linlc'TPSsanl  ouvrage  de  Georges  Kaslner  :  Les  Voix  de 
l'nris.  Essai  d'une  histoire  lilt''r.  et  music.  des  cris  popul.  de  ta 
capitale  depuis  le  moyen  âge  jusqu'à  nos  jours.  Paris,  Renouard, 
IHoT,  in-4''.  On  en  Iroiivo  une  \crsioii  modilioc  dans  le  recueil  de 
P.-L.  Jacob.  Paris  ridicule  et  burlesque,  au  dix-septième  s.,  1H50. 

2.  Briquets. 

3.  En  gros,  à  forfait. 


ILE-DE-FRANCE  379 

Le  minot  à  neuf  douzains  ! 
Du  grés,  gi'és,  à  la  fine  esguille! 
J'ai  la  mort  aux  rats  et  aux  souriz  ! 
Entonnois,  bon  forets  et  vrilles! 
Ca  chalants,  à  curer  le  puys! 

Argent  cassé!  Vieille  monnoyc! 
Ueiuouleurs,  gaigne  petit! 
Groye  de  Champagne,  croye'  ! 
Oublie,  oublie,  où  est-il  ? 
A  deux  liards  des  chansons  tant  belles! 
Doulces  mesures!  gentil  fruit  nouveau! 
A  mes  beaux  cerneaux,  noys  nouvelles  ! 
Quapendu-,  poires  de  certiau'! 

Gros  fagots!  seiche  bourrée! 

A  mes  bons  navets!  navets! 

Chicorée!  chicorée! 

Argent  de  mes  gros  balets! 

Noir  à  noircy!  couvercle  à  lessive, 

Peigne  de  buys,  gravele,  graveleau  ! 

Beaux  marons,  a  l'escaille  vive! 

Chaudronnier!  Qui  est-ce  qui  veut  de  l'eau? 

A  quatre  deniers  la  peinte. 

Gentil  vin  blanc  et  clairet, 

Esguillettes  de  fil  teinte! 

Argent  du  fin  trebucliet! 

Ver  verjus!  Ongnons  à  la  botte! 

Harans  sor!  Panés,  beaux  panés! 

Beau  cresson  !  carotte!  carotte!  • 

Pois  vert!  pois!  fèves  de  marez! 

Prunes  de  Damas!  cerises! 
Quonquombre  !  beaux  abricaux  ! 
De  bonne  encre  pour  escripre! 
Beaux  melons!  gros  artichaux! 
Harans  frais!  Maquereau  de  chasse! 


1.  Craie. 

1.  Carpendu  ou  coiirl  pendu,  sorte  de  pomme  dont  l'odeur  était 
appréciée  au  xvi"  siècle. 
:?.  Poires  de  cerleau. 
f.  Râpe. 


380  LES  POÈTES  DU  TEKROIR 

A  refaire  les  seaux  et  soufflets  ! 

Citrouilles!  Filace!  Filace! 

Qui  a  de  vieux  chapeaux,  vieux  bonnets  ? 

Fourmage  de  cresme!  fourmage! 
Aux  racines  de  percins! 
Rave  douce  !  belle  esparge  '  ! 
Beau  houblon!  Peau  do  connin^! 
Gerbe  de  froment!  Foire!  nouveau   foire'! 
Bons  râteliers!  Chambrière  de  bois  M 
Beau  may  de  hou!  A  la  pierre  noire, 
Ruban  blanc  !  ruban  !  beaux  lacets  ! 

A  trente  cscus  l'émeraude 
Et  l'anneau  de  grand  valleur  ! 
Fèves  cuites,  toutes  chaudes! 
Pain  d'espice  pour  le  cueur! 
Beaux  chapelets!  couronne  royale! 
De  beaux  coings!  Pèches  de  Corbet''! 
Beaux  poireaux  !  Gros  navets  de  halle  î 
Beaux  bouquets  !  Qui  veut  de  bon  lait  ! 

Figues  de  Marseilles  !  figues  ! 

Beaux  merlus!  Gliervys  de  Trois"! 

Carpes  vives!  carpes  vives! 

Beaux  espinards  I  lard  à  pois  ! 

Escargots!  trippes  de  morue! 

Beaux  raisins  !  beaux  pruneaux  de  Tours  ! 

Ainsi  vont  criant  par  les  rues 

Leurs  estais  chascuii  tous  les  jours. 

CHANSON 

Le  roi  Loys  est  sur  son  pont 
Tenant  sa  fille  en  son  giron. 
Elle  lui  demande  un  cavalier... 
Qui  n'a  pas  vaillant  six  deniers  ! 

1.  Asperge. 

d.  l'eau  de  lapin. 

3.  Fonerrp,  paille. 

4.  Cliandelicr. 

0.   l'ôches  do  Coibcil. 

♦V.  Troycs.  Espèce  de  panais. 


ILE-Dli-tKANCE  381 

—  Olil  oui,  mon  père,  je  l'aurai 
Malgré  ma  mère  qui  m'a  porté. 
Aussi  malgré  tous  mes  parents 

Et  vous,  mon  père...  que  j'aime  tant! 

—  Ma  fille,  il  faut  changer  d'amour, 
Ou  vous  entrerez  dans  la  tour... 

—  J'aimo  mieux  rester  dans  la  tour. 
Mon  père!  que  de  changer  d'amour! 

—  Vite...  où  sont  mos  cstafiers, 
Aussi  bien  que  mos  gens  de  pied  ? 
Qu'on  mène  ma  fille  à  la  tour, 
Elle  n'y  verra  jamais  le  jour  ! 

Elle  y  resta  sept  ans  passés 
Sans  que  personne  pût  la  trouver  : 
Au  bout  de  la  septième  année 
Son  père  vint  la  visiter. 

—  Bonjour,  ma  fille,  comme  vous  en  va? 

—  Ma  toi,  mon  père...  ça  va  bien  mal; 
J'ai  les  pieds  pourris  dans  la  terre, 
Et  les  côtés  mangés  des  vers. 

—  Ma  fille,  il  faut  changer  d'amour... 
Ou  vous  resterez  dans  la  tour. 

—  J'aime  mieux  rester  dans  la  tour, 
Mon  père,  que  de  changer  d'amour'  I 


CHANSON^ 

Y  avait  dix  filles  dans  un  pré,  * 
Toutes  les  dix  à  marier. 

Y  avait  Dine, 

Y  avait  Chine, 

Y  avait  Suzette  et  Martine. 

Ah!  Ah!  Catherinette  et  Gatherina  ! 

Y  avait  la  jeune  Lison, 

1.  Celte  chanson  du  Parisis  a  été  recueillie  et  publiée  par  Gérard 
de  Nerval  dans  son  roman  Angélique. 

-2.  Cette  ciianson  est  extraite  de  La  Bohême  galante,  de  Gérard  d« 
Nerval  (Paris,  M.  Lévv,  1855,  in-i8). 


«^82  LES    POÈTES    DU    TEKROIR 

La  comtesse  de  Montbazon, 
Y  avait  Madeleine 
Et  puis  la  Dumaine! 

Le  fils  du  roi  vint  à  passer, 
Reg-arda  Dine, 
Regarda  Chine, 
Regarda  Suzette  et  Martine. 
Ali!  Ah!  Catherinetto  et  Cathorina! 
Regarda  la  jeune  Lison, 
La  comtesse  de  Montbazon, 
Regarda  Madeleine, 
Sourit  à  la  Dumaine. 

Puis  il  nous  a  saluées. 
Salut,  Dine, 
Salut,  Chine, 
Salut  à  Suzette  et  Martine. 
Ah  !  Ah!  Catherinette  et  Catherina  T 
Salut  à  la  jeune  Lison, 
A  la  comtesse  de  Montbazon, 
Salut  à  Madeleine, 
Baiser  à  la  Dumaine. 

Et  puis  il  nous  a  donné, 
Bague  à  Dine, 
Bague  à  Chine, 
Bague  à  Suzette  et  Martine, 
Ah  !  Ah  !  Catherinette  et  Catherina  ? 
Bague  à  la  jeune  Lison, 
A  la  comtesse  de  Montbazon, 
Bague  à  Madeleine, 
Diamant  à  la  Dumaine. 

Puis  il  nous  mena  souper. 
Pomme  à  Dine, 
Pomme  à  Chine, 
Pomme  à  Suzette  et  Martine. 
Ah!  Ah!  Catherinette  et  Catherina  L 
Pomme  à  la  jeune  Lison, 
A  la  comtesse  do  Montbazon, 
Pomme  à  Madeleine, 
Diamant  à  la  Dumaine. 


[LE-DE-rRANCE  383 


Puis  il  nous  fallut  coucher, 
Paille  à  Dine, 
Paille  à  Chine, 
Paille  à  Suzette  et  Martine. 
Ah!  Ah!  Cathcrinettc  et  Catherin 
Paille  à  la  jeune  Lison, 
A  la  comtesse  de  Monlbazon, 
Paille  à  Madeleine, 
Bon  lit  à  la  Dumaine. 

Puis  il  nous  a  renyoyées, 
Renvoie  Dine, 
Renvoie  Chine, 
Renvoie  Suzette  et  Martine, 
Ah!  Ah!  Catherinetle  et  Catherin 
Renvoie  lu  jeune  Lison, 
Et  la  comtesse  de  Montbazon, 
Renvoie  Madeleine, 
Garda  la  Dumaine. 


FRANÇOIS   VILLON 

(l',31-?) 


La  vie  de  François  Villoa  n'est  connue  que  depuis  peu.  Ce 
singulier  personnage,  qui  devait  laisser  la  réputation  d'un  mau- 
vais garçon  et  diin  grand  poète,  naquit  en  14:51,  pendant  qur 
Paris  demeurait  encore  sous  la  domination  anglaise.  Il  était 
pauvre  et  de  petite  naissance  et  s'appelait  de  son  vrai  nom 
Montcorbier,  ou  encore  des  Loges,  d'un  nom  de  lieu  d'où  il 
tenait  peut-être  ses  origines.  François,  ayant  de  bonne  heun 
perdu  son  père,  garda  longtemps  sa  mère,  bonne  femme  pieuse 
et  illettrée,  et  fut  recueilli  par  maître  Guillaume  de  Villon 
bachelier  en  décrets,  chapelain  de  Saint-Benoît-le-Bétourné 
qui  le  logea  dans  sa  maison,  dite  la  Porte-Rouge,  au  cloîtrt 
Saint-Benoît,  près  le  collège  de  Sorbonne.  Il  prit  le  nom  de  sot 
bienfaiteur  et,  destiné  à  suivre  l'état  de  clerc,  fut  inscrit  sut 
les  registres  de  l'Université.  Villon  prit  ses  grades.  Bacheliei 
à  dix-huit  ans,  en  1449,  licencié  et  maître  es  arts  en  1452,  il 
n'eût  rien  laissé  de  son  court  destin  si  sa  Jeunesse  n'avait  subi 
le  contre-coup  d'une  époque  troublée.  Ses  années  d'études 
avaient;  été  particulièrement  orageuses.  «  L'Uuiversité,  écrit 
M.  Anatole  France,  était  alors  en  querelle  avec  le  Parlement.  Le.*- 
leçons  et  les  prédications  avaient  même  été  suspendues  pen- 
dant quelque  temps.  Les  recteurs  réclamaient,  les  écoliers  se 
mutinaient  et  apprenaient  moins  les  préceptes  des  sept  arts 
libéraux  que  la  manière  de  rosser  le  guet.  »  Ce  n'était  point  un 
mince  plaisir  pour  ces  derniers  que  de  voler  les  crocs  à  l'éta! 
des  bouchers,  décrocher  les  enseignes  et  scandaliser  les  mar- 
chands, les  bourgeois  et  les  hôteliers  de  Paris  par  mille  ex- 
travagances burlesques  et  cyniques.  Une  fAcheuse  alfaire  sur- 
venue en  juin  1455,  jour  de  la  Fête-Dieu,  et  dans  laquelle  il  S( 
rendit  coupable  d'un  homicide  sur  la  personne  d'un  prêtre. 
Philippe  Serraoise,  le  fit  mettre  en  prison,  juger  par  la  prévôté 
de  Paris  et  condamner  au  bannissement.  Ici  finit  la  carrière 
universitaire  de  Villon.  Peu  après  commença  pour  lui  une  exis- 
tence nouvelle,  qui  ne  fut  point  bonne  et  dont  les  témoignages 
tiennent  lieu  et  place  de  fiction  dans  son  œuvre  de  poète.  Sans 
ressource,  sans  gîte  et  sans  appui,  Villon  ne  tarda  pas  à  se  liei 


I 


ILE-DE-IRANCE  385 

vec  quelques  compagnons  de  hasard  et  d'iurortune,  anciens 
coliers,  clercs  vagabonds,  mendiants  et  voleurs,  qui  avaient 
(fis  le  surnom  de  coquillarts  —  synonyme  d'audacieux  malfai- 
eurs  —  et  terrorisaient  la  province.  Il  erra  plusieurs  mois  du 
'îord  au  Midi,  associé  à  de  nombreux  méfaits  de  tous  genres, 
usqu'au  jour  oi'i.  grâce  h  d'anciennes  amitiés  et  à  la  tendre  solli- 
:itudc  de  son  père  adoptif,  il  obtint  des  lettres  de  rémission  et 
)Ut  rentrer  à  Paris.  On  dit  qu'il  reprit  pendant  quelque  temps, 
lU  cloître  Saint-Henoit,  la  vie  insouciante  do  naguère,  et  qu'il 
ierait  devenu  quelque  homme  sage,  quelque  vénérable  clerc, 
ians  la  traverse  d'amours  malheureuses  et  un  certain  penchant 
>  la  perversité.  Aussi  bien  n'avait-il  point  oublié  ses  anciennes 
réquentations.  11  aimait  l'argent,  le  jeu.  la  bonne  chère  et  les 
illes  et  ne  répugnait  point  à  la  débauche.  Il  le  lit  voir  en  déva- 
isant  de  compagnie,  aux  environs  de  Noël  (l'i.'SBI,  la  sacristie 
lu  collège  de  Navarre.  La  crainte  du  châtiment  l'cloigna  encore 
le  Paris,  et  ce  n'est  point  trop  dire  qu'il  ne  gagna  pas,  à  par- 
;ourir  les  routes  de  France  avec  des  malandrins  de  son  espèce. 
,e  goût  de  la  vertu,  sinon  de  la  tranquillité.  Ou  le  rencontre  à 
Vngers  à  la  fia  de  1456,  puis  à  Blois,  où  il  trouve  le  moyen  de  se 
aire  bien  voir,  grâce  à  ses  talents  et  son  ingénuité  du  poète,  du 
:et  autre  gentil  rimeur,  le  duc   Charles  d'Orléans.  Remis  pou 
iprès  en  prison,  pour  on  ne  sait  quel  motif,  il  échappe  de  mm- 
i-eau  à  sa  disgrâce,  remercie  Dieu,  prend  les  jambes  à  son  cou, 
;omme  un  liomme  qui  n'a  pas    la  conscience   nette  et   craint 
l'être  appréhendé,  traverse  le   Berry,  remonte  la  Loire,  par- 
-•ourt  le  Bourbonnais,  le  Forez,  gagne  le  Dauphiné,  où  il  reçoit 
un  cadeau  du  duc  de  Bourbon,  après  quoi  il  revient  dans  l'Or- 
éanais  et  passe  l'été  à  Meung-sur-Loire,  dans  les  prisons  de 
'évoque  d'Orléans,  Thibault  d'Aussigny.  Il  a  confessé  quelque 
lart  qu'il  y  avait,  non  loin  de  Meimg,  un  endroit  dangereux  pour 
es  enfants  perdus.  C'est  Montpipeau,  où  il  avait  été  pris  la  main 
lans  le  sac.  Cette  fois  il  devra  la  liberté  à  la  clémence  royale. 
Lie  roi  Charles  VII  venait  de  terminer  dans  un  château.  prèsUe 
tJourges,  sa  triste  existence  (22juill.  1461).  François  Villon  était 
I  en  chartre  étroite  et  dure  »  quand  le  roi  Louis  XI,  nouvellement 
iacré,  passant  par  Meung-sur-Loire,  délivra,  en  don  de  joyeux 
ivènement,  plusieurs  prisonniers,  parmi  lesquels  était  le  poète 
le  la  Porte-Rouge.  Il  allait  pouvoir  enfin  rentrer  à  Paris  et  réu- 
ùr  les  poèmes  qu'il  avait  composés  depuis  longtemps.  Soudain 
)n  perd  sa  trace  ;  on  sait  seulement  qu'il  revint  au  cloître  Saint- 
ienoit.  Un  soir  de  l'automne  1 463,  il  assiste  à  une  rixe  devant  la 
)Outique  de  François  Ferrebouc,  rue  Saint-Jacques.  C'est  tout. 
V  cette  date,  Villon  n'avait  guère  plus  de  trente-deux  ans,  mais 
a  pauvreté,  la  maladie,  les  excès,  l'avaient  marqué,  vieilli.  Il  est 
•royable  qu'il  mourut  jeune.  Rabelais  a  écrit  sur  lui  de  beaux 
;onles.  Eu  fait,  a-t-ou  dit,  le  poète  du  Grant  Testament  finit 

II.  22 


386  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

modestement  clans  une  de  ces  nombreuses  «  escriptoires  »  éta- 
l)]ies  .-uitoiir  de  Saint-Jacques-la-Boucherie,  sortes  d'ateliers 
de  copistes  où  les  clercs  trouvaient  à  s'occuper.  «  Sa  vie  s'ac- 
corde si  bien  avec  ses  œuvres,  conclut  M.  Anatole  France,  que 
des  psychologues  très  fins,  des  connaisseurs  très  experts,  se 
sont  demandé  si  les  ballades  de  maître  François  n'auraient  pas 
été  composées  par  un  poète  de  cabinet  jaloux  de  faire  parler  et 
vivre  un  clerc  coquillart  :  «  Les  larrons  qu'on  va  pendre  ne  chan- 
tent pas  si  bien,  disent-ils,  la  maraude,  la  prison  et  la  corde. 
C'est  affaire  d'un  homme  d'esprit  qui  s'amuse  au  coin  de  son 
feu,  d'un  magistrat  lettré,  par  exemple.  » 

Pour  nous,  Villon  est  un  écrivain  populaire  d'un  génie  supé- 
rieur et  qui  ne  chanta  que  pour  avoir  vécu  :  tout  à  la  fois  un 
liistorien  de  mœurs  et  un  poète  du  cœur.  «  On  ne  dira  jamais 
observe  Anatole  de  Montaiglon,  à  quel  point,  dans  son  œuvre 
le  mérite  de  la  pensée  et  de  la  forme  est  estimable.  Villon  peint 
presque  sans  le  savoir,  et  en  peignant  il  ne  pallie,  il  n'excus< 
i-ien;  il  a  môme  des  regrets,  et  ses  torts,  qu'il  reconnaît  eu  st 
blâmant,  mais  dont  il  ne  peut  se  défendre,  il  ne  les  montre  qu( 
pour  en  détourner.  Je  connais  même  peu  de  leçon   plusforti 
([ue  la  ballade  Tout  aux  Tavernes  et  aux  Filles.  La  bouilonne- 
rie,  dans  ses  vers,  se  mêle  à  la  gravité,  l'émotion  à  la  raillerie 
la  tristesse  à  la  débauche;  le  trait  piquant  se  termine  avec  mé 
lancolie,  le  sentiment  du  néant  des  choses  et  des  êtres  est  mèli  " 
d'un  burlesque  soudain  qui  en  augmente  l'effet.  Et  tout  cel 
est   si  naturel,   si  net,   si  franc,   si  spirituel  :   le  style  suit  l 
pensée  avec  une  justesse  si  vive,  que  vous  n'avez  pas  le  temp 
d'admirer  comment  le  corps  qu'il  revêt  est  habillé  par  le  vête 
ment.  C'est  bien  mieux  que  l'esprit  bourgeois,  toujours  un  pei 
mesquin,  c'est  l'esprit  populaire  que  cet  enfant  des  Halles,  qu 
écrivait  II  n'est  bon  bec  que  de  Paris,  a  recueilli  dans  les  rues 
et  qu'il  épure  en  l'aiguisant...  Il  faut  aller  jusqu'à  Rabelais  pou 
trouver  un  maître  qu'on  puisse  lui  comparer,  et  qui  écrive  1 
français  avec  la  science  et  l'instinct,  avec  la  pureté  et  la  fantai 
sie;,  avec  la  grâce  délicate  et  la  rudesse  souveraine  que  l'on  ad 
mire  dans  Villon,  et  qu'il  a  seul  parmi  les  gens  de  son  temps. 
(/*".  Villon,  notice  insérée  dans  les  Poètes  français,  d'Eug.  Cre 
pet,  Paris,  Hachette,  1863,  t.  IV,  in-8°.)  Il  existe  un  grand  non 
bre  d'éditions  de  François  Villon.  On  trouvera  ici   une  list 
sommaire  des  plus  rares  et  des  plus  intéressantes  :  Le  Crai 
Testament  Villon  et  le  Petit;  son  codicille  Le  Jargon  et  les  Balla 
des,  A.Paris,  1489  (éd.  Pierre  Levet),  petit  in-4"  goth.,  et  Pari; 
G.  Bineaut,  1490,  in-i»;  Le  Grant  Testament,  etc.,  Paris,  J.  Tr( 
perel,  1497,  in-12  (réimpr.  à  Paris  par  Ballieu,  en  1869,  in-12 
Le  Grant  Testament,  etc.,  Paris,  Pierre  Caron,  s.  d.,  petit  in-4 
Le  Grant  Testament,  etc.,  à  Paris,  par  Guill.  Nyverd,  s.  d.,  pet 
in-S"  goth.j   à  Paris,  à   l'enseigue  Saint-Nicolas,  s.  d.,   pet 


ILE-DE-FRANCE  387 

-8";  Les  Œuvres  de  Maistre  Françoys  Villon,  etc.,  Paris,  Gal- 
)t  du  Pré  ou  Ant.  Bonnemére,  1532,  in-16;  Les  Œuvres...  re- 
ues  et  remises  en  leur  entier  par  Clément  Marot,  etc.,  Paris, 

du  Pré,  1533,  et  Lyon,  François  Juste,  1537,  in-16,  et  Paris, 
han  Macé,  s.  d.,  in-S»;  Les  Œuvres  de  Fr.  Villon,  Paris,  Les 
igcliers,  1540.  et  Paris,  Alain  Lotrian,  15'i2,  iu-16;  Les  nu  mes, 
ec  des  remarques  d'Eusèbo   de  Lauriéro  et    une   lettre  du 

du  Cerceau,  Paris,  Coustelier,  1723,  in-S»;  les  mêmes  augm. 

remarques  de  Le  Duchat  et  do  Formey,  La  Haye,  A.  Moet- 
as,  1742,  pet.  in-8°;  Œuvres  de  M.  Fr.  Villon  corrigées  et 
mplétées  par  J.-H.-R.  Prompsault,  Paris,  Tcchener,  1832,  et 
iris,  Ebrard,  1835,  in-8»;  Œuvres  complètes,  nouv.  éd.  avec  des 
)tes  par  P.-L.  Jacob,  Paris,  Jannet,  1854,  in-12;  Les  Deux  Tes- 
ments,  etc.,  avec  des  notes  par  le  môme,  Paris,  Acad.  des  Bi- 
;iophiIes,  1866,  in-8";  Œuvres  complètes,  édit.  Pierre  Jannet, 
aris,  Picard,  1867,  in-12  (La  même,  Paris,  Charpentier,  1884, 
-18);  Œuvres  de  F.  Villon,  édit.  Lacroix,  Paris,  Acad,  des 
ibliophiles,  1877,  in-18;  Spécimen  d'un  essai  critique  sur  les 
uvres  de  F.  F.,par  W.  G.  C.  Bijvanck.  Le  Petit  Testament,  Leydo. 
0  Breuk  et  Smits,  1882,  in-S*;  Œuvres  complètes  publiées  d'a- 
res lesmss  et  les  plusanc.  éd.  par  A.  Longnon,  Paris,  Lemerre, 
<92,  in-8»;  Die  ^yerkc  Maistre  François  Villon,  hgg.  von  Dr. 
v'olfgang  von  Wurzbach,  Erlangen,  1903,  Fr.  Junge,  in-S": 
c  Petit  et  le  Grant  Testament,  etc.,  repr.  fac-similé  du  ms.  do 
tockholm;  introd.  de  Marcel  Schwob,  Paris,  Champion,  1905, 
1-8°;  Œuvres  de  Maistre  F.  Villon,  éd.  Ed.  Schneegans,  Bi- 
liotheca  Romanica,  n"»  35-36,  Strasbourg,  Heitz,  s.  d.  (1908), 
X-Î6,  etc. 

Bibliographie.  —  A.  Cnmpaux,  F.  Villon,  etc.,  Paris,  1859, 
1-8».  —  A.  Longuon,  F.  Villon  et  ses  légataires,  Paris,  Lemerre, 
lai  1873,  in-S";  Etude  biogr.,  d'après  les  doc.  des  archives  na- 
'onales,  Paris,  Menu,  1877,  in-S».  —  José  Théry,  Le  Procès  de 
'.  Villon,  Paris,  Alcan  Lévy  (inipr.  aux  frais  de  Tordre  des  a'^o- 
ats),  1893.  iQ-8\  —  Gaston  Paris,  F.  Villon,  Paris,  Hachette, 
001,  in-16.  —  Marcel  Schwob,  Spicilège,  p.  3-93,  Paris,  Mercure 
e  France,  1896,  in-18;  Le  Jargon  des  Coquillarts  en  l'-tôô,  Mé- 
loires  de  la  Soc.  linguist.  de  Paris,  1890-1891,  t.  VII,  fasc.  2 
t  3.  —  Gaston  Paris  et  M.  Schwob,  Villoniana,  Romania,  1901, 
'.  352.  —  Abbé  Reure,  Simples  Conjectures  sur  les  orig.  pater^ 
telles  de  F.  V.,  Paris,  Champion,  1902,  in-8°. 


388  LES  POÈTES  DU  TERROIR 


BALLADE    DES    FEMMES   DE    PARIS 


f 


Quoy  qu'on  tient  belles  langagières, 
Florentines,  Veniciennes, 
Assez  pour  estre  messaigières, 
Et  mesmement  les  anciennes; 
Mais,  soient  Lombardes,  Rommaines, 
Genevoises,  à  mes  perilz, 
Piemontoises,  Savoysiennes, 
Il  n'est  bon  bec  que  de  Paris. 

De  très  beau  parler  tiennent  chayercs, 
Ce  dit-on,  les  Neapolitaines, 
Et  sont  très  bonnes  cacquetieres 
Allemandes  et  Pruciennes; 
Soient  Grecques,  Egyptiennes, 
De  Hongrie  ou  d'autre  païs, 
Espaignolles  ou  Castellaines, 
Il  n'est  bon  bec  que  de  Paris. 

Brettes,  Suysses,  n'y  sçavent  gueres, 
Gasconnes  n'aussi  Toulouzaines; 
Du  Petit-Pont  deux  barangieres 
Les  concluront,  et  les  Lorraines, 
Angloises  ou  Galaisiennes 
(Ay-je  beaucoup  de  lieux  compris  ?), 
Picardes  de  Valenciennes; 
Il  n'est  bon  bec  que  de  Paris. 

EMVOI 

Prince,  aux  dames  Parisiennes 
De  beau  parler  donne  le  prix; 
Quoy  qu'on  die  d'Italiennes, 
Il  n'est  bon  bec  que  de  Paris. 


BALLADE  DE  BONNE  DOCTRINE 

A    CEUX    DE    MAUVAISE    VIE  ■ 


) 


Car  ou  soies  porteur  de  bulles, 
Pipeur  ou  hasardenr  de  dez, 


ILE-DE-FUA.NCi:  liS9 

Tallieur  de  faulx  coings,  tu  te  l>rii.sles, 
Gomme  ceulx  qui  sont  eschaudez, 
Traistres  parjurs,  de  foy  vuydcz; 
Soies  larron,  ravis  ou  pilles  : 
Où  en  va  l'acquest,  que  cuydez? 
Tout  aux  tavernes  et  aux  filles. 

Ryme,  raille,  cymballe,  luttes, 
Gomme  folz,  faintis,  esliontez  ; 
Farce,  brouUe,  joue  des  fleustes; 
Fais,  es  villes  et  es  cités. 
Farces,  jeux  et  moralitez  ; 
Gaig-ne  au  berlanc,  au  glic,  aux  quilles  : 
Aussi  bien  va?  Or  escoutez  : 
Tout  aux  tavernes  et  aux  filles. 

De  telz  ordures  te  recullcs  ; 
Laboure,  fauche  champs  et  piez  ; 
Serz  et  panse  chevaulx  et  muUes, 
S'aucunement  tu  n'es  lettrez  ; 
Assez  auras,  se  prens  en  grez. 
Mais,  se  chanvre  broyés  ou  tilles, 
Où  tend  ton  labour  qu'us  ouvrez  ? 
Tout  aux  tavernes  et  aux  filles. 

ENVOI 

Ghausses,  pourpoinctz  esguilletez, 
Robes,  et  toutes  vos  drapilles, 
Ains  que  vous  fassiez  pis,  portez 
Tout  aux  tavernes  et  aux  filles. 

[Œuvres  complètes,  édit.  Aug.  Longnon, 

1892.) 


CLAUDE   GAUCHET 

(xvi"   siècle) 


Claude  Gauchct  naquit  en  la  petite  mais  agréable  ville  de 
Dampniartin,  distante  seulement  de  sept  lieues  de  Paris.  Une 
de  ses  tantes,  dit-on,  dont  la  condition  n'était  pas  alors  fort 
relevée,  fut  choisie  pour  être  la  nourrice  de  Marguerite,  du- 
chesse de  Valois,  fille  de  Henri  II,  et  parla  suite  première  femme 
de  Henri  IV.  Cette  faveur  donna  entrée  au  Louvre  à  Claude  Gau- 
chet,  qui  était  jeune,  mais  déjà  pourvu  d'un  esprit  agréable  et 
brillant.  II  fit  sa  cour  au  roi  Charles  IX,  et  celui-ci,  pour  lui  témoi 
gner  quelque  considération,  le  fit  étudier  et  l'honora  d'une  chargi 
d'aumônier  ordinaire.  Il  servit  par  la  suite  les  rois  Henri  III 
et  IV,  devint  grand  archidiacre  de  Bayeux,  puis,  comme  on  h 
gratifia  d'une  prébende  de  Senlis,  il  se  résolut  d'y  établir  s; 
demeure,  «  et  ce  d'autant  plus  que  c'est  dunsle  voisinage  di 
sa  ville  natale  ».  «  11  y  demeura  donc,  écrit  Guillaume  Colletet 
et  y  vécut  avec  un  grand  repos  et  une  grande  tranquillité  d'es- 
prit, ne  venant  à  Paris  que  pour  y  rendre  les  devoirs  et  les  ser 
vices  de  sa  charge  d'aumônier  des  rois,  ses  maîtres,  quand  soi 
quartier  de  service  l'y  obligeoit.  Mais,  en  quelque  lieu  qu'il  fî 
son  séjour,  son  esprit  ne  demeura  jamais  inutile.  Comme  il  étoi 
naturellement  enclin  au  doux  exercice  des  Muses,  il  compos 
de  temps  en  temps  des  vers  qui  feront  éternellement  fleuri 
son  nom  parmi  les  hommes.  »  11  mourut  fort  Agé,  après  Tanné' 
1620.  On  a  cinq  éditions  de  ses  vers  sous  ce  titre  :  Le  Plaisi 
des  Champs  divisé  en  quatre  parties,  selon  les  quatre  saisons  d 
Cannée,  par  Claude  Gauchet,  Dampmartinois,  etc.  A  Paris,  che 
Nicolas  Chesneau,  1583,  in-4»;  Le  Plaisir  des  Champs,  etc.re»'». 
corrigé  et  augmenté  d'un  devis  d'entre  le  chasseur  et  le  citadin.. 
Paris,  Abel  L'Angelicr,  1G04,  in-4°;  Ibid.,  1621,  in-i»;  Le  Plaisi 
des  Champs,  etc.,  éd.  revue  et  annotée  par  Prosper  Blanche 
main.  Paris,  A.  Franck,  1869,  petit  in-12;  Le  Plaisir  des  Champ; 
etc.,  éd.  nouv.  d'après  le  texte  de  1583,  introd.  et  notes  pa 
E.  Jullien,  Paris,  F.  Didot,  1879,  2  vol.  in-4». 

«  Claude  Gauchet,  a-t-on  observé,  n'est  certainement  pas  un 
de  ces  personnalités  éminentes  qui  commandent  l'admiration  d 
leurs  contemporains,  et  dont  au  bout  de  trois  siècles  la  posté 


ILE-DE-FKANCK  391 

rite  s'enorgueillit  encore.  Il  se  contente  d'ôtre  n'-puté  sans  rival 
•dans  tous  ces  exercices  auxquels  nos  voisins  les  Anglais  ont 
donne  le  nom  de  sport.  Chasseur  habile  et  acharné,  marcheur 
infatigable,  intrépide  écuyer,  pêcheur,  musicien,  poète,  ama- 
teur de  bons  vins  et  de  longs  repas,  il  se  donne  sans  arrière- 
pensée  à  tout  et  à  tous  :  sans  cesse  debout,  sans  cesse  en  mou- 
vement et  toujours  heureux,  pourvu  qu'en  se  divertissant  il 
amuse  les  hôtes  réunis  <\  son  prieuré  de  IJeaujour.  Après  qu'il 
«dévotement  entendu  la  messe  le  matin,  rien  ne  saurait  plus 
l'arrêter;  il  va,  il  mange,  boit  et  chasse  du  matin  au  soir,  et  quel- 
quefois du  soir  au  matin...  C'est  le  récit  de  cette  existence  mou- 
vementée qui  fait  le  sujet  de  son  poème  :  Le  Plaisir  des  Champs. 
Le  style  de  Gauchet  est  peu  correct:  nullement  ch;Uié,  souvent 
trivial  et  bas,  il  ne  s'élève  à  une  certaine  hauteur  de  parole  et 
de  pensée  que  dans  deux  ou  trois  passages,  où  il  trouve  des 
accents  émus  pour  déplorer  la  misère  des  campagnes  ravagées 
par  la  guerre  civile.  Ses  rimes  ne  sont  quelquefois  que  des 
<issonanccs,  mais  c'est  là  le  moindre  de  ses  soucis...  Ce  n'est  pas 
qu'il  soit  sans  mérite.  Ses  descriptions  sont  prises  sur  nature, 
et,  s'il  n'est  pas  styliste,  il  est  peintre.  Ou  voit  courir  l'animal 
poursuivi;  ou  entend  les  aboiements  de  la  meute,  les  cris  des 
veneurs  et,  au  milieu  de  tout  ce  brouhaha,  on  sent  la  brise  qu  i 
passe  sur  les  plaines,  le  parfum  des  bois,  la  rosée,  la  fenaison, 
les  vendanges,  le  verglas  et  la  neige...  »  (Prosper  Blanchemain. 
Jntrod.  au  Plaisir  des  Champs.)  Gauchet  a  donné  encore  un  autre 
ouvrage  dont  un  exemplaire  existe  à  la  Bibliothèque  de  l'Ar- 
senal :  c'est  un  assez  médiocre  recueil  de  pièces  édifiaates 
intitulé  :  Le  Livre  de  l'Ecclésiastique  mis  par  stances  françaises. 
Paris,  J.  Mettayer  et  P.  L'Huillier,  1596,  in-12. 

Bibliographie.  —  .\bbé  Goujet,  Bibliothèque  française, 
t.  XIV,  p.  27.  —  Guill.  CoUetet,  Vie  de  Cl.  Gauchet,  publiée  en 
tète  de  l'avant-dernière  édit.  du  Plaisir  des  Champs,  1869. 


LE    PRINTEMPS 

FRAGMENT 

Ja  desja  froidement  perruque  de  glaçons, 
De  neiges  et  frimais  cest  liyver  nous  passons  : 
Ja  le  flambeau  du  ciel  quittant  le  Capricorne, 
L'Eschanson,  les  Poissons,  faict  que  la  terre  s'orne 
De  son  plus  beau  tapis,  montant  vers  la  maison 


o92  LES  POÈTES  DU  TEUROIR 

Du  Mouton  estoilé  à  la  blanche  toison, 

Du  Taureau  primerain  dont  la  corne  féconde 

De  toutes  belles  fleurs  faict  rajeunir  le  monde  : 

De  là  gaignant  pays  par  le  vague  des  cieux 

Monte  jusqu'aux  Jumeaux,  signe  plus  gracieux. 

.la  la  bise  s'appaise,  et  ja  la  belle  Flore, 

Les  bois,  les  champs,  les  prez  de  mille  fleurs  redore 

Ja  le  mignard  zephir  amoureux  de  ses  yeux 

Porte  par  les  forests,  par  l'aer,  et  par  les  cieux 

Son  aleine  soûesve,  et  ja  voicy  THironde 

Qui  revenant  nous  voir  esloigne  un  autre  monde  : 

Ja  les  autres  oiseaux,  d'une  nouvelle  voix 

Commencent,  chiflotans,  leurs  amours  par  les  bois. 

Puis  doncq'  qu'en  ce  beau  temps  toute  fleur  renouvelle 

Puisque  tout  s'esjouit  d'une  amour  mutuelle. 

Que  mille  et  mille  oiseaux  d'un  chant  délicieux 

Remplissent  l'asr,  les  bois,  et  la  terre,  et  les  cieux, 

Muse,  ne  veux-tu  pas  que  nous  quittions  la  ville, 

Pour  aller  vivre  aux  champs  une  vie  gentille  ? 

Que  ferions-nous  icy  malheureux  prisonniers, 

Où  le  peuple  mocqueur,  et  les  courtisans  fiers 

Font  un  second  enfer?  Sortons,  sortons  à  l'heure, 

Afin  que  nous  trouvions  plus  heureuse  demeure... 

A  trois  lieux  de  Yilliers  (des  Rois  dignes  séjour) 

Est  sis  un  Prioré  que  je  nomme  Beaujour, 

Basti  dessus  le  bord  de  l'humide  rivage 

De  Marne,  qui  foisonne  en  riche  pasturage. 

Le  lieu  (bien  que  petit)  est  basti  proprement 

Dessus  un  tertre  hault,  que  l'on  void  aisément 

De  six  grands  lieux  de  là  :   au  pied  l'humide  source 

D'un  ruisseau  gazouillant  dresse  sa  moite  course 

A  travers  un  beau  pré,  qui,  de  tous  les  costez 

Est  bordé  de  Tillets  et  d'Ormes  bien  plantez  : 

Là  coulle  à  deux  cens  pas  la  plaisante  rivière 

De  Marne,  qui  fuïant  d'une  course  non  fierc 

Du  costé  de  Midi,  ceinct  de  maint  et  maint  tour 

Un  parterre  plaisant  quasi  tout  alentour, 

Où  maint  compartiment  proprement  s'entrelasse, 

Et  d'hysopc,  et  de  thim  au  milieu  de  la  place  : 

Toute  sorte  de  fruict  que  l'on  peut  souhaiter 

S'y  trouve  en  sa  saison,  qu'un  Prieur  fit  planter, 


JLt-DE-I  KAiNCE  393 

Homme  qui,  non  oisoux,  jihominant  lo  vîco, 

Avoit  surtout  aymé  cost  hoiinosto  cxorcico. 

Là  le  Cyi)rès  s'csiovo,  et  les  beaux  Ornnpez 

Plantez  dans  des  vaisseaux  par  ordre  sont  rangez  : 

Tout  le  long-  d'unlianll  mur  les  Grenadiers  verdissent, 

Dos  Citronniers  gentils  les  richesses  jaunissent  : 

D'autre  part,  par  compas,  le  Sycomore  beau 

Va  s'eslovant  au  ciel  verdissant  de  nouveau  : 

L'on  voit  en  sa  saison  mainte  odorante  rose 

Au  soleil  du  matin  nouvellement  esclose  : 

Là  l'œuillet  s'espanit,  et  le  lis  blanchissant 

Jette  ses  belles  fleui's  au  milieu  jaunissant  : 

En  longueur  on  y  void  mainte  plaisante  allée 

Qu'un  Coudrier  branchu  couvre  de  sa  fueillée  : 

Le  mignard  Jassemin,  d'une  blanche  couleur, 

Y  jette  abondamment  sa  bien  flairante  fleur  : 
En  long  vous  y  voyez  d'une  belle  verdure 
S'eslargir  plaisamment  mainte  riche  bordure. 
Où  l'on  peult  six  vingts  pas  cheminer  à  couvert 
Entre  deux  rangs  plantez  de  Laurier  toujouis  verd  : 
Les  oiseaux  amoureux,  d'un  desgoisant  ramage, 

Y  dcsgorgent  sans  fin  quelque  gentil  passage... 
Fi!  fi!  la  ville  pue  :  les  champs,  et  les  fustaies, 
Les  eaux,  et  les  vallons,  et  les  vertes  saulsaies, 
Le  doux  chant  des  oiseaux  ne  sont  point  destinez 
Pour  ceux  qui  sont  toujours  aux  villes  confinez  : 
Allons  donc,  mon  Daurat,  chasser,  voiler,  et  prendre, 
Danser,  saulter,  pescher  :  il  ne  fault  plus  attendre. 
Aussi  ne  veulx-je  pas  sans  toy  (ô  mon  Ronsard)    • 
Prendre  plaisir  aux  champs  :  je  t'en  veux  faire  part, 
.le  sçay  qu'il  te  desplaist  de  voir  dans  une  ville 
Ennuieuse  à  chacun  ceste  tourbe  incivile, 

D'où  Vxv  gros  et  puant  te  contrainct  quelquefois 

Sortir,  pour  t'esgaier  par  les  sauvages  bois  : 

Viens  doncq'  avecques  ceux  dont  pas  un  ne  désire 

(Ayant  adoré  Dieu)  qu'à  danser,  et  à  rire. 

Viens  doncques,  mon  Ronsard,  afin  que  par  les  champs, 

Par  les  bois,  par  les  eaux,  nous  allions  retrenchans 

Los  soucis,  les  ennuis,  et  l'humeur  inutile 

Que  cause  en  nos  cerveaux  le  gros  ser  de  la  ville  : 

Et  pourtant  si  mes  vers  marchent  d'un  stile  bas, 


;J94  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Je  tp  supply,  Ronsard,  ne  les  dédaigne  pas. 

Desportes,  qui  des  Rois  bien-aymé  sçais  escrire 

D'un  stile  doux  coullant  ton  amoureux  martyre, 

Qui  mollirois  un  roc,  et  rendrois  à  ton  vueil, 

Tout  cœur  dur  et  ingrat,  et  tout  impiteux  œil  : 

Tu  ne  dédaigneras  si  bonne  compagnie, 

Qui  de  la  ville  aux  champs  cerclie  une  heureuse  vie  : 

Et  si  de  bien  chasser,  et  voiler  as  désir. 

Soit  aux  champs,  soit  aux  bois,  tu  en  auras  plaisir. 

Amour  m'a  faict  chanter  quelquefois  la  tourmente. 

Qui  m'a  presque  noyé  dans  la  Scylle  béante 

De  ses  flots  hazardeux;  mais  voyant  mon  bateau 

Trop  fluet  pour  voguer  sur  une  si  grande  eau, 

D'un  si  bon  vent  que  toy,  j'ay  rabbaissé  mes  voiles, 

Et  plié  pour  jamais  leurs  trop  foiblettes  toiles  : 

Désormais  m'amusant  d'une  rustique  voix 

A  chanter  l'œr,  les  eaux,  et  les  champs,  et  les  bois. 

Or  s'ainsi  comme  toy  j'avais  acquis  la  grâce 
(Par  nature  ou  par  art)  des  neuf  sœurs  de  Parnasse, 
Je  chanterois  si  haut,  que  Phebus,  et  Fouilloux', 
Viendroient,  ressuscitez,  chasser  avecques  nous  : 
Mais,  las,  pour  bien  chanter  je  suis  si  mal-habile. 
Que  je  ne  doubte  pas  qu'on  ne  trouve  mon  stile 
Et  rude,  et  mal  plaisant;  pour  le  moins  le  subject 
Fera  trouver  d'aucuns  louable  monproject. 

Et  toy,  docte  Bryf  dont  la  Muse  féconde 

En  sonnets,  en  chansons,  faict  estonner  le  monde. 

Qui  as  pris  le  plaisir  de  chanter  quelquefois 

Les  Bergers  amoureux,  les  Demi-dieux  des  bois, 

Seras-tu  dédaigneux  d'abattre  sur  ce  livre 

Ton  œil,  pour  voir  qu'aux  champs  est  heureux  qui  peut  viv 

Sans  suivre  chagriné  ces  fardez  courtisans, 

Et  ces  Palais  dorez  pleins  de  soucis  cuisans  : 

Viens  voir  chasser  aux  champs,  aux  bois,  et  aux  campagni 

Dedans  terre,  dans  l'ser,  aux  festes  des  montagnes 

Voir  danser  un  Pitault,  un  Berger  fredonner, 

Vendanger  le  raisin,  et  les  blez  moissonner... 


4 


I.  Jacques  du  Fouilloux,  gcnlilliommc  poilcvin,  aulcur  d'un  trait 
(le  La   Vénerie,  édit.  de  lOoO,  18U,  18Gi,  etc.  - 


I 


ILL-UE-l  KANCE 


LA    HUEE    AUX   ALOETTES 

Un  jour  il  nous  souvient  do  faire  une  assemblée 

Et  daller  par  les  champs  cercher  à  la  volée 

En  campag'ne  bien  larg'e,  où  nous  pourrons  trouver 

Quelque  place  où  puissions  nostre  rests  esprouver, 

Faicte  depuis  trois  jours,  pour  dans  la  nappe  grande 

D'alocttes  ])Ousser  en  criant  quelque  bande. 

En  un  lieu  bien  choisi  par  Jacquet,  se  moct  bas 

L'attirail  de  la  rets  longue  de  trente  pas, 

Qui  à  coup  se  desplie  et  de  long  estendue 

Qui  droict  à  vau  le  vent  premièrement  tendue. 

Quatre  longs  pieux  jumeaux  d'un  maillet  rebouché 

Dans  terre  sont  cognez;  aux  deux  est  attaché 

Le  cordeau  de  dessous;  puis  chascune  brochette, 

Dans  le  trou  des  deux  pieux  près  rangez,   s'entrejelte 

L'autre  cordeau,  d'un  cœur  de  chanvre  non  rompant. 

D'un  droict  alignement  sur  tous  les  pieux  rampant, 

S'estend  à  toute  force  et  loing  de  là  s'arreste 

Attaché  fort  et  ferme,  afin  que  la  rests,  preste 

A  débander,  ne  faille,  au  moyen  que  le  pieu 

Pour  estre  foible,  ou  court,  desloge  de  son  lieu. 

Or  estant  arresté  des  doux  bouts  dans  la  broche, 

Par  le  cran  desja  faict  une  guille  ou  encoche; 

En  U!i  bout  et  en  l'autre  on  tii-e  puis  après 

Le  cordeau  pour  le  mettre  en  un  cran  fait  exprès. 

Gela  faict,  la  grand  rests,  de  largeur  abattue, 

De  neuf  grands  pieds  se  void  de  son  plat  estendue  ;• 

Puis,  afin  qu'au  besoin  il  ne  défaille  rien, 

Le  plus  fort  tire  et  void  si  elle  revient  bien. 

Si  elle  est  bien,  alors  par  la  campagne  grande, 

Armez  d'os  de  cheval  s'escarto  notre  bande. 

Jettent  en  l'air  leurs  voix  et  leurs  gros  os  aussi 

Et  meinent  un  tel  braict  par  le  champ  cndurcy 

Que  tous  oiseaux,  craintifs  pour  le  bruit  qu'ils  entendent 

Pensant  mieux  s'asseurer  par  grand's  troupes  se  bandent. 

Les  voix  haussent  tousjours,  et  les  os  loings  jettez 

Font  baisser  les  oiseaux  du  bruict  espouvantez, 

Guidant  voir  dessus  eux  une  bande  ennemie 


396  LES    POÈTES    DU    TËRKOIR 

De  cruels  hobereaux  pour  massacrer  leur  vie. 
Tousjours  à  vau  le  vent  nostre  bande  poursuit  1 

Où  qu'aillent  les  oiseaux  et  de  droict  les  conduict        I 
Là  où  s'estend  la  rests.  De  là  s'ils  se  destournent 
Ils  vont  les  racueillir  et  font  tant  qu'ils  retournent; 
Puis  de  hautaines  voix  redoublant  leur  huée, 
Des  aloëttes  font  une  g-rossc  nuée, 
Rasant  ores  la  terre,  ore'  en  haut  se  portant 
Selon  que  le  bruict  croist  et  qu'on  la  va  battant. 
Tant  qu'enfin  ne  sçachant  la  pauvrette  aloëtte 
Où  tourner  pour  le  bruit  et  cela  qui  se  jette, 
Volant  à  vau  le  vent  sur  ses  cerceaux  légers, 
Rase  la  neige  froide  et  fuyant  les  dangers 
Des  crieurs  imj)ortuns,  de  son  aisle  estendue 
Vole  droict  où  la  rets  cautement  abattue 
Est  jà  preste  à  tirer.  Là  Thibaut,  roide  et  fort. 
Tenant  au  poind  la  corde  où  se  cache  leur  mort, 
S'arreste  pour  tirer;  lors  double  la  tempeste. 
Et  le  grand  bruict  des  voix;  nul  de  nous  ne  s'arreste, 
Ains'  courant  de  vitesse  et  tousjours  criaillant, 
.    Et  des  voix  et  des  os  les  allons  assaillant, 

Et  les  menons  droict  là!  Lors  Thibaut,  qui  sent  l'heure, 

Qu'ils  viennent  pour  passer,  guère  plus  ne  demeure 

A  tirer  le  cordeau  ;  mais  d'un  nerf  efforcé 

Il  a  sur  les  oiseaux  le  filet  renversé, 

Les  surprend  dedans  l'air,  les  repousse  grand  erre. 

Et  dans  les  mailles  pris,  les  reconduit  à  terre. 

Dix  douzaines  et  plus  dedans  la  rests  surpris 

Se  trouvent  de  ce  coup  aussitost  morts  que  pris. 

Lors  sans  que  desirions  en  prendre  davantage, 

Alaigres  et  contents  nous  tournons  au  village. 

(Le  Plaisir  des  Champs,  Paris,  1583.) 

1.  Mais. 


GUILLAUME   COLLETET 

(1.V.)8-1G.VJ) 


Ce  fut  certes  le  plus  Parisien  do  nos  poètes.  Guillaume  Coll.-- 
tet  naquit  à  Paris  le  12  mars  1598.  L'aîné  do  vingt-quatro  enfants, 
tous  viables,  «  le  roseau  le  plus  long  do  celte  lliUe  de  Pan  ». 
selon  Théophile  Gautier,  il  appartenait  à  une  fiimille  do  notaires 
et  de  magistrats.  Il  étudia  le  droit,  se  fit  recevoir  avocat,  mais  n<< 
plaida  guère,  préférant,  dit-on,  «  sucer  l'Ame  des  pots  »  en  coui- 
paguie  dos  meilleurs  a  biberons  »  et  faire  des  vers. 

Protégé  de  Richelieu,  il  fut  l'un  des  premiers  membres  de 
l'Académie  française.  On  a  de  lui  plusieurs  recueils  de  poèmes 
et  une  foule  d'opuscules  singuliers  :  Les  Divertisscinens  (Paris. 
Rob.  Estienne,  1631,  et  Jacques  Dugast.  1633,  in-8»);  Epigramincs 
(Paris,  L.  Chamhoudry,  1653,  in-12);  Poésies  diverses  (ibid.,  165(;. 
in-12);  Sur  la  droite  de  Mendon  ruinée  (s.  1.,  1054.  in-fol.);  Sur 
le  beau  Chasleau  de  Mendon  (s.  1.  n.  d..  in-fol.),  etc.  Son  meil- 
leur ouvrage  était  sans  aucun  doute  les  Vies  des  Poètes  fran- 
çais, auxquels  il  consacra  les  meilleures  heures  de  son  existence 
et  dont  le  manuscrit  original  fut  brûlé  en  1871,  dans  l'incendie 
de  la  liibliothèque  du  Louvre  '.  Tallemant  dos  Réaux  a  laissé  do 
curieuses  notes  sur  ce  singulier  écrivain  du  xvii»  siècle  qui 
garda  la  tradition  des  vieux  maîtres  français  et  le  culte  de  Ron- 
sard. On  y  lit  ces  lignes  savoureuses  :  o  Guillaume  Colletet,  l'un 
des  académiciens  qu'on  appeloit  autrefois  de  la  pilié  de  Rois- 
Robert,  à  qui  pourtant  il  est  eschappé  par  endroit  de  bonnes 
choses,  se  maria  poétiquement  avec  la  servante  de  son  père 
[Marie  Prunelle],  qui  estoit  un  procureur  au  Chastelet  :  et  c^qui 
est  de  plus  estrange,  c'est  que  cette  fille  n'avoit  rien  de  joly.  ot 
lui  n'ostoit  pas  trop  à  son  aise.  Il  en  a  eu  un  fils  qui  s'appelle 
[François]  Colletet,  digue  lils  d'un  tel  père.  » 

Ajoutons  que  lorsque  celle-ci  mourut,  il  en  fut  quitte  pour 
épouser  une  autre  servante.  On  a  dit  que  sa  dernière  femme  se 
nommait  Claudine  Le  Nain  (ou  Le  Hain).  Elle  était  fort  galante, 
avait  de  l'esprit  et  passait  pour  faire  des  vers  mieux  que  notre 
l>oète.  Cette  légende  a  couru  longtemps,  mais  ou  n'a  point  laissé 
du  s'en  moquer  quand  la  mort  du  mari  rendit  l'épouse  muette. 

1.  Nous  avons  annoncé  la  resliliilion  de  21^  Vies  de  Poètes  dp 
Guillaume  Collolet.  Celles-ci,  annotées  et  mises  au  point,  paraîtront 
chez  l'éditeur  Honoré  Champion. 

II.  23 


o98  LES  roÈTES  DU  TEKKOIR 

Colletet  avait,  dil-on,  maison  do  ville  et  maison  des  champs, 
cette  dernière  sise  à  Rtingis,  an  Val-Joyenx.  Sa  maison  de  Pa- 
ris, tout  en  haut  du  faubourg  Saint-Marcel  (rue  Neuve-Saint- 
Etienne),  était  l'ancienne  habitation  de  Ronsard.  «  Nous  allions 
manger  bien  souvent  chez  lui,  écrit  Urbain  Chevreau,  à  condi- 
tion que  chacun  y  feroit  porter  son  pain,  son  plat,  avec  deux 
bouteilles  de  vin  de  Champagne  ou  de  Bourgogne;  et  par  ce 
moyen  nous  n'estions  point  à  charge  à  nostre  hôte.  II  ne  four- 
nissoit  qu'une  vieille  table  de  pierre  sur  laquelle  Ronsard,  Jo- 
delle,  Belleau,  Baïf,  Amadis  Jamyn,  etc.,  avoient  fait  en  leur 
temps  d'assez  bons  repas  :  et  comme  le  présent  nous  occupoit 
seul,  l'avenir  et  le  passé  n'y  entroiont  jamais  en  ligne  de  compte. 
Claudine  avec  quelques  vers  qu'elle  chantoit,  y  choquoit  le  verre 
avec  le  premier  qu'elle  entreprenoit,  et  son  cher  époux  M.  Col- 
letet nous  récitoit,  dans  les  intermèdes  du  repas,  ou  quelque 
sonnet  de  sa  façon  ou  quelque  fragment  de  nos  vieux  poètes, 
que  l'on  ne  trouve  point  dans  leurs  livres...  »  Mais  l'on  ne  tari- 
rait point  d'anecdotes  sur  ce  nourrisson  des  Muses.  Les  années 
J651  et  1652  furent  mauvaises  pour  le  poète. La  guerre  civilt 
l'obligea  à  déloger  de  sa  maison  de  ville,  son  petit  château  dt 
Rungis  fut  pillé  par  les  soldats,  et,  pour  comble  de  disgrâce 
un  jour  qu'il  passait  rue  des  Carnaux  (actuellement  rue  des  Bour- 
donnais), près  des  Saints-Innocents,  l'enlablement  d'une  vieilli 
maison  lui  tomba  sur  la  tète.  Il  fut  pendant  cinq  mois  entre  I; 
vie  et  la  mort,  et  n'eut  d'autre  consolation  que  de  s'écrier  : 

Maudites  soient  les  avenues 

Du  cimelière  de  Paris  I 

Les  grands  rois  et  les  grands  esprits 

En  dcvroient  éviter  les  riies. 

0  Ferronnerie,  ô  Carneaux, 

Si  vous  n'en  estes  les  bourreaux, 

Vous  leur  i'ournissez  des  relrailes. 

N'est-ce  pas  sous  vos  sombres  toils, 

Et  qu'on  assomme  les  poètes, 

Et  qu'on  assassine  les  rois? 

Sur  ses  vieux  jours,  il  fut  pris  d'une  plaisante  dévotion,  corn 
posant  des  poésies  pieuses  pour  des  personnes  austères;  ave 
l'argent  qu'on  lui  en  offrait  il  allait  boire  au  cabaret  de  la  Pomm 
de  pin.  La  mort  le  surprit,  dit-on,  à  table,  le  11  février  1659.  1 
était  si  dénué  de  ressources  que  ses  amis  se  cotisèrent  pour  1 
faire  enterrer. 

Bibliographie.  —  Abbé  Goujet,  Biblioth.  française,  t.  XVI 
p.  281.  —  Tallemant  des  Réaux,  Historiettes,  3"  éd.,  "VII,  p.  104 
—  Pellissou  et  d'Olivet,  Hist.  de  V Académie  française,  etc.  - 
Th.  Gautier,  les  Grotesques,  Paris,  Charpentier,  1897,  in-18.  - 
Fred.  Lachèvre,  BibUogr.  des  rcc.  collectifs  de  poésie,  1597-1700 


ILE-DE-FRANCE  3W 

.  II  et  in.  —  Voy.  en  outre  Jal,  Dictionn.  critique  de  biogr.  et 
l'histoire;  Chevracana,  Carpenteriana,  Mcnagiana  (édit.  de 
762),  etc. 


LA    xMAISON   DE    RONSARD 

le  ne  voy  rion  icy  qui  ne  flatte  mes  yeux; 
ucste  Cour  du  Ballustre  est  gaye,  et  magnifique; 
]os  superbes  Lyoïis  qui  gardent  ce  Portiquo 
iidoucissent  pour  moy  leurs  regards  furieux. 
Je  feuillage  animé  d'un  vent  délicieux 
loint  au  chant  des  oyseaux  sa  tremblante  musitjue; 
>  parterre  de  fleurs,  par  un  secret  magique, 
Semble  avoir  desrobé  les  Estoiles  des  Cirux. 
L'aimable  promenoir  de  ces  doubles  Allées, 
^ui  de  profanes  pas  n'ont  point  esté  foulées, 
jlarde  encore,  ô  Ronsard,  les  vestiges  des  tiens. 
\Iais  Dieux!  ce  nom  m'inspire  une  sainte  manie; 
^omme  je  trouve  icy  mes  pas  avec  les  siens, 
le  trouve  dans  mes  vers  sa  force,  et  son  (Jénie. 

{Autres  Poésies  Je  M.  Cotletet,  1642. 

LE    DINER    DE    LA    CROIX-DE-FER 

De  quinze  ou  seize  au  moins  que  nous  sommes  icy, 
Papistes,  huguenots,  de  différent  mérite. 
L'un  fait  le  libertin,  l'autre  fait  l'hypocrite; 
L'un  plaide  pour  Sedan,  et  l'autre  pour  Nancy  ; 
L'un  raille  un  nez  pointu,  l'autre  un  nez  raccourcy, 
L'un  censure  un  poulet,  l'autre  une  carpe  frite; 
L'un  entre,  l'autre  sort;  l'un  rit,  l'autre  s'irrite; 
L'un  réforme  l'Estat,  l'autre  vit  sans  soucy. 
L'un  s'entretient  d'amour,  et  l'autre  de  chicane; 
L'un  parle  de  sa  bure,  et  l'autre  de  sa  panne  : 
Moi  je  mange  en  repos,  et  bois  sans  dire  mot. 
Amy,  qui  les  connois  d'esprit  et  de  visage, 
'Vis-tu  jamais  ailleurs  un  repas  si  falot, 
Et  parmi  tant  de  fous  un  poëte  si  sage? 

[Poésies  diverses,  Paris,  Chamhoudry,  1656.) 


CLAUDE   LE   PETIT 

(1638  ?-l  662) 


Ce  poète  appartient  à  Paris  par  son  œuvre  et  par  sa  fm  tra- 
};ique.  Edouard  Tricotel  a  écrit  l'histoire  de  sa  vie.  Aussi  biet 
u'en  dirons-nous  que  deux  mots.  Claude  Le  Petit  naquit  à  Beu- 
vron,  près  de  Forges,  en' Normandie,  vers  1638  ou  1639.  Il  fit  s; 
philosophie  chez  les  jésuites.  A  sa  sortie  du  collège,  il  tua  d'ui 
coup  de  poignard,  à  la  suite  d'une  querelle,  un  iVère  du  couven 
des  Augustins,  s'enfuit  pour  se  mettre  à  l'abri  des  poursuites 
pérégrina  à  Rome  et  à  Madrid,  et  revint  en  France  pour  mouri 
«  estranglé  et  bruslé  eu  place  de  Grève  »  comme  blasphémateii 
et  impie,  le  premier  jour  de  septembre  1662.  Il  avait  fait  parai 
Ire  :  L'Escole  de  l'interest  et  l'université  d'Amour,  traduit  d 
l'espagnol  de  Piedrabuona  (Paris,  Guignard,  ou  Pepingué,  1662 
in-12);  L'Heure  du  Berger,  demy-roman  comique  ou  roman  demy 
comique  (Paris,  A.  Robinot,  1662,  in-12);  Les  plus  belles  pensée 
de  saint  Augustin  en  vers  français  (Paris,  J.-B.  Loyson,  166C 
in-12),  et  enfin  ce  livre  curieux  qui  a  fait  sa  réputation  parni 
les  lettrés,  La  Chronique  scandaleuse  ou  Paris  ridicule  (Colo 
gne,  Pierre  de  la  Place,  1668,  in-12;  Paris,  sans  nom  de  libr. 
1672,  in-12;  Paris,  Pierre  Marteau,  1693  et  1694,  in-12  (à  la  suit 
du  Tableau  de  la  Vie  et  du  gouvernement  de  MM.  les  Cardinau. 
lUchelieu  et  Mazarinet  de  M.  Colbcrt,  etc.);  à  Carthagène  «  pa 
Ignace  de  Loyola...  à  l'enseigne  de  la  Madona  »,  1702,  in-12 
Paris,  Pierre  le  Grand,  1713, in-12;  Amsterdam,  Fritscli  et  Bohn 
1714,  in-12  (au  tome  II  des  Œuvres  diverses  du  sieur  1).  '  ;  Pari^ 
Delahays,  1859,  in-12  (nouv.éd.  revue  et  corrigée, avec  des  note^ 
par  P.-L.  Jacob).  «  Le  Paris  ridicule,  observe  Paul  Lacroix,  fi 
composé  vers  l'année  1655  ou  1656;  on  y  remarque  plusieur 
particularités  cjui  équivalent  à  des  dates  certaines.  C'est  u 
poème  satirique  plein  de  traits  audacieux  qui  n'épargnaicmt  i 
le  gouvernement,  ni  la  religion,  ni  le  roi,  ni  ses  ministres,  i 
Dieu  ni  diable,  selon  l'expression  de  l'auteur,  et  qui,  par  cel; 
présentait  un  caractère  dangereux  do  rébellion  contre  tout  c 

\.  Cette  édilion  contient  on  outre  le  texte  de  Madrid  ridicu'e,  déj 
publié  en  1713,  et  qui  est  vraisemblablement  de  notre  poète. 


I 


ILE-DE-FKANCE  401 

[iii  devait  être  respecté  à  l'époque  où  il  fut  composé...  »  C'est, 
ijdutons-nous,  le  meilleur  document  poétique  que  nous  possé- 
tious  sur  Paris  au  xvii»  siècle. 

lîiBLiOGRAPiiiE.  —  p.  Plastelet,  Notice  liogr.  et  bibliogr.  sur 
'  !.  Le  Petit,  Recueil  des  trav.  de  la  Soc.  d'agricult..  se.  et  arls 
1  A^en,  1853,  t.  VI.  —  P.  Lacroix,  Avertissement  à  la  réimpr. 
I<;  Paris  ridicule,  etc.,  1859.  —  Ed.  Tricotel,  Cl.  Le  Petit,  etc., 
I^xtr.  du  Bulletin  du  Bibliophile,  1863,  in-8°.  —  Fr.  Lachèvre, 
inbliogr.  des  rec.  collectifs  de  poésies,  1597-1700,  t.  III,  p.  408. 


PAKIS    RIDICULE 

V  K  A  G  M  E  N  T 

Le  Louvre. 
Louvre,  couvert  moitié  d'ardoise, 
Et  moitié  couvert  de  vieux  plomb, 
D'où  vient  qu'on  voit  ce  Pavillon 
Plus  court  que  l'autre  d'une  toise  ? 
J'admire  vos  compartimens, 
Vos  reliefs,  vos  soubassemens. 
Votre  Façade  et  vos  Corniches  : 
Rien  n'y  manque,  hormis  de  graver 
Au-dessus  de  toutes  vos  Niches, 
Maison  a  louer  pour  l'Hyver. 

La  Chapelle  du  Louvre. 
Tous  les  Limousins  de  Limoges 
Ont-ils  ici  leur  rendez-vous  .' 
Bonté  divine,  où  sommes-nous? 
Me  prend-on  pour  un  Alobroge  ? 
J'enrage  tout  vif  dans  ma  peau. 
Cette  Rotonde  au  plat  coupeau, 
Est-ce  là  pour  braver  Rome.' 
Personne  ne  me  répond  rien  : 
J'aimerois  autant  voir  un  homme 
Dire  que  Dieu  n'est  pas  Chrétien. 

Les  Tuileries. 
Pour  ne  point  fausser  Compagnie 
Par  un  trait  trop  brusque  et  soudain, 


102  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Allons  faire  un  toui'  au  Jardin, 
Dépêchons  sans  cérémonie  : 
Qu'il  est  beau,  qu'il  est  bien  oeuvré  ! 
Mais  d'où  vient  qu'il  est  séparé 
Par  tant  de  pas  du  domicile'  ? 
Est-ce  la  Mode  en  cette  Cour 
D'avoir  la  maison  à  la  Ville, 
Et  le  Jardin  dans  le  Fauxbourg  ? 

La  Place  du  Carrousel. 

Cirque  de  bois  à  cinq  croisées, 
Barbouillé  d'Azur  et  d'orpiii, 
Amphithéâtre  de  sapin, 
Fantôme  entre  les  Colisées  : 
Manèg-e  de  Pantagruel, 
Belle  place  du  Carrousel, 
Faite  en  forme  d'huitre  à  l'écaille, 
Quoi  qu'on  en  dise,  vous  voilà. 
Un  habit  de  pierre  de  taille 
Vous  siéroit  mieux  que  celui-là. 

La  Grande  Écurie. 

Grande  Ecurie,  en  ce  grimoire 
Chacun  saura  ce  que  tu  vaux, 
Tu  n'as  que  cinq  ou  six  chevaux, 
Les  autres  sont-ils  allez  boire.' 
Mais  taisez-vous,  Dame  Alizon, 
Contre  le  Prince,  sans  raison, 
Vous  tournez  tout  en  raillerie  : 
Qu'importe  à  ce  grand  Potentat 
Qu'il  en  ait  dans  son  Ecurie? 
11  en  a  tant  dans  son  Etat  ! 

Le  Palais  Cardinal,  aujourd'hui  Palais  Royal. 

Ici  demeuroit  Maître  (irifTe, 
Dit  Jean  Armand  de  Richelieu, 
En  son  temps  quasi  Demi-Dieu, 
Demi-Prince  et  Demi-Pontife  : 

I.   Du  Vieux  Louvre  eldu  l'alais  Royal  où  logeait  autrefois  la 


ILE-DE-FRANCE  403 

Vois-tu  ce  merveilloux  Chapeau, 
Qui  nageoit  sur  terre  et  sur  eau, 
Au  frontispice  de  l'ouvrage? 
C'est  lui  qui  fit  tous  ces  travaux; 
La  belle  maison!  C'est  dommage 
Qu'elle  n'ait  des  pois  à  moineaux. 

Les  Halles. 

Nous  ne  saurions  nous  en  dédire, 
Il  faut  passer  par  ce  marché, 
Et,  bien  ou  mal  enliarnaché. 
Dire  en  passant  le  mot  pour  rire  ; 
Je  suis  dans  la  plus  belle  humeur 
Où  l'on  ait  jamais  vu  Rimeur, 
De  louer  cette  Foire  immonde  : 
Mais  quand  j'en  dirois  haut  ou  bas 
Les  plus  belles  choses  du  monde. 
Dieu  même  ne  m'entendroit  pas. 


Fut-il  jamais  clameurs  pareilles  '  ? 
Si  le  Ciel  n'a  pitié  de  moi, 
Je  deviendrai  sourd,  par  ma  foi, 
En  dépit  de  mes  doux  oreilles  : 
Chacun  parle  et  nul  ne  répond. 
L'on  n'entend  rien,  l'on  se  confond, 
Tout  marche,  tout  tourne,  tout  vire. 
Après  cela.  Père  Eternel! 
Qui  ne  croira  dans  cet  Empire 
Le  mouvement  perpétuel.^ 


A  la  bonne  heure  pour  la  France, 
A  la  bonne  heure  aussi  pour  nous  ; 
Pourvu  que  Messieurs  les  Filoux- 


1.  Vieux  chapeaux  à  vendre  1  Les  vendeuses  de  ce  quartier,  sont 
assez  connues  sous  le  nom  de  «  harengères  des  Halles  ». 

1.  Ce  quartier  éloit  autrefois  fort  fréquenté  par  les  filous,  qui  y 
ooupoient  bien  des  bourses. 


LES    POETES    DU    TERROIR 

Ne  nous  lanternent  plus  la  gance. 
Çà,  rions-en  tout  notre  sou; 
Mais  non,  ne  faisons  point  le  fou, 
Retirons-nous,  et  sans  satire 
Faisons  place  à  qui  veut  rester; 
On  ne  vient  pas  ici  pour  rire, 
On  n'y  vient  que  pour  acheter. 

Le  Pilori. 

Déchargeons  plutôt  notre  flegme 
Sur  ce  vieux  cylindre  pourri  : 
Ce  gibet  nommé  Pilori 
Mérite  bien  im  apophthegme  : 
Quoiqu'il  soit  en  état  piteux. 
Il  fait  voir  à  ce  siècle  honteux 
Qu'on  faisoit  autrefois  Justice; 
Et  conclut  enfin  contre  lui. 
L'ayant  privé  de  son  office. 
Qu'on  ne  la  fait  plus  aujourd'hui. 

La  Friperie. 

Tandis  que  j'ai  la  verve  roguo, 
Point  de  quartier  à  ces  gens-ci; 
Voici  l'enfer  en  racourci , 
C'ost-à-dire  la  Synagogue  : 
Eh  quoi!  Fripiers  Rabinisés! 
Seigneurs  Juifs  Christianisés! 
Osez-vous  bien  ici  paroître? 
Engeance  de  Mathusalem, 
Juifs  baptisés,  croyez-vous  être 
Encore  dans  Jérusalem? 

4, 

Ne  leur  donnons  point  tant  d'amorce, 
Muse  politique  partout; 
Lorsqu'on  pousse  les  gens  à  bout, 
Leur  desespoir  se  change  en  force  : 
Laissons  les  modernes  Hébreux, 
Sans  aller  déclamer  contre  eux. 


ILE-DE-FRANCE  405 

Jndaîser  ainsi  qu'à  Romo'  : 
N'insultons  personne  en  ce  liou, 
Ils  pourroient  bien  tuer  un  homme. 
Ayant  pour  rien  fait  pondre  un  Dieu. 

Cimetière  des  Saints-Innocents. 

En  passant  par  ce  Cimetière, 
Prions  Dieu  pour  les  trépassés; 
Que  dos  l'un  sur  l'autre  entassés! 
Que  de  cendre,  et  que  de  poussière  ! 
Quatre  mots  de  Moralité 
Sur  co  lieu  de  Mortalité  : 
Hommes,  pour  une  bagatelle 
Qui  vous  donnez  tant  de  souci, 
Toutes  les  tètes  sans  cervelle 
Ne  sont  pas  dans  cet  endroit-ci. 

Le  Pont-Neuf. 

Faisons  ici  renfort  de  pointes, 
Le  cliomin  nous  mène  au  Pont-Neuf; 
D'un  bon  régal  de  nerf  de  bœuf 
Saluons  ces  voûtes  mal  jointes! 
Vraiment,  Pont-Neuf,  il  fait  beau  voir 
Que  vous  ne  vous  daignez  mouvoir 
Quand  les  étrangers  vous  font  fête  : 
Savi^z-vous  bien,  nid  de  Filoux, 
Qu'il  passe  de  plus  grosses  bêtes 
Par-dessus  vous  que  par-dessous? 


Pourquoi  nous  faites-vous  la  morgue 

Avocque  votre  Nouveauté, 

Pont  en  cent  endroits  rajusté 

Tout  ainsi  qu'un  vieux  soufflet  d'orgue.' 

Vous  qui  faites  compassion 

1.  Par  l'ordonnance  du  pape  Paul  IV,  les  juifs  n'y  ont  aucun  négoce 
que  celui  des  vieilles  liardes,  comme  les  fripiers  a  Paris.  Les  unsot 
les  autres  sont  renfermés  dans  un  certain  quartier  qu'on  appelle  a 
itomc  il  Ghetto,  et  à  Paris  la  Friperie. 


406  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

A  la  moindre  inondation, 

D  où  vous  vient  cette  humeur  altière? 

Est-ce  à  cause  que  vous  avez 

Cent  égouts  dans  votre  rivière, 

Et  plus  d'étrons  que  de  pavez? 

[Rome,  Paris  et  Madrid  ridicules,  etc. 
Paris,  P.  le  Grand,  1713.) 


I 


PAUL  SGARRON 

(1010-1060) 


Co  que  l'on  connaît  lo  mieux  de  ce  poète,  c'est  son  épitaphe 
composée  par  lui-même  : 

Ccluy  qui  cy  maiutonaut  dori,  etc. 

Sa  vie  a  été  écrite  maintes  fois;  ses  œuvres  furent  réimprimées 
sans  cesse  avec  succès.  Seul,  le  xix»  siècle  lui  a  tenu  rigueur: 
on  a  mal  compris,  aux  époques  de  romantisme  ou  d'analyse,  ce 
génie  naturel,  un  peu  trivial,  qui  représente  ici  lo  rire  do  l'an- 
cienne France.  Il  a  dCi  beaucoup  aux  Italiens,  et  sa  poésie  bur- 
lesque n'est  à  proprement  parler  que  la  décadence  du  genro 
satirique,  si  ilorissant  de  Clément  Marot  à  Mathurin  Régnier, 
La  biographie  de  Scarron  est  dans  toutes  les  mémoires;  nous 
n'en  donnerons  qu'une  courte  t^squisse,  simplement  pour  lix<T 
des  dates,  sinon  des  faits  intéressant  notre  thèse.  Encore 
ferons-nous  des  emprunts  à  quelques  critiques  récents.  Nous 
nous  réservons  pour  une  étude  sur  Scarron  écrivain  de  mœurs. 
Il  naquit  à  Paris  le  4  juillet  1610,  do  Paul  Scarron,  conseiller  au 
Parlement,  —  Parisien  comme  lui,  d'une  famille  originaire  du 
Piémont,  —  et  de  Marie  Goguet,  son  épouse,  d'extraction  poite- 
vine. Il  n'avait  pas  atteint  trois  ans  quand  il  perdit  sa  mère. 
Son  père  ne  tarda  pas  à  se  remarier  avec  Françoise  de  Plaix, 
M  la  plus  plaidoyante  du  monde  »,  laquelle,  en  vraie  marâtref  le 
rudoya  si  bien  qu'il  lut  envoyé  chez  un  parent,  à  Charlcville. 
Deux  ans  après,  il  revint  à  Paris  pour  achever  ses  études,  prit 
le  petit  collet  et  la  tonsure  vers  l'âge  de  dix-neuf  ans  et  se  lit 
bien  recevoir  de  la  compagnie  galante  du  Marais.  A.  ce  moment, 
il  fait  figure  dans  les  sociétés  littéraires,  débite  des  fadeurs  à 
des  Cliloris  de  rencontre  et  «  arrondit  la  jambe,  tout  comme  un 
autre,  chez  Marion  Dolorme  ou  chez  Ninon  ».  A  vingt-trois  ans. 
il  est  contraint  parles  siens  d'accepter  un  modeste  emploi  près 
de  Charles  II  de  Beaumanoir,  évoque  du  Mans.  Admis  par  la 
Suite  comme  chanoine  du  chapitre  de  Saint-Julien  du  Mans,  il 
n'a  rien  perdu  de  son  goût  des  plaisirs  et  vit  sans  souci  du 
lendemain.  Le  lendemain  sera  terrible  qui  fera  du  jeune  et  bril- 
lant ecclésiastique  le  malheureux  cul-de-jatte  paralytique  et 


408  LES  POÈTKS  DU  TEUKOIR 

goutteux  que  l'on  sait.  La  légende  lient  ici  lieu  de  document. 
On  raconte  qu'à  la  suite  d'une  folie  de  carnaval,  poursuivi  par 
la  populace  et  obligé  de  chercher  un  refuge  dans  les  roseaux 
de  l'Huisne,  il  fut  saisi  par  le  froid  au  point  de  perdre  pour 
toujours  Tusage  de  ses  membres  et  de  devenir,  ainsi  qu'il  le 
dit  lui-même,  «  un  raccourci  de  la  misère  humaine  ».  Avec  la 
santé  il  perdit  une  partie  de  ses  ressources.  L'exil  de  son  père 
et  un  procès  qu'il  soutint  contre  sa  belle-mère  achevèrent  sa 
détresse.  Il  s'en  consola  en  faisant  des  comédies  burlesques  qui 
obtinrent  une  grande  vogue.  Fixé  à  Paris,  il  se  faisait  traiter  à 
la  Charité,  au  faubourg  Saint-Germain,  où  il  prenait  des  bains 
de  tripes.  Sa  maison,  qu'il  avait,  grâce  à  la  libéralité  de  quel- 
ques seigneurs,  transformée  en  «  hôtel  de  l'impécuniosité  »,  rue 
Neuve  Saint-Louis,  près  l'hôpital  Saint-Gervais,  était  le  rendez- 
vous  de  la  plus  noble  et  joyeuse  compagnie.  «  Les  comtesses  de 
Lude,  de  La  Suze,  de  Bassompierre  ;  le  prince  et  la  princesse 
de  Guéménée,  la  duchesse  de  Rohan,  M'»»  de  Mauzeron,  le  major 
Aubry,  Sarazin,  La  Mesnardière  et  d'autres  voisins  et  voisines 
accouraient,  dit-on,  à  ses  fêtes,  où  le  vin  coulait  comme  l'esprit, 
sans  lésiner  ;  d'ailleurs  ses  deux  sœurs,  Anne  et  Françoise,  don 
l'une  était  jolie  pour  deux,  Anne  aimant  le  vin  et  Françoise  le 
hommes,  achalandaient  assez  bien  son  logis'  ».  Les  bons  mots 
lui  valaient  chaque  jour  quelque  nouvelle  gratification,  et  l'on 
n'a  pas  oublié  qu'il  sollicita  d'Anne  d'Autriche  la  faveur  d'être 
son  malade  en  titre,  et  fît  attacher  une  pension  de  cinq  cents  écus- 
à  cette  charge,  de  création  nouvelle.  Plus  tard,  ces  honorairet 
lui  furent  retirés  pour  avoir  écrit  La  Mazarinade,  et  il  se  trouv; 
dans  la  gêne.  Il  avait  épousé,  en  1652,  Françoise  d'Aubigné,  h 
future  M'»e  de  Maintenon.  Il  vécut  huit  années  avec  elle,  d'une 
existence  heureuse,  faisant  jouer  ses  comédies,  publiant  le  Ro- 
man comique,  rimant  une  quantité  extraordinaire;  de  sonnets 
épithalames,  requêtes,  rondeaux,  odes,  épitres.  étrennes,  etc. 
qui  ont  constitué  depuis  son  bagage  de  poète.  (Voyez  :  Ilccuei 
de  quelques  vers  burlesques,  Paris,  T.  Qninet,  1643,  in-4»:  Suit^ 
des  Œuvres  burlesques,  ibid.,  1644  et  1647,  in-4<';  Les  Œuvres  bur- 
lesques, etc.,  III«  partie,  ibid.,  1671,  in-4».)  Il  mourut  sans  avoi 
rien  perdu  de  sa  gaieté,  résistant  jusqu'à  la  fin  aux  plus  intolé 
râbles  douleurs,  le  4  octobre  1660,  laissant,  avec  les  ouvrage 
cités  plus  haut.  Le  Virgile  travesti,  des  comédies,  Jodclct  nu  l 
Maistrc  Valet,  Jodelct  duelliste,  L'Héritier  ridicule,  Don  Japht 
d'Arménie,  un  long  poème,  Typhon  ou  la  Gigantoinachic,  de 
contes,  des  nouvelles,  des  lettres  et  quinze  gazettes  en  vers,  \ei 
quelles  sont  réunies  avec  dix-sept  autres  de  ditlërents  auteur 
dans  le  volume  suivant  :  Recueil  des  Epistres  en  vers  burlesque 

1.  Paul  Olivier,  Cetil  Poètes  lyriques,  précieux  ou  burlesques  il 
dix-septième  siècle,  Paris,  Havard  fils,  1898,  in-12. 


ILE-DE-FRANCE  409 

le  M.  Scarron...  sur  ce  qui  s'est  passé  de  remarquable  en  l'anncc 
!lj'>ô,  Paris,  Al.  Lessolin,  165C,  iii-i°.  Les  œuvres  complètes  de 
Scarron  ont  eu  un  grand  nombre  d'éditions;  les  plus  dign.s 
1  être  si<;naléessont  celles  d'Amsterdam,  Ab.  Wolfgaug.  «  sui- 
vant la  copie  imprimée  à  Paris  »,  1668,  12  parties  en  7  vol.  petit 
Q-12:  Amsterdam,  J.  Wetstein,  1737,  10  vol.  petit  in-12;  Ams- 
terdam, J.  Wetstein,  et  Paris,  David,  Durand,  Pissot,  1752,  7  et 
12  vol.  iu-Ti;  Paris,  Bastien,  1786,  7  vol.  in-S»,  cette  dernien- 
moins  rare,  mais  meilleure  que  les  précédentes. 

Bibliographie.  —  Th.  Gautier,  r.es  Grotesques,  nouv.  éd.,  Pa- 
ris, Charpentier,  1897,  in-18.  —  Tallemant  des  Réaux,  IJisto- 
nettes,  etc.  —  V.  Fournul,  La  Littérature  indépendante  et  Id- 
\ains  oubliés,  Paris,  Didier,  1866,  in-12.  —  Hoislile  (do), 
irron].  Revue  des  Questions  hist.,  juill.-oct.  1893.  —  Moril- 
l.it,  Scarron  et  le  genre  burlesque,  Paris,  1888,  in-8».  —  H.  Char- 
don, Scarron  inconnu,  etc.,  Paris,  Champion,  1904,  2  vol.  in-V'. 
—  Emile  Magne,  Scarron  et  son  Milieu,  Paris,  Mercure  de  Franc»-, 
1905,  in-18.  —  Frédéric  Lachèvre,  Bibliogr.  des  rec.  collectifs  de 
poésies  flûOl-llOOJ.  t.  II,  III,  IV,  etc. 


SONNET 

Un  amas  confus  de  maisons, 
Des  crottes  dans  toutes  les  rues, 
Ponts,  Eglises,  Palais,  Prisons, 
Boutiques  bien  ou  mal  pourvues. 

Force  Gens  noirs,  blancs,  roux,  grisons. 

Des  Prudes,  des  Filles  perdues, 

Des  meurtres  et  des  trahisons, 

Des  Gens  de  plume  aux  mains  crochues. 

Maint  poudré  qui  n'a  point  d'argent, 
Maint  homme  qui  craint  le  Sergent, 
Maint  fanfaron  qui  toujours  tremble. 

Pages,  Laquais,  Voleurs  de  nuit, 
Carosses,  Chevaux,  et  grand  bruit, 
C'est  là  Paris,  que  vous  en  semble? 


10  LES    POÈTES     DU    TEKKOIR 


LA    FOIRE    SAINT- GERMA IX 1 

A  Son  Altesse  Royale. 

...  Sangle  au  dos,  bâton  à  la  main, 
Porte-chaise,  que  l'on  s'ajuste, 
C'est  pour  la  Foire  Saint-Germain  : 
Prenez  garde  à  marcher  bien  juste. 
N'oubliez  rien,  montrez-moi  tout, 
Je  la  veux  voir  de  bout  en  bout. 
Car  j'ai  dessein  de  la  décrire. 
Muse  au  ridicule  museau, 
De  qui  si  souvent  le  nazeau 
Se  fronce  à  force  de  trop  rire, 
Muse  qui  régit  la  Satyre, 
Viens  me  réchaufFer  le  cerveau. 

Guide  de  mon  esprit  follet, 
Qui  surtout  chéris  le  burlesque, 
Soufle-moi  par  un  camouflet 
Un  stile  qui  soit  bien  grotesque  : 
J'en  veux  avoir  du  plaisant, 
Et  fût-il  un  peu  médisant. 
J'y  mettrai  tout,  vaille  que  vaille  : 
Mais  devant  que  de  rimasser 
Bannissons  de  notre  penser 
Tout  souvenir  qui  le  travaille. 
Et  commençons  par  la  canaille 
Qui  nous  empêche  de  passer. 

Que  ces  Badauts  sont  étonnés 
De  voir  marcher  sur  des  échasses  ! 
Que  d'yeux,  de  bouches  et  de  nez, 
Que  de  différentes  grimaces  ! 
Que  ce  ridicule  Arlequin 
Est  un  grand  amuse-coquin  ! 
Que  l'on  achève  ici  de  bottes  ! 

1.  Celle  pièce  a  paru  pour  la  promiére  fois,  anouMiic,  à  Paris, 
chez  Jouas  Brequigny,  eu  1043  (in-4o  de  19  p.). 


ILE-DE-FRAXCE 

Que  de  gens  de  toutes  façons, 
Hommes,  femmes,  filles  et  garçons. 

Amasseront  ici  de  crottes, 
S'ils  ne  portent  des  caleçons  î 

Ces  Cochers  ont  beau  se  hâter, 
Ils  ont  beau  crier  gare,  gare. 
Ils  sont  contraints  de  s'arrêter. 
Dans  la  presse  rien  ne  déraare. 
Le  bruit  des  pénétrans  sifflets. 
Des  flûtes  et  des  flageolets. 
Des  cornets,  haubois  et  musettes. 
Des  Vendeurs  et  des  Acheteurs. 
Se  mêle  à  celui  des  Sauteurs, 
Et  des  tambourins  à  sonnettes 
Des  Jolieurs  de  marionnettes 
Que  le  peuple  croit  Enchanteurs. 

Mais  je  commence  à  me  lasser 
D'être  si  longtemps  dans  la  boue  ; 
Porteurs,  laissez  un  peu  passer 
Ce  carosse  qu  il  ne  vous  roue: 
Kt  puis  pour  marcher  sûrement. 
Appliquez-vous  soudainement 
A  son  damasquiné  derrière: 
Moins  de  monde  vous  pressera  ; 
Le  chemin  il  vous  frayera  : 
Mais  sil  reculoit  en  arrière. 
De  peur  de  briser  notre  bière. 
Faites  de  même  qu'il  fera. 

Quelqu'un  sans  doute  est  attrapé, 

J  entens  la  trompette  qui  sonne  : 

Bien  souvent  pour  être  dupé 

Ici  tout  son  argent  on  donne. 

Ha!  je  le  voi,  maître  sot. 

Qui  se  gratte  sans  dire  mot, 

En  recevant  la  babiole. 

Qui  de  son  argent  est  le  prix. 

Dieu',  de  quelle  joie  est  épris 

Le  maudit  Blanqueur  qui  le  vole. 


411 


^  1  ■-  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Et  que  la  dupe  qu'il  console 

A  peine  à  ravoir  ses  esprits! 

Mais  qu'est-ce  que  je  viens  de  voir? 

Une  Dame  au  milieu  des  crottes, 

Est-ce  gageure  ou  desespoir? 

Mais  peut-être  a-t-elle  des  bottes. 

Ha!  vraiment  je  n'en  dis  plus  rien  ; 

En  l'approchant  je  connois  bien 

Que  c'est  une  belle  homicide, 

Au  nez  de  laquelle  un  beau  fard 

Composé  de  craie  et  de  lard 

Déguise  bien  plus  d'une  ride; 

Et  que  le  filou  qui  la  guide 

Est  son  brave  ou  bien  son  cornard. 

Que  de  peinturés  affiquets, 

Dont  les  mères  et  les  nourrices 

Régaleront  leurs  marmouzets  1 

Que  de  gâteaux  et  pains  d'épicos  ! 

Ici  maint  Laquais  bigarré, 

Maint  petit  Diable  chamarré 

Fait  au  Bourgeois  guerre  cruelle, 

Tandis  que  son  Maître  coquet 

Pousse  maint  amoureux  hoquet 

Vis-à-vis  de  quelque  Donzolle 

Qui  l'amuse  de  sa  prunelle, 

Et  de  son  affété  caquet. 

Que  ces  souillons  de  GaufFriers 

Font  sentir  l'odeur  du  fromage! 

Et  que  ces  noirs  Chauderonniers 

Font  un  fûcheux  carillonnage  ! 

Mais  nous  voilà  quasi  dedans  : 

Bon-jour,  Foire,  Dieu  soit  céans; 

Je  suis  un  pauvre  cul-de-jatte, 

Qui  viens  tout  exprès  de  chez  nous. 

Non  pour  acheter  des  bijoux, 

Mais  pour  au  grand  bien  de  ma  rate, 

Sur  votre  los  qui  tant  éclate. 

Faire  quelques  Vers  aigres-doux. 

Prenez  bien  garde  à  ce  soldat, 

Ou  plutôt  ce  grand  As  de  pique  ; 


ILE-DE-FKANCE  413 

De  fine  peur  le  cœur  me  bat, 
Que  contre  nous  il  ne  se  pique. 
Porteurs,  marchez  discrettement, 
Ne  heurtez  rien,  mais  posément 
Menez-moi  par  toute  la  Foire. 
C'est  ici.  Monsieur  mon  cerveau, 
Qu'on  verra  si  je  suis  un  veau, 
Si  je  mérite  quelque  gloire, 
Et  si  notre  folle  écritoire 
Fera  quelque  chose  de  beau. 

Petit  rimeur  trop  éventé, 
(lardez-vous  bien  de  rien  promettre; 
Henguainez  votre  vanité, 
Où  diable  vous  allez- vous  mettre? 
Hé  quoi,  ne  sçavez-vous  pas  bien 
Qu'un  conte  ne  vaut  jamais  rien 
Quand  on  dit  :  Je  vous  ferai  rire? 
Je  crains  pour  vous  quelques  revers; 
Je  crains  que  les  Marchands  divers 

Sur  lesquels  vous  allez  écrire. 

N'habillent,  au  lieu  de  les  lire. 

Leurs  marchandises  de  vos  Vers. 

Arrêtez  :  certain  Jouvenceau 

Chez  un  Confiturier  se  glisse; 

Son  dessein  n'est  que  bon  et  beau, 

Mais  j'ai  peur  qu'il  ne  réussisse; 

(lar  je  remarque  à  ses  côtés 

De  Pages  fort  peu  dégoûtés  # 

l'ne  troupe  bien  arrangée, 

l]t  mal-faisant  au  dernier  point. 

Que  pour  eux  il  sort  bien  à  point. 

Tenant  à  deux  mains  sa  dragée 

Qui  des  Pages  sera  mangée, 

Et  dont  il  ne  mangera  point! 

Il  ne  sçait  pas  de  quel  destin' 

Sa  confiture  est  menacée, 

Et  qu'elle  sera  le  festin 

De  la  Cent  à  gregue  troussée. 

Ha!  le  voilà  dévalisé. 

Dieux!  qu'il  en  est  scandalisé! 


414  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Que  son  sucre  qui  se  partage 
Parmi  tous  ces  demi-filoux 
Lui  cause  un  étrange  courroux, 
Et  qu'à  ses  yeux  remplis  de  rage 
Un  Ecuyer  fouettant  un  Page 
Serait  un  spectacle  bien  doux  ! 

Que  ces  Gentilhommes  à  pié 
Sont  de  nature  peu  courtoise  ! 
Que  ces  Damoiseaux  sans  pitié 
Pour  peu  de  chose  font  de  noise! 
Qu'ils  ont  de  sucre  répandu, 
Qui  pourtant  ne  sera  perdu  : 
Car  de  cette  Irlandoise  bande 
Il  sera  bien-tôt  ramassé  : 
Mais  les  lieux  où  l'on  est  pressé 
Ne  sont  pas  ceux  que  je  demande; 
Tirons  d'une  foule  si  grande 
Notre  corps  demi-fracassé. 

Ici  le  bel  art  de  piper 
Très-impunément  se  pratique; 
Ici  tel  se  laisse  attraper, 
Qui  croit  faire  aux  Pipeurs  la  nique. 
Approchons  ces  gens  assemblés, 
Hommes  parmi  femmes  mêlés. 
Je  vois  ce  me  semble  une  dupe; 
Car  ce  beau  porte-point  coupé, 
D'un  toufu  panache  hupé, 
Près  de  cette  brillante  jupe 
Qui  bien  plus  que  son  jeu  l'occupe, 
Qu'est-ce  qu'un  Damoiseau  dupé? 

Qu'ils  sont  d'accord,  ces  assassins, 

Qui  de  paroles  s'entre-mangent, 

Et  qu'ils  font  de  cruels  larcins 

De  leurs  dez  qu'à  tous  coups  ils  changent! 

Que  ces  deux  Démons  incarnés 

Sont  sur  ce  pauvre  homme  acharnés 

Qui  perd  tout  en  gratant  sa  tête 

Et  sans  dire  le  moindre  mot! 

Ha!  qu'il  a  bien  trouvé  son  sot 


I 


ILE-DE-FRANCE  415 

Geliii-là  qui  jure  et  tempête  : 
Et  qu'il  fait  bien  la  bonne  hèle 
Avec  son  sei'ment  de  bigot! 

Foiro,  l'élément  des  coquets, 
Des  filoux  et  des  tire-laine; 
Foire  où  l'on  vend  moins  d'afliquets, 
Que  l'on  ne  vend  de  chair  humaine; 
Sous  le  prétexte  de  bijoux, 
Que  l'on  fait  de  marchez-vous, 
Qui  ne  se  font  bien  qu'à  la  brune! 
Que  de  gens  chez  vous  sont  déçus! 
Que  chez  vous  se  perdent  d'écus! 
Que  chez  vous  c'est  chose  commune 
De  voir  converser  sans  rancune 
Les  galajis  avec  les  cocus  ! 

Tout  ce  qui  reluit  n'est  pas  or 
En  ce  pays  de  piporie  : 
Mais  ici  la  foule  est  cncor 
Sans  respect  de  la  piorrerie. 
Menez-moi  chez  les  Portugais; 
Nous  y  verrons  à  pou  de  frais 
Des  marchandises  de  la  Chine; 
Nous  y  verrons  de  lambre  gris, 
De  beaux  ouvrages  de  vernis. 
Et  de  la  porcelaine  fine 
De  cette  région  divine, 
De  ce  terrestre  Paradis. 

Nous  achèterons  des  bijoux. 
Nous  boirons  de  l'aigre  de  cèdre  ; 
Mais  comment  Diable  ferons-nous 
Pour  trouver  une  rime  en  èdre! 
N'importe,  ne  radoubons  rien, 
Edre  et  cèdre  riment  fort  bien. 
N'en  déplaise  à  la  Poésie, 
La  fabrique  de  tant  de  Vers 
Sur  tous  ces  objets  si  divers, 
Dont  j'ai  l'âme  toute  farcie. 
M'a  fatigué  la  fantaisie, 
Et  mis  l'esprit  tout  à  l'envers. 


416  LES  POÈTES  DU  TERKOIU 

Beau  Portugais  de  Portugal, 
Qu'un  verre  net  on  me  délivre; 
Si  l'aigre  de  cèdre  est  loyal, 
J'en  acheté  plus  d'une  livre. 
Couvrez  donc  un  peu  uos  esté, 
Un  peu  moins  de  civilité, 
Et  bon  marché  de  marmelade. 
Sçachez,  homme  au  petit  rabat, 
Que  je  suis  plus  friand  qu'un  chat, 
A  cause  que  je  suis  malade  : 
Ne  montrez  donc  rien  qui  soit  fade, 
Ou  qui  ne  soit  pas  délicat. 

Il  est,  ma  foi,  délicieux, 
Il  est  merveilleux,  ce  breuvage, 
Et  n'est  Muscat  ni  Condrieux, 
Qui  m'en  fit  mépriser  l'usage  : 
N'en  déplaise  aux  buveurs  de  vin, 
Par  mon  chef  il  est  tout  divin. 
Laquais,  tiens  bien  cette  bouteille, 
Mais  garde  bien  de  la  casser. 
Et  tâche  aussi  de  t'en  passer, 
En  ami  je  te  le  conseille; 
Car  je  veux  bien  perdre  l'oreille, 
Si  tu  ne  te  faisois  chasser. 

Adieu,  Seigneur  Lopes,  bon  soir. 
Bon  soir  aussi,  Seigneur  Rodrigue; 
Lorsque  je  viendrai  vous  revoir, 
Vous  me  trouverez  plus  prodigue. 
Il  est,  ce  me  semble,  saison 
De  retourner  à  la  maison; 
Je  vois  déjà  de  la  chandelle, 
Et  ne  vois  plus  rien  de  nouveau 
Qui  puisse  aider  à  mon  cerveau 
A  faire  une  Slance  nouvelle  : 
Et  puis  comment  la  faire  belle, 
Si  je  ne  vois  plus  rien  de  beau. 

Tout  beau,  petit  rimcur,  tout  beau. 

Vous  allez  apprêter  à  i-ire; 

Vous  ne  voyez  plus  rien  de  beau? 


ILE-DE-FRANCE  417 

Certes  cela  vous  plaît  à  dire. 

A  cette  heure  de  tous  côtés 

Arrivent  ici  des  beauté» 

Qui  n'y  viennent  qu'à  la  nuit  sonibrt^ 

A  cette  heure,  quand  pour  Philis 

Poudrés,  frisés,  luisants,  polis. 

Les  appolans  Soleils  à  lonibre, 

Leur  disent  flcMirette  sans  nombr»^ 

Sur  leurs  Roses  et  sur  leurs  Lys. 

Voyons  un  peu  ces  Epiciers, 

Chez  lesquels  tant  de  monde  acheté. 

0  poivre  blanc,  que  volontiers 

Pour  vous  je  vuide  ma  pochette  ! 

Sçachons  si  l'on  en  peut  avoir  : 

Mais  je  ne  vois  là  que  du  noir, 

Qui  fort  peu  l'appétit  réveille; 

Au  lieu  que  ce  poivre  de  prix. 

Qui  peut  restaurer  les  esprits, 

Est  do  l'Orient  la  merveille, 

Préférable  à  la  sans-pareille. 

Et  comparable  à  l'ambre  gris. 

Adieu  Peintres,  adieu  Lingers, 

Je  laisse  votre  belle  histoire, 

Et  celle  des  autres  Merciers, 

A  quelque  meilleure  écritoire. 

Adieu  la  Foire  Saint-Germain, 

Je  vais,  non  pas  en  parchemin. 

Mais  en  papier  blanc  comme  craie 

Travailler  à  votre  tableau. 

Mais  de  mon  style  un  peu  nouveau  • 

Avecque  raison  je  m'effraie, 

Et  j'ai  bien  peur  qu'on  ne  me  raye 

Comme  un  malheureux  Poëtereau. 

Ainsi  chantoit  un  malheureux, 

Quoiqu'il  n'eût  quasi  plus  d  haleine. 

Et  que  son  poulmon  catharreux 

Ne  fît  sortir  sa  voix  qu'à  peine; 

Il  le  faisoit  pourtant  beau  voir. 

Car  justaucorps  de  velour  noir 

Habilloit  sa  carcasse  tendre, 


418  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Sa  main  un  bâton  soutenoit, 
Qui  partout  alloit  et  venoit 
Où  la  main  ne  pouvoit  s'étendre, 
Exécutant  sans  se  méprendre 
Ce  que  le  malade  ordonnoit. 

Quoique  son  chant  fût  enroué, 

Que  ridicule  fût  sa  lyre, 

Si  crut-il  qu'il  seroit  loiié, 

Si  Gaston  daignait  en  sourire: 

Car  il  n'a  chanté  seulement 

Que  pour  son  divertissement, 

Tout  autre  fin  il  désavoue; 

Et  quand  quelqu'un  s'en  moquera, 

Et  son  carme  méprisera, 

]1  lui  fera,  ma  foi,  la  moue  : 

Et  qu'on  le  blâme,  ou  qu'on  le  loui 

Au  Diable  s'il  s'en  soucira. 


[Œuvres  de  Scanon,   nouv. 
éd.,  Paris,  David,  1752.) 


I 


ANTOINE    FURETIERE 

(1619-1088) 


Antoine  Furetière  naquit  à  Paris  le  28  décembre  1619  et  mourut 
le  li  mars  1688.  Reçu  avocat  au  Parlement  de  Paris,  il  exerça 
dabord  la  charge  de  procureur  liscal  de  l'abbaye  de  Saint-Ger- 
main des  Prés,  puis  embrassa  l'état  ecclésiastique  et  fut  pourvu 
des  béuéfices  dos  abbayes  de  Chalivoy,  de  Chuynes  et  du  prieuré 
de  Saint-Denis-de-la-Chartre.  «  C'était,  écrit  Viollot-le-Duc,  uu 
esprit  ardent,  sarcaslique,  et  une  très  mauvaise  tète.  »  Nommé 
membre  de  l'Académie  française  en  1662,  il  s'attira  bientôt  l'ini- 
mitié de  tous  ses  collègues.  Furetière  préparait  à  lui  seul,  con- 
curremment à  l'illustre  compagnie,  un  dictionnaire.  L'Académie 
l'accusa  d'avoir  profité  de  son  travail,  fit  ordonner  la  suppres- 
sion du  privilège  qu'il  avait  obtenu  pour  le  faire  imprimer,  et 
le  bannit  cmi  1685.  Le  procès  qu'elle  lui  intenta  dura  longtemps 
et  donna  lieu  à  une  foule  defaclums  aussi  vifs  quingéuieux  de 
la  part  de  Furetière,   auxquels   ses  confrères   répondirent  en 
'  tenant  sur  lui  d'odieux  propos.  «   Charpentier,  lun  des   plus 
animés  contre  cet  auteur,  rapporte  Louis  Lacour,  l'accusa  d'a- 
voir prostitué  sa  sœur  pour  se  faire  nommer  procureur  fiscal, 
,  de  s'être  déshonoré  dans  ce  poste  en  devenant  prt)tecteur  des 
j  filous  et  des  filles  publiques  et  en  escroquant  le  bénéfice  d'un 
j  jeune  abbé.  Il  lui  prodigua  les  noms  de  béii'tre,  maraud,  fripon, 
'  fourbe,   buscon,  infdnie,  fils  de  laquais,  sacrilège,  faux  tnon- 
\  nayeur,  etc.  »  Furetière  riposta  par  des  écrits  qui  sont  des  mo- 
'  dèles  d'éloquence  satirique',  et  il  ne  craignit  point  de  flageller 
.  outrageusement  et  injustement  Benserade  et  La  Fontaine,  son 
ancien  ami.  Le  public  rit  de  bon  cœur  et,  chose  singulière,  prit 
parti  pour  l'opprimé.  Mais  celte  malheureuse  aventure  troubla 
les  dernières  anuées  de  la  vie  de  Furetière,  et  l'on  peut  dire  que, 
malgré  l'estime  que  ne  cessèrent  de  lui  témoigner  les  savants  et 
la  plupart  des  écrivains  de  son  époque,  il  acheva  tristement,  désa- 
busé et  aigri,  une  carrière  qu'il  avait  brillamment  commencée. 


1.  Voyez  :  Trois  facttuns  pour  Anf.  Furetière,  contre  quelques- 
uns  de  VArtul.  /"^'anço?»!?,  Amslcrdam,  Desbordes.  1684,  in-l!i(réimpr. 
en  ISciO,  par  Cli.  Assclineau,  chez  l'oulel-Malassis). 


420  LES  POÈTES  DU  TKKKOIK 

M.  Frédéric  Lachévre  a  donné  une  bibliographie  de  ses  ouvra 
^es:  nous  y  renvoyons  le  lecteur.  Parmi  ces  derniers,  celui  qi 
<;ut  le  plus  de  vogue  fut  le  Roman  bourgeois  (Paris,  1866,  in-S" 
livre  plaisant  dans  lequel  il  a  peint  au  naturel  les  mœurs  de  1 
classe  moyenne.  On  y  trouve  maintes  allusions  à  des  person 
nages  connus  alors.  II  a  de  plus  écrit  quelques  vers.  Ses  Poè 
stcs  dii'erses,  publiées  d'abord  chez  Guillaume  de  Luyne  (Paris 
en  1659,  un  vol.  in-12,  puis  réimprimées  en  1664  (sec.  éd.,  Pa 
ris,  G.  de  Luynes,  et  Paris,  Louis  Billaine,  in-12).  contiennen 
cinq  satires  touchant  la  vie  parisienne,  qu'il  avait  composée 
avant  que  Boileau  publiât  les  siennes.  Bien  qu'elles  soient  lâche 
ment  versifiées,  elles  ofl'rent,  grâce  aux  sujets  traités,  un  vi 
intérêt  pour  l'étude  de  l'esprit  français  au  xvii»  siècle. 

Bibliographie.  —  Guy  Marais,  Fu-etieriana  ou  les  bons  mot 
et  les  retnarques,  etc.  de  M.  Fureti'ere,  Bruxelles,  François  Fop 
pens,  1696,  in-12.  —  Tallemant  des  Réaux,  Historiettes,  etc.  - 
Abbé  Goujet,  Biblioth.  françoise,  t.  XVIII,  p.  2.56.  —  Jal,  Die 
tionnaire  crit.  de  biographie  et  d'histoire,  2»  édit.,  1872.  —  Ed 
Fournier,  Préface  à  l'éd.  elzévirienne  du  Roman  bourgeois.  ~ 
V.  Fournel,  La  Liltcrature  indépendante  et  les  écriv.  oubliés  di 
dix-septième  siècle,  —  Fr.  Lachévre,  Bibliogr.des  rcc.  collectif 
de  poésies,  1597-1100,  t.  II,  III  et  IV,  etc.,  etc. 


LE  JEU  DE  BOULE  DES  PROCUREURS 

A  Monsieur  Maucroix, 
Chanoine  en  VEglhc  Calhrdrale  de  II 

...  J'allois  nonchalamment  pour  rêver  s\  l'écart, 
Après  avoir  disné  vers  le  Quay  Saint-Bernard  ; 
Là  me  trouvant  oisif,  et  tout  seul  de  ma  bando, 
Je  tâchois  d'achever  un  sonnet  de  commande, 
Qu'un  autheur  désireux  de  se  faire  estimer, 
Au  devant  do  son  livre  alloit  faire  imprimer  : 
Gomme  on  a  maintenant  cette  sotte  coutume. 
Par  dos  vers  mandiez  d'augmenter  son  volume, 
De  quester  la  louang-e  à  des  amis  flatteurs. 
D'avoir  diversité  de  langues  et  d'Autlieurs, 
Et  d'en  vouloir  prétendre  une  gloire  authentique. 
Qu'on  ne  devroit  chercher  que  dans  la  voix  publiqu 


I 


ILE-DE-FRANCE  421 

J'avois  ce  beau  dessein,  quand  je  m'arreste  au  bi'uit 

D'un  tas  de  Procureurs  et  d'Huissiers  qui  me  suit  : 

Contre  une  fausse  rime  estant  lors  en  colère, 

Mon  esprit  diverty  d'abord  les  considère, 

Et  quitte  son  ouvrage,  en  voyant  un  objet 

Qui  luy  fournit  d'écrire  un  plus  plaisant  sujet. 

Je  voy  dans  leurs  habits,  les  modes  surannées 

Qu'ont  les  capricieux  en  un  siècle  amenées  : 

Tel  a  le  chapeau  plat,  tel  autre  l'a  trop  haut, 

Tel  a  talon  de  bois,  tel  souliers  de  pitaut, 

Tel  haut  de  chausse  bouffe  et  tel  serre  la  cuisse, 

L'un  tient  du  pantalon,  et  l'autre  tient  du  suisse, 

Tel  a  petit  collet,  tel  des  plus  grands  rabats. 

Tel  sur  habit  de  drap,  manteau  de  taffetas. 

Ils  faisoient  tant  de  bruit  que  leurs  voix  confondues. 

Comme  en  un  grand  cahos  n'estoient  point  entendues. 

Tant  qu'on  parla  de  boule,  alors  chacun  céda, 

Et  ravy  d'y  jouer  à  l'instant  s'accorda. 

Je  voy  mon  Procureur  avec  eux  qui  s'avance. 

Me  reconnoist,  m'aborde  et  fait  la  révérence, 

En  ployant  le  jaret  comme  un  bon  vieux  Gaulois, 

Et  comme  un  héraut  fait  aux  obsèques  des  roys. 

Pour  me  bien  obliger  avec  eux  il  m'empestre, 

M'explique  la  partie,  et  me  somme  d'en  estre; 

Mais  ayant  repondu  que  je  n'y  sçavois  rien, 

Il  réplique  aussi-tost,  vous  n'estes  pas  Chrétien. 

Je  le  suis  cependant,  je  fay  cérémonie, 

Je  me  tiens  honoré  d'estre  en  leur  compagnie, 

Et  comme  en  mes  procès  j'ay  souvent  besoin  d'eux, 

Je  me  rends  complaisant  à  perdre  une  heure  ou  deux  : 

Donc  en  un  coin  du  jeu  choisissant  une  place. 

Sans  en  faire  semblant  j'observe  leurs  grimaces. 

A  peine  ils  sont  entrez,  qu'en  foule  les  premiers 

Courent  choisir  leur  boule  et  raillent  les  derniers  : 

Ils  parent  de  manteaux  toute  la  gallerie. 

Vous  diriez  à  la  voir  que  c'est  la  friperie. 

L'un  sur  un  des  tyrans  jette  son  casaquin, 

L'Autre  y  prend  pour  tretteau  le  cul  d'un  mannequin  : 

L'un  accroche  un  chapeau  par  le  bout  de  sa  coëffe, 

L'autre  un  sac  qu'au  retour  il  doit  remettre  au  Greffe; 

II.  24 


l22  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

L'un  enfin  plie  à  part  ses  petits  gands  coupez, 
Et  l'autre  pend  ses  glands  qui  se  sont  échappez. 

Après  quand  il  s'agit  de  diviser  leur  trouppe, 
Si  l'un  prend  la  parole,  un  autre  la  luy  couppe, 
Et  font  vm  bruit  si  grand,  que  le  moins  interdit, 
Après  bien  du  discours,  ne  sçait  ce  qu'il  a  dit. 

Il  faut  que  le  hasard  à  la  fin  les  assemble 
Et  les  plus  près  du  but  doivent  jouer  ensemble. 
De  six  joueurs  qu'ils  sont,  pour  paroistre  dispos, 
Tel  alonge  ses  nerfs,  tel  fait  claquer  ses  os. 
Tel  fait  la  cabriole,  et  tel  eu  l'air  brandille, 
Tel  de  tout  son  pouvoir  ses  jambes  écarquille, 
Et  tel  qui  de  trois  jours  à  ce  jeu  n'a  joiié, 
Dit  qu'il  n'a  pas  le  corps  assez  bien  dénoiié. 

Quand  ils  sont  préparez,  le  plus  prompt  de  la  bande 
Joue,  et  leur  dit  :  Voilà  mon  exploit  de  demande, 
Deft'endez-y,  Messieurs.  Aussi  tost  son  voisin 
Lasche  un  coup  qui  s'arreste  au  milieu  du  chemin. 
On  en  rit,  il  s'en  fâche,  et  voyant  qu'on  redouble  : 
C'est  vostre  bruit  aussi,  leur  dit-il,  qui  me  trouble. 
Tandis  que  le  premier  luy  reproche  tout  haut  : 
O  le  grand  Procureur  qui  d'abord  fait  défaut! 
Cherchez  vostre  recours  contre  une  autre  partie, 
Et  faites  appellcr  un  tiers  en  garantie. 

A  peine  a-t'il  parlé,  qu'un  second  sur  ses  pas 
Intervenant  promet  de  ne  demeurer  pas; 
Mais  poussant  trop  aussi,  la  boule  va  si  viste. 
Qu'elle  trouve  à  la  fin  le  noyon  pour  son  gisto. 
Tous  veulent  sur  ce  coup  luy  faire  son  procès, 
Et  vont  pour  se  pourvoir  en  matière  dexcès. 

Cependant  le  vainqueur  prétend  d'avoir  Sentence, 
Qui  porte  pour  profit  débouté  de  deffense 
Quand  un  tiers  vient,  et  dit  :  Je  m'y  rends  opposant, 
Et  contredis  l'exploit  du  premier  produisant  : 
J'ay,  parbleu,  pièce  en  main  baslante  à  le  débatre, 
S'ils  ont  pris  un  défaut,  je  le  feray  rabatre; 
N'en  formez  point  d'appel,  sans  lettres  de  relief, 
Je  vous  auray  bien  tost  réparé  ce  grief. 


ILE-DE-FRANCE  423 

Lors  il  souffle  la  boule,  et  dans  sa  main  il  crache, 

Il  retrousse  sa  manche,  et  puis  il  se  détache  : 

Il  jette  tout  son  corps  sur  le  pied  de  devant, 

11  tient  le  droit  en  l'air,  et  le  fessier  au  vent  : 

Il  s'alonge  d'abord,  et  puis  il  se  ramasse. 

Se  tourne  à  gauche,  à  droite,  quitte,  et  reprend  sa  place, 

Pendant  que  tout  son  corps  posé  sur  un  gigot, 

Se  soustient  et  se  meut,  comme  sur  un  pivot. 

Il  commence  à  joiler,  et  de  long-temps  n'achève, 

Assied  trois  fois  la  boule,  et  trois  fois  la  relève; 

11  examine  en  elle  et  le  foible  et  le  fort. 

Prend  des  yeux  le  niveau  de  l'un  et  l'autre  bord  : 

Enfin  pour  mieux  viser,  couchant  le  but  en  joue, 

Il  allonge  le  cou,  cligne  l'œil,  fait  la  moue. 

Et  lâche  enfin  la  boule  :  Est-elle  dans  le  jeu  ? 

L'un  dit  :  Elle  en  a  trop;  l'autre  :  Elle  en  a  trop  peu. 

L'un  qu'elle  va  trop  haut,  l'autre  que  c'est  la   bonne. 

Le  joueur  cependant  craint,  espère,  s'estonne, 

Son  esprit  suspendu  le  succès  en  attend, 

Tantost  il  s'aplaudit,  tantost  il  se  reprend, 

Tant  que  par  un  chemin  douteux  et  difficile, 

Elle  va  sur  le  but  élire  domicile  : 

Et  si  tost  qu'il  se  void  de  son  coup  asseuré  : 

N'avois-je  pas,  dit-il,  bien  et  deuëment  juré  .^ 

Cet  incident  a  fait  production  nouvelle; 

Fournissez  maintenant  de  contredits  contre  elle. 

Alors  celuy  qui  suit,  luy  promet  à  son  tour 

Qu'il  le  va  débouter,  et  mettre  hors  de  cour  : 

Et  donnant  dans  le  [dos]  de  la  partie  adverse, 

Prend  sa  boule  en  efTet,  la  tire  et  la  renverse, 

Dont  luy-mcsjue  il  se  loue,  et  frapant  dans  sa  main  : 

Voilà  joiler,  dit-il,  en  empereur  Romain. 

Ce  coup  est  peremptoire,  et  propre  à  les  exclure. 

Vous,  monsieur,  qui  restez,  allez-vous-en  conclure. 

Pour  le  gagner  en  trois,  faites  tous  vos  efforts, 

Et  joignez  vos  moyens  à  ceux  de  vos  consorts. 

Or  ce  dernier  joueur  estoit  ce  personnage, 

Extravagant  en  geste,  en  habits,  en  visage. 

Chez  qui  j'avois  reçeu  ce  fameux  déjeuner, 

Qui  ne  m'empêcha  point,  par  ma  foy,  de  disner. 


Z'±  LES    POETES    DU    TERROIR 

Pour  paroistre  dispos  en  marcliant  il  sautille, 

Et  ses  pieds  l'un  dans  l'autre  il  croise,  il  entortille. 

Mais  n'en  pouvant  pas  bien  démesler  l'embarras. 

Je  ne  sçay  quel  malheur  le  fait  tomber  à  bas  :, 

Et  ce  plaisant  objet  gisant  sur  la  poussière, 

D'une  long-ne  risée  appreste  la  matière. 

Tel  pour  le  relever  veut  des  lettres  du  sceau, 

L'autre  vient  s'enquérir  s'il  boit  son  vin  sans  eau. 

L'autre  veut  qu'il  déjeune,  et  l'autre  qu'on  le  couche; 

La  honte  cependant  luy  fait  fermer  la  bouche, 

Il  marche  tout  boiteiix,  il  paroist  tout  froissé, 

Et  jure  cependant  qu'il  ne  s'est  point  blessé. 

Enfin  il  vient  au  but,  et  déjà  fait  son  compte, 

Que  ce  qu'il  va  joUer  réparera  sa  honte  : 

Mais  c'est  un  maudit  coup  qui  leur  porte  guig-non. 

Il  détruit  tout  le  gain  qu'a  fait  son  compagnon, 

Et  donnant  dans  la  boule,  il  l'éloigné  de  sorte 

Qu'entre  les  deux  partis  on  ne  sçait  qui  l'emporte. 

Un  bruit  confus  s'élève,  et  chacun  dit  pour  soy  : 

Je  vay  gager  cinq  sous  que  ce  coup  est  à  moy. 

Afin  que  sans  éclat  leur  querelle  s'accorde. 

L'un  cherche  une  jartière,  et  l'autre  un  bout  de  corde 

L'autre  coupe  un  osier,  mais  ils  perdent  leurs  pas; 

Car  ce  mesme  estourdy,  ce  faiseur  d'entrechats, 

Impatient  de  voir  de  nouvelles  querelles, 

Mesure  la  distance  en  comptant  ses  semelles, 

Mais  estant  en  malheur,  et  mesme  estropié, 

Il  démare  une  boule  avec  le  bout  du  pied. 

Aussi-tost  les  débats  de  pins  belle  s'allument. 
Tous  ces  petits  cerveaux  de  désespoir  écument, 
Pas  un  ne  veut  quitter,  et  ceux  de  son  costé 
L'appellent  mal-adroit,  lourdaut,  yvro,  éventé; 
Sur  tout  certain  huissier,  qui  perd  son  advantage, 
Dit  qu'il  ne  joilra  plus  s'il  ne  le  dédommage  ; 
Le  Procureur  s'en  rit,  dit  qu'il  en  perd  autant, 
Et  que  chacun  pour  soy  joile  ainsi  qu'il  l'entend. 
L'Huissier  non  satisfait  luy  dit  qu'il  est  un  asno, 
Et  qu'il  nen  sgait  pas  plus  au  jeu  qu'à  la  chicane  : 
Le  Procureur  se  pique,  et  dit  :  Parlez  de  vous, 
Qui  vous  feriez  fouetter  pour  attraper  cinq  sous  : 


ILE-DE-FRANCE  425 

En  devez-vous  parler,  dit  l'autre  en  repartie, 

C'est  vous  qui  colludez  avec  vostre  partie; 

Le  Procureur  reprend  :  Grand  Gornard,  vous  mentez, 

G'est  vous  qu'on  a  repris  pour  trente  faussetez. 

A  ces  propos  sanglants  l'Huissier  fâché  s'avance, 

Luy  porte  un  coup  de  poing  pour  deffi  dans  la  panse; 

Ils  se  prennent  aux  crins,  tous  deux  embarassez, 

Non  point  pour  se  baiser,  se  tiennent  embrassez. 

Dès  le  premier  effort  de  leurs  mains  animées, 

Que  de  cheveux  tirez,  et  de  barbes  plumées! 

Los  perruques,  cha[)eaux,  calottes,  vont  à  bas; 

On  n'y  respecte  point  manchettes,  ny  rabats; 

La  bande  d'un  pourpoint  est  d'un  bout  arrachée, 

La  terre  est  de  rubans  et  de  basques  jonchée. 

L'un  saigne  dos  nazeaux,  l'autre  a  les  yeux  pochez, 

Et  tous  doux  ont  la  joue,  et  le  front  écorchez. 

L'Huissier  comme  plus  fort  prend  l'autre,  et  le  collette, 

Dont  il  crève  de  rage,  et  rompt  son  aiguillette. 

Son  haut-de-chausse  tombe,  et  met  la  brayo  au  vent; 

Mais  sans  songer  qu'il  montre  et  derrière  et  devant, 

Respirant  la  vengeance,  autant  que  la  victoire, 

11  tire  de  sa  poclio  une  grosse  écritoire, 

Dont  par  un  tour  de  bras,  d'un  seul  coup  de  cornet, 

Il  pense  de  l'Huissier  casser  le  test  tout  net. 

Lors  un  des  assistans  dit  que  par  courtoisie 

!1  faudroit  sur  son  bras  faire  arrest  et  saisie  : 

De  fait  on  les  sépare,  et  chacun  à  foison 

Jure  que  par  justice  il  en  aura  raison.  • 

lis  se  chantent  tous  deux  mille  injures  atroces, 

Mais  on  les  rend  bien-tost  amis  comme  à  des  noces  ; 

Gar  ils  connoissent  bien  que  ce  dtlel  entre  eux 

Aux  bourses  seulement  deviendroit  dangereux, 

Et  que  l'appel  naissant  de  semblable  querelle 

Au  lieu  des  Prez-aux-Glercs  iroit  à  la  Tournelle. 

îSans  parler  dans  l'accord  de  dédit,  de  pardon, 

L'un  va  se  rattacher,  puis  cherche  son  cordon  ; 

L'autre  torche  sa  jolie,  et  pour  le  coup  il  prie 

Qu'on  en  laisse  juger  ceux  de  la  gallerie. 

Là,  le  coup  de  l'Huissier  est  jugé  le  plus  près. 

Et  ce,  pour  tous  dépens,  dommages,  interests.  / 


'126  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Après  ce  coup  jugé,  chacun  reprend  sa  place, 

Le  jeu  se  continue  avec  mesme  g-rimace. 

Avec  mesme  discours,  mesme  ordre,  et  mesme  bruit; 

Mais  qui  pourroit  décrire  un  si  plaisant  déduit? 

Jamais  ny  l'inventeur  des  balets  de  postures, 

Ny  peintre  en  dessig-nant  mille  et  mille  figures, 

N'ont  mis  avec  leur  art  l'homme  en  tant  de  façons  : 

Tels  jouent  ramassez  comme  des  limaçons, 

Tel  se  void,  dont  toujours  la  posture  se  moule 

Selon  les  divers  tours  qu'il  souhaite  à  sa  boule  : 

S'il  veut  qu'elle  aille  viste,  il  se  penche  en  avant  ; 

Quand  elle  va  trop  fort,  il  recule  souvent, 

]']t  comme  il  la  souhaite  éloignée  ou  prochaine, 

De  son  poulmon  il  pousse,  ou  retient  son  haleine; 

Tel  à  se  démener  trop  ardent  et  trop  pront, 

Peut  à  peine  suffire,à  s'essuyer  le  front, 

11  défait  son  collet,  lâche  son  aiguillette, 

Déboutonne  sa  gorge,  ouvre  sa  chemisette, 

Et  met  sur  ses  cheveux  son  mouchoir  à  la  fin, 

De  crainte  d'engraisser  sa  coëfFe  de  satin. 

Tel  suit  courant  sa  boule,  et  lorsqu'il  en  est  proche 

11  saute  pardessus,  comme  un  fondeur  de  cloche. 

Tel  qui  la  suit  de  près,  la  croit  faire  rouler. 

Pour  luy  dire  une  injure,  ou  pour  la  cajoUer  : 

Il  la  flatte  tantost,  tantost  il  la  menace, 

Tel  a  soin  d'applanir  et  nettoyer  la  place, 

Tel  prend  pour  la  conduire  un  patron  dans  les  cieux, 

Tel  la  pense  guider  par  un  roulement  d'yeux. 

Et  tel  serrant  le  poing,  tire  un  bras  en  arrière, 

Lorsqu'il  veut  arrester  la  boule  en  sa  carrière, 

Kt  qu'il  voit  que  trop  tost  elle  tombe  en  aval, 

Ainsi  que  s'il  tenoit  les  resnes  d'un  cheval. 

Le  plus  divertissant,  c'est  que  chacun  se  pique 
De  bien  dire,  en  parlant  sa  langue  de  pratique  : 
Quand  une  boule  pousse  une  autre  en  son  chemin, 
Elle  a  lettres,  dit-on,  pour  la  conforteniain; 
C'est  subrogation,  quand  elle  entre  en  sa  place  : 
Distraction  se  fait,  alors  qu'elle  la  chasse, 
Et  c'est  réintégrande,  alors  qu'elle  revient, 
Ayant  un  peu  gauchi  du  chemin  qu'elle  tient  : 


ILE-DE-FHANCE 


427 


Quand  elle  tourne  ailleurs,  c'est  un  déclinaloire  ; 

Va-t'elle  un  peu  trop  doux,  c'est  lors  le  pélitoire  ; 

Si  quelqu'un  met  au  but,  soudain  il  s'applaudit, 

Disant  qu'il  a  fourni  pièce  sans  contredit,     • 

Et  si  l'un  des  perdans  joue  à  l'acquit  son  homme, 

Qui  luy  gagne  ou  pareille,  ou  plus  notable  somme; 

Ils  disent  au  vaincu  pour  consolation  : 

Qui  gagne  au  principal,  perd  en  sommation. 

Enfin,  si  je  voulois  achever  ce  qui  reste, 
J'aurois  plutost  écrit  le  Code  et  le  Digeste, 
Tous  les  mots  du  palais  soit  à  droit,  soit  à  tort, 
Trouvent  avec  ce  jeu,  chez  eux,  quelque  rapport. 
lis  se  querellent  mesme  en  semblables  paroles  : 
Qui  joue  à  contre-temps,  n'est  point  au  tour  des  rôles 
Qui  donne  un  démenti,  dit  qu'il  s'inscrit  en  faux  ; 
C'est  dol,  quand  la  partie  est  faite  entre  inégaux; 
Qui  vend  ses  compagnons,  est  stellionataire; 
Qui  conteste  souvent,  un  plaideur  téméraire; 
Et  si  quelqu'un  soutient  un  mot  qui  fait  affront. 
Il  dit  qu'il  va  subir  le  rôcol  et  confront. 

Quand  la  nuit  fait  quitter,  chaque  perdant  conteste. 

Et  veut  qu'on  le  raquitte,  ou  qu'on  gagne  son  reste. 

Ou  si  quelqu'un  d'entre  eux  se  retire  vaincu, 

C'est  d'un  teston  qu'il  paie  au  lieu  d'un  quart  d'écu; 

Mais  celui  qui  reçoit  ne  luy  fait  point  de  grâce, 

Et  dit  qu'il  paîra  donc  les  boules  pour  la  passe. 

La  joye  ou  la  tristesse,  emprainte  sur  leur  front. 

Fait  connoistre  le  gain  ou  la  perte  qu'ils  font;  • 

Qui  gagne,  en  s'en  allant,  dit  avec  raillerie. 

Qu'il  a  par  dessus  tout  joué  la  gausserie. 

Ces  mazettes,  dit  l'un,  croyoient  nous  attraper. 

L'autre  rit,  et  dit  :  Bon,  j'ay  gagné  mon  souper, 

Tandis  que  les  perdans  à  peine  en  ces  atteintes, 

Tant  leur  cœur  est  serré,  peuvent  former  des  plaintes, 

Pour  dire  que  quelqu'un  leur  a  porté  guignon, 

Ou  que  tout  le  malheur  vient  de  leur  compagnon. 

J'estois  de  telles  gens  déjà  las  à  merveille, 

Lors  que  mon  Procureur  me  vient  dire  à  l'oreille, 

Si  je  veux  du  levraut  aller  manger  ma  part. 


l28  L1£S    POÈTES    DU    TEKROIR 

Moy  je  l'en  remercie,  et  dis  qu'il  est  trop  tard  ; 
Aussitost  il  esquive,  et  la  nuit  survenue 
Luy  faisant  concevoir  que  je  le  perds  de  veiio, 
Il  dit  à  sou  huissier  :  Vous  plaist-il  de  ce  pas 
Vous  en  venir  chez  moy  prendre  un  mauvais  repas? 
On  m'a  fait  uu  présent  d'un  levraut  d'importance 
Que  j'aurois  plus  gardé  n'estoit  cette  occurence; 
Si  je  le  mangeois  seul  j'aurois  quelque  remords. 
J'ay  dit  qu'on  luy  fist  faire  un  friand  juste-au-corp' 
Et  l'ay  fait  envoyer  exprès  à  la  bazoche. 
Il  fait  plus  de  profit  eu  paste  qu'à  la  broche  : 
Quand  on  le  met  rostir,  il  se  mange  en  un  soir. 
Il  faut  pour  l'achever  plus  d'une  fois  nous  voir  ; 
Puis  j'en  veux  envoyer  quelques  tranches  en  ville. 
Qui  mange  d'un  morceau,  c'est  autant  que  de  mille. 
Jay  regret  seulement  qu'on  me  l'ait  présenté 
Sans  qu'on  ait  eu  l'esprit  de  le  mettre  en  pâté. 

Alors  mes  chicaneurs  enfilent  une  route 

Que  je  ne  suivis  pas,  car  on  ne  voyoit  goutte, 

Et  moy  qui  jusqu'à  lors,  marchant  à  pas  contez, 

Sans  en  estre  appercou  les  avois  écoutez, 

Je  cours  en  mon  logis,  où  par  mille  pensées 

Je  tire  du  profit  des  sottises  passées. 

ï'ayant  fait  ce  récit,  Maucroix,  t'étonnes -tu 
Qu'aujourd'huy  le  Palais  se  trouve  sans  vertu? 
Pourroit-on  rencontrer  une  ombre  de  justice. 
Où  règne  cette  énorme  et  barbare  avarice  ? 
Ceux  qui  dcvroient  servir  de  son  premier  soutien... 
Mais  ce  que  j'en  dirois  ne  serviroit  de  rien  : 
Il  leur  faut  des  censeurs  plus  forts  que  ma  Satyre. 
Qu'il  nous  suffise  donc,  amy,  de  nous  en  rire. 

{Poésies  dii'erses,  16<)4.) 


FRANÇOIS    GOLLETET 

(ir,28-1680) 


La  vie  de  François  Colletet  repose  tout  entière  sur  deux  on 
trois  légendes  accréditées  par  les  éditeurs  d'anecdotes  litté- 
raires et  entretenues  par  de  peu  scrupuleux  biographes.  Au 
demeurant,  fils  de  Guillaume  Colletet,  il  était  né  à  Paris  en  1623, 
Mauvais  poète,  dit-on,  et  qui  ne  fit  jamais  honneur  à  son  père, 
lequel  l'avait  initié  à  la  poésie  et  aux  belles-lettres.  «  François 
Colletet,  écrit  VioUet-le-Duc,  parait  avoir  été  militaire;  car,  f;iit 
prisonnier  par  les  Espagnols  en  1651,  et  conduit  en  Espagne,  il 
y  subit  trois  ans  de  captivité.  »  De  retour  à  Paris,  il  vécut  et  mou- 
rut fort  pauvre  en  1672,  justifiant  ces  deux  vers  do  la  première 
satire  de  Boileau  : 

Tandis  que  Colletet,  crotté  jusqu'à  l'échiné. 

S'en  va  cherchant  son  pain  de  cuisine  eu  cuisine... 

«  Il  faisait,  dit-on,  pour  gagner  quelques  écus,  des  traduc- 
tions et  des  compilations;  son  goût  dominant  le  portait  vers 
la  poésie,  mais,  alors  comme  aujourd'hui,  la  poésie  ne  nourris- 
sait pas  le  poète  le  plus  sobre.  Il  était  toujours  comme  Boileau 
l'a  dépeint,  o  crotté  jusqu'à  l'échiné  »,  et  il  ne  fréquentait  guère 
que  les  cabarets,  où  il  se  trouvait  en  compagnie  d'autres  poètes 
aussi  gueux  que  lui,  tels  que  Ciiarles  Beys,  du  Pelletier,  Loret, 
etc.  »  Il  prenait  gaiement  son  parti  contre  la  misère,  suivant  en 
cela  l'exemple  de  son  père,  lequel  ne  lui  avait  laissé  pour  tout 
héritage  que  des  dettes  qu'il  ne  paya  d'ailleurs  jamais.  Il  s'est 
peint  d'après  nature  dans  un  livre  curieux,  Le  Tracas  de  Paris 
ou  la  seconde  partie  de  la  Ville  de  Paris,  publié  à  la  suite  du 
poème  de  Berthod  (Paris,  Antoine  RafOé.  1666.  in- 12;  1679, 
in-12;  1689,  in-12,  etc.;  Paris,  J.  Musier,  1699.  in-12).  «Nous  le 
voyons  apparaître  là.  écrit  le  Bibliophile  Jacob,  avec  toute  sa 
candeur  et  toute  sa  bonhomie,  mélangée  parfois  de  finesse  et  de 
malice.. \ussi  bien  François  Colletet  connaît-il  les  bons  endroits 
où  l'on  boit  et  où  l'on  mange,  car  c'est  un  épicurien  incorri- 
gible, ne  regardant  pas  à  la  dépense  et  s'enivrant  tant  qu'il  pos- 
sède un  écu  dans  sa  poche.  » 

François  Colletet  est  l'auteur  d'une  foule  d'ouvrages  en  prose 


430  LES  POÈTES  DU  TERKOIR 

et  en  vers,  parmi  lesquels  nous  signalerons,  à  titre  purement 
documentaire.  Les  Muses  illustres  (Paris,  P.  David  et  Chamhou- 
dry,  1658,  in-12)  :  La  Muse  coquette  (Paris,  J.-B.  Loyson,  1665, 
in-12)  :  un  Abrégé  des  antiquités  de  la  ville  de  Paris,  etc.,  Paris, 
J.  Guignard  ou  Pepingué,  16G4,  in-12)  ;  une  Description  des  rues 
de  Paris  avec  les  quais,  ponts,  etc.,  Paris,  A.  de  Rafflé,  1677. 
1679,  1689,  et  nouv.  éd.,  Paris,  veuve  Jombert,  1722,  in-12;  Le 
Bureau  académique  des  honnestes  divertissements  de  l'esprit 
(Paris,  1677,  in-i»),  et  enfin  un  curieux  Journal  des  affaires  dt 
Paris,  contenant  ce  qui  s'y  passe  tous  les  jours  de  plus  considé- 
rable pour  le  bien  public  {^.Var\s,  a  du  bureau  des  Journaux,  des 
Avis  et  des  AfTaires  publiques,  rue  du  Meurier,  proche  Saint- 
Nicolas  du  Chardonnet  »).  dont  on  possède  18  fascicules  de  for- 
mat in-4°,  publiés  du  5  juillet  1676  au  24  novembre  de  la  mèmi 
année.  Cette  feuille,  qui  paraissait  le  jeudi  par  cahiers  de  8  r 
lO  pages,  a  été  réimprimée  en  1878,  par  M.  Heulhard.  sous  1« 
titre  :  Journal  de  Colletet,  premier  petit  journal  parisien,  in-4» 
Le  Tracas  de  Paris  a  été  inséré  par  P.-L.  Jacob  dans  son  édi- 
tion de  Paris  ridicule  et  burlesque  au  dix-septième  siècle  (Paris 
A.  Delahays,  1859,  in-18). 

Bibliographie.  —  Abbé  Goujet,  Biblioth.  française,  t.  XVI 
p.  281.  —  Viollet-le-Duc,  Biblioth.  poétique,  Paris,  Hachette 
1853,  in-18.  —  Fr.  Lachévre,  Bibliogr.  des  rec.  collect.  de  poésit 
fr.,  1597-1700,  t.  III  et  IV. 


LA   POMME    DE    PIN    SUR    LE    PONT 
DE   NOSTRE-DAME 

N'im[)orte,  on  ne  se  peut  quitter, 
Quand  d'ensemble  on  vient  trotter. 
Et  si  tu  ju'en  crois,  camarade, 
Nous  irons  faire  une  algarade 
A  quelque  bouteille  de  vin, 
Droit  dedans  la  Pomme  de  Pin! 
A[)r<''s  celte  juste  débauche, 
Sans  balancer,  à  droit,  à  gauche 
Et  sans  tomber  le  nez  devant, 
Nous  ferons  comme  auparavant  ; 
J  entens  qu'en  cette  nuit  si  belle 
Nous  irons  battre  la  semelle, 


II.E-DE-FRAKCE 

Et  voir  ce  qui  se  fait,  sans  bruit, 

Dedans  Paris,  toute  la  nuit. 

Tu  verras  des  choses  estranges; 

Puis,  on  ne  craint  gueres  les  fanges. 

Car,  en  ce  temps  du  mois  d'août, 

Il  fait  sec  et  fort  beau  partout. 

Doublons  le  [)as,  je  t'en  supplie  : 

Je  sens  ma  gorg'c  si  remi)lie 

De  la  poussière  et  du  grand  air, 

Que  je  ne  scaurois  ])lus  parler. 

Nous  y  voilà  sans  nulle  peine; 

Je  commence  à  reprendre  haleine. 

((  Du  vin,  Jacques,  mais  sans  gauchir. 

Et  de  l'eau,  pour  le  rafraischir. 

Au  bon  ïrou,  si  tu  m'en  veux  croire, 
Ou  bien  tu  n'auras  rien  pour  boire. 

Qu'as-tu  que  nous  puissions  manger  ' 

Il  n'est  pas  besoin  de  songer; 

J'ai  veu  là-bas  dessus  la  table 
Un  chapon  assez  raisonnable  : 
S'il  est  bon,  c'est  ce  que  je  veux, 

Car  nous  ne  sommes  que  nous  deux. 
Es-tu  revenu?  Marche,  vole, 
Et  me  connois  à  ma  parole.  )> 
Amy,  ce  petit  Cabinet, 
Pour  estre  à  l'aise,  est  notre  fait. 
J'aime  ces  lieux,  où  l'on  peut  estre 
Sans  se  faire  si  fort  connoistre, 
Où  libre  on  peut,  sans  estre  veu, 
Parler  de  tout,  quand  on  a  beu. 
«  Bon,  voicy  ce  chapon!  Approche: 
Va  lui  donner  vingt  tours  de  broclie. 
11  est  bien  tendre  asseurément; 
Est-il  lardé  tout  fraischement  ? 
Que  je  sente  un  peu  son  derrière. 
Gar<;on,  accorde  à  ma  prière 
D'y  mettre  du  poivre  et  du  sel, 
Et  tu  mériteras  le  ciel.   » 
Cependant.  Amy,  que  j'estime, 
Je  ne  crois  pas  commettre  un  crime 
Si,  plus  sec  qu'un  pendu  d'Esté, 


4:{i 


'l32  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Je  bois  d'abord  à  ta  santé. 

Tu  sçais  bien  que  je  te  respecte. 

Mais  c'est  qu'il  faut  que  je  m'humecte. 

Le  vin  est  parfaitement  bon  : 

Il  faut  la  tranche  du  jambon, 

Afin  que  nous  fassions  ripaille, 

Pendant  qu'on  cuit  nostre  volaille. 

{Le  Tracas  de  Paris,  réimpr.  de  1859. 


4 


I 


MADAME   DESMOULIERES 

(1633-1C>1)4) 


Antoinette  d»  Ligier  de  la  Gardo  naquit  à  Paris  vers  rannéo 
1633  ou  163't,  de  Mcichior  du  Ligier,  soigneur  de  la  Garde,  et  do 
Claude  Gaultier.  Son  père,  qui  jouissait  d'une  fortune  assez  con- 
sidérable, avait  la  charge  de  mnitre  d'hôtel  de  la  reine  Anne  d'Au- 
:riche;  sa  mère  était  nièce  du  sieur  Videville,  premier  inten- 
tant des  finances  sous  le  règne  de  Henri  III,  et  président  delà 
Chambre  des  comptes  de  Paris.  Belle,  spirituelle  et  gracieuse, 
;lle  épousa,  à  làge  de  dix-huit  ans,  Guillaume  de  la  Fon  de  Bois- 
^ucrin,  seigneur  des  Houlières.  gentilhomme  de  Poitou,  petit- 
leveu  de  ce  Boisguérin,  gouverneur  de  Loudun,  qui  refusa, 
issure-t-on,  le  bâton  do  maréchal  de  France  que  lui  olVrait 
Henri  IV,  à  condition  de  quitter  la  religion  réformée.  Sou  mari, 
lyant  embrassé  le  parti  des  princes,  sous  la  Fronde,  fut  obligé 
ie  sortir  de  France.  Elle  le  rejoignit  à  Rocroi.  puis  a  Bruxelles, 
)ù  le  prince  de  Coudé  le  lit  arrêter  et  enfermer  au  fort  de  Vil- 
v'orde.  Elle  le  suivit  dans  sa  prison.  Ils  y  restèrent  huit  mois, 
lu  16  janvier  au  31  août  1657,  s'en  évadèrent  avec  un  autre  pri- 
sonnier et  gagnèrent  Paris.  M"»»  des  Houlières  avait  une  cul- 
ure  peu  commune;  elle  n'ignorait  rien  du  lai  in,  de  l'italien, 
le  l'espagnol,  ainsi  que  de  la  musique,  de  la  danse,  de  l'équi- 
ation,  etc.  Le  poète  Jean  d'Hesnaut  lui  avait  euseigné  les 
•ègles  de  la  prosodie.  Elle  fut  célèbre,  mais  pauvre,  et  mourut 
i  Paris  le  17  février  1694.  Elle  était  gratifiée  depuis  peu  d'une 
)ension  du  roi.  Ses  œuvres,  qui  consistent  en  ballades,  sonnets, 
•ondeaux,  portraits,  élégies,  etc.,  ont  été  i)ubliées  d'abord  en 
688  et  en  1695  {Poésies  de  31'^"  Deshonlihrcs,  Paris,  veuve  de 
S.  Mabre-Cramoisy,  2  vol.  in-S»)  et  réimprimées  ensuite  avec 
luelques  poésies  de  sa   lille,   Paris,  Jean  Villette,  1732,  1735» 

vol.  ia-8";  Paris,  Libr.  Associés,  1764,  2  vol.  in-12;  Paris, 
>idot,  1795,  in-12:  Paris,  Crapelet,  1799,  2  vol.  in-8»;  Paris, 
ouaust,  1882,  in-12':  VioUet-Ie-Duc    a  été  sévère  pour  celle 

u'on  a  surnommée  la  dixième  Muse.  «  Les  œuvres  de  M™»  Des- 


1 .  Voyez  de  plus  :  Les  Amours  de  Grisette,  suivies  de  la  mort  de 
ochon,  avec  une  notice  de  réditeur,  Paris,  Sansol,  1906,  in-i2. 


443 


LES    POETES    DU    TERROIR 


hoiiliores,  écrit-il,  sont  dans  toutes  les  bibliothi'ques  ;  son  taloc 
a  été  mille  fois  apprécié;  je  ne  saurais  en  rien  dire  de  nouveai 
si  ce  n'est  de  la  féliciter  d'être  venue  dans  cette  dernière  moi 
tié  du  xvii«  siècle,  où  la  poésie  était  en  faveur,  et  les  poète 
recherchés.  De  nos  jours,  dix  femmes  peut-être  ont  plus  d 
talent  poétique  que  M'""  Dcshoulières  :  à  peine  leur  nom  est- 
connu  du  petit  nombre  de  personnes  qui  sont  encore  sensible 
au  charme  de  la  poésie.  »  (Biblioth.  poétique,  p.  608.)  Ces  ligne 
semblent  écrites  de  nos  jours.  Sans  partager  les  excès  de  criti 
que  de  Viollet-le-Duc,  il  nous  faut  bien  avouer  que  les  vers  d 
M"'«  Deshoulières  n'ont  plus  que  le  charme  des  choses  suran 
nées.  Ses  tableaux  champêtres  offrent  l'aspect  de  ces  tapisse 
ries  où  des  moutons  jaunâtres  broutent  une  laine  rare  et  déco 
lorée. 

Bibliographie.  —  Anonyme,  Eloge  historique  de  il/""»  et  d 
iHf'o  Deshoulières,  édition  des  Œuvres,  etc.,  Paris,  1764.  —  Ja 
Dictionnaire  critique  de  biogr.  et  d'histoire,  2«  édit.,  1872.  - 
L.  Galesloot,  M™"  D.  emprisonnée  au  château  de  Vih'ordc,  etc 
Bruxelles,  Arnold,  1869,  in- 12.  —  A.  Fabre,  Correspondance  a 
Fléchier  avec  M"^o  D.  et  sa  fille,  Paris,  Didier,  1871,  in-8''.  - 
F.  Lachèvre,  Bibliogr.  des  rcc.  collectifs,  1597-1100,  etc.,  t.  Il 
et  IV. 


VERS   ALLEGORIQUES 


Dans  ces  prez  fleuris 
Qu'arrose  la  Seine, 
Cherchez  qui  tous  meine, 
Mes  chères  Brebis. 
J'ai  fait  pour  vous  rendre 
Le  destin  plus  doux, 
Ce  qu'on  peut  attendre 
D'une  amitié  tendre; 
Mais  son  long  couroux 
Détruit,  empoizonne 
Tous  mes  soins  pour  vous, 
Et  vous  abandonne 
Aux  fureurs  des  Loups. 
Seriez-vous  leur  proie, 
Aimable  troupeau! 


  mes  enfans. 

Vous  de  ce  Hameau 
L'iionneur  et  la  joie; 
Vous  qui  gras  et  beau 
Me  donniez  sans  cesse 
Sur  riierbclte  épaisse 
Un  plaisir  nouveau. 
Que  je  vous  regrette! 
Mais  il  faut  céder  : 
Sans  clxien,  sans  houlette 
Puis-jc  vous  garder? 
L'injuste  fortune 
Me  les  a  ravis. 
En  vain  j'imi^ortune 
Le  Ciel  par  mes  cris; 
11  rit  de  mes  craintes, 


ILE-DE-FRANCE 


435 


Et,  sourd  ù  mes  plaintes, 

Houlette  ni  chien 

II  ne  me  rend  rien. 

Puissiez-vous  contentes 

Et  sans  mon  secours 

Passer  d'heureux  jours, 

Brebis  innocentes, 

Brebis  mes  amours. 

Que  Pan  vous  défende! 

Hélas!  il  le  sii-ait! 

Je  ne  lui  demande 
Que  ce  seul  bienfait. 
Oui,  Brebis  chéries, 
Qu'avec  tant  de  soin 
J'ai  toujours  nourries 
Je  prens  à  témoin 
Ces  Bois,  ces  Prairies, 
Que  si  les  faveurs 
Du  Dieu  des  Pasteurs 
Vous  gardent  d'outrag-cs. 
Et  vous  font  avoir 


{Poi 


Du  malin  au  soir 

De  gras  pâturages, 

J'en  conserverai 

Tant  que  je  vivrai 

La  douce  mémoire, 

Et  que  mes  Chansons 

En  mille  façons 

Porteront  sa  gloire; 

Du  rivage  heureux, 
Où  vif  et  pom])eux 
L'Astre  qui  mesure 
Les  nuits  et  les  jours, 
Commençant  son  cours, 
Rend  à  la  Nature 
Toute  sa  parure 
Jusqu'en  ces  climats, 
Où,  sans  doute  las 
Déclairer  le  monde, 
Il  va  chez  Thetis, 
Ralumer  dans  l'Onde 
Ses  feux  amortis. 

etc.,  Paris,  J.  Villetle,  1732. 


Janvier  1G93. 


NICOLAS   BOILEAU 

(1636-1711) 


On  ne  s'attend  guère  à  trouver  ici  une  biographie  du  critique 
encore  moins  un  éloge  du  poète.  Quelques  mots,  quelcjues  dates 
suffiront  à  notre  tâche.  Il  naquit  à  Paris,  de  Gilles  Boileau,  gref 
fier  de  la  Grand'Chambre  du  Parlement,  et  d'Anne  de  Nielle,  h 
!«■■  novembre  1636,  et  mourut  dans  cette  ville,  le  13  mars  1711. 

Son  enfance  fut  laborieuse,  au  dire  d'un  de  ses  biographes 
Un  coq  d'Inde  le  mutila,  si  l'on  en  croit  l'auteur  de  l'Annce  lit 
téraire.  A  l'âge  de  huit  ans  il  fallut  l'opérer.  Sa  mère  étan 
uiorte  et  son  perc  absorbé  dans  ses  affaires,  il  fut  abandonni 
■\  une  vieille  servante  qui  le  traita  avec  dureté.  La  fortune  lu 
fut  néanmoins  clémente.  Son  talent,  ce  talent  spécial  qui  li 
porta  à  se  railler  d'une  foule  d'auteurs  qu'il  connut  mal  et  qu'i 
morigéna,  faute  de  pouvoir  les  discipliner,  lui  valut  les  suffra- 
ges du  public  et  la  faveur  royale.  Les  deux  Académies,  «  la  fran 
<:oise  et  celle  des  inscriptions  et  belles-lettres  »,  lui  ouvriren 
tôt  leurs  portes,  et  Louis  XIV  le  gratifia  d'une  pension  d 
2,000  livres  et  du  titre  d'historiographe,  qu'il  partagea  avec  soi 
ami  Jean  Racine.  On  a  sur  lui  une  foide  danecdotes  plaisantes 
Les  plus  curieuses  se  trouvent  dans  les  Mémoires  sur  la  Vie  d 
Jean  Racine  par  son  fils  et  les  Notes  manuscrites  de  Brossettc 
conservées  à  la  Bibliothèque  nationale.  Quelques-unes  ont  trai 
à  son  enfance,  à  ses  amitiés  et  à  son  séjour  à  Âuteuil,  où  il  pos 
séda  pendant  longtemps  une  habitation  de  campagne.  Elle 
méritent  d'être  rapportées.  Louis  Racine  l'a  fait  naître  à  Crosn( 
près  Villoneuve-Saint-Georges.  «  Son  père,  dit-il,  y  avait  un 
maison  où  il  passait  tout  le  temps  des  vacances  du  Palais...  Pou 
le  distinguer  de  ses  frères  on  le  surnommait  Despréaux,  à  caus 
d'un  petit  pré  qui  était  au  bout  du  jardin...  Il  eut  à  souffrii 
dans  son  enfance,  l'opération  de  la  taille,  qui  fut  mal  faite,  e 
dout  il  lui  resta,  pour  toute  sa  vie,  une  très  grande  incommo 
dite.  On  lui  donna  pour  logement  dans  la  maison  paternelle  un 
guérite  au-dessus  du  grenier,  et  quelque  temps  après  on  l'e 
lit  descendre  parce  qu'on  trouva  le  moyen  de  lui  construire  u 
petit  cabinet  dans  ce  grenier,  ce  qui  lui  faisoit  dire  qu'il  avoi 
commencé  sa  fortune  par  descendre  au  grenier,  et, il  ajoutoi 


ILE-DE-FRANCE  4o7 

dans  sa  vieillesse  qu'il  n'accepteroit  pas  une  nouvelle  vie,  s'il 
falloit  la  commencer  encore  par  une  jeunesse  aussi  pénible.  La 
simplicité  de  sa  physionomie  et  do  sou  caractère  faisait  dire  à 
sou  père,  en  le  comparant  à  ses  autres  enfants  :  Pour  Colin,  ce 
sera  un  bon  garçon  qui  ne  dira  mal  de  personne.  Apres  ses  pre- 
mières études,  il  voulut  s'appliquer  à  la  jurisprudence  ;  il  suivit 
le  barreau,  et  mémo  plaida  une  cause  dont  il  se  tira  fort  mal... 
Il  n'ont  pas  l'ambition  d'aller  plus  loin;  il  quitta  le  Palais  et 
alla  en  Sorbonne;  mais  il  la  quitta  bientôt  par  le  même  dégoût. 
Il  crut,  comme  dit  M.  de  Boze  dans  son  Eloge  historique,  y  trou, 
ver  encore  la  chicane  sous  un  autre  habit.  Prenant  le  parti  de 
dormir  chez  un  greffier  la  grasse  matinée,  il  se  livra  tout  entier 
à  son  génie  qui  l'emportoit  vers  la  Poésio,  et  lorsqu'on  lui  re- 
,  présenta  que  s'il  s'altachoit  à  la  satire  il  se  feroit  des  ennemis 
■  qui  auroieut  toujours  les  yeux  sur  lui  et  ne  chorcheroient  qu'a 
le  décrier  :  «  Eh  bien,  répondit-il,  je  serai  honnête  homme,  et  je 
«  no  les  craindrai  point.  »  Comme  il  ne  vouloit  pas  faire  impri- 
mer ses  satires,  tout  le  monde  le  rocherchoit  pour  les  lui 
entendre  réciter.  Un  autre  talent  que  celui  do  faire  des  vers  le 
faisoit  encore  rechercher;  il  soavoit  contrefaire  ceux  qu'il  voïoil 
jusqu'à  rendre  parfaitement  leur  démarche,  leurs  gestes  et  leur 
ton  de  voix...  Il  faisoit.  ainsi  que  Molière  et  Racine,  de  perpé- 
tuelles réprimandes  à  Chapollo  sur  sa  passion  pour  le  vin.  Lo 
rencontrant  un  jour  dans  la  rue,  il  lui  on  voulut  parler.  Cha- 
pelle lui  répondit  :  «  J'ai  résolu  de  m'en  corriger;  je  sens  la 
«  vérité  de  vos  raisons  ;  pour  achever  de  me  persuader,  reutrou.s 
«  ici,  vous  me  parlerez  plus  à  votre  aise.  »  Il  le  fit  entrer  dan?, 
un  cabaret  et  demanda  une  bouleillo,  qui  fut  suivie  d'une  autre. 
Boileau,  en  s'animant  dans  son  discours  contre  la  passion  du 
vin,  buvoit  avec  lui,  jusqu'à  ce  qu'enfin  le  prédicateur  et  le  nou- 
veau converti  s'enyvrèront...  » 

Après  la  mort  de  Racine,  Boileau  ne  vint  que  rarement  à  la 
cour.  Il  passa  lo  reste  de  ses  jours  dans  la  retraite,  tantôt  §  la 
ville,  tantôt  à  la  campagne.  Dégoûté  du  monde,  il  no  faisait  plus 
de  visites  et  n'en  recevait  guère,  sinon  de  ses  derniers  amis.  Il 
laissa  en  mourant  une  partie  do  ses  biens  aux  pauvres. 

Les  principales  éditions  des  œuvres  de  Boileau  sont  celles 
de  Paris,  Baibin,  1674,  2  part,  en  1  vol.  in-S"  ;  Paris,  Thierry, 
1701,  2  vol.  in-12;  Amsterdam,  H.  Schelte  (A  la  sphère),  1702. 
2  vol.  pet.  in-S»;  Genève,  1716,  2  vol.  in-S»  (avec  des  éclaircis- 
sements par  Brossette)  ;  La  Haye,  Gosse  et  Noaulnie,  1718,  2  vol. 
in-foL;  La  Haye,  1722,  4  vol.  in-4«:  Paris,  David,  1747,5  vol. 
in-S»  (avec  des  remarques  par  Saint-Marc);  Paris,  Libr.  Asso- 
ciez, 1772,  5  vol.  in-8-';  Paris,  aux  dépens  do  la  Compaçruie,  1775^ 
iu-12;  Paris,  Crapelet,  1798,  in-4»;  Paris,  Didot.  1819.  2  voli 
in-fol.;  Paris,  Lefèvre,  1821  et  1824.  4  vol.  in-8»;  et  celle  don- 
née par  Berriat  Saint-Prix,  en   1830,  et   qui  résumait,   en  les 


438  LES  POÈTES  DU  TEKKOIR 

eotnplélant,  les  recherches  des  annotateurs'.  Les  Satires  de 
Nicolas  Boileau  ont  paru  pour  la  première  fois  à  Paris,  chez 
Billaine,  en  1666,  iu-12.  M.  Frédéric  Lachèvre  a  publié  récem- 
ment, d'après  un  manuscrit  en  sa  possession,  des  Commentaires 
de  Pierre  Le  Verrier  sur  cet  ouvrage,  avec  les  corrections  auto- 
graphes de  Despréaux.  Voyez  Les  Satires  de  Boileau  commen- 
tées par  lui-même,  etc.,  Le  Vésinet  (Seine-et-Oise),  1906,  in-8» 

BiBLiOGUAPiiiE.  —  Des  Maizeaux,  La  Vie  de  31.  Boilcau-Dcs- 
prcaux,  Amsterdam,  H.  Schelte.  1712,  in-12.  —  Montchcsnay 
BoUeana,  etc.,  Amsterdam,  L.  Honoré,  17'i2,  in-12.  —  Louis  Ra- 
cine, Mémoires  sur  la  Vie  de  Jean  Racine,  Lausanne,  Bousquet 
1747,  in-12. —  Berriat  Saint-Prix,  Essai  sur  B.,  suivi  de  Notice; 
bibliogr.,  éd.  des  Œui'res  de  B.,  Paris,  Langlois,  1830,  I.  —  Sainte- 
Beuve,  Premiers  Lundis,  nouv.  édit.,  etc.  —  G.  Lanson,  Boileau 
Paris.  Hachette,  1892,  in-12.  —  Vicomte  de  Grouchy,  Testa- 
ment de  N.  Boileau,  etc.,  Bulletin  de  la  Soc.  de  Vllist.  de  Paris., 
1889.  —  Documents  relatifs  à  Boileau  et  à  sa  famille,  Bulletin 
du  Bibliophile,  1893.  —  Revillout,  La  Légende  de  Boileau,  Re- 
vue des  langues  romanes,  1890-1895.  —  Correspondance  entn 
Boileau-Despréaux  et  Brossctte,  publ.  par  A.  Laverdet,  Paris 
Techener,  1858,  in-8<>;  —  F.  Lachèvre,  Bibliogr.  des  recueils  col- 
lect.  de  poésies,  IdOI-1100,  t.  111,  etc. 


LES    EMBARRAS   DE    PARIS 

Qui  frappe  l'aii",  bon  Dieu!  de  ces  lugubres  crjs.^ 
Est-ce  donc  pour  veiller  qu'on  se  couche  à  Paris.' 
Et  quel  fâcheux  démon,  durant  les  nuits  entières, 
Rassemble  ici  les  chats  de  toutes  les  g-outtières .' 
J'ai  beau  sauter  du  lit,  plein  de  trouble  et  d'effroi, 
Je  pense  qu'avec  eux  tout  l'enfer  est  chez  moi  : 
L'un  miaule  en  grondant  comme  un  tigre  en  furie, 
L'autre  roule  sa  voix  comme  un  enfant  qui  crie. 
Ce  n'est  pas  tout  oncor  :  les  souris  et  les  rats 
Semblent,  pour  m'éveiller,  s'entendre  avec  les  chats, 
Plus  importuns  pour  moi,  durant  la  nuit  obscure, 
Que  jamais,  en  plein  jour,  ne  fut  l'abbé  de  Pure. 
Tout  conspire  à  la  fois  ù  troubler  mon  repos, 

i,  Vovc/  en  outre  :  Œuvres  poétiques,  jjuhliées  par  E.  BruncLièrc 
Paris,  llaclieltc,  1889,  in-S»,  et  1893,  p.  iu-18. 


ILE-DE-FRANCE 


439 


Et  je  me  plains  ici  du  moindre  de  mes  maux  : 

Car  à  peine  les  coqs,  commençant  leur  ramage, 

Auront  de  cris  aigus  frappé  le  voisinage, 

Qu'un  affreux  serrurier,  laborieux  Vijlcain, 

Qu'éveillera  bientôt  l'ardente  soif  du  gain. 

Avec  un  fer  maudit,  qu'à  grand  bruit  il  apprête, 

De  cent  coups  de  marteaux  me  va  fendre  la  tète. 

J'entends  déjà  partout  les  charrettes  courir, 

Les  maçons  travailler,  les  boutiques  s'ouvrir  : 

Tandis  que  dans  les  airs  mille  cloches  émues. 

D'un  funèbre  concert  font  retentir  les  nues; 

Et,  se  mêlant  au  bruit  de  la  grêle  et  des  vents. 

Pour  honorer  les  morts,  font  mourir  les  vivans. 

Encor  je  bénirois  la  bonté  souveraine, 

Si  le  ciel  à  ces  maux  avoit  borné  ma  peine; 

Mais  si  seul  en  mon  lit  je  peste  avec  raison, 

C'est  encor  pis  vingt  fois  en  quittant  la  maison  : 

En  quelque  endroit  que  j'aille,  il  faut  fendre  la  presse 

D'un  peuple  d'importuns  qui  fourmillent  sans  cesse. 

L'un  me  heurte  d'un  ais  dont  je  suis  tout  froissé; 

Je  vois  d'un  autre  coup  mon  chapeau  renversé. 

Là,  d'un  enterrement  la  funèbre  ordonnance. 

D'un  pas  lugubre  et  lent  vers  l'église  s'avance  ; 

Et  plus  loin  des  laquais  l'un  l'autre  s'agaçans, 

Font  aboyer  les  chiens  et  jurer  les  passans. 

Des  paveurs  en  ce  lieu  me  bouchent  le  passage. 

Là,  je  trouve  une  croix  de  funeste  présage, 

Et  des  couvreurs,  grimpés  au  toit  d'une  maison,     « 

En  font  pleuvoir  l'ardoise  et  la  tuile  à  foison. 

Là,  sur  une  charrette  une  poutre  branlante 

"Vient  menaçant  de  loin  la  foule  qu'elle  augmente; 

Six  chevaux  attelés  à  ce  fardeau  pesant 

Ont  peine  à  l'émouvoir  sur  le  pavé  glissant. 

D'un  carrosse  en  tournant  il  accroche  une  roue, 

Et  d'un  choc  le  renverse  en  un  grand  tas  de  boue  : 

Quand  un  autre  à  l'instant  s'efforçant  de  passer. 

Dans  le  même  embarras  se  vient  embarrasser. 

Vingt  carrosses  bientôt  arrivant  à  la  file, 

Y  sont  en  moins  de  rien  suivis  de  plus  de  mille; 

Et  pour  surcroît  de  maux,  un  sort  malencontreux 

Conduit  en  cet  endroit  un  grand  troupeau  de  bœufs. 


440 


LES    POETES    DU    TERROIR 


Chacun  prétend  passer;  l'un  mugit,  l'autre  jure; 

Des  mulets  en  sonnant  augmentent  le  murmure. 

Aussitôt  cent  chevaux  dans  la  foule  appelés, 

De  l'embarras  qui  croît  ferment  les  défilés, 

Et  par-tout  des  passans  enchaînant  les  brigades, 

Au  milieu  delà  paix  font  voir  les  barricades. 

On  n'entend  que  des  cris  poussés  confusément  : 

Dieu,  pour  s'y  faire  ouïr,  tonneroit  vainement. 

Moi  donc,  qui  dois  souvent  on  certain  lieu  me  rendre 

Le  jour  déjà  baissant,  et  qui  suis  las  d'attendre, 

Ne  sachant  plus  tantôt  à  quel  Saint  me  vouer, 

Je  me  mets  au  hasard  de  me  faire  rouer. 

Je  saute  vingt  ruisseaux,  j'esquive,  je  me  pousse; 

Guénaud  sur  son  cheval  en  passant  m'éclabousse  : 

Et  n'osant  plus  j^aroître  en  l'état  où  je  suis, 

Sans  songer  où  je  vais,  je  me  sauve  où  je  puis. 

Tandis  que  dans  un  coin,  en  grondant  je  nVessuie, 

Souvent  pour  m'achever,  il  survient  une  pluie  : 

On  diroit  que  le  ciel,  qui  se  fond  tout  en  eau. 

Veuille  inonder  ces  lieux  d'un  déluge  nouveau. 

Pour  traverser  la  rue  au  milieu  de  l'orage, 

Un  ais  sur  deux  pavés  forme  un  étroit  passage; 

Le  plus  hardi  laquais  n'y  marche  qu'en  tremblant  : 

Il  faut  pourtant  passer  sur  ce  pont  chancelant; 

Et  les  nombreux  torrens  qui  tombent  des  gouttières, 

Grossissant  les  ruisseaux,  en  ont  fait  des  rivières. 

J'y  passe  en  trébuchant;  mais,  malgré  l'embarras, 

La  frayeur  de  la  nuit  précipite  mes  pas. 

Car  si-tôt  que  du  soir  les  ombres  pacifiques 

D'un  double  cadenas  font  fermer  les  boutiques  ; 

Que,  retiré  chez  lui,  le  paisible  marchand 

Va  revoir  ses  billets  et  compter  son  argent; 

Que  dans  le  Marché-Neuf  tout  est  calme  et  tranquille, 

Les  voleurs  à  l'instant  s'emparent  de  la  ville. 

Le  bois  le  plus  funeste  et  le  moins  fréquenté 

Est,  au  prix  de  Paris,  un  lieu  de  sûreté. 

Malheur  donc  à  celui  qu'une  affaire  imprévue 

Engage  un  peu  trop  tard  au  détour  d'une  rue 

Bientôt  quatre  bandits  lui  serrant  les  côtés  : 

La  bourse!...  il  faut  se  rendre;  ou  bien  non,  résiste: 

Afin  que  votre  mort,  de  tragique  mémoire, 


ILE-DE-rRA.NCE 


441 


Des  massacres  fameux  aille  grossir  l'histoire. 

Pour  moi,  fermant  ma  porte,  et  cédant  au  sommeil, 

Tous  les  jours  je  me  couche  avecque  le  soleil  : 

Mais  en  ma  chambre  à  peine  ai-je  éteint  la  lumière 

Qu'il  ne  m'est  plus  permis  de  fermer  la  paupière. 

Des  filoux  effrontés,  d'un  coup  de  pistolet, 

Ebranlent  ma  fenêtre  et  percent  mon  volet  : 

J'entends  crier  partout  :  Au  meurtre!  on  m'assassine! 

Ou  :  Le  feu  vient  de  prendre  à  la  maison  voisine! 

Tremblant  et  demi-mort,  je  me  levé  à  ce  bruit. 

Et  souvent  sans  pourpoint  je  cours  touto  la  nuit. 

Car  le  feu,  dont  la  flamme  en  ondes  se  déploie, 

Fait  de  notre  quartier  une  seconde  Troie, 

Où  maint  Grec  affamé,  maint  avide  Argien, 

Au  travers  des  charbons  va  piller  le  Troyen. 

Enfin  sous  mille  crocs  la  maison  abîmée 

Entraîne  aussi  le  feu  qui  se  perd  en  fumée. 

Je  me  relire  donc,  encor  pâle  d'effroi, 

Mais  le  jour  est  venu  quand  je  rentre  chez  moi. 

Je  fais  pour  reposer  un  effort  inutile   : 

Ce  n'est  qu'à  prix  d'argent  qu'on  dort  en  celte  ville. 

Ilfaudroit,  dans  l'enclos  d'un  vaste  logement. 

Avoir  loin  de  la  rue  un  autre  appartement. 

Paris  est  pour  un  riche  un  pays  de  Cocagne  : 

Sans  sortir  de  la  ville,  il  trouve  la  campagne  : 

Il  peut  dans  son  jardin,  tout  peuplé  d'arbres  verds, 

Receler  le  printems  au  milieu  des  hivers; 

Et,  foulant  le  parfum  de  ses  plantes  fleuries, 

Aller  entretenir  ses  douces  rêveries. 

Mais  moi,  grâce  au  destin,  qui  n'ai  ni  feu  ni  lieu, 

Je  me  loge  ovi  je  puis,  et  comme  il  plaît  à  Dieu. 

{Satires  de  Boilenu  Despreaax.) 


BERTHOD 

(xvii«  siècle) 


Quel  est  en  réalité  l'auteur  de  ce  poème  singulier,  La  Vil 
de  Paris  en  vers  burlesques,  qui  fut  publié  pour  la  preraièi 
fois  en  1652,  sous  le  nom  du  sieur  Berthod,  et  par  la  suite  soi 
celui  de  Berthaud?  Longtemps  on  put  croire,  après  VioUet-h 
Duc,  que  ce  fut  le  neveu  du  célèbre  évoque  de  Séez  (Jean  Bei 
tant),  frère  puîné  de  M-°  de  Motteville),  écrivain  médiocre  i 
plein  de  vanité,  que  l'on  distinguait  à  la  cour,  par  le  nom  c 
Bertaud  Yincommode,  d'un  musicien  que  M™«  de  Longuevil! 
avait  surnommé  Berthaud  l'incommodé.  Fort  heureusement 
Bibliophile  Jacob,  au  début  de  son  plaisant  recue'û  Paris ridicii 
et  burlesque  (Paris,  Ad.  Delahays,  1859,  in-12),  a  pris  soin  d't 
claircir  cette  énigme  littéraire. 

«  II  est  assez  singulier,  écrit-il,  que  l'auteur  d'un  poème  qui 
été  réimprimé  plus  de  dix  fois  soit  absolument  inconnu  ;  les  bii 
graphes  l'ont  passé  sous  silence;  labbé  Goujet  lui-même,  toi. 
jours  si  bien  informé,  ne  l'a  pas  même  cité  dans  la  Bibliothcqi 
française.  Nous  avions  cru  devoir  conclure  de  cette  absenc 
complète  de  renseignements  sur  ce  poète,  que  son  nom,  écr 
de  différentes  manières,  n'était  qu'un  pseudonyme.  Nous  étiot 
même  disposé  à  reconnaître  sous  ce  pseudonyme  François  Co 
letet,  qui  n'a  voulu  faire  que  la  Seconde  partie  de  la  Ville  t 
Paris,  en  composant  son  Tracas  de  Paris  dans  le  même  sty' 
et  le  même  goût  que  le  poème  burlesque  de  Berthod...  Mais,  r 
dépit  des  analogies  de  naïveté  ou  même  de  platitude  qui  exif 
teut  dans  la  poésie  triviale  et  prosaïque  de  Berthod  et  de  Col 
letet,  nous  avons  fini  par  nous  persuader  que  ces  deux  uoms- 
représentaient  bien  deux  poètes  différents  et  qu'il  fallait  laiss. 
à  Berthod  ce  que  nous  voulions  donner  à  Collelet,  car  Bcrlho 
a  fait  acte  d'individualité  poétique,  en  faisant  paraître  un  auti 
poème  que  celui  de  la  Ville  de  Paris  ;  ce  poème,  moins  bitrleF 
que  sans  doute  que  le  premier,  porte  pour  titre  :  Histoire  de  i 
Passion  de  Jésus-Christ,  Paris  (J.-B.  Loyson,  1655,  in-12). 

«  L'autour  de  la  Passion  de  Jésus-Christ  en  vers  français  ù'. 
indul)ital)lement  l'auteur  de  la  Ville  de  Paris  en  vers  burlesques. 
On  peut  donc  établir  avec  certitude  que  le  dernier  poèmo  a  cl 
rimé,  comme  le  précédent,  par  le  père  Berthod,  cordolicr.  » 


ILE-DK-FKAKCE  443 

Ceci  établi,  donnons  ici,  en  l'empruntant  à  P.uii  i..u  iwi\,  une 
ourto  bibliographie  do  ce  livre  rarissime.  «  La  première  cdi- 
ion  de  la  Ville  de  Paris,  dont  le  privilèj;e  est  délivré  au  sieur 
îerthod,  à  la  date  du  5  aoîkt  1650,  avait  vu  le  jour  chez  J.-H.  Loy- 
onetsa  mère,  veuve  do  Guillaume  Loyson,  en  1052  (l  vol.in-io). 
Ule  fut  réimprimée  l'année  suivante.  Ce  poème  burlesque, 
out  mal  écrit  qu'il  soit,  eut  un  si  grand  succès,  que  la  veuve 
t  le  fils  aîné  de  Guillaume  Loyson  le  réimprimèrent  idonlique- 
lent  encore  en  1G55,  et  que  les  El/.eviers  no  dédaignèrent  pas 
e  le  contrefaire  en  mettant  le  nom  de  l'auti'ur  sur  le  titre  ainsi 
onçu  :  Description  de  la  Ville  de  Paris  en  vers  burlesques  (jouxte 
1  copie  à  Paris,  1654,  petit  in-12).  Cet  ouvrage,  dont  il  y  eut 
es  éditions  in-12,  pul)liées  par  Jean-Baptiste  Loyson,  on 
658,  en  1660,  et  par  Antoine  Raflé,  en  1665,  trouva  plus  de  lec- 
eurset  d'acheteurs  que  V Histoire  de  la  Passion  de  Jésus-Christ, 
[ue  les  Loyson  avaient  pourtant  réimprimée  en  1600.  »  Par  la 
uite,  la  Bibliothèque  Bleue  de  Troyes  s'empara  de  ce  poème, 
[ue  nous  trouvons  dans  un  catalogue  sous  la  marque  de  la  veuve 
)udot  (Paris  [sic],  1699,  iu-12),  et  en  donna  un  grand  nombre  d'é- 
,  litions  populaires. 

j  On  a  tout  lieu  de  croire  que  Berthod  mourut  avant  l'année 
!  665.  Son  ouvrage  lui  a  survécu  comme  un  amusant  témoignage 
I  les  mœurs  et  des  usages  d'un  temps  oii  l'esprit  parisien  ne  s'é- 
j  ait  point  corrompu. 

!  Le  Bibliophile  Jacob  a  réimprimé  La  Ville  de  Paris  dans  son 
j  ecueil  Paris  ridicule  et  burlesque  au  dix-septième  siècle. 

BlBLiOGRAPiiiiî. —  P.-L.  Jacob,  Avertissement  h  l'éd.  de  Paris 
idicule  et  burlesque,  Paris,  Delahays,  1859,  in-12. 


LES    FILOUTERIES    DU    POXT.NEUF< 

Sois-je  pendu  cent  fois  sans  corde, 
Si  jamais  plus  je  vais  chez  vous, 
Maistresse  Ville  des  Filoux, 
Et  si  je  me  mets  plus  en  peine 
D'aller  voir  la  Samaritaine, 
Le  Pont-Neuf,  et  ce  grand  Cheval 
De  bronze,  qui  ne  fait  nul  mal, 
Tousjours  bien  net,  sans  qu'on  l'estrille 
(Dieu  me  damne  s'il  n'est  bon  drille!)  : 
Touchez-Ic  tant  qu'il  vous  plaira, 
Car  jamais  il  ne  vous  mordra  : 


LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Jamais  ce  Cheval  de  parade 
N'a  fait  morsure  ny  ruade. 

Vous,  rendez-vous  de  charlatans, 

De  filoux,  de  i:)asse-volans, 

Pont-Neuf,  ordinaire  théâtre 

De  vendeurs  d'onguent  et  d'emplastre, 

Séjour  des  arracheurs  de  dents, 

Des  Fripiers,  Libraires,  Pedans, 

Des  Chanteurs  de  chansons  nouvelles, 

D'entremetteurs  de  Damoiselles, 

De  Coupe-bourses,  d'Argotiers, 

De  Maistres  de  sales  mestiers 

D'Operateurs  et  de  Chymiques, 

Et  de  Médecins  spagiriques, 

De  fins  joueurs  de  gobelets, 

De  ceux  qui  rendent  des  poulets. 

«  J'ay,  Monsieu,  de  fort  bon  remède, 
Vous  dit  l'un  (jamais  Dieu  ne  m'ayde!), 
Pour  ce  mal  là  que  vous  sçavez  ? 
Croyez-moy,  Monsieu,  vous  pouvez 
Vous  en  servir  sans  tenir  chambre. 
Voyez,  il  sent  le  musc  et  l'ambre  : 
C'est  du  mercure  préparé. 
Et  jamais  Ambroise  Paré 
Ne  bailla  remède  semblable.  » 

—  «  Cette  chanson  est  agréable. 
Dit  l'autre,  Monsieu,  pour  un  sou!  » 

—  «  La  hé  !  mon  manteau,  ha,  filou! 
Au  voleur,  au  tireur  de  laine!  » 

—  «  Hé!  mon  Dieu,  la  Samaritaine, 
Voyez  comme  elle  verse  l'eau. 

Et  cet  Horloge,  qu'il  est  beau! 
Escoute,  escoute  comme  il  sonne  : 
Dirois-tu  jjas  qu'on  carillonne  ? 
Regarde  un  peu  ce  jacquemard  : 
Teste-bleu,  qu'il  fait  le  monard! 
Tien,  tien,  ma  foy,  aga,  regarde, 
11  est  fait  comme  la  Guimbarde, 
Pardy,  c'est  pour  estre  estojinez! 
Il  frappe  l'heure  avec  le  nez,  » 


ILE-DE-FKA.J;CE 


445 


Voyons  ces  lireui's  à  la  blanque, 

Qui  pour  ornement  de  leur  banque 

Ont  quatre  ou  cinq  gros  marmousets 

Plantez  dessus  des  tourniquets, 

ïenans  eu  main  une  escritoire, 

Faite  de  bois,  d'os  ou  d'yvoire, 

Un  peigne  de  plomb,  un  miroir 

Garny  de  papier  jaune  et  noir, 

Des  chausse-pieds,  des  esguillettes, 

Des  cousteaux  pliants,  des  lunettes, 

Un  esluy  de  peigne,  un  cadran, 

Barbouillez  avec  du  saffran; 

De  vieilles  Heures  Nostre-Dame 

A  l'usage  d'homme  et  de  femme. 

Moitié  françois,  moitié  latin  ; 

De  -vieilles  roses  de  salin  ; 

Un  fusil'  garny  d'allumettes. 

Deux  ou  trois  vieilles  savonnettes 

Une  tabaquiere  de  bois, 

Une  visse  à  casser  des  nois. 

Un  petit  marmouset  d'albàstre, 

Des  gans  blanchis  avec  du  piastre, 

Un  meschant  chappeau  de  castor, 

Garny  d'un  cordon  de  faux  or. 

Une  fluste,  un  tambour  de  Basque, 

Un  vieux  manchon,  un  meschant  masque, 

«  Çà,  messieurs,  mettez  au  hazard! 

On  tire  deux  fois  pour  un  liard 

(Dit  ce  coquin,  dans  sa  boutique, 

Vestu  d'un  habit  à  l'antique. 

Qui  peste  contre  les  passans 

De  ce  qu'il  n'a  point  de  marchansj  î 

Pour  un  sou,  vous  aurez  six  balles  ! 

Dit  ce  marchand  d'estuis  de  balles  ; 

A  moy,  Monsieu!  Qui  veut  tirei", 

Avant  que  de  me  retirer? 

Çà,  chalans,  hazard  à  la  blanque  : 

De  trois  coups  personne  ne  manque!  » 

[La  Ville  de  Paris  en  uers  burlesqu  es 
éd.  de  1859.) 
1.   Biiqucl. 


LE   SAVOYARD 


XVII"     SIECLE 


Quel  était  ce  chansonnier  parisien  connu  au  xyii»  siècle  sous 
le  nom  du  Savoyard?  Où  était-il  né  ?  Nous  l'ignorons.  Son  père 
avait  été,  comme  lui,  clianteur  des  rues.  On  croit  qu'il  s'appelait 
Philippot  et  qu'on  le  surnommait  le  Capitaine  Savoyard.  L'épo- 
que de  sa  naissance  est  inconnue,  mais  il  était  vivant  en  1653, 
puisqu'il  lit  la  rencontre  de  Dassoucy  sur  la  Saône  et  lui  dit 
entre  autres  choses  :  «  Je  m'appelle  Philippot,  à  votre  service, 
autrement  le  Savoyard,  et  si  vous  passez  jamais  sur  le  Pont- 
Neuf,  c'est  sur  les  degrés  de  ce  pont  que  vous  verrez  mon  Par- 
nasse; le  cheval  de  bronze  est  mon  Pégase,  et  la  Samaritaine  la 
fontaine  de  mon  Hélicon.  »  Après  quoi  il  donna  à  Dassoucy  un 
recueil  de  ses  chansons.  Ce  dernier,  pour  ne  pas  être  en  reste  de 
politesse  avec  lui,  s'empressa  de  lui  oH'rir  un  écu,  qu'il  accepta 
aussitôt  avec  reconnaissance.  Us  se  séparèrent  peu  de  temps 
après.  Ce  nouvel  Orphée,  selon  sa  propre  expression,  ne  de- 
meurait pas  toujours  au  même  endroit.  Comme  son  inlirmité 
nécessitait  un  guide,  tantôt  on  le  rencontrait  avec  un  invalide, 
tantôt  avec  une  femme,  ou  bien  de  jeunes  garçons  qu'il  faisait 
chanter  avec  lui.  On  ne  sait  pas  s'il  s'accompagnait  de  quelque 
instrument;  pourtant  cela  est  possible,  puisqu'il  composait  les 
airs  de  ses  couplets.  C'est  tout  ce  qu'on  sait  <1(;  sa  personne. 

Les  cliansons  du  Savoyard,  bien  que  souvent  grossi^-res  et 
libres,  ne  manquent  pas  d'esprit,  tout  au  moins  de  ce  gros  sol 
qui  en  tient  lieu  près  des  gens  du  commun.  Des  contestations 
se.  sont  élevées  au  sujet  de  leur  authenticité,  mais  il  est  assez 
peu  douteux  que  bon  nombre  d'entre  elles,  et  des  plus  savou- 
reuses, lui  appartiennent  en  propre.  Les  autres  se  retrouve- 
raient dans  des  recueils  anonymes,  antérieurs  à  son  époque. 
Nées  d'une  inspiration  populaire,  elles  ont  di'i  circuler  tout  d'a- 
bord sous  forme  de  feuilles  volantes  ou  do  nunces  cahiers  des- 
tinés à  être  vendus  dans  les  rues,  et  ensuite  être  réunies  en 
volumes.  Il  en  existe  quatre  éditions  :  Recueil  gcncral  des  Chan- 
sons du  capitaine  Savoyard  par  lui  seul  chantées  dans  Paris, 
Paris,  Jean  Promé,  1C45,  in-12;  Ilecucil  nouveau  des  Chansons 
du  Savoyard,  etc.,  Paris,  veuve  J.  Promé,  16")6,  in-12;  ibid., 
1661  et  166.5,  in-12.  Elles  ont  été  réimprimées  à  cent  exemplai- 
res, à  Paris,  par  Jules  Gay,  en  1862  (un  vol.  in- 12). 


ILE-DE-FRANCE  447 

BlBLloORAPiiiE.  —  Dassoucy,  Aventures  burlesques,  Paris, 
Delahays,  1858,  in-12.  —A.  Percheron,  Ai'ant-Propos  au  Recueil 
des  Chansons  du  Savoyard,  édit.  de  1862. 


REMONTRANCE    AUX    DAMES 

DE    NOUVELLE  IMPRESSION 

Tous  les  maux,  compère  supplice, 
Que  l'on  voit  en  ce  siècle  icy, 
Proviennent  du  peu  de  soucy 
Qu'on  a  de  régler  la  police 
Et  les  grandes  confusions 
Qui  sont  dans  les  conditions. 
Vois-tu  pas  comme  ces  bourgeoises 
Disputent  pour  le  pas  devant, 
Dont  le  cœur  tout  remply  de  vent 
Leur  cause  à  toute  heure  des  noises  ? 
Il  faudroit  bien  des  parleniens 
Pour  leur  faire  des  reglemens. 

Badautes,  pites,  singessos 
Qui  voulez  imiter  les  grands. 
Et  qui  voulez  prendre  des  gants; 
Comme  l'on  en  demande  aux  princesses, 
Le  fouet,  le  fouet,  sottes  guenons. 
Qui  voulez  déguiser  vos  noms. 

Souper  de  jour,  c'est  chose  vile, 

Et  n'est  pas  de  condition; 

De  vivre  sans  affection, 

C'est  pour  les  niaises  de  la  ville; 

Les  gens  réglez  sont  parmy  vous 

Reputez  des  sots  ou  des  fous. 

Si  qualitez  de  damoiselles 
Par  noblesse  vous  peut  venir, 
Qui  sçavez  bien  vous  y  tenir. 
Sans  vous  eschapper  ainsi  d'elle, 
Et  vous  croistre  il  est  superflus, 
Car  damoiselle  est  votre  plus. 


LES    POETES    DU    TERROIR 

Baste  toutesfois  qu'on  vous  dame, 

Puis  que  cliacune  a  son  pion, 

Mais  s'il  n'est  pas  bon  champion, 

Il  n'a  qu'à  chercher  autre  dame, 

Car  qui  ne  vous  dame  souvent 

A  votre  esgard  est  peu  scavant. 

Tous  faites  les  Reines  Gilettes 

Et  vous  tranchez  Dieu  sçait  comment 

Des  grand'dames  de  parlement, 

Vous  qui  n'êtes  que  des  muguettes, 

Pour  peu  qu'on  vous  regarde  au  nez 

L'on  voit  le  lieu  d'où  vous  venez. 

Songez,  bien,  nouvelles  coquettes, 

Au  petit  morceau  de  velours 

Que  vous  portiez  il  y  a  trois  jours 

Dessus  vos  testes  girouettes. 

Mille  gens  se  sont  estonnez. 

De  le  revoir  sur  vostre  nez. 

De  plus,  il  A^ous  faut  le  carosse. 

Pour  quinze  ou  seize  mille  escus, 

Qu'on  apporte  aux  pauvres  cocus. 

Que  n'est-il  quelqu'un  qui  vous  rosse  ! 

Allez  à  pied,  beaux  nez  friquets. 

Vos  pères  y  vont  en  laquais. 

Que  de  jonsnes  non  commandez, 

L'on  voit  chez  vous  de  tous  costez 

Le  cocher  fair  grise  mine. 

Et  tout  un  chacun  vous  rechinc. 

Les  valets  de  vostre  maison 

Sont  plus  secs  que  n'est  un  tison. 

Si  par  hazard  cecy  vous  touche. 
Discrètes,  ce  n'est  pas  pour  vous, 
Ny  pour  un  esprit  humble  et  doux. 
Qui  se  sent  morveuse  se  mouche, 
C'est  pour  celle  de  qui  l'ardeur 
Se  consomme  après  la  grandeur. 

[Recueil  nouveau  des  Chansons  du  Savoyard 
par  luy  seul  chantées  dans  Paris,  Paris, 
veuve  J.  Promé,  1665.) 


VION   DALIBRAY 

(XVII"   SIÈCLF,) 


Charles  de  Vion,  sieur  de  Dalibray,  naquit  vers  1600  et  mou- 
iitpeu  après  1650.  «  Ce  fut,  selon  Gotijet,  un  de  ces  poètes  qui 
loivent  presque  tout  à  leur  génie.  Il  étoit  Parisien,  fils  d'un 
:  iiiditeur  à  la  Chambre  des  Comptes  et  frère  de  M™«  de  Saintot 
'  I  qui  Voiture  a  adressé  plusieurs  do  ses  lettres.  Bru/en  de  la 
ilartinière  dit  qu'il  ressembloit  à  Diogène  par  bien  des  en- 
I  h'oits.  » 

Il  avait,  croit-on,  porté  les  armes  dans  sa  première  jeunesse, 
ion  sans  quoique  dégoût,  puisqu'il  quitta  cet  état  pour  la  cul- 
tire  des  Muses,  l'entretien  des  dames  galantes  et  la  fréquenta- 
ion  des  «  goinfres  ».  Ami  de  Faret,  de  Saiut-.Amant  et  de  tous 
L'S  «  satyriques  »  de  sou  temps,  c'était  un  gros  homme  fort 
éjoui,  débauché  et  «  bon  biberon  ».  La  poésie  lui  fut  moins  un 
■rétexte  de  gloire  qu'une  matière  à  franche  raillerie.  Il  laissa, 
n  même  temps  que  des  pièces  de  théâtre  et  des  traductions 
.'auteurs  italiens  et  espagnols,  deux  recueils  de  vers  :  La  Mu- 
ette, D.  S.  D.  (Paris,  Toussainct  Quinct,  1647,  in-12);  Les  Œuvres 
oétiques  du  sieur  Dalibray,  etc.  (Paris,  Ant.  de  Sommaville 
3U  Jean  Guignard],  1653,  in-8").  L'uij  et  l'autre  de  ces  ouvrages 
émoignent  d'une  même  source  d'originalité  et  de  bonne  humeur. 
Is  renferment  tout  à  la  fois  des  vers  bachiques ,  satirique% 
;  moureux,  moraux  et  chrétiens,  soit,  pour  parler  plus  claire- 
I  lent,  des  sonnets,  des  stances,  des  épigrammes,  où  l'ironie,  le 
i  on  sens  narquois,  ne  le  cèdent  en  rien  à  une  sorte  d'éloquence 
oluptueuse... 

Nous  avons  donné  récemment  une  réimpression  des  meil- 

3urs  vers  de  Dalibray;  voyez  :  Poètes  d'autrefois.  Œuvres  pné- 

•ques  du  sieur  de  Dalibray,  publ.  sur  les  éd.  originales,  avec  une 

)  otice,  des  notes  historiques  et  critiques  et  des  pièces  justificatives 

! 'aris,  Sansot,  1906,  in-18). 

Bibliographie.  —  Ad.  van  Bever,  Un  Poète  de  cabaret  au  dix- 
zptièmc  siècle,  notice  publiée  entête  des  Œuvres  poétiques,  etc., 
'aris.  190G,  in-18. 


4^0  LES    POÈTES    DU    TERROIR 


L'AUBERGE 

Pailleur',  est-il  honteux  de  manger  et  de  boire? 

Il  faut  que  de  mon  sort  je  te  conte  lliistoire; 

Je  t'aime,  tu  le  scais,  et  j'aime  Luxembourg, 

Et  je  nay  sceu  trouver  dans  tout  nostre  fauxbourg, 

Où  je  pourrois  loger  pour  un  temps  ma  personne 

Que  dans  un  Cabaret;  que  ce  mot  ne  t'estonne, 

Il  en  a  bien  le  nom,  mais  non  pas  tout  l'effet  : 

Ce  fut  de  vray  jadis  un  Cabaret  parfait, 

Le  Riche  Laboureur^,  nul  vivant  ne  l'ignore, 

Et  du  pain  et  du  vin  on  y  fournit  encore 

Avec  le  saucisson  et  cervelas  salé, 

Poulains  par  qui  le  vin  dans  nous  est  avalé; 

Mais  c'est  tout,  et  cela  dans  une  salle  basse 

Qui  frémit  d'un  bruit  sourd  que  fait  la  populace  : 

Or,  dessus  cette  salle  est  mon  appartement 

Où  j'entre  toutefois  assez  ouvertement 

Par  une  porte  à  part  et  par  une  montée 

Qui  de  pas  un  Beuveur  n'est  jamais  fréquentée. 

Quelquefois  dans  ma  chambre,  ou  dans  mon  Cabiii. 

Je  médite  à  grands  pas  ou  t'escris  un  Sonnot, 

Quand  j'entends  tout  à  coup  quelque  gueule  profan- 

Qui  crie  à  plein  gosier  :  A  la  Nopce  de  Jeanne, 

Cette  Nopce  de  C/iien^,  ou  quelque  autre  chanson 

Qui  renverse  mes  vers  d'une  estrange  façon. 

Il  me  semble  d'abord  que  c'est  dans  ma  Cuisine 

Qu'on  mené  tant  de  bruit,  et  d'une  ame  mutine. 

Je  donne  un  coup  de  pied  pour  faire  le  hola. 

A  peine  suis-je  à  moy  revenu  que  voilà 

Un  valet  qui  me  sers  de  qnoy  faire  carousse; 

"Vin  blanc  ou  vin  clairet,  liqueur  piquante  ou  douce. 

Voudrois-je  avecques  toy  trancher  icy  du  fin? 

Un  Poëte  jamais  n'est  ennemy  du  vin, 

1.  Ami  de  Pascal,  de  Voiliiro  et  do  Daliliray. 

'.i.  Cabaret  situé  près  de  la  foire  Sainl-Gcniiain. 

:<.  Chanson  gaillarde  du  l'onl-.Neuf.  On  peul  la  lire  dans  le  Ilecimt 
nouveau  îles  ('hansons  ilu  Sm'oi/nrd,  par  lut/  spid  chantées  dans 
J'aris(\  Taris,  clie/ la  veuve  Jean  rroim''.  l'Hii.  in-li^ 


ILE-DE-FRANCE  451 

Et  je  n'habite  pas  en  ce  lieu  de  franchise, 

Ainsi  qu'un  Huguenot  près  d'une  belle  Eglise  : 

Je  m'appaise,  je  ris,  je  bois  cinq  ou  six  coups 

De  Tin  blanc  ou  clairet,  de  vin  vieux  ou  vin  doux  : 

Alors  il  me  souvient  de  ce  traîneur  d'ospée, 

Cet  heureux  Fanfaron  que  l'on  nomma  Pompée, 

Qui  d'un  seul  coup  de  pied  de  cent  mille  soudars 

Devoit  faire  frémir  la  campagne  de  Mars. 

Et  je  tiens  ma  fortune  à  la  sienne  pareille 

De  faire  au  moindre  bruit  paroistre  une  bouteille, 

Car  comme  on  ne  void  point  de  mal  sans  quoique  bien 

Et  comme  d'un  garçon  l'ordinaire  n'est  rien, 

De  la  Chambre  où  je  suis,  j'ay  ce  grand  avantage 

Que  quand  le  mauvais  temps  nous  menace  d'orage, 

Ou  que  le  trop  grand  froid  m'attache  auprès  du  feu, 

Je  n'ay  pour  boire  un  coup  qu'à  coigner  quelque  peu  : 

Ou  s'il  faut  que  parfois  j'arrive  de  la  ville 

Crotté  jusques  au  [dos]  (comme  il  est  très  facile), 

Pour  me  reconforter  je  n'ai  qu'à  dire  un  mot, 

On  apporte  après  moi  pinte,  pain  et  fagot; 

Mais  quand  il  fait  beau  temps,  le  logis  ne  m'arroste, 

Car  boire  tousjours  seul,  ce  seroit  vivre  en  beste  : 

Je  quitte  donc  ma  chambre  avec  intention 

D'aller  au  lieu  voisin  manger  en  pension  : 

Je  traverse  la  rile  et  suis  à  la  mesme  heure 

Où  force  honnestes  gens  ont  choisi  leur  demeure. 

Là  si  tost  que  je  suis  du  bon  Maistre  apperceu. 

Pour  ma  pièce  d'argent,  je  suis  le  bien  receu; 

Non  qu'il  faille  payer  à  chaque  fois  (^u'on  disne, 

Cela  sentiroit  trop  son  infâme  Cuisine; 

11  suffit  que  ce  soit  quand  le  mois  est  passé, 

Et  du  livre  de  vie  on  est  lors  effacé. 

J'entre  et  me  mets  à  table  on  bonne  compagnie 

Sans  nul  bonadiez  et  sans  cérémonie  : 

Là  de  maint  discours  grave  et  maint  joyeux  propos 

Nous  passons  doucement  une  heure  entre  les  pots; 

L'un  baptise  son  vin,  et  l'autre,  un  peu  moins  triste, 

Jure  qu'il  auroit  peur  qu'il  fust  anabaptiste. 

Que  le  Maistre  luy-mesme,  au  fonds  de  son  caveau, 

L'a  desja  baptisé  comme  un  enfant  nouveau; 

L'autre,  plus  amoureux,  cajole  la  servante, 


452  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Et  lors  qu'on  boit  six  coups,  de  six  autres  se  vante; 
Un  gros  frère  frappart  paroist  au  mesme  instant, 
Qui  demeure  à  la  porte  et  nostre  aumosne  attend. 
On  se  taist,  on  se  levé,  et  vers  la  Cheminée 
On  soiig-e  comme  on  doibt  passer  l'apres-disnée... 

[Les  Œuvres  poétiques,  1653. 


J 


JEAN-JOSEPM   VADE 

(1719-1757) 


Ce  poète  médiocre,  que  nous  ne  saurions  passer  sous  silence, 
2ar  il  connut  au  dix-huitiôme  siècle  une  vogue  que  n'obtinrent 
laïuais  des  écrivains  d'un  tout  autre  mérite  que  lésion,  n'était 
pas  des  provinces  «  françaises  ».  Il  naquit  à  Ham,  en  Picardie, 
le  18  janvier  1719,  vint  à  Paris  dès  son  jeune  Age  et  s'y  fixa 
jusqu'à  la  vingtième  année.  Son  père,  qui  exerçait  un  commerce 
lucratif,  tenta  vainement  de  le  faire  instruire  et  de  lui  faciliter 
une  honorable  carrière;  il  ne  réussit  qu'à  lui  procurer  un  em- 
ploi de  «  contrôleur  du  vingtième  »  à  Soissons,  puisa  Laon.  Il 
quitta  cette  dernière  ville  en  1743,  passa  à  Paris,  séjourna  à 
Rouen  et  revint  ensuite  dans  la  capitale,  pour  prendre  les 
fonctions  de  secrétaire  du  duc  d'Agenois.  Ses  relations  lui  valu- 
rent de  nouveau  une  place  au  bureau  du  «  vingtième  »  de  Paris- 
Joseph  Vadé  eut  une  vie  peu  régulière  et  une  fin  tragique.  Il 
mourut  à  Paris,  des  suites  d'une  blessure  que  lui  fit  un  chirur- 
gien, en  l'opérant  d'un  abcès  à  la  vessie,  le  4  juillet  1757.  Jean- 
Joseph  Vadé  créa  le  genre  «  poissard  »,  qui  depuis  a  eu  de  nom- 
breux imitateurs.  Il  introduisit  en  littérature  le  vocabulaire  des 
Halles,  l'assaisonna  du  sel  de  sa  propre  verve  et  de  plaisanteries 
grossières,  et  cette  nouveauté  le  mit  à  la  mode.  La  bonne  com- 
pagnie prenait,  dit-on,  un  plaisir  extrême  à  retrouver  dans  ses 
ouvrages  une  peinture  fidèle  des  mœurs  et  du  langage  de  la 
basse  populace.  On  a  reconnu  dans  ses  poissarderies.  La  Pipe 
cassée  et  les  Lettres  de  la  Grenouillère  entre  autres,  les  tableaux 
les  plus  réalistes  de  son  temps.  Vendeuses  de  marée,  débar- 
deurs, piliers  de  cabarets,  déhanchés  de  guinguettes,  familiers 
des  bals  de  barrière,  sont  esquissés  là  avec  une  franchise,  une 
liberté  qui  n'exclut  jamais  le  sens  du  pittoresque.  Le  goût 
d'un  tel  genre  a  pu  passer,  à  tel  point  qu'on  n'éprouve  qu'un 
médiocre  plaisir  à  connaître  les  productions  de  cet  auteur,  Vadé 
n'en  demeure  pas  moins  un  des  ancêtres  de  nos  poètes-argo- 
tiers,  et  le  précurseur  direct  d'Aristide  Bruant. 

Les  ouvrages  de  Vadé  ont  été  recueillis  en  1758,  et  maintes 
fois  réimprimés.  Voyez  :  Œuvres  de  31.  Vadé  ou  Recueil  des  Opé- 
ras-comiques, parodies  et  pièces  fugitives,  nouv.  éd.,  Paris,  N.-B. 


40^  LES    POETES    DU    TERROIR 

Duchesne,  1758,  4  vol.  in-S»;  les  mêmes,  1769  et  1775;  Œuvres 
poissardes  de  J.-J.  Vadc  et  de  l'Ecluse,  Paris,  imprim.  Didot. 
1 796,  in-12  ;  Œuvres  choisies,  Paris,  chez  les  Marchands  de  Nou- 
veautés, 1834.  iu-S»;  Œuvres  de  Vadè,  Paris,  Garnier  fr.,  1875. 
in-lS,  etc.  Elles  consistent  en  vingt  opéras-comiques,  vaude- 
villes, parodies,  épîtres,  madrigaux,  fables,  chansons,  houquett 
poissards  et  amphigouris.  On  a  donné  récemment  une  réimpres 
sion  du  fameux  poème  La  Pipe  cassée'.  C'est  la  fantaisie  la  plus 
mortellement  ennuyeuse  qui  soit  jamais  sortie  dune  plume  dite 
littéraire.  Voltaire,  qui  n'a  jamais  manqué  de  sourire  à  toutes 
les  gloires,  même  les  moins  fondées,  a  publié  des  contes  el 
plusieurs  pamphlets  facétieux  sous  les  noms  supposés  de  Guil- 
laume et  de  Jérôme  Yadé  (Genève,  1764,  in-S"). 

Bibliographie.  —  Fréron,  Année  littéraire,  1757,  t.  IV.  — 
Charles  Nisard,  Etude  sur  le  langage  popul.  ou  patois  de  Pa- 
ris, etc.,  Paris,  Franck,  1872,  in-S".  —  Journal  et  Mémoires  di 
Collé,  etc.,  éd.  de  1S68. 


BOUQUET    POISSARD 

J'aime  à  payer  ce  que  vaut  une  chose, 
Mais  je  répug-ne  à  la  payer  deux  fois  : 
Je  suis  piqué,  je  l'avoue,  et  je  crois 

Devoir  vous  en  dire  la  cause. 

Madame,  à  deux  pas  du  logis 

Rencontrant  vine  Bouquetière, 

Je  l'aborde  et  lui  dis  :  «  La  mère, 
Faites  vite  un  Bouquet.  «  Nous  convenons  de  pri.\ 
Pour  qu'il  soit  plutôt  fait  je  la  paye  d'avance. 
Elle  aussi-tôt  détache  une  botte  de  Fleurs; 

Dieu  sçait  avec  quelle  élégance 
Elle  assortit  leurs  diverses  couleurs  ! 
De  feuilles  d'Orangers  galamment  décorées, 
Pour  en  faire  un  Bouquet  il  lui  manque  un  lien; 
Comme  elle  l'achevait,  ne  s'attendant  à  rien, 

Ne  voilà-t-il  pas  les  Jurées 

1 .  Cet  ouvrage  a  paru  pour  la  première  fois,  sans  dalc,  à  la  fin  <1 
xviii"  siècle  sous  ce  litre  :  La  Pipe  cassée,  ]toème  éni-tray  i-poissard 
liéroï-comiqne.  A  la  Liberté,  chez  l'ierrc  Bonnc-IIumcur,  avec  pci 
mission  du  public,  lu- 12,  ligures  d'Liscn. 


ILE-DE-FKANCF. 


455 


,)ui  viennent  tout  à  coup  saisir  son  pauvie  bien! 

Elles  sautent  sur  l'Inventaire  {sic), 
emparent  des  Bouquets  sans  oublier  le  mien. 

Ma  marchande  se  désespère, 

Et  ne  voyant  aucun  moyen 

Pour  accommoder  cette  affaire, 
D'un  coup  de  pied  en  jette  une  par  terre. 
Bat  les  deux  autres  comme  un  chien, 
Puis  s  enfuit,  ne  pouvant  mieux  faire. 
Quel  scandale  pour  moi!  Je  crois  que  la  colère 

Fait  oubliei"  qu'on  est  Chrétien  ! 
De  leur  frayeur  ces  trois  Dames  remises, 
S'en  vont  pestant  d'avoir  reçu  des  coups  ; 
Je  les  arrête  et  je  leur  dis  :  Tout  doux! 
Dans  les  fleurs  que  vous  avez  prises 
Je  réclame  un  Bouquet  que  j'ai  payé.  —  Qtti,  vous  ? 

—  Oui  moi,  tâchez  de  me  le  rendre, 

—  Monsitur  l'a  dit,  on  l'y  rendra. 
Qu'il  est  gentil!  y  s' fâche!  y  rira! 
Sa  bouclie  commence  à  s'fendre; 
Ce  s'roit  ben  dommage  de  l'pendre, 
Car  il  paroit  qu'il  grandira. 

—  Vous  m'insultez,  leurdis-je,  et  je  vais  vous  apprendre 

Qui  je  suis.  —  Ah!  comme  il  nous  l'apprendra! 
Mon  double  cœur  !  quand  tu  serois  le  gendre 
Du  Diable  qui  t'emportera  ; 
Pince  donc  c' Bouquet  si  tu  l'ose... 
Donnez-lui  du  vinaigre,  y  n'aime  pas  l'eau  rose. 
5ui  je  suis...  — Eh!  Qu'es-tu  donc  avec  ton  grand  Chapiau, 
Ton  habit  qui  se  meurt?  Et  ta  fameuse  Epée!  • 

—  C'est,  dit  1  autre,  un  Seigneur,  un  Cadet  du  Chûtiau 

Qu'est  tout  vis-à-vis  la  Râpée. 

Il  grince  des  dents!  ah  !  j'ai  peur  ! 

Parlez  donc,  Monsieu  la  terreur. 
Faites  donc  pas  comme  ça!  ça  gâte  V visage, 
Jérusalem  !  saint  Jean,  mon  doux  Sauveur! 

Qu'il  est  dcgourdi  pour  son  âge! 

Trois  poidets  d'Inde  et  pis  Monsieu 

Feroient  un  fringant  attelage! 
Elles  en  auroient  dit  encore  davantage; 

Mais  la  troisième  par  bonheur 


'l06  LES    POÈTES    DU    TEHROIR 

Lui  dit  :  Finis,  tu  fais  trop  de  tapage. 
Qu  nid  on  ne  te  dit  rien,  t'es  bien  fier  en  caquet. 
Qu'est-ce  qu'il  t'a  fait  ce  jeune  homme. 
Et pisqu'il  Va  paye  donne-ly  son  Bouquet. 

Son  Bouquet!...  crac,  il  l'aura  comme; 
Tu  ju  entends  ben  ?  qu'il  nous  donne  dix  sous. 
•Ah!  dis-jo,  les  voilà;  que  ne  me  disiez-vous? 
Lors  de  ma  bonne  foi  toutes  trois  interdites, 
Me  donnent  quelques  œillets  par-dessus  le  Mai'ché 
Parlez  donc,  mon  poulet?  Vous  n'êtes  pas  fâche 

Contre  nous  autres?  pas  vrai,  dites!... 
—  Moi?  Point  du  tout.  —  Adieu  donc.  noV  Bourgeois, 
J'C avons  trop  ahury,  ça  me  fait  de  la  peine. 

Je  devrions  toutes  les  trois 

Ly  faire  dire  une  neuvaine... 
Tu  gouailles,  toi;  mais  moi,  si  fctois  Reine, 

Il  seroit  godard  dans  neuf  mois. 

Madame,  telle  est  l'aventure 
De  ce  Bouquet  si  long  tems  contesté; 

Si  de  vous  il  est  accepté, 
Malgré  l'argent,  le  courroux  et  Tinjure, 
Il  ne  sera  pas  trop  cher  acheté. 

[Œuvres  de  M.  Vadc,  etc..  nouv.  éd.,  Pai-is, 
N.-B.  Duchesne,  17:)8,  III.) 


PIERRE-JEAN  DE  DERANGER 

(1780-1857) 


Sa  biographie  est  partout,  a-t-on  dit;  lui-même  l'a  écrite. 
■Jous  n'en  douueroas  donc  qu'un  abrégé,  en  l'empruntant  toti- 
-efois  aux  Souvenirs  de  l'Ecole  romantique  d!E.<\ouAi'à  Fournier. 
Ou  sait  qu'il  uaquit  à  Paris  en  1780,  et  que  sa  première  enfance 
;e  passa  dans  la  mansarde  d'un  pauvre  vieux  tailleur,  son 
jraad-père.  C'était  rue  Montorgueil,  à  l'endroit  où  se  trouve 
a  halle  aux  huîtres.  Après  quelque  temps  passé  dans  une  pen- 
iion  du  faubourg  Saint-Antoine...  après  une  seconde  étape  d"é- 
lucation  à  Péronne,  où  il  avait  une  taute  aubergiste,  il  devint 
ipprenti  imprimeur  et  se  mit  à  rimer.  A  quatorze  ans  il  avait 
léjà  fait  des  chansons,  que  Cousin  d'A vallon  voulut  bien  ac- 
uoillir  dans  sou  recueil  annuel  La  (iuirlandc.  Eu  1796,  lîérangcr 
int  à  Paris  pour  se  livrer  plus  complètement  aux  lettres.  Il 
tait  sans  ressource;  elles  ne  lui  en  créèrent  pas.  Il  se  déses- 
)érait,  quand  Lucien  Bonaparte,  à  qui  on  l'avait  présenté,  lui 
bandonna  pour  vivre  son  traitement  de  membre  de  l'Institut, 
yétait  le  nécessaire;  avec  ce  qu'il  gagna  bientôt  après,  comme 
oUaborateur  aux  Annales  du  musée,  de  Landon,  et  mieux  en- 
ore  avec  les  appointements  d'une  place  d'expéditionnaire  que 
ui  fit  obtenir  l'académicien  Arnault,  au  secrétariat  de  l'Univer- 
ité,  ce  fut  la  richesse.  L'idée  lui  vint  alors  de  mettre  en  voluni^ 
out  ce  qu'il  avait  écrit  et  de  le  dédier  à  son  bienfaiteur.  On  le 
ut  à  la  censure,  et,  comme  le  prince  était  alors  en  exil,  on  lit 
lire  à  Béranger  que  la  mise  en  vente  ne  serait  pas  permise  avec 
ette  dédicace.  Il  renonça  bravement  à  son  livre,  mais  n'eut 
)as  de  cesse  qu'un  autre  ne  fût  prêt.  La  Chanson  du  Roi  d' }'- 
etot,  que  lui  inspira  une  enseigne  de  la  rue  Saint-Honoré,  au 
oin  de  la  rue  du  Chantre,  en  fut  l'avaut-goùt.  Il  la  laissa  cou- 
ir,  elle  fut  chantée  par  tout  le  monde,  et  Napoléon  lui-même, 
iont  elle  était,  par  contraste,  une  si  amusante  satire,  ne  fut  pas 
e  dernier  à  la  fredonner.  Le  volume  parut  chez  Eymery  en 
SIô.  Le  titre  choisi  par  Béranger  était  celui-ci  :  Chansons  mo- 
ules et  autres.  Or,  comme  les  unes,  les  morales,  s'y  trouvaient 
u  plus  petit  nouibre  que  «  les  autres  »,  et  comme  on  se  trou- 
ait alors  sous  un  régime  qui  ne  plaisantait  pas  sur  la  question 

n.  26 


458  LES  POÈTES  DU  TERKOIR 

des  mœurs,  il  lui  fut  signifié  que  son  emploi  nu  secrctariat  di 
rQniversité  courait  de  grands  risques  s'il  continuait  à  prendn 
pour  muses  Lisette,  Frétillon  et  la  Gaudriole.  Il  obéit,  mais  ei 
substituant  à  la  gaieté  la  politique,  qui  est  bien  autrement  dan- 
gereuse. »  On  connaît  la  suite.  Son  recueil,  augmenté  d'un  vo- 
lume où,  sous  prétexte  de  liberté,  il  chantait  la  gloire  d'un  régime 
qui  en   avait  supprimé  jusqu'à  l'ombre,   lut  saisi,   supprimé 
L'auteur  perdit  sa  place  et  se  trouva  un  jour  sous  le  coup  d'un 
condamnation  à  neuf  mois  de  prison  et  à  dix:  mille  francs  d'à 
mende.  «  Ce  fut  la  dernière  tribulation  de  Bérangcr.  Peur  m 
pas  en  connaître  d'autres  il  voulut  n'être  rien,  lors  même  qui 
les   gouvernements  qui  pouvaient   le    favoriser  triomphèrent 
Après  juillet  1830,  il  refusa  jusqu'à  la  croix;  après  février  1848 
nommé  représentant  du  peuple,  il  donna  sa  démission  presqu 
aussitôt;  et  lorsque  revint  l'Empire  il  repoussa  les  faveurs  qu 
l'auraient  récompensé  de  ce  qu'il  avait  fait  pour  son  retour. 
Il  mourut  le  17  juillet  1857  et  survécut  peu  à  sa  gloire,  sinon 
sa  popularité.  Rien  n'est  plus  terne,  plus  médiocre,  rien  n'ap 
paraît  plus  neutre  aujourd'hui  que  les  chansons   de  Béranger 
et  nous  ne  parvenons  pas  à  comprendre  comment  ce  poète,  c 
chansonnier  plutôt,  provoqua  les  haines   des  partis  et  la  vie 
lence  d'une  certaine  critique,  qui  lui  reprocha  d'avoir  «  dégrad 
la  langue,  comme  l'àme  du  peuple,  en  outrageant  les  sentiment 
chrétiens  et  en  tournant  en  ridicule  la  foi,  les  sacrements,  1 
pudeur  et  la  mort  ».  Il  est  vrai  que   nous  ne  comprenons  pa 
davantage  qu'on  ait  pu  le  comparer  à  La  Fontaine,  à  Molière  e 
à  Voltaire.  Il  est  loin,   hélas!  d'être  un  grand  écrivain;  c'es' 
tout  au  plus,  un  Juvénal  d'estaminet.  «  Le  génie  de  Hérangei 
a  dit  si  justement  Lecontc  de  Lisie,  est  à  coup  sftr  la  plus  cou; 
plète   des  illusions    innombrables  de   ce  temps-ci,  et   colle 
laquelle  il  tient  le  plus;  aussi  ne  sera-ce  ])as  un  dos  moindre 
étonnements  de  l'avenir,  si  toutefois  l'avenir  se  préoccupe  d 
questions  littéraires,  que  ce  curieux  enthousiasme  attendri  qu'6> 
citent  ces  odes-chansons  qui  ne  sont  ni  des  odes  ni  dcschansonf 
L'homme  était  bon,  généreux,  honnête.  Il  est  mort  plein  de  jour.' 
en  possession  d'une  immense  sympalhic  publique,  et  je  ne  veu 
certes   contester  aucune   do  ses  vertus    domestiques;  mais  j 
nie  radicalement  le  poète  aux  divers  points  de  vue  do  la  puis 
sanco  intellectuelle,  du  sentiment  de  la  nature,  de  la  langu. 
du  stylo  et  de  l'entenle  spéciale  du  vers,  dons  précieux,  néce- 
saires,  que  lui  avaient  refusés  les  dieux,  y  compris  le  dieu  dt 
bonnes  gens,  qui  du  reste  n'est  qu'une  divinité  do  cabaret  phi 
lanthropique.   »  (Le  Nain  Jaune,  1864.) 

Les  chansons  de  Bérangcr  ont  été  publiées  un  grand  nombi 
de  fois.  Les  éditions  les  plus  complètes  qui  ont  été  donnée 
jusqu'à  ce  joursont  celles  de  Paris,  Perrotin,  1834,4  vol.  in-S",  < 
1856,  3  vol.  in-S».  Joignons  à  ces  recueils  Ma  liioeraphie  (Pari- 


ILE-DE-FRANCE  459 

5T,  în-8»)  ;  Œuvres  posthumes  (ibid.,  1857,  în-8«),  quatre  volu- 
es  de  Correspondance  (ibid.,  1860,  in-S")  et  un  volume  à'Œu- 
es  inédites  (Paris,  Daragon,  1909,  ia-8"). 

'Bibliographie.  —  A.  Ricard,  La  Lisette  de  Déranger,  etc., 
iris,  Renauld,  1846,  in-12;  La  FrétiUon,  parle  môme,  ibid., 
46,  in-12.  —  Sainte-Beuve,  Portraits  contemporains,  I,  et 
xuseries  du  lundi,  II,douv.  éd.,  etc.  —  M"">  L.  Colet,  Quarante' 
nq  lettres  de  Déranger,  etc.,  Paris,  Libr.  nouvelle,  1857,  in-12. 
■  J.  Lapointe,  Mémoires  sur  Déranger,  Paris,  Hachette,  1857, 
-8°.  — J.  Bernard,  Déranger  et  ses  Chansons,  Paris,  Dentu. 
58,  in-8''.  —  N.  Peyrat,  Déranger  et  Lamennais,  Paris.  1861, 
-18.  —  J.  Travers,  Déranger  litt.  et  critique,  Caen,  Hardel, 
•61,  in-18.  —  A.  Arnould,  Déranger,  ses  Amis,  ses  Ennemis,  etc., 
iris,  1864.  2  vol.  in-18.  —  Th.  Bernard,  La  Lisette  de  D.,  Paris, 
achelin-Deflorenne,  1864,  in-12.  —  J.  Janin,  D.  et  son  temps, 
aris,  Pincebourde,  1866,  2  vol.  in-12.  —  Rrivois,  Dibliographie 
'.  l'œuvre  de  D.,  Paris,  Conquet,  1876,  in-S». 


LE    GRENIER 

Je  viens  revoir  l'asile  où  ma  jeunesse 
De  la  misère  a  subi  les  leçons. 
J'avais  vingt  ans,  une  folle  maîtresse, 
De  francs  amis,  et  l'amour  des  chansons. 
Bravant  le  monde,  et  les  sots,  et  les  sages, 
Sans  avenir,  riche  de  mon  printemps, 
Leste  et  joyeux  je  montais  six  étages. 
Dans  un  grenier  qu'on  est  bien  à  vingt  ans  ! 

C'est  un  grenier,  point  ne  veux  qu'on  l'ignore. 

Là  fui  mon  lit  bien  chétif  et  bien  dur; 

Là  fut  ma  table;  et  je  retrouve  encore 

Trois  pieds  d'un  vers  charbonnés  sur  le  mur. 

Apparaissez,  plaisirs  de  mon  bel  âge, 

Que  d'un  coup  d'aile  a  fustigés  le  Temps. 

Vingt  fois  povir  vous  j'ai  mis  ma  montre  en  gage. 

Dans  un  grenier  qu'on  est  bien  à  vingt  ansi 

Lisette  ici  doit  surtout  apparaître, 
Vive,  jolie,  avec  un  frais  chapeau; 
Déjà  sa  main  à  l'étroite  fenêtre 


M 


LES    POETES    DU    TERROIR 

Suspend  son  châle  en  guise  de  rideau. 
Sa  robe  aussi  va  parer  ma  couchette; 
Respecte,  Amour,  ses  plis  longs  et  flottants, 
J'ai  su  depuis  qui  payait  sa  toilette. 
Dans  un  grenier  qu'on  est  bien  à  vingt  ans  : 

A  table  un  jour,  jour  de  grande  richesse, 
De  mes  amis  les  voix  brillaient  en  choeur, 
Quand  jusqu'ici  monte  un  cri  d'allégresse  : 
A  Marengo  Bonaparte  est  vainqueur  1 
Le  canon  gronde,  un  autre  chant  commence; 
Nous  célébrons  tant  de  faits  éclatants. 
Les  rois  jamais  n'envahiront  la  France. 
Dans  un  grenier  qu'on  est  bien  à  vingt  ans  ! 

Quittons  ce  toit  où  ma  raison  s'enivre. 
Oh!  qu'ils  sont  loin,  ces  jours  si  regrettés! 
J'échangerais  ce  qu'il  me  reste  à  vivre 
Contre  un  des  mois  qu'ici  Dieu  m'a  comptés, 
Pour  rêver  gloire,  amour,  plaisir,  folie, 
Pour  dépenser  sa  vie  en  peu  d'instants, 
D'un  long  espoir  pour  la  voir  embellie. 
Dans  un  grenier  qu'on  est  bien  à  vingt  ans! 

[Œufres  complètes,  II,  1856. 


AUGUSTE   BARBIER 

(1805-1882) 


Henri-Aup;uste  Barbier  naquit  à  Paris  le  29  avril  1805,  et  mou- 
ut  à  Nice  Ij  13  février  1882.  Fils  d'un  avoué,  il  fut  élève  du 
ycée  Henri  IV,  puis  suivit  les  cours  de  l'Ecole  de  droit.  La  ré- 
'^olution  do  1830  fit  de  ce  Parisien  un  porto,  le  poète  le  plus 
ludacieux,  le  plus  satirique  qu'on  ait  entendu  depuis  Agrippa 
l'Aubigné.  Il  venait  d'avoir  vingt-cinq  ans  et  n'avait  écrit  que 
{uelques  vers  et  un  médiocre  roman.  Les  Mauvais  Garçons 
Paris,  Urbain  Canel,  1830,  2  vol.  in-12),  en  collaboration  avec 
Uphonse  Royer.  «  Quand  il  vit,  dit-on,  après  les  «  Trois  glo- 
ieuses  »,  la  bande  d'afTamés  d'honneurs  et  do  places  qui  se 
liaient  sur  les  débris  du  vieux  trône,  à  la  suite  du  nouveau 
oi,  tons  plus  soucieux  de  leurs  appétits  que  de  la  France  et 
le  la  liberté,  sa  verve  s'alluma.  »  Il  lit  paraître  dans  la  Revue 
le  Paris  son  premier  'ïambe,  La  Curée.  Tout  à  coup  son  nom 
levint  illustre.  Un  an  après,  cet  ïambe  s'était  fait  légion;  au 
ieu  d'un  seul  on  en  avait  un  volume,  dont  Sainte-Beuve  salua 
a  brûlante  éclosion.  A  La  Curée  succédaient  La  Popularité, 
'Jldole,  virulente  apostrophe  antinapoléonienne,  Le  Dante, 
}utitre-ving-t-treize,  etc.,  dix  véhémentes  satires  réunies  sous 
;e  titre  générique  ïambes  (Paris,  Bounaire,  1831,  et  U.  Canel  et 
juyot,  1832,  in-8°).  Barbier  était  loin  quand  parut  ce  recueil.  Il 
j'en  était  allé  par  delà  les  Alpes,  à  P'iorence,  à  Rome,  à  Venise^ 
)Our  renouveler  son  inspiration.  II  revint  avec  une  œuvre  déli- 
îieuse,  //  Pianto,  c'est-à-dire  la  plainte  (Paris,  U.  Canel,  1833, 
a-8o),  qui,  jointe  aux  pages  de  la  première  heure  et  à  Lazare, 
loème  réalisé  après  un  séjour  en  Angleterre,  ont  formé  ce  nou- 
veau livre,  ïambes  et  Poèmes  (Paris,  Masgana,  1833,  in-18),  tant 
le  fois  réimprimé'.  Pour  ce  dernier  bouquet,  écrit  Edouard 
^'ournier,  la  moisson  n'était  pas  épuisée.  Elle  fut  abondante,  le 
ioète  n'ayant  jamais  renoncé  aux  ressources  de  sa  muse;  mais 
ille  ne  lui  valut  pas  des  heures  de  gloire  semblables  à  celles 
lu  début.  Auguste  Barbier  fit  montre  par  la  suite  d'un  talent 
iincère  et  dune  rare  conscience  d'artiste,  sans  rien  de  plus.  U 

1.  Voyez  :  Satires  et  Poèmes,  Paris,  Bonnaire,  1837,  in-8%  etc. 


462  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

donna  plusieurs  volumes  de  vers  :  Nouvelles  Satires  (Paris,  Mns- 
gana,  1840,  in-S»)  ;  Chants  civils  et  religieux  (ibid.,  1841,  in-8»); 
Rimes  héroïques  {ihid.,  1843,  in-18):  lUmes  légères,  chansons  et 
odelettes  (ibid.,  1851,  in-18);  Satire  et  chants  (Paris,  Masgana, 
1853,  ia-18)  ;  Silvcs  (Favis,  Dentu,  18G5,  in-18):  Satires  (Paris, 
Dentu,  1865.  in-18);  Silves,  rimes  légères  (ibid.,  1872,  ia-18); 
deux  recueils  de  nouvelles  :  Trois  Passions  (ibid.,  1868,  in-18); 
Contes  du  soir  (ibid.,  1879.  in-18);  des  Histoires  de  voyage,  1830- 
1812  (ibid.,  1880,  in-12):  des  traductions  Aa  Decamerond-a  Boc- 
cacio  (Paris,  1840,  in-4«);  de  Jules  César  de  Shakespeare  (ibid., 
1848  et  1855,  in-18);  de  La  Chanson  du  vieux  marin,  de  Coleridgc 
(ibid.,  1877,  in-folio);  enfin,  en  collaboration  avec  Léon  de 
Wailly,  le  poème  dramatique  de  Benvenuto  Ccllini  (musique  de 
Berlioz),  qui  fut  représenté  sur  la  scène  de  lOpéra,  le  10  sep- 
tembre 1878.  Divers  ouvrages  posthumes  de  Barbier  :  Chez  les 
Poètes,  etc.  (Paris,  Dentu,  1882,  in-8»);  Souvenirs  personnels  et 
silhouettes  contemporaines  (ibid.,  1883.  iri-18);  Œuvres  posthu- 
mes, etc.  (ibid.,  1883-1889,  4  vol.  in-18)  :  Poésies  posthumes  (Paris, 
Lemerre,  1884,  in-16),  ont  été  publiés  par  ses  exécuteurs  testa- 
mentaires, Auguste  Lacaussade  et  Ed.  Grenier. 

Bibliographie.  —  Sainte-Beuve,  Po/-<r.  contemporains.  II, 
Souvenirs  et  indiscrétions,  etc.  —  Planche,  Portr.  littér.,  II.  — 
Baudelaire,  L'Art  romantique.  — Th.  Gautier,  Portr.  contempor. 
—  II.  de  Bonnières,  Mémoires  d'aujourd'hui,  1885.  —  J.  Barbey 
dAurevilly,  Les  Œuvres  et  les  Hommes,  Les  Poètes,  XI,  Paris, 
Lemerre,  1889,  etc. 


LA    CUVE 

Il  est,  il  est  sur  terre  une  infernale  cuve, 

On  la  nomme  Paris;  c'est  une  large  éluve, 

Une  fosse  de  pierre  aux  immenses  contours 

Qu'une  eau  jaune  et  terreuse  enferme  à  triples  tours: 

C'est  un  volcan  fumeux  et  toujours  en  haleine 

Qui  remue  à  long-s  flots  de  la  matière  humaine; 

Un  précipice  «mvei-t  à  la  corriiplion 

Où  la  fange  descend  de  toute  nation, 

Et  qui  de  temps  en  temps,  plein  d'une  vase  immonde 

Soulevant  ses  bouillons,  déhorde  sur  le  monde. 

Là,  dans  ce  trou  boueux,  le  timide  soleil 
Vient  poser  rarement  un  pied  Jjlanc  et  vermeil; 


ILE-DE-FRANCE  463 

Là,  les  bourdonnements  nuit  et  jour  dans  la  hnime 

Montent  sur  la  cité  comme  une  vaste  (MUimo; 

Là  personne  ne  dort,  là  toujours  le  cerveau 

Travaille,  et,  comme  l'arc,  tend  son  rude  cordeau. 

On  y  vit  un  sur  trois,  on  y  meurt  de  débauche; 

Jamais,  le  front  huilé,  la  mort  ne  vous  y  fauche, 

Car  les  saints  monuments  ne  restent  dans  ce  lieu 

Que  pour  dire  :  Autrefois  il  existait  un  Dieu. 

Là,  tant  d'autels  debout  ont  roulé  de  leurs  bases, 

Tant  d'astres  ont  pâli  sans  achever  leurs  phases, 

Tant  de  cultes  naissants  sont  tombés  sans  mûrir, 

Tant  de  grandes  vertus,  là,  s'en  vinrent  pourrir. 

Tant  de  chars  meurtriers  creusèrent  leur  ornière, 

Tant  de  pouvoirs  honteux  rougirent  la  poussière, 

De  révolutions  au  vol]sombre  et  puissant 

Grevèrent  coup  sur  coup  leurs  nuages  de  sang, 

Que  l'homme,  ne  sachant  oii  rattacher  sa  vie. 

Au  seul  amour  de  l'or  se  livre  avec  furie. 

Misère!  Après  mille  ans  de  bouleversements, 

De  secousses  sans  nombre  et  de  vains  errements, 

De  cultes  abolis  et  des  trônes  superbes 

Dans  les  sables  perdus,  et  couchés  dans  les  herbes, 

Le  Temps,  ce  vieux  coureur,  ce  vieillard  sans  pitié. 

Qui  va  par  toute  terre  écrasant  sous  le  pié 

Les  immenses  cités  regorgeantes  de  vices, 

Le  Temps,  qui  balaya  Rome  et  ses  immondices. 

Retrouve  encore,  après  deux  mille  ans  de  chemin, 

Un  abîme  aussi  noir  que  le  cuvier  romain. 

Toujours  même  fracas,  toujours  même  délire,  • 

Même  foule  de  mains  à  partager  l'empire. 

Toujours  même  troupeau  de  pâles  sénateurs, 

Même  flots  d'intrigants  et  de  vils  corrupteurs. 

Même  dérision  du  prêtre  et  des  oracles, 

Même  appétit  des  jeux,  même  soif  des  spectacles, 

Toujours  même  impudeur,  même  luxe  effronté, 

En  chair  vive  et  en  os  même  immoralité; 

Mêmes  débordements,  mêmes  crimes  énormes. 

Moins  l'air  de  l'Italie  et  la  beauté  des  formes. 

La  race  de  Paris,  c'est  le  pâle  voyou 

Au  corps  chétif,  au  teint  jaune  comme  un  vieux  sou  ; 


^bi  LES    POETES    DU    TERKOIR 

C'est  cet  enfant  criard  que  l'on  voit  à  toute  heure 

Paresseux  et  flânant,  et  loin  de  sa  demeure 

Battant  les  maigres  chiens,  ou  le  long  des  grands  murs 

Gharbonnant  en  sifflant  mille  croquis  impurs; 

Cet  enfant  ne  croit  pas,  il  crache  sur  sa  mère, 

Le  nom  du  ciel  pour  lui  n'est  qu'une  farce  amère  ; 

C'est  le  libertinage  enfin  en  raccourci  ; 

Sur  un  front  de  quinze  ans  c'est  le  vice  endurci. 

Et  pourtant  il  est  brave,  il  affronte  la  foudre, 

Gomme  un  vieux  grenadier  il  mange  de  la  poudre, 

11  se  jette  au  canon  en  criant  :  Liberté! 

Sous  la  balle  et  le  fer  il  tombe  avec  beauté. 

Mais  que  l'Emeute  aussi  passe  devant  sa  porte, 

Soudain  l'instinct  du  mal  le  saisit  et  l'emporte, 

Le  voilà  grossissant  les  bandes  de  vauriens, 

Molestant  le  rapos  des  tremblants  citoyens. 

Et  hurlant,  et  le  front  barbouillé  de  poussière. 

Prêt  à  jeter  à  Dieu  le  blasphème  et  la  pierre. 

0  race  de  Paris,  race  au  cœur  dépravé, 

Race  ardente  à  mouvoir  du  fer  ou  du  pavé  ! 

Mer,  dont  la  grande  voix  fait  trembler  sur  les  trônes 

Ainsi  que  des  fiévreux  tous  les  porte-couronnes! 

Flot  hardi  qui  trois  jours  s'en  va  battre  les  cieux, 

Et  qui  retombe  après,  plat  et  silencieux! 

Race  unique  en  ce  monde  !  effrayant  assemblage 

Des  élans  du  jeune  homme  et  des  crimes  de  l'âge, 

Race  qui  joue  avec  le  mal  et  le  trépas  ; 

Le  monde  entier  t'admire  et  ne  te  comprend  pas! 

Il  est,  il  est  sur  terre  une  infernale  cuve, 

On  la  nomme  Paris;  c'est  une  large  étuvc. 

Une  fosse  de  pierre  aux  immenses  contours 

Qu'une  eau  jaune  et  terreuse  enferme  à  triples  tours; 

C'est  un  volcan  fumeux  et  toujours  en  haleine 

Qui  remue  à  longs  flots  de  la  matière  humaine; 

Un  précipice  ouvert  à  la  corruption 

Où  la  fange  descend  de  toute  nation. 

Et  qui  de  temps  en  temps,  |)lcin  d'une  vase  immonde, 

Soulevant  ses  bouillons  déboi'de  sur  le  monde. 

[ïambes  et  Poèmes,  3'  éd.,  Paris. 
Masgana,  1833.) 


ALFRED   DE   MUSSET 

(1810-18:>7) 


Tout  a  été  dit  sur  le  chantre  des  Nuits  et  de  Rolla,  et  c'est 
assez  pour  qu'on  ne  clierche  point  ici  une  glose  sur  son  œuvre 
et  un  commentaire  biographique.  Ses  origines  seules  nous 
intéresseront.  Alfred  de  Musset  naquit  le  11  décembre  1810,  au 
centre  du  vieux  Paris,  près  de  l'iiôtel  de  Cluny,  dans  une  mai- 
son qui  existait  encore  il  y  a  quelques  années  et  portait  lo  n»  3:^ 
de  la  rue  des  Noyers.  Il  appartenait  à  une  vieille  famille  du 
duché  de  Bar,  fixée  dans  le  Blaisois  et  le  Vendômois  depuis  le 
xvi«  siècle,  et  comptait  parmi  ses  ancêtres  Cassandre  Salviati, 
la  «  maîtresse  »  illustre  de  Ronsard.  On  assure  même  que  ce  ne 
fut  pas  le  seul  lien  qui  le  rattacha  à  la  Pléiade,  puisque,  en  1"(»", 
son  arrière-grand-père  avait  épousé  Marguerite-Angélique  du 
Bellay,  fille  de  François  du  Bellay,  gouverneur  du  roi  à  Ven- 
dôme, lequel,  écrit  M.  Léon  Séché,  descendait  de  la  branche 
des  du  Bellay-Langey,  cousins  de  Joachim,  l'auteur  des  Regrets. 

Nous  laisserons  à  d'autres  le  soin  de  tirer  des  conclusions 
le  sa  généalogie,  et  nous  ne  dirons  qu'un  mot  en  passant  de 
son  goût  pour  le  lieu  où  il  prit  naissance.  Quoi  qu'on  ait  écrit. 
Musset  se  soucia  fort  peu  du  terroir;  il  montra  plus  que  de 
'indifférence  pour  le  sol  de  ses  aïeux,  et  lorsque,  à  la  mort  de 
son  père,  en  1832,  il  hérita  du  manoir  de  la  Bonaventure,  près 
lu  Grué-sur-Loire,  qui  avait  été  le  berceau  des  siens,  il  s'en  cM- 
it  presque  aussitôt,  sans  égard,  ajoute  l'un  de  ses  biographes, 
souries  souvenirs  que  ce  domaine  représentait.  Ecrivain  d'es- 
sence aristocratique,  né  pour  vivre  et  pour  mourir  dans  un 
nilieu  de  culture,  il  s'éprit  de  Paris,  non  par  fierté  d'y  avoir  vu 
e  jour,  mais  parce  que  cette  capitale  synthétisait  à  ses  yeux 
e  centre  des  élégances  et  de  ce  luxe  auquel  il  sacrifia  trop 
cuvent  la  sincérité  de  son  cœur  et  la  pureté  de  ses  concep- 
ions.  Sa  patrie,  il  la  traîna  sans  cesse  avec  lui,  et  ce  n'est  point 
rop  dire  qu'elle  fut  le  sol  où  s'abritèrent  ses  amours  roman- 
iques,  «  terre  italienne  »  inspiratrice  de  son  génie,  et  «  bou- 
evard  de  Gand  »  avec  ce  qu'il  odrait  d'ivresse  éphémère,  de 
ontation  et  de  fragile  beauté  :  domaine  idéal  pour  une  âme 
prise  d'immortalité,  et  décor  factice  cher  à  l'agonie  du  poète. 
>a  connaît  les  vers  de  Lucie  : 


466  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Mes  chers  amis,  quand  je  mourrai... 

Alfred  de  Musset  s'éteignit  le  l"'  mai  185T,  laissant  à  sa  vilh 
natale  quelques-uns  de  ses  chants  et  sa  dépouille  d'écrivain  ly- 
rique. Dans  la  belle  saison,  son  tombeau  du  Pére-Lachaise,  om- 
bragé depuis  plus  de  quarante  ans  par  tant  de  saules  éplorés 
est  un  lieu  de  pèlerinage  pour  les  étrangers.  Disons  plus,  c'est 
avec  la  tour  Eitrel  et  l'Obélisque  de  Louqsor,  le  monument  1 
plus  digne  de  provoquer  l'admiration  et  l'envie  des  Américain 
du  Sud  et  des  Anglo-Saxons. 

Veut-on,  après  cela,  une  courte  liste  dos  ouvrages  d'Alfrei 
de  Musset?  La  voici,  succinctement  dressée  sur  les  édition 
originales  :  L'Anglais  mangeur  d'opium,  trad.  de  l'anglais,  Pa 
ris,  Marne  et  Delaunay- Vallée,  1828,  in-18;  Contes  d'Espagne  e 
d' Italie,  V  AVIS.  Levasseur  et  Urb.  Canel,  \d,Z(i,\n-%'>  ■,Un  Spectacl 
dans  un  fauteuil,  l*''"  livre  {La  Coupe  et  les  Lèvres,  A  quoi  rêven 
les  jeunes  filles,  Namouna],  Paris,  Renduel,  1832,  in-18  ;  Un  Spec 
tacle  dans  un  fauteuil,  2»  livre  [Les  Caprices  de  Marianne,  Lo 
renzaccio,  André  del  Sarto,  Fantasio,  On  ne  badine  pas  ave 
l'amour,  La  Nuit  i'énitienne),  Paris,  au  bureau  de  la  Revue  de 
Deux  Mondes,  1834,  2  vol.  in-S";  La  Confession  d'un  enfant  d 
siècle,  Paris,  Bonnaire,  1836,  2  vol.  in-8»;  Les  Deux  Maîtresses 
Frédéric  et  Bcrncrette,  etc.,  Paris,  Dumont,  1840,  2  vol.  in-fi 
(réimpr,  en  1841,  sous  ce  titre,  Nouvelles);  Poésies  complète^ 
Paris,  Charpentier,  1840,  in-18;  Comédies  et  Proverbes,  ibid 
1840,  in-18;  Voyage  oliil  vous  plaira  (en  collab.  avec  P.-J.  Stahl 
Paris,  Het/.el,  1842,  in-4'';  Un  Caprice,  Paris,  Charpentier,  184'; 
in-18;  Il  faut  qu'une  porte  soit  ouverte  ou  fermée,  ibid.,  184f 
in-18:  Nouvelles,  par  Paul  et  Alfred  de  Musset,  Paris,  Mager 
1848,  in-18;  L'Habit  vert  (en  collab.  avec  Em.  Augier),  Paris 
M.  Lévy,1849,  in-18  :  Louison,  comédie,  Paris,  Charpentier,  1841 
in-18;  Poésies  nouvelles,  ibid.,  1850,  in-18;  Bettine,  proverbe 
Paris,  Charpentier,  1851,  in-18;  André  del  Sarto,  ibid.,  1851 
in-18;  Discours  de  réception  à  l'Académie  française,  Paris,  Di 
dot,  1852,  in-4n;  Mademoiselle  Mimi  Pinson,  Paris,  Hetzel,  185; 
in-24;  Histoire  d'un  merle  blanc,  Paris,  Hetzel,  18.53,  in-24;  C< 
nicdies  et  Proverbes,  Paris,  Charpentier,  185:J,  2  vol.  in-18;  Coi< 
tes,  ihid.,  185'«,  in-18;  Œuvres  posthumes,  ibid.,  1860,  in-18;  M 
langes  de  littérature  et  de  critique,  ibid.,  1800,  in-18;  Carmosiu 
ibid.,  1865,  in-12  :  Fantasio,  ibid.,  18C6,in-12:  In  Rùve,  Pari 
Rouquettc,  18T5,  in-S":  Œuvres  inédites,  Paris.  1896,  6  plaq.  i 
8»;  Correspondance,  lH->~-lH')l ,  Paris,  Mercure  de  France,  190 
in-8'>.  Il  existe  une  foule  d'éditions  des  Œuvres  complètes  ;  V 
plus  connues  et  les  plus  appréciables  sont  celles  qui  ont  é 
publiées  jusqu'ici  par  les  éditeurs  Charpentier,  Fasquello 
Alph.  Lcmerre. 

IJlBLloonAPiiiK.  —  Paul  de  Musset,  Biogr.  d'Alfred  de  Mussi 


ILE-DE-FRANCE  467 

>aris,  Charpentier,  1874,  in-S"  ;  Lui  et  Elle,  ibid.,  1860,  ia-12.  — 
>I™e  Jaubert,  Souvenirs,  Paris,  Het/.ol,  1879,  iu-12.  —  Georgo 
saiid,  Elle  et  Lui,  Paris,  Hachette,  1859, iu-12.  —  Louise  Colet, 
Ali,  Paris,  Libr.  nouv. ,  1860,  iu-r2.  —  Lescure,  Eux  et  Elles, 
te,  Paris,  Poulet-Malassis,  1860,  iH-12.  —  Paul  Mariéton,  Une 
listoirc  d'amour,  Paris,  Havard,  1897,  iu-18.  —  Arvode  Harine, 
[.  de  Musset,  Paris,  Hachette,  1900,  in-18.  —  Bibliographie  des 
mures  d'A.  de  Musset,  etc.,  Paris,  Rouquette,  1883,  in-S"*  — 
,éon  Séché,  A.  de  Musset,  Paris,  Mercure  do  France,  1907,  2  vol. 
tt-8».  —  Voyez  en  outre  Lettres  de  C.  Sand  à  A.  de  Musset  et 
■  Sainte-Beuve,  Paris,  Cahnanu-Lcvy,  1897,  in-18,  et  Corres- 
ondancc  de  G.  Sand  et  d'A.  de  Musset,  Deman,  Bruxelles,  1904, 
n-8°. 


MIMI    PINSON 

C  II  A  -N  s  O  N 

Mirai  Pinson  est  une  blonde, 
Une  blonde  que  l'on  connaît. 
Elle  n'a  qu'une  robe  au  monde, 

Landei'irette  ! 

Et  qu'un  bonnet. 
Le  Grand  Turc  en  a  davantage. 
Dieu  voulut  de  cette  façon 

La  rendre  sage. 
On  ne  peut  la  mettre  en  gage, 
La  robe  de  Mimi  Pinson. 

Mimi  Pinson  porte  une  rose. 

Une  rose  blanche  au  côté. 

Cette  fleur  dans  son  cœur  éclose, 

Landerirette  ! 

C'est  la  gaîté. 
Quand  un  bon  souper  la  réveille, 
Elle  fait  sortir  la  chanson 

De  la  bouteille. 
Parfois  il  penche  sur  l'oreille. 
Le  bonnet  de  Mimi  Pinson. 

Elle  a  les  yeux  et  la  main  prestes. 
Les  carabins,  malin  et  soir. 
Usent  les  manches  de  leurs  vestes. 


l68  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Landerireltel 

A  son  comptoir. 
Quoique  sans  maltraiter  personne, 
Mi  mi  leur  fait  mieux  la  leçon 

Qu'à  la  Sorbonne. 
II  ne  faut  pas  qu'on  la  chiffonne, 
La  robe  de  Mimi  Pinson. 

Mimi  Pinson  peut  rester  fille, 

Si  Dieu  le  veut,  c'est  dans  son  droit. 

Elle  aura  toujours  son  aiguille, 

Landerirette  ! 

Au  bout  du  doigt. 
Pour  entreprendre  sa  conquête, 
Ce  n'est  pas  tout  qu'un  beau  garçon  : 

Faut  être  honnête  ; 
Car  il  n'est  pas  loin  de  sa  tête, 
Le  bonnet  de  Minii  Pinson. 

D'un  gros  bouquet  de  fleurs  d'orange 
Si  l'amour  veut  la  couronner, 
Elle  a  quelque  chose  en  échange, 

Landeriretto! 

A  lui  donner. 
Ce  n'est  pas,  on  se  l'imagine. 
Un  manteau  sur  un  écusson 

Fourré  d  hermine; 
C'est  l'étui  d'une  perle  fine, 
La  robe  de  Mimi  Pinson. 

Mi  mi  n'a  pas  lame  vulgaire, 
Mais  son  cœur  est  républicain  : 
Aux  trois  jours  elle  a  fait  la  guerre, 

Landerirette! 

En  casaquin. 
A  défaut  d'une  hallebarde, 
On  l'a  vue  avec  son  poinçon 

Montei"  la  garde. 
Heureux  qui  mettra  la  cocarde 
Au  bonnet  de  Mimi  Pinson! 

[Mademoiselle  Mimi  /'inamt' 
profil  de  g  ri  selle.) 


AUGUSTE    DE   GHATILLON 

(18 13-?) 


Peintre,  sculpteur,  lithographe  et  poète,  Auguste  de  ChAtillon 
laquit  ea  1813.  Il  fut  célèbre  sur  le  boulevard,  vers  1860,  d'a- 
)ord  comme  auteur  de  La  Levrette  en  paletot,  fantaisie  qu'on 
rouvera  plus  loin,  ensuite  comme  victime  d'une  ladrerie  de 
.'ictor  Hugo  qui  lui  refusa  un  prêt  de  cinquante  francs,  et,  à  la 
)Iace.  lui  adressa  des  consolations  où  se  trouvait  cette  phrase  : 
Chacun  gravit  son  Golgotha.  »  Alexandre  Pothey  en  fit  une 
hanson  dont  le  refrain  était  :  Et  tout  doucement  je  golgothe. 
ùlle  fit  le  tour  des  cafés,  et  le  Nouveau  Parnasse  satirique  du 
'ix-nenvienie  siècle  l'a  recueillie...  Elève  de  Guillon-Lethière, 
Ihàtillon  exposa  plusieurs  fois  des  peintures  et  de  la  sculpture 
ux  Salons.  Il  obtint  des  récompenses  pour  un  portrait  de 
Ictor  Hugo  et  son  lils  et  diverses  fioures  de  femmes.  11  par- 
it  aux  Etats-Unis  en  1844,  y  demeura  douze  ans  et  peignit  une 
oile  de  40  mètres  de  superficie,  La  Bataille  de  la  Resaca  de 
'aima,  actuellement  conservée  à  la  Maison-Blanche,  à  Washing- 
on.  On  dit  qu'il  en  tira  une  lithographie,  fort  recherchée  en 
k.mérique.  De  retour  en  France,  après  avoir  publié,  assure-t-on, 
les  vers  à  Londres,  il  donna  plusieurs  éditions  de  ses  poèmes  : 
:hant  et  Poésie,  de,  Viivis,  Dentu,  1855,  in-18;  Â  la  Grand'Pinte, 
'aris,  Poulet-Malassis,  1860,  in-18:  Les  Poésies  d'Auguste  de  Châ- 
illon,  3«  éd.  très  augm.,  Paris,  Libr.  du  Petit  Journal,  1866, 
a-12.  On  lui  doit  encore  d'autres  ouvrages  :  Promenades  à  l'ile% 
aint-Ouen-Saint-Denis  (partant  des  BatignolUs),  Montmartre, 
nprim.  de  Pilloy,  1857,  in-S»;  Frantz  Miiller  (en  coUab.  avec 
ouis  Enault),  Paris,  Hachette,  1862,in-16,  etc. 
On  ne  le  connaît  plus  guère  aujourd'hui,  dirons-nous  avec 
[.  Jules  Claretie,  cet  Auguste  de  Chàtillon  qui  s'éprit  des 
loulins  de  Montmartre,  des  lilas  de  Montmorency  et  des  ca- 
ots  du  lac  d'Enghien,  comme  le  pauvre  Arène  des  oliviers, 
es  mûriers,  des  routes  blanches  et  du  soleil  de  son  pays, 
ourlant  il  valait  mieux  que  notre  mépris  ou  notre  ignorance, 
t  bien  des  poètes  de  l'heure  présente  lui  envieraient  sa  gaieté 
t  ses  chansons... 

Bibliographie.  —  Th.  Gautier,  Préface  à  Chant  et  Poésie.  — 


470  LES  POÈTES  DU  TEUROIR 

Cil.  Asselinoau,  Notice  publiée  au  tome  IV  des  Poètes  français 
d'Eugène  Crépet,  Paris,  1863,  in-8».  —  Un  Bibliomane,  Lo 
Papiers  d\i.  de  Châtillon,  Mercure  de  France,  1<=''  août  190T. 


LA    LEVRETTE    EN    PALETOT 

Y-a-ty  rien  qui  vous  agace 
Comme  un'  levrette  en  partot! 
Quand  y  a  tant  d'gens  su*  la  place 
Qui  n'ont  rien  à  s'mett'  su'  Idos? 

J'ai  l'horreur  de  ces  p'tit's  bêtes, 
J'aim'  pas  leurs  museaux  pointus; 
J'aim'  pas  ceux  qui  font  leurs  tôles 
Pass'  qu'iz  ont  des  pardessus. 

Ça  vous  prend  un  p'tit  air  rogue! 
Ça  vous  r'garde  avec  mépris  ! 
Pai'lez-moi  d'un  chien  bourdoguc. 
En  v'iaz'  un  qui  vaut  son  prix! 

Pas  lui  qu'on  encapifonne  ! 
Il  a  comm'  moi  froid  partout; 
Il  combat  quand  on  l'ordonne; 
Et  Faut'  prop'  à  rien  a  tout! 
Ça  m'fait  suer,  quand  j'ai  l'onglée, 
D'voir  des  chiens  qu'ont  un  habit, 
Quand,  par  les  temps  de  gelée. 
Moi  j'nai  rien,  pas  même  un  lit. 

J'en  voudrais  bien  crever  une! 
Ça  ra'ferait  plaisir;  mais  j'n'os'  pas; 
Leurs  maît'os  ayant  d'ia  fortune, 
Y  m'mettraient  dans  l'embarras. 

Ca  doit  s'manger,  la  levrelte. 
Si  j'en  pince  une  à  huis  clos... 
J'ia  frai  cuire  à  ma  guinguette. 
J'ten  fich'rai,  moi,  des  pal'tots! 

[Les  Poésies  d' Auguste  Je  ChdtiW 
3«  éd.',  18GG.) 


I 


ILE-DE-FRANCE  471 


LA    GRAND'PINTE 

A  la  Grand'Pinte,  quand  le  vent 
Fait  grincer  l'enseigne  en  fei'-blanc. 

Alors  qu'il  gèle; 
Dans  la  cuisine  on  voit  briller 
Toujours  un  tronc  d'arbre  au  foyer; 

Flamme  éternelle 
Où  rôtissent,  en  chapelets, 
Oisons,  canards,  dindons,  poulets, 

Au  tourne-broche; 
Et  puis  le  soleil  jaune-d'or 
Sur  les  casseroles  encor 

Darde  et  s'accroche. 

Tout  se  fricasse,  tout  bruit... 
Et  l'on  chante  là  jour  et  nuit  : 

C'est  toujours  fête! 
Quand,  sous  ce  toit  hospitalier. 
On  demande  à  notre  hôtelier 

Si  tout  s'apprête... 
Il  vous  répond  avec  raison  : 
On  n'a  jamais  dans  lua  maison, 

Fait  une  plainte! 
On  est  servi  comme  il  convient, 
Et  rien  n'est  meilleur,  on  sait  bien, 

Qu'à  la  GrandPinte! 

Je  salue  et  monte.  Je  vois 

Un  couvert  comme  pour  des  rois  ! 

La  nappe  est  mise. 
J'attends  mes  amis.  —  Au  lointain 
Tout  est  gelé  sur  le  chemin, 

La  plaine  est  grise. 
Pour  mieux  voir  j'ouvre  les  rideaux. 
Le  givre  met  sur  les  carreaux 

Un  tain  de  glace  ; 
11  trace  des  monts,  des  forêts, 
Des  lacs,  des  fleurs  et  des  cyprès  : 

Je  les  efface. 


472  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

La  vie  est  rude  et  lliiver  froid  ; 
On  devient  courbe  au  lieu  de  droit, 

Quand  l'dg-e  pèse. 
A  la  Grand'Pinte  on  rit  de  tout; 
La  gaîié  retentit  partout  : 

Là,  je  suis  aise! 
Un  instant  de  joie  et  d'espoir 
Me  fait  voir  en  rose  le  noir 

Que  j'ai  dans  l'âme... 
Du  bruit,  du  vin  et  des  chansons  ! 
C  est  en  soufflant  sur  les  tisons 

Que  sort  la  flamme! 

Adieu  tristesses  et  soucis, 
Quand  avec  mes  amis,  assis, 

Joyeux  ensemble; 
Nous  ne  buvons  pas  à  moitié 
En  trinquant  à  notre  amitié 

Qui  nous  rassemble. 
Nous  sommes  quatre  compagnons 
Qui  buvons  bien,  mais  sommes  bons; 

Dieu  nous  pardonne! 
Lun  mort,  il  en  restera  trois, 
Puis  deux,  puis  un,  et  puis,  je  crois, 

Après...  personne! 

{C/iant  et  Poésie,  1855.) 


CHARLES  BAUDELAIRE 

(1821-1866) 


D'origines  champenoises,  Charles-Pierre  Baudelaire  naquit 
à  Paris,  dans  une  vieille  maison  à  tourelle,  sise  au  n»  13  de  la 
rue  Hautefeuille,  le  9  avril  1821,  de  Joseph- Fran^'ois  Bandt-laire, 
ancien  chef  de  bureau  de  la  Chambre  des  Pairs,  et  de  Caroline  Du- 
fays,  son  épouse.  Il  perdit  de  bonne  heure  son  père,  et  sa  mère 
«pousa  en  secondes  noces  le  chef  de  bataillon  Aupick,  par  la 
suite  maréchal  de  camp,  général  et  ambassadeur  do  France  à 
Constantinopleet  à  Madrid.  Baudelaire  fit  ses  premières  études 
à  la  pension  Delorme  et  au  collège  royal  de  Lyon.  Il  eût  ter- 
miné ses  humanités  à  Louis-le-Grand,  si  une  aventure  scanda- 
leuse ne  l'eût  fait  cliasser  de  ce  collège,  au  milieu  de  son  année 
de  philosophie,  en  avril  1839.  Rebelle  à  la  volonté  de  ses  pa- 
rents, lesquels  s'opposaient  à  son  désir  de  suivre  la  carrière 
des  lettres,  il  se  prit  à  fréquenter  les  groupements  artistiques 
de  son  temps.  Il  vivait  au  quartier  latin  avec  des  étudiants  et 
des  poètes,  o  capricieux  bohèmes  qui  avaient  créé  une  sorte  de 
phalanstère  à  la  pension  Bailly.  »  Il  connut  là  Le  Vavasseur, 
Ernest  Prarond,  L.  de  la  Gennevraye,  etc.  Pour  réagir  contre 
ses  goûts  et  sa  vie  libertine,  les  siens  ne  tardèrent  pas  à  l'em- 
barquer sur  un  navire  marchand  qui  faisait  voile  pour  Calcutta. 
Il  revint  en  France,  après  une  absence  de  dix  mois,  gardant  de 
cette  croisière  aux  pays  exotiques  une  éblouissante  vision.  Mes 
son  retour,  en  février  1842,  il  se  mit,  dit-on,  courageusement  à 
l'œuvre,  inaugurant  cette  période  de  labeur  fécond  qui.  de  la 
publication  do  son  premier  Salon,  et  de  ses  articles  au  Corsaire- 
Satan,  aboutit  à  l'apparition,  en  1857,  de  son  unique  recueil  de 
poèmes,  Les  Fleurs  du  Mal.  Au  mois  d'avril  1843,  ayant  atteint 
la  majorité,  il  toucha  sa  part  de  l'héritage  paternel  (75.000  francs 
environ).  Il  vécut  longtemps  de  ces  ressources,  converties  un 
jour,  grâce  à  la  prévoyance  familiale,  en  une  modeste  rente,  et 
aussi  du  mince  produit  de  ses  ouvrages.  Il  s'était  meuljlé  tout 
d'abord  un  rez-de-ehaussée  au  n"  10,  quai  de  Béthune,  dans  l'île 
Saint-Louis.  Il  s'isolait  dans  le  travail  et  la  méditation.  Il  s'y 
«nnuya,  et  quelques  mois  après  alla  habiter  rue  Vaneau.  De  re- 
tour à  son  ancien  quartier,  il  s'installa  cette  fois  quai  d'Anjou, 


4i;4  LES    POETES    DU    TERROIR 

dans  les  combles  de  l'hôtel  Pimodan,  et  lia  connaissance  avec 
Tliéophile  Gautier.  Ce  fut  une  vie  heureuse  entre  la  culture  et  l;v 
flânerie.  Il  suivit,  en  élève  libre,  les  cours  de  l'Ecole  des  Chartes , 
reprit  ses  études  interrompues,  devint  excellent  latiniste,  so 
perfectionna  dans  la  langue  anglaise  et  prépara  son  admirable 
traduction  d'Edgar  Poë.  Il  venait  de  publier  ses  deux  premiers 
Salons  {Salon  de  18k5,  Paris,  Labitte,  18'i5,  in-12;  Salon  de 
18^6,  Paris,  M.  Lévy,  1846,  in-12).  quand  soudain  éclata  la  révo- 
lution de  1848.  Malgré  ses  opinions,  son  penchant  au  catholi- 
cisme et  ses  goûts  d'aristocrate,  on  le  vit  se  mêler  à  la  foule, 
marcher  aux  barricades  et  fonder  ensuite  avec  Cliampfleury 
une  petite  feuille  éphémère,  Le  Salut  Public.  Nous  ne  le  sui- 
vrons pas  dans  toutes  ses  étapes,  pressé  d'en  finir  avec  les 
notes  relevées  un  peu  hâtivement  sur  les  commentaires  de  ses 
l)iographes.  Que  retenir  d'ailleurs  des  mille  incidents  de  sa  vie, 
de  son  amertume ,  de  ce  perpétuel  désenchantement  qu'on 
trouve  exprimé  dans  ses  cahiers  de  notes,  dans  sa  correspon- 
dance et  même  dans  ses  ouvrages?  Pourtant,  dira-t-on,  rien 
n'est  à  dédaigner  de  ce  qui  contribua  à  sa  géniale  évolution. 
Ses  amours  terribles  et  douloureuses,  sou  imprévoyance,  sa 
gène,  ses  disgrâces,  tout,  jusqu'à  ses  excès,  est  également  cher 
à  quiconque  veut  connaître  cette  âme  d'élite  et  déchifl'rer  le 
mystère  troublant  de  son  œuvre  dantesque.  Seule  la  place  nous 
manque  pour  en  dire  plus  long... 

Ses  dettes  entraînent  un  jour  après  lui  la  meute  des  créan- 
ciers. En  vain  s'enfuit-il  à  tous  les  coins  de  Paris  :  de  la  rue 
Pigalle  à  la  rue  Mazarine,  de  la  rue  Laffitte  à  la  rue  de  Seine  et 
à  l'avenue  de  la  République;  il  est  sans  cesse  traqué,  pour- 
suivi. II  lui  faut  partir,  aller  en  province.  On  lui  offre  de  diriger 
un  journal  conservateur  à  Dijon.  L'intiniilé,  l'ordonnance  de  sa 
vie,  sont  rompues.  C'est  l'exil,  la  halte  à  l'hôtel.  De  retour  à 
Paris,  un  soir,  dans  un  cabaret  de  la  rue  Richelieu,  il  se  perce 
la  poitrine  d'un  coup  de  couteau.  A  en  croire  le  récit  de  Louis 
Ménard,  rapporté  par  M.  Philippe  Rerthelot,  «  Baudelaire  no 
sentit  rien.  II  fut  réveillé  par  un  ronronnement.  Il  était  chez 
le  commissaire  de  police  qui  lui  disait  :  Vous  avez  commis  une 
mauvaise  action;  vous  vous  devez  à  votre  patrie,  à  votre  «juar- 
ticr,  à  votre  rue,  à  votre  commissaire  de  police.  »  On  le  porta 
dans  sa  famille.  Légende  que  tout  cela,  a-l-on  écrit;  légende 
aussi,  peut-être,  la  condamnation  des  Fleurs  du  Mal  on  1857'. 
légende    le    réquisitoire   imbécile  et   malfaisant   du  substitut 

1.  On  sait  que  les  Fleurs  du  3/«/ avaient  paru  en  1857,  on  un  vol. 
in-12,  chez  i'oulcl-Malussis.   L'ouvrage  reparut  chez  le  mc^mc  é<h- 
leur,  en  IHtîl.  il  contonail  trente-cinq  poèmes  nouveaux,  mais  on  n'^ 
trouvait  plus  six  pièces  publiées  anléricurcment,  et  qui  avaient  j»: 
vo(iué  sa  condauinaliou. 


ILE-DE-FUANCE  475 

Pinard  —  retenez  ce  nom  —  et  la  triple  amende  inflio;ée  au  poéto 
3t  à  l'éditeiir  Poiilet-Malassis,  pour  outrage  à  la  morale  publique 
3t  aux  bonnes  mœurs.  Un  instant  Baudelaire  songea  à  protes- 
ter, mais,  sollicité  par  divers  travaux,  prooccupé  d'  «  idéale 
perfection  »,  il  se  remit  à  la  tâche  courageusement,  sur  de  l'ini- 
quité des  juges  et  d'une  réhabilitation  prochaine.  Au  fait,  avait- 
il  besoin  d'être  réhabilité,  celui  à  qui  Victor  Hugo  écrivait  do 
Hauteville  House,  le  30  août  1857  :  «  L'art  estcomnïe  l'azur,  c'est 
le  champ  infiui,  vous  vouez  de  le  prouver.  "Vos  Fleurs  du  Mal 
rayonnent  et  éblouissent  comme  des  étoiles...  Une  des  rares 
décorations  que  le  régime  actuel  peut  accorder,  vous  venez 
de  la  recevoir.  Ce  qu'il  appelle  sa  justice  vous  a  condamné 
au  nom  de  ce  qu'il  appelle  sa  morale;  c'est  là  une  couronne  do 
plus...  » 

Baudelaire  donna  coup  sur  coup  :  les  Histoires  extraordi- 
naires, traduites  d'Edgar  Poë  (Paris,  M.  Lévy,  1856,  in-18); 
Nouvelles  Histoires  extraordinaires,  etc.  (ibid.,  1857,  in-18); 
Aventures  d'Arthur  Gordon  Pym,  etc.  (ibid.,  1858,  in-18); 
Théophile  Gautier  (Paris,  Poulet-Malassis  et  de  Broise,  1858, 
in-12);  le  Salon  de  1859  (Revue  française,  10  juin-20  juill.  1859); 
Les  Paradis  artificiels.  Opium  et  Haschisch  (Paris,  Poulet-Ma- 
lassis  et  de  Broise,  1860,  in-18),  et  enfin  son  admirable  étude 
SMv  Richard  Wagner  (Paris,  Dentu.  1861,  in-12).  En  1862,  il  posa 
sa  candidature  à  l'Académie  française.  On  put  croire  un  ins- 
tant à  une  de  ces  mystifications  dont  il  était  coutumior  ;  pour- 
tant il  n'en  fut  rien,  et  il  se  désista  avec  des  termes  dont  on 
apprécia  «  la  modestie  et  la  convenance  ».  Il  n'avait  voulu  que 
réagir  contre  la  condamnation  des  Fleurs  du  Mal.  et  peut-être, 
ajouterons-nous,  se  garder  des  mauvais  offices  de  la  fortune. 
Aussi  bien  ce  fut  l'une  des  dernières  manifestations  de  sa  vie 
littéraire.  Sa  fin  se  précipita.  Un  séjour  à  BruxelUs,  où  il  espé- 
rait trouver  des  conférences  et  un  éditeur  pour  ses  œuvres  com- 
plètes, lui  devint  funeste.  Le  climat,  l'intempérance,  la  gène, 
des  déceptions,  exaspérèrent  son  état  nerveux  déjà  fort  ébranlé. 
Frappé  d'hémiplégie  et  d'aphasie,  il  fut  ramené  a  Paris,  par  les 
soins  de  sa  mère  et  du  peintre  Alfred  Stevens,  et  entra,  le 
4  juillet  1866,  dans  la  maison  de  santé  du  docteur  Emile  Duval, 
rue  du  Dôme.  Il  mourut  là,  le  ;il  août  de  l'année  suivante,  à  l'âge 
de  quarante-six  ans. 

Outre  les  livres  cités  plus  haut,  outre  des  notices  insérées  au 
tome  IV  des  Poètes  français  d'Eugène  Crépet  (Paris,  Hachette, 
1863,  in-8»),  outre  Histoires  grotesques  et  sérieuses  d'Edgar  Poe 
(Paris,  M.  Lévy,  1865,  in-18)  et  un  recueil  de  ses  poèmes  inter- 
dits, Les  Epaves,  frontispice  de  F.  Bops  (Amsterdam  (Bruxelles, 
à  l'enseigne  du  Coq],  1866,  in-12),  il  laissait  de  lumineux  arti- 
cles d'art  et  do  critique  et  des  poèmes  en  prose  qui,  recueillis 
Plu  après  sa  mort,  par  les  soins  pieux  de  son  ami  Asselineau, 


476  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

parurent  sous  ces  titres  :  L'Art  romantique;  Curiosités  esthéti- 
ques. Petits  Poèmes  en  />/'05e. (Paris,  M.  Lévy,  1868,  3  vol.  in-18). 

Ses  Œuvres  complètes  ont  été  données  depuis  par  les  édi- 
teurs Michel  Lévy  (Paris,  1868-1870,  7  vol.,  petit  in-12).  Enfin, 
après  Eugène  Crépet,  lequel  avait  rassemblé  et  mis  à  jour  de 
nouveaux  ouvrages  du  poète  (Paris,  Quantin,  1887,  in-S»),  la 
Société  du  Mercure  de  France  a  donné  récemment  un  volume 
de  Lettres  et  un  recueil  à'Œuvres  posthumes,  en  vers  et  en  prose 
(Paris.  1906  et  1908,  2  vol.  in-8<'),  parmi  lesquels  on  trouvera  les 
poèmes  qui  motivèrent  sa  condamnation  en  1857. 

On  a  tout  dit  sur  Charles  Baudelaire,  et  nous  n'ajouterions 
rien  à  tant  d'opinions  libéralement  émises,  si  nous  n'avions  à 
faire  observer  ici  que  le  poème  des  Fleurs  du  Mal,  ce  livre  d'un 
symbolisme  admirable,  n'est  pas  seulement  un  pur  monument 
du  lyrisme  contemporain,  mais,  en  sa  vibrante  et  concise  ori- 
ginalité, l'ouvrage  le  plus  émouvant  qu'on  ait  écrit  sur  Paris. 
Nul  autre  que  Baudelaire  n'a  montré  la  beauté  artificielle  et 
cynique,  les  joies,  les  aspirations  et  les  révoltes  de  la  grande 
ville:  nul  n'a  exprimé  comme  lui  son  atmosphère  de  passion  et 
de  luxure...  Poète  de  l'amour,  il  n'oublia  jamais  ce  que  le  sens 
de  l'idéal  et  les  mauvais  desseins  doivent  également  au  milieu 
où  ils  ont  pris  naissance.  Et  il  écrivit  un  jour  ce  vers,  recueilli 
dans  ses  papiers,  et  digne  de  figurer  en  tète  d'une  nouvelle  édi- 
tion des  Fleurs  du  Mal  : 

Tu  m'as  donné  ta  bouc,  el  j'en  ai  fait  de  l'or. 

Bibliographie.  —  Asselineau,  Ch.  Baudelaire,  Paris,  Le- 
merre,  1868,  in-18.  —  A.  de  la  Fizelière  et  G.  Decaux,  Essai  de 
bibliogr.  etc.,  Paris,  Académie  des  bibliophiles,  1868,  in-12. 
—  Charles  Beaudelaire,  Souvenirs,  Correspondance,  Bibliogr,, 
suiv.  de  pièces  inédites  (publ.  par  Ch.  Cousin,  Asselineau  et 
Poulet-Malassis),  Paris,  Pincobourde,  1872,  in-8°.  —  Charavey, 
Alfred  de  Vigny  et  Ch.  Baudelaire,  candidat  a  l'Académie  fran- 
çaise, Paris,  Ciiaravey,  1879,  in-16.  —  Théodore  de  Banville, 
Mes  Souvenirs,  Paris,  Charpentier,  1882,  in-18.  —  Th.  Gautier, 
Préface  à  l'éd.  des  Fleurs  du  Mal,  éd.  Caln>ann-Lévy.  —  F.  Gau- 
tier, Ch.  Baudelaire,  Paris,  édit.  de  La  Plume,  1904,  in-8".  — 
E.  Crt'pet,  Ch.  Baudelaire,  étude  biogr.  revue...  par  J.  Crcpel 
etc.,  Paris,  Messein,  1907,  in-18.  —  Le  Tombeau  de  Ch.  Baw 
luire,  Paris,  Bibl.  art.  et  littér.,  1896,  gr.  in-8». 


ILE-DE-FRANCE  477 


LE   CYGNE 


A  Victor  Hugo. 


T 

Andromaquc,  je  ponso  à  voiisl  —  Co  polit  fleuve, 
Pauvre  et  triste  miroir  où  jadis  resplendit 
L'immense  majesté  de  vos  douleurs  de  veuve, 
Ce  Sinioïs  menteur  qui  par  vos  pleurs  g'randit, 

A  fécondé  soudain  ma  mémoire  fertile, 

Gomme  je  traversais  le  nouveau  Carrousel. 

—  Le  vieux  Paris  n'est  plus  (la  forme  d'une  ville 

Cliang-e  plus  vite,  liélas!  que  le  cœur  d'un  mortel); 

Je  ne  vois  qu'en  esprit  tout  ce  camp  de  baraques, 
Ces  tas  de  chapiteaux  ébauchés  et  de  fûts  ; 
Les  herbes,  les  gros  blocs  verdis  par  l'eau  des  flaques 
Et,  brillant  aux  carreaux,  le  bric-à-brac  confus. 

Là  sétalait  jadis  une  ménagerie  ; 
Là  je  vis  un  matin,  à  l'heure  où  sous  les  cieux 
Clairs  et  froids  le  Travail  s'éveille,  où  la  voirie 
Pousse  un  sombre  ouragan  dans  l'air  silencieux, 

Un  cygne  qui  s'était  évadé  de  sa  cage 
Et,  de  ses  pieds  palmés  frottant  le  pavé  sec, 
Sur  le  sol  raboteux  traînait  son  blanc  plumage. 
Près  d'un  ruisseau  sans  eau  la  bête  ouvrant  le  bec 

Baignait  nerveusement  ses  ailes  dans  la  poudre, 

Et  disait,  le  cœur  plein  de  son  beau  lac  natal  : 

«  Eau,  quand  donc  pleuvras-tu  ?  quand  tonneras-tu,  foudre- 

Je  vois  ce  malheureux,  mythe  étrange  et  fatal, 

Vers  le  ciel  quelquefois,  comme  l'homme  d'Ovide, 
Vers  le  ciel  ironique  et  cruellement  bleu, 
Sur  son  cou  convulsif  tendant  sa  tète  avide, 
Comme  s'il  adressait  des  reproches  à  Dieu! 

II 

Paris  change,  mais  rien  dans  ma  mélancolie 
N'a  bougé!  palais  neufs,  échafaudages,  blocs. 


^b  LES    POETES    DU    TERROIR 

Vieux  faubourgs,  tout  pour  moi  devient  allégorie, 

Et  mes  chers  souvenirs  sont  plus  lourds  que  des  rocs 

Aussi  devant  ce  Louvre  une  image  m'opprime, 

Je  pense  à  mon  grand  cygne,  avec  ses  gestes  fous, 

Comme  les  exilés,  ridicule  et  sublime, 

Et  rongé  d'un  désir  sans  trêve!  et  puis  à  vous, 

Andromaque,  des  bras  d'un  grand  époux  tombée, 

A^il  bétail,  sous  la  main  d'un  superbe  Pyrrhus, 

Auprès  d'un  tombeau  vide  en  extase  courbée; 

Veuve  d'Hector,  hélas!  et  femme  d'Hélénus! 

Je  pense  à  la  négresse,  amaigrie  et  phtisique, 

Piétinant  dans  la  bouc,  et  cherchant,  l'œil  hagard, 

Les  cocotiers  absents  de  la  superbe  Afrique 

Derrière  la  muraille  immense  du  brouillard; 

A  quiconque  a  perdu  ce  qui  ne  se  retrouve 

Jamais!  jamais!  à  ceux  qui  s'abreuvent  de  pleurs. 

Et  tettent  la  Douleur  comme  une  bonne  louve; 

Aux  maigres  orphelins  séchant  comme  des  fleurs! 

Ainsi  dans  la  forêt  où  mon  esprit  s'exile 

Un  vieux  Souvenir  sonne  à  plein  souffle  du  cor, 

Je  pense  aux  matelots  oubliés  dans  une  île, 

Aux  captifs,  aux  vaincus!...  à  bien  d'autres  encor  ! 

LE    CRÉPUSCULE    DU    MATIN 

La  diane  chantait  dans  les  cours  des  casernes. 
Et  le  vent  du  matin  soufflait  sur  les  lanternes. 
C'était  l'heure  où  l'essaim  des  rêves  malfaisants 
Tord  sur  leurs  oreillers  les  bruns  adolescents; 
Où  comme  un  œil  sanglant  qui  palpite  et  qui  bouge, 
La  lampe  sur  le  jour  fait  une  tache  rouge; 
Oùl'àme,   sous  le  poids  du  corps  revéche  et  lourd. 
Imite  les  combats  de  la  lampe  et  du  jour. 
Gomme  un  visage  en  pleurs  que  les  brises  essuient, 
L'air  est  plein  du  frisson  des  choses  qui  s'enfuient, 
Et  l'homme  est  las  d'écrire,  et  la  femme  d'aimer. 
Les  maisons  cà  et  là  commençaient  à  fumer. 
Les  femmes  de  plaisir,  la  paupière  livide. 


ILE-DE-FRANCE  479 

Bouche  ouverte,  dormaient  de  leur  sommeil  stupide; 
Los  pauvresses,  traînant  leurs  seins  maigres  et  froids, 
Soufllaient  sur  leurs  tisons  et  soufflaient  sur  leurs  doigts. 
C'était  riieure  où  parmi  le  froid  et  la  lésine 
S'aggravent  les  douleurs  des  femmes  en  gésine; 
Comme  un  sanglot  coupé  par  un  sang  écumeux, 
Le  chant  du  coq  au  loin  déchirait  l'air  brumeux; 
Une  mer  de  brouillards  baignait  les  édifices, 
Et  les  agonisants  dans  le  fond  des  hospices 
Poussaient  leur  dernier  râle  en  hoquets  inégaux. 
Les  débauchés  rentraient,  brisés  par  leurs  travaux. 

L'aurore  grelottante  en  robe  rose  et  verte 
S'avançait  lentement  sur  la  Seine  déserte, 
Et  le  sombre  Paris,  en  se  frottant  les  yeux, 
Empoignait  ses  outils,  vieillard  laborieux. 

{Les  Fleurs  du  mal,  nouv.  éd.,  Paris, 
Galmann-Lévy,  1890.) 


EMILE   BLEMONT 

(1839) 


M.  Léon-Emile  Petitdidier,  dit  Emile  Blémont,  naquit  à  Pa- 
ris le  17  juillet  1839.  D'origine  lorraine  par  son  père,  François 
Petitdidier,  il  appartient  par  sa  mère  Françoise-Eliza  JoUv,  à 
une  vieille  famille  du  Parisis.  Son  aïeul,  Jean  Baptiste  JoUy, 
teinturier  rue  Saint-Martin,  s'était  acquis,  en  son  temps,  une 
triple  popularité  «  comme  habile  artisan,  républicain  sincère 
et  joyeux  chansonnier.  »  Ses  parents  le  vouèrent  à  une  carrière 
industrielle.  Il  y  renonça  après  plusieurs  années  d'études  com- 
merciales en  Angleterre  et  en  Espagne,  devint  clerc  d'avoué, 
lit  son  droit  et,  reçu  avocat  au  barreau  de  Paris,  plaida,  non 
sans  talent,  jusqu'à  ce  qu'une  laryngite  le  contraignit  à  quitter 
cette  profession.  Il  se  destina  alors  à  la  littérature  et  débuta 
sous  le  nom  de  famille  de  sa  grand'mére  paternelle,  avec  un 
volume  de  vers.  Contes  et  Féerie  (Paris,  J.  Lemer,  1866,  in-121, 
qui  le  classa  parmi  les  jeunes  parnassiens.  Ilesté  à  Paris  pen- 
dant l'hiver  du  siège,  il  fut  incorporé,  comme  sergent  fourrier, 
au  116"  bataillon  de  la  garde  nationale.  En  1872,  il  fonda  avec 
quelques  amis  La  Renaissance  littéraire^  puis  il  entra  par  la 
suite  au  Rappel,  où  il  tint  pendant  près  do  dix  années  la  chro- 
nique des  livres.  Entin,  plus  tard,  il  dirigea  La  Tradition  et  La 
Revue  du  Nord. 

M.  Emile  lilémont  fut  l'inséparable  compagnon  de  tous  les 
poètes  de  sou  époque.  11  connut  à  la  fois  Victor  Hugo,  Théo- 
dore do  Banville,  Albert  Mérat,  Paul  Verlaine,  Léon  Valade,  et 
jusqu'à  cet  évadé  du  Parnasse,  Jean-Arthur  Rimbaud.  Ce  n'est 
point  trop  dire  qu'il  fut  mêlé  à  toutes  les  manifestations  lit- 
téraires et  artistiques  de  ces  quarante  dernières  années.  La  liste 
de  ses  œuvres  est  longue  qui  contient  des  poéiucs,  des  pièces 
de  théâtre  et  des  études  d'art,  car  M.  Emile  Hh-niout  ne  s'est 
l)as  contenté  seulement  d'exercer  «  le  noble  jeu  des  rimes  »  ; 
il  s'est  fait  h  l'occasion  historien  de  lettres  et  crili(|ue.  Il  eut, 
un  des  premiers,  le  mérite  de  faire  connaître  l'étrange  génie 
d'un  Withmau,  et  il  consacra  quelques  belles  pages  à  Long- 
fellow  et  à  S\viul)urn<'.  Après  avoir  signalé  son  premier  livre, 
nous  retiendrons  ici  les  titres  de  quelques-uns  de  ses  meiL| 


uelL| 


ILE-DE-FRANCE  481 

eurs  recueils  devers  :  Poèmes  d'/talie  (Paris,  A.  Lemerre,  1870, 
a-18);  Pot-traits  sans  modèles  (ibid.,  1879,  iu-18)  ;  Poèmes  de 
"hine  (ibid.,  1887,  in-18)  ;  Les  Pommiers  en  fleurs  (Paris,  Char- 
tentier,  1891,  ia-18);  La  Belle  Aventure  (Paris,  Lemerre,  1895, 
Q-18),  Beautés  étrangères  (ibid.,  190i,  in-18);  L'Ame  ctoiléc 
bid.,  1906,  in-18).  etc. 

BiRLiOGRAPiiiE.  —  F.  CIcroet,  Lmile  Blcmont,  Paris,  IJibliolh. 
le  l'Associalion,  1906,  in-18. 


PRINTEMPS   PARISIEN 

Sous  l'azur  tendre  et  l'or  du  ciel  d'avril, 
Montmartre  au  loin  s'étag-e,  gris  et  rose. 
Le  boulevard,  hier  soir  si  morose. 
S'éclaire  et  rit.  L'air  est  tiède  et  subtil. 

Une  fillette,  un  narcisse  au  corsage, 
Semble,  en  marchant,  senivrer  de  soleil; 
Son  regard  brille;  un  flot  de  sang  vermeil 
Lui  bat  au  cœur  et  lui  monte  au  visage. 

Qu'ai-je  donc  fait  de  mes  sombres  douleurs? 
Le  jour  est  plein  de  douceur  lumineuse; 
On  est  épris  de  chaque  promeneuse, 
On  voit  passer  des  voitures  de  fleurs. 

Laissons  le  feu  s'éteindre  au  fond  de  l'àtre, 
Attardons-nous  sous  les  marronniers  verts! 
11  faut  avoir  la  cervelle  à  l'envers 
Pour  s'enfermer  maintenant  au  théâtre. 

Tout  est  gonflé  de  sève,  jeune  encor  ; 
Tout  veut  aimer,  tout  semble  heureux  sans  cause- 
—  Montmartre  au  loin  s'étage,  gris  et  rose, 
Sous  le  baiser  du  ciel  d'azur  et  d'or. 


FILLE    A   LA   MODE 

Chez  elle,  après  souper,  au  printemps,  à  Paris, 
On  fumait,  on  causait,  on  semblait  un  peu  gris  : 
La  pécheresse  était  belle  à  damner  un  ange; 


482  LES  POÈTES  DU  TEKKOIR 

Souverainement  simple  et  doucement  étrange, 
Elle  offrait  l'indicible  épanouissement 
D'une  fleur  vive  ayant  pour  âme  un  diamant. 
Brune,  avecdes  yeuxbleus  pleins  d'ombre  langoureuse 
Sa  bouche,  d'un  arc  fin,  pourprée,  humide,  heureuse 
Sous  les  ailes  du  nez  gonflant  leur  pur  contour, 
Riait,  et  l'on  eût  dit  l'aurore  de  l'amour. 
Des  rondeurs  de  sa  gorge,  orgueilleusement  blanche. 
Rayonnait  un  vertige.  Ainsi  qu'une  avalanche, 
Les  désirs  fous  roulaient  du  sommet  de  ses  seins. 

—  Son  album  était  plein  de  portraits  d'assassins. 


PAYSAGE    PARISIEN 

A  Ariionld  Ilogicr. 

Le  bleu  pur  du  ciel  transparaît 
Parmi  la  fumée  et  la  brume  ; 
Le  soleil  se  monti*e  :  on  croirait 
Voir  un  fer  rougi  sur  l'enclume. 

De  l'Obélisque  au  Rond-Point, 
Portant  conjointe  et  conjoint, 

Les  carrosses 

De  vingt  noces 
Roulent,  traînés  par  des  rosses; 
Lents,  mornes,  sous  le  ciel  bleu 
Ils  font  leur  petite  lieue, 

A  la  queue 
Leuleu. 

{La  Belle  Arcniure,  1895.) 


FRANÇOIS   GOPPEE 

(1812-1908) 


François-Joachim-Edouard  Coppée  naquit  à  Paris  le  26  jan- 
•ier  1S42,  au  n"  9  do  la  rue  Saint-Maur-Saint-Germain  faiijour- 
l'hui  rue  de  l'Abbé-Grégoire).  Son  aïeul  paternel,  Jean-Bap- 
iste  Coppée,  était  originaire  de  Mons.  Son  grand-père  maternel, 
naître  serrurier,  se  nommait  Pierre  Baudry,  dit  Saintongeois; 
iprès  avoir  fait  son  tour  de  France  el  gagné  la  maîtrise,  il 
.'pousa  à  Paris  une  femme  de  sa  condition  et  s'établit  rue  du 
viouton,  près  de  l'ancienne  place  de  Grève.  C'est  là,  a-t-on 
icrit.  qu'il  forgea,  en  quatre-vingt-douze,  des  piques  pour  les 
jectionnairos.  Le  père  de  François  Coppée  occupait  un  mo- 
leste emploi  au  ministère  de  la  guerre.  Homme  de  devoir,  il 
lonna  à  son  fils  l'exemple  d'une  vie  laborieuse  et  digne.  Le 
peintre  Chariot  et  un  vieux  dragon  de  la  garde,  le  capitaine 
Blot,  qui  fréquentaient  la  maison,  déterminèrent  chez  lui  ce 
goût  des  choses  héroïques  et  militaires  qu'il  garda  jiisquà  la 
fin.  Ses  parents  ayant,  par  la  suite,  émigré  rue  Vaneau,  il  fré- 
quenta en  qualité  d'externe  la  pension  Hortus,  rue  du  Bac.  En 
1856,  nous  trouvons  toute  la  famille  rue  Monsieur-le-Prince  et 
le  futur  poète  externe  au  lycée  Saint-Louis.  Là  s'arrête  son 
enfance.  On  connaît  le  reste.  Obligé  d'interrompre  ses  études, 
Coppée  est  successivement  commis  chez  un  architecte,  puis 
expéditionnaire  au  ministère  de  la  guerre.  Il  habite  Montmar- 
tre, débute  avec  des  contes  en  prose  au  Causeur,  se  lie  avec 
quelques  jeunes  poètes,  Catulle  Mendès,  J,-M.  de  Heredia,  Léon 
Dierx,  Albert  Mérat,  Paul  Verlaine,  etc.,  contribue  à  fonderie 
Parnasse  contemporain,  publie  ses  deux  premiers  recueils.  Le 
Reliquaire  (Paris,  Lemerre,  1866,  in-18);  Intimités  (ibid.,  1868, 
in-18),  et  fait  représenter  par  Sarah  Bernhardt  et  Agar,  sur  la 
scène  de  l'Odéon,  le  14  janv.  1869,  un  acte  en  vers.  Le  Passant 
(Paris,  Lemerre,  1869,  in-18).  Illustre  dès  ce  soir-là,  Coppée 
obtient,  grâce  à  la  protection  de  la  princesse  Mathilde,  le  poste 
de  bibliothécaire  adjoint  au  Sénat  (1869),  qu'il  cédera  en  1872 
à  Leconte  de  Lisle,  pour  l'emploi  d'archiviste  au  Théâtre- 
Français.  Il  connaît  la  gloire,  mais  les  revers  ne  l'épargneront 
point.  La  maladie,  la  guerre,  cette  guerre  pour  laquelle  le  poète 


484  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

dut  céder  le  pas  au  garde  national,  viennent  de  l'éprouver.  Dé 
missionnaire  de  son  emploi,  à  la  suite  d'un  incident  avec 
comité  des  «  Français  »,  il  est  chargé  à  La  Patrie  du  feuilleté 
dramatique.  Il  y  déploie  de  brillantes  qualités,  de  1880  à  188 
et  ne  dépose  la  plume  du  critique  que  pour  solliciter  un  sièg 
d'académicien.  Elu.  le  21  février  1884,  en  remplacement  de  Vi 
tor  de  Laprade,  il  occupe  le  fauteuil  d'Alfred  de  Musset.  Lourc 
succession.  Désormais  l'histoire  de  sa  vie  est  intimement  liée 
celle  de  ses  livres.  La  liste  de  ses  œuvres  est  trop  longue  poi 
prendre  place  ici'.  Qu'il  nous  suffise  de  signaler  les  rccuei 
où  vibra  son  âme  de  Parisien. 

Après  Le  Reliquaire  et  Intimités  il  donna  :  Premières  Poèsi 
[Le  Reliquaire,  Poèmes  divers.  Intimités]  (Paris,  Lemerre,  186 
in-18);  Poèmes  modernes  (ibid.,  1869,  in-lS);  Les  Humbles  (ibid 
1872,  in-18);  Le  Cahier  ronge  (ibid.,  1874,  in-18);  Olivier  (ibid 
1876,  in-18);  L'Exilée  (ibid.,  1877,  in-4°)  ;  Les  Mois  (Paris,  libi 
du  Moniteur  univers.,  1877,  in-folio);  Les  Récits  et  les  Elégi, 
(Paris,  Lemerre,  1878,  in-18);  Contes  en  vers,  etc.  (ibid.,  188' 
in-18)  ;  Poèmes  et  Récits  (ibid.,  1886,  in-8»);  Le  Petit  Epicier  (ibid 
1886,  in-18);  Arrière  Saison  (ibid.,  1887,  in-18);  Les  Paroles  sin 
ccres  (ibid..  1891,  in-18|  ;  Dans  la  prière  et  dans  la  lutte  (ibid 
1901,  in-18)  :  Des  Vers  français  (ibid.,  1906,  in-18);  L'Ecu  de  si 
livres  (ibid.,  1908,  in-18);  Un  Duel  au  sabre  (ibid.,  1908,  in-18 
Lettre  du  Christmas  (ibid.,  1908,  in-18),  etc. 

Chez  François  Coppée,  l'homme  apparaît  supérieur  à  l'écrivaii 
ail  poète  même.  Son  esprit,  sa  bonhomie,  son  talent  de  eau 
seur,  qu'on  retrouve  dans  maints  articles  de  journaux  (Voyez 
Mon  franc  parler,  Paris,  Lemerre,  1894-1896,  4  vol.  in-18).  or 
contribue  plus  sûrement  qu'aucun  de  ses  ouvrages  à  le  faire  cOi 
naître  du  public.  Pendant  prés  de  quarante  années,  il  a  été  mêl 
à  toutes  les  manifestations  de  la  vie  parisienne;  il  a  pris  pai 
à  tous  les  mouvements  littéraires  :  parnassien,  naturaliste,  sym 
boliste,  etc.  Témoin  qui  a  su  voir,  su  entendre,  rien  n'a  écliapp 
à  sa  curiosité.  Epris  des  mille  événements  do  la  rue,  de  la  vi 
des  «  Humbles  »  qu'il  a  chantée  sans  effort,  mais  aussi  saD 
grandeur,  il  a  été  l'auteur  le  plus  épris  de  modernité,  et  p» 
cela  le  plus  goûté  du  public.  Après  Ilérauger.  après  Sainte 
Heuve,  et  fatil-il  le  dire,  après  Hugo,  mais  avec  des  ressource 
iuriniment  restreintes  et  un  idéal  moyen,  il  a  tenu  la  plac 
d'une  sorte  de  génie  national,  représentant  tout  à  la  fois  I 
poésie  intime,  familière,  héroïque,  sociale,  la  poésie  de  circoo^ 
tance.  Pendant  près  de  quarante  auuées,  il  a  été  l'écrivain  pr» 

1.  Nous  renvoyons  Icleclour  à  la  hiiiliop;rapliic  délailléo  que  ii" 
avons  publiée  à  la  suile  <lcs  ouvrages  suivants  :  Km.  Gaulicrl,  /''.  ( 
■pi'c,  Paris,  Sansol,  lltOfi,  iu-18;  (laulliier-l'crrières,  F.  Coppée  cl 
fruvre,  Paris,  Mercure  de  France,  1908,  in-l(>. 


ILE-DE-FRANCE  485 

îré  de  toutes  les  classes,  du  peuple  en  particulier,  le  fçrand 
orte-lyre  de  toutes  les  fêtes  de  la  rue,  de  la  famille,  de  l'ate- 
er,  le  poète  élu  pour  banquets,  noces  et  festins!  Sa  technique 
'  u  vers,  sa  maîtrise,  son  habileté  à  mettre  eu  rimes  les  sujets 
3S  plus  opposés  à  la  poésie,  loin  de  le  trahir,  aura  servi  sa  médio- 
rité.  Seul,  son  amour  de  Paris,  ce  goût  touchant  et  simple  des 
boses  et  des  gens  de  nos  faubourgs,  de  nos  mœurs  anciennes, 
ui  disparaissent  un  peu  chaque  jour,  avec  nos  jardins  et  nos 
ieilles  maisons,  lui  vaudra  encore  quelque  réputation  près  des 
jttrés. 
Gravement  malade  pendant  de  longs  mois,  François  Coppée 
st  mort  le  samedi  23  mai  1908,  à  une  heure  de  l'après-midi. 
)n  assure  qu'il  n'avait  rien  perdu  de  cet  esprit  où  il  y  avait  o  du 
entiment  et  la  blague  du  gavroche  ».  Il  le  lit  bien  voir  quand 
a  sœur  Annette  mourut,  juste  six  jours  avant  lui,  le  17  mai 
908,  et  qu'il  vit  partir  le  convoi  que  sou  état  de  santé  l'empè- 
hait  d'accompagner  :  «  C'est  une  répétition  générale,  »  dit-il 
vec  ironie. 

Bibliographie.  — •  De  Lescure,  François  Coppée,  l'homme, 
a  vie  et  l'œuvre,  etc.,  Paris,  Lemerre,  1889,  in-18.  —  J.  Claretie, 
Célébrités contcmp.,  F.  Coppée,  Vay'is,  Quantin,  1885,  in-18;  Coppée 
aconté par  lui-même.  Le  Temps,  29  mai  1908.  —  C.  Mendès,  La 
xgcnde  du  Parnasse  contempor. ,  Bruxelles,  Brancart,  1884, 
n-18.  —  G.  Druilhet,  Un  Poète  français,  Paris,  Lemerre,  1902, 
n-18.  —  Ern.  Gaubert,  Fr.  Coppée,  etc.,  Paris,  Sansot,  1906, 
n-18.  —  Gauthier-Ferriéres,  Fr.  Coppée  et  son  œuvre,  Paris, 
Jercure  de  France,  1908,  in-16. 


Π SUIS  UN  PALE  ENFANT  DU  VIEUX  PARI^ 

Je  suis  un  pâle  enfant  du  vieux  Paris,  et  j'ai 

Le  regret  des  rêveurs  qui  n'ont  pas  voyagé. 

Au  pays  bleu  mon  âme  en  vain  se  réfugie, 

Elle  n'a  jamais  pu  perdre  la  nostalgie 

Des  verts  chemins  qui  vont  là-bas,  à  l'horizon. 

Gomme  un  pauvre  captif  vieilli  dans  sa  prison 

Se  cramponne  aux  barreaux  étroits  de  sa  fenêtre 

Pour  voir  mourir  le  jour  et  pour  le  voir  renaître. 

Ou  comme  un  exilé,  promeneur  assidu, 

Regarde  du  coteau  le  pays  défondu 

Se  dérouler  au  loin  sous  l'immensité  bleue. 


t86  LES  POÈTES  DU  TERROIK 

Ainsi  je  fuis  la  ville  et  cherche  la  banlieue. 
Avec  mon  rêve  heureux  j'aime  partir,  marcher 
Dans  la  poussière,  voir  le  soleil  se  coucher 
Parmi  la  brume  d'or,  derrière  les  vieux  ormes, 
Contempler  les  couleurs  splendides  et  les  formes 
Des  nuages  baignés  dans  l'occident  vermeil, 
Et,  quand  l'ombre  succède  à  la  mort  du  soleil, 
M'éloigner  encor  plus  par  quelque  agreste  rue 
Dont  l'ornière  rappelle  un  sillon  de  charrue. 
Gagner  les  champs  pierreux,  sans  songer  au  départ, 
Et  m'asseoir,  les  cheveux  au  vent,  sur  le  rempart. 

Au  loin,  dans  la  lueur  blême  du  crépuscule. 
L'amphithéâtre  noir  des  collines  recule, 
Et,  tout  au  fond  du  val  profond  et  solennel, 
Paris  pousse  à  mes  pieds  son  soupir  éternel. 
Le  sombre  azur  du  ciel  s'épaissit.  Je  commence 
A  distinguer  des  bruits  dans  ce  murmure  immense. 
Et  je  puis,  écoutant,  rêveur  et  plein  d'émoi, 
Le  vent  du  soir  froissant  les  herbes  près  de  moi, 
Et,  parmi  le  chaos  des  ombres  débordantes, 
Le  sifflet  douloureux  des  machines  stridentes, 
Ou  l'aboiement  d'un  cbieii,  ou  le  cri  d'un  enlanl, 
Ou  le  sanglot  d'un  orgue  au  lointain  s'éloull'ant. 
Ou  le  tintement  clair  dune  tardive  enclume. 
Voir  la  nuit  qui  s'étoile  et  Paris  qui  s'allume. 

{Intimités.) 

[  TA  B  L  E  A  U  X    P  A  Pv  I S I  !•  X  S 

I 

...  La  pluie,  à  la  (in  apaisée, 
Semblait  avoir  lavé  le  matinal  azur, 
Des  nuages  légers  passaient  dans  le  ciel  pur  : 
—  Oh!  ({uelle  bonne  odeur  a  la  terre  mouillée! 
L'averse  avait  rendu  plus  fraîche  la  feuillée, 
Plus  blanches  les  maisons  et  les  nids  plus  bavards. 
Olivier  habilait  un  de  ces  boulevards 
Des  faubourgs  qui  s'en  vont  du  côté  des  banlieues. 
Là-bas,  vers  l'borizon  et  les  collines  bleues, 


[LE-DE-FRANCn 


487 


e  peuple  du  quartier  populaire  et  lointain 

ornant  le  Luxembourg-  et  le  pays  latin 
i  liait  aux  bois  voisins,  foule  bruyante  et  gaie, 

-  Car  c'était  justement  un  dimanche  de  paie  — 

our  revenir  le  soir,  les  chapeaux  de  travers, 

-es  habits  sous  le  bras  et  les  gilets  ouverts, 
Mt  chantant  le  vin  frais  comme  on  chante  victoire. 

es  marronniers  touffus,  près  de  l'Observatoire, 

embaumaient,  énervants,  et  sur  les  piétons 
I  étaient  leurs  fleurs  avec  les  premiers  hannetons. 
i  ]n  gants  blancs  et  tout  fiers  de  leur  grande  tenue, 
l)es  couples  de  soldats  émaillaient  l'avenue; 
l)es  amoureux  allaient,  gais  comme  une  chanson, 
!  'aire  leur  nid  d'un  jour  à  Sceaux,  à  Robinson, 
'  ious  les  bosquets  poudreux  où  l'on  sert  des  fritures. 
;  )e3  gens  à  mirlitons  surchargeaient  les  voitures; 
i  Cntre  les  petits  ifs,  aux  portes  des  cafés, 
'  ')n  buvait;  et  jetant  des  rires  étouffés, 
"^  lu-tète  et  deux  par  deux,  passaient  des  jeunes  filles. 
■  L  la  foule  joyeuse  ouvrant  ses  larges  grilles, 
f  iS  Luxembourg,  splendide  et  calme,  apparaissait 
inondé  d'un  soleil  radieux  qui  faisait 

l'élus  verts  les  vieux  massifs  et  plus  blancs  les  vieux  marbres. 
U  quelques  pas.  Guignol  s'enrouait  sous  les  arbres, 
i  ît  le  chant  des  oiseaux  dominait  tous  ces  cris. 

Tétait  bien  le  printemps,  un  dimanche,  à  Paris. 

II 

A,  sous  le  gaz  blafard  vainqueur  du  crépuscule, 
Oe  toutes  parts,  la  foule  effrayante  circule, 
j'est  l'heure  redoutable  où  tout  ce  peuple  a  faim, 
îur  le  seuil  des  traiteurs  et  des  marchands  de  vin 
j'écailière,  en  rubans  joyeux,  ouvre  les  huîtres; 
Zt  chez  les  charcutiers,  sous  leurs  remparts  de  vitres, 
jBS  poulardes  du  Mans  gonflent  leurs  dos  truffés. 
j'odeur  dabsinthe  sort  des  portes  des  cafés, 
j'est  l'heure  où  les  heureux  trop  rares  de  la  vie 
S'en  vont  jouir;  c'est  l'heure  où  la  misère  envie I 
L'homme  qui  rit  se  heurte  à  l'homme  soucieux. 
Le  lourd  omnibus  passe  en  roulant  ses  gros  yeux 


OO  LES    POETES    DU    TERROIR 

Sur  l'épais  macadam  qu'en  jurant  on  traverse. 
Tous  se  hâtent,  courant  dans  la  boue  et  l'averse, 
Ceux-ci  vers  leur  besoin,  ceux-là  vers  leur  plaisir; 
Partout  on  voit  le  flot  de  la  foule  grossir; 
Et  l'ivrogne  trébuche,  et  la  fille  publique 
Assaille  le  passant  de  son  œillade  oblique. 
Le  pauvre  qui  mendie  avec  un  œil  haineux 
Vous  frôle;  et  sous  l'auvent  des  kiosques  lumineux 
S'étalent  les  journaux,  frais  du  dernier  scandale. 
En  un  mot,  c'est  la  rue  effrayante  et  brutale! 
Du  luxe,  des  haillons,  de  la  clarté,  des  cris 
Et  de  la  fange.  C'est  le  trottoir  de  Paris! 

[Oliuier.) 


ALBERT    MERAT 

(1840-1908) 


Quoique  d'origines  champenoises,  Louis-Maximilien-Albert 
érat  a  été  considéré,  à  juste  titre,  comme  l'un  de  nos  poètes 
irisiens.  Il  naquit  à  Troyes  le  23  mars  1840.  Fils  et  petit-fils 
avocat,  il  fit  d'abord  ses  études  de  droit,  puis  entra  comme 
uployé  dans  les  bureaux  de  la  Préfecture  de  la  Seine.  Il  y 
mcOQtra  Paul  Verlaine  et  Léon  Valadc,  et  fit  paraître,  en  col- 
boration  avec  ce  dernier,  son  premier  recueil  de  vers,  Avril, 
ai,  Juin  (Paris,  Lcvy,  1863,  in-18).  En  1866,  Mérat  participa  à 
publication  du  Parnasse  contemporain  et  se  rangea  sous  le 
rapeau  de  la  nouvelle  école  poétique.  Il  donna  successivement 
■ae  traduction  de  V Intermezzo  de  Henri  Heine  (Paris,  Lemerre, 
J68,  in-12);  Les  Chimères  (Paris,  Faure,  1866,  iu-12);  L'Idole 
'aris,  Lemerre,  1869,  in-12);  Les  Souvenirs  (ibid.,  1872,  petit 
1-12);  Les  Villes  de  marbre  (ibid.,  1873,  in-12);  L'Adieu  (ibid., 
^73,  in-12);  Printemps  passé  (ibid.,  1874,  in-12);  Le  Petit  Salon, 
i  vers,  1816-1811  (ibid.,  1877,  in-12);  Au  fil  de  l'eau  (ibid., 
S77,  in-12)  ;  et  enfin  ce  livre  savoureux  et  pittoresque  qui  lui 
aut  une  place  ici,  Les  Poèmes  de  Paris  (ibid.,  1880,  in-16). 
ntre  temps,  il  avait  quitté  la  Préfecture  de  la  Seine  pour  les 
ureaux  de  la  Chambre  Haute.  Secrétaire  de  grandes  commis- 
ions,  pendant  une  dizaine  d'années,  puis  sous-chef  de  la  Pré- 
idence,  il  obtint  enfin  la  charge  de  bibliothécaire  du  Sénat, 
ouronné  plusieurs  fois  par  l'Académie  française,  connu  et 
pprécié  d'une  élite,  estimé  de  ses  confrères,  recherché  par  ses 
mis,  mais  malgré  cela  attristé,  seul,  soutirant,  Albert  Mérat  a 
édé  à  une  héréditaire  tentation  du  suicide,  et  s'est  tué,  en  se 
)geant  deux  balles  de  revolver  dans  la  tempe,  le  16  janvier 
908,  en  sa  maison  du  3  de  la  rue  de  la  Sablière. 
Au  cours  de  ses  dernières  années  il  avait  fait  paraître  Vers 
soir  (Paris,  Lemerre,  1900,  in-12);  Triolets  des  Parisiennes  de 
aris  {\hid.,  1900,  \n-V2); Les  Joies  de  l'Heure  (ibid.,  1902,  in-12); 
'hansonsct  Madrigaux  (ibid.,  1902,  in-12)  ;  Vers  oubliés  (ibid., 
902,  in-12)  ;  La  Rance  et  la  Mer  (Paris,  chez  l'auteur,  1903,  in-16); 
'etit  Poème  (Paris,  Soc.  d'impr.  et  d'éd.,  1933,  in-12)  ;  Les  Trente- 
ix  quatrains  à  Madame  (Paris,  chez  l'auteur,  1903,  in-12);  Les 


490  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Trente-six  Dédicaces  pour  les  Trente-six  quatrains,  etc.  (ibid 
1903,  in-12)  ;  Quelques  Pages  avant  le  livre  (Paris,  Lemerre,  190^ 
in-12);  Petites  Pensées  d'août  (ibid.,  1905,  in-12);  Œuvres  choi 
sies,  1863-Î90'i  (ibid.,  1906,  in-12). 

L'œuvre  d'Albert  Mérat,  peu  répandue  dans  le  public,  n'e 
est  pas  moins  importante  et  variée;  elle  embrasse  les  genre 
les  plus  divers,  et  atteint  parfois  une  sorte  de  perfection  lyri 
que.  Un  seul  de  ces  genres  nous  retiendra,  parce  que  le  poèt 
y  fit  montre  de  belles  qualités  d'artiste  et  de  curieux.  Nous  voi 
ions  parler  du  genre  descriptif  et  familier,  auquel  se  rattacher 
ses  poèmes  parisiens.  Et  nous  dirons  après  Jules  Tcllior  :  «  L 
recueil  qu'il  a  consacré  à  Paris  même,  est  celui  où  on  l'aime  1 
mieux.  On  trouvera  là,  en  une  série  de  pièces  exquises,  le  Pa 
ris  de  tous  les  quartiers,  de  toutes  les  heures,  de  toutes  h 
saisons.  Ce  promeneur  sans  parti  pris,  facilement  attendri  c 
amusé,  sait  dégager  à  l'occasion  la  tristesse  et  la  beauté  de 
choses.  Ce  mot  de  «  beauté  »,  nous  n'avons  nul  embarras  à  l'ap 
pliquer  aux  pièces  des  Poèmes  de  Paris.  C'est  une  chose  bio 
étrange  qu'un  livre  comme  celui-là  soit  ignoré  des  Parisiens. 

Bibliographie.  —  Em.  Zola,  Documents  litt.,  Paris,  Cliarpei 
tier,  1881,  in-18.  —  J,  Tellier,  Nos  Poètes,  Paris,  Dupret,  188 
in-18.  —  Ernest  Prévost,  Ditroduclion  aux  «  Pages  oiioisies 
Paris,  Lemerre,  1906,  in-18.  —  E.  Raynaud,  Albert  Mérat,  Mei 
cure  de  France,  1«'-  février  1909. 


LA    SEINE 

La  Seine,  qui,  l'été,  riait  dans  les  roseaux. 
Sous  la  pluie  a  changé  la  couleur  de  ses  eaux. 
Elle  s'enfle  et  jaunit  quand  s'eireuillent  les  roses 
Ainsi  l'hiver  met  fin  à  la  douceur  des  choses. 
Les  barques  ne  font  plus,  légères,  loin  d'ici, 
De  voyage  à  Cylhère  aux  saules  de  Croissy, 
Les  lilas  sont  coupés;  nous  n'irons  plus  aux  îles! 
Blonde  gaité  des  ciels  indulgents,  tu  t'exiles: 
Tu  vas  vers  les  midis  que  rien  ne  peut  ternir, 
Et,  prompte  ù  nous  quitter,  tardes  &  revenir  ! 

La  rivière  a  monté  rapide  :  elle  charrie 
Avec  les  herbes  d'eau  des  herbes  de  prairie. 
Elle  va  déborder  demain  dans  les  lieux  bas. 


ILE-DE-FRANCE  491 

Le  ciel  garde  le  bord  qui  ne  se  défend  pas  ! 

Le  marinier,  voyant  le  flot  d'un  gris  livide, 

Amarre  ses  bateaux  :  le  fleuve  paraît  vide. 

Les  c(  mouches  »  cependant,  dans  ce  triste  décor, 

Font  d'Auteuil  à  Bercy  leurs  croisières  encor. 

Personne  sur  le  pont;  seul  avec  la  rivière, 

Le  pilote  en  caban,  qui  gouverne  à  l'arrière. 

Un  grand  bateau  de  bains  semble,  le  long  du  quai, 

Un  jouet  qu'on  démonte  ou  qui  s'est  détraqué. 

Les  ormes,  qui  faisaient  des  bouquets  de  vertlure, 

Subissent  la  saison  inexorable  et  dure; 

Et,  rigides  et  froids,  sur  leurs  branches  de  fer 

Laissant  tomber  la  rouille,  ils  frissonnent  dans  l'air. 


TERRAIN    VAGUE 

Hier,  près  des  Cliamps-Elysées, 
En  plein  Paris,  j'ai  reconnu 
Des  fleurs  des  prés  dépaysées 
Au  bord  d'un  terrain  maigre  et  nu. 

Complice  des  amours  des  plantes, 
Le  vent,  baisant  les  gazons  mûrs, 
Emporte  les  graines  tremblantes 
Dans  les  crevasses  des  vieux  murs  ; 

Derrière  une  clôture  en  planches, 
D'un  peu  de  sable  soulevé, 
Jaillissent  des  fleurettes  blanches 
Aux  fentes  mêmes  du  pavé. 

Il  n'est  muraille  qui  s'effrite, 

Ni  sol  pelé,  ni  coins  étroits, 

Où,  par  quelque  humble  marguerite, 

L'été  ne  reprenne  ses  droits. 

Arrachez-les,  mettez  des  pierres 
En  tas  sur  leurs  frêles  pâleurs, 
Elles  rouvriront  leurs  paupières  : 
On  ne  supprime  pas  les  fleurs! 

(Poèmes  de  Paris,  Au  fil  de  l'eau,  nouv.  éd. 
Paris,  Lemerre,  1897.) 


ARISTIDE   BRUANT 

(1851) 


M.  Aristide  Bruant  naquit  à  Courtenay,  le  6  mai  1851.  Issu 
d'une  famille  de  bourgeois,  il  fut  mis  au  lyccie  de  Sens.  En  1870, 
il  lit  i^artie  d'une  compagnie  franche,  les  gars  de  Courtenay, 
commandée  par  un  vieux  sergent.  Après  la  guerre,  il  vint  à 
Paris  prendre  un  emploi  à  la  compagnie  du  Nord.  Aux  heures  de 
loisir,  il  apprit  la  musique  et  rima  ses  premiers  vers.  «  Vivant 
au  milieu  du  peuple,  écrit  Oscar  Méténier.  il  avait  en  germe  ce 
talent  d'observation  qui  devait  plus  tard  se  développer  si  mer- 
veilleusement. Une  sympathie  naturelle  l'attirait  vers  les  hum« 
blés,  les  opprimés  qui  soulfraient  comme  lui.  »  H  résolut  de  so 
faire  le  chantre  des  misérables,  et,  après  avoir  étudié  leurs 
mœurs,  s'être  assimilé  leur  langage,  il  nous  a  donué  l'œuvre 
pittoresque,  humaine,  émouvante,  que  l'on  connaît,  une  <L'uvre 
où  l'originalité  se  dégage  de  la  langue  prime-saulièro  de  la  rue, 
pour  peindre  la  rue  et  ses  habituels  héros. 

11  a  fait  paraître  successivement  plusieurs  recueils  de  chan- 
sons :  Dans  la  Une,  dessins  de  Steinlen,  Paris,  A.  Bruant,  1889- 
189.'>,  2  vol.  in-12;  Chansons  et  Monologues,  Paris,  E.  (ieifroy, 
1896-1897,  3  vol.  gr.  in-S»;  Sur  la  Route,  ChAteau  de  Courtenay 
(Loiret),  A.  Bruant,  1899,  in-l8.  On  lui  doit  en  outre  :  L'Argot  ait 
vingtième sLcclr.  Dictionnaire  franrais-argot,  à  Paris,  chez  l'au- 
teur, 1901,  in-8';  Les  Bas-Fonds  de  Paris,  Paris,  J.  Roull',  1897- 
1899,  3  vol.  in-8°,  et  deux  périodiques  :  Le  Mirliton,  lourauX  illus. 
tré  (84,  boulev.  Ilochechouart,  Paris),  1885-1891,  gr.  iu-8»,  et  La 
Lanterne  de  Bruant,  Paris,  1897-1899,  3  vol.  in-8». 

BiBi.lonnAPiilE.  —  W.  G.  Byvauck,  Un  Hollandais  à  Paris  en 
IS'J t,Viiris,  Porrin,1892,  in-18.  —Oscar  Méténier,  J//5/.  Bruant, 
Paris,  1 8!)3.  —  Les  Chansonniers  de  Montmartre,  A"  spécial,  Paris, 
Libr.  Univ.,  190G,  iu-8». 


ILE-DE-FRANCE  493 


A   LA    CHAPELLE 

Quant  les  heur'  a  tornb'nt  comm'  des  glas, 
La  nuit  quand  i'fait  du  verglas, 
Ou  quand  la  neige  a'  s'amoncelle, 
A  la  Chapelle, 

On  a  frio,  du  haut  en  bas, 
Car  on  n'a  ni  chausse tt's,  ni  bas  ; 
On  transpir'  pas  dans  d'ia  flanelle, 
A  la  Chapelle. 

On  a  beau  s 'payer  des  souliers. 
On  a  tout  d'mèm'  frisquet  aux  pieds, 
Car  les  souliers  n'ont  pas  d'semelle, 
A  la  Chapelle. 

Dans  l'teuips,  sous  labri,  tous  les  soirs, 
On  allumait  trois  grands  chauffoirs, 
Pour  empêcher  que  l'peupe  i'  gèle, 
A  la  Chapelle. 

Alors  on  s'en  f..tait  du  froid! 
Là-d'ssous  on  était  comm'  chez  soi, 
ET  gaz  i'  nous  servait  d'chandelle, 
A  la  Chapelle. 

.Mais  l'quartier  d'venait  trop  rupin, 
Tous  les  sans-sou,  tous  les  sans-pain 
Hadinaient  tous,  mèm'  ceux  d'Grenelle, 
A  la  Chapelle. 

Et  v'ià  porquoi  qu'l'hiver  suivant, 
On  n'nous  a  pus  f..tu  qu'du  vent, 
Et  Ivent  nest  pas  chaud,  quand  i'  gèle, 
A  la  Chapelle. 

Aussi,  maint'nant  qu'on  n'a  pus  d'feu. 
On  n'se  chauff'  pus,  on  grinche  un  peu... 
r  fait  moins  froid  à  la  ?souvelle 
Qu'à  la  Chapelle. 

{Dans  la  Rue,  \.) 


28 


PIERRE   GAUTIIIEZ 

(1862) 


Tout  à  la  fois  poète,  romancier,  historien,  M.  Pierre  Gauthiez 
est  ne  à  Fontenay-aux-Roses  (Seine)  en  1862.  Il  a  fait  paraître 
des  recueils  de  vers,  Les  Voix  errantes  (Paris.  Lemerre,  18SG, 
in-lS);  Les  Herbes  folles  (ibid.,  1892,  in-18)  :  Deux  Poèmes  :  Pa- 
risienne, Le  Sang  Maudit  (ibid.,  1894,  in-18);  Isle  de  France 
(Paris,  Maison  des  Poètes,  1902,  in-18)  ;  des  romans,  La  Danac 
(Paris,  Libr.  de  l'Art.  1887,  in-18):  L'Age  incertain  (Paris,  Ollon- 
dorff,  1898,  in-18);  La  Dame  du  Lac  (ibid.,  1899,  in-18j;  Amours 
factices  (Paris,  Fontemoing,  1902,  in-lS);  des  nouvelles,  Ombres 
d'amour  (Paris,  Ollendorlf,  1899,  in-18),  et  des  ouvrages  de  cri- 
tique et  d'érudition.  Etude  sur  P.-P.  Prudhon  (Paris,  Li!)r.  de 
l'Art,  1885,  in-18)  ;  Etudes  sur  le  seizième  siècle,  Rabelais,  Mon- 
taigne, CaU'in  (Paris,  Oudin,  189.3,  in-18);  L'Arctin,  I(i06-}5o2 
(Paris,  Hachette,  1896,  in-18);  Jean  des  Bandes  Noires,  î'iOS- 
1526  (Paris,  Perrin,  1901,  in-S»);  Lorcnzaccio  fLorcnzino  de 
Médicis),  lôl^^i-lô'iS  (Paris,  Foateraoing,  1904,  in-S»),  etc. 

On  lui  doit  aussi  un  acte  en  vers,  Racine  et  la  Champmcslè, 
et  une  légende  lyrique,   Tzemna. 

M.  Pierre  Gauthiez,  qui  s'est  fait  une  réputation  incontestée 
de  savant  et  de  quattrocentiste,  est,  aux  heures  de  loisir,  «m 
charmant  poète  des  champs,  des  rues  et  des  bois.  Passionué  de 
la  nature,  épris  de  couleur,  de  lumière,  de  pittoresque  et  d'iiar- 
monie,  il  se  distinguo  parmi  nos  meilleurs  écrivains  de  plein 
air.  Sa  technique  est  celle  d'un  néo-parnassien,  libéré  de  toute 
contrainte,  ne  demandant  à  la  Muse  que  de  la  grAco,  de  l'enioue- 
menl  et  delà  sincérité.  lia  chanté  la  banlieue,  Fontenay,  Mcu- 
don,  Villacoublay,  Trivaux,  que  sais-jo  encore.^  11  a  célébré 
Paris,  ses  promenades,  ses  faubourgs  et  jusqu'à  ses  ruisseaux 
où  se  mire  un  ciel  fantasque.  C'est  un  inliniiste  dans  le  genre 
rustique,  plein  do  bonhomie,  de  malice  et  de  toudrosso. 


M  E  U  D  O  N 

Dans  les  temps  où  madnrnr  Ilclène  de  Surgères 
Tenait  en  ses  filets  le  poète  Ronsard, 


ILE-DE-FRANCE  495 

Il  sonna  des  sonnets,  miracles  de  son  art, 

Sous  ces  chênes  hantés  des  nymphes  bocagères. 

Elles  passent  encor,  les  Dryades  légères, 
Dans  les  taillis  courus  par  le  coucou  bavard. 
Dos  hêtres  de  Chaville  aux  bouleaux  de  Clamart, 
Leurs  voiles  embrumés  caressent  les  fougères. 

La  subtile  douceur  des  siècles  amoureux 

Reste  en  ces  lieux  anciens;  ils  donnèrent,  pour  eux, 

Le  parfum  sans  pareil  que  fait  la  fleur  de  France. 

Hélène  avec  Ronsard,  Guiso  avec  Rabelais, 

Ces  bois  du  Parisis,  toute  la  Renaissance 

Y  survit,  mieux  qu'aux  mornes  salles  des  palais. 

LES    QUAIS    DE    PARIS 

L'air  des  matins  est  cristallin 
Le  long  des  quais  bordés  de  givro. 
Où.  le  poète  errant  va  suivre 
Ce  doux  automne  à  son  déclin. 

Le  ciel  a  dos  couleurs  de  lin 
Et,  du  gouvernail  à  la  guivre, 
Les  gros  chalands  semblent  revivre 
Dans  l'écluse  du  terre-plein. 

Le  remorqueur  siffle  et  s'ébroue  : 
Voici  là-bas  surgir  la  proue 
De  la  Cité,  vieux  vaisseau  noir, 

Où,  rose  d'un  or  de  coupelle, 
S'élève,  ainsi  qu'un  ostensoir. 
Sur  l'avant,  la  Sainte-Chapelle. 

{Isle  de  France,  1002.) 


ROBERT   DE   MONTESQUIOU 

(1855) 


M.  le  comte  Robert  de  Montesquiou-Fézensac  est  no  à  Paris 
le  19  mars  1855;  il  appartient  à  une  illustre  famille  qui  a  pro- 
duit des  hommes  de  guerre  et  des  hommes  d'Etat,  au  nombre 
desquels  on  cite  le  maréchal  de  Montluc,  le  maréchal  Gaston  do 
Gassion,  Pierre  de  Montesquiou,  l'un  des  plus  fameux  maré- 
chaux de  Louis  XIV,  Anne-Pierre  de  Montesquiou,  conquérant 
de  la  Savoie,  l'abbé  de  Montesquiou,  ministre  de  Louis  XVIII. 
Il  a  publié  une  série  de  poèmes  d'un  art  précieux  :  Les  Chauves- 
Souris  (Paris,  Richard,  1892,  in-18,  et  1907,  gr.  in-S»);  Le  Chef 
des  odeurs  suaves  (ibid.,  1894,  in-18);  Le  Parcours  du  l\cvc  au 
Souvenir  (Paris,  Fasquelle,  1895,  in-18);  Les  Hortensias  Bleus 
libid.,  1896,  in-18,  et  Paris,  Richard,  1906,  gr.  in-8»)  :  Les  Perles 
rouges  (Vax-'is,  Fasquelle,  1899,  in-18);  Les  Paons  (ibid.,  1901, 
in-18);  Prières  de  tous  (Paris.  Maison  du  Livre,  1902,  in-18),  et 
quelques  recueils  dejirose  :  Roseaux  pensants  (Paris,  Fasquelle, 
1897,  in-18):  Autels  privilégiés  (ibid..  1899,  in-18);  Profession- 
nelles beautés  (Paris,  Juven,  1905,  in-18);  Altesses  Scrènissinies 
(ibid.,  1907,  in-18).  On  lui  doit  en  outre  im  petit  livre  à  la  gloire 
de  la  pauvre  Desbord<'s-Valmore,  Félicité  (Paris,  Lemerre,  1894, 
in-18)  et  un  commentaire  descriptif  d'une  collection  d'objet» 
relatifs  aux  parfums,  Pays  des  Aromates  (Paris,  Floury,  1900, 
Jn-18). 

M,  Robert  de  Montesquiou  n'apparaît  pas,  au  sens  étroit  du 
mot,  comme  un  poète  du  terroir:  on  comprend  mèuie  ce  qu'une 
telle  épithète,  accolée  à  son  nom.  ollVo  tout  d'abord  do  singulier 
ot  de  contradictoire.  Cet  écrivain,  avons-nous  observé  un  jour, 
est  un  fruit  do  culture  et  le  dernier  représentant  autorisé  delà 
poésie  précieuse  qui  lleurit  sous  le  règne  de  Louis  XIII  et  con- 
nut, avec  Malleville,  Voilure,  Gombauld,  Scudéry  et  vingt  autres 
beaux  esprits,  des  heures  do  gloire  inoubliables.  Pourtant  l'on 
nous  passera  qu'il  reflète  assez  bien  une  manière  de  sentir  la 
nature  propre  à  quelques-uns,  et  qu'il  a  peint  mieux  que  per- 
sonne les  vieux  parcs  français  et  les  jardins  de  royale  origine. 
Les  quatre-vingt-treize  sonnets  quil  jjublia  sur  Versailles,  sous 
ce  litre  symbobique,  Les  Perles  rouges,  font  revivre,  mais  sans 


ILE-DE-FRANCK  497 

lui  rien  retirer  de  sa  grâce  désuète,  le  plus  mervcillcu'c  décor 
du  grand  siècle.  Le  Nôtre,  Mansart,  La  Quinlinie,  ont  créé  Ver- 
sailles, M.  de  Montesquiou  eu  a  fait  l'apothéose. 

liiBLiooRAPHiE.  —  Ad.  Brisson,  La  Comédie  littcrairc  (Paris, 
Colin,  1895,  in-18).  —  A.  Krance,  Le  Comte  R.  de  Montesquiou,  Le 
Temps,  13  nov.  1892.  —  Ad,  van  Buver  et  P.  Léautaud.  Poètes 
d'aujourd'hui,  nouv.  éd.,  t.  II. 


VERSAILLES 

SONNETS 
I 

L'if  seul  garde  encor  vert  son  funéraire  cùno 
Dans  ce  parc  mag-nifique  et  uiélancliolioux; 
Un  végétal  drap  d'or  s'épand  sur  ces  beaux  lieux  : 
C'est  la  prise  d'habit  de  la  Nature,  en  jaune. 

Le  dépérissement  des  plus  immortels  dieux 
Eclate  en  ce  décor  incandescent  d'icône  ; 
L'ablation  d'un  sein  a  fait  une  amazone 
De  cette  Nymphe  en  proie  au  temps  luxurieux. 

L'irradiation  de  leur  iconostase 

Console  de  mourir  les  bustes  et  les  vases, 

Théâtres  d'eaux,  parterres  d'eaux,  montagnes  d'eaux... 

Dont  la  vraie  automnale  allégorie  est  colle 

■Qu'érige  une  statue  entre  ces  blonds  rideaux, 

Toute  nue,  et  jouant  d'un  grand  violoncelle.  • 

II 

Les  feuilles  mortes  ont  posé  leur  jaune  bourre 
Sur  les  chemins  dont  l'herbe  affecte  des  tons  bruns. 
Le  bosquet,  chaque  jour,  accroît  de  quelques-uns 
■Ces  plis  dont  l'eau  se  voile  et  dont  le  sol  se  fourre. 

Quelque  chose  dans  la  nature  s'énamoure  : 
Le  parterre  s'exalte  en  de  derniers  parfums; 
Et  dans  le  Parc  chargé  de  prestiges  défunts 
La  Diane  de  marbre  écoute  un  laisser-courre. 


498  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Elle  entend  les  soupirs  d'une  bête  aux  abois  : 
Est-ce  la  royauté  qui  chasse  au  fond  des  bois, 
Triomphante  parmi  les  éclats  de  sa  meute  ? 

Ou  bien  est-ce  elle-même,  acculée  au  défaut, 
Qui,  parmi  les  abois  inhumains  de  l'émeute, 
Tressaille  aux  hallalis  du  sinistre  échafaud  ? 

III 


I 


La  galerie  où  sont  les  glaces  au  cœur  mol, 
C'est  le  Parc,  dont  l'eau  noire  a  gardé  les  visages  ; 
Miroirs  de  doux  portraits  et  de  fières  images 
Que  n'avait  point  prévus  le  vieux  Piganiol. 

Pharaon,  lansquenet,  reversi,  cavagnol, 

Se  jouent  en  feuille  morte  au  cœur  froid  des  bocages; 

Parfois  du  sang  imite  une  rose  aux  corsages; 

Un  collier  de  rubis  coule  le  long  d'un  col. 

Un  nénuphar  éclaire  un  front  dune  lunule  ; 
ïlt,  lorsque  le  mirage  est  ressemblant  et  net, 
L'air  sur  ce  pastel  glisse  un  souffle  qui  l'annule. 

Mais  un  charme  en  subsiste  à  ce  vert  cabinet 
Où  la  Nymphe  en  prison  que  le  jet  d'eau  relaxe. 
Disperse  en  ce  bosquet  l'odeur  dun  gant  de  Saxe. 

{Les  Perles  rouges,  18*J<.>.) 


ADOLPHE   RETTE 

(1863) 


M.  Adolphe  Retté  est  né  à  Paris  le  25  juillet  1863.  Nous  l'a- 
vons écrit  déjà,  soa  père  était  précepteur  des  enfants  du  grand- 
duc  Constantin.  Sa  mère,  d'origine  ardcnnaise,  était  la  fille 
de  l'historien  Adolphe  Borgnet,  cité  par  Michelet.  Après  une 
enfance  passée  en  province  (en  partie  dans  un  collège  franc- 
comtois),  M.  Adolphe  Retté  vint  habiter  Paris,  puis  s'engagea 
à  dix-huit  ans  dans  un  régiment  de  cuirassiers.  Revenu  à  Pa- 
ris en  1886,  il  débuta  l'année  suivante  par  un  article  où,  à  pro. 
pos  d'un  nouveau  livre  de  Léon  Cladel,  il  attaquait  violemment 
le  naturalisme.  En  1889,  il  fondait  avec  M.  Gtistave  Kahn  la 
deuxième  Vogue  et,  dès  janvier  1892,  secondant  les  efiorts  de 
M.  Henri  Mazol,  dirigeait  L'Ermitage.  «  Malgré  une  vie  aventu- 
reuse en  Belgique,  en  Hollande,  en  Angleterre,  il  ne  cessa  de 
prendre  une  part  active  au  mouvement  poétique  de  ces  derniè- 
res années,  et  dans  diverses  publications,  La  Wallonie,  La  Cra- 
vache, Mercure  de  France,  La  Plume,  etc.,  se  fit  souvent  le  dé- 
fenseur du  vers  libre,  et  de  l'idéalisme.  »  Nous  avons  donné 
déjà  une  bibliographie  de  ses  ouvrages:  on  ne  trouvera  ici  que 
ses  recueils  de  poèmes  :  Cloches  dans  la  nuit  (Paris,  Yanier, 
1889,  in-18);  Une  belle  dame  passa  (ibid.,  189;^,  in-18);  L'Archi- 
pel en  fleurs  (Paris,  Bibliothèque  artistique  et  littéraire,  1895. 
n-16)  ;  La  Foret  bruissante  (ibid.,  1896,  in-18);  Campagne  pre- 
mière (ibid.,  1897,  in-18)  ;  Lumières  tranquilles  (Paris,  La  Plumf, 
1901,  in-18)  ;  Poe'^te^,  1897-1906.  Campagne  première.  Lumières 
ranquilles,  Poèmes  de  la  Forêt  (Paris,  Messein,  19û6,in-16). 
Ajoutons  néanmoins  à  ces  derniers  quatre  ouvrages  intéres- 
sant le  terroir  :  Fontainebleaii,  Paris,  La  Plume,  1902,  in-16; 
Dans  la  Forêt,  vers  et  prose,  Paris,  Messein,  1903,  in-12;  Les 
Poètes  à  Fontainebleau,  Bruxelles,  P.  Weissenbruck  (extr.  delà 
Uevue  de  Belgique),  190.3,  in-S";  Virgile  puni  par  l'Amour,  Contes 
de  la  Forêt  de  Fontainebleau  (Paris,  Messein,  1905,  in-18  )• 
L'œuvre  de  M.  Adolphe  Retté  présente  des  aspects  infiniment 
variés.  Depuis  l'apparition  de  son  premier  ouvrage,  Cloches  dans 
la  nuit,  jusqu'à  la  publication  de  ses  derniers  vers,  il  a  subi  une 
lente  évolution.  Cette  évolution,  qui  l'a  fait  anathématiser  des 


500  LES  POÈTES  DU  TEUKOIR 

maîtres  qu'il  avait  naguère  défendus,  fut  produite  chez  lui  par 
•un  séjour  à  Guermantcs,  en  pleine  forôt  de  Fontainebleau.  On 
Fa  vu  élargir  le  domaine  de  son  esthétique,  accueillir  des  idées 
nouvelles,  s'éprendre  des  formes  de  la  nature  et  réaliser  ces 
poèmes  débordants  de  sève  et  do  grâce  sylvestre  qu'on  trou- 
vera dans  ses  derniers  livres,  et  on  particulier  dans  Campagne 
première,  Lumières  tranquilles  ot  les  Pocmes  de  la  Foret. 

Bibliographie.  —  Ad.  van  Bever  et  Paul  Léautaud,  Poètes 
d'aujourd'hui,  nouv.  édit.  corrigée  et  augmentée,  1908,  t.  II. 


FONTAINEBLEAU    D'AUTOMNE 

.1  Arsène  Alexandre. 

Ami,  loin  de  la  ville  aux  maisons  monotones 

Qui  hausse  ses  clameurs  vers  le  ciel  offensé, 

Tu  trouveras  le  calme  et  la  sérénité 

Dans  la  grave  forêt  où  repose  l'automne.  i 

Parmi  les  genêts  bruns  et  les  fougères  rousses,  M 

Des  rêves  fleuriront  à  chacun  de  tes  pas, 

Les  chevreuils  fraternels  te  suivront,  tu  verras 

Les  rochers  onduler  sous  leur  manteau  de  mousses. 

Novembre  et  ses  brouillards  où  flottent  des  prestiges 

Veloutcront  pour  toi  l'or  rouge  des  futaies. 

Le  genièvre  et  le  houx  te  donneront  leurs  baies, 

Et  le  hêlre  orgueilleux  inclinera  sa  tige. 

Tu  goûteras,  d'un  cœur  plein  de  recueillement, 

Le  mui-mure  infini  des  bouleaux  et  des  chênes, 

Et  tu  préféreras  aux  j)aroles  humaines 

Le  bruit  triste  que  font  les  feuilles  en  toml)ant. 

L'AUBE    SOUS    BOIS 

Le  ciel  laiteux  où  tremble  une  étoile  dernière 

Se  colore  nu  levant  d'une  vague  lumière 

Qui  se  coule  et  s'étahî  à  travers  les  taillis; 

Le  petit  jour  frileux  entrouvre  ses  yeux  gris, 
S'étire,  bi^ille  et  souffle  des  vapeurs 
Sur  les  buissons  d'aubépines  en  fleurs. 


ILE-DE-FRA.NCF.  501 

Un  peu  de  rose,  un  peu  d'or  pùle,  un  peu  do  mauve, 

Nuancent  les  volutes  do  la  brume; 
Dans  le  ravin  où  sont  rangés  des  bois  en  g'rume 
On  entend  s'ébrouer  des  fauves. 

Par  l'aube  qui  grandit  voici  se  déplisser 

Les  collerettes  des  pervenches, 
Mais  les  pins  paresseux  ont  peine  à  secouer 

Les  pans  de  nuit  que  retiennent  leurs  branches. 

Enfin,  de  larges  feux  embrasent  l'horizon, 
L'air  frais  tiédit,  les  hautes  frondaisons 

Rient  au  réveil  jaseur  des  merles; 
Et  le  matin,  semant  partout  d'humides  perles, 

Pare  les  toiles  d'araignées 

D'une  résille  de  rosée. 

Premiers  rais  du  soleil  parmi  la  sylve  heureuse, 
Fourrés  vivifiés  de  parfums  véhéments. 
Chant  des  ramiers  dans  les  ramures  onduleuses, 
Emprise  ardente  du  printemps... 

Chère,  soyons  pareils  à  la  vigne  sauvage 

Et  au  lierre  amoureux  qui  la  tient  en  ses  bras. 

L'herbe  jeune  frémit  où  se  posent  tes  pas, 

Tes  baisers  ont  le  goût  des  fleurs  et  des  feuillages, 

Et  la  montée  impétueuse  de  la  sève 

Unit  nos  cœurs,  nos  corps,  nos  regards  et  nos  rêves. 

{Poésies,  1891-1006,  Poèmes  de  la  Forêt.) 
Désert  d'Apremont  (Fontainebleau). 


i 


ERNEST   RAYNA;UD 

(18G1) 


D'origine  languedocienne  par  son  père,  et  ardennaise  par  sa 
mère,  M.  Ernest-Gabriel-Nicolas  Raynaud  est  né  à  Paris  lo 
22  février  1864.  Ses  études  terminées,  il  poursuivit  parallèle- 
ment la  carrière  administrative  et  la  carrière  des  lettres.  Da- 
bord  secrétaire  de  commissariat  à  Paris  et  ensuite  officier  do 
paix,  il  fut  nommé  commissaire  de  police  successivement  aux 
quartiers  Saint- Lambert,  Necker  el  à  celui  de  Plaisance.  A  ses 
débuts,  il  collabora  à  Lutcce,  se  lia  avec  Verlaine,  dirigea,  en 
compagnie  de  feu  Anatole  Baju,  le  Dccadent.  puis  contribua  à  la 
fondation  du  Mercure  de  France.  Il  a  donne  à  cette  dernièro 
publication  des  pages  de  critique  et  une  partie  des  j^oèmes  qui 
constituèrent  ses  premiers  recueils.  Par  la  suite,  il  participa, 
avec  Jean  Moréas,  Maurice  du  Plessys,  lîaymond  de  la  Tailhèdo, 
aux  manifestations  de  l'école  dite  «  Romane  »,  laquelle,  étrange 
conception,  tenta  de  rénover  l'art  de  la  Pléiade,  Enfin,  il  a  donué 
six  volumes  de  poésies  :  Le  Signe  (Paris,  au  Décadent,  18S7,  et 
Paris,  Bibl.  art.  et  littér.,  189",  in-18);  Chairs  profanes  (Paris, 
Vanier,  1889,  in-18);  Les  Cornes  du  Faune  (Paris,  Ribl.  art.  et 
littér.,  1890,  petit  in-18)  ;  Le  Bocage  (ibid.,  189r.,  in-18)  ;  La  Tour 
d'ivoire  (ibid.,  1899,  in-18);  La  Couronne  des  Jours  (Paris,  Mer- 
cure de  France,  1905, in-18),  eten  collaboration  avec  M.Léon  Rio» 
tor,  une  comédie  eu  un  acte,  Noce  bourgeoise,  etc.  (Paris,  Ribl. 
artist.  et  littér.,  1892,  in-16). 

La  poésie  de  M.  Ernest  Raynatid,  d'un  archaïsme  un  peu  ma- 
niéré, n'est  pas  dépourvue  de  grAce  rustique.  Elle  emprunte  la 
voix  du  souvenir  i>our  cébibrer  discrètement,  mais  avec  uno 
sincérit('!  touchante  et  uno.  belle  science  du  rythme,  les  sites  que 
le  poète  a  connus  et  aimés. 

Rini.ioaRAPiiii;.  —  F.  Clorgct,  E.  Uaynaud,  Paris,  Bibl.  de 
l'Association,  1905,  in-18.  —  Ad.  van  Bcver  et  P.  Léaulaiid, 
l'o'etes  d'aujourd'hui,  nouv.  édil.,  tomo  II. 


ILE-DE-FKANCE  503 


VERSAILLES 

I 

Il  pleut  très  doucement  dans  le  parc  au  réveil, 
Si  doucement  que  rien  ne  boug^e  en  les  feuillées; 
Cette  pluie,  avivant  l'odeur  des  fleurs  mouillées, 
Rit,  traversée  au  loin  d'un  rayon  de  soleil. 

Le  sable  luit,  comme  il  ferait,  en  plein  soleil. 
L'eau  perle  à  chaque  feuille  et  goutte  des  feuillées 
Sur  le  gazon  humide  avec  ses  fleurs  mouillées.; 
Dans  la  haie,  un  pinson  a  sonné  le  réveil! 

Voici  que  les  lointains,  pleins  d'odeurs  bocagères, 

S'éclaircissent,  sous  les  mousselines  légères 

Qu'on  voit  se  suspendre  au-dessus  des  pièces  d'oau. 

Cependant  qu'un  Hercule  antique  en  pierre  blanche, 

Vêtu  d'un  lierre  ami,  s'amuse  d'un  oiseau 

Qui  secoue,  en  s'y  balançant,  l'eau  d'une  branche. 


A  cette  heure  où  le  ciel  qui  va  mourir  se  teinte 

D'or  léger,  le  vieux  parc  aux  sièges  vermoulus 

N'a  d'émoi,  dans  le  flux  dolent  et  le  reflux 

Des  choses,  que  le  bruit  d'une  heure  au  loin  qui  tinte- 

Au  bord  du  lac  tranquille,  entouré  de  jacinthe, 
Le  temple  grec  où  l'Amour  de  marbre  n'est  plus, 
S'attriste,  lui  dont  la  pure  gloire  est  éteinte,  « 

Que  les  temps  aient  été  si  vite  révolus. 

Au  milieu  d'un  massif  bas  qui  se  décolore. 
Un  faune  enfant  tout  délabré  s'accoude  encore, 
Baissant  la  lèvre  où  fut  sa  flûte  de  roseaux. 

Et,  voyant  que  le  jour  tout  à  fait  le  délaisse, 
Le  Temple,  avec  sa  froide  image  dans  les  eaux. 
S'enfonce  plus  profondément  dans  la  tristesse. 

III 

Le  pavillon  où  vit  le  souvenir  des  rois 
Dresse  sa  colonnade  au  détour  de  l'allée. 


504  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Mais  la  pluie  et  le  vent  ont  usé  ses  parois, 
Et  mainte  pierre  en  gît  sur  le  sable  étalée. 

Pareil,  dans  le  soir  triste,  à  quelque  mausolée 
Où  ne  reviendraient  plus  les  amis  d'autrefois, 
11  semble,  pour  gémir,  qu'il  emprunte  la  voix 
De  l'automne  par  qui  sa  vitre  est  ébranlée. 

L'eau  ruisselle  aux  degrés  de  marbre  par  quartiers 

Fendus  et  que  l'ortie  a  conquis  tout  entiers, 

Et  tandis  que  le  bouc,  inscrit  au  front  des  portes, 

Impassible,  poursuit  son  rêve  obscur,  l'autan 
Redouble  méchamment  de  rago,  et  l'on  entend 
Sinistrement,  partout,  craquer  les  branches  mortes. 

{Le  Signe,  nouv.  éd.,  1807.) 
(1887.) 

BANLIEUE 

CIMETliniE    DU    GRAND    MONTROUGE 

Au  ciel  froid  de  novembre  une  aube  pâle  a  lui  ; 

Une  lanterne  brûle  encore  à  la  barrière, 

Et  la  triste  banlieue  étale,  avec  ennui, 

Sa  route  détrempée  où  courent  les  ornières. 

La  bise  a  dévasté  le  petit  Cimetière, 
Le  chrysanthème  ajoute  une  amertume  au  buis. 
Le  fossoyeur  avec  sa  pelle  fait  son  bruit. 
Sous  la  pluie,  Orient!  je  songe  à  ta  lumière' 

Mes  penscrs,  autrefois  fougueux  adolescents 
Qu'enivrait  ton  azur,  ô  Méditerranée, 
Languissent,  attaqués  jusqu'à  l'âme,  et  je  sens, 

Tandis  que  les  tambours  s'exercent  près  du  fort, 
Pénétrer  dans  mes  os,  d'une  pointe  obstinée, 
Ton  acre  humidité.  Terre  où  dorment  les  morts, 

{La  Cdtirunnc  des  Ji>iirs.) 


MAURICE    DU    PLESSYS 

(1864) 


D'origiue  septentrionale  par  son  père,  Picard  issu  d'une  très 
ancienne  famille  de  Flandre,  et  méridionale  par  sa  mère.  Lan- 
.guedocicnne,  Frauçois-Sylvain-Maurice  Flandre-Noblesse,  dit 
du  Plessys-Flandre  (en  littérature  Maurice  du  Plcssvs).  est  né 
à  Paris,  le  14  octobre  ISG^i.  Il  débuta  en  publiant  dans  des  re- 
vues. Le  Décadent,  La  l'iume,  Mercure  de  France,  etc.,  des  poè- 
mes lapidaires,  et-  en  fondant,  avec  Jean  Moréas,  l'école  poé- 
tique dite  école  romane  française.  Esprit  orné,  de  tendance 
archaïque,  se  recommandant  tout  à  la  fois  des  derniers  doscen- 
dants  de  l'art  du  moyen  Age  et  des  disciples  de  la  Pléiade,  aux- 
quels il  emprunta  souvent  la  strophe  solennelle  et  mesurée, 
Maurice  du  Plessys  a  fait  paraître  une  plaquette.  Dédicace  à 
ApoUodorc  (Paris,  Vanier,  18J1,  in-18).  et  deux  recueils  de  vers 
Premier  Livre  pastoral  (ibid.,  1892,  in-18),  et  les  Etudes  lyri- 
ques (Paris,  Biblioth.  artist.  et  litt.,  1896,  in-16),  se  complé- 
tant l'un  l'autre.  Ecrivain  parisien  dans  toute  la  force  du  terme, 
il  représente  ici  ce  que  la  tradition,  la  culture  et  l'éloquence 
classique  ont  produit  de  plus  caractéristique  en  Ile-de-France 
ipcndant  ces  dernières  années. 

BiBLlOGRAPiiit:.  —  Pierre  et  Paul  (P.  Verlaine),  Maurice  du 
Plessys,  «  Les  Hommes  d'aujourd'hui  »,  n»  408,  Paris.  Vauier, 
s.  d.  —  A.  Baju,  L'Ecole  Décadente,  Paris,  Vanier,  1887,  in-12. 
—  J.  Moréas,  Eloge  de  M.  du  Plessys,  La  Plume,   15  mars  1891. 


L'IDEE    AU    FRONT    DE    FER 

ou 

PARIS    CITADELLE 

Cité  séi'énissime  et  sainte  entre  tous  lieux, 
Preuse  et  Druidesse,  enfant  de  l'antique  Mystère, 
Paris,  Manufacture,  Ecole,  Phalanstère, 
Salut!  ville  ma  mère  et  la  mère  des  dieux! 

II.  29 


506  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Reine-Oavrière,  Esprit  et  Cœur  laborieux, 
Ta  main  tient  le  contrat  de  l'homme  avec  la  terre, 
Et  ton  front,  couronné  du  bronze  militaire, 
Sourit  dans  un  nuage  aux  promesses  des  cieux. 

Peuples,  considérez  sous  cette  tempe  ardente 
Paris,  de  vos  soupirs  l'antique  confidente, 
Augure  et  caution  du  Monde  émancipé! 

Or,  à  l'abri  d'aucuns  qui  rêveraient  bien  d'elle, 
Lutèce  au  front  de  fer,  porte  d'un  cœur  drapé 
L'orgueil  et  la  pudeur  du  nom  de  Citadelle! 


EDMOND   PILON 

(187.'i) 


M.  Edmond  Pilon  est  nti  le  19  novembre  1874,  d'un  père  nor- 
mand et  d'une  mère  bourguignonne.  «  Du  coté  paternel,  nous 
dit-il,  mes  ancêtres  sont  Normands;  la  plupart  exerçaient  hé- 
réditairement la  profession  de  verriers.  Du  côté  maternel,  tous 
sont  Bourguignons;  seule  ma  grand'mére  était  Lorraine.  «Na- 
tif de  Paris,  M.  Edmond  Pilon  a  grandi  dans  cette  ville.  Le 
commerce  des  tableaux,  qu'exerçait  son  père,  lui  a  donné  le  goût 
des  arts.  Il  débuta  dans  les  lettres,  n'ayant  pas  atteint  sa  ving- 
tième année,  en  publiant  des  poèmes  et  des  articles  au  Mercure 
de  France  et  à  l'Echo  de  Paris.  Il  fit  ensuite  la  chronique  des 
vers  à  L'Ermitage  et  fonda,  avec  MM.  Paul  Fort,  Charles-Henry 
Hirsch  et  le  graveur  Dumont,  un  recueil,  Le  Livre  d'Art,  qui 
eut  une  courte  mais  brillante  carrière.  Depuis,  M.  Edmond  Pi- 
lon a  collaboré  à  tous  les  périodiques  de  tendance  nouvelle  et 
à  bon  nombre  de  journaux.  Il  a  donné  des  notations  person- 
nelles sur  tous  les  événements  de  la  vie  contemporaine  et  de 
l'art  et  sest  fait  connaître  avec  une  série  d'ouvrages  en  prose  et 
envers  parmi  lesquels  nous  citerons  :  Les  Poèmes  de  mes  soirs, 
Paris,  Vanier,  I8i)6,  in-18;  La  Maison  d'Exil,  poésies,  Paris,  Mer- 
cure de  France,  1898,  in-18  ;  Octave  Mirbeau,^Ar\s,  Sausot,  190.3, 
iu-18;  Portraits  français,  l"  et  20  séries,  ibid.,  1904-1906,  2  vol. 
in-18;  P.  et  V.  Margneritte,  ihid.,  1905,  in-18;  Le  Dernier  Jour 
de  Watteau,  ibid.,  1907,  in-12;  Muses  et  bourgeoises  de  jaSts, 
Paris,  Mercure  de  France,  1908,  in-18;  Chardin,  Paris,  Pion, 
1909,  iu-16.  Esprit  curieux  et  renseigné,  servi  par  une  imagi- 
nation sensible  et  un  talent  infiniment  souple  et  divers,  M.  Ed- 
mond Pilon  ne  s'est  pas  seulement  révélé  ingénieux  chroni- 
queur, il  a  fait  œuvre  d'écrivain  do  race,  d'évocateur  et  de 
poète.  Ses  travaux,  encore  inédits,  à  la  louange  du  a  Palais  et 
du  jardin  du  Luxembourg  »,  et  ses  études  sur  les  «  jolies  val- 
lées de  riIe-de-France  »  qu'il  a  fait  paraître  à  la  Revue  Bleue 
(30  avril  1904,  14  juill.-22  sept.  1906)  le  désignent  tout  particu- 
lièrement à  l'attention  des  lettrés  et  lui  méritent  une  place  bien 
à  part  parmi  les  meilleurs  peintres  de  nos  sites  et  de  nos  pay- 
sages français. 


•508  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

Le  jury  chargé  de  l'attribution  de  la  bourse  de  voyage  a  dé- 
signé, le  15  juin  1909,  M.  Eduiond  Pilon  comme  lauréat  du  prix: 
national  de  littérature. 

Bibliographie.  —  Gaston  Deschamps  [Ed.  Pilon],  19  août 
1906.  —  G.  Lenotre,  Ed.  Pilon,  Le  Temps,  24  mars  1909.  —  R.- 
M.  Ferry,  Ed.  Pilon,  Eclair,  5  mars  1909.  —  H,  de  Régnior. 
Ed.  Pilon,  Gaulois,  6  juillet  1909. 


A  LA    FONTAINE    DE    MÉDICIS 

JARDIN    DU    LUXEMBOIRG 

J'écoule  la  chanson  de  tes  bois,  de  tes  fleurs 

Et  de  tes  belles  eaux, 
O  fontaine  admirable  en  qui  coulent  les  pleurs 

De  la  nymphe  aux  roseaux; 

Médicls  est  ton  nom,  et  la  voix  éloquente 

Des  beaux  enfants  de  marbre 
Qui  rient  en  se  mirant  dans  tes  eaux  transparentes, 

Le  redit  aux  grands  arbres  ; 

Quand  le  soleil  est  beau  sur  la  cime  des  pins 

Et  que  les  nids  légers 
Balancent  leurs  concerts  au-dessus  du  bassin. 

Quand  tout  est  ombragé, 

Alors  —  ô  magnifique  Fontaine  —  tu  verses 

Tes  eaux  en  abondance, 
Et  tes  flots  emportés  au  vent  qui  les  disperse 

Retombent  en  cadence, 

Semblables  à  ces  pleurs  cristallins  que  les  yeux 

Des  vierges  et  des  lys 
Versaient  éloquemment  sur  le  corps  délicieux 

Du  sublime  Adonis... 

Des  poissons  éclatants  aux  écailles  nacrées 

Scintillent  dans  tes  ondes 
Et  peuplent  de  reflets  les  lueurs  ignorées 

De  tes  cités  profondes  ; 


ILE-DE-FRANCE  509 

Des  guirlandes  de  lieri'e  et  de  myrte  mêlées 

Dessinent  sur  tes  eaux 
Un  éclatant  jardin  ;  des  sillages  ailés 

De  feuilles  et  d'oiseaux 

Mêlent  leur  poids  léger  à  celui  que  tu  portes, 

Et  lorsque  Aient  l'automne 
Tes  flots  à  leur  miroir  mêlent  des  feuilles  mortes 

Et  des  lys  monotones... 

Mais  le  silence  est  doux  qui  monte  de  tes  bords, 

Et  le  calme  léger 
Des  vasques,  des  amants,  du  bois,  des  poissons  d'or 

Qui  gardent  ta  beauté! 

Atis  et  Galatée,  près  du  noir  Polyphème, 

Tous  les  deux  admirables, 
Dessinent  sur  le  beau  décor  do  ta  fontaine 

Un  poème  de  marbre: 

Kt  rien  n'est  plus  divin  sur  tes  eaux,  M^UIicis, 

Que  ce  couple  charmant 
Que  lamour,  le  bassin,  les  ondes  et  les  lys 

Défendent  du  Titan! 

Rien  n'est  plus  délicat  et  rien  ne  rassérène 

Plus  le  cœur  du  poète 
Que  tes  pleurs,  tes  reflets,  tes  feuilles  —  ô  fontaine! 

Et  que  les  belles  fêtes 

Qu'allume  sur  tes  bords  et  qu'en  riches  couleurs 

Le  souverain  Amour 
Construit  de  ses  baisers,  de  son  arc,  de  ses  fleurs,     # 

Au  fond  du  Luxembourg! 


CHANSON    D'ILE-DE-FRANCEi 

Ma  sœur  mignonne  qui  filez 
De  vos  minces  doigts  effilés 

De  blancs  fils  de  la  Vierge, 
Filez  pour  le  roi  de  Thulé, 

1 .  Cette  pièce  a  paru  sous  le  lilre  :  Chanson  du  Trouvire,  dans- 
'  f'ijwTiei'  Français  du  8  juillet  IS!}4. 


510  LES  POÈTES  DU  TERKOIR 

Qui  dort  entre  la  mort  des  cierges, 
La  blanche  étoffe  lé  par  lé; 

Ma  sœur  des  roses  qui  dormez 
A  l'ombre  des  bois  parfumés, 
Vos  mains  l'une  sur  l'une, 
Filez  aussi  pour  mon  ennui 
Les  rayons  pâles  de  la  lune 
Et  des  étoiles  de  la  nuit; 

Ma  sœur  des  brises  qui  riez 
Dans  le  grand  vent  des  peupliers 

Et  dans  le  chant  des  brises, 
Filez  sur  la  quenouille  d'or 
Pour  mes  vieux  rêves  de  nuits  grises 
Des  berceuses  d'enfant  qui  dort; 
Ma  sœur  aux  beaux  yeux  de  douceur, 
Aux  légers  cheveux  blonds,  ma  sœur, 

De  vos  mains  bonnes  de  madone 
Filez  encore  sur  mon  cœur, 
De  votre  geste  qui  pardonne, 
Une  guirlande  d'autres  fleurs  : 

Vous  savez  de  ces  fleurs  d'amour, 
Comme  il  en  pousse  près  lu  tour. 

Sous  les  fils  de  la  Vierge, 
Filez,  ma  sœur,  pour  mon  sommeil, 
En  flammes  pAles  de  longs  cierges 
Violettes  et  pavots  vermeils... 


LIMOUSIN  ET  MARCHE 

HAUT  ET  BAS  LIMOUSIN, 

HAUTE  ET  BASSE  MARCHE,  NONTROXNAIS,  CONFOLEXTAIS, 

COMBRAILLE,  FRANC-ALLEU 


«  Environ  2000  ans  avant  l'ère  chrétienne,  c'est-à-dire  il  y  a 
4.000  ans,  écrit  M.  Johannès  Plantadis,  un  peuple  d'origine 
celtique,  les  Lémovices  ou  Lénaoviques,  partit  de  l'Est,  do  la 
Germanie  sans  doute,  et  s'en  fut  droit  vers  l'ouest,  où  se  cou- 
chait le  soleil.  Il  marcha  tant  que  la  terre  ferme  le  porta;  mais 
lorsqu'il  al)orda  aux  marécages  qui  commençaient  la  contrée 
connue  aujourd'hui  sous  les  noms  de  Poitou,  Angoumois  et 
Périgord,  il  s'arrêta  et  s'établit  sur  le  sol  granitique  dont  les 
immenses  étendues  s'oH'raient  à  sou  activité.  Ce  pays  prit  le 
nom  de  son  peuple  :  on  l'appela  Limousin'.  » 

La  Marche  [Marchia  Lemovicina)  et  le  Limousin  ou  Limosia 
proprement  dit  [Lemoviccnsis  Tractas)  figurent  parmi  les  pro- 
vinces centrales  de  la  France.  Elles  se  rattachent  tout  à  la  fois 
au  nord  par  le  climat,  l'aspect  du  sol,  et  au  midi  par  le  dialecte- 
La  première  borne,  au  sud.  la  seconde,  et  confine,  par  le  sep- 
tentrion, avec  le  Berry.  On  lui  a  donné  le  nom  de  Marche-,  parce 
qu'elle  servait  de  frontière  au  royaume  d'Aquitaine.  Le  Limoilfc 
sin,  limité  à  l'est  par  l'Auvergne,  a  pour  lisières  au  sud  le 
Quercy,  à  l'ouest  le  Périgord.  La  Marche  a  vingt-trois  lieues 

1.  La  Division  n'gionale  de  la  France.  Le  Limousin;  Action  rc- 
gionalislc,  déc.  1907. 

•1.  «  La  Marche  limousine,  observe  encore  M.  Jean  Plantadis, 
marquisat  tout  daborti ,  puis  comté,  semble  dater  de  la  première 
moitié  du  x»  siècle...  Elle  est  unie  au  Limousin  par  une  communauté 
d'origine,  de  langue,  de  tradition  et  de  culture.  Elle  est  encore  du 
diocèse  de  Limoges  et  ne  dut  d'ôtre  morcelée  et  détachée  du  bloc  ini- 
tial qu'à  de  très  puissants  intérêts  de  familles  féodales,  dont  elle 
constitua  un  apport  dotal.  Elle  ne  saurait  donc  former  une  province 
propre,  avec  des  caractères  distiuctifs.  Aux  confins  du  Massif  central, 
à  la  limite  des  pays  de  langue  d'oc,  elle  fut  une  frontière,  une  7nar- 
che,  comme  on  disait  au  moven  àsre.  » 


512  LES    POÈTES    DU    TERROIR 

de  long  sur  quinze  de  large,  et  elle  occupe  nn  espace  d'onvi- 
ron  deuK  cents  lieues  carrées;  le  Limousin,  dont  l'étendue  est 
de  vingt  lieues  en  longueur  sur  autant  de  largeur,  présente  à  sa 
surface  un  développement  de  trois  cent  trente  lieues  :  c'est 
donc,  observe  un  géographe  du  siècle  dernier',  une  superficie 
totale  pour  les  deux  provinces  de  cinq  cent  trente  lieues  carrées. 
«  Plusieurs  chaînes  de  montagne,  ajoute  le  môme  auteur,  tra- 
versent la  Marche  et  y  multiplient  à  l'infini  les  accidents  du 
terrain  :  celle  du  centre,  ligne  continue,  s'étend  du  nord-ouest 
au  sud-ouest.  Une  autre,  la  Gartaupe,  point  de  départ  de  plu- 
sieurs ramifications,  pénètre  dans  le  Limousin.  Une  troisième 
enfin ,  commune  à  la  Marche ,  au  Limousin  et  à  l'Auvergne, 
forme  un  vaste  plateau  d'où  les  eaux  se  distribuent  sur  tous 
les  points  de  l'hori/on  en  un  grand  nombre  de  courants  qui 
■suivent  les  diverses  pentes  du  sol,  » 

Dans  son  remarquable  Tableau  de  la g-éographie  de  la  France  ''. 
M.  P.  Vidal  de  la  Blache  a  parfaitement  dégagé  la  saisissante 
personnalité  du  Limousin  et  de  la  Marche- 

a  A  l'ouest  de  la  chaîne  des  puys,  qui  marque  l'extrême  limite 
de  cette  direction  des  poussées  volcaniques,  dit-il,  le  granit 
prend  possession  du  sol;  à  l'Auvergne  succède  le  Limousin. 
L'altitude  diminue  graduellement.  Nul  point  n'y  atteint  1.000  mè- 
tres, même  sur  le  plateau  sauvage  d(!  Millevaches.  sorte  de  High- 
lands  de  la  France  centrale,  avec  leurs  franges  d'étroitis  et 
creuses  vallées.  L'aspect  montagneux  s'atténue  ;  de  plus  en  plus, 
Lt  contrée  se  modèle  sur  un  plan  où  les  ondulations  et  les 
•croupes  en  alternances  régulières  atteignent  les  mêmes  niveaux. 
A  partir  du  méridien  de  Limoges,  le  niveau  s'abaisse  encore 
<lavanlage.  Seules  les  croupes  arrondies  de  quelques  massifs 
isolés,  comme  les  monts  de  Blond  et  le  Puy  de  Chalus,  dres- 
■sent  encore  quelques  saillies  au-dessus  de  500  mètres.  Encore 
uue  cinquantaine  de  kilomètres  vers  l'ouest,  et  les  roches  pri- 
mitives disparaîtront  de  la  surface  ;  le  Massif  semblera  terminé, 
•et  sa  prolongation  souterraine  vers  le  Poitou  ne  se  décèlera 
(juc  par  des  ])ointements  isoles. 

«  Le  gué  ou  passage  qui  a  fixé  la  position  de  Limoges  est  im 
;i)oint  vers  lequel  ont  converge  nalurellcmeut  les  roules.  La 
voie  venant  do  l'.Vuvorgne  y  rc-ucoulrait  celle  qui,  <los  centres 
gaulois  de  Bourges  et  d'.\rpenton,  se  dirigeait  vers  l'érigueuK 
<;t  les  vallées  du  sud -ouest.  Celle-ci  était  «ne  très  ancienne 
voie  de  peuples,  qui  préexistait  certainement  à  la  dtunitiatioii 
romaine.  Traversant  à  son  exlréniilé  le  Massif  central,  elle  y 
renconirail  les  vieilles  exploitations  d'clain  dont  les  traces 
«ubsistenl  au  sud  des  mouls  de  Blond  (Vaury).  Lu  nombre  (!<"' 

1 .  Aristide  Ouilltcrl,  Histoire  des  ville»  de  France,  t.  Vt  {fJmonsii 

2.  hilroihicliou  a  Y  Histoire  do  France,  d'K.  Lavisse,  t.  I<",p.  3" 


LIMOUSIN    ET    MARCHE 


513 


monuments  mégalithiques  atteste  dans  l'ouest  du  Limousin 
une  fréquentation  très  ancienne.  Il  semble  bien  aussi  ([ue  les 
traînées  de  population  dolichocéphale  blonde,  que  l'anthropo- 
logie constate  entre  Bourges  et  Limoges,  aient  suivi  la  direc- 
tion de  cette  route. 

«  Etape  nécessaire  au  croisement  des  directions  venues  de 


Poilus  /     ^^-.     ^     ,   }^''f^ 


.>^/'oleIita^'^ 


.— -^otir.gaiie 


.   7--^  o        ^Vf^LiIII{xaes 

..oche^liouarL        i-'  ^a;:: 


^    Je  ^    /-ÛE-DOt^E 


Limite  ae  aeos'"- 

9         Z/eu  (fe  naissarc  ^ 
postes 


r:'\fr' 


^Ain^l'ac 


.M  A  11  c:  11  li      K 


l'Est  et  du  Nord,  nœud  de  routes  vers  Saintes  et  l'Océan,  Li- 
moges dut  à  sa  position  d'intermédiaire  une  importance  pré- 
coce. Ce  fat  une  ville  tournée  vers  le  dehors,  foyer  de  propa- 
gande chrétienne  avec  Saint-Martial,  sanctuaire  renommé  et 
l)utde  pèlerinages,  comme  Saint-Léonard,  son  voisin:  ce  fut  un 
centre  commercial,  où  des  colonies  de  marchands  étrangers 
s'établirent.  Dans  l'art  original  de  l'émaillerie  qui  fit  sa  gloire, 
dans  les  constructions  romanes  qui  s'y  élevèrent,  dans  la  lit- 
térature des  troubadours,  on  saisit  les  indices  d'une  vie  très 
précoce,  qui  a  ses  sources  propres,  et  dont  l'éclosion  n'a  rien 


514  LES  POÈTES  DU  TEKHOIK 

de  commun  avec  les  influences  qui  soufflaient  alors  au  nord 
de  la  Loire.  Elle  fleurit  plus  tôt  que  la  vie  du  Nord;  elle  dé- 
cline quand  l'autre  commence,  n 

C'est  i^ar  sa  langue,  a-t-on  dit,  que  la  race  limousine  s'est 
perpétuée  historiquement.  Rien  n'est  plus  vrai.  En  elTet,  tandis 
que  lesprit  de  conquête  s'avance  jusqu'à  la  Dordogne  et  à  la 
Gironde,  que  la  langue  d'oïl  pénètre  peu  à  peu  en  Poitou  et  en 
Guyenne,  le  Limousin,  «  à  peine  entamé  au  nord,  vers  les  Mar- 
ches »  ,  garde  jalousement  son  dialecte. 

Il  possède  une  langue  consacrée  par  les  siècles,  connue  au 
loin  et  d'une  vivante  originalité.  Née  de  l'alliance  du  celtique 
et  du  latin,  auxquels  se  mêlèrent  un  petit  nombre  de  mots 
grecs,  empruntés  à  la  colonie  de  Marseille,  quelques  termes 
d'origine  germanique,  dus  à  la  conquête  française  du  v»  siècle, 
d'autres  provenant  de  l'occupation  anglaise  dans  le  Midi,  des 
invasions  sarrasines  et  môme  normandes,  cette  langue  était 
complètement  formée  dès  les  premiers  temps  du  moyen  âge. 
Dans  les  xi«,  xn°  et  xiii»  siècles,  elle  avait  ses  troubadours 
comme  le  provençal,  et  les  œuvres  de  ses  poètes,  répandues 
dans  toute  la  France,  y  popularisaient  la  langue  romane.  On 
sait  que,  vers  1212,  l'idiome  limousin  avait  pénétré  en  Catalo- 
gne, à  Valence,  à  Majorque,  à  Minorque,  ainsi  que  dans  la  Cer- 
dagne  et  le  Roussillon,  où  on  l'appelait  encore  il  y  a  peu  d'an- 
nées lin^nia  lenwusina.  Les  alliances  des  ducs  d'Aquitaine  et 
des  vicomtes  do  Limoges  avec  les  comtes  de  Barcelone  et  plu- 
sieurs autres  puissants  seigneurs  de  l'Espagne;  la  fréquence 
des  rapports  et  des  visites  de  part  et  d'autre,  et  surfout,  dit-on, 
l'usage  qu'avaient  les  Espagnols  de  laisser  aux  émigrants  le 
soin  de  labourer,  d'ensemencer  et  moissonner  leurs  champs, 
tout  contribua  à  répandre  la  langue  limousine  au  delà  dos 
Pyrénées.  Elle  s'enrichit  alors  par  contre-coup  de  mots  et  do 
formes  du  terroir  qu'il  est  encore  facile  de  reconnaître  aujour- 
d'hui à  leur  allure  castillane.  Raymond  Lulle  écrivit  en  dialecte 
limousin  sa  Philosophie  d'Amour  (1298),  et  Pierre  IV  publia 
dans  cette  muuo  langue  les  lois  do  son  royaume  d'Aragon 
(1344)1. 

En  terre  française  rayonnait  la  gloire  des  poètes  limousins. 
•  Des  centres  de  poésie  courtoise  .s'élabli.ssaiont  à  Reims,  à 
Hlois,  à  Paris,  et  les  troubadours  do  la  fin  du  xii'  au  coinmcn- 
ccm<!nt  du  xiil"  siècle  servaient  do  modèle  aux  trouvères  Couoo 
de  Rétliune,  Gacé  Brûlé,  au  sire  de  Couci,  à  'riiii)ault  do  Chnm- 
j)agne,  etc.  »  En  Hernard  do  Ventadour,  Giraud  de  Borreilli  et 
Rertrand  de  Rorn  se  résume  toute  la  poésie;  lyrique  et  clu'valc- 
rcsquo  d'une  époque.  Apres  une  période  dite  classique,  c'est- 
à-dire  à  partir  do  la  Seconde  moitié  du  xiv»  siècle,  la  littérature 

i.  Cf.  Aristide  Guilbcrl. 


LIMOUSIN     ET    MARCHE  515 

limousine,  qui  a  brillé  d'un  éclat  incomparable,  cesse  de  s'ex- 
primer. La  Renaissance  est  proche.  Ainsi  que  la  très  bien  ob- 
servé Camille  Chabaneaui,  au  xv»  siècle  la  langue  d'oc  louche 
■à  son  déclin.  Les  documents  limousins  de  ce  temps  présentent 
a  trace  de  plus  en  plus  marquée  de  linfluencc  du  français.  Au 
moment  où  le  xvi«  siècle  se  précise,  le  bel  idiome  des  trouba- 
dours est  déjà  devenu  le  patois  moderne.  Le  français  domine 
partout.  Le  limousin,  réservé  aux  usages  vulgaires,  est  employé 
dans  les  relations  épistolaires  :  la  littérature  l'exclut,  et  ceux 
qui  composent  encore  en  cette  langue  sont  ou  des  écrivains 
populaires  ou  des  lettrés  qui  ne  songent  qu'à  se  distraire  de 
travaux  sérieux  et  à  amuser  leur  lecteur.  De  1555  à  1640  environ, 
en  exécution  d'une  disposition  testamentaire  d'un  avocat  au 
siège  royal  de  Tulle,  Jean  Teyssier,  des  prix  annuels  sont  dé- 
cernés le  premier  dimanche  de  mai,  par  les  magistrats  de  cette 
ville,  aux  auteurs  des  trois  meilleures  compositions  en  vers 
latins,  français  et  limousins  traitant  de  «  la  louenge  et  noblesse 
du  sainct  mariage  ».  Le  temps  n'a  pas  respecté  le  souvenir  de 
ces  ouvrages  vraisemblablement  médiocres.  Personne  ne  les 
regrettera.  C'est  là  d'ailleurs,  ajouterons-nous,  tout  l'apport  du 
xvi«  siècle.  Le  xvii«,  quoique  moins  ignoré,  ne  sera  pas  plus 
riche.  11  nous  fournira,  comme  poésies  dialectales,  un  noël  de 
Bertrand  de  la  Tour,  chanoine  de  Tulle  dès  1602  -,  un  poème  de 
près  de  neuf  cents  vers  et  un  cantique  sur  sainte  Valérie,  tous 
deux  sans  nom  d'auteur  et  composés,  sans  nul  doute,  à  Limo- 
ges en  1641  3;  enûn,  une  Ode  assez  remarquable  d'un  sieur  Phi- 
lippe Le  Goust*,  médecin,  né  à  Confolens,  et  une  chanson  pa- 
toise,  qui  se  chante  encore,  de  Siméon  Poylevé ,  consul  de 
Limoges  en  1652'*.  Ajoutons  à  cela  deux  pastorales  dans  le  goût 
du  temps,  l'une  intitulée  Les  Amours  de  Colin  et  Alyson,  par 
F.  R.  (Ilempnoux),  de  Chabanois  (1641,  in-4o)  ;  l'autre  dénommée 
Capiote''^,  d'auteur  anonyme,  celte  dernière  remplie  d'allusions 
à  des  événements  intéressant  l'histoire  de  la  province. 


1.  La  Langue  et  la  Littérature  du  Limousin,  Paris,  Maisonneuvc, 
1882,  in-S». 

2.  Il  mourut  en  1048,  selon  Chabaneau. 

3.  On  les  trouvera  au  tome  H  du  Bulletin  de  la  Soc.  archéologi- 
que et  historique  du  Limousin. 

4.  Elle  parut  vers  1630,  et  fut  récemment  réimprimée.  Guez  de 
Balzac,  dans  ses  Entretiens,  aflirmcquc  Philippe  Goust  avait  traduit 
l'Enéide  en  limousin  et  écrit  des  coumienlaires  sur  les  Grenouilles 
d'Aristophane. 

5.  Né  cnlGiO,  mort  en  1697.  (Cf.  Chabaneau.)  La  chanson  dont  il  est 
question  ici  a  été  publiée  dans  le  Bulletin  de  la  Société  archéolO' 
gique  du  Limousin,  t.  XXXVI,  1889. 

6.  Capiote  ou  Pastorale  limousine,  comédie,  Bordeaux,  Delpech,  s. 
d.  (1684),  in-8».  On  connaît  deux,  réimpressions  de  cet  ouvrage.  Beau- 


516  LES  POÈTES  DU  TEKKOIR 

Mathieu  More],  médecin  à  Limoges,  mort  en  1704,  clùt,  avec 
des  noëls  et  autres  poésies',  la  liste  succincte  des  patoisants 
du  xviie  siècle.  Le  siècle  suivant  nous  offre,  à  son  tour,  quelques 
honnêtes  rimeurs.  C'est  tout  d'abord  l'abbé  Hobby-,  auteur 
d'une  Enéide  travestie  ;y)U\s  le  sieur  B**,  «  bourgeois  de  la  ville 
d'Excideuil  ».  traducteur  en  patois  périgourdiu  des  Eglogucs  àe 
Virgile";  l'abbé  Sage  et  le  Père  Blan  Lacombe,  de  Tulle,  facé- 
tieux concepteurs  de  deux  satires  en  vers  médiocres.  Las  Vrsu- 
liiias  et  La  Moulinado,  composées  vers  1780,  «  où  sont  raillés 
les  travers  des  religieux  et  religieuses  de  deux  couvents  de  la 
province  »  :  Léonard  Trompillon  (1750-1824),  boulanger  à  Li- 
moges, à  qui  l'on  doit  des  chansons  paloises  et  une  Ilenriade 
en  vers  burlesques;  l'abbé  David,  de  Lubersac  (1740-1830^ 
enfin  l'abbé  François  Richard  (1733-1  SU),  le  plus  remarquai^ 
de  tous  après  J.-B.  Foucaud,  de  Limoges,  ce  précurseur  de  l'é- 
cole moderne. 

Le  xix»  siècle,  lui,  n'a  de  longtemps  suivi  l'exemple  modeste 
des   siècles   précédents.    Il   s'enorgueillirait    à    peine    d'Anne 


champ,  dans  ses  Recherches  sur  les  théâtres  (II,  p.  459;,  l'a  fausse- 
ment altrilnié  a  Cortèle  de  l'rades. 

i .  Ou  en  lira  un  spécimen  à  la  suite  des  Œuvres  de  l'abbé  Fr.  Ri- 
chard (éd.  de  184'J,  p.  304), 

2.  Jean-Baptisie  Hob\ ,  né  à  Limoges,  le  26  mars  1703,  prôtre  com- 
nmnalislc  de  Sainl-Pierre-du-(Jucyroix,  mort  en  176:i.  On  prétend 
qu'il  lut  le  précejjleur  du  célèbre  Verprniaud.  Son  ouvrage,  auquel  il 
travailla  près  de  vingt  ans,  a  été  récemment  publié  avec  une  notice 
sur  l'auteur,  des  notes  et  une  traduction  par  M.  Hubert  Texier  {Vir- 
f/ifio  Limouzi,  poème  inédit  de  1748,  en  vers  iimousins  burlesques, 
elc,  l'aris.  Bouillon,  1800,  in-lG).  Loin  d'ôtro  une  transcription  bur- 
lesque de  Virj>iie.  c'est  plutôt  une  imitation  de  l'ouvrage  de  Scarron. 
aiaijuellc  l'auteur  a  ajouté  une  foule  de  traits  louchant  ses  compa- 
Irioles.  On  y  trouve  cette  allusion  au  caractère  du  Liniougeaud  do 
son  temps.  C'est  Vénus  (jui  parle  : 

Au  Ici  lie  fa.s  que  lou  Nivello 
Kl  tt^  tournifiilas  lo  ceivello 
Iioffas  <jue  »!•  le  touclienl  |)a!«, 
Counio  lou  IjinoupiNui  sel  fas. 
ijn'o  <ly  chai»  se  |i(!sto  et  fomiiio 
Kt  per  dehors»  loul  cxamino, 
Tu  ileurinsi  eo  qa'tn  |)us  pressa, 
Sunniaiicliag  te  ((uis  l'as  leU^sa... 

Au  lieu  (le  faire  là  le  Nivelle 

Kl  fJo  te  loui  meiiler  la  cervelle 

U'airairos  «lui  iio  lo  loui-hont  pn?, 

Comme  le  Liniou)tcnu<l  sait  faire, 

Oui  a  chez  lui  pcsli-  i-l  fiiinine, 

Kt  par  dehors  tout  oxarnirie, 

Tu  déviais,  f»  (|ui  vA  liifii  plu*  piesM-, 

Soigner  chez  loi  ceux  que  lu  n*  liiis?és... 


3.  Vers  I74rf. 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  517 

Vialle,  l'éditeur  du  Dictionnaire  des  patois  bas-limousins  ;  de 
Ni(;oliis  Béronie,  et  nous  ne  connaîtrions  rien  de  l'esprit  tradi- 
tionnel en  Limousin,  sans  la  renaissance  tentée  réccnimont  par 
l'abbé  Joseph  Roux.  On  trouvera  plus  loin  quelques  reusei- 
gneineuts  sur  ce  poète,  digne  émule  de  Mistral,  qui  non  seule- 
ment se  lit  l'interprète  de  la  a  Chanson  limousine  »,  mais  encore 
le  rénovateur  de  la  langue  vulgaire  et  l'émule  des  anciens  trou- 
badours. Autour  de  Joseph  Roux  est  venue  tout  naturellement 
se  grouper  uue  phalange  d'écrivains  soucieux  de  rappeler  les 
fastes  de  leur  petite  patrie.  Des  écoles  se  sont  formées;  des 
poètes  naquirent  pour  célébrer  les  vertus  du  sol  et  de  la  race. 
Le  français  lui-même  eut  sa  part  d'initiative  et  de  gloire  dans 
l'œuvre  commune.  Il  est  bon  dire  que  parmi  les  partisans  les 
jilus  outranciers  de  la  suprématie  des  patois,  quelques-uus  ont 
vu  la  nécessité  de  maintenir,  à  côté  du  dialecte,  la  langue  ofli- 
cielle,  non  pour  le  dominer,  mais  pour  l'exalter  dans  ses  œu- 
vres. De  cette  intention  est  née  la  revue  Lemonzi^,  qui  non 
seulement  imprima  la  Grammaire  limousine  do  l'abbé  Joseph 
Roux,  mais  reunit  sans  distinction  d'esprit  et  de  tendance  les 
romanciers,  les  poètes  et  les  historiens  de  la  province. 

Il  faut  l'observer  pour  finir,  le  Limousin  a  eu  de  tous  temps 
des  poètes  d'expression  française.  N'est-ce  point  dans  la 
Marche  qu'a  pris  naissance  la  pensée  directrice  de  la  Pléiade  '? 
Jean  Daurat,  on  le  sait,  était  Limousin  d'origine  et  de  cœur'-'. 
H  ne  fut  guère  qu'un  savant  et  un  helléniste,  mais  son  érudi- 
tion et  son  éloquence  ont  fécondé  un  mouvement  qui  devait 
décider  de  l'avenir  de  notre  poésie  nationale.  Au  Limousin  se 
rattachent  encore,  en  plein  xvi°  siècle,  Eustorg  de  Beaulieu, 
émule  de  Clément  Marot:  Joachim  Blanchon,  disciple  de  Ron- 
sard;  Jean  Prévost^,  poète  comique  et  lyrique  à  la  fois;  le 

1.  Lemouzi,  littéraire,  artistique ,  historique  et  traditionniste, 
revue  franco-limousine  mensuelle,  organe  de  la  Ruche  Corrczi^nf 
lie  Paris  el  de  la  Féih'^ration  provinciale  de  Paris.  Cette  pnblicatron, 
qui  a  pour  directeur  M.  Johannès  Planladis,  et  qui  compte  parmi 
ses  principaux  collaborateurs  :  Oust,  et  Frédéric  Clémpnl-5?inion,  E. 
Bombai,  M"«  Marguerite  Genès,  A.  .laubert,  Alfred  Marpillat,  Edouard 
iMichaud,  H.  de  Noussanne,  Marcelle  Tinayre,  Edmond  Perricr,  Vcr- 
liiac-Monjauzo,  etc.,  est  entrée  récemment  dans  sa  dix-huitième  année. 

1.  Limoges,  loUS-Haris,  1588.  Il  a  laissé  quelques  vers  latins  sur 
son  pays  natal.  On  les  hra  dans  réditiou  de  ses  œuvres,  réimprimée 
par  Marty-I.aveaux. 

3.  Né  au  Dorât,  dans  la  Marche,  vers  1580,  mort  à  Paris,  le  3 1  mars 
1562.  On  lui  doit  :  Les  Trn//edies  et  autres  œuvres  poétiques,  etc  , 
Poicticrs,  J.  Tlioreau,  1612,  in-i2  ;  Les  Secondes  Œuvres  poétiques  et 
tragiques,  ibid.,  1613,  in-12.  Soloine  lui  attribue  Les  Fanfares  et 
Courvées  abbadesques  des  Houle-bon-temps  de  la  liaute  et  basse  Co- 
quaine  et  dépendances,  par  J.-A.  P.  11  n'a  presque  jamais  célébré 
son  pays. 


518  LHS  POÈTES  DU  TEKUOIR 

baron  de  Saviguac,  auteur  de  L'Isle  des  Hermaphrodites,  pam- 
phlet —  en  prose  —  contre  la  cour  des  Valois  (1G05);  Jean  de 
Beaubreuil*;  aux  xvii"  et  xvitie  siècles,  Jacques  do  Besse,  Salo- 
mon  de  Priézac,  Tristan  et  Jeau-Baptiste  L'Hermite  -,  de  Solicrs, 
Pierre  de  Marin,  l'abbé  Martial  Dourneau,  le  marquis  de  Saint- 
Aulaire^,  Rochon  de  Chabanncs,  J.-E.  Marmontel,  Emile  Roa- 
det,  etc.^;  au  xix®  siècle  et  de  nos  jours,  A.-J.-G.  Saint-Edme, 
Octave  Lacroix  (d'Egleton),  Auguste  Lestourgie,  Frani-ois  Bon- 
nèlye",  Eusèbe  Bombai,  Gaston  David,  Henry  Snrchamp  , 
Edouard  Michaud,  le  docteur  Fernand  Vialle,  Alexis  Jaubert", 


1.  11  faut  joindre  h  celle  liste  Marc-Antoine  Murol,  né  en  i'6ï6, 
mort  en  loS.ï,  savant  humaniste,  auteur  de  Javenilin  et  de  Commen- 
taires sur  les  Amoiu's,  de  Pierre  de  Ronsard.  JouUietton,  dans  son 
Histoire  de  la  Marche  et  du  pays  de  Combraille,  signale  encore 
François  Chopy,  auteur  d'un  poème  sur  Le  Siège  de  ChénéraiUes, 
laDo.  Jusqu'ici  nous  n'avons  pu  nous  procurer  cet  ouvrage. 

2.  Frère  cadet  de  Tristan.  II  a  laissé  divers  ouvrages,  entre  autres 
un  recueil  de  vers,  Meslanges  de  Poésies  héroïques  et  burlesques  du 
chevalier  de  Lhermite,  Paris,  G.  et  J.-B.  Loyson,  1670,  in-l:2,  qui 
conlient  quelques  jolies  pièces.  L'une  d'elles,  Solitude,  serait  digne 
de  figurer  parmi  les  œuvres  de  son  aîné. 

3.  Krançois-Josepli  de  Beaupoil,  marquis  de  Sainl-Aulairc,  familier 
de  la  duciiessc  du  Maine.  Il  mourut  le  17  décembre  174^*,  Agé,  dit-on, 
de  qualrc-vingt-dix-huit  ans.  On  cite  de  lui  quelques  vers  élégants. 
11  était  de  l'Académie  française. 

4.  Cf.  G.  Clément-Simon,  Curiosités  de  la  biblior/raji/iie  limou- 
si}ie,par  un  bibliophile  corréziea,  Limoges,  Ducourticux,  1905,  in-S". 

5.  Il  était  de  Tulle.  Professeur  au  collège,  il  cultiva  la  poésie  en 
français  et  on  patois.  Une  de  ses  chansons,  A  mon  clocher,  est  restée 
populaire  en  Limousin. 

G.  On  lui  doit  quehiues  jolis  poèmes  insérés  dans  dos  revues  locales. 
Voici  un  fragment  de  l'un  deux  inlilulè  Au  Limousin,  i/aulcur  ènu- 
nière  les  gloires  de  sa  province  : 

J'ai  proml*  «le  trcssnr  dos  lauriors  sur  ton  front 
Kt  «le  fleurir  la  nudilé  do  roses  p^lo!». 
Voici  ccB  cliaiiti»  d'ainoiir  où  ta  splondour  s'élale 
Ilayonnantc  d'esipoir,  vierKO  do  tout  nlIVont. 


Beau  Limoui'in  !  à  sol  natal  !  Pour  (^ue  curvivenl 
Lumineux  sur  ton  front  sacré  les  nimlics  d'or, 
Jo  saurai  évoquor  l'Ame  de  les  llls  morts, 
Kt  chanter  la  clarté  do  los  fontaine»  vives. 
Tous  tes  enfants  défunts  sur|<lront  rlovant  nous. 
Plus  grands  dans  los  décors  fastueux  dos  lo«ondos 
l'oi'tos  cl  ffuorrjors  r|ui  ooururonl  les  landes, 
Tia(çi(|ues  et  rieur.*,  graves,  hautain»  et  doux  I 
Voloi  Born,  ouragan  de  haine  et  iVépouvanlo. 
Tompote  hurlant  partout  l'analhèmo  cl  la  mort, 
Klfroi  dos  plus  puissants  et  terreur  dos  plus  forls  ; 
Hortraml.  roi  du  carnage  cl  prince  des  sirvcntctf  ! 
Voici  Uornard,  le  doux  Homard  de  Ventadour! 
Jardins  emplis  d'oiseaux  chanteurs  et  de  corolles, 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  519 

Louîs  Giiibert,  M""  Marguerite  Gonos,  Af™»  la  l)nronno  de  Fnii- 
queux,  etc.,  etc.  '. 

L'art  français  n'a  rien  à  envier  an  dialecte.  Qn'importo  l'ins- 
trument, pourvu  qu'une  inspiration  commune  dirige,  exalte  le 
poète  et  que  se  perpétue  la  tradition  du  clocher. 

BiBt.ioORAPniE.  —  Bru/.en  de  la  Martinière,  Grand  Diction- 
naire géographique, etc.,  Paris,  P.-G.  Le  Mercier,  1740,  III,  in-fol. 
—  Expilly,  Dictionnaire  géographique,  historique  et  politique 
des  r.aules,  km9.tQvà&m  et  Paris,  Desaint  et  Saillant,  17C6,t.  IV, 
in-fol.  —  Joullietton,  Histoire  de  la  Marche  et  du  pays  de  Coni' 
brailles,  Guêret,  Betoulle,  1814,  2  vol.  in-S».  —  Nicolas  Béronie, 
Dictionnaire  du  patois  du  Bas-Limousin  (Corr'eze),  et  plus  par- 
ticulièrement des  environs  de  Tulle...,  Tulle,  impr.  J.-M.  Drap- 
peau,  s.  d.  [1820J,  in-4''.  —  A.  Hugo,  La  France  pittoresque, 
Paris,  Delloyc,  1825,  3  vol.  in-4».  —  Schnakenburg,  Tableau 
synoptique  et  comparatif  des  idiomes  popul.  de  la  France,  Ber- 
lin, A.  Foerstner,  1840,  in-8°.  —  Aristide  Guilbert,  Histoire  des 
villes  de  France,  Paris,  Furne  et  C'«,  18  48,  t.  VI,  gr.  in-8«.  — 
A.  du  Boys  et  Arbellot,  Biographie  des  hommes  illustres  de  l'an- 
cienne prov.  de  Limousin,  Limoges,  impr.  Ardillier  fils,  1854, 
in-8°.  —  Docteur  J.-B.  Noulet,  Essai  sur  l'histoire  littéraire  des 
patois  du  Midi  de  la  France  aux  seizième  et  dix-septième  siècles, 
Paris,  Techener,  1859,  in-8»:  Essai  sur  l'Histoire  littèr.  des  patois 
du  Midi  de  la  France  au  dix-huitième  s.,  Paris,   Maisonneuve, 

Paraili?  parfumé  où  vibrent  «les  ritolo?, 

Bernanl,  prêtre  fervent  des  courtoise?  amours  ! 

Et  puis  voici  Marie  et  Raymoml  de  Turenne! 

L'orgueil  de  leur  donjon  déliait  rorgueil  des  cieux, 

Mais  ennemis  du  glaive,  et  de  l'art  soucieux. 

Leurs  âmes  proclamaient  la  grAee  souveraine. 

Mais  je  veux  que  tu  sois  présent  à  nos  regards, 

Faillit,  toi  qui  chantas  l'Avril  fier  de  ses  gloires, 

Poète  dont  les  vers  fleurissent  nos  mémoires  % 

Et  dont  le  cœur  pleura  la  mort  du  roi  Richard. 

ï^t  vous,  troupe  brillante!  harmonieux  cortège! 

Accourez  à  ma  voix,  reines  des  «  planhs  dainor  », 

Thibour  avec  Maheut  !  «  Alaïs  !  »  «  Aliénor  !  » 

La  magie  de  vos  noms  verse  des  sortilèges! 

Pour  toi,  Terre  natale,  une  aube  enfin  se  lève, 

Prometteuse  de  joie  ardente  et  <le  beauté  ! 

Tes  lils  n'ont  pas  encor  désappris  k  chanter, 

Et  leurs  mains  conduiront  les  Chimères  du  iiève... 

1.  Parmi  ces  derniers  nous  n'aurions  garde  d'oublier  Alfred  Mar- 
pillat,  le  plaisant  conleur  populaire,  s'il  n'avait  publié  en  patois  local 
ses  meilleures  inventions.  Né  à  Tulle,  le  28  mai  1857,  percepteur  des 
finances  depuis  ISyS,  mainteneur  des  écoles  félibréennes  limousines, 
M.  Alfred  Marpillat  a  donne  un  recueil  fort  apprécié  de  ses  compa- 
triolos,  Per  s'esclaflar  (Pour  s'esclafl'er),  Paris,  Dutl'au,  1897,  in-S». 
L'cxigu'ité  de  notre  cadre  nous  interdit  d'en  rien  publier. 


520  LES  POÈTES  DU  TERROTR 

1877,  in-S".  —  Poyet.  Essai  de  Bibliographie  limousine,  Lirao- 
<;es,  iinpr.  Chapoulaud  iV.,  1862.  in-8°.  —  Emile  lUiben,  Etude 
sur  le  patois  du  Haut- Limousin  (publiée  en  tcte  des  Poésies  en 
patois  limousin  de  J.-B.  Foucaud],  Limoges,  veuve  Diicourtieux, 
1865,  in-S».  —  De  Bergues  la  Garde,  Dictionnaire  historique  et 
bibliographique  des  hommes  célèbres...  de  la  Corr'eze,  Angers, 
imprim.  Lachùse,  Belleuvre  et  Dolbeau,  1871,  gr.  in-8o.  —  Cata- 
logue de  la  Bibliothèque  patoise  de  Burgaud  des  Marets,  Paris, 
Maisonneiive,  1873-1874.  2  vol,  in-8».  —  Baron  Ch.  de  Tourtoii- 
lon  et  0.  Bringuier,  Etude  sur  la  limite  géographique  de  la 
langue  d'oc  et  de  la  langue  d'oïl,  Paris,  imprim.  Nationale, 
1876,  in-8<>:  Des  Dialectes,  de  leur  classification  et  de  leur  dé- 
limitation géographique,  Paris,  Maisonnouve,  1890,  in-18.  — 
Camille  Chabanean,  Grammaire  limousine,  etc.,  Montpelli(>r, 
Hamelin,  1876,  in-S»;  La  Langue  et  la  Littérature  limousines, 
Paris,  Maisonaeuve,  1882,  in-8».  —  C.  Leymarie,  Quelques  Mots 
sur  les  chansons  rustiques  du  Limousin,  Brive,  Roche,  1890,  in-S», 

—  Lemovix  [Louis  de  Nussac],  Santo  Eslello,  etc..  Brive,  Ver- 
Ihac,  1890,  in-8°;  L'Annada  Lemoazina,  Brive,  1895-1901  ;  Le  Coq 
de  Carnaval,  Leraouzi,  1900;  Bibliographie  du  dialecte  limou- 
sin depuis  1810,  Brive,  Roche,  1903,  in-8''.  —  Ed.  KoschA\  i 
Grammaire  histor.  de  la  langue  des  Félibres,  Paris.  1894,  in- 

—  Abbé  M.  Gorse,  Au  bas  pays  de  Limousin,  Paris,  Leroux. 
1896,  gr.  10-8».  —  Gaston  Jourdanne,  Histoire  du  Félibrige,  i<v.-  ,- 
Î80G,  Avignon,  Roumanille.  1897,  in-8».  —  Johnnnes  Plantadis. 
La  Chanson  populaire  en  Limousin,  Paris,  1898.  in-12;  ('han~ 
sons  populaires  du  Limousin  (en  collaboration  avec  Léon  Hran- 
chet),  Paris,  Champion,  1905,  g;r.  in-8<>;  Chants  et  Chansons 
populaires  du  Limousin  (rec.  et  notés  par  J.-B.  Choze,  L.  Brau- 
chet  et  J.  Plantadis),  en  cours  de  publication.  —  D.  Behrens, 
Bibliogr.  des  patois  gallo-romans,  2»  éd..  trad.  par  E.  Rabiet, 
Berlin,  W.  Grouau,  1893,  in-8».  —  Ed.  Lefévro,  (Catalogue  féli- 
bréen,  etc.,  Marseille,  Ruât,  1901,  in-8».  —  Albert  Grimaud,  /' 
Ilacc  et  le  Terroir,  Cahors ,  Petite  Bibliothèque  provinciale , 
190:t,  in-8o.  —  François  Celor,  Chansons  populaires  et  Bourrées, 
Paris,  190'».  in-8».  —  G.  Cléinent-Sinion,  CHrto.v{<t\ç  de  la  biblio- 
graphie limousine,  Limoges,  Ducourlicux,  1905,  in-8".  —  J.  Plan- 
tadis, La  Division  régionale  de  la  France.  Limousin,  L'Action 
régionaliste,  décembre  1907;  Esquisse  historique  de  la  littéral, 
limousine ,  Revue  do  Provence  et  do  Languedoc  (.Marsoilb 
aortt-déc.  1909.  (Ou  trouvera  dans  cette  iniporl.iulo  élude  un 
liste  tri's  complote  des  poètes  patoisauts  du  Liuiousiu.)  —  ^  i- 
dal  do  la  Blaclw,  Tableau  de  la  géographie  de  la  France,  (i 
Histoire  de  France,  d'E.  Lavisso,  3«  éd.,  Paris,  Haclïctlo,  19 

t.  I,  in-l».)  —  Arm.  Praviol  et  J.-R.  do  Brousse,  L'Anthologie 
Félibrige,  Paris,  Nouv.  Libr.  natioualo,  1909.  iu-18. 

Voir  en  outre  :  Maximin  Delocho,  Etudes  sur  la  gcograpi,.- 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  521 

histor.  de  la  Gaule,  et  spécialement  sur  les  divisions  territoriales 
du  Limousin  au  nioyeti  âge,  etc.;  A.  Leroux,  Géographie  et  His- 
toire du  Limousin  ;  \e  Dictionnaire  de  nos  locutions  vicieuses, 
publié  par  Sanfçor  Préneuf  (Limoges,  1825)  :  F.  Mistral,  Lou 
Trésor  dou  Fclibrige,  etc.,  1879-1886,2  vol.  in-i»;  A.  de  Roume- 
joux.  Essai  de  Bibliographie  périgourdine,  Sauveterre,  impr. 
ChoUet,  1883,  in-8»;  VArmana  Lemouzi,  1884;  le  Dictionnaire 
des  hommes  illustres  du  Limousin,  de  l'abbé  Legros.  et  h'S  col- 
lections des  Bulletins  de  la  Société  du  Musée  départent,  du 
Bas  Limousin,  de  Lemouzi,  de  la  Société  archéologique  et  histor. 
dit  Limousin,  de  La  Brise,  Limoges  illustré,  Lou  Bournat  dou  Pc- 
rigord,  La  Revue  Félibréenne,    etc.,  etc. 


CHANSONS   POPULAIRES^ 


LA    ROSE    AU   BOIS 

Mon  père  z'et  ma  mère 
N'avaient  d'enfant  que  moi. 
La  destinée,  la  rose  au  bois. 
N'avaient  d'enfant  que  moi. 

On  me  mit  à  l'école, 
A  l'école  du  Roi. 
La  destinée,  la  rose  au  bois. 
A  l'école  du  Roi, 

On  me  fit  faire  un'  robe, 
Une  robe  de  soie. 
La  destinée,  la  rose  au  bois. 
Une  robe  de  soie. 

Le  tailleur  qui  la  coupe, 
C'est  le  tailleur  du  Roi. 
La  destinée,  la  rose  au  bois. 
C'est  le  tailleur  du  Roi. 

A  chaque  point  d'aiguille  : 

—  Nanctte,  embrasse-moi. 
Lu  destinée,  la  rose  au  bois. 

—  Nanette,  embrasse-moi. 

—  Ce  n'est  pas  bien  aux  filles 
D'embrasser  les  garrons. 

La  destinée,  la  rose  au  bois.  ^ 

D'embrasser  les  garçons.  ■ 

C'est  le  devoir  des  filles  • 

D'balayer  la  maison. 

I.  [,cs  trois  pièces  qui  suivent  sont  cxlrailcs  dos  fasc.  1  et  2  de» 
(liants  et  clinnsous  po/ml.  iln  Limousin,  rfcneillis  et  notrs  par  J.-/1. 
Chèze,  L.  Branc/ict  et  J.  P.  Planladis  (Paris,  Lcmouzi,  11)08,  in-X"). 


LIMOUSIN    ET    MAKCHE  523 

La  destinée,  la  rose  au  bois. 
Dbalayer  la  maison. 

Quand  la  maison  est  propre, 
Les  amoureux  y  vont, 
La  destinée,  la  rose  au  bois. 
Les  amoureux  y  vont. 

Quand  la  maison  est  sale, 
Les  amoureux  s'en  vont. 
La  destinée,  la  rose  au  bois. 
Les  amoureux  s'en  vont. 

S'en  vont  de  quatre  à  quatre, 
En  frappant  du  talon. 
La  destinée,  la  rose  au  bois. 
En  frappant  du  talon. 

LA-BAS,  LA-BAS,  DANS    UNE    COMBE 

Là-bas,  là-bas,  dans  une  combe,  —  On  y  sème  de  si 
beau  blé  ! 

Et  pendant  qu'on  le  semait,  —  Vierge  Marie  vint  à 
passer  : 

—  Dieu  te  soit  en  aide,  bouvier  bonhomme.  —  Le  beau 
blé  que  vous  semez  là! 

—  Oh!  vraiment,  ma  belle  dame, —  Le  bel  enfant  que 
vous  portez  là! 

. ^ 1 

AVAL,    AVAL,    DINZ    UNA    COUMBA 

Aval,  aval,  dinz  una  coumba, 
Lei  samenoun  de  tan  bel  blad  '. 
E  del  tems  que  lou  samenavoun, 
Vierja  Maria  vet  a  passar  : 

—  Dieu  vous  adjueda,  bouler  boua  orne, 
Lou  bel  blad  que  vous  samenatz  ! 

—  Oh!  vraimen,  ma  bêla  dama, 
Lou  bel  efan  que  vous  pourtatz! 

\.  Bisser  chaque  distique. 


524  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

—  Oh  !  (lis-moi,  bouvier  bonhomme,  —  Si  tu  pouvais 
le  sauver  1 

—  Oh!  vraiment,  ma  belle  dame,  —  Je  le  ferais  si  je 
le  pouvais. 

—  Enlève-moi  de  là  une  motte  de  gazon,  —  Afin  que 
je  puisse  me  cacher  sous  terre. 

Mais  pendant  qu'elle  rentrait  sous  terre,  —  Le  blé  fleu- 
rit et  mûrit. 

—  Oh!   va-t'en  chercher  tes  faucilles,  —   Tes  mois- 
sonneurs pour  moissonner. 

Mais  pendant  qu'on  moissonnait,    —  Grande  troupe 
vint  à  passer  : 

—  Dieu  te  soit  en  aide,  bouvioi'  bonhomme.  —  Le  beau 
blé  que  vous  moissonnez  là! 

Oh!    vraiment,  bouvier  bonhomme,  —  Si   tu  voulais 
nous  dire  la  vérité!... 


—  Oli!  disa  me,  bouier  l)onn  orne. 
Se  lu  lou  me  puudias  sauvai-! 

—  Oh!  vraiinen,  ma  bêla  dama, 
Icu  zou  faria  so  ieu  poudia. 

—  Leva  me  d'ati  tina  gliva, 
Qu'ieu  loi  me  pucscha  suusturar, 

Mas  dcl  teins  que  la  souslerava, 
."^ouQ  blad  lluurit,  atnais  granet  : 

—  Oh!  vai  t'en  querre  tas  faiicilhas, 
Tous  meissouuiers  per  meissounar.  — 

IVfas  dcl  toms  que  lou  meissounavouD, 
Granda  troiipa  vet  a  passar  : 

—  Dieu  vous  adjuoda,  bouier  boiin  orne. 
Lou  bel  blad  que  vous  meissounat/! 

Oh!  vraiinen,  bouier  boun  omc, 
be  tu  nous  disias  la  verlat! 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  525 

—  Je  vous  la  dirais,  beau  capitaine,  —  Je  vous  la  di- 
rais si  je  la  savais. 

—  Aurais-tu  point  vu  passer  une  dame,  —  Avec  un 
infant  dans  les  bras  ? 

—  Si  fait,   si  fait,  beau  capitaine;  —  Mon  blé  était  à 
oeine  semé. 

—  Oh!  dis-nous,  bouvier  bonhomme,  —  Combien  y 
i-t-il  que  ton  blé  est  semé  .' 

—  Oh!  vraiment,  beau  capitaine,  —  Il  y  a  sept  jours 
^u'il  est  semé. 

—  Tu  mens,  bouvier  bonhomme.  —  Il  y  a  un  an  qu'il 
est  semé. 

—  Non  pas,  non  pas,  beau  capitaine.  —  Il  n'y  a  que  sept 
jours  qu'il  est  semé. 

Quand    grande  troupe  fut  éloignée  ,  —  Vierge  Marie 
s'est  levée  : 

—  Dieu  te  soit  en  aide,  bouvier  bonhomme.  —  Aussi 
bien  tu  as  su  parler. 


—  La  vous  diria,  bel  capitani, 
La  vou  diria  se  la  sabia. 

—  Aurialz  vous  vist  passar'  na  dama 
En  d'ua  efan  entre  sous  bras? 

—  Sai  pla,  sai  pla,  bel  capitani, 
Moun  ])lad  n'era  mas  samenat. 

—  Oh!  disatz  nous,  bouler  boua  home, 
Quam  i  a  que  toua  blad  es  samenat? 

—  N'i  a  mas  set  jours,  bel  capitani, 
N'i  a  mas  set  jours  qu'es  samenat.  — 

—  Tu  nous  trompas,  bouior  bouu  oiu  >, 
I  a  uu  an  que  l'as  samenat. 

—  Xoun  gra,  noun  gra,  bel  capitani, 
Xi  a  mas  set  jours  qu'es  samenat. 
Quan  granda  troupa  fuguet  passada, 
Vierja  Maria  s'en  es  levât  : 

—  Dieu  vous  adjueda  bouler  boun  ome. 
Ta  pla  tu  as  saugut  parlar  I 


526 


LES    POETES    DU    TERROIR 


Prie  pour  l'âme  de  ton  père,  —  Mais  ne  prie  pas  pour 
la  tienne. 

Eusses-tu  tuéjpère  et  mère,  —  Tout  te  sera  pardonné. 

{Recueillie  à  Saint-Priest-de-Gitnel.] 

SI    J'AVAIS   UN    TAMBOUR 

Si  j'avais  un  tambour 
Couvert  de  fleurs  autour. 
Et  de  roses  d'amour', 
J'irais  tambouriner 
A  ta  porte,  la  belle; 
Je  t'y  réveillerais. 

Bonsoir,  mie,  bonsoir. 
Tu  fais  de  l'endormie 
Quand  je  viens  pour  te  voir. 
Je  viens  te  dire  aussi  : 
C'est  la  dernière  fois, 
Belle,  que  je  te  vois. 

—  Galant,  si  tu  t'en  vas, 
Tu  t'en  repentiras 
Le  temps  que  iu  vivras. 
Tu  seras  pas  au  bois, 
La  frayeur  t'y  prendra; 
Galant,  tu  reviendras. 


Prcija  pcr  l'ama  de  toun  paire, 
Mas  ne  prejes  pas  por  la  toa; 
Quand  agiicsscs  tuât  paire  o  maire. 
Tout  te  sera  bien  pordounal. 

1.   Disscr  les  trois  premiers  vcms  lic  rlia(|iin  couplet. 


ELSTORG   DE   BEAULIEU 

(xvi'  siècle) 


Il  naquit  vraisemblablement  au  début  du  xvi«  siècle,  à  Beau- 
lieu-sur-Ménoire,  petite  ville  du  Bas  Limousin,  sise  à  huit 
lieues  de  Cahors.  Il  eut  le  malheur,  dès  sa  plus  tendre  enfance, 
de  perdre  son  père,  Raymond  de  Beaulieu;  sa  mère,  Jeanne  de 
Bosredon,  mourut  peu  de  temps  après.  Dabord  musicien,  or- 
ganiste à  Lectoure  (1522),  il  vécut  successivement  à  Tulle  (1029 
et  1534),  à  Bordeaux  (1529,  1537),  à  Lyon  (1535,  15(7),  devint 
prêtre  catliolique,  puis,  ayant  embrassé  la  Réforme,  se  fit  mi- 
nistre protestant  et  séjourna  à  Genève.  Ses  meilleurs  ouvra- 
ges, sinon  les  plus  connus,  sont  :  Les  Divers  Rapportz  conte- 
nant plusieurs  Rondeaulx,  Iluictains,  Dizains  et  Ballades,  sur 
divers  propos.  Chansons,  Epistres,  etc.,  etc.,  le  tout  composé 
par  M.  Eustorg-  de  Beaulieu,  natif  de  la  ville  de  Beaulieu,  au  bas 
pays  de  Lymosiii  (imprimé  nouvellement  à  Lyon  par  Pierre  de 
Saincte  Lucie,  \b'\1,  petit  in-S»;  et  Paris,  Alain  Lotrian,  1544, 
in-12),  et  L'Esping-lier  des  filles,  composé  par  Eustorg;  aultrement 
dict  :  Hector  de  Beaulieu,  ministre  evangélique,  natif  aussi  de 
la  ville  de  Beaulieu,  etc.  Reveu  et  augm.  par  luy  mcsme  (depuis 
sa  première  impression )  comme  on  verra  (imprimé  à  Basle,  1550, 
petit  in-12).  Beauchamp  lui  attribue  encore  deux  moralités, 
Murmurement  et  fin  de  Coré  et  L'Enfant  Prodigue.  Eustorg  de 
Beaulieu.  que  nous  considérons  comme  le  meilleur  disciple  de 
Clément  Marot,  mériterait  mieux  que  I'ouIjU  de  ses  compatrio- 
tes et  l'indiflerence  des  lettrés.  Il  a  célébré  maintes  fois  le  pays- 
limousin  dans  des  pièces  qui,  sans  être  des  chefs-d'œuvre  de 
grâce  et  de  n.nïveté,  demeurent  parmi  ce  que  la  poésie  «  gau- 
loise »  a  produit  de  plus  naturel,  de  plus  ingénieux,  et,  faut- 
il  le  dire,  de  plus  vif,  en  un  temps  où  la  Pléiade  n'avait  pas 
encore  fait  échec  aux  derniers  survivants  de  l'art  du  moyen 
Age.  Nous  comptons  réimprimer  quelque  prochain  jour  un  choix 
do  ces  pièces  savoureuses. 

BiBLiooRAPiHE.  —  Emile  Fage  ,  Portraits  du  vieux  temps, 
Paris,  OUendortr,  1891,in-18.  —  G.  Clément-Simon,  Curiosités 
de  la  bibliographie  limousine,  Limoges,  Ducourtieux,  1905,  in-S". 


528 


LES    POETES    DU    TERROIK 


—  Voyez  en  outre  La  France  protestante  (article  do  Henri  Bor- 
dier)  et  la  Notice  de  Gruillaume  CoUetet  [Vie  des  Pactes  français). 


DE  LA  GRACE  ET  GESTES  DES  FILLES 
DE  LA  VILLE  DE  TULLE 

Je  vous  promelz  (qui  bien  calculle) 
Qu'il  n'est  que  les  filles  de  Tulle 
Pour  bien  donner  les  appétits 
D'estre  amoureux,  aux  apprentis, 
Mais  d'en  jouyr  n'ont  pas  céduUe. 

S'ung  homme  à  elles  confabuUe, 
Soubdain  sent  d'amour  le  stimule 
Et  ses  cinq  sens  tous  pervertis, 
Je  vous  promelz. 

Leur  entretien  maint  sol  maculle, 
Qui  s'attend  bien  qui  les  acculle 
Quand  des  dons  leur  a  départis. 
Mais  il  est  payé  d'un  gratis, 
A  pied,  sans  monter  sur  la  mule, 
Je  vous  promelz. 

CHANSONS 


Bon  jour,  bon  an,  et  l)onne  estraine, 
Et  Dieu  gard  de  mal  mes  mignons. 
Dou  venez-vous?  qui  vous  aniaine? 
Bon  jour,  bon  an,  et  bonne  estraine, 

Nous  venons  d'une  verte  plaine 
De  dire  motelz  et  chansons. 
Bonjour,  bon  an  et  bonne  estraine, 
Et  Dieu  gard  de  mai  mes  mignons. 


Voicy  le  bon  temps, 
Que  chascun  s'upreste 


LIMOUSIN    ET    MARCHE 

D'aller  sur  les  champs 
Pour  luy  faire  feste  ! 

Sur  la  gaye  lierbette, 
En  nous  deduysant, 
D'une  chansonnette 
Faisons  luy  présent. 


DE    LA    CONDITION 
D'AUCULNES    FEMMES    DE    TULLE 

Pour  un  sot  ou  quelque  inarault, 
J'entends  tant  ailleurs  comme  à  Tulle, 
Mainte  femme  et  fille  s'accule, 
Plustost  que  pour  un  qui  mieux  vault. 

Si  un  honneste  homme  l'assault, 
Elle  fuit;  mais  point  ne  recule 
Pour  un  sot. 

L'aulne  se  vend  plus  que  ne  fault. 
Et  nen  desplaise  point  à  nulle 
Qui  pour  faire  cela,  anuUe 
Celuy  qui  d'esprit  n'a  deffault 
Pour  un  sot. 


529 


{Les  Divers  Rapports,  1544,] 


JOACHIM   BLANCIiON 

{xvi«  siècle) 


Si  son  nom  n'était  aujourd'hui  complètement  inconnu,  Joa- 
chim  Blanchon  demeurerait  parmi  les  élèves  de  Ronsard.  Il  y 
a  pourtant  mieux  qu'une  servile  imitation  dans  les  quelques 
feuillets  qu'il  nous  a  laissés  sous  ce  titre  modeste  :  Les  Premières 
Œuvres  poétiques;  etc.  (Paris,  pour  Thomas  Perrier,  158.'},  petit 
in-8»).  Entre  le  grand  chantre  de  la  Pléiade  et  ce  petit  poète  du 
Limousin,  dont  la  veine  lyrique  fut  peu  féconde,  on  trouverait 
bien  des  points  de  contact,  trahis  par  une  même  source  d'ins- 
piration. Tels  vers  qu'il  traça  un  peu  fébrilement,  comme  pour 
marquer  une  étape  de  sa  vie  sentimentale,  valent  certes  toutes 
les  rimes  à  l'italienne  d'un  Poutus  do  Tyard,  Qu'on  lise  ses 
stances  : 

Si  vous  voulez  savoir  le  loyer  que  je  veux, 

et  l'on  ne  tardera  pas  à  s'apercevoir  qu'il  y  a  mieux  qu'une  jon- 
glerie de  mots  dans  son  art,  mais  l'aveu  d'une  sensibilité  rare 
au  xvi®  siècle.  Sa  vie  nous  est  totalement  inconnue,  et  quelque 
effort  qu'on  fasse,  après  l'abbé  Gougct,  pour  la  reconstituer,  il 
ne  nous  en  reste  que  des  témoignages  fort  vagues,  épnrs  dans 
son  (L'Uvre  de  poète  :  sorte  d'annotation  aux  marges  d'une  obs- 
cure destinée.  On  sait  seulement  qu'il  était  de  Limoges.  Dorât 
n'a  pas  manqué  de  nous  le  faire  connaître  dans  des  vers  latins 
consacrés  à  sa  louange. 

BiBLlOGRAiMiiE. —  (iouget,  Viblioth.  françoisCy  t.  XIII,  p.  164. 


ODE   A   M.    DOUAT,    POETE    DU    ROY 
[sur   la   ville   de   limoges] 

La  Destinée  fatale 
Donne  à  ta  ville  natale 
Le  Prix  d'avoir  enfanté 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  531 

Des  hommes  de  qui  la  Gloire 
Durera  à  la  Mémoire 
De  toute  Postérité, 
Que  Pliœbus  dessus  sa  Lyre, 
Sur  tous  a  voulu  eslire 
Pour  perpétuer  leur  nom, 
Et  Calliope,  sçavante, 
Sur  l'antiquité  se  vante 
D'éterniser  leur  Renom. 
Or  d'autant  que  tu  les  dore, 
D'un  bel  or  que  l'on  adore, 
Dorât,  je  veux  faire  voir 
Que  Limoges  est  la  Prime 
Qui  doibt  avoir  plus  d'estime 
Comme  source  du  sçavoir. 
Ta  première  expérience, 
En  toute  belle  Science, 
Borne  la  gloire  de  tous, 
Et  comme  la  ville  mère, 
Se  vantoit  de  son  Homère, 
Aultant  d'honneur  avons  nous. 
Je  veux  dire  l'influence, 
Je  veux  dire  l'affluence 
Dont  elle  se  peult  vanter; 
L'honneur  de  sa  nourriture, 
Et  tout  ce  que  la  Nature 
Luy  a  voulu  présenter. 
Bourdeaux  vante  son  Ausone, 
Comme  Florence  resonne 
Son  Pétrarque  bien  disant. 
Mais  ta  féconde  Nourrice 
Te  void  le  premier  en  Lice 
De  ceulx  que  l'on  va  prisant. 
Et  pour  s'honorer  encore 
Du  lustre  qui  la  décore, 
Son  Dubois  elle  faict  voir, 
Et  son  Muret  qu'une  Romme 
Dessus  toute  autre  renomme 
Pour  son  éloquent  sçavoir. 
Mais  ne  feray-je  reluyre 
Un  qu'entre  tous  y  doibt  luyre, 


5â2  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Son  lieutenant  gênerai, 
De  Petiot,  dont  la  prudence 
Manifeste  en  évidence 
Qu'il  ne  reçoit  point  d'esgal; 
Et  l'excellence  d'Athènes, 
D'un  nombre  de  Demosthènes 
Que  j'y  vois  communément, 
Qui  d'un  bel  art  Oratoire 
Se  font  ofiyr  au  Prétoire 
Et  luy  servent  d'ornement. 
Me  taircray-je  du  nombre. 
De  ceulx  qui  d'une  nuict  sombre 
Ont  faict  reluyre  un  beau  jour? 
Et  qui  compagnons  d'Ascrée, 
Ont  beu  dans  l'onde  sacrée 
A  l'Hippocrene  séjour. 
Ne  suyvray-je  la  Lumière, 
A  la  France  coustumiere, 
De  Guery  et  de  BeaubrueiP? 
Desquelz  la  mémoire  sainte 
Ne  sera  jamais  esteinte 
Par  le  funèbre  cercueil. 
En  son  Ode  pastoralle 
Bastier*,  ce  Belleau  esgalle, 
Qui  soubz  forme  de  Berger 
Chante  les  Roys  et  leur  Kace, 
Et  sur  le  mont  de  Parnasse 
Premier  s'est  voulu  loger. 
De  marchands  elle  s'honore 
Qui  jusqu'au  Libicque  More 
On  estendu  leur  renom  ; 
Et  sur  les  ondes  salées 
Des  mers  les  plus  reculées 
Ont  faict  adveror  leur  nom. 
Là,  l'artisan  y  travaille, 
Afin  que  son  gain  lui  vaille 

t.  Jean  de  iJoaubrouil,  avocat  au  présidial  de  Limoges  et  poMc  latin 
»iu  xvi«  siècle,  dont  on  a  une  Iragôdic,  Atilie  (Atilius  liegutns),  lA- 

ÏBOgOS. 

■2.  Basticr  de  la  l'crusc.  Il  rtait  n6,  non  point  au  pays  limousin, 
mais  eu  Augoumois. 


LIMOUSIN    ET    MARCIIR 


533 


A  augmenter  sa  maison; 

Là  les  Muses  s'y  nourrissent, 

Et  tous  les  Arts  y  fleurissent, 

En  lune  et  l'aultre  saison. 

Tairerai-je  soubs  silence 

La  sur-artiste  excellence, 

De  l'estimable  Decourt, 

Que  tout  l'Univers  appelle 

L'admirable  esprit  d'Appelle, 

A'eu  en  la  rovalle  court. 

Ne  reluyra  ta  Patrie 

De  la  soavante  industrie 

De  mille  aultres  bons  Esprits, 

D'un  Vigier  pour  l'esmailleure, 

Et  de  la  Science  meilleure 

D'un  Corteys  des  mieux  appris. 

Dorât,  ta  ville  est  dorée 

D'une  richesse  adorée. 

Plus  que  le  trésor  Indois; 

Et  de  ma  Lyre  d'ivoyre, 

Pour  n'estre  ingrat  à  sa  gloire. 

Je  veux  animer  mes  doigts. 

La  Révolte  quadruplée 

De  la  France  repeuplée 

N'a  varié  son  honneur; 

Elle  ne  fust  oncq  rebelle, 

Sa  foy  est  tousjours  plus  belle, 

Yers  son  naturel  Seigneur; 

Et  si  comme  moy  tu  l'ayme, 

Poussé  dun  amour  extrême,  • 

Tu  animeras  tes  vers 

A  chanter  son  excellence 

Et  ne  mettras  soubs  silence 

L'or  qui  luyt  par  l'Univers. 

[Premières  Œiunes  poétiques^  1583.) 


TRISTAN   L'HERMITE 

(V.  1600-1G55) 


François  Tristan  l'Hermite  vit  le  jour  à  la  fia  do  1509,  ou  on 
T600,  au  château  de  Soliers,  à  cinq  kilomètres  de  Janailhat,  dans 
la  Haute  Marche. 

«  Parmi  quelques  fictions  dont  il  peut  avoir  embelli  son  Page 
disgracié,  ouvrage  en  prose,  qu'il  donna  en  1643,  en  deux  vo- 
lumes, on  y  trouve,  dit  M.  l'abbé  d'Olivet  (IJist.  de  VAcadcinie 
française),  la  véritable  histoire  de  sa  jeunesse.  On  y  voit  qu'il 
se  disoit  issu  d'une  maison  très  ancienne,  jusqu'à  compter 
parmi  ses  ancêtres  le  fameux  Pierre  l'Hermite,  auteur  de  la 
première  croisade;  et  Tristan  l'Hermite,  grand  Prévôt  sous 
Louis  XI  ;  que  dans  son  enfance  il  fut  amené  à  la  Cour,  et  mis, 
en  qualité  de  gentilhom/ne  d'honneur, auprès  du  marquis  de  Ver- 
neuil,  fils  naturel  de  Henri  IV;  qu'à  l'âge  d'environ  treize  ans, 
s'étant  battu  contre  un  garde  du  corps  qu'il  tua,  il  prit  la  fuite 
et  se  sauva  en  Angleterre,  d'où,  après  diverses  aventures,  il 
voulut  passer  à  la  cour  de  Castilh;  pour  s'y  présenter  au  conné- 
table Jean  de  Vélasque,  son  parent;  mais  qu'eu  traversant  la 
France  incognito,  lorsqu'il  fut  en  Poitou,  il  manqua  d'argent  et 
de  tout  secours  pour  continuer  son  voyage.  Dans  cel  embarras, 
il  fut  assez  heureux  pour  trouver  entrée  chez  l'illustre  Scévole 
de  Sainte-Martlie,  qui  s'éloit  retiré  à  Loudun,  sa  patrie.  Tristan 
passa  dans  cette  maison  quinze  ou  seize  mois.  Après  quoi,  M.  do 
Sainte-Marthe  le  fit  entrer,  en  qualité  de  secrétaire,  chez  le  mar- 
quis de  Villars-Montpezat,  c[ui  dcmeuroit  au  grand  Précigny,  on 
Touraine.  A  quelque  temps  de  là,  ce  marquis  fut  appelé  par  lo 
duc  de  Mayenne,  à  Rordcaux,  et  y  mena  son  secrétaire:  la  cour 
y  passa  en  1620.  Tristan,  qui  jusqu'alors  avoit  déguisé  à  ses 
maîtres  son  nom  et  sa  naissance,  fut  enfin  reconnu  par  M.  d'Hu- 
mières,  premier  gentilhomme  de  la  chambre,  et  obtint  sa  grâce 
de  Louis  XIII,  qui  lui  fit  môme  amitié.  Voilà  i)ar  où  finissent 
les  deux  premiers  livres  du  Page  disgracie.  Ils  laissent  Tristan 
à  l'âge  de  dix-huit  ans.  11  en  iiromcttoit  deux  autres  livres  qit'il 
m'a  point  publiés.  Ainsi,  sur  le  reste  de  sa  vie,  nul  détail.  Tout 
ce  qu'on  eu  sait,  c'est  qu'étant  poète,  joueur  de  jirofession  et 
gentilhomme  de  Gaston  duc  d'OrléanSjfrére  unique  de  Louis  XIII, 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  535 

aucun  do  ces  trois  niiJtiers  ne  l'enrichît.  Il  avoit  quitté  le  duc 
d'Orléans  plusieurs  années  avant  sa  mort,  s'étoit  attaché  au 
duc  de  Guise  en  1646,  et  avoit  été  reçu  à  l'Académie  IVançoise 
en  1649.  Il  mourut  pulmonique  à  l'hùtel  de  Guise  même,  le  7  sep- 
tembre 1655.  Il  fut  enterré  à  Saint-Jean  en  Grève,  comme  ou 
l'apprend  de  la  Gazette  de  Loret,  du  11  septembre  de  la  même 
année'...  » 

Outre  le  Pctf;c  disgracie,  dont  on  a  vu  ci-dessus  la  date  de 
publication,  Tristan  l'Hermite  a  fait  paraître  quatre  recueil^ 
de  poésies  :  Plaintes  d'Acante  et  autres  œuvres,  etc.  (Anvers, 
H.  Aerlissens,  1633,  in-4»,  et  Paris,  Hillaino,  1634,  in-4<'):  Les 
Amours  de  Tristan-  (Paris,  IJillainc  et  A.  Courbé,  1638,  in-4«- 
Paris,  Quinet,  1662,  petit  in-12);  La  Lyre,  etc.  (Paris,  A.  Courbé: 
1641,  in-4»):   Les    Vers  héroïques,   etc.  (A  Paris,  chez  l'auteur, 

1648,  in-4"):  des  Lettres  mcslées  (Paris,  Courbé,  1642,  in-12), 
des  prières  et  de  pieuses  méditations,  L'Office  de  la  Sainte 
Vierge  (Paris,  Des-Hayes,  1646,  in-12,  réimpr.  en  165'^,  1656  et 
1664,  in-12):  des  pièces  de  théâtre,  tragiques  ou  comiques,  La 
Marianinc  (Paris,  Courbé.  1637,  1639  et  1644,  in-4»)  :  Panthce 
(ibid.,  1639,  in-4''):  La  Folie  du  Sage  C? avis.  T .  Quinet,  1643,  iu-4", 

1649,  in-12)  :  La  Mort  de  Sèneque  (ibid.,  1645,  in-4»,  1646  et  1647, 
in-8<>);  Z,a  Mort  de  Chrispe,  etc.  (Paris,  C.  Bcsongne,  1645,in-4<'). 
La  Céliniène  de  M.  de  Rotrou  accommodée  sous  le  nom  d'Ama- 
ryllis, pastorale  (Paris,  Sommaville,  1653,in-4°,  et  Paris,  G.  de 
Luynes,  1661,  in-12);  Je  Parasite  (Paris,  Courbé,  1654,  in-4<>); 
Osman  (Paris,  G.  de  Luvnes,  1656,  in-12);  des  Plaidoyers  histo- 
riques (Paris,  A.  de  Sommaville,  etc.,  1G43,  in-12:  Lyon,  Cl.  de 
La  Rivière,  1649  et  16  50,  petit  in-8»)  :  enfin  divers  ouvragis  eu 
prose  et  en  vers  dont  on  trouvera  le  détail  dans  une  édition 
des  Plus  belles  Pages  du  poète,  que  nous  venons  de  faire  paraî- 
tre à  la  librairie  du  Mercure  de  France  (Paris,  1909.  un  vol. 
petit  in-12). 

Ajoutons  que  le  Théâtre  complet  de  Tristan  a  été  réimprimé 
par  les  soins  de  M.  N.-M.  Bernardin  «  en  la  Maison  des  Poèt§s  » 
(1900-1906,  10  fasc.  in-16)  :  et  que  la  Société  des  Textes  français 
modernes  prépare  une  nouvelle  version  des  poésies  lyriques  de 
cet  auteur.  Cette  dernière  doit  voir  le  jour  sons  les  auspices 
d'un  sieur  Jacques  Normand  (lisez  Jacques  Madeleine),,  assez  mé- 
diocre compilateur,  ce  qui  nous  dispense  d'tn  parler  davantage. 

«  Tristan,  avons-nous  observé  déjà,  n'a  presque  rien  de  nos 
vieux  auteurs,  hormis  les  images  et  un  choix  dépithètes  qui 
sentent  leurs  origines.  Son  éloquence,  et  plus  encore  ce  mé- 
lange de  préciosité  et  de  recherche  psychique  quou  trouve  dans 

\ .  Abbé  Goujet,  Bibliothèque  française,  xvi,  p.  203. 
"l.  C'est  la  réimpression  augmentée  et  modifiée  des  Plaintes  d'A- 
cante. 


536  LES  POÈTES  DU  TKRUOIR 

ses  moindros  productions,  le  désignent  comme  un  des  habi- 
les interprètes  de  ce  xvii"  siècle  qui  allait  ceindre  au  front  de 
Jean  Racine  l'auréole  de  gloire.  Quelques-uns  ont  vu  même  en 
Tristan  une  manière  de  précurseur  du  grand  tragique.  Il  nous 
apparai't  tout  autre  et  tel  que  ses  contemporains  le  connurent, 
lorsqu'il  eut  rimé  Les  Amours,  La  Lyre  et  les  Vers  Héroïques, 
c'est-à-dire  un  lyrique  un  peu  froid  et  contenu,  d'une  inspi- 
ration et  d'une  tendresse  mesurées,  d'un  charme  discret,  sûr 
de  ses  moyens,  ne  laissant  rien  au  hasard,  faisant  d'une  stance 
ou  d'un  sonnet  une  chose  délicate  et  précieuse,  comme  un  ob- 
jet d'orfèvrerie  ou  de  joaillerie.  Sa  place  dans  l'histoire  de  la 
poésie  française  est  près  de  Théophile  qu'il  continue,  mais  c'est 
un  esprit  original  que  rien  ne  saurait  contraindre  ni  arrêter... 
M.  Pierre  Quillard  a  dit  que,  comme  Théophile,  comme  Saint- 
Amant,  il  sut,  bien  avant  Lamartine  et  Hugo,  intéresser  le 
monde  extérieur  à  la  mélancolie  des  hommes.  Le  bruissement 
des  feuilles,  l'éclat  du  ciel,  la  voix  des  eaux,  a-t-on  écrit  en- 
core, se  mêlent  dans  ses  vers  aux  plaintes  et  aux  désirs  des 
âmes  en  peine. 

«  Rien  n'est  plus  juste.  Ce  classique  est  un  romantique  à  sa 
manière;  c'est,  en  outre,  un  «  impressionniste  »  que  les  mani- 
festations de  la  nature  ne  laissèrent  jamais  indill'érent  et  qui 
anima  humainement  les  paysages  qu'il  décrivit...  Mais  il  n'y  a 
pas  seulement  un  précurseur  en  Tristan  l'Hermite;  il  y  a  un 
homme  du  xviio  siècle,  qui  vit  sa  vie,  sans  s'inquiéter  dujuge- 
ment  de  la  postérité,  et  un  artiste  qui  renoue  la  tradition. 

«  Il  apjjorte  le  haut  témoignage  de  ce  que  la  culture  et  la 
race  ont  produit  de  plus  pur  sur  notre  sol  '...  » 

Bibliographie.  —  N.-M.  Bernardin,  Un  Précurseur  de  Ra- 
cine, F.  Tristan  l'IIermitc,  etc.,  Fnrls,  Picard,  1805,  in-S»;  Post- 
face à  l'éd.  des  Œuvres  dramatiques  de  Tristan,  publ.  par  la 
a  Maison  des  Poètes  »,  1907,  fasc.  10.  —  Ad.  van  Bevcr,  Notice 
et  Bibliographie,  Ed.  de  Tristan  L'Hermite,  1909. 


LE  PROMENOIR  DES  DEUX  AMANTS^ 

Auprès  de  cplte  grotte  sombre 
Où  l'on  respire  un  air  si  doux, 
L'onde  lutte  avec  les  cailloux, 
Et  la  lumière  avecque  l'ombre. 

1.  Notice  en  lêlc  dos  Plus  belles  Pages  de  Tristan  L'IJermifc 
1009. 

2.  Fragment. 


I 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  537 

Ces  flots,  lassez  de  l'exercice 
Qu'ils  ont  fait  dessus  ce  gravier, 
Se  reposent  dans  ce  Vivier 
Où  mourut  autrefois  Narcisse. 
C'est  un  des  miroirs  où  le  Faune 
Vient  voir  si  son  teint  cranioisy, 
Depuis  que  l'Amour  l'a  saisy. 
Ne  seroit  point  devenu  jaune. 
L'ombre  de  cette  fleur  vermeille, 
Et  celle  de  ces  joncs  pendans 
Paroissent  estre  là  dedans 
Les  songes  de  l'eau  qui  sommeille 

Les  plus  aimables  influences 
Qui  rajeunissent  l'Univers, 
Ont  relevé  ces  tapis  vers 
De  fleurs  de  toutes  les  nuances. 

Dans  ce  bois,  ny  dans  ces  montagnes, 
Jamais  chasseur  ne  vint  encore  : 
Si  quelqu'un  y  sonne  du  cor. 
C'est  Diane  avec  ses  compagnes. 

Ce  vieux  Chcsne  a  des  marques  saintes  ; 
Sans  doute  qui  le  couperoit, 
Le  sang  chaud  en  découleroit, 
Et  l'arbre  pousseroit  des  plaintes. 

Ce  Rossignol,  mélancolique 
Du  souvenir  de  son  malheur, 
Tasche  do  charmer  sa  douleur, 
Mettant  son  histoire  en  musique. 

Il  reprend  sa  note  première, 
Pour  chanter  d'un  art  sans  pareil 
Sous  ce  rameau  que  le  Soleil 
A  doré  d'un  trait  de  lumière. 
Sur  ce  fresne,  deux  tourterelles 
S'entretiennent  de  leurs  tourmeiis, 
Et  font  les  doux  appointemens 
De  leurs  amoureuses  querelles. 
Un  jour  Venus  avec  Anchise 
Parmy  ses  forts  s'alloit  perdant; 


538  LES  POÈTES  DU  TEKROIR 

Et  deux  Amours,  en  l'attendant, 
Disputoient  pour  une  cerise. 

Dans  toutes  ces  routes  divines. 
Les  Nymphes  dancent  aux  chansons, 
Et  donnent  la  gi-âce  aux  buissons 
De  porter  des  fleurs  sans  espines. 

Jamais  les  vents  ny  le  tonnerre 
N'ont  troublé  la  paix  de  ces  lieux; 
Et  la  complaisance  des  Dieux 
Y  sourit  toujours  à  la  Terre... 

{Les  Amours,  1638.) 

ODE    A    M.    DE    CHAUDEBOXNE 

Toy,  que  d'une  voy  générale, 
Mars  et  l'amour  ont  avoiié, 
Et  que  les  autres  ont  doué 
D'une  humeur  franche  et  libérale, 
Chaudebonne,  puisque  le  Ciel 
A  gardé  pour  moy  tant  de  fiel. 
Ne  t'oppose  point  à  sa  hayne  ; 
Et  ne  vas  point  mal  à  propos 
Te  donner  tant  soit  peu  de  peine 
Pour  m'acquérir  plus  de  repos. 

Laisse  faire  îi  la  Destinée, 
Il  ne  faut  pas  s'imaginer 
Qu'en  l'humeur  de  m'importuner 
Elle  soit  tousjours  obstinée. 
Comme  on  void,  a})rè3  les  frimas 
Dont  l'Hyver  glace  nos  climats, 
La  douceur  du  Printemps  renaistre, 
Mes  jours  sortiront  de  leur  nuict, 
Et  mon  bonheur  touche  peut-estre 
Au  malheur  dont  je  suis  destruit. 

Si  CCS  Astres,  dont  l'influence 
Préside  à  mes  prospérités, 
Hoidisscnt  leurs  sévéï-itcz 
Contre  ma  petite  espérance  : 


I 


\ 


LIMOUSIN     ET    MARCHE  539 

Emportant  bien  tost  loin  d'icy 
Toutes  les  pointes  du  soucy 
Que  me  donne  cette  avanture, 
J'iray  perdre  dans  ma  Maison 
Les  ressentiments  d'une  injure 
Dont  je  ne  sçais  pas  la  raison. 

Sous  des  monts  tels  que  ceux  de  Thrace, 

Où  le  froid  est  presque  tousjours, 

On  descouvre  de  vieilles  Tours 

Où  je  puis  cacher  ma  disgrâce. 

Tous  les  ans,  près  de  ce  Chasleau, 

Le  dos  d'un  assez  grand  costeau 

D'une  blonde  javelle  esclate, 

Et  si  l'air  n'est  bien  en  fureur, 

Cette  terre  n'est  guère  ingrate 

A  la  peine  du  laboureur. 

Elle  n'a  qu'un  défaut  insigne, 
Qu'on  répare  chez  les  voisins  : 
C'est  qu'on  y  void  peu  de  raisins 
Pendre  aux  bras  tortus  de  la  vigne; 
Mais  lorsque  les  prez  sont  fauchez, 
Et  que  les  bleds,  qu'on  a  couchez, 
Ont  été  serrés  dans  la  grange, 
Bacchus  y  vient  bien  tost  après. 
Dans  des  chars  tout  pleins  de  vendange, 
Festoyer  avecque  Cérès. 

Jamais  le  désir  des  richesses 

Ne  troublera  mes  sentimens  ; 

La  Nature  et  les  Elémens  • 

Me  feront  assez  de  largesses; 

L'Or  esclatant  dont  le  Soleil 

Vient  couronner  à  son  réveil 

Le  front  orgueilleux  des  Montagnes, 

Et  l'argent  pur  qui  va  coulant 

Sur  l'esmail  fleury  des  Campagnes, 

Me  rendent  assez  opulent. 

La  nuict,  quand  mille  pierreries 
Luy  donnent  un  peu  de  blancheur, 
Quand  son  silence  et  sa  fraischeur 


540  LES  POÈTES  DU  TEUROIR 

Flattent  mes  douces  resveries, 

L'Aurore  avecque  ses  habits 

Dont  les  Saphirs  elles  Rubis 

Tentèrent  lame  de  Géphale, 

Et  l'Iris  offrant  à  mes  yeux 

Un  Arc  des  couleurs  de  l'Opale, 

M'oflrent  tous  les  thrcsors  des  Cieux. 

L'Echo  d'un  Bois  ou  d'un  Rivage, 
Où  les  Bergers  vont  s'enquérir 
Du  Destin  qu'ils  doivent  courir 
Vivant  sous  l'amoureux  servage. 
La  Musique  de  mille  Oyseaux, 
Le  bruit  et  la  cheute  des  eaux 
Qui  se  précipitent  des  roches. 
Et  l'ombre  au  fort  de  la  chaleur, 
Me  feront  de  justes  reproches, 
Si  je  m'y  plains  de  mon  malheur. 

Puis,  quand  les  procès,  ou  la  guerre. 
Que  l'on  ne  sauroit  éviter. 
Ligués  pour  me  persécuter, 
M'auroicnt  désolé  cette  Terre  ; 
Quand  une  ardente  exhalaison 
Où  quehjue  grande  trahison 
Auroient  mis  ma  retraite  en  flamme, 
Ces  maux  sont  aisez  à  guérir, 
Puisqu'il  me  reste  encore  en  l'àme 
Des  Biens  qui  ne  s<jauroient  périr... 

{La  Li/rc,  If.'il, 


SALOMON    DE   PRIEZAC 

(xviic  siècle) 


Salomon  de  Priûzac,  sieur  de  Saugiies,  originaire  du  château 
dont  il  portait  le  nom,  était  fils  de  Daniel  de  Priézac,  conseil- 
ler d'Etat  et  membre  de  l'Académie  i'rançaise.  On  ignore  la  date 
de  sa  naissance  et  celle  de  sa  mort.  Indépendamment  d'ouvra- 
ges latins,  dont  la  liste  se  trouve  au  tome  XXXIII  des  Mémoires 
pour  servir  à  L'histoire  des  hommes  illustres,  du  P.  Nicéron,  il  a 
publié  :  L'Amant  solitaire,  élégie,  Paris,  J.  Dugast,  1641,  in-4''; 
Paraphrases  sur  quelques  psaumes,  Paris,  Sommavillo,  1643, 
in-12;  Les  Promenades  de  Saint-Cloud,  caprice,  Paris,  Ant.  de 
Sommaville,  1645,  in-4'';  Poésies,  Paris,  Ch.  de  Sercy,  1650, 
ia-8°;  L'Histoire  des  Eléphants,  Paris,  Ch.  de  Sercy,  1650,. 
in-12;  Oli/nthie.  roûian,  Paris,  Phil.  Darbisse,  1655,  in-S";  Le 
(Chemin  de  la  Gloire,  discours  moral  et  allégorique,  Paris,  1660, 
in-S»  :  Dissertation  sur  le  Nil,  Paris,  Collet,  1664,  in-8»;  Vie  de 
sainte  Catherine  de  Sienne,  Paris,  Collet,  1665,  in-S". 

Les  «  œuvres  poétiques  »  de  Salomon  de  Priézac,  publiées  en 
1650,  renferment  des  vers  religieux,  des  sonnets  galants,  des 
ballets,  des  élégies,  des  poèmes  de  circonstance,  etc.  On  y 
trouve,  tout  à  la  fois,  une  réimpression  des  Promenades  de  Saint- 
Cloud,  un  poème  sur  La  Foire  Saint- Germain  et  d'agréables 
compositions  touchant  les  divertissements  de  la  campagne  et 
la  douceur  de  Aivre,  où  le  lyrisme  le  plus  contenu  ne  le  cède 
en  rien  à  un  goût  du  pittoresque,  fort  rare  au  xvii»  siècle. 

• 

BlBLioORAPTiiE.  —  Gouget,  Bibliothèque  française,  t.  XVII,. 
p.  64.  —  Nouv.  Biogr.  universelle  de  Didot. 


EPISTRE  A  UN  AMY  SUR  LA  DOUCEUR 
DE  LA  YIE 

Assis  sur  un  placet,  dont  la  figure  antique 

Fait  voir  sur  ses  pilliers  les  amours  d'Angélique, 

Le  coude  sur  la  table  et  le  corps  de  travers, 

II.  31 


I 


542  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Du  bec  d'un  pluvier  je  te  trace  ces  vers. 

Ce  n'est  pas  que  j'aspire  au  renom  de  Poëte, 

J'aime  moins  le  laurier  que  le  lierre  à  ma  teste; 

Et  n'en  déplaise  au  Dieu  qui  m'échauffe  le  sein, 

Le  thyrse  me  sied  mieux  que  la  lyre  à  la  main. 

Ce  n'est  donc  pas  l'honneur,  ny  l'amour  de  la  gloire 

Qui  me  font  aujourd'huy  servir  de  l'escritoire, 

Non,  l'unique  désir  dont  je  suis  agité 

Est  de  scavoir  au  vray  Testât  de  ta  santé, 

Cher  Amy,  c'est  à  toy  d'employer  ta  science 

Pour  guérir  mon  esprit  de  son  impatience; 

Tu  me  dois  raconter  tes  magnanimes  faits, 

Et  tracer  le  tableau  de  tout  ce  que  tu  fais. 

Mais,  pendant  que  ta  muse  à  discourir  instruite. 

Disposera  ta  vie,  et  par  ordre  et  de  suite, 

Je  te  feray  scavoir  ce  que  je  fais  icy, 

Et  comme  j'y  bannis  le  funeste  soucy; 

Je  ne  m'amuse  pas  à  vieillir  sur  un  livre, 

Il  m'est  indifférent  que  le  bronze  et  le  cuivre 

Rendent  mon  nom  fameux  et  par  tout  exalté, 

Et  le  fassent  connoislre  à  la  postérité. 

Je  ne  recherche  point  le  titre  magnifique 

D'éloquent  orateur,  d'escrivain  authentique,  M 

Et  tous  ces  vains  honneurs  qui  flattent  bien  souvent    m 

Ne  sont  à  mon  regard  que  fumée  et  que  vent. 

Ouy,  je  suis  les  travaux  que  peut  donner  l'estude, 

Je  cherche  le  repos,  et  non  l'inciuiétude. 

Et  je  ne  trouve  point  de  plus  digne  leç;on 

Que  celle  qu'on  apprend  auprès  d'un  saucisson. 

C'est  avec  cet  esprit  que  je  passe  la  vie; 

C'est  dans  ces  lieux  icy  que  mon  âme  est  ravie; 

Et  mon  œil  curieux  y  voit  tant  de  beauté 

Que  je  crois  habiter  un  palais  enchanté. 

L'art  i)our  fécond  qu'il  soit  ne  s«;auroit  rien  produire 

Qui  ne  soit  effacé  par  ce  qu'on  voit  reluire 

Sur  ces  riches  lambris  où  cent  diverses  fleurs 

Mcslent  avecque  l'or  l'csclat  de  leurs  couleurs. 

Les  murs  y  sont  ornez  d'agroables  ouvrages, 

On  n'y  voit  (pie  conibals,  que  vaisseaux,  que  naufrages. 

Que  ruisseaux  vagabonds,  ot  que  Dieux  boccagers, 


\ 


\ 


LIMOUSIN    ET   MARCHE  543 

Qu'embrasemens  divers,  que  troupes  de  bergers, 

Enfin,  mille  tableaux,  par  leur  vive  peinture, 

Font  qu'on  estime  l'art  bien  plus  que  la  nature. 

Mais  après  que  nos  yeux  doucement  transportez 

Ont  assez  admiré  ces  fausses  veritez  : 

Nous  armons  tous  nos  mains  d'un  magnifique  verre, 

Et  commençons  à  table  une  innocente  guerre. 

On  n'oyt  dans  ce  moment  que  rudes  chamaillis  : 

Le  bruit  de  nos  couteaux  se  mesle  avec  nos  cris  ; 

Chacun  dans  le  combat  n'a  soin  que  de  sa  teste, 

Et  les  belles  chansons  y  servent  de  trompette. 

Je  ne  te  parle  point  des  beautez  d'un  jardin; 

On  n'y  voit  reverdir  que  lavande  et  que  tliin, 

Et  si  quelques  cyprez  y  paroissent  encore. 

Ce  n'est  que  pour  parer  le  sepulchre  de  Flore. 

L'Hyver,  ce  dur  tyran,  d'un  redoutable  effort 

A  peint  dans  tous  ces  lieux  le  portrait  de  la  mort. 

Enfin,  pour  achever  de  te  dire  le  reste. 

Rien  n'approche  de  nous  qui  puisse  estre  funeste. 

La  Joye,  aux  yeux  riants,  au  visage  vermeil, 

Bannit  loin  le  chagrin  :  ainsi  que  le  soleil 

Qui,  d'un  puissant  rayon  escartant  le  nuage, 

Chasse  l'exhalaison  et  dissipe  l'orage. 

Mais  pour  mieux  dérober  tous  les  momens  du  temps. 

Et  rendre  nos  esprits  et  nos  yeux  plus  contens, 

Nous  observons  de  près  gambader  les  bergères. 

Qui  d'un  pied  délicat  dansant  sur  les  fougères. 

Montrent  sans  artifice  un  sein  plus  blanc  que  laict, 

Et  compassent  leur  branle  au  son  du  flageolet. 

Cher  favory  du  Dieu  de  la  double  montagne,  • 

Voilà  les  doux  plaisirs  qu'on  prend  à  la  campagne  : 
Voilà  les  entretiens  innocens  et  permis 
Qui  flattent  bien  souvent  les  fidelles  amis. 
C'est  à  toy  maintenant  de  prendre  en  main  la  plume; 
Fay  que  ta  veine  s'enfle,  et  que  ton  feu  s'allume, 
Et  ne  diffère  point  de  charmer  nos  esprits 
Par  la  naïveté  qui  brille  en  tes  escrits. 

{Les  Poésies  de  SaJomon  de  Priezac, 
sieur  de  Saugucs,  1650.) 


ABBE   FRANÇOIS   RICHARD 

(1733-1814) 


François  Richard  naquit  à  Limoges  le  29  décembre  173: 
Destiné  à  l'état  ecclésiastique,  il  entra  au  grand  séminaire  à 
Limoges  et  fut  ordonné  prêtre  le  20  mai  1758.  II  devint  ensuit 
vicaire  à  Roiissac  (1759),  à  Veyrac  (1701),  à  Saint-Jean-Ligour 
(1775),  et  enfin  principal  du  collège  d'Eymoutiers  (1778). 

«  Les  devoirs  de  sa  profession  ne  purent,  dit-on,  l'empêche 
de  cultiver  les  muses.  De  1778  à  1790,  il  se  livra  au  charme  en 
traînant  de  la  poésie,  et  c'est  de  celte  époque  que  datent  8c 
meilleures  pièces.  Après  les  événements  qui  changèrent  l'es 
prit  de  la  France  et  ramenèrent  l'abbé  Richard  à  Limoges,  celu; 
ci  laissa  encore  échapper  de  sa  plume  facile  quelques  pièce 
lé;;ères,  entre  autres  des  compliuients  ;  mais  ces  dernières  s 
ressentent  des  souffrances  endurées  par  l'auteur  pendant  1 
période  révolutionnaire.  Prêtre  insermenté,  l'abbé  Richard 
lui-même  raconté,  dans  une  de  ses  pièces  intitulée  Ilcflcci,  d 
quelle  manière  il  vécut  au  temps  de  la  Terreur.  D'abord  empri 
sonné  à  la  Règle,  jusqu'en  1795,  il  ne  connut  les  douceurs  de  1 
liberté  que  pour  être  incarcéré  de  nouveau  à  la  Visitation,  où  i 
demeura  jusqu'en  février  1797.  Au  mois  d'octobre  suivant,  1 
municipalité  consigna  dans  leurs  maisons  respectives  tous  le 
prêtres  âgés  ou  infirmes.  L'abbé  Richard  donna  qtudqucs  répé 
tilions  de  latin,  mais,  l'âge  étant  venu  et  les  maux  contracté 
pendant  sa  prison  no  lui  permettant  plus  de  travailler,  il  s 
trouva  bientôt  dans  un  état  voisiu  do  la  misère,  »  Il  s'éteigni 
à  Liuioges,  le  1'»  aoiH  1814.  Ses  compositions  littéraires,  réu 
nies  par  ses  soins  et  publiées  en  1824,  sous  ce  titre  :  Hccucil  d 
poésies  patoises  et  françaises  de  F.  Richard  {Limoges,  F.  Cha- 
poulaud,  s.  d.,  2  vol.  iu-12),  ont  fait  l'objet  de  deux  réimpres 
sions  dounces,  l'une  en  1849  {Œuvres  complètes  de  J.  Foucaiu 
et  F.  Richard,  nonv.  éd.,  revue,  corr.,  auv;m.  de  pièces  inédite 
et  de  notices,...  2»  partie,  Limoges,  Th.  Marmignou  et  H.  Du- 
courtieux,  in-12),  et  l'autre  en  1899  {Poésies  en  patois  liinousii 
et  en  français,  avec  une  traduct.  liltéralc  par  /'.  DucourticuX 
3»  édit.  (Limoges,  1899,  in.l2). 

Les  contes,  les  fables,  chansons  et  autres   productions  d( 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  545 

abbé  Richard  ne  valent  pas  seulement  par  la  l)onhomie,  la 
rauchise  d'expression,  le  tour  villageois  que  l'auteur  y  a  im- 
iriiués,  mais  par  un  sens  aigu  du  pittoresque,  une  science  de 

observation  qui  en  font  de  véritables  documents  de  mœurs, 
utérossant  l'histoire  du  vieux  Limoges. 

liiBLiooRAPiiiE.  —  A.  Lecler,  F.  Richard,  Bulletin  de  la  Soc. 
irch.  et  histor.  du  Limousin,  t.  XLVIl.  —  Paul  Ducourtieux^ 
Préface  de  la  troisième  tdit.  des  poésies  de  l'abbé  F.  Richard^ 
1899. 


L'AUTOMNE 

Air  (le  la  romance  de  Daphné. 

(Je)  suis  content  quand  la  nature  —  Redevient  habillée 
de  vert,  —  Et  chasse  cette  froidure  —  Que  nous  sentions 
dans  l'hiver;  —  Quand  je  vois  qu'à  droite,  à  gauche  — 
Kos  blés  font  le  cou  d'oie,  —  Je  ris  encore  mieux. 

Mais  de  la  saison  la  plus  digne  —  De  bannir  tout  mon 
chagrin,  —  C'est  quand  je  vois  notre  vigne  —  Qui  plie 
sous  le  raisin.  —  Je  trouve  l'automne  plus  beau,  —  Tout 
mon  sang  se  renouvelle,  — Je  saule  comme  un  lapin. 

Content  comme  un  rat  dans  la  paille,  — Je  cours  dans 
mon  cellier,  — ■  Pour  voir  si  la  futaille  —  A  besoin  de 
tonnelier.  —  Le  reste  de  la  journée,  —  Avec  quelque  ca- 
marade, —  Je  bois  comme  un  templier  [bis). 


L' O  T  O  U  N  O  H 

F.r  lie  la  romanço  de  Daphné. 

Saicounten  quan  lo  noUiro  Trobe  l'otouno  pu  belo, 

Se  touruo  obiliâ  de  ver,  Tou  mouu  san  se  renouvelo, 

E  chasso  quelo  frejuro  lo  saute  coumo  un  lopin,  [bis) 

Que  noù  sentian  di  l'iver;  Couten  coumo  un  ra  en  palio, 

Quanvese  qu'àdrechoa  gaucho  j^  ^.ouj.g  ^j,-  „^q„„  celier, 

Notrei  blà  fan  lou  cô  d'aucho  p^^  veire  si  lo  futalio 

lo  rise  d'enguero  mier.  {bis)  q  besouen  dô  touneliei. 

Ma  lo  sozou  lo  pu  dinio  Lou  reslo  de  lo  journado, 

De  boni  tou  moun  chogrin,  Coumo  cauque  couiorado 

Qu'ei  quan  vese  notro  vinio  le  beve  coumo  uu  templiei.  [bis) 
Que  plejo  soù  lou  rosin. 


546 


LES    POETES    DU    TERROIR 


Ma  femme,  qui  devine  —  Que  j'en  ai  ma  pleine  peau,  — 
Crie,  peste,  fait  lamine  —  Jusqu'à  me  faire  du  dépit;  — 
Mais  je  lui  dis  :  «  Ma  Péronne,  — (Je)  n'en  bois  que  lors 
que  l'automne  —  M'en  promet  mon  plein  tonneau.  » 

Le  lendemain  tout  se  remet,  —  Je  vais  gagner  ma  jour- 
née, —  Je  prends  avec  mon  manœuvre  —  Un  des  bouts  di 
champ.  —  Tout  mon  monde  dans  la  vigne,  —  En  faisan 
agir  la  serpe,  —  S'amuse  d'un  air  réjoui. 

Quand  c'est  l'heure  de  dîner,  —  Les  drôles  poussen; 
tous  des  cris  de  joie.  —  Notre  fille  vient  chargée  —  D'unt 
pleine  corbeille  de  galettes.  —  Chacun  emporte  sa  pièce 
—  Et  le  miel  dont  il  la  couvre  —  Rend  les  morceaux  sa- 
voureux. 

Quand  nous  avons  tous,  sans  querelle,  —  Ramassé  notre 
bien  de  Dieu,  —  Mathurin,  sur  sa  chabrette,  —  Joue  quel- 
que air  gai.  —  Nous  allons  en  levant  l'oreille  —  Mangei 
d'un  gigot  de  brebis  —  Et  vider  notre  baril. 

Tout  de  suite  après  le  repas,  —  Comme  disait  mon 
grand-père,  —  Nous  digérons  dans  la  danse  —  Ce  qui  e 
garni  l'estomac,  —  Et  l'on  fait,  quand  c'est  la  veillée,  — 
Un  branle  de  départ.  —  Ce  temps  n'ennuie  jamais. 

{Poésies  en  patois  limousin,  3'  éd.,  Limoges, 
Ducourtieux,  1899,  in-18.) 


Notro  fenno  que  devino 
Que  n'en  ai  mo  pleno  peu. 
Credo,  pesto,  fai  lo  miiio 
Jusqu'anto  a  me  fA  degrou. 
Mû,  11  dise  :  «  Mo  Peirumio, 
N'en  beve  m;!  quan  l'otoiiuo 
M'enprouinemounpletotineii.  » 
L'endomo  tou  se  recobro,    ^^  "'^' 
lo  vau  ganiâ  moun  jourii.iii, 
Prcne  coumo  mouu  monùbru 
Un  dû  hoii  do  tenoiraii. 
Tou  moun  mounde,  dî  lo  vinio, 
En  foscn  voici  lo  guinio, 
S'amuso  d'un  er  jùviau.  [bis] 
Quan  qii'ei  i'ouro  do  dinado, 
Lon  droluî  ciliijun  toù. 
Notre  filio  vo  charjado 
D'un  pie  dei  de  goletoù. 


Chacun  empourto  so  peijo, 
E  lou  miau  doun  ô  lo  bresso 
Ren  loi"i  boucî  sobourot'i.  ^bis) 
Quan  n'oven  tort  sei  quorclo 
Mossa  notre  bo  de  Di, 
Motoli,  sur  so  chormelo, 
Jugo  cauqu'er  eiboti. 
Nort  van  en  levan  l'orelio 
MinjA  d'un  gigo  d'ôvelio 
E  voueidA  notre  bori.  (bis) 
Tou  de  suito  aprei  lo  panso, 
Coumo  disio  moun  gran-pai, 
Noa  dijciren  dî  lo  danso 
Ce  qii'o  garni  lou  parpai  : 
K  l'un  fai,  quan  qu'ci  veliado 
Un  branle  de  rotirado. 
Quio  lou  n'einuyo  jomai.  [bis) 


JEAN-BAPTISTE   FOUCAUD 

(1747-1818) 


Jean-Baptiste  Foucaud  naquit  à  Limoges  le  5  avril  1747,  fit 
es  humanités  et  sa  philosophie  chez  les  Jacobins,  s'engagea 
lans  leur  ordre  et  y  reçut  la  prêtrise.  »  Il  s'appliqua  à  l'étude 
le  la  théologie,  de  l'histoire  ecclésiastique  et  profane,  et  cul- 

va  tout  à  la  fois  les  sciences  naturelles,  les  mathématiques  et 
es  belles-lettres.  Cédant  aux  exigences  d'une  curiosité  peu 
commune  et  à  un  certain  penchant  pour  les  idées  philosophi- 
ques en  cours  à  la  fin  du  xvni»  siècle,  il  se  lia  avec  l'école  voltai- 
rienne.  «  Aussi,  a-t-on  écrit,  la  révolution  de  1789,  qui  poussait 
à  l'affranchissement  des  hommes  et  des  idées,  le  trouva  au  pre- 
mier rang  de  ses  disciples  et  de  ses  apôtres.  Le  14  juillet  1790, 
il  célébra  la  messe  de  la  Fédération,  sur  la  place  Tourny,  à 
Limoges,  au  milieu  d'un  concours  immense  de  ses  concitoyens, 
que  grossissaient  encore  les  députations  venues  d'un  grand 
nombre  de  départements  voisins.  Trois  ans  après,  le  culte  ca- 
tholique étant  aboli  par  la  Convention  nationale,  Foucaud  rentra 
dans  la  vie  civile,  sans  renoncer  au  célibat,  et  fut  successive- 
ment payeur  aux  armées,  juge  de  paix,  professeur  de  belles- 
lettres  à  l'Ecole  centrale  du  département  de  la  Haute-"Vienne, 
puis  chef  d'une  institution  universitaire.  »  Il  mourut  à  Limoges 
le  14  janvier  1818,  laissant  une  foule  de  compositions  patois^ 
très  populaires,  maintes  fois  réimprimées  depuis.  Voici,  d'après 
Einile  Ruben,  une  bibliographie  sommaire  des  différentes  édi- 
tions de  l'œuvre  de  J.-B.  Foucaud  :  Quelques  Fables  choisies  de 
La  Fontaine  mises  en  vers  patois  limousin,  dédiées  à  la  Soc.  d'a- 
griculture, sciences  et  arts,  établie  à  Limoges,  par  J.  Foucaud, 
membre  de  cette  société,  etc.,  Limoges,  J.-B.  Bargeas,  an  1809, 
2  vol.  in-12  ;  Fables  choisies  de  La  Fontaine,  etc.,  nouv.  éd.  avec  le 
texte  français  en  regard,  augmentée  de  poésies  et  pièces  inédites, 
et  ornée  des  portraits  de  La  Fontaine  et  de  Foucaud,  Limoges, 
Bargeas  aîné,  1835,  in-8":  Œuvres  complètes  de  J.  Foucaud  et  F. 
Richard,  etc.,  nouv.  éd.  (l"  partie,  J.  Foucaud),  Limoges,  Du- 
courtieux,  1848,  I,  in-12;  Poésies  en  patois  limousin,  éd.  philo~ 
logique  complètement  refondue  pour  L'orthogr.,  augm.  d'une  Vie 
de  Foucaud  par  M.  Othon  Péconnet,  d'une  étude  sur  le  patois 


548 


LES    POETES    DU    TERROIR 


du  liant- Limousin,...  d'une  trad.  littérale,  de  notes  et  d'un  glos 
saire  par  M.  Emile  Ruben,  Limoges,  Vve  Ducourlieux,  1865,  in-8° 
J.  Foucaud,  Poésies  en  patois  limousin,  avec  une  trad.  littér.,  d'c 
près  l'cd.  philologique  de  M.  E.  Ruben,  5«  éd.  aiigm.,  Limoges 
Vve  Diicourtieiix,  1895,  in-18.  Voyez,  en  outre,  un  Choix  des  pli, 
jolies  Fables  choisies  de  J.  Foucaud,  publié  en  1850.  par  Ardil 
lier  et  suivi  d'un  «  Recueil  de  chansons  en  patois  limousin,  d 
cantiques  et  de  noëls  par  l'abbé  Richard  et  autres  ». 

Bini.ionRAPniE.  —  H.  Ducourtieux,  Notice  (publiée  en  tète  d 
l'éd.  de  ISi'J).  —  Othon  Péconnet,  Vie  de  Foucaud  (éd.  de  1865 
—  F.  Donnadieu,  Les  I^récurseurs  du  Félibrige,  etc.  —  Schna 
kenburg.  Tableau  synoptique  et  comparé  des  idiomes  pop.  o 
patois  de  la  France,  Berlin,  1870,  in-8'>. 


LE    RENARD    ET    LES    RAISINS 

Un  renard,  —  Sur  le  tard,  —  Se  cantonne  —  Sous  un 
tonne  —  De  muscat  —  Délicat,  —  Bon  et  beau,  —  Biei 
roux,  —  Bion  mûr,  —  Pour  sûr.  —  Pour  en  avoir  (altrn 
per,  —  Quel  ennui!  —  La  treille  est  haute.  — Mon  renar( 
saute,  —  Et  saute,  saute,  —  Sauteras-tu!  —  Jamais  Si 
patte  —  N'en  touche  grain.  —  Ce  vantard  —  Alors  S' 
plante  —  Et  dit  tout  bas  :  —  «  Je  n'en  voulais  pas,  - 
C'est  bien  aussi  vert  —  Que  lézard  ;  —  Ce  doit  être  aigr 
—  Comme  vinaigre;  — 


LOU   KENAU    E   LOU    l'.OZI 

Un  rcnap,  Moun  ronar  sauto, 

Sur  lou  tar  E  sauto,  sauto, 

Se  cantouno  SautorA-tu! 

Sort  no  touuo  Jomai  sopautn 

Demusca  N'en  mapno  gru. 

Dolica,  Queu  pcto-vaiilo 

Boun  e  bou.  Olor  so  planto 

Bien  rousseu,  E  di  ton  bA  : 

Plo  modur  N'en  voulio  pA. 

Do  segur.  Qu'ei  be  tan  vér 

Perncn  vei  Coumo  luzèr; 

Quai  cinei!  Co  deu  esse  Agrc 

Lo  trelio  ei  aulo,  Coumo  vinAgrc; 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  549 

Quoique  goujat  —  En  eût  mangé;  —  Ce  n'est  que  bon  — 
Poui' un  paysan.  » 

Ce  conte  est  yrai  —  Comme  je  sus  là-bas,  —  Mais  qui 
en  rit  —  Dit  en  soi-même  :  —  Un  homme  d'esprit  —  Fait 
bien  de  même.  —  Nécessité  —  Devient  vertu  —  (Par  va- 
nité —  Bien  entendu). 

[Poésies  en  patois  limousin,  5*  éd.,  Limoges, 
Ducourtieux,  1895,  in-18.) 


Caiiqiie  goii.ju  Dit  en  se  meimo  : 

N'ôrio  minja;  '*n  ome  d'espri 

Ce  nei  ma  bou  Fai  plo  de  meimo. 

Per  un  jantoii.  Nécessita  — 

Qneu  countc  oi  vrai  Fai  no  venu 

Coumosailai;  (Per  vomta 

Mâquin-enri  B.en-entenJu) '. 

l.  Le  lecteur  remarquera  à  chaque  instant  des  voyelles  finales  en 
caractères  italiques.  Dans  le  corps  du  vers,  ces  voyelles  ne  doivent 
pas  se  prononcer,  de  môme  quo  l'e  muet  s'élide  devant  une  voyelle 
dans  le  corps  du  vers  français.  A  la  fin  du  vers,  les  voyelles  en  ita- 
lique indiquent  une  rime  féminine  sur  laquelle  la  voix  doit  s'éteindre. 
(Xote  d'Emile  Ruben.) 


ANNE  VIALLE 

(1762-1833) 


De  bonne  souche  bourgeoise,  Joseph-Anne  Vialle  naquit  le 
20  mai  1762,  à  Tulle,  où  son  père  Jean,  avocat  au  siège  séné- 
chal et  présidial,  exerçait  en  môme  temps  la  profession  déjuge 
de  l'évèque.  Anne  ViaUe  embrassa  le  parti  de  la  Révolution, 
mais  sans  en  tirer  honneur  ni  profit.  A  trente  et  un  ans,  son 
rôle  politique  était  terminé.  Emprisonné  après  thermidor,  il  ne 
dut  sa  liberté  qu'à  la  complaisance  de  ceux  qui  s'étaient  servis 
de  lui.  Collaborateur  de  Nicolas  Béronie,  il  s'est  fait  le  publica- 
teur  du  Dictionnaire  du  patois  du  Bas-Limousin,  et  plus  particu- 
lièrement des  environs  de  Tulle,  etc.  (Tulle,  imprim.  J.-M.  Drap- 
peau,  s,  d.  [1822],  in-4o).  On  lui  doit,  de  plus,  quelques  vers  en 
langue  vulgaire,  entre  autres  des  noëls,  des  chansons  satiriques 
et  le  fameux  poème  intitulé  La  Pesta  de  'l'ula,  qui  a  été  réim- 
primé à  la  suite  d'une  intéressante  notice  sur  cet  auteur,  due  à 
G.  Clément-Simon.  Ce  petit  ouvrage,  que  l'on  trouvera  ci-après, 
a  été  attribué  souvent  à  l'abbé  Lacombe,  l'auteur  de  La  Mouli- 
nado.  Joseph-Anne  Vialle  est  mort  le  18  novembre  1833, 

Bibliographie.  —  G.  Clément-Simon,  Joseph-Anne  Vialle, 
poète  et  lexicographe,  Tulle,  impr.  Craullbn,  1893,  iu-S». 


4 


LA    PESTE    DE    TULLE 

Il  y  a  quelque  cinq  cents  ans  qu'une  affreuse  comète 
—  Sur  le  pays  des  Francs  brandit  sa  cadenelle.  —  La 
Peste,  de  sa  queue,  plut  sur  la  France;  — 


LA    PESTA    DE    TULA 

la  cauques  ciuc  cent/,  ans  qu'un'  afrousa  oouracta 
Sus  lou  païs  dans  Krancs  brandit  sa  cadeneta. 
La  pesta  de  sa  coua  sus  la  Fransa  ploguet; 


I 


LIMOUSIN    ET    MAUCHE  551 

La  Famine,  sa  sœur,  aussitôt  la  suivit.  —  Mais  de  tous 
les  pays  que  ces  deux  bourrelles,  —  De  leurs  cruelles  faulx 
fauchaient,  —  Notre  pauvre  trou  (de  Tulle)  fut  le  mieux 
tondu.  —  Depuis  le  puy  Pinson  jusqu'au  puy  des  Echelles, 
—  L'ange  exterminateur  ouvrait  larg-ement  ses  ailes.  —  Il 
couvrait  la  Fag-e  et  le  bois  Dominger  :  —  Un  triste  drap 
de  mort  pendait  lamentablement  au  clocher.  —  Les  filles, 
sur  les  collines,  avec  leurs  maigres  brebis,  —  Ne  trou- 
vaient plus  personne  pour  les  faire  danser;  —  La  mort 
les  y  atti-apait,  et  leur  triste  chien  de  garde,  —  A  la  nuit, 
reconduisait  seul  le  troupeau  à  l'étable.  —  Leurs  frè- 
res, dans  les  champs,  avec  leur  pâle  visage,  —  De  leurs 
mains  mourantes  sentaient  la  pelle  leur  échapper,  —  Et 
sans  aucun  ami  qui  vienne  leur  fermer  l'œil,  —  L'air>; 
même  du  champ  leur  servait  de  tombeau.  —  De  son  pe- 
tit mourant,  la  mère  désolée,  —  En  pleurant  sur  le  ber- 
ceau, demeurait  pliée  en  deux.  —  De  son  sein  desséché, 
elle  pinçait  en  vain  le  tétin,  —  Et  la  pauvre  expirait  en 
embrassant  son  enfant.  —  Le  père  qui  venait  d'ahanner 
sa  journée,  — 


La  Famina,  sa  sor,  eita  leu  la  seguet. 

Mas,  de  touz  lous  pais  qu'aqiielas  doas  bourelas 

Sejavon  journ  e  nueg  de  leurs  dalhas  criidelas, 

Nostre  paubre  boujal  fuguet  lou  miel  toundut  : 

Tout  lou  vere  dei  cial  lois  s'era  reboundut. 

Denipeis  lou  pueg  Pinsoun  trusqu'ei  pueg  d'Eschalas 

L'antge  estenninatour  alandava  sas  alas, 

Crubia  touta  la  Faja  e  tout  lou  bos  Mingier  : 

Un  triste  drap  de  mort  pendaulhav'ei  cloutchier.     • 

Las  dronlas,  sus  lous  puegs,  amb  lours  votdhas  pialadas, 

Troubavon  degun  pus  per  iiour  far  las  viradas  : 

La  mort  las  leis  sudava  o  Iiour  triste  chadel. 

A  l'estable,  a  la  nueg,  tournava  lou  troupel. 

Liours  fraires,  diui  lous  chams,  amb  Iiour  ligura  pala. 

De  liours  mourentas  mas  sentiaa  fugir  la  pala, 

E  senz  degun  ami  que  Iiour  caressa  i'uelh, 

Lou  tal  dei  bessadis  Iiour  servia  de  toumbel. 

De  soun  petiot  mouren,  la  maira  desoulada. 

En  purant  sus  lou  brcs,  demourava  apautada  : 

De  soun  sen  desséchât  l'istouressia  lou  piois 

E  la  paubr'  espirava  en  poutounan  soun  creis! 

Lou  paire  que  venia  d'afanar  sa  journada. 


LES    POETES    DU    TERROIR 


Trouve,  roides  sur  le  sol,  sa  femme,  son  enfant.  —  Il  se 
mord  les  poignets,  sur  la  terre  il  se  tord,  —  Et  lui  qui  la 
voudrait,  ne  trouve  pas  la  mort. 

(Traduction  de  .T.  P.) 


Troba.  redes  pel  sort,  sa  femna  e  sa  moinada. 
S'agafa  lous  pounhetz,  sus  la  terra  se  tors, 
E  el  que  la  voldia,  ne  troba  pas  la  mort  ! 


EUSEBE   BOMBAL 

(1827) 


Archéologuo,  historien,  conteur,  folklorisle,  dramaturge  et 
même  poète  à  ses  heures,  cet  ancêtre  de  l'école  limousine  con- 
temporaine est  né  le  5  mars  1827,  de  parents  sans  fortune,  à 
Argentat,  dans  la  maison  qu'il  n'a  cessé  d'habiter  depuis.  Ses 
premières  études  terminées,  il  entra  en  1846  comme  professeur 
à  l'école  primaire  de  sa  ville  natale  et  cumula  bientôt  les  ionc- 
tions  d'éducateur  et  de  secrétaire  de  mairie.  Inlimciueut  lié 
avec  son  compatriote  Auguste  Lestourgie,  il  réunit  les  élé- 
ments d'un  petit  musée  communal,  puis  se  prit  à  exalter  en 
maints  ouvrages  les  fastes  de  sa  province.  On  lui  doit  :  La  Cha- 
tellenie  de  Merle,  Tulle,  Crauiroa.  1877,  et  Urive,  Roche,  1883. 
in-8»;  Histoire  de  la  ville  d' Argentat  et  de  son  hospice,  ibid.,  1879, 
in-8o;  Notes  sur  Saint-Martial  et  Malessc,  deux  cardinaux  limou- 
sins, ibid.,  1881,  ia-S»;  Notes  et  documents  pour  servir  à  l'histoire 
de  la  maison  de  Saint-Chamans,  ibid.,  1885,  in-S":  Récit  généa- 
logique a  ses  enfants  par  le  marquis  A.-M.-II.  de  Saint-Chamans. 
ibid.,  1891,  in-S-^:  Mémoires  du  marquis  A.-M.-H.  de  Saint-Cha- 
mans, ibid..  1899,  in-8'';  Notes  sur  quelques  anciennes  familles 
d'Argentat,  ibid.,  18'J0,  in-S»;  Recherches  sur  la  villa  gallo-ro- 
maine de  Longour,  ibid.,  1897,  in-8<>;  La  Haute  Dordogne  et  ses 
gabariers,  ibid.,  1903,  in-S"  :  Rapport  sur  les  fouilles  opérées  au 
puy  du  Tour,  ibid.,  1907,  in-8»:  Les  Cahiers  de  Paul  Meilhac  (Le- 
mou/.i,  1902,  1903  et  1904),  etc.,  etc. 

Mais  ce  ne  fut  pas  seulement  en  consacrant  ses  meilleurs  ins- 
tants de  loisir  à  étudier  l'histoire  de  sa  province  qu'Eusèbe 
Bombai  acquit  des  droits  à  la  gratitude  de  ses  comj)atriotes.  Sui- 
vant l'exemple  du  fameux  chanoine  Joseph  Roux,  il  participa  à 
la  renaissance  du  beau  parler  limousin.  Empruntant,  dit-on, 
avec  autant  d'intelligence  que  d'amour  juvénile  et  de  confiance, 
la  graphie  adoptée  par  les  félibres,  il  se  lit  l'interprète  de  toutes 
les  traditions  locales  et  composa  une  foule  d'ouvrages,  arti- 
cles, nouvelles,  coûtes,  pièces  de  théâtre,  fabliaux  et  chansons 
destinés  à  fixer  les  principes  de  la  nouvelle  école.  Il  donna  suc- 
cessivement :  Le  Conte  limousin  de  Champalimau,  Tulle,  CrauT- 
fon,  1893,  in-8";  Lou  Darrier  Archipestre  d'à  Brlvazac,  curât 


554  LES  POÈTES  DU  TERROIK 

d'à  Mounceu,  Brivo,  I\oche,  1894,  iii-S»;  La  Tsucg  de  las  Paiis, 
pièce  comique,  en  un  acte,  représentée  à  Brlve,  le  22  juin  1895, 
et  à  Argentat,  le  .'{  sept.  1905  (Leraou/.i,  1895);  Lou  Drac,  pièce 
fantastique,  en  trois  actes  mêlés  de  chants  (lîrive,  Roche,  1900, 
in-S»)  :  Verhoulet,  un  acte  (Leraouzi,  1903)  ;  Viva  Tourena,  un  acte 
(Lemouzi,  1903):  La  Biijada,  piécette  eu  un  acte,  en  coUab.  avec 
Marguerite  Genès  (Lemouzi,  1904),  etc. 

M.  Eusèbe  Bombai  a,  de  plus,  donné  à  la  scène  française  une 
pièce  en  trois  actes,  écrite  en  collaboration  avec  Auguste  Les- 
tourgie,  Bernard  J'alissy  (Tulle,  veuve  Drappeau,  1858.  iu-8»), 
laquelle  a  été  représentée  à  Saintes,  le  30  juillet  1864,  au  proQt 
de  l'érection  de  la  statue  du  célèbre  céramiste. 

Bibliographie.  —  Louis  de  Nussac,  Les  Enfants  du  Pays,  E, 
Bombai;  Lemouzi,  nov.  1901. 


LE    PONTONNIER 

Jean-Joli  visait  deux  filles,  —  De  cela  il  ne  faut  pas 
vous  scandaliser,  —  L'une  avait  chariots  et  charrettes, 

—  L'autre  était  gentille  à  faire  rêver. 

Et  toutes  deux  voulaient  Jean-Joli.  — Jean  n'était  pas 
joli  pour  rien.  —  11  se  fait  doux  parts  d'un  setier  d'huile, 

—  Mais  d'un  garçon...  combien  en  ferez-vous.' 
Laquelle  des  deux  l'aura  et  quelle  est  celle  —  Que  va 

choisir  le   pontonnier.'  —  La  Seurette  tient  son  cœur, 
mais  elle,  —  La  pauvre,  n'a  pas  un  denier!... 


LOU   POUNTOUNIElt 

Jan-Joli  guinhava  doas  lilhas. 

—  D'aco  vous  chai  pas  soullevar.  — 
L'un'  avia  charilhs  e  charilhas, 
L'autr'  era  genta  a  far  raivar. 

Es  toutas  doas  voulioun  Jau-Joli. 

—  Jan  n'cra  pas  joli  pcr  res. 

Se  fai  doas  part/,  d'un  scslier  d'oli, 
Mes  d'un  garsou...  quan  n'en  farelz? 
Oiianha  l'aura  e  qiies  aqucla 
(Juo  vai  chausir  lou  pounlounier? 
La  Sourou  to  .soun  cor,  mes  ela, 
La  paubra,  n'a  pas  un  denier  ! 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  555 

Ce  qu'elle  a  :  l'œil  doux  comme  une  ûncsse,  —  Un  petit 
air  d'angelet...  —  Chaque  fois  que  Jean  s'en  approcher 
—  Il  sent  son  cœur  comme  un  brandon! 

La  Lison  aura  pour  chevance  —  Un  bon  domaine  et 
des  écus.  —  Elle  bégaye;  elle  est  pataude  à  la  danse;  — 
Elle  est  âpre  comme  verjus! 

Notre  Dordogne  est  large  et  profonde  ;  —  Pour  lancer 
une  pierre  d'un  bord  à  l'autre,  —  Au  meilleur  bras  il  faut 
une  fronde.  —  Là,  Jean-Joli  va  et  vient. 

Le  batelet  pour  les  personnes,  —  La  barque  pour  char- 
j'ettes  et  bœufs,  —  A  Jean,  les  années  sont  bonnes  —  Quand 
1  hiver  ne  fait  pas  de  ponts-neufs'. 

Un  beau  matin  qu'il  levait  —  Un  filet  au  milieu  du 
gourg,  —  Et  qu'outre  cela  il  rêvait  —  Dun  beau  domaine 
et  puis  d'amour, 


So  qu'a  :  l'uelh  dous  coumuua  sauma, 
Un  petiot  aire  d'angelou. .. 
Toutz  lous  cops  que  Jan  s'en  aprnuma, 
Sent  dinz  soun  cor  coum'un  blandou! 

La  Lizoun  aura,  per  sa  cliansa, 
Un  boun  doumaine  e  deus  escutz. 
Beguetja,  es  patauda  can  dansa; 
Es  agra  couma  dal  verjus! 

Nostra  Dourdounha  es  larja  e  priounda. 
Et  per  sacar  un  roc  de  lai, 
Al  melhour  bratz  chai  una  froiiada. 
Ati  Jan-Joli  va  e  vai. 

Lou  batelou  per  las  persounas, 
La  nau  per  charilhas  e  beus. 
A  Jan,  las  annadas  soun  bounas 
Can  l'ivern  fai  pas  de  pouns-neus. 

Un  brave  mati  que  levava 
Un  fialat  al  mitan  dal  goure 
E  questiers  aco,  elh,  rai  va  va 
D'un  bel  doumaine  emais  d'amour 

1.  Ponls  de  glace. 


556 


LES    POETES    DU    TERROIR 


De  l'un  et  de  l'autre  rivage  —  On  l'appelle  à  double 
carillon,  —  Et,  d'un  côté,  il  voit  un  bleu  corsage,  —  D« 
l'autre,  un  rouge  cotillon. 

—  La  Seurette!...  La  Lison!...  Eh!  pauvre!...  —  Hàtcz- 
vous!  hàtez-vous!  Je  veux  passer!  —  Hé!...  Jean-Joli, 
vous  ne  tarderez  guère  ?  —  Et  Jean  ne  sait  de  quel  côté 
se  tourner... 

—  Je  suis  la  première  arrivée  !  —  Moi,  il  me  faut  soi- 
gner mon  bétail  !  —  Vous  voulez  que  je  couche  dans  le 
chemin!  —  Mais  il  ne  bouge  pas  du  tout!... 

Le  pauvre  Jean  baisse  la  tête...  —  L'amour  le  tire  d'un 
côté,  —  L'argent  de  l'autre,  par  la  veste...  —  Entre  les 
deux,  il  est  empêtré.  . 

Dans  l'eau  bleue  où  se  dentelle  —  Un  clair  mirage 
d'ombrage  et  d  or,  —  Le'gouvernail  qu'il  tient  sous  l'ais- 
selle —  Marque  les  battements  de  son  cœur. 

Jean  tout  à  coup  prend  la  cheville  —  Des  deux  mains. 
Tout  enfiévré,  — 

Uo  luii  c  do  laiiiro  l'ii^algc, 
L'om  souna  a  double  carilhou; 
E,  d'im  pan,  voi  un  blev  coursatgo, 
De  l'autr'  un  rouge  coutilhou. 

—  La  Sourou  !...  La  Lisoun  !...  Pecaire  !... 

—  Couchatz,  couchatz  !  Vole  passai-! 

—  Hé!...  Jan-Jolil...  Tardaretz  gaire  ? 
E  Jan  sab  pus  per  ouut  virar... 

—  leu,  sui  la  prémunira  arribada! 

—  leu,  me  chai  sounhar  moun  be.stial. 

—  Vouletz  que  jase  per  l'cstrada? 
^1(!3  se  boulega  cap  do  pial  ! 
Lou  paubro  Jan  baissa  la  testa... 
L'amour  lou  tira  d'un  coustat, 
L'argen  de  l'autre  per  la  vcsla... 
Eutre  lous  dous  cs  empeilat. .. 
Dinz  l'aigtia  bleva  oun  se  d(Mitela 
\'n  clar  robat  <i'ouud)ratge  e  d'or. 
Lou  gubern  que  te  jous  l'aisstda, 
Marca  lous  Iremnls  do  son  cor. 
Jan,  tout  d'un  cop,  pren  la  chabilha 
De  la.s  doas  mas.  Tout  enfeurat, 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  557 

Il  godille,  godille...  et  le  bateau  sille  —  Vers  la   Lison 
l'avant  tourné. 

Quand  la  Lison  fut  passée  :  —  Tenez,  Jean,  prenea 
votre  sou!  —  Moi,  je  prends  plus  que  cela,  l'aînée!...  — 
Il  me  faut  un  baiser  sur  le  cou  ! 

Vous  vendez  cher!...  Plus  que  la  denrée,  —  Le  prix 
vaut!...  Allons...  payez-vous!  —  La  Lison  saute  sur  la 
grève;  —  Ses  yeux  jaloux  lancent  des  éclairs... 

Le  bateau  de  Jean-Joli  emporte,  —  Assise  sur  le  mu- 
seau'^,  —  La  pauvre  Seurette  à  demi  morte  —  Qui  cache 
son  diîuil  dans  son  jupon... 

Et  quand  ils  ont  touché  le  rivage,  —  La  Seurette  tend 
son  sou  à  Jean,  —  Seurette!...  Me  veux-tu  en  mariage.'..- 
—   Ils  furent  mariés  dans  l'année. 


Coiiatja,  couatja...  e  lou  bateu  silha 
Devers  Lizoun,  lou  naz  virât. 
Can  la  Lizoun  fuguet  passada  : 

—  Tenetz,  Jan,  prenetz  vostre  sol! 

—  leu  prene  mai  qu'aco,  l'ainada!... 
Me  chai  un  poutou  sus  lou  col  ! 

—  Setz  be  charen  I...  Mais  que  la  caira, 
Lou  prctz  val!...  Anem...  pagatz-vous  ! 
La  Lizoun  sauta  sus  la  glaira; 

Fai  arluciar  sous  uelhs  jalous... 

Lou  bateu  de  Jan-Joli  emporta, 

Assitada  sus  lou  muzel, 

La  paubra  Sourou  meitat  morta, 

Qu'escound  soun  dol  dinz  soun  gounel... 

E  cant  an  toucat  lou  ribatge, 

La  Sourou  tend  soun  sol  a  Jan. 

—  Sourou!...  Me  vos  en  raaridatge?... 
Fugueron  maridatz  dinz  l'an. 

{Armada  Lcmouzina,  1905.) 

I.  Nom  que  Ton  donne,  dans  certaines  provinces,  à  l'avant  d'un 
bateau. 


AUGUSTE   LESTOURGIE 

(1833-1885) 


Auguste  Lestourgie  naquit  à  Argentat,  le  12  novembre  1833, 
d'un  père  limousin  de  race  et  d'une  mère  parisienne.  Il  a  écrit 
deux  recueils  de  poèmes  :  Près  du  clocher  (Paris,  PIon<18o8, 
in-18),  et  les  liimes  Limousines  (Limoges,  Dilhan-Vivès,  1863, 
in-18),  pénétrés  d'un  exquis  parfum  de  terroir.  C'est,  a-t-on  dit, 
le  poète  «  des  vignes  limousines,  des  plaines,  des  coteaux;  son 
inspiration  est  prise  à  la  source  même,  qui  semble  sourdre,  fraî- 
che et  abondante,  parmi  les  bruyères  carminées,  ou  à  l'ombre 
des  grands  châtaigniers.  »  Quelques-uns  l'ont  surnommé  un  peu 
emphatiquement  le  «  Brizeux  du  Limousin  ».  11  est  mort  en  1885. 

Bibliographie.  —  Bergues  la  Garde,  Dictionnaire  histor.  et 
bibliogr.  des  hommes  célèbres...  de  la  Correze,  Angers,  Lachèse, 
Belleuvre  et  Dolbeau,  1871,  ia-8<>.  —  Docteur  L.  Morelly,  Eloge 
d'A.  Lestourgie,  Tulle,  Crauffon,  1905,  in-S».  —  Raymond  La- 
borde,  Un  Brizeux  limousin,  Lemouzi,  1906. 


MUSETTE 

Ma  muse  est  toute  Limousine  : 
Elle  aime  la  senteui*  des  pins, 
La  fleur  blanche  de  l'aubépine 
Et  celle  des  bruns  sarrasins. 

Elle  est,  dit-on  (je  le  soupçonne), 
Fort  peu  paronte  des  neuf  sœurs, 
Qui,  sur  un  ton  très  monotone, 
Ont  débité  tant  de  fadeurs. 

C'est  une  franche  paysanne, 

Sans  corset  et  sans  brodequin, 

Qu'on  voit  dans  les  prés  quand  on  fane, 

Aux  vignes  quand  on  fait  le  vin. 


LIMOUSIN    ET    MARCHE 

Sur  son  front,  qu'a  bruni  le  hâle, 
Tombent  de  noirs  et  longs  cheveux; 
Sa  lèvre  est  comme  le  pétale 
Du  rosier  le  plus  orgueilleux. 

Il  faut  voir  quand  elle  chemine, 
Le  matin,  dans  les  verts  sentiers, 
Son  pied  leste,  sa  main  mutine 
Cueillant  la  fleur  des  églantiers. 

Je  m'en  affolai,  si  je  compte, 
Voici  bientôt  deux  ans,  je  crois, 
Pour  une  ballade,  un  vieux  conte, 
Quelque  légende  d'autrefois. 

Qu'elle  en  sait  de  vieilles  histoires! 
—  A  l'écouter  passe  le  jour,  — 
Des  plus  douces  et  des  plus  noires! 
Qu'elle  en  sait  des  chansons  d'amour! 

Des  pâtres  elle  dit  la  peine. 
Des  bergères  le  cher  secret, 
Comment  le  cœur  d'une  inhumaine 
Se  livre  pour  un  frais  bouquet. 

Mais  elle  déteste...  devine? 
Ton  Paris  si  grand  et  si  vain. 
Ma  muse  est  toute  Limousine  : 
Je  veux  être  tout  Limousin  ! 

{Rimes  Liiiiousines.) 


559 


JOSEPH   ROUX 

(1834-1905) 


Le  véritable  rénovateur  do  la  poésie  limousine  et  l'un  dos 
plus  illustres  représentants  du  Midi  littéraire  contemporain, 
l'abbé  Joseph  Roux,  eut  des  origines  modestes.  Venu  au  monde 
à  Tulle,  le  19  avril  1834,  dans  la  vieille  rue  de  la  Barrière,  il 
était  le  dernier-né  d'une  ancienne  famille  tulloise  d'artisans 
honnêtes  et  laborieux,  «  qui  était  aussi  fortement  enracinée  au 
sol  que  le  châtaignier  dont  sa  more,  Marguerite  Chastang,  por- 
tait le  nom  ».  Son  père,  Léonard,  exerçait  la  profession  de  maître 
bottier. 

•  Dans  ce  premier  milieu,  très  imprégné  de  l'air  du  passé, 
écrit  M.  J.  Nouaillac  ',  chez  des  gens  qui  savaient  par  cœur  les 
choses  d'antan,  l'enfant  apprit,  avec  le  patois,  les  traditions  du 
pays.  Le  savant  qui,  plus  tard,  restaura  laborieusement  la  lan- 
gue et  le  passé  limousins,  ne  fit  point  œuvre  artificielle  d'érudit. 
Tout  un  monde  de  souvenirs  familiers  fut  la  source  profonde  do 
son  inspiration.  Mais  cette  action  ne  s'exerça  que  vers  la  qua- 
rantaine sur  le  génie  de  Joseph  Roux,  pour  déterminer  sa  vraie  j 
▼ocation.  En  attendant,  d'autres  inûuences  agirent  sur  lui.  Il' 
fut  destiné  de  bonne  heure  au  sacerdoce,  comme  il  advient  sou- 
vent encore  au  Benjamin  dans  les  vieilles  familles  limousines  » 
fit  ses  classes  au  collège  municipal  de  Tulle,  à   Servieres  et  à 
Brive,  puis  entra  au  grand  séminaire.  Ordoiiné  prêtre,  le  22  mai 
18")5,  il  fut  nommé  professeur  au  petit  séminaire  de  Brive,  vi- 
caire à  Varetz,  curé  à  Saint-Svlvain  (1864)  et  à  Saint-Hilaire- 
Peyrou  (1876),  et  linalomcnt  clianoiuu  de  la  cathédrale  do  Tulh 
(!«"  janvier  1886).  C'est  là  que  la  mort  vint  le  prendre,  victime 
d'une  influenza  qui  dégénéra  en  broncho-pneumonie,  le  4  fé-j 
vrier  1905. 

L'œuvre  do  l'abbé  Josoph  Roux  a  eu,  jusqu'ici,  un  retenlisso- 
ment  considérable.  Il  d(!bula  en  composant  do  médiocres  llyni-i 
net  et  Poèmes  en  l'honneur  de  la  Vierge  (Tulle,  Bossoutrot,  1865, 

1.  Joseph  Houx  et  la  Hmnissance  li7nousine,  conférence  faite  le 
fi  mars  190.)  au  Muséum  d'Iiisloire  naturelle,  sous  les  auspices  du 
«  Groupe  d'études  limousines  »  et  de  la  «  Ruciie  corrézicnne  de  Pa- 


jpe 
Lei 


emou/i,  avril  iUO.i 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  561 

îu-18),  des  pièces  de  circonstance  et  un  sonnet  en  patois,  à  Pé- 
trarque, qui  fut  lu  à  la  fontaine  de  Vaucluse.  A  partir  de  ce  jour, 
il  entra  en  relations  avec  Mistral,  Roumanille,  Aubanel,  etc^ 
étudia  la  langue  limousine  et  envoya  aux  Jeux  Floraux  des  poé- 
sies qui  furent  maintes  fois  couronnées.  En  1878,  aux  fêtes  lati- 
nes de  Montpellier,  il  parut  au  côté  de  ses  amis  les  Félibrcs, 
prêcha  en  patois  dans  l'église  Saint-Mathieu  et  improvisa  un 
«  brinde  »  célèbre.  «  En  cette  journée  ensoleillée  et  bruyante, 
a-t-on  écrit,  on  but  à  l'alliance  de  la  pervenche  provençale  et 
de  l'églantine  limousine,  et  ce  fut  la  consécration  délinitive 
de  l'entrée  du  Limousin  dans  le  mouvement  de  la  Renaissance 
félibréenne.  »  Mais  Joseph  Roux  devait  connaître  une  gloire 
plus  forte  et  plus  durable  que  la  réputation  qu'il  acquit  im  jour 
de  réjouissance  populaire.  Chose  singulière,  ce  fut  en  français 
que  ce  nouveau  «  troubadour»  conquit  tout  d'abord  une  renom- 
mée presque  universelle. 

Sous  les  auspices  de  M.  Paul  Mariéton,  parut  en  1885  le  pre- 
mier volume  des  Pensées  de  l'abbé  Houx  (Paris,  Lemerre.  in-12). 
Une  explosion  d'enthousiasme  accueillit  ce  livre  et  prépara  le 
public  à  de  nouveaux  ouvrages.  Quand,  en  188G,  l'enfant  de 
Tulle  revint,  avec  le  titre  de  chanoine,  dans  sa  ville  natale,  U 
s'était  déjà  acquis  des  titres  inoubliables  à  la  reconnaissance 
de  ses  compatriotes,  en  donnant  les  meilleures  pages  de  sa 
Chanson  limousine.  La  Chanson  Lemouzina  (texte,  traduction 
et  notes,  Paris,  A.  Picard,  1889,  in-8'>).  on  l'a  fort  bien  dit,  fut 
l'expression  la  plus  chère,  la  plus  intime  du  chanoine  Roux. 
«  Il  avait  conçu,  depuis  la  première  initiation  au  Félibrige,  le 
projet  d'être  le  chanteur,  le  o  trouveur  »  de  la  Légende  et  de 
l'Histoire  limousines,  et  il  avait  composé  des  morceaux  de  cette 
épopée  au  hasard  de  l'inspiration,  l^  les  publia  tout  d'abord 
au  nombre  de  vingt-quatre.  Ce  sont  des  récits  épiques  ou  lyri- 
ques, entremêlés  de  quelques  anecdotes  familières,  mettant 
en  action  les  principaux  personnages  de  la  Légende  des  siècles 
limousine.  ^ 

«  C'est  saint  Martial  à  Tulle  convertissant  les  habitants  par 
son  miracle  du  goutl're  de  Belle-Fille;  saint  Dumine,  l'ermite, 
installant  sa  demeure  de  pénitence  sur  le  roc  au-dessous  duquel 
la  Montane  redola  amb  un  fort  brudiinen ;  puis,  c'est  Gonde- 
baud,  Ga'ifre,  des  invasions,  des  sièges,  des  incendies,  toutes 
les  horreurs  du  haut  moyen  âge.  C'est  Charlemagne  se  repo- 
sant dans  sa  villa  de  Longour,  fatigué  de  sa  gloire,  en  écoutant 
des  hymnes  de  guerre  et  de  mort...  C'est  saint  Etienne  d'Oba- 
/ine,  le  fondateur  de  ce  vieux  moustier  que,  du  fond  de  la  vallée 
de  la  Corrèze,  on  voit  au  coucher  du  soleil  étinceler  là-haut,  à 
mi-côte,  u  comme  un  feu  d'herbes  sèches  qui  brûle  »,  saint 
Etienne  fendant  la  roche  qui  livra  passage  aux  eaux  bienfai- 
santes qui  fertiliseront  ce  désert.  C'est  la  bataille  de  Malemort, 


562  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

OÙ  Girard,  évèque  de  Limoges,  combat  le  bon  combat  contre 
Guillaume  le  Clerc  et  ses  routiers,  un  ramassis  do  malandrins, 
de  badras,  de  pantras,  de  biihr  d'afars,  d'emarioulatz  parmi 
lesquels  le  chanoine  se  donne  le  malin  plaisir  de  stigmatiser  ses 
détracteurs,  comme  le  Dante  qui  plaça  ses  ennemis  privés  au 
fond  des  cercles  infernaux.  C'est  le  petit  Amanieu  grimpant 
tout  en  haut  du  clocher  en  construction  pour  poser  la  croix 
sur  la  mola,  et  chantant,  avec  le  peuple  qui  lui  répond  de  la 
place,  la  légende  de  saint  Martin...  C'est  la  marquise  de  Pom- 
padour,  qui  ne  resta  qu'une  journée  dans  son  domaine  et  y  eut 
une  horrible  nuit  de  visions  sanglantes,  etc.,  etc.  C'est  cela  et 
cent  autres  tableaux  évocateurs  d'un  passé  tragique  :  tout  le 
Limousin  ressuscité,  magnifié,  en  récits  vifs,  colorés,  pittores- 
ques, souvent  familiers,  souvent  épiques,  d'une  belle  langue 
sonore  et  rythmée...  » 

Comme  s'il  n'avait  pas  assez  exalté  les  vertus  de  sa  petite 
patrie,  Joseph  Roux  voulut  un  jour  faire  œuvre  de  grammai- 
rien et  enseigner  à  ses  compatriotes  la  théorie  de  cette  langue 
qu'il  avait  rénovée.  Le  poète  devint  philologue  pour  écrire  des 
préceptes  qui,  de  1893  à  1895,  parurent  dans  Lcmouzi  et,  réu- 
nis, formèrent  La  Grammaire  Limousine,  cette  grammaire  sans 
pédanterie  qu'on  a  surnommée  depuis  une  «  grammaire  bon 
enfant  ». 

Telle  est  l'œuvre  du  maître  limousin.  Joseph  Roux  publia 
encore  un  second  recueil  de  Pensées  (Paris,  Lemerre,  1887, 
in-12),  des  Proverbes  Bas-Limousin  (Halle,  Karras,  1883,  in-IS  , 
quelques  plaquettes,  parmi  lesquelles  les  amateurs  retiennenl 
les  plus  rares,  celles  du  début';  il  laissa  en  mourant  un  Dic- 
tionnaire en  plusieurs  tomes  (La  lengua  d'anr),  un  livre  de 
poèmes,  des  Mémoires,  un  recueil  de  récits  rustiques,  etc.,  soil 
près  de  dix  volumes  manuscrits;  mais  rien,  de  ces  ouvrages, 
semble-l-il,  n'ajoutera  à  la  gloire  qu'il  eut  d'être  le  meilleur 
artisan  d'une  renaissance  d'art  provincial.  Nous  connaissons 
la  physionomie  morale  du  poète;  à  défaut  d'auecdottjs  que  sa 
distinction  ecclésiastique,  sa  fin  récente,  ne  permettent  pas  de 

1.  Voyez  entre  autres  :  Souvenirs  de  Lourdes,  Paris,  Pulois-Cretc 
1873,  in-8»;  A  Henri  V,  Tulle,  Bossoulrol,  1873,  in-S»  ;  Pcy  ci> 
guieme  centinare  di  l'étrarco,  ibid.,  18"?ij,  in-8";  Enigmes  limousin^ 
Montpellier,   Soc.  des  Lan',Mics  romanes,   1877,  in-S"  ;    Goulfier  ii 
Lastours  e  Gondovul,  Tulle,  Craull'on,  1879,  in-8»;  Cesaren,  cansu 
liniousino,  ibid.,  in-8"';  Lou  Mounr/e  de  Glandier  e  Santo  Esta 
d'(Jbazuna,  Aix,  impr.  Provençale,  1879-1880,  2  plaq.  in-8";  Sen  Mar- 
iai à  Tula,  Monliiellicr,  inipr.  <CenlraIe,  1880,  in-8";  l'eire  Uogier, 
ibid.,  \%%\,\n-'^";ISernot  de  Ventadourn,  Montpellier,  liamelin,  1882, 
10-8".  (Ces  sept  dernières  i)ièccs  rôimpr.  dans  la  Chanson  Lemou- 
zina);  /y Inscription  de  Saint-  ViiDicc,  Tulle,  .Mazeyric,  1882,  in-l£; 
L'Inscript.  du  Château  de  Montai,  ibid.,  clc. 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  563 

ocueillir  ici,  nous  emprunterons  à  l'un  de  ses  plus  sûrs  admi- 
ateurs  son  portrait  physique. 

«  C'était  un  homme,  et,  sans  connaître  son  œuvre  ni  son  carac- 
i've,  sa  seule  personne  donnait  l'impression  d'une  race  éton- 
lamment  puissante.  Il  avait  une  très  haute  stature,  de  robustes 
■paules;  un  menton  carré,  de  grands  yeux  clairs  au-dessous 
l'un  grand  front  de  penseur,  une  figure  ordinairement  sévère 
!t  réservée,  mais  qui  savait  joliment  s'éclairer  dans  l'intimité  j 
me  forte  voix  de  basse  que,  tout  petit,  je  me  plaisais  à  entendre 
ivec  les  autres  enfants  de  la  ville,  quand  nous  écoutions  chan- 
ter matines  au  chœur  canonical,  sans  me  douter  de  l'impres- 
sion profonde  et  noble  qu'elle  produirait  sur  mon  esprit  le  jour 
où  je  serais  devenu  capable  d'admirer  les  vers  sonores  qu'elle 
savait  faire  résonner  et  les  pensées  graves  qu'elle  savait  frap- 
per. «  Il  m'apparut  semblable  au  géant  limousin  de  sa  geste  de 
«  Charlemagne,  »  a  dit  Paul  Mariéton  après  sa  visite  au  curé  de 
Saint-Hilaire,  et,  dans  une  récente  lettre  de  condoléances,  Ed- 
mond Perrier  saluait  «  le  géant  attaché  au  granit  de  notre  cathé- 
«  drale  ».  Cette  expression  m'a  fait  rêver  aux  statues  colossales 
des  rois  de  France  qu'on  voit  aux  tours  de  Reims,  à  une  hau- 
teur vertigineuse,  et  il  m'a  semblé  voir  la  grande  figure  du  cha- 
noine Roux  dressée  entre  les  tourelles  de  notre  clocher,  très 
haut,  très  haut  au-dessus  des  toitures  de  tuiles  de  la  Barrière 
et  du  Trech,  ses  grands  yeux  clairs  éternellement  fixés  sur 
son  rêve...  »  (Cf.  J.  Nouaillac,  J.  lioux,  etc.) 

Bibliographie.  —  P.  Mariéton,  Un  Félibre  Limousin,  J.  Roux, 
Lyon,  imprim.  Pitrat,  1883,  in-8».  —  Lemouzi,  numéro  consacré 
à  la  mémoire  de  Joseph  Roux,  avril  1895.  —  A.  Praviel,  L'Em- 
pire du  Soleil,  Paris,  Nouv.  Librairie  Nationale,  1909,  in-18.  — 
Ed.  Lefévre,  Catalofrue  Félibrcen,  etc.,  1901. 


BERNARD    DE    YENTADOUR  • 

—  1200?  — 

Au  moutier  de  Dalon  pourquoi  sonne-t-on  le  g-las  ? — 0 
collines,  il  vient  de  mourir,  il  vient  de  mourir,  ô  vallées, 

BERNAT    DE    VENTADOURN 

A  Miss  Isabel  Ilapgood. 
Al  moustier  de  Daloun  perque  sonon  las  laissas  ? 
Oh  puegs,  vè  de  mourir,  vè  de  mourir,  oh  baissas, 


564  LES  POÈTES  DU  TEKROIR 

—  L'heureux  favori  des   rois  et   des  reines,  —  Bernart: 
de  Yentadour,  aujourd'hui  Frère  Bernard!... 

A  le  regarder  ainsi  dans  sa  robe  de  bure,  —  La  ti^u 
rasée,  et  les  pieds  déchaussés,  —  Qui  reconnaîtrait  le 
g-alant  chanteur  —  Qui  allait,  au  temps  jadis,  tel  qu'un 
troubadour,  —  La  cigale  au  chapeau,  le  manteau  sur 
l'épaule,  —  L'ne  harpe  sous  le  bras,  qui  bruit  et  s'agite, 

—  Le  cœur  tout  débordant  d'amour  et  d'orgueil,  —  Brû- 
lant Midi  et  Nord  au  feu  de  son  regard.' 

Au  moutior  de  Dalon  pourquoi  sonne-t-on  le  glas?  — 
0  collines,  il  vient  de  mourir,  il  vient  de  mourir,  ô  val- 
lées, —  Lheureux  favori  des  rois  et  des  reines,  —  Ber- 
nard de  Yentadour,  aujourd'hui  Frère  Bernard! 

L'homme  à  la  langue  d'or,  aussi  renommé  —  Qu'Ana- 
cré«n  de  Grèce  et  Yirgile  de  Rome,  —  Mûr  d'âge  et  de 
sons,  a  compris  enfin  —  Qu'à  moins  d'aimer  Dieu  seul, 
aimer  n'est  rien;  —  Que  suivre  le  plaisir  est  faiblesse 
coupable;  —  Que  maintenir  son  âme,  c'est  devoir  de  no- 
blesse ;  — 


Lou  que  reinas  et  reis  aviaii  arotirttinat. 
Bernât  de  Ventadoiirn,  abniira  Frai  Bernât!... 
De  l'avisar  aqiii  dins  sa  rauba  do  bura 
Et  la  testa  pielada,  et  lous   peds  sons  cliaussiira, 
Qui  r.'coiinossaria  loti  galan  chantadour 
Qu'anava  passat-tomps,  tal  coum'  un  troubadour, 
La  cigala  al  chapel,  lou  mantol  sus  l'espalla. 
Un'  arpa  joiis  soun  bratz,  qui  briidis  e  qui  l)ralla, 
Lou  cor  tout  sobroundan  de  goi  eniais  d'crguellj, 
Roiirlau  Mietjourn  et  Nort  a  l'arour  do  soun  iielli? 
.\1  iTiDusticr  de  Daloun,  pcrquo  sonon  las  laissas? 
Oh  pucgs,  v6  do  mourir,  vo  de  mourir,  oh  baissas, 
Lou  que  reinas  c  reis  avian  aTourtuBat, 
Bernât  do  Yentadourn,  ahaura  Frai  Bernât!... 
L'orne  a  la  lengua  d'aur,  aitant  ronoumat  coiima 
Anacrèo  de  Grccia  et  Vergeli  do  Bouma, 
I^Lidur  d'.itge  o  de  sen,  a  linabncn  coumi)rc/. 
Qu'a  mens  d'amar  Dieu  seul,  amar  aco  n"es  res; 
Que  segro  lou  pla/.cr  es  coupabht  feblessa. 
Que  manteuer  soun  ama  es  dever  do  uoublessa, 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  565 

Et  que  le  g'éiiie  fait  mal  quand  il  manque  à  faii'e  bien; 

—  Et  que  le  monde  passe,  et  sa  gloire  aussi; 

Au  moutier  de  Dalon,  poui'quoi  sonne-t-on  le  glas  ?  etc  • 

«  Beauté  toujours  ancienne  et  toujours  nouvelle,  — 
Seule  fidèle,  seule  vraie,  —  Et  que  je  t'ai  méconnue,  ô 
Beauté,  ô  mon  Dieu,  —  pour  une  beauté  passagère  comme 
■moi!  »  —  Ainsi  disait  Bernard  sur  sa  couette  do  ceindre  ; 

—  Et  sa  voix  moribonde  avait  quelque  chose  de  tendre  — 
Gomme  quand  il  soupirait  une  de  ses  «  Plaintes  d'a- 
mour ))  —  A  la  douce  Alaïs,  à  la  fière  Aliénor'. 

Au  moutier  de  Dalon,  pourquoi  sonnc-t-on  le  glas?  etc. 

Comme  Dalon  voisine  avec  maint  couvent,  —  Les  moi- 
nes affluent  de  partout  :  d'Obazine,  du  Châlard,  do  Glény, 
de  Gadouin,  de  Beaulieu;  —  Il  en  viendra  de  Gîteaux, 
ou  il  n'en  viendrait  d'aucune  part  ;  —  Et  de  femmes,  y  en 
a-t-il  !...  Gomtesses  et  baronnes  —  Se  hâtent  tant  qu'elles 
peuvent,  avec  une  charge  de  coui'onnes  — 


Et  que  l'engenh  fai  mal  quan  fauta  de  far  be, 

Et  que  lou  mounde  passa,  é  sa  gloria  aitabe  ! 

Al  moustier  de  Daloun,  perque  sonon  las  laissas^  etc- 

«  Beutat  toutjourn  anciana  emais  toutjourn  noiivola, 

La  soula  vertadieira  e  la  soula  fedela, 

Que  t'ai  mescotmeguda,  oh  Beutat,  oh  raoun  Dieu, 

Per  un'  autra  beulat  passagiera  coum'  ieu!...  » 

Aital  di/.ia  Bernât  sus  sa  coustia  de  cendre; 

E  sa  veut/,  mourivousa  avia  quicom  de  tendre, 

Couma  can  souspirava  on  de  sous  Planhs  d'amor  ^ 

A  la  douss'  Alaïs,  a  la  fier'  Alienor! 

Al  moustier  de  Daloun,  perque  sonon  las  laissas?  etc. 

Am  niant  e  mant  couma  Daloun  vezira, 

Lous  mounges  de  pertout  abaslon  :  d'Oba/.ina, 

Del  Chashirt.  de  Glenic,  de  Caduin,  de  Bellueg; 

N'en  vendra  de  Cistels,  ou  n'en  vcndia  d'enlueg  : 

E  de  femnas,  n'ia  bé!..  Coumtessas  e  baroiiuas 

Cochon  que  coucharan,  anib'  un  fais  de  couronnas 

1.  Alaïs  de  Montpellier,  femme  d'Elbes  III,  vicomte  de  Ventadour. 
Bernard  aima,  après  la  vicomtesse  de  Ventadour,  Aliénor,  duchesse 
<rAquitaine  et  de  Normandie,  reine  d'Angleterre;  puis  il  se  relira 
auprès  du  comlc  de  Toulouse. 

II.  32 


566  LES  POÈTES  DU  TERROIR 

Pour  le  mort,  qu'on  a  déposé  dans  l'église,  au  milieu  ;  — 
Pour  le  mort,  qu'il  faut  veiller  en  pleurant,  en  psalmo- 
diant. 

Au  moutier  de  Dalon,  pourquoi  sonne-t-on  le  glas?  etc. 

Et  tous  devant  Bernard,  avec  de  l'eau  bénite  —  Qu'on 

jette  sur  le  corps,  passent  tour  à  tour...  Dans  un  coin, 

—  A  part,  une  femme  en  grand  deuil,  —  Enveloppée  dans 
son  voile  comme  dans  un  suaire,  —  S'approche  tout  à 
coup;  et,  muette,  tremblante,  —  Bernard,  sur  ton  cœur 
froid  pose  sa  brûlante  main!  —  Mais  toi,  comme  un  ser- 
pent, de  te  contracter,  —  Et  d'écarquilier  les  yeux,  et  de 
vouloir  crier! 

Au  moutier  de  Dalon,  pourquoi  sonne-t-on  le  glas  ?  etc. 

Hélas!  cet  attouchement  qui  faisait  son  délice,  —  Il 

n'en  veut  j^lus;  il  n'en  veut  plus,  il  ferait  son  tourment! 

—  Il  regimbe  donc,  il  regimbe;  et  puis,  sans  se  tourner, 

—  Il  lève  ses  mains  au  ciel,  comme  pour  le  montrer,  —  11 
les  lève  lentement,  et  lentement  les  baisse;  —  Puis, 
comme  dans  un  lit,  s'arrange  dans  sa  bière,  —  Afin  de 
«continuer  son  beau  sommeil  éternel,  —  Dont  l'a  distrait 
un  souci  terrestre. 

Pel  mort  qu'an  depauzat  dins  l'egleija,  al  niitaii; 

Pel  mort  que  chai  velhar  en  puraii,  en  chantan! 

Al  moustier  do  Daloun,  perque  sonon  las  laissas?  etc. 

E  toutz  devans  Bernât,  am  do  l'aigua  senhada 

Quo  gieton  sus  lou  cors,  passons  d'a-renc,  Counhada 

Dins  un  carre,  a  dospart,  una  femna,  en  gran  dol, 

Plojada  dins  soun  vol  couma  dias  un  linsol, 

S'aprauma  tout  d'un  cop;  o  muda,  tremoulanta, 

Bernât,  sus  toun  cor  freg  pau/.a  sa  ma  bourlanta. 

Mas  tu,  coum'una  scrp,  do  tu  recauquilhar, 

E  d'alandar  lous  uelhs,  o  do  vouler  braiilhar. 

Al  mouslior  de  Daloun  ,  perqiio  sonon  las  laissas?  etc. 

Allas!  aquol  supar  qui  fazia  soun  dolici, 

N'en  V(»l  pus,  n'eu  vol  pus,  quo  faria  soun  suplici! 

Rcguinha  douuc,  rcguiuha;  o  pueis,  sens  so  virar, 

Lova  sas  mas  é'I  cial  couraa  pur  loi  moustrar, 

Las  lova  Icntanien,  e  lentamca  las  baissa; 

Puois,  couma  dins  un  liot  s'adoba  dins  la  caissa, 

Per'  mor  de  countuaiar  soun  bel  som  cternal 

Doun  l'a  destorroumput  un  soucilh  lerrenal. 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  5Ô7 

Au  moutier  de  Dalon,  pourquoi  sonne-t-on  le  glas?  etc. 

Et  le  peuple  à  l'instant  de  crier  :  «  Miracle  !..,  —  Quelle 
î-st,  quelle  est  celle-là  qui  réveille  ainsi,  —  Qui  ainsi  ra- 
nime? Aliéner  ?  Alaïs?...  »—  Mais  elle,  avant  la  nuit. 
avait  couru  du  pays  ,  —  Remerciant  du  regard  ceux  qui 
l'avaient  suivie.  — A  galop  de  cheval  tout  comme  elle  est 
vonue,  —  Elle  court,  et  gagne  Goyroux,  où  elle  trouvera, 
bien  sûr,  —  Ce  qui  est  d'un  meilleur  prix,  la  paix  et  le 
bonheur! 

Au  moutier  de  Dalon,  pourquoi  sonne-t-on  le  glas? 
—  O  collines,  il  vient  de  mourir,  il  vient  de  mourir,  6 
vallées,  —  L'heureux  favori  des  rois  et  des  reines,  —  Ber- 
nard de  Ventadour,  aujourd'hui  Frère  Bernard! 

{L'Epopce  Limousine.) 


Al  mouslier  de  Daloun,  perque  sonon  las  laissas?  etc. 
Et  lou  pople  copsec  de  cridar  :  «  Meravilha! 
Quai'  es,  quai'  es  aco,  la  qu'aital  derevilha? 
La  qu'aital  reviscola  ?...  Aliéner?  Alaïs?...  » 
Mas  ela,  avans  la  nueg,  avia  fach  del  païs. 
Remercian  del  reguart  leus  qui  lavian  seguda, 
D'à  galop  de  chaval,  tal  coiim'  era  venguda, 
Landa,  e  ganha  En-Couirous,  oun  troubara  segur 
Se  qu'es  de  melhour  pretz,  la  patz  e  lou  bounur! 
Al  moustier  de  Daloun,  perque  sonon  las  laissas? 
Oh  puegs,  vè  de  mourir,  vè  de  mourir,  oh  baissas, 
Lou  que  reinas  e  reis  avian  afourtunat, 
Bernât  de  Ventadourn,  abaura  Frai  Bernât! 

{La  Chanson  Lemouzina.)     • 


GASTON   DAVID 

(1845) 


M.  Gaston  David  est  né  à  Limoges  le  11  juin  1845.  Fils  de 
Frédéric  David,  conseiller  à  la  Cour,  et  de  Guillemine  de  Mal- 
gane,  il  appartient,  par  son  père,  à  une  lignée  de  magistrats 
limousins,  et  par  sa  mère,  à  une  ancienne  famille  de  la  Creuse. 
Après  avoir  fait  de  brillantes  études  et  terminé  son  droit  à 
Paris,  il  épousa,  à  Fontainebleau,  M"»  Jeanne  Dupont-White» 
sœur  cadette  de  M^o  Sadi  Carnot,  puis  vint  se  fixer  à  Limoges, 
où  il  exerça  la  profession  d'avocat  de  1869  à  1875.  Il  vécut  en- 
suite à  Bordeaux,  prit  l'initiative  d'un  mouvement  social,  fomda 
et  présida  le  Groupe  des  Unions  de  la  paix  sociale  (1885),  le 
Comité  de  la  ligue  pour  le  Repos  du  dimanche  (1891).  la  Ligue 
populaire  pour  la  revendication  des  libertés  politiques  (1892) 
et' enfin  débuta  dans  les  lettres  en  publiant  trois  recueils  de 
vers  :  Le  Poème  de  la  Vie,  chants  intimes  (Paris,  Didier,  1876, 
in-18);  Jours  d'Etc^  (ibid.,  1878,  in-18)  :  Zc5  Ft-rg'e.v,  satires  con- 
temporaines (Paris,  Perrin,  18Si,  in-18).  On  lui  doit  en  outre  des 
études  morales  et  philosophiques  et  des  travaux  se  rattachant 
au  domaine  de  la  sociologie,  L'tdce  chrétienne  dans  l'éducation 
(Paris,  Perrin,  18SG,  in-S»)  ;  Etude  sur  les  travaux  du  moraliste  J. 
Joubert  (ibid.,  1887,  iu-S»);  La  Philosophie  chrétienne  et  le  l'es- 
iimisme  contemporain  (iljid.,  1888.  in-8»)  ;  Notice  sur  les  Unions 
de  la  Paix  sociale  (Bordeaux,  Bellier,  1889,  in-18),  etc.  Membre 
de  r.\cadémie  des  sciences,  belles-lettres  et  arts  de  Bordeaux, 
lauréat  des  Jeux  Floraux  do  Toulouse,  président  do  la  Société 
d'économie  sociale,  etc.,  M.  Gaston  David,  après  un  long  séjour 
à  Paris,  s'est  retiré,  en  1901,  au  chAteau  des  Biards,  prèsSaint- 
Yrieix,  en  plein  pays  limousin.  C'est  là  qu'il  a  fait  paraître 
récemment  uu  dernier  recueil  de  vers  :  Bonheur  enfui  (Paris, 
Lahure,  1908,  in-S»),  où  il  a  exprimé,  en  termes  émus,  ses  regrets 
et  sa  résignation,  après  la  perte  d'une  compagne  chère. 

BlBLioriRAPUiiî.  —  A.  do  Latoiir  [G.  David].  Revue  Brit;ui- 
nique,  jauvi*;r   1877.  —  V.    Fournel,   ibid.,   ('la/.utte   do    Fr.ni 
18  mars  1876. 

1 .  C'est  de  ce  recueil  qu'est  extrait  le  pot-nie  que  nous  donnons  i)hi» 
loin. 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  569 


LES    CHATAIGNIERS 

Grands  bois  de  châtaigniers,  bois  au  profond  murmure, 

Honneur  de  mon  pays,  bois  doux  et  bienfaisants; 

Grands  bois,  présents  sacrés  de  la  mère  nature, 

Qui  donnes  l'ombre  fraîche  et  les  fruits  nourrissants, 

0  vous  les  premiers-nés  de  nos  belles  collines, 

Vous  qu'un  nœud  invincible  à  leur  sein  réunit. 

Qui  toujours  plus  avant  enfoncez  vos  racines 

Pour  plonger  jusqu'au  cœur  du  vieux  sol  de  granit; 

Arbres  mystérieux,  sous  votre  voûte  sombre 

On  sent  courir  encor  les  souffles  d'autrefois; 

Vos  troncs  majestueux  qui  se  dressent  dans  l'ombre 

Nous  font  ressouvenir  des  antiques  Gaulois. 

Car  plus  d'un  parmi  vous,  colosse  séculaire, 

Semble  contemporain  des  Celtes  nos  aïeux; 

Et  peut-être  a-t-il  vu,  frémissant  de  colère, 

Passer  dans  nos  vallons  César  victorieux? 

Peut-être  est-ce  iô.  ses  pieds  qu'oublieux  des  idoles, 

Le  peuple  s'assemblait  ardent  et  généreux. 

Quand  les  saints  messagers  des  divines  paroles 

Annonçaient  de  Jésus  le  règne  bienheureux. 

O  vieux  arbres  muets,  témoins  des  anciens  âges, 

Combien  avez-vous  vu  de  révolutions, 

De  choses  et  de  faits,  et  de  fous  et  de  sages. 

Entraînés  par  le  flot  des  générations  ? 

Combien  de  souvenirs  s'éveillent  dans  notre  âme, 

Lorsque  nous  vous  voyons  mutilés  par  les  ans, 

Par  la  hache  de  l'homme  et  souvent  par  la  flamme 

Des  feux  que  les  bergers  allument  dans  vos  flancs I... 

Des  orages  passés  vous  eff"acez  les  traces 

Sous  le  voile  abondant  des  feuillages  nouveaux  : 

Le  temps  ne  peut  vous  vaincre,  et,  toujours  plus  vivaces, 

Vous  dressez  dans  l'air  pur  vos  vigoureux  rameaux. 

Et  vous  nous  survivrez,  vieux  arbres  centenaires  ! 

Et  vous  reverdirez  aux  rayons  du  soleil, 

Et  vous  verrez  nos  fils,  vous  qui  vîtes  nos  pères. 

Lorsque  nous  dormirons  notre  dernier  sommeil  ! 


EDOUARD   MIGHAUD 

(1876) 


M.  Edouard  Michaud  est  né  à  Limoges,  le  8  janvier  1876, 
d'une  famille  de  modestes  artisans,  originaires  du  Périgord.  II  a 
publié  deux  recueils  de  nouvelles,  En  Limousin,  Limoges.  Jouan- 
nem  et  Mcge,  1904,  in-S";  Margnri.  précédé  et  suivi  de  nouvelles 
du  terroir,  Limoges,  Ducourtieux,  1909,  gr.  in-S",  et  fait  repré- 
senter un  drame,  La  Passion  (Limoges,  Ducourtieux,  1906,  in-S»), 
à  la  salle  Humbert  de  Romans,  et  ensuite  au  théâtre  de  la  Porte 
Saint-Martin  (13  et  14  avril  1906).  II  a  donné,  en  outre,  des  arti- 
cles et  des  vers  à  La  Revue  moderne,  à  La  Revue  de  l'Est,  à  L'Art 
et  la  Scène,  à  La  Plume,  à  Limoges  Illustré,  à  Lemouzi,  à  La  Guêpe 
corrézienne,  au  Limousin  de  Paris,  etc.  Quelques-uns  de  ses 
poèmes,  qu'il  se  propose  de  réunir  un  jour  sous  ce  titre  :  Le  Cha- 
lel  d'or,  témoignent  d'un  goût  averti  pour  les  choses  du  terroir 
et  nous  révèlent  un  écrivain  épris  de  pittoresque... 


ABBESSAILLE 

(limoges) 

C'est  une  pauvre  vieille,  au  soleil  accroupie. 
Devant  sa  Vienne  lente  où  sonnent  les  battoirs. 
Parmi  ses  huis  cloués  de  primitifs  heurtoir» 
Et  «es  petits  jardins  où  quelque  chatte  épie... 
Au  bruit  des  ans  qui  vont  elle  s'est  assoupie. 
Bonne  Abbessaille!  Coin  bien  intact  d'autrefois, 
Quartier  moyen-ilg-eux  promis  au  pic  moderne. 
Où  la  Vierge  en  sa  niche  a  toujours  sa  lanterne, 
Si  le  destin  moqueur  nous  permettait  le  choix, 
J'aurais  hanté  tes  cours  et  parlé  ton  patois. 
Car  ton  âme  d'exil  convient  à  l'esprit  triste. 
Quand  le  ciel  gris  d'hiver  s'étale,  un  coup  de  vent 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  571 

Fait  pleurer  à  tes  seuils  des  cloches  de  couvent, 

Et  l'automne  aux  cils  bas,  qu'un  ang-e  en  deuil  assiste, 

T'ofFre  un  linceul  le  soir  de  pourpre  et  d'améthyste. 

Comme  un  pasteur  géant,  la  cathédrale  mit 
Un  haut  clocher  roman  pour  veiller  tes  murs  gauches, 
(Chef-d'œuvre  fruste,  éclos  de  ton  amas  d'ébauches); 
Son  bourdon  jeune  encor,  quand  l'angélus  frémit, 
S'attendrit  à  te  voir  et  chante  un  chant  d'ami. 

Chaque  maison,  au  trou  de  sa  basse  croisée, 
Encadre  le  métier  d'un  tisserand  obscur. 
On  l'aperçoit,  cassé,  guider  d'un  geste  sûr, 
Dans  le  soir  éternel  dont  sa  forme  est  baisée, 
La  navette  qui  court  d'un  rayon  bref  croisée. 

De  tes  greniers  la  perche  sort  son  maigre  bras. 
C'est  là  qu'on  fait  sécher  le  linge  aux  brises  molles. 
Pour  des  processions,  roses  et  banderoles, 
Autour  d'ostensoirs  purs  qu'exaltent  des  clercs  gras, 
11  semble,  sont  tendus  ces  nappes  et  ces  draps. 

Et  l'on  souffre  à  penser  que  la  pioche  et  la  pelle 
Rompront  le  charme  ancien  de  ce  lieu  primitif, 
Et  que  nos  fils  bientôt  n'y  verront  plus,  actif. 
Le  métier  sec  répondre  au  battoir  qui  l'appelle, 
Et  les  draps  transformer  une  rue  en  chapelle. 


JEAN   NESMY 

(1876) 


M.  Jean  Nesmy.  —  de  son  vraî  nom  Henry  Surchamp,  —  ins- 
pecteur-adjoint dos  eaux  et  forêts,  est  né  à  Marc-Ia-Tour 
(Gorrèze),  le  11  juillet  1876.  11  débuta  en  1901,  avec  des  poèmes 
et  des  nouvelles  insérées  dans  une  petite  revue,  La  Brise  (Brive), 
dont  il  fut  un  des  fondateurs.  Il  a  donné  deux  plaquettes  de 
vers,  Têtes  poudrées,  dialogue  (Paris,  Soc.  franc,  d'imprimerie 
■et  de  libr.,  1903,  in-S»)  :  Le  Charme  des  saisons  (Troyes,  imprim. 
P.  Nouel,  1905,  in-S"),  des  romans  de  mœurs  limousines.  L'Ivraie 
(Paris,  Calmann-Lévy,  1905,  in-181;  Les  Egarés  (ibid.,  1906,  in-18). 
et  un  recueil  de  nouvelles,  L'Ame  limousine,  Aupays  de  la  Cha- 
brette  (Paris,  Librairie  nationale,  1907,  in-18).  On  lui  doit,  en 
outre,  un  grand  nombre  de  poésies  d'expression  locale,  publiées 
<,'à  et  là  dans  des  revues,  et  en  particulier  La  Revue  Hebdoma- 
daire, La  Revue  des  Pactes,  Leniouzi,  La  Guêpe  corrézienne,  Li- 
moges Illustre,  La  Petite  Revue  Méridionale,  etc.  Après  s'être 
montré  exclusivement  poète,  M.  Jean  Nesmy  s'est  consacré  uni- 
quement à  la  littérature  d'imagination.  Il  excelle  à  peindre  et  à 
animer,  soit  en  prose,  soil  en  vers,  avec  une  pointe  d'émotion, 
les  paysages  de  sa  petite  patrie. 

BlBLiooRAPriiE.  —  Emile  Faguct,  L'Ivraie,  Rev.  Latine,  25  janv. 
1906.—  B.doNoussauue,  Les  Egares,  Echode  Paris,  18  juill.  1906. 


CREPUSCULE 

Sous  la  voûte  des  bois,  voici  le  jour  qui  meurt; 
Jusqu'au  bord  du  vallon  la  dernière  runiour 
Monte  comme  l'ocho  d'une  chanson  lointaine. 
L'ombre  de  velours  bleu  marque  la  nuit  2)rochaine; 

Les  clairs  reflets  de  l'oau  commencent  de  mourir; 
Des  étoiles  d'or  fin  s'en  vont  bientôt  fleurir 


LIMOUSIN    ET    MARCHE  573 

Aux  jardins  de  la  nuit,  clos  ainsi  que  des  tombes. 
Dans  les  ombres  du  soir,  comme  un  vol  de  colombes, 
Passent,  avec  douceur,  de  fuyantes  clartés  : 
Les  vergnes,  un  instant,  semblent  tout  argentés. 

Le  bûcheron  joyeux,  la  cognée  à  l'épaule, 
A  la  brise  du  soir  qui  fait  pleurer  le  saule, 
Le  long  du  sentier  vert  laisse  fuir  sa  chanson. 
Tout  le  jour,  de  grand  air  il  a  fait  sa  moisson; 
Tout  le  jour,  respiré  les  senteurs  bocagères 
Qu'avec  amour  le  vent,  sur  son  aile  légère, 

Porte  de  feuille  en  feuille,  ainsi  qu'un  doux  fardeau. 
Vers  le  couchant  de  feu,  la  cime  d'un  bouleau 
Chuchote,  en  se  berçant,  une  chanson  plaintive; 
Et  notre  bûcheron,  que  le  doux  soir  captive, 
D'un  refrain  de  romance  endort  sa  pauvreté. 
Le  soleil  fait  flotter  sa  dernière  clarté; 

Un  rire  frais,  parti  du  grelot  d'une  mule, 
Monte  seul  du  moulin  dans  l'or  du  crépuscule... 
L'ombre  dans  les  vallons  ton\be  par  flocons  bleus.. 
Et  dans  le  jour  pâli,  qui  s'éteint  peu  à  peu, 
Quelque  pâtre  lointain,  d'une  main  familière, 
Berce  avec  son  pipeau  l'àme  d'une  bergère. 


TABLE 


DAUPHINE 


Viennois,  Valentinoi?,  Tricastin,  Diois,  Gapençois, 
Grésivaudan,  etc. 


Notice 1 

Chansons  populaires 9 

Laurent  fie  Briançon  (xvie  s.)  .  12 

Claude  .rExpilly(lo6M636)....  i7 

Davi.l  Rigaud  (.?-16o0) 19 

Jean  Millet  (?-v.  lG7o) 2'^ 


Blane  la  Goutte  (xvme  !>.). 
François  Ponsard  (181V-1867) , 

Maurice  Faure  (1830) , 

Emile  Trolliet  { 18oC-190ii), . . . 
Pierre  Dévoluy  (1862) 


Pages. 
,.      2G 


4 


FLANDRE 

Flandre  wallonne,  Flandre  flamingante,  Hainaut,  Cambrésis. 


Notice v.i 

Chansons  populains o2 

BnMe-Maison  (lC78-i7;0) u9 

Mo»  Desb.-Valinore  (  n8G-18o*j).  fg 

A.  Desrousseaux  (1820-1892) ...  75 

Gustave  Nadaud  (1820-1893)....  80 

Jules  Watteeuw(1849) 82 


A.  de  Guerne  (18o3) 85 

Auguste  Dorcliain(  1857) 88 

Albert  Samain  (1858-1900) 91 

Jules  Mousseron  (1868) 9r. 

Lëon  Boequet  (1876) 99 

Amédée  Prouvosl  (1877-1909)..  10:< 

A.-M.  Gossez  (1878) 107 


HANCHE-COMTE 


Anciens  bailliages  d'amont  et  d'aval,  de  Besançon  et  de  Dôle, 
Jura  et  pays  de  Montbéliard. 


Notice 111 

€lKtnsous  pojmlaif» 121 

J.-Louis  Bizot  (1702-1781) 185 

A.dcLezay-Marnesia  (1730-1800)  130 

Cil.  Nodier  (1780-I8.V) 13'» 

Aimé  de  Loy(1798-l83V) 138 

Max  Buchon  (1818-1809) lU 

Kdouard  Grenier  (1819-1901) ...  1V7 


Henri  Bouchot  (1849-I90G) i:.0 

Cliarleii  Grandmougin  (1850)...  15V 

Frédéric  Batnillo  (18S0) 157 

Félix  Jcantet  (18;,5) 159 

Madame  Marie  r)anguet(?)  ....  160 

Louis  l)u|dain  (1860) Iftf; 

Charles  bornior  (1873) 167 


J5 


GASCOGNE    ET    GUYENNE 

Bordelais,  Entre-Deux-Mers,  Landes,  Périgord,  Bazadais,  Albret, 
Agenais,  Quercy,  Rouergue,  Labourd,  Marensin,  Pays  basque, 
Basse-Navarre,  Clialosse,  Marsan,  les  Lannes,  Tursan,  Rustan, 
Armagnac,  Fézensac,  Gabardan,  Condomois,  Loraagne,  Par- 
diac,  Astarac,  Nebouzan,  Comminges,  Couserans,  Lavedan,  Bi- 
gorre,  Quatre-Vadlées,  etc. 


Notice ICD 

Chansons  ],0)Jidaircii 188 

Clément  Maiot  (U9o-lo4») 20V 

Pierre  de  Garros  (xvi»  s.) 213 

Olivier  deMagny  (lS29?-lor.(i) .  218 

Est.  de  la  Boétie  (lo30-l.-;fi:i   ...  222 

Du  Barliis  {13Vi-io90) 22i 

Pierre  de  Brach  (13i7-i60V)  ....  232 

Bertraud  de  Larade  (1381-?)...  236 

Guillaume  Ader  (1078-1638)....  238 

Théophile  do  Viau  (lo90-162(i)  .  2H 

Arnault  d'Oihenart  (1592-1667).  249 

Cortèle  de  Prades  (lo86?-lfi67).  2.2 

J.-Géraud  d'Astros  (1334-10V8).  260 

Louis  Baron   1612-1663) 264 

Gérard  Bédout  (1617-1692 271 

Pierre  Roussel  (1626-1684) 27.J 

Arnaud  Daubasse  (1657-172(1   .,  277 

Pevrot  de  Pradinas  (1709-1703  .  279 


301 


Jacques  Jasmin  (1798-1864)  .. 
Théophile  Gautier  (1811-187l' 
Isidore  Salles  (1821-1900\  . .. 

Jean  Castéla  (1827-1907) 

Camille  Delthil  (1834-1902,i. .. 

Abbé  J.  Bessou  (18 V5) 309 

Charles  de  Pomairols  (1843) ...  312 

François  Fabié  (18V6) 315 

Laurent  Tailhade  (185V  i 318 

Jean  Rameau  (1858) 321 

Antonin  Perhosc  (1861  ) 324 

PaulMaryllis  (1867) 330 

Michel  Camélal  (1871  ) 332 

Philadelphe  de  Génie  (1871)...  337 

Emm.  Delbousquel  (1874-190'.)) .  3V0 

Paul  Froment  (1873-1897 ) 345 

Roger  Frùne  (1878i 350 

Emile  Despax  ;1881) 353 

Charles  Derennes  (1882 336 


ILE-DE-FRANCE 

Parisis,  Hurepoix,  Mantois,  Vexin  français,  Brie  française, 
Gâtinais,  Valois,  Pinserais,  etc.  _ 


Notice 

339 

P.- Jean  de  Béranger  (1780-1857). 

437 

378 

Auguste  Barbier  (1803-1882)... 
Alfred  de  Musset  (1810-1837  ... 

461 

François  Villon  (1V31-?) 

38  V 

465 

Claude  Gauchet  (xvi»  s.) 

390 

Auguste  de  Chàtillon  (1813-?'.. 

469 

Guillaume  CoUetet  (1598-165J). 

397 

Charles  Baudelaire  (1821-1866  . 

473 

Claude  Le  Petit  (1638 ?-1662.... 
Paul  Scarron  (1610-16fi0) 

400 

Fmile  Blémont  (1839) 

480 

407 

François  Coppée  (18V2-1908) . .. 

483 

Antoine  Furolière  (1619-1688  .. 

419 

Albert  Mérat  ^1810-1908) 

483 

François  Colletet  (1628-1680   .. 

429 

Aristide  Bruant  (18311 

492 

Mme  Deshouliéres  (1633-1694^... 

433 

Pierre  Gauthiez  (1862 

494 

Nicolas  Boileau  (1630-1711).... 

436 

R.  de  Montesquiou  (1833'i 

490 

442 

Adolphe  Retté  (1863) 

Ernest  Ravnaud  (1864) 

499 

Le  Savoyard  (xvne  s.l 

446 

30-^ 

Vion  Dalibray(xviio  s.) 

4V9 

Maurice  du  Plessvs  (180V) 

303 

J.-J.  Vadé  ^719-1757) 

433 

Edmond  Pilon  (1874) 

307 

576 


LIMOUSIN    ET    marché:' 

Haut  et  Bas  Limousin,  Haute  et  Basse  Marche,  Nontronnais,  Con- 
folentais,  Corabraille,  Fraac-AUeu,  etc. 

Notice r.ll     Anne  Vialle  (1762-1833 SoO 

Chansons  populaires uï2     Eusètje  Bombai  (182"; 5o-'t 

E.  «le  Beaulieu  (xvi»  s.) 527     Auguste  Lestourgie  (U'33-i88:>).  boS 

Joachim  Blanelion  (xvi»  s.)  •••     ^30     Joseph  Roux  (lS34-10n:i) St* 

Tristan  LHermUe(v.I600-16oo).    o3V     Gaston  David  (18V5) 5f'> 

Salomon  <le  Priézac(xviic  s...     uH     K'iouanl  Michaud  (187r. 570 

Abbé  F.  Richard  (1733-181 V)...     oVV     Jean  Nesmy  (1876) 572 

J.-B.  Foucaa<l  (1747-1818) oV7 


JJauphinr. 
Flandre  .. 
Franchc-C' 
Guyenne.. 


CARTES 

3  Gnscot/ne 17:; 

49  Ile-de-France 360 

113  Limousin  et  Marckr 512 

,     173 


1.  L'abondance  des  matières  recueillies  sous  la  rubrique:  Languedoc 
H  Comté  de  Faix,  nous  a  contraint  <le  fairo  jiasscr  es  deux  provinces  au 
<lébut  du  tome  111.  Nous  leur  substituons  ici  le  Limousin  et  la  Marche. 


ERRATA 
Pag-e  337.  Lisez  :  Philadelphe  de  Gerde. 


6UC1ÉIÉ   A^O.N.    DIMPHIM.    DE    VILLEFnA.NCHE-UE-nOUCRCUB 


1 

•   PQ  Bever,  Adolphe  van 

1165  Les  poltes  du  terroir 

B48 
t. 2 


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