LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
LES
PREMIÈRES CIVILISATIONS
ÉTUDES
s u r,
LA PRÉHISTOIRE ET L'HISTOIRE
Jusqu'à la fin de lEmpire macédonien
PAR
J. DE MORGAN
ANCIEN DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ANTIQUITÉS DE l'ÉGYPTE
DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL EN PERSE
DU MINISTÈRE DE l'iNSTRUCTION PUBLIQUE
-^^
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, VI"^
1909
Tous (Iroils réservés.
PRÉFACE
Traiter des enchaînements du progrès humain est parler de
l'histoire universelle. C'est suivre ce grand mouvement de l'intel-
ligence qui conduisit l'homme de la barbarie à la civilisation ;
c'est faire à chaque race, à chaque peuple, à chaque individu la
part qui lui est due dans cette œuvre sublime dont nous-mêmes
ne sommes encore que les ouvriers inconscients ; dans cette
impulsion qui entraîne l'humanité vers les destinées bonnes ou
mauvaises, suivant des lois, le plus souvent, indépendantes de sa
volonté, de ses désirs, de ses calculs.
Les causes de cette évolution sont nombreuses, variées à l'in-
fini. Elle-même se déroule en des phases complexes, s'appuyant
sur des bases essentiellement mobiles, parfois en relations les
unes avec les autres ; mais souvent aussi indépendantes, isolées
et fortuites.
N'envisager qu'un seul aspect de ce mouvement, c'est l'ignorer ;
car ses manifestations sont multiples. La prospérité industrielle
et commerciale ne constitue pas les seules causes de la vitalité
d'un peuple ; les arts, la littérature ne sont que les dérivés d'un
état général, des aptitudes d'un milieu, des loisirs dont il jouit;
les succès militaires ne sont pas la preuve absolue delà puissance;
le luxe, la richesse n'impliquent pas le bonheur des êtres.
Et ces arts, cette littérature, cette prospérité, ce luxe, cette
richesse, cette puissance militaire, ne sont que des biens éphé-
mères; ils s'évanouissent pour ne laisser souvent (|ue de vagues
II PRÉFACE
et fugitives traces. Que sont devenus les trésors de l'Assyrie, de
la Perse, les arts de la Grèce, les armées d'Alexandre, les légions
des Césars, le commerce de A^enise, les colonies de l'Espagne ? il
n'en demeure que le souvenir s'efFaçant peu à peu.
De chacune de ces grandes choses, le progrès général a tiré
quelque avantage ; mais les élans se sont éteints ; il semblerait même
que rien ne fût resté d'eux, parce que le mouvement descendant
est amplifié à nos yeux par l'éclat de l'ascendance; mais chacun a
marqué un pas en avant.
L'écrasement du monde romain par les barbares semblerait un
déluge universel si nous ne sentions que, malgré ses désastres,
Piome a prévalu, que son esprit est demeuré, surmontant le cata-
clysme.
C'est ainsi que nous sommes parvenus à ce niveau intellectuel
dont nous novis montrons orgueilleux au point d'oublier nos
devanciers, avec une vanité que railleront nos descendants. Mais
est-il bien certain que nous dépassions en toutes choses nos
ancêtres? certes, ce n'est pas croyable; car, si nous avons inauguré
une ère scientifique, industrielle et commerciale, nous demeurons
bien inférieurs aux conceptions artistiques et poétiques des
Grecs, gouvernementales des Romains.
Et ces sciences qui suppléent à la pratique d'autan, sommes-
nous certains d'en posséder les exacts principes? n'apparaîtront-
elles pas aussi enfantines pour nos descendants que, pour nous^
celles de nos devanciers?
Nos sentiments d'humanité sont-ils plus purs que ceux des
anciens quand nous exterminons les races inférieures pour colo-
niser leurs territoires ? certainement non, et la morale avestique
vaut sûrement celle que nous afl'ectons tant de pratiquer aujour-
d'hui.
Il en est des races comme des peuples, comme des individus.
Chacun admire son œuvre, encadre l'univers dans ses tendances,
ses désirs, se considère comme supérieur, dédaignant tout ce qui
n'est pas lui.
L'Euroj)e du vingtième siècle méprise les groupes humains des
autres continents; alors que, tout en reconnaissant les j)rogrès de
nos sciences pratiques, les Orientaux, par exemple, n'ont aucune
estime pour notre civilisation, nos mœurs, nos croyances posi-
tives ou négatives, nos conceptions philosophiques, politiques,
PRÉFACE Ilf
sociales, les trouvant grossières; et si, par force, ils s'inclinent
devant la supériorité de nos armes, ce n'est pas sans dédain.
C'est qu'ils envisagent la civilisation à dos points de vue tout
difTérents de ceux auxcjuels nous nous plaçons; que leurs tradi-
tions, leur disposition d'esprit, difï'èrent de celles de l'Europe.
Sommes-nous bien certains que l'idée qu'ils se font de la vie n'est
pas supérieure à celle que nous en concevons nous-mêmes ?
Comme historiens, nous sommes enclins à traiter suivant notre
esprit actuel les actes et les pensées des anciens ; à les juger
comme nous jugerions des concepts et des actions de nos contem-
porains. Cette fatale tournure d'esprit fausse non seulement la
portée des événements de l'antiquité, mais aussi leur encliaine-
ment. Pour beaucoup d'entre nous, l'histoire, quelle que soit
l'époque dont elle traite, se montre vêtue à la moderne, tout
comme au siècle du grand roi, Cinna entrait en scène en costume
Louis XIV. Nous avons grand'peine à reconstituer l'ambiance,
combien peu d'ailleurs en comprennent le besoin ?
Peut-être tous les peuples anaryens disparaîtront-ils peu à
peu devant la brutalité de notre convoitise; peut-être aurons-
nous injustement détruit jusqu'au dernier représentant de ces
races dont les seuls torts auront été de ne pas avoir pensé comme
nous, combattu comme nous et d'avoir occupé leur patrimoine.
Ces odieuses exécutions n'avanceront pas le progrès ; elles
retarderont seulement l'heure fatale où, devenue trop nombreuse
pour la superficie habitable de sa planète, notre humanité se
déchirera elle-même. N'a-t-on pas sans cesse sous les yeux, dans
les temps troublés, l'homme subitement rendu à la barbarie en
dépit du milieu dans lequel il a vécu, se livrant aux pires horreurs.
La densité de la population fait la force des nations, la
richesse de quelques privilégiés, mais ne donne pas le bien-être
à la masse. Tout au contraire ; quoi qu'en puissent penser et écrire
ceux pour lesquels lexistence des autres n'est qu'un roman, un su-
jet de thèses, un moyen de frayer son propre chemin dans la vie.
Procurant la force, elle assure l'indépendance nationale, mais au
prix de lourds sacrifices, d'une sorte d'esclavage. Nos sociétés
modernes procurent à quelques-uns la liberté, et ceux-là même
(|ui eu jouissent ne s"expli(juent même pas qu'il en puisse être
autrement. Quant à la masse, est-elle pratiquement plus heureuse
qu'au temps où ses besoins étaient moindres ?
IV PRÉFACE
Celui qui, libre, vivant dans l'abondance de toutes choses, n'a
éprouvé ni les rigueurs du froid, ni les affres de la faim, ni les
horreurs de la servitude, ne peut concevoir que les biens dont il
jouit ne soient pas liés à l'essence humaine; qu'il se puisse faire
que, dans ce monde, existent des êtres déshérités ne connaissant
rien des douceurs de la vie, et que ces douceurs mêmes fussent
inconnues quelques siècles avant nous.
Pour celui-là, le monde est sa ville, son village, sa maison,
ses intérêts; l'histoire est surtout celle de sa vie, à peine celle de
quelques générations. Le reste se perd dans l'espace et dans
le temps, n'offrant à son imagination que l'intérêt anecdotique
d'une pièce de théâtre. 11 ne peut sentir cette effrayante réalité
d'où ses ancêtres, après des milliers d'années de lutte, sont sortis
pour lui créer son bien-être.
Il vit sans reconnaissance envers ceux auxquels il doit tout, se
plaignant de son sort, le désirant toujours meilleur; ne regardant
jamais avant lui ni au-dessous de lui; ne se procurant même pas
cette consolation égoïste de comparer les malheurs des autres à
ses propres douleurs.
Et pendant que ce privilégié, usant de tous les biens dans l'in-
dépendance, coule ses jours sans autre souci que la satisfaction des
besoins qu'il se crée, des infortunés, perdus dans les glaces du
Nord, subsistent, au gré des temps, d'une irrégulière et misérable
pitance; à peine vêtus, mal abrités contre le froid dans leurs
infectes tanières, toujours préoccupés de la nourriture du lende-
main. D'autres, courbés vers la terre sous la courbache du maître,
nourris d'une poignée de sorgho, s'éteignent épuisés; et leur
corps traîné hors du village, au charnier des animaux morts, est
abandonné en pâture aux carnassiers. D'autres enfin, sous nos
yeux, dans nos villes industrielles d'Europe, esclaves du pain
qu'ils doivent à leur famille, s'étiolent dans un air malsain, affai-
blis par un labeur incessant auquel ils ne peuvent se soustraire.
Ces horreurs, moins fréquentes aujourd'hui qu'autrefois, étaient
jadis le partage de la majorité des humains. On ne s'en souvient
plus, on ne les veut pas voir et, malgré la sensiblerie qu'affectent
la plupart des Européens, il en est peu qui réfléchissent aux souf-
frances des temps passés, qui compatissent à celles de chaque
jour.
Mais cet injuste oubli des maux d'autrui, ce désir perpétuel
PREFACE V
d'améliorer son état sont précisément les causes du progrès; cha-
cun lutte pour obtenir un sort meilleur, et, de tous ces efforts,
résulte l'ascendance.
Elle est bien irrégulière, cette marche en avant ; car, depuis que
l'homme est sur terre, mille fluctuations sont survenues, soit que
les peuples eux-mêmes se fussent transformés, soit que des élé-
ments nouveaux soient intervenus. Après les mœurs douces de la
Chaldée primitive, l'autocratie brutale des Akkadiens et d'Assour;
après Rome, les barbares; après Constantinople, les Arabes. Rien
ne prouve que nous n'atteignons pas, de nos jours, un maximum
dans le bien-être social et que l'humanité ne retombera pas sous
peu dans les privations et la douleur.
S'il en doit être ainsi, apprenons du moins à jouir du bonheur
qui nous est échu de naître dans une période aussi favorable,
et sachons reconnaître les bienfaits de ceux à qui nous le devons.
Si, désormais, l'humanité doit se perfectionner sans cesse et
ramener l'âge d'or sur notre planète, ne doit-elle pas éprouver une
extrême jouissance en rappelant les temps maudits où Thomme
souffrait ?
Là est le seul profit que doive attendre de l'histoire celui qui
n'y cherche pas simplement un amusement de l'esprit; car, malgré
les sept mille ans de ses annales, jamais ses exemples n'ont servi à
la conduite des hommes. Dans chaque temps on retrouve les mêmes
fautes, les mêmes erreurs, les mêmes imprévoyances, les mêmes
vices, les mêmes iniquités. Les maîtres ont changé ; qu'ils se
nomment peuples ou despotes, les idées se sont modifiées, mais
aucun génie n'a su profiter largement des leçons du passé.
C'est que l'observation, le calcul, ne sont j)as les causes les
plus importantes dans l'évolution des progrès humains. La plus
grande part des événements revient aux passions, aux intérêts,
aux aptitudes, aux défaillances des éléments en jeu et, dans la
plupart des cas, leurs effets ne peuvent être escomptés.
Les peuples se transforment; jamais ils ne sont semblables à
eux-mêmes, et bien rarement ils ont un gouvernement qui réponde
exactement à leurs tendances. Tout gouvernement gouverne, et
même s'il semble suivre le sentiment du peuple, il le guide, il le
conduit dans le chemin voulu par ses pensées, par ses intérêts.
Certainement, quelle que soit la forme du pouvoir, les limites
d'action du gouvernant lui sont, en temps ordinaire, imposées par
VI PRÉFACE
la nation ; mais le champ demeure vaste et surtout si ce gouver-
nant est un homme de génie, son initiative joue un grand rôle
dans les destinées.
Les Grecs eussent abattu la Perse, Alexandre envahit les
Indes. Les Perses se fussent rendus maîtres de l'Asie, Darius les
entraîna jusqu'en Scythie, Cambyse au delà de l'Egypte. La Répu-
blique eût repoussé l'étranger, Bonaparte fit flotter sur Moscou
ses étendards.
Ainsi, dans l'étude du progrès, il ne faut donc pas seulement
tenir compte des tendances de peuples ou de races ; il faut faire
entrer en ligne, et pour une large part, Thomme, celui qui s'est
trouvé être soit la cause, soit l'instrument des volontés et des
intérêts populaires.
Le génie, souvent, modifie le cours naturel des événements; il
met en usage les ressources qui s'offrent à lui, les prenant où il
les rencontre, déplaçant ainsi les prépondérances entre nations.
Si Colomb avait trouvé dans sa patrie les éléments nécessaires
à son entreprise, l'Espagne ne se serait jamais étendue sur la
moitié du glojje. Si Théodose n'avait pas divisé l'Empire, peut-
être Rome eût- elle repoussé l'invasion des barbares. Si Héraclius
avait envoyé quelques légions pour étouffer dans sa racine le
mouvement des Arabes, il eût changé la face du monde moderne.
Mais, en dehors de ces sources humaines de l'histoire, il en est
d'autres plus puissantes encore, les causes naturelles, celles
contre lesquelles l'homme reste désarmé; elles sont nombreuses^
soudaines, inattendues. Peuples et rois leur obéissent. La famine.
Peau, le feu, les frémissements du sol, sont maîtres de la destinée
des nations.
Ainsi le progrès dépend de mille causes, les unes lentes, les
autres violentes; certaines échappant à la volonté, d'autres résul-
tant de cette volonté même. C'est dans ce dédale que l'historien
doit se mouvoir pour découvrir et mettre en lumière les causes
principales dégagées des éléments d'importance secondaire.
Qu'importent en efîet la mémoire des souverains dont le règne
n'estdûqu'à leur naissance sur les marches d'un trône, les batailles,
les conquêtes sans causes profondes, sans résultats généraux I
Une idée, une volonté sont de bien plus grandes choses quand
leurs résultats sont demeurés acquis pour l'humanité, pour le
bien-être général.
PRÉFACE VII
Ainsi envisagée, Thistoire est passionnante. Soixante-dix siècles
environ nous séparent seulement de ses déljuts. Qu'est-ce par
rapport à rancionneté du monde? bien peu de chose. Et encore ce
court espace de temps devient-il plus petit encore, (juand, au lieu
d'envisager les ans, nous ne voyons plus que les grandes phases
du développement. Elles sont peu nombreuses, se lient intime-
ment et se suivent en un admirable enchaînement dont la sim])li-
cité émerveille.
AVERTISSEMENT
Ce livre n'est pas un traité d'histoire ; de plus autorisés que je
ne le puis être ont pris soin de rédiger les annales de l'antiquité.
11 n'est pas non plus un précis d'ethnographie, de linguistique
ou d'art. Le titre que je lui donne montre qu'il ne contient que
des observations coordonnées sur l'histoire, Tethnographie, la
linguistique, les sciences, les arts, etc., sur les diverses émana-
tions de l'esprit humain en tant qu'ayant contribué au progrès
général.
Gomme l'indique le sous-titre « Études », cet ouvrage est loin
de traiter à fond de toutes les questions. 11 en néglige quelques -
unes, en effleure seulement d'autres, pour se plus étendre sur
celles d'importance particulière et sur les faits rentrant plus
spécialement dans le cercle de mes recherches personnelles.
Forcément l'histoire anecdotique devait jouer un très orand
rôle dans un tel travail; car elle est la vie de ce monde dont nous
nous efTorçons de retrouver le penser. J'ai dû la reprendre sans
toutefois entrer dans ces mille détails qu'un annaliste doit à ses
lecteurs, et si, parfois, je l'ai suivie dans des phases d'un intérêt
secondaire, c'est uniquement pour donner plus de suite à mon
exposé.
11 n'est pas douteux que, sur bien des points, mes vues ne
soient pas celles de tous ; mais là où je me trouve en contradic-
tion avec des autorités dignes de considération, j'ai pris soin de
développer ma pensée, d'y joindre les sources d'où mon opinion
X AVERTISSEMENT
est issue ; afin de permettre au lecteur de juger par lui-même,
sans qu'il lui soit nécessaire d'entrer dans de longues recherches
bibliographiques.
Afin d'alléger mes exposés, j'ai mis sous forme de notes tous
les faits d'intérêt, renvoyant aux meilleures références, aux études
spéciales. C'est en note également que j'ai fourni la plupart de
mes observations personnelles, soit inédites, soit déjà publiées
dans des ouvrages ou recueils particuliers. Enfin je me suis
efforcé d'être concis.
Les observations relatives aux pays orientaux sont presque
toutes le fruit de mes voyages. Ayant pendant vingt-cinq ans
parcouru l'Asie antérieure et méridionale, depuis la Méditerranée
jusqu'aux limites occidentales de la Chine, visité l'Egypte, le
Sinaï, le nord de l'Afrique, toute l'Europe, ayant toujours donné
à mes voyages le même but scientifique, j'en ai rapporté un
nombre considérable d'observations et, qui mieux est, des vues
d'ensemble, me permettant de suivre sur le terrain les événe-
ments d'antan. C'est de ce long labeur qu'en écrivant ce livre
j'ai tenu à faire bénéficier la science.
Cet écrit n'est destiné qu'à un public éclairé. J'ai supposé le
lecteur en possession des diverses sciences en jeu; et si, parfois,
j'ai dû expliquer des faits déjà connus, c'est parce que j'avais à
les interpréter dans un sens différent de celui auquel on est
accoutumé, ou que je les faisais servir de base à des idées nou-
velles.
J'ai admis, par exemple, que le lecteur, au courant de la
géologie, possède la succession des étages, des faunes et des
flores; que, versé dans les questions préhistoriques, il est instruit
des discussions qui ont eu lieu sur cette matière depuis un demi-
siècle ; que, sans être linguiste, il est familiarisé avec la méthode
comparée, qu'il a des notions étendues sur la philologie générale.
La géographie ancienne et moderne, je la suppose connue, et
fais usage des termes appliqués aux diverses époques sans entrer
dans un exposé spécial autrement que lorsqu'il s'agit de questions
douteuses ou discutées.
Enfin, j'ai ajouté à ce livre un grand nombre de cartes facili-
tant l'entendement des faits, évitant ainsi de longues descriptions
qu'il est aisé de trouver pour la plupart dans des ouvrages spéciaux.
On pensera, peut-être, que j'ai bien négligé certains peuples,
AVERTISSEMENT XI
certaines périodes de lliisLoire de (juelques nations. Je l'ai fait
intentionnellement, lorsque le rôle de ces nations s'est montré
sans intérêt au point de vue des résultats généraux, ne considé-
rant les peuples que comme des acteurs dans la grande pièce qui
se joua dès les débuts de l'humanité, les faisant entrer en jeu
alors seulement qu'ils avaient à remplir leur rôle. D'ailleurs, dans
la pluj)art des cas, les notes suppléent à ces lacunes apparentes.
Il existe fort peu de traités généraux d'histoire qui ne soient
écrits sous rinfluence de tendances spéciales, les unes voulues
par les études particulières auxquelles s'étaient voués leurs
auteurs; les autres par des impressions extra-scientifiques ; ainsi,
dans bien des traités, surtout aujourd'hui en Allemagne, en
Angleterre et en Amérique, les peuples de la Palestine pren-
nent une importance (ju'ils sont loin de mériter par le rôle poli-
tique qu'ils ont joué. Ailleurs, c'est l'Egypte qui domine et à
laquelle tous les événements se trouvent rapportés. Pour d'autres,
c'est l'Assyrie, la Chaldée, la Grèce qui font l'oljjet des cons-
tantes préoccupations. 11 est peu d'auteurs qui ne se soient laissés
guider l'esprit. C'est d'ailleurs une tâche difficile que de faire à
chacun la part qui lui est due.
Si nous ne considérions que la durée du temps, il est certain
que la période préhistorique devrait occuper au moins les neuf
dixièmes d'un tel ouvrage. Mais c'est l'avancement du progrès
qu'il importe d'étudier et non la vie des peuples demeurant sta-
tionnaires. Plus on se rapproche de nous, plus la mentalité
humaine se développe, plus les faits se multiplient,, augmentant
d'importance. Partant, on doit accorder d'autant ])lus à l'exposé
que l'époque envisagée est moins ancienne.
J'ai joint à chacune des phases historiques des tableaux com-
paratifs, afin de permettre au lecteur d'embrasser d'un seul coup
d'œil l'état politique du monde pendant toute une période. Pour
les concordances exprimées par ces tableaux, j'ai eu recours aux
meilleures sources ; mais je dois insister sur ce fait que, surtout
dans les débuts de l'histoire, beaucoup de dates sont encore
indécises.
L'établissement des concordances chronologiques est indis-
pensable pour la solution d'une foule de questions historiques,
surtout en ce qui concerne les arts et les industries. Sans ces rap-
prochements, bien des faits demeureraient inexplicables.
XII AVERTISSEMENT
Ce livre que, depuis bien des années, je me propose d'écrire,
voit enfin le jour. Je n'ignore pas, en livrant son manuscrit à l'im-
primerie, que mon opinion sur bien des questions sera l'objet de
remarques; j'espère toutefois qu'il rendra quelques services, ne
serait-ce que celui de placer des discussions de détail sur un ter-
rain plus général et de faire entrer en ligne des éléments tirés
de sciences diverses.
En terminant, je m'excuse de ne point offrir un travail plus
étendu. J'y ai mis ce que je sais, ce que je comprends, sans pré-
tendre à Tœuvre complète.
Nota. — Les cartes renfermées dans cet ouvrage, dressées par
l'auteur ou inspirées des meilleures sources, ont été toutes des-
sinées par M. Ch. Emonts, dessinateur du Service des Antiquités
de la Tunisie; les fac-simili d'écritures antiques ont été faits par
l'auteur lui-même.
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
CHAPITRE PREMIER
Des sources de la préhistoire et de l'histoire.
I. — Des sources de la préhistoire.
La question des origines naturelles de l'homme reste encore,
pour l'instant, confinée dans la métaphysique. Nous ne possédons,
je ne dirai pas aucune base ; mais bien aucune indication, même
vague, de nature à guider nos recherches. C'est donc aux suppo-
sitions seules qu'il convient d'avoir recours lorsqu'on aborde ce
grave problème.
Les hypothèses cessent dès que nous entrons dans la phase
préhistorique, dans celle à laquelle il ne manque que des textes
pour qu'elle prenne rang dans l'histoire. L'étude de ces temps
fait usage d'une foule de connaissances qui, secondaires pendant
la période où l'homme nous a laissé des annales, sont ses uniques
ressources tant que les textes font défaut.
Il semble utile, avant d'aborder l'étude du progrès humain,
d'indiquer quelles sont ces sciences, quelles ressources nous
sommes en droit d'en attendre, et avec quelles réserves nous devons
tenir compte des arguments qu'elles fournissent.
Géologie. — La géologie, en classant les diverses couches de
1
2 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
récorce terrestre, fournit la succession des phénomènes sans
cependant en donner la chronologie.
Partant d'une multitude d'observations de détails, elle a pu
généraliser et tracer les grandes lignes de la vie de notre planète ;
toutefois, sur mille sujets elle est encore indécise.
En ce qui concerne les alluvions et les terrains superficiels
entre autres, notre circonspection ne saurait être trop grande.
Le synchronisme appliqué sans preuves positives peut amener, et
a déjà causé, de très graves méprises.
Paléontologie. — Botanique. — La paléontologie et la botanique
montrent la succession des faunes et des flores en relation directe
avec la stratigraphie. Elles permettent de juger du climat pour
chacune des époques géologiques, de dessiner les contours des
provinces de la vie et de reconnaître l'état général des continents
aux divers âges.
Il ne faudrait cependant pas attacher une importance capitale
à l'existence des espèces dites caractéristiques. De tous temps il
a existé des provinces zoologiques et botaniques variant, pour une
même époque, les types suivant les régions; et de tous temps aussi
des modifications climatériques ont causé des interchangements
dans les diverses provinces de la faune et de la flore. Si les
considérations générales s'appliquant à l'ensemble d'une période
géologique sont exactes, celles portant sur des phénomènes locaux
doivent être étudiées avec le plus grand soin avant d'être quelque
peu généralisées. Elles peuvent être le fruit d'exceptions dont il
faut rechercher les causes. Il serait également très imprudent de
juger de la biologie des espèces éteintes d'après ce que nous
savons de celle des espèces vivantes appartenant au même
groupe.
Ethnographie. — ^ethnographie préhistorique^ ou étude des
industries et des arts chez les peuples sans histoire, montre les
diverses phases par lesquelles est passé l'homme avant qu'il
enregistrât des annales.
Cette science née d'hier a fait de rapides progrès, surtout en ce
qui concerne l'Europe occidentale et le bassin méditerranéen, pays
les mieux étudiés jusqu'à ce jour.
Pour les autres régions du globe, nous ne possédons encore
DES SOURCES DE LA PRÉIIISK )ll!i: i;T Di: LllISTon^K 3
que des données incomplètes; et il n'est |)as permis crappli(juei-
aux pays étrangers les résultats des observations européennes.
Comme toute science naissante, l'ethnographie préhistorique
en est encore, pour bien des points, à la période des tâtonnements;
chaque jour des théories admises sont renversées par de nouvelles
découvertes faisant naître des hypothèses de plus en plus rappro-
chées de la vérité.
C'est que, au début, les savants se sont trop hâtés de passer du
particulier au général, d'élargir la portée de faits locaux ; que,
voyant ce procédé réussir dans d'autres sciences, ils ont cru
pouvoir l'appliquer à la préhistoire de l'homme.
Les phénomènes de la vie sont, dans la nature livrée à elle-
même, d'une extrême complexité. Au temps de Pline, un seul
nom suffisait, en général, pour désigner une espèce /oologique
ou botanique. Linné reconnut que deux termes étaient nécessaires.
Aujourd'hui les naturalistes admettent le genre, l'espèce, la variété
et la forme. Et encore certaines séries animales résistent-elles au
classement, suivant les nomenclatures en usage (1).
C'est que, depuis Pline, la méthode et les moyens d'observation
se sont améliorés. Ils se perfectionneront encore et, de même que
la chimie dans ces dernières années a dû se transformer, de même
la zoologie devra modifier un jour le système linnéen (2).
Si la variété est grande dans le développement des êtres orga-
nisés, que doit-elle être dans les manifestations de l'intelligence
humaine; dans ces industries, même primitives, répondant à des
besoins multiples d'hommes variés eux-mêmes, vivant dans des
conditions variables suivant les temps et les lieux.
S'inspirant de la méthode géologique, et se croyant autorisés à
généraliser la portée de leurs découvertes, les préhistoriens ont
établi toute une nomenclature par époques, parages, prenant pour
types les éléments d'une échelle locale elle-même discutable (3).
(1) Les recherches en eaux profondes
(3 500 mètres) dans la mer des Antilles et le
golfe du Mexique ont fait découvrir certains
groupes animaux dans lesquels la variété des
formes zoologiqucs est si grande, qu'elle rend
presque impossible l'application des classifi-
cations jusqu'ici les mieux établies. Les types
de transition abondent, lit on trouve des in-
termédiaires entre les groupes Jus(|u'ici con-
sidérés comme tout à fait distincis. (Cf. Alpii.
MiLNE Edwards. Corn/;/, rend. Acad. Sc.XCU,
pp. 38i-87(;. — A. Di: Lappari;nt, Traite de Géo-
logie, f/ édil., l'.tOO, p. I-2G.)
(-2) Parmi les théories tendant à renverser
complètement les idées scienlili<|ues admises
jusqu'ici, je citerai G. Le Bon {L'Evolution de
la matière et V Evolution de la force). « La science
d'hier était fondée sur l'élernilé de la matière,
dit-il, celle de demain sera basée sur la dé-
sintégration de la matière. Elle aura pour but
principal de trouver des moyens faciles d'aug-
menter celte désirilégration et mettre ainsi
dans les mains de l'homme une source de
foices ])res(iue infinie 1 [Revue des idées, n" 4G,
15 octobre l'.X>7, p. 862i.
(3) Cette généralisation exagérée n'entrait
/, LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Leur terminologie, inspirée de celle des géologues, fait jouer
aux vestiges de la vie humaine le rôle que remplissent les fossiles
par rapport à la stratigraphie; oubliant qu'un silex taillé et un
ossement ne peuvent être assimilés l'un cà l'autre, l'un étant le
produit artificiel d'une intelligence peut-être fantaisiste, l'autre
étant celui de la nature suivant ses lois immuables.
Les études préhistoriques s'étant, au début, développées dans
la même région, les classifications par âges prirent un semblant
d'exactitude ; parce que leur contrôle ne s'exerçait que dans un
même milieu, soumis aux mêmes vicissitudes, habité par des
populations successives ou contemporaines émanant souvent des
mêmes centres.
Mais lorsqu'on voulut faire rentrer dans cette nomenclature^
non seulement tles faits extra-européens; mais même des obser-
vations plus rapprochées, là commencèrent les difficultés et les
assimilations demeurèrent plus que douteuses. Quant au synchro-
nisme, non seulement il ne fut pas établi ; mais il fut démontré
qu'il ne pouvait pas l'être.
Lorsqu'on envisage les industries primitives de l'homme, on
voit pour chacune des fractions de terres habitables un déve-
loppement, une chronologie relative spéciaux. L'industrie n'est
donc pas seulement une dépendance du temps ; elle est aussi en
relation avec l'espace. Ce principe fondamental a longtemps été
méconnu et l'est encore de beaucoup.
Dans l'étude des industries préhistoriques, le temps ne peut
entrer en ligne que pour des espaces géographiques plus ou moins
limités ; mais il est des phases naturelles dans les progrès de cette
industrie se succédant d'une façon générale indépendamment du
temps. Ces phases sont conformes à l'esprit humain, au déve-
loppement de ses besoins.
Tous les peuples n'ont pas assisté à toutes les phases, pour
des causes naturelles ou artificielles. Ainsi les Africains semblent
avoir connu le fer de suite après la pierre polie. Chez les Océa-
niens, l'arme à feu succéda directement à la hache de roche dure.
pas dans les vues de G. de Mortillet, à qui la hautes piêtenlions qui, du reste, ne sauraient
science est redevable de la méthode dont se justilier. U faut simplement la considérer
elle fait usage depuis un demi-siccle. « Ma comme un meuble à tiroirs, dans lequel se
classification, dit-il [Conyrèx de Bruxelles, 1875, placent facilement et commodément, à des ni-
p. 418), n'est pas un cadre fixe et rigide dans veaux différents, tous les faits et toutes les
lequel doivent forcément s'encastrer toutes les observations. ■■
données de la science. Elle n'a pas de si
DES SOURCES DE LA IMIÉHISTOIRE ET DE LlllSTolHE ô
Les Américains du Nord ont connu le cuivre, l'argent et l'or, et en
citaient là, quand ils ont reçu la civilisation européenne. Qui nous
prouve que certaines peuplades de nos pays n'en étaient pas
encore à la pierre taillée, mais non polie, quand l'usage du niélal
leur fut enseigné ?
Si nous devons rejeter les termes époque, âge, période connu c
n'ayant aucune portée générale, si nous acceptons celui d'état (1)
comme impliquant la pensée d'une civilisation sans relations avec
le temps envisagé d'une manière absolue, nous voyons que l'in-
dustrie primitive témoigne d'états principaux successifs ou con-
temporains dans l'évolution préhistorique de l'humanité.
Dans son état primitif l'homme, différent de l'animal tout au
moins par son intelligence, ne possédait aucune industrie, ne
connaissant probablement pas le feu, n'avait d'autre langage que
le cri et le geste. L'existence de cet état ne repose que sur des
suppositions.
De cet homme, il ne pourrait en être parvenu jus([u'à nous que le
squelette ; c'est la phase primordiale de l'évolution préhistorique,
dont nous ne possédons encore aucune trace ; mais qu'il est possible
d'admettre. Phase prodigieusement ancienne, d'une énorme durée ;
car les premiers progrès ne se firent certainement qu'avec une
extrême lenteur.
La phase éolithique (2) vient ensuite, ouvrant la série des
industries dontles vestiges ont pu se conserver juscju'à nos temps.
L'homme, plus développé, emploie pour son usage les outils natu-
rels qu'il approprie quelque peu à ses besoins, au but auquel il
les destine.
La question de l'éolithique est aujourd'hui l'objet d'ardentes
controverses parmi les préhistoriens. Les uns affirment (3), les
autres nient ijx) la taille intentionnelle de ces pierres informes
qui, presque toutes, se rencontrent dans des couches tertiaires.
Quoi qu'il en soit, que les éolithes présentées jusqu'ici soient
ou non le produit du travail humain, il n'en demeure pas moins
(1) J'ai, en 1889 {Recherches sur les origines des L. Capita.n. la ^)neslion des Eolilhes.ds RcLue
peuples duCaucase, l.I, p. 2), proposé d'adopler Ecole d'Anthropologie, 1901.
le lerme Elal Je le retrouve appliqué par (4) Cf. A. de Lappabent, les fUlex laillés et
J. Ueniker iLes Rdces et les Peuples de la terre, l ancienneté de l'homme. Pari^, in-8, 1907, pp.iô-
1900, Paris, p. 3(51). s(i. — M. Boi i.e, Comptes rendus de l'Acndémie
(2) ïoj;, À;6o; (de Morliilct.) des sciences, C\L, p. lli'J. — L'Anthropologie,
(3) Cf. RuTor, Bull. Soc. Iielge de Géologie, V.K)ô, p. 257. — G. Maiioldeal' cl Capitan.
XVII, procès-verbaux, p. 427(28 juiliell903). illoiiiine tcrliaire à Thenay, ds Revue Lcole
— La Défense des Eolithes l)rocluircK 190J. — Anihrop., I. XI. 1901.
() LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
impossible de considérer la hache amygdaloïde comme le pre-
mier des instruments ; il existe forcément des essais qui ame-
nèrent à cette industrie, et ces essais sont des éolithes qui, si
elles n'ont pas encore été rencontrées, le seront un jour; car il
n'est pas douteux qu'il en soit, tout au moins pour l'époque qua-
ternaire (1).
Vétat paléolithique (2), faisant rationnellement suite à l'éoli-
thique, est celui dans lequel l'instrument prend une forme définie.
Le noyau, jadis grossièrement approprié, devient un véritable outil
grâce aux éclats enlevés méthodiquement sur ses faces, instru-
ment unique, ouvré avec plus ou moins de finesse {chelléen^
acheuléen) mais traduisant les mêmes besoins, la même conception
du travail.
Pendant longtemps, on a pensé devoir arrêter Vélat paléoli-
thique à la hache amygdaloïde, parce que cette phase, limitée à
l'emploi unique du noyau plus ou moins retaillé, semblait être la
plus ancienne; et, par les instruments plus fins, faisant usage des
éclats retouchés [type moustérien) on caractérisait une époque posté-
rieure. Mais, les récentes découvertes tendent toutes à prouver que
les trois types chelléen, acheuléen et moustérien ont été simulta-
nément en usage dans presque tous les pays, chacune de ces caté-
gories correspondant à des besoins spéciaux. Il y a donc lieu de
ranger d'une manière générale le moustérien dans l'état paléoli-
thique, bien que dans certaines régions, rares il est vrai, comme
l'Italie, la zone qu'il occupe ne semble pas coïncider avec celle
des formes chelléennes.
^industrie archéolithiqae (8), plus compliquée, est caractérisée
j)ar ce fait que les éclats retouchés ne le sont plus sur une face
seulement, mais des deux côtés, pour les grands comme pour les
|)etits instruments; ce f|ui n'empêche pas d'ailleurs quekjues-unes
des formes primitives de subsister. Dans cet état [auriynacien^
solutréen, magdalénien, etc.) les formes se modifient, l'outillage
devient plus nombreux, plus varié et la taille du silex atteint une
perfection comparable à celle dont nous constatons l'existence dans
lu dernière phase de l'usage de la pierre, dans létal néolithique (/i).
(1) II n'est pas un gisement d'instruments (2) ~a)^a\oç, X;Go; (j. Lubîjock.)
|ialcolitliiques qui ne renferme en abondance
des hilex ((////.ses, nodules portant des retou- (3j apyaio;, Xi'Oo: (Nob.y
«lies destinées à en faciliter rem[doi, mais ne
[irésenlant aucune forme définie. (4) Vcoç, A'.ooç ij. Lnbbock.)
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8 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Entre l'industrie archéolithique et celle de la pierre polie est
une transition [kjoekkenmœddings danois, campignien, etc.) dans la-
quelle les anciens procédés de taille sont toujours en usao-e, mais
qui ne connaît pas encore le polissage. Cette industrie se rapproche
à tel point de celle du néolithique qu'on a coutume de l'y ranger ;
elle mérite toutefois d'en être séparée, ce que je ferai en la dési-
gnant sous le nom iVéiat mésolithique (1).
L'usage de la pierre polie constitue la dernière amélioration
dans l'industrie de la pierre. Cette phase est désignée sous le nom
d'état néolithique, terme des mieux appropriés ; car elle est la der-
nière étape rationnelle avant l'apparition des métaux.
Vétat néolithique comporte lui-même des divisions : celle de
la pierre simplement polie et celle delà pierre percée pour l'em-
manchement; mais ce travail très achevé semble n'être survenu,
dans bien des pays, qu'au moment de l'apparition du métal. 11
appartiendrait alors à ïétal énéolithique ou industrie mixte.
Il y a peu d'années encore, on accordait à Yétat néolithique
une très grande importance et une longue durée. La tendance
actuelle des préhistoriens est de réduire le néolithique au profit
de Vénéolilliiquc. (hielques auteurs même vont jusqu'à penser que
jamais la pierre polie n'a existé sans le métal et que les appa-
rences néolithiques ne sont dues qu'à la grande rareté du cuivre
dans certaines régions et à certaines époques. Il ne faudrait pas
cependant accorder à cette hypothèse une valeur absolue.
Les types néolithiques, ou du moins semblant tels, sont extrê-
mement nombreux, mais ne présentent guère qu'un intérêt oéotrra-
phique. Il est d'ailleurs à remarquer que, d'une façon générale
en ce qui concerne le travail de la pierre, la variété des formes
s'accroît au fur et à mesure que les industries envisagées sont
plus récentes ; etquil se forme peu à peu des provinces possédant
leurs types spéciaux. Cette constatation viendrait à l'appui de la
théorie de lorigine unique de l'invention de la taille de la pierre.
A Vétat néolithique succède, dans l'ordre naturel des choses,
Vélat métallurgique, celui dans lequel nous vivons. L'homme est
dès lors en possession du métal ; non d'un minéral malléable
susceptible d'être martelé, étiré, aiguisé ; mais d'un métal obtenu
(1; \i.hoç, liOoz (Nob.)
DES SOURCES DE LA PRÉHISTOIRE ET DE LUISTOIRE 9
par la fusion des natifs ou par la réduction dos minerais de nature
plus ou moins complexe.
V état métallurgique commence dans i)rcsque tous les pays par
la phase énéoUthique où le cuivre pur d'abord (1 ), le bronze ensuite
sont associés à l'usage continué de la j)icrre. Puis la phase du
bronze, divisée elle-même en types suivant les temps et les lieux ;
enfin h phase du fer et ses multiples subdivisions.
Ainsi classée, l'industrie préhistorique peut être envisagée
en dehors de toute pensée chronologique ou synchronique, ce qui
n'empêche d'ailleurs pas d'user des termes de cette nomenclature
dans l'étude des successions ; l'ancienne suite des industries, si
judicieusement établie pour l'Europe, ne perdant rien de sa va-
leur.
Quant aux pays éloignés, leurs industries préhistoriques se
rangent également dans cette succession, basée seulement sur les
progrès naturels; mais on devra se garder d'établir à la légère des
concordances dans les époques, alors même qu'il y aurait similitude
dans les types.
On obtient, dès lors, le tableau ci-contre (p. 7) dans lequel
peuvent rentrer toutes les observations relatives à l'industrie de
la pierre et des métaux chez les peuples ne possédant pas d'histoire.
Chaque région est représentée par une ou plusieurs lignes, les
hiatus restant en blanc. Pour beaucoup de pays, ces lacunes ne
seront jamais comblées.
Anthropologie. — V anthropologie examinant le corps humain,
au même titre que la zoologie étudie celui des animaux, n est
qu'une branche de l'histoire naturelle à laquelle on a cru pouvoir
faire jouer un rôle bien plus important que celui qui lui revient
en réalité ; espérant tirer de ses déductions, non seulement la
connaissance de l'homme en tant que sujet zoologique, mais aussi
des notions précises sur ses origines, ses parentés, ses aptitudes.
Cette science a malheureusement jusqu'ici donné ])caucoup moins
(1) Au sujet des inslrumenls en cuivre pur, .scnl.-nit exacieuienl les mêmes foi mes (luVn
Cf. docteur MucH, /Aye du cuivre en Europe et Eiuupe. (Cf. /.eilschrifl fiir Ethnologie, 190»;,
son rapport avec, la civilisation (le.-< JndoGer- Hefl 1 u. II, p. '.t-2, figs. 5, u,6.c.) M. de Morlillel
mains. Vienne, ll^86, in 8. L aul( iii- cite des dé considèreles inslrumcntsdecuivrecomme pos-
couverles failesen II;iute-Aiilriciie,à Salzburg. lêrieursà ceu.x de bronze. (Cf. Mal., t. IV, 1887.
en Basse Autriche, en Moravie, en Allemagne p. 2:^5.) Mais cette opinion, rejelée par tous les
du Sud, en Suisse, en Italie, etc. A yiiiacatal archéologues, est remplacée par celle <|ui con-
(Péroii , E. NordenskJ.dd a rencontré des ha- sidère l'usage du cuivre pur comme précur-
ches de pierre et de cuivre (■?)(Bron/.ca.\tj pré- seur de celui du bronze.
iO LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
tle résultats qu'on en attendait d'elle pour les temps modernes,
aussi bien que pour les époques les plus reculées.
Malgré le nombre énorme des travaux parus jusqu'à ce jour,
nous ne possédons aucun classement naturel solide des races
humaines récentes et, à fortiori, n'en pouvons-nous pas avoir pour
les races anciennes au sujet desquelles les observations sont d'au-
tant plus clairsemées et plus douteuses que le type est plus
ancien.
Tout animal, appelé à vivre dans un milieu différent de son
habitat originel, se transforme plus ou moins rapidement, tout en
conservant ses caractères spécifiques ; il rend ses facultés plus
aptes à supporter les conditions de son nouveau mode d'existence,
et ne tarde pas à constituer une variété, ou tout au moins une
nouvelle forme (1).
Ce qui est vrai pour les animaux, l'est aussi pour l'homme; de
sorte que, si une race homogène a été jadis répandue sur notre
globe, se trouvant soumise à des milieux très divers et répartie
dans des habitats différents et variables, elle s'est forcément
multipliée sous la forme d'une foule de types plus ou moins éloi-
gnés du prototype et entre eux, et dont les différences sont allées
en s'accentuant au cours des âges (2).
Si ces hommes n'avaient jamais changé de demeure, si la patrie
de chaque groupe ne s'était pas modifiée géographiquement et
climatériquement, chacun de ces groupes présenterait les carac-
tères dus aux influences locales naturelles simples.
Mais tel n'est pas le cas ; nous savons que, depuis l'époque
géologique où il est admissible de placer la venue de l'homme sur
le globe, les continents ont changé de forme et qu'il n'existe peut-
être plus la moitié des terres qui émergeaient autrefois (3) ; que, de-
vantd'importants cataclysmes, l'être humain a dû modifier son habi-
tat, fuir certaines régions pour en adopter d'autres; migrations qui
n'ont pu se passer sans qu'il y eut mélange de fractions différentes.
Nous savons encore que, sans qu'ils doivent être attribués à des
révolutions naturelles sur la surface du globe, de grands mouve-
ments de peuples ont eu lieu, causant de nouvelles fusions depuis
(1) C'est à la difTérence dans lus conditions déjà noter des diirérences sensibles entre les
ce la vie que nous devons toutes les variétés Américains du Sud et les Espai>nols, les Cana-
de nos animaux domesliques. Laniélioration diens et les Français, les Américains du Nord,
des races par lélevage n'e,l autre que lu mise les Australiens elles Anglais; les Boers et ks
en i.ralKjue de ce principe. Hollandais, etc.
{i) Dans les temps modernes, nous pouvons (3j Cl. Chap. II et III.
DES SOURCES DE LA PRÉIIISTOIHE ET DE LIUSTOIKE U
les temps les plus anciens jusqu'au cours des époques historiques
les plus modernes.
Les conquêtes politiques, les envahissements pacifiques, l'es-
clavage, à peine éteint de nos jours (1), ont mis en présence les
peuples les plus divers ; certaines peuplades ont été exterminées,
laissant les femmes de leur race aux mains de leurs bourreaux (2) ;
d'autres, tout en conservant les mœurs et la langue de leurs
ancêtres, se sont, au point de vue anthropologique, fondus avec
leurs voisins, prenant leur type; sans compter ceux qui ont perdu
leur parler et leurs usages (3). Et il n'est pas une région au monde
qui se soit trouvée en dehors de ces vicissitudes.
Les Ossèthes, peuple iranien dont, par la linguistique, nous
retrouvons aisément l'origine, sont, par contact, devenus physi-
quement des Caucasiens, tout en conservant la langue et les ino'urs
de leurs pères. Par contre, beaucoup de Slaves sont aujourd'hui
linguistiquement germanisés. Les Italiens de nos jours dérivent du
mélange des anciens peuples italiotes (/i), des Romains, des Grecs,
des Gaulois, des Lombards, des Français et des Allemands; sans
compter le sang étranger que l'esclavage fit affluer dans la pénin-
sule, sans compter également les invasions dont l'histoire ne nous
a pas laissé de traces.
Chez les Français, on retrouverait aisément le sang du Celte,
du Gaulois, du llomain, du Germain pour l'ensemble du pays, du
Northman, du Basque, de l'Espagnol, de l'Anglo-Saxon pour cer-
taines régions, sans parler de l'homme des cavernes, de celui de
la pierre polie, du bronze, etc.
Les Israélites, qui, malgré bien de svicissitudes, ont conservé
leurs traditions et ne s'allient qu'entre eux, présentent-ils tous les
mêmes caractères morphologiques (5) ?
(1) L'esclavage a joué un grand rôle dans la (2) Joab égorgea toute la partie maie de la
coiiiposilion du fellah égyptien acliiel entre population iduméenno (1, Rois, XL 15-1tV).
autres. Pendant l'ancien et le moyen empire, David massacre les Moabites IL Sam., X-Xl;
les e.xpéditions des pharaons amenèrent dans l, Chron,, XIX-XX).
la vallée du Nil des nègres, des Libyens, des (3} Anciens peuples de l'Ilalie; Celtes, Gau-
Nubiens, des Sémites du Sinaï. Sous les pas- lois et Francs; Pélasgcs et Grecs; Grecs de
leurs, l'élément s»'mili(|ue prit une grande im- Sicile, de Sardaigne; Carthaginois d'Espagne,
portance numérique; après ce furent des de Sicile; Normands et .\iifilo-Sa.\ons, etc..
Syriens, des llélrens, des Arabes, des Elliio- (4) Sicanes, Ligures, Celles, Boïens. Insu-
piens, des Aryens (peuples de la mer^ (jui vin- briens, Cénomans, Etrusques, Venctes, Illy-
renl comme prisonniers ; puis les Ethiopiens riens, Pélasges, Lydiens, Hellènes. Phéniciens,
dominèrent avec les prélres d'.Xmmon, les Sicules, Chones, .Morgètes, OEnotriens, Dau-
Grecs sous Alexandre et les Ptoirniées, les miens, Peucétiens, Messapiens, Liburnes, Thy-
Romains avec leurs légions composées de tous rennieiis, etc.
les peuples du monde antique. Enfin les.Vrabcs, (5) Les Juifs d'Akhaltsikh (Caucase) [indice
les Turcs el les Européens de la Méditerranée. céph ,85,2J,de Galicie et de la Russie occiden-
12 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Dans de telles conditions, que devons-nous attendre des études
anthropométriques? Qu'elles nous signalent quelques parentés
assez proches encore pour que les caractères ne se soient pas
effacés ; qu'elles fassent ressortir les modifications imposées par
l'habitat, par les conditions auxquelles certains groupes sont sou-
mis depuis une longue période. C'est tout ce que nous sommes
en droit de leur demander, et, pour s'en convaincre, il suffit de
jeter les yeux sur une carte ethnographique basée seulement sur
les mensurations.
Quant aux origines, aux migrations, aux faits principaux de
l'évolution humaine, l'anthropologie est et restera muette, sauf
dans quelques cas spéciaux. Peut-être même est-il parfois dange-
reux d'avoir recours à ses déductions autrement qu'à titre d'indi-
cation, de renseignement de valeur secondaire à l'appui d'un fait
déjà reconnu ou soupçonné grâce à d'autres méthodes.
Un seul exemple suffira pour montrer à quelles conclusions
peut conduire la recherche purement anthropologique.
Le quatrième groupe (1), la race assijroïde^ comprend :
Les Pe/'sans, peuples de langue aryenne, venus des montagnes
et des plateaux du nord-est, dont l'histoire nous est connue,
et qui n'entrent sur la scène politique générale que peu de temps
avant la fin de la monarchie assyrienne.
Certaines tribus kurdes (2), peuples également de langue
aryenne, étroitement apparentés aux Persans, aux Ossèthes, et dont
la migration nous est également connue, comme ayant pris place vers
Pépoque de la chute deNinive,sous la pression des Iraniens persans.
Les Arméniens (3), peuples de langue aryenne ; mais non ira-
nienne, que nous suivons dans tous leurs mouvements, depuis leur
passage du Bosphore jusqu'à leur installation sur le plateau d'Erzé-
roum et dans le petit Caucase.
Les Juifs, tribu sémitique issue de Chaldée et d'Arabie, que
l'histoire suit pas à pas depuis plus de trois mille ans; et qui, tou-
jours, se mariant entre eux ont, mieux qu'aucun peuple, conservé
leur langue, leurs mœurs et leur religion.
taie [indice, 83,31, sont sous-brachycépiiak'S ; (1) Demker, Races el peuples, 190O. p. 345.
ceux duDaghestan (Caucase) [indice, 87,0; sont (2) Cf. J . de Morgan, Mission scienlifique en
hyperbrachycéphales,ceu.\ de Bosnie [indice. Perse. 1904, t. V. Études linguistiques.
80,1] sont mêsocéphales. Cf. J. Denikeiî, les (3) Cf. J. de Morgan, Mission scienlifique aa
Ftaces el les Peuples de lu lerre. Paris, 1900, Caucase. Paris, 1889, t. II.
p. G07. Appendice II et Commentaires, p. 69.
DES SOURCES DE LA PRÉHISTOIRE ET DE L'HISTOIRE 13
Les Assyriens, peuple aujourd'hui disparu, de langue sémi-
tique, issu de Clialdce et, comme nous le verrons plus loin,
d'Arabie.
Ainsi, dans un même groupe, nous voyons figurer des peuples
sémites venus de la péninsule arabique, un groupe aryen descendu,
par le Bosphore et l'Asie Mineure, des steppes de Scythie; et deux
peuplesiraniens qui, avant d'habiter le plateau persan, avaient leur
patrie commune plus au nord vers les rives de la Caspienne et
de rOxus. On se demande comment quelque parenté pourrait
exister entre ces divers éléments.
Au contraire, le linguiste réserve le nom de peuples sémitiques
pour une famille possédant les mêmes caractères de langage et, je
dirai plus, bien des aptitudes communes. Cette parenté com-
prend les Assyriens, Clialdéens, Syriens, Arabes, Hébreux, Phé-
niciens, Carthaginois, Himyarites, etc.
Ainsi, pour ce groupe d'hommes seulement, nous voyons
l'anthropologie en complet désaccord avec l'étude du langage et
avec l'histoire elle-même. Cela tient à des causes nombreuses,
dont les principales sont :
Que tout peuple conquérant, quittant son habitat originel, s'est
mélangé aux races des pays conquis, tout en conservant \o [)lus
souvent sa langue, ses mœurs et sa puissance; et que ces mélanges
prolongés ont, suivant leurs proportions, amené des métissages,
ou fait entièrement disparaître les caractères zoologiques primitifs.
Que les peuples conquis ont été fréquemment absorbés à tel
point que le souvenir même de leur existence s'est éteint; que la
formation de toute population est tellement complexe et que les
éléments en sont si intimement mélangés que les caractères origi-
naux, s'ils ont existé jamais, ne sont plus appréciables.
C'est à ces transformations physiques, par mélanges, qu'on doit
attribuer l'existence du groupe anthropologique des Assyroïdes ;
l'histoire le prouve.
Issus de Chaldée, les Assyriens s'avancèrent lentement vers
le nord, déplaçant par trois fois leur capitale et refoulant devant
eux les peuples de langues [)robablem(;nt agglutinantes, premiers
occupants de l'i\ssyrie. Dans ce mouvement, les vaincus furent
réduits en esclavage, d'où un premier mélange dont l'anthropo-
logie ne parle pas.
Pendant plus de mille ans les rois d'Assour ravagent l'Asie
l/j LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
antérieure, alors peuplée de tribus apparentées aux Elamites,dont
l'aspect assyroïde démontre qu'ils n'avaient rien de sémitique.
Il en résulte encore des mélanges tant chez les Assyriens que
chez les vaincus.
Enfin les Kurdes ou Mèdes entrent en scène et, remplaçant la
domination assyrienne, emploient les mêmes moyens qu'elle de
gouverner les peuples vaincus. Puis vient le Perse avec ses rois
achéménides ; et l'Arménien qui, vers la même époque, s'installe
sur les ruines du royaume de Van.
Dès lors, il n'est plus question de l'Assyrien ; vaincu, il se fond
dans les races voisines. Perses, Mèdes et Arméniens, déjà très
mélangées elles-mêmes par l'absorption des autochtones de
langue agglutinante. 11 se forme un type nouveau dans lequel le
sang assyrien joue certainement un rôle et ce type, c'est r.4ssf/-
roïde de l'Anthropologie.
On doit également observer que la réunion dans un même
groupe d'un peuple disparu, sur lequel on n'a pu opérer de mensu-
rations, et de peuples modernes, de trois mille ans plus jeunes
que le type, est au point de vue scientifique un rapprochement
tout au moins hasardeux.
Mais si nous nous en rapportons uniquement aux caractères du
squelette, à ceux qui ont pu survivre jusqu'à nous et sont nos
seuls guides anthropométriques, en ce qui concerne l'antiquité,
nous nous trouvons en face de conclusions bien plus originales
encore.
Les Assyroïdes sont des brachycéphales et, à ce titre, se rap-
prochent, au point de vue anthropologique, des races: européenne
occidentale, adricdique, cenlraméricaine, patagone, lapone, turco-
tartare, mais sont éloignés des Arabes et d'une partie des
Juifs.
Est-il possible de jeter un plus grand désarroi dans l'histoire
de l'humanité ?
En séparant TAssyrien de l'Arabe et de l'Hébreu (pars), du
Chaldéen, du Syrien et des autres peuples que la linguistique
range dans le même groupe, l'anthropologie commet la grave
erreur de considérer comme primordiaux des caractères essen-
tiellement secondaires; de négliger les affinités de langage, de
mœurs, de coutumes, d'aptitudes, de traditions, d'origine géo-
graphique ; en un mot, d'oublier l'histoire.
DES SOURCES DE LA PUKHISTOIIIE I;T DE LHISTOinE | T,
L'influence que peuvent avoir la nature 7.oologi(|ue de riiomnie,
la forme de son crâne, sur ses aptitudes à développer ou à recevoir
la civilisation, nous est absolument inconnue. Or, ce qu'il nous
importe d'étudier dans l'homme, c'est l'être capable de penser,
d'inventer, de progresser et non un quadrumane quelconque,
autrement développé que les autres, mais à ranger parmi les
simiens. L'anthropologie doit rester dans son rôle zoologique et
ne pas chercher h se donner une importance dont elle n'est i)as
capable.
Pour les temps très anciens, nous sommes i>ien obligés de faire
usage de ses données souvent discutables (I), n'ayant à notre
disposition aucun autre document sur l'homme lui-même; mais
dès que commencent les annales, dès que les langues, la manifesta-
tion de la pensée nous viennent en aide, nous ne devons plus nous
servir de l'anthropométrie qu'avec une extrême réserve, peut-
être même une grande méfiance.
Sociologie. — La soc/o/o^/e reposant sur les usages, les mœurs,
les croyances, les coutumes des hommes, montre les affinités des
groupes entre eux. Malheureusement, cette science est encore en
enfance, et l'évolution préhistorique ne nous a guère laissé de
documents ([ue la sociologie puisse analyser avec sécurité. Tous
sont d'une interprétation difficile et vague; car nous manquons le
plus souvent de termes de comparaison.
Quoi qu'il en soit, la sociologie est appelée à rendre les plus
grands services; parce qu'elle étudie les lois régissant les rapports
des hommes entre eux, la morale de l'individu par rapport à lui-
même, la religiosité, le culte des morts, toutes notions qui ont
conduit l'humanité aux sommets qu'elle atteint aujourd'hui.
Linguistique. — En ce qui regarde l'antiquité, la linguistique (2)
ne fournit pas, avant l'histoire, le moindre enseignement direct sur
les groupements humains ; mais dès qu'apparaît l'écriture, elle se
montre comme le plus sur moyen de réunir les hommes suivanl
(1) Cf. A. DE Lappahent. /e.î Silex taillés el langues, on linguisliqiie propremenl liilc ; mai--
V Ancienneté de l'homme. Paris, 1907, p. .')5. aussi la philologie qui en découle, sciencr
Docteur Hugo OitKu.MAiER, les Restes liuinains dans lafjuelle les langues sonl envisagées
quaternaires dans l'Europe centrale, in l'An- quant à leurs affinités et à leur origine, à
Ihropologie, t. XVI, 1!)()5 et t. XVU, lîlUti. leurs niotlificalions dans le lemps et dans l'es-
(2) J'entends par linguistique, non seulement pacc, aux iiilluences quelles ont subies et à
rétude de la phonétique el de la structure des Km- littératui-e. (.1. M.)
1(5 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
leur génie, leurs tendances, leurs intérêts, leurs affinités, leurs
ambitions. Elle nous offre dès les débuts un tableau des races
permettant de remonter par la pensée aux temps antérieurs. Pour
les peuplades vivant encore à l'état sauvage, elle est un guide
précieux.
Certainement la méthode linguistique n'est pas parfaite ; bien
des groupements nous échappent (1), d'autres sont atrophiés
parce que des peuples absorbés ont perdu leur langue. Pour la
haute antiquité, nous nous dirigeons au milieu de ruine.s,doiit les
grands monuments seuls ont laissé des vestiges. Quoi (ju d en
soit, on retrouve toujours quelques guides d'utilité qui,\'iiant
s'ajouter à d'autres éléments scientifiques, permettent de faire la
lumière sur bien des points.
La valeur des données linguistiques est souvent aiijouiHl'hui
repoussée par des écoles qui n'ont pas su la remplacer \)m des
classements plus précis; elle reste et, longtemps encore, (h^rneu-
rera le guide le moins incertain.
Lors de l'époque pléistocène, les hommes déjà répandus sur
la majeure partie des continents étaient divisés en une mulîitude
de groupes différents par leurs caractères ethniques, par leurs
usages, et certainement aussi par les idiomes qu'ils parlaient.
Ces groupes s'adaptant aux conditions naturelles de leur habitat,
à leurs propres besoins, avaient déjà modifié leur façon pri-
mitive d'être, de vivre, de parler (2), des époqii< s anté-
rieures.
Les pays où la vie était la plus facile, n'exigeant pas de grands
efforts physiques et intellectuels, les progrès en tout ^oure s'y
produisirent lentement ; Tahiti et les îles océaniennes en sont un
exemple frappant. Les régions au climat très rigoureux produi-
sirent le même effet; parce que l'homme, sans cesse préoccupé
de faire face aux nécessités matérielles immédiates, y mena une
existence elle-même matérielle. Les populations actuel les du
(1) II ne faut pas confondre les similitudes tibles à des formes antérieures n'oiTrent abso-
dc structure des idiomes avec la parenté lunient rien de commun, soit dans leurs étoffes
d'origine. Les diverses langues à flexion se sonores, soit dans leur constiUition syllabique.
divisent en deux groupes irréductibles et les Secondement, quand les lois qui président
langues agglutinantes en un grand nombre, aux premières combinaisons de c >- mots sim-
complèlement étrangers les uns par rapport pies diffèrent absolument dans lis deux sys-
aux autres. lèmes comparés (II.Cn.wÉE, le> I ungues et les
(i) Deux langues peuvent être tenues pour Races. Paris, 18Ij2, p. 13). C'est ainsi que, dans
des créations radicalement séparées. Premiè- les langues agglutinante-;, l'agglutination se
rement, quand leurs mots simples ou irréduc- fait suivant des lois très diverses. (J. M.)
DES SOURCES DE I.A l'HKlIISKJlHE ET DE L I11ST(JIH1-; j/
nord silDérien, de la Laponie, du Groenland, de la Terre de Feu
sont dans ce cas (1).
C'est dans les zones tempérées, dans celles où l'individu, vivant
sans grande peine, est sûr du lendemain, que le développement
intellectuel fut le plus rapide. La lutte pour satisfaire aux néces-
sités devint un stimulant de l'intelligence et de l'énergie, au lieu
d'en être une cause de ralentissement. L'homme accrut ses besoins
en ajoutant à son bien-être des raffinements inconnus dans les
autres régions, incompréhensibles même pour les êtres moins
élevés que lui.
En même temps qu'il progressait, sa langue s'affinait parce
qu'il lui demandait plus d'expressions, pour traduire d'une façon
précise sa pensée devenue de jour en jour plus complexe.
L'Asie antérieure et le bassin de la Méditerranée ont été le
théâtre des premières civilisations; parce que les conditions de la
vie ne s'y trouvaient ni amollissantes, comme sous les tropiques,
ni absorbantes, comme sous les latitudes froides.
Dans le nouveau monde, ce ne sont ni les grandes plaines des
Etats-Unis, ni les forêts du Brésil ou des Guyanes qui ont vu
s'épanouir les grandes civilisations américaines; c'est le Mexique
et l'Amérique centrale, pays où la vie était facile. Là, l'écriture
figurative, les arts et l'industrie atteignirent un degré de per-
fection inconnu partout ailleurs dans ce continent.
Les savants qui s'adonnent à la philologie comparée sont
d'accord pour diviser les langues en trois grandes classes, suivant
leur nature :
1° Groupe monosyllabique ;
2° Groupe agglutinant ;
3" Groupe des langues à flexion.
Ils pensent même, s'appuyant sur des vestiges du passé, que
toutes les langues de la troisième classe sont passées par les deux
autres formes; autrement dit, que les trois divisions corres-
pondent à trois phases successives de l'expression de la pensée,
cha(iue langue évoluant séparément.
(1) 11 ne faut pas oublier qiip,ptu suite de mi- arcélérée tant dans la langue (\uc dans la civi-
Srationsou de modifications climalériques.bien lisation générale. C'est ainsi que, depuis leur
des peuples sont passés dun pays favorable à exode, les Canadiens ont progressé beau-
une région défavorable et vice versa, et que, .oiip plus lenlement (pie les Frantjais, les Is-
par suite, les conditions de développement landais que les Scandinaves, etc. {J. M.)
s'élant modifiées, l'évolution s'est ralentie ou
18 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Cette classification, comme celle que nous avons adoptée poul-
ies industries préhistoriques, n'implique aucune idée chronolo-
gique ou synchronique.
Toutes les langues ne sont pas parvenues à la flexion; certaines
sont encore dans la phase monosyllabique, d'autres, et c'est le plu»
grand nombre, ont atteint l'agglutinance. Beaucoup sont mortes
avant d'avoir atteint le troisième degré, ou se montrent occupant
une position mixte entre deux formes. Voici quelques exemples
de ces divers étals des langues :
Langues monosyllabù/ues pures. — Chinois, annamite, siamois.
Langues monosyllabiques avec traces d'agglutination. — Birman,,
tibétain, pégouan, paloung, moi.
Langues demi-monosyllabiques et demi-agglulinantes. — Kha-
sia.
Langues agglutinantes pures. — Hottentot, bochiman, cafre,.
poul, nubien, négrito, papou, australien, maléo-polynésien, japo-
nais, coréen, dravidien de l'Inde (1), ouralo-altaïque, basque,
américain.
Langues agglutinantes avec traces de flexion — (groupe cauca-
sien); géorgien, mingrélien, iméritien, laze — (langues éteintes),,
sumérien (?), élamite, vannique, iiétéen (?)
Langues à flexion — (groupe sémitique). Akkadien, assyrien,
chaldéen, syriaque, hébreu, phénicien, punique, himyarite, arabe
— (groupe indo-européen), hindou, iranien, hellénique, italique,
celtique, germanique, slave, lettique.
Toutes les langues indo-européennes ont conservé des traces
d'agglutination.
fl) Les langues dravidiennes sont celles par- originellement à la race jaune el se rattachent
lues dans le sud de'^l'Inde, depuis les monts' au rameau tibétain ; mais sont profondéinenL
Vindhya et la rivière N'erbuddah jusqu'au cap mélangés de sang négrito et mélanésien; ou
Comorin (3S millions d habitants). Ce sont le du moins d'une race, très proche parente
tanioul, le telinga, le kanara, le malayâla et des Mélanésiens, qui occupait le sud de
le toulou. La première est la plus importante llnde avant 1 arrivée des peuples jaunes,
par son ancienneté el sa littérature ; mais c'est 11 semblerait donc que la péninsule hindoue,
le kanara qui a le mieux conservé les forme-; peuplée au sortir des temps quaternaires de
archaïques. A Ceylan et dans les monts Vin- Négritos, a subi : 1° une invasion de Mélané-
dhya, on rencontre des idiomes d'origine dra- siens venus par mer ; 2° une invasion de peu-
vidienne, imprégnés d'influences étrangères. pies apparentés au.x Tibétains descendus des
Dans le nord-est du Beloutchistan, on trouve montagnes du Nord; 3° une première invasion
le dialecte brahoui, qui appartient aussi à la aryenne (dans le Nord et le Centre); 4" une
famille dravidienne et est le dernier témoin invasion iranienne dans le Nord seulement,
occidental de la grande extension de ces lan- Les langues dravidiennes sont nettement
gués avant la conquête indo-européenne de agglutinantes, mais ditTèrent notablement de
ces pays. celles des groupes ouralo-altaïque, caucasien,
La plupart des peuples parlant ou ayant t)as(iue, vannique et anzanite avec lesquels
parlé les langues dravidiennes, appartiennent elles ne possèdent aucun liendeparenlé.(J. M.)
DES SOURCES DE LA PRÉIIISlUlUE ET DE L'HISTOIRE 19
Comme on le voit, c'est dans le groupe des langues les plus
développées qu'il faut aller chercher les peuples auxtjuels est due
la grande civilisation mondiale (1).
Pour lesj autres classes, la' Chine (monosyllabique) est un centre
de développement, l'Amérique centrale (agglutination) en est un
autre ; mais ((uelles sont les civilisations des races (jui les em-
])loient en comparaison de celle due aux peuples parlant les
langues à flexion ? (}uant à la nature ethni(|ue, aux caractères
anthropologiques de ces créateurs du monde moderne, nous
n'avons guère à nous en préoccuper, leur «mvre parle pour eux.
Qu'importe que cet homme soit dolichocéphale ou brachycéj)hale
si, par son intelligence, il est armé de telle sorte que la domina-
tion du monde lui est réservée !
En ce (jui regarde le vieux continent, l'histoire nous enseigne
que, lorsque deux peuples sont entrés en antagonisme, c'est celui
des deux (|ui possédait la langue la plus affinée qui, tôt ou tard, est
parvenu à dominer l'autre; soit matériellement, soit au point de
vue intellectuel.
A l'aurore de l'histoire, un centre de civilisation se crée en
Chaldée, dans un milieu d'idiomes agglutinants; les Sémites
l'envahissent et lui imposent leur langue à flexion.
L'Élam (agglutinant) réagit ; mais il tombe à son tour une
première fois sous les coups des empereurs akkadiens de la Chal-
dée, une seconde, et pour ne jamais se relever, sous les armes
des rois sémites d'Assyrie.
L'Egypte berbère conquise par l'esprit sémitique, venu de
Chaldée, voit se fonder 1 empire pharaoni({ue.
Le Phénicien fonde des comptoirs chez tous les peuples de
langue inférieure, à Carthage, en Sicile, en Ibérie.
L'heure des Sémites sonne, leurs empires s'écroulent pour
faire place à des dynasties aryennes, les Achéménides s'emparent
(1) Le développeiuenl du langage esl le incil- inslniit, et par suite civilisé, plus son vocabu-
leur témoin, mis à noire poitée, du progrès in- laire est étendu. Ce qui est vrai pour le nom-
tellectuel. Nos langues européennes conlien- lire des (;.\pressions fondamentales de la |)ensée
neiit dans leur vocabulaire complet de 30 à lest également en ce qui concerne les procd-
40.000 mois; mais ces mots sont loin d'être etii- dés Usitijs pour leur emploi, cesl-ù-<lire la
ployés par tous nos com|);ilriotes. Go'llie el grammaire et la syntaxe. L'esprit peu déve-
Voltaire qui ont tant écrit, <lont l'esprit élail loppé n'emploie qu'un nombre restreint de
si affiné, n'ont eu besoin pour traduire leur lle.xions, simplilie même celles que la langue
pensée que de 20 000 mots environ; Shaks- maternelle met à sa disposition. En sorleque
peare n'en employa que 15.000. elpourbeaucoiip légalité inlellectuelle ne.xisle ni chez les na-
de nos campagnards 5 ou t;oo mois suKisinl. lions prises dans |. ur eiisc'mi)le, ni chez, les
Les sauvages ont en général :W0 mots à leur hoTimes considérés individiirllciucnl ^J. M.)
service. 11 en résulte que plus un peuple esl
20 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
de tout l'Orient, les langues parentes de celle de l'Avesta triom-
phent de celle des ninivites.
Mais bientôt entre sur la scène un idiome plus affiné que
tous les autres, le grec ; en peu d'années il domine le monde
entier, du Caucase aux déserts de l'Afrique, des Indes à la pénin-
sule Ibérique. Partout on s'exprime en grec, partout on pense
en grec, partout les peuples s'inclinent devant la supériorité de
cette langue incomparable et du génie des peuples qui la parlent.
L'Italie, fille de la Grèce comme civilisation, domine le monde
entier, recule les frontières de l'intelligence jusqu'aux glaces du
Nord, jusqu'à TOcéan, jusqu'aux sables de l'Afrique.
Devenue omnipotente, Rome perd ses qualités d'expansion ;
elle tombe elle-même sous les couj)S des barbares, mais les
absorbe et, de sa chute, sort l'Europe moderne où domine encore
l'esprit gréco-'atin.
Les succès des Arabes et des Turcs, obtenus à la faveur de la
désorganisation dans laquelle se trouvait alors le monde civilisé
à la suite de l'invasion de l'Europe par les barbares, ne sont
qu'éphémères; il n'en reste plus aujourd'hui que des ruines
chancelantes.
De nos jours, l'Europe se partage entre des nations pour-
vues de langues à flexion, se disputant la suprématie du monde,
et, dans leur ensemble, tenant la tête de la civilisation.
Ainsi, c'est surtout aux peuples parlant des langues à fiexion
que nous devons les grands progrès. Maîtres tour à tour, les
Sémites d'abord, les Aryens ensuite, ont vaincu, subjugué, presque
toujours même anéanti les autres races. C'est entre elles que s'est
passée la grande lutte pour la suprématie ; aujourd'hui encore c'est
entre elles, mais entre Aryens seulement, que se continuent ces
compétitions millénaires, et si jamais d'autres hommes venaient
à dominer l'omnipotence occidentale, ce ne serait qu'à l'aide des
idées européennes ; fait inadmissible, semble-t-il, car il serait
contraire aux enseignements de six mille ans d'histoire.
Si, au lieu de classer les langues suivant leurs formes gramma-
ticales, nous cherchons à les grouper par rapport à leurs affinités
ou à leur parenté entre elles, nous nous trouvons en présence
d'une foule de groupes irréductibles, les uns par rapport aux
autres, et, par suite, sans origine commune apparente.
Le développement dans chaque groupe subdivisé lui-même,
DES SOURCES DE LA PHÉIlISTUlRE ET DE EIIISTOIUE 21
s'est opéré indépendamment des autres groupes, cliacun [)arais-
sant issu d'une source qui lui est propre.
Pour les familles sémitique et indo-européenne, celles qui
nous ont laissé une grande partie de leur histoire, nous entre-
voyons, je ne dirai pas les souches originelles; mais tout au moins
des foyers de diffusion. Pour les autres, nos connaissances sont
et resteront toujours très limitées ; l'observation ne pouvant
remonter le cours des temps que pour les types seulement qui
ont laissé des traces écrites.
Dans le groupe monosyllabique, le chinois seul fournit des
enseignements. Nous le voyons se modifier, se perfectionner
sans toutefois rien perdre de son caractère primitif. Il représente
nettement la civilisation chinoise, figée depuis des siècles et
incapable par elle-même d'un grand essor.
Quelques-unes des langues agglutinantes parlées par des
peuples voisins de la classe la plus développée ont, par contact,
appris l'écriture (1), et, grâce à cela, nous en possédons des traces
anciennes. L'élamite (2) fournit des textes dès le quinzième siècle
avant notre ère et nous pouvons suivre son évolution jusqu'aux
temps achéménides, où il se montre complètement défiguré (3).
Le vannique (/i) n^est connu que par des inscriptions appartenant
toutes à une même période de quelques siècles (du neuvième au
sixième siècle avant J.-C).
Les inscriptions hiéroglyphiques hétéennes (5) ne sont pas
encore déchiflrées, en sorte que nous ne sommes pas à même de
dire si cet idiome était agglutinant ; mais toutes les probabi-
lités sont en faveur de cette hypothèse.
L'étrusque (6), l'ibère (7), le crétois et bien d'autres langues
(1) L'écriture se divise nalurellemenl en : lrilin<;iies (col. UIi (J. Oppert, le Peuple et la
1° Picloyraplùe ; 2° Hiéroglyphes; 3° Signes Langue mèdes.)
issus des hiéroglyphes, mais conservant leur (:t) Textes de Tépoque achéménide de Bisou-
valeur; 4" Signes syllabiques ; 5° Signes alpha- toum.de l'Elvend.de Persépolis, de Suse, etc.
béli(|ues. Ces cinq divisions peuvent être con- (4) Cf. A. -H. Sayce, Cuneiform inscriptions
sidérées comme des phases de récriture. of Van., in Journ. Roi/al As. Soc, 1882, XIV,
Quelques pays lesonttoutes connues (Egypte), N. S., pp. :f77-732. — SI-Glyard, Journ.
d'autres se sont arrêtés aux signes syllabi<iues A.si'a/., 1880, t. XV, pp. 5i0-r>43; 1882, t. XIX,
(Perse), d'autres aux néroglyplies simplifiés pp. 511-515; 1883, t. I, pp. 2(')t -203, 517-523; 1883,
(Egypte pharaonique, Crétois, Chinois, prolo- t. II, pp. 30fi-307; 1884, t. 111, pp. 479-517.
Elamile), d'autres aux hiéroglyphes (lléléens, (5) A. -H. Sayce, The Monuments of Ihe Uit
Américains). Beaucoup à la première phase tites, in Trann. Soc. Bibl. ArchxoL, t. VIII,
pictographique (Eskimaux, Polynésiens, etc. , p. 553, sq.
d'autres enfin ne possédant aucune notion de (fi; Certains linguistes considèrent l'étrus-
l'écriture (tous les Indo-Européens) ne la (]ue comme une langue aryenne. iCf. Cons-
connurent que par contact (J. M.) sen, Ueber die Sprache der Etru.sker. Leipzig,
(21 Comparer les textes anzanites (V. Scheil, 1874-1875.)
Mém.de la Déléy. en l'er.se, t. III, 1901 ; V, 19U4; (7) Cf. "Van Eys, la Langue ibérienne et la
IX, 1906) et ceux des inscriptions achéménides Langue basque, in Rev. de linguistique. Paris,
22 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
aujourd'hui mortes, laissent sans solution le problème de leur
traduction, de leur nature et de leur origine.
Les langues, comme les individus, vivent, prospèrent et
meurent. Il n'en naîtra plus aujourd'hui parce qu'il n'existe plus
d'hommes à l'état primitif non encore doués de la parole. Les
langues existantes évolueront ; soit sur elles-mêmes, soit en s'ai-
dant des influences extérieures, aujourd'hui surtout que les rela-
tions entre peuples sont plus faciles et plus fréquentes (piautre-
fois.
Les transformations dans la grammaire et la syntaxe (i) sont
des évolutions naturelles attachées à la langue elle-même; celles
touchant la lexicologie ])rocèdent de deux sources, Tune inté-
rieure issue du progrès, l'autre extérieure résultant d'influences
étrangères.
Prenons comme exemple, la langue iranienne dont nous pou-
vons suivre les transformations pendant une période de trois
mille ans environ, en laissant de côté ses branches collatérales,
telles que le zend (2), le kurde, le pouchtou, l'hindoustani, etc.
Sous les Achéménides (3), le Perse possédait une grammaire
et une syntaxe très complètes, comprenant presque toutes les
flexions de l'aryanisme, et son vocabulaire était, semble-t-il, j)ure-
ment indo-européen (Zi).
Peu à peu, au contact des populations sémitiques de la ^léso-
potamie, ce vocabulaire s'est chargé de mots étrangers, proportion
qui s'accrut encore par la domination grecque de l'Iran et par le
règne des Parthes arsacides.
Lorsque, cinq siècles environ après l'avoir quittée sous les
derniers Achéménides, nous retrouvons la langue iranienne,
devenue le pehlevie ou huzvârèch (5 , elle est bien transformée ;
1874, t. VII, p. 1. — \'iNSON. la Question ihé- était déiivé du zend ou d'un dialecte très
Tienne M/em. Concjr. se. France. Paris, 1874, voisin; ce qui prouve que la région afghane
t. II, p 357.) formait le domaine, ou du moins faisait partie
(1) Rien n'est plus curieux que l'évolution du domaine de la famille zende (J. Darmes-
deslangnes.Celles de lEurope surtout, que nous teteu, te Zend-Auesla, t. III, 1X1(3. Introd.p. V.
connaissons mieux, montrent toutes les tran- /J., Chansons populaires des Afgans, lxiv, sq.).
sillons, tous les passages entre les formes an- (3) De 549 av. J.-C. (Cyrus) à 330 (Darius IIJ
ciennes et les formes modernes. On connaît le Codoman).
texte ilii serment de Louis le Germanique, il (4) Le vocabulaire fourni par les textes cu-
est 1 un des exemples les plus frappants. (J. M.) néiformes perses ne renferme guère plus de
[i) La langue des Achéménides est le dia- quatre cenis mots (Cf. Spiegel, Die allpersis-
lecte propre à la province de Perse; celle de chen keilinschrisflen. Leipzi», 186-2).
l'Avesta appartient à une autre province. Le (5j Sous les rois Sassanides, de 225 à 652 ap.
zend s est éteint sans descendance apparente. J.-C.,i'Cf.F.SpiECEL, Grammalik ier huzvàresch-
Néanmoins le phonétique et le lexique de l'af- sprac/ie. Vienne, 1856. —De Harlez, Gramm.
ghan moderne s'expliquent comme si l'afghan pehlevie.)
DKS SOURCES DK LA PRÉHISTOIRE IT l»i: L'HISTOIHK 0
'I.i
les expressions sëniitiques foisonnent, et les flexions atrophiées
ne nous oflVent plus que des ruines du passé.
Avec la conquête musulmane, l'arabe vient se greffer sur les
intrusions sémitiques anciennes ; puis arrive le turc, et la déca-
<lence du persan (I ) se continue (2). A peine conserve-t-il quelques
verbes et des conjugaisons aussi simplifiées qu'il est possible ; la
•déclinaison a disparu et la position relative des mots dans la
phrase remplace peu à peu la flexion. C'est le retour vers les
langues primitives.
L'histoire de la langue iranienne est l'image fidèle de l'histoire
<le la Perse. Elle-même, sous les Achéménides, connut son apogée;
puis le déclin vint par secousses, montrant des hauts et des bas.
Aujourd'hui, la Perse agonise et dans peu de siècles, soumise
•comme colonie à quelque empire, elle oubliera jusqu'à sa langue
pour adopter celle de ses maîtres.
N'avons-nous pas cent exemples de la dispai ilion d'une langue
dans de telles conditions ?
Combien sont ainsi déchues ! le grec ne nous ofTre-t-il pas la
même décadence ? le latin qui peu à peu s'est transformé en italien
sous l'influence des barbares et surtout de l'agonie de l'Empire ;
l'arabe vulgaire, fantôme de l'arabe litl«''raire de la conquête
musulmane.
Si donc nous envisageons l'homme au point de vue ethnique
et linguistique à la fois, nous voyons (|uil existe de grandes
divergences entre les classifications résultant de ces deux bran-
ches de la science.
Les causes en sont multiples : il y a d'abord les mélanges que
je signalais plus haut ; ensuite bien des j)euples ont, par contact,
abandonné la langue de leurs ancêtres. Les Étrusques sont deve-
nus des Romains ; les Ibères, des Espagnols ; les Égyptiens, des
Arabes ; les Normands, les Burgondes, des Français ; les Lom-
bards, des Italiens, et il est bien difficile de se reconnaître dans
ce dédale ethnique.
Par migrations, j)ar mélanges, par contacts, les groupes les
plus divers se sont trouvés entrer dans une même famille linguis-
(l) C'est aux dixième et onzième siècles (Fir- (2) Le parsi, langue des Mazdéens de Perse,
<lousi)que le persan moderne fut à son apogée s'est mieux conservé que le persan moderne;
(depuis il n'a fait que décliner^. Il y «ut alors il est encore parlé dans quelques villes (Yezd,
«ne réaction contre les termes sémitiques: le Kirman, Téhéran, etc. iJ. M.)
Oi«//) iiamelt est très pur à cet égard. (J. M.)
9/, LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
tique, et c'est cette entrée même qui leur a communiqué les apti-
tudes évolutionnelles de la race absorbante, leur faisant perdre
leurs caractères propres. Ces groupes ont disparu, ils ne pré-
sentent plus d'intérêt que pour l'annaliste (1).
Chronologie. — Pour les temps antérieurs à l'histoire, il est
impossible d'évaluer scientifiquement, même de manière approxi-
mative, la durée ou l'ancienneté des phénomènes.
Quoi qu'il en soit, bien des auteurs, s'appuyant sur des déduc-
tions inexactes ou des données incomplètes, n'ont pas hésité à
prononcer les termes de milléniums, de centaines et même de
milliers de milléniums. Il serait puéril d'attacher la moindre
importance à ces évaluations ; mais il est cependant intéressant
d'en citer quelques-unes, pour mieux faire sentir l'inanité de nos
efforts dans ce sens.
« Que je porte l'apparition de la vie organique, dit E. Haeckel (2),
à vingt-cinq, cent ou mille quatre cent millions d'années en arrière
de ce jour, c'est ajjsolument équivalent pour mon imagination. 11
doit en être de même pour la majorité des autres hommes. »
Goldschmidt (3) ne compte pas moins de 1 .400 millions d'années_,
depuis l'apparition sur la terre des êtres organisés jusqu'à nos
jours ; selon cet auteur, 93 millions d'ans se seraient écoulés depuis
les débuts des formations tertiaires.
D'autres [li) estiment la durée des temps géologiques à
100 millions d'années seulement et répartissent comme suit ce
nombre de milliers de milléniums :
Archéozoïque ou primordial, 52 millions d'années; palèozoïque
ou primaire, 3/i millions; mésozoïque ou secondaire, 1 1 millions;
cénozoïque ou tertiaire, 3 millions : anthropozoïque ou quater-
naire, 500.000.
G. de Mortillet (5) accorde 230 ou 2/iO.OO0 ans à la durée des
(1)11 est bien des peuplades qui, refusant la (4) Chedner, Elém. de Geo/., 8« édit.. 1897. —
civilisation, sont destinées à disparaître; il en Nelmays, Enlgeschichle, 2' édit., 18H5.
est d'autres qui conservent leurs qualités et (5) G. de Mortillet, Evolution quaternaire
leurs défauts, bien qu'ayant perdu leur langue) de la pierre, \n Rev. de l'Ecole d'Anlhrop.,
et de ce fait décroissent; d'autres, enfin, qui VII' année, 1, 15 janv. 1897; Exlrait, p. 26. —
conservant toujours leur nationalité survivent Dans le Préhistorique, par G. et A. De Mortil-
à tous les événements et prospèrent dans les let.Ics nombres suivants sont indiqués: chel-
milieux les plus divers auxquels elles ne s'as- léen, 78.000 ans; moustérien, lOU.OUO ans; solu-
similent qu'en apparence. (J. M.) térien, 11.0(X) ans; magdalénien, 33.<X>0ans.—
(2) E. Haeckel, Origine de l'homme. Trad. Rutot (Essai d'évaluation de la durée des
franc., note 20, p. 61. temps quaternaires, ds Bull, de la Suc. belge
(3) E. Haeckel, op. cit. de GéoL, t. XVHI, 1W4, pp. 12 à 23,j réduit ces
DES SOURCES DE LA l'RÉIIISTOlUE ET DE LIUSTOIRE 25
temps (|iiatei'naires, depuis Tapparition de rhomme (chelléen),
dont '200.000 sont compris par rëpoqiie glaciaire et ses oscillations,
et 30 ou /lO.OOO ans par le postglaciaire. La période historique ne
comprendrait, dans ce cas, que 1/30" au plus de l'évolution humaine
à partir de l'état paléolithique.
LyeU(l), étudiant un phénomène spécial, porte à 22/i.000 ans
la période entière de submersion et d'émersion des îles Britan-
niques, que d'autres évaluations permettent d'estimer à 20.000 ou
7.000 ans par hectomètre de hauteur (2).
S'appuyant sur des données astronomi(|ues, le même géologue,
Croll et J.Lubbock (3), placentla plus grande extension glaciaire entre
2/i0.000et800.000ans(récartestgrand),admettant80.000anspourles
temps moderne3.L'homme(chelléen) serait donc vieux de 300.000 ans.
« Suivant d'autres auteurs, l'époque de grande extension des
glaces aurait eu lieu de 225.000 à 350.000 ans avant notre ère et
sa durée aurait été pour les uns de 160, pour les autres de plus
de 2.000 siècles... la date tout à fait tardive du départ des glaces
se[)tentrionales enlève toute valeur à de tels calculs {!i) ».
Quant à la durée de l'époque glaciaire: nous verrons (5) qu'en
basant les calculs sur l'observation des phénomènes actuels au
Groenland on arrive à un minimum de 1.000 années pour la
durée de ces phénomènes quaternaires, et à 3.000 ans, en accor-
dant 2.000 ans aux fluctuations.
Lyell admet (6) par ailleurs que la formation des tourbières
danoises (7) a exigé 16.000 ans, tandis que Stecnstrup (8) réduit ce
nombre à /i.OOO ans.
Heer (9) pense que l.liOO ans ont été nécessaires pour la for-
mation des lignites quaternaires de Dûrnten (Suisse ; alors que
Pretswich (10) estime que 600 ans sont suffisants.
nombres comme suit : Faune de l'Eléphant the date, diiration and condition of Ihe glacial
anlif^ue.ôO.OOOans; F. du Mammouth, 8i.00Uans; peiiod witli référence lo Ihe Aiiliquity of nian.
Faune du Renne, 5.000 ans, portant ainsi à in Quart. Journ. of Geol. Soc, 1887, p. 393, sq.
139.000 ans la période <iue G. et A. de Mor- (i) De Lapparent, Traité de Géologie, 6» éd.,
lillel estimaient à 22-2 000 ans. 1906, p. 1728.
(1) Cii. Lyell, Aniiq. vf man., i' éd., 1873, (5) Cf. chap. ÏU.
XIV, |). 33i. (6) Cii. LvELL, Ancienneté de l'homme, Irad.
(2) Cf. chap. IIL franc., p. 21.
(3) Croll, Geol. Mag., 18G7, p. 172. — Croll, (7) Pour l'étude des tourbières de la Suisse,
Climale and Time, X^li), chap. XIX. — Cn. Cf. .1. Frlii et C. Schroter, Die Moore
Lyell, Princ. of Geol., iO' éd., l. I, p. 275. — der Scliweiz mil Beriicksichligunij der Gesamlcn
J. Llbbock, Prehisl. Times. 2" éd., p. 403. — Moorfrag. Berne, lilOi.
Le IIo.n, l'Homme fos.file, 2" éd., p. 296, sq. — (8) in Worsaae, In Préhifloire du Xord, 1878.
MoonE, Preglacial man and Geol. Chron. Du- i[9) Ukeix, Monde primitif de la Sui.'i.'^e, p. b9â.
blin, 1869. — J. Lvams, /'Aye de p/e;ve, trad. fr., (10) Puestwicu, Quarlerly Journ. of Geol.
l. I, p. 686. — Puestwicu, Considérations on Soc, 1887, p. 403.
26 LES PREMIÈRES CIVJLISATIOXS
Galliéron, Morlot et Tryon (1) admettent entre 6.000 et
3.300 ans pour l'antiquité des cités lacustres de Suisse.
Gosse (2), s'appuyant sur l'étude des terrasses du lac Léman,
compte 18.280 ans depuis les débuts de l'époque du renne dans
ces pays.
Morlot (3). basant ses calculs sur les déjections du torrent
de la Tinière, trouve 64.000 ans pour la durée de la période néoli-
thique et 38.000 pour celle de l'âge du bronze.
Ferry et Arcelin (4), étudiant les berges de la Saône, ont
conclu à 1.500 ans pour l'époque romaine, 2.250 ans pour l'âge
du bronze, 3.000 pour la pierre polie et 6.750 pour l'industrie
quaternaire.
Kervilerj (5), s'en rapportant aux limons de la baie de Penliouët,
fixe la date des armes et outils de bronze à 500 ans avant J.-G. et
à 6.000 ans le commencement de la période géologique actuelle.
Lejeune (6), prenant pour chronomètre la formation de la terre
de bruyère, compte 5.797 ans entre l'époque romaine et la pierre
polie. Ces calculs revus par Gosselet donnent 5.300 ans.
Se basant sur le déplacement de l'axe terrestre, Roisel (7)
propose 77.500 ans pour la fin de Tâge chelléen: de cette date à
/i6.000 pour le moustérien, 35.500 pour la fin du solutréen, de
35.500 à 25.000 pour le magdalénien, de 25.000 à l/|.5O0 pour le
robenhausien, de 1^.500 à '4. 000 pour l'âge du bronze (dernière
période glaciaire selon lui) ; enfin il déclare que l'âge actuel com-
mencé en /lOOO avant J.-G. se terminera en 6500 de notre ère (8).
Mais l'une des plus curieuses appréciations des temj)s est celle
(1) Galliekon, Acles Je la Soc.Jurans. d'Emu- de laSaone. Lyon, 1808. — Arceu.n, Eludes d'ur-
laliun, 1860. (Cf. Morlot, .Soc. Vaudoise de.t se. cliéologie préhislorique. Paris, 1875. — Arce[.i.\,
nat., Ih janv. 1662). — Tro\os, Bull. Soc. Vau- la Chronologie iiréhi.slorique. Mùcon, 1874;
doi.se, 1862. — Cf. Lykll, Anriennelé de ibidem. Congrès de Paris, 18f)7, p. 260 ; /6;Wem.
l'homme, trad. fr., pp. 34-:fâ. — J. Libbock, Matériaux p. l'hiat. de Ihomme, t. IV, p. 39.
l'Homme avant l'h'ixloire, trad. fr., p. 3-20. — (5) Kerviler. l'Age de bronze et tes Galtn-
De N.\daii.l.'\c, Premiers Hommes, t. II, p. 33;). Romains à Saint-Nazaire. Paris, 1877. — Cf. Ftei<.
— De Quatrefages, l'Espère humaine, p. 101. arc/iéo/., 187(), t. II, p. 224; t877,t. I, pp. 145,230,
— De Mortillet, le Prehistoriiiue, p G18. 342; Acad. des sciences, 9 avril 1877; Ilutl..Soc.
(2) Cf. Cautaii.hac, iU(iîe>(«iJX, t. XX, p. IGl. Anthrop, 1877, p. 30O ; /?ei'. d'Anthrop., 1878,
— Assoc. /rançaise, 188G, p. 171. l. VII, p. G6. — G. de Mortili.et, te PréhisL,
(3) Morlot, Huit. Soc. Vaudoi.-te, t. VI, ii" 4t5. p. G20. — De ^admllac, les Premiers Hommes,
— Cf. Ibid.,ib janv.l8G2, t. IX, n» 55. — Lyell, l. II, p. 337.
j4)iCie/i/ie/e f/e /'/lomme, trad. fr., p. 33. — BouÉ, (') Cf. Matériaux pour t'hist. de l'homme.
Ueber Geol. Chronologie, p. 13. — J. Lubbock, l. VIII, p. 151.
l'Homme avant l'histoire, p. 356. — Pozzy, ta (7) Koisel, Essai de Chronologie des temps
Terre, p. 415. — De Nadaillac, Premiers préliistoriques. Paris, 1900.
Hommes, t. 11, ]>. 336. — Soutiiall, Recenl (8) Citons, pour mémoire, L. Rémond, Douze
origin of Man, p. 475. — De Mortillet, le cent mille ans d'humanité el l'âge de la terre, par
Préhislorique, p. 621. l'explication el l'évolution périodique des climats,
(4) Ferry cl Arcelin, le Maçonnais préhis- des glaciers et des cours d'eau. Monaco, 1^2,
torique, pp. 85, 104. 123. — Arcelin, les Berges in-12.
DES SOLRCKS DE LA FRÉUISTOinE HT DE I.HISTOIHE '27
(le Broca. « Après avoir constaté <|ii'onti-e la grotte du Moustier et
celle de la Madelaine, dans la vallée de la Vé/èie, il y a une diflé-
rence de 27 mètres, M. Broca écrivait : ce creusement de 27 mètres,
dû à l'action des eaux, s'est eflectué sous les yeux de nos troglo-
dytes et depuis lors, pendant toute la durée de l'époque moderne,
c'est-à-dire pendant des centaines de siècles, il n'a fait que très
peu de progrès. Juge/ d'après cela combien de générations
humaines ont dû s'écouler entre l'époque du Moustier et celle
<le la Madelaine (l) ! Or, d'une part il y a eu seulement depuis
l'époque des plus hautes cavernes, déblaiement d'une vallée
occupée par des dépôts meubles, et dautre part, s'il ne s'est rien
fait depuis ce déblaiement achevé, c'est (pie la rivière avait conquis
sa pente d'équilibre (2). »
De même cju'il ne nous est pas permis d'estimer les dates
anté-historiquos, de morne il n'est [)as possible d'évaluer l'âge
d'une ruine d'après l'épaisseur des débris qu'elle renferme ; la pro-
gression de ces couches ayant été forcément très variable. Fl.
Pétrie (3) a cru pouvoir proposer une échelle proportionnelle d'un
mètre d'exhaussement moyen par siècle. Cette échelle appliquée
au Tell de Suse (hauteur 30 mètres maxima) donnerait à la capitale
Elamite une durée de 3.000 ans alors que nous savons (ju'en 5000
avant J.-C, elle existait déjà et qu'elle n'a cessé d'être habitée
qu'au quinzième siècle de notre ère, ce qui lui donne une durée
minima de 6.500 ans; correspondant à 65 mètres de hauteur sui-
vant F\. Pétrie, alors que les terres des villes successives n'ont
formé qu'une butte artificielle de 30 mètres. 11 en est de même
pour la plupart des ruines de la Chaldée.
Lorsque, dans les débris accumulés sur l'emplacement d'une
ville antique, on constate une transition brusque d'une civilisation
à une autre, la surface de contact correspond non pas à une inva-
sion pacifique ou militaire; mais bien à un hiatus pendant le(juel
la ville a cessé d'être habitée. Lorsqu'une population reconstruit
une ville ruinée, elle le fait par les moyens indigènes, en conser-
vant ses goûts et ses usages; et si la civilisation de ses vainqueurs
est destinée à dominer cette culture ne s'établit que progressive-
ment, se substituant peu à peu aux coutumes d'autan.
(I) Association from;.; Congre! de Bordeaux, (2) De Lappaiikm, Traité de Gcoloyic, 6" t<i.,
p. 1-212. lyOG, p. 1728.
(3) Tellel Ilesij, p. 15.
28
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Il ne peut donc, en aucun cas être tenu compte des épaisseurs
de débris dans la recherche des âges absolus.
De toutes ces évaluations, et de bien d'autres encore que je ne
crois pas devoir citer, rien ne doit être retenu ; car aucune d'elles
ne s'appuie sur des bases rigoureusement scientifiques. Les phé-
nomènes observés sont loin d'être simples dans la nature : non
seulement ils varient suivant des lois que nous ne possédons pas,
mais ces lois sont elles-mêmes troublées par des influences secon-
daires parfois fort importantes. En sorte que ce qui nous semble,
à première vue, être le facteur principal n'est souvent qu'un terme
nég-liffeable de la formule.
Quant à la chronologie historique, elle doit reposer uniquement
sur des textes sinon contemporains du moins très voisins de
l'époque envisagée.
En aucun cas il ne doit être tenu compte des temps indiqués
par les légendes ou les mythes.
Les histoires, chioniques, annales et autres écrits très posté-
rieurs aux événements, n'olIVent qu'une valeur indicative; et, avant
d'entrer dans la chronologie historique, doivent être vérifiés.
En mettant en jeu tous les éléments fournis par l'histoire uni-
verselle et en synchronisant les faits pour lesquels nous possédons
des documents précis, nous parvenons à fixer une foule de dates
venant encadrer les récits (1).
(1) Oiielques synchronisnu's i)ciivent ôlic
établis d'une façon certaine, par exemple
ceux d'Aménopliis IV, roi d'EgyiJlcavecBour-
na-Bouiiach, roi cosséen de Babylone cl de Ché-
chonq 1, roi d'EyypIe avec Jéroboani, roi d'Is-
raël. En ce qui concerne Bourna-Bouriach, roi
cassite, nous savons que celte dynastie ré-
ynail vers 1400 av. J.C. parce que Nabonid
[b'>b à 538) nous enseigne, par ses inscriptions,
que le roi cassite Chagacli-alli-bouriach ré-
gnaitSOOansavanl lui. Mais d'autre part noussa-
vons que Bourna-Bouriach était contemijorain
de Pouzour-Aclichour, roi d'Assyrie, et nous sa-
vons aussi <(ue Fouzour-Acbchour vivait avant
Achchour-Ouballit, roi d'Assyrie. Nal)onid nous
dit, que Bourna-Bouriach vécut 7U0 ans après
riamrnourabi. Assourbanipal (667-62G) dit que
le roi élaniile Koudour-Naiiliounta envahit la
Babylonie 1635 ou 1535 ans avant l'époque où
lui-même s'empara de Suse, c'est-à-dire en
2285 ou 2185 av. J.C. Or c'est Ilamniourabi qui
renversa le pouvoir élamite en Chaldée ; il vé-
cut donc après Khoudour-Nakhounla. C est
donc vers2-2(X» av. J.-C. que nous devons placer
l'époque de son règne. 11 s'ensuit que Bourna-
Bouriach, qui vécut 700 ans après Ilamniou-
rabi, régna vers 1450 ou 1400 av. J.-C Mainte-
nant il nous faut revenirà Achchour-Ouballit,
l'un des successeurs de Pouzour- Achcbour,
roi d'Assyrie, dont la date peut être li.vée au
moyen des données suivantes: Bammàn-nirâri
déclare être l'arrière-petit-fils d'Achchour-Ou-
ballit. D'aulre part, Salmanasar I se dit lîls de
Rammàn-niràri I, et Toukoulli-Ninip affirme
être le fils de Salmanasar I.— Sennachérib fil
faire sur argile une copie d'un le.vte de Tou-
koulli-Xiuip qui avait été gravé sur un sceau
de lapislazuli ; ce sceau avait été tiansporlé
d Assyrie à Babylone et fut retrouvé par Sen-
nachérib lorsqu'il s'empara de celle ville. Nous
savons (pie Sennachérib régna d'environ 705 à
081 av. J.-C. el Sennachérib nous dit que le
sceau de Toukouiti-Ninip avait été emporté à
Babylone 600 aii^ avant son temps. Il s'ensuit
que la limite inférieure du règne de Toukoulli-
Ninip doit être placée au plus lard en U80 av.
J.-C; et comme rien ne prouve que le sceau de
ce roi fùlde son vivant transporté à Babylone,
nous pouvons allribuer à Toukoulti-Niiiip la
date de 1300 environ av. J.-C Mais nous avons
vu qu'Achchour-Ouballil était le cinquième
ancêtre (graiid-grand-grand-grand-père) de
Toukoulti-N'inip ; il a donc vécu environ cent
ans avant lui. Donc Achchour-Ouballit ne peut
pas avoir vécu plus lard que 1400 ans av. J.-C
Ceci étant acquis, nous savons que les lettres
DES SOURCES DE LA IM^KIIISTOIIŒ KT DE LllISTOlHE
29
Toute autre méthode chronologique n'étant pas scientili([ue
doit être rejetée. Pou i- h's débuts de l'hisloire, sur tout, il est essentiel
(le l)ien faire ressortir les dates rigoureuses, de celles qui seule-
nuMil sont supposées ou approchées. Il en est de même ch<v. tous
les peuples dont nous j)ossédons peu l'histoire et (|ui, cependant,
vivaient aux temps où d'autres nous fournissent une chronologie
exacte. Si nous parlons d'eux à ces époques, ce ne doit être qu'en
faisant toutes réserves snr le synchronisme adopté.
Telles sont les principales sciences à même de fournir les hases
sur lesquelles s'établissent la préhistoire et les débuts de l'histoire
de l'homme. J'ai cru devoir insister plus longuement sur la linguis-
tique que sur les autres ; parce (ju'à mon sens elle joue un rôle
préj)ondérant dès que nous approchons des temps historiques.
Pour les époques plus reculées, elle n'est d'aucun usage; c'est à
l'anthropologie et à l'ethnographie seules que nous devons avoir
recours, en ce qui concerne l'homme et les [)roduits de son
industrie, dans les temps antérieurs à l'écriture.
II. — Des sources de Ihisloire proprement dite (1).
Les documents sur lesquels s'appuie l'histoire (2) proprement
dite sont de quatre natures dilférentes :
1° Les textes contemporains des événements, inscriptions,
monnaies et médailles, histoires, annales et mémoires.
(le Tell el Aniorna étaient écriles an roi Ame-
iiophis IV, par Achchour-Ouballit son contem-
porain, c'est d'inc vers 1400 av. J.-C. que nous
devons placer Aménophis IV. Nous avons vu
plus haut que Bourna-Bouriach était le con-
temporain de Pouzour-.Vchchour, roi d'Assy-
rie, prédécesseur dWciicliour-Ouballlit. C'est
donc vers 1430 qu'il vécut. Mais nous savons
également que Bourna-Bouriach était en rela-
tions de lettres avec Aménophis III. Nous
sommes donc autorisés à dire que le début du
règne de ce Piiaraon ne peut être postérieur
à 1450av. J.-C. Ainsi se trouve établi le syn-
chronisme.
Un autre non moins important est celui qui
relie Chéchonq I, roi d'Egypte, à Jéroboam, roi
de Juda vers 950 av. J.-C. Le premier fait
historique syrien dont nous connaissons la
date d'une manière certaine est la bataille de
Kharkhar (854 av. J.-C) dans ia(pielle .Vliab
et ses alliés furent défaits par Salmanasar IL
roi d'Assyrie, qui régnait de 859 à 8^25 av. J.-C.
C'est en partant de ces dates (ju'il a été
possible de calculer celle de Chechon([ I el de
Jéroboam. (E.-A. WALiis-BincE, .4 Hislonj of
Egi/pt , vol. L 1902; Eytjiil, in Ihe Neolithic and
Arcliaic periods, p. 153, S(].)
'1) J. DE Morgan, les Recherches archéolo-
giques, leur but et leurs procédés, ds Revue
des Idées, 1900.
(2) L'histoire se définit suivant la manière
dont elle est traitée, (^est le « récit des choses
dignes de mémoires » [Dict. de l' Acad.fr ); c'est
" une narration ordonnée des choses notables
dictes, faictes ou advenues dans le passé pour
en conserver la souvenance à perpétuité »
(Amyot, Préface. Trad. Plutan]ue)pour lesan-
nallstes ; c'est « la science du développement
de la raison « (L. Bouroeau, i Histoire et les
Historiens. Paris, 1888, p. 5.) pour ceu.\ qui
n'envisagent que l'esprit humain. Ces délini-
tions ont toutes le grand défaut de ne pas
être générales A mon sens, l'Histoire est la
.science des enriutinemenis du progrès humain,
comprenant les faits, leurs causes et leurs ré-
sultats en ce (jui concerne 1 humanité, tant au
point de vue matériel, qu'à celui des idées.
fj. M.)
30 LES PREMIÈRES CIMLISATIO.XS
2" Les documents archéologiques, monuments et objets divers
rencontrés sur le sol ou dans le sol.
3" Les écrits postérieurs aux événements qu'ils narrent.
Il" Les considérations tirées des sciences dont j'ai parlé plus
haut (géologie, zoologie, botanique, anthropologie, ethnographie,
sociologie, linguistique), auxquelles il convient d'ajouter les obser-
vations sur les industries, les arts, le commerce, les connaissances
scientifiques, etc.
Les sources rédigées au temps des événements sont, sans
contredit, celles de plus grande valeur ; car elles renferment les
témoignages. Les secondes, bien qu'étant du même ordre, sont
souvent d'une interprétation difficile et par suite donnent lieu à
des déductions douteuses. Ouant aux troisièmes, elles exio^ent des
vérifications avant d'être employées et les quatrièmes ne peuvent,,
en général être d'usage que pour Texplicatiou des sources qui
précèdent.
Les textes contemporains, inscriptions sur pierre, argile, papv-
rus, parchemin, poterie, etc. (1), sont des éléments certains.
INIais avant d'en accepter les dires, il est bon de vérifier leurs
assertions par d'autres textes d'origine étrangère ou par des faits ;
car souvent, par vanité les inscriptions triomphales dénaturent
la vérité ; augmentant la portée des événements glorieux, amoin-
drissant la portée des revers.
Pour l'Assyrie, par exemple, dont, dans la plupart descas, nous
ne connaissons les annales que par les Ninivites eux-mêmes ; les
victoires sont souvent amplifiées et les défaites, comme bien on
pense, passées sous silence. Ce n'est que par les récits égyptiens,
(1) Voici les époques approximatives des Grec. Vers le septième siècle av. J.-C.
premiers textes connus dans les principales Latin. Vers le sixième siècle av. J.-('.
langues : Punique. Huitième siècle av. J ~V.. (Car-
Egyptien. Tablette d'ivoire du lombcau de thage )
Menés, XL' siècle env. av. J.-C. (Cf. De Mok- Ibérien. (Sur les monnaies). Premier siècle
GAN, Rech. orig. Eyijple, 1897). av. J.-C.
Akkadien. Antérieurement à 3800 av. J.-C. Rhune. Premier siècle ap. J.-C.
Elamile. Vers le quinzième sièile av. J.-C. Cliinois. Dix ou douzième siècle av. J.-C.
Assyrien Quinzième siècle av. J.-C. ? Perse. Texte de Cyrus (Persépolis^ vers
Hébreu. Sixième siècle av. J.-C? 5^5 av. J.-C.
Araméen. Huitième siècle av. J.-C Indien. Troisième siècle avant J.-C
Phénicien. Dixième siècle environ. Indobaktrien. Troisième siècle av. J.-C.
Héléen. Date incertaine, antérieure au dix- Textes d'Açoka.
huitième siècle av. J.-C Zend. Zend-Ave-la attribué au deuxième
Chypriote. Sixième siè< le av. J.-C. (Cl. siècle ap. J.C., n'existe qu'à l'état de copies
Bréai.,.S. ledéchiff. des iiiscr. chypriotes. Pan^, récentes. (Seizième siècle ap. J.-C.)
1877, in-i, 26 p.) Etrusque. Sixième siècle av. J.-C.
Cretois. Vers le quinzième siècle av. J.-C. Proto-Elamite. Vers le trentième siècle av.
Carien. Septième siècle av. J.-(.!. J.-'J.
Phrygien. Septième siècle av. J.-C
DES SOUHCES DE LA PRÉHISTOmE ET DE L'HISTOIRE 31
J>abyloniens, élamites, vanniques, otc, qu'il est possible de-
rectifier ces supercheries, etil eu est certainement de même, dans
bien des cas, pour les récits pharaoniques, chaldéens, anzanites,
ourartiens et autres.
Malheureusement, il est bien rare que nous rencontrions des
documents de deux sources dilTé rentes relatifs à un même fait
historique ; le vaincu n'ayant jamais narré sa défaite. Mais il
arrive parfois (|ue les deux s'attribuent la victoire. Dans ce cas,
ce n'est que par les événements postérieurs et antérieurs, par des
considérations sur l'ensemble de la politique à cette époque et
dans ces pays, qu'il est possible de reconnaître celui des deux qui
réellement a remporté l'avantage.
En Egypte comme en Ghaldée, la vanité ou le fanatisme portait
les vainqueurs à détruire les inscriptions triomphales des peuples
dont ils mettaient à sac les villes. Ainsi, bien des documents furent
irréparablement perdus.
Les Elamites, cependant, moins barbares que leurs adversaires,
se contentaient souvent d'emporter comme trophées les monu-
ments, se faisant probablement grand honneur des hauts faits
de ceux qu'ils avaient vaincus. Grâce à cette coutume, beaucoup
de documents chaldéens sont parvenus indemnes jusqu'à nous(1).
En Egypte, les inscriptions couvrent les rochers, les murailles
des temples et des tombeaux ; en sorte que par leur grand nombre,
par la duretéde la matière dans laquelle elles étaient gravées, elles
ont généralement échappé au vandalisme; cependant celles laissées
par les Hyksos ont été systématiquement martelées par haine pour
les noms qu'elles étaient destinées à transmettre à la postérité (2). II
en a été de même pour les inscriptions du schismatique Ivhoue-
naten (Aménophis IV) après le rétablissement du culte ortho-
doxe (3).
Les tablettes d'argile et les briques inscrites employées
dans les constructions, sont, en Asie, les documents écrits qui
ont le mieux résisté ; leur très grande abondance, la difficulté
qu'on rencontrait à les détruire les a sauvés. Malheureusement,
ces textes historiques sur briques sont fort courts, et ceux plus
(1) Le souverain élamite Choiitroiik Nak- (2) Cf. Musée du Oaiiv. Monuments décou-,
liounta est celui qui a rapporté à Suse le plus verts par Mariette dans les ruines di- Tlia-
^rand nombre de trophées épigrapliiques de nis.
M'- campagnes en pays sémitiques. (Cf. Mé- (3) Cf. Sépultures de Tell f\ Amarn«.
inuin's de la Délétjdlion en Perse.)
32
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
étendus sur tablettes n'ofïVent,le plus souvent, qu'un intérêt secon-
daire (1).
En Ghaldée, les briques presque toujours estampillées, sont
peu variées. A Suse, et presque partout en Elam, au contraire,
elles ont été inscrites à la main, sur la tranche, avant la cuisson
et chaque prince, ayant construit, inscrivit sur ses matériaux
son propre nom et celui de son père. C'est en s'appuyant sur ces
données que V. Scheil a pu reconstituer avec certitude la liste des
souverains élamites.
B,, roi de Suse, fils de A., roi de Suse, construit un temple; C,
roi de Suse, fils de B., en construit un autre, et ainsi de suite.
Cette liste étant établie, d'autres documents viennent fournir
le nom de personnages contemporains, ayant vécu dans d'autres
pays ; et parfois nous connaissons la date de ces étrangers. 11 s'en-
suit, alors, que certains points sont fixés chronologiquement dans
la liste élamite,et que les intervalles entre ces dates sont occupés
par les règnes des souverains dont l'époque varie entre deux
limites fixes.
En Chaldée, tous les documents écrits (2) sont donc sur pierre
ou sur argile. Il en est de même pour tout ce que nous possédons
comme originaux sur les Perses, les Ourartiens, les Elamites et
quelques peuplades sémitiques de la Syrie (3).
En Asie Mineure, chez les Hétéens, les Cypriotes, les Grecs;
et en Europe, chez les Etrusques, les Latins (/j), les Gaulois, les
;1) Leslexles sur tablelles d'argile sont par-
fois extrêmement nombreux. Il sulfira de dire
«juils composaient à Koyoundjik (Ninive) la
bibliothèque royale et que par ailleurs, dans
certaines localités (Telloh), on en a rencontré
des groupes de plus de trente mille.
(2) Ce qui dislingue les écritures modernes
rationnelles des écritures antiques, c'est ((ue
nos écritures se composent uniquement de
signes conventionnels et excluent l'idée de
figuration. C'est dans cet esprit que désormais
évoluera l'écriture dans les rares pays où les
procédés antiques sont encore en usage. Pour
rendre les services qu'on attend d'elle, l'écri-
ture doit être aussi cursive que possible. Cette
condition exclut de l'usage une foule d'écri-
tures compliquées de l'Orient, et quel(|ucs-
unes encore usitées t-n Europe, telles les écri-
tures slaves et gotliiques. Toutes disparaîtront
devant l'alphabet latin dès aujourd'hui le plus
/usité et pouvant s adapter à toutes les langues
Cf. Alphabets linguistiques de Le[)sius, de Ros-
;ty, etc.l. Il y a phis d un siècle que l'applica-
tion de l'alphabet latin à toutes les langues a
été préconisé (Cf. C.-F. Volmev, Simplification
des langues orientales ou méthode nouvelle et
facile d'apprendre les langues, arabe, persane et
turque, avec des caractères européens. Paris,
an III de la République (1795). in-8.)
C'est par suite de l'extrême difliculté de rendre
cursives les écritures hiéroglyphiques et cu-
néiformes que toutes deux ont disparu de
bonne heure. (J. M.)
(3) Certainement, pour l'Asie antérieure, tous
les textes n'étaient pas écrits sur pierre, argile
ou métal ; il en était (comme en Egypte) sur
bois, parchemin, étoffe, etc. Mais ils ne sont
pas arrivés jusqu'à nous, par suite de l'humi-
dité de ces régions. Dans les fondations du
temple de Chouchinakà Suse, nous avons ren-
contré de minces feuilles d'or et d'argent qui
probablement plaquaient des objets de bois ;
elles sont couvertes de signes (Cf. Mém. Délég.
en Perse, t. VII, pi. XII.) Les textes assyriens
parlent parfois de chars couverts de pein-
tures (Cf. Inscrip. d'Assourbanipal.) Ces orne-
ments étaient sùrementacconqiagnés d'inscrii)-
tions.
4) Sauf les papyrus découverts à Ilercula-
num (Cf. Musée de Naples) et en Egypte.
DES souRCKs Di: LA PHKnisToirŒ i-T DE LnisToiiu- :\:^
Ibères, (île, nous ne possédons que des documents contemporains
(les faits, écrits sur pierre et sur métal.
En Egypte (1), grâce aux merveilleuses facultés conserva-
Iriccs du climat cl du sol, les documents ne sont pas uniquement
sur pierre; mais aussi sur bois, cartonnage, papyrus, |)archemin,
étoile, etc. On rencontre non seulement des textes hiérogly-
phiques, hiératiques et dénjotiques; mais aussi du grec, du latin,
de l'araméen, de l'hébreu, tlu pehlevie, sans compter un certain
nombre d'écritures encore indéchiflVées.
A ces documents écrits, contemporains des événements, il
convient d'ajouter les monnaies et médailles (2), dont le secours
est grand à partir du septième siècle avant notre ère. Parfois elles
sont datées (3); toujours elles fournissent de précieuses indica-
tions historiques (/i) et géographiques (5).
Il n'existe aucune monnaie ou médaille portant des textes hié-
roglyphiques ou cunéiformes; cependant ces systèmes d'écriture
étaient encore en pleine vigueur lors de l'usage du numéraire. En
Egypte, la frappe ne commence qu'avec les Ptolémées; en Perse,
on monnayait pour la couronne, sous les Achéménides, l'or et l'ar-
gent sans légendes ; mais avec texte phénicien ou araméen dans
les satrapies de Syrie et d'Asie Mineure.
Pour les temps très anciens, jusqu'au troisième siècle, les
légendes numismatiques furent en grec, en phénicien, araméen,
punique. C'est plus tard seulement qu'on vit apparaître le latin,
libérien, le bactrien, l'himyarite, le pehlevie, etc., et le chinois:
mais je reviendrai plus loin sur cette importante question i\\i
numéraire et de sa circulation de par le monde.
Telles sont les sources les plus sures des premiers tem|)s histo-
riques; il convient d'y ajouter quelques auteurs très anciens, tels
(1) C'est surtout au coins du nouvel Empiro (3) Les monnaies des rois de Syrie, entre
(XVIII' à XXIl' djnastics; que, la préparation antres, sont datées d'une ère spéciale dite des
des momies étant plus soignée, les papyrus Séleucides commençant en 312 av. J.-C. et.
c[ui accompa<T;naient le corps sont les mieux qui fut usitée, dans bien des pays de l'Orient
conservés (Cf. Musée du Caire, papyrus (Syrie. Perse) sous les Parlhes (Egypte, etc.).
royaux de Deïr el Bahri, des prêtres d'Am- (4) Bien des dynasties ne sont connues que
mon, etc.); pour l'ancien et le moyen empire. parla numismatique, celles entre autres de
la conservation laisse beaucoup à désirer. On Bactriane, de Persépolitainc, d'Elymaïde, etc.:
rencontre aussi des papyrus, et en nombre. sans compter les usurpateurs romains sur les
dans les ruines des villes. I.e Fayoum en a quels l'histoire se lait, tels Pacatianus. Do
fourni une grande quantité, la plupartsonl de mitianus (emp. gauloisj, etc.
basse époque (ptolémaïque ou romaine). (J M.) (5, l'resque toutes les villes grecques el phé
(2) Cf. Kn. Lknormant, la Monnaie dans l'an- niciennes de l'antiquité ont frappé monnaie.
liqaité. Paris, 1878, 3 vol. — Id., Monnaies et Les indications que fournissent ces médailles
médailles, ds Bibliol. de l'Enseignement dex ont permis de contrôler les dires des géogra-
fieaux-Arls. phes. Plolémée, Strabon.etc.
3/i LES PREMIÈRES r.l\ ILISATK t\S
que Gtésias, Bérose, Sanchoniaton et Hérodote qui, pour la plupart,
ne nous sont malheureusement parvenus qu'à l'état de fragments,
tous sous formes de copies de seconde main.
Chez ces auteurs, il faut distinguer deux classes dans les sources :
l'une correspondant aux faits que ces écrivains ont vu se dérou-
ler, l'autre comprenant les renseignements qui leur ont été nar-
rés par les indigènes ou par les prêtres (1). Pour les événements
s'étant passés de leur temps, ces historiens sont fort précieux ;
pour les autres, ils rentrent dans la catégorie des auteurs posté-
rieurs; avec cette différence qu'étant beaucoup plus anciens que
la plupart des classiques, ils ont souvent puisé dans des sources
originales disparues après eux et avant leurs successeurs.
L'Orient posséda de nombreuses bibliothèques, en Egypte (2
et en Chaldée (3), chaque temple avait la sienne ; les villes de Phé-
nicie conservaient leurs annales. Tous ces trésors ont été détruits :
nous n'en possédons que d'informes et rares débris et il n'y a
guère d'espoir qu'on retrouve jamais les ouvrages perdus.
Des fragments qui nous restent des auteurs classiques, nous
ne possédons pas les originaux, sauf dans quelques rarissimes pa-
pyrus trouvés en Egypte. Il ne nous est parvenu que des copies faites
au moyen âge et souvent fautives, spécialement en ce qui con-
cerne les nombres et les noms propres; il y a donc lieu d'être
très circonspect en ce qui regarde ces données. Ces auteurs onl
toutefois été, dans ces derniers temps, l'objet d'études très atten-
tives de la part d'hellénistes de premier ordre, et les éditions dont
nous disposons aujourd'hui, ayant subi toutes les correction.s
et rectifications dont elles étaient susceptibles, présentent de
sérieuses garanties.
En ce qui touche à l'histoire du monde oriental, les auteurs
grecs ont défiguré les noms propres à tel point qu'il est parfois
très difficile de les reconnaître dans ceux fournis par les docu-
ments originaux (4) ; de sorte que les listes classiques de souve-
(1) A ce point de vue Hérodote est fort pré- [Musée britannique), mais elle renfermait peul-
■cieux, car il indique toujours ses sources. être aussi des parchemins, papyrus et. autres
(2) Dès la VI'^ dynastie, un haut fonctionnaire matières qui ont disparu. A l'époque d"Ale3san-
prend le titre de « Gouverneur de la maison dre les bibliothèques chaldéenncs sur ai^le
des livres ». (Lepsius, Denkm., II, 50.) Le lem- existaient encore (Simplichjs, Commentaire sur
pie dlmhotpou. à Memphis, avait sa bibliothè- Arislole. De Caelo, p. 503. A.)
que (G. Maspero. //f.sfo/re a/ic. de.s peupfp.'? (/e (4j ilsaor/pt; = Zoserliti. (Pharaon delà
VOrkni, b' éd., 1893, p. 74 ) j|j. dynastie); KepaepT.ç == Snofrou (HI« Dyn.l ;
(3 La bibliothèque du palais d'Assourbanipal ,, . u . ..r .i.,i t^
à Ninive, découverte par Layard (JVia.t^eA end A.aspijç - Amenemhat lil XW Dyn. .
Babylun), se composait de tablettes sur argile SxEfjiidopi: = Sovkounofriou {XII« Djn.).
DES SOL'RC.HS UK LA IMîKlIlSTOIlU-: l.T Hi; I. IIISTUIUK .S.",
rains ne doivent plus entrer en ligne tie compte. Ce sont seuls
les noms tirés des écrits indigènes qui méritent considération (1 1.
Jusqu'au début du dix-neuvième siècle, nous ne possédions,
pour nous guider dans l'histoire de la haute antiquité, que ces
auteurs et la Bible à laquelle on attribuait une antiquité extrême-
ment reculée, alors que sa rédaction n'est certainement pas au
plus tôt antérieure à Hérodote. Aussi Tliistoire n'était-elle com-
posée alors que d'un tissu de fables et de légendes dans les-
quelles les peuples hébreux et grec jouaient le rôle le plus impor-
tant, comme passant pour avoir été les seuls promoteurs des
idées philosophiques et de la civilisation moderne.
A peine connaissait-on les auteurs arabes, arméniens, pej-
sans, syriaques qui, lors de leur étude, déçurent d'ailleurs l'al-
tente; car, en ce qui regarde l'anticjiuté. ils nont fait que copier
sans discernement (2) les classiques et n'olTrenl d'intérêt que
pour les faits dont ils ont été témoins, c'est-à-dire pour des événe-
ments postérieurs au début de notre ère.
C'est donc seulement depuis la découverte de l'interprétation
des langues mortes orientales qu'est réellement née l'histoire
ancienne. Chaque jour elle se complète par la découverte de nou-
veaux textes d'une inestimable valeur et peu à peu nous la pos-
séderons sans lacunes ; mais intei'viennent alors de grandes dif-
ficultés, le déchiffrement de ces textes et leur interprétation.
En Egypte (3) la tâche est devenue moins ardue depuis les
admirables travaux de Champollion, de Lepsius, de Brugsch, de
Rougé, de Maspero, etc. On lit les hiéroglyphes avec facilité :
quoit(ue la comjîréhension de l'esprit de ces textes soit souvent fort
difficile, surtout alors qu'il s'agit de compositions philosophiques.
Cela tient non pas à l'imperfection de la méthode de lecture, ni à
l'insuffisance de nos connaissances en égyptien; mais bien à ce que
nous ne pensons pas encore dans l'esprit de ce peuple. Les nom-
breusescritiques dont la traduction du Livre des mor/s, par Maspéro.
a été l'objet, n'ont pas avancé la question et n'ont guère eu pour
^11 Bien des liisloriens, Hérodote le premier, (2) Moise de Korcne l'avoue lui-même (Cf.
onl cherché à encadrer les faits historiques Irad. V Langlois.j J. de Mokgan, Miss, se
daus une formule générale séparant nettement au Caucase, t. II, p. l^t, entre autres,
les diverses phases. Mais cette tendance se (3) L'usage des hiéroglyphes s'est con-
trouve cocnbaltue jiar les continuelles decou- tinué, sans grandes inodilirations, dccuis
ve-les de lestes contemporains des faits. G est I époque de Menés, jusque 1 Empire roniain.
ainsi que les trouvailles récentes de G. Le- Ln déblayant en 18 3 le lemplo d'Ombos j'ai
grain à Karnak portent une grave atteinte à la trouvé, gravé sur l'une des colonnes de la
succession des dynasties pharaoniques. (J.M.) cour le cartouche, de l'Empereur Géta (J. M.)
36 I^KS PREMIÈRES CIVILISATIONS
résultat que de montrer l'énorme supériorité de l'égyptologue
français sur ses contradicteurs.
Pour les textes cunéiformes (1), c'est une tout autre chose ;
d'abord parce que les signes sont bien moins facilement recon-
naissables que ceux du système hiéroglyphique; ensuite parce que
cette écriture s'est modifiée suivant les temps et suivant les pays
qui l'employaient et que, su r l'argile, elle était devenue, surtout vers
la fin de son usage, extrêmement cursive et embrouillée ; parce
qu'enfin elle a été mise au service d'un grand nombre de langues
très difTérentes, tant par leur vocabulaire que par leur structure
grammaticale, l'akkadien, l'assyrien, l'anzanite, le vannique, le
perse, etc.
Les assyriologues sont beaucoup moins nombreux que les
égyptologues; d'abord parce que leur science est plus ardue,
ensuite parce que les documents asiatiques étaient jusqu'à ce&
derniers temps bien moins abondants que ceux de la vallée du
Nil et que, par suite, il était moins aisé de s'exercer.
A peine compte-t-on aujourd'hui, en Europe, quatre ou cinq
de ces savants dont l'opinion fasse autorité et, parmi eux, est
Y. Scheil que j'ai la bonne fortune et l'honneur d'avoir pour colla-
borateur dans mes travaux en Perse. Son nom restera à jamais
attaché à sa magistrale traduction des lois de Hammourabi (2) et
au déchiffrement des textes élamites (3), tour de force accompli
sans l'aide d'un bilingue.
Pour les époques qui suivent le cinquième siècle avant Jésus-
Christ, nous sommes peut-être moins riches en documents épigra-
phiques (ù) ; mais, jusqu'à notre ère, les historiens se contrôlent
les uns les autres, tandis que l'épigraphie et la numismatique
viennent corroborer leurs assertions.
C'est pour cette époque que le champ est le plus largement
ouvert à la critique; parce qu'elle est celle pour laquelle les
renseignements sont les plus nombreux. Mais, là encore, on est, à
mon sens, tombé dans un excès en portant l'hellénisme si haut
qu'il écrasa longtemps toutes les autres branches de l'histoire.
Certes lesGiecs méritent une très grande place parmi les peuples
(1) L'inscription cuiiriforme la plus moderne (i) Cf. V. Scheil. iUf'/n. (/e la Déléy.en Perxc^
connue jusqu'ici, porte le nom tlu roi P.'irlhe t. IV.
Pacorus(77-lll ap. J.-C ), contemporain de l'em- (.3) Cf. V. Scheil, Mém. de la Délég. en Perse.
pereur Trajan (Cf. J. Oppert. Mélanges dAr- t. IH, 1901; V, 1904; IX, 1907.
rhéologie égyptienne et assyrienne, t. Lpp- 33- (4) Les textes lapidaires très nombreux sonl
29). beaucoup moins longs et importants.
DES SOURCES DE LA PKÉllISTOIUE ET DE LIIISTOIIŒ 37
auxquels nous devous la civilisation ; mais ils ne sont pas seuls
dans les temps qui précédèrent la prépondérance romaine et ils
ne sont pas les auteurs de tous les progiès. Leur rôle politique,
jusqu'à l'entrée en scène d'Alexandre III, n'est, en somme, que
très secondaire.
Cette tendance s'explique par ce fait que les études grecques,
plus abordables que celles des langues orientales, ont été dans
tous les pays européens très suivies depuis jjlusieurs centaines
d'années; que les hellénistes étant très nombieux et comme
presque tous les philologues, souvent quelque j)eu (exclusifs, ont
donné aux Hellènes une position trop importante pour le rôle
<|u'a joué cette famille jusqu'au quatrième siècle avant J.-C.
Ainsi, fréquemment l'histoire s'étend sur les faits et gestes d'in-
signifiantes petites bourgades grecques; alors que des actes très
importants du monde oriental sont presque passés sous silence.
Cette tendance à l'exagération, très humaine d'ailleurs, est du
même ordre d'idées que celle qui fit attribuer au peuple juif une
importance prépondérante dans la haute antiquité.
Je ne parlerai pas des textes hindous, kmères, chinois, etc.;
ils font l'objet d'études tout aussi suivies que Tégvptien et
l'assyrien et apportent chaque jour leur contribution à l'avance-
ment de l'histoire générale, mais ne sont j)as de grande portée.
De l'Amérique, malgré l'extrême abondance des inscrip-
tions (1), nous ne connaissons rien; bien (|ue des philologues
d'une indiscutable sagacité eussent, à maintes reprises, tenté le
déchiffrement des hiéroglyphes du nouveau monde ; c'est que
pour ces textes, nous ne possédons aucun bilingue. Le fana-
tisme religieux des Espagnols, en brûlant les archives et les biblio-
thèques du Mexi([ue, a détruit toutes les clefs à l'aide desquelles
ces annales pouvaient être interprétées. Ce crime pèsera tou-
jours sur le souvenir des « Conquistadores ».
Les recherches archéologiques sont de beaucoup celles qui
fournissent les données les plus précieuses. C'est par elles que
(1) L'écriture azièqiie parait avoir été com- /'yl«/(V/(ii7e, 18'J1, p. 23).— Mission scienlifiqiic nu
mune aux différentes races, Tollèques, Clii- Mexique : Rech. Hi.il. el Arcliéol., pnlil. s. la
chimèques, Aztèques, qui ont successivement direction de E.-T. Hamy- I" partie, Hi>l<>irP...
envahi le Mexique, venant du Nord el qui Paris. 181^5, in-4. Cf. au musée du Troradéro le
toutes appartenaient à la grande famille des moulage de la célèbre tablette du Temple ili-
Naliuas; elle se composait d'images peintes la Croix à Palenqué, document hiéroglyplii-
ou sculptées, qu'accompagnaient de courtes que du pius li;iut intérêt.
légendes (Cf. Pu. Bercjer, Hist. Ecriture de
:;ïi LES PItHMIÈRES CIVILISATIONS
nous possédons les textes contemporains des faits, la connais-
sance des monuments et ces milliers d'objets qui, par leur pré-
sence, permettent de reconstituer la vie intime et publique aux
diverses époques et d'interpréter les récits historiques.
L'archéologie est une science des plus comj)liquées ; car non
seulement elle embrasse tout ce qui a rapport à l'homme, mais
doit étudier aussi les phénomènes naturels ayant influencé sa vie.
(^n la peut diviser en trois parties bien distinctes : l exploration.
Viîwention et l interprétation.
L'exploration est. de beaucoup, la phase la plus ardue dans la
tâche de l'archéologue; car,/îe devant rien abandonner au hasard,.
il doit, par des études préparatoires, posséder tout ce qui se sait
sur la matière à laquelle il se consacre et connaître dans ses moin-
dres détails, et à tout point de vue, le pays qu'il a choisi pour
ses recherches. Ce n'est qu'à la suite de ces études approfondies,
en se basant sur les moindres indices judicieusement interprétés,
qu'il sera justifié dans l'attaque d'un site antique.
L'invention (je dis invention et non découverte, parce que je
n'admets pas comme scientifique les découvertes fortuites, les
trouvailles qui ne sonl que des aubaines (1), l'invention, donc,
résultante de l'exploration, nécessite des travaux de fouilles exi-
geant, pour être bien conduits, des études préalables spéciales
sur l'organisation des chantiers, les moyens d'attaque, l'évacua-
tion des déblais, le déblaiement des monuments, etc., connais-
sances dont, généralement, les archéologues ignorent jusqu'aux
premiers éléments. Elle requiert une observation minutieuse et
savante des conditions dans lesquelles se trouvent les choses,
des rapports existant entre elles.
L'invention doit être le résultat de calculs, de conclusions
régulièrement amenées ; et il est aussi déraisonnable de qualifier
d'heureux un archéologue parvenant au succès par des moyens
scientifiques, que d'attribuer de la chance à l'astronome, qui,
par ses déductions mathématiques, découvre une planète.
L'interprétation qui, jusqu'ici, est presque toujours demeurée
entre les mains des savants de cabinet, devrait, elle aussi, rentrer
dans le domaine de l'inventeur ; car, connaissant seul toutes les
(1) Les momies royales, celles des prêtres Bosco Reale, ceux de Kerlch, el tant d'autres
d'Ammon, découvertes par des fouilleurs illi- sonl des aubaines. Ce qui, d'ailleurs, n'a pas
cites à De'i'r el Rahri, ont été signalées par empêché les archéologues d on tirer un 1res
la police au service des Antiquités; le trésor de grand parti scientifique. (J M.)
DES SOURCES 1>K l, A PRÉIHSTOIRE Kl DE LlllSTOlRH .^9
circonstances des découvertes, il est dans les ineilleuies condi-
tions pour tirer d'une inscription toutes les inloiniations dont
ce document est capable.
Ainsi, Ihéoriquenient, l'archéologue deviail posséder toiiles
les sciences dont l'étude de rantiqnité meta |)ront les connais-
sauces; mais pratiquement il ne le peut, tant sa lâche serait vaste.
Des recherches conduites par un tel homme produiraient le
maximum de notions et, partant, seraient les plus prolilables à
l'histoire.
Dans la léalite, les choses ne se passent pas ainsi. Presque
toujours les mémoires archéologiques sont écrits par des personnes
n'ayant jamais vu les pays dont elles parlent; décrivant et e.\|)li-
quant des monuments dont elles ne connaissent pas les affinités
extérieures, des objets qui leur parviennent soit de chei-cheurs
ignorants, soit même par le commerce. En sorte qu'il se débite,
de ce fait, une foule d'erreurs fort préjudiciables à la science.
C'est afin d'obvier à ces graves inconvénients que la France a
fondé ses grandes missions permanentes au Caire, à Athènes, à
Home, en Peise, en Tunisie, en Indo-Chine, et qu'elle envoie, de
par le monde, tant de missions temporaires. L'Allemagne a suivi
son exemple; aussi ces deux pays tiennent-ils aujourd'hui la tète
du mouvement archéologique et historique.
Beaucoup d'autres en sont encore à l'étude unique des objets
venus par le commerce. Je n'insisterai pas sur la confiance que
doivent inspii'er de tels documents et les travaux anx(|uels ils
servent de base.
Il était jadis de bon ton parmi les savants spécialistes de
négliger, je dirai plus, de mépriser tout ce qui ne rentrait pas
dans leur spécialité. Cet état d'esprit, néfaste au point de vue
scientifique, tend aujourd'hui à disparaître. On com[)rend mainte-
nant que le spécialiste n'est autre que l'ouvrier dans la construc-
tion du monument dont l'historien est l'architecte et que, pour ache-
ver l'œuvre, le concours de tous les corps de métier est nécessaire.
Il s'en faut de beaucoup que tous les pays soient également
explorés au point de vue archéologique. Tous ne présentent pas,
il est vrai, la même importance historique ; mais le malheur veut
que la plupart de ceux où se sont développées les premières civi-
lisations, offrent de telles conditions que les recherches y sont
pai'liculièrement difficiles.
!xO LES PREMIÈRES CIVILISATR)NS
Presque toute l'Asie antérieure est dans ce cas ; les communi-
cations y sont pénibles, souvent même dangereuses et l'adminis-
tration du pays ne possède pas grand moyen de faire elle-même
les études; en sorte que la plupart des sites antiques sont jour-
nellement dévastés sans profit scientifique (1).
Certainement que, malgré ces difficultés, la Chaldée, grâce;
à l'inlassable énergie de quelques archéologues (2), a déjà
fourni bien des enseignements ; mais combien elle a été peu
inexplorée par rapport à l'Egypte, à la Grèce, à l'Itaie! et encore
ce que nous connaissons d'elle aujourd'hui provient-il en majeure
partie de travaux effectués sur le sol persan !
L'archéologie de l'Iran est depuis dix ans confiée à la France,
La Perse est aujourd'hui un pays ouvert. Je n'insisterai pas sur
les résultats obtenus dans ces premières années de fouilles, tant
dans le Sud que dans le Nord du pays.
L'Afghanistan, l'ancienne Bactriane, est absolument fermé. Il
en est de même pour l'Arabie, la Chine (3), l'Asie centrale où les
voyageurs ont peine à pénétrer. Ces pays n'ont encore fourni que
bien peu d'indications. Mais l'Asie orientale importe moins; car,
ayant vécu retirée de la politique générale, elle n'entre, semble-t-il,
pour rien dans les origines de la grande civilisation.
Quant aux autres contrées, toutes sont phis ou moins ouvertes
à la science; elles ont été étudiées depuis longtemps et ont fait
l'objet de travaux considérables. Toutefois, dans l'état de nos con-
naissances, sur chacune d'elles, sont bien des degrés; car pour
certaines, les études ne font que débuter, tandis que pour d'autres,
elles sont déjà vieilles de plusieurs siècles.
Je citerai en première ligne l'Egypte (/|), la Grèce (5), l'Ita-
lie (6), l'Algérie et la Tunisie (7j, la France, la Suisse, l'Allemagne,
(1) D'après les anciens règlements turcs, lar- la ivligion (jiii ditend de toucher aux toni-
chéologue désireux de faire des fouilles devait beaux.
d'abord déposerune caution, puis prendre avec {il Les règlements égyptiens sur les fouilles
lui à ses frais un surveillant auquelil payait archéologiques encourageant les archéologues
500 francs par mois. Tous les objets décou- et leur faisant une large part dans leurs décou
verts étaient, au fureta mesure des fouilles, vertes enrichissent chaque année le Musée
saisis et expédiésau Musée de Constanlinople. du Caire et permettent l'exploilalion scienti-
n en résulte que la majeure partie des res- fique des sites antiques (lui sans ces travaux,
sources de larchéologue étaient mangées en seraient dévastés par les fellahs,
frais généraux et qu'il n'avait droit à aucun (5) Les règlements grecs, extrêmement oné-
prodtiit de son travail De là provient que le reux pour le fouilleur, ne lui laissent la pos-
sol turc n est presque pas exploré scientifique- session d'aucun objet.
ment, mais a été dévasté par les indigènes. 11 (6) L Italie, qui laisse libres les recherches
en est de même pour la Cyrena'ique. (J. M.) arcliéologiques, ne se réserve qu'un droit de
(2) I-oflus, Taylor, Place, Layard, Oppert, préemption lors de l'exportation des objets,
de Sarzec, etc. (7) Où la France entreli<!nt un service régu-
(3) En Chine, les fouilles sont interdites par lier des Antiquités.
UFJS SOURCES DE LA PRÉHISTOIRE ET DE l/mSTOIHE /| |
l'Autriche, les iles Biitaunicjues, les pays Scandinaves, les États-
llnis d'Amérique du Nord '1); contrées dans lesquelles il y a certes
encore bien des découvertes à faire; mais qui tiennent la tête du
mouvement archéologique.
Viennent ensuite la Tur([uie, les Eialkans, le bas Danube, la
Russie (2), ri^spagne, le Portugal, le Japon, les Indes, les colonies
anglaises, françaises, hollandaises, le Mexique, l'Amérique cen-
trale, le Chili, le Pérou (3), bien peu explorés.
Enfin tous les autres pays du monde sont encore presque
fermés, soit |)ar des difficultés naturelles, soit par la mauvaise
volonté, la jalousie, la cupidité ou l'incurie des populations (jiii
les habitent.
Parmi les pays demi-ouverts aux recherches, il en est qui soni
plus ou moins favorables aux savants. 11 en est aussi qui, se
réservant les travaux, ne possèdent ni les moyens scientifiques, ni
les ressources matérielles pour les eOéctuer.
Ces entraves ne sont |)as seuleihent un retard apporté dans
l'avancement de la science; c'est pour elle un préjudice énorme.
Car, durant ce temps, les sites antiques sont, dans un but vénal,
pillés par des mains indignes (4). et ainsi, les documents se per-
dent sans espoir d'être jamais relruiivés.
Nous connaissons donc aujourd'hui les pays où se sont pro-
<luits les effets; tandis que ceux c|ui sont le théâtre des causes
restent encore bien peu étudiés. Deux régions surtout oUreiit
un intérêt capital : l'Arabie, la Clialdée et toute l'Asie anté-
rieure, en ce qui concerne l'évolution sémitique. L'Altaï, le
Pamir, l'Afghanistan et la Transcaspienne en ce qui regarde l'ori-
gine des peuples aryens. L'histoire des autres contrées n'est
(1) En France. Suisse, Allemagne, Autriche- à conslruirc la maison d un pacha, les infî«'
Hongrie, Scandinavie. Granrie-Bielajinc.Elals- nieurs du canal de Suez ont brisé à la poudre
Unis, les fouilles peuvent être considérées une stèle quadrilingue achéménide, presque
comme libres. loiiles les nécropoles ont été dévastées. En
(i) En Ru isie les fouilles sont prohibées. Le Syrie, les sépultures phéniciennes sont en
monopole en appartient à la Socielé russe core e.xploitées. En Chaldée, rVrcdeClesi-
•rArchéologie qui ne fait rpie d'insignilianls plion a été. dans les dernières années, en par-
travaux, t'^' <lémoli pour construire une école à laide de
(;j) Les nécropoles <lc l'Amérique centrale cl ses matériaux. Tous les tells soni lobjel de
méridionale ont été exploitées pour la recher- fouilles clandestines. En Perse, il se donne de
elle des méuiux précieux quelles renfer- vérilablesconccssions de terrains anliquesqui.
maient. parla vages, produisent des métaux précieux
(i, Ucstpeu de paysdOrient dont les An- Dans le Caucase et le Talyche, les indigènes
tiquilés ne soient <lévaslées et les monuments exploitent les anciens tombeaux pour vendrr
détruits dans un bul vénal En Egypie. avant au poi.ls les métaux qu'ils y trouvent. naii>
les nouveaux règlements, le Temple d'Ermenl pres(|ue tous les pays il se pra.i(|ue de-
a fait les frais de la conslruclion dune sucre- fouilles dont le produit alimenie d'antiquités
j-ie voisine, le temple d'Eléphanline a servi les marchés d Europe.
Il2 LES I^IÎEMIÈRES ClVILISATIONy
({u'accessoire par rapport à celle de ces foyers d'où est sorti le
monde moderne.
Quant à l'ancienne rédaction de l'histoire elle-même, à l'es-
prit des textes antiques que nous tenons à notre disposition, la
eiitique la plus sévère est de rigueur; car, presque toujours, les
faits sont présentés avec un parti pris fort nuisible au jugement
impartial de celui qui consulte ces sources.
Pour certains historieus il n'existe que les grands hommes;
pour d'autres, les personnalités disparaissent devant les ten-
dances des peuples qu'elles conduisent, devant les croyances
religieuses, ou devant toute autre force dont l'affirination est
pensée dominante chez l'auteur.
Sans partager le sentiment de ceux des écrivains modernes (1)
qui ne voient dans l'histoire que des héros, nous devons cepen-
dant reconnaître que c'est surtout [)ar les souverains que les
annales se manifestent ; que les grands hommes personnifient, en
les exagérant souvent, les qualités et les défauts de leurs sujets
et que, par suite, ils fournissent les meilleures indications sur lé
caractère des peuples; éléments d'appréciation qui, la plupart du
temps, nous manqueraient sans eux. Quelle description, en efiet,
est capable de mieux caractériser les Assyriens qu'une |)age des
fastes de Sennachérib ou d'Assourbanipal ; de faire mieux com-
prendre les Perses que le récit d'Hérodote sur les règnes de
Darius ou d'Artaxerxès, la Grèce conquérante que la vie
d'Alexandre, la puissance impériale romaine que les règnes
d'Auguste ou de Trajan?
Les peuples eux-mêmes, ouvriers de la civilisation, c'est sur leur
compte que généralement les annalistes s'étendent le moius, con-
sidérant leurs efforts comme d'intérêt secondaire (•>) ; alors que
le plus souvent les actes des souverains n'ont été que l'exécution
plus ou nu)ins consciente des désirs et des volontés de leurs
sujets, (juele rollet diin état général des esprits.
La plupart des grands despotes ne doivent être considérés
(|ue comme les représentants de la pensée des peuples, les uns
ne dépassant pas les limites des volontés nationales ; les autres
entraînant leurs sujets dans l'exagération de leurs tendances;
(1) Cf. Renan, Dialogues philosophiques. — {i) Nihil lani inesHmabile qunm animi mnl-
*: <ini.vi.E, On heroes.hero'worship and Ihc heroir litudinis tTirs-LivE, Annales, XXXI, 31) Plebi
in hislort;. — CocstN, Hist. f.V /.( Philosophie non jndicium, non Veritas (Tacite, Uisl., 1,
nimlerne, elo. 32/.
DES SOURCES DE LA l'HÉIIISTOIHi: i:i' DE I/IIISTOIIU; '|.S
mais presque tous, j)ai- désir de conservation de leur trône,
ont cherché à les guider dans le progrès. Quant à ceux qu'il
semblerait même inutile de citer dans l'histoire, leur sommeil
politique correspondait bien souvent à celui de leur peuple, et
nous seiions mal avisés de ne pas tirer de leur inactivité les con-
clusions qu'elles comportent. Les grands génies ont été rares
parmi les rois de l'Oiient antique; quant aux souverains plus
modestes, ce n'est pas leur individualité, souvent misérable, qu'il
faut envisager; mais les temps qu'ils représentent.
Les religions étaient pour les peuples antiques le miroir- de
l'ame; car on faisait alors son dieu à sa j)ropre image, lui allribuanl
ses qualités personnelles, ses défauts, voire même ses vices ; et
il en était de même pour les lois profanes.
C'est avec l'aide de ces données, et en y joignant celles que
fournissent les observations archéologiques, que nous devons
dégager l'histoire de l'évolution, des annales anecdotiques. Mais,
je ne saurais trop le répéter : si, théoriquement, la méthode est
simple, elle se complique, dans la mise en pratique, par suite
d'une foule d'incertitudes dues au langage généralement tendan-
cieux des documents sur lesquels nous avons à nous appuyer.
Quelle qu'eu soit la nature, quelle qu'en soit l'époque, rarement
ces écrits sont sincères.
CHAPITRE II
Les origines. — Les temps tertiaires.
Nous ne connaissons rien des origines nalurelles de rhomme(l):
de même que nous ignorons comment ont pris naissance les
divers groupes zoologiques auxquels, pour lixer les résultats de
nos observations, nous donnons le nom de familles, genres,
espèces, variétés, formes ; appliquant, pour aider et satisfaire
notre esprit, une nomenclature entièrement artificielle.
L'apparition de l'homme, en tant que représentant d'un groupe
zoologique, est expliquée par la création dans les philosophies
religieuses (2) ; par la génération spontanée (3) et le transformisme
dans les écoles du stoïcisme et les systèmes qui en dérivent (Ti).
(1) " La question suprême pour l'humanité,
le problème qui est la base de tous les autres,
et qui nous intéresse plus prorondénient qu'au-
cun autre, est la détermination de la place que
l'homme occupe dans la nature et de ses rela-
tions avec l'ensemble des choses. » (Th. Hux-
ley, Evidence us lo maiïs place in nalurc.
Londres. 1863 Trad. fr. Paris, 1868.)
1,2) D'après les e.\égètes bibliques, les dates
de la « Création du Monde » sont les suivan-
tes : 3761 ans avant notre ère, pour les Juifs
modernes ; 3'JôO pour Scaliger (1583) ; 3983 pour
Pétau (contemporain de Scaliger); 4ii04 pour
Usher (1650), date acceptée par Bossuel,
P.ollin, etc. ; 4138 pour Clinton (1819) ; 4963
poui' l'Aride vérifier les dates (1819) ; 6U00 pour
Suidas; 6310 pour Onuphrius Panvinus, enfin
6984 pour les tables alphonsines.
• Le nombre va toujours dimi.iuant des es-
j)rils étroits et insuffisamment éclairés, qui se
croient obligés de défendre comme un dogme
le système des 400i ans de la création à Jésus-
Christ. » (Fr. Lenormant, les Orir/ines de l'His-
loin; t. L p. -273, note i.)
Sur les récits cosmogoniques chaldéens, Cf.
G. Smith, Clialdean Account of Genesis, p. 6-J,
sq — Delitzsch, G. Smith Chaldœische Gene-
s/v, pp. :294-298. — J. Oppert et E. Ledrain.
Histoire d'Israël, t. L p 411, sq. — A. -H. Sayce,
Hecords of the past., t. IX, p. 109, sq Sur ceux
de la Phénicie, Cf. Fn Lenorma.nt. les Origi-
nes de rilisloire. t. I, p. '>'i-2, sq.
(3) La faillite du bulhubius ou protoplasma.
substance, disait-on, vivante, et dont l'analysf
chimique a fait justice, ne doit certainemunl
pas arrèler les études dans ce sens, mais en-
gage à la prudence. La dédicace pompeuse
qu'on avait faite de ce corps au professeur
Uaeckel, la conception théorique du protu-
bathybius n'ont laissé ipiune impression de
profond ridicule (J. M.)
(4) Voici l'ascendance (|ue nous assigne Er-
nest Haeckel (Origines de l homme. Trad. fran-
çaise, p. 45) ; 1" Homo sapiens; i" Homo slapi-
dus; A" Pilhecanlhropus alalus^i' Protliylobales
alaviis; b" Archipithecus ; 6° Neucrolemwes:
1" Lemurauida <Pachy lémures); 8° Archiprimas
{Prochoriata), foime îincestrale hypothétique.
LES ORIGINKS /i5
« Nous savons à n'eu pas douter, dit ()nahefages '1), qu'envisagé
au point de vue analomique et physiologique, i'iiomme n'est
autre chose qu'un mammifère, rien de plus, rien de moins. Dès
([ue les mammifères ont pu vivre à la surface du globe, l'homme
a pu y vivre avec eux. »
UIJomo {Piihecanlhropus ! alalus, privé encore de la parole,
VHomo stiipidus d'IIaeckel, les Ani/irojwpiihecus Bourgeoisi et
Ribeiroi de Mortillet sont des êtres hypothétiques, dont l'existence
ne repose (|ue sur des suppositions sans bases scientifiques pré-
cises. Cette théorie implique l'unité originelle de l'espèce hu-
maine; ce (jui semble vrai pour les races vivant aujourd'hui, mais
peut aussi ne pas l'avoir été pour d'autres disparues.
Ces hypothèses, dont la gratuité ne fait absolument aucun
doute, ont cependant pris, dans la pensée de beaucoup, la valeur
d'axiomes sur lesquels s'échafaudèrent, en ces dernières années,
nombre de théories où la fantaisie tient lieu de raisonnement
scientifique (2). Il no manque pas de savants, ou de soi-disant
tels, qui considèrent le Pithecanthropus comme notre ancêtre ;
alors que rien ne prouve cette ascendance ; (ju'aucune donnée
ne permet d'affirmer que cet être fut une forme ancestrale de
l'homme; qu'il est apparenté, même d'une façon très éloignée, à
notre espèce (3).
Darwin ('i), bien qu'adoptant en général les idées de son dis-
ciple allemand, admettait comme possible que la transformation du
singe en homme, en tant qu'annoncée par la perte de la fourrure
primitive, pouvait remonter jusqu'aux temps éocènes.
Wallace (5), plus réservé, a reporté vers le milieu de l'époque
tertiaire le moment où un singe indéterminé atteignit la forme
humaine, à la suite d'évolutions morphologiques multiples (6) ; et
bien d'autres, dont les travaux sont appréciés par les penseurs super-
ficiels, n'ont pas craint de se lancer dans cette voie, sans songer
1) Hommes (ossilcset Hommes sauvages. Pai'i^, rattril)iilion de mes documents à un livre donl
1884, p. 15. ainsi je semble approuver les absurdités et le-
(2) Cf. entre autres El. Reclus qui, dans folies. (J. M.)
l'Homme et la Terre, a poussé les choses à {3) Une autre théorie tend à considérer les
le-xtrême ridicule. Il va jusqu'à considérer les Simiens comme des branches dégénérées de la
animaux domestiques (se basant sur leurs race humaine. Cf. J.-II.-F. Kohlurugge, Die
perfectionnements» comme des candidats à Morphologische Abslammung des Menschen.
l'humanité Ce livre renferme bon nombre d'il- Stuttgart, 1908
luslralions prises dans mes ouvrages par (4) La De.scc/u/a'ice Jfi /'/7omme, 1872, p. 115.
suite de la gratuité et de la liberté absolue (5) Contrih. to llic Iheorg of .\alural sélect. .\
que j'ai laissées jusqu'ici de puiser datis mes Séries of essays. Londres, 1870, ch. IX.
|)ublications. Je prolestc hautement contre (6) Cf. de Quatiiefages, op.d/.
46 LH^ PREMIÈRES CIVILISATIONS
({lie le terrain réellement scientifique faisait défaut sous leurs pieds.
Ces assertions manqueront peut-être toujours de bases posi-
tives; mais on ne saurait condamnera l'avance ces recherches:
car la science a le devoir d'examiner impartialement toutes les
hypothèses, sous quelque forme qu'elles se présentent.
L'apparition de l'homme sur le globe, envisagée indépendam-
ment du système adopté, esta coup sûr prodigieusement ancienne.
Quant à l'histoire du développement de son esprit, elle se par-
tage en deux périodes bien distinctes; celle où l'homme ne con-
naissait pas l'écriture et celle où, ayant trouvé le moyen de fixer
matériellement sa pensée, cet homme s'est trouvé à même de
transmettre à ses descendants l'exposé de ses conceptions et le
récit de ses actes.
Cette dernière période est extrêmement courte par rapport à
la durée de celle qui l'a précédée et, bien qu'aucun moyen ne
permette d'évaluer, même approximativement, l'étendue des
temps antérieurs à l'histoire, ils nous apparaissent comme ayant
été très longs.
L'histoire ne débute pas en même temps dans tous les lieux,
loin de là ; comme il en advient pour toutes les notions intellec-
tuelles, il s'est formé des foyers, des centres ; grâce à des circons-
tances privilégiées, à des incidents occasionnels, à la supériorité
de certaines races, de certains groupes sur les autres.
De ces foyers, la science de l'écriture, base de l'histoire, s'est
répandue, rapidement dans certaines régions, lentement dans
d'autres ; suivant que la civilisation rencontrait des milieux plus
ou moins aptes à la recevoir.
Suivant l'école transformiste, l'homme primitif, celui qui le pre-
mier foula le sol de notre globe, avait bien en lui les éléments de la
mémoire, de la parole et des autres facultés qui le placent aujour-
d'hui à la tête du monde animal; mais ces aptitudes, tout en faisant
de lui un être très supérieur, n'en faisaient pas encore l'homme.
Réparti sur tous les points habitables de la terre, vivant en
bandes, sortes de troupeaux, plutôt qu'en tribus, il aurait cultivé
peu à peu son intelligence, sa faculté de parler; chaque jour évo-
luant séparément suivant les nécessités de son existence; et, peu à
peu, iY Homo slupidus, il serait devenu Homo sapiens (1),
(1) » Les fonctions physiologiques de Torga- livilé spirituelle, ou plus simplement dame,
nisme, que nous réunissons sous le nom d'oc- sont commandées chez l'homme parles même--
LES OHIGINKS
M
Il est scienti(i(juemenl im|)ossible de dire si l'homme vinl sur
la terre (1) type unique (2) ou s'il ajjpaïut, types multiples, pos-
sédant déjà des caractères spécialement appropriés aux milieux
dans lesquels ces divers types devaient vivre.
Quoi qu'il en soit, un homme de type unique eût-il été versé
sur l'écorce terrestre (3), que rapidement sa descendance se serait
modifiée, en raison des conditions variables de la vie sur les
divers points du globe (1).
L'espèce humaine actuelle est une ; car ses diverses variétés
peuvent se mélanger et procréer une descendance indéfinie
Doit-on penser que toujours elle a été une ? non; car on peut sup-
poser la pluralité des espèces humaines, eu admettant que les
espèces inférieures soient disparues devant c(>lle ([ui aujourd'hui
occupe la terre (5).
Ne voyons-nous pas, de nos jours, les races lortes extcrminei-
jusqu'aux derniers représentants des laces faibles et ceci se pro-
duire dans une même espèce humaine (6) ?
Quant à l'ancienneté de l'homme, elle est, depuis cent ans
environ, l'objet de travaux considérables f7 . Quelques siècles
phénomènes mécaniques .;physiques cl chi-
miques) que chez le-< autres vertébrés. »
E. HAECKEL,Or/^iie de //iomme.Trad. française,
p. i!, note 9.)
(1) Parmi les nombreuses hypothèses émises
au sujet des origines de la race humaine et de
ses migrations, lune des plus curieuses, et en
même temps des moins fondées, est celle du
centre unique situé dans le grand massif mon-
tagneux de l'Asie centrale, qui pendant long-
temps passa pour avoir été le berceau du
genre humain. Cette thèse est fort bien résu
méc par E. de Ujfalvv (Migrations des peu-
ples, l'aris 1873) et plus spécialement dans la
carte accompagnant cet ouvrage (Migralion
des peuples depuis le moment oii ils quittirenl
le Plateau Central, leur premier séjour, d'après
M. DE Hauslalb •■).On remarquera que lespays
recouverts rie hachures sur cette carte, répon-
dant dans la pensée de l'auteur au berceau de
l'humanité, sont précisément ceu.x qui, aux
temps quaternaires, étant couverts de glaces,
se trouvaient être inhabitables. (J. M).
[i) Sur le monogénisme et le polygénisme,
consulter : Abel Hovelacque et Georges
Hervé, Précis d'Anthropologie. Paris, 1887,
chap. IV, p. 120, sq. — A. Dësmouli.ns, Hist.
nal. des races liumaines.
(■{) La tradition sémitique localisant dans la
Chaldée le Gan-Edcn ou Paradis terrestre,
n'a rien qui doive surprendre; car ce pays était,
«le tout le monde connu d'alors, le plus plan-
lui'cux, et les Sémites d'Arabie qui l'abordèrent
et s'y fixèrent conservèrent dans leur esprit
la comparaison entre l'aridité des rives du golfe
Persiqueet la richesse de la Babylonie M.'M. .
Fr. Lenormant [Uisl de l'Orient, 9" éd.,
18.S1, t. I, pp. 98 et 99) place dans le Pamir le
Gan-Edcn de la Genèse et l' Aryana-V-sprija de
l'AvesIa, et en fait le berceau de riiumanilé
post-diluviennc. On remarquera que le ber-
ceau de l'humanité ne peut être pour les
Hébreu.x le même (|ue j)our les Indo-Euro-
péens, chacune de ces familles ne s'élant
souciée que de 1 origine de sa propre race. En-
suite que le point choisi, le Pamir, a toujours
été depuis les temps glaciaires l'un des poiiils
de l'Asie les moins habitables. (J M.)
(4) L'envahissement des deu.x Amériques, d<'
l'Australie, de la Nouvelle Zélande par les Eu-
ropéens, est de (laie loule récente et cepen-
dant déjà l'on i)cut constater des différence-;
sensibles entre les populations émigrées et
celles de même race (jui sont demeurées dan--
le vieux monde.
(5) Déjà les Aryens, depuis les temps hislo-
riques, ont fait disparaître une foule de peuples
anaryens. Leurs progrès actuels sont si rapides,
l'accroissement de leur nombre si grand, qu'il
est à prévoir (pie, dans quelques milleniums. il
n'existera plus sur le globe que des Aryens. mé-
tissés des autres races fond u es avec eux. (J. M.
(6) Cf. J.-E. Cai.i.er, of Ilobard-Town. Ac-
count of the war of extii-pation and babils nf
the native tribes of Tasmania. in Journ. ofthe
Anlhrop. Insl. of Greal Bri'ain et Ireland. 1874.
t in, p. 8. — A. de Quathefaces, Hommes fos-
siles et Hommes saui'uges, 1884. p. 357, sq.
(7) L'un des plus importants est sans contre
dit celui de f.u. Lyell, Tlie Antiquily of Man
I London, 4' éd., 1.873), auquel j'iuirai frèquetu-
meni recours.
LKS OHir.INES !i9
avant nous, les exégètcs hijjliques faisaient remonter à 7.000 ans
au plus la création du monde ; plus tard, on découvrit que riionime
avait vécu à l'époque pléistocène. Et voilà que maiutenant des
savants apportent des indices, souvent discutés, il est vrai (1),
mais tendant à faire remonter Tliomme jusqu'au pliocène, au
miocène même (2) ; et, qu'en tout état de causes, l'ensemble des
faits le montre antérieur au quaternaire.
Grâce aux récentes études des zoologistes e\ des géologues, il
est aujourd'hui possible de reconstituer scientifiquement les
diverses phases du développement de la vie sur notre planète;
<le suivre l'évolution des climats et des êtres; et, par suite, de
déterminer la période qui, pour la première fois, odrit des con-
ditions favorables à la vie de l'homme ; celle, donc, à laquelle
il est admissible de placer sa venue, même s'il n'a pas laissé de
vestiges de son squelette ou de ses industries.
Dès qu'un mammifère vécut, l'homme put vivre et, comme
on le sait, le premier type des mammifères remonte à la fin des
formations secondaires ; c'est donc à cette époque que débute la
possibilité de la vie humaine sur la terre, probainlités l)ien incer-
taines, il est vrai, en ce qui regarde ces temps reculés ; car, à
l'époque crétacée, le développement des mammifères était fort
incomplet, si nous en jugeons par leurs restes fossiles parvenus
jusqu'à nous.
L'homme, s'il a connu ces temps, s'est trouvé à même de sur-
vivie à bien des cataclysmes; j)arce que, doué d'une intelligence'
supérieure, il portait en lui les moyens de lutter contre la nature
et, là où d'autres mammifères ont péri, peut-être a-t-il su résis-
ter. Son aptitude d'adaptation aux climats est si grande qu'il peut
vivre sous presque toutes les latitudes. 11 est omnivore et, par suite,
jiiieux qu'aucun animal trouve sa nourriture. Ces facultés, et la
(1) O. MoNTELius, Congrèx PrPhhl. France. signalés jusqu'ici : Thenay (oligocène^ ; Duan.
1907-08, p, 85. .. Les éolilhes. situés au-dessous i»uy-Courny (miocène; plateau crayeux de
des couches paléolithiques, ont été travaillés Kent (pliocène moyen); Saint Presl et lit fore?
par une main humaine ou par un être inler- lier de Cromcr (pliocène supérieur); et ceux
médiaire entre le singe et Ihomme. Ce sont du quaternaire inférieur.— A. De: yuATREtA
les vestiges de l'homme ou de ceux qui n'étaient ces, l'Homme tertiaire et sa survivance, d>
pas encore des hommes. » Celle manière de Malériaux, 1885, p. 337. - Max Vekworn, Ar-
voir rencontre beaucoup d'opposilion delà part ch;eol. u. palfcol. Reisesludien in Frankreich
<hi plus irrand nombre des préhistoriens. J. M.) and Portugal ; in Zeitscbrifl fiir Ethnologie.
(2) Cf. Conijrc.-i international d'Anlhropoloiiie Berlin, l'Jt)6. Heft. IV u. V, p. "Il, ^1- —
de 1889. Paris, 1891. pp. 5-29-5.=il, où sont discu- Fiutz Wikcjer, Die natûriische Entslehung der
tés les silexdOtta, de Thenay. de Puy-Cour- Norddeutschen Eolithe, in Id. llcft., Hl.
ny. etc. — Hugo Obermaier, Zur Eolithen frage, p 39.=). — A. Rutot. Congr. Pré.hmt. de France.
190."), où lauleur reprend tous les gisements 1907-1908, p. 77.
r)0
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
ij^rancle extension de son habitat, étaient pour lui des causes puis-
santes de conservation à travers les âîres.
Mais il semble inutile de remonter si loin dans les tem|)s
Esquisse de l'Europe à l'oligocène inférieur (d'après A. de Lapparent,
Traité de Géologie, 1906, p. 1547, f\g. 733).
géologiques et d'envisager la possibilité d'existence de rhomme
secondaire; nous nous en tiendrons à l'examen de la période ter-
liaire, de la plus rapprochée de celle où l'humanité se révèle
LES ORIGINES 51
indiscutable manière, jjar les produits de son intelligence et par
les restes mêmes de son squelette.
II existe une transition insensible entre la faune du. crétacé
supérieur et celle de Téocène inférieur; malgré cela, la difï'érence
entre les types purs des deux faunes est telle, que la coupure
choisie par les géologues doit être maintenue, aussi bien au point
de vue zoologique <|u'à celui de la formation des continents.
En ce qui regarde la géographie, c'est en effet, h la fin de
l'époque secondaire que commencent à se dessiner les masses
continentales actuelles. Certes, elles n'acquièrent pas de suite les
contours que nous leur voyons de nos jours; elles n'y parvien-
dront qu'à la suite de nombreuses et importantes modifications;
mais les massifs demeureront dans leur ensemble (1).
Ces efforts des continents pour conquérir leur forme et leur
relief actuel, le début de l'éocène (Lutétien, Barthonien) les a vus
se continuer sous un climat tempéré, sans hivers sensibles. Les
Pyrénées commencent à surgir dans un premier mouvement
(Lutétien), continuent dans un second (Bartonien); puis achèvent
de se former dans un troisième (Sannoisien, Stampien).
Bientôt, un bras de mer venant du sud traverse le continent
européen et amène de grandes perturbations atmosphériques. Le
régime des saisons s'établit, les unes sont sèches et brûlantes, les
autres pluvieuses et tempérées. La moyenne thermoniétri(|ue
annuelle se maintient dans les environs de 25° dans les pays qui,
plus tard, formeront le littoral français de la Méditerranée, ce qui
amène dans l'Europe centrale et méridionale une flore tropicale.
A cette époque, le palmier croil dans le nord de la France, le
cocotier s'avance jusqu'en Angleterre ; tandis que les arbres à
feuilles caduques occupent les régions boréales (2) et les hauteurs
d'où ils ne descendront qu'à la fin de l'éocène.
La flore de cet étage débute, dit Saporta (3), par un asperl
(1; Four l'étude de la «géographie géologique. senicnl qui amènera la période glaciaire du
Cf. A. DE Lappareni. T rai lé lie Géologie. P avis. pôle- De Saporta ap. de Lapparent, Traité
190(5. de Géologie, 19(Xi, p. 1504.
(2) Cf. Nathorst, Geogr. Journ., 1899, p. 6i. (3) Sur la flore fossile, consulter : O. Heeb.
— La flore boréale Landénien) renferme Recherches. ^iir la végélalion tertiaire, IS61. Trad.
laune. le tilleul, le magnolia; on en retrouve fr — O. Hker. Flora fo-^silia Arclica. 7 vol. —
les empreintes, à la Nouvelle Sibérie (V.ToLL, Sciiimper, Traité de Paléontolog réyétale,\S&).
.Mém Acad. Se. Sainl-Pélersbourg, 1899), à Ate- — De Saporta, le Passé des régions arcli(|ues,
nakerdliik Groenland) par 70" lat. N., à l'Ile in Rev. des Deux Mondes, 15 aoiH 1884. — De
des Ours, en Islande, à la Terre de GrinncI S\pohta, le Monde des plantes avant l'apparition
(8-2« lat. N.), au Spilzberg (Eisfjord et Bell de f homme. 1879.
.Sound;. Elle marque les débuts du refroidis-
LES OR[GINES
53
étroitement lié à celui de la flore crétacée, puis, clans la seconde
partie de l'éocène (Landcnien, Yprésien), elle montre des plantes
oflVant de grandes analogies avec celles qui, de nos jouis, couvrent
les côtes de la mer des Indes, l'Asie australe et l'Afrique équa-
toriale.
Dans ces forets apparaissent (1) des animaux nouveaux, des
pachydermes, dont l'ère commence, caractérisée par des formes très
curieuses. En Amérique (2), ce sont des types alliés à la fois à l'élé-
phant, au rhinocéros et au sanglier; ailleurs, on en voit d'autres
parents des équidés. Les vrais carnivores se dessinent; lesquadru-
nianes semblent, eux aussi, débuter avant la fin de la période par
le Ca'no/;/7/?ec«s. C'est l'aurore des temps modernes (|ui commence
à poindre, amenant avec elle toutes les facilités de la vie.
Le continent européen dillére géographiquement peu de ce
qu'il est aujourd'hui, sauf, toutefois, par l'existence de grands
lacs Cn Orient.
La (in de la période est signalée par quelques mouvements
dont l'importance sera grande dans la géographie de l'avenir. Les
Alpes se plissent pour la première fois (oligocène, probablement
Stampien), elles s'achèveroiit dans un second mouvement (posté-
rieur au Tortonien) et, avec elles, tout le système sardo-corse, peut-
être aussi celui de la Sierra Nevada d'Espagne. Il se forme toute
une zone de plissements s'étendant depuis l'Indo-Chine jusqu'au
Maroc, peut-être même plus loin dans ce qui est aujourd'hui
l'océan Atlantique. Le Caucase, dont les premiers mouvements
sont antérieurs à ceux des Alpes, continue son évolution pour ne
la terminer que dans le tertiaire supérieur (Sarmatien).
Malgré ces transformations, le climat demeure au cours du Mio-
cène doux en hiver, pluvieux en été; toutefois, le sol s'est quel-
que peu refroidi. A la végétation tropicale succède une flore à
feuilles caduques ; les forêts se peuplent d'érables, de platanes,
bouleaux, aunes, charmes, peu[)liers, saules, lauriers, etc. Quel-
ques conifères donnent au paysage un aspect analogue à celui
ipi'il présente aujourd'hui dans les régions tempérées. Les pal-
(I) Cf. A. GAiionv, Mainniifèrcx lerliaires. sous les mêmes laliludes croissaient Chara,
{-2) Le caraclère conlinejital de l'Amérique Marcliantia, AspU-nium Alsophilu, Juijldndites,
'lu Nord se fait sentir dans le climal dès Sasxa/'ra.'î, des noyers, liliacés,magnoIias(Rilly).
l'éocène inférieur. I. a llore comprend lesgenres Cf. Munier-Chal.mas, Hull. Soc Gëol. France
Po/iulus, Vihunnim, t'hlnniis, Conjlus (Haut [3], XVII, p. 870 — Sta.>to.n, Knowlton, Bul.
Missouri) Sabal, luylans, Quercus (terril de G. S. Amer., VII, p. 130. — Dawson, Trans.
NVashinglon, Vancouver^ alors qu'en Europe Roy. Soc. Canada, 1895.
LES ORIGINES 55
niiers deviennent de plus on plus rares el le sol se couvre d(^
graminées dans les clairières.
Au milieu de ces richesses que répand à profusion la nature
,ipparaissent lo mastodonte et une foule varice d'h(U'bivores (1),
parmi lesquels Tliipparion, ancêtre du cheval.
Les gisements célèbres (Sarmatien et Pontien) de l'Attique
(Pikernii) (2) et de la Provence (mont Lubéron) montrent qu'à
cette époque des pays, aujourd'hui arides et désolés, élaienl cou-
verts de gras pâturages; où, sur les rives des lacs méditerra-
néens, s'ébattaient d'immenses troupeaux de cerfs, d'antilopes
et d'autres herbivores. L'hippopotame avait déjà pris possession
des rivières, l'Amérique possédait un ancêtre du cheval (Miohip-
pus), l'Inde était peuplée d'éléphants.
Au cours du tertiaire moyen, les traces de ce climat béni se
retrouvent juscju'à 80" latitude nord dans le Groenland et le
Spitzberg (3) où croissaient alors le séquoia, le magnolia, le pla-
tane [Ix).
iVvec le pliocène, surviennent de nouvelles transformations plus
ou moins profondes, [)lus ou moins étendues, amenant des consé-
quences d'autant plus intéressantes à noter, que nous approchons
des temps où se révéleront l'homme (Homo sapiens) et son indus-
trie, où nous entrerons dans la p-àvùe préhistorique do l'humanité.
L'axe de la région soulevée entre l'Atlas et la chaîne Bétique
s'écroule à cette époque, laissant ouvert le détroit de Gibraltar.
L'Océan pénètre dans la partie occidentale de la iSléditerranée, ame-
nant avec lui sa faune marine. En même temps, l'ancienne chaiiic
formée par les Baléares, la Corse, la Sardaigne et la Sicile se dis-
loque, l'Atlas lui-même s'ouvre, laissant une fosse profonde (|iii.
vers l'est, ne dépasse pas l'ile de Cos.
La mer pénètre profondément dans les vallées du Guadal-
quivir et du Rhône transformées en golfes étroits; elle entoure
l'Apennin, longue presqu'île alors reliée^ par un archipel à la
Sicile aux trois quarts submergée.
(1) Dès loligocèiie appar.nl VAiilhnicolhe- w;i.s de CaliforniccL une foule d autres plantes
/7i;m, avant-coureur des ruminants (jui, dansles montrant((u a ceUe époque res latitudes jouis-
périodes qui suivent, prennent une énorme saient d'un «•limai moyen (Ch. Lyeli.. Anlii).
importance. of Man, (>' é<l., 1873. ch. Xlll, p -279) anaiogu.-
(i) Cf. A. Gauohy, Animaux fossiles el Géolo- à celui de IKurope actuelle. Des découvertes
gie de l'Allique. Pari i, 1862. de même nature ont été laites d.tns le cercle
(3) Les couches du miocène supérieur de polaire a loncst de la rivièie Mackenzic, en
l'île Disco (Lat- N. 70°) renferment Sei/uoiVi lslande,etc.. .
Lanysdorfii, conifère v..isin de 8. Semperri- (4)0. 1\em\\. Flora jossitis Arclica.
5(3
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Des mouvements inconnus clans l'Atlantique déterminent dans^
la Méditerranée l'invasion d'une faune marine boréale.
Un golfe s'avançait alors dans le Maroc et l'Algérie, laissant
pénétrer la mer jusqu'au nord de Tétouan : un autre occupait la
vallée du Nil, couvrant le Fayoum et la majeure partie de la
moyenne Egypte.
Sur notre continent, la Dalmatie, le Péloponèse, les Cyclades,
Esquisse de l'Europe à lepoque Plaisancienne.
(D'après A. de Lapparent, Trailé de Géologie, 190G, p. Iti33, fisf. 703.)
la mer Egée, la Floumanie étaient occupés par les lacs du groupe
ponto-caspien, indépendants de la mer Méditerranée.
Les terres américaines, elles aussi, avaient leurs immenses lacs
au pied des montagnes Rocheuses; tandis que la mer couvrait les
côtes californiennes jusqu'à une grande distance du rivage actuel.
Plus tard (Astien), nous assistons à une invasion marine des
lacs de l'Egée. De nouvelles dislocations ouvrent un véritable
fjord dans ce qui sera plus tard la vallée du Nil, et la mer se préci-
pite jusqu'au 2/i° latitude nord. La mer Piouge n'existait pas encore.
Enfin, au terme du pliocène (Sicilien), les mouvements se pour-
suivent presque pai'tout. La Hollande émerge des eaux tandis
que, dans le Cornouaille, est un golfe.
LES ORIGINES 57
Le delta du llhiu se trouvait alors vers le milieu de la uier du
Nord, celui de la Seine dans la Manche à la hauteur de la pointe
occidentale de la Bretagne. Les anciens golfes (Plaisancien)
deviennent dans la Bresse, la vallée du Rhùne, etc., des lagunes
ou des lacs; et le régime fluvial s'étal)Iit en France.
En Sicile (l) apparaît une faune maiine froide, dont les rivages
soulevés se rencontrent aujourd'hui de 30 à 70 mètres au-dessus
ilu niveau de la mer. Dans le Péloponèse, on les retrouve à
ôOO mètres d'altitude. La mer Ixouge se forme sans communica-
tion avec la iNIéditerranée.
Dans la région ponlo-caspienne (2) sont toujours les grandes
nappes d'eau douce, dont cependant l'étendue diminue. De vastes
lacs s'étendent sur le versant oriental du Liban (mer Morte,
O route).
Nos golfes se transforment en lagunes saumatres, celui du Nil
entre autres; tandis qu'en Asie, en Amérique, des mouvements
s'efléctuent, produisant dans les Pampas des alternances de lits
lacustres et marins. A Sumatra, des tufs ponceux de formation
neptunienne émergent de 1.000 à 1.500 mètres.
Les mouvements que je viens d'esquisser, en ce ((ui regardi^
les régions méditerranéennes, ont eu leurs analogues dans
toutes les parties du globe à la même époque. Tous ne sont pas
(également bien étudiés, beaucoup sont encore inconnus. Je ne
dirai ici que peu de mots sur ce ([ue furent les transformations
survenues dans l'Asie antérieure (3), réservant j)our un chapitre
spécial l'étude plus complète de la formation géologique de ces
pays (h).
Pendant l'épocjue éocène, le massif iranien était en grande
(1) Cf. pour les Irniisformations des riva^fs mer. Sa faune jiarliculiùre renferme en m«"Miic
ilans la Médilerraiiée le savant mémoire de temp.s des formes asiali(|ues (cliinolses et ja
M. Houle, les Grotles ilc (îrimaldi, I. I, f;is. II, ponaises) et européennes. « Ainsi le Baïii.il a
l>. 128{Monaco, 1900) où l'auteur reprend toutes pu servir de refuge à des animau.'v qui, aupa-
les observations relatives à lu Côte d'Azur ravarit, peuplaient les lacs par les(iuels, de
(p. Ii8), la Liguric. la Toscane (p 129), la Corse, Tali-Fou jusqu'en Mongolie d'un côlé. jusqu'à
la Sardaigne (p 13'i). I Italie centrale et méri- Omsk de l'autre une grande partie de l'Asie
dionale (p. 131), la Péninsule des Balkans et était alors occupée. » (\. de Lapp.vuent, Leç-
la Crète (p. 133), la mer Egée et la mer Noire dp. Géogr. plu/s.. 1907, p. 541.)
(p 131), la Méditerranée orientale (p. 13d), (3) Cf. .1. ni: Moiujan, Mission en Perse, i. I,
l'Egypte (p. 17), la Tunisie (p. 138), l'Algérie 1894; t. II. 1895; t. 111, 1" partie, 1905. — Mcni.
(p. l.<9), le Maroc (p. 140), la Péninsule Ibéri- delà Délèijalion en Perse, l. I. 1900. — Notes sur
que (p. 141), le Golfe du Lion (p. 143). la Basse-Méso|)otamie, ds la (Géographie, iWi.
(a) Au centre de l'Asie se trouvaient aussi pp. 242-2h7. — Note sur les gîtes de naphtc de
lie grands lacs; le Baïkal (.\lt. 47G m.), dont la Kend-é-Chii in (Gouvernement de Ser-i-l*oul).
profondeur est par places de 1.500 mètres en- in Ann. des Mines, février 1892.
viron.est le dernier témoin d'un chapelet de (4 Cf. Chap. VII, « l'Asie antérieure et
lacs qui, vers la (in du leitiairc;. se succédant l'Egypte anté-hislori(|ues ».
sur le cours actuel de l'Angara, le reliaient à la
58 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
partie sous les eaux (1) ; c'est donc postérieurement à cette époque
qu'il a émergé.
Jusqu'à ce jour, il n a pas été rencontré el assises fossilifères
post-éocènes ; mais les couches éocènes sont loin d'être les der-
nières. On trouve, sur le versant occidental (Louristan, Poucht-
é-Kouh), d'épaisses alternances relevées de marnes, de grès el
de gypse, bien postérieures à l'éocène du plateau et reposant sur
des calcaires que je crois appartenir au tertiaire supérieur.
Les gypses sont eux-mêmes surmontés de couches épaisses
de sables, d'argiles, de marnes et de grès friables, relevées comme
eux.
Cet ensemble forme le fond de la cuvetle mésopotamienne ; il
affleure sur les flancs des montagnes iraniennes, disparaît sous
les alluvions pour reparaître, redressé, sur le bord du désert ara-
bique, tant à la hauteur de Bagdad qu'entre Deir-el-Zor, Pal-
myre et l'anti-Liban.
Nous ne connaissons pas l'âge relatif de ces sédiments supé-
rieurs, dont les fossiles ont été dissous parles eaux acides de cette
région gypseuse ; toutefois, le relief du sol était à peu de chose
près établi lors de l'existence des lacs (Sicilien) de l'inter-Libau
et aussi lors(Plaisancien) du dépôt osseux de ^taragha. Nous pos-
sédons ainsi les deux limites (éocène et Plaisancien-Sicilieni entre
lesquelles le mouvement s'est opéré.
A la fln du tertiaire (Plaisancien), le plateau persan n'oflrait pas
l'aspect désolé qu'il pi'ésente aujourd'hui; son climat plus régulier
et plus humide permettait aux prairies et aux forêts de se déve-
lopper.
A cette époque, l'Iran, peut-être moins élevé qu'aujourd'hui
dans son ensemble, était ])ordé au nord par le grand lac ponto-
aralo-caspien, à l'ouest et au sud par le golfe Persique, prolongé
dans le pays des deux fleuves, ou par un immense lac s'étendant
jusqu'au Liban. Il portait lui-même des lacs, tel celui d'Ourmiah,
alors très étendu, et alimentait une plantureuse végétation, si
nous en jugeons par la faune qu'on rencontre dans les sables de
Maragha.
La fin du pliocène vit l'Iran, l'Arménie, le Caucase se couvrir
de névés et de glaciers reliés à la grande calotte de l'Asie centrale ;
(1) ("lisemonts éoconesde Soh. de KiMiin, de Mollali Ghiavan au Pouclil-é-Kouh,du ZagrOj,elc.
l.t:s OHllilNES 5t)
puis, au cours du pléislocène, le |)ays prit définitivemeiil ses
formes lopographiques actuelles. De vastes lacs salés ou sauniâtres
s'établirent dans toutes les cavités du plateau, rendant infertile
toute la région.
C'est à l'époque des érosions et des alhivions quaternaiies
que le pays a définitivement pris l'aspect actuel. Depuis longtemps
peut-être la sécheresse et la salure des terres avaient fait émigr< r
les herbivores; mais l'al^sence coiiijjlèle, (huis les limons du j)!;!-
teau, de mollusques terrestres autres que ceux vivant actuelh-
ment,estla preuve que cette faune n'a pas changé et que, par suite,
les conditiojis climatériques sont restées les mêmes depuis la fin
du pléislocène.
Sur le plateau, et tout à l'enlour, sont de j)uissantes formations
caillouteuses; près des montagnes, elles atteignent parfois (Zohàh,
Dizfoul, Ghouster, Louristan) plusieurs centaines de mètres
d'épaisseui-. .lamais je n'y ai rencontré d'ossements animaux ou de
produits de l'industrie humaine.
Ces alluvions, en Chaldée, sont aujourd'hui recouvertes j)ai-
d'épais limons; elle se retrouvent dans le désert syro-arabi(|ne,
ofîrant à leur surface des instiumenls paléolithiques du type
chelléen.
Dans la vallée du Lar, sur le versant de la mer Casi)ienne,
j'ai, en 1889, découvert un gisement d'instruments très grossière-
ment éclatés (Ab-é-Pardôma) et plus bas, ])rès d'Amol, on a trouvé
dans les alluvions caillouteuses une molaire d'Elephas primu/e-
niiis qui m'a été montrée; mais ces deux gisements sont situés
en dehors du plateau : ils appartiennent au bassin caspien dont la
végétation, surtout au Mazandéran, est et semble avoir toujouis
été d'une extrême richesse.
Comme on le voit, l'Iran a subi au cours du tertiaire des
modifications plus importantes encore que celles de l'Europe.
A la fin du pliocène, ou au début du pléistocène, la nier
s'étendait au loin dans la Mésopotamie; et là, ses rivaires ont été
relevés comme ceux de la Méditerranée. L'on voit en ellét, sur tout
le bord du désert arabique, des falaises de giavier coquillier (Sici-
lien?) situées à une assez grande hauteur au-dessus du niveau
actuel de la mer. Les phénomènes d'émersion se sont étendus, au
moins jusque-là, dans la direction de l'est.
Avec le pliocène, le climat européen se refroidit encore ; on
60 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
ne rencontre plus les grands palmiers et les camphriers; seul, un
chamérops se maintient encore en Provence.
Les séquoias et les bambous demeurent encore quelque temps
dans les pays méditerranéens ; alors que les forêts de l'Europe
occidentale se peuplent du chêne, de l'érable, du noyer, du mé-
lèze, du peuplier ; essences dont quelques espèces se trouvent
aujourd'hui encore en Algérie, en Portugal, au Japon et dans
r Amérique du Nord.
Dès lors, la faune moderne se dessine nettement ; le genre
maslodon disparaît de l'Europe avant la fin du pliocène pour sur-
vivre longtemps encore en Amérique. De grands proboscidiens
le remplacent, VElephas nieridionalis entre autres, qui s'avance au
nord jusqu'en Angleterre.
L'hippopotame est à son apogée, les rhinocéros sont très nom-
breux, de même que les cervidés, les bovidés, l'hipparion et enfin
le cheval proprement dit qui fait son apparition.
Les singes vont quitter l'Europe pour se rapprocher des tro-
piques. A Java vit le Pithecanlhropus erectiis, grand quadrumane
plus voisin de l'homme qu'aucun autre (1).
Comme on le voit par ce qui précède, depuis la fin des terrains
secondaires jusqu'à l'aurore de notre époque, la flore et la faune
ont évolué d'une façon continue. H y a homogénéité parfaite dans
l'efi'ort delà nature et notre époque n'est que la suite et la consé-
(juence de celles qui l'ont précédée. C'est même, semble-t-il, au
cours du pliocène que les grandes provinces zoologiques mo-
dernes se sont formées.
Dans la suite, les phénomènes glaciaires viennent, il est vrai,
troubler l'harmonie de cette évolution et obliger la vie à se can-
tonner d'une façon plus spéciale; mais le développement général
ne se continue pas moins normalement dans son ensemble.
Depuis les débuts de l'éocène, les conditions ont toujours été
(1) " D'après les comptes rendus du Congrès les débris fossiles ù un homme, trois à un
'le Leyde (auquel j'assistais), je vois que les singe; en revanche, six zoologistes et même
.lulorités zoologiq'ies et analomi(|nes le^ plus davanlaRe les prirent pour ce qu'à mon sens ils
éminenlesont émis des opinions très diver- sonten réalité : les restes d une /'orme (icpfz>.s'/(/c
gentes sur la nature de ce remaniuable fos- encore inconnue ent:e l'homme et le singe.
sile [l'ilhecanthropus enctus] » (E. D. bois). (E Hakckel, Origine de ihjinme. Tiad Iran-
Malheureusement ses restes, consistant en une (;aise). Cf. s.iir Pilhecanlhropus. G Si;hwalbe,
calotte crânienne, un fémur et quelques dents, Sludien ilber Pilhecanlkrofius erechis (Du-
rtnient tiop incomplets pour permettre d'ass^-oir bois,, publié dans Zeilachrtfl fur Morplwlugie
un jugement délinilif. La conclusion de ces und Anthropologie. Stuttgart, 18%, t. I —
longs et orageux débals fut que, sur environ iMAiiouvRiEB, in Bull. Soc. Anlhrop. Paris.
dniizc savants compétents, trois rapportèrent :896.
Li:S ORIGINI-S (>|
favorables au déveloj)j)onient tlos èties vivanlainsi (|u(i riioiniiKî ; la
flore coiimie la faune leur lurent toujours |)roj)ices.Si notre ancêtre
a connu ces temps, il n'y a certainement pas rencontré plus d'en-
nemis que n'en virent les Chelléens et les Dorcioniens des diverses
époques préhistoriques, que n'en trouvent aujourd'hui les nègres
<le l'Afrique tropicale, les négritosde Tlndo-Chine ou les Lapons.
Si nous rejetons comme non probants tous les restes attribués
à l'industrie humaine, signalés jusqu'à ce jour dans les couches ter-
tiaires; ce n'est pas une raison pour nier à j)riori la possibilité de
l'existence hunjaine dans ces temps reculés.
Nous ne connaissons, en effet, que bien peu de chose des
dépôts terrestres laissés au cours du tertiaire sur les continents
habitables ; beaucoup ont été lavés lors des grandes inondations,
d'autres se sont abîmés dans la mer a\oc les teiritoires qui les
portaient.
Nos recherches en ce sens sont encoii; insuffisantes, elles n'oni
porté jusqu'ici (|ue sur une bien faible partie des ruines des con-
tinents tertiaires; et les régions explorées ne sont peut-être pas
celles où l'homme d'alois a vécu. Dans tous les cas, la succession
des dépôts terrestres de ces âges serait extrêmement difficile à
établir d'une manière précise; car, d'une part les os et les coquilles
ont généralement été dissous parles agents atmosphériques; el
d'autre part les premiers hommes nont peut-être pas façonné
<rinstruments en matières durables. 1! s(> peut que les pierres
brutes, les morceaux de bois eussent répondu à tous leurs
Ijesoins d'alors.
Admettons que l'origine humaine des éolithes présentés
jusqu'ici (1) ne soit pas démontrée (2); il est impossible de nier
(jue, même de nos jours, l'homme iic lasse fréquemment emploi
I 11 Cf. A. Rcror, Cnuserios sur li^s iiulustriep rieur,, lleulclii'ii. Maf/lien, Mcsvii, un {\>o\ir les
<le la i)ieiTe .ivcc (lémonstration scienlifique divers niveaux du quale iiaire iiiferieuri, Flr
el pratique de l'existence de l'industrie éoli- nusien (correspondant à l'iige néolilhique), el
Ihique, ds Rev. de l'École d'Anthropologie de Tasmanien p ^ur l'époque acluelle. Cette ingt-
Paris,1907,t. VIII. p. 283. — M. A. PiUtot (/îu//. nieuse théorie n'est généralement pas ;n-
Soc iielge de (iéol., \Wl,l. \Xl. p. ii\. la Fin cepléc. {.J.M-i
de la question des éolithes) considère les éoli- (2) M. Boule (lAge des derniers volcans de
thés non plus comme une industrie primitive la France, ds la Géographie, t. XIJI. liKKi.
de remploi de la pierre : mais comme une in p. 287) considère comme prohlémalique l'exis
duslrie spéciale, avant débuté à l'époque 1er- lence de Ihomme à la fin de la période plio
tiaire. .s'étanl développée dès le quaternaire cène, cesl-àdire au temps où vivaient VElr
parallèlement aux autres svstèmes, (;t ayant phas ineridionalis, Ithino erox cirusrus. etc., et
duré jusqu'à nos jours dans tous les pavs. Je où se formèrent dans la France les alluvion>
classe, dit-il, les diverses phases de l'état éoli- des plateaux el les moraines de la première
thique : Canlalien (miocène supérieur), Kenlien grande exiension glaciaire,
pliocène moyen). Sa/n/-Pre.s/(cn(pliocène supé-
(V2 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
d'instruments naturels en pierre, en bois, en os, etc. Cet usage
est inné chez lui, chez le sauvage comme chez l'homme civilisé,
chez l'enfant comme chez l'adulte. L'adaptation est la consé-
(|uence forcée de cet instinct; et les éolithes en seraient les ves-
tiges.
Mais il est un fait plus important encore, venant à l'appui de
la supposition qui accorde à l'homme une antiquité supérieure
aux temps quaternaires; ce fait est que les instruments du type
chelléen se rencontrent sur la plus grande partie de la surface
du globe, dès les débuts du quaternaire.
Le coup de poing, même grossier, est un instrument trop per-
fectionné pour qu'il puisse représenter le premier essai d'un être
doué d'intelligence, cherchant l'adaptation à ses usages des maté-
riaux f|ue la nature mettait à sa disposition. Les tâtonnements ont
(lu être nombreux et longs. Or, en possession de cette industrie
relativement élevée, il nous apparaît déjà très répandu. Sa décou-
^ erte avait donc eu le temps de se pro{)ager dans les pays
encore émergés à notre époque et dans d'autres engloutis
aujourd'hui.
[jC foyer des dé\ eloppements antérieurs au coup de poing est
probablement unique; mais peut-être aussi a-t-il, pour toujours,
disparu sous les (lots ; on ne peut nier cependant qu'il a existé.
C'est là, si ce lieu émerge encore, qu'on trouverait les stations
éolithiques répondant à toute la série des essais, des tentatives
qui, forcément, ('nd)rassent de longues suites de siècles.
C'estau cours du Icrtiaire seulement ((ue ces tâtonnements peu-
vent avoir eu lieu : peut-être ont-ils débuté pendant le pliocène, le
miocène, l'éocène même; car rien ne s'oppose à ce que l'homme
eût vu le jour dès les débuts du tertiaire. « Les nègres en Afrique,
les négritos dans la ^falaisie affirment, a dit Cartailhac (1), par
leur répartition sur la surface du sol, leur origine tertiaire. »
(Chaque jour les présomptions s'accentuent en faveur de la thèse
faisant renionter l'homme à ces époques. Elles sont combattues
avec violence par certaines écoles et le seront jusqu'au jour où
une preuve positive, inattaquable, viendra mettre fin au débat.
Nous en sommes encore réduits, pour la solution de ce grave pro-
blème, aux conjectures, aux considérations générales basées sur
'1) La France préhi-<t.. Ik'JC, p. Xk
LFS ORIGINES 68
le rationalisme, et certes ces aperçus sont loin d'olïrir des bases
scientifiques solides; mais 1(^ bon sens oblige à faire remontei-
ra[)parition de l'homme au delà des temps où sa présence se
manifeste par les réalités constatées jusqu'ici.
« L'ère moderne ou quaternaire est caractérisée par l'appari-
tion de riiomme sur la terre », disent les géologues. Si le quater-
naire n'existe ([ue par cette définition, il faut se hâter de le sup-
primer pour réunir les temps modernes au pliocène. Car ce n'est
pas de l'homme primitif lui-même dont il est question dans cette
définition, ce n'est pas de sa venue en tant que type zoologique;
mais bien rapj)arition d'une industrie déjà nettement formée, déve-
loppement qui suppose qu'une longue période s'est écoulée avant
((ue l'ouvrier du coup de poing eut perfectionné son intelligence
au point de posséder une telle civilisation.
Si l'on envisage la flore et la faune des dernières époques ter-
liaires,les comparant à celles des temps quaternaires et modernes
on trouve de telles analogies, une suite si continue, (|u'il est im-
possible de ne pas relier intimement entre eux ces deux mondes.
Les phénomènes glaciaires ont, il est vrai, créé un hiatus dans cel
(msemble homogène ; mais ce hiatus est plus apparent que réel,
car il ne s'applique pas à la totalité du globe.
Il ne saurait être ici question d'évaluation en millénaires des
temps employés à ces perfectionnements ; nos chronologies ne
peuvent être que relatives. Peut-être le jour viendra-t-il où les
bases de ces calculs seront plus sûres; mais dans l'état actuel de
notre savoir, nous ne pouvons que nous abstenir de formuler
un nombre, quel qu'il soit.
CHAPITRE III
Les phénomènes g-lacialres.
Nous avons vu combien les modilications continentales plio-
cènes eurent d'importance (1) en ce qui concerne les reliefs de
l'Europe et par suite la nature de son climat; mais nous devons
remarquer aussi que la formation de grandes nappes d'eau dans
la Méditerranée, l'existence de lacs étendus dans la région ponto-
<3aspienne, en Afrique, en Syrie, en Sibérie, aux Etats-Unis, l'efîon-
drement de continents entiers dans l'Atlantique (2), ne furent pas
sans modifier également d'une façon notable les conditions clima-
tériques de l'hémisphère boréal. Ces mouvements ne cessèrent
pas avec l'époque tertiaii-e; ils se sont poursuivis au cours du
pléistocène et se continuent encore de nos jours.
Ces oscillations, dues à la plasticité de l'écorce terrestre, se
manifestent sous forme d'immersion sur certains jjoints, d'émer-
sion sur d'autres et, fréquemment, en vertu des lois de compen-
sations dictées par l'invariabilité relative du volume terrestre,
il y a mouvement de bascule ou de glissement allcctant de vastes
n'ii-ions (3).
(1) Voici (luelciues données sur l'cLat actuel
(les reliefs terrestres pris dans leur ensemble;
la surface totale du criobe étant de 5U',t.i)ôO.0OO
kilomètres carrés, 365.501.000 sont occupés
par les mers et 144. 449.000 par les terres,
Cf. Wagner, BeilrAqe zur Geophiisik, 1895;
dont 100.800.000 pour l'hémisphère boréal et
44.200 environ pour l'hémisphère austral. Le
quart environ des continents est occupé par
des hauteurs supérieures à 1.000 mètres dal-
titudc. soit 70.0no.000 kilomètres carrés pour
lesallitudes situées entre 1.000 et 2.000 mètres.
13.000.(00 pour celles de 2.000 à 3.000 mètres,
7. 500.000 pour celles entre 3.000 et 4.000 mètres
et 7.500.000 également pour les altitudes su-
périeures à 4.000 mètres.
2) Cf. .Vu sujet de la théorie de l'Atlantide,
A. DE Lapparent, Traité de géol. — Lubbock,
l'Homme auaiil l'Histoire, p. 40. — Cii. Ploix,
lieu. d'Anthrop., 1887, p. 291. — Bull. Soc. df
Borda (Dax). 188 i. Bien des .savants se refu-
sent à cette hypothèse.
(3) " Au moment où une grande ligne de
relief se constitue sur le globe, elle forme le
rivage d'une dépression océanique ou lacustre,
sous laquelle elle s'enfonce par son flanc le
plus abrupt, et en général, l'importance de la
chaîne à laquelle elle donne naissance est en
rapport avec celle de la dépression qu elle
côtoie. >■ (A. DE Lapparem. Traité de Géolo-
flie, 1906. p. 67.)
LES PHl-NOMKXES GLACIAIRES 05
Des défornialions de cette nature se sont produites à toutes
les époques ; et nous en retrouvons les traces dès les temps géo-
logiques les plus reculés. De nos jours, elles sont généralement
peu sensibles et, par suite de leur lenteur même, avaient, jus-
qu'à ces derniers temps, échappé à l'observation rigoureuse.
De l'intensité des phénomènes qui se produisent sous nos
yeux, nous ne pouvons cependant pas déduire l'importance de
ceux concernant les temps écoulés; il y a certainement eu des
périodes d'activité maxima et des époques de minima ; mais nous
ne sommes pas en droit d'établir des lois chronologiques basées
sur l'observation des faits récents.
Les phénomènes dus à la plasticité de l'écorce terrestre sont
de trois natures : les éruptions volcaniques, les secousses sis-
miques et les déformations plus ou moins lentes de la surface.
Les temps pléistocènes ont vu, comme les nôtres, de nom-
breuses éruptions volcaniques: je citerai entre autres celles du
massif central de la France, les dernières de ce groupe.
Depuis, les éruptions se sont continuées sur toute la surface du
globe et l'on ne compte pas moins de 323 volcans (1) qui, depuis
trois siècles au plus, ont donné des preuves de leur activité.
Grâce aux nouvelles méthodes d'observation (2), il a été possible
de reconnaître l'existence d'un certain nombre de foyers sismiques
principaux et d'établir approximativement l'aire de leur action.
J'en citerai quelques-uns.
Dans le Nouveau Monde sont deux groupes ; celui des Açores
dont l'influence s'étend de 20" à 60" de latitude septentrionale, et ce-
lui des Rocheuses et des Andes comprenant toutes les côtes occi-
dentales de l'Amérique et se reliant par l'Alaska au groupe asiatique.
Le groupe Central Américain, dont les limites comprennent
les Antilles, la Floride et les Guyanes, se relie vers l'est à celui
des Açores.
Dans la mer du Nord, le foyer islandais fait sentir ses effets
depuis les côtes nord-ouest de la Norvège jusqu'à 70Mnlitude nord
environ.
Plus au sud, le groupe indo-européen affecte les régions com-
prises d'une part entre Bombay et Lisbonne, d'autre part entre
Zanzibar et le Caucase.
il) FvscHs, les Volcans. Paris, lt<78, -2' cdit. (2) J. Miliie.
LES PHIvNO.MKXES GLACIAIIÎKS 67
Enfin, un autre foyer sisinique comprend Maurice et Mada-
gascar.
Il serait aisé de citer un plus grantl nombre de régions ail'ectées
par ces phénomènes; mais les exemples que je viens de donner
sont particulièrement intéressants parce (|u'ils concernent des
portions de l'écorce terrestre qui, nous le savons, ont travaillé
pendant l'époque tertiaire et dont Tactivité s'est continuée au
cours du pléistocène et jusqu'à nos temps.
Il existe certainement des relations entre les diverses manifes-
tations des forces centrales de la terre, qu'.elles se traduisent sous
forme d'éruptions volcaniques, de secousses sismiques ou d'oscil-
lations lentes de l'écorce; mais, jusqu'ici, nous ne possédons pas
les données nécessaires pour relier entre eux ces phénomènes.
En les passant en revue sommairement, j'ai simplement voulu
montrer combien est mobile cette croûte sur laquelle l'homme
s'est développé et combien, par suite, il doit être fait de réserves
dans l'étude des causes de son évolution aussi bien zoologique
qu'intellectuelle.
En effet, si nous étudions les oscillations de l'écorce terrestre (1),
nous nous trouvons en présence de faits dont les conséquences
touchent de bien près à l'histoire de l'humanité ; car ces mou-
vements ont profondément affecté l'habitat de notre espèce.
Au nord de l'Europe, la péninsule Scandinave tout entière
subit actuellement un mouvement de bascule, le fond du golfe de
Bothnie s'enfonçant de 1 m. 60 par siècle, tandis que la pointe
méridionale de la Scanie se relève (2).
Jadis, cependant, au cours de la période actuelle, un bras
de mer joignait la Baltique à la mer du Nord, passant par la
dépression des lacs Mâlaren, Hjelmaren et W'enern ; et ces dis-
tricts sont aujourd'hui situés bien au-dessus du niveau des mers.
Ailleurs, sur d'autres points de la Scandinavie, des plages ma-
rines d'époque glaciaire se trouvent maintenant surélevées de
200 mètres.
(1) Pour les moiiveirients de l'écorce 1er- Sitpan, r*e/. .Vi;., 1888. — Bhùckner, Verliandl.
reslre en général, Cf. Ed. Suess, Das Antlitz d. IX'^'" Geographentays. — Siéger, Ze.tsch. d.
derErde, surtout le t. II, trad. E. de M.'irgerie, Ge.s-. fiir Erdkunde. Berlin, 1890. — A. de Lap-
190U. Toutes les théories du savant professeur parent, Trailé de Géologie. 1906, p. 581 sq. —
viennois ne sont cependant pas admises par Docteur Andue, M. Hause^. Skandinaviens
l'ensemble des géologues. SUgning, 104 p., avec résumé en anglais, in
(2) Sur les mouvements de la péninsule Geologislœ iindcrsôgelser, n' iS. Aarbog, I89G
Scandinave, consulter : V. Schmidt, le Dane- til i89!>. Krisliania, l'JOO.
mark en 1867. — Suess, An/Z/Zz derErde; —
68
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Le nord du Danemark, suivant le mouvement de la Suède
méridionale, émerge lentement; de telle sorte que les kjœkken-
Le plateau sous-marin et les vallées dans la mer du Nord
(d'après les cartes marines).
mœddings laissés jadis près des grèves en sont aujourd'hui dis-
tants parfois de 10 kilomètres environ.
LES PHÉNOMÈNES GLACIAIRES
69
Le sud et la partie centrale du Jiitland, au contraire, s'enfoncent;
de telle façon que si ce mouvement se continue, le jour viendra,
dans quelques siècles, où le golfe de Bothnie se joindra à la mer
Blanche et où le détroit danois, au lieu de se trouver entre Gôte-
borg et le cap Skagen, sera reporté plus au sud vers le Schles-
wig (1), La Scandinavie, s'étendant au sud, absorbera le Dane-
mark (2).
En examinant la carte des côtes norvégiennes, nous la voyons
découpée par de longues échancrures, les fjords, profonds et éten-
dus. Or ces fjords ne sont autres que des vallées d'érosion qui
n'ont pu se former qu'à Tair libre (3), au cours du pliocène ou
du pléistocène, sous l'action des rivières. Ils contiennent
aujourd'hui, par places, plusieurs centaines de mètres d'épaisseur
d'eau (Ji) ; c'est donc de cette hauteur au moins que les Alpes
Scandinaves se sont affaissées depuis le creusement de leurs val-
lées (5) ; et il en est de même dans bien des régions, pour
l'Islande entre autres (6 .
Cette remarque est d'une importance capitale en ce qui con-
cerne la formation des grands glaciers ; car elle prouve que les
Alpes norvégiennes ont été beaucoup {)lus élevées qu'elles ne sont
actuellement et que, par suite, elles offraient, jadis plus qu'aujour-
(1) Forêts et tourbières submergées sur la
côte orientale de Leba ^Poméranie). Cf. la
Géogr., f. V, p. 284.
(2) L'un des points les plus intéressants à
étudier, en ce qui concerne les mouvements
post-tertiaires des cotes, est Tile de M()en.
(Cf. Ch. Lyei.l, Geol. Transactions, II' série,
vol. II, p. 243. — PuGGAARD, Geologieder Insel
Môen. Bern., 1851.
(3) (Cf. DE Lapparent, Traité de géologie,
V' éd., 1906, p. 24it.) Une seule conclusion
demeure admissible, celle que ces déchirures
du sol, si exactement prolongées sous la mer,
existaient à l'état de vallées continentales,
lorsqu'un changement de niveau a déterminé
leur submersion partielle sous la nappe océa-
nique. Ce changement semble avoir été très
brusque, sans quoi les fjords n'auraient pas
conservé leur aspect de vallées comme le
fait a lieu dans la plupart des Rias de la côte
de Galicie. delà Bretagne, de l'Irlande et du
pays de Galles. Le fond des fjords a lui-
même subi parfois des déformations aux
abords de la limite du massif montagneux.
Ainsi le Hardanger fjord, profond de 800 mè-
tres, a été relevé à son entrée de 450 mètres,
tandis (|ue d'autres présentent une pente
continue.
(4) La cavité la plus profonde des fjords
norvégiens est de 1.242 mètres (Sognefjord)
tandis que dans le Baker fjord, en Patagonie,
la sonde est descendue à 1.2G1 mètres. (Cf.
Otto Norde.nskjOld, Topograph. Geol. Stu-
dien in fjordgebieten,ds Bull, de l'Institut géo-
logique d'Ujjsala, 1899, n» 8, IV, 2). Les pro-
fondeurs des principaux fjords de la Norvège
sont, d'après Nordgaard (Naturen Bergen,
n" 12, décembre, 1904, p. 382): OfotentenfjonI,
550 mètres; Tysfjord, 725 mètres; Oxsund,
630 mètres; Foldenfjord, 530 mètres; Skjers-
ladfjord, 518 mètres, etc. On voit d'après ces
données que l'affaissement de la côte norvé-
gienne, après la période d'érosion des vallées,
ne s'est pas faite régulièrement et que son
maximum semble avoir été de 1.250 mètres
environ.
(5) Cf. sur les déplacements des rivages
quaternaires dans la Norvège seplentrionaie,
la Géographie, 1905, t. XI, p. 308. Compte
rendu par C. Babot des travaux de W.-C.
Brrigger(iVorye.s Geologiske Undersôgelse, n'^i],
Om de Senglaciale og post-glaciale ,\ir,îforan-
dringer i Kristiania fellet Kristiania, 19 X) et
1901) et de W. Bamsay (Ueber die Geologische
Entwicklung der Halbinsel Kola in der Quur-
tarzeit. Helsingfors, 1898).
(6) Suivant \\. Sevastos [Bull. Soc. Géol. de
France, IV' série, t. \ I, p. 235), la cause
efficiente d'abaissement des aires continen-
tales devrait être cherchée dans la surcharge
de celles-ci par l'énorme masse de glace des
époques glaciaires.
70
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
d'hui, des conditions favorables (1) à l'accumulation des névés (2).
Cet affaissement s'est produit en même temps que celui des
pays situés entre la Scandina\ie et la côte anglaise, dont les
îles Orkney et Shetland ne sont que les ruines; que celui du
banc de l'île porphyrique de Rockhall, long de 160 kilomètres,
large de 80, sur lequel la drague recueille, par 200 mètres de fond,
des mollusques morts depuis longtemps et appartenant à une
faune beaucoup moins profonde (3) ; en même temps, en somme,
que toute la surface du célèbre plateau de cent brasses (180 m.)
qui entoure notre littoral du Nord (/j), que les terres qui jadis
joignirent l'Europe à l'Islande, au Groenland et au Continent Amé-
jicain, que nos contrées elles-mêmes.
Ce mouvement semble se poursuivre encore dans les temps
actuels; car on en peut suivre les traces sur les côtes de la mer
du Nord et de la Manche (5).
C'est en 1170 après J.-C. que l'isthme qui joignait la Hollande à
la Frise s'est rompu et a disparu sous les eaux. C'est au treizième
siècle que le lac Flévo devint un golfe, que le Zuyderzee se for-
ma (6). C'est en J/j21 que se créa la mer de Biebosch. 11 y a donc eu,
du douzième au quinzième siècle, afl'aissement continu de la côte (7).
(1) « La tranche pluviale, dans un courant
atmosphérique, est d'autant plus épaisse que
le courant airétc par un obstacle est forcé
de s'élever plus rapidement » ; (CEZANNf,
Elude sur les torrenls, II, p. .'il), lair deve-
nant plus froid avec l'altitude (1° par 100 mè-
tres environ) se décharge d autant plus rapi-
dement de son humidité que sa température
s'abaisse plus vite. C'est ainsi que la friande
muraille Scandinave, surélevée de 500 à
l.OUO mètres, joua le même rôle vis-à-vis des
vents océaniques, que joue l'Himalaya par
rapport à ceux des tropiques (à Cherra-Pon-
jée (Indes), il tombe une moyenne de 1-2 à
14 mètres d'eau). Les pays jadis occupés par
les glaciers se font d ailleurs encore remar-
quer par la grande quantité d'eau (]u'ils re-
çoivent sur (piel(|ues points (Bergen, 2 m 6' ;
Slyehead [Cumberland;, 4 m. 7-2.)
(2) L'influence du relèvement des massifs
Scandinaves et autres sur la formation des
glaciers a été mise en évidence dès 18G4 par
Frankland (On Ihe physical cause of Ihe Gla-
cial Epoch, in Phitosoph. Mag.)
(3) Les dragages effectués sur le <■ Dogger
bank » par une profondeur variant de 13 à
40 mètres ont amené un grand nombre d'osse-
ments de mammouth, de rhinocéros, de
renne, etc., montrant que ce plateau était
jadis émergé. Plus au nord, sur le « Long
forties bank n, parmi les coquilles roulées du
fond, se rencontient des mollusques ne vivant
que dans la zone des marées, prouvant par
leui' présence à une profondeur de 70 mètres
qu'en ce lieu l'ancien rivage s'est affaissé
d autant. (Cf. .Iukes Brow.n, The Building of
Ihe British Iles.)
(41 A. Rutot [Congres préhist. de France, à
Vannes en 1906, le Mans, 1907), examinant la
question des gisements chelléens submergés
du Havre, rappelle ses travau.x sur « les ori-
gines du quaternaire de la Belgique (ds Bull.
Soc. Belge de Géol., t. XI, 1897 [Mém.]), dans
lesquels il a prouvé que le plateau de la mer
du Nord ne s'est enfoncé qu'à la fin du qua-
ternaire et que, par suite, il a été occupé par
1 homme chelléen. Il accorde 10.000 ans à
l'anticjuité de cet effondrement et fait remar-
quer que ce mouvement est indépendant
d'autres qui ont eu lieu postérieurement.
(5) Cf. Langeraad, Zeilsch. f. wissensch.
Geogriiphie, 1888, p. 265.
(6) C'est en 1277 que la mer, entrant dans
le lac Flévo, forma le Zuyderzee. Quatre-
vingt mille personnes périrent dans !e cata-
clysme.
(7) J. Van Baren, ds la Géograjihie, t. V,
1902, p. 49 et les deu.x caries, pp. 50 et 51. —
J.-C. Ramaer. Geogr. Geschied. V. Holland,
beguiden de Lek en de yieuwe-Maas in de Mid-
deleemven. Amsterdam, 1899. Ouvrage renfer-
mant un essai de reconstitution de la carte
de la Hollande en 1300 comparée à la géo-
graphie actuelle. — Ed. Jonckheere, l'Origine
de la Côte de Flandre el le bateau de Bruges.
Bruges, 1903.
LES PIIKNOMLWES GLACIAIIIKS 71
En France, au troisième siècle, le littoral entre Ardres et
Effet que produirait un afTaissement de KK) mètres dans les régions du Nord
de TAIlernagne et du Sud des pays Scandinaves.
Nordkerque était suljmergé (1) et nous y voyons aujourd'hui en-
core la tourbe recouverte de 6 m. 50 par la mer (^2 .
(1) Cf. Deb:iay, Mém.d' la Soc. des Scienrt
de l'Agric. el des Arls d- Lille, 1873.
(2) Cf. GossELET, Ann. Se. (i. .V.. XXX,
p. 325.
72 LES PREMIÈRES CIMLISATIOXS
En Belgique (l), à l'époque de rindustrie néolithique, les flots-
venaient jusqu'à Bruxelles. Toute \â plaine marine (2) repose sur
des couches de tourbe surmontées de dépôts d'eau salée ; puis
elle se retira; mais revint au quatrième siècle, s'avançant jusqu'à
Bruges.
Aux onzième et douzième siècles, on enregistre encore des
irruptions de la mer dans la Hollande et la basse Belgique.
On voit, à Wimereux, sur les
rivages du Pas-de-Calais, une fo-
rêt submergée avec les ateliers
néolithiques qu'elle renfermait; et
plus loin, entre la Somme et la
Seine-Inférieure, l'embouchure de
la Bresle montre des traces très
nettes d'afTaissement.
A Cherbourg, un slatère d'or
gaulois a été trouvé dans les tour-
bes submergées ; et entre le mont
Saint-Michel et la côte, sont des
traces de forêts.
En Bretagne (3), rinimersion
de la ville d'Ys, dans la baie de
Douarnenez, vers le quatrième ou
le cinquième siècle, est un fait classique; aujourd'hui ses ruines
sont par \!i à 15 mètres de fond, profondeur qui indi(jue pour
l'afiaissement sur ce point une moyenne de 1 mètre environ par
siècle.
Ilot d'Er-lanic (Morbihan) et les
Cercles de pierre, d'après le
docteur de Closmadeuc.
A la pointe de Plogoff, des monuments mégalithiques sont
(1) Cf. RuTOT, les Origines du Quaternaire de
la Belgique. Bruxelles, l.>97; Soc. belge de Géo-
logie. XI, p. i:'l.
(2) L'élude des oscillations de la plaine
marine belge est due aux beaux travaux de
M. A. Rulot qui (Congrès préhist de France,
Vannes, 190ii) les résume comme suit : 1° à
la lin du quaternaire, affaissement général
très important, formation de la mer du Nord,
séparation de la Grande-Bretagne de l'Eu-
rope ; 2° débuts des temps modernes, faible
soulèvement ; 3* période de calme compre-
nant le néolilliique, les âges du bronze et du
fer, les temps gallo-romains; 4° troisième et
quatrième siècles, affaissement lent permet-
tant à la mer de reprendre une partie de ce
«lu'elle avait perdu i)ar2°;5° période de repos
de quatre siècles; 6° à partir de l'an 800, sou-
lèvement lent; 7° en l'an 900, tous les pays
]ier<lus au troisième siècle sont repris, pé-
riode de repos; b° vers l'an 1000, nouvel
alTaissement qui, en 1179, amène la rupture
des digues, formation du Zuyderzée, détache-
ment des îles de la Frise, la plaine marine est
couverte d'eau ; t)° retrait lent des eaux, éta-
blissement des dunes littorales.
(3) Vallées sous-marines: entre autres celle
de la rivière de Pontrieux qui prolonge son
lit jusqu'à 10 kilomètres en mer par un sillon
de 30 à 40 mètres de profondeur (Cf. J. Rey-
NAun, Comptes rendus Acad. Se, XXVI, p. SlH;
A. DE L.^PPARENT, Traité de Géologie, 19U6,
p. 579.)
LES rilKNOMÈNES GLACIAIRES 73
aujourd'hui sous 5 à 6 mètres d'eau (1), et il en est de même dans
l'îlot d'Er-lanic (Morbihan) (2).
En Angleterre (3), les exemples de l'oscillalion du sol sont
également très nombreux; ils montrent que la submersion est
d'autant plus importante qu'on avance plus vers l'ouest, tandis
qu'au nord, il y a manifestement émersion (A).
Ainsi, les mouvements ayant donné naissance à la Manche et à
la mer du Nord se continuent encore sous nos yeux.
Ces affaissements, reconnaissables aux témoins qu'ils ont laissés
sur le littoral, n'ont pas affecté que les côtes seules; leurs effets
se sont fait sentir sur tous les continents voisins, modifiant l'al-
titude de l'ensemble. En sorte qu'à l'époque où le plateau de la
mer du Nord émergeait, où les Alpes Scandinaves offraient des
cimes comparables à celles de Fllimalaya de nos jours, la France,
l'Angleterre, le Nord de l'Allemagne formaient des massifs plus
ou moins élevés ; et c'est probablement à ces variations d'altitude
que nous devons, en grande partie, les époques chaudes et froides
que révèlent la flore et la faune des temps quaternaires.
Nos déductions, jusqu'à ce jour, ne reposent que sur les
témoignages laissés sur les côtes et dans le fond des mers; parce
que nous ne possédons aucun moyen d'appréciation en ce qui
concerne la conduite des continents ; et le manque de notions à
cet égard porte à supposer l'invariabilité dans l'altitude de ces
terres. Grave erreur qui entraîne de sérieuses conséquences
dans l'interprétation des phénomènes naturels continentaux.
Ces émersions et submersions sont très variables dans leur
rapidité; en Angleterre, 0 m. 005 et 0 m. OU semblent actuelle-
ment être les extrêmes annuels.
Si nous prenons le minimum 0 m. 005 et que nous l'appli-
(1) Cf. Marcel Baudouin, les Më(jalilhe<i mais \\i peuvent n'avoir affecté que des ic-
submergés des- côles de la Vendée; lex Cotes de gions peu étendues.
Vendée; de la période néolilhique au moyen âge ; (4) Hamsay [Glaciers o/" \orlh Wales, li^i'iO)
le Mégalilhe délruil de Sainte Croix (Vendée). constate, pour l'Angleterre cl le pays de
(2) Cf. Cartailhac, la France j)réhisloriqne, Galles, trois périodes glaciaires successives.
2' édit.. Paris, 189fi, p. 202, fig. 79 (d'après le Pendant la première, les terres, beaucoup plus
docteur de Closmadeuc.) hautes qu'elles ne sont aujourd'hui, étaienl
(3) De nombreuses terrasses marines ren- couvertes d'une croitte énorme de glace. Dans
fermant une faune récente, mais plus froide la seconde, ces mêmes terres se trouvaient à
que la faune actuelle, montrent que les îles 750 mètres environ au-dessous de leur niveau
Britanniques ont subi des mouvements d'im- actuel. Les hauts sommets des îles Britan-
mersion et de submersion au.xtempsglaciaires. niques émergeaient seuls alors ef ils étaient
(Cn. Lyeix, Anliq. o/ Man, éd. IV, 1873, couverts de neige. La troisième période, celle
chap. Xin, p. 286 sq.). Ces mouvements n'ont de l'état actuel des terres, montre encore dos
pas été sans influencer notablement l'attitude glaciers, mais moins importnuts que ceu.v de
des glaciers Scandinaves vers le sud-ouest, la première phase.
l!x
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
quions à la mer du Nord, nous voyons que 20.000 ans auraient
été nécessaires pour abaisser de 100 mètres les terres qu'elle
recouvre aujourd'hui, et que 7.000 ans environ auraient suffi
pour le même aflaissement à raison de 0 m. Ol/i par an.
Mais ces évaluations ne permettent de tirer aucune déduction
précise; car nous ne connaissons ni l'intensité du mouvement,
ni sa conduite, ni les cataclysmes qui ont pu survenir pendant
qu'il s'opérait, activant ou retardant son allure.
Si, des bords occidentaux de la dépression atlantique, nous
passons aux côtes américaines, nous constatons un mouvement
de bascule analogue à celui de la Scandinavie, quoiqu'inverse ; le
nord émergeant, ])endant que s'aflaisse le sud.
Les dépôts marins se trouvent aujourd'hui à 300 et 330 mètres
d'altitude dans le Labrador, à 1^9 mètres dans la baie de Fundy,
à l/i3 mètres à Montréal, à 120 et 99 mètres au lac Champlain, à
30 mètres à Boston, à 12 et 15 mètres à la Nouvelle Angle-
terre (1).
Avant d'en terminer avec les oscillations des rivages, je dirai
encore quelques mots de la Méditerranée (2), qui, nous l'avons
vu, occupe une région très tourmentée pendant l'époque tertiaire.
11 s'y est formé, vers la fin des temps géologiques, des fosses
profondes et, par compensation, d'importantes émersions (3).
Près de Marseille, à 2 kilomètres de la plage de Fos, sont,
par /i et 7 mètres de fond, des ruines romaines d'où l'on a tiré
plus de cent monnaies antérieures au règne d'Auguste ;V .
L'Italie n'est pas à l'abri des mouvements, d'après Issel (5). Ses
(1) D'après le docleur Ochsenius (Halbfass
ueberjunge llebungen in der Hiidsonbai, iii
Ololnis, LXXVIII, n° 12, l'JOO), la région de la
baie d'Hudson s'exhausse rapidement, au
pointque dans quelques siècles son fond, dont
la profondeur n'excède pas i>(X> mètres, émer-
gera en entier Pour l'affaissement de l'état
de New-York, Cf. Raph. S. Tarr, Phijxicdl
Geoijr. of New York Stule, part. IX. The
Shore Lines, ds Bail, of Ihe American Geo/jr.
Soc., vol. XXX, n" 5, 18SI9, pp. 417-4i:H, 22 hg.;
affaissement d'environ 0 m. GO par siècle.
O. n. Uersliey (ds The Quaternary of Sou-
thern California in [iall. of Ihe Dep. of GeoL.
vol. lU, n» 1, pp. 1-30, 1962, observe qu'en
C.atifornie un soulèvement général a eu lieu
au pléistocène, atteignant 1.000 à 1.300 mètres
dans lu district de los Angeles, 2.00J à
3.000 mètres dans la Sierra Nevada, 2.()00 mè-
tres à la montagne de Fraser.
(2) De ses observations sur les rivages
méditerranéens et de celles de ses prédéces-
seurs, M. Boule {les Grolles de Grimnldi,
Monaco, 19U6, t. L fasc. H, p. 14i sq ), tire
les conclusions suivantes : le phénomène de
déplacement des rivages, pendant les der-
nières époques géologiques, est un phénomène
général pour la Méditerranée; les déiiôts qua-
ternaires sont presque partout sensiblement
horizontaux et, par suite, postérieurs aux
grands mouvements tectoniques. Le jdéisto-
cène inférieur correspond à un grand mouve-
ment négatif de la Méditerranée. Il est néces-
saire d'admettre pUisieursgrandsmouvements
négatifs au cours des dernières périodes géo-
logiques ; un mouvement positif a pris place
au cours du pléistocène supérieur.
(3) Pour l'élude des oscillations des côtes
méditerranéennes aux temps pliocènes et
pléislocènes. Cf. Cn. DEPtREr, Bail. Soc.
Géol. de France, IV' série, t. VL 19J6, p. 207 sq.
(4) D. Martin, ZJu//. Soc. d Etudes des Hautes-
Alpes, 1898.
(5) Issel, Bi'adismi. Gcnova, 1883.
LES PllK.NUMÈMiS (iLACIAIHES
/O
côtes présenteraient des traces d'érncrsion pour les temps préhis-
toriques et, par contre, des indices de submersion générale depuis
cette époque (1^.
II en est de même pour la Dalmatie, la Grèce (2) et beaucoup
de terres méditerranéennes. Les autres parties du monde, moins
bien étudiées que les régions dont il vient d'être question, pré-
sentent aussi des indices de submersion et d'immersion (3) sur
bien dos points (/i). L'écorce terrestre travaille donc constamment.
On conçoit de quelle importance sont ces constatations en ce qui
concerne les événements glaciaires, la vie et la dispersion de
l'homme sur le globe.
C'est, avons-nous vu, à la fin de l'époque pliocène que débute
la période glaciaire ; elle chevauche donc sur deux des divisions
adoptées, arbitrairement d'ailleurs, par la géologie.
Bien des hypothèses ont été émises pour expliquer les causes
de la naissance et de la disparition des grands massifs de neige.
On a mis en avant des phénomènes cosmiques ou astronomiques(5);
il semble que ces théories doivent être abandonnées, en grande
partie du moins (6).
D'autres (7) pensent que le refroidissement subit, qui causa
la formation des névés, est dû à la descente vers le sud des
banquises brisées par de puissants raz de marée, ou par des
mouvements sismiques ayant eu leur foyer dans la région arc-
tique. Les glaces flottantes (8), entraînées par les courants,
s'étant accumulées sur les côtes d'Europe, auraient produit un
(1) D'après GUnlher [Geoyr. Journ., XXII,
pp. 121, 269; XXIV, p. 101), le sol de Naples
à l'époque romaine était sensiblement plus
haut que de nos jours. Vers le cinquième ou
le septième siècle, il s'est enfoncé de 10 mè-
tres. Ce mouvement a pris fin au onzième
siècle Puis, vers le seizième siècle, il y a eu re-
lèvement de 5 m. 70. De nos jours il y a tendance
à la submersion. Cf. Suess, Anllilz der Erde.
(2) Voies romaines du golfe d'Arta (Alti(iue),
actuellement à 1 m. 20 sous l'eau. (Cf. Issei..
Bradisini. Genova, 1883.)
A Syracuse, les carrières exploitées par les
Grecs au pied des falaises qui, au nord-est,
bordent la ville antique, sont aujourd'hui
submergées (J. M.).
(3; Cf. entre autres, E. Vredenburg, Pleis-
tocene movements as indicated by irrcgula-
rilies of gradient of the Narbada and olher
rivers in the Indian peninsula, in Records
Geol. Sarvey of India. vol. XXXIII, pari. I.
(4) Le fond de l'océan Pacifi(|ue s'est
affaiisé sur de grandes étendues, car Icpais-
seur des récifs corallins atteint par places
500 à 600 mètres de puissance; et ces courbes
du niveau sous-marin accusent l'existence de
vallées creusées jadis à ciel ouvert et au-
jourd'hui profondément immergées. Aux îles
Carolines, des monuments sacres d'ancienne
date ont aujourd'hui le pied dans la mer.
Pour beaucoup de récifs corallins. la théorie
de l'immersion a été vivement combattue par
J. Murray, L. Agassiz, etc..., mais elle de-
meure exacte pour un grand nombre d'îles
pour lesquelles d'autres preuves viennent
appuyer cette hypothèse.
(5) James Ckoll, Climnle and Time. 187.i.
(6) Cf. A. DE Lapparent, Traité de Géologie.
V» édit., 1006, p. 1722 sq.
(7) Piette, Déplacement des glaces polaires
et grande extension des glaciers. Saint-Quen-
tin", 190 i.
(8) La théorie des glaces floUantes anté-
rieures à l'émersion de la Scandinavie et à
la première extension des glaciers émise par
Lyell doitètre abandonnée. (Cf. de Lappabent,
Traité de Géologie, 1906; M. Boule. liev.dAn-
throp., 1888, t. XVII, p. 134 cl noie 1.)
76 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
froid intense, en même temps qu'une grande humidité; d'où con-
densation abondante sur les sommets et grande extension des
glaciers.
Cette théorie oublie que, si les banquises peuvent amener un
abaissement notable dans la température, elles s'opposent à
l'élévation du degré hygrométrique de l'air; élévation qui néces-
site un accroissement dans la température. En Sibérie, par
exemple, où les glaces flottantes et fixes occupent de vastes sur-
faces, l'humidité de l'air est presque nulle et par suite il tombe
fort peu de neige.
Les causes de ces perturbations ne sont d'ailleurs pas aussi
simples que certains auteurs ont été tentés de le penser; elles
proviennent certainement d'une foule de faits indépendants les
uns par rapport aux autres et qu'il convient de faire entrer en
ligne.
La fin du pliocène et les débuts du pléistocène ont été signalés^
dans le monde entier, par un accroissement inusité des précipi-
tations atmosphériques (1); c'est à cette époque que se sont
creusées toutes les vallées, que le relief topographique actuel
s'est établi. Ce fut pour les pays chauds l'ère des lacs et pour
les régions froides celle des glaciers qui, dans l'hémisphère sep-
tentrional seul, couvrirent une surface de vingt à vingt-cinq mil-
lions de kilomètres carrés.
Pour créer des masses aussi considérables de névés (2), il
faut des vapeurs abondantes que seule peut produire la chaleur ;
et pour condenser ces vapeurs sous forme de neige, un abaisse-
ment de température sur certains points est indispensable ; ces
lois sont absolues (3).
Il a donc fallu qu'au début de l'époque glaciaire, les circons-
tances naturelles permissent en même temps à des courants d'air
(1) Il ne faut pas oublier que le i.liénomène tens, Du Spilzbenj au Sahara, p. 3U); plus on
glaciaire n'est pas spécial à la période pléis- descend et plus la densité du névé augmente,
locène; nous connaissons à des époques Elle arrive à %0 et même 960 kilogrammes
beaucoup plus anciennes des dépôts gla- quand elle est entrée dans le glacier. Dans
claires. Sur les phénomènes glaciaires à les Alpes, au-dessus de 3.300 mèlres, elle nest
l'époque permienne, Cf. W.-M. Davis, obser- pas agglomérée et forme une poussière fme.
vations in South Africa, in Bull. Geol. Soc. of (3) La neige se forme à toutes les tempéra-
America, XVII, U)05, pp. 376-U9.pl. 47-5i. Sur lures au-dessous de zéro. C'est à lort qu'on
ceux, plus anciens, de la période Huronienne, a parfois pensé que la chute de la neige
Cf. A.-P. CoLEMAN, The lower huronian ice- excluait un grand abaissement de tempéra-
age, in Jauni, of Geology Chicago, XVI, 2, ture. A Iakoutsk, on a vu neiger par — 37° et
1908. même — 46°. (Vocikof in Pet. Milh. Ergàn-
(2) Un mètre cube de neige fraicliement juny-s/ie/"/, 1874), à Moscou par — 22°. J'ai moi-
tombée pèse 85 kilogrammes, le mètre cube même vu en 1889 neiger à Tiflis par — 18° et
de névé de 500 à 600 kilogrammes (Ch. Mar- en 1890 à Hamadan par — 15° à — 18» (J. M.).
LES rilKXOMÈNES GLACIAIRES
77
cliaud de s'établir, à de grandes surfaces liquides de se trouver
sur leur parcours et à des massifs réfri<^éraiits de se former.
Des variations dans la pression atmosphérique eussent, cer-
tainement, beaucoup modifié l'état hygrométrique de l'air; mais
rien ne nous autorise à en admettre. Nous devons donc nous bor-
ner à rechercher, dans les phénomènes ayant laissé des traces,
l'origine de ces singulières perturbations.
Carte des isanabases de la Norvège, d'après Rekstad et Vogt.
La fin du pliocène, on l'a vu, a connu des transformations
importantes s'opérant dans l'Atlantique. Les continents s'y sont
abîmés, laissant le chemin libre aux courants d'eau et d'air venus
du sud, et créant d'énormes surfaces aqueuses. L'efTondrement
des restes de ce continent fut l'œuvre du pléistocène ; en même
temps que se créaient les fosses de l'Adriatique et de l'Egée, que,
pour un temps très court, la mer Rouge communiquait avec la
Méditerranée, que la mer Noire s'ouvrait le Bosphore, que le
78 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
monde entier se couvrait de grands lacs. Ce fut une révolution
complète dans l'équilibre du climat.
A cette époque, le massif Scandinave, plus élevé qu'il n'esl
aujourd'hui, offrait aux vapeurs d'eau venues de l'Océan nouvel-
lement libre, un foyer de condensation très important, tant par
son altitude (1), que par son étendue. Il n'en fallait pas plus pour
qu'un amoncellement gigantesque de névés se produisît et que
les glaciers en résultant s'étendissent au loin.
^'allées sous-marincs de l'Islande (d'après les cartes marines}.
Si l'Atlantique ne s'était pas affranchi des barrières qui l'en-
combraient, s'il n'avait englouti ces terres pour avancer jusqu'aux
pays Scandinaves (2), l'humidité faisant défaut, le froid serait
resté sec sur les sommets norvégiens et il n'y aurait pas eu
condensation, partant pas de glaciers. Les plateaux tibétains,
(1) La lempérature s'abaisse de 1° par
100 mètres d'altitude (Supan, Grândzuge der
fjhysischen Erdkunde. 11« édit., p. 5*5.) Cette
loi se vérifie dans les grandes hauteurs
atmosphériques; à 16.fX)0 mètres de tiauteur à
laide de ballons sondes, on a observé — 68° et
— 76° (Cf. Bouquet de La Grye, Annuaire des
lonyitudes, 188?.)
(2) Un abaissement des eaux marines de
4. 000 mètres ne changerait pas les grandes
lignes de la distribution des continents sur le
globe Le Groenland s'unirait à l'Islande et
à l'Europe et il se formerait dans l'Atlantique
deux longues îles au nord et au sud suivant
son axe. (Cf. A. de Lapparent, Traité de
Géologie, 1906, p. 63.)
LES PIIKNOMÈNES GLACIAIRES
79
hauts de 5 et de 600 mètres, se trouvent dans ces conditions (1).
Les glaciers actuels de nos montagnes (2), lout en fournissant
bien des indications utiles, montrent les phénomènes trop réduits
pour que nous soyons autorisés à déduire de leur allure celle
que durent avoir les glaciers Scandinaves et américains du pléis-
locène. Seules, les grandes masses de glace voisines des pôles
offrent dans leur évolution une ampleur suffisante.
Deux surtout de ces masses sont intéressantes par leur
immense étendue, par l'intensité du froid qu'on y rencontre et
par la gigantesque accumulation de glace qui les compose : ce
sont celles du Groenland et du pôle antarctique.
Le plateau groenlandais, haut de 1.000 à 1.500 mètres en
moyenne et renfermant des pics élevés (3), est un immense
réservoir où se précipitent constamment les névés, même au
cœur de l'été. Ils se transforment en glace qui descend, sur ses
flancs, jusqu'à la mer (/j).
Bien que la pente d'écoulement ne soit que de 0° 30' environ,
la vitesse de ces glaciers atteint des proportions hors de pair
avec ce que nous connaissons sous nos latitudes.
Le glacier de lakobhavn s'avance, en juillet, avec une vitesse
de 19 mètres par vingt-quatre heures (5), celui du nord d'Uperni-
vick parcourt 31 mètres par jour, celui de Torsukatak 10 mètres
seulement. C'est de dix à vingt fois la rapidité que nous enregis-
trons pour les glaciers de nos montagnes.
(l) Dans rilimalaya, les pics les plus élevés
sont dépourvus de neige et s'élèvent sur des
])lateaux dénudes également, sans névés.
C'est plus l)as que s'est opérée la condensa-
tion des vapeurs (Cf. Schlagintweit, Reisen
in Indien, etc., IV, p. 523) et la formation des
champs de neige d'où descendent les glaciers.
L'air dépassant cette zone ne contenait plus
d'humidité, se trouvant à une température
variant entre — 50° et — 80".
(2/ Limite des neiges perpétuelles dans
quelques montagnes :
Himalaya, versant méridional, 4.900 mètres,
climat très humide Isoth. -f- 0°,5.
Himalaya, versant septentrional, 5.700 mè-
tres, climat très sec. Isoth. — 2°, 8.
Karakoroun, .i.80O mètres, climat Irè-; hu-
mide. Isoth. — 3°, 9.
Alpes valaiscs, 2.700 mètres, climat moyen.
Isoth. — 4°.
Alpes maritimes, 3.300 mètres, climat moyen.
Isolh. — i».
Norvège, cote occidentale, 8811. 306 mètres,
climat très humide.
Norvège, versant oriental. 1.021-1. U80 mè-
tres, climat îrèî- -ce.
Caucase (.\fkhasie), 3.570 mètres, climat très
humide.
Caucase (Daghestan), 4.300 mètres, climal
très sec.
Ues Shetland (lat. 62°), 0 mètre, climal
moyen.
Nouvelle-Zemble (lat. 75° N.), 0 mètre, cli-
mat très sec. Isoth. — 11°.
Du Mexique à l'Equateur, 4.500 mètres,
climal très sec.
Andes (CliiliArgentine), 5.200 mètres, cli-
mat très sec.
Terre de Feu (lat. 54° 30* S.), 9.50 mètres, cli-
mat très humide.
Islande (lat. 64» N.), 860 mètres, climal
moyen.
(3) Nanscn (Pet. Mit., 1889), pics de 2.700 el
2.500 mètres ; pics d'Umanak, 2.000 mètres
d'altitude.
(4) L'Inlandsis du Groeidand (réservoir des
névés) couvre une surface évaluée à 2 mil-
lions de kilomètres carrés; l'épaisseur de la
glace est, sui va ntXansen, de 1.700 à 2.000 mètres
(de Lappahent, Traité île Gdoloyie, V' cdil.,
1906, p. 300).
(5) IlELLANn, Pet. Mit., 1887.
80
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Au pôle austral (1), où sont des terres élevées et do hauts
sommets, l'intensité glaciaire est autrement grande encore (2); les
névés comprimés ayant rempli toutes les cavités, toutes les val-
lées, franchissent les chaînes de montagnes par leurs cols, cher-
chant pour s'écouler la ligne de plus grande pente. Là, les glaces
Fosse de Cap Breton, prolongemenl sous-marin de la vallée de l'Adour,
d'après L.-A. Facre, le Sol de la Gascogne dans la Géographie, f. XI,
1905, p. 269.
forment aux continents une ceinture (3) émergeant des eaux de
plus de 100 mètres. Les icebergs qui s'en détachent sont gigan-
tesques. On en a vu de 100 kilomètres de longueur sur Qli de lar-
(1) Ch. Rabot (la Glaciation antarctique, ds
la (léoyraphle. 15 déc. 1907, p. 385), réunissant
toutes les notions actuelles sur le pôle sud,
donne des aperçus du plus haut intérêt au
point de vue des phénomènes qui prirent
place au cours du pléistocène.
2) Les conditions climatiques actuelles, au
pôle antarctique, sont insuffisantes pour ali-
menter les glaciers, et d'après Scott et Ferrar
faudrait considérer la « Grande barrière »,
le » Piedmonl glacier » de la rive ouest du
Me Murdo Sound, et nombre d'autres appa-
reils comme les témoins d'une glaciation
antérieure paroxysmale en voie de s'éteindre
progressivement. (C. Rabot, la Gêogr., 1907,
p. 395.) Toutes les récentes expéditions ont
reconnu le recul général de la glaciation an-
tarctique. Ijd , p. 399.)
(:^) La " Grande barrière » de Ross est une
nappe de glace haute de 15 à 84 mètres au-
dessus de la mer, s'élendant d est en ouest sur
950 kilomètres dans toute la largeur de la mer
de Ross, depuis la Terre Victoria jusqu'à celle
du roi Edouard VII, et du nord au sud sur une
longueur inconnue; mais qui n'est pas infé-
rieure à 600 kilomètres. G est un vaste glacier
(Nat. Antarc E.^ped., in iVa!. ///s/., vol. I.,
p. 67) dont l'écoulement est par places de
1 m. 35 par jour (environ 500 mètres par an).
[Cf. G. FÎABOT, la Glaciation antarctique, ds
la Géographie, 5 déc, 1907, p. 390.]
LES imii':.\()Mi;m:s (ILaciaiiîks
81
geur, pi'ësentant une épaisseur totale de 0 à 700 mètres au moins,
s'en aller en dérive jusqu'aux environs de /|/i" latitude sud.
Ces énormes blocs ne peuvent provenir que de glaciers; aucun
froid terrestre n'étant assez intense pour congeler l'eau de mer
jus(|u'à une profondeur de près d'un kilomètre.
Malheureusement, le Groenland (1) comme le pôle arctique sont
d'une exploration difficile et nous ne possédons à leur sujet que
peu d'inlormalions ; c'est à nos modestes glaciers alpins ((uo nous
devons encore avoir recours pour obtenir des détails plus précis.
Les années humides entraînent un accroissement dans la for-
mation des névés et il s'ensuit une augmentation de l'énergie
glaciaire. Cet accroissement ne fait pas de suite sentir ses effets ;
ce n'est qu'après une période dite de retard, variable pour chaque
glacier, que la tête s'avance ])Ius ou moins. Le recul correspond
à des périodes sèches, longtemps après qu'elles ont eu lieu (2).
Pour le Grindehvald, dont la vitesse moyenne est de 1 mètre
par jour environ, le relard est de vingt années.
Les glaciers se retirent avec la même facilité qu'ils s'allongent;
c'est ainsi que celui du Rhône a subi de 1818 à 1880 un retrait de
1.000 mètres et une perte d'épaisseur de 137 mètres près de son
extrémité, et qu'en vingt-sept ans les glaciers du Valais ont aban-
donné 5/i kilomètres carrés de terrain.
Généralement les glaciers alpins suivent une seule vallée ;
mais lorsque deux thalwegs se joignent, les deux glaciers se réunis-
sent, etl'intensité résultante, sans être la somme de ses composantes,
est singulièrement accrue en vitesse et en puissance de transport.
Les glaciers descendent donc d'autant plus bas qu'ils sont
mieux approvisionnés de névés ; c'est-à-dire que leur réserve de
neiges est plus étendue. Ils atteignent les zones tempérées, qu'il
pénètrent parfois profondément; c'est, entre autres, le cas de la
Nouvelle-Zélande (3) où ils s'avancent jusqu'au milieu des forets
de fougères arborescentes (4).
(1) Sur les glaciers actuels du Groenland, Creusement des vallées et périodicité des
Cf. le résumé de Ch. Rabot [Rev. scienlif., mai phénomènes Jilaciaires, ds Congrès d'Antlirop.
1888. p. 580 sq.). Cf., Ch. Rabot les récentes et d'Arch. /(ri'/i/.s-;. Paris, 1889, p. 8.^. — De
e.xplora(ions danoises à la côte orientale du Saporta, id., p. !)2. — Garrigou, id., p. 98.
Groenland, ds/«Geo(/rap/i/e, 190-2, t. VI, p. 79 (3) Phénomènes glaciaires en Nouvelle-
^1- Zélande. Cf. E. C. Andrews, The ice-nood
(2) Cf. F.-A. FoREL, Essai sur les variations hvpothesis of Ihe New-Zealand Sound-basins.
périodiques des glaciers. E.xlr. de la Dibl. In Journ. of GcoL, 1906, t. XIV, pp. 22-54.
Unii'., 3= pér., t. VI, résumé dans les Mule- (4) Cf. Dupont, l' Homme pendant les âges de
rtaux, 1888, pp. 336-348. Vallot, Oscillations des la pierre, p. 53. — Lykll, /'r/;ic., t. H. — Lar-
glaciers des Pyrénées, Paris, 1887. — J. Geikie, xet, Relit]. AqniUmiae, p. 150.
82
I.ES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Ainsi, la tête d'un glacier peut se trouver dans la région
habitable, au milieu de la végétation, des cultures, des villages.
Ses mouvements d'avance ou de recul peuvent être suivis par
l'homme, dont, par suite, les traces peuvent être prises entre
deux couches d'alluvions glaciaires.
La conduite de l'atmosphère est donc le principe de celle des
glaciers; mais elle-même malheureusement, est peu connue. Les
lois extrêmement compliquées qui la régissent, nous échappent
encore pour la plupart (l).
Les météorologistes ontcependantétablique des périodes de dix-
sept années environ se succèdent régulièrement, les unes sèches,
les autres humides. Mais en dehors do cette règle, il est bien des
variationsdont nous ignorons la périodicité ; parce que nos obser-
vations ne sont pas encore de durée suffisante. Quelques faits isolés
autorisent toutefois à supposer des lois de grande amplitude.
Depuis l'époque impériale romaine (Probus) jusqu'au moyen
âge, la culture de la vigne, intimement liée au climat, a gagné vers
le Nord; elle s'est arrêtée vers Bruxelles et Tournay pendant le
quinzième siècle ; aujourd'liui elle redescend vers le Sud (2).
En /(Ol de notre ère, la mer Noire gela presque entièrement;
en 762, la glace s'étendit du Caucase aux bouches du Danube et
se recouvrit, disent les contemporains, de 20 coudées de neige.
Tous ces faits ont eu leur répercussion sur l'allure des glaciers,
les faisant avancer ou reculer dans certaines régions, alors que
dans d'autres, ils demeuraient stationnaires ; de là, cette grande
complexité dans la succession des dépôts erratiques. Au milieu de
ce désordre des témoignages naturels, il est bien difficile de dis-
cerner les phénomènes généraux des faits d'importance secon-
daire ou locale (8).
(1) La diminiilion îles pluies après la dispa-
rition complète des glacier-i doit, peul-êlre,
en grande partie être attribuée au dél>oise-
ment complet des pays autrefois couverts par
les glaces. (Cf. Gaudry et M. Boule, Mater,
p. IHisl. des temps quaternaires, 18^8, p. 83. —
De Lapparent, Traite de G'-ol.).
(2) Cf. Arago, Annaaire, 1834. — Le IIon,
l'Homme foss'le^-i" odit., p. 306. — De Nadail-
i.ac, 1 Origine et le développement de la vie
sur le globe, ds Correspondant. Paris, 1888,
|i. Si.
(3) Dans le Schleswig-Holstein, entre autres,
on a relevé les traces d'un raz de marée haut
de 'iO mètres environ, qui, entre le dixième et
le cinquième siècle avant notre ère, aurait
(le part en part traversé la péninsule. (Cf.
Flack, Die Cimbrische Flutli, in Mittlteil. d,
Vereins NonlUcli d. Elbe, 18(59. p. 10 sq. —
Geinitz, Mitt Petermann, XLIX. 1903, p. 82.)
En 1(J34, un laz de marée couvrit la Frise et
leSchles\vig-Holstein,englouLissant2.L(iOhom-
mes et 50.000 létes de bétail. Le 8 septembre
1362, ce furent les îles de Sylt et de Fnhr que
dévastèrent les eari.x. Trente paroisses envi-
ron, 11.000 êtres humains et 90.000 tètes de
bétail disparurent (Cf. Eii.keh, Die Sturm-
flalen in der Nordsee, Eniden, 1877, p. 8 sq. —
StEss, trad. fr., II, p. 672. — Marcks, Uonner
Jahrbiicher, XCV, 1894, p. 35. — Moritz, Die
Nordseeinsel Rœm. in Mitt. d. Geogr. Gesells-
cha/t, Hamburg, XIX, 1903, p. 161 sq.)
LES piU':.\omi^:nes ijl\(:iaiiu:s
8.3
Qui nous prouve, en eOet, (|ue les j)ëriodes (rextension des
glaciers, en Amérique, sont exactement contemporaines de celles
de la Scandinavie ; qu'en Europe même, les divers versants d'un
même massif ont, en même temps, subi les mêmes phénomènes ;
que les glaciers des Alpes ont évolué parallèlement à ceux des
Pyrénées, ou de l'Ecosse; et que ceux de l'Altaï ont suivi les
mêmes phases ?
Nos tendances à synchroniser les faits de même nature, à sim-
plifier des phénomènes extrêmement compliqués, nous poitent à
trouver des solutions capables de satisfaire superficiellement l'es-
prit; mais elles nous mènent dans une voie bien souvent con-
traire à la vérité.
Le grand glacier du pôle arctique, entouré d'énormes masses
liquides, pourvu de sommets élevés, se trouvant dans les condi-
tions les plus favorables, est la masse glaciaire la plus impor-
tante du monde moderne; car elle couvre une surface d'environ
quinze millions de kilomètres carrés. Le Groenland (1 >, soumis
sur sa côte orientale aux actions atlantiques, bordé par les mers
au nord, offrant un inlandsis de deux millions de kilomètres car-
rés, affectant une région de cinq millions environ, se rapproche
également beaucoup par son étendue et par les conditions géo-
graphiques dans lesquelles il se trouve, de ce que fut autrefois
la masse glaciaire Scandinave; c'est donc aux phénomènes actuels
de ces massifs modernes ([u'il convient de comparer ceux des
grands glaciers quaternaires.
Le centre principal des glaces se trouvait dans l'ossature
rocheuse des Alpes norvégiennes, plus élevées alors qu'au-
jourd'hui (2). Le Jjabrador, le Groenland, l'Islande et probable-
(1) Cf. H. RiNK, Journ. of royal Geor/r. Soc,
vol. XXlII,p.l45, 1853. — NoRDENSKjMLD, Expé-
dition to Groenland, Geo/. Mai]., 187-2, vol. I.X,
p. 305 — R1C11.4RD Bkov,-^, Quart. Geol. Journ.,
1870, vol. XXVI. p. fi8-2. E.vpodilion d'Amdrup
à la côte orientale du Groenland, ds Geografisk
Tidskrift, l'^DD, XV. 3 et 4. A (nielqtic distance
de la cijle, on voit encore surgir des pics
rocheu.x on nunataks, qui i)ointent au-dessus
de la plaine glacée : mais plus loin tout dis-
parait, et la glace, dont Nansen estime l'épai-.
seur entr(! l.GOU et 1901) mètres, atteint des al-
titudes de 2.iOO mètres (Cf. A. dk L.^ppaue.nt,
Leçons de G^ogr. i>liys., 1897, p. 2-23.)
(2) La bibliographie relative à l'étude des
glaciers pléistocènes est extrêmement abon-
dante. Je ne citerai que les principaux ou-
vrages : Dolfis-Alsset, 1365-09, Malériaur
pour l'étude de.i Glacier.-;. Paris. 8 vol. (renfer-
mant la bibliographie jusqu'à 1869). — Falsan
et Chanthk, les Anciens Glacierx du Rhône.
2 vol., Lyon, 1879. — Geikie, The Great ice Aye,
2' édit., Londres, 1877. — T\\D\LL.le.t Glader.'i
et le.f Tranxfornialion.'i de l'eau, 3' é lit.. Paris,
1880. — Pkestwicu, The Glacial period. in Journ
of IheGeol. .Soc, août, 1887. — Penck. Die Ver-
yletxcherunij der deutxchen Alpen, Lei|)zig,
1882. — Pe.nck, Geogr. Wirkunyen des Eiszeit,
Berlin, 1884. — \Vt»:iKor, A'/Zmcj/e derErde, 18H7.
— Trameli-i Cause dcl Clima Qualernario. in
lieniticonli In.sl. Lomb., 1888. — Boule, Essai
de Paléontologie slraligraphique de l'homme,
1889, in liev. Anthrop. —De Lapparcnl (r/(//7c'
de Géologie, 5' éd., 190). Paris, p. 1663 et sq.i
résume et e.xpose magistralement la ques-
tion.
u
LES IMIKNOMÈXES (II.ACIAIRES 85
ment aussi l'Irlande, l'Ecosse (1) et la Scandinavie étaient
soudées ensemble par de gigantesques banquises, ou même
par des terres dont les îles Jean-Mayen, Fa'rœ, Shetland, etc., ne
seraient aujourd'hui que les ruines.Le sol de la merdu Nord, émergé,
reliait l'Angleterre à la Norvège ; celui de la Manche également
soulevé, joignait les îles Britanniques à l'Europe continentale ("il.
Les terres océaniques, s'il en existait dans la région située aujour-
d'hui entre la fosse glaciale et la fosse atlantique, devaient n'être
qu'un archipel n'empêchant pas les courants du sud de lestraverser.
La Scandinavie (3) surélevée, se reliait à l'Allemagne du Nord;
le Groenland lui-même, plus haut qu'aujourd'hui, se rattachait à
l'Amérique par les plaines de Baffin et d'IIudson.
Les limites méridionales de cet énorme amas de glace sui-
vaient, en Amérique (4), la vallée du Missouri, celle de l'Ohio, et
venaient aboutir en dessus de New-York. De l'autre côté de
l'Atlantique (5), elles comprenaient l'Irlande et l'Ecosse, passaient
à Londres, à Anvers (6), au sud de Berlin, de Moskou, touchaient
aux plages septentrionales du lac aralo-caspien et, vers l'Oural,
remontaient droit au nord, laissant la Sibérie dégagée (7).
(1) En Ecosse, l'épaisseur des glaces fut
gigantesque; les monts Schehallion (Perth-
shire) montrent des stries glaciaires sur
leur flanc et jusqu'à leur sommet haut de
1.150 mètres environ. (Jamieson, Quart. Geol.
Journ., 1865, vol. XXI, p. 105.)
(2) Cf. E. IIuLL, On the sub-oceanic lerrares
and river ualleys of Ihe Coast of Western
Europe. Londres, 1809, Institut Victoria,
17 avril 1899. Cette plate-forme entoure les
îles Britanniques et les côtes de France,
d'Espagne et de Portugal. En face de Brest,
elle est large de 210 kilomètres; au nord de
1 Espagne, elle ne présente plus que 30 ou
40 kilomètres; elle s'incline en pente douce
jusqu'à 200 brasses (.360 m). Au delà, un
immense talus très raide la relie au.\ grands
fonds de 2. 400 brasses (4.320 m.). Ce plateau est
sillonné de vallées correspondant au.x fleuves
actuels, à la Loire, la Gironde. l'Adour ; celte
dernière se prolonge par une vallée profonde
de 117 brasses au-dessous du plateau, 175 de
profondeur absolue à 5 ou 6 milles du rivage,
puis se poursuit sous forme d'un véritable
canon pour venir s'ouvrir sur le fond de
l'Océan à une profondeur de 1.000 brasses.
C'est la fosse du Cap Breton II en est de
même pour les rivières d'Espagne et de Por-
tugal. D'a|)rès IIull, ce soulèvement daterait
de la lin du piiocène. A celte épo(iue, l'Is-
lande, l'Irlande cl l'Angleterre étaient réunies
au continent; le talus serait le reste d'une
grande falaise litlorale. Il y aurait donc ru
surélévation de 2.000 mètres environ portant
sur tout l'occident de l'Euroiic.
(3) L'établissement du relief actuel scandi
nave procède de phénomènes de dislocation,
d'émersion, d'immersion et de glaciation dont
la complexité est extrême. (Cf. J. Rehstao,
Norge.s Geologiske undersogelses Aarbog, 1902,
1905, 1907.)
(4) Moraines dans le sud-esl du Dakota. Cf.
M. J. ToDD, Bull, of Ihe U. S. Geol. Survei/.
1899, n° 158.
(5) Cf. la carte de Penck (in Ranke, Der
Mensch, t. II, p. 385) montrant les moraines
anciennes et celles plus récentes. Congri-x
de Bologne, \81i, pp. 89-97. Congrès de Buda-
pest, 1876, p. 33.— Pe.nck, Zeitsclir. d. d. Geolog.
Gesellsch., 1879, p. 117.-- Associât. Fr. p lavanc.
des se, 1887, p. 29J. — Falsan, Esquisse géolo-
gique du terrain erratique et des anciens gla-
ciers de la région centrale du bassin du Rhône,
1883.
(6, .1. Lorié (Tijdschrift ran het kon. Xederl.
Aardrijkskundig Genootschap. Lej'de, 1902,
n°' 2 et 3) pense que les glaciers Scandinaves
Iiléislocènes ont franchi le Rhin.
(7) Le manque absolu de dépôts glaciaires
dans la Sibérie centrale et septentrionale
peut être le résultat de deux phénomènes
distincts : ou bien les névés arrêtés par
l'Oural d'une part, et de l'autre par les hauts
sommets centre-asiatiques, n'ont pu, malgré
le froid, se concentrer en Sibérie; ou bien la
Sibérie jouissait d'un climat plus tempéré (|ue
de nos jours Cette dernière hypothèse semble
être la meilleure, si nous en jugeons par la
faune do ce pays au temps pléistocène.
86 I^ES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Ce vaste glacier, réuni à celui du pôle, se rattachait à la Nou-
velle-Sibérie, aux îles Liakhov, Anjou, Long, etc., par le Spitz-
berg, la Nouvelle-Zemble, la Terre de François-Joseph et d'autres
terres polaires, soit encore inconnues, soit abîmées sous les eaux.
Pour la région comprise à l'ouest du Groenland et au nord de
l'Alaska, nous ne possédons aucun document; mais l'Alaska lui-
même avait ses glaciers très développés (1), probablement sou-
dés à ceux du vieux continent.
L'ensemble (2) formait une masse tout aussi importante, si
ce n'est plus, que celle des glaces antarctiques actuelles ; mais
sa surface, au lieu d'être presque circulaire, se décomposait en
deux grands massifs : celui d'Amérique qui, joint au Groenland,
semble avoir été le plus considérable, et celui de l'ancien monde,
dont le centre de dispersion se trouvait dans les pays Scan-
dinaves, à 3.000 kilomètres environ des points extrêmes où les
témoins erratiques ont été rencontrés.
Du côté de l'Europe, les glaciers s'étendaient bien plus aisé-
ment que ne le font aujourd'hui ceux du Groenland. Ayant comblé
la dépression baltique, si toutefois elle existait alors, ils rencon-
traient la terre ferme et non la mer comme limite à leur avance-
ment. La Scandinavie (3) surélevée formait un inlandsis d'environ
un million et quart de kilomètres carrés, où se déposaient des
quantités énormes de névés (4). La pente était, il est vrai, très
faible; mais nous avons vu que la masse des neiges indue beaucoup
plus sur l'allongement des glaciers que l'inclinaison du sol.
Plus au sud, dans le massif indépendant des Alpes, le glacier
du Rhône (5), grossi par les affluents de l'Oberland Bernois, de
la Savoie, etc., remplissait toute la plaine suisse, recouvrait le lac
de Genève et s'étendait jusqu'à Lyon. Ses névés s'élevaient jus-
qu'à 3.550 mèlres d'altitude (6) et sa puissance atteignait par
(1) I.e mont Mac Kinlev dans l'Alaska, d'une la Scandinavie pendant la période pléi>t<icène,
altitude de G. 139 mètres, est la plus haute la liyne de faite ne coïncidait pas avec celle
monta-ne derAmérique du Nord. du relief Scandinave ; mais se rencontrait
(2) Aux temps quaternaires, les glaces, en beaucoup plus à l'est, en Suède, en aval de
Europe, couvraient une surface d'environ la zone occupée actuellement par les grandes
'i. 00 i.UOO de kilomètres carrés, et en Amérique nappes d'eau du jilateau lacustre. Cf. G.
i-mbrassaient quatre à cinq fois autant. Le Andeusso.n, Dcn Cenlraljnmiska ix.yun. in
massif alpin, réduit aujourd hui à 4.000 kilo- Ymer, 1897, 1, Stockholm, résumé par C. Ra-
inètres carrés, en couvrait alors 150.000. Cf. bol, ds la Géographie, t. III. 1901, p 325 sq.
A DP Lapparevt, /es Silex tailles et lAncien- (5, Fai.sa.v et Chantre. Monogr. des Ane.
netc de Ihûmme, Paris, 1907, p. 80. Clac, et des lerr. erratiques ds la partie mogenne
(3 Cf. Ch. Lyell, A/ih'r/. of Man, éô. W, de la val. du Rhône. Lyon, ISSO.
1R73, chap. XIII, p.274. - Kjerui.f. Zei/.sc/jn'/'/, (f.) « Dans toutes les vallées alpmes, la
C.eoloqische Cesell. Berlin, 1800. zone des polis glaciaires monte à plusieurs
(4) Sur la carapace glaciaire qui a couvert centaines de mètres au-dessus des glaciers
LES l'IIKNOMÉNES GLACFAIllKS
87
places l.()SO mètres. Au nord, il se joignait à ceux du lîhiu et du
Danube et couvrait une surface d'environ 150.000 kilomètres car-
res, tandis que de nos jours sa superficie n'excède pas 'i.OOO (l).
Je ne parlerai pas des Pyrénées, du massif central de la
l-'rance, du Jura, de la (^orse i'2) ; ces chaînes avaient aussi leurs
glaciers, de peu d'importance, d'ailleurs, parrappoità ceux dont
il vient d'être parlé f3).
L'Améri(|ue (h) du Nord, outre l'Alaska (5 , possédait aussi
ses îlots glaciaires, dans les llocheuses justpi'à la Sierra-Nevada de
Californie. De grands lacs les accompagnaient; l'un d'entre eux,
le lac Bonneville, couvrait une surface de 50.000 kilomètres carrés
et présentait une profondeur de 300 mètres (6).
L'Amérique du Sud (7) au Pérou et au Chili, la Nouvelle-
Zélande ont également connu les glaciers pléistocènes, de môme
que r Himalaya et la plupart des grandes chaînes asiatiques.
Le massif Scandinave, seule région élevée dans le nord de l'an-
cien continent, formait l'ossature principale de la masse euro-
péenne des glaces ; mais le relief actuel de cette chaîne ne peut
donner aucune idée de la direction particulière de ses glaciers
d'autrefois; car, disparaissant sous les énormes tombées de névés,
les vallées, les sommets, les crêtes n'étaient plus alors un guide
pour les glaces qui, comme le fait a lieu dans les régions antarc-
tiques, suivant la ligne de plus grande pente, comblaient les
dépressions, accumulant les neiges devant les obstacles, franchis-
saient les cols et se déversaient du côté le ])lus favorable (8). La
actuels, atle?.laril la hauteur à laquelle ceux-ci
ont dû s'élever autrefois. (A. de Lapparent,
Leçons de Géogr. pliyx., 1907, p. 213.) Sur la
marche des glaciers alpins, Cf. Alb. Penck
et Ed. Brickner, Die Alpeii im Eiszeilalter,
Leipzig, 1901 et sq.
(l) De Lapparent, Trailt': de (iéolmjic, 5' éd.,
1906, p. 1680.
(-2) Sur les traces de glaciation dans lile
de Corse, Cf. P. Castelnau, le Niolo, ds la
Géogr., 1908, p. 210.
(3) llooker (Nalural liistori/ review, 186-2,
janv., n° 5, p 11) a reconnu dans le Liban
des traces de glaciers descendant jusqu'à
1.250 mètres environ au-dessous des sommets
de cette chaîne. Lai. nord 33° à 38".
(4) Des traces du glaciaire pléislocène ont
été relevées dans les Andes de la Coloniliie,
de l'K(iualeur et de la Bolivie. (Cf. A. Ben-
RATH. l'eber eine Eiszeit in penianischen
Kaslkordillorc, in Pelerm. Mill., 190», 50,
Band. XL)
(5) Sur le glaciaire de l'Alaska, Cf. H.
Brooks. The (ieograpliy and Geologv of
Alaska, a Siimmary of exisling knowledgc, ds
U. S. Geol. Sarrei/, Washinulon, 1906.
(6) Gilbert, U. S. G. S. 2' Ann. Hep., 1882.
— Russei.. u. .s. G. S. Monographx, vol. XL
(7) Partout, dans les forêts vierges du
Brésil comme dans les Savanes de -Meta et
de l'Apiue, on rencontre des boulders prove-
nant du grand glacier des .\ndes. (De Nadaii.-
LAC, ds Mulériiuij\ 1^81, p. 183.) Agassiz cons-
tatait la présence de roches moutonnées et
striées jusqu'aux environs de Montevideo.
(Agassiz, Voijat/e un lirésil, Irad. fr. Paris,
1869. p. 428)'
(8) « Le glacier du Pdiôiie a dû former, à la
sortie du Valais, audessus de la plaine
suisse, un gigantesque embâcle, dépourvu de
pente, de 1 19 kilomètres de longueur. » (Alpii.
Favre, Cdile du phénomène erralique. Explira-
lion. Genève, 188V, p. 18 ) Les glaces fran-
chirent le Jura vers 1.2(0 mètres daltitude
parles cols de la .longue, de la Croi.x.etc. pour
venir se mélanger à celles des glaciers juras-
siens. (Cf. De Lapparent, Traité de Géologie,
5' édit., 1906, p. 1678.)
88 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
ligne tles plus hautes crêtes ne demeura pas le centre principal
de la diramation.
De ce foyer aux limites des dépôts glaciaires actuellement
reconnues (1), on compte en ligne droite jusqu'en Angleterre
1.500 kilomètres, jusqu'en Allemagne 4.200, jusqu'à Moscou 2.000,
et, enfin, les dernières traces orientales, vers l'Oural, se rencon-
trent à 3.000 kilomètres du centre glaciaire.
Nul doute que les glaciers d'alors, dans leur plus grande
extension, ne s'étendissent à toutes ces régions en partant du
foyer Scandinave; car les formations erratiques de tout le nord
européen renferment, en grande proportion, des roches d'origine
norvégienne et suédoise (2).
Bien qu'il soit scientifiquement impossible d'appliquer aux
glaciers pléistocènes européens les données que fournissent ceux
du Groenland, il est cependant intéressant de rapprocher les
actions constatées de celles supposées pour les temps anciens, afin
de se faire une idée relative de leur puissance.
Si nous acceptons le terme moyen de 20 mètres en vingt-
quatre heures, observé au Groenland (3j, (7.300 m. par an) pour la
rapidité d'écoulement des glaces (juaternaires Scandinaves, nous
voyons que la période de relard a dû être d'environ 200 ans en ce
qui concerne l'Angleterre, de 170 ans pour l'Allemagne, de trois
siècles pour la Russie centrale et de quatre pour les glaciers
tournés vers l'Oural; que, par suite, en moins de 1.000 ans, cette
masse énorme de glaces a pu se former et disparaître. En raison-
nant sur une vitesse journalière de 30 mètres, six siècles seule-
ment eussent suffi au phénomène glaciaire tout entier [h).
(1) Les phénomènes morainiques ne dé- glaciers Scandinaves dans leur trajet au
pendent pas uniquement de l'intensité gla- milieu des pays plats de l'Allemagne du Nord.
Claire; mais aussi et surtout du relief du sol (3, En 1903, le glacier dit IHassanabad. dans
sur lequel se meut un glacier. A la terre ITIimalaya, s'est en deux mois et demi allongé
Victoria, il est remar(|uablement peu déve- de 0.600 mètres, ce qui donne une vitesse
loppé et sur la « Grande barrière » du pôle moyenne d'accroissement de 128 mètres par
sud,., il n'a pas été observé le moindre caillou». jour. (Cf. Preliminary Survey of Certain
(C. Rabot, /a Géoyr., 1907, p. 392.) Il résulte Glaciers in the North West Himalaya, in
de cette constatation que les données que Rec. of Ihe Geol. Surveii of India, vol. XXXV,
nous possédons relativement à lextension part. 3 et 4. Calcutta, 1907.)
des glaciers pléistocènes sont insuffisantes et (4) Joseph VaUol {Annales de l'obsermloire
que l'aire circonscrite par les moraines ne du Mont-Blanc, 1900, t. IV, p. 122), remarquant
peut être considérée que comme un minimum quela vitesse d'un glaciercroit avec son épais-
des surfaces jadis couvertes par les glaces. seur, affirme qu'à l'époque où l'ancien glacier
(2) Cf. dans Results of the Antarclic E.^pe- du Rhône mesurait l.OoO mètres d'épaisseur
dition (in Geogr. Journ., XXV, n" 4, april, sur l'emplacement de Genève, il devait che-
1905, London). Les vues des glaciers Groenlan- miner de telle sorte que moins de 250 ans
dais de Ferrar, et de l'ouest dans la terre suffisaient à un bloc erratique pour franchir
Victoria dont la pente est extrêmement faible, la dislance qui sépare l'extrémité du Valais
donnent une idée de ce que devaient être les du site de Lyon.
LES PHÉNOMÈNES GLACIAlIiES 89
On voit combien ce nombre de 1.000 années est peu en rap-
port avec l'idée que, fréquemment, on s'est faite de la durée des
temps glaciaires (1). Il ne peut, il est vrai, être pris que comme
un minimum, en supposant que le premier mouvement d'extension
a de suite précédé le mouvement définitif de recul, ce qui n'a pas
eu lieu ; mais en accordant 2.000 ans à ces oscillations, on n'ob-
tient encore qu'un nombre de 3.000 années pour la durée totale
de l'évolution complète (2) dans nos pavs.
Quand on songe à ce que représentent trois mille années, aux
perturbations qui peuvent prendre place dans une aussi longue
période, on est surpris de voir que bien des géologues se sont
crus autorisés à faire intervenir les dizaines, les centaines, les
milliers de millénaires pour expliquer ces phénomènes.
L'irrégularité de la formation des névés a causé, dans la
marche de ces glaciers, des périodes d'avancement et des périodes
de recul (3) et, les masses se modifiant sous ces influences, il en
est forcément résulté des changements dans la direction des cou-
rants ; les traces de ces changements ont été fréquemment retrou-
vées; et souvent il n'y a pas lieu d'attribuer à des foyers secon-
daires les dépôts ne présentant pas la même direction.
L'origine des glaciers pléistocènes semble devoir être attri-
buée, d'une part à l'ouverture de l'Atlantique méridional par
effondrement de ses terres, d'autre part à la surrection compensa-
trice des massifs, Scandinave pour l'Europe {!i) et groenlandais pour
l'Amérique, ainsi que des terres avoisinant ces deux centres prin-
cipaux. Leur disparition serait due à l'affaissement des deux masses
réfrigérantes (5). Si les forces cosmiques ou astronomiques sont in-
tervenues, élevant dans son ensemble le deo-ré hvo-romélrinue
/^'v9[; ^^'^^^ i-inliq. ofMan, 4' édit., 1873, l)elle di^nission île lauleur sur les évaluations
ch. XIV, p. 33ï) estime, en se basant sur une chronoloiiiques fournies par les glaciers. (Id.,
vitesse moyenne de deux pieds et demi par pp. 101-119.)
siècle, que la période entière de suijmersion (3; Li^niles de Diirnten, Utznach, Welzikon,
et demersion (correspondant au glaciaire) des etc., situés entre deu.x couches -ilaciaires.
lies Britanniques a e.xigé 224.000 ans. Cette (O. Heer, le Monde j,rimilif en Suisxe, trad.
évaluation, comme d'ailleurs toutes celles con- française. 1872. p. .5M sq.)
cernant ces mouvements, ne doit pas être (4^ Cf. Lyei.l, Anliq. of Man, 4» éd., 1873,
prise en considération. Cf. chap. I, Chrono- cli;!!.. \IV, p. 322 sq et carte, p. 325. Limmer-
logie. jjjy,, ,1,. l'Ecosse aurait été de 650 mètres envi-
(2) .. ^ous nous croyons pleinement autorisé ron, celle des autres parties des îles Britan-
a conclure que la dernière invasion glaciaire. niques, sauf les côtes de la Manche, de
celle dont nos ancêtres paléolithiques ont 420 mètres
connu et subi les vicissitudes, peut très bien (5) Cf. Lyell, Anliq. of Man, 4' éd., 1873,
avoir été enfermée dans un nombre peu con- chap. XIV, p. 328, carte. — U. de la Bêche,
sidérabie de milliers d'années. Vouloir dépas- Theorical Bexenrches, 1834, p. 90. Ces cartes
ser cette appro.\imalion serait illusoire. .. supposent «pie la surrection s'est produite
(A. DE Lappaisent, les Silex taillés et l'Ancien- régulièrement, ce qui n'a certainement pas eu
neté de l'homme. Paris, 1907, p. 118.) Voir la lieu.
90 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
de l'air, elles n'ont sûrement présenté qu'une valeur relative,,
portant sur l'intensité, et non sur l'origine du phénomène ; cha-
cune des périodes de croissance ou de décroissance correspon-
dant, après le retard voulu, soit à des perturbations atmosphé-
riques, soit à des oscillations de l'écorce terrestre, accroissant
ou restreignant les surfaces liquides, modifiant la nature des cou-
rants atmosphériques, diminuant l'altitude des réceptacles.
Ces phénomènes, qui ont laissé des traces appréciables, nous
les désignons sous le nom de phase glaciaire, quand il y a eu
extension, et de phase inlerglaciaire, lorsqu'un recul important a
fait quitter aux glaces de vastes territoires (l).
Les glaciers Scandinaves, lors de leur plus grande extension,,
semblent s'être arrêtés vers l'Oural. Au delà on n'en rencontre
plus de traces; soit qu'elles aient disparu, ce qui est improbable,,
soit que les plaines sibériennes fussent demeurées libres, par
suite de conditions climatériques [)rivilégiées.
Les plaines de Sibérie n'étaient pas alors ce qu'elles sont au-
jourd'hui (2). Un vaste golfe marin occupait la région où se trouve
actuellement l'embouchure du Ienisseï et, vers le pied des chaînes-
altaïques, s'étendaient de grands lacs en relations, peut-être,,
avec celui de la Caspienne.
Dans la région arcli(jue, aux îles Liakhov, à la Nouvelle-
Sibérie et dans des terres aujourd'hui disparues, se trouvaient
alors des glaciers (3), annexes de ceux du pôle, ne semblant
pas avoir été séparés par la mer des contrées sibériennes. Au sud,
l'Altaï et son prolongement vers l'est jouaient, par rapport aux
terres basses, le rùle que remplirent les Alpes en Europe. 11s-
avaient leurs glaciers et formaient un massif très important (/i).
Nous ne savons pas ce qui, au j)léistocène, s'est passé entre
lAllaï et l'Himalaya. Probablement (\\\c les plateaux élevés du
(1) Le-; restes (le forcis fossiles, les épaisses de leur paroxysme pléi=tocène, ils descen-
coiiches (le lisniles, les brèches (rcl-ljoulis ne daient jusqu'à la cote 2-200 mètres ( Docteur
sont pas le résultat do quelques années et L. Laloy, la Géoijr., 1908, p. 299, dap.L. Berg)
on les a observées, non seulement sur la limite alors qu'en Europe ils avan(;aient jusqu'à la
des grondes extensions, mais jusqu'au sein mer. Celte différence importante entre l'allure
des massifs montagneux qui, à ce;Uiins mo- des glaciers nord-asialiques et ceux de nos
ments, ont dû être débarrassés, sinon Iota- pays, montre que les conditions climatiques-
lement, du moins en grande partie de leur des plaines du Turkcslan et de la Sibérie oc-
manlea'u de glace. (M. Boule, /ifc d Anlhrup., cidentale étaient tout autres que celles de
18H8, p. t)70.) l'Europe septentrionale et centrale.
('il'L'allitude à laquelle se terminent aujour- {?.} Von Toll, Verluindl des .\ean!en Gemjvn-
d'hui les glaciers do la ctiaine du Turkeslan idien lags. Berlin, 1891.
varie de 3.070 mètres (glacier de Tatugen) à (41 OBR0USTC^E^v, in Pe!. Mit., 189-2, Lilte-
,T.180 mètres (glacier de DjaouPaya). Lors raturbericht, p. 99.
LES PHÉNOMÈNES (W.ACIAIRES
<)|
Pamir cl du Tibet (I),de Kouen-Liin et de Gobi, situés entre 1.000
et ô.0()0 mètres d'altitude, constituèrent un immense réceptacle de
froid j)liilùt que de névés, dépourvu d'écoulement; (juant à Tllima-
laya,sesglaciers ont laissé des Iracesjusqu'à 1.000 mètres d'altitude
sur son versant méridional dans le Sikkin, le Népal et le Pundjab (2).
Ailleurs, TAustralasie (3) et l'Afrique possédaient aussi leurs
glaciers.
Le plateau iranien (/|), dont l'altitude moyenne est actuellement
supérieure à 1.000 mètres, joua, en ])etit, le même l'ôle que les
grands plateaux asiatitjues (5). Bordé surtout son pourtour par de
très hautes montagnes qui condensèrent l'humidité (6), il demeura
sec et froid, couvert d'une croule plus ou moins épaisse de neiges
durcies, trop peu importante pour que, d'elle-même, elle pût for-
mer des glaciers et franchir ses barrières. Lors de la fin de l'époque
glaciaire, ces neiges se fondirent, créant de vastes lacs, dont quel-
ques-uns trouvèrent un écoulement vers la mer (7); tandis que les
autres, s'asséchant, laissèrent d'immenses surfaces salées (8).
(1) D'après H.- H. Ilayden (Preliminary
ote on tlie Geology of the Provinces of
Tsang and Ù in Tibet, ds Records of Ihe Geol.
Surv. of India. CalciiUa, vol. XXXII, part. II,
1905), le Tibet central, à 1 époque pléistocène,
aurait été le siège d'une glaciation extrême-
ment intense. Une carapace de glace dev;iit
occuper toutes les pentes de la crête maîtresse
de ITIimalfiya et s'étendre très bas dans les val-
lées adjacentes (G. R.*BOT,/(( Ge'oyr., 1908. p Suli.
(2"; Medlicoit et Mi.AyFOKD, Geolo(i;/of India.
(3) Sur les époques glaciaires en .\us(ralasie.
Cf. A. Pe?«ck, Zeilschrift der Ge/^ellsrliaft fiir
Erd/iunde :u llerlin, t XXXV, p. 339, 1900. En
Nouvelle-Zélande, Tasmanie. Alpes austra-
liennes, il n'y a pas eu do calotte glaciaire ;
mais seulement extrnsion des glaciers qui
existent encore aujourd'hui sur les hauts
sommets.
(4) En Perse, mémo dans les plus liantes
montagnes(aU.r).080m.>, iln e.xisteiiius aujour-
d'hui de glaciers; mais seulement des neiges
persistantes. Cela lient à ce qu il ne se trouve
pas de champs de névés assez développés
pour donner lieu aux masses nécessaires à la
formation des glaciers. Les principales mon-
tagnes conservant des neiges éternelles sont
le Démavend (ait. 6 080 m \ la chaîne de
l'Elbour/. dont beaucoup de sommets déjjas-
sent 4.500 mètres, le Savalan (ait. 4.813 m.),
le Sahend (ait. 4.600 m.), les monlagnes du
Kurdistan ait. 4.300 m.), le Zagros (ait.
4 5C0 m.), la chaîne d Ochti'iràn Kouli (ait.
4.401 m ) et de Kalian Kouh lalt. 4 800 m.),
celle du Zèrd é Kouh (Baktyaris) (ait.
5.000 m ). Toutes ces montagnes ont autrefois
possédé leurs glaciers. (.T. M.)
(5] Cf. J. DE MouGA>", les Travaux de la
délégalicin scienlifiqur eu l'erse aucouisde'
la campagne de 190fi-1907, ds Complea rendu:i
de I Acdd. des Inscr. el Belkx-Lellies, 1907 ;
p. 397; id.; le plateau iranien pendant 1 épo-
que pléistocène, ds Rei\ de l'Ecole d Anlhrop.
de f'nri!^, VI, juin 1907, pp. 213-216.
(6) .J'ai rencontré des traces de moraines
dans les hautes vallées des Baktyaris, dans
celle du Ilo-roud (Louri.-^tan), dans les massifs
montagneux de Kalian Kouh. d'Ochti'jràn
Kouh, dans la vallée du Kialvi, dans celle
d'Ouchnouv au Kurdistan ; des galets striés
bien que très rares sur quelques points du
Lourislan méridional el des Daktyaris. Dans
ce deruierdistiict, bien des vallées présentent
le profil en V typique du glaciaire, d'autres
offrent des ruines de terrasses. Enfin l'énorme
épaisseur des alluvions caillouteuses au pied
des chaînes méridionales, tant sur le versant
mésopotamien que sur celui du plateau, vien-
nent prouver que de grandes masses d'eau se
sont écoulées avec violence au moment de la
fusion des neiges el des glaciers (.J. M ).
(7) Les eaux du Kurdistan oriental (Bidjar,
Gherrous) ont donné lieu au Kizil ouzen qui,
franchissant lElbourz par les passes de
Mendjil, s écoule à la Caspienne sous le nom
de Sélid rond. Celles du district de Bouroud-
jird où se trouvait jadis un lac (dont le nom
s'est conservé dans celui de la localité de
Bahrein) ont rompu la chaîne Loure pour
former la branche septeiilriouale de l'Ab e
Diz. Celles du district de Kirnianchah, main •
tenues autrefois par la rlialne du Séfid roud,
ont brisé celte barrière à Gherràban pour
former le Se'in Mèrrè tpii gagne la Chaldée
sous le nom de Kerklia (.1. M ).
(hi Tous les lacs de Perse sont salés, tous
les bas-fonds sont recouverts dune épaisse
couche de sel (.1. M. '■
92
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Ainsi l'Iran, tout en ne renfermant pas de glaciers très impor-
tants, car il en eut de moyens (1), demeura pendant toute la
période glaciaire un pays inhabitable i2), relié aux grands réser-
voirs de névés de l'Asie centrale (3).
La formation de masses de glace aussi considérables ne fut
pas sans modifier très sensiblement le climat ; nées de la chaleur,
ces neiges abaissèrent la température et modifièrent les condi-
tions de la vie, suivant que l'expansion des nappes réfrigérantes
était plus ou moins grande. Puis les glaciers disparurent, ne lais-
sant dans nos montagnes que des ruines de leur grandeur passée,
et le climat actuel s'établit.
Tandis qu'en Europe la température moyenne se relevait, par
contre la Sibérie devenait un pays glacé ('4). L'avancement de sa
côte septentrionale, l'assèchement de ses lacs la privèrent de
l'humidité que le Gulf stream, reste très affaibli des grands cou-
rants d'antan, nous apporte généreusement (5).
Certainement la terre porte encore aujourd'hui des glaces
fossiles datant, non seulement du pléistocène, mais aussi de
l'époque tertiaire. Il suffira de citer celles de l'Alaska, de la
Sibérie septentrionale, des iles Liakhov, de la Nouvelle-Sibérie,
du Groenland, des pôles qui n'ont cessé, depuis la fin du pliocène,
de couvrir les espaces qu'elles occupent encore de nos jours.
(1) Restes de moraines, vallée du Seïn
Mèrrè. Cf. J. de Morgan, Misxion en Perse,
t. II, pi. LXVII. Le lac Gahar (Loiirislan),
barré par des alluvions morainiqiies. est un
reste du glaciaire. Cf. ici., pi. LXXVII. Vallée
du Kébir Kouh. Cf. id., pl.LXXX. — Terrasses
glaciaires. Haute vallée du Gader Tchaï
(Kurdistan) Cf. J. riE Moiîgan, Mission en
Perse, l. II, pi. II. Village de Hei construit
sur le-xtrémité d'une terrasse glaciaire.
Vallée du Kialvi (Kurdistan). Ochturân Kouh
(Lonrislan). Cf. J. M., op. cit., pi. LX et LXI.
Vallée du Lar au pied du Demavend ; vallée
de r.\raxe à Khoudaférin. Cf. /(/., t. III. 1905,
pi. VII. Plaine de Déchl-i-Khawa (Lourislan).
— .Mhivions glaciaires, Ilolwân Rou (Zohàb).
Cf. DE Morgan. Mission en Perse, t. II,
pi. XVIII et XX. Teng é Ziba. Cf. ici.,
pi. LXXIV, Tefig é Bâdouch, id., pi. LXXV.
Germasirs de Pinùbiul. Cf. id., pi. XCIV.
Vallée du Kechghan Roud I.ouristan), de 1 .\b
è Zal. du Belal rou (Arabislan) et au pied
mésopotamien de toute la chaîne du Louristan
et des Baktyaris.
i2) Je n'ai rencontré en Perse d'instruments
d'aspect archaïque qu'au gisement de l'Ab-é-
Pardnma dans la vallée du Lar (Mazandéran).
[Cf. J. DE Morgan, Miss. se. en Perse, t. IV,
1896, Bev Archéol., p. 1 sq.] Mais, encore, ne
puis-je affirmer qu'ils appartiennent à la
période quaternaire. Ce gisement, situé sur
le versant septentrional de l'Elbourz, était en
dehois de la région glacée.
(3) L'e.xpédition anglaise à Lhassa (Cf.
L. AusTiNE Waddell, Lhasa and ils nujsleries
willi a record of Ihe expédition of 19O3-i90'i.
Londres, 1905) a rencontré sur le versant
septentrional de lllimalaya un très grand
nombre de traces des phénomènes glaciaires.
(4) Il existe aujourd'hui deux pôles tlu froid;
lun en Sibérie vers le cours de la Lén.i,
température moyenne, — 17°. '2 (max. absolu,
+ ;iS°; minim. abs., — 70°; dilT. max 114°!,
l'autre dans les terres polaires arctiques,
temp. moy., —-20°. Le pôle septentrional du
froid se trouvait autrefois vers le centre de la
Scandinavie, il s'est donc transporté vers
lest de 1.35° environ en longitude.
(5) Les iles Féroë et Iakoutsk, points situés
tous deux par 62° 30' làl. nord, offrent des
différences climatériques très notables Iles
Féroë, temp. moy. ann., -f 7°,3; Iakoutsk.
— 10°. 3; mois le plus froid, iles Féroë + '2°^' ;
Iakoutsk. — 43°; mois le plus chaud, iles
Féroë + l-2»,3; Iakoutsk + 20°, 4. Différences
correspondantes, 17°, G. 41°,3, 8°, 3; différence
extrè-ies, iles Féroë, 9°, 6; Iakoutsk, 63°, 4. (Cf.
PROtif, Klima und Geslalhmg der Erdober
flatrhc, 1S85, p. 8.)
LES l'IlKNOMKNES GLACIAIRES 93
Quelques géologues (1) ont admis, depuis la fin du pliocène
jusqu'aux temps proto-historiques, l'existence en Europe de six
périodes glaciaires ; d'autres (2) réduisent ce nombre à deux ou
trois, ayant afTecté rensemi>le des continents, et considèrent les
autres comme d'importance secondaire et locale. Suivant ces der-
niers, la première extension glaciaire, la plus étendue, aurait
couvert toute la région iruli(|uée plus haut.
La seconde, moins violente, se serait cependant encore éten-
due sur l'Irlande, l'Ecosse, le nord de l'x^ngleterre ; mais dans
l'Europe centrale elle n'aurait pas dépassé au sud Hambourg, Ber-
lin, A'arsovie, Vilna, Novgorod, et, à l'est, le lac Onega et Arkan-
gelsk.
Pendant les périodes qui suivirent, les glaciers, perdant de
leur intensité, ont fait de moins en moins sentir leurs efTets.
Le synchronisme des phénomènes glaciaires ou interglaciaires
est extrêmement difficile à établir scientifiquement ; car les
dépôts de cette nature, ne renfermant aucune trace de la vie, ne
peuvent être datés relativement que par les lits fossilifères qui
les accompagnent, les supportant ou les recouvrant.
Les successions stratigraphiques, dit ^I. Boule (3), s'établissent
aisément dans une même coupe, mais le synchronisme des allu-
vions pléistocènes est, pour ainsi dire, impossible à prouver; les
fossiles variant peu et des sédiments de même nature ayant pu
se déposer en des temps différents sur divers points.
A ces incertitudes viennent se joindre celles résultant de la
conduite même des glaciers. L'observation prouve, en effet, que
dans un même massif glaciaire, tous les courants ne croissent
pas et ne décroissent pas en même temps. Les uns avancent, les
autres reculent ; d'autres enfin demeurent stationnaires. 11 en
résulte que, dans certaines régions, on serait tenté de croire à un
recul général, tandis que, dans d'autres, tout concourt à faire pen-
ser l'inverse.
Si les Alpes, avec leur faible développement glaciaire, laissent
souvent dans le doute, (jue doit-on penser de masses aussi con-
(l)Gh;iKiE, Greal ice Age. London, 1804. Pe.nck, Die vierle Eiszeit im Bereiche der Alpen,
(-2) Voir Penck, Vergleischerung der Deuls- Wien, 1699. — Chamberlin, Sa/js6urj/, Smoc/c in
chen Alpen.— B\vvck:^eh. Petit k'sGeog.Abhiindl., Salisbunj Drifl of New Jersey, p. 102. — Cha.m-
Wien, 1886.— Pe.nck, Die Glacial xcluitlcr in den berun, Proc. Amer. Assoc, 188G.
Oslalpen, 1890. — Du Pasquiek, Mnlér. pour la (3) Maucelli.n Boi:le, Essai de paléontologie
carie géol.de Suisse. XU'ii. - Penck et Dhuck.ner, stratigraphiiiuedelliomme, ds Rev. d'Anlhrop.,
Die A.penim Eiszeitaller, Leipzig, l'>01-l9iJô ; — 1888.
9/, LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
sidérables que celles des glaciers quaternaires? Il serait imprudent
de se hâter de généraliser la portée des observations; car les
mouvements d'ensemble sont composés d'une foule de circons-
tances particulières dont les traces peuvent être en contradiction
avec la progression ou le recul général.
Quoi qu'il en soit, après une série plus ou moins variée de
lluctuations, les glaciers ont disparu ne laissant, en dehors des
régions polaires, que des représentants presque insignifiants.
Pendant la fonte il se forma, au sud-est et à l'est de l'ancien
foyer glaciaire Scandinave, une vaste dépression, la mer à Yoldia^
beaucoup plus étendue que n'est la Baltique d'aujourd'hui et fai-
sant communiquer la mer Blanche avec l'océan Glacial, par un
canal dont on retrouve nettement les traces en Finlande et près des
côtes méridionales de la Norvège (1). L'encombrement des deux
extrémités de ce canal fit le lac (d'eau douce) à Ancylus et le dé-
troit danois s'ouvrant, au moment de la formation de la mer du
Nord, cette cavité devint la mer Baltique.
C'est à cette époque, après la période d'érosions cl d'allu-
vions qui précéda, accompagna et suivit le glaciaire (2j, que la
chaîne Scandinave et les pays du Nord commencèrent ce mouve-
ment d'immersion que nous voyons se continuer encore sur les
côtes de Hollande, de France et d'Angleterre; que se créa la
Manche en même temps que la mer du Nord.
Au sud-est, entre l'Europe et l'Asie, le lac aralo-caspien,
depuis longtemps connu et dont j'ai retrouvé les anciens rivages
au pied des montagnes du Mazandéran et du (ihilan (3), ne se
trouvant plus alimenté par la fonte des neiges de l'Altaï, du pla-
teau persan et des autres massifs voisins, commença son assè-
chement. Il en fut de même pour la plupart des grandes nappes
d'eau douce, en Sibérie, aux États-Unis et dans le monde entier.
La fonte d'aussi grandes masses de glace ne se fit pas sans
amener des changements importants dans le relief topographique
du sol. Si elle s'était effectuée régulièrement, il en fùl résulté
[l] Le canal dont la topographie sous-nia- (2) Pour les érosions glaciaire-,, Cf. \\ . M.
rine fournit les contours et qui est situé au Davis, Glacial érosion in France, Switzerland
sud (le la Norvège peut n'être que le résul- and Norway, in Proc. Boston Soc. of Nal.
tat des érosions causées par les nappes d'eau ///sf., vol. XXIX, n" 14, pp. .273-.'H22, 1900. —
prébaltiques se déversant dans l'Océan, leur M. Boule, la Topographie glaciaire en Au-
niveau se trouvant relevé par les apports vergue, ds A/îfî. r/f Geogr. ,5''année,ir>;(vril 1896.
<;normes dus à la fonte des glaciers situés sur (3) Cf. J. de Morgan, Mission scienlif. en
le versant oriental de la crête Scandinave. Perse, t. 1,1894; Eludes tjéologiques. p. 131».
LES PHÉNOMÈNES GI.AC.I AUlES 95
l'établissement de fleuves immenses, creusant de profondes
■vallées, puis couvrant leur fond d'alluvions ; mais ce n'est pas
avec autant de simplicité que les choses se passèrent.
Nous observons, lors de l'extension de certains glaciers et de
la fermeture des vallées secondaires dépourvues de glaces, la
formation de lacs parfois très étendus qui, se constituant en plu-
sieurs années, finissent j)ar rompre leurs barrières. Ils se vident
alors en un temps très court, souvent en quelques heures seule-
ment, causant dans les pays situés en aval de véritables déluges.
Ces lacs de barrages (1), fréquents dans nos montagnes et au
Oroenland, étaient jadis très nombreux dans les Alpes Scandi-
naves; ils ont laissé, dans les vallées des deux versants et dans
les fjords, des terrasses (2) parfaitement horizontales, témoins de
l'ancien niveau de leurs eaux (8).
De semblables cataclysmes se sont produits fréquemment au
cours de la période glaciaire ; mais alors leurs proportions étaient
bien plus grandes qu'elles ne sont aujourd'hui (/i). Enfin, lors de
la fonte définitive des glaces, de nouvelles inondations survinrent ;
et c'est à cet ensemble compliqué que nous devons le diluvium.
Ce dépôt ne s'est pas fait en une seule période; il est le ré-
sultat d'alluvions successives, dues à des phénomènes successifs
•eux-mêmes, mais désordonnés (5). Ainsi, dans nos alluvions dites
quaternaires, il en est qui peuvent appartenir au pliocène supé-
rieur, époque de l'apparition des glaciers; il en est de contem-
poraines des diverses phases glaciaires et interglaciaires; mais la
majeure partie semble due à la disparition des glaciers.
(1) L'Ecosse fournil des preuves indiscu- (4) Cf. E. A. Martel, Ruptures de poche-;
tables de la formation de lacs itîndus au d'eau des glaciers, ds l(i Nature, n" 1138,
-cours de la période glaciaire. (Cn. Lyell, 23 mars 1895.
Anliq. of Man, ¥ éd., 1873. p. 304 et sq., (5) Les Annales chinoises ont conservé le
•chap. XIV.) En Suisse, le Màrjelen See, en souvenir d'une grande inondation placée par
amont de Brieg, dans la vallée du Rhùtie, est les livres sous le règne de Yao. D'après le
un des exemples les plus intéressants de système chronologique du Lih-laï ki-ssé, les
îacs-barrages visité en 1865 par Lyell (Pri/jcip. travaux de Yu, pour réparer les désastres
-ofGeoL, XI' éd., vol. L 1'- 374). J'y ai, en causés par l'inondalion, auraientété terminés
1906, vérifié points par points la description en 2-278 avant J .-G. ; d'a|irès celui des .\nnales
<iu'en donne le grand géologue anglais. des bambous Su-Tchou-schou en 2U62. iFn.
(2) 11 y a lieu de discerner entre les ter- Lenoumant, Hisl. anc. de l'Orient ; 9' éd.,
rasses glaciaires cl fluviales. Cf. à ce sujet t. I, 1881, p. .56.) Déluge clialdéen de Berosc.
la belle étude de \V. M. Davis RivEH. Tenaces Déluge indien dans la Çatapati Brâhmana.
in New Eiigland, l',W2 (in Bull, of Ihe Miixeum Déluges d'Ogyges, de lieucalion et de Dar-
of corn [jaral lue Zooloyij at Hcward CoUeije. vol. danos en Grèce, des Lithuaniens, de tous le-
XXXVlll, Geol. Ser., vol. V, n" 7, pp. 281-3i0. peuples indo européens. (Cf. Fk. Lenokmant,
(3) Cf. R. L. Barett, The Sundal Drainage Hisl. anc. de l'Orient, Q' éd., t. I, §4. Le
System in Central Norway (Bull, of Ihe Ame- Déluge, p. 55. Chapitre dans lequel sont
rican Gengr. Soc., vol. XXXII, n" 3, 1900, reprises toutes les traditions relatives à ce
pp. 19L)-220). cataclysme.)
96 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
La masse énorme du liquide rendu au sol apporta une
grande humidité dans l'atmosphère ; il en résulta des j)luies
intenses qui, dans les pays où les eaux glaciaires n'avaient pas
eu d'action directe, les remplacèrent dans leurs effets d'érosion
et d'alluvion. C'est ce qui se passa pour le nord de la France
entre autres et probablement aussi pour les pays syriens et égyp-
tiens.
Dans ces dernières régions, les traces laissées par les eaux
diluviennes sont telles, qu'cà l'abondance des pluies nous devons
joindre d'autres causes, celle entre autres de l'écoulement subit
de vastes lacs qui, ayant rompu leurs digues, se précipitèrent
dans les pays situés plus bas qu'eux. Le creusement du Bahr-
Béla-Mâ, ou fleuve sans eau, postérieur aux alluvions caillou-
teuses, doit être attribué, je pense, à un cataclysme de cette
nature.
Les alluvions asiatiques et africaines peuvent être contempo-
raines de celles de l'Europe; mais rien n'oblige à le croire, sur-
tout dans le détail; car aucune liaison certaine n'a encore été
constatée entre ces divers phénomènes.
L'observation et l'étude des alluvions est, dans nos pays, ren-
due difficile par l'abondante végétation qui couvre le sol et par
les modifications de surface apportées par la culture ; mais dans
les pays déserts, tels que le Sahara, certaines parties de l'Algérie,
de la Tunisie, de l'Egypte, de la Syrie, les faits sont beaucoup plus
nets qu'en Europe. A El-Mekta près de Gafsa (Tunisie), entre
autres, on voit de la manière la plus claire les traces du charriage.
Les ateliers d'El-Mekta ont été balayés par le courant et leurs
restes se sont déposés dans les épaisses alluvions de Gafsa, à
15 kilomètres en aval. Or ce oued a changé de lit, a coulé à bien
des époques différentes, entraînant tour à tour les débris d'ate-
liers d'industries diverses ; en sorte que si la superposition des
couches peut renseigner au point de vue de la succession des
crues, elle est souvent sans valeur en ce qui concerne l'âge des
instruments charriés; leur superposition ne doit donc pas être
prise en considération de manière absolue.
Le fait que je viens de citer pour une localité tunisienne
s'est forcément reproduit dans nos pays. Sa constatation, d'ailleurs
conforme aux lois de l'écoulement des eaux, porte un coup bien
grave aux théories basées sur la superposition des couches dans
ij:s phénomènes (îlaciaihks 97
les alluvioiis ; parce qu'elle apporte la possibilité d'un doute sur
la valeur scientifique des successions apparentes (1).
Après avoir passé en revue les phénomènes glaciaires eux-
mêmes, nous examinerons quelles furent les conséquences de
ces perturbations au point de vue du climat, de la dore et de la
faune, et enlin en ce qui concerne la vie humaine; mais il eût
été impossible de se rendre un compte exact de ces transforma-
tions, sans être préalablement entré dans les détails qu'on vient
de lire sur ces faits naturels, dont la répercussion fut si grande
sur les destinées liuniaines.
La période glaciaire est loin davoir [)ris lin ; nos temps qui
en font encore partie, sont caractérisés i)ar un imj)ortanl mou-
vement de recul, commencé longtemps avant les débuts de l'his-
toire. Il est à penser que ce retrait des glaces n'est pas définitif,
que les froids reviendront, et avec eux la dépopulation d'une
partie de notre globe. Rien ne peut faire prévoir l'amplitude de
cette future oscillation ni le sort que destinent à Ihunianité
les lois de la nature.
11 se passera, lors de ce cataclysme, des révolutions que
l'imagination la |)liis féconde ne saurait concevoir ; désastres
d'autant plus horribles que, chaque jour, la population de la terre
s'accroissant, les districts les moins fortunés se peuplant peu
à peu, les divers groupes humains, refoulés les uns sur les au-
tres, ne trouvant plus l'espace nécessaij-e à leur existence, se
détruiront entre eux.
(i) Cf. J. DE MoRG.\N, i Anthropologie , la chronolooie relative des faits préhisto-
11K)7, pp. 380 à 383. Note sur l'incertitude de riques.
CHAPITRE IV
La flore, la faune et l'homme aux temps glaciaires
l'homme à l'état paléolithique.
Durant les perturbations glaciaires, le monde organique no
senrichit pas d'une seule espèce ; les animaux, comme les plantes,
ne firent qu'osciller entre les tropiques et les régions polaires,
modifiant leur habitat, suivant leurs besoins, d'après les ressources
qu'ils rencontraient. Bien des formes disparurent de nos latitudes;
par exemple les grands mammifères herbivores qui, abandonnant
l'Europe, la Sibérie, l'Amérique du Nord, continuèrent à vivre
dans l'Afrique centrale et l'Asie méridionale, où ils existaient
déjà (1) dès l'époque quaternaire.
Ces transformations de la vie animale ont toujours eu lieu,
même durant les temps humains, parce que fré(|uemment les cli-
mats se sont modifiés et partant la flore (2 /, cause première de
1) Zitlel {Traité de Paléontologie, Irad.
Barrois. i. IV, p. 764) compte qu aux temps
quaternaires la faune mammalogique de l'Eu-
rope comportait 110 espèces, tandis qu'aujour-
d'hui elle en possède 150, en y comprenant
les espèces domestiques et importées; mais
est-il certain que nous ayons retrouvé des
vestiges de tous les mammifères qui ont vécu
nu cours du pléistocène?
(2) La flore actuelle du globe ne se com-
pose pas de groupes organiques homogènes.
Cette flore est, au moins pour un grand nom-
bre des éléments qui la composent, un legs du
passé. Chacun des groupes qu'on y peut dis-
tinguer doit avoir son histoire souvent très
ancienne, et il en est qui sont aujourd'hui
dans la toute-puissance de leur développe-
ment, comme il en est d'autres réduits à ne
plus offrir qu'un petit nombre de types, der-
niers survivants d'un ensemble dont la pros-
périté réclamait d'autres conditions {A. dk
Lapparent. Traité de Géologie. 1906, p 11F>.) —
Pour se rendre compte de la distribution du
règne végétal sur le globe suivant les condi-
tions géographiques et climalériques. Cf.
1. Costa NTiN, les, Végétaux et /es Milieux cos-
miques. Paris, 1898 — Id., la Nature tropi-
cale. Paris, \899.- E. EviGLER, Die Enlwickclung
der Pftanzeri Géographie in den lelzten Jahren-
hundert und }Veitere Aufgahen derselben. Ber-
lin, 1^99. — O. Drlde, Manuel de géographie
botanique, trad. G. Poirault. Paris. 1897. —
A. F. W. ScHiMPKR. Pflanzen. Géographie
auf PhijMologiiirher Grandlage. lena, 1898. —
LA 1 J.ORE, f.A FAUNE KT 1/llO.MME AUX TEMPS GLACIAIUKS 99
la faune d'un pays {!). Dans la période historique, sous nos yeux
encore, bien des espèces abandonnent certaines régions pour se
concentrer en d'autres. L'aurochs qui, au temps de César, peuplait
les forêts de la Germanie, ne vit plus aujourd'hui que dans deux
îlots de forêts, en Lithuanie et en Circassie. L'autruche qui, lors
de la première dynastie égyptienne, habitait encoie la moyenne
vallée du Nil (2), qui, sous Julien II (vers 350 ap. J.-C), vivait sur
les bords de l'Euphrate (o), ne se rencontre plus aujourd'hui
qu'en Afrique centrale et australe ; elle a disparu de l'Asie.
Hien des animaux ont fui devant les modifications duc limât ('i) ;
mais beaucoup aussi ont disparu devant l'homme qui, de mieux
en mieux armé, les poursuit sans relâche. Les matelots hollandais
ont exterminé les derniers des Dodos; l'ours a été complètement
détruit en Angleterre et dans presque toute la France et, en vingt
ans seulement, dans les montagnes iraniennes, le gros gibier a
très sensiblement diminué, depuis que les nomades se sont armés
de fusils à tir rapide et à longue portée.
Quoi qu'il en soit, dans les temjis pléislocènes, l'influence de
l'homme sur la disparition des types animaux peut être consi-
dérée comme nulle; car ses moyens d'attaque du gibier n'étaient
encore que très rudimentaires. C'est le climat qui fut le grand
agent destructeur aussi bien que conservateur. La flore est notre
meilleur guide pour apprécier les causes de ces variations dans la
faune ib).
A. Masclef, la Géographie botanique et son
évoliilion au dix-neuvième siècle, ris la Géo-
graphie, t. II. 1900. p. 35 sq. — G. Saint-Yves,
Sur la dislribulion des plantes en Sibérie et
dans l'Asie centrale. Id., p. 81.
1) La répartition sur le globe des mollusques
terrestres (Cf P. Fischek, Manuel de conchi/-
liologie. 1887) fournil de précieuses indications
sur les condilions de la vie sur la terre. Ces
animaux, étant de ceux qui si' déplacent le
moins, ont nettement conservé leurs caractères
locaux depuis les temps géologiques. G est par
leur élude qu'on peut le mieux retrouver les
relations anciennes des continents entre
eux.
(2) Abydos, El Amrah.
(3) Ammiën MARCiiLi.iN, Expéd. de Julien II
contre lex Perses. — Des fragments d'œufs
d'autruche ont été rencontrés à Suse dans
les couches élamites du quinzième siècle
environ avant noire ère L'on voit cet oiseau
figuré sur un koudourrou d'époque cosséenne
provenant de la même localité et sur des
cylindres-cachets chaldéens du trentième
siècle environ av. ,I.-C.
(4) Nebringa démontre qu'à Thiede, près de
Brunswick, après la fonte de la granile cara-
pace glaciaire, il y eut d'abord une faune de
toundra composéedu renne, du bœuf musqué,
du renard bleu, du lemming, du lagopède
alpin . et qu'à cette faune de loundra succéda
une faune de sti-ppe composée de la gerboise,
du porc-épic des steppes, du lagomys, du che-
val sauvage, de l'hémione, du rbinocéios, du
mammouth, et à certains endroits de l'anti-
lope saiga. En d'autres termes, lorsque l'adou-
cissement du climat amena la transforma-
tion de la toundra en steppe, la faime changea
également. (Cf. A. G. Naihorst, la Géogra-
phie, 1901, I. 111 , p 7, sq.)
(5) Sur la flore pléislocène, consulter : De
.Sahorta, Aperçu sur la flore df l't'poque quater-
naire. Caen, 1857. — De Sai>orta, lievue des
Deux Mondes, 15 sept. 1881 — De Saporta,
Congrès de Stockholm, 187 i, L p. Su sq. - De
Saporta, le Monde des plantes, 1879. — De
Saporta, Origine paléonloloqique des arbreu
cultivés, 1888. — Schrotter, Die Flora dai
Eisicit. Zurich, 1884. — Schi-mper, Traité de
paléontologie végétale, t. I, p. 253, etc.
100 I-l-^ PIÎKMIÈRES CIVILISATIONS
En Anglelcrre, les couches dont le dépôt a précédé la première
extension glaciaire, le Forest bed de Happisburg (1), montre une
flore se rapprochant beaucoup do celle de notre temps dans les
réo-ions de même climat : Pimis sulvestri.^, P. ahies. Taxas baccatu,
Niiphar liiteum^ Ceralophijlliim demersum, Potamogelon, Prunus
spinosa, Memjanthus Irifolia, Alnus, Ouercus, Betula, etc.
Dans le même pays '2;, « les prenders indices de refroidisse-
ment se sont fait sentir par l'apparition d'une flore à Salix polaris
et Drijas octopetala (3), distincte d'une flore glaciaire ultérieure,
à Betula nana et Salix herbacea. De même en Ecosse, une flore
semblable à celle du temps présent se trouve intercalée entre
deux végétations glaciaires de bouleaux nains ».
Une flore voisine de celle du Suflblk a été trouvée en France
à Jarville, près de Nancy, et à Bois-l'Abbé, aux environs d'Epinal,
à la base des alluvions glaciaires vosgiennes. La physionomie de
cette flore est subalpine et indique un climat analogue à celui qui
règne aujourd'hui dans le pays à 1.000 mètres d'altitude. Le
mélèze, actuellemenl confiné entre l.SOO et 2. 001) mètres, était
alors commun sur les ])asses collines des environs de Nancy iji).
C'est la première extension glaciaire qui aurait anéanti, en France,
le platane, le sassafras, le chêne du Portugal, les derniei's repré-
sentants des cannelliers et des palmiers.
A Deuben i)rès de Iharand, à 18 kilomètres seulement de
l'Erzoebirge, l'argile (|ui supporte le limon à fihinoceros licho-
vhinus a fourni une vraie flore glaciaire à Salir herbacea, Polij-
(jonum viviparum ■ 5. avec coléoptères arcti(|ucs comme Carabus
Groenlandicus (6). M. Nathorst peuse (jue cette végétation, mar-
([uant le bord externe des glaces septentrionales, régnait presque
sans partage au nord des Alpes, sur 300 kilomètres, laissant tout
au plus se développer par places des massifs de Betula odorata.
La flore interglaciaire est connue sur divers points de l'Alle-
magne du Nord, notamment à Honerdingen (7) où elle se montre
composée de nénuphars (]ui ont crû sur un lac dont les bords
étaient ombragés pai des forêts de pins, de chênes, d'aunes, de
(1) Lyell, Anliq. of Mnn, i« .'•ilil. Loiidon, (ô) A Schlussenried et ù Wald sec en Wiir
1873, ]>■ 250 lemberg, ou a rencontré des mousses arc
(2) De Lappahem. Titiité de (rrniagie.U' i-(\\U, tiques st,-ml)lal)les à celles du Groenland et du
1906, p. 16 '8 et si). Labrador : Uijpniim sarmcnlosuw. II. aduncuw.
(3) Nathorst. in Hei<. Géol. suisse, 11' inWL, [(>) Nathorst, Koiu/I . Velenskap. al;a<l.
p. 76. — Refd el RwLr.\,Geol. mar/.3[Vl,p.4il. Stockholm. 189'..
(4) Fliche, Cotiipt. rend. Anid. ■'^r.. I.XXX. 7) WKr.Ki;. IWiilln-oi-oloyie, ISÎKi.
p. 1233; XCVII. [>. l;«i».
I.A FLORE. LA 1 AUNK KT LlIOMMi; Al X TEMPS GLACIAIRES 101
tilleuls, de lièties, associés ;ui\ hoiis. Le sapin (Ahies perfinaln)
s'y est acclimalé en dernier lien.
Du même âge, et du même caractère essenliellement tempéré,
<'sl la dore des lio-niies interglaciaires de la Suisse; de ceux où il
a été rencontré des morceaux de pin portant des traces du travail
de l'homme (1). Cesligniles, ainsi que les tufs inférieurs de Moret,
sont remarquables par la j)reuve qu'il fournissent du grand déve-
loppement du figuier et du laurier au temps de leur formation.
Les zones de végétation ont toujours été concentriques aux
glaciers. Lors de la plus grande exteui^iou de ces derniers, l'aire
des flores froides a fini par être continue depuis la Sibérie, par les
Carpathes et les Sudètes, jus(|u'aux Alpes et même aux Pyrénées.
Plus tard, cette aire s'est lompue en ilols *2i, et c'est ainsi qu'il a
pu se constituer une lloie alj)ine aj)parenlêe à la flore boréale (3;.
Le Forest bed fournit également la faune qui vivait au moment
où commencèrent à se former les glaciers. On y voit(/i) : Elcphns.
méridionale (ô), E. anliqiiiis (6), E. j>rimi()enitis (7), Rhinocerofi
elruscus {S\ II. megarhiniis, E(/iiiis caballus, Ilippopoldinua
major (9), Sus sera fa, Ursus spelœus (10 , ['. Arvernensis, Boa
primigeniiis (11), Cervus megaceros (12 . C. capi-eolus, C. elaphus,
C. polygnacus, C. cornuloi'nm, C l'cr'licornis, C. Sedgwicki,
Castor fiber, etc.
Cette faune caractérise nettement la j)roviuce zoologiqne an-
Ci) A Wetzikon (Suisse). Hulimcxcr.
(2) Les hautes cimes de la Suisse renfer-
ment (les espèces végétales i(lenU(|ues à
celles (lu Spitzberg et du Groenland. .Sur U-
cône terminal du Faulhorn, Ch. Marlens a
recueilli 132 phanérogames dont 4U se retrou-
vent en Laponie et 8 au Spitziierg. Mémo
chose a été observée pour toutes les grandes
montagnes, même dans l'Atlas, 1 Abyssinie,
au Brésil, dans les Andes, oie. (A. ije Lappa-
UE^T, Traité de Gcoloyie, 1906. p. Ili.)
(3) BouLAY, l'A'iciennetc de ilwmiiif. Paris,
189i.
(4) LvELL, Anliq. of Man, p. -2ôi).
(r>) Cf. Gaudry, Enchainemenls du monde ani-
mal, 1878, p. 169. — Id., leA AncèlreA de nos ani-
maux, p. 279. — D'après Gaudry, iJ. meridio-
;in//.s' serait l'ancêtre de l'éléphant de l'Afrique.
(6) Cf. rALcoNER, On llie ossiferous caves
of Ihe pcninsula of Gower, in Ouarl. Jonrn.
Geol. Soc, t. X'VI. Gaudry considère /•,'. anli-
quus comme l'ancêtre de l'éléphant des Indes.
(7; Ou mammouth. Cuvier, Révol. du Globe,
p. 3-29, ossements fossiles. Cf. H. Ilowoinii,
The Mammolh and Ihe flood, 1887. — F.vlcoiser,
Paleoniological Memoii\'i, t. 11, 1868. — D'Acv,
Bull, Soc. AnlhropoL, 1884, p. 4.'>3. Los osse-
ments en soûl trè.s abondants dans toutes U>>.
régions habilables au pléistocène. On ren-
contre son image gravée dans les cavernes (la
Madelaine, lîruni(|iiel, Haymonden. etc.).
(8) Falconer.
(9) Cuvier ; rare dans l'Europe centrale,
manquant en .MIemagne, il est abondant en
Italie. Cf. Gkiwais, lierh. .s. I Anliq. dr
l'homme, p. 101. — De Mortii.i.et, le Préhisto-
rique, 2"^ édit., p. 205 sq. — IIamv, Pr^ci.s-.
p. 175.
(10) GuviEi!, Ussement.'i fossiles, vol. IV,
pi. XX à XXIV, figuré sur un morceau de
schiste (caverne de Massai).
(11) GiivicR, Ossew. foss., t. IV, 112 sq.,
p. 1,50 s(j., pi XL Synonyme-., /?08 uru.s prj.scu.---,
laurus fossilis, laurus primigeniu.s ; est au din-
de certains auteurs (Cuvier, Uulimeycr, Bell,
Nehringj peut-être l'ancêtre de nos grands
bovidés d..mestiques. Fréquemment figuré
sur les parois des grottes.
(12) llarlan. — Synonymies, cerfs à bois gi-
gantesques (Cuvier;, Megaceros hiberniciis
(Owen), earycero.-), etc. ; irequent en Europr
occidentale, rare eu Italie, est interglaciaire
eu Irlande. W'ii.liams, Geol. May., 1881,
p. ;\bi.)
i^^^jj^^^
LA FLOJIE. LA FAUNE ET L'HOMME AUX TEMPS (lLA<:îAIPvES 103
glaise de cette époque. Elle est forcément la même, à peu de
chose près, pour la Gaule se[)tentriouale et centrale ; puisque la
Manche n'existant pas alors, les terres britanniques irétaient que
le prolongement du continent européen. Les temps qui suivent
montreront le départ d'un grand nombre de types, mais n'en
apporteront pas de nouveaux.
La faune (1) n'est pas homogène pendant toute la durée du
pléistocène et dans tous les districts. En Europe centrale et occi-
dentale, elle débute par Elephas anliquiis dominant, mais vivant
avec E. meridionalis, reste du pliocène ; tandis (|ue dans les
rivières et les lacs abonde Corbiciila /Iiiminalis, lamellibranche
aujourd'hui éteint partout ailleurs (|ue dans les eaux tièdes tie
l'Afrique et de l'Asie méridionale (''1).
E. meridionalis disparaît le premier, faisant place à E. prirni-
(jenius, avec lecjuel d'ailleurs il a vécu ses dernières années (Forest
bed). E. anliqiiiia s'eflace à son tour laissant seul E. primigenius
(|ui, avec Rhinocéros tichorhinus, est contemporain du renne, et ce
dernier lui survit jusqu'à nos jours, bien qu'ayant modifié son
habitat.
En sorte (ju'il semblerait qu'on puisse diviser les temps
glaciaires en six périodes, suivant les caractères de leur faune,
savoir :
1. I Elephas meridionalis. ( Elephas antiqmis.
i r-i I -j- /• IV. < Elephas priminenius.
\ Elephas mendionnlis. ' j / ' ^'
IL S E», / .• „ f Rhinocéros tirhorhinu^.
l Elephas aniiquiis.
TPI I ■ r r [ Elephas priminenius.
Elephas nicridionalis. \ ■' .
rp, 1 /• \ . { Rhinocéros lichorhinns.
Elephas antiquus. j
111. { ^, , . ■ . ( Cerviis iarandas.
Elephas pnmigenias.
Rhinocéros lichorhinns. YI. | Cervus larandus.
Mais ces divisions, même si elles étaient rigoureusement éta-
blies, ce qui n'est pas, ne seraient d'aucun usage pratique pour le
classement des industries humaines ; car jamais on ne rencontre
(1) Cf. J. WoLDRicii, Diluvinle europa-ische dans Ions les cours tleau de la plaine, acconi-
nordasialische Sauerjetbierfauna und Une Bezie- pagnée fie Mehinin h'.berculata el de Mel'inopxis
hunyenzum Menschen. Sainl-Pétersboiir<î 1887. nodo^us. pénètre dans les vallées; mais cesse
(2) Knlre autres pays de l'Asie où j'ai ren- brusquement vers 700 mètres d altitude devant
contré Corbicula fluminalis, je citerai particu- un climat trop rigoureux pour son existence,
lièrement la Susiane. Là, celte espèce, qui vit (.T. M.)
lO/i I.ES PREMIÈRES CIVILISATIONS
réunis tous les types caractéristiques et, semljloraiont-ils être tous
dans une même couche, qu'on ne serait jamais certain, pour le
groupe IV par exemple, qu'il ne manquât pas soit^". meridionalis,
soit C. luî'andus.
Parmi les espèces qui s'éteignent durant le pléistocène, citons
les plus importantes, savoir : E. meridionalis, E. antiquus,
E. primigenius, Rhinocéros lichorhiniis (1), Hippopolamus major,
UrsLis spelœiis, Hyiena spelœa (2), Felis spelœa '8}, Ceruus mega-
ceros. etc.
Les genres Elephas, Rhinocéros, Hippopolamus, les grands
félins, rhyène, l'antilope n'ont pas émigré, comme on le prétend
généralement; ils ont disparu de nos régions par extinction des
espèces qui les y représentaient; mais ont continué de vivre dans
les pays propres à leur exislonce et où ils se trouvaient déjà repré-
sentés par des tyj)es spéciaux, n'ayant aucune autre parenté avec
les espèces européennes que leur nom généri(|ue.
On remarquera que l'éléphant, qui vivait aussi bien en Amé-
rique du Nord qu'en Europe, ne s'est pas retiré vers le centre
ou le sud du nouveau monde, où il aurait rencontré des conditions
analogues à celles que l'Afrique équatoriale, l'Inde et l'Indo-Chine
olTrent ta ses congénères ; que les espèces européennes n'ont pas
gagné le Sud, que toutes ces espèces se sont éteintes.
L'émigration ne porte donc que sur les animaux qui se sont
retirés vers les régions froides, pays polaires ou grandes altitudes,
tels sont : le renne (Ceruus larandus) (4), émigré au Nord, le
glouton {Galo luscus) (5) et la marmotte (Arclomgs niarmola) (6),
cantonnés aujourd'hui dans les grandes hauteurs, et Crsus ferox (7;
(|ui ne vit plus que dans les montagnes Rocheuses en Amérique
du Nord. Ce fut une exode de ces animaux vers les régions lais-
sées libres par la fonte des glaciers, pays où ils rencontraient
les conditions propres à leur habitat.
Nous savons que E. primigenius et Hh. lichorhinus étaient
(1) Cuvier. Le Rh. licfioihinus (;iux na- nat. Dcscr. Musce de Saint-Germain, I, p. 53.
fines cloisonnées) semble représenter un Nombreuses notes.
rhinocéros tertiaire dont la ilenlilion a été (5) Cf. Gervais, Restes fossiles du glouton
modifiée pour s'adapter au régime licrbivore. recueillis en France, in Matériaux, l. VI,
Gaudry, Matériaux /lOur iltistoire des temps p. iSi, gravé suv un os (Reliq. Aquitan., p. '209).
quaternaires, p. 86.) G) La marmotte ipiaternaire dillere de l'es-
(-2) Goldfuss. Syn. probable, Hyœna vrocuta pèce actuelle. Cf. Gaudry, Matériaux pour
d'.Virique (Gaudry, Matériaux, t. XIX, p. lltt.) l'histoire des lemjis quaternaires, 1, p. 27,
(3)Goldiuss. Syn. Léo spelieiis. pi. H, lli.
(4) Linné. Cuvier, Ussew. foss., t. IV, p. Il (7) Grizzly bear. Cf. Keller, Die Tliiere dvr
s,|. Pour la bibliogr., Cf. S. Rei.nac.ii, Antiq. Allerlhums, p. lOfi, sq.
LA FLORE, LA FAUNE ET LIIOMME AUX Ti:\IPS (.LACLMIŒS 10,')
armés contre le froid par (l'éj)aisses toisons atteignant parfois
jusqu'à 0 m. 70 de longueur; mais il nous est interdit de juger
iVE. meridionalis et d'^". anliquiis aussi l)ien suivant ce que nous
connaissons de leurs contemporains, (|ue d'après ce que nous
savons des éléphants modernes. Notre éducation, d'une pail,
nous porte à ranger l'éléphant parmi les animaux des pays chauds,
et d'autre part, les toundras nous ofl'renl des lypes de régions
froides; mais nous ne connaissons pas les espèces des climats tem-
pérés.
En ce qui concei'ue nos pays, la premiéic phase des éléphants
semble correspondre à un climat chaud, hi seconde à un froid
humide, la troisième à un froid sec, s'adoucissant peu à peu, jus([u"à
aboutir au climat actuel.
Ces lois semblent se juslitier en ce (|iii concerne l'Europe
centrale et occidentale; toutefois, les allernances d(î froidures et
de chaleur ont elles-mêmes subi jjien des variations locales; et il
serait imprudent de géjiéraliser, dès n)aiiit<'iiant, 1<3S conclusions
d'observations souvent insuffisantes ou géogra|)iu(juement trop
rapprochées les unes des autres.
Hors d'Europe la faune est différente, bien (|ue faisant partie
d'un même ensemble caractéristique des temps modernes.
En Amérique du Nord, les herbivores dominent : Elephdn
Colombi, E. americaniis{[\ E. primigenius, Maslodon americanus,
Et/iius, et plus particulièrement les édenlés : Megalherium, Mylo-
</o/i, A/e</a/o/2//x; mais c'est surtout dans TA nié lique méridionale que
ce dernier groupe voit son apogée avec les Mcfjaiherinm, Mijlodon,
Megalonyx, Glyptodon, Chamydoiheriiim, Pachi/lherium, etc. {'!).
En Afri(|ue, la faune est la même que dans les temps actuels ;
sauf que l'aire occupée par les éléphants, hippo])otames, rhinocé-
ros et buffles est beaucoup plus étendue. Ces animaux vivent jus-
qu'en Algérie et à Malte. On sait que les hippopotames ont habité
la vallée du Nil jusque dans les temps hisloi iques.
Les grands pachydermes modernes nés ont pas des habitants
des prairies; ils vivent dans les forêts tropicales les plus épaisses.
En Indo-Chine, j'en ai rencontré des troupes dans les jungles les
plus impénétrables, là où l'homme n'avait jamais foulé le sol.
(1) Une pipe en giè?i trouvée dans Louisa quaternaire^, nu. iitioqn'en Amérique du NoitI
CounLy (lo\\a,i et représentant un élépliant les grands pacliydeinies ne se sont éteints
(de Nadaillac, Matériaux, 1885, p. 505, fig. 131) que très Uu'divcnient.
dont rage ne peut remonter jus({u'aux temps (2) Cf. H ana, Man. of d'aï., 1875.
10() Î.ES PlillMlKHKS C.IVIFJSATIONS
Les chevaux, au coiilrairc, cherchent leur noui'i-itiire dans les step-
pes ; tandis que les buflles ne se plaisent que dans les marécages.
En Australie, comme de nos jours, les marsupiaux dominent
au pléistocène ; mais ils se font remarquer par leur grande taille :
iJiprutodon, ïVoioiheriiim, etc.
En IJussie, sauf peut-être dans une partie de la région Baltique,
de la Finlande et du Gouvernement d'Olonetz, ou ne trouve qu'un
seul dépôt erratique, contemporain de l'extension maxima des
glaciers Scandinaves. Il (^st recouvert par des alluvions renfer-
mant des vestiges d E. primigeniiis.
Plus à l'est, toute la Sibérie (1) est restée pendant cette
période le domaine des grands pachydermes (2).
Le sol des îles Liakhow et de la Nouvelle-Sibérie est, pour ainsi
dire, formé d'ossements de mammifèresé teints (3) ; parmi lesquels
le mammouth [E. primifjeniLis), avant-coureur des glaciers en An-
gleterre :7i), dont on a trouvé quelques molaires en Danemark et
que certains savants (5; croient pouvoir faire vivre, dans nos pays,
jusqu'au trentième et même au vingtième siècle avant notre ère.
Bien f[ue ce soit une opinion généralement adoptée, on ne
peut dire que le mammouth fut plus nombreux en Sibérie qu'en
Europe; car, dans certains graviers de la France, on rencontre ses
restes en abondance extrême. Toutefois, ce n'est que dans les
toundras sibériens qu'on le trouve parfaitement conservé, gelé
depuis des milliers d'années, ayant encore entre les dents les
fragments des végétaux, l)ouleau, mélèze, épicéa, dont il se
nourrissait.
('es grands herbivores (0) ont disj)aru, parce que le froid a fait
périr la végétation dont ils s'alimentaient; et les cadavres de ceux-là
seuls ont été conservés (pii étaient tombés dans les crevasses des
anciens glaciers (7).
Ces glaces, (jui conli<'niient en très grand nombre les corps
il) Puni- Io climat a<Uicl de l.i Sibrrie, Cf. (5) Schaaffiiausen. Contjr. de Salzbourij.
Allas clinuilologique de l'Empire de liuxsie, 1881.
IHiblié par I Observaloiro physique central (G) Le bœuf iaus(pié ne semble pas avoir
Nicolas, in-folio, Sainl-i'éLersbouig, 1900. Un vécu en Sibérie; il s'est éteint en Europe
pùle (lu froid (décembre, janvier, février pendant 1 époque glaciaire, mais a survécu en
— 48°) semble situé par l/SO" long. E de Gr. et Amérique où il vit depuis le nord du Canada
• u» lai. N au sud de Verkhoiansk. jusqu'au Groenland par H!" lat. N. Cf.
{■■2) Pour les formations pléistocènes des iles G. Nathorst, le Lou|> polaire et le Koiuf mus-
siluées au noid <le la Sibérie, Cf. Miim Acad. <pié dans le Groenland orien:al.ds l(i Géoyra-
sr.Sainl-I'élerxboury, sér. VllI, vol. IX. 1. phie, 1901. t. 111, pp. 1-16.)
3) UAitcHiAC, Rev. des roura sdenlif., 1. 1. (7) De Lapparent, Traité de Géologie, G' éd..
4) Bortr, liev. é'anlhrop.. 18ss. p. tlTl. IWC.
LA FLORK, LA I AUNE KT LilOMME AUX TEMPS (ll^ACIAIRES 107
gelés des animaux pléislocônes, sont recouvertes par des limons
et des sables renfermant en même temps que des feuilles de bou-
leau, des pisidiiim et des limnea, restes d'anciens lacs produits,
bien certaincmciil, j)ar des barrages glaciaires.
La disparition d<^s mammoutbs et des rhinocéros s'est-elle faite,
en Sibérie, graduellement, ou d'une façon brutale? c'est ce que
nous ne saurions dire ; mais la grande accumulation des cadavres
serait de nature à faire supposer, sur certains points, des cataclys-
mes soudains. La présence des grands ossuaires de ce genre à Pi-
kermi (1), Maragha (2), aux îles Liakhow (3), à la Nouvelle-Sibérie,
en Palagouie (/i), semblent bien difficiles à expliquer autrement.
Telle était la faune aux temps pléistocènes. (^uant aux condi-
tions dans Ios(|uelles nous rencontrons ses vestiges, elles sont
essentiellement variables, tout en ne sortant pas des limites que
je viens d'assigner. La division générale en faune froide et faune
chaude ne présente guère de certitude ; car nous voyons partout
sur le globe des phénomènes analogues dont la portée n'est que
locale, et nous ne connaissons pas assez la biologie des êtres
fossiles pour l'assimiler à celle des animaux actuels. Parmi les
grands félins modernes le tigre royal, par exemple, l'hôte habituel
des forêts du Bengale et de l'Indo-Ghine, ne vit-il pas au ^lazan-
déran et jusque sur les plateaux glacés du Tibet?
En ce qui concerne les alluvions, aucune certitude n'est per-
mise ; car le transport par les eaux peut avoir opéré des mé-
langes entre des faunes diverses, chaude et froide, entre celles de
plusieurs disti'icts zoologiques d'altitudes diverses. De nos jours,
ces districts abondent et parfois ils sont très voisins les uns des
autres. Pour(|uoi n'en aurait-il pas été ainsi autrefois?
Chercher à classer dans leurs détails les alluvions pléistocènes,
au moyen des ossements fossiles (ju'on y rencontre, est négliger
toutes les considérations que je viens d'exposer. Il ne faut donc
envisager les alluvions que dans leur ensemble, en notant toutes
les particularités qui peuvent présenter un intérêt local; car c'est
de ces monographies qu'un jour sortira la classification métho-
dique, si jamais on parvient à l'établir.
Les premières traces prouvant l'existence de l'homme, qui
(1) Cf. A. Gaudry, Ann. Pal. Muséum. 2.055 ossemenls appartennnl au mammouUi,
{D Cf DE R. Mecouenem, ds Annalea de In au rhinocéros, au cheval sain-af^e, a I antilope
Déléuation en Perse l. I. saïga, au tigre, etc.
(3; Aux iles Liakhow, lîungc a recueilli {i) GAVDnY,Pata<jonie, Ann.PnlMuseuw.
108 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
nous apparaissent d'indiscutable manière, ne se rencontrent géné-
ralement pas dans le site même où cet homme a vécu; mais le plus
souvent dans des lits plus ou moins épais d'alluvions (1), mélan-
gés aux restes des animaux ses contemporains, peut-être aussi
ses prédécesseurs, et à une quantité de matériaux arrachés aux
couches plus anciennes que le phénomène alluvial.
La masse énorme de névés durcis que renfermaient les glaciers
détermina, avant et lors de sa fusion, de grands courants d'impé-
tuosité variable, suivant que les lacs de barrages étaient plus ou
moins volumineux, que les glaces fondaient plus ou moins rapi-
dement. Ces courants, fréquemment très violents, désagrégèrent
sur leur passage toutes les couches meubles, la terre végétale ter-
tiaire, les roches tendres, telles que les sables, les argiles, les
marnes, la craie ; entraînèrent au loin les particules légères pour
abandonner, au fond de leur lit momentané, les matières dures
demeurées en noyaux, d'un transport plus difficile. C'est ainsi que
dans les dépôts du diliwium on trouve, à la base, des couches
plus ou moins épaisses de galets.
Puis l'intensité des courants décrut, permettant à des sédi-
ments plus fins, graviers, sables, argiles enfin, de se déposer. De
nouvelles crues survinrent encore, correspondant à de nouveaux
cataclysmes; elles recouvrirent les premiers sédiments de lits
supérieurs, comj)osés de gros éléments.
Enfin les grands glaciers disparurent pour toujours; et les eaux
lentes de leur dernière fonte, jointes à celles des pluies, terminèrent
la série du diliwium par des dépôts sableux et boueux. Le régime
actuel des eaux, la topographie moderne, étaient définitivement
fixés.
C'est dans les cailloux roulés inférieurs, reposant sur le ter-
tiaire ou le crétacé, qu'à Chelles, à Saint-Acheul et h Abbeville
ont été découverts les instruments les plus anciens connus jusqu'ici
comme ayant été sûrement façonnés par la main de l'homme (2).
Ces instruments, non roulés, taillés presque sur l'emplace-
ment où ils ont été trouvés, eussent pu être attribués au pliocène
comme provenant de son humus, lavé par les eaux du diliivium,
s'ils n'étaient accompagnés d'ossements iVEIephas antiquus,
(1) Cf. Belgrand, Conijràs de Bruxelles, ISTJ, (2) Ces couches sont considérées comme
p. 133 sq. Ces îilluvions anciennes portent le interglaciaires. Cf. Reu. d'Anthrop., t. XVI,
nom de diluvium, celui (t'alluvium étant ré- p. 388 sq., XVII, p. 388 sq. et rm sq.
serve pour les dépôts Ihivialiles récents.
LA ILOMK. LA FALiXE LT LMOMJMH AUX TKMPS CILACLMRES 100
Rhinocéros Mercki, Trongolheriuin Cnvieri^ cLc, animaux consi-
dérés comme caractéristiques du pléistocène dans nos pa\^s.
Le coup-de-poing, c'est ainsi (|ue G. de Morlillet (1) nomme
ces outils primitifs, est un instrument de forme amygdaloïde,
taillé sur toutes ses faces, renllé en son milieu, arrondi à l'une
de ses extrémités, terminé en pointe à l'autre. S'il est incomplète-
ment façonné, c'est toujours la partie arrondie, le talon, qui
demeure négligé ; c'est donc par sa pointe et s(;s côtés tranchants
qu'il était d'usage.
Les dimensions du coup-de-[)oing sont extrêmement variables.
On en trouve présentant une longueur de 0 m. 35 et même de
0 m. 40, tandis <|uo d'autres sont à peine longs de 7 ou 8 centi-
mètres. En moyenne, il mesure de 12 à 15 centimètres de lon-
gueur. Dans tous les cas, ses formes, bien que variables, appar-
tiennent toujours au même type de fabrication, que l'exemplaire
soit élancé, ai'rondi ou ellij)tique.
Les matières employées pour la confection de ces instruments
sont celles de la région même où ils se rencontrent : le silex pour
les pays du nord de la France, pour la Belgique, le sud de l'An-
gleterre, l'Algérie, la Syrie, l'Egypte; les grès et les quartzites
pour les contrées voisines des P^a^énées, les Indes, l'Amérique
du Nord; le pétro-silex dans le nord de l'Afrique (2). Toutefois,
l'obsidienne, matière abondante, mais tiop fragile, ne semble
pas avoir été d'usage à réj)oc|ue quaternaire (8).
Il est difficile de dire si ces matières ont été employées avant
leur transport alluvial ou après. Beaucoup furent empruntées aux
montagnes, dans le site même de leur formation géologique;
mais aussi bien des coups-de-poing ont certainement été taillés
dans des rognons déjà roulés. Fait très naturel d'ailleurs, au point
de vue technique, et dont toutes les industries de la pierre four-
nissent de nombreux exemples.
Les préhistoriens conviennent généralement de ranger, parmi
les plus anciens, les types présentant le travail le plus grossier:
et de voir, dans la perfection de la taille, un signe de progrès.
(1) Cf. enlrc autres ollv^0JiL■^- tic G. ni; Mou- non de >ikx. matière résorvcc aux objets «liin
TiLLET, Musée prcliislorique. Paris, 1881. pi. VI travail plus soifinc. (J. M.)
à X. (3 Les fiisemenis les plus importants d'ob-
(2^ Dans les gisements de Tunisie où lir, sidienne se trouvent dans le petit Caucase,
types chcUéen et moustérien coexistent, il les iles grecques, le Japon et le Mexique,
est à remarquer que tous les iuslruments do pays où il n'a pas été rencontre jusqu'ici
forme clielléennc sont faits de pélro-silox il irinslrnmcnls du type chelléen.
I 10 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Cette classification ne saurait être admise (1) ; car certaines roches
telles que les quartz, quartzites et grès durs, ne se prêtent pas à
un travail fin ; et, tous les instruments n'étant pas destinés aux
mêmes usages, il n'était pas nécessaire de leur accorder à tous
les mêmes soins. 11 ne peut donc être établi de classement indus-
triel et à fortiori de rangement chronologique d'après ces don-
nées seulement. C'est ainsi qu'il semble aujourd'hui prouvé que,
dans bien des localités, les formes dites nioustériennes ne sont
autres que des instruments spéciaux, voulus par les besoins de la
vie et contemporains des types chelléen et acheuléen (2).
Quant à la destination et au mode d'emploi du coup-de-poing,
il a été et est encore très discuté. G. de Mortillet admet qu'on em-
ployait ces instruments, sans emmanchement, en les tenant directe-
ment dans la main ; d'autres supposent, au contraire, qu'ils étaient
munis d'un manche et citent à l'appui de leur opinion de sembla-
bles outils emmanchés, usités encore par certaines populations
australiennes (3).
Débutant avec les galets inférieurs, l'industrie paléolithique
se poursuit, sans grands progrès, jusqu'au sommet du lœss,
sorte de boue argileuse assez fortement chargée de calcaire, qui,
sur la majeure partie du globe, couvre les alluvions caillouteuses.
On rencontre le lœss dans le nord de la France, en Angle-
terre méridionale, en Belgique, dans l'Allemagne du Nord et du
Sud, dans le bassin du Danube; mais on ne le trouve ni en Russie,
ni sur les bords de la Baltique ou de la mer du Nord. 11 abonde
en Chine, aux Etats-Unis, à la Plata et partout ne s'écarte pas des
abords des grands massifs accidentés. Le dépôt de lœss est un
fait spécial, qui n'a rien à voir avec le classement chronologique
général des industries.
Dans ces couches et dans les alluvions sous-jacentes, les instru-
ments paléolithiques ont été rencontrés dans toute la France (/|),
la Belgique, le sud de l'Angleterre (5), l'Espagne (6), l'Algérie (7),
^1) On ti inùme proposé de subdiviser (4) France. Cf. G. de IMortillet, le Préhi.<-
Vépoque itcheulêenne en quatre périodes sui- torique
vanl la forme des instruments Cf. Th. Bau- (5* .Xnglelerre. Cf. .1. Evans, les Agex de lu
noT^, Congrès préhist.deFrunre,\901{i'60'<),\) 97. pierre delà Grande-Bretagne, U'aà. fr., 1878.
(2) Pour le nord de la France la succession (6) Espagne. Cf. Cartailhac, Ages préhisl.
des types chelléen, actieuléen el mouslérlen de l'Espagne el du Portugal, 1880.
semble devoir èlre admise, n n'en est pas de (7) Algérie. Cf. Matériaux, t. X, p. 196;
même en Tunisie el eu Egypte où ces trois l. XXII, p. iii. — Zabouowski, Période néo-
vpes ont élé contemporains. litli. Afr. du Nord. ïn Rev. Ecole Anthrop.,
(3><^:ABTAiLHAr., /a France préhistorique, 189G, 1899, p. 41 — Tunisie. Cf. Matériaux, l. XXI.
P- 5. p. 176. — R. CoLLioo.N. les Ages de la pierre
LA FLOUE, LA lAUNK ET LllO.MMi: MX I EMPS >iLACL\IRES 11|
l'Italie (l), rAllemagne méridionale ;2,, la Hongrie, Tl^gypte (3),
la Syrie (4), le désertsyro-arabique (5), la Palestine (6), les Indes (7),
le Japon (8), le Somal (9), le Cap do nonne-Espérance (10), le
Congo (H), le paysdesTonarogs (12), la Tnnisie (13), l'Algérie (l/i s
rAmérique du Nord (15), le Mexique (16); leur présence est dou-
teuse en Grèce (17), en Sicile (18), à Malle (19), en Sibérie (20.
lis font défaut eu Scandinavie, Ecosse, Irlande, dans le nord
de l'Angleterre, de l'AUeniagne, en Suisse, au Tyrol, dans le
plateau iranien, au nord de l'Amérique septentrionale et dans
toute la région inhabitable à l'époque glaciaire (21).
en Tunisie, in Malér. Ilisl. uni. Homme, 1887,
■.V S('T., t.. IV.
(1) Ilalie. Cf. G. de Moutillet, le Préhislo-
riqae. — Pigokini, Bull, di palelnol, ilal , 187G,
p. 121. — Capei.lim, L'elA délia [nelra nella
Valh' delta Vibrata.— C. Rosa. liic. di Arch.
prei.'^l. n. Valle délia Vibrata. Florence, 1871.
(2) Sur les fjisemenls paléolllbiques dAlle-
masrie. Cf Thiede (Verli. Be-l Ge.s., 1876,
p. 207; 1878, p. 259: 1880, p 83; 1882, p. 73).
— Westeregeln Verh. Bert. Ges., 187 , p. 2(X;).
— Weimar {Verh. Berl Ges., 1877, p. 25-
Paleontographica, t. XXV, 1878. Arch. f. An-
Ihrop., 1887, t. X, p. 13i). Ces gisements sont
situés sur la lisière des dépôts erra.iques. —
Cf. Boule, Heu dAnlhrop.,\S?,S, t. XVII, p 141.
— S. Rkinach, Anliq nat. Descr. Mus. Saint-
Germain, I, p. 37, note i.
(3) Egypte. Cf. G. DE MoRTiLLET, le Préhisto-
rique. \>. Ml. — Reu. d'Anthr., 1879,1. \ IILp.lKi.
— J. DE Morgan, Recherches sur les Origines de
l'Egijple. 2 vol. 1896, 1897. — G. Sciiwein-
FURTH , Kiesel Arlefacte in der diiuvialen
Schotler-Terrasse und auf den Plateau-H'ihen
Yon Ttieben, in Verhandl. d. Berliner Gesell. /.
Anlhrop., elc , 1902, p. 293.
(4) Syrie. Cf. Zumoffen, la Phénicie avant
les Phéniciens. — E. Cartailhac, l'Age de la
pieiTe en Asie. Congr. orientalistes. 3= sess.
(1878 , t. I. p. 315, 1880. — S. Chauvët, Age
de la pierre en Asie. Congr. intern. Arch.
préhist., 11» sess.. t. I, p. 57. Moscou, 1892.
(5) Désert syro-arabique l'almyre, Soukhna.
Cf. J. DE Morgan, Note sur la basse Mésopo-
tamie, ds la Géographie, 1900, t. II, pp. 246-
2(i2. — Cf Zlmoffeis. la Phénicie avant les
Phéniciens. Beyroutb, 1900. pi I-V.
(6 Palestine ? Congrès de Paris, p. 113. -
Galilée (Cazalis de Fondouce otMoretain). —
Babjlonie? Congrès de Paris, p. 118.
(7; Indes. Cf. Cockburn, Joarn. Anlhrop.
fn.it., t. XVI, n" 4. — Rivett Carnac, Joarn.
Anthr. Inst., t. XIII, 1884, p. 119. - Mei.licot
and Blanford, Man Geol. of India. Calcutta.
(8) Japon. KouzNETzoF. Age de la pierre au
Japon, in Malér. Hist. Homme. 1879, p ;si.
(9) Somal Setton Karr, Discov of Evid.
Paleolith. Age in Somaliland, in Journ. An-
lhrop. Insl., 1896. t. XXV, p. 271 et id., août
1897.
(10) Cap de Bonne- Espérance. Gooch, The
Stono .\ge of Soutb Africa, in Journ. Anlhrop.
Inslituie, IKsi, — A. Rutot, Bull. Soc. Belge,
Géol., t. XXI. 19W, p. 212.
(11) Congo. W. GoocH, Journ. Anlhrop.
Insl., 1882, t. XI. p 124.
(12) Touaregs (Wcisgerber, Lenz, Collignon.
(13^ Tunisie. Gafsa, environs de Rhadamès
(J. M.. 19071.
(1 1) Algérie. Dans le lac Karar[Sud-Oranais],
M. Genlil a rencontré en même temps que les
restes d'une très importante industrie acheu-
léenne une faune composée d'éléphants, hip-
popotame, cheval, bubale, etc.
vl5) Amérique du Nord. Cf. Abbot. Primilive
industry, Salem, 1881. — De Nadaillac, /Amc'-
rique préhistorique, p. 22. — Tu. Wilso.n,
Préhist. Art, in Rep of Nul. Muséum, Was-
hington, 1898. p. 366. — Cf. Th. Wilson,
Results of an intpiiry as to Ihe existence of
Man in North America during Ihe palcolithic
period, in Rep. of A'u/. Muséum. 1887-1888,
pp. 677-702 Washington, 1890. — Th. Wilsoii
{Congrès internat. d'Anthrop et d'Archéol.
préhist. (1889), 1891, p. 118 sq., le Phénom. gla-
ciaire à Trenton [New Jersey]), mel en paral-
lèle les classifications du quaternaire dans
les Etats-Unis, les Alpes allemandes et K;
nord de la France Cf. tableau, p. 1-^7), mais il
ne semble pas que les synchronismes soient
établis d'une manière bien concluante.
(16) Hamy. Anlhrop du Mexique; Miss,
scientif. du Mexique {Rech.zool, 1" partie). —
S. Herrara, J'roceed. Am. Ass udv Se. Ma-
dison, 1893, pp. 42 et 312. — De Nai>aillac,
l'Amer, préhist., 1883.
(17) Grèce? 1879. Instr. signalé sous réserves
par Fr. I cnormant. Ci. Reu. Arch., 1867, 1. p 1^.
(18) Sicile. L'e.xistcnce des instrument-^
paléolithiques en Sicile est fort douteuse. Il
n'en existe cpiun -ipécimen conservé au musée
de Syracuse, mais dont la provenance n'est
pas certaine. J. M.)
(19) Malte. Le musée de vialte conserve un
grand nombre d'ossements d'éléphants qua-
ternaires ; mais on n'a pas rencontré dans
cette île, à ma connaissance, d'instruments
chelléens.(J. M.)
(20 Sibérie. Autour du lac Baïkal (Tchersky
et Poliakof), près de Tomsk iKouznelzof).
Miltlteil. Anthr. Gciell. W.en, iS96, n" i et 5. —
Ces instruments ne présentent pas les môme-
caractères que le type européen.
(21) Cf. la carie de Penck iRanke, Der
112 LK.- l'KKMIÈRES CIVILISATIONS
Partout ils picsentciil les mêmes caractères; et nulle part, dans
les alluvions, ils ne se montrent in silii, c'est-à-dire au milieu de
débris d'habitation ou accompagnés d'ossements et de fragments
d'ivoire portant des traces de travail. Nous ne pouvons, d'après
l'examen de ces restes remaniés, savoir si l'homme paléolithique
connaissait le feu, construisait des abris, s'il se vètissait, s'il était
chasseur et pécheur.
Mais, fort heureus<Muont, à cet égard, là ne se bornent pas
uos connaissances. Si. depuis les temps chelléens, le sol de l'Eu-
rope a été bouleversé par les agents atmosphériques, il n'en a pas
été de même dans certaines parties de l'Afrique où, par suite du
j)eu d'abondance et de la rareté des pluies, le terrain n'a guère
changé d'aspect dei)uis ré})oque quaternaire.
Au lieu dit El Mekta près de Gafsa en Tunisie, sont de vastes
ateliers chelléens 1 , s'étendant sur plusieurs kilomètres de
lono-ueur et suivant h's affleurements des silex crétacés. Plus loin,
vers le sud, au li<Hi dil ( habet Rechada, entre Dehibat et Rhadames,
on voit (2; d'autres ateliers, mieux conservés encore que ceux
d'El Mekta. Là se retrouvent près des enclumes, au milieu d'éclats
et d'instruments inachevés, les foyers (3) des ouvriers chelléens
dont l'emplacement est marqué par de grosses pierres calcinées
et des cendres. Des constatations analogues en ce qui concerne
les ateliers ont été faites par M. M. de Morgan et M. N. W. Selon
Karr (h) dans la Haute-Egypte.
On admet généralement que l'industrie paléolithique date de
l'époque interglaciaire, en s'appuyant sur la faune qui l'accom-
nao-ne dans ses crisemenls et sur des découvertes démontrant
I !D C)
péremptoirement l'existence de l'homme en ces temps (5).
Lors de la fonte des glaciers, lors des pluies diluviennes qui
l'accompagnèrent et la suivirent, tous les pays furent balayés par
les eaux. Ce fut un déluge, entraînant tout avec lui, forêts, animaux,
ossements, rochers et Instruments de pierre, détruisant les an-
Mensch, i. I, p. 385, où sont iiuli(|aces les (3) 11 t'^l à remarquer que, dès les Icmp.s
.-inciennes limiles de:^ glacier-, et le- localité- les plus anciens, l'homme connaissait l'usage
où l'on a recueilli des vestiges de l'humanilé ellallumage du feu.
paléolilhique. Elles -ont pre-jne toutes en (4) Cf. H. O. Foubes, Ballelin of llie Lt
dehors <le la zone des moraines récentes, un verpoo! Mu.-<eums, janv. 19j0, vol. II, n»- 3
|ietit nombre seulement se trouve dan- celle et i.
<les moraines anciennes. (•")) Sile.x du type ciielléen trouvés par
(1) La découverte en est due à M. Boudy. M. Boule entre deux couches glaciaires dans
iuspeclcur dos Eau.v et Forêts. (J. M.' le Cantal, f/iu//. i^oc. philomalhiqnc. Pari-,
2) Au cours de mon vovaec dr- mars liOT 1880.)
avec .M. Roudv. (.1. M.'
r.A n.oru-, r.\ fauxk kt l'hommr aux th.mi-s (ii.AciAiur.s \i:\
ciens loyers, les huiles, les Iraces (riuihilalion, tous les produits du
travail autres que les outils de silex, dont la matière, inattaquable
Stations paléolittii(iues et alluvions quaternairo-j do Gafsa iTiini^ie;.
par les agents atmosphériques, fui cause de leur conservation.
L'homme paléolithique (1) n'a jamais habile Taire glaciaire,
M) ' L'homme paléolithique rchelléen, mous- principalcri dans notre pays : 1» une phase au
térien et magdalénien) a travcr-A d'MU phases .'liinat chaud, dnns laquelle I^m hippopotames
lU
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
le fait a été reconnu pour rAllemagne par Penk, pour l'Iran par
moi-même, et si, dans de très rares cas, on rencontre ses vestiges
situés entre deux lits d'alluvions glaciaires, ce n'est (ju'à titre
d'exception ; il semble s'être toujours tenu, le plus ])Ossible, hors
des limites des glaces.
Il résulte de cette observation que, n'existant pas en Europe
occidentale et septentrionale dans les derniers temps du pliocène.
Répartition des iiisilruinent» paléolithiques dans rAmérique septentrionale (1).
l'industrie paléolithique fit son apparition durant la période gla-
ciaire(!>). C'est la première migration civilisatrice dont nous possé-
dions des preuves indiscutables.
L'étendue énorme que ces instruments occupent sur le globe,
et la grande homogénéité de cette première industrie, montrent
(|u'à l'époque de son expansion, les pays constituant l'aire paléoli-
thique étaient en relations entre eux.
fréquenlent les rivières; des éléphants et des
rhinocéros de type africain, des cerfs, des
singes vivent avec lui au milieu d'une riche
végétation; 2" une phase au climat froid: alors
le ciel se voile, la neiy:e tombe, les glaciers
envahissent la plaine, les hippopotames s'éloi-
gnent, les éléphants et les rhinocéros prennent
d'épaisses toisons, le renne descend des con-
trées boréales. •> (L'Age des derniers volcans
de la France, ds la Géographie, t. XIIl, 1906,
p. 287 sq.)
(1) D'après les listes publiée» par T. \Vilso>.
Rep. of mil. Hisl. Mut;., Washington, lOiXt.
(2) M Boule Essai de paléontologie slrati-
graphique de l'homme, ds liei'. d'Anthiop.,
1888-1889) place l'af>parilion des instruments
paléolithiques dans le .Nord de la France et
le Sud de l'Angleterre entre la deuxième el
la troisième glaciation. — Obermaier (Bei-
Iràqe zitr Kennlniss des quarlfirs in Pi/renaen,
190G) le fait coïncider dans les Pjrénéesavec
In dernière période inteiglaciaire.
LA I I.ORi:. l.A I AINE ET LIIOMME AUX TEMPS (ll.ACIAlRES j 4 5
On a pensé que ceitainos régions, comme l'Amérique du Sud,
s'étaient trouvées en dehors de rinduence clielléenne, se basant sur
la présence dans lesalluvions des Pampas d'instruments d'un type
tout spécial (1) ; mais les récentes découvertes montrent que cette
industrie s'est ])ropagée jusqu'au sud du nouveau monde. Certai-
nement il existe des régions où riiomme, sans communications
avec ses congénères, dut évoluer d'une manière spéciale; mais, ces
districts, nous Jie les connaissons pas encore et, sauf en ce qui
concerne la Sibérie, il semble qu'aux temps quaternaires il existait
des relations entre les diverses parties des continents encore
émergés de nos jours.
Toute migration procède d'un centre, d'un foyer originel ou
transitoire, d'un point d'où, trouvant les chemins libres pour les
moyens à leur disposition, les êtres ou les idées ont pu se trans-
porter en pays étrangers.
Ce centre de l'industrie paléolithique, dont la migration est
aujourd'hui dûment prouvée, où devons-nous le plac<3r ? Ce n'est
certes pas dans les pays européens ; puisque c'est là même que
nous trouvons les traces d'immigration, sans rencontrer les
vestiges des premiers essais dans l'industrie de la pierre. Ce n'est
pas en Amérique, région qui semble être l'un des points extrêmes
de l'expansion, si toutefois les instruments chelléens de cette
région peuvent être attribués au pléistocène. Ce n'est pas en
Iran, contrée glacée ; ce n'est pas non plus en Sibérie, pays alors
privé de communications avec le reste du monde; ce serait plutôt
en Orient, peut-être dans les pays qui forment aujourd'hui la
Syrie, l'Arabie et l'Egypte, peut-être même plus loin vers l'est,
dans ce continent, aujourd'hui disparu, qui semble avoir relié jadis
Sokotora aux Indes.
Les éolithes signalées par Schw^infurth dans les alluvions égyp-
tiennes (2) et tunisiennes (3) ne sont-elles pas ces premiers essais
qui devaient aboutir à l'outillage paléolithique ? Et celles d'Europe,
beaucoup plus anciennes, ne proviennent-elles pas d'autres races
étrangères à celles du coiip-de-poing ? Le monde n'étail-il pas
(1) F. Ameciiino, Armes et instruments de n» 12. Le Caire, 1897. — Kiesel Artcfacte in
l'époque préhistorique des Pampas. Peu. der diluvialen Schotter-Terrasse und auf den
(ÏAnthrop., 188», p. 4. — La Anteguedad del Plateau-Hôhen von Theben, in Verliandl. d.
hombre en El Ptala. Buenos-Aires, 1880, 2 vol. Reiiiner Gesell. f. Anthrop., 19 juillet. 1902.
(2) Cf. Docteur G. ScnwEiNFCRTn, De l'Ori- Berlin.
gine des Egyptiens et de quelques-uns de (3) Cf. Docteur G. Schweinpurtu, Sleinzeil-
leurs usages remontant à Tiige de la pierre, ds liche Forschungen in SUdlOnisien, in Zeilsch.
Bull. Soc. khédiviale de Géncjraphie, IV' série, /'. Elhnol. Berlin, 1907, p. 137 sq.
IK^^ LES l'HKMFKHES CIVILISATIONS
habile, déjà, sur une partie de ses terres; et la civilisalion paléo-
litliique n'est-elle pas venue s'implanter, par migration ou mieux
par influence, chez des peuplades sauvages? On est tenté de le
croire; car c'est là la seule hypothèse permettant d'expliquer l'im-
mense ré|)artition de Tindustrie paléolithique sur le globe.
Cette propagation du type chelléen, ayant eu lieu lors de la
période glaciaire, n'aflecta qu'une partie des pays alors habitables,
voire même i)eut-être habités ; car tous ne l'étaient probablement
pas en dehors de ceux qui no le pouvaient être. Ainsi le nord de
l'Europe, de rx\mérique, le plateau central de l'Asie, celui de
l'Iran (1), restèrent impénétrables parce qu'ils étaient couverts de
o-laces; mais la Sibérie peuplée (2) se trouvait dans des conditions
telles que, probablement, idh' resta en deliors du mouvement.
Isolée du reste du monde, à l'ouest par les glaciers Scandinaves
et par le lac aralo-caspien, au sud par les plateaux gelés du
centre asiatique et de la Perse, à l'est par les glaciers du
Kamchatka et du Pôle, la Sibérie dut n'avoir que bien peu d<>
communications avec le foyer paléolithique, si toutefois elle en eut;
et quand les chemins s'ouvrirent, lorsque devenues glaciales
elles-mêmes ses plaines durent être abandonnées, l'industrie
paléolithique avait fait son temps et le monde entier, sauf peut-être
quelques pays retirés, en était à l'état archéolithique ou même au
mésolithique.
La propagation du paléolithiciiic soulève de nombreux pro-
blèmes dont la solution n'est pas encore étayée scientifiquement.
Non, en ce qui concerne l'Europe, l'Afrique et l'Asie antérieure
où les communications furent toujours aisées ; mais en ce qui
legarde l'Amérique (3) et l'Asie orientale. Elle nous oblige à
1) Au Caucase, les recherches ont été, il -glaciaires (Cf. Musée de Tiflis). — Argo (Da-
esl vrai, très insuffisantes; mais jusqu'ici ghestan) Nourskodji (Terek). Elephax anh-
aucune trace certaine «le Ihomme quaternaire quus. Alkhan-Djourkofki, Vedeno (Daghestan),
n'a été rencontrée. Seuls, des restes à'Ele- Mkhaaiti, E. primigeniu.f. Mais ces ossements
pkas primigenius et d'E. antiquus sont venus n'ont pas été recueillis scientifiquement, pas
prouver qu'avant l'époque actuelle, l'Asie plus dailleurs que ceux signalés au Mazandé-
antérieure présentait des conditids d'e.xis- ran. (J M.)
tence analogues à celles de la France. (J. de (2) Découvertes des rives du lac Baïkal et
Morgan, Miss Se. au Caucase, t. I. p. 29.) de Tomsk.
Cette opinion que j'émettais en 1889 n'a pas à (3) • Pour certains savants, le nouveau
être modifiée en ce qui concerne l'homme ; continent est un centre spécial de l'appari-
mais, en ce qui regarde les pachydermes, je tion des espèces, où VHomo Americanus s'est
dois ajouter que les très rares débris de leur développé surplace ; pourd'autres, les ancêtres
squelette, découverts dans les parties basses des Indiens actuels seraient venus des pays
du nord de la Transcaucasie, prouvent sim- voisins, de la Sibérie, de la Chine, de la
plement, comme ceux trouvés au Mazondéran, Polynésie, de l'Europe. » (J. Deniker, les
que les éléphants se sont pendant un temps Races et les Peuples de ta terre. Paris, 1900,
avancés jusqu'au pied des grands massifs p. 583.)
LA FLOIŒ. LA 1 AL.NL VA LllOM.Mi; AUX TK.MI'S GLACLMRES 117
supposer l'existence de leires, trime part entre le vieux monde
et les Etats-Unis (1) ou les Antilles, d'autre part entre la côte afri-
caine, ou tout au moins l'Arabie, et la péninsule hindoue; et à cet
égard, nous n'avons encore que des indications bien vagues, tirées
de la géologie et de Tétude des faunes.
Quoi qu'il on soit, l'hypothèse d'une même race, partie d'un
foyer et se répandant sur presque tout le globe, ne saurait être
admise; une i)areille migration eût exigé un temps si long que
certainement, durant cette période, l'industrie de la pierre se serait
transformée quelque part, et nous ne retrouverions pas partout le
type chelléen pur 2).
La théorie qui suppose la propagation par inducnce est bien plus
admissible ; car elle rentre dans les phénomènes que nous voyons
se produire constamment au cours du })réhistorique et de l'histoire
même. Cette dillusion put être relativement rapide; car il n'est
pas douteux que les tribus à l'état éolithique ne se soient empres-
sées d'adopter un progrès vers lequel tendaient leurs efforts
inconscients.
Si même nous n'acceptons pas l'existence de l'état éolithique,
si nous rabaissons l'homme des temps pléistocènes au quadru-
mane presque voisin du singe, il n'en était pas moins un être doué
de raison ; et le jour où l'usage d'un instrument de pierre lui fut
enseigné, il l'adopta.
Le paléolithique représente la première grande étape de
l'homme vers la civilisation, et ce premier progrès notable, cette
entrée de VHomo slupidus dans la vie de V Homo sapiens, est proba-
blement due, comme d'ailleurs presque toutes les phases de l'évo-
lution humaine, à un foyer unique ou à un petit nombre de
foyers.
Nous ne possédions, hier encore, de l'homme de cette époque
rien autre que son industrie. Mais voilà que tout dernièrement,
dans la Corrèze, deux savants explorateurs, MM. Bouyssonie et
Bardon, viennent de découvrir, dans le moustérien inférieur, le
(1) " L'Islande ne monire an jour que des iuot. Leçons de Geo;//'- plii/s., 1907, p. 67»').)
lorrains volcanique -i. Mais à la base se trou- (i») La théorie des foyers d'invention niul-
venl (les tufs à ligniles tertiaires, de forma- tiples satisferait beaucoup mieux lesprit que
lion continentale. Par là. comme par sa celles des migrations et des influences ; mais
situaliiin sur un socle sous-marin bien accusé elle a contre elle cette conslatation que dans
(jui la relie, d'un coté au Groenland, de le monde entier les types paléolithiques sont
rautre, par les îles F'eroë, à l'Ecosse, l'is- absolument semblables et qu'il est malaisé
lande se révèle comme un reste du |)ont qui de concevoir plusieurs invenicurs, indépen-
unissait autrefois tous ces parages en fer- dants les uns des autres, parvenant simulta-
manl lAtlantiqne au nord. >> (A. de Lappv- nément au même résultat.
118 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
squelette d'un homme, le plus ancien connu. Cet être, que ses
caractères anthropologiques rapprochent tle la brute, inférieur à
la plus inférieure des races actuelles, appartenant au groupe dit
de Néanderthal, caractérise-t-il dans son district la race paléoli-
thique? Nous ne pouvons encore le savoir, parce ([ue sa découverte
est unique ; mais on est en droit de penser que les habitants de
l'Europe, à cette époque, étaient vraiment des êtres bien primitifs.
Avant cette heureuse trouvaille nous ne j)ossédions aucun débris
de squelette; car ceux qui avaient été signalés jusqu'alors sont
tous contestés (1). Malgré l'apparition de ce type unique, malgré
la lumière qu'il jette sur les types anciens de l'espèce humaine,
c'est encore à l'archéologie et à la géologie que nous devons
jusqu'ici le peu que nous possédons sur le premier grand mouve-
ment humain parvenu à notre connaissance ; car cette révélation
zoologique n'éclaircit en rien les mystères des premiers pas
vers la civilisation.
Quant à la période elle-même, dans laquelle apparaît l'industrie
humaine, elle ne diflere pas sensiblement du pliocène par sa flore,
par sa faune, par son climat; les groupes végétaux et animaux
de la fin du tertiaire étaient ceux qui vivent encore de nos jours
sur le globe Les termes pléistocène, quaternaire, etc., n'ont donc
qu'une valeur conventionnelle ; ils n'existent que parce que
l'homme, rapportant les faits à lui-même, estime que les eflbrts
de la nature, pendant des millions d'années, n'ont eu pour but que
de préparer sa venue sur la terre. Cet événement méritait-il bien
qu'une division spéciale fût faite dans la géologie?
Le glaciaire, débutant avec la lin du pliocène, dure encore de
nos jours. La situation climatérique de nos pays s'est, il est vrai,
améliorée depuis quelques milliers d'années; mais les glaces n'ont
pas dispaiu, elles demeurent comme une perpétuelle menace.
Peut-être en eflet, ne sommes-nous que dans une phase inter-
glaciaire. La durée de l'ère actuelle est bien probablement peu de
chose en comparaison de celle des temps du paroxysme glaciaire;
l'amplitude d'oscillation de ces lois de la nature échappe à notre
imagination.
Le pliocène a vu le mal glaciaire s'attacher à notre planète,
(1) Nehring, Ze(7sc/î/-. /'. EthnoL, 1893, n° 6; les Restes humainsqiiaternaires dausl'Eui'ope
Verli., pp. 455 el 573. — Salmon, Races hum centrale, ds l'Anthropologie, t. XVl (1905) et
préhisl. Paris, 1888, p. 9. — Cartailiiac, t. XVU (190 •) ; de Morlillel, M. Boule ella plii-
France prchisl., 189(3, p. 211. — Obermaier, part des palelhnologues.
l.A 1 LORE, I.A FAUNE ET L'HOMME AUX TE.MI'S {'.LACIAIRES l'|J)
pciit-èlre lui sera-t-il falal ; nous ne possédons aucun moyen d'en
préjuger et ne pouvons que dire : la ferre traverse en ce momenl
une période d accalmie, donl profite la civilisation.
Pendant lîien des années il a élé admis qu'au type chelléen et
acheuléeu succédait (I), dans l'ordre chronologi(|ue, une industrie
plus raflinée, utilisant les éclats, en les relouchant sur une face, et,
de cette industrie, G. de Mortillet avait fait une période distincte,
la désignant sous le nom de « moustérienne(2)»; mais les récentes
découvertes, venant se joindre à une foule de faits, constatés de
longue date, renversent aujourd'hui cette théorie ; elles montrent
que l'industrie moustérienne est fréquemment, non pas postérieure,
mais contemporaine de celle du coiip-de-poing, et (jue ses instru-
ments correspondent seulement à des besoins dillerents de ceux
auxquels satisfaisait l'instrument amygdaloïde.
A Chelles (3) et partout dans les environs de Paris (4), on
rencontre dans les couches inférieures, avec l'outil classique
amygdaloïde, des instruments du type moustérien.
Au Moustiei- lui-même, la hache chelléenne, d'un type spécial
d'ailleurs, se trouve, à la base du dépôt, accompagnée d'instru-
ments grossiers; tandis que, dans les couches supérieures, les
foyers renferment un outillage varié et très perfectionné (5).
En Belgique, le coup-de-poiug naît dans le slrépijen, pour ne
disparaître que dans la première partie du solutréen.
En Tunisie (6), en Egypte, les ateliers contiennent en même
temps les deux types chelléen et moustérien; sans qu'il soit
possible de distinguer nettement des chantiers plus spéciaux de
fabrication de l'un ou de l'autre de ces instruments.
On objectera qu'à Abbeville et aux environs d'Amiens (7j, dans
les lits inférieurs recouverts par un dépôt de marnes blanches,
on ne trouve que des instruments grossiers tailh^s sur les deux
(1) M Boule (l'Age des derniers volcans de
la France, ds la GtO(jra[ihie, t. XIU, lOuO,
p. 287) ditTérencie le chelléen (non l'aclieu-
iéeni du moustérien cl le considère comme
contemporain de l'hippopotame, Elephas an-
tiquus et Hhinoceros Mercki correspondant à
deux climats, le plus ancien, froid et humide,
le plus récent, doux.
(2) Cf G. et A. DE MoRTiLLET, Mnxée préhis-
torique. Paris 1-^81, pl.XI-XIV Pour M.Boide
(rAg(t des derniers volcans de la France, ds
la Géoijraph e, I. XIII, 1906, p. 287 , le mous-
térien qu'il sépare du chelléen cor' espondant
à un climat froid et humide, serait contempo-
rain du mammouth, du rhinocéros à narines
cloisonnées, de l'ours, de la hyène des ca-
vernes, etc.
(3j D'AcY, Ihill. Soc. Anihrop., 1884. p. 411.
(4) Capit.w, les Alluv. qiialernaires auloiir
de Paris, ds Rer. Ecole d'Anlhrop.. XI, 190!,
p. 337 sq.
(5 Fouilles Bourlon. Cf. Capitan, le Congre-
de 19 )(> » Monaco, ds Peu. Ecole Anihrop..
VIII, 1 06, p 269.
(6 J. DE ÂloiiOAN, Voijdtje de \9Qn . Gis^enxenlx
d'hl Mekla près de Gafsa, de Chabet liechadn,
près Dehibat.
(7) Cf. CoMMONT. ds Congr. prèhist France,
1907 il908), p. ir. sq.
1-20 I.KS r>P,EMIÈRES CIVIIJSATIONS
faces (1); mais cetlo constatation ne saurait être concluante au point
(le vue chronologique général. Elle prouve simplement qu'en
amont d'Abbeville et d'Amiens se trouvaient des ateliers de fabri-
cation de haches seulement, ou tout au moins que ceux-là seuls
ont été lavés par les eaux et transportés (2 1 à l'époque du dépôt
des graviers qui les renferment.
De rares arguments négatifs ne sauraient infirmer le grand
nombre de preuves positives que nous possédons aujourd'hui sur
le parallélisme de ces deux types industriels (3).
Comme on le voit par ce qui précède, dans toutes les régions
explorées jusqu'ici, la première industrie renferme les types
chelléen, acheuléen et moustérien ; instruments dont l'usage,
dans bien des pays, s'est continué après la période glaciaire.
(,)uelques formes même ont subsisté jusqu'à l'état énéolithique (4),
se mélangeant avec d'autres beaucoup plus compliquées. Quant
a la prédominance, dans certains gisements, de l'un de ces types,
(die semble n'être due qu'aux exigences des besoins locaux.
Certains auteurs ont pensé que l'idée d'employer les éclats,
j)rovenant de la (aille des instruments paléolithiques, avait été
Torio-ine des outils moustériens et que la transition s'est faite
graduellement entre les deux industries ; d'autres attribuent à
une invasion d'inlluences étrangères l'arrivée dans certains pays
(lu type dit mouslérien. Enfin, les mélanges intimes, dans les
alluvions et les cavernes, d'instruments appartenant aux deux
industries démonlr(Mit qu'elles se sont développées en même
lemps.
11 est probable qii(^ les partisans de ces diverses théories sont
également dans le vrai; c'est-à-diie que, dans certaines régions, le
moustérien est né du chelléen ou en même temps que lui ; tandis
(|u'en d'autres, c'est })ar migration ou contact que les populations
l'ont connu.
Les principales découvertes de l'outillage moustérien ont été
1) D'Ali.t m MtsMi., Nul.' Mil- If lerniiii liers ciicoiù tu place, comme le fait a lieu
.liialeriiairc des environ- .l'Abbeville, <ls dans certaines cavernes el dans l'Afrique sc])-
Kui.de l-EcoledAnlhrop., 18'Jti, i» 284. tcnlrionnle.
(-2) En Halie (Pigorinii, l'aire occupé-e par les {'») Cf. J. m: MoRtiAN. llcclienhe.'^ sur les Ori
inslrumenls chelléens semble différer de celle (jines de l'Eijijpte, 1896, p. 137, figures 275 el
où se rencontre le type moustérien. 270, pointes acheuleennes trouvées dans les
(3) On a fréquemment invoqué des remanie- kjœkkenraœddings énéolilhiques de Toukh :
ments pour e.xidiquer les mélanges d indus- figures 277 el 278, pointes monstériennes de
tries ou de faunes; mais cet argument ne même provenance.
l>eut être mis en avant quand il s'agit d'ate-
LA l'LORK, I,\ FAUNE ET L'UCKMME AUX lEMl'S (;LA(:IAIRES {')[
faites dans los cavernes, là où l'homme a vécu. On y retrouve les
cendres de ses loyers au milieu des silex travaillés et des os des
animaux, ses contemporains, dont il faisait sa nourriture.
Les Moustériens vivaient de la chasse et de la p(''che, ils con-
naissaienl le feu. Quant aux autres détails de leur vie, nous n'en
savons rien. Se vètissaient-ils ? Probablement ; car ils ont vécu
dans un pays alors froid. S'ornaient-ils (1) ? Possédaient-ils des
idées superstitieuses ou leligieuses ? Autant de questions qui
restent sans réponse.
Quelques peuples vivent encore de l'existence des Moustériens.
Il est intéressant de citer leurs mœurs, si rapprochées de celles
des tribus pah'olithiques du Périgord.
Pallas (2), dans son voyage dans les pays du Nord, vit les
Wogoules, retirés dans des cavernes, vivre uniquement de chasse
et de pêche et, en cas de disette, concasser les os j)our en extraire
par la cuisson une sorte de bouillon.
Les Tchouktsches, habitant le promontoire sibérien le plus
avancé vers l'orient, entre la mer (llaciale et le Pacifique, vivaient
alors comme tous les Kamtchadales, dans destanièies souterraines
et dans des antres de rochers, dont ils bouchaient l'ouverture en
suspendant des peaux de renne devant l'entrée. Ils n'avaient aucun
instrument de fer, ni de métal; leurs couteaux étaient des pierres
tranchantes, leurs poinçons des os effilés, leur vaisselle de bois
ou de cuir, leurs armes, l'arc, la flèche, la pique et la fronde. Les
piques étaient armées d'os pointus.
Les femmes tannaient les peaux des animaux tués à la chasse,
en les raclant pour en ôter le poil; après quoi elles les frottaient
de graisse et de frai de poisson ; puis les foulaient à tour de bras.
Elles se servaient pour coudre des nerfs des quadrupèdes, d'os
pointus et d'aiguilles faites d'arêtes de poissons.
Non loin des Tchouktsches et des autres nations kamtchadales,
vivaient, sur de petites îles, des populations encore plus sauvages,
que Pallas désigne sous le nom d'insulaires orientaux. Ces
hommes se nourrissaient de gibier à la façon des précédents et
(1) C'est en coinp.i^^nk- ik- l'industrie mous- i\^ illcpinme prcliist., lilOti, j). i:U); mais il esl «
lériennc (|n'on ;i rencontré les premièies penser que cet usage esl aussi vieux que
Imces tic l'emploi imlustriel de l'os (H. Maiî- celui des plus anciens silex laillés.
r\y. Maillets ou enclumes en os de la (Junia {■>) Pallas, Description de toutes les nations
(Charente/, Dull. Soc. prclùsl. Fr., l'.lOti, [ip. 155 Je lEmpiie de Russie, 1776. -- Cf. Cartailiiac,
et i8J. — A. DE MouTiLLET, les Os utilisés de la France prcliist ., p. 6-2 sq.
la ])ériode moustériennc. Station de la Quina,
j.22 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
leurs fenimes tannaient, de même, les peaux et les fourrures.
Leurs occupations et leurs ouvrages n'avaient d'autre but que les
besoins les plus naturels et les plus indispensables à la vie. Us ne
possédaient aucun animal domestique, pas même le chien. Leurs
armes, leurs meubles, étaient une image de l'enfance du monde,
l'arc et la flèche, le dard et la lance, qu'ils tâchaient de rendre
meurtrières en les armant d'os pointus.
Leurs habitations étaient des tanières souterraines, longues de
20 à 100 mètres, larges de 0 à 10 mètres, divisées en compartiments.
Là, s'entassaient jusqu'à trois cents personnes. D'autres passaient
leur vie dans des antres de rochers ou dans des cavernes, qu'ils
s'elforçaient d'arranger de leur mieux avec du bois flotté recueilli
sur les plages, des peaux et des nattes.
Il est permis de penser que la vie des primitifs habitants de la
caverne du ^loustier ressemblait ])oaucoup à celle des sauvages
cités par l'expédition russe ; car, à leur époque, la France offrait un
climat comparable à celui que subissent aujourd'hui les Kamlcha-
dales. Comme eux, ils s'abritaient dans les cavernes et comme eux,
probablement aussi, ils se construisaient des habitations.
Les instruments du lype moustérien sont très répandus (l),
mais dans les anciens continents seulement. On les rencontre eu
France, Angleterre méridionale, fielgique, Espagne, Portugal,
Italie, Suisse, Allemagne, Autriche, Hongrie, Syrie, Russie méri-
dionale, Caucase (?), Algérie, Tunisie, Egypte. Us semblent faire
défaut en Chaldée et dans le reste du monde.
(1) Pour l'exlension géographique <le l'in- — G. et A. de Mourii.LEr, le Préhistorique,
(liistrie moiislérienne, consuUer J. Déçue- :!«é(lit., p. f)23.— IlœKisEs, I>er d//uyi"u/e il/ensf/i.
LETTE, Mail. Archéol. préhist., 1908, p. 10G sq. p. fl8. — Obedmaier, Anthrop.,l9<X>, p. 38'J, elc.
CHAPITRE V
La civilisation au cours des derniers temps j^-laciaires.
Lliomme aux élah (irchéolilhique el mésolilhique.
Les industries archéolilhique et mésolilhique sont celles des
instruments de pierre laits d'éclats retouchés de diverses ma-
nières. En cela, elles se diflerencient de l'industrie paléolithique
qui, surtout (1), transformait le noyau môme en outil et ne retou-
chait l'éclat que d'un seul côté.
Ces industries se présentent sous un grand nombre de formes;
les unes locales et indépendantes, les autres successives et pro-
cédant les unes des autres par transformation.
Certains pays ont connu toutes les formes de transition entre
le type chelléen et la pierre polie ; tandis (|ue d'autres n'en pos-
sèdent que quelques-unes et qu'un certaiu nombre semble être
passé de l'état paléolithique à l'état néolithi(|ue, sans avoir connu
les intermédiaires archéolithiques.
L'Egypte paraît jusqu'ici n'avoir vu ni l'industrie archéoli-
thique, ni l'industrie mésolithique (2); l'Italie passe directement
du type moustérien au type campignien sans connaître les types
solutréen, magdalénien (^t leuis dérivés.
(1) Les éclats divei-sfiiicnl n'iouolics se Iroii- (2) A moins i|ii<; la skllion dllrlouan, ou-
vont, parloiil,, mais ne pi-cnnonl une allure jourd'liui ilisparue et dont la plus belle série
franchement mousléfiennc (|ne dans l'achen- est conservée an musée Kirrlier à Rome, ne
léeri (H. Brei ii,, les Divisions du Quaternaire doive être rangée dans l'aurignacien. (J. M.)
ancien, (Is./.Vr. <i Arrh., l'J08, I, pp. il5-il7.)
\-l!l LES l'RKMIKHKS CIVILISATIONS
En Amëri(jue, rintlusliie est confuse entre la forme chelléenne
el la pierre polie. On y trouve en même temps des instruments
appartenant à tous les types européens, depuis celui du Moustier,
jusqu'à celui des kjœkkenmœddings, sans qu'il soit possible de
discerner les phases de la transformation.
Plusieurs de ces industries qui, en Europe occidentale, ont
laissé de nombreuses traces dans les cavernes, où les restes d'iia-
bitatiou se sont le mieux conservés, ont improprement reçu le
nom de Période des cavernes ; comme si l'homme, en ces temps
seulement, eût habité les cavernes et les cavernes seules.
Il serait puéril d'iusister sur le troglodytisme. L'homme s'esl
approprié les al^is naturels, comme font les animaux, dans les
pays où il s'en trouvait. Ailleurs il s'est construit des refuges arli-
liciels, soit en les bâtissant sur le sol, soit en les creusant dans
la terre. Les exemples de pareils usages abondent dans l'évolution
préhistorique et histori<[ue (1).
L'idée de se bàlir un abri est innée chez l'homme, comme chez
bien des animaux, de même que celle de profiter des abris natu-
rels. Il est donc à penser que les populations réfugiées dans les
cavernes du Périgord, par exemple, avaient des congénères
dissémiiK'S dans d'autres régions de la France, vi\ant comme
eux, mais habitant des demeures plus fragiles.
Cette hypothèse se trouve confirmée par ce fait que, dans bien
des districts de nos j)a3S, se trouvent, à la surface du sol et dans
l'humus, des instruments de silex des types magdalénien, solutréen
<»u moustérien, sans (juil existe de cavernes dans la région.
Le seul fait à retenir, dans cette <lénomination d'âge des
cavernes, est que les cavernes seulement ont conservé, réunis ('2),
jus(pi'à nos jours, les documents sur ces époques <|ui. ailleurs,
sont disséminés ou détruits.
l'^n ces temps où les c(jmmunications étaient difficiles, où
d'ardentes comj)étitions s'élevaient entre triions au sujet des ter-
ritoires de chasse on do pêche, les hommes, vivant en groupes
stqîarés et souvent hostiles, se développaient plutôt sur eux-mêmes,
ne recevant de proche en proche (|ue les découvertes les plus
notables.
(1) Cf. s. ni;iNAcii. Anliq. luil. <-al. .l/(i.v. ;i tous les poinls (]«■ viif est sans contredit
S-iint-GeniKiin, 1869, p. 160. telle de Baoussé-Roussé ^Cf. M. Bori.f, /es
;-2; Parmi les grottes nMifcrniant des ves- Grottes de (iiiinaldi, 1. l. fasc. II. Monaco,
tijjos de l'homme, l'une de'^ niieuv étudiées 1906).
(•.J\ [MSATION m: C.OUFIS DES DKUMKIÎS 1 KMPS ( .1. \<:i AIF!i:s {'>:)
Dans la proscju île de Malacca, j'ai vu li des liibus sakayes
(négritos), distantes de quinze jours d<i marche des villages malais
les plus avancés, n'entretenir que peu de relations avec leurs
voisins et entre elles, et se tenir à l'écart des peu[)lades seumangs,
d'origine aussi ancienne (ju'elles dans le pays, dont les terri-
toires sont limitrophes.
Dans les montagnes du Louristàn (2), entre les deux branches
de l'Ab é-Diz frivière de Dizfoul), sont des tri])us loures n'en-
tretenant aucunes relations avec leurs \oisines de même race
qu'elles, et ayant conservé leurs traditions au point de porter
encore le costume en usage au temps des Acliéménides.
Au Caucase, dans le Daghestan (3), chaque valléii est hainfée
par une tribu étrangère à ses voisines, j)arlant un dialecte spécial,
et n'ayant que fort peu de rapports avec les montagnards des
autres vallées.
Celte division des populations en trilius distinctes, pour des
causes naturelles ou des raisons d'intérêt, est l'origine du déve-
loppement inégal et varié dans les diverses provinces d'un
même pays; d'autres causes s'y viennent joindre encore, quand co,
pays a été soumis à des immigrations étrangères. On ne doit pas,
sans raisons péremptoires, étendre ni géograj)hiquement ni chro-
nologiquement les conclusions tirées d'une étude locale.
En ce (jui concerne les instruments de silex, généralement
considérés comme caractéristiques des industries, nous devons
être d'une extrême prudence; en ellet, les néolithiques d'Egypte
ne possédaient-ils pas des instruments du type acheuléen, mous-
térien, solutréen, en même temps que des haches polies, et ces
mêmes formes ne semblent-elles pas en d'autres lieux caractéri-
ser des époques difTérentes?
Les Susiens employaient en même temps le métal, la [)ierre
polie et des têtes de flèches du type solutréen; et il en était de
même dans certaines parties de la Syrie. Les racloirs de la Mad(^-
laine et ceux du Campigny ne sont-ils pas identiques?
En se basant sur la superposition des couches dans un m<'nie
gisement et sur la comparaison des industries de stations dilTé-
rentes, on a établi, en ce qui concerne l'état archéolithique, des
(1} Cf. J. DK MoiiGAN, Exploration dans lo en Peiiic, (. II, Kludex (/ilographiques, 1895.
Iircsqu'ilo malaise, ds /7/omme, 1885. (3) Cf. .1. dk Moroan. Mi^.-iion .<:cientilique an
a] Cf. J. DE Morgan, Mission ■■fcienlifiqae Caacasp, l. II. 1889.
126 LES PUEMIÈRES CIVILISATIONS
divisions chronologiques; et il n'est pas d'années qu'on n'en voie
surgir de nouvelles.
Cependant, rien n'est moins prouvé que cette succession; car
des tribus, de mœurs et d'usages différents, vivant parallèlement,
ont pu occuper successivement certaines localités, sans qu'il y
ait pour cela succession dans le sens général du terme, voire
même dérivation et passage d'une civilisation à une autie.
En résumé, l'Europe occidentale n'était certainement pas peu-
plée de façon homogène ; plusieurs races y vivaient côte à côte
en tribus plus ou moins nomades, et nous ne devons pas consi-
dérer les usages de chacune comme représentant une phase spé-
ciale s'étendant à tout le pays.
En Amérique du Nord, par exemple, les clans indiens diflèrent
sensiblement entre eux, par les usages comme par l'outillage et
Farmement qu'ils emploient. Avant leur anéantissement par les
Européens, ils vivaient, chaque tribu cantonnée dans son district;
mais avaient tour à lour des mouvements d'expansion et de con-
centration, empiétant parfois sur le domaine de leurs voisins,
poussant au loin leurs expéditions. Ainsi les industries de cha-
cune de ces tribus ont pu se superposer sur bien des points habi-
tables, dans les cavernes entre autres; tout en étant contempo-
raines et, par les restes qu'elles ont laissés, faire naître des idées
de chronologie relative, alors que cette succession n'est qu'appa-
rente.
Certainement, au cours de la longue période qui sépare le
milieu des temps glaciaires de l'apparition de la pierre polie, les
industries ont évolué, et il doit être fait une large part à la succes-
sion; mais cette part ne doit pas être exagérée suivant certaines
tendances d'aujourd'hui.
Ces civilisations, nous devons leur appliquer la méthode
usitée en ethnographie pour l'étude des primitifs modernes. Il
nous faut procédei- industrie par industrie, puis chercher à
retrouver l'histoire de chacune, l'aire qu'elle occupait jadis en la
considérant, à priori, comme isolée; et ne faire intervenir les carac-
tères communs entre les diverses tribus, qu'alors qu'ils peuvent
être tenus pour certains. C'est seulement en procédant de la sorte
qu'il sera possible de mettre quelque ordre dans cet amas confus
de peuplades, bien plus nombreuses que, généralement, on est
lente de le penser.
CIVILISATION Al" COURS DKS DERNIERS TEMPS (il.ACIAIHES 127
Les mêmes lemaïques s'appliquent au climat, à la dore et à
la faune, qui ne lurent pas partout les mêmes pendant la durée
de la période glaciaire et de celles qui la suivirent (J ;. Dans
cette étude, encore, il est nécessaire d'établir des monographies
locales, permeltanl de reconstituer les districts ; et c'est de
l'ensemble de ces provinces que ressorti ront les lignes géné-
rales.
En fondant, les glaces, dans leur retrait, abandonnèrent peu à
peu d'immenses territoires, arides d'abord, quoique trempés
d'humidité, coupés en tous sens par des cours d'eau, couverts de
Fondrières, de marais, de lacs, d'îlots de glace en fusion. C'est
sur ces terres que, peu à peu, gagna la zone des graminées. Il
se forma d'immenses prairies, dont le gibier et l'homme s'empa-
rèrent, sinon d'une manière définitive d'abord, du moins pen-
dant les saisons favorables (2).
La largeur de ces steppes était d'ailleurs très vaj'iable. Dans
les pays plats, comme le nord de l'Allemagne, elles furent
immenses ; tandis que, dans les régions montagneuses, elles se
trouvaient réduites par la pente du terrain. Dans tous les cas, elles
se tinrent toujours au voisinage des glaces fondantes.
Au delà, les forets gagnant progressivement sur les prairies
et suivant de loin le mouvement des glaces, offraient le faciès des
pays froids ; et cette première zone forestière, de profondeur va-
riable, se trouvait elle-même remplacée, plus loin encore, par des
boisements de pays plus chauds, semés de clairières ; et ainsi de
suite jusqu'aux régions tempérées.
11 ne faut pas oujjlier que la fusion d'un amas de glaces aussi
important, absorbant une énorme quantité de chaleur, produisit
un refroidissement intense, dans les régions voisines des gla-
ciers (3), et que^ si l'abaissement de la température atmosphé-
rique fut général, il porta principalement sur la zone des steppes.
Dans de telles conditions, l'inégalité dans les climats locaux était
alors bien plus accentuée que de nos jours. C'est dans ce milieu,
(1) Il existe aujouid'luii en Europe deux ci) C'est ainsi qu'on rencontre des vestiges
colonies seulement de bisons, Tune en Li- du mammouth jusqu'au cœnrde la Russie d'Eu-
Ihuanie, l'autre en Circassie (Kouhan) Qui rope bien en deçà de la limite des moraines,
prouve que, dans les temps qui ont suivi (3) Le refroidissement causé par la fusion
i'époq'ie glaciaire, il n'a pas existé également d'importantes masses de glace est intense,
des colonies du mammouth, du renne cl C'est ainsi qu'un fort abaissement de tempé-
d'autres animaux aujourd'hui éteints et aux- rature se fait sentir même au cœur de l'été,
quels on a tendance à attribuer un habitat quand, entre l'Irlande et l'Amérique du Nord
général dans nos pays ? les paquebots rencontrent des icebergs.
128 t'K^ iMu:.Mira^i;s civilisations
extrèmemenl varié, que l'homme développa ses industries archéo-
lithiques et mésolithiques.
Cantonnés, durant la grande extension des glaciers, dans des
espaces relativement restreints, l'homme et les animaux virent
peu à peu s'étendre devant eux d'immenses territoires. Ils les
envahirent lentement, rompant avec leurs usages glaciaires, modi-
tiant leur manière d'être suivant l'avancement ou le recul des
terres habitable.s. Tout fut changé dans la vie, suivant des lois
très complexes dans lesquelles entrent maints éléments qui, pour
la plupart, échappent à notre appréciation. La multiplicité des
races, des clans, la proportion numérique relative des diverses
tribus, la variété des intérêts, des aptitudes, les conditions
géologiques, botaniques, zoologiques, climaticjues des divers
pays, les facilités plus ou moins grandes de migration, et bien
d'autres considérations encore, influencèrent la vie dans ces
temps.
La plupart de ces conditions ont laissé des traces ; mais com-
bien sont difficiles l'étude et l'interprétation de ces vestiges,
combien il est aisé de les expliquer de façon erronée !
Les récentes études amènent à conclure que l'industrie paléo-
lithique (type moustérien) a coïncidé avec la dernière extension
des glaces, en sorte que raurignacien, le solutréen et toutes les
autres industries du groupe archéolithique seraient post-gla-
ciaires. Mais ces déductions tirées de cas particuliers et locaux
ne doivent, j)eut-étre pas encore, être généralisées (1).
Ces remarques étaient nécessaires avant d'aborder l'étude des
industries archéolithiques et mésolithiques, très variées dans
leurs détails et au sujet desquelles on a commis et l'on commet
journellement tant d'erreurs. N'e.st-il pas mieux davouer l'insuf-
tisance de nos observations, la fragilité de nos théories, plutôt
(|ue de chercher pai- d'ingénieuses hypothèses à nous tromper
nous-mêmes;'
.le passerai simplement en revue les divers types d'industries
des derniers temps glaciaires, en conservant l'ordre dans lequel
ils ont été présentés jusqu'ici ; bien qu'il soit nécessaire de faire
des réserves au sujet de la succession et de l'ascendance de
beaucoup d'entre eux.
1,1) Cf. DocteiirHrGoOBERMAiEr,, Beitriigczur Arehiv /. Aidhropoloyie, V. :î el i. Vienne,
l<ennfniss des Qiiorh'trs in dcn Pyrenacn, in KWi.
CIVILISATION AU COUHS DES DERNIERS TEMPS GLACIAIRES 129
Industrie archéolithique. — Type aiirignacien (1). — Cette
industrie, pour lacjuelle le nom àe pré-solutréen avait été proposé,
se compose de types intermédiaires entre les formes du Moustier
et celles de Solutré; on y rencontre des burins assez grossiers,
des grattoirs courts et épais, des lames très retouchées sur tout
leur pourtour, des racloirs simples et doubles, et enfin des éclats
portant de larges encoches latérales.
L'outillage en os comprend des pointes à contours ovoïdes
parfois fendues à la base, des os appointis, des lissoirs, des pen-
deloques, des épingles ou baguettes souvent incisées, des sifflets
taillés dans des phalanges de renne, etc.
Assez répandue, cette industrie a, jusqu'ici, été rencontrée en
France, dans la Dordogne, à la Ferrassie et au Moustier; elle est
signalée en Belgique, à Montaigle et à liastières(2), dans la Basse-
Autriche (3), en Tunisie, en Algérie, en Syrie, etc.. et semble
due à des populations très diverses, autres que celles des temps
paléolithiques. Peut-être est-elle, partout, le fruit d'une invasion.
Type solutréen (li). — L'ensemble de cet outillage est remar-
quable par la finesse de sa technique. Les instruments, toujours
composés d'éclats retouchés, sont de deux natures : les uns taillés
seulement sur une face, grattoirs, perçoirs, scies, etc., analo-
gues à ceux des types moustérien et aurignacien ; les autres,
façonnés sur les deux faces, sont des têtes de javelots, d'épieux,
des poignards (?) généralement d'un travail très soigné. Ces der-
niers instruments aff"ectent toujours la forme lancéolée de la
feuille du laurier ou du saule ; ils sont parfois arrondis à l'une de
leurs extrémités, tandis que l'autre demeure aiguë.
Les os sont grossièrement travaillés, façonnés en burins, per-
çoirs, etc. ; et quelques canines perforées de loup et de renard
montrent que ces populations aimaient à se parer. Quant aux pro-
duits artistiques, ils sont peu nombreux, se bornant à quelques
figurations de renne sculptées grossièrement dans la pierre
tendre.
Les Solutréens connaissaient le feu; ils vivaient de leur chasse,
plus spécialement de celle du cheval, dont les squelettes forment
(1) Cf. H. Breuil, la Question aurigna- renne, ds Congrès préhisl. de Pérlgueux, 1905.
cienne, ds Rev. préhisl., 1907, n»' 6 et 7. (3) Hi»;u\es, Der Diluuiale Mensch.
(2) Cf. Capitan-, Congrès de Monaco, lOOG, (i) Cf. G. et A. de Mortili.et, le Musée pré -
mUev. Ecole. Anlhroi).,\\n,i>.r:Q. — \^\\vxu., Iiislorique, 1881, pi. XVIII-XIX. — J. Déciie-
Essai de stratigraphie des dépôts de l'âge du LETTE,.U(i7!!ie/ti'arc/ieo/.prt'/i;.s(.,1908,pp. 131-148
j30 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
d'énormes amas à Tentrée des cavernes ; peut-être même étaient-
ils cannibales (1). Ils donnaient aux morts de leur clan une sépul-
ture, suivant des usages qui paraissent avoir été constants. Là se
bornent nos connaissances en ce qui les concerne.
L'industrie solutréenne semblen 'avoir été que fort peu répan-
due ; on ne l'a rencontrée jusqu'ici que dans certaines parties de
la France et de la Belgique (2).
Tijpe magdalénien (3). — Inférieure, par sa technique du silex,
aux industries du Moustier et de Solutré, cette civilisation se
fait surtout remarquer par la perfection qu'y atteint le travail de
l'os et de l'ivoire, et par les aptitudes artistiques très développées
des tribus magdaléniennes.
Les instruments de silex, racloirs, perçoirs, burins, montrent
des besoins aussi multiples que ceux des civilisations dont il vient
d'être parlé ; toutefois l'outillage, tel que nous le connaissons,
par les cavernes, est entièrement composé de petites pièces.
On serait tenté de penser avec S. Reinach [h) que, près du
foyer domestique, le Magdalénien ne se livrait qu'à des travaux
délicats et que la grosse besogne, celle exigeant l'emploi d'ins-
truments plus forts, se faisait toujours au dehors; mais s'il en
avait été ainsi, l'homme eût parfois rapporté à son habitation
quelqu'un de ces gros instruments et il en serait assurément par-
venu jusqu'à nous dans certaines stations.
La caractéristique du magdalénien est la grande abondance et
la perfection des objets d'os et d'ivoire ; têtes de harpons, de
lances, de sagaies, spatules, lissoirs, perçoirs, tous objets d'un
travail extrêmement soigné, et ne présentant d'analogies avec
aucun de ceux des autres industries mésolithiques.
Les Magdaléniens se vêtissaient ; car ils nous ont laissé de
fines aiguilles d'os et d'ivoire. Ils se paraient; car on rencontre
en grand nombre les perles, les pendeloques, les dents per-
forées d'animaux, les rondelles d'os parfois gravées. Ils se pei-
gnaient ou se tatouaient le corps; les matières colorantes (limo-
nite, sanguine) qu'on trouve près de leurs foyers en font foi.
(1) Cf. A. RiiTOT,le cannibalisme à l'époque (3) G. et A. de Mortillet, le Musée prèhislo-
des cavernes en Belgique, ds liull. Soc. pré- rique, \8Sl, pi. XXI-XXVHI. — J. Dkchelette.
hisl. de France, iiTjuin lï)07 Manuel d'archéol. préliist., 1908, pp. 149-279.
(2) On a dernièremenl rallaclié au solu- (i) S. Reinach, Anliq. nat. cul. Musée de
tréen (|uelqiies stations <le la Basse-Autriclie. Sainl-Germaln, p. 231.
Cf. lloERNES, Dec Dilaviale Menscli.. p. 121.
CIVILISATION AU COUHS DES DERNIERS TEMPS GLACIAIRES 13i
Ils entretenaient des relations commerciales étendues; car, dans
les stations magdaléniennes, on trouve des coquilles marines (1)
et des silex de provenance très éloignée. Ils se nourrissaient des
produits de la pêche et de la chasse; témoins les nombreux osse-
ments accompagnant leurs foyers.
On a fréquemment rencontré, dans les cavernes magdalé-
niennes, des os travaillés et ornés présentant une forme étrange.
Nommés d'abord bâtons de commandement (2), appellation qui ne
faisait que déguiser l'ignorance dans laquelle on se trouvait de
leur usage, on les a considérés, plus tard, comme étant les pièces
rigides de chevêtres (3), à l'aide desquels l'homme aurait dompté
et conduit le cheval. Bien que les figurations de têtes de che-
vaux rencontrées dans les cavernes semblent donner quelque
vraisemblance à cette manière de voir, elle n'a pas été partagée
par le monde savant. Si cette hypothèse se trouvait un jour véri-
fiée, le Magdalénien aurait fait « la plus grande conquête
de l'homme », ou tout au moins l'aurait appliquée ; car nous
ignorons si les Moustériens, les Solutréens et autres tribus
n'avaient pas, elles aussi, domestiqué les animaux, si elles n'em-
ployaient des mors ou des chevêtres n'ayant pas laissé de
traces {h).
Il se peut que d'autres quadrupèdes eussent, en même temps,
été domestiqués et que les Magdaléniens fussent aussi bien éle-
veurs que chasseurs. Le renne, le chien étaient peut-être asservis.
Les hommes néolithiques d'Egypte ne possédaient-ils pas des
troupeaux d'antilopes, dont nous ignorerions l'existence, si les
sculptures de l'ancien empire ne nous l'avaient révélée (5) et si
moi-même, je n'avais retrouvé les parcs où ces bizarres troupeaux
étaient réunis pour la nuit (6)?
Cependant la plupart des préhistoriens, se basant sur des
constatations qui semblent être fort probantes, nient la domesti-
(\) Chkimiis Islandica, Turrilella rommunis, (4) Cette explication de l'usage du « bâton
LillorinalHlorea. de commandement" est loin d'être acceptée
(2) Larlet, Broca, Cf. Assoc. franc., 187-2, par tous les palethnologues ; beaucoup consi-
pp. 126-127. — De Mortillet, Mus. préhi.tl., dorent la domestication des animaux comme
fig- 192. l'une des caractéristiques de la civilisation
(3) Cf. PiETTf, Eludes (i'elhnogr prélusL, l\. néolithique.
Le Chevêtre et la semi-domestication des (5) Bas-reliefs des Mastabas de l'ancien
animauxaux temps pléistocènes, in //ln//i;o/;., empire à Saqqarah (tombeaux de Ti, Mera,
t. XVIL 1906. Les tèlesde chevaux enchevê- Kabin, etc.).
Irées (?) figurées dans cette étude ont été dé- (6) J. de Morgan, Recherches sur les orûjines
couvertes à Saint-Michel d'Arudy, Brassem- de lÈ<jijple, l. H, 1807. Kjœkkenmœddings de
pouy,auxEspélugues(Lourdes),au Mas d'Azil, Kawamil, Toukh, etc.
à Laugerie-Basse, à Raymonden (Chancelade).
'132 I^ES PREMIÈRES CIVILISATIONS
calion des animaux aux temps quaternaires, et reportent sa décou-
verte à l'état néolithique.
Le caractère principal de la civilisation magdalénienne est
l'art. Il nous apparaît tout formé et ayant atteint déjà une rare
perfection; encore, ne connaissons-nous pas ses chefs-d'œuvre. Il
semblerait qu'il soit le produit d'une population étrangère venue
au moment où le renne abondait dans nos régions; et de même
qu'il apparaît soudain, il disparaît subitement sans laisser au-
cune survivance.
Rien ne s'oppose, d'ailleurs, à ce que ces goûts esthétiques
soient nés d'une migration affectant quelques districts seulement
de la Gaule et de l'Espagne; à ce que, par influences, ces arts se
soient répandus au loin ; à ce qu'aussi les tribus d'artistes, pous-
sées par d'autres peuplades et changeant de région, aient laissé,
dans les cavernes, des traces de leur séjour momentané, montrant
ainsi une extension apparente beaucoup plus vaste que celle,
qu'en réalité ils ont eue dans un même temps.
Il se peut aussi que, né dans un district de la France ou de
l'Espagne encore ignoré, cet art se soit développé sur place et
que nous n'en ayons pas retrouvé les œuvres primitives. 11 n'est
donc pas nécessaire, pour expliquer sa présence, de faire inter-
venir des causes extérieures.
Ces arts se manifestent sous deux formes distinctes : dans la
sculpture, la gravure, réduites aux dimensions des instruments
et des objets portatifs, et dans la gravure de sujets de grandeur
naturelle sur les parois des cavernes.
Ils nous ont laissé des ornements géométriques, de rares
figurations de végétaux et une foule de représentations animales,
« révélant un profond esprit d'observation, un sentiment exquis
de la nature. Plusieurs de ces dessins sont supérieurs aux illus-
trations de quelques-uns de nos livres d'histoire naturelle; et il
faut avouer que plus de la moitié des copies qu'on a faites de ces
œuvres, pour les publier, sont au-dessous des originaux (1). »
Dans les sculptures, les membres des figurines ne sont jamais
détachés ; parce que le bloc dont l'artiste disposait n'en permet-
tait pas l'isolement, ou parce que les saillants eussent nui à l'usage
des objets. Ce fait, nous l'observons dans bien des ivoires japo-
(1) Cautailhac. la Fnince oré/iiglorique,\).Q~.
CIVILISATION AU COURS DES DERNIERS TEMPS GLACIAIRES 133
nais, dans beaucoup de menus instruments des civilisations pri-
mitives de l'Egypte et de la Chaldée.
La figuration sur les parois des cavernes (1) est autrement
intéressante encore que la gravure ou la sculpture des pelils
objets, parce qu'elle comprend souvent des sujets de grandeur
naturelle, d'une exécution beaucoup plus difficile. Non seulement
ces représentations sont dessinées, puis gravées au burin; mais,
aussi, elles sont peintes, présentant un fini plus ou moins avancé
et des caractères si conventionnels, qu'on est tenté d y voir une
stylisation et le passage de l'art figuré à l'art décoratif (2).
Tout en possédant très nettement le sens de la ligne et, géné-
ralement des proportions d'un même motif, l'artiste semble avoir
méconnu les proportions relatives des sujets entre eux; à moins
que, dans les représentations que nous possédons, il ne se trouve
que des essais, des ébauches dans lesquels, copiant un modèle
pour s'exercer, le dessinateur faisait abstraction de celui dont
l'image avait été précédemment tracée sur la même surface.
11 serait, dès maintenant, prématuré de vouloir classer ces
œuvres d'art (3), soit suivant la nature de leur exécution, soit
suivant leur âge relatif ou leur distribution géographique. Nous
ne connaissons pas assez les limites de l'aire habitée par les popu-
lations artistes, ni celles de l'extension de leur art par influence,
ni les changements de résidence de ces tribus, ni la durée de
leurs établissements dans chacune de leurs étapes, pour être à
même de nous prononcer.
(1) Cf. II. Breuil, Nouvelles figurations du jours; elle existe dès les temps quaternaires
mammout!i,ds Rev. de /ÈVo/e J'An/Zi/o/j., t. XV, (Cf. II. Breuil, Exemples de figures dégéné-
1905. — La dégénérescence des figures d ani- rées et stylisées à l'époque du renne, ds
maux et motifs ornementaux à lépoque du A7//' Congrès d'Anthrop. et dArcli. prèhiRl.,
renne, ds Comptes remln.-! Arad. Inscr., 1905, Monaco, i90H) et se rencontre communément
p. 105. — Os gravé de la grotte des Eyzies, ds dans les peintures céramiques les plus ancien-
Rev Ecol. Anthrop., Paris, n" 6, juillet 1901. nés de lAsie antérieure. (II. Bukuil), le Pas-
— L. Capitam et H. Breuil, les Grottes à pa- sage de la figure à l'ornemetil dans la cérnmùpie
rois gravées ou i)eintes,ds Heu. Er. d'Anthrop., peinte des couches arrhaï(jaes et de Moussian et
Paris, t. XI, 1901. — E. Cartailiiac et H. de Su.ve. Monaco, 190H.)
Breuil, les Peintures et gravures murales des (3) II. Breuil, l'Evolution de la gravure et
caverne» pyrénéennes, ds l'Anthropologie, de la peinture sur les murailles dans les ca-
l. XV, 1904; XVI, 1905.— L.Capitan, II. Breuil vernes ornées de l'âge du renne, ds Congrès
et Peyrony. Une Nouvelle Grotte à paroisgra- préhisl. de Périgueux, 1905. - II. Breuil {iEuo-
\ee-i, (\s Heu. Ecole Anthrop., 1903. — lu , les Fi- lution de l'art pariétal. Monaco, 1907) recon-
gures gravées (grotte de BernifaI). Hev. Ecole naît cinq phases successives dans l'évolution
An//irop., 1902. — Id., la Calévie(Dordogne). — du dessin aux temps quaternaires; la pre-
Capitan et Breuil, Grotte des Combarelles. mière appartenant aux temps pré-solutréens
Rev. Ec. Anlhrop., t. XII, 190-2. — Id., Grotte (aurignacien), la dernière étant contemporaine
de Font-de-Gaume. Rev. Ec. Anlhrop., t. XII, des peintures sur galets du .Mas d'Azil. On
1902. — L. Capital, les Origines de l'art en remarquera que les points étudiés étant fort
Gaule. .4. F. A. S., 1902. éloignés les uns des autres, il est difficile
(2) La stylisation des éléments fournis par d affirmer la succession de ces diverses ma-
la nature est un fait courant chez tous les iiifestalions artistiques.
primitifs, tant dans l'antiquité que de nos
134
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Les sujets traités en dehors des ornements géométriques (1) et
de quelques rares végétaux (2) sont : le brochet (3), la truite (/i),
l'anguille (5), de nombreuses formes indéterminables de pois-
sons (6), le phoque (7), quelques oiseaux très rares d'ailleurs,
l'éléphant (8), le rhinocéros (9), le bœuf (10), l'ours (11), le che-
val (12), le bouquetin (13), l'antilope saïga (l/i), le renne (15), divers
cervidés (lô), l'homme (17), etc.
Mais la représentation humaine, qu'elle soit gravée ou sculp-
tée, est toujours fort médiocre et bien inférieure à celle des ani-
maux; d'ailleurs, elle ne se montre que très rarement.
Gomme on le voit, la civilisation magdalénienne est de beau-
coup, la plus développée des temps pléistocènes ; mais elle est peu
répandue. C'est en France, en Belgique, dans le nord de l'Es-
pagne et le sud de l'Angleterre qu'on la rencontre le mieux carac-
térisée. Son centre semble avoir été dans la région voisine des-
Pyrénées.
On a signalé également cette industrie en Suisse, en Allemagne,
en Pologne et jusqu'au lac Ladoga où elle se trouverait sensible-
ment modifiée; tandis qu'elle paraît faire défaut en Egypte (18),
en Tunisie, en Algérie, en Syrie, en Italie et dans tout l'orient de
la Méditerranée.
Je me dispenserai d'entrer dans plus de détails au sujet de
l'industrie magdalénienne; bien quelle ait donné lieu à la création
d'une foule de subdivisions : Eburnéenne {\9), Glyptique, Gour-
danienne^ Tarandienne, Lorlhétienne, Elapholarandienne, Hippi-
(1) Ornements géométriques. — Laugerie-
Basse, Gorge d'Enfer, La Madelaine.
(2) Végétaux. — Bruniqufl, Montgnudior,
La Madelaine.
(3) Brochet. — Montgaudier (Charente).
(4) Truite. — Montgaudier.
(5) Anguille. — Montgaudier.
(6) Poissons divers. — La Madelaine.
(7) Phoque. — Montgaudier ; Sordes (Lan-
des), Ahri-Mège. Une portion de mâchoire de
phoque a été trouvée par Hardy et Fraux à
Raymonden. — On comprend diflicilement
comment le iihoipie, animal côtier, a pu être
connu des gens du centre de la France.
(8) Eléphant. — Bruniquel, La Madelaine,
P>aymonden.
(9) Rhinocéros. — Grotte du Trilobile à Arcy-
sur-Cure (Yonne).
(10) Bœuf. — Masd'Azil, Les Eyzies, Alta-
inira, Marsoulas, Bernifal, les Combarelles.
(11) Ours.— Massât (Ariège).
(1-2) Cheval. — Chalïaut (Vienne), Laugerie-
lîasse, Les Eyzies, Altamira, Marsoulas, les
Coiubarclles, Thayngen (Suisse), Bruniquel,
Lorthet, La Madelaine. Le cheval n'apparaît
dans la Bible qu'après la sortie des Hébreux
d'Egypte. En Egypte après la XVM' Dyn. (dix-
neuvième siècle?). Prisse d'Ave -sne allribue
sa venue aux Hyksos.
(i:{) Bouquetin. — Marsoulas, les Comba-
relles.
(14) Antilope saïga. — Reconnu par P. Ger-
vais sur une gravure d'Aurensan, mais dont
on n'a pas encore retrouvé le squelette.
(lf>) Renne. — Bruniquel, Mas d'Azil, Cor-
gnac, Font-de-Gaume, etc.
(16) Cervidés. — Mas d'Azil, Laugerie-Basse^
Lorthet, La Madelaine, Les Eyzies, Altamira,
les Combarelles.
(17) Homme. — Laugerie-Basse, Altamira,
Marsoulas.
(18) n se peut quaiijourd hui les vestiges de
celte industrie soient partout recouverts par
les limons du Nil.
(lu) En. PiETTE, l'Epoque eburnéenne et les-
rares huinuines de lu période (jtyptique. Saint-
<^uentin, 1894.
(•.1\ ILISATION AU COUHS DES DERNIERS TEMPS GLACIAIRES 135
{jiiienne, Équidienne [\), Elaphienne {^), etc., basées soit sur des
caractères artistiques, soit sur la nature de l'outillage, soit sur la
faune accompagnant les vestiges humains. Ces subdivisions, ou
bien n'ont pas lieu d'être, ou bien ne correspondent qu'à des cul-
tures locales.
A côté des industries caractérisées dans l'occident de l'Europe,
nous voyons, dans d'autres pays, les traces de civilisation post-
paléolithiques oflrir des caractères spéciaux et ne rentrant pas
dans les classifications établies pour nos pays. C'est ainsi que
se présentent les stations du versant oriental du Liban 3), sur
lesquelles nous ne sommes encore que très mal renseignés, celle
d'Hélouan en Egypte que je considérais autrefois(A) comme néoli-
thique; mais qui me semble aujourd'hui devoir être reportée plus
loin de nous, peut-être jusqu'à l'aurignacien.
Les kjœkkenmœddings, dans les abris sous roche tunisiens et
certaines alluvions, montrent une industrie archéolilhique spé-
ciale, voisine de l'aurignacien; mais indépendante des cultures
européennes. On y rencontre, en même temps que les racloirs,
les burins, les encoches et les lames retouchées sur un seul
côté, des types plus anciens tels que le disque.
L'une des stations les mieux caractérisées de cette industrie,
dans le nord de l'Afrique, se trouve au lieu dit El Mekta (5), à
15 kilomètres au nord de Gafsa (sud Tunisien), sur le flanc des
collines qui portent en même temps que des gisements naturels
de silex, de vastes ateliers paléolithiques. Sans aucun doute,
dans cette localité cette culture a succédé au chelléo-moustérien.
Elle semble occuper tout l'espace de temps séparant le paléoli-
thique du néolithique. Son aire géographique était extrêmement
vaste; car on la retrouve dans le centre saharien (6), dans les pro-
vinces de Constantine et d'Oran (7), et non loin de Rhadamès (8)
sur les confins de la Tripolitaine.
Certainement l'industrie tunisienne ne peut, en aucun cas, être
complètement assimilée à celles de l'Europe occidentale, dont en
(1) E. PiETTE, les Subdirisionx de l'époque 5) Découvei-le en 1906 par E. Boudy, signa-
maijdalénienne et de ivjj0<iue néolilhique. An- lée par L. Ca|)ilan au Congrès de Monaco,
ger?, 1889. I) A Uassi-lnife!, près d El Golea. Environs
(i) E. PiETTE, in Congrès intenvitionnl dWii- de W'argla.
t/irop , 1889. Paris, 1891, p -203. (7) Musée d'Alger. — Grotte d'Ali Bâcha;
(3) Soukna, Erek, sur la route de Deir el Bir Lascaria (A'in Be'i'da); région de Tebessa,
Zor à Palmyre. (J. M. 1900.) de Chellala Prov. de Constantine]. Batterie
(4) Cf. J. i>E MoROAN, Eeclt. sur les oriij. espagnole (Oran), Moizana [Prov. d'Oran ^
de lEyyple, 189C-1897. (8)"a Chabet-Réchada près de Jénéyen.
136 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Afrique elle tient lieu. Elle correspond à l'existence d'un peuple
qui, à ces époques, occupait toute la partie septentrionale de ce
continent. Je propose de la désigner sous le nom d'industrie cap-
sienne (1 ) en raison de la localité où elle semble être le mieux carac-
térisée (2), et afin de lui conserver son caractère géographique.
11 serait aisé de signaler un grand nombre de semblables
industries locales, rentrant dans l'état arcliéolithique; mais une
telle étude sortirait du cadre que je me suis tracé. 11 suffisait d'en
citer quelques-unes, pour montrer qu'au sortir des temps gla-
ciaires, l'homme vécut en tribus plus ou moins importantes,
sortes de nationalités dont pour la première fois nous rencontrons
les traces indiscutables.
Industries mésolithiques. — Les palethnologues ont coutume
de ranger dans l'état néolithique des civilisations (campignien,
kjœkkenmœddings, etc.) (3) très différentes de celles que nous
venons d'examiner; et qu'ils considèrent comme formant la transi-
tion entre les industries de la pierre taillée et celles de la pierre
polie, se basant principalement sur des vues chronologiques, très
discutables d'ailleurs.
Ne tenant compte que du travail de la pierre dans la classifi-
cation que j'ai choisie, je les rangerai dans un état de civilisa-
tion auquel je donnerai le nom spécial d'étal mésolilhique; parce
que, d'une part, on retrouve dans ces industries une foule de traits
communs avec celle dite magdalénienne et ses analogues ; et que,
d'autre part, bien des formes nouvelles apparaissent, montrant
une tendance vers l'état néolithique ne s'oxpliquant que par
l'apparition d'influences indépendantes et nouvelles.
Industrie toiirassienne. — Cette division, proposée par G. de
Mortillet (i) comme marquant la dégénérescence et l'extinction
de l'industrie quaternaire, représente, pour cet auteur, une
époque spéciale dont il retrouve les traces dans toute lEurope,
dans le bassin méditerranéen et jusqu'aux Indes. Elle serait
caractérisée par de tout petits instruments de silex présentant
(1) De Capsa, nom de la ville romaine qui vue des industries du Campigny, du camp de
occupait l'emplacement actuel de Gafsa. Calenoj-, de l'Yonne et du Grand-Pressigny,
(-2) On retrouve celte industrie très bien ca- ds Conyr. Anthr. préhist., 19( 0, p. 206.
ractérisée jusqu'en Syrie, à Antélias entre (i) G. de Mortillet, Evolution quaternaire
autres. (Cf. ZuMOFFEN, la Phénicie nrant les de la pierre, in /^ey. E'-o/e .l/i/Ziro/)., 1897, p. 24.
P/je>)/c/erî.'!.Beyrouth,1900,p.49sq.,pl. VIel Vil. — A. de Mortillet, les Petits Silex taillés à
(3) Cf. L. Capital, Passage du paléolitlii- contours géométriques, ds/iey. £co/e A/ii/irop.,
que au néolithique. — Elude à ce point de t. VI, 1896.
CIVILISATION AU COURS DES DERNIERS TEMPS GLACIAIRES 137
des formes géométriques. Cette industrie ne semble pas corres-
pondre à une culture particulière; mais bien à des besoins spé-
ciaux, mal définis encore, communs à une foule de pays.
Industrie des kjœkkenmœddings (1). — Les débris de cuisine
abondent dans les pays Scandinaves (2), le nord de TAUemagne,
les côtes de Belgique, d'Angleterre, de France, de Portugal, dans
les îles de la mer du Nord. Ce sont des amas dont les plus grands
présentent 3 mètres de hauteur, sur 100 à 300 de longueur et
/i5 ou 50 de largeur. Tous marquent l'emplacement d'anciennes
aorarlomérations humaines, et renferment les restes de la vie,
cendres, charbon, os calcinés et brisés, coquilles marines en
très grande abondance, nombreux instruments de silex et frag-
ments de poterie grossière.
En Danemark (3), où ces monticules ont été l'objet de travaux
nombreux et remarquables, l'industrie de la pierre se montre
assez grossière : sa technique semblerait, à certains points de vue,
être une descendance du paléolithique; tandis que, par d'autres,
elle se rattache franchement au néolithique.
Les formes principales sont des haches oblongues et des têtes
d'épieux taillées à grands éclats sur les deux faces, des racloirs,
des lames plus ou moins retouchées et des tranchets, curieux
instruments qui semblent caractéristiques de cette civilisation.
Les pré-Danois de ces époques étaient chasseurs et pêcheurs,
ils se construisaient des habitations, fabriquaient la poterie, creu-
saient des pirogues dans des troncs d'arbres et s'y aventuraient
au large de leurs côtes.
Industrie campignienne ('i). — La station du Campigny (Blangy-
sur-Bresle), qui a donné son nom à cette division, a été décou-
verte en 1872 par Eugène de Morgan (5), mon père, et j'ai assisté
aux premières fouilles.
(1) Les kjœkkenmœddings se rencontrent trie de la pierre en pays Scandinaves et pense
sur un très grand nombre de côtes. On en que celte civilisation dérive d'une plus an-
trouve en Irlande, en France [Hyères (Var , cienne ilans l'ouest de l'Lurope.
Sainl-Georges-de-Didonne (Cliarente-Inférieu- (^.) Lludiés par Forchamnier, Sleenstrup,
re), Saint- Valéry (Somme), Wissant (Pas-de- Wor-.;ic, etc. Cf. Mori.ot, Etudes géologico-
Calais), à l'ile d'Arz (Morl)ilian), à l'île de Sein arcluoingiqiies en Danemark et en Suisse, in
(Finistère),] en Portugal à Mugem, en Asie, Soc. Vdudoise des sr. nat., 1859-1860. Comptes
dans les deux Amériques (Floride), à Omori rendus du Congrès intern. d'AnUirop. el durcit.
au Japon, etc., mais ils sont loin d'apparte- préhisl. Copenhague, 18G9, pp. 135-160.
nir tous à la même époque. (4) Le Campignien, par Pu. Salmon. d'.Vui.t
(2) Sophus Muller (Con(jrès inlernalional du Mesnil et Capita.n, ds Bel-. Ec. Anthrop.,
d'Anthropologie de 1889. Paris, 1891, p. ir.i) Paris, 1898.
considère les kjœkkenmœddings danois {b) Sotice sur le Campiyny, par E. el IL de
comme les restes les plus anciens de l'indus- Mougan. Amiens, 187:^.
138 LKS PREMIÈRES CIX ILISATIONS
Le petit plateau de Campigny domino le fond de la vallée d'une
vingtaine de mètres. 11 portait autrefois un village de huttes et ce
sont les restes de ces cabanes qui ont fourni les découvertes.
De largeur variable (-> à 6 m.), le fond de ces huttes a été creusé
dans le diluvium rouge sur une profondeur de 0 m. 60 à 0 m. 80.
On y rencontre, avec des cendres et du charbon, une grande quan-
tité de fragments de poterie grossière, de nombreux instruments
de silex analogues à ceux des kjœkkenmœddings danois; le tran-
chet, le racloir, le poinçon. Les lames à encoche dominent; et
ces pièces se trouvent mélangées à une foule d'éclats non retou-
chés.
Au Campigny, les instrui-uents de silex sont d'une telle fiaî-
cheur de conservation (jue mon pèr(\ ayant fait don d'une série
provenant de ses fouilles au Musée de Saint-Germain, iNI. Al. Ber-
trand les déclara faux et considéra le donateur non sans pitié.
Cette découverte, cependant, devait être suivie de beaucoup
d'autres; de nombreuses stations campigniennes furent reconnues
dans le nord de la France et en Belgi((ue. Plus tard, on rencontra
cette industrie en T^spagne et en Italie où elle est très dévelop-
pée et le Campigny donna son nom à une culture très nettement
caractérisée.
Après avoir passé en revue les divers modes d'existence des
peuples antérieurs à la pierre polie, les envisageant seulement
au point de vue industriel et artistique, je dois aborder mainte-
nant la (|uestion chronologique; celle de la succession ou du
parallélisme des diverses civilisations et des peuplades qu'élites
caractérisent.
Cette question est de beaucoup la plus ardue. Jusqu'à ce jour,
les préhistoriens ont pensé la résoudre en acceptant la succession
des industi-ies presque indépendamment des conditions géogra-
phiques. Il en est résulté qu'à leurs yeux, toutes les civilisations
se sont fondues dans une évolution générale alîectant non seule-
ment l'Occident européen; mais aussi, et pour beaucoup, le monde
entier, et que, non contents de généraliser leurs conclusions, ils
leur ont aussi accordé une portée chronologique.
Il n'est pas besoin d'insister sur l'exagération de telles idées
et sur les fâcheux résultats aux(|uels elle conduit. Toute super-
position stratigraphique constitue dès lors deux âges au moins;
et dès le terme d'époques lancé, il devient la base de nouvelles
CIVILISATION AU COURS DES DERNIERS TEMPS GLACIAIRES 1 39
spéculations Imaginatives. Ces spéculations sont contraires à
toute méthode scientifique.
Si la chronologie a été poussée trop loin, absorbant tout, il ne
faudrait pas, par réaction, tomber dans l'excès contraire et exa-
gérer le synchronisme au point de croire toutes les industries
contemporaines; il est un juste milieu que seule l'observation
réfléchie peut atteindre.
J'ai exposé les raisons qui me portent à penser que l'industrie
paléolithique, née peut-être dans les régions méditerranéennes
orientales, et même possiblement plus loin, vers l'est, s'est pro-
pagée dans le centre et l'occident de l'Europe aux temps inter-
glaciaires; j'ai montré, également, que le type moustérien, con-
temporain du chelléen, paraît avoir pris naissance dans le
cheiléen lui-même, sur un ou plusieurs points, d'où il se serait
propagé ; que le Moustérien ne correspond qu'à des besoins
spéciaux des Chelléens et Acheuléens.
Mais en même temps que les besoins ayant donné naissance
au Moustérien se faisaient sentir, cette industrie se transportait;
sans que, forcément, elle fut accompagnée par celles au milieu
desquelles elle était née.
L'un des exemples les plus frappants de cette migration est
offert par l'Italie où Faire d'habitat du type moustérien est com-
plètement différente de celle de l'instrument amygdaloïde. Pigo-
rini pense, avec juste raison selon moi, que le Moustérien est dû
dans son pays à des influences extérieures.
En France, au contraire, comme dans la Belgique et l'Angle-
terre méridionale, la coexistence presque générale des deux types
dans les alluvions. comme dans les cavernes, ne peut être inter-
prétée qu'en faveur du développement sur place de l'industrie la
plus affinée, simultanément avec la plus grossière.
Je ne conclurai certainement pas de même en parlant du solu-
tréen, civilisation locale des steppes, circonscrite à des territoires
peu étendus et dont l'importance est secondaire ; tandis que
l'aurignacien, qui la précédé, se rencontrant dans des régions
fort éloignées les unes des autres, sans lien commun, sans parenté
possible de races, ne peut être regardé que comme un groupe
d'industries indépendantes entre elles, géographiquement et
chronologiquement.
Le magdalénien semble faire époque, ou du moins dominer
4/iO LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
par son importance toute une période. Déjà la civilisation archéo-
lithique antérieure avait, en se développant, produit un grand
nombre de types, multiples comme l'étaient les tribus elles-
mêmes qui, à cette époque, peuplaient l'occident de l'Europe; car
malgré les superpositions apparentes, on ne peut s'empêcher de
voir dans la plupart des industries, depuis l'aurignacien (pré-solu-
tréen) jusqu'au campignien, des évolutions pour la plupart paral-
lèles et simultanées.
Certainement toutes ne sont pas contemporaines, quelques-
unes sont demeurées homogènes, pendant de longues périodes,
alors que d'autres, s'améliorant plus rapidement, ont connu des
variations; mais il est bien difficile, dans l'état actuel de nos obser-
vations, d'assigner à chaque civilisation sa place dans le temps et
dans l'espace. Nous n'en pouvons juger que par ce que nous
apprennent l'histoire et l'ethnographie en ce qui concerne les
temps voisins de nous. On constate à ces époques une extrême
variété dans les civilisations suivant les pays et les peuples.
On remarquera que là où se trouve la civilisation des kjœkken-
mœddingsou le campignien, le magdalénien fait presque toujours
défaut; et que s'il existe de très rares mélanges, ce n'est que sur
les confins de l'aire de chacune de ces industries. En Danemark,
le magdalénien ; manque, il en est de même en Allemagne du
Nord, en Picardie, en Normandie, en Italie, pays où le campi-
gnien est très largement représenté; tandis qu'au Périgord, dans
les Pyrénées, il ne se montre pas.
Il résulte de cette constatation que ces civilisations ne peuvent
être déclarées successives ; puisqu'elles n'aflectent pas les mêmes
pays ; qu'elles sont étrangères les unes aux autres et peut-être
presque contemporaines. Dans les pays retirés comme le ^lassif
Central et les Pyrénées, l'industrie, se développant lentement sur
place, serait restée sensiblement semblable à elle-même ; tandis
que, dans les régions plus riches et plus ouvertes, elle aurait pris
un rapide essor et bénéficié d'influences extérieures.
Dans les pays demeurés en retard, la pierre polie a succédé
directement à l'industrie magdalénienne; pour ces régions existe
l'hiatus dont on a tant parlé, lacune fictive ne reposant que sur
une fausse interprétation des faits. Dans d'autres régions, la
pierre polie est arrivée, soit par invasion, soit par influence,
dans des milieux mieux préparés à la recevoir.
CIVILISATION AU COURS DES DERNIERS TEMPS GLACIAIRES 1 VI
Cette grande variété dans les civilisations, peut-être devons-
nous l'attribuer, pour une grande part, à des influences exté-
rieures, à des invasions ; peut-être n'est-elle due qu'à des diffé-
rences de milieux, de climat dans les districts divers.
S'appuyer, pour établir une classification, sur les conditions
météorologiques, chaudes, froides, sèches ou humides, est sup-
poser le même climat pour tous les lieux ; se baser sur la faune
est méconnaître l'existence des provinces zoologiques.
On a créé des époques hippienne et iarandienne; comme si les
plaines bourguignonnes n'eussent pu être habitées de préférence
par les équidés; tandis qu'en d'autres régions, à la même époque,
le renne était prépondérant. On ne doit pas oublier que presque
toutes les espèces pléistocènes de nos régions ont vécu côte à
côte pendant toute la durée de cette période et que, dans toute
faune, les divers éléments ont des habitats préférés. Ainsi, de
nos jours, le renne est caractéristique en Laponie , le cheval
dans les Pampas, le bœuf musqué dans le nord du Canada et le
Groenland, l'éléphant dans l'Afrique équatoriale, l'Inde et l'Indo-
Chine.
La fin de l'état mésolithique correspond au passage de l'ère
glaciaire ancienne à l'ère glaciaire moderne ; car il ne faut pas se
le dissimuler, et d'ailleurs je l'ai déjà fait observer, les temps
actuels ne sont que la continuation naturelle du pléistocène, et le
climat, la flore et la faune se modifient encore sous nos yeux, don-
nant lieu à des industries nouvelles
Le renne vivait en Danemark au temps des kjœkkenmœddings.
Savons-nous s'il n'existait pas encore, à l'état sporadique, dans
les montagnes du centre et du sud-ouest de la France, au temps
où se développait dans les pays plats du Nord l'industrie campi-
o-nienne? On objectera que les Campigniens et les hommes des
kjœkkenmœdings connaissaient la poterie, tandis que les Magda-
léniens l'ignoraient; mais ne savons-nous pas qu'en Australie, à
une même époque bien rapprochée de nous, certaines peuplades
fabriquaient des vases de terre; alors que d'autres, leurs voisines,
ne possédaient aucune notion de cet art?
La disparition des glaciers, certaines oscillations de la croûte
terrestre ont, à la fin du pléistocène, complètement modifié les
conditions de la vie sur le globe. L'aire habitable s'est restreinte
par places, étendue dans d'autres. Il en est résulté de grands
llyl LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
mouvements dans les peuples : l'Orient s'est mêlé à l'Occident,
les diverses tribus se sont parfois communiqué leurs progrès les
unes aux autres; mais enfin, la civilisation la plus avancée, la
mieux armée, étouffant les cultures inférieures, l'état néolithique
s'est établi peu à peu dans toute l'Europe.
CHAPITRE VI
L'homme à l'état néolithique.
Avec l'état néolithique, l'humanité entre dans une nouvelle
phase de son évolution qui, pour bien des peuples, s'étendra
jusqu'aux temps modernes. Tous les pays ont connu cette civili-
sation; mais alors que, chez les uns, elle ne fut que de courte
durée, elle comprit pour d'autres toute la vie post-pléistocène.
Ses débuts ne furent sûrement pas contemporains dans toutes
les régions. S'épanouissant rapidement dans quelques centres,
elle rayonna ; et son mouvement d'expansion n'était pas encore
complètement accompli, que déjà les métaux faisant leur appari-
tion parmi quelques peuplades, les préparaient à l'ère histo-
rique.
Nous ne possédons aucun moyen scientifique d'établir, pour
cette époque, l'état de culture du monde entier ; mais tout porte
à croire que ses diverses parties présentaient au moins une aussi
grande variété dans la civilisation de la pierre, que lors des
grandes découvertes des navigateurs de la Renaissance et des
siècles qui la suivirent.
Il serait bien difficile, en présence d'une telle multitude de
mœurs et d'industries diverses, d'une période de si longue durée,
d'exposer en détails les divers caractères de la civilisation néo-
lithique. Ils varient suivant les temps et les lieux; très souvent
aussi se confondent, soit avec ceux des industries moins perfec-
tionnées, soit avec l'état métallurgique qui, d'après l'évolution nor-
male, ne devait les remplacer que peu à peu.
illll LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Je serai donc obligé de m'en tenir, dans ce chapitre, à l'Eu-
rope et aux pays méditerranéens seulement ; me réservant de
parler, au cours de mon travail, des civilisations néolithiques dans
les autres parties du monde, au fur et à mesure qu'elles se pré-
senteront, correspondant à une phase historique.
Dans nos pays, bien que profitant des notions déjà acquises
indépendamment de lui, le néolithique apporta dans la civili-
sation des idées nouvelles ; dans l'industrie, des procédés et des
instruments inusités jusqu'alors.
Nous avons vu que les hommes des kjœkkenmœddings et les
Campigniens, c'est-à-dire ceux qui, tout en vivant à l'état mésoli-
thique, étaient les plus avancés, construisaient des habitations,
creusaient des canots sur lesquels ils s'aventuraient en mer (1),
fabriquaient de la poterie; et nous avons supposé que, peut-être
d'ailleurs comme les Magdaléniens, ils avaient des animaux
domestiques.
Nous ignorons si les Mésolithiques connaissaient l'usage des
plantes textiles, s'ils étaient agriculteurs (2), s'ils possédaient des
croyances religieuses ou superstitieuses; bien que le fait soit liés
probable, d'après ce que nous avons remarqué au sujet de la
sépulture dans les temps pléistocénes.
Avec l'arrivée du néolithique, nous voyons apparaître le polis-
sage de la pierre, l'emploi des roches dures pour la confeclion
des armes et des outils polis, l'usage d'une pointe de flèche spé-
ciale très caractéristique, une céramique abondante (3), la ciillure
des céréales (/i) et des plantes textiles (5), le tissage (6), l'éle'.age
du bétail (7) ; la construction, non seulement de huttes sur le
sol, mais de véritables villages sur l'eau.
(1) Presijue toutes les iles de nos mers du découvertes de céramique néolitliiquc dans
Nord ont été occupées dès les temps néoli- l'Europe centrale.
tliiques, beaucoup l'ont été avant. (4) Céréales de Suisse à l'époque drs cités
(2) E. Piette (les Plantes cultivées au Mas lacustres: Trilicum vuUjnve (Willt Vat anli-
d'Azil, ds l Anthropologie, t. VII, n° 1) a quorum (Heer) = ïromenl. T. dicoccum 'SvUvf.)
cherché à établir que, dès l'étal archéoli- = épeautre, T. honococcum (L.) = IVoinent,
tliique, certains habitants de nos pays étaient Ilordeuin hexaslichon [L.)— orge à sîa langs,
cultivateurs et planteurs; mais rien ne prouve H. disticlium (L.) = orge à deux ranys. —
que les graines et les fruits, dont il a retrouvé Cf. Heer, Plunzen der Pfnhlbuulen. Zurich,
les traces, n'aient pas été recueillis sur des 1865.
plantes sauvages. (5) La seule plante te.-stile connue était :
(3) Sur la céramique de l'époque néoli- Linum usitalissimum (L.) = lin, non [)as le
thique en Allemagne, Cf. A. Schliz, Heil- lin actuel, mais une variété à feirillr ( troite
bronn. Der Schnurkeramische Kulturkreis spontanée et indigène dans le bassin de la
und seine Stellung zu den andcren neolithis- Méditerranée.
clien Kulturformen in Sudwestdeutschiand, (G) La laine ni le chanvre n'étaient encore
in Zellschrift f. Ethnologie. Berlin, 1906, Hcft, employés, seul le lin était lissé.
111, p. 312 et la carte {id., pi. VI), sur laquelle (7) Les animau.v domestiques dont on a
l'auteur a soigneusement pointé toutes les retrouvé les ossements dans les palafittes
L'HOMME A L'KTAT NKOLITHIOUE
l/i5
Les idées religieuses (I) se dessinent; nous en trouvons des
traces spécialement dans la sépullure qu'on donne aux morts (2).
L'architecture commence avec les dolmens et les pierres levées (3).
L'industrie se développe ; on creuse de véritables mines pour
J^Jr3'"'T-i" .. „;f,/;-)R faible cifiip/uurff^
Climat actuel de l'ancien Monde.
extraire du sol le silex (/i), matière première indispensable, qui
devient l'objet d'un commerce très étendu. De vastes ateliers se
sont (d'après Rulimeyer) : le chien, le cheval,
le porc, la chèvre, le mouton, le bœuf.
(1) Divinités? figurées dans les grottes de
la Marne ; crânes perforés et trépanés.
(2) Cavernes funéraires naturelles, cryptes
artificielles sépulcrales. (Cf. Cartailhac, la
France préhistorique, 2° édit., 1896. — B"» de
Baye, Archéol. préhisl. Paris, 1879 et 1889.)
Des indices certains d'incinération ont été
retrouvés dans la Marne (B"" de Baye), en
Bretagne (F. du Châlellier), dans l'Aisne
(Pilloy), en Suisse (Morel-Fatio), etc.. On se
trouverait donc en présence de deu."c rites
funéraires très distincts, l'inhumation et la
crémation, impliquant des idées différentes
chez des populations qui, cependant, vivaient
confondues; ou, comme le pense Pigorini, en
face de l'usage encore en vigueur chez bien
des peuples sauvages de décharner le ca-
davre avant de confier les os à la terre.
(3) On a pensé que l'homme à l'étal néoli-
thique, celui qui construisit les dolmens,
connaissait l'usage de l'écriture. (Cf. Cu. Le-
TOURNEAU, les Signes alphabéliformes des ins-
criptions mégalithiques, ds Bull. Soc. Anlhrop.
de Paris, t. IV, série IV, n» 2, 15 mars 1893,
p. 28.) Mais cette opinion, contraire d'ailleurs
à toute vraisemblance, a été réfutée par
Hervé et A. et G. de Mortillel {id., p. 39 sq.).
(4) Bas Meudon (Seine), Petit Morin (Marne),
Noinlel (Oise), Mui de Barrez (Aveyron,
Spiennes(Belgiqne), Cissbury (.\ngleterre), en
Haute-Egypte, etc. ..
10
U6
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
créent pour alimenter l'exportation de la pierre (i) ; Thomme
protège ses agglomérations au moyen d'enceintes fortifiées (2).
Les arts glyptiques disparaissent sans laisser, en Europe, la
moindre trace. La figuration des animaux, de l'homme, de la na-
ture, en un mot, est oubliée ; et fait place à de grossières orne-
mentations géométriques (3), à des représentations d'armes (Zi),
indignes de la perfection qu'atteint la taille de la pierre. En
Egypte (5), en Scandinavie (6), le silex se transforme en véri-
Figurcs tracées sur une
des dalles de la cham-
bre du lumulus de
Mané-Lud, à Locma-
riaker (Morbihan).
"'jjiiiiiiiiiiii'"''^
JT
\
iujjjj>^ lliiiimil J-
Représentation pictographi-
que, sur un rocher à Skeb-
bervall (Bohiisland, Suède).
tables œuvres d'art, sous forme de couteaux, de poignards, de têtes
de javelots et de lances, de pointes de fièches, etc.; et dans la
vallée du Nil, dans les pays élamites, en Syrie (7), la poterie
peinte se montre, semblant n'être que la survivance d'aptitudes
artistiques de races antérieures.
Mais, suivant les régions, il s'établit une foule de foyers dans
cette civilisation même. Les types des instruments diffèrent (8)
très sensiblement d'un pays à un autre ; au point que, pour un
(1) Grand -Pressigny, Preuilly (Indreel-
Loire), Spiennes (Belgique).
(2) Sur les enceintes préhistoriques", Cf.
A. GuÉBHARD, //' Congrès préhisl. de Vannes,
1906 (le Mans, 1907), p. 157 sq. ; Soc. préhisl. de
France, 28 mars r,t07 ; id.. 2.î avril 1907. —
XXXVI' Congrès (Reims, lOOC} de fAss. Fr. p.
l'Av. sciences. — liull. (25'-2fi') de la sect. des
Alpes Maritimes du Club Alpin Français. Nice,
1907.
(3) Poteries des cités lacustres et des né-
cropoles néolithiques, sculptures sur les
dalles des dolmens (allée couverte de Ga-
vr'inis). Cf. G. cl A. de Mortillet, Mus. pré-
JiisL, mi, pi. LV et LVI.
(4j Haches sculptées sur les monuments
funéraires de la Bretagne, dans les cryptes
de la Marne.
(5) J DE Morgan, Reclierches sur tes Origines
de l'Egypte, 2 vol.. 1896-1897.
(6) Cf. s. MilLLER. Nordiske Forlidschminder.
KjObenhavn, 18901903.
(7) Dernières découvertes de J. Garstang
dans les tells de l'Euphrate mnyen au.\ en\'i-
rons d'Adana.
(8) Cf. Hans Hildebrand, .Sur la subdivision
du nord de l'Europe en provinces archéolo-
giques pour l'ùge de la pierre polie, in Congrès
de Bruxelles, pp. 479-485.
lhommf: a l'ktat M'OLithique
u:
ethnologue accoutumé à manier des objets néolithiques, il est aisé
de distinguer à première vue la provenance de chacun d'eux.
L'origine, étrangère à nos régions, de la civilisation néolithique
ne fait plus aujourd'hui de doutes. Cette industrie est venue
d'autres pays ; que ce soit par le Nord, l'Orient (1) ou le Midi,
nous ne le saurions préciser pour l'instant ; mais le fait d'une
invasion brutale ou d(^ l'expansion d'une influence, dans nos
régions, est accepté par tous les palethnologues. On serait même
tenté de l'attribuer aux peuples venus de Sibérie, lors de leur
désertion (2) devant le froid ; et, par suite, de la rattacher au
grand ensemble des migra-
tions indo-européennes.
On a vu, d'après l'exposé
que je donnais au précédent
chapitre, combien les popu-
lations de l'Europe occiden-
tale étaient déjà mélangées
vers la fin de la phase méso-
lithique. C'est dans ce milieu,
déjà si compliqué, que s'im-
plantèrent les coutumes étrangères ; et elles étaient elles-mêmes
bien complexes, par suite du grand nombre de tribus nouvelles
qui entrèrent alors en scène.
Dans bien des pays, l'innovation semble avoir été acceptée
sans résistance; car les dernières industries mésolithiques j)arais-
sent s'être laissé influencer par l'approche du néolithique (3) ;
mais dans d'autres, où la transition est brusque, il semble qu'il y
ait eu renvoi, destruction ou absorption immédiate des tribus
anciennes par des nouveaux venus. Ceci expliquerait la disparition
complète en Europe des arts archéolitliiques.
Si le milieu recevant était compliqué, le flot civilisateur ne l'était
certes pas moins. 11 y eut sûrement plusieurs courants (jui, ne
Représentations pictographiques des ro-
chers de l'Irtych, d'après Spasskv, Inscr.
Siberiœ.
(1) La civilisation néoliliiique de la Sibérie
orientale est remarquable par l'abondance des
haches en néphrite et par la finesse de taille
de ses pointes de flèches; elle ne possède pas
de monuments sépulcraux, les animaux do-
mestiques ne s'y rencontrent pas encore. Elle
connaît la poterie grossière, l'os travaillé en
harpons, aiguilles, poinçons, etc. fCf. fiap. s.
les foiiillex des tomb. de l'àye de la pierre ds le
Gouv. d'Irkutsk, par Vitkovsky, 1883.)
(2) La dépopulation de la Sibérie a été
telle qu'aujourd'hui encore, malgré la coloni-
sation russe, ce pays ne renferme, villes
comprises, qu'un habitant par 4 kilomètres
carrés. Si l'on fait abstraction de la popula-
tion des villes, presque entièrement euro-
péenne, la moyenne tombe à 0.1 par kilomètre
po\u- certains districts et à 0,02 pour d'autres;
enfin beaucoup sont complètement déserts.
(3) Dans les kjoekkenmœddingsdu Portugal
entre autres, l'industrie campignienne se
trouve mélangée d'objets polis.
j/l8 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
touchant pas les mêmes pays, se recouvrirent et se croisèrent
parfois, laissant entre eux des espaces indemnes de leur action
directe. Il semble certain, en effet, que ce ne sont pas les mêmes
hommes qui élevèrent les monuments mégalithiques et bâtirent
les villages lacustres; que les divers types d'industrie néolithique
répondant à des tendances différentes, représentent une grande
variété dans le degré de civilisation des hordes envahissantes,
ainsi que dans l'époque de leur venue.
La hache polie du nord de la France, avec ses côtés arron-
dis (1); celle du Danemark, avec ses bords anguleux (2) ; celle
des palafittes, simplement polie sur le tranchant (3); celle d'Italie,
avec sa large rainure (/i), ne sont certainement pas issues des
mêmes principes.
Mais ces unités, ces tribus, qui nous dira jamais leur nom,
leur parenté entre elles, la voie qu'elles ont suivie, les pays où
elles se sont principalement tixées, leur lieu précis d'origine ?
C'est à peine si nous pouvons deviner leur existence !
En se généralisant, le problème devient plus insoluble encore.
Est-ce d'un même centre qu'a rayonné ce progrès pour se répan-
dre dans le monde entier ? La hache caraïbe a-t-elle quelque
parenté, même très éloignée, avec celles du Danemark, de
rÉgy[)te et de la Polynésie (5) ? Certainement non. Force nous est
donc d'admettre la pluralité des foyers néolithiques.
Inutile, pour le moment, de chercher à percer ce mystère ; nos
observations sont encore insuffisantes ; car, si nous constatons
l'existence du néolithique sur presque tous les points du globe,
nous sommes encore loin d'avoir étudié l'évolution de la pierre
polie dans chaque région; et c'est seulement de ces monographies
qu'il sera possible, un jour, de déduire les lois d'ensemble.
Toutefois, pour quelques rares contrées, mieux explorées que
d'autres, il est permis d'établir, dès maintenant, des subdivisions
dans la culture locale néolithique.
Dans les pays Scandinaves (6), on constate : 1° l'existence d'une
(1) Cf. G. et A. DE MonTU.LET, le Musée triiments des divers Étals européens. (Cf.
preVîisfor/que, 1881, n" 446 (Vendée); 422 (Seine- Hermann, Die Sleinartefakte der Australie!'
et-Oise); 428 {id.)\ 460 (Morbihan). und Tasmanier, in Zeilsch. f Ethnoloy., Berlin,
(2) /d., n° 454 (Danemark). 1908, p. 40tk forme éolitliique (fig. 1, p. 410),
(3) Id., n" 451 (lac de Bienne); 430 (Alpes- f. paléolithique (f. 4, p. 417), f. solutréenne
Maritimes). (f. 3, p. 415, fig. 5, p. 417), f. magdalénienne
(4) Musée Kircher à Rome. (f. 7, p. 419), etc.
(5) En Australie et en Tasmanie, l'indusliie (6) Cf. Montelius-Reinach, Temps préhislo-
néolilhique récente offre tous les types d'ins-
L'IlOMMl-: A LKTAT iNK OLlTlllOUE 1/|9
industrie dans laquelle la liache est entièrement polie, ou polie
seulement sur son tranchant; 2° l'apparition de la hache percée
ou hache-marteau (1), dénotant une habileté consommée dans le
travail de la pierre ; 3° l'établissement d'une phase de transition,
répondant à l'apparition du métal (énéolithique).
En Espagne (2), on distingue trois époques : i° une industrie
locale, d'aspect archaïque, avec quelques objets polis, importés,
répondant à l'épocjue des kjo'kkenmœddings portugais, mais pas
à celle de la civilisation analogue en Scandinavie; 2" le plein déve-
loppement dans le travail de la pierre polie et dans la poterie
ornée ; cette industrie rappelant beaucoup celle des deux pre-
mières villes d'Hissarlik; 3" l'apogée dans la taille du silex et le
commencement des métaux.
En Suisse (3), l'industrie lacustre comprend trois périodes suc-
cessives : 1'' Celle des haches, petites, à peine polies et fabriquées
en roches indigènes (!i) ; les os sont alors travaillés d'une façon
rudimentaire et la poterie, grossière, n'est pas ornée ; 2" Celle
des haches plus grandes, simples ou perforées, de matière (5)
souvent étrangère à la Suisse; la poterie moins grossière est très
simplement ornée ; 3" Les haches-marteaux perforées abondent,
le travail de la pierre, de l'os, de la corne est à son apogée ; on
ne voit plus de roches étrangères. La poterie s'orne de plus en
plus; le métal fait son apparition.
En Italie (6), où l'on ne rencontre jamais de haches polies en
silex, où toutes sont façonnées dans des roches dures, il semble
que deux courants néolithiques se soient réunis : l'un venant du
Jura et de la Suisse, traversant les Alpes, serait descendu dans
les vallées du Pô et du Tessin, sans dépasser le Pô ; l'autre, arri-
vant du bassin du Danube par l'Istrie, l'Emilie et la Vénétie, se
serait avancé, en longeant les côtes adriatiques, jusque dans
l'Apulie (7).
En France (8), il semble que nous devons adopter trois divi-
riquex en Suède, 1895. — Sophus Muller, S;/n/. (7) Les Cyclades étaient très peu habitées
préhist. du Dimemark. à l'époque néolithique. (R. Dussaud, Fouilles
(1) Cf. G. et A. DE MoRTiLLET, Musre récentes dans l(;s Cyclades et en Crèle, ds
préhisl , 1881, n»' 512, 513, 519. Bull, el Mèm. Soc. nnlhrop., l" mars 190i;,
(2) Cf. H. et L. SiRET, Prem. Ages du mêlai p. 110.)
dans le sud-est de l'Espagne. Anvers, 1887. (8) J. Déchelette {Man. Arcli. prcliisl., \90S,
(3) Gosse. p. 33i) établit quatre divisions en se basant
(4) Serpentine, diorite, saussurite, etc.. principalement sur le mode de sépulture.
(5) Néphrite, chloromélanite, jadéite, etc.. I. Fosses(.'), haches taillées et polies triangu-
(6) Pigorini. Cf. Musée Kircher à Rome. laires. — II. Dolmens simples, haches plutôt
150
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
sions : l" une industrie très voisine du campignien; mais possé-
dant la hache polie et la tête de flèche (1) caractéristique du
néolithique ; 2" celle de la hache-marteau (2), correspondant à
l'introduction des roches étrangères et h l'apogée dans la taille
du silex; 3° l'apparition du métal concurremment avec l'indus-
trie précédente. La poterie s'améliorant au cours de ces trois
phases.
En Egypte, je n'ai reconnu que deux industries : celle de la
pierre polie pure (3), où le silex indigène fait seul tous les frais
de l'outillage, et la période énéolithique (û), dans laquelle le tra-
vail du silex atteint son apogée (5). Alors se trouvent en même
temps l'usage des roches dures et celui du métal ; et la poterie
décorée de peintures parvient à sa plus grande perfection (6).
En Elam (7), on rencontre également deux phases, celle de la
hache polie du type européen, quoique plus plate, et l'industrie
énéolitiiique (8) avec son admirable céramique peinte, ses ins-
truments variés, ses haches-marteaux, ses pointes du type solu-
tréen et ses armes métalliques. La peinture céramique commence
dès lors à décroître et, comme en Egypte, ne disparaît que dans
les temj)S historiques. Toutefois, en ce qui concerne l'Elam, je ne
saurais affirmer que la première culture ne soit pas déjà en pos-
session du cuivre (9).
Là se bornent, à peu de chose près, nos connaissances sur la
rectangulaires que triangulaires. — III. Allées
couvertes, haches épaisses. — IV. Coffres tle
pierre, haches-marteau.-ç perforées.
(l)Cf. G. et A. DK MoRTiLi.ET, Mus. prvhisl.,
1881, pi. XLIII, n" 368, 370, 375, 377, 383;
])1. XLIV, n'"' 386, 390, 302, 318, 399, types.
(-2) Id., pi. LIV, n°s514à 517, types.
(3) Dimeh, 'Orn el' Atl, Koni-Achem.
(4) Toukh, Khattara, El Amrah, Zawaidah,
Gebelein, Négadah, Kawamil, Abydos, etc..
(5) A l'époque néolithique, la Syrie avait déjà
très largement subi l'influence égyptienne.
Pour s'en convaincre, il suffît de jeter les yeu.x
■sur les planches de l'ouvrage de Zumoffen (la
Phénicie aranl les Phéniciens. Beyrouth, 1900).
Je signalerai entre autres, pi. IX, figs. 3, 4,
10 et 11, représentant des types égyptiens
purs. (Les fig. 7, 8 el 10 montrent la survi-
vance de l'industrie caplienne ) Il en est de
même pour pi. XI, figs. 1, i el 3 et pi. XII.
fig. 8. Ces objets proviennent de Ras el Kell>.
(6) J. MoRG.\>, Bech. Orig. Egypte, 2 vol.,
1896-1897. — G. ScHWEiNFURTii. Rech. sur
l'âge delà pierre dans la Haute-Egypte. .A;;;;.
Seri'. Aniiq. Egypte. VI, pp. 9-64. — II. W.
SETTON-K-\rtR, Discov. of a neolith. settlement
in the \V. désert N. of the Fayoum. Ann. Serv.
Antiq. Egypte, VI, pp. 185 7. — Id., Flint im-
plenients of the Fayum, Egypt., Rep. U. ^.
Nal. Mus., 1904, pp. 747-751, pi. .XII. — L. W.
KiNG et II. R. Hall, Egypt and Western Asia
in Ihellght of récent discoueries. Londres, 1907,
ch. I, p. 1 sq.
(7) Délégation scientifique en Perse, Reclierches
archéologiques, t. I, VII, VIII. Mémoire de
J. E. Gautier et G. Lampre sur les fouilles à
Tépeh Moussian.
(8) C'est en 1908 que nous avons atteint à
Suse les niveaux les plus anciens. La pre-
mière ville (énéolithique) repose directement
sur les collines naturelles, elle est recouverte
par 25 mètres de débris des époques posté-
rieures.
(9) Localités néolithiques et énéolithiques
du versant occidental des montagnes per-
sanes. Hâroun;ibàd (près Mahi Dècht), Zohab,
ser-ipoul, Djeba'i ben Rouan, Tèpèh Goulàm
plaine de Moussian (Poucht è Kouh), Tèpèh
Gourghi (Balityaris) — Quel<|ues rares indi-
cations seulement permettent de conjecturer
que le plateau iranien connut également, dans
quelques districts, l'état néolithique. [Polissoir
de Khalil-Dehlil (Kurdistan de Moukri). — Cf.
J. DE MonGA>, Miss. Se. en Perse, t. IV, 1896.
Rech. Arch., p. 7, fig. 9.] Mais s'il fut habité
par des peuplades appartenant à celte civili-
L'HOMME A LKTAT Nr;OI.ITII [QL'H loi
division des industries néolithiques (1). Les pays étudiés sont
peu nombreux; mais ce qu'ils nous enseignent montre que, la
plupart du temps, le développement s'est fait spécialement dans
chaque région. Les différences ducs aux divers milieux s'augmen-
tant parfois d'influences étrangères.
En ce qui concerne l'occident de l'Europe, aucun phénomène
géologique ne semble avoir provoqué, sui- place, la révolution
qui s'opère dans la vie de l'homme, lors de l'arrivée du néoli-
thique. Le climat, s'étant réchaufTé, devient le même ({ue celui de
nos jours; peut-être est-il quelque peu plus humide et plus froid;
mais nous ne pouvons attribuer les changements d'industries à
des causes climatériques locales.
De vastes forêts couvrent alors toute l'étendue de nos pays,
plateaux entrecoupés de vallées marécageuses où se forme la
tourbe. Ces dépôts déjà commencés, lors du campignien et des
kjœkkenmœddings danois, se poursuivent dans les temps qui
suivent. Les sommets, les plaines, les marais comblés oiïrent de
vastes prairies où abonde le gibier (2), le cerf, le sanglier, le
chevreuil et tous les animaux sauvages de nos temps. Le chien
est, déjà peut-être, le compagnon de chasse de l'homme ; tandis
que l'ours et le loup sont ses seuls ennemis naturels.
Construisant des habitations, il délaisse la plupart des cavernes,
les réservant pour y soustraire ses morts aux atteintes des car-
nassiers. Quant aux troglodytes d'antan, que sont-ils devenus ?
Ont-ils émigré, ont-ils été exterminés ou, se fondant avec l'en-
vahisseur, ont-ils, abandonnant leurs anciennes coutumes, adopté
la nouvelle vie? Nous ne savons.
Nous connaissons assez bien l'industrie et la civilisation des
peuplades de la fin de l'archéolithique et du mésolithique; mais
ces peuplades elles-mêmes restent mystérieuses, quant à leur
importance, à leur répartition géographique. Savons-nous s'il
n'existait pas d'autres populations que celles des chasseurs de
salion, ce n'était que sur des points isolés Melea vulyaris, Miislclla foina, M. martes, M.
«t très peu noinlireux. puloriux, M. enninea. Luira vuhjaris, Canis
(1) En Belgique, M. Rutot flivise le méso- lupux, C. vuljies, Felis calas, Erinaceas euro-
lilhique et le néolithique en cinq phases : pxus, Caslor fiber, Sciurus europasus, Mus si/l-
i° Tardenoisien ; 2° Flénusien ; ri» Campignien : ralicus, Lepus limidus. Sus scrofa. Sus puluslris,
4° Robenhausien et 5° Omalien. Cf. Rutot, Cerrus aires, C. elaphas, C. capreolus, Cnpra
Esquisse d'une classiftcalion de l'époque néoli- ibex, C. hircus, Anlilope rupicapra, Bos primi-
Ihique en France el en Dehjique, 1907. genius, li. bison. Taurus primiyenius, T. brachij-
(2) Voici (fl après Rulimeyer) les principau.x ceros, T. /'ron/o.s-».'!, dont quelques espèces, peul-
animau.x sauvages f|ui peuplaient la Suisse à être domesli(]Uées, étaient d'origine élran—
l'époque des cités lacustres : Ursus arclos, gère.
152 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
rennes et de chevaux, des mangeurs de coquillages et des cons-
tructeurs de huttes ? Nous entrevoyons certainement des mélan-
ges lors de l'arrivée des tribus néolithiques; mais la complication
n'était-elle pas bien plus grande encore que nous ne le pensons ?
Que s'était-il passé en Sibérie, depuis l'époque glaciaire ? Les
habitants (1), chassés par le froid toujours croissant, avaient
quitté leur pays, envahi les montagnes et les steppes laissés
libres, au sud et à l'ouest, par la disparition des glaciers et des
lacs ; ils s'y étaient installés provisoirement, pour continuer ensuite
leur mouvement vers des pays meilleurs. Peut-être devons-nous
rechercher dans cette gigantesque migration l'origine de l'arrivée
des néolithiques en Europe (2), celle des constructeurs de cités
lacustres, de monuments mégalithiques, celle des hommes qui
confièrent leurs morts aux grottes sépulcrales naturelles ou arti-
ficielles, dont les idées religieuses ont, dans nos régions, présidé
à tant de coutumes nouvelles.
Partout où elle rencontrait des lacs (3), la population bâtissait
des villages (/j), se mettant ainsi à l'abri de ses ennemis. On en fit
autant sur beaucoup de marais et de rivières; mais alors que les
lacs nous en ont conservé les vestiges, les cours d'eau les ont
emportés (5) et les marais, en se comblant, les ont recouverts
d'épaisses couches de vase ou de tourbe. Là où ne se rencontraient
pas ces moyens naturels de défense, le Néolithique construisit des
villages de huttes, tout comme jadis le Campignien, et les abords
en furent quelquefois défendus par des enceintes.
Cette coutume de bâtir sur pilotis n'a rien qui doive sur-
prendre; elle est rationnelle et, de nos jours encore, usitée dans
bien des pays (6). Mais il est à remarquer que, dans nos contrées,
(1) L'origine commune des peuples de la base d'un tumulus des poteries décorées
l'Europe, de l'Iran et des Indes, prouvée par qu'il pense être néolithiques, puis au-dessus
la linguistique, oblige à placer le pays d'ori- les vestiges d'une civilisation plus avancée
gine de cette famille dans une région d'où les comprenant des instruments métalliques (Cf.
migrations pouvaient s'effectuer. C'est donc la Géographie, t. X, t90i, p. l'2-2.)
sur des considérations géographiques qu'il (3) Les palafitles abondent dans les lacs de
faut nécessairement baser la recherche du la Suisse, du Jura, de la Savoie, de la Haute-
berceau de ces peuples. Or, seule la Sibérie Italie, de la Hongrie, etc.
centrale et occidentale résoud toutes les diffi- (4) Crannoges d'Irlande. Cf. Cu. Lyell,
cultes du problème. On verra plus loin que Anliq. of Man, i' éd., 1873, p. 31. — W M.
bien des considérations tirées de la linguis- W\ue, Archœoloijia, t. XXXVIII, 1859, p. 8. —
tique, de l'archéologie et de la tradition Mudge, Archœoloyia, t. XXVI.
viennent appuyer cette opinion. (5) Bordeaux (?) (C.^rtailhac, la France
(2) L'étal néolithique semble être fort peu préhisl , 1896, p. 136).
représenté en Sibérie. (Cf. A. Heikel, An?/»/. (6) Amériquedu Sud, Polynésie, Malaisie, etc.
de la Sibérie occidentale. Helsingfors, 18.14.) L'usage de construire les habitations en les
,. Mais ces pays sont encore mal connus. Près surélevant sur des pieux pour les tenir à
d'Askabad. R. Punipelly a découvert (1902) à l'abri de l'humidité répond à des nécessités
L'HOMME A L'ÉTAT iNÉOLITIIlQUE
153
elle est absolument spéciale aux états de la pierre polie et du bronze.
L'apparition des dolmens (1) semble coïncider avec la seconde
phase néolithique dans la Suisse et la France ; car les plus anciens
de ces monuments, dont les mobiliers datent de l'âge de la pierre,
renferment des instruments en roches dures importées. Quant aux
autres, ils sont énéolithiques, le fait est certain.
L'extension géographique (2) des dolmens est immense; on
Distribution géograpliique des dolmens.
les rencontre depuis le sud de la Scandinavie jusqu'en Algérie, et
depuis le Portugal, jusqu'aux Indes (3) et au Japon (/j).
et ne peut être consifléré comme une survi-
vance des palafiltes.On le rencontre en Malai-
sie, en Polynésie, aux Indes méridionales,
au Mazandéran, au Ghilan, en Mingrélie, au
Laristan, etc.. voire même en Suisse où tous
les magasins des produits de la culture sont
surélevés.
(1) En 1901, A. de Mortillet (Rev. Ec. Anlhrop.,
t. XI) signale pour la France seulement
4.226 dolmens relevés et 6.192 menhirs. La dis-
tribution maxima des dolmens suit une ligne
droite tracée du déparlement des Bouches-du-
Rhône jusqu'à la pointe de la Bretagne, tandis
que les menhirs semblent être plutôt concen-
trés dans l'Armorique.
(2) Les principaux pays où se rencontrent
des dolmens sont : aux Indes, l'Assam (pays
des Khasias\ Serapoor (Dekani, Neilgherries
(Malabar), les pays du nord indien.' — En
Perse, les montagnes bordières du nord,
Tâlyche, Ghilan, Mazandéran — au Cau-
case, le Kouban, lAfkhasie. —En Syrie, la
Palestine. — En Russie, la Crimée, les envi-
rons d'Odessa. — En Allemagne, dans le
Hanovre, entre l'Oder et l'Elbe. — En Hollande
et dans la Belgique, où ils sont très rares. —
Dans le Holstein, le Schleswig; dans toutes
les lies danoises et la presqu'île du Juthland.
— En Scandinavie méridionale, jusqu'en Ves-
lergolhland. — Dans toutes les îles Britan-
niques; dans tout l'ouest de la France, quel-
ques-uns dans les Alpes; sur les côtes de
Toscane; en Corse; en Espagne et Portugal
sur le versant océanien, dans les Algarves,
en Andalousie; en Afri(iue où ils abondent
depuis le Maroc jusqu'à la Tunisie. (Cf. Car-
TAiLiiAC, la France préliislorique, 'i' éditilSdii,
p. 179 sq.;
(3) Les Khasias, peujjle habitant dans le
coude méridional du Brahmapoutre, élèvent
de nos jours des monuments mégalithiques.
Les Va/.imbasdeMadagascaren construisaient
encore il y a quelques siècles, et les Hovas
en bâtissent aujourd'hui [CA. GRAyDwiKi\, lieu,
elhnoijr.. 1886).
(4) Les dolmens jai)onais sont de date rela-
Voli
LES PREMIÈRES CIMLISATIONS
Tous ceux, et ils sont nombreux, que j'ai fouillés en Perse (1),
sur les confins de la mer Caspienne, dataient, au plus tôt, du pre-
mier état du bronze dans ces pays ; il s'ensuit que si l'usage de
construire de semblables édifices était venu d'Asie orientale par
ce chemin jusqu'en Europe, cette migration eût forcément intro-
duit en même temps l'usage des métaux, ce qui n'eut pas lieu.
L'hypothèse d'une migration de l'Europe vers le levant est
également inacceptable; car elle supposerait que le premier état
du bronze dans les pays caspiens s'est trouvé postérieur au même
état dans l'Armorique, et ce ne peut être, la civilisation asiatique
remontant à des âges bien plus reculés que celle de l'Europe
occidentale (2).
Reste cà supposer que l'idée de construire ces vastes sépultures
est née dans plusieurs pays; et que, partie de divers centres (3),
elle a rayonné parmi les populations possédant les mêmes con-
victions sur la vie future (4). Les croyances seules, et non les
usages qui en découlent, auraient, dans ce cas, fait l'objet d'une
o-rande migration, dans l'ancien monde (5). Cette solution semble
être la plus acceptable.
L'Amérique (6), qui, certainement h partir du néolithique, et
peut-être avant, se développa sur elle-même, presque sans con-
tact avec le reste du globe, parvint aux mêmes idées; témoin
tivemenl très récente. M. Gowland pense que
!es plus anciens remontent au deuxième ou
au troisième siècle avant notre ère seulement,
et les plus récents au huitième siècle ap. J.-C.
L'usage de leur construction serait parvenu au
Japon par le sud de l'Asie. Cf. W. Gowland,
The dolmens of Japan and their builders, in
Tians. and Proc. of Ihe Japan Soc, London,
1897-98, IV, pp. 128-183.
(1) Cf. J. DE Morgan, Mi.'ision scienlifique en
Perse, t. IV, 1" partie, Recherches archéolo-
giques, p. 13 sq.— H. DE Morgan, in Mémoires
de la Déléijallon scientifique en Perse, t. VIII,
1905, p. 251 sq.
(2) Il existe des dolmens jusqu'à l'extrémité
orientale de l'Asie. Cf. Marcel Monnier, ds la
Gconraphie, t. I, 1900, p. 43, figure représen-
tant un dolmen à Kang-ouen-To (Corée).
(3) Docteur Capitan et U. Du.mas, les Cons-
tructions autour des Dolmens, ds. Comptes
rendus Acad. inscr. et belles - lettres , 1907,
p. 425 sq.
(4) Le mode de sépulture en usage chez les
Touaregs montre une survivance des usages
répandus dans l'Europe, l'Asie antérieure et
les pays méditerranéens dès les temps préhis-
toriques. (Cf. Exploration de M. R. Chudeau
dans le Sahara, ds la Géographie, IddC), l. XIII,
p. 304 sq., fîg. 84 à 90.)
(5) G. de Morlillet, le premier, a pensé que
les dolmens n'étaient pas l'œuvre d'un seul
peuple, mais d'une même idée.
(6) Le continent américain a vu, tout comme
les ])ays classiques, de grands mouvements
de peuples. Malheureusement, nous n'en pou-
vons suivre les traces que d'une manière liieii
vague et sans qu'il soit possible d établir la
moindre hypothèse sur la chronologie de ces
événements. Sans remonter jusqu'à l'état
paléolithique, nous constatons l'existence
de centres divers de civilisation. Aux Etats-
Unis, l'homme est nomade, chasseur, pêcheur.
Au Mexique, dans l'Amérique centrale, l'Ari-
zona et le Nouveau-Mexique, il est séden-
taire, agriculteur, constructeur de monu-
ments remarquables par leurs dimensions
et par les sentiments artistiques qu'ils déno-
tent de la part de leurs auteurs. Au Nicara-
gua, au Yucatan, à Costa Rica, se rencontrent
des traces dune civilisation toute différente
de celle du Mexique. Le Pérou, la Colombie
sont le centre d'une évolution spéciale, dont
l'influence s'étend jusque dans l'Orénoque,
1 Amazone, la Plala et le sud de laPatagonie.
Quanta l'origine de ces peuples, elle estencore
mystérieuse, cartoutesles suppositions émises
jusqu'ici à son sujet ne reposent sur aucune
base scientifique.
LTIOMME A L'ÉTAT NKOLITIIIOUE
155
les chulpas et les sépultures du Pérou et de la lîolivie. Les
croyances primitives se compliquant, furent, il est vrai, chez elle
l'origine du Panthéon très spécial que trouvèrent les Européens
-en abordant ce continent, forme apparente d'un ensemble de pen-
sées très différent de celui (|ai naquit dans nos cerveaux ;
mais cette évolution personnelle n'excluait pas la communauté de
■certaines idées chez deux races.
Quant aux sépultures des Géants dans la Sardaigne, monuments
<jui, comme les dolmens, appartiennent à l'état néolithique, on a
cherché à expliquer leur origine par une migration. L'aire spé-
ciale qu'ils occupent ne serait-elle pas, au contraire, la preuve d'un
<léveloppement sur place des pratiques dues au culte des morts ?
156 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Pour les Niiraghi (1), leurs contemporains, on n'y doit voir que
des habitations fortifiées, de même nature que les tours du Sinaï,
destinées à répondre à des besoins du moment ; tout comme les
enceintes de nos pays, et les Qala de la Perse septentrionale.
Quoi qu'il en soit, l'état néolithique en Europe montre la
trace d'au moins deux grands mouvements de peuples, d'indus-
tries ou d'idées. Le premier correspondant à l'introduction de
l'usage de la pierre polie, le second à celui des croyances qui
présidèrent à la construction des dolmens.
Mais ces mouvements, affectant tout le vieux monde, ne sont
pas les seuls ; chaque progrès a certainement eu son foyer d'in-
vention et ses migrations. L'art de percer la pierre, par exemple,
pour en faire des haches-marteaux, est peut-être né en Suisse;
pays où ce tvpe est extrêmement abondant, pour de là se répandre
dans les pays voisins. La Chaldée et l'Amérique le connurent aussi,
sans cependant qu'il soit possible de lui attribuer, dans ces pays,
une origine helvétique ; on est donc conduit à supposer la plu-
ralité des centres, même pour les moindres détails.
Les indications sommaires que fournit l'archéologie sur ces
migrations se trouvent être corroborées, bien que d'une manière
plus vague encore, par l'anthropologie qui ne saisit qu'une seule
transformation. Cette science montre, en effet, la race pré-néoli-
thique dolichocéphale pénétrée par une race brachycéphale, lors
de l'apparition de la pierre polie.
Nous ne possédons qu'un nombre bien restreint de documents
sur la nature physique de l'homme pléistocène. Quoiqu'il en soit,
les spécialistes ont établi des races, s'appuyant sur la confor-
mation des rares ossements parvenus jusqu'à nous; et les déduc-
tions qu'ils tirent de leurs études concordent, dans les grandes
lignes, avec celles que fournit l'archéologie.
Trois races également dolichocéphales {'1) sont, jusqu'à ce
(1) Le Nouragiie jouait par rapport au vil- Fouille et In terre ilOtranle en Italie. —
lage le riMe que remplissait le donjon dans les (Fr. Lenormant, Notes archéol. sur la terre
châteaux du moven âge : cïtait le refuge. d'Otrante, in Gazelle Archéol., VII' année,
Autour se trouvaient les habitations, légère- p. 32 sq.i. Au sujet de la répailition géogra-
menl construites, les ateliers des fondeurs et iihique des nonragues. Cf. Baix et Gouin,
autres industriels, les étables pour le bélail. Essai sur les Xunujhes et les bronzes de Sar-
Non loin était la nécropole avec ses tombes dai<jne, p. 189 sq. Rien ne prouve que les
des géants. (Cf. La Makmoba, Voyaije en Sar- premiers nour.-igues n'ont pas été construits
daujne. — Perrot et Chipiez, Hisî. de l'Art, par des hommes ignorant l'usage des métau.x.
t. IV, p. 44.1 Des monuments analogues aux (2) Cf. Déchelette, Man. Arch. préhisl.,
nouragues se trouvent dans les Iles Baléares. 1908. p. 482.
(Cf. La Marmora, Atlas, pi. XL), dans la
LHOMMK A L'KTAT NKOLITIIIOUE
157
jour, signalées dans la Gaule pléistocène : celle de Néanderthal-
Spy, qui pour certains savants appartiendrait à l'état paléolithique
dans nos pays ; mais sur la haute antiquité de laquelle il subsiste
bien des doutes ; celle de la Dordogne, rencontrée dans les ca-
vernes magdaléniennes (1) et celle, au type négroïde, des grottes
de Grimaldi.
On remarquera que les témoignages étant très peu nombreux,
appartenant à des peuplades ayant vécu dans des temps divers et
sur des points fort éloignés les uns des autres, il est bien difficile
de dire si ces populations ont vécu côte à côte pendant de longs
espaces de temps, ou si celle qui possédait la civilisation la plus
avancée n'est pas venue s'implanter dans les pays déjà occupés
par l'autre. Cette seconde hypothèse impliquerait une migration
extrêmement ancienne, contemporaine de l'usage du silex mous-
térien ; la première au contraire, supposerait un dualisme de races
dès l'état paléolithique, et par conséquent un mélange plus ancien
encore.
Toutefois il demeure un fait acquis : c'est que tout ce que nous
connaissons des hommes pléistocènes de l'Europe centrale et
(1) Tout dernièrement, MM. Bouj-ssonie et
Bardon (Cf. Comptes rendus de VAcadémie
des Sc'ences, 7 drc. 1908), ont découvert, dans
une caverne du département de la Corrèze,
près de La Chapelle - aux- Saints, dans des
couches non remaniées caractérisées par l'in-
dustrie du moiistérien inférieur, les restes
d'un vieillard jadis enseveli sous un foyer. Le
squelette, qui appartient aujourd'hui au Mu-
séum d'Histoire naturelle de Paris, est en fort
mauvais état; mais la tète, très bien conser-
vée, est encore munie de son maxillaire infé-
rieur. Ce crâne présente les caractères néan-
derthalo'ïdes plus marqués encore que ceux
de celui qui, jusqu'ici, était pris pour type. Il
se fait remarquer: par l'aplatissement exces-
sif de la voûte crânienne, par l'exagération
des saillies sus-orbitaires, la largeur des or-
bites, l'élargissement extrême de la base du
nez, l'enfoncement énorme de sa racine, par
un certain degré de prognathisme, par l'apla-
tissement des condyles occipitaux (caractère
indiquant la très minime amplitude des mou-
vements de flexion et de rotation de la tète).
Enfin par l'absence presque complète des
fausses canines, disposition rapprochant cet
être des anthropo'i'des. Ce crâne, le plus an-
cien connu jusqu'à ce jour, sur l'âge ducpiel
aucun doute ne peut être élevé, est d'aspect
négroïde et dénote un être de beaucoup infé-
rieur aux plus inférieurs des hommes vivant
de nos jours (certaines tribus australiennes).
— L'importance de celte découverte est consi-
dérable ; car elle apporte un argument très
sérieux en faveur du transformisme dans l'es-
pèce humaine; mais ne fournit pas encore le
passage entre l'homme et l'anthropoïde. Elle
prouve seulement qu'il existait en France,
aux temps paléolithiques, des êtres très infé-
rieurs à l'Européen d'aujourd'hui, tout comme
il en vit encore dans certains districts de
l'Australie et de l'Africiue; que cet homme a
disparu devant des races |dus développées,
que dès le pléistocène avait débuté cette sélec-
tion naturelle qui s'opère encore de nos jours,
par extinction des groupes inférieurs. L'aspect
négroïde de ce crâne yient à lappui de ce
que nous savions déjà ; c'est-à-dire que les
couches humaines les plus anciennes dans les
pays méditerranéens appartenaient au groupe
négrito. (J. M.)
M. Boule (Acad. des Se, séance du li déc.
1908) tire les conclusions suivantes de ses
observations sur ce crâne :
« Le type humain, dit de Néanderthal, doit
être considéré comme un type normal carac-
téristique, pour une certaine partie de l'Eu-
rope, du Pléistocène moyen et non, comme on
le dit parfois, du Pléistocène inférieur. Ce
type humain fossile diffère des tyjjcs actuels
et se place au-dessous d'eux, car, dans aucune
race actuelle, on ne trouve réunis les carac-
tères d'infériorité (|ue l'on observe sur la tète
osseuse de la Chapelle-aux-Saints. »
« Il représente un type inférieur se rappro-
chant beaucoup plus des singes anthropoïdes
qu'aucun autre groupe humain Morphologi-
quement il parait se placer entre le Pithécan-
thrope de Java et les races actuelles les plus
inférieures, ce qui n'implique pas, ajoute
M. Boule, l'existence de liens génétiques di-
rects. »
458 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
occidentale, nous les montre comme dolichocéphales ; et que les
brachycéphales n'apparaissent jusqu'ici qu'avec la pierre polie.
Ce fait tendrait à prouver l'invasion, et la démontrerait, si des
observations plus nombreuses venaient à concorder. Mais jusque-
là, nous sommes en droit de penser que, dans les pays où il n a-
pas encore été rencontré d'ossements humains pléistocènes,.
vivaient peut-être, dès cette époque, des tribus de brachycéphales-
La découverte de vestiges de cette dernière race réduirait dès lors
à néant toutes les déductions qui suivent, toutes celles sur
lesquelles s'appuie la science d'aujourd'hui.
Acceptons cependant, que la dolichocéphalie soit la caracté-
ristique des races pléistocènes de l'Europe occidentale; nous
voyons les brachycéphales pénétrer par places, influencer seule-
ment en d'autres, lors de la diffusion de l'industrie néolithique.
En France, en Suisse, en Allemagne, en Autriche, les deux,
formes se trouvent mélangées dans les sépultures de la pierre
polie et montrent, par là, que le vieux fond ne disparut pas de
suite. Il en de même, mais dans de moindres proportions, en
Espagne, en Portugal, en Suède, où les dolichocéphales dominent;
tandis que dans les îles Britannicjues et en Russie ils sont seuls,
Ce fait montrerait que ces derniers pays ont été simplement
envahis par influence, mais non pénétrés par les nouvelles
couches humaines.
Ces hypothèses correspondent à ce que montre l'archéologie;
nous les devons donc accepter, pour l'instant, comme étant celle&
qui satisfont le mieux l'esprit. Mais ce n'est pas sans réserves que
nous pouvons les admeltre ; car elles ne reposent que sur des bases
fragiles, car la généralisation des faits observés peut ne pas être
justifiée.
On a voulu faire des envahisseurs néolithiques(l) des aryens (2)^
c'est-à-dire des peuples de langue aryenne, pour expliquer l'ori-
gine de notre parler européen (3). Cette supposition est entière-
(1) Cf. Otto Scurader, Sprnrhveryleirhang l'un excluant les branches iranienne, arnié-
und Un/eschichte, 2' éd., 1890 nienne, hellène, latine; l'autre néglifieant les
{%j Le terme « aryen » em])loyé pour dési- Iraniens et les Arméniens. Tous ces termes
gner les groupes linguistiques apparentés étant impropres par suite de leur défaut de
aux langues européennes indiennes et ira- généralisation, je conserverai le plus courant
niennes est fautif parce qu'il géuéralise une " aryen » en étendant, dans mon esprit, s»
expression qui, historiquemeni, ne peut être portée à tous les groupes linguistiques étroi-
appliquée qu'aux Iraniens ou Arias. Il en lement apparentés de l'Europe, des Indes et
est de même pour les expressions « indo-ger- de la Perse.
manique », « indo-européenne ■•. Ces termes Ci) Cf. V. Hehn. Knltarpflitnzen und Hnux-
ne comprenant qu'une partie de renseml)le ; thiere in ihreiii Urbergang von Asien nack
L'HOMME A i;état nkolithique 159
ment gratuite, car rien n'y autorise. Et, d'ailleurs, pourquoi choisir
la migration de la pierre polie plutôt que telle ou telle innovation ?
et ne pas reporter l'aryanisation de nos pays à l'arrivée du bronze,
du fer et de toute autre culture. Pouriiuoi supposer que sa venue
ait produit une révolution ayant laissé des traces matérielles (1);
pourquoi vouloir que les brachycéphales néolithiques soient uni-
quement des Aryens ?
11 n'y a pas que les hommes de langue aryenne qui soient bra-
chycéphales ; les Turcs, les Mongoles, les Lapons, les Patagons,
les Indiens centraméricains le sont également et, cependant, au
point de vue linguistique, ils n'ont rien de commun avec nos
peuples. De par ailleurs, tous les Aryens ne sont pas brachycé-
phales, tant s'en faut, témoin les Européens nordiques, les Indo-
Afghans qui sont dolichocéphales. Il se peut donc que l'Europe
se soit aryanisée dès les temps pléistocènes, aussi bien qu'à l'au-
rore de l'époque historique, et que l'arrivée d'une race brachycé-
phale dans un milieu dolichocéphale (2) n'ait rien à voir avec
celle de peuples parlant des langues à flexion dans un milieu
d'idiomes agglutinants (3).
La question aryenne est l'une des plus compliquées qu'il soit
en ethnologie. L'anthropologie, ne reconnaissant aucun des
groupes linguistiques, nie l'existence d'une race aryenne ; et je
partage sa manière de voir en ce qui concerne VHomo sliipidus,
l'être zoologique. Mais en ce qui regarde les progrès de la civili-
sation, l'œuvre de VHomo sapiens c'est tout autre chose ; et ce
sont ces progrès seuls qu'il importe à l'historien de constater [Ix).
Griechenland und Ilalien sowie in das iibrige Ci) 3. Ta\\or (The Origin of llie Art/anx, 18' 0)
Europa, 1870. admet dans l'Europe occidentale à l'époque
(1) Tout d'abord, dit Broca {Bull. Soc. An- néolithique quatre types humains: les Ibères,
?/!rop., Paris, 18(54, p. 193) répondant à dOma- les Celtes, les Scandinaves et les Ligures,
lius d'Halloy ('cJ., p. 188), il faut distinguer Seuls les Celtes auraient été des Aryens,
deu.v questions qui doivent être examinées (3) Cf. Hommel (Arrhiu fiir Anlltropologie,
isolément: 1° d'où viennent les races qui peu- 1891, t. XIX, p. 260) et de Cara {Rei'ue archéoL,
plent aujourdhui l'Europe? et 2° d'où vien- 189i, I, p. 136) qui considèrent les peuples du
nent les langues parlées aujourd'hui en Eu- Caucase, les liétéens, les Pclasges, les Elrus-
rope? 11 est très probable que ces deux ques, les Ligures, les Basques comme faisant
((uestions, souvent confondues à tort, ne partie du vieux fond anaryen de la popula-
(loivent pas donner lieu à des solutions iden- tion.
tiques. <• Je suis de l'avis de notre vénérable (4) Les principauxouvrages à consulter sur
collègue M. d'Omaliiis, dit Broca; en ce sens la question aryenne sont : O. Schrader, Coni-
que, pour moi, les habitants de l'Europe sont paraison de.s langue.^ el histoire primitive, 1890.
aujourd'hui à peu près ce qu'ils étaient au — J Taylor, The Origin of Uie Anjans, 1890.
temps de l'immigration asiatique ; mais en ce — Renuai.l, The Cradle of Ihe Aryans, 1889. —
qui touche les langues indo-européennes, je M. Mui.r.ER, liiogrnphies of Words and llie
crois que l'ona raison de soutenir (lu'ellesont home of Ihe Argnmt, 1888. —Van de.n Giiev.n,
suivi leur voie d'Orientà l'Occident. » (S. Rei- Congrè.'i xcienlif. internai, des catholiques.
NACH, VOngine es An;ens, 189-2, p. 40.) Paris, 1888, t. II, pp. 718-760.
160 LKS PREMIÈRES CIVILISATIONS
On reconnaîtra probablement un jour que l'espèce humaine com-
porte un nombre plus ou moins grand de divisions, suivant la
nature des caractères servant de base aux diverses classifications;
mais, qu'entre elles, ces classifications demeurent indépendantes,
les groupements de l'une n'ayant rien de commun avec ceux d'une
autre. La divergence d'opinion entre les anthropologistes et les
linguistes n'existe que parce qu'on oublie que ces deux sciences
doivent poursuivre des buts différents et non le même.
Le groupe aryen, composé de peuples parlant des langues
d'origine commune, plus développé que les autres, a été le grand
ouvrier de la civilisation; et, à ce titre, il vaut qu'on le considère.
Qu'il ne présente aucune homogénéité dans les caractères phy-
siques de ses éléments, qu'importe ! si par ses talents il a mis à
ses pieds le reste du monde !
11 tombe sous le sens que des idiomes présentant entre eux
des caractères communs, grammaticaux et lexicologiques ont une
commune origine; qu'ils sont apparentés, ou qu'ils ont subi des
contacts très prolongés; et que les groupes humains parlant ces
langues ne sont pas étrangers les uns aux autres. 11 demeurera
toujours entre eux des traditions, des coutumes, des croyances,
des aptitudes, des tendances les rapprochant ; tandis que forcé-
ment ils resteront toujours éloignés des peuples dont l'esprit, et
par suite le parler, est différent du leur.
Sous le prétexte de se dégager de vieux errements, bien des
savants de nos jours, et en particulier bien des anthropologistes,
ont fait table rase de tout ce qui était enseigné autrefois, de tout
ce qui était admis avant eux, parmi les données fournies par la lin-
guistique et la tradition. Confiants dans une branche nouvelle de
l'observation qui, dans leur pensée, devait bouleverser toutes les
idées admises, dans une science dont ils ne pouvaient encore
mesurer la puissance, ils ont tous nié; ne remplaçant d'ailleurs
par aucune base dûment scientifique les suppositions résultant
de siècles d'observation.
C'était vite aller en besogne pour une Ecole si jeune; malheu-
reusement, en examinant sans parti pris les tendances nouvelles,
on est, à regret, forcé de reconnaître que bien des esprits se
laissent trop facilement aller à des spéculations conscientes ou
inconscientes n'ayant rien de scientifique.
L'aryanisme montre une masse humaine unie par la langue,
L'HOMME A L'ÉTAT NÉOLITHIQUE 461
par les mauirs cl par les traditions, faisant la conquête du monde,
imposant son génie à l'univers entier, lui donnant cette glorieuse
civilisation des temps modernes, constituant une véritable aris-
tocratie qui, comme toutes les castes supérieures, excite les ja-
lousies. De nos jours, tous les peuples anaryens s'efforcent d'ac-
quérir la mentalité Indo-Européenne, même ceux qui sont le
plus attachés aux sentiments d'hérédité. N'est-ce pas le plus bel
hommage (ju'on puisse rendre à notre génie ? Anéantir l'arya-
nisme serait répartir sur toutes les races l'honneur des progrès
actuels, serait relever les peuples inférieurs au détriment de ceux
à qui l'humanité doit tout (1); nier les peuples supérieurs est
nier l'histoire.
Certainement les linguistes qui, comme Pott, Grimm, Max
Millier, ont cherché à reconstituer le monde aryen primitif, s'étant
laissés entraîner par la spécialité de leurs études jusqu'à pronon-
cer le mot race, ont commis une faute ; mais cette erreur était bien
excusable puisque, de leur temps, l'anthropologie n'existant pas,
n'avait encore pu accaparer ce terme. Elle est réparable d'ail-
leurs ; et O. Schrader (2) semble s'être plus rapproché de la vérité
en parlant d'une famille de langues aryennes (3), indépendante de
la conformation physique des hommes qui la composent (A), et
d'une civilisation aryenne.
Aucune des langues aryennes ne nous a livré tous ses secrets;
parce que pour certaines, le zend (5), le perse (6), le sanskrit (7),
1,1) J. Deniker (/e.s Hdces el les Peuples de l.-jngue commune ne devait-elle point se niodi-
/a /e//e, 1900, p. 379) résume très nettement fier, s'altérer, se corrompre de façon difft'rente
l'opinion des adversaires de l'aryanisme. « En dans les différentes tribus établies sur ee ter-
somme, dit-il, la «question aryenne » n'a ritoire. » (A. HovELAcyuE, la Linguistique,
plus aujourd'hui l'importance qu'on lui prêtait Paris, 1888, 4'éd., p. 405).
jadis Tout ce que nous pouvons supposer (4) Cf A. Hovelacoue, lu Linguistique,
légitimement, c'est qu'à l'époque voisine de Paris, 1888,4" éd., p. 407.
l'âge néolithique les habitants de l'Europe (5) Le zend ou baktricn semble avoir été
ont été aryanwe'.s au point de vue de la langue, la langue de l'Hyrcanie, de la Margiane, de
sans changement notable dans la constitu- la Bactriane, de la Sogdiane et des pays rie
tion de leur type physif|ue, ni probablement l'Oxus. La rédaction définitive du Zend Avcsta
de leur civilisation. "—Autrement dit, les civi- est attribuée au deuxième siècle ap. .).-C.
lisalions grecque, latine et finalement euro- (Cf. J. Dahmstete», le Zend Avesla. Ornuizd
péenne moderne sont issues des anciennes el Ahriman, - Spieoei,, Entnische Alterthums
races aussi bien que des Aryens. kunde), mais son origine e>l, dans tous les
(5) O. Schrader, Spraclwergl. a. l'ryesch. cas, antérieure à la dynastie achéménide.
2* édit., léua, 1890. (ti) Les plus anciens textes achéménides
(3) « Nous ne connaîtrons jamais, selon datent du milieu du sixième siècle av. J.C.
toute vraisemblance, les motifs qui délermi- et les plus récents des débuts du quatrième,
nèrent les populations dont la langue était (7) Le livre le plus ancien de l'Inde, les
l'indo-européen commun, à entreprendre leurs Védas, est attribué au troisième siècle av.
grandes migrations; mais nous pouvons peu- J.-C. tout au plus. Mais l'écriture dite dava-
ser, sans crainte d'erreur, qu avant leurs nu- n.îgari est beaucoup moins ancienne, de
grations ces populations occupaient un 1er- même cpie celle dans laquelle les Védas nous
ritoire assez vaste. En ces larges limites la sont parvenus.
U
162
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
nous ne possédons que des textes relativement archaïques ; tandis
que pour les autres, nous ne connaissons que les formes modernes.
Benfrey, de Saussure, et quelques auteurs, ne sont toutefois pas
justifiés à s'appuyer sur cette inégalité des données, pour négli-
ger la solution du problème aryen. Quant à l'anthropologie, ses
tendances et les résultats encore désordonnés de ses déductions (1)
i'écartent des sciences ayant voix dans un tel examen. La parole
n'est, pour longtemps encore, pour toujours peut-être, qu'aux
linguistes, aux archéologues et aux historiens.
Le pays d'origine (2) des langues et de la civilisation aryennes
a été l'objet de bien des controverses; les uns l'ont placé dans le
Pamir (3) et l'Asie centrale (/i), dans le plateau iranien (5), l'Ar-
ménie (6); d'autres dans le sud et le sud-est de la Russie (7),
dans les Carpathes (8), dans le bassin inférieur ou moyen du
Danube (9), en Allemagne du Nord (1 0), du Centre et de lOuest (11) ;
voire même dans la Scandinavie (12), ou dans toute autre partie
de l'Europe (13).
La mentalité aryenne, telle que les langues la montrent, quand
l'drii/iiw des Arijens.
. — S. Reinach, l'Ori-
18'.t-2. — Tu. PœscHE,
(1) « En vain on apporle à l'élude de l'homme
une science matliématique dont les paléonto-
logistes n'ont eu nul hesoin pour faire avan-
cer 1 histoire des animaux fossiles; en vain
on invente chacpie année de nouveaux instru-
ments de précision pour la mesure compara-
tive des os du squelette; en vain on donne
quatre-vingts chiffres pour un seul crâne,
l'obscurité se dissipe bien lentement. «
(E. Cartailhac. In France iiréhislorique, 189G,
p. 3:u.)
(2) Cf. ISAAC Tavlou.
Trad. franc. Paris, IB'.C)
ijine lies- Anienx. Paris,
Die Arier. léna, 1878
(3) Cf. Fu. Lenormant, Hist. et les Orig. de
l'IIisl. Cette théorie néglige l'inhabiLabililé
des plateaux du Pamir et du Tibet qui, cou-
verts de glaces aux temps quaternaires, pos-
sèdent encore aujoiinl'hui l'un des climat'^ les
plus rigoureux du globe. Elle a été émise pour
la première fois par J. G. Rhode [Die heilige
sage des Zenduulkes) en 1820.
(4) F. -A. Pott (Eigmologische Forschungen,
1833. Indogermanisciier Sprachslamm.,ds En-
njclopédie d'Enscu et Grùber, 1840) place le
domaine primitif des Aryas dans les jiays ar-
rosés par I O.xus et llaxarle, entre le Pamir et
la mer Caspienne. - Ch. Lassen (/nd/.s-r/ie A/-
lerthumskunde, t I, 1847) le met au nord de la
Sogdiane — A. Piclet <les Origines Indo-Earo-
fiiiennes et les Argas primitifs. Essai de paléon-
tologie lingustique, Paris. 1850 1863), en Bac-
Iriane. — Vircbow {Reu. scientif., 4 juillet 1874)
dit: « Toutes les races etuopéeunes d'origine
aryenne sont venues d Orient. »
(5) Cf. PiCTET, les Origines européennes ou
les Aryas primitifs. Essai de paléontologie lin-
guistique. Taris, 1859, l I,p. 35.
(6) Bruninhofer, Ueber den Ursilz der Indo-
t;ermanen. Bâle, 1885. — Fr. Miii.i.ER, Geo-
graphisches Juhrb., 187-2.
(71 Benfrey, préface au Wœrterlnich der In-
dogerm. Grundsprache, d'A. Fick, 1868, p. ix. —
ScuRADER, Sprachvergleichung und Urges-
chicble, 2' éd., 1890, p. Gii et Scuuader, Real-
lexikon, 1901, p. 87^ s(|. - E. Von Stern,
Die Priimgkenische Kullar in Snd Russland.
Moscou, 1905.
(8) llirt {Die Urheimat d. Dtdogermnnen ;
Geogr. Zeilschr.. Leipzig, 1895, t. I, p. 649)
considère un foyer secondaire comme le
centre primordial.
;9 De Michelis, l'Origine degli indo-uropei^
1903.
(10) J. d'Omalius d'Hallov, Des Races hu-
maines ou Eléments d'ethnographie, 1859. —
R. G. LATHA.VI, Eléments of comparative Philo-
logij, 1862.
(il) L. Geiger, '/au- Entwicklungsgeschirhte
der Menschheik, 1871, p. 113.
112) Penka, Origines nriacx, 1883, Die Her-
kunft der Arier. Wien, 1886. — Lombaro, Bull.
Soc Anthrop., Paris, t. XII, 3" sér., 1890,
p 472. — Pe.nka, Die Heimat der Germanen^
1893, in Mittheil. Anthrop. Ge^ell>chaft. Wien.
- C.JULUAN, Hist delà Gaule, 1908.1. I, p 233^
et noie 3. — H. Hirt, Indogermanische Fors-
chungen, 1892.
(13i Cette théorie est celle des grammai-
riens qui tiennent le i;rec pour le mieux con-
servé des idiomes indo-européens. '— Cf.
M. MucH, Die Heimat der Indo-Germanen..
Berlin, 19U4.
LHO.MME A I/ÉTAT NÉOLITHIQUE
103
pour la preniicre fois nous la rencontrons (1 ■, a exigé, pour se
développer et parvenir au degré qu'elle possédait (2), un énorme
laps de siècles et fait remonter aux temps où les climats conti-
nentaux n'étaient pas ce qu'ils sont aujourd'luii.
L'Avesta (8) montre les Aryens fuyant devant les manœuvres
(lu mauvais principe qui, toujours, glaçait et rendait inhabitables
les pays qu'Ahouramazda créait pour eux. Cette vieille tradition
est, à ne pas s'y méprendre, l'indication des causes de toute la
migration aryenne. \'ivant dans la Sibérie centrale ou occiden-
tale, alors que la majeure partie de l'Europe était glacée et que
les plaines de l'Asie septentrionale leur offraient de faciles condi-
tions d'existence, ces peuples ne commencèrent leur exode
qu'au moment où le froid se déplaça de l'Europe pour passer en
Sibérie. Chassés de leurs pays par les glaces toujours envahis-
santes, toujours poursuivis par elles, lentement ils émigrèrent.
C'est alors qu'eut lieu la dispersion (4) : une horde marchant vers
l'Occident s'établit en Russie, au nord du lac aralo-caspien, dans
la Scythie ; un autre flot, tournant les massifs inhospitaliers du
Pamir, s'écoula plus tard vers les Indes septentrionales, l'Afgha-
nistan et la Perse, pays depuis peu libre de glace et encore inha-
bité (5). Tandis que des peuples sauvages, arrivant de pays plus
déshérités encore que la Sibéiie, venaient occuper les districts
abandonnés par les Aryens,
Cette explication est celle qui satisfait le mieux l'esprit; car
elle se justifie par toutes les observations archéologi([ues, par les
(1) Les Sardes (Shordana: et les Thurses
Thursana sont les seuls peuples européens
dont les textes égyptiens fassent mention
antérieurement au treizième siècle av. J.-C.
(Max Mûller, Europa u. Asien, 1894). Ce sa-
vant linguiste oublie de parier des peuples
aryens contre lesquels Rnmsès III eut à lut-
ter et dont l'apparition dans l'histoire est
d'un millier d'années environ plus vieille que
celle des tribus iraniennes sur le jdateati per-
san ; toutefois nous ne possédons aucune trace
des langues parlées par ces peuples très an-
ciens. Ce n'est qu'après le di.vième siècle av.
.I.-C. qu'apparaissent les œuvres littéraires
montrant à quel haut degré la pensée était déjà
parvenue chez certains peuples indo-euro-
péens.
(2) J. Schmidt (Die Verwundtschaft-sverhaell-
ninse der Jndogermanischen Sprachen, 1872)
suppose qu'aux temps préhistoriques, une
langue primitive aryenne était parlée depuis
l'océan .Mlanlique jusqu'à l'Indus; (lue dans
ce milieu homogène il se forma bientôt des
dialectes locaux qui, 1res prochemenl appa-
rentés au début, accrurent graduellement les
différences qui les séparaient jusqu'à former
des langues diPTéreHles.
(3) Les liadilions avestiques ne concerneut
que la branche iranienne des Aryens. Mais
dans le cas présent, peut être doit-on les ap-
pliquer à l'ensemble de la famille qui, forcé-
ment tout entière, quitta la Sibérie pour les
mêmes causes. Cependant de llarlez et Bréal
déclarent que l'Avesta ne peut fournir aucune
indication sur la patrie primitive des Aryen.*^.
Cf. DE Haiîlez, les Aryas et leur première
patrie, ds Hevue de Unquislique, juillet 1880. —
M. Bréal. Mélanges de mythologie el de tin-
gaislique. p. 194.
(4) Cf. A. SCHLEICHER, Keiler allgemeine
Monalschiift. 1853 et Die Deutsche Sprache,
i' édit.. p. 8-2, sq.
(5 Les linguistes admettent généralement
que, parmi les langues aryennes, le sanskrit et
les langues iraniennes sont celles qui se sont
le moins éloignées delà région où était parlé
l'indo-européen commun. (Cf. A. IIovelacqle,
In Linguistique, 4* éd., 18S8, p. 4U9.)
IQll LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
données historiques et se base sur des faits géologiques et clinia-
tériques incontestables. Elle répond à toutes les hypothèses, fort
bien étudiées d'ailleurs, des partisans du centre européen de
l'aryanisme, en réduisant les foyers occidentaux au rôle de centres
secondaires.
La limite supérieure de Page de ces migrations est fixée par
la disparition des glaciers en Europe et dans l'Asie, par l'époque
de l'ouverture des portes de Scythie, par celle du refroidissement
de la Sibérie. Quant à sa limite inférieure, elle nous serait donnée
par certaines racines communes à toutes les langues aryennes,
désignant des végétaux et des animaux caractéristiques; si beau-
coup de ces mots eux-mêmes n'avaient forcément disparu en même
temps que les êtres qui en motivaient l'emploi, tels le mam-
mouth.
Un premier mouvement, d'une extrême lenteur, affecta les
pays inhabités, jadis couverts de glaciers et d'autres qui, déjà, pos-
sédaient une population. Certains peuples furent absorbés, d'autres
émigrèrent, portant au loin des civilisations étrangères. Cepen-
dant le plateau iranien, l'Arménie, la Transcaucasie et une
partie du Taurus semblent ne pas avoir été touchés par l'inva-
sion néolithique, si toutefois nous devons rapporter au néoli-
thique les premières invasions aryennes. Pour la Perse, le fait
s'explique aisément ; car ce pays, couvert en majeure partie de
lacs salés, stérile dans ses parties asséchées, n'offrait aucune
ressource. En ce qui regarde les pays caucasiens et arméniens,
nous les voyons occupés dès les temps les plus anciens par des
races apparentées à celles de l'Asie antérieure, que la grande
muraille caucasienne défendait contre les irruptions venant du
Nord.
Les Aryens formèrent ainsi, dans l'Europe centrale et orientale,
de nouveaux centres d'où plus tard, à des époques diverses et pour
des causes qui nous échappent, ils se répandirent et formèrent
le monde aryen moderne de l'Occident.
Les groupements linguistiques permettent de retrouver les
principales de ces familles, sans toutefois qu'il soit possible de
préciser leurs habitats secondaires, dont chacun mérite une recher-
che spéciale. La j)atrie de ces groupes a, d'ailleurs, fréquemment
changé; chacun d'eux se mouvant, se divisant et se subdivisant,
suivant des intérêts la plupart du temps inconnus.
L'HOMME A L'ÉTAT NÉOLITHIQUE
165
Ces branches de la famille aryenne sont : lindo-iranienne (1),
qui plus tard se subdivisa en iranienne et indienne, l'hellé-
nique (2), l'italique (3), la celtique (/i). la germanique (5), la
slave (6), la letti([ue (7). Enfin des peuplades peu connues, parlant
des langues (8) dont la filiation est encore indécise, et ne ren-
trant pas dans les groupes qui précèdent.
Les premiers mouvements des peuples en Asie n'ont pas été
sans influence sur l'Europe, avant même que les tribus sibé-
riennes fassent leur apparition. Les invasions néolithiques no
sont peut-être pas leur œuvre directe; mais elles sont certaine-
ment la conséquence de leurs migrations.
Entre leur départ de Sibérie et l'arrivée des Aryens dans nos
pays, il s'est écoulé bien des milliers d'années, car les mouve-
ments furent lents, les séjours |d'arrêt prolongés. 11 serait impos-
sible d'évaluer la durée d'un pareil exode.'
Si nous pouvons nous rendre compte de l'ensemble des phéno-
mènes attachés au groupe aryen, si les Sémites nous fournissent
également des renseignements sur leur évolution, nous ne con-
naissons absolument rien en ce qui regarde les autres familles
humaines; le mystère le plus complet enveloppe leur origine el
leur vie. Que se passa-t-il en Asie centrale au moment où les hauts
plateaux s'ouvrirent à l'homme; en Afiicjue, après les inondations
qui suivirent le pléislocène; et dans le nouveau monde, alors que
(t) Branche hindoue : Sanskrit, sindhi, pand-
jabi, kachmiri, nepàli, bengali, assami, hindi,
goudjarali, maraLlii, oiij'a. — Branche ira-
nienne : Zend, perse, pehlevi ou huzvârèch.
parsi, kurde, afghan, baloulche, ossèlhe ;
(juant à l'arménien, bien des auteurs le ran-
gent dans la branche iranienne; mais en le
considérant comme s'éLant séparé de très
bonne heure. La voie suivie par la migration
arménienne semblerait devoir exclure celle
langue du groupe iranien.
(-2 Le grec et ses dialectes.
i3i Latin, osque, ombrien, italien, espagnol,
portugais, français, prQvent;al,ladin, roumain.
(4) Groupe gaélique : Irlandais, erse, nian-
nois — Groupe breton ou kimriqne : Gallois,
comique, breton, «aulois.
(5j Le ijroape gotique et non gothique, au-
quel apparlenaienl le lombard, le herule, le
vandale, le burgonde qui ont disparu sans
laisser de traces. Le groupe Scandinave dont
les formes actuelles sont l'islandais, le nor-
végien, le suédois, le danois. Le groupe bni^
allemand renfermant le saxon et ses dérivés
l'anglo saxon, d'où l'anglais ; le vicu.x saxon,
d'où le bas allemand, le hollandais et le fla-
mand el une forme spéciale, le frison. Le
groupe haut allemand.
(6"i Dont l'aire était autrefois en Europe
bien plus grande qu'elle n'est aujourd hui.
Les Slaves occupaient aux septième, huilième
et neuvième siècles ap. J.-C. la Poméranie,
le Mecklemboiirg, le Brandebourg, la Saxe,
la Bohême occidentale, la Basse Autriche, la
plus grande partie de la Haute Autriche, la
Styrie du Nord et la Carinlhie septentrio-
nale. On parlait des idiomes slaves sur les
lieux qu'occupent à présent Kiel, Lubeck,
Magdebourg, Halle, Leipzig, Baireuth, Linz,
Salzbourg. Giatz el Vienne Mais dans tous
ces pays les Slaves furent absorbés par l'élé-
ment germanique. Les langues slaves sont
les suivantes : russe, ruthène, russe blanc,
slave liturgique, bulgare, croato-sêrbe, Slo-
vène, tchèque, slova(]ue, polonais, sorbe
(serbe de Lusace) el polabe.
(7) Jadis représentée par le lithuanien et le
lelle qui survivent encore, et le vieux prus-
si 1 qui a disparu il y a deux siècles envi-
ron.
;8) Parmi les langues indo-européennes non
classées sont : I étrusque (Cf Corssen, Ueber
die Sprache der Etruxki'r. Leipzig, 187i 1875), le
dace, le lydien, le carien, le lycien et quelques
autres langues de l'Asie Mineure, ralbanai.^.
166
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
les glaciers eurent disparu, que les grands lacs se furent assé-
chée? Les peuples ont alors dû se mouvoir en tous sens, se mé-
lano-er, se chasser, s'entre-détruire les uns les autres; et nous ne
possédons pas la moindre notion sur ces perturbations d'où est
sorti le monde moderne inférieur, celui qui n'a pas joué de rôle
notoirement utile.
Quant aux évaluations de l'âge auquel on doit faire remonter
les débuts de Tétat néolithique dans les divers pays, je n'ai pas
besoin de dire qu'elles n'ont rien de la précision scientifique.
Elles sont très variées suivant leurs auteurs; toutefois, celles qui
suivent, bien qu'hypothétiques, semblent être les moins mal fon-
dées et les plus vraisemblables.
Certains savants admettent que c'est vingt millénaires avant
nous que la hache polie fit son apparition dans l'Asie antérieure
et la vallée du Nil(l); d'autres pensent qu'en Crète, ce phéno-
mène se produisit six mille ans plus tard (2), qu'en Suisse il
débuta vers lan iOOO avant Jésus-Christ (3).
En ce qui concerne la limite inférieure, nous sommes moins
mal renseignés, parce que nous approchons des temps histo-
riques. En Chaldée, l'âge néolithique aurait cessé vers le sixième
millénium avant notre ère et il en aurait été, à peu de chose près,
de même, en Egypte {!x)\ tandis que c'est, au plus tôt, au tren-
tième siècle que serait née la civilisation égéenne, et que la Scan-
dinavie n'aurait connu le bronze qu'au dix-huitième ou vingt-
deuxième siècle avant J.-C. En Gaule, en Suisse, c'est vers le vingt-
cinquième siècle que se serait passée cette évolution; tandis que
la Finlande aurait, vers le cinquième ou le troisième siècle seu-
lement, remplacé ses armes de pierre par d'autres, faites de fer,
sans passer par le bronze; et que la Polynésie aurait attendu
jusqu'au dix-huitième siècle après J.-C.
Il serait aisé d'établir une table indiquant l'apparition des
métaux dans les diverses régions ; mais ce serait empiéter sur
l'histoire. Mieux vaut réserver cette intéressante question pour
les siècles où ces progrès ont pris place, afin de mieux faire sentir
l'induence des foyers de civilisation. Toutefois, je dois faire
(1) O. Montelius, se basant sur la straligra- (-2) A. Evans, Congrès id. Reu. Ecole An-
phie des fouilles de Suse, fait remonter cette 'hrop., 1906, pp. 2/4 et2.5.
orioine à iO 000 ans Congrès d'Anllirop. prt- >3) S. Reinach Apollo.
hisî de Monaco, 1906, in Rev. Ecole Anlhrop. (D Cf. J. de Morgan. Recherche, sur les oii-
P.ni^lU 1906. p. 274). 'jines de l Egypte. Pans, 1897. Le tombeau de
Negadah.
LIIOMME A L'ÉTAT NÉOLITHIQUE 167
observer que les tendances actuelles sont de réduire notable-
ment l'importance et la durée de l'état néolithique pur dans
les divers pays, et de reporter à l'énéolithique bien des civilisa-
tions attribuées autrefois à la pierre polie. Cette tendance se jus-
tifie par une foule de découvertes montrant le métal, bien que
peu abondant, en compagnie des instruments considérés jadis
comme néolithiques (1).
L'apparition du métal ne donna pas lieu, comme on serait
tenté de le penser, à une révolution; elle se fit par contact, dans
la majeure partie des cas, plutôt que par invasion, et lentement
s'infiltra dans les milieux néolithiques. Au début, les armes et les
instruments métalliques furent peu nombreux par suite de la rareté
du cuivre; au point que, dans bien des cas, leurs formes recon-
nues comme supérieures, furent copiées en silex (2). Puis, la
métallurgie s'établissant dans les pays miniers (3) et les relations
commerciales s'étendant peu à peu, le métal prit la place de la
pierre. Cette période de transition, qu'on est convenu de
désigner sous le nom d'énéolithique, est la première phase de
l'état métallurgique.
La pierre taillée continua cependant d'être en usage bien
longtemps encore; on l'employait pour armer la tête des projec-
tiles qui, par la force des choses, devaient être perdus, soit à la
guerre, soit à la chasse. Les pointes de flèches en silex étaient
encore employées à Fépoque où le fer était depuis longtemps
connu [h). On en rencontre des milliers sur les champs de bataille
de Marathon et de Trasimène. J'en ai trouvé de nombreux spéci-
mens dans les sépultures de l'Etat du fer au Nord de la Perse, et
il n'est pas certain que les Huns ne s'en fussent pas encore ser-
vis lors de leurs invasions dans l'Europe (5).
(1) En 1881, dans Minsion scientifique au Cau- aussi les in^tnimcnls de cui\ rr ntil :■[<■ fondus
caxe, l. I, p. :<1, je.Tivais: « Le nombre des sur des modèles de silex poli,
objets dôcouveris jusqu'ici est si restreint, (3) Les premiers centres do la m.Mallurgie
qu'il serait difficile d entrer dans des compa- furent peu nombreux. On ne savait alors e.x-
raisons en re lùlat néolithique au Caucase ploilcr que les affleurements oxydi'-s des gise-
<'t le même état dans des régions plus con- menls métallifères.
nues; d est même impossible d'affirmer que ^4) Pointes de flcclies en silex et en obsi-
ies Caucasiens soient jadis passés par cette dienne dans les sépultures de l'étal du fer au
phase de la civilisation. » Depuis 1889 toutes Talyche Russe. Cf. de Morgan, MIsxion scien-
mes constatations tendent à prouver que les lifique en Perse, t. IV, 1« partie, 1896, p. 75,
objets caucasiens d'apparence néolithique fig. 7i), n'M3 et 14 (Musée de Saint-Germain),
appartiennent en réalité à l'énéolithique et (5) Ammien Marcellin ne parle, en ce qui
sont contemporains de l'usage des métaux concerne les Huns, que do pointes «le javelots
(J- M.). et de flèches faites d'un os pointu. Mais il e~t
(-2) Cf. DE Morgan, Rech. sur les oritj. de jvrobable que ces barbares pm|ilovaient aussi
t'Ktii![)le, 1897, [1. 77, fig. 179, 180, haches en ],_•<, |inintes de silex,
silex jaune station de Licht). Fré(picmrnonl
168
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Ainsi l'emploi de la pierre ne disparut que très lentement des
usages courants ; il persista, même jusqu'aux approches de notre
ère, dans certaines pratiques cultuelles telles que l'éviscération
des momies en Egypte (1), la circoncision chez quelques peuples
asiatiques (2).
Dans les pays où se développèrent les premières grandes civi-
lisations comme la Chaldée (3), l'Elam (/i) et l'Egypte (5), les
populations en étaient encore à l'état énéolithique quand apparut
l'écriture, c'est-à-dire quand débuta l'histoire; mais, dans la plu-
part des contrées, à l'énéolithique succéda l'usage du bronze, puis
celui du fer; et ce n'est que longtemps après qu'apparut l'écriture.
C'est ainsi que les choses se passèrent dans tout le nord, le cen-
tre et l'ouest de l'Europe; tandis que dans la région méditerra-
néenne, le fer ne fut connu qu'après la science de figurer la pensée.
Les plus anciens instruments métalliques (6) sont faits de
cuivre pur (7) ; c'est plus tard seulement qu'apparut Tétain (8) dans
le bronze. Quant à l'or (9), il accompagne le premier métal sous
forme d'électrum (10), produit du lavage des sables, et contient
en général une forte proportion d'argent. Ce n'est que longtemps
après qu'on parvint à l'affiner; car, au temps encore de la douzième
dynastie égyptienne, les feuilles d'or ornant les sarcophages des
j)rinces (M) renfermaient 17 p. 100 d'argent (12).
(1) Itfisiohii, liv. 11, DiODOiiK DE SiciLi;, liv. I.
— J. liVANS, les Ages de la pierre, Il ad. fr.,
1878, p. 9.
(4) Chez k^s Juifs el les Phéniciens entre
autres.
(3) Cf. E. DE SkRzv.c. Décoiiverles en Chaldée.
(4) Les couclies profondes du Tell de Suso
renfermenlen même temps que le silex taillé
des instruments en cuivre pur. L'usaj^e du
silex se continue pour certains instruments
l)ien longtemps après la découverte de l'écri-
ture.
f5) Cf. DE Morgan, Recherches s. les orig. de
l'Egyple, 1897, p. 'i47, sq. L'usage du cuivic
l>ur apparaît un ijeu avant la fondation de la
royauté pharaonique et se conlinue au cours
des deux premières dynasties au moins.
(G) Dans le nouveau monde, le cuivre était
d un usage courant avant l'arrivée des Euro-
l>éens. Dans les lettres de Cortez à Charles-
<^)uint il est fait mention des trihuls payés
aux rois mexicains avant la conquête Certains
villages étaient taxés tous les jours à cent
haches de cuivre Bernard Diaz raconte que,
liirs de sa seconde expédition avec Grisalva,
les habitants de Goatzacoalco apportèrent aux
Espagnols des haches de cuivre En trois jours
il en fut réuni plus de 600. En 1873, l'ingénieur
Felipe Larainzar a découvert dans la mon-
tagne de! Ciguila (État de Guerrero) une an-
cienne mine de cuivre exploitée par les In-
diens. Ce métal (Ciavigero et Torquemada)
servait pour les transactions, comme la mon-
naie dans le monde classique, comme en Chine
les couteaux de hronze.
(7) Cf. Bektiiklot, Hist. des sciences, ou-
tils et armes de l'à^'e du cuivre pur en Egypte,
ds Comptes rendus de l'Acnd. des sciences.
CXXIV, pp. 1119-1125, 1897.
(8) Les Indiens envoyaient létain (Vava-
nechla = désiré des Yavanas) dans l'Arabie
et peut-èlre la Grèce (Yavnn) (Cf Fi-,. Lemor-
iMANi, les Orig. de l'Histoire, t. III, ]i. 14.)
('.)j Le plus ancien bijou d'oi- daté (|iie jr
connaisse est la grosse [)erle d'nr découverte
dans la tombe de Mènes à Ncgadah.De celte
époque également est le couteau de silex orné
d'une lame d'or du musée de Ghizeh; je le
pense contemporain. Cf. J de Morgan, Rech.
s. les orig. de l'Egypte, p. 197, fig 744 et pi. V.
(10) Toutes les monnaies grecq. es archaï-
ques sont en élcclrum 'Cf. Bauci.ay V. IIead,
Uisloria namorum, Oxford, 1887) Les plus
anciennes (Lyilie) datent du huitième siècle
seulement av. J.-C
(11) Cf. J. DE Morgan, Fouilles à Duhchour,
t. I, 1894 ; t. II, 18E4-1895.
(12) Analyses de Berthelot.
L'HOMME A L'ETAT NÉOLITIIIOUE
169
Il semblerait (juil y eut dans l'antiquité deux foyers des inven-
tions métallurgiques; l'un, le plus ancien, correspondant à la
Chaldée ou à rElam, dont les montagnes sont riches en minerais
cuivreux; l'autre dans l'Asie centrale (1), qui nous aurait trans-
mis ses découvertes par la migration des peuples sibériens (2).
Toutes les donnéesarchéologiquess'accordenteneiretpour dévoiler
l'existence de deux courants métallurgiques bien distincts
dans l'ancien monde. L'usage des métaux était courant dans
l'Egypte (3) et l'Asie antérieure, bien longtemps avant qu'il n'ap-
parût chez les peuples du Nord. En Amérique, il aurait été le
fruit d'une découverte indigène (/|), bien que de nombreux indices
permettent de supposer l'existence de relations très anciennes
outre le nouveau monde ot l'Asie (5).
(1) Cf. J. DE MoRGA>, Mission scientifique au
Caucase, t. II, Fecherclies s. les oriy. des peu-
ples du Caucase, 18S9, p. 15 à 35, pi. (carte) I.
(2/ l'armi les migrations les plus intéres-
santes et en même temps les plus mysté-
rieuses, on doit citer celle du Swaslika qui
s'est étendue sur les deu.x hémisphères Cf.
Th. WiLsoN. The Swaslika. in Smilh.t. inslil.
Rep. Washinglon, 896 . Ce signe ne semble
pas exister d'ancienne date en Chaldée et en
Assyrie Je ne l'ai jamais rencontré en Elam
ni vu en Egypte. Il semble n'être entré dans
le monde antique qu en njème temps que les
peuples aryens (iraniens et européens) ; sa
présence dans le nouveau monde semblerait
indiquer un contact entre les populations amé-
ricaines et celles de l'Asie. Mais il est im-
possible de préciser l'époque à laquelle cette
inllucnce se serait fait sentir.
(3) S Reinach, le Fer en Egypte, ds VAn-
Ihrop., XV, p 116.
(4) Fr. Lenormant, dans les Premières Civi-
lisations (t. I, p. 71), a traité longuement de
l'invention des métaux et de leur introduction
en Occident, reprenant toutes les données
fournies par les auteurs classiques et orien-
taux.
(5) M. Flint a découvert dans les mounds
de Nicaragua et du Costa Rica un certain
nombre de haches et d'ornements en jadéite
(minéralogiquemenlidenlique àcelle del'Asie),
roche étrangère au nouveau monde [Maté-
riaux. 1886, p. 273). Ce fait vient a[»puyer l'hy
pothèse relative à la diffusion du Swastika.
CHAPITRE VII
L'Asie antérieure et lÉgrypte anté-historiques.
J.' expansion sémilique en Chaldéc et dans la vallée du Nil.
La conquête élamite.
J'ai, dans les pages qui précèdent, esquissé à grands traits
l'histoire du globe depuis l'époque où Fliomme a été à même
d'apparaître sur la terre, en temps que type zoologique, jusqu'à
l'aurore des temps historiques ; j'ai montré cet être supérieur
lépandu sur tous les continents, aux prises avec les difficultés de la
nature, avec l'instabilité des choses, luttant sans cesse pour la vie,
pour le progrès. Dans ce milieu essentiellement varié et varia
ble, quelques groupes humains mieux doués que les autres, êtres
favorisés, se développèrent plus rapidement, avancèrent en
civilisation et prirent la tête de l'évolution intellectuelle. Leur
fpuvre devait dès lors conduire le monde.
C'est dans l'Asie antérieure, dans les pays situés à l'orient de
la Méditerranée, que la civilisation prit son essor (1) ; c'est là
({n'apparaissent les premières lueurs de l'histoire. Les conditions
naturelles de ces pays méritent une attention toute spéciale ; car
les variations survenues dans la forme du sol et dans le climat
ont pris une large part dans les causes de l'évolution historique.
1^'homme se meut dans une ambiance dont la mobilité est
extrême. Ces variations sont presque insensibles à nos yeux, parce
(1 La C.haldée, pays où s'est développée la voisine du centre de figure de l'ancien monde
première civilisation, est, fait curieux, très qui, exactement, se IrouvedansleMazandéran,
L'ASIE ANTÉRIEURE ET L'EGYPTE ANTÉ-HISTORIQUES 171
qu'elles occupent, en général, des laps de temps échappant à la
vulgaire observation; parce que les faits humains se précipitent par
rapport aux phénomènes naturels et que les termes de comparai-
son sont em[)runtés à notre courte vie ; mais les grands mouve-
ments de la nature se poursuivent toujours, imposant leurs
lois aux hommes avec une implacable ténacité.
C'est au cours des périodes tertiairesquel'Orient méditerranéen
dessina les formes qu'il affecte aujourd'hui. Ce ne fut d'abord
qu'une esquisse du sol que nous foulons; mais, par des modifica-
tions successives, les reliefs et les dépressions s'établirent, les val-
lées se creusèrent, les plaines alluviales se formèrent ; et l'homme
put contempler enfin le berceau qui devait abriter l'enfance de la
grande civilisation.
Certes ce domaine n'est pas resté stable, môme au cours des
époques humaines ; il s'est modifié et se modifiera encore. Demain
peut-être les ruines de Babylone, de Ninive ou de Suse seront
abîmées sous les mers, comme l'était le sol qui les porte, au début
des temps tertiaires.
A l'époque lutétienne (éocène), la mer couvrait toute l'Asie
antérieure et le nord de l'Afrique. C'était une sorte de Méditer-
ranée, comprise entre des continents européen au nord, africain
au sud et asiatique à l'est. Grandes terres émergées, dont la sur-
face égalait presque celles de nos jours ; mais qui ne ressemblaient
en rien à celles qu'aujourd'hui nous désignons par ces noms.
Quelques îles, le Caucase, l'Arménie, la Macédoine, peut-être aussi
l'Anatolie, émergeaient çà et là de ce grand lac aux eaux salées.
L'oligocène ne semble pas avoir apporté de grands change-
ments à cet état de choses ; ce n'est qu'au vindobonien (miocène)
que sortirent des mers l'Egypte, l'Arabie, une grande partie de la
Perse et de l'Asie Mineure. Un bras de mer traversait alors l'Asie
antérieure, se prolongeant en un golfe profond jusqu'aux confins
orientaux de l'Iran, rejoignant presque la mer des Indes, prolon-
gée vers le Nord; alors qu'une autre mer salée s'étendait au delà
du Taurus, du Caucase, de l'Elbourzet de l'Ilindou-Kouch.
Le plateau iranien n'était pas encore soulevé, ses terres se
tenaient près du niveau des eaux. De grandes émergences dont le
relief est inconnu couvraient l'Asie Mineure, le Caucase, le sud
de la Transcapienne et l'Arabie, jointe à la Perse méridionale et à
l'Egypte tout entière.
/172 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Les temps sarmatiens et pontiens (miocène supérieur) virent se
créer de grands lacs saumâtres dans la dépression située au nord
du Taurus, du Caucase et de l'Iran. Des mouvements de l'écorce
terrestre s'étant opérés, les uns fermèrent les communications
entre la mer et ces fosses, les autres surélevèrent toute l'Asie anté-
rieure, par compensation de la dépression qui venait de s'accen-
tuer dans le Nord.
Vers cette époque, la majeure partie des pays qui nous inté-
ressent était occupée par de grandes nappes d'eau salée sans
issue. Ces lacs ont laissé d'épaisses couches de marnes et de
gypses; on en rencontre les traces depuis l'anti-Liban jusqu'au
centre du plateau persan, depuis les déserts de l'Arabie jusqu'au
pied des montagnes arméniennes (1). Ils couvraient une surface
d'un demi-million de kilomètres carrés au moins.
C'est en ces temps que s'est constitué le bassin fluvial de la
mer Morte et du Jourdain (2). 11 semble qu'alors les fleuves de
Palestine formaient l'extrémité d'un vasle système fluvio-
lacustre comprenant le Nil, les grands lacs d'Afrique, les
affluents supérieurs du Zau)bèze et peut-être aussi la mer
Rouge (3).
La configuration du sol était donc toute diflerente de ce qu'elle
est aujourd'hui. La Méditerranée n'existait encore que partielle-
ment ; la mer Rouge et le golfe Persique faisaient partie des
continents. Les chaînes du sud de l'Iran, se rejoignant avec celles
de l'Arabie par la région d'Hormuz, formaient le bord d'une vaste
cuvette, probablement basse, où s'étendait le grand lac syro-ira-
nien. Au loin, sur la côte orientale d'Afrique et d'Arabie, étaient
des terres dont Sokotra semble n'être aujourd'hui qu'une ruine.
Quant à l'Afrique, elle se trouvait soumise à un régime hydrogra-
phique régulier de fleuves et de lacs.
Dans le nord, au-delà du Taurus et du Caucase, déjà depuis
longtemps formés en partie, s'étendaient les vastes lagunes
sarmatiques ; puis le continent européen.
Le plaisancien (j)liocène supérieur) n'a guère altéré le tracé
des côtes; mais les altitudes se modifièrent, s'accroissant dans le
(1) J'ai observé les afQeiiremenls de ces enfin dans tout le pays compris entre Delr el
conciles gypseuses dans le LoiiiisUin cenlral, Zor, Palmyre et Damas.
en Arabislan près de Siise, au pays des Bak- (2) Tristam, The Flora and Fauna of Pales-
yaris. dans le Pouciit k Kouh, à Zohàlj Une, 188i.
i.CL Misaion xcienlifique en l'erse. Eludes ttéo- (3) A. DE Lapparent, Traité de Géologie^
lo>::i(pies\ en Chalilén. à I!iU sur lEuplirale, Vl" rdil , Paris, lOifi, p. 1915.
L'ASIE ANTÉRIEURE ET L'EGYPTE ANTÉ-IIISTORIQUES
173
massif de l'Asie Mineure et de l'Iran. Au cours de Tastien, la
dépression nilolique se creusa, constituant un golfe profond
qu'envahirent les eaux amères. Des cours d'eau venant de l'est
s'y jetaient, semant de cailloux le désert arabique ; quelques lacs
d'eau douce s'y formèrent (1). 11 en fut de même dans le sud de
la mer Morte et dans la région de l'Oronte.
'GaraJi
O.Bahari^ehç'/ ^;„.^^
/ O.Fdrafrah Sioat
0. DakhÙeh
Pays égyptiens et syriens au cours du pliocène moyen (2).
C'est probablement vers la fin du pliocène que s'est effectuée
la grande poussée qui fit surgir le plateau iranien et que, par
compensation, se sont creusées les deux fosses qui le bordent :
la dépression aralo-caspienne, au nord, qui s'approfondit, celle du
golfe Persique au sud. Plus loin, entre l'Arabie et l'Egypte, s'ou-
(1) Lacs à Melanopsis Aegijpliaca. Aegy\)\cn<,, in Zeilscli. d. Deulschen Geol. Gesell.
(2) D'après Max Ulanke.nhorn, Zur Géologie lUI. LUI. Urd. :i. .latirg. l'JOl, fig. 15, p. 355.
17/i LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
vrait la mer Rouge parallèlement à la brisure nilotique mais
tournée en sens inverse (1).
x\insi se trouva constituée l'Asie antérieure, dans ses lignes
principales. Les deux grandes dépressions pontique et aralo-cas-
pienne (2) étaient séparées entre elles par le Caucase qui, vaste
promontoire, s'avançait dans les pays plats septentrionaux. A
l'ouest s'étendait la ^Méditerranée, parsemée d'îles, restes de
terres disparues ; au sud, le golfe Persique pénétrait dans l'Asie,
et ses eaux venaient baigner le pied des monts du Sindjar, du
Kurdistan, du Louristan, peut-être même les dernières pentes
de l'anti-Liban. Plus loin, vers le sud, s'allongeait la mer Rouge,
sans communication avec la Méditerranée et le golfe égyp-
tien.
Les grandes chaînes du Taurus et du Caucase, alors reliées
entre elles par le haut massif arménien, se rattachaient par le pla-
teau iranien à l'Hindou Kouch et aux grandes hauteurs de l'Asie
centrale ; tandis ((ue l'Arabie, en pente douce vers sa région
septentrionale, se relevait sur ses autres bords pour former, près
de ses côtes, d'importantes chaînes volcaniques.
Plus au sud encore, le massif abyssin se reliant aux montagnes
de l'Afrique centrale et, par elles, aux plateaux du Darfour, du
Kordofàn et aux monts de la Lune, n'est que la continuation des
chaînes arabes.
Telle est la conformation de l'Asie antérieure et de l'Egypte,
quand apparaît le pléislocène. Dès lors Thumidité s'accentue, le
pays se couvre de lacs, de forêts, de prairies dans les parties
basses, et l'homme est à même de s'y développer en compagnie
des pachydermes et d'une faune très nombreuse.
Mais survient la période glaciaire; toutes les grandes altitudes,
peut-être alors plus accentuées qu'aujourd'hui, se garnissent de
névés; le Taurus, l'Arménie, le Caucase, tout l'Iran (3), l'indou-
Kouch et le centre asiatique se couvrent de glaciers, de champs
de neige, et, pendant une longue succession de siècles, de millé-
naires peut-être, demeurent inhabitables. Quelques îlots glaciaires
(1) Cf. docteur Max Blanckenmorn, Zur Geo- Cf. J. de Morgan, Mission scienlifique en
hgie Aegyplenx — IV. Das Pliocân iincl Oiiar- Per.se, l. 111, 19U5. Géol. Stratigr., p. 44,
lârzeilaller, in Zeitsch.. d. Deulschen Geolog. Ge- fig. 42.
xellschafU Bd LUI, Heft. 3, Jahig. lyOl. Elude (3) Cf. .1. de Morgan, Le plateau Iranien
fort inttTessanle et très complète sur les der- pendant l'époque pléislocène, ds Rev. de l'Ec.
niers temps géologiques dans l'Egypte et la d'Anlhrop., t. XVII, 1907, p. 213. — Commun i-
yyrig cation à l'Acad. des Inscript, et Delles-Lettn^s
(2) Anciens rivages de la mer Caspienne. du 5 juillet 1907.
LASŒ ANTÉRIEUIŒ ET L'ÉGVPTE ANTÉ-HISTORIQUES 175
se loniient, dans le Liban entre autres ; seule la zone intermédiaire
reste habitée.
Puis, après des oscillations restées encore inconnues, arrive
la débâcle et ses alluvions. C'est le déluge chaldéen (1) qui détruit
tout; forets, animaux et hommes sont engloutis. A peine quelques
familles, campées sur les hauteurs, échappent-elles au désastre.
L'homme ne survit ([ue grâce à ses bateaux, disent les légendes (2).
Le souvenir d'un cataclysme de cette nature nous a été trans-
mis par les Sémites de Ghaldée (3) ; mais eux-mêmes l'avaient
j)eut-étre reçu de peuples plus anciens qu'eux dans le pays, des
descendants des tribus pléistocènes.
Chassés de leurs plaines par les inondations, ne sachant à
([uels territoires confier leur existence, les humains durent vivre
d'une façon bien errante, en ces temps troublés et si longs que
nous n'en saurions évaluer l'étendue.
De grandes vallées se creusent (/i), comme le Bahrbéla Ma (5)
pour être de suite abandonnées par les eaux; la terre se couvre
de cailloux roulés, là où croissaient jadis de luxuriantes forêts.
Après l'eau, c'est le désert, la solitude, l'aridité absolue (6).
(1) H est peiil-Otre téméraire de rapprocher
(les cataclysmes qui ont marqué la fin des
grands glaciers des légendes chaldéennes,
juives, grecques, etc., relatives au déluge. Ce
rapprochement laisserait supposer qu'à l'au-
rore des époques historiques le souvenir des
temps pléistocènes était encore vivant et
que, par suite, cette période de la fonte des
glaces ne serait pas aussi éloignée de nous
qu'on le pense généralement.
(2) Cf. P. DoR.ME, 1007, Choix de textes,
p. 101.
(:<) Cf. G. Maspero, llisl. anr. p. Or., 1893,
p. 147 et sq.; pour la bihiiographie, p. 150,
note 1.
CO T. -G. Bonncy (Tiie Kisclion and .Jordan
valleys, in Geol. Miii/., décembre l'.)()l. p. 57ri)
considère que la vallée du .Jourdain s'est des-
sinée depuis la formalion du calcaire nummu-
litiijue, probablement au début de la période
glaciaire. Les reliefs des pays voisins étaient
certainemerit difrérenls de ce ((u'ils sont au-
jourd'hui, l'aire d; drainage beaucoup plus
vaste.
(5) Lorsqu'au [jrinlemps de ISDGj'ai visité le
Bahr bélà Ma, mon voyage s'est trouvé sin-
gulièrement facilité par l'e.xisLence, dans les
dépressions, de nappes d'eau résidtant des
pluies abondantes de l'hiver précédent. Cette
eau légèrement amère était cependant po-
table pour les chameaux de l'cxiiédilion; mais
elle ne l'était pas pour l'homme. En sorte
qu'en aucun cas ces régions ne sont habita-
bles et que c'est en grande hâte qu'elles doi-
vent être visilécs. Le Bahr bélà Ma est une
vallée de 10 à 25 kilomètres de large, creusée
par les érosions dans les sédiments (horizon-
taux) éocènes et miocènes, qui s'élèvent en
falaises sur les deux bords à tiO et 80 mètres
de hauteur. Au fond de cette vallée se mon-
trent partout les couches géologiques avec
leurs fossiles uî-és par le vent. Nulle part on
ne rencontre la moindre trace d'humus ou de
coquilles ayant appartenu à la faune terrestre
pléistocène ou moderne. D'énormes dunes,
semblables aux vagues de la mer, dirigées du
Nord-Ouest au Sud-Est, recou|,ent cette vallée
de leurs longues crêtes parallèles. Elles sont
distantes les unes des autres de 1.50Û à
2 01)0 mètres et larges de 1.000 mètres environ,
laissant affleurer entre elles le sol géologi-
que. En pente douce vers le Nord-Ouest, elles
tombent à 45" environ vers le Sud Est. Çà
et là, quelques collines bordées de falaises
viennent troubler la régularité de cet océan;
les sables s'en détournent pour aller s'accu-
muler derrière elles en monticules énormes.
Du sommet des collines la vue découvre une
inlinilé de ces vagues parallèles se jierdant à
l'horizon. Dans les parties moins encaissées
du « fleuve sans eau ■•, les dunes atteignent
parfois 50 mètres de hauteur, elles s'avancent
au loin dans le désert et semblent être sans
fin. Lorsqu'il vente fort, elles se déplacent ra-
pidement au milieu d'une atmosphère presque
irrespirable de sable. Ces parages sont consi-
dérés par les Bédouins comme exirèmement
dangereux; ils ne s'y aventurent ()u'avec la
plus grande circonspection Aucun animal n'y
vil, aucune plante n'y croit, laridité est ab-
solue. (J. M.)
(G) Sur les déserts d'Egypte. Cf. II. -T. Fer-
176 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Mais pendant ce temps, les glaces ayant fondu, l'équilibre s'est
établi; les fleuves ont adopté le cours qu'ils conserveront jusqu'à
nous, tout en errant encore longtemps, fous, dans les plaines.
Que reste-t-il après ces cataclysmes ? de hautes montagnes
encore glacées, des plateaux couverts de lacs immenses, salés
ou saumâtres, la mer pénétrant jusqu'au milieu des continents,
et ce désert caillouteux qui se refuse à la végétation. Çà et là, en
Arabie, en Ethiopie, sur le plateau persan, au Caucase, d'énormes
volcans vomissent le feu, les cendres et les laves. Le pléistocène
marque pour ces pays une ère de dévastation.
Mais voici que, lentement, la nature va réparer les ruines qu'elle
a semées; ce sont les fleuves qui, par leurs incessants apports,
vont offrir à l'homme des terres habitables.
Traversant les alluvions, y creusant leur lit, les cours d'eau
issus d'Arménie et des pentes iraniennes, du Taurus et du Liban
se fraient un passage jusqu'à la mer et, apportant les matériaux
des hauts pays, fertilisent leurs rives, créent leurs deltas.
L'Euphrate avait le sien bien au nord de Babylone, à la sortie
des falaises qu'il venait de découper dans les alluvions durcies ;
le Tigre se jetait à la mer quelque peu en aval de Mossoul. Deltas
torrentiels, ou plutôt véritables cônes de déjection, où s'entassèrent
d'abord les gros matériaux.
La Diyala, la Kerkha, le Kâroun, l'Ab-è-Diz, le Djerrâhi réduits
aujourd'hui au rang de rivières, étaient alors des fleuves. Cent
cours d'eau de moindre importance descendant du Zagros, du
Poucht è Kouh, des monts Baktyaris se jetaient alors directement
à la mer, ils se perdent aujourd'hui dans la plaine. Quant au
désert arabique, il ne fournissait aucun apport constant, ne possé-
dant pas même un ruisseau.
Les chaînes bordières de l'Iran, les montagnes d'Arménie,
celles du Taurus, couvertes de neige pendant l'hiver, recevant les
pluies du printemps, apportaient, comme de nos jours, aux diverses
rivières en sortant, des quantités énormes d'eau, très variables
suivant les saisons. 11 se produisit des crues violentes qui, entraî-
nant à la mer d'immenses quantités de boues, ont fait, dans les
débuts surtout, très rapidement progresser les estuaires (1).
BAR, Some désert fealures, in Geological Mnga- core dans toutes les vallées de l'Asie anlé-
zine, vol. IV, Londres, 1 07, p.4F>9, sq. (J. M.) rieiire, mais elles perdent graduellement de
(t) Ces inondations périodiques existent on- leur importance. Au printemps, les eaux de
i/Asii: a.nti;i!Ii;li!i: kt lkgvpte anti'miistoriques
177
Peu à peu, bien des lleuves devinrent de simples affluents
des grands cours d'eau dont les deltas, avançant toujours, laissaient
entre eux de vastes marécages il) et des lagunes j)rès des [)lages.
Avancement de- allusions du Chatl-el-Arab dans le ii^olfe Persique (d'après les
cartes marines) 2 .
Ou a bien souvent essayé d'évaluer les temps écoub^s au moyen
des progrès des alluvions '3i. Celte méthode n'est i)as sûre en
ce qui concerne les parties hautes des vallées, el ne prend de
valeur ([ue du moment où le cours d'eau ne dépose plus que des
éléments très fins [h). On peut compter par exemple, en ce (|ui
l'Euphralc, travtr-ianl la plaine prèï- de Bag-
dad, vieiincnl se joiiulrc à ccl les du Tigre- (J.M.)
(1) Beaucoup de ces terrains marécageux,
asséchés depuis lungtemps, oui été livrés à
la culture. Dans d'autres, on \oil encore les
Unionidés enfoui> dans la t<'rre dans leur po-
sition d'existence. (.). M.)
(2) Cf. J.de Mni'.o.w, Mrm. I)rh->i. en Perse,
t. I, 1900.
(3) L'irrégulariti- de l'axanceinent des del-
tas est un fait jnijourd'liiii reconnu. Kn ce
(pii concerne l'avancement du P6. Cf. Sulle
récente transformazioni del delta del Po, (1893-
1904), in Riv.Geoijv.ll., 1897, fasc. .\. Pour celui
du Danube, Cf. Semicnoii, Tian-Clianski Vénia-
inine k voprousou onarostanii delty Dounaia,
in Izcest. lousskauo geoijr. obstcliesU'a, XLI\',
1908. p. Kil et cartes.
1 4) I.a pro])orli()n des Itoues charriées par
les cours d'eau est extrêmement variable. Le
Khône porte à la mer 1 : lO.OOO du volume
total de ses eau.x; le Danube 1 ; 2.40<t; le Mis
12
178
LES PHEMIKRES r.IMF.ISATIONS
concerne le Chatt el Arab, que, depuis Korna jusqu'à l'ao, les
terres ont progressé de 1.700 mètres environ par siècle (1). Au
delà, en amont, les évaluations basées sur ce phénomène seraient
téméraires.
D'ailleurs, ces causes de modifications des rivages n'ont pas été
les seules ; car l'écorce terrestre n'est pas demeurée en repos.
Depuis les temps modernes, le fond du golfe Persique, comme
celui de la mer Rouge, s'est sensiblement relevé (2); tandis que
le delta du Nil, au contraire, s'enfonçait (3). Nous ne saurions dire
si ces oscillations se continuent de nos jours.
La Chaldée, nouvellement née, se trouvait alors divisée en
une foule d'ilôts et de presqu'îles, bordées de roseaux, couvertes
d'arbres et de prairies où vivaient les animaux sauvages les plus
divers (ù) : l'hippopotame (5), le sanglier (6), les bovidés (7), le
cerf (8), le lion sans crinière 9^, etc.
sissipi 1 : 1.700; le Gaiiii»' 1 : 4-28. Jévaliir pour
le Chatl el Aiab à 1 : 1.000 la propoilioii de^
limons renfermés dans ses eaux. Mais pour
le même fleuve ces proportions varient sui-
vant les saisons et suivant aussi que les es-
sais sont pris à la surface, au fonii, au milieu,
ou sur les bonis du cours d'eau. (J. M.)
(1) Cf. LoFTUs, Chaldiiea (ind Susinna, \i. 282.
— J. DE Morgan, in Màn. Déléij. en Perse.
t. I. p. 1, sq.
(2) Dans la péninsule Sinaïtiquc j'ai observé
(18%) des cordons corallins relevés de 10 el
de 12 mètres. A Perim (1904), au nord de l'ile,
j'ai visilé une |dage relevée de 30 à 35 mètres.
Dans la baie d'Obok (1004), j'ai remarqué des
exhaussements de 30 à 50 mètres. Le Geolo-
gical Survey of Egypl (1897-9ft) a observé des
piaffes soulevées pléislocènes sur les cotes
de la mer Rouge ; les [dus élevées sont à
24 mètres au-dessus du niveau actuel de l.i
mer. La faune qu'elles renferment est fran-
chement indo-pacifique et composée d'espè-
ces actuellement vivantes. Dans le golfe Per-
sique, lile entière de Bcnder Bouchir est due
à une émersion, de même que les falaises de
grès coquiller, qui s'élèvent sur la rive droite
de l'Euphrale, près de Féloudja (1900), à plus
de 50 mètres au-dessus du niveau actuel de la
mer. (.1. M )
(3) Toutes les villes ruinées du lac Menzaieh
montrent aujourd'hui des constructions par
3 ou 4 mètres de fond ; ea sorte qae l'avan-
cement du delta sur la mer se trouve en
partie compensé par l'immersion lente du
delta lui-même. (J. M. 1906.)
(4) Il semblerait que l'éléphant vécut en-
core au di.Y-septième siècle avant notre ère,
dans le pays des Routonous situé à l'est et
au pied de l'Anli-Liban, depuis le Haurànjus-
qu'à la hauteur «l'Antioche Ce pachyderme
est plusieurs fois cité dans les textes hiéro-
glyphiques et, jiarnii les tributs qu'envoient les
Hétéens aux rois assyriens, on voit figurer des
meubles d'ivoire et îles défenses d'éléphant.
Certainement ces défenses ne venaient pas
de l'Afrique centrale. <• Prés de Nii, dan-;
la Cœlesyrie ou la Syrie du Nord ■> (Cf.
G. Maspero, Hial. anc. peiip. Orient, V' édit.,
1893, p. 200), Thoutraes III donna la chasse
aux éléphants et en massacra cent vingt.
Un éléphant figure au tombeau de Rekmaru
n Thèbes, parmi les tributs des Routonous
l Syrie); et la chasse aux éléphants est racon-
lée dans l'inscription il'Amenemhabi, 1. 22,
23. (Cf. G. Maspero, op. cit., p. 200, note
4.) Toutefois, on est en droit de s'étouaer
(le sa présence dans une région aride, dont le
climat n'a certainement pas changé depuis ce
temps. Halévy {Mél. de cril. eld'hisl. relatifs
iiiix peuples sémitiques, p. 27, note 2) transporte
Nii dans la Nubie méridionale.
l'i) Disparu depuis les temps historiques.
(6) On rencontre encore parfois dans ces
pays des troupes de 150 à 200 sangliers. Cf.
.).L)E Morgan, Mission en Perse, Etudes géo-
graphiques, 1895, t. Il, p. 192.
(7) Vn vase archaïque de pierre, trouvé à
Suse, représente des bovidés sculptés très
finement en relief, et certaines peintures céra-
miques de Tépéh Mouçian fournissent des
représentations du même animal qui vivait
encore à l'état sauvage à l'époque des rois
d'Assyrie. Chasse à l'Urus sur un bas relief
uinivile(Cf. L.vyard, The Monumenl.t ofNineueii,
t. l,pl. II).
(8) Le cerf moucheté {Cervus dama L.),
abondant encore aujourd'hui dans les forêts
de l'Ab è Diz, en aval de Disfoul. (J. M.)
(9) Encore fréquent dans les pays broussail-
leux situés à la frontière de la Perse, entre la
Kerkha et le Tigre, vers les marais deHawi-
zèli ; se présente quelquefois aux environs do
Suse. (.1. M.)
L'ASIE ANTÉRIEUilE ET I.r:(;M>Ti: ANTK-ll ISTOIÎKJUES 179
A l'orient, s'élevait le massif ii-anien, aride, désolé; à peine
échappé aux glaces et aux neiges, pour se couvrir de lacs et de
plaines salés, sans populations autres que l'ours (1) et la chèvre (2)
dans ses montagnes; (|ue l'àne sauvage (3) et la gazelle sur les
plateaux ('i).
Dans le désert voisin du pays des deux fleuves, les gazelles (5)
et les autruches (6) côtoyaient les bords de cette immense plaine
marécageuse où abondaient le gibier et le poisson (7).
En Chaldée, le sol d'une richesse extrême et perpétuellement
humide, couvert de tamaris, de saules, d'acacias et de dattiers,
oflVait des fourrés impénétrables et de vastes clairières où se
développaient les graminées parmi lesquelles le froment, l'orge,
l'avoine dont ces pays sont la patrie originelle.
Les marais, peu profonds, vaseux, entourés d'une ceinture
d'énormes roseaux, large parfois de plusieurs kilomètres, encom-
brés de plantes aquatiques, nourrissaient le poisson en extrême
abondance et des nuées d'oiseaux d'eau (8).
C'est là, dans ce pays privilégié, entouré de toutes parts de
déserts, que l'imagination des Orientaux a placé le paradis terrestre.
C'était en effet le district le plus plantureux de toute l'Asie anté-
rieure, et, quand on y a vécu, il est aisé de se représenter ce qu'il
devait renfermer de richesses spontanées, alors que lliomme ne
l'avait point encore dévasté par ses querelles.
Cet homme (9;, il était déjà en Chaldée, sur les collines, au
bord des rivières, près des sources, dans ces mille petites oasis
(1) Ursus arclos (L. ) dans les montagnes rein, en même temps que des objets d'ivoire
du nord, U. syriacus (Henip. et Ehr) dans cl de cuivre (Cf. Th. Be.nd, ,4//ie?i((eum, 6 juil-
celles du sud. letlHSO}. Le sceaud'Ourzana, roi de Mouzazir
{•1) Ovis Cyloceros (llulton) dans le sud, (Musée de La Haye. Cf. J. Menant, Cal. nj-
O. Gmeliiii (Blyth.V dans le sud du Bélout- lijndres orientaux du Cab. r. des médailles de
chistan et la Mésopotamie. Ln llaije, pi. VH, n" 32), porte deux autru-
(3) Equus hermionus (Pall). Ce (|uadrupèdc ches (huitième siècle av. J.-C); au temps de
est encore très abondant dans les plaines sa- Julien H, cet oiseau vivait encore sur les
lées du Kirmân. rives ilo l'Euphrate (Ammien Marcellin).
(4) Cf. A. vo.\ Kremer, in Aunland, 1875, :"} Dans toutes les rivières de la Chaldée
n"^ 1. 2, 4 et 5. — Fr Hommkl, Die Xainen <ler et de l'Elam, le poisson extrêmement abondant
Sœugelhiere bei den Siidsemilischen Voelkern, atteint parfois des dimensions énormes. L;i
1879, s'appuyant sur des analogies le.xico- Kerkha en fournit (dits poissons de Tobie) de
logiques dont beaucoup sont combattues par ■?. mètres de longueur, et à Poul è Teng,
JoH. SciiMiDT, Die Urheimalh der Didoç/erma- dans la même rivière, j'en ai vu qui certaine-
nen, ISÏK), pp. 7-9. — Cf. S. Reinach, l'Origine ment avaient i mètres de la (pieue à la tète.
des Aryens, iddi, p. 62, sq. (8) Encore aujourd'hui, ces pays abondent
(5) Gazella subyullurosa (Giildenst), G. en gibier d'eau: cygnes, oies, canards de
Bennetii (Sykes); (?) G. Dorcas (L.) ; G. fusci- plusieurs espèces, sarcelles, bécassines, nom-
frons (\V. Bl.). breux écbassiers, etc. (J. M.)
(6) J'ai fréquemment rencontré dans le tell (9) CA. A. Ovpev.t, Eludes .■iumériennes,çç.ii'i~
de Suse des fragments d'oeufs d'autrnche ; 8.^. — Fr. Lenorma?(t. la Magie chez les Chal-
on en a trouvé dans les sépultures de Bah- déen.s et les Origines accadiennes, p. 315, sq.
180
Li:S l'UKMIKHES (;i\ ILISATIONS
(jui s'étaient formées de suite après les grandes inondations (Ij.
Il suivit pas à pas les progrès des limons sur la mer, occupant ce
sol nouveau dès qu'il ne trembla plus sous ses pas. D'abord
chasseur et pêcheur, il devint plus tard agriculteur et éleveur,
se concentra dans les parties riches du pays, abandonnant aux bêtes
sauvages toute la région désertique ^j.
La Basse Chaldée et l'Elain ;i l'époque de l'expédition mariiimede
Sennachéi'il), en (J99 av. .I.-C. (d"ap. .1. de Mohcan, Mém. Délég. en
Perse, l. I, 19<i'i, fii;. C).
On a cru pouvoir reconnaître dans les non-Sémiles de la
(Uialdée des peuples d'origine nordique, voire même sibé-
rienne (;> qui, occupant d'abord le plateau iranien, seraient
descendus dans la plaine des deux (leuves. Cette erreur provenait
d'une fausse interprétation de la nature ethnique des JNIèdes consi-
dérés à tort comme Anaryens ( Vi et dont, par suite, la migration
(]) On rencontre fréquennneul près des
sunrces et des ruisseaux, dans les vallons
des derniers contreforts de l'Anti-Liban el
de l'Iran, des stations néolithiques et énéoli-
lliiques: Erek, Soukhna (Cœlesyrie"), Tépéli
Goulam, ïéprli Aliahad, etc.' Poucht è Koidi).
(.1. M.)
(i) Pour la zoologie de la Perse, Cf. \V.-
T. Blan'ford, Easlev Persia, Londres, 1h7<V.
t. II, Ihe Zoology and Geology.
(3) Cf. G. Maspero, Hist. anc. peiipl. Or..
1893, pp. 127 et 137.
(1) .1. Oppeut, le l'euple el la Langue îles
Mède.-<.
I/ASIR ANTl'r.IKURE I:T L'KriVPTK ANTH-IIISIORK KES
1S1
a été reportée bien des inillénaiies plus haut quelle ne remonte
en réalité ; mais justice a été faite de cette opinion (l).
D'ailleurs, mes recherches dans le Caucase ('2), l'Arménie et
le nord de la Perse 3j montrent d'une façon péremptoire que ces
pays n'ont jamais été habités antérieurement à l existence d'une
industrie des métaux déjà fort avancée et relativement récente (/i),
u'avaul lien de commun avec celle de la Chakh'e.
Itinéraire d'un voyage de l'auteur en (llialdée. (J. M. 1899.)
Aucune migration très ancienne ne semble avoir traversé ces
régions jusqu'aux invasions aryennes. Nous devons donc, en ce
qui concerne les pré-Sémites de la Mésopotamie, penser qu'ils
étaient les descendants des hommes pléistocèues de l'Asie anté-
rieure, de ceux ([ui avaient connu les temps glaciaires et le déluge.
Les observations anthropologiques concordent pleinement, à cet
égard, avec les données archéologiques et linguistiques que nous
possédons.
En Chaldée, surtout dans le bas pays voisin de la mer, la distri-
bution naturelle du sol en districts séparés entre eux, ne se prè-
(1) Uelaiue, le Peupla <■/ IKinphe des Mrileii,
Bruxelles, 1883.
[i) J. DE Morgan, Mission scienlifique au
Caucase, i vol., 1889.
(3) J. iJË Moi'.GAN, Mission scientifique en
Perse, t. IV. Recherclies archéologiques.
1" pallie, p. 13, sq. — H. de Morgan, in Mé-
moires de 1(1 Délég. se en PerAC, l. VHI.
(4) n serait exagéré de faire remonter l'an-
tiquilé «les dolmens ilu bronze dans le Nord
Iranien an ilclù du XXV' siècle avant noire
182
LES TMIKMIÈRES CIVILISATIONS
tant pas a la vie nomade, imposa aux tribus les règles de leurs
premiers établissements, des usages qu'ils développèrent plus
tard. Les hommes se groupèrent pour se protéger en commun
des ennemis qui les entouraient, animaux féroces contre les-
<|uels leurs combats furent incessants (1).
« La maison sainte, demeure des dieux, en un lieu saint n'était
])as faite ; aucun roseau navait poussé, aucun arbre nétait j)ro-
duit, aucun fondement n'était posé, aucun moule à briques n'était
construit, aucune maison n'était faite, aucune ville n'était bâtie,
aucune ville n'était faite, aucune agglomération n'existait;
Nippour n'('tait ])as faite, È-Kour n'était pas bâti, Erech n'était pas
faite, E-Anna n'était pas bâti, etc. (2i. »
Chaque groupe s'établit dans une terre, île ou presqu'île,
grande assez pour subvenir à ses besoins. 11 se forma par la force
des choses des agglomérations sédentaires, qui bientôt construi-
sirent de petites villes (8), centres où il était plus, aisé de se
défendre Ti. de se nourririons ensemble (5). Des gouvernemenls
locaux s'établirent, chaque ville eut ses croyances, son dieu ou ses
dieux dont un, plus grand que les autres, la j)rotégeait plus spé-
cialement. Anou était adoré dans ()iirouk\ Bel à Nipoui\ Sin à
Oiivoii, Mai'dniik à Bahi)lont\ Chouchinak à Suse.
Les lois, chaque district avait son cou tumier, tous se ressemblant;
car les besoins de la vie étaient les mêmes pour toutes les tribus.
(I) Les cylindres archaïques de la Cbaldée
el de l'Elain représentent, pour la phiparl,
des scènes d'animaux sauvages lultaiil entre
eux, et d'hommes conil)attant le lion et le tau-
reau.
Ci) Cosmogonie chaldécnne ( 1' . DiioiiME ,
1007, Choix de textes, p. H\i).
(3) Dans la haute antiquité, chez tous les
jxuiples, la ville n'était qu'un leluge de très
modestes dimensions, où les habitants du
voisinage mettaient à l'ahri, en cas de néces-
sité, leurs hiens el leurs personnes. On est
surpris par l'e.xiguïté de ces réduits, dont
quelques chiffres permettront de juger. A
Tell el Hesy, la ville occupait une surface de
tout au plus G hectares et l'acropole moins
d'un demi-hectape (Bliss, A Mound,p. 18, sq.,
pi. 1); à Tell Zakariyà, la ville est de 3 hec-
tares et demi, l'acropole d'un quart d'hec-
tare (Bliss et M\calistei;, Excurfdionx. p. 13
et pi. I et II); à Tell es Safy. la ville couvre
environ 5 hectare-; et demi {op. cit., p. 29,
j.l. VIU) ; à Tell Djedeideh, 2 hectares et
quart {op. rit., p. 45, pi. X}; à Ta'annak,
4 hect. 80(Sei.un, Tell Tn-annak,j). 53); à Tell
cl Moiité'sellim, 5 hect.02 (Schumacuek, Mil-
llieil. u. Nnchr. de.f D. P. Vereins, l'.t04, p. 36).
(i) A Suse, les premiers rempaits, ceux dont
nous rencontrons les vestiges à 25 mètres de
profondeur, étaient .simplement faits de terre
pilée. Il en fut de même dans toute la Chal-
dée et dans les pays plus occidentaiu: de Ca-
naan. (Cf. H. Vincent, Canaan, 1907, p. 29.
— Bliss, A Mound, p. 18. — Bliss el Macalis-
TEH, ExcuiK,\). 15. — Macalister, 0 S., 1903,
p. 113 et 22i; 1904, p. 110, sq.200j. R. VVeil
{Journ. asial., liK30, p. 82) estime qu'antérieu-
rement à la XII« Dynastie les Asiatiques
possédaient une science de fortification bien
supérieure à celle que révèlent les types
égyptiens de la même époque.
(.5) Le texte suivant, l'un des plus anciens
de la Chaldée, montre combien les premiers
souverains étaient adonnés aux œuvres de la
paix. U se lit sur une tablette de pierre pro-
venant de Tello (f) et est certainement anté-
rieur au quarantième siècle av. J.-C. » Urnina
roi de Lagacli, fils de Gounidou, fils de Gour-
sar, constiuisit le temple de Nina, creusa le
canal X et voua ce canal à Nina... construi-
sit l'A-edin (?), construisit le Ningar f?), cons-
truisit l'Epa ('?), construisit l'enceinte de La-
gach, fabriqua la statue de Lougalourou, ras-
sembla des bois dans... la montagne » (F.
Thdreau-Dangin, les Inscr. de Sumer el d'Ak-
kad, 1905, p. 13).
L'Asii: .\NTKiur:ui5K i;t i/k<;vi'Te antk-histoiîiques
183
Ces dieux locaux, raélaugés aux divinités des Sémites, formèrent
le panthéon chaldéen; ces coutumes, codifiées plus tard, furent les
lois de Ilfimmoiirahi et prol)ablement aussi celles de ses prédé-
cesseurs.
La langue était, à peu cl(^ chose près, restée commune parce
(ju'elle descendait d'une seule souche et aussi parce que les
diverses tribus n'étaient pas sans communiquer entre elles ; mais
elle disparut rapidement, tout au moins dans les relations offi-
cielles, faisant place à celle d'envahisseurs (1).
Mais j'aborde une question d'origines qui a été l'objet de
controverses passionnées (-2;. L'existence de pré-Chaldéens (Sumé-
riens), niée et combattue par les uns, admise et soutenue })ar les
autres, entraîne à sa suite le grand problème de l'origine de l'écri-
ture (3) et, par suite, de la civilisation que certains auteurs attri-
buent aux Sémites (Akkadiens); tandis que d'autres en repoilent
l'honneur sur les vieilles races autochtones [h).
Aussi loin que nous j)uissions remonter dans l'histoire basée
sur des inscriptions, nous ne rencontrons, pour la haute antiquité,
<jue des documents écrits en langue sumérienne et dans lesquels
<et idiome est mélangé de <iuelques traces de sémitisme. Comme
la Chaldée ])roprement dite, l'Elam nous fournit des textes sumé-
(1) Les textes archaujues en fournisscnl ce-
pendant d'indéniables traces. Cf. .\.-Il. S.xyce,
The Archeologij of the Ciineiform Inscriptions,
1908, p. 67, sq.'
(2) Cf. J. Oppeiît {Rap. à S. E. M. le Mi-
nistre de rinslr. publ., mai 1856, p. 11, sq.) dé-
montre l'existence d'une langue non sémiti-
(|ue dans la Clialdéc primitive. — Cf., contre
cette théorie, J. IIalévv, Rech. crit. sur
l'origine de la civilis. babylonienne, in Jonru.
(isial., 1874-1876. — Etude snr les documents
philologiques Assyriens. 1878. — Les nouvelles
inscriptions clidldêennes el la question de Sumer
et d'Accad., 188-2. — Obs. sur les noms de nom-
bre sumériens, 188,3. — Docum. relig- de l'As-
sijrie et de la liubi/lonie, 1883. — La théorie
de J. Oppert a été généralement adoptée,
sauf par J. Halévy, qui, en 1905, publiait une
bi-ochure intitulée ; Encore l'inventeur du cri-
térium sumérien (E,. Leroux, Paris).
(3) Dans les textes les plus anciens de la
Chaldée (d'épo<pie antérieure à Narani-Sin/
on se trouve en présence non de deux langues,
mais de deux sj'stc mes d'écriture, l'un plioné-
tique qui semble appartenir aux Sémites, l'au-
tre idéographique dont, comme de juste, nous
ne pouvons retrouver la langue. En sorte
que c'est probablement aux Akkadiens qu'est
dû le passage de l'idéogramme sumérien aux
signes phonétiques. La présence, dans les
anciens textes, de noms propres non séniili-
ques serait due à ce que ces noms furent ren-
dus par les Akkadiens par des signes ayant
une valeur phonétique alors qu'autrefois pio-
bablement ils n'existaient qu'à l'état d'idéo-
grammes. Le phonétisme paraît avoir été dé-
gagé de l'idéographisme, dès une très haute
antiquité, par les habilantsde la Babyloniedu
Nord. Je citerai par exemple l'inscription en-
tièrement linéaire publiée par WinklerfFor.s-c/î.
VL p. 544). Ce document contient déjà des
termes écrits phonétiquement. Un texte pro-
venant de .\bou-Habba et appartenant à une
époque moins ancienne, mais encore anté-
rieure à Sargon l'ancien, présente un système
jjhonétique plus développé. Avec les rois
d'Agadé, le phonétisme se complète et la
domination de ces souverains parait avoir eu
pour effet l'introduction partielle et momen-
tanée du système phonétique dans la Babylo-
nie du Sud. (F. Tmuke.vu-Dangin, Tubleltes
chaldéennes inédites. Paris 1897, p. 6, sq.)
(4) Le travail le plus récent el le plus com-
plet au sujet des Sumériens, est celui du pro-
fesseur A. -H. Sayce. Dans The Archeology of
the cuneiform inscriptions, 1908, pp. 67-10(J,
chap. in.The Sumerians, l'auteurse prononce
nettement (Cf. p. 68). » Les premiers habi-
tants civilisés de la plaine alluviale de Baby-
lonie n'étaient ni des Sémites, ni des Aryens;
mais ils parlaient une langue agglutinante et
c'est à eux que sont dus tous les éléments de
la culture babylonienne des derniers jours. »
iSli LES PREMIÈRES CIVILISAHO.NS
riens mélangés de sémitismes, et des textes sémites mélangés de
suméiismes. Mais dans ce dernier pays, on voit apparaître très
anciennement un troisième élément linguislique, des noms pro-
pres ni sumériens, ni sémitiques (1), appartenant à une langue (2)
appelée indifléremment par les savants, anzanite, siisicnne ou
simplement élamite, qui, dominée pendant des siècles, renaît tout
à coup vers 1500 avant J.-C, en même temps que se reconstitue
rindéj)endance du peuple susien.
Ainsi, en Elam, plusieurs éléments se trouvaient en j)résence
dont Tun, l'élamite (ou anzanite) semble être plus ancien que les
autres; mais dont il ne reste, aux plus anciens temps, que des
traces. En Ghaldée, au contraire, l'élément le plus ancien domine
au début et le nouveau n'existe qu'à létat d'inclusions, d'in-
fluence.
Quant aux langues sémitiques (3), elles constituent une famille
fort bien étudiée {k) que les linguistes divisent en deux sections
principales : celle du nord comprenant l'akkadien, l'araméen,
l'assyrien, l'hébreu et le [)hénicien; celle du sud dans laquelle on
range l'himyarite, l'arabe, etc. ('.es diverses langues ne procèdent
pas les unes des autres; mais r<'pon(lent à des évolutions paral-
lèles. Il semblerait, d'après l'cHude comparative de leurs éléments
constitutifs, que cette famille fût originaire de TArabie.
Schrader (5) suppose que le groupe sémitique du nord se
sépara le premier pour venir essaimer eji Ghaldée (akkadien); puis
cju'à son tour il se divisa, les Araméens puis les Hébreux se diri-
geant vers l'ouest, les Assyriens vers le nord ()).
A l'époque où écrivait Schrader, son système ne reposait ([ue
sur une hypothèse; mais aujourd'hui, depuis les récentes décou-
vertes de Ghaldée et de Susiane, cette supposition prend corps,
s'appuyant sur des déductions archéologiques et épigraphiques.
(1) Mémoirede hi DéléyalionenPerseipassim). moabite) se ressemblent tellemenl eiilic eux
(2) Celle langue esl de la forme de celles qu'on peul les considérer comme les frac-
qu'on esl convenu de nommer louraniennes, lionnemenls d'une même langue. Les Sémites
appellation vague, dont il ne faut retenir que ont donc vécu ensemble dans une union plus
ce fait quelle n'est ni sémitique, ni aryenne. étroite que celle que nous font connaître les
(3) Fritz Hommel (Die Nanien der S;iuge- documents écrits. (M. J. Lagisange, Relig.
lliiere, Leipzig. 1879, pp. xx et 480. — La patrie .semi'/., 1905, p. 12.) Et il en esl de même pour
originaire des Sémites, in Alti del IV Con- les peuples parlant des langues dites aryen-
gressodegli orienlalisli, Firenze (1878). 1880, p. nés. Quant au.\ autres groupes linguistiques,
217, sq., place le berceau des Sémites dans la leurs origines sont encore confuses.
vallée du Tigre, à l'ouest de Uolwan. Celle (5) Schradek, Die Abstammung der Chal-
opinion esl aujourd'hui complètement aban- daeer und die Ursitze der Semiten, in
donnée. Zeil.srh. d. d. Mon/enl. Ges., t. XXXVU.
fi) L'assyro-babylonien, l'araméen, l'arabe, Leipzig, 187.'^.
l'éthiopien et le cananéen (hébreu, pliénicien, (G) Bekose, Fragin, édil. Lenormaut.
I/ASIK W'I l-IÎIKUnE ET i;K(iVl'Ti: A.MIMIISTOIUOUKS ISÔ
La Chaldéo à elle seule ne foiiiiiil ([iie l)ien peu de rcnsei-
gnenienls sur rinvasion sémitique; c'esl clans des parlieularités
linguisli(|ues, déjà savamment exploit(''es, et dans les légendes
chaldéenues, (|ue sont les meilleures sources.
Des traditions antiques, recueillies par Bérose (1), l'ont \euir
ces premières invasions de la péninsule arabe i'I), des îles du golfe
Persique (3) et des côtes avoisinantes.
Le nord de l'Arabie était alors ce (ju'il est aujourd'hui : un
désert semé de rares oasis où les caravanes ne s'aventurent
guère ('i). 11 formait une barrière entre la (Uialdée et les pays habi-
tés de la presqu'île; mais au sud s'ouvr;iit le golfe Persique et
la voie maritime. Les Sémites des côtes s'y aventurant, trouvè-
rent au fond du golfe des terres fertiles, des habitants encore
plongés dans la sauvagerie, et s'établirent parmi eux, leur ensei-
gnant ce (ju'ils savaient eux-mêmes, profitant des notions qu'ils
rencontraient chez eux et enfin, se trouvant |)eu à peu en giand
nombre, ils les absorhèrent. Ainsi ce n'est pas du centre de
l'Arabie qu'il convient, semble-t-il, de faire venir l'invasion sémi-
tique; mais bien du sud, des pays d'Oman, de Hahrein ! 5 , etc.
Ces faits, que la tradition énonce, tous les témoignages
scientifiques viennent jusqu'ici les contrôler. Cette tradition se
rapporte à la légende d'Oannes qui, arrivé par la mer, civilisa les
peuples vivant jusqu'alors sans règle, à la manière des animaux.
Un second être fabuleux, Annèdolos, sortit encore des flots après
une première dynastie dont .4 /d/'os, Ala/xiros et Amillaros sont
les types et qui gouverna pendant un nombre considérable d'an-
nées (92.800 ans, suivant Bérose) (O). Puis les Oannes, sous divers
noms, se succèdent à intervalles irréguliers; de sorte <iu'en tout
six apparitions, venues du golfe Persique, guidèrent la conduite
(1) Cf. SpRENOEH, Lc'/f/i ((. 1. élire d. Muluun- (4, Demis jours, lo courrier jiralx' qui |ii(rl<-
mad, l,3H, <,q. — Id. Aile (ieoijr. Anihienx, p\\. la poste ciilie Ba<i(l;id et Damas parcoiiit
293-295, note p. -29 . — Sciii'.adeiî, Zeils. d. ccUe distance i/^OO kilomètres) en neuf jours
Morg. Gesell., t. XXVII. — G. Maspeuo, Ilist. sur nn cliameau, cl dans la >aison scclie
(inc. p. Or., lf<93,p. I.'ÎT. ne rencontre ipie trois points d'eau. La roiilo
(2) Hérodote (VII, «•) place à IJahrein l'ha- traverse \Vadi Haoïiràn. W. Kl Gheira el
bital primitif des Phéniciens. Amloud el (Jhonmar. J. M.)
(3) 11 semblerait que les Sémites fussent, iTii I.ile lic Balirein renferme uiir mulliliide
dès leurs débuts en Chaldée, divisés en trois de tombeau.x antiques; mais jus(pi'ici nous ne
branches, l'une habitant le Djéziret (pays pouvons leur assigner une époque. (Cf. .\.
situé entre les deu.K neuves), les Suméro-Acca- .Iolan.mn, Les lumuli de nalircin, ds Méni.
diens; une autre plus au sud, vers les déserts t/c ht Dclr;/. en Perse, l. VIII, !iK)5, p. 1 1'.»-
arabiques, les Araméens ; el enfin une troi- l.'iT.)
sième sur les côtes et dans les îles du golfe (tJ) Berose, Fra/jm. I.\, X, XI. édit. Lcnor-
Persiqiie. Cf. Fr. Deutzsch, U'o lag dus Para- niant.
dies ? pj). -JI^T-^il, ibl, S(|.
186 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
des hommes pendant la période de 691.200 ans qui précéda le
grand déluge.
Dans ce « grand déluge », on ne peut voir les inondations qui
ont marqué la fin de l'époque glaciaire ; car, en ces temps, la
Ghaldée n'existant pas, l'Arabie n'y pouvait venir coloniser. 11 ne
peut donc y avoir que rappel du souvenir d'un cataclysme d'im-
portance secondaire, quoique mémorable, dont nous ne possédons
pas de traces géologiques (1). Il demeure, toutefois, deux faits
dominants, la direction de l'invasion et, bien que très exagérée, la
longue durée de l'influence sémitique, souvent renouvelée avant
l'absorption définitive.
Cette conquête ne fut pas, à proprement parler, une invasion :
les Sémites occupèrent d'abord pacifiquement les points mari-
times et de là, de proche en proche gagnèrent lentement tout le
pays. S'il y eut des guerres, elles furent de peu d'importance ;
car la population se trouvait alors politiquement très divisée. Seul
un peuple, habitant une région plus facile à défendre, résista (2)
jusqu'à rétablissement de Tempire (3) suméro-akkadien, ce fut
celui d'Élam ; d'autres peuplades moins fortes émigrèrent plutôt
que de se soumettre.
Ce que nous savons des anté-Sémites de l'Asie antérieure
montre (|u'avaut la conquête, ces pays étaient occupés par des
populations parlant des langues, dites sumériennes, d"un déve-
lo|)pement bien moins avancé que l'akkadien.
L'élamite aujourd'hui mieux connu, grâce aux beaux travaux
de Y. Scheil, se montre sous cette forme primitive. Ses racines
(1) Dans CCS pays il se produit, parfDis de 1er- trouve relatée et chantée la défaite du roi
ribles inondations. Les vieillards d'Arabistan d'Elam et lasservissenienl de son pays,
m'ont narré que, dans leur jeunesse, la Kerka Khoumbasitir fut aussi roi d'Ëlani ; mais nous
avait débordé de telle manière que toute la ne possédons que son nom. Koudour-Koukou-
l>laine était couverte d'eau et que les ruines mal (également roi d'Elam), plus heureux que
de Suse formaient une ile. D'autre partj'ai vu, Khoumbaba, prit et dévasta Babylone; les
le 18 mars 1904, la rivière de Douéridj, au armes élamites avaient alors vaincu celles de
Poucht-é-Kouh, généralement large de lu ou Chaldée; c'est tout ce que nous savons jusqu'à
1.") mètres, s étendre en moins d'une heure, ce jour sur la première guerre d'indépendance
il la suite d'un orage, sur toute la plaine large élamite. (.1. M )
en cet endroit de plusieurs kilomètres, entrai- (3) Le premier patési <le Susedonl nous con-
nant tout dans son lit, bestiaux, gibier, arbres naissons l'existence est Our-ilim (nom dou-
et broussailles. Un pareil phénomène se pro- teux); il vivait au temps de Charrou-oukin qui,
duisant dans des grands fleuves est de nature au commencement de son règne, avait soumis
à laisser dans l'esprit des liabitants 1 impres- l'Elam et est indique dans les textes comme
sien d'un déluge universel. (J. M.) étant le père de Naram-Sin qui, suivant Na-
(2) Klioumbaba (roi d Elam), comme son nom bonide, vivait eu 3750 avant notre ère. Or, nous
l'indique, personnifie, sans aucun doute, la savons que c'est vers â-280 que Koudour-Na-
puissance élamite dans sa lutte contre la con- khounte secoua le joug sémitique; c'est donc
(|uètede l'élément sémitique. Dans l'épopée (lu 1.500 ans environ que dura l'occupation su-
héros national misopotamicn Ghilgamech, se méro-akkadienne de l'Elam. (J. M.)
L'ASIF ANTKIUEURK ET LKC.VPTi: AXirMIISTOIUOUES
187
monosyllabiques s'agglutinent et, si les mots en résultant sont sus-
ceptibles de flexions simples, c'est que la langue piimitive agglu-
tinante a subi rinniieiice d'un parler plus («levé, lui empruntant
ridée de la flexion sans toutefois s'en aj)proprier les formes.
Il en est d(> môme du vamiique, langue parlée dans TArménie
à l'époque ass\ riciiiic et qui n'a rieu de commun avec les idiomes
sémitiques.
De toutes les langues de l'Aslt» aMléri<'ure, ces deux seulement
nous ont laissé des documents écrits; je ne parle pas du hittite,
(|ui, probablement, aj)partiei)t au môme groupe quant à sa forme;
mais dont les hiéroglyphes ïi'ont pas encore été déchifl'rés (1).
?) cv.
,^ /W /\ ^
j^
^T=>#
Inscription hiéroglyphique hétéenne de Djerahlus (d'ap. Wright, The
Empire, pi. X).
Quand je dis groupe, je n'entends pas affirmer que ces diverses
langues soient parentes, loin de là; mais je réunis ces peuples, non
.sémites et anaryens, comme ayant fait le fond de la population
dans l'Asie antérieure et comme |)a riant des langues moins déve-
loppées que celles des envahisseurs. Les nombreux dialectes
karthweliens (2) seraient aujourd'hui les derniers représentants
(1) Les récentes fouilles allemandes à Bop-
liaz-Keuï ont mis à jour un «^rtind nombre de
tablettes écrites en caractères ciinéifonnes
dans l'idiome de-^ Hétéen s, et, par certains mots,
Winckler se croit autorisé à reconnaître dans
cette langue des indices indo-européens. Dans
ce cas, les llétéens seraient les [)remiers avant-
coureurs des migrations arvennes ; mais ces
affinités linguistiques sont encore trop vagues
liour qu'on puisse les faire entrer en ligne.
(2)« La première tentative faite en vue d'ana-
lyser scientilîquemenl la langue géorgienne se
trouve dans un article de J.-A. Gattcyrias (dans
la liev de linyuiftliqite el de p/iilologr. comparée,
XIV, juillet 1S81, pp. '275-:ill). En lisant celte
étude, il est impossible de ne pas être frappé
de la ressenii)Iance des résultats obtenus par
M. Galteyrias avec les faits grammaticaux des
inscriptions vanniques. » {.V.-H. SAvcr;, The
Cuneifonn inscr. of Van. \k H1.)
188
LES prp:mièri::s cimlisations
de cet ensemble, parlé par des peuplades auxquelles certains au-
teurs ont donné le nom vague de blancs allophyles.
Développement d'un cylindre hié-
roglyphique trouvé à Suse. Cf.
Méin. Délég. en Perse, l. II, 19U0.
V. SciiEiL, textes élamites-sé-
mitiques, \^. 129 (1).
Empreinte d'un cylindre-
cachet portant une ins-
cription hiéroglyphique
pur une tablette proto-
élamite [Ibid.., t. X, fin^.
L'écriture fournit également des renseignements très précieux.
On sait que les caraclères dits cunéiformes dérivent d'un système
hiéroglyphique (2) qui, probablement lui-même, descendait de la
pictographie (3). Or, les fouilles de Suse ont non seulement fourni
des exemples de récriture hiéroglyphique < V, niais aussi une
Inscription proto-élamite
sur argile (51.
ticMïï
Inscription pndo - élainite (sur
pierre) de Knriliou-cha-Chou-
chinak (fi).
série nombreuse de documents montrant une évolution spéciale
de l'écriture, indépendante de celle de la Chaldée (7).
(1) " An seul aspect (les signes on e>l fiappé
de la haute anliquilé qu'il faut leur attribuer.
Ce sont, semble-t-il, de vrais hiéroglyphes
et cependant de tous les objets, outils, ani-
maux, etc., il n'en est pas un que nous puis-
sions idenlifier avec certitude. Le premier à
gauche est peut-être un insecte {amilu ?) ;
le deuxième, un séran ou un double peigne
rabrabit ? ou ak ?] ; le troisième, un homme de-
bout portant quelqHe charge ina-zikara?) ; le
quatrième, des grains de blé ; le cinquième,
le signe apin (iriisu ■?) et enfin, le dernier signe
à droite ne présente rien de bien déterminé. •>
(V. ScuEiL, op. cit.)
(2) Cf. J. DE MoRG.\N. Note sur les procédés
techniques en usage chez les scribes babylo-
niens, ds Recueil de Irauaax, t. XXVIL 1005.
— W. HouGHTO.N, On the hieroglypii or pict.
orig. of Ibe charact. of the assyr. syllabary. ds
Trnnsact. oflhe Soc. of Bibl. arcliaeol., t. VIL
— PiNCHES, Archaïc forms of Babyl. charact,
ds Zeilschr. /'. Keilschriflfor.sclnmg, t. H, p. 140-
156.
(3) Cf. W. HoL-tiUTON, op. cil.
(4) Cf. Mémoire.^ de la Délégalion en Perse.
t. IL 1000. p. 1-29, fig. représentant un cylindre
découvert à Suse, portant un texte hiérogly-
phique.
(5) Cf. Mém. Délég. en Peine, t. VL pi- XXI.
(tl) CL V. ScnriL, Mém. Délég. en Perse
t. VL textes élainites-sémiliques, pi. II. p- f,
sq. xxxvn' s. av. J.-C).
(7) Cf. V. ScuEiL, ds Mémoires de la Déléga-
lion en Perse, t. \1. VMb, p. 59, sq.
i/Asii; \Mi-i!ii;riu-: i;t i.kc.vi'Ii; ANTK-iiisroiîioi i:s
189
Plus loin vers le nord-ouosl, dans la (lap{)adoce, le ])eu|)le
liétéen, probablement apj)ai'enté aux peuples anté-sémilcs de la
Mésopotamie, faisait encore, sous les lîamessides (dix-huitième
siècle av. J.-C), usage d'hiéroglyphes dont nous ne connaissons
j)as encore la ch^f, il est vrai; mais qui [)eut-être sont de même
origine que ceux de leurs voisins du sud-est (1 1.
L'Egypte, enfin, semble avoir reçu de l'iVsie les hiéroglyphes
on tout au moins les principes de ce procédé graphique (2j; quant
à l'Arabie, on n'va pas encore signalé la moindre trace d'écritures
figuratives ou hiéroglyphiques. 11 semble donc que les Sémites
n'en possédaient pas la notion avant leur arrivée sur les bords de
TEuphrate et du Tigre.
Par contre, nous voyons se développer en Élam. dès les temps
les plus reculés fénéolithi(jue ou même néolithique), l'art de la
Oy@
!
H
^/^
Cunéifoi'iiie^^ linéaires (3
Cunéiformes linéaires (4).
peinture cérami(|ne. La figuration de l'homme, des animaux et
des plantes inn)li(|ue, chez ces i)euples, l'idée de la |)ictographie.
M'appuyant sur ces considérations, je crois pouvoir attribuer
aux anté-Sémites Tinvention des hiéroglyphes, que peu à peu leurs
(1) Dernièrement il a éli'- découvert à Ani
(Arménie russe), un l'raginenl de polerie por-
tant des signes qui semblent cire des hiéro-
glyphes. Ces signes, contemporains, d'après les
conditions de la trouvaille, de l'époque on les
cunéiformes étaient encore en usage, montrent
(pie dans ce-> temps relativement très bas
(juelques langues du Nord, elles aussi, em-
ployaient le système liiéroglyphique. (Cf. Ver-
Itandluntjen der Ilerliiier Gexellschaft. f. An-
llirop., etc., 1902, p. 230, lig. 18 et 19.)
(-2) C'est dans la tombe royale de Négadali
que, pour la première fois, nous voyons appa-
raître les hiéroglyphes et, jusqu'à ce jour, au-
cune trace de piclographie n'a été rencontrée
dans la vallée du Nil. « U semble évident que
la connaissance de l'écriture en Egypte dérive
d'une source asialiipie ; mais l'écriture égyp-
tienne ne dérive pa>. des caractère linéaires
babyloniens et encore moins des cunéiformes.
11 est probablement plus e.xact d'affirmer que
les hiéroglyphes égyptiens et les cunéiformes
primitifs ont eu un ancêtre commun dont au-
cune trace n'a survécu. " (E.-.\. Wai.i.is-Bi i>ge.
r-lgijpl . in llip neolilliic and archaïc period, 1902,
!>. il ) Quant à la peinture céramique, comme
on ne la trouve pas, en t;gyi)te, dans les sta-
tions antérieures au métal, j'estime qu'elle est,
comme les hiéroglyphes, d'origine étrangère.
{:>.] Sur une tablette de pierre provenant de
Vokha (Basse-Chaldée). Cf. Mém. de la Délcy.
en Perse, V. Sciieu.. t. II, 1;K)0, te.\tes élamites-
sémitiipies, p. 130.
(i) Inscri|ition de Karibou-clia-Choucliinak,
jiatési de Suse, conlemi)orain de Doungi, roi
d'Our (.x-x-wn' siècle av.' J.-C). Cf. 'V. Scueil,
Mém. Déléy. en Per.se, t. VI, le.vteS élamiles
sémitii|ues, 1900, p. 7.
190 l^I^^ l'UKMIÈRES CIVILISATIONS
vainqueurs ont transformés en cunéiformes linéaires ; alors qu'eux-
mêmes, développant leurs signes primitifs, produisaient récriture
proto-élamite. Ce fait semblerait démontrer que l'Elam, bien que
faisant, à tous points de vue, partie de la plaine, conserva plus
longtemps que la Chaldée une large part d'indépendance.
Les tablettes d'argile et les textes lapidaires, malheureusement
très courts, que nous possédons en ces caractères, montrent une
évolution spéciale de l'écriture. Toutes deux, la proto-élamite et
la sémite de Chaldée, seraient, semble-t-il, issues d'un même point
de départ; mais tandis que l'une, celle des Sémites, s'est dévelop-
pée jusqu'à devenir presque alphabétique (perse achéménide),
l'autre s'est éteinte trois mille ans environ avant notre ère.
Aucune trace d'écriture proto-élamite n'a été rencontrée jus-
qu'ici dans la Chaldée })roprement dite ; il nest donc permis de
formuler que deux hypothèses : ou bien la Chaldée a été conquise
longtemps avant la découverte de Pécriture pictographique, alors
c'est en Elam que les Sémites auraient piis l'écriture à son origine ;
et le développement se serait fait parallèlement sous deux formes,
l'une en Elam (pré-élamile), l'autre en Chaldée (cunéiforme) ; ou
bien les Akkadiens auraient apporté avec eux l'écriture cunéiforme
archaïque déjà constituée. Si cette dernière supposition corres-
pondait à la réalité des faits, si l'Elam lui-même avait reçu les
cunéiformes tout formés ; nous ne trouverions pas, dans les
ruines de Suse, des textes hiéroglyphiques et surlout les traces
d'une évolution des signes indépendante de celle des Sémites,
rappelant des formes plus archaïques que celles qu'on rencontre
en Chaldée. De ces deux hypothèses, la seconde semble être la
moins rationnelle.
L'Elam, inventeur des hiéroglyphes en même temps peut-être
que les pré-Sémites de Chaldée, les aurait dévelo[)pés pendant de
longssiècles; alorsquelesSémites qui les connaissaient également,
soit par contact avec TElam, soit par les peuples qu'ils avaient sub-
jugués, développaient ce système indépendamment de l'Elam (1).
Suse, par les conquêtes des empereurs sémitiques, fut appelée à
faire usage de l'écriture de ses vainqueurs; et lors(|u'elle reconf{uit
son indépendance, ses caractères nationaux étaient depuis long-
(1) Bien des auteurs, admettant une invasion l'écriture. (Cf. J.Oppert, Rapport à S.E, le mi-
lle la Chaldée par les Suméro-Akkadiens, sup- nislre de l'Inst. pubL, mai 1856, p. 11, sq.)
posent qu'à leur arrivée ils connaissaient
L'ASIE ANTÉUIKUUE KT L'ÉGVPTi: A.M K-HISTORIQUES
191
temps oubliés. Elle mit les signes sémitiques au service de la
langue anzanite.
L'existence en Elam
d'un |)eu|)le non sémite est
également prouvée par
l'anthropologie qui signale
les restes d'une race doli-
chocéphale, apparentée aux
négritos, parmi les popula-
tions actuelles de TArabis-
tan (1).
Ces observations se
confirment par ce fait que
sur les bas-reliefs les plus
anciens (2), trouvés à Suse
comme en Chaldée, on voit
fréquemment figurer des
Fragments de lahleUe découverte à Ninive,
fournissant l'explication, en caractères cu-
néiformes, des liiéroglyphes primitifs (3).
personnages répondant au type
négrito . La stèle triomphale
de Naram Sin (4) , entre autres
(trente -huitième siècle avant
J.-C), montre ce souverain, de
type sémitique, marchant à la
tète de ses neuf vassaux qui,
presque tous, présentent les ca-
ractères de la race signalée par
l'anthropologie.
Les négritos, comme on le
Uevzey deSai^zec, DécouvertesenChaldée, sait, sont des populations fort aii-
pl. IV ter, fig. 2. . ' . . n,
ciennes, apparentées a 1 homnii'
pléislocène de l'Europe, l'éparties de nos jours dans des habitats
Fragment du texte de la stèle dite des
Vautours, du rci Eannadou.
(1) Cf. l'Acropole de Suse, par M. Dieulafov,
IS90. Appendice par Frédéric Houssay.
(2) Cf. D"' PiNCHEs, in Journal of Ihe Roijal
Axtatic Socielij, janvier 190<), pp. 87-93.
(3) (Cf. HoLGHTON, On the hieroglyphic or
piclure origin of the characters of Ihe assy-
riari syliahary, in Transactions, I. VI, p. i5i.
— Fu. I.ENOUMANT, llist. ancienne de l'Orienl
1881, 9' édit., I., I p. 420. — .J. Menant, Lero^s
d'épi(jrapliie assyrienne, 1873, pp. 49 el 50. —
G. iVIaspero, Histoire ancienne de l'Orienl cltis-
sique, 1895, t. 1, p. 727.)
(i) Cf. Mémoires de la Déléijalion en Perse,
t. I, 19O0, pp. 14i-l.^)8, pi. X.
\i)-) Li-:s phi:mières civilisations
sporadiques, on les ont cliassés les invasions successives des
])euples de civilisalion supérieure occupant aujourd'hui leurs
anciens territoires.
Sans ])nrler des nc«-i-itos de la .Mëlanésie et des îles de la
Sonde, ni de ceux de Tlndo-Cliine que j'ai visités à Malacca(l),
je citerai ceux qu'on rencontre aujourd'hui confinés dans le centre
(h' l'Inde ; alors que toute la péninsule appartient à des races de
venue relativement récente.
Il est ])ossihle qu'aux temps qui nous occupent l'Indo-Ghine,
l'ilindoustan, le versant méridional des monts de Perside, lElam
el la Chaldée eussent été peuplés de ces négritos dont nous
rcirouvons les traces en Arabistan et dans les Indes, ou tout au
moins d'une descendance des races (juaternaiies. Un objectera
(|ue les négritos étudiés juscju'à ce jour sont tous brachycéphales
ou sous-dolichocépliales, tandis que les types reconnus en l-]lani
sont dolichocéphales comme les nègres d'Afrique, comme les
hommes pléistocènes (h> ri^uroi)e occidentale. Mais il n'existe pas
de raisons pour i-ejeter Thypothèse dune parenté éloignée entre
les pré-Sémites de Chaldée et les Africains ou les Européens qua-
tei-naires (2). Je dirai plus, il importe peu (|ue les crânes tle ces
pré-Sémites appartiennent a une forme ou h une autre; le fait,
surtout, qu'ils ont existé intéresse l'histoire (3).
Si les Sémites ont été maîtres politiques en Elam pendant deux
mille ans environ, ce n'a jamais été aussi complètement qu'ils le
furent en Chaldée. Leur domination ne vint probal)lement à Suse
(pie bien longtemps après la conquête du pays des deux fleuves;
c'est pourquoi les ]-:lamites. subissant moins fortement l'influence
des conquérants, ayant conservé libres leurs territoires monta-
gneux et là un reste d'indépendance nationale, ont gardé leur
(1) Cf. DE MoiiGAN. Bull. Sur. normande de saut sur la distribulioii géographique des di-
Géoqraphie, 1881). - 1d.. l'Homme, 188.-,. verse- e^>èce<, aclucUes de Lémuriens el des
ii) Les iiaturalisles. IVapiiés des analogies races nègres el négritos (rien ne prouve d'ail-
(pii e.Yislenl entre rAfrii|ue el l'Asie méridio- leurs que ces deux races huitaines soient ap-
nale au point de vue zooiogiqiie, ont cherclié i)arentéesi. Il en est de même, d'ailleurs, pour
à les expliquer |)ar la supv.osition de l'e.xis- les autres mammifères, car l'Afrique centrale
knce d'une terre aujourd'hui di-parue. La el méridionale, dune f.art, et l'Inde, de 1 autre,
>. Lcmurie» de Hœckel aurait été un vaste con- forment, au point de vue de la faune, une re-
lincnt, situé à hi place de 1 actuelle mer des gion naturelle. (Cf. A. Murr.w, The Geogr. dis-
Irules, reliant 1 Oueslde l'Inde à l'i-lst de lAfri trib. of mammah, 18G(;.)
(pie. C'est là que Ha-cUel place le l.erceau de ('3) 11 esl fort probable que les autochtones
llmmanité. Le nom de Lémurie élanl tiré de de l'Asie antérieure appartenaient à plusieurs
celui des Lémuriens, famille de siMi;esdont le familles .anllirppolùgiL|ues et linguistiques, et
naturuliste allemand fait descendre Ihomme. ipie les peuiiles du Nord étaient entièrement
G. de jMortillet {Malériaux, 188Lp. Uli accepte différents des négritos du Sud. fJ. M.)
I li>pothèsf de l'existence de cette terre, se ba-
LASIE ANTKHŒUIU-: ET L'EGYPTE A.NTK-llISTOiUOUES 193
langue, leurs usages et plus tard à mrnu^ de reprendre leur en-
tière liberté.
L'ElamforniaiL prol)ablement déjà un véritaljle Etat quand les
Sémites l'occupèrent. Seul, un peuple constitué est capable d'uu
mouvement de rèaclion comme celui (|ui prit place vers la fin
du troisième millénaire, sous la couduile de Koudour Nakli-
khountè l'Ancien ; tandis qu'en Chaldée, assemblage sans cohé-
sion de petites tribus, l'asserx issement fut rapide et définitif. Si les
Sémites ont soumis l'Elam, ce ne fut (|ue pour écraser un ennemi
qui menaçait leur empin» ; mais ils ne colonisèrent pas sur les
bords du Kàroun et de la Kerkha, comme ils l'avaient pu faire sur
les rives de l'Euphrate et du Tigre,
Quant à la cause qui porta les Akkadiens à (|uitler leur patrie
d'Arabie, elle nous échappe. La migra Lion ne fut d'ailleurs que par-
tielle; la péninsule demeura peuplée de Sémites. Elle fut très
importante ; en eflet non seulement elle couvrit la Chaldée, mais
aussi elle essaima en Egypte, enSyrie, sur lehaut Tigre, etfit rayon-
ner son influence jusque dans les îles de la Méditerranée. De-
vons-nous l'attribuer à des éruptions volcaniques rendant certains
districts arabes inhabitables (1) ; à l'immersion de terres autrefois
peuplées ; à des modifications climatéi icjues, transformant en
déserts arides des provinces jadis riches ; ou à des guerres, à des
luttes entre tribus, obligeant les vaincus à s'expatrier .' Il n'est
pas nécessaire, je crois, daller chercher si loin les causes de ce
mouvement. Comparée à l'Arabie, la Chahb^e était un pays privi-
légié ; les colons y affluèrent, tentés par ses richesses, lente-
ment d'abord et par groupes isolés; puis en j)lus grand nombre,
Jusqu'à imposer leurs volontés aux indigènes. Ne voyons-nous
pas dans l'histoire cent exemples de semblable pénétration lente ?
Le premier départ des Sémites d'Ai-abie remonte siuemenl a
une très haute antiquité, à cincj ou six mille ans au moins avant
notre ère; en sorte qu'au moment où débute pour nous l'histoire,
vers ùOOO avant J.-C, les premiers habitants de la Chaldée étaient
déjà absorbés (2).
Il ne faudrait pas, comme ou Fa lente, s'appuyer sur \o manque
(i;Lapliiparldesvolcans<leriitliiopieclaioiit lieu i)rès do Mcdiiie en l-25t). (Cf. Holdas,
viicore en feu à Tépoque des Ptolémées (m' à Comptes rendus Acad. Se, t. CXXXVHI, p. 415.')
i"s. av. J.-C. )el quelques cônes, sur les bords (i) L'absorption d'un peuple par un autre
de la mer Rouge, en Arabie, n'ont que depuis n'exige pas un temps aussi long que bien des
peu cessé d'être en activité. Une éruption eut auteurs sont tentés île le penser. Ouel(|ues
i:{
19Zi
LES PIŒMIÉRES CIVILISATIONS
I.ASIE AXTKRIELIRE KT I.ÉGVI'TE ANTK-IIISTORFOUES 195
complet de textes aj)|)arlenant en propre aux Sumériens pour nier
leur existence ; car TElam, (|ui cependant avait conservé sa vie à
part des Sémites, ne nous a laissé aucun document de langue
anzanite pendant qu'il était sous le joug akkadien.
C'est aux Sumériens (1) qu'on doit attribuer les premiers
établissements fixes dans la Mésopotamie ; ce sont eux qui ont
laissé les couches })r(»l"()U{les dans les tells de Suse, de l'Elam, de
la Chaldée et dans les vallées du Zagros et du Poucht è Kouh,
du Sirdjar, de TAnti-Liban ouvertes sur la plaine. Leur première
industrie est néolilliicjue, j)eut-(Hre même énéolilhique ; elle se fait
remarquer par rexiguïlé des instruments. Cela tient à ce que le
silex, inconnu dans la plaine, faisait l'objel d'exportation des
vallées voisines, sous forme de galets roulés.
La poterie primitive, d'abord certainement très grossière, est
encore inconnue. Elle nous apparaît seulement alors qu'elle est
devenue fine el habilement ornée de ])einture ; c'est l'une des
caractéristiques principales de cette civilisation très ancienne,
mais secondaire.
Les stations néolithi(|ues sont nombreuses ; il en existe vers le
Liban, dans les plaines (|ui bordent l'Euphrate, à tous les points
d'eau naturels. Au sud, en Chaldée, les tells les plus anciens repo-
sent sur des couches néolithiques et énéolithiques, preuve que
ces villes remontent à des âges incalculables.
A Yokha, ville d'une très haute antiquité :'2l, située au centre
de la plaine, au nord du Chatt el Hay, les couches inférieures
abondent en silex taillés. Ce sont des nuclei provenant de galets
roulés, des lames levées avec une extrême habileté, d'une grande
ténuité et ornées de retouches extrêmement fines, de très petits
instruments, poinçons, grattoirs plats, scies à un ou à deux Iran-
^iècles seulement ont suffi aux Romains pour anzanite que spcciule à rliacun des tieux
absorber tous les éléments elhni(iues de leur peuples? (.1. M.)
péninsule;aux Allemands, pour germaniser les (2) Voklia se nommait dans l'antiquité Ouh
Slaves de Prusse; aux Américains, aux Austra- ou Onhhou (je lai visitée en octobre 1899); elle
liens, pour supplanter les races indigènes. La faisait partie dun petit royaume composé de
rapidité de l'absorption dépend uniquement trois villes très voisines l'une de l'autre (au-
de l'importance numérique et du la force vilab^ jourdhui Yokha, El Hammam et Oum el "Aga-
de la race nouvellement arrivée. Certainement reb). Les ruines en sont considérables ; la base
un millier d'années a dû suffire pour sémitiscr des tells est composée de cendres où abondent
la Basse Cbaldée cl l'amener au point de se les silex taillés et les débris de poterie gros-
constiluer en empire. sière ; au sommet sont des murailles très an-
(1) n est certain que les langues sumérienne ciennes, car ces villes, ruinées par Hammoii-
et anzanite ne sont pas apparentées; maise>l-il rabi vers le vingtième siècle, ne se sont jamais
probable que les deux peuple-; ai)partinssent relevées. On voit encore près d'elles les canaux
à une même souche ; et que la culture qui se qui leur apportaient l'eau nécessaire à la vie
développa, aux origines, fût pliitùl suméro- et à la cidlurc. (.1. M.)
iPetra
o Noms
^ Pabnyre +«
o Hamas
CARTE PRÉHISTORIQUE
DE LA
Syrie
d'après H.VjIlCent "Canaan ,,1907,
ûgllGet 277, G. Zumoffen "LaPhénu:.
axtant les Phéniciens, 1900. p 2,
et. les Notes de 1 Auteur
LÉS£/VO£
♦ Statwns auaternair&s.
+ n^xilUhicn^.
nHoimens.
L'ASIE ANTKHIKLKH HT l/ÉGVPTI- ANTÉ-IlISTOHir)LES 1<J7
chants, consliLuaiiL un oulillage complet tel que nous le rencon-
trons dans nos stations préhistoriques d'Europe.
Tépch (loulam (1), au Poucht è Kouh, appartient à la même
phase, que je considère comme la plus ancienne dans celte partie
du pays, où l'industrie mésolithique n'apparaît nulle part.
A Suse, (h\ns les niveaux les plus bas du Tell (énéolithique)
(vers 25 mètres de profondeur), on rencontre les types de Yokha;
mais les nuclei et les instruments sont j)lus grands (2), parce que
non loin coule la Kerklia, fleuve impétueux roulant de gros galets.
Dans ces ruines, quand on remonte au travers des couches, la
taille du silex se perfectionne ; les tètes de flèches et de lances
apparaissent, présentant deux formes bien distinctes : la feuille de
laurier (3) (forme dite solutiéenne) abondante, et la pointe bar-
belée (V) (type robenhausien), plus rare ; mais toutes deux sont
contemporaines et appartiennent à l'industrie énéolithique.
A ce grouj)e il convient de rattacher Tépèh'Aliabad et Té])èh
Moussian au ])ied du Poucht è Kouh (5 . Là, comme à Suse, on ren-
contre dans les tombeaux (Q) avec le mobilier néolithique, les vases
peints (7) ornés de dessins géométriques (8), de figurations d'ani-
maux (9), de i)lantes (10); et quelques objets de cuivre (11) viennent,
par leur présence, témoigner de Page relatif de ces sépultures.
Le plus grand développement de la céramique peinte, à Suse (12),
corres|)ond à l'industrie énéolithique, puis peu à peu les formes,
les qualités techniques et les goûts artistiques d'antan s'altèrent
pour disparaître lentement au cours des temps historiques. Les
silhouettes seules persistent pendant bien des siècles encore (13).
La cérami<|ue peinte ne se montre que rarement en Chaldée (1/i),
parce que probablement la conquête fut efTectuée par les Sémites
(1) Jai dccouverl celte localité en 1891. Cf. (12) Cf. Mémoires de la Délégation en Perse,
J. DE MoRt.AX, Mission scientifique en l'er.se, t. I, l'JOO, pp. 183-190, pi. XVII-XXII.
t. IV, Etudes archéologiques, I" partie, p. 1. (13) Les sépultures de Warka et de Mou-
Ce n'était qu'une simple station, un campe- gheir renferment quelques ornements de fer,
ment, sur le bord d'un des nombreu.x ruisseaux tandis que tout l'armement, les ustensiles
qui descendent du Pondit è Kouh. métalliques sont de hron/e. J'ai fait à Suse
(i) Cf. Mém. Déléij. Perse, t. L 1900. pp. 191- (1908) la même observation lors de la décou-
195, fig. 389-423. verte, à 15 mètres de profondeur, d'une ca-
(3) Cf. /'/., fig. 414 et 41t'). chette 'ou d'une sépullucc), remontant certai-
(4) Cf. ù/., lig. 417 et 418. nement à 1 époque de 1 Empire suméro-akka-
(5) Cf. Mémoires de la Déléijntion en Perse, dien. Le fer n'avait été employé dans ce
l. Vin, litoe, pp. 59-148. mobilier (jne pour de très petites amulettes;
(6) Cf. id., fig. 109, 110, liri-UCi. alors que tous les ustensiles, instruments et
0) Cf. id., fig. 135-28G. armes étaient en bronze. (J. M.)
(8) CL id.. fig. 135-HK). (14) Cf. Heizey. Cap. Cros, ds Revue d'As-
(9) Cf. id , fig. 200-2.53. syriolojie, 1905, p. 59. — A.-II. Sayce {The
(10) Cf. id., fig. 191-196. Àrcheol. of the cuneif. inscr., 1908, p. 48, note
(U) Cf. /'./., fig. 29.V308. 1) est d'avis que le fragment cité par le cap.
Gros peut avoir été importé d'Elam à Telloh.
198 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
peu après la découverte de cet art; et peut-être aussi parce que, nos
recherches dans les sites archaïques étant encore insuffisantes,
nous n'en connaissons que peu d'exemples. Toutefois, nous la
retrouvons largement représentée en Assyrie (1), en Palestine (2),
à Chypre (3), en Crète (û), en Syrie, en Cappadoce (5) et surtout
dans l'Egypte préhistorique. 11 est rationnel d'en attribuer l'ori-
gine aux peuples non sémites et, par suite, de penser que ces
arts se sont développés dans tous les districts de l'Asie anté-
rieure où l'évolution indigène put librement suivre son cours.
Mais il ne faut pas confondre la technique asiatique avec celle
de l'Egypte prédynastique; l'une emploie une sorte de vernis
adhérent, tandis que l'autre n'use que de couleurs sans fixité, tout
comme les peuples primitifs de la France, du nouveau monde
et la plupart des tribus sauvages. C'est de la technique susienne
que semblerait dériver celle des pays hellènes; tandis que
l'Egypte, abandonnant de bonne heure ses procédés imparfaits,
aurait progressé dans la voie de l'émail ])roprement dit, qui,
défectueux, lui aussi, n'aurait été employé jusqu'aux basses
époques que pour les menus objets d'art 0).
Dans la vallée du Nil, comme en Élam, comme probablement
aussi dans la Palestine et la Syrie, ces arts ont disparu peu après
que les anciennes races eurent perdu leur indépendance ; se prolon-
geant plus ou moins longtemps, suivant que les goûts autochtones
s'étaient mieux conservés dans certains districts.
Cette céramique prise dans son enseml)le est Ijien spéciale à
;i) Le Musée liritanniqiie possède une série voisinage dAilaua, M. J.Garstang a (iécoii-
de fragments de vases peints, provenant d'As- vert (1908) des couches néolitliiques renfer-
syrie, et qui présentent identiquement les mant une céramique peinte ai)solument sem-
caraclères de la poterie peinte susienne de blable à celle qu'ont fournie les assises
la IP période. iCf. G. Perrot etC. Chipiez, profondes du Tell de Suse.
Hist. de rArl,l. 111, 1885, lig. 373-375, 377- (6) Cf. J. de Morcan, Comptes rendus de
379.^ - Déjà en 1875, Helbig Osservazioni so- IWcadémie des Inscriptions et Belles-lettres,
pra la provenienza délia decorazione geome- 1!K)7, p. 397. — lu., Rev. de lEcole d'Anthropo-
trica, ds Ann. de l'Insl. de corresp.archcol., 1875, lojie, 1907. — En Elara, et iieul-être aussi eu
p. â21) signalait les analogies qui existent Chaldée, celte céramique se présente dès les
entre la céramique ninivile et la poterie la temps énéolilhiques, c'est-à-dire antérieure-
plus ancienne des îles de la mer Egée et de ment au quarantième siècle av. J.C. ; en
rAlti(iue. Egypte et en Syrie quatre ou cinq siècles plus
(-2) Cf. H Vincent. Canaan, 1907, chap. V, tard ; en Crète et dans la mer Egée au plus
La Céramique, p. *17. sq., et les publications tôt vers le quinzième siècle ;plus tard encore
du Palestine explor. fund. dans la Grèce continentale et l'Asie Mineure.
(3) Cf. Perrot et Chipiez, Hist. de l'Arl. - Il est donc rationnel de penser que c'est du
R. DussAUD, L'île de Chyi.re, ds Rei'. Ecole foyer le plus ancien qu'est partie celte con-
d'Anlhrop.. 1907, p. 145. " naissance pour se répandre vers l'occident.
(4) Cf. RoN.ALD M. BuRROws, The Discoue- Les analogie:- dans les motifs de décoration,
ries in Crète, Londres, 1W7. Biblioyr. corn- la similitude dans les procédés techniques,
plèle à la page 231, sq. — Ed. Hall, The le grand nombre de notions qui, à ces époques,
Décorative art of Crele in Ihe Bronze A(je, Phi- passèrent de Chaldée à la Méditerranée par
ladelphia, 1907. l'intermédiaire de la Syrie et de l'Egypte,
(5) Au cours de ses récentes fouilles au viennent à l'appui de cette hypothèse.
LASIK AMKRIEURE ET I.KGVPTE AXTIMIISTOHIOUES ][)[)
l'Asie antérieure et à l'Egypte ; on la loncontre dans le Taurus ;
mais elle ne se montre ni dans le Caucase (1), ni sur le plateau
persan (2). Si donc ces derniers pays ont été envahis par des
peuples venus du Sud, ce qui n'est d'ailleurs pas prouvé, ce ne
le fut qu'antérieurement ou postérieurement au développement
de la poterif peinte; or nous savons que, quatre ou cinq mille ans
avant notre ère, ces plateaux et ces montagnes étaient presqu'inha-
bités. Ce n'est donc que bien plus tard, au lemps où la céra-
mique peinte avait achevé son lôle, (|ue des influences méridio-
nales pénétrèrent dans les pays du Nortl. Cette industrie persista
sûrement sur les côtes de la Méditerranée jusqu'à l'époque de la
civilisation égéenne qui, s'en emparant, la transfoi-ma suivant son
génie (3), tout en conservant les procédés techniques.
L'ornementation des vases, tant en Egypte qu'en Chaldée, est
fré({ueniment géométrique, presque toujours stylisée ; mais par-
fois aussi naturiste. Dans tous les cas elle procède d'un art pins
ancien s'inspirant de modèles réels. N'est-il pas bien curieux de
rencontrer chez des peuples qui, probablement, descendaient des
hommes pléistocènes, les aptitudes artistiques qui nous ont été
révélées par les cavernes de l'Europe occidentale ?
La poterie incisée, dont les ornements sont, ou ne sont pas
remplis de pâte blanche, semble devoirétre attribuée, dans l'ancien
monde, à la fin de l'état néolithique et aux cultures énéolithiques,
et dans bien des pays à la civilisation du bronze. 11 est inutile de
dire que, dans les diverses contrées où cet art est signalé, il ne
s'est pas présenté à la même époque. Quarante-cinq ou cinquante
siècles avant notre ère, il existait déjà en Asie antérieure (Elam,
Chaldée, Syrie, Assyrie [û]) et en Egypte; quanta l'époque à laquelle
il llorissait en Europe, dans le Caucase, l'Arménie et le nord de
la Perse, il est difficile de la préciser; mais bien certainement elle
n'est pas aussi reculée.
(l)Cf. J. DE Morgan, Mission scientifique au tièmc siècle env. av.J.-C; il appartient à une
Caucase, 1889, 2 vol. in-8. civilisation énéolithique (Musée de Syra-
(t) Cf. J. DE MoriGA.\. Mission scienliftqae en cuse; Nécropoles de Monteracello, de Castel-
Perse, t. IV, 1896. Uech. archéol., l'' partie. lucio, Gava Cana lîarharia, etc.), très diflV-
— H. DE Morgan-, ds Mém de la Délé(j. en rente de l'industrie néolithique du même pays.
Per.se, t. VIII, 190(5, pp. 251-342. (J. M.)
(3) Onrencontredes tracesdecelte influence (4) Place {Sinice, t. II, p. 150) a découvert
jusqu en Espagne et en Sicile, où la première dans le tertre de Djigan un gobelet incisé
période sicule montre des ornements idciili- rappelant, par sa technique et son ornemen-
ques à ceu.x de Susc et de Moussiaii ; la res- tation, les poteries analogues de Suse et
semhlance est si complète qu'elle ne peut être d'Egypte, et qu'on retrouve également dans
fortuite. M. Orsi attribue cet art au ving- lile de Chypre.
•200 LES pi;i;mikres civilisations
On place généi-aliMiieiil la constiiiclion des dolmens et des
villages lacustres, dans nos régions, entre le quatrième et le
troisième millénaire. L'abandon des habitations sur pilotis fut,
on le sait, postérieur à la connaissance des métaux; ce serait donc
entre 3000 et 1500 avant notre ère que, dans l'Europe, Fusage de
la poterie incisée aurait été à son apogée. A cette époque, en Orient,
les empereurs suméro-akkadiens étaient depuis longtemps dispa-
rus et, en Egypte, régnaient les Pharaons. Tous les pays du Nord
ont donc été, au point de vue industriel, de plus de mille ans en
retard sur le foyer oriental de la civilisation.
Les récentes découvertes de céramique peinte, dans le centre
et l'orient de rEurojx'. ont fait penser que les peuples du Nord
a\aientexercé uneinduence artistique sur ceux de la Méditerranée,
et que la civilisation mirioenne, entre autres, avait été largement
aidée par celle du NortL
Cette théorie est celle des savants (jui phicent en Europe le
berceau de la race inth^-européenne, ce (|ui ne saurait être
admis pour les raisons que j'ai exposées plus haut(l). Elle suppo-
serait une très ancienne conquête des pays méditerranéens par
des peuples aryens, ap|)c>rtant avec eux leurs goûts et leurs ]>ro-
cédés artisti(|ues.
Or cette conquête, si elle eut lieu, n'a })u prendre place qu'à
l'époque où ces peuph's possédaient les goûts et les procédés
artistiques qu'on leur attribue comme faisant partie de leur patri-
moine, c'est-à-dire entre le onzième et le trentième siècle av.
J.-C, au plus tôt; jjien longtemps après l'apparition de ces mêmes
arts dans la Chaldée et en Egypte. Soutenir ujie semblable thèse
est Aouloir faiie instiiiire les maîtres par leurs élèves; car l'Eu-
rope ne possédait eneoi-e ([u'une civilisation bien rudimentaire
(|uand elle entra en contact avec l'Asie, déjà vieille de plusieurs
millénaires. N'est-il pas In'en plus naturel de penser que les
civilisations avancées ont rayonné et se sont répandues chez les
peuples encore barbares .' Hationnellement et chronologiquement,
le problème semble devoir être ainsi résolu.
Ces théories, bouleversant toutes les idées admises, basées
sur des observations séculaires, changeant du tout au tout la
valeur des données hisloii(|ues et archéologiques, peuvent être
(IjCf. cha|i. VI. L'homme à lïtiit m'olilhiqiio.
L'ASIE ANIKniI-URK ET I.'KC.VPTi; AMI-MIISTOIUOUES
201
.'ittiayantes par Iciir impicvii ; mais elles ne rcposeiil (|ue sur des
hypothèses ({u'on ne saurait accepter, lanl en ce cpii conccine
l'origine euro|)éeune des Aryens qu'en ce <pii regarde; l'introduc-
lion des arts céranii(]ues dans le bassin de la Méditerranée (1).
Jusqu'ici on s'était préoccupé fort peu de l'origine des civili-
sations méditerranéennes, parce que les documents faisaient
défaut; mais aujourd'hui (ju'ils se montrent, il faut bien se tenir
en garde contie les hypothèses ne concordant pas avec les
grandes lois du progrès mondial. Or, ces lois, nous les possédons
dans leurs ligues |)rincipales.
Expansion de l'art de peinture céramique dans l'Asie antérieure
et l'Orient méditerranéen.
Les fouilles récentes ont prouvé (|ue l'île de Crète avait été dès
les temps fort anciens un foyer artistique très important; mais,
demain peut-être, il sera démontré (jue ce foyer n'était pas uni([ue
dans la Méditerranée, et que la Crète n'était qu'une partie d'un
monde intellectuel plus avancé qu'on est en droit de le suj)poser
(1) Cf., entre autres, G. 1*errot,///.s-/. de l'Art,
l. 111, 1885, p. 690, fig. 5U7 (vase d'Ormidi;i,
Miiscc (le New- York), cl \). 711, fi<^ 523 (vase
dOrmiilia, Musée de New- York), fij;ure deux
vases oITranl tous les caractères de la cérami-
<luo clamite de seconde époque. On y retrouve,
l)lus spécialement dans le second e.\eniplaire,
les |)rincii)es susiens d ornementation; la seule
différence consiste en ce que, sur la panse, ce
vase porte une frise de pei-sonnages. très ca-
ractéristique, du goût des i)remiers Indo-Euro-
péens de la Méditerranée, mitigé cependant
d'iniluence ég\])lienne.
20-2 I-ES PRKMIKRES r.IMLISATIONS
aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, nous savons déjà que le Minoen,
né de l'Orient, a produit le Mycénien ; que les côtes méridionales
de l'Europe, depuis Chypre jusqu'à l'Espagne, ont, de très bonne
heure, reçu la civilisation; que, sur ces rivages, des populations
très développées étaient en rapports constants avec les barbares
du Nord, et qu'elles les ont instruits de mille choses.
C'est bien probablement ainsi que s'est formée cette vaste zone
dans laquelle l'art de peindre les vases s'est répandu. Ce n'est
vraisemblablement pas les populations de cette aire qui ont ensei-
gné au vieux monde ; mais bien le vieux monde qui a fait rayonner
ses connaissances.
En ce qui concerne la poterie ornée de décors incisés, il ne
peut faire aucun doute qu'elle soit née dans plusieurs milieux ; car
on la rencontre aussi bien dans l'Europe qu'eu Egypte, qu'en
Élam, que dans l'Iran septentrional, la Sibérie, le Japon, voire
même dans le nouveau monde. »
La poterie peinte couvre une ère moins étendue. Les traces de
cette culture cessent dans le district de Tchernigof, au nord-est
de Kief, dans le sud de la Russie (1), s'étendent jusqu'au nord de
la Bohême '2) en passant par la Galicie (3), se i-onconlrent en
Podolie et en Bessarabie d), en Roumanie (ô), Transylvanie (6),
Bukovine (7), dans la Haute-Autriche (8), descendent jusqu'à
Trieste (9) et en Bosnie (10), en Hongrie (11), en Serbie (12), en
Bulgarie (13). Pour les provinces européennes de la Tiir([uie (1/|)
nos informations sont, il est vrai, encore insuffisantes ; mais bien
certainement cet art est descendu jusqu'à la côte.
On ne conçoit pas aisément qu'une culture géographiquc-
ment aussi étendue se soit uniquement portée vers le Sud, sans
influencer le nord et l'occident de l'Europe; car il ne faut pas
confondre dans un même art la poterie incisée et celle ornée de
(1) E. Von STZRy, Die« Pramykenisclie » Kul- (7) Vo.\ Step-n, ap. cil., p. 77. Vallée du
hirinSud-Rusf!hind. Moscou, 1",I05, p. 73. Fouilles Prulh.
Chwoiko. (H) HoERNES, op. cit., pp. 51-!i5, fig. 123-130.
(2) M. HoERNES, Die neolitische KeraniiU in (!•) IIoernes, op. cit., p. 48, fig. 118. Gabro-
Oslerreich {Jahrbuch der K. K. Zenlral-Kom- vizza el Duino.
mission fur KCinst and Hislorische Denkmale, (10) Hqernes, op. cit., pp. 7-10, fig. 1-7.
III. i. 1905, Vienne, p. 72, fig. lH9-i;)5). Butmir.
(3) HoERNEs, id., p. 114, sq., fig. 251-283. (11) HœRNES, op. cit.. p. 11, fig. 19-22.—
Cf. Von Stern, Die <• PrâmT/kenische, » etc., Von Stern, op. cit., p. 75.
p. 74. (12) HœRNEs, op. cit., p. 29, sq. — Von Stern,
(4) Fouilles de E. Von Slern à Peirény. op. cit., p. 78, noie 2.
(5) VoN Stern, Die Prtimykenische, etc., p. 77. (13) Musée de Sofia (.J.M }.
Cucuteni. (14) Jérôme, Reo. arch., XXXIX, 1901,
(0) ScHMiDT, Zeitsch. f. EthnoL, 1903, p. 438, pp. o28-349.
sq. — HoEi-.NES, op. cit., pp. 19-2H, fig. 25-72.
ÉLAM ET CIIALDKE
Paierie peinle avec ornemenlalions génmétriaiiex et naltirisles
du lM-'I ou xxx° (?) siècle au. J.-C.
SYRIE, palestim;, phé.mcie, cappadoce
É(;ypte
Poterie peinte avec ornementation
Poterie i)einte avec ornementation
géométrique et naturiste.
géométri<iue et naturiste.
Du XLv° {■?) au xxv" siècle av. J.-C.
Du xLV (?) au XL" siècle av. J.-C.
Vernis indélébile
Couleurs fragiles.
CUVPltE
ILE DE CRÈTE
SANTORIN
Poterie peinte.
Poterie peinte, décoi-
Poterie peinte.
(léror géométrique.
géoniétrifiue et naturiste.
Minoen ancien,
décor géométrique.
Y
jusqu'au xv s. av. J.-C.
Y
hi:llade
0(;cif>F-\T miî;diterranéen
GRÈCE
ILES
ILEDECRÈIE
SICILE
ITALIE
ESPAGNE
Décor géomé-
Minoen
I" période
Mycénien.
trique des
Cyclades.
moyen.
Sicuie.
Décor géomé-
trique et na-
rr
' '
turiste sty-
^
Minoen
lisé.
récent.
XYiii^auxirs.
1
-Si
Céramique
1
r
Y
IP période
--_ TU
incisée.
Invasion
Art g r é c 0 -
Invasion
Sicuie.
^ :i
dorienne.
phénicien à
dorienne.
Décor géomé-
3 ^
Art
XV siècle.
Chypre.
xi" siècle.
trif|ue et na-
■;^ ^ i'.
indigène.
Décadence
turiste sty-
~ i ■"
décor géo-
lisé.
métrique et
Spirale.
1^2
naturiste à
Décadence.
xir au i\' s.
Vases
Atliènes.
x= siècle.
Y
x' au \\V s.
•j: ^ ^
peints.
Influence
5i S
minoenne.
Y
ATTIQLE
COniNTIIE
GRÈCE
IIP période
•?^
I
Sicuie.
Zones
IX" au vir s.
5
d'animaux.
Intluence
-?
ix" siècle?
phénicienne,
i
^'
II
1
Y
Personnages,
viii» siècle?
IV« période
Sicuie.
Influence
grecque.
virau vs.
III
Inscriptions.
Pein-
Influence
grec<pie.
Importations
corinthiennes
VIT siècle.
ture
Pein-
vir siècle.
noire
ture
1
(;20-500.
rouée
Y
1
Y
550-180.
V' période
Cérami([ue in-
grec(iue.
digène du
Lekytos
type corin-
blancs.
thien.
i\ et iir s.
1
1
Y
■\
'
^
r
Y
^
'
Céramiqu
e au tvpe grec dans toute la Méditerranée orientale
et centrale, sauf dans les Etats carthaginois, m' siècle av. J.-C.
Tableau nionlranl les diverses phases des avis céramiques
dans VAsie anlérieure el le bassin méditerranéen, ri leur dérivation hiipothétique
•20/| LES IMiEMIÈRES CIVILISATIONS
peinture, ces deux pi'océdés étant complèlenient indépendants
l'un de l'autre.
La solution de cet inléressanl problème repose donc unique-
ment sur une question de dates ; et personne ne supposera qu'en
Europe, ces arts céramiques soient antérieurs à ceux de Phéni-
cie (1), d'Egypte et de Chaldée. La priorité appartient sans con-
teste à rÉlam, mais le sud de la Cappadoce et la Syrie ont été
rapidement ses élèves; dès le quatrième millénaire, les riverains
de la Méditerranée étaient instruits de cette industrie. Comment
admettre quelle soit disparue pour revenir plus tard dans les
mêmes pays, issue d'un nouveau foyer d'invention?
Pour se mieux rendre compte de l'énorme influence ([u'eurent
les arts orientaux sur les pays les plus éloignés, il est intéressant
de (juitter les côtes d'Asie et d'examiner l'évolution artistique
dans les régions lointaines des Portes d'Hercule.
A l'extrémité occidentale du vieux monde, en Espagne, lait
de peindre les vases est certainement venu d'Orient; car nous
voyons, à partir d'une certaine époque, se présenter dans la pénin-
sule les mêmes procédés techniques et fréquemment aussi les
nuMues formes ((ue nous connaissons déjà dans l'Est méditerra-
néen.
Les recherches en i-^sj)agne ont été jusqu'ici j)eu nombreuses
et généralement mal roordoniu'es; aussi ne rencontrons-nous
pres(jue ([ue des documents épars, dépourvus pour la plupart de
ces certificats d'origine (|ui leur donneraient une si grande valeur.
Toutefois, il est dès aujourd'hui possible d'entrevoir les grandes
lignes de l'art céramique espagnol.
Je ne parlerai pas de la phase dans laquelle l'aitiste incisait la
pâte et remplissait les ornements d une matière blanche (2). Ce
j)rocédé est troj) répandu, en Europe comme dans l'Asie occiden-
tale, pour qu'on puisse tirer de sa présence de solides conclusions;
(1) Les divisions oUiiilits poui- la < iramique 270) propose poui- les iléijuts de lu civilisation
paleslinicnne sont les suivantes : I. Indigène chananéenne, la <late approximative de 30(XJ
!H. Vincent) =: pré-israélite arcliaïque (Bliss) av. J.-C. (chananéen ancien 3000 à 1550). Cette
= .\morile (FI. Pétrie); 11. Chananéenne (V.)=: date, à mon sens est beaucoup trop basse en
pré-israélite postérieure (B.) = phénicienne raison du développement que nous constatons
(P.); III. Israélite (V.) = juive [B. I' ); IV. Ju- à cette époque en Egypte et en Chaldée, pays
déo-hellénique (V.) = séleiicide (B. P.). La qui, forcément, se trouvaient en relations
classidcalion adoptée jiarH. Vincent {Canaan. constantes avec la Syrie.
l'.to7, p. 18 et chap. V, p. -297. sq.; est de beau- (2) Cf. Paris, Essai sur l'ail el l industrie de
coiii) la plus judicieuse. R. Dussaud {Revue l'Espagne primilire, t. II, 1904, p. 43, fig. 20
de l Histoire des religions, 1907, I, pp. 349-350, el (vases préhistoriques de la coll. Bonsor).
Ilei'ue de l'Ecole d'Anthropologie, 190S. p|). 269-
LASIK ANTKRIEURE ET L'KGVP'I H \NTK-inST<JlUOL ES "200
nous le considérons comme indigène. Je mCn tiendrai à la céra-
mique peinte.
Les premières influences orientales se l'onljCii I-^spagne comme
en Sicile, sentir dès les temps fort anciens, et tout i)orte à croire
qu'elles sont dues au foyer crétois, ou lout au moins aux mêmes
enseignements (1), venus de proche en proche.
Ce n'est cpu» |)lus lard (|u'a|)|)arail Tari niinoen dans son
entier dévelo|)pement, au point qu'on serait tenté de croire que
bien des spécimens de cette céramique ont été importés de Crète
et n'appartiennent pas aux induslries indigènes (2). On y voit
l'ornementation géométrifjue, la ligu ration des [)lautes et des
animaux (3) par des procédés crétois et mycéniens.
La poterie grecc|ue vint ensuite, i\u septième au cinf|uième
siècle, importée de lAtlique ; mais en Espagne elle ne lit pas école
comme en Étrurie. L influence phénicienne, prenant vile le des-
sus, détruisit le peu d'aptitudes arlisli(pies que possédaient les
peuples de l'Ibérie.
L'Espagne, tant par sa sculj)ture que par sa céramique, ne
semble pas devoir jamais montrer des tendances artistiques indi-
gènes bien élevées. Tout ce quelle [)OSS(''da lui vint de Tétran-
e-er et, semble-t-il, cette semence tomba dans un terrain stérile.
Mais revenons aux peuples orientaux.
A la question de l'origine des progrès dans la Chaldée et
l'Élam vient s'ajouter un autre problème non moins inij)(>rtanl,
celui de la découverte de la métallurgie; car nous soyons apj)a-
j-aître le mêlai vers répocjue où l'homme avait inventé l'écriture,
plutôt avant qu'après (/i). Ces divers laits sont intimement liés
et c'est leur ensemble qui a élé la cause ])rincipal(> de la supé-
riorité du peuple parvenu le premier à ces connaissances.
Je pensais auliefois (5) que la découverte du bronze était unique
et originaire de l'Extrême-Orient, et je crois encoi'e (jue ce centi-e
n'a pas été sans grande influence dans le monde, surtout en ce qui
(1) Cf. p. Paris, o/>. i-it., fi^. -21 ù'J^ el 104), surloul If^l i .Musée de Madrid); reprîseiUalion
(^^_ ' d'oiseau rapi)elant celles de la Crète, de la
(2) Cf. P. Paris, op. cit., fig. 16 (urne de la Syrie el de Chypre.
collection Gil, à Sarafiosse), fig. 99 (fragm. (4) Les signes des métaii.x usuels et pré-
provenanl d'Elche, Musée de Madrid), fig. 101 cieu.v sont au nombre des plus anciens, ce
Mu-sée de Taiagone , lig. 102, 103 (Musée de qui tendrait à prouver que lécrilure ne prit
-Madrid), iig. 169-173 ^. M usée du Louvre), naissance qu'après la découverte de la mélal-
fig. 17.5-170 (Musée du Louvre), (ig. 178 (Musée lurgiellChaldée).
de Saragosse). i^) CI"- J- oii Morga.n-, nech. oikj. peu/des du
(3) Cf P. Paris, vp. ril., fig. 180 à KK) et Otncaxe, -2 vol., 1889.
stations préhisloritiues de la vallée du Nil, entre Koiifl el Louxor.
L'ASIE ANTÉRIEURE ET LÉCVPTE A.XTÉ-HISTORIQL'Ey
20:
concerne les origines euroj)éennes ; niais, en ce (jni regarde les
pays chaldéo-élaniiles, je suis aujourtriuii amené à supposer un
foyer spécial, silué vers l'est de TAsie anléiieure el dans ses
montagnes riches en minerais cuivreux (i).
Les premiers instruniciils niélalli(|ucs, lanl en l-^gyple (ju'à
Suse et en Glialdée, sont en cuivre pur (2); mais rapidement inter-
vient le bronze, et c'est en vain que je cherche le lieu d'où prove-
nait Télain que renferme cet alliage. Le milieu chaldéeu de civili-
sation remonte à une telle antiquité qu'il est bien dillicile dad-
nietlie, pour lui, des relations comnierciales avec les lointains pays
où gît la cassilérite (3).
Dans la Aallée du Nil, I ijidnslric ncolilhicinc avait j)ris une
grande extension (Zi) grâce à la ([iialiiccla Tabondancc des inatiè)-es
(1) De toutes les villes de la Glialdée, Suse
est de beaucoup celle dans laquelle les fouil-
les ont mis au jour la plus grande quantité
de métal (Cf. Mém. de la Délég. en Perse) ; la
statue de la reine Napir-Asou, seule, pèse
environ 2. (M) kiloiframmes. ITne si grande
abondance de cuivre laisse à penser que
l'Elani était un centre i)roducteur important.
Les mines se trouvaient probablement dans
le massif montagneu.v du Haut Kàroun et
du Haut Ab è Diz, là où existent des for-
mations géologiques propres à renfermer des
liions cui)rifères. Malheureusement, ces mon-
tagnes sont encore peuplées de tribus si peu
hospitalières, qu'ai)rès deu.x tentatives infruc-
tueuses en 1891 et en 1898, j'ai dû renoncer
à leur exploration, (.f . M.)
(■2) Cf. Beuthelot, Comples rendus de l Aca-
démie des sciences, t. CXXIV, pp. 1119-1125. —
.1. DE MouGAN, Recherches sur les origines de
l'Ei/ypte, le Tombenu de Xégadah, 1897, p. 247.
— li en est de môme dans toutes les civilisa-
lions métallurgiques primitives des pays mé-
diterranéens.
(3) Cf., dans J. i>e MoncAN, Rech. orig. peu-
ples du Caucase, t. II, carte des gisements
d'élain connus dans le monde entier. L€s
gisements d'étain de la Malaisie n'ont pas
été exploités dans la haute antiquité. — Cf.
J . OE MoRCiAN, La géologie et l'industrie
minière du royaume de Pérak, ds Ann. des
Mines, mars-avril 1886.
(4) Avant mes découvertes et mes publica-
tions de 1896 et 1897, sur l'âge de la pierre
dans la vallée du Nil, les égyptologues se re-
fusaient à reconnaître l'existence du préhis-
torique en Egypte. Voici, comment en 1875,
s'exprimait à cetégaid P. Pierret (Dic/. d'arch.
égyptienne, p. 439, article Pierre), résumant
l'opinion générale qui s'est maintenue jus-
ipi'eii 1896: « On a trouvé, à Biban-el-Molouk,
(le nombreux silex de forme lancéolée, évi-
demment travaillés par la main de l'homme ;
ilsappartiennentà l'âge hisloriiiue de l'Egypte.
On s'y est servi, jusque sous les Plolémées, de
silex pour faire des pointes de flèches (nous
en avons au Louvre, salle civile, armoire il),
des pointes de lances, dos lames de couteaux
emmanchées dans du bois ; c'est avec des
instruments en silex qu'on pratiquait l'incision
nécessaire pour l'éviscéral^ion des momies el
l>our enlever la peau de la plante des pieds.
— La constitution du sol de l'Egypte ne per-
met guère d espérer qu'on y trouve jamais des
traces de l'homme préhistorique. >■ Et P. Pier-
rot cite, à l'appui de ce qu'il avance : Ihdlelin
de l'Instilut égyptien, n° 11, pp. 57, 74; Lei>-
siLS, Zeitschr. /'. JEgypl. Sjirache, 1870, p|i.
89, 113 ; Chabas, f Antiquité historique, p. 389. —
Le vicomte de Rougé écrivait, en 189.j (pen-
dant même que je coin])osais le premier vo-
lume de mes Recherches sur les origines de
l'Egypte): « On doit écarter du débat (sur le>
origines) la constatation qu'on avait cru faire
en Egypte, comme dans d'autres pays, d'une
époque préhistorique, par la découverte de
gisements de silex taillés. Les remarques de
Mariette, Chabas el d'aulres savants, ont
montré que ces instruments avaient été em-
ployés pendant toute la durée de l'Empire
égyptien (Orig. de la race égyptienne, in
Mém. Soc. Antiq. France, t. LIV, 189.^, tirage à
part, p. 15). — C'est imbu de ces principes
plutôt surprenants que Flinders Pétrie, ayant
eu main tous les documents pour établir l'exis-
tence de l'âge de la pierre en Egypte, mettait
sous presse, en 1S96, son livre I\'ag(idu and
Dallas, expliquant par l'intervention d'une
New race ses découvertes que la science offi-
cielle ne lui permettait pas d'expliquer natu-
rellemenl. Nos deux livres sortirent en même
temps ; la Xeti' race rentra dans le néant d'où
elle n'aurait jamais dû sortir, et le préhisto-
rique égyptien devint de suite l'objet des
études d'une foule d'archéologues heureux
d'exploiter un filon aussi riche, qu'ils n'avaient
pas su découvrir eu.\-mêmes. Les stations de
l'Egypte furent mises à sac, et comme on
s'y pouvait attendre, les observations scientifi-
ques furent presque entièrement négligées,
les chercheurs, pour la pliqiart, ne s'attachant
qu'à la valeur vénale des objets qu'on vit ai"-
•208
LES PHKMIKRP:S r.[\ILlSATlONS
premières que fôuniisseuL ses montagnes (1). Parmi les restes do
ces industries, parvenus jusqu'à nous, les slalions du Fayoum (2)
sont, à coup sûr, les plus anciennes ; tandis que celles de la Haute
Egypte (3) semblent avoir précédé de fort peu, si elles n'en sont
contemporaines, le grand événement d'où devait sortir l'Egypte
pharaonique {!i).
L'histoire de ce pays nous est mieux connue que celle de tout
autre, grâce aux facilités rencontrées par les savants pour son
exploration. L'homme y apparaît par son industrie paléolithique (5),
puis, après un hiatus compienant les industries archéolilhique et
mésolithique (6), nous le retrouvons taillant et jiolissant le silex
avec une rare perfection. Enfin, employant les roches dures (7)
et atteignant dans la fabrication des objets de pierre un véritable
art qui n'a été surpassé dans aucun pays, il creuse des vases dans
les matières les plus résistantes, sculpte l'os et Tivoire et possède
une superbe céramique, quand le métal fait son apparition.
Entre les stations du Fayoum et celles du Saïd avec leurs
nécropoles, leurs débris, leurs lestes d'habitations, est une
grande distance, et cependant, malgré l'a ppari lion de formes
nouvelles, il semble (jue ces deux civilisations se font suite; la
seconde étant fortement (Mnpreinli^ d'innucnces étrangères (8),
parailrc enfouie sur tous les marchés de 1 Eu-
rope. L'exposé très complet des discussions
survenues au sujet des premières civilisa-
tions dans la vallée ilu Xil est donné par
E.-A. Wallis Budge dans H;iupt in Ihe neoli-
lliic and archaic period, IWi, chap. I, Tlie pre-
dynastic cgyplians.
(1) Le silex égyptien du Saïd appartenant
aux étages Turonien et Sénonicn est des plus
beaux et des meilleurs qu'on puisse rencon-
trer pour la fabrication des instruments.
(2) Dimeh, Om el Atl, Kom Hachim.
(3) El'Amrah, Toukh, etc.
(4) Nous n'avons pas encore retrou\é de
textes chaldéens faisant mention des pre-
mières colonisations asiatiques dans la vallée
du Nil; mais la Bible qui, comme on le sait, a
tiré toutes ses données historiques des archi-
ves de la Babylonic et n'est, somme toute,
qu'un reflet des annales primitives, montre
Mitzra'im, fils de Cham, quittant la Chaldée
lors de la dispersirm des peuples et venant
s'établir en Egypte [Genèse, XI, 4). Or, cette
dispersion n'eut lieu qu'après la construction
lie la tour de Babel, c'est-à-dire à une époque
où les Suméro-Alikadiens étaient déjà assez
avancés en civilisation pour concevoir et exé-
cuter de grands travaux. C'est donc munis de
connaissances avancées que Mitzra'im et ses
hommes gagnèrent la vallée du Nil. Ces indi-
cations co'incident de jour en jour plus étroi-
tement avec les données fournies par la lin-
guistique et l'archéologie. La dispersion des
peuples de la Bible ne serait donc que le sou-
venir imprécis des émigrations qui prirent
place dans une antiquité extrêmement reculée
sous la pression de la colonisation sémitique
grandissante en Chaldée.
" (5) Cf. J. DE MoR(;.*.N, 1896, Rech. sur les
orig. de ÏE<j]jide, iùtje de la pierre el les mé-
laux.
(6) La station, aujourd'hui disparue, d'Hé-
louan doit peut-être se ranger dans les temps
(|ui précédèrent, en Egypte, l'usage de la
pierre polie. La collection la plus importante
de cette station ^e trouve dans les galeries
du Musée Kircher à Rome; on y remarque de
grandes analogies avec l'industrie archéoli-
lhique de l'Afrique du Nord (Tunisie, Algérie).
(7) L'usage des roches dures, pour la con-
fection des haches, n'apparaît en Egypte que
fort peu avant l'arrivée (les métaux si ce n'est
en même temps.
(8) Les relations très anciennes de l'Egypte
avec l'Arabie sont, suivant le professeur
Schweinfurlh (De l'orig. des Egyptiens, Bull.
Soc. Khédiv. Géogr., W' série, n"> 12, 1897),prou-
vées par ce fait tjue les arbres sacrés de
l'Egypte, le Persea et le Sycomore, cultivés
dès la IV<^ dynastie <t avant, appartiennent à
la flore spontanée de l'Arabie Heureuse et de
l'Abyssinie du Nord. Cette déduction du sa-
vant botaniste allemand ne semble pas justi-
fiée; car il se peut que ces espèces fussent
L'ASIK AMKIUEURE ET LÉC.VPTE ANTÉ-IIISTORFOUES
209
tandis ((iie la première semble être fraiicheinent africaine (1).
L'industrie énéolithique d'Egypte montre une céramique ornée.
Comme en I*]lam, ces peintures représentent des hommes, des ani-
maux, des plantes, des barques et cent objets inconnus aujour-
d'hui. Elle apparaît subitement avec le métal; c'est une révolu-
tion complète dans l'industrie de la vallée du Nil.
J'ai fourni jadis bon nombre de preuves de l'origine asia-
ti(|U(' ['2) de la civilisation i)haraonique (3). Il semble utile de les
reprend le sommairement aujourd'hui que le préhisloj-i(|ne égyp-
tien a été plus étudié et que, pendant ce temps, j'ai moi-m(''me fait
de nombreuses observations en Chaldée, en Élani et dans la
majeure partie de l'Asie antérieure.
Longtemps avant mes découvertes relatives au préhistorique
égyptien, les égyptologues les plus éminents, de liougé (/j), Lep-
sius(5), Maspero (6) et d'autres (7), bien des assyriologues (8), s'ap-
jadis l)caucoup plus répandues, et que les
points où elles croissent aujourd'hui ne soient
que les témoins d une flore beaucoup plus
étendue et en grande partie disparue par
suite des changements de climat.
(1) Les types de Fayoum se retrouvent avec
quelques variations jusqu'au sud de l'Algérie
et dans le Maroc ; leurs gisements sont
continus au travers de la Tripolitaine, de la
Tunisie et du sud algérien.
(2) Cf. Genèse, chap. X, V, 3-6. Misraïm, fils
de Kham, frère de Koush l'Ethiopien et de
Canaan, se fixa sur les bords du Nil avec ses
enfants. Loudini, l'aîné d'entre eux, personnifie
les Egyptiens proprement dits. — G. Mas-
PEHO, Hisl. anc. p. Or., 1893, p. 14. — Pline,
Hist. nul., VI, c. 29, attribue à des Arabes la
fondation dUéliopolis. — G. de Morlillel (Cf.
Matériaux, 1884, p 119) considère la civilisa-
tion égyptienne comme d'origine africaine, se
basant sur ce que : 1° l'usage du bronze i)arait
avoir manqué en Afrique; or, on le rencontre
en Egypte, largement représenté; 2° la domes-
tication des animaux, que nous voyons floris-
sante en Chaldée et en Elam dès les temps les
plus anciens et qui peut avoir appartenu aussi
bien à la vallée du Nil qu'à celle de l'Eu-
phrate-Tigre; 3» sur ce que cette domestica-
tion s'appliquait à des espèces africaines, le
chat, le chien, l'anlilope, l'âne, etc.; or, rien ne
prouve que le chat, le chien et l'antilope ne
fussent pas également à l'état sauvage dans
l'Asie antérieure. Quant à l'âne, il vit en
bandes dans le grand désert de Kirman. Le
bœuf vivait en Asie comme en Afrif|ue et,
d'ailleurs, il se peut que les procédés de do-
mestication eussent, en Egypte, été ap])li(]ués
aux animaux de la région sans que pour cela
la domestication elle-même y ait été décou-
verte; i" sans le fer, la civilisation égyptienne
n'aurait jamais pu atteindre le haut degré de
développement où elle est parvenue. Les ro-
ciics d'Kgypte sont fort dures, le fer était in-
dispensable pour les tailler. Or, les récentes
découvertes tant en Egypte qu'en Chaldée
montrent que ces roches dures étaient déjà
finement ouvrées dès les premiers temps du
cuivre pur ; on est donc bien loin encore de
l'usage du fer. L'absence d'un état du bronze
dans l'Afrique, si elle est réelle, montrerait
simplement que les populations extra-égyp-
tiennes n'ont connu que tardivement le fer et
sont directement passées à son usage en sor-
tant de l'état néolithique, tout comme le fait
eut lieu dans la Finlande.
(3j Cf. .1. DE Morgan, Recherches sur les ori-
yines de l'Eijypte, 1890-1897.
(4) E. DE HoL'GÉ, Rec/i. s. les monum. qu'on
peut attribuer aux six prem. dijn. de Manelhon,
18()G, p. 2-
(5; Lepsius accordait aux Khamites une
origine asiatique; Schweinfurlh les suppose
issus de l'Arabie méridionale et leur attribue
un développement spécial aux conditions afri-
caines, tandis que les Sémites, « leurs congé-
nères sauraient évolué suivant celles de l'Asie.
Cette hypothèse repose sur la conception de
l'iioinme primitif unique. Il semblerait plus
rationnel de sujjposer que le type khamilique
n'est que le (iroduit d'im mélange des races
africaines avec celles de l'Asie antérieure mé-
ridionale, mélange effectué par contact dansles
régions voisines de la mer Rouge.
(6) G. Maspero, //«?. nnc, p. 10.
(7) Vicomte J. de Roucé, Origine de la race
égyptienne, ds M(hn. Soc. anliq. France, t. LIV,
1895 — E.-A. Wallis Bi'dge, E(jijpt in the
neolithic and archaic period, 1902.
(8) Fritz Ilommel {Ancienl Orient, 1895) pense
((ue longtemps avant l'an 4000 av. J.-C, mille
ans |)eut-étre auparavant, les ])remiers émi-
granls bal)yloniens seraient arrivés sur les
bords du Nil. 11 aflirme que la moitié des mots
égyi)tiensde l'ancienne jiériode sont de racine
sumérienne et cite, à rapi)ui de son hypothèse,
une longue liste d'hiéroglyphes démontrant
11
210 LES PREMIÈRES CniLISATIOXS
puyaiit sur des données linguistiques, avaient conclu à l'origine asia-
tique des Egyptiens pharaoniques. Voici comment ils s'exprimaient :
« La race égyptienne se rattache aux peuples blancs de l'Asie
antérieure par ses caractères ethnographiques ; la langue égyp-
tienne se rattache aux langues dites sémitiques par sa forme
grammaticale (W Non seulement un grand nombre de ses racines
appartiennent au type hébréo-araméen ; mais sa constitution
grammaticale se prête à de nombreux rapprochements avec
l'hébreu et le syriaque (2). » Et « s'il y a un rapport de souche
évident entre les langues de l'Egypte et celles de l'Asie, ce
rapport est cependant assez éloigné pour laisser au peuph' qui
nous occupe une physionomie distincte » (S).
((■ Les Egyptiens appartiendraient donc aux races proto-sémi-
tiques. N'enus d'Asie par l'isthme de Suez, ils trouvèrent établie
sur les bords du Nil une autre race probablement noire, fju'ils
refoulèrent dans l'intérieur (Zi). »
A ces opinions, basées sur l'étude approfondie des langues,
viennent s'ajouter une foule d'indications concordant toutes avec
les conclusions des linguistes (5).
J. Oppert ((>) a remarqué que l'évaluation du temps, chez les
Egyptiens et les Chaldéens, est basée sur le même point de départ;
car les deux cycles, sothiaque (égyptien) et lunaire (chaldéen\ se
rencontrent en l'an 115^2 av. J.-G. (7); ce qui tendrait à indi-
cjuer une origine commune.
Or. ces appréciations, basées sur des faits d'ordre général, se
trouvent appuyées par une foule de détails dont l'intérêt néchap
pera pas.
Les mesures de longueur dans les deux pays concordent exac-
tement (8 .
d'après lui 1 identité des deux systèmes idéo- (5) A. Thomson et D. Randall Me Iver,
graphiiiues. The anc. races of Ihe Thebaïd. [Anlhrop. <■ Lon-
(1) Benfrey, Ueber das Verhaeltntss der dres, 1905.
Aegypi. Sprach. z. Sernitisch. Sprwlisl , Leip- (6) J. Oppert, Congrès de Bruxelle< . 1872,
zig, 1844. — ScnwARTZE, Dus Aile Aegypi, t. 1, p. 162.
p. 2003, sq. — E. DE RouGÉ, Recherches sur les (7; Celle date, 11&42 av. J -C.^ prise comme
monuments, pp. 2-4 — Lepsios, Zeilschrifl, indication de relations entre \a Chaldi'e et
1870, pp. 91, 92. — Maspero, Hisl. anc. peup. l'Egypte, n'aurait rien qui doive surprendre;
Or., 1893, p. 17. elle laisserait une période de quatre à cinq
(2» G "Maspeho, Ilisl. anc. f/eu]>les de rOrient, mille ans pour la phase d'incubation de la
V« éd., 1893, p. 16. royauté pharaonique. Mais si elle doit être
(3)E. DE RouGÉ, Recherches sur les monu- prise en considération, elle n'implique pas f.jr-
menls, p- 3.— Cf-HoMiiEi., Die Seniilischen Vol- cément des relations chaldéo-égypliennes à
ker und Sprachen, t. I, p. 9i, sq. ; 439, sq. — cette époque: car il se peut que le système chro-
Maspero, Hisl. peup. Or., V«éd., p. 17. nomélrique ne soit venu que plus tard dans
(4) Lepsius, Zeitschrift, iS'O, p. 92.— Mas- la vallée du Nil, de Chaldée où il existait déjà.
PERo, id., p. 17, (8) Cf. C. Mauss, lEylise Sainl-Ji-rcmie à
L'ASIE ANTÉRIEURE ET L'EGYPTE ANTK-IIISTORIQUES 211
L'usage du cylindre cachet (1), la culture du blé (2), origi-
naire de Chaldëe, l'emploi de la faucille armée de silex (3),
l'usage de la brique crue (4), les arts céramiques, la taille des
pierres dures (5), la figuralion sur les vases des bateaux et des
étendards de tribus (6), le sentiment artistique guidant la sculp-
ture des menus objets (7), enfin l'incinération des sépultures (8),
l'analogie dans les idées religieuses, sont tous caractères communs
aux deux pays. Ainsi bien des observations se réunissent à l'aj)-
pui de l'hypothèse supposant l'origine asiatique de la civilisation
dans la vallée du Nil.
Certainement le panthéon égyptien (9) diffère notablement de
celui de la Ghaldée au point de vue des formes qu'il revêt, surtout
dans les temps historiques ; cependant nous rencontrons là encore
des traces d'origine commune (10). Les divergences ne sont dues
qu'à des mélanges et à des développements indépendants, sous
Tinfluence de clergés guidés par des intérêts divers.
Dans les deux pays l'origine politique repose sur la théocratie.
Puis le pouvoir se sépare des prêtres ; mais les souverains con-
servèrent toujours un caractère sacerdotal, voire même divin (11).
Dans les religions de l'Asie antérieure et de l'Egypte se mon-
Abou-Gosch. Mesure Uiéorique des piliers de
Tello, 1894.
(1) Cf. G. Jeouier, tls J. DE Morgan, 1897,
Bech. ori(j. Egypt.; Tombeau royal de Néyadah,
p. 2-29, sq , fig. 78i-7, 816-821, elc.
;2) Cf. Mastabas de l'ancien empire à Saq-
qarali.
(3) Cf. Fl. Pétrie, lllahun. Kahun <ind Gurob,
pi. Vil, fig. 27. — J. DE Morgan, Rech. oriy.
Eyypjte, 1897, p. 95, fig. 266-273. Méni. Déléy.
en Perse, 1900, t. I, fig. 404-408.
(4) Cf. J. DE Morgan, Recli. oriy. E</;/p/e, 1897,
p. 194. L'usage de la i>rique crue chez les Cha-
nanéens de même qu'en Egypte est sans au-
cun doute d'origine clialdéenne. Quant à la
brique cuite elle ne semble pas avoir été em-
ployée dans la vallée du Nil antérieurement à
l'époque romaine. Nous ne connaissons en
Ghaldée (ju'un seul e.temple de construction
en pierre appareillée, dans les murs du temple
d'Eridon, déblayé par Taylor en 185'i. La ma-
tière employée est un conglomérat coquillier,
de formation récente, très abondant dans les
collines arabiques, bordant la vallée de 1 Eu-
phrate. De nombreux fragments de cette pierre
tendre se rencontrent dans toutes les ruines
chaldéennes; on n'en trouve que très rarement
à Suse.
(5) Cf. J. DE Morgan, id., 1897, p. 74 et sq.
— Fl. Pétrie, 1895, Naqada and Ballas, elc.
— E. DE Sarzec, Découverles en Chaldée,
pi. XXVL
(6) Cf. J. DE Morgan, id., 1897, p. 92. —
Fl. Pétrie, Diospolis, pi. XX, 8; Neqadah and
Ballas, pi. XXV, XXVI, etc. Les mêmes repré-
sentations se montrent sur la céramique su-
sienne.
(7) Entre autres, la figuralion du lion (Cf.
J. DE Morgan, Tomb. Boijal. Nèyadah, 1897,
p. 192, fig. 698, 699. - G. Lampée, ds Mem.
de In Déléy. en Perse, 1906, t. VHI, p. 159 et sq.),
pieds de vases et de meubles en forme de
jambe de taureau, fréquents dans l'Egypte
archaïque et en Susiane, gravures sur pierre
et sur os, etc.
(8) L'usage d'incendier les .sépultures, re-
connu dans les tombes de Négadah et d'Aby-
dos (rois thinites de la I" dynastie) se retrouve
en Chaldée (Cf. R. Koldewey, Zeilschr. f. As-
syrioL, vol. II, pp. 403-430), à El Ilibba et
à Zerghoul.
(9) Sur le polythéisme et le fétichisme chez
les anciens Egyptiens, Cf. G. Maspero, Bibl.
éyyplologique, 1893, t. 1, p. 127, sq. — Lepage
Renouf (Hibbert Lectures, 1879, p. 99) dit que le
mot Xuter — Dieu n'a jamais été un nom
propre, mais est demeuré toujours nom
commun.
(10) Fritz Homme! {Ancienl Orienl. 1895) croit
pouvoir affirmer une identité parfaite dans la
généalogie des divinités égyptiennes et baby-
loniennes, identité qu'il retrouve dans les
noms mêmes. —.1. Gaunier, Worship of llie
dead; or, oriy in and nature of payan idolalry
upon early hisl. of Eyypt and Babi/lonia, Lon-
dres, 1904.
(11) Cf. A. Wiede.mann, le Roi dans Cancienne
Eyyple.
2J2 LES PREMIÈRES CI\ ILISATIONS
trentles traces de deux conceptions (1) primitives : du culte sidéral
qui semble appartenir aux Sémites (2), et de celle des éléments et
des facultés de la nature, qui paraît être l'héritage des Asiatiques
non Sémites (3), si elle n'appartient pas aux couches anciennes
de la population égyptienne.
Pour des causes politiques les deux cultes se mélangèrent en
proportions diverses; de là ces nombreuses difterences qui feraient
croire à des religions complètement indépendantes les unes des
autres [h]-
Dans son remarquable ouvrage sur les religions sémitiques,
le P. M. J. Lagrange (5) reconnaît, dans les concepts de la Chaldée
primitive, ces deux éléments bien distincts, le naturisme et le culte
sidéral (6) et, les attribuant tous deux aux races sémitiques, se
préoccupe de rechercher l'antériorité de l'un sur l'autre. ^lais il
me semble que ce serait là le cas de faire entrer en ligne le dua-
lisme ethnique des Sumériens et des Akkadiens, dualisme dont
nous ne possédons ((ue des traces archéologiques vagues, parce
qu'il remonte à des époques très lointaines.
Ces deux éléments se retrouvent dans les notions religieuses
parvenues jusqu'à novis. Aux Sumériens revient le naturisme,
aux Akkadiens le culte astral (7). C'est ainsi, par la superposition
des deux systèmes, que serait née la religion suméro-akkadienne ;
les anciennes races conservant leurs divinités locales, les enva-
hisseurs gardant pour leurs dieux le rang suprême.
La longue durée de la civilisation babylonienne, sa grande
supériorité intellectuelle sur la culture des populations voisines,
furent les causes de l'expansion de son influence qui s'infiltra
jusque parmi les plus pauvres nomades de l'Arabie (8). Toutefois,
la péninsule conserva plus pures ses traditions astrales et c'est
(1) En Chaldée, la triade suprême, Anoii. (4) Rien ne nous permet de dire ce qu'é-
Bèl et Ea, est issue d'un couple antérieur: talent au début ces divinités, si les Egyp-
Anchar, élément mâle symbolisant la totalité tiens les apportèrent toutes de leur patrie
des choses célestes et Kichar, élément fe- primitive, ou si beaucoup d'entre elles naqiii-
melle, symbolisant celle des choses terres- rent sur les bords du Nil. Au moment où
1res. (Cf. P. DnoRME, 11K)7, C/(o/x de ?ex(es, etc., nous les rencontrons pour la première fois,
introd., p. xvni.) leur forme s'était modifiée profondément au
(-2) Le dieu principal des Sémites était le So- cours des siècles, et ne renfermait plus tous
leilqu'ilspla(;aientau-dessusdetouslesautres les traits de leur nature première. (G. Mas-
dieux. Ils réunissaient en une même personne pero, Hisl. une. p. Or.. 189o, p. 25.)
les principes mâle et femelle, Anou-Anat, Bel- (5^ Lagrange, op. cit., ]>. 448.
Beltis. MardoukZarpanit, etc. Cf. Sayce, T/iC (6) A. Jere.mias, Da^i allé Tetilamenl, p. 23.
Ancienl Empires of //ig Efi.s/, pp. 389-390. (7) Saturne (Ninip), .Jupiter (Mardouk),
(3) A la religion, il convient d'ajouter, pour Mars (Nergal), Vénus (Ishtar), Mercure (Na-
la Chaldée, les superstitions magiques, qui bon).
sernblent être l'apanage de toutes les popu- (8) Winckler.
lations primitives.
LASIE ANTÉRIEURE ET L'EGYPTE ANTÉ-HISTORIOUES 213
en Chaltlée, centre du mélange originel, que le naturisme laissa
le plus de traces.
A quelle phase se trouvait la religion babylonienne quand
rÉgypte fut envahie par les croyances orientales? Nous ne saurions
le préciser; mais il est aisé de retrouver dans le panthéon égyptien
les dieux astraux d'origine sëmili(fuo, et de les séparer des divini-
tés locales (1). Chaque nome possédait son protecteur, élément
terrestre déifié (2). Quant au culte des forces reproductrices du
genre humain si répandu dans toute l'Asie (3), il est rationnel
d'en attribuer l'origine aux Sumériens j)lulàl (|u'aux Akkadiens.
En Egypte comme en Chaldée, les divinités sidérales occupent
le premier rang, parce qu'elles sont celles des maîtres; mais, dans
la vallée du Nil, les planètes ne sont pas, con)me en Asie, toutes
divinisées; parce qu'en Egypte l'influence sémitique fut moins
intense.
Malgré cette apparente confusion, on peut aisément i-econnaîlre
dans Ra en Egypte, Chamach en Chaldée, Javeh f/i), Kamoch (5),
Melqarlh (6) chez les Ghananéens, le soleil et ses manifestations,
astre que nous retrouvons sous forme de dieu secondaire (7),
chez les Ourarthiens non Sémites, sous le nom cVArdinich (8) et
qui n'était entré dans le panthéon de ce peuple que par influence
étrangère. Quant au grand dieu susien Choiichinak, il semble
être indépendant de toute idée astrale.
Dans les deux pays, chaque ville, chaque tribu avait son dieu
(1) Sib (la terre), Notit (le ciel), Non (l'eau
primordiale), etc. Les dieux des morts, Sokari,
Osiris, Isis, Anubis, Nephthis semblent égale-
ment correspondre à des croyances antérieu-
res aux Sémites.
(-2) En Egypte, Sib, Nout, Tonen, dieux
des éléments, semblent avoir été délaissés
de bonne heure.
(3) Cf. M.-J. Lagrange, op. cil., p. 450,
note 3.
(4) La religion du bas peuple d'Israël ne
différait pas sensiblement, à l'origine, des au-
tres religions chananéennes. Elle reconnais-
sait des dieux de nature diverse : dieux do-
mestiques (teraphim), particuliers à chaque
famille (Cf. Histoire de Racbel,6'c/iè.se, XX.XL
19-38 ; Juyes, XVIH, 15. sq.; Samuel, XIX, 13,
sq.); dieux des astres et du ciel, dont le plus
important s'appelait Javeh. (G. Maspeuo,
Ilixl.nnr. dex peupleA de l'Orient, 5' édit.. ls;»3,
p. 343,1. Le mot Javeh doit appartenir au
vieux fond sémitique (Schradeh, Die Kei-
lin.schriften und dus aile Te.'ilamenl, 1883, p.
23, sq.); l'origine et le sens n'en sont pas en-
core bien assurés ; certains criti<|ues sont
portés cependant à croire qu'il fut le dieu des
Kénites avant de devenir le dieu d'Israël.
(TiELE, Ven/elijkende (ie.tcliiedeni.f, pp. j58,
')W ; Stade, Geschichle des Volkex Israël, pp.
1:30-13-2.) Ses emblèmes étaient des images
(éphod) d'homme, de taureau, de serpent en
métal ou en bois, des pierres lirutes. des co-
lonnes. (Cf. G. Maspeuo, op. cil., 1893, p. 34i
et notes.)
(F>) Dieu de Moah.
ftî) Dieu de Tyr.
(7) Bien des conceptions religieuses asiati-
ques ont survécu jusqu'aux temps de l'anti-
quité classique. Cf. Fiîieu DEi.rrzscu, The ba-
bylonian origin of the greek cuit of Dcmeter
and Persephone, Athenwum, l'.)04. II, p- S'ri.
(8) Khaldich est le grand dieu de l'Ourar-
Ihou ; les dieux secondaires ou enfants de
Khaldich sont extrêmement nombreux : Tei-
chbach (maiire de I air et des cieux). .Vouich
(l'eau), .\yach (la terre), Ardinich (le soleil),
Silardich (la lune), etc. Les dieux sidéraux
semblent n'être entrés dans le |)anthéon van-
nique que par contact de l'Ourartliou avec les
Sémites.
91/, LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
principal, supérieur pour elle à tous les autres (1), même aux dieux
])riucipaux des peuples voisins, qu'il rejetait au second rang (2).
En agglomérant les divers districts, les conquérants réunirent
aussi leurs dieux. C'était dune politique judicieuse; car, bien que
sémitisés, les clans avaient conservé pour leurs divinités d'an-
tan un attachement tel que chez eux l'idée de patrie se confon-
dait avec leur culte (3).
Cet indice de nationalisme est surtout remarquable chez les
Chananéens, qui, séparés du tronc sémitique dans des temps fort
reculés, n'ayant pas éprouvé les vicissitudes de leurs congénères,
s'étant développés librement, accordèrent à leur dieu principal un&
importance prépondérante. Dans l'esprit de chaque tribu, le dieu
national devint celui qui devait asservir l'univers entier, parce qu'il
personnifiait ses intérêts, ses traditions, son désir de domination.
Ne serait-ce pas là l'origine du dieu unique des Hébreux, du Dieu
juif contempteur des autres divinités, comme ses adorateurs haïs-
saient tout ce qui n'était pas eux ? On aurait tort de rechercher, à
ces époques, les origines du monothéisme dans des idées philoso-
jihiques dont des pauvres nomades demi-sauvages sont inca-
pables (/i).
Plus tard, ce principe domina, à Texclusion des panthéons
multiples que leur complication même conduisit à la ruine (5).
11 fut d'abord exploité par les Assyriens, par les Hébreux et beau-
couj) d'autres dans un sens exclusif; puis celte idée suivant le pro-
grès, devint, chez une élite d'abord, puis chez les Aryens, la base
lie toute la philosophie qui régit encore le monde. Si les Chana-
néens n'avaient pas quitté la Chaldée, s'ils ne s'étaient pas affran-
chis du joug des polythéistes, s'ils avaient, comme leurs congé-
nères, accepté pour leur dieu un rang secondaire, le monothéisme
n'aurait peut-être jamais vu le jour dans l'antiquité ((3).
(1) En Egypte, comme en Chaldt'-e, les dieux de l'Asie antérieure, le dieu disparaissait
siiivircnllesdestinées polili(|ues de leur ville. comme dieu devant son caractère national ;
Sin eut la suprématie tant que dura l'omni- aujourd'hui encore, dans tout 1 Orient, la reli-
potence dOurou ; il en fut de même à Lar- gion tient lieu de race et de nationalité,
sam pour Chamach, à Thèbes pour Ammon, à (5) Le polythéisme est la base de toutes les
Uéliopolis pour Râ, à Ninive pour Assour. religions sémitiques. En ce qui concerne la
(i) En Egypte, le même nôme pouvait avoir, Chaldée, « revenditiuer pour elle le culte d'un
en même temps, ses dieu.x solaires, ses dieux dieu unique ne peut être que le résultat
des éléments et ses dieux des morts, c'est-à- d'une illusion occasionnée par les elTorts d'un
dire trois classes divines, ne provenant cer- syncrétisme tardif». (P. Dhorme, op. cit., in-
laincment pas de la même origine. trod., p. xvu.)
(3] En Egypte, Hator à Dendérah, Nil à (G) C'est contre le cuite sidéral, dont l'im-
Saïs, Nekiiah à El Kab, Râ à Uéliopolis, porlance allait grandissant, que les prophè-
-Vmmon à Thèbes, etc. tes eurent le plus à lutter. (J.-M. Laorange,
(4) Dans l'antiquilé, chez tous les peuples op. cit., p. 4y(.i.)
LASIE ANTÉKIEURK ET L'EGYPTE ANTÉ-IIISTORIQUES 215
lui l>gy|)te (1), comme en Chaldée (2), nous voyons les ani-
maux jouer un rôle important clans les concepts religieux (3). Ils
devienuenL rincarnalion ou remblème des divinités, croyance
sûrement étrangère à la famille sémitique, mais dont l'acceptation
était destinée à concilier les idées anciennes avec celles des nou-
veaux venus.
Nos connaissances des religions primitives de TAsie antérieure
sont encore trop imparfaites pour qu'il soit possible d'entreprendre
leur élude comparée ; malgré cela, comme on le voit, il est aisé de
se rendre compte du mélange qui se produisit lors de la concjuète
akkadienne de la Chaldée et de celle de TÉgypte par les peuples
asiatiques [fi).
A quelle époque s'est passé le départ des tribus mésopota-
miennes vers l'Egypte et par quelle voie sont-elles parvenues
dans la vallée du Nil (/i) ?
Les émigrants connaissaient le métal (5) et l'écriture hiérogly-
phique ou tout au moins figurative. Ils possédaient l'art de
peindre les vases, de sculpter des figurines. Ceci nous reporte
au lem[)S où se déposèrent les couches du tell de Suse aujour-
d'hui situées entre 25 et 28 mètres de profondeur; c'est-à-dire à
cinq milléniums avant notre ère, peut-être même avant.
Ce mouvement des tribus, depuis les bords de l'Euphrate jus-
qu'aux rives du Nil, se fit avec lenteur ; si toutefois ce sont les
mêmes peuplades qui, parties de basse Chaldée, arrivèrent en
Egypte. Il est plus naturel de penser que les hordes se chas-
(1) Tolli (ibis ou cynocéphale), Hor (éper-
vier), Sovkou (crocodile), Amou (oie), Aniibis
(cliaca!), Fiitah (bœuf)
(2) Les Koudourroiis cosséens fournissent
une liste très importante des emblèmes di-
vins. (Cf. J. DE MoiiGA>, Mém. Déléij. en Perse,
l. I, l'JOO, pp. 165-16-2; t. VU, l'.)05, pp. 137-153.)
(3) Parmi les animau.x momifiés de l'an-
cienne Egypte, le docteur Lortel et M. C.
Gaillard (/« Faune momifiée de l'ancienne
Egiiple, Lyon, l'K)r>) ont reconnu : SZ/iye-s :
Papio hamadryas (Linné), P. Anubis (F. Cu-
vier), Cercopilhecus grisco-viridis (Desni.j ;
Chiens et Charal.s: Canis familiaris (L.), C. au-
reus (L.); Chais : Felis maniculata (Cretzs )ou
F. l.>bica(Meyer), id. var. domestica (Fitz.);
Insectivores : Crociduragiganlea (GeolT.),C.re-
ligiosa (Geoff.); /îojiyeiir.s : Acomys cahirinus
(E. Geoff.), Mus .\le,'sandrinus(.ls. Geoff.); Bo-
vidés : Bos Africanus (Fitzing); Anlihiies: Bu-
balis buseiaplius /Pallas) ; Gazelles : Gazella
dorcas (Linné), G. Isabella (Gray.) ; Moulons :
Ovis longipes (Fitz.), race palœotegyptiacus,
O. plalyura (Wag), race .Egyptiaca (Fitz.) ;
Mouflon à numcheltes : Ammotragus tragela-
pbus (Cuvier) ; Chèvres : Hircus mambricus
(Linné); H. tbebaicus (Dcsm), H. reversas
(Linné) ; Oiseaux : :^8 espèces ; /?ep/i7es .• 3 es-
pèces ; Poissons : Lates nilolicus.
(4) Il semblerait qu à Eridou (H. Rawlin-
son), il se soit formé une école de mono-
théisme. Mais celle doctrine, si jamais elle a
existé, s'éteignit sans laisser de lraces.(A.-lL
Sayciî, The Ancient Em/iires, p. 3H1.) M en fut
de môme de la conception du dieu unique,
dans la philosophie grecque et pour l'unité
divine d'Ammon Ihébain imaginée par les
grands prêtres dans un but politiiiue.
(d) L'anthropologie signale en Egypte, dès
les temps néolithiques et énéolithi<iues la
présence de deux races juxtaposées, l'une
autochtone (.') sous mésatiréphale, l'autre
envahissante (?) dolichocépliale. (E. Chamre,
Congrès de Paris, 2-!» aoiH lîtOO. Bec. Ecole An-
thrôii., liKXi, t. VIII, p. 287.)
216
LES PREMIÈfŒS CIVILISATIONS
sèrent les unes les autres, et que celles qui parvinrent au Nil
n'étaient pas toutes les descendants de celles qui avaient bu l'eau
du Tigre ou de l'Euphrate.
En route, de proche en proche, ces hommes se perfectionnèrent
et, partis peut-être avec la pictographie pure ou l'hiéroglyphe
rudimentaire, il se peut qu'ils soient arrivés avec un système
tout constitué d'écriture, indépendant de celui qui s'était formé en
Chaldée après leur départ.
Le tombeau de Menés (l), à Négadah, qui peut être placé vers les
débuts du quatrième millénium av. J.-C. (2); ne doit pas être con-
sidéré comme contemporain de l'invasion, bien loin de là. Des
siècles se sont écoulés entre l'arrivée des premiers envahisseurs
et la fondation d'une monarchie. 11 fallut se trouver en nombre,
subjuger les premiers occupants du sol, s'établir dans le pays,
s'emparer des foyers de résistance, centres de la richesse, enfin
reunir les éléments d'un pouvoir politique (3). Cette période d'incu-
bation de la monarchie pharaonique est celle des dynasties divines
ou des serviteurs d'Iiorus; l'Egypte elle-même nous en a transmis
le souvenir dans ses légendes (1).
Par quelle voie se fit cette invasion ? Nous l'ignorons parce que
nous ne connaissons pas l'état des routes d'alors. L'Arabie n'était
peut-être pas infranchissable comme de nos temps, et la mer
Rouge oflrait peut-être des passages.
Si les conditions naturelles étaient les mêmes qu'aujourd'hui,
ce qui semble probable, la migration, remontant l'Euphrate (5),
(1) Les seuls métaux alors connus étaient le
cuivre et l'or. O. Montelius (Soc. d'Anlhrop. et
de Géoijr. de Stockholm, 18 sept. 1885) déclarait
qu'on ne possédait alors (1885) aucune preuve
certaine de l'emploi du fer en Egypte avant
l'an 1500 av. J.-C. et, depuis, aucun fait nou-
veau n'est venu contredire cette assertion.
En 1883, M. G. Maspero (.Soc. d'.An;/!rop. de Puri.s-,
15 nov. 188rl), se basant sur des découvertes
de viroles de fer dans la pyramide noire de
Dahciiour qu'il pensait être de l'ancien empire,
émettait l'opinion que le fer, quoique très rare,
était en usage dès la IV' dynastie. Mais,
d'une part, il a été démontré que la pyramide
noire de Dahciiour ne remonte qu'à la XIP
dynastie ; d'autre part, le site e.xact dans le-
quel furent trouvées ces viroles n'ayant pas
été observé scientinquement, celle trouvaille
n'infère en rien les assertions de M. O. Mon-
telius.
(2) Suivant FI. Pétrie (Royri/ Tombs, part. II,
p. 4), la tombe royale de Négadah ne serait
pas celle de Akha, mais celle de Nit-Khetep,
femme de Menés. Mais celle opinion ne
semble pas devoir être acceptée par les égyp-
tologiies. (Cf. BoRCHARDT, in Sitzungsberichte
der Kônig. Preugs. Akad. der Wissenschaften
zu nerlin Ges., v. 25, nov. IB'JV, p. 1054, sq. Ein
neaer Kùnigsname der Erslen Dijnitstie. — E.-A.
Wallis Budgl-, .1 Ilistory of Eyypt, vol. 1,
1902, p. 174. sq.)
(3) L'école memphite comptait 770 ans pour
la durée des trois premières dynasties pharao-
niques et pla(;ait le règne de Snéfrou vers
3998 avant noire ère. Ce calcul donnerait
pour l'époque de Mènes 4777 ans av. J.-C., éva-
luation d'ailleurs vraisemblable.
(4) Le professeur Sergi, dans sa Mediterra-
nean Race, p. 91 (cité par E.-A. Wali.is
BuDGE, A History of Eyypt, vol. I, 1902, p. 34,
sq.), soutient l'origine africaine des anciennes
races d'Egyi)te, au point de vue anthropolo-
gique. Je partage sa manière de voir en ce
qui concerne le fond de la population dans la
vallée du Nil ; mais cette constatation ne
louche en rien à l'origine asiatique de la civi-
lisation pharaonique. (J. M.)
(5) D'après les données certainement fan-
L'ASIE ANTÉRIEURE ET L EGYPTE A.NTÉ-lIiSTOaiOUES 217
gagna le Jourdain par la Cœlésyrie, descendit sa vallée jusqu'à
la mer Morte et Édom et de là soit par le Sinaï, soit par le désert
voisin de la côte méditerranéenne, parvint à la limite orientale;
du golfe Nilothique, aucune autre voie ne lui étant ouverte. Mais
comme conséquence forcée de ce mouvement, la Syrie et la
Palestine reçurent des colonies mésopotamicnnes (1).
Le souvenir de cette invasion et probablement aussi d'autres
qui se sont succédé, était resté vif en Chaldée ; car le même che-
min fut suivi, à Ijien des siècles de là, par les llyksos d'abord et
par les Hébreux ensuite.
En quel état les envahisseurs trouvèrent-ils l'Egypte ? Le Nil,
toujours désordonné, ne déposait pas encore ses limons comme il
le fait de nos jours. Des bancs de galets, situés à quelques
mètres de profondeur près de Gebel-Abou-Fodah, m'ont appris
que le temps n'est pas encore très éloigné où, tout au moins dans
le Saïd (^2), ce fleuve avait encore, sur bien des points de son
cours, un réo-ime torrentiel.
Sept mille ans avant nous, le Nil, couvrant le fond de sa vallée de
galets, laissait çà et là de longs bancs de gravier et de sable. Chan-
geant sans cesse son cours, abandonnant des bras morts de tous
côtés, renversant un jour ce qu'il avait édifié la veille, il parcourait
toute la haute Egypte et une partie de la moyenne sans laisser de
limons en quantité appréciable (3). Son lit, couvert de broussailles
dans les parties asséchées, de plantes d'eau dans les marais et les
bras morts vieux de quelques années, laissait à droite et à gauche
deux bandes de terres fertiles, inondées au moment des ciues {f\).
Plus bas, les eaux s'étant calmées, les limons se déposaient
taisisles de l'école memphite, la durée des
temps légendaiies en Egypte aurait été de
17.870 ans, se décomposant comme suit :
I" dynastie divine, 12.300 ; II' 1.570; III' 3.650 ;
IV» "(rois de This.), 350. Les trois premières
dynasties historiques auraient donné une pé-
riode de 779 années (1" dyn., 263 ans ; II',
302 ans ;III% 214 ans). Ce qui rapporterait à
18.649 ans avant Snéfrou (3.998 av. J.-C.), à
22.647 ans avant notre ère, les débuts de l'in-
cubation en Egypte delà civilisation pharao-
nique. Inutile de dire combien ces nombres
sont e.xagérés, surtout en ce qui concerne la
période légendaire.
(li Depuis la hauteur de Bagdad ( Féloudj a) ju i-
qu'à la Commagcne, les émigrants remontant
l'Euplirate ne rencontrèrent certainement pas
une grande résistance ; car ces pays sont in-
capables d'une population nombreuse, les
terres cultivables se bornant à deux étroites
bandes (de quelques centaines de mètres au
plus) à droite et à gauche du fleuve, limitées
par des falaises caillouteuses. Ils durent
même parcourir rapidement celte région trop
pauvre pour les nourrir. Ce n'est ([n'en Syrie,
pays fertile, qu'ils rencontrèrent les premières
tribus assez fortes pour résister ([uelque peu
à leur invasion. (J. M., Voyatje de V.m de la
Chahh'e à la Si/rie.)
(•2} .lai donné dans Hecli. oriy. Eyijple, 1896,
chap. I et II, une étude détaillée sur le creu-
seiiieiit de la vallée du Nil et sur la formation
du sol fertile actuel de l'Egypte. (J. M.)
(3) Dans ces lits caillouteux gris, j'ai trouvé
à .Malanah (Haute-Egypte) un éclat de silex
finement relouché semblant appartenir à l'état
néolithique. (J. M.)
(4) On peut se faire idée de ce qu'était l'al-
lure de la vallée du >Jil à celte époque, en la
comparant à ce qu'est aujourd'hui la haute
218
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
comme de nos jours et, surélevant le lit du lleuve, formaient des
digues naturelles, laissant sur les bords du désert de longs ma-
récages. Une végétation luxuriante se développait alors grâce à la
grande humidité de ce pays sans hivers (4).
Le delta n'existait pas encore, le Nil rejoignant le golfe non loin
du site actuel du Caire, yia'is ce golfe, naturellement peu profond,.
se comblait peu à peu, laissant émerger çà et là des bancs de vase
à peine durcie, bordés de roseaux gigantesques, couverts de gazon,,
de broussailles, entremêlés de troncs d"arbres, de branchages
arrachés par le fleuve aux forêts d'amont, chariés par le courant
et rejetés par les vagues.
L'hippopotame, le crocodile habitaient ces îlots boueux et les.
rives du fleuve, le sanglier vivait dans les fourrés ; des milliers
d'oiseaux d'eau volaient en tous sens, quittant un marais pour
s'abattre dans un autre. L'antilope, l'autruche, bétes du désert,,
se tenaient sur sa lisière et, dans le bruit confus de tant d'ani-
maux, le rugissement du lion jetait la terreur.
A droite et à gauche de ce vaste oasis, s'étendait le désert, avec
ses immenses solitudes desséchées ; celui de l'ouest, se perdant à
l'infini, couvert de dunes de sable, mobiles comme les vagues de
la mer ; celui de l'est, balayé, dénudé, semé de galets brunis et
brûlés par le soleil.
Mais, chaque année pendant plusieurs mois, le Nil sortant de
son lit obligeait à fuir tous les hôtes de sa vallée. Habitants de
vallée tle l.i Loiie, en amonl de Nevers. Tou-
tefois, en Egypte, les proportions du phéno-
mène élaienl hien plus grandes, et les débor-
dements annuels.
(1) Le docteur G. Schwelnfurlli qui, comme
on lésait, fut l'un des premiers explorateurs
du haut Nil, compare l'état dans lequel se
trouvait jadis l'Egypte à ce qu'il a vu en
amonl du confluent des deux fleuves. » Veut-
on se faire une idée de ce qu'était la vallée
nilotique, avant l'introduction de la civilisa-
tion basée sur la cuit ure des céréales ? On n'a
qu'à établir une comparaison entre le Nil
supérieur, en amonl de Kharthoum, et le
lleuve bleu du Senuaar, dans leur étal actuel.
Des forêts épaisses d'acacias, de palmiers
doûms et un certain nombre d'arbres à larges
feuilles couvrent les îles et les plaines acces-
sibles aux inondations et aux crues. Des
taillis impénétrables, des bosquets épineux,
des festons de lianes superbes comblent les
lacunes entre les gros arbres. Parfois, s'of-
frent à nos regards do vastes clairières cou-
vertes de prairies, tout aussi infranchissa-
bles, grâce à l'énorme végétation des hautes
herbes qui y dominent. l.e cours du lleuve,
nullement réglé par des digues, marque,,
selon l'importance des crues, entre de nom-
breux îlots, une certaine indécision de bran-
ches et de canaux. De nombreuse s lagunes,,
des arrière-eaux se forment isolées pendant
l'étiage et se dessèchent. Ailleurs, dans le&
dépressions abritées pendant la crue, des in-
filtrations donnent naissance à des marais-
constants. Les bras du fleuve, arrêtés par des
obstructions causées par la végétation aqua-
tique, se remplissent de papyrus et d'îlots
flottants. La région entourant cette vallée, si
richement dotée d'une végétation permanente,
donne lieu souvent aux conliastes les plus-
éclatants. Dans r.\frique équatoriale du
Nord, les forêts riveraines, qu'on classe
parmi les plus épaisses du monde, forment
des bandes relalivemenl étroites, qu'entou-
rent des prairies desséchées pendant huit
mois de l'année, et qui n'ont même pas sou-
vent la moindre feuille verte. Dans les ré-
gions du Soudan oriental, ces forêts rive-
raines sont moins nombreuses et ont moins
de continuité. Le désert gagne partout du
terrain. » (G. ScuwEiyFvimi, Bull. Khédiv.
Géoyr., IV" série, n» 12, le Caire, 1897.1
L'ASIE ANTERIEURE ET L ÉGVPTE ANTÉ-IIISTORIOLES
•21i>
tout genre gagnaient alors le désert, ou se tenaient dans les brous-
sailles encore découvertes (1).
C'est dans ce milieu que s'était dévelo])pé 1 lioninie d'Egypte
aux temps préhistoriques. Isolé du monde par les solitudes qui
l'entouraient, attaché à sa terre et à son fleuve aux(|uels il devait
tout, n'ayant d'autres ennemis ([ue les animaux féroces, nom-
breux alors, mais trouvant en abondance le gibier, le poisson et
les végétaux comestibles (2).
Cependant il ne pouvait, lui non plus, habiter en tout temj)S la
vallée d'une manière fixe. Chassé par les crues, il devait gagner
les sables ou tout au moins se tenir sur les bords des terrains
inondés. C'est là, en efl'et, qu'on trouve les restes de ses habita-
tions, des enclos où il réunissait les troupeaux pour la nuit (3);
quant aux traces de ses campements provisoires, dans les terres
soumises à l'inondation, elles ont disparu sous les limons.
Si le fleuve nourrissait l'honime, il lui imposait aussi ses exi-
gences ; lors des débordements, toute la terre étant couverte par
les eaux, on ne tiouvait plus sa subsistance au jour le jour ; force
fut donc de s'approvisionner à l'avance. C'est ainsi que rEgy[)tieii
devint éleveur et agriculteur; que, semparant des bétes du désert
et de la vallée (û), il en fit ses troupeaux, auxquels il joignit plus
tard le bétail importé d'Asie (5) ; qu'ayant choisi les plantes les
(1) On a pensé que lea marais du delta
constituaient alors un obstacle infranchissa-
ble pour une migration venant d'Asie par
l'isthme de Suez, sans songer qu'à l'ouest du
délia, entre Tell el Kel)ir et Suez, est un large
passage quelque peu surélevé, composé de
conglomérats coquilliers et de sables, et que
celte langue de terre n'a jamais été cou-
verte par les eau.x du Nil. (.1. M.)
(2) Entre autres, le lotus, dont les graines
demeurèrent, jusqu'à l'époque romaine, un
comestible recherché, le dattier et le doum,
dont les fruits se rencontrent souvent comme
offrandes dans les tombes pharaoniques.
(J. M.)
(3) Les troupeaux égyptiens, à l'époque des
kjœkkenmœddings de "Toiikh, se composaient
de moutons {Ovix longifien, Fitzingcr). de
mouflons à manchettes (Ammolra<ius Inige-
laphiix, Cuvier), de chèvres (Hircuf; thebdiriis.
Desm.), cl probablement aussi d'antilopes
(liubniis buselaphus, Pallas), el de gazelles
(Odzella dorcns, Linné; G. Isabella, Gray.).
(Cf. docteur Lohtet,/(i Faune momifiée de tan-
cienne Egijpte, Lyon, lîMJô)
(il Les mammifères dont j'ai retrouvé les re-;
les dans les kjœkkenmœddings sont : Rox lau-
rus, D. bub'ilus, Cnpra liircux, Gnzellit Isabelln,
Hippolrmjux liakeri, Sua Srrofi, Canix Ittmiliaris.
(5) D'après le docleurUlrichDurst^/i/eyîinf/cr
von Babylonien, Assyrien unJ Eyypten, Berlin.
1899), le Bos macroreros des monuments
égyptiens l'Cf. Wilkinson, Tlie Ancient Eyyp-
lian.s, vol. I, i)p. 249 et 370) aurait été im-
porté dans la vallée du Nil par une race hu-
maine primitive qui, venant du Nord de
l'Inde, à une époque très reculée, aurait tra-
versé la mer Rouge pour se répandre sur
toute l'Afrique orientale. Le docteur Lortet
{In Faune momifiée de l'ancienne Eyypie, Lyon,
1905, p. 07) ne partage pas cette opinion : « La
vallée du Nil, dit-il, ainsi que le centre de
r.Vfrique, a joui probablement depuis l'épo-
que crétacée des mêmes conditions climaléri-
ques qu'elle présente aujourd'hui Dans un
tel milieu, d'une stabilité si constante, races
humaines et races animales ont dû acquérir
des caractères tout à fait spéciaux, en har-
monie avec les influences climatériques si
remarquables. ■> .le ne partage pas l'opinion
de mon savant ami au sujet de la permanence
des conditions climatériques de lEgyple,
depuis les temps crétacés ; car, au pliocène,
entre autres, le relief de ces pays était tout
différent de ce qu'il est aujourd hui, de même
que le régime des eaux. l'.L M.)
i< Le mouton préhistori<]ue d'Eg>pte n'est
pas iin mouton indigène, comme on l'a pré-
tendu. 11 a été importé probablement de
l'.Vsie, aussi bien que Bas brachyceros, dont on
220
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
plus utiles de son pays, il en sema les graines; qu'à peine eut-il
connu le blé, il en fit son principal aliment (1).
Au nord, non loin de l'embouchure du Nil, sur sa rive gauche,
était une grande dépression, aujourd'hui le Fayoum, jadis, prétend-
on, le lac Mœris, beaucoup plus étendue à l'époque anté-historique
qu'elle ne l'est de nos jours (2). Là, l'homme avait placé ses sta-
tions (3) tout autour de cette nappe d'eau merveilleuse par
sa richesse en poisson (Zi).
Jamais rien ne variait dans ce monde à part, où régnaient la quié-
tude et l'abondance ; les peuples y prirent ce caractère doux et
insouciant qu'on voit encore chez le fellah de nos jours, après
sept ou huit mille ans de civilisation.
Il suffit de jeter les yeux sur les bas-reliefs de l'ancien empire (5)
pour vivre de la vie de ce peuple au début de l'histoire. Par-
tout on ne voit que représentations de scènes de chasse et de
pèche, de navigation et des travaux de la campagne. Toujours des
œuvres de paix ; c'est un monde à part qui semble n'avoir connu
que bien tard les horreurs de la lutte, les calamités de la guerre.
Ce milieu, les émigrés asiatiques l'envahirent aisément et ils en
firent un grand empire.
Il est à présumer, d'après les indications que fournit l'archéo-
logie, que l'avant-garde des Asiatiques, apparaissant dans la vallée
du Nil, fut le premier trouble jeté parmi les populations autoch-
tones. Jusqu'à ce temps, les Égyptiens étaient en droit d'ignorer
qu'il y eut au monde d'autres hommes qu'eux. La douceur de leurs
mœurs fut cause de leur malheur d'abord, de leur grandeur ensuite.
trouve les ossements dans les Kjœkkenmœd-
dings (le Toukh •> (Cf. Gaillaru, le Bélier Je
Mendè.t, Lyon, l'JOl, p. 22), « et que Balfelus
antiquus, et de nomi>reuses gazelles. Mais,
en présence de sa grande réi)arlilion dans
le Nord de l'Afrique, à l'âge de la |)ierre polie,
on se demande si la souche sauvage de ces
races de moulons n'est pas arrivée en Afrique
avec les ruminants cités plus haut, à une
époque hien plus ancienne, au moment de la
grande extension glaciaire, lorsque les mam-
mifères des régions tempérées de l'Asie et
de l'Europe furent détruits ou chassés vers
le ?ud, par ces modifications du climat et par
l'arrivée dans les mêmes régions des espèces
de la faune horéale » lid., p. 3i). M. Piètre-
ment (les Chevaux dans les temps préhisloriques
et Bull. Soc. Aulhrop., Paris, 1906, p. 658)
reconnaît, dans l'âne d'Egypte, une espèce
africaine, mais pour le mouton, la chèvre et
le bœuf, il démontre l'origine asiatique.
(1) La grande usure des dents chez les Egyp-
tiens pharaoni()ues prouve que non seule-
ment les céréales étaient consommées sous
forme de farine mais aussi à l'état naturel ;
et sans cuisson.
(2) Les fonds d'anciens lacs, avec leurs osse-
ments de poissons et leurs mollusques, s'éten-
dent au loin; autour du lac actuel, j'en ai
observé à 40 mètres environ au dessus du ni-
veau des eaux. {J. M.)
(3) Les stations néolithiques de Dimeh, Om
El Atl, etc., se trouvent à plus de 30 mètres
au dessus du niveau actuel des eaux du lac.
On ne rencontre pas, au Fayoum, de traces
de palafittes. (J. M.)
(4) Le Birket-Karoum, encore très poisson-
neux, fournit à la ville du Caire une énorme
quantité de poissons (carpes, perches, silu-
res, anguilles, elc ). (J. M.)
(5) Tombeaux de Ti.de Méra,de Kabin, etc.,
à Saqqarah.
L'ASIE ANTK1UEL1U-: ET L'EGYPTE ANTÉ-IIISTORKJUES 221
Si les envahisseurs s'étaient heurtés à des populations belliqueu-
ses, jamais l'Egypte pharaonique n'aurait vu le jour.
Quelles étaient les populations qui hajjitaient l'Egypte avant
l'arrivée des Asiatiques ?La vallée du Nil était alors très peuplée; car
les traces de cette époque sont })artoul (rimo (>xlrèin(> abondance.
Après bien des hésitations et des tâtonnements, je suis aujour-
d'hui porté à croire que le fond de la poj)ulalion était, dans la val-
lée, le même que dans les oasis et dans toutes les terres habita-
bles voisines de la Méditerranée ; que cette race était blanche et
apparentée aux Berbères de noti'e éj)0(|ue.
Les frappantes analogies qui existent entre les instruments
néolithiques de l'Egypte et ceux qu'on rencontre dans tout le
nord de l'Afrique, m'amènent à penser que l'habitat de cette
race était extrêmement vaste et couvrait presque tout le nord du
continent africain.
Est-ce à une réaction anti-akkadienne en Chaldée, aux mouve-
ments violents qui en seraient résultés, que l'Egypte dut son
envahissement ; est-ce à la conquête même du pays des deux
fleuves par les Sémites? Nous ne le pouvons savoir; mais on serait
tenté de le penser, car ces faits prirent place vers l'époque carac-
térisée par la grande expansion akkadienne. D'après les arts, les
industries, les connaissances diverses apportées d'Asie dans la
vallée du Nil, il semblerait que les hordes envahissantes fussent
composées d'autochtones asiates demi-sémitisés plutôt que de
Sémites purs, dont l'influence fit partout périr les arts nais-
sants.
La conquête de l'Egypte ne fut pas un mouvement isolé. Tous
les pays de la Syrie, de la Palestine, furent englobés par la coloni-
sation (1) ; et c'est là l'origine des peuplades semi-sémitiques (2)
(1) Les récentes explorations arcliéologiques vingtième siècle et peut-iire bien antérieurs,
en Palestine ont fourni de nombreuses traces Grotte artificielle sépulcrale néolithique de
des peuples qui, occupaient le sol avant les pre- Gezer (Cf. Alex. Mac.^usteu, Oaalerley State-
mières invasions sémitiques. menl, 1902, pp. 353-356 ; 1903, p. 50, sq., 3-2-2 326)
« Chez les pré-Sémites de Palestine, dont entre 4.000 et 2.500 av. J.-C. (H. Vince.nt, Ca-
le concept religieux nous échappe encore, il nuan, 1007, p. 211), incinération des corps,
n'y a ni sanctuaire bien déterminé, ni autel. En Palestine, comme d'aillem-s en Chaldée
à plus forte raison pas didole. Tout le culh' et dans lEgypte, les origines de la céramique
s'accomplit devant un trou creusé à même le peinte ne i)euvenl être datées, même approxi-
sol nourricier ou devant des roches percées de malivement. H. Vincent est d'avis que la po-
cupules;ony répand, en hommage à ladivinité, terie indigène s'éteignit en Palestine vers le
des libations d'eau probablement pure et sim- seizième siècle av. J.-C. (Cf. CaïuKin, p. 19.) Sa
pie à l'origine, ou de lait, plus tard de vin et disparition en Susiane comme en Egypte est
de sang. » (Cf. H. Vincent, Canaan, 1907, p. 201, beaucoup plus ancienne; elle est, dans la val-
sq.) Sanctuaires indigènes d'époque néoli- lée du Nil. antérieure à l'époque de Snéfrou,
thique il Gezer, Tell Djedeideh, Megiddo (Cf. et en Chaldée voisine du trentième siècle.
ll.ViNCENT,Canaa/i,1907, p.92)du trentièmeau (2) Chez les Chananéens, on rencontre en
4)99
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
qui, bien longtemps avant Tarrivée des Araméens, formèrent le
fond des populations voisines de la Méditerranée. Ce fut égale-
ment la cause du départ vers le nord de ces tribus qui, plus tard,
«ur le haut Tigre, mélangées avec une nouvelle poussée sémi-
tique, devaient créer l'Empire ninivite (1).
Dès que la Chaldée nous apparaît dans l'histoire, nous la voyons
divisée en trois régions bien distinctes :
• Au sud-ouest et au sud, le pays de Shoumer avec ses villes
principales dont nous connaissons Ourou, Eridou, Bâb-Saliméti,
Ourouk, Larsam, Sirpourla.
Au nord, le pays d'Akkad et ses capitales, Nipour, Barsip,
Babylone, Kouta, Sippar, Agadé...
A l'est, au pied des montagnes, le pays d'Elam avec Suse et les
nombreuses villes de sa j)laine.
Les rois de toutes ces villes portaient le titre de patésis ou
princes héréditaires sacerdotaux ; sous eux gouvernaient d'autres
roitelets, chacun dans sa ville de second ordre.
Ce régime montre les dernières traces du morcellement en
■clans dans la ^lésopotamie pré-akkadienne. Plus tard, des rois
foule lies preuves de leur origine chaldéenne,
par la langue, par les connaissances céra-
miiiues, architecturales, glyptiques ; par les
■croyances religieuses ils montrent n être qu'un
rameau des peuples sémitisésdes deux lleuves.
La divinité revêtait deux formes principales:
l'une masculine figurée par le Ba'al (Phallus),
l'autre féminine personnifiée dans l'Aslarté de
l'Elam et de la Chaldée. Le concept général
■était la fécondité. Plus lard, des dieu.x secon-
daires vinrent se joindre à celte idée primi-
tive, soit pour satisfaire à des hesoins locau.v,
soit pour répondre au.v exigences de maîtres
étrangers. La divinité principale elle-même
obéira dans sa forme à des influences exté-
rieures changeantes et très diverses.
Les sanctuaires chananéens de Gezer et de
Megiddo (du xx"' au x\" s. av. J.-C.) déblayés
•depuis peu (Cf. H. Vincent, Canaan, 1907,
p. 102, sq ) présentent de grandes analogies
avec celui de Seràbit el Khadim (Sinai)
reconnu, malgré ses nombreuses transforma-
tions égyptiennes, comme d'origine sémitique
(iv< millénium av. J.-C.) ; avec la représen-
tation de bronze découverte à Suse (xr s. av.
J.-C); avec quelques sanctuaires très anciens
de l'Abyssinie. Ils sont, aux débuts, à ciel
ouvert et ornés de monolithes plus ou moins
grossièrement taillés : une simple caverne leur
lient lieu d'adijlum et de trésor, aucune antre
construction, palais ou demeure des prêtres
ne les accompagne.
.Sur l'autel les sacrifices sanglants prennent
de plus en plus une place prépondérante et
ies sacrifices humains deviennent fréquents.
L'offrande des premiers nés dans les sanc-
tuaires, l'immolation de victimes humaines
pour la fondation ou l'achèvement d'un édifice
par exemple, montrent à quel degré le Chana-
néen primitif a le sens de la suprématie divine
et de sa propre dépendance vis-à-vis de celte
force redoutable il'oij émane toute vie el qui
régit la mort. (IL Vincent, Ca/J<ia;j, 1907, p. 203.
En ce premier stade de la religion cliana-
néenne, si une influence extérieure est saisis-
sable, elle vient plutôt de l'Orient babylonien
que d'aucun autre point du monde antique. La
Babylonie, l'iilam ou la Susiane fouinissenl
les meilleurs répondants pour les éléments
aujourd'hui saisissables du culte de Canaan.
(Cf. H. Vincent, Canaan, 1907, p 202.)
Pendant la période chananéenne, les sépul-
tures se faisaient généralement dans des
tombes à puits rappelant [)ar leur forme celles
de l'ancien et du moyen Empire égyptien (sauf
toutefois celles des premières dynasties à Né-
gadah, Abydos, etc ), inhumation des corps
accompagnés d'offrandes.
La deuxième période céramique (chana-
néenne), dans la Palestine, s'étend du seizième
siècle environ jusque vers le douzième-onzième
siècle I' Les éléments spécifiques, en tant que
distincts de la culture antérieure, nous demeu-
rent fort obscurs; mais elle est caractérisée à
ce moment par la fusion qu'elle introduit entre
les éléments locaux qu'elle s'est appropriés et
ceux qu'elle reçoit du dehors, se laissant pé-
nétrer par le grand courant égéen si puissant
alors. » (H. Vincent, Canaan, 1907, p. 19.)
(1) Genège, X, 11-12.
L'ASIE ANTÉRIEURE ET L'ÉGVPTE ANTÉ-IIISTORIOUES 2iZ
conquérants vinrent, partant d'Agadê ou tl'autres villes, sou-
mirent ces peuples divisés à l'infini el en formèrent leurs
•empires. Mais la division administi'ative demeuia la môme ; les
patésis, jadis indéj)endanls, devinrent Iribulaires et ainsi se créa
■ce vaste système féodal qui régit la Ghaldée pendant des siècles.
11 en fui de même en l']gypte, où ces divisions primitives (1), con-
tinuées jusqu'aux temj)s romains pendant (|uatre mille ans, sont
■connues sous le nom de Nômes.
Bien des siècles après l'installation des Akkadiens dans la
Chaldée, mais encore très loin avant l'histoire, les envahisseurs,
iiyant affermi leur puissance, organisé le premier gouvernement
•de ce pays, écrasé, absorbé ou chassé les tribus sumériennes,
songèrent à éloigner d'eux les dangers dont les menaçaient sans
cesse leurs voisins non-sémites de l'Elam, du Zagros, des mon-
tagnes qui séparent ces deux pays, et du haut cours du Tigre. Des
guerres acharnées furent certainement le résultat de cette lutte
pour la conservation de l'indépendance, mais l'histoire ne nous
«n a pas laissé de traces.
Au sud-ouest et à l'occident, les déserts arabiques et svro-
arabiques constituaient une frontière naturelle sûre et n'offraient
à la cupidité aucune tentation ; c'est donc vers le nord et lorient
seulement que se tournèrent les regards des Akkadiens.
Mais aussi, la conquête du pays des fleuves, l'asservissement
<le ses anciens habitants, l'établissement définitif des Sémites
•dans la plaine basse, étaient pour les Etats voisins un avertisse-
ment; et si les Akkadiens redoutaient un retour oflensif des
peuples autochtones, les autochtones eux-mêmes craignaient
d'être subjugués un jour.
Dans cet antagonisme, l'Elam lui aussi succomba. L'Akkadien
vainqueur domina, étendit les limites de sa puissance sur toute la
plaine, s'avança peut-être même jusqu'à la ^léditerranée et im-
posa dans tout le sud de l'Asie antérieure une dynastie d'empe-
reurs qui dura plus de mille ans. Ainsi le premier grand empire
ne naquit pas de l'ambition d'un peuple de réunir sous un même
(1) La céramique peinte de l'Egypte énéol- iand Rallas, etc.) A Suse, nous avons trouve
Ihique fournil un grand nombre de représen- (Cf. Méin. de la Déléy. en l'erse, l. 1, 1900, fig.
talions de barques qui, toutes, sont ornées 337, p. 135) un fragment de poterie arcliaïque
d'emblèmes, sortes d'étendards désignant dont l'ornenientalion incisée et remplie d'une
certainement les tribus. (Cf. J. de Morg.\n, pâle blancbe représente également une bar-
liecher. s. les oriy. de l'Egypte, t. H, 1897, fig. que munie de son étendard. iJ .M.)
240-204, p. 93. — Flinders Pétrie, Naqada
•12!\ LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
sceptre toutes ses tribus afin de lutter en commun plus sûrement
pour la vie, mais de la cupidité d'un homme, d'une famille qui
asservit tous les peuples civilisés d'alors. Seuls les soldats de cet
autocrate furent ses sujets, les autres hommes n'étaient que ses
esclaves. Quel abîme sépare les conceptions gouvernementales
d'alors de celles des sociétés modernes !
L'Elam, important encore bien que politiquement sémitisé, for-
mait dans son territoire, comme d'ailleurs tous les Etats du monde
à cette époque, une monarchie féodale. Suse était la plus populeuse
de ses villes, mais Anchan, x4damdoun (llatamti) et bien d'autres
bourgades, portant le titre de villes royales, étaient gouvernées par
des patésis, dynastes moins asservis que ceux de la Chaldée
propi"ement dite, si même ils n'étaient entièrement indépendants.
Sharoukin, ou Sargon l'Ancien, ne fut probablement pas, des
princes suméro-akkadiens, le premier qui devint empereur ; peut-
être fut-il précédé par ^lanichtousou et d'autres rois de Kich ;
mais il est celui sur le règne duquel se sont concentrées toutes
les légendes relatives à celte grande révolution : or, il vivait au
trente-huitième siècle avant notre ère.
Si nous sommes juslifiés à placer vers la seconde moitié
du cinquième millénaire, au j)lus tard, la concjuête des pays éla-
mites époque qui correspond, dans le pays des ])haraons, aux
dynasties divines, ce serait donc mille ans au moins après l'enva-
hissement sémitique de l'Elam que la Chaldée se présenterait à
nous par ses monuments et ses textes. Est-il dès lors surprenant
que nous n'ayons, jusqu'ici, retrouvé aucune trace précise des
jiopulalions qui couvraient autrefois le sol de la Mésopotamie?
Ces évaluations, basées sur de simples approximations, n'ont
rien de la rigueur scientifique. 11 n'en est pas moins vrai que
nous connaissons la succession des faits, des mouvements accom-
plis, des évolutions; et (|ue l'idée que nous pouvons nousfaii*e du
temps qu'ils exigèrent ne doit pas être très éloignée de la vérité.
Les questions traitées dans ce chapitre laissent subsister une
foule de doutes que l'avenir éclaircira certainement; mais nous
entrevoyons nettement quel était l'état du monde au moment où
va commencer l'histoire.
En Chaldée, l'Akkadien domine sur tous les anciens peuples.
En Egypte, la race autochtone, subjuguée par une migration
asiatique, voit s'étal^lir la royauté pharaonique.
L'ASIE ANTÉRIEURE ET L EGYPTE ANTÉ-HISTORIQUES 225
Les deux pays possèdent le métal et rëciiluie liiéioglyphique,
connaissentrarchitectuie,prali(iuent l'élevage et la culture, adorent
des dieux issus d'une même pensée religieuse, bien que mélangée
à celle des autochtones, parlent des langues apparentées.
Quant au reste du monde, il est plongé dans les ténèbres de la
sauvagerie, la pierre polie règne partout en maîtresse et, peut-être
aussi, bien des peuples en sont-ils encore à l'état mésolithique.
Désormais, au cours des siècles, les divergences entre les
Chaldéens et les Egyptiens n'iront qu'en saccenluant, jusqu'à
former deux peuples entièrement difTérenls. Pendant deux mille
ans au moins ils demeureront sans contact direct entre eux,
s'ignorant presque l'un l'autre et, lorsqu'ils se retrouveront en
présence, ce sera les armes à la main.
Le tableau suivant résume les principaux faits qui, pendant une
période de trois mille ans environ, précédèrent les débuts histori-
ques. 11 ne repose que sur des su|)positions appuyées par les tra-
ditions et les découvertes archéologi(|ues. Les dates, indiquées
en milléniums, ne sont basées sui- aucune preuve positive, sauf en
ce qui concerne celle de l'Empire chaldéen ; et s'il est des correc-
tions à faire dans ces évaluations, on devra plutôt, à mon sens,
diminuer qu'augmenter ranti([uité des faits antérieurs à Sargou
l'Ancien.
Y.
IV.
CHALDEE ET ELAM
Z5
m
Tribus
sumériennes
(clans).
Envahissement
sémitique.
Formation
des principautés
(patésis).
Premiers
royaumes.
Empire
suméro -akkadien,
EGYPTE
Tribus
nord-africaines.
Conquête
asiaticiue.
Serviteurs
d'Horus.
Etablissement
du régime
pharaonique.
I" Dynastie.
IIP —
IV« —
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MOUVEMENTS
DE PEUPLES
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CHAPITRE VIII
L'expansion sémitique.
V Empire sumét'o-ahhadien. — V Egypte pharaonique à i ancien
el an Moyen Empire. — La réaction élamite. — Les Hyksos dans
la vallée du Nil.
Quand les Sémites eurent étendu leur pouvoir ou leur
influence aux pays de la plaine, lorsqu'ils eurent occupé toute
la région fertile, depuis les bords de la mer jusqu'au cours moyen
des fleuves, jusqu au pied des montagnes iraniennes et à la bor-
dure du désert arabique, il se forma, peu à peu, dans ce milieu
d'abord sans cohésion, des centres politiques correspondant aux
bourgades les plus avantageusement situées, aux districts les
mieux administrés.
Ces villes, grâce à leur puissance relative, accrurent leurs
domaines aux dépens des communautés voisines plus faibles, les
absorbèrent et réduisirent leurs patésis au rang de tributaires.
Cette période d'incubation politique fut longue; elle dura vrai-
semblablement })Ius de mille années et, pendant ce temps, les
anciennes populations du sol chaldéen se fondirent avec les nou-
veaux venus. Leur civilisation dénaturée par lesprit étranger
adopta une nouvelle voie ; les usages se modifièrent, sadaptant
au récent état des choses. L'écriture jadis hiéroglyphique se trans-
forma, j)eu à peu, en cunéiforme linéaire ; on oublia mômejus-
<|u"au sens de ses éléments primitifs.
L'EXPANSION SKMITIQL'E 227
L'ail, demeuré entre les mains des aborigènes, mais soumis à
la volonté des maîtres, prit un grand essor, si nous en jugeons
par les rares œuvres parvenues jusqu'à nos jours.
Dans cette civilisation mixte (1), composée de deux éléments
originels distincts et provenant de deux races aux tendances et
aux aptitudes très diverses, il est bien difficile de distinguer la
part qui appartient aux vainqueurs de celle qui revient aux vain-
cus. Toutefois, il semble qu'aux Sémites doivent être attribuées
les conceptions gouvernementales telles que l'administration, les
finances et la guerre ; tandis qu'aux aborigènes seraient dus les
arts, l'écriture, les industries, la culture et toutes les branches des.
connaissances dérivant des soins donnés à la terre.
Disposant des bras de leurs serfs, les Akkadiens ordonnèreiiL
des canaux, assainirent et irriguèrent le pays ; sinsj)irant, en les
améliorant, des méthodes employées avant eux. Ils Idilifièreut
leurs villes, élevèrent des temples et des palais et réglemen-
tèrent la propriété, en vue d'assurer et détendre leur pouvoir
avec leurs revenus.
Réunissant les coutumes éparses, propres aux besoins locaux,
les adaptant à leurs usages et à leurs intérêts, ils composèrent
les premiers recueils de lois qui, comme le fait a lieu pour tous
les coutumiers, différaient d'un district à l'autre pour mille dé-
tails ; mais demeuraient toujours, d'une part attachés aux néces-
sités du sol, d'autre part liés aux vues politiques des conquérants.
11 se forma une caste militaire ayant à sa tête, parfois des
Sumériens, souvent aussi des Akkadiens, gens de vieille race,
dont le concours était assuré aux vainqueurs; les Patésis, qui déjà
détenaient l'administration, en furent les principaux officiers.
Cette caste était nécessaire au maintien dans l'obéissance des
(1) L'organisation sociale el administrative nauté. En dehors de ce partage, des lots étaient
d'un royaume chaldéen nous est révélée par attribués au roi et aux divers fonctionnaires
les textes, et plus spécialement par ceux trai- civils el militaires, suivant leur grade, avec
tant de la propriété foncière. En tète, se trou- obligation de rapport à la communauté en cas
vait le roi ou le patési ayant pouvoir sur un de cessation de leurs fonctions. (Cf. Ed. Cuo,
certain nombre de tribus. Chaque tribu avait La propriété foncière en Chaldéc, ds Xotw.
son chef (portant souvent aussi le litre de pa- Reu. kisl. de droit franc, et étranger., nov.-déc.
tési), ses administrateurs, ses conseillers, ju- 1906, p. 722, sq.) Cette législation est le reflet
ges-prèlres, scribes el autres fontionnaires. des anciennes coutumes du teniijs où les pré-
Les terres appartenaient à la communauté; Sémites, plus pasteurs et chasseursqu'agricul-
mais la jouissance en était attribuée aux leurs, vivaient sous le régime de la propriété
villes et villages, chacun pour leur part. Lad- collective dans les territoires attribués à
ministration des centres secondaires était or- chaque tribu. Elle montre également de quels
ganisée comme celle de l'Etat. Dans chacune, ménagements durent user les Akkadiens en-
les terres tirées au sort étaient remises en vers les Sumériens lorsqu'ils s'établirent peu
jouissance aux divers membres de la comnui- à peu en mailres dans le pays.
2-78 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
peuples soumis, ainsi qu"à la protection du domaine sémitique
contre un retour offensif des autochtones non asservis encore ou
à peine vaincus.
Le risc(l), comme de raison, demeura entre les mains des
Sémites. Les Akkadiens percevaient les taxes non seulement
comme maîtres politiques, mais aussi comme chefs religieux;
car cette aristocratie, aussi bien sacerdotale que militaire, s'as-
surait de toutes les ressources par sa double autorité. La religion
avait été transformée, les panthéons des deux races s'étant fondus
lun dans lautre ; mais dans presque toutes les grandes villes,
les prêtres de rang élevé étaient des Sémites.
La caractéristique de l'esprit akkadien est le défaut complet
de morale, la morale étant entendue dans le sens que nos cul-
tures attribuent à ce mot. L'égoïsme régna toujours en maître dans
les États fondés par cette race, et si parfois, dans Ihistoire, appa-
raissent des sentiments généreux chez les souverains, c'est que
les circonstances, lintérèt même, les obligeaient à masquer leurs
véritables vues.
La cruauté chez les Assyriens, les Arabes, les Chananéens, les
Phéniciens, etc., nest quune conséquence de ce principe du
mépris de l'intérêt etde la vie d'autrui, sentiment dominant parmi
ces peuples. Chez les adorateurs dAssour, toute pitié disparais-
sait devant lintérèt du dieu, et le dieu nétait que le représen-
tant des appétits de chacun, le masque déguisant l'égoïsme.
(( Les Sémites ont à leur charge deux abominables tares (2),
les prostitutions sacrées pour les deux sexes et les sacrifices hu-
mains non seulement des prisonniers de guerre, mais des enfants
immolés par leurs parents, avec la conviction d'être agréables
aux dieux (3). Il est vrai que les courtisanes plus ou moins
(1) Les revenus de lElal en Chaldée se de remparts, etc., qui s'effecluaienl à la cor-
composaient de deux parties distinctes : ceux vée. (Cf. G. Maspebo, Histoire, l, P- J63. -
provenant des terres de lEmpire et ceux pro- Metchmkoff, la Civilisation el les Grands Heu-
duits par les tributs qu'envoyaient les peuples ves historiques, 1889. - Babelon, Science soc,
étrangers soumis. Les impôts intérieurs se I, 3W-351, etc.)
réparlissaienl suivant les produits de lagri- (^2) M. J. Lagrange, Etudes sur les religions
culture et de l'élevage dans des proportions sémitiques, Pans, 1905, p. 445.
variables suivant les districts et les époques; (3) Les sacrifices humams chez les Arabes
en outre c'étaient des métaux, des produits furent d'usage jusqu'à I'hégire.En529,Mundhir,
manufacturés, des esclaves des deux sexes. Le prince de Hira, vassal de Kavùdli, roi sassa-
iribul prélevé sur les peuples étrangers se nide de Perse, envahit la Syrie qu'il ravagea
payait en denrées, produits manufacturés, mé- jusqu'à Antioche. » Celait un payen sauvage,
taux pierres, bois, bétail et esclaves, etc. qui en un seul jour offrit les 4O0 nones d'un
L'intérieur moins taxé que les tributaires, couvent syrien en sacrifice sanglant a la déesse
avait aussi'à fournir des prestations pour les Uzzâ (la planète Vénus). .. (Noeldeke, E/udes
travaux d'intérêt public, tels que création et hisloriquessurlaPerse ancienne, \,rad.O.\\ irlb,
entretien de canaux, construction de digues, 1896, p. 170.)
L'EXPANSION SK.MITIOUE 229
sacrées affluaient en pays grec, mais la prostitution n'y fut jamais
regardée comme un acte religieux si ce n'est peut-être à Co-
rinlhe et à Eryx en Sicile, deux points où l'influence sémitique
est incontestable.
« Et les Grecs aussi ont immolé des victimes humaines, mais
il est très vraisemblable que ces cas sporadiques s'expliquent
encore par l'influence des Sémites, par exemple en Arcadie (1),
en Chypre (2), dans l'île de I^hodes (3), pays où leur action a été
particulièrement sensible.
« Chez les Sémites, au contraire, ces immolations sont enraci-
nées par l'usage. On les trouve en Arabie iZi) et en Aramée (5).
Les prophètes ont eu beaucoup de peine à empêcher qu'elles ne
prévalussent dans Israël.
« La Phénicie en avait comme le privilège (6), elle le transmit
à Carthage qui les pratiqua avec fureur, même après sa ruine po-
litique (7). On vient d'en retrouver au pays de Chanaan des traces
évidentes (8). Babylone — moins purement sémitique à ce qu'on
prétend — ne paraît pas s'y être adonnée avec la même passion ;
cependant les critiques nous paraissent bien exigeants s'ils ne se
contentent pas des traces fournies par les inscriptions et par les
monuments (9). Ce ne sont point là des faits qu'on se préoccupe
de transmettre à la postérité (10). »
Ce n'est pas, en efïet, dans la Babylonie qu'il faut s'attendre à
retrouver les traces du véritable esprit sémitique. Là, dans le ber-
ceau de leur puissance, devant appuyer leur pouvoir sur des peu-
ples étrangers à leur sang, qu'ils cherchaient à s'assimiler, ils
durent faire une large part à la mentalité de l'ancienne popula-
tion. 11 se forma une religion, des lois, des coutumes mixtes
qui décèlent à chaque instant la présence des deux éléments.
C'est dans les régions éloignées de ce foyer mélangé, dans les
(1) Victor Bérard, De lOrujine des cultes ar- (7) Les textes sont nombreux. Pliitarque note
cadiens, p. 58. sq. (De supersl., 13) qu'il eiU mieux valu que les
(2) TertulueiM, Apo/. /A. — Porph., De A6a^. Carthaginois n'eussent pas de dieux que de
II, 54. leur ofTrir de semblables sacrifices.
(3) PoRPH., Cod. loc, sacrifice à Kronos. (8) A Gezer; voir les rapports de M. Maca-
(4) L'histoire de saint Nil, les captifs immo- lister ; Pn/ expl. Fund. Stal., Id03, p. 17,33,
lés à el-'Ouzza (Noeldeke, Tabiin,p. 171.) — 223, 224. Des faits analogues ont été relevés à
PoRP»., De Abxt., II, 5G. — Procope, liell.pers.. Ta'annek.
II, 28. — EvAGRE, Hint. ecl, VI, 22. (U) CL Jeremias, Das aile Teslamenl im Lichle
(5) De lie syrià, LVIIL— Lampride, Vie dHé- des Allen Orients, p. 276.
lioyabale, 8. — Cf. Chwoi.son, Die Ssahier und (10) Les inscriptions phéniciennes sont com-
der Ssabismus, II, p. 142, sq. — D'après Cler- plètement muettes, et les auteurs grecs em-
mont-Ganneau, Recueil, 11, 66, le jeune Neteiros. ploient volontiers dans ce cas des périphrases
(C) PoRPH., De Absl., II, 56. mystérieuses.
930 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
pays où, comme nombre, l'élément non sémitique était sans
importance, dans les survivances jusqu'à nos jours au milieu de
populations presque pures, qu'il faut aller chercher les tendances
réelles de la race sortie d'Arabie.
Cet égoïsme féroce n'est d'ailleurs pas la caractéristique des
Sémites seuls; on le retrouve en Extrême-Orient, dans la Chine,
en Amérique, où les gens de sang rouge offraient constamment
à leurs dieux des hécatombes humaines ; dans presque toutes les
sociétés primitives, même indo-européennes. Mais, chez cette
dernière race, il ne résista pas au progrès ; tandis que, chez les
Sémites, on en rencontre d'abondantes traces en plein temps de
civilisation philosophique.
C'est dans un esprit de domination personnelle que les pre-
mières organisations sociales suméro-akkadiennes furent fon-
dées. Le temple, demeure des dieux des deux races, où le peuple
apportait ses offrandes et sa dîme, était en même temps le trésor,
Farsenal, le bureau administratif des Patésis. C'est là que se
passaient tous les actes, sous la protection de la divinité locale
et, par suite, sous la surveillance de l'État. Les scribes, très peu
nombreux alors, presque toujours Sémites, étaient des gens
d'État et rien ne se faisait sans eux. Dans les édifices sacrés les
devins, les sorciers exerçaient leur métier et le bas peuple, très
attaché à ses vieilles croyances divinatoires (1), se trouvait encore
lié de ce coté. C'est ainsi qu'il oublia si vite sa nationalité, le
parler de ses ancêtres et jus({u'à ses intérêts vitaux.
Quanta la langue, les Akkadiens imposèrent la leur; tous les
actes, tous les écrits, quelle qu'en soit la nature, se faisaient en
sémitique; c'est au point qu'à Suse même aucun document en
langue indigène ne fut rédigé pendant l'occupation chaldéenne.
Dans la Mésopotamie le sumérien, devenu l'idiome de la servi-
tude, s'oublia peu à peu parce qu'on avait tout intérêt à parler
la langue des maîtres.
En Élam, pays où les Sémites étaient moins nombreux que
dans les districts de l'Euphrate et du Tigi-e, où par suite la
puissance absorbante des vainqueurs était beaucouj) iiioindie,
(1) Ce n'est pas seulement en ChaUU'e que mal avait deux causes : lune nalurelle, contre
la divination était en honneur, elle l'a toujours laquelle on administrait des médicaments,
été chez tous les peuples primitifs. Les pra- l'autre surnaturelle, produite par les esprits
tiques médicales comportaient en Egypte des malfaisants. (CLPapijrusdeLeijde, 1,34?, verso,
formules conjuratoires qui n'ont rien à envier pi. Xlil, I. 5-G, jd. IV, 1. 9-10. Pi.evte, E/iH/e.*
au.x phrases divinatoires des Chaldéens. Le é<jyptoloyiquex,l. 1, pp. 61-62, 14.V146.)
L'EXIWNSION SK.MITIOLK
231
l'anzanite ne mourut pas coiuino le sumérien ; les documents sémi-
tiques sont, dès l'origine, l'emplis de noms propres indigènes, et
un système d'écriture spécial se développa même, dans les débuts;
en sorte qu'au jour où les événemenls politi(|ues, où les circons-
tances permirent aux Susiens de secouer le joug étrange)-, l'Islam
■était encore élamite.
L'écriture, dont j'ai déjà parlé au précédent chapitre, aucun do-
-cument positif ne permet d'en attribuer la découverte aux autoch-
tones plutôt qu'à leurs vain([ueurs. Je dirai plus, tous les textes
archaïques étant rédigés en sémiticfue, on serait tenté de croire
à son origine akkadienne. Cependant, nous avons vu que bien
longtemps avant la conquête, les peuples de F Asie antérieure
■connaissaient la peinture, la gravure, la représentation des objets
réels, et que par suite ces populations possédaient le sentiment
■de la figuration.
Dans ces conditions, n'est-il pas plus rationnel de penser que,
peu à peu, en se perfectionnant, les aborigènes ont fait pailer
leurs images et sont ainsi parvenus à la figuration
•des idées ; plutôt que d'attribuer cette invention
à une race, fort bien douée par ailleurs, mais dé-
pourvue du sentiment artistique.
Le foyer chaldéen des hiéroglyphes, issus de
la pictographie, n'est d'ailleurs pas unique, nous
en connaissons trois autres principaux : celui de
l'Amérique centrale pour lequel les développe-
ments nous échappent; celui d'Extrême-Orient (1),
dans lequel révolution fut guidée par une toute autre pensée que
celle qui prévalut en Occident; et enfin celui qu'on a récemment
découvert dans lile de Crète, mais pour lequel, quant à lorigine
indigène, il peut subsister des doutes ; car celte île avant, dès les
Hiéroglyphes
a r c 11 n ï q u e' s
(^'ou II dynas-
tie) (2).
(1) L'écriture chinoise, pictographique à l'ori-
îïinc, devint peu à peu hiéroglyphique et, par
suite du grand nomhre des formes «lialeclales
<lu parler, suivit des courants divers, éloignant
de plus en plus les dérivés des signes primi-
tifs. L'unification de l'écriture fut faite par
She Chuu, ministre de Suen Wang, souverain
de la dynastie chuu, vers s-20 av. J.-C. Repre-
nant les signes à leur origine hiéroglyphique,
ShcChou s'appliqua, non pas à leurdonncr une
valeur phonétique, mais bien un sens idéogra-
phique capable de les rendre compréhensibles,
quelle que soit la prononciation qu'ils suggè-
rent, dans les divers dialectes. Celte concep-
tion de l'écriture est toute différente de celle
qui domina le monde occideulal, où l'idéo-
gramnic^fut vile remplacé par des signes n'of-
frant plus qu'une valeur phonétique. .\u qua-
rantième siècle av. .L-C. déjà.en Egyplecommc
en Chaldée.la proportion des idéogrammes dans
les textes est fort restreinte. Toutefois, leur
usage persista tant que druèrent les hiérogly-
phes égyptiens {vers-210ap. .I.-C.^el les signes
cunéiformes (premier siècle ap. J.-C). 11 dispa-
rut complètement devant l'usage des carac-
tères alphabétiques.
^2) Graves sur un vase de pierre dure dé-
couvert dans les sépultures royales d'.Vbydos.
Cf. J. DE MoROAN, liecli. uriij. Egypte. 1897,
p. 211, fig. 81-2.
232
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
temps très anciens (IV Dynastie?), reçu crÉgypte les principes
de sa culture industrielle et artistique, peut aussi bien en avoir
acquis en même temps la notion de l'écriture hiéroglyphique.
Quelques autres tentatives de figuration de la pensée, efforts
dont nous ne possédons que de vagues traces, semblent aussi
T'i'i=>;^- f^fi^/T'^
Ecriture chypriote (1).
Inscription hiéroglyphique
d'Ani (Transcaucasie) (2).
n'être nées que du contact avec les peuples en possession des
hiéroglyphes. LHétéen d'une part se serait simplifié dans l'écri-
ture chypriote (3), d'autres auraient peut- être fourni aux peuples
du petit Caucase les éléments de leurs inscriptions.
Nous savons qu'en Chaldée l'hiéroglyphe a été l'origine des
cunéiformes; les écrits de l'antiquité l'affirment et nos travaux de
Suse ont matériellement prouvé l'existence de cette conception.
Nous retrouvons les hiéroglyphes en Egypte dès les premiers
temps dynastiques (4}, plus tard chez les Météens (5). Il semble-
rait que ces trois systèmes d'écriture fussent nés de la pictogra-
(1) Inscription hypriole (W. Wright, P. Le
Paoe-Renolf et Pu. Bkrger, Proc. Soc. of
Bibl. Arch., déc. 1886, fév. -mars 1887.— Cf. Ph.
Berger, Comptes renJux Acad. inscript., 1887,
p. 187-198. — Clermoist-Gan.ne.\u, i<J., p. 198-
201.
(2) Inscription figurative ou hiéroglyi)liifnie
sur lin fragment de vase trouvé à Ani. (Cf.
Arch. Forscli. in Transkauliasien. Ivaiserlicti
russiclie Arch. Commission im 1900, in Ver-
handl. der BerUner Gesellschafl fur Anthropolo-
gie, Ethnologie iind Urgeschichte, 1902, p. 236,
■fig. 19.)
(3) L'écriture chypriote (Cf. Trans. Soc Bibl.
\rch. — H.vMiLTO.\, L«/i;/., t. I. 1872, p 116. s(|.
— G. S-viiTH, id., p. 129, sq. — S. Birch, /(/.,
p. 14E, sq. — Breal, Journ. des Savants, aoùl-
scpl , 1877) est syllabique. Son origine est cer-
tainement asiati(iue ; j)eut-élre hétéenne . Les
documents que nous possédons d'elle sont tous
en langue grecque. Cette écriture vécut paral-
lèlement avec le^ alphabets grec et phénicien
jusqu'audeuxiéme siècle avantnolre ère. L'ins-
cription la plus imporlaiile est celle de Dali,
gravée sur bronze, ayant trait au l'ôle joué
par la ville d'Idalion au cours des guerres
médiques (Cf. Bibliotliètpie nat., Paris, don
de Luynes).
(4) Sous la I'= dynastie, bien que le système
hiéroglyphiipie fût déjà définitivement établi,
les inscriptions montrent par les hésitations
qu'elles trahissent, comme par le désordre
frécpient des signes, que ce mode d écriture en
était encore à ses débuts. (Cf. Fl Pétrie, iîoy.
Tombs ofthe firsl Lhjn. I, pi. IV à X.) Ces textes
sont très brefs et ne contiennent en général
que les formules du protocole royal.
(ô) Ce système d'écriture s'est éteint avec le
peuple qui en faisait usage, et ses textes ont,
jusqu'ici, résisté à toutes les tentatives d'inter-
prétation. Sayce croit voir dans les caractères
chypriotes une survivance de ce système sim-
plifié et aiq)li(]né à la langue grecque. Cf. H.
Sayce, on the Hamalhile inscriptions, in
Trans. of Ihe Soc. of Bibl. Arch., t. V, p. 31, sq. ;
t. Vil, p. 278, sq. — Conder Hamath. Inscrip-
tions in Palestine expl. f. Quart. Stnt., 1883,
p. 133. sq.; 189, sq. pense à des analogies avec
les hiéroglyphes d'Egypte. — Halévy (Introd.
au déchiff. des inscr. pseudo-hitiites ou anato-
liennes, in Beu. .sémitique, 1. 1, p.56,sq. ; 126, sq.)
j)ropose de remplacer le nom de Héléens, Hit-
tites, par celui d'Anatoliens. — Jensen (Orund-
lagtui fiir eine Entzift'erung der Halischen oder
cilicischen Iiischriften, in Z. d. D. Moryenl.
Ges.. l. XL Vin ) propose de voir dans la langue
hétéenne celle des tribus ciliciennes.
L'EXPANSION SÉMITIQUE 233
phie, découverte quelque part dans l'Asie antérieure, et qu'ils se
soient développés indépendamment les uns des autres, évoluant
suivant les conditions locales, les aptitudes et les besoins des
peuples qui les ont adoptés et nous les ont transmis.
Certainement le cunéiforme linéaire n'existait pas en Clialdée
lors de la venue des Sémites ; la preuve s'en trouve dans la
double évolution en l^]lam et sur les bords de TEuphiale. Il n'est
pas non plus venu d'Arabie avec les Akkadiens; car la Chaldée,
seule au monde, impose récriture sur argile parla nature de son
sol. C'est donc après la conquête (jue, développant une décou-
verte sumérienne, les Sémites ont établi le système cunéiforme,
afin de répondre aux besoins de leur administration et du progrès
dans les transactions. De grands Empires n'auraient pu se fonder
sans le secours de l'écriture.
Les arts, ne trouvons-nous pas leur enfance dès le néolithique
et l'énéolithique ? dans les poteries peintes de Mouçian et de Suse.
non loin du j)ays où se développa l'art chaldéen le plus pur ?
En Egypte, nous voyons la culture artistique évoluer à partir
de l'époque de Menés (Négadah) (1). Pendant la première dynas-
tie, la grande sculpture, celle qui nous est révélée par les stèles
d'Abydos, est encore grossière; tandis que les arts réduits attei-
gnent une incroyable perfection (2). La peinture (3), la bijoute-
rie {II) sont formées, peut-être même a-t-on déjà découvert l'émail
sur terre cuite (5).
En Chaldée, et mieux dans l'Élam, nous assistons aux mêmes
(1) A l'époque du roi Mènes, tous les inslru- Tombx, II, 1901, pi. VI, fig. 3-4) fournit un
monts étaient encore faits de silex; ce n'est que bel exemple de ces essais primitifs.
plustar(l,soussessuccesseursdelaI"dynastie, (4) La perle d'or trouvée dans le tombeau de
que le cuivre devint d'un usage courant. (Cf. Négadah (Cf. J. de MoriOAN, liecli. Orhj., 1897)
J. DE Morgan, /îec/i. On'»/., 1897. — Amelineau, est le bijou le plus ancien connu jusqu'à ce
Fouilles à Abydos, 1896-18-J7. — Fl. Pétrie, jour. L'usage de l'or élait d'ailleurs courant
Royal Tombs, 1900-1901.) dès la I" dynastie. (Cf. Fi.. Petiîie, lioy .
(i) Les spécimens les plus anciens connus Tom^.s II, lWl,pl. IX.)
jusqu'à ce jour de la sculpture égyptienne (5) On trouve en Egypte des indices de
sont les figurines animales découvertes dans l'usage de la terre émaillée dès les débuts de
le tombeau de Menés à Négadah (Cf. J. de la monarchie. (Cf. Fl. Pétrie, A^ydo.s-. remenos
Morgan, Rech. orhj., 1897), et celles provenant of Osiris, 1902, pi. LUI, fig. 7-11, 19-22 ; Temp.e
de la sépulture du roi Zer-ta, à Abydos (Cf. l'.)03, pi. IV, VII, XI.) Mais ces objets, n'ayan
Fl. Pétrie, Royal Tombs, II, 1901, pi. VI, point été rencontrés dans des sépullurcs,
fig. 3 et 4). sauraient être datés d'une manière précise. —
(.3) L'art de la peinture se montre en Egvpte Analyse des porcelaines égyptiennes par H Le
dès les temps antéhistoriques. (Cf. .LE. Qui- Chatellier (A/m. c/i/m., 1907, p. 3t;3 : Silice,
BELL et F.-W. Green, Londres, 1902, Uivrukon- 88,6; alumine, 1,4; o.xyde de fer, 0,4; chaux,
/)0//.s,parl. II, pi. LXXV-LXXIX.)Les couleurs 2,1 ; soude, 5,8 ; oxyde de cuivre, 1,7.) H. Le
employées sont : le rouge, le jaune, le gris et Chatellier a reproduit les pâtes en mélangeant:
le noir. La composition désorilonnée et l'e.xé- verre bleu, 40; sable broyé, 55; argile blanche,
culion barbare montrent combien ces premiers 5 ; le verre bleu ayant été obtenu par la fusion
essais sont voisins des origines. La sépulture dun mélangedcsable,6G; carbonaledechaux,8;
du roi Qa, de la \" dynastie (Fl. Pétrie, Royal carbonate de soude sec,22; o.xyde de cuivre, 4.
-23/l LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
débuts, aux mêmes efforts ; mais par suite de la rareté des matériaux
durables et de qualité, nous ne rencontrons qu'un très petit
nombre de grandes œuvres. Je citerai cependant la stèle des Vau-
tours de Telloh et quelques pièces archaïques découvertes à Suse.
Mais les goûts artistiques ne se donnèrent pas carrière de
même façon; dès les débuts, l'Egypte enferma son style dans des
lois rigoureuses, tandis que l'Asie conserva toujours une grande
liberté dans la composition comme dans l'exécution.
L'Arabie, malheureusement, est encore bien peu connue ; quoi
qu'il en soit, aucune sculpture très ancienne n'y a encore été
signalée, aucun objet n'en a été rapporté par les marchands mu-
sulmans qui la parcourent en tous sens. J'ai fréquemment inter-
rogé les hommes du pays les plus à même de me renseigner à
•cet égard et tous m'ont affirmé qu'il n'existe rien de semblable
dans la péninsule.
C'est donc aux Sumériens que nous devons attribuer l'honneur
d'avoir fondé l'art asiatique ; sinon à. ces autochtones eux-mêmes,
du moins à quelque tribu, leur parente, habilant vers la même
région, car l'Egypte n'a pas agi sur l'Asie dans ces temps très
anciens, c'est elle-même qui a subi l'influence artistique pré-
chaldéenne.
L'aire des arts primitifs asiatiques semble s'être étendue
depuis les derniers contreforts de l'Iran jusc[u"aux pays médi-
teri-auéens et depuis le Taurus jusqu'à la vallée du Nil. Il y a
dans tous ces pays une homogénéité dans les tendances qui ne
peut être l'eflêt du hasard; d'autant que ce groupe est unique
au monde (I). Plus loin vers l'ouest se développa plus tard
une civilisation dite égéenne, qui ne fut pas sans puiser largement
<lans celle de l'Asie, mais n'eut certainement aucune influence
sur les débuts orientaux. Ajoutons aussi que, dès les temps les
plus reculés, peut être même dès le néolithique, tous les pays
méditerranéens ont reçu de la vallée du Nil bien des notions ('2).
La première organisation politique de l'Egypte se fit comme en
Chaldée, par l'établissement d'une foule de principautés indépen-
dantes les unes des autres (3), correspondant probablement aux
(1) Dans l'Amérique centrale et au Pérou, méridionale on trouve, ilès l'élat néolithique,
•des arts céramiques analogues à ceux de l'Asie bien des traces d influence orientale,
antérieure sont nés sur place. {Cf. Musée du (3) Ces principautés se sont conservées dans
ïrocadéro, à Paris.) la suite sous le nom de nômes ou provinces.
(2) A Chypre, dans l'ile de Crète et en Italie Chacun se composait dune ou plusieurs villes
LEXPANSION SKMITIOUE
•23 ô
territoires des anciennes tribus. Les conquérants les conservè-
rent dans leurs grandes lignes et, pendant bien des siècles, cette
division du pouvoir contraignit ri*]gypte à se développer sur
elle-même, sans ambitions militaires extérieures.
Le premier de ces princes qui, dit la tradition, sut concentrer
•en ses mains le gouvernement de l'Egypte entière fut Mini (1),
le Menés des Grecs (2). Les légendes égyptiennes lui attri-
buent des améliorations et des progrès ([ui certainement furent
l'œuvre de bien des générations; il aurait réuni sous son sceptre
tous les princes de la vallée, construit des digues, creusé des ca-
naux, fondé Mempliis, codifié les lois, fixé la religion. L'imagi-
nation des Orientaux se plaisait en Egypte, comme en Asie, à r«;-
porter sur un seul nom tous les événements d'une longue période.
Bien que les prêtres égyptiens eussent atli'ibué à Menés la for-
mation de l'unité pharaoni(jue, il n'en est pas moins vrai que les
princes dépossédés, réduits au rang de vassaux, si ce n'est de
simples gouverneurs, ne supportèrent que difficilement leur
déchéance. Après la mort de Menés des révoltes éclatèrent sur
bien des points, des dynasties illégitimes se fondèrent même ; et
les noms de leurs rois, parvenus jusqu'à nous dans les listes pha-
raoni({ues, ne sont même pas cités par Manéthon.
La première dynastie sombra dans une révolte et dans des
troujjles ; il est donc fort probable que les 550 ans attribués à
et d'un territoire très restreint (Cf. A. Bruosch,
Vieogr. Insclir., t. I, p. 03, sq.) grand parfois
<-omme notre département de la Seine. Le
noml)re de ces divisions varia suivant les épo-
ques (DioDoiîE DE Sicile, I, 41. — Strabon,
XVII, 1. — PthNE, Hisl. nal., V, 9-9. - Ptolé-
MÉE, IV, 5) entre 36 et 47. Les listes piiaraoni-
ques en comptent 44, dont 2-2 pour la Haute-
Egypte, 2-2 pour la Basse. H. Brugsch, (jeogr.
Inschr., t. I, p. 99.) Contrairement à ce que
nous voyons en Clialdée, dans l'Egypte anti-
que le sol est propriété du roi, les habitants
n'ont que la possession que le pharaon veut
bien leur accorder, à la condition de i)ayer cer-
taines redevances ou de supporter certaines
charges, celles du service militaire par exem-
ple. (Cf. Bouché-Leci-erco, Hisl. des Lagides,
t. in, 190(3, p. 178.)
(1) Jusqu'au.^ découvertes de Négadah cl
d'Abydos, on avait considéré les princes des
<leux luemières dynasties comme « de simples
fantômes presque au-;si insaisissables que ces
douteux serviteurs dllor, dont les chroni-
queurs égyptiens peuplaient le monde primi-
tif ». (G. Maspero, Ilist. (inc. des peuples de
rOrienl, V<^ éd., 1893, p. 49.) Krall {Die Composi-
lion, p. 16-18) les considérait comme ayant été
sinon inventés, du moins ordonnés arbitraire-
ment par les prêtres égyptiens du nouvrl em-
pire.
(2) Bien que la tradition ail attribué à Menés
l'unification du pouvoir dans la vallée du
Nil, nous ne pouvons, d'après les récentes
découvertes, voir dans ce prince autre chose
qu'un dynaste local. La Haute-Egypte semble
avoir été gouvernée, juscju'à l'époque du der-
nier roi de la première dMiasIie, par de noin-
breu.v princes. Il se lit abu's une première ten-
tative d'unincation. Mais celte unité, encore
toute précaire, fut rompue lors de la deuxième
dynastie, ])our être réformée à nouveau par
le roi Perabsen. Menés ne joua certainement
pas le rôle qui lui fut ■attribué dans la suite.
Son nom, tel (|ue nous l'entendons comnuiné-
menl, personnifie les elTorts de la royauté,
pendant plusieurs siècles, pour établir l'unité
pliaraoni(iue, mais, en celtt; qualité, ne répond
cerlainenient pas ;i la réalité. Il suffira, pour
se rendre coiMple (lu désordre qui régnait en-
core en Egypte au cours des premières dynas-
ties, de consulter le beau travail de IL Gai:-
Tiu^w (Le livre des rois, ds. Mém. del'Insl. Fr.
d'Arrh.Or.daCaire,VMS) où tous les noms
princiers de ces épocpics sont repris en faisant
usage des documents fournis par h-s dei--
nières découvertes archéologiques.
236
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
"'1
Tablette d'ivoire du trésor
la durée des deux premières suites de souverains furent unique-
ment consacrés à Fasservissement de la noblesse, à la consoli-
dation du trône.
11 semblerait qu'en Egypte, contrairement à ce (jui se passa
en Chaldée, l'adaptation du pays au réprime royal ne se fit que
longtemps après l'établissement des
Pharaons ; tandis que l'Asie, dès long-
temps préparée, se serait soumise pres-
que de suite à l'autorité des empereurs
chaldéens.
C'est à Négadah, non loin d'Abydos
etdeThinis, que j'ai découvert la sépul-
ture de Menés (1), et la nécropole d'A-
royal de Khemaka, représen- bydos elle-même a fourni les tombes
tant le roi Ten dansant de- ,, , i i •
vant Orisis (Semti, I" dyn., "^ "^^ g^'^nd nombre de princes ses suc-
vers 4266 av. J.-C.) (3 \ cesseurs (2). C'est donc dans la Haute-
Egypte, dans le Saïd, pays dorigine
princière de leur famille, que les premiers pharaons établirent
d'abord le siège de la royauté unique (4).
Ces sépultures, bien que détruites en grande partie, renfer-
maient encore une foule d'objets présentant de grandes analo-
gies avec ceux de la Chaldée et de FElam dans les temps les plus
anciens; il semble donc certain que les deux développements
résultent des mêmes influences originelles. Le tombeau de Menés
lui-même, qui, par son architecture, rappelle les monuments chal-
déens, est complètement étranger à ce que nous connaissons de
la construction égyptienne dans les temps postérieurs (5). Ce
style s'atrophie déjà dans les tombes archaïques d'Abvdos (6),
pour ne plus laisser de traces dès le règne de Snéfrou (7), à la fin
de la troisième dvnastie.
(1) Cf. J. DE Morgan. Recli. sur le.'< orig. de
l'Egypte. Le tombeau de Xégadah, Paris, 1897,
(2) Cf. E.-A.\Vallis Budge, A Ilist.of Egijpt,
vol. I, Egijpt in tlie neoUthic and archnic pe-
riods, 1!HJ2, p. 177 à 22-2.
(3) E.-A. Wallis BiDGE, Egijpl in Ihe neoU-
thic and archair periodx, 1!102, p. 195.
(4) Les tombes royales de la I'' dynastie se
trouvent toutes concentrées dans la région
d .\bydos. (Cf. J. de Morgan, liech. orig. Le
tombeau de Ve;/'/'/a/i, 1897. — Amelineau, Foui/-
les à Abgdon, 1890-1897. — W.-M. Fl. Pétrie,
The rtoijal Tombs of Ihe firsl Dtinastg, 1900-
1901. — in., Abydos, 1902-1904.)
ô) Comparer l'architeclure du tombeau de
Menés (.1. DE MoR(.AN. op. cit., 1897, fig. 518-
biij avec celle du palais de Goudéa à Sirpourla
(Telloh) (E.DE S.\RZEC, Oécouuerte.'i en Chaldée.
pi. L; pi. LUI, flg. 1.)
(6j Les sépultures archaïques d'Abydos sont
creusées dans le sol; il en est de même pour
une autre qui, à Négadah, se trouve près de
celle de Menés. (t:f. .J. de Morgan, o/j. ci7.,1897,
fig. 513 [tombeau spolié").
(7) Les mastabas de la III' dynastie à Dali-
chour (au cartouche de Snéfrou) sont tous
construits en briques crues, matériaux dont
l'usage décroît pendant la IV" dynastie et qu'on
rencontre rarement ensuite, sauf dans l'ai-
chileclure militaire (El Kab,\ où il semble
L'EXPANSION SÉMITIQUE
237
Les sépultures des premiers temps royaux sont énéolithiques,
c'est-à-dire que le métal (le cuivre pur [1]) sy montre en même
|.emps que le silex taillé; or, la phase énéolilhicjue n'a pu remplir
N éCROPOLE '\DU MOYEN EMPIRE
Temple de Sétùi^ \ T^nnU d/OsiriS
* ^ ^, . -, , i^m^ «^ Jcmpl&.dcJia^nses \\ !■
iklhramiâe , £l-Ar'aheJv^% ,-,,--~,JZd^ >l Ji
Echelle de 1 Mille El-Kh£rbe}o ""
I I I
Nécropole royale d'Abj dos, d'après Fl. Pétrie (T/ie Royal Tonibs, l:)00, pi. III)
et les notes de l'auteur.
en Egypte la longue période qui s'est écoulée entre la première
apparition des Asiates et la seconde dynastie.
n'être maintenu que pour donner plus de mas- ces, 19 août 1896. IJ. dans J. de Morgam, Reclu
ses aux fortifications. :iur les orig. de l'Egypte, 1896, p. 223, note 1.
(1) Cf. Bertiielot, Comptes rendus Acad. Scien-
53S LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Nous devons donc admettre, ou bien que les envahisseurs ont
établi la royauté presque de suite après l'invasion, ce que les
récentes découvertes ne permettent plus d'accepter, ou que la con-
quête s'est produite graduellement, en plusieurs phases. La pre-
mière partie de l'occupation par ces peuples s'étant faite à l'état
néolithique correspondrait à la période des « serviteurs dllorus »,
et la seconde efïectuée par des tribus énéolithiques aurait apporté
le germe du régime royal.
D'une part les dynasties divines ne peuvent être considérées
comme autochtones, sans quoi la lutte du bien contre le mal, les
fables d'Osiris, d'Hor, de Thot l'inventeur de l'écriture, seraient
l'écho de faits antérieurs à la conquête asiatique, ce qui ne peut
être admis, les nouveaux maîtres de l'Egypte n'ayant eu aucun
intérêt à perpétuer les souvenirs historiques des populations
asservies. D'autre part les traditions j)lacentle mythe d'Osiris dans
la Haute-Egypte et son sanctuaire à Abydos, c'est-à-dire dans le
pays même où se fonda la royauté. Il existe donc une étroite
liaison entre les serviteurs d'Ilorus et les premiers souverains.
Une première partie de l'invasion très ancienne, dont le point
de départ reste encore inconnu; mais qui ne peut être indépen-
dante des mouvements dont l'issue fut la royauté, aurait en-
vahi la vallée du Nil et s'y serait installée, créant ou régulari-
sant un système de principautés analogue à celui de la (Hialdée,
et apportant peut-être les éléments de l'écriture. Dans une seconde
migration, d'autres Asiatiques apparentés aux premiers venus, en
possession des métaux, profitant des résultats déjà a((|uis j)ar
leurs prédécesseurs, auraient fondé la royauté pharaonique après
une période plus ou moins longue de guerres. En ce cas, les ser-
viteurs d'Horus seraient les chefs asiatiques des ])remiei's clans ;
et l'on s'explique fort bien le prestige religieux attaché à leurs
souvenirs.
Nous devons observer toutefois, en ce qui regarde l'(''ci'iture,
qu'il n'a pas été trouvé jusqu'à ce jour, dans la vallée du Nil, la
moindre trace d'essais hiéroglyphiques ou d'écriture figurative,
les plus anciens textes connus, ceux de Négadah, montrant le sys-
tème graphique déjà complètement fixé. Par suite, nous sommes,
jusqu'à plus ample informé, autorisés à penser que l'écriture ne
s'est pas constituée surplace; mais aété importée peu avantl'époque
de Menés. En Chaldée, non plus, là où nous connaissons le pas-
L'EXPANSION SÉMITIQUE
n9
Hiéroglyphes archai-
c[ues. Impression d'un
cylindre sur des eônes
d'argile fermant les^
vases dofîrandes du
tombeau de Menés à
Négadah (1).
sage du signe hiéroglyphi(jiie au cunéiforme, nous navons encore
rencontré aucune trace des tâtonnements qui prirent sûrement
place entre la figuration et lidéographie. Cette remarque fait j)en-
ser, soit (jue les tâtonnements n'ont pas eu lieu dans les sites explo-
rés jusqu'à ce jour, soit qu'ils ont été de très
courte durée, soit enfin que nos investiga-
tions sont encore trop imparfaites.
Ces origines sont bien confuses, malgré
les nombreuses recherches dont l'Egypte et la
Chaldée ont été l'objet ; elles l'étaient plus
encore avant les découvertes relatives au pré-
historique égyptien. Il est à peine conce-
vable que ces questions d'origine n'eussent
pas été élucidées longtemps auparavant; alors
que depuis plus d'un siècle les savants les
plus éminents de l'Europe étaient venus étu-
dier le sol égyptien (2). Quoi qu'il en soit, il
apparaît clairement aujourd'hui que l'Egypte et la Chaldée se sont
développées parallèlement et dans des conditions semblables.
Toutes deux ont droit à l'honneur d'avoir civilisé le monde ; mais
tandis que l'Egypte, enfermée dans ses sables, ne pouvait étendre
son influence au delà de certaines limites imposées par la nature, la
Chaldée, pays ouvert sur toutes ses frontières, entourée de tous
côtés de dangers et de menaces, était appelée à s'accroître et à
fonder le premier grand empire dominateur.
Ainsi, c'est dans ces deux vallées jouissant de conditions natu-
relles analogues, peuplées de races pacifiques, aux mêmes apti-
tudes, que se formèrent les deux premiers foyers civilisateurs.
Les facilités de la vie enfantèrent les progrès initiaux qui. peut-
être, se développant sur eux-mêmes, eussent donné au monde une
culture toute difterente de celle que nous possédons aujourd'hui :
si l'élément sémitique, doué d'un génie gouvernemental et admi-
nistratif spécial, n'était venu, pendant trois ou quatre mille ans,
dirisfer cette évolution, lui donner une tendance à la domination
inconnue avant lui spécialement en Egypte, et qui, probable-
ment aussi, eût été sans lui ignorée en Chaldée. L'autochtone
(1) Cf. J. DE Morgan, Bech. oriy. Eyijple, Cuneijorm inscriptions. Londres. 1908, p. 101.
Iû97, p. 168, fig. 558. Chap. IV. The relation of Babylonian lo-
2) Cf. A.-H. S.wcE, The archaeoloyij o/ Ihe Egyptian civilisation.
•240 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
devint la main de cette civilisation hybride, dont le Sémite fut la
tête.
Lhistoire des Patésis chaldéens nous est encore presque incon-
nue; à peine savons-nous quelques-uns de leurs noms attachés à
leurs œuvres de paix; quant à leurs expéditions militaires, tant
pour la conservation du trône que pour l'extension des frontiè-
res, nous nen connaissons rien.
Ourou,Eridou, Ourouk, Larsa, Sirpourla (Lagach), etc., et enfin
Suse et Anchan semblent avoir été à l'origine les principaux centres
chaldéens. Il y régnait des princes plus ou moins puissants sui-
vant les temps, parfois soumis et réduits à la situation de feu-
dataires par leurs voisins plus forts, souvent aussi maitres eux-
mêmes, imposant leurs volontés.
On comprend aisément quun tel état politique chez un peuple
ambitieux, par tempérament, de richesses et de pouvoir, amenait
de perpétuels conflits entre les principautés et faisait souvent
changer de mains la prépondérance relative des petits États.
Dès une très haute antiquité, Zi.OOO ans au moins avant notre
ère, les rois-prétres (1) de Kich, Manichtousou et autres, étendi-
rent au loin leur domination, faisant peser leur joug sur les pays
d'Akkad et de Choumir et sur la Susiane même. Nous n'avons jus-
qu'ici retrouvé d'eux que quelques-unes de leurs constructions,
dont les ruines sont éparses dans les pays jadis soumis à leur
sceptre. Les autres Patésis, ceux des villes asservies, avaient con-
servé leurs titres, leurs prérogatives et une grande partie de
leur pouvoir, mais sous Paulorité de Kich.
Ce premier royaume, sans frontières définies, ne modifiait
guère les conditions politiques du début ; ce n'était encore que le
régime des principautés étendu, à peine centralisé entre les mains
d'un seul prince. D'ailleurs, à la suite de ce premier essai d'un
gouvernement couvrant de son autorité l'ensemble des pays chal-
déens, le régime des petites principautés indépendantes fut resti-
tué pour un temps.
Cependant l'extension de la puissance de Kich devait enfanter
l'Empire. Elle ne fut qu'une première tentative, mais prépara l'esprit
(1) Les patésis et souverains les plus anciens Suse, dOur, d'Isin, de Larsa et d'Ourouk. Ces
dont les noms soient parvenus jusqu'à nous villes dont, pour beaucoup, nous ne connais-
sent ceux des villes de Lagach, de Gichhou, sons pas l'emplacement, semblent avoir été
de Chouripak, de Kisourra, de Nippour, de les premiers foyers de la culture chaldéenne,
Kich, de Gouliou, d'Hourchilou, de Louloubi, peut-être même sumérienne.
d'Achnounak, de Dour-llou, de Kimach, de
L'EXPANSION SKMITIOUE 'IM
des peuples à coopérer aux grandes vues politiques des souverains
de l'avenir. Sargon 1, dit l'Ancien, roi d'Agadè, détrônant son
oncle et maître (vers 3800 av. J.-C), soumit toute la Clialdée,
lElam, les rives du golfe Persique, les îles, les peuplades à
l'orient du Tigre jusqu'aux montagnes. Il porta ses ai-mes en Syrie,
à Chypre même, dit-on.
Sargon n'élait pas le premier des empereurs ; mais il fut le
véritable fondateur de l'empire. Deux petits royaumes, ceux de
Larsam et d'Apirak, conservèrent toutefois leur indépendance ;
il la leur laissa, soit qu'ils eussent contribué à l'établissement du
pouvoir suprême, soit pour toute autre cause qui nous échappe.
Sargon n'était plus un Patési, plus puissant que les autres,
imposant son joug à ses proches voisins, mais bien un véritable
empereur féodal, tel que plus lard les invasions des barbares
en ont établi en Europe, tel que nous en voyons encore de nos
jours un frappant exemple de l'autre côté du llhin. Non seulement
les populations suméro-akkadiennes furent réunies sous un même
sceptre ; mais les armes d'Agadê se tournèrent vers les peuples
étrangers, reculèrent les frontières sémitiques et établirent la
première grande domination d'un seul.
De nos temps, cette politique a pris le nom d'unité de races ;
mais, de même que dans l'antiquité, elle cache simplement un
désir de conquête, un appétit de domination. A six mille ans de
distance, les mêmes cupidités se traduisent par les mêmes ini-
quités.
Le centre du pouvoir se trouvait alors dans les pays, dès long-
temps sémitisés, delà Chaldée et du golfe Persique; mais déjà des
colonies s'étaient établies sur le haut Euphrate, sur les côtes et
dans les montagnes de Syrie et de Palestine, vivant côte à côte
avec les tribus d'origine plus ancienne. C'est de cet ensemble
que Sargon fit son Empire, sans que ses armes se fussent jamais
tournées vers l'Arabie, pays d'origine de ses ancêtres, dont il
avait plutôt à redouter Tàpreté qu'à convoiter les biens.
Cette conquête ne se fit pas sans ébranler l'équilibre établi
depuis des siècles dans 1 Asie antérieure ; des migrations eurent
lieu, les unes concentrant dans les monlaguesdu Nord et de l'Est
les populations autochtones, les autres chez les Sémites eux-mêmes,
qui, suivant la seule route ouverte, s'avancèrent jus(|u'à la pres-
qu'île (lu Siiiaï. ^lais là, elles se licurtèrenl à la puissance <''gyp-
IG
n2
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
tienne qui, depuis longtemps déjà, occupait militairement cette bar-
rière de ses domaines, fermant ainsi la porte par laquelle elle était
venue. Là, pendant, des milliers d'années, les nouveaux arrivés,
vaincus, étaient traînés en esclavage sur la terre du Nil, où les
La presqu'île du Sinaï au temps de l'empire Memphite (1;.
Pharaons les employaient aux grands travaux dont ils nous ont
laissé les ruines.
On a pensé que la possession du Sinaï importait aux Egyptiens
à cause des mines de cuivre que renfermerait cette presqu'île.
Cette opinion se basait sur une erreur commise par Lepsius qui^
(1) D'après G Maspero, Hisl. anc. des peuples de l'Orient classique, t. I, p. 349.
LEXl'AXSIOX SKMITIOUE
2A$
confouJaiit des minerais naturels de manganèse avec les scories
résultant de la métallurgie du cuivre, crut à une immense exploi-
tation minière. Les gisements du Sinaï contiennent de la tur-
quoise, et non du métal en (juantité industrielle ; leur richesse
naturelle neiilrait donc pour rien dans les vues j)oliti(jues des
Pharaons.
Cest uniquement au point de vue de la défense de ses inté-
rêts vitaux que rEgyj)te occupait le Sinaï, repaire de nomades
toujours prêts à fondre sur les riches contrées du Delta. Ses
efforts étaient d'ailleurs largement compensés j)ar la quantité des
esclaves quelle capturait dans ce district asiatique.
Le désert syro-arabi([ue constituait une excellente frontière
entre les deux empires d'Asie et d'Afri({ue, empêchant leur con-
tact. Tandis que les Pharaons se l)ornaient à conserver le Sinai\
les Suméro-Akkadiens ne descendaient pas vers le sud ; leurs
hordes, pour gagner la Syrie, remontaient lEuphrate et se trou-
vaient amenées ainsi vers l'Oronte, plutôt que dans la Phénicie
méridionale.
Les dix premières dynasties (1) sont généralement appelées
memphites, parce que c'est à Menés qu'est attribuée la fondation
de Memphis, et aussi parce que les sépultures de la plupart des
souverains de la 111% de la IV** dynastie et des suivantes s'y trou-
vant, on supposait que celles des trois premières dynasties s'y
élevaient également et que, dès les débuts, le centre du pouvoir
avait été établi dans le nord du pays. Manéthon, toutefois, désigne
sous le nom de Thinites les deux premières suites des Pharaons.
(1) E.-A.\Vallis Biidge [Egijpl in Ihe neolilhic
and arcliaic periud, 190-2, chap. II, Egyplian
chronology. fip. lU-ltJl) donne avec beaucoup
de clarté les résullals de loules les évaluations
clironoloffiques tentées jusqu'ici en ce qui con-
cerne l'Egypte et les empires asiatiques. Jus-
qu'à la XVIIP dynastie (Amenophis JV, <; 1400
<C 1450) aucune date n'est certaine dans la
chronologie égyptienne. Les dates de Lepsiiis
ont été soumises à une attentive et ingé-
nieuse révision, notamment par M. Ediiard
Meyer (Aegyptische Chronologie. Berlin. 190'*,
ds Ablinndlungen der K. pr. Akademie der
Wisxenschaften, 1904). Les anciennes estima-
tions pour les époques antérieures à la XVIII''
dynastie sont sensiblement réduites. Ainsi la
XII' dynastie est classée de l'an 2000 à 1788 ; la
XIII', de 17^8 à 1660. La domination Hyksos
n'a duré qu'un siècle environ, de 1660 à 1580.
C'est l'époque d'anarchie qui vit les dynasties
contemporaines et non successives, classées
sous les n" XIV-XVII (Cf. R. Du.ssald, Rev,
École anlhrop.. 1908, p. 268). Ces nombres sont
très différents de ceu.x adoptés jusqu alors (G.
Maspero,FI.,Petrieetc.); on considérait la XII»
dynastie comme s'élendant de3î60 à .3248 pour
les uns, de 2778 à 2565 pour les autres. Les
calculs de Ed. Meyer reportent l'invasion des
Hyksos à une époque où, aucune grande révo-
lution ne s'étanl opérée en Asie, il devient dif-
ficile d'expliquer son origine. D'après les Iroi.s
systèmes de FI. Peirie, Evans et E Meyer, le
premier palais de Cnossos (Minoen moyen II)
daterait de 3460 à 3248 (FI . Pétrie) ; 2500 à 2200-
(Evans) et 2000 à 1800 (Ed. Meyen. De ces
trois é]ioques. celle supposée par Evans
m'apparait comme la plus rationnelle et cor-
respondant le mieu.x aux événements dans le
monde oriental. Il n'est pas irrationnel d'ail-
leurs de placer vers la fin du troisième millé-
naire I apogée de la civilisation Cretoise.
nii
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Mais les découvertes de Négadahet d'Abydos iiioiitreiit, au con-
traire, que les premiers rois eurent le siège de leur pouvoir dans
la Haute-Egypte, et ce n'est, sem])le-t-il, qu'avec la IIP dynastie (I)
que le centre polititfue fut reporté vers le nord (2).
Peut-être devons-nous voir une nécessité polititjue dans ce
transport du siège du gouvernement. De Memphis, bien mieux que
de la Haute-Egypte, les Pharaons étaient à même de surveiller la
seule frontière dangereuse de leurs Etats, celle de lAsie, qui pro-
bablement servait de passage à des migrations plus ou moins
importantes que les rois d'Egypte avaient souci, sinon d'arrêter, du
moins de surveiller.
Les premiers Pharaons memphites tournèrent jjien certaine-
ment de suite leurs regards vers le Sinaï ; car on voit dans ces
montagnes, à Wadi Maghara, la stèle triomphale de Sozir (3),
celle de Snéfrou, dernier roi de la IIP dynastie (Zi), relatant une
prise de possession de la presqu'île par les troupes égyptiennes.
Si ces campagnes ne sont pas les premières, ce sont du moins
les plus anciennes dont la trace se soit conservée jusqu'à nous.
D'autres monuments montrent com])ien les Pharaons de tous
les âges attachaient d'importance à leur frontière asiatique. Cette
attention se soutint pendant toute la durée du moyen Empire (5)
(1) En ITOl, J- Garstang découvrit à Bel klial-
laf, près «le Girgeh, les tombes îles roi Hen-
neklil et Tchéser de la III' dynastie ; c'est donc
au cours de cette dynastie que le pouvoir cen-
tral se déplaça pour venir se fixer à Mem-
phis.
(-2) En dehors des monuments de Négadah
et d'Abydosqui, sans contredit, sont les plus
anciens des temps pharaoniques, les égyi)tolo-
guesontcru pouvoir attribuer à la IP dynastie
quelques-uns des monuments découverts dans
la nécropole memphite; tels sont: le tombeau
de Thothpou à Saqqarah, la grande stèle de
Shiri (Cf. G. Maspero, Guide du uisiteur au
Musée de Boalaq, p. 31), les statues de Sapi
(Cf. E. DE RouGÉ, Notice dex monuments égijpl.
du Louvre, 1855, p. 50) ; mais ces attrihulions
sont loin d'être prouvées, car ces monuments
[leuvent aussi bien être reportés à la III' dy-
nastie, de même que la pyramide à degrés de
Saqqarah (Sozir) et la grande enceinte rectan-
gulaire située à l'ouest de cette pyramide
(Cf. J. DE Morgan, Plan de la nécropole mem-
phite, Caire, 1897). La chose semble même plus
vraisemblable, car nous ne connaissons dans
la nécropole memphite aucun monument ap-
partenant sûrement à la IP dynastie. Les plus
anciens, portant un cartouche royal, sont jus-
qu ici les mastabas de Dahchour, contempo-
rains du roi Snéfrou (Cf. J. de Morgan,
Fouilles à Dahchour en 1895; qui, par leur grand
nombre, semblent prouver que la sépulture
du roi se trouvait également dans ces pai-ages.
(3) Le roi Sozir, dont le tombeau se trouvait
à Saqqarah (i)yramide dite à degrés; et dont
la stèle triomphale se montre sur les rochers
de Wadi Maggarah, au Sinoï (Cf. ii.Benedite,
Recueil, t. XVI, 1891, p. loi;, appartient à la
IIP dynastie.
Ci) Sur cette stèle, Snéfrou écrase de sa
masse un nomade (Mention) terrassé. L'ins-
cription dit : « Le roi des deu.x Egyiites, le
seigneur des diadèmes, le maître de justice,
! Ilorus vainqueur, Snéfrou, le dieu grand. »
Ce roi, afin de protéger ses frontières de ce
côté, fonda une série de forteresses dont une,
Shê-Snofrou (l'ouadi de Snéfrou), existait en-
core au Moyen Empire. — Cf. LEPsius,I'e/iA-m.,
IL 2. — J. DE Morgan, Recherches sur lesorig.
de l'Egypte, 1896. — Chabas, les Papyrus de
Berlin, p. 91. — E. de Bougé, Recherches,
p. 90. — G. Maspero, Hisl. anc. des peuples de
lOrient, V« éd., 1893, p. 59. .
(5) Les expéditions des pharaons contre les
nomades du Sinaï (Mention) sont nombreuses
au cours de lancien et du moyen empire.
Après Snéfrou (Illi^dyn.), Cheops (IV»), puis
Sahouri (V-), Ousirounri-An. (V<^), Dadkeri (V)
(Cf. Lepsius, Denkm., Il, pi. 39 a, 152 a, 39 d.
— BiRCH, Zeitsch., 1869, p. 26. — Ebeiîs, Durch
Gosen zum Sinaï. p 536. — J . de Morgan, liech.
s. les oriy. de l'Egypte, 1896). Pépi I" (Vp)
(Cf. G. Maspero, Hisl. anc. des peuples de l'Or.,
V* éd., 1893, p. 81) envoya son ministre Ouni
L'EXPANSION SKMITIOUE
245
jusqu'au jour où, les armées égyptiennes se trouvant écrasées
par un (lot humain, la vallée du Nil fut envahie.
On a pr(''teu(lu que, sur la fin de ses jours, Sargon aurait péné-
tré dans la presqu'île du Sinaï (Magan), rappelé par des révoltes,
et qu'il y auiait renversé Kastouhila, roi de Kazalla (1).
Si les Sumc'ro-Akkadieus s'élaieul avancés jusqu'au Sinaï, ce
n'est pas un roi indigène qu'ils y auraient rencontré, mais bien les
garnisons égyptiennes. De plus, comment le Sinaï aurait-il pu se
révolter contre Sargon alors (piil appartenait à l'Egypte ? Ces
deux invraisemblances eussent dû suffire pour faire écarter l'iden-
tification du pays de Magan avec le Sinaï.
M'appuyaut sur un grand nombre de textes anciens et sur des
considérations tirées de la géologie, j'ai prouvé (21 que le pavs de
Magan était situé sur le Khabour, affluent de l'Euphrate. C'est donc
sur la route de Syrie, déjà conquise, que le roi d'Agadé alla pré-
cipiter du trône le prince révolté Kastoubila, et non dans les
montagnes du Sinaï.
La légende met au compte de Sargon l'Ancien toutes les grandes
améliorations de son époque; il est le Menés de la Chaldée. Les
traditions et les vieux écrits sacerdotaux furent compilés, traduits
en langue sémitique et coordonnés, les augures, les ouvrages
d'astronomie, de mathématique (3), de médecine, de magie, de
législation (/i), rédigés primitivement en sumérien, furent aussi
traduits et commentés. Un autre ouvrage donnait les règles des
deux grammaires sumérienne et akkadienne. Tous ces documents
furent réunis dans le grand temple d'Ourouk où, quinze cents
ans plus tard, Assourbanipal les fit copier. A ces travaux.
soumettre les Anioii et les Hiroii-Shaitou de
la presfiu'ile (Cf. Maspero, o/<. cit.. p. 82 ;
d'autres tribus au pays de Tobi, toujours dans
le Sinaï (Cf. Maspéko, Zeilschrijl, 1888, p. 6i).
furent également vaincues par une expédition
marilime. MirinrijVP) (cf. E.de Rougé, liech.
sur les monum., p. 80 sq. - Erman, Comm. z.
inschr. d. Una., in Zeilschr., 188-2, pp. 1-29. —
Lkpsil-s, Denkm, II, pi. 116 a.), Entouf IV (XI")
(cf. BiRCH, T'ap. Ahholt, p. 11-12.) Les souve-
rains de la XII' dynastie restaurent la ligne
de forts construite sous l'ancien empire et
reliant la mer Rouge à la Méditerranée, la
muraille qui barrait l'entrée du Ouadi Tou-
milat (cf. Chabas, tes Pnpi/rus hiérnliques de
Berlin, pp. 38-31». 81-82, 91)' e\, défont les Slia-
sou et les Menlou (Cf. .1. de Morgan, /•ou///e.s
à Diihc/iour, peclorau.\ royau.x).
(1) G. Maspero, Uisl. anc. des peuples de
rOrienl, V' édit. p. 158.
(-2; Cf. Méin. de la Déléy. en Perse, t. I, 1900;
Recherches archéologiques, p. 3i, sq.
(3i Dès l'époque de Sargon l'Ancien et de
Naràrn Sin, les connaissances mathématiques
en Chaldée permettaient de relever des plans
exacts. (Cf. F. Tuureau-Dangin, Un cadastre
chaldéen, ds Rev. d'Assi/r. et d'Arch. orientale,
vol. IV, n°l. 1897, pp.l3-'27. — IIeuzev, Comptes-
rendus Acad. Inscr., t. XXIV, p. 128.)
(4) L'obélisque de Manichlousou, découvert
à Suse et portant un long litre de propriété,
prouve que déjà vers 3800 avant notre ère les
coutumes relatives à la propriété étaient co-
diliées. Il est permis d'en conclure qu'à cette
époque, déjà, tous les rapports des hommes
entre eux étaient réglementés par des lois.
Ce document est relatif à des domaines situés
près de la ville de Kich en Chaldée. (Cf. V.
SciiEiL, Mém. Déléy. se. en Perse, t. II, textes
élamiles sémitiques.)
246 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
attribués à Sargon, il convient d'ajouter de nombreuses cons-
tructions de temples et de palais, le tracé d'une foule de
canaux.
Certainement cette œuvre ne fut ni celle d'un jour ni celle d'un
seul homme (1); mais c'est vers cette époque, au moment de la
fondation de l'Empire, que s'accomplirent ces progrès ; qu'un
pouvoir central fut à même de coordonner les connaissances du
passé, et d'en faire ce tout qui, pendant des milliers dannées,
régit la Chaldée, et dont, pour bien des choses, l'effet se fait en-
core sentir de nos jours. •
Déjà la civilisation égyptienne était alors très développée; mais
il lui manquait l'ambition des conquêtes et l'organisation militaire
de l'Asie. Pendant toute la durée de l'ancien et du moyen empire,
elle n'eut qu'une politique extérieure restreinte, se contenta de
naviguer dans la mer Egée et d'opérer des razzias sur le haut Nil ;
et lorsqu'après l'invasion des Hyksos, elle entra sur la scène du
monde, les idées sémitiques de domination avaient fait leur che-
min, gagnant l'Assyrie, la Phénicie, la Judée, toute l'Asie anté-
rieure. Avec l'énorme développement qu'elle possédait à tous les
points de vue, l'Égyjjte eût été la maîtresse incontestée du monde
si elle avait su conquérir, comme les Akkadiens, les Assyriens et
plus tard les Perses.
Fils et successeur de Sargon, Naràm Sin (vers 3750 av. J.-C. [2])
continua l'œuvre de son père. Sans cesse en campagne, il parcou-
rut la Syrie, le pays de Magan, s'avança peut-être jusqu'à Diar-
békir, guerroya dans les montagnes et visita l'Elam a(in d y
afTermir l'autorité akkadienne.
Le seul danger pour l'empire était celui qui devait plus tard
sortir de l'Est; car là se développait, à l'abri des atteintes chal-
déennes, une puissante civilisation autochtone qui, s'aidant des
progrès suméro-akkadiens dont elle s'inspirait, devenait de jour en
jour plus menaçante. Mais, contre ce danger, la Chaldée ne pouvait
rien militairement; une bonne administration intérieure, une poli-
tique étrangère judicieuse eussent seules pu écarter d'elle le péril,
(1) Les souverains (suzerains) les plus ds Rev. SéiniliqLie janvier 1909, p. 110.
anciens dont les noms soient parvenus jus- (2) Nabonide dit avoir fait pratiquer à Sip-
qu'à nous ont régné dans l'ordre suivant: par une tranchée de 18 coudées de profondeur
1° Charrou oukini ; 2° Manichtousou; 3° Ourou pour retrouver la pierre de fondation du teni-
mououch (lous trois rois de Kich) ; 4° Char- pie de Chamach placée par Naràm Sin, 3200
gani-charri et 5° son fils, Naràm Sin, rois ans avant lui. (Cf. Schrader, Keilinsch. Di-
d'Agadè (V. 3750 av. J.-C.) Cf. J. Halévy 6//o;/î., IIL 2, p. 102, sq.}.
L'EXPANSION SI:MITI0LE O'jT
on coiisei'vaiiL à l'empitc, avec sa vitalilé économique, la force
de résislcr à l'orùge.
Entre 3750 et 2300 av. J.-C, époque tic la réaction an/anile,
nous ne connaissons que peu de chose des événements qui pri-
rent |)lace; l'empire continua d'exister sous les rois de la j)re
mière dynastie d'Our, Our-Engour, Doungi, etc. ; mais vivant sur
lui-même, administrant tant bien que mal son avoir, réprimant de
son mieux les révoltes, n'entreprenant plus de contjuètes. Il sem-
blerait (|ue les successeurs de Sargon et de Naràm Sin, prolitanl
■des efforts de leurs ancêtres, fussent lombes dans l'insouciance;
que, peu à peu, cette vaste organisation militaire, se désagrégeant,
soit devenue si faible que la première secousse la devait renverser;
que, presque tous les princes féodaux sétant affranchis, il y
eut encore, dans bien des provinces, retour au régime des Patésis
indépendants. N'en a-t-il pas été toujours ainsi des grands États
orientaux ? n'ont-ils pas tous péri par linsouciance des descen-
dants de leurs créateurs ?
Sous Narâm Sin, le régime était toujours féodal. Le roi mar-
chait en personne à la guerre entouré de ses neuf vassaux. Les
armées se composaient, en dehors des troupes d'Agadê, des con-
tingents tirés des grands fiefs, dont tous les chefs n'étaient pas des
Sémites, loin de là ; mais, par crainte ou par intérêt, ils obéissaient
au roi et le secondaient dans ses entreprises. 11 faisait bon, en
effet, de guerroyer avec un chef aussi puissant et de recevoir sa
part dans les dépouilles des vaincus.
Cette époque est celle de l'apogée des arts en Chaldée. Aux
grandes conquêtes, à l'opulence, correspondent presque toujours
les grandes œuvres de goût. Les monuments au nom de Naràm Sin,
ceux de l'Empire, sont d'une composition et d'une exécution remar-
quables, supérieurs même, comme conception, à ce que nous a laissé
l'Egypte ; mais cet art souple et majestueux devait entrer rapide-
ment en décadence, dans un milieu où les préoccupations maté-
rielles dominaient chaque jour de plus en plus. Quant à la sculp-
ture provinciale, elle avait conservé la rudesse archaïque.
Pendant ce temps, l'Egypte poursuivant sa destinée, se dévelop-
pait sur elle-même en dehors de la scène du monde. Quelques
troubles intérieurs, quelques expéditions contre les nomades du
Sinaï, des côtes de l'Erythrée, quel(|ues campagnes au sud dans
les pays des nègres, vinrent seuls troubler l'harmonie de cette
9/48
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
évolution si homogène et si suivie. Les arts se développèrent au
point d'enfanter des merveilles dans tous les genres, œuvres très
spéciales d'ailleurs, d'un style qui, pour manquer de souplesse,
n'est pas sans une
extrême élégance.
Le sol se couvrit
de digues, de ca-
naux, de villes et
de villages, de tem-
ples et de palais;
la richesse devint
immense en es-
claves, en métaux,
en biens de toute
nature; la popula-
tion s'accrut dans
d'incroyables pro-
portions.
Le pouvoir cen-
tral avait plusieurs
fois changé de siè-
ge; de Memphis il
était remonté dans
la Haute - Egypte,
j)uis il redescendit
vers le nord avec
la Xil»- dynastie. La
Nubie fut conquise,
tandis que du côté
de ri\sie les Égyp-
tiens ne dépassè-
rent pas le Sinaï,
souvent envahi par
les nomades asia-
tiques ; mais que les Pharaons gardaient avec vigilance. Les
souverains pressentaient que, de l'Asie, viendraient un jour des
hordes barbares portant la ruine sous leurs pas.
La Nubie au temps de l'Empire égyptien (1).
(1) D'après G. Maspero, Ilist. anc. des peuples de lOrienl classique, l. I, p. 177.
L'EXPANSION SKMITIOUE '2!i9
Ceitainemciil rÉgyptc se tint à l'écart pendant les quatorze pre-
mières dynasties qui la gouvernèrent ; mais il ne faudrait pas croire
qu'elle soit demeurée sans communication avec l'Asie. Le chemin
entre l'Euphrate et la vallée du Nil, connu de toute antiquité, était
sans cesse parcouru par les caravanes, et les Pharaons n'étaient
pas sans savoir ce qui se passait en Chaldée ; peut-être même les
marchés du Delta recevaient-ils bien des produits asiatiques (1).
Avec les peuples de la Méditerranée, les relations commerciales
étaient constantes; y doit-on voir la source des quantités énormes
de métal que renfermait l'Egypte dans un temps où elle ne possé-
dait de district minier que sur le Haut-Nil ? Je suis porté à le
croire.
Les vaisseaux égyptiens, dès la IV" dynastie, s'aventuraient
déjà dans les îles de la mer Egée, alors à peine peuplées (2), sur
les côtes de Candie, où les Cretois reçurent de la vallée du Nil
tous les principes de leur civilisation, en Chypre, pays de cuivre.
Peu après l'époque où les empereurs chaldéens fondaient la
bibliothèque d'Ourouk, les Pharaons encourageaient les lettres;
quelques-uns même, dit-on, composèrent personnellement des ou-
vrages. Dès la VI'' dynastie, un haut fonctionnaire porte le titre de
(( Gouverneur de la Maison des livres». C'est qu'en Egypte, les
moyens de fixer la pensée étaient autrement aisés que jamais ils
ne furent en Chaldée ; le papyrus permettait d'écrire comme on
le fait de nos jours sur papier, et son usage se perd dans la nuit
des temps. Rapidement l'écriture hiéroglyphique avait produit un
système plus cursif, l'hiératique (3), tandis qu'en Mésopotamie
l'argile seule se prêtait à recevoir les signes (i .
De quels ouvrages se composaient les bibliothèques de l'ancien
(1) C'était déjà de l'Asie (XII« dynastie) qi:e (3) L'usage de l'écriture liiératique est fort
l'Egypte tirait les esclaves, les parfums dont ancien, on en connaît des exemples dès l'ancien
elle faisait une si grande consommation, le empire. L'un des plus beaux manuscrits en
bois et les essences du cèdre, les vases émail- cette écriture parvenus jusqu'à nous est le
lés, les pierreries, le lapis et les étoffes bro- Papyrus Prisse de la XI' dynastie. — Dans
dées ou teintes dont la Chaldée se réserva les constructions de la XII' dynastie à Dali-
le monopole jusqu'au temps des Romains. chour, toutes les indications techniques ins-
{G. 'M.KSPEno.Hist. anc. des peuples de I Orient, crites sur les matériaux sont en caractères
éd. V, ISy.S, p. 101.) hiératiques et non en hiéroglyphes. La dernière
(2) « Les Cyclades n'ont pas été habitées à de ces écritures était réservéeaux inscriptions
l'époque néolithique, ou du moins quelques et aux textes religieux, tandis que la première
familles suffisaientpourexploiterlesgisements était courante et servait à toutes les transac-
d'obsidienne de l'île de Milo et pour approvi- lions privées.
sionner un commerce restreint. L'usage des (4) Si les Chaldéens avaient écrit s-ur par-
couteaux en obsidienne s'est développé à chemin, les signes ciméiformes n'auraient pas
l'époque énéolithique et s'est perpétué pen- pris naissance. Ct ne fut que plus tard que
dant tout l'âge du bronze. » R. Dlssaud, Bull. l'introduction de laraméen permit d'abandon-
elMém. Soc. Anlhrop., Paris, 1896, p. 110. ner l'argile.
250
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Empire égyptien ? Nous l'ignorons ; mais d'après les indications
sommaires parvenues jusqu'à nous, il est à croire qu'elles ren-
fermaient des traités de médecine (1), de sciences mathémati-
Écriture hiératique.
Première page du Traité de Morale du prince Phtah-
Holpou écrit à la fin de la V= dynastie.
ques (2) et astronomiques, peut-être même d'histoire mais sur-
tout des livres religieux (3) et philosophiques {^).
Ce que nous connaissons de la littérature égy})tienne montre
à' 'i.]àXi^
Théorème de géométrie d'après le papj rus mathématique du Musée Britannique
(XlX-'dyn.) (5).
un peuple rapportant toutes choses à la divinité, et attachant à ses
croyances une importance telle qu'elles dominent au point d'effacer
(1) Les sciences médicales, si toutefois on
peut donner le nom de science aux pratiques
usitées chez les Égyptiens, sont aussi ancien-
nes que la royauté, peut-être plus même. Le
premier traité connu jus((u'à ce jour est attri-
bué au règne de Clu'ops, les autres datent
des rois Menkeri 'Cf. G. Ebers, Pdpijros
Ebers, Leipzig, 1875; Cn.\B.is, Délenninalion
d'une date certaine, Paris, 1877), IlousapaïU
(Cf. Brugsch, Rec. monum. EijijpU, l. M,
p. 101-1-20, pi. LXXXV-CVII. - Chab.^s, Mel.
Eiji/plol., 1" série, pp. 55-79). Ces deu.x traités
e.xistaienl encore à 1 époque romaine (GAr.i.iEN,
De compos. medic. Sec. (jen , V) et ([ueUpies-
uns des remèdes qu'ils indiquaient font au-
jourd hui encore partie de noire pharmacopée.
Comme tout en Egypte, la médecine avait
pris un caractère divin et le médecin qui
s'écartait des prescriptions sacrées était pas-
sible de mort comme assassin (DionoiiE de
Sicile, L 8-2). On conçoit aisément quel genre
de progrès dut faire celle science, en dépen-
dance de la religion, pendant la durée des
temps pharaoniques.
(2) Les connaissances mathématiques en
Egypte remontent à la plus haute antiquité,
si Mcius en jugeons par les travau.x exécutés
dè> la IV'' dynastie. Malheureusement nous
ne possédons rien des traités primitifs Le
plus ancien document mathématique parvenu
jusiju'à nous est le papyrus Rliina, du Musée
Brilannique. (Cf. A. Eisenlohr, Ein mathema-
lisches Handbuch der Allen JEgijpler, i'èll.)
CX] Parmi ces livres, il en était de contem-
porains de Menés et même d'antérieurs. Celui
des morts remonte à l'antiquité la plus recu-
lée ; le chapitre LXIV fut, dit-on, découvert
sous Housaphaiti ou sous Chéops. Toutefois
les tombes archaïques de Négadahetd'Abydos
n'en renfermaient aucun fragment.
(4) I-a philosophie est aussi ancienne que
l'Egypte. Le plus ancien traité connu {Papijrux
Prisse, Bibl. nat. de Paris), écrit au début de
la XII' dynastie, renferme deux ouvrages : l'un
composé sousla IIP dynastie (Snéfrou), l'autre
sous la V'' par Ptahhotpou, fils d'un des rois
de cette époque. (Cf. Ciiabas, Pieu. Archéol.,
1= série, t. XIV, p. 1, sq.)
(5) Cf. EisENLOiin, Ein niathematisches Hand-
buch der Allen y'Egypter (Papyrus Rind des
British Ihiseum), 1877.
LEXPANSIOX SÉMITIOUE 251
presque les autres sujels. L'honmie songeait, toute sa vie duraiil,
à se construire un tombeau, ne niédilait que sur la survivance.
La vallée du Nil a fourni une innombrable quantité de textes
écrits sur pierre, sur bois, sur papyrus, e til en est bien peu qui
présentent un caractère profane. Les indications historiques, géné-
ralement perdues dans l'encombrement des formules rituelles,
sont souvent bien vagues et difficiles à retrouver. C'est que la
croyance à la vie future absorbait l'Kgyptien au point de lui faire
négliger niill<^ choses de la vie sur terre ; que son histoire même
avait pour lui moins d'attrait que ses espérances d'outre-tombe, et
que les prétreslentretenaient dans cetétat d'esj)rit afindeconserver
sur lui un ascendant absolu (1). Tant que l'Egypte vécut en dehors
du monde, tant cju'elle n'eut pas senti le besoin de luller pour
l'existence, l'idéalisme fut le seul mobile de
tous ses actes privés et publics. Elle n'était ^ ^^^ ^
pas un royaume de la terre. t/ "> -^ ^
En Chaldée, au contraire, les Sémites /T' '^ !t\ al
moins croyants, plus positifs, plus orgueil- 1J2 1,1\ ^ ^
leux, plus ambitieux des biens de ce monde, J^ ^^^^^ i*
ont sude bonne heure, tout en rendant hom- ^it''^^ >C /.i
mage à leurs divinités, séparer les faits des iX ^TT t\ "^
formules, étudier les sciences sans y mélan- «tC ^ \} ^
ger les dieux, narrer les hauts faits, rédiger ^^ ^ '^ u
des lois en les déofag-eant des idées et des 5* â iZ %
formules religieuses. p^jA tu-r ~y
Ces deux états d'esprit s'expliquent aisé- JY ^r\ ^ ^^'i
ment par la nature même des lieux où vi- "^
vaient les deux peuples, par leur éducation. Fragment du manusnit
T .,% .• . . 1 r.^ . < c • hiératifiue de Sineli
L Egyptien n ayant pas grand efïort a faire ;papy,us de Berlin; de
pour conserver son patrimoine, protégé qu'il la Xll» dynastie (2).
était de tous côtés par des déserts, avait tout
loisir de se livrer aux spéculations iinaginatives ; le calme de
la nature et la régularité de la vie l'y portaient, de même que ses
dispositions naturelles et ses croyances traditionnelles. Tandis que
les Sémites ardents à la con(|uête, toujoui's assoiffés de richesses
(1) Les prêtres qui veillaient sur les sépul- of DtbI. ArcheoL, t. Vil, p. 6, sq.) Ce fui une
tures étaient gt'rants des biens fin tombeau des principales causes de l'immense richesse
■que l'Egyjjlien donnait de son vivant par con- du clergé.
Irai régulier afin d'assurer après sa mort le (-2) La disposition de l'écriture hiératique en
service des offrandes. (Cf. G. Maspero, Egypt. colonnes verticales semble cesser avec le
docum. relat. to the dead, in Trans. of llieSoc. moyen Empire.
252 Ll'^ PREMIERES CIVII.ISATlttNS
et de jouissances, ayant perpétuellement à lutter contre de dan-
gereux voisins, envisageaient la vie sous un jour plus réel. Ils fai-
saient aux dieux leur part dans leurs inscriptions triomphales, au
début et à la fin des textes; mais tout le cours du récit conservait
son caractère profane. Dans la pratique, ils se servaient du nom
de leur divinité pour couvrir leurs iniquités; car, il ne faut pas
l'oublier, les dieux n ont jamais été, surtout entre les mains des
Sémites, que des instruments de haines, de vengeances, de
rapines.
Certainement les empereurs chaldéens durent user des procédés
que nous voyons plus tard employés par 1" Assyrie où, au nom
d'Assour, se commirent tous les crimes ; mais ils étaient tenus à
certains ménagements envers le vieux fond de la population, assez
nombreux encore pour adoucir, dans une certaine mesure, la
cruauté et l'injustice naturelle de ses maîtres.
Pendant que se développait l'Egypte sous ses premières dynas-
ties, que s'établissait la ])répondérance sémiticjue dans l'Asie an-
térieure, de grands mouvements de peuples s'opéraient dans le
Nord. Les Aryens, fuyant devant le froid, avaient depuis longtemps
([uitté leur patrie originelle et, lentement, s'étaient avancés vers
l'ouest et le sud. Les plaines de la Transcaspienne, celles de la
Russie étaient déjà occupées, peut-éti"e même les avant-coureurs
sétaient-ils avancés déjà jusqu'en Europe centrale. En Extrême-
Orient des migrations analogues, mais plus confuses encore pour
notre esprit, jetaient les bases de ce qui fut plus tard l'Empire
chinois. Les hordes tartares et turques prenaient leurs positions
dans la Sibérie et l'Altaï, pa^s abandonnés par les Aryens.
De ces mouvements, nous ne connaissons rien de précis encore;
mais la suite de l'histoire les fait pressentir. Ils s'imposent, et si
j'en parle en traitant du quatrième millénium, c'est que bientôt
nous verrons paraître, dans laire historique, les premiers
Aryens.
Ces hordes du Nord n'étaient point encore parvenues jusqu'à
la mer Méditerranée où, sous l'influence bienfaisante des naviga-
teurs égyptiens, les vieilles races se développèrent et acquirent,
de bonne heure, une civilisation digne d'entrer en ligne avec
celle de leurs maîtres.
Ce n'est que vers la IV'' dynastie que l'influence égyptienne
se fit sentir en Crète, foyer d'une culture intellectuelle nais-
LEXl'ANSION SÉMITK »l E
253
saute (1). Auj)aravant, jiis(|irà la III" dynastie, le centre du pouvoir
et j)ar suite de la richesse et de l'énergie, se trouvant, en Egypte,
éloigné de la mer de mille kilomètres environ, le nord du pays
était (jii('l(|ut> peu (Udaissé et ses naviga-
teurs, encore barbares, ne s'aventuraient ^\ ^^^-(•.-j-^
pas loin des cotes. I l i.1 '
Le transj)orl du pouvoir à Memphis ('2) 1 1 j vi/.-^^ "^ M 1 1
procura la richesse et la force aux gens ni \ 1^ ^ i i n
du délia. Arrêtés par les sables et les no-
mades pillards, aussi bien du côté de
l'Asie que de celui de la Lybie, les com-
merçants s'élancèrent sur le chemin de
la mer et, dès la H" dynastie, nous ren-
controns des traces de leur passage.
La Crète était en jadmirable position
pour développer la culture qui lui était
enseignée ; entourée d'eau de toutes parts,
elle n'avait à redouter que la piraterie,
dont ses habiles marins la protégeaient
dès les temps néolithiques. Grande assez
pour subvenir à ses besoins en toutes
choses, elle ne l'était pas de telle sorte
qu'il s'y put développer de grands pou-
voirs absorbants. Indemne de toute inva-
sion, elle était habitée par une race homogène parente de celle des
-^' r-, " I
Y / 4^
Inscriptions Cretoises sur
argile, découvertes à
H. Triada (3).
(1) R. Dussaud (BuU. el Mém. Soc. Anlhrop.,
Paris, r.>06, p. 112, sq.) ilonne, d'après M.
Evans, la classification chronologique des
anti(iiiilés nouvellement découvertes en Crète.
1. Minoeii ancien I. — Enéolithiqiie que IM.
Evans croit contemporain de la V' dynastie
égyptienne.
i. Minoen ancien II. — Vases de pierre,
armes de bronze, cachets, figurines, or el ar-
gent, mobilier présentant de grandes analogies
avec celui de l'Egypte à la IV« dynastie.
I. Minoen ancien III.— Objets divers, si-
gnes ^pictographiques d'un type primitif.
II. Minoen moyen I. — Plein âge du bronze,
polychromie dans la céramique; l'écriture pic-
tographique prend la forme hiéroglyphique.
il. Minoen moyen II. — Premiers palais de
Cnosse et de Phaestos. Belle époque des va-
ses de Kamarés. — Xll» dynastie. Vingtième
à dix-neuvième siècles.
II. Minoen moyen III. — Deu.ïièmes palais
de Cnosse et de Phaestos. Premières sculp-
tures. Ecriture linéaire en même temps (jue
hiéroglyphique. — XIIP dynastie.
III. Minoen récent I. — (Ilaghia Triada.)
Vases en stéatite ornés de bas-reliefs. Fres-
ques très habiles, épées de bronze, écriture
linéaire, encore mélangée de linéiques hiéro-
glyphes. — XVIIl^ dynastie (xvii's.).
ll\. Minoen récent II. -Traces nombreuses
d'influence égyptienne. Second palais rema-
nié de Cnosse. Art céramique à son apogée. —
Deuxième ville de Phylacopi (Milo). — Ruines
«le Théra (Santorin). — Tombes à fosses de
l'acropole de Mycènes. — XVIIP dynastie.
III. Minoen récent III. — Mycénien. L'hé-
gémonie passe sur le continent. XVIII" à
XIX° dynastie.
IV. Inrasion Jorienne. - Apparition du fer,
de la fibule, de l'incinéralion, retour de la
céramique au décor géométrique.
(-2) Dès les débuts de la royauté, les Pha-
raons avaient les yeux tournés vers le delta,
puisque c'est à Menés qu'on attribue la fon-
dation de Memphis ; mais cette ville ne devait
être, au début, qu'im simple poste militaire
chargé de surveiller la route d'.\sie et de pro-
téger la vallée du Nil en la Ijarrantà son entrée.
(3) Cf. A. Mosso, G/( .Scat'i di Cre/((, Milano,
p. 52, fig. 29, a, b.
Tôh
LES prp:mieres civilisations
iles de VÉgée, des terres voisines de l'Europe et du nord de
l'Afrique, populations possédant des tendances, des aptitudes et
des besoins analogues aux siens.
Minos est, dit-on, le fondateur de cet Etat dont le développe-
L'ile de Crète dans la haute antiquité.
ment fut si rapide qfie, dès le vingtième siècle, son influence régnait
sur la majeure partie de la mer Méditerranée. Commerçant avec tous
les pays et surtout avec l'Egypte, chez qui elle alla puiser des
notions artistiques, la Crète sut développer chez elle, dans une
évolution qui lui est très personnelle, la sculpture (1), l'architec-
ture, la peinture à fresques, la céramique et tous les autres arts
utiles.
Libre dans son progrès, n'ayant pas à restreindre, par des
canons religieux, l'envolée de ses conceptions, elle produisit des
œuvres d'une grâce réaliste parfaite, que seule la Grèce de labelle
époque devait surpasser.
Ce peuple Cretois n'élait ni sémite, ni égyptien, ni aryen; il
appartenait aux vieilles couches de la population, avait du sang qua-
ternaire dans les veines, de ce même sang peut-être que les pein-
tres magdaléniens, que les Berbères de l'Egypte primitive, que
les Sumériens de Chaldée ; mais il possédait aussi l'élément prin-
cipal du progrès, la sécurité.
Chypre, également visitée par les Egyptiens, était peuplée de
II) E.-li. Ua\l {The decoralive art ofCrele in de consulter les nombreuses publications
the Bronze Aije, Philadelphie, 1907) a donné parues depuis queltjues années sur les fouil-
un excellent exposé de l'art décoratif, plus les en Crète,
spécialement céramique. Ce travail dispense
LEXPANSION SKMITIOUK 25^
congénères des Crélois, mais elle était trop voisine des côtes^
d'Asie; les maîtres du continent, en la visitant, y semèrent la
ruine et la crainte. Aussi n eul-elle pas le loisir de se développer
à l'égal de sa nœuv d'Occidcul.
Ainsi l'Egypte, par son commerce, avait fait naître dans la Médi-
terranée une civilisation raflinée et une thalassocratie puissante
qui, longtemps avant celle de la Phénicie, fut maîtresse des mers.
En Asie, l'Elam avait prospéré en dehors du monde Méditei'-
ranéen. Il n'avait jamais été entièrement soumis aux empereurs
chaldéens; si quelques-unes de ses villes, telle Suse, obéissaient
au maître d'Agadê, les Suméro-Akkadiens n'avaient d'autorité que
dans la plaine; et cette j)laiue, tiès réduite alors, n'était qu'une
faible partie du domaine anzanite.
La mer s'avançait à cette époque au delà du Iniri-age naturel de-
Nasseri-Ahwaz, et, en amont de cette ligne d'îlols rocheux, étaient
des lagunes et des marais que comblaient peu à peu les apports du
Kâroun, de l'Ab-é-Diz et de la Kerkha. Plus loin vers le Nord-
Ouest, la mer venait baigner les collines qui séparent aujourd'hui
la Kerkha du Tigre et le pied de Kouh Hamrîn ; en sorte que la
plaine élamite se trouvait réduite à une longue ])ande de terrain
s'étendant en demi-cercle au pied des montagnes.
Au moment où les Sémites, venant d'Arabie, abordèrent les
côteschaldéennes,ilsdescendirent également dans les payssusiens,
occupèrent Dilmoun (Bender Dilem) (1), île sableuse située au
sud-est de l'Elam et tous les îlots boueux qui, sortant alors des
eaux, font aujourd'hui partie de la terre ferme (2).
La puissance akkadienne en Elam fut probablement longtemps
disputée parce que les indigènes, retirés dans les vallées du
Poucht è Kouh, du Louristan et des Baktyaris {3}, étaient toujours
prêts à profiter du moindre moment de faiblesse des conquérants;
parce que les montagnards se rendaient insaisissables, grâce aux
difficultés naturelles de leur pays ; enfin, parce qu'à cette époque
la Susiane n'était guère attaquable que par mer. Dans le haut pays,.
(1) C'est à tort que .1. Oppert a placé Dil- ment de la ville arluelle de Bender-Bou-
moun dans l'île de Bahrein; ceUe île, aiijoiir- chir.
d'hui réunie au continent, étail alors située à (3) Le district actuel de Mal-Emir, sur la
quelques kilomètres de la côte. (Cf. .1. de route de Chousier à Ispalian, était une princi-
MoRGAN, Mém. de la Délég. en Perse, t. I, pauté élamite. Elle portail le nom d'Aiapii- :
Rech. archéol.) on y voit encore des ruines el plusieurs stèles
(2) Lors de l'invasion sémitique, ces pays anzaniles. (Cf. V. Scheil, ds Mém. Déléij. en-
étaient de langue anzanite. Ils furent repris Perse, t. IH, 1001, p. IWJ, sq. et G. Jéquieb,
plus tard par les rois susiens et Chilhak in Description du site de Malamir, même ou-
Chouchinak éleva un temple sur remplace- vrage, p. 133, ^q-).
256 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
les Élamites conservèrent toujours leur indépendance. Ils avaient
leurs villes, Madaktou (J), Khaïdalou (2), Naditou (3), Khamma-
nou (4), etc.,où le vainqueur ne les pouvait atteindre. Ces villes
gardèrent toujours le titre de « cités royales », même au temps
de la splendeur de Suse, de l'indépendance de toute la nation.
Comme touteslesanciennes monarchies, l'Elam était unroyaume
féodal divisé en principautés; il y avait les Habardip, les Houssi,
leNimé, etc., obéissant tous au roi de Suse; et, pendant Toccupation
akkadienne de la plaine, c'est dans leurs cités que se conserva l'in-
dépendance et l'esprit de revanche.
Entre 2300 et 2280 av. J.-C. (5), profitant de la faiblesse des
Sémites et, probablement aussi, de dissensions qui troublaient
l'empire, un roi de Suse, Koudour-Nakhkhountè I, chassa les domi-
nateurs de l'Elam et, traversant la plaine mamelonnée qui le
sépare de la vallée du Tigre, pénétra au cœur de la Chaldée, s'em-
para d'Ourou, de Babylone, de presque toutes les villes du pays
des deux fleuves et renversa l'Empire chaldéen(6). Une dynastie
indigène survécut cependant dans la ville d'isin, tandis que les
Élamites avaient installé leur nouveau centre politique à Larsam.
Le peuple d'Élam, se vengeant de sa longue servitude, dévasta
le pays de ses anciens maîtres ; Suse regorgea des trésors des
Choumirs et des Akkads; il rapporta dans sa ville comme tro-
phées de ses victoires, les dieux au nom de qui la Chaldée l'avait
opprimé.
Certainement la réaction fut dune violence extrême, car bien
des peuples s enfuirent devant les armées anzanites. Ce furent
les adorateurs dAssour, qui gagnèrent le Nord en remontant la
vallée du Tigre, les habitants des bords de la mer, des îles de
Sour, Arad, Dilmoun qui, émigrés sur les côtes de Syrie, devinrent
(1) Probablement Derrè i Chahr, dans la Nanâ qui avait été enlevée de la ville d'On-
moyenne vallée de la Kerkha (Seïn-Merrè). rou 1.635 ans auparavant par Koudour Nakh-
(Cf. J. DE Morgan, Mission scienlif. en Perse, khounlé l'Ancien.
t. IV, 1" partie, Rech. archéol., p. 2-29, et carte (0) Peut-être devons-nous attribuer à l'époque
de l'Elam.) de Koudour Nakhkhounlé l'Ancien la série
(2) Probablement Khorremûbâd dans le de tablettes proto-anzaiiites découverte à Suse
Louristan. (Cf. J. de Morgan, op. cit., p.-228. ) et publiée par V. Scheil (Cf. Mém. de la Délé-
(3) Cf. J. DE Morgan, op. cit., t. IV, 1" par- galion en Perse, t. VI, 1905, p. 59, sq.); la pro-
tie, p. 230. fondeur à laquelle ces tablettes ont été Irou-
(4) Cf. id.. p. 228. vées (15 mèlres) légitimerait cette supposition,
(5) Cette date nous est fournie d'une ma- d'autant mieu.x que le caractère ciim])table
nière certaine par un te.xte d'Assourbanipal des textes qu'elles portent en faisait des do-
(Cf. G. Smith, Hisl. of Assurbanipal, p. 251^ cuments d'usage passager ; on n'avait aucun
où il est dit que ce souverain, lors du sac de intérêt à les conserver toujours dans les
la ville de Suse en 645 av. J.-C., enleva pour archives ou la bibliothèque des rois su-
la rapporter en Chaldée la statue de la déesse siens.
LEXPAXSION SÉMITIOUK 257
les Phéniciens ; enfin les Ghananéens et autres tribus cantonnées
dans le bas Euphrate, qui remontèrent le fleuve, grossissant leur
noniljre des peuplades rencontrées sur leur chemin.
La tradition veut que les Elamites, vainqueurs, aient étendu
leur domination jus({u'à la Syrie ; peut-être j)Oursuivirent-ils les
fuyards juscju'à la mer du Soleil couchant ; toujours est-il que
la Cœlesyrie et la Palestine furent envahies par des populations
trop nombreuses pour qu'elles fussent à même de trouver dans
cette région la satisfaction de leurs besoins.
Là, certainement, est l'origine de Tinvasion des pasteurs en
Egypte. L'établissement des envahisseurs dans le delta, la route
quils suivirent pour y parvenir, leur nature ethni([ue montrent
que le flot venait, non des déserts du sud ou du sud-ouest de
l'Arabie, mais bien de la Syrie où lavait jeté une pression que-
seule la conquête élamite était à même d'exercer à cette époque..
L'invasion de TEgypte ne se produisit pas de suite après l'émi-
gration de Chaldée. Les peuples nouveaux venus dans la Cœlesy-
rie, la Palestine et la Phénicie, cherchèrent probablement à s'éta-
blirdans ces pays ; mais ce surcroît dépopulation ne trouvant pas
la place d'y vivre, et, peut-être aussi, poussé par des événements
que nous ignorons encore, s'écoula vers le sud.
On a pensé trouver la cause du départ d'Asie des Hyksos (1)
dans de grandes éruptions volcaniques qui, ayant eu lieu dans
l'Arabie centrale, auraient rendu inhabitable une partie de la
péninsule ; mais la position même que les massifs volcaniques
occupent en Arabie exclut cette hypothèse.
En effet, ces chaînes sont situées sur les rives de la mer Rouge
et de l'océan Indien. Il s'ensuit que leurs éruptions auraient
causé des migrations par mer et non par terre ; que les émigrants
auraient abordé la côte érythréenne de l'Egypte et non la pénin-
sule sinaïtique et le delta ; enfin que la Chaldée ne serait pas restée
indemne d'une nouvelle invasion sémitique, et que les tribus pré-
phéniciennes du golfe Persique n'auraient pas été chassées de
leur pays, de même que les Chananéens de l'Euphrate, par un
cataclysme se passant au loin dans l'Arabie.
Lorsque le flot des llyksosse présenta vers l'isthme de Suez, la
(1) Les Égyptiens, confondant les pasteurs Shasou, le roi des Shasou, au pluriel Hiqou-
avec les nomades qu ils étaient accoutumés à Shosou dont les Grecs ont fait llyksos. (Cf.
combattre sur leur frontière asiatique, les G. Maspero, Ilisl. anc. des peuples de l Orient .
avaient nommés Shasou, et leur prince, Iliq- V éd., 1893, p. 161, note 2.)
17
258 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
science de la guerre (1) était bien plus développée chez les Clial-
déens que chez les Égyptiens, et la race sémitique, bien j)lus ar-
dente à s'emparer du bien dautrui, voyait ses appétits surexcités
encore par les privations sans nombre qu'elle avait dû supporter
dans son long voyage au travers des pays pauvres. Aussi les
États du Pharaon furent-ils pour l'envahisseur une proie facile, en
même temps qu'indispensable à l'existence de ces hordes.
Après avoir remonté le cours de lEuphrate, les pasteurs eus-
sent aussi bien pu se tourner vers le Nord plutôt que vers le
Midi; mais, sur le haut fleuve, dans les gorges de l'Amanus et
du Taurus, ils eussent rencontré des peuples pauvres, forts et
belliqueux, qui les auraient arrêtés.
D'autre part. l'Egypte enrichie par des milliers d'années de
paix, encore inviolée, excitait bien plus les convoitises que tout
autre pavs. Memphis exerçait sur ces bandes la même fascination
que causèrent plus tard Rome et Constantinople sur les barbares.
Il est à remarquer que jamais les invasions sémitiques n'abor-
dèrent, dans un esprit de conquête, les grands massifs montagneux;
et que, si quelques expéditions s'y aventurèrent parfois, ce ne fut
que pour piller ou par mesure de protection. La Chaldée ne j)ut
écraser l'Élam, TiVssyrie laissa subsister TOurarthou ; si elle fran-
chit les chaînes kurdes, ce ne fut (jue pour opérer des razzias sur
le plateau iranien. Le Sénùte s'est toujours montré homme de la
plaine (2); l'I^gvptc répondait donc à ses aptitudes sous ce rap])()rt.
(1) Parmi les ressourcCb militaires spéciales lii.fl. unli(i., p -202. — Max Mulleu, Biogr. of
aux populations de l'Asie se trouvait l'usage Wordx. p. lit;.) C.-F. Kiel (.Ua;i of bibl. Arch ,
du cheval, dont l'emploi semble être r.é quel- II, 219) dit qu'au temps de Salomon (vers
que part dans les pays situés au nord de lan lOOO av. J.-C.) les rois et la noblesse
l'Asie antérieure, bien plutôt qu'en Extrême- montaient des clievaux au lieu de mules el
Orient ou dans les steppes de Sibérie. Il d'ànes (2, /îo/.s, IX, 21, 23 ; XI, 16; /sai'e, XXX,
semble que, bien qu'avant vécu à l'étal sau- li', : .Im., IV, 10). Mais cet usage était déjà à
vage dans tout le monde occidental, le che- cette époque connu depuis des siècles ; car il
val ne devinl.un auxiliairedelhomme que très existait des chevaux en Egypte au temps de
tardivement. En Chine, dans les anciens temp.-;, Jacob, à l'époque des Hyksos (Ge«., XLVII,17;
le cheval n'étaitpas monté. Cet usage apparaît Exud., IX, 3; Deul. XVII, 16). Dès le temps
vers la fin de la dynastie Chi'Ju (Liu hiuen). La de Thothmes 1»% on les voit figurer sur les
cavalerie fut, pour la première fois en Chine, monuments.
employée à la guerre à l'époque de Su Tsin, (2i Plus tard, l'invasion musulmane n'oc-
c'est-à-dire vers 350 av. .f.-C. Cf. Terrien de cupa ni l'Iran, ni les massifs de l'Arménie et
L\CouPERiE, The oldest book of Ihe Chinese, du Taura*. En Perse, la population devint
The Yh-Kiiuj, vol. I, Ilistory and Method, musulmane; mais aucune colonie sémitique
London, 1892, p. xviii, note 5.)'— A la bataille ne s'y fixa. Le Taurus et l'Asie Mineure ne
de Marathon (190 av. J.-C), les Perses firent changèrent de religion qu'avec la conquête
usage de cavalerie, mais non les Grecs. turque. En Espagne, pays montagneux, l'élé-
L'équitation, à l'époque d'Homère {Odiissée, ment arabe, quoique gouvernant, fut tou-
V, 371; Iltinde, X, 513; XV, 6791, n'était pas en- jours très peu nombreux ; il en fut de même
core complètement entrée dans les usages. en .\lgérie. au Maroc, où les indigènes em-
II en était de même aux Indes à l'époque vé- brassèrent l'Islam. Il ne faut pas confondre
dique (/?/<;., V, Gl-2). (Cf. O. Scnn.^DER, P;-e- dans les Arabes tous les musulmans.
L'EXPANSION SI-MITIQLE 259
Le moment était craillcurs propice pour envahir la terre du
Nil, l'anarchie y régnait en maîtresse. Depuis la XIP dynastie, le
pouvoir royal s'était aflaibli au point que la XIV" n'avait plus
guère de puissance ([ue dans le Deltad, autour de la ville de Xoïs,
dont elle avait fait sa capitale. Partout ailleurs, les princes révol-
tés s'étaient déclarés indépendants, luttaient entre eux ou contre
les restes du pouvoir royal.
La faiblesse des souverains, l'excès des richesses résultant de
la bonne administration des Ousertesen et des Amenemhat, para-
lysaient les forces pharaoniques quand le flot des llyksos se pré-
senta aux portes du Delta.
« Il nous vint un roi nommé Timaeos, dit Manéthon (1); sous
€6 roi donc, je ne sais pourquoi. Dieu souffla contre nous un vent
défavorable ; et, contre toute vraisemblance, des parties de
l'Orient, des gens de race ignoble, venant à limproviste, envahi-
rent le pays et le subjuguèrent facilement et sans combat. »
Quelle orgie pour ces « hommes ignobles », pour ces nomades
pauvres, cupides, sensuels et cruels ! L'Egypte connut toutes les
horreurs. Et quel afl'reux réveil pour les paisibles populations
■de la vallée du Nil que l'arrivée de -ces hordes féroces ! Le patri-
moine des aïeux mis à feu et à sang, ses villes incendiées, ses
temples détruits et ses habitants, ceux qui échappèrent au car-
nage, réduits en esclavage.
Les sépultures des rois violées (2), le llyksos s'empara des
immenses trésors qu'elles renfermaient. Elles furent systémati-
quement exploitées, au moyen e galeries de mines, quand les
entrées ne purent être découvertes, quand les prêtres se refusè-
rent à livrer leurs secrets.
A peine quelques sépultures princières échappèrent-elles au
pillage, entre autres celles de la Xll^ dynastie que j'ai retrouvées
dans la nécropole memphite(3); et l'on peut juger par les trésors
(1) Manétiiox, édit. Unger, p. liO. dans l'inUTieur delà pyramide d'Ouscrlc-
(-2) Il est impossible datlril)uer à d'autres sen III, ne sonl pas l'œuvre d'Egyptiens, mais
rju'aux pasteurs la violation des sépultures bien d'étrangers. (J. M.)
royales et princières de l'ancien et du moyen (3>Cf. J. de Morgan, Fouilles à Dahchour,
Empire dans la nécropole memphite ; car in-4, 2 vol. 1902-3. Les trésors de cinq prin-
l'ouverture de ces tombeaux exigea des Ira- cesses renfermaient plus de ;0 kilogram-
vaux longs et importants qui ne purent être mes d'or et on peut évaluer à plus de 10)
faits que de connivence avec le gouvernement kilogrammes, au moins, ce ([ue renfermait cha-
dans un temps où les prêtres n'avaient plus cune des pyramides royales de la Xll'' dynas-
le pouvoir de proléger les monuments confiés tie. On com^oit avec quel acharnement les
à leurs soins. D'autre part, les dessins gros- pasteurs altatiuèrent ces monuments pour le»
siers tracés par les ouvriers sur les murs, violer.
260 LES PREMIÈRES CIMLISATIONS
qu'elles renfermaient de la richesse et du luxe qui régnaient en
Egypte, lors de l'arrivée des Asiatiques.
Dans les pyramides royales que j'ai ouvertes, tout avait été
enlevé, jusqu'aux cercueils de bois lamés d'or et, en se retirant
avec leur butin, les pillards avaient tracé, sur les murs blancs des
cryptes, des caricatures (l) qui, par leur facture, décèlent des
mains étrangères.
Ce qui restait de Memphis('2) fut choisi par les Hyksos comme
centre de la nouvelle royauté ; mais les forces militaires étaient
concentrées à Avaris (3), dans le Delta. Là fut élaljli un vaste camp
retranché capable de contenir 2/iO.OOO hommes, tous Asiatiques.
C'est d'Avaris que les rois pasteurs exploitèrent ce qui restait de
la malheureuse Egypte.
L'invasion avait été dès longtemps précédée par la venue paci-
fique d'un grand nombre d'hommes d'Asie, arrivant par petits
groupes, s'établissant comme commerçants et prospérant sous le
régime juste et doux des Pharaons ; tolérés sans méfiance, ils de-
vinrent bientôt, par leur nombre, un élément important et dange-
reux. Lors de l'arrivée des Hyksos, ces étrangers se groupèrent
autour des nouveaux maîtres de leur sang; peut-être même les
avaient-ils attirés et facilitèrent-ils singulièrement l'écrasement
de l'Egypte, qui, pendant si longtemps, les avait nourris.
Toutefois les rois pasteurs n'avaient pas d'un seul coup para-
chevé leur œuvre; ils s'étaient substitués aux Pharaons de la
XIV dynastie dans leur Etat, mais avaient aussi hérité de
l'hostilité des princes de la Haute-Egypte. Fuyant devant eux,
une partie de la population du Nord remontée vers le Sud
venait renforcer la résistance. Il fallut, dit-on, deux siècles pour
l'abattre. Enfin depuis Syène jusqu'à la Méditerranée, toute la
vallée du Nil, ravagée, obéit aux nouveaux maîtres (/i).
(1) Cf. DE Morgan, Fouilles à Dahchour, 1903, J'ai visité les ruines en 1895. (J. M.) (Cf. Fouilles
fig. 137 à 140. de Mnrielle, Musée du Caire.)
(2) Dans mes fouilles de isg'î, à Mil-Ralii- (4) La période de 600 ans, consacrée au.x
neh, j'ai retrouvé, sous les dallages du temple Hyksos par Manéthon, semble être beaucoup
ramesside de Phlah, les ruines de l'édifice de trop longue. L'historien compte 250 ans pour
la XII' dynastie. (J. M.). la conquête, 200 ans pour l'occupation du pays
(3) Hàrouàrou (Tanis), ville dont les ruines et 150 ans pour la guerre d'indépendance. On
sont situées à quelques kilomètres au sud du convient aujourd'hui de placer au cours du
lac Menzaleh ; les buttes qui les composent, vingtième et du dix-neuvième siècles la XI"
rougies par un formidable incendie, sont en- dynastie, et vers le di.\-septième la XVIIP
combrées d'obélisques brisés, de fiagments dynastie. 11 ne resterait donc que deux ou trois
(le statues et des matériaux de grands édifi- siècles au plus pour répondre aux XIII» et
ces en granit. On voit que cette ville a été XIV' dynasties, à l'invasion des pasteurs (XV«
détruite avec un extraordinaire acharnement. et XVI' dyn.), et à la XVIP dynastie pharaoni-
LEXPANSION SKMITIOUE
2(51
Ce fut le plus grautl pillage de ranliquilé ; il eut son retentis-
sement dans le monde entier d'alors. Les Asiatiques se présen-
tèrent en foule, venant sans cesse, par la voie du Sinaï, pour
prendre leur part dans cette gigantesque curée. Les uns s'enrô-
laient au camp d'Avaris, les autres s'établissaient dans les villes
du Delta, afin d'y exercer des commerces, devenus très lucratifs
dans ces moments troublés.
Du nombre de ces derniers était une tribu chananéenne, celle
d'Israëlqui, issue de Clialdée(l) en même temps que d'autres nom-
mées Ammon et Moab (2), se serait séparée d'elles et, après
de longues aventures, les laissant en Syrie, serait entrée en Egypte.
Cette tribu d'Israël, nous ignorerions sa venue sur la terre du
Nil si, plus tard, elle n'avait joué un rôle bien supérieur à son
importance politique. Comme tous les autres Asiaticjues, elle ne
vint qu'attirée par Fappàt du lucre et ne mérite de considération
spéciale (3\ que parce que nous sommes mieux documentés à son
sujet que sur le compte des autres peuplades ayant j)ris part à
ce sfrand mouvement.
Les Hyksos importèrent en Egypte les principes gouvernemen-
taux de l'Asie ; au lieu de chercher à reconstituer l'empire de la
XII® dynastie avec ses nomes, ils se créèrent dans le Delta un
royaume où leur autorité était directe. Pour la haute et la
moyenne partie du pays, ils la pillèrent d'abord, puis soumirent
au tribut les princes en les plaçant sous l'autorité de ceux de
Thèbes.
C'était le caractère propre à la méthode gouvernementale
de toutes les monarchies asiatiques ; un territoire vaguement
que; ce qui semble être un minimum trop
faible, car la XIII' el la XIV"- dynasties comp-
tent 80 règnes, les Hyksos 81, et la XII' dy-
nastie 43, ce qui attribuerait à chaque régne
une durée maxima d'un an, dix mois et se|)t
jours. Or, la date de la XVlIP dynastie semble
certaine. C'est donc celle de la XII' dynastie
qu'il faut remonter. D'autre part, la date de
Koudour Nakliounlé l'Ancien, -2300 ou 2280
(G. Smitu, Hisl. oj Assurbanipal, p. 251) est
certaine etco'incide avec le départ des Hyksos
de Chaldée. Si nous ajoutons à cette ilate
les 600 ans de Manéthon, nous sommes menés
au di.\-septième siècle pour la XVII' dynastie.
Sans compter le tem[)s que dura le vojagc
des pasteurs entre la Chaldée el l'Egypte. Or,
nous savons, que la XVIIl' dynastie corres-
pond au seizième siècle. C'est donc 100 à ISOans
au moins qu'il faut retrancher de l'évaluation
des prêtres égyidiens.
(1) Abraham, suivant la Bible, serait sorli
d'Oiirou. Si les Juifs ont choisi cette ville pour
lieu de leur origine, c'est probablement parce
quOurou était la ville sainte où les rois ve-
naient se faire introniser. Ils pensaient rele-
ver ainsi, aux yeux des générations, la valeur
de leur chef originel. (Cf. G. Rivière, Le
Code de Hammoural)i,ds Rev. de.-i Idées, 15 fé-
vr., 1905, p. 135.) On place généralement vers
le vingtième siècle le départ d'Abraham de
Chaldée. Cette date, comme on le voit, coïncide
à peu de chose près avec le mouvement éla-
mite.
(2) .\mmon se fixa au nord-est de la mer
Morte, Moab au sud-est, au sud des monts
du Haourân, sur la limite du désert et la route
du Sinaï.
(3) La Bible (Genèse, XLV, 17-18) fait dire à Jo-
seph par le pharaon Hyksos : « Pressez votre
père el vos familles, el revenez vers moi ; je
vous donnerai du meilleur du pays d'Egypte
cl vous mangerez la graine de la terre. »
202 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
limité formant l'apanage direct du maître, et une zone plus ou
moins étendue de royaumes tributaires. Au delà, on se contentait
de simples expéditions de pillage, d'où la métropole tirait ses-
esclaves et une partie de sa richesse. A Rome, plus tard, les
trois classes territoriales se retrouvent encore, la terre romaine,
les colonies et les royaumes alliés; mais à la brutalité orientale
avait alors succédé la haute intelligence aryenne des affaires pu-
jiliques. De nos jours, la métropole, les colonies et les zones d'in-
fluence et de protectorat, ne résultent que de la persistance de
ces principes politiques rationnels.
Avec des idées nouvelles, les Ilyksos apportèrent en Egypte
bien des améliorations inconnues jusqu'alors dans l'armement,,
dans la science militaire. Il semble que l'emploi du cheval fut du
nombre; car ce n'est qu'après leur départ que nous voyons le
char figurer sur les bas-reliefs égyptiens. Où connurent-ils le
dressage de cet animal ? Ce ne semble pas avoir été en Ghaldée ;
car, là aussi, nous ne le voyons apparaître que tardivement.
L'écrasement complet de l'Egypte dura plus de deux siècles et
demi, dit la légende ; car deux cents ans environ auraient été
consacrés à la réduction des princes du Sud. Enfin, dans la Haute-
Egypte, l'étendard de liiulépendance se leva ; tant d'exactions,
tant d'humiliations ne pouvaient durer sans que disparût à jamais
la nationalité égyptienne.
Peu à peu les Hyksos, gorgés de richesses, s'étaient adoucis (1)»
If luxe les avait gagnés ; et leur cour, copiant celle des anciens-
pharaons, était devenue aussi somptueuse et d'un protocole aussi
compliqué que celle des rois indigènes. Incapables de traiter eux-
mêmes des détails administratifs, ils les avaient laissés entre les
mains de fonctionnaires égyptiens. Les Grecs, les Romains, les
Arabes ne firent pas autrement; l'Égyptien et le Copte furent tou-
jours indispensables aux maîtres du pays.
D'abord proscrite, la religion égyptienne fut enfin tolérée.
Quelques temples furent ouverts de nouveau, le joug devenait de
jour en jour plus supportable^ concessions plutôt dues à l'afl'ai-
(1) Les arts avaient repris; malheureusement Manclhon que nous le tenon*. U existe ce-
louslesmonumenlsdeceltci'i.oqueontétésys- iientlant, au Musée du Caire, quelques monu-
lématiquement détruits lors (le la réaction ; les mcnts hyksos (/'oo ///es de Marielle à Taiiis)
textes hiéroglyphiques qu'ils portaient ont jirésentant des caractères très particuliers
été martelés avec tant de soin qu'il est impos- (Cf. A. Mariette, Lettre à M. le vicumte de
sihie d'y reconnaître un seul signe. Tout ce Bougé, sur les fouilles de Tanis, p. H) mais ne
ijuc nous possédons sur les jiasteurs, c'est de fournissant aucun renseignement historique.
L'EXPANSION SÉMITIQUE 263
blisseinoiit du pouvoir qu'à des scnlimenls d'humanité. L'heure
élail |)r'()|)ice ])our hi réaction.
Cliasscs de la haule et de la moyenne Egypte, les Ilyksos se
virent assii^gés dans Mempliis, puis dans leur camp d'Avaris.
Enfin rejclés hors du Delta, les derniers débris de leur armée
furent encore vaincus en Syrie (1), où le Pharaon les j)()ursuivit.
C'était la première fois que les troupes égyptiennes, dépassant le
Sinaï, pénétraient en Asie.
Bien que l'armée hyksos se fût retirée, il restait encore sur la
terre du Nil, et plus spécialement dans le Nord, une foule d'Asia-
tiques, j)resque tous les non-condjattanls. Ils refusèrent de partir;
on les mit en servitude, et ils devinrent les manœuvres de la
réfection, car l'Egypte nélait plus qu'un monceau de ruines.
Il fallait aussi assurer le trône à la XVIP dynastie ; car, dès la
libération du territoire, des révoltes éclatèrent contre la suprématie
des princes thébains et la Nubie toujours demeurée indépendante
prétendait le rester. L'armée, qui venait de combattre l'étranger,
tourna ses armes contre ses propres congénères et, après quelques
eflbrts, l'ordre fut rétabli. L'histoire moderne ne fournit-elle pas
bien des exemples d'une situation politique analogue à celle dans
laquelle se trouvait lEgypte après sa longue servitude?
Revenus de leur stuj)eur à la vue de leur patrimoine dévasté
par les Asiatiques, d'horreurs dont ils ne pouvaient même pas
souj)çonner l'existence, les Egyptiens, comprenant qu'un royaume
d inqiortance ne peut se maintenir sans intervenir dans la poli-
tique générale, modifièrent du tout au tout leurs vues. Ils avaient
appris la guerre, le pillage, l'injustice, la violence, le mépris de
la vie des autres; ils entretinrent dès lors de formidables armées,
de puissantes flottes de guerre, modifièrent leur administration
intérieure et ne révèrent plus que conquêtes. Leurs troupes
remontèrent le Nil jusqu'aux confins de la terre, portèrent le
nom des j)liaraons en Ethiopie, sur les rives mêmes des grands
lacs, dit-on, et revinrent chargées de butin. Ils n'oublièrent pas
non plus le chemin suivi par les pasteurs et l'Asie paya ses crimes.
C'est longtemps auj)aravant, pendant la réaction élamite en
Chaldée, au moment où les maîtres d'autan étaient devenus
esclaves à leur tour, (|u'en dehors des Ilyksos, bien des tribus
(I) A Sharoiiliana, probablement Sliaroiiken, G. Maspero, Ilisl. anc. de.< peitple.-i de l'Orient,
«lans la tribu de Siméoii. Uosué, XIX, 6. — Cf. V' édit., 189:{, p. 169.)
•264 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
sémitiques avaient émigré. Nous avons vu ([ue certaines d'entre
elles, primitivement cantonnées dans le Nord, peut-être vers
Agadé, remontèrent le Tigre et s'installèrent dans sa vallée très
en amont du site actuel de Bagdad, assez loin, pensaient-elles,
pour ne pas être inquiétées par lÉlam; là elles fondèrent une
ville, El Assar (aujourd'hui Qal'a tchergliat), c'étaient les Assy-
riens ; que d'autres chassées des côtes et des îles du golfe Persi-
que, territoires appartenant jadis aux Élamites, traversèrent la
Ghaldée, remontèrent l'Euphrate et vinrent s'établir sur les côtes
syriennes de la Méditerranée, c'étaient les Phéniciens.
La position primitive de ces tribus sur la mer en faisait une
race de navigateurs et de marchands. Autrefois ils avaient par-
couru le golfe Persique et la mer des Indes, abordé sur les côtes
d'Arabie, aux bouches de l'indus et, plus au sud, le cabotage les
avait peut-être même conduits dans la mer Erythrée et sur les
côtes de l'Afrique. Les boutres arabes de Mascate ne font-ils pas
encore aujourd'hui le trafic de Zanzibar, de Bombay, de Cevlan
et de la mer Rouge ?
Leur nouvelle j)atrie permettait aux Phéniciens de développer
leurs aptitudes, car les hasards d'une migration ne les pouvaient
mieux servir. Ils occupèrent les îles, les caps delà côte méditerra-
néenne, tous les points maritimes présentant quelque avantage et,
dès leur fixation, disposèrent leur vie politique en vue de la navi-
gation, du transit, du commerce, accordant aussi peu que pos-
sible aux nécessités territoriales, mais réservant toute leur éner-
gie, toutes leurs ressources pour la colonisation et surtout j)Our
l'établissement de comptoirs commerciaux.
Par tradition, ils connaissaient toutes les routes terrestres et ma-
ritimes depuis la Syrie jusqu'aux Indes; ils apprirent vite celles
de l'Occident et devinrent, pour près de deux mille ans, les grands
intermédiaires commerciaux du monde, remplaçant peu à peu,
dans la domination de la mer, les Cretois et les Égyptiens.
Depuis longtemps déjà, des peuples sémites ou sémitisés étaient
venus se fixer dans le pays du Liban, leur apparition en Égvpte et
dans le Sinaï en est la preuve; mais la majeure partie de la Syrie,
surtout la montagne, était encore occupée |)ar des autochtones.
Quand les Chananéens traversèrent ces pays, ils eurent à lutter
contre des tribus dont ils ne nous ont pas transmis les noms;
mais qu'ils désignent par des appellations ne laissant aucun
L'EXPANSION SÉMITIQUE 2(35
doute sur la nature ethnique de ces peuplades. Ce sont les « lîe-
phaïni, hommes à la voix boui-donnanle et indistincte » parlant
des idiomes incompréhensibles pour les Chaldéens ; les « Néfilim,
monstres formidables » ; les <( Zomzoniim, des géants », auprès
desquels les Sémites semblaient n'être que des sauterelles. Le
premier passage des Chananéens réduisit l'importance des tribus
indigènes; leur retour d'Egypte, quelques siècles plus tard, les fit
disparaître.
La réaction anzanite sur les peuples sémitiques avait donc pro-
fondément modifié la face du monde. En anéantissant l'empire
summéro-akkadien, elle avait créé l'Assyrie au nord, la Phénicie et
la Judée à l'ouest ; elle était cause de l'entrée de l'Egypte sur la
scène politique mondiale. La conquête de KoudourNakhkhountè
est l'un des faits dont les conséquences ont été les plus graves
dans les destinées de l'Orient.
Dès lors commence l'histoire du monde, des grandes luttes
pour la prépondérance, des grandes étapes du progrès. Deux
puissances seules sont en présence, les Asiatiques et les Africains,
les Sémites et les Égyptiens^ deux frères ennemis. Ils se dispute-
ront la suprématie pendant plus de mille ans, jusqu'au jour où
interviendra la race aryenne qui, en quelques années, anéantira
ces États, réduisant leurs empires, si puissants jadis, au rang de
simples provinces.
Mais, pendant que les armées élamites franchissaient le Tigre,
pendant que les Hyksos pillaient l'Egypte, les grands mouvements
des peuples du Nord se continuaientlentement. Déjà les avant-cou-
reurs iraniens, longeant les plages de la mer Caspienne, s étaient
avancés jusqu'à l'Araxe, semant leur passage de dolmens, appor-
tant avec eux le bronze grossièrement travaillé, l'électrum, Tor,
la poterie, les animaux domestiques de l'Asie centrale. Cette
avant-garde resta cantonnée dans les montagnes fertiles et boi-
sées du ^Nlazandéran, du Ghilan, du Talyche. 11 ne semble pas
qu'elle ait pénétré bien loin sur le plateau iranien déjà occupé
dans sa partie occidentale par des peuples apparentés aux races
primitives de la Chaldée.
Jamais les Sémites ne soumirent les j)euplades montagnardes
du Zagros, des monts Carduques ; mais il n'est pas douteux ({ue,
refoulés de la plaine, ces peuples n'eussent, dès une époque fort
reculée, gagné le plateau persan ou tout au moins les pentes orien -
266 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
taies de la chaîne bordière, et ne s'y fussent installés en dépit
des rigueurs du climat. Malgré cela, leurs établissements durent
être fort peu nombreux, car on ne rencontre que bien rarement
des traces de la pierre taillée dont ils se servaient certaine-
ment en même temps que du métal. '
L'Iran central, encore couvert de lacs, de déserts salés, aride
et desséché, soumis à des températures extrêmes, n'était pas
d'un grand attrait pour des envahisseurs. Les premiers Aryens
le négligèrent ; mais ils furent rapidement suivis par d'autres
tribus, leurs congénères, les unes s'avançant par le nord, les
Mèdes ; les autres par le sud, les Perses, après avoir traversé
les massifs montagneux de la Bactriane et les déserts d'Ara-
chosie.
Un rameau de la branche du Nord passa l'Araxe, le petit
Caucase et, remontant la vallée du Cyrus, vint se fixer au milieu
de la grande chaîne, près des célèbres défilés du Dariall; ce sont
les Ossèthes de nos jours.
Les hordes qui, prenant la voie de l'Ouest, s'étaient avancées
dans les steppes de Russie, furent arrêtées par la Caspienne, par
le Caucase et sa grande muraille, par la mer Noire et toujours
empêchées de descendre vers le sud, dans les pays du Soleil. Les
unes, poursuivies par le froid, continuèrent leur chemin par la
vallée du Danube ou par les plaines de Germanie ; les autres en-
vahirent la Thrace,leur nombre allant croissant chaque jour, prêtes
à fondre sur l'Asie Mineure après avoir franchi le Bosphore.
Ainsi, pendant que dans l'Asie antérieure, déjà très dévelop-
pée, s'ouvraient de formidables compétitions, le ciel s'obscur-
cissait au nord d'innombrables fumées de campements; un déluge
humain se préparait.
En Europe centrale, il semble que ce soit au cours du troisième
millénium qu'apparut le métal. Dans quelques terres méditerra-
néennes il était depuis longtemps en usage, s'étant de proche en
proche répandu de la Chaldée et de l'Egypte.
Beaucoup plus loin vers l'Orient, au delà des chaînes glacées
de l'Asie centrale, en dehors de toute communication avec le
monde méditerranéen, une autre race se développait sur elle
même, préparant une civilisation qui plus tard devait atteindre
un sommet. La Chine qui, malheureusement nous est trop peu
connue au point de vue archéologique, était déjà, semble-t-il,
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268 LES PREMIÈRES CIN ILISATIOXS
en possession du bronze et il s'y formait des groupements poli-
tiques (1).
Quant au reste du monde, encore plongé dans la barbarie, il
ne connaissait encore que l'usage de la pierre. Nous ne possé-
dons aucune donnée exacte sur les nombreux mouvements de
peuples qui se passèrent alors. Devons-nous attribuer à ces temps
reculés la colonisation de Madagascar par les hommes de race
jaune (2), la grande expansion du type malais dans l'océan Pacifique,
la conquête de l'Inde par les Dravidiens sur les Négritos ? etc..
On ne saurait dire à quelle époque prirent place ces événements
dont la réalité ne souffre aucun doute, et qui jouèrent un si grand
rôle dans les destinées du genre humain et dans sa répartition sur
le globe.
(1) Le plus ancien livre <ie la Chine serait le sait, accorder (jiie bien peu de confiance
le Yi-Kinij, qui, d'après les autorités indigè- aux évaluations chronologiques des annales
nés, remonterait dans sa forme primitive chinoises.
au vingt-troisième ou vingt-deuxième siècle ii) L'expansion de la race malaise est, sans
av. J.-C.(Cf. T. DE laCoui'erie, r/ie oWe*/ 6oo/r aucun doute, de date relativement récente
of the Clunese, Londres, 18'J2, p. 18, note 1, mais il se peut qu'elle ait été [u-écédée par
p. 28), c'est-a-dire à l'époque de l'invasion d'autres mouvements dont les populations
des Hyksos en Egypte, 1.500 ans après celle australasialiciues ont conservé de nombreuses
de Naràm Sin. Toutefois, nousne pouvons, on traces.
CHAPITRE IX
La prépondérance égryptienne (I).
Conquêtes pharaoniques en Asie.
La C ha Idée et iÉlam, l Empire Hétéen, les Phéniciens,
les Hébreux.
Apparition des Aryens en Iran et dans la Méditerranée.
Pendant cette longue période de mille années et plus qui sui-
(i) Liste des dynasties égi/pliennes d'après Manélhon.
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
XII
XIII
XIV
XV
CENTRE
[>ORIGi>E
This ....
This ....
Meniphis. .
Memphis. .
Elépnantine
Memphis. .
Memphis. .
Memphis. .
Iléracléopol
Héracléopol
Thèbes. .
Thèbes. .
Thèbes. .
Xoïs. . .
or. Avaris.
b. Thèbes
Yvi(Q- Avaris.
'^^'(6. Thèbes
Yvrito- Avaris.
'^^^^ b. Thèbes
XVIII Thèbes. .
XIX Thèbes. .
XX Thèbes. .
XXI Tanis . .
XXII Bubaste .
XXI II Tanis. . .
XXIV Sais. . . .
XXV Ethiopie .
XXVI Sais. . . .
XXVII Perses. .
XXVIII Sais. . . .
X.XIX Mendès .
XXX SeJjennytu
Domination grecque
Domination romaine
Smv.J.AFRICANOS
8
9
9
8
8
6
70
27
19
19
1()
7
&)
76
6
22
43
43
ir,
7
12
7
9
4
1
3
9
8
1
4
3
253
302
214
271
248
203
70 jours
14«
409
185
43
160
453
184
284
508
151
151
263
209
135
130
120
89
6
40
150 1/2
124» 4m
6
20» 4 m
38
Smv. EUSÈBE
252
297
198
448
100
203
75 jours
100
100
185
43
245
453
184ou484
250
190
103
348
194
178
130
49
44
44
44
163
120» 4 m
6
21» 4m
20
OBSERVATIONS
Ces dates proposées par Ed. Meykr
et A. ËisENLOHR sont encore discutées.
Menés, env. 4483 av. J.-C. ?
Ouserles en 1111,876 ou 1872 av.J.-C.
Aménophis !«'•, 1.54.5 ou 1542
Thouthmès III, 1.503 à 1450.
Aménophis III, vers 1450.
Aménophis IV, vers 1400.
Chéchonq I, vers 950.
Sabacon, 716.
Mort (le Psammctique I", .589.
Conquête de Cambyse, 525.
Con(iuèle ilAle.xandre, 330.
^70 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
TÏt la conquête élamite et précéda l'entrée en scène de l'Assyrie,
le monde se divisa en deux parties : l'une, l'Egypte et les pays
soumis à ses armes et à son influence, tels la Syrie, l'Arabie,
l'Afrique ; l'autre, les royaumes indépendants de l'Asie, Elam,
Chaldée, Assyrie naissante, Hétéens, etc., dont la politique exté-
rieure, très restreinte, ne comprit guère que des contacts de fron-
tières.
Délivrés de leurs maîtres étrangers et des ambitions impériales,
les Chaldéens et les Élamites, ayant en partie retrouvé leurs apti-
tudes d'antan, accordèrent le principal de leurs soins au dévelop-
pement des richesses naturelles de leur pays. Ce fut une renais-
sance dans la culture, dans le commerce et l'industrie ; les arts
se développèrent, la littérature reprit.
En Chaldée, la langue antique était morte ; mais en Élam, l'an-
zanite, qui avait encore toute sa force, s'épanouit dans des textes
parfois très littéraires (1). La prospérité revint dans ces États; il
semblait que, sous les empereurs suméro-akkadiens, le monde eut
vécu un mauvais rêve.
^lais cette paix relative, dans la majeure partie de l'Orient les
peuples ne la mirent pas à profit. C'est que le monde oriental
n'avait qu'une conception très vague des devoirs comme des inté-
rêts d'un gouvernement, et des causes de la vitalité des nations.
Régner pour lui était exploiter, recevoir des tributs. Augmenter sa
richesse, en accroissant la zone des peuples terrorisés, était con-
quérir; quant à développer les ressources des territoires acquis, à
les administrer avec prévoyance, rarement il y songea.
L'Egypte primitive, la Chaldée, l'Elam avaient, dans les dé-
buts, compris mieux qu'on ne le sut faire plus tard, l'utilité de
la prospérité nationale ; leur développement n'est dû qu'à cette
pensée, qu'aux eflbrts des princes pour améliorer, pour accroître
les revenus de leur patrimoine.
L'arrivée des Sémites en Asie changea du tout au tout ces
dispositions. Aux tendances progressistes avaient succédé des
appétits de rapine, de pillage, d'exploitation du faible par le fort;
et peu à peu les populations heureusement douées se laissèrent
entraîner, par l'exemple et par le besoin, dans cette néfaste voie
qui devait mener à la ruine le berceau des civilisations.
(1) Cf. V. SciiEiL, Méin. delà Délég. en Perse, textes élamites-anzaniles, t. III, V et IX.
LA PUÉPONDKIIANCE ÉGYPTIENNE 271
L'Egypte elle-même, après avoir souffert des cupidités de l'Asie
fut prise de la fièvre des conquêtes et, oubliant ses traditions, son
histoire, se lança au dehors, en quête de cette richesse éphémère,
<{ui ne lui devait apporter ([ue l'épuisement et la mort.
L'autorité de l'Élam sur la Ghaldée n'avait pas été de longue
durée ; elle s'éteignit bien avant ([ue les Ilyksos n'eussent quitté
la terre d'Egypte. Koudour Lagamar, l'un des successeurs de Kou-
dour Naklîkhounte, étendit encore le domaine de Suse, aidé de ses
vassaux iVmraphel, prince de Sinéar; Arioldi d'El Assar, Thargal,
roi des Goutim, etc. 11 envahit la Syrie méridionale, dont il battit
les rois ligués contre lui; et obligea les peuples riverains de la
Méditerranée à lui payer tribut (1). Plusieurs fois il dut se rendre
en Syrie pour réprimer des révoltes et l'un de ses successeurs,
Koudour Mabouk, y fit aussi quelques campagnes.
La présence dans les armées élamites du prince d'El Assar
montre que, malgré leur exode, les Assyriens avaient été réduits,
soit par Koudour Nakhkliounté lui-même, soit par ses successeurs.
Le souvenir de cette servitude demeura certainement dans l'esprit
des populations du Tigre ; car, lors de l'apogée de leur puissance,
elles considérèrent toujours comme ennemi héréditaire ce
peuple « qui n'avait pas craint Assour leur Seigneur ».
En s'emparant de l'Asie, les souverains susiens n'avaient pas su
l'organiseï- ; ils laissèrent à chaque pays ses chefs, ses institutions
et se contentèrent de recevoir le tribut. Aussi, peu à peu, la fai-
blesse des Elamites aidant, bien des petits États se déclarèrent-
ils indépendants.
Ce fut d'abord la Syrie, province lointaine, qui échappa ; puis
les rois de Larsa, ceux de Nipour qui secouèrent le joug; ceux
d'Agadê qui, non contents de reprendre leur liberté, accrurent
leurs Etats ; enfin Babylone qui, absorbant les principautés voi-
sines, réunit à son sceptre les pays d'Akkad et de Choumir et
fonda un premier royaume chaldéen dont la durée fut de trois
siècles (2).
Bien que n'ayant plus la vitalité nécessaire pour conserver
ses provinces extérieures, l'Elam, de son côté, ne renonçait pas,
à ses prétentions sur la Ghaldée. Perpétuellement, il fut en
(I) Genèse. XIV, sq. — G. P.awi.inso.n, The (-2) Cf. Pinciies, Notes on a iicw list of earl
fwegreal monarchies, p. 10-2. — Fr. Lenorma.-st, Babyloniaii Kings, in Proc. of the Soc. of liibl.
la Lamjiie primilive de la Chaldée, p. 37-2-379. Archacol., 1881, p. 37, sq.
272 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
guerre contre elle ; jusqu'au jour où, devant l'ennemi commun,
l'Assyrie, elle s'allia à sa rivale.
Parmi les princes de cette première monarchie babylonienne,
le plus célèbre est, sans contredit, l'auteur de cette dynastie,
Hammourabi (1), le législateur, qui vivait vers l'an 2000 avant
notre ère.
Ce roi était déjà connu par un grand nombre d'inscriptions (2)
quand, en 1903, j'ai eu la bonne fortune de découvrir, à Suse, le
code entier des lois rédigé par ordre de ce souverain.
Magistralement déchiffré et traduit (3) par V. Scheil, ce code,
aujourd'hui à la portée de tous, est le plus ancien et le plus im-
portant document d'ordre moral que nous ait légué l'antiquité (/i).
Certainement il ne renferme pas la première rédaction des lois
chaldéennes ; les empereurs avaient déjà fait compiler les cou-
tumes antiques, mais les écrits des temps primitifs n'ont pas
encore été retrouvés.
Le code d'Hammoural)! fut rédigé pour tout le royaume baby-
lonien et l'exemplaire que nous possédons, gravé pour la ville
de Sippar, enlevé comme trophée par Choutrouk Nakhkhountè
lors de l'une des nombreuses razzias qu'exécutaient les Elamites
en Chaldée, a été rapporté à Suse et c'est ainsi qu'il est parvenu
jusqu'à nous.
D'autres copies furent également transportées dans la capitale
élamite, nous en rencontrons fréquemment les fragments dans
nos travaux; mais elles ont été mises en pièces, probablement
par les soldats d'Assour, lors du sac de la ville.
Ce n'est pas ici la place d'analyser ces lois ; cette étude a été
faite déjà par d'éminents juristes (5). Je ne citerai donc en passant
(1) D'après H. Sayce et Vigoureux, Hani- nou, qu'on avait cru d'alionl remonter au
mourabi ne serait autre qu'Amraiiliei, roi de quinzième siècle av. J.-C, les indianistes
Senaar, qui ligure avec Chodorlahoniar (Kou- paraissent aujourd'hui d'accord pour la pla-
dour-Lagamar), roi des Elamiles, dans le ré- cer tout au plus au onzième siècle. La pre-
cit de la guerre de la Pentapole (Genèse, \l\'). mièrc rédaction du code chinois serait de la
(2) Cf. Fr. Delitsch, Die Spraclie der Kossàei', même époque. Le seul code de l'antiquité qui
Leipzig, 1884, p. Gl-75. — J. Men.^.nt, Inscript. pût être contemporain de celui d'Hammourabi
de Hammourabi, 1863; Bec. des Irai'., i. Il, i>. li^t, est le code égyptien qui, au témoignage de
sq. — Amiaud, Bec. Irai'., t. I, p. 181, sq. ; Diodore, était composé de huit livres (R. Da-
Journ Asial., 188-2,1. XX, p. 2o1-244. reste). Aucune loi de l'antiquité, sauf le code
(3) V. SciiEiL, Mém. de In Délég. en Perse, d'Hammourabi, ne nous est parvenue en te.xte
t. IV, 1902, textes sémitiques, p. 1-162, pi. I original; nous n'en possédons que des copies
à XV, et la Loi de Hammourabi, in-8, 1903. relativement récentes et dont par suite la va-
(i) » La loi de Hammourabi est de beaucoup leur est sujette à caution,
le plus ancien texte législatif connu. Moïse a (5) Cf. R. Dareste, Le code babylonien
vécu cinq siècles plus tard, la loi Gortyne de }iainmoiirub\, in Journal des savants, ocl. el
n est guère plus ancienne que le cinquième nov. 1002.
siècle avant notre ère. Quant à la loi de Ma-
LA PRKPONDERANCl:: KGVPTIEXNE
273
que les principaux enseignements se dégageant de leur
examen.
Renfermant les idées de deux races très diflérentes comme ten-
dances, elles sont empreintes d'une part de ce caractère vindicatif
du talion, d'aulie pari d'une mansuétude qui, certainement, tient
au vieux fond de la ])opulation. Elles réglementent les travaux des
champs (1) ; mais d'autre part ne négligent pas les intérêts du gou-
vernement (2). La femme (3) y occupe parfois une situation très
supérieure à celle que lui ont faite les Sémites ; ailleurs elle est
traitée en esclave. Certainement ces différences proviennent du
mélange des vieilles coutumes sumériennes avec celles des Akka-
diens ; car en Elam, pays ayant mieux que la Chaldée conservé
ses traditions, nous voyons la femme occuper un rang bien supé-
rieur à celui que lui réservent en général les Orientaux.
La rédaction de ces lois est entièrement dégagée de toute for-
mule, presque de toute pensée religieuse ; fait surprenant pour
(1) « Ce qui dislingue surtoul la loi baby-
lonienne, c'est l'étendue et l'importance des
dispositions relatives à l'agriculture, au
louage des terres et des maisons, au louage
d'ouvrage et à l'industrie sous toutes ses
formes. Aucune autre loi ancienne ne fournit
sur ce sujet des renseignements aussi com-
plets et aussi précieux. i> (R. Dareste.) En
Chaldée, comme plus tard à Rome, la pro-
priété est antérieure à l'Etat. Le roi respecte
la propriété des tribus qui le reconnaissenlpour
chef. S'il veut créer des apanages au profit de
ses enfants, si, à la suite d'une guerre heu-
reuse, il veut donner des terres pour récom-
penser les services de ses vassau.x, il doit
traiter avec la tribu à qui la terre appartient
et lui payer une indemnité préalable. C'est là
une tradition constante chez les rois Chal-
déens ; on peut la suivre jusqu'au quaran-
tième siècle avant notre ère (Manichlou-Sou).
(E. Cuo, La propriété foncière en Chaldée, ds
Nouv. Rev. Iiixl. du droit français el étranger,
nov.-déc. 190G, p. 720.) Cet usage est la consé-
quence de la formation lente des Etats chal-
déen el romain. Il était de bonne politique de
respecter la propriété foncière chez les tribus
nouvellement annexées. En Egypte, au con-
traire, où tout le sol appartenait au roi, les indi-
gènes furent dépossédés parce que la conquête
se fit en une seule campagne et par des
moyens plus énergiques qu'en Chaldée.
(2) La situation des hommes d'armes néces-
saires à la stabilité de l'Etat est particulière-
ment favorisée. C'est là, d'ailleurs, le seul in-
dice que nous possédions au sujet des castes
privilégiées ; car les lois ne parlent pas des
relations entre la population et les pouvoirs
sacerdotal et royal. U existait certainement
un autre code qui n'a pas encore été re-
trouvé celui que nous possédons n'ayant eu
pour but que de régler les intérêts privés et
d'assurer au pouvoir royal la perception des
impôts par la richesse et la sécurité des peu-
ples gouvernés.
(3) Cf. Ed. Cuq, le Mariaye à Dabiilone d'aprèx
les lois de Hammourabi, Paris, 1905. Bien (pi'il
reste encore dans les lois de Hammourabi des
traces de l'ancienne coutume de l'achat de la
femme (la Tirkhalou), elle jouit dans la société
chaldéenne d'une situation très supérieure à
celle qui lui est, en général, attribuée par le
monde oriental moderne. Avant le mariage, si
son mari est chargé de dettes, elle peut se
faire promettre qu'elle ne sera pas saisie par
les créanciers (art. 151). Elle conserve la capa-
cité de s'obliger, car le mari n'est i)as tenu
des dettes qu'elle a contractées avant son en-
trée dans la maison (art. 151). Durant le ma-
riage, la femme a la capacité juridique (art. 162,
163). Elle est libre de disposer de ses esclaves
(art. 146, 147). Elle peut être témoin d'un acte
juridique. (S. Daiches, Allbabylonische Rechl-
surkiinden, «us der Zeil der Hanimurabi, 1903,
I, .32, 63, 72, 79. — B. Meissner, Deilriiye :uni
Allbabylonischen Privatrecht., 1893, p. 14.) En
cas d'absence du mari, la femme d'un militaire,
dont le fils est en bas âge, est chargée de la
gestion d'une partie de ses biens (art. 29). En-
lin elle peut, dans le cas prévu par l'article 142,
refuser de cohabiter avec son mari et rentrer
dans la maison paternelle; et, en cas de dis-
solution du mariage par le prédécès du mari,
la femme exerce la puissance paternelle.
(B. Mkissner, op. cit., n" 56 el p. 136.) Elle
dirige la maison et ses enfants ne peuvent se
soustraire à son autorité sans la permission du
juge. Quant au mariage par achat de la femme.
Ed. Cuq démontre, avec la grande autorité
(|u'on lui connaît en pareilles matières, qu'il
n'existait plus à répo(iue de Hammurabi.
18
27/i
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
ces époques, où chez tous les autres peuples la législation ne fait
qu'un avec les préceptes du culte.
Ces lois, complétées par les textes juridiques que nous possé-
dons en langue élamite et sémitique, donnent une haute idée de
la morale des peuples qui habitaient l'iVsie antérieurement à la
venue des Akkadiens. Elles ont été largement utilisées dans la
rédaction de la loi mosaïque (1), qui en a pris les bons comme
les mauvais côtés, replaçant la divinité dans ce milieu législatif
d'où Hammourabi, ou ses prédécesseurs, avaient su l'écarter.
Nous ne possédons pas les codes assyriens ; mais certainement,
comme celui des Hébreux, ils devaient faire jouera la divinité un
rôle important, si nous en jugeons par les actes de ce peuple,
T
-, < -t '"^ i^^i" 2»-" r-- - ''"-^ws
^'^'-'^lins f L^:*:ifc- V' --^ -^
^'Asie Antérieure à lépoque des campagnes égyptiennes en Syrie (2).
et par ses tendances à toujours faire intervenir Assour comme pré-
texte de sa conduite. Laisser le droit dans la légalité profane
eût été lui conserver son caractère de justice; faire intervenir la
divinité, c'était autoriser et couvrir l'arbitraire.
Celte dynastie babylonienne, re^^renant les traditions, semble
(l)Cf. Fred. DEUTzscH,Ba6e/ u/iJ -B!6e/(con-
lérence faileà Berlin le 19 janvier 1902). Le sa-
vant professeur allemand constatait, en s'ap-
puvant sur les textes chaldéens, que non seu-
lement les Juil's avaient forgé leur propre
histoire à l'aide de documents assyriens et
babyloniens, mais que leurs lois étaient en
grande partie calquées sur celles de Babylone.
Présentée sous une forme absolue cette thèse
ne saurait être acceptée ; car tous les codes po-
sitifs présentent des analogies, parce que tous
se fondent sur le droit naturel, à fortiori lors-
qu'ils prennent naissance dans des sociétés
voisines et contemporaines. Les emprunts
faits aux codes chaldéens par les Hébreux
sont certainement très importants ; mais ils
ne portent sûrement pas sur l'ensemble de ta
loi mosa'ique.
(3) {D'après G. Maspero.)
LA PRÉPONDKIUNCE ÉGYPTIENNE
275
s'ètio suitoul préoccupée du développeuieul des richesses uatu-
rellos du pays. Elle creusa des canaux, nettoya les anciens, rec-
tifia le cours des fleuves, ré[)ara les monuments, en construisit de
nouveaux.
Pendant ce temps, TElam, dëgao-é, lui aussi, des |)réoccu|)alions
extérieures, désabusé dans ses ambitions impériales, organisait et
administrait son bien, tout comme la Chaldée (1). Il semble ((u'à
cette époque, il s'était formé en Asie des groupements ]>ar natio-
nalités, chacune étant |)lus (bjsireuse de progresser sur soi-même
que de soitir de ses frontières pour dominer ses voisins. Ce fut
un temps de repos.
Mais si l'Asie demeurait en paix, il n'en était pas de même du
côté de l'Egvpte. Là, les Pharaons, à peine sortis des dil'licultés
(|ni suivirent b^ départ des Hyksos, pris d'un désir de con{juêtes(2)
bien étranger au caractère de leur race, entraient en campagne (3),
(1) Rois de la U' dynastie de Babylone (Cf.
PiNCHES. Noie on a new list of early babylo-
nian kings, Proc, 1880-81, t. III, p. 2-2, 42-43.
— Id., The babylonian kings of llie second
period., Proc, 1883 84, l. VI, p. 195. — Fr. De-
i.iTzscH, Assvrische Miscellen, in Berichle,
Acaci. Se. Saxe, 1893, t. II, p. 184.) :
Aiiman Iloiimailou] 2082-2022
Ki;innibi lUi-llori-Nibi] 2022-1967
DamUiliciiou 1967-1931
Iclikil.al 1931-1916
Choiiclichi (frère du précédent) 1916-1889
Goulkichar 1889-1834
Koiirgalalamma 'fils du précédent). 1834-1780
Adarakalama (fils du précédent)... 1780-1756
Ekouroulanna 1756-1730
Melamkourkourra [^Melammatati'.. . 1730-1723
Eiigamil :Eâgâ] 1723-1714
[2) L'existence d'expéditions de rEgyi)le
des la VP dynastie dans les pays asiatiques est
fort douleuse. R. Weil (l'Asie dans les textes
égyptiens de l'ancien et du moyen Empire,
w'Sphinr, Vlll, 1904, p. 179, sq., LX, \Mb,
p. 1-17, b3-t)9) a groupé les textes relatifs à
cette question ; mais J. Lévy publie une
élude [Sphinx, 1905, p. 70-86), dans laquelle il
tend à localiser Lofanu Lolan (nom sous lequel
sont désignés les pays asiatiques) à la région
du Sinai, reportant à la XVIIl' et la XIX' dy-
nasties l'époque d'entrée en contact des Egy-
(itiens avec les populations syriennes. Cette
manière de voir est d'autant ])liis rationnelle
qu'en Palestine les traces égyptiennes les plus
anciennes parvenues jusqu'à nous (Gezer. Ma-
geddo; datent du vingt-cinquième siècle envi-
ron et semblent être dues à des influences in-
directes. Nous savons aussi que, sous la XH' dy-
nastie, quelques caravanes asiatiques s'aven-
turaient à trafiquer dans la vallée du Nil (fres-
que d'Abicha, tombe de Kbnoumhotep à Béni
Hassan -- G. Maspero, ///.s/., 1, p. 468, sq.).
Les Egyptiens de l'ancien et du moyen Em-
pire, qui nous ont transmis avec tant de soin
la nomenclature de leurs expéditions vers la
Nubie et le Siiia'i, n'eussent pas man(|ué de
laisser quelques souvenirs de leurs incursions
en Syrie, s'ils s'y étaient aventurés. Le récit
romanesque des aventures de Sinouliit chez le
cheikh sémite Ammiânsi (MuLLER,vl.s/e/i, p. 38,
sq. — G. Maspero, Hisl., I,p. 471, sq.) viendraità
ra|)pui de cette opinion que, pour les Egyptiens
de ces époques, tout ce qui se trouvait au nord
du Sina'i était un pays étranger avec lequel
Mem|jhis n'entretenait que des relations com-
merciales d'abord qui, se resserrant peu à peu,
amenèrent plus nombreux les Sémites dans
la vallée du Nil et causèrent plus tard l'inva-
sion des pasteurs.
(3) A;i sortir de l'Egypte, les armées suivaient
la Cote, passaient par Raphia, Gaza, Ascalon,
Jafa, traversaient le Carmel, arrivaient à Taa-
nak et atteignaient Magidi où généralement
les attendaient leurs adversaires, puis, traver-
sanl le Tbabor, gagnaient, près de Tyr, la ri-
vière deNazana dont elles remontaient la val-
lée jusqu'à Tibekhat, i)rès de sa source, fran-
chissaient le Liban et se trouvant dans la
vallée de l'Oronle la descendaient jusqu'à
Kadesh, près du lac de Iloms, prenaient Ha-
nialli, Karkar, tournaient à droite à la hau-
teur (1 Antioche, passaient par Khaloupou,
Gargamish et abordaient l'Eiiphrate. (G. Mas-
pero, Hisl. anc. de.s peuples de l'Orient, \' éd.,
1893, p. 191, sq.) Cette route était fort dange-
reuse à cause du passage du Carmel, du Tha-
bor et du Libm, mais elle avait l'avanlage de
traverser, à partir de Gaza, des pays riches en
a|)provisionnements. Une autre route bien plus
facile etaujourdhui encore suivie par les ca-
ravanes suit la cote orientale de la mer Morte,
remonte le.Jourdain jusqu'au lac de Tihériade
gagne sur la droite le désert, passe par Damas
et, de là, permet d'arriver en quelques jours -au
lac de Homs; mais la jilupart, dulemi>selle tra-
verse des pays arides. (J. M.)
276
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
s'emparaient de la Syrie (1), de la Phénicie et, dans ces pays,
organisaient le tribut avec toute l'imprévoyance des empires
asiatiques, des
pasteurs dans
r Egypte elle-
même (3) ; ne
bonis de l'Euphrate. (E.
DE RouGÉ, Annales de
Tout mes, III, p. 17.)
Thoiitmès II y répri-
ma quelques révoltes.
Tlioulmés III fil trois
campagnes et porta ses
armes jusqu'aux pays
situés enire l'Oronle et
l'Euphrate. (Cf. E. de
RouGÉ, Annalesde Toul-
mès m, p. 8, sq.; 28,
sq. — H. BiiUGSCH, Ges-
chichle Aeyyptens, p.
294-305. — G. Maspero,
Recueil, t. II, p. 48 sq ;
139, sq.). Ameiihotep II
ravagea les hauts dis-
tricts du Jourdain et
une partie de la Syrie
révoltée. Cf. CuAMPOL-
Lio.N, Notices, t. II, p.
185, sq. — G. Maspero,
Notes sur quehiues
points, dans Zeitschrift,
1879, p. 55, sq.) Puis ce
furent Tlioulniès IV
(Lepsius, Denkm., III,
pi. LXIX, e, /■.), Amen-
hotep m, les pharaons
de la XIX' dynastie.
(2) D après G. Maspe-
ro, Hi'^l- <""■■ peuples
de lOrienl classi(iue, t.
II, p. 5).
(3) Le gouvernement
pharaonique des pos-
sessions asiatiques se
réduisait à loccupation
de quelques centres im-
portants au moyen de
garnisons suffisantes
pour se maintenir, mais
incapables de réprimer
de grandes révoltes. Les
officiers royau.x n inter-
venaient que très rare-
ment dans la vie intime
des petits royaumes pla-
cés sous leurs ordres, se
contentant de recevoir
les tributs imposés à
chacun (contributions,
présents, pierres pré-
cieuses, femmes des-
tinées aux harems royaux, esclaves, etc.), as-
sistance aux troupes, leur entretien, etc. Ils
surveillaient la sécurité des courriers, des ca-
ravanes, prélevaient des otages, fils de chefs,
C/l E<ncrrrL\dti
La Syrie à l'époque chaldéenne (2).
(1) Thoulmès I" est le premier souverain
d'Egypte qui entra en Asie ; il s'avança jus-
qu'au nord de la Syrie (Lepsius, Denkm., III,
5} et laissa des stèles triomphales sur les
LA PRÉPONDÉRANCE ÉGYPTIENNE
277
comprenant pas que les circonstances qui, dans leur patrimoine,
avaient été favorables à la libération du territoire, devaient se
tourner contre eux s'ils les laissaient se reproduire en pays con-
quis j)ar It'ui-s ai'ines.
Tous les districts, depuis le Sinaï jusqu'aux sources de
rOronte, furent asservis ; mais chaque chanorement de rèo-ne,
chaque signe de faiblesse de la part de la Métropole devenait
une cause de révolte et, en ({up1(|ii. «s jours, l'Egypte perdait le fruit
de ses victoires, de ses efforts pendant de longues années ; les
conquêtes étaient à recommencer.
Ce qui se passait en Syrie avait également lieu dans le pays
de Pount l . lArabie, envahie par les armées de la reine Hata-
sou (21, dans le pays des nègres sur le haut Nil Z\ Les troupes
égyptiennes étaient sans cesse en mouvement dune frontière à
lautre.
Si la politique extérieure des Pharaons était inhabile, celle des
Egyptiens à l'intérieur était plus déplorable encore. Ce n'étaient
que compétitions religieuses ou civiles, agitations inutiles, appor-
tant mille complications dans la conduite des affaires.
Les souverains de la XVII1« dynastie se succédèrent, douésd'une
même énergie, animés d'une même pensée : faire régner l'Egypte
sur l'Asie, sur l'Arabie, sur l'Afrique ; rapporter à Thèbes et à
Memphis les trésors du monde.
Les territoires asiatiques, nouvellement conquis, étaient soumis
plutôt au régime du protectorat qu'à celui du gouvernement
direct. Les chefs et rois conservèrent leurs titres et une partie de
qui recevaient à Thèbes ou à Memphis une
éducation égyptienne les préparant à gouver-
ner suivant les vues des maitres. Le pouvoir
local demeurait aux mains des roitelets indi-
gènes et les populations conserAaienl intactes
leurs mœurs, leur religion, leur langue. Dans
la plupart des cas même, les officiers égyp-
tiens n intervenaient d'aucune manière dans
les querelles des petits rois entre eui. Les pha-
raons ne se montraient que fort peu soucieux
d'égyptianiser les pays conquis par leurs ar-
més. (Cf. G. Maspero, Histoire, II, p. 271 —
ZimtERs-WiycKLER.Keilinsch, p. 193, sq. — Nie-
BLR, Die Amarna Zeit ; Aegyplen a. Vorderasien
um IVjOv. Ohr., p. 6. sq. — Winckler, Die Thon-
tafeln v.-el Amarna. — Selun, Tell Ta'annek.
(1) Pays de Pounit connu des Egyptiens
dès la V< dynastie. ;Cf. Maspero, Rev. crit..
18&1, t. II, p. 177-179.) Pays compris entre
Massaouah et Souakin ou mieux de Suez au
cap Guardafui, sans compter la côte asiati-
que de Irt mer Rouge.
(2) Cf. Temple de Deir el Bahri, où sont
énumérés et figurés la plupart des produits
rapportés d'Arabie par lexpédition ordonnée
par la reine Halasou.composéede cinq navires
Cf G. Maspero, De quelques navigations des
Egyptiens, dans Rev. hisl., t. I.\, p. 12, note 1'.
qui toucha toutes les côtes de la mer Rouge
et poussa jusqu aux environs du cap Guarda-
fui, où elle rencontra des peuples apparentés
aux Nubiens et aux gens de lArabie. Cf.
G- Maspero, ///.</. anc. peup. Orient. 5' édit ,
1893, p. 195. — Dlmichen, Die Flotte einer Aegp-
ti.^chen Kœnigin et Hi.<t Inschriften, t. IL —
G. Maspero, Rev. histor., t. IX. p. 1, sq. —
IIoMMEL. Die semitischen Vôlker, t. I, p. 136, sq.
— E. Naville. Deir el Bahri.,
13 Expéditions de Thoutmès II! i G. .Maspero.
Hi-^t. anc. des peuples de l'Orient, 5« édit. 1893,
p. 197 , d'.\menhotep II (Lepsius. Denkm.. III,
pi. LX\n, d'.\menhotep III Lepsics. Den/i/n.,'
IIL pi. LXXVII\ de Séti I Lepsius, Denkm.,
III, 121), de Ramsès I.
t>78 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
leurs prérogatives ; au-dessus d'eux se trouvaient des Égyptiens
de race, gouverneurs, préfets de villes et de districts et inspec-
teurs chargés de la surveillance pour le compte des gouverneurs
et du pouvoir central. A Khoutnaton (Tell el Aniaina) (l), sous les
yeux du roi, se trouvaient des « bureaux asiatiques » chargés de
la correspondance, tant avec les protectorats qu'avec les cours
étrangères.
On n'entretenait pas partout des gouverneurs égyptiens; le
plus généralement le pouvoir, héréditaire avec l'autorisation
royale, était confié à des dynastes indigènes sur lesquels le Pha-
raon pensait, à tort ou à raison, pouvoir appuyer sa domination.
Ces chefs et roitelets étaient en nombre infini; chaque vallée,
chaque boui'gade avait le sien ; et c'est cette division même qui
rendait la tâche plus aisée aux gouverneurs des grands centres ;
soutenus par des garnisons plus ou moins importantes, ils étaient
généralement k même de maintenir dans l'obéissance les districts
placés sous leurs ordres.
La correspondance des fonctionnaires égyptiens nous échappe
en partie, parce qu'elle était souvent rédigée sur papyrus en langue
pharaonique ; nous possédons surtout celle des indigènes, tracée
sur argile suivant l'usage chaldéo-assyrien. La langue de leur ré-
daction est le chananéen, dialecte sémitique très pioche parent du
parler de la Mésopotamie ; mais présentant cependant des formes
et des termes spéciaux, montrant par leur présence que les Cliana-
néens avaient depuis de longs siècles quitté leur pays d'origine.
Dans certaines lettres le chaldéencst plus pur ; mais il ne faut
pas oublier que, si la masse de la population était chananéenne, il
n'en existait pas moins d'autres tribus sémitiques qui, comme les
Ammonites, nouvellement venues de Chaldée en même temps que
les Hébreux, étaient demeurées dans le bassin de la mer Morte,
alors que leurs congénères gagnaient la vallée du Nil ; que ceux-là
parlaient encore le chaldéen pur ; que, bien certainement, il
exista toujours des relations étroites entre les gens de Chanaan et
(1) Les lettres d'El-Amarna datent approxi- on à ses fonctionnaires; l'autre renferme les
mativement du quinzième siècle, elles sont minutes des lettres expédiées d'Eî.'yple en
postérieures par conséquent àl'arrivée desHé- Asie, elles ont été ]uibliées par Winckler et
breux en Egypte el antérieures à leur exode. Abel, Der Thonlafelfund v. El-Amarna, 1«89 9(),
Elles se divisent en deux classes : les unes et par C. Bezold, The El-Amarna tablets, in
émanant des rois d'Alactiiya, deKhatti, deMi- The Drit. Mus., 189-2) et V. Scueil {Mém. de la
tanni, de Babylonie, d'Assyrie el d'une foule Mission du Caire. VI, p. 297-312 et Bullel . de
de chefs syriens, sont adressées au pharaon l'Inst. franc, du Caire, II. p. 110-118).
LA PRÉPONDKRANCE KG Vl'TlKNNH '279
ceux de la Babylonie et que ces relations entretinrent, pendant
bien des siècles, la pureté du langage officiel.
Les gouverneurs indigènes étaient responsables du liibiil (|ii ils
levaient sur la jjopulalioii, aliu de salisfaire aux exigences du
Pharaon et de ses fonctionnaires en Asie, à l'entretien des troupes,
aux nécessités administratives et à leurs propres besoins. C'étaient
des denrées, du bétail, des chevaux, des chars, des hommes,
des femmes, des esclaves, des l)()is j)i-éci(Mi\ ou utiles, des pierre-
ries, des métaux. Aucun fonctionnaire n'était rétribué, cluicun
faisait valoir ses prétentions ; il existait des coutumes les régle-
mentant.
Le contribuable attardé ou fautif augmentait de son plein gré
ses taxes, afin d'obtenir son pardon; ils'imposait lui-même, envoyait
au Pharaon ou à ses fonctionnaires ses biens, ses filles pour con-
server son poste; quitte à s'enrichira nouveau aux dépens de ses
subordonnés.
Ce mode d'administrer n'était pas seulement en vigueur dans
la Syrie ; il était appliqué par les Égyptiens h toutes leurs pos-
sessions, que ce soit dans le Pount ou dans les terres du haut
Nil.
Dans l'Asie antérieure, tous les districts ne faisant pas partie
d'une métropole étaient exploités de la sorte ; on en retrouve
l'assurance dans les textes assyriens et babyloniens. Cette mé-
thode qui, plus tard, fut celle des Achéménides, des successeurs
d'Alexandre, des Sassanides et du monde musulman, je l'ai vue
appliquée encore dans bien des pays de l'Orient.
A partir d'Aménophis IV (Khouenaten), une révolution religieuse
survint (1), provoquée par les menées and^itieuses des prophètes
de l'Ammon thébain ; elle préoccupa plus les esprits que les in-
térêts vitaux de la nation. Après ce souverain, des désordres
éclatèrent et la XYllI" dynastie s'éteignit dans les troubles.
Malgré cela, sous Khouenaten encore, les princes d'Asie étaient,
pour la plupart, demeurés dans l'obéissance ; nous avons vu qu'ils
envoyaient à la cour des lettres et des rapports, en caractères
cunéiformes, dont quelques-uns sont parvenus jusqu'à nous.
Les débuts de la XIX" dynastie rétablirent, en même temps
que le culte national d'Ammon, l'ordre dans l'intérieur et la do-
(1) Cf. G. Maspei.o, Bull, (k- la religion (lerEgypte.dans/îey.t/e lliisl. des religions, 188-2, l. V. p. 99.
•280
LES PREMIÈRES CI\ ILISATIOXS
minatioii à l'extérieur. Enfin, avec Séti I, commença Fère de la véri-
table grandeur de l'Egypte au dehors. Toutes les anciennes pos-
sessions furent reprises ; mais,
au nord de la Syrie, les Pharaons
se heurtent contre la puissance
des rois hétéens, qu'en dépit de
leurs inscriptions triomphales (1)
ils ne purent vaincre, et avec
lesquels ils s'accordèrent après
plusieurs expéditions (2).
Ce traité, dont fort malheu-
reusement nous ne possédons
que le texte égyptien (3), et qui
avait été écrit dans les deux
langues (4), est la plus ancienne
pièce diplomatique connue. Ses
clauses révèlent, de la part des
deux chancelleries, des concep-
(3) On Iroiivern la IraducUon complète du
Irailù entre l'Egvple et le Kliéla (d'après le
texte égyptien), dans les Hétéens, de
A. -H. Sayce, trad. J. Menant, IftH, p. 24, sq.
(Cf. Trad. de Rongé, dans Egger, Etudes liis
loricines sur les traités jiublics chez les Grecs et
les liomains. Le le.xte a été publié ])ar Cham-
poi.uo, Xol. mnn., t. II. — Bnucscn, Monu-
ments, l. I, pi. XXVIII cl par Lepsiiis.)
(4) Sur la langue des lléléens Cf. 1VIE^•A^T,
Etudes liétéennes, ds Recueil de Intvaux rela-
tifs à lu philolotjie el à l'archéologie étfjjptienne
et assijrionne, vol. XIII, 18!)0. — Id., Elude sur
Karkemich, in Mém. Acad. Inscr. et Ilelles-
Leltres, t. XXXU, 2' partie, 18110, p. 201. sq.
— S.vYCE, les Hétéens, trad. fr. par J. Menant
Paris, iwn.
Les inscriptions liétéennes se distinguent de
celles des autres pays i)ar des caractères spé-
ciaux; les hiéroglyphes y sont toujours taillés
en relief el non en creux sur les monuments;
tous se lisent horizontalement et sont bous-
troi>hedon, système qu'on ne rencontre ni en
Egypte, ni en Chaldée, ni en .\ssyrie, ni en
Phénicie; mais qu'on retrouve dans les plus
anciens textes grecs (Thera, osselet de Suse),
ce (lui indique des liens entre les usages
hétéens et ceux des Grecs du début. D'autre
part, les hiérogl\phes eux-mêmes sont entiè-
rement indéiiendants de ceux de l'Egypte.
Us ont bien certainement été inventés dans
l'Anianuset la Cappadoce ; mais peut-être ce
système graphique a-t-il été, dans son en-
semble, inspiré par le mode d'écrire usité en
Egypte.
(5) D'après G. Maspero, Hisl. anc. peuple.'i
de l'Orient classique.
L'Egypte vers l'époque de:-
Ramessides (5).
(1) A la bataille de Kadèch, le roi Ramsès
(1383 av. J.-C. date discutée) dut donner de
sa personne ; c'est sur cet acte de courage per-
sonnel qu'a été édifié tout le poème du Pen-
laour L'armée égyptienne avait lâché pied et
tout porte à croire qu'elle subit un échec;
l'empressement avec lequel le pharaon traita
est éloquent à cet égard. — (Cf. A. -H. Sayce,
A Forg. Emp., éd. J. Menant, p. 23.)
(2) Séti II (Cf. CiiAMPOLLio.N, yot. man., t. II.
p. 96), Ramsès II.
LA PRÉPONDtnANCE ÉGVPTIENNK
281
lions qu'on est fort surpris de rencontrer à cette époque: paix
éternelle entre les deux peuples, alliance offensive et défensive,
conditions spéciales pour assurer la justice et les facilités com-
merciales au profit des résidents d'un peuple chez Tautre, extra-
dition des criminels et des transfuges, restitution des sujets passés
sans autorisation d'un territoire dans l'autre. C'est entre Ram-
sès II, roi d'I'^gypte, et Khitisar, fils de Môroussar, roi des Khiti,
que fut passé ce contrat mémorable (1).
Ainsi deux grands peuples, appartenant aux anciennes races,
possédaient déjà, sur le droit international, des principes qui, de
nos jours encore, ne seraient pas désavoués par la diplomatie. En
Chaldée, en Egypte et chez les Hétéens le sens de la justice était
donc encore très développé. Il fallait, pour le malheur des hommes,
que l'Assyrie surgît et réduisît à n(''aut ces progrès issus de
tant de siècles de labeur.
Les Khiti (Hétéens) (2) étaient des autochtones, apparentés plus
ou moins étroitement aux anciens peuples de l'Asie antérieure (3).
Leurs congénères habitaient encore toute l'Asie Mineure, le Tau-
rus, l'Arménie jusqu'au Caucase (^), la majeure partie des monts
(1) Champollion, \ol. nian., t. II. — Lepsius,
Denkm., III, 46. — Brcgscii, Monuments, l. I,
pi. XXVIII. — TradiicUons : E. de Rongé,
dans Eggeb, Etude sur les traités publics,
p. 243. — Chabas, le Voijaye d'un Eijijptien,
p. 322, sq. — GooDwiN, Treaty of peace bel-
ween Ramses II and the Hiltiles, in Records
of Ihe past., t. IV, pp. 25-32. La minute de ce
traité avait été rédigée en langue héléenne et
gravée sur des laines d'argent. Ce texte hétéen
s'est perdu, nous n'en possédons que la traduc-
tion égyptienne gravée sur les murs du temple
du Ramesséum à Thèbes.
(2) Les Hétéens doivent être considérés
comme les premiers maîtres des grossières
populations de l'occident de l'Asie Mineure.
Ils leur apportèrent une civilisation dont les
éléments leur avaient été inspirés parles Ba-
byloniens, et ils y joignirent une écriture dont
les indigènes tirèrent ensuite, selon toute pro-
babilité, le système graphique qu'ils se sont
approprié. (A.-II.Sayce, les Hétéens, éd. J. Me-
nant, p. 77, sq.) Avec les fouilles des Alle-
mands à Boghaz-Keu'i, l'histoire des Hétéens
entre dans une nouvelle phase, ou mien.\,
commence enfin. (On prépare la pul)licalion
de ces documents.)
(3) Il est évident qu'il faut voir dans les I ri-
bus héti'ennes les restes d'une race |irimili-
vement établie dans les chaînes du Taurus, et
qui s'étaient hasardées à se fî,\er ensuite dans
les plaines et les vallées brûlantes de la Syrie
et de la Palestine. Ces tribus appartenaient
originairement à lAsic Mineure et non à la
Svrie. Nous devons considérer comme un nom
national cette appellation d'Héléens, qui les
désignait comme un peuple distinct des autres
races du monde oriental. (A..-H. S.wce, les Hé-
téens, éd. .1. Menant, p. 51, sq.)
(4) Tout porte à croire que les peuples cau-
casiens de nos jours sont les derniers repré-
sentants de cette famille qui, avant la pre-
mière invasion sémitique (akkadienne), cou-
vrait toute l'Asie antérieure depuis les déserts
de l'Arabie jusqu'à la mer Noire et de la Mé-
diterranée jusqu'au plateau iranien et peut-
être au delà C'est à cette race qu'apparte-
naient les Hétéens, les gens du Nairi, de lOu-
rartou, duNamri,de rElam(?) et peut-être aussi
les Cosséens. De leurs langues, nous ne con-
naissons que l'élamile et le vannique ; cette
dernière montre une parenté avec le géorgien.
Les langues caucasiennes sont agglutinantes
et possèdent ce caractère au point d être capa-
bles de faire entrer toute une phrase dans un
seul mot. Seul legéorgien est une langue liUé-
raire possédant récriture depuis la conversion
du Caucase au christianisme ; les autres m-
s'écrivent pas, on les divise communément en
deu.x groupes, celui du Nor<l el celui du Sud.
Le groupe septentrional comprend: le les-
ghien, l'avare, le kazi-koumoukli,le kourine, le
tchouch, l'onde, le Iclielchenze, etc., etie tcher-
kesse lui-même très subdivisé. Le groupe méri-
dional ou karthwélien comprend legéorgien, le
mingrélien, le laze, l'imérilhien, le souane,elc.
Bien que pos-^édant des traits communs, la
plupart de ces idio.ncs ne présentent entre
eux que des i)arentés originelles, beaucoup
même sont irréductibles par rai)port aux au-
282
LES PREMIÈRES CIMIISATIONS
Cardiiques et FÉlam (?). Leur patrimoine se trouvait situé entre le
golfe d'Alexandrette et l'Euphrate, entre l'Amanus et les sources
de rOronte ; mais, comme tous les grands souverains asiatiques,
le roi des Khiti avait, à l'époque des Ramessides, une foule de
vassaux et d'alliés. Son influence s'étendait jusqu'à la mer Noire
au nord, jusqu'à la pointe de l'Asie Mineure à l'ouest et jusqu'au
lac de Van à l'est, à la vallée de l'Araxe et peut-être aussi jus-
L'Einpire liétéen vers l'époque des Ramessides.
qu'à l'extrémité orientale du Petit Caucase. Ses troupes occupaient
tout le bassin de l'Oronte. C'était un puissant souverain (1).
Mais les succès égyptiens en Asie devaient être de courte
durée ; déjà, du temps de Menej)htah, les provinces syriennes
avaient échappé aux Pharaons et, du vivant de Séti II, l'anarchie
1res. Au Caucase, on compte 120 langues el
flialecles; il semblerait que ces montai^nes ont
conservé quelques trilius de chacun de ces
peui)les,qui jadis occupaient l'Asie Antrrieure,
peuplades qui, tour à tour, y seraient venues
chercher un refuge contre les envahisseurs.
Au Lazislan, plus particulièrement le nombre
des tribus étrangères les unes au.x autres est
considérable. (Cf. Klaproth, Voymje au Cau-
case. — .1. DE M0RG-4N, Mission sc.au Caucase,
t. II, 1889.)
{l)Les monumenlshéléens, rencontrés dans
toute l'Asie Mineure, prouvent par leur pré-
sence la grande étendue de cet empire. Ce-
pendant, quelques-uns semblent dus non pas
au.xllétéens eux-mêmes, maisà leur influence,
tels ceu.x d'iberez, sur lesquels le dieu el son
adorateur présentent un type sémitique bien
différent de celui des l)as reliefs de Karahel,
du mont Sipyle, d'Hnmath, de Karkemich,etc.,
qui sont dus aux Hétéens eux-mêmes. Pour
les caractères hiéroglyphiques, l'unité est
frappante dans tous les textes parvenus à
notre connaissance. (Cf. A. -H. Sayce, A for-
ijot. Emp., trad. J. Menant, p. 78 )
LA PRKruXDKlIANCE ÉGYPTIENNE -283
régnant clans la métropole empêchait le gouvernement de son-
ger aux possessions extérieures. Les princes des nomes révoltés
se mirent à guerroyer entre eux et contre ce qui restait de l'au-
torité royale,
La politique intérieure et extérieure des Pharaons commettait
toujours les mêmes fautes. Que de fois n'avait-on pas vu déjà,
depuis trois mille ans, les feudataires se révolter à la faveur des
moments de faiblesse de leur suzerain; et cependant, aucun pha-
raon, même des plus puissants, n'avait abaissé cette aristocratie
féodale, cause d'une telle instabilité dans le pouvoir central. Les
fauteurs du désordre étaient punis, privés de leur principauté ;
mais ces fiefs remis entre d'autres mains n'en demeuraient pas
moins un foyer de révolte. L'Egypte ne sut pas, |)aniii ses cen-
taines de rois, trouver un Louis XI.
Cette révolution, qui couvaiL depuis longtemps, éclata soudain
€t, après la mort de Séti II, l'Egypte connut tous les désastres
de l'anarchie. Des dynasties usurpatrices se disputèrent le pou-
A'Oir. Les princes, indépendants à nouveau, se donnèrent tour à
tour aux unes et aux autres ; la guerre civile s'étendit depuis les
frontières de Nubie jusqu'à la Méditerranée.
Menephtah avait encore entretenu des relations diplomatiques
avec le roi des Hétéens et conservé les garnisons de Syrie ; mais
peu à peu les troupes durent être rappelées, si toutefois elles ne
se retirèrent d'elles-mêmes pour venir peser dans la balance en
faveur de l'un ou de lautre des prétendants.
C'est à l'époque de Menephtah ou de Séti II qu'il convient de
placer le départ des Hébreux d'Egyj)te ; fuite d'une bande d'es-
claves, dont les Pharaons s'inquiétèrent bien peu, au milieu des
graves préoccupations qui, de tous côtés, assaillaient le trône.
Depuis longtemps l'Egypte possédait une multitude de serfs
appartenant à toutes les races de l'Asie et de l'Afrique. Ils se
révoltèrent; et les étrangers libres habitant le pays, presque tous
des Asiatiques, se joignirent à eux. A la guerre civile venait
s'ajouter une lutte plus terrible encore, celle des oj)primés contre
leur maître. L'infiltration lente avait amené, au comii- même de
l'Egypte, une armée étrangère.
Les rebelles occupèrent le Delta pendant douze ans ; c'étaient les
restes des pasteurs, des tribus sémitiques du sud de la Syrie, du
Sinaï, des Libyens, des esclaves. Les révoltés choisirent pour capi-
28li LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
taie Avaris, ce site de l'ancien camp retranché des Hyksos, dont
ils espéraient restaurer la royauté et les déprédations. N'est-ce
pas même l'issue de ces événements qu'attendirent les Hébreux
pendant quarante ans dans les gorges du Sinaï: leur sort ne dé-
pendait-il pas du succès ou de la répression de cette tentative ?
Pendant ces troubles surgit une dynastie nouvelle, la XX^ de
Manéthon.Son chef, Nakhséti, rétablit Tordre, chassa les révoltés,
renversa, non sans peine, le chef syrien Irisou et reprit la majeure
partie de l'Egypte. Il était réservé à son fils Ramsès 111 de chasser
les Bédouins de l'est du Delta, qu'ils occupaient encore en dépit de
leurs défaites, d'expurger la péninsule sinaïtique des pillards qui
l'infestaient, et de refouler les Lybiens dans leurs territoires de
l'Ouest. Peut-être doit-on voir, dans l'expédition de Ramsès III au
Sinaï, la cause du départ de Moïse et de ses tribus vers le Nord?
La Syrie était perdue pour l'Egypte; mais, fait bien plus grave,
son allié du Nord, le roi des Hétéens, avait vu s'écrouler la majeure
partie de sa force et ses rêves de puissance. D'une part, l'Assyrie
grandissant avait déjà vaincu et asservi bien des peuples du Naïri
et du Khoummoukh inféodés aux Iletéens ; d'autre parties Aryens,
nouveaux venus en Asie ^Mineure et sur les côtes du Pont-Euxin,
avaient formé une puissante coalition contre les royaumes d'Asie,
et les alliés s'avançaient vers le Sud.
Vaincus en même temps que leurs congénères, les Hétéens
furent entraînés parle flot qui, descendant en Syrie, vint briser ses
forces vers Péluse (1) contre l'armée de Ramsès III.
La Libye menaça encore le Delta ; elle fut repoussée et quelques
expéditions heureuses ramenèrent, pour un temps, dans l'obéis-
sance les anciennes possessions de l'Asie et de l'Arabie.
C'est à cette époque que les Philistins furent cantonnés par
Ramsès en Syrie et que les Tyrséniens et les Shardanes, n'ayant
plus de patrie, s'éloignèrent, dit-on, vers l'Occident sur leurs
vaisseaux; les uns se seraient établis au nord de l'embouchure du
Tibre, les autres auraient colonisé la Sardaigne.
L'Egypte et la Syrie étant toutes deux épuisées et personne
ne voulant plus la guerre, les règnes des Ramessides se passèrent
en paix. Les Egyptiens avaient assez à faire pour remettre en
(1) Sur la marche des peu))les du Nord, et la quelques lestes hiéroolyi>lii(|iies. dans VAlhe-
hataille de Raphia-Péluse, Cf. Greene. Fouil- iieum français, 1855. — Ciiabas, Etudes sal-
les à Thèbes, 1855. — De Rougé, notice de iantiquilé historique, pp. 250, 288.
LA PIUiPONDKUA.NCK ÉGYPTIENNE 285
ordre leur pays ; ([uanl aux Syriens, les appréhensions que leur
causaient les progrès rapides de l'Assyrie étaient autrement graves
que la crainte des Pharaons.
Ainsi livrée à elle-même pour plusieurs siècles, la Syrie entra
dans une com[)lète anarchie; et c'est ce désordre même, ce manque
de surveillance de la part des grands États, qui permit aux Hébreux
de s'installer en Palestine. En tout autre temps, ils eussent été arrê-
tés par les troupes ninivites ou égyptiennes, détruits ou refoulés
dans le désert arabique et se seraient fondus avec ces Bédouins
sans histoire qui, de tout temps, ont erré dans ces plaines.
Gomme il en advient toujours à la suite de longues périodes
guerrières, l'élément égyptien de la population, dans la terre du
Nil, avait diminué dénombre; mais il s'était trouvé remplacé par une
foule d'étrangers appartenant à toutes les races (1) qui, venus
comme esclaves, s'étaient vite afTranchis et, adorateurs des dieux
du pays, comptaient pour de vrais Egyptiens dont ils n'avaient ni
le caractère, ni les aptitudes, ni l'énergie. En petite proportion, ils
se fussent mélangés à la masse, sans aflaiblir sa vitalité ; en grand
nombre, ils vicièrent le sang indigène.
Il en fut de même à Thèbes qu'à Rome, qu'à Constantinople
plus tard; un amalgame de tous les peuples s'étant peuà peu sub-
stitué à la race des maîtres, le patriotisme, les qualités guer-
rières (2) et administratives s'évanouirent.
Cette paix, heureuse en apparence, fut pour rEgyj)te une ère de
misère et de malheur. Les bras manquant pour la culture, il y eut
de terribles famines (3); les travaux d'utilité publique furent
délaissés (û), des bandes armées parcoururent le pays et, l'admi-
nistration se relâchant, les nécropoles furent pillées.
Le souvenir des trésors ravis par les pasteurs dans les sépul-
tures antiques était encore présent à la mémoire de tous; et les
(1) Etrangers au service de l'Egypte (Grecs) fermer dans la caserne, etc. » {Papyrus
XVin» dvn. Sayce. Academii, 189-2, I, p. 164. — Ana.slasi, III, pi. V. 1. 5 ; pi. VI ; 1. 2 ; IV, pi.
Les Sicules = Shakalsha (Sayce. Acaci., 1891, I, IX, 1. 4 ; pi. X, 1. I. — E. dr Rougé, Discours
p. 222-2-23). — Sous Setil" (Cf. Fl. Pétrie, — d'oucerlure, p. 34-35.— G. Maspero, Du yenre
Kaliun,Garob and Hawara. p. 3'5,.38,40), Tur- cpislolaire, \k il-i3.)
sha=: Thyrsénien. (3) Cf. Lieblei.n-Chabas, Deux papyrus
(2) L'aniimilitarisme faisait son apparition ; hiératiques, p. 38. —G. Maspero, ///s/, anc.
on rt'ciierchait les emiilois civils, mais on peup. or., 1893, p. 275, sq.
raillait tout ce qui touchait au militaire. (4) Cf. Pleyte et F. Rossi, Papyrus de Tun;!,
« Pourquoi dis-tu que l'officier d'infanterie est Leyde, 1869-1876,— documents privés montrant
plus heureux que le scribe ! demandait un lappauvrissement graduel de l'Egypte. (Cf.
scribe à son élève. Arrive que je te peigne le Maspero, Hisl. anc. peuplesde l Orient, V« édit.,
sort de l'officier d'infanterie, l'étendue de ses 1893, p. 274.)
misères : on l'amène tout enfant pour l'en-
286 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
prêtres ne se trouvaient pas en état de résister par eux-mêmes aux
spoliations (1). On dut enlever de leurs tombeaux les momies
des rois du nouvel empire, celle des grands personnages, afin de
les soustraire à la profanation que la police était incapable de ré-
primer.
Pendant que TEgypte était écrasée par le malheur, quelle payait
si chèrement ses nombreuses révolutions, sa gloire militaire à
l'étranger, les prêtres thébains ne restaient pas inactifs. Us rêvaient
depuis longtemps de posséder un jour ce trône des Pharaons
qui, sous leurs yeux, faisait Tol^jet de tant de compéti-
tions (2).
jNlodifiant insensiblement le culte, reprenant le dogme qui, par
un eflet de réaction du pouvoir royal, avait amené la révolution
religieuse, le schisme d'Aménophis IV, ils proclamèrent Amnion
le seul dieu d'Egypte et s'emparèrent de l'esprit de la haute société
et du roi lui-même au point que, sous Ramsès 111, le véritable Pha-
raon était le premier prophète du dieu théjjain (3).
On a pensé que cette révolution dans les croyances était le ré-
sultat de déductions philosophiques (fi), et de là 1 imagination est
partie pour construire tout un système de monothéisme chez les
Egyptiens. Inutile d aller chercher dans des sphères aussi élevées
l'origine des événemejits (|ui se passaient alors à Thèbes ; car
seule lambiliou du clero-é thébain en fut l'orio-ine.
Thèbes était alors une ville immense, occupant les deux rives du
fleuve ; ses temples, grands eux-mêmes comme des cités, entre-
tenaient la majeure partie de la population ; leurs servants étaient
(1) Papyrus Abiiot. Cf. Ciiabas, Une spolia- cléopolis magna et de celui de Coptos), /î'(,//or!;.s'
tion des hypogées de Thèbei au onzième d'or qui saisit avec sa force Ions les pays, ijui
siècle, dans les Mélanges é<iijploloiii(iues, eslyraiiden[ormalions,filsdiiSo!eil,Aménoplns,
III" série, l. I, p. 1-172. — G. Maspeiîo, Une le réyenl divin d'IIéliopolis (A. Wiedemann, /e
enqiièle judiciaire à Thèbes au lemps de la Roi dans l'ancienne Eyyple. Bonn, p. 7;.
XXJl' t///'i(i.s;/e. — A. EiiMAN, Beilr:igezur Kent- (3) Cf. G. Maspero. Note sur quelques points
niss der Aegyplischen Gericlitsverfahrens, de grammaire et d'histoire, ds Recueil, I,
dans Zeilschr , 1879, p. 81-83, 148-152. p. 157, sq. — Lepsius, Denkm., III, pi. 219.
(2) En Egypte, le roi était un dieu de pas- (4) Si les événements politiques ne venaient
sage sur la terre. Maître absolu de ses sujets, montrer le but intéressé des prophètes d'Ain-
il réglait en personne (théoriquement) toutes mon, on serait tenté de croire qu'à celte
les affaires grandes et petites, marchait à la époque l'Egypte avait atteint une philosophie
lête de ses armées; tout émanait de lui, il était religieuse très élevée. Ammon, dieu unicpie,
l'auteur de tous les biens, de tous les succès. e.xislant par essence, le seul générateur dans
L'emphase de ses litres surpassait tout ce le ciel et sur la terre qui ne fut pas engendré,
que jamais la pompe des Orienlau.x a pu con- le père des pères, la mère des mères, était
cevoir. Aménophis il est nommé : Haras, le bien le dieu qu'il fallait à des prêtres rêvant
Taureau jmissant, grand par la valeur, maiire l'établissement d'une Ihéocialie. — Sur les
du diadcme du Vaulour et décelai du SerpenI ;de papyrus relatifs au dogme théJjain, Cf. Gré-
la H;iuleet delà Basse-Egypie; f/(i; /-e/if/ ;/;-'i/u/e isaijt, l'Hymne à Ammon-Rù des pajiyrus de
la joie, qui laisse solenniser des fcles à l'hcbes, Doulaq. 1875.
le Sulen-nel (grand prêtre du nùme d'Héra-
288 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
une véritable armée. Le mystère régnait dans ces sanctuaires
sombres, à peine éclairés, où les fidèles ne pouvaient, suivant leur
rang, dépasser certaines limites. Le roi voyaitla divinité face à face.
Le premier prophète interprétait la volonté dWmmon, à laquelle
souscrivait toujours le pharaon prosterné; Thèbes était la ville du
merveilleux, du mystère, de Fomnipotence, les pèlerins y
affluaient saisis dune terreur mystique. A cette plèbe on aban-
donnait les superstitions, le culte des animaux (1), tandis que
se jouait dans le sanctuaire cette comédie dont le trône était
l'enjeu.
Le terrain avait été dès longtemps et habilement préparé ; aussi, à
la mort de Ramsès XII, le premier prophète d'Ammon, Hrilior,
crut-il le moment venu de fonder une dynastie théocratique et se
déclara-t-il lui-même « maître de la haute et de la basse Egypte ».
Par sa mère il descendait de sang royal et divin (2).
Il ne manquait à l'Egypte, dans ses malheurs, qu'une usurpation
religieuse; elle l'eut, et tandis que Thèbes et le haut du pays
reconnaissaient pour pharaons ces prêtres qui, par la richesse de
leurs temples, tenaient la population, la basse Egypte refusait de
s'associer à ce retour aux temps antiques ; dAvaris sortait une
dynastie, la XXP, qui gouverna le Delta, alors que les prophètes
d'x\mmon étaient omnipotents dans le haut pays.
Pendant que ces événements se passaient en Egypte, les Phé-
niciens (3j établis déjà sur les côtes méditerranéennes de Syrie
au temps de la venue des Hyksos, affermissaient leur domination
sur les mers ( Ti), devenues presque lilues par suite du déclin de
la thalassocralie Cretoise. A vrai dire, les Phéniciens ne possé-
(l)Cf.G. MASPEno.Noles sur quelquespoints épouse. Ramsès II se maria avec plusieurs
de grammaire et d'histoire, ds Recueil, II, de ses filles. De telles unions, réprouvées par
p. 108, sq. — 1d, Éludes égyptiennes, t. I, nos mœurs, étaient aux yeux de l'Egyptien
p.l45, sq. choses natuielles dictées par la raison d'Etat
(2) Cf. E. Naville, Trois reines de la afin d'éviter les usurpations, i A. WiEDEMANN,/e
XXP dynastie, ds ZeitscJir., 1878, p. 29-30. Roi dans l'ancienne Éyyple, Bonn, p. 12.) Quel-
Pour être à même de monter sur le trône, le ques divinités épousèrent leur propre mère et
prétendant devait être de sang divin, c'est-à- le titre d' « époux de sa mère » est l'un des
dire royal. Aussi les pharaons légitimes veil- litres les plus ordinaires d'un dieu (Id. p. 16).
laient-ils avec un soin jaloux à leur descen- (3) Cf. Fr. Le.normant, La légende de Cad-
dance, contractant les alliances les plus mons- mus et les établissements phéniciens en
Irueuses, alin de conserverintacte leur lignée. Grèce, dans Annales de philosophie chrélienne.
Les mariages entre parents les plus proches 1867 et dans les Premières CiL'ilisations, t. II,
étaient d'usage dans la famille royale qui 874, p. 33-437.
tenait à conserver le plus pur possible le (4) Sur les parois d'une tombe du quin-
sang divin coulant dans ses veines. Le roi zième siècle av. J.-C, à Drah-abou-'l-neggah
Pinet'em, de la XXP dynastie (vers 1100 av. (Thèbes), une fresque représente une flotille
J.-C), épousa sa propre fille, née de son phénicienne. (Cf. G. Daressy, Rev. archéoL,
mariage avec sa propre sceur et engendra une 1895, Une flotille phénicienne d'après une pein-
fille qu'il nomma, aussitôt née, reine et ture égyptienne.)
LA PRKPONDKRANCK KGVrTIIvNM:
289
daient sur terre que des points d'attache ; leurs diverses cités,
Aradus, Ziniyra, Gebel, Beyroulli, Si don et Tyr ne pouvaient
communiquer sûrement entre elles (|ue j)ar eau. Dans 1 intrrieui'
ils avaient des comptoirs jalonnant les grandes étapes des cara-
vanes (1), lla-
math (2), Thap-
saque (3), Nisi-
bis (û), en plein
continent ; Dor
(5), loppé (6), si-
tués près de la
mer sur la route
d'Egypte, etc..
Sur les côtes
étrangères , les
Phéniciens
étaientplus puis-
sants qu'au voisinage même de la ^létropole. Chypre (7) leur ap-
partenait en grande partie dès les temps les plus anciens. Pa-
phos, Golgos, Lapethos, Kourion, Karpasia, Soli, Tamassos étaient
de leurs villes. En Crète, des marins sémites s'étaient établis sur
tout le rivage méridional. Partout où se rencontrait un abri natu-
rel (8) pour les vaisseaux, station facilement défendable, on était
sûr de rencontrer desTyriens ou des Sidoniens (9).
Lors des conquêtes égyptiennes en Asie, les Phéniciens eurent
quelques velléités de résister aux pharaons; mais, en commerçants
L'ile de Chypre et ses colonies phéniciennes et grecques.
(1) MovERS, Die Phônizier, 1. II, "2"''' Iheil,
p. 159, sq.
(2) Au pays de Chonaan.
(3) Sur lEupliratcsen amont de Deïr cl Zor,
ville héléenne.
(4) Ville du haut Khabour.
(5) Sur la côte méditerranéenne où les Phé-
niciens avaient une pêcherie de pourpre. (Cf.
E. Renan, Mission en Phénir.ie, p. 40, 757.)
(fi) Jnffa sur la côte.
(7) M.-W. Max Millier pince l'AIachiya
(Cf. Bezold, The Tell el Amarna lablels, 1892,
5-7. — WiN-cKLER el Abel, Der Thonlafelfund
V. El Amarna, 1889-90, 11-17) dans l'île de
Chypre, se basant sur l'abondante production
du cuivre dans cepovs. {Zeitsch.f. Assi/riolo(jie,
t. X, 1895, |>. 257-2G8). (Cf. A.-J. Delattre,
Lettres de Tell el Amarna, in Proc. Soc. Dibl.
ArcliaeoL, t. XIII, 1890-91, p. 542. — Id., le
Pai/s de Clianann, 1890, p. 5i.)
(8) Temples i)hénicicns de l'île de Gozzo et
de Haginr Ivriin à Malte. Cf. Fr. Lenormant,
Monuments phi'niciens de Malte, dans Reu.
générale de l'archileclure el des Irav. pub., 1841,
p. 497, pi. XXI. — J.-G. Vance, Descripl. of
an ancienl temple near Crendi, Malta, in
Archaeologiii, t. XXIX, p. 227, sq. — Caruana,
Report. Il y eut aussi des temples phéniciens
en Sicile, en Sardaigne, mais on n'en a pas
retrouvé les ruines.
(9) En Cilicie, ils possédaient des comptoirs
à Kybyra, Masouru, Rouskojjoiis, Sylion,
Mygdalé, Phaselis, Sidyma (Movers, Die Phô-
nizier, II, 2, p. 346), Astyra en face de Rhodes
(Movers, /((., p. 217 sq.),à Rhodes même, laly-
sos, Lindos, Camyros (Diodore, IV, 2, 5, etc ),
dans lesSporades.les Cyclades; Delos.Rhénée,
Paros, Oliaros (Sidoniens), Melos(Giblites) sur
l'Hellespont, Lampsaqiie et Abydos, sur les
côtes de l'Anatolie. Ils s'aventurèrent jus(]u'au
Caucase. A l'ouest ils s'installèrent en Crète
(Lappa, Kairatos, Phœniké, Gorlyne. Lebénê),
à Cythère, dans les îles Ioniennes, on Illyrie,
en Italie, en Grèce même (Egine, Salamine,
en Argolide. en Attique), en Sicile, sur la côte
africaine, etc.
19
LA PRHPONDKHANC.E K(iVPTir::NNE
291
habiles ils jugèrent vite quilétail plus |)rofitable depayortribut ([ue
Établissements grecs et phéniciens de la Méditerranée orientale.
Villes phéniciennes (en caractères gras).
Villes grecques (en caractères maigres).
de soutenir une guerre inégale, et demeurèrent loyaux vassaux (1^
(1) La correspondance d'El Amarna montre
que, tout au moins nominalement, les villes
phéniciennes de S3 rie étaient pour la plupart
vassales de l'Egypte au même litre que les
cités de Chanaan. Rib-Adda, de Byblos, écrit
au pharaon : « Les gens d'Arwada (Aradus)
sont maintenant chez toi (sont entrés sur ton
territoire), saisis leurs vaisseaux qui sont en
Egypte ». (C. Bezolo, The Tell El Amurna
lablets, 1892, 4't, 13-18). Zurata était préfet
d'Akka pour lÉgypte {Id., 93). Çiduna (Sidon),
Biruta(Beyroalh),r:urri(Tyr),sonl traitées dans
ces documents de servantes du roi. (Cf. A.-L.
Delattre, le Pays de Chanaan, 1896, p. 51, sq.
292 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Ils avaient, en effet, tout à gagner à s'attirer la clientèle de
rÉgvpte (1) ; exportant ses marchandises (2) chez les peuples
étrangers, ils importaient chez elle les produits des autres pays
et du leur (3). Cette situation privilégiée les poussa à fonder des
comptoirs dans toute la Méditerranée, qui devint bientôt une mer
phénicienne.
Plus tard, ils s'établirent solidement dans les parages lointains,
dès longtemps fréquentés par leurs vaisseaux ; ils fondèrent des
comptoirs sur les côtes d'Asie, en Italie, en Sicile, en Sardaigne,
aux îles Baléares, en Espagne, en Afrique et, affrontant l'océan,
allèrent, dit-on, chercher Fétain jusque dans les Cornouailles {li).
Leurs expéditions, toutes parties sous le couvert commercial,
ne se terminaient pas toujours par des échanges de marchan-
dises; lorsqu'ils se sentaient en force, ils n'hésitaient pas à piller
les bourgades des côtes, parfois même à s'y installer et à fonder
des colonies militaires ; mais, lorsqu'ils avaient affaire à des peuples
forts, ils se contentaient d'un commerce lucratif. Que dépeuples co-
lonisateurs procèdent encore de nos jours comme les Phéniciens !
Sur le continent, leurs caravanes ou plutôt les convois circu-
lant pour leur compte, chargés de marchandises à destination de
Tyr ou de Sidon, venaient des pays lointains du Caucase, de
l'Arménie, de l'Iran, des Indes, de l'Arabie et tous les produits du
monde affluaient sur leurs marchés. Dans l'intérieur ils n'avaient
guère que des agences commerciales; il eût été trop dangereux
de chercher à conserver des villes.
L'or de la Lydie, du Phase (5), de l'Altaï (6), des Indes (7); le
(1) Grâce à leur soumission aux pharaons, vains grecs et latins qui les ont consultées
ils avaientélé autorisés à posséder en fivple ne nous ont pas transmis leurs œuvres. Sur
même des entrepôts : ils en avaient à Mem- les périodes les plus anciennes, nous ne dis-
nhis Tanis Bubaste, Mandés, Sais, Ramsès- posons que des légendes et des renseigne-
Anakhtou elc raents épars relatifs à la fondation de chacune
(2) Dans le palais de Mvcènes se trouvaient des colonies. Le meilleur ouvrage (déjàaucien)
des tuiles émaillées portant le cartouche sur les Phéniciens est Movers, D;e P/ionirier.
dAménophis 111, de travail franchement (5) Presque tous les cours d'eau de 1 Asie
éovptien (Cf. R. Seewëll, Proc. .Soc. Bibl. Mineure et du Caucase roulent de 1 or dans
A/t/î., XXVI, n» 6, 190i, p- 258, sq.) — La quan- leurs sables. Les lavages étaient autrefois
litc des objets de fabrication égyptienne de rémunérateurs, ils ne le seraient plus au-
basse époque qu'on rencontre sur toutes les jourd'hui. J ai fait inoi-méme un essai des sa-
côtes de la Méditerranée est énorme et il blés du Phase et ai reconnu la présence de
semble plus rationnel d'en attribuerla diffusion l'or, quoiqu'en très petite quantité. (J. M.)
auxPhéniciensplulôt(iuau.xnavigateursgrecs. (6i Les gisements d'or de 1 Allai «ont au-
(3) Entre autres les bols de cèdre du jourd'hui connus et les rivières descendant de
Liban, le cuivre de l'île de Chypre, la pourpre ce massif roulent toutes du métal précieux,
de leurs pêcheries. Leurs importations ren- (7) Dans la Tounghabadra a \idjayanagar
daient à l'Egvpte les plus grands services. (Mysore). j'ai, en 1884, constate la présence de
(4) Nous ne possédons aucune histoire de l'or dans les sables. Les gisements aurileres
la colonisation phénicienne. Les archives de de l'Inde sont très nombreux, «luoique peu n-
Tvr et de Sidon ont été détruites, et les écri- ches. (J. M.)
LA IM\K1'()M)KHAXCE KGVPTIENNE
203
cuivre du pays du Chalybes, dos Toubals (1), de Chypre ; Targont
de la Thrace, duTaurus;les pierres précieuses de l'Iran (2), des
Indes; les fins tissus babyloniens; les parfums de 1" Arabie et
tous les procbiils du monde passaient j)ar leurs mains. Ils les
revendaient en T^gypte, grande consommatrice, en même temps
([ue les produits de leur propre industrie, tels le verre (3), la
pourpre (li).
Par contre, ils exportaient, lant en Asie que sur les côtes médi-
terranéennes, les marchandises égyptiennes, tissus, pâtes émail-
lées, meubles, vases de j)ierre, de métal, objets d'art, bibelots de
toute nature, qu'on retrouve aujourd'hui dans tous les pays où
s'étendaient leurs relations.
La voie maritime était de beaucoup lapins sûre et lapins éco-
nomique, car les Phéniciens régnaient encore en maîtres dans la
Méditerranée. Par terre les marchandises risquaientle pillage, et, en
tout cas, avaient à payer des droits de passage souvent fort élevés.
C'est par le transit que s'enrichirent David, Salomon et bien
des roitelets de la Palestine et de la Syrie; c'est par les caravanes
que plus tard se créa Palmyre (5) dont la richesse, dans un site dé-
solé et aride, ne peut s'expliquer autrement. C'est que les terri-
toires de ces royaumes se trouvaient sur les grandes routes reliant
au monde oriental l'Egypte et la Phénicie et, par suite, ouvrant les
débouchés de l'Occident.
L'invasion des llyksos dans la vallée du Nil fut un véritable
cataclysme; mais, comme toutdésastre, elle n'eut pas que des effets
malheureux. C'est à elle, pense-t-on, que l'humanité doit la propa-
gation de l'écriture.
(1) Les gisements île pyrite cuivreuse sont
très nombreux dans le Grand et le Petit Cau-
case (Kedabek, Akl;da, Allah Verdi, Dilid-
jan, etc.). le Lazistan (Gumuch Kliani près de
Trébizonde), l'Arménie et le Nord de la Perse.
(-2) La turquoise du Khoraçan.
(3) Le verre, dit phénicien, se rencontre en
Egypte dès le nouvel empire. J'en ai trouvé
des fragments dans une sépulture de la XVI U»
dynastie. A Suse, les dépots de fondation du
temple de Chouchinak (.\v" s. environ) en ren-
fermaient également. On ne le voit apparaître
en Ualie méridionale et en Sicile (Syracuse)
que vers le VIL siècle (dans les sépidtures
grecc|ues). Les Phéniciens étaient rapidement
devenus d'habiles verriers, aussi leur allri-
huat-on l'invenliou du verre. Plini; (Hisl.
nal., V, 17, XXXVL 00.) — Cf. Perrot et Chi-
piez, Hisl. de l'art dans l'antiquilc, t. III,
p. 733, sq., t. VI, p. 48-2, 550, sq.; 7i5, sq ;
850, 943, sq.
(I) Ils avaient un grand nombre de pêche-
ries de pourpre, entre autres à Dor, sur la
cote au nord de Péluse, à Nisyra, à Gyaros
dans les îles Itanos, en Crète, etc. On a pré-
tendu que cette matière colorante avait été
découverte par les Phéniciens. Le fait n'est
pas exact, car bien longtemps avant leur ar-
rivée en Phénicie, les étoffes teintes en
pourpre étaient d'usage en Egypte. J'en ai
retrouvé dans les sépultures princières de la
XIL dynastie à Dahchour (Cf. J. de Mougan.
Fouilles à Dahchour, II).
(5) On coni;oit diflicilement (ju'une grande
ville se soit (lévelo|)pée dans un pays aussi
aride que celui de Palmyre, où les terres
cultivai)les suffisent à peine aujourd'hui i\
l'aliinentalion du village de Tedmour. L'eau,
qui d'ailleurs vient de fort loin, y est sau-
niiitre de même que celle des rares puits sou-
vent à sec ((u'on renrontre dans les ruines
(.]. M., Voyaije de l'JUO;.
29/i
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Lorsqu'ils étaient en Egypte, les
leurs vaincus un procédé cursif de
eomj)rirent de suite le grand avan-
tage qu'ils en pouvaient tirer. Ils le
Ghananéens (1) trouvant chez
fixer la pensée, l'hiératique^
EGYPTE
(1) G. Maspero, Hist. anc. or. classique, t. II, p.
573, note 3, place l'inlroducUon de l'alphabet phé-
nicien entre Amenôthés IV (xv s.) et H irùm I" (x* s.),
cl en prenant le terme moyen, vers 11(X), comme
(laie pos>;ible de l'invention ou de l'adoption. Dans
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Tableau de l'origine des signes alpha-
bétiques, d'après Flinders Pétrie.
cv cas, la propagation de l'écriture alphabé-
lique sérail de beaucoup postérieure au séjour
lies Ilyksos en Egypte. L'origine égypliennc
(Cf. CiiAMPOi.i.iON,Lef/rc à M. Dacier,p.80. — Sal-
\oyi, Analyse yrammatirale de Vinscriplion de
lioselle. p. W, sq. — E. de Rougé, Mém. s.
LA PPvKPONDKRAXCK KGYPTIKXNE
295
siiiiplitiricnl on ra(lii|)laiil à leurs idiomes an poiiil de rendre ses
signes al|)lial)(Ui(nies(l), el lors de leur l'elour eu Asie, la nouvelle
écriture se répandit rapidement (2).
(!(>t alphabet, passant en Europ(% lui l origiiu' de tous ceux de
nos pays (3). C'est d(»uc aux Ilyksos (|ue revieul iliouueui-, non
d'avoir inventé l'écriture, mais d'avoir simplifié lexpression
figurée de la pensée, presque au point où elle se trouve encore
de nos jours, et aux Phéniciens qu'appartient celui davoir fait
connaiire à l'Europe cette incomparable dc'couverle ; lAsie (/|)
Fappril de la Ghaldée. après l'avoir reçue elle-même des bords
de la ^léditerranée.
Bien qu'aujourd'hui la filiation de nos écritures semble être
Torig. égy|)l. de l'alphabet phénicien, in
Comptea rendut; Acad. Inscr., 1851), l. III, ])|(.
115-12i. — Lauth, II. Brlgscii, Vr. Le.nou-
mant) est anjiiiiid'hiii fortement allaqiiée, liien
qu'encore admise par la majorité des savants.
(Cf. Pu. Berger, Ilisl. de récrilure dans l'an-
liijuité. ])p. 11.5-122.)
(1) E. de Rongé (Mém. lu en ISt» à 1 Acad.
des Inscr., publié en 187i) a démontré qu'au
temps des pasteurs en Egjpte, les Chana-
néens avaient choisi, parmi les formes de
l'écriture hiératique, un certain nombre de
caractères répondant au.x articulations fonda-
mentales de leur langue et qu'ils en avaient
formé un alphabet «|ui, d'abord employé an
pays do Chanaan, s'y modifia suivant les lo-
calités et forma les alphabets araméen, pal-
myrien, hébreu, etc. C'est de ce premier al-
phabet qu'est venu, par des transformations
successives, celui dont nous faisons usage. —
Cf. G. M.vsptRo, Les écritures du monde orien-
tal, in Ilisl. une. des peuples de l'Orienl, appen-
dice, p. 745, sq. — Cf. Ph. Berger, //;.--/. de
l'écriture.
(â) L'origine égyptienne des signes alplia-
bétiques phéniciens, qu'autiefois on admet-
lait couramment, est aujourd'hui mise en
doute par quelques savants (J. Ilalévy,
Lids-Barski . On a proposé d'admettre que les
Phéniciens avaient emprunté (juelques let-
tres, et qu'ils auraient inventé eu.x-mèmes
les autres. Evans et à sa suite S. P.einach
pensent que les caractères al])habéliques dé-
rivent plutôt de l'écriture égéenne ou Cre-
toise. Les Philistins, en émigrant de la mer
Egée en Syrie, l'auraient apportée avec eu.x, et
à leur contact, les Phéniciens auraient pro-
cédé au traxail éliminatoire, d'où est sorti
l'alpliMbct. (Cf. R. DussAUD, Bull. Soc. An-
Ihrop. Paris, 1!KJ6, pp. 1-21-1-22.) Cette hypo-
thèse, toute séduisante qu'elle paraisse" par
sa nouveauté, ne pourra prendre corps qu'au
jour où la valeur des caractères Cretois sera
connue ; ce qui malheureusement n'est pas
encore le cas. Les uns .sont allés chercher le
prototype de nos écritures en Bahylonie (Cf.
Deeke. Uer Ursprung des altsemitischen Al-
phabets ans der Neuassyrischen Keilschrifl,
in 7.eil. der D. Morgeiil. Ge.'<ellscliaft, 1877, pp
102-15't. — Peters, The babylonian origin of
the plurnician alphabet, in Proc. .Soc Bibl.
An-h., t. VI. — llo.MMEi., (k'schiclile Babylo-
niens und Assyriens, pp. 50-.'>5j; d'autres dans
ces hiéroglyphes barbares, nouvellement dé-
couverts en Crète (Cf. A. Evans, Oe/an pjc-
loijraptis and prse-Pheniciun script., pp. it2-103,
in Joui-n. of llellenic SUid., t. XIV, pp. 361-
o72. — S. Reinacu. Chronique d'Orient, n" XXX,
l». Ci, sq) ; d'antres enfin, dans les signes
primitifs (l" dynastie) rencontrés sur les po-
teries de l'ancienne Egypte. (Cf. FI Pétrie,
Naqada ; Royal tombs, Kahun, Gurob and
Ilawara. Londres, 1890. — L. Capitan, Les dé-
buts de l'art en Egypte, in Bei'. Ecole. An-
throp.,l. VI, 11)04, p. 203. - R. WEiLt., La ques-
tion de récriture linéaire dans la Méditerranée
primitive, in Rer. Archéul., 1"J03, 1, p. 213, sq.,
qui combat cette thèse.)
(3) Cette simplification de l'écriture était
déjà un grand progrès ; mais elle avait be-
soin d être reprise et complétée ; au début,
l'alphabet ne comprenait guère que des signes
répondant aux sons des consonnes (araméen,
phénicien, hébreu). Les Sémites lui adjoigni-
rent une accentuation pour figurer les sons
voyelles (hébreu moderne, arabe), tandis que
les Aryens (grec, zend, sanskrit augmentèrent
le nombre des lettres pour répondre à ce besoin.
(i) Les alpliabets sémitiques se rattachent
à trois ou quatre grands courants |)arallèles :
1" le phénicien qui, à l'époque roniaiiie, abou-
tit eu Afrique à l'écriture néo-punitjue ;
2° lancien alphabet hébreu, dont le samari-
tain est un rameau détaché qui a séché sur
place ; 3° l'écriture araméciine. qui a donné
naissance, d'une part à l'hébreu carré et au
palmyréen ; de l'autre, au nabatécn, au sy-
ria(|ue et à 1 arabe ; 4" récriture himyarite, à
laquelle il convient de joindre lali)habet des
inscriptions, que l'on trouve dans le désert
du Sala. Enfin, il faut encore rattacher à
l'écriture araméenne les anciennes écritures
de l'Inde, qui ont donné naissance au déva-
nàgari et à tous les alphabets modernes usi-
tés dans l'Asie méridionale. (Ph. Berger,
Ilisl. de l écriture, 1891, p. 1()7, sq.)
296
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
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Tableau donnant la filiation des principales écritures.
LA PRÉPONDÉRANCE ÉGYPTIENNE -297
prouvée; on a, en ces derniers temps, cherché à nier cette ascen-
dance et à faire remonter à d'autres sources l'origine de nos
lettres. Ces essais, bien que devant èlrc abandonnés, n'en sont
pas moins fort intéressants, car ils montrent que, si l'évolution
chananéenne prévalut, elle ne fut pas la seule.
Flinders Pétrie a montré dans le tableau ci-joint (p. 29/i) tout
le parti qu'on peut tirer des tentatives anciennes de simplifica-
tion des signes ; mais je ne partage pas son opinion au sujet des
déductions ([u'il croit pouvoir en tirer.
Ainsi la Phénicie fut, pour ces temps, le grand agent civilisa-
teur du monde, non qu'elle eut par elle-même une culture très
élevée; mais parce que, servant d'intermédiaire, elle répandit au
loin les idées, les industries et les arls de ll^gypte et de la
Chaldée.
Vers le Liban, la Palestine et la mer Morte, des mouvements de
peuples s'opéraient, issus d'I']gypte. De nouveaux venus, les Hé-
breux, profitant de la division des peuplades syriennes, envahis-
saient peu à peu les districts de Galaad et de Chanaan.
La tradition biblique nous a transmis avec amples détails la
légende de cette migration (1); curieux récit qui, dégagé du côté
Écriture phénicienne (2).
mystique, est uni({ue en son genre. 11 narre, en efîel, tous les
actes des émigrants, leurs succès, IcMirs défaites, leurs espoirs
et leurs désespérances. Cette histoire est celle de tous les peu-
ples qui, dans ces temps de barbr.iie, ont changé de pays;
mais elle est la seule dont le récit vraisemblable et détaillé soit
parvenu jusqu'à nous.
{[) C(. Ed. Bev»s, 1(1 Dible, Ancien Tcshimenl. Baal-lal)nnoii son Seigneur, des prémices de
Wellhausen, Proleijomena zur Ge.tcliichle Is- l'airain... Inscription la plus ancienne connue
rael. en longue phénicienne de la Coupe du dieu
(i) ... Sôken de Kartliadast, serviteur de Hi- Liban (x' s. av. .T.-C; Cf. Corp. In.'scr. sem ,
ram, roi des Sidoniens. Il a donné ceci au 1" partie, t. I, jil. IV, pp. 22-26.
^298
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
OM/-
C'est à l'époque de Ménephtah (1) ou de Séti II (2), vers le
temps où le Delta était menacé parles Lybiens, que les Israélites,
|)roritant d'un moment où leurs maîtres étaient absorbés par la
défense du territoire, s'échappèrent
d'Egypte et, tournant la ligne des
forts de l'isthme, en suivant les pla-
ges de la mer Rouge (3), s'enfon-
cèrent dans le massif du Sinaï, se
dissimulant au milieu des monlagnes
et parmi les nomades, leurs parents,
mal soumis aux Pharaons.
Depuis l'expulsion des pasteurs,
l'Egypte s'était montrée dure pour
tous les étrangers restés sur son territoire; elle avait appris
à connaître ses hôtes (5) et les traitait en conséquence ; mais pour
les Hébreux, qui n'avaient point été ])ellig(''rants, la mesure était
particulièrement sévère et la transition brusque.
En même temps que les Pharaons craignaient (h' nouvelles
Graffilo phénicien des mercenaires
de Psammélique P'ou de Psam-
métique II (de 650 à 595 av. J.-
C.) sur l'un des colosses du
grand temple dipsamboul (4).
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Décalogue samaritain de
Naplouse (<>).
V '\)S7t)jv'^l^viJV'v] -Ul -^(11*1
Inscription nabalhcenne (7j.
tentatives delà part des Asiatiques, ils se vengeaient sur eux des
maux qu'avait souflerts l'Egypte de la part de leurs congénères.
(Ij C'est sous Menephlali, qu'apparaît
pour la première fois dans les textes égyp-
tiens le nom d'Israilou. " Israël est déraciné
et n'a pas de graine. » (Cf. Ph. Vnu;Y, Note
sur le pharaon Mene|)litali et les temps de
lE.xode, dans la Rec. biblique, 1900, )>. f)85. —
Deiber, La stèle de Meneiditah et Israël, in
Reu. bibl., 189'J, p. 267, sq.) — W. Spiegei.berg,
Die Ersle Ervahnung Israël in einem a^gy|>lis-
chen Te.xte, in Sitzunijxberirhii; der K. preus.f.
Akademie zii Berlin, "l8ilG, XV, p. 593. — G.
Maspero {Ilisl. II. pp. 430 et 443, sq ) traite
des Apouriou, qu'on avait cru pouvoir identi-
licr avec les Ilélireux, identification aujour-
<l hui rejetée.
{■2) Cf. E. DE RouoÉ, Examen critique de l'ou-
vraqe de M. le citev. de Bunxen, 2' partie,
p. 74.
(3) Exode, I, 14; XV, 1-10.
(4) >■ Cussaï, fils d Abdpaam, préposé aux... »
(Corpus Inscr. sem., 1" partie, n° 112.)
(5) Cf. M.\MJTU0>J, ds JosepI). contra Apio- ^
nem, 1. XXVI, XXVII.
(ti) W. Wrigut, Proc. of the Soc. o/ Bibl.Ar-
chaeol., 6 nov. 1883, p. 2R.
(7) Cf. Pli. Berger. Nouvelles Inscriptions,
n" 19, Euting, n» 2 — In., Ilist. de lécriiure,
1891, p. 274-5 (1" s. de notre ère) (Arabie), val-
lée d'El liedjr.
(1) Dapvès G. Maspc.0, UisL anc. des pc.ule. cie lOneni classique, l H, P- G83.
300
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Tous étaient placés en servitude sous une étroite surveillance (1).
Jadis bien accueillis sur la terre du Nil (2), les Israélites, devenus
presque les maîtres du pays sous leurs parents les pasteurs (3^,
se trouvaient subitement tombés au rang d'esclaves {!\). Ils s'en-
fuirent, ne sachant certainement pas où se fixer ; leurs hésita-
tions dans le Sinaï en sont la preuve. La police égyptienne, après
avoir, semble-t-il, faiblement tenté de les reprendre sur la fron-
tière, ne se préoccupa guère d'eux par la suite.
Au Sinaï, ils s'arrêtèrent dans les gorges et les vallées où ils
trouvaient de l'eau (5), n'osant ni gagner la Syrie, ni revenir sur
leurs pas, attendant les événements; ils errèrent longtemps, qua-
rante ans, dit-on. Là, ils souffrirent de la faim, car le Sinaï est
une terre aride, et peu à peu reprirent la vie nomade de leurs
ancêtres. Lorsque, poussés par le besoin, ne conservant aucun
espoir de rentrer en hommes libres dans la terre du Nil, ils se
décidèrent à gagner le Nord, ils étaient redevenus Bédouins.
Ce flot, avec ses tentes, guenilles tendues au vent, ses trous
peaux, son bétail chargé des bardes et du peu de biens emporté
(1) Cf. Chabas, Méhiivjes é<juploloiji<jues,
i" série, pp. 108-165.
(2) Exode, I, 8.
(3) La légende bililiriue de Joseph, fils de
Jacoi), usant du crédil qu'il a su se créer pour
servir les intérêts de sa tribu, est l'un des
traits caractérisant le mieux les habilelés du
peuple hébreu. Un rôle analogue a fréquem-
ment été joué à la cour des pharaons |)ar des
Sémites araméens ou cliananéens qui, profi-
tant des préoccupations politiques de leurs
maîtres, s immiscèrent dans les affaires el de-
vinrent des favoris. Ben .Vzana sous Mc-
nepbtab, Arisou sou.s le règne suivant, L'in-
khanou en Chanaan sous Aménopbis IV.
(Cf. Maspei'.o, ///.s/., h, pp. 438 el ViO. —
WmcKLKR, Die Thontafcin, 61^ 31, sq. ; GC), 1.5,
sq., etc.)
(4) Exode, I, 11-14. On jugera des conditions
dans lesquelles vivaient les esclaves et con-
damnés au.\ Iravau.x, d'aiirès le récit suivant
d'Agalharchidès, qui, au deuxième siècle
av. J.-C, vécut à la cour des Plolémées
(d'ap. DiODORE DE Sicile, Bibl., III, 12-41 et
Photios, Cod., COL, 11. — .V.-J. Delattise, le
Pays de Chanmin, 180G, p. 80, noie 1). « Les
rois d'Egypte envoient aux mines (de la fron-
tière nubienne) les malfaiteurs condamnés,
les prisonniers de guerre, et même ceux de
leurs sujets qui ont succombé à des intrigues,
el que la disgrâce a fait tomber dans les fers.
Ces derniers sont envoyés jiarfois seuls, par-
fois avec toute leur parenté... La multitude
des gens ainsi livrés esl mise aux entraves ;
elle supporte le labeur sans relâche ; aucun
repos ne lui est accordé et, grâce à une sur-
veillance jalouse, aucune évasion n'est pos-
sible... En ce (pii concerne la santé, on n'a
aucun souci île ces malheureux, dépourvus
même d'un haillon pour couvrir leur nudité
(excepté les femmes, d'ajjrès le texte de Pho-
lius), et personne ne peul voir un tel excès
de misère sans se sentir ému de compassion.
Ni le malade, ni l'estropié, ni le vieillard, ni
la femme si faible, personne en un mot, n'ob-
tient ni indulgence, ni relâche. Les coups re-
lienuenl, lion gré mal gré, tout le monde au
travail, en allendant la mort, suile inévitable
de si mauvais Irailemenis. Ces mallieiireux
reilouleut l'avenir encore plus (pie le pré-
sent, tant est grand leur sup|)lice, el ils pré-
fèrent la mori à la vie. » Celte fa(;ou de trai-
ter les condamnés sous le régime adouci des
Plolémées permet de se faire idée de ce cpii
se passait au (piinzième siècle av. J.-C. dans
les mines de Nubie, du Sina'i. et dans les
grands chantiers de construction ouverts
après le déi)art des Ilyksos pour la restaura-
tion de rEg\pte.
(5) La principale de ces vallées esl celle
dile Wadi Faran, où coule une petite rivière.
Elle esl située au pied du pic le |)lus élevé de
la pres(pi île. C'est là que les traditions pla-
(;aient les fails miraculeux dont Moïse aurait
été témoin Les premiers chrétiens y construi-
sirent des monastères et des églises, dont on
voit encore les décombres ; les cénobites se
creusèrent des demeures dans les rochers.
Mais, constamment inijuiétés par les nomades,
ils durent abandonner Wadi Faran, el s'ins-
taller au Sina'i actuel, dont la basilique date
de l'époque de Justinienll. (J. M., Voyage de
1800.)
LA l'UKPONDÉRAXCE KGVPTIENXE
301
d'Égyf)lP, s'écoula en longue traînée par la dépression joignant la
mer Morte au golfe d'Akaba, ancienne vallée du Jourdain. Dans ce
désert, ses étapes furent marquées par les points d'eau; mais tous
étaient déjà occupés, il fallut les con(|U('rir.
D'autres tribus bédouines, les Kénites, les Madianites, les Édo-
mites, qui déjà flottaient en ces lieux, les joignirent et après un
séjour prolongé dans la
région de Kadesh (1), la
horde entière continua sa
route vers le Nord.
Les Hébreux, comme
d'ailleurs beaucoup de peu-
plades nomades de ces
temps (3), étaient alors ré-
partis suivant douze (?) tri-
bus (fi), groupes d'importance inégale obéissant tous à un même
chef, leur guide ; Moïse d'abord, Josué ensuite, suivant la tradition.
Ce chef, malgré tous ses efTorts pour en imposer par la reli-
gion (5), n'avait qu'une autorité bien relative; car, à peine sorties
des pays arides, les tribus se divisèrent. Juda, Lévi, Siméon, joints
aux Kénites, s'arrêtèrent pour un lem])s dans le ])ays d'ilébron (6),
laissant le gros de la nation avec les Edomites et les ^ladianites
Inscriplion palmyréenne de la statue de Zéno-
bie, d'après un estampage de M. J.-E. Gau-
tier (2).
(1) Aujourd'hui Ain Gadis. Cf. C. Tbumbull,
A visil lo AïnQadis, the supposed site of Ka-
desh Barnea, in Pal. Exploi. Fund. Quart. SI.,
July, 1881, p. 208, sq. Les ruines de villes cha-
nanéennes sont nombreuses (Cf. H. Vi.ncent,
Canaan. 19)7, chap. I, p. 23, sq.);les principales
découvertes jusqu'à ce jour sont: Tell el Ilesy,
Tell es-"^afv. Tell el Moutésellini, Tell Zaka-
riyâ. Tell ta'anak, Tell Sandaliannah, Tell
Djezer, Tell Djedeideh, Oplie 1 (Jérusalem pri-
mitive), etc.. Epaisseurde quelques murailles:
Gazer, muraille du vingt-neuvième siècle au
quinzième. 3 m. 35; muraille du quinzième siè-
cle, 4 m. -25; Tell elHésy, 5 m. 20 à 3 m. 50; Tell
esSafy. 3 m. 66; Megiddo, 8 m. 60 (Cf. H. Vin-
cent, op. cit.). Le rempart de Lâchis (dix-
huitième siècle av. .I.-C.) est fait de briques
crues, séchées au soleil etdonlla pâte est mé-
langée de paille hachée. (Bliss. A .Ùound, pp. 22
et 44. — F. Pétrie, Tell el Hcsi/, p. 21.) Ce
mode de construction, prodigieusement ancien
en Chaldée. se retrouve en Egypte dès l'épo-
que de Mènes.
(2) Statue de Septimia Batzabba'i (Zéno-
biei. Illustre et juste |1 reine. Les Septimiens
Zabda, général en || chef el Zabbaï, général
de Tliadmour (Palmyre), les très puissants, ||
l'ont ériiféc à leur souveraine. Dans le mois
de Ab de l'année 582 (août 271). «
(3) Les Edomites avaient douze tribus, aux-
quelles était adjointe une tribu illégitime, celle
d'Amalek {Genèse, XXXVI, 4-14; 16-22); les
Nakhorides (Genèse, XU, 20-24); les Ismaélites
(Genèse, XV, 12-16) et les Qétouréens (Genè.^e,
XXV, 1-6) étaient dans le même cas. (Maspero,
Hist. anc. peupl. Orient, \' éd., 1893. p. 302,
note 1.)
(4) 1. Ruben, 2. Siméon, 3. Lévi, 4. .luda,
5. Issakhar, 6 Zébulon, 7. Joseph, 8. Benja-
min, 9. Dan, 10. Naphtali, 11. Gad, 12. Ashs-
her. Piépondant aux noms des douze fils de
Jacob, 1 à 6 descendant de sa première femme
Léa, 7 et 8 de sa seconde Rachel, 9 à 11 des
servantes de son harem.
(5) Au souvenir du Sina'i resta, pour les
Hébreux, attachée l'idée de la demeure divine
(Cf. Cantique de Déborah (Jaijes, eh. V, v. 4-6),
Deuléronome, XXXIII, 2; Ùahlnilaik, 111,2;
Psaumes, LXVIII,8-9, etc.).— Sur le sommet de
la stèle des lois de Hammourabi, le dieuCha-
mach (le Soleil) est représenté remettant au roi
le burin avec le(]uel il doit graver les lois dic-
tées par la divinité. C'est ainsi que Moïse
re(;ul les lois de Dieu sur le Sina'i, que le
prince DoudouPhor, (ils de Menkéri (IX' dyn.),
découvrit aux lueds du dieu Thot. à llernio-
polis, le XLIV« chapitre du Livre des morts.
(6) Cf. B. Stade, Geschichle des Volkes Israël,
pp. 131-132.
302 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
continuer sa route par la rive orientale et la mer Morte.
Ces neuf tribus et leurs alliés longèrent les pays de Moab et
d'Ammon, peuplés de congénères que, s'acheminant vers l'Egypte,
les Hébreux avaient laissés des siècles auparavant.
Il semblerait que ces peuples leur eussent accordé libre pas-
sage sur leurs terres ; car ils s'avancèrent encore et lentement pri-
rent possession du pays de Galaad (l), district situé au nord de
celui des Ammonites, sur la rive gauche du Jourdain.
Là, ils rencontrèrent des peuples dès longtemps fixés dans le
pays, les Amorrhéens et les Bashamites, contre lesquels ils eurent
à lutter; eux nomades, forts par leur mobilité,
rilWIîA'rtlnX^ toujours en mesure de harceler ou de fuir,
î^ ]^A ^a>I S guerroyant contre des populations sédentaires,
HALVIUV? Tl S attachées au sol et que l'insécurité perpétuelle
iiirMi Ai Hp^ devait forcément abattre. Peu à peu ils les
*^Yhf(IÎH absorbèrent.
Écriture Himyariie^ Galaad devint leur centre; de là, ils pous-
sèrent jusqu'aux contreforts du Haurân, jusqu'à
Kénath (3) ; mais, devant des forces supérieures aux leurs, du-
rent rétrograder. Ils se tournèrent alors vers les autres peuples
leurs voisins, et malgré leurs incursions continuelles, les razzias
qu'ils opéraient sans relâche, ils ne parvinrent ni à s'enrichir,
ni à se procurer de nouveaux territoires.
A la longue, le pays de Ghanaan fut enfin conquis. Jéricho forcé,
les Hébreux s'y installèrent ; mais, rétablis de leurs revers, les
indigènes (/i) tentèrent un premier edbrt pour chasser ces intrus.
Une coalition des Chananéens du Sud se forma, commandée
par Adonisédek, roi de Jébus, et fut défaite ; une autre, ayant à
sa tète Jabin, roi d'Hazor, fut également écrasée et les vainqueurs
massacrèrent les vaincus.
Dès lors, chaque tribu commença de guerroyer pour son propre
compte, en quête de butin et de terrains ; c'est ainsi que les Am-
monites furent absorbés.
Dans les montagnes de l'ouest de la mer Morte, les tribus de
(1) Galaad rapi)elaitaiixlsi'aéliles les noinsde (3) Cf. Stade, Gescli. d. Volkes Israël,
leurs ancôtres Esaii, Laban, Jacob. (Cf. Ge- pp. 148-152.
Mè.s-e, XXIII, V. 2-3, v. 23-33.) (l) Beth-Anat, Bet-Shemesh, Magiddo, Taa-
(2) Cf. I. et A. DEiiENBOURC, £/ade.s- sur /Vp/- nak, Beth-Sheàn, Sichem, Jébus, Gibéon,
graphie du. Yémen.V sëv\Q{Aans Journ. Asiat.) Guézer, Aialon, etc. {Juges, l, 21, sq.), places
Paris, 188i, pp. 36 et 51, n" 6. « Cippe de Ksm. fortes chananéennes, avaient conservé leur in-
fîls de Daf. a... et puisse Athtar l'oriental dépendance.
frapper celui qui le détruirait. »
LA PRÉPO.XDÉRANCl-: KGVPTIE.NM-: 303
Lévi et de Siinéoii presque détruites, joignirent leurs restes à
celle de Juda (1) ; tandis que leurs alliés, les Danites, plus
habiles, réussirent à s'emparer de Lais, colonie sidoniennc où ils
s'installèrent, après en avoir massacré toute la''|)()j)iilalion (2).
Presque partout les Hébreux tenaient la campagne, vivant sur le
Hébreu carré (I" s. de noli-e ère) (:5).
pays; mais ils ne j)arvenaient (pie l'arement à s'emj)arer des villes
chananéeunes qui, presque toutes, grâce à leurs murailles, conseï'-
vèrent pendant longtemps leur indépendance. Les nomades, c'est
une règle, ne peuvent s(» tlécider au siège dos places fortes (/i).
11 résulta de cette situation une extrême division politique des
<listricts envahis et partant, des luttes perpétuelles.. Du haut d(;
leurs citadelles les Ghananéens assistaient journellement à la
razzia de leurs cultures, au massacre de leurs campagnards, voire
même aux combats entre tribus israélites ; car elles ne s'épar-
gnaient pas entre elles.
Dans ce désordre les Hébreux, abandonnant leurs vieilles tra-
ditions, s'allièrent aux femmes indigènes; et, méconnaissant
Yahwê, adorèrent les dieux étrangers (5).
Les Amorrhéens, les Moabites, les Philistins, cherchant à i-éagii*
contre les incessants brigandages dont ils étaient victimes, furent
vaincus à leur tour. Cette lutte de toutes les peuplades syriennes
entre elles et contre les Bédouins du désert dura de longues années ;
et l'avantage ne resta jamais bien longtemps aux mêmes mains,
(1) Cf. Genèse, XLIX, v. 7; Josué, XIX, 1-9; {'->) Jiujes, 111. .'i-7. La (■on(iin''Le<''gy|ilienne no
I C/i/'on., IV. 24-43. semble pas avoir apporlé de niodificalions
(2) Juges, XVIII, I, 27-31 . fonfiamenlalesdans les concepts religieux clia-
(3) Cf. DE Vogue, Rev. avch., t. IX, I8Gi, nancens. L'intr()<lnclion de quelques diviniirs
p. 200 sq., pi. VI, d'un des sépulcres de la nouvelles (Amon) el de (pu'hiues objets du
vallée deJosapbal. — « Ceci est le tombeau et culte jieuvenl nélre que lelTet de la servilité
le [monument] : 1° d'Eléazar, Onias, Joazar, des Sémites conquis. Il n'e.xiste depuis l'Oronte
Juda, Simon, Johassan, fils de .Jamah (.'), fils jusqu'aux frontières du Sinaï aucun vestige de
d'Azar;iahj; 2° de... fils d'Eléazar; ;.des| fils sanctuaire égyptien preuve certaine <|ue les
d'Onias .., d'entre les Benè-Hézir. pharaons ne tentèrent pas d'inqioser leur cuite
(4) La plus ancienne preuve de l'e.xistence de au dehors. (Consulter sur les trouvailles d'objets
forleresseenpaysdeChanaanqiiisoitparvenue cultuels égyptiens en Palestine :II. Vincent,
jusqu'à nous est une fresque découverte par Canaan, l'JU7, ]). 447. — Sciiu.M.iCiiliR, Mill. d.
Fl.Felrie à Desbasiieli et représentant le siège, Deulsch. PaUi.st. Vereinx, 1904, p. 55. — Bliss,
par les Egyptiens, d'un château fort des Sali A Moand, p. 40, 67. — M.\CAUSTiiR, Quai., Slal.,
par un officier nommé Anti, pour un pharaon 1903, p. 213; 1904, p. 15, etc.)
de la V" dynastie (vers 3600 av. J.-C).
304
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
aucune de ces principautés n'ayant la force nécessaire pour établir
sa suprématie.
Çà et là, quelques tentatives d'organisation d'un pouvoir royal
échouèrent. Le peuple de Manasché établit à Ophra(l) un royaume
dont Jéroubal fut le chef et Abimelech lui succéda, bien que n'ayant
aucun droit à la couronne. Ce premier royaume n'eut d'autre
objectif que de piller et de rançonner les caravanes, de razzier
tous les pays voisins. Sichem se révolta, elle fut détruite; enfin
Abimelech ayant péri d'un coup de pierre devant Tébez qu'il
assiégeait (2), son royaume disparut avec lui.
Pendant cette période, celle des Juges de la Bible (3), la Syrie,
livrée à elle-même, ne se trouvant contrainte ni par l'Egypte qui
avait abandonné ses territoires asiatiques, ni par les Hétéens dont
la puissance s'éteignait peu à peu, ni par l'Assyrie dont les armées
n'avaient point encore franchi l'Euphrate, se débattit dans la plus
affreuse anarchie.
Tour à loiir et pour un temps très court, les peuples les plus
forts dominèrent les autres et de tous, il semble que ce soit les
Philistins (/|) (qu'on a longtemps pensé d'origine Cretoise (5) ou
carienne ((5), alors que sûrement ils sont Kgéens) qui, installés jadis
dans le pays par les Piamessides (7), exercèrent la suprématie la
plus durable.
(1) Ophra (1 Aljiézur, dont rem])lacement est
inconnu.
(-2) Cf. Stade, Gesch. d. Fo/A-e.s- Israël,
pp. 190-101.
(3) Sortes de héros spéciau.x (sophet) à cha-
que tribu, mais n'ayant aucune autorité sur
l'ensemble de la nation. Ehoud (tribu de Ben-
jamin), Japhtéh (Galaad), Gédéon (Manasli-
shé), etc.
(4) E. Renan {Hisl. gén. des langues sémili-
ques, 4« éd., t. 1. pp. 5:i-55 ; Ilist. peuple Isriiël,
II, pp. 24-33) considérait les Piiilistins comme
d'origine Cretoise et leur attribuait un dialecte
gréco-latin. Ce dialecte se serait perdu après
leur arrivée en Palestine, car à la XXIP dy-
nastie on parlait, chez les Philistins, la langue
chananéenne (Cf. Chassinat, Bull. Insl. Fr.
Caire, I, 1901. pp. 98-100.). Cette origine Cretoise
acceptée par M. W. Max-Miiller entre autres
(Mitt. der Vorderasialisrhen Gesellschafl, 1904,
2, pp. 14-15), semble cependant encore fort
douteuse, k II semble que les Egéens qui, lors
des mouvements des peuples de la mer contre
l'Egypte, s'installèrent en Palestine, apparte-
naient à diverses tribus : au premier rang les
Poulousali ou Philistins qui donnèrent leur
nom au pays, puis des Cretois et des Pheléti.
L'origine de ces derniers, tout comme celle
des E'oulousali, resta indéteiminée ; jusqu'ici,
la qualification d'Egéens leur est seule appli-
cable. (R. Dussaud, Questions mycéniennes, ds
lieu, de l'hist des religions, 1905, tirage à part
p. 31.)
(5) Juges, III-IX.— IIitzig. Urgescli. u. Mglho
log der Philislaeer. p. 14, sq. — GiiNESius,
Thesanrus. au.x mots Caplhor, Erelhi, etc. —
EwALD, Geschichle des Volks Israël, I, p 325,
sq. — Bertheau, Zur Geschichle der Isr lelilen,
p. 188, sq — MovERS, Die Phœnizier. I, pp. 3-4,
10. 27-29, 33, sq.; 663. — Tucn, Commenlar iiber
die Genesis, p. 213. -— Lengerke, Kenann. I,
p. 193, sq. — KnObel, Die Vœlkerlufel der Ge-
nesis, p. 215, sq. — MuNK, Palestine, p. 82, sq.
rc) II Sam., XX, 23. — II Rois, XI. !, 19.—
IlSom , VIII, 18. Hakréli est un nppollatif et
non un ethnique (R. Dussavd, Ilev. hisl. relig,,
1905. Ouest. Mijc, tirage à j'art, |i. 32, note 1.)
(7) Le territoire qui leur fut concédé, enlre
la Syrie, la mer et le désert, s'étendait du tor-
rent d Egypte aux environs de .Joppé.dont cinq
villes importantes [lar leurposition stratégique,
Gaza, \scalon. Ashdod. Ékroii '•', Galh, com-
mandaient les débouchés de I.T Palestine et les
abords de l'Isthme de Suez. (G. Maspero, llist.
nnc. des peuples de l'Orient, V' éd., 1893. p. 313.
313, et note 4. — Fr. Lenormant, Hisl an-
cienne, t. I, p. 207-208.
LA riŒl'ONDKUA.NCE ÉGYPTIENNE
305
Cependant, grâce à plusieurs expéditions heureuses contre les
peuplades de la Phi listie, Saûl,chef de la tribu israélite de Benjamin,
était parvenu à grouper (|uel(|ues districts sous son autorité.
Enfin (1) David, un aventurier, secoua le joug (|ui pesait sur
les Hébreux (2) el, groupanl auloiif de lui les mécontents, sans
distinction de nationalité, fonda le royaume juif; non sans des
luttes acharnées conlre les anciens maîtres, et aussi contre les
peuples soumis [)ar les Philisliusen même temps que les Hébreux.
Jérusalem, l'ancienne Jebus des Chananéens, fut choisie comme
capitale du nouvel Etat (3) et fortifiée {!\).
Profitant de la division du pays, de l'antagonisme des divers
roitelets et surtout de l'inattention des grandes puissances, David
s'empara de toute la Palestine et de toute la Syrie, réduisit à son
obéissance Damas, MaaUha, Piohob, Zobah, Ilamath, Moab ; mais
n'entama pas les domaines de Tyr et de Sidon. Il étendit son
pouvoir depuis les rives de l'Oronte jusqu'aug olfe d'Akaba, depuis
les frontières de Phénicie jusqu'au désert syro-arabique et, en un
seul elfort, forma son royaume, im])osant sa domination par des
cruautés dignes des rois d'Assyrie.
En Idumée (5), Joab fit égorger toute la partie mâle des vain-
cus ; àMoab(6), les deux tiers de la population fut de sang-froid
mise à mort. Les Ammonites, « on les mit sous des scies, sous
des herses de fer, sous des haches, on les fit passer par les
fourneaux où Ton cuit la brique (7) ».
Partout ce ne furent que massacres, égorgements, tortures et
finalement pillages. Les dépouilles des victimes furent agréables
à Yahwé ; comme, quel({ues siècles plus tard, celles de la Judée
elle-même devaient remplir de joie le cœur d'Assour.
(1) Les années qui précédèrent l'apparition
de David sV'Toulèrent en luttes perpétuelles
des Hébreux conlre les Philistins. L'intérêt de
ces guerre:^, n est d'ailleurs que local Cf.
Stade. Geschichte des Volkes Israël, p. 160. sq.
(2) II Sam.. V, 17-25. — I Chroiu, XIV,
8-17. — I Chron.. XVIII, 1. —Cf. Stade, op.
cil , p. 2»;5-Jt)7.
(3) Salomun s'efTorça d'établir dans sa capi-
tale, près (le sa résidence, le centre du culte
de son petiiile, mesure politique continuée par
tous les d\ nastes israélites, el d'établir ainsi un
culte national. " Les monarques juifs des deu.x
royaumes essaient vainement (le centraliser
le culte dans leurs capitales et chacun à l'om-
bre même ih son palais ; celte religion officielle
el national- mettra de longs siècles à triom-
pher des cultes locau.x, issus du sol, àcecpril
semble, plus encore qu'ils ne sont inhérents à
une race.» (II. Vincent, Canaan, 1907, p, l.'il.)
(4) L'arrivée des Hébreux au pays de Cha-
naan semble avoir introduit des méthodes
nouvelles dans la construction. Alors que les
Chananéens ne connaissaient que l'appareil
polygonal en matériaux à peine dégrossis, les
Israélites font usage de blocs équarris de cal-
caire. (Cf. H. Vincent, Canaan, 1907, p. .59.) Les
nouveaux venus avaient bien certainement
appris en Egypte les jirincipes de construction
qu'ils appliquèrentjtrès gauchement d'ailleurs,
à Tell Ta'anek (Cf. Sei.li.x, Tell Tuanak, p. 21,
sq., pi. 1), mais d'une manière beaucoup plus
habile à Jérusalem.
(5) I Rois, XI, 15-11^.
(fi) II Sam., X-XII; I Chron., XIX-XX.
(7) II Sam., VIII, 2 ; I Chron., XVIII, 2.
2Ô
306 LES PREMIÈRES CIMLISATIONS
Et ce royaume, qu'était-il, même au temps si court de son
apogée, sous David et Salomon (1) ? Un district montagneux,
pauvre, à peine long de 200 kilomètres et large de 150, même
pas une province des empires asiatiques; vingt auties princi-
pautés tributaires de l'Egypte, de l'Assyrie ou de la Perse ont,
plus que lui, des droits à figurer dans l'histoire ; et, cepemiant,
l'imagination des exégètes bibliques l'avait tellement grandi
qu'il y a peu d'années encore on lui accordait une importance
dominant toute l'antiquité orientale.
Aujourd'hui que, grâce aux nombreux textes antiques nouvelle-
ment découverts, il est aisé de comparer l'état d'esprit des Hé-
breux et leur valeur politique à ceux des autres peuples asiati-
(jues, ils se montrent sous leur vrai jour. Ce n'était qu'une peu-
plade sémitique comme les autres, douée des mêmes vices et des
mêmes qualités ; rien de plus, rien de moins.
Les récentes investigations en Palestine (2) ont jeté une lumière
toute nouvelle sur les progrès de la culture dans I(\s pays bibli-
ques, connus autrefois seidement ])ar des traditions souxcut dou-
teuses, toujours tendancieuses. Les ruines interrogées j)ar d'ha-
biles observateurs (3) ont montré que la succession des faits coïn-
cide, comme il fallait s'y attendre, avec les lignes fournies par
l'histoire générale asiatique.
Au début, de[)uis les temps préhistoriques les j)lus anciens
jusqu'aux environs du vingtième siècle avant l'èie vulgaii-e, les
peuples palestiniens seraient, suivant quelques auteurs, demeu-
rés à PEtat néolithique.
Celte date apj)roximalive du vingtième siècle ne saurait, à mon
sens, être acceptée ; car il est inadmissible que la Syrie, placée entre
deux foyers très anciens des connaissances métallurgiques,
exposée à de fréquentes invasions asiatiques dont nous jîossé-
dons d'exactes notions, se trouvant sur le passage des relations
commerciales entre l'Egypte et la Chaldée, en contact constant
(1) Salomon reconnaissail la suzeraineté du (3) Les principaux ouvrages à consulter
roi d'Egypte, recevait une de ses filles en ma- sont : Zeilschrifl des deul. Palaslina-vereins. —
riage, adorait ses dieux et les honorait en face Milllieilunyen u. Nachrichten des deiit. Palds-
de Yahwé. (H. Vincent, Canaan, 1907, p. 4(55.) tina-L'ereins . — Quarlerii/ slatenienl Palestine
C'est par les Hébreux seuls que nous connais- Exploration Fiind. — Bévue biblique.— Procee-
sons celte alliance de la fille du pharaon avec dimjs of Ihe Soc. biblical Arcliaeoloijij. —
leur roi ; et il est permis de douter de lu sin- Ci, eumont-Ganneau, Reçue// d'Arc/jeo/oy/V orien-
cérilé de cette assertion. taie, 1899. — Perbot et Chipiez, Hist. de l'art.
Ci) Cf. H. Vincent, Canaan, Paris, lib. t. 111, etc.
V. Lecoffre, 1'j07.
LA PRÉPONDÉRANCE ÉGYPTIENNE
307
par nier avec les civilisations égéennes et ci'étoises (1), soit de-
meurée ignorante des métaux (2).
Les antiques migrations des Chaldéens se rendant dans la val-
lée du Nil la traversèrent; les armes élamiles la con({uirent, de
même que les empereurs suinéro-aklcadiens (3) ; les Hyksos la
j)arcoururent. Puis les hommes d'Abraham {!i) y laissèrent les
peuples d'Ammon et de Moab; elle eut dès la haute antiquité des
contacts directs avec les Sémites de l'iMiphi-ate moyen et, forcé-
ment, connut de 1res bonne heure les arts utiles, tels que la mé-
tallurgie, la construction et la céramique (5). C'est donc vers l'épo-
que des premiers mouvements des Asiali(|ues vers TÉgypte ((u'il
<;onvient de reporter les débuts de l'étal énéolilhique en Cœlésvrie,
soit antérieurement au quatrième milléniuni avant notre ère.
Les indices sur lesquels ou s'était basé pour abaisser réj)oque de
ce fait ne peuvent avoir été que mal interprétés.
Dans ces pays relativement pauvres, le j)rogrès peut ne s'être
fait que lentement ; aussi est-il possible d'admettre une longue
durée de la civilisation énéolithique. En Chaldée, en Egypte, pays
riches, la période d'incubation n'exigea-t-elle pas des dizaines de
siècles ? Puis, cette culture se modifia peu à peu, évoluant sur
elle-même et profitant de maintes influences. L'arrivée d'élé-
ments et]i]ii(|iies nouveaux forma l'état social dit chananéen, dont
(1) La seule route entre la Chaldée et
l'Egypte remonte l'Euphrate jusqu'à Deir el
Zor ou Mesqueneh. gagne la montagne, tra-
verse la Palestine, suit la côte de la Médi-
terranée ou celle du golfe d'Akkaba et entre
en Egypte par Péluse ou Suez.
(2) i^a connaissance du métal en Egypte est
contemporaine de Menés ou quelque peu
antérieure; en Chaldée elle est plus ancienne
que Narâm Sin (3800); on peut lui assigner
dans les deux pays une antiquité supérieure
à 4.000 ans av. J.-C. Si donc en l'an 2000 les
Palestiniens avaient encore été à l'état néoli-
thique, ils eussent vécu vingt siècles entre
ces deux foyers : l'un, l'Egypte, situé à 400 kilo-
mètres ; l'autre, la Chaldée, à 120O (l'Oronte
n'est qu'à 150 kilomèlres environ de l'Eu-
phrate), sans en recevoir le plus précieux des
enseignements, supposition invraisemblable
amenante rejeter la date du vingtième siècle
pour les débuts de l'énéolithique dans la
Palestine.
(3) Cf. G. Maspero, Histoire, H, p. 17, sq. —
ZiMMERN-WiNCKLEH, Die KeiHnsrliriflen und
das Alt. Teslam., 3' éd., p. 15. — L.-'VV. King.
Art. Babylonia, ds. Encyclopedia biblica (de
Cheyne), I, col. 440, § 41.
(4) n fut un temps où certaine classe de
savants était tellement suggestionnée par la
recherche des traces du peuple d'Israël, qu'au
moment de la découverte du tombeau de
Khnoumhotcp (à Béni Hassan] et de la fresque
qu il renferme représentant une caravane, on
y voulait voir 1 arrivée d'Abraham en Egypte
{Genèse, XIL 10, 20), ne doutant pas que les
Egyptiens n'eussent accordé leur attention à
cette insignifiante tribu dont ils étaient eux-
mêmes si féru^.. Inutile de dire que nous ne
connaissons et probablement ne connaîtrons
jamais Abraham ([ue par la Bible. C'est,
semble-l-il, vers le vingtième siècle que les
Hébreux, conduits par leur patriarche, traver-
sèrent le pays de Chanaan.
(5) Bien qu'avant la XVIII» dynastie les
Egyptiens n'eussent pas lancé leur-; armées
en .\sie, ils n'en avaient pas moins des com-
munications avec les peuples de la Syrie
(Cf. Max Mlller, Asien und Europa nach
AUnejuipl. Denkmaelern, p. 2. — G. Maspeuo,
Histoire, I, p. 392). « Les découvertes contem-
poraines en Ctianaan nous ont fait constatera
maintes reprises la trace des Egyptiens, à
des époques parfois fort reculées, le vingt-cin-
quième siècle par exemple, pour l'hypogée de
Gezer,probablement aussi pour les tombes et
un palais de Megiddo. » (Cf. Mittheil. u. Nach-
vichlen d. d. Paliisl. vereins, 1906, p. 50 et 52.^
(H. Vi.NCE.NT, Canaan, 1907, p. 430, note 1.)
308 I^E^ PREMIÈRES CIMLISATIONS
on a voulu placer les débuts au seizième siècle avant notre ère.
Cette dernière date, proposée par quelques archéologues,
semble, elle aussi, beaucoup trop rapprochée de nous; car au sei-
zième siècle, la Palestine était parcourue en tous sens par les
Égyptiens, les Hétéens, les Phéniciens et le degré de civilisation
de ces peuples était trop élevé pour que les pays soumis à leur in-
fluence n'eussent pas très largement bénéficié de leur incessant
contact. D'ailleurs, depuis bien des siècles, la Syrie et la Palestine,
de même que les pays de TOronte et du haut Euphrate, n'étaient-
ils pas sémitisés, la Crète et l'archipel n'avaient-ils pas atteint
l'apogée de leur développement? pourquoi vouloir faire de la Syrie
un îlot de peuples aussi en retard sur le mouvement général ?
Les divisions chronologiques établies pour la culture dans cette
partie de l'Asie antérieure, considérées au point de vue relatif,
semblent être fort judicieuses; mais il n'en est pas de même en ce
(jui concerne les dates pour les raisons énoncées plus haut. Voici,
d'ailleurs, cette classification telle qu'elle est présentée dans les
récentes publications : si j'insiste sur cette question, c'est unique-
ment par suite de l'intérêt majeur qu'elle présente au point de
vue de l'ensemble du développement dans le monde antique.
\ (\). — Entre les origines imprécises de la culture et le sei-
zième siècle suivant les auteurs. [Période amorite (FI. Pétrie), pré-
israélite archaïque (lUiss), indigène (H. Vincent)], civilisation dont
je crois devoir reporter la fin vers le cinquième milléniiim av. J.-C.
Les instruments de silex, les poteries grossières ornées d'inci-
sions, la nature primitive des sanctuaires sont ses caractéristi-
ques. Les populations qui l'ont produite appartenaient probable-
ment aux vieilles races de l'Asie antérieure plus proches des
Sumériens et des Hétéens que des Sémites.
IL — Du seizième au douzième-onzième siècle (auclorum)
[Période phénicienne (Fl. Pétrie), préisraélite postérieure (Bliss),
chananéenne (H. Vincent)]. Longue phase correspondant, cà mon
sens, à l'influence suméro-akkadienne dont le début se perd dans
la nuit des temps et qui semble se terminer avant le vingtième
siècle. Cette civilisation présente non seulement des caractères
spéciaux dus au vieux fond de la population et à sa culture, mais
aussi des analogies frappantes avec celle de la Chaldée.
(1) Les termes proposés par II. Vincent être beaucoup mieux appropriés que ceux
pour désigner ces quatre périodes semblent employés par Flinders Pétrie cl par Bliss.
LA PRÉPONDÉRANCE ÉGYPTIENNE
309
Le métal j)araît faire son apparilion dès les débuis de cette
période. La céramique qui se couvre de peintures est inspirée, dans
sa technique comme dans sa décoration, par les œuvres similaires
de Chaldée et non d'I^gypte (1). Les procédés de conslruclion
sont clialdéens (2). La forlification joue un rôle important et s'ins-
pire des principes suméro-akkadiens (3). Le culte franchement
asiatique [h] donne naissance à des sanctuaires d'une disposition
toute spéciale (5), établis sur les hauts lieux tles anciens habitants;
preuve qu'il s'est fait une sorte de fusion entre les croyances
anciennes et nouvelles.
Au cours de cette longue phase, l'ornementation céramique se
modifie (6), la technique demeurant chaldéenne; elle est d'abord
purement asiatique puis, vers l'époque du développement minoen
se laisse pénétrer par dos influences artistiques occidentales,
III. — Du douzième ou onzième au neuvième ou huitième
siècle (auctorum); [Période juive (Fl. Pétrie, Bliss), Israélite (H. Vin-
cent)] dans laquelle la culture se modifie par suite de l'arrivée des
Hébreux et des contacts de plus en plus fréquents avec les pays
du Nil et de la mer.
Les vieille.s traditions céramiques s'éteignent peu à peu pour
faire place à des formes plus utilitaires (7) qu'artistiques. Les
objets d'importation étrangère abondent (8). La construction
s'inspire des œuvres égyptiennes (9). Le temple remplacera bien-
tôt les hauts lieux chananéens (10). Je verrais j)lutôt dans cette
(1) Cf. J. DE Morgan, Comptes rendus de
l'Acad. des inscr. et belles-lettres, 1907. — Revue
de l'Ecole d'antlirop. de Paris, 1907.
(2) Cf. les observations de Fl. Pétrie au
sujet des constructions de Lâchis en briques
séchéei au soleil (.wiii s. av. J.-C.) {Tell el
Hesi/, p. 21.)
(3) Cf. H. Vincent, Canaan, 1907, p. 29, II.
Foi-tificalion et structure. Les malériau.x, les
remparts. — Les restes du plus ancien rem-
part connu jusqu'à ce jour en Palestine seraient
la muraille antérieure de Gezcr ; elle daterait,
suivant IMacalisterfOurt;^ S/af. Pal. Explor.F.,
1904, p. 203; 1905, p. 28, sq ), de la période s'éten-
dant du vingt-neuvième au quinzième siècle.
(4) Cf. H. Vincent, Canaan, 1907, chap. III,
p. 153.
(5) Tell es Sâfy. (Bliss et Macalisteu,
Excav. in Palestine, p. 31, sq.) Gczer, le plus
important et le mieux conservé de tous ceu.\
découverts jusqu'à ce jour. (Cf. Quart. Slal.,
1903, p. 23, sq.)
(6) Les spécimens les plus anciens montrent
une ornamentalion très voisine de celle (lu'oii
rencontre à Suse etàTepeh Moussian (Poucht
è Kouh), dessins géométriques (H. Vincent,
Canaan, 1907, pi. VI H, entière, lig. 205', repré-
sentations d'animau.x (/(/., tig. 2(JC à 211), se
compliquant {Id , lig. 213, 214), pour enfin sini-
prégner d'influence occidentale {Id., lig. 212,
232). — Sellin, Tell Taanak, (ig. 21. A ce
dernier type appartient le vase du musée du
Louvre, dit de Jériisaleni, tous deu.x présen-
tent nettement le caractère susien.
(7) C'est à peine si, à la IIP période, on
rencontre encore sur les vases quelques gros-
sières peintures. Cet art s'éteint en Ctianaan
comme en Elam, s'atrojjhianl peu à peu et ne
persistant que sous formes de grossières ban-
des colorées ornant les amphores.
(8) Cf. Macalisteh, Quart. St. Pal. Explor.
Fund., janv. 1905, lig. 2. — Sellin, Tell
Taanak, lig. 44, 94, 97, 219.
(9; Cf. Sellin, Tell Ta'annak, fig. 5. Ap]ia-
reil en grossières pierres de taille d'époque
Israélite.
(10) Cf. Perrot et Chipiez, Hisl. de l'arl.
'^[Q LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
transformation une action réflexe des Chananéens d'Egypte, Tin-
'luence des llyksos chassés de la vallée du Nil et aussi des Hé-
breux dont, au début, le rôle ne fut sûrement que bien secon-
daire. Cette période comprend certainement aussi celle des
conquêtes asiatiques de TÉgypte. Elle a donc débuté vers ran 2000
av. J.-C; empreinte d'influences multiples, par suite des progrès
efl'ectués par tous les pays du monde antique et par la Méditer-
ranée indo-européenne nouvellement entrée en scène, cette cul-
ture ne possède plus rien de personnel.
lY. — Du neuvième ou huitième au quatrième siècle [Période
séleucide (FI. Pétrie, Bliss), judéo-hellénique (IL Vincent)].
J'ai dû, pour faire mieux comprendre la vie des peuples pales-
tiniens, sortir des limites tracées par ce chapitre que seules la
deuxième et la troisième période intéresse, l'une concernant les-
peuples sur lesquels l'Hébreu eut à conquérir le sol, l'autre s'ap-
pliquant à la civilisation contemporaine des Israélites.
Pendant que se passaient les événements dont il a été question
plus haut, profitant de l'apathie élamite, les Sémites du Tigre
-moyen avaient, comme leurs congénères du Sud, repris leur indé-
pendance. Leurs villes de Singar, d'El Assar, de Kalakh, de Ni-
noua, jadis administrées par des patésis sous la suprématie chal-
déenne ou élamite, se groupèrent, après leur affranchissement, et
formèrent la fédération d'où naquit plus tard le royaume d'Assyrie.
Entre le dix-huitième et le seizième siècles, c'est-à-dire au temps
de la conquête égyptienne des pays syriens, vivaient, sur le Tigre,
des princes qui, sans être déjà rois, étendaient leur influence sur
les diverses peuj)lades sémitiques cantonnées sur le cours moyen
du lleuve. Ils portaient le titre à'ichakkoa ou palési (1).
Assour n'était, à cette époque, qu'un petit royaume correspon-
dant à la partie plate de la vallée. En lutte perpétuelle contre les
anciens habitants dépossédés et retirés dans les montagnes kur-
des (2) et arméniennes (3), ce nouvel Etat était menacé vers le
Sud par ses congénères de Chaldée (4).
(1) Sur cette époque encore obscure il y ;i lien (3) Les Bikni. les Mousri, les peuiiles de
il'espérer que les fouilles allemandes jellerunl Khoubouslda.
bientôt une vive lumière. Voirplus loin la liste (4j Les Louloubi entre autres. Cf., sur la
des plus anciens princes d'Assyrie, telle quelle slèle d'Anou Baiiini, au pays de Bâtir (Zohàb\
ressort des plus récentes découvertes. J. de Morgan, Mission scientifique en Perse,
(2) Les Kouti, les Namri. t. IV; Reclierches archéologiques, l" paitie.
LA PUKF^ONDKUANCK ÉG VI» TIlilNNE 311
Celte siluation périlleuse développa chez les gens d'Assour les
qualités giHMrières de leur race. Peu à peu ils se rendirent maîtres
des autochtones leurs voisins, étendirent leurs territoires dans le»
pays accidentes de IKst et du Nord, dans le Sindjar et vers le
Khabour, que. peut-être ils atteignirent de très bonne heure. Ils
accrurent leurs ressources par le butin fait sur les tribus vaincues
et pi'ospérèront (1(^ telle manière qu'au (|ualorzième siècle ils
constituaient déjà une puissance traitant d'égal à égal avec celle
de Babylone (1).
Ce sont les princes d'El Assar (|ui fondèrent le royaume d'As-
syrie; leur capitale située au sud de leursEtats, c'est à-dire près des
pays 1res développés, s'élevait au milieu d'une plaine fertile qui,
par les soins des anciens patésis ou ichakkous, s'était couverte
de canaux.
Mais si la lichesse des campagnes d'El Assar rc'pondait aux
besoins de la poj)ulation, elle ne satisfaisait pas les and)itions
des rois dAssyrie qui, maîtres d'un peu})le ardent (4 ])elli([u<'ux par
nature et par éducation, ayant goûté au butin pris sur les nations
voisines, ne révèrent plus que le pillage du monde. Dans ces temps
d'ailleurs, il était bien difficile [)Our une nation de vivre sans domi-
ner. Telle fut lorigine du caractère et de la fortune des Ninivites.
Au moment où l'Assyrie n'était encore qu'une minuscule prin-
cipauté, l(^s Cosséens (2), peuples des montagnes, peut-être
apparentés aux Elamites, profitant du sommeil des rois susiens,
descendirent en Ghaldée, renversèrent la dynastie babylonienne
et, sul)sli tuant leurs rois aux princes sémites, fondèrent la mo-
narchie dite cassitequi, pendant quatre siècles environ, gouverna
la plaine, sans grand éclat d'ailleurs.
Ces princes, souvent en guerre contre leurs voisins y compris
l'Elam, semblent n'avoir fait d'expéditious (|ue sui- leurs frontières
ou contre des feudataires révoltés. Nous possédons de leur époque
un grand nondjre de documents dits Koudourrous (3), titres de
p. 147, sq. fig. US. — V. Sciiuii., liecueil des Koxsiier, in-8, Liepzig, 188i. — Hai.iïvy, /?eci;e
Irai'., 1602, p. 103. cn7/V/u(*. 188i,i). 481-487.Lcs (;o.s.séons(Ko7'Ja:o:)
(Il Entre 14œ el, 1370, Assourhelnisisou et ouKassiles, en assyrien Kuclichou, sont inen-
son fils Ba^ourassour traitaient sur le pied lionnes par I^olybefN', 4i, 7), Strahon (XI, 13,6;
d'égalité Karainclacli et son fils Bournabou- XVIl, IH. Dioilore de Sicile ^XVII, 111), Arrier
riach I", roiscosséjns de Ghaldée. Les deux fa- (L'x/;/. Alex , VII, 15, 1).
milles royales s'allièrent par des mariages. (3j Cf. J. de Mohgan, dans Méin. de la Délég
(•2!Cf. PoGNON,Ins(-ript. do Méroii-Nérari I"', en Pente, t. I, 1900. Rech. nrchéoL, p. 165, sq.
roi d'Assyrie, dans Joarn. asial., 18s3, t. II, /-/., t. VII, 1905, ii. 137, sq.
p. 351-431. — Fr. Delitzsch, Die Sprache der
312 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
propriété foncière gravés sur pierre, faisant penser qu'ils ont
pris grand souci de l'administration intérieure de leurs Etats (1).
Ces écrits, tous rédigés en langue sémitique, n'offrent guère
d'enseignements sur la nature ethnique des Cosséens. Ces conqué-
rants n'étaient pas des sémites, cela résulte de leurs noms propres;
c'est tout ce que nous sommes en mesure d'affirmer. Quant à leur
lieu d'origine, on le place généralement dans les montagnes du
Louristan (Pouclit é Kouh) ; mais il se peut qu'ils soient venus des
massifs qui bordent au nord le golfe Persique et que les Kas-
hshi des Assyriens ne soient que les restes de ces tribus après
leur expulsion de Cbaldée.
Au Nord-Est et à l'Est, la migration aryenne s'était continuée.
Des montagnes voisines de la Caspienne, les ^Nlèdes étaient entrés
sur le plateau, rencontrant, surtout en Azerbaidjan et dans le
Kurdistan actuel, des tribus autochtones probablement issues de
la vallée du Tigre, des montagnes d'Arménie ou des vallées du
Caucase. Ils s'emparèrent des meilleurs territoires et sinstallè-
rent divisés en une foule de tribus, vivant côte à côte avec les
anciens habitants (2), les absorbant ou les refoulant devant eux ;
de même que plus tard, après avoir joué leur rôle, ils se trou-
vèrent eux-mêmes repoussés dans les montagnes par dautres
invasions (3).
Leur industrie s'était quelque peu perfectionnée pendant leur
séjour dans le nord de la Perse, si nous en jugeons par ce que
nous révèlent les fouilles ih). Us avaient probablement exploité
quelques affleurements des riches gisements de cuivre du Qara
dagh et du Ghilan (5) et progressé en métallurgie ; leurs armes,
devenues plus meurtrières, devaient leur donner une grande
supériorité sur les peuples du plateau.
De cette époque sont, je crois, les citadelles dont on rencontre
encore les ruines dans les pays caspiens (6), forteresses situées
(1) En s'élablis~anl dans la Chaldée, les actuel, il en C.-.1 Ijeaiicoup dont les noms ne
Cosséens introduisirent de nouveaux usages sont sûrement pas indo-européens.
dans la )iropriété foncière ; le collectivisme (3j C'est plus spécialement l'invasion turque
avec partage et jouissance tem|ioraire fut qui a refoulé les anciens peuples du Nord de
remplacé par la propriété exclusive et héré- la Perse dans les montagnes.
ditaire. (Cf. Ed. Cuo, La propriété foncière (4) Cf. J. de Morgan, Mission se. en Perse,
en Chaldée, ds Noav. Rer. hist. de droit fran- t. IV, 1" partie, chap. II, p. 13, sq. — H. de
çais et étranger, nov.-déc. l'J06, p. 728, sq.) Morgan, dans Mèm. de la Délèy. en Perse,
Cette innovation est bien le fait d'une inva- t. VIII, 19tiG.
sion brutale et du passage de l'autorité en des '5) Cf. J. de Morgan, Mission se. en Perse,
mains étrangères. t. III. Etudes géologiques.
(2) Parmi les nombreux peuples cités dans (6) Cf. II. de Morgan, op. cit.
les textes assyriens comme habitant l'Iran
LA PRÉPONDÉRANCE ÉGYPTIENNE 313
sur des hauteurs faciles à défendre, et entourées d'immenses
nécropoles de dolmens imposants par leurs dimensions, et d'une
magnifupie cousU'ucliou (1).
Les arts n'exislaient pour ainsi dire j)as chez ces peuplades; leur
goût se contentait de quelques dessins géométrie] ucs liés simples
tracés au brunissoir sur les vases de terre grossière et de quel([ues
ornements de métal destinés à la parure. L'or (2),rélectrum (3) et
le bronze étaient alors les seuls métaux en usage chez eux. On ne
rencontre aucune ciselure, aucune tentative de représenter
Ihomme ou Tanimal. Nous nous trouvons là en présence d"une
race ne possédantpas de liens communs avec celles que, jusqu'ici,
nous avons rencontrées dans l'Asie antérieure; c'est un élément
ethnique spécial analogue en tout à celui (pii, dans l'Europe
occidentale, fit disparaître les arts archéolithicjues, comparable
aux hommes de la pierre polie et du bronze.
Au Sud, une autre branche aryenne, celle des Perses, ayant
dans sa marche vers le Sud^ atteint le versant intérieur de la
chaîne bordière, le suivit quelque peu, maintenue sur sa droite
par les déserts salés, sur sa gauche par les montagnes elles-mêmes.
Elle gagna le Fars et ne sarrèta qu'aux territoires d'Ispahan oc-
cupé peut-être déjà par les ^Nlèdes. Se butant d'une part dans les
montagnes à des tribus probablement apparentées aux Élamites.
d'autre part, sur le plateau, à leurs congénères venus des pays cas-
piens par le haut bassin du Kizil Ouzen (Séfîd-roud) (/i), ils s'éta-
blirent dans la Perside et, peu à peu, descendirent jusqu'à la mer (5).
Ces deux pointes avancées de la migration iranienne avaient
laissé derrière elles bien des tribus dont les noms sont devenus
synonymes des satrapies achéménides. Derrière les Mèdes
étaient les llyrcaniens (6), dans le « pays des loups » (7) bor-
dant le sud de la mer Caspienne. Proches parentes des Perses, les
tribus caspiennes semblent n'être qu'une branche de ce peuple,
(1) Cf. n. DE McMîGAN, dans Mém. de la dée. Pour 3' parvenir, force leur élait de Irn-
Délég. en Perse, l. VIII, 190G. Recherches verser l;i plaine élamile, et je suis porté à
archéologiques. croire ((iiils furent pendant un temps maîtres
(i) Cf. J. DE Mono.KJS, Miss. se. en Perse, l.W, de la Siisiane.
1" partie. Rech. archéol., Nécropole de Véri. (Gj l.'Hyrcanie formait avec la Parthyène
(3) Cf. H. DE Morgan, op. cit. (Parihava) la XIIP satrapie. — Je n'ai pas
(4) Districts actuels de Bidjar et de Glier- cité les Parthes ])arce que ce peuple non
rhous, |)ays légèrement accidentés. Le Kizil Mazdéen n'était certainement pas arrivé dans
ouzen i)rend sa source à peu de distance au le pays lors de la composition de l'Avesta et
nord d'Ecbatane (Ramadan). que d'ailleurs il n'appartenait pas, semblc-t-il,
(5) C'est peut-être à l'occupation des mon- au groupe médo-pcrse.
tagnes du sud de l'Iran par les Perses qu'est (7) Vehrkana, Cf. Fr. Spiegel, Eranisclie
due la migration des Cosséens vers la Chai- Allerlhumskunde, 1871.
31 à LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
qui, entraînées à la suite des Mèdes, les auraient chassés devant
elles mais se seraient arrêtées sur les bords de la mer. Derrière
les Perses, les Carmaniens (1) et les Gadrosiens (2), descendus
tous deux jusqu'aux rives du golfe Persique ; les Drangiens (3)
et les Arachosiens (i) arrêtés dans les massifs du Baloutchistan ;
enfin les Margiens (5) et les Baktriens (6) demeurés <à la limite
des steppes de l'Oxus.
Un autre rameau de la branche aryenne avait, pendant ce temps,
au sortir de l'Aria (7) ou de la Bactriane, pris la route du Sud-
Est et, traversant l'indus, s'était avancé jusqu'au cœur des Indes,
asservissant, absorbant ou poussant devant lui les habitants, la plu-
part de langues dravidiennes qui, eux-mêmes, ne devaient l'occu-
pation du pays qu"à d'antiques conquêtes.
Il est impossible d'assigner une date à ces mouvements et
c'est à peine si nous en pouvons suivre les traces ; mais, vrai-
semblablement, ils se terminèrent entre le quinzième et le dou-
zième siècles avant notre ère, leur origine se perdant dans la
nuit des temps.
Ce n"est qu\à l'époque de Cyrus (8) qu"aj)paraissent les pre-
mières inscriptions en langue iranienne ; auparavant ces peuples
ne savaient point écrire. Nous en serons donc toujours ré-
duits, pour les débuts de leur histoire, aux légendes de l'Avesta
et aux textes, malheureusement trop laconiques, dans lesquels
les Assyriens nous entretiennent de leurs campagnes en Iran.
Les premières de ces inscrij)tions remontent au temps de Baman-
nirari III, c'est-à-dire au neuvième siècle i^9) avant notre ère seu-
lement.
Quanta l'Avesta (^10), les meilleures autorités s'accordent pour
placer sa rédaction primitive, ou mieux la réunion des éléments
qui le composent (li\ vers les temps où la nation mède, dont les
mages semblent n'avoir été qu'une secte ou une tribu, avait à
peu de chose près terminé son mouvement (P2\
il) La province otiuelle de Kiiman a con- celle «le J. Darmsteter, dans les Annales du
serve leur nom. Musée Gniniel, t. XXI à XXIII, Paris, 1892.
(2) Cf. Spiegei., op. cit., 1871.' (11) La personnalité de Zoroasire fZaralhoiis-
(3) Cf. Spiegel, op. cit., 1871, p. 161, 219. Ira) est rien moins que prouvée. (Cf. Spiegel,
(i) Haraouvaslis des Perses, XXIP satrapie. Erani.'iche AllerlhumsKunde, l. I, p. ms, sq.)
(5) Cf. Spiegel, op. cit., 1871. (12j La rédacliondu premierlivre du Vendidnd
(G) Bakhlris, XVII' satrapie. tel que nous le possédons daterait seulement
(7) Ilaraïva, XV» satrapie. du deu.xième siècle de notre ère, et le tableau
(8) 549 av. J.-C. à 5-29. (|u'ii donne des provinces iraniennes ne serait
(9) Ramannirari III, 812 à 784 av. J.-C. pas antérieur à cette époque (Cf. J. Darms-
(10) La meilleure traduction de l'-lccs/a e-t teter, le Zend Auesla, t. III, 1893, introd.
LA IMU.PONDLIUNCE KGVl'TIENNE
315
Les diverses étapes qu'assigne celle tradition à la branche indo-
iranienne, bien que ne présentant guère de sécurités scientifiques,
sont cependant intéressanle^s à suivre; parce que si elles ne cor-
respondent pas exactement à la réalité, elles l'ont voir du moins
l'ensemble de la migration (1).
Ce sont (2) : la Sogdiane (3), la Margiane /i), la Bactriane (5),
les pays situés entre cette région et la Margiane (6) elle-même,
p. L) ; TAvesla porte l'empreinle grecque,
issue de la conquête macédonienne, se mani-
festant par des emprunts de docti'ine (id.,
p. I.I), des traces d'influence juive dniis les
vues générales el dans la forme (id., p. LVII);
mais ses origines remontent sûrement à des
âges très anciens, puisque dans les débuts de
la monarchie achéniénide nous voyons Ahou-
ramazda apparaître dans les inscriptions.
(1) G. Maspero (Ilisl. anc jieup Or. classique,
t. m, 18011, p. 450, noie 1) expose de la manière
la plus claire l'étal des études sur les origines
de la race iranienne. L'opinion, dit-il, que le pre-
mier chapitre du Tend/rfaci esl d'une haute im-
portance pour l'histoire des origines aryennes
el des migrations iraniennes remonte au début
de notre siècle. Ileeren [Ideen :ar Allen Gea-
chichle, t. I, p. 498), i)uis Rohde (De Heili<je
Sage des Zendvolks, p. Cl) émirenl d'abord 1 idée
qu'il nous présentait l'étal de l'Iran tel qu'il
était du temps de Zoroastre ; Rhode pensait
même que l'ordre dans lequel les provinces
élaient énumérées répondait aux étapes suc-
cessives de la conquête, l.assen, parlant de ce
principe, conjectura que l'Airyanem Vaèjù,
nommé le premierdans la liste, était le berceau
de la race {Indische Allerthumskunde.l" ijd.,[. I,
p. 526) el bientôt Haug voulut voir dans le
chapitre entier une sorte de journal rédigé au
cours de la migration (Das Erste Kai)itel des
'Vendidads, ds Blnsen, JEgyfilen's Slelluny in
der lVe.s;</e.sc/i/c/i/e,t. V,2'parlie,p. 104. 127). Ces
notions ont i)révalu jusqu'au moment où Kie-
perl les réfuta (dans \esMonalsberirlile de l'Acd-
démie des Sciences de Herlin, 1856, ]>. 621, sq.) et
où Rréal démontra (dans son Mémoire de la
géographie de l'Avesla i)ublié en isti-i dans
le Journal asiatique et reproduit dans les Mé-
langes de mijlhologie el de linguislique, p. 187,
sq.) que toute la géographie de l'Avesla est
cssenliellemenl fabuleuse. Celte opinion est
admise par J. Darmsleler [le Zend Avesla,
t. II, p. l-4\ — D'après de nouvelles théories,
les Iraniens seraient venus d'Europe, descen-
dus des plaines de la Russie méridionale dans
les vallées du Kour et de l'Araxe; de là, re-
jelés d'Arménie par l'Ourartou, ils se seraient
étendus sur le plateau Persan, les Mèdes dans
le Nord, entre l'Ararat et Ilamadan, les Perses
plus bas, vers l'Elam ; le rameau indien, éga-
lement venu d'Europe, serait entré dans le
pays des cinq fleuves par la Transoxiane.
Si l'ancienne interprétation des te.vtes axes-
tiques laissait prise à la critique, certes celle
qu'on propose aujourd hiii n'est pas exempte
de reprociies, car elle présente des invraisem-
blances nombreuses. D'abord elle se relie inti-
mement à celte théorie \>\us que hasardée qui
fait venir tous les Aryens d'Europe, comme
si l'Europe des temps glaciaires eût présenté
une surface suffisante jiour lincubation de
cette race qui, en moins d'un mlllénium, couvrit
presque loul l'ancien monde. Là est une im-
l)Ossibililé matérielle, ((ue la linguistique ne
soup(;onne même i)as. Admettons, cependant,
que le point de départ soit bien lEurojJe.
Voici donc les Iraniens cantonnés au nord du
Caucase dès que ces terres furent débarras-
sées des lacs el des glaciers. Ce serait là
qu'ils auraient inventé la métallurgie, le tis-
sage, la culture, tous les arts que les Aryas
possédaient au début. Où en auraient-ils trouvé
les éléments? dans ces alluvions boueuses à
]ieine sorties des eaux? Admettons encore celte
hypothèse afin de ])ouvoir suivre dans leur
exode imaginaire les Mèdes el les Perses. Ils
traversent le Caucase, se répandent dans V\r-
mcnie el font du Qarabagh (pays situé aux
alentours du Gheuk tchaï) leur Anjanem-vaédjô
(Cf. Spieoel, Eranisclie Alterlhumskunde, I. I,
p. 1114, 211. — J. DAU.MSTETEB, Thc Zcud
Avestn, t. I, p. 3, le Zend Avesla, t. II, p. 5,
note 4), au contact des Touraniens, qui les
laissent établir dans ces montagnes sans que
toutefois aucune trace d'eux soit restée dans
ce pays. Ensuite ils sont chassés vers le Sud ;
mais ce ne peut pas être par suite du froid
qu'ils quittent le Qara daghi pour se rendre,
d un bond, dans la Sogdiane el le pays de Merv,
afin d'y trouver un climat plus doux '■ El dans
tous ces mouvements, en contact perpétuel avec
les grandes civilisations asiatiques, les Iraniens
restent nomades ignorants, se forment à peine
en société, pas encore en royaumes, ne se
laissent envahir par aucune connaissance
utile ! Voilà qui dépasse les bornes de ce qu'il
est permis d admettre même par égard pour
les noms ([ui se sont inscrits en lête de cette
théorie. (J. M.)
(2) Cf. .1. Dar-msteteiî, The Zend Aiestn, t. I,
p. 1-10.— Bréal, Fragm. de critique zende :
de la Géogr. de l'Avesla. Jour, usial , 18()2 ;
Mélanges lie mijlhologie el de lingui.'<lique,p 187.—
Spieoel, Eranische AHertluanskunde, t.I, p. litO
106.
{?) Çoughdhà (de VAresla Vendidùd, Fr. I),
sur le haut Oxus au nord de ce tleuve, aujour-
d'hui Taciikent.
(4) Mouron (jd.), district actuel de Merv.
i5jBàkhdhi (/ti.), district actuel de Balk(Af-
ghanislan).
(6) Xiçàya (j(i.), la Ntaa-'a de Slrabon et de
Plolémée, VI, 10, 4.
316 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
l'Ariana (l),le Seistan (-i) pour la première partie de l'exode en
commun. Les triljus se seraient alors divisées : les unes traver-
sant l'Arachosie (3) seraient entrées dans le Pundjâb (/i) et
auraient envahi les Indes ; les autres, par l'Apavortène (5),
auraient gagné THyrcanie (6), puis le district de Rages (7) et le
Khoraçan (8).
Là s'arrête le récit (9), il n'y est pas question de la séparation
des Mèdes et des Perses ; c'est donc dans les provinces du nord-
est de l'Iran qu'aurait eu lieu cette division, les uns partant vers
l'Ouest, les autres s'étendant au Sud.
Mais il ne faut pas oublier que ce récit, maintes fois certaine-
ment arrangé par les prêtres, sest pendant plus de mille ans
uniquement transmis de bouche en bouche et que les plus
anciennes copies que nous en possédons ne datent que du
milieu (10) de notre ère. Que de transformations il a dii subir,
même depuis les temps où il fut fixé par l'écriture (^11), sous
les Achéménides, les Grecs, les Parthes, lors de la renaissance
sassanide du culte mazdéen et enfin tle la persécution isla-
mique !
Les Aryens arrivèrent en Iran à l'état pastoral, divisés
en un grand nombre de clans rattachés entre eux par quelques
liens, saidant mutuellement dans les entreprises d'où dé-
pendait le salut commun, mais vivant chacun d(^ ses propres
moyens.
Peu à peu les tribus se fixèrent, fondèrent des bourgades, défi-
(1) Harùyou (/J.), Haravaiva des Perses, au- peutêtre que le district deVahmeh-RehncluIans
jourd'liui district de lierai 'Afghanistan). la moyenne vallée du Lar, cette vallée étant
(2}Vaekerêla-Douhzaka l'/J.)' où se trouvent la seule voie par laquelle les monts Elbourz
encore près de Djellabad les ruines de Dous- puissent être traversés depuis la vallée du Sé-
hak. t'idroud jusqu'à la passe de Chaliroud-Aste-
(3) Haraqaïti ('/(/.), pays compris depuis Kan- ràbàb. Cf. J. de Mot.gan, Miss. se. en Perse,
dahar jusqu'à la rive droite de l'Indus. t. IV, 1896, Archéol., p. 133.
(4) Heplahendou(ù/.),le f^endj-àb,aux Indes. 1 10) Le plus ancien manuscrit zend connu de
(5) D'après Fr. Lenormant, TOurvâ de l'A vesta est celui de la bibliothèque de Copen-
l'Avesta serait rOurivàn des Assyriens; 1 Apa- hague.
varctisène d'Isidore de Sic, § 3 ; l'Apavortène ai) L'écriture zend ne semble pas être beau-
de Pline, VI, 18. coup plus ancienne que le pehlevie ; elle re-
(6) Khnentà-Vehrkanà (/(/.), Varkàna des Per- monterait donc tout au plus au premier ou au
ses, aujourd'hui Djouardjân, près d'Astérâbâd. second siècle de notre ère. Auparavant on
(7) Ragae (Isidore de Sicile, § 7), dont les faisait usage en Perse de caractères araraéens,
ruines sont à Chah Abdul Azim, près de Téhé- employés sur les monnaies par les princes
ran. persépolitains, ceu.x de 1 Elymaïde et les Ar-
(8)Tshakhrà (Ayes?o,/d.), aujourd'hui Karkh, sacides de Persedepuis MithridateV (vers 150
à l'extrémité nord-ouest du Khoraçan, d'après ap. J.-C.) jusqu'en 2-22, où, sous Artaxerces P'
Haug. (Sassanide), ils cédèrent la place au pehlevie.
(9) L'Avesla parle encore d'un district de Le plus ancien manuscrit conservé du Vendi-
Varena que les Aryens auraient traversé en dad date de l'an 1324, il provient d'une copie
descendant du plateau vers la mer Caspienne, faite en 1185 dans le Seistan. (J. Darmsteter,
par conséquent entre Rages et Amol. Ce ne op. cit., inlrod., I, p. 15.)
LA rHÉPONDÉRANCL: ÉGYPTIENNE
317
nircnl leurs fi'onlièi'os; mais le morcellement subsista jusqu'au
temps où les Assyriens ciilièrent en contact avec les Mèdes clans
le voisinage du lac d'Ourmiah, jusqu'à celui môme des Aché-
ménides ; l'énumération des peuples figurant à la revue des ar-
mées concentrées sur le lk)S[)hore en témoigne.
L'élément nouveau apportait dans l'Asie antérieure des notions
nouvelles. C'étaient dabord, dans la vie matérielle, des procédés
métallurgiques spéciaux, des animaux domestiqués inconnus jus-
qu'alors, tels le mouton venu de l'Altaï, le l)iifnc originaire des
Indes ; enfin, dans l'ordre moral, des conceptions religieuses et
philosophiques (1) autrement élevées que celles des j)euples les
plus civilisés d'alors (2).
Ormazd (Ahouramazda) (3) est le dieu unique, mais émanant
d'une force vague, « le temps infini », créateur (/i), clément, om-
niscient, parfait. Il est le ciel immense (5), son œil est le soleil (6),
Dieu abstrait qui ne peut avoir d'image. Les émanations de sa
puissance sont personnifiées dans des génies, dans des esprits
bienfaisants, répondant aux diverses nécessités de la vie, aux diffé-
rents actes terrestres. Mais ces génies, ces esprits qui sont de
son essence n'agissent que suivant sa volonté.
Chaque être, vivant ou à naître, a son ange protecteur, son
guide, mais nen demeure pas moins responsable de ses actions,
dont il rendra compte lors du jugement dernier. Après la mort,
(1) Le zoroastrisme ancien présente un fond
aryen commun avec l'Inde pour certaines
croyances et spécial à l'Iran pour d'autres,
par conséquent une part provenant des temps
antérieurs à la séparation et une postérieure,
mais cependant spéciale à l'Iran et n'étant
pas le produit d'influences extérieures. Parmi
les croyances les plus anciennes sont: le dieu
du ciel, dieu suprême Ahouramazda; le dieu
de la lumière céleste, Milhra ; le culte des
divinités naturelles (l'eau, le feu, la terre, le
vent), un ensemble de mythes mettant aux
prises le dieu de l'éclair et le serpent de
l'orage ; le culte de Ilaoma. (J. Darmsteter,
le Zend Avesla, t. III, 1893, introd., lxxiii.)
L'Avesta,telque nous le jiossédons, n'est que
le débris d'une littérature beaucoup plus
vaste, divisée en vingt livres ou Naska, que
l'on possédait au temps des Sassanides.
L'Avesta sassanide lui-même, suivant la tra-
dition parsie, n'était que le débris d'une col-
lection antérieure, détruite en grande |>artie
par Alexandre, qui lit traduire en grec les
nasks traitant d'astronomie et de médecine
et lit brûler les autres. Après lui, les grands
prêtres se réunirent, écrivirent chacun les
parties de l'Avesta qu'ils se rappelaient et
ainsi fut restauré ce que l'on possède de
l'Avesta. Il ne resta qu'un nasks complet, le
Vendidad. (J. Darmsteter, le Zend Avesta,
t. III, I8!i3, Introd., p. vu, sq.)
Le culte zoroastrien ne devint religion
d'Etat que lors de l'avènement des Sassanides
(226 ap. J.-C); il régna jusqu'à la conquête
arabe (652) et l'introduction de l'Islamisme eu
Perse. Il survécut dans quebpies villes, Téhé-
ran, Bahramàbâd, Chirâz, Kachari, Bouchir,
mais plus spécialement à Yezd et à Kirman
où les Parsis sont au nombre d'environ six à
sept mille. La majeure partie des Zoroastriens
émigra aux Indes dans la présidence de Bom-
bay et forme aujourd'hui une population de 80 à
lOÔ.OOO âmes (89.887 en 1891).(Cf..l. Dahmsteter,
le Zend Avesta, 1892, introd. I, p. xxxvm.)
(2) L'étude la plus complète sur la religion
avestique est celle de J. Darmsteter, Ormazd
el Ahriman, in-8, Paris, 1877.
(3) Ahourùmazdàô en zend.
(4) SpiEGEL,£,'rn/iisc/ie Alierlhumskunde, i.W,
p. 21, sq.
(5) Spiegel, op. cil , t. I, pp. G68-711.
(6) .T. Darmsteter, Ormazd el Ahriman, p. 30
et le dieu suprême des .\ryens dans Essais
orienlaux, p. 120-121.
318 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
les bons entreront au paradis près d'Ahouramaztla, les mauvais
seront précités en enfer.
Cette croyance en un Dieu voulant un univers bon, l'ayant créé
dans ce but, ne pouvait s'accorder, à priori, avec les douleurs de
la vie, avec le malheur et la lutte pour l'existence. Les Iraniens
pensèrent qu'une sorte de génération spontanée, dans la ma-
tière mise en mouvement, avait été l'origine d'un être mauvais,
cVAhriman, principe du mal, venu contre la volonté créatrice
pour lutter perpétuellement contre le bien, contre l'œuvre dOr-
mazd.
Ce dogme, comme on le voit, était de la plus parfaite moralité,
il tendait vers la perfection et résumait, en somme, l'esprit de
toutes les idées religieuses modernes : la confiance et l'espérance
d'une part, et d'autre part la crainte.
Certainement cette foi ne fut pas celle des Aryens alors qu'ils
étaient tous réunis, car seuls les Iraniens et les Indiens ont
atteint cette hauteur de pensée. Les autres branches, celles qui
gagnèrent l'Europe et l'Asie Mineure, y sont arrivées avec des
cultes grossiers peu difïerents, au point de vue philosophique et
moral, des religions de l'Asie antérieure.
C'est donc après les premières séparations que prit naissance
la conception du dieu unique et bon. Elle naquit avant que les
tribus n'allassent coloniser les Indes et la Perse. Elle évolua des
deux côtés d'une manière différente, ])roduisant d'une part les
Védas, de l'autre l'Avesta (1), c'est-à-dire deux des livres religieux
les plus importants de la haute antiquité.
Quant aux dieux d'antan, à ceux qui, dans les pays de l'Altaï,
recevaient les offrandes et les prières, ils furent oubliés des Indo-
iraniens au point que leurs noms mêmes n'ont pas survécu.
L'Avesta devint le code religieux de la Perse ; mais cette loi,
héritage d'une secte ou d'une tribu, ne fut certainement pas suivie
iiu pied de la lettre par tous les peuples iraniens (2). Elle demeura
pure parmi les Zends et resta confinée dans quelques parties du
pays; ailleurs elle fut certainement modifiée, dénaturée par les
(1) U ne nous esl parvenu qu'une fail)le par- bornée. C'est un Talmud, un livre de casuis-
tie de 1 Avesla.Nous ne possédons que le Ven- tique cl d'étroite observance. J'ai peine à croire
didad, le Vispered, le Ya.^na et quelques mor- que ce grand empire perse ait eu une loi aussi
ceaux secondaires connus sous le nom de stricte. « (E. Re.nan, /?ap/(. sur les travaux de
Petit Avesta. la Soc. aaiat., 1880, p. 29.)
(2j « C'est le code dune secte religieuse très
LA PRÉPONDÉRANCE ÉGYPTIENNE 819
prêtres, jus(ju'à devenir presque iiniqiiejueiit une règle d'obser-
Tances et de pratiques.
Quoi qu'il en soit, ra[)parition de l'Avesta sur la scène du
monde fut d'un grand poids dans les destinées de la philosophie
et de la morale humaines. La concej)tion diiu dieu uiii(iue (1),
immatériel, élail née. Bien longtemps j)lus lard, nous la verrons
apparaître aussi chez les Hébreux, a|)p]i(|uée à Yahwè terrible et
vengeur; puis le christianisme, rentrant (hiiis les sentiments
aryens, fera de cette même divinité un dieu de bonté, de miséri-
corde, d'égalité des hommes devant lui.
r]n même temps que se mouvaient les peuples dans l'Iran et
dans rinde, il se passait aussi d'importantes migrations dans
le Nord de l'Asie antérieure et quelques-unes des tribus aryennes
nouvellement venues s'aventuraient plus au Sud.
Sous les Ramessides, vers le quinzième siècle (2), il s'était pro-
duit en Egypte un fait anormal. Des peuples nouveaux, aux noms
jusqu'alors inconnus, parlant des langues incompréhensibles pour
les races de l'Asie et de l'Afrique, avaient attaqué le Delta. Les
uns, débarqués sur la côte de la Cyrénaïque, s'étaient alliés aux
Lybiens ; les autres, après avoir traversé la Syrie, se montraient
du côté de Péluse.
Ils se nommaient Danaens, Troyens, Tyrséniens, Teukriens,
Chakalach, Chardanes, Philistins, Lyciens, Cariens, etc., et des-
cendaient de l'Asie ^lineure où se passaient alors de grands
événements.
Longtemps les rois hétéens avaient tenu sous leur influence,
sinon sous leur domination, les nations de l'Amanus, de la Cap-
padoce, de la Phrygie, du Pont et de l'Arménie occidentale. Ces
peuplades, dont beaucoup étaient apparentées entre elles, for-
maient la puissante confédération contre laquelle s'étaient heur-
tées les armées des Pharaons dans le nord de la Syrie (3).
(1) Ce dieu, au début, irélait pas, à propre- (-2) Sur la fixation du l'époque des Hamcs-
nienl parler, dieu unirpie ; car il est « le plus sides. Cf. Ed. Maher (Chronolog. Bestimmung
grand dus dieux... Darius invoque Ahoura- der Regierungszeit der Rainussidcn, in Zei/sc/ir.
inazda « avec tous les dieux ». Les dieux au.v- f.Aefjijiil.Sprache ii. Allerlh. Knnde.Bâ. XXXH,
quels sacrifient les Perses d'Hérodote son! des Heft. '2, p. 91), 1895) et A. Kisem.ouu (Proc. of
dieux naluralistes, le soleil, la terre, la lune, Ihe Soc. of Bibl. Archaeol , décembre 189ri).
le vunt, les eaux. .\rta.xerxès Mnémon invoque Suivant ces auteurs, Tothmès III serait monté
nommément, avec Ahouramazda, deux aulrus sur lu trône en 1504 av. J.-C. et mort en 14.5u.
dieux. Mitbra et Anahala f.\nûbita), ledieu de (3) On a tenté de prouver que les peujjles
la lumière et la déesse des eaux. Mais la base de la mer étaient doriginu africaine. (Cf.
<lu Mazdéisme est le dieu suprême. (Cf. J. Dumkeh, Geschiclite de.t Mteiiliums, I, p. 151,
Dar-Msteter, le Zend Aresla, t. III, 1893, inirod. sq. — Unger, Chronohx/ie des ManeUio, p. 118,
p. L.XV.) cité par G. Maspero, Âevue critique, nouvelle
320 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Parmi ces peuples, tous ceux de l'Asie Mineure jusqu'aux rives
du Bosphore et à la Paphlagonie étaient des Phrygopélasges, de
race aryenne, installés dans ces pays depuis que, chassés de
Thrace par d'autres tribus, leurs congénères, ils avaient, quelques
siècles auparavant, quitté l'Europe,
Mais, le mouvement aryen se poursuivant, peu à peu ce furent
les Dardaniens, les Kébrènes, les Phrygiens, les Paphlagoniens,
les Ascaniens (Arméniens), les Bithyniens, les Mysiens, les Teu-
kriens, etc., qui, eux aussi, passant le Bosphore, vinrent demander
des terres à l'ancien monde, poussés par d'autres tribus qui
prirent leur place en Europe (1).
Ils trouvèrent, en entrant en Asie, le pays occupé au Nord par
leurs congénères, et à TOuest aussi bien qu'à l'Est et au Sud par
les anciennes races (Ibères, Chalybes, Saspires, Moschiens, Tou-
bals, Hétéens, gens du Nairi, etc.), enfin, dans les districts du
Sud-Ouest, par des peuplades (Lyciens, Lydiens, Lèlègues, Cares,
etc.) dont la nature ethnique ne nous est pas encore connue.
Dans le désordre qui accompagna et suivit ces mouvements, la
puissance hétéenne sombra ; les peuples qui avaient subi son joug le
secouèrent et entraînèrent même leurs anciens maîtres à leur suite
dans l'expédition que, par terre, ils projetaient contre l'Egypte.
Si les Asiatiques continentaux avaient souffert des Hétéens, les
gens des côtes et des îles avaient aussi fort à se plaindre des Phé-
niciens (}ui, peu à peu, s'étant installés sur tous les points favo-
rables de leurs territoires, exploitaient de là les contrées envi-
ronnantes.
Les Cariens devenus marins ("2) tenaient depuis quelque temps
série, t. V, ]>. 320. — J. IIalévy, Etudes ber- menis. (Cf. Gr. G. Butzureano, dans Congrès
bères, inJourn. Asiat., 1874, t. IX, p. 400, sq.) internai. d'Anlhrop. de 1889. Paris, 1891, p. 229,
Cette théorie ne peut se soutenir en présence pi. HI.) Ces objets, qui semblent devoir être
des noms de ces peuples qui, pour la plupart, reportés vers le (juinzième ou le douzième
appartiennent à 1 Asie Mineure (Iliouna siècle, avaient déjà subi l'influence asiatique
= Ilion ; Dardani ;= Dardaniens ; Piilasa au travers de l'Asie Mineure et de la Thrace,
= Pedasiens ; Masou = Mysiens; Aqaïou- tout en conservant leurs caraclèi'es artistiques
cha =: Achéens ;Tourcha = Tyrrhéniens,etc.). et industriels indigènes.
(1) A Getazina (commune de Baiceni, dis- (2) Les types des bateaux diffèrent suivant
trict de Jassy), on a rencontré, avec des ins- les régions. Ceux de Phénicie (Gf. Daréssy,
truments en pierre,, en os, et quelques orne- Rer. Arch., 18;i5, pp. 286-292), à la XVIIl» dy-
menls en bronze et en argent, une céramique nastie égyptienne, se rapprochent par leur
très curieuse, rappelant en même temps les forme générale de ceux usités sur le Nil dès
formes et ornements du Caucase et de la les temps préhistoriques (Cf. J. de Morgan,
Perse septentrionale et ceux de la Grèce Rech. oriy. Egypte, I8dù, \)\. X), et à la XIP dy-
primitive(Mycènes,Tirynlhe, Hissarlick, etc.). nastie. (Cf. J. de M., Fouilles à Dahchour,)
Les idoles, spécialement, sont d'un grand in- Les navires égéens (Gf. Tsoumtas, Ephemeris
térêt, car elles reproduisent dans les moindres Archalogikè, 1899, p. 90), plus légers, se rappro-
détails celles de l'énéolithique égyptien, sauf chent plus des navires de course égyptiens de
toutefois qu'au lieu d'être peintes, elles sont la XVIIP dynastie. (G. Maspero, ///*■(., I,
ornées de dessins incisés figurant des vête- p. 393.) La barque mycénienne présentait un
o
322 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
la mer et y disputaient aux Sidoniens, sinon la suprématie, du
moins le monopole de la piraterie. Les Aryens, qui eux-mêmes
avaient appris à naviguer, entrant en lutte contre les Phéniciens,
les chassèrent de Grèce d'abord, des îles ensuite, de Crète entre
autres.
Dans l'intérieur de l'Asie Mineure, la lutte pour la possession de
la terre fut acharnée. LV/zar/e nous a transmis les échos poétiques
d'un épisode de ces guerres. Enfin, tous les peuples ne trouvant
pas la place d'y vivre, quelques-uns durent s'expatrier ; c'est ainsi
que, par mer comme par terre, beaucoup d'entre eux cherchèrent
à envahir la terre du Nil; tandis que d'autres s'éloignaient vers
l'Occident, emportant sur leurs vaisseaux toute leur fortune, leurs
armes.
Par les navigateurs phéniciens, cariens et autres, par les Hé-
téens et les Syriens, les peuplades du Nord connaissaient l'Egypte,
dont les richesses, grandies à leurs yeux par les récits des voya-
geurs, excitaient leurs convoitises. Mais ils furent vaincus; Piam-
sès 111 les arrêta vers sa frontière de Péluse d'une part et dans
l'ouest du Delta de l'autre.
Les Philistins prisonniers de guerre furent, nous l'avons vu,
cantonnés en Syrie, les Shardanes (1) gagnèrent la Sardaigne, les
Thyrséniens l'Italie centrale, les Lydiens colonisèrent l'Ombrie.
D'autres Pelasges-Thyrenniens apparurent à Imbros, à Lemnos, à
Samothrace, dans la péninsule de Ghalcis, sur les côtes et dans
les îles de la Propontide, à Cythère, à la pointe de Laconie, et sur
presque tout le littoral de la mer Méditerranée; ne laissant aux
Phéniciens que bien peu de leurs anciens comptoirs, ceux d'Afri-
que, d'Espagne et des Baléares, entre autres, qui ne se trouvaient
pas dans la sphère hellène.
Ainsi, ce passage de tribus d'une rive à l'autre du Bosphore
fut la cause de cette grande migration maritime qui répandit
le sang phrygo-pélasge dans presque tous les pays méditerranéens
autre Ivpe à proue et poupe relevées, mais numenls égyptiens trouvés en Sardaigne, Chris-
de forme spéciale. (Cf. R. Dussaud, Rev. liana, 1><79 ; M. Pais, Le popolazione egizie in
Ecole d'Anthrop., 1906, p. 129, fig. 53.) En Sardegna, in Ballelino archeologico sardo,
sorte qu'au cours du second millénium avant 1884. Les preuves apportées par Pais contre
notre ère, la Méditerranée était sillonnée par cette opinion sont insuffisantes. Il ne faut pas
des flottes de forme et de nationalités diver:^es cherchera rattacher les objets égyptiens qu'on
battant chacune pavillon de leur pays. (Celui trouve en Sardaigne à la migration des Shar-
de Svra était un poisson attaché en poupe.— danes; car ces peuples vinrent en fugitifs et
Cf. TsouNTAS, op. cit.) non en commerçants et, en quittant l'EgypIe,
U) Au sujet de la migration par mer des ils n'y avaient pas laissé les attaches qu'e.xige
Shardanes en Sardaigne, Cf. Chabas, Recher- le commerce.
ches.p. 3>X>, sq. ; Lieblei.n, \olices sur les mo-
LA PllKPONDÉRAXCE ÉGYPTIENNE 323
«t prépara la coloriisalion grecque, d'où devait sortir la véritable
civilisation.
Dans presque tous les pays qu'ils envahirent, les émigrants
rencontrèrent des peuples aryens comme eux, venus de l'Europe
orientale ou centrale, et mélangés avec les anciens habitants; mais
•ces tribus étaient encore très primitives, tandis que les nouveaux
-arrivants avaient déjà bénéficié de leur contact avec les civilisa-
tions orientales.
Le coup avait été si violent pour les llétéens, et par suite pour
tous les autochtones de l'Asie Antérieure, qu'à peine s'en relevè-
rent-ils quelque peu devant les envahissements assyriens. C'en
était fait de leur puissance; peu à peu leurs voisins, les Indo-
Européens du Nord, s'infiltrèrent parmi eux; certains même,
tels les Ascaniens, les traversèrent pour s'avancer vers les pays
•de l'Ararat et de Van et remplacer plus tard les Ourarthiens, peu
après la chute de Ninive.
L'élément nouvellement venu, l'Aryen, ne possédait encore
•qu'une civilisation bien rudimentaire par rapport à celles des
vieux peuples, il était encore très voisin de la phase nomade et
pastorale, ne connaissait pas l'écriture ; et, cependant déjà, se
transmettaient, de bouche en bouche, en Hellade, des chefs-d'œuvre
de poésie, littérature dont les sociétés asiatique et égyptienne
s'étaient toujours montrées incapables.
Des arts, les nouveaux venus ne possédaient même pas la
notion; ni dans l'Iran, ni dans l'Europe occidentale ou centrale,
ni même dans le monde hellénique ; mais les Grecs, plus que tous
les autres peuples, en avaient les aptitudes naturelles ; et ces qua-
lités, ils devaient plus tard les développer au plus haut degré, en-
fantant des merveilles.
Si les Iraniens et les Indiens possédaient seuls alors les concep-
tions philosophiques élevées qui, chez les branches européennes,
ne se montrèrent que plus tardivement, tous ces peuples n'en
avaient pas moins quelques conceptions religieuses et des mœurs
communes (1); mais ils ne possédaient j)as, pour la plupart, d'apti-
(1) Avant leur séparation, les Indo-Eiiropîcns devognala = née d'un dieu, nom propre); vieil
possédaient la notion de la divinité ; le radi- islandais, livar, etc.]. Pour eux, le dieu est un
«al dv, commun à toutes les langues de leur fait naturel ou social, aiuiuel on attaclie une
groupe, en fait foi [sanskrit, deuas ; lithua- importance particulière ; le dieu n'a i)as un
nien, dëvas ; vieux prussien, deiws (génitif nom distinct de celui du fait en ((uer-tion ; le
<Jeiwas) ; latin, deixs et ses dérivés (vocatif, dieu n'est pas une personne ayant un nom
dive); vieil irlandais, dia \ gaulois, dévo (dans propre ; c'est le fait lui-même, c'est son es-
32Zi LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
tudes gouvernementales. Ils empruntèrent le plus souvent au
vieux monde ses méthodes avec leurs défauts et leurs qualités, et
sïls employèrent la forme démocratique, reste de leurs usages
d'antan, ce ne fut que dans un cercle très restreint et sans habi-
leté soutenue. C'est aux Italiotes qu'étaient réservées les grandes
vues politiques qui aboutirent à l'empire du monde.
Les qualités, les aptitudes indo-européennes devaient encore,
pendant bien des siècles, demeurer à l'état latent; ce n'est que
peu à peu, par le contact de ces esprits d'élite avec les progrès
réalisés par d'autres races que, recevant les principes de leurs
premiers maîtres, les Aryens porteront au sommet les arts et les
sciences, atteindront toutes les habiletés.
Aussi serait-il inexact et injuste d'attribuer à une race plutôt
qu'à une autre l'origine de nos civilisations ; toutes y ont con-
couru. Les anciens Asiates fournirent les matériaux dans la cons-
truction de ce grand édifice, les Sémites les dégrossirent, les
Aryens les assemblèrent et les ornèrent.
L'incubation de la civilisation grecque dura plus de mille années.
Négociants habiles, ils remplacèrent peu à peu les Phéniciens dans
la colonisation et le commerce maritime, visitèrent le monde entier
d'alors, puisant chez les divers peuples des notions, souvent
rudimentaires qu'ils développèrent, parfois compliquées ou con-
fuses qu'ils eurent le talent de simplifier ou de dégager des
broussailles orientales.
L'expédition contre l'Egypte leur avait appris à respecter la
puissance de ses souverains, mais aussi à connaître sa civilisation.
Pacifiquement et isolément ils s'y installèrent dès la fin de la
XXP dynastie, habitèrent les villes de la côte, les portes du
Delta ; ils y trafiquèrent, conservant leurs usages nationaux, leur
manière de penser, leur langue. C'est ainsi que, de très bonne
heure, tout ce qui se faisait dans lo^cidentde l'Asie et en Egypte
eut son écho chez les peuples de la Grèce, de l'Asie Mineure et
des îles.
Les pays de l'Euphrate et du Tigre étaient, pour les Grecs, plus
sence sa force intime. Le sens de deiwos est indo-européenne, ds Revue des Idées, 15 août
celui de » divinité », pris dans l'acception la 1907, n" 44, p. 689, s(i.) Pour l'Avesla, la divi-
idus large ; duaush (sanscrit védique;, Zej?, n\li- demeure immatérielle. Elle prit une
Zeas (Zeu Trâiep = Jupiler), aies signifient forme en Europe, au contact des panthéons
..ciel., «jour ..,1e dieu étant ce/e./e par op- du vieux monde, mais n en consenapas
position avec l'homme lerreslre (latin, humus, moins la notion générale de la divinité dan^
homo ; guma en gothique, goma en vieux haut Ifi racine du.
allemand, etc.). (Cf. A. Meillkt, La religion
LA PRÉPONDÉRANCE ÉGYPTIENNE 325
difficiles à alleindre; aussi ne les connurent-ils que plus tard et,
malgré quelques expéditions assyriennes aux confins de leurs
territoires, ils ignorèrent longtemps cotte puissance. Pendant plus
de mille ans Tintcrieur de l'Asie demeura le domaine commci-
cial des Phéniciens et autres Sémites de la Syrie, parce que, sur
le continent, la Grèce ne les pouvait atteindre. La civilisation
grecque euipiunta bien, il est vrai, quelques notions aux pays
asiatiques; mais c'est surtout vers l'Egypte, la Phénicie et la Crète
qu'elle tourna son attention.
Cette influence ne pouvait porter que sur les pays proches de la
Méditerranée; elle diminuait, peu à peu, lorsqu'on s'avançait vers
le Nord. On en retrouve cependantquelques traces jusqu'en Scandi-
navie (1)
Dans le bassin du Danube, en Scythie, en Allemagne, se pres-
saient alors des peuplades sauvages, sans histoire, sans littéra-
ture et sans arts; demi-nomades, demi-sédenlaires, en perpétuel
conflit entre elles sur des questions de territoires, de pâturages et
de troupeaux.
Le métal, cuivre, bronze et or, était déjà répandu dans toute
l'Europe centrale, en Gaule, en Grande-Bretagne, en Suisse, dans
les Alpes, où les tribus sédentaires vivaient dans leurs villages des
lacs. La culture des céréales et des plantes textiles, l'élevage du
bétail, la pèche et la chasse, la lutte contre leurs voisins étaient
les seules préoccupations de nos ancêtres de ces temps.
La civilisation du bronze, qui semble s'être répandue vers l'épo-
que de l'expansion pharaonique au dehors, prend alors un grand
développement dans les pays méditerranéens, grâce à la proximité
des vieilles sociétés de l'Asie Antérieure et de l'Egypte. Chaldéens,
Assyriens, Phéniciens, Chananéens, Hétéens et Egyptiens, tous ont
leur part dans l'influence répandue et, que ce soit en Crète (2),
(1) Les peuples celtiques n'ont jamais ha- avait eu dans l'ile (l'importants mélanges an-
bilé la Suède peuplée dès longtemps par la térieurs à l'apparition des Hellènes dans la
racegermanique, maisleurcivilisation a exercé Méditerranée. Les Cretois appartenaient
une très grande influence sur la Scandinavie au fond de la vieille population de ces para-
des le quatrième siècle avant notre ère. ges. Evans les considère comme composés
(O. MoNTEt.ius, Co/iyr. /)ré/î. /"rfiAip., 1907 (1908), de trois éléments : l'un apparenté aux peu-
p. 80'i.) Aiirès la conquête de la Gaule par pies de l'Anatolie, l'autre issu de l'Europe,
César, l'influence celtique en Suède fut hienti'jt et, par suite, voisin des Ligures, et le dernier
remplacée par l'influence de la civilisation ro- venant de la Libye. (Cf. A.-J. Evans, Prehi.tl.
maine. i/</.,p. 812.) lombx of AVio.s.so.s-, Londres, 1906, p. 132. —
(2) Il est impossible de dire, d'une manière Seugi, lex Hacex de la Méditerranée. — R.-M.
certaine, à quelle race appartenaient les hom- Brnuows, The dixcorerien in Crète, Londres,
mes qui habitaient l'ile de Crète, au début du 1907, p. 170.)
royaume Minoen, et si, dès ces époques, il y
126
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
àMycène ou à Troie, les traces s'en montrentbien nettes (I), sans
que, souvent, il soit aisé de faire la part originelle de chacun.
Entre la civilisation méditerranéenne du bronze et celle des.
pays du centre, de Touest et du nord de l'Europe, il existe bien
certainement des liens ; mais ces affinités se confondent avec les.
connaissances primitives communes, et l'on ne peut pas dire d'une
manière certaine que les progrès du Nord procèdent de ceux du
Sud (2). Les divers groupes se développèrent sur eux-mêmes, su-
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bissant toutefois des influences d'autant plus marquées qu'ils se
trouvaient plus rapprochés des foyers.
(1) Quelques exemples suffiront à montrer
1 importance des iiilluences étrangères sur
les premières civilisations méditerranéennes.
Certainement, en Crète, l'usage de l'émail est
d'origine orientale ; mais il est difficile de dire
s'il provient de Ciialdée par les Phéniciens,
ou d Egypte, ces deux pays étant, dès la
haute antiquité, en possession de cette indus-
trie. Par contre, le siège de pierre dit trône
de Minos, les tables d'offrandes (libations)
sont d'origine franchement pharaonique. L'ap-
pareil et la taille de la pierre semblent être,
eux aussi, de môme origine; car c'est dans la
vallée du Nil que cette architecture se déve-
loppe tout d'abord. La glyptique, née sur les
rives de l'Euphrate et du Tigre, sous forme
de cachets et de cylindres, gagna l'Egypte,
la Phénicie, le monde préliellènique, employant
toujours les anciens procédés de gravure. A
Uaghia Triada, entre autres, on a trouvé un
vase de stéatite, portant en relief des scènes
sculptées. Il suffit de jeter les yeux sur les
o^-uvres du même ordre découvertes à Suse et
dans les nécropides primitives de l'Egypte
pour se rendre compte de l'origine de l'art
que décèle le vase en question. Enfin, la dif-
fusion des procédés lei^hniques de la céra-
mique est l'un des exemples les plus curieux
de ces migrations. Partie de Chaldée, elle
gagna la Syrie et peut-être l'Egypte, puis se
répandit dans le monde préhellénique.
(i) Il existait cependant des relations com-
merciales entre les pays du nord et ceux du
midi, puisque l'ambre découvert dans les
ruines de yiycènes est d'origine ballique. (Cf.
E. CARTHAïLAC,Ma/énaux, t. XX, 1886, p. 201.)
LA PRÉPONDKRAXCE ÉGYPTIENNE 327
Le résullal fut (jiie, dans la Méditerranée, il se forma deux
centres principaux issus des données primitives et des contacts
avec l'étranger; l'un, le plus ancien, en Crète, l'autre, plus récent,
à Mycènes et dans les régions voisines (1).
Les (Icniiércs découvci'tcs, si impoilanles, permctlcnl aujour-
d'hui d(^ tracer un tableau des civilisations méditerranéennes ;
tableau hien sommaiie, il est vrai, et souvent bien hypothétique^
mais traduisant nettement les conceptions actuelles (cf. p. 32(3).
Les croyances religieuses ou superstitieuses, dont on trouve
déjà la trace chez l'homme néolithique de nos pays, étaient encore
bien rudimentaires. La crainte du mal, l'espérance du bien et de
la vie future, tels étaient les sentiments ([ui poussaient l'être vers
l'adoration dun monolithe, d'une grossière statue ou d'images
gravées sur les rochers.
Certainement la l^ranche européenne des Aryens n'avait pas, au
point de vue philosophi(|ue et moral, évolué comme ses sœurs des
Indes et de l'Iran; les croyances, chez elle, étaient grossières, ins-
tables, plutôt superstitieuses que religieuses ; et, si les Grecs ont
su les colorer d'une délicieuse poésie, elles n'en étaient pas moins
si flottantes chez eux qu'ils adorèrent la plupart des dieux de
rOrient, les adaptant à leurs goûts et à leur génie.
Vers l'Occident méditerranéen, l'influence orientale se faisait
d'autant moins sentir qu'on s'éloignait plus du foyer ; certaine-
ment les métaux étaient depuis longtemps connus sur toutes les
côtes, jusqu'à celles de l'Espagne; mais les peuples occidentaux
étaient en retard sur la Sicile, en retard elle-même sur l'Italie et
sur les pays grecs.
Bien peu de peuples, vers le quinzième siècle, connaissaient
l'écriture. L'Egypte, la Nubie, les Hétéens faisaient usage des hiéro-
glyphes; la Chaldée, l'Assyrie, l'Elam employaient uniquement les
cunéiformes; tandis {|u'en Syrie se développait, à côté de cette écri-
ture, le système alj)ha]jéti(}ue araméen et son dérivé le phénicien.
En Crète, une écriture spéciale, dont on n'a pas encore trouvé la
clef, semble être née spontanément, et, bien qu'on n'en connaisse
(1) Dans les Cyclades, la poterie peut êlre III. Poterie mycénienna locale, avec des-
classée comme suit : sins en noir mat, noirs et ronges, rouges et
I. Poterie primitive avec décor incisé, presque noirs, rouge lustré,
toujours remi)li de pâle blanche. IV. l'ase.s mijcéniens //iipor/e'.s-, qui peu à peu
II Poterie peinte à ornements (jéomélriqaes. remplacèrent, dans les Cyclades, la poterie in-
— La peinture est noire sur fond blanc ou digène, et semblent provenir de Crète. (Edm.
blanche sur fond noir. Pottier, Cal. vases antiques, 18%, I, p. 198, sq.)
328
LES PREMIERES CIVILISATIONS
pas encore la valeur, les archéologues pensent qu'elle s'est for-
mée et développée sans influence extérieure.
La Chine, également pourvue du métal, possédait aussi ses hié-
roglyphes issus d'une pictographie d'origine locale. L'Amérique
Pluie
Aurore
Feu Mont Poisson
Œil
Bouche
li<2Ai^4<3>^
Jardin Riz
*
P â ;K tu .§ a P
yu tan ho chan 'yu mou kheou yeou mi
Hiéroglyphes primitifs chinois, avec leur valeur moderne (1).
centrale commençait peut-être, elle aussi déjà, la figuration de la
pensée ; rien n'autorise cependant à faire remonter aussi haut
les débuts de la civilisation dans le nouveau monde.
On a cherché, pour la Chine, à rapprocher ses signes hiérogly-
phiques de ceux de la Chaldée('2), espérant trouver entre ces deux
systèmes un lien commun. Ces efforts
n'ont pas abouti : les analogies entre
les deux écritures j)rovenant de ce que,
dérivées de la pictographie, elles ren-
ferment forcément un certain nombre
de signes naturels communs, qui se
pourraient aussi bien rencontrer chez
tous les peuples, sans que pour cela il
y eut eu contact de l'un à l'autre ou in-
fluence de l'un sur l'autre.
Si nous nous en rapportons aux an-
nales indigènes, l'archéologie ne four-
nissant encore aucune donnée sur les
origineschinoises,c'estvers le vingtième
siècle avant notre ère que l'organisation
politique et sociale de cette partie de
l'Asie aurait pris une forme. Yao, le
premier roi de la première dynastie, le ^Nlènès de la Chine, aurait
1 2 3
Caractères chinois de di-
verses époques (3).
(1) D'après A. Remusat, Rech. sur l'orig. et
la format, de récriture chinoise (Mém. Insl.
royal, de France, t. VIII, 1827,i, et Klaproth,
Aperçu de l'origine des direrses écritures, p. 4-13.
(2) Cf. Terrien de Lacouperie, Wheat car-
ried from Mesopotamia to early China, dsBn^y-
onian and oriental record, Londres, juillet 1888.
(3) N° 1. Caractères dits des têtards attribués
à Yu le Grand, 2278 av. J.-C. (d'après les co-
pies conservées dans les Archives de l'Empire
à Pékin.) — N» 2. Ecriture tchouen usitée de
l'an 800 à l'an 200 av. J.C. — N" 3. Écriture
courante moderne — (d'ap. P. Berger, Hist.
de l écriture, 189), p. 44).
LA PRÉPONDÉRANCE ÉGYPTIENNE 829
vécu vers le vingt-deuxième siècle, et organisé sous la royauté
une population agricole possédant déjà, outre l'écriture et l'usage
des métaux, cuivre ou bronze, des notions astronomi{)ues et la plu-
part des arts utiles.
Confucius, dans le Chou-Ring (I), n'a {)as cru devoir enregis-
trer les temps fabuleux qui précédèrent Yao ; il les rangea dans les
dynasties divines, tout comme l'école memphile attribuait aux
serviteurs d'ilorus les faits antérieurs à Menés. Quoi qu'il en soit,
en Extrême Orient, les débuts bislori(|ues sont certainement pos-
térieurs de deux à trois mille ans à ceux de la Chaldée et de
l'Egypte. Quant à la période d'incubation de la monarchie, peut-
être a-t-elle été aussi longue que celle dont nous entrevoyons la
durée pour les pays de l'Asie antérieure; mais sûrement elle dé-
liuta bien longtemps après.
Le Japon, bien moins ancien que la Chine, a vu l'état néolithi-
que (2) se continuer, chez certaines peuplades, presque jusqu'à
nos jours ; tandis que chez d'autres, d'arrivée récente dans le pays,
les métaux furent connus vers le troisième siècle avant notre
ère (3) au plus tôt. A l'époque de la XVllP dynastie d'Egypte, ces
îles en étaient donc, pour longtemps encore, à la pierre polie.
Dans le sud de l'Asie, l'Inde et l'Indo-Chine, à l'époque qui
nous occuj)e, l'influence étrangère était encore loin de faire sen-
tir ses effets. Nous connaissons de ces peuples les vestiges de
leurs établissements néolithiques ou énéolithiques (li) ; quant au
(1) Cf. le Chou-King (Irad. Couvreur); le lure, construisaient des dolmens, inconnus
Ché-Ki, de Sé-ma-Tsien (trad. Chavannes); avant eux. (Cf. W. Gowland, The dolmens of
le Yi-King (The oldest hook of liie Ciiinese, Japan and Iheir l)uilders, in Trans. and Proc.
par A. Terrien DE Lacol'Perie, Londres, 190-2). of Ihe Jap. Soc, London, 1897-1898, IV, pp.
Dans ce dernier ouvrage (vol. I, p. 96, sq.), 182-183.— V. Dickins, Congr. préhist. France,
l'auteur cherche encore à prouver l'origine 1907(1908), p. 47i, sq.) — Michel Revon {le
occidentale de l'écriture chinoise. Sliintlioï.sme, Paris. 1907, in-8) pense que le
(2) La céramique japonaise prend, dès l'é- Japon a été le théâtre de deux invasions :
poque néolithique, un caractère très spécial l'une, venue de Corée, qui a fourni la masse
ne présentant aucune analogie avec ce que de la population, l'autre, issue de l'archi-
nous connaissons de r.\sie occidentale et des pel Malais, qui a fourni la classe aristocra-
peuples venus de Sibérie. (Cf. E. B.^elz, Zur litiue.
Vor-und Urgeschichle .Japans, in Zeituch. fnr (i) Les stations de Somron-Seng et de Long-
Ethnol.. Berlin, 1907, p. 281, sq. — Go\M..\>ii), prao.au Cainhodge, montreni la Iransilionentre
The dolmens and lUirials Mounds in Japan, le néolilhi(iue et rénéûliliii(iue. Les objets de
Arcliieologia, London, 1897. — Dc'initz, Vorge- pierre \ présentent un faciès tout parti-
schichlliche Graber in Japan, 1887. — Baelz, cuIIli-. Quant aux métaux employés sous
Kôrperliche Eigenscliaften der Japaner. Tokio, forme d'alliage (cuivre, 95 p. 100 ; élain, 5
1882 et 1883. — Id., Die Menschenrassen Os- p. 100), ils diffèrent par la forme des instru-
tasien, Berlin. Anlhrop. Gex., 1901) ments, ainsi que par la teneur en étain, de
(3) Les premiers imniii-'rants de race japo- ce que nous connaissons dans lOccident.
naise, venant du nord-^pst de l'.Vsie par la Cette industrie est antérieure à la civilisation
Corée et Tchouchima, apportèrent peut-être kmère, dans l'Indo-Chine ; mais ne semble
à leur nouveau pays une civilisation qui, pas remonter à une très haute antiquité. (Cf.
bienque préhistorique, élait déjà très avancée: J.-B. Noui.ët, l'âge de la pierre polie et du
ils connaissaient le bronze, le fer, l'agricul- bronze au Cambodge, ds Arc/i. du 3/usee c/'/i/*/.
330
LES PREMIÈRES CIVILISATION
courant qui leur apporta l'usage de la métallurgie, nous ne pou-
vons, jusqu'ici, nous faire aucune idée de son époque.
Pour lAmérique, nous ne savons, de manière précise, rien sur
l'évolution de l'écriture ; parce que, ne pouvant en traduire les
textes, nous ne sommes,
pas à même de juger de
leur époque relative. Quoi
qu'il en soit, il n'est peut-
être j)as exagéré de faire
remonter jusqu'aux envi-
rons du quinzième siècle
avant notre ère les dé-
buts de cette curieuse ci-
vilisation et de son sys-
tème graphique, dont nous-
ne possédons que des
types relativement moder-
nes.
Ailleurs, dans le monde
entiei', il n'existait d'autre
procédé d'enregistrer les
faits et les idées que la
tradition orale ; aussi les
premiers hommes qui par-
vinrent à la notion de
l'écriture, sous quelque
forme que ce soit, pri-
rent-ils sur les autres une
mexicaine ocronipagnée telle avance ciu'il fallut des
de légendes explicatives en hiéroglyphes Lt-i^*^ ''vaiiLe qu ii laiiui ue^
(dap.L.DE RosNy,/es Ecriiuresfi(juraiives) (1). milliers d'années pour que
l'équilibre s'établisse et^
d'ailleurs, l'effet de cette supériorité n'est encore pas terminé.
Quant aux langues, nous ne possédons, pour la plupart, que
d'informes vestiges de leur état en ces temps si reculés. Cepen-
Peintiire figiiiative
nal. de Toulouse, 1879.) — H. Mansuy, Stal.
préhist. de Somronseng et de Longprào, Ha-
noi, 1902.
(1) Le registre supérieur représente la fon-
dalion de la ville de Mexico (dont l'aigle A esl
le symbole) par KouaoïiUi-Kelzki et Te-
Nolch, aidés par les chefs des princii)ales fa-
milles (1. Akassitli, 2. Koiiapa, 3. Oselopa.
4. Akecholl.ô.ïesineouh, 6. Tenoiilch, 7. Clio-
niimill, 8. Chokoyol, 9. Chiouhcak, 10. Alo-
totl). Le registre inférieur figure les con(piètes
d'Akamapichlli, premier roi de Wesico sur le*
États de Colhuacan{B) et deTenolclititlan (C).
LA PRHPOXDKRAXr.E KCYPTIENNE 33|
dant, grâce aux loxles laissés par quelques-unes d'entre elles et
aux traces encore vivantes de certains idiomes, il est possible de
se faire une idée générale de la carte linguistique du monde à
cette époque.
En Chaldée, l'akkadien, dans tonte la force de son développe-
ment, se transformait déjà en babylonien, différant en cela quelque
peu de l'assyrien, qui se formait sur le Tigre, conservant plus
d'archaïsmes que le dialecte du Midi.
En Syrie, l'araméen, le chananéen, le phénicien partis de Chal-
dée, avaient évolué chez de petits groupes d'hommes, dans le pays
même et en Egypte au temps des pasteurs. Il en était résulté une
foule de formes dialectales dans chacun des idiomes primitifs: le
tyrien, le sidonien qui essaima plus tard le punique, l'hébreu,
le moabile, l'ammonite, le galiléen, ramorrhécMi, le samari-
tain, etc., tous plus ou moins proches parents, s'entendant les
uns les autres, mais dont la plupart ont disparu sans laisser de
traces.
En Arabie où, malgré la proximité de l'Egypte et de la Chaldée,
l'écriture n'avait point encore pénétré, il se parlait une foule
de dialectes, tous voisins entre eux et plus proches de la lan<i-ue
primitive que ceux du Nord qui, dans leurs migrations, s'étaient
mélangés d'expressions et de formes étrangères.
Tel était le domaine des langues sémitiques, fort restreint,
comme on voit, et formant un groupe homogène. Ceci explique
les affinités étroites qu'on rencontre toujours entre les diverses
branches de cette famille, quels que soient les matériaux soumis
à l'examen.
L'Egypte n'avait guère modifié son parler d'autan, qui était
d'usage dans toute la vallée du Nil, de Syène à la Méditerranée ;
mais dans la vallée du Nil seulement, car ce pays n'a jamais
essaimé de colonies durables, ses fondations à l'étranger n'étant
que des postes militaires, aux garnisons sans cesse relevées. Il
existait dans la langue vulgaire des différences de terroirs et,
dans le Delta, des traces très marquées d'influence asiatique (l).
Au sud commençaient les langues klianii tiques des nègres,
(l)S.ir le haut Nil, les dialectes nubiens iiHlécliifTi-és sur les murs, entre autres du
étaient restes purs. Quelques siècles seule- temple de Philœ ; certains se sont conservés
ment avant noire ère, ils employaient une jus(iuïi nos jours (le Biotiari)
écriture spéciale dont on retrouve des textes
332 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
qu'en Nubie on écrivait au moyen des hiéroglyphes égyptiens;
plus haut, l'écriture était inconnue.
Au nord, riiétéen, dont les textes encore indéchiffrés ne nous
renseignent pas sur la nature delà langue, puis des tribus autoch-
tones, certainement apparentées aux Hétéens, et s'étendant jus-
qu'au pied du mont Caucase. Les peuples de ces pays parlaient
probablement des langues agglutinantes comparables au géorgien
de nos jours, au vannique des temps assyriens, mais n'écrivaient
pas.
Seuls, des anciennes races, Van et l'Elam possédaient alors les
cunéiformes. Suse nous a transmis une abondante littérature mon-
trant une langue agglutinante avec flexions
simples.
DansTIran, un grand nombre de dialectes
Aa^ g>T "--^'^TJ^>^^^^ divisaient alors le plateau. Sur les bords
^^Tg^^^^l'^§H occidentaux, où se parlaient encore les
idiomes des anciennes races, le mède et le
perse se trouvaient en îlots ; mais ces lan-
gues devenaient plus compactes au fur et
à mesure qu'on avançait vers 1 Orient, au
Texte anzanite de <.hil- i i ■ i i i t^
. , ■ r'u 11 nord pour le mede, au sud i)our le i)erse. De
nak in Chouchinak, ^ 'il
sur un pommeau de tous les dialectes iraniens, il ne nous reste
terre émaillée (1). ^^^^^ç j^j^^^ ^^^^ ^^^ chose : le zend, dans l'Avesta,
et le perse, dont nous ne connaissons qu'une
forme relativement récente, lachéménide.
Ces deux langues sont parallèles et ne j)rocèdent pas Tune de
l'autre. La preniièreétaitprol)a])lementle parlcrd une secte oud'une
tribu habitant le Nord, l'Hyrcanie ou la Bactriane ; la seconde
acheva son développement dans les pays situés au Sud du plateau.
Le lieu d'origine du zend et son époque ont été l'objet de lon-
gues discussions; les uns placent son berceau vers les confins de
la Scythie, les autres en Médie ou dans l'Atropatène. Certaines
sources le montrent parlé à l'époque où la famille iranienne était
encore groupée dans le pays de Balk, c'est-à-dire trois à quatre
mille ans avant notre ère ; d'autres abaissent cette date jusqu'au
quinzième siècle, voire même aux temps des Achéméiiides. (^uoi
(1) « Moi Chill)ak in Choiichinak, fils de cl la bf-néilirtion de la vie de noire famille
Choutrouk Nakhkounte, vaillant chef, pour la — Cf. V. Scheil, Mém. Délcg. en Perse, t. 111,
bénédiction de ma vie, la bénédiction de la textes élamites-anzanites, 1901, p. 74.
vie de Nakhkhoiinla-Oulou, ma femme chérie.
LA rUKPONUKHANCE ÉGYPTIENNE 333
([u'il en soit, cctlc langue ne le cède sûrement en rien au perse
pour l'anticiuilé, bien que son écriture soit de date récente.
A côté de ces deux langues, il en est d'autres qui n'ont jamais
été écrites, et dont nous ne possédons presque rien; tels sont le
mède dégénéré en kurde actuel, et l'ossèthe parlé par une peuplade
perdue au milieu du grand Caucase.
Mais ces types n'étaient pas les seuls, ils se décomposaient
eux-mêmes en une foule de dialectes. Toutes ces formes ont à
jamais disj)aru, parce que l'écritui'c n'est arrivée que tard en
Iran, et qu'elle n'a januiis été mise ([u'au service du perse d'abord
et du zend ensuite.
Il en fut de même dans les Indes, où l'invasion aryenne apporta
probablement un grand nombre de langues, elles aussi divisées en
multiples dialectes (1). Aucune ne fut écrite avant le second ou
tout au plus le troisième siècle av. J.-C. ; elles se parlaient seule-
ment comme la plupart des langues de l'Iran et de la Grèce un
demi-millénaire auparavant. Dès le III* siècle avant notre ère, la
langue védique possédait déjà une culture ; mais son dévoloppe-
ment avait été purement oral. Le sanskrit classique en sortit,
provoqué par l'application de l'écriture. Quant au sanskrit-mixte,
il n'est qu'une manière d'écrire le prâkrit, et les brahmanes en
ont fait sortir le sanskrit profane. Les dialectes pràkrits, populaires
par leur origine, ont également évolué, du IP au IV siècle de
notre ère, sous l'influence du sanskrit.
« Tout, dans ce système, se tient et se suit en un mouvement
naturel et bien lié. Les mêmes inspirations que nous voyons à
l'œuvre dès les premiers temps continuent leur action dans la
suite ; au travers des évolutions qui se commandent et s'engendrent
l'une l'autre, les principes moteurs restent identiques (2 . »
La Scythie (Russie méridionale et Transcaspienne), alors occupée
par des tribus aryennes, ne nous a rien laissé; et ce n'est que dans
le sud et l'occident des pays méditerranéens que nous rencontrons
quelques indices permettant de suivre les Aryens. Encore, ces
(1) Nous ne possédons aucun document sur déjà fermement établis dans ces pays. Il sem-
linvasion de l'Inde par les peuples de lan- blerail aussi que des tribus aryennes ont, éga-
gues dravidiennes, de môme que nous n'avons lement, traverse l'Altaï pour gagner les pla-
aucun renseignement sur l'époque où les teaux de l'Asie centrale et là se soient fondues
Indo-Européens franchirent l'Hindou Kouch, avec les populations mongoliques.
pour pénétrer dans les plaines du Pandj-Ab (2) Cf. E. Sénart, les Inscriptions de Pii/a-
et la haute vallée du Gange. Les premières dasi, t. II, 1881, p. ,53.
informations historiques montrent les Aryens
33,i LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
traces ne nous sont-elles parvenues qu'indirectement, seulement
par quelques noms de peuples transmis par les textes égyptiens.
Les Lyciens, les Phrygiens, les Dardaniens, les Kébrènes, les
Paplîlagoniens, les Bithyniens, les INIysiens, les Ascaniens, etc.,
de l'Asie Mineure, parlaient des langues apparentées au grec, de
même qu'une foule d'autres peuplades, dont les noms sont
oubliés aujourd'hui.
Parmi ces peuples, les Ascaniens, ancêtres des Arméniens, ont
plus tard gagné le bord du massif persan, dans les pays de l'Ara-
rat; ce qui porta bien des savants, des linguistes même, à cher-
cher à les rapprocher des peuples iraniens. Mais il ne faut pas
oublier que c'est vers le XV^ siècle avant notre ère que les
Arméniens passèrent le Bosphore, en compagnie des peuples que
je viens de citer et que, s'ils sont aujourd'hui plus rapprochés géo-
graphiquement de la Perse que delà Grèce, ce n'est que par suite
<le leur retour vers l'Orient. Cette famille linguistique semble
former le passage entre le groupe gréco-ilaliote et la souche
irano-hindoue (1).
La Grèce et l'Italie furent occupées par des peuples très proches
parents, si nous en jugeons par les affinités que présentent leurs
langues.
Le grec prit des formes spéciales, suivant les pays où se fixèrent
les diflérentes tribus, et il n'est pas bien certain que ces variétés
n'existaient pas déjà avant l'invasion. C'est ainsi que Téolien fut
parlé vers la pointe occidentale de l'Asie Mineure; le dorien dans le
Péloponèse et plus tard en Crète Ci), dans les colonies de Sicile,
de Libye et d'Italie méridionale; le béotien au nord de Corinthe;
l'ionien, la langue des îles, était aussi parlé dans certaines localités
de l'Asie Mineure, en Attique, etc. ; sans compter les nombreux dia-
lectes disparus avant l'introduction de l'écriture chez les Hellènes.
(l)Hûbschmanu considère l'arménien comme Perse, t. VI, 1905, p. 59, sq.) dérive des hié-
laisanl partie d'un groupe indépendant dans roglyphes sumériens primitifs. Cette descen-
la famille indo-européenne. (Cf. Zeilschr. de dance est affirmée par des rameaux, des têtes
Kuhn, t. XXIII, p. 407.) C'est à lort qu'on a humaines schématisés Quelques signes sem-
pensé (HovEL.\cijuE, la Linguistique, Paris, blant appartenir au même groupe ont été
1888, p. 288), confondant le vannique avec rencontrés dans les Cyclados, à Mile entre
l'arménien, que cette langue avait été écrite autres, en sorte qu'on serait tenté d'attribuer,
dans I antiquité en caractères cunéiformes. dans la très haute antiquité, un système
(2) Les peuples qui occupaient la Crète d'écriture figurative ou hiéroglyphique à
avant l'invasion dorienne possédaient, non seu- l'Orient méditerranéen et de songer à une pa-
iement une langue que nous ne connaissons rente possible entre les signes hétéens qui,
pas, mais une écriture restée indéchilïrable. comme on le sait, furent en usage jusqu'à la
Elle résulte siirement de la simplification d'un côte et les hiéroglyphes, d'où descendent les
système hiéroglyphique, tout comme le proto- curieux signes découverts en Crète par M.
Elamite (Cf. V. Scheil, Mém. Délég. en Evans ;etpeut-être aussi l'écriture chypriote.
LA PRÉPONDÉRANCE ÉGVPTIKNNE
335
C'est vers celte époque également que la péninsule italique fut
envahie par des tribus étroitement apparentées à celles de la
Orèce, mais ne descendant pas d'elles. \.c lalinfri, qui renfei-me
<l('s lornies plus archaïques (jue le grec, est la langue qui a
dominé les autres. Il avait alors une foule de sœurs, telles (|ue Tos-
<iue, l'ombrien, qui toutes disparuient de bonne heure. L'ombrien
était parlé dans le sud-est de la Péninsule, ros(|ue au sud, le
latin vers le milieu, près de létrusque, langue que quelques au-
teurs (2) rattachent au groupe indo-européen, et que d'autres (3)
•croient pouvoir faire rentrer dans celui des dialectes qui, avant
la venue des Aryens, se parlaient au sud de l'Europe.
Dans quelques pays isolés, tels que les montagnes, les anciens
idiomes se seraient conservés encore longtemps. L'albanais (li),
le basque (5), jusqu'à nos jours, l'ibérien (6), dans la péninsule
espagnole, jusqu'au milieu de l'empire romain.
Les Celtes (7) s'étaient avancés dans la France et depuis long-
temps occupaient nos pays. Ils étaient probablement venus de la
région du Dnieper ou du Bas,-Danube, en passant par les pays
baltiques, apportant avec eux des langues, telles que le breton,
■dont le parler s'est perpétué jusqu'à nous.
Pour le reste de l'Europe, nous ne pouvons nous prononcer ;
certainement il avait été, plusieurs fois déjà, envahi par les peu-
ples aryens ; mais aucun indice ne nous permet de juger des lan-
gues que parlaient ces premiers envahisseurs.
Le monde situé en dehors de celui que je viens de décrire som-
mairement était en entier le domaine des langues inférieures,
monosyllabiques ou agglutinantes.
En dehors des principaux centres de culture intellectuelle,
(1) Nous en pouvons suivre révolution de- bolais (1542), et le premier livre en cette
puis le troisième siècle avant notre ère. (Cf. langue est de 15i5. Le bnsipie, dont l'origine
CoRSSE.-y, Ueber Ausspraclie, Vokdlismus iind demeure absolument inconnue, se subdivise
Belonunij der laleinischen Sprache, 2" édit. en une vinglaine de dialectes, parlés tant en
Leipzig, 1868, t. I, p. 695.) Espagne qu'en France.
{2) CoRssEy, Ueber die Sprache der Elrusker, (6) L'ibérien, langue parlée jadis dans toute
Leipzig, 1874, 1875. l'Espagne et le Portugal jusciu'au.x environs
{3) FuGviER, Zur prechislorischen Elhnol. lia- de Narbonne en Gaule, ne nous est connu
lienx, 1877. que par les médailles (i" s. av. J.-C.) et les
(4) L'albanais ou skipetar sembleappartenir inscri[)lions encore indécliillrées; on le pense
à la souche aryenne. apparenté au basque. (Cf. Van Evs, La lan-
(5) Cf. Broca, Sur l'origine et la réparlilion gue ibérienne et la langue basque, ds Rev.de
de la langue bascjue, ds Rev. d'Anlhrop., t. linguistique, Paris, 1874, I. VIH, p. 1. — Vin-
IV et carte, pi. IIL — Carte du prince Bona- son, La question ibérienne, ds Mém. Coiujr. se.
])arte, 1869. Le plus ancien document en lan- de France, 1874, t. Il, p. 357.)
gue basque n'est pas antérieur au di.xième (7) La branche celtique (indo-européenne) du
siècle de notre ère (charte latine de 980, don- langage se subdivise en deu.v groupes, le
nant quelques noms propres basques). Quant gaélique et le kimrique.
au plus ancien te.xte basque, il est dan"s Ba-
336 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
il se forma, dans les îles et sur les côtes, une multitude de foyers
d'une indépendance relative, où chaque peuplade donna cours à
ses tendances. Ces foyers s'influencèrent les uns les autres et ne
manquèrent pas de réagir plus ou moins sur les pays d'antique
civilisation.
Tour à tour on a voulu attribuer à une seule origine les pro-
grès dans nos pays. Tantôt ce furent les Phéniciens qui, par
l'étendue de leur navigation, auraient porté leurs connaissances
dans toute la Méditerranée; tantôt ce furent l'Egypte, la Ghaldée, la
Grèce même, apportant du Nord des notions qu'elle ne posséda
jamais aux origines. Aujourd'hui que la Crète entre en jeu (1),
l'on exagère déjà les conséquences des récentes découvertes.
11 faut se souvenir (|ue tous les éléments en contact jouèrent leur
rôle suivant des proportions que nous ne saurions, dès maintenant,
évaluer d'une manière précise; mais dans lesquelles les grandes
civilisations asiatiques tiennent une place certainement prépondé-
rante, par la force que leur donnaient les siècles écoulés, l'expé-
rience, la puissance commerciale, maritime et militaire.
Dans tel pays, l'influence égyptienne domina; dans d'autres ce
fut celle de la Phénicie, de l'Assyrie ou de la Chaldée, souvent plu-
sieurs à la fois. Quant au génie indo-européen, il n'entra sérieu-
sement en ligne qu'après avoir dépassé ses maîtres ; et l'on peut
affirmer, sans crainte, qu'au début son influence fut insignifiante
sur les vieilles civilisations.
Dans une étude aussi compliquée, ne reposant que sur des
appréciations souvent discutables et sur des faits d'une analyse
très ardue, il ne faut jamais perdre de vue l'ensemble de l'évolu-
tion et laisser son esprit s'attacher outre mesure à des détails,
quelque séduisants qu'ils paraissent.
(t) Minos, ayant formé la première marine rat. 25). Son frère Rliadamante réunit sous
nationale, domine les Cyclades et étend son son sceptre une partie de la côte d'Asie Mi-
hégémonie sur toute la Grèce (Thucyd., I, i). neure au,x îles septentrionales de lArcliipel
On signale des établissements crétois de (Dion. Sic, V, 7J). Enfin, son autre frère
cette époque dans la plupart des îles de l'ar- Sarpédon se forme un royaume indépendant,
chipel. (Voy. BoLANACHi et Fazy, Préc/s ciVi/s/. mais allié, en Lycie (Hérodote, I, 173.—
de CrÀie, pp. 118-121.) On en place également Diod.Sic, V, 79), et dans une portion de la
un à Ténare, en Laconie (Plutarque, De .scr. Carie et de l'ionie. (Cf. Bolanachi et Fazy,
numin. vindict., p. 559. — Hesych). Minos, Précis d'histoire de la Crète, pp. 121-126.) Tel-
avec sa flotte, soumet une partie de la Sicile, les sont les traditions grecques sur la thalas-
où il lutte contre les Sicanes, les rivau.x des socratie Cretoise. (Fr. Lenormaist, les Premiè-
Sicules (DiOD. Sic, IV, 79. — Hérodote, VIII, ;e.s- Civilisations, t. II, 1874, p. 418, noie 1.) Cer-
170), et il fonda Ileraclea, Minoa et Egyon. tainement elles ne répondent pas absolu-
De son temps, un peu après lui, les Crétois ment à la réalité des faits, mais montrent
dominent sur la lapygie, où ils bâtissent combien l'influence minoenne avait laissé de
Ilyria, Brentésion et Tarente (Hérodote, souvenirs chez les Hellènes.
VII, 170. — Strab., VT, p. 279. — Cono.n, nar-
LA PRKPOXDERANCE EGYPTIENNE
337
Si, dès l'âge du bronze, nous rencontrons parfois, mais très ra-
rement, dans l'Europe centrale et septentrionale, des traces d'in-
fluence de l'Orient, nous n'en devons point être surpris; car les
peuples commerçaient entre eux dès la plus haute antiquité. Mais
Tableau monlranl le dcueloppemenl de la connaissance des métaux
dans l'Asie Anlérieiire, l'Afrii^ue du Nord el l'Europe |I).
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M = Mésolithique ; N = Néolithique; E = Enéolitiiique; B — Bronze;
BF — Bronze avec connaissance du fer; F = l-'er.
partout le faciès local sautant aux yeux aussi jjien dans les civili-
sations méditerranéennes que dans celles du Nord, il est sou-
(1) Les indications fournies par ce tableau elles devront être rectiliées au furet à me-
né sont, et ne peuvent être qu'approximatives; sure des découvertes.
22
338 LE^ PREMIÈRES CIVILISATIONS
vent aisé de faire la part des principes originels, des apports
étrangers et des efforts personnels à un peuple.
La forme des vases, des armes, l'ornementation, l'art, la techni-
que industrielle sont autant d'éléments qui, joints aux indications
d'ordre social et moral, entrent dans la balance et servent à classer
les diverses phases et les divers foyers de l'évolution.
Ces fractions, dans le temps et dans l'espace, sont plus ou
moins apparentées; elles se groupent naturellement, montrant des
successions et des familles. C'est ainsi qu'il est permis d'affir-
mer que l'évolution méditerranéenne envisagée dans son ensemble,,
est étrangère à celle des pays européens, bien qu'il se trouve par-
fois enchevêtrement de principes nordiques et d'idées orientales.
Certaines formes, par exemple, très anciennes et très simples,
occupant une large surface, indiquent, par leur présence même, la
parenté des efforts dans les pays où elles se rencontrent. Elles
éloignent, au contraire, de leur famille celles où elles font défaut.
Parmi les types d'instruments de bronze hongrois, par exemple,
il est à remarquer que les plus anciens, seuls, peuvent être suivis
jusqu'au cœur de l'Asie septentrionale (1). L'un d'entre eux, le petit
celt, parfois muni de deux œillères, qui se montre dans toute
l'Europe, la Russie méridionale et la Sibérie, s'avance jusqu'au
Japon et à la Chine ; mais les pays méditerranéens, l'Asie anté-
rieure, l'Iran et les Indes demeurent en dehors de sa zone.
Cet instrument est donc caractéristique d'une grande famille
nordique; quant à son point d'origine, il est difficile de le préciser.
Est-il venu de Chine en Bretagne ? ou de Bretagne en Chine ?
Est-il né en Hongrie, en Russie, au pied de l'Altaï, pour de là
s'étendre à l'est et à l'ouest, et gagner ses limites extrêmes ? Nous
ne le pouvons dire ; dans tous les cas, nous savons que son ori-
gine n'a aucun lien avec les vieilles civilisations du Sud,
Ce que je viens de dire d'un seul type s'applique à une foule
d'objets, d'ornements ou d'idées; et l'ensemble de leur élude, cor-
roboré par d'autres observations, par les traditions et par les lam-
beaux d'histoire écha])pés à la destruction générale des textes
sur les origines, permet d'établir le sens, l'intensité et les bords
de ces grands courants, auxquels l'Europe est redevable en ma-
jeure partie de ses connaissances initiales.
(1) Cf. SopHusMuLi.EP, L'origine (Je l'âge du bronze en Europe, lra(l.ds.'\/(i/t?//(ua', t. XX, 1886, p. 16-2-
LA PRÉPONDKnANCE ÉGYPTIENNE 339
Un autre exemple est celui Je rornement en spirale. Né en
Egypte, suivant la plupart des archéologues il aurait de la vallée
du Nil gagné l'Asie antérieure, la Perse, le Caucase, la Russie
d'une part; d'autre part il se serait répandu dans TArchipel, la
Grèce, l'Italie, l'Ibérie et aurait atteint la Scandinavie après avoir
envahi toute l'Europe.
Pour la famille méridionale, je choisirai un exemple j)uisé dans
un autre ordre d'idées, celui de la diffusion du culte d'Astarté
« la terre mère, la fécondité » et de sa représentation. Née en Baby-
lonie et dans l'Elam, la déesse Nana se répand en Asie, en Egypte,
en Syrie, gagne les îles grecques, l'Asie Mineure et s'étend peu à
peu jusqu'aux portes d'Hercule ; mais ne sort pas de la zone médi-
terranéenne, ne pénètre que peu ou pas dans les pays situés à
l'Orient du Tigre. Il y a là diffusion de principes du Sud dans la
famille nordique, sans invasions comme véhicules des notions.
Le phénomène inverse se produit aux débuts de l'état métal-
lurgique dans l'Asie jNIineure et à Chypre. Là on reconnaît des in-
fluences, dont les traces plus anciennes se montrent dans la vallée
du Danube (1). Dans ce cas il y a diffusion par invasion car, on le
sait, les Indo-européens qui, vers le second millenium, apparu-
rent dans le nord de l'Asie antérieure, venaient de Thrace et
avaient séjourné au-delà des Balkans.
Les exemples qui précèdent sont concluants, mais tous les faits
ne se laissent pas interpréter aussi aisément. Il en est qui résis-
tent à la critique la plus judicieuse. Le Swastika, répandu sur le
monde entier, aussi bien dans le Nord que dans le Sud, en Amé-
rique qu'au Japon et en Chaldée, ne nous a pas livré ses secrets;
et, malheureusement, il en est ainsi pour la plupart des indices du
culte que nous relevons dans les vestiges des premiers âges.
(1) R. V. LicHTENBERG, Beilriige z. âUeslen Geschiclite v. Kypros, in Milt. d. Vorderasiat.
Ces., I'.t06, 2.
CHAPITRE X
La prépondérance assyrienne.
Décadence de l Egypte. — Les Mèdes et Cyaxares.
Invasion des Scythes. — Pelasges et Hellènes.
Les Ligures. — Les Etrusques, fondation de Borne.
Origines de la civilisation chinoise.
L'Assyrie fut le nid tFoiseaux de proie d'où, pendant près de
dix siècles, partirent les expéditions les plus terribles qui aient
jamais ensanglanté le monde.
Assour, Nimroud (1) et finalement Ninive, furent successive-
ment les capitales de cet empire; Assour était son dieu, le pil-
lage sa morale, les jouissances matérielles son idéal, la cruauté (2)
et la terreur ses moyens (3).
Jamais peuple ne fut plus abject que celui d'Assour ; jamais
souverains ne furent plus despotes, plus cupides, plus vindicatifs,
plus impitoyables (/i), plus fiers de leurs crimes (5).
(1) Le transfert de la capitale d'Assour à
Kalach se fit sous Salmanasar !"■ (Cf. G.Mas-
PERo, Hixt. Or.class., t. II, p. 608), mais ne
semble avoir été définitif que cent ans plus
lard.
(2) Je (Assournazirabal) construisis un pilier
à la porte de la cité, puis j'enlevai la peau de
tous les notables, et j'en recouvris le pilier;
j'accrociiai les cadavres au pilier même, j'en
empalai d'autres sur le sommet du pilier ; je
rangeai les derniers sur des pals autour du
pilier. » {Ann., col. I, 89-91.)
(3) « La terreur de ma force les culbuta, ils
craignirent le combat et ils embrassèrent mes
pieds. » {Ann. de Tiylalphalasar, I, col. III,
1. 4-6.)
(4) On laissait au.t vaincus leurs rites natio-
naux, leurs constitutions, leurs rois (Cf. An-
nales de Tiylalphalasar, col. II à V) ; même
lorsque l'un de ceux-ci avait été empalé ou
décapité, après une rébellion, on ne lui don-
nait point pour successeur un personnage
étranger à sa famille ; mais on choisissait,
parmi ses fils ou parmi ses parents, celui que
l'âge ou le degré d affinité appelait à régner,
et on l'intronisait sur les débris fumants en-
core. Il devait humilier ses dieux devant As-
sour, payer un tribut annuel {Annales de Ti-
glatphalasar, id.), prêter aille et secours aux
commandants des garnisons voisines, joindre
son armée au.\ troupes royales en cas de be-
soin {Ann. Assourbanipal, col. III), consigner
ses fils ou ses frères en otages, livrer ses
filles et ses sœurs, les filles et les sœurs de
ses nobles pour le service ou le lit du vain-
queur. (G. Maspeko, Hisl. anc. des peuples de
l'Orient classique, t. II, 1897, p. 640, sq.)
(5) «J'ai (Sennacherib) détruit leur (Elam et
Babylone) plan de bataille et je les ai mis à
mort. Ils jonchaient la terre comme des..
LA PRKPONDKUANCE ASSYRIENNE
3/4 1
L'Assyrie résume en elle tous les vices; liornii la bravoure, elle
n'offre aucune vertu. Il faut feuilleter l'histoire entière du monde
pour trouver ç.à et là, dans les époques les plus troublées, des
Limites de L'Empire assyrien =vers I400av. J-C^ = sous Teglalhpalasar^ vers 1120..
Tinirari III, 8 12-784. ^._.j. = sous Assourbanipal, 667-625. .
= sous nama-
Marche du développement de l'Empire assyrien.
crimes publics dont l'odieux soit comparable aux horreurs com-
mises journellement par les Ninivites au nom de leur dieu (1).
les harnais, les armes, les trophées de ma
victoire nageaient dans le sang des ennemis,
comme dans une rivière. Mes chars de ha-
taille (jui écrasent les hommes elles animau.K
avaient broyé leurs corps. .lai élevé comme
un Irojdiée des monceau.t de cadavres dont
j'ai coupé les extrémités des membres, .l'ai
mutilé ceu.\ qui sont tombés en mon jjouvoir,
je leur ai coupé les mains, je me suis em-
paré de leurs bracelets, des monceaux d'or.
des objets qu'ils possédaient. » (Prisme de
Taylor, VV. A. I. I, c. V, 1. .56; c, VI, 1. 1,
trad. J. Menant, Ann. Assyr., p. 223.)
(l) Cf. Annalex d'Ax.foiirbcinipal, col. I, pp-
81-111, II. 1. 107, III, col 111. 107-109, 111-
li;{, etc. — Cf. Pkizkr, Inscbriflen Aschur-
nàsir-abal's, in Schr.\der, Keilinxchriflliche
Bihliolhek, t. I, pp. 66-f>7. — Cf. G. Maspero,
llixt. (inc. des peuples de l'Orient classique, l. II,
p. G:î8, sq.
3/j2
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
L'Assyrien n'est ni un artiste, ni un littérateur, ni un légiste ;
c'est un parasite, appuyant l'organisation du pillage sur une for-
midable puissance militaire (1). Si loin que s'étende son empire,
partout il domine et nul part ne gouverne; ses appétits sont sans
limites (2). En lui s'incarnent, au plus haut degré, les défauts et
les vices de la politique asiatique. 11 est, à ce point de vue, celui de
tous les peuples de l'antiquité, dont l'étude soit la plus intéres-
sante.
Les débuts de l'Assyrie, nous l'avons vu, furent obscurs. Des
bandes refoulées de Chaldée par la venue de nouveaux contin-
gents sémitiques, ou peut-être aussi par la conquête élamite,
avaient remonté le Tigre; et, s'arrêtant à dix ou douze jours de
marche de Babylone, avaient fondé une ville, Assour, et une prin-
cipauté gouvernée par des Patésis.
S'étant peu à peu développée, ayant agrandi son territoire, cette
colonie devint bientôt un véritable royaume (3) qui, dès le
quinzième siècle, comptait déjà dans la politique de l'Asie.
(1) L'armée assyrienne était rationnellement Pouzoïir Achir, 1520.
organisée, les divers corps de troupes étaient Achir rimnicliechou II, 1500.
séparés, le commandement intelligemment
réparti. Elle possédait ses sapeurs ou trou- Achir nadinakhè, 1478.
pes de siège, son matériel spécial, etc Cf .
Layard, The Mon. of Nineveh, t. I, pi. XIX, Elrha Adad.
XX, XXIX, LXVI ; t. II, iil. XLIII, etc. Achour ouballit, 1418-1370.
(2) ■• Pour assurer la puissance de mes (Ti- Enlil nirari, 1370-1345.
glatphalasar I") armes au.Kquelles le dieu As- .\rik denili, 134.5-1320.
sour, mon seigneur, a promis la victoire et Adad nirari l'^ 1320-1290.
l'empire du monde. » (Prismes de Kalah Chmilmanacharidou I", 1290-1260.
Cherghat. Cf. J. Menant, 1874, Ann. des rois Toukoulti Ninib, 1260-1240.
d'Assi/rie, p. 37.) Achournasirapal I", 1240-1235.
, . , , „ . . Achournarara, 12.30.
(3) Liste des Souverains assyriens. Nahou daïan.
(D'après Schnabel. Mitllieil. der Vordera- Ninib toukoulti Achour, 1220.
sial. Gesellsrhnft, 1908, I. Achour choum lichir, 1210-1198.
Enlil Koudoiir ousour, 1198-1192.
Kate-Achir, vers 2100. Ninip apal Ekour, 1192-1182.
Chalim Alioum. Achour daïan 1", 1182-1145.
llouchouma. Moutakkil Nouskou, 1145-1135.
Erichoum, vers 2030. Achourrichichi I, 1135-1115.
Ikounoum, vers 20(X). Toukoulti apal Echarra I", 1115-1100.
Chamchi Adad III, 1100.
Sankenkale Achir, 1930 (.'; Achour bèlkala, 1080.
Enlilkapkapou. Achour rabi II, 10(X>.
Samsi .\dad I", 1870. Achourrris iclii II.
Toukoulti apal Echarra IL, 9.50.
Ichme Dagan I". Achour daïan IL
Samsi Adad II, 1815. Adad nirari II, 9iiO-890.
Toukoulti Xinip II, 889-885.
Ichme Dagan II. Achour nasir apal II, 884-860.
Achirnirari I", 1700. Choulmanou acharidou II, 859-825.
Samsi Adad IV, 824-812.
Achir rabi I, 1600. Adad nirari 111,811-783.
Achir nirari II. Choulmanou acharidou 111,782-773.
Achir rimnichechou, 1560. Achour daïan 111, 772-764.
Adad nirari IV, 763-755.
LA prépo.ndérancp: assyrienne
348
Vers 1370, Boiiniabouriyach I,roi cosséen de Babylone, traitait
d'égal à égal avec Assoiirouballil, roi d'Assour, et lui donnait
sa fille en mariage.
Cent ans a|)rès, Toukoultininip, s'étant adroitement immiscé
dans les aflaires de la Chaldée, imposait son joug à Babylone
même, dont les souverains devenaient ses vassaux 1.
Ainsi, l'un des premiers actes des Assyriens, en politique exté-
rieure, fut d'asservir leurs frères du Sud ; et, pendant la longue
durée de leur empire, ils ne cessèrent de les traiter en esclaves.
Mais Babylone se révolta; les Assyriens furent pour un temps
•chassés de ses territoires et El Assar elle-même serait tombée
sous les coups de Ramânbaliddin, si vers 1220, Ninippalékour,
ayant réorganisé ses armées, n'avait écrasé les Chaldéens sous
les murs mêmes de sa capitale.
La guerre entre les deux grandes puissances sémitiques se
poursuivit sans relâche pendant plusieurs règues, l'une et l'autre
prenant alternativement l'offensive ; l'avantage resta aux Assy-
riens, populations plus rudes et plus entraînées à la guerre, et
Babylone y perdit son indépendance (2).
Ces guerres perpétuelles contre la Chaldée et contre les tribus
Acliour nirari III, 754-746.
Toukoulli apal Ecliarra III, 745-7-27.
dioulmanou acliaridou IV, 726-722.
•Charroiikin, 721-705.
Sin ahe irha, 704-681.
Acliour ah iddin, 680-668.
Acliourbanipal, 667-626.
Sin choiim licliir, 625.
Achour elil ilani, 625-620.
Sin char ichki3iin,620-iU0.
(l) Toukoulliniiiip profila de cequeles Elami-
tes venaient de vaincre Belnadiuchoumou, roi île
Babylone. 11 aUaqiia son successeur Kadach-
man Kliarbé II avant que celui-ci eût pu se
remettre de ses désastres, prit Habylone,
massacra une partie de la population, pilla
les palais et les temples, enleva les statues
•des dieu.v (Mardouk), les insignes de la royauté
et rentra dans Kalakh chargé de butin.
(2) Lisle des souverains cosséens de linhi/lone
(D'après les travaux de Schnabel, MiUheit.
<ler Vorderasiul. Gesellschafl, I"J08, I.)
Gandach, 1761-1746.
Agoiini, 1745-1724.
Kachliliach I", 1723-1702.
Ouchclii (?1, 1701-1604.
Abi ratlach.
Tachclii gcoroumacli.
Agouni Kakrime.
Karaindach I, 1560 (?)
Kadachniaii Kharbe 1".
Bourna Bouriacli I"-, 1520 (?).
Kourigaizou I" (
Melichihu I" (?).
Karaindach II, 1425-1408.
Kadachnuin Kharbe II, 14<J8-1388.
Nazi Bougach. 1 88.
Kourigaizou II, 1388-1382.
Bourna Boiiriacli II, 1381-1352.
Kourigaizou III, 1351-1327.
Nazi Marouttach, 1326-1.301.
Kadachnian Toiirgou, 1300-1284.
Kadachmaii Kharbe III, 1283-1278.
Koudourri linlil, 1277-1270.
Chagaraklî Choiiriach. 1269-12,57.
Kaclililiachou II, 1256-1240.
Enlil uadiii chouiii 124H-I247.
Kailaclinian Kharbe I\', 1247-1246.
Adad cliouui iddin, 1245-1240.
Ada<l chouni nasir 1239-1210.
Melichihou II, 1200-1105.
Mardouk apal idiiin I. 1194-1182.
ZaïiKiiiia clioiiiii iddin. 1181.
Bel nadin ahè, 1180-1178.
Cette dynastie aurait compté trente-six rois
au moins, occupant une durée de 576 ans et
6 mois. vCf. G. Maspeko. Ilist. anc. Or. clas-
sique, t. II, p. 612. — Knudtzo.n, Assyrische
Gebele an den Sonnengolt, t. I, p. 60. — HiL-
PRECHT, The lidiyl. exped. of Ihe University of
Pennsylmnia, t. I, pp. 37-38. — Winckleb, Àllo-
rienlaiische Forschunyen, p. 133.)
3/14
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
du Kurdistan entretenaient l'humeur belliqueuse des Assyriens,
les exerçaient à la lutte; et dès que les rois d'Assour eurent
péniblement groupé autour de leur capitale ce qu'il fallait de peu-
ples et de terres pour assurer leur force, on les vit fondre sur
l'Asie, soumettre à leur joug tout le monde civilisé de leur temps.
Après les expéditions de Chaldée, l'Assyrie ne cessa de
s'agrandir sur toutes ses frontières. Téglatj)halasar I (-1), vers
1130, fut le premier de ses grands conquérants; il soumit la
Commagène (2), le pays des Moschiens, les tribus des montagnes
orientales voisines du Tigre, opéra de fructueuses razzias dans
le massif arménien, dans les pays du Naïri, soumit au passage
les restes des Hétéens (3), les Sémites de l'Oronte, une partie du
Liban et de la Phénicie : il fut le véritable fondateur de l'empire-
Chez les souverains ninivites (4), l'usage était d'exécuter
chaque été une razzia sur un point de l'Asie. Il était aisé de
faire naître les prétextes; car il suffisait de ne point être adora-
teur d'Assour pour avoir mérité sa haine.
Le pays sur lequel s'abattait la colère des dieux (5), district
convoité pour ses richesses, était alors mis à sac, dévasté et ses
biens partaient pour Ninive (6), accompagnés d'une partie de la
(1) Pour l'histoire de ce souveniin. Cf.
Rawlinson, Cun. Iinicr. W.As., l. I,|)l. IX-XVI.
— WiNCKi.El!, Sitmmluiuj von Keilsrlirifteii,
I, PI). 1-25. — LoTz, Die Insihriflen Ttyldllipile-
zers, l, pp. 12-188, etc.
(2) " Dans ce temps-là, j'ai (Teglatphala-
sar I")Tnarcht' contre le pays «le Koummoukh,
qui m'était rebelle. Il avait refusé au dieu
Assour, mon seigneur, les trihus et les rede-
vances qui lui sont dus ; j'ai envahi tout le
pays de koummoukh (la Commagène). .l'en ai
emporté des esclaves, des butins, des trésors;
j'ai incendié leurs villes, je les ai démolies,
je les ai détruites. ■> (Prismes de Kalah Cher-
ghat. — Cf. J. Men.knt, 1874, Ann. des rois
d'Asxj/rie, p. 36.)
(3) Peut-être les Assyriens, en abordant les
Hittites, espéraient-ils se l'endre maîtres des
régions minières de l'Asie Mineure, de l'Ania-
nus et du Taurus. U est à remarquer que les
principaux districts miniers de l'Asie anté-
rieure se trouvaient très éloignés de Ninive,
et que cependant ce sont eux rpii lui fournis-
saient, soit par le commerce, soit par le pil-
lage, les métaux dont elle avait besoin. Les
mines du Petit Caucase débitaient le cuivre en
anneaux suivant le système pon<léral assyrien.
(Cf. J. DE MoRG.\N, Misa. se. au Caucase, t. I,
p. 109.)
(4) Les titres que se donne Sennachérib (Cy-
lindre de Beliino, Layard,pl. LXIU, I. 2. Trad.
J. Menant, Ann. des ro/.s d'As.-ii/rie, p. 225)
résument fort bien le caractère des roisd'As-
sniiiv « Sennakilérib, roi grand, roi puissant,
roi du pays d'Assour. roi des nations, pasteur
suprême, adorateur des Grands Dieux (Assour
et Isl.-ir), fidèle à la foi jurée, observateur des
traités, exécuteur de la justice, marchant
dans le sentier du droit, le juste, le vaillant,
le fort, le terrible, le premier des i)rinces,
celui (|ui ané.Mitil ses ennemis. »
(5) « Dans ma quatrième cam|)agne. je mobi-
lisai mon armée el la dirigeai contre Akhchèri,
roi des Mannéens, sur l'ordre de .Vssour. Sin,
Chamach, Ramman, Bel. Nabou, Ichiar de Ni-
nive, Ichtar-Kilmouri, Icbtar d'Arbèles, Ni-
nip, Nergal, Nouskou ; j'entrai chez les Man-
néens et m'v promenai victorieux » fCi/l., col. II,
120-130, trad.j.
(6) .\ssour nazir habal ayant mis le siège
•levant Karkemich, les Hétéens rachetèrent
leur ville par des présents ; c'étaient « des
coupes d'or, des chaînes d'or, des lames d'or,
100 talents de cuivre, 250 talents de fer, des
dieux de cuivre sous la forme de taureaux sau-
vages, des vases de cuivre, une bague ('?) de
cuivre, le somptueux mobilier d'une résidence
royale, des lits el des trônes de bois rares et
d'ivoire. 2(X) femmes esclaves, des vêtements
el des étoffes de diverses couleurs, du cristal
noir el bleu (améthyste), des pierres précieu-
ses, des défenses d'éléphant, un chariot blanc,
de ])etites statuettes en or, ainsi que de sim-
ples chars et des chevaux de guerre. » (/n.s-rr.
du palais dé Niinroud, col. III, I. 71, trad. Me-
nant.)
LA FUKPONDÉRANCE ASSYRIENNE
345
population réduite en esclavage (1); le temple avait sa large part
des dépouilles, de même (jue le trésor royal; le reste était par-
tagé entre les principaux feudataires d'Assour ou vendu sur la
place publique; les hommes, les femmes, les enfants, le bétail
Le premier Empire assyrien (2).
s'écoulaient en énormes troupeaux (3) vers les terres encore libres,
que les vaincus cultivaient (/i) pour le compte d'Assour, tandis que
les Assyriens menaient ailleurs d'autres campagnes de dévastation.
(1) «J'ai (Sennachérib) emmené comme ca\)-
tifs (du pays des Juifs) 200.150 personnes de
tout âge. des hommes, des femmes, des che-
vaux, des ânes, des mulets, des chameaux,
des bœufs et des moutons sans noml)re...
Alors, la crainte immense de Ma Majesté ter-
rifia Kliazakiaou (Ezechias), roi du pays de
Vaouda ides .Juifs), il contrédia les troupes
(|u'il avail réunies pour la défense de la ville
d'Oursalimmi (Jérusalem), sa capitale, et il
envoya des ambassadeurs vers moi, dans la
ville de Ninoua, ma capitale, avec 30 talents
d'or, 800 talents d'argent, des métaux, des
pierreries, des perles... du bois de santal, de
l'ébène, le contenu de son trésor, ses filles, les
femmes de son palais, ses esclaves mâles et
femelles, et il délégua vers moi son ambassa-
deur pour m'olTrir des tributs et faire sa sou-
mission. (J. Me.na.nt, 187't, Aitn. Asxijr., pp.
218-219.) '
(2) D'après G. Maspero, Hisl.anc despeuples
de l'Orienl classique, t. II, p. bW.
(3) Cf. Lavais D. TIte mnnnmenls oj Ni-
ni(v/i, t. I. pi. LVllI. LX, LXXIV ; t. n, pi.
XXVI, X.XIX. XXX. XXXI, XXXIV, XXXV,
XXXVII, XLII figurant «les troupeaux de
captifs.
(l) Cf. Delattre, le Peuple et l'Emp. des
Mèdes, p. 110, sq. le rôle des colonies et des
captifs dans l'Empire assyrien.
346
LES PREMIERES CIVILISATIONS
Tout pays ayant attiré une fois la colère ou mieux la cupidité
du roi était dès lors en servitude; chaque année, il devait payer
tribut (1) et, s'il y manquait, était considéré comme en état de
rébellion.
Les x\nnales assyriennes abondent en récits d'expéditions des-
tinées à ramener dans l'obéissance des peuples révoltés (2), et la
cruauté de la soldatesque s'y révèle dans toute son horreur.
Les rois, dans leurs inscriptions triomphales, se plaisent, en
effet, à décrire les supplices infligés aux vaincus ; ils le font
afin de semer la terreur chez ceux qui ont déjà supporté le
poids de leurs armes, afin d'avoir toute liberté d'action sur
leurs frontières, et d'être à même de dévaster des pays encore
vierges.
L'Assyrien est soldat, scribe et gouverneur des pays conquis;
au-dessous de lui est l'esclave, qui le nourrit de son labeur. Cet
homme, libre la veille, réduit dès lors à la perpétuelle dé-
sespérance, n'est plus qu'une sorte de bétail, dont on vend
les enfants alors que, lui-même aussi n'est qu'une marchandise.
Ces principes, l'Assyrie y manquait parfois pour des raisons
d'intérêt qui la plupart du temps nous échappent. Ninive trai-
tait alors certains peuples avec ménagements, leur reconnais-
sant des droits et des privilèges.
Le bruit des victoires de Téglatphalasar 1 se répandit jusqu'en
Egypte, d'où le Pharaon, par politesse diplomatique, lui envoya
des présents; mais, dans ses inscriptions, le roi d'Assour consi-
(1) « De... Chun, du pays de Patin, je reçus
3 talents d'or, KX) talents d'argent, 3(HJ talents
de cuivre, 300 talents de fer, 1.(hh) vases de
cuivre, 1.000 vêtements d'étoffe brodée et
d'étotîe de lin, sa fille avec une dot considé-
rable, 20 talents de bleu, 500 bœufs, 5.0iK)mou-
lons ; je lui imposai un tribut de 1 talent
<ror, 2 talents de bleu, KX) madriers de cèdre
que je reçus chaiiue année dans ma ville
d'Assour. De Khayanou, fils de Gabbari, habi-
tant au pied de 1 Amanus, je ri'çus 10 talents
<l'arsfnt, 90 talents de cuivre, 90 talents de
fer, 300 vêtements d'étoiïe brodée et d'étoffe
de lin, 300 bœufs, 3.000 moutons, 200 madriers
lie cèdre, 700 homerx de résine de cèdre, sa
fille avec une dot. Je lui imposai un tribut de
10 mines d'argent. 2O0 madriers de cèdre, 100
liomerx de résine de cèdre que je reçus cha-
que année. De Arannui, fils d'Agousi, je reçus
lO'mines d'or, 6 talents d'argent, ,^iOO bœufs,
5.000 moulons. De Sangara de Kargamich, je
reçus 2 talents il'or, 70 talents d'argent, 30 ta-
lents de cuivre, 100 talents de fer, 20 talents
de bleu, .%0 armes, sa fille avec une dot et
1(K) d'entre les filles de ses grands, .'SOO bœufs
et .'S.iKX) moutons ; je lui imposai un tribut
d'une mine d'or, de 1 talent d'argent et de
2 talents de l)leu, et le reçus annuellement. •
(Salrn. Aniiaud Scheil, pp. 21-23.)
(2) Lorsque les rois d'Assour ne pouvaient
commander en personne, ils confiaient la di-
rection des campagnes à leurs généraux. « J'ai
(Samsi-Ramman) envoyé Moutarrits Assour...
vers le pays de Naïri. U s'avança jusqu'à la
mer du soleil couchant ; il enleva 3.0(» villes à
Khirtzina, fils de Migdiara, 11 capitales vl 200
villes à Ouspina. Il tua beaucoup des leurs ;
il fit des i)risonniers, il s'empara de leurs tré-
sors, do leurs dieux, de leurs fils, de leurs
filles ; il détruisit ces villes, il les ravagea ;
il les livra aux flammes ; en revenant, il tua
beaucoup de monde au pays de Soumbaya, et
il imposa des chevaux en tribut à tous les rois
d;i pays de Naïri. (J. Menant, 1874, Ann. As-
syr., p. 120.)
LA im\i:pondérance assyrienne Su?
dère ces cadeaux comme un tribut, un acte de soumission de
l'Egypte à son égard {!).
La Chaldée se révolta de nouveau; Téglatphalasar I la rava-
gea, reprit Babylone et arrosa de sang tous les pays du Sud (2).
Mais le pouvoir ninivite s'aiïaiblit vers le onzième siècle, sous
les successeurs du conquérant et sous Téglatphalasar lui-même (3) ;
soit que les guerres eussent épuisé l'armée assyrienne, soit que
le nouveau domaine de Ninive fût trop vaste par rapport aux
forces militaires dont elle disposait, les peuples tributaires
secouèrent le joug.
Battus par les lléléens, les Assyriens j)erdirent la Syrie, une
partie deNaïri et encore une fois la Chaldée (/i), le Kurdistan (5),
l'Arménie. A peine, vers le début du neuvième siècle, restait-il,
aux conquérants de la veille, la banlieue de leur capitale.
Comme les souverains Akkadiens et Klamites, comme les Pha-
raons, les rois d'Assyrie savaient conquérir, exploiter les vain-
cus, mais non organiser leurs conquêtes ; et les exactions des
faibles contingents qu'ils laissaient dans chaque pays tributaire
étaient plutôt une excitation à la révolte, que ces garnisons elles-
mêmes n'étaient une assurance de domination. En cent ans à
peine, ils s'étaient emparés de presque toute l'Asie, imposant au
vieux monde, fatigué de luttes séculaires, les volontés d'un peuple
jeune ; mais malgré leur affaiblissement, les anciens royaumes
avaient enfin secoué le joug, et l'Assyrie fut près de sa perte.
Cette période d'humiliation dura plus d'un siècle, qu'Assour
(1) Les souverains musulmans de la Tur- Nabou Uoudourri ousour, 1152-1124.
<iuie, de la Perse el du Maroc ne faisaient-ils Enlil nadin apli, 1123-1117.
pas accroire à leurs sujets, il y a bien peu de Mardouk nadin abê, 1116-1105.
temps encore, que les présents qu'ils rece- Illi Mardouk balatliou, Iin5-10il5.
vaienl des cours européennes nélaient autres Mardouk cbapik zer mati, 109,5-10'Jl.
que des tributs ? Adad a|.al iddin, lOnO-lOnO.
(2) «Il (Téglali)balasar) domina depuis la Mardouk ..1068.
ville de Babilou (Baliylone), qui est située Mardouk... 1067-1055.
dans le i)ays des Akkads, jusqu'au pays d'A- Nabou cboum licbir, 1054-104G.
mourrida l'hénicie). » (IF.A./.J.pl.XXVilLc.l.)
(3) Les dieux Adad (Ramnian) et Cbala, les Naboukodorosor, contemporain d'Acbcliour
dieux de la ville d'Ekallàte que Mardoiik-na- ricbiclii (vers 1150), battit les Assyriens, mais
din-Ousour, roi du pays d'Akkad, au temps <le fut défait lui-même sous les murs (l'El Assar,
Téglatpbalasar, roi du pays d'Assour, avait et les deux Etats, l'Assyrie et laCbaldée, fu-
pris et apportés à Babilou, après 418 années, rent égaux pour un temps.
je (Sennacbérib) les ai enlevés de Babilou et (5) Les premiers contacts de l'Assyrie avec la
"les ai remis à leur place dans la ville d'Eka- Médie sembleraient êtrt- vers le douzième .-iè-
iâte [W. A. /., IIÏ, pi. XIV, 1. 48et ,50). de av. .L-C. lors de l'expédition de Téglatiiha-
(4) La dynastie dite de Paché régnait alors lasar P^ au sud du Zab inférieur (Prisme de
sur la Cbaldée. Voici la suite de ses rois, telle Téglatplialasar I") mais jamais ce prince ne
que nous la connaissons aujourd'hui : poussa, comme on l'a dit (MEyAyr, Annales
rois Assi/r., ]). 34) jusqu'aux plages de la mer
Mardouk... 1177-1159. Caspienne (Delattrk, le Peuple et l'Emp.
X, 11.58-1153. des Mèdes, etc., 1883, p. 38).
3/|8
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
employa utilement à réparer ses désastres, à refaire son armée, à
organiser son propre territoire ; et, quand Tougoullininip II monta
sur le trône, en 889, l'Assyrie disposait de forces suffisantes pour
recommencer l'ère des conquêtes.
Cent ans de paix relative n'avaient pas modifié le caractère de
ce peuple; il avait soufTert dans son orgueil, dans son intérêt;
ses haines s'étaient accrues, et avec elles la soif du bien d'autrui.
Peu après ses défaites, au moment où, dans le recueillement,
il se préparait pour de nouvelles guerres, Assour jugea que la po-
sition stratégique de sa capitale
ne répondait pas aux aml)itions
de sa nation. Proche de la Chal-
dée et de l'Elam, ses plus puis-
sants adversaires, découverte du
côté de la Syrie, cette capitale
se trouvait trop exj^osée. Assour-
rasiiahal 111 transporta vers le
Nord le sièo-e de son gouver-
nement (1) et l'installa à Nim-
roud (Kalakh) (2), bourgade fon-
dée cinq siècles auparavant par
Salmanasarl comme poste avan-
cé contre les peuplades turbu-
lentes du Haut-Tigre. La posi-
tion de Niniroud {présentait comme capitale de grands avantages
sur Assour; située au confinent du Zab supérieur et du Tigre,
adossée aux montagnes kurdes, elle était défendue vers l'Occident
et le Sud par ses deux fleuves.
Plus tard, lorsque, reportant leur résidence à Ninive, les rois,
à l'époque de Sargon, délaissèrent Kalakh, ce ne fut que par
fantaisie; car les deux sites, très voisins d'ailleurs l'un de l'autre,
présentent la même valeur aux points de vue politique et straté-
Le triangle de l'Assyrie (B).
(1) Déjà Salmanasar I" avait lemporaire-
menl habile Kalakh avec sa cour. (Cf. G.
Maspero, Hisl. nnc. des peupL Or. clans., t. II,
p. 609.)
(2) " La ville ancienne de Kalakh, celle qui
avait été hâlie par Salmanasar, roi du pavs
(l'Assour, le prince (pii régna avant moi, était
loniliée en ruines, elle était devenue comme
un monceau de décombres. J'ai rebâti cette
ville; j'y ai réuni les peuples que ma main
avait soumis, les habitants des pays vaincus.
ceu.v du pays de Soukbi,dupays de Lakiedans
son entier, de la ville de Sirqou sur le bord du
fleuve Poiirat, du pays de Zamouya et de tou-
tes les tribus qui en dépendent, du pays de
Bit Adini, du pays de Kbatti (la Syrie), et
ceu.x lie Libourna (roi) du pays de Kbatti. »
(J. Menant, 1874, Ann. des rois d'Assi/rie,
p. i>2, Assour nazir-Habal.)
(.S) D'après G. Maspero, ///s/, anc. des peuples
de rOrienl classique.
LA PRKPONDKUANCE ASSVHIKNXE 3/^9
giqiie. Ninive fut le Versailles de Ninuoud, mais un Versailles
fortifié, un arsenal (1) en même temps qu'un palais; tandis que
les grandes demeures des dieux étaient restées dans les anciennes
capitales.
Dès que l'Assyrie se sentit assez forte pour entreprendre de
nouvelles campagnes, elle fit valoir les droits que lui donnaient
ses anciennes conquêtes, et considéra comme rebelh's les peuples
qui, sous Téglatphalasar I, avaient subi son joug et repris depuis
leur liberté.
C'est vers Fan 884 av. J.-C. qu'Assournazirpal (2) entra en
guerre. 11 dirigea d'aliord ses pas vers les pays voisins de l'Assy-
rie, les monts du Kurdistan, TArménie (3:, la Commagène, afin
d'assurer la banlieue de sa résidence. Un soulèvement, inlei-rom-
pant cette campagne, le ramena en Mésopotamie; mais à son
approche les révoltés, jetant leurs armes, implorèrent son pardon,
11 fut impitoyable, jugeant qu'un exemple était nécessaire.
« J'en tuai, dil-il, un sur deux. Je bâtis un mur devant les
grandes portes de la ville ; j'écorchais (vif) les chefs de la révolte
et je recouvris ce mur de leurs peaux. Quelques-uns furent murés
vifs dans la maçonnerie, quelques autres empalés au long du
mur ; j'en écorchai un grand nombre en ma présence et je revêtis
le mur de leurs peaux ; j'assemblai leurs têtes en forme de cou-
ronnes et leurs cadavres transpercés en forme de guirlande (/j). »
C'est ainsi que délmta le second empire d'Assyrie. Assour-
nazirpal, de retour de cette expédition, mit à feu et à sang en 881,
le Zagros, montagnes dont il était important de fermer les cols;
en 880 l'Arménie, où le royaume d'Ourarthou (Van) était pour le
haut Tigre une perpétuelle menace; en 879 les districts des envi-
rons de Diarbekir les montagnes du haut Khabour ; il vainquit en
(1) " Alorsj'ai (Sennachêrib) achevé cepalais of Ihe Pasl.,'î' fiév., t. [I, p. 128-177. — Sciiua-
au milieu de Ninoua, pour la demeure de ma deu, Ketlinschrifllische Bibliol., t. I, p. 50-119.
royauté. J'ai élevé des tours (?) pour l'admi- (3) C'est, semble-l-il, vers le neuvième siècle
ration des hommes, ce palais avait été cons- av. J.-C. que se constituèrent les royaumes
trait parles rois, mes pères, pour y déposer de Mannaet d'Ourarthou ;autrefoisces peuples
des richesses, pour y exercer les chevaux, se confondaient avec les autres tribus du
pour y loger des troupes. Ses fondations Naïri.
n'étaient plus solides, j'ai entièrement démoli (4) Les cruautés d'Assournazirabal ont été
cette antique demeure. « (J. Menant, 1874, exagérées par Gutschmid {.Veue Ueiirueije zur
Ann. assyr., p. -224.) Gescluchle des Allen Orienls, p. Ii8, sq ), atté-
(2) Cf. J. Oppert, Hist. emp. Chaldée el nnées i)ar liommel {Geschichle Babyloniens und
Assyrie, p. 72-102.— J. Menant, Ann. des rois Assyriens, p. 588). La note juste sur la ques-
d' Assyrie, p. 66-93. — Rodwell, Annals of lion a été donnée par Tiele (/irt6;//o«/.sc/i-A.ssy-
Assur-Nasir-pal, in /îecor</.so/"//îeP«.-{/.,l" série, rische Geschichte, p. 177).— G. Maspero, Hisl.
t. in, p. 37-80. —A. -H. Sayce, The Standard anr. peuples Orient classique, t. 111, p. 51,
nscriptioa of Assur-Natsir-pal. in Records note 3.
350
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
877 les Hétéens sur l'Euphrate moyen, s'ouvrant ainsi le che-
min de la Syrie (1), et s'avança jusqu'aux plages de la Méditer-
ranée (2).
Salmanasar (3), son successeur, entra en campagne dès son
avènement au trône (860), traversa l'Oronte, envahit la Syrie (Zi),
vit aussi la Méditerranée, défit en 854 le roi de Damas (5) sans
Les pays du Xaïri au ix^ s. av. J.-C. (fi).
toutefois entamer son royaume ; puis rappelé en Chaldée par
une nouvelle révolte de Babylone en 852, répandit la terreur dans
(1) « J'ai (Achchoiir-nazir-habal) relevé le
courage et la force de mes soldats. Ils s'abat-
tirent sur la ville (de Piloura, au pays de
Dirra) comme des oiseaux de proie. J'ai pris
la ville, j'ai fait passer 800 hommes par les
armes, je leurai coupé la lèle; un grand nombre
de prisonniers tombèrent dans mes mains,
j'ai livré aux flammes leurs demeures, j'ai
élevé un mur devant la porle de la ville avec
les cadavres des prisonniers. J'ai fait ti'anclicr
leur tète, j'ai fait mettre en croix devant la
grande porte 700 hommes, j'ai ravagé la ville,
je l'ai démolie, j'en ai fail un monceau de
ruines, j'ai brûlé leurs llls et leurs filles. ■> (Cf.
J. MENA^T, 1874, Ànn. de /'A.s.s(/r/e, p. 81.)
(2) Le point où Assour-nazir-pal loucha la
mer ne saurait être fixé exactement. (<;f.
G. Maspero, Hist. nnr. jieujilex Orient clii:isique,
t. m, p. il. — BoscAWEN, The monum. and
inscr. on the rocks at tlie Nakr ef Kelb, in
Trans.Soc. Dibl. Arch., t. VII, p. 339.)
(3) «Je suis Salmanasar, le roi des légions
des hommes, le souverain, le mandataire
d'Assour, le roi puissant, le roi des quatre
régions de Chamach et des légions des hom-
mes, le vainqueur de tous les pays, fils d'As-
sour-Natzir-Habal, le seigneur suprême, dont
la puissance émane des grands dieux et qui
soumet toute la terre à son empire ; descen-
dant de Téglatphalasar qui réduisit sous sa
puissance tous les jiays et les couvrit de
ruines, .. (J. Me.nant, 1874, Ann. Aft.sijr., p. 97,
sq.)
(4) En Palestine, « à partir du douzième-
onzième siècle, le l)ays a de nouveau changé
de maîtres. Comme s'il était devenu fermé aux
relations extérieures, son art ne s'alimente i)Uis
des créations étrangères; il se développe sans
progresser ])ar la modification des formes
antiques et une tendance marquée à sacrifier
la préoccupation artisti([ue au souci utilitaire. »
(H. ViNCE.NT, Canaan, 1907, \). 20.)
(5) Le royaume de Damas devenait de jour
en jour plus puissant; il avait soumis à sa
vassalité Hamalh, Israël, Ammon, ])lusieurs
tribus arabes, les Iduméens, les principautés
de la Phénicie septentrionale, Ousanata,
Chianou, Irkanala, etc. (Layaud, InucrijilionK,
pi. XIV, 1. 16, 17, 3-2, 33, 45, 46. — Scuradeb,
Keilinsrhriflen und Geschichlsforscliung., p. 46
(6) D'après G. Maspero, Hisl anc. des peuples
de l'Orient classique, t. III, p. 15.
LA PHKPONDÉHANCE ASSYRIENNE
351
ce pays jusqu'aux rives du golfe Peisique (1), retourna en 8/i5
sur le haut Euplirate, razzia en 8/1^4 le nord-ouest du plateau
iranien, Kurdistan (2) et Azerbaïdjan de nos jours; tourna en 843
ses armes contre les gens de l'Amanus, sujets ou alliés des Hé-
téens (3); vain(|uit une seconde fois le roi de Damas qu'il ne
réduisit que peu après, descendit jusqu'au llaurân, imposa tribut
aux rois de Tyr, do Sidon, de Oébel (8ZiO); puis, se retournant
vers le Nord, parcourut à nouveau l'Amanus, la Cilicie, s'empara
de Tarse (831) et d'une partie du pays d'Ourarthou (Van) (/i).
Chamchiramau, son fils, continua l'œuvre dévastatrice de
son père ; il porta ses armes en Médie (5), jusqu'au pays des
Parsouach (6), près du lac d'Ourmiah, vainquit JJabylone (7),
(1) Les Assyriens s'emparèrent d'Enzoudi,
Bil-Adini posa les armes, Bit-Yakîn et Bit-
Amoukkàni se rachetèrent, donnant or; argent,
étain, cuivre, fer, bois d'acacia, ivoii-e, cuir
d'éléphant, etc. (Amiaud-Sciieil, Inscr. de
Sdliixindsar II, p. i-2-51. — PElZEn-WirvCKLER,
Die Soyemmnle Siinchronixlisrlie Gesrhiclile. —
ScHR ADEK,Keilii)schrifl II Kclieliibliol.,l.l,'H)0-'20\.-)
(2) L'inscription de Salmanasar III nous
fournit la piemière mention des Mèdes clas-
siques, Aniadai étant une forme en a pro-
thétique de Madai, comme Agouzi, Azala
à côté de Gouzi et de Zala. Cette identifi-
cation, reconnue dès le début par H. Raw-
linson (J. B. As. Soc, l" sér., t. XV, p. 242), n'a
guère été contestée que par Delaltre (le Peu-
ple et l'Empire des Mèdes, p. 74). L'Araziash,
placé trop à l'est ;dans la Sagarténe par
Fr. Lenormant (Lettres assi/riologiques, t. I,
p. 25) a été ramené plus à l'est par Schrader
(Keilinschriflen und Geschiclitsforschuiuj, p. 178),
au cours supérieur de la Kerkha ; mais les
documents de toute époque cités par Schrader
lui-même (op. cit., p. 172-173) nous le montrent
attenant d'une part au Kharkar, c'est-à-dire
au bassin du Gamas-àb, d'autre part aux
Mèdes, c'est-à-dire au pays de Hamadan. Il
faut donc le placer entre les deux, dans la |iar-
tie nord (b; la Gambadène antique (Isidore -le
Charax, § 85, ds Muller-Didot, Geogr. Graeri
minores, t. I, p. 250), dans le Tchamabadan
actuel. Le Kharkhar se trouverait en ce cas
dans la partie méridionale de la Gambadène,
sur la grand'route qui mène des |nirtes du
Zagros à Hamadan, comme Lenormant l'av.iit
déjà indicpié mais en lui lu-êtantune extension
trop forte (Lettres assyrioloyiques, t. I, P- 24,
43-44). L'examen des conditions générales du
pays me porte à croire que la ville de Kharkhar
devait occuper le site de Kirmanchaliau, ou
plutôt de la cité antique; qui a précédé cette
ville. (J. DE MoncAN, Mission scientifique en
Perse, Etudes géographiques, t. II, p. 100-lOi.)
[G. Maspero, llisl. une. des peuples de l'Orient
classique, t. III, p. 8it, note 4.J Lntre les portes
du Zagros (|)ays de Bâtir. Gf. Stèle de Zohàb)
et Hamadan, les seuls <listricts ayant été
susceptibles de foi-mer des principautés sont :
1° Kérind, 2» Ilàrouiiâhàd, 3° Mahidechl,
4° Kirmanchahan (avec ses ruines importantes-
à Ser Ab, à l'ouest de la ville;, 5° Bisoutonn-
Takht é Ghirin, G» Kengàver, 7° .\sadàbâd,
8° Néhàvend sur le haut Gamas Ab. A mon
sens le pays d'Araziash aurait occupé la région
de Kengàver-Asadabad, située au nord du
Gamas Ab, au sud-ouest d'Ecbatane et à l'est
de Kharkhar. Ce district renferme une grande
quantité de ruines. (J. M,)
(3) Salmanasar cherchait à briser le pouvoir
de la race hétéenne en Syrie, afin de s'emparer
des gués de l'Eiiphrate ainsi que de la grande
voie qui amenait les marchandises de Pliénicie
aux trafiquants de Ninive ; |)uis, à l'occasion
pour détourner le commerce de la Méditerranée
au ijrofit de sa patrie. (A.-H. Sayce, les
Héléens, trad. J. Menant, p. 45.)
(4) Cf. A. -II. Sayce, The cuneiform inscrip-
tions of Van, in J. B. As. Soc, t. XIV, p. m-.
(5) Sous Téglatphalasar, l'apparition des-
Aryens sur le plateau et l'importance grandis-
sante (juils prenaient de jour en jour semble
avoir déjà préoccupé l'Assyrie, qui tenta une
contre-invasion et pendant quelques années
(X= s.) parcourut les pays iraniens.
Si les identifications sont exactes, si l'ins-
cription de Téglatphalasar n'est pas une
simple vantardise, les armes d'Assourauraienl
I)arcouru tout l'Iran jusqu'à la Sagarlie(Zikrali),
l'Arie (Ariarmij, l'Arachosie (ArakaiLou); mais-
cette gigantesque expédition semble être bien
peu vraisemblable. Peut-être le roi, entré par
le Namri et le Parsoua pour ressortir de Perse
par le Madaï, fit-il une courte campagne jus-
qu'au désert salé qui l'arrêta et se conlenta-t-il
d'enregistrer les noms des pays dont on lui
signala l'existence au delà de cette barrière.
Il les mit d'oflice parmi ses tributaires, afin
d'en plus imposer aux populations asiatiques
(|uin(piiétaient à juste litre les progrès de
Iraniens. (J. M.)
(6) Cf. Inscr. archa'i'stique de Sliamsliiram-
màn IV, col. II, 1. 34-59; col. III, I. 1-70. — Gf.
L. Auel, Inschrift Schamschiramman'.s, in
ScnuADER, Keilinschriftische Biliotlieli, t. 1,
]>. 178-183. — V. ScnEii., Inscriplion assijrienne
archa'ique de Shamshiramman IV, p. 10-21.
(7) Inscr. iircliiïïque de Sliamshirammdn IV
col. m, I. 711, 1. 1-15. — Peisiu-Winckler, Die
352 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
encore une fois soulevée, et ravagea les districts de l'Orient.
Dès lors, chaque année des rois assyriens est employée soit à
réduire quelque révolte, soit à razzier les peuples des frontières,
depuis la mer Noire jusqu'au golfe Persique, depuis la Méditer-
ranée (1) jusqu'au centre du plateau persan (2).
Encore une fois, un siècle avait suffi aux souverains d'Assyrie
pour dominer toute l'Asie antérieure centrale; parce que les pays
dont ils avaient fait leur empire étaient, soit des Etats usés par les
guerres, les factions et les discordes, soit des tribus isolées sans
force de résistance. Cette tâche facilement accomplie était dail-
leurs la plus aisée. Restait la Chaldée non encore complètement
soumise ; l'Elam puissant, auquel Assour n'avait point encore
touché ; l'Egypte, proie facile mais lointaine ; la Médie dont d'inter-
mittentes razzias avaient fait une terrible ennemie ; l'Ourarthou (3)
qui, bien qu'ayant sa capitale à Van, s'étendait jusqu'au centre du
Petit Caucase, dans des montagnes difficiles où l'Assyrien ne
pouvait s'aventurer. Restaient également les peuples de l'Asie
Mineure, race nouvellement venue, énergique, guerrière, avec
lesquels Assour n'osa jamais se mesurer.
Le triomphe de l'Assyrie semblait bien près d'atteindre son
apogée, quand soudain sa puissance s'afTaissa de nouveau: d'une
part, un ennemi puissant venait de se lever devant elle, l'Ourar-
thou (4); d'autre part, comme lors des débuts de l'Empire, la con-
quête avait été trop rapide, les sacrifices trop lourds. Ninive
épuisée partant de guerres, ne pouvait faire face à ses obligations,
Sogenannte Synchronislisclie Gescliichte, in i.inson, Can. inscr. W. As., t. I, pi. 35, n" 1,
ScHBADER, Keilinschriftlische Bibliolhek, t. I, ti'fxl. jd'ir,!. Oppert, ///s/, des em/)/res t/e C/ciWce
p. 200-203. el d'Assyrie, p. 130-131. — J. Menant, Ann. des
(1) Mari, roi de Damas (803), eut à payer pour rois d'Assyrie, p. 126, sq.)
libérer son territoire des armées assyriennes, (3) Conquêtes de Menuacii, l'oi d'Oiirarthou,
20 talents d'or, 23.0(.KJ talents d'argent, 3.000 de à l'ouest et au sud-ouest du lac d'Ourmiali. Cf.
cuivre, 5.000 de fer, des étoffes brodées et Stèle de Kèl-i-chin, trad. V. Scheil, ds J. de
teintes, un lit d'ivoire, une litière garnie Morgan, Miss. se. en Perse, t. IV, 1896, p. 266,
d'ivoire, une part considérable des trésors sq.
amassés aux dépens des Hébreux et de leurs C-t) Cf. A. -H. Sayce, Tlie cuneiform inscript,
voisins. (G. Maspero, Hist. anc. peuples Or. of Van, in J. R. As. Soc, new séries, I. XIV,
class., t. III, p. 102 et note 1. — Canon des p. 377 à 732. — J. de Morgan, Miss, scienlif.
Limmo[},ds SciiRAVER, Keilinsrhrifllisclie Diblio- au Caucase, 1889, t. II, ch. V. Le rovaume
Ihek, t. I, p. 208-209.) d'Ourarlliou, p. 99. — G. Maspero, Hisl. anc.
(2) Voici la liste des principales campagnes peuples Or. class., t. III, p. 108, sq. Le premier
de Rammânniràri IV (812-782] : 810, contre la roi de Van dont nous parlent les inscriptions
Médie ; 809, le Gozân; 808-807, le Mannal; 806, ninivites et vanniques est Saridouri I",
Ari)ad; 805, Khazarou; 804, Baaii; 803, les cités fils de Loutipri, contemporain de Salniana-
pbéniciennes ; 802, 792 et 784, contre le Kliou- sar II (vers 835) ; puis vient son fils Ispouinich et
bonchkia ; 801-80(J, 794-793, 770-787, contre les pendant un siècle environ, les Saridouries
Mèdes; 799, contre Louchia; 798, Namri; 796-795, occupent le trône, ce sont: Menouach, fils
785, Diri; 791, 783-782, Itoua ; 785, Kicbki. (Cf. d'Ispouinicli ; Argichtich, son fils ; Saridouri II,
Canon des Limmou, ds Scurader, Keilin- fils d'Argichtich (vers 734), puis Rousacb, con-
schriflische Bibliolhek, \.\. p. 202-205. — H. Raw- teniporain de Sargon et son fils Argichtich II.
LA PRÉPONDKRANr.E ASSYRIKNNE
353
et de 782 (Salmanasai- IV) à 7'|5 (Téglatphalasar III), les pays
soumis reprirent presque tous leur liberté. Cette puissance ne
reposant que sur d'incessantes expéditions militaires, (juarante
ans de paix suffi-
rent à ])eaucoup la
diminuer; les sol-
dats n'étaient
plus aguerris et
les souverains
semblaient avoir
oublié lapoliti([uc
traditionnelle de
l'Etat. Toutefois,
la lassitude était
si grande chez ces
La Mésopotamie au i\'
av. J.-C. (1).
peuples tour à
tour libres et es-
claves, riches et dépouillés, fatigués par des milliers d'années de
guerre, qu'aucun d'eux ne songea, dans son apathie, à profiter
du sommeil d'.Vssour pour écraser sa puissance et rayer son nom
de l'histoire du monde. G était la seconde fois que les Asiates
laissaient passer l'occasion propice d'assurer leur indépendance.
Le tigre se réveilla enfin; Téglatphalasar III ('2\ à peine monté
sur le trône, reprit les expéditions d'antan. Il reçut l'hommage et
le tribut des peuples du Sud, jadis soumis (7/i/i). Babylone et
avec elle les Choumirs et les Akkads, les Chaldéens et les Ara-
méens, ne firent aucune opposition. Le roi, après avoir châtié une
révolte en Arménie (743), envahit la Syrie et la réduisit en entier.
Les pays du Nord, du Sud et de l'Occident étant pacifiés (3),
Téglatphalasar opéra quelques fructueuses razzias en Médie (738),
mais n'annexa, de ce côté, aucun territoire. Des révoltes en Pales-
tine, des luttes entre de petits Etats le ramenèrent en Syrie, où il
(1) D'après J.Maspero. Ilisl. anc. des peujilcs
de l'Orient classique, t. III, p. 29.
(2) Cf. «i. Smith, The annals of TiglaLli Pilc-
ser II, in Zeitschrifl, 18(')9, p. 9-17. — Rost,
Die Keilinschriflexle Tigldl-Pilesers III, t. II,
pi. XXXV à XXXVIII. — J. Menant, Ann. des
vois d'Assyrie, pp. 140-144. - Eneberg, Inscript,
(le Teglat-Pilcscr II, in Journ. asiat., 1875,
t. VI, p. 4il, sq.
(3) La grande puissance de l'Occident, l'Em-
pire liêléen, reposait comme celui d'Assyrie
sur une sorte de féodalité maintenue par la
force de la puissance; souveraine, ne possédant
d'autre domaine propre ((ue le patrimoine de
la nation. Les princes vaincus étaient tenus
de fournir leurs contingents sur l'ordre du
souverain et de verser des tributs annuels.
Celte organisation n'olTrait aucune sécurité et
le moindre revers la renversait. Aussi, après
les échecs que lui fit suhir l'Assyrie, l'Etat
iiétéen disi)arul-il sans retour
23
35/1
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
écrasa le royaume d'Israël, soumit les Philistins (73/i), réduisit
Damas soulevée (733) et, lors de son départ, vingt-cinq roi*
Tenaient déposer à ses pieds hommages et tributs (732).
Les années qui précédèrent l'avènement de Sargon ne virent
qu'une suite d'expéditions contre les princes (1) révoltés de Syrie
et de Chaldée et, lorsque ce roi monta sur le trône, les troupes-
ninivites assiégeaient Samarie. Au Sud, une puissante coalition
chaldéo-élamite menaçait l'Empire; c'est contre elle que le nou-
veau souverain tourna d'al)ord ses armes. 11 la vainquit i2); puis-
Samarie i3) tomba et, sauf la ville de Tyr, toujours bloquée, tout
l'occident fut encore une fois asservi.
Les o-randes guerres allaient commencer, non plus contre des-
tribus révoltées ou des roitelets sans puissance Vs mais contre de
grands Etats.
L'Egypte et l'Assyrie se rencontrèrent en Palestine à Piaphia.
Le Pharaon Chabakou, défait, gagna le Saïd dans sa déroute, tout
le reste de ses Etats s'étant soulevé (714) contre lui.
L'Ourarthou avait groupé autour de lui tous les peuples du
Nord, ses congénères, et formé une puissante coalition. Sargon
dépensa huit années pour la réduire 5).
(1) Cf. Botta, Moniim. Ninive,\A. LXII-XCII,
CV-CXX,CLV-CLX. Annales. — J. Oppert, Les
inscriptions de Dour-Sarkayan. dans Place,
Ninireel i Assyrie, t. II, pp. 309-.'îl9.- Menant,
Annales des rois d'Assyrie, jip. 158-179. — Ins-
criptions des fastes. Botta, Monum. Ninive,
pi. Xr.III-CIV, CXXI-CLIV. CLXXXI. -
J. Oppert et J. Menant, La grande inscription
du palais de Khorsâbàd, ds Joiirn. asial., 1863,
t.I.pp. 5-; 261. II, pp. 475-517; 186i, t. III, pp. 5-6-2 ;
168-201; 209-265; 373-415; 1865, t. VI, pp. 133-
179; 289-330. — J. Menant, Ann. des rois d'As-
syrie, pp. 180-192, etc. — Cf. G. Maspero, //îV/.
anc. peuples Or. classique, l. III, p. 225, note 2,
qui donne une bibliographie très complète des
sources de I histoire de Sargon.
(2) Cf. Winckler, Die Keilinsrhriflexle Sar-
gon's, t. I, pp. 4-7. — Lyon, Keilinschriflexle
Sartjon's, pp. 32-33. — Tiele, Babylonisch-As-
syrisclie Geschiclde, p. 239, sq.; 614, sq. —
Winckler, Gescliichle Babyloniens twd Assy-
riens, y). 125, sq.; 237, sq.
(3) La prise de Samarie (722) a été consi-
dérée jusqu'ici comme un événement de
grande importance, parce que nous en con-
naissons le récit par les Hébreux (CLLivredes
Rois, II, XVIII, 9-10; XVII, 6; XVIII, 13; haïe,
XXXVI, 1. — Stade, Geschichie des Volkes Is-
raël, 1. 1, p. 605. — Winckler, Altlestamentlis-
che Unlersuchungen, p. 68, sq., 135, sq. —
C. NiEBUHR, Die Chronologie der Geschichie
Israël, p. 22, sq. —G. Maspero, H/.s/. anc. peu-
.ples ()r. class-, t. III, p- 213, sq. et notes), alors
que ce ne fui, en somme, qu'un épisode sans
relief particulier des progrès de l'AssjTie.
(4) Les Assyriens ilécoraienl du titre de
Ville, alou, des localités insignifiantes. Sen-
nachérib (cylindre de Bellino, 1. 11) ne
compte pas moins de 820 pelites villes et
85 villes plus inij)ortantes, dans la Chaldéeou
la Babylonie méridonale, et Chamchiraman
allribue 2(XJ villes à un petit district de la rive
gauche du Tigre (stèle de Chamchiraman,
col. IV, 1. 15). Ainsi, les buttes qu'on rencontre
|)ar milliers dans les pays antiques de l'Asie
étaient pour les Assyriens autant de villes et
leurs chefs presque autant de rois.
(5) Sargon vain<iuit l'un après l'autre tous-
les vassau.x de lOurarthou, entre autres le
puissant pays de Mouzazir dans les monta-
gnes; sa capitale fut prise d'assaut. Ourzana,
son roi, s'enfuit seul, abandonnant au.x Assy-
riens toute sa famille (jui partit en esclavage
avec 20.170 individus, tout ce qui survécut de
la population. Tous les biens du pays tombè-
rent aux mains de Sargon : 9U6 mulets,
9-20 bœufs, 100.225 moutons, de l'or, de l'argent
tous les trésors du Mouzazir, le mobilier et le
sceau royal. Bousas, roi dOurarthou, aban-
donné de tous ses appuis, se donna la mort ;
mais lOurarthou, bien que vaincu, était loin
d'être détruit. Argistis II cessa les hostilités
pour réparer autant que possible les désas-
tres de son pays et se retira vers le nord ; en
708, il est mentionné par les textes assyriens
(CL Fastes, I. 113. j
LA PRÉPONDÉRANnE ASSYRIENNE
355^
Enfin ce fut le tour de la Chaldée (1), alliée à l'Élam ; les coa-
lisés furent défaits ; mais l'Islam, protégé par ses marais, ses
fleuves et ses montagnes, conserva intacte son indépendance. A
peine quelques-uns de ses territoires de la plaine furent-ils tou-
chés; c'est sur Babylone que s'al)atlirent toutes les colères du
Le royaume dOurarthou.
monarque assyrien; Mardoukbaliddin, terrifié, poursuivi jusqu'à
Bit-Yakin (2), sur la mer, renonça au trône.
Toutes les richesses de la Chaldée tombèrent aux mains des
vainqueurs, jusqu'au camp du roi de Babylone qui fut pillé ; et Sar-
gon énumère avec orgueil les trésors qu'il renfermait : « Les insi-
gnes de la royauté, le palanquin d'or, le trône d'or, le sceptre
d'or, le char d'argent, les ornements d'or. »
Mais, heureux pendant la majeure partie de son règne (3), Sar-
(1) Depuis i|uelr|ues siècles, les Araméens,
venus (les rives du golfe Persique, s'élaienl
iinplanlés en Chaldée et y avaient prospùn'-.
Ofcupjint d'abord les embouchures des fleuves,
ils s'étaient peu ;'i peu avancés dans les pays
situés entre Babylone et l'Elam, puis, longeant
le pied des montagnes, jusfju'au pays de Khal-
man et plus près encore de l'Assyrie. (Cf.
G. Maspeko, Hiiil. anr. pen[iles Or.class., t. II,
p. 660, sq.; t. III, p. 4, sq., 118, sq.)
(2) « J'ai (Sargoii) assiégé, j'ai occupé la ville
de Dour-Yakin, sa (Mardouk-baliddiu) capi-
tale; j'ai pris comme esclaves sa femme, ses
fils, ses filles, avec l'or, l'argent, tout ce
(ju'elles possédaient, le contenu de son palais
et un butin considérable dans la ville... J'ai
réduit en cendres la ville de Dour-Yakin, j'ai
renversé ses antiques remparts, j'en ai fait un
monceau de ruines. « (J. Mena.nt, 1874, Ann.
Assijr., p. 188.)
(3) Sargon voulant avoir un palais qui lui
fût personnel, choisit le village de.Maganoubba,
au nord-est et tout près de Ninive et y cons-
truisit la ville de Dour-Cliarroukin,dont Place
a publié les ruines. (Cf. Place, Ninive et l'As-
sijrie, pi. II.)
356
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
gon devait, à la fin de sa vie, connaître par lui-iuônie raniertunie
des revers. L'Ourarthou, remis de ses blessures, avait reconstitué
sa puissance; et 1 708) les garnisons assyriennes furent chassées du
Manna, ainsi que de' tous les territoires vanniques qu'elles occu-
paient. L'Élani, sous son roi Choutrouk-Nakkhounté, avait eu
plusieurs campagnes heureuses (70Q). Non seulement les Assyriens
s'étaient vus contraints d'évacuer tous les points qu'ils possédaient
sur les territoires susiens, mais les Elamites eux-mêmes s'étaient
emparés d'un certain nombre de leurs places frontières.
De tous les souverains asiatiques, Sargon est peut-être le pre-
mier (|ui comprit le danger d'établir un empire féodal uniquement
basé sur l'ancienne aristocratie soumise. Partout où ce lui fut pos-
sible, il remplaça les dynastes indigènes par des gouverneurs assy-
riens, cherchant à transformer en provinces ce qui n'était avant lui
que principautés tributaires. Ce roi, profitant des leçons du passé
entrevoyait l'organisation de son empire ; mais ses ressources ne
lui permettaient pas d'entretenir près de chaque gouverneur les
garnisons nécessaires, et il commit la grande faute de ne pas
modifier les anciennes divisions du pays ; en sorte que, malgré la
présence de ses officiers dans les provinces, les intérêts indigènes
demeurèrent groupés comme parle passé (1).
Sennachêrib (2) (70/4-681) et Assaraddon (3) (680-668) guer-
royèrent pendant toute la durée de leur règne, sans succès d'ail-
leurs contre l'Élam /ii; mais plus heureusement contre les tribus
(1) Vers la fin de son règne, Sargon s'en
était remis sur Sennachêrib du soin de répri-
mer les révoltes, lui-même s'étanl retiré à
Dour-Charroukin, quand il mourut assassiné
(7(1.5) par un soldat d'origine étrangère.
{i) Cf. Cylindre de Tavlor,publ.par H. P.aw-
linson, Cun. In.^n: W. À.s., t. I. pi. XXXVII-
XLII, Irad. J. Oppert, les Insci: axsi/r. des
Sargonides, p. 41, sq. - J. MEN-.\>iT, Ann. des
rof'sd'Assyne, p. 214, sq. — Cylindre de Bel-
lino, trod. J. Oppert, Expéd. en Mésopoiamie,
t. I. p. 297, sq. — J. Menant, Ann. des rois
d'Assyrie, p. 225, sq. — La stèle de Bavian,
publ. par H. Rawlinson, Cun. Inscr. W. As.,
t. III, pi. XIV, trad. Pognon, l'Inscription de
Bniùan, texte, traduction et commentaire phi-
lologique, in-8, 1870-1880.— J. Menant, V;/»-
ve ei l'Assyrie, p. 234, sq. — Cf. G. S.mith
(achevé et publié par A -H. Sayee), Hislory of
Sennachêrib, translated from Ihe cuneiform
inscriptions, 1878.
(3) Cf. Inscriptions des cylindres de Ko-
voundjick. (Layard, pi. XX-XXIX-LIV, W. A.
/.. pi. XLVIIXLVIII; W. A. 7, III, pi. XV-
XVI).— Inscriptions de la pierre d'Aberdeen
(W. A. /., I, pi. XLIX. — Inscriptions diver-
ses ( U'. A. /., I,pl. XLVIII).— Canon des rois
assyriens (W. A. /., III, pi. I). — J. Menant,
Ann. des rois d'Assyrie, p. 2.39. sq.
(4) C'est par mer que Sennachêrib attaqua
l'Elam. Les flottes construites sur le Tigre et
l'Euphrate se joignirent dans la mer, sur l'em-
placement actuel de Kornah ou de Bassorah,
et de là gagnèrent lembouchnre du Kâroun
qui se trouvait alors à quelques kilomètres en
aval de Nasseri-Ahwaz. Là était le pays de Na-
dilou où abordèrent les Assyriens. La suite
des événements montre qu'ils furent loin d'y
remporter des succès, puisqu'ils durent repar-
tir sans avoir rien tenté contre Suse. (Cf.
S.mith-Sayce, Hislory of Sennachêrib., p. 80, sq.;
^(,2, sq. — Bezold, Inscliriften Sanherib's, in
Scuradek, Keilinschriftliche Biblioleck , t. II,
p. KXt, sq. — La Chronique babylonienne de
Pinriies, col. II, I. 36-3'.'., place la date de
l'expédition en 694-693. — Cf. J. de Morgan,
Etude géographique sur la Susiane, expédi-
tion de Sennachêrib 096 av. J.-C], dans Mém.
de la Délèij. se. en Perse, t. I, 1900, p. 17.)
LA PllÉPO.NUKHAXCK ASSVlîIKNNE
357
révoltées de la Palestine (1) et les villes de la Pliénicie (2), il les
ra/./.ia. Les expéditions de pillage continuèrent comme par le
passé (3), bien que la gloire d'Assour fut ((uolcjue peu ternie, vers
cette épo(|ue, j)ar des intrigues
de palais, par des compétitions
et des complots autour du trône.
Dès les débuts de la monarchie,
les souverains assyriens ne s'é-
taient maintenus qu'en étayant
leur domination sur leurs gens
de guerre; mais ces soldats
repus, gorgés de richesses, n'as-
piraient plus désormais qu'à la
jouissance des biens conquis
l)ar leurs armes. L'histoire mo-
derne n'offre-t-elle pas de sem-
blables exemples de lassitude ?
Ces guerres, ces révoltes, ces
continuels mouvements des ar-
mées en quête de butin, ces
pillages, ces tributs onéreux, ces
exactions de tous genres me-
naient l'Asie Antérieure à sa perte, enlevaient aux populations
l'énergie, le labeur, l'intérêt de la vie. Les campagnes dévastées
s'appauvrissaient (5), les terres demeuraient incultes, les canaux
La Syrie au ix-^ s. av. J.-C. 4).
(Il Prisme de Tavlor, U'. A. I I
pi. XXXVII-XLII, c. II, I. 31-48, 65-61»;
Trad. J. Menant, ^1;;^. Assi/r., p. 217, sq., etc.
12) « J'ai(Assour-Ahki-iddin) atla(iué la ville
de Sidoiina(Sidon), située au milieu de la mer,
j'ai mis à mort tous ses habitants, j ai délnilt
ses murs, ses maisons, je les ai renversées
dans la mer, j'ai renversé ses temples. Abdi-
milkout, roi de la ville (de Sidouna;, s'était
soustrait à ma puissance, il s'était enfui au
milieu de la mer. Jai traversé la mer et j'ai
brisé son orgueil. Jj me suis emparé de ses
trésors, de l'or, de l'argent, des pierres pré-
cieuses, de l'ambre, de peaux de .4m*/, du san-
tal, de lébène, des étoffes de laine et de fil, le
contenu de son palais. Jai transporté au pavs
d'Assour des hommes, des femmes en nom-
bre considérable, des bœufs, des moulons, des
bêles de charge. » (J. Menant, 1874, Ami. As-
syr., p. 241.)
(3) « A mon retour (de ma 2« campagnei, jai
(Sennachérib) réduit sous ma domination les
contrées lointaines du pays de Madaï, dont,
parmi les rois mes pères, personne n'avait en-
tendu prononcer le nom ; je leur ai imposé de
nombreux tributs et je les ai soumis à ma
puissance. » (Prisme de Tavlor, IV A I I
|.l. XXXVII-XLII. c. II, 1. 20." Trad. J. Menant'
Ann Assijr., p. 217.)
(il D'après G. Maspero, Hisl. une. des peuples
de l'Orient classique, t. IH, p. 3:).
5; <• Alors je (Sennachérib) me suis dirigé
vers le pays de Bet-Vakin (Basse-Chaldée).
-Mardoukbaladdan .. prit ses dieux... les fit
embarquer sur des navires et s'enfuit comme
un oiseau vers la ville de Nagitrakki, située au
milieu de la mer. .Je fis sortir de la ville de
Bet-Vakin, sur les rives du lleuve Agammi,
au milieu des marais, ses frères, ceux de sa
race qui avaient abandonné les rives de la mer
ainsi que les grandes familles de ce pavs. Je
les ai emmenés et les ai vendus comme es-
claves. Jai démoli les villes, j'en ai fait un dé-
sert. . (Prisme de Tavlor. W. A I 1
pi. XXXVII-XLII, c. III, I. 4!t. Trad. J. Me-
nant, Ann. .l.s.^-;;/-.. p. 21!».;- .. Trente-quatre
villes (du pays d'Elam) et leurs dépendances,
dont le nombre est sans égal. Je les ai assié-
358 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
cessant de leur fournir l'eau nécessaire. Ce n'était partout que
ruines, que peuples affamés, que transports d'esclaves qui, venus
.des régions les plus éloignées, s'allongeaient en longs troupeaux
dans les vastes plaines de la Mésopotamie, courbés sous le faix de
leurs pauvres bardes, la corde au cou, souvent même attacbés les
uns aux autres au moyen de cbaînes leur traversant le nez ou les
lèvres, livrés à la brutalité de la soldatesque. C'étaient les survi-
vants d'une ville révoltée qu'Assour déportait ainsi de Syrie en
Médie, de Chaldée en Arménie ; il y avait là des gens de tout
rang, des femmes, des enfants, et malheur à celui que la fatigue
•empêchait de suivre le troupeau, un coup de lance faisait de son
corps la pâture des carnassiers et des oiseaux.
Les textes assyriens etles bas-reliefs ninivites nous ont transmis
le souvenir d'horreurs dont les caravanes d'esclaves, traversant
l'Afrique, ne sont qu'une pâle image. Pour le trafiquant Arabe,
le nègre est une valeur, une marchandise rare qu'il ménage ;
pour l'Assyrien, le rebelle était moins qu'un esclave, un être haï,
dont les souffrances réjouissaient le cœur des dieux.
Assour s'enrichissait toujours ; les dépouilles s'accumulaient
dans les magasins royaux (l), dans les temples, dans les maisons
particulières. Il jouissait de la ruine du monde, sans même songer
à tirer un parti durable de si grands biens.
La Chaldée étant devenue province assyrienne ('2), les rois
d'Assour sonii'èrent à étendre vers le Sud leur domination et à
s'emparer de l'Arabie (3). Sennachérib s'avança même au delà de
Bahrein, dont il avait fait la base de ses opérations. Mais ce ne
fut là qu'une course sans résultats politiques durables, sans
produit; car la péninsule arabique est, dans la partie voisine
gées, je les ai prises, j'ai fait des prisonniers, père des dieux et de Belit, la reine des dieux,
je les ai démolies, je les ai réduites en cen- J ai habité ce palais pour la salisfaclion de
dres. J'ai fait monter vers les cieux la fumée mon cœur, la joie de mon esprit, et la splen-
des incendies comme celle d'un sacrifice. » deur de mon visage. (Inscr. de Nabi-Vunus,
(Prisme de Taylor, Id., c. IV, 1. 51, trad. U'. A. /., pi. XLIII, 1. 90 et 91. Trad. J. Me-
J. Menamt, id., p. 221.) « J'ai (Sennachérib) n.\mt, Ann. Asxiir., p. 234.)
soumis à ma puissance les peuples du pays (2) Sennachérib revint de Chaldée, amenant
de TaUharou.qui habilenl des montages inac- avec son armée 208. ftCXj prisonniers hommes et
cessibles. J'ai changé en ruines la ville de femmes, 7.200 chevaux, 11.073 ânes, 5.230 cha-
Oukoun et j'ai mis à mort ses ]irinci|iaux ha- meaux, 80.100 bœufs, 8(Xt.50O moutons et em-
bitanls.J'ai subjugué les hommes du pays de portant à Ninive toutes les richesses du pays.
Kliilakou (la Cilicie) qui habitent les forêts. (Cf. G. Smith-Sayce, Ilisl. of Sennachérib, [K^2i,
J'ai détruit leurs villes, je lésai démolies, je sq.)
les ai livrées aux flammes. ■> (Inscr. de Nabi- (3) Assaraddon rend aux Arabes les slalues
Vunus, U^. A.7.,pl. XLIII. trad. J. Mexant, des dieux qui avaient été emportées à Ninive
Ann. A.ssi/r., p. 231.) par son père et en raison de cette restitution
(1) J'ai (Sennachérib) réuni dans ce palais impose l'Arabie de 65 chameaux de plus. (J. Me-
toutes ces dépouilles, avec l'aide d'Assour, le nant, Ann. Assyr., p. 213.)
LA PllÊPONDKlUiNCE ASSYRIENNE
359
<lii golfe Pei'sique et de la Chalclce, d'une extrême pauvreté.
Un seul i^ays, d'une grande richesse, était jusqu'alors resté
indemne, l'Egypte ri); c'est contre elle (|ue marclirrent les ai'mées
d'Assaraddon (2). Les Sémites l'envahirent par l 'cluse et, de
suite, toute la vallée du
Nil tomba en leur pou-
voir. Le phaiaon Tahar-
kou s'enfuit en Nubie
jusqu'à Napata, ^Nlem-
phis ouvrit ses portes,
Thèbes et les autres vil-
les furent pillées. Tout
€e qu'il y avait de ma-
tières précieuses dans
les temples et les palais
fut enlevé et porté au
pavs d'Assour : statues
des dieux et des rois,
orne m e n t s du culte ,
meubles précieux. Les
Assyriens traitèrent la
vieille l^^gypte comme
ils avaient coutume d'en
user vis-à-vis des peu-
plades demi-sauvages de
l'Asie.
En rentrant dans ses
Etats après cette colos-
sale razzia, le roi d'Assour fit graver en Syrie, sur les rochers
du Nalir el Kelb, une longue inscription dans hupielle il s'intitule
roi d'Egypte, de Thèbes et d'Ethiopie (672).
La fin du règne d'Assaraddon fut, comme celle de presque
tous les souverains assyriens, accompagnée de troubles. Repu de
sang et de pillage, fatigué par la vieillesse, le roi ne dirigeant
Le royaume de Tjr à l'époque de Sennachérib.
(1) Sennachérib eiU fait la conqiiole de (-2) « Assur-akliî-iddin, roi des légions, roi
l'Ègvple si la iiesle (?) n était venue décimer du i)ays d'Assour, roi du pays de Mousouri
+;on armée et l'obliger de rentrera Ninive. (l'Egypte) el du pays de Kous (rElliiopie). »
(II Rois, XIX, 8-3.5. - Hérodote, II, CXLI. — Tels sont les titres que se donne Assaraddon.
JosÈPiiE. .1(1/. /))(/., X. 1, § 4. — Cf. J. Opi'KiiT, (U'. A /., I, pi XLVIII, n» 4. ïrad. J. Me-
Mém.aur les nipports de ilù/iipte cl de lAssijrie, na>t, Ann. Assiir.. p. 54?.)
p.3i, sq.)
360
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
plus en personne les campagnes indispensables à la vitalité de
Ninive, FEgypte se ressaisit; Taharkou en cliassa les garnisons
assyriennes (vers 67O), et le vieux monarque abdiqua (668) en faveur
de son fils Assourbanipal.
Assaraddon fut, de tous les rois d'A'ssour, le seul qui parfois
se soit montré clément. 11 savait pardonner, par calcul surtout,
comprenant que la terreur était impuissante à maintenir dans
l'obéissance de pareilles multitudes et que d'ailleurs son armée
ne suffisait plus à ses vastes devoirs. Aussi, les inscriptions qu'il
nous a laissées ne renferment-elles pas, comme celles de ses
prédécesseurs et de ses successeurs, uniquement des récits
de cruautés ; on y rencontre parfois des exemples de mansué-
tude (1).
Devant un pareil empire, devant les menaces dont il était en-
touré, la tâche d'Assourbanipal était bien lourde. Dans tous les pays
conquis, la révolte se trouvant à l'état latent, Ninive devait entre-
tenir sur tous les points stratégiques de fortes garnisons. Ces
corps de troupes, composés plutôt de sujets que d'Assyriens de
race, n'en était pas moins une cause de grand affaiblissement pour
l'armée de combat, pour celle de l'Empire, toujours prête à s'élan-
cer à la répression des révoltes, à la conquête de nouveaux terri-
toires, au pillage des peuples dont Assour se méfiait ou convoi-
tait les biens.
Dès son avènement, Assourbanipal rl\ marcha sur IKgyple (3);
Taharkou (/a) vaincu se retira encore, abandonnant la vallée du Nil
fl) <• Layalê, roi du pays de Yadih, s'était
soustrait à ma domination... il vint auiirès de
moi à Ninoua ma capitale, il s'inclina devant
moi, je lui accordai lagràceavecbienveillance."
(W. A. /., ni, pi. XV, col. III, I. 40.).. Bel Ba-
gar, fils (le Dnunani, roi du pays de Gamboul,
... s'inclina devant moi, je lui ai accordé son
pardon, j'ai fortifié Sapi Bel, sa capitale, j'y
ai logé lui et ses archers et je l'ai élevé en
Elam comme une colonne, s (G. III, I. 53.
Trad. J. Me.nant, Ann. assi/r., p. 244.)
{i} Le règne d'Assourbani|)al (667-6:20] fut
dans ses premières années consacré aux
grandes guerres qui devaient amener l'asser-
vissemenl définitif de l'Asie : 667, guerre
contre l'Egyple ; 666, deuxième campagne
conlre rEgyi)le, ruine de Thèbes ; 665, siège
de Tyr et guerre contre la Lydie ; 664, guerre
contre le pays de Manna'i ; 663, guerre contre
l'Elam, conquête du pays de Gamboulou ; 662,
révolte de la Clialdée ; 661, guerre conlre Ouni-
manaldacli, roi d'Elam ; 64;f, seconde guerre
conlre Oumnianalilacli, ruine de Suse ; 660,
guerre d'Arabie. Nous ne connaissons presque
rien des Irenle-cinq années qui suivirent jus-
qu'à la mort d'.\ssourbanipal. L'Empire tom-
bait en décadence, les Modes, les Cimmériens,
les Scythes étaient entrés en scène.
(3) « Dans ma ])remière campagne, je me suis
avancé conlre le pays de Magan et de Melouhha .
Tarkoil était roi du pays de Moulsour et de
Koùsi...Il s'avança et s'établit dans Mempi
(Memphis), la ville que mon père qui m'a en-
gendré avait prise et avait ajoutée aux pro-
vinces du pays d'Assour. J'étais occupé dans
la ville de Xinoua quand on vint m'apprendre
celte nouvelle... Je me suis avancé prompte-
menl... J'ai livré une grande bataille et je
r larmée égyptienne) ai mise en fuite. Tarkoû
apprit dans la ville de Mempi la défaite de son
armée... et pour sauver ses jours, il s'enfuit
dans la ville de Ni'i (Thèbes). Je me suis em-
paré de celle ville, mon armée y entra et l'oc-
cui)a. >. (J. Menant, Ann. assyr., p. 254, sq.)
(4) Les monumenlsmontrenlceroi comme de
sang mêlé. Cf. G. Maspero, Hisl. anc. peuples
LA PRHPOX DÉRANGE ASSYRIENNE 361
jusqu'au delà de Thébes. Mais ce succès ne fut qu'éphémère; car,
à peine l'armée assyrienne avait-elle quitté la terre des Pharaons,
que les garnisons ninivites, encore une fois chassées, cédaient
Thèbes, Memphis et le Delta.
Assourbanipal comprit qu'il lui serait impossible de conserver
uniquement par la force une province aussi vaste et aussi éloignée
de son centre d'action. Profitant des rivalités entre les princes
saïtcs et ceux de lK'lhioi)ie, il favorisa les prétentions de la
dynastie du Nord, et fit Niko pharaon (1). C'était la première
fois que la volonté d'un souverain étranger disposait, au bénéfice
d un vassal, de l'antique couronne de la haute et de la basse
Egypte.
Mais l'Ethiopie ne se tenait pas pour battue ; l'Egypte fut
reconquise par les troupes da Sud, et les Assyriens, qui soute-
naient les Saïtes, en furent chassés. Cette fois, Assourbanipal
frappa un grand coup ; il reprit la terre du Nil et ruina Thèbes,
enleva comme butin tout ce qu'elle renfermait, jusqu'à ses habi-
tants, et ne laissa derrière lui qu'un monceau fumant de décom-
bres. La ville aux cent portes n'était j)lus, jamais elle ne se
releva; deux des obélisques du temple d'Ammon prirent, dit-on,
le chemin de Ninive (2).
Assuré de l'obéissance de ce côté, Assourbanipal, après avoir
réduit quelques soulèvements en Syrie et en Phénicie (3) et guer-
royé en pays de Manna (4), allait reprendre la lutte contre l'Ou-
rarthou, quand son attention fut détournée par l'Élam (5). Ourtaki,
un usurpateur susien, profitant de l'éloignement du roi d'Assyrie,
avait pillé la Chaldée et se trouvait devant Babylone, quand
Assourbanipal l'y vainquit et le contraignit à rentrer dans ses
Etats.
L'anarchie régnait alors à Suse; Ninive, par ses intrigues, avait
semé la discorde au sein de la famille royale, préparant ainsi le
Orient Cla.tsique, t. III, cliap. IV en-tête, neur. Je lui ai rendu la place que mon père,
LusciiAN, Die Ausgrabungen in Sendschirli, t. I, qui m'a engendré, lui avait assignée dans la
!''• ^ ville de Saï. » (J. Menant, 1874, Ann. Asst/r.,
(Ij « .1' (Assourbanipal) imposai à Xikou un p. 256.)
traité i)lus dur que celui qui existait aujiara- (2) Cf. J. Menant, Ann. dea rois d'Assyrie,
vanl, mais je l'ai renvoyé chez lui, je l'ai re- p. 257.
vêtu (le vêlements superbes, de laine et de fil (3) W. A. /., III, pi. XVII-XXXVIII, c. II,
avec des ornements dor ; je lui ai donné une I. 8*. Trad. J. Menant, op. cit., p. 257. sq.
épée d acier avec un fourreau dor ; j'y ai (4) W. A. /., III, pi. XVII-XXXVIII, c. III,
écrit la gloire de mon nom et je lui en ai 1- 43. Trad. J. Menant, op. cil., p. 259.
fait présent. Je lui ai donné des chariots, dos (5) W. A. /., III, p|. XVII-XXXVIII, c. III,
chevau.v et des bêles de somme et je loi en- I. 83. Trad. J. Menant, op. cit., p. 260.
voyé en Egypte avec mou préfet pour gouver-
(1) D'après G. Maspero, Ilist. anc. des peuples de iOrient classique, t. III, p. VJb.
LA IMŒPONDÉHANCK ASSVHIKNiNE 363
succès de sa prochaine campagne cl la ruine de la puissance
élamite.
Alalo-ré ces conditions défavorables, une vaste coalition se
forma: Babylone, le Gouli, le Martou, le Miloukhi, l'Arabie et
enfin r^lam réunirent leurs forces. Assourbanipal avait devant
lui les armées de tout le sud de l'Asie, contingents des pays
sV'lendant depuis le golfe Persique jusqu'à la mer Rouge.
En Syrie, Amouladdin, roi de Kédar, devait opérer une diver-
sion.
Jamais, depuis cinq cents ans, Ninive ne s'était trouvée en si
grave posture ; mais par une adroite politique et une stratégie
judicieuse, le roi d'Assour sut triompher du danger. Suscitant
des troubles en Élam, il le sépara de la Ghaldée qu'il vainquit
isolément. Babylone fut encore pillée ainsi que la plupart des
villes du sud, et ceux des habitants qui ne périrent pas par le
fer (1) furent soit déportés, soit cantonnés comme esclaves dans
le pays même, sous la surveillance de garnisons ninivites.
N'ayant plus qu'un seul ennemi devant lui, Assourbanipal
dirigea toutes ses forces contre l'Élam qu'il atta(|ua par le nord.
11 y pénétra par les montagnes et le parcourut (hms toute sa lon-
gueur. Madaktou, la ville royale, Suse, la capitale, tombèrent en
son pouvoir (6/i3i ; tout le pays fut dévasté, réduit en province
assyrienne.
« La poussière de la ville de Chouchân, de la ville de jNIadak-
tou (2), de la ville de Haltemach (3) et le reste de leurs villes,
j'ai tout emporté au pays d'Assour. »
« Pendant un mois et un jour, j'ai balayé le pays d'Élam dans
toute son étendue. De la voix des hommes, du passage des
bœufs et des moutons, du son de joyeuse musique, je privai ses
campagnes. J\ii laissé venir les animaux sauvages, les serpents,
les bétes du désert et les gazelles {'x). »
(1) « Les trésors de leurs palais furent ap- dieux, mes seigneurs.» [W. A.I., IIL pi. XVII-
porlés devant moi. Ces hommes dont la bouche XXXVIII, c. V, 1. 3. Trad. J. Men.^nt, A/i/i.
avait tramé des complots perfides contre moi Assyr., p. 263.)
«t contre Assour, mon seigneur, j'ai arraché (2) Cf. J. de Morgan, Miss. se. en Perse, t. 1\ ,
leur langue cl jaiaccomi)li leur perle. Le reste I" partie, 1896, p. 228. Probablement Tepeh
du peuple fut exposé vivant devant les grands Sindjar, à 10 kilomètres environ au nord de
taureaux de pierre que Sennachérib, le père Suse.
.le mon père, avait élevés, et moi je les (ces (3) Cf. J. de Morgan, .\/«.s. se. en /'er.'.e t. IV.
hommes) aijetés dans le fo.ssé;j'ai coupé leurs I" partie, 18',t6, p. 22!». Probablement Derre i
membres, je les ai fait manger par des chiens, chahr, sur le Sein Mèrrè.
d.". bêles fauves, des oiseaux de proie, des (4) Cf. ir. .1./., III, pi. X\II-XX\V III, c. \ .
Animaux du ciel el de la mer. En accomplis- VI, VII, jusqu'à I. 76. Trad. J. Men.vnt, Ann.
sant ces choses, j'ai réjoui le cœur des grands Assijr., p. 26i, sq.
36/i
LES PREMIÈRES CINILISATIONS
Ainsi s'exprime Assourbanipal lui-même, à la fin du récit qu'il
nous a transmis du sac de l'Elam (1).
(1) Succession des souverains élumiles, depuis les origines.
(D'après les travaux de la Délégation en Perse).
Patésis. Suzerains.
Our-Iliml?) Chargani char ali ou sarri (Sargon d'Agadê).
Narani Sin (3750 av. J.-C'.
Chim-bi-ichkhouq.
Karibou-cha-clwuchinaq.
Khoulran tepli.
Idiidou I".
Kal Roukhouralir.
Idadou II.
Ebarti-Kindadou.
badidimnju.
Beliarik.
Ourkioum.
Alou oucharchid (roi de Kich).
Doungiii (rui d'Our).
Ghimil-Sin (roi d'Our).
Bour Sin (roi d'Our).
Idê-Sin (roi d'Our).
(Derniers rois d'Our).
LiUi-Irtach
Siinti Chilliak
Koudour Nakhkhounlé. (Roi d'Elam). Vers 2280 av. J.-C.
Chiruukdou (vice-roi de Suse).
Temli wjoun (vice-roi de Suse).
(roi d'Elam).
Temli Kliichn Khanech (vice-roi de Suse).
Chimebular Khouppak (vice-roi de Suse^.
(roi d'Elam et de Chaldée).
Ebarti (vice-roi de Suse).
Chilkhaka (vice-roi de Suse).
Lankoukou (vice-roi de Suse).
Kouk-Kirpiach (vice- roi de Suse).
Allapakrhou (vice-roi de Suse).
Koudour Mabou'j (roi d'Elam et de Chaldée).
Temli Khalki (vice-roi de Suse).
Kal oalt (vice-roi de Suse).
Koudour Latjamnr (?) (roi d'Elam et de Chaldée).
Kouk Nachour (vice-roi de Suse).
Palii-Iclichan
Iri Khalki (roi de Suse).
Pakhir-ichchan id.
Altar-Kitlalih id.
Khoumban-oummenna id .
OunlarhGnl id.
Kidin Khoulran id.
Khourpalila id.
Kidin Khoulroulach id.
Khalloulouch In Chouchinak id.
Choulrouk IWikhkhounlé id.
Koulir Xakhkiiounté.
Chilkhak in Chouchinak.
Khouteloudouch In Cliouchinak.
Chilkhina Kliamrou Laqamar.
Khoumbanimmena.
Choulrouk Nakhkhounlé II.
X
Chouchinak char Ilani.
Tepli Akhar.
Khouban.
Khalloulouch in Chouchinak.
Chilhak in Chouchinak.
Tepli-Khouban in Chouchinak.
Indadari (?).
Choulour Nakhkhounlé.
Takhkhikhi ('?)
Khunni (?)
(dernier? grand roi élamile de Chaldée).
Contemporains
Ilammourabi (roi de Bab\ lone), vers 2056.
Kourigalzou (roi cosséen de Babylonc).
Bèl-nadin-choum (roi cosséen de Babylone).
Adad choum iddin (roi cosséen de Babylone).
Melichikhou (roi cosséen de Babylone) (1209-1195).
Mardouk-apal-iddin (roi cosséen de Babylone) (1191-
1182).
Zamama chouni iddin (1181).
Nabou koudour oulsour I", vers 1030.
Teglalhpalasar II, roi d'Assour (950).
X... roi élamite en Chaldée (939-9.34).
Mardouk-balalsou-iqbi (roi de Babylone).
LA PKh'PONDÉHANCE ASSYRIENNE
365
Les gens do la montagne gardèrent presqne tous leur indé-
pendance; mais le coup avait été si dur que la puissance élamite
ne s'en releva jamais.
C'en était liai de l'Asie, (l(> Tl^gypte, du Monde entier
d'alors (1); toute la vieille civilisation était écrasée; mais l'Assy-
rie était elle-même épuisée, de sorte qu'avant même la mort
d'Assourbanipal, l'Egypte, la Lydie, le pays de Touhal et bien
d'autres concpiêtes, ne complaienl plus (pie de nom dans son
empire, et que la Médie victorieuse était descendue sur le Tigre.
L'Asie Antérieure, ruinée, n'était pas encore sortie des fléaux (2).
Un ouragan, hélas ! plus violent encore que celui (pii partit d'Assy-
rie, allait l'atteindre, répandant la ruine parmi les ruines, effaçant
tout, jusqu'au nom et au souvenir des tyrans d'Assour. C'est
du nord (prallait souffler cette effroyable tempête (3).
Oiimbaddrd (vers 750).
Khoumhanhjach (742).
Choulour Nnkhkhounté (719-701).
Khallouch (701-C)0i).
Choulour N<inhhkhoantii (69l-6i«).
Klioumbnn Mennnnu (G93-r>89).
Khoubnn-Khnlbich I" (689-fiBl).
Khouban-KhaUach II (G81-675).
Ourtakou ((î74-r.()l).
Khoumbnnigarli H, à Siise.
Tamrilou à Khidaloii.
Tamrilou.
Indabiguch (usurpateur) .
Khoumbnn-nldasi (dans les monlagnes).
Khoumba Khaboua (usurpateur).
Tamrilou (roi à Suse.)
Paé (usurpateur).
Khoumban-aldasi.
Ruine de Suse par Assourbanipal (643).
(1) La légende d'une expédition assyrienne
jusqu'à llndus, en 736 av. J.-C., sous Téglat-
phalasar, ingénieusement basée par Fr. Le-
normani {Lellres asuyriologiques) sur des inter-
prétations erronées, avait pour un temps été
adoptée par G. Maspero {Ilisl. anc. peuples de
rOrienl,-i' éd., p. 371-372,) Vinzi {Richerche per
lo sludio delVanlichila Assira, p. 317, sq.),
Max Diinker (Gesch. des Allerlums, b' éd., t. II,
p. 260, 262; t. IV, p. 15), J. Menant (Ann. des
rois d'Assi/rie, p. 147), Sclirader (Z.Krilik der
Inschr. Ihjlalhpileser-s II, p. 11), a été jusle-
ment réfutée par Patkanof (Journ. asinl. I.ou-
don, janv. 1880, p. 76 ; Acadennj, I. XVII,
p. 198), Fr. Delitzsch (Wo Incj dus Paradies 1
p. KO) et Delattre (le Peuple el lEmpire des
Mèdes, p. 91, sq.).
(2) Les rois d'Assour songeaient alors bien
peu à rétablir l'empire de leurs ancêtres, ils
se contentaient de souliaiter de vivre, sen-
tant l'orage gronder sur leur tête.
» Moi, Assouretilili, roi des légions, roi du
pays d'Assour, fils d'Assourbanipal, roi des
Nabou natsir (roi de Babylone) (747-734).
Charrou-oukin (roi d'Assour) (721-705).
Mardouk-apal-iddin (roi de Babylone) (721-709).
Sin-akhe-irba (roi d'Assour) (704-681).
Bèl-ibni (Babylone) (702-7(K)).
Achciiour-nadin-choum (Babylone) (699-69*)-
Assaraddon (Assyrie) (680-668).
Assourbanipal (Assyrie) (666-628).
légions, roi du pays d'Assour, j'ai ordonné de
mouler des brlipies pour la constructifui du
Bit-Zida, situé dans la ville de Kalakh, dans
le désir de [u-oionger mes jours. » (J. Menant.
1874, Ann. asst/r., p. "295.)
(3) De|)uis longtemps liéjà, les Scytlies se
montraient en .\sie et entretenaient des rela-
tions plus ou moins hostiles avec les peuples
de rOurarlbou, les Mèdes et les petits royau-
mes du Kurdistan iranien. Les Assyriens les
connaissaient tout au moins dès le temps
d' Assaraddon. (Cf. Knudtzon, Assyrische Ge-
bele an den Sonnentjolt, p. 130.) En C72, les
Scythes, sous leur roi Ichpakaî (nom aryen. —
Cf. JusTi, Iranisches Namenbuch. , pp. 46, 143.
— L.\TYScni;F, Inscripl. anliq oris sepl. Ponli
Euxini,l- II. P- 264), furent battus par les .\s-
syriens et rejetés au nord du lac d'Ourmiah.
.\ssaraddon reçut même de la part de Barla-
loua, roi des Scythes (Cf. Winckleb. Orien-
lalische Forscimngen, t. I, p. 488), la demande
d'une de ses filles en mariage. (Knudtzom, As-
syrische Gebete an den Sonnemjoll, pp. 119-122.)
3(>(i
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Les premiers flots indo-européens dont l'histoire puisse suivre
les traces s'étaient écoulés sur l'Europe centrale et méridionale,
sur la pointe occidentale de l'Asie ; peut-être même avaient-
ils envahi quelques pays du nord. Ils étaient eux-mêmes suivis
Y R 1^
L'Orient vers la fin de l'Emi ire assyrien (1).
d'autres vagues humaines, parmi lesquelles celle des Cimmériens
(|ui, arrêtés durant quelques siècles dans les plaines de l'Oxus
et du \'olga, semblaient s'y devoir fixer.
Les Ciuiuiériens, qui avaient poussé vers l'occident les tribus
parties avant eux des steppes de Sibérie, furent eux-mêmes
portés en avant par un auti-e flot congénère, celui des Scolotes
(Scythes) qui, cantonné pour un temps dans les steppes du nord
de la mer d'Aral, dut céder la place aux Massagètes, venus
d'Orient comme les autres lndo-euroj)éens, et cherchant des pays
au climat plus doux.
Les Massagètes sont la dernière des migrations asiatiques
connues, pour cette époque, comme sorties de ce grand réservoir
qu'était la Sibérie ; mais bien certainement d'autres la suivaient,
se succédant les unes les autres comme les vagues de la mer.
Tous ces peuples, nomades des plaines, n'osèrent pas aborder
les montagnes de la Margiane, de la Baktriane et de l'Hyrcanie
(1) D'après G. Maspero, llisl. anc. des peujiks de l'Orienl classique, t. III, p. 421.
LA PRÉPONDKRANCE ASSVIUENNE
367
occupées déjà par des tribus de leur race; c'est vers FOccident^
dans la plaine, qu'ils s'avancèrent.
Chassés de leur pays, les Scolotes (1) lianchirenl les lleuves
qui, presque tous coulant du nord au sud, ou inversement,,
semblent destinés par la nature à jouer le rôle de frontières entre
les diverses tribus nomades. Ils poussèrent devant eux les Gim-
mériens qui, suivant la voie tracée par leurs prédécesseurs,
envahirent la Thrace, traversèrent le Bosphore et se ruèrent sur
l'Asie, ayant grossi leur nombre d'une
foule de peuplades, leurs parentes, (|u ils
rencontrèrent sur leur route.
En Asie Mineure, les royaumes dispa-
rurent, les villes furent détruites, ^'enus
pour chercher des terres libres, les en-
.^K|^:g^H^>^^M
1^;^ r^j^ :gT 4^
W^^»^^^
<m^>ff^!B^^:^^
vahisseurs n'ayant rencontré que des Écriture cunéiforme baby-
pays habités et riches, de pasteurs se '«"ienne de basse épo-
r i -Il I • , que 2).
tirent pillards, vainquant par le nombre ;
aussi, lorsqu'ils se heurtèrent aux légions organisées d'Assour,
subirent-ils de sanglants échecs 3).
Las de rapines, repus de richesses, des biens de l'Asie
Mineure, sentant que s'ils s'avançaient plus au sud ils rencontre-
raient une infranchissable barrière, ils s'arrêtèrent pour jouir de
leur conquête.
Mais les Scolotes émigraient, eux aussi; maintenus, pour un
temps, par la muraille caucasienne, ils lavaient traversée aux
portes Caspiennes(/i\ envahissaient la vallée du Gyrus, celle de
(I) Au sujet .les Scvthes, Cf. TIérodoti;, I,
I-IV, LXXIII-LXXIV, CVI. - Justin, II. 1-
VhoiOL, Cl/rus iind Herodot. —F. de Sailcy,
Chron .Emp.Xinive et lifibylone. — G. Rawlin-
soy,The five greni monarchiex.— Fr. Le.normant,
Lettres as&ijrioloyiques, les Origines de [histoire.
— Ed. Meyer, (iesrhichle des Allerlhunis. —
Pn\9.UEK. Medien a d. Ilaus des Kyaxares,elc.
-2) Estamiiille des bri(|ues de Bai)ylone. « .\a-
boiikoudo^urioiitsoiir, roi de Babv'lone, pour-
voyeur dKsagil (temple de MardoukjeldEzida
(temple de Xaboil), fils aîné de Nabopolasar, roi
de Babylone, moi-uième (604-561 av. J.-C). »
(3) Toukdami lut, en6i.5, battu dans les jïor-
fres fie Cilicie par les troupes assyriennes.
Son fils, Sandakbcliatrou, ramena vers le cen-
tre de la péninsule ce qui restait des Cimmé-
rlens. Ils se cantonnèrent dans la Cai)padoce,
les vallées de Illalys et du Thermodon. C'est
là qu'ils se trouvaient quand les Scythes paru-
rrrit en Arménie.
(4) Les Scythes ne purent venir, comme le-
supposent quelques auteurs (Cf. G Maspero,
Hisl. anc. des jieujAes de l Orient. 5' édit., 1893,
p. 511), par les rives de la Caspienne, région
e.xtrèmemeiil difficile, occu|)ée parles Mèdes^
et dont l'entrée se trouvait à l'orient de la*^
mer, pays alors au.x mains des Massagètes. Il
est bien plus rationnel de penser qu'ils arri-
vèrent par les Portes Caspiennes, que rien
encore ne fermait, situées en face des ter-
liloires qu'ils occupaient au nord du Cau-
case. Cette voie, ils la connaissaient depuis
longtemps ; car ils avaient déjà fait plusieurs-
expéditions sur le haut Araxe (Sacassènc) où
Assourbanipal défit leurs deu.v princes Sarali
et Parikliia. (Schrader. Keilinschriflen iind Ge-
schichlsforschung, p. 159, note. — Fr. Deliz-
Tscii, \Vo lag das Parodies 1 p. 247. — Fr. Le-
.NORMA.NT, les Origines de l'Histoire, l- IL p. 46L
s.|.)
368 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
l'Araxe et la steppe de Moiigân (1), menaçant la Médie pendant
que son chef Cyaxares (2), victorieux des Assyriens, assiégeait
Ninive.
Cyaxares, abandonnant pour un temps ses rancunes contre
Assour, se porta vers ses districts du Nord à la rencontre des
envahisseurs; mais, certainement vaincu, il se retira dans ses pro-
vinces méridionales du Kurdistan et d'Ecbatane, abandonnant des
districts d'Azerbaidjan et, en partie, le haut bassin du Kizil-Ouzen.
Quelques bandes scythes parcoururent ces pays ouverts; mais,
dans leur marche vers FOccident, se heurtant aux montagnes qui,
depuis TArarat, traversent du nord au sud le pays des Cardu-
ques (3), elles durent rétrograder. Le gros de la nation, remontant
la vallée de l'Araxe, se trouva en plein cœur du royaume d'Ourar-
thou [II] qu'il anéantit, tourna le massif du Masis, entra sur le pla-
teau arménien, écrasa les Mouskhis et les Tabals; puis, par la val-
lée du Tigre, descendit sur Ninive, laissant libre le roi des Mèdes
dans sa capitale du sud (5).
Les Cimmériens, affaiblis au moment où les Scolotes dévastè-
rent le Taurus, vaincus (G), se joignirent à leurs anciens ennemis,
et firent cause commune avec eux pour envahir l'Assyrie (7^, dont
ils saccagèrent les territoires, brûlèrent les villes, massacrèrent
ou réduisirent en esclavage la population, avec une férocité digne
des Ninivites eux-mêmes.
Délivrée pour un temps par la retraite précipitée des jNIèdes,
Ninive, s'attendant de leur part à un autre siège, s'y était prépa-
rée ; mais ce furent les Scythes qui se présentèrent sous ses mu-
railles et non Cyaxares. Elle résista ; et, inhabiles dans l'art de
prendre les places fortes, les nomades l'abandonnèrent, ne laissant
autour d'elle que des pays dévastés. Le vieux roi Assourbanipal,
le vainqueur de Suse, qui avait vu le monde entier prosterné à
ses pieds, put encore assister à l'effondrement de son œuvre et
de celle de ses pères, car il ne mourut qu'en (32(3.
(1) Il existe dans ceUe plaine, sur la rive Ichaï, où se trouve un texte vanniquc. On eu
droite de l'Araxe et du Cyrus, un grand nom- a rencontré un autre près d'Echmiadzin, où
lire de tells anti<|iies qui sont peut-être les je l'ai vu en 1903. (J. M.)
ruines des établissements scythes. (J. M., (5) L'examen des routes de ces pays montre
Voyage de 1890.) que celte voie est la seule par laquelle les
(i) Khrakhshatra, Kashtaritou. Scythes pouvaient atteindre Ninive. (J. M.)
(3) Il existepeu de i)assages dans ces mon- (6) De là vient que, fréquemment, les Scy-
tagnes; ceux de Khoi et de Revandouz (Kèl-i- llies ont été confondus avec les Cimmériens
Chin) sont les seuls par lesipiels liassent les ipii. habitant l'Asie depuis déjà longtemps,
caravanes. (.1. M.) étaient plus connus que les nouveaux venus.
(4) Ce royaume s'étendait juscpiau Glu'pk- iTj Stkabo.n, I, III, 21 .
LA PRÉPONDIMIANCI'] ASSYHIi:XNE 369
Les l>;iil)ares parcoururciil loiilc l'Asie Aiitérieurcî, semant la
Ethnographie de la Perse à l'époque assyrienne.
ruine sous leurs pas; la Clialdée (1), la Syrie, la Phénicie, la
Palestine (2) furent tour à tour dévastées (3). L'Egypte n'échappa
(1) Cf. SciiiîADER, Keilinschriften und Gva- les Scythes en Palestine, JÉuii.MiK, V, 15,17;
cliiclitsforsclnuui, p. 150. — Fr. Lenoii.mant, V'I, 23, 24.
les Oritjines Je Ihisloire, l. II, p. 547, s(|. (.1) Hérodote, I, <:v ; Jusri>-, II, 5.
(2) Cf., au sujet des horreurs commises par
24
370
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
qu'à prix d'or, la Syrie fut encore une fois ruinée (1). Puis ils
disparurent ; vaincus peut-être par les Mèdes, harcelés par les
populations (2), ils rentrèrent en Europe (S"), ayant, en quelques
années (/i) (63Zi à 627), achevé le renversement de l'ancien monde
et laissant aux Iraniens la tâche facile de soumettre des peuples
déjà écrasés (5), et de les grouper en royaume.
Mais Cvaxare n'était pas demeuré inactif pendant que les
Scythes préparaient ainsi sa fortune. 11 avait organisé son armée
sur le mode assyrien, mis en valeur quelques-unes des richesses
de son pays, noué des relations diplomati(|ues avec tous les
anciens ennemis de l'Assyrie (6) et, avant que Ninive ent eu le
loisir de réparer ses désastres, il vint l'assiéger pour la seconde et
dernière fois.
Les iVssyriens résistèrent avec vaillance. «■ Kachtaritou avec ses
soldats, avec les soldats des Kimmériens (7), les soldats des
Mèdes, les soldats de Mannaï et bien d'autres, se sont répandus
comme une inondation (8) » ; tandis que le roi de Babylone ame-
nait les contingents du sud.
(1) Zéphaniah, H, 4-G.
(2) Une épiflémie les aurait également déci-
més. (HÉRODOTE, I, cv. — Xanthos de L> die,
Fragm. 11, in Moller-Didot, Fragm. histori-
corum greecoram, l. I, ]>. 38. — DioD. Sic. ,11, 4.
Strabon, XV[, V, 17. — Pline, Hist. nal., V, 23.
— HiPPOGRATE, De aère, acquà el locis, VI, 108.)
(.3) HÉRODOTE, IV, i,dil qu'ils rentrèrent par
le Caucase.
(4) Suivant Hérodote (I, cvi), ils auraient
dominé l'Asie pendant 28 ans, mais ce nom-
bre semble devoir être réduit à 7 ou 8 ans.
Cf. F. DE Saulcy, Chron. des empires de Ni-
nive, de Babylone el d'Ecbalane, p. 69. — F. Le-
normant, Lellres assijriologiques, 1" série,
t. I, pp. 74-83.
(5) Le royaume d'Assyrie avait été fort
malmené par les Scythes et par les Mèdes.
Layard (Nineveli and Babylon, p. 558) a cons-
taté que le palais d'Assaraddon, à Kalakb,
avait été détruit par un incendie, et que celui
d'Assouretililâni avait été construit sur ses
décombres. Mais on ne saurait dire si cette
destruction est due au.x Scytiies (Rawlinso.n,
The five greal monarchies, 2' édit., t. II, p. 228),
ou à la première campagne de Cya.xare, en
Assyrie. (Rawlinson, Herodolus, 2' édit., t. I,
p. 398.) Assour et Dour Charoukin (le palais
de Sargon) disparurent en même temps.
(6) La diplomatie niède ne fut peut-être
pas étrangère à la révolution qui mit Nabopo-
lassar sur le trône de Chaldée. La tradition
affirmait qu'une armée venue du sud avait
débarqué soudain aux embouchures de l'Eu-
jdirale et du Tigre. Ne doit-on pas voir dans
cette invasion le souvenir d'une révolte du
Bit-Yakin, des tribus voisines de la mer, des
Elaniites peut-être, pi»|>Mlalions qui, à cette
époque, étaient en relations constantes avec
la Médie? Ecbatane (Hamadan) n'était qu'à
dix ou douze jours de caravane de .Suse par
Khaïdâlou (Kborremâbàd ?) Quoi qu'il en soit,
Nabopolassar, chargé par Assouretililâui de
refouler ces envahisseurs, s'allia avec eux et
se déclara indépendant. La Mésopotamie, la
Syrie et la Palestine ne suivirent jias l'exemple
tle Babylone, mais ne furent d'aucun secours
pour Ninive à l'heure du danger (J. M.).
(7) Des bandes cimmériennes et scythes,in-
ilépendanles de celles (jui rentrèrent en Eu-
rope, occupaient bien certainement encore
certaines vallées de l'Arménie et du petit
Caucase. Winckler {Unlersachungen zur Alto-
rienlalischen Geschichte, p. 125) pense que les
Scythes auraient possédé une partie de la
Médie, jusqu'au moment où leur chef Astyage
aurait été renversé par Cyrus. Rost [op. cit.,
p. 93, sq.) i>ense que Cvaxare lui-même est
un Scythe. Le récit d'Hérodote (I, cvi), par
lequel Cyaxare aurait invité Madyès à un
banquet, avec les principaux chefs scylhes, et
les aurait fait tuer après les avoir enivrés,
contredit ces ojjinions, et semble être plus ac-
ceptable, étant donnée l'époque à laquelle il
a été recueilli par l'historien grec. D'ailleurs,
les Scythes ne semblent pas s'être avancés en
Médie beaucoup plus au sud que le lac
d'Ourmiah. Toute la partie méridionale du
royaume aurait donc conservé sa liberté.
(8) Cf. BoscAWEN, Babylonian dated lablets,
in Trans. o/ Ihe Soc. of Bibl. Archseol., t. VI,
pp. 21-22. — Sayce, Babyl. littéral., pp. 78-82.
— Id., Fresh light froin Ihe anc. mon., pp. 132-
136. — ScHR.\DER, Keilinschr. u. Geschischtsf-,
LA PRÉPONDÉRANCE ASSYRIENNE 374
Vaincu en rase campagne, Sincharichkoun, le dernier des rois
d'Assour, s'enferma dans ses murailles et, plutôt que de tomber
vivant aux mains des vainqueurs, se donna la mort dans les
flammes de son palais (1) (608 ou 600).
L'Assyrie avait vécu (2) ; après s'être trouvée, sous Assourbani-
pal, a 1 apogée de sa gloire et de sa puissance, elle fut écrasée
par sa grandeur même, par la mauvaise organisation de ses États
et par les haines mortelles que ses cruautés avaient inspirées.
Au jour du danger, au lieu de trouver dans ses provinces les
ressources nécessaires à la lutte suprême, elle ne rencontra que
des ennemis ne voyant dans sa perte que la disparition d'un fléau
qu'une punition du Ciel. '
Ainsi les Sémitesqui, pendant quatre mille ans environ, avaient
a des titres divers, dominé l'Asie occidentale ; qui, tout-puissants'
auraient pu organiser le monde, s'éteignaient haïs, détestés'
maudits, soudlésdu sang de millions de victimes. Le souvenir de
leurs atrocités pèsera comme une éternelle opprobre sur cet em-
pire et sur la race qui l'a enfanté (3).
L'i:gypte, malgré les succès des pharaons de la XXW dynas-
tie et des llamessides, était réellement en décadence dès
l'époque où les Ilyksos l'envahirent. Son entrée en scène dans
l'histoire générale, lui faisant perdre ses caractères nationaux, la
mettait au rang des autres souverainetés d'alors, puissante 'un
jour, abattue le lendemain.
Tant qu'elle vécut sur elle-même, tant qu'elle ne fit usage pour
son développement, que des ressources puisées dans sa sphère
naturelle, sa prospérité s'accrut ; les arts, l'industrie, le com-
merce, la richesse, en un mot, atteignirent leur apogée au temps
de la XIP dynastie. ^
Mais lorsqu'elle eut de constantes relations avec les peuples de
l'Asie, quand ses frontières furent largement ouvertes, reculées
n,T:;S>. ~ ""■ ^^^•^""^'^^- '- ^'•'3- "^ '■'-■^'■' -l-tric^ et de son agrioullure. sa littérature
(1) Diodore de Sicile II 2^-18 dWn n,'. scientifique et religieuse ; une seule chose lui
sias-Abvdène, ds E^sèbe Chron can nars l" "PP^'-\'^"^ en propre, la tactique de ses géné-
c. 9. ; PÔ/y/^«/o' ds leTènfe pars 1 c^ 5 ' ';:v„'' 'V^cellence de ses soldats. Du'jour
(â) Les' anciennes bandée ' d'Ass'our ^eni- ïcu ' mé nom- h"'' '' ? ^'^'"^"'•' '''" "«
^. habitent les .onta^ÏÏ SSfll^! ^^ ^^IliST ^IL^;^^ t ^^J^
/Qi i-A • » . , Ilisloire ancienne des peuples de l'Orient clns-
(3 « L Assyrie a tout reçu de la Chaldée, sa sique, l. III, n 486 ) ^ ^ ''• "^ ' "'""' <^"'*
civilisation, ses mœurs, le matériel de ses in-
372 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
qu'elles étaient jusqu'à l'Oronte et l'Euphrate, quand par ses
conquêtes elle eut introduit dans son patrimoine des éléments
exotiques, elle subit rapidement leur influence et l'esprit égyptien
s'atrophia (1).
Dès la XVIÏI'^ dynastie, l'étranger avait pris un tel pied
dans la vallée du Nil que bien des fonctionnaires étaient des
Asiates. On considérait alors comme de bon ton d'employer dans
la langue des termes sémitiques et de négliger les vieilles expres-
sions indigènes.
C'est ainsi qu'il est aujourd'hui de mode chez les Persans, chez
les Turcs, d'émailler les anciens dialectes de mots arabes ; qu'à
Rome les expressions grecques furent en honneur au temps des
Césars; que bien des peuples de l'Europe se piquent d'employer
un grand nombre de mots français ou anglais, plus ou moins
écorchés, toujours improprement apj)liqués.
Il est peu de nations qui sachent conserver intact leur parler
national et, paitant, la mentalité de leurs ancêtres; jeunes, elles
empruntent aux plus développées qu'elles; vieillies, elles se
laissent envahir. Ce n'est que dans leur maturité qu'elles vivent
de leur existence propre et le langage est le plus fidèle miroir de
létat moral d'un peuple.
Celte tendance s'accentua plus encore après les lîamessides.
Déjà une grande partie de la population du Delta était étrangère;
elle adorait ses dieux dans des temples particuliers élevés auprès
de ceux des divinités égyptiennes. Tout l'orient du f3elta était
occupé par des Sémites, sujets égyptiens, mais demeurés asia-
tiques par l'esprit, la langue, les mœurs et la religion.
A l'occident, c'étaient les Libyens qui dominaient par leur
nombre et leur influence. ^Mercenaires depuis des siècles, ils
fournissaient au pharaon ses meilleures troupes, sa garde, sa
police même, répandue dans tous les nômes.
En dehors de ces deux centres, presque uniquement étrangers,
l'Egypte renfermait une population fort mélangée ; c'étaient des
nègres, des Asiates, des Méditerranéens, ceux-ci employés aux
travaux des champs, ou se livrant au commerce dans les bour-
(1) Sur le nombre (Ifsélningers en Egyple, purus Lee et Rullin, pp. 138-162. — M.\x Mll-
Cf. H. Bruosch, Geschichte lEgyplens, p. !97, ler, Asien imd Europa, p. 240. —G. Maspebo,
sq. Eh.man, JEgijplen und JEijupthches Le- lU^l. anc. peuples Orient classique, t. Il, 1897,
hen im Allerihums, pp. 450, S(i., 683, sq. — De- ji. 485 et note 2, \>. 57U.
VEBiA, le Papyrus judiciaire de Turin et les pu-
LA PRKPONDÉRANCE ASSYRIENNE 373
gades, ceux-là fonctionnaires dans l'administration, tous exer-
çant une influence notable. Ces intrusions, prépondérantes dans
la Basse ^'allée, s'étendaient, en sallénuant, Jus(|u'aux frontières
de la Nubie; Yahwè avait son temple dans l'île d'Eléphantine.
Tous ces étrangers n'avaient, comme de raison, aucun souci
des intérêts du pays qui, généreusement, leur donnait l'hospita-
lité ; peu leur importait la conservation de ses lois, de son culte
ou de son prestige. Egyptiens aujourd'hui, Syriens, Assyriens ou
Perses demain, ils n'entrevoyaient que leur intérêt personnel, se
donnant au plus ofFrant, dans les troubles intérieurs comme dans
les guerres contre l'étranger; et Fégoïsme de leur mentalité
pénétra vite la nation tout entière (1).
L'Egypte avait terminé sa carrière ; elle se mourait de vieillesse
et, si elle existait encore, ce n'était qu'en vertu delà force acquise
par des milliers d'années d'une administration sage et patrio-
ti({ue. L'Empire byzantin ne survécut-il pas pendant plus de mille
années, grâce au seul prestige du nom romain?
Une dynastie dite libyenne, la XXII^, dont Ghechonq fut
le chef, avait su, non seulement s'emparer de la couronne,
mais aussi du titre de premier prophète d'Ammon ; tandis que
l'ancienne lignée des grands prêtres thébains s'était retirée en
Ethiopie, à Napata, où elle avait fondé un Etat indépendant.
Chéchonq fut l'un des derniers souverains d Egypte qui dépas-
sèrent le Sinaï. Il marcha contre la Syrie, envahit la Judée, pilla
Jérusalem, Habbit, Tàanak, Haphraïm, Gibéon, etc., et les vil-
lages delà plaine de Juda; mais ces conquêtes ne furent qu'éphé-
mères, car, dès le temps des successeurs de Chéchonq, on dut
les abandonner.
A l'intérieur, la haute direction dans les nômes avait été chan-
gée et la vieille noblesse mise à l'écart; les nouveaux préfets
étaient tous des princes de la famille royale. Cette mesure mala-
droite constitua une nouvelle aristocratie héréditaire, plus dan-
gereuse encore que celle dont elle avait pris la place; car chacun
de ces seigneurs, issu de sang royal et divin, pouvait prétendre
au trône.
Peu à peu ces princes s'émancipèrent, s'appuyant sur les mer-
(1) Inlluence nrtistique mycénienne en S.Reinacii, Ciiroi). or., ds Rev. archéol., 181t2,
Egypte, à la XVIH'^ dynastie. Cf. G. Stei.n- l. I, pp. i06-7.
DOBFF, Archœol. Anzeiger, 1892, p. 11, sq. —
37/( LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
cenaires dès longtemps à la solde égyptienne. L'anarchie devint
complète; ce fut pour le pays des pharaons lépoque des trente
tvrans. On vit à la fois vingt-cinq principautés indépendantes
dans la vallée du Nil, el quatre de leurs dynastes prendre le car-
touche royal.
Psamitik, de la dynastie saïte (XXVll^), ramena la prospérité
pour un temps très court. Les arts se relevèrent; mais intervint
rÉthiopie qui, renversant la dynastie saïte, reconstitua, tout au
moins géographiquement, l'Empire des anciens temps. C'était
l'époque dAssourbanipal; l'Assyrie était bien trop occupée, d'une
])art, de ses grandes guerres d'Ourarthou, d'Elam et de Chaldée,
d'autre part de ses revers, pour songer à l'Egypte.
En Syrie, le déclin de la puissance égyptienne avait permis aux
petits peuples de s'affranchir et de se constituer en royaumes ;
c'est alors que les Hébreux s'étaient emparés de la suprématie
sur les Chananéens du sud.
Lorsque Salomon monta sur le trône, il n'existait plus, dans
toute la région, que trois puissances méritant ce nom: la sienne,
celle des Phéniciens, avec laquelle il s'entendit pour se partager
le commerce de l'Orient, et le royaume de Damas tantôt faible,
tantôt puissant le seul ennemi redoutable pour Jérusalem et
pour les villes de la côte.
Le nouveau roi oiganisa les conquêtes faites par son père,
construisit des places fortes, afin de maintenir les petits peuples
dans l'obéissance et, certainement aussi, pour surveiller les
grands carrefours commerciaux; car la Judée tirait des revenus
considérables des taxes qu'elle imposait aux caravanes d'Asie
Mineure, de Chaldée, d'Egypte, d'Arabie, de Phénicie, traversant
son territoire.
La métropole elle-même, véritable maison de commerce, tout
comme Tyr, Sidon, Beryte et Damas, envoya des expéditions jus-
(ju'en Arabie et, peut-être aussi, dans tous les grands centres
producteurs et consommateurs de l'Asie Antérieure. La richesse
de la Judée s'accrut rapidement, les trésors de Salomon prirent
rang, chez les Juifs, parmi les fables les plus accréditées. Jéru-
salem construisit sou temple, centre du patriotisme Israélite,
embellit sa ville, l'entoura de remparts. Ce fut le royaume de la
Commission ; mais sa fortune, ne reposant que sur le transit et
le crédit, se trouvait exj)osée au moindre caprice du sort.
LAlPRÉPONDtHANCK ASSVP.IENNE
375
Les troubles qui éclatèrent en Palestine après la mort de Salo-
mon, l'intervention armée des Egyptiens en Syrie, arrêtèrent les
ati'aires et le pays tomba dans
un tel état de faiblesse (1^ que,
dès lors, incapable de se rele-
ver, il était destine à devenir
la proie de celui qui se donne-
rait la peine de le parcourir
militairement.
Le royaume de Damas en-
treprit celte tâche; les désastres
survenus alors aux Assyriens,
l'apathie des pharaons, lui en
laissèrent le loisir. Il refoula
vers le nord les restes des
Hétéens, occupa tout le pavs
et, malgré TAssyrie qui. res-
taurée de ses revers, inter-
vint bientôt sur TEuphrate et
rOronte, ce royaume eut en-
core assez de vitalité pour se
maintenir jusqu'en 8^0, époque
à laquelle il se soumit à Xi-
nive. afin de pouvoir en toute
sécurité exercer ses vengean-
ces contre Israël.
Ce furent ces compétitions,
ces hainesdes petits Etats entre
eux. qui causèrent en Syrie la
fortune de Ninive ; son habileté
politique lui permit d'en j)ro-
fiter et, grâce à sa diplomatie,
jamais elle ne rencontra, parmi
ces peuples, d'ennemis capables tle lutter contre elle à armes
égales.
La Palestine au temps du royaume
de Damas (vni« s. av. J.-C.) {2\
(1} Jnmais en Palestine il n'y eut d'art indi-
gène: les Juifs se contentèrent de copier gau-
chement la Phénicie. qui elle-même s'inspirait
maladroitement de 1 Egypte et de la Chaldée.
Plus lard, à parlirdu neuvième-huitième siècle,
il se forma des procédés nationaux dans la
céramique syrienne; mais leurs produits ne
furent que d'inélégantes copies de 1 art mycé-
nien, déjà gâté par les influences de Rhodes et
de Chypre. , Cf. H. Vincent. Canaan, 1907, p. 20.)
(2) D'après J. M.kspero. Hisl anc. des peuples
de l'Orienl classique, t. UI, p. 185.
376 LES PREMIÈRES CIMLISATIONS
Les Phéniciens, dont les attaches sur la terre ferme étaient
moins fortes que celles des Hébreux, dont la puissance et la
richesse résidaient surtout dans les flottes et dans le commerce
de terre (1) et de mer, surent, par des tributs volontaires, éloigner
d'eux les Assyriens : procédant en cela de même que jadis ils en
avaient agi vis-à-vis de l'Egypte. Dans quelques rares cas ils se
départirent de cette sage politique du faible à l'égard du fort et
n'eurent pas lieu de s'en louer.
Tyr avait alors la suprématie sur toutes les villes phéniciennes
du sud, tandis que Beryte dominait au nord. Certainement les
possessions de ces deux villes, sur le continent, étaient impor-
tantes; mais c'était surtout parleurs colonies qu'elles florissaient.
L'appui des Pharaons avait ouvert aux Phéniciens tous les champs
commerciaux de la Méditerranée et l'intervention des Assvriens
ne modifia pas cette fortune; mais les navigateurs sémites se
heurtèrent bien vite à d'habiles et intrépides marins, aux (Irecs,
leurs élèves dans la science de la mer, qui, pendant des siècles,
leur en disputèrent le domaine (2).
Les rivalités d'intérêts sur une multitude de ])oints firent naître,
dans toute la ^léditerranée, des luttes ardentes pour la possession
des comptoirs. Phéniciens et Hellènes en vinrent aux mains dans
l'Archipel, dans le sud de l'Asie Mineure, en Sicile, en Espagne,
sur la côte d'Afrique. Ils devinrent d'irréconciliables ennemis et,
lors des luttes des grands empires asiatiques contre la Grèce, les
Phéniciens, par haine et par intérêt, prêtèrent aux Perses l'appui
de leurs vaisseaux.
Les Hellènes, dont nous avons (h\jà rencontré le nom 3) lors
(l)V(<hin(petil-êtreWoil(kin,enlre la Mecque ii. l24-b2.'i. — Wiedemann, Ilerodols Zweiles
el Mé(line) et Yâvân (en Arabie) de Oùzâl (fils liarh, p. -207, n» 1) parle des >• des de la Très-
de Yâqtàn, établi dans le sud de l'Arabie) Verte". Ce ne peut être que Chypre, Khodes,
pourvoyaient les (Tyr) marchés ; le fer tra- peul-èlre même les Cyclades (Cf. D. :Mai,i.et,
vaille, la casse et la canne aromatique étaient IS[>'.\, len l^remiers Etablissements grecs en Eg;ii)le,
échangés avec toi. Dedân trafiquait avec toi introd., j). 5).
en couverturespoursasseoirà cheval. L'Arabie XII' dyn. — Le i)haraon Sonkheri Amoni se
et tous les princes de Qêdâr trafiquaient avec vante d'avoir fait faillir les Hanehou (peuples
toi, et faisaient le commerce en agneau.x, en <lu nord) qui plus tard sous les Plolémées furent
béliers, en boucs. Les marchands de Schebâ l'équivaknl des Ioniens. (Cf. Lepsius, Denkm.,
et de Raemàh trafiquaient avec toi; de tous les II, 150. — D. Mali. et, les Premiers Elablisse-
ineilleurs ar(jmales, de loute espèce de i)ierres ments des Grecs en Egi/ple, 1893, introd., p. 5.)
I)récieuses et d'or, ils i)Ourvoyaient tes mar- Thoulmés III parle de ceu.\ qui habitent
chés. {Ezechiel, XXVII, 19-22. - Fr. Le.nor- les îles dans la Ci; iule Mer, du pays d'Asi
MANT, les Origines Je ihisloire, t. III, p. 15.) (Chypre) [Lepsius, Denkm., III, 5, 1. 3-4, stèle
(2) Pour les Grecs de l'époque homérique, la de Tobosj. Il y a\ail alors un gouverneur des
piraterie était un métier avouable. (Cf. Odyssée, pays du Nonl, déh'gué du roi dans les districts
IX, 40 et sq. ; XI, 401 et sq. ; XIV, 85 rt sq.', etc.) situés dans la Trés-Verte. (Cf. D. 3Iallet, les
(3) XIII" dynastie. — Le conte de Sinouhil Prem. Ehihl. des Crées en Egypte, 1893, introd.,
(Cf. G. Maspero, Contes égyptiens, 1" éd., p. C.)
LA pnKPOXDKHANCE ASSVUIENNK
377
d(^ la prépondérance égyptienne, s'étaient, aux temps assyriens,
fermement implantés dans les pays qu'ils considéi'aient déjà
comme leur patrimoine (1). Le rôle éminent qu'ils étaient destinés
à jouer dans la grande civilisation leur fait une |)lace à part dans
riiisloirc^ ; aussi méritenl-ils (|u'on remonte dans leurs annales
aussi loin que faire se peut.
Les tribus indo-européennes qui sinslallèrent dans la Grèce
continentale et insulaire étaient remarquablement douées, et leur
esprit, ouvert à toutes les spéculations, sut tirei- un merveilleux
parti des données qu'ils rencontrèrent chez les peuples asiati-
ques (*2) et en Egypte. Les arts étaient nés, ils les développèrent
dans toutes les branches; en littérature, en philosophie (S), ils sur-
passèrent leurs maîtres, de même qu'en mathématiques et en
construction. Ils achevèrent, en la perfectionnant, l'œuvre du
vieux monde; mais ne créèrent aucun principe, no firent aucune
découverte fondamentale ( 'i).
Si leurs aptitudes étaient merveilleuses, leur progrès fut sin-
gulièrement favorisé pai- la position géographique (|u'ils occu-
paient. Isolés du reste du monde dans leurs îles et dans la Grèce
(1) <■ La j:raii(lf migration aryeiino venue
«l'Orient s'est partagée en trois groupes: l'un,
traversant 1 riellesi)ont et la Macédoine, s'est
établi dans les régions montagneuses de la
Thrace; c'est le lieu d'origine des tribus hellé-
niques, qui descendront plus tard en Grèce.
Un autre s'est cantonné sur les plateaux de
Phrygie d'où il n'est pas sorti. Un troisième
enfin a occupé les cotes d'Asie-Mineure et
colonisé les îles de la mer Egée et une partie
de la Grèce continentale : c'est la race pélas-
gique que les Grecs considéraient comme
indigène et dont les monuments attestent la
liante antiquité. >■ (M. Collignon, Man. arcli.
grecque, p. 10.) Cet e.\posé ne semble pas
correspondre exactement à la réalité des faits;
car les Pélasges antérieurs à la migration
gréco-italiote se sont répandus aussi bien en
Italie qu'en Grèce. L'invasion de la côte d'Asie
par les Ioniens serait dans ces conditions une
poussée grecque contemporaine, ou peu s'en
faut, de celle des Phrygiens.
(-2) La tradition grecque affirmait que les
chefs de My cènes étaient venus de Lydie a|)poi--
tant avec eu.\ la civilisation et les trésors de
l'Asie-Mineure. Ci'tte tradition a été confirmée
par les recherches de la science moderne.
Tandis que certains éléments appartenant à
la culture préhistorique de la Grèce, telle
qu'elle a été révélée à Mycènes et en autres
lieux, étaient tirés de l'Egypte et de la Phé-
nicie, d'autres indiquentl'Asie-Mineure comme
lieu de provenance. Or la culture de l'Asie
Mineure était hétéenne. (A.-II. Sayce, les
Héléens, trad. J. Menant, p. 131.) Les Hèléens
portèrent la civili>alion vieillie de la Baby-
lonie et de l'Egyple jusqu'aux limites extrêmes
de l'Asie, et à l'aurore nébuleuse de l'histoire
européenne, ils la transmirent à l'Occident ;
mais ne franchirent jamais celte fronlière.
Avec la conquête de la Lydie, leur mission
était terminée, (/d., p. 132.)
(3) Les idées philosoi)hiques émanent de
deux foyers principaux : celui d'Occident,
auquel la race indo-euro])éenne donna son
grand essor, et celui d'Extrême-Orient dû à la
race chinoise.
Chez les Indo-Européens, aussi loin que
nous puissions remonter, nous rencontrons des
idées philosophiques très confuses se mani-
festant sous forme de mythes, de symboles,
de panthéisme ou de fétichisme. La nature y
joue un très grand lôlc. Aux Indes, le jtan-
Ihéisme semble ne s'être développé qu'avec les
siècles, tandis que chez les Iraniens et les
Indo-Européens de l'Occident il s'atténua,
enfanta le monothéisme et, peu à peu, la philo-
sophie se dégagea même des idées religieuses
pour tendre vers une science véritable.
L'Orirnt anaryen ne pcissédait,semble-l-il, que
des idées philosophiques très vagues enve-
loppées d'un panthéisme très développé et tle
naturisme.
(4) Les Grecs ont moins encore que les Egyp-
tiens proclamé l'unité du divin. Les dieux grecs
sont individuels et variés, louchent de 1res
près à la nature; il y avait des liens très
étroits entre Zeus et l'Elher, entre Poséidon
et la mer, elc. (Laghangk, /7;sf. relig. scmil.,
p. 442.)
378
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
continentale, n'ayant aucune crainte vers le nord, protégés par la
mer des peuples qui, en les subjuguant, eussent pu anéantir leur
o-énie, ils furent à même de bénéficier de tous les avantaoes de
l'ancienne civilisation, sans avoir à en redouter les dangers.
La Grère aux temps liéroïques.
Divisés avant leur venue sur la Méditerranée, ils restèrent divisés
par la force même des choses; et la sécurité dont ils jouirent jus-
qu'aux temps achéméuides leur permit de se développer en une
multitude de foyers.
Cette sécurité fut leur perte au point de vue politique; car,
n'ayant pas à se grouper contre un ennemi commun, ils se déchi-
LA PRÉPONDKRANT.E ASSYRIENNE 379
rèrent entre eux et ne formèrent jamais une nation. Au jour du
dant^er, ils ne surent même pas s'unir et, en dépit des hauts faits
dont leur vanitc' nous entrelient, furent vaincus, écrasés par des
organisations politiques inf<Mieures aux leurs comme conceptions,
mais très supérieures par l'unité de direction.
Les indications les plus anciennes relatives aux peuples gréco-
italiotes sont fournies par la linguisti(|ue. L'élude comparée des
divers dialectes issus de cette souche commune montre qu'avant
leur séparation toutes ces tribus, dont quelques-unes sont deve-
nues plus tard de grands peuples, n'étaient que les fractions, les
clans d'une même horde, nomade pendant toute la durée de son
exode, et qui ne devint sédentaire qu'après avoir atteint les terres
les plus méridionales et le contact des vieilles monarchies.
On sait que les mots exprimant les animaux domestiques, les
travaux de l'agriculture, l'acte de moudre, de tisser, de forger, sont
communs à toutes les langues indo-européennes parvenues jus-
qu'à nous ; l'archéologie vérifie ces assertions, car le premier flot
humain qu'on j)eut, avec quelque certitude, considérer comme
aryen, était en possession de toutes ces notions.
En dehors de ces connaissances communes à toute la race, les
Gréco-ltaliotes en acquirent une foule d'autres, alors que, séparés
de la souche mère, ils vivaient encore en communauté ; car ou
retrouve, dans les vocabulaires hellénique et italiole, les mêmes
racines pour indiquer les instruments d'agriculture, le vin,
l'huile, etc., la déesse du foyer, et ces termes ne se rencontrent
pas dans les autres idiomes indo-européens.
La langue, produit de la mentalité grecque, fut en même
temps la cause de sa conservation. « De même que les facultés du
peuple hellénique se sont manifestées dans l'épanouissement
inconscient d'où est sortie la langue, de même la langue, une fois
formée, a exercé sur le peuple en général et sur chacun de ses
membres, l'influence la plus puissante; car plus l'organisme d'une
langue est parfait, plus celui qui s'en sert est porté, et en quelque
sorte oblio-é, à régler logiquement le cours de ses pensées et à
préciser ses idées (1). »
Dans ses grandes lignes, la langue était une quand, aux temps
très anciens, les Hellènes apparurent sur les territoires de la Thrace
(1) E. CuRTiu-, Wis(. grecque, Und. Boiulier-Leclercci, 1883, I. I, p- 25.
380 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
et de THellade. De nombreux dialectes fractionnaient, il est vrai,
ces populations et chacun de ces dialectes était en droit d'aspirer
à riiégémonie, en même temps que les tribus en faisant usage
pouvaient prétendre chacune à la suprématie ])()litique.
De bonne heure il se fit un tri par suite de Timporlance rela-
tive de certains peuples, de leur vitalité, de la situation géogra-
phique dans laquelle ils se trouvaient, lors de leur fixation. Le
rôle politique de quelques tribus s'élargit ; et, en même temps, leurs
dialectes se répandirent, étouffant ceux des clans plus faibles ; c'est
ainsi que se formèrent les dialectes dorien et ionien et les natio-
nalités correspondantes, florissant dans un (h)niaine nettement
défini, tandis que l'éolien, d'un caractère plus vague, sans patri-
moine bien net, survécut seulement à Pétat sporadique et que les
autres idiomes disparurent rapidement (1).
Grâce à leur unitéd'esprit,lesGrecs possédaient les mêmes ten-
dances, les mêmes aptitudes, le même génie. Ce qu'ils ont emprunté
du dehors a été si complètement régénéré par eux ((u'ils en ont
fait leur propriété et Tontmarqué au sceau deleur inépuisable génie,
portant chacun des princij)es qu'ils reçurent a lapogée de l'exécu-
tion par leur méthode, leur sentiment de l'esthétique, leur jugement
droit, leur amour an beau et du juste, leur morale supérieure (-2).
Ces qualités intellectuelles avaient toujours manqué à l'Asie
comme k l'Egypte, parce que l'ancien monde n'avait pas l'esprit
ouvert aux conceptions d'ensemble. La civilisalion orientale ne sut
ni simplifier, ni idéaliser, ni généialiser.
Peuples jeunes, nomades, libres, les Hellènes intervenaient
dans l'ancien monde réduit a l'esclavage depuis des milliers d'an-
nées, apportant avec eux un invincible amour de la liberté poli-
tique et individuelle et des vertus que ne pouvaient plus j)osséder
des êtres opprimés. Fieis, conscients de leur supériorité phv-
sique et intellectuelle, méprisant ce vieux monde vermoulu, ils
firent tous les eff'orts pour conserver leur indépendance ; et leur
destinée eût été sublime si, par leurs divisions intestines, ils
n'avaient paralysé l'essor de leui- génie.
(1 ) Les Cariens sont désignés (HoM.,///<i(ie, II, en Grèce comme à Rome, quoiqu'à un moindre
867) comme des gens - parlant un jargon ». degré, le principe d'admirables vertus fami-
On donnaitaussi cettequalification au.vEléens liales. Tout cela est inconnu des Sémites ; la
et aux Eréthriens. (Deimling, Leleger, p. 22.) polygamie excluait une vie de famille aussi
(-2) Malgré bien des fictions i)oétiques, bien intime et vraiment sacrée. fLAcnANCE, Hisf.
des usages contraires à la morale, la religion reli(j. xémil., p. i4i.)
domestique de la famille fut véritablement,
(1) D'nprès G. Maspero, Hist. une. des peuples de l'Orient chissique, t. 111, p. 329.
382
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Les Hellènes n'avaient aucun souvenir de leurs migrations (1) ;
ils se considéraient comme autochtones des pays où ils étaient ve-
nus se fixer et savaient, cependant, que d'autres peuples disparus (2)
à l'époque historique avaient, pour eux, éclairci les forêts, asséché
les marais, aplani les rochers, construit les premières villes. Ces
LEGENDE
Colomcs Eolo-Doriznne* 1' • ^
Colonies grecques de la Propontide.
peuples, ils les désignaient sous le nom générique de Pélasges (3).
En réalité, ces pré-Hellènes n'étaient point les aborigènes ; le flot
pélasgique, de beaucoup antérieur à celui des Grecs, bien que
son congénère (Zi), avait absorbé des races plus anciennes que lui.
1) Suivant V. Lichtenberg (Be/frn^e :. alles-
leii Gesch. v. Kijpros., Berlin, 1906) et d'autres
(O. Richler), les Thraco-Flirygiens, descen-
dus de la Hongrie en Asie Mineure et à Chy-
pre, auraient apporté la civilisation pré-mycé-
nienne, détruite vers le onzième siècle par
les Doriens, porteurs de la culture mycénienne
(Reisch, Dœrpfeld). Mais les données sur les-
quelles s'appuient ces auteurs sont fort pré-
caires (Cf. A.-J. Reinach, Rev. d'ethnog. el so-
cial. Paris, février 1908, p. 107) el ne prouvent
en aucune manière que la civilisation pré-mycé-
nienne de Chypre fut thraco-plirygienne,
c'est-à-dire indo-européenne. Il semble, au
contraire, qu elle fut le fait d une race médi-
terranéenne anaryenne et non sémite. (Cf. R.
DossAUD, L'île de Chypre aux âges du cuivre
et du bronze, ds Rev. Ecole Anthrop., Paris,
, 1907.)
(2) Les Lélèges, suivant Suidas, étaient des
gens de sang mêlé (Cf. Deimling, Leleger, p.
99), formés par le mélange des anciennes ra-
ces avec les Hellènes et les Pélasges. Kiepert
[Monalschr . der Kyl. Acad. d. lV/.s-.s., 1861, p.
144) les assimile aux Illyrieiis, dont les des-
cendants se retrouvent aujourd'hui dans les
Chkipélares ou Albanais. (E. Curtius, Hisl.gr,.
trad. H. Leclercq, 188.3, p. 57, notes 1 el 2.)
(3) Les Pélasges et les Tyrsenès (Turses)
ne seraient qu'un même peuple (Cf. d'ARBois
DE JuBAiNviLLE, Ics Premiers Habitants de l'Eu-
rope, p. 52, sq.), ou du moins deux branches
d'une même race. (Cf. Fr. Lenormant, /e.5 Ori-
gines de l'histoire, t. III, p. 127.)
(4) Le premier Hellène pur sang que nous
connaissions, l'Achille d'Homère, adresse sa
prière au « Zeus Pélagique », el Dodone, con-
sidérée en tout temps comme la première co-
lonie des Pélasges, était en même temps le
point où s'attacha pour la première fois en
Europe le nom d'Helladt. (Hésiode ap. Slrab.,
VII, 7, 10.) Ce sont les Pélasges qui, comme
LA PRÉPONDÉRANCE ASSVlilKNM;
3<S3
Les Ioniens semblent avoir été ravaiit-gaide de la migration
d'où sortit la Grèce ; mais il est impossible, jusqu'ici, de connaître
les phases de leurs mouvements primitifs. Dès le quinzième siècle,
nous les trouvons installés dans les îles et sur les côtes d'Asie (1).
Les Doriens étaient descendus des montagnes de la Thessalie.
Les Phrygiens, dont la langue est apparentée au grec, après avoir
traversé le Bosphore, s'arrêtèrent en Asie pour s'y fixer. Plus tard,
vers l'époque de l'invasion des Cimmériens et des Skolotes, les
Arméniens traversant,
eux aussi, le Bosphore,
s'avancèrent jusqu'en
Silicie; puis allèrent se
fixer dans l'ancien
royaume d'Ourarthou
qu'ils occupaient en en-
tier déjà sous les Aché-
ménides.
Certains auteurs pen-
sent qu'après le départ
des Italiotes, les Phry-
ffio-Hellènes seraient , ,
" Le monde grec après 1 invasion dorienne,
venus s'installer dans le vers le xv s. avant notre ère.
plateau central de l'Asie
Mineure ; que c'est là que se serait faite la scission entre les
Grecs, les Phrygiens et les autres tribus, et que les Hellènes
seraient passés en Europe. Il semble plus rationnel d'admettre
que les nouveaux venus occupaient en même temps toute la Thrace
et, après leur passage du Danube, la majeure partie de l'Asie
Mineure et que, dès lors, il se fit dans ce domaine des mouvements
dont le résultat fut l'hellénisation des îles et des deux péninsules.
Les branches européenne et asiatique de la nation se retrouvèrent
dans l'Archipel et sur les plages de l'Attique etdelaMorée, venant
de directions différentes, ayant vécu séparées pendant un assez
grand nombre de siècles, d'où ce dualisme qui domine dans toute
l'histoire grecque.
^^. , \ .J^,^^^' _^^^^=-
Jf^?;=^ ^ ■""
1 =^iZ2:is^^.^}=^= 1
peuple agricole et sédentaire (Hérodote, I,
56), ont donné au pays sa première consécra-
tion. (E. CuRTics, W(s/. grecque, trad. Bouché-
Leclercq, 1883, l. I, p. 33.— Cf. Deimling, Lele-
aer, p. 108.) Hérodote {I, 58} considère la race
helléni<|iu' comme un rameau qui s'est gra-
duellement détaché du tronc pélasgique.
(1) Cf. K. CuRTius, llisl. grecque, Irad. Bou-
ché-Leclercq, 1883, l, I, p. 36 et note 1.
38/i
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
De bonne heure, les Ioniens étaient devenus marins. Ce n'était
sûrement pas dans les steppes du Nord, en Tlirace ou dans TAsie
Mineure, qu'ils j)ouvaient avoir acquis des notions sur la naviga-
tion ; ce ne fut qu'au contact des colons de l'ancien monde, qu'ils
rencontrèrent dans les pays qu'eux-mêmes allaient conquérir.
Les Egyptiens (1), les Cretois, les Phéniciens parcouraient
depuis longtemps la ^Méditerranée, et les Hellènes furent sûrement
en relations avec les navigateurs crétois répandus dans toutes les
îles. Ils Irouvèi'enl les Phéniciens installés à Thasos, à Lemnos, en
E])ire,à Cythère, à Théra, à Pihodes, à Chypre, etc. (2), et trali(|uant
sur toutes les côtes. Argos était un marché asiatique très fré(|uen-
té (3). Les pêcheries de pourpre (/|! de la Morée. des baies de la
Licaonie, de l'Argolide, de la Béotie, de l'Eubée étaient depuis tles
temps immémoriaux exploitées par les Tyriens (5).
C'est la branche ionienne des Hellènes c[ui, vers le quinzième
siècle, ouvre l'histoire grecque. Les Ioniens se répandent sur les
côtes et dans les îles, j)oussent jus(|u'en Hasse-Eg\ pte, daus la
Sardaigne, la Sicile, en Crète, s'établissent comme commerçants
dans les Etats puissants, comme colons dans les pays où ils sont en
force, occupent la Morécl'Attique et, bien que très divisés comme
tribus, se constituent en nation, absoiljaiil ou refoidanl peu a ])eu
les Pélasges et les peuplades méditerranéennes. Des échanges
constants se faisaient alors dans la j)opulali()n des tliverses colo-
nies; le monde grec n'était pas encore fixé.
L'époj)ée homérique montre la société hellénique primitive
(1) Dans l'époiiùe hoinrriqiie fornu'e entre la
fin lin onzième siècle et le coinniencenient du
neuvième, c'est-à-dire sons la XXI» el la XXIP
(lynasUes, l'Egypte est fré(|nemment men-
tionnée avec des détails ([ui prouvent que
celle lerre élail bien connue des Grecs qui
sûrement déjà y allaient trafiquer, et lentaient
d'y exercer la piraterie. (Cf. Odyssée, XIV'
clianl, 199 el sq. (IV, 483). Déjà, sous Améno-
lliés III, les Egyptiens entretenaient des
vaisseaux dans les différentes branches du
Nil i)Our empêcher les incursions des pirates
phéniciens el grecs. Mais cette piraterie ne
devint inquiétante que sous la XIX' dynastie.
(-2) Cf. ReINHOLD, Fp.EIllEUli VON LlClITEN-
BERG, Beilràije zur alteslen Gesrhichle von Kij-
pros, Berlin, 190(5. — Les plusanciens docu-
ments écrits i-elalifs à l'ileile Chypre sont les
annales de Tlioutmès III (1515-1461). L'ile en-
vovait alors en Egypte des lingots de cuivre
et de plomb, des essences et des bois, des
bœufs et des esclaves, des dents d'éléphant et
de la pierre tdeue (lapis-lazuli '?) sous Amé-
uophis IV. Cent ans plus tard (tablettes d'El-
Amarna), les rois d'Alasi;i envoyaient jusqu'à
500 talents de cuivre en échange d'or el d'ar-
gent. Chypre ne semble pas avoir été alors
sous la domination pharaonique, mais subissait
grandement lintluence égy|)lienne, directe-
ment et par l'intermédiaire de la Phénicie.
(3) Cf. E. CuRTius, Die Phœnizier in Argos,
ap. Fthein. Mus., 1850, p. 455, sq. — Hérodote,
I, 1
(4) PoLLLV, Onoin., I, 45. — Acuill, Tal., I, i;
II, II. — JoAN.Lvn, De Mens., I, 19. —Dion., II,
23. —^ Dio.. Chrysost. Oral., t. II, p. 323, éd.
Reisk. — Tertull., De Pallio, c. 4. — Lucien,
Quoniddo Hist., etc., c. 10. — Treb. Poi.l., Triy.
Tyr., c. 29. — Justin, I, 3.
(5) Aphrodite et Héraclès représentent tous
deux un point culminant de l'influence phé-
nicienne, mais exercée par deux villes diffé-
rentes. En effet, de 1600 à 1100 av. J.-C, Sidon
répand le culte de la déesse d'Ascalon, Aphro-
ilile Ourania, apportant en Grèce la blanche
colombe: Plus tard, la colonisation tyrienne
est représentée par Héraklès-Melkarl. (E.
CuRTius, Hisl. Grecque, trad. B. L., 1883, t. 1,
p. 65. — MovERS, Col. die Phœnizier, \i. 58,
sq.i
LA PHKPON'DÉRAXCE ASSYRIKNNK
385
basée sur l'agriculture, Téconomio luralc, la uavig-aiion el le eoin-
merce. Les anciennes difTérences eiilie lril)us se sont atténuées
déjà, on sent chez ce peuple la tendance vers une unité, résultant
de siècles d'incubation. Les goùls artistiques se sont dévelop-
Notions géographiques des Grecs à répo(iue liomédque.
pés (1), les classes sociales sont bien tranchées, les lois, les coi
tûmes sont en voie de se fixer.
(1) HoM., IIUkL, XXIII, 7«. Le roi Tlioas
échange ail roi Minyen Erneos, qui le cède à
Palrocle, une urne d'argent contre un jeune
prince captif. On remarquera combien les pre-
miers essais artistiques (céramique) des Grecs
sont marqués d'iniluence asiatique. (Cf. Mo-
num. dell' Inst. archeol., IX, tav. XXXIX-XL,
des fragments de vases peints archaïques,
trouvés à Athènes el portant les traces évi-
dentes de rinfluence syro-chahléenne.
■■ Quant aux ol.jets trouvés à Hissarlik, il
est impossible d'y voir, avec M. Schliemanii,
des restes de la civilisation décrite par Ho-
mère. Ils appartiennent à une époque demi-
barbare, et le peuple qui les fabriquait com-
mençait à peine à se servir du métal. On n'y
retrouve aucune trace d'une inlluence égyp-
tienne ou assyrienne et aucun caractère hel-
lénique. » (M. Coi.i.k;no.\, .1/(171. arch. tirecaue.
p 12) J H ,
386
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
La civilisation mycénienne est à son apogée, par ses arts, par
ses constructions (1); elle montre le peuple grec s'efforçant de
transformer en grand art les principes qu'elle a reçus de l'Asie,
de la Crète (2). En même temps les premiers royaumes se fondent,
vers cette période dont la poésie nous a conservé le récit imagé.
Le onzième siècle vit en Grèce l'invasion dorienne, minuscule
mouvement par rapport à l'histoire du monde; mais qui, apportant
un sang nouveau dans le Péloponèse, en Crète, dans les îles et
jusque sur les côtes d'xAsie (Carie), devait sensiblement modifier
le caractère du peuple hellène (3).
L'évolution ethnique était effectuée; dès lors les petits Etats
se développèrent en nombre infini. Les luttes en commun pour
un temps terminées, on vit reparaître les rivalités, les jalousies
d'antan; et, avec elles, ces guerres de ville à ville, de district à
district, dont le seul intérêt est dans l'admiralde manière dont
elles ont été narrées.
Les Grecs, qui se considéraient comme des êtres très supérieurs,
nous ont laissé de volumineux récits de leurs querelles, où la vanité
grossit les faits et leurs conséquences. Il semblerait, à les entendre,
(jue d'une rencontre entre Athéniens et Thébains ou Spartiates
devaient sortir des événements d'une importance mondiale, et
malheureusement cette façon de voir les choses, exploitée par la
plupart dos historiens, épris de la belle langue hellène, s'est
hansmise jusqu'à nous; faussant ainsi l'idée qu'on doit se faire de
(1) M. Steindorff {Archœol. AnzeUjer., WJ-2,
|i. 11, sq.), en s'appuyanl sur des peintures de
lonibeaux égyptiens, montre que cette civili-
sation selendait dès le temps de Thoiitniés III
(vers 1470), non seulement aux îles de la mer
Egée, mais au Kiiiti, aux gens de Tourip et
de Kadesch, c'est-à-dire aux peuples de la
Syrie du Nord, des pays voisins du golfe d'Is-
sos, et probablement à l'ile de Chypre. (D.
MALLET,/es Premiers Elabl. des Grecs en E(ji/ple,
1893, p. 437-8.)
(i) Il y a dix ans encore, avant les décou-
vertes d'Egypte, de Syrie et enfin d'Elam, on
considérait les vases à ornementation géomé-
trique trouvés dans toute la Grèce, à Mycènes,
à Egine, en Attique, etc., comme <> les pro-
duits d'un art national, ne devant rien à l'imi-
tation étrangère (Cf. A. Couze, Zur Geschi-
chle der AnfurKje Griechischen Kunst. — M.
CoLLiGNON, Mari. arch. grecque, p. 274), que
l'on retrouve dans le nord et qui a été com-
mun à tous les peuples médio-européens
avant leur séparation ». (M. Collignon, op. cil.,
p. 276.) — L'ornementation géométrique chez
les peuples aryens primitifs ne présente pas du
tout les mêmes caractères que cette même
oruementation chez les anciens Asiates, et
c'est cette dernière, un i)eu mélangée de goOt
indigène, qui apparaît dans les premiers es-
sais des Hellènes. Quant à la peinture céra-
mique, nous avons vu qu'elle était absolu-
ment ignorée des Aryens avant leur entrée
en contact avec les Asiates.
(3) Colonnes d'ordre dorique, dans le temple
de Karnak, construites sous la XIX« dynastie,
dans les tombeaux de Béni Hassan. Le plus
ancien temple grec de cet ordre est celui de
Corinthe, vin» s. (?) ; viennent ensuite ceux
de Sélinonte (vii« s.), de Syracuse, de Paes-
tum (vi« s.), d'Egine, de Thésée à Athènes
(v s.). En sorte que le prétendu ordre do-
rique ne vint au monde dans les pays hellènes
que plus de mille ans après qu'il était déjà
connu et employé en Egypte pour les grands
monuments.
L'ordre ionique n'appartient pas plus aux
Grecs que l'ordre dorique. Dans le palais de
Sargon à Khorsabad, à KouyoundjiJi, à Gol-
gos, en Fhénicie, en Asie Mineure (Plerium),
on retrouve tous les éléments de l'art ioni-
que. Seul, l'ordre corinthien semble jusqu'ici
appartenir en propre à la Grèce.
LA PRKPONDÉHANr.Ii ASSYRIENNE 337
la politique générale du vieux monde. Cela tient à ce que, comme
les Hébreux, les Grecs nous ont transmis leur histoire ; tandis que
les autres peuples ne nous ont presque rien laissé jusqu'ici ; ou,
tout au moins ce (|u'ils ont laissé n'a point encore été retrouvé.
Les Grecs, qui dans quelques siècles feront la conquête du
monde, ne seront pas ces beaux i)arleurs d'Athènes et du Pélo-
ponèse ; mais les peuples du Nord hellénique, vigoureux, éner-
giques, dociles aux ordres de leurs maîtres. Hommes qui s'étaient
appris à l'Ecole du Sud, mais n'avaient retenu de cet enseignement
que ce qu'il fallait pour ne pas cesser d'être des soldats.
Pendant que l'Ancien Monde s'abîmait dans l'anarchie, en
75/4-753 avant notre ère, sur les rives d'un petit fleuve près du
bord de la mer, loin du centre du monde, se fondait une ville,
modeste hameau de huttes peuplé de laboureurs et de bergers
barbares. Son territoire ne dépassait pas quelques lieues en dehors
de ses murs ; elle ne se distinguait en rien des bourgades de son
voisinage, qui toutes l'égalaient en pouvoir, étaient aussi obscures
qu'elle (1).
Mais Home était désignée par le destin pour gouverner le
monde. Elle devait un jour réduire en provinces tous ces royau-
mes, tous ces empires qui, au moment de sa naissance, se dis-
putaient la suprématie. De ces rois d'Assyrie, de Babylone, de
Syrie, de Phénicie, des Hétéens, des Pharaons, des Hellènes'qui
tous l'ignoraient encore, elle devait asservir les descendants, en
faire ses sujets, ses clients (2), ses esclaves.
La péninsule Italique n'était pas restée en dehors des vicissi-
tudes avant même l'arrivée des Italiotes qui, sur les bords du
Danube ou dans la Thrace, venaient de se séparer des Hellènes.
Les nouveaux venus trouvèrent dans le pays une foule de peuples
de races ligure et pélasgique ainsi que des autochtones (3).
(1)11 était généralemeiil admis autrefois que (3) Italie, civilisation de Villanova Cf
phabet giec M. Brea (.l/em. Soc. Lmgui.s/(qae, pressa Bolayna, Bologne, 1S55. - Z^nnovi
L \ II, p. 129, sq ; 149, sq,, a cherché à dé- Gli scavi délia Cerlosa di Dolonna, 1876.'- Bri-
TfnJ'l^ T ' ''r'^"' f '';'^' •'''" '^^' S'""'^' ^■*'' ^'' ""''"■' "^"" '•^!/'«"« cirLnpadana, mi.
mais par 1 mtermed.aire de l'étrusque, et que - G. GHmAiu.LNi, La necropoll antichisshna di
c est, non des Grecs^du Sud de ritalie, mais Corneto. Tarquinia, 1882. Celte civilisa io^s es
lesBolTn"'""'/''^'"'".'"'^' '^' ^"'^' ^'"^ surtout développée dans la vallée du PoE^e
^. Ror .r. t'^''"'" ' 'T'"- , r. ^°'°S"^^ '' J"«^"« ''«"^ l'Elrurie centrale
riniir.r ^''^'" ^''.•^'^"^'"^ '°"« 'es Etats de (Poggio Renzo. Chiusi, Cerveiri, Corneto, etc.).
lant.qu.te par 1 autocratie ; puis, en 510 av. L'une des caractéristiques de la poterie vil-
t'u:'\Z otab issement du régime répuhli- lanovienne est l'ornemenlation. non plus inci-
ro rt.m n défenseurs du vieux Ce procédé se retrouve dans la poterie hellé-
' nique primitive, dans le Danube, le Caucase,
388
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Il est bien difficile d'indiquer Forigine ethnique de ces diverses
tribus, leurs noms seuls nous restent, leur langage s'étant perdu;
mais, pour certaines d'entre elles, nous possédons quelques notions
sur leur lieu d'origine.
La migration la plus ancienne semble être celle des Ligures,
peuple couvrant alors tout l'occident et le centre de l'Europe, et sur
lequel j'aurai l'occasion de revenir ; puis vinrent celles des Phrygo-
Pélasges, des Sicanes venus d'Espagne, des Celtes sénonais, des
Boïens, des Insubriens, des Cénomans de Gaule, des Étrusques
descendus des Grandes Alpes, des Vénètes issus des Alpes Ju-
liennes.
Dans la vallée du Pô et sur la côte occidentale, on rencontrait
des Sicules(l); tandis qu'au sud-est se trouvaient les Dauniens,
Peucétiens, Mésappiens, (|u'une tradition fait venir de l'île de
Crète, Liburnes de race illyrienne, Thyrenniens venus de Lydie.
Le seul État de quelque importance, dans l'Italie d'alors, était
celui des Étrusques (2) ; très développé au point de vue artis-
tique (3), fournissant d'habiles navigateurs, il tenait, avec les
le Nord de la Perse, etc (Cf. J. i-e Mi)R<;an,
Mis.tion scientifique nu Ctiuctise,{. I, 1889, lig. 155
el 162. — In., Mission scientifique en Perse,
l. IV, I" partie, p. 117, fig. 122), en Scandiiiovie
el dans la majeure partie de l'Europe. Toute-
fois, nous ne rencontrons pas exactement cette
technique dans les anciens pays asiatiques;
elle semblerait être spéciale au.v Indo-Euro-
péens ou tout au moins aux peuples venus de
l'Asie septentrionale. Sur les terramares, Cf.
G. DE MoRTiLi.ET, Les terramares du Reggia-
nais, in Rev. nrch.. 1865, t. XL p. 302, sq. — Id.
le Signe Je lu croix avant le christianisme. Paris,
1866— W.Uelbig, Die Ilaliker in der Poetjene,
Leipzig, 1879, p. 7-'.t. Bibliographie des terra-
mares.
(1) Grote {Hist. nf Greece, t. III, P- iSi^) ad-
met la parenté des OEnotriens et des Sicules
avec les Epirotes et en fait une branche de la
race hellénique. Mais il semblerait, d'après
les rècentesdéconverles archéologiques d'Oi'si,
que ces peuples étaient des aborigènes ou tout
au moins le produit d'un mélange très anté-
rieur aux Hellènes, avec les anciennes races
méditerranéennes.
(2) Denys iVHalicarnasse, L 22, 2; Silius Ita-
liens, XIV, 37. Cf. HouM, Geschiclile Siciliens.
1870, p. 360.
(3) Thuciidide, VI, 2, 2. Ai'ienus, 485 et 46i.
Eralhosthène, ap. Strabon, II, 1, 40.
LinQuence orientale sur l'art étrusque ne
fait aucun doute (Cf. W. Helbig, Cerni so-
pra l'arte fenicia, in Ann. dellinstii. di corr.
nrcheoloyica. 1876, p. 197, sq. — Clermont-G.\n-
MEAU,/a Coupe phénicienne de Palestrina, Paris,
1880); elle se produisit directement de Phénicie
(Trésor de Palestrina) ou d'Egypte et aussi par
linlermédiaire de la civilisation minoenne
(dont le rOle fui si considérable dans la Médi-
terranée avant le xi' s.) el des comptoirs phé-
nico-carlhaginois. Plus tard, à jtartir du on-
zième siècle el surtout du huitième au qua-
trième, l'esprit grec domina dans toute l'Italie.
iCf. Raoul Rochette, Hisl. critique de l'établis-
sement des colonies grecques, 4 vol., Paris, 1815.
— Fr. Lenormant, /(( Grande Grèce, 2 vol., Pa-
ris, 1881. — Saalfeld, Der Hellenismus in Ln-
tium, Wolfenbuttel, 1883.)
Parmi les produits importés de Grèce en Etru-
rie, il faut signaler en première ligne les vases
peints, communément appelés étrusques, mais
(|ui |>our la plupart ont été fabriqués en Grèce.
Les importations céramiques en Etrurie ont
duré longtemps. Dans lescimelières étrusques,
tous les styles sont représentés : le style co-
rinthien ou asiatique qui fleurit en Grèce aux
septième et sixième siècles, les vases à fond
rouge et figures noires (fin du vi' el début
du v s.), les vases à fond noir el figures
rouges (v^ el iv s.), sans compter une foule
d'objets, de bijoux de provenance grecque
mais dont l'origine est plus difficile à établir.
(Cf. J. Martha, Man. archéol. étrusque et ro-
maine, p. 39, sq.)
L'influence Cretoise fui aussi de gramle im-
portance sur le développement de l'art en
Etrurie. Le joueur de cithare, les danseuses de
Cornelo et bien d'autres motifs rappellent beau-
coup plus l'art minoen à son apogée (|ue l'art
grec mycénien ou post-mycénien.
La céramique nationale de l'Elrurie est la
poterie noire à reliefs ; on la trouve seulement
dans les territoires compris entre le Tibre el
Sienne. Quant à la céramique peinte, elle ré-
LA PRKPONDÉRANCE ASSYRIENNE 339
Ligures de Gênes et de Provence, la A[éditerranée occidentale.
Les Lignres poussaient leurs incursions maritimes jusqu'en Sar-
daigne, en Sicile et sur la côte d'Afrique (1), malgré la présence
des comptoirs phéniciens et grecs, dont peu à peu les côtes se
couvraient.
C'est de ce milieu si complexe que se fit le |)euple romain.
Grand i)ar sa majesté, par son respect de soi-même, habile en
toutes choses de la politique et du gouvernement, soldat et marin
intrépide, il fut le j)remier à organiser un empire sur des bases
rationnelles, sans faiblesses, sans cruautés inutiles. Ayant conquis
le monde, il organisa ses provinces de telle manière qu'aujourd'hui
encore les Etats fondés sur ses ruines vivent de ses traditions.
Le Romain n'était pas spontanément artiste, son caractère se
rapprochant beaucoup j)lus du côté utilitaire que de celui de l'es^
thétique. Il posséda cependant de fort belles choses; parce qua
Rome et dans toute 1 Italie on appréciait les œuvres des sculpteurs
et des peintres qui prescjue tous étaient des Hellènes.
En littérature, la Grèce fut encore sa maîtresse; mais Rome
produisit, par elle-même, des morceaux qui ne le cèdent en rien
aux plus belles œuvres des Hellènes. Elle emprunta tout du
monde grec, sauf ses défauts ; aussi pendant que les tribus se
déchiraient entre elles dans l'Hellade, la ville éternelle marquait
sa destinée au sceau de la gloire durable.
En ce qui regarde l'occident et le centre de l'Europe, il n'est
parvenu jusqu'à nous aucune indication permettant d'attribuer un
nom aux populations qui, descendant des hommes pléistocènes,
habitaient le pays en même temps que d'autres immigrées depuis
un temps plus ou moins long. Ces hommes se sont fondus en une
masse qui, pour les premiers géographes, avait reçu l'appellation
générale de Ligures (2).
Les Ambrons de l'Apennin étaient des Ligures (3), de même
snlte <l un., part, nux VI' el V siècles, dini- senc- en Klrurie de poteries grecques p„rlanl
porlalions grecques, d autre pari de fabri.fues des inscriptions en caractères corintiiiens
locales coi)ianl les modèles grecs el prenant (M. Collignon, Man. dfarch. grecque p 2^6 ) " '
d'autant plus diniporlance (pion séloigne (1) Cf. Possidonius, ap. S;rn6o/! IH ivl7
plus (le la l)e!le epo(pie. (Cf. A. DtiMONT, Pe/n- el D/odore, V, 39 ' ' ' •
lures '-^ranuqiw^ ■''J:i^i''^'' ^''^'P'^' !'• ^5, sq.) (-2) Les j.lus anciens lextes sur les Ligures
Vers 1 an 6r,.=i (ol. XXXI, 2), le Corinthien Dé- (A.'y.eç Liguses, Ligures) sont : vers 6(X), Ps.
marale, chasse de Corinlhe par le lyran Kyp- Hésiode, cité par Eraloslhène, ap. Slnibon, VII,
selos. emigra a Tarquinies, accompagné de 3, 7 ; vers 50(), Hécatée de Milft, fV Hisl Gr
deux artistes, Eucheir et lùuirammos (<pii Irace I, i>. 2 ; vers 500-470, Ai'iemis, 132, 135, 190, «28 '
de belle- lignes) ip///ie IL N.. XXXV, 12-43]. Il £.sc/.,//e, ap. S/;vj6o/), IV, i 7 an Demis I 41 ^>
semblerait (|ue Demarale amena avec lui des (3) Plutarqle, 3/(i;("(;.<, 19 '"
ouvriers céramistes, ainsi s'expliquerait la pré-
390 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
que les habitants des côtes de Provence (1), du bassin du Rhône (2),
L^ I G U R E S
L'Italie ver^ l'époque de la fondation de Rome '750 av. J.-C).
de la plaine de Narbonne (3), des côtes du golfe Atlantique (û),
de la Gaule entière (5) et de bien des pays riverains de la mer du
fl) Hécalée, Fr. 2-2, Didot.
(2) Aristote, Météorologiques, I, 13, 29.
(r, Hécalée, Fr- 20, Didol.
(4) Avienus, 196.
(5) Liicain, I, 443-4. Cf. S. Reinacii, Culles,
I, 1905, p. 213.
LA PRÉPOXDKRANCE ASSYniF-NNE 391
Nord (1), en Angleterre, en Irlande, en Allemagne ; on les retrou-
vait encore ailleurs, en Italie (2), en Sicile (3), en Espagne, etc.
Les Anciens ne distinguaient les peuples que par leur parler ;
il est donc à peu près certain que la même langue s'entendait,
vers le dixième siècle avant notre ère, dans tout l'occident de
l'Europe. Les traces qu'on en retrouve dans les noms géogra-
phi([ues feraient pencher vers cette hypothèse (^i), qu'avant la
venue des Gaulois, ces pays étaient occupés par une population
sensiblement homogène (5), tout au moins par le langage.
^lais cette homogénéité ne tarda pas à être troublée par de nou-
velles invasions; il s'installa des groupes étrangers par le parler,
les mcrurs et les tendances, vivant au milieu des pays ligures, mais
conservant leurs traditions. (Quelques exemples sont parvenus
jusqu'à nous : celui des Étrusques sur l'Arno, des Ibères dans le
bassin de l'Èbre, des Latins sur le Tibre, peut-être aussi des
Sigynnes sur la rive droite du Danube, foyer de la civilisation
dite de Hallstatt (6).
L'unité des Ligures eux-mêmes n'était que bien relative ; car,
malgré notre ignorance sur les migrations très anciennes, nous
ne pouvons admettre que l'occident de l'Europe n'ait pas été,
comme le reste du monde, troublé i)ar maints cataclysmes ame-
nant des mouvements de peuples, par une foule d'invasions et de
guerres mélangeant les races entre elles. Tel qu'il nous apparaît, le
Lio-ure doit donc être considéré comme étant le produit d'éléments
très complexes dont les détails nous échappent (7). Les uns le con-
sidèrent comme un fond anaryen(8), les autres comme le résultat
des premières invasions indo-européennes (9) dans nos pays.
(1) Avieniis, 129-145. .'6) Cf. Hérodote, V, 0. - G. .Iullian, IW,
(2) llELBiG, Die llfiliker in der Pœbene, 1870, Hist. de In Gnule, l. I, p. 118, noie 3.
p. 30, sq. - Les sept collines de Rome étaient (7) Cf. G. Juluan, \mx,op.cit ,p. 118. -R. de
primilivenicnt liabilées par des Ligures {Denij s Bei.loguet, Elhnoijénie, II, p. 337. — Seroi, On-
d^Halicarrl(^.•i!te, I, 10, 3). .'/'"« « dijjuxione delln slirpe mediterrnnm, 1805,
(3)L Ein|)ire'élnisque dura septsièclesrdux' p. 6t;,sq.; 81, sq.- ScHiAPAREi.i.i,Leslirpiibero-
aiî m" s. av. J.-C.). Sur les Elrusqnes, rf. lifiuri, ds Alti delln R. Acrndemia, \èm, Tarin,
O. MuLLEii, Die Etrusker, 2 vol., Slult-arl, p. 103, 108, etc. - Pruner Bev, Bu// Je /a Soc
1877. - Noël des Vergers, l Elrurie et les (i'.4;i//ir., Il- s., I, 1866, p. 142-467. — Nicolucci,
Etrusques, 'î vol., 1862-6i. AUas.— De.nnis, The Anlhrop. dell Ilalin, 1S87, p. 78.
citiesandcemeleriesofElruria,i\'o\.,Londvc<^, (8) Cf. Mili.e.ndorf, I, 1870, p. 86. — Hirt.
187g_ Die Indotjennanen, Strasbourg, I, lï)05, p. 43, 40.
(4)' Gf G. Jiiui\N, 1908, Hist. de In (inule, ,''.i) Glno, />/e L(;/ii;er ni /{/je/nisc/ie.s- Muséum,
t_ j^ p. 112. XXVIII, 1873, p. 103-210. — Id. Vorgeschiclite
(5) « Les images sculptées proclaniciit l'unilé Homs. l, 1878, p. 80, sq., p. 114, sq. — Maurv,
intellectuelle des habitants du pays gaulois, .!/<■/. Ecole Hautes Etudes, 1878, p. 7. G-estégale-
d'une grande partie de l'Europe iiiènie, à celte meut lopinlon de G. Jullian {op. a/., p. 122, sq.).
époque lointaine qui est la fin de lâge de L;uilliropolugie ne saurait résoudre la question
pierre et le commencement de lâge de bronze... de lorigine ethnique, vu qu'on rencontre dans
(E. G.vRTAiLnAc, l- Anthropologie, 1894, p. 156.) les sépultun-s des crânes brachycephales
39-2 LES PREMIÈRES CIMLISATIONS
Les conceptions religieuses des Ligures semblent avoir été
fort rudimentaires. Pour eux, des myriades d'esprits peuplaient la
nature. Ils voyaient alors, dans les êtres et les choses qui les entou-
raient, source, rocher, arbre ou corbeau, serpent ou animal quel-
conque, des génies domiciliés sur la terre, ayant chacun son
domaine à lui, maître et protecteur du lieu (i).
On rencontre encore sur les côtes de l'Océan (2 1 les restes des
sanctuaires de ces peuples ; et il en existait dans toute l'Europe
occidentale et méridionale (3), Là, des prêtres et prêtresses apai-
saient les éléments déchaînés, soutenaient de loin les guer-
riers (/i), conjuraient les cataclysmes, immolaient des victimes,
faisaient souvent aux dieux des sacrifices humains (5i.
C'est à cette race qu'il convient probablement d'attribuer la
construction des monuments mégalithiques; car, bien que l'âge de
ces édifices ne puisse être fixé d'une manière précise, nous savons
qu'ils sont antérieurs à la venue des Celtes auxquels, par erreur,
ils ont été communément rattachés. Les séj)ultures étaient tout
aussi bien d'incinération que d'inhumation (6j. Les fouilles exé-
cutées en Bretagne l'ont prouvé, et cette constatation vient
appuyer l'opinion de la pluralité des origines ethniques des
Ligures.
Quant aux industries et à l'armement de ces peuples, il semble-
rait que, connaissant le bronze depuis plus de cinq cents ans, ils
remployaient déjà au treizième siècle à la fabrication des épées et
{|ue, quatre siècles plus tard, vers 900, ils apprirent à connaître le
fer (7i. Mais ces dates sont loin d'être établies sur d'indiscutables
preuves.
( hioi qu'il en soit, les hommes qui ont construit les monuments
mégalithiques, élevé sur pilotis leurs villages lacustres, creusé
des pirogues, façonné l'argile, tissé des étofles, fondu le bronze
en instruments délicats, étaient déjà en possession d'une ci\ili-
dil Mongoloïdes (Priiiu-i-Bey, Nicolcci) et (6j i:!'. i>v Chateluhu. les Époques préhisto-
d'aulres dolichocéphales .sf raltachanl à une ;/(/ue.s <?/ ijauloises duns le Finistère, 1889, [). 9,
grande famille médilerranéenne. (Cf. Colli- sq.
GNON, Bull. Soc. AntlirojK, l\' série, I, 1890, (7) Cf. Deciielette, Mun. arch. préhist. —
p. 448-150.) Mo.NTEi.ius, La chronolo<:ie préhist. en France
(1) Cf. JuLLiAN, 1908, Hisl. de In Gaule, l. I, el ilans daiilres pays celliques, in lAnlliropo-
V- 135, .sq. loyie, 1901. p. 609 à i>2.'?. — Id., Die Chronologie
(2) S/ra6o«, IV, 4, 6. der alteslen Bronzezeil in Nord-Deutscliland
3,1 Cf. C. Jl-lli.\n, 1908, Hisl. de la Gaule, und Scandinavien, in Arch. f. Anlhrop., 1900.
I. I, p. 144, sq. — SoPHUS Mli.ler, Nordische Allerluinsknnde,
l'i] Tile-Live, XXXVI, 38, 1. — Diodore, II. I. 1897, p. 405. — Id., Urgesch. Europas. — lloen-
■17,2-3. ^.ES, in Archir f Anlhrop., 1905, p. 238, ji. 270,
(ô) Cf. Solin, XII, 2. — Tite-Live, XLI, 18,3. sij. — C. Juluax, Hisl. de la Gaule. 1908, l. J,
— Diodore, IV, 19, 4 el 1. j). 102, noie 3.
LA PUÉPONDI'RANCE ASSYRIENNE 393
sation bien avancée. L'éloignement où ils se trouvaient des foyers
de l'écriture ne leur permit pas d'en faire usage et ils ne songèrent
pas à l'inventer. Leurs goûts artistiques, très restreints, ne les
amenèrent pas à découvrir la pictograpliie.
L'occident et le nord de l'Europe demeurent donc, pour Ihis-
torien, jusqu'à l'époque de la chute de Ninive, plongés dans les
ténèbres. Mais cette ère va bientôt cesser ; car, avec le sixième
siècle, la colonisation grecque prendra une imporlancc prépondé-
rante et, avec elle, rinduencc des vieilles civilisations sur les
masses confuses du Nord s'étendra rapidement.
Le Danube et les plaines de la r«ussie méridionale avaient vu les
flots cimmériens et scolotes avant leur entrée en Asie. De ces
peuples, bien des vestiges se sont probablement conservés jusqu'à
nous, d'énormes tumuli, une foule de tombeaux ; mais il est
impossible, jusqu'ici, de donner une interprétation certaine de
ces restes et de leur assigner une époque précise.
En Scandinavie (1) florissait encore l'état du bronze, de même
que dans l'Allemagne du Nord et la Gaule ; tandis que la Fin-
lande semble être restée très longtemps en dehors du mouvement
des connaissances métallurgiques.
L'Iran et la Transcaucasie ne demeurèrent pas indemnes des
vicissitudes qui troublaient alors le monde. Les portes cauca-
siennes de Derbend étaient ouvertes, bien des peuples du nord
les traversèrent; c'est par elles que passèrent les Scythes, pour
venir dévaster l'Asie. La terreur qu'inspiraient ces incursions des
Barbares était si grande, chez les peuples du sud, que la garde
des passages du Caucase fut dès lors l'objet d'un soin tout parti-
culier de la part des Achéménides, des Parthes et des Sassanides;
et que la nouvelle que les portes étaient forcées répandait l'ellroi
dans toute la Perse et l'Arménie.
Lors de l'invasion du noid de l'Iran par les peuples en pos-
session du bronze, les envahisseurs ne rencontrèrent dans le
Mazandéran, le Ghilan, le Talyche et l'Azerbaidjan aucune
résistance sérieuse ; car ces pays étaient, semble-t-il, à peine
peuplés.
(1) 700 ans av. .I.-C. le fer élail f^énérale- fie l'âge du fer, ds Comptes rendus du XX'
ment connu dans les pays Scandinaves ; ((uant Congrèx de la Fédér. Aiclicol. et histor. de
à la période dite delà Téne, elle correspond Belgique, 1907. — Id., La période de la Tène
surtout en Suède aux trois derniers siècles en Suède, ds Congrès prchisl. France, 1907
avant notre ère. Cf. O. Montelils, Les débuts (1908), p. 804.
39/| LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Dans le Petit Caucase, il en fut tout autrement; les habitants,
sujets ou vassaux des rois d'Ourarthou, étaient depuis longtemps
en possession du fer; ils avaient reçu ces connaissances de leurs
voisins Assyriens, ^loschiens, Thybaréniens, etc., et se trouvaient
dans un état de civilisation beaucoup plus avancée que les nou-
veaux arrivants.
Des tribus armées de bronze se heurtent à des peuples en
possession du fer ; elles sont refoulées dans les pays iraniens,
tandis que l'une d'elles, traversant toute la Transcaucasie, va se
fixer dans cette région rigoureuse du Kazbek, près des portes du
Dariall. Là, se développant sur elle-même, elle devient les
Ossèthes de nos jours.
11 y eut, certainement ensuite, dans tout le nord de la Perse,
réaction de la civilisation du fer sur celle du bronze. Les mœurs,
les arts se modifièrent alors de si brusque façon qu'on est tenté
d'attribuer ces changements à une invasion modifiant les condi-
tions ethniques ; alors qu'ils ne sont, peut-être,, que le résultat
des razzias opérées par les Assyriens en Médie.
En Afghanistan, aux Indes (1), il se j)roduisit également bien
des mouvements ; mais nos connaissances archéologiques sur ces
pays sont encore trop insuffisantes pour qu'il soit permis de se
prononcer quant à l'attribution des restes qu'on y rencontre (2).
Toutefois, nous savons, à n'en pas douter, que les Aryens étaient
en possession du bronze, des animaux domestiques, de l'agricul-
ture, du tissage, de l'art du potier, d'une architecture primitive,
quand ils entrèrent dans le bassin des Cinq-Fleuves. Issus d'une
même souche, ils possédaient les mêmes notions que leurs con-
génères d'Iran (3) et de l'Europe occidentale.
La Sibérie était depuis longtemps en possession du métal ;
c'est de ses steppes que, semble-t-il, partirent les migrations ; quant
(1) L'histoire fabuleuse île llndi' commence, (2) Les traditions les pins anciennes mon-
ri'après le Mrt/înb/fa/Yi/a, avant le troisième mil- trent (vers le vin» s.) l'Inde divisée en seize
lénaire (310-2, auct., v. 2500, d'ap. Cuningham, royaumes d'imporlance plus ou moins grande
Indinn Eras,])\). Q-i:^] avec \a guerre entre les s'élendant de Gandhara, à lextrème nord-
fils de Kourou et de ceux de Pandou sur les ouest du Pundj-àb (Pechawar el Rawal-
rives de la Djumna. alors que les récentes pindi). jusqu'à Awnnti ou Malwa, dont la capi-
découvertes prouvent que dès les temps qua- taie Oudjain (Ujjain} a, jusqu'à nos jours, con-
ternaires l'Inde était déjà peuplée. Mais c'est serve son nom antique. (Cf. Rnvs Davids,
seulement vers le septième siècle av. J.-C. que Buddhist India, p. 'i'A.j
se montrent les premiers laits dûment histo- (3) Sur les lapporls entre la religion aves-
riques. (Cf. .1. Kennedy, The early commerce tique et celle des Védas, Cf. J. Darmsteter,
of India with Babylon, 7(X)-300, B. C., R. A. S., le Zend-Ave.sta, t. III, 1893, introd., p. xliii, sq.
pp. 241-288. — BuHLER, Indische Palœogra- Ces rapports peuvent dériver d'une ancienne
phie, in Cnindrisx Indo-Ar. Phil. und AU., religion indo-iranienne, antérieure à la sépa-
Strassburg, 1898.) ration.
LA PRÉPONDKRANCE AS^VHIENNK 395
aux peuplades du sud de l'Inde, de l'Indo-Chine, des terres de
l'Australasie, elles en étaient toutes encore à l'état néolithique (1).
Mais, pendant que ces événemenls se i)assaient en occident de
l'Asie et dans l'Europe, il se formait en Extrême-Orient une civi-
lisation spéciale, née sur elle-même, appelée à une grande desti-
née locale, celle de la Chine (2), dont j'ai déjà dit quelques mois
au chapitre précédent.
Comme toutes les légendesa siatiques, les traditions chinoises
reportent les origines de leur pays à des temps prodigieusement
anciens (3). Elles placent vers 3/|68 av. .I.-C. un certain Fo-Hi, être
symbolique qui aurait inventé l'écriture, réglementé le mariage,
le o-ouvernement, institué le calendrier. Puis, serait venu Chin-
Noung, introducteur de l'usage de la charrue et initiateur des
procédés pour tirer le sel de l'eau.
llouang-Ti, à partir duquel débute l'ère des lettrés, lut un
conquérant ; il organisa en dix provinces les pays placés sous son
sceptre, fonda le tribunal de l'histoire, encouragea l'astronomie,
l'arithmétique et la géométrie.
lao (2357), qui commence le premier des cinq Kings recueillis
par Confucius, joua en Chine, pour la tradition, le rôle de fonda-
teur d'empire. 11 dessécha les marais, défricha les terres incultes,
creusa des canaux, fixa les attributions des divers ministres,
favorisa les observations astronomi([ues et rendit lui-même la
justice.
Les empereurs, au début, étaient électifs; maisa vec You com-
mence l'hérédité. 11 est le premier souverain de la première
dynastie (vers 2205). Une autre dynastie succède, débutant en
1766 av. J.-C; puis une troisième en 1122. Il semble que cette
dernière date puisse réellement être prise pour le point de départ
début des temps historiques; et que tout ce {|ui la précède doive
être attribué aux phases mythiques.
Comme de juste, les origines de la Chine sont extrêmement
confuses ; nous ne possédons à leur sujet que les légendes indi-
(1) Peul-èlre devons-nous rcporlcr à c-Ue chte .hipons, in Zeil.'^rhrift fiir Ellmoloijie, Uw-
époipie les stations néolithiques el énéolithi- lin, 1907, j). 281.) L'usage du bronze semblerait
ques du Cambodge. sclre introduit au Jai>on vers le quinzième
(i) Nous ne connaissons que fort, peu de siècle et celui du f(>r vers 7()0 avant noire ère.
choses des temps préhistoriques en Chine. (3) Les Tao-ssé le (ont remonter à (les mil-
Pour le Japon, qui forcément évolua dans le lions dannées, au rèfine du ciel, qui précéda
cercle chinois, nous sommes un peu mieux le règne de la terre, qui fut lui-même .suivi
renseignés. Dans ce pays, à une civilisation du rcgn<- de lliomine, après lequel, vers .'tir.s,
néolithique succéda l'état du bronze, puis celui ai'parui Lo-hi.
du fer. (Cf. E. BAEia, Ziir Vor-uud Urgeschi-
396 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Tat>lea.u. cies syncl:iroiaism.es aux teixips
ASSYRIE
Achirrimnichéchon II
Vers 1500.
Adail niiaii I'
Vurs 13^20.
Toiikoulli Niiiip.
Vers 1260.
réaliilpliala^ar !•
Vtrs 1115.
Ciiamrhi .\<la(llll.
V.T> 10',)0.
Tt'glatphalasai' 1! .
Vers 950.
Acluiiiiiiazii-apal 11
'884-8(1(1;.
Salmanasar 11
(85!»-8'2'0.
Samsi Ailad IV
(8-21-81-2'.
Atiadiiiràri IV
(812-78^).
Salmanasar III
(78-2-773) .
Achoiirdaiaii III
(7-2-7(;i).
Achoiirniràri III
(754-74(5).
Téglatphaïasar III
(745-727).
S argon 11
(721-705).
Scniiachérib
(704-681).
Assaraddon
;680-66H).
As.-iourbanipal
((;67-626)
Chulo de Niiiix c
(6081.
CIIALDEE
Karaïndach II
(1425-1408).
Kourigalzou III
(1351 1327).
Adail-clKium-iildin
(1245-1240).
Melicliikhod II
(120>.l-lly5).
Mardouk-pal-iddin I"
(1194-1182).
Zaïnara-choun-iddiii
(1181).
Nabou-koudiiiu-
oiitsotir !"■.
Vers 1030.
Roi Elamite
(939-934,:).
Mardouk-
l)alalsoii-ii|l>i.
Naboii-nal>ir
(747-734).
Mardouk-pal-iddhi
(721-709).
Rel-ibiii (702-700).
La C.haldée
provini'e assyrienne.
ELAM
Allar-Kiltakh
(roi de Suse).
Khoumban-
ounimena
(roi de Susc).
Ountacligal
Choiitrouk
Nakbkbounté P
Cliilkhak-
in-<-|ioiicbinak 1"
Clioiitrniik
Naklikliomilé II
Chonehinak-
eiiari-lani.
Tepli akhar.
Chiikliak-
iii-clioucliinak 11
o = "J a
'C 9 tcj
Ruine de Suse
par
As^oiirbaiiipal.
(643).
Nabiicliodoniisor.
Prfivinre
baliyliinieniie.
IRAN
Rédaction
du
Zend-Avesla',
Vers 1500?
-M
Oejocès (?)
Vers 710 (?)
Cya.xarès.
EGYPTE
6 Thoulhmès III.
■■=( 1503-1450.
cî\ Aniénophis III.
g.) Vers 1450.
a- Aménophis IV.
Vers 1400.
Ramsès 1"
Vers 1325.
^\ Ramsès 111.
Vers 1219.
Vers 1085.
95(1.
Chechonq l'
Vers 950.
t
750.
O 1 Premier contact,
avec l'Assyrie
(720;. '
'À
Tai)arkou
(692-6(;6).
l" invasion
assyrienne (670).
ll« invasion
a'-syrienne (664).
Indépendance.
Psammétique I"
LA PRÉPONDÉRANCE ASSYRIENNE
de la prépondérance assyrienne.
397
=
SYRIE
.\SIE
AFRIOIJE
HORD ET CEHTRE
CHINE
GRECE
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ITALIE
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MINKUIU;
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de Rome (754).
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Soumission
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F.deSvracuse
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aux Assyriens
de la
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(735)
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(80.3).
monnaie.
rOurarthon.
F. de Sybaris
(725).
F. de Tarent!'
(707).
V
N
5
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JS'£
J^
Chute
-H ^
r
Lvdic
,^ (Gygès)
Vers 693-642.
de
rOurarthou.
.\rrivée des
Arméniens.
Tullus
Hoslilius
(671).
F.deCyrène.
Ver.? 648.
ti
S/:
•1) g
3 S
Captivité
C
(.n86;.
398
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
gènes, dont la sincérité ne saurait être acceptée sans contrôle, et
jusqu'ici l'archéologie et l'épigraphie ne nous ont fourni aucun
renseignement.
Toutefois, ces légendes sont un précieux guide, sinon chrono-
logique, du moins au point de vue de la succession des faits ; car
elles concordent, pour l'évolution, avec ce qui s"est passé dans le
reste du monde. Nous voyons à l'origine des tribus barbares semi-
nomades, semi-sédentaires, sans lois, sans gouvernement autre
que l'autorité absolue de chefs élus.
L'un de ces princes, Fo-Hi, mit quelque ordre dans son propre
royaume. Ainsi naquit une première civilisation en possession de
l'écriture, et bien certainement aussi du métal.
Hoang-Ti, un autre prince, peut-être du même district que
Fo-Hi, comme Sargon lAncien en Chaldée, étendit ses domaines
et créa l'Empire. Enfin, Yao organisa la conquête.
L'écriture, qui vers ces temps était hiéroglyphique (1), dérivait
de la figuration par une longue suite de siècles. Elle demeura
entièrement indigène et semble n'avoir subi aucune influence
extérieure (2).
Les hiérogly})hes eux-mêmes disparurent peu à peu par la
force des choses, faisant place à des signes tout aussi compliqués
que ceux de la Chaldée, mais répondant aux besoins d'une langue
bien difFérente et obtenus graphiquement par des procédés spé-
ciaux.
Cette langue monosyllabique ou isolante, ne reposant que sur
les racines et la position relative qu'elles occupent dans la phrase,
exigea de l'écriture (3) une précision que ne réclament pas les
autres parlers. Certains radicaux jouèrent le rôle de déterminants
et furent adjoints aux autres, afin d'en préciser la signification ;
(1) Nous ne possédons pas d'inscriptions
ciiiiioisesen caractères primitifs. Presque tous
les anciens monuments écrits de la Cliine
ont péri lors de l'incendie des livres ordonné,
d'après la tradition, par l'empereur Tsin-chi
Iloang-ti, constructeur de la Gi-ande Muraille
en l'an 213 avant notre ère. (Pu. Behckh, Hisl.
écriture ti.s l Antiquité, 1891, p. 41.)
(2j Un fait anormal est l'existence en Corée,
dès le début de notre ère. d'un système alpha-
bétique très complet. Certainement ce système
n'a pu prendre naissance au contact de l'écri-
ture chinoise; il a fallu qu'il naisse sponta-
nément en Corée ou qu'il y soit apporté ! Cette
dernière supposition semble être le plus ra-
tionnelle (de Rosny, Fr. Lenormant, Taylor) ;
en ce cas il eût été exporté de l'Inde par les
missionnaires bouddhistes. Il présente, en effet
un certain air de parenté avec l'ancien alpha-
bet |)àli lapidaire, dit Kiousa. Mais cette
thèse supposerait, dès le commencement de
notre ère, la présence de missionnaires en
Chine, fait qui est loin d'être prouvé. De Corée,
cet alphabet aurait été introduit avec quelques
modifications au Japon, et c'est de lui que se-
rait sortie cette écriture indigène, qui y a été
usitée jusqu'au moment où les Japonais ont à
leur tour adopté, en la simplifiant, l'écriture
chinoise. (Cf. Pu. Berger, Hist. de l'écriture,
1891, p. 2i3, sq. — Faulm.'VNN, Dus Duch der
Schrift, Vienne, 1878, p. 64, sq.)
(3) Cf. A. DE RÉ.MLS.\T, Recherches sur l'ori-
gine et la formation de la langue chinoise, in
Méin. Acad. incr. et belles-lettres, 1820.
LA PRÉPONDÉRANCE ASSYRIENNE 399
tous même furent, dans certains cas, appelés à rendre ce service.
C'est ce qui arriva en Egypte, en Chaldée et probablement
aussi chez les Hétéens, en Amérique et dans tous pays possédant
des systèmes qui procédaient de la figuration; et, de même que
dans ces contrées, les signes chinois prirent également un.e valeur
idéographique et une phonétique. Mais ces analogies sont dues
uniquement à des causes naturelles, et non à des parentés de
langues ou d'écritures, ou à des influences réciproques.
Les nombreux dialectes parlés en Chine, mais descendant tous
d'une souche commune, montrent les derniers restes des
anciennes divisions en tribus. Ces dialectes diflerent à tel point
que les habitants des diverses provinces ne s'entendent pas les
uns les autres. L'unité chinoise se fit sur la langue mandarine;
et surtout sur l'écriture, dont les idéogrammes se peuvent lire
et prononcer dans tous les dialectes, (^uant aux dialectes eux-
mêmes, jamais ils n'ont j)Ossédé d'écriture propre.
La race chinoise était grand observateur de la nature el de
tout temps elle la reproduisit avec une exactitude minutieuse ;
mais son amour pour le baroque, le contourné, le fantastique
l'éloigna du grand art, de même que l'Egypte en avait été tenue
à l'écart par ses canons religieux.
La Chine se figea dans la tradition, aussi bien dans les lois
que dans les sciences, dans le culte que dans les arts. Aujourd'hui
encore elle s'y trouve enfermée.
La religion chinoise (l) des origines nous est complètement
inconnue; elle était fort probablement polythéiste, car Lao-tseu
(vers 6ZiO av. J.-C), bien que partant du principe de l'unité divine,
revient au panthéisme ; (juant à la morale, ce même Lao-tseu
fonda une doctrine surprenante pour ces époques, trancjuille,
pleine de mansuétude, supérieure aux passions, aux intérêts, à
la gloire^ qui, tendant vers l'impassibilité, poussa vers lascétisme
d'une part, l'égoïsme de l'autre. 11 est pour l'Extrême-Orient le
fondateur du stoïcisme.
(I) Le Yi-Kinçi (livre des Irausformalions) el d'aulre jiart la passivité, le froid, la nuit, le re-
le Chou-Kiruj (livre des annales) sont les deux pos, l'inertie Ces écoles primitives eurent une
ouvrages qui renferment les principes fonda- nombreuse descendance, parmi laquelle les
mentaux de la philosopliie chinoise. Le Yi-King plus intéressantes sont le système de la raison
(attribué à Fou Ili) est le plus important. Ses de Lao-Tseu et celui de Confucius cherchant
principes se distinguent de ceux des i)hiioso- le perfectionnement matérialiste de l'homme
phies occidentales par leur dualisme. Le ciel par hii-mème en supprimant l'idéal, la nolion
el la terre en opposition : d'une pari, la force du divin,
créatrice, la lumière, la chaleur, le mouvement;
/lOO LKS PREMIÈRES CIVILISATIONS
Confiicius eut une autre méthode ; il se contenta de recueillir
les anciennes doctrines et de les grouper, les ramenant à la sagesse
primitive idéale : l'obéissance envers le Dieu du ciel, Tamour du
prochain, la lutte contre les passions et les mauvais instincts, écou-
ter la voix de la raison. Tout, pour Confucius, aboutit à la piété
filiale, aux vertus domestiques, au culte des ancêtres.
Chez Lao-tseu comme chez Confucius, la morale est pure, le
souci du bien d'autrui domine; cest l'altruisme dont, à la même
époque, nous voyons apparaître les premières traces chez les nou-
veaux venus Indo-Européens de l'Europe méridionale et de la
Perse. 11 se peut que ces idées aient eu leur foyer initial dans
les pays voisins de rxVltaï, par exemple ; et que, de là, elles se
soient, sous diverses formes, répandues vers lOccident et l'Ex-
trême-Orient.
GHAPITIIE XI
La prépondérance iranienne.
Depuis longtemps déjà, dès le douzième siècle (1) avant notre
ère, les armées assyriennes, en pénétrant sur le plateau iranien,
avaient rencontré des tribus d'une nature ethnique diflérente de
la leur, de celle des Elamites, des Ourarthiens et de tous les autres
peuples avec lesquels ils avaient toujours guerroyé.
Ces tribus étaient l'avant-garde de la branche septentrionale
des Iraniens ; telles les Parsoua, les Andiou, les Abdadana, les
Manda, les Bikni, etc., et enfin les Madaï ou Mèdes, dont les rois,
peu de temps avant la chute de Ninive, avaient su grouper sous
leur autorité les peuplades congénères, donnant à ce nouveau
royaume le nom de la tribu dont ils étaient princes.
Cet Etat avait son siège dans les pays actuels de l'Azerbaidjan,
du Kurdistan, de Gherrous, de Bidjar etd'Hamadan. Il était limité
au nord par TOurarthou, à l'ouest par l'Assyrie, au sud par les
tribus iraniennes de Perside et, à l'est, s'étendait sur le pla-
teau jusqu'au delà de Ragha et aux limites du grand désert
salé (2).
Sur sa frontière occidentale, sa population n'était certainement
pas homogène en tant que race; car une partie de l'Atropatène et
(1) Entre Teglalplialasar I" et Aclioiirnal- (leliAntichilà Assira. p. 196. — Anii. d'Achoar-
sirpal (1110 à 857;. Les Assyriens semblent nalzirpal, col. II, II. 23-75.)
avoir fait peu d'e.vpêditions contre les tribus li] Les habitants actuels du Gliilan, du
du plateau persan. Cependant, ils restèrent Mazandéran et d'une partie du gouvernement
en contact avec elles; ne serait-ce que dans d'Asterâbàd appartiennent à la souche perse,
le pays de Zamoua (vallée de la Diyalà). Il semblerait (jue leur venue fut postérieure à
(Xenopuon, Anabase, II, IV, 23. Cf. Fried, celle des Mèdes et que, si la niasse principale
Deutzsch, \Vo lay dus Panidies, p. 186. — des Perses gagna le Sud, c'est qu'elle ne put
Plise, \l, VA. —Cf. Fiszi, Riceicheper lo Studio s'avancer vers l'ouest du plateau déjà oc-
cupé par les Mèdes.
26
^02 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
des monts Carduques était habitée par des tribus émigrées des
vallées du Tigre et des deux Zabs, sans compter les déportés
dont Assour peupla certains districts de Médie (1).
En sorte que, non seulement lesMèdes reçurent de FAssyrie,
par contact, les principes de leur civilisation, mais que ces prin-
cipes eux-mêmes tombèrent dans un milieu fortement mélangé
d'éléments appartenant aux plus anciennes couches humaines de
l'Asie Antérieure.
En disparaissant, les Assyriens n'avaient rien laissé que le
monde ensanglanté par leurs crimes et fumant des incendies
qu'ils avaient allumés. Aucune trace ne demeura d'eux, ni dans
les arts ou la littérature, ni en philosophie, ni dans les principes
moraux, privés ou publics; mais leur exemple avait corrompu le
monde.
Le nouvel élément, en entrant sur la scène, avait apporté dans
son patrimoine des idées philosophiques élevées (2), la notion du
bien et du mal (3), de la charité, de la pitié; mais son contact avec
l'Assyrie étouffa vite en lui les qualités naissantes. Mèdes et Perses
furent cruels, cupides, orgueilleux, tout comme des Assyriens;
c'est par les procédés des vieux États qu'ils gouvernèrent leur
Empire.
La culture iranienne forme, pour ainsi dire, la transition entre
la barbarie de l'ancienne Asie et la civilisation dont l'ère va
s'ouvrir; sans unité, sans originalité, sans esprit national, elle
n'est qu'un assemblage mal ordonné des multiples éléments
empruntés aux peuples soumis à son joug. L'Egypte, la Phénicie,
(1) Parmi les campagnes des Assyriens en desAclièménidesquepar des données éparees,
pays mèdes, il convient de citer : la soumis- soit dans les inscriptions émanées d'eux, soit
sion des peuples du Zagros sous Salmana- dans la littérature grecque. (J. Darmsteter,
sar II (857-822), et Chamchiramman (822-810). le Zend Avesta, t. III, 1893. Introd. p. IV.) La
Cf. Obélisque, 11.92-93; 141-146, etc. ScHRADER, morale avestique reposait sur le culte delà
Keilin.^chr. nnd Gexch.); la campagne de vérité, de la famille, du travail et de l'agri-
Médie de Rammannirari III (810-781) ; celle de culture. Le roi donnait chaque année des
Teo-latphalasar II (745-727). — Salmanasar V prix à ceux de ses sujets qui avaient le plus
(726-72-2) déporte en Médie des colons israé- d'enfants. (Hérodote, I, 136.) Il accordait l'usu-
liles (II, Bois, XVH, 6). Enfin la colonisation fruit du terrain, i)endant cinq gén-rations,
par Saro-on (722-704) de toute la partie occi- aux cultivateurs qui amenaient l'eau dans
denlale^du pays. (Cf. A. Delattre, le Peuple les terres arides (Folybe, X, 28). Darius
et lEmpire des Mèdes, p. 99, sq.). félicite le satrape Gadatès d'avoir acclimate
(2) La religion de l'Iran ne nous est direc- en Asie Mineure des plantes d'au-delà de
tement connue que pendant la période sassa- l'Euphrate. (J. Darmsteter, le Zend Avesta,
nide ; nous possédons une grande partie du t. III, 1893. Introd. LXVIL)
livre de celte époque, ÏAvesla, et tout une (3) Dès l'époque achéménide les Iraniens
vaste littérature religieuse qui s'est déve- croyaient déjà à la défaite d'Aliriman et con-
loppée sous ces souverains et, depuis, autour naissaient le dogme de la résurrection et la
de VAi'esla. L'Avesta même est représenté par durée limitée du monde qu'ils fixaient ;i douze
les Sassanides comme les débris d'un livre mille ans. (J. Darmsteter, le Zend Avesta,
achéménide, Nous ne connaissons la religion l. III, 1893. Introd. p. LXVL)
LA PRKPONDÉHANCE IRANIENNE
/l03
la Grèce, F Assyrie, la Chaldée contribuèrent, chacune pour leur
part, à cet ensemble disparate auquel on a donné le nom de civili-
sation achéménide.
C'était, de tous côtés, la (in des vieilles monarchies ; les peuples
La Médie vers l'époque de l'apogée de l'Empire assyrien.
perdaient jusqu'à leur nom, et les races se fondaient dans cet
ensemble vague dont les rois mèdes firent leurs sujets. Le
royaume d'Ourarthou s'était évanoui lors du passage des Scythes,
mais les Ourarthiens ne disparurent pas (1) de suite. Ils demeu-
(1) Les Ourarthiens avecles Matiènes et les rent devant les Arméniens, qui, à celte épo-
Saspires formaient encore, au temps d'Héro- que, formaient la XIII" satrapie entre le Tau-
dote (III, 103, lOi), une satrapie, la XVIII». rus et l'Arsanias. Refoulés vers le Nord, les
Ce n'est doue que peu à peu qu'ils disparu- Ourarthiens (Alarodiens) se fondirent avec les
ûO'i
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
rèrent dans les montagnes de Van, de l'Ararat et du Petit Cau-
case. Là, se fondant avec les Mèdes (Kurdes) et les Arméniens
nouveau-venus, ils formèrent encore, jusqu'au septième siècle,
une nation distincte ; ensuite l'histoire se tait à leur sujet.
Lesrécentes fouilles dans rArménierusse \\), dansleTàlyche(2),
el le Ghilan (3), ont montré combien les différences ethniques
étaient encore tranchées, bien que mal définies, à l'époque où Mèdes
et Ourarthiens se trouvaient en contact sur les rives de l'Araxe.
Alors que le Petit Caucase ne présente qu'un état du bronze
très rudimentaire et, semble-t-il, de courte durée, les pays mèdes
offrent au contraire cette même industrie très développée, se
perfectionnant sur elle-même, suivant trois phases bien caracté-
risées, et appartenant, sans nul doute, à des tribus distinctes dont
les noms ne nous sont pas parvenus.
Dans la première, les armes sont simples et la poterie est
rudimentaire, sans art. C'est l'époque de construction des grands
dolmens en matériaux grossiers (ù.
Dans la seconde, les mobiliers funéraires accusent de très
orands progrès. Les sépultures de cette époque renferment des
parties bâties, remplaçant les monolithes latéraux (5).
Enfin, dans la troisième jdiase (6^ l'industrie se montre très
développée; les formes, en tout, sont élégantes; mais jamais on
ne rencontre la moindre velléité de copier la nature.
Pendant que se développaient successivement ces civilisations
chez les Iraniens du nord, le Petit Caucase était en possession
du fer et exploitait activement ses mines (7).
Plus tard, aussi bien dans la Transcaucasie que dans le Chilan
et le Talyche, au cours de l'industrie du fer 8 , s'opère une véri-
].opulalions couoasifiiiies (Cf. H. Rawlinson,
on Ihe Alarodians of Herodolus, in G. Rawlin-
soN, Herodotux, t. IV, p. 203 et Fr. Lemor-
M\NT. /es Origines de l Histoire, t. II. p. iW-)
(1) Cf. J. DE MORG.A.N, MiS'iion scienliftque au
Caucase, 1889, l. I.
(-2) Cf. J. DE Morgan. Mission scientifique en
Perse, t. IV, 189G. Rech. archéol., 1" partie,
].].. 13-125.
(3) Cf. H. DE Morgan, in Méin. Déléij. en Perse,
1".K)6, t. VIII. Recl». archéol.
(4) Nécropole deChirchir. Cf. H. de Morgan,
oji. cit.
(h) Nécropole de Nâmin. Cf. II. de Morgan.
o/). cil.
(6) Nécropole de Véri. Cf. .). ue Morgan,
.l//s.s;on en Perse, l. IV, 1896, p. 35, sq.
(7) Les principales nécropoles examinées
jusqu'à ce jour se trouvent dans le voisinage
immédiat des affleurements de cuivre, à Allah
Verdi, Tchamlou(i, Akthala, Dilidjan, etc.,
dans le petit Caucase.
(8) Il n'existe aucune relation entre l'in-
dustrie du fer dans le nord de l'Asie Anté-
rieure et la civilisation dite Hallslalticnne de
l'Europe centrale. Les Chaldéens, Assyriens,
Egyptiens, etc., connurent le fer de très
bonne heure, mille ans au moins avant que la
culture de Ilallstatt se développât dans le
bassin du Danube. Il n'y aurait donc rien de
surprenant à ce que la connaissance du fer
fût parvenue par l'Ourarthou et le Cauca.se
au.Y nomades vivant dans les steppes de Rus-
sie el que de là, cette industrie eût gagné le
Danube.
LA PHÉPONDÉRANCH II^AMENNK /jO.')
table révolution. Non seulement les foi-mes humaines et animales
apparaissent dans l'art (1), mais aussi la gravure sur cuivre (2) très
caractéristique de cette nouvelle ornementation qui s'est conser-
vée, jusqu'à nos jours, dans la ciselure persane (3).
Les dolmens ne se rencontrent ni dans la 'rranscaucasie, pays
alors touraniens, ni dans la Perside; on les trouve cantonnés dans
le nord de la Médie. 11 existait donc, en Perse, deux branches
ethniques: celle du nord avec ses constructeurs de dolmens, et
celle du sud qui, dans son patrimoine, avait apporté d'autres
idées (û).
Je serais porté à croire que l'apparition du naturisme dans les
arts correspondrait, pour les pays du Nord, au moment où Thégé-
monie passa des Médes aux Perses, que les coutumes de la Perside
gagnèrent les provinces septentrionales de l'Empire, et que l'art
spécial à l'état du fer est originaire du midi. Dans ce cas, ce serait
vers le milieu du sixième siècle avant notre ère qu'il faudrait pla-
cer ce courant artistique si spécial.
Une partie de la tiédie, dira-t-on, appartint pour un temps aux
Assyriens; mais les conquêtes niniviles définitives se trouvèrent
être limitées aux districts des montagnes bordières de l'Iran et à
quelques pays limitrophes, tels que le voisinage du lac d'Our-
miah et le Kurdistan de Moukri. Ailleurs l'Assyrie semble n'avoir
guère opéré que des razzias.
Vers 722, des prisonniers Israélites furent déportés dans des
villes de Médie (5;; mais ces villes |)ouvaient être situées dans
le voisinage de la frontière naturelle entre l'Assyrie et l'Iran,
telles Khoi, Ourmiah, Revandouz, Serdecht, etc. N'ai-je pas
retrouvé, à Sihneh, une colonie israélite dont le langage est
remarquable par les archaïsmes qu'il renferme \6) ?
En 713, Sargon soumet le petit État de Dayakkou (Déjocès), de
(1) Nécropoles de Djonii, Tiilii, Hivi-ri (Len- J. de Morgan, MUs. seau Cuucaxc, L I «l
koran) de la Khevsoiirelliie, de Samlhn- Commission archéologique russe de Traiis-
vro, etc. Cf. J. de Morga.n, Miss, en l'erse, Caucasie, in Verliandluiujen der Derliner Ge-
Op. cit., p. Wi. xellsrhuft fur Anthrop. Elhnol. u. Uryeschiclile,
(2) Cf. J. DE Morgan, Mi.^s. au Cauca.<<e. Op. Berlin. 18'.t'.t, p. 243 s(i ; l'.tOl, p. 81 sq : l'JOâ. \>.
cit., p. 141, fig. 145: p. 162, fig. 182 à 185; p. 134, sq : ]>■ 221, s.|. La plupart des nécropoles
163, fig. 186 à 189; p. I(i4, fig. 190; p. 165, fig. explorées par celte commission apparlienneni
ig^l. à l'étal du fer, sous iiilluence iranienne.
(3) Dans la ciselure persane moderne telle (4) L'usage de creuser dans les rochers les
qu'elle se pratique surtout à Ispahan, on re- sépultures des rois et des grands est cerlai-
trouve des traces évidentes de l'ancien art, nement chez les Perses une importation égyii-
surtout en ce qui concerne les animaux, tels tienne.
que le houquetin. le cerf, le cheval, les oi- (h) liois, 17,6; 48, 11.
seaux. Quant au procédé de gravure.il e>l (6) Cf. J. de ^tloROA^, .Visaion scientifique en
absolument le même que dans l'anliijuité. Cf. Perse, I. V. Eludes linguistlipies.
/,06 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
ce personnage dont IJérodote fait le premier roi des Mèdes (1).
Dayakkou n'était certainement qu'un roitelet sans importance;
mais ses ancêtres et lui furent les fondateurs de l'un des plus
grands empires asiatiques i'2'. Ses successeurs étendirent son
pouvoir; Fravarti (Fraortès) ^3) réunit à sa couronne la Perse
proprement dite c'est-à-dire les pays situés au sud d'Ecbatane
(Ispahan, peut-être même Cliiraz), que des dynastes continuèrent
à gouverner sous la suprématie méde (/i).
Le règne de Fraortès fut certainement encore une période d'in-
cubation pour la souveraineté médique; l'autorité royale s'étendit
et s'affermit à l'intérieur, l'armée s'organisa, s'aguerrit dans les
luttes pour l'établissement de l'empire. Phraortès guerroya, non
sans succès, contre Tsinive elle-même, et serra de bien près la
capitale assyrienne, puisqu'il périt sous ses murs.
Avec Cyaxarès (5) (Huvacli-Scliatara), la Médie atteignit, sinon
l'apogée de sa puissance, du moins une situation prépondérante
en Asie. Organisée à l'assyrienne, elle se montre, dès ce temps^
sauf par la religion et par la langue, comme étant devenue un
véritable Etat asiatique.
Ninive tombe sous les coups de Cyaxarès et de Nabucliodo-
nosor et les deux princes alliés (6) se partagent l'Asie. Baby-
lone étend sa domination sur la Syrie et la Palestine ; tandis
qu'Ecbatane conserve l'Assyrie proprement dite, s'empare de
l'ancien royaume d'Ourarthou, devenu l'Arménie par l'arrivée des
(Ij Les données que nous possédons sur la dien Geschiclile, |i|i. l'23. 1-24. — Floigl, Kyrua
succession des rois médes (Hcrodofe, I, XCV- und Heredol. pp. 'Jô-li:'.. — Unger, Kyaxares
cm. — Ctesias, Fr(iy;?i., 25, in Muller-Didot u. Auli/ai/es, pp. 39-41. — Prashek, Medien u.
Clesiae Cnidii fragmenta, i)[). 41-53), sont toutes d. Ilaus des Kyaxares, pp. 51-63): suivant Hé-
fanlaisisles. (Cf. Volney, Jiecli. s l'Uisl. anc, rodote, ce roi serait mort en combattant
I. I, p. 144, s(j. — MAiiQu.vitT, Die Assyriaka contre l'Assyrie.
des Ktesias, in Philologus. Sup., l. V, p. 562, (4) Les Mèdes, premiers arrivés dans
f-q. — G. Maspeiio, Hist. anc. peuples Or. ilass., l'Iran, se déveloi)pcrent vite au contact de
t. IIL 1890, p. 447, note 2.) l'Assyrie ; tandis -<pie les Perses, tenus à
f2) Ctesias (Diodore de S/ri'/e, IL 33;. donne l'écart des centres civilisateurs du Tigre et de
l)Our les rois mèdes la liste suivante : — rEujtlirale par les montagnards d'Anchan,
Arbace régna 28 ans. — Mandancès, 30.— demeurèrent pendant quelques siècles encore
Sosarmès, 20. — Artycas, 50. — Arbianès, 22. à l'état primitif; c'estee quiexpliijue pourquoi
— Artée, 40. — Arlynès, 22. — Astibaras l'hégémonie iranienne débuta par la royauté
(Cyaxare), 40. — Aspadas (Aslyage), 35. Cle- médique et pourcpioi aussi les Perses n'entrè-
sias, on le sait, était le médecin (ÎArtaserxès rcnt en scène que plus lard.
II et, par suite, les informations qu'il donne (5) Cyaxare = Houvaklichatara (Inscr. de
résultent de traditions postérieures de quel- Bisouloun, col. Il, 1- 15, 81, col. IV, 1. 19, 22.—
ques siècles seulement aux événements. Cf. .Justi, Eranische Nameiibuch, p. 140. — G.
(3) L'existence de Phraorte {Hérodote, l,<:u), Rawliisson, The five Greal Monarcliies, 2'' éd.,
Fravarlich ou Fravarti {Inscr. Bisouloan, col. t. II , pj). 414-415. — G. Maspero, Hist. anc.
H, 1. 14) est encore douteuse (Rawi.inson, peuples Or. c/ass.. I. III, p. 465).
Heredotus, t. I, PP- 330, 331. — The five («) Nabuchodonosor épouse Amytis, fille du
(irent Monarchies, %' éd., t. II, p. 883, note H».— roi mède.
WiNCKLER, Untersuchunyen z. Allorienlulis-
(1) Cf. G. Maspero, Ilist. anc. des peuples de l'Orient classique, L III, p. 180
/(08 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Ascaniens et conquiert la Cappacloce, encore peuplée en partie
des débris des Hétéens. Enfin, sous un prétexte futile (11, elle
entre en guerre contre les Lydiens (^2). Les Médes avaient trouvé,
dans les dépouilles de Ninive, la soif des conquêtes.
Les faits qui suivirent la mort de Cyaxarès ne nous sont parve-
nus que très confusément. 11 y eut, semble-t-il, une période de
repos, de décadence même, dans la valeur gouvernementale de
la famille royale; et c'est cette période de faiblesse, représentée
par Astyages, qui permit à Cyrus de faire passer le pouvoir des
mains des Mèdes à celles des Perses.
Ecbatane (Hamadan) étant la capitale de l'empire de Cyaxarès,
on a pensé, et moi-même tout le premier j'ai cru que le site de
cette ville fournirait des indications utiles sur la nature ethnique
et sur l'histoire des Mèdes.
Or, après avoir, pendant près de vingt ans, suivi les trouvailles
qui se font dans ce site, je suis aujourd'hui convaincu que
jamais il ne décèlera rien sur ces peuples, parce que les Mèdes,
ne possédant pas l'écriture, n'ont laissé aucun document.
Une partie seulement des ruines d'Ecbatane se trouve sous les
maisons de la ville actuelle d' Hamadan. Le reste des terrains
antiques a été exploité, lavé par des indigènes; et jamais il n'a été
rencontré le moindre indice relatif aux prédécesseurs des Perses.
Inscriptions, cylindres, cachets sont tous babyloniens, assyriens
ou achéménides (8).
Dans l'Elvend, où les stèles appartiennent aux successeurs de
Darius (/i), il n'existe pas le moindre souvenir des Mèdes.
Je suis porté à croire que, si ces premiers Iraniens ont fait par-
fois usage de l'écriture, qu'ils connaissaient forcément j)ar leur
contact avec Ninive, ils ont employé en même temps la langue
assyrienne. C'est ainsi qu'aujourd'hui les Kurdes, bien que fort
attachés à leurs dialectes, n'écrivent qu'en persan.
Il ne suffisait pas, pour écrire les langues iraniennes en
caractères cunéiformes, de prendre les signes assyriens, baby-
loniens ou élamites et de les appliquer au dialecte qu'on désirait
(1) Le prétexte de la guerre fut la désertion (3) CI". J. de Moroan, Miss. se. en Perse,
de quelques Scythes qui, fuyant le service de t. IV, 1" partie, 1805, p. 235, sq.
Cyaxarès, s'étaient réfugiés en Lydie, chez le (4) Xerxes. Cf. J. Oppert, les Inscriplions
roi Alyattes (618-561). Achéménides, 1851, p. 280. Darius. — .1. Oppért,
(2) Une éclipse (28 mai .585) mil fin à celte le Peuple et la Langue des Mèdes, 187ït,
guerre et les deux Etats conservèrent leurs p. 191.
possessions.
l.A PnKPONDÉRANr.H ll'.ANIKNNE
/|09
transcrire ; il fallait les transformer, les mettre à la portée d'une
ianii-iie indo-européenne, afin de lui conserver la valeur de ses
voyelles. Ce travail ne pouvait se faire d'un seul coup; il s'opéra
probablement dans le sud-ouest du domaine perse (1), et comme
La Perside à l'époque de Cyrus.
don d'avènement, Cyrus apporta aux Iraniens la fixation de leur
parler méridional.
Au point de vue de la politique intérieure, la révolution qui fit
de Cyrus le roi des Perses et des Mèdes fut de peu d'importance;
le pouvoir passa simplement d'une tribu iranienne dans une autre,
(1) Les AclR-ménides, originaires d'Elani,
avaient vécu dans un pays dès longtemps ac-
coutumé à l'usage de iécrilure cunéiforme; il
n'est donc pas surprenant de voir Cyrus, le
premier d'entre eux dont l'autorité se soit
ai)pliquée au perse alors que dans son pays
d'origine on l'employait couramment pour
l'Assyrien cl l'Anzanile. La nécessité d'écrire
les trois langues s'imposnnl, dés son avène-
ment on appliqua à la langue iranienne les
tendue sur tout l'empire, introduire l'écriture principes du cunéiforme en les simplifiant.
!\\0
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
de la famille de Déjocès à celle d'Achéménès (1). llien ne fut
changé. Mèdes et Perses composèrent, comme par le passé, les
forces militaires de Flùnpire, fournirent en commun les satrapes
et les généraux, les j)ersonnages de la cour; l'armement demeura
le même, ainsi que les méthodes de conquêtes et de gouverne-
ment. Aux yeux de bien des peuples étrangers, des Grecs entre
autres, les Perses de ^larathon, de Platée, de Salamine, étaient
toujours des Mèdes.
Mais, en ce qui concernait la politique extérieure, la modifica-
tion était capitale. Si les Mèdes étaient liés par traités avec
Babylone et avec Sardes, le nouveau roi ne l'était avec personne;
aussi devait-il user du droit du plus fort.
Cyrus n'était pas, comme on s'est plu à le dire, de basse
extraction; il apj)artenait à une famille princière, ayant ses apa-
nages en pays de langue élamite ("i). Ses ancêtres et lui-même
étaient rois (seigneursi d'Anchân ou Anzan (3).
C'est en raison de leur origine que, dans leurs textes lapidaires,
les souverains achéménides employèrent toujours trois langues:
le babylonien, langage des Sémites, parlé depuis la Chaldée et
l'Assyrie jusqu'à la Phénicie ; le perse, langue de l'Empire, et
enfin l'anzanite (Zi;, idiome touranien alors en usage chez tous les
montagnards du sud-ouest et dans la plaine susienne.
(1) Souverains acliémriiides :
Acliéménès.
Teispès, roi d'Ancliari.
Cambyses, id.
Cyrus, id.
Teispès, id.
Cyrus. id.
Cajubyses, id.
Cyrus, roi des rois, 5.5',l-5-2'.i.
Cambyses, id. 5-29-53-2.
[Gaumala, usurpateur;, 522-521.
Darius I", roi des rois. 521-i85.
Xer.xès I"', id. 485-46't.
Arlaxerxès l'S id. 464-424.
Xer.xès II, id. 424
Sogdianus, id. 42i-423.
Darius II, id. 423-410.
Arlaxerxès II. id. 410-358.
[Cyrus II, usurpateur".
Arlaxerxès III, roi des rois. 358-338 ?
Arsès. id. 338-.3.3C ?
Darius III, id. 336-331.
L'inscriplion d'Artaxerxès-Oclius (Cf. .1.
Oi'i'ERT, Inscripliiins Acliéménides, 1850, p. 295)
donne la liste complète des souverains de la
Perse depuis Darius I", et contrôle par con-
séquent les assertions des historiens classi-
ques sur leur succession. — Déjà, sous Ar-
laxerxès-Ochus, la langue |)erse était en
décomposition et passait graduellement au
pehlevie, le texte d'Ochus regorge de fautes.
(Cf. J. Oppert, op. cit., ]). 298.)
(2) Cf. Cylindre de terre cuite (H. Uawlin-
so.N, Journ. of Ihe royal Asial. Soc. N. S, 12, 70
et sq.) Cyrus ne se nomme pas lui-même et ne
nomme pas davantage ses ancêtres jusqu'à
Teispès, rois de Perse, mais désigne les rois
de la ville d'Anchân.
(3) J. Ilalévy est le premier savant qui ail
attribué à Cyrus une origine anchanile, c'est-
à-dire élamite. (Cf. Rev. des Eludes juives ;
juillel-sept., 1880, pp. .3-31. Annales de philo-
sophie chrétienne, année 1880, pp. 570-574), et
à rattacher les textes des troisièmes colonnes
à la langue susienne. Inutile de dire que jamais
J. Opperl ne pardonna à son savant confrère
cette critique de son Peuple el Langue des Mèdes.
(4) Les nombreuses inscriptions élamites-
auzaniles découvertes à Suse (Cf. V. Scheil,
Mém. Délég. en Perse) ont prouvé que les
pays d'Anzan et la Susiane étaient reliés très
étroitement el parlaient la même langue.
Cette langue avait survécu dans laNéo-Anza-
nite jusqu'au temps des Achéménides et se
trouve dans la troisième colonne des textes
de ces rois. Delallre (le Peuple et l'Empire des
Mi'des, p. 52, sq.), reconnaissant que les
Mèdes étaient des Anens, ne va pas jusqu'à
retrouver dans la langue de la S' colonne le
])arler d'Anzan et par suite l'Elamite.
LA 1'IU:P()NDKHA\CE ihamfnne
411
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TTT«r<Kffr\^<rT ft\<K«ïï TTr-TffKTT^nT<-\
C'étaient là les langues officielles de la monarchie; mais, en
cas de besoin, on ajoutait à ces triples textes Tidiome de la pro-
vince où le document public devait être placé, si, dans ce pays,
l'une au moins des trois langues officielles n'était })as comprise.
C'est ainsi que, sur le canal des
Deux-Mers en llgypte, un texte
égyptien venait s ajouter aux
trois autres et que, sur la plu-
part des vases d'allnitre aclié-
ménides que nous trouvons
dans les fouilles de Suse, le nom
du souverain est exprimé en
quatre langues ; parce que, fort
j)robablement, ces vases étaient
de fabrication égyptienne. C'est
ainsi également que les satrapes
de Phénicie et de Gappadoce
firent graver sur leurs monnaies
des légendes araméennes.
Perse Achéniénide.
Xerxès, roi Grand — roi des rois
— nis de Darius — roi Achémé-
iiido (1).
IA<K^<I>^<T<I^
g^^fc^t^T^f
n<Iïï>ff(!^Ifïï^^-f-«^
]mk'^ ^]«<h<
Même texte Assvrien.
^M^mllM^miii.
-HHTTTî^Iïï^g^TPE-^T^ÏÏ
iïï(B=fTM<;:^ïïnn^-
-!ïï<Tfft-;^t'!::<-<T-5TT,
Même texte en néo-anzanite (2).
Le néo-anzanite des textes
de Bisoutoun avait été pris par
H. Rawlinson (3) d'abord, par
Norris(Zi), Fr. Lenormant (5) et J. Oppert ensuite, pour la langue
des Mèdes (6). Dès lors, suivant cette interprétation, les .Mè<les
devenaient des Touraniens, et la religion avesti(|ue une concej)-
tion touranienne, malgré la nature de la langue zend (7; et malgré
le texte même de l'Avesta. Celte erreur a, pendant longtemps, jeté
un grand trouble dans les esprits (8) ; mais il est aujouid'hui re-
connu que les Mèdes étaient des Iraniens, tout comme les Perses.
Les tendances de la politique générale ne subirent donc aucun
(1) Inscription du palais de Xerxès à Persé-
polis (J. Menant, Leronx d'éphjraphie axsij-
rienne, ISTri, p. 2.')).
(2) MedoscyUij(iuc de J. Menant fid., (.. 98).
(3) Cf. Sir n. I<A\vLiNsoN. in Jnnrn. of Ihe
Roijal Asial. Soc. of Gr. Brilitin and IrelitnJ,
t. X, p. 32, sq.
(4) Cf. NoRRis, JoLirii. of tlie Royal Asial. Soc.
ofdr. Dril. et Irelnnd. t. XV. p. .3, sq.
(5) Cf. Fr. Lenorji.v.nt, Lellres assyriolo-
giques, p. 13, sq.
(6) Celle erreur oblige Th. Xœldeke (Et.
Iiist. sur la Perse ancienne, trad. fi-., p. 28; à
chercher du cùlê de Passargadc une localité
pouvant .satisfaire à celle d'Anchan qu'Ojjperl
se refuse obstinément à placer en Elani.
(7) Oppcrt scnlait bien (pu' celle inlerpréla-
lion de la langue des troisièmes colonnes des
inscriptions achéménidcs était vicieuse par
quelipie côlé ; mais il n'entrevoyait pas mw
l'erreur fut aussi générale. Dans le Peuple et
la lam/iie de.s .Mèdes (p. 17, sq.) il s'efforce de
prouver que les noms d'Hérodote représen-
taient /t'.s- formes ari/anisées des noms loiiranien.''
dont Clésias avait donné la Iraduclion perse.
(8) Cf. A. Dei^ttiiE. le Peuple et l'Empire des
Méde-t jusqu'à la fin da rèijne de Cija.rare.
Bruxelles, 1883, p. 4, sq.
{^{-2 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
changement lors de la révolution opérée par les Achéménides.
Il ne suffisait pas à Cyrus d'avoir ravi la couronne d'Astyages ;
il lui fallait d'abord faire accepter son autorité dans tout l'Empire
mède; puis, aucune limite ne parvenant jamais à satisfaire les
ambitions des souverains orientaux, il fallait que le nouveau roi
commençât la conquête du monde.
La Lydie, qui avait échappé aux Mèdes, tomba sous les coups
de Cyrus ibhl ou 5/i6) (1) et Crésus, son souverain, devint l'un
des suivants du roi des rois. Ses États furent absorbés parce
qu'ils étaient riches, parce que leur territoire était utile, au point
de vue stratégique, comme centre d'action contre l'Europe. Quant
aux fictions poétiques, au merveilleux dont les (irecs ont revêtu
A
Al
trapies de Mésopotamie. papyrus (vers 4ôO av. J.-C). (2)
Araméen achéménide.
Légende d'une monnaie des sa- Araméen d'époque achéménide sur
la ruine de Sardes, il n'y a pas à en tenir compte; mais, dans la
chute de Crésus, les Hellènes avaient senti s'approcher la menace.
En effet, c'est alors seulement que les Perses entrèrent pour
la première fois en contact direct avec les Grecs de la côte asia-
tique. Les Orientaux n'avaient aucune idée de ce qu'étaient les
Hellènes ; accoutumés aux tribus demi-sauvages de l'Asie, à
l'obéissance passive des peuples vaincus, ils voulurent appliquer
aux Grecs la même méthode qu'au reste de leur empire; mais il
répugnait trop à ces villes libres, dans lesquelles l'intelligence était
si développée, tle subir la domination des grossiers élèves de
l'Assyrie.
Les Perses exigeaient des vaincus le service militaire dans
leurs aimées, en outre des charges et des tributs onéreux qu'ils
faisaient peser sur les villes. La fierté grecque s'indigna de ces
(1) L'époque de la prise de Sardes par Cyrus in Sitzunyberichte der l'hit-Hisl. Cldsse der Kj
est la date la plus iniporlanle de ces temps, Akadd. Wiss., Wien, 1878, xcii; I87'J, p. 197 s(j.
elle sert de point de départ à la chronologie acceptant la date de 541-540.
de la période tout entière. On hésite entre (2) Corpus Inscr. aemit., -2' partie, n° 141: « A
557 et 534 ; mais les deux systèmes les plus Monseigneur Mithrawahicht, ton serviteur
généralement admis sont celui de Radet (La Pakim... vivant, joyeux et fort, Monseigneur
Lydie, 1893, p. 140 S(i ) correspondant à lan qu il soit... »
54G-547 et celui de BOdinger (Krœsus Sturz
LA 1>RÉ1»0NI)KH.\NCE IRANIENNE
/4I3
procédés asiatiques. Quelques cités, qui résistèrent, furent
entièrement détruites ; bon nombre cFIoniens, les Téiens et les
Phocéens, èmigrèreut. Milet(l) négocia; passant des mains de
Comblement du golfe Latmique par les alluvions des rivières.
Crésus à celles de Cyrus, elle obtint que ses conditions ne
seraient pas aggravées. Quant aux habitants de Xanthus, capitale
(1) Certainement la colonisation grecque de
presque toutes les côtes île la Méditerranée
ne s'était pas faite sans violences ; mais les
anciens peuples, attachant au début une faible
importance à quelques marins venus s'établir
au fond d'une baie, les avaient laissés faire. Ce
n'est que plus tard, alors que ces étrangers
eurent construit des villes et des murailles,
que, d'hôtes devenus intrus, ils commencèrent
à gêner, <)ue, descendant de l'intérieur vers
les côtes, les aborigènes cherchèrent à affran-
chir leur pays.
Le premier royaumequienireprit ces guerres
d indépendance fut celui de Lydie. Gyges (fi87-
65-2) les commença ; mais des invasions cim-
mériennes, qui furent nombreuses dans l'Asie
Mineure, l'empêchèrent de mettre ses projets à
e.\écution. (Strabon suppose deu.x invasions
des Cimmériens; la première aurait eu lieu au
huitième siècle, la seconde vers (533; Hérodote
n'en reconnaît qu'une au début du septième
siècle. Les Cimmériens seraient restés cent ans
en Asie Mineure. Cf. E. Cunrius, Hisl. ijrecque,
1883, t. II, p. 132 et Deimi.i.no, Le/eyer, p. 51, s(|.
qui propose une chronologie entièrement dif-
férente.) Sardes elle-même aurait été dévastée
tout au moins dans sa ville basse, les llammes
du temple d'Ephèse éclairèrent au loin le sac
de Magnésie. GuuL, Efjliesiaca, p. 3.5; O. Mui.-
i.cn, Griech. Liler., I, 101.
Quand, en G23, le fléau fut passé, Sadyalle.
roi de Lydie, soumit la Phrygie et reprit la
guerre contre les Grecs. D'ailleurs la Lydie
avait d'autres inquiétudes : les Mèdes en-
traient sur la scène politique, revendiquant
l'héritage des Assyriens qu'ils venaient de
vaincre.
/ll'i LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
delà Lycie, ils préférèrent mourir plutôt que de se soumettre (1).
Sardes était devenue le centre de l'action perse vers l'Occi-
dent. Toute l'Asie Mineure était conquise; les Grecs qui n'avaient
pas émigré payaient régulièrement tribut, fournissaient les vais-
seaux et les contingents auxquels ils étaient taxés.
Bien qu'ils eussent été à même de se rendre compte, par les
résistances qu'ils rencontrèrent, de la j)uissance de l'amour de
la liberté chez les Hellènes, les Orientaux ne s'en firent aucune
id(''e juste (2), leur mentalité n'étant pas le moins du monde pré-
parée à des sentiments aussi insolites pour des hommes d'Asie.
Ils assimilèrent donc, dans leur esprit, les Grecs aux autres
peuples qu'ils connaissaient et pensèrent qu'ainsi postés à l'entrée
de l'Europe, ils feraient rapidement la conquête de l'iiellade
d'outre mer.
Mais, avant de se lancer dans d'aussi lointaines expéditions, il
fallait aux Perses un emj)ire homogène, et la Chaldée possédait
encore la moitié méridionale de l'Asie. Gyrus marcha contre
elle sans prétexte, et, en 539, Babylone perdit son indépendance
de la façon la plus prosaïque, quoi qu'en aient pu dire les
anciens.
Vaincue en rase campagne, l'armée chaldéenne, une fois rentrée
dans ses murs, se révolta contre son souverain, et Nabounaïd se
rendit à Gyrus. Le passage d'un pouvoir à l'autre se fit sans
secousse. Les villes de Phénicie, suivant leur politique séculaire,
se prosternèrent devant le soleil levant.
De l'Occident, Gyrus ])artit pour aller raffermir son autorité
sur les frontières orientales de son empire. 11 possédait la
Khorasmie (le Khi va actuel), la Sogdiane (pays de Samarkand
et de Bokhara) ; son pouvoir s'étendait jusqu'au Jaxartès (Syr
actuel, dans le Khokhand) (3) et sur une partie de l'Afgha-
nistan. Quant cà son expédition aux Indes (Ji), elle semble
(1) De foules les villes ioniennes, Piiocée de nature à donner aux Perses une fâcheuse
fut la plus héroïque dans sa résistance contre idée de l'esprit grec. Ainsi, dès les débuts de
Harpage, général de Cyrus. Après un long leurs relations, les Chiotes leur livrèrent,
siège les habitants, ne conservant plus d'es- contre le territoire d'Alarnée {Hérodote, I,
poir, abandonnèrent la cité et, partis sur leurs 156, 160), Pactyès réfugié dans le sanctuaire
vaisseaux, s'en allèrent retrouver à Alalia en d'Athêna. Ce sacrilège ne manqua pas de
Corse (Cyrnos) leurs compatriotes déjà établis frapper l'esprit des Orientaux.
dans cette île; mais, chassés par les Carlhagi- (3) Arrien, 4. 2. .3; Q. Cuftius, 7. 6. 16, 7. 6
nois et les Tyn-héniens, ils ne purent se 20; Straboii, .517; Ptol. 6. 12; Sleph. Btjz.;
nnaintenir et allèrent se fixer à Rhégion et à Pline, 6, § 4'.t; Solinus, 49. 4.
Ilyélé (Lucanie). (4) Nearque ds Arrien, 6. 24.2; Slrabon, 686,
(2) Malheureusement quelques faits élaient 722.
LA PRÉPONDÉRANCE IRANIENNE /|J5
tenir plulôt de la fable et n'avoir été ((ii'une tontalive peu fruc-
tueuse, si toutefois elle eut lieu.
Les pays de la Baktriane, de rOxus, étaient encore pour les
Perses et les Mèdes le berceau de la race, le patrimoine par
excellence (1) ; et rien n'est plus naturel que de voir les souve-
rains achéménides constamment préoccupés de la possession de
ces provinces menacées, depuis longtemps déjà, par des bandes
asiaticfues, probablement elles aussi indo-européennes, mais
non iraniennes. C'est en guerroyant contre ces nomades que
Cyrus trouva la mort dans les plaines de la Turkomanie. Los Grecs
ont fait de sa fin un récit dramatique et merveilleux, mettant dans
la bouche de la reine des Massagètes des paroles dignes de la
tribune d'Athènes, mais bien peu natuiellcs de la part d'une
nomade sibérienne.
Cyrus fut un habile [)olitique et un \'aillanL guerrier ; mais ne
nous hâtons pas de lui accorder ces grandes qualités dont les
Grecs honorent sa mémoire, car rien ne semble justifier en lui
une aussi flatteuse opinion. Ce n'était et ne pouvait être qu'un
souverain oriental ; ni son administration, ni son armée, ni lui-
même n'étaient à même d'avoir les sentiments d'humanité qu'on
lui attribue. Les Perses, cependant, semblent avoir été moins
barbares que les Assyriens, parce qu'ils ne se laissèrent que
moins souvent aller à des cruautés inutiles.
La Perside demeura le centre de l'Empire ; mais le roi, sans
cesse en mouvement, habitait successivement toutes ses pro-
(1) Llran Vej serait, suivant l'uiiinion de les((uels les Assyriens lulleront jusqu'au
quelques savants, la plaine située entre l'Araxe sixième siècle. Ces pays ont cessé d'être tou-
et le Kur, c'est-à-dire le moderne Qara-bagh raniens pour la Cappatloce et la Lycie, au mo-
(J. Darmsteter, le Zend Avesta, t. II, p. 5, ment où les Grecs se sont implantés en Asie
note 4). Or, le Qara-bagh n'est pas une riche Mineure, pour les pays de Van et de l'Ararat,
plaine, mais bien un massif montagneux, cou- quand les Arméniens les ont occupés, sous
vert de forêts, riche dans ses vallées d'où son les Achéménides vers l'époque de la chute de
nom de jardin (bagh) par opposition avec le Ninive. Il n'est pas question dans les écrits
Qara daghi situé de l'autre côté de l'Araxe. assyriens, d Iraniens dans le Qara-bagh et la
Au centre du Qara-bagh est le lac bleu (GhiJk- vallée de l'Araxe ; les Mèdes sont cantonnés
tchai, le Goktcha des Russes) où se trouvent beaucoup ])lus au sud vers le lac d'Ourmiah.
des souvenirs des rois d'Ourarthou. Si donc les Le Qara-bagh n'a cessé d'appartenir aux
Iraniens s'étaient formés en nations dans ce peuples caucasiens qu'au moment de l'exten-
district, ils eussent été en rapports avec les sion des royaumes d'Arménie; quant aux val-
peuples civilisés connaissant l'écriture et les lées basses de l'Araxe et de la Kourah, elles
Mèdes eussent laissé des inscriptions. D'autre sont demeurées caucasiennes jusqu'aux inva-
part, la branche perse des Iraniens serait sions des Turcs. Les découvertes archéolo-
descendue au travers de la Médie vers le Fars giques viennent, dans celte question, contrôler
et VAvesla en ferait mention, ce qui n'est pas, les données historiques. Le premier état du fer
et l'intluence perse, au lieu de s'affirmer du sud dans le petit Caucase est très certainement
au nord, aurait eu des effets inverses. De par anaryen; l'influence iranienne ne se fait sentir
ailleurs, dès que débute l'histoire pour les qu'au second étal du fer. Il faut donc cher-
pays du Haut Tigre, nous voyons les pays du cher ailleurs que dans la Transcaucasie, le
Taurus, de l'Arménie, du Caucase, habités par Qara-bagh oii les vallées de l'Araxe et de la
des peuples louraniens, ceux même contre Kourah, lAryanem Vaèjô de VAvesla.
/4l6 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
vinces : Suse fut une capitale, à cause des liens de famille qui
rattachaient les Acliéménides à l'Elam; Babylone une autre, parce
qu'elle était l'un des centres politiques les plus importants; de
même pour Ecbatane. Quant à Ninive, qui ne s'était pas relevée
de ses ruines, son nom même s'effaçait peu à peu.
Aucune capitale ne fut choisie pour l'établissement définitif de
la « Porte royale » ; les trésors demeurèrent dans les villes où ils
se trouvaient, à Sardes, à Babylone, à Ecbatane, en Phénicie, tou-
jours prêts à payer de nouvelles guerres. Toutes ces richesses,
comme bien on pense, appartenaient au Roi des rois, et si quel-
ques familles en bénéficièrent pour une faible part, ce ne furent
que celles des Perses et des Mèdes occupant les grands
emplois.
Pendant tout le cours de la monarchie achéménide, comme
d'ailleurs toujours jusque-là en Asie, aucune dépense ne fut
faite pour l'amélioration des provinces ; tout était dû au roi, mais
le roi ne devait rien. Une seule route fut construite alors, reliant
Babylone à Sardes, par le haut Tigre ; mais c'était la « route
royale », uniquement établie dans un but politique, pour le pas-
sage du souverain et de ses armées.
L'Oriental n'a jamais compris, de nos jours encore, qu'en
accroissant la l'ichesse de ses sujets il augmente ses propres
revenus; et si parfois il y songe, c'est le sourire aux lèvres, car il
lui faut des bénéfices immédiats et non des espérances qui ne se
réaliseront peut-être que pour ses successeurs. Que lui importe
ce qui se passera après lui !
Gambyse (1) devint seul roi des Perses par l'assassinat de son
frère Smerdis (2), et à peine eut-il posé la tiare sur sa tête, qu'il se
rua sur l'Egypte dont les richesses l'attiraient. Là, il se comporta
en barbare, tout comme s'il eût été Hyksos ou Assyrien.
Le pharaon Psamménil, fait prisonnier 1 3 , fut mis à mort; les
(1) Kambouchiya des inscrijjlions perses. VI Arhiklichaijarchn
(2) Bardiya des inscriptions perses. (AoTaÇÉpÇriç a').
(3) Voici la liste des quatre dernières dvnas- ..r,, r-i i ' t /— ' e ' r-v
tiesd Egypte d après G. Maspero, Htsl. anc. •' ^ "'» i* f '
des peuples de l Orient classique, t. III, p. 7G8,
note 1. ^^- Miamounri. iV/nrrtio«ac/ia(Aap£Îo;p').
XXVII" dynastie, Perse. XXVIII' dynastie. Saïte-
1. Masoutri Kanboali (Ka[A6j(ir)Ç). I ('A[xupTaroc).
II [Gaunin?aJ (SfxÉsSiç). XXIX» dynastie, Mendesienne.
III. Salôoutrî Ntaraioiiacha(\a.piiOici'), '• Binri-Minoulirou. AVo//// 1. (NEosptTriça')
IV. Sanentonen.SotpouniphtahKliabbicha "' Kl'nonmmari-Solpounikhnoumou. Hakori
V Khchai/nrcha {Elp^rfi 7.'}. ( Axwptç).
LA PRKPONDHRANCH IRANIENNE: /il 7
temples furent transformés en casernes et en écuries; enfin la
momie de l'ancien roi Amasis fut brûlée publiquement, sacrilège
aussi abominable aux yeux des Perses qu'à ceux des Égyptiens.
Cambyse envoya une expédition piller l'oasis d'Ammon, elle
se perdit dans les sables ; lui-même alla dévaster ri<:tliiopie.
Mais ces folies se payèrent par d'énormes dépenses en hommes
et en matériel, pertes qui elTraN-aient à juste titre le roi, lors de
son retour à Memphis. f.à, trouvant la ville en fête, par suite de
l'apparition d'un nouvel Apis, joie contrastant avec ses préoccu-
pations, il entra dans une colère aveugle et, de sa main, tua le
bœuf sacré.
La nouvelle d'une révolte en Perse, celle du faux Smerdisl),
se répandant, Cambyse quitta brusquement l'Egypte, gagna la
Syrie, et là, se suicida (2). Le caractère violent et ])assionné de cet
abject personnage expli(|ue fort bien qu'il se soit donné la mort
dans un accès de rage ou de désespoir.
Cambyse avait vécu de l'œuvre de Cyrus, dilapidant les biens
dont il avait hérité et par-dessus tout la belle armée avec l'aide de
laquelle son père avait créé l'Empire ; ses excès amenèrent une
décomposition du pouvoir, et, lors de sa mort, la puissance aché-
ménide chancelait de toutes parts.
Gaumâta se donnait comme fils de Cyrus et par suite comme
de race royale. Il n'y a donc pas lieu de penser, avec Hérodote,
que cette révolution présentait un caractère religieux ou politique,
entre Mages et Perses ou Perses et Mèdes.
Comme les grandes familles perses étaient bien mieux rensei-
gnées que la foule sur la fausseté de ses prétentions, l'usurpa-
teur eut tout intérêt à diminuer leur puissance ; il les abaissa sans
mesure et cet excès de précautions fut cause de sa perte.
On sait comment Darius (3) monta sur le trône (521). Plus tard,
il fit de son père Hystape (Ji) 1 un des satrapes les plus importants
de son empire, fait extraordinaire dans les annales d'un peuple
ni. Ousiriiihtahrî. Ps«;»ouh'(^Fâ|7.[xou6tî). (1) Gaumâta des inscripUons perses.
I\' (2) Cf. Inscr. de Darius à Bisouloun.
V XeforitlU. {NiOsplzTii fi,'). (3) Dariyavaouch, " le roi Darius déclare:
vv\> lie. ^^"1 PCi"e était Hystaspc (Vistàrpa); le père
, , ^>^.^\J>»«s<'e. Sehennyfque. d'Hyslaspe Arsaniès (Arsâma); le père d'Ar-
I. Snotmihri hotpounianhouri Nakhtliarali- samès, Ariaramnès (Arivàràmna); le père
6i7-Mianliouri-Snsil (Nsy-Tavigr,; a'). d'Ariaramnès, Tcispès (Caispis), le père de
II. Irimailnirî. Zadhou. Sotpounianliouri Teispès, Achaeménès (Ilakhâmanis). » (Ins-
(Tew;, Tayciic). cription de Darius h Bisouloun, § 2, Irad.
III. KhopirReri". Nakhloumibouf (Nîxxavï- "'• ^[j*''''^' '^' Inscripl. des Acliéménide.% 1851,
pr.ç [j' NaxTOvâ6o). '(4)'vichlûspa.
27
LA PRÉPONDÉRAXCK IRANIENNE /jlQ
(le race Aryenne, que de voir le père servir sous les ordres de
son fils, et (jui montre combien les idées asiatiques sur le pou-
voir absolu s'étaient implantées chez le peuple perse.
Le jeune roi, tout au plus âgé de trente ans, assumait une
lourde tâche en gravissant les marches du trône ; il avait à
remettre sur pied un Empire immense qui se disloquait de toute
part. Les provinces, se révoltant les unes après les autres, créaient
des difficultés sans cesse renaissantes.
Darius dut agir, par ses officiers et par lui-même, avec une
extrême énergie et beaucoup de célérité. Nabouchodouosor,
révolté dans Babylone, fut d'abord abattu ; puis ce furent Martiya (1)
en Susiane, Fraortès (2) en Médie. De nouvelles révoltes écla-
tèrent encore à Babylone, chez les Parthes, les Hyrcaniens, en
Arménie, dans la Margiane, chez les Sagartiens, les Sakes, etc.,
et Darius, pendant les trois premières années de son règne, dut se
consacrer entièrement à leur répression. La stèle triomphale de
Bisontoun énumère ces campagnes dans tous leurs détails 3).
En dehors de ces rébellions ouvertes, bien des satrapes,
outrej)assant leurs droits, empiétaient sur les prérogatives
royales ; Darius dut encore porter remède à ce genre de danger.
Oroetès, satrape de Sardes, Aryandès, vice-roi d'Egypte, et bien
d'autres furent, soit relevés de leurs fonctions, soit ramenés à la
stricte obéissance.
Devant ces révoltes, ces empiétements sur l'autorité royale, le
souverain jugea utile de modifier les attributions de ses gouver-
neurs et de les préciser. Dès lors, le satrape eut, il est vrai,
comme par le passé, le pouvoir et le prestige d'un roi, mais fut
étroitement surveillé. Des fonctionnaires spéciaux, placés à ses
côtés, renseignaient la cour sur sa conduite, et de temps à autre,
passaient des inspecteurs, accompagnés de corps d'armée. Le
satrape commandait les troupes de sa province, mais les garnisons
des forteresses étaient fournies par le pouvoir central. Ainsi deux
éléments militaires étaient en présence ; et la défection de l'un
d'eux ne pouvait plus, comme par le passé, entraîner la perte d'une
province.
Ces règles apportées dans l'exercice de l'autorité étaient déjà
(1) Imani. ménides conçues dans l'idiome des anciens Perses.
(2) Fravarli. Paris, 1851, p. 8, sq. — Id., le Peuple et la lan-
(3) Cf. J. Oppert, les InscrijiHons des Aclié- gue des Mèdes. Paris, 1879, pp. 112-113, sq.
/,20 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
un orand progrès sur les procédés administratifs de l'ancienne
Asie ; mais là où la réforme fut grande et l'innovation heureuse,
c'est quand Darius assigna d'une manière fixe et définitive la taxe,
que devait annuellement payer chaque satrapie.
C'était pour la première fois, depuis les débuts des empires,
qu'un peu d'ordre était mis dans la perception des impôts. L'ar-
bitraire absolu d'antan cessait, pour faire place à des règlements
qui, bien que sûrement injustes et créé dans l'intérêt du roi
plutôt que dans celui des peuples, n'en ofiVaient pas moins quel-
ques garanties. C'est ce système qui régit encore l'Orient, et qui,
transformé peu à peu par les Grecs elles Romains, finit par abou-
tir à la taxe individuelle, base des institutions fiscales modernes.
Certainement, déjà les Chaldéens avaient établi des taxes pro-
portionnelles, mais leurs édits n'empêchaient pas l'arbitraire ; et
c'est justement dans la suppression de l'arbitraire que résida
l'innovation de Darius. Ainsi, grâce à ces nouveaux règlements,
d'une part la province connaissait à l'avance le montant de ses
contributions, d'autre part le gouvernement savait sur quelles
ressources il pouvait annuellement compter.
Le système achéménide fut également celui des Séleucides,
des Parthes, des Sassanides, des Arabes. 11 est encore celui que
j'ai vu en vigueur en Perse, qu'on trouve dans les principautés
indiennes, l'Afghanistan, au Maroc et dans tous les États orientaux
qui subsistent encore.
Un gouverneur général achète, pai- exemple, sa charge ])Our un
million, une fois donné, qu'il verse au roi; et s'engage à fournir
annuellement à la couronne un autre million. Pour conserver sa
charge, il doit, chaque année, envoyer à son souverain un nou-
veau cadeau ; sans quoi, un concurrent viendrait la lui enlever, en
versant lui-même un prix plus important.
Ainsi, ce gouverneur général doit retrouver en une année les
deux millions qu'il a dû verser au Trésor, plus les frais auxquels
son gouvernement l'oblige, plus enfin le bénéfice sur lequel il
comptait en sollicitant cette charge ; c'est quatre millions envi-
ron qu'il lui faudra faire entrer dans sa caisse.
Il procède alors pour ses vice- gouverneurs comme le roi en a
usé envers lui, vendant les charges moyennant une somme fixe
et une rente annuelle. Et ses subordonnés suivent son exemple,
mettant aux enchères jusqu'aux plus petits emplois.
LA PUKPONDHRAXCE IRANIENNE /^21
Quant à riiabitant, s'il n'appartient pas au clergé, c'est lui qui
supporte toutes les charges, souvent de dix ou (|uinze fois plus
lourdes (jue si ses versements allaient diiectciucul au Trésor.
Ce procédé est certainement fort onéreux au point de vue des
résultats qu'il fournit à l'Etat; mais tel quel, c'était, pour l'époque,
un grand progrès. 11 n'est plus aujourd'hui, qu'un reflet de la
barbarie des anciens temj)s.
Après avoir réglé les affaires intérieures de l'Empire (1), Darius
reprit les conquêtes de ses prédécesseurs. 11 gagna ses f)rovinces
orientales; et, ayant fait explorer les côtes du golfe Persique et
les bouches de llndus par le Carien Scylax, fil, dit-on, la con-
quête des provinces voisines de ce fleuve. Il est à penser que
cette campagne ne rapporta pas tous les avantages qu'en attendait
le roi; car il ne poursuivit pas celte conquête et abandonna
l'Orient, pour se retourner vers les peuples du Nord.
Les Scythes, dont les déprédations en Asie, cent vingt ans
auparavant, avaient laissé dans l'esprit des peuples une terreur
folle, s'agitaient probablement, à cette époque, dans la steppe au-
delà du Danube, et causaient des inquiétudes. Darius jugea utile
d'aller les frapper au cœur de leur ten-iloire, et de prévenir ainsi
toute velléité d'invasion de leur part.
Les portes du Caucase étaient gardées, les corps d'armée lais-
sés en Khorasmie, en Sogdiane, en Baktriane, chez les Saces, etc.,
joints aux milices provinciales, ne permettaient pas aux no-
mades, vivant entre le Borysthènes et l'Iaxartes, de porter pré-
judice à l'Empire ; mais il n'en était pas de même du côté de la
Thrace, et c'est vers le Danube que Darius dirigea ses pas.
Les Perses ne se faisaient pas, comme d'ailleurs les Grecs, une
(1) Le roi Darius déclare : C'est ce (niej'ai rès »; et il ameuta la Médie. Un Sagartit-n
fait par la volonté d'Ormazd dans toute ma nommé Sithrakhmès, qui mentit et parla
vie ; puisque les pays étaient rebelles contre ainsi : <• Je suis roi en Sagarlie, étant de la
moi, je livrai dix-neuf batailles; par la grâce race de Cyaxarès »; il ameula la Sagarlie. L'n
d'Ormazd, je détruisis leurs armées et je pris Margien iiommé Phraadès (|ui mentit et parla
neuf rois : un mage nommé Gomalès, qui ainsi : « .le suis roi en Margiane •«; et il
mentit et parla ainsi : « Je suis Smerdis, le fils ameula la Margiane. Un Perse nommé Valiyaz-
de Cyrus »;ct il ameuta la Perse. Un Susien, dûtes, qui mentit et parla ainsi : « Je suis
nommé Athrina, qui mentit et parla ainsi : Smerdis, fils de Cyrus »; et il ameula la
« Je suis roi en Susiane »; et il ameula la Per.se. Un Arménien, nommé Arakha, qui
Susiane. Un Babylonien nommé Naililâbel, mentit et parla ainsi : « Je suis Nabuchodo-
qui mentit et parla ainsi : <■ Je suis Nabucho- nosor, le fils de Nabonide » ; et il ameuta
donosor, le fils de Nabonide »; et il ameula Ilabylone. (Texte de Darius à Bisoutoun,
Babylone. Un Perse nommé Martiya, qui men- table IV, § 2, Irad. J. Oppert, les Inscr. des
lit et parla ainsi : « Je suis Umanis, roi en Acliéinénides, 1851, p. 156.) Comme on en peut
Susiane »; il ameula la Susiane. Un Mède juger, les Perses ne se mettaient pas en frais
nommé Pbraortès, qui mentit et parla ainsi : lilléraires dans les textes qu'ils composaient
a Je suis Xalbrilcs de la race de Cyaxa- en vue de la postérité.
^22 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
idée nette de ce que sont ces immenses plaines de la Scythie.
Des ténèbres, pour eux, enveloppaient tout le nord ; et Darius
n'eût sûrement pas entrepris cette expédition s'il en eût connu
les difficultés ; mais pour lui, le Danube, les pyles caspiennes et
les steppes sogdiennes étaient frontières de la Scythie, qu'il pen-
sait beaucoup moins étendue qu'elle n'est en réalité.
Le succès ne couronna certes pas cette entreprise hardie. Per-
sonne ne sait jusqu'où s'avancèrent les Perses dans ces plaines
sans fin. Vaincu par le terrain, n'ayant jamais à faire qu'à des
fuyards, le roi des rois rentra en Asie, après avoir, en deux mois,
perdu la majeure partie de son armée.
Les Perses conservèrent les pays situés entre le Danube et le
Bosphore ; la Thrace, Lemnos, Imbros restèrent entre leurs
mains. Ils attachaient une grande importance à ces territoires, les
considérant comme la base future du mouvement qu'ils comp-
taient opérer contre la Grèce d'Europe, dont ils convoitaient la
richesse et le développement commercial.
Mais, quoi qu'ils pussent faire, leur prestige vis-à-vis des
Grecs s'était écroulé lors de leur retraite de Scythie; leur grand
nombre n'effrayait plus, parce qu'on avait reconnu leurs défauts,
leurs points faibles. En attaquant la Grèce après 1 expédition de
Lydie, les Perses l'eussent peut-être terrorisée et conquise ; après
la campagne du Danube, il était trop tard.
Si même ils n'avaient convoité la Grèce, les Perses eussent
été amenés à s'y présenter un jour en armes ; car de tous côtés
ils étaient sollicités par des partis opprimés, des dynastes
détrônés, des tyrans chassés ou menacés, des mécontents qui
tous cherchaient à faire intervenir l'étranger dans leurs affaires.
Les Grecs étaient non seulement des brouillons, mais fréquem-
ment aussi des traîtres à la patrie hellène. L'aristocratie de
Naxos, expulsée, implora l'assistance d'Aristagoras, tyran de
Milet, et par suite, celle du satrape de Sardes, Artaphrènes,
frère du Roi des Rois. Cette intrigue conduisit au grand soulè-
vement des Ioniens et des autres Grecs mécontents. Milet s'érigea
en république et Aristagoras, intrigant, ambitieux, finit par ame-
ner dans la querelle des peuples qui, comme les Athéniens, eus-
sent toujours dû rester dans une prudente expectative.
Les alliés marchèrent sur Sardes, brûlèrent la ville basse,
tout en ne pouvant s'emparer de la citadelle, où s'était réfugié
LA prépondérance: IUAMKNNE /i93
le frère du roi avec ses troupes. Coup de tète l)ien malheureux;
car, non seulement, il ne porta que des fruits amers, mais aussi,
en se retirant, les alliés furent défaits près d'I-^phèse.
Les villes de l'Hellespont, Byzance en tête, une grande partie
des Cariens, les Gergithes de la Troade, prescpie toute l'île de
Chypre se joignirent au soulèvement. Non seulement l'incendie
de Sardes avait mortellement blessé l'orgueil des Perses, mais le
soulèvement des Hellènes devenait pour leurs possessions de
l'Occident un réel péril ; il était temps pour eux d'agir.
^lilet prise et détruite, ses hommes déportés en Susiane, ses
femmes et ses enfants mis en venle comme esclaves, la flotte
grecque anéantie, l'Ionie reconquise et livrée au pillage des Phé-
niciens, la Thrace, l'Eubée replacées sous l'autorité de la
Perse, tels furent les résultats de la répression de Darius.
Et la Grèce entière serait tombée sous le joug oriental si, à
Marathon, les Athéniens n'avaient arrêté les progrès du Pioi des
Rois. Cette victoire était un grand succès matériel et moral, car
elle montrait aux Grecs la supériorité de leur valeur personnelle, de
leur tactique et de leur armement sur ceux des Asiates.
Pour les Perses, c'était la dernière des humiliations que de
voir les multitudes appelées de tous les pays de l'Asie succomber
devant une poignée d'hommes ; le })restige impérial était
entamé. Quelques années encore, et il ne restera plus de ces
expéditions formidables que l'expression d'une gigantesque fan-
faronnade.
Darius, malgré ses défauts, était un grand souverain. Il fut le
seul de sa lignée; car ses successeurs se montrèrent lâches, faibles
et indignes. Humilié par l'affaire de Marathon, le roi faisait d'im-
menses préparatifs pour se laver de cet aflront au moment où,
distrait par des révoltes en Chaldée et en Egypte, il dut pour
un temps ajourner ses projets sur la Grèce.
A l'habileté tactique, à la vaillance, à l'armement supérieur,
Darius comptait opposer la masse et noyer, sous un déluge
humain, cette poignée de citoyens qui avait osé se mesurer avec
lui. Mais le temps de la force brutale était fini; peu à peu, la
iruerre devenait une science et la Perse allait bientôt faire elle-
même l'expérience de ce que pouvait devenir, livrées à l'esprit
judicieux et méthodique des Hellènes, la stratégie et la tactique.
Xerxès, (ils de Darius, embrassant les projets de son père,
Zi2/i
LES PREMIERES CIVILISATIONS
établissant à Sardes son quartier général, fît venir de tout son
empire d'innombrables hordes, un matériel et des approvision-
nements énormes. La concentration s'opéra en Lydie, devenue un
vaste camp. Là, on vit affluer des peuples de toutes les parties de
l'Asie, parlant des langues incompréhensibles, portant des cos-
Notions géographiques des Hébreux vers le v s. av. J.-C.
tûmes et un armement bizarres, et au printemps de l'an ^|80, cette
multitude se mit en route pour gagner le Bosphore.
Le camp royal (1), avec ses bagages, son harem, ses esclaves
{l) Chez les Perse>;, comme chez les Assy-
riens, le roi n'élailpas, comme en Egypte, un
dieu. Ce n'est que plus lard, au.x temps Sassa-
iiides qu'il prit le titre de « Mincie lietri men
Yezdàn » (d'essence divine). Mais le souve-
rain Acliéménide recevait les hommages dus
en tout autre pays aux divinités. 1! était le
despote j)ar excellence, disposant de la vie et
de la niorl, du bonheur et du malheur, omni-
potent; son coslume, la robe médique (Xé.no-
PHO.N, CyropéJie, Vlll, 1, § 40), teint de pourpre,
était hrodé d'or, de |>erles Unes et de pierre-
ries enchâssées dans de l'or. Plutarque {Vie
d'Aiiaxerxès, § 21) estime à douze mille talents
(70.(HX).000 de francs) un costume royal. Col-
liers, bracelets, bijoux de toute nature or-
naient sa personne auguste. (Cf. .1. de Morga>,
Sépulture acliéménide, ds Méiii. de lu Déléij.
en l'erse, t. Vlll.) Il ne se munirait jamais en
public autrement qu'à cheval ou sur son char,
(Cf. llÉliACIlDE DE CUMES, Fiiujm. 1, ds MuL-
LER-DinoT, Fraym. Ilixloric. Grueconim, t. 11,
it5, sq.) accompagné de nombreux gardes el
serviteurs, passait la majeure partie de sa vie
dans son harem (Justin., I, 9) prenait seul ses
repas (lléraclide de Cumes, Muller-Didot,
Fragw. Hisl. Graecorum, t. 11, 'J6, sq.) et par
tous les moyens cherchait à faire croire à ses
sujets qu'il était un être supérieur à 1 huma-
nité vulgaire. Son titre, roi des rois (Khsâya-
Ihiya Khsâyatiyànâm) chah en chah, qui plus
tard sous les Sassanides devint Malka Malkàn,
indiquait que, supérieur aux rois, il n'avait
pas d'égal.
Le palais des rois Achéménides était une
ville entière où se pressait une multitude de
serviteurs, de gardes el de fonctionnaires; un
ndllier de bœufs, d'ânes (sic) el de cerfs était
LA PRÉPONDÉHANCK IHANIKNNK
/|25
des deux sexes, ses prêtres, ses devins, ses scribes, ses officiers
et ses serviteurs de tout genre, ses trésors, ses gardes, était à lui
seul plus noiubr(->u\ et plus encombrant (|u'un(' armée entière;
quant aux comballauts, au nombre d'un million (1), dit-on, ils
n'avaient entre eux aucune cohésion, aucune discipline, mar-
chaient par groupes, comme des troupeaux, chaque bande cor-
respondant à une nationalité. Tous ces gens étaient allâmes, car
les approvisionnements manquaient pour une telle masse. Douze
cents vaisseaux (2), recrutés sur loules le!« cotes, baltaicjit la
mer.
La flotte comme l'armée se trouvaient h l'étroit dans le champ
restreint où devaient se passer les opérations. A Salamine, les
(îrecs, par des prodiges de valeur, mirent en grand péril !a flotte
f)erse, au point que Xerxès s'étant retiré à Sardes, Mardonius
jugea prudent d'évacuer Athènes, le Pyrée, et d'aller hiverner
en Thessalie, A Platée l'armée perse fut vaincue, son général
tué ; à Mycale, les restes de la flotte asiatique furent anéantis.
Et le roi qui, confiant dans cette nuée humaine, avait assisté à
son propre désastre, lors de la bataille de Salamine, épouvanté,
éperdu, s'était lâchement enfui, ne comprenant rien aux causes de
sa défaite, incapable même d'en sentir la portée.
Les corps d'armée les mieux organisés se retirèrent en bon
ordre vers le Bosphore (3), pour rentrer en Asie ; quant aux
autres, désagrégés, ils tombèrent sous les coups des Thraces, qui
les exterminèrent au passage. La terre d'Europe recueillit les
journellement nécessaire pour nourrir ceUe
foule. (Héraclide de Cumes, Mlixer-Didot,
Frngm. Hisl. Graer., 1. H, p. itô sq.) Les femmes
étaient recluses dans 1' « Andéroun ». U n'y
avait qu'une seule reine, trois ou quatre
épouses légitimes choisies parmi les sœurs ou
les cousines du roi (Cf. .1. Darmstetter, le
Zend A:esla, t. I, p. 12 5, sq.) ou chez les si.v
familles princières de Perse. (Hérodote, lU,
LXX.XIV.)
(1) Hérodote, VU, clx.v.\iv-cl,\xxvi, l.Tœ.OCXi
fantassins et 80.0(X) cavaliers. Ailleurs (VII,
ccxxviii), il dit que 3.000.000 d'hommes ont
attaqué les Tliermopyles. Ctesias (Fray;?;., 2'.i.
^23, ds MuLi.EU-DmoT, Ctesine Cnidiifnujmenta.
p. 50), et Ephore avaient adopté le même chiffre
[Diodore de Sicile, X, 3). Isocrale (Archiddinus,
§99, vl Pniuititeniïïque, "„ 49, éd. Didol, pp. 87,
15»',) compte 7(X).(XKJ coiiihallarils sur 5.(XHt.(iU0
d'hoiiimes composant l'armée asiatique, (^ur-
tius (7//'.</. (/recque) accepte un million. G. Mas-
pero [Hisl. tinc. des peuples de l'Orient classique,
t. III, p. 717) réduit ce nomhre à 12U.0OO com-
battants. Cette dernière opinion semble être
la ])liis plausible, car il faut bien évaluer à
2m.(XHj le nombre des non combattants de.
cette armée; procurer la nourriture à 300 ou
350.000 bouches, à ces époques et dans ces
pays est déjà un tour de force. Sur ces
120.0(.Kj condiattanls bon nondjre dut être laissé
en arrière pour assurer la retraite, en sorte
que si ^.■j oii30.0(X)se présentèrent aux Tliermo-
pyles, c'est assurément un effectif énorme.
Mais il ne suffisait pas à la vanité des Grecs.
Léonidas avait sous ses ordres un corps de
10.(X)0 hoplites. (Hérodote, VII, clxxii-clxxiv.
Cf. A. lI.vuvETTE, Hérodote historien des guerres
mrdi(iues, ji. 340, sq.)
1,2) Eschyle, 7'er.<.,.339, 340, indique 1.20" vais-
seaux comme ayant i)ris part à la bataille de
Salamine.
(3) Ouar.'inte mille hommes environ sous la
conduite d'Artabaze et la protection de la ca-
valerie. -Mardonius, ajirès le départ du roi, ne
disposait que de W.OOO hommes, en sorte que
les Grecs ont siniçulièrement exagéré l'impor-
tance de leur victoire de Platée.
426 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
cadavres de ces malheureux qui, venus du fond de l'Asie au
pillage de la Grèce, ne devaient jamais revoir leur patrie.
La puissance perse était brisée, son prestige abattu (1). La
Thrace, les Iles, la Macédoine, recouvrèrent leur indépendance.
C'est sur la côte d'x\sie que, dès lors, se transporta la guerre.
Mais les Perses, n'osant plus attaquer en face de pareils adver-
saires, remplacèrent les armes par l'intrigue. Sur ce terrain,
malheureusement, ils reprenaient souvent l'avantage, car le Grec
était capable de toutes les trahisons. L'or des Perses fut, pour
les Hellènes, plus dangereux que les flèches.
Seul dans la Grèce, le Péloponèse était resté indemne du
cataclysme perse; mais toutes les colonies demeurèrent en dehors,
et celles d'Italie, de Sicile, de Cyrène, de la mer Noire, conti-
nuèrent sans interruption leur développement. En sorte que, si
les Hellènes avaient été vaincus à ^larathon, rien n'eût été perdu
pour le progrès humain. L'histoire de l'évolution de riiellénisme
en Sicile en est la preuve.
Cette servitude, d'ailleurs, eût été de courte durée ; car bien que
jeune encore, l'Empire ])erse était vermoulu et déjà se décompo-
sait. Si la victoire ne donna pas aux Grecs cette entité politique
qui leur eût permis d'exécuter de grandes choses, peut-être la
défaite leur aurait-elle fait comprendre la nécessité de s'unir.
Les succès des Hellènes n'aflranchirent pas définitivement les
eaux et les terres grecques. EJien des villes étaient encore
occupées par des garnisons perses; il fallut les prendre les unes
après les autres. Des escadres du Iloi des Piois battaient la mer,
on dut les poursuivre et les détruire. Ces vaisseaux étaient, pour
la plupart, montés par des Phéniciens ; les (^recs les traquèrent
avec rage, cherchant à leur rendre le mal qu'ils avaient reçu
d'eux ; ce fut un renouveau des haines séculaires.
Sous Artaxercès 1*"", la Bactriane se révolta; elle fut réduite. Puis
l'Egypte se souleva, soutenue par une flotte athénienne {1}; car
(1) C'eslce qui ressorldes récits que les Grecs qu'elles ne pouvaienl être avantageuses dans
nous ont laissés de ces événements, seuls leurs résultats, nièine les meilleurs. (Juanl à
comptes rendus d'ailleurs que nous en possé- être humiliés par Marathon ou Salamine, ils
dions. Mais il est permis de penser qu'ils ont ne le furent pas, les flatteurs de la Cour eu-
exagéré singulièrement les conséquences de rent vite fait d'elTacer le souvenir d'une
leurs victoires, et que les Orientaux n'y per- all'aire qui n avait pas tourné à l'avantage de
dirent pas en jireslige autant que veulent leur maître.
bien le dire leurs adversaires. L'empire des {ij Takhos était parvenu à mettre sur pied
Achéménides continua de dominer comme par une armée importante d'Égyptiens et de mer-
le passé; il évita d engager de nouvelles cenaires grecs et une Uotte de 200 voiles.
guerres avec la Grèce, parce qu'il considérait Trahi par Agésilas, il fut contraint d'aller im-
LA PUKl'ONDKRAXCi; IHAMHXNE
V27
Athènes pouisuivait sans merci les l^erses et les Phéniciens, ])ai-
tout où elle les pouvait rencontrer.
Enfin ce petit peuple de rAtti(|ue et le (liancl lloi s'accor-
dèrent pour signer une convention. Athènes s'interdisait d'en-
voyer ses \ aisseaux de guerre entre Chypre et l'Egypte, sur la
côte phénicienne ; tandis ((ue les Perses s'engageaient à en agir
Route suivie par l'expédition des Dix-Mille.
de même dans les eaux considérées comme grecques, c'est-à-dire
depuis l'île de Chypre jusqu'à la Thrace, la côte asiatique,
l'Hellespont et le Pont-Euxin. Ce traité, comme on le voit, était
tout à l'avantage des Hellènes.
A partir de /i24, jusqu'à la chute de l'Empire perse, la monar-
chie achéménide ne se maintint, au milieu des troubles, que par
la force acquise au temps de Cyrus et de Darius. Cet Etat sem-
blait à tous un tel colosse que personne n'osait l'atta(|uer. Toutefois
en réalité, la plupart des satrapies étaient devenues indépen-
dantes ; elles ])ayaient, il est vrai, le tribut, mais n'obéissaient
que fort mal à la cour. Quel(|ues-unes, voisines de la frontière,
plorcr If pardon (lu roi <1l's rois (:!5'.) av. .I.-C). fiu'il devail èlre le .Icrnit-r à porhi'. Vaincu
tandis que Neclaneijo, prodlanl de la fail)iesse par Darius Oclius (3i"2 av. J.-C.;, il se rcfuiiia
desPerses, s'emparait (le lacouronne d'Egypte en Ethiojjie.
428 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
plus menacées c[ue les autres, se réclamaient parfois du roi, afin
de se protéger, par son prestige, contre les dangers extérieurs.
A la cour de Perse on ne voyait plus aucun courage ; ce
n'étaient, à Suse, qu'intrigues de palais, assassinats, empoisonne-
ments, lâches supplices; mais à l'heure du danger, en présence de
Tennemi ou d'une révolte, le roi s'enfuyait. Cet état de décompo-
sition, l'expédition de Cyrus le Jeune (Z|05) et de ses dix-mille
mercenaires devait le divulguer aux Grecs. Une poignée
d'hommes traversa tout l'Empire, sans trouver de résistance. Les
Perses avaient remplacé leurs forces militaires d'antan par la
fourberie, la trahison, le manque à la foi donnée. Moralement,
cet Etat était aussi vermoulu que matériellement.
Au cours de ces luttes, le monde grec s'était formé définitive-
ment, réglementant les anciens usages, adoptant une forme gou-
vernementale, soit démocraticjue, soit autocratique, toujours
basée sur l'intérêt de la ville, du clan ; mais n'ayant aucune portée
générale touchant l'ensemble des Hellènes.
Chaque Etat grec, même régi par la démocratie, possédait une
puissante aristocratie, dont le poids était grand dans les affaires
publiques.
Cette noblesse était sacerdotale ; car le sacerdoce de chaque
divinité était réservé à certaines familles possédant ce culte,
comme bien propre, au moment où elles étaient entrées dans
l'Association formant l'Etat. C'est ainsi que, dans tous les milieux
grecs, fut constituée une aristocratie héréditaire, investie de pri-
vilèges inviolables.
Les prêtres, en tant que clergé, ne formaient pas une caste ; et,
nulle part, n'étaient étrangers aux droits et aux devoirs de la vie
civile ou militaire. Ils étaient des citoyens comme les autres;
mais leur influence particulière se traduisait, aux yeux du public
dans la vie civile, par leur connaissance de ce qui, de droit, reve-
nait aux dieux i^l), par ce fait qu'ils étaient en contact plus intime
avec la divinité que les autres mortels.
Le clergé, ou du moins les familles qui en tenaient lieu, sous
le prétexte de ménager les intérêts matériels du dieu, veillaient
aux leurs. Aucun morceau de terre appartenant au temple ne
pouvait être distrait ; aucune habitation laïque ne pouvait être
(1; E. Cuitnis, Ilisl. grecque. Tniil. Bouclié-Leclerq, 1883, I. II, p. 7.
LA PRÉPONDÉIUNCIC IMANIENNE /|29
construite, dans un voisinage du sanctuaire, qui eût pu porter
atteinte au respect dû à la divinité (1). Tout individu qui avait
trouvé asile sur le sol sacré devenait le protégé du dieu et des
prêtres, échappant ainsi au j)ouvoir civil ('2).
Mais en dehors du sacrifice et de la garde des biens divins,
les familles sacerdotales avaient un autre moyen, bien plus lucra-
tif et plus sur, d'exercer une induence considérable. Ce moyen,
c'était la divination sous toutes ses formes. Elle fut, en Grèce et à
Rome, poussée bien plus loin encore que chez les Chaldéens
passés maîtres, cependant, en cette supercherie, et que chez les
Égyptiens, dont les Indo-Européens la reçurent plus spéciale-
ment.
Il revenait à certaines familles sacerdotales d'expliquer la
volonté des dieux d'api-ès les phénomènes atmosphériques, le
vol des oiseaux, en un mot suivant les présages naturels ; tandis
qu'à d'autres appartenaient l'interprétation des sacrifices, l'élude
attentive des flammes, du corps des victimes, etc.. Enfin, les
dieux parlant par leurs oracles, se choisissaient eux-mêmes les
organes de leurs manifestations. Et pour mieux montrer que la
volonté divine n'avait rien à faire avec la sagesse ou la force
des intermédiaires, leurs instruments étaient de faibles femmes,
des jeunes filles ; tout comme aujourd'hui, en hypnotisme, les
meilleurs sujets sont les femmes, les jeunes filles faibles, mais
douées d'un nervosisme excessif.
Ces secrets se conservaient avec grand soin dans les familles,
et on le conçoit sans peine. Peu à peu, la croyance du public
s'éteignit et, à l'époque romaine, deux augures ne pouvaient plus
se regarder sans rire. N'est-il pas curieux de voir que les deux
plus grands peuples de l'Antiquité, nos maîtres en tant de choses,
accordèrent un tel crédit aux oracles, que de pareilles futilités
jouèrent un si grand rôle dans leur destinée politique?
Au début, le dieu faisait entendre sa voix alors seulement quil
lui semblait bon. Les prêtres laissaient attendre les fidèles, afin de
les pouvoir exploiter tout à leur aise, comme cela se pratique
encore de nos jours dans les lieux de pèlerinages musulmans et
autres, à la Mecque, à Kerbala et ailleurs. Plus tard, trouvant
(l)Pausan, IX, 2-2, 2. —Amm.,Uarc., XXVni, yrecque. Trad. fr., 1883, t. II, p. 8. — CeUe
9. coutume est encore en usage dans l'Orient où
(2) Cf. BoETTicuER, Andentungen iiber dus les mosquées, les tombeaux des saints,
Ileilige und Profane, 1846. — E. Curtius, Hisl. écuries royales sont des lieux d'asile.
/|30 LES PliEMIÈRES CIVILISATIONS
avantageux de rendre plus souvent les oracles, la divinité ne
s'absenta plus. Enfin, on créa des collèges pour administrer les
sanctuaires prophétiques; ce devint une véritable ex])loitation
commerciale de la parole divine.
Le plus important de ces sanctuaires fut, sans contredit, celui de
Delphes, qui joua un grand rôle, à tous points de vue, dans la vie
grecque. Son influence conserva une sorte de cohésion entre les
difterents peuples hellènes, et fut toujours d'un bon conseil pour
la nation. C'est à lui, entre autres, qu'est du le développement
physique de la race, grâce aux exercices du corps qu'il préco-
nisait.
Consulté sur chaque acte de la vie nationale, l'oracle encou-
ragea la colonisation, les entreprises commerciales ; Région,
Métaponte, Crotone et beaucoup d'autres villes se fondèrent sur
le conseil du dieu. C'étaient de nouveaux foyers qui s'établissaient
ainsi, centres de richesse dont, tôt ou tard, l'oracle devait avoir sa
bonne part.
Certes, l'Apollon de Delphes n'était pas seul, il y avait bien
d'autres oracles que lui ; mais leurs affaires étaient restreintes,
en comparaison de celles du grand sanctuaire hellène.
En j)eu de temps, les temples étaient devenus fort riches ; et
leurs prêtres, disposant de grands capitaux, dont ils savaient
apprécier le pouvoir, jouaient un rôle de plus en plus important.
Avides, mais dépensiers, superstitieux et imaginatifs, comme
tous les artistes, les Grecs donnaient volontiers à leurs dieux,
et les temples ne rendaient jamais. C'étaient des terres inalié-
nables, des lingots d'or (1) et d'argent, de bronze, des œuvres
d'art, des objets de prix; et journellement les prêtres voyaient
croître leur richesse par des offrandes, des dons, des dîmes, par
les revenus de leurs biens fonds, par les intérêts de leurs capi-
taux engagés dans les affaires.
Car les prêtres, ayant pour mission d'administrer les biens
religieux, plaçaient l'argent du dieu dans des entreprises com-
merciales ou industrielles, prêtaient sur gages, soutenaient des
expéditions pacifiques ou militaires. Les particuliers, les Etats
mêmes, faisaient dans les temples des dépôts, nul lieu n'étant
plus sur. Bijoux, titres, métaux, s'accumulaient ainsi dans les
(1) Hérodote, I, 14.
LA PRÉPONDÉRANCi: IHAMENNE
liU
cryptes du sanctuaire. Le temple de Delphes était véritablement
devenu la « Ikinque nationale grecque ».
Sans ses oracles, cependant, la Grèce n'eût jamais atteint une
pareille gloire ; car les divisions profondes qui séparaient les
divers peuples, les rendant ennemis irréconciliables, eussent
arrêté tout progrès, si d'un sommet élevé, indépendant des
petitesses locales, dominant toutes les querelles, n'était partie
une influence bienfaitrice.
Delphes voulait la richesse et la prospérité des Hellènes parce
que c'était vouloir son propre bien. Et, pour guider ce peuple
difficile, il fallait aux prêtres des connaissances profondes de
tout ce qui était alors.
Personne n'était d'ailleurs mieux j)lacé que les prêtres d'Apol-
lon pour tout apprendre. De chaque pays venaient des Hellènes,
apportant des connaissances nouvelles, des idées (1), des notions
étrangères sur la géographie, l'histoire, la politique internatio-
nale. C'est ainsi que le clergé fut à même de se tenir au courant
des moindres détails en toutes choses, que les idées philoso-
phiques et religieuses de l'Orient furent analysées, que le génie
hellène, ne retenant que les notions utiles ;2 , fut à même de les
(1) La doctrine de Zoroaslre et des mages
avait éveillé la curiosité des Grecs, dès leurs
premiers rapports avec la Perse. Aristote,
Hermippe et d'autres avaient composé sur le
Magisme des livres dont il ne reste que le
nom(DiOG. Laert, Proem, 1, 8. — Pline, //(.</.
nat., XXX, 1-2). Les historiens, depuis Héro-
dote jusqu'à Agathias, sur une étendue de dix
siècles (450 av. .I.-C. à 550 ap. J.-C.) nous ont
fourni une foule de renseignements directs et
indirects de liante valeur (Cf. Wi>disciim.\n>,
Zoroaslrisclie Sludien, p. 160 sq.), et le résumé
le plus clair et le plus fidèle de la doctrine
dualiste se trouve dans le traité d'isis et d'Osi-
ris, (|ui probablement ne fait que reproduire
Ihistorien des guerres de Philippe, Theo-
pompe (Cf. Il" liv. des Philippiques). Avec le
Néoplatonisme et le Mjsticisme éclectique
(rAlexandrie, le sens historique s'obscurcit
et Zoroastre et sa doctrine s'évaporent, sans
profit pour la science, dans l'éclectisme théo-
sophique du siècle. l'Cf. Klenker, Anhang.,
n, I, 17. — Clem. d'Alex., Slromnld, 1, xv.)
(J. Darmsteter, le 7.end-Avefilri,im'2. introd. L
]). VIII.)
(2) Les idées philosophiques trouvèrent en
Grèce un lerrain plus favorable que partout
ailleurs; le peu d'importance du clergé, le
manque de livres saints, permirent aux Hel-
lènes de se lancer dans des spéculations que
n'entravail point la religion. De Thaïes aux
sophistes (600 à 400 av. J.-C), ce fut le temps
de la méthode cosmologicjue. C'est l'ensemble
de l'univers qu'on voulut expliquer d'un terme.
La fantaisie se donna largement carrière en
une foule de systèmes aussitôt abandonnés
que créés.
Deux écoles sortirent de ce chaos: celle des
Ioniens dans laquelle lu philosophie devient
sensualisle, expérimentale : l'autre, celle des
Doriens plus réfléchie, plus rationnelle. Pylha-
gore semble avoir été son fondateur; l'école-
d'Elée (Xénophane) en développe les ])rinci-
pes, il affirme l'unité et l'éternité d'un être
supérieur, d'un dieu. De la multiplicité des
conceptions, de leur impossibilité de se fon-
dre en une seule s'imposant aux autres naquit
un dégoût qui enfanta le scepticisme. Socrate
ramena les eprils vers la raison, l'examen des
choses et de soi-même; il donna la méthode
et il se fonda encore une foule d'écoles; mais
toutes ou presque toutes restèrent attachées à
la méthode socratique. Celle de Platon devait
éclipser toutes les autres. Bien qu'imprégné
de l'esprit socratique, le platonisme est, par le
fond et par la forme, un système original. C'est
l'intuition de la vérité absolue, des notions
premières, éternelles et nécessaires, de l'idéal,
par une faculté qui pei'çoit naturellement
l'inTini, savoir la raison.
Aristole, i(uoi(|ue portant d'autres princi-
pes, le particulier, le réel et le sensible, créa
une doctrine se rapprochant par bien des
points de celle de Platon. Malgré les efforts
de ces deux colosses, la précision manquait,
le doute revint et avec lui le cynisme, le
^32
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
exploiter, qu'enfin l'écriture, venant de Phénicie, fut transformée
et appliquée à la langue grecque (1).
Elle servit d'abord pour les comptes, pour les dédicaces aux
dieux ci), pour les sentences morales,
i oIAÎ^ >I 4'^ '*°^*^ ^^^ listes des grands prêtres (3). Vers
le huitième siècle av. J.-C, on commença
à recueillir et à inscrire les noms des
magistrats des Etats et des villes, les listes
des vainqueurs aux jeux nationaux ('i).
Ce n'est que tardivement qu'elle entra
dans l'usage de la littérature.
Dans les arts, la poésie et la
politique, l'oracle de Delphes
joua un rôle très important;
c'est lui qui soutint le peuple
hellène dans les moments de
crise. Le pillage de son temple,
par les Peises, fut un de ces
Inscription boustropliédon de l'osselet crimes qu'une race ne pardonne
de Suse (6). jamais.
Pendant que TAttique vivait
sur les principes et régie par les lois qu'elle tenait de Solon,
rionie, en perj)étuel contact avec l'étianger, émettait des théories
philosophiques nouvelles pour le monde grec.
Depuis longtemps, ces idées fermentaient dans les iles et sur
les côtes d'x\sie, quand les Perses vinrent y écraser la civilisa-
tion ; et de même qu'alors les Ioniens s'en furent coloniser au
Inscription boustropliédon
de Théra (5).
stoïcisme. La pliilosopliie grecque avait fini
sa carrière; elle a légué ou monde l'enseiiilile
de la philosophie, traitée avec un génie (]ui
de longtemps ne sera pas dépassé : elle montra
la prodigieuse activité de cette mentalité hel-
lène, suhlime en mille choses et qui s'est tuée
elle-même par l'exagération de cette acti-
vité.
(1) Pour R. Dussaud (l'île de Chypre, ds
Reu. Ecole Anlhrop. Paris, 11(07), l'alphabet
phénicien ne serait qu'une lointaine filiale du
monde égéen. (A. J. Reiuach). (Cf. R. Dus-
saud, Journ. Asial., 1904, I, p. 357 et les Ara-
bes en Si/rie avant Flslam, 1907, p. 85), et non
une descendance du démolique égyptien. Cette
hypothèse, qui prend le contrepied de celle ad-
mise jusqu'ici, ne sendile pas appuyée sur des
liases bien silres.
(2) Hérodote, V, sq. — Osselet d'Arislagoras.
(3) Les asclépiades de Cos, les boutades
d'Athènes, les prêtresses de Héra, à Argosrè.
[Fni;ini. Ilist. Graer.. I, XXVII ; Tluicydlde, II,
i ; 1\'. VXi). Ces liïslfs Jious fournissent pour
la chronologie grec<|ue les points de repère
les plus anciens. (Cf. Nitzscii, Rôm. Anna-
lislik, p. 208.)
(4) Liste desolympioniques dans le gymnase
d'Olympie {Paùsun., VI, 6, 3 : 13, 6. — KmcH-
noFF, Arch. Zeiluny, 1878, p. 139).
(5) Cf. RoECKL, Mém. Acad. Berlin, 1836; Her-
MANN RoEHL, Inscr. (jr. Antiquillima\ lSf^-2, p. 2,
n° 12 a.
(Pr;Ço[vwp - ipyizxi - IIûo/.Xt);- KÀsaycipaç
(ospa'.S'Jî.)
(G) Cf. B. Haussoullier, Offrande à Apol-
lon Didymécn, dans Mém. délég. en Perse,
t. VII, 1905. p. 155, sq., pi. XXX. TâSe
TàyâÀiJLoiToc [à] r.ô Xci'o' ApiaTÔXoy o; ["/.«"i]
Opâatov àviÔetïav T[(i>-~ciXÀwvt SexaTr,v'
£/^a[Àx£j£ S'aùià TaixX^ç ô xu8tp.âvo[po
LA PRKPONDÉRAXCE IRANIENNE /i33
loin, de même la philosophie ionienne s'en alla créer de nouveaux
foyers. Elée, fondée par les Phocéens sur la mer Tyrrhénienne,
devint un centre philosophique du jour où s'y fixa Xénophane
de Golophon. ^'ers la même époque, Pythagore se transportait de
Samos à Crotone.
Ces deux philosophes diiïéraient d'opinion ; mais ils ouvraient
des voies nouvelles. Toutefois, ni le Nombre des pythagoriciens,
ni VElre des Eléates, ne parvinrent à faire comprendre le monde
phénoménal. Les Ioniens inventèrent le Devenir ; Empédocle
d'Agrigente adopta VElre éternel^ Leucippe supposa VAiome;
aucune de ces écoles ne donna satisfaction, et les Eléates en
arrivèrent à dire : « // ni] a absolument rien, el s'il y a quel(/ue
chose, cela esl inconnaissable. » Les germes du scepticisme
étaient semés.
Quelle révolution dans le monde que cette liberté de pensée,
d'examen des questions vitales de la Nature ! Jusqu'alors, ces
éléments, à peine envisagés, avaient été du domaine surnaturel
dans tous les pays ; et voilà que cet antique édifice menaçait
de s'écrouler, entraînant dans sa ruine, en même temps que les
convictions plus ou moins sincères, l'état social tout entier.
En d'autres temps, les principes du Christianisme, prêches
dans le monde romain, semblèrent un véritable crime de lèse-
nation. Ne venait-on pas proclamer V égalité des hommes dans une
société vivant de l'esclavage, des castes, des distinctions entre
homme et homme ! Les persécutions n'eurent d'autre but que
d'étoulTer des idées considérées alors comme dangereuses pour
la société et pour l'Etat.
Ce ne fut pas sans déplaisir qu'Athènes vitapparaître les concep-
tions nouvelles qui, mettant en discussion les croyances antiques,
les traditions, les principes reçus des ancêtres, empoisonnaient les
mœurs. L'Ionie, d'ailleurs, foyer de ces idées subversives, était
déjà mal vue de l'Attique, par suite de la légèreté de ses mœurs.
11 se forma deux partis à Athènes, celui des vieilles croyances
et celui des idées nouvelles; c'est à ce dernier qu'appartenait
Périclès. Les longues discordes qui avaient troublé sa patrie
depuis les guerres médiques, l'attitude des conservateurs,
furent les causes qui portèrent Périclès au pouvoir. Il n'y
demeura qu'une quinzaine d'années, mais ces quinze ans suffirent
pour que le siècle prit son nom.
28
434
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
La prospérité de tonte la Grèce atteignit alors son apogée.
Athènes tenait la tète du mouvement, aussi bien au point de vue
politique qu'à celui de l'intelligence ; capitale d'un petit territoire
de TAttique, elle venait de passer au rang de chef-lieu du gou-
vernement fédéral des villes maritimes.
Les arts (l) et les industries prirent à cette époque un essor
inconnu jusqu'alors (2). Les étrangers affluaient, apportant cha-
cun leurs connaissances, leur métier. Athènes allait devenir,
comme autrefois Thèbes et Memphis, comme Rome quelques
siècles plus tard, la proie de l'étranger; l'affluence exotique la
conduisait lentement vers la dégénérescence.
Périclès comprit le danger ; il remit en vigueur une vieille loi
tombée en désuétude et par laquelle « ceux-là seuls pouvaient
prétendre au droit de cité qui étaient, par leur père et leur mère,
enfants de l'Attique » (3).
Cette décision de Périclès fut un trait de génie qui sauva sa
patrie.
Athènes vivait alors de ses colonies (4^ de son commerce ma-
ritime et de ses mines du Laurium, bien plus que de son terri-
(1) {Macrobe, V, 21, 10 ; Hérodote, V, 88.) En
llalie, les poteries altiqiies avaient déjà pé-
nétré vers le milieu ilu cinquième siècle jus-
que dans la région du Po, comme l'ont mon-
tré les fouilles d'Atria. Elles s'exportaient
d'un a\itrp côté jusque chez les Ethiopiens.
{Scylax, m, Cf. H. Blu.m.ner. Gewerbliche Tha-
liykeil, p. 66. — E. Curtius, Hisl. grecque. Trad.
fr., 1883, t. II, p. 552, note 1.)
(2) La sculpture grecque est généralement
divisée comme suit : 1" période iirimilive,
depuis les origines légendaires (tout au plus
le X" s.), jusqu'au septième siècle ; 2% les
maîtres primitifs depuis la fin du septième
siècle jusqu'à 540 av. J.-C. (LX* olymp.) ;
3% l'archaïsme, de 540 à 460 av. .I.-C. (LXXX"
olvmp.) ; 4% de 460 à 396 (XCVl- olym.) la
grande époque; enfin, 5% de 396 au temps
d'Alexandre (CXX» olymp., 292 av. J.-C). Dès
lors, l'art grec entre dans son déclin ; 6% de
292 à la conquête romaine (146 av. J.-C).
L'art du fondeur ne se développe que très tar-
divement. Les plus anciennes statues de
bronze étaient faites de pièces rapportées
(tête de Zeus d'Olympie). L'art du fondeur
n'existait donc pas encore dans le monde hel-
lénique au septième siècle av. J.-C ; ou du
moins, il était tellement rudimentaire que les
fondeurs n'osaient pas attaquer des sujets
d'imi)or(ance. Suse, huit cents ans auparavant,
avait déjà fondu des pièces de gros volume
et avec une perfection qu'aujourd'hui même
aos industries ne sauraient guère surpasser.
(3) La loi de Périclès ne pouvait être appli-
quée immédiatement avec une rigueur in-
exorable. Mais le principe fut rétabli ; et
comme alors en une année de grande cherté
(445-4, LXXXIIl* olymp.), il arriva d'Egypte un
présent de 40.CKK;) boisseaux de blé pour être
distribués entre les citoyens, ceu.x-ci, par
égo'isme, saisirent l'occasion d'appuyer l'exé-
cution formelle de la loi. Le nombre de ceux
qui profilèrent de cet envoi dépassa 14.1300,
celui des exclus monta à 4.760. (Cf. E. Cur-
tius, Trad. fr., 1883, t. II, p. 551.)
(4) Voici quelques exemples des taxes aux-
quelles étaient soumises les villes sous la
dépendance d'Athènes. Abydos payait 4 ta-
lents, Lamsaque 12, Perinthe 10, Selymbria 5,
Chalcédoine 9, Byzance 15, Rhodes (sans ses
possessions continentales) 18, et plus tard
Lindos 15, Paros (à cause de ses marbres) de
16 à 30 talents, Tbasos (riche en mines) 30,
Eginc (()ue la politi(|ue athénienne voulait
ruiner) 30, Cos 5, Milet, Leros, Tichioussia et
quelques autres villes 10; CoIophon3, Phocée
3, Ephèse de 6 à 7 et demi ; Naxos 6 talents,
4.000 drachmes, Andros de 12 à 15 ; Cylhmos
3 ; les villes d'Eubée (après la pri.se de Chal-
cis) 33 talents. On sait que la valeur moyenne
du talent était de 8.135 francs de notre mon-
naie, et que la monnaie courante était le
letradrachme atlique (Av. tète de Minerve,
Rv. Chouette d'Athènes), dont la valeur était
de 5 fr. 40 de notre monnaie. (Cf. E. Curtius,
Hisl. <jrecque. Trad. fr., p. 530 sq. — In, Bei-
Iraqe zur Gesch. und Topogr. v. Kleinasien, 1872,-
p. 21.)
/|36 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
toire, trop exigu pour ses besoins. La question capitale pour son
gouvernement était celle des blés, car il fallait donner à la ville
le pain à bon compte. Les règlements les plus sévères furent
institués pour protéger l'importation des céréales.
Athènes était devenue l'un des plus grands marchés de l'Orient
méditerranéen : toutes les denrées, tous les produits étrangers se
trouvaient au Pyrée, des esclaves de toutes races, les poissons et
les peaux de la mer Noire, les bois de construction de la Thrace,
les fruits de FEubée, les raisins de Rhodes, les vins des Iles, les
tapis de Milet, les métaux de Chypre et de ses propres mines,
l'encens de Syrie, les dattes de Phénicie (1), le papyrus
d'Egypte, etc. (2).
La monnaie en cours était le tétradrachme d'argent à l'ancien
type d'Athènes. Il existait bien, il est vrai, de l'or monnayé; mais
ce numéraire était rare et peu courant. Les commerçants préfé-
raient, tout comme les Orientaux de nos jours, l'argent à Tor.
Inventé par l'Asie Mineure, le monnayage des métaux précieux
avait été rapidement adopté par tous les États, grands et petits.
Toutes les villes de Grèce, de Phénicie, les satrapies perses, la
cour achéménide elle-même émettaient du numéraire; mais il
n'était pas estimé au prix de celui d'Athènes, qui se répandit dans
tout l'Orient et longtemps fut en usage. Plus tard, on le remplaça
par le tétradrachme d'Alexandre le Grand, dont le cours fut encore
plus étendu (3).
A la prospérité politique et commerciale correspondait un
essor intellectuel plus complet que ce qui s'était jamais vu (/i). En
sculpture, en architecture, la Grèce atteignait alors des sommets
(1) L'apparition, dans la Palestine méridio- tion; le détail dans les ornements, si courant
nale, de la peinture cérami<|ue grecque à su- dans les arts extrême-orientaux, dans le
jets noirs sur fond rouge, eut lieu au cinquième byzantin, n'entrait que pour la proportion
siècle avant lère commune. (H. Vincent, juste nécessaire dans le sentiment artistique
Canaan, 1907, p. 14.) chez les Gréco-romains. Le goût existait aussi
(2) E.'cuRTius, Hisl. grecque, 1883, l. II. Trad. bien chez l'homme riche et instruit que chez
fr., p. 556. l'ignorant et pauvre et le vase d'argile en
(3) C'est ainsi que le thalari de Mar ie- usage dans les foyers modestes était auss
Thérèse d'Autriche a encore cours dans une beau par .ses lignes que les cratères d'or des
partie de rAfricjue Orientale, et que la Chine puissants. Cette aptitude de tout un peuple,
préfère la piastre mexicaine à toute autre nous la retrouvons plus anciennement en
monnaie. Egypte, avec des conceptions différentes du
(4) Ce qui caractérise le goût romain et plus beau. De nos jours, malgré les encourage-
encore celui des Grecs, c'est le besoin inné menls donnés par les Etals aux arts, le senti-
chez ces peuples de faire en tout œuvre d'ar- ment de l'esthétique est l'apanage des clas-
tiste. Il n'était pas un artisan qui ne cherchât ses instruites. 11 n'est pas inné chez les peu-
à donner au produit de son travail un aspect pies modernes; la richesse ne le donne pas.
agréable à l'esprit et aux yeux. Le moindre L'utilitarisme est au vingtième siècle le but
ustensile de cuisine, par exemple, le moindre presque unique de la grande majorité dans
des objets usuels était gracieux, souvent même tous les pays.
beau, par ses lignes et par son ornementa-
LA PRÉPONDÉRANCE IRANIENNE 437
qui n'ont pas été dépassés (1) ; l'histoire naissait avec Cadmos de
Milet, Acusilaos d'Argos, Ilécatée et enfin [lérodote. C'était l'his-
toire anecdoticjue dont les vues et les procédés se sont conservés
jusqu'à nos jours. 11 appartenait aux temps modernes de se placer
au-dessus des anecdotes et d'envisager, dans l'histoire, les eflets
et les causes.
Celte paix, due à la suprématie d'Athènes, ne fut pas de longue
durée; Gorinthe, la ligue péloponésienne, les guerres qui se sui-
virent, d'insignifiantes querelles, amenèrent le déclin de l'Attique
et, en même temps, celui de toute la Grèce. L'hégémonie passa
aux mains des Spartiates, Thèbes prit une situation importante ;
les jalousies et les haines régnèrent en maîtresses dans l'Hellade
et, avec elles, les procédés les plus honteux. Les Lacédémoniens,
en effet, ne rougirent pas d'appeler les Perses contre Athènes.
La Grèce n'était occupée que de disputes et de philosophie, on
analysait tout, on discutait tout, jusqu'aux choses les plus essen-
tielles de la vie nationale: c'était le déchaînement de l'égoïsme.
« Aucune constitution, et la constitution républicaine moins
que toute autre, ne pouvait longtemps subsister ; car, dès que le
juste et l'injuste, l'honneur et la honte, la vertu et le vice, tout
enfin n'est plus qu'une chose relative, qu'il apparaît à l'un de
telle façon, à l'autre de telle autre, un pareil état d'esprit mène
fatalement à la décomposition de toute société (2). »
Socrate, sentant le péril imminent pour sa patrie, voulut
réagir ; et ce qu'il demandait n'était certes pas nouveau pour les
Hellènes, car on le lisait inscrit en lettres d'or sur le fronton du
temple de Delphes ; « Connais-toi toi-même. » Socrate était un
patriote, cherchant la rénovation morale de ses concitoyens ; il
mourut victime de ses sentiments de juste humanité, de son
nationalisme.
Le siècle de Périclès, le grand siècle, voit apparaître, pour la
première fois, des hommes faisant non plus la gloire d'un peuple,
(1) Il ne nous est malheureusement rien culanum étaient de simples décors muraux
resté de la peinture antique ; seules les fres- n'ayant aucune prélention à la f^rande œuvre;
ques romaines de Pompéi, d'Herculanum et aussi ne faudrait-il pas les considérer comme
de Rome sont parvenues jusqu'à nous, ' de types de la i)einture des maîtres dans l'école
même que la fresque dite Aldobrandini, du romaine. L'école romaine elle-même n'était
Vatican. Ces quelques restes ne font (ju'ac- <]u'un pâle rellel de celles de Grèce, et en .
croître nos regrets de ne rien connaître de particulier de celle d'Athènes dont nous con-
Polyf^note, d'Apelle,de Zeuxis, de Parrhasios, naissons sur les vases (Lekylhos; le merveil-
et de celle pléiade de maîtres dont les an- leux dessin.
ciens vantaient le talent à l'égal de celui des (2) E.CvRtws, Hisl. grecque, Trad. fr., t. IV,
sculpteurs. Les fresques de Pompéi el d'Her- p. 123.
Zi38 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
d'une cité ; mais appartenant à celle du monde. Périclès lui-
même, Phydias, Socrate, et tant d'autres de cette époque, font
honneur au genre humain tout entier.
Pendant que la Grèce rayonnait de toute la splendeur de sa
civilisation, un autre empire hellène, celui de l'Occident, brillait,
lui aussi, d'un vif éclat; mais la Grèce occidentale était, comme sa
mère-patrie, divisée, affaiblie par les haines, les rancunes, les
jalousies. De perpétuelles luttes entre villes venaient sans cesse
entraver le progrès. En Orient, les Perses semaient la discorde
dans le monde grec ; en Occident, c'était Cartilage qui, surveillant
avec un soin jaloux les moindres fautes de la Sicile, ne laissait
pas que d'en profiter et d'affaiblir, par tous les moyens, ces étran-
gers venus en intrus dans des parages qu'elle considérait comme
son domaine.
En Italie, la colonisation, commencée à lapygia, s'était rapide-
ment continuée au long de toute la côte, depuis la pointe extrême
de la péninsule jusqu'à la Campanie. Tarente, Métapoiite, Syba-
ris, Thurium, Crotone, Rhegium située en face de Zanclé en
Sicile, Eléa, Posidonia (Paestum), Naples, Cyniea (Cumes) étaient
les principaux établissements grecs d'Italie.
En Sicile, les colonies hellènes occupèrent la côte orientale et
TTiéridionale de l'ile ; les principales furent Syracuse, Mégare,
Hyblaea, Gela, Camarina, Agrigente, Sélinonte, Léontini,
Catane, Zanclé, Himera, etc.
L'histoire de la Sicile est celle de toutes ces villes qui, dispu-
tant leur indépendance à leurs voisins grecs ou carthaginois,
luttant sur mer contre les Tyrrhéniens, dans l'intérieur de l'île
contre les anciennes races sicules, passèrent fréquemment de la
puissance à la déchéance, d'une domination à une autre.
Syracuse sut triompher de ses voisins d'Afrique et étendre sa
domination sur toute la partie orientale de l'ile. Riche et respectée,
gouvernée par des tyrans amis des lettres et des arts, elle
connut une splendeur bien comparable à celle d'Athènes; l'élo-
quence, les études historiques reçurent, de la part des maîtres,
une impulsion très grande. On construisit partout de superbes
édifices ; Syracuse devint une immense cité. En /i66, elle chassa
les tyrans pour vivre en démocratie ; une constitution fédérale
s'établit alors en Sicile.
Si la Grèce occidentale avait connu, en Sicile, une unité sous
LA i'iu':poM)i;uANCi-: iuanienne
/i3y
l'hégémonie de Syracuse, il n'en fut pas de même pour l'Italie, où
Tantagonisme entre villes d'origine achéenne, doriennc ou
ionienne, demeura faiouche. L'histoire de ces colonies, pour un
temps si florissantes et si riches, n'est qu'une succession de
guerres de ville à ville, do |)illages et de ruines.
La Sicile gréco-punique.
Sybaris, Crotone, Métaponte, les Achéennes, furent d'abord les
cités les plus prospères et les plus puissantes. Elles cherchèrent à
s'emparer de tout le Sud de l'Italie. Siris, d'origine dorienne, fut
détruite {580 av. J.-C), puis Crotone et Sybaris entrèrent en lutte
et Sybaris fut entièrement ruinée (510). Crotone elle-même s'étei-
gnit dans l'anarchie. En sorte qu'au temps des guerres médi-
ques il ne restait plus rien de la puissance achéenne dans la
Grande-Grèce.
Tarente devint alors la ville importante de l'Italie méridionale.
Thurium, soutenue par Athènes, eut aussi son temps d'éclat.
Mais la haine de Corinthe poussait les Athéniens vers ses colo-
nies de Sicile. En attaquant Léontini, ville ionienne, les Syracu-
sains lui donnèrent prétexte d'intervenir (427). Des flottes et un
important corps d'armée furent envoyés du Pyrée; la guerre dura
ii/,0 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
(le longues années et, à plusieurs reprises, Syracuse fut à deux
doigts de sa perte. Mais cette campagne devait se terminer pour
Athènes par un désastre (/il3). Son armée fut anéantie, six à sept
mille de ses citoyens épargnés dans le massacre des gorges
d'Acrae et des bords de l'Asinaros devinrent esclaves. Les géné-
raux furent mis à mort.
Quant aux villes siciliennes, l'issue de la guerre ne leur fut pas
heureuse. Les vieilles discordes de ville à ville se réveillèrent;
Écriture punique (1).
et les Egestains, livrés sans défense à Syracuse par Teirondre-
ment de la puissance athénienne, appelèrent les Carthaginois (/i09).
Hannibal, petit-fils d'ilamilcar, vint en Sicile et bientôt Séli-
nonte, Himera, Agrigente ne furent plus que monceaux de
ruines.
Ainsi, partout le monde hellène se déchirait à belles dents ; les
sentiments théoriques élevés, les rêves des rhéteurs et des philo-
sophes, n'avaient été d'aucune influence sur les haines séculaires
des Grecs entre eux. Les temps qui succédèrent aux guerres
médiques et qui précédèrent l'accession d'Alexandre ne virent
que troubles, querelles, trahisons, bassesses, égoïsme des villes et
des hommes. On se demande comment il se peut faire que les
arts, les sciences et les lettres aient pu devenir si florissants dans
un milieu aussi troublé, comment des peuples si vindicatifs et
cruels furent aptes à émettre des théories humanitaires et égali-
taires aussi élevées.
La conduite des Hellènes fut toujours en contraste avec les
principes qu'ils affichèrent avec tant d'éclat: leur vie privée
comme leur vie publique en montre mille exemples. Fut-il, entre
autres, un régime politique plus éloigné de la forme républicaine
que la démocratie hellène ?
Mais entre la mentalité de ces peuples et celle des Orientaux
vermoulus, quelle difterence! Malgré leurs défauts, malgré leur
impuissance politique, les Grecs commençaient à diriger le monde.
(1) Cf. Corpus In.fcr, sémil., l" partie, n* 176. « Vœu fait par ton serviteur Melekjaton le
Suffêle, fils de Maherbaal le Suffète. »
LA PRKPONDÉRANCI-: IRANIENNE /,/|l
Les Perses avaient rêvé l'Empire universel ; leurs forces se
brisèrent devant une civilisation supérieure à la leur. S'ils avaient
vaincu la Grèce, il n'en serait résulté qu'un accroissement insi-
gnifiant de leur domaine, car, au delà, se présentaient de nou-
velles terres à conquérir. La INIéditerranée tout onlière, plus
civilisée déjà que l'Orient, était pour les ambitions impériales
une proie vraiment désirable, et les Aclièniénides y avaient
songé puisqu'ils entrèrent en relations avec Carthage ; mais c'eus-
sent été ensuite les peuples du Nord et du Centre de l'Europe,
qu'il eût fallu conquérii', tribus barbares à peine améliorées par
quelque peu d'influence grecque ou phénicienne, fermement
attachées à leur indépendance.
Darius avait fait l'expérience des Scythes ; son fils et lui-même,
celle des Grecs; ces deux guerres eussent du suffire pour étein-
dre chez les Orientaux les ambitions impériales. Ce n'était pas
aux royaumes vermoulus qu'il était réservé de commander à toute
la terre; leurs rois avaient dans les veines trop de sang asiatique,
dans la tête trop de cette ancienne mentalité inapte aux concep-
tions générales (1).
C'est vers 600 av. J.-C. que les Phocéens fondèrent, sur la côte
de Ligurie, la ville de Marseille. Déjà les autres points avan-
tageux avaient été occupés, ils n'eurent donc pas le choix.
Lorsque les Phocéens apparurent dans l'Occident de la Médi-
terranée (2), vers la fin du septième siècle, ces mers étaient par-
courues par des vaisseaux appartenant à trois ou quatre marines,
dont les ports d'attache se trouvaient sur les côtes voisines.
C'étaient les Ligures, en Provence, vers Gênes, dans les
Baléares, sur les côtes d'Espagne ; les Étrusques dont les flottes
étaient maîtresses dans la mer Tyrrhénienne (3) ; les Tartes-
siens (4) (du royaume de Cadix) occupant les portes d'Hercule et les
côtes voisines, tant en Afrique qu'en Europe. Enfin, les Cartha-
ginois qui, n'osant guère s'aventurer en vue des côtes d'Italie, se
(1) Il est curieux de rapprocher des textes Cf. Menant, Ann. a.tsyr., p. 221) ou « Par la
assyriens ceux des Perses achôinénides, en volonté d'Assour, mon seigneur, j'ai » etc..
ce qui concerne le rôle de la divinité dans les (Assourbanipal).
expéditions militaires. Le Perse dit :•< Ormazd (2) C'est à cette époque que le pharaon
m'accorda son secours ; par la grâce d'Or- Necho fil exécuter le périple de l'Afrique
mazd, mon armée tua beaucoup de monde de (Hérodole. IV, 42).
l'ennemi. » (.1. Oppeut, les Inscripl. des Aché- (3) Tile-Live, I, 23, 8; V. 33, 7 ; Velleius, I, 7;
ménides, 1851, p. 121. Inscr. de Darius I, à Cf. Muller et Deecke, Die Elrusker, I, 1877,
Bisoutoun) ; l'Assyrien disait : « .le me suis p. 16(), sq.
recommandé à Assour, mon seigneur, et j'ai (4) Avienus. 462-463, 22^, 2^.
marché vers le pays d'Elam. » (Sennacherib,
/4/i2
LES PREMIÈRES CIMLISATIOXS
montraient sur celles d'Espagne (1), de Sardaigne (2) et aux
Baléares 8).
Après avoir visité le royaume de Tartessus /i sans s'y fixer (5)
fait escale sur le Tibre où Tarquin l'Ancien les reçut en hôtes (6),
les Phocéens s'arrêtèrent enfin dans la baie de Marseille (7).
Protégée par ses îles, apte à la formation d'un centre commercial
important 8\ ]Marseille formait la tète de ligne des voies qui,
remontant le Pihône, conduisaient en Suisse, en Belgique et
dans l'Allemagne du Nord, de celles qui, par Carcassonne et Tou-
louse, permettaient de gagner les plages de l'Océan (9.
La nouvelle colonie se développa rapidement. Les Perses
venaient d'asservir Phocée, la mère-patrie; ce fut pour Marseille
et Alalia, en Corse, l'occasion de recevoir d'importants renforts.
Mais les Etrusques et les Carthaginois ne pouvaient voir que
dun très mauvais œil cette puissance maritime qui grandissait
dans leurs propres mers. Ils s'unirent (10) et l'écrasèrent (11). De
tous les comptoirs phocéens de l'Occident, il ne resta plus que
^Marseille isolée, sans mère-patrie; mais qui, renonçant à la supré-
matie maritime, lança ses commerçants vers les pays neufs de l'in-
térieur, et commença déjouer un rôle très important dans la Gaule
méridionale (12 .
Pendant que les Phocéens tentaient vainement de s'emparer de
la thalassocratie dans la [Méditerranée occidentale c'était alors le
(1) Tyr, (]ui avait fondé des comptoirs sur
les côtes espagnoles, semljle les avoir aban-
donnés au huitième siècle, lors des difficultés
que lui causa l'Assyrie. Cf. C. Julli.\n, llisl.
Gaule, t. I. 1908. p. 197. note 4.
f2) Diodore de Sicile, V, 15. 4.
(?î) Vers t)54, Carihage semble s'être installée
aux îles Baléares, d'ap. Tiniée (Diodore, V, ttî, .S).
(4) Le royaume de Cadix était alors extrê-
mement florissant et riche (Hérodote. IV, l.-)2)
Stésichore (ap. Strabon, III, 2, 11; Jw<tii}. xi.iv.
1:4, 14, etc.) remontant à une anti(|Milé de
six mille ans. prétend-on f./u.s///?, xliv, 4; S^viô.
III, 1, 6: Miicrobe. I. 20, 12;.
(.i; Enire 6C0 et 601 ? Cette date est calculée
ai)proxiniativement d'après l'avènement d'Ar-
ganlhonios qui aurait régné ((ualre-vingts ans
et serait mort au plus tard en 540 (Hérodote,
I. 163 et 165), C. Juli.ian. Hixl. Gaule, l. I, 1908,
p. 199, note 4.
(6; Juxtin, XLIII, 3, 4: Cf. C. .Iullian, Hist.
Gaule, 1908, t. I, p. 200 et note 2.
(7) Vers 600 av. J.-C. (Arislote, ap. Athénée,
XIII, 36, p. 576; Trogue Pomi)ée, ap. Justin,
XLIII, 3; .S/r<if-.. IV, i. 4) ; — Plutaroie, So-
lon, 2. Cf. pour le récit traditionnel de la fon-
dation de Marseille, C. Jii.lian, Hixt. Gaule,
1908, t. I, p. 201.
(8) Les archéologues ne s'accordent pas au
sujet de l'emplacement exact de la ville pho-
céenne ; les uns (Bayle, 1838; Verdillon, 1866;
Rouby, 1873; StofTel, 1887, etc.) pensent qu'elle
occupait la hutte des Carmes, les autres
(Albanès, Clerc), supposent qu'elle se trouvait
à la butte de Saint-Laurent.
(<)) Cf. C. JuLLiAN, Hist. de la Gaule, 1908,
p. 63, VII. Croisement en Gaule des voies eu-
ropéennes, p. 65. VIII. La Gaule, intermédiaire
entre le Nord et le Sud.
(10) Le traité de 509 entre Rome et Car-
ihage est peut-être relatif à ces événements
(Polybe, IlL 22).
(11) En 5.35, Cf. Hérodote, I,6G; Strab., VI,
1-1: Aulu Celle. X, 16, 4.
(12) Les Phocéens de Marseille fréquen-
taient tous les marchés des côtes depuis
Gênes jusqu'à la Catalogne et plus spéciale-
ment celui de P> réné{Port-Vendres) (AL'ienus,
558, sq. ; Hérodote. II, .38). Dans l'intérieur, ils
avaient installé des comptoirs; le plus floris-
sant fut celui d'Arles {Avienu.^, 689), au pas-
sage du Rhône et au port des bateaux qui
descendaient et remontaient ce fleuve. Ils
avaient occupé Monaco (Hécatée, ap. Stepli,
Byz.).
LA PRÉPONDÉRANCK IRANIENNE
.Wi
temps où Cyrus régnait sur les Perses), pendant (jue Marseille
répandait peu à peu son influence bienfaisante chez les popu-
lations Ligures (1), les peuples du Nord de l'Europe s'agitaient.
Les Celles (2) habitaient alors les plaines basses de l'Alle-
magne septentrionale, les îles sur les côtes de la Frise (3), et la
presqu'île danoise, sol bas et marécageux, où les hasards des
migrations les avaient conduits quand, venant d'Orient au travers
des plaines de la Russie centrale et de la Pologne, ils avaient été
poussés vers la mer du Nord par les flots humains qui les
suivaient.
Les Celtes étaient des Aryens (ù) prochement apparentés aux
■Gaulois (|ui les joignirent plus tard (5) et dont vraisemblable-
ment ils n'étaient ({u'un rameau; plus éloignés des Germains (6),
(1) Un des premiers soins des Plioct'eiis
fui d'importer en Gaule Tusage de la mmi-
Tiiiie, base de toutes les trausaclions coiiiiiht-
■ciales. Les plus anciens coins furent au lype
de Pliocée; c'étaient de petites monnaies d'ar-
:gent (obole, 0 gr. 55 à 0 gr. 57) qui bientôt
furent usitées et imitées dans tout le sud de
la Gaule. (Cf. Blaxcard et Lauoier, Icon. des
mon. du Trésor d'Auriol, Marseille, 1872: —
Lauoier, les Monnaies Mnssdlioles du cabinet
des médailles de Marseille, 1887; — Blanciiet,
Traité des Monnaies gauloises, 1905, p. 'iH], sq.).
(2) Le nom de Celtes était au début inconnu
•des Romains et la première indication qu'ils
nous fournissent au sujet des Gaulois remonte
au sixième siècle avant J.-C. (Tarquin l'An-
cien). Hérodote (IV', .xi.iv) dit que l'Ister (Da-
nube) prend sa source au pays des Celtes
^Ke^-toi). César assimile les Celles au.\ Gau-
lois. Diodore de Sicile (V, xii) les distingue
«omme babilant au-dessus de Marseille près
des Alpes et en deçà des Pyrénées. Ceux situés
au-dessus sont les Gaulois {Id. Slrabon, IV, i).
Fauvelle (l'Homme, 1885, p. 395, sq.) est d'avis
qu'il n'y a pas lieu de sé[)arer ces deux peuples
bien qu'ils eussent parlé deux dialectes spé-
ciaux. (Cf. Si'LPicE SÉVÈRE, Dialogue: VLPiKy,
Dig., XXXII.) Les Celles semblent n'avoir été
qu'une brandie de la famille gaëli(iue. Slrabon
(IV, i) dit que les A(|uilains étaient de son
temjjs beaucoup plus rapprochés par leur
idiome, comme par leurs traits, des Ibères (|ue
.des Gaulois. Les Belges (César) issus de Ger-
manie étaient les premiers avant-coureurs de
l'invasion germani(]ue qui devait se pour-
suivre jiar les Cimbres et les Teutons, et se
terminer au cimpiième siècle par les Franks.
(<) Drasidae memorant rêvera fuisse piipuli
partem indigenas [les Ligures], sed alios (|uo-
que ab insulis extremis coniluxisse et traclibus
transrhenanis (Amm. Marcellin, XV, 9, 4, d'ap.
Timagène, contemporain d'AngusIe). La thèse
courante fait monter les Celles en Gaule de
la vallée du Danube haute ou centrale. (d'Ar-
Bois, II, p. "i79 ; II)., les Celtes, p. G: — liER-
TRAND, la Gaule avant les Gaulois, p. 25t>--2,'i8; —
NiEZE, p. 151; — SciiRADER, Heallexikon. 1901,
p. 9u2; — IIiRT, Die Indogermanen, I, 1905,
p. 171, s([. Lu Iradilion druidique est accep-
tée par Marcks, Bonner Jalirbuclicr, XCV, 189't,
p. :i() et par C. .Iui.uan, Hist. Gaule, t. I, 19U8,
p. 227, s(|.
(4) C'est peut-être dans le bassin de la mer
Baltique «pi'il faut chercher le berceau de cette
langue indo-européenne qui donna à notre
continent sa première unité sociale. Je ilis
langue et non pas race (C. Jui.lian, Hist.
Gaule, 1908, t. I, p. 233 et note 3). La parenté
des racines celtiques et germanitiues a fait
émettre celte hypothèse. D'autre part les afli-
nités des langues phrygo-hellènes et italiotes
avec les groupes occidentaux obligent à
reporter plus à l'est le berceau commun. Enfin
la parenté entre tous les groupes que je viens
d'énumérer et les langues irano-indiennes
nous obligent à chercher plus loin encore
vers l'Orient. Il se i)eut que les langues celto-
germaniques se soient dé\elo])iiées dans
l'Allemagne du Nord et qu'elles aient pris le
faciès que nous leur connaissons, mais à cou[>
sûr elles ne sont pas nées dans ces pays inha-
bités jusfpi'à la fin de l'époque glaciaire.
(5) Les Galates ou Gaulois qni vinrent se
joindre aux Celtes au numient où Brennos
marchait sur Delphes étaient leurs proches
parents. Les auteurs de l'antiquité ne surent
jamais distinguer entre ces deux branches,
donnant aux Celles le nom de Gaulois et in-
versement (t;f. PuTARoiE, l'aulEmile, 12, etc.).
(fi) Les pays de l'ambre étaient aussi,
semble-l-il, habités par des Celles sous le nom
vague <riIyperboréens (Héraclide de Pont, aj).
Pi.iirARnnE, Camille, 22: — C. Jullian, //i.v/.
Gaule, l. I. 1908. p. 237 et note 5). Celte exten-
sion des Celles jus(praux plages voisines de
Kœnigsberg semble bien exagérée, si le terme
celtes désigne des peuples définis autrement
que par un nom vague, tel que les Anciens en
appliquèrent aux peuples sur lesquels ils ne
possédaient que peu de notions. Cf., sur la
parenté des Gaulois et des Germains, C. Jul-
LiAN, Hist. Gaule, t. I, 1908, p. 2i3, note 3.
/IVI
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
peuples appartenant à une autre vague indo-européenne. Les
Celtes faisaient partie de ces hordes qui avaient laissé les
Phrygo-Hellènes, les Ascaniens sur le Danube, les Italiotes dans
la Styrie, la Carinthie, et peut-être aussi qui avaient envoyé déjà
dans la Gaule et l'Espagne les éléments indo-européens de la
race Ligure.
Italiotes, Phrygo-Hellènes, Celtes, Iraniens, Ascaniens, etc.,
étaient séparés les uns des autres depuis de longs espaces de
temps; leurs langues avaient évolué séparément, accentuant les
différences qui, à l'origine, séparaient déjà ces tribus.
Leurs mœurs, leur physique même s'étaient modifiés, s'adap-
tant aux nécessités du sol sur lequel ils s'étaient fixés ; en
sorte qu'au moment où, pour la première fois, nous rencontrons
ces diverses branches, elles sont si éloignées les unes des autres
qu'on serait tenté d'en faire des peuples difïerents (1).
Les Celtes s'étaient transmis d'âge en âge le récit de leur
exode. Une fatalité, disaient-ils, s'acharnait contre eux, des
guerres incessantes troublaient leur vie ; la mer inondait les
rivages et «ses flots bouillonnant» leur arrachaient les terres. Ils
avaient pour ennemis et les hommes et la nature, il fallut partir (!2).
Nous avons vu, antérieurement, combien les côtes du Nord de
l'Europe sont exposées aux ravages de la mer ; c'est un de ces
cataclysmes, une de ces inondations causées par un aflaissement
du sol, qui, joint à des guerres entre tribus, obligea les Celtes à
s'expatrier vers le sud.
(1) Au moment de leur migration, les Celles
connaissaient le bronze et en étaient mê-me à
cette cinquième et dernière phase des arcliéo-
logues Scandinaves (Cf. Worsaae, Nordiske
oldsager, Copenhague, 1859; — Undset, Jer-
nalderens Deijyndelse i Nord Europa, Christia-
nia, 1881; — Mo.NTELUs, lex Temps préhisto-
riques en Suî-de, trad. fr. 1895; — 1d., Kullur-
geschichle Srhwedens, 190(5 ; — S. Muller,
Nordische^ Alterlumskunde , 1897], peut-être
même à l'Etat du fer. On suit leurs traces dans
le nord de l'Allemagne, la Belgique; mais plus
loin le caractère nordique de leur industrie
semble s'être modifié. Les Celles, en ellet,
trouvèrent chez les Ligures la connaissance
de tous les mêtau.\. O. Montelius fait venir la
connaissance du bronze d'Orient en Scandi-
navie (Cf. Temps préhist. en Suède, Trad. fr.,
1895, pp. 57-02; par la roule de terre, plus spé-
cialement par la vallée de l'Elbe. Cette opi-
nion concorde avec tous les documents fournis
par l'archéologie. D'autres supposent qu'il a
été imaginé sur place (en Scandinavie); d'autres
enfin qu'il a été révélé par des hommes de la
mer. Ces deux hypothèses semblent être bien
fantaisistes lune et l'autre.
Sur les rapports entre le commerce de
l'ambre et le développement de la civilisation
du bronze dans le Danemark, Cf. Sophus
Miller, Xordische Allerlumskunde, I, p. 316, sq.
C. Jùilian (Hisl. Gaule, 1908, t. I, p. 228,
noie ^) dit qu'il n'y a aucune trace de char de
guerre en Gaule avant les temps gaulois et
que les anciens ont remarqué que les Ligures
étaient surtout des fantassins. Or, dans les
tunuili Halstattiens de la forêt des Moidons
(.lura), j'ai rencontré les restes d'un char. Il
n'est pas possible de dire si ce véhicule était
utilisé à la guerre ; mais son époque se trouve
déterminée par l'observation de C. Jullian.
(2) Aviénus, d'ap. le per/p/e d'Himilcon? est
le premier auteur parlant de la migration des
(Àdles vers la Gaule. — Ephore, ap. Slrabon,
VU, 2, 1 ; — Aristote, Ethique à yicomaque,
lu, 7 (10), 7; Eudème de Rhodes, III, 1, 25; —
Nicolas de Damas, fr. 104; — Elien, Hisl.
Var., XII, 23 ; — Cf. C. Julll^n, Hist. Gaule,
1908, t. I, p. 228, note 3, p. 229, note 1.
LA PHKPOXDÉUANCE IRANIENNE
llkb
Ils vinrent so présenter sur les bords du Rhin inférieur (1) ;
les uns le traversèrent (vers 530) et s'avancèrent (2) jusqu'au
centre de la Gaule après avoir parcouru la Belgique (3), les
autres se tinrent sur la rive droite du Uhin ; tandis que des
lambeaux de la nation continuèrent de vivre dans ce que la mer
avait épargné du domaine de leurs ancêtres (/i).
Les Celtes venus se fixer en Gaule (5) n'occupèrent que le
centre du pays, les bassins de la Seine, de la Loire et de la Saône.
Le Midi resta aux Ligures, de même (jue l'Armorique, la Nor-
mandie et la Belgique même, dont les aborigènes reprirent pos-
session après le passage des envahisseurs (6).
Mais pendant que les hordes du nord s'avançaient vers le pla-
teau Central, des peuples du midi, les Ibères (7), venant d'Es-
pagne, franchissant les Pyrénées, entraient en Gaule (vers 500-
475 av. J.-C.)(8) et, absorbant les Ligures, s'emparaient de tout
le sud du pays.
(1) Les Celles, en franchissant le Rhin,
avaient laissé dans les plaines du nord-ouest
de l'Allemagne une masse de tribus, leurs
congénères, qui, n'ayant pas les mêmes raisons
qu'eux de s'expatrier, demeurèrent pour long-
temps dans les districts où elles étaient can-
tonnées. Cependant un groupe d'entre elles,
celui des Belges, s'avança vers 308 av. J.-C,
suivant la voie suivie jadis par les Celtes, les
refoula en même temps que les Ligures occu-
pant le nord de la Gaule. En 50 ans, les Bel-
ges s'étaient établis dans tout le nord et l'est
des pays celtes. Ils occupèrent toutes les val-
lées des deux côtés des Ardennes, la Moselle,
l'Aisne, l'Oise, la Somme et ne s'arrêtèrent
qu'à peu de distance de la Seine. Dans l'Est
ils s'étendirent sur les vallées du Doubs et de
la Saône, le long des lacs de Neuchatel et de
Genève et jusque dans le Valais. (Cf. Jullian,
Hist. de la Gaule, t. L 1908, p. 313 sq. et notes.)
(2) La même voie fut suivie plus tard par la
conquête franque. Tournai, Cambrai, Sois-
sons, etc..
(3) Aviénus (129-13i) semble indiquer (141-
142, 145) que les Celtes vinrent par le rivage
flamand et picard, à moins que ce ne soit par
mer, comme plus lard les Saxons et les Norlh-
mands. Dans cette dernière hypothèse, la
colonisation de l'.Vnglelerre se serait faite en
même temps que celle de la Gaule.
(4) Au sujet des Celtes qui demeurèrent
dans le nord de l'Allemagne, Cf. Tacite, Ger-
manie, 37; — Strabon, VH, '2, 1; — Epuoue,
fr. 38; — Ed. Didot, Fr. Hisl. Gr., l, p. 213 ; —
Plutarque, Marias, 11 ; Denys d'Halicarnasse,
XIV, 1.*
(5) Les Celtes qui parvinrent en Gaule n'é-
taient pas très nombreux, deux ou trois cent
mille hommes au plus. Les Cimbres et les
Tenions, lors de leur départ, étaient trois ceu
mille soldats suivis des femmes et des enfants
(Plutarque, Marias, 11). Chez les Suèves,
cent mille soldats étaient levés chaque année
(César, IV, 1,3). Les Gotlis, lors de leur entrée
dans l'empii-e romain, étaient tout au plus un
demi-million (Fustel de Coulanges Inslilu-
lions, II, p. 408; — Euxape, Ed. Didot, Fr. hist.
Graec, IV, p. 31). Les Burgondes n'étaient
que quatre-vingt mille combattants correspon-
dant à une population de trois cent mille têtes
environ. (Orose, VII, 32, 12). On est surpris de
la petitesse de ces nombres quand on songe
aux résultats obtenus pur ces diverses inva-
sions.
(6) Cf. C. Jullian, Hisl. Gaule, 1908, l. I,
p. 244, note 4.
(7) L'origine des Ibères et de leur langue
a suscité les hypothèses les plus diverses.
On les a tour à tour fait venir du Caucase et
de l'Egypte, on les a traités d'aryens, de sé-
mites, de touraniens; on les a tantôt assimilés
et tantôt opposés aux Celtes ; et, de plus, leur
situation à l'extrême Occident leur a valu de
passer aussi pour la descendance d'Améri-
cains, immigrés en Europe dans les temps
fabuleux où la terre de l'Atlantide réunissait
les deux continents. (C. Jullian, Hisl. Gaule,
1908, t. I, p. 256; — R. de Bei.loouet, t. II,
p. 239, s<i.; — Bladé, Étude sur l'origine des
Basques, 1869; — Piiililps, Die Einwanderung
der Iberer, 1870, in Sitzumj.^b d. Akad d. Wiss.
phil. Hisl. Classe, Wien, LXV ; — Laoeau,
Anthrop. de la France, 1879, p. 599, in Dicl.
encycl. des se. médic. ; — d'ArboisJde Jubain-
ville, les Premiers habitants de l'Europe, I,
1889, p. 24, sq.).
(8) L'antériorité de la migration celtique sur
celle des Ibères est établie par C. Jullian
/J^IO
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Les Ibères (1), dont, pense-t-on, les Basques (2) sont les des-
cendants, venaient, semble-t-il, du Nord de l'Espagne, des pays
situés au pied des Pyrénées. Cent suppositions ont été faites sur
leur origine, aucune n'en a résolu le problème. Déjà, bien certai-
Invasions celtiques.
nement, les populations espagnoles étaient fort mélangées. En con-
tact avec l'Europe par les Pyrénées, avec l'Afrique du Nord par
Hisi. Gaule, 1908, t. I, p. 2-25, noie 3), d'après
des considérations tirées d'Aviénus et d'Hé-
catée de Milel.
(1) G. de Huniboldl (Priifuny der Unlersu-
chuny iiber die Urbewohner Hispaniens, 1821 ;
Werke, IV, 11*05, p. 57, sq.) avait émis l'opi-
nion que, dans les temps très anciens, la l'ace
Ibère avait occupé tout l'Occident de 1 Eu-
rope. Celte théorie négligeait les Ligures alors
peu connus et attribuait aux Ibères une jiartie
des documents sur lesquels on s'appuie aujour-
d'hui pour établir l'aire d'habitat des Ligures.
(2j L'origine des Basques est complètement
inconnue. La langue, dont le lexiejue est bien
plus riche en mots d'emprunt qu'en son
propre fond, possède une grammaire complè-
tement étrangère à celle des langues euro-
péennes. Le basque est une langue aggluti-
nante, dépourvue de toute fle.xion, son verbe
à formes incorporées et à conjugaisons péri—
phrasliques ne ressemble en rien à celles dont
le vocabulaire basque a pris tant de termes.
C'est une langue touranienne, commele finnois,.
le turc, le madgyar, etc., mais n'ayant aucun
air de parenté avec les autres langues agglu-
tinantes connues. Le basque a donné lieu à
des études très considérables demeurées-
toutes sans résultat en ce qui concerne l'ori-
gine et les parentés de ce peuple et de soru
parler.
LA PRÉPOXDÉRAXCK IHAMENNE l^l^J
un étroit bras de mer, probablement aussi avec Tancien conti-
nent de l'Atlantide, l'Espagne avait servi de lieu de passage, et
les races les plus diverses s'y étaient sûrement rencontrées.
On a cru pouvoir comparer les conditions de développement
social de la péninsule Ibérique avec celles des autres pays situés
dans des presqu'îles ou des îles telles que l'Armorique et la
Grande-Bretagne, négligeant de remarquer que, si la Bretagne et
l'Angleterre forment des sortes de culs-de-sac où les peuples
les moins forts devaient être forcément enfermés, il n'en est
pas de même pour l'Espagne, pour l'Italie, pour la Grèce, qui^
de tous temps, ont servi de passage, où toutes les races ont laissé
des témoins et où, par suite, les peuples sont le plus confondus.
11 semble qu'à l'époque quaternaire déjà, les Pyrénées ne
constituaient pas une frontière entre la Gaule et l'Espagne ; en
effet, ou bien les artistes des cavernes vécurent à la fois sur les
deux versants de la chaîne et jusqu'au centre de la Gaule, ou bien
ces troglodytes ont émigré, se mouvant dans un territoire mi-
partie espagnol, mi-partie français. Dans les deux hypothèses,
les Pyrénées, pour eux, ne formaient pas une barrière.
Plus tard, quand les Cretois, les Phéniciens et les Grecs vinrent
apporter en Ibérie les principes de leur civilisation, il existait
déjà, dans cette péninsule, des royaumes et, partant, des divisions
ethniques. Le plus important et le premier de ces États semble
avoir été celui de Tartessus (Cadix); puis, vers le sixième siècle,
vint celui de l'Èbre (1) ou des Ibères, alors que le fond de la
population renfermait en outre les Ligures en grand nombre (2).
La métallurgie avait alors fait de grands progrès dans la Médi-
terranée (3), et l'Espagne, très riche en métaux, prenait, de ce fait,
une importance de jour en jour plus grande. Fut-elle déjà très
convoitée ? nous ne le savons; mais certainement il s'y passa des
mouvements de peuples dont l'importance a été grande pour les
pays voisins.
(1) Cf. Tu. Rei.nacii, /îei'. det^ Eludes grecques, (2) Cf. texte d'Avienus sur les Draganes
XI, 1808, p. 46, sq. — Une des principales (196-198), de Thucydide sur les Sicanes (VI,
questions à résoudre en Espafirne est celle de 2, 2. — Avienus, 485, 464 ; Eratostliène ap.'
la parenté ou de la différence de la lanjjrue de Slrab., II, 1, 40.) — Pline. IV, Uu ; — P. Meta,
l'Ebre ou des Ibères avec celle de Tartessus : III, 1."). — Plolêmée, II, 6, 9. — Strab., III,'
la toponymie permettrait de la résoudre dans 4, 11. — Silius, III, 357. — Slrab., III, 4, là
le sens de la parenté, s'il était bien prouvé et 13.
que les noms de lieux tartessiens à radicaux (3) Cf. H. et L. Siret, les Premiers âges du
ibériques ne sont pas postérieurs à l'extension métal dans le sud-est de lEspayne, 1887. An-
de l'Etat de l'Ebre. l'C. Julli.vn, Hist. Gaule, ver:*.
l'JJ8, t. I, p. 258, note 6.)
!lllS LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Nous ignorons quelles furent les causes de l'invasion des Ibères;
de même que nous ne savons pas si ce mouvement s'opéra en
plusieurs flots ou en un seul (1). Il semble que les montagnes furent
traversées par tous leurs cols, et que les bandes se répandirent
presque en même temps depuis les Pyrénées jusqu'à la rive
droite du Rhône (2), jusqu'au plateau Central et aux Charentes(3),
occupant ainsi toute la région que, douze siècles plus tard, enva-
hirent les Arabes, venus, eux aussi, d'Espagne par les mêmes
voies.
Les Celtes qui, pendant ce temps, s'étaient fermement établis,
n'en continuèrent pas moins leurs expéditions ; après la conquête
de la Gaule, Brennos ('4) marcha sur la Grèce (5) avec environ
deux cent mille hommes armés, traînant derrière lui les femmes,
les enfants, les troupeaux et tous les biens de la tribu (6).
C'est vers ZiOO, dit-on, que le sol de la France ne suffisant plus
à nourrir sa population (7), deux chefs celtes émigrèrent, emme-
nant avec eux une partie de la nation (8) ; Bellovèse aurait pris
vers le sud et gagné l'Italie, tandis que Ségovèse se serait dirigé
vers la vallée du Danube.
Ceux des Gaulois qui s'étaient acheminés vers l'Italie détrui-
sirent la puissance étrusque (9), déjà très ébranlée par les Romains
et les autres Italiotes (10) ; fondèrent entre le Tessin et l'Oglio la
nation puissante des Insubres (il), plus loin au sud celles des Cé-
nomans (12), des Boïens (13), des Lingons (1/i), des Sénons (15), etc.
Parcourant la majeure partie de la péninsule, ils saccagèrent
(1) Il se peut que les Vascons soient descen- (6) Plutarque, Cani., 15. — Diodore, XXII, 9,
dus par le Velate et par Roncevaux, les lier- 1. — Strabon, VII, l, 3.
gètes par le Somporl, les Ausetans et autres par (7) Slrabon, IV, 1-2 ; IV, 4, 2 et 3. — Tite-Live,
le Perlus. (Cf. Sieglin, Prufung des iberischen XXXVIII, 16, 13. — Justin, XXV. 2, 8.
Urspnmyes einzelner Slrammes u. Sladlenamen (8) Suivant la tradition nationale (Tite-Lli'e,
im Sadlkhen Gallien, 1871, Ak. d. Wiss. Wien.. V, 34. - Justin, XXIV, 4. — César, VI, 24, 1-2.
LXVII.) — Appiex, Celtica,^., 1), le vieux roi Ambigat,
(2) Avienus, 612-614; 628-620; étang de Tliau, chef des Biluriges et de toute la Celtique, au-
(Taurus palus). — Hérodote (Didot, Fr. hisl. rait envoyé une partie de la nation à la con-
Graec, II, p. 34. — Scylax, Didot. Géogr. Min. quèle du monde sous la conduite de ses
I, p. 17. — Pline, XXXVII, 32. — Ps. Scijmnus, deux neveux.
206-8. — Slrabon, III, 4, 19). ^9) Polybe, II, 17. - Tite-Live, IV, 37, 1. -
(3) Les Ibères de l'Ebre supérieur s'appe- Cf. C. .Illli.w. H;s/. Gau/e, 1908, t. I, p. 290, sq.
laienl déjà Vascons depuis des temps fort an- (lOj Pri>e île Capoue par les Samniles, en
ciens. {Avienus, 251; Silius, III, 358; V. 197 ; 42i {Tite-Live, IV, 37, 1).
IX, 232; X, 15. —.S7;a6o?i, III, 4, 10, etc.; /*///!(>, ai) La ville principale de ce royaume fut
III, 29.) Milan. {Tite-Live, V, 34, 9. — Polybe', 11,34, 10.)
(4) Brennos marcha contre la Grèce avec (12) Cf. C. ,Ii-llian, Hist. Gaule, 1908, t. I,
152.(X)0 fantassins et 20.400 cavaliers suivant p. 292, note 1.
Pausanias (X, 19-9) : 150.000 fantassins, 10.0<W (13) Suivant Caton {Fr. 44, Pline, III, 116), les
chevaux et 20.000 chariots suivant Diodore Boïens se composaient de cent douze tribus.
(XXII, 9-1); 50.000 fantassins et 15.000 cava- (14) Tite-Live, V, 35, 2.
iiers suivant Justin (XXIV, 6, 1). . (15) Tite-Live, V, 35, 3. — Polybe, II, 17, 7. —
(5) Slrabon, I, 13. ,. ' Diodore, XIV, 113, 3.
LA IMIÉPONDÉUANCI-: IHAMi:XNE
lifi9
Rome (1), mais ne purent se rendre maîtres de son Capitole (2).
La horde cellique, marchant vers l'Orient, traversa le Rhin (3),
la forêt Hercynienne {lu et atteignit le Danuhe (5j. Les Helvètes
s'établirent en Suisse (6), les Boïens (7) dans le quadrilatère de
la Moldave, les Volsques Tectosages (8) se cantonnèrent en
Bavière et sur le haut Danube, les Taurisques (9) s'arrêteront
dans les Alpes Autrichiennes et Styriennes.
Certainement qu'avant l'arrivée des Celtes, il existait dans la
Haute-Allemagne des ti'ibus et des royaumes (10); l'état des
choses fut donc complètement modifié comme, deux siècles plus
tard, il le fut une fois de plus par l'arrivée des Germains jusqu'au
Rhin. Les Celtes étaient encore dans le bassin moyen du Danube
que, par sa con([uéte, Alexandre le Grand avait transformé l'Asie.
On s'accorde, en général, à faire venir de la Gaule les migra-
tions qui entrèrent en Italie, ou gagnèrent la Grèce par la vallée
du Danube ; mais il est plus probable que le point de départ
d'une partie de ces mouvements fut les rives mêmes de la mer du
Nord; que le rameau qui s'empara de Rome et détruisit la puis-
sance étrusque partit bien de nos pays, ainsi que les tribus qui
pénétrèrent en Espagne (11); mais que celui qui gagna la Suisse,
la Bavière et surtout la Bohème vint directement des plaines
du Nord.
On s'est appuyé, pour affirmer l'origine gauloise (France) de
ces conquêtes, sur ce que nous retrouvons dans nos pays les noms
des mêmes tribus qui se sont fixées à l'étranger ; mais rien ne
prouve que la séparation n'eut pas lieu avant le premier passage
(1) 390 av. J.-C, prise de Rome par les
Gaulois et siège du Capitole. — 367, nouvelle
incursion des Gaulois jusqu'à Albe, repoussée
par Camille. — 360, nouvelle invasion des
Gaulois. — 357, défaite des Gaulois, près de
Rome, par le dictateur Sulpicius. — 349, vic-
toire de Furius Camillus sur les Gaulois, les
chassant pour un demi-siècle du territoire ro-
main.
(2) Peut-être les Gaulois s'emparèrciit-ils
du Capitole par la famine (Silius, IV, l.')l,
sq.), peut-être aussi les Romains le rache-
tèrent-ils. (Tlle-Live, V, 48; Plitarque,
Camille. 28.)
(3) Cf. Tacite, Germanie, 'iS. — Ce.9flr,VI, 2i, 1.
(4) Entre les montagnes de Souabe et de
Franconie (César, VI, 25, 2.)
(5) Justin, XXIV, 4, 3.
^H) Tacite, Germ., 28.
(7) Strabon, VII, 1,3. — TACrrE, Germ., 28.
— Velleius, II, 109. Bohème, Boihaemi m,
Boiohaemum vient de Boii. Ce pays fut en-
suite envahi par les Slaves.
(8) César, VI, 24, 2 et 3, — Cf. C. .Iullian,
Hisl. Gaule, 1908, t. I, p. 297, note 7.
(9) Cf. C. .Iullian, op. cil., p. 298, note 1.
(10) Celui des Sigynncs ou de Ilallstatt entre
autres. (Cf. C. .Iullian, Hi.^l. Gaule, 1908, t. I,
p. 298, note I.) (Hérodote, V, 9.)
(11) Cf. KiEi'EHT, Reilrag. zurallen Ethnogra-
phie der Iberischcn Halbinsel, 1864, in Mo-
nalsberichle Akad. Berlin, p. 143, sq. — Phil-
lips, die Wohnsitze der Kelten auf der pyre-
na'isclien Ilalbinsel, in Silzungberichle Akad.
Wien. Phil. Hist. Classe, 1872, p. 695, sq. —
IlAEBLEit, Die Nord und Weslkûste llispa-
niens. Leipzig, 1886, p. 22, sq. — Garokalo,
Bol. de la real Academia de la Ilistoria,
XXXIV, 1899, p. 97, sq. — id. Revue celtique,
XXI, 1900, p. 200, sq. -- Leite de Vasconcel-
Los, Reliyiôes da Lusitania, II, 1905, p. 52, sq.
— C. Jullian, Hisl. Gaule, 1908, l. I ,p. 305, sq.
29
450 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
du Rhin, et que les fractions de tribu, conservant leur nom, n'ont
pas émigré chacune indépendamment.
11 est, en effet, plus rationnel d'admettre qu'au moment de
leur exode, les Celtes ont gagné le sud par toutes les voies qui
se présentaient à eux ; et les grands fleuves d'Allemagne leur
ofîraient des routes sûres pour atteindre la Bohême et le haut Da-
nube. Rien n'oblige également à penser, que la tradition druidique
s'applique à toute la race et qu'elle ne vise pas simplement ceux
des Celtes qui sont venus se fixer en Gaule.
Quoi qu'il en soit, les Celtes n'étaient certainement pas abori-
gènes dans le sud de lu Baltique, dont les côtes demeurèrent
inhabitées durant les temps glaciaires; ils étaient venus se fixer
dans ces parages et forcément arrivaient de l'Orient ; peut-être
même," au cours de cette première migialion ont-ils laissé des
leurs sur le haut Danube.
CHAPITRE XII
La prépondérance hellénique.
L'Empire perse avait atteint ses limites naturelles.
Au nord, dans les steppes sans fin de l'Asie, où Cyrus avait
trouvé la mort, c'étaient d'insaisissables nations plongées encore
dans la barbarie, mais indomptables, fières de leur liberté,
mobiles comme les vagues de la mer, ne possédant que leurs
troupeaux, leurs» tentes, leurs chevaux et leurs armes. C'étaient
la mer Caspienne et ses marais; le Caucase avec ses infranchis-
sables sommets, ses vallées inaccessibles peuplées d'hommes
rudes, inattaquables, n'ayant jamais connu de maîtres; le Pont-
Euxin, et au delà, ces plaines immenses dont Darius n'avait pu
sonder les limites; c'était le pays des marais, des forêts, du froid
et de la neige.
A l'ouest, s'étendaient la Méditerranée, la mer Egée et, dans les
îles, sur les terres voisines, des peuples énergiques, remuants,
belliqueux, dont Darius et Xerxès avaient éprouvé la valeur. Les
désastres des Achéménides sur la terre grecque demeuraient dans
l'esprit des Perses et, cent ans après Marathon et Platée, leur ins-
piraient encore la terreur.
Au sud, par delà de l'Egypte, les sables de la Libye, meurtriers
de l'armée de Cambyse, vagues du désert s'étendant à l'infini,
qu'on ne peut ni franchir, ni fixer; les marais du liaut Nil, les
multitudes noires du continent africain, sans richesses, sans his-
toire, sans avenir; puis les mers des Indes, l'inconnu.
A l'orient, de grands fleuves, plus loin de grands déserts ;
puis des terres fertiles, des royaumes, des populations nom-
/|52 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
breuses et guerrières, de grandes montagnes, des plateaux déso-
lés; les limites du monde.
Certes, Flndus, le pays des cinq fleuves (1), la riche vallée du
Gange, les plaines fertiles de la péninsule, ses ressources miné-
rales, son or, ses pierreries, étaient de nature à tenter la
cupidité des Perses ; et cependant ils ne s'y lancèrent pas. Vers
512 (2) il est vrai, ils abordèrent l'Indus, mais se retirèrent aus-
sitôt. Peut-être subirent-ils des échecs analogues à ceux qui les
avaient arrêtés en Occident; peut-être reconnurent-ils que la dis-
tance, les difficultés de ravitaillement, de transport des troupes,
leur interdisaient l'accès des Indes; peut-être aussi le brahma-
nisme, qui commençait son essor, les eflVaya-t-il; toujours est-il
que jamais ils ne témoignèrent la velléité de conquérir l'Orient,
bien que de ce côté leur convoitise fut en éveil; c'est, en eflet, au
retour de l'expédition de 512 que Scylax de Caryanda explora,
pour leur compte, les mers du sud (3).
Les échecs subis par Xerxès à Salamine, à Platée, à Mycale,
n'eussent certainement pas arrêté les conquêtes perses en Europe,
si ce souverain avait su gouverner et commander; mais, héritier
indio-ne de Darius, lâche, indolent, ennemi des soucis de la guerre,
il ne songeait qu'aux jouissances de la royauté. C'est à contre-
cœur qu'il était venu à Sardes, qu'il avait passé le Bosphore ;
vaincu, il abandonna la partie, alors qu'il avait à relever son
prestige et qu'il disposait de ressources immenses, tandis que ses
adversaires étaient ruinés.
Les Perses, cependant, n'avaient pas entièrement renoncé aux
ambitions de Cyrus et de Darius, à l'espoir de gouverner le
monde ; ils intriguaient partout en dehors de leurs frontières,
en Thrace, en ]NLacédoine, à Athènes, dans le Péloponèse, à
Carthage même; mais l'insouciance des rois, les intrigues de
palais furent cause que ces grandes vues demeurèrent un rêve.
L'empire lui-même était formé d'anciens royaumes déchus, sans
force, sans énergie; livrés, comme la cour du Roi des Rois, aux
intrigues, aux jalousies ; inaptes à seconder des projets étendus,
incapables de lutter encore pour leur indépendance. Leur vitalité
s'était éteinte sous les coups redoublés du sort, beaucoup n'exis-
fl) Pendj-ab. (3) Hérodote, IV, xuv. La relation deJScylax
(2) Inscr. de Persêpolis ^Weissbach-Bang, qui existait encore au temps d'Aristole (Poli-
Die altpersischen Keilinschri'flen, p. 34, sq.) et tique, VIII, 13, § 1) est aujourd'hui perdue.
de Nakhch-i-Rousleni {id., p. 36, sq.)-
LA PRÉPONDÉRANCE IIELLÉNIOUE ^^53
taient plus que de nom, pour certains même ce nom était oublié.
L'Egypte, sous ses trois dernières dynasties, eut quelques
velléités de liberté; mais vermoulue, en proie à l'anarchie,
elle ne sut, en d'aussi graves occurrences, calmer les haines de
partis. Cette renaissance du nationalisme égyptien se traduisit
simplement |)ar de pieuses constructions ; on releva les ruines
d'un grand nombre de temples. Mais ce réveil ne dura qu'un ins-
tant.
En Phénicie, les dernières tenLalives de résistance avaient été
noyées dans le sang; et la ruine de Sidon était d'un tel exemple
qu'aucune des cités de la côte n'osa plus lever la tête.
En Asie ^lineure, les petits États avaient conservé leurs
dynastes, mais subissaient le joug. Le nom même des Hétéens
était oublié et des ruines de leur royaume étaient nées quelques
petites principautés, entr'autres celle de Lycie, où se conservaient
encore les goûts et la langue du vieux peuple.
Ce qui faisait vivre jadis tous ces royaumes, ce qui leur donnait
cette activité indispensable aux nations de ces temps, c'était la
guerre. Non la guerre pour le compte d'un suzerain, mais la lutte
personnelle, nationale, l'appât du gain, les vengeances à exercer,
les rancunes à satisfaire. Du jour où ces États durent renoncer à
l'entraînement constant, ils en moururent. Ces peuples conser-
vèrent leur langue, leur religion, leurs usages, mais perdirent
leurs caractères nationaux. Les dynastes d'Asie Mineure étaient
tous devenus de simples fonctionnaires de la cour susienne, les
serviteurs du Roi des Rois.
Ne serait-il pas aisé de citer, parmi ceux qui dans les temps
modernes ont perdu leur indépendance, bien des peuples dont peu
à peu les qualités se sont évanouies, la bravoure entre autres ?
Partout ailleurs, dans l'Empire perse, sur les côtes de la Pro-
pontide, du Pont-Euxin, de l'Asie Mineure, en l'Egypte même,
l'influence intellectuelle de la Grèce grandissait, parce qu'elle se
pouvait retremper au dehors dans des foyers libres. La Méditer-
ranée était grecque pour plus de moitié; de nombreux centres
d'hellénisme s'étaient développés en Occident comme en Orient,
dans l'Espagne, la Gaule, l'Italie, la Sicile, en Cyrénaïque, dans
la Grèce continentale et des îles, en Thrace, en Macédoine, en
Épire, sur les côtes septentrionales de la mer Noire. Tous ces
nouveaux foyers, issus de cités diverses, conservèrent malheureu-
454 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
sèment toujours un esprit de particularisme néfaste au progrès
de la concentration hellénique.
IJien des peuples grecs vivaient sous la domination iranienne^
mais aucun n'avait renoncé à sa nationalité. Chacun avait conservé
ses usages, ses dieux, ses traditions, les légendes de ses origines;
aucun n'avait abdiqué sa nationalité, l'espoir de temps meilleurs.
Ainsi deux puissances se trouvaient en présence et se parta-
o-eaient le monde d'alors ; l'une, celle de la force brutale, née des-
principes asiatiques d'antan, étendant son domaine depuis l'Indus
jusqu'à la Méditerranée, dominant par la crainte; l'autre, celle de
l'intelligence, couvrant tout le sud de l'Europe, la Méditerranée
entière, régnant sur les esprits et empiétant largement sur les-
territoires de sa rivale.
Le Grec était devenu indispensable, aussi bien en Asie qu'en
Europe. Il servait tous les pays, tous les régimes, toutes les causes,
parfois même celles des ennemis de sa nation. 11 fournissait, à
qui payait le mieux, les premiers condottieri du monde, était
loyal ou traître suivant son intérêt, entrait dans les cours étran-
gères comme conseiller, comme médecin, comme artiste, tou-
jours comme espion. Les Asiatiques craignaient sa supériorité
intellectuelle, mais ne pouvaient se passer de ses services.
L'Hellade, intellectuellement si puissante, n'entrevoyait même
pas ce que l'unité politique eût pu faire d'elle. Ses haines, ses
querelles intestines l'aveuglaient; elle ne sentait pas assez son
immense supériorité sur les Asiatiques; car, sans obéir officielle-
ment au Grand Roi, elle suivait avec servilité sa politique, lui
louant ses flottes, lui vendant la vie de ses citoyens, appelant les
Perses comme arbitres dans ses querelles intérieures. Elle n'était,
somme toute, qu'une dépendance de Suse, et Suse l'absorbait peu
à peu par ses richesses éblouissantes; au point que, si l'Empire
achéménide eût duré, la Grèce se serait faite elle-même satrapie
d'un Darius ou d'un Xerxès, par la cupidité des siens.
Mais la Perse n'était qu'un colosse aux pieds d'argile ; son
prestige, elle ne le devait qu'à Cyrus, et au grand Darius. Après
la mort de Darius Ochus, ce ne furent plus à Suse qu'intrigues de
palais, crimes et assassinats. Les préoccupations de la cour n'étaient
plus aux frontières; le harem royal les retenait toutes. On ne pen-
sait ni aux Grecs, ni à la Macédoine, qui faisait alors son entrée en
scène. Les satrapies emplissaient régulièrement le trésor du P«oi
o
456 ' LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
des Rois ; il semblait que l'œuvre de Gyrus et de Darius dût être
éternelle.
La Grèce qui, après Marathon ou Platée, eut pu songer à consti-
tuer Funité hellène et à s'emparer de riiégémonie; qui, par ses dis-
cordes avait refusé l'Empire, allait périr du fait de ses querelles.
La défaite des barbares d'Asie n'avait point eu de lendemain; mais
les habiles rois de Macédoine, Grecs eux-mêmes, commandant à
des troupes grecques, instruits dans les idées hellènes, se prépa-
raient à dominer en s'appuyant sur les divisions qui régnaient en
maîtresses dans l'Hellade. Ce que Darius et Xerxès n'avaient pas
su voir, Philippe et Alexandre l'allaient exploiter avec astuce.
La guerre sociale n'était pas encore terminée qu'une nouvelle
lutte naissait dans le Nord, enfantée par les sentiments vindicatifs
des Thébains.
Jusqu'à la bataille de Leuctres, Phocis s'était montrée avec
Sparte dans les combats et, par cela même, s'était attiré les colères
de Thèbes, qui avait juré sa ruine.
L'assemblée amphictyonique se fit en cette occasion l'instru-
ment des Thébains, en condamnant Phocis d'une façon si dure
qu'elle ne pouvait s'acquitter. Force lui fut donc d'entrer en cam-
pagne.
Dans cette guerre, la Guerre Sacrée, grâce au trésor de Delphes
dont elle s'était emparée, grâce au concours éventuel des Achéens,
d'Athènes et de Sparte, Phocis fut à même de résister pendant
onze années (357-3/i6 av. J.-C.) aux Thébains et à leurs alliés.
Enfin Thèbes, lasse de guerroyer, aveuglée par son ressenti-
ment, fit intervenir dans sa querelle Philippe de Macédoine. Elle
obtint la ruine de ses ennemis, mais dut la payer de sa propre
perte et de celle de tous les États de la Grèce.
Les Macédoniens n'attendaient que l'occasion d'intervenir dans
les affaires de l'Hellade. P»econnaissant dans FAttique la seule
puissance grecque capable d'entraver ses projets, Philippe décla-
rait la guerre à Athènes six ans après la soumission de Phocis.
Les premiers efforts des Macédoniens eurent pour but le Bos-
phore et FHellespont, pays rattachés à Athènes par l'absolue
nécessité pour cette ville de tirer de ces pays les blés que lui
refusait le sol exigu de FAttique.
La seconde Guerre Sacrée offrit à Philippe l'occasion de franchir
les Thermopyles et de pénétrer dans la Grèce centrale. Thèbes
LA PRÉPONDÉRANCF IIELLÉNIOUE 457
et Athènes, les deux ennemies séculaires, se joignirent alors poui-
lui résister, oubliant leurs rancunes. 11 était trop tard. A Chéronée
(338 av. J.-C), Philippe les écrasa et mit la Grèce entière à ses
pieds.
Tous les États, sauf Sparte, reconnurent la suprématie du roi
de Macédoine; et, pour bien marquer la (in de l'indépendance des
Etats hellènes, Philippe se fit (337) désigner comme généralissime
de toute la Grèce contre les Perses.
Philippe, après Gln^ronée, était maître de réduire la Grèce en
province de son royaume ; il s'en garda. Ses vues étaient trop
élevées, ses projets trop vastes, pour qu'il cédât à de mesquins
intérêts. Prince de la race d'Héraclès ^1), le nouvel Agamemnon (2 1
borna l'exercice de sa puissance royale à ses propres domaines, et
ne voulut être aux yeux des Hellènes que le généralissime élu
pour une guerre nationale, le vengeur des aiïronts subis jadis.
La mesure était habile : sauveur de l'honneur grec, Philippe
faisait passer à la Macédoine Thégémonie de l'Hellade; il s'assurait
des sympathies et du concours des peuples qu'il venait de vaincre,
préparait la grande guerre, la ruine de la prépondérance asia-
tique, assurait l'empire du monde à la culture grecque.
Ayant triomphé de la Grèce, réuni sous son commandement
toutes ces forces qui, avant lui, se neutralisaient les unes les autres,
Philippe pensa le moment venu de jeter le masque et entra en
Asie. Parménion et Attale débarquaient sur la côte en 336, soule-
vaient les villes de leur sang, leur rendant en apparence la liberté;
mais, en fait, les rangeant sous l'autorité d'un chef de leur race.
Homme mûr, expérimenté, aussi habile et brave soldat que fin
diplomate, entouré de conseillers et de généraux hors de pair,
disposant d'une armée aguerrie, des ressources de toute la Grèce,
Philippe apparaissait comme désigné par le destin pour renverser
la puissance des Perses, quand il mourut assassiné.
Ce fut une grande perte pour la civilisation; car Alexandre, qui
ne fit pas mieux dans la conquête de l'Asie que neùt fait son père,
ne sut pas organiser rEmj)ire macédonien; et cette puissance
matérielle, morale et intellectuelle qui, par sa grandeur, aurait dû
conduire le monde, s'efi'ondra de suite après lui. Philippe ne se
fut peut-être pas avancé aussi raj)idemcnt ; mais il n'eût laissé der-
(1) IsOCRAT., P/l/7//>/)., § 32.
(i) Diodore de Sicile, XVI, 87.
!l^8 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
rière soi que des provinces organisées, il eût songé à l'avenir, il
eût rendu son empire durable.
Alexandre n'avait que dix-huit ans quand il fit ses premières
armes à la bataille de Cliéronée. 11 touchait à sa vingtième année
quand il monta sur le trône (1), héritant, en même temps que de l'ad-
mirable organisation militaire des Macédoniens, d'un royaume et
d'alliés puissants, mais aussi d'une guerre déclarée au plus grand
empire du monde, aux plus implacables ennemis de sa race.
Cette guerre désirée, souhaitée par toute 1 Hellade, avait pour
prétexte la libération des villes grecques d'Asie, la revanche de
l'affront fait par les Orientaux lors du pillage des temples. Mais
en réalité, d'une part la Grèce sentait qu'il ne lui serait pas
possible de conserver indéfiniment son indépendance à côté d'un
pareil colosse; d'autre part les richesses de l'Asie la tentaient,
ses terres fertiles lui semblaient admirablement aptes à la colo-
nisation (2).
L'Empire traversait une période d'anarchie et de faiblesse, l'ex-
pédition des Dix-Mille l'avait montré. C'était le moment d'aljattre
sa puissance ; car il pouvait survenir un nouveau Cyrus qui, en
quelques années, mettrait à ses pieds tout ce qui, dans le monde,
avait encore conservé sa liberté. 11 fallait immédiatement agir
puisque Philippe avait jeté le masque, et ne pas laisser à la Perse
le temps d'organiser sa défense.
Cependant, des difficultés survenues en Europe (3) empê-
chèrent Alexandre de se lancer de suite en Asie, d'après les vues
de son père ; ce délai, la cour de Suse l'employa non pas à grou-
per ses forces et à les ])réparer au combat, mais à semer son or
dans l'Hellade, espérant la soulever contre la Macédoine. Dans
leur orgueil, les Perses ne supposaient pas que le théâtre de la
guerre pût jamais s'étendre au delà de l'Asie Mineure. Que pouvait,
à leurs yeux, le roitelet d'un petit État grec, contre le colosse
obéissant au Pioi des Rois !
On conçoit fort bien cet état d'esprit de la part d'un monarque
oriental et de son entourage, vivant dans la quiétude et les plaisirs,
loin de toute frontière, de tout souci, dans une capitale telle que
Suse, éloignée de plusieurs mois de route de la plus proche limite
(1) Cf. Arrien, Irail. Chaussard, I, p. 5, (3) (Arrien, I, 2) Expédition contre les Thra-
note 1, p. 24: — Diod. de Sicile, trad. Terras- oes (3), contre les Triballiens (4), contre les
son, l. V, p. 4; — Justin, etc. Gèles (5), contre Clitiis et les T;iiilantiens
(2) Cf. Polybe, III, 2. (cli. II, 1), contre la Béolie.
LA PRKI'ONDKUANC.E HELLÉNIQUE Zi59
de l'Empire. L'expédition des Dix-Mille avait été oubliée; peut-être
même n'y avait-oii jamais attribué plus d'intérêt qu'aux révoltes
dans l'Arménie ou le pays des Sakes. Le roi ne connaissait
d'ailleurs la vérité sur son empire que par l'intermédiaire de cent
bouches flatteuses. L'étiquette, en Orient, ne veut-elle pas qu'un
sujet ne dise jamais à son maître « non »?
Enfin, après avoir assuré sa politique en Europe, réglé quelques
difficultés en Thrace et dans l'Illyrie, détruit Thèbes révol-
tée (335) (1) à la fausse nouvelle de sa mort, Alexandre fi'anchis-
sait le Bosphore (2) sans rencontrer la moindre résistance. Les
Perses n'avaient même pas songé à garder cette frontière tout
particulièrement menacée et d'une défense facile. AGranique (3)
(33/i), il défit les satrapes, et l'Asie Mineure entière tomba dans
ses mains (/i), comme conséquence de cette première rencontre.
L'armée macédonienne se composait de trente mille fantassins
et de quatre mille cinq cents cavaliers (5). C'est avec un aussi faible
effectif qu'Alexandre allait se mesurer avec les Perses; mais cette
poignée d'hommes, conduite par des chefs de génie, était vaillante
et disciplinée, instruite des choses de la guerre (6).
Dix mille soldats grecs avaient impunément traversé l'Empire;
Alexandre pensait, avec juste raison, que trente-cinq mille suffi-
raient pour le terrasser. 11 eût pu s'attaquer de suite aux forces
principales des Perses, marcher sur Babylone, Suse et Persépo-
lis; dans l'état d'anarchie et d'afTaissement où se trouvait alors
l'Empire, il était certain du succès. Mais, par prudence, le roi
de Macédoine préféra s'assurer des provinces occidentales, de
celles dont il aurait besoin en cas de revers, et qui, toujours prêles
à la révolte, étaient les plus aisées à détacher des Achéménides.
Il savait d'ailleurs que, bien certainement, ce nouveau délai ne
serait pas utilisé par ses adversaires.
L'Asie Mineure, très hellénisée, ne supportant qu'avec peine le
(1) La conquête de la Grèce par les Macédo- XVII). Alexandre voulait effrayer la Grèce
niens servit encore les liaincs des Grecs les par celte terrible répression afin de ne pas
uns vis-à-vis des aiilres. « Cependant le vain- laisser derrière lui de révoltes à craindre,
queur (Alexandre) irrité fait un hiirrihle car- (2) Arrien, I, m.
nage des Thét)ains. On doit moins latlT-ihuer (3) Arrien, I, iv.
aux Macédoniens (|n'à ceux de Platée, de la (4) Arrien, I, v et vi ; it, i à m.
Phocide et autres de la Béolie. On égorge les (fi) Justin, XT.
uns au sein de leurs ff)yers, les autres aux (6) Arislid)nle affirineque le trésor de guerre
pieds des autels; la résistance cl la prière d"Alexandie était de soixante-dix talents. Mais
sont inutiles : on n'épargne ni les femmes ni . Onésicrile prétend (|ue, bien loin de posséder
les enfants » (Arrien, !.. I. C. II, § 3. Cf. Pi.u- celle somme, il était endetté de deux cenls.
Tarque, Vie d'Alexandre; Diodore de Sicile,
/|60 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
joug oriental et déjà en partie occupée par les troupes que Phi-
lippe avait fait passer en Troade, vit, dans bien des provinces,
un libérateur en Alexandre ; et les garnisons perses furent rapi-
dement chassées de toutes les villes.
Il n'en fut pas de même en Syrie et en Phénicie (1) où, malgré
la victoire d'Issus (2) (333) remportée sur Darius Codoman lui-
même, Alexandre rencontra une assez vive résistance. Les Phé-
niciens, ennemis séculaires des Grecs, dont les flottes avait puis-
samment aidé les Achéménides, se montrèrent loyaux ; il fallut
vingt mois pour les réduire.
Pendant ce temps, les Macédoniens visitaient PÉgypte (3), où
l'élément grec, très nombreux, fit accepter avec joie leur domi-
nation.
Ayant soumis toutes les provinces maritimes, s'étant même
assuré du concours de beaucoup d'entre elles, ne laissant sur ses
derrières aucune préoccupation, Alexandre, attaquant le cœur
même de l'Empire, marcha sur le Tigre. Là, près des ruines de
Ninive, dans ce pays même où s'était faite la grandeur des Ira-
niens, à Gaugamela (331 ^, il écrasa la multitude des Perses [h).
Darius Codoman s'enfuit dans ses provinces occidentales, où l'as-
sassinat, mettant fin à ses jours, acheva la ruine des Achémé-
nides (5).
Babylone (6), Suse (7), Persépolis (8) tombèrent en quelques
mois; puis (330) ce furent Ecbatane, Piagès (9), l'Hyrcanie (10),
l'Arie (1 1 ), laDrangiane, laBactriane .12), la Sogdiane (13) (328-327),
et enfin l'Indus (1Z|)(3*26), qui virent la phalange macédonienne; et
le roi rentra dans Persépolis (15) (31 'i), Suse (10) et Babylone (17),
son armée refusant de conquérir le monde entier pour lui.
Les affaires de Granique et d'Issus n'avaient été que d'impor-
tance secondaire ; celle d'Arbèles (Gaugamela) fut décisive, parce
que dans la vallée du Tigre, boulevard de son royaume, Codoman
avait réuni toutes ses forces. Contingents de tous les pays de
(1) Arrien, II, vu; Ouinle-Curce, IX, 6. à B;il)\ loue, à Ecbalane et à Persépolis.
(2) Arrien, II, v. ~ (t^j Xrrien, III, vi, § 4.
(3) Arrien, III, i-iii. (il) Arrien, III, vu, § 1.
(4) Arrien, III, iv-v. (10) Arrien, III, viii, § 1.
(5)"A;T;>/i, UI, vu, § 4. (11) Arrien, III, viii, § 3.
(6) Arrien, III, vi. (H) Arrien, III, x.
(7) Alexandre trouva dans le trésor de (13) Arrien, III, x, § 4 ; IV, i-vii.
Suse cinquante mille talents (1.787.500 francs (14) Arrien, IV, viii-x ; V, i-iv.
environ) (Arrien, III, vi); mais ce trésor (1.5) Arr/en, VI, viii.
n'était pas le seul, il y en avait dans toutes (IH) Arrien, VII, ji. ji 1.
les villes importantes et plus spécialement (17) Arrien, VII, v, § 1.
LA PRÉPONDÉliANCE IIELLÉMOUE
461
TAsie, éléphants, chars armés de faux, tout ce qu'un souverain
oriental pouvait opposer à l'ennemi se trouvait concentré près du
Zab, au pied des montagnes Kurdes que Darius, en cas de revers,
pensait utiliser pour sa retraite. Mais, de même qu'à Marathon et
à Platée, l'habileté tactique, l'instruclion et l'entraînement des
Notions géographiques des Grecs au m' siècle av. J.-C, d'après Eratosthène.
troupes, le courage individuel, la discipline triomphèrent du
nombre. Darius Godoman fut défait en monarque asiatique, son
armée se débanda, s'enfuit, disparut ; et lui-même, demeuré
presque seul, gagna les gorges des montagnes.
La journée de Gaugamela est certainement l'une des plus
importantes de l'histoire mondiale, non par la victoire elle-même
qui s'y remporta, mais par ses conséquences. Elle marque la fin
de la prépondérance politique des Asiatiques, l'écrasement de la
dernière de ces puissances brutales qui, jusqu'à ce jour, avaient
régi le monde ; elle signale l'entrée en scène de conceptions poli-
tiques nouvelles, de sentiments humains, de notions jusqu'alors
inconnues sur les devoirs et les droits du citoyen vis-à-vis de sa
patrie ou de son roi, de ceux du souverain envers ses sujets. Ces
notions, l'Orient ne devait jamais les comprendre ; mais du
moins, venait-il de perdre le pouvoir, d'en arrêter l'essor.
Dès ses débuts, la Grèce avait tâtonné au milieu de toutes les
formes de gouvernement, de toutes les combinaisons de la poli-
UQ^ LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
tique ; tour à tour elle avait usé de tous les régimes. Plus avancée
que la !^Iacédoine son élève, elle était aussi plus versatile, moins
fortement organisée, moins disciplinée. Il lui fallait un chef pour
que, dégagée des préoccupations mesquines, elle fût à même de
répandre sa culture ; c'est ce qu'elle fit à la suite des armées macé-
doniennes.
Esprit cultivé, entouré dès son enfance de grands penseurs,
le jeune roi aimait le commerce des sommités intellectuelles, et
s'en faisait accompagner dans toutes ses guerres. Ce sont ces
hommes qui contribuèrent le plus à l'expansion de l'esprit hellène
jusqu'aux frontières de l'Inde. Fidèles aux traditions de leur race,
ils eurent une influence énorme sur les officiers et les soldats de
l'armée victorieuse, les empêchant de trop subir l'attrait des mœurs
orientales, et sur les Asiatiques en leur montrant la supériorité
de leur pensée.
Alexandre était un impulsif, possédant à l'excès toutes les
qualités et tous les défauts. Aristote essaya, mais en vain, de don-
ner le change à cette àme ardente, en cherchant à lui faire oublier,
par la passion de tout savoir, celle de tout subjuguer (1).
Et Alexandre était de bonne foi quand il écrivait à son ancien
maître : « Tu publies ta doctrine; en quoi difîérerais-je du reste des
hommes, si les nobles connaissances que je te dois deviennent
communes ? Ne sais-tu pas que j'ambitionne et que je place la
suprématie de la science au-dessus de celle du pouvoir ? »
Le récit des débuts d'Alexandre laisse une impression d'ex-
trême grandeur, de fougue irrésistible, même parfois de sagacité.
C'est que le jeune roi était encore sous l'impression des leçons
d' Aristote, sous l'influence des grands hommes dont son père
avait su s'entourer. ^Nlais peu à peu, les succès, les triomphes, les
adulations corrompant son âme, le milieu dans lequel il se déve-
loppa en fit vite un monarque oriental. Se croyant l'égal d'un
dieu, revêtu du costume d'Hercule, il se fit adorer, devint débau-
ché, cruel, injuste, même pour ces généraux, amis de son père,
dévoués cà son trône, qui, plus que lui-même, avaient fait l'Empire.
Alexandre n'avait rien créé des forces qu'il mit en œuvre pour
la conquête du monde, il les trouva toutes prêtes ; il n'eut pas à
remplir son trésor, à former ses officiers, à exercer ses soldats ;
(1) p. CiiAUSSARD, His'. des expéd. d'Alexandre, trad. «le FI. .' r.'ieii: lSiJ-2. inlrodiiclion, p. 94.
LA PRÉPONDÉRANCE HELLÉNIOUt:
im
11 hérita de tout, même du titre de généralissime des Grecs. Le
<Jestin le choisit pour mettre son nom sur cette grande œuvre ;
mais sans lui elle se serait accomplie, car l'Asie avait vécu, devait
céder la place aux peuples neufs. C'était une loi fatale, et l'ère
nuxh^rne devait commencer.
Notions géographiques à l'époque romaine il" s. ap. J.-C), d'après Strabon.
Dans sa course folle au travers de l'Asie, Alexandre renversa,
mais ne construisit pas. Combattant sans cesse, il devait souvent
envisager la mort; car s'il se faisait passer pour un dieu, il n'igno-
rait pas sa destinée. 11 aurait dû se préoccuper de ce qu'après lui
deviendrait son empire.
Il n'en fit rien et à peine eut-il fermé les yeux que la division
se mit dans son œuvre. Les rivalités grecques, les cupidités, les
jalousies qui, dans l'Hellade, avaient paralysé les efïbrts, s'éten-
dirent de suite à toute l'Asie. Chacun des généraux voulut avoir
sa part dans cet immense empire, que le courage de tous avait créé.
De toutes ces conquêtes, de tous ces grands faits d'armes, que
restait-il? d'admirables morceaux de prose et de poésie, et la guerre
pour des siècles. Ce n'étaient plus, comme autrefois, les peuples
(jui se battaient pour leur indépendance ; mais pai'tout les Grecs
qui, s'étant donné pour champ de bataille le monde entier, aux
vieilles rancunes en ajoutaient de nouvelles ; qui, disposant de la
puissance suprême, montraient dans les grandes choses, comme
llQll LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
autrefois dans les petites, leur incapacité gouvernementale.
Après de sanglantes et interminables compétitions (1), bien peu
des trente-quatre généraux d'Alexandre fondèrent des royaumes
importants et durables.
L'Egypte prospéra sous les Lagides, jusqu'au moment où César
s'en empara.
La Syrie et la Perse devinrent la part des Séleucides, royaume
immense (2) mais sans cohésion, qui devait tomber sous les coups
des Parthes et des Romains.
La Macédoine, l'Épire et la Grèce proprement dite, dont Rome
avait successivement ravi l'indépendance dès i!i6 av. J.-C.
Quant aux pays hellènes d'Asie, ils furent divisés en une
foule de petits Etats, tous hostiles les uns aux autres et perpé-
tuellement en guerre.
Le royaume de Pergame, le plus important de tous, naquit
des guerres entre Séleucus Nicator etLysimaque. Petit et insigni-
fiant à l'origine, il s'accrut vite, grâce à la sagacité de ses princes,
et s'étendit bientôt à presque toute l'Asie Mineure; en 131 avant
l'ère vulgaire il devenait province romaine.
La Bithynie, qu'en 7Zi av. J.-G. Nicomède III légua aux
Romains.
La Paphlagonie qui, exposée aux ambitions des rois de Pont et
de Bithynie, vécut cependant jusqu'en 101 av. J.-C.
Le Pont, l'un des Etats les plus célèbres par ses guerres contre
Rome et par son grand roi ]\Iithridate V, s'étendait sur les côtes
méridionales, orientales et septentrionales de la mer Noire,
renfermait les peuples caucasiens du bassin du Phase, les anciennes
colonies grecques des côtes d'Afkhasie,de Crimée, du Don. Il vécut
jusqu'en 63 av. J.-C.
La Cappadoce, qui ne devint province romaine qu'en l'an 17
avant notre ère.
La Grande-Arménie, dont les rois, politiques habiles, s'ap-
puyaient tour à tour sur Rome et sur les Arsacides de Perse, par-
vint à conserver une indépendance relative jusqu'à l'époque de
Trajan (114 ap. J.-C).
La Petite-Arménie, qui succomba sous Néron (5/i ap. J.-C).
(1) Alexandre à son lil de mort aiirnil dit : (-2j En 312, Chandragoupta (Sandracatlos)
« Les jeux funèbres que l'on célébrera sur ma s'empare du Pendjab et de la vallée du Gange,
tombe seront sanglants. » (Arrien. VII, vu, Il traite avec Séleucus qui lui reconnaît toute
6.; la vallée de l'Indus.
LA PRÉPONDÉRANCE IIELLKNIOUE /,65
La Bactriane qui, exposée aux Perses d'une part, aux nomades
du Nord de l'autre, maintint sa liberté jusqu'en 80 av. J.-G.
Le royaume des Arsacides (Partlies) qui, fondé vers 256 av. J.-G. ,
s'étendit graduellement sur toute la Perse, devint le plus redou-
table adversaire des Romains en Orient, et dont les dynastes furent
détrônés en 226 par une famille iranienne, celle des Sassanides.
Enfin, le royaume juif, minuscule |)rincipauté syrienne qui, à la
faveur des troubles, put se reconstituer et conserva un semblant
d'indépendance jusqu'au milieu du premier siècle de notre
ère ('1).
Si la conquête d'Alexandre ne laissa derrière elle aucun édifice
politique durable, du moins répandit-elle jusqu'aux confins de
l'Inde et de la Chine (2) les goûts et la culture grecs.
Bien que chacune des provinces eût son centre d'hellénisme,
il ne se forma dans l'Orient que deux véritables foyers : l'un, celui
de Bactres, dont les eflets se firent sentir vers les Indes (3) ;
l'autre, celui de Parthie, qui, pendant quatre siècles environ, éten-
dit son influence sur toute la Perse.
Les querelles qui survinrent entre Antiochus Théos et Ptolé-
mée Philadelphe occupant en Occident toute l'attention des Séleuci-
des, les satrapies de l'Orient eurent tout loisir de se déclarer indé-
pendantes. C'est alors (255 av. J.-C.) que Diodotus, gouverneur de
Bactriane, fonda son royaume.
L'esprit grec se conserva longtemps dans ce nouvel État ; la
langue hellène demeura celle de la cour et fut, au début, la
seule usitée pour les légendes des monnaies. Les arts, purs
d'abord, s'imprégnèrent peu à peu de l'esprit et des goûts du pays;
la langue indigène [!i) apparut dans les légendes bilingues des
(1) Dcslruclioii de Jérusalem par Titus en (4; L'origine sémilique de lalphal)et indo-
70 après J.-C. baclrien est hors de doute ; pour s'en rendre
(2) Cf. Ed. Blanc, Documents archéol.reia- compte, il suffit de comparer cet alphabet
tifs à l'expansion de la civilisation gréco-bac- avec celui des inscriptions «pie portent les
Irienne au-delà du Pamir, ds Actes XI' Cou- monnaies des Satrapies achêménides de l'Asie
yrés des Orientalistes, Paris, 1897 (1899), p. 233. Mineure, de la Mésopotamie et de la Cilicie.
(3) La philosophie de la Grèce, plus que sa (Cf. Pu. Beroer, Ilist. de l Ecriture, 1891,
religion, avait remué la pensée iranienne ; non p. 2-ÎH ; — Luynes, Numismali<]ue des Satrapies,
point toute la philosophie grecque, mais le Paris, 18Ki, in-i, pi. III cl IV; — Waddi>g-
plalonisme, qui fut là aussi, comme dans to.n, Mélaïujes de numismatique et de philologie,
l'Asie occidentale, le nœud d'alliance de Paris, 1867, p. 71, sq. ; — Babelon, Xum. des
l'Orient et delà Grèce. Et ce qui, dans le néo- Perses achêménides.) Il semble que le Irans-
platonisme, séduisit les penseurs du maz- port de cet alphabet de Mésopotamie en
déisme, ce fut ce qui.à la mêmeépo(|ue, sédui- Bactriane s'est fait sous les Achêménides
sait les juifs hellénisants, c'est-à-dire celle pour les besoins administratifs. Plus tard, en
intelligence divine, ce Logos, détaché de la Bactriane, ces signes ont évolué d'une manière
divinité et s'inlerposanl entre elle et le spéciale.
monde(J. DAR.MSTETER, /e ZcnJ ^U'esin, t. III, Les alphabets indiens dérivent tous de
1893, inlrod., p. 99). rali)habet araméen d'époque acliéménide (Pu.
30
/i66
LES' PREMIÈRES CIVILISATIONS
médailles (4); aux dieux grecs se substituèrent peu à peu les divi-
nités hindoues, hellénisées d'abord, puis oifrant tous leurs
caractères indigènes (2).
C'est qu'après la chute des Séleucides dans l'Iran, depuis que
les Arsacides occu[)aient tout le plateau, Bactres se trouvait com-
plètement isolée du monde grec ; qu'elle en était réduite à vivre
sur ce qui lui avait été laissé par les Séleucides, sans renouvelle-
ment d'influence hellénique. Peu à peu les goûts et la culture
indigènes prirent le dessus.
L'art indo-grec, résultat de ce mélange, eut plus tard une
influence considérable sur toute l'Asie orientale. Quant à la langue
grecque, elle disparut peu à peu pour faire place aux idiomes
locaux, employant une écriture spéciale (3) née, semble-t-il, de
Taraméen des temps achéménides.
En Parthie proprement dite, et ])lustard, dans toufle royaume
Berger, Hist. de l'ccrilure dans l'antiquilé,
1«91, chap. VII, p. -221, s^q.)- Le« plus anciennes
inscriptions parvenues jusfpi'à nous sont les
textes dits do Piyadasi ou d'Açoka, datant du
milieu du troisième siècle avant notre ère ;
elles sont rédigées dans la même langue mais
en faisant usage de deux alpliabets différents:
rindo-BacIrien dans le nord-ouest de la pé-
ninsule et l'Indien dans les pays du centre.
(Cf. E. SÉNART, les Insciiplinns de Pii/adasi,
t. I et II, Paris, 1881. — Id., Notes d'épigrapliie
indienne, ds /ou;/!.. 4 s/af., 1888, pp. 504-532, avril-
juin; 311-330, sept. -ocl. et pi.). De ces deux types
sont dérivés tous les alpliabets de l'Inde, entre
autres le Koulila, qui doit son nom à une ins-
cription de l'an 092 de notre ère et qui fournit
un type, bien daté, de la forme de l'écriture
d'où est sorti le Dévanagùri (Pu. Berger, op.
cit., p. 235) dont le plus connu est le sanskrit.
Cet alphabet parti d'un principe simple s'est
compliqué par suite des ligatures qui ont fini
par constituer de réels signes syllabiques ; le
nombre de ces signes en sanskrit est de 800.
(1) Cf. .\. CuNNiNGUAM, Coins of llie Indo-
Scythians, in Niim. Chron., vol. VIII, séries
III, pp. l'.l9-248, réimpression. Londres, 1888.
— Id., Coins of Ancient India. Londres, 1891.
(2) Les systèmes religieux que nous nom-
mons Djainisme et Bouddhisme descendent
des philosophies oubliées des temps préhis-
toriques, mais furent fondés par les deux
philosophes Vardhamana Mahavira et Gau-
tama Bouddha, qui vécurent à la même époque
environ, dans le royaume de Magadha, aujour-
d'hui Bihar (Cf. IIoÈrnle.7Voc. As. S. B., 1898,
pp. 39-53); l'un de ces personnages était appa-
renté à la famille régnante de Magadha ; l'autre,
né dans le territoire de Sakya au pied des mon-
tagnes du Néi)al (Cf. Rockhill, Life of ihe Dud-
d/!a,p. 114), descendit dans la vallée du Gange
où il prêcha spécialement dans le royaume de
Kosala, l'Oudh de nos jours. Vers celte
époque, avant notre ère, l'Inde jouissait donc
d'une civilisation déjà quelque peu développée :
elle se divisait en une foule de principautés
correspondant aux anciennes tribus de l'in-
vasion aryenne. C'étaient le royaume de Ma-
gadha avec son tributaire celui d'Anga, le
royaume de Kosala et bien d'autres, tel celui
de Kasi (Benarès). La prépondérance semble
avoir été vers le sixième siècle entre les mains
des souverains de Kosala; le royaume de Kasi
avait été absorbé par son puissant voisin ; ce
n'est (pie plus laid, un siècle après environ,
(pie les rois de Magadlia s'emparèreni de
l'hégémonie (Bamhisara vers 528 av. J.-C.). —
Mort de Gautama Bouddha, vers 487 av. J.-C.
sous le rèaiie d'Adjatasatrou (V. A. SiMirn,
The earhj Hist. of India, Oxford, 1908, p. 30 et
42). Le Bouddhisme a commencé à sortir de
l'Inde dès le règne d'Açoka, qui envoya des
missionnaires dans l'empire des Séleucides.
Mais ce n'est que sous les princes grecs de la
Bactriaue qu'il se répandit dans l'Iran oriental
vers le deuxième siècle avant notre ère ; au
premier siècle av. .l.-C, il était établi à Bac-
tres et y subsista jusqu'à la conquête isla-
mique (Cf. Clément d'Alexandrie, Slromates,
I ; — J. Dar.msteter, le Zend Avesla, t. III,
1893, introd. p. 48). Le synchronisme de toute
l'histoire de l'Inde antérieure repose sur
l'identification de Sandrakottos des Grecs,
contemporain de Seleucus Nicalor, avec
Chandragupta-Manrya (Cf. V. A. Smith, The
earhj Hisl. of India, Oxford, 1908, p. 17). Jus-
qu'à celte époque aucune date n'est donc fixée
de manière positive.
(3) On n'a pas jusqu'à ce jour rencontré aux
Indes une seule inscription qui soit si"iremenl
antérieure à celle d'Açoka (vers 250 av. J.-C).
Celle du vase renfermant les reliques de
Bouddah à Piprawa, attribue-e jadis au milieu
du cinquième siècle av. J.-C, a été reconnue
depuis comme très postérieure à cette époque
(Cf. Barth, J. des Sauanls, oct. 1906, Ind. An-
liq., 1907, pp. 117-121).
LA PRÉPONDÉRANCE IIELLÉNinUR /,67
arsacide, le grec resta en honneur comme langue et comme goûts
artistiques; il domina dans rarchiteclure, la sculpture, la glyptique,
la gravure des métiailles, jusqu'à la lin du premier siècle de notre
ère. Puis, peu à peu, les arts déclinèrent et la langue indigène prit
la place du grec; on récrivait alors en caractères araméens (1).
Lors de la révolution sassanide, les rois parlhes n'employaient
plus le grec sur leurs monnaies < 2) ; peut-être même cette langue
avait-elle complètement disparu du parler oflîciel, pour faire place
au persan sassanide, très imprégné de sémitisme.
La Transcaucasie (3) et l'Arménie (/i) suivirent l'influence de
leurs voisins les rois du Pont et ceux de la Perse. Leur numisma-
tique en fait preuve; mais ces pays, qui subirent l'hellénisme sans
s'en imprégner, ne nous en ont laissé aucune trace, en dehors de
leur monnayage.
Les langues karthweliennes ne se prêtaient guère à l'emploi
des caractères grecs, pas plus d'ailleurs que le parler des Armé-
niens ; en sorte que ces peuples n'usèrent pas de l'écriture dans
les temps qui précédèrent le christianisme. Leurs alphabets
furent, dans les premiers siècles de notre ère, forgés de toutes
pièces par le clergé chrétien.
En Syrie, en Phénicie, le grec devint cà la mode ; mais il ne
rentrait pas dans les tendances indigènes. Aussi ne connaissons-
nous de ces pays que des œuvres de fort mauvais goût et d'exécu-
tion plus déplorable encore. Les beaux morceaux rencontrés dans
cette région sont tous dus à des artistes de l'Ilellade.
Babylone et Suse (5) demeurèrent en dehors du mouvement
hellénique; c'est à Séleucie, sur la rive droite du Tigre, que s'était
fixée la cour; et là seulement que le grec fut en honneur. Si
nous en jugeons par la numismatique des rois de Syrie, les arts
n'étaient pas moins développés en Chaldée que dans la Grèce
elle-même. Quant à la capitale, ruinée de fond en comble,
elle fut exploitée, comme carrière, pour la construction de Ktési-
phon, ville située sur la rive opposée du fleuve, et n'a pas
laissé de traces. En parcourant le site où jadis elle s'éleva, on a
peine à croire que là se trouvaient autrefois des palais et des
(1) Cf. Allotte de la Fuye, Monnaies de des suites monétaires de la Géorgie. Paris, 1860.
lEIymaide, ds Mém. Délég. en Perse, t. VIII, (4) Cf. E. Babelon, les Rois de Syrie, d'Ar-
1905, p. 1 7, sq. ménie et de Comnuujène. Paris, 1890.
(2) Cf. W. Wroth, Catalogue of tlie Coins of (5) Bien qu'occupée sous les Séleucides,
Parlhia. Londres, 1903. Suse avait perdu son rang de capitale et
(3) Cf. V. Langlois, Essais de classi/icuK n uétait plus qu'un clief-lieu de province.
/,68 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
temples somptueux, que de ses murs sont parties ces armées qui,
si longtemps, ont tenu en échec les légions romaines.
Tant que dura le régne des Séleucides, le grec fut la langue
officielle de la Chaldée; tandis que dans les villes de second ordre,
parmi les indigènes, on employait encore les dialectes sécrivant
en signes cunéiformes et surtout en caractères araméens. Après
la chute de ce royaume, ses provinces suivirent en tout la fortune
des Arsacides d'abord, des Sassanides ensuite.
En Egypte, déjà l'influence grecque s'était amplement fait
sentir sous les dernières dynasties nationales. La renaissance saïte
décèle des tendances vers le naturisme, qui n'étaient certainement
pas dans les goûts pharaoniques de cette époque.
Avec les Lagides, deux arts se développent côte à côte : l'un,
l'art pharaonique, gagnant au contact des Grecs une souplesse, une
élégance, une régularité d'ordonnance qui lui donnent un aspect
agréable et caractéristique; l'autre, l'art grec, perdant entre des
mains indigènes les qualités de simplicité et de vie qu'on ne
retrouve en Egypte que dans les œuvres importées ou produites
par des artistes de sang hellène.
La langue nationale et religieuse demeura l'égyptien (t), tandis
que celle de la cour, de la haute société, était le grec. Alexan-
drie, la nouvelle capitale, colonie hellène, était le grand foyer
intellectuel de toute la Méditerranée. Littérateurs et savants y
venaient en foule, attirés par sa fameuse bibliothè(|ue et par le
luxe raffiné de sa cour.
Ainsi, trois siècles après la mort d'Alexandre, il ne restait plus
de son œuvre que deux ou trois centres intellectuels, grecs d'abord ;
mais, ayant évolué sur les aptitudes et les tendances locales,
ils produisaient des ceuvres spéciales, ouvrant à l'esprit humain
des champs nouveaux.
Pendant qu'Alexandre envahissait l'Asie, Rome, encore mo-
deste, aflermissait son pouvoir dans l'Italie même, luttait contre
tous les petits peuples occupant presque sa banlieue, établissait ses
usages, ses lois, sa constitution, aguerrissait son armée et, la tenant
toujours en haleine, l'entraînait pour des luttes sur un champ
plus vaste. Les Samnites, les Etrusques, les Gaulois, les Sabins,
(I) Au conlacl do lalphabel hellène, l'usage quelques autres spéciaux à sa phonétique.
(les hiéroglyphes se perdit peu à peu, la langue Ainsi se forma le copie,
indigène fit usage des caractères grecs el de
LA PRKrONDKRAXCK nF:LLKNIOUE
!im
Inscriplion laline de Due-
nos, m* s. av. J.-C. (1)
tour à lour vaincus, l'oiinèrent le noyau de la puissance romaine.
C'est à force de battre et de rel)attre tous ses voisins, sans se
lasser un seul jour, que Home forgea ses armes pour la conquête
du monde. Qui négligerait, par ennui,
d'étudier ses débuts, risquerait de ne rien n^mOQloyi^Q]^ ?^V^'
comprendre à la désinvolture avec laquelle Vyi^0J0(JkI'^(7^T/^HT^tf'^
la ville qui avait péniblement usé des 0\X\OVt(^^HMO)Vjl\
siècles a réduire sa banlieue, renversa w)V^^{]C:|^^û^vtl^OH^va
ensuite tous les Etats riverains de la 0{V]\OV\^Q^O^\-^^O\1A
Aletliterranee. vjv,/-.vv,n
Dès le sixième siècle, sa politi(|ue
avait déjà traversé les mers : le traité de
510 avec Carthage en est la preuve ; elle
le renouvela en 279, en même temps que celui de 3/iO. Pyrrhus
alors menaçait les deux puissances, l'une en Italie, l'autre en
Sicile. Carthaginois et llomains, plus avisés (|ue les Grecs,
s'allièrent devant l'ennemi commun.
Mais cette entente ne dura que tant qu'il y avait danger.
Rome et Carthage ne pouvaient
être qu'ennemies, car toutes
deux ambitionnaient la supré-
matie, tout au moins dans la
Méditerranée du soleil cou-
chant.
Carthage avait créé dans l'Occident un véritable empire. Elle
régnait sur toute la côte d'Afrique, depuis laCrande-Syrte jusque
bien au delà des Colonnes d'Hercule. La Sardaigne (3), les îles
^zo,^,V''7tV'7ijnj^^^
Inscription punique. !"• s. av. J.-C. Urne
funéraire de Sousse (2).
(1)(M. Bréai-, Ecole française de Rome, Mé-
langes d'nrchéoloijie el d'hisloire, I. M, 1882,
p. 147-167, pi. IlL)
lOVElS (Jui)itcr) AT. faut) DEIVOS idcus)
QOI cui) MED. (me) MITAT. (miUal iste)
NEl. (ne) TEDI (le) ENDO (endo) COS.MISV
(commissi.) IRCO (ergo) SIED, (sit ).
ASTED. (asl le) NOIS (nobis) 10 (eo)
PETO (penso) ITES (/..Ta.;) lAI (lis)
PACARI (pacari) VOIS (velis). DVENOS
(duenos) MED. (me) FECED (fecil.) EX.
(in) MANOM (boniim) EINOM (nunc.)
DVENOI (Dueno) NE (ne) MED (me) MALO
(malo) ST.VTOD (sistito.).
Trad. — .Jupiter ou quel que soit le dieu
auquel celui-ci m'adressera, que celui-ci ne
tombe point enire les mains pour ce qu'il a pu
commettre. Mais laisse-toi fléchir par nous
au moyen de ce don, au moyen de ces céré-
monies. Duenos m'a offert en hommage pour
son repos ; ne me prends pas en mauvaise
part pour Duenos.
(2) " l'rne à ossements de Lalanmelek, fils
de Bomilcar. lils d'Abdmelqari le... (Cf. Rei<.
Arch., 1880, p. 21-41.)
(:<) Les Cai-Uiajiinois, parvenus au comble de
leur |)uissance, se rendirent niailres de la
Sardaigne, mais ne réussirent jias à soumel-
Ire les populations qui vivaient dans 1 ile
avant leur arrivée. Les loléens se réfugièrent
dans les montagnes (Dioilore de Sicile, V,
XV, 4), d'où ils ne cessèrent de piller les
comptoirs carthaginois, puis ensuite les colo-
nies romaines (Dion, Cassius, LXV, 25. — Ta-
cite, Aniidles, II, 8.')}. On ne sait pas à quelle
souche ethnique se rattachaient ces popula-
tions primitives ; qu'elles aient été ligures ou
libyennes, juscpi'ici nous ne saurions le dire.
(Cf. G. DE IIuMBoi.DT, PvHfung der Unter-
suclnmgen iiber die Urbewohner Hispaniens,
Ii70
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Baléares lui appartenaient en entier; elle se disputait la Sicile
avec les Grecs de Syracuse ; en Espagne, elle possédait de nom-
breux comptoirs.
Sa puissance, tant en Afrique qu'on Europe, ne s'étendait
pas au loin dans l'intérieur. Sa politique commerciale et maritime
réclamant avant tout des débou-
chés et des comptoirs, s'accom-
modait mal de grandes posses-
sions territoriales. Fille de la
Phénicie, elle avait conservé les
traditions de ses ancêtres sur la
conception d'un l^^tat. Tant qu'elle
ne rencontra pas d'oppositionstrés
sérieuses, elle prospéra, s'éten-
dit; mais du jour où Rome inter-
vint, elle dut modifier sa façon
d'être, rejeter la raison commer-
ciale au second planetsefaire puis-
sance territoriale, afin de lever les
armées dont elle ne pouvait plus
se passer. Ce fut sa perte.
Le centie, jadis en Orient, à
Babylone, à JNlemphis, à Ninive,
à Athènes, s'était déplacé vers
l'Occident. Les Grecs, divisés à
l'infini, toujours en guerre les uns contre les autres, ne pesaient
plus dans la balance. Seules, Rome et Carthage se trouvaient en
présence : l'une, jeune, hère, forte, courageuse, ])laçant au-dessus
de tout le respect d'elle-même, consciente de sa destinée ; l'autre,
héritière de la barbarie de l'Orient, cruelle dans ses mœurs,
commerçante, ne rêvant que richesses comme toutes les races asia-
tiques, proj:)ortionnant la gloire aux trésors acquis par la guerre;
mais opulente, puissante par son or, par son renom, par la durée
déjà longue de sa grandeur.
La lutte était inégale ; car certes, au début des guerres puniques,
Possessions carthaginoises
en Sai'daiene.
Berlin, 1821, p. 168. — Diefenbach, Celtica, Sarrlegna prima rlel dominio romano, Sfadi
p. 18. — Id., Orùiinex Europae, p. 09. — Nie- Slorici ed (trcheohxfiei. Ronia, 1881, p. 16, sq.)
mmR, Romisclie Geschiclite, II, p. 585. — D'An- Pansanias amène en Sartlaigne des Lybiens
BOIS DE JuBAiNViLLE, les Premiers luthitants de (X, xvn, 2), puis des Il)ères (X, xvii, 4.)
l'Earope. Paris, 1877, p. 43, .sq. — Pais, la
LA PRÉPU.XDKilAXCK IIELLKMOUE
/i71
les ressources de Rome étaient bien inférieures à celles de ses
adversaires. ^lais, aux sentiments patrioli(|ii(^s de la ville éter-
nelle (1), à la conscience de sa valeur, Carlliaoc n'avait cà opi)Oser
que des troupes mercenaires, que des calculs d'intérêt. Le vieux
monde et le nouveau, avec
leurs qualités et leurs défauts,
se trouvaient eu préscMice. lîonie
écrasa le dernier ^estige des
vieux empires, l'Asie avait vécu.
Quant aux autres contrées,
la Gaule, l'Europe centrale et septentrionale, l'Inde (3), la Chine,
elles n'étaient point encore mûres pour entrer sur la scène de
l'histoire mondiale.
w vm-m-mv-nm-mum'-
Ecriture niiii(|ue (issue de l'écriture
latine; '2).
(1) Les Romains allacliaiciil. ilrs les drliuts
de leur puissance, une si haute valeur au
titre de citoyen de Rome qu'en 340 av. .I.-C,
ils le refusaient aux Latins, leurs allii'-s dans
toutes les guerres, en même; leiups (jue l'éga-
lité des droits politi(|ues, (|ue les peuples ré-
clamaient. Cette décision du Sénat, qui amena
la guerre latine, montre à quel point Rome
était soucieuse de ne point laisser intervenir
l'étranger dans ses affaires publiques.
2) Cf. MoNTELius, Suède préhisL, trad. par
J. Kramer, 1874. — Stèle de Visby (Apland).
« Brune fît élever et graver celte pierre après
Gud-Fast, père de Brune, et Arnvi (la fit
élever) après son mari. »
(rt) Pour la période anlérieure à Alexandre
le Grand (de 6(X> à .32G av. J.-C), les sources
historiques reposent toutes sur la tradition lit-
téraire dans des ouvrages composés à diver-
ses époques, complétés par les écrits des
auteurs grecs Ctesias, Hérodote, les histo-
riens d'Alexandre, Megasthènes et autres. Les
principaux ouvrages indigènes sont la chroni-
que (lu Cachiiiire. (/w///Kj;i(i\ Riijatanuii/ini. A
Chroniche ofthe Kimjs of Kitslimir). par A. Slein,
{I!1(X») composée vers le douzième siècle ap.J.-C.
mais renfermant une foule d'indications sur
les épocpies précédentes ; le Mahabhnrtila et
le Rainayann, les livres saints des Djaïns.
(Cf. docteur A. Guékikot, Essai de bibliographie
Jaina, réperloire analyUijue et mélhodique des
travaux relatifs an Jaïnisme. Paris, 1900) ; le
Djatdiai conlenantde très utiles documents sur
l'Inde au sixième et cinquième siècle av. .I.-C;
(Cf. professeur Cowell, et W. II. D. Rouse
Cambridge. — Cf. Riivs Davids, Ihtdahisl In-
dia); la chroniciue pâlie, Ceylau (Cf. Rnvs Da-
vids, The vicissitudes oflhe buddhist lilternture
ofCeylon. Ind. Antiq.,X\n, lW};ïesPouranas,
où se trouvent toutes les légendes sur la pé-
riode fabuleuse, les listes des premières dy-
nasties, etc. (Cf. Macdonell, Hist. of the sans-
krit littérature. — Duff, Chronologij of India.
V. A. S.MiTii, The earhj Hisl. of India, Oxford,
1908).
CONCLUSIONS
Les grandes lignes de révolution historique.
C'est au cours des temps glaciaires qu'apparaissent les pre-
mières traces positives de Texistence de l'homme ; et, jusqu'à ce
jour, nous ne possédons aucune donnée scientifique permettant
d'affirmer son existence antérieurement à cette époque. L'indus-
trie de ces temps, relativement avancée et très homogène, montre
que l'espèce humaine occupait alors la majeure partie des régions
habitables de notre globe.
Se développant peu à peu, notre ancêtre perfectionna ses
industries de manière variée, suivant les temps et les lieux.
Ces progrès amenèrent la formation d'un grand nombre de cul-
tures spéciales, contemporaines ou successives, s'influençant par-
fois les unes les autres, mais conservant, toutes et partout, certains
des caractères généraux particuliers aux temps glaciaires.
Un phénomène naturel dont nous ne saurions préciser la cause
survint, modifiant les conditions de la vie sur presque toute la
surface terrestre. Les glaciers disparurent, ouvrant à l'humanité de
nouvelles terres ; tandis que de vastes territoires disparaissaient
sous les eaux et que d'autres, jadis fertiles, devenaient stériles,
quelques-uns glacés.
Il se produisit alors, par la force même des choses, de grands
mouvements de peuples, les premiers dont nous connaissions
scientifiquement l'existence ; car, s'il en fut d'antérieurs, il ne nous
est permis, jusqu'ici, que de les soupçonner.
CONCLUSIONS ri78
Après la fin des temps glaciaires, au moment où les conditions
actuelles d'habitabilité s'établissaient sur le globe, l'homme, dans
plusieurs pays, apprit à polir la pierre, et introduisit, avec cetle
découverte, d'importantes innovations dans les mcrurs, la manière
de vivre et les industries. L'ère moderne s'ouvrait.
INIais, au début, ces progrès n'affectèrent pas toutes les régions;
les idées nouvelles, [)arlanttles foyers d'invention, ne colonisèrent
le monde entier que peu à peu.
C'est alors que l'Europe se peupla d'hommes qui, semble-t-il,
chassés par le froid, (|uittèrent le Nord de l'Asie, à la recherche
de conditions meilleures. Les vieux peuples furent absorbés; en
même temps que la nouvelle race établit partout l'état néolithique,
qu'elle avait probablement apporté d'Orient.
11 y eut forcément, pendant de longs siècles, des milléniums
peut-être, lutte des nouveaux venus contre les aborigènes.
Nous ne saurions dire quelle fut l'étendue de cet antagonisme
et, par suite, s'il existe une relation d'origine entre la culture néo-
lithique de l'Europe centrale et occidentale, et celle des pays
méditerranéens, de l'Asie antérieure ou de toute autre partie
du monde.
Rien ne permet d'admettre, comme d'ailleurs rien n'autorise à
nier, que la civilisation néolithique soit issue d'un centre unique.
Tout ce qu'il est possible d'affirmer, c'est l'extrême variabilité des
époques de son introduction dans les divers pays et la variété de
ses industries.
L'apparition du métal causa la grande révolution des temps
préhistoriques. Elle modifia du tout au tout la vie et, surtout, l'im-
portance de certains peuples par rapport aux autres ; elle permit
des groupements plus vastes ; elle fut l'origine de la constitution
des Etats.
Les centres d'invention devinrent des foyers d'où, rapidement,
se répandit une culture plus affinée. 11 se lit des classes dans l'espèce
humaine, certaines populations demeurant barbares, tandis que
d'autres, ayant progressé, devenaient de jour en jour |)lus
civilisées. Ces centres furent-ils nombreux? furent-ils conteni|)o-
rains dans leur influence bienfaisante ? Nos connaissances à cet
égard sont encore trop sommaires, pour qu'il soit permis de se
prononcer d'une manière définitive.
Toutefois, il semble (jue l'Asie antérieure fut le j)lus ancien (h^
47Û LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
ces foyers ; que les métaux y furent découverts quelque part dans
les riches districts miniers du Taurus, de FArabie, de l'Arménie
ou des chaînes iraniennes ; que de là, les connaissances métallur-
giques, encore bien primitives, se seraient répandues en Syrie,
en Egypte et dans toute la région méditerranéenne orientale où,
plus tard, elles se seraient rencontrées avec celles venant de l'Asie
centrale.
Dès la fin des temps quaternaires, nous rencontrons des
preuves de goûts artistiques très développés. L'Occident de l'Eu-
rope, seule partie de l'ancien monde jusqu'ici étudiée à ce point
de vue, a révélé des traces surprenantes de ces arts primitifs.
D'autres peuples, peut-être de même sang que les Magdaléniens,
ont, dans le monde oriental, fait preuve des mêmes aptitudes.
En Chaldée. en Egypte, la peinture se développe spécialement
dans la céramique, longtemps avant l'aurore de l'histoire. Plus
tard, les ferments portés en Crète par des navigateurs égyptiens
font naître, chez les peuples méditerranéens d'anciennes races, un
art très élevé par l'ampleur de ses conceptions, comme par son
exécution.
Enfin, l'homme conçoit la pictographie, fixe sa pensée ])ar des
procédés rudimentaires d'abord, mais suffisants pour apporter à
ses progrès une aide jouissante. Sa mentalité s'affine, ses concep-
tions s'élargissent, parce qu'il peut bénéficier des pensées de ses
devanciers, correspondre à distance, fixer sa volonté, l'expression
de ses intérêts. De véritables sociétés se fondent dans un petit
district voisin du golfe Persique, arrosé par deux grands fleuves.
Dans ce pays béni, la vie est facile ; l'homme rencontre, sur le
sol et sous un ciel favorables, la satisfaction de tous ses besoins
matériels; il cultive la terre, élève ses troupeaux, trouve dans la
chasse et la pêche d'inépuisables ressources, fonde les premières
bourgades.
Mais ce sol privilégié excite bientôt les convoitises de peu-
plades pauvres, vivant misérablement dans les sables elles mon-
tagnes arides de l'Arabie. Navigateurs, comme tous les habitants
primitifs des côtes, ces gens d'Orient découvrent bientôt le pa-
radis terrestre, trafiquent avec les indigènes, s'installent jjeu à
])eu dans les îles marécageuses du delta, prés de l'embouchure des
fleuves, remontent le cours d'eau jusqu'aux agglomérations et s'y
installent, d'al)ord modestement. Leurs compatriotes suivent leur
CO>.'CLUSIOXS /^75
exemple ; et, du jour où ces étrangers se trouvent en nombre, ils
imposent leurs mœurs, leurs dieux et enfin leur joug aux paisibles
agriculteurs qui les ont accueillis.
Ainsi se produisit la première ap[)arition des Sémites dans les
l)as pays de la Chaldce ; uiigration remontant à des Ages extrê-
mement reculés, dont nous ne possédons que les très vagues
échos de la tradition, et dont Tarchéologie ne fournit que des
traces fugitives.
Ailleurs, le monde est encore plongé dans la barbarie ; les néoli-
thiques s'agitent, étendent leur influence, modifient leur habitat
au détriment des races moins développées ; mais, de ces mouve-
ments, nous ne |)OSsédons (|ue des indices confus.
En Chaldée, le nouvel élément, plus Apre (juo l'ancien, domine
les principautés indigènes et en fonde de nouvelles, embryons
des a^rands l{!tats de l'avenir.
La basse vallée, probablement déjà très peuplée, reçoit peu de
colons et demeure, sous le nouveau régime, le pays de Choumir ;
tandis que plus haut, sur des terres peut-être libres encore, les
Sémites s'installent en grand nombre ; et la Haute-Chaldée
devient le pays des Akkads.
Sous la pression résultant de cet accroissement de population,
ou par suite de guerres entre les anciens habitants et les nou-
veaux venus, une partie des vieilles tribus émigré ; remonte le
Tigre, l'Euphrate, gagne la Syrie, l'Egypte ; pays que les émi-
grants, demi-sémitisés, trouvent à peu de chose près dans le
même état de civilisation qu'offrait leur propre patrie avant la
venue des Akkadiens.
La vallée du Nil, fertile, abonde en tous les biens utiles à
Ihomme. Cette terre, propice au développement, possédant désor-
mais les mêmes connaissances initiales que la Chaldée, se perfec-
tionnera sur elle-même jusqu'à produire la culture pharaonique.
Pendant que sur le Tigre, l'Euphrate et l'Euleus se forment les
premiers royaumes, lAsiate émigré dans la vallée du Nil soumet
les peuplades berbères autochtones qui l'habitent et les serviteurs
d'Horus préparent la monarchie.
Quant aux pays montagneux de l'Asie, la Syrie, la Cappadoce,
la Haute-Mésopotamie, où les conditions de l'existence sont plus
après, les autochtones plus rudes, la lutte contre la nature y sera
plus longue et partant la civilisation moins rapide dans son essor.
/l76 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Tel est l'état du monde au moment où l'histoire va naître, Chal-
déens et Egyptiens ont progressé ; leur écriture pictographique
des débuts s'est transformée en instruments plus souples, l'hié-
roglyphe et son dérivé le cunéiforme permettant, non seulement
de fixer le récit des faits, mais aussi d'exprimer les idées abstraites.
Quelques siècles avant le quatrième millénaire, les gens de la
ville d'Agadé dominent sur toute la Chaldée. L'Empire suméro-
akkadien est fondé. Mais cet Etat, pour vivre, doit occuper toute la
plaine, son avenir en dépend ; il lui faut refouler dans les monta-
gnes les aborigènes qui n'acceptent pas son joug et qui, s'ils res-
taient dans le ])as pays, demeureraient comme une perpétuelle
menace pour ce pouvoir naissant.
Antérieurement à ZiOOO avant notre ère, l'Élam, dernier boule-
vard des autochtones dans la plaine, tombe sous la domination
suméro-akkadienne. Le nouvel État, celui de Sargon l'ancien et
de Marâm Sin, libre du côté de la mer, de l'Arabie, des monta-
gnes de Perse, étend alors son pouvoir vers l'Occident; s'empare
du haut Euphrate, de la Syrie, de Chypre même, dit-on. Cet empire
est celui de la plaine, car nulle part les Akkadiens n'abordent les
pays difficiles. Dans les montagnes, même au Liban, les autoch-
tones peuvent en toute sécurité conserver leur indépendance.
Vers la même époque, l'oeuvre des serviteurs d'Horus étant
achevée dans la vallée du Nil, Menés fonde en Thébaïde la monar-
chie pharaonique, que les deux premières dynasties affermissent
et rendent assez forte pour qu'il soit politique de transférer
à Memphis le siège du pouvoir. Le roi devient ainsi effectivement
maître de la Haute et de la Basse-Egypte.
En Chaldée comme en Egypte, les arts brillent de tout leur
éclat ; ils ne sont pas encore devenus conventionnels. Ce demi-
millénaire sera pour ces deux pays la grande époque artistique.
Dès la IV dynastie, les navigateurs égyptiens se lancent sur la
Méditerranée, abordent toutes les côtes, jettent l'ancre dans tous
les abris des îles égéennes et de la Phénicie, apportent aux peu-
plades primitives qui les habitent les principes qu'eux-mêmes ont
reçus d'Asie, et dont ils ont développé les conséquences.
Ainsi se fonde la première civilisation Cretoise qui, aux mains
d'un peuple de navigateurs, se propage dans les autres îles,
en Grèce, jusqu'en Italie, en Sicile et sur les côtes orientales
de ribérie espagnole.
CONCLUSIONS hll
L'usage du iiK'tal, de l'écriture, la peinture, la sculpture, tous les
arts et toutes les industries, sont déjà répandus dans l'Asie anté-
rieure et le l)assin de la Méditerranée, (|ue les trois quarts de
l'Europe, les Indiens et le reste du globe en sont encore, tout au
plus, à l'étal néolithi(|ue.
Mais [)araissent les peuj)les émigrant de l'Asie septenlrionale,
qui se montrent presque en même temps sur toutes les frontières
du monde civilisé d'alors, à l'orient comme au septentrion. Ce sont
les Iraniens, s'avançant en deux branches, l'une vers le nord, l'autre
vers le sud du plateau persan ; ce sont les pré-Hellènes venus du
Danube, qui occupent la Thrace et menacent l'Asie Mineure ; ce
sont, enfin, les avant-coureurs des Celles qui, suivant la marche du
soleil, vont porter jusqu'aux confins occidentaux (lerEuro[)e leurs
connaissances des industries métallurgiques.
iVinsi les anciennes races de l'Asie, dominées au sud, refoulées
dans les montagnes du Taurus, de l'Arménie et du Caucase, sont
menacées vers le nord. Elles disparaîtront peu à peu, pour ne
laisser que les peuplades caucasiennes, que le chaos de leurs mon-
tagnes conservera jusqu'à nous. Les vieux peuples de l'Europe
se fondent avec les envahisseurs de leur sol. Partout les des-
cendants des autochtones font place à de nouveaux venus, sémites
pour les pays méridionaux, indo-européens dans les climats plus
froids.
Après quinze cents ans d'existence, l'empire suméro-akkadien
a perdu la vitalité de ses débuts. Son existence ne reposait plus,
depuis longtemps, que sur ses anciennes richesses et sur ses con-
quêtes d'antan. Pendant son sommeil, ses ennemis, développés
à son contact, avaient appris la guerre elle désir de la domination.
De l'élément sumérien de Chaldée, il ne restait alors plus rien.
Dominé d'abord, absorbé ensuite, il s'était fondu dans la masse de
ses maîtres, à tel point qu'au vingt-cinquième siècle, le nom de
Choumirs ne présentait plus aucune valeur politique ; ce n'était
donc pas des Sumériens que pouvait surgir le danger pour
l'Empire.
L'Élam, au contraire, resté indépendant dans ses montagnes
alors c[ue la plaine était asservie, n'avait jamais perdu de vue la
revanche, la conquête des provinces perdues. Les siècles avaient
fait de lui une véritable puissance, la seule en mesure de lutter
contre les armées suméro-akkadiennes.
/j78 LES l'IîKMIÈRES CIVILISATIONS
L'Egypte se développait, étendant son influence sur le haut Nil,
sur les côtes d'Arabie, dans les îles méditerranéennes. Elle n'en-
tretenait que des relations vagues avec l'Asie; mais, de ce côté,
gardait soigneusement sa frontière et, pour la mieux protéger,
occupait en forces le Sinaï.
C'est vers le vingt-troisième siècle que commença dans la
Susiane la réaction de l'élément autochtone contre la domination
sémitique. LElam descendit de ses montagnes, ravagea le pays
de ses anciens maîtres, et, à l'exemple des empereurs akkadiens,
s'avança, dit-on, jusqu'aux plages du soleil couchant. La première
phase du pouvoir sémitique était achevée ; l'élément touranien
redevint, pour quelques siècles, maître de l'Asie.
Mais cet élan ne devait pas être de longue durée. La puissance
militaire de Suse s'affaiblit peu à peu et, profitant de l'apathie de
l'Elam, deux royaumes surgirent dans les pays sémitiques : celui
de Ghaldée et celui d'Assyrie. L'un, s'élevant sur les ruines de
l'ancien empire d'Agadè, s'en appropria les matériaux et devient
de suite redoutable ; l'autre, jeune, occupant la moyenne vallée
du Tigre, modeste au début parce qu'il avait tout à créer, n'in-
tervint que plus tard dans les destinées de l'Asie antérieure.
Si la réaction élamite renversa le premier grand empire asia-
tique, ses effets, semble-t-il, ne se bornèrent pas là; le contre-
coup s'en serait l'ait cruellement sentir en Egypte, où des Asiates
chassés de leurs foyers se précipitant en foule, la dévastèrent, la
dominèrent et eussent fait disparaître à jamais la culture pharao-
nique, si elle ne les avait absorbés eux-mêmes. Lors de la libéra-
tion du territoire, les Pasteurs étaient devenus l]gvptiens dans
leur manière de vivre.
C'est vers cette époque qu'il y a lieu de [)lacer les débuts de
l'influence des Phéniciens dans la Méditerranée. Sémites des rives
du golfe Persique, ils étaient venus s'établir sur les côtes de
Syrie ; navigateurs, ils se lancèrent sur la mer où, jusqu'à cette
époque, n'avaient guère navigué que des vaisseaux égyptiens et
Cretois. Mais en ces temps la marine égyptienne était ruinée par
suite de l'occupation du Delta par les Hyksos et la thalassocratie
Cretoise commençait son déclin alors que les Grecs ne se mon-
traient pasencore; c'est à ce concours de circonstances favorables
que la colonisation phénicienne dut sa grandeur.
La monarchie pharaonique sortit transformée de la crise des
CONCLUSIONS /,79
Pasteurs. Aux anciens Égyptiens s'étaient mélangés beaucoup
d'Asiates ; aux mœurs douces d'un peuple heureux succédaient
les colères, les rancunes d'une race opprimée, dépouillée de ses
biens, offensée dans ses croyances. La véritable Kgypte avait cessé
de vivre après une existence paisible et très homogène de plus de
vingt siècles. Désormais, c'est l'Egypte con(|uérante qui apparaît
dans l'histoire, l'Egypte vengeresse, ambitieuse, dominatrice.
L'Elam et la Chaldée, repliés sur eux-mêmes après les grands
efforts (ju'ils venaient de fournir, se recueillaient pour réparer
leurs forces quand survint l'invasion cosséenne, qui domina tons
les pays de l'Euphrate et du Tigre, mais semble avoir à peine
effleuré l'Elam.
Nous ne savons pasd'où venaient ces envahisseurs ;ilsarrivaient
soit des contreforts occidentaux du plateau iranien, soit des mon-
tagnes qui s'élèvent au nord du golfe Persique. Peut-être même
leur mouvement fut-il dû à l'arrivée, dans le sud de l'Iran, des
tribus perses qui, chassant devant elles les anciens occupants,
s'emparaient de leur patrimoine.
A la faveur de tous ces troubles, un puissant royaume se déve-
loppa dans le nord de TAsie antérieure, celui des llétéens; pouvoir
autochtone, semble-t-il, dont l'influence s'étendit depuis Textré-
mité de l'Asie Mineure jusqu'au Caucase et à l'Araxe, État ap-
pelé à jouer un rôle important vis-à-vis de l'Egypte et de l'Assyrie.
Les Pharaons con(|uirent l'Asie, mais leur domination n'y fut
qu'éphémère : à peine dura-t-elle quelques siècles. Leur autorité à
l'intérieur était brisée, leur pouvoir chancelant ; rapidement leur
monarchie tomba dans cette longue agonie (|ui se prolongea
jusqu'au temps où les Achéménides réduisirent la vallée du Nil
en province de leur empire.
C'est que, chez les Égyptiens, la vie nationale s'était atroj)hiée,
depuis l'invasion des Pasteurs, par l'introduction d'un sang nou-
veau, celui des Asiates. Ainsi, et pour les mêmes causes, périrent
la plupart des grands États ; Rome en mourut, Byzance lutta jus-
qu'à l'aurore des temps modernes, ne se soutenant que par le
prestige du nom romain. Aucun grand État ne s'est jamais
maintenu qu'en basant sa puissance sur la communauté des in-
térêts et des tendances du peuple et de ses maîtres ; le mélange
du sang, cause de divergences au sein même du pays, a toujours
amené la décadence d'abord, la ruine ensuite.
/|80
LES PREMIERES CIVILISATIONS
Pendant les trois premiers millénaires dont l'histoire enre-
gistre les annales, la lutte pour la prépondérance s'est toujours
j)assée entre deux éléments ethniques seulement, le Sémite et
l'autochtone, Sémite pur ou mitigé d'autochtone, autochtone pur
ou mélangé de Sémite; c'est que jusqu'alors ces deux races, les
Expansion sémitique aux temps actuels.
seules en présence, détenaient toute la civilisation mondiale; les
autres n'étaient pas encore entrées en scène.
Mais les temps étaient changés ; le vieux monde, enserré sur les
frontières du nord par les hordes sorties de l'Asie septentrionale,
était menacé par ce flot qui, lentement, s'avançait vers le sud,
guettant avec convoitise cette belle proie qu'étaient les richesses
de l'Asie antérieure et de l'Egypte.
Se chassant les unes les autres, des tribus sans nom, sans his-
toire, montraient déjà leurs avant-coureurs dans la Thrace et sur
les deux rives de l'Hellespont, sur les côtes de l'Anatolie, dans la
(irèce continentale, en Italie et dans tout le plateau iranien. Elles
avaient envahi le nord de l'Inde, refoulant les anciens habitants vers
CONCLUSIONS 481
le sud et dans les montagnes. Ce déluge, dont quelques vagues
isolées vinrent se briser jusqu'en Egypte, menaçait de tout
engloutir; le développement de la puissance assyrienne, seul,
retarda de quelques siècles la chute du vieux monde.
Jamais les instincts de rapine et de cruauté ne se montrèrent,
chez aucun peuple, aussi violents que chez les Assyriens. Cette
nation fut le grand fléau de l'antiquité ; elle noya dans le sang
l'Asie et l'Egypte, couvrit le monde de ruines, courba sous son
joug odieux tous les peuples civilisés d'alors, arrêta les élans
nationaux, tua les aptitudes des vieilles races.
Rien chez elle ne décèle d'autres appétits que ceux des jouis-
sances matérielles ; elle se complaît dans la cruauté, dans l'écra-
sement des malheureux dont elle fait sa proie, et ses ambitions
sont sans limites.
Euquekjues siècles elle a ruiné tous les anciens peuples, les a
épuisés, désarmés contre les luttes de la vie. En sorte qu'au jour
où Ninive elle-même tombera, aucun d'entre eux ne trouvera le
restant nécessaire de vitalité pour se relever. C'en sera fait de
ces vieilles nations ; de nouveaux venus se partageront leurs
dépouilles sans rencontrer la moindre résistance.
Pendant que ces événements se déroulaient dans l'occident de
l'Asie, que les races vieillies agonisaient, une étoile commençait
à luire dans l'Extrême-Orient. Après des siècles d'eiîorts, la Chine
sortait des ténèbres. Sa civilisation était encore bien rudimen-
taire ; mais, née vers le second millénium avant notre ère, elle
devrait vivre plus de cinq mille ans et est encore aujourd'hui
dans toute la verdeur d'une brillante vieillesse. Ce peuple nom-
breux, isolé, a toujours su chasser de son domaine j)hysique et
intellectuel tous les éléments étrangers capables de vicier ses
tendances et ses traditions. La xénophobie fut la principale cause
de la durée et de la conservation de cette curieuse culture.
Sous les coups des Assyriens, sous la pression des peuples iu-
doeuropéens, le royaume hétéen disparaît et avec lui les derniers
vestiges de la puissance touranienne dans l'Asie antérieure ;
quant au vieux royaume crétois et aux |)rincipautés pré-hellé-
niques, ils ont été balayés par l'invasion dorienne.
L'Assvrie, elle aussi, a rempli sa destinée : voilà qu'il vient tlu
nord de terribles hordes, celles des Cimmériens et des Scythes,
<|ui, traversant l'Asie comme un tourbillon, anéantissent la puis-
31
Zi82
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
sance d'Assour et que, quelques années après, Ninive elle-même
tombe sous les coups des Mèdes que, si souvent jadis, elle a
vaincus et de sa sœur de ChaJdée, dont elle avait fait son esclave.
Quant aux Cimmériens et aux Scythes, après avoir, semblables
Expansion de la race jaune aux temps actuels.
à l'ouragan, ravagé l'Asie, ils disparaissent, comme la tourmente
elle-même, sans laisser d'autres traces que des ruines jalonnant
leur passage.
L'Assyrie, l'Elam, TOurarthou, le royaume hétéen, les trônes de
Syrie, ne sont plus; il ne reste du monde antique que Babylone
et l'Egypte, toutes deux épuisées, agonisantes.
Quelques siècles s'écoulent encore avant que la nouvelle poli-
tique mondiale se déclare. Pendant ce temps, les INIèdes régnent
sur le haut Tigre et le Nord de l'Iran ; bien des tribus se dépla-
CONCLUSIONS Z|83
cent; de nouveaux lUats se forment en Asie Mineure, en Grèce,
en Ilalie, en Afri(|ue ; la mentalité grecque se fait jour, couvre
bientôt toute la Méditerranée, porte dans maints J)ays le progrès
matériel et intellectuel.
Avec l'Empire mode et l'expansion de la culture hellène com-
mence l'incubation de l'ère moderne, de celle de la prépondérance
indo-européenne dans laquelle nous vivons. Elle a duré mille
ans de moins que celle des autres races, et cependant, a su mener
le monde au degré de ci\ ilisatiou dont nous jouissons aujourd'hui.
En peu d'années, l'Empiie achéménide, successeur de celui de
Cyaxares, s'étend des rives de l'Indus jusqu'à la Méditerranée, du
Caucase et de l'Euxin aux oasis de l'Egypte. Le sceptre des Darius
et des Xerxès a fondé le plus grand empire du monde, n'ayant en
face de lui que des peuples soumis d'avance, épuisés qu'il étaient
par trois mille ans de luttes et de désastres.
^lais cet empire, presque sans bornes, n'est que le reflet des
anciennes monarchies asiatiques; comme elles, il gouverne par
la terreur qu'il inspire, exploite les peuples sans les administrer,
C'est que Mèdes et Perses ont appris à l'école de l'Assyrie, ([u'ils
ont renoncé à|leurs tendances originelles, aux préceptes de leurs
traditions philosophiques. Ce ne sont plus des Indo-Européens ;
mais bien de véritables Asiates, aux objectifs matériels, aux
moyens violents.
Peu à peu, ne rencontrant plus d'ennemis contre qui lutter, car,
après ses échecs en Europe, il a renoncé à ses ambitions d'hégé-
monie mondiale, l'Empire perse s'aflaiblit au point qu'une poi-
gnée de mercenaires grecs, dix mille hommes, peut impunément
traverser ses provinces, s'avancer jusqu'en Chaldée et gagner la
mer Noire par l'Arménie.
Cette campagne fameuse présageait la ruine de la puissance
perse, parce que les Grecs venaient d'en mesurer la faiblesse. Mais
divisésentreeux, se querellant sans cesse, les Hellènes del'Attique
et du Péloponèse étaient inaptes aux grands efforts de politique
extérieure. C'est aux rois de Macédoine qu'il était réservé de
venger l'Hellade, en renversant le dernier des empires orien-
taux.
Philippe avait préparé son État et son peuple aux grandes
choses, Alexandre les accomplit. En quelques années, sous les
coups de la Phalange, la Perse avait cessé d'être ; et, lors de la
hS!x
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
mort du héros, la culture grecque régnait depuis l'Indus jusqu'aux
colonnes d'Hercule, depuis le Danube jusqu'aux sables de l'Afrique.
Répartition des populations d'origine indo-européenne dans l'Asie antérieure.
L'Orient était aux Macédoniens, l'Occident aux colonies d'Athènes,
de Phocée, de Milet, de Corinthe.
CONCLUSIONS /485
Pendant que ces événements bouleversaient l'Asie, que les navi-
gateurs hellènes parcouraient en maîtres la Méditerranée, une
modeste bourgade se fondait sur les rives du Tibre, Rome, à qui
le destin réservait la couronne du monde.
L'Empire d'Alexandre s'abima lors de la mort du conquérant ;
ses généraux se le partagèrent, et il se forma, sous l'égide hellé-
nique, une foule d'États qui tous, après de terribles luttes, se
développèrent, pour un temps, suivant leur génie.
L'Egypte sous les Lagides, la Syrie sous les Séleucides, la
Baktriane, le Pont, l'Arménie, devinrent des foyers de civilisa-
tions semi-grecques, semi-indigènes d'abord, spéciales ensuite.
L'épopée macédonienne frappa les imaginations, les poètes s'en
emparèrent, les Hellènes l'exaltèrent, le héros fut déifié, et son
nom devint un objet d'orgueil pour les peuples de la Méditerranée.
Qu'avait-il fait, cependant ? il avait vaincu des peuples sans cohé-
sion, vermoulus, et, après avoir conquis, n'avait rien su fonder.
La postérité se montra plus juste que les contemporains et les
compatriotes du demi-dieu : elle conserva le nom fabuleux d'Alexan-
dre, le glorifia, le chanta, mais ne lui réserva pas, comme à César
l'impérissable gloire de faire de son nom l'expression de la
puissance suprême.
Ce sont les ruines de cet empire grec que Rome eut à vaincre,
quand elle entra en scène dans l'Asie; fille de la Grèce par sa
culture, elle avait su joindre au génie de sa maîtresse la science
du gouvernement qui, jusqu'alors, avait manqué à tous les em-
pires ; avec une poignée d'hommes, elle savait maintenir un
royaume sous sa domination.
Elle anéantit Carthage, sa rivale en Occident, débris de l'antique
puissance phénicienne dans la Méditerranée; convertit en pro-
vinces l'Egypte, la Syrie, les États des successeurs d'Alexandre,
et la Grèce elle-même ; étendit son pouvoir jusqu'aux peuples
d'Albion et ne s'arrêta, d'une part qu'aux pentes du plateau persan
presque inabordable pour ses armées, d'autre part au Rhin, der-
rière lequel se mouvaient ces peuples qui, quelques siècles plus
tardi devaient la renverser elle-même, mais se soumettre à son
esprit.
En Extrême-Orient, la Chine était dans toute sa puissance; aux
Indes se formaient des royaumes, dont ceux de l'Ouest et du Nord
qui, au contact de la Baktriane, s'étaient imprégnés des idées grec-
CONCLUSIONS /|87
ques. En Perse, la dynastie parthe avait constitué un puissant
Etat, guerroyant contre les léoions romaines et traitant d'ég-al à
égal avec les empereurs.
Tout le monde civilisé d'alors, sauf la Chine, était au pouvoir
des Indo-Européens. Un vit alors, à Home, un développement intel-
lectuel, moral et matériel inouï; ce lut la grande époque pour
les lettres, pour les arts, pour le luxe, pour la puissance. Les
Césars, maîtres du monde, virent l'univers entier se proster-
ner à leurs pieds.
Certainement les lîomains n'excellaient pas en toutes choses ;
l'art et la littérature avaient brillé d'un plus vif éclat en Grèce, au
siècle de Périclès ; les sciences, l'industrie, la navigation devaient,
dans l'avenir, surpasser de beaucoup ce qu'elles furent sous les
Augustes ; mais Rome avait su atteindre en cha(|ue chose un deffré
qui force l'admiration, degré que, dans bien des cas, nous
sommes loin d'atteindre aujourd'hui.
Les Barbares, détruisant la puissance romaine, se taillèrent des
royaumes dans les provinces de son empire. Victorieux par les
armes, ils furent vaincus par cette culture sublime qui régit encore
l'univers. Indo-Européens, ils envahissent peu à peu tout le globe;
et le jour viendra bientôt où, de toutes les races qui le peuplaient
au début de l'histoire, deux'seules resteront en présence : l'Aryen
dans les deux hémisphères et le Jaune dans l'Extréme-Orienl. Les
Asiatiques survivront peut-être, mais la prépondérance de l'es-
prit indo-européen semble aujourd'hui devoir être définitive.
II
Les conceptions religieuses et philosophiques.
Dès les origines, riioiiinie, semble-t-il, conçut des idées reli-
gieuses ou superstitieuses. On retrouve de vagues traces d'un
culte dès les temps glaciaires, des indices certains lors de l'ap-
parition de l'état néolithique.
Ces sentiments prirent naissance, chez les premiers hommes,
au contact des phénomènes dont ces esprits simples ne pouvaient
concevoir les causes ; il s'établit rapidement un lien entre les cir-
constances heureuses ou malheureuses de la vie et les faits natu-
rels inexpliqués. L'homme attribua tout ce qui dépassait sa com-
préhension à des volontés surnaturelles, qu'il rendit responsables
du bien et surtout du mal qui lui advenaient.
C'est ainsi que, de l'impuissance des efforts humains sur les
phénomènes incompréhensibles, sont nées la crainte et l'espérance
mystérieuses et que, pour lléchir les auteurs de ces phénomènes,
Tètre simple inventa la prière et le sacrifice, forme matérielle de
l'invocation. A la multiplicité des efi'ets correspondait forcément,
()Our des mentalités primitives, la pluralité des causes. Cette
|)luralité enfanta d'abord le polythéisme, dont les formes varièrent
à l'infini suivant les tendances ethniques et les caractères d'am-
])iance.
« L'homme peupla d'abord l'espace de forces libres, passion-
nées, susceptibles d'être invoquées et fléchies (1). » L'histoire en-
seigne qu'au début ces forces étaient considérées comme mul-
tiples, que l'idée de l'unité divine n'est venue que très tardive
ment, parce qu'elle exigeait une généralisation des causes, que
seuls des esprits développés étaient aptes à concevoir.
(1) Renan, Histoire du peuple d'I.iidë.l, I, p. 27.
CONCLUSIONS /|89
Les premiers peuples n'étaient pas encore sédentaires; sous
toutes les latitudes ils se déplaçaient comme font aujourd'hui
encore les Bédouins et les Tartares, pour les besoins de leurs
troupeaux. « La réflexion philosophique du nomade, dit Renan (l),
s'exerçant avec intensité dans un petit cercle d'observations,
l'amène à des idées extrêmement simples, et comme le progrès
religieux consiste toujours à simplifier, il se trouve très vite que
le nomade (hq)asse en religion les peuples (|ui lui sont supé-
rieurs en civilisation. » Aussi, dès l'aurore de l'histoire, consta-
tons-nous chez les peuples de la Chaldée et de l'Egypte, à peine
sortis de l'état nomade, une religiosité intense ; voyons-nous le
prêtre jouer un rôle prépondérant, les rois chercher à faire des-
cendre leur pouvoir de l'autorité divine.
Dans chacun des foyers de croyance, il se forma bientôt des
coutumes rituelles réglementant la prière et le sacrifice ; et quel-
ques esprits, plus développés que les autres, prenant la direction
de ces lois, il se forma des clergés, le prêtre devenant l'intermé-
diaire nécessaire entre l'homme et la divinité.
Les clergés divers de l'antiquité compliquèrent à plaisir les
cultes, en leur adjoignant une foule de pratiques, dont ils firent
plus d'état que de la croyance elle-même. Ces rites et ces pratiques
devinrent entre leurs mains un puissant instrument de domination;
et les religions les plus philosophiques, les plus morales, les
mieux conçues pour réfréner les passions humaines, se vicièrent
entre leurs mains.
Le domaine de l'incompréhensible, très vaste au début, se res-
treignit peu à peu au fur et à mesure du progrès, et chez quelques
rares intelligences plus affinées, naquit la conception d'une force
unique, supérieure à toutes les autres, les englobant. Mais les
rites fixés à l'origine, maintenus plus tard pour l'usage et la con-
duite des masses, reposant sur les incompréhensions primitives,
n'étaient pas susceptibles d'évolution ; en sorte que les connais-
sances humaines s'étendant chaque jour, leur progrès ne fut pas
suivi par les règles des cultes et que ces cultes en furent mortel-
lement atteints. C'est ainsi que s'éteignirent toutes les religions
de l'antiquité.
L'idée de la divinité, pour les Sémites, se rattachait aux astres,
(1) Renan, Histoire du /jeufjle d'Ixrai'l, I, p. li.
490 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
pour les Sumériens aux forces de la nature; et ces deux concep-
tions partaient du besoin de s'adresser à quelqu'un ou à quelque
chose pour conjurer le mauvais sort.
Ces deux religions primitives n'avaient rien de philosophi-
que ; l'intérêt en était le mobile et la superstition le guide. Elles
se fondirent et, se répandant sur toute l'x^sie antérieure, donnèrent
le jour à une multitude de croyances reposant toutes sur les
mêmes principes. Il en résulta que chaque tribu crut en un dieu
plutôt qu'en un autre, adora le sien, celui auquel elle avait accordé
sa confiance et qui, suivant ses prêtres, l'avait choisie elle-même
comme son peuple privilégié. C est ainsi qu il y eut les peuples
de Bel, d'Assour, de Baal, de Yahwè, etc..
En Chaldée, en Assyrie, en Phénicie, dans Israël, en tout
pays sémitique, le dieu était un dieu national, résumant en lui
tous les intérêts, tous les appétits, toutes les espérances de la
nation. A ce point de vue seulement, il était dieu unique aux
yeux de ses adorateurs ; car le reste de l'humanité ne le concernait
pas.
Les Asiates ont ^énéré les arbres, les sources, les pierres; ils
étaient naturistes à ce point de vue que, pour eux, arbres, sources,
pierres n'étaient que les symboles du maître de toutes choses,
des manifestations matérielles d'un être supérieur très éloigné
de l'homme puisqu'il halutait les cieux, près des astres, au foyer
de la lumière. Ces dieux sont terribles, redoutables, ne se laissent
point lléchir (1).
Ce système religieux était au plus haut degré contraire au pro-
grès; il prêchait l'égoïsme, le mépris des intérêts et de la vie
d'autrui, la vengeance et la haine. 11 rendait, il est vrai, plus soli-
daires les divers éléments d'une même nation ; mais cette solida-
rité même ne faisait ([u'accroître les distances séparant les peuples
entre eux, chacun n'ayant comme objectif que de dominer son
prochain, de le déposséder de ses biens. Il ajoutait aux rivalités
entre races des rivalités entre peuples d'une même famille, entre
tribus d'un même peuple, entre clans d'une même tribu, poussant
ainsi la division à l'extrême. 11 fut un (léau pour le progrès.
Dans la société compliquée de l'Egypte où, dès les origines,
deux cultes au moins s'étaient mélangés, la divinité disparaissait
(1) Cf. LAGnA.NGE, Hisl. des relig. sémiliques, p. 442.
CONCLUSIONS /|9I
presque au milieu des pratiques couipliquécs, créées par le clergé
pour mieux assurer son crédit et, partant, son pouvoir.
« Chaque nome avait son dieu particulier, tout était dieu dans
la nature, et spécialement les animaux, et ce[)cn(lant aucun peuple
polythéiste dans son culte n'a afllrmé avec plus d'énergie ((ue
l'Egypte ancienne l'unité du divin. Les égyptologues ont affirmé
que l'Egypte était monothéiste ; pour les uns c'était le mono-
théisme primitif, pour les autres c'était le résultat de la spécula-
tion philosophico-sacerdotale ; mais il est impossible de constater
sur ce point, ni un progrès, ni une décadence (1). »
Quoi (|u il en soit, le cai-actère égyptien, plus doux que celui de
l'Asiatique, avait introduit dans sa religion comme dans sa morale
plus d'humanité, plus de tolérance vis-à-vis de l'étranger, du
prochain. A ce titre, comme d'ailleurs à bien d'autres encore, la
mentalité égyptienne dépassait de cent coudées celle des Asiates.
Les dieux grecs, plus rapprochés des hommes que ceux de la
Chaldée et de l'Egypte, ont été s'en approchant chaque jour
davantage. Ce sont des héros, des liommes comme tous les
hommes, devenus dieux par leur immortalité, détenant de ce fait
une partie du pouvoir suprême. Ayant été hommes, ils sont aptes
à comprendre les besoins, les désirs des mortels; on peut rai-
sonner avec eux, les convaincre ; ils sont compatissants.
11 en sera de même plus tard chez les Romains et dans toute
l'Europe latinisée ; nulle part, et en aucun temps, on ne rencon-
trera chez les ancêtres de notre race le dieu impitovable. Chez les
Iraniens, le dieu de l'Avesta perpétuellement en lutte contre
l'esprit du mal est une force unique, pitoyable, même pour les
animaux, essentiellement bonne, recommandant la charité : c'est
encore là une divinité indo européenne. Il en est de même aux
Indes sous d'autres formes, chez ces peuples frères des Iraniens,
qui ont fondé le brahmanisme.
En progressant, la Chaldée avait distingué la loi humaine d<^ la
loi religieuse, concevant la conduite des hommes autrement que
par le culte. La Grèce fit plus, elle sépara la science et la philoso-
phie de la religion ; elle discuta en deiiors des dieux, négligeant
les traditions, se plaçant au-dessus du vulgaire et primitif besoin
de tout rapporter à la divinité.
(1) Lagrange. Hisl. des reliy. sémiliqne.f, p. iiO.
/l92 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Les diverses écoles helléniques de la pensée, se trouvant en
présence des plus graves problèmes de la métaphysique, les réso-
lurent suivant un entendement très varié ; les seules de leurs
conceptions qui demeurèrent dans l'antiquité furent le plato-
nisme, avec sa morale élevée, et le stoïcisme, doctrine très sédui-
sante, mais contraire au progrès, parce qu'elle pousse l'homme
vers l'égoïsme, qu'elle abat son initiative, sa volonté en lui enle-
vant le grand mobile de tous les efforts, la suprême espérance.
Les esprits se mouvaient au milieu de croyances surannées et
de théories philosophiques les plus diverses, quand le christia-
nisme survint ; très supérieur comme morale à tout ce qui avait
été conçu avant lui, proclamant l'égalité des hommes devant un
dieu unique et universel, il leur faisait un devoir de considérer
autrui comme soi-même.
La religion nouvelle était trop en opposition avec les traditions
séculaires et les tendances anaryennes pour satisfaire des âmes
sans générosité; l'Asie, son berceau, la méconnut. L'hégire devait
apporter aux Orientaux les satisfactions conformes à leur caractère ;
mais le christianisme devint la religion de l'Europe parce qu'il
exprimait les sentiments des peuple qui l'habitent et, avec eux, sa
morale fit, sous diverses formes, la conquête du monde.
III
La littéral ur
A peine l'écriture était-elle connue dans son état rudinieu-
taire, la pictographie, qu'il se forma une littérature. Ce furent
d'abord des énumérations de titres, des formules religieuses; puis
dès le quatrième millénaire, alors qu'elle s'était transformée en
hiéroglyphes et leurs dérivés, nous voyons apparaître en Chal-
dée (1), comme dans l'Egypte, des récits de campagnes militaires,
des listes de peuples vaincus. C'est ainsi que débutent les lettres.
Mais bientôt les conceptions religieuses se compliquèrent,
et les prêtres, sentant l'intérêt qu'il y aurait pour eux à fixer les
traditions et les lois du culte, écrivirent de véritables ouvrages
rituels et théologiques. Le plus ancien d'entre eux, parvenu juscju'à
nous, est le livre des pyramides de l'Egypte.
Il se fonda, dans la vallée du Nil et dans la Chaldée, des biblio-
thèques malheureusement perdues aujourd'hui, où se conser-
vaient des traités de morale, d'histoire, de mathématiques, d'astro-
nomie, des livres sur la religion, sur les lois, sur les coutumes,
sur toutes les branches des connaissances d'alors.
Le peu que nous possédons de ces époques lointaines ne pro-
duit pas grande impression par la forme du discours ; ce ne sont
que des énoncés brefs, secs, sans élégance, et bien })eu en rap-
port avec le goût et les arts, alors si développés.
Les premières pages vraiment littéraires sont dues à l'Assyrie.
Les rois y dépeignent les horreurs que leurs armées commettaient
de par le monde ; mais au milieu de ces scènes sanglantes, on ren-
contre parfois des passages saisissants de réalisme.
(i) H. DE Genouillac, a travers la litléralurc babvlonienne, <is. lieu, des Idées, 15 avril
l'i)8, n» 52.
CONCLUSIONS li9ô
Vers cette époque, d'ailleurs, au moment où l'empire va passer
entre les mains des Perses, toute l'Asie antérieure est en posses-
sion de récriture, et la Grèce elle-même fait usage de l'alphabet.
Toutes les côlos de la Méditerranée emploient les lettres phé-
niciennes ou leurs dérivés; on écrit en Judée, à Tvr, à Sidon, à
Cartilage, en Sicile, en Italie, en Grèce.
La JHble qui, comme on le sait, est de rédaction relativement
récente, nous a laissé de très belles pages; mais ces pages sont
contemporaines des débuts de la grande littérature grecque, et
l'on est tenté de penser (|ue la Judée n'a pas été sans subir, plus
ou moins fortement, l'influence de la culture gréco-égyptienne
de la Basse-Egypte, grecque de Chypre, des côtes de l'Asie
Mineure et des îles.
La Perse, l'Inde, la Chine ont laissé de ces époques de curieux
écrits ; mais que sont ces |)ages comj)arées aux récits de Ctésias,
d'Hérodote, d'Hécalée, aux vers sublimes altiibués à Homère, à
Hésiode ! On savait écrire en Orient maison n'avait j)oint encore
appris à penser d'une façon élégante.
C'est à la Grèce qu'il était réservé de créer la véritable littéi'a-
ture, d'exploiter toutes les finesses, toutes les souplesses d'une
langue et de surpasser, en quelques siècles, trois mille ans des
efforts de l'Asie. Le grec, d'ailleurs, était un instrument admi-
rable; il répondait au génie de la race qui l'avait créé, et cette
race sut en tirer un incomparable parti.
Rome s'empara des principes de l'Hellade, s'instruisit à soîi
école, développa sa propre langue, lui appliqua les règles grecques
de la rhétorique, produisit des merveilles dans tous les genres,
au point que nous sommes encore ses élèves. Est-il bien cer-
tain, d'ailleurs, que nous surpassions nos maîtres ?
IV
Les arts.
Les premiers essais artistiques dont la trace nous soit parvenue
se révèlent dans les cavernes de la fin des temps glaciaires,
époque à laquelle le dessin avait acquis, déjà, un surprenant degré
de perfection.
Certainement nous ne possédons pas les chefs-d'œuvre de ces
âges ; cependant nous nous rendons aisément compte de la
grande habileté de ces premiers artistes, de l'entendement avec
lequel ils s'inspiraient de la nature, ainsi que de la simplicité de
leurs procédés d'exécution. Chez presque tous les primitifs on
trouve des essais artistiques ; mais ce ne sont jamais que d'enfan-
tines et souvent grossières images, en comparaison des gravures
laissées par les Magdaléniens.
Des tendances artistiques aussi marquées eussent, sans nul
doute, donné naissance à des arts supérieurs, s'il leur avait été
permis de se développer; mais l'invasion de l'Occident européen
par des peuples encore grossiers les tuèrent au berceau.
L'époque de ces premières écoles nous reste inconnue ; aussi
ne pouvons-nous les rattacher d'aucune manière aux tentatives,
certainement postérieures, dont on rencontre les vestiges dans
d'autres régions.
En Asie, semble-t-il, ce fut la Chaldée qui, la première, rendit
avec une certaine habileté ses conceptions artistiques. De là, ces
arts naissants passèrent en Egypte, où ils se développèrent rapide-
ment, mais s'enfermèrent de suite dans des règles strictes qui,
toujours, les empêchèrent d'atteindre les hauts sommets. Dans
son ensemble, l'art égyptien manque de réalisme ; quelques
rares morceaux parvenus jusqu'à nous, plus libres dans leur com-
CONCLUSIONS li97
position, montrent, cependant, combien les canons religieux
durent, dans la vallée du Nil, entraver le génie des artistes (1).
En Chaldée, l'art n'était retenu par aucun frein; aussi ce pays
a-t-il produit, à côté d'une foule de sculptures provinciales, des
œuvres remarquables. Les tendances esthétiques étaient bien cer-
tainement dans le patrimoine des SumérienS;, car on rencontre
leurs traces parmi les vestiges antérieurs à l'arrivée des Sémites.
Les Akkadiens ne les anéantirent pas, comme les Néolithiques
avaient fait en Europe des arts magdaléniens ; ils cherchèrent à se
les assimiler, les encouragèrent même; mais, malgré leur bon
vouloir, les atrophièrent, parce que l'art ne rentrait pas dans
leurs aptitudes, parce que leurs préoccupations étaient ail-
leurs.
L'époque de l'Empire suméro-akkadien semble être celle, de
l'apogée des arts chaldéens, parce qu'en son temps l'ancien élé-
ment ethnique jouait encore un grand rôle. Mais du jour où le
Sémite domina, non plus seulement sur les peuples, mais sur
les esprits, l'art se transforma, devint utilitaire, fut mis unique-
ment au service des grands et de la politique. Cette évolution
conduisit l'art chaldéen jusqu'aux conceptions assyriennes,
lourdes, conventionnelles, brutales.
Il suffit de comparer les oeuvres portant le nom de Narâm Siu
aux plus beaux morceaux, leurs contemporains, de l'ancien
Empire égyptien, pour saisir d'un seul coup d'œil les différences
essentielles qui séparent ces deux écoles. L'Egypte devait, par la
force des choses et de ses institutions, s'enfoncer de plus en plus
dans le conventionnel; tandis que les arts asiatiques, plus libres,
étaient malheureusement destinés, comme l'Asie entière, à devenir
esclaves des maîtres de Babylone et de Ninive. Dans les deux
pays, pour des causes différentes, les aptitudes furent atrophiées,
les efforts sans lendemain.
L'art égyptien, dès le vingt-cinquième siècle avant notre ère,
au plus tard, inspira celui de la Crète qui, libre de toute con-
trainte religieuse, donna cours à ses fantaisies artistiques et par-
(1) Dans les arts plasliciues, l'égyplien cher- raclère des peuples chez qui elles se sont
che à pallier les brutalités de la nature, allé- développées. « Le goût de la force brutale,
nue l'importance des muscles, allonge le corps associée celui des spectacles cruels, se re-
humain, cherche à le rendre gracieux. Eu trouve dans la longue série des bas-reliefs
Chaldée et en Assyrie, tout au contraire les d'albâtre, datant des années 800-600, que Botta
sujets sont trapus et les marques de la force et Layard ont découverts à Ninive. » (S. Hei-
physique exagérées à dessein. Les deu.t éco- nacu, Apollo, 1!X)6, p. 2i.)
les diffèrent autant l'une de l'autre que le ca-
32
/|98 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
vint ainsi à surpasser ses maîtres; mais l'invasion dorienne devait
l'anéantir.
La céramique Cretoise, qui se relie très nettement à celle de
l'Asie, fit elle-même des élèves dans toute la Méditerranée, en
Italie, en Sicile, en Espagne, dans les îles. Elle enfanta la poterie
mycénienne, avec quelques mélanges d'influence asiatique directe.
Comme les Indo-Européens de l'Iran et de l'Europe occidentale
leurs congénères, les Hellènes ne possédaient, lors de leur arrivée
dans le bassin de la Méditerranée, aucun sens des arts; mais ils
en avaient, au plus haut degré, les aptitudes latentes. Rapide-
ment ils affinèrent leur mentalité et développèrent leurs faculté»
au contact des vieilles civilisations ; et;, inspirés par les œuvres
Cretoises, égyptiennes, syriennes, liétéennes et chaldéennes, par-
vinrent en peu de siècles, dans toutes les branches, à ce degré
artistique qui jamais n'a été surpassé.
Dans les monuments et les objets les plus anciens de la Grèce,
on retrouve sans cesse les traces de l'esprit dont les artistes se
sont inspirés. 11 n'est pas toujours aisé d'en reconnaître l'origine
d'une manière précise, mais ces influences sont indéniables. On
sent l'effet des conceptions de l'Egypte, de la Phénicie, de la
Chaldée, mélangées d'autres tendances, que nos connaissances
actuelles ne nous permettent pas encore d'analyser.
Peu à peu ces marques s'atténuèrent pour disparaître enfin ;
parce que les Hellènes, doués au plus haut degré du sentiment de
l'esthétique, se tournèrent vers la nature, dont ils se rapprochèrent
le plus possible, ne conservant des enseignements de leurs
maîtres que les procédés et quelques motifs de décoration. L'es-
prit artistique grec était entièrement différent de celui des peu-
ples orientaux ; alors qu'Élamites et Chaldéens, qu'Egyptiens et
Syriens, partis de la nature, avaient évolué vers le conventionnel,
les Hellènes, au contraire, s'inspirant de modèles étrangers lar-
gement stylisés, se rapprochèrent insensiblement de la nature et
atteignirent leur apogée lorsqu'elle devint leur seul guide.
Pendant que la Grèce enfantait des merveilles, la Perse, sa sœur
ethnique, ne savait que copier grossièrement les œuvres de l'As-
syrie et de l'Egypte. N'inventant rien par elle-même, ne sachant
même pas imiter fidèlement ses modèles, elle ne devait laisser
que de médiocres œuvres, auxquelles il serait indigne de l'Art
d'attribuer un style.
CONCLUSIONS /|99
De même que la culture artistique de FOrient s'était répandue,
de même l'art grec colonisa ; mais ses conceptions sublimes ne
furent jamais comprises en dehors des Hellènes; et ce que nous ont
laissé l'Egypte, la Syrie, l'Asie Mineure, la Baktriane, dans le style
grec, ne sont ([ue de grossières imitations où se reconnaît de suite
la lourde main de l'indigène.
C'est que la Grèce seule, et à cette époque seulement, était
capable de ces merveilles; l'apogée de la puissance intellectuelle
et artistique fut, dans l'IIellade continentale et maritime, au
siècle de Périclès. Ensuite l'amour du beau déclina lentement et,
sauf dans quelques rares exceptions, n'était plus, à l'époque ro-
maine, capable d'inspirer les grandes œuvres d'antan. Certes, le
génie grec dépassait encore de cent coudées les aptitudes des
autres peuples, mais il se montrait inférieur à lui-même.
L'art grec est le seul grand art; et le quatrième siècle avant
notre ère fut celui où le sentiment du beau a été le plus déve-
loppé. Tout ce qui l'a précédé ne fut, à proprement parler, que
l'incubation de cet apogée de l'esthétique; tout ce qui l'a suivi
n'en a été que la décadence. Dès lors, ses œuvres gouvernèrent
le sentiment artistique dans le monde entier. A bien des époques,
et plus spécialement à la Renaissance, on s'en est inspiré, s'efl'or-
çant de l'imiter, sans jamais l'atteindre.
Rome, fille de la Grèce au point de vue du goût, comprit rapi-
dement que, les arts ne rentrant pas dans son génie, jamais elle ne
parviendrait à égaler sa maîtresse ; elle s'en remit aux artistes
grecs qui, bien qu'alors d'un talent inférieur, l'ornèrent cependant
de belles œuvres.
Les préoccupations romaines étaient surtoutd ans la politique,
la guerre, le gouvernement, le commerce. Les talents de la reine
du monde se manifestaient dans les grands travaux, les construc-
tions impérissables, la création des routes, des ports ; et cepen-
dant, son peuple montrait un goût raffiné jusque dans les moin-
dres détails de la vie courante ; on ne voyait pas dans une maison
romaine ce choquant utilitarisme de nos habitations modernes.
Le gracieux était de mode en toutes choses et chez tous.
La belle époque fut celle des douze Césars^ parce que les
Romains, très raffinés, imbus d'hellénisme, avaient attiré dans
leur capitale tout ce que les villes grecques renfermaient alors
de littérateurs, de savants et d'artistes. On parlait grec à la cour
500 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
de Néron, on jouait en grec sur les théâtres où fréquentait la
haute société.
Les troubles survenus dans l'Empire amenèrent avec eux le
déclin des sentiments artistiques. On s'inspirait toujours des belles
œuvres de l'ancien temps que le peuple admirait encore dans les
temples et sur les places publiques ; mais on les imitait gau-
chement à Rome, plus maladroitement encore dans les pro-
vinces.
Vint alors l'invasion des Barbares : des peuples sans goûts, sans
traditions artistiques, se ruèrent sur l'Empire, dévastant, détrui-
sant les merveilles du passé. Enfin, le Christianisme et l'Islam
achevèrent, par fanatisme, l'œuvre d'anéantissement commen-
cée par les Barbares.
Rien ne fut respecté, ni les admirables temples de la Grèce, de
l'Italie, delà Sicile, de l'Egypte, ni les palais, ni les bibliothèques,
ni les statues des dieux, des grands hommes, des empereurs. On
détruisit, pour eflacer le souvenir des temps païens; on abaissa le
monde, on le plongea dans les ténèbres de l'ignorance afin qu'il
crût. On anéantit le fruit de milliers d'années d'efforts.
Que restait-il alors des aspirations artistiques d'antan ? presque
rien ; quelques influences, quelques idées premières défigurées.
Il semblait que le véritable art eût été condamné à jamais, que le
monde du goût allait encore périr, comme au sortir des temps
glaciaires.
Le christianisme s'était implanté tout d'abord dans la lie de la
population ; son succès avait été grand chez les déshérités du sort,
et ces déshérités n'avaient d'autre objectif que de relever leur
condition sociale. Les arts leur importaient peu; ils leur étaient
même très hostiles, parce qu'ils étaient le luxe de leurs oppres-
seurs. En abattant les dieux pour efTacer les dernières traces du
paganisme, les premiers chrétiens n'agissaient pas seulement
suivant leur conscience, ils eftaçaient le souvenir de temps haïs.
L'islamisme se montra tout aussi cruel que le christianisme.
L'apparition de ces deux religions fut un véritable désastre pour
les arts, pour les sciences, pour toutes les branches de la culture
intellectuelle ; et si le christianisme apporta au monde des prin-
cipes philosophiques admirables, il les lui fit chèrement payer.
Mais au fur et à mesure qu'elle grandissait, l'Eglise s'adressait
à des esprits plus cultivés; le goût reparut, atrophié, défiguré;
CONCLUSIONS 501
peu à peu le style byzantin se forma des survivances du romain,
auxquelles l'oriental adjoignit une ornementation lourde, raide,
conventionnelle. Toute souplesse fut exclue de la peinture, de la
sculpture, on ne sut môme plus dessiner.
L'Islam Ht juieux ; proscrivant la représentation de Diomme et
des animaux, il ramena l'humanité aux temps de lorncmentation
géométrique. C'était un recul de quatre mille ans au moins dans
les conceptions artistiques.
En Italie, le style byzantin régnait en maître. En Egypte, où
l'introduction du christianisme avait mis fin au style pharaonique,
il se forma un hideux byzantin, le copte, plus barbare encore que
ceux de l'Asie Mineure, de la Syrie et du Nord de l'Afrique; cet
art dura jusqu'à l'Islam.
En Perse, au gréco-parthe avait succédé le goût sassanide impré-
gné de romain de la basse époque ; cette école n'a produit que des
constructions hâtives, d'un décor lourd, surchargé, pauvre en idées.
L'art arabe, né de l'art perse, de la polychromie de l'Orient,
n'est personnel que par ses détails. 11 se forma au moment où les
musulmans pouvaient encore disposer d'artistes élevés aux écoles
byzantines. En Syrie, en Egypte, dans l'Afrique du Nord, en
Espagne, ce sont des architectes chrétiens, ou fils de chrétiens,
qui construisirent les plus beaux monuments arabes. Leur dispa-
rition entraîna l'agonie de l'art dit musulman.
L'Europe, transformant quelque peu le byzantin, en fit le roman;
tandis que les chrétiens d'Orient, en Grèce, en Piussie, en Géor-
gie, dans l'Arménie, le conservèrent presque pur jusqu'à nos
jours. Le gothique naquit, dans nos pays, de l'influence arabe appli-
quée au vieux style chrétien.
Tous ces arts offrent certainement un bien grand intérêt au
point de vue historique; beaucoup ont fourni de très belles choses,
des monuments incomparables, par l'impression profonde qu'ils
laissent dans l'esprit ; mais il faut convenir qu'ils ne correspon-
dent pas à une esthétique bien élevée. Leur beauté, leur grandeur,
sont particularistes et destinées à faire concevoir certaines pensées
voulues, le plus souvent mystiques. L'esprit qui présidait à la
construction de nos plus belles cathédrales est le même que celui
qui, deux mille ans auparavant, guida les architectes de l'Egypte.
Dans tous ces monuments, l'esthétique n'est qu'un accessoire, le
but demeure moins élevé.
502 LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
Ce n'est qu'à la Renaissance que la nature reprit son juste
rôle de modèle et que les tendances se tournèrent de nouveau vers
le naturalisme ; mais ce renouveau n'est dû qu'à l'étude de l'anti-
quité grecque et romaine. Des esprits éclairés, versés dans les litté-
ratures classiques, prirent la tête du mouvement et, bien que ne
possédant aucun principe spécial à leur époque, les arts atteignent
un très haut degré de perfection. Il avait fallu quinze siècles environ
pour réparer le mal commis dans les premiers temps de notre ère.
Ailleurs, dans les pays situés en dehors de la sphère d'action ou
d'influence de l'ancien monde, parmi les nombreux foyers artisti-
ques rudimentaires, nés en tous temps et en tous lieux, deux
seuls étaient capables d'un grand essor : celui de la Chine et celui
du Nouveau Monde ; les autres s'éteignirent, n'ayant produit que
des œuvres barbares.
En Chine, le développement fut lent et particulier dans sa na-
ture ; il ne produisitque très rarement des œuvres naturalistes. L'en-
semble demeura toujours d'une conception spéciale, entièrement
étrangère aux vues raisonnées de TOccident. L'architecture, la sla-
luaire, la peinture reflètent toutes cette même pensée de compliquer
la nature, d'en exagérer les formes, les attitudes, de frapper l'ima-
gination par l'étrange. Telle a toujours été l'esthétique des Chinois.
Cet art sortit de ses fontières en même temps que les idées reli-
gieuses de la race qui l'avait conçu ; il gagna le Japon, ITndo-
Chine, la Birmanie, le Pégou etTénassérin, se heurta aux concepts
hindous qui, influencés par la Baktriane, possédaient des prin-
cipes originels opposés à ceux de l'Extrême-Orient, ceux de la
simplicité artistique, qui peu à peu s'évanouirent.
Au'nord, il couvrit toute l'Asie centrale jusqu'au Tibet, et dépas-
sant les grandes chaînes, vers le bassin de l'Amour, gagna quel-
ques parties de la Sibérie, mais j n'eut guère de contact avec
l'esprit européen que dans les temps modernes.
L'art américain se développa dans le centre du nouveau conti-
nent, au Yukatan, au Guatemala, et dans les provinces voisines
du Mexique d'une part, de la Colombie de l'autre. L'époque de sa
naissance demeure inconnue; il prit fin lors de la conquête de ces
pays par les Espagnols.
Très spécial, lui aussi, cet art montre, comme celui de la Chine,
une conception très compliquée du beau. Les procédés, les motifs
ne sont pas les mêmes qu'en Asie orientale; mais on serait tenté
CONCLUSIONS 503
de croire à des influences asiatiques, sinon dans les détails du
moins dans l'esprit guidant la main des artistes américains. Il
montre chez les peuples du Nouveau Monde le besoin inné de
torturer la nature, de la représenter sous ses aspects les plus
occasionnels. Cet état d'esprit eut forcément conduit cette école
à sa ruine, si la colonisation européenne ne l'avait fait subitement
disparaître en détruisant sa raison d'exister, le culte indigène.
Ailleurs sont des centres barbares, tels ceux de l'Océanie, dos
peuples septentrionaux; ils ne présentent aucun intérêt pour
l'histoire de l'art.
Des trois grandes écoles artistiques, indépendantes les unes
des autres, une seule parvint donc à la réalisation des concep-
tions élevées parce qu'elle sut rendre le beau par la simplicité.
Trois races y travaillèrent pendant des milliers d'années, chacune
suivant ses aptitudes et ses tendances; mais c'est aux Grecs qu'il
était réservé d'achever cette grande œuvre.
Vingt et quelques siècles se sont écoulés depuis ce triomphe de
l'art, qui avait mis plus de trente siècles à se préparer. Aujour-
d'hui nos efforts tendent à nous rapprocher de la hauteur de vue
des Hellènes, sommet que, il faut l'avouer, nous sommes encore
bien loin d'atteindre.
Ainsi, la civilisation, telle que nous en jouissons aujourd'hui,
est le résultat de bien des labeurs, l'œuvre de bien des races. Les
populations primitives firent les premiers pas ; les Sémites, s'em-
parant de ces données primordiales, les développèrent sans que
leur mentalité fût apte à les porter à l'apogée. Survinrent les
Indo-Européens;, dont le génie sut, chez quelques peuples, sim-
plifier et généraliser en toutes choses. C'est aux Hellènes que
revient l'honneur d'avoir débrouillé le chaos des idées orientales,
et aux Romains qu'appartient celui d'avoir enfanté la civilisation
moderne.
TABLE
DES
CARTES ET ILLUSTRATIONS
CHAPITRE II
Pages
1. Esquisse de la géographie lutétienne 48
2. L'Europe à l'époque oligocène 50
3. Esquisse de la géographie vindobonienne 52
4. Esquisse de l'Europe sarniatienne 54
5. Esquisse de l'Europe plaisancienne 56
CHAPITRE III
6. Phénomènes volcaniques et sismiques 66
7. Plateau sous-marin de la mer du Nord 68
8. Affaissement de 100 mètres dans les régions du Nord de l'Europe. 71
9. Ilot d'Er-lanic (Morbihan) 72
iO. Isanabases delà Norvège 77
11. Vallée sous-marine de l'Islande 78
12. Fosse du Cap-Rreton 80
13. Extension maxima des glaciers pléistocènes 84
CHAPITRE IV
14. Distribution du genre Elephas sur le globe 102
13. Stationspaléolithiquesetalluvionsquaternairesde Gafsa (Tunisie). 113
16. Répartition des instruments paléolithiques dans l'Amérique sep-
tentrionale 114
506 TABLE DES CARTES ET ILLUSTRATIONS
CHAPITRE VI
Pages
17. Climat actuel de Tancien monde ... 145
18. Figures gravées sur le tumulus de Locmariaker (Morbihan). . . 146
19. Représentation pictographique de Skebbervall (Suède). . . . 146
20. Représentation pictographique d'Irtych (Sibérie) 147
21. Distribution géographique des dolmens dans l'ancien monde. . 153
22. Répartition des dolmens en France 155
CHAPITRE VII
23. Pays égyptiens et syriens au cours du pliocène moyen. . . . 173
24. Avancement des alluvions du Chatt-el-Arab dans le golfe Per-
sique 177
25. LaRasseChaldée etl'Élam àl'époque de Sennachérib (699 av. J.-C.) 180
26. Itinéraire dun voyage de l'auteur en Basse Chaldée 181
27. Inscription hiéroglyphique hétéenne de Djerablus 187
28. Cylindre hiéroglyphique de Suse 188
29. Empreinte hiéroglyphique de Suse 188
30. Inscription proto-élamite sur argile 188
31. Inscription proto-élamite sur pierre 188
32. Signes cunéiformes linéaires (Vokha) 189
33. Signes cunéiformes linéaires (Suse) 189
3i. Tablette de Ninive donnant l'explication des signes cunéiformes
archaïques 191
35. Fragment du texte de la stèle des Vautours (Telloh) 191
36. Les premières invasions sémitiques 194
37. La Syrie préhistorique 496
38. Expansion des arts céramiques dans l'Asie antérieure 201
39. Stations préhistoriques de la vallée du Nil entre Kouft et Louxor. 206
CHAPITRE VIII
40. Hiéroglyphes archaïques égyptiens (I'" ou 11^ Dyn.) 231
41. Écriture chypriote 232
42. Inscription hiéroglyphique d'Ani 232
43. Tablette d'ivoire de Khémaka [l'" Dyn.) 236
44. Nécropole royale d'Abydos 237
45. Hiéroglyphes archaïques de Négadah 239
46. Presqu'île du Sinaï au temps de l'Empire memphite 242
47. La Nubie au temps de l'Empire égyptien 248
48. Écriture hiératique (r/-a/7t' rft' mo7*a/e du prince Phtah-Hotpou). . 250
49. Papyrus mathématique du Musée britannique 250
50. Manuscrit hiératique de Sineh 251
51. Inscriptions Cretoises sur argile 253
52. L'île de Crète dans l'antiquité 254
CHAPITRE IX
53. L'Asie antérieure à l'époque des campagnes égyptiennes en Syrie. 274
54. La Syrie à l'époque chaldéenne 276
TABLE DES CARTES ET ILLUSTRATIONS 507
Pages
5d. L'Egypte vers l'époque des Ramessides 280
■S6. L'Kmpire hétéen vers l'époque des Ramessides 282
57. Colonies grecques et phéniciennes de la Méditerranée occidentale. 287
58. L'île de Chypre et ses colonies phéniciennes et grecques. ... 289
59. Principales routes commerciales de l'Asie antérieure au temps
des Phéniciens 290
60. Ktablissements grecs et phéniciens de la Méditerranée orientale. 291
Cl. Tableau montrant les relations entre les signes hiératiques ini-
tiaux et leurs dérivés 294
■62. Tableau de l'origine des signes ali)habétiques, d'après FI. Pétrie. 29i
■63. Écriture phénicienne de la coupe du dieu Liban 297
64. Graffito phénicien des mercenaires de Psammétique I^'' ou 11. . 298
65. Décalogue samaritain de Naplouse 298
■66. Inscription nabathéenne 298
67. La Palestine au temps des Juges 299
■68. Inscription palmyréenne de la statue de Zénobie 301
■69. Écriture himyarile 302
70. Hébreu carré 3Q3
71. L'Asie Mineure au quatorzième siècle avant Jésus-Christ. . . . 321
72. Hiéroglyphes primitifs chinois avec leur valeur moderne. . . . 328
73. Caractères chinois de diverses époques 328
74. Écriture figurative mexicaine 330
75. Texte anzanite de Chilhak in Chouchinak 332
CHAPITRE X
76. Marche du développement de l'Empire assyrien 341
77. Le premier Empire assyrien 345
78. Le triangle de l'Assyrie 3/^8
79. Les pays du Naïri au neuvième siècle avant Jésus-Chrisl. ... 350
80. La Mésopotamie au neuvième siècle avant Jésus-Christ .... 333
S\. Le royaume d'Ourarthou 355
82. La Syrie au neuvième siècle avant Jésus-Christ 357
83. Le royaume de Tyr à l'époque de Sennachérib 359
84. L'Empire assyrien sous Téglatphalasar III 362
•85. L'Orient vers la fin de l'Empire assyrien 366
86. Ecriture babylonienne cunéiforme de basse époque 307
87. Ethnographie de la Perse à l'époque assyrienne 369
88. La Palestine au temps du royaume de Damas (huitième siècle
avant Jésus-Christ) 3-g
89. La Grèce aux temps héroïques 378
90. L'Asie Mineure au septième siècle avant Jésus-Christ 381
51. Colonies grecques de la Propontide 382
92. Le monde grec après l'invasion dorienne (onzième siècle avant
Jésus-Christ) " 383
93. Notions géographiques des Grecs à l'époque homérique. . . . 385
Si. L'Italie vers l'époque de la fondation de Rome (730 ans avant
Jésus-Christ) 31)0
508 TABLE DES CARTES ET ILLUSTRATIONS
CHAPITRE XI
Pages
93. La Médie vers lépoque de l'apogée de l'Empire assyrien. . . . 403
96. Le Monde oriental à l'époque de l'Empire des Mèdes <i07
97. La Perside à l'époque de Cyrus 409
98. Inscription de Xerxès (texte perse) 4-11
99. — — (texte assyrien) 414
400. — — (texte néo-anzanite) 411
101. Araméen d'époque achéménide, légende d'une monnaie. . . . 412
102. Araméen d'époque achéménide, sur papyrus 412
103. Carte du site de Milet 413
104. Empire des Perses achéménides sous Darius 418
lOo. Notions géographiques des Hébreux vers le cinquième siècle
avant Jésus-Christ 424
106. Route suivie par l'Expédition des Dix mille 427
107. Inscription grecque, boustrophédon de Théra 432
408. — — _ de l'osselet de Suse. ... 432
109. Expansion de l'usage de la monnaie 435
110. La Sicile gréco-punique 439
111. Écriture punique 440
112. Invasions celtiques 446
CHAPITRE XII
113. L'Empire d'Alexandre le Grand 455
114. Notions géographi(iues des Grecs au troisième siècle avant
Jésus-Christ 461
Ho. Notions géographiques à lépoque romaine (premier siècle après
Jésus-Christ) 463
116. Inscription latine de Duenos (troisième siècle avant Jésus-Christ). 469
117. Inscription punique 469
118. Possessions carthaginoises en Sardaigne 470
119. Écriture runique (issue de l'écriture latine) 471
CONCLUSIONS
120. Expansion sémitique aux temps actuels 480
12L Expansion de la race jaune aux temps actuels 482
12-2. Répartition actuelle des populations indo-européennes dans lAsie
antérieure 484
1-23. Expansion actuelle de la race indo-européenne 486
124. Expansion des diverses écritures sur le globe 494
TàBLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
Préface, p. i-vii.
Avertissement, p. ix-xii.
Chapitre premier, p. 1-43.
Des sources de la Préliisloire el de V Hisloive . — I. Les sciences diverses sur les-
quelles s'appuie la Préhistoire, p. 1. — La Géologie, p. 1. — Paléontologie,
Botanique, p. 2. — Ethnographie, p. 2. — Les diverses phases de la civi-
lisation de la pierre, p. 4. — Tableau de révolution préhistorique, p. T.
— Les États métallurgiques, p. 8. — V Anthropologie, p. 9. — Son incer-
titude pour la classification des races, p. 10. — Sociologie, p. 15. — Lin-
guistique, p. 15. — Classification des langues suivant leur structure, p. 17.
— Les familles linguistiques, p. 20. — Chronologie, p. 24. — Ch. géologique
et préhistorique, p. 24. — Ch. historique, p. 28. — IL Des sources de V his-
toire proprement dite, p. 29. — Des textes, p. 29. — Des monnaies et
médailles, p. 33. — Des recherches archéologiques, p. 38. — De l'explo-
ration des divers pays, p. 40. — De la rédaction de l'histoire, p. 42.
Chapitre IL p. 44-63.
Les origines. — Des origines naturelles de l'homme, p. 4i. — Possibilité de
l'existence de l'homme sur la terre dès les temps tertiaires, p, 49. —
Transformations subies par les reliefs du sol ; la flore et la faune au
cours des temps tertiaires, p. 50. — L'Asie occidentale à l'époque tertiaire,
p. 57. — Les éolithes, p. 61. — Apparition des industries humaines au
pléistocène, p. 62.
Chapitre III, p. 64-97.
Les phénomènes glaciaires. — Oscillations de l'écorce terrestre, p. 64. —
Causes des phénomènes glaciaires pliocènes et pléistocènes, p. 75. — Gla-
ciers du pôle austral et du Groenland, p. 78. — Des Alpes, p. 81. — Allure
des glaciers en général, p. 81. — Les anciens glaciers Scandinaves, p. 83.
— Leur extension, p. 85. —Vitesse d'avancement et de recul des glaciers,
510 TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
p. 88. — Climat de la Sibérie aux temps quaternaires, p. 90. — Le plateau
central de l'Asie, les Indes, p. 91. — Le plateau iranien, p. 91. — Phases^
glaciaires et interglaciaires, p. 93. — Érosions et alluvions, p. 94.
Chapitre IV, p. 98-12^2.
La flore, la faune el l'homme aux lemps glaciaires. — L'homme à Vélal paléoli-
thique. — Transformations dans la faune et dans la flore, p. 100. — Don-
nées chronologiques relatives fournies par la faune, p. 103. — Animaux
disparus et animaux émigrés, p. 104. — Premiers vestiges de l'industrie
humaine, p. 108. — Le coup-de-poing chelléen, p. 109. — Alluvions et
ateliers paléolithiques, p. 112. — Incertitudes sur les origines de cette pre-
mière industrie, p. 113. — Le squelette de la Corrèze, p. U7. — Synchro-
nisme des types Chelléen, Acheuléen et Moustérien, p. 119. — Vie des
habitants du nord de la Sibérie en parallèle avec celle des hommes qua-
ternaires, p. 121.
Chapitre V, p. 123-142.
La civilisalion au cours des derniers temps glaciaires. — L'homme à Vélaf
archéolilhique et mésolithique. — Grande variété des industries archéolithi-
ques, p. 123. — Les cavernes, p. 124. — Diversité des tribus, p. 125. —
Diversité des conditions naturelles suivant les districts, p. 127. — Aspect
des régions cédées par les glaciers, p. 127. — Leur colonisation par les^
animaux et l'homme, p. 128.
Industrie archéolilhique. — Type Aurignacien, p. 129. — Type Solutréen,,
p. 129. — Type Magdalénien, p. 130. — Industrie mésolithique, p. 136. —
Industrie tourassienne, p. 136. — Industrie des kjœkkenmœddings,,
p. 137. — Industrie campignienne, p. 137.
Chapitre, VI, p. 143-169.
L'homme à l'état néolithique, p. 143. — Subdivisions du néolithique en Scan-
dinavie, p. 148. — En Espagne, p. 149. — En Suisse, p. 149. — En Italie,
p. 149. — En France, p. 149. — En Egypte, p. loO. — En Élam, p. 150,
— Migrations néolithiques, p. 151. — Les dolmens, p. 153. — Les nuraghi,
p. 156. — Les races quaternaires et néolithiques, p. 156. — Les Aryens,
p. 158. — Leur pays d'origine, p.- 162 — Leurs migrations, p. 463. — L'ap-
parition du métal (énéolithique), p. 166.
Chapitre Vil, p. 170-225.
L'Asie antérieure el l'Egypte antéhistoriques. — L'expansion sémitique en Chai-
dée et dans la vallée du Nil. La conquête élamite, p. 170. — Formation
des pays de l'Asie antérieure et de l'Egypte, p. 171. — Le pléistocène dans-
l'Asie antérieure, p. 174. — Formation des terres habitables, p. 176. — La
faune et l'homme dans la Chaldée primitive, p. 179. — Première migra-
tion des Sémites, p. 180. — Sumériens et Akkadiens, p. 183. — Conquête
sémitique de la Chaldée, p. 186. — L'invention de lécriture, p. 188. — Les
Négritos, p. 191. — Causes du départ des Sémites de l'Arabie, p. 193. —
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES 51 1
Les étals néolithique et énéolithique en Chaldée, p. 193. — La céramique
peinte en Élam, p. 197. — En Syrie, en Cappadoce, p. 198. — Considéra-
tions d'ensemble sur les arts céramiques primitifs, p. 198. — Céramique
incisée, p. 199. — La céramique peinte dans la Méditerranée et l'Europe
méridionale, p. 201. — Tableau des diverses phases des arts céramiques,,
p. 203. — Les arts céramiques en Espagne, 204. — L'invention de la mé-
tallurgie, p. 203. — Industries de la pierre dans la vallée du Xil, p. 207.
— Origine chaldéenne de la civilisation égyptienne, p. 209. — Cultes égyp-
tien et chaldécn, p. 211. — Conquête de la vallée du Nil par la culture
asiatique, p. 215. — Etat de l'Egypte vers le VI« millénaire av. J.-C.,p. 217.
— Habitants primitifs de l'Egypte, p. 220. — Etat de la Chaldée vers le
VP millénaire av. J.-C, p. 222. — Expansion sémitique en Chaldée ; les
premiers Etats, p. 223. — Tableau des faits relatifs aux VL', V« et 1\'«
millénaires avant notre ère, p. 225.
Chapitre Vill, p. 226-268.
L Expansion sémiliqiie. — L'Empire swnéro-akkndicn. L'ÉgtjpIe pharaonique
à l'ancien cl au moyen empire. — La réaclion élamile. — Les Ilijksos dans
la Vallée du Nil. — Organisation administrative et politique de la Chal-
dée par les Sémites, p. 226. — Origines de l'écriture, p. 231. — Les arts
primitifs en Chaldée et en Egypte, p. 233. —Première organisation poli-
tique de l'Egypte, p. 234. — Menés et les premières dynasties, p. 233. —
Le régime des Patésis en Chaldée et dans FElam, p. 240. — Manichtousou
et le royaume de Kich, p. 240. — Sargon I" dit l'Ancien, p. 241. — Les
Égyptiens au Sinaï, p. 242. — Les premières dynasties égyptiennes, p. 243.
— Les premiers livres de la Chaldée, p. 243. — Narâm-Sin et ses succes-
seurs, p. 246. - La Xn« dynastie d'Egypte, p. 248. — Les premiers livres
de l'Egypte, p. 249. — Mouvements des Aryens dans les pays du Nord,
p. 252. — Débuts de la civilisation Cretoise, p. 233. — La réaction éla-
mite, p. 236. — Émigrationdes Assyriens et des Phéniciens, p. 236 et 263.
— Origine de l'invasion des pasteurs, p. 237. — Les Hyksos en Egypte,
p. 239. — Arrivée des Hébreux en Egypte, p. 261. — Expulsion des pas-
leurs, p. 262. — Première apparition des Iraniens sur le plateau persan,
p. 265. — Invasions aryennes en Europe, p. 266. — Les débuts de la
Chine d'après les traditions, p. 266. —Tableau des principaux événe-
ments des IV^ et 111« millénaires, p. 267.
Chapitre IX, p. 269-339.
La prépondérance égyptienne. — Conquéles pharaoniques en Asie. — La Chal-
dée et l'Elam, l'Empire Iléléen, les Phéniciens, les Hébreux, Apparition
des Aryens en Iran et dans la Méditerranée. — Liste des dynasties égyp-
tiennes d'après Manéthon, p. 269. — Royaume de Chaldée, p. 270. —
Royaume d'Elam, p. 271. — AfTranchissement des petits royaumes, p. 271.
— Hamniourabi, p. 272. — Ses lois, p. 273. — Liste des rois de la
11^ dynastie de Babylone, p. 273, note 1. — Conquêtes égyptiennes en
Syrie, p. 273. — Administration égyptienne des territoires conquis,
p. 277. — Révolution religieuse d'Aménophis IV" (Kouenaten), p. 279. —
Campagne de Ramsès II contre les Hétéens, p. 280. — Traité entre Ram-
sès II et Khitisar, roi des Hétéens, p. 280. — L'Empire hétéen, p. 281. —
512 TABLE AAALYTIOUE DES MATIÈRES
Troubles intérieurs en Egypte, p. 283. — Révolte des Métèques, p. 283.
— Tentative des peuples du Nord et des Libyens contre l'Egypte, p. 284.
— Appauvrissement de l'Egypte, anarchie, p. 285. — Thèbes et les prêtres
d'Ammon, p. 286. — Usurpation delà couronne parles prêtres d'Ammon,
XXP dynastie à Avaris, p. 288. — Les Phéniciens, extension de leur puis-
sance maritime et commerciale, p. 288. — Invention de l'écriture alpha-
bétique, p. 293. — Tableau donnant la libation des principales écritures,
p. 296. — L'exode du peuple hébreu, p. 297. — Conquête de la Pa-
lestine par les Hébreux, p. 302. — David et Salomon, p. 305. — Civili-
sations chananéennes, p. 308. — Débuts de l'Assyrie, p. 310, — Invasion
cosséenne, p.3H. — Occupation de l'Iran et des Indes par les Indo-Euro-
péens, p. 312. — Le Zend Avesta,p. 317. — Apparition des Indo-Européens
dans l'Asie Mineure, p. 319. — Leur expédition contre l'Egypte, p. 319. —
Ecrasement delà puissance hétéenne, p. 320. — Colonisation aryenne des
terres méditerranéennes, p. 322. — Débuts de la civilisation hellénique,
p. 324.— Les Indo-Européens dans l'Europe centrale etoccidentale,p. 32o'
— Tableau des événements du xx<^au xvi*^ siècle av. J.-C, p. 326. — Usage
de l'écriture au xv« siècle, p. 327. — Les débuts de la Chine, p. 328. — De
l'Amérique, p. 330. — Les langues sémitiques, p. 330. — L'Egyptien,
p. 33i. — L'Hétéen, l'Élamite, p. 332. — Les langues Iraniennes, p. 332. —
Indiennes, p. 333. — L'Arménien, p. 334. — Les langues du groupe gréco-
italien, p. 334. — Les influences civilisatrices vers le xv<= siècle av.
J.-C, p. 336. — Tableau des industries du ix« au v« siècles avant J.-C,
p. 337. — Migiation des formes et des notions, p. 338.
Chapitre X, p. 340-400.
La prépondérance assyrienne. — Décadence de l'Egypte. — Les Mèdes et
Cyaxares. —Invasion des Scythes. — Pelasyes et Hellènes. — Les Ligures.—
Les Étrusques, fondation de Rome. — Origines de la civilisation chinoise. —
L'Assyrie, p. 340. — Caractère du peuple assyrien, p. 340. — Les débuts
de l'Assyrie, p. 342. — Liste des souverains assyriens, p. 342, note 3. —
Achchourouballit, roi d'El Assarvers 1370, p. 343. — Guerres de l'Assyrie
contre la Chaldée, p. 343. — Le premier empire assyrien, p. 343. — Affai-
blissement de r Assyrie vers le xi« siècle av. J.-C, p. 347. — Liste des sou-
verains chaldéens de Paché, p. 347, note 4. — Renaissance de l'Assyrie, le
second empire, p. 348. - Téglatphalasar III, p. 353. - Campagne contre
l'Egypte, p. 354. — Sargon, p. 355. — Sennachérib et Assaraddon, p. 356.
— Assourbanipal, p. 360. — Prise de S use par les Assyriens, p. 363. —
Liste des souverains élamites, p. 364, note 1. — Les Cimmériens, p. 366.
— Les Scythes, p. 367. — Ruine de Ninive, p. 370. — XXll» dynastie
d'Egypte, p. 373. — La Palestine et le royaume de Damas, p. 374. — Les
Phéniciens, p. 376. — Les Aryens de l'Hellade, p. 377. — Fondation de
Rome, p. 387. — Les Ligures, p. 390. — Les débuts de la monarchie chi-
noise, p. 395. — Tableau des synchronismes aux temps de la prépondé-
rance assyrienne, p. 396,
Chapitre XI, p, 401-450,
La prépondérance iranienne. — Le royaume mède, p, 401, — La civilisation
iranienne, p. 402. — Les peuples de l'Ourarthou et du Petit Caucase, p. 403.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES 513
- Expéditions des Assyriens en Médie, p. 405. - Fraortès, p. 406 -
Cyaxarès p. 406. - Pauvreté des renseignements sur le penple mède,
p. .08 - Cyrus, p. 409. - Conquête de la Lydie, p. 411 - Premiers con-
tacts des Perses avec les Grecs, p. m. - Prise de Babylone, p. 414 -
Mort ,1e Cyrus en Turkomanie, p. 415. -Cambyse, p. 416. - Expédition
d Egypte, p. 416. - Darius, p. 416. - Restauration de l'Empire, p. 419
- Expédition de Scythie, p. 421. - Expédition contre les Grecs, p. 422
-- Xerxes, p. 423. - Expédition contre la Grèce, p. 426. - Décadence de
I Empire perse, p. 427. - Le monde hellène, p. 428. - Socrate et Périclès,
^■,1 .. Hellènes d'Occident, p. 438. - Fondation de Marseille,
p. ,41. _ Migration des Celtes, p. 443. - Des Ibères, p. 443. - Expéditions
des Gaulois en Italie et en Grèce, p. 448.
CllAPITRK XI 1, p. 4,->l-471.
La prépondérance hellénique. - Limite de l'Empire perse, p. 4.^1 -État
politique de l'Empire à l'époque de Darius Codoman, p . 452. - Expansion
de 1 Hellénisme dans l'Empire perse et dans la Méditerranée, p 453 -
La guerre sociale et la guerre sacrée en Grèce, p. 456. - Philinne de
Macédoine, p. 456. - Alexandre le Grand, p. 438. - Les États nés de
I Empire d Alexandre, p. 464. - Rome et Carlhage,p. 468.
Conclusions, p. 472-5U3.
1. Les grandes lignes de l'évolution historique, p. 472 - II Les concep
tions religieuses et philosophiques, p. 488. - III. La littérature, p. 493 -
1\ . Les arts, p. 496. — V. Résumé général, p. 303.
Table des caries et iltuslralions, p. 505-508.
Table analyli(/ue des malière.s, p. 509.
2301. — Tours, Imprimerie E. Arrault et C'V
33
^\ 7\