Skip to main content

Full text of "Les premières civilisations : études sur la préhistoire jusqu'à la fin de l'empire macédonien"

See other formats


LES  PREMIÈRES  CIVILISATIONS 


LES 


PREMIÈRES  CIVILISATIONS 


ÉTUDES 


s  u  r, 


LA  PRÉHISTOIRE  ET  L'HISTOIRE 


Jusqu'à  la  fin  de  lEmpire  macédonien 


PAR 


J.    DE    MORGAN 

ANCIEN    DIRECTEUR    GÉNÉRAL   DES    ANTIQUITÉS    DE    l'ÉGYPTE 

DÉLÉGUÉ   GÉNÉRAL    EN    PERSE 

DU   MINISTÈRE    DE   l'iNSTRUCTION    PUBLIQUE 


-^^ 


PARIS 
ERNEST    LEROUX,    ÉDITEUR 

28,    RUE    BONAPARTE,    VI"^ 

1909 

Tous  (Iroils  réservés. 


PRÉFACE 


Traiter  des  enchaînements  du  progrès  humain  est  parler  de 
l'histoire  universelle.  C'est  suivre  ce  grand  mouvement  de  l'intel- 
ligence qui  conduisit  l'homme  de  la  barbarie  à  la  civilisation  ; 
c'est  faire  à  chaque  race,  à  chaque  peuple,  à  chaque  individu  la 
part  qui  lui  est  due  dans  cette  œuvre  sublime  dont  nous-mêmes 
ne  sommes  encore  que  les  ouvriers  inconscients  ;  dans  cette 
impulsion  qui  entraîne  l'humanité  vers  les  destinées  bonnes  ou 
mauvaises,  suivant  des  lois,  le  plus  souvent,  indépendantes  de  sa 
volonté,  de  ses  désirs,  de  ses  calculs. 

Les  causes  de  cette  évolution  sont  nombreuses,  variées  à  l'in- 
fini. Elle-même  se  déroule  en  des  phases  complexes,  s'appuyant 
sur  des  bases  essentiellement  mobiles,  parfois  en  relations  les 
unes  avec  les  autres  ;  mais  souvent  aussi  indépendantes,  isolées 
et  fortuites. 

N'envisager  qu'un  seul  aspect  de  ce  mouvement,  c'est  l'ignorer  ; 
car  ses  manifestations  sont  multiples.  La  prospérité  industrielle 
et  commerciale  ne  constitue  pas  les  seules  causes  de  la  vitalité 
d'un  peuple  ;  les  arts,  la  littérature  ne  sont  que  les  dérivés  d'un 
état  général,  des  aptitudes  d'un  milieu,  des  loisirs  dont  il  jouit; 
les  succès  militaires  ne  sont  pas  la  preuve  absolue  delà  puissance; 
le  luxe,  la  richesse  n'impliquent  pas  le  bonheur  des  êtres. 

Et  ces  arts,  cette  littérature,  cette  prospérité,  ce  luxe,  cette 
richesse,  cette  puissance  militaire,  ne  sont  que  des  biens  éphé- 
mères; ils  s'évanouissent  pour  ne  laisser  souvent  (|ue  de  vagues 


II  PRÉFACE 

et  fugitives  traces.  Que  sont  devenus  les  trésors  de  l'Assyrie,  de 
la  Perse,  les  arts  de  la  Grèce,  les  armées  d'Alexandre,  les  légions 
des  Césars,  le  commerce  de  A^enise,  les  colonies  de  l'Espagne  ?  il 
n'en  demeure  que  le  souvenir  s'efFaçant  peu  à  peu. 

De  chacune  de  ces  grandes  choses,  le  progrès  général  a  tiré 
quelque  avantage  ;  mais  les  élans  se  sont  éteints  ;  il  semblerait  même 
que  rien  ne  fût  resté  d'eux,  parce  que  le  mouvement  descendant 
est  amplifié  à  nos  yeux  par  l'éclat  de  l'ascendance;  mais  chacun  a 
marqué  un  pas  en  avant. 

L'écrasement  du  monde  romain  par  les  barbares  semblerait  un 
déluge  universel  si  nous  ne  sentions  que,  malgré  ses  désastres, 
Piome  a  prévalu,  que  son  esprit  est  demeuré,  surmontant  le  cata- 
clysme. 

C'est  ainsi  que  nous  sommes  parvenus  à  ce  niveau  intellectuel 
dont  nous  novis  montrons  orgueilleux  au  point  d'oublier  nos 
devanciers,  avec  une  vanité  que  railleront  nos  descendants.  Mais 
est-il  bien  certain  que  nous  dépassions  en  toutes  choses  nos 
ancêtres?  certes,  ce  n'est  pas  croyable;  car,  si  nous  avons  inauguré 
une  ère  scientifique,  industrielle  et  commerciale,  nous  demeurons 
bien  inférieurs  aux  conceptions  artistiques  et  poétiques  des 
Grecs,  gouvernementales  des  Romains. 

Et  ces  sciences  qui  suppléent  à  la  pratique  d'autan,  sommes- 
nous  certains  d'en  posséder  les  exacts  principes?  n'apparaîtront- 
elles  pas  aussi  enfantines  pour  nos  descendants  que,  pour  nous^ 
celles  de  nos  devanciers? 

Nos  sentiments  d'humanité  sont-ils  plus  purs  que  ceux  des 
anciens  quand  nous  exterminons  les  races  inférieures  pour  colo- 
niser leurs  territoires  ?  certainement  non,  et  la  morale  avestique 
vaut  sûrement  celle  que  nous  afl'ectons  tant  de  pratiquer  aujour- 
d'hui. 

Il  en  est  des  races  comme  des  peuples,  comme  des  individus. 
Chacun  admire  son  œuvre,  encadre  l'univers  dans  ses  tendances, 
ses  désirs,  se  considère  comme  supérieur,  dédaignant  tout  ce  qui 
n'est  pas  lui. 

L'Euroj)e  du  vingtième  siècle  méprise  les  groupes  humains  des 
autres  continents;  alors  que,  tout  en  reconnaissant  les  j)rogrès  de 
nos  sciences  pratiques,  les  Orientaux,  par  exemple,  n'ont  aucune 
estime  pour  notre  civilisation,  nos  mœurs,  nos  croyances  posi- 
tives  ou  négatives,  nos  conceptions  philosophiques,   politiques, 


PRÉFACE  Ilf 

sociales,  les  trouvant  grossières;  et  si,  par  force,  ils  s'inclinent 
devant  la  supériorité  de  nos  armes,  ce  n'est  pas  sans  dédain. 

C'est  qu'ils  envisagent  la  civilisation  à  dos  points  de  vue  tout 
difTérents  de  ceux  auxcjuels  nous  nous  plaçons;  que  leurs  tradi- 
tions, leur  disposition  d'esprit,  difï'èrent  de  celles  de  l'Europe. 
Sommes-nous  bien  certains  que  l'idée  qu'ils  se  font  de  la  vie  n'est 
pas  supérieure  à  celle  que  nous  en  concevons  nous-mêmes  ? 

Comme  historiens,  nous  sommes  enclins  à  traiter  suivant  notre 
esprit  actuel  les  actes  et  les  pensées  des  anciens  ;  à  les  juger 
comme  nous  jugerions  des  concepts  et  des  actions  de  nos  contem- 
porains. Cette  fatale  tournure  d'esprit  fausse  non  seulement  la 
portée  des  événements  de  l'antiquité,  mais  aussi  leur  encliaine- 
ment.  Pour  beaucoup  d'entre  nous,  l'histoire,  quelle  que  soit 
l'époque  dont  elle  traite,  se  montre  vêtue  à  la  moderne,  tout 
comme  au  siècle  du  grand  roi,  Cinna  entrait  en  scène  en  costume 
Louis  XIV.  Nous  avons  grand'peine  à  reconstituer  l'ambiance, 
combien  peu  d'ailleurs  en  comprennent  le  besoin  ? 

Peut-être  tous  les  peuples  anaryens  disparaîtront-ils  peu  à 
peu  devant  la  brutalité  de  notre  convoitise;  peut-être  aurons- 
nous  injustement  détruit  jusqu'au  dernier  représentant  de  ces 
races  dont  les  seuls  torts  auront  été  de  ne  pas  avoir  pensé  comme 
nous,  combattu  comme  nous  et  d'avoir  occupé  leur  patrimoine. 

Ces  odieuses  exécutions  n'avanceront  pas  le  progrès  ;  elles 
retarderont  seulement  l'heure  fatale  où,  devenue  trop  nombreuse 
pour  la  superficie  habitable  de  sa  planète,  notre  humanité  se 
déchirera  elle-même.  N'a-t-on  pas  sans  cesse  sous  les  yeux,  dans 
les  temps  troublés,  l'homme  subitement  rendu  à  la  barbarie  en 
dépit  du  milieu  dans  lequel  il  a  vécu,  se  livrant  aux  pires  horreurs. 

La  densité  de  la  population  fait  la  force  des  nations,  la 
richesse  de  quelques  privilégiés,  mais  ne  donne  pas  le  bien-être 
à  la  masse.  Tout  au  contraire  ;  quoi  qu'en  puissent  penser  et  écrire 
ceux  pour  lesquels  lexistence  des  autres  n'est  qu'un  roman,  un  su- 
jet de  thèses,  un  moyen  de  frayer  son  propre  chemin  dans  la  vie. 
Procurant  la  force,  elle  assure  l'indépendance  nationale,  mais  au 
prix  de  lourds  sacrifices,  d'une  sorte  d'esclavage.  Nos  sociétés 
modernes  procurent  à  quelques-uns  la  liberté,  et  ceux-là  même 
(|ui  eu  jouissent  ne  s"expli(juent  même  pas  qu'il  en  puisse  être 
autrement.  Quant  à  la  masse,  est-elle  pratiquement  plus  heureuse 
qu'au  temps  où  ses  besoins  étaient  moindres  ? 


IV  PRÉFACE 

Celui  qui,  libre,  vivant  dans  l'abondance  de  toutes  choses,  n'a 
éprouvé  ni  les  rigueurs  du  froid,  ni  les  affres  de  la  faim,  ni  les 
horreurs  de  la  servitude,  ne  peut  concevoir  que  les  biens  dont  il 
jouit  ne  soient  pas  liés  à  l'essence  humaine;  qu'il  se  puisse  faire 
que,  dans  ce  monde,  existent  des  êtres  déshérités  ne  connaissant 
rien  des  douceurs  de  la  vie,  et  que  ces  douceurs  mêmes  fussent 
inconnues  quelques  siècles  avant  nous. 

Pour  celui-là,  le  monde  est  sa  ville,  son  village,  sa  maison, 
ses  intérêts;  l'histoire  est  surtout  celle  de  sa  vie,  à  peine  celle  de 
quelques  générations.  Le  reste  se  perd  dans  l'espace  et  dans 
le  temps,  n'offrant  à  son  imagination  que  l'intérêt  anecdotique 
d'une  pièce  de  théâtre.  11  ne  peut  sentir  cette  effrayante  réalité 
d'où  ses  ancêtres,  après  des  milliers  d'années  de  lutte,  sont  sortis 
pour  lui  créer  son  bien-être. 

Il  vit  sans  reconnaissance  envers  ceux  auxquels  il  doit  tout,  se 
plaignant  de  son  sort,  le  désirant  toujours  meilleur;  ne  regardant 
jamais  avant  lui  ni  au-dessous  de  lui;  ne  se  procurant  même  pas 
cette  consolation  égoïste  de  comparer  les  malheurs  des  autres  à 
ses  propres  douleurs. 

Et  pendant  que  ce  privilégié,  usant  de  tous  les  biens  dans  l'in- 
dépendance, coule  ses  jours  sans  autre  souci  que  la  satisfaction  des 
besoins  qu'il  se  crée,  des  infortunés,  perdus  dans  les  glaces  du 
Nord,  subsistent,  au  gré  des  temps,  d'une  irrégulière  et  misérable 
pitance;  à  peine  vêtus,  mal  abrités  contre  le  froid  dans  leurs 
infectes  tanières,  toujours  préoccupés  de  la  nourriture  du  lende- 
main. D'autres,  courbés  vers  la  terre  sous  la  courbache  du  maître, 
nourris  d'une  poignée  de  sorgho,  s'éteignent  épuisés;  et  leur 
corps  traîné  hors  du  village,  au  charnier  des  animaux  morts,  est 
abandonné  en  pâture  aux  carnassiers.  D'autres  enfin,  sous  nos 
yeux,  dans  nos  villes  industrielles  d'Europe,  esclaves  du  pain 
qu'ils  doivent  à  leur  famille,  s'étiolent  dans  un  air  malsain,  affai- 
blis par  un  labeur  incessant  auquel  ils  ne  peuvent  se  soustraire. 

Ces  horreurs,  moins  fréquentes  aujourd'hui  qu'autrefois,  étaient 
jadis  le  partage  de  la  majorité  des  humains.  On  ne  s'en  souvient 
plus,  on  ne  les  veut  pas  voir  et,  malgré  la  sensiblerie  qu'affectent 
la  plupart  des  Européens,  il  en  est  peu  qui  réfléchissent  aux  souf- 
frances des  temps  passés,  qui  compatissent  à  celles  de  chaque 
jour. 

Mais  cet  injuste  oubli  des  maux  d'autrui,  ce  désir  perpétuel 


PREFACE  V 

d'améliorer  son  état  sont  précisément  les  causes  du  progrès;  cha- 
cun lutte  pour  obtenir  un  sort  meilleur,  et,  de  tous  ces  efforts, 
résulte  l'ascendance. 

Elle  est  bien  irrégulière,  cette  marche  en  avant  ;  car,  depuis  que 
l'homme  est  sur  terre,  mille  fluctuations  sont  survenues,  soit  que 
les  peuples  eux-mêmes  se  fussent  transformés,  soit  que  des  élé- 
ments nouveaux  soient  intervenus.  Après  les  mœurs  douces  de  la 
Chaldée  primitive,  l'autocratie  brutale  des  Akkadiens  et  d'Assour; 
après  Rome,  les  barbares;  après  Constantinople,  les  Arabes.  Rien 
ne  prouve  que  nous  n'atteignons  pas,  de  nos  jours,  un  maximum 
dans  le  bien-être  social  et  que  l'humanité  ne  retombera  pas  sous 
peu  dans  les  privations  et  la  douleur. 

S'il  en  doit  être  ainsi,  apprenons  du  moins  à  jouir  du  bonheur 
qui  nous  est  échu  de  naître  dans  une  période  aussi  favorable, 
et  sachons  reconnaître  les  bienfaits  de  ceux  à  qui  nous  le  devons. 

Si,  désormais,  l'humanité  doit  se  perfectionner  sans  cesse  et 
ramener  l'âge  d'or  sur  notre  planète,  ne  doit-elle  pas  éprouver  une 
extrême  jouissance  en  rappelant  les  temps  maudits  où  Thomme 
souffrait  ? 

Là  est  le  seul  profit  que  doive  attendre  de  l'histoire  celui  qui 
n'y  cherche  pas  simplement  un  amusement  de  l'esprit;  car,  malgré 
les  sept  mille  ans  de  ses  annales,  jamais  ses  exemples  n'ont  servi  à 
la  conduite  des  hommes.  Dans  chaque  temps  on  retrouve  les  mêmes 
fautes,  les  mêmes  erreurs,  les  mêmes  imprévoyances,  les  mêmes 
vices,  les  mêmes  iniquités.  Les  maîtres  ont  changé  ;  qu'ils  se 
nomment  peuples  ou  despotes,  les  idées  se  sont  modifiées,  mais 
aucun  génie  n'a  su  profiter  largement  des  leçons  du  passé. 

C'est  que  l'observation,  le  calcul,  ne  sont  j)as  les  causes  les 
plus  importantes  dans  l'évolution  des  progrès  humains.  La  plus 
grande  part  des  événements  revient  aux  passions,  aux  intérêts, 
aux  aptitudes,  aux  défaillances  des  éléments  en  jeu  et,  dans  la 
plupart  des  cas,  leurs  effets  ne  peuvent  être  escomptés. 

Les  peuples  se  transforment;  jamais  ils  ne  sont  semblables  à 
eux-mêmes,  et  bien  rarement  ils  ont  un  gouvernement  qui  réponde 
exactement  à  leurs  tendances.  Tout  gouvernement  gouverne,  et 
même  s'il  semble  suivre  le  sentiment  du  peuple,  il  le  guide,  il  le 
conduit  dans  le  chemin  voulu  par  ses  pensées,  par  ses  intérêts. 

Certainement,  quelle  que  soit  la  forme  du  pouvoir,  les  limites 
d'action  du  gouvernant  lui  sont,  en  temps  ordinaire,  imposées  par 


VI  PRÉFACE 

la  nation  ;  mais  le  champ  demeure  vaste  et  surtout  si  ce  gouver- 
nant est  un  homme  de  génie,  son  initiative  joue  un  grand  rôle 
dans  les  destinées. 

Les  Grecs  eussent  abattu  la  Perse,  Alexandre  envahit  les 
Indes.  Les  Perses  se  fussent  rendus  maîtres  de  l'Asie,  Darius  les 
entraîna  jusqu'en  Scythie,  Cambyse  au  delà  de  l'Egypte.  La  Répu- 
blique eût  repoussé  l'étranger,  Bonaparte  fit  flotter  sur  Moscou 
ses  étendards. 

Ainsi,  dans  l'étude  du  progrès,  il  ne  faut  donc  pas  seulement 
tenir  compte  des  tendances  de  peuples  ou  de  races  ;  il  faut  faire 
entrer  en  ligne,  et  pour  une  large  part,  Thomme,  celui  qui  s'est 
trouvé  être  soit  la  cause,  soit  l'instrument  des  volontés  et  des 
intérêts  populaires. 

Le  génie,  souvent,  modifie  le  cours  naturel  des  événements;  il 
met  en  usage  les  ressources  qui  s'offrent  à  lui,  les  prenant  où  il 
les  rencontre,  déplaçant  ainsi  les  prépondérances  entre  nations. 

Si  Colomb  avait  trouvé  dans  sa  patrie  les  éléments  nécessaires 
à  son  entreprise,  l'Espagne  ne  se  serait  jamais  étendue  sur  la 
moitié  du  glojje.  Si  Théodose  n'avait  pas  divisé  l'Empire,  peut- 
être  Rome  eût- elle  repoussé  l'invasion  des  barbares.  Si  Héraclius 
avait  envoyé  quelques  légions  pour  étouffer  dans  sa  racine  le 
mouvement  des  Arabes,  il  eût  changé  la  face  du  monde  moderne. 

Mais,  en  dehors  de  ces  sources  humaines  de  l'histoire,  il  en  est 
d'autres  plus  puissantes  encore,  les  causes  naturelles,  celles 
contre  lesquelles  l'homme  reste  désarmé;  elles  sont  nombreuses^ 
soudaines,  inattendues.  Peuples  et  rois  leur  obéissent.  La  famine. 
Peau,  le  feu,  les  frémissements  du  sol,  sont  maîtres  de  la  destinée 
des  nations. 

Ainsi  le  progrès  dépend  de  mille  causes,  les  unes  lentes,  les 
autres  violentes;  certaines  échappant  à  la  volonté,  d'autres  résul- 
tant de  cette  volonté  même.  C'est  dans  ce  dédale  que  l'historien 
doit  se  mouvoir  pour  découvrir  et  mettre  en  lumière  les  causes 
principales  dégagées  des  éléments  d'importance  secondaire. 

Qu'importent  en  efîet  la  mémoire  des  souverains  dont  le  règne 
n'estdûqu'à  leur  naissance  sur  les  marches  d'un  trône,  les  batailles, 
les  conquêtes  sans  causes  profondes,  sans  résultats  généraux  I 
Une  idée,  une  volonté  sont  de  bien  plus  grandes  choses  quand 
leurs  résultats  sont  demeurés  acquis  pour  l'humanité,  pour  le 
bien-être  général. 


PRÉFACE  VII 

Ainsi  envisagée,  Thistoire  est  passionnante.  Soixante-dix  siècles 
environ  nous  séparent  seulement  de  ses  déljuts.  Qu'est-ce  par 
rapport  à  rancionneté  du  monde?  bien  peu  de  chose.  Et  encore  ce 
court  espace  de  temps  devient-il  plus  petit  encore,  (juand,  au  lieu 
d'envisager  les  ans,  nous  ne  voyons  plus  que  les  grandes  phases 
du  développement.  Elles  sont  peu  nombreuses,  se  lient  intime- 
ment et  se  suivent  en  un  admirable  enchaînement  dont  la  sim])li- 
cité  émerveille. 


AVERTISSEMENT 


Ce  livre  n'est  pas  un  traité  d'histoire  ;  de  plus  autorisés  que  je 
ne  le  puis  être  ont  pris  soin  de  rédiger  les  annales  de  l'antiquité. 
11  n'est  pas  non  plus  un  précis  d'ethnographie,  de  linguistique 
ou  d'art.  Le  titre  que  je  lui  donne  montre  qu'il  ne  contient  que 
des  observations  coordonnées  sur  l'histoire,  Tethnographie,  la 
linguistique,  les  sciences,  les  arts,  etc.,  sur  les  diverses  émana- 
tions de  l'esprit  humain  en  tant  qu'ayant  contribué  au  progrès 
général. 

Gomme  l'indique  le  sous-titre  «  Études  »,  cet  ouvrage  est  loin 
de  traiter  à  fond  de  toutes  les  questions.  11  en  néglige  quelques  - 
unes,  en  effleure  seulement  d'autres,  pour  se  plus  étendre  sur 
celles  d'importance  particulière  et  sur  les  faits  rentrant  plus 
spécialement  dans  le  cercle  de  mes  recherches  personnelles. 

Forcément  l'histoire  anecdotique  devait  jouer  un  très  orand 
rôle  dans  un  tel  travail;  car  elle  est  la  vie  de  ce  monde  dont  nous 
nous  efTorçons  de  retrouver  le  penser.  J'ai  dû  la  reprendre  sans 
toutefois  entrer  dans  ces  mille  détails  qu'un  annaliste  doit  à  ses 
lecteurs,  et  si,  parfois,  je  l'ai  suivie  dans  des  phases  d'un  intérêt 
secondaire,  c'est  uniquement  pour  donner  plus  de  suite  à  mon 
exposé. 

11  n'est  pas  douteux  que,  sur  bien  des  points,  mes  vues  ne 
soient  pas  celles  de  tous  ;  mais  là  où  je  me  trouve  en  contradic- 
tion avec  des  autorités  dignes  de  considération,  j'ai  pris  soin  de 
développer  ma  pensée,  d'y  joindre  les  sources  d'où  mon  opinion 


X  AVERTISSEMENT 

est  issue  ;  afin  de  permettre  au  lecteur  de  juger  par  lui-même, 
sans  qu'il  lui  soit  nécessaire  d'entrer  dans  de  longues  recherches 
bibliographiques. 

Afin  d'alléger  mes  exposés,  j'ai  mis  sous  forme  de  notes  tous 
les  faits  d'intérêt,  renvoyant  aux  meilleures  références,  aux  études 
spéciales.  C'est  en  note  également  que  j'ai  fourni  la  plupart  de 
mes  observations  personnelles,  soit  inédites,  soit  déjà  publiées 
dans  des  ouvrages  ou  recueils  particuliers.  Enfin  je  me  suis 
efforcé  d'être  concis. 

Les  observations  relatives  aux  pays  orientaux  sont  presque 
toutes  le  fruit  de  mes  voyages.  Ayant  pendant  vingt-cinq  ans 
parcouru  l'Asie  antérieure  et  méridionale,  depuis  la  Méditerranée 
jusqu'aux  limites  occidentales  de  la  Chine,  visité  l'Egypte,  le 
Sinaï,  le  nord  de  l'Afrique,  toute  l'Europe,  ayant  toujours  donné 
à  mes  voyages  le  même  but  scientifique,  j'en  ai  rapporté  un 
nombre  considérable  d'observations  et,  qui  mieux  est,  des  vues 
d'ensemble,  me  permettant  de  suivre  sur  le  terrain  les  événe- 
ments d'antan.  C'est  de  ce  long  labeur  qu'en  écrivant  ce  livre 
j'ai  tenu  à  faire  bénéficier  la  science. 

Cet  écrit  n'est  destiné  qu'à  un  public  éclairé.  J'ai  supposé  le 
lecteur  en  possession  des  diverses  sciences  en  jeu;  et  si,  parfois, 
j'ai  dû  expliquer  des  faits  déjà  connus,  c'est  parce  que  j'avais  à 
les  interpréter  dans  un  sens  différent  de  celui  auquel  on  est 
accoutumé,  ou  que  je  les  faisais  servir  de  base  à  des  idées  nou- 
velles. 

J'ai  admis,  par  exemple,  que  le  lecteur,  au  courant  de  la 
géologie,  possède  la  succession  des  étages,  des  faunes  et  des 
flores;  que,  versé  dans  les  questions  préhistoriques,  il  est  instruit 
des  discussions  qui  ont  eu  lieu  sur  cette  matière  depuis  un  demi- 
siècle  ;  que,  sans  être  linguiste,  il  est  familiarisé  avec  la  méthode 
comparée,  qu'il  a  des  notions  étendues  sur  la  philologie  générale. 

La  géographie  ancienne  et  moderne,  je  la  suppose  connue,  et 
fais  usage  des  termes  appliqués  aux  diverses  époques  sans  entrer 
dans  un  exposé  spécial  autrement  que  lorsqu'il  s'agit  de  questions 
douteuses  ou  discutées. 

Enfin,  j'ai  ajouté  à  ce  livre  un  grand  nombre  de  cartes  facili- 
tant l'entendement  des  faits,  évitant  ainsi  de  longues  descriptions 
qu'il  est  aisé  de  trouver  pour  la  plupart  dans  des  ouvrages  spéciaux. 

On  pensera,  peut-être,  que  j'ai  bien  négligé  certains  peuples, 


AVERTISSEMENT  XI 

certaines  périodes  de  lliisLoire  de  (juelques  nations.  Je  l'ai  fait 
intentionnellement,  lorsque  le  rôle  de  ces  nations  s'est  montré 
sans  intérêt  au  point  de  vue  des  résultats  généraux,  ne  considé- 
rant les  peuples  que  comme  des  acteurs  dans  la  grande  pièce  qui 
se  joua  dès  les  débuts  de  l'humanité,  les  faisant  entrer  en  jeu 
alors  seulement  qu'ils  avaient  à  remplir  leur  rôle.  D'ailleurs,  dans 
la  pluj)art  des  cas,  les  notes  suppléent  à  ces  lacunes  apparentes. 

Il  existe  fort  peu  de  traités  généraux  d'histoire  qui  ne  soient 
écrits  sous  rinfluence  de  tendances  spéciales,  les  unes  voulues 
par  les  études  particulières  auxquelles  s'étaient  voués  leurs 
auteurs;  les  autres  par  des  impressions  extra-scientifiques  ;  ainsi, 
dans  bien  des  traités,  surtout  aujourd'hui  en  Allemagne,  en 
Angleterre  et  en  Amérique,  les  peuples  de  la  Palestine  pren- 
nent une  importance  (ju'ils  sont  loin  de  mériter  par  le  rôle  poli- 
tique qu'ils  ont  joué.  Ailleurs,  c'est  l'Egypte  qui  domine  et  à 
laquelle  tous  les  événements  se  trouvent  rapportés.  Pour  d'autres, 
c'est  l'Assyrie,  la  Chaldée,  la  Grèce  qui  font  l'oljjet  des  cons- 
tantes préoccupations.  11  est  peu  d'auteurs  qui  ne  se  soient  laissés 
guider  l'esprit.  C'est  d'ailleurs  une  tâche  difficile  que  de  faire  à 
chacun  la  part  qui  lui  est  due. 

Si  nous  ne  considérions  que  la  durée  du  temps,  il  est  certain 
que  la  période  préhistorique  devrait  occuper  au  moins  les  neuf 
dixièmes  d'un  tel  ouvrage.  Mais  c'est  l'avancement  du  progrès 
qu'il  importe  d'étudier  et  non  la  vie  des  peuples  demeurant  sta- 
tionnaires.  Plus  on  se  rapproche  de  nous,  plus  la  mentalité 
humaine  se  développe,  plus  les  faits  se  multiplient,,  augmentant 
d'importance.  Partant,  on  doit  accorder  d'autant  ])lus  à  l'exposé 
que  l'époque  envisagée  est  moins  ancienne. 

J'ai  joint  à  chacune  des  phases  historiques  des  tableaux  com- 
paratifs, afin  de  permettre  au  lecteur  d'embrasser  d'un  seul  coup 
d'œil  l'état  politique  du  monde  pendant  toute  une  période.  Pour 
les  concordances  exprimées  par  ces  tableaux,  j'ai  eu  recours  aux 
meilleures  sources  ;  mais  je  dois  insister  sur  ce  fait  que,  surtout 
dans  les  débuts  de  l'histoire,  beaucoup  de  dates  sont  encore 
indécises. 

L'établissement  des  concordances  chronologiques  est  indis- 
pensable pour  la  solution  d'une  foule  de  questions  historiques, 
surtout  en  ce  qui  concerne  les  arts  et  les  industries.  Sans  ces  rap- 
prochements, bien  des  faits  demeureraient  inexplicables. 


XII  AVERTISSEMENT 

Ce  livre  que,  depuis  bien  des  années,  je  me  propose  d'écrire, 
voit  enfin  le  jour.  Je  n'ignore  pas,  en  livrant  son  manuscrit  à  l'im- 
primerie, que  mon  opinion  sur  bien  des  questions  sera  l'objet  de 
remarques;  j'espère  toutefois  qu'il  rendra  quelques  services,  ne 
serait-ce  que  celui  de  placer  des  discussions  de  détail  sur  un  ter- 
rain plus  général  et  de  faire  entrer  en  ligne  des  éléments  tirés 
de  sciences  diverses. 

En  terminant,  je  m'excuse  de  ne  point  offrir  un  travail  plus 
étendu.  J'y  ai  mis  ce  que  je  sais,  ce  que  je  comprends,  sans  pré- 
tendre à  Tœuvre  complète. 

Nota.  —  Les  cartes  renfermées  dans  cet  ouvrage,  dressées  par 
l'auteur  ou  inspirées  des  meilleures  sources,  ont  été  toutes  des- 
sinées par  M.  Ch.  Emonts,  dessinateur  du  Service  des  Antiquités 
de  la  Tunisie;  les  fac-simili  d'écritures  antiques  ont  été  faits  par 
l'auteur  lui-même. 


LES  PREMIÈRES  CIVILISATIONS 


CHAPITRE  PREMIER 


Des  sources  de  la  préhistoire  et  de  l'histoire. 


I.  —  Des  sources  de  la  préhistoire. 

La  question  des  origines  naturelles  de  l'homme  reste  encore, 
pour  l'instant,  confinée  dans  la  métaphysique.  Nous  ne  possédons, 
je  ne  dirai  pas  aucune  base  ;  mais  bien  aucune  indication,  même 
vague,  de  nature  à  guider  nos  recherches.  C'est  donc  aux  suppo- 
sitions seules  qu'il  convient  d'avoir  recours  lorsqu'on  aborde  ce 
grave  problème. 

Les  hypothèses  cessent  dès  que  nous  entrons  dans  la  phase 
préhistorique,  dans  celle  à  laquelle  il  ne  manque  que  des  textes 
pour  qu'elle  prenne  rang  dans  l'histoire.  L'étude  de  ces  temps 
fait  usage  d'une  foule  de  connaissances  qui,  secondaires  pendant 
la  période  où  l'homme  nous  a  laissé  des  annales,  sont  ses  uniques 
ressources  tant  que  les  textes  font  défaut. 

Il  semble  utile,  avant  d'aborder  l'étude  du  progrès  humain, 
d'indiquer  quelles  sont  ces  sciences,  quelles  ressources  nous 
sommes  en  droit  d'en  attendre,  et  avec  quelles  réserves  nous  devons 
tenir  compte  des  arguments  qu'elles  fournissent. 

Géologie.  —  La  géologie,  en  classant  les  diverses  couches  de 

1 


2  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

récorce  terrestre,  fournit  la  succession  des  phénomènes  sans 
cependant  en  donner  la  chronologie. 

Partant  d'une  multitude  d'observations  de  détails,  elle  a  pu 
généraliser  et  tracer  les  grandes  lignes  de  la  vie  de  notre  planète  ; 
toutefois,  sur  mille  sujets  elle  est  encore  indécise. 

En  ce  qui  concerne  les  alluvions  et  les  terrains  superficiels 
entre  autres,  notre  circonspection  ne  saurait  être  trop  grande. 
Le  synchronisme  appliqué  sans  preuves  positives  peut  amener,  et 
a  déjà  causé,  de  très  graves  méprises. 

Paléontologie.  —  Botanique.  —  La  paléontologie  et  la  botanique 
montrent  la  succession  des  faunes  et  des  flores  en  relation  directe 
avec  la  stratigraphie.  Elles  permettent  de  juger  du  climat  pour 
chacune  des  époques  géologiques,  de  dessiner  les  contours  des 
provinces  de  la  vie  et  de  reconnaître  l'état  général  des  continents 
aux  divers  âges. 

Il  ne  faudrait  cependant  pas  attacher  une  importance  capitale 
à  l'existence  des  espèces  dites  caractéristiques.  De  tous  temps  il 
a  existé  des  provinces  zoologiques  et  botaniques  variant,  pour  une 
même  époque,  les  types  suivant  les  régions;  et  de  tous  temps  aussi 
des  modifications  climatériques  ont  causé  des  interchangements 
dans  les  diverses  provinces  de  la  faune  et  de  la  flore.  Si  les 
considérations  générales  s'appliquant  à  l'ensemble  d'une  période 
géologique  sont  exactes,  celles  portant  sur  des  phénomènes  locaux 
doivent  être  étudiées  avec  le  plus  grand  soin  avant  d'être  quelque 
peu  généralisées.  Elles  peuvent  être  le  fruit  d'exceptions  dont  il 
faut  rechercher  les  causes.  Il  serait  également  très  imprudent  de 
juger  de  la  biologie  des  espèces  éteintes  d'après  ce  que  nous 
savons  de  celle  des  espèces  vivantes  appartenant  au  même 
groupe. 

Ethnographie.  —  ^ethnographie  préhistorique^  ou  étude  des 
industries  et  des  arts  chez  les  peuples  sans  histoire,  montre  les 
diverses  phases  par  lesquelles  est  passé  l'homme  avant  qu'il 
enregistrât  des  annales. 

Cette  science  née  d'hier  a  fait  de  rapides  progrès,  surtout  en  ce 
qui  concerne  l'Europe  occidentale  et  le  bassin  méditerranéen,  pays 
les  mieux  étudiés  jusqu'à  ce  jour. 
Pour  les   autres  régions    du    globe,  nous    ne    possédons  encore 


DES    SOURCES     DE     LA    PRÉIIISK  )ll!i:     i;T     Di:     LllISTon^K  3 

que  des  données  incomplètes;  et  il  n'est  |)as  permis  crappli(juei- 
aux  pays  étrangers  les  résultats  des  observations  européennes. 

Comme  toute  science  naissante,  l'ethnographie  préhistorique 
en  est  encore,  pour  bien  des  points,  à  la  période  des  tâtonnements; 
chaque  jour  des  théories  admises  sont  renversées  par  de  nouvelles 
découvertes  faisant  naître  des  hypothèses  de  plus  en  plus  rappro- 
chées de  la  vérité. 

C'est  que,  au  début,  les  savants  se  sont  trop  hâtés  de  passer  du 
particulier  au  général,  d'élargir  la  portée  de  faits  locaux  ;  que, 
voyant  ce  procédé  réussir  dans  d'autres  sciences,  ils  ont  cru 
pouvoir  l'appliquer  à  la  préhistoire  de  l'homme. 

Les  phénomènes  de  la  vie  sont,  dans  la  nature  livrée  à  elle- 
même,  d'une  extrême  complexité.  Au  temps  de  Pline,  un  seul 
nom  suffisait,  en  général,  pour  désigner  une  espèce  /oologique 
ou  botanique.  Linné  reconnut  que  deux  termes  étaient  nécessaires. 
Aujourd'hui  les  naturalistes  admettent  le  genre,  l'espèce,  la  variété 
et  la  forme.  Et  encore  certaines  séries  animales  résistent-elles  au 
classement,  suivant  les  nomenclatures  en  usage  (1). 

C'est  que,  depuis  Pline,  la  méthode  et  les  moyens  d'observation 
se  sont  améliorés.  Ils  se  perfectionneront  encore  et,  de  même  que 
la  chimie  dans  ces  dernières  années  a  dû  se  transformer,  de  même 
la  zoologie  devra  modifier  un  jour  le  système  linnéen  (2). 

Si  la  variété  est  grande  dans  le  développement  des  êtres  orga- 
nisés, que  doit-elle  être  dans  les  manifestations  de  l'intelligence 
humaine;  dans  ces  industries,  même  primitives,  répondant  à  des 
besoins  multiples  d'hommes  variés  eux-mêmes,  vivant  dans  des 
conditions  variables  suivant  les  temps  et  les  lieux. 

S'inspirant  de  la  méthode  géologique,  et  se  croyant  autorisés  à 
généraliser  la  portée  de  leurs  découvertes,  les  préhistoriens  ont 
établi  toute  une  nomenclature  par  époques,  parages,  prenant  pour 
types  les  éléments  d'une  échelle  locale  elle-même  discutable  (3). 


(1)  Les  recherches  en  eaux  profondes 
(3  500  mètres)  dans  la  mer  des  Antilles  et  le 
golfe  du  Mexique  ont  fait  découvrir  certains 
groupes  animaux  dans  lesquels  la  variété  des 
formes  zoologiqucs  est  si  grande,  qu'elle  rend 
presque  impossible  l'application  des  classifi- 
cations jusqu'ici  les  mieux  établies.  Les  types 
de  transition  abondent,  lit  on  trouve  des  in- 
termédiaires entre  les  groupes  Jus(|u'ici  con- 
sidérés comme  tout  à  fait  distincis.  (Cf.  Alpii. 
MiLNE  Edwards.  Corn/;/,  rend.  Acad.  Sc.XCU, 
pp.  38i-87(;.  —  A.  Di:  Lappari;nt,  Traite  de  Géo- 
logie, f/  édil.,  l'.tOO,  p.  I-2G.) 


(-2)  Parmi  les  théories  tendant  à  renverser 
complètement  les  idées  scienlili<|ues  admises 
jusqu'ici,  je  citerai  G.  Le  Bon  {L'Evolution  de 
la  matière  et  V Evolution  de  la  force).  «  La  science 
d'hier  était  fondée  sur  l'élernilé  de  la  matière, 
dit-il,  celle  de  demain  sera  basée  sur  la  dé- 
sintégration de  la  matière.  Elle  aura  pour  but 
principal  de  trouver  des  moyens  faciles  d'aug- 
menter celte  désirilégration  et  mettre  ainsi 
dans  les  mains  de  l'homme  une  source  de 
foices  ])res(iue  infinie  1  [Revue  des  idées,  n"  4G, 
15  octobre  l'.X>7,  p.  862i. 

(3)  Cette  généralisation   exagérée  n'entrait 


/,  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

Leur  terminologie,  inspirée  de  celle  des  géologues,  fait  jouer 
aux  vestiges  de  la  vie  humaine  le  rôle  que  remplissent  les  fossiles 
par  rapport  à  la  stratigraphie;  oubliant  qu'un  silex  taillé  et  un 
ossement  ne  peuvent  être  assimilés  l'un  cà  l'autre,  l'un  étant  le 
produit  artificiel  d'une  intelligence  peut-être  fantaisiste,  l'autre 
étant  celui  de  la  nature  suivant  ses  lois  immuables. 

Les  études  préhistoriques  s'étant,  au  début,  développées  dans 
la  même  région,  les  classifications  par  âges  prirent  un  semblant 
d'exactitude  ;  parce  que  leur  contrôle  ne  s'exerçait  que  dans  un 
même  milieu,  soumis  aux  mêmes  vicissitudes,  habité  par  des 
populations  successives  ou  contemporaines  émanant  souvent  des 
mêmes  centres. 

Mais  lorsqu'on  voulut  faire  rentrer  dans  cette  nomenclature^ 
non  seulement  tles  faits  extra-européens;  mais  même  des  obser- 
vations plus  rapprochées,  là  commencèrent  les  difficultés  et  les 
assimilations  demeurèrent  plus  que  douteuses.  Quant  au  synchro- 
nisme, non  seulement  il  ne  fut  pas  établi  ;  mais  il  fut  démontré 
qu'il  ne  pouvait  pas  l'être. 

Lorsqu'on  envisage  les  industries  primitives  de  l'homme,  on 
voit  pour  chacune  des  fractions  de  terres  habitables  un  déve- 
loppement, une  chronologie  relative  spéciaux.  L'industrie  n'est 
donc  pas  seulement  une  dépendance  du  temps  ;  elle  est  aussi  en 
relation  avec  l'espace.  Ce  principe  fondamental  a  longtemps  été 
méconnu  et  l'est  encore  de  beaucoup. 

Dans  l'étude  des  industries  préhistoriques,  le  temps  ne  peut 
entrer  en  ligne  que  pour  des  espaces  géographiques  plus  ou  moins 
limités  ;  mais  il  est  des  phases  naturelles  dans  les  progrès  de  cette 
industrie  se  succédant  d'une  façon  générale  indépendamment  du 
temps.  Ces  phases  sont  conformes  à  l'esprit  humain,  au  déve- 
loppement de  ses  besoins. 

Tous  les  peuples  n'ont  pas  assisté  à  toutes  les  phases,  pour 
des  causes  naturelles  ou  artificielles.  Ainsi  les  Africains  semblent 
avoir  connu  le  fer  de  suite  après  la  pierre  polie.  Chez  les  Océa- 
niens, l'arme  à  feu  succéda  directement  à  la  hache  de  roche  dure. 

pas  dans  les  vues  de  G.  de  Mortillet,  à  qui  la  hautes  piêtenlions  qui,  du  reste,  ne  sauraient 

science    est   redevable    de  la   méthode     dont  se  justilier.  U  faut  simplement   la  considérer 

elle  fait   usage  depuis    un    demi-siccle.  «   Ma  comme  un   meuble  à    tiroirs,  dans    lequel  se 

classification,  dit-il  [Conyrèx  de  Bruxelles,  1875,  placent  facilement  et  commodément,  à  des  ni- 

p.  418),  n'est  pas  un  cadre  fixe  et  rigide  dans  veaux  différents,  tous   les  faits    et  toutes   les 

lequel  doivent  forcément  s'encastrer  toutes  les  observations.  ■■ 
données    de    la  science.   Elle    n'a    pas    de  si 


DES    SOURCES     DE     LA     IMIÉHISTOIRE  ET     DE    LlllSTolHE  ô 

Les  Américains  du  Nord  ont  connu  le  cuivre,  l'argent  et  l'or,  et  en 
citaient  là,  quand  ils  ont  reçu  la  civilisation  européenne.  Qui  nous 
prouve  que  certaines  peuplades  de  nos  pays  n'en  étaient  pas 
encore  à  la  pierre  taillée,  mais  non  polie,  quand  l'usage  du  niélal 
leur  fut  enseigné  ? 

Si  nous  devons  rejeter  les  termes  époque,  âge,  période  connu c 
n'ayant  aucune  portée  générale,  si  nous  acceptons  celui  d'état  (1) 
comme  impliquant  la  pensée  d'une  civilisation  sans  relations  avec 
le  temps  envisagé  d'une  manière  absolue,  nous  voyons  que  l'in- 
dustrie primitive  témoigne  d'états  principaux  successifs  ou  con- 
temporains dans  l'évolution  préhistorique  de  l'humanité. 

Dans  son  état  primitif  l'homme,  différent  de  l'animal  tout  au 
moins  par  son  intelligence,  ne  possédait  aucune  industrie,  ne 
connaissant  probablement  pas  le  feu,  n'avait  d'autre  langage  que 
le  cri  et  le  geste.  L'existence  de  cet  état  ne  repose  que  sur  des 
suppositions. 

De  cet  homme,  il  ne  pourrait  en  être  parvenu  jus([u'à  nous  que  le 
squelette  ;  c'est  la  phase  primordiale  de  l'évolution  préhistorique, 
dont  nous  ne  possédons  encore  aucune  trace  ;  mais  qu'il  est  possible 
d'admettre.  Phase  prodigieusement  ancienne,  d'une  énorme  durée  ; 
car  les  premiers  progrès  ne  se  firent  certainement  qu'avec  une 
extrême  lenteur. 

La  phase  éolithique  (2)  vient  ensuite,  ouvrant  la  série  des 
industries  dontles  vestiges  ont  pu  se  conserver  juscju'à  nos  temps. 
L'homme,  plus  développé,  emploie  pour  son  usage  les  outils  natu- 
rels qu'il  approprie  quelque  peu  à  ses  besoins,  au  but  auquel  il 
les  destine. 

La  question  de  l'éolithique  est  aujourd'hui  l'objet  d'ardentes 
controverses  parmi  les  préhistoriens.  Les  uns  affirment  (3),  les 
autres  nient  ijx)  la  taille  intentionnelle  de  ces  pierres  informes 
qui,  presque  toutes,  se  rencontrent  dans  des  couches  tertiaires. 

Quoi  qu'il  en  soit,  que  les  éolithes  présentées  jusqu'ici  soient 
ou  non  le  produit   du  travail  humain,  il  n'en  demeure  pas  moins 

(1)  J'ai,  en  1889  {Recherches  sur  les  origines  des  L.  Capita.n.  la  ^)neslion  des  Eolilhes.ds  RcLue 
peuples  duCaucase,  l.I,  p.  2),  proposé  d'adopler        Ecole  d'Anthropologie,  1901. 

le    lerme  Elal    Je    le    retrouve  appliqué  par  (4)  Cf.  A.  de   Lappabent,  les    fUlex  laillés  et 

J.  Ueniker  iLes  Rdces  et  les  Peuples  de  la  terre,  l  ancienneté  de  l'homme.  Pari^,  in-8,  1907,  pp.iô- 

1900,  Paris,  p.  3(51).  s(i.  —  M.  Boi  i.e,  Comptes  rendus  de  l'Acndémie 

(2)  ïoj;,  À;6o;  (de  Morliilct.)  des  sciences,  C\L,    p.   lli'J.  —  L'Anthropologie, 

(3)  Cf.  RuTor,  Bull.  Soc.  Iielge  de  Géologie,  V.K)ô,  p.  257.  —  G.  Maiioldeal'  cl  Capitan. 
XVII,  procès-verbaux,  p.  427(28  juiliell903).  illoiiiine  tcrliaire  à  Thenay,  ds  Revue  Lcole 
—  La  Défense  des  Eolithes    l)rocluircK  190J.  —  Anihrop.,  I.  XI.  1901. 


()  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

impossible  de  considérer  la  hache  amygdaloïde  comme  le  pre- 
mier des  instruments  ;  il  existe  forcément  des  essais  qui  ame- 
nèrent à  cette  industrie,  et  ces  essais  sont  des  éolithes  qui,  si 
elles  n'ont  pas  encore  été  rencontrées,  le  seront  un  jour;  car  il 
n'est  pas  douteux  qu'il  en  soit,  tout  au  moins  pour  l'époque  qua- 
ternaire (1). 

Vétat  paléolithique  (2),  faisant  rationnellement  suite  à  l'éoli- 
thique,  est  celui  dans  lequel  l'instrument  prend  une  forme  définie. 
Le  noyau,  jadis  grossièrement  approprié,  devient  un  véritable  outil 
grâce  aux  éclats  enlevés  méthodiquement  sur  ses  faces,  instru- 
ment unique,  ouvré  avec  plus  ou  moins  de  finesse  {chelléen^ 
acheuléen)  mais  traduisant  les  mêmes  besoins,  la  même  conception 
du  travail. 

Pendant  longtemps,  on  a  pensé  devoir  arrêter  Vélat  paléoli- 
thique à  la  hache  amygdaloïde,  parce  que  cette  phase,  limitée  à 
l'emploi  unique  du  noyau  plus  ou  moins  retaillé,  semblait  être  la 
plus  ancienne;  et,  par  les  instruments  plus  fins,  faisant  usage  des 
éclats  retouchés  [type  moustérien)  on  caractérisait  une  époque  posté- 
rieure. Mais,  les  récentes  découvertes  tendent  toutes  à  prouver  que 
les  trois  types  chelléen,  acheuléen  et  moustérien  ont  été  simulta- 
nément en  usage  dans  presque  tous  les  pays,  chacune  de  ces  caté- 
gories correspondant  à  des  besoins  spéciaux.  Il  y  a  donc  lieu  de 
ranger  d'une  manière  générale  le  moustérien  dans  l'état  paléoli- 
thique, bien  que  dans  certaines  régions,  rares  il  est  vrai,  comme 
l'Italie,  la  zone  qu'il  occupe  ne  semble  pas  coïncider  avec  celle 
des  formes  chelléennes. 

^industrie  archéolithiqae  (8),  plus  compliquée,  est  caractérisée 
j)ar  ce  fait  que  les  éclats  retouchés  ne  le  sont  plus  sur  une  face 
seulement,  mais  des  deux  côtés,  pour  les  grands  comme  pour  les 
|)etits  instruments;  ce  f|ui  n'empêche  pas  d'ailleurs  quekjues-unes 
des  formes  primitives  de  subsister.  Dans  cet  état  [auriynacien^ 
solutréen,  magdalénien,  etc.)  les  formes  se  modifient,  l'outillage 
devient  plus  nombreux,  plus  varié  et  la  taille  du  silex  atteint  une 
perfection  comparable  à  celle  dont  nous  constatons  l'existence  dans 
lu  dernière  phase  de  l'usage  de  la  pierre,  dans  létal  néolithique  (/i). 

(1)  II  n'est  pas    un   gisement    d'instruments  (2)  ~a)^a\oç,  X;Go;  (j.  Lubîjock.) 

|ialcolitliiques  qui  ne  renferme  en  abondance 

des  hilex  ((////.ses,  nodules  portant  des  retou-  (3j  apyaio;,  Xi'Oo:  (Nob.y 

«lies  destinées  à  en  faciliter  rem[doi,  mais  ne 
[irésenlant  aucune  forme  définie.  (4)  Vcoç,  A'.ooç  ij.  Lnbbock.) 


as 
© 
H 

S 

o 

H 

h^ 
O 


U 

S     .ï 

^ 

0) 

•^    .  ti 

a 

fd 

'""     ""'C 

U 

a 

a 

^  ...,    c  *5- 

3 

s  o  ç 

Cj 

Ci 

ç- 

C' 

;* 

Ç    C;    w  ''^ 

" 

cft'c  P 

X 

£ï 

E 

3 

X 

OJ 

—  —   3 

o 

C 

ti  '~~»'T;i   O. 

o 

O 

C 

'« 

CO   C3   ^ 

(- 

H 

H 

i- 

H 

a 

5 

~^M 

71 

X 

X 

/. 

X 

22 

3 

C^ 

!-;--■—■ 

~ 

—        s"*' 

— 

"" 

~ 

Cw 

""« 

'1 

S 

2 

c 

0^   3 

•a  2 

o  b 

a 

a 
5 

U 

ç 

a 

H 

■ti 

3 

H 

^  2  ;?.  ■§-. 

O 
1- 

o 
1- 

X 

S 

""'s 

""    —  "* 

H 

3 

2 

ail 

c  o  s 

IS. 

■o 

—  ::;  ù.  o 

le' =  g 

4>              ^ 

^. 

•5 

Ci 

■r. 

-=:"■§       i 

•■g^'ï: 

-c: 

•Ç' 

7i 

5-? 

i^'^" 

-  c  3  2 

a  .5'^  "• 

•S:  X  rî 

^ 

a 

.2 

-^,    '5 

§t 

>. 

^'3   3   o 

.2|  = 

cr 

H 

î* 

= 

^  "^  ^ 

3  7. 

; 

.2  ■t'5 

%- 

H 

i 

1 

c.SS; 

^  -,- 

"?^ 

S  S-!;  a. 

= 

u 

2 

3 
•M 
y. 

â. 

"i  .^ 

N 

5  M  .î; 

Q- 

u 

^ 

i  ^ 

Ui 

?      i 

h   / 
W  \ 
D 
û 

H 

2* 
o 

c 
S 

-'     a 

Z 

? 

•J 

- 

""^. 

il 

a 

r-^             — 

Ci 

.3 

3 

3  ^.2 

"^ 

U     . 

-■* 

■^ — 

'£       j; 

?_2  « 

^ 

-< 

2 

3 

-lu 

«•^  « 

o 
5 

3  o  œ 

•13 

■fi 

^_^ 

^_:^ 

a 

-i<   3.S 

-'"S.? 

J   O   3 

=^    — 

=11^1.1 

u 

•i  =  :j 

?    ==   3   S   ^ 

H 

:j 

1.  ::  o 

lès. 

5  a 

H 

O 

3  O     -  X 

i.   5 

z_ 

' 

>  a 

-c  d 

-r;.-;:  — .^  Cl 

c. 

-^s 

^^Ê 

^  ■" 

'"''- 

ii  ^  "î|' 

r-    H 

^ 

s 

U 

5.£ 

^ 

s- 

H 

a 

■^^  S 

^  -4.'  c^ 

■m 

3 
o 
■a 

il 

-0   i_3 

HH  1—^ 

c« 

X 

^ 

<: 

H 

5 

< 

e: 

-^ 

;r] 

-^^^ 

; 

■ç 

^ 

. 

?^ 

H 

2 

^ 

-^-^• 

^ 

— 

'■ 

'- 

^^ 

-W 

1 

E 

aj  -^ 

4J     .^ 

■A 

5 

•w   r- 

y.         -^ 

'P      9 

2?  - 

-"  :;.o 

a     5 

111 

=  w     5 

'^f'Z.- 

S  il 

»J    ii    -a! 

5  =  7 
MX  £  i 

X  i:  i 

3 

es 

0-3  a 

-a     a 

«-  -  a 

—    c.   3 

_ra       3 

r'^  a 

'-5 

8  LES    PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

Entre  l'industrie  archéolithique  et  celle  de  la  pierre  polie  est 
une  transition  [kjoekkenmœddings  danois,  campignien,  etc.)  dans  la- 
quelle les  anciens  procédés  de  taille  sont  toujours  en  usao-e,  mais 
qui  ne  connaît  pas  encore  le  polissage.  Cette  industrie  se  rapproche 
à  tel  point  de  celle  du  néolithique  qu'on  a  coutume  de  l'y  ranger  ; 
elle  mérite  toutefois  d'en  être  séparée,  ce  que  je  ferai  en  la  dési- 
gnant sous  le  nom  iVéiat  mésolithique  (1). 

L'usage  de  la  pierre  polie  constitue  la  dernière  amélioration 
dans  l'industrie  de  la  pierre.  Cette  phase  est  désignée  sous  le  nom 
d'état  néolithique,  terme  des  mieux  appropriés  ;  car  elle  est  la  der- 
nière étape  rationnelle  avant  l'apparition  des  métaux. 

Vétat  néolithique  comporte  lui-même  des  divisions  :  celle  de 
la  pierre  simplement  polie  et  celle  delà  pierre  percée  pour  l'em- 
manchement; mais  ce  travail  très  achevé  semble  n'être  survenu, 
dans  bien  des  pays,  qu'au  moment  de  l'apparition  du  métal.  11 
appartiendrait  alors  à  ïétal  énéolithique  ou  industrie  mixte. 

Il  y  a  peu  d'années  encore,  on  accordait  à  Yétat  néolithique 
une  très  grande  importance  et  une  longue  durée.  La  tendance 
actuelle  des  préhistoriens  est  de  réduire  le  néolithique  au  profit 
de  Vénéolilliiquc.  (hielques  auteurs  même  vont  jusqu'à  penser  que 
jamais  la  pierre  polie  n'a  existé  sans  le  métal  et  que  les  appa- 
rences néolithiques  ne  sont  dues  qu'à  la  grande  rareté  du  cuivre 
dans  certaines  régions  et  à  certaines  époques.  Il  ne  faudrait  pas 
cependant  accorder  à  cette  hypothèse  une  valeur  absolue. 

Les  types  néolithiques,  ou  du  moins  semblant  tels,  sont  extrê- 
mement nombreux,  mais  ne  présentent  guère  qu'un  intérêt  oéotrra- 
phique.  Il  est  d'ailleurs  à  remarquer  que,  d'une  façon  générale 
en  ce  qui  concerne  le  travail  de  la  pierre,  la  variété  des  formes 
s'accroît  au  fur  et  à  mesure  que  les  industries  envisagées  sont 
plus  récentes  ;  etquil  se  forme  peu  à  peu  des  provinces  possédant 
leurs  types  spéciaux.  Cette  constatation  viendrait  à  l'appui  de  la 
théorie  de  lorigine  unique  de  l'invention  de  la  taille  de  la  pierre. 

A  Vétat  néolithique  succède,  dans  l'ordre  naturel  des  choses, 
Vélat  métallurgique,  celui  dans  lequel  nous  vivons.  L'homme  est 
dès  lors  en  possession  du  métal  ;  non  d'un  minéral  malléable 
susceptible  d'être  martelé,  étiré,  aiguisé  ;  mais  d'un  métal  obtenu 

(1;  \i.hoç,  liOoz  (Nob.) 


DES     SOURCES    DE     LA    PRÉHISTOIRE     ET     DE     LUISTOIRE  9 

par  la  fusion  des  natifs  ou  par  la  réduction  dos  minerais  de  nature 
plus  ou  moins  complexe. 

V état  métallurgique  commence  dans  i)rcsque  tous  les  pays  par 
la  phase  énéoUthique  où  le  cuivre  pur  d'abord  (1  ),  le  bronze  ensuite 
sont  associés  à  l'usage  continué  de  la  j)icrre.  Puis  la  phase  du 
bronze,  divisée  elle-même  en  types  suivant  les  temps  et  les  lieux  ; 
enfin  h  phase  du  fer  et  ses  multiples  subdivisions. 

Ainsi  classée,  l'industrie  préhistorique  peut  être  envisagée 
en  dehors  de  toute  pensée  chronologique  ou  synchronique,  ce  qui 
n'empêche  d'ailleurs  pas  d'user  des  termes  de  cette  nomenclature 
dans  l'étude  des  successions  ;  l'ancienne  suite  des  industries,  si 
judicieusement  établie  pour  l'Europe,  ne  perdant  rien  de  sa  va- 
leur. 

Quant  aux  pays  éloignés,  leurs  industries  préhistoriques  se 
rangent  également  dans  cette  succession,  basée  seulement  sur  les 
progrès  naturels;  mais  on  devra  se  garder  d'établir  à  la  légère  des 
concordances  dans  les  époques,  alors  même  qu'il  y  aurait  similitude 
dans  les  types. 

On  obtient,  dès  lors,  le  tableau  ci-contre  (p.  7)  dans  lequel 
peuvent  rentrer  toutes  les  observations  relatives  à  l'industrie  de 
la  pierre  et  des  métaux  chez  les  peuples  ne  possédant  pas  d'histoire. 
Chaque  région  est  représentée  par  une  ou  plusieurs  lignes,  les 
hiatus  restant  en  blanc.  Pour  beaucoup  de  pays,  ces  lacunes  ne 
seront  jamais  comblées. 

Anthropologie.  —  V anthropologie  examinant  le  corps  humain, 
au  même  titre  que  la  zoologie  étudie  celui  des  animaux,  n  est 
qu'une  branche  de  l'histoire  naturelle  à  laquelle  on  a  cru  pouvoir 
faire  jouer  un  rôle  bien  plus  important  que  celui  qui  lui  revient 
en  réalité  ;  espérant  tirer  de  ses  déductions,  non  seulement  la 
connaissance  de  l'homme  en  tant  que  sujet  zoologique,  mais  aussi 
des  notions  précises  sur  ses  origines,  ses  parentés,  ses  aptitudes. 
Cette  science  a  malheureusement  jusqu'ici  donné  ])caucoup  moins 

(1)  Au  sujet  des  inslrumenls  en  cuivre  pur,  .scnl.-nit    exacieuienl  les  mêmes  foi  mes  (luVn 

Cf.  docteur  MucH, /Aye  du  cuivre  en  Europe  et  Eiuupe.  (Cf.    /.eilschrifl   fiir  Ethnologie,   190»;, 

son   rapport   avec,    la  civilisation  (le.-<   JndoGer-  Hefl  1   u.  II,  p. '.t-2,  figs.  5,  u,6.c.)  M.  de  Morlillel 

mains.  Vienne,  ll^86,  in  8.  L  aul(  iii- cite  des  dé  considèreles inslrumcntsdecuivrecomme  pos- 

couverles  failesen  II;iute-Aiilriciie,à  Salzburg.  lêrieursà  ceu.x  de  bronze.  (Cf.  Mal.,  t.  IV,  1887. 

en  Basse  Autriche,  en  Moravie,  en  Allemagne  p. 2:^5.)  Mais  cette  opinion,  rejelée  par  tous  les 

du  Sud,  en  Suisse,  en  Italie,  etc.  A  yiiiacatal  archéologues,  est  remplacée  par  celle  <|ui  con- 

(Péroii  ,  E.  NordenskJ.dd    a  rencontré  des  ha-  sidère   l'usage    du  cuivre   pur  comme  précur- 

ches  de  pierre  et  de  cuivre  (■?)(Bron/.ca.\tj  pré-  seur  de  celui  du  bronze. 


iO  LES    PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

tle   résultats  qu'on  en  attendait  d'elle  pour  les  temps  modernes, 
aussi  bien  que  pour  les  époques  les  plus  reculées. 

Malgré  le  nombre  énorme  des  travaux  parus  jusqu'à  ce  jour, 
nous  ne  possédons  aucun  classement  naturel  solide  des  races 
humaines  récentes  et,  à  fortiori,  n'en  pouvons-nous  pas  avoir  pour 
les  races  anciennes  au  sujet  desquelles  les  observations  sont  d'au- 
tant plus  clairsemées  et  plus  douteuses  que  le  type  est  plus 
ancien. 

Tout  animal,  appelé  à  vivre  dans  un  milieu  différent  de  son 
habitat  originel,  se  transforme  plus  ou  moins  rapidement,  tout  en 
conservant  ses  caractères  spécifiques  ;  il  rend  ses  facultés  plus 
aptes  à  supporter  les  conditions  de  son  nouveau  mode  d'existence, 
et  ne  tarde  pas  à  constituer  une  variété,  ou  tout  au  moins  une 
nouvelle  forme  (1). 

Ce  qui  est  vrai  pour  les  animaux,  l'est  aussi  pour  l'homme;  de 
sorte  que,  si  une  race  homogène  a  été  jadis  répandue  sur  notre 
globe,  se  trouvant  soumise  à  des  milieux  très  divers  et  répartie 
dans  des  habitats  différents  et  variables,  elle  s'est  forcément 
multipliée  sous  la  forme  d'une  foule  de  types  plus  ou  moins  éloi- 
gnés du  prototype  et  entre  eux,  et  dont  les  différences  sont  allées 
en  s'accentuant  au  cours  des  âges  (2). 

Si  ces  hommes  n'avaient  jamais  changé  de  demeure,  si  la  patrie 
de  chaque  groupe  ne  s'était  pas  modifiée  géographiquement  et 
climatériquement,  chacun  de  ces  groupes  présenterait  les  carac- 
tères dus  aux  influences  locales  naturelles  simples. 

Mais  tel  n'est  pas  le  cas  ;  nous  savons  que,  depuis  l'époque 
géologique  où  il  est  admissible  de  placer  la  venue  de  l'homme  sur 
le  globe,  les  continents  ont  changé  de  forme  et  qu'il  n'existe  peut- 
être  plus  la  moitié  des  terres  qui  émergeaient  autrefois  (3)  ;  que,  de- 
vantd'importants  cataclysmes,  l'être  humain  a  dû  modifier  son  habi- 
tat, fuir  certaines  régions  pour  en  adopter  d'autres;  migrations  qui 
n'ont  pu  se  passer  sans  qu'il  y  eut  mélange  de  fractions  différentes. 
Nous  savons  encore  que,  sans  qu'ils  doivent  être  attribués  à  des 
révolutions  naturelles  sur  la  surface  du  globe,  de  grands  mouve- 
ments de  peuples  ont  eu  lieu,  causant  de  nouvelles  fusions  depuis 

(1)  C'est  à  la  difTérence  dans  lus  conditions  déjà  noter  des  diirérences  sensibles  entre  les 

ce  la  vie  que  nous   devons  toutes  les  variétés  Américains  du  Sud  et  les  Espai>nols,  les  Cana- 

de  nos  animaux    domesliques.  Laniélioration  diens  et  les  Français,  les  Américains  du  Nord, 

des  races  par  lélevage  n'e,l  autre  que  lu  mise  les  Australiens  elles  Anglais;  les  Boers  et  ks 

en  i.ralKjue  de  ce  principe.  Hollandais,  etc. 

{i)  Dans  les  temps  modernes,  nous  pouvons  (3j  Cl.  Chap.  II  et  III. 


DES     SOURCES     DE     LA     PRÉIIISTOIHE     ET     DE     LIUSTOIKE  U 

les  temps  les  plus  anciens  jusqu'au  cours  des  époques  historiques 
les  plus  modernes. 

Les  conquêtes  politiques,  les  envahissements  pacifiques,  l'es- 
clavage, à  peine  éteint  de  nos  jours  (1),  ont  mis  en  présence  les 
peuples  les  plus  divers  ;  certaines  peuplades  ont  été  exterminées, 
laissant  les  femmes  de  leur  race  aux  mains  de  leurs  bourreaux  (2)  ; 
d'autres,  tout  en  conservant  les  mœurs  et  la  langue  de  leurs 
ancêtres,  se  sont,  au  point  de  vue  anthropologique,  fondus  avec 
leurs  voisins,  prenant  leur  type;  sans  compter  ceux  qui  ont  perdu 
leur  parler  et  leurs  usages  (3).  Et  il  n'est  pas  une  région  au  monde 
qui  se  soit  trouvée  en  dehors  de  ces  vicissitudes. 

Les  Ossèthes,  peuple  iranien  dont,  par  la  linguistique,  nous 
retrouvons  aisément  l'origine,  sont,  par  contact,  devenus  physi- 
quement des  Caucasiens,  tout  en  conservant  la  langue  et  les  ino'urs 
de  leurs  pères.  Par  contre,  beaucoup  de  Slaves  sont  aujourd'hui 
linguistiquement  germanisés.  Les  Italiens  de  nos  jours  dérivent  du 
mélange  des  anciens  peuples  italiotes  (/i),  des  Romains,  des  Grecs, 
des  Gaulois,  des  Lombards,  des  Français  et  des  Allemands;  sans 
compter  le  sang  étranger  que  l'esclavage  fit  affluer  dans  la  pénin- 
sule, sans  compter  également  les  invasions  dont  l'histoire  ne  nous 
a  pas  laissé  de  traces. 

Chez  les  Français,  on  retrouverait  aisément  le  sang  du  Celte, 
du  Gaulois,  du  llomain,  du  Germain  pour  l'ensemble  du  pays,  du 
Northman,  du  Basque,  de  l'Espagnol,  de  l'Anglo-Saxon  pour  cer- 
taines régions,  sans  parler  de  l'homme  des  cavernes,  de  celui  de 
la  pierre  polie,  du  bronze,  etc. 

Les  Israélites,  qui,  malgré  bien  de  svicissitudes,  ont  conservé 
leurs  traditions  et  ne  s'allient  qu'entre  eux,  présentent-ils  tous  les 
mêmes  caractères  morphologiques  (5)  ? 


(1)  L'esclavage  a  joué  un  grand  rôle  dans  la  (2)  Joab  égorgea   toute  la  partie  maie  de  la 

coiiiposilion    du  fellah    égyptien    acliiel    entre  population    iduméenno    (1,    Rois,    XL    15-1tV). 

autres.  Pendant  l'ancien  et   le  moyen  empire,  David  massacre  les  Moabites    IL  Sam.,  X-Xl; 

les  e.xpéditions  des  pharaons  amenèrent  dans  l,  Chron,,  XIX-XX). 

la  vallée  du  Nil  des  nègres,  des  Libyens,  des  (3}  Anciens  peuples  de  l'Ilalie;  Celtes,  Gau- 

Nubiens,  des  Sémites  du   Sinaï.  Sous  les  pas-  lois  et  Francs;  Pélasgcs    et  Grecs;  Grecs  de 

leurs,  l'élément  s»'mili(|ue  prit  une  grande  im-  Sicile,  de  Sardaigne;  Carthaginois  d'Espagne, 

portance    numérique;    après    ce    furent    des  de  Sicile;  Normands  et  .\iifilo-Sa.\ons,  etc.. 

Syriens,  des  llélrens,  des  Arabes,   des  Elliio-  (4)  Sicanes,   Ligures,  Celles,  Boïens.   Insu- 

piens,  des  Aryens  (peuples  de  la  mer^  (jui  vin-  briens,  Cénomans,  Etrusques,  Venctes,   Illy- 

renl  comme  prisonniers  ;  puis  les   Ethiopiens  riens,  Pélasges,  Lydiens, Hellènes.  Phéniciens, 

dominèrent    avec    les    prélres    d'.Xmmon,  les  Sicules,  Chones,  .Morgètes,  OEnotriens,  Dau- 

Grecs    sous    Alexandre  et    les  Ptoirniées,   les  miens,  Peucétiens,  Messapiens,  Liburnes, Thy- 

Romains  avec  leurs  légions  composées  de  tous  rennieiis,  etc. 

les  peuples  du  monde  antique. Enfin  les.Vrabcs,  (5)  Les  Juifs  d'Akhaltsikh  (Caucase)  [indice 

les  Turcs  el  les  Européens  de  la  Méditerranée.  céph  ,85,2J,de  Galicie  et  de  la  Russie  occiden- 


12  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Dans  de  telles  conditions,  que  devons-nous  attendre  des  études 
anthropométriques?  Qu'elles  nous  signalent  quelques  parentés 
assez  proches  encore  pour  que  les  caractères  ne  se  soient  pas 
effacés  ;  qu'elles  fassent  ressortir  les  modifications  imposées  par 
l'habitat,  par  les  conditions  auxquelles  certains  groupes  sont  sou- 
mis depuis  une  longue  période.  C'est  tout  ce  que  nous  sommes 
en  droit  de  leur  demander,  et,  pour  s'en  convaincre,  il  suffit  de 
jeter  les  yeux  sur  une  carte  ethnographique  basée  seulement  sur 
les  mensurations. 

Quant  aux  origines,  aux  migrations,  aux  faits  principaux  de 
l'évolution  humaine,  l'anthropologie  est  et  restera  muette,  sauf 
dans  quelques  cas  spéciaux.  Peut-être  même  est-il  parfois  dange- 
reux d'avoir  recours  à  ses  déductions  autrement  qu'à  titre  d'indi- 
cation, de  renseignement  de  valeur  secondaire  à  l'appui  d'un  fait 
déjà  reconnu  ou  soupçonné  grâce  à  d'autres  méthodes. 

Un  seul  exemple  suffira  pour  montrer  à  quelles  conclusions 
peut  conduire  la  recherche  purement  anthropologique. 

Le  quatrième  groupe  (1),  la  race  assijroïde^  comprend  : 

Les Pe/'sans,  peuples  de  langue  aryenne,  venus  des  montagnes 
et  des  plateaux  du  nord-est,  dont  l'histoire  nous  est  connue, 
et  qui  n'entrent  sur  la  scène  politique  générale  que  peu  de  temps 
avant  la  fin  de  la  monarchie  assyrienne. 

Certaines  tribus  kurdes  (2),  peuples  également  de  langue 
aryenne,  étroitement  apparentés  aux  Persans,  aux  Ossèthes,  et  dont 
la  migration  nous  est  également  connue,  comme  ayant  pris  place  vers 
Pépoque  de  la  chute  deNinive,sous  la  pression  des  Iraniens  persans. 

Les  Arméniens  (3),  peuples  de  langue  aryenne  ;  mais  non  ira- 
nienne, que  nous  suivons  dans  tous  leurs  mouvements,  depuis  leur 
passage  du  Bosphore  jusqu'à  leur  installation  sur  le  plateau  d'Erzé- 
roum  et  dans  le  petit  Caucase. 

Les  Juifs,  tribu  sémitique  issue  de  Chaldée  et  d'Arabie,  que 
l'histoire  suit  pas  à  pas  depuis  plus  de  trois  mille  ans;  et  qui,  tou- 
jours, se  mariant  entre  eux  ont,  mieux  qu'aucun  peuple,  conservé 
leur  langue,  leurs  mœurs  et  leur  religion. 


taie  [indice,  83,31,  sont  sous-brachycépiiak'S  ;  (1)  Demker,  Races  el  peuples,  190O.  p.  345. 

ceux  duDaghestan  (Caucase)  [indice, 87,0;  sont  (2)  Cf.  J  .  de  Morgan,  Mission  scienlifique  en 

hyperbrachycéphales,ceu.\  de  Bosnie  [indice.  Perse.  1904,  t.  V.  Études  linguistiques. 

80,1]  sont    mêsocéphales.  Cf.  J.    Denikeiî,  les  (3)  Cf.  J.  de  Morgan,   Mission  scienlifique  aa 

Ftaces    el  les  Peuples    de   lu    lerre.  Paris,  1900,  Caucase.  Paris,  1889,  t.  II. 
p.  G07.  Appendice  II  et  Commentaires,  p.  69. 


DES    SOURCES     DE    LA    PRÉHISTOIRE     ET    DE    L'HISTOIRE         13 

Les  Assyriens,  peuple  aujourd'hui  disparu,  de  langue  sémi- 
tique, issu  de  Clialdce  et,  comme  nous  le  verrons  plus  loin, 
d'Arabie. 

Ainsi,  dans  un  même  groupe,  nous  voyons  figurer  des  peuples 
sémites  venus  de  la  péninsule  arabique,  un  groupe  aryen  descendu, 
par  le  Bosphore  et  l'Asie  Mineure,  des  steppes  de  Scythie;  et  deux 
peuplesiraniens  qui,  avant  d'habiter  le  plateau  persan,  avaient  leur 
patrie  commune  plus  au  nord  vers  les  rives  de  la  Caspienne  et 
de  rOxus.  On  se  demande  comment  quelque  parenté  pourrait 
exister  entre  ces  divers  éléments. 

Au  contraire,  le  linguiste  réserve  le  nom  de  peuples  sémitiques 
pour  une  famille  possédant  les  mêmes  caractères  de  langage  et,  je 
dirai  plus,  bien  des  aptitudes  communes.  Cette  parenté  com- 
prend les  Assyriens,  Clialdéens,  Syriens,  Arabes,  Hébreux,  Phé- 
niciens, Carthaginois,  Himyarites,  etc. 

Ainsi,  pour  ce  groupe  d'hommes  seulement,  nous  voyons 
l'anthropologie  en  complet  désaccord  avec  l'étude  du  langage  et 
avec  l'histoire  elle-même.  Cela  tient  à  des  causes  nombreuses, 
dont  les  principales  sont  : 

Que  tout  peuple  conquérant,  quittant  son  habitat  originel,  s'est 
mélangé  aux  races  des  pays  conquis,  tout  en  conservant  \o  [)lus 
souvent  sa  langue,  ses  mœurs  et  sa  puissance;  et  que  ces  mélanges 
prolongés  ont,  suivant  leurs  proportions,  amené  des  métissages, 
ou  fait  entièrement  disparaître  les  caractères  zoologiques  primitifs. 

Que  les  peuples  conquis  ont  été  fréquemment  absorbés  à  tel 
point  que  le  souvenir  même  de  leur  existence  s'est  éteint;  que  la 
formation  de  toute  population  est  tellement  complexe  et  que  les 
éléments  en  sont  si  intimement  mélangés  que  les  caractères  origi- 
naux, s'ils  ont  existé  jamais,  ne  sont  plus  appréciables. 

C'est  à  ces  transformations  physiques,  par  mélanges,  qu'on  doit 
attribuer  l'existence  du  groupe  anthropologique  des  Assyroïdes  ; 
l'histoire  le  prouve. 

Issus  de  Chaldée,  les  Assyriens  s'avancèrent  lentement  vers 
le  nord,  déplaçant  par  trois  fois  leur  capitale  et  refoulant  devant 
eux  les  peuples  de  langues  [)robablem(;nt  agglutinantes,  premiers 
occupants  de  l'i\ssyrie.  Dans  ce  mouvement,  les  vaincus  furent 
réduits  en  esclavage,  d'où  un  premier  mélange  dont  l'anthropo- 
logie ne  parle  pas. 

Pendant  plus   de  mille  ans  les  rois  d'Assour  ravagent  l'Asie 


l/j  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

antérieure,  alors  peuplée  de  tribus  apparentées  aux  Elamites,dont 
l'aspect  assyroïde  démontre  qu'ils  n'avaient  rien  de  sémitique. 
Il  en  résulte  encore  des  mélanges  tant  chez  les  Assyriens  que 
chez  les  vaincus. 

Enfin  les  Kurdes  ou  Mèdes  entrent  en  scène  et,  remplaçant  la 
domination  assyrienne,  emploient  les  mêmes  moyens  qu'elle  de 
gouverner  les  peuples  vaincus.  Puis  vient  le  Perse  avec  ses  rois 
achéménides  ;  et  l'Arménien  qui,  vers  la  même  époque,  s'installe 
sur  les  ruines  du  royaume  de  Van. 

Dès  lors,  il  n'est  plus  question  de  l'Assyrien  ;  vaincu,  il  se  fond 
dans  les  races  voisines.  Perses,  Mèdes  et  Arméniens,  déjà  très 
mélangées  elles-mêmes  par  l'absorption  des  autochtones  de 
langue  agglutinante.  11  se  forme  un  type  nouveau  dans  lequel  le 
sang  assyrien  joue  certainement  un  rôle  et  ce  type,  c'est  r.4ssf/- 
roïde  de  l'Anthropologie. 

On  doit  également  observer  que  la  réunion  dans  un  même 
groupe  d'un  peuple  disparu,  sur  lequel  on  n'a  pu  opérer  de  mensu- 
rations, et  de  peuples  modernes,  de  trois  mille  ans  plus  jeunes 
que  le  type,  est  au  point  de  vue  scientifique  un  rapprochement 
tout  au  moins  hasardeux. 

Mais  si  nous  nous  en  rapportons  uniquement  aux  caractères  du 
squelette,  à  ceux  qui  ont  pu  survivre  jusqu'à  nous  et  sont  nos 
seuls  guides  anthropométriques,  en  ce  qui  concerne  l'antiquité, 
nous  nous  trouvons  en  face  de  conclusions  bien  plus  originales 
encore. 

Les  Assyroïdes  sont  des  brachycéphales  et,  à  ce  titre,  se  rap- 
prochent, au  point  de  vue  anthropologique,  des  races:  européenne 
occidentale,  adricdique,  cenlraméricaine,  patagone,  lapone,  turco- 
tartare,  mais  sont  éloignés  des  Arabes  et  d'une  partie  des 
Juifs. 

Est-il  possible  de  jeter  un  plus  grand  désarroi  dans  l'histoire 
de  l'humanité  ? 

En  séparant  TAssyrien  de  l'Arabe  et  de  l'Hébreu  (pars),  du 
Chaldéen,  du  Syrien  et  des  autres  peuples  que  la  linguistique 
range  dans  le  même  groupe,  l'anthropologie  commet  la  grave 
erreur  de  considérer  comme  primordiaux  des  caractères  essen- 
tiellement secondaires;  de  négliger  les  affinités  de  langage,  de 
mœurs,  de  coutumes,  d'aptitudes,  de  traditions,  d'origine  géo- 
graphique ;  en  un  mot,  d'oublier  l'histoire. 


DES    SOURCES    DE     LA     PUKHISTOIIIE     I;T     DE     LHISTOinE         |  T, 

L'influence  que  peuvent  avoir  la  nature  7.oologi(|ue  de  riiomnie, 
la  forme  de  son  crâne,  sur  ses  aptitudes  à  développer  ou  à  recevoir 
la  civilisation,  nous  est  absolument  inconnue.  Or,  ce  qu'il  nous 
importe  d'étudier  dans  l'homme,  c'est  l'être  capable  de  penser, 
d'inventer,  de  progresser  et  non  un  quadrumane  quelconque, 
autrement  développé  que  les  autres,  mais  à  ranger  parmi  les 
simiens.  L'anthropologie  doit  rester  dans  son  rôle  zoologique  et 
ne  pas  chercher  h  se  donner  une  importance  dont  elle  n'est  i)as 
capable. 

Pour  les  temps  très  anciens,  nous  sommes  i>ien  obligés  de  faire 
usage  de  ses  données  souvent  discutables  (I),  n'ayant  à  notre 
disposition  aucun  autre  document  sur  l'homme  lui-même;  mais 
dès  que  commencent  les  annales,  dès  que  les  langues,  la  manifesta- 
tion de  la  pensée  nous  viennent  en  aide,  nous  ne  devons  plus  nous 
servir  de  l'anthropométrie  qu'avec  une  extrême  réserve,  peut- 
être  même  une  grande  méfiance. 

Sociologie.  —  La  soc/o/o^/e  reposant  sur  les  usages,  les  mœurs, 
les  croyances,  les  coutumes  des  hommes,  montre  les  affinités  des 
groupes  entre  eux.  Malheureusement,  cette  science  est  encore  en 
enfance,  et  l'évolution  préhistorique  ne  nous  a  guère  laissé  de 
documents  ([ue  la  sociologie  puisse  analyser  avec  sécurité.  Tous 
sont  d'une  interprétation  difficile  et  vague;  car  nous  manquons  le 
plus  souvent  de  termes  de  comparaison. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  sociologie  est  appelée  à  rendre  les  plus 
grands  services;  parce  qu'elle  étudie  les  lois  régissant  les  rapports 
des  hommes  entre  eux,  la  morale  de  l'individu  par  rapport  à  lui- 
même,  la  religiosité,  le  culte  des  morts,  toutes  notions  qui  ont 
conduit  l'humanité  aux  sommets  qu'elle  atteint  aujourd'hui. 

Linguistique.  —  En  ce  qui  regarde  l'antiquité,  la  linguistique  (2) 
ne  fournit  pas,  avant  l'histoire,  le  moindre  enseignement  direct  sur 
les  groupements  humains  ;  mais  dès  qu'apparaît  l'écriture,  elle  se 
montre  comme  le  plus  sur  moyen  de  réunir  les  hommes  suivanl 


(1)  Cf.  A.  DE  Lappahent.  /e.î  Silex  taillés  el  langues,  on  linguisliqiie  propremenl  liilc  ;  mai-- 
V Ancienneté  de  l'homme.  Paris,  1907,  p.  .')5.  aussi  la  philologie  qui  en  découle,  sciencr 
Docteur  Hugo  OitKu.MAiER, les  Restes  liuinains  dans  lafjuelle  les  langues  sonl  envisagées 
quaternaires  dans  l'Europe  centrale,  in  l'An-  quant  à  leurs  affinités  et  à  leur  origine,  à 
Ihropologie,  t.  XVI,   1!)()5  et  t.  XVU,  lîlUti.  leurs  niotlificalions  dans  le  lemps  et  dans  l'es- 

(2)  J'entends  par  linguistique,  non  seulement  pacc,  aux  iiilluences  quelles  ont  subies  et  à 
rétude  de  la   phonétique  el  de  la  structure  des  Km-  littératui-e.  (.1.  M.) 


1(5  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

leur  génie,  leurs  tendances,  leurs  intérêts,  leurs  affinités,  leurs 
ambitions.  Elle  nous  offre  dès  les  débuts  un  tableau  des  races 
permettant  de  remonter  par  la  pensée  aux  temps  antérieurs.  Pour 
les  peuplades  vivant  encore  à  l'état  sauvage,  elle  est  un  guide 
précieux. 

Certainement  la  méthode  linguistique  n'est  pas  parfaite  ;  bien 
des  groupements  nous  échappent  (1),  d'autres  sont  atrophiés 
parce  que  des  peuples  absorbés  ont  perdu  leur  langue.  Pour  la 
haute  antiquité,  nous  nous  dirigeons  au  milieu  de  ruine.s,doiit  les 
grands  monuments  seuls  ont  laissé  des  vestiges.  Quoi  (ju  d  en 
soit,  on  retrouve  toujours  quelques  guides  d'utilité  qui,\'iiant 
s'ajouter  à  d'autres  éléments  scientifiques,  permettent  de  faire  la 
lumière  sur  bien  des  points. 

La  valeur  des  données  linguistiques  est  souvent  aiijouiHl'hui 
repoussée  par  des  écoles  qui  n'ont  pas  su  la  remplacer  \)m  des 
classements  plus  précis;  elle  reste  et,  longtemps  encore,  (h^rneu- 
rera  le  guide  le  moins  incertain. 

Lors  de  l'époque  pléistocène,  les  hommes  déjà  répandus  sur 
la  majeure  partie  des  continents  étaient  divisés  en  une  mulîitude 
de  groupes  différents  par  leurs  caractères  ethniques,  par  leurs 
usages,  et  certainement  aussi  par  les  idiomes  qu'ils  parlaient. 
Ces  groupes  s'adaptant  aux  conditions  naturelles  de  leur  habitat, 
à  leurs  propres  besoins,  avaient  déjà  modifié  leur  façon  pri- 
mitive d'être,  de  vivre,  de  parler  (2),  des  époqii<  s  anté- 
rieures. 

Les  pays  où  la  vie  était  la  plus  facile,  n'exigeant  pas  de  grands 
efforts  physiques  et  intellectuels,  les  progrès  en  tout  ^oure  s'y 
produisirent  lentement  ;  Tahiti  et  les  îles  océaniennes  en  sont  un 
exemple  frappant.  Les  régions  au  climat  très  rigoureux  produi- 
sirent le  même  effet;  parce  que  l'homme,  sans  cesse  préoccupé 
de  faire  face  aux  nécessités  matérielles  immédiates,  y  mena  une 
existence    elle-même    matérielle.    Les    populations    actuel  les   du 


(1)  II  ne  faut  pas  confondre  les  similitudes  tibles  à  des  formes  antérieures  n'oiTrent  abso- 

dc    structure   des    idiomes    avec   la    parenté  lunient  rien  de  commun,  soit  dans  leurs  étoffes 

d'origine.  Les  diverses    langues   à  flexion    se  sonores,  soit  dans  leur  constiUition  syllabique. 

divisent  en  deux  groupes  irréductibles  et  les  Secondement,   quand    les  lois    qui    président 

langues  agglutinantes   en    un  grand    nombre,  aux  premières  combinaisons  de  c  >-  mots  sim- 

complèlement  étrangers  les   uns  par  rapport  pies  diffèrent  absolument  dans  lis  deux  sys- 

aux  autres.  lèmes  comparés  (II.Cn.wÉE,  le>  I  ungues  et  les 

(i)  Deux  langues   peuvent  être  tenues  pour  Races.  Paris,  18Ij2,  p.  13).  C'est  ainsi  que, dans 

des  créations  radicalement  séparées.  Premiè-  les  langues  agglutinante-;,   l'agglutination    se 

rement,  quand  leurs  mots  simples  ou  irréduc-  fait  suivant  des  lois  très  diverses.  (J.  M.) 


DES     SOURCES     DE     I.A     l'HKlIISKJlHE     ET     DE     L  I11ST(JIH1-;  j/ 

nord  silDérien,  de  la  Laponie,  du  Groenland,  de  la  Terre  de  Feu 
sont  dans  ce  cas  (1). 

C'est  dans  les  zones  tempérées,  dans  celles  où  l'individu,  vivant 
sans  grande  peine,  est  sûr  du  lendemain,  que  le  développement 
intellectuel  fut  le  plus  rapide.  La  lutte  pour  satisfaire  aux  néces- 
sités devint  un  stimulant  de  l'intelligence  et  de  l'énergie,  au  lieu 
d'en  être  une  cause  de  ralentissement.  L'homme  accrut  ses  besoins 
en  ajoutant  à  son  bien-être  des  raffinements  inconnus  dans  les 
autres  régions,  incompréhensibles  même  pour  les  êtres  moins 
élevés  que  lui. 

En  même  temps  qu'il  progressait,  sa  langue  s'affinait  parce 
qu'il  lui  demandait  plus  d'expressions,  pour  traduire  d'une  façon 
précise  sa  pensée  devenue  de  jour  en  jour  plus  complexe. 

L'Asie  antérieure  et  le  bassin  de  la  Méditerranée  ont  été  le 
théâtre  des  premières  civilisations;  parce  que  les  conditions  de  la 
vie  ne  s'y  trouvaient  ni  amollissantes,  comme  sous  les  tropiques, 
ni  absorbantes,  comme  sous  les  latitudes  froides. 

Dans  le  nouveau  monde,  ce  ne  sont  ni  les  grandes  plaines  des 
Etats-Unis,  ni  les  forêts  du  Brésil  ou  des  Guyanes  qui  ont  vu 
s'épanouir  les  grandes  civilisations  américaines;  c'est  le  Mexique 
et  l'Amérique  centrale,  pays  où  la  vie  était  facile.  Là,  l'écriture 
figurative,  les  arts  et  l'industrie  atteignirent  un  degré  de  per- 
fection inconnu  partout  ailleurs  dans  ce  continent. 

Les  savants  qui  s'adonnent  à  la  philologie  comparée  sont 
d'accord  pour  diviser  les  langues  en  trois  grandes  classes,  suivant 
leur  nature  : 

1°  Groupe  monosyllabique  ; 

2°  Groupe  agglutinant  ; 

3"  Groupe  des  langues  à  flexion. 

Ils  pensent  même,  s'appuyant  sur  des  vestiges  du  passé,  que 
toutes  les  langues  de  la  troisième  classe  sont  passées  par  les  deux 
autres  formes;  autrement  dit,  que  les  trois  divisions  corres- 
pondent à  trois  phases  successives  de  l'expression  de  la  pensée, 
cha(iue  langue  évoluant  séparément. 

(1)  11  ne  faut  pas  oublier  qiip,ptu  suite  de  mi-  arcélérée  tant  dans  la  langue  (\uc  dans  la  civi- 
Srationsou  de  modifications  climalériques.bien  lisation  générale.  C'est  ainsi  que,  depuis  leur 
des  peuples  sont  passés  dun  pays  favorable  à  exode,  les  Canadiens  ont  progressé  beau- 
une  région  défavorable  et  vice  versa,  et  que,  .oiip  plus  lenlement  (pie  les  Frantjais,  les  Is- 
par  suite,  les  conditions  de  développement  landais  que  les  Scandinaves,  etc.  {J.  M.) 
s'élant  modifiées,  l'évolution   s'est  ralentie  ou 


18  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Cette  classification,  comme  celle  que  nous  avons  adoptée  poul- 
ies industries  préhistoriques,  n'implique  aucune  idée  chronolo- 
gique ou  synchronique. 

Toutes  les  langues  ne  sont  pas  parvenues  à  la  flexion;  certaines 
sont  encore  dans  la  phase  monosyllabique,  d'autres,  et  c'est  le  plu» 
grand  nombre,  ont  atteint  l'agglutinance.  Beaucoup  sont  mortes 
avant  d'avoir  atteint  le  troisième  degré,  ou  se  montrent  occupant 
une  position  mixte  entre  deux  formes.  Voici  quelques  exemples 
de  ces  divers  étals  des  langues  : 

Langues  monosyllabù/ues  pures.  —  Chinois,  annamite,  siamois. 

Langues  monosyllabiques  avec  traces  d'agglutination.  —  Birman,, 
tibétain,  pégouan,  paloung,  moi. 

Langues  demi-monosyllabiques  et  demi-agglulinantes.  —  Kha- 
sia. 

Langues  agglutinantes  pures.  —  Hottentot,  bochiman,  cafre,. 
poul,  nubien,  négrito,  papou,  australien,  maléo-polynésien,  japo- 
nais, coréen,  dravidien  de  l'Inde  (1),  ouralo-altaïque,  basque, 
américain. 

Langues  agglutinantes  avec  traces  de  flexion  —  (groupe  cauca- 
sien); géorgien,  mingrélien,  iméritien,  laze  — (langues  éteintes),, 
sumérien  (?),  élamite,  vannique,  iiétéen  (?) 

Langues  à  flexion  —  (groupe  sémitique).  Akkadien,  assyrien, 
chaldéen,  syriaque,  hébreu,  phénicien,  punique,  himyarite,  arabe 
—  (groupe  indo-européen),  hindou,  iranien,  hellénique,  italique, 
celtique,  germanique,  slave,  lettique. 

Toutes  les  langues  indo-européennes  ont  conservé  des  traces 
d'agglutination. 

fl)  Les  langues  dravidiennes  sont  celles  par-  originellement  à  la  race  jaune  el  se  rattachent 

lues  dans  le  sud    de'^l'Inde,  depuis  les  monts'  au  rameau  tibétain  ;    mais  sont  profondéinenL 

Vindhya  et  la  rivière  N'erbuddah  jusqu'au  cap  mélangés  de  sang  négrito   et   mélanésien;  ou 

Comorin  (3S  millions  d  habitants).  Ce  sont   le  du    moins    d'une   race,   très  proche    parente 

tanioul,  le   telinga,  le   kanara,   le  malayâla    et  des    Mélanésiens,    qui     occupait    le    sud    de 

le  toulou.  La  première  est  la  plus  importante  llnde  avant  1  arrivée  des  peuples  jaunes, 

par  son  ancienneté  el  sa  littérature  ;  mais  c'est  11  semblerait  donc  que  la  péninsule  hindoue, 

le  kanara  qui  a  le  mieux  conservé  les    forme-;  peuplée   au  sortir   des  temps  quaternaires  de 

archaïques.  A  Ceylan  et  dans  les  monts  Vin-  Négritos,  a  subi  :  1°  une  invasion  de  Mélané- 

dhya,  on  rencontre  des  idiomes  d'origine  dra-  siens  venus  par  mer  ;  2°  une  invasion   de  peu- 

vidienne,  imprégnés    d'influences   étrangères.  pies  apparentés  au.x   Tibétains   descendus  des 

Dans  le  nord-est  du  Beloutchistan,  on  trouve  montagnes  du  Nord;  3°  une  première  invasion 

le  dialecte  brahoui,  qui  appartient  aussi  à  la  aryenne  (dans  le  Nord    et  le  Centre);  4"    une 

famille  dravidienne  et  est  le   dernier  témoin  invasion  iranienne  dans  le  Nord  seulement, 

occidental  de  la  grande  extension  de  ces  lan-  Les   langues   dravidiennes   sont   nettement 

gués  avant    la    conquête  indo-européenne  de  agglutinantes,  mais  ditTèrent  notablement  de 

ces  pays.  celles  des  groupes  ouralo-altaïque,  caucasien, 

La    plupart   des   peuples  parlant  ou    ayant  t)as(iue,  vannique   et    anzanite  avec   lesquels 

parlé  les  langues  dravidiennes,  appartiennent  elles  ne  possèdent  aucun  liendeparenlé.(J.  M.) 


DES    SOURCES    DE     LA    PRÉIIISlUlUE     ET     DE     L'HISTOIRE         19 

Comme  on  le  voit,  c'est  dans  le  groupe  des  langues  les  plus 
développées  qu'il  faut  aller  chercher  les  peuples  auxtjuels  est  due 
la  grande  civilisation  mondiale  (1). 

Pour  lesj  autres  classes,  la'  Chine  (monosyllabique)  est  un  centre 
de  développement,  l'Amérique  centrale  (agglutination)  en  est  un 
autre  ;  mais  ((uelles  sont  les  civilisations  des  races  (jui  les  em- 
])loient  en  comparaison  de  celle  due  aux  peuples  parlant  les 
langues  à  flexion  ?  (}uant  à  la  nature  ethni(|ue,  aux  caractères 
anthropologiques  de  ces  créateurs  du  monde  moderne,  nous 
n'avons  guère  à  nous  en  préoccuper,  leur  «mvre  parle  pour  eux. 
Qu'importe  que  cet  homme  soit  dolichocéphale  ou  brachycéj)hale 
si,  par  son  intelligence,  il  est  armé  de  telle  sorte  que  la  domina- 
tion du  monde  lui  est  réservée  ! 

En  ce  (jui  regarde  le  vieux  continent,  l'histoire  nous  enseigne 
que, lorsque  deux  peuples  sont  entrés  en  antagonisme,  c'est  celui 
des  deux  (|ui  possédait  la  langue  la  plus  affinée  qui,  tôt  ou  tard, est 
parvenu  à  dominer  l'autre;  soit  matériellement,  soit  au  point  de 
vue  intellectuel. 

A  l'aurore  de  l'histoire,  un  centre  de  civilisation  se  crée  en 
Chaldée,  dans  un  milieu  d'idiomes  agglutinants;  les  Sémites 
l'envahissent  et  lui  imposent  leur  langue  à  flexion. 

L'Élam  (agglutinant)  réagit  ;  mais  il  tombe  à  son  tour  une 
première  fois  sous  les  coups  des  empereurs  akkadiens  de  la  Chal- 
dée, une  seconde,  et  pour  ne  jamais  se  relever,  sous  les  armes 
des  rois  sémites  d'Assyrie. 

L'Egypte  berbère  conquise  par  l'esprit  sémitique,  venu  de 
Chaldée,  voit  se  fonder  1  empire  pharaoni({ue. 

Le  Phénicien  fonde  des  comptoirs  chez  tous  les  peuples  de 
langue  inférieure,  à  Carthage,  en  Sicile,  en  Ibérie. 

L'heure  des  Sémites  sonne,  leurs  empires  s'écroulent  pour 
faire  place  à  des  dynasties  aryennes,  les  Achéménides  s'emparent 

(1)  Le  développeiuenl  du  langage  esl  le  incil-  inslniit,  et  par  suite  civilisé,  plus  son  vocabu- 

leur  témoin,  mis  à  noire  poitée,  du  progrès  in-  laire  est  étendu.  Ce  qui  est  vrai  pour  le  nom- 

tellectuel.  Nos  langues  européennes  conlien-  lire  des  (;.\pressions  fondamentales  de  la  |)ensée 

neiit  dans   leur    vocabulaire  complet    de  30  à  lest  également  en  ce  qui  concerne  les  procd- 

40.000  mois;  mais  ces  mots  sont  loin  d'être  etii-  dés  Usitijs    pour    leur    emploi,    cesl-ù-<lire   la 

ployés  par  tous    nos  com|);ilriotes.    Go'llie  el  grammaire  et    la   syntaxe.  L'esprit   peu  déve- 

Voltaire  qui  ont  tant    écrit,  <lont  l'esprit  élail  loppé     n'emploie    qu'un    nombre   restreint   de 

si  affiné,  n'ont    eu  besoin   pour  traduire   leur  lle.xions,   simplilie  même  celles  que  la  langue 

pensée    que  de    20  000  mots  environ;   Shaks-  maternelle  met  à  sa  disposition.  En  sorleque 

peare  n'en  employa  que  15.000. elpourbeaucoiip  légalité  inlellectuelle  ne.xisle  ni  chez  les  na- 

de   nos  campagnards  5  ou   t;oo  mois  suKisinl.  lions  prises    dans   |.  ur  eiisc'mi)le,  ni   chez,  les 

Les  sauvages  ont   en  général  :W0  mots  à  leur  hoTimes  considérés  individiirllciucnl  ^J.  M.) 
service.  11   en  résulte  que  plus   un  peuple  esl 


20  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

de  tout  l'Orient,  les  langues  parentes  de  celle  de   l'Avesta  triom- 
phent de  celle  des  ninivites. 

Mais  bientôt  entre  sur  la  scène  un  idiome  plus  affiné  que 
tous  les  autres,  le  grec  ;  en  peu  d'années  il  domine  le  monde 
entier,  du  Caucase  aux  déserts  de  l'Afrique,  des  Indes  à  la  pénin- 
sule Ibérique.  Partout  on  s'exprime  en  grec,  partout  on  pense 
en  grec,  partout  les  peuples  s'inclinent  devant  la  supériorité  de 
cette  langue  incomparable  et  du  génie  des  peuples  qui  la  parlent. 

L'Italie,  fille  de  la  Grèce  comme  civilisation,  domine  le  monde 
entier,  recule  les  frontières  de  l'intelligence  jusqu'aux  glaces  du 
Nord,  jusqu'à  TOcéan,  jusqu'aux  sables  de  l'Afrique. 

Devenue  omnipotente,  Rome  perd  ses  qualités  d'expansion  ; 
elle  tombe  elle-même  sous  les  couj)S  des  barbares,  mais  les 
absorbe  et,  de  sa  chute,  sort  l'Europe  moderne  où  domine  encore 
l'esprit  gréco-'atin. 

Les  succès  des  Arabes  et  des  Turcs,  obtenus  à  la  faveur  de  la 
désorganisation  dans  laquelle  se  trouvait  alors  le  monde  civilisé 
à  la  suite  de  l'invasion  de  l'Europe  par  les  barbares,  ne  sont 
qu'éphémères;  il  n'en  reste  plus  aujourd'hui  que  des  ruines 
chancelantes. 

De  nos  jours,  l'Europe  se  partage  entre  des  nations  pour- 
vues de  langues  à  flexion,  se  disputant  la  suprématie  du  monde, 
et,  dans  leur  ensemble,  tenant  la  tête  de  la  civilisation. 

Ainsi,  c'est  surtout  aux  peuples  parlant  des  langues  à  fiexion 
que  nous  devons  les  grands  progrès.  Maîtres  tour  à  tour,  les 
Sémites  d'abord,  les  Aryens  ensuite,  ont  vaincu,  subjugué,  presque 
toujours  même  anéanti  les  autres  races.  C'est  entre  elles  que  s'est 
passée  la  grande  lutte  pour  la  suprématie  ;  aujourd'hui  encore  c'est 
entre  elles,  mais  entre  Aryens  seulement,  que  se  continuent  ces 
compétitions  millénaires,  et  si  jamais  d'autres  hommes  venaient 
à  dominer  l'omnipotence  occidentale,  ce  ne  serait  qu'à  l'aide  des 
idées  européennes  ;  fait  inadmissible,  semble-t-il,  car  il  serait 
contraire  aux  enseignements  de  six  mille  ans  d'histoire. 

Si,  au  lieu  de  classer  les  langues  suivant  leurs  formes  gramma- 
ticales, nous  cherchons  à  les  grouper  par  rapport  à  leurs  affinités 
ou  à  leur  parenté  entre  elles,  nous  nous  trouvons  en  présence 
d'une  foule  de  groupes  irréductibles,  les  uns  par  rapport  aux 
autres,  et,  par  suite,  sans  origine  commune  apparente. 

Le   développement  dans  chaque  groupe  subdivisé  lui-même, 


DES     SOURCES    DE     LA     PHÉIlISTUlRE     ET     DE     EIIISTOIUE         21 

s'est  opéré  indépendamment  des  autres  groupes,  cliacun  [)arais- 
sant  issu  d'une  source  qui  lui  est  propre. 

Pour  les  familles  sémitique  et  indo-européenne,  celles  qui 
nous  ont  laissé  une  grande  partie  de  leur  histoire,  nous  entre- 
voyons, je  ne  dirai  pas  les  souches  originelles;  mais  tout  au  moins 
des  foyers  de  diffusion.  Pour  les  autres,  nos  connaissances  sont 
et  resteront  toujours  très  limitées  ;  l'observation  ne  pouvant 
remonter  le  cours  des  temps  que  pour  les  types  seulement  qui 
ont  laissé  des  traces  écrites. 

Dans  le  groupe  monosyllabique,  le  chinois  seul  fournit  des 
enseignements.  Nous  le  voyons  se  modifier,  se  perfectionner 
sans  toutefois  rien  perdre  de  son  caractère  primitif.  Il  représente 
nettement  la  civilisation  chinoise,  figée  depuis  des  siècles  et 
incapable  par  elle-même  d'un  grand  essor. 

Quelques-unes  des  langues  agglutinantes  parlées  par  des 
peuples  voisins  de  la  classe  la  plus  développée  ont,  par  contact, 
appris  l'écriture  (1),  et,  grâce  à  cela,  nous  en  possédons  des  traces 
anciennes.  L'élamite  (2)  fournit  des  textes  dès  le  quinzième  siècle 
avant  notre  ère  et  nous  pouvons  suivre  son  évolution  jusqu'aux 
temps  achéménides,  où  il  se  montre  complètement  défiguré  (3). 
Le  vannique  (/i)  n^est  connu  que  par  des  inscriptions  appartenant 
toutes  à  une  même  période  de  quelques  siècles  (du  neuvième  au 
sixième  siècle  avant  J.-C). 

Les  inscriptions  hiéroglyphiques  hétéennes  (5)  ne  sont  pas 
encore  déchiflrées,  en  sorte  que  nous  ne  sommes  pas  à  même  de 
dire  si  cet  idiome  était  agglutinant  ;  mais  toutes  les  probabi- 
lités sont  en  faveur  de  cette  hypothèse. 

L'étrusque   (6),  l'ibère  (7),  le   crétois  et  bien  d'autres  langues 

(1)    L'écriture  se   divise   nalurellemenl  en  :  lrilin<;iies  (col.  UIi  (J.  Oppert,  le  Peuple  et  la 

1°  Picloyraplùe  ;  2°    Hiéroglyphes;  3°    Signes  Langue  mèdes.) 

issus  des  hiéroglyphes,  mais  conservant  leur  (:t)  Textes  de  Tépoque  achéménide  de  Bisou- 
valeur;  4"  Signes  syllabiques  ;  5°  Signes  alpha-  toum.de  l'Elvend.de  Persépolis,  de  Suse,  etc. 
béli(|ues.  Ces  cinq  divisions  peuvent  être  con-  (4)  Cf.  A. -H.  Sayce,  Cuneiform  inscriptions 
sidérées  comme  des  phases  de  récriture.  of  Van.,  in  Journ.  Roi/al  As.  Soc,  1882,  XIV, 
Quelques  pays  lesonttoutes  connues  (Egypte),  N.  S.,  pp.  :f77-732.  —  SI-Glyard,  Journ. 
d'autres  se  sont  arrêtés  aux  signes  syllabi<iues  A.si'a/.,  1880,  t.  XV,  pp.  5i0-r>43;  1882,  t.  XIX, 
(Perse),  d'autres  aux  néroglyplies  simplifiés  pp.  511-515;  1883,  t.  I,  pp.  2(')t -203, 517-523;  1883, 
(Egypte  pharaonique,  Crétois,  Chinois,  prolo-  t.  II,  pp.  30fi-307;  1884,  t.  111,  pp.  479-517. 
Elamile),  d'autres  aux  hiéroglyphes  (lléléens,  (5)  A. -H.  Sayce,  The  Monuments  of  Ihe  Uit 
Américains).  Beaucoup  à  la  première  phase  tites,  in  Trann.  Soc.  Bibl.  ArchxoL,  t.  VIII, 
pictographique  (Eskimaux,  Polynésiens,  etc.  ,  p.  553,  sq. 

d'autres  enfin  ne  possédant  aucune  notion  de  (fi;   Certains   linguistes   considèrent   l'étrus- 

l'écriture    (tous    les    Indo-Européens)     ne    la  (]ue  comme   une    langue  aryenne.  iCf.    Cons- 

connurent  que  par  contact  (J.  M.)  sen,  Ueber  die  Sprache  der   Etru.sker.  Leipzig, 

(21  Comparer  les  textes  anzanites  (V.  Scheil,  1874-1875.) 

Mém.de  la  Déléy.  en  l'er.se,  t.  III,  1901  ;  V,  19U4;  (7)  Cf.  "Van    Eys,  la  Langue  ibérienne  et  la 

IX,  1906)  et  ceux  des  inscriptions  achéménides  Langue  basque,  in  Rev.  de  linguistique.  Paris, 


22  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

aujourd'hui  mortes,  laissent  sans  solution  le  problème  de  leur 
traduction,  de  leur  nature  et  de  leur  origine. 

Les  langues,  comme  les  individus,  vivent,  prospèrent  et 
meurent.  Il  n'en  naîtra  plus  aujourd'hui  parce  qu'il  n'existe  plus 
d'hommes  à  l'état  primitif  non  encore  doués  de  la  parole.  Les 
langues  existantes  évolueront  ;  soit  sur  elles-mêmes,  soit  en  s'ai- 
dant  des  influences  extérieures,  aujourd'hui  surtout  que  les  rela- 
tions entre  peuples  sont  plus  faciles  et  plus  fréquentes  (piautre- 
fois. 

Les  transformations  dans  la  grammaire  et  la  syntaxe  (i)  sont 
des  évolutions  naturelles  attachées  à  la  langue  elle-même;  celles 
touchant  la  lexicologie  ])rocèdent  de  deux  sources,  Tune  inté- 
rieure issue  du  progrès,  l'autre  extérieure  résultant  d'influences 
étrangères. 

Prenons  comme  exemple,  la  langue  iranienne  dont  nous  pou- 
vons suivre  les  transformations  pendant  une  période  de  trois 
mille  ans  environ,  en  laissant  de  côté  ses  branches  collatérales, 
telles  que  le  zend  (2),  le  kurde,   le  pouchtou,  l'hindoustani,  etc. 

Sous  les  Achéménides  (3),  le  Perse  possédait  une  grammaire 
et  une  syntaxe  très  complètes,  comprenant  presque  toutes  les 
flexions  de  l'aryanisme,  et  son  vocabulaire  était,  semble-t-il,  j)ure- 
ment  indo-européen  (Zi). 

Peu  à  peu,  au  contact  des  populations  sémitiques  de  la  ^léso- 
potamie,  ce  vocabulaire  s'est  chargé  de  mots  étrangers,  proportion 
qui  s'accrut  encore  par  la  domination  grecque  de  l'Iran  et  par  le 
règne  des  Parthes  arsacides. 

Lorsque,  cinq  siècles  environ  après  l'avoir  quittée  sous  les 
derniers  Achéménides,  nous  retrouvons  la  langue  iranienne, 
devenue  le  pehlevie  ou  huzvârèch  (5  ,  elle  est  bien  transformée  ; 


1874,  t.   VII,  p.   1.  —  \'iNSON.  la  Question  ihé-  était   déiivé    du  zend  ou    d'un    dialecte    très 

Tienne  M/em.    Concjr.   se.  France.    Paris,   1874,  voisin;  ce  qui  prouve  que  la    région  afghane 

t.  II,  p   357.)  formait  le  domaine,  ou  du  moins  faisait  partie 

(1)  Rien    n'est   plus  curieux  que  l'évolution  du  domaine  de  la  famille   zende  (J.    Darmes- 

deslangnes.Celles  de  lEurope  surtout, que  nous  teteu,  te  Zend-Auesla,  t.  III,  1X1(3.  Introd.p.  V. 

connaissons  mieux,  montrent  toutes   les  tran-  /J.,  Chansons  populaires  des  Afgans,  lxiv,  sq.). 

sillons,  tous  les  passages  entre  les  formes  an-  (3)  De  549  av.  J.-C.  (Cyrus)  à  330  (Darius  IIJ 

ciennes  et  les  formes  modernes.  On  connaît  le  Codoman). 

texte  ilii  serment  de  Louis  le  Germanique,  il  (4)  Le  vocabulaire  fourni  par  les  textes  cu- 

est  1  un  des  exemples  les  plus  frappants. (J. M.)  néiformes  perses   ne   renferme   guère  plus  de 

[i)  La  langue  des  Achéménides  est  le  dia-  quatre  cenis  mots  (Cf.   Spiegel,  Die  allpersis- 

lecte  propre  à  la  province  de  Perse;  celle  de  chen  keilinschrisflen.  Leipzi»,  186-2). 

l'Avesta  appartient  à  une    autre  province.  Le  (5j  Sous  les  rois  Sassanides,  de  225  à  652  ap. 

zend  s  est  éteint  sans  descendance  apparente.  J.-C.,i'Cf.F.SpiECEL,  Grammalik  ier  huzvàresch- 

Néanmoins  le  phonétique  et  le  lexique  de  l'af-  sprac/ie.  Vienne,  1856.  —De  Harlez,  Gramm. 

ghan  moderne  s'expliquent  comme  si  l'afghan  pehlevie.) 


DKS     SOURCES     DK     LA     PRÉHISTOIRE     IT     l»i:     L'HISTOIHK  0 


'I.i 


les  expressions  sëniitiques  foisonnent,  et  les  flexions  atrophiées 
ne  nous  oflVent  plus  que  des  ruines  du  passé. 

Avec  la  conquête  musulmane,  l'arabe  vient  se  greffer  sur  les 
intrusions  sémitiques  anciennes  ;  puis  arrive  le  turc,  et  la  déca- 
<lence  du  persan  (I  )  se  continue  (2).  A  peine  conserve-t-il  quelques 
verbes  et  des  conjugaisons  aussi  simplifiées  qu'il  est  possible  ;  la 
•déclinaison  a  disparu  et  la  position  relative  des  mots  dans  la 
phrase  remplace  peu  à  peu  la  flexion.  C'est  le  retour  vers  les 
langues  primitives. 

L'histoire  de  la  langue  iranienne  est  l'image  fidèle  de  l'histoire 
<le  la  Perse.  Elle-même,  sous  les  Achéménides,  connut  son  apogée; 
puis  le  déclin  vint  par  secousses,  montrant  des  hauts  et  des  bas. 
Aujourd'hui,  la  Perse  agonise  et  dans  peu  de  siècles,  soumise 
•comme  colonie  à  quelque  empire,  elle  oubliera  jusqu'à  sa  langue 
pour  adopter  celle  de  ses  maîtres. 

N'avons-nous  pas  cent  exemples  de  la  dispai  ilion  d'une  langue 
dans  de  telles  conditions  ? 

Combien  sont  ainsi  déchues  !  le  grec  ne  nous  ofTre-t-il  pas  la 
même  décadence  ?  le  latin  qui  peu  à  peu  s'est  transformé  en  italien 
sous  l'influence  des  barbares  et  surtout  de  l'agonie  de  l'Empire  ; 
l'arabe  vulgaire,  fantôme  de  l'arabe  litl«''raire  de  la  conquête 
musulmane. 

Si  donc  nous  envisageons  l'homme  au  point  de  vue  ethnique 
et  linguistique  à  la  fois,  nous  voyons  (|uil  existe  de  grandes 
divergences  entre  les  classifications  résultant  de  ces  deux  bran- 
ches de  la  science. 

Les  causes  en  sont  multiples  :  il  y  a  d'abord  les  mélanges  que 
je  signalais  plus  haut  ;  ensuite  bien  des  j)euples  ont,  par  contact, 
abandonné  la  langue  de  leurs  ancêtres.  Les  Étrusques  sont  deve- 
nus des  Romains  ;  les  Ibères,  des  Espagnols  ;  les  Égyptiens,  des 
Arabes  ;  les  Normands,  les  Burgondes,  des  Français  ;  les  Lom- 
bards, des  Italiens,  et  il  est  bien  difficile  de  se  reconnaître  dans 
ce  dédale  ethnique. 

Par  migrations,  j)ar  mélanges,  par  contacts,  les  groupes  les 
plus  divers  se  sont  trouvés  entrer  dans  une  même  famille  linguis- 

(l)  C'est  aux  dixième  et  onzième  siècles  (Fir-  (2)  Le  parsi,  langue  des  Mazdéens  de  Perse, 

<lousi)que  le  persan  moderne  fut  à  son  apogée  s'est  mieux  conservé  que  le  persan  moderne; 

(depuis  il   n'a  fait  que  décliner^.  Il  y  «ut  alors  il  est  encore  parlé  dans  quelques  villes  (Yezd, 

«ne  réaction  contre  les  termes  sémitiques:  le  Kirman,  Téhéran,  etc.   iJ.  M.) 
Oi«//)  iiamelt  est  très  pur  à  cet  égard.  (J.  M.) 


9/,  LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

tique,  et  c'est  cette  entrée  même  qui  leur  a  communiqué  les  apti- 
tudes évolutionnelles  de  la  race  absorbante,  leur  faisant  perdre 
leurs  caractères  propres.  Ces  groupes  ont  disparu,  ils  ne  pré- 
sentent plus  d'intérêt  que  pour  l'annaliste  (1). 

Chronologie.  —  Pour  les  temps  antérieurs  à  l'histoire,  il  est 
impossible  d'évaluer  scientifiquement,  même  de  manière  approxi- 
mative, la  durée  ou  l'ancienneté  des  phénomènes. 

Quoi  qu'il  en  soit,  bien  des  auteurs,  s'appuyant  sur  des  déduc- 
tions inexactes  ou  des  données  incomplètes,  n'ont  pas  hésité  à 
prononcer  les  termes  de  milléniums,  de  centaines  et  même  de 
milliers  de  milléniums.  Il  serait  puéril  d'attacher  la  moindre 
importance  à  ces  évaluations  ;  mais  il  est  cependant  intéressant 
d'en  citer  quelques-unes,  pour  mieux  faire  sentir  l'inanité  de  nos 
efforts  dans  ce  sens. 

«  Que  je  porte  l'apparition  de  la  vie  organique,  dit  E.  Haeckel  (2), 
à  vingt-cinq,  cent  ou  mille  quatre  cent  millions  d'années  en  arrière 
de  ce  jour,  c'est  ajjsolument  équivalent  pour  mon  imagination.  11 
doit  en  être  de  même  pour  la  majorité  des  autres  hommes.  » 

Goldschmidt  (3)  ne  compte  pas  moins  de  1 .400  millions  d'années_, 
depuis  l'apparition  sur  la  terre  des  êtres  organisés  jusqu'à  nos 
jours  ;  selon  cet  auteur,  93  millions  d'ans  se  seraient  écoulés  depuis 
les  débuts  des  formations  tertiaires. 

D'autres  [li)  estiment  la  durée  des  temps  géologiques  à 
100  millions  d'années  seulement  et  répartissent  comme  suit  ce 
nombre  de  milliers  de  milléniums   : 

Archéozoïque  ou  primordial,  52  millions  d'années;  palèozoïque 
ou  primaire,  3/i  millions;  mésozoïque  ou  secondaire,  1 1  millions; 
cénozoïque  ou  tertiaire,  3  millions  :  anthropozoïque  ou  quater- 
naire, 500.000. 

G.  de  Mortillet  (5)  accorde  230  ou    2/iO.OO0  ans  à  la  durée  des 


(1)11  est  bien  des  peuplades  qui,  refusant  la  (4)  Chedner,  Elém.  de  Geo/.,  8«  édit..  1897.  — 

civilisation,  sont  destinées  à  disparaître;  il  en  Nelmays,  Enlgeschichle,  2'  édit.,  18H5. 

est  d'autres  qui  conservent   leurs  qualités  et  (5)  G.  de  Mortillet,  Evolution  quaternaire 

leurs  défauts,  bien  qu'ayant  perdu  leur  langue)  de    la    pierre,    \n  Rev.    de    l'Ecole  d'Anlhrop., 

et  de  ce  fait    décroissent;  d'autres,  enfin,  qui  VII'  année,  1,  15  janv.  1897;  Exlrait,  p.  26.  — 

conservant  toujours  leur  nationalité  survivent  Dans  le  Préhistorique,  par  G.  et  A.  De  Mortil- 

à  tous  les  événements  et  prospèrent  dans  les  let.Ics  nombres  suivants  sont  indiqués:  chel- 

milieux  les  plus  divers  auxquels  elles  ne  s'as-  léen,  78.000  ans;  moustérien,  lOU.OUO  ans;  solu- 

similent  qu'en  apparence.  (J.  M.)  térien,  11.0(X)  ans;  magdalénien,  33.<X>0ans.— 

(2)  E.   Haeckel,    Origine   de   l'homme.  Trad.  Rutot   (Essai    d'évaluation    de   la    durée    des 
franc.,  note  20,  p.  61.  temps  quaternaires,  ds    Bull,  de  la  Suc.  belge 

(3)  E.  Haeckel,  op.  cit.  de  GéoL,  t.  XVHI,  1W4,  pp.    12  à  23,j  réduit  ces 


DES     SOURCES     DE     LA     l'RÉIIISTOlUE     ET     DE     LIUSTOIRE         25 

temps  (|iiatei'naires,  depuis  Tapparition  de  rhomme  (chelléen), 
dont  '200.000  sont  compris  par  rëpoqiie  glaciaire  et  ses  oscillations, 
et  30  ou  /lO.OOO  ans  par  le  postglaciaire.  La  période  historique  ne 
comprendrait,  dans  ce  cas,  que  1/30"  au  plus  de  l'évolution  humaine 
à  partir  de  l'état  paléolithique. 

LyeU(l),  étudiant  un  phénomène  spécial,  porte  à  22/i.000  ans 
la  période  entière  de  submersion  et  d'émersion  des  îles  Britan- 
niques, que  d'autres  évaluations  permettent  d'estimer  à  20.000  ou 
7.000  ans  par  hectomètre  de  hauteur  (2). 

S'appuyant  sur  des  données  astronomi(|ues,  le  même  géologue, 
Croll  et  J.Lubbock  (3), placentla  plus  grande  extension  glaciaire  entre 
2/i0.000et800.000ans(récartestgrand),admettant80.000anspourles 
temps  moderne3.L'homme(chelléen)  serait  donc  vieux  de  300.000  ans. 

«  Suivant  d'autres  auteurs,  l'époque  de  grande  extension  des 
glaces  aurait  eu  lieu  de  225.000  à  350.000  ans  avant  notre  ère  et 
sa  durée  aurait  été  pour  les  uns  de  160,  pour  les  autres  de  plus 
de  2.000  siècles...  la  date  tout  à  fait  tardive  du  départ  des  glaces 
se[)tentrionales  enlève  toute  valeur  à  de  tels  calculs  {!i)  ». 

Quant  à  la  durée  de  l'époque  glaciaire:  nous  verrons  (5)  qu'en 
basant  les  calculs  sur  l'observation  des  phénomènes  actuels  au 
Groenland  on  arrive  à  un  minimum  de  1.000  années  pour  la 
durée  de  ces  phénomènes  quaternaires,  et  à  3.000  ans,  en  accor- 
dant 2.000  ans  aux  fluctuations. 

Lyell  admet  (6)  par  ailleurs  que  la  formation  des  tourbières 
danoises  (7)  a  exigé  16.000  ans,  tandis  que  Stecnstrup  (8)  réduit  ce 
nombre  à  /i.OOO  ans. 

Heer  (9)  pense  que  l.liOO  ans  ont  été  nécessaires  pour  la  for- 
mation des  lignites  quaternaires  de  Dûrnten  (Suisse  ;  alors  que 
Pretswich  (10)  estime  que  600  ans  sont  suffisants. 


nombres  comme    suit  :  Faune    de    l'Eléphant  the  date,  diiration  and  condition  of  Ihe  glacial 

anlif^ue.ôO.OOOans;  F. du  Mammouth,  8i.00Uans;  peiiod  witli  référence  lo  Ihe  Aiiliquity  of  nian. 

Faune  du    Renne,  5.000   ans,    portant  ainsi  à  in  Quart.  Journ.  of  Geol.   Soc,  1887,  p.  393,  sq. 

139.000  ans  la  période  <iue  G.    et   A.  de   Mor-  (i)   De  Lapparent,  Traité  de  Géologie,  6»  éd., 

lillel  estimaient  à  22-2  000  ans.  1906,  p.  1728. 

(1)  Cii.  Lyell,  Aniiq.  vf  man.,  i'    éd.,    1873,  (5)  Cf.  chap.  ÏU. 

XIV,  |).  33i.  (6)  Cii.  LvELL,  Ancienneté   de  l'homme,  Irad. 

(2)  Cf.  chap.  IIL  franc.,  p.  21. 

(3)  Croll,  Geol.  Mag.,  18G7,  p.  172.  —  Croll,  (7)  Pour  l'étude  des  tourbières  de  la  Suisse, 
Climale  and  Time,  X^li),  chap.  XIX.  —  Cn.  Cf.  .1.  Frlii  et  C.  Schroter,  Die  Moore 
Lyell,  Princ.  of  Geol.,  iO'  éd.,  l.  I,  p.  275.  —  der  Scliweiz  mil  Beriicksichligunij  der  Gesamlcn 
J.  Llbbock,  Prehisl.  Times.  2"    éd.,    p.   403.  —  Moorfrag.    Berne,  lilOi. 

Le  IIo.n,  l'Homme  fos.file,  2"  éd.,    p.  296,  sq.  —  (8)  in  Worsaae,  In  Préhifloire  du  Xord,  1878. 

MoonE,  Preglacial    man  and    Geol.  Chron.  Du-  i[9)  Ukeix,  Monde  primitif  de  la  Sui.'i.'^e,  p.  b9â. 

blin,  1869.  —  J.  Lvams,  /'Aye  de  p/e;ve,  trad.  fr.,  (10)    Puestwicu,    Quarlerly   Journ.  of   Geol. 

l.  I,  p.   686.  —  Puestwicu,  Considérations  on  Soc,  1887,  p.  403. 


26  LES    PREMIÈRES    CIVJLISATIOXS 

Galliéron,  Morlot  et  Tryon  (1)  admettent  entre  6.000  et 
3.300  ans  pour  l'antiquité  des  cités  lacustres  de  Suisse. 

Gosse  (2),  s'appuyant  sur  l'étude  des  terrasses  du  lac  Léman, 
compte  18.280  ans  depuis  les  débuts  de  l'époque  du  renne  dans 
ces  pays. 

Morlot  (3).  basant  ses  calculs  sur  les  déjections  du  torrent 
de  la  Tinière,  trouve  64.000  ans  pour  la  durée  de  la  période  néoli- 
thique et  38.000  pour  celle  de  l'âge  du  bronze. 

Ferry  et  Arcelin  (4),  étudiant  les  berges  de  la  Saône,  ont 
conclu  à  1.500  ans  pour  l'époque  romaine,  2.250  ans  pour  l'âge 
du  bronze,  3.000  pour  la  pierre  polie  et  6.750  pour  l'industrie 
quaternaire. 

Kervilerj  (5),  s'en  rapportant  aux  limons  de  la  baie  de  Penliouët, 
fixe  la  date  des  armes  et  outils  de  bronze  à  500  ans  avant  J.-G.  et 
à  6.000  ans  le  commencement  de  la  période  géologique  actuelle. 

Lejeune  (6),  prenant  pour  chronomètre  la  formation  de  la  terre 
de  bruyère,  compte  5.797  ans  entre  l'époque  romaine  et  la  pierre 
polie.  Ces  calculs  revus  par  Gosselet  donnent  5.300  ans. 

Se  basant  sur  le  déplacement  de  l'axe  terrestre,  Roisel  (7) 
propose  77.500  ans  pour  la  fin  de  Tâge  chelléen:  de  cette  date  à 
/i6.000  pour  le  moustérien,  35.500  pour  la  fin  du  solutréen,  de 
35.500  à  25.000  pour  le  magdalénien,  de  25.000  à  l/|.5O0  pour  le 
robenhausien,  de  1^.500  à  '4. 000  pour  l'âge  du  bronze  (dernière 
période  glaciaire  selon  lui)  ;  enfin  il  déclare  que  l'âge  actuel  com- 
mencé en  /lOOO  avant  J.-G.  se  terminera    en  6500  de   notre  ère  (8). 

Mais  l'une  des  plus  curieuses  appréciations  des  temj)s  est  celle 

(1)  Galliekon,  Acles  Je  la  Soc.Jurans.  d'Emu-  de  laSaone.  Lyon,  1808.  —  Arceu.n,  Eludes  d'ur- 
laliun,  1860.  (Cf.  Morlot,  .Soc.  Vaudoise  de.t  se.  cliéologie  préhislorique.  Paris,  1875.  —  Arce[.i.\, 
nat.,  Ih  janv.  1662).  —  Tro\os,  Bull.  Soc.  Vau-  la  Chronologie  iiréhi.slorique.  Mùcon,  1874; 
doi.se,  1862.  —  Cf.  Lykll,  Anriennelé  de  ibidem.  Congrès  de  Paris,  18f)7,  p.  260  ;  /6;Wem. 
l'homme,  trad.  fr.,  pp.  34-:fâ.  —  J.  Libbock,  Matériaux  p.  l'hiat.  de  Ihomme,  t.  IV,  p.  39. 
l'Homme  avant  l'h'ixloire,  trad.  fr.,  p.  3-20.  —  (5)  Kerviler.  l'Age  de  bronze  et  tes  Galtn- 
De  N.\daii.l.'\c,  Premiers  Hommes,  t.  II,  p.  33;).  Romains  à  Saint-Nazaire.  Paris,  1877.  —  Cf.  Ftei<. 

—  De  Quatrefages,  l'Espère  humaine,    p.  101.        arc/iéo/.,  187(),  t.  II, p. 224;  t877,t.  I,  pp.  145,230, 

—  De  Mortillet,  le  Prehistoriiiue,  p    G18.  342;  Acad.  des  sciences,  9  avril  1877;  Ilutl..Soc. 

(2)  Cf.  Cautaii.hac,  iU(iîe>(«iJX,  t.  XX,  p.   IGl.         Anthrop,   1877,  p.  30O  ;  /?ei'.    d'Anthrop.,   1878, 

—  Assoc.  /rançaise,  188G,  p.  171.  l.  VII,  p.   G6.  —  G.  de  Mortili.et,    te  PréhisL, 

(3)  Morlot,  Huit.  Soc.   Vaudoi.-te,  t.   VI,  ii"  4t5.        p.  G20.  — De  ^admllac, les  Premiers  Hommes, 

—  Cf.  Ibid.,ib  janv.l8G2,  t.  IX,  n»  55.  —  Lyell,        l.  II,  p.  337. 

j4)iCie/i/ie/e  f/e /'/lomme,  trad.  fr.,  p.  33.  — BouÉ,  (')    Cf.     Matériaux  pour  t'hist.    de  l'homme. 

Ueber  Geol.  Chronologie,  p.  13.  —  J.  Lubbock,  l.  VIII,  p.  151. 

l'Homme  avant  l'histoire,   p.    356.   —  Pozzy,  ta  (7)  Koisel,    Essai    de  Chronologie  des    temps 

Terre,    p.    415.    —     De     Nadaillac,    Premiers  préliistoriques.  Paris,  1900. 

Hommes,   t.    11,  ]>.    336.    —   Soutiiall,    Recenl  (8)  Citons,  pour  mémoire,  L.  Rémond,  Douze 

origin    of  Man,  p.    475.  —  De    Mortillet,  le  cent  mille  ans  d'humanité  el  l'âge  de  la  terre,  par 

Préhislorique,  p.  621.  l'explication  el  l'évolution  périodique  des  climats, 

(4)  Ferry  cl  Arcelin,  le  Maçonnais  préhis-  des  glaciers  et  des  cours  d'eau.  Monaco,  1^2, 
torique,  pp.  85,  104.  123.  —  Arcelin,  les  Berges  in-12. 


DES     SOLRCKS     DE     LA     FRÉUISTOinE     HT     DE     I.HISTOIHE         '27 

(le  Broca.  «  Après  avoir  constaté  <|ii'onti-e  la  grotte  du  Moustier  et 
celle  de  la  Madelaine,  dans  la  vallée  de  la  Vé/èie,  il  y  a  une  diflé- 
rence  de  27  mètres,  M.  Broca  écrivait  :  ce  creusement  de  27  mètres, 
dû  à  l'action  des  eaux,  s'est  eflectué  sous  les  yeux  de  nos  troglo- 
dytes et  depuis  lors,  pendant  toute  la  durée  de  l'époque  moderne, 
c'est-à-dire  pendant  des  centaines  de  siècles,  il  n'a  fait  que  très 
peu  de  progrès.  Juge/  d'après  cela  combien  de  générations 
humaines  ont  dû  s'écouler  entre  l'époque  du  Moustier  et  celle 
<le  la  Madelaine  (l)  !  Or,  d'une  part  il  y  a  eu  seulement  depuis 
l'époque  des  plus  hautes  cavernes,  déblaiement  d'une  vallée 
occupée  par  des  dépôts  meubles,  et  dautre  part,  s'il  ne  s'est  rien 
fait  depuis  ce  déblaiement  achevé,  c'est  (pie  la  rivière  avait  conquis 
sa  pente  d'équilibre  (2).  » 

De  même  cju'il  ne  nous  est  pas  permis  d'estimer  les  dates 
anté-historiquos,  de  morne  il  n'est  [)as  possible  d'évaluer  l'âge 
d'une  ruine  d'après  l'épaisseur  des  débris  qu'elle  renferme  ;  la  pro- 
gression de  ces  couches  ayant  été  forcément  très  variable.  Fl. 
Pétrie  (3)  a  cru  pouvoir  proposer  une  échelle  proportionnelle  d'un 
mètre  d'exhaussement  moyen  par  siècle.  Cette  échelle  appliquée 
au  Tell  de  Suse  (hauteur  30  mètres  maxima)  donnerait  à  la  capitale 
Elamite  une  durée  de  3.000  ans  alors  que  nous  savons  (ju'en  5000 
avant  J.-C,  elle  existait  déjà  et  qu'elle  n'a  cessé  d'être  habitée 
qu'au  quinzième  siècle  de  notre  ère,  ce  qui  lui  donne  une  durée 
minima  de  6.500  ans;  correspondant  à  65  mètres  de  hauteur  sui- 
vant F\.  Pétrie,  alors  que  les  terres  des  villes  successives  n'ont 
formé  qu'une  butte  artificielle  de  30  mètres.  11  en  est  de  même 
pour  la  plupart  des  ruines  de  la  Chaldée. 

Lorsque,  dans  les  débris  accumulés  sur  l'emplacement  d'une 
ville  antique,  on  constate  une  transition  brusque  d'une  civilisation 
à  une  autre,  la  surface  de  contact  correspond  non  pas  à  une  inva- 
sion pacifique  ou  militaire;  mais  bien  à  un  hiatus  pendant  le(juel 
la  ville  a  cessé  d'être  habitée.  Lorsqu'une  population  reconstruit 
une  ville  ruinée,  elle  le  fait  par  les  moyens  indigènes,  en  conser- 
vant ses  goûts  et  ses  usages;  et  si  la  civilisation  de  ses  vainqueurs 
est  destinée  à  dominer  cette  culture  ne  s'établit  que  progressive- 
ment, se  substituant  peu  à  peu  aux  coutumes  d'autan. 

(I)  Association  from;.;  Congre!  de  Bordeaux,  (2)  De  Lappaiikm,  Traité  de  Gcoloyic,  6"  t<i., 

p.  1-212.  lyOG,  p.  1728. 

(3)  Tellel  Ilesij,  p.  15. 


28 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


Il  ne  peut  donc,  en  aucun  cas  être  tenu  compte  des  épaisseurs 
de  débris  dans  la  recherche  des  âges  absolus. 

De  toutes  ces  évaluations,  et  de  bien  d'autres  encore  que  je  ne 
crois  pas  devoir  citer,  rien  ne  doit  être  retenu  ;  car  aucune  d'elles 
ne  s'appuie  sur  des  bases  rigoureusement  scientifiques.  Les  phé- 
nomènes observés  sont  loin  d'être  simples  dans  la  nature  :  non 
seulement  ils  varient  suivant  des  lois  que  nous  ne  possédons  pas, 
mais  ces  lois  sont  elles-mêmes  troublées  par  des  influences  secon- 
daires parfois  fort  importantes.  En  sorte  que  ce  qui  nous  semble, 
à  première  vue,  être  le  facteur  principal  n'est  souvent  qu'un  terme 
nég-liffeable  de  la  formule. 

Quant  à  la  chronologie  historique,  elle  doit  reposer  uniquement 
sur  des  textes  sinon  contemporains  du  moins  très  voisins  de 
l'époque  envisagée. 

En  aucun  cas  il  ne  doit  être  tenu  compte  des  temps  indiqués 
par  les  légendes  ou  les  mythes. 

Les  histoires,  chioniques,  annales  et  autres  écrits  très  posté- 
rieurs aux  événements, n'olIVent  qu'une  valeur  indicative;  et, avant 
d'entrer  dans  la  chronologie  historique,  doivent  être  vérifiés. 

En  mettant  en  jeu  tous  les  éléments  fournis  par  l'histoire  uni- 
verselle et  en  synchronisant  les  faits  pour  lesquels  nous  possédons 
des  documents  précis,  nous  parvenons  à  fixer  une  foule  de  dates 
venant  encadrer  les  récits  (1). 


(1)  Oiielques  synchronisnu's  i)ciivent  ôlic 
établis  d'une  façon  certaine,  par  exemple 
ceux  d'Aménopliis  IV,  roi  d'EgyiJlcavecBour- 
na-Bouiiach,  roi  cosséen de Babylone cl  de Ché- 
chonq  1,  roi  d'EyypIe  avec  Jéroboani,  roi  d'Is- 
raël. En  ce  qui  concerne  Bourna-Bouriach,  roi 
cassite,  nous  savons  que  celte  dynastie  ré- 
ynail  vers  1400  av.  J.C.  parce  que  Nabonid 
[b'>b  à  538)  nous  enseigne,  par  ses  inscriptions, 
que  le  roi  cassite  Chagacli-alli-bouriach  ré- 
gnaitSOOansavanl  lui. Mais  d'autre  part  noussa- 
vons  que  Bourna-Bouriach  était  contemijorain 
de  Pouzour-Aclichour,  roi  d'Assyrie,  et  nous  sa- 
vons aussi  <(ue  Fouzour-Acbchour  vivait  avant 
Achchour-Ouballit,  roi  d'Assyrie. Nal)onid  nous 
dit,  que  Bourna-Bouriach  vécut  7U0  ans  après 
riamrnourabi.  Assourbanipal  (667-62G)  dit  que 
le  roi  élaniile  Koudour-Naiiliounta  envahit  la 
Babylonie  1635  ou  1535  ans  avant  l'époque  où 
lui-même  s'empara  de  Suse,  c'est-à-dire  en 
2285  ou  2185  av.  J.C.  Or  c'est  Ilamniourabi  qui 
renversa  le  pouvoir  élamite  en  Chaldée  ;  il  vé- 
cut donc  après  Khoudour-Nakhounla.  C  est 
donc  vers2-2(X»  av.  J.-C.  que  nous  devons  placer 
l'époque  de  son  règne.  11  s'ensuit  que  Bourna- 
Bouriach,  qui  vécut  700  ans  après  Ilamniou- 
rabi, régna  vers  1450  ou  1400  av.  J.-C  Mainte- 
nant il  nous  faut  revenirà  Achchour-Ouballit, 


l'un  des  successeurs  de  Pouzour- Achcbour, 
roi  d'Assyrie,  dont  la  date  peut  être  li.vée  au 
moyen  des  données  suivantes:  Bammàn-nirâri 
déclare  être  l'arrière-petit-fils  d'Achchour-Ou- 
ballit.  D'aulre  part,  Salmanasar  I  se  dit  lîls  de 
Rammàn-niràri  I,  et  Toukoulli-Ninip  affirme 
être  le  fils  de  Salmanasar  I.—  Sennachérib  fil 
faire  sur  argile  une  copie  d'un  le.vte  de  Tou- 
koulli-Xiuip  qui  avait  été  gravé  sur  un  sceau 
de  lapislazuli  ;  ce  sceau  avait  été  tiansporlé 
d  Assyrie  à  Babylone  et  fut  retrouvé  par  Sen- 
nachérib lorsqu'il  s'empara  de  celle  ville.  Nous 
savons  (pie  Sennachérib  régna  d'environ  705  à 
081  av.  J.-C.  el  Sennachérib  nous  dit  que  le 
sceau  de  Toukouiti-Ninip  avait  été  emporté  à 
Babylone  600  aii^  avant  son  temps.  Il  s'ensuit 
que  la  limite  inférieure  du  règne  de  Toukoulli- 
Ninip  doit  être  placée  au  plus  lard  en  U80  av. 
J.-C;  et  comme  rien  ne  prouve  que  le  sceau  de 
ce  roi  fùlde  son  vivant  transporté  à  Babylone, 
nous  pouvons  allribuer  à  Toukoulti-Niiiip  la 
date  de  1300  environ  av.  J.-C  Mais  nous  avons 
vu  qu'Achchour-Ouballil  était  le  cinquième 
ancêtre  (graiid-grand-grand-grand-père)  de 
Toukoulti-N'inip  ;  il  a  donc  vécu  environ  cent 
ans  avant  lui.  Donc  Achchour-Ouballit  ne  peut 
pas  avoir  vécu  plus  lard  que  1400  ans  av.  J.-C 
Ceci  étant  acquis,  nous  savons  que  les  lettres 


DES     SOURCES     DE     LA     IM^KIIISTOIIΠ    KT     DE     LllISTOlHE 


29 


Toute  autre  méthode  chronologique  n'étant  pas  scientili([ue 
doit  être  rejetée.  Pou  i-  h's  débuts  de  l'hisloire,  sur  tout,  il  est  essentiel 
(le  l)ien  faire  ressortir  les  dates  rigoureuses,  de  celles  qui  seule- 
nuMil  sont  supposées  ou  approchées.  Il  en  est  de  même  ch<v.  tous 
les  peuples  dont  nous  j)ossédons  peu  l'histoire  et  (|ui,  cependant, 
vivaient  aux  temps  où  d'autres  nous  fournissent  une  chronologie 
exacte.  Si  nous  parlons  d'eux  à  ces  époques,  ce  ne  doit  être  qu'en 
faisant  toutes  réserves  snr  le  synchronisme  adopté. 

Telles  sont  les  principales  sciences  à  même  de  fournir  les  hases 
sur  lesquelles  s'établissent  la  préhistoire  et  les  débuts  de  l'histoire 
de  l'homme.  J'ai  cru  devoir  insister  plus  longuement  sur  la  linguis- 
tique que  sur  les  autres  ;  parce  (ju'à  mon  sens  elle  joue  un  rôle 
préj)ondérant  dès  que  nous  approchons  des  temps  historiques. 
Pour  les  époques  plus  reculées,  elle  n'est  d'aucun  usage;  c'est  à 
l'anthropologie  et  à  l'ethnographie  seules  que  nous  devons  avoir 
recours,  en  ce  qui  concerne  l'homme  et  les  [)roduits  de  son 
industrie,  dans  les  temps  antérieurs  à  l'écriture. 


II.  —  Des  sources  de  Ihisloire  proprement  dite  (1). 

Les  documents  sur  lesquels  s'appuie  l'histoire  (2)  proprement 
dite  sont  de  quatre  natures  dilférentes  : 

1°  Les  textes  contemporains  des  événements,  inscriptions, 
monnaies  et  médailles,  histoires,  annales  et  mémoires. 


(le  Tell  el  Aniorna  étaient  écriles  an  roi  Ame- 
iiophis  IV,  par  Achchour-Ouballit  son  contem- 
porain, c'est  d'inc  vers  1400  av.  J.-C.  que  nous 
devons  placer  Aménophis  IV.  Nous  avons  vu 
plus  haut  que  Bourna-Bouriach  était  le  con- 
temporain de  Pouzour-.Vchchour,  roi  d'Assy- 
rie, prédécesseur  dWciicliour-Ouballlit.  C'est 
donc  vers  1430  qu'il  vécut.  Mais  nous  savons 
également  que  Bourna-Bouriach  était  en  rela- 
tions de  lettres  avec  Aménophis  III.  Nous 
sommes  donc  autorisés  à  dire  que  le  début  du 
règne  de  ce  Piiaraon  ne  peut  être  postérieur 
à  1450av.  J.-C.  Ainsi  se  trouve  établi  le  syn- 
chronisme. 

Un  autre  non  moins  important  est  celui  qui 
relie  Chéchonq  I,  roi  d'Egypte,  à  Jéroboam,  roi 
de  Juda  vers  950  av.  J.-C.  Le  premier  fait 
historique  syrien  dont  nous  connaissons  la 
date  d'une  manière  certaine  est  la  bataille  de 
Kharkhar  (854  av.  J.-C)  dans  ia(pielle  .Vliab 
et  ses  alliés  furent  défaits  par  Salmanasar  IL 
roi  d'Assyrie,  qui  régnait  de  859  à  8^25  av.  J.-C. 
C'est  en  partant  de  ces  dates  (ju'il  a  été 
possible  de  calculer  celle  de  Chechon([  I  el  de 


Jéroboam.  (E.-A.  WALiis-BincE,  .4  Hislonj  of 
Egi/pt  ,  vol.  L  1902;  Eytjiil,  in  Ihe  Neolithic  and 
Arcliaic  periods,  p.  153,  S(].) 

'1)  J.  DE  Morgan,  les  Recherches  archéolo- 
giques, leur  but  et  leurs  procédés,  ds  Revue 
des  Idées,  1900. 

(2)  L'histoire  se  définit  suivant  la  manière 
dont  elle  est  traitée,  (^est  le  «  récit  des  choses 
dignes  de  mémoires  »  [Dict.  de  l' Acad.fr  );  c'est 
"  une  narration  ordonnée  des  choses  notables 
dictes,  faictes  ou  advenues  dans  le  passé  pour 
en  conserver  la  souvenance  à  perpétuité  » 
(Amyot,  Préface.  Trad.  Plutan]ue)pour  lesan- 
nallstes  ;  c'est  «  la  science  du  développement 
de  la  raison  «  (L.  Bouroeau,  i Histoire  et  les 
Historiens.  Paris,  1888,  p.  5.)  pour  ceu.\  qui 
n'envisagent  que  l'esprit  humain.  Ces  délini- 
tions  ont  toutes  le  grand  défaut  de  ne  pas 
être  générales  A  mon  sens,  l'Histoire  est  la 
.science  des  enriutinemenis  du  progrès  humain, 
comprenant  les  faits,  leurs  causes  et  leurs  ré- 
sultats en  ce  (jui  concerne  1  humanité,  tant  au 
point  de  vue  matériel,  qu'à  celui  des  idées. 
fj.  M.) 


30  LES     PREMIÈRES     CIMLISATIO.XS 

2"  Les  documents  archéologiques,  monuments  et  objets  divers 
rencontrés  sur  le  sol  ou  dans  le  sol. 

3"  Les  écrits  postérieurs  aux  événements  qu'ils  narrent. 
Il"  Les  considérations  tirées  des  sciences  dont  j'ai  parlé  plus 
haut  (géologie,  zoologie,  botanique,  anthropologie,  ethnographie, 
sociologie,  linguistique),  auxquelles  il  convient  d'ajouter  les  obser- 
vations sur  les  industries,  les  arts,  le  commerce,  les  connaissances 
scientifiques,  etc. 

Les  sources  rédigées  au  temps  des  événements  sont,  sans 
contredit,  celles  de  plus  grande  valeur  ;  car  elles  renferment  les 
témoignages.  Les  secondes,  bien  qu'étant  du  même  ordre,  sont 
souvent  d'une  interprétation  difficile  et  par  suite  donnent  lieu  à 
des  déductions  douteuses.  Ouant  aux  troisièmes,  elles  exio^ent  des 
vérifications  avant  d'être  employées  et  les  quatrièmes  ne  peuvent,, 
en  général  être  d'usage  que  pour  Texplicatiou  des  sources  qui 
précèdent. 

Les  textes  contemporains,  inscriptions  sur  pierre,  argile,  papv- 
rus,  parchemin,  poterie,  etc.  (1),  sont  des  éléments  certains. 
INIais  avant  d'en  accepter  les  dires,  il  est  bon  de  vérifier  leurs 
assertions  par  d'autres  textes  d'origine  étrangère  ou  par  des  faits  ; 
car  souvent,  par  vanité  les  inscriptions  triomphales  dénaturent 
la  vérité  ;  augmentant  la  portée  des  événements  glorieux,  amoin- 
drissant la  portée  des  revers. 

Pour  l'Assyrie,  par  exemple,  dont,  dans  la  plupart  descas,  nous 
ne  connaissons  les  annales  que  par  les  Ninivites  eux-mêmes  ;  les 
victoires  sont  souvent  amplifiées  et  les  défaites,  comme  bien  on 
pense,  passées  sous  silence.  Ce  n'est  que  par  les  récits  égyptiens, 

(1)    Voici    les  époques   approximatives    des  Grec.  Vers  le  septième  siècle  av.  J.-C. 
premiers  textes  connus  dans  les    principales  Latin.  Vers  le  sixième  siècle  av.  J.-('. 
langues  :  Punique.  Huitième    siècle   av.    J  ~V..  (Car- 
Egyptien.  Tablette  d'ivoire   du    lombcau  de  thage  ) 
Menés,  XL'  siècle  env.  av.  J.-C.  (Cf.  De  Mok-  Ibérien.  (Sur  les  monnaies).  Premier  siècle 
GAN,  Rech.  orig.  Eyijple,  1897).  av.  J.-C. 

Akkadien.  Antérieurement  à  3800   av.  J.-C.  Rhune.  Premier  siècle  ap.  J.-C. 

Elamile.  Vers  le  quinzième    sièile  av.  J.-C.  Cliinois.  Dix  ou  douzième    siècle  av.  J.-C. 

Assyrien    Quinzième  siècle  av.  J.-C.  ?  Perse.    Texte   de    Cyrus   (Persépolis^    vers 

Hébreu.  Sixième  siècle  av.  J.-C?  5^5  av.  J.-C. 

Araméen.  Huitième  siècle  av.  J.-C  Indien.  Troisième  siècle  avant  J.-C 

Phénicien.  Dixième  siècle  environ.  Indobaktrien.    Troisième    siècle   av.  J.-C. 

Héléen.  Date  incertaine,  antérieure  au   dix-  Textes  d'Açoka. 

huitième  siècle  av.  J.-C  Zend.  Zend-Ave-la    attribué   au   deuxième 

Chypriote.    Sixième    siè<  le   av.   J.-C.    (Cl.  siècle  ap.   J.C.,  n'existe  qu'à  l'état  de  copies 

Bréai.,.S.  ledéchiff.  des  iiiscr.  chypriotes.  Pan^,  récentes.  (Seizième  siècle  ap.  J.-C.) 

1877,  in-i,  26  p.)  Etrusque.  Sixième  siècle  av.  J.-C. 

Cretois.  Vers  le  quinzième  siècle  av.  J.-C.  Proto-Elamite.  Vers  le  trentième  siècle  av. 

Carien.  Septième  siècle  av.  J.-(.!.  J.-'J. 

Phrygien.  Septième  siècle  av.  J.-C 


DES    SOUHCES    DE    LA    PRÉHISTOmE     ET    DE    L'HISTOIRE         31 

J>abyloniens,  élamites,  vanniques,  otc,  qu'il  est  possible  de- 
rectifier  ces  supercheries,  etil  eu  est  certainement  de  même,  dans 
bien  des  cas,  pour  les  récits  pharaoniques,  chaldéens,  anzanites, 
ourartiens  et  autres. 

Malheureusement,  il  est  bien  rare  que  nous  rencontrions  des 
documents  de  deux  sources  dilTé rentes  relatifs  à  un  même  fait 
historique  ;  le  vaincu  n'ayant  jamais  narré  sa  défaite.  Mais  il 
arrive  parfois  (|ue  les  deux  s'attribuent  la  victoire.  Dans  ce  cas, 
ce  n'est  que  par  les  événements  postérieurs  et  antérieurs,  par  des 
considérations  sur  l'ensemble  de  la  politique  à  cette  époque  et 
dans  ces  pays, qu'il  est  possible  de  reconnaître  celui  des  deux  qui 
réellement  a  remporté  l'avantage. 

En  Egypte  comme  en  Ghaldée,  la  vanité  ou  le  fanatisme  portait 
les  vainqueurs  à  détruire  les  inscriptions  triomphales  des  peuples 
dont  ils  mettaient  à  sac  les  villes.  Ainsi,  bien  des  documents  furent 
irréparablement  perdus. 

Les  Elamites,  cependant,  moins  barbares  que  leurs  adversaires, 
se  contentaient  souvent  d'emporter  comme  trophées  les  monu- 
ments, se  faisant  probablement  grand  honneur  des  hauts  faits 
de  ceux  qu'ils  avaient  vaincus.  Grâce  à  cette  coutume,  beaucoup 
de  documents  chaldéens  sont  parvenus  indemnes  jusqu'à  nous(1). 

En  Egypte,  les  inscriptions  couvrent  les  rochers,  les  murailles 
des  temples  et  des  tombeaux  ;  en  sorte  que  par  leur  grand  nombre, 
par  la  duretéde  la  matière  dans  laquelle  elles  étaient  gravées,  elles 
ont  généralement  échappé  au  vandalisme;  cependant  celles  laissées 
par  les  Hyksos  ont  été  systématiquement  martelées  par  haine  pour 
les  noms  qu'elles  étaient  destinées  à  transmettre  à  la  postérité  (2).  II 
en  a  été  de  même  pour  les  inscriptions  du  schismatique  Ivhoue- 
naten  (Aménophis  IV)  après  le  rétablissement  du  culte  ortho- 
doxe (3). 

Les  tablettes  d'argile  et  les  briques  inscrites  employées 
dans  les  constructions,  sont,  en  Asie,  les  documents  écrits  qui 
ont  le  mieux  résisté  ;  leur  très  grande  abondance,  la  difficulté 
qu'on  rencontrait  à  les  détruire  les  a  sauvés.  Malheureusement, 
ces  textes  historiques  sur  briques  sont  fort  courts,  et  ceux  plus 

(1)  Le    souverain    élamite    Choiitroiik  Nak-  (2)  Cf.  Musée  du  Oaiiv.   Monuments  décou-, 

liounta  est  celui  qui  a  rapporté  à  Suse  le  plus  verts  par   Mariette  dans    les  ruines  di-   Tlia- 

^rand  nombre  de    trophées  épigrapliiques  de  nis. 

M'-  campagnes   en  pays   sémitiques.  (Cf.  Mé-  (3)  Cf.  Sépultures  de  Tell  f\  Amarn«. 

inuin's  de  la  Délétjdlion  en  Perse.) 


32 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


étendus  sur  tablettes  n'ofïVent,le  plus  souvent,  qu'un  intérêt  secon- 
daire (1). 

En  Ghaldée,  les  briques  presque  toujours  estampillées,  sont 
peu  variées.  A  Suse,  et  presque  partout  en  Elam,  au  contraire, 
elles  ont  été  inscrites  à  la  main,  sur  la  tranche,  avant  la  cuisson 
et  chaque  prince,  ayant  construit,  inscrivit  sur  ses  matériaux 
son  propre  nom  et  celui  de  son  père.  C'est  en  s'appuyant  sur  ces 
données  que  V.  Scheil  a  pu  reconstituer  avec  certitude  la  liste  des 
souverains  élamites. 

B,,  roi  de  Suse,  fils  de  A.,  roi  de  Suse,  construit  un  temple;  C, 
roi  de  Suse,  fils  de  B.,  en  construit  un  autre, et  ainsi  de  suite. 

Cette  liste  étant  établie,  d'autres  documents  viennent  fournir 
le  nom  de  personnages  contemporains,  ayant  vécu  dans  d'autres 
pays  ;  et  parfois  nous  connaissons  la  date  de  ces  étrangers.  11  s'en- 
suit, alors,  que  certains  points  sont  fixés  chronologiquement  dans 
la  liste  élamite,et  que  les  intervalles  entre  ces  dates  sont  occupés 
par  les  règnes  des  souverains  dont  l'époque  varie  entre  deux 
limites  fixes. 

En  Chaldée,  tous  les  documents  écrits  (2)  sont  donc  sur  pierre 
ou  sur  argile.  Il  en  est  de  même  pour  tout  ce  que  nous  possédons 
comme  originaux  sur  les  Perses,  les  Ourartiens,  les  Elamites  et 
quelques  peuplades  sémitiques  de  la  Syrie  (3). 

En  Asie  Mineure,  chez  les  Hétéens,  les  Cypriotes,  les  Grecs; 
et  en  Europe,  chez  les  Etrusques,  les    Latins  (/j),  les  Gaulois,  les 


;1)  Leslexles  sur  tablelles  d'argile  sont  par- 
fois extrêmement  nombreux.  Il  sulfira  de  dire 
«juils  composaient  à  Koyoundjik  (Ninive)  la 
bibliothèque  royale  et  que  par  ailleurs,  dans 
certaines  localités  (Telloh),  on  en  a  rencontré 
des  groupes  de  plus  de  trente  mille. 

(2)  Ce  qui  dislingue  les  écritures  modernes 
rationnelles  des  écritures  antiques,  c'est  ((ue 
nos  écritures  se  composent  uniquement  de 
signes  conventionnels  et  excluent  l'idée  de 
figuration.  C'est  dans  cet  esprit  que  désormais 
évoluera  l'écriture  dans  les  rares  pays  où  les 
procédés  antiques  sont  encore  en  usage.  Pour 
rendre  les  services  qu'on  attend  d'elle,  l'écri- 
ture doit  être  aussi  cursive  que  possible.  Cette 
condition  exclut  de  l'usage  une  foule  d'écri- 
tures compliquées  de  l'Orient,  et  quel(|ucs- 
unes  encore  usitées  t-n  Europe,  telles  les  écri- 
tures slaves  et  gotliiques.  Toutes  disparaîtront 
devant  l'alphabet  latin  dès  aujourd'hui  le  plus 
/usité  et  pouvant  s  adapter  à  toutes  les  langues 
Cf.  Alphabets  linguistiques  de  Le[)sius,  de  Ros- 
;ty,  etc.l.  Il  y  a  phis  d  un  siècle  que  l'applica- 
tion de  l'alphabet  latin  à  toutes  les  langues  a 
été  préconisé  (Cf.  C.-F.  Volmev,  Simplification 


des  langues  orientales  ou  méthode  nouvelle  et 
facile  d'apprendre  les  langues,  arabe,  persane  et 
turque,  avec  des  caractères  européens.  Paris, 
an  III  de  la  République  (1795).  in-8.) 

C'est  par  suite  de  l'extrême  difliculté  de  rendre 
cursives  les  écritures  hiéroglyphiques  et  cu- 
néiformes que  toutes  deux  ont  disparu  de 
bonne  heure.  (J.  M.) 

(3)  Certainement,  pour  l'Asie  antérieure,  tous 
les  textes  n'étaient  pas  écrits  sur  pierre,  argile 
ou  métal  ;  il  en  était  (comme  en  Egypte)  sur 
bois,  parchemin,  étoffe,  etc.  Mais  ils  ne  sont 
pas  arrivés  jusqu'à  nous,  par  suite  de  l'humi- 
dité de  ces  régions.  Dans  les  fondations  du 
temple  de  Chouchinakà  Suse,  nous  avons  ren- 
contré de  minces  feuilles  d'or  et  d'argent  qui 
probablement  plaquaient  des  objets  de  bois  ; 
elles  sont  couvertes  de  signes  (Cf.  Mém.  Délég. 
en  Perse,  t.  VII,  pi.  XII.)  Les  textes  assyriens 
parlent  parfois  de  chars  couverts  de  pein- 
tures (Cf.  Inscrip.  d'Assourbanipal.)  Ces  orne- 
ments étaient  sùrementacconqiagnés  d'inscrii)- 
tions. 

4)  Sauf  les    papyrus  découverts  à  Ilercula- 
num  (Cf.  Musée  de  Naples)  et  en  Egypte. 


DES  souRCKs   Di:   LA   PHKnisToirΠ  i-T   DE   LnisToiiu-      :\:^ 

Ibères,  (île,  nous  ne  possédons  que  des  documents  contemporains 
(les  faits, écrits  sur  pierre  et  sur  métal. 

En  Egypte  (1),  grâce  aux  merveilleuses  facultés  conserva- 
Iriccs  du  climat  cl  du  sol,  les  documents  ne  sont  pas  uniquement 
sur  pierre;  mais  aussi  sur  bois,  cartonnage,  papyrus,  |)archemin, 
étoile,  etc.  On  rencontre  non  seulement  des  textes  hiérogly- 
phiques, hiératiques  et  dénjotiques;  mais  aussi  du  grec,  du  latin, 
de  l'araméen,  de  l'hébreu,  tlu  pehlevie,  sans  compter  un  certain 
nombre  d'écritures  encore  indéchiflVées. 

A  ces  documents  écrits,  contemporains  des  événements,  il 
convient  d'ajouter  les  monnaies  et  médailles  (2),  dont  le  secours 
est  grand  à  partir  du  septième  siècle  avant  notre  ère.  Parfois  elles 
sont  datées  (3);  toujours  elles  fournissent  de  précieuses  indica- 
tions historiques  (/i)  et  géographiques  (5). 

Il  n'existe  aucune  monnaie  ou  médaille  portant  des  textes  hié- 
roglyphiques ou  cunéiformes;  cependant  ces  systèmes  d'écriture 
étaient  encore  en  pleine  vigueur  lors  de  l'usage  du  numéraire.  En 
Egypte,  la  frappe  ne  commence  qu'avec  les  Ptolémées;  en  Perse, 
on  monnayait  pour  la  couronne,  sous  les  Achéménides,  l'or  et  l'ar- 
gent sans  légendes  ;  mais  avec  texte  phénicien  ou  araméen  dans 
les  satrapies  de  Syrie  et  d'Asie  Mineure. 

Pour  les  temps  très  anciens,  jusqu'au  troisième  siècle,  les 
légendes  numismatiques  furent  en  grec,  en  phénicien,  araméen, 
punique.  C'est  plus  tard  seulement  qu'on  vit  apparaître  le  latin, 
libérien,  le  bactrien,  l'himyarite,  le  pehlevie,  etc.,  et  le  chinois: 
mais  je  reviendrai  plus  loin  sur  cette  importante  question  i\\i 
numéraire  et  de  sa  circulation  de  par  le  monde. 

Telles  sont  les  sources  les  plus  sures  des  premiers  tem|)s  histo- 
riques; il  convient  d'y  ajouter  quelques  auteurs  très  anciens,  tels 

(1)  C'est  surtout  au  coins  du  nouvel  Empiro  (3)  Les  monnaies  des  rois  de  Syrie,  entre 
(XVIII'  à  XXIl'  djnastics;  que,  la  préparation  antres,  sont  datées  d'une  ère  spéciale  dite  des 
des  momies  étant  plus  soignée,  les  papyrus  Séleucides  commençant  en  312  av.  J.-C.  et. 
c[ui  accompa<T;naient  le  corps  sont  les  mieux  qui  fut  usitée,  dans  bien  des  pays  de  l'Orient 
conservés  (Cf.  Musée  du  Caire,  papyrus  (Syrie.  Perse)  sous  les  Parlhes  (Egypte,  etc.). 
royaux  de  Deïr  el  Bahri,  des  prêtres  d'Am-  (4)  Bien  des  dynasties  ne  sont  connues  que 
mon,  etc.);  pour  l'ancien  et  le  moyen  empire.  parla  numismatique,  celles  entre  autres  de 
la  conservation  laisse  beaucoup  à  désirer.  On  Bactriane,  de  Persépolitainc,  d'Elymaïde, etc.: 
rencontre  aussi  des  papyrus,  et  en  nombre.  sans  compter  les  usurpateurs  romains  sur  les 
dans  les  ruines  des  villes.  I.e  Fayoum  en  a  quels  l'histoire  se  lait,  tels  Pacatianus.  Do 
fourni  une  grande  quantité,  la  plupartsonl  de  mitianus   (emp.  gauloisj,  etc. 

basse  époque  (ptolémaïque  ou  romaine).  (J  M.)  (5,  l'resque  toutes  les  villes  grecques  el  phé 

(2)  Cf.  Kn.  Lknormant,  la  Monnaie  dans  l'an-  niciennes  de  l'antiquité  ont  frappé  monnaie. 
liqaité.  Paris,  1878,  3  vol.  —  Id.,  Monnaies  et  Les  indications  que  fournissent  ces  médailles 
médailles,  ds  Bibliol.  de  l'Enseignement  dex  ont  permis  de  contrôler  les  dires  des  géogra- 
fieaux-Arls.  phes.  Plolémée,  Strabon.etc. 


3/i  LES    PREMIÈRES    r.l\  ILISATK  t\S 

que  Gtésias,  Bérose,  Sanchoniaton  et  Hérodote  qui,  pour  la  plupart, 
ne  nous  sont  malheureusement  parvenus  qu'à  l'état  de  fragments, 
tous  sous  formes  de  copies  de  seconde  main. 

Chez  ces  auteurs,  il  faut  distinguer  deux  classes  dans  les  sources  : 
l'une  correspondant  aux  faits  que  ces  écrivains  ont  vu  se  dérou- 
ler, l'autre  comprenant  les  renseignements  qui  leur  ont  été  nar- 
rés par  les  indigènes  ou  par  les  prêtres  (1).  Pour  les  événements 
s'étant  passés  de  leur  temps,  ces  historiens  sont  fort  précieux  ; 
pour  les  autres,  ils  rentrent  dans  la  catégorie  des  auteurs  posté- 
rieurs; avec  cette  différence  qu'étant  beaucoup  plus  anciens  que 
la  plupart  des  classiques,  ils  ont  souvent  puisé  dans  des  sources 
originales  disparues  après  eux  et  avant  leurs  successeurs. 

L'Orient  posséda  de  nombreuses  bibliothèques,  en   Egypte  (2 
et  en  Chaldée  (3),  chaque  temple  avait  la  sienne  ;  les  villes  de  Phé- 
nicie  conservaient  leurs  annales.  Tous  ces  trésors  ont  été  détruits  : 
nous  n'en  possédons  que   d'informes  et  rares  débris  et  il  n'y  a 
guère  d'espoir  qu'on  retrouve  jamais  les  ouvrages  perdus. 

Des  fragments  qui  nous  restent  des  auteurs  classiques,  nous 
ne  possédons  pas  les  originaux,  sauf  dans  quelques  rarissimes  pa- 
pyrus trouvés  en  Egypte.  Il  ne  nous  est  parvenu  que  des  copies  faites 
au  moyen  âge  et  souvent  fautives,  spécialement  en  ce  qui  con- 
cerne les  nombres  et  les  noms  propres;  il  y  a  donc  lieu  d'être 
très  circonspect  en  ce  qui  regarde  ces  données.  Ces  auteurs  onl 
toutefois  été,  dans  ces  derniers  temps,  l'objet  d'études  très  atten- 
tives de  la  part  d'hellénistes  de  premier  ordre,  et  les  éditions  dont 
nous  disposons  aujourd'hui,  ayant  subi  toutes  les  correction.s 
et  rectifications  dont  elles  étaient  susceptibles,  présentent  de 
sérieuses  garanties. 

En  ce  qui  touche  à  l'histoire  du  monde  oriental,  les  auteurs 
grecs  ont  défiguré  les  noms  propres  à  tel  point  qu'il  est  parfois 
très  difficile  de  les  reconnaître  dans  ceux  fournis  par  les  docu- 
ments originaux  (4)  ;  de  sorte  que  les  listes  classiques  de  souve- 

(1)  A  ce  point  de  vue  Hérodote  est  fort  pré-  [Musée  britannique),  mais  elle  renfermait  peul- 
■cieux,  car  il  indique  toujours  ses  sources.  être  aussi  des  parchemins,  papyrus  et.  autres 

(2)  Dès  la  VI'^  dynastie,  un  haut  fonctionnaire  matières  qui  ont  disparu.  A  l'époque  d"Ale3san- 
prend  le  titre  de  «  Gouverneur  de  la  maison  dre  les  bibliothèques  chaldéenncs  sur  ai^le 
des  livres  ».  (Lepsius,  Denkm.,  II,  50.)  Le  lem-  existaient  encore  (Simplichjs,  Commentaire  sur 
pie  dlmhotpou.  à  Memphis,  avait  sa  bibliothè-  Arislole.  De  Caelo,  p.  503.  A.) 

que    (G.  Maspero. //f.sfo/re  a/ic.  de.s  peupfp.'?  (/e  (4j    ilsaor/pt;  =    Zoserliti.  (Pharaon    delà 

VOrkni,  b'  éd.,  1893,  p.  74  )  j|j.  dynastie);  KepaepT.ç  ==  Snofrou  (HI«  Dyn.l  ; 

(3  La  bibliothèque  du  palais  d'Assourbanipal  ,,                      .               u   .     ..r       .i.,i       t^ 

à  Ninive,  découverte  par  Layard  (JVia.t^eA  end  A.aspijç    -   Amenemhat    lil       XW      Dyn.  . 

Babylun),  se  composait  de  tablettes  sur  argile  SxEfjiidopi:  =  Sovkounofriou  {XII«  Djn.). 


DES     SOL'RC.HS     UK     LA     IMîKlIlSTOIlU-:     l.T     Hi;     I.  IIISTUIUK  .S.", 

rains  ne  doivent  plus  entrer  en  ligne  tie  compte.   Ce  sont  seuls 
les  noms  tirés  des  écrits  indigènes  qui  méritent  considération  (1 1. 

Jusqu'au  début  du  dix-neuvième  siècle,  nous  ne  possédions, 
pour  nous  guider  dans  l'histoire  de  la  haute  antiquité,  que  ces 
auteurs  et  la  Bible  à  laquelle  on  attribuait  une  antiquité  extrême- 
ment reculée,  alors  que  sa  rédaction  n'est  certainement  pas  au 
plus  tôt  antérieure  à  Hérodote.  Aussi  Tliistoire  n'était-elle  com- 
posée alors  que  d'un  tissu  de  fables  et  de  légendes  dans  les- 
quelles les  peuples  hébreux  et  grec  jouaient  le  rôle  le  plus  impor- 
tant, comme  passant  pour  avoir  été  les  seuls  promoteurs  des 
idées  philosophiques  et  de  la  civilisation  moderne. 

A  peine  connaissait-on  les  auteurs  arabes,  arméniens,  pej- 
sans,  syriaques  qui,  lors  de  leur  étude,  déçurent  d'ailleurs  l'al- 
tente;  car,  en  ce  qui  regarde  l'anticjiuté.  ils  nont  fait  que  copier 
sans  discernement  (2)  les  classiques  et  n'olTrenl  d'intérêt  que 
pour  les  faits  dont  ils  ont  été  témoins,  c'est-à-dire  pour  des  événe- 
ments postérieurs  au  début  de  notre  ère. 

C'est  donc  seulement  depuis  la  découverte  de  l'interprétation 
des  langues  mortes  orientales  qu'est  réellement  née  l'histoire 
ancienne.  Chaque  jour  elle  se  complète  par  la  découverte  de  nou- 
veaux textes  d'une  inestimable  valeur  et  peu  à  peu  nous  la  pos- 
séderons sans  lacunes  ;  mais  intei'viennent  alors  de  grandes  dif- 
ficultés, le  déchiffrement  de  ces  textes  et  leur  interprétation. 

En  Egypte  (3)  la  tâche  est  devenue  moins  ardue  depuis  les 
admirables  travaux  de  Champollion,  de  Lepsius,  de  Brugsch,  de 
Rougé,  de  Maspero,  etc.  On  lit  les  hiéroglyphes  avec  facilité  : 
quoit(ue  la  comjîréhension  de  l'esprit  de  ces  textes  soit  souvent  fort 
difficile, surtout  alors  qu'il  s'agit  de  compositions  philosophiques. 
Cela  tient  non  pas  à  l'imperfection  de  la  méthode  de  lecture,  ni  à 
l'insuffisance  de  nos  connaissances  en  égyptien;  mais  bien  à  ce  que 
nous  ne  pensons  pas  encore  dans  l'esprit  de  ce  peuple.  Les  nom- 
breusescritiques  dont  la  traduction  du  Livre  des  mor/s, par  Maspéro. 
a  été  l'objet,  n'ont  pas  avancé  la  question  et  n'ont  guère  eu  pour 

^11  Bien  des  liisloriens,  Hérodote  le  premier,  (2)  Moise   de  Korcne  l'avoue  lui-même  (Cf. 

onl  cherché  à  encadrer   les   faits    historiques  Irad.    V    Langlois.j  J.  de  Mokgan,  Miss,  se 

daus  une  formule  générale  séparant  nettement  au  Caucase,  t.  II,  p.  l^t, entre  autres, 

les  diverses   phases.  Mais  cette  tendance  se  (3)    L'usage    des    hiéroglyphes    s'est    con- 

trouve  cocnbaltue   jiar  les  continuelles  decou-  tinué,    sans    grandes     inodilirations,     dccuis 

ve-les  de  lestes  contemporains  des  faits.  G  est  I  époque  de  Menés,  jusque   1  Empire  roniain. 

ainsi  que    les  trouvailles  récentes   de  G.  Le-  Ln  déblayant  en  18  3  le    lemplo  d'Ombos  j'ai 

grain  à  Karnak  portent  une  grave  atteinte  à  la  trouvé,  gravé    sur    l'une    des  colonnes    de   la 

succession  des  dynasties  pharaoniques.  (J.M.)  cour  le  cartouche,  de  l'Empereur  Géta  (J.  M.) 


36  I^KS     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

résultat  que  de  montrer  l'énorme  supériorité  de  l'égyptologue 
français  sur  ses  contradicteurs. 

Pour  les  textes  cunéiformes  (1),  c'est  une  tout  autre  chose  ; 
d'abord  parce  que  les  signes  sont  bien  moins  facilement  recon- 
naissables  que  ceux  du  système  hiéroglyphique;  ensuite  parce  que 
cette  écriture  s'est  modifiée  suivant  les  temps  et  suivant  les  pays 
qui  l'employaient  et  que,  su  r  l'argile,  elle  était  devenue,  surtout  vers 
la  fin  de  son  usage,  extrêmement  cursive  et  embrouillée  ;  parce 
qu'enfin  elle  a  été  mise  au  service  d'un  grand  nombre  de  langues 
très  difTérentes,  tant  par  leur  vocabulaire  que  par  leur  structure 
grammaticale,  l'akkadien,  l'assyrien,  l'anzanite,  le  vannique,  le 
perse,  etc. 

Les  assyriologues  sont  beaucoup  moins  nombreux  que  les 
égyptologues;  d'abord  parce  que  leur  science  est  plus  ardue, 
ensuite  parce  que  les  documents  asiatiques  étaient  jusqu'à  ce& 
derniers  temps  bien  moins  abondants  que  ceux  de  la  vallée  du 
Nil  et  que,  par  suite,  il  était  moins  aisé  de  s'exercer. 

A  peine  compte-t-on  aujourd'hui,  en  Europe,  quatre  ou  cinq 
de  ces  savants  dont  l'opinion  fasse  autorité  et,  parmi  eux,  est 
Y.  Scheil  que  j'ai  la  bonne  fortune  et  l'honneur  d'avoir  pour  colla- 
borateur dans  mes  travaux  en  Perse.  Son  nom  restera  à  jamais 
attaché  à  sa  magistrale  traduction  des  lois  de  Hammourabi  (2)  et 
au  déchiffrement  des  textes  élamites  (3),  tour  de  force  accompli 
sans  l'aide  d'un  bilingue. 

Pour  les  époques  qui  suivent  le  cinquième  siècle  avant  Jésus- 
Christ,  nous  sommes  peut-être  moins  riches  en  documents  épigra- 
phiques  (ù)  ;  mais,  jusqu'à  notre  ère,  les  historiens  se  contrôlent 
les  uns  les  autres,  tandis  que  l'épigraphie  et  la  numismatique 
viennent  corroborer  leurs  assertions. 

C'est  pour  cette  époque  que  le  champ  est  le  plus  largement 
ouvert  à  la  critique;  parce  qu'elle  est  celle  pour  laquelle  les 
renseignements  sont  les  plus  nombreux.  Mais,  là  encore,  on  est,  à 
mon  sens,  tombé  dans  un  excès  en  portant  l'hellénisme  si  haut 
qu'il  écrasa  longtemps  toutes  les  autres  branches  de  l'histoire. 
Certes  lesGiecs  méritent  une  très  grande  place  parmi  les  peuples 

(1)  L'inscription  cuiiriforme  la  plus  moderne  (i)  Cf.  V.   Scheil.  iUf'/n.  (/e  la  Déléy.en  Perxc^ 

connue  jusqu'ici,  porte    le  nom  tlu  roi  P.'irlhe  t.  IV. 

Pacorus(77-lll  ap.  J.-C  ),  contemporain  de  l'em-  (.3)  Cf.  V.  Scheil,  Mém.  de  la  Délég.  en  Perse. 

pereur  Trajan  (Cf.  J.  Oppert.  Mélanges  dAr-  t.  IH,  1901;  V,  1904;  IX,  1907. 

rhéologie  égyptienne  et  assyrienne,  t.  Lpp-  33-  (4)  Les  textes  lapidaires  très  nombreux  sonl 

29).  beaucoup  moins  longs  et  importants. 


DES     SOURCES     DE     LA     PKÉllISTOIUE     ET     DE     LIIISTOIIŒ         37 

auxquels  nous  devous  la  civilisation  ;  mais  ils  ne  sont  pas  seuls 
dans  les  temps  qui  précédèrent  la  prépondérance  romaine  et  ils 
ne  sont  pas  les  auteurs  de  tous  les  progiès.  Leur  rôle  politique, 
jusqu'à  l'entrée  en  scène  d'Alexandre  III,  n'est,  en  somme,  que 
très  secondaire. 

Cette  tendance  s'explique  par  ce  fait  que  les  études  grecques, 
plus  abordables  que  celles  des  langues  orientales,  ont  été  dans 
tous  les  pays  européens  très  suivies  depuis  jjlusieurs  centaines 
d'années;  que  les  hellénistes  étant  très  nombieux  et  comme 
presque  tous  les  philologues,  souvent  quelque  j)eu  (exclusifs,  ont 
donné  aux  Hellènes  une  position  trop  importante  pour  le  rôle 
<|u'a  joué  cette  famille  jusqu'au  quatrième  siècle  avant  J.-C. 

Ainsi,  fréquemment  l'histoire  s'étend  sur  les  faits  et  gestes  d'in- 
signifiantes petites  bourgades  grecques;  alors  que  des  actes  très 
importants  du  monde  oriental  sont  presque  passés  sous  silence. 
Cette  tendance  à  l'exagération,  très  humaine  d'ailleurs,  est  du 
même  ordre  d'idées  que  celle  qui  fit  attribuer  au  peuple  juif  une 
importance  prépondérante  dans  la  haute  antiquité. 

Je  ne  parlerai  pas  des  textes  hindous,  kmères,  chinois,  etc.; 
ils  font  l'objet  d'études  tout  aussi  suivies  que  Tégvptien  et 
l'assyrien  et  apportent  chaque  jour  leur  contribution  à  l'avance- 
ment de  l'histoire  générale,  mais  ne  sont  j)as  de  grande  portée. 

De  l'Amérique,  malgré  l'extrême  abondance  des  inscrip- 
tions (1),  nous  ne  connaissons  rien;  bien  (|ue  des  philologues 
d'une  indiscutable  sagacité  eussent,  à  maintes  reprises,  tenté  le 
déchiffrement  des  hiéroglyphes  du  nouveau  monde  ;  c'est  que 
pour  ces  textes,  nous  ne  possédons  aucun  bilingue.  Le  fana- 
tisme religieux  des  Espagnols,  en  brûlant  les  archives  et  les  biblio- 
thèques du  Mexi([ue,  a  détruit  toutes  les  clefs  à  l'aide  desquelles 
ces  annales  pouvaient  être  interprétées.  Ce  crime  pèsera  tou- 
jours sur  le  souvenir  des  «  Conquistadores  ». 

Les  recherches  archéologiques  sont  de  beaucoup  celles  qui 
fournissent  les  données  les  plus  précieuses.  C'est  par  elles  que 


(1)  L'écriture   azièqiie  parait  avoir  été  com-  /'yl«/(V/(ii7e,  18'J1, p. 23).— Mission  scienlifiqiic  nu 

mune   aux  différentes    races,  Tollèques,  Clii-  Mexique  :  Rech.  Hi.il.  el   Arcliéol.,  pnlil.  s.  la 

chimèques,  Aztèques,  qui  ont  successivement  direction  de  E.-T.  Hamy-  I"  partie,  Hi>l<>irP... 

envahi   le    Mexique,    venant  du  Nord  el    qui  Paris.  181^5,  in-4.  Cf.  au  musée  du  Troradéro  le 

toutes  appartenaient    à   la   grande  famille  des  moulage  de  la  célèbre  tablette  du  Temple  ili- 

Naliuas;  elle   se   composait   d'images  peintes  la  Croix  à   Palenqué,    document   hiéroglyplii- 

ou   sculptées,  qu'accompagnaient    de    courtes  que  du  pius  li;iut  intérêt. 
légendes   (Cf.  Pu.  Bercjer,    Hist.    Ecriture  de 


:;ïi  LES     PItHMIÈRES     CIVILISATIONS 

nous  possédons  les  textes  contemporains  des  faits,  la  connais- 
sance des  monuments  et  ces  milliers  d'objets  qui,  par  leur  pré- 
sence, permettent  de  reconstituer  la  vie  intime  et  publique  aux 
diverses  époques  et  d'interpréter  les  récits  historiques. 

L'archéologie  est  une  science  des  plus  comj)liquées  ;  car  non 
seulement  elle  embrasse  tout  ce  qui  a  rapport  à  l'homme,  mais 
doit  étudier  aussi  les  phénomènes  naturels  ayant  influencé  sa  vie. 
(^n  la  peut  diviser  en  trois  parties  bien  distinctes  :  l exploration. 
Viîwention  et  l interprétation. 

L'exploration  est.  de  beaucoup,  la  phase  la  plus  ardue  dans  la 
tâche  de  l'archéologue;  car,/îe  devant  rien  abandonner  au  hasard,. 
il  doit,  par  des  études  préparatoires,  posséder  tout  ce  qui  se  sait 
sur  la  matière  à  laquelle  il  se  consacre  et  connaître  dans  ses  moin- 
dres détails,  et  à  tout  point  de  vue,  le  pays  qu'il  a  choisi  pour 
ses  recherches.  Ce  n'est  qu'à  la  suite  de  ces  études  approfondies, 
en  se  basant  sur  les  moindres  indices  judicieusement  interprétés, 
qu'il  sera  justifié  dans  l'attaque  d'un  site  antique. 

L'invention  (je  dis  invention  et  non  découverte,  parce  que  je 
n'admets  pas  comme  scientifique  les  découvertes  fortuites,  les 
trouvailles  qui  ne  sonl  que  des  aubaines  (1),  l'invention,  donc, 
résultante  de  l'exploration,  nécessite  des  travaux  de  fouilles  exi- 
geant, pour  être  bien  conduits,  des  études  préalables  spéciales 
sur  l'organisation  des  chantiers,  les  moyens  d'attaque,  l'évacua- 
tion des  déblais,  le  déblaiement  des  monuments,  etc.,  connais- 
sances dont,  généralement,  les  archéologues  ignorent  jusqu'aux 
premiers  éléments.  Elle  requiert  une  observation  minutieuse  et 
savante  des  conditions  dans  lesquelles  se  trouvent  les  choses, 
des  rapports  existant  entre  elles. 

L'invention  doit  être  le  résultat  de  calculs,  de  conclusions 
régulièrement  amenées  ;  et  il  est  aussi  déraisonnable  de  qualifier 
d'heureux  un  archéologue  parvenant  au  succès  par  des  moyens 
scientifiques,  que  d'attribuer  de  la  chance  à  l'astronome,  qui, 
par  ses  déductions  mathématiques,  découvre  une  planète. 

L'interprétation  qui,  jusqu'ici,  est  presque  toujours  demeurée 
entre  les  mains  des  savants  de  cabinet,  devrait,  elle  aussi,  rentrer 
dans  le  domaine  de  l'inventeur  ;  car,  connaissant  seul  toutes  les 

(1)  Les  momies  royales,  celles  des  prêtres  Bosco  Reale,  ceux  de  Kerlch,  el  tant  d'autres 

d'Ammon,  découvertes  par  des  fouilleurs  illi-  sonl  des  aubaines.  Ce  qui,  d'ailleurs,  n'a  pas 

cites  à    De'i'r  el  Rahri,  ont    été   signalées  par  empêché  les   archéologues  d  on    tirer  un  1res 

la  police  au  service  des  Antiquités;  le  trésor  de  grand  parti  scientifique.  (J    M.) 


DES    SOURCES     1>K     l, A    PRÉIHSTOIRE     Kl      DE    LlllSTOlRH         .^9 

circonstances  des  découvertes,  il  est  dans  les  ineilleuies  condi- 
tions pour  tirer  d'une  inscription  toutes  les  inloiniations  dont 
ce  document  est  capable. 

Ainsi,  Ihéoriquenient,  l'archéologue  deviail  posséder  toiiles 
les  sciences  dont  l'étude  de  rantiqnité  meta  |)ront  les  connais- 
sauces;  mais  pratiquement  il  ne  le  peut,  tant  sa  lâche  serait  vaste. 
Des  recherches  conduites  par  un  tel  homme  produiraient  le 
maximum  de  notions  et,  partant,  seraient  les  plus  prolilables  à 
l'histoire. 

Dans  la  léalite,  les  choses  ne  se  passent  pas  ainsi.  Presque 
toujours  les  mémoires  archéologiques  sont  écrits  par  des  personnes 
n'ayant  jamais  vu  les  pays  dont  elles  parlent;  décrivant  et  e.\|)li- 
quant  des  monuments  dont  elles  ne  connaissent  pas  les  affinités 
extérieures,  des  objets  qui  leur  parviennent  soit  de  chei-cheurs 
ignorants,  soit  même  par  le  commerce.  En  sorte  qu'il  se  débite, 
de  ce  fait,  une  foule  d'erreurs  fort  préjudiciables  à  la  science. 

C'est  afin  d'obvier  à  ces  graves  inconvénients  que  la  France  a 
fondé  ses  grandes  missions  permanentes  au  Caire,  à  Athènes,  à 
Home,  en  Peise,  en  Tunisie,  en  Indo-Chine,  et  qu'elle  envoie,  de 
par  le  monde,  tant  de  missions  temporaires.  L'Allemagne  a  suivi 
son  exemple;  aussi  ces  deux  pays  tiennent-ils  aujourd'hui  la  tète 
du  mouvement  archéologique  et  historique. 

Beaucoup  d'autres  en  sont  encore  à  l'étude  unique  des  objets 
venus  par  le  commerce.  Je  n'insisterai  pas  sur  la  confiance  que 
doivent  inspii'er  de  tels  documents  et  les  travaux  anx(|uels  ils 
servent  de  base. 

Il  était  jadis  de  bon  ton  parmi  les  savants  spécialistes  de 
négliger,  je  dirai  plus,  de  mépriser  tout  ce  qui  ne  rentrait  pas 
dans  leur  spécialité.  Cet  état  d'esprit,  néfaste  au  point  de  vue 
scientifique,  tend  aujourd'hui  à  disparaître.  On  com[)rend  mainte- 
nant que  le  spécialiste  n'est  autre  que  l'ouvrier  dans  la  construc- 
tion du  monument  dont  l'historien  est  l'architecte  et  que,  pour  ache- 
ver l'œuvre,  le  concours  de  tous  les  corps  de  métier  est  nécessaire. 

Il  s'en  faut  de  beaucoup  que  tous  les  pays  soient  également 
explorés  au  point  de  vue  archéologique.  Tous  ne  présentent  pas, 
il  est  vrai,  la  même  importance  historique  ;  mais  le  malheur  veut 
que  la  plupart  de  ceux  où  se  sont  développées  les  premières  civi- 
lisations, offrent  de  telles  conditions  que  les  recherches  y  sont 
pai'liculièrement  difficiles. 


!xO  LES    PREMIÈRES    CIVILISATR)NS 

Presque  toute  l'Asie  antérieure  est  dans  ce  cas  ;  les  communi- 
cations y  sont  pénibles,  souvent  même  dangereuses  et  l'adminis- 
tration du  pays  ne  possède  pas  grand  moyen  de  faire  elle-même 
les  études;  en  sorte  que  la  plupart  des  sites  antiques  sont  jour- 
nellement dévastés  sans  profit  scientifique  (1). 

Certainement  que,  malgré  ces  difficultés,  la  Chaldée,  grâce; 
à  l'inlassable  énergie  de  quelques  archéologues  (2),  a  déjà 
fourni  bien  des  enseignements  ;  mais  combien  elle  a  été  peu 
inexplorée  par  rapport  à  l'Egypte,  à  la  Grèce,  à  l'Itaie!  et  encore 
ce  que  nous  connaissons  d'elle  aujourd'hui  provient-il  en  majeure 
partie  de  travaux  effectués  sur  le  sol  persan  ! 

L'archéologie  de  l'Iran  est  depuis  dix  ans  confiée  à  la  France, 
La  Perse  est  aujourd'hui  un  pays  ouvert.  Je  n'insisterai  pas  sur 
les  résultats  obtenus  dans  ces  premières  années  de  fouilles,  tant 
dans  le  Sud  que  dans  le  Nord  du  pays. 

L'Afghanistan,  l'ancienne  Bactriane,  est  absolument  fermé.  Il 
en  est  de  même  pour  l'Arabie,  la  Chine  (3),  l'Asie  centrale  où  les 
voyageurs  ont  peine  à  pénétrer.  Ces  pays  n'ont  encore  fourni  que 
bien  peu  d'indications.  Mais  l'Asie  orientale  importe  moins;  car, 
ayant  vécu  retirée  de  la  politique  générale, elle  n'entre,  semble-t-il, 
pour  rien  dans  les  origines  de  la  grande  civilisation. 

Quant  aux  autres  contrées,  toutes  sont  phis  ou  moins  ouvertes 
à  la  science;  elles  ont  été  étudiées  depuis  longtemps  et  ont  fait 
l'objet  de  travaux  considérables.  Toutefois,  dans  l'état  de  nos  con- 
naissances, sur  chacune  d'elles,  sont  bien  des  degrés;  car  pour 
certaines,  les  études  ne  font  que  débuter,  tandis  que  pour  d'autres, 
elles  sont  déjà  vieilles  de  plusieurs  siècles. 

Je  citerai  en  première  ligne  l'Egypte  (/|),  la  Grèce  (5),  l'Ita- 
lie (6),  l'Algérie  et  la  Tunisie  (7j,  la  France,  la  Suisse,  l'Allemagne, 

(1)  D'après  les  anciens  règlements  turcs,  lar-  la  ivligion  (jiii  ditend  de  toucher  aux  toni- 
chéologue  désireux  de  faire  des  fouilles  devait        beaux. 

d'abord  déposerune  caution,  puis  prendre  avec  {il  Les  règlements  égyptiens  sur  les  fouilles 

lui  à   ses  frais  un  surveillant  auquelil  payait  archéologiques  encourageant  les  archéologues 

500  francs  par    mois.  Tous  les    objets  décou-  et  leur  faisant  une  large  part  dans  leurs  décou 

verts  étaient,  au  fureta  mesure  des  fouilles,  vertes  enrichissent  chaque   année   le    Musée 

saisis  et  expédiésau  Musée  de  Constanlinople.  du  Caire  et  permettent   l'exploilalion  scienti- 

n  en  résulte  que  la   majeure  partie    des  res-  fique  des  sites  antiques  (lui  sans  ces  travaux, 

sources  de    larchéologue  étaient  mangées  en  seraient  dévastés  par  les  fellahs, 

frais  généraux  et  qu'il    n'avait  droit    à  aucun  (5)  Les  règlements  grecs,  extrêmement  oné- 

prodtiit  de  son  travail    De  là  provient  que   le  reux    pour  le  fouilleur,  ne  lui  laissent  la  pos- 

sol  turc  n  est  presque  pas  exploré  scientifique-  session  d'aucun  objet. 

ment,  mais  a  été  dévasté   par  les  indigènes.  11  (6)  L  Italie,  qui    laisse   libres  les  recherches 

en  est  de  même  pour  la  Cyrena'ique.  (J.  M.)  arcliéologiques,  ne  se  réserve  qu'un  droit  de 

(2)  I-oflus,  Taylor,  Place,  Layard,  Oppert,  préemption  lors  de  l'exportation  des  objets, 
de  Sarzec,  etc.  (7)  Où  la  France  entreli<!nt  un  service  régu- 

(3)  En  Chine,  les  fouilles  sont  interdites  par  lier  des  Antiquités. 


UFJS    SOURCES     DE    LA     PRÉHISTOIRE     ET     DE     l/mSTOIHE         /|  | 

l'Autriche,  les  iles  Biitaunicjues,  les  pays  Scandinaves,  les  États- 
llnis  d'Amérique  du  Nord '1);  contrées  dans  lesquelles  il  y  a  certes 
encore  bien  des  découvertes  à  faire;  mais  qui  tiennent  la  tête  du 
mouvement  archéologique. 

Viennent  ensuite  la  Tur([uie,  les  Eialkans,  le  bas  Danube,  la 
Russie  (2),  ri^spagne,  le  Portugal,  le  Japon,  les  Indes,  les  colonies 
anglaises,  françaises,  hollandaises,  le  Mexique,  l'Amérique  cen- 
trale, le  Chili,  le  Pérou  (3),  bien  peu  explorés. 

Enfin  tous  les  autres  pays  du  monde  sont  encore  presque 
fermés,  soit  |)ar  des  difficultés  naturelles,  soit  par  la  mauvaise 
volonté,  la  jalousie,  la  cupidité  ou  l'incurie  des  populations  (jiii 
les  habitent. 

Parmi  les  pays  demi-ouverts  aux  recherches,  il  en  est  qui  soni 
plus  ou  moins  favorables  aux  savants.  11  en  est  aussi  qui,  se 
réservant  les  travaux,  ne  possèdent  ni  les  moyens  scientifiques,  ni 
les  ressources  matérielles  pour  les  eOéctuer. 

Ces  entraves  ne  sont  |)as  seuleihent  un  retard  apporté  dans 
l'avancement  de  la  science;  c'est  pour  elle  un  préjudice  énorme. 
Car,  durant  ce  temps,  les  sites  antiques  sont,  dans  un  but  vénal, 
pillés  par  des  mains  indignes  (4).  et  ainsi,  les  documents  se  per- 
dent sans  espoir  d'être  jamais  relruiivés. 

Nous  connaissons  donc  aujourd'hui  les  pays  où  se  sont  pro- 
<luits  les  effets;  tandis  que  ceux  c|ui  sont  le  théâtre  des  causes 
restent  encore  bien  peu  étudiés.  Deux  régions  surtout  oUreiit 
un  intérêt  capital  :  l'Arabie,  la  Clialdée  et  toute  l'Asie  anté- 
rieure, en  ce  qui  concerne  l'évolution  sémitique.  L'Altaï,  le 
Pamir,  l'Afghanistan  et  la  Transcaspienne  en  ce  qui  regarde  l'ori- 
gine  des   peuples  aryens.    L'histoire   des   autres    contrées  n'est 

(1)  En  France.  Suisse,  Allemagne,  Autriche-  à  conslruirc    la  maison  d  un  pacha,  les  infî«' 

Hongrie, Scandinavie. Granrie-Bielajinc.Elals-  nieurs  du  canal  de  Suez  ont  brisé  à  la  poudre 

Unis,  les    fouilles    peuvent   être    considérées  une    stèle   quadrilingue  achéménide,  presque 

comme  libres.  loiiles  les   nécropoles    ont   été  dévastées.  En 

(i)  En  Ru  isie  les  fouilles  sont  prohibées.  Le  Syrie,  les  sépultures  phéniciennes  sont  en 
monopole  en  appartient  à  la  Socielé  russe  core  e.xploitées.  En  Chaldée,  rVrcdeClesi- 
•rArchéologie  qui  ne  fait  rpie  d'insignilianls  plion  a  été.  dans  les  dernières  années,  en  par- 
travaux,  t'^'  <lémoli  pour  construire  une  école  à  laide  de 

(;j)  Les  nécropoles  <lc  l'Amérique  centrale  cl  ses    matériaux.   Tous  les  tells  soni  lobjel  de 

méridionale  ont  été  exploitées  pour  la  recher-  fouilles  clandestines.  En  Perse,  il  se  donne  de 

elle    des    méuiux     précieux    quelles    renfer-  vérilablesconccssions  de  terrains  anliquesqui. 

maient.  parla  vages,  produisent  des  métaux  précieux 

(i,  Ucstpeu  de  paysdOrient  dont  les  An-  Dans  le  Caucase   et   le  Talyche,  les   indigènes 

tiquilés  ne  soient  <lévaslées  et  les  monuments  exploitent  les  anciens  tombeaux  pour  vendrr 

détruits   dans  un  bul  vénal    En  Egypie.  avant  au  poi.ls  les    métaux   qu'ils  y  trouvent.  naii> 

les  nouveaux  règlements,  le  Temple  d'Ermenl  pres(|ue  tous    les     pays    il    se    pra.i(|ue    de- 

a  fait  les  frais  de  la  conslruclion  dune  sucre-  fouilles  dont  le  produit  alimenie  d'antiquités 

j-ie    voisine,  le  temple    d'Eléphanline  a  servi  les  marchés  d  Europe. 


Il2  LES     I^IÎEMIÈRES     ClVILISATIONy 

({u'accessoire  par  rapport  à  celle  de  ces  foyers  d'où  est  sorti  le 
monde  moderne. 

Quant  à  l'ancienne  rédaction  de  l'histoire  elle-même,  à  l'es- 
prit des  textes  antiques  que  nous  tenons  à  notre  disposition,  la 
eiitique  la  plus  sévère  est  de  rigueur;  car,  presque  toujours,  les 
faits  sont  présentés  avec  un  parti  pris  fort  nuisible  au  jugement 
impartial  de  celui  qui  consulte  ces  sources. 

Pour  certains  historieus  il  n'existe  que  les  grands  hommes; 
pour  d'autres,  les  personnalités  disparaissent  devant  les  ten- 
dances des  peuples  qu'elles  conduisent,  devant  les  croyances 
religieuses,  ou  devant  toute  autre  force  dont  l'affirination  est 
pensée  dominante  chez  l'auteur. 

Sans  partager  le  sentiment  de  ceux  des  écrivains  modernes  (1) 
qui  ne  voient  dans  l'histoire  que  des  héros,  nous  devons  cepen- 
dant reconnaître  que  c'est  surtout  [)ar  les  souverains  que  les 
annales  se  manifestent  ;  que  les  grands  hommes  personnifient,  en 
les  exagérant  souvent,  les  qualités  et  les  défauts  de  leurs  sujets 
et  que,  par  suite,  ils  fournissent  les  meilleures  indications  sur  lé 
caractère  des  peuples;  éléments  d'appréciation  qui,  la  plupart  du 
temps,  nous  manqueraient  sans  eux.  Quelle  description,  en  efiet, 
est  capable  de  mieux  caractériser  les  Assyriens  qu'une  |)age  des 
fastes  de  Sennachérib  ou  d'Assourbanipal  ;  de  faire  mieux  com- 
prendre les  Perses  que  le  récit  d'Hérodote  sur  les  règnes  de 
Darius  ou  d'Artaxerxès,  la  Grèce  conquérante  que  la  vie 
d'Alexandre,  la  puissance  impériale  romaine  que  les  règnes 
d'Auguste  ou  de  Trajan? 

Les  peuples  eux-mêmes,  ouvriers  de  la  civilisation,  c'est  sur  leur 
compte  que  généralement  les  annalistes  s'étendent  le  moius,  con- 
sidérant leurs  efforts  comme  d'intérêt  secondaire  (•>)  ;  alors  que 
le  plus  souvent  les  actes  des  souverains  n'ont  été  que  l'exécution 
plus  ou  nu)ins  consciente  des  désirs  et  des  volontés  de  leurs 
sujets,  (juele  rollet  diin  état  général  des  esprits. 

La  plupart  des  grands  despotes  ne  doivent  être  considérés 
(|ue  comme  les  représentants  de  la  pensée  des  peuples,  les  uns 
ne  dépassant  pas  les  limites  des  volontés  nationales  ;  les  autres 
entraînant  leurs    sujets  dans   l'exagération  de  leurs    tendances; 

(1)   Cf.   Renan,  Dialogues  philosophiques.  —  {i)  Nihil  lani   inesHmabile   qunm   animi  mnl- 

*: <ini.vi.E,  On  heroes.hero'worship  and  Ihc  heroir  litudinis  tTirs-LivE,  Annales,   XXXI,  31)  Plebi 

in  hislort;.  —  CocstN,   Hist.    f.V    /.(  Philosophie  non  jndicium,    non    Veritas   (Tacite,   Uisl.,    1, 

nimlerne,  elo.  32/. 


DES     SOURCES     DE     LA     l'HÉIIISTOIHi:     i:i'     DE     I/IIISTOIIU;         '|.S 

mais  presque  tous,  j)ai-  désir  de  conservation  de  leur  trône, 
ont  cherché  à  les  guider  dans  le  progrès.  Quant  à  ceux  qu'il 
semblerait  même  inutile  de  citer  dans  l'histoire,  leur  sommeil 
politique  correspondait  bien  souvent  à  celui  de  leur  peuple,  et 
nous  seiions  mal  avisés  de  ne  pas  tirer  de  leur  inactivité  les  con- 
clusions qu'elles  comportent.  Les  grands  génies  ont  été  rares 
parmi  les  rois  de  l'Oiient  antique;  quant  aux  souverains  plus 
modestes, ce  n'est  pas  leur  individualité,  souvent  misérable,  qu'il 
faut  envisager;  mais  les  temps  qu'ils  représentent. 

Les  religions  étaient  pour  les  peuples  antiques  le  miroir-  de 
l'ame;  car  on  faisait  alors  son  dieu  à  sa  j)ropre  image,  lui  allribuanl 
ses  qualités  personnelles,  ses  défauts,  voire  même  ses  vices  ;  et 
il  en  était  de  même  pour  les  lois  profanes. 

C'est  avec  l'aide  de  ces  données,  et  en  y  joignant  celles  que 
fournissent  les  observations  archéologiques,  que  nous  devons 
dégager  l'histoire  de  l'évolution,  des  annales  anecdotiques.  Mais, 
je  ne  saurais  trop  le  répéter  :  si,  théoriquement,  la  méthode  est 
simple,  elle  se  complique,  dans  la  mise  en  pratique,  par  suite 
d'une  foule  d'incertitudes  dues  au  langage  généralement  tendan- 
cieux des  documents  sur  lesquels  nous  avons  à  nous  appuyer. 
Quelle  qu'eu  soit  la  nature,  quelle  qu'en  soit  l'époque,  rarement 
ces  écrits  sont  sincères. 


CHAPITRE  II 


Les  origines.  —  Les  temps  tertiaires. 


Nous  ne  connaissons  rien  des  origines  nalurelles  de  rhomme(l): 
de  même  que  nous  ignorons  comment  ont  pris  naissance  les 
divers  groupes  zoologiques  auxquels,  pour  lixer  les  résultats  de 
nos  observations,  nous  donnons  le  nom  de  familles,  genres, 
espèces,  variétés,  formes  ;  appliquant,  pour  aider  et  satisfaire 
notre  esprit,  une  nomenclature  entièrement  artificielle. 

L'apparition  de  l'homme,  en  tant  que  représentant  d'un  groupe 
zoologique,  est  expliquée  par  la  création  dans  les  philosophies 
religieuses  (2)  ;  par  la  génération  spontanée  (3)  et  le  transformisme 
dans  les  écoles  du  stoïcisme  et  les  systèmes  qui  en  dérivent  (Ti). 


(1)  "  La  question  suprême  pour  l'humanité, 
le  problème  qui  est  la  base  de  tous  les  autres, 
et  qui  nous  intéresse  plus  prorondénient  qu'au- 
cun autre,  est  la  détermination  de  la  place  que 
l'homme  occupe  dans  la  nature  et  de  ses  rela- 
tions avec  l'ensemble  des  choses.  »  (Th.  Hux- 
ley, Evidence  us  lo  maiïs  place  in  nalurc. 
Londres.  1863  Trad.  fr.  Paris,  1868.) 

1,2)  D'après  les  e.\égètes  bibliques,  les  dates 
de  la  «  Création  du  Monde  »  sont  les  suivan- 
tes :  3761  ans  avant  notre  ère,  pour  les  Juifs 
modernes  ;  3'JôO  pour  Scaliger  (1583)  ;  3983  pour 
Pétau  (contemporain  de  Scaliger);  4ii04  pour 
Usher  (1650),  date  acceptée  par  Bossuel, 
P.ollin,  etc.  ;  4138  pour  Clinton  (1819)  ;  4963 
poui'  l'Aride  vérifier  les  dates  (1819)  ;  6U00  pour 
Suidas;  6310  pour  Onuphrius  Panvinus,  enfin 
6984  pour  les  tables  alphonsines. 

•  Le  nombre  va  toujours  dimi.iuant  des  es- 
j)rils  étroits  et  insuffisamment  éclairés,  qui  se 
croient  obligés  de  défendre  comme  un  dogme 
le  système  des  400i  ans  de  la  création  à  Jésus- 
Christ.  »  (Fr.  Lenormant,  les  Orir/ines  de  l'His- 
loin;  t.  L  p.  -273,  note  i.) 


Sur  les  récits  cosmogoniques  chaldéens,  Cf. 
G.  Smith,  Clialdean  Account  of  Genesis,  p.  6-J, 
sq  —  Delitzsch,  G.  Smith  Chaldœische  Gene- 
s/v,  pp.  :294-298.  —  J.  Oppert  et  E.  Ledrain. 
Histoire  d'Israël,  t.  L  p  411,  sq.  —  A. -H.  Sayce, 
Hecords  of  the  past.,  t.  IX,  p.  109,  sq  Sur  ceux 
de  la  Phénicie,  Cf.  Fn  Lenorma.nt.  les  Origi- 
nes de  rilisloire.  t.  I,  p.  '>'i-2,  sq. 

(3)  La  faillite  du  bulhubius  ou  protoplasma. 
substance,  disait-on,  vivante,  et  dont  l'analysf 
chimique  a  fait  justice,  ne  doit  certainemunl 
pas  arrèler  les  études  dans  ce  sens,  mais  en- 
gage à  la  prudence.  La  dédicace  pompeuse 
qu'on  avait  faite  de  ce  corps  au  professeur 
Uaeckel,  la  conception  théorique  du  protu- 
bathybius  n'ont  laissé  ipiune  impression  de 
profond  ridicule  (J.  M.) 

(4)  Voici  l'ascendance  (|ue  nous  assigne  Er- 
nest Haeckel  (Origines  de  l  homme.  Trad.  fran- 
çaise, p.  45)  ;  1"  Homo  sapiens;  i"  Homo  slapi- 
dus;  A"  Pilhecanlhropus  alalus^i'  Protliylobales 
alaviis;  b"  Archipithecus  ;  6°  Neucrolemwes: 
1"  Lemurauida  <Pachy lémures);  8°  Archiprimas 
{Prochoriata),  foime  îincestrale  hypothétique. 


LES    ORIGINKS  /i5 

«  Nous  savons  à  n'eu  pas  douter,  dit  ()nahefages  '1), qu'envisagé 
au  point  de  vue  analomique  et  physiologique,  i'iiomme  n'est 
autre  chose  qu'un  mammifère,  rien  de  plus,  rien  de  moins.  Dès 
([ue  les  mammifères  ont  pu  vivre  à  la  surface  du  globe,  l'homme 
a  pu  y  vivre  avec  eux.  » 

UIJomo  {Piihecanlhropus  !  alalus,  privé  encore  de  la  parole, 
VHomo  stiipidus  d'IIaeckel,  les  Ani/irojwpiihecus  Bourgeoisi  et 
Ribeiroi  de  Mortillet  sont  des  êtres  hypothétiques,  dont  l'existence 
ne  repose  (|ue  sur  des  suppositions  sans  bases  scientifiques  pré- 
cises. Cette  théorie  implique  l'unité  originelle  de  l'espèce  hu- 
maine; ce  (jui  semble  vrai  pour  les  races  vivant  aujourd'hui,  mais 
peut  aussi  ne  pas  l'avoir  été  pour  d'autres  disparues. 

Ces  hypothèses,  dont  la  gratuité  ne  fait  absolument  aucun 
doute,  ont  cependant  pris,  dans  la  pensée  de  beaucoup,  la  valeur 
d'axiomes  sur  lesquels  s'échafaudèrent,  en  ces  dernières  années, 
nombre  de  théories  où  la  fantaisie  tient  lieu  de  raisonnement 
scientifique  (2).  Il  no  manque  pas  de  savants,  ou  de  soi-disant 
tels,  qui  considèrent  le  Pithecanthropus  comme  notre  ancêtre  ; 
alors  que  rien  ne  prouve  cette  ascendance  ;  (ju'aucune  donnée 
ne  permet  d'affirmer  que  cet  être  fut  une  forme  ancestrale  de 
l'homme;  qu'il  est  apparenté,  même  d'une  façon  très  éloignée,  à 
notre  espèce  (3). 

Darwin  ('i),  bien  qu'adoptant  en  général  les  idées  de  son  dis- 
ciple allemand,  admettait  comme  possible  que  la  transformation  du 
singe  en  homme,  en  tant  qu'annoncée  par  la  perte  de  la  fourrure 
primitive,  pouvait  remonter  jusqu'aux  temps  éocènes. 

Wallace  (5),  plus  réservé,  a  reporté  vers  le  milieu  de  l'époque 
tertiaire  le  moment  où  un  singe  indéterminé  atteignit  la  forme 
humaine,  à  la  suite  d'évolutions  morphologiques  multiples  (6)  ;  et 
bien  d'autres, dont  les  travaux  sont  appréciés  par  les  penseurs  super- 
ficiels, n'ont  pas   craint  de  se  lancer  dans  cette  voie,  sans  songer 


1)  Hommes  (ossilcset  Hommes  sauvages.  Pai'i^,  rattril)iilion  de  mes  documents  à  un  livre  donl 

1884,  p.  15.  ainsi  je  semble  approuver  les  absurdités  et  le- 

(2)  Cf.   entre   autres    El.  Reclus  qui,  dans  folies.  (J.  M.) 

l'Homme   et    la  Terre,   a    poussé  les  choses  à  {3)    Une  autre  théorie  tend  à  considérer  les 

le-xtrême  ridicule.  Il  va  jusqu'à  considérer  les  Simiens  comme  des  branches  dégénérées  de  la 

animaux    domestiques    (se   basant    sur    leurs  race  humaine.  Cf.   J.-II.-F.    Kohlurugge,   Die 

perfectionnements»   comme     des    candidats  à  Morphologische    Abslammung     des    Menschen. 

l'humanité  Ce  livre  renferme  bon  nombre  d'il-  Stuttgart,  1908 

luslralions    prises    dans    mes    ouvrages    par  (4)  La  De.scc/u/a'ice  Jfi /'/7omme,  1872,  p.  115. 

suite  de    la  gratuité  et    de    la  liberté  absolue  (5)  Contrih.  to  llic  Iheorg  of  .\alural  sélect.  .\ 

que  j'ai  laissées  jusqu'ici   de  puiser  datis  mes  Séries  of  essays.  Londres,  1870,  ch.  IX. 

|)ublications.   Je    prolestc    hautement   contre  (6)  Cf.  de  Quatiiefages,  op.d/. 


46  LH^     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

({lie  le  terrain  réellement  scientifique  faisait  défaut  sous  leurs  pieds. 

Ces  assertions  manqueront  peut-être  toujours  de  bases  posi- 
tives; mais  on  ne  saurait  condamnera  l'avance  ces  recherches: 
car  la  science  a  le  devoir  d'examiner  impartialement  toutes  les 
hypothèses,  sous  quelque  forme  qu'elles  se  présentent. 

L'apparition  de  l'homme  sur  le  globe,  envisagée  indépendam- 
ment du  système  adopté,  esta  coup  sûr  prodigieusement  ancienne. 
Quant  à  l'histoire  du  développement  de  son  esprit,  elle  se  par- 
tage en  deux  périodes  bien  distinctes;  celle  où  l'homme  ne  con- 
naissait pas  l'écriture  et  celle  où,  ayant  trouvé  le  moyen  de  fixer 
matériellement  sa  pensée,  cet  homme  s'est  trouvé  à  même  de 
transmettre  à  ses  descendants  l'exposé  de  ses  conceptions  et  le 
récit  de  ses  actes. 

Cette  dernière  période  est  extrêmement  courte  par  rapport  à 
la  durée  de  celle  qui  l'a  précédée  et,  bien  qu'aucun  moyen  ne 
permette  d'évaluer,  même  approximativement,  l'étendue  des 
temps  antérieurs  à  l'histoire,  ils  nous  apparaissent  comme  ayant 
été  très  longs. 

L'histoire  ne  débute  pas  en  même  temps  dans  tous  les  lieux, 
loin  de  là  ;  comme  il  en  advient  pour  toutes  les  notions  intellec- 
tuelles, il  s'est  formé  des  foyers,  des  centres  ;  grâce  à  des  circons- 
tances privilégiées,  à  des  incidents  occasionnels,  à  la  supériorité 
de  certaines  races,  de  certains  groupes  sur  les  autres. 

De  ces  foyers,  la  science  de  l'écriture,  base  de  l'histoire,  s'est 
répandue,  rapidement  dans  certaines  régions,  lentement  dans 
d'autres  ;  suivant  que  la  civilisation  rencontrait  des  milieux  plus 
ou  moins  aptes  à  la  recevoir. 

Suivant  l'école  transformiste,  l'homme  primitif,  celui  qui  le  pre- 
mier foula  le  sol  de  notre  globe,  avait  bien  en  lui  les  éléments  de  la 
mémoire,  de  la  parole  et  des  autres  facultés  qui  le  placent  aujour- 
d'hui à  la  tête  du  monde  animal;  mais  ces  aptitudes,  tout  en  faisant 
de  lui  un  être  très  supérieur,  n'en  faisaient  pas  encore  l'homme. 

Réparti  sur  tous  les  points  habitables  de  la  terre,  vivant  en 
bandes,  sortes  de  troupeaux,  plutôt  qu'en  tribus,  il  aurait  cultivé 
peu  à  peu  son  intelligence,  sa  faculté  de  parler;  chaque  jour  évo- 
luant séparément  suivant  les  nécessités  de  son  existence;  et, peu  à 
peu,  iY Homo  slupidus,  il  serait  devenu  Homo  sapiens  (1), 

(1)  »  Les  fonctions  physiologiques  de  Torga-        livilé  spirituelle,   ou    plus  simplement  dame, 
nisme,  que  nous  réunissons  sous  le  nom  d'oc-       sont  commandées  chez  l'homme  parles  même-- 


LES    OHIGINKS 


M 


Il  est  scienti(i(juemenl  im|)ossible  de  dire  si  l'homme  vinl  sur 
la  terre  (1)  type  unique  (2)  ou  s'il  ajjpaïut,  types  multiples,  pos- 
sédant déjà  des  caractères  spécialement  appropriés  aux  milieux 
dans  lesquels  ces  divers  types  devaient  vivre. 

Quoi  qu'il  en  soit,  un  homme  de  type  unique  eût-il  été  versé 
sur  l'écorce  terrestre  (3),  que  rapidement  sa  descendance  se  serait 
modifiée,  en  raison  des  conditions  variables  de  la  vie  sur  les 
divers  points  du  globe  (1). 

L'espèce  humaine  actuelle  est  une  ;  car  ses  diverses  variétés 
peuvent  se  mélanger  et  procréer  une  descendance  indéfinie 
Doit-on  penser  que  toujours  elle  a  été  une  ?  non;  car  on  peut  sup- 
poser la  pluralité  des  espèces  humaines,  eu  admettant  que  les 
espèces  inférieures  soient  disparues  devant  c(>lle  ([ui  aujourd'hui 
occupe  la  terre  (5). 

Ne  voyons-nous  pas,  de  nos  jours,  les  races  lortes  extcrminei- 
jusqu'aux  derniers  représentants  des  laces  faibles  et  ceci  se  pro- 
duire dans  une  même  espèce  humaine  (6)  ? 

Quant  à  l'ancienneté  de  l'homme,  elle  est,  depuis  cent  ans 
environ,   l'objet  de    travaux  considérables  f7  .    Quelques   siècles 


phénomènes  mécaniques  .;physiques  cl  chi- 
miques) que  chez  le-<  autres  vertébrés.  » 
E.  HAECKEL,Or/^iie  de //iomme.Trad.  française, 
p.  i!,  note  9.) 

(1)  Parmi  les  nombreuses  hypothèses  émises 
au  sujet  des  origines  de  la  race  humaine  et  de 
ses  migrations,  lune  des  plus  curieuses, et  en 
même  temps  des  moins  fondées,  est  celle  du 
centre  unique  situé  dans  le  grand  massif  mon- 
tagneux de  l'Asie  centrale,  qui  pendant  long- 
temps passa  pour  avoir  été  le  berceau  du 
genre  humain.  Cette  thèse  est  fort  bien  résu 
méc  par  E.  de  Ujfalvv  (Migrations  des  peu- 
ples, l'aris  1873)  et  plus  spécialement  dans  la 
carte  accompagnant  cet  ouvrage  (Migralion 
des  peuples  depuis  le  moment  oii  ils  quittirenl 
le  Plateau  Central,  leur  premier  séjour,  d'après 
M.  DE  Hauslalb  •■).On  remarquera  que  lespays 
recouverts  rie  hachures  sur  cette  carte,  répon- 
dant dans  la  pensée  de  l'auteur  au  berceau  de 
l'humanité,  sont  précisément  ceu.x  qui,  aux 
temps  quaternaires,  étant  couverts  de  glaces, 
se  trouvaient  être  inhabitables.  (J.  M). 

[i)  Sur  le  monogénisme  et  le  polygénisme, 
consulter  :  Abel  Hovelacque  et  Georges 
Hervé,  Précis  d'Anthropologie.  Paris,  1887, 
chap.  IV,  p.  120,  sq.  —  A.  Dësmouli.ns,  Hist. 
nal.  des  races  liumaines. 

(■{)  La  tradition  sémitique  localisant  dans  la 
Chaldée  le  Gan-Edcn  ou  Paradis  terrestre, 
n'a  rien  qui  doive  surprendre;  car  ce  pays  était, 
«le  tout  le  monde  connu  d'alors,  le  plus  plan- 
lui'cux,  et  les  Sémites  d'Arabie  qui  l'abordèrent 
et  s'y  fixèrent  conservèrent  dans  leur  esprit 
la  comparaison  entre  l'aridité  des  rives  du  golfe 
Persiqueet  la  richesse  de  la  Babylonie  M.'M.  . 


Fr.  Lenormant  [Uisl  de  l'Orient,  9"  éd., 
18.S1,  t.  I,  pp.  98  et  99)  place  dans  le  Pamir  le 
Gan-Edcn  de  la  Genèse  et  l' Aryana-V-sprija  de 
l'AvesIa,  et  en  fait  le  berceau  de  riiumanilé 
post-diluviennc.  On  remarquera  que  le  ber- 
ceau de  l'humanité  ne  peut  être  pour  les 
Hébreu.x  le  même  (|ue  j)our  les  Indo-Euro- 
péens,  chacune  de  ces  familles  ne  s'élant 
souciée  que  de  1  origine  de  sa  propre  race.  En- 
suite que  le  point  choisi,  le  Pamir,  a  toujours 
été  depuis  les  temps  glaciaires  l'un  des  poiiils 
de  l'Asie  les  moins  habitables.  (J   M.) 

(4)  L'envahissement  des  deu.x  Amériques, d<' 
l'Australie, de  la  Nouvelle  Zélande  par  les  Eu- 
ropéens, est  de  (laie  loule  récente  et  cepen- 
dant déjà  l'on  i)cut  constater  des  différence-; 
sensibles  entre  les  populations  émigrées  et 
celles  de  même  race  (jui  sont  demeurées  dan-- 
le  vieux  monde. 

(5)  Déjà  les  Aryens,  depuis  les  temps  hislo- 
riques,  ont  fait  disparaître  une  foule  de  peuples 
anaryens.  Leurs  progrès  actuels  sont  si  rapides, 
l'accroissement  de  leur  nombre  si  grand,  qu'il 
est  à  prévoir  (pie,  dans  quelques  milleniums.  il 
n'existera  plus  sur  le  globe  que  des  Aryens. mé- 
tissés des  autres  races  fond u es  avec  eux. (J.  M. 

(6)  Cf.  J.-E.  Cai.i.er,  of  Ilobard-Town.  Ac- 
count of  the  war  of  extii-pation  and  babils  nf 
the  native  tribes  of  Tasmania.  in  Journ.  ofthe 
Anlhrop.  Insl.  of  Greal  Bri'ain  et  Ireland.  1874. 
t  in,  p.  8.  —  A.  de  Quathefaces,  Hommes  fos- 
siles et  Hommes  saui'uges,  1884.  p.  357,  sq. 

(7)  L'un  des  plus  importants  est  sans  contre 
dit  celui  de  f.u.  Lyell,  Tlie  Antiquily  of  Man 
I  London,  4'  éd.,  1.873),  auquel  j'iuirai  frèquetu- 
meni  recours. 


LKS    OHir.INES  !i9 

avant  nous,  les  exégètcs  hijjliques  faisaient  remonter  à  7.000  ans 
au  plus  la  création  du  monde  ;  plus  tard,  on  découvrit  que  riionime 
avait  vécu  à  l'époque  pléistocène.  Et  voilà  que  maiutenant  des 
savants  apportent  des  indices,  souvent  discutés,  il  est  vrai  (1), 
mais  tendant  à  faire  remonter  Tliomme  jusqu'au  pliocène,  au 
miocène  même  (2)  ;  et,  qu'en  tout  état  de  causes,  l'ensemble  des 
faits  le  montre  antérieur  au  quaternaire. 

Grâce  aux  récentes  études  des  zoologistes  e\  des  géologues,  il 
est  aujourd'hui  possible  de  reconstituer  scientifiquement  les 
diverses  phases  du  développement  de  la  vie  sur  notre  planète; 
<le  suivre  l'évolution  des  climats  et  des  êtres;  et,  par  suite,  de 
déterminer  la  période  qui,  pour  la  première  fois,  odrit  des  con- 
ditions favorables  à  la  vie  de  l'homme  ;  celle,  donc,  à  laquelle 
il  est  admissible  de  placer  sa  venue,  même  s'il  n'a  pas  laissé  de 
vestiges  de  son  squelette  ou  de  ses  industries. 

Dès  qu'un  mammifère  vécut,  l'homme  put  vivre  et,  comme 
on  le  sait,  le  premier  type  des  mammifères  remonte  à  la  fin  des 
formations  secondaires  ;  c'est  donc  à  cette  époque  que  débute  la 
possibilité  de  la  vie  humaine  sur  la  terre,  probainlités  l)ien  incer- 
taines, il  est  vrai,  en  ce  qui  regarde  ces  temps  reculés  ;  car,  à 
l'époque  crétacée,  le  développement  des  mammifères  était  fort 
incomplet,  si  nous  en  jugeons  par  leurs  restes  fossiles  parvenus 
jusqu'à  nous. 

L'homme,  s'il  a  connu  ces  temps,  s'est  trouvé  à  même  de  sur- 
vivie  à  bien  des  cataclysmes;  j)arce  que, doué  d'une  intelligence' 
supérieure,  il  portait  en  lui  les  moyens  de  lutter  contre  la  nature 
et,  là  où  d'autres  mammifères  ont  péri,  peut-être  a-t-il  su  résis- 
ter. Son  aptitude  d'adaptation  aux  climats  est  si  grande  qu'il  peut 
vivre  sous  presque  toutes  les  latitudes.  11  est  omnivore  et,  par  suite, 
jiiieux   qu'aucun   animal   trouve  sa  nourriture.  Ces  facultés,  et  la 

(1)  O.  MoNTELius,  Congrèx  PrPhhl.  France.  signalés  jusqu'ici  :  Thenay  (oligocène^  ;  Duan. 
1907-08,  p,  85.  ..  Les  éolilhes.  situés  au-dessous  i»uy-Courny  (miocène;  plateau  crayeux  de 
des  couches  paléolithiques,  ont  été  travaillés  Kent  (pliocène  moyen);  Saint  Presl  et  lit  fore? 
par  une  main  humaine  ou  par  un  être  inler-  lier  de  Cromcr  (pliocène  supérieur);  et  ceux 
médiaire  entre  le  singe  et  Ihomme.  Ce  sont  du  quaternaire  inférieur.—  A.  De:  yuATREtA 
les  vestiges  de  l'homme  ou  de  ceux  qui  n'étaient  ces,  l'Homme  tertiaire  et  sa  survivance,  d> 
pas  encore  des  hommes.  »  Celle  manière  de  Malériaux,  1885,  p.  337.  -  Max  Vekworn,  Ar- 
voir  rencontre  beaucoup  d'opposilion  delà  part  ch;eol.  u.  palfcol.  Reisesludien  in  Frankreich 
<hi  plus  irrand  nombre  des  préhistoriens.  J. M.)  and  Portugal  ;  in    Zeitscbrifl    fiir    Ethnologie. 

(2)  Cf.  Conijrc.-i  international  d'Anlhropoloiiie  Berlin,  l'Jt)6.  Heft.  IV  u.  V,  p.  "Il,  ^1-  — 
de  1889.  Paris,  1891.  pp.  5-29-5.=il,  où  sont  discu-  Fiutz  Wikcjer,  Die  natûriische  Entslehung  der 
tés  les  silexdOtta,  de  Thenay.  de  Puy-Cour-  Norddeutschen  Eolithe,  in  Id.  llcft.,  Hl. 
ny.  etc.  —  Hugo  Obermaier,  Zur  Eolithen  frage,  p  39.=).  —  A.  Rutot.  Congr.  Pré.hmt.  de  France. 
190."),  où  lauleur  reprend    tous    les  gisements  1907-1908,  p.  77. 


r)0 


LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


ij^rancle  extension  de  son  habitat,  étaient  pour  lui  des  causes  puis- 
santes de  conservation  à  travers  les  âîres. 

Mais   il   semble   inutile    de  remonter   si    loin   dans  les  tem|)s 


Esquisse  de  l'Europe  à   l'oligocène   inférieur  (d'après  A.  de  Lapparent, 
Traité  de  Géologie,  1906,  p.  1547,  f\g.  733). 


géologiques  et  d'envisager  la  possibilité  d'existence  de  rhomme 
secondaire;  nous  nous  en  tiendrons  à  l'examen  de  la  période  ter- 
liaire,  de   la   plus    rapprochée   de  celle  où    l'humanité  se  révèle 


LES    ORIGINES  51 

indiscutable  manière,  jjar  les  produits  de  son  intelligence  et  par 
les  restes  mêmes  de  son  squelette. 

II  existe  une  transition  insensible  entre  la  faune  du.  crétacé 
supérieur  et  celle  de  Téocène  inférieur;  malgré  cela,  la  difï'érence 
entre  les  types  purs  des  deux  faunes  est  telle,  que  la  coupure 
choisie  par  les  géologues  doit  être  maintenue,  aussi  bien  au  point 
de  vue  zoologique  <|u'à  celui  de  la  formation  des  continents. 

En  ce  qui  regarde  la  géographie,  c'est  en  effet,  h  la  fin  de 
l'époque  secondaire  que  commencent  à  se  dessiner  les  masses 
continentales  actuelles.  Certes,  elles  n'acquièrent  pas  de  suite  les 
contours  que  nous  leur  voyons  de  nos  jours;  elles  n'y  parvien- 
dront qu'à  la  suite  de  nombreuses  et  importantes  modifications; 
mais  les  massifs  demeureront  dans  leur  ensemble  (1). 

Ces  efforts  des  continents  pour  conquérir  leur  forme  et  leur 
relief  actuel,  le  début  de  l'éocène  (Lutétien,  Barthonien)  les  a  vus 
se  continuer  sous  un  climat  tempéré,  sans  hivers  sensibles.  Les 
Pyrénées  commencent  à  surgir  dans  un  premier  mouvement 
(Lutétien),  continuent  dans  un  second  (Bartonien);  puis  achèvent 
de  se  former  dans  un  troisième  (Sannoisien,  Stampien). 

Bientôt,  un  bras  de  mer  venant  du  sud  traverse  le  continent 
européen  et  amène  de  grandes  perturbations  atmosphériques.  Le 
régime  des  saisons  s'établit,  les  unes  sont  sèches  et  brûlantes,  les 
autres  pluvieuses  et  tempérées.  La  moyenne  thermoniétri(|ue 
annuelle  se  maintient  dans  les  environs  de  25°  dans  les  pays  qui, 
plus  tard,  formeront  le  littoral  français  de  la  Méditerranée,  ce  qui 
amène  dans  l'Europe  centrale  et  méridionale  une  flore  tropicale. 

A  cette  époque,  le  palmier  croil  dans  le  nord  de  la  France,  le 
cocotier  s'avance  jusqu'en  Angleterre  ;  tandis  que  les  arbres  à 
feuilles  caduques  occupent  les  régions  boréales  (2)  et  les  hauteurs 
d'où  ils  ne  descendront  qu'à  la  fin  de  l'éocène. 

La  flore  de    cet   étage  débute,   dit  Saporta  (3),   par    un    asperl 


(1;  Four  l'étude  de  la  «géographie  géologique.  senicnl  qui    amènera    la  période  glaciaire   du 

Cf.  A.  DE  Lappareni.  T  rai  lé  lie  Géologie.  P  avis.  pôle-  De    Saporta  ap.    de  Lapparent,    Traité 

190(5.  de  Géologie,  19(Xi,  p.  1504. 

(2)  Cf.  Nathorst,  Geogr.  Journ.,  1899,  p.  6i.  (3)   Sur  la  flore    fossile,  consulter  :  O.  Heeb. 

—    La    flore    boréale     Landénien)    renferme  Recherches. ^iir  la  végélalion  tertiaire, IS61.  Trad. 

laune.  le  tilleul,  le   magnolia;  on  en  retrouve  fr    —  O.  Hker.  Flora  fo-^silia  Arclica.  7  vol.  — 

les  empreintes,  à  la  Nouvelle  Sibérie  (V.ToLL,  Sciiimper,  Traité  de  Paléontolog    réyétale,\S&). 

.Mém   Acad.  Se.  Sainl-Pélersbourg,  1899),  à  Ate-  —  De  Saporta,  le  Passé  des  régions  arcli(|ues, 

nakerdliik    Groenland)   par   70"  lat.  N.,  à  l'Ile  in  Rev.  des  Deux  Mondes,  15  aoiH  1884.  —    De 

des  Ours,  en  Islande,  à  la  Terre   de    GrinncI  S\pohta,  le  Monde  des  plantes  avant  l'apparition 

(8-2«  lat.  N.),    au   Spilzberg  (Eisfjord    et    Bell  de  f homme.  1879. 
.Sound;.  Elle  marque  les  débuts  du  refroidis- 


LES     OR[GINES 


53 


étroitement  lié  à  celui  de  la  flore  crétacée,  puis,  clans  la  seconde 
partie  de  l'éocène  (Landcnien,  Yprésien),  elle  montre  des  plantes 
oflVant  de  grandes  analogies  avec  celles  qui,  de  nos  jouis, couvrent 
les  côtes  de  la  mer  des  Indes,  l'Asie  australe  et  l'Afrique  équa- 
toriale. 

Dans  ces  forets  apparaissent  (1)  des  animaux  nouveaux,  des 
pachydermes,  dont  l'ère  commence,  caractérisée  par  des  formes  très 
curieuses.  En  Amérique  (2),  ce  sont  des  types  alliés  à  la  fois  à  l'élé- 
phant, au  rhinocéros  et  au  sanglier;  ailleurs,  on  en  voit  d'autres 
parents  des  équidés.  Les  vrais  carnivores  se  dessinent;  lesquadru- 
nianes  semblent,  eux  aussi,  débuter  avant  la  fin  de  la  période  par 
le  Ca'no/;/7/?ec«s.  C'est  l'aurore  des  temps  modernes  (|ui  commence 
à  poindre,  amenant  avec  elle  toutes  les  facilités  de  la  vie. 

Le  continent  européen  dillére  géographiquement  peu  de  ce 
qu'il  est  aujourd'hui,  sauf,  toutefois,  par  l'existence  de  grands 
lacs Cn  Orient. 

La  (in  de  la  période  est  signalée  par  quelques  mouvements 
dont  l'importance  sera  grande  dans  la  géographie  de  l'avenir.  Les 
Alpes  se  plissent  pour  la  première  fois  (oligocène,  probablement 
Stampien),  elles  s'achèveroiit  dans  un  second  mouvement  (posté- 
rieur au  Tortonien)  et,  avec  elles,  tout  le  système  sardo-corse,  peut- 
être  aussi  celui  de  la  Sierra  Nevada  d'Espagne.  Il  se  forme  toute 
une  zone  de  plissements  s'étendant  depuis  l'Indo-Chine  jusqu'au 
Maroc,  peut-être  même  plus  loin  dans  ce  qui  est  aujourd'hui 
l'océan  Atlantique.  Le  Caucase,  dont  les  premiers  mouvements 
sont  antérieurs  à  ceux  des  Alpes,  continue  son  évolution  pour  ne 
la  terminer  que  dans  le  tertiaire  supérieur  (Sarmatien). 

Malgré  ces  transformations,  le  climat  demeure  au  cours  du  Mio- 
cène doux  en  hiver,  pluvieux  en  été;  toutefois,  le  sol  s'est  quel- 
que peu  refroidi.  A  la  végétation  tropicale  succède  une  flore  à 
feuilles  caduques  ;  les  forêts  se  peuplent  d'érables,  de  platanes, 
bouleaux,  aunes,  charmes,  peu[)liers,  saules,  lauriers,  etc.  Quel- 
ques conifères  donnent  au  paysage  un  aspect  analogue  à  celui 
ipi'il  présente  aujourd'hui  dans  les  régions  tempérées.  Les  pal- 

(I)  Cf.  A.  GAiionv,  Mainniifèrcx  lerliaires.  sous  les    mêmes    laliludes   croissaient  Chara, 

{-2)  Le   caraclère   conlinejital  de  l'Amérique  Marcliantia,  AspU-nium    Alsophilu,  Juijldndites, 

'lu  Nord    se    fait    sentir  dans    le  climal    dès  Sasxa/'ra.'î,  des  noyers,  liliacés,magnoIias(Rilly). 

l'éocène  inférieur.  I. a  llore  comprend  lesgenres  Cf.  Munier-Chal.mas,  Hull.  Soc  Gëol.  France 

Po/iulus,     Vihunnim,    t'hlnniis,  Conjlus    (Haut  [3],  XVII,  p.  870  —  Sta.>to.n,  Knowlton,  Bul. 

Missouri)    Sabal,    luylans,  Quercus  (terril    de  G.  S.  Amer.,  VII,  p.    130.    —  Dawson,  Trans. 

NVashinglon,  Vancouver^  alors   qu'en  Europe  Roy. Soc.  Canada,  1895. 


LES    ORIGINES  55 

niiers  deviennent  de  plus  on  plus  rares  el  le  sol  se  couvre  d(^ 
graminées  dans  les  clairières. 

Au  milieu  de  ces  richesses  que  répand  à  profusion  la  nature 
,ipparaissent  lo  mastodonte  et  une  foule  varice  d'h(U'bivores  (1), 
parmi  lesquels  Tliipparion,  ancêtre  du  cheval. 

Les  gisements  célèbres  (Sarmatien  et  Pontien)  de  l'Attique 
(Pikernii)  (2)  et  de  la  Provence  (mont  Lubéron)  montrent  qu'à 
cette  époque  des  pays,  aujourd'hui  arides  et  désolés,  élaienl  cou- 
verts de  gras  pâturages;  où,  sur  les  rives  des  lacs  méditerra- 
néens, s'ébattaient  d'immenses  troupeaux  de  cerfs,  d'antilopes 
et  d'autres  herbivores.  L'hippopotame  avait  déjà  pris  possession 
des  rivières,  l'Amérique  possédait  un  ancêtre  du  cheval  (Miohip- 
pus),  l'Inde  était  peuplée  d'éléphants. 

Au  cours  du  tertiaire  moyen,  les  traces  de  ce  climat  béni  se 
retrouvent  juscju'à  80"  latitude  nord  dans  le  Groenland  et  le 
Spitzberg  (3)  où  croissaient  alors  le  séquoia,  le  magnolia,  le  pla- 
tane [Ix). 

iVvec  le  pliocène,  surviennent  de  nouvelles  transformations  plus 
ou  moins  profondes,  [)lus  ou  moins  étendues,  amenant  des  consé- 
quences d'autant  plus  intéressantes  à  noter,  que  nous  approchons 
des  temps  où  se  révéleront  l'homme  (Homo  sapiens)  et  son  indus- 
trie, où  nous  entrerons  dans  la  p-àvùe  préhistorique  do  l'humanité. 

L'axe  de  la  région  soulevée  entre  l'Atlas  et  la  chaîne  Bétique 
s'écroule  à  cette  époque,  laissant  ouvert  le  détroit  de  Gibraltar. 
L'Océan  pénètre  dans  la  partie  occidentale  de  la  iSléditerranée,  ame- 
nant avec  lui  sa  faune  marine.  En  même  temps,  l'ancienne  chaiiic 
formée  par  les  Baléares,  la  Corse,  la  Sardaigne  et  la  Sicile  se  dis- 
loque, l'Atlas  lui-même  s'ouvre,  laissant  une  fosse  profonde  (|iii. 
vers  l'est,  ne  dépasse  pas  l'ile  de  Cos. 

La  mer  pénètre  profondément  dans  les  vallées  du  Guadal- 
quivir  et  du  Rhône  transformées  en  golfes  étroits;  elle  entoure 
l'Apennin,  longue  presqu'île  alors  reliée^  par  un  archipel  à  la 
Sicile  aux  trois  quarts  submergée. 

(1)  Dès  loligocèiie  appar.nl  VAiilhnicolhe-  w;i.s  de  CaliforniccL  une  foule  d  autres  plantes 
/7i;m,  avant-coureur  des  ruminants  (jui,  dansles  montrant((u  a  ceUe  époque  res  latitudes  jouis- 
périodes  qui  suivent,  prennent  une  énorme  saient  d'un  «•limai  moyen  (Ch.  Lyeli..  Anlii). 
importance.  of  Man,  (>'  é<l.,  1873.  ch.  Xlll,  p    -279)  anaiogu.- 

(i)  Cf.  A.  Gauohy,  Animaux  fossiles  el  Géolo-  à  celui  de  IKurope  actuelle.  Des  découvertes 

gie  de  l'Allique.  Pari  i,  1862.  de  même  nature  ont    été  laites  d.tns  le  cercle 

(3)  Les   couches   du  miocène    supérieur   de  polaire  a  loncst  de    la   rivièie  Mackenzic,  en 

l'île   Disco    (Lat-    N.    70°)  renferment  Sei/uoiVi  lslande,etc.. . 

Lanysdorfii,  conifère  v..isin    de   8.    Semperri-  (4)0.  1\em\\.  Flora  jossitis  Arclica. 


5(3 


LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


Des  mouvements  inconnus  clans  l'Atlantique  déterminent  dans^ 
la  Méditerranée  l'invasion  d'une  faune  marine  boréale. 

Un  golfe  s'avançait  alors  dans  le  Maroc  et  l'Algérie,  laissant 
pénétrer  la  mer  jusqu'au  nord  de  Tétouan  :  un  autre  occupait  la 
vallée  du  Nil,  couvrant  le  Fayoum  et  la  majeure  partie  de  la 
moyenne  Egypte. 

Sur  notre   continent,  la  Dalmatie,  le  Péloponèse,  les  Cyclades, 


Esquisse  de  l'Europe  à  lepoque  Plaisancienne. 
(D'après  A.  de  Lapparent,  Trailé  de  Géologie,  190G,  p.  Iti33,  fisf.  703.) 

la  mer  Egée,  la  Floumanie  étaient  occupés  par  les  lacs  du  groupe 
ponto-caspien,  indépendants  de  la  mer   Méditerranée. 

Les  terres  américaines,  elles  aussi,  avaient  leurs  immenses  lacs 
au  pied  des  montagnes  Rocheuses;  tandis  que  la  mer  couvrait  les 
côtes  californiennes  jusqu'à  une  grande  distance  du  rivage  actuel. 

Plus  tard  (Astien),  nous  assistons  à  une  invasion  marine  des 
lacs  de  l'Egée.  De  nouvelles  dislocations  ouvrent  un  véritable 
fjord  dans  ce  qui  sera  plus  tard  la  vallée  du  Nil,  et  la  mer  se  préci- 
pite jusqu'au  2/i°  latitude  nord.  La  mer  Piouge  n'existait  pas  encore. 

Enfin,  au  terme  du  pliocène  (Sicilien),  les  mouvements  se  pour- 
suivent presque  pai'tout.  La  Hollande  émerge  des  eaux  tandis 
que,  dans  le  Cornouaille,  est  un  golfe. 


LES    ORIGINES  57 

Le  delta  du  llhiu  se  trouvait  alors  vers  le  milieu  de  la  uier  du 
Nord,  celui  de  la  Seine  dans  la  Manche  à  la  hauteur  de  la  pointe 
occidentale  de  la  Bretagne.  Les  anciens  golfes  (Plaisancien) 
deviennent  dans  la  Bresse,  la  vallée  du  Rhùne,  etc.,  des  lagunes 
ou  des  lacs;  et  le  régime  fluvial  s'étal)Iit  en  France. 

En  Sicile  (l)  apparaît  une  faune  maiine  froide,  dont  les  rivages 
soulevés  se  rencontrent  aujourd'hui  de  30  à  70  mètres  au-dessus 
ilu  niveau  de  la  mer.  Dans  le  Péloponèse,  on  les  retrouve  à 
ôOO  mètres  d'altitude.  La  mer  Ixouge  se  forme  sans  communica- 
tion avec  la  iNIéditerranée. 

Dans  la  région  ponlo-caspienne  (2)  sont  toujours  les  grandes 
nappes  d'eau  douce,  dont  cependant  l'étendue  diminue.  De  vastes 
lacs  s'étendent  sur  le  versant  oriental  du  Liban  (mer  Morte, 
O  route). 

Nos  golfes  se  transforment  en  lagunes  saumatres,  celui  du  Nil 
entre  autres;  tandis  qu'en  Asie,  en  Amérique,  des  mouvements 
s'efléctuent,  produisant  dans  les  Pampas  des  alternances  de  lits 
lacustres  et  marins.  A  Sumatra,  des  tufs  ponceux  de  formation 
neptunienne  émergent  de  1.000  à  1.500  mètres. 

Les  mouvements  que  je  viens  d'esquisser,  en  ce  ((ui  regardi^ 
les  régions  méditerranéennes,  ont  eu  leurs  analogues  dans 
toutes  les  parties  du  globe  à  la  même  époque.  Tous  ne  sont  pas 
(également  bien  étudiés,  beaucoup  sont  encore  inconnus.  Je  ne 
dirai  ici  que  peu  de  mots  sur  ce  ([ue  furent  les  transformations 
survenues  dans  l'Asie  antérieure  (3),  réservant  j)our  un  chapitre 
spécial  l'étude  plus  complète  de  la  formation  géologique  de  ces 
pays  (h). 

Pendant  l'épocjue    éocène,    le  massif  iranien    était    en   grande 

(1)  Cf.  pour  les  Irniisformations  des  riva^fs  mer.  Sa  faune  jiarliculiùre  renferme  en  m«"Miic 

ilans  la  Médilerraiiée  le    savant  mémoire   de  temp.s  des  formes   asiali(|ues  (cliinolses  et  ja 

M.  Houle,  les  Grotles  ilc  (îrimaldi,  I.    I,   f;is.  II,  ponaises)  et  européennes.  «  Ainsi  le  Baïii.il  a 

l>.  128{Monaco,  1900)  où  l'auteur  reprend  toutes  pu  servir  de  refuge  à  des  animau.'v  qui,  aupa- 

les  observations    relatives  à    lu    Côte  d'Azur  ravarit,    peuplaient  les    lacs   par   les(iuels,  de 

(p.  Ii8),  la  Liguric.  la  Toscane  (p  129),  la  Corse,  Tali-Fou  jusqu'en  Mongolie  d'un  côlé.  jusqu'à 

la  Sardaigne  (p    13'i).  I  Italie  centrale  et  méri-  Omsk  de  l'autre  une  grande   partie  de  l'Asie 

dionale  (p.  131),  la  Péninsule  des    Balkans   et  était  alors  occupée.  »  (\.   de  Lapp.vuent,  Leç- 

la  Crète  (p.    133),  la  mer  Egée  et  la  mer  Noire  dp.  Géogr.  plu/s..  1907,  p.  541.) 

(p    131),    la   Méditerranée    orientale    (p.    13d),  (3)  Cf.  .1.   ni:  Moiujan,  Mission  en  Perse,  i.  I, 

l'Egypte  (p.  17),  la   Tunisie  (p.   138),  l'Algérie  1894;  t.  II.  1895;  t.  111,  1"  partie,  1905.  —  Mcni. 

(p.  l.<9),  le  Maroc  (p.  140),  la  Péninsule  Ibéri-  delà  Délèijalion  en  Perse,  l.  I.  1900.  —  Notes  sur 

que  (p.  141),  le  Golfe  du  Lion  (p.  143).  la  Basse-Méso|)otamie,  ds  la  (Géographie,  iWi. 

(a)  Au    centre  de  l'Asie  se  trouvaient  aussi  pp.  242-2h7.  —  Note  sur  les  gîtes  de  naphtc  de 

lie  grands  lacs;  le  Baïkal  (.\lt.  47G  m.), dont  la  Kend-é-Chii in  (Gouvernement  de  Ser-i-l*oul). 

profondeur  est  par  places  de   1.500  mètres  en-  in  Ann.  des  Mines,  février  1892. 

viron.est   le  dernier  témoin  d'un  chapelet  de  (4    Cf.   Chap.    VII,    «    l'Asie   antérieure   et 

lacs  qui,  vers  la   (in  du  leitiairc;.  se  succédant  l'Egypte  anté-hislori(|ues  ». 
sur  le  cours  actuel  de  l'Angara,  le  reliaient  à  la 


58  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

partie  sous  les  eaux  (1)  ;  c'est  donc  postérieurement  à  cette  époque 
qu'il  a  émergé. 

Jusqu'à  ce  jour,  il  n  a  pas  été  rencontré  el  assises  fossilifères 
post-éocènes  ;  mais  les  couches  éocènes  sont  loin  d'être  les  der- 
nières. On  trouve,  sur  le  versant  occidental  (Louristan,  Poucht- 
é-Kouh),  d'épaisses  alternances  relevées  de  marnes,  de  grès  el 
de  gypse,  bien  postérieures  à  l'éocène  du  plateau  et  reposant  sur 
des  calcaires  que  je  crois  appartenir  au   tertiaire  supérieur. 

Les  gypses  sont  eux-mêmes  surmontés  de  couches  épaisses 
de  sables,  d'argiles,  de  marnes  et  de  grès  friables,  relevées  comme 
eux. 

Cet  ensemble  forme  le  fond  de  la  cuvetle  mésopotamienne  ;  il 
affleure  sur  les  flancs  des  montagnes  iraniennes,  disparaît  sous 
les  alluvions  pour  reparaître,  redressé,  sur  le  bord  du  désert  ara- 
bique, tant  à  la  hauteur  de  Bagdad  qu'entre  Deir-el-Zor,  Pal- 
myre  et  l'anti-Liban. 

Nous  ne  connaissons  pas  l'âge  relatif  de  ces  sédiments  supé- 
rieurs, dont  les  fossiles  ont  été  dissous  parles  eaux  acides  de  cette 
région  gypseuse  ;  toutefois,  le  relief  du  sol  était  à  peu  de  chose 
près  établi  lors  de  l'existence  des  lacs  (Sicilien)  de  l'inter-Libau 
et  aussi  lors(Plaisancien)  du  dépôt  osseux  de  ^taragha.  Nous  pos- 
sédons ainsi  les  deux  limites  (éocène  et  Plaisancien-Sicilieni  entre 
lesquelles  le  mouvement  s'est  opéré. 

A  la  fln  du  tertiaire  (Plaisancien),  le  plateau  persan  n'oflrait  pas 
l'aspect  désolé  qu'il  pi'ésente  aujourd'hui;  son  climat  plus  régulier 
et  plus  humide  permettait  aux  prairies  et  aux  forêts  de  se  déve- 
lopper. 

A  cette  époque,  l'Iran,  peut-être  moins  élevé  qu'aujourd'hui 
dans  son  ensemble,  était  ])ordé  au  nord  par  le  grand  lac  ponto- 
aralo-caspien,  à  l'ouest  et  au  sud  par  le  golfe  Persique,  prolongé 
dans  le  pays  des  deux  fleuves,  ou  par  un  immense  lac  s'étendant 
jusqu'au  Liban.  Il  portait  lui-même  des  lacs,  tel  celui  d'Ourmiah, 
alors  très  étendu,  et  alimentait  une  plantureuse  végétation,  si 
nous  en  jugeons  par  la  faune  qu'on  rencontre  dans  les  sables  de 
Maragha. 

La  fin  du  pliocène  vit  l'Iran,  l'Arménie,  le  Caucase  se  couvrir 
de  névés  et  de  glaciers  reliés  à  la  grande  calotte  de  l'Asie  centrale  ; 

(1)  ("lisemonts  éoconesde  Soh.  de  KiMiin,  de  Mollali  Ghiavan  au  Pouclil-é-Kouh,du  ZagrOj,elc. 


l.t:s    OHllilNES  5t) 

puis,  au  cours  du  pléislocène,  le  |)ays  prit  définitivemeiil  ses 
formes  lopographiques  actuelles.  De  vastes  lacs  salés  ou  sauniâtres 
s'établirent  dans  toutes  les  cavités  du  plateau,  rendant  infertile 
toute  la  région. 

C'est  à  l'époque  des  érosions  et  des  alhivions  quaternaiies 
que  le  pays  a  définitivement  pris  l'aspect  actuel.  Depuis  longtemps 
peut-être  la  sécheresse  et  la  salure  des  terres  avaient  fait  émigr<  r 
les  herbivores;  mais  l'al^sence  coiiijjlèle,  (huis  les  limons  du  j)!;!- 
teau,  de  mollusques  terrestres  autres  que  ceux  vivant  actuelh- 
ment,estla  preuve  que  cette  faune  n'a  pas  changé  et  que,  par  suite, 
les  conditiojis  climatériques  sont  restées  les  mêmes  depuis  la  fin 
du  pléislocène. 

Sur  le  plateau,  et  tout  à  l'enlour,  sont  de  j)uissantes  formations 
caillouteuses;  près  des  montagnes,  elles  atteignent  parfois  (Zohàh, 
Dizfoul,  Ghouster,  Louristan)  plusieurs  centaines  de  mètres 
d'épaisseui-.  .lamais  je  n'y  ai  rencontré  d'ossements  animaux  ou  de 
produits  de  l'industrie  humaine. 

Ces  alluvions,  en  Chaldée,  sont  aujourd'hui  recouvertes  j)ai- 
d'épais  limons;  elle  se  retrouvent  dans  le  désert  syro-arabi(|ne, 
ofîrant  à  leur  surface  des  instiumenls  paléolithiques  du  type 
chelléen. 

Dans  la  vallée  du  Lar,  sur  le  versant  de  la  mer  Casi)ienne, 
j'ai,  en  1889,  découvert  un  gisement  d'instruments  très  grossière- 
ment éclatés  (Ab-é-Pardôma)  et  plus  bas,  ])rès  d'Amol,  on  a  trouvé 
dans  les  alluvions  caillouteuses  une  molaire  d'Elephas  primu/e- 
niiis  qui  m'a  été  montrée;  mais  ces  deux  gisements  sont  situés 
en  dehors  du  plateau  :  ils  appartiennent  au  bassin  caspien  dont  la 
végétation,  surtout  au  Mazandéran,  est  et  semble  avoir  toujouis 
été  d'une  extrême  richesse. 

Comme  on  le  voit,  l'Iran  a  subi  au  cours  du  tertiaire  des 
modifications  plus  importantes  encore  que  celles  de  l'Europe. 

A  la  fin  du  pliocène,  ou  au  début  du  pléistocène,  la  nier 
s'étendait  au  loin  dans  la  Mésopotamie;  et  là, ses  rivaires  ont  été 
relevés  comme  ceux  de  la  Méditerranée.  L'on  voit  en  ellét,  sur  tout 
le  bord  du  désert  arabique,  des  falaises  de  giavier  coquillier  (Sici- 
lien?) situées  à  une  assez  grande  hauteur  au-dessus  du  niveau 
actuel  de  la  mer.  Les  phénomènes  d'émersion  se  sont  étendus,  au 
moins  jusque-là,  dans  la  direction  de  l'est. 

Avec   le  pliocène,    le  climat  européen  se   refroidit  encore  ;  on 


60  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

ne  rencontre  plus  les  grands  palmiers  et  les  camphriers;  seul,  un 
chamérops  se  maintient  encore  en  Provence. 

Les  séquoias  et  les  bambous  demeurent  encore  quelque  temps 
dans  les  pays  méditerranéens  ;  alors  que  les  forêts  de  l'Europe 
occidentale  se  peuplent  du  chêne,  de  l'érable,  du  noyer,  du  mé- 
lèze, du  peuplier  ;  essences  dont  quelques  espèces  se  trouvent 
aujourd'hui  encore  en  Algérie,  en  Portugal,  au  Japon  et  dans 
r Amérique  du  Nord. 

Dès  lors,  la  faune  moderne  se  dessine  nettement  ;  le  genre 
maslodon  disparaît  de  l'Europe  avant  la  fin  du  pliocène  pour  sur- 
vivre longtemps  encore  en  Amérique.  De  grands  proboscidiens 
le  remplacent,  VElephas  nieridionalis  entre  autres,  qui  s'avance  au 
nord  jusqu'en  Angleterre. 

L'hippopotame  est  à  son  apogée,  les  rhinocéros  sont  très  nom- 
breux, de  même  que  les  cervidés,  les  bovidés,  l'hipparion  et  enfin 
le  cheval  proprement  dit  qui  fait  son  apparition. 

Les  singes  vont  quitter  l'Europe  pour  se  rapprocher  des  tro- 
piques. A  Java  vit  le  Pithecanlhropus  erectiis,  grand  quadrumane 
plus  voisin  de  l'homme  qu'aucun  autre  (1). 

Comme  on  le  voit  par  ce  qui  précède,  depuis  la  fin  des  terrains 
secondaires  jusqu'à  l'aurore  de  notre  époque,  la  flore  et  la  faune 
ont  évolué  d'une  façon  continue.  H  y  a  homogénéité  parfaite  dans 
l'efi'ort  delà  nature  et  notre  époque  n'est  que  la  suite  et  la  consé- 
(juence  de  celles  qui  l'ont  précédée.  C'est  même,  semble-t-il,  au 
cours  du  pliocène  que  les  grandes  provinces  zoologiques  mo- 
dernes se  sont  formées. 

Dans  la  suite,  les  phénomènes  glaciaires  viennent,  il  est  vrai, 
troubler  l'harmonie  de  cette  évolution  et  obliger  la  vie  à  se  can- 
tonner d'une  façon  plus  spéciale;  mais  le  développement  général 
ne  se  continue  pas  moins  normalement  dans  son  ensemble. 

Depuis  les  débuts  de  l'éocène,  les   conditions  ont  toujours  été 


(1)  "  D'après  les  comptes  rendus  du  Congrès  les  débris    fossiles    ù    un    homme,  trois  à  un 

'le  Leyde  (auquel  j'assistais),  je   vois   que  les  singe;  en   revanche,   six  zoologistes  et    même 

.lulorités  zoologiq'ies  et  analomi(|nes  le^  plus  davanlaRe  les  prirent  pour  ce  qu'à  mon  sens  ils 

éminenlesont  émis  des  opinions  très  diver-  sonten  réalité  :  les  restes  d  une /'orme  (icpfz>.s'/(/c 

gentes  sur   la   nature  de   ce  remaniuable  fos-  encore  inconnue    ent:e   l'homme  et   le  singe. 

sile    [l'ilhecanthropus   enctus]  »   (E.    D.  bois).  (E    Hakckel,  Origine  de  ihjinme.  Tiad     Iran- 

Malheureusement  ses  restes,  consistant  en  une  (;aise).  Cf.  s.iir  Pilhecanlhropus.  G   Si;hwalbe, 

calotte  crânienne,  un  fémur  et  quelques  dents,  Sludien     ilber     Pilhecanlkrofius    erechis   (Du- 

rtnient  tiop incomplets  pour  permettre d'ass^-oir  bois,,  publié  dans    Zeilachrtfl  fur  Morplwlugie 

un  jugement    délinilif.  La    conclusion  de  ces  und    Anthropologie.    Stuttgart,    18%,     t.  I     — 

longs  et  orageux  débals  fut  que,  sur  environ  iMAiiouvRiEB,    in    Bull.   Soc.    Anlhrop.    Paris. 

dniizc  savants  compétents,   trois  rapportèrent  :896. 


Li:S     ORIGINI-S  (>| 

favorables  au  déveloj)j)onient  tlos  èties  vivanlainsi  (|u(i  riioiniiKî ;  la 
flore  coiimie  la  faune  leur  lurent  toujours  |)roj)ices.Si  notre  ancêtre 
a  connu  ces  temps,  il  n'y  a  certainement  pas  rencontré  plus  d'en- 
nemis que  n'en  virent  les  Chelléens  et  les  Dorcioniens  des  diverses 
époques  préhistoriques,  que  n'en  trouvent  aujourd'hui  les  nègres 
<le  l'Afrique  tropicale,  les  négritosde  Tlndo-Chine  ou  les  Lapons. 

Si  nous  rejetons  comme  non  probants  tous  les  restes  attribués 
à  l'industrie  humaine,  signalés  jusqu'à  ce  jour  dans  les  couches  ter- 
tiaires; ce  n'est  pas  une  raison  pour  nier  à  j)riori  la  possibilité  de 
l'existence  hunjaine  dans  ces  temps  reculés. 

Nous  ne  connaissons,  en  effet,  que  bien  peu  de  chose  des 
dépôts  terrestres  laissés  au  cours  du  tertiaire  sur  les  continents 
habitables  ;  beaucoup  ont  été  lavés  lors  des  grandes  inondations, 
d'autres  se  sont  abîmés  dans  la  mer  a\oc  les  teiritoires  qui  les 
portaient. 

Nos  recherches  en  ce  sens  sont  encoii;  insuffisantes,  elles  n'oni 
porté  jusqu'ici  (|ue  sur  une  bien  faible  partie  des  ruines  des  con- 
tinents tertiaires;  et  les  régions  explorées  ne  sont  peut-être  pas 
celles  où  l'homme  d'alois  a  vécu.  Dans  tous  les  cas, la  succession 
des  dépôts  terrestres  de  ces  âges  serait  extrêmement  difficile  à 
établir  d'une  manière  précise;  car,  d'une  part  les  os  et  les  coquilles 
ont  généralement  été  dissous  parles  agents  atmosphériques;  el 
d'autre  part  les  premiers  hommes  nont  peut-être  pas  façonné 
<rinstruments  en  matières  durables.  1!  s(>  peut  que  les  pierres 
brutes,  les  morceaux  de  bois  eussent  répondu  à  tous  leurs 
Ijesoins  d'alors. 

Admettons  que  l'origine  humaine  des  éolithes  présentés 
jusqu'ici  (1)  ne  soit  pas  démontrée  (2);  il  est  impossible  de  nier 
(jue,  même  de   nos  jours,  l'homme   iic   lasse  fréquemment  emploi 

I  11  Cf.  A.  Rcror,  Cnuserios  sur  li^s  iiulustriep  rieur,,    lleulclii'ii.  Maf/lien,  Mcsvii, un  {\>o\ir  les 

<le  la  i)ieiTe  .ivcc  (lémonstration    scienlifique  divers  niveaux  du  quale  iiaire  iiiferieuri,  Flr 

el  pratique  de  l'existence  de  l'industrie    éoli-  nusien  (correspondant  à  l'iige  néolilhique),   el 

Ihique,  ds    Rev.  de  l'École  d'Anthropologie    de  Tasmanien  p  ^ur  l'époque  acluelle.  Cette  ingt- 

Paris,1907,t.  VIII.  p.  283.  —  M.  A.  PiUtot  (/îu//.  nieuse    théorie   n'est     généralement    pas    ;n- 

Soc    iielge  de  (iéol.,  \Wl,l.  \Xl.  p.  ii\.  la   Fin  cepléc.  {.J.M-i 

de  la  question  des  éolithes)  considère  les  éoli-  (2)  M.   Boule  (lAge  des   derniers  volcans  de 

thés  non  plus  comme  une  industrie  primitive  la  France,    ds    la    Géographie,    t.    XIJI.    liKKi. 

de  remploi  de  la  pierre  :  mais  comme  une  in  p.  287)  considère  comme  prohlémalique  l'exis 

duslrie  spéciale,  avant  débuté  à  l'époque  1er-  lence  de   Ihomme  à  la  fin  de    la  période  plio 

tiaire.  .s'étanl  développée  dès   le   quaternaire  cène,   cesl-àdire  au   temps  où  vivaient  VElr 

parallèlement  aux  autres    svstèmes,  (;t   ayant  phas  ineridionalis,  Ithino  erox  cirusrus.  etc.,  et 

duré  jusqu'à  nos  jours  dans  tous  les  pavs.  Je  où  se  formèrent  dans  la  France  les  alluvion> 

classe,  dit-il,  les  diverses  phases  de  l'état  éoli-  des  plateaux  el   les  moraines  de   la  première 

thique  :  Canlalien  (miocène  supérieur),  Kenlien  grande  exiension  glaciaire, 
pliocène  moyen). Sa/n/-Pre.s/(cn(pliocène  supé- 


(V2  LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

d'instruments  naturels  en  pierre,  en  bois,  en  os,  etc.  Cet  usage 
est  inné  chez  lui,  chez  le  sauvage  comme  chez  l'homme  civilisé, 
chez  l'enfant  comme  chez  l'adulte.  L'adaptation  est  la  consé- 
(|uence  forcée  de  cet  instinct;  et  les  éolithes  en  seraient  les  ves- 
tiges. 

Mais  il  est  un  fait  plus  important  encore,  venant  à  l'appui  de 
la  supposition  qui  accorde  à  l'homme  une  antiquité  supérieure 
aux  temps  quaternaires;  ce  fait  est  que  les  instruments  du  type 
chelléen  se  rencontrent  sur  la  plus  grande  partie  de  la  surface 
du  globe,  dès  les  débuts  du  quaternaire. 

Le  coup  de  poing,  même  grossier,  est  un  instrument  trop  per- 
fectionné pour  qu'il  puisse  représenter  le  premier  essai  d'un  être 
doué  d'intelligence,  cherchant  l'adaptation  à  ses  usages  des  maté- 
riaux f|ue  la  nature  mettait  à  sa  disposition.  Les  tâtonnements  ont 
(lu  être  nombreux  et  longs.  Or,  en  possession  de  cette  industrie 
relativement  élevée,  il  nous  apparaît  déjà  très  répandu.  Sa  décou- 
^  erte  avait  donc  eu  le  temps  de  se  pro{)ager  dans  les  pays 
encore  émergés  à  notre  époque  et  dans  d'autres  engloutis 
aujourd'hui. 

[jC  foyer  des  dé\  eloppements  antérieurs  au  coup  de  poing  est 
probablement  unique;  mais  peut-être  aussi  a-t-il,  pour  toujours, 
disparu  sous  les  (lots  ;  on  ne  peut  nier  cependant  qu'il  a  existé. 
C'est  là,  si  ce  lieu  émerge  encore,  qu'on  trouverait  les  stations 
éolithiques  répondant  à  toute  la  série  des  essais,  des  tentatives 
qui,  forcément,  ('nd)rassent  de  longues  suites  de  siècles. 

C'estau  cours  du  Icrtiaire  seulement  ((ue  ces  tâtonnements  peu- 
vent avoir  eu  lieu  :  peut-être  ont-ils  débuté  pendant  le  pliocène,  le 
miocène,  l'éocène  même;  car  rien  ne  s'oppose  à  ce  que  l'homme 
eût  vu  le  jour  dès  les  débuts  du  tertiaire.  «  Les  nègres  en  Afrique, 
les  négritos  dans  la  ^falaisie  affirment,  a  dit  Cartailhac  (1),  par 
leur  répartition  sur  la  surface  du  sol,  leur  origine  tertiaire.  » 
(Chaque  jour  les  présomptions  s'accentuent  en  faveur  de  la  thèse 
faisant  renionter  l'homme  à  ces  époques.  Elles  sont  combattues 
avec  violence  par  certaines  écoles  et  le  seront  jusqu'au  jour  où 
une  preuve  positive,  inattaquable,  viendra  mettre  fin  au  débat. 
Nous  en  sommes  encore  réduits,  pour  la  solution  de  ce  grave  pro- 
blème, aux  conjectures,  aux  considérations  générales  basées  sur 

'1)  La  France  préhi-<t..  Ik'JC,  p.  Xk 


LFS    ORIGINES  68 

le  rationalisme,  et  certes  ces  aperçus  sont  loin  d'olïrir  des  bases 
scientifiques  solides;  mais  1(^  bon  sens  oblige  à  faire  remontei- 
ra[)parition  de  l'homme  au  delà  des  temps  où  sa  présence  se 
manifeste  par  les  réalités  constatées  jusqu'ici. 

«  L'ère  moderne  ou  quaternaire  est  caractérisée  par  l'appari- 
tion de  riiomme  sur  la  terre  »,  disent  les  géologues.  Si  le  quater- 
naire n'existe  ([ue  par  cette  définition,  il  faut  se  hâter  de  le  sup- 
primer pour  réunir  les  temps  modernes  au  pliocène.  Car  ce  n'est 
pas  de  l'homme  primitif  lui-même  dont  il  est  question  dans  cette 
définition,  ce  n'est  pas  de  sa  venue  en  tant  que  type  zoologique; 
mais  bien  rapj)arition  d'une  industrie  déjà  nettement  formée,  déve- 
loppement qui  suppose  qu'une  longue  période  s'est  écoulée  avant 
((ue  l'ouvrier  du  coup  de  poing  eut  perfectionné  son  intelligence 
au  point  de  posséder  une  telle  civilisation. 

Si  l'on  envisage  la  flore  et  la  faune  des  dernières  époques  ter- 
liaires,les  comparant  à  celles  des  temps  quaternaires  et  modernes 
on  trouve  de  telles  analogies,  une  suite  si  continue,  (|u'il  est  im- 
possible de  ne  pas  relier  intimement  entre  eux  ces  deux  mondes. 
Les  phénomènes  glaciaires  ont,  il  est  vrai,  créé  un  hiatus  dans  cel 
(msemble  homogène  ;  mais  ce  hiatus  est  plus  apparent  que  réel, 
car  il  ne  s'applique  pas  à  la  totalité  du  globe. 

Il  ne  saurait  être  ici  question  d'évaluation  en  millénaires  des 
temps  employés  à  ces  perfectionnements  ;  nos  chronologies  ne 
peuvent  être  que  relatives.  Peut-être  le  jour  viendra-t-il  où  les 
bases  de  ces  calculs  seront  plus  sûres;  mais  dans  l'état  actuel  de 
notre  savoir,  nous  ne  pouvons  que  nous  abstenir  de  formuler 
un  nombre,  quel  qu'il  soit. 


CHAPITRE  III 


Les  phénomènes  g-lacialres. 


Nous  avons  vu  combien  les  modilications  continentales  plio- 
cènes  eurent  d'importance  (1)  en  ce  qui  concerne  les  reliefs  de 
l'Europe  et  par  suite  la  nature  de  son  climat;  mais  nous  devons 
remarquer  aussi  que  la  formation  de  grandes  nappes  d'eau  dans 
la  Méditerranée,  l'existence  de  lacs  étendus  dans  la  région  ponto- 
<3aspienne,  en  Afrique,  en  Syrie,  en  Sibérie,  aux  Etats-Unis,  l'efîon- 
drement  de  continents  entiers  dans  l'Atlantique  (2),  ne  furent  pas 
sans  modifier  également  d'une  façon  notable  les  conditions  clima- 
tériques  de  l'hémisphère  boréal.  Ces  mouvements  ne  cessèrent 
pas  avec  l'époque  tertiaii-e;  ils  se  sont  poursuivis  au  cours  du 
pléistocène  et  se  continuent  encore  de  nos  jours. 

Ces  oscillations,  dues  à  la  plasticité  de  l'écorce  terrestre,  se 
manifestent  sous  forme  d'immersion  sur  certains  jjoints,  d'émer- 
sion  sur  d'autres  et,  fréquemment,  en  vertu  des  lois  de  compen- 
sations dictées  par  l'invariabilité  relative  du  volume  terrestre, 
il  y  a  mouvement  de  bascule  ou  de  glissement  allcctant  de  vastes 
n'ii-ions  (3). 


(1)  Voici  (luelciues  données  sur  l'cLat  actuel 
(les  reliefs  terrestres  pris  dans  leur  ensemble; 
la  surface  totale  du  criobe  étant  de  5U',t.i)ôO.0OO 
kilomètres  carrés,  365.501.000  sont  occupés 
par  les  mers  et  144. 449.000  par  les  terres, 
Cf.  Wagner,  BeilrAqe  zur  Geophiisik,  1895; 
dont  100.800.000  pour  l'hémisphère  boréal  et 
44.200  environ  pour  l'hémisphère  austral.  Le 
quart  environ  des  continents  est  occupé  par 
des  hauteurs  supérieures  à  1.000  mètres  dal- 
titudc.  soit  70.0no.000  kilomètres  carrés  pour 
lesallitudes  situées  entre  1.000  et  2.000  mètres. 
13.000.(00  pour  celles  de  2.000  à  3.000  mètres, 
7. 500.000  pour  celles  entre  3.000  et  4.000  mètres 
et  7.500.000  également  pour  les  altitudes  su- 
périeures à  4.000  mètres. 


2)  Cf.  .Vu  sujet  de  la  théorie  de  l'Atlantide, 
A.  DE  Lapparent,  Traité  de  géol.  —  Lubbock, 
l'Homme  auaiil  l'Histoire,  p.  40.  —  Cii.  Ploix, 
lieu.  d'Anthrop.,  1887,  p.  291.  —  Bull.  Soc.  df 
Borda  (Dax).  188  i.  Bien  des  .savants  se  refu- 
sent à  cette  hypothèse. 

(3)  "  Au  moment  où  une  grande  ligne  de 
relief  se  constitue  sur  le  globe,  elle  forme  le 
rivage  d'une  dépression  océanique  ou  lacustre, 
sous  laquelle  elle  s'enfonce  par  son  flanc  le 
plus  abrupt,  et  en  général,  l'importance  de  la 
chaîne  à  laquelle  elle  donne  naissance  est  en 
rapport  avec  celle  de  la  dépression  qu  elle 
côtoie.  >■  (A.  DE  Lapparem.  Traité  de  Géolo- 
flie,  1906.  p.  67.) 


LES    PHl-NOMKXES    GLACIAIRES  05 

Des  défornialions  de  cette  nature  se  sont  produites  à  toutes 
les  époques  ;  et  nous  en  retrouvons  les  traces  dès  les  temps  géo- 
logiques les  plus  reculés.  De  nos  jours,  elles  sont  généralement 
peu  sensibles  et,  par  suite  de  leur  lenteur  même,  avaient,  jus- 
qu'à ces  derniers  temps,  échappé  à  l'observation  rigoureuse. 

De  l'intensité  des  phénomènes  qui  se  produisent  sous  nos 
yeux,  nous  ne  pouvons  cependant  pas  déduire  l'importance  de 
ceux  concernant  les  temps  écoulés;  il  y  a  certainement  eu  des 
périodes  d'activité  maxima  et  des  époques  de  minima  ;  mais  nous 
ne  sommes  pas  en  droit  d'établir  des  lois  chronologiques  basées 
sur  l'observation  des  faits  récents. 

Les  phénomènes  dus  à  la  plasticité  de  l'écorce  terrestre  sont 
de  trois  natures  :  les  éruptions  volcaniques,  les  secousses  sis- 
miques  et  les  déformations  plus  ou  moins  lentes  de  la  surface. 

Les  temps  pléistocènes  ont  vu,  comme  les  nôtres,  de  nom- 
breuses éruptions  volcaniques:  je  citerai  entre  autres  celles  du 
massif  central  de  la  France,  les  dernières  de  ce  groupe. 

Depuis,  les  éruptions  se  sont  continuées  sur  toute  la  surface  du 
globe  et  l'on  ne  compte  pas  moins  de  323  volcans  (1)  qui,  depuis 
trois  siècles  au  plus,  ont  donné  des  preuves  de  leur  activité. 

Grâce  aux  nouvelles  méthodes  d'observation  (2),  il  a  été  possible 
de  reconnaître  l'existence  d'un  certain  nombre  de  foyers  sismiques 
principaux  et  d'établir  approximativement  l'aire  de  leur  action. 
J'en  citerai  quelques-uns. 

Dans  le  Nouveau  Monde  sont  deux  groupes  ;  celui  des  Açores 
dont  l'influence  s'étend  de  20"  à  60"  de  latitude  septentrionale,  et  ce- 
lui des  Rocheuses  et  des  Andes  comprenant  toutes  les  côtes  occi- 
dentales de  l'Amérique  et  se  reliant  par  l'Alaska  au  groupe  asiatique. 
Le  groupe  Central  Américain,  dont  les  limites  comprennent 
les  Antilles,  la  Floride  et  les  Guyanes,  se  relie  vers  l'est  à  celui 
des  Açores. 

Dans  la  mer  du  Nord,  le  foyer  islandais  fait  sentir  ses  effets 
depuis  les  côtes  nord-ouest  de  la  Norvège  jusqu'à  70Mnlitude  nord 
environ. 

Plus  au  sud,  le  groupe  indo-européen  affecte  les  régions  com- 
prises d'une  part  entre  Bombay  et  Lisbonne,  d'autre  part  entre 
Zanzibar  et  le  Caucase. 

il)  FvscHs,  les  Volcans.  Paris,  lt<78, -2'  cdit.  (2)  J.  Miliie. 


LES     PHIvNO.MKXES     GLACIAIIÎKS  67 

Enfin,  un  autre  foyer  sisinique  comprend  Maurice  et  Mada- 
gascar. 

Il  serait  aisé  de  citer  un  plus  grantl  nombre  de  régions  ail'ectées 
par  ces  phénomènes;  mais  les  exemples  que  je  viens  de  donner 
sont  particulièrement  intéressants  parce  (|u'ils  concernent  des 
portions  de  l'écorce  terrestre  qui,  nous  le  savons,  ont  travaillé 
pendant  l'époque  tertiaire  et  dont  Tactivité  s'est  continuée  au 
cours  du  pléistocène  et  jusqu'à  nos  temps. 

Il  existe  certainement  des  relations  entre  les  diverses  manifes- 
tations des  forces  centrales  de  la  terre,  qu'.elles  se  traduisent  sous 
forme  d'éruptions  volcaniques,  de  secousses  sismiques  ou  d'oscil- 
lations lentes  de  l'écorce;  mais,  jusqu'ici,  nous  ne  possédons  pas 
les  données  nécessaires  pour  relier  entre  eux  ces  phénomènes. 
En  les  passant  en  revue  sommairement,  j'ai  simplement  voulu 
montrer  combien  est  mobile  cette  croûte  sur  laquelle  l'homme 
s'est  développé  et  combien,  par  suite,  il  doit  être  fait  de  réserves 
dans  l'étude  des  causes  de  son  évolution  aussi  bien  zoologique 
qu'intellectuelle. 

En  effet,  si  nous  étudions  les  oscillations  de  l'écorce  terrestre  (1), 
nous  nous  trouvons  en  présence  de  faits  dont  les  conséquences 
touchent  de  bien  près  à  l'histoire  de  l'humanité  ;  car  ces  mou- 
vements ont  profondément  affecté  l'habitat  de  notre  espèce. 

Au  nord  de  l'Europe,  la  péninsule  Scandinave  tout  entière 
subit  actuellement  un  mouvement  de  bascule,  le  fond  du  golfe  de 
Bothnie  s'enfonçant  de  1  m.  60  par  siècle,  tandis  que  la  pointe 
méridionale  de  la  Scanie  se  relève  (2). 

Jadis,  cependant,  au  cours  de  la  période  actuelle,  un  bras 
de  mer  joignait  la  Baltique  à  la  mer  du  Nord,  passant  par  la 
dépression  des  lacs  Mâlaren,  Hjelmaren  et  W'enern  ;  et  ces  dis- 
tricts sont  aujourd'hui  situés  bien  au-dessus  du  niveau  des  mers. 
Ailleurs,  sur  d'autres  points  de  la  Scandinavie,  des  plages  ma- 
rines d'époque  glaciaire  se  trouvent  maintenant  surélevées  de 
200  mètres. 

(1)  Pour  les  moiiveirients  de  l'écorce  1er-  Sitpan,  r*e/.  .Vi;.,  1888.  —  Bhùckner,  Verliandl. 
reslre  en  général,  Cf.  Ed.  Suess,  Das  Antlitz  d.  IX'^'"  Geographentays.  — Siéger,  Ze.tsch.  d. 
derErde,  surtout  le  t.  II,  trad.  E.  de  M.'irgerie,  Ge.s-.  fiir  Erdkunde.  Berlin,  1890.  —  A.  de  Lap- 
190U.  Toutes  les  théories  du  savant  professeur  parent,  Trailé  de  Géologie.  1906,  p.  581  sq.  — 
viennois  ne  sont  cependant  pas  admises  par  Docteur  Andue,  M.  Hause^.  Skandinaviens 
l'ensemble  des  géologues.  SUgning,  104  p.,    avec  résumé  en  anglais,  in 

(2)  Sur  les  mouvements  de  la  péninsule  Geologislœ  iindcrsôgelser,  n'  iS.  Aarbog,  I89G 
Scandinave,  consulter  :  V.    Schmidt,    le  Dane-  til  i89!>.  Krisliania,  l'JOO. 

mark  en  1867.    —  Suess,  An/Z/Zz    derErde;  — 


68 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


Le  nord   du  Danemark,   suivant  le  mouvement  de   la   Suède 
méridionale,  émerge  lentement;  de  telle  sorte  que  les  kjœkken- 


Le   plateau   sous-marin  et  les  vallées  dans  la   mer  du  Nord 
(d'après  les  cartes  marines). 

mœddings  laissés  jadis  près  des  grèves  en  sont  aujourd'hui  dis- 
tants parfois  de  10  kilomètres  environ. 


LES    PHÉNOMÈNES    GLACIAIRES 


69 


Le  sud  et  la  partie  centrale  du  Jiitland,  au  contraire,  s'enfoncent; 
de  telle  façon  que  si  ce  mouvement  se  continue,  le  jour  viendra, 
dans  quelques  siècles,  où  le  golfe  de  Bothnie  se  joindra  à  la  mer 
Blanche  et  où  le  détroit  danois,  au  lieu  de  se  trouver  entre  Gôte- 
borg  et  le  cap  Skagen,  sera  reporté  plus  au  sud  vers  le  Schles- 
wig  (1),  La  Scandinavie,  s'étendant  au  sud,  absorbera  le  Dane- 
mark (2). 

En  examinant  la  carte  des  côtes  norvégiennes,  nous  la  voyons 
découpée  par  de  longues  échancrures,  les  fjords,  profonds  et  éten- 
dus. Or  ces  fjords  ne  sont  autres  que  des  vallées  d'érosion  qui 
n'ont  pu  se  former  qu'à  Tair  libre  (3),  au  cours  du  pliocène  ou 
du  pléistocène,  sous  l'action  des  rivières.  Ils  contiennent 
aujourd'hui,  par  places,  plusieurs  centaines  de  mètres  d'épaisseur 
d'eau  (Ji)  ;  c'est  donc  de  cette  hauteur  au  moins  que  les  Alpes 
Scandinaves  se  sont  affaissées  depuis  le  creusement  de  leurs  val- 
lées (5)  ;  et  il  en  est  de  même  dans  bien  des  régions,  pour 
l'Islande  entre  autres  (6  . 

Cette  remarque  est  d'une  importance  capitale  en  ce  qui  con- 
cerne la  formation  des  grands  glaciers  ;  car  elle  prouve  que  les 
Alpes  norvégiennes  ont  été  beaucoup  {)lus  élevées  qu'elles  ne  sont 
actuellement  et  que,  par  suite,  elles  offraient,  jadis  plus  qu'aujour- 


(1)  Forêts  et  tourbières  submergées  sur  la 
côte  orientale  de  Leba  ^Poméranie).  Cf.  la 
Géogr.,  f.  V,  p.  284. 

(2)  L'un  des  points  les  plus  intéressants  à 
étudier,  en  ce  qui  concerne  les  mouvements 
post-tertiaires  des  cotes,  est  Tile  de  M()en. 
(Cf.  Ch.  Lyei.l,  Geol.  Transactions,  II'  série, 
vol.  II,  p.  243.  —  PuGGAARD,  Geologieder  Insel 
Môen.  Bern.,  1851. 

(3)  (Cf.  DE  Lapparent,  Traité  de  géologie, 
V'  éd.,  1906,  p.  24it.)  Une  seule  conclusion 
demeure  admissible,  celle  que  ces  déchirures 
du  sol,  si  exactement  prolongées  sous  la  mer, 
existaient  à  l'état  de  vallées  continentales, 
lorsqu'un  changement  de  niveau  a  déterminé 
leur  submersion  partielle  sous  la  nappe  océa- 
nique. Ce  changement  semble  avoir  été  très 
brusque,  sans  quoi  les  fjords  n'auraient  pas 
conservé  leur  aspect  de  vallées  comme  le 
fait  a  lieu  dans  la  plupart  des  Rias  de  la  côte 
de  Galicie.  delà  Bretagne,  de  l'Irlande  et  du 
pays  de  Galles.  Le  fond  des  fjords  a  lui- 
même  subi  parfois  des  déformations  aux 
abords  de  la  limite  du  massif  montagneux. 
Ainsi  le  Hardanger  fjord,  profond  de  800  mè- 
tres, a  été  relevé  à  son  entrée  de  450  mètres, 
tandis  (|ue  d'autres  présentent  une  pente 
continue. 

(4)  La  cavité  la  plus  profonde  des  fjords 
norvégiens  est  de  1.242  mètres  (Sognefjord) 
tandis  que  dans  le  Baker  fjord,  en  Patagonie, 


la  sonde  est  descendue  à  1.2G1  mètres.  (Cf. 
Otto  Norde.nskjOld,  Topograph.  Geol.  Stu- 
dien  in  fjordgebieten,ds  Bull,  de  l'Institut  géo- 
logique d'Ujjsala,  1899,  n»  8,  IV,  2).  Les  pro- 
fondeurs des  principaux  fjords  de  la  Norvège 
sont,  d'après  Nordgaard  (Naturen  Bergen, 
n"  12,  décembre,  1904,  p.  382):  OfotentenfjonI, 
550  mètres;  Tysfjord,  725  mètres;  Oxsund, 
630  mètres;  Foldenfjord,  530  mètres;  Skjers- 
ladfjord,  518  mètres,  etc.  On  voit  d'après  ces 
données  que  l'affaissement  de  la  côte  norvé- 
gienne, après  la  période  d'érosion  des  vallées, 
ne  s'est  pas  faite  régulièrement  et  que  son 
maximum  semble  avoir  été  de  1.250  mètres 
environ. 

(5)  Cf.  sur  les  déplacements  des  rivages 
quaternaires  dans  la  Norvège  seplentrionaie, 
la  Géographie,  1905,  t.  XI,  p.  308.  Compte 
rendu  par  C.  Babot  des  travaux  de  W.-C. 
Brrigger(iVorye.s  Geologiske  Undersôgelse,  n'^i], 
Om  de  Senglaciale  og  post-glaciale  ,\ir,îforan- 
dringer  i  Kristiania  fellet  Kristiania,  19 X)  et 
1901)  et  de  W.  Bamsay  (Ueber  die  Geologische 
Entwicklung  der  Halbinsel  Kola  in  der  Quur- 
tarzeit.  Helsingfors,  1898). 

(6)  Suivant  \\.  Sevastos  [Bull.  Soc.  Géol.  de 
France,  IV'  série,  t.  \  I,  p.  235),  la  cause 
efficiente  d'abaissement  des  aires  continen- 
tales devrait  être  cherchée  dans  la  surcharge 
de  celles-ci  par  l'énorme  masse  de  glace  des 
époques  glaciaires. 


70 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


d'hui,  des  conditions  favorables  (1)  à  l'accumulation  des  névés  (2). 

Cet  affaissement  s'est  produit  en  même  temps  que  celui  des 
pays  situés  entre  la  Scandina\ie  et  la  côte  anglaise,  dont  les 
îles  Orkney  et  Shetland  ne  sont  que  les  ruines;  que  celui  du 
banc  de  l'île  porphyrique  de  Rockhall,  long  de  160  kilomètres, 
large  de  80,  sur  lequel  la  drague  recueille,  par  200  mètres  de  fond, 
des  mollusques  morts  depuis  longtemps  et  appartenant  à  une 
faune  beaucoup  moins  profonde  (3)  ;  en  même  temps,  en  somme, 
que  toute  la  surface  du  célèbre  plateau  de  cent  brasses  (180  m.) 
qui  entoure  notre  littoral  du  Nord  (/j),  que  les  terres  qui  jadis 
joignirent  l'Europe  à  l'Islande,  au  Groenland  et  au  Continent  Amé- 
jicain,  que  nos  contrées  elles-mêmes. 

Ce  mouvement  semble  se  poursuivre  encore  dans  les  temps 
actuels;  car  on  en  peut  suivre  les  traces  sur  les  côtes  de  la  mer 
du  Nord  et  de  la  Manche  (5). 

C'est  en  1170  après  J.-C.  que  l'isthme  qui  joignait  la  Hollande  à 
la  Frise  s'est  rompu  et  a  disparu  sous  les  eaux.  C'est  au  treizième 
siècle  que  le  lac  Flévo  devint  un  golfe,  que  le  Zuyderzee  se  for- 
ma (6).  C'est  en  J/j21  que  se  créa  la  mer  de  Biebosch.  11  y  a  donc  eu, 
du  douzième  au  quinzième  siècle,  afl'aissement  continu  de  la  côte  (7). 


(1)  «  La  tranche  pluviale,  dans  un  courant 
atmosphérique,  est  d'autant  plus  épaisse  que 
le  courant  airétc  par  un  obstacle  est  forcé 
de  s'élever  plus  rapidement  »  ;  (CEZANNf, 
Elude  sur  les  torrenls,  II,  p.  .'il),  lair  deve- 
nant plus  froid  avec  l'altitude  (1°  par  100  mè- 
tres environ)  se  décharge  d  autant  plus  rapi- 
dement de  son  humidité  que  sa  température 
s'abaisse  plus  vite.  C'est  ainsi  que  la  friande 
muraille  Scandinave,  surélevée  de  500  à 
l.OUO  mètres,  joua  le  même  rôle  vis-à-vis  des 
vents  océaniques,  que  joue  l'Himalaya  par 
rapport  à  ceux  des  tropiques  (à  Cherra-Pon- 
jée  (Indes),  il  tombe  une  moyenne  de  1-2  à 
14  mètres  d'eau).  Les  pays  jadis  occupés  par 
les  glaciers  se  font  d  ailleurs  encore  remar- 
quer par  la  grande  quantité  d'eau  (]u'ils  re- 
çoivent sur  (piel(|ues  points  (Bergen,  2  m  6'  ; 
Slyehead  [Cumberland;,  4  m.  7-2.) 

(2)  L'influence  du  relèvement  des  massifs 
Scandinaves  et  autres  sur  la  formation  des 
glaciers  a  été  mise  en  évidence  dès  18G4  par 
Frankland  (On  Ihe  physical  cause  of  Ihe  Gla- 
cial Epoch,  in  Phitosoph.  Mag.) 

(3)  Les  dragages  effectués  sur  le  <■  Dogger 
bank  »  par  une  profondeur  variant  de  13  à 
40  mètres  ont  amené  un  grand  nombre  d'osse- 
ments de  mammouth,  de  rhinocéros,  de 
renne,  etc.,  montrant  que  ce  plateau  était 
jadis  émergé.  Plus  au  nord,  sur  le  «  Long 
forties  bank  n,  parmi  les  coquilles  roulées  du 
fond,  se  rencontient  des  mollusques  ne  vivant 
que  dans  la  zone  des  marées,  prouvant   par 


leui'  présence  à  une  profondeur  de  70  mètres 
qu'en  ce  lieu  l'ancien  rivage  s'est  affaissé 
d  autant.  (Cf.  .Iukes  Brow.n,  The  Building  of 
Ihe  British  Iles.) 

(41  A.  Rutot  [Congres  préhist.  de  France,  à 
Vannes  en  1906,  le  Mans,  1907),  examinant  la 
question  des  gisements  chelléens  submergés 
du  Havre,  rappelle  ses  travau.x  sur  «  les  ori- 
gines du  quaternaire  de  la  Belgique  (ds  Bull. 
Soc.  Belge  de  Géol.,  t.  XI,  1897  [Mém.]),  dans 
lesquels  il  a  prouvé  que  le  plateau  de  la  mer 
du  Nord  ne  s'est  enfoncé  qu'à  la  fin  du  qua- 
ternaire et  que,  par  suite,  il  a  été  occupé  par 
1  homme  chelléen.  Il  accorde  10.000  ans  à 
l'anticjuité  de  cet  effondrement  et  fait  remar- 
quer que  ce  mouvement  est  indépendant 
d'autres  qui  ont  eu  lieu  postérieurement. 

(5)  Cf.  Langeraad,  Zeilsch.  f.  wissensch. 
Geogriiphie,  1888,  p.  265. 

(6)  C'est  en  1277  que  la  mer,  entrant  dans 
le  lac  Flévo,  forma  le  Zuyderzee.  Quatre- 
vingt  mille  personnes  périrent  dans  !e  cata- 
clysme. 

(7)  J.  Van  Baren,  ds  la  Géograjihie,  t.  V, 
1902,  p.  49  et  les  deu.x  caries,  pp.  50  et  51.  — 
J.-C.  Ramaer.  Geogr.  Geschied.  V.  Holland, 
beguiden  de  Lek  en  de  yieuwe-Maas  in  de  Mid- 
deleemven.  Amsterdam,  1899.  Ouvrage  renfer- 
mant un  essai  de  reconstitution  de  la  carte 
de  la  Hollande  en  1300  comparée  à  la  géo- 
graphie actuelle.  —  Ed.  Jonckheere,  l'Origine 
de  la  Côte  de  Flandre  el  le  bateau  de  Bruges. 
Bruges,  1903. 


LES    PIIKNOMLWES    GLACIAIIIKS  71 

En   France,  au  troisième   siècle,    le   littoral   entre    Ardres  et 


Effet  que  produirait  un  afTaissement  de  KK)  mètres   dans   les  régions    du  Nord 
de  TAIlernagne  et  du  Sud  des  pays  Scandinaves. 


Nordkerque  était  suljmergé  (1)  et  nous  y  voyons  aujourd'hui  en- 
core la  tourbe  recouverte  de  6  m.  50  par  la  mer  (^2  . 


(1)  Cf.  Deb:iay,   Mém.d'  la  Soc.   des  Scienrt 
de  l'Agric.  el  des  Arls  d-  Lille,  1873. 


(2)  Cf.   GossELET,    Ann.     Se.    (i.    .V..    XXX, 
p.  325. 


72  LES    PREMIÈRES    CIMLISATIOXS 

En  Belgique  (l),  à  l'époque  de  rindustrie  néolithique,  les  flots- 
venaient  jusqu'à  Bruxelles.  Toute  \â  plaine  marine  (2)  repose  sur 
des  couches  de  tourbe  surmontées  de  dépôts  d'eau  salée  ;  puis 
elle  se  retira;  mais  revint  au  quatrième  siècle,  s'avançant  jusqu'à 
Bruges. 

Aux  onzième  et  douzième  siècles,  on  enregistre  encore  des 
irruptions  de  la  mer  dans  la  Hollande  et  la  basse  Belgique. 

On  voit,  à  Wimereux,  sur  les 
rivages  du  Pas-de-Calais,  une  fo- 
rêt submergée  avec  les  ateliers 
néolithiques  qu'elle  renfermait;  et 
plus  loin,  entre  la  Somme  et  la 
Seine-Inférieure,  l'embouchure  de 
la  Bresle  montre  des  traces  très 
nettes  d'afTaissement. 

A  Cherbourg,  un  slatère  d'or 
gaulois  a  été  trouvé  dans  les  tour- 
bes  submergées  ;  et  entre  le  mont 
Saint-Michel  et  la  côte,  sont  des 
traces  de  forêts. 

En  Bretagne  (3),  rinimersion 
de  la  ville  d'Ys,  dans  la  baie  de 
Douarnenez,  vers  le  quatrième  ou 
le  cinquième  siècle,  est  un  fait  classique;  aujourd'hui  ses  ruines 
sont  par  \!i  à  15  mètres  de  fond,  profondeur  qui  indi(jue  pour 
l'afiaissement  sur  ce  point  une  moyenne  de  1  mètre  environ  par 
siècle. 


Ilot  d'Er-lanic  (Morbihan)  et  les 
Cercles  de  pierre,  d'après  le 
docteur  de  Closmadeuc. 


A    la   pointe   de  Plogoff,  des   monuments  mégalithiques   sont 


(1)  Cf.  RuTOT,  les  Origines  du  Quaternaire  de 
la  Belgique.  Bruxelles,  l.>97;  Soc.  belge  de  Géo- 
logie. XI,  p.  i:'l. 

(2)  L'élude  des  oscillations  de  la  plaine 
marine  belge  est  due  aux  beaux  travaux  de 
M.  A.  Rulot  qui  (Congrès  préhist  de  France, 
Vannes,  190ii)  les  résume  comme  suit  :  1°  à 
la  lin  du  quaternaire,  affaissement  général 
très  important,  formation  de  la  mer  du  Nord, 
séparation  de  la  Grande-Bretagne  de  l'Eu- 
rope ;  2°  débuts  des  temps  modernes,  faible 
soulèvement  ;  3*  période  de  calme  compre- 
nant le  néolilliique,  les  âges  du  bronze  et  du 
fer,  les  temps  gallo-romains;  4°  troisième  et 
quatrième  siècles,  affaissement  lent  permet- 
tant à  la  mer  de  reprendre  une  partie  de  ce 
«lu'elle  avait  perdu  i)ar2°;5°  période  de  repos 


de  quatre  siècles;  6°  à  partir  de  l'an  800,  sou- 
lèvement lent;  7°  en  l'an  900,  tous  les  pays 
]ier<lus  au  troisième  siècle  sont  repris,  pé- 
riode de  repos;  b°  vers  l'an  1000,  nouvel 
alTaissement  qui,  en  1179,  amène  la  rupture 
des  digues,  formation  du  Zuyderzée,  détache- 
ment des  îles  de  la  Frise,  la  plaine  marine  est 
couverte  d'eau  ;  t)°  retrait  lent  des  eaux,  éta- 
blissement des  dunes  littorales. 

(3)  Vallées  sous-marines:  entre  autres  celle 
de  la  rivière  de  Pontrieux  qui  prolonge  son 
lit  jusqu'à  10  kilomètres  en  mer  par  un  sillon 
de  30  à  40  mètres  de  profondeur  (Cf.  J.  Rey- 
NAun,  Comptes  rendus  Acad.  Se,  XXVI,  p.  SlH; 
A.  DE  L.^PPARENT,  Traité  de  Géologie,  19U6, 
p.  579.) 


LES     rilKNOMÈNES    GLACIAIRES  73 

aujourd'hui  sous  5  à  6  mètres  d'eau  (1),  et  il  en  est  de  même  dans 
l'îlot  d'Er-lanic  (Morbihan)  (2). 

En  Angleterre  (3),  les  exemples  de  l'oscillalion  du  sol  sont 
également  très  nombreux;  ils  montrent  que  la  submersion  est 
d'autant  plus  importante  qu'on  avance  plus  vers  l'ouest,  tandis 
qu'au  nord,  il  y  a  manifestement  émersion  (A). 

Ainsi,  les  mouvements  ayant  donné  naissance  à  la  Manche  et  à 
la  mer  du  Nord  se  continuent  encore  sous  nos  yeux. 

Ces  affaissements,  reconnaissables  aux  témoins  qu'ils  ont  laissés 
sur  le  littoral,  n'ont  pas  affecté  que  les  côtes  seules;  leurs  effets 
se  sont  fait  sentir  sur  tous  les  continents  voisins,  modifiant  l'al- 
titude de  l'ensemble.  En  sorte  qu'à  l'époque  où  le  plateau  de  la 
mer  du  Nord  émergeait,  où  les  Alpes  Scandinaves  offraient  des 
cimes  comparables  à  celles  de  Fllimalaya  de  nos  jours,  la  France, 
l'Angleterre,  le  Nord  de  l'Allemagne  formaient  des  massifs  plus 
ou  moins  élevés  ;  et  c'est  probablement  à  ces  variations  d'altitude 
que  nous  devons,  en  grande  partie,  les  époques  chaudes  et  froides 
que  révèlent  la  flore  et  la  faune  des  temps  quaternaires. 

Nos  déductions,  jusqu'à  ce  jour,  ne  reposent  que  sur  les 
témoignages  laissés  sur  les  côtes  et  dans  le  fond  des  mers;  parce 
que  nous  ne  possédons  aucun  moyen  d'appréciation  en  ce  qui 
concerne  la  conduite  des  continents  ;  et  le  manque  de  notions  à 
cet  égard  porte  à  supposer  l'invariabilité  dans  l'altitude  de  ces 
terres.  Grave  erreur  qui  entraîne  de  sérieuses  conséquences 
dans  l'interprétation  des  phénomènes  naturels  continentaux. 

Ces  émersions  et  submersions  sont  très  variables  dans  leur 
rapidité;  en  Angleterre,  0  m.  005  et  0  m.  OU  semblent  actuelle- 
ment être  les  extrêmes  annuels. 

Si   nous   prenons   le  minimum  0  m.  005  et  que   nous  l'appli- 

(1)  Cf.  Marcel  Baudouin,  les  Më(jalilhe<i  mais  \\i  peuvent  n'avoir  affecté  que  des  ic- 
submergés  des-  côles  de  la  Vendée;    lex  Cotes  de        gions  peu  étendues. 

Vendée;  de  la  période  néolilhique  au  moyen  âge  ;  (4)  Hamsay  [Glaciers  o/"   \orlh    Wales,  li^i'iO) 

le  Mégalilhe  délruil  de  Sainte  Croix  (Vendée).  constate,  pour    l'Angleterre    cl    le    pays    de 

(2)  Cf.  Cartailhac,  la  France  j)réhisloriqne,  Galles,  trois  périodes  glaciaires  successives. 
2'  édit..  Paris,  189fi,  p.  202,  fig.  79  (d'après  le  Pendant  la  première,  les  terres,  beaucoup  plus 
docteur  de  Closmadeuc.)  hautes  qu'elles    ne   sont   aujourd'hui,  étaienl 

(3)  De  nombreuses  terrasses  marines  ren-  couvertes  d'une  croitte  énorme  de  glace.  Dans 
fermant  une  faune  récente,  mais  plus  froide  la  seconde,  ces  mêmes  terres  se  trouvaient  à 
que  la  faune  actuelle,  montrent  que  les  îles  750  mètres  environ  au-dessous  de  leur  niveau 
Britanniques  ont  subi  des  mouvements  d'im-  actuel.  Les  hauts  sommets  des  îles  Britan- 
mersion  et  de  submersion  au.xtempsglaciaires.  niques  émergeaient  seuls  alors  ef  ils  étaient 
(Cn.  Lyeix,  Anliq.  o/  Man,  éd.  IV,  1873,  couverts  de  neige.  La  troisième  période,  celle 
chap.  Xin,  p.  286  sq.).  Ces  mouvements  n'ont  de  l'état  actuel  des  terres,  montre  encore  dos 
pas  été  sans  influencer  notablement  l'attitude  glaciers,  mais  moins  importnuts  que  ceu.v  de 
des  glaciers    Scandinaves  vers  le  sud-ouest,  la  première  phase. 


l!x 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


quions  à  la  mer  du  Nord,  nous  voyons  que  20.000  ans  auraient 
été  nécessaires  pour  abaisser  de  100  mètres  les  terres  qu'elle 
recouvre  aujourd'hui,  et  que  7.000  ans  environ  auraient  suffi 
pour  le  même  aflaissement  à  raison  de  0  m.  Ol/i  par  an. 

Mais  ces  évaluations  ne  permettent  de  tirer  aucune  déduction 
précise;  car  nous  ne  connaissons  ni  l'intensité  du  mouvement, 
ni  sa  conduite,  ni  les  cataclysmes  qui  ont  pu  survenir  pendant 
qu'il  s'opérait,  activant  ou  retardant  son  allure. 

Si,  des  bords  occidentaux  de  la  dépression  atlantique,  nous 
passons  aux  côtes  américaines,  nous  constatons  un  mouvement 
de  bascule  analogue  à  celui  de  la  Scandinavie,  quoiqu'inverse  ;  le 
nord  émergeant,  ])endant  que  s'aflaisse  le  sud. 

Les  dépôts  marins  se  trouvent  aujourd'hui  à  300  et  330  mètres 
d'altitude  dans  le  Labrador,  à  1^9  mètres  dans  la  baie  de  Fundy, 
à  l/i3  mètres  à  Montréal,  à  120  et  99  mètres  au  lac  Champlain,  à 
30  mètres  à  Boston,  à  12  et  15  mètres  à  la  Nouvelle  Angle- 
terre (1). 

Avant  d'en  terminer  avec  les  oscillations  des  rivages,  je  dirai 
encore  quelques  mots  de  la  Méditerranée  (2),  qui,  nous  l'avons 
vu,  occupe  une  région  très  tourmentée  pendant  l'époque  tertiaire. 
11  s'y  est  formé,  vers  la  fin  des  temps  géologiques,  des  fosses 
profondes  et,  par  compensation,  d'importantes  émersions  (3). 

Près  de  Marseille,  à  2  kilomètres  de  la  plage  de  Fos,  sont, 
par  /i  et  7  mètres  de  fond,  des  ruines  romaines  d'où  l'on  a  tiré 
plus  de  cent  monnaies  antérieures  au  règne  d'Auguste  ;V  . 

L'Italie  n'est  pas  à  l'abri  des  mouvements,  d'après  Issel  (5).  Ses 


(1)  D'après  le  docleur  Ochsenius  (Halbfass 
ueberjunge  llebungen  in  der  Hiidsonbai,  iii 
Ololnis,  LXXVIII,  n°  12,  l'JOO),  la  région  de  la 
baie  d'Hudson  s'exhausse  rapidement,  au 
pointque  dans  quelques  siècles  son  fond,  dont 
la  profondeur  n'excède  pas  i>(X>  mètres,  émer- 
gera en  entier  Pour  l'affaissement  de  l'état 
de  New-York,  Cf.  Raph.  S.  Tarr,  Phijxicdl 
Geoijr.  of  New  York  Stule,  part.  IX.  The 
Shore  Lines,  ds  Bail,  of  Ihe  American  Geo/jr. 
Soc.,  vol.  XXX,  n"  5,  18SI9,  pp.  417-4i:H,  22  hg.; 
affaissement  d'environ  0  m.  GO  par  siècle. 
O.  n.  Uersliey  (ds  The  Quaternary  of  Sou- 
thern California  in  [iall.  of  Ihe  Dep.  of  GeoL. 
vol.  lU,  n»  1,  pp.  1-30,  1962,  observe  qu'en 
C.atifornie  un  soulèvement  général  a  eu  lieu 
au  pléistocène,  atteignant  1.000  à  1.300  mètres 
dans  lu  district  de  los  Angeles,  2.00J  à 
3.000  mètres  dans  la  Sierra  Nevada,  2.()00  mè- 
tres à  la  montagne  de  Fraser. 

(2)  De  ses  observations  sur  les  rivages 
méditerranéens  et  de  celles  de  ses  prédéces- 


seurs, M.  Boule  {les  Grolles  de  Grimnldi, 
Monaco,  19U6,  t.  L  fasc.  H,  p.  14i  sq  ),  tire 
les  conclusions  suivantes  :  le  phénomène  de 
déplacement  des  rivages,  pendant  les  der- 
nières époques  géologiques,  est  un  phénomène 
général  pour  la  Méditerranée;  les  déiiôts  qua- 
ternaires sont  presque  partout  sensiblement 
horizontaux  et,  par  suite,  postérieurs  aux 
grands  mouvements  tectoniques.  Le  jdéisto- 
cène  inférieur  correspond  à  un  grand  mouve- 
ment négatif  de  la  Méditerranée.  Il  est  néces- 
saire d'admettre  pUisieursgrandsmouvements 
négatifs  au  cours  des  dernières  périodes  géo- 
logiques ;  un  mouvement  positif  a  pris  place 
au  cours  du  pléistocène  supérieur. 

(3)  Pour  l'élude  des  oscillations  des  côtes 
méditerranéennes  aux  temps  pliocènes  et 
pléislocènes.  Cf.  Cn.  DEPtREr,  Bail.  Soc. 
Géol.  de  France,  IV'  série,  t.  VL  19J6,  p.  207  sq. 

(4)  D.  Martin,  ZJu//.  Soc.  d  Etudes  des  Hautes- 
Alpes,  1898. 

(5)  Issel,  Bi'adismi.  Gcnova,  1883. 


LES     PllK.NUMÈMiS     (iLACIAIHES 


/O 


côtes  présenteraient  des  traces  d'érncrsion  pour  les  temps  préhis- 
toriques et,  par  contre,  des  indices  de  submersion  générale  depuis 
cette  époque  (1^. 

II  en  est  de  même  pour  la  Dalmatie,  la  Grèce  (2)  et  beaucoup 
de  terres  méditerranéennes.  Les  autres  parties  du  monde,  moins 
bien  étudiées  que  les  régions  dont  il  vient  d'être  question,  pré- 
sentent aussi  des  indices  de  submersion  et  d'immersion  (3)  sur 
bien  dos  points  (/i).  L'écorce  terrestre  travaille  donc  constamment. 
On  conçoit  de  quelle  importance  sont  ces  constatations  en  ce  qui 
concerne  les  événements  glaciaires,  la  vie  et  la  dispersion  de 
l'homme  sur  le  globe. 

C'est,  avons-nous  vu,  à  la  fin  de  l'époque  pliocène  que  débute 
la  période  glaciaire  ;  elle  chevauche  donc  sur  deux  des  divisions 
adoptées,  arbitrairement  d'ailleurs,  par  la  géologie. 

Bien  des  hypothèses  ont  été  émises  pour  expliquer  les  causes 
de  la  naissance  et  de  la  disparition  des  grands  massifs  de  neige. 
On  a  mis  en  avant  des  phénomènes  cosmiques  ou  astronomiques(5); 
il  semble  que  ces  théories  doivent  être  abandonnées,  en  grande 
partie  du  moins  (6). 

D'autres  (7)  pensent  que  le  refroidissement  subit,  qui  causa 
la  formation  des  névés,  est  dû  à  la  descente  vers  le  sud  des 
banquises  brisées  par  de  puissants  raz  de  marée,  ou  par  des 
mouvements  sismiques  ayant  eu  leur  foyer  dans  la  région  arc- 
tique. Les  glaces  flottantes  (8),  entraînées  par  les  courants, 
s'étant  accumulées  sur  les   côtes  d'Europe,  auraient  produit  un 


(1)  D'après  GUnlher  [Geoyr.  Journ.,  XXII, 
pp.  121,  269;  XXIV,  p.  101),  le  sol  de  Naples 
à  l'époque  romaine  était  sensiblement  plus 
haut  que  de  nos  jours.  Vers  le  cinquième  ou 
le  septième  siècle,  il  s'est  enfoncé  de  10  mè- 
tres. Ce  mouvement  a  pris  fin  au  onzième 
siècle  Puis,  vers  le  seizième  siècle,  il  y  a  eu  re- 
lèvement de  5  m.  70.  De  nos  jours  il  y  a  tendance 
à  la  submersion.  Cf.  Suess,  Anllilz  der  Erde. 

(2)  Voies  romaines  du  golfe  d'Arta  (Alti(iue), 
actuellement  à  1  m.  20  sous  l'eau.  (Cf.  Issei.. 
Bradisini.  Genova,  1883.) 

A  Syracuse,  les  carrières  exploitées  par  les 
Grecs  au  pied  des  falaises  qui,  au  nord-est, 
bordent  la  ville  antique,  sont  aujourd'hui 
submergées  (J.  M.). 

(3;  Cf.  entre  autres,  E.  Vredenburg,  Pleis- 
tocene  movements  as  indicated  by  irrcgula- 
rilies  of  gradient  of  the  Narbada  and  olher 
rivers  in  the  Indian  peninsula,  in  Records 
Geol.  Sarvey  of  India.  vol.  XXXIII,  pari.  I. 

(4)  Le  fond  de  l'océan  Pacifi(|ue  s'est 
affaiisé  sur  de  grandes  étendues,  car  Icpais- 
seur  des    récifs  corallins    atteint   par    places 


500  à  600  mètres  de  puissance;  et  ces  courbes 
du  niveau  sous-marin  accusent  l'existence  de 
vallées  creusées  jadis  à  ciel  ouvert  et  au- 
jourd'hui profondément  immergées.  Aux  îles 
Carolines,  des  monuments  sacres  d'ancienne 
date  ont  aujourd'hui  le  pied  dans  la  mer. 
Pour  beaucoup  de  récifs  corallins.  la  théorie 
de  l'immersion  a  été  vivement  combattue  par 
J.  Murray,  L.  Agassiz,  etc...,  mais  elle  de- 
meure exacte  pour  un  grand  nombre  d'îles 
pour  lesquelles  d'autres  preuves  viennent 
appuyer  cette  hypothèse. 

(5)  James  Ckoll,  Climnle  and  Time.  187.i. 

(6)  Cf.  A.  DE  Lapparent,  Traité  de  Géologie. 
V»  édit.,  1006,  p.  1722  sq. 

(7)  Piette,  Déplacement  des  glaces  polaires 
et  grande  extension  des  glaciers.  Saint-Quen- 
tin", 190  i. 

(8)  La  théorie  des  glaces  floUantes  anté- 
rieures à  l'émersion  de  la  Scandinavie  et  à 
la  première  extension  des  glaciers  émise  par 
Lyell  doitètre  abandonnée.  (Cf.  de  Lappabent, 
Traité  de  Géologie,  1906;  M.  Boule.  liev.dAn- 
throp.,  1888,  t.  XVII,  p.  134  cl  noie  1.) 


76  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

froid  intense,  en  même  temps  qu'une  grande  humidité;  d'où  con- 
densation abondante  sur  les  sommets  et  grande  extension  des 
glaciers. 

Cette  théorie  oublie  que,  si  les  banquises  peuvent  amener  un 
abaissement  notable  dans  la  température,  elles  s'opposent  à 
l'élévation  du  degré  hygrométrique  de  l'air;  élévation  qui  néces- 
site un  accroissement  dans  la  température.  En  Sibérie,  par 
exemple,  où  les  glaces  flottantes  et  fixes  occupent  de  vastes  sur- 
faces, l'humidité  de  l'air  est  presque  nulle  et  par  suite  il  tombe 
fort  peu  de  neige. 

Les  causes  de  ces  perturbations  ne  sont  d'ailleurs  pas  aussi 
simples  que  certains  auteurs  ont  été  tentés  de  le  penser;  elles 
proviennent  certainement  d'une  foule  de  faits  indépendants  les 
uns  par  rapport  aux  autres  et  qu'il  convient  de  faire  entrer  en 
ligne. 

La  fin  du  pliocène  et  les  débuts  du  pléistocène  ont  été  signalés^ 
dans  le  monde  entier,  par  un  accroissement  inusité  des  précipi- 
tations atmosphériques  (1);  c'est  à  cette  époque  que  se  sont 
creusées  toutes  les  vallées,  que  le  relief  topographique  actuel 
s'est  établi.  Ce  fut  pour  les  pays  chauds  l'ère  des  lacs  et  pour 
les  régions  froides  celle  des  glaciers  qui,  dans  l'hémisphère  sep- 
tentrional seul,  couvrirent  une  surface  de  vingt  à  vingt-cinq  mil- 
lions de  kilomètres  carrés. 

Pour  créer  des  masses  aussi  considérables  de  névés  (2),  il 
faut  des  vapeurs  abondantes  que  seule  peut  produire  la  chaleur  ; 
et  pour  condenser  ces  vapeurs  sous  forme  de  neige,  un  abaisse- 
ment de  température  sur  certains  points  est  indispensable  ;  ces 
lois  sont  absolues  (3). 

Il  a  donc  fallu  qu'au  début  de  l'époque  glaciaire,  les  circons- 
tances naturelles  permissent  en  même  temps  à  des  courants  d'air 

(1)  Il  ne  faut  pas  oublier  que  le  i.liénomène  tens,  Du  Spilzbenj  au  Sahara,  p.  3U);  plus  on 
glaciaire  n'est  pas  spécial  à  la  période  pléis-  descend  et  plus  la  densité  du  névé  augmente, 
locène;  nous  connaissons  à  des  époques  Elle  arrive  à  %0  et  même  960  kilogrammes 
beaucoup  plus  anciennes  des  dépôts  gla-  quand  elle  est  entrée  dans  le  glacier.  Dans 
claires.  Sur  les  phénomènes  glaciaires  à  les  Alpes,  au-dessus  de  3.300  mèlres,  elle  nest 
l'époque  permienne,  Cf.  W.-M.  Davis,  obser-  pas  agglomérée  et  forme  une  poussière  fme. 
vations  in  South  Africa,  in  Bull.  Geol.  Soc.  of  (3)  La  neige  se  forme  à  toutes  les  tempéra- 
America,  XVII,  U)05,  pp.  376-U9.pl.  47-5i.  Sur  lures  au-dessous  de  zéro.  C'est  à  lort  qu'on 
ceux,  plus  anciens,  de  la  période  Huronienne,  a  parfois  pensé  que  la  chute  de  la  neige 
Cf.  A.-P.  CoLEMAN,  The  lower  huronian  ice-  excluait  un  grand  abaissement  de  tempéra- 
age,  in  Jauni,  of  Geology  Chicago,  XVI,  2,  ture.  A  Iakoutsk,  on  a  vu  neiger  par  —  37°  et 
1908.  même  —  46°.   (Vocikof  in   Pet.  Milh.   Ergàn- 

(2)  Un  mètre  cube  de  neige  fraicliement  juny-s/ie/"/,  1874),  à  Moscou  par —  22°.  J'ai  moi- 
tombée  pèse  85  kilogrammes,  le  mètre  cube  même  vu  en  1889  neiger  à  Tiflis  par  —  18°  et 
de  névé  de  500  à  600  kilogrammes  (Ch.   Mar-        en  1890  à  Hamadan  par  —  15°  à  —  18»  (J.  M.). 


LES    rilKXOMÈNES    GLACIAIRES 


77 


cliaud  de  s'établir,  à  de  grandes  surfaces  liquides  de  se  trouver 
sur  leur  parcours  et  à  des  massifs  réfri<^éraiits  de  se  former. 

Des  variations  dans  la  pression  atmosphérique  eussent,  cer- 
tainement, beaucoup  modifié  l'état  hygrométrique  de  l'air;  mais 
rien  ne  nous  autorise  à  en  admettre.  Nous  devons  donc  nous  bor- 
ner à  rechercher,  dans  les  phénomènes  ayant  laissé  des  traces, 
l'origine  de  ces  singulières  perturbations. 


Carte  des  isanabases  de  la  Norvège,  d'après  Rekstad  et  Vogt. 


La  fin  du  pliocène,  on  l'a  vu,  a  connu  des  transformations 
importantes  s'opérant  dans  l'Atlantique.  Les  continents  s'y  sont 
abîmés,  laissant  le  chemin  libre  aux  courants  d'eau  et  d'air  venus 
du  sud,  et  créant  d'énormes  surfaces  aqueuses.  L'efTondrement 
des  restes  de  ce  continent  fut  l'œuvre  du  pléistocène  ;  en  même 
temps  que  se  créaient  les  fosses  de  l'Adriatique  et  de  l'Egée,  que, 
pour  un  temps  très  court,  la  mer  Rouge  communiquait  avec  la 
Méditerranée,  que   la  mer  Noire  s'ouvrait  le    Bosphore,   que   le 


78  LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

monde  entier  se  couvrait  de  grands  lacs.   Ce  fut  une  révolution 
complète  dans  l'équilibre  du  climat. 

A  cette  époque,  le  massif  Scandinave,  plus  élevé  qu'il  n'esl 
aujourd'hui,  offrait  aux  vapeurs  d'eau  venues  de  l'Océan  nouvel- 
lement libre,  un  foyer  de  condensation  très  important,  tant  par 
son  altitude  (1),  que  par  son  étendue.  Il  n'en  fallait  pas  plus  pour 
qu'un  amoncellement  gigantesque  de  névés  se  produisît  et  que 
les  glaciers  en  résultant  s'étendissent  au  loin. 


^'allées  sous-marincs  de  l'Islande  (d'après  les  cartes  marines}. 

Si  l'Atlantique  ne  s'était  pas  affranchi  des  barrières  qui  l'en- 
combraient, s'il  n'avait  englouti  ces  terres  pour  avancer  jusqu'aux 
pays  Scandinaves  (2),  l'humidité  faisant  défaut,  le  froid  serait 
resté  sec  sur  les  sommets  norvégiens  et  il  n'y  aurait  pas  eu 
condensation,  partant  pas  de    glaciers.    Les    plateaux    tibétains, 


(1)  La  lempérature  s'abaisse  de  1°  par 
100  mètres  d'altitude  (Supan,  Grândzuge  der 
fjhysischen  Erdkunde.  11«  édit.,  p.  5*5.)  Cette 
loi  se  vérifie  dans  les  grandes  hauteurs 
atmosphériques;  à  16.fX)0  mètres  de  tiauteur  à 
laide  de  ballons  sondes,  on  a  observé  —  68°  et 
—  76°  (Cf.  Bouquet  de  La  Grye,  Annuaire  des 
lonyitudes,  188?.) 


(2)  Un  abaissement  des  eaux  marines  de 
4. 000  mètres  ne  changerait  pas  les  grandes 
lignes  de  la  distribution  des  continents  sur  le 
globe  Le  Groenland  s'unirait  à  l'Islande  et 
à  l'Europe  et  il  se  formerait  dans  l'Atlantique 
deux  longues  îles  au  nord  et  au  sud  suivant 
son  axe.  (Cf.  A.  de  Lapparent,  Traité  de 
Géologie,  1906,  p.  63.) 


LES     PIIKNOMÈNES    GLACIAIRES 


79 


hauts  de  5  et  de  600  mètres,  se  trouvent  dans  ces  conditions  (1). 

Les  glaciers  actuels  de  nos  montagnes  (2),  lout  en  fournissant 
bien  des  indications  utiles,  montrent  les  phénomènes  trop  réduits 
pour  que  nous  soyons  autorisés  à  déduire  de  leur  allure  celle 
que  durent  avoir  les  glaciers  Scandinaves  et  américains  du  pléis- 
locène.  Seules,  les  grandes  masses  de  glace  voisines  des  pôles 
offrent  dans  leur  évolution  une  ampleur  suffisante. 

Deux  surtout  de  ces  masses  sont  intéressantes  par  leur 
immense  étendue,  par  l'intensité  du  froid  qu'on  y  rencontre  et 
par  la  gigantesque  accumulation  de  glace  qui  les  compose  :  ce 
sont  celles  du  Groenland  et  du  pôle  antarctique. 

Le  plateau  groenlandais,  haut  de  1.000  à  1.500  mètres  en 
moyenne  et  renfermant  des  pics  élevés  (3),  est  un  immense 
réservoir  où  se  précipitent  constamment  les  névés,  même  au 
cœur  de  l'été.  Ils  se  transforment  en  glace  qui  descend,  sur  ses 
flancs,  jusqu'à  la  mer  (/j). 

Bien  que  la  pente  d'écoulement  ne  soit  que  de  0°  30'  environ, 
la  vitesse  de  ces  glaciers  atteint  des  proportions  hors  de  pair 
avec  ce  que  nous  connaissons  sous  nos  latitudes. 

Le  glacier  de  lakobhavn  s'avance,  en  juillet,  avec  une  vitesse 
de  19  mètres  par  vingt-quatre  heures  (5),  celui  du  nord  d'Uperni- 
vick  parcourt  31  mètres  par  jour,  celui  de  Torsukatak  10  mètres 
seulement.  C'est  de  dix  à  vingt  fois  la  rapidité  que  nous  enregis- 
trons pour  les  glaciers  de  nos  montagnes. 


(l)  Dans  rilimalaya,  les  pics  les  plus  élevés 
sont  dépourvus  de  neige  et  s'élèvent  sur  des 
])lateaux  dénudes  également,  sans  névés. 
C'est  plus  l)as  que  s'est  opérée  la  condensa- 
tion des  vapeurs  (Cf.  Schlagintweit,  Reisen 
in  Indien,  etc.,  IV,  p.  523)  et  la  formation  des 
champs  de  neige  d'où  descendent  les  glaciers. 
L'air  dépassant  cette  zone  ne  contenait  plus 
d'humidité,  se  trouvant  à  une  température 
variant  entre  —  50°  et  —  80". 

(2/  Limite  des  neiges  perpétuelles  dans 
quelques  montagnes  : 

Himalaya,  versant  méridional,  4.900  mètres, 
climat  très  humide  Isoth.  -f-  0°,5. 

Himalaya,  versant  septentrional,  5.700  mè- 
tres, climat  très  sec.  Isoth.  —  2°, 8. 

Karakoroun,  .i.80O  mètres,  climat  Irè-;  hu- 
mide. Isoth.  —  3°, 9. 

Alpes  valaiscs,  2.700  mètres,  climat  moyen. 
Isoth.  —  4°. 

Alpes  maritimes, 3.300  mètres, climat  moyen. 
Isolh.  —  i». 

Norvège,  cote  occidentale,  8811. 306  mètres, 
climat  très  humide. 

Norvège,  versant  oriental.  1.021-1. U80  mè- 
tres, climat  îrèî-  -ce. 


Caucase  (.\fkhasie),  3.570  mètres,  climat  très 
humide. 

Caucase  (Daghestan),  4.300  mètres,  climal 
très  sec. 

Ues  Shetland  (lat.  62°),  0  mètre,  climal 
moyen. 

Nouvelle-Zemble  (lat.  75°  N.),  0  mètre,  cli- 
mat très  sec.  Isoth.  —  11°. 

Du  Mexique  à  l'Equateur,  4.500  mètres, 
climal  très  sec. 

Andes  (CliiliArgentine),  5.200  mètres,  cli- 
mat très  sec. 

Terre  de  Feu  (lat.  54°  30*  S.),  9.50  mètres,  cli- 
mat très  humide. 

Islande  (lat.  64»  N.),  860  mètres,  climal 
moyen. 

(3)  Nanscn  (Pet.  Mit.,  1889),  pics  de  2.700  el 
2.500  mètres  ;  pics  d'Umanak,  2.000  mètres 
d'altitude. 

(4)  L'Inlandsis  du  Groeidand  (réservoir  des 
névés)  couvre  une  surface  évaluée  à  2  mil- 
lions de  kilomètres  carrés;  l'épaisseur  de  la 
glace  est,  sui  va ntXansen,  de  1.700 à  2.000  mètres 
(de  Lappahent,  Traité  île  Gdoloyie,  V'  cdil., 
1906,    p.    300). 

(5)  IlELLANn,  Pet.  Mit.,  1887. 


80 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


Au  pôle  austral  (1),  où  sont  des  terres  élevées  et  do  hauts 
sommets,  l'intensité  glaciaire  est  autrement  grande  encore  (2);  les 
névés  comprimés  ayant  rempli  toutes  les  cavités,  toutes  les  val- 
lées, franchissent  les  chaînes  de  montagnes  par  leurs  cols,  cher- 
chant pour  s'écouler  la  ligne  de  plus  grande  pente.  Là,  les  glaces 


Fosse  de  Cap  Breton,  prolongemenl  sous-marin  de  la  vallée  de  l'Adour, 
d'après  L.-A.  Facre,  le  Sol  de  la  Gascogne  dans  la  Géographie,  f.  XI, 
1905,  p.  269. 

forment  aux  continents  une  ceinture  (3)  émergeant  des  eaux  de 
plus  de  100  mètres.  Les  icebergs  qui  s'en  détachent  sont  gigan- 
tesques. On  en  a  vu  de  100  kilomètres  de  longueur  sur  Qli  de  lar- 


(1)  Ch.  Rabot  (la  Glaciation  antarctique,  ds 
la  (léoyraphle.  15  déc.  1907,  p.  385),  réunissant 
toutes  les  notions  actuelles  sur  le  pôle  sud, 
donne  des  aperçus  du  plus  haut  intérêt  au 
point  de  vue  des  phénomènes  qui  prirent 
place  au  cours  du  pléistocène. 

2)  Les  conditions  climatiques  actuelles,  au 
pôle  antarctique,  sont  insuffisantes  pour  ali- 
menter les  glaciers,  et  d'après  Scott  et  Ferrar 
faudrait  considérer  la  «  Grande  barrière  », 
le  »  Piedmonl  glacier  »  de  la  rive  ouest  du 
Me  Murdo  Sound,  et  nombre  d'autres  appa- 
reils comme  les  témoins  d'une  glaciation 
antérieure  paroxysmale  en  voie  de  s'éteindre 
progressivement.  (C.  Rabot,  la  Gêogr.,  1907, 
p.  395.)  Toutes   les   récentes  expéditions  ont 


reconnu  le  recul  général  de  la  glaciation  an- 
tarctique. Ijd  ,  p.  399.) 

(:^)  La  "  Grande  barrière  »  de  Ross  est  une 
nappe  de  glace  haute  de  15  à  84  mètres  au- 
dessus  de  la  mer,  s'élendant  d  est  en  ouest  sur 
950  kilomètres  dans  toute  la  largeur  de  la  mer 
de  Ross,  depuis  la  Terre  Victoria  jusqu'à  celle 
du  roi  Edouard  VII,  et  du  nord  au  sud  sur  une 
longueur  inconnue;  mais  qui  n'est  pas  infé- 
rieure à  600  kilomètres.  G  est  un  vaste  glacier 
(Nat.  Antarc  E.^ped.,  in  iVa!.  ///s/.,  vol.  I., 
p.  67)  dont  l'écoulement  est  par  places  de 
1  m.  35  par  jour  (environ  500  mètres  par  an). 
[Cf.  G.  FÎABOT,  la  Glaciation  antarctique,  ds 
la  Géographie,  5  déc,  1907,  p.  390.] 


LES   imii':.\()Mi;m:s   (ILaciaiiîks 


81 


geur,  pi'ësentant  une  épaisseur  totale  de  0  à  700  mètres  au  moins, 
s'en  aller  en  dérive  jusqu'aux  environs  de  /|/i"  latitude  sud. 

Ces  énormes  blocs  ne  peuvent  provenir  que  de  glaciers;  aucun 
froid  terrestre  n'étant  assez  intense  pour  congeler  l'eau  de  mer 
jus(|u'à  une  profondeur  de  près  d'un  kilomètre. 

Malheureusement,  le  Groenland  (1)  comme  le  pôle  arctique  sont 
d'une  exploration  difficile  et  nous  ne  possédons  à  leur  sujet  que 
peu  d'inlormalions  ;  c'est  à  nos  modestes  glaciers  alpins  ((uo  nous 
devons  encore  avoir  recours  pour  obtenir  des  détails  plus  précis. 

Les  années  humides  entraînent  un  accroissement  dans  la  for- 
mation des  névés  et  il  s'ensuit  une  augmentation  de  l'énergie 
glaciaire.  Cet  accroissement  ne  fait  pas  de  suite  sentir  ses  effets  ; 
ce  n'est  qu'après  une  période  dite  de  retard,  variable  pour  chaque 
glacier,  que  la  tête  s'avance  ])Ius  ou  moins.  Le  recul  correspond 
à  des  périodes  sèches,  longtemps  après  qu'elles  ont  eu  lieu  (2). 

Pour  le  Grindehvald,  dont  la  vitesse  moyenne  est  de  1  mètre 
par  jour  environ,  le  relard  est  de  vingt  années. 

Les  glaciers  se  retirent  avec  la  même  facilité  qu'ils  s'allongent; 
c'est  ainsi  que  celui  du  Rhône  a  subi  de  1818  à  1880  un  retrait  de 
1.000  mètres  et  une  perte  d'épaisseur  de  137  mètres  près  de  son 
extrémité,  et  qu'en  vingt-sept  ans  les  glaciers  du  Valais  ont  aban- 
donné 5/i  kilomètres  carrés  de  terrain. 

Généralement  les  glaciers  alpins  suivent  une  seule  vallée  ; 
mais  lorsque  deux  thalwegs  se  joignent,  les  deux  glaciers  se  réunis- 
sent, etl'intensité  résultante, sans  être  la  somme  de  ses  composantes, 
est  singulièrement  accrue  en  vitesse  et  en  puissance  de  transport. 

Les  glaciers  descendent  donc  d'autant  plus  bas  qu'ils  sont 
mieux  approvisionnés  de  névés  ;  c'est-à-dire  que  leur  réserve  de 
neiges  est  plus  étendue.  Ils  atteignent  les  zones  tempérées,  qu'il 
pénètrent  parfois  profondément;  c'est,  entre  autres,  le  cas  de  la 
Nouvelle-Zélande  (3)  où  ils  s'avancent  jusqu'au  milieu  des  forets 
de  fougères  arborescentes  (4). 

(1)  Sur  les  glaciers  actuels  du  Groenland,  Creusement  des  vallées  et  périodicité  des 
Cf.  le  résumé  de  Ch.  Rabot  [Rev.  scienlif.,  mai  phénomènes  Jilaciaires,  ds  Congrès  d'Antlirop. 
1888.  p.  580  sq.).  Cf.,  Ch.  Rabot  les  récentes  et  d'Arch.  /(ri'/i/.s-;.  Paris,  1889,  p.  8.^.  —  De 
e.xplora(ions  danoises  à  la  côte  orientale  du  Saporta,  id.,  p.  !)2.  —  Garrigou,  id.,  p.  98. 
Groenland,  ds/«Geo(/rap/i/e,  190-2,  t.  VI,  p.  79  (3)  Phénomènes  glaciaires  en  Nouvelle- 
^1-  Zélande.   Cf.   E.    C.   Andrews,  The  ice-nood 

(2)  Cf.  F.-A.  FoREL,  Essai  sur  les  variations  hvpothesis  of  Ihe  New-Zealand  Sound-basins. 
périodiques   des  glaciers.     E.xlr.    de    la  Dibl.  In  Journ.  of  GcoL,  1906,  t.  XIV,  pp.  22-54. 
Unii'.,  3=  pér.,   t.   VI,   résumé  dans   les  Mule-  (4)  Cf.  Dupont,  l' Homme  pendant  les  âges  de 
rtaux,  1888,  pp.  336-348.  Vallot,  Oscillations  des  la  pierre,  p.  53.  —  Lykll,  /'r/;ic.,  t.  H.  —  Lar- 
glaciers  des  Pyrénées,  Paris,  1887.  —  J.  Geikie,  xet,  Relit].  AqniUmiae,  p.  150. 


82 


I.ES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


Ainsi,  la  tête  d'un  glacier  peut  se  trouver  dans  la  région 
habitable,  au  milieu  de  la  végétation,  des  cultures,  des  villages. 
Ses  mouvements  d'avance  ou  de  recul  peuvent  être  suivis  par 
l'homme,  dont,  par  suite,  les  traces  peuvent  être  prises  entre 
deux  couches  d'alluvions  glaciaires. 

La  conduite  de  l'atmosphère  est  donc  le  principe  de  celle  des 
glaciers;  mais  elle-même  malheureusement,  est  peu  connue.  Les 
lois  extrêmement  compliquées  qui  la  régissent,  nous  échappent 
encore  pour  la  plupart  (l). 

Les  météorologistes  ontcependantétablique  des  périodes  de  dix- 
sept  années  environ  se  succèdent  régulièrement,  les  unes  sèches, 
les  autres  humides.  Mais  en  dehors  do  cette  règle,  il  est  bien  des 
variationsdont  nous  ignorons  la  périodicité  ;  parce  que  nos  obser- 
vations ne  sont  pas  encore  de  durée  suffisante.  Quelques  faits  isolés 
autorisent  toutefois  à  supposer  des  lois  de  grande  amplitude. 

Depuis  l'époque  impériale  romaine  (Probus)  jusqu'au  moyen 
âge,  la  culture  de  la  vigne,  intimement  liée  au  climat,  a  gagné  vers 
le  Nord;  elle  s'est  arrêtée  vers  Bruxelles  et  Tournay  pendant  le 
quinzième  siècle  ;  aujourd'liui  elle  redescend  vers  le  Sud  (2). 

En /(Ol  de  notre  ère,  la  mer  Noire  gela  presque  entièrement; 
en  762,  la  glace  s'étendit  du  Caucase  aux  bouches  du  Danube  et 
se  recouvrit,  disent  les  contemporains,  de  20  coudées  de  neige. 

Tous  ces  faits  ont  eu  leur  répercussion  sur  l'allure  des  glaciers, 
les  faisant  avancer  ou  reculer  dans  certaines  régions,  alors  que 
dans  d'autres,  ils  demeuraient  stationnaires  ;  de  là,  cette  grande 
complexité  dans  la  succession  des  dépôts  erratiques.  Au  milieu  de 
ce  désordre  des  témoignages  naturels,  il  est  bien  difficile  de  dis- 
cerner les  phénomènes  généraux  des  faits  d'importance  secon- 
daire ou  locale  (8). 


(1)  La  diminiilion  îles  pluies  après  la  dispa- 
rition complète  des  glacier-i  doit,  peul-êlre, 
en  grande  partie  être  attribuée  au  dél>oise- 
ment  complet  des  pays  autrefois  couverts  par 
les  glaces.  (Cf.  Gaudry  et  M.  Boule,  Mater, 
p.  IHisl.  des  temps  quaternaires,  18^8,  p.  83.  — 
De  Lapparent,  Traite  de  G'-ol.). 

(2)  Cf.  Arago,  Annaaire,  1834.  —  Le  IIon, 
l'Homme  foss'le^-i"  odit.,  p.  306.  —  De  Nadail- 
i.ac,  1  Origine  et  le  développement  de  la  vie 
sur  le  globe,  ds  Correspondant.  Paris,  1888, 
|i.  Si. 

(3)  Dans  le  Schleswig-Holstein,  entre  autres, 
on  a  relevé  les  traces  d'un  raz  de  marée  haut 
de  'iO  mètres  environ,  qui,  entre  le  dixième  et 
le  cinquième   siècle   avant    notre    ère,  aurait 


(le  part  en  part  traversé  la  péninsule.  (Cf. 
Flack,  Die  Cimbrische  Flutli,  in  Mittlteil.  d, 
Vereins  NonlUcli  d.  Elbe,  18(59.  p.  10  sq.  — 
Geinitz,  Mitt  Petermann,  XLIX.  1903,  p.  82.) 
En  1(J34,  un  laz  de  marée  couvrit  la  Frise  et 
leSchles\vig-Holstein,englouLissant2.L(iOhom- 
mes  et  50.000  létes  de  bétail.  Le  8  septembre 
1362,  ce  furent  les  îles  de  Sylt  et  de  Fnhr  que 
dévastèrent  les  eari.x.  Trente  paroisses  envi- 
ron, 11.000  êtres  humains  et  90.000  tètes  de 
bétail  disparurent  (Cf.  Eii.keh,  Die  Sturm- 
flalen  in  der  Nordsee,  Eniden,  1877,  p.  8  sq.  — 
StEss,  trad.  fr.,  II,  p.  672.  —  Marcks,  Uonner 
Jahrbiicher,  XCV,  1894,  p.  35.  —  Moritz,  Die 
Nordseeinsel  Rœm.  in  Mitt.  d.  Geogr.  Gesells- 
cha/t,  Hamburg,  XIX,  1903,  p.   161  sq.) 


LES   piU':.\omi^:nes   ijl\(:iaiiu:s 


8.3 


Qui  nous  prouve,  en  eOet,  (|ue  les  j)ëriodes  (rextension  des 
glaciers,  en  Amérique,  sont  exactement  contemporaines  de  celles 
de  la  Scandinavie  ;  qu'en  Europe  même,  les  divers  versants  d'un 
même  massif  ont,  en  même  temps,  subi  les  mêmes  phénomènes  ; 
que  les  glaciers  des  Alpes  ont  évolué  parallèlement  à  ceux  des 
Pyrénées,  ou  de  l'Ecosse;  et  que  ceux  de  l'Altaï  ont  suivi  les 
mêmes  phases  ? 

Nos  tendances  à  synchroniser  les  faits  de  même  nature,  à  sim- 
plifier des  phénomènes  extrêmement  compliqués,  nous  poitent  à 
trouver  des  solutions  capables  de  satisfaire  superficiellement  l'es- 
prit; mais  elles  nous  mènent  dans  une  voie  bien  souvent  con- 
traire à  la  vérité. 

Le  grand  glacier  du  pôle  arctique,  entouré  d'énormes  masses 
liquides,  pourvu  de  sommets  élevés,  se  trouvant  dans  les  condi- 
tions les  plus  favorables,  est  la  masse  glaciaire  la  plus  impor- 
tante du  monde  moderne;  car  elle  couvre  une  surface  d'environ 
quinze  millions  de  kilomètres  carrés.  Le  Groenland  (1  >,  soumis 
sur  sa  côte  orientale  aux  actions  atlantiques,  bordé  par  les  mers 
au  nord,  offrant  un  inlandsis  de  deux  millions  de  kilomètres  car- 
rés, affectant  une  région  de  cinq  millions  environ,  se  rapproche 
également  beaucoup  par  son  étendue  et  par  les  conditions  géo- 
graphiques dans  lesquelles  il  se  trouve,  de  ce  que  fut  autrefois 
la  masse  glaciaire  Scandinave;  c'est  donc  aux  phénomènes  actuels 
de  ces  massifs  modernes  ([u'il  convient  de  comparer  ceux  des 
grands  glaciers  quaternaires. 

Le  centre  principal  des  glaces  se  trouvait  dans  l'ossature 
rocheuse  des  Alpes  norvégiennes,  plus  élevées  alors  qu'au- 
jourd'hui (2).  Le  Jjabrador,  le  Groenland,   l'Islande  et  probable- 


(1)  Cf.  H.  RiNK,  Journ.  of  royal  Geor/r.  Soc, 
vol.  XXlII,p.l45, 1853.  —  NoRDENSKjMLD,  Expé- 
dition to  Groenland,  Geo/.  Mai].,  187-2,  vol.  I.X, 
p.  305  —  R1C11.4RD  Bkov,-^,  Quart.  Geol.  Journ., 
1870,  vol.  XXVI.  p.  fi8-2.  E.vpodilion  d'Amdrup 
à  la  côte  orientale  du  Groenland,  ds  Geografisk 
Tidskrift,  l'^DD,  XV.  3  et  4.  A  (nielqtic  distance 
de  la  cijle,  on  voit  encore  surgir  des  pics 
rocheu.x  on  nunataks,  qui  i)ointent  au-dessus 
de  la  plaine  glacée  :  mais  plus  loin  tout  dis- 
parait, et  la  glace,  dont  Nansen  estime  l'épai-. 
seur  entr(!  l.GOU  et  1901)  mètres,  atteint  des  al- 
titudes de  2.iOO  mètres  (Cf.  A.  dk  L.^ppaue.nt, 
Leçons  de  G^ogr.    i>liys.,  1897,  p.  2-23.) 

(2)  La  bibliographie  relative  à  l'étude  des 
glaciers  pléistocènes  est  extrêmement  abon- 
dante. Je  ne  citerai  que  les  principaux  ou- 
vrages :    Dolfis-Alsset,    1365-09,    Malériaur 


pour  l'étude  de.i  Glacier.-;.  Paris.  8  vol.  (renfer- 
mant la  bibliographie  jusqu'à  1869).  —  Falsan 
et  Chanthk,  les  Anciens  Glacierx  du  Rhône. 
2  vol.,  Lyon,  1879.  —  Geikie,  The  Great  ice  Aye, 
2'  édit.,  Londres,  1877.  —  T\\D\LL.le.t  Glader.'i 
et  le.f  Tranxfornialion.'i  de  l'eau,  3'  é  lit..  Paris, 
1880.  —  Pkestwicu,  The  Glacial  period.  in  Journ 
of  IheGeol.  .Soc,  août,  1887.  —  Penck.  Die  Ver- 
yletxcherunij  der  deutxchen  Alpen,  Lei|)zig, 
1882.  —  Pe.nck,  Geogr.  Wirkunyen  des  Eiszeit, 
Berlin,  1884.  —  \Vt»:iKor,  A'/Zmcj/e  derErde,  18H7. 
—  Trameli-i  Cause  dcl  Clima  Qualernario.  in 
lieniticonli  In.sl.  Lomb.,  1888.  —  Boule,  Essai 
de  Paléontologie  slraligraphique  de  l'homme, 
1889,  in  liev.  Anthrop.  —De  Lapparcnl  (r/(//7c' 
de  Géologie,  5'  éd.,  190).  Paris,  p.  1663  et  sq.i 
résume  et  e.xpose  magistralement  la  ques- 
tion. 


u 


LES     IMIKNOMÈXES     (II.ACIAIRES  85 

ment  aussi  l'Irlande,  l'Ecosse  (1)  et  la  Scandinavie  étaient 
soudées  ensemble  par  de  gigantesques  banquises,  ou  même 
par  des  terres  dont  les  îles  Jean-Mayen,  Fa'rœ,  Shetland,  etc.,  ne 
seraient  aujourd'hui  que  les  ruines.Le  sol  de  la  merdu  Nord,  émergé, 
reliait  l'Angleterre  à  la  Norvège  ;  celui  de  la  Manche  également 
soulevé,  joignait  les  îles  Britanniques  à  l'Europe  continentale  ("il. 

Les  terres  océaniques,  s'il  en  existait  dans  la  région  située  aujour- 
d'hui entre  la  fosse  glaciale  et  la  fosse  atlantique,  devaient  n'être 
qu'un  archipel  n'empêchant  pas  les  courants  du  sud  de  lestraverser. 

La  Scandinavie  (3)  surélevée,  se  reliait  à  l'Allemagne  du  Nord; 
le  Groenland  lui-même,  plus  haut  qu'aujourd'hui,  se  rattachait  à 
l'Amérique  par  les  plaines  de  Baffin  et  d'IIudson. 

Les  limites  méridionales  de  cet  énorme  amas  de  glace  sui- 
vaient, en  Amérique  (4),  la  vallée  du  Missouri,  celle  de  l'Ohio,  et 
venaient  aboutir  en  dessus  de  New-York.  De  l'autre  côté  de 
l'Atlantique  (5),  elles  comprenaient  l'Irlande  et  l'Ecosse,  passaient 
à  Londres,  à  Anvers  (6),  au  sud  de  Berlin,  de  Moskou,  touchaient 
aux  plages  septentrionales  du  lac  aralo-caspien  et,  vers  l'Oural, 
remontaient  droit  au  nord,  laissant  la  Sibérie  dégagée  (7). 


(1)  En  Ecosse,  l'épaisseur  des  glaces  fut 
gigantesque;  les  monts  Schehallion  (Perth- 
shire)  montrent  des  stries  glaciaires  sur 
leur  flanc  et  jusqu'à  leur  sommet  haut  de 
1.150  mètres  environ.  (Jamieson,  Quart.  Geol. 
Journ.,  1865,  vol.  XXI,  p.  105.) 

(2)  Cf.  E.  IIuLL,  On  the  sub-oceanic  lerrares 
and  river  ualleys  of  Ihe  Coast  of  Western 
Europe.  Londres,  1809,  Institut  Victoria, 
17  avril  1899.  Cette  plate-forme  entoure  les 
îles  Britanniques  et  les  côtes  de  France, 
d'Espagne  et  de  Portugal.  En  face  de  Brest, 
elle  est  large  de  210  kilomètres;  au  nord  de 
1  Espagne,  elle  ne  présente  plus  que  30  ou 
40  kilomètres;  elle  s'incline  en  pente  douce 
jusqu'à  200  brasses  (.360  m).  Au  delà,  un 
immense  talus  très  raide  la  relie  au.\  grands 
fonds  de  2. 400  brasses  (4.320  m.).  Ce  plateau  est 
sillonné  de  vallées  correspondant  au.x  fleuves 
actuels,  à  la  Loire,  la  Gironde.  l'Adour  ;  celte 
dernière  se  prolonge  par  une  vallée  profonde 
de  117  brasses  au-dessous  du  plateau,  175  de 
profondeur  absolue  à  5  ou  6  milles  du  rivage, 
puis  se  poursuit  sous  forme  d'un  véritable 
canon  pour  venir  s'ouvrir  sur  le  fond  de 
l'Océan  à  une  profondeur  de  1.000  brasses. 
C'est  la  fosse  du  Cap  Breton  II  en  est  de 
même  pour  les  rivières  d'Espagne  et  de  Por- 
tugal. D'a|)rès  IIull,  ce  soulèvement  daterait 
de  la  lin  du  piiocène.  A  celte  épo(iue,  l'Is- 
lande, l'Irlande  cl  l'Angleterre  étaient  réunies 
au  continent;  le  talus  serait  le  reste  d'une 
grande  falaise  litlorale.  Il  y  aurait  donc  ru 
surélévation  de  2.000  mètres  environ  portant 
sur  tout  l'occident  de  l'Euroiic. 


(3)  L'établissement  du  relief  actuel  scandi 
nave  procède  de  phénomènes  de  dislocation, 
d'émersion,  d'immersion  et  de  glaciation  dont 
la  complexité  est  extrême.  (Cf.  J.  Rehstao, 
Norge.s  Geologiske  undersogelses  Aarbog,  1902, 
1905,  1907.) 

(4)  Moraines  dans  le  sud-esl  du  Dakota.  Cf. 
M.  J.  ToDD,  Bull,  of  Ihe  U.  S.  Geol.  Survei/. 
1899,  n°  158. 

(5)  Cf.  la  carte  de  Penck  (in  Ranke,  Der 
Mensch,  t.  II,  p.  385)  montrant  les  moraines 
anciennes  et  celles  plus  récentes.  Congri-x 
de  Bologne,  \81i,  pp.  89-97.  Congrès  de  Buda- 
pest, 1876,  p.  33.—  Pe.nck,  Zeitsclir.  d.  d.  Geolog. 
Gesellsch.,  1879,  p.  117.--  Associât.  Fr.  p  lavanc. 
des  se,  1887,  p.  29J.  —  Falsan,  Esquisse  géolo- 
gique du  terrain  erratique  et  des  anciens  gla- 
ciers de  la  région  centrale  du  bassin  du  Rhône, 
1883. 

(6,  .1.  Lorié  (Tijdschrift  ran  het  kon.  Xederl. 
Aardrijkskundig  Genootschap.  Lej'de,  1902, 
n°'  2  et  3)  pense  que  les  glaciers  Scandinaves 
Iiléislocènes  ont  franchi  le  Rhin. 

(7)  Le  manque  absolu  de  dépôts  glaciaires 
dans  la  Sibérie  centrale  et  septentrionale 
peut  être  le  résultat  de  deux  phénomènes 
distincts  :  ou  bien  les  névés  arrêtés  par 
l'Oural  d'une  part,  et  de  l'autre  par  les  hauts 
sommets  centre-asiatiques,  n'ont  pu,  malgré 
le  froid,  se  concentrer  en  Sibérie;  ou  bien  la 
Sibérie  jouissait  d'un  climat  plus  tempéré  (|ue 
de  nos  jours  Cette  dernière  hypothèse  semble 
être  la  meilleure,  si  nous  en  jugeons  par  la 
faune  do  ce  pays  au  temps  pléistocène. 


86  I^ES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Ce  vaste  glacier,  réuni  à  celui  du  pôle,  se  rattachait  à  la  Nou- 
velle-Sibérie, aux  îles  Liakhov,  Anjou,  Long,  etc.,  par  le  Spitz- 
berg,  la  Nouvelle-Zemble,  la  Terre  de  François-Joseph  et  d'autres 
terres  polaires,  soit  encore  inconnues,  soit  abîmées  sous  les  eaux. 

Pour  la  région  comprise  à  l'ouest  du  Groenland  et  au  nord  de 
l'Alaska,  nous  ne  possédons  aucun  document;  mais  l'Alaska  lui- 
même  avait  ses  glaciers  très  développés  (1),  probablement  sou- 
dés à  ceux  du  vieux  continent. 

L'ensemble  (2)  formait  une  masse  tout  aussi  importante,  si 
ce  n'est  plus,  que  celle  des  glaces  antarctiques  actuelles  ;  mais 
sa  surface,  au  lieu  d'être  presque  circulaire,  se  décomposait  en 
deux  grands  massifs  :  celui  d'Amérique  qui,  joint  au  Groenland, 
semble  avoir  été  le  plus  considérable,  et  celui  de  l'ancien  monde, 
dont  le  centre  de  dispersion  se  trouvait  dans  les  pays  Scan- 
dinaves, à  3.000  kilomètres  environ  des  points  extrêmes  où  les 
témoins  erratiques  ont  été  rencontrés. 

Du  côté  de  l'Europe,  les  glaciers  s'étendaient  bien  plus  aisé- 
ment que  ne  le  font  aujourd'hui  ceux  du  Groenland.  Ayant  comblé 
la  dépression  baltique,  si  toutefois  elle  existait  alors,  ils  rencon- 
traient la  terre  ferme  et  non  la  mer  comme  limite  à  leur  avance- 
ment. La  Scandinavie  (3)  surélevée  formait  un  inlandsis  d'environ 
un  million  et  quart  de  kilomètres  carrés,  où  se  déposaient  des 
quantités  énormes  de  névés  (4).  La  pente  était,  il  est  vrai,  très 
faible;  mais  nous  avons  vu  que  la  masse  des  neiges  indue  beaucoup 
plus  sur  l'allongement  des  glaciers  que  l'inclinaison  du  sol. 

Plus  au  sud,  dans  le  massif  indépendant  des  Alpes,  le  glacier 
du  Rhône  (5),  grossi  par  les  affluents  de  l'Oberland  Bernois,  de 
la  Savoie,  etc.,  remplissait  toute  la  plaine  suisse,  recouvrait  le  lac 
de  Genève  et  s'étendait  jusqu'à  Lyon.  Ses  névés  s'élevaient  jus- 
qu'à 3.550   mèlres  d'altitude  (6)    et   sa   puissance   atteignait    par 

(1)  I.e  mont  Mac  Kinlev  dans  l'Alaska,  d'une  la  Scandinavie  pendant  la  période  pléi>t<icène, 
altitude  de  G.  139  mètres,  est  la  plus  haute  la  liyne  de  faite  ne  coïncidait  pas  avec  celle 
monta-ne  derAmérique  du  Nord.  du    relief    Scandinave  ;  mais    se   rencontrait 

(2)  Aux  temps  quaternaires,  les  glaces,  en  beaucoup  plus  à  l'est,  en  Suède,  en  aval  de 
Europe,  couvraient  une  surface  d'environ  la  zone  occupée  actuellement  par  les  grandes 
'i. 00  i.UOO  de  kilomètres  carrés,  et  en  Amérique  nappes  d'eau  du  jilateau  lacustre.  Cf.  G. 
i-mbrassaient  quatre  à  cinq  fois  autant.  Le  Andeusso.n,  Dcn  Cenlraljnmiska  ix.yun.  in 
massif  alpin,  réduit  aujourd  hui  à  4.000  kilo-  Ymer,  1897,  1,  Stockholm,  résumé  par  C.  Ra- 
inètres  carrés,  en  couvrait  alors  150.000.  Cf.  bol,  ds  la  Géographie,  t.  III.  1901,  p  325  sq. 
A  DP  Lapparevt,  /es  Silex  tailles  et  lAncien-  (5,  Fai.sa.v  et  Chantre.  Monogr.  des  Ane. 
netc  de  Ihûmme,  Paris,  1907,  p.  80.  Clac,  et  des  lerr.  erratiques  ds  la  partie  mogenne 

(3   Cf.    Ch.  Lyell,   A/ih'r/.    of   Man,  éô.  W,  de  la  val.  du  Rhône.  Lyon,  ISSO. 

1R73,  chap.  XIII,  p.274.  -  Kjerui.f.  Zei/.sc/jn'/'/,  (f.)  «   Dans    toutes    les    vallées    alpmes,   la 

C.eoloqische  Cesell.  Berlin,  1800.  zone  des   polis  glaciaires  monte  à  plusieurs 

(4)  Sur  la   carapace  glaciaire  qui  a  couvert  centaines  de  mètres  au-dessus    des   glaciers 


LES     l'IIKNOMÉNES     GLACFAIllKS 


87 


places  l.()SO  mètres.  Au  nord,  il  se  joignait  à  ceux  du  lîhiu  et  du 
Danube  et  couvrait  une  surface  d'environ  150.000  kilomètres  car- 
res, tandis  que  de  nos  jours  sa  superficie  n'excède  pas  'i.OOO  (l). 

Je  ne  parlerai  pas  des  Pyrénées,  du  massif  central  de  la 
l-'rance,  du  Jura,  de  la  (^orse  i'2)  ;  ces  chaînes  avaient  aussi  leurs 
glaciers,  de  peu  d'importance,  d'ailleurs,  parrappoità  ceux  dont 
il  vient  d'être  parlé  f3). 

L'Améri(|ue  (h)  du  Nord,  outre  l'Alaska  (5  ,  possédait  aussi 
ses  îlots  glaciaires,  dans  les  llocheuses  justpi'à  la  Sierra-Nevada  de 
Californie.  De  grands  lacs  les  accompagnaient;  l'un  d'entre  eux, 
le  lac  Bonneville,  couvrait  une  surface  de  50.000  kilomètres  carrés 
et  présentait  une  profondeur  de  300  mètres  (6). 

L'Amérique  du  Sud  (7)  au  Pérou  et  au  Chili,  la  Nouvelle- 
Zélande  ont  également  connu  les  glaciers  pléistocènes,  de  môme 
que  r Himalaya  et  la  plupart  des  grandes  chaînes  asiatiques. 

Le  massif  Scandinave,  seule  région  élevée  dans  le  nord  de  l'an- 
cien continent,  formait  l'ossature  principale  de  la  masse  euro- 
péenne des  glaces  ;  mais  le  relief  actuel  de  cette  chaîne  ne  peut 
donner  aucune  idée  de  la  direction  particulière  de  ses  glaciers 
d'autrefois;  car, disparaissant  sous  les  énormes  tombées  de  névés, 
les  vallées,  les  sommets,  les  crêtes  n'étaient  plus  alors  un  guide 
pour  les  glaces  qui,  comme  le  fait  a  lieu  dans  les  régions  antarc- 
tiques, suivant  la  ligne  de  plus  grande  pente,  comblaient  les 
dépressions,  accumulant  les  neiges  devant  les  obstacles,  franchis- 
saient les  cols  et  se  déversaient  du  côté  le  ])lus  favorable  (8).  La 


actuels,  atle?.laril  la  hauteur  à  laquelle  ceux-ci 
ont  dû  s'élever  autrefois.  (A.  de  Lapparent, 
Leçons  de  Géogr.  pliyx.,  1907,  p.  213.)  Sur  la 
marche  des  glaciers  alpins,  Cf.  Alb.  Penck 
et  Ed.  Brickner,  Die  Alpeii  im  Eiszeilalter, 
Leipzig,  1901  et  sq. 

(l)  De  Lapparent,  Trailt':  de  (iéolmjic,  5'  éd., 
1906,  p.    1680. 

(-2)  Sur  les  traces  de  glaciation  dans  lile 
de  Corse,  Cf.  P.  Castelnau,  le  Niolo,  ds  la 
Géogr.,  1908,  p.  210. 

(3)  llooker  (Nalural  liistori/  review,  186-2, 
janv.,  n°  5,  p  11)  a  reconnu  dans  le  Liban 
des  traces  de  glaciers  descendant  jusqu'à 
1.250  mètres  environ  au-dessous  des  sommets 
de  cette  chaîne.  Lai.  nord  33°  à  38". 

(4)  Des  traces  du  glaciaire  pléislocène  ont 
été  relevées  dans  les  Andes  de  la  Coloniliie, 
de  l'K(iualeur  et  de  la  Bolivie.  (Cf.  A.  Ben- 
RATH.  l'eber  eine  Eiszeit  in  penianischen 
Kaslkordillorc,  in  Pelerm.  Mill.,  190»,  50, 
Band.  XL) 

(5)  Sur  le  glaciaire  de  l'Alaska,  Cf.  H. 
Brooks.    The    (ieograpliy     and    Geologv     of 


Alaska,  a  Siimmary  of  exisling  knowledgc,  ds 
U.  S.  Geol.  Sarrei/,  Washinulon,  1906. 

(6)  Gilbert,  U.  S.  G.  S.  2'  Ann.  Hep.,  1882. 
—  Russei..  u.  .s.  G.  S.    Monographx,  vol.  XL 

(7)  Partout,  dans  les  forêts  vierges  du 
Brésil  comme  dans  les  Savanes  de  -Meta  et 
de  l'Apiue,  on  rencontre  des  boulders  prove- 
nant du  grand  glacier  des  .\ndes.  (De  Nadaii.- 
LAC,  ds  Mulériiuij\  1^81,  p.  183.)  Agassiz  cons- 
tatait la  présence  de  roches  moutonnées  et 
striées  jusqu'aux  environs  de  Montevideo. 
(Agassiz,  Voijat/e  un  lirésil,  Irad.  fr.  Paris, 
1869.  p.  428)' 

(8)  «  Le  glacier  du  Pdiôiie  a  dû  former,  à  la 
sortie  du  Valais,  audessus  de  la  plaine 
suisse,  un  gigantesque  embâcle,  dépourvu  de 
pente, de  1 19  kilomètres  de  longueur.  »  (Alpii. 
Favre,  Cdile  du  phénomène  erralique.  Explira- 
lion.  Genève,  188V,  p.  18  )  Les  glaces  fran- 
chirent le  Jura  vers  1.2(0  mètres  daltitude 
parles  cols  de  la  .longue,  de  la  Croi.x.etc.  pour 
venir  se  mélanger  à  celles  des  glaciers  juras- 
siens. (Cf.  De  Lapparent,  Traité  de  Géologie, 
5'  édit.,  1906,  p.  1678.) 


88  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

ligne  tles  plus  hautes  crêtes  ne   demeura  pas  le  centre  principal 
de  la  diramation. 

De  ce  foyer  aux  limites  des  dépôts  glaciaires  actuellement 
reconnues  (1),  on  compte  en  ligne  droite  jusqu'en  Angleterre 
1.500  kilomètres,  jusqu'en  Allemagne  4.200,  jusqu'à  Moscou 2.000, 
et,  enfin,  les  dernières  traces  orientales,  vers  l'Oural,  se  rencon- 
trent à  3.000  kilomètres  du  centre  glaciaire. 

Nul  doute  que  les  glaciers  d'alors,  dans  leur  plus  grande 
extension,  ne  s'étendissent  à  toutes  ces  régions  en  partant  du 
foyer  Scandinave;  car  les  formations  erratiques  de  tout  le  nord 
européen  renferment,  en  grande  proportion,  des  roches  d'origine 
norvégienne  et  suédoise  (2). 

Bien  qu'il  soit  scientifiquement  impossible  d'appliquer  aux 
glaciers  pléistocènes  européens  les  données  que  fournissent  ceux 
du  Groenland,  il  est  cependant  intéressant  de  rapprocher  les 
actions  constatées  de  celles  supposées  pour  les  temps  anciens,  afin 
de  se  faire  une  idée  relative  de  leur  puissance. 

Si  nous  acceptons  le  terme  moyen  de  20  mètres  en  vingt- 
quatre  heures,  observé  au  Groenland  (3j,  (7.300  m.  par  an)  pour  la 
rapidité  d'écoulement  des  glaces  (juaternaires  Scandinaves,  nous 
voyons  que  la  période  de  relard  a  dû  être  d'environ  200  ans  en  ce 
qui  concerne  l'Angleterre,  de  170  ans  pour  l'Allemagne,  de  trois 
siècles  pour  la  Russie  centrale  et  de  quatre  pour  les  glaciers 
tournés  vers  l'Oural;  que,  par  suite,  en  moins  de  1.000  ans,  cette 
masse  énorme  de  glaces  a  pu  se  former  et  disparaître.  En  raison- 
nant sur  une  vitesse  journalière  de  30  mètres,  six  siècles  seule- 
ment eussent  suffi  au  phénomène  glaciaire  tout  entier  [h). 

(1)  Les  phénomènes  morainiques  ne  dé-  glaciers  Scandinaves  dans  leur  trajet  au 
pendent  pas  uniquement  de  l'intensité  gla-  milieu  des  pays  plats  de  l'Allemagne  du  Nord. 
Claire;  mais  aussi  et  surtout  du  relief  du  sol  (3,  En  1903,  le  glacier  dit  IHassanabad.  dans 
sur  lequel  se  meut  un  glacier.  A  la  terre  ITIimalaya,  s'est  en  deux  mois  et  demi  allongé 
Victoria,  il  est  remar(|uablement  peu  déve-  de  0.600  mètres,  ce  qui  donne  une  vitesse 
loppé  et  sur  la  «  Grande  barrière  »  du  pôle  moyenne  d'accroissement  de  128  mètres  par 
sud,.,  il  n'a  pas  été  observé  le  moindre  caillou».  jour.  (Cf.  Preliminary  Survey  of  Certain 
(C.  Rabot,  /a  Géoyr.,  1907,  p.  392.)  Il  résulte  Glaciers  in  the  North  West  Himalaya,  in 
de  cette  constatation  que  les  données  que  Rec.  of  Ihe  Geol.  Surveii  of  India,  vol.  XXXV, 
nous  possédons    relativement    à    lextension  part.  3  et  4.  Calcutta,  1907.) 

des  glaciers  pléistocènes  sont  insuffisantes  et  (4)   Joseph  VaUol  {Annales  de   l'obsermloire 

que    l'aire  circonscrite  par    les   moraines  ne  du  Mont-Blanc,  1900,  t.  IV,  p.  122),  remarquant 

peut  être  considérée  que  comme  un  minimum  quela  vitesse  d'un  glaciercroit  avec  son  épais- 

des  surfaces  jadis  couvertes  par  les  glaces.  seur,  affirme  qu'à  l'époque  où  l'ancien  glacier 

(2)  Cf.  dans  Results  of  the  Antarclic  E.^pe-  du  Rhône  mesurait  l.OoO  mètres  d'épaisseur 
dition  (in  Geogr.  Journ.,  XXV,  n"  4,  april,  sur  l'emplacement  de  Genève,  il  devait  che- 
1905,  London).  Les  vues  des  glaciers  Groenlan-  miner  de  telle  sorte  que  moins  de  250  ans 
dais  de  Ferrar,  et  de  l'ouest  dans  la  terre  suffisaient  à  un  bloc  erratique  pour  franchir 
Victoria  dont  la  pente  est  extrêmement  faible,  la  dislance  qui  sépare  l'extrémité  du  Valais 
donnent  une  idée  de  ce  que  devaient  être  les  du  site  de  Lyon. 


LES    PHÉNOMÈNES    GLACIAlIiES  89 

On  voit  combien  ce  nombre  de  1.000  années  est  peu  en  rap- 
port avec  l'idée  que,  fréquemment,  on  s'est  faite  de  la  durée  des 
temps  glaciaires  (1).  Il  ne  peut,  il  est  vrai,  être  pris  que  comme 
un  minimum,  en  supposant  que  le  premier  mouvement  d'extension 
a  de  suite  précédé  le  mouvement  définitif  de  recul,  ce  qui  n'a  pas 
eu  lieu  ;  mais  en  accordant  2.000  ans  à  ces  oscillations,  on  n'ob- 
tient encore  qu'un  nombre  de  3.000  années  pour  la  durée  totale 
de  l'évolution  complète  (2)  dans  nos  pavs. 

Quand  on  songe  à  ce  que  représentent  trois  mille  années,  aux 
perturbations  qui  peuvent  prendre  place  dans  une  aussi  longue 
période,  on  est  surpris  de  voir  que  bien  des  géologues  se  sont 
crus  autorisés  à  faire  intervenir  les  dizaines,  les  centaines,  les 
milliers  de  millénaires  pour  expliquer  ces  phénomènes. 

L'irrégularité  de  la  formation  des  névés  a  causé,  dans  la 
marche  de  ces  glaciers,  des  périodes  d'avancement  et  des  périodes 
de  recul  (3)  et,  les  masses  se  modifiant  sous  ces  influences,  il  en 
est  forcément  résulté  des  changements  dans  la  direction  des  cou- 
rants ;  les  traces  de  ces  changements  ont  été  fréquemment  retrou- 
vées; et  souvent  il  n'y  a  pas  lieu  d'attribuer  à  des  foyers  secon- 
daires les  dépôts  ne  présentant  pas  la  même  direction. 

L'origine  des  glaciers  pléistocènes  semble  devoir  être  attri- 
buée, d'une  part  à  l'ouverture  de  l'Atlantique  méridional  par 
effondrement  de  ses  terres,  d'autre  part  à  la  surrection  compensa- 
trice des  massifs,  Scandinave  pour  l'Europe  {!i)  et  groenlandais  pour 
l'Amérique,  ainsi  que  des  terres  avoisinant  ces  deux  centres  prin- 
cipaux. Leur  disparition  serait  due  à  l'affaissement  des  deux  masses 
réfrigérantes  (5).  Si  les  forces  cosmiques  ou  astronomiques  sont  in- 
tervenues, élevant  dans   son  ensemble   le    deo-ré  hvo-romélrinue 

/^'v9[;  ^^'^^^  i-inliq.  ofMan,  4'  édit.,   1873,  l)elle  di^nission  île  lauleur  sur  les  évaluations 

ch.  XIV,  p.  33ï)  estime,  en  se  basant  sur  une  chronoloiiiques  fournies  par  les  glaciers.  (Id., 

vitesse  moyenne   de  deux  pieds  et  demi   par  pp.  101-119.) 

siècle,  que  la  période  entière  de   suijmersion  (3;  Li^niles  de  Diirnten,  Utznach,  Welzikon, 

et  demersion  (correspondant au  glaciaire)  des  etc.,    situés  entre    deu.x  couches    -ilaciaires. 

lies  Britanniques  a   e.xigé  224.000  ans.    Cette  (O.  Heer,    le  Monde  j,rimilif  en  Suisxe,  trad. 

évaluation, comme  d'ailleurs  toutes  celles  con-  française.  1872.  p.  .5M  sq.) 

cernant  ces    mouvements,  ne    doit   pas   être  (4^  Cf.  Lyei.l,   Anliq.  of  Man,   4»   éd.,  1873, 

prise  en  considération.   Cf.  chap.   I,   Chrono-  cli;!!..  \IV,  p.  322  sq  et  carte,  p.  325.  Limmer- 

logie.  jjjy,,  ,1,.  l'Ecosse  aurait  été  de  650  mètres  envi- 

(2)  ..  ^ous  nous  croyons  pleinement  autorisé  ron,  celle  des  autres  parties  des  îles  Britan- 

a  conclure  que  la  dernière  invasion  glaciaire.  niques,    sauf    les    côtes    de    la    Manche,    de 

celle    dont   nos    ancêtres    paléolithiques    ont  420  mètres 

connu  et  subi  les  vicissitudes,  peut  très  bien  (5)  Cf.  Lyell,    Anliq.  of  Man,  4'   éd.,    1873, 

avoir  été  enfermée  dans  un  nombre  peu  con-  chap.  XIV,  p.  328,  carte.  —  U.  de   la  Bêche, 

sidérabie  de  milliers  d'années.  Vouloir  dépas-  Theorical  Bexenrches,    1834,  p.   90.   Ces  cartes 

ser    cette  appro.\imalion    serait    illusoire.    ..  supposent  «pie    la  surrection    s'est    produite 

(A.  DE  Lappaisent,  les  Silex  taillés  et  l'Ancien-  régulièrement,  ce  qui  n'a  certainement  pas  eu 

neté  de   l'homme.   Paris,   1907,  p.  118.)  Voir  la  lieu. 


90  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

de  l'air,  elles  n'ont  sûrement  présenté  qu'une  valeur  relative,, 
portant  sur  l'intensité,  et  non  sur  l'origine  du  phénomène  ;  cha- 
cune des  périodes  de  croissance  ou  de  décroissance  correspon- 
dant, après  le  retard  voulu,  soit  à  des  perturbations  atmosphé- 
riques, soit  à  des  oscillations  de  l'écorce  terrestre,  accroissant 
ou  restreignant  les  surfaces  liquides,  modifiant  la  nature  des  cou- 
rants atmosphériques,  diminuant  l'altitude  des  réceptacles. 

Ces  phénomènes,  qui  ont  laissé  des  traces  appréciables,  nous 
les  désignons  sous  le  nom  de  phase  glaciaire,  quand  il  y  a  eu 
extension,  et  de  phase  inlerglaciaire,  lorsqu'un  recul  important  a 
fait  quitter  aux  glaces  de  vastes  territoires  (l). 

Les  glaciers  Scandinaves, lors  de  leur  plus  grande  extension,, 
semblent  s'être  arrêtés  vers  l'Oural.  Au  delà  on  n'en  rencontre 
plus  de  traces;  soit  qu'elles  aient  disparu,  ce  qui  est  improbable,, 
soit  que  les  plaines  sibériennes  fussent  demeurées  libres,  par 
suite  de  conditions  climatériques  [)rivilégiées. 

Les  plaines  de  Sibérie  n'étaient  pas  alors  ce  qu'elles  sont  au- 
jourd'hui (2).  Un  vaste  golfe  marin  occupait  la  région  où  se  trouve 
actuellement  l'embouchure  du  Ienisseï  et,  vers  le  pied  des  chaînes- 
altaïques,  s'étendaient  de  grands  lacs  en  relations,  peut-être,, 
avec  celui  de  la  Caspienne. 

Dans  la  région  arcli(jue,  aux  îles  Liakhov,  à  la  Nouvelle- 
Sibérie  et  dans  des  terres  aujourd'hui  disparues,  se  trouvaient 
alors  des  glaciers  (3),  annexes  de  ceux  du  pôle,  ne  semblant 
pas  avoir  été  séparés  par  la  mer  des  contrées  sibériennes.  Au  sud, 
l'Altaï  et  son  prolongement  vers  l'est  jouaient,  par  rapport  aux 
terres  basses,  le  rùle  que  remplirent  les  Alpes  en  Europe.  11s- 
avaient  leurs  glaciers  et  formaient  un  massif  très  important  (/i). 

Nous  ne  savons  pas  ce  qui,  au  j)léistocène,  s'est  passé  entre 
lAllaï  et  l'Himalaya.   Probablement  (\\\c  les    plateaux   élevés  du 

(1)  Le-;  restes  (le  forcis  fossiles,  les  épaisses  de  leur  paroxysme  pléi=tocène,    ils    descen- 

coiiches  (le  lisniles,  les  brèches   (rcl-ljoulis  ne  daient  jusqu'à   la   cote  2-200   mètres  (  Docteur 

sont  pas    le  résultat  do  quelques  années    et  L.  Laloy,  la  Géoijr.,  1908,  p.  299,  dap.L.  Berg) 

on  les  a  observées, non  seulement  sur  la  limite  alors  qu'en   Europe   ils  avan(;aient  jusqu'à  la 

des  grondes    extensions,  mais  jusqu'au    sein  mer.  Celte  différence  importante  entre  l'allure 

des  massifs  montagneux  qui,    à  ce;Uiins  mo-  des    glaciers   nord-asialiques   et  ceux  de  nos 

ments,  ont  dû  être  débarrassés,    sinon    Iota-  pays,   montre  que   les  conditions   climatiques- 

lement,    du    moins  en   grande  partie    de  leur  des  plaines  du  Turkcslan  et  de  la  Sibérie  oc- 

manlea'u  de  glace.  (M.  Boule,  /ifc    d  Anlhrup.,  cidentale    étaient  tout   autres  que   celles   de 

18H8,  p.  t)70.)  l'Europe  septentrionale  et  centrale. 

('il'L'allitude  à  laquelle  se  terminent  aujour-  {?.}  Von  Toll,   Verluindl  des  .\ean!en  Gemjvn- 

d'hui  les  glaciers  do  la  ctiaine  du   Turkeslan  idien  lags.  Berlin,  1891. 

varie  de   3.070  mètres   (glacier  de  Tatugen)  à  (41  OBR0USTC^E^v,   in  Pe!.    Mit.,  189-2,  Lilte- 

,T.180   mètres    (glacier  de    DjaouPaya).   Lors  raturbericht,  p.  99. 


LES     PHÉNOMÈNES    (W.ACIAIRES 


<)| 


Pamir  cl  du  Tibet  (I),de  Kouen-Liin  et  de  Gobi,  situés  entre  1.000 
et  ô.0()0  mètres  d'altitude,  constituèrent  un  immense  réceptacle  de 
froid  j)liilùt  que  de  névés,  dépourvu  d'écoulement;  (juant  à  Tllima- 
laya,sesglaciers  ont  laissé  des  Iracesjusqu'à  1.000  mètres  d'altitude 
sur  son  versant  méridional  dans  le  Sikkin,  le  Népal  et  le  Pundjab  (2). 
Ailleurs,  TAustralasie  (3)  et  l'Afrique  possédaient  aussi  leurs 
glaciers. 

Le  plateau  iranien  (/|),  dont  l'altitude  moyenne  est  actuellement 
supérieure  à  1.000  mètres,  joua,  en  ])etit,  le  même  l'ôle  que  les 
grands  plateaux  asiatitjues  (5).  Bordé  surtout  son  pourtour  par  de 
très  hautes  montagnes  qui  condensèrent  l'humidité  (6),  il  demeura 
sec  et  froid,  couvert  d'une  croule  plus  ou  moins  épaisse  de  neiges 
durcies,  trop  peu  importante  pour  que,  d'elle-même,  elle  pût  for- 
mer des  glaciers  et  franchir  ses  barrières.  Lors  de  la  fin  de  l'époque 
glaciaire,  ces  neiges  se  fondirent,  créant  de  vastes  lacs,  dont  quel- 
ques-uns trouvèrent  un  écoulement  vers  la  mer  (7);  tandis  que  les 
autres,  s'asséchant,  laissèrent  d'immenses  surfaces  salées  (8). 


(1)  D'après  H.- H.  Ilayden  (Preliminary 
ote  on  tlie  Geology  of  the  Provinces  of 
Tsang  and  Ù  in  Tibet,  ds  Records  of  Ihe  Geol. 
Surv.  of  India.  CalciiUa,  vol.  XXXII,  part.  II, 
1905),  le  Tibet  central,  à  1  époque  pléistocène, 
aurait  été  le  siège  d'une  glaciation  extrême- 
ment intense.  Une  carapace  de  glace  dev;iit 
occuper  toutes  les  pentes  de  la  crête  maîtresse 
de  ITIimalfiya  et  s'étendre  très  bas  dans  les  val- 
lées adjacentes  (G.  R.*BOT,/((  Ge'oyr., 1908. p  Suli. 

(2";  Medlicoit  et  Mi.AyFOKD,  Geolo(i;/of  India. 

(3)  Sur  les  époques  glaciaires  en  .\us(ralasie. 
Cf.  A.  Pe?«ck,  Zeilschrift  der  Ge/^ellsrliaft  fiir 
Erd/iunde  :u  llerlin,  t  XXXV,  p.  339,  1900.  En 
Nouvelle-Zélande,  Tasmanie.  Alpes  austra- 
liennes, il  n'y  a  pas  eu  do  calotte  glaciaire  ; 
mais  seulement  extrnsion  des  glaciers  qui 
existent  encore  aujourd'hui  sur  les  hauts 
sommets. 

(4)  En  Perse,  mémo  dans  les  plus  liantes 
montagnes(aU.r).080m.>,  iln  e.xisteiiius  aujour- 
d'hui de  glaciers;  mais  seulement  des  neiges 
persistantes.  Cela  lient  à  ce  qu  il  ne  se  trouve 
pas  de  champs  de  névés  assez  développés 
pour  donner  lieu  aux  masses  nécessaires  à  la 
formation  des  glaciers.  Les  principales  mon- 
tagnes conservant  des  neiges  éternelles  sont 
le  Démavend  (ait.  6  080  m  \  la  chaîne  de 
l'Elbour/.  dont  beaucoup  de  sommets  déjjas- 
sent  4.500  mètres,  le  Savalan  (ait.  4.813  m.), 
le  Sahend  (ait.  4.600  m.),  les  monlagnes  du 
Kurdistan  ait.  4.300  m.),  le  Zagros  (ait. 
4  5C0  m.),  la  chaîne  d  Ochti'iràn  Kouli  (ait. 
4.401  m  )  et  de  Kalian  Kouh  lalt.  4  800  m.), 
celle  du  Zèrd  é  Kouh  (Baktyaris)  (ait. 
5.000  m  ).  Toutes  ces  montagnes  ont  autrefois 
possédé  leurs  glaciers.  (.T.  M.) 

(5]  Cf.  J.  DE  MouGA>",  les  Travaux  de  la 
délégalicin  scienlifiqur   eu  l'erse  aucouisde' 


la  campagne  de  190fi-1907,  ds  Complea  rendu:i 
de  I  Acdd.  des  Inscr.  el  Belkx-Lellies,  1907  ; 
p.  397;  id.;  le  plateau  iranien  pendant  1  épo- 
que pléistocène,  ds  Rei\  de  l'Ecole  d  Anlhrop. 
de  f'nri!^,  VI,  juin  1907,  pp.  213-216. 

(6)  .J'ai  rencontré  des  traces  de  moraines 
dans  les  hautes  vallées  des  Baktyaris,  dans 
celle  du  Ilo-roud  (Louri.-^tan),  dans  les  massifs 
montagneux  de  Kalian  Kouh.  d'Ochti'jràn 
Kouh,  dans  la  vallée  du  Kialvi,  dans  celle 
d'Ouchnouv  au  Kurdistan  ;  des  galets  striés 
bien  que  très  rares  sur  quelques  points  du 
Lourislan  méridional  el  des  Daktyaris.  Dans 
ce  deruierdistiict,  bien  des  vallées  présentent 
le  profil  en  V  typique  du  glaciaire,  d'autres 
offrent  des  ruines  de  terrasses.  Enfin  l'énorme 
épaisseur  des  alluvions  caillouteuses  au  pied 
des  chaînes  méridionales,  tant  sur  le  versant 
mésopotamien  que  sur  celui  du  plateau,  vien- 
nent prouver  que  de  grandes  masses  d'eau  se 
sont  écoulées  avec  violence  au  moment  de  la 
fusion  des  neiges  el  des  glaciers  (.J.  M  ). 

(7)  Les  eaux  du  Kurdistan  oriental  (Bidjar, 
Gherrous)  ont  donné  lieu  au  Kizil  ouzen  qui, 
franchissant  lElbourz  par  les  passes  de 
Mendjil,  s  écoule  à  la  Caspienne  sous  le  nom 
de  Sélid  rond.  Celles  du  district  de  Bouroud- 
jird  où  se  trouvait  jadis  un  lac  (dont  le  nom 
s'est  conservé  dans  celui  de  la  localité  de 
Bahrein)  ont  rompu  la  chaîne  Loure  pour 
former  la  branche  septeiilriouale  de  l'Ab  e 
Diz.  Celles  du  district  de  Kirnianchah,  main  • 
tenues  autrefois  par  la  rlialne  du  Séfid  roud, 
ont  brisé  celte  barrière  à  Gherràban  pour 
former  le  Se'in  Mèrrè  tpii  gagne  la  Chaldée 
sous  le  nom  de  Kerklia  (.1.  M  ). 

(hi  Tous  les  lacs  de  Perse  sont  salés,  tous 
les  bas-fonds  sont  recouverts  dune  épaisse 
couche  de  sel  (.1.  M.  '■ 


92 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


Ainsi  l'Iran,  tout  en  ne  renfermant  pas  de  glaciers  très  impor- 
tants, car  il  en  eut  de  moyens  (1),  demeura  pendant  toute  la 
période  glaciaire  un  pays  inhabitable  i2),  relié  aux  grands  réser- 
voirs de  névés  de  l'Asie  centrale  (3). 

La  formation  de  masses  de  glace  aussi  considérables  ne  fut 
pas  sans  modifier  très  sensiblement  le  climat  ;  nées  de  la  chaleur, 
ces  neiges  abaissèrent  la  température  et  modifièrent  les  condi- 
tions de  la  vie,  suivant  que  l'expansion  des  nappes  réfrigérantes 
était  plus  ou  moins  grande.  Puis  les  glaciers  disparurent,  ne  lais- 
sant dans  nos  montagnes  que  des  ruines  de  leur  grandeur  passée, 
et  le  climat  actuel  s'établit. 

Tandis  qu'en  Europe  la  température  moyenne  se  relevait,  par 
contre  la  Sibérie  devenait  un  pays  glacé  ('4).  L'avancement  de  sa 
côte  septentrionale,  l'assèchement  de  ses  lacs  la  privèrent  de 
l'humidité  que  le  Gulf  stream,  reste  très  affaibli  des  grands  cou- 
rants d'antan,  nous  apporte  généreusement  (5). 

Certainement  la  terre  porte  encore  aujourd'hui  des  glaces 
fossiles  datant,  non  seulement  du  pléistocène,  mais  aussi  de 
l'époque  tertiaire.  Il  suffira  de  citer  celles  de  l'Alaska,  de  la 
Sibérie  septentrionale,  des  iles  Liakhov,  de  la  Nouvelle-Sibérie, 
du  Groenland,  des  pôles  qui  n'ont  cessé,  depuis  la  fin  du  pliocène, 
de  couvrir  les  espaces  qu'elles  occupent  encore  de  nos  jours. 


(1)  Restes  de  moraines,  vallée  du  Seïn 
Mèrrè.  Cf.  J.  de  Morgan,  Misxion  en  Perse, 
t.  II,  pi.  LXVII.  Le  lac  Gahar  (Loiirislan), 
barré  par  des  alluvions  morainiqiies.  est  un 
reste  du  glaciaire.  Cf.  ici.,  pi.  LXXVII.  Vallée 
du  Kébir  Kouh.  Cf.  id.,  pl.LXXX.  —  Terrasses 
glaciaires.  Haute  vallée  du  Gader  Tchaï 
(Kurdistan)  Cf.  J.  riE  Moiîgan,  Mission  en 
Perse,  l.  II,  pi.  II.  Village  de  Hei  construit 
sur  le-xtrémité  d'une  terrasse  glaciaire. 
Vallée  du  Kialvi  (Kurdistan).  Ochturân  Kouh 
(Lonrislan).  Cf.  J.  M.,  op.  cit.,  pi.  LX  et  LXI. 
Vallée  du  Lar  au  pied  du  Demavend  ;  vallée 
de  r.\raxe  à  Khoudaférin.  Cf.  /(/.,  t.  III.  1905, 
pi.  VII.  Plaine  de  Déchl-i-Khawa  (Lourislan). 
—  .Mhivions  glaciaires,  Ilolwân  Rou  (Zohàb). 
Cf.  DE  Morgan.  Mission  en  Perse,  t.  II, 
pi.  XVIII  et  XX.  Teng  é  Ziba.  Cf.  ici., 
pi.  LXXIV,  Tefig  é  Bâdouch,  id.,  pi.  LXXV. 
Germasirs  de  Pinùbiul.  Cf.  id.,  pi.  XCIV. 
Vallée  du  Kechghan  Roud  I.ouristan),  de  1  .\b 
è  Zal.  du  Belal  rou  (Arabislan)  et  au  pied 
mésopotamien  de  toute  la  chaîne  du  Louristan 
et  des  Baktyaris. 

i2)  Je  n'ai  rencontré  en  Perse  d'instruments 
d'aspect  archaïque  qu'au  gisement  de  l'Ab-é- 
Pardnma  dans  la  vallée  du  Lar  (Mazandéran). 
[Cf.  J.  DE  Morgan,  Miss.  se.  en  Perse,  t.  IV, 
1896,  Bev  Archéol.,  p.  1  sq.]  Mais,  encore,  ne 
puis-je    affirmer   qu'ils    appartiennent    à    la 


période  quaternaire.  Ce  gisement,  situé  sur 
le  versant  septentrional  de  l'Elbourz,  était  en 
dehois  de  la  région  glacée. 

(3)  L'e.xpédition  anglaise  à  Lhassa  (Cf. 
L.  AusTiNE  Waddell,  Lhasa  and  ils  nujsleries 
willi  a  record  of  Ihe  expédition  of  19O3-i90'i. 
Londres,  1905)  a  rencontré  sur  le  versant 
septentrional  de  lllimalaya  un  très  grand 
nombre  de  traces  des  phénomènes  glaciaires. 

(4)  Il  existe  aujourd'hui  deux  pôles  tlu  froid; 
lun  en  Sibérie  vers  le  cours  de  la  Lén.i, 
température  moyenne,  —  17°. '2  (max.  absolu, 
+  ;iS°;  minim.  abs.,  —  70°;  dilT.  max  114°!, 
l'autre  dans  les  terres  polaires  arctiques, 
temp.  moy.,  —-20°.  Le  pôle  septentrional  du 
froid  se  trouvait  autrefois  vers  le  centre  de  la 
Scandinavie,  il  s'est  donc  transporté  vers 
lest  de  1.35°  environ  en  longitude. 

(5)  Les  iles  Féroë  et  Iakoutsk,  points  situés 
tous  deux  par  62°  30'  làl.  nord,  offrent  des 
différences  climatériques  très  notables  Iles 
Féroë,  temp.  moy.  ann.,  -f  7°,3;  Iakoutsk. 
—  10°. 3;  mois  le  plus  froid,  iles  Féroë  +  '2°^'  ; 
Iakoutsk.  —  43°;  mois  le  plus  chaud,  iles 
Féroë  +  l-2»,3;  Iakoutsk  +  20°, 4.  Différences 
correspondantes,  17°, G.  41°,3,  8°, 3;  différence 
extrè-ies,  iles  Féroë,  9°, 6;  Iakoutsk,  63°, 4.  (Cf. 
PROtif,  Klima  und  Geslalhmg  der  Erdober 
flatrhc,  1S85,  p.  8.) 


LES     l'IlKNOMKNES     GLACIAIRES  93 

Quelques  géologues  (1)  ont  admis,  depuis  la  fin  du  pliocène 
jusqu'aux  temps  proto-historiques,  l'existence  en  Europe  de  six 
périodes  glaciaires  ;  d'autres  (2)  réduisent  ce  nombre  à  deux  ou 
trois,  ayant  afTecté  rensemi>le  des  continents,  et  considèrent  les 
autres  comme  d'importance  secondaire  et  locale.  Suivant  ces  der- 
niers, la  première  extension  glaciaire,  la  plus  étendue,  aurait 
couvert  toute  la  région  iruli(|uée  plus  haut. 

La  seconde,  moins  violente,  se  serait  cependant  encore  éten- 
due sur  l'Irlande,  l'Ecosse,  le  nord  de  l'x^ngleterre  ;  mais  dans 
l'Europe  centrale  elle  n'aurait  pas  dépassé  au  sud  Hambourg,  Ber- 
lin, A'arsovie,  Vilna,  Novgorod,  et,  à  l'est,  le  lac  Onega  et  Arkan- 
gelsk. 

Pendant  les  périodes  qui  suivirent,  les  glaciers,  perdant  de 
leur  intensité,  ont  fait  de  moins  en  moins  sentir  leurs  efTets. 

Le  synchronisme  des  phénomènes  glaciaires  ou  interglaciaires 
est  extrêmement  difficile  à  établir  scientifiquement  ;  car  les 
dépôts  de  cette  nature,  ne  renfermant  aucune  trace  de  la  vie,  ne 
peuvent  être  datés  relativement  que  par  les  lits  fossilifères  qui 
les  accompagnent,  les  supportant  ou  les  recouvrant. 

Les  successions  stratigraphiques,  dit  ^I.  Boule  (3), s'établissent 
aisément  dans  une  même  coupe,  mais  le  synchronisme  des  allu- 
vions  pléistocènes  est,  pour  ainsi  dire,  impossible  à  prouver;  les 
fossiles  variant  peu  et  des  sédiments  de  même  nature  ayant  pu 
se  déposer  en  des  temps  différents  sur  divers  points. 

A  ces  incertitudes  viennent  se  joindre  celles  résultant  de  la 
conduite  même  des  glaciers.  L'observation  prouve,  en  effet,  que 
dans  un  même  massif  glaciaire,  tous  les  courants  ne  croissent 
pas  et  ne  décroissent  pas  en  même  temps.  Les  uns  avancent,  les 
autres  reculent  ;  d'autres  enfin  demeurent  stationnaires.  11  en 
résulte  que,  dans  certaines  régions,  on  serait  tenté  de  croire  à  un 
recul  général,  tandis  que,  dans  d'autres,  tout  concourt  à  faire  pen- 
ser l'inverse. 

Si  les  Alpes,  avec  leur  faible  développement  glaciaire,  laissent 
souvent  dans  le  doute,  (jue  doit-on  penser  de  masses  aussi  con- 

(l)Gh;iKiE,  Greal  ice  Age.  London,  1804.  Pe.nck,  Die  vierle  Eiszeit  im  Bereiche  der  Alpen, 

(-2)  Voir    Penck,   Vergleischerung  der   Deuls-  Wien,  1699.  —  Chamberlin, Sa/js6urj/,  Smoc/c  in 

chen  Alpen.— B\vvck:^eh. Petit k'sGeog.Abhiindl.,  Salisbunj  Drifl  of  New  Jersey,  p.  102.  —  Cha.m- 

Wien,  1886.—  Pe.nck,  Die  Glacial  xcluitlcr  in  den  berun,  Proc.  Amer.  Assoc,  188G. 

Oslalpen,  1890.  —  Du  Pasquiek,  Mnlér.  pour  la  (3)  Maucelli.n  Boi:le,  Essai  de  paléontologie 

carie  géol.de  Suisse. XU'ii.  -  Penck  et  Dhuck.ner,  stratigraphiiiuedelliomme,  ds  Rev.  d'Anlhrop., 

Die  A.penim  Eiszeitaller,  Leipzig,  l'>01-l9iJô  ;  —  1888. 


9/,  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

sidérables  que  celles  des  glaciers  quaternaires?  Il  serait  imprudent 
de  se  hâter  de  généraliser  la  portée  des  observations;  car  les 
mouvements  d'ensemble  sont  composés  d'une  foule  de  circons- 
tances particulières  dont  les  traces  peuvent  être  en  contradiction 
avec  la  progression  ou  le  recul  général. 

Quoi  qu'il  en  soit,  après  une  série  plus  ou  moins  variée  de 
lluctuations,  les  glaciers  ont  disparu  ne  laissant,  en  dehors  des 
régions  polaires,  que  des  représentants  presque  insignifiants. 

Pendant  la  fonte  il  se  forma,  au  sud-est  et  à  l'est  de  l'ancien 
foyer  glaciaire  Scandinave,  une  vaste  dépression,  la  mer  à  Yoldia^ 
beaucoup  plus  étendue  que  n'est  la  Baltique  d'aujourd'hui  et  fai- 
sant communiquer  la  mer  Blanche  avec  l'océan  Glacial,  par  un 
canal  dont  on  retrouve  nettement  les  traces  en  Finlande  et  près  des 
côtes  méridionales  de  la  Norvège  (1).  L'encombrement  des  deux 
extrémités  de  ce  canal  fit  le  lac  (d'eau  douce)  à  Ancylus  et  le  dé- 
troit danois  s'ouvrant,  au  moment  de  la  formation  de  la  mer  du 
Nord,  cette  cavité  devint  la  mer  Baltique. 

C'est  à  cette  époque,  après  la  période  d'érosions  cl  d'allu- 
vions  qui  précéda,  accompagna  et  suivit  le  glaciaire  (2j,  que  la 
chaîne  Scandinave  et  les  pays  du  Nord  commencèrent  ce  mouve- 
ment d'immersion  que  nous  voyons  se  continuer  encore  sur  les 
côtes  de  Hollande,  de  France  et  d'Angleterre;  que  se  créa  la 
Manche  en  même  temps  que  la  mer  du  Nord. 

Au  sud-est,  entre  l'Europe  et  l'Asie,  le  lac  aralo-caspien, 
depuis  longtemps  connu  et  dont  j'ai  retrouvé  les  anciens  rivages 
au  pied  des  montagnes  du  Mazandéran  et  du  (ihilan  (3),  ne  se 
trouvant  plus  alimenté  par  la  fonte  des  neiges  de  l'Altaï,  du  pla- 
teau persan  et  des  autres  massifs  voisins,  commença  son  assè- 
chement. Il  en  fut  de  même  pour  la  plupart  des  grandes  nappes 
d'eau  douce,  en  Sibérie,  aux  États-Unis  et  dans  le  monde  entier. 

La  fonte  d'aussi  grandes  masses  de  glace  ne  se  fit  pas  sans 
amener  des  changements  importants  dans  le  relief  topographique 
du  sol.  Si  elle  s'était  effectuée  régulièrement,  il  en  fùl  résulté 


[l]  Le  canal  dont  la  topographie  sous-nia-  (2)  Pour  les  érosions  glaciaire-,,  Cf.   \\  .   M. 

rine  fournit  les   contours  et  qui  est  situé  au  Davis,  Glacial  érosion  in  France,  Switzerland 

sud  (le   la  Norvège   peut  n'être    que  le  résul-  and  Norway,  in   Proc.    Boston   Soc.   of    Nal. 

tat  des  érosions  causées  par  les  nappes  d'eau  ///sf.,  vol.   XXIX,    n"   14,   pp.  .273-.'H22, 1900.  — 

prébaltiques  se  déversant  dans  l'Océan,  leur  M.   Boule,  la  Topographie    glaciaire   en  Au- 

niveau   se    trouvant  relevé    par    les  apports  vergue,  ds  A/îfî.  r/f  Geogr. ,5''année,ir>;(vril  1896. 

<;normes  dus  à  la  fonte  des  glaciers  situés  sur  (3)   Cf.    J.    de   Morgan,  Mission   scienlif.  en 

le  versant  oriental   de  la    crête   Scandinave.  Perse,  t.  1,1894;  Eludes  tjéologiques.  p.  131». 


LES    PHÉNOMÈNES    GI.AC.I  AUlES  95 

l'établissement  de  fleuves  immenses,  creusant  de  profondes 
■vallées,  puis  couvrant  leur  fond  d'alluvions  ;  mais  ce  n'est  pas 
avec  autant  de  simplicité  que  les  choses  se  passèrent. 

Nous  observons,  lors  de  l'extension  de  certains  glaciers  et  de 
la  fermeture  des  vallées  secondaires  dépourvues  de  glaces,  la 
formation  de  lacs  parfois  très  étendus  qui,  se  constituant  en  plu- 
sieurs années,  finissent  j)ar  rompre  leurs  barrières.  Ils  se  vident 
alors  en  un  temps  très  court,  souvent  en  quelques  heures  seule- 
ment, causant  dans  les  pays  situés  en  aval  de  véritables  déluges. 

Ces  lacs  de  barrages  (1),  fréquents  dans  nos  montagnes  et  au 
Oroenland,  étaient  jadis  très  nombreux  dans  les  Alpes  Scandi- 
naves; ils  ont  laissé,  dans  les  vallées  des  deux  versants  et  dans 
les  fjords,  des  terrasses  (2)  parfaitement  horizontales,  témoins  de 
l'ancien  niveau  de  leurs  eaux  (8). 

De  semblables  cataclysmes  se  sont  produits  fréquemment  au 
cours  de  la  période  glaciaire  ;  mais  alors  leurs  proportions  étaient 
bien  plus  grandes  qu'elles  ne  sont  aujourd'hui  (/i).  Enfin,  lors  de 
la  fonte  définitive  des  glaces,  de  nouvelles  inondations  survinrent  ; 
et  c'est  à  cet  ensemble  compliqué  que  nous  devons  le  diluvium. 

Ce  dépôt  ne  s'est  pas  fait  en  une  seule  période;  il  est  le  ré- 
sultat d'alluvions  successives,  dues  à  des  phénomènes  successifs 
•eux-mêmes,  mais  désordonnés  (5).  Ainsi,  dans  nos  alluvions  dites 
quaternaires,  il  en  est  qui  peuvent  appartenir  au  pliocène  supé- 
rieur, époque  de  l'apparition  des  glaciers;  il  en  est  de  contem- 
poraines des  diverses  phases  glaciaires  et  interglaciaires;  mais  la 
majeure  partie  semble  due  à  la  disparition  des  glaciers. 


(1)  L'Ecosse  fournil  des  preuves  indiscu-  (4)  Cf.  E.  A.  Martel,  Ruptures  de  poche-; 
tables  de  la  formation  de  lacs  itîndus  au  d'eau  des  glaciers,  ds  l(i  Nature,  n"  1138, 
-cours    de  la    période   glaciaire.    (Cn.    Lyell,  23  mars  1895. 

Anliq.  of  Man,    ¥    éd.,   1873.    p.    304   et   sq.,  (5)  Les   Annales    chinoises  ont  conservé  le 

•chap.    XIV.)    En   Suisse,   le  Màrjelen  See,  en  souvenir  d'une  grande  inondation  placée  par 

amont  de  Brieg,  dans  la  vallée  du   Rhùtie,  est  les  livres  sous    le    règne   de   Yao.  D'après   le 

un   des   exemples    les    plus  intéressants    de  système    chronologique    du  Lih-laï  ki-ssé,    les 

îacs-barrages   visité  en  1865  par  Lyell  (Pri/jcip.  travaux   de   Yu,    pour   réparer    les    désastres 

-ofGeoL,   XI'  éd.,   vol.    L    1'-   374).  J'y    ai,  en  causés  par  l'inondalion,  auraientété  terminés 

1906,  vérifié  points    par   points   la  description  en  2-278  avant  J  .-G.  ;  d'a|irès  celui  des  .\nnales 

<iu'en  donne  le  grand  géologue  anglais.  des   bambous   Su-Tchou-schou   en   2U62.   iFn. 

(2)  11  y  a  lieu  de  discerner  entre  les  ter-  Lenoumant,  Hisl.  anc.  de  l'Orient  ;  9'  éd., 
rasses  glaciaires  cl  fluviales.  Cf.  à  ce  sujet  t.  I,  1881,  p.  .56.)  Déluge  clialdéen  de  Berosc. 
la  belle  étude  de  \V.  M.  Davis  RivEH. Tenaces  Déluge  indien  dans  la  Çatapati  Brâhmana. 
in  New  Eiigland,  l',W2  (in  Bull,  of  Ihe  Miixeum  Déluges  d'Ogyges,  de  lieucalion  et  de  Dar- 
of  corn [jaral lue  Zooloyij  at  Hcward  CoUeije.  vol.  danos  en  Grèce,  des  Lithuaniens,  de  tous  le- 
XXXVlll,  Geol.  Ser.,  vol.  V,  n"  7,    pp.  281-3i0.  peuples  indo  européens.  (Cf.  Fk.  Lenokmant, 

(3)  Cf.  R.  L.  Barett,  The  Sundal  Drainage  Hisl.  anc.  de  l'Orient,  Q'  éd.,  t.  I,  §4.  Le 
System  in  Central  Norway  (Bull,  of  Ihe  Ame-  Déluge,  p.  55.  Chapitre  dans  lequel  sont 
rican  Gengr.  Soc.,  vol.  XXXII,  n"  3,  1900,  reprises  toutes  les  traditions  relatives  à  ce 
pp.  19L)-220).  cataclysme.) 


96  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

La  masse  énorme  du  liquide  rendu  au  sol  apporta  une 
grande  humidité  dans  l'atmosphère  ;  il  en  résulta  des  j)luies 
intenses  qui,  dans  les  pays  où  les  eaux  glaciaires  n'avaient  pas 
eu  d'action  directe,  les  remplacèrent  dans  leurs  effets  d'érosion 
et  d'alluvion.  C'est  ce  qui  se  passa  pour  le  nord  de  la  France 
entre  autres  et  probablement  aussi  pour  les  pays  syriens  et  égyp- 
tiens. 

Dans  ces  dernières  régions,  les  traces  laissées  par  les  eaux 
diluviennes  sont  telles,  qu'cà  l'abondance  des  pluies  nous  devons 
joindre  d'autres  causes,  celle  entre  autres  de  l'écoulement  subit 
de  vastes  lacs  qui,  ayant  rompu  leurs  digues,  se  précipitèrent 
dans  les  pays  situés  plus  bas  qu'eux.  Le  creusement  du  Bahr- 
Béla-Mâ,  ou  fleuve  sans  eau,  postérieur  aux  alluvions  caillou- 
teuses, doit  être  attribué,  je  pense,  à  un  cataclysme  de  cette 
nature. 

Les  alluvions  asiatiques  et  africaines  peuvent  être  contempo- 
raines de  celles  de  l'Europe;  mais  rien  n'oblige  à  le  croire,  sur- 
tout dans  le  détail;  car  aucune  liaison  certaine  n'a  encore  été 
constatée  entre  ces  divers  phénomènes. 

L'observation  et  l'étude  des  alluvions  est,  dans  nos  pays,  ren- 
due difficile  par  l'abondante  végétation  qui  couvre  le  sol  et  par 
les  modifications  de  surface  apportées  par  la  culture  ;  mais  dans 
les  pays  déserts,  tels  que  le  Sahara,  certaines  parties  de  l'Algérie, 
de  la  Tunisie,  de  l'Egypte,  de  la  Syrie,  les  faits  sont  beaucoup  plus 
nets  qu'en  Europe.  A  El-Mekta  près  de  Gafsa  (Tunisie),  entre 
autres,  on  voit  de  la  manière  la  plus  claire  les  traces  du  charriage. 
Les  ateliers  d'El-Mekta  ont  été  balayés  par  le  courant  et  leurs 
restes  se  sont  déposés  dans  les  épaisses  alluvions  de  Gafsa,  à 
15  kilomètres  en  aval.  Or  ce  oued  a  changé  de  lit,  a  coulé  à  bien 
des  époques  différentes,  entraînant  tour  à  tour  les  débris  d'ate- 
liers d'industries  diverses  ;  en  sorte  que  si  la  superposition  des 
couches  peut  renseigner  au  point  de  vue  de  la  succession  des 
crues,  elle  est  souvent  sans  valeur  en  ce  qui  concerne  l'âge  des 
instruments  charriés;  leur  superposition  ne  doit  donc  pas  être 
prise  en  considération  de  manière  absolue. 

Le  fait  que  je  viens  de  citer  pour  une  localité  tunisienne 
s'est  forcément  reproduit  dans  nos  pays.  Sa  constatation,  d'ailleurs 
conforme  aux  lois  de  l'écoulement  des  eaux,  porte  un  coup  bien 
grave  aux  théories  basées  sur  la  superposition  des  couches  dans 


ij:s   phénomènes   (îlaciaihks  97 

les  alluvioiis  ;  parce  qu'elle  apporte  la  possibilité  d'un  doute  sur 
la  valeur  scientifique  des  successions  apparentes  (1). 

Après  avoir  passé  en  revue  les  phénomènes  glaciaires  eux- 
mêmes,  nous  examinerons  quelles  furent  les  conséquences  de 
ces  perturbations  au  point  de  vue  du  climat,  de  la  dore  et  de  la 
faune,  et  enlin  en  ce  qui  concerne  la  vie  humaine;  mais  il  eût 
été  impossible  de  se  rendre  un  compte  exact  de  ces  transforma- 
tions, sans  être  préalablement  entré  dans  les  détails  qu'on  vient 
de  lire  sur  ces  faits  naturels,  dont  la  répercussion  fut  si  grande 
sur  les   destinées  liuniaines. 

La  période  glaciaire  est  loin  davoir  [)ris  lin  ;  nos  temps  qui 
en  font  encore  partie,  sont  caractérisés  i)ar  un  imj)ortanl  mou- 
vement de  recul,  commencé  longtemps  avant  les  débuts  de  l'his- 
toire. Il  est  à  penser  que  ce  retrait  des  glaces  n'est  pas  définitif, 
que  les  froids  reviendront,  et  avec  eux  la  dépopulation  d'une 
partie  de  notre  globe.  Rien  ne  peut  faire  prévoir  l'amplitude  de 
cette  future  oscillation  ni  le  sort  que  destinent  à  Ihunianité 
les   lois  de  la  nature. 

11  se  passera,  lors  de  ce  cataclysme,  des  révolutions  que 
l'imagination  la  |)liis  féconde  ne  saurait  concevoir  ;  désastres 
d'autant  plus  horribles  que,  chaque  jour,  la  population  de  la  terre 
s'accroissant,  les  districts  les  moins  fortunés  se  peuplant  peu 
à  peu,  les  divers  groupes  humains,  refoulés  les  uns  sur  les  au- 
tres, ne  trouvant  plus  l'espace  nécessaij-e  à  leur  existence,  se 
détruiront  entre  eux. 

(i)     Cf.     J.    DE    MoRG.\N,    i Anthropologie ,        la   chronolooie    relative    des    faits    préhisto- 
11K)7,  pp.  380  à  383.  Note    sur  l'incertitude  de       riques. 


CHAPITRE  IV 


La  flore,  la  faune  et  l'homme  aux  temps  glaciaires 
l'homme  à  l'état  paléolithique. 


Durant  les  perturbations  glaciaires,  le  monde  organique  no 
senrichit  pas  d'une  seule  espèce  ;  les  animaux,  comme  les  plantes, 
ne  firent  qu'osciller  entre  les  tropiques  et  les  régions  polaires, 
modifiant  leur  habitat,  suivant  leurs  besoins,  d'après  les  ressources 
qu'ils  rencontraient.  Bien  des  formes  disparurent  de  nos  latitudes; 
par  exemple  les  grands  mammifères  herbivores  qui,  abandonnant 
l'Europe,  la  Sibérie,  l'Amérique  du  Nord,  continuèrent  à  vivre 
dans  l'Afrique  centrale  et  l'Asie  méridionale,  où  ils  existaient 
déjà  (1)  dès  l'époque  quaternaire. 

Ces  transformations  de  la  vie  animale  ont  toujours  eu  lieu, 
même  durant  les  temps  humains,  parce  que  fré(|uemment  les  cli- 
mats se  sont  modifiés  et  partant  la  flore  (2 /,  cause  première  de 


1)  Zitlel  {Traité  de  Paléontologie,  Irad. 
Barrois.  i.  IV,  p.  764)  compte  qu  aux  temps 
quaternaires  la  faune  mammalogique  de  l'Eu- 
rope comportait  110  espèces,  tandis  qu'aujour- 
d'hui elle  en  possède  150,  en  y  comprenant 
les  espèces  domestiques  et  importées;  mais 
est-il  certain  que  nous  ayons  retrouvé  des 
vestiges  de  tous  les  mammifères  qui  ont  vécu 
nu  cours  du  pléistocène? 

(2)  La  flore  actuelle  du  globe  ne  se  com- 
pose pas  de  groupes  organiques  homogènes. 
Cette  flore  est,  au  moins  pour  un  grand  nom- 
bre des  éléments  qui  la  composent,  un  legs  du 
passé.  Chacun  des  groupes  qu'on  y  peut  dis- 
tinguer doit  avoir  son  histoire  souvent  très 
ancienne,  et  il  en  est  qui  sont  aujourd'hui 
dans   la    toute-puissance  de   leur  développe- 


ment, comme  il  en  est  d'autres  réduits  à  ne 
plus  offrir  qu'un  petit  nombre  de  types,  der- 
niers survivants  d'un  ensemble  dont  la  pros- 
périté réclamait  d'autres  conditions  {A.  dk 
Lapparent.  Traité  de  Géologie.  1906,  p  11F>.)  — 
Pour  se  rendre  compte  de  la  distribution  du 
règne  végétal  sur  le  globe  suivant  les  condi- 
tions géographiques  et  climalériques.  Cf. 
1.  Costa NTiN,  les,  Végétaux  et  /es  Milieux  cos- 
miques. Paris,  1898  —  Id.,  la  Nature  tropi- 
cale. Paris,  \899.-  E.  EviGLER,  Die Enlwickclung 
der  Pftanzeri  Géographie  in  den  lelzten  Jahren- 
hundert  und  }Veitere  Aufgahen  derselben.  Ber- 
lin, 1^99.  —  O.  Drlde,  Manuel  de  géographie 
botanique,  trad.  G.  Poirault.  Paris.  1897.  — 
A.  F.  W.  ScHiMPKR.  Pflanzen.  Géographie 
auf   PhijMologiiirher    Grandlage.    lena,   1898.  — 


LA     1  J.ORE,     f.A     FAUNE     KT    1/llO.MME    AUX    TEMPS     GLACIAIUKS     99 

la  faune  d'un  pays  {!).  Dans  la  période  historique,  sous  nos  yeux 
encore,  bien  des  espèces  abandonnent  certaines  régions  pour  se 
concentrer  en  d'autres.  L'aurochs  qui,  au  temps  de  César,  peuplait 
les  forêts  de  la  Germanie,  ne  vit  plus  aujourd'hui  que  dans  deux 
îlots  de  forêts,  en  Lithuanie  et  en  Circassie.  L'autruche  qui,  lors 
de  la  première  dynastie  égyptienne,  habitait  encoie  la  moyenne 
vallée  du  Nil  (2),  qui,  sous  Julien  II  (vers  350  ap.  J.-C),  vivait  sur 
les  bords  de  l'Euphrate  (o),  ne  se  rencontre  plus  aujourd'hui 
qu'en  Afrique  centrale  et  australe  ;  elle  a  disparu  de  l'Asie. 

Hien  des  animaux  ont  fui  devant  les  modifications  duc  limât  ('i)  ; 
mais  beaucoup  aussi  ont  disparu  devant  l'homme  qui,  de  mieux 
en  mieux  armé,  les  poursuit  sans  relâche.  Les  matelots  hollandais 
ont  exterminé  les  derniers  des  Dodos;  l'ours  a  été  complètement 
détruit  en  Angleterre  et  dans  presque  toute  la  France  et,  en  vingt 
ans  seulement,  dans  les  montagnes  iraniennes,  le  gros  gibier  a 
très  sensiblement  diminué,  depuis  que  les  nomades  se  sont  armés 
de  fusils  à  tir  rapide  et  à  longue  portée. 

Quoi  qu'il  en  soit,  dans  les  temjis  pléislocènes,  l'influence  de 
l'homme  sur  la  disparition  des  types  animaux  peut  être  consi- 
dérée comme  nulle;  car  ses  moyens  d'attaque  du  gibier  n'étaient 
encore  que  très  rudimentaires.  C'est  le  climat  qui  fut  le  grand 
agent  destructeur  aussi  bien  que  conservateur.  La  flore  est  notre 
meilleur  guide  pour  apprécier  les  causes  de  ces  variations  dans  la 
faune  ib). 


A.  Masclef,  la  Géographie  botanique  et  son 
évoliilion  au  dix-neuvième  siècle,  ris  la  Géo- 
graphie, t.  II.  1900.  p.  35  sq.  —  G.  Saint-Yves, 
Sur  la  dislribulion  des  plantes  en  Sibérie  et 
dans  l'Asie  centrale.  Id.,  p.  81. 

1)  La  répartition  sur  le  globe  des  mollusques 
terrestres  (Cf  P.  Fischek,  Manuel  de  conchi/- 
liologie.  1887)  fournil  de  précieuses  indications 
sur  les  condilions  de  la  vie  sur  la  terre.  Ces 
animaux,  étant  de  ceux  qui  si'  déplacent  le 
moins,  ont  nettement  conservé  leurs  caractères 
locaux  depuis  les  temps  géologiques.  G  est  par 
leur  élude  qu'on  peut  le  mieux  retrouver  les 
relations  anciennes  des  continents  entre 
eux. 

(2)  Abydos,  El  Amrah. 

(3)  Ammiën  MARCiiLi.iN,  Expéd.  de  Julien  II 
contre  lex  Perses.  —  Des  fragments  d'œufs 
d'autruche  ont  été  rencontrés  à  Suse  dans 
les  couches  élamites  du  quinzième  siècle 
environ  avant  noire  ère  L'on  voit  cet  oiseau 
figuré  sur  un  koudourrou  d'époque  cosséenne 
provenant  de  la  même  localité  et  sur  des 
cylindres-cachets  chaldéens  du  trentième 
siècle  environ  av.  ,I.-C. 


(4)  Nebringa  démontre  qu'à  Thiede,  près  de 
Brunswick,  après  la  fonte  de  la  granile  cara- 
pace glaciaire,  il  y  eut  d'abord  une  faune  de 
toundra  composéedu  renne,  du  bœuf  musqué, 
du  renard  bleu,  du  lemming,  du  lagopède 
alpin  .  et  qu'à  cette  faune  de  loundra  succéda 
une  faune  de  sti-ppe  composée  de  la  gerboise, 
du  porc-épic  des  steppes,  du  lagomys,  du  che- 
val sauvage,  de  l'hémione,  du  rbinocéios,  du 
mammouth,  et  à  certains  endroits  de  l'anti- 
lope saiga.  En  d'autres  termes,  lorsque  l'adou- 
cissement du  climat  amena  la  transforma- 
tion de  la  toundra  en  steppe,  la  faime  changea 
également.  (Cf.  A.  G.  Naihorst,  la  Géogra- 
phie, 1901,  I.  111  ,  p     7,  sq.) 

(5)  Sur  la  flore  pléislocène,  consulter  :  De 
.Sahorta,  Aperçu  sur  la  flore  df  l't'poque  quater- 
naire. Caen,  1857.  —  De  Sai>orta,  lievue  des 
Deux  Mondes,  15  sept.  1881  —  De  Saporta, 
Congrès  de  Stockholm,  187  i,  L  p.  Su  sq.  -  De 
Saporta,  le  Monde  des  plantes,  1879.  —  De 
Saporta,  Origine  paléonloloqique  des  arbreu 
cultivés,  1888.  —  Schrotter,  Die  Flora  dai 
Eisicit.  Zurich,  1884.  —  Schi-mper,  Traité  de 
paléontologie  végétale,  t.  I,  p.  253,  etc. 


100  I-l-^    PIÎKMIÈRES    CIVILISATIONS 

En  Anglelcrre,  les  couches  dont  le  dépôt  a  précédé  la  première 
extension  glaciaire,  le  Forest  bed  de  Happisburg  (1),  montre  une 
flore  se  rapprochant  beaucoup  do  celle  de  notre  temps  dans  les 
réo-ions  de  même  climat  :  Pimis  sulvestri.^,  P.  ahies.  Taxas  baccatu, 
Niiphar  liiteum^  Ceralophijlliim  demersum,  Potamogelon,  Prunus 
spinosa,  Memjanthus  Irifolia,  Alnus,  Ouercus,  Betula,  etc. 

Dans  le  même  pays  '2;,  «  les  prenders  indices  de  refroidisse- 
ment se  sont  fait  sentir  par  l'apparition  d'une  flore  à  Salix  polaris 
et  Drijas  octopetala  (3),  distincte  d'une  flore  glaciaire  ultérieure, 
à  Betula  nana  et  Salix  herbacea.  De  même  en  Ecosse,  une  flore 
semblable  à  celle  du  temps  présent  se  trouve  intercalée  entre 
deux  végétations  glaciaires  de  bouleaux  nains  ». 

Une  flore  voisine  de  celle  du  Suflblk  a  été  trouvée  en  France 
à  Jarville,  près  de  Nancy,  et  à  Bois-l'Abbé,  aux  environs  d'Epinal, 
à  la  base  des  alluvions  glaciaires  vosgiennes.  La  physionomie  de 
cette  flore  est  subalpine  et  indique  un  climat  analogue  à  celui  qui 
règne  aujourd'hui  dans  le  pays  à  1.000  mètres  d'altitude.  Le 
mélèze,  actuellemenl  confiné  entre  l.SOO  et  2. 001)  mètres,  était 
alors  commun  sur  les  ])asses  collines  des  environs  de  Nancy  iji). 
C'est  la  première  extension  glaciaire  qui  aurait  anéanti,  en  France, 
le  platane,  le  sassafras,  le  chêne  du  Portugal,  les  derniei's  repré- 
sentants des  cannelliers  et  des  palmiers. 

A  Deuben  i)rès  de  Iharand,  à  18  kilomètres  seulement  de 
l'Erzoebirge,  l'argile  (|ui  supporte  le  limon  à  fihinoceros  licho- 
vhinus  a  fourni  une  vraie  flore  glaciaire  à  Salir  herbacea,  Polij- 
(jonum  viviparum  ■  5.  avec  coléoptères  arcti(|ucs  comme  Carabus 
Groenlandicus  (6).  M.  Nathorst  peuse  (jue  cette  végétation,  mar- 
([uant  le  bord  externe  des  glaces  septentrionales,  régnait  presque 
sans  partage  au  nord  des  Alpes,  sur  300  kilomètres,  laissant  tout 
au  plus  se  développer  par  places  des  massifs  de  Betula  odorata. 

La  flore  interglaciaire  est  connue  sur  divers  points  de  l'Alle- 
magne du  Nord,  notamment  à  Honerdingen  (7)  où  elle  se  montre 
composée  de  nénuphars  (]ui  ont  crû  sur  un  lac  dont  les  bords 
étaient  ombragés    pai   des  forêts  de  pins,  de  chênes,  d'aunes,    de 

(1)  Lyell,    Anliq.    of  Mnn,   i«  .'•ilil.  Loiidon,  (ô)    A  Schlussenried  et  ù  Wald  sec  en  Wiir 
1873,  ]>■  250  lemberg,  ou  a    rencontré   des    mousses    arc 

(2)  De  Lappahem.  Titiité  de  (rrniagie.U' i-(\\U,  tiques  st,-ml)lal)les  à  celles  du  Groenland  et  du 
1906,  p.  16  '8  et  si).  Labrador  :  Uijpniim  sarmcnlosuw.  II.  aduncuw. 

(3)  Nathorst.  in    Hei<.  Géol.  suisse,  11'  inWL,  [(>)    Nathorst,    Koiu/I .     Velenskap.     al;a<l. 
p.  76.  —  Refd  el  RwLr.\,Geol.  mar/.3[Vl,p.4il.  Stockholm.  189'.. 

(4)  Fliche,  Cotiipt.    rend.  Anid.  ■'^r..    I.XXX.  7)  WKr.Ki;.  IWiilln-oi-oloyie,  ISÎKi. 
p.  1233;  XCVII.  [>.  l;«i». 


I.A     FLORE.    LA    1  AUNK    KT    LlIOMMi;     Al  X    TEMPS    GLACIAIRES     101 

tilleuls,  de  lièties,  associés  ;ui\  hoiis.  Le  sapin  (Ahies  perfinaln) 
s'y  est  acclimalé  en  dernier  lien. 

Du  même  âge,  et  du  même  caractère  essenliellement  tempéré, 
<'sl  la  dore  des  lio-niies  interglaciaires  de  la  Suisse;  de  ceux  où  il 
a  été  rencontré  des  morceaux  de  pin  portant  des  traces  du  travail 
de  l'homme  (1).  Cesligniles,  ainsi  que  les  tufs  inférieurs  de  Moret, 
sont  remarquables  par  la  j)reuve  qu'il  fournissent  du  grand  déve- 
loppement du  figuier  et  du  laurier  au  temps  de  leur  formation. 

Les  zones  de  végétation  ont  toujours  été  concentriques  aux 
glaciers.  Lors  de  la  plus  grande  exteui^iou  de  ces  derniers,  l'aire 
des  flores  froides  a  fini  par  être  continue  depuis  la  Sibérie,  par  les 
Carpathes  et  les  Sudètes,  jus(|u'aux  Alpes  et  même  aux  Pyrénées. 
Plus  tard,  cette  aire  s'est  lompue  en  ilols  *2i,  et  c'est  ainsi  qu'il  a 
pu  se  constituer  une  lloie  alj)ine  aj)parenlêe  à  la  flore  boréale  (3;. 

Le  Forest  bed  fournit  également  la  faune  qui  vivait  au  moment 
où  commencèrent  à  se  former  les  glaciers.  On  y  voit(/i)  :  Elcphns. 
méridionale  (ô),  E.  anliqiiiis  (6),  E.  j>rimi()enitis  (7),  Rhinocerofi 
elruscus  {S\  II.  megarhiniis,  E(/iiiis  caballus,  Ilippopoldinua 
major  (9),  Sus  sera  fa,  Ursus  spelœus  (10  ,  ['.  Arvernensis,  Boa 
primigeniiis  (11),  Cervus  megaceros  (12  .  C.  capi-eolus,  C.  elaphus, 
C.  polygnacus,  C.  cornuloi'nm,  C  l'cr'licornis,  C.  Sedgwicki, 
Castor  fiber,  etc. 

Cette  faune  caractérise  nettement  la    j)roviuce  zoologiqne  an- 


Ci)  A  Wetzikon  (Suisse).  Hulimcxcr. 

(2)  Les  hautes  cimes  de  la  Suisse  renfer- 
ment (les  espèces  végétales  i(lenU(|ues  à 
celles  (lu  Spitzberg  et  du  Groenland.  .Sur  U- 
cône  terminal  du  Faulhorn,  Ch.  Marlens  a 
recueilli  132  phanérogames  dont  4U  se  retrou- 
vent en  Laponie  et  8  au  Spitziierg.  Mémo 
chose  a  été  observée  pour  toutes  les  grandes 
montagnes,  même  dans  l'Atlas,  1  Abyssinie, 
au  Brésil,  dans  les  Andes,  oie.  (A.  ije  Lappa- 
UE^T,     Traité    de    Gcoloyie,  1906.  p.  Ili.) 

(3)  BouLAY,  l'A'iciennetc  de  ilwmiiif.  Paris, 
189i. 

(4)  LvELL,  Anliq.  of  Man,  p.  -2ôi). 

(r>)  Cf.  Gaudry,  Enchainemenls  du  monde  ani- 
mal, 1878,  p.  169.  —  Id.,  leA  AncèlreA  de  nos  ani- 
maux, p.  279.  —  D'après  Gaudry,  iJ.  meridio- 
;in//.s' serait  l'ancêtre  de  l'éléphant  de  l'Afrique. 

(6)  Cf.  rALcoNER,  On  llie  ossiferous  caves 
of  Ihe  pcninsula  of  Gower,  in  Ouarl.  Jonrn. 
Geol.  Soc,  t.  X'VI.  Gaudry  considère  /•,'.  anli- 
quus  comme  l'ancêtre  de  l'éléphant  des  Indes. 

(7;  Ou  mammouth.  Cuvier,  Révol.  du  Globe, 
p.  3-29,  ossements  fossiles.  Cf.  H.  Ilowoinii, 
The  Mammolh  and  Ihe  flood,  1887.  —  F.vlcoiser, 
Paleoniological  Memoii\'i,  t.  11,  1868.  —  D'Acv, 
Bull,  Soc.  AnlhropoL,  1884,  p.  4.'>3.  Los   osse- 


ments en  soûl  trè.s  abondants  dans  toutes  U>>. 
régions  habilables  au  pléistocène.  On  ren- 
contre son  image  gravée  dans  les  cavernes  (la 
Madelaine,  lîruni(|iiel,  Haymonden.  etc.). 

(8)  Falconer. 

(9)  Cuvier  ;  rare  dans  l'Europe  centrale, 
manquant  en  .MIemagne,  il  est  abondant  en 
Italie.  Cf.  Gkiwais,  lierh.  .s.  I  Anliq.  dr 
l'homme,  p.  101.  —  De  Mortii.i.et,  le  Préhisto- 
rique, 2"^  édit.,  p.  205  sq.  —  IIamv,  Pr^ci.s-. 
p.  175. 

(10)  GuviEi!,  Ussement.'i  fossiles,  vol.  IV, 
pi.  XX  à  XXIV,  figuré  sur  un  morceau  de 
schiste  (caverne  de  Massai). 

(11)  GiivicR,  Ossew.  foss.,  t.  IV,  112  sq., 
p.  1,50  s(j.,  pi  XL  Synonyme-., /?08  uru.s  prj.scu.---, 
laurus  fossilis,  laurus  primigeniu.s ;  est  au  din- 
de certains  auteurs  (Cuvier,  Uulimeycr,  Bell, 
Nehringj  peut-être  l'ancêtre  de  nos  grands 
bovidés  d..mestiques.  Fréquemment  figuré 
sur  les  parois  des  grottes. 

(12)  llarlan.  —  Synonymies,  cerfs  à  bois  gi- 
gantesques (Cuvier;,  Megaceros  hiberniciis 
(Owen),  earycero.-),  etc.  ;  irequent  en  Europr 
occidentale,  rare  eu  Italie,  est  interglaciaire 
eu    Irlande.       W'ii.liams,    Geol.    May.,     1881, 

p.  ;\bi.) 


i^^^jj^^^ 


LA     FLOJIE.    LA     FAUNE    ET     L'HOMME     AUX     TEMPS     (lLA<:îAIPvES     103 

glaise  de  cette  époque.  Elle  est  forcément  la  même,  à  peu  de 
chose  près,  pour  la  Gaule  se[)tentriouale  et  centrale  ;  puisque  la 
Manche  n'existant  pas  alors,  les  terres  britanniques  irétaient  que 
le  prolongement  du  continent  européen.  Les  temps  qui  suivent 
montreront  le  départ  d'un  grand  nombre  de  types,  mais  n'en 
apporteront  pas  de  nouveaux. 

La  faune  (1)  n'est  pas  homogène  pendant  toute  la  durée  du 
pléistocène  et  dans  tous  les  districts.  En  Europe  centrale  et  occi- 
dentale, elle  débute  par  Elephas  anliquiis  dominant,  mais  vivant 
avec  E.  meridionalis,  reste  du  pliocène  ;  tandis  (|ue  dans  les 
rivières  et  les  lacs  abonde  Corbiciila  /Iiiminalis,  lamellibranche 
aujourd'hui  éteint  partout  ailleurs  (|ue  dans  les  eaux  tièdes  tie 
l'Afrique  et  de  l'Asie  méridionale  (''1). 

E.  meridionalis  disparaît  le  premier,  faisant  place  à  E.  prirni- 
(jenius,  avec  lecjuel  d'ailleurs  il  a  vécu  ses  dernières  années  (Forest 
bed).  E.  anliqiiiia  s'eflace  à  son  tour  laissant  seul  E.  primigenius 
(|ui,  avec  Rhinocéros  tichorhinus,  est  contemporain  du  renne,  et  ce 
dernier  lui  survit  jusqu'à  nos  jours,  bien  qu'ayant  modifié  son 
habitat. 

En  sorte  (ju'il  semblerait  qu'on  puisse  diviser  les  temps 
glaciaires  en  six  périodes,  suivant  les  caractères  de  leur  faune, 
savoir  : 

1.  I  Elephas  meridionalis.  (  Elephas  antiqmis. 

i   r-i     I  -j-        /•  IV.  <  Elephas  priminenius. 

\  Elephas  mendionnlis.  '     j         /  '  ^' 

IL  S  E»,     /  .•        „  f  Rhinocéros  tirhorhinu^. 

l  Elephas  aniiquiis. 

TPI     I  ■  r        r  [  Elephas  priminenius. 

Elephas  nicridionalis.  \        ■'  . 

rp,     1  /•  \ .  {  Rhinocéros  lichorhinns. 

Elephas  antiquus.  j 

111.    {  ^,      ,  .     ■        .  (  Cerviis  iarandas. 

Elephas  pnmigenias. 

Rhinocéros  lichorhinns.       YI.  |  Cervus  larandus. 

Mais  ces  divisions,  même  si  elles  étaient  rigoureusement  éta- 
blies, ce  qui  n'est  pas,  ne  seraient  d'aucun  usage  pratique  pour  le 
classement  des  industries  humaines  ;  car  jamais  on  ne  rencontre 

(1)  Cf.  J.  WoLDRicii,  Diluvinle  europa-ische  dans  Ions  les  cours  tleau  de  la  plaine,  acconi- 
nordasialische  Sauerjetbierfauna  und  Une  Bezie-  pagnée  fie  Mehinin  h'.berculata  el  de  Mel'inopxis 
hunyenzum  Menschen.  Sainl-Pétersboiir<î   1887.  nodo^us.  pénètre  dans  les  vallées;  mais  cesse 

(2)  Knlre  autres  pays  de  l'Asie  où  j'ai  ren-  brusquement  vers  700  mètres  d  altitude  devant 
contré  Corbicula  fluminalis,  je  citerai  particu-  un  climat  trop  rigoureux  pour  son  existence, 
lièrement  la  Susiane.  Là,  celte  espèce,  qui  vit  (.T.  M.) 


lO/i  I.ES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

réunis  tous  les  types  caractéristiques  et,  semljloraiont-ils  être  tous 
dans  une  même  couche,  qu'on  ne  serait  jamais  certain,  pour  le 
groupe  IV  par  exemple,  qu'il  ne  manquât  pas  soit^".  meridionalis, 
soit  C.  luî'andus. 

Parmi  les  espèces  qui  s'éteignent  durant  le  pléistocène,  citons 
les  plus  importantes,  savoir  :  E.  meridionalis,  E.  antiquus, 
E.  primigenius,  Rhinocéros  lichorhiniis  (1),  Hippopolamus  major, 
UrsLis  spelœiis,  Hyiena  spelœa  (2),  Felis  spelœa  '8},  Ceruus  mega- 
ceros.  etc. 

Les  genres  Elephas,  Rhinocéros,  Hippopolamus,  les  grands 
félins,  rhyène,  l'antilope  n'ont  pas  émigré,  comme  on  le  prétend 
généralement;  ils  ont  disparu  de  nos  régions  par  extinction  des 
espèces  qui  les  y  représentaient;  mais  ont  continué  de  vivre  dans 
les  pays  propres  à  leur  exislonce  et  où  ils  se  trouvaient  déjà  repré- 
sentés par  des  tyj)es  spéciaux,  n'ayant  aucune  autre  parenté  avec 
les  espèces  européennes  que  leur  nom  généri(|ue. 

On  remarquera  que  l'éléphant,  qui  vivait  aussi  bien  en  Amé- 
rique du  Nord  qu'en  Europe,  ne  s'est  pas  retiré  vers  le  centre 
ou  le  sud  du  nouveau  monde,  où  il  aurait  rencontré  des  conditions 
analogues  à  celles  que  l'Afrique  équatoriale,  l'Inde  et  l'Indo-Chine 
olTrent  ta  ses  congénères  ;  que  les  espèces  européennes  n'ont  pas 
gagné  le  Sud,  que  toutes  ces  espèces  se  sont  éteintes. 

L'émigration  ne  porte  donc  que  sur  les  animaux  qui  se  sont 
retirés  vers  les  régions  froides,  pays  polaires  ou  grandes  altitudes, 
tels  sont  :  le  renne  (Ceruus  larandus)  (4),  émigré  au  Nord,  le 
glouton  {Galo  luscus)  (5)  et  la  marmotte  (Arclomgs  niarmola)  (6), 
cantonnés  aujourd'hui  dans  les  grandes  hauteurs,  et  Crsus  ferox  (7; 
(|ui  ne  vit  plus  que  dans  les  montagnes  Rocheuses  en  Amérique 
du  Nord.  Ce  fut  une  exode  de  ces  animaux  vers  les  régions  lais- 
sées  libres  par  la  fonte  des  glaciers,  pays  où  ils  rencontraient 
les  conditions  propres  à  leur  habitat. 

Nous    savons   que    E.    primigenius   et    Hh.   lichorhinus  étaient 

(1)  Cuvier.     Le    Rh.     licfioihinus    (;iux    na-  nat.  Dcscr.   Musce  de  Saint-Germain,  I,  p.    53. 

fines    cloisonnées)     semble     représenter    un  Nombreuses  notes. 

rhinocéros    tertiaire   dont  la  ilenlilion    a   été  (5)  Cf.  Gervais,   Restes  fossiles  du  glouton 

modifiée  pour  s'adapter  au  régime  licrbivore.  recueillis    en    France,    in    Matériaux,    l.    VI, 

Gaudry,  Matériaux  /lOur  iltistoire   des  temps  p.  iSi,  gravé  suv  un  os  (Reliq.  Aquitan.,  p. '209). 

quaternaires,  p.  86.)  G)  La  marmotte  ipiaternaire  dillere  de  l'es- 

(-2)  Goldfuss.  Syn.   probable,  Hyœna  vrocuta  pèce  actuelle.   Cf.    Gaudry,    Matériaux    pour 

d'.Virique  (Gaudry,  Matériaux,  t.  XIX,  p.  lltt.)  l'histoire    des     lemjis     quaternaires,    1,    p.    27, 

(3)Goldiuss.  Syn.  Léo  spelieiis.  pi.  H,  lli. 

(4)  Linné.    Cuvier,  Ussew.  foss.,  t.  IV,  p.  Il  (7)  Grizzly  bear.  Cf.    Keller,  Die  Tliiere  dvr 

s,|.    Pour   la  bibliogr.,  Cf.   S.  Rei.nac.ii,  Antiq.  Allerlhums,  p.  lOfi,  sq. 


LA    FLORE,    LA    FAUNE    ET     LIIOMME    AUX    Ti:\IPS     (.LACLMIŒS     10,') 

armés  contre  le  froid  par  (l'éj)aisses  toisons  atteignant  parfois 
jusqu'à  0  m.  70  de  longueur;  mais  il  nous  est  interdit  de  juger 
iVE.  meridionalis  et  d'^".  anliquiis  aussi  l)ien  suivant  ce  que  nous 
connaissons  de  leurs  contemporains,  (|ue  d'après  ce  que  nous 
savons  des  éléphants  modernes.  Notre  éducation,  d'une  pail, 
nous  porte  à  ranger  l'éléphant  parmi  les  animaux  des  pays  chauds, 
et  d'autre  part,  les  toundras  nous  ofl'renl  des  lypes  de  régions 
froides;  mais  nous  ne  connaissons  pas  les  espèces  des  climats  tem- 
pérés. 

En  ce  qui  concei'ue  nos  pays,  la  premiéic  phase  des  éléphants 
semble  correspondre  à  un  climat  chaud,  hi  seconde  à  un  froid 
humide,  la  troisième  à  un  froid  sec,  s'adoucissant  peu  à  peu,  jus([u"à 
aboutir  au  climat  actuel. 

Ces  lois  semblent  se  juslitier  en  ce  (|iii  concerne  l'Europe 
centrale  et  occidentale;  toutefois,  les  allernances  d(î  froidures  et 
de  chaleur  ont  elles-mêmes  subi  jjien  des  variations  locales;  et  il 
serait  imprudent  de  géjiéraliser,  dès  n)aiiit<'iiant,  1<3S  conclusions 
d'observations  souvent  insuffisantes  ou  géogra|)iu(juement  trop 
rapprochées  les  unes  des  autres. 

Hors  d'Europe  la  faune  est  différente,  bien  (|ue  faisant  partie 
d'un  même  ensemble  caractéristique  des  temps  modernes. 

En  Amérique  du  Nord,  les  herbivores  dominent  :  Elephdn 
Colombi,  E.  americaniis{[\  E.  primigenius,  Maslodon  americanus, 
Et/iius,  et  plus  particulièrement  les  édenlés  :  Megalherium,  Mylo- 
</o/i,  A/e</a/o/2//x;  mais  c'est  surtout  dans  TA  nié  lique  méridionale  que 
ce  dernier  groupe  voit  son  apogée  avec  les  Mcfjaiherinm,  Mijlodon, 
Megalonyx,  Glyptodon,  Chamydoiheriiim,  Pachi/lherium,  etc.  {'!). 

En  Afri(|ue,  la  faune  est  la  même  que  dans  les  temps  actuels  ; 
sauf  que  l'aire  occupée  par  les  éléphants,  hippo])otames,  rhinocé- 
ros et  buffles  est  beaucoup  plus  étendue.  Ces  animaux  vivent  jus- 
qu'en Algérie  et  à  Malte.  On  sait  que  les  hippopotames  ont  habité 
la  vallée  du  Nil  jusque  dans  les  temps  hisloi  iques. 

Les  grands  pachydermes  modernes  nés  ont  pas  des  habitants 
des  prairies;  ils  vivent  dans  les  forêts  tropicales  les  plus  épaisses. 
En  Indo-Chine,  j'en  ai  rencontré  des  troupes  dans  les  jungles  les 
plus    impénétrables,  là  où   l'homme   n'avait  jamais  foulé   le  sol. 

(1)  Une  pipe  en   giè?i    trouvée  dans  Louisa  quaternaire^,  nu. iitioqn'en  Amérique  du  NoitI 

CounLy    (lo\\a,i  et   représentant    un    élépliant  les   grands  pacliydeinies   ne   se  sont   éteints 

(de  Nadaillac,  Matériaux,  1885,  p.  505,  fig.  131)  que  très  Uu'divcnient. 

dont  rage  ne  peut  remonter  jus({u'aux  temps  (2)  Cf.  H ana,  Man.  of  d'aï.,  1875. 


10()  Î.ES    PlillMlKHKS    C.IVIFJSATIONS 

Les  chevaux,  au  coiilrairc,  cherchent  leur  noui'i-itiire  dans  les  step- 
pes ;  tandis  que  les  buflles  ne  se  plaisent  que  dans  les  marécages. 

En  Australie,  comme  de  nos  jours,  les  marsupiaux  dominent 
au  pléistocène  ;  mais  ils  se  font  remarquer  par  leur  grande  taille  : 
iJiprutodon,  ïVoioiheriiim,  etc. 

En  IJussie,  sauf  peut-être  dans  une  partie  de  la  région  Baltique, 
de  la  Finlande  et  du  Gouvernement  d'Olonetz,  ou  ne  trouve  qu'un 
seul  dépôt  erratique,  contemporain  de  l'extension  maxima  des 
glaciers  Scandinaves.  Il  (^st  recouvert  par  des  alluvions  renfer- 
mant des  vestiges  d  E.  primigeniiis. 

Plus  à  l'est,  toute  la  Sibérie  (1)  est  restée  pendant  cette 
période  le  domaine  des  grands  pachydermes  (2). 

Le  sol  des  îles  Liakhow  et  de  la  Nouvelle-Sibérie  est,  pour  ainsi 
dire,  formé  d'ossements  de  mammifèresé  teints  (3)  ;  parmi  lesquels 
le  mammouth  [E.  primifjeniLis),  avant-coureur  des  glaciers  en  An- 
gleterre :7i),  dont  on  a  trouvé  quelques  molaires  en  Danemark  et 
que  certains  savants  (5;  croient  pouvoir  faire  vivre,  dans  nos  pays, 
jusqu'au  trentième  et  même  au  vingtième  siècle  avant  notre  ère. 

Bien  f[ue  ce  soit  une  opinion  généralement  adoptée,  on  ne 
peut  dire  que  le  mammouth  fut  plus  nombreux  en  Sibérie  qu'en 
Europe;  car,  dans  certains  graviers  de  la  France,  on  rencontre  ses 
restes  en  abondance  extrême.  Toutefois,  ce  n'est  que  dans  les 
toundras  sibériens  qu'on  le  trouve  parfaitement  conservé,  gelé 
depuis  des  milliers  d'années,  ayant  encore  entre  les  dents  les 
fragments  des  végétaux,  l)ouleau,  mélèze,  épicéa,  dont  il  se 
nourrissait. 

('es  grands  herbivores  (0)  ont  disj)aru,  parce  que  le  froid  a  fait 
périr  la  végétation  dont  ils  s'alimentaient;  et  les  cadavres  de  ceux-là 
seuls  ont  été  conservés  (pii  étaient  tombés  dans  les  crevasses  des 
anciens  glaciers  (7). 

Ces  glaces,  (jui  conli<'niient  en    très  grand   nombre  les  corps 


il)  Puni-  Io  climat   a<Uicl  de  l.i    Sibrrie,  Cf.  (5)    Schaaffiiausen.    Contjr.    de    Salzbourij. 

Allas    clinuilologique    de    l'Empire    de    liuxsie,  1881. 

IHiblié     par   I  Observaloiro    physique    central  (G)  Le    bœuf  iaus(pié   ne  semble    pas  avoir 

Nicolas,  in-folio,  Sainl-i'éLersbouig,   1900.   Un  vécu  en   Sibérie;    il    s'est   éteint  en    Europe 

pùle    (lu     froid    (décembre,    janvier,    février  pendant  1  époque  glaciaire,  mais  a  survécu  en 

—  48°)  semble  situé  par  l/SO"  long.  E  de  Gr.  et  Amérique  où  il  vit  depuis  le  nord  du  Canada 

•  u»  lai.  N     au  sud  de  Verkhoiansk.  jusqu'au    Groenland     par     H!"    lat.     N.      Cf. 

{■■2)  Pour  les  formations  pléistocènes  des  iles  G.  Nathorst,  le  Lou|>  polaire  et  le  Koiuf  mus- 

siluées  au  noid  <le  la  Sibérie,  Cf.  Miim    Acad.  <pié  dans  le  Groenland  orien:al.ds  l(i  Géoyra- 

sr.Sainl-I'élerxboury,  sér.  VllI,  vol.  IX.  1.  phie,  1901.  t.   111,  pp.  1-16.) 

3)  UAitcHiAC,  Rev.  des  roura  sdenlif.,  1.  1.  (7)  De  Lapparent,  Traité  de  Géologie,  G'  éd.. 

4)  Bortr,  liev.  é'anlhrop..  18ss.  p.  tlTl.  IWC. 


LA    FLORK,    LA     I  AUNE     KT     LilOMME    AUX    TEMPS    (ll^ACIAIRES     107 

gelés  des  animaux  pléislocônes,  sont  recouvertes  par  des  limons 
et  des  sables  renfermant  en  même  temps  que  des  feuilles  de  bou- 
leau, des  pisidiiim  et  des  limnea,  restes  d'anciens  lacs  produits, 
bien  certaincmciil,  j)ar  des  barrages  glaciaires. 

La  disparition  d<^s  mammoutbs  et  des  rhinocéros  s'est-elle  faite, 
en  Sibérie,  graduellement,  ou  d'une  façon  brutale?  c'est  ce  que 
nous  ne  saurions  dire  ;  mais  la  grande  accumulation  des  cadavres 
serait  de  nature  à  faire  supposer,  sur  certains  points,  des  cataclys- 
mes soudains.  La  présence  des  grands  ossuaires  de  ce  genre  à  Pi- 
kermi  (1),  Maragha  (2),  aux  îles  Liakhow  (3),  à  la  Nouvelle-Sibérie, 
en  Palagouie  (/i),  semblent  bien  difficiles  à  expliquer  autrement. 

Telle  était  la  faune  aux  temps  pléistocènes.  (^uant  aux  condi- 
tions dans  Ios(|uelles  nous  rencontrons  ses  vestiges,  elles  sont 
essentiellement  variables,  tout  en  ne  sortant  pas  des  limites  que 
je  viens  d'assigner.  La  division  générale  en  faune  froide  et  faune 
chaude  ne  présente  guère  de  certitude  ;  car  nous  voyons  partout 
sur  le  globe  des  phénomènes  analogues  dont  la  portée  n'est  que 
locale,  et  nous  ne  connaissons  pas  assez  la  biologie  des  êtres 
fossiles  pour  l'assimiler  à  celle  des  animaux  actuels.  Parmi  les 
grands  félins  modernes  le  tigre  royal,  par  exemple,  l'hôte  habituel 
des  forêts  du  Bengale  et  de  l'Indo-Ghine,  ne  vit-il  pas  au  ^lazan- 
déran  et  jusque  sur  les  plateaux  glacés  du  Tibet? 

En  ce  qui  concerne  les  alluvions,  aucune  certitude  n'est  per- 
mise ;  car  le  transport  par  les  eaux  peut  avoir  opéré  des  mé- 
langes entre  des  faunes  diverses,  chaude  et  froide,  entre  celles  de 
plusieurs  disti'icts  zoologiques  d'altitudes  diverses.  De  nos  jours, 
ces  districts  abondent  et  parfois  ils  sont  très  voisins  les  uns  des 
autres.  Pour(|uoi  n'en  aurait-il  pas  été  ainsi  autrefois? 

Chercher  à  classer  dans  leurs  détails  les  alluvions  pléistocènes, 
au  moyen  des  ossements  fossiles  (ju'on  y  rencontre,  est  négliger 
toutes  les  considérations  que  je  viens  d'exposer.  Il  ne  faut  donc 
envisager  les  alluvions  que  dans  leur  ensemble,  en  notant  toutes 
les  particularités  qui  peuvent  présenter  un  intérêt  local;  car  c'est 
de  ces  monographies  qu'un  jour  sortira  la  classification  métho- 
dique, si  jamais  on  parvient  à  l'établir. 

Les   premières  traces   prouvant   l'existence  de   l'homme,  qui 

(1)  Cf.  A.  Gaudry,  Ann.  Pal.  Muséum.  2.055  ossemenls  appartennnl    au  mammouUi, 

{D  Cf    DE  R.  Mecouenem,  ds  Annalea   de  In  au  rhinocéros,  au  cheval  sain-af^e,  a  I  antilope 

Déléuation  en  Perse  l.  I.  saïga,  au  tigre,  etc. 

(3;  Aux    iles  Liakhow,    lîungc    a    recueilli  {i)  GAVDnY,Pata<jonie,  Ann.PnlMuseuw. 


108  LES    PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

nous  apparaissent  d'indiscutable  manière,  ne  se  rencontrent  géné- 
ralement pas  dans  le  site  même  où  cet  homme  a  vécu;  mais  le  plus 
souvent  dans  des  lits  plus  ou  moins  épais  d'alluvions  (1),  mélan- 
gés aux  restes  des  animaux  ses  contemporains,  peut-être  aussi 
ses  prédécesseurs,  et  à  une  quantité  de  matériaux  arrachés  aux 
couches  plus  anciennes  que  le  phénomène  alluvial. 

La  masse  énorme  de  névés  durcis  que  renfermaient  les  glaciers 
détermina,  avant  et  lors  de  sa  fusion,  de  grands  courants  d'impé- 
tuosité variable,  suivant  que  les  lacs  de  barrages  étaient  plus  ou 
moins  volumineux,  que  les  glaces  fondaient  plus  ou  moins  rapi- 
dement. Ces  courants,  fréquemment  très  violents,  désagrégèrent 
sur  leur  passage  toutes  les  couches  meubles,  la  terre  végétale  ter- 
tiaire, les  roches  tendres,  telles  que  les  sables,  les  argiles,  les 
marnes,  la  craie  ;  entraînèrent  au  loin  les  particules  légères  pour 
abandonner,  au  fond  de  leur  lit  momentané,  les  matières  dures 
demeurées  en  noyaux,  d'un  transport  plus  difficile.  C'est  ainsi  que 
dans  les  dépôts  du  diliwium  on  trouve,  à  la  base,  des  couches 
plus  ou  moins  épaisses  de  galets. 

Puis  l'intensité  des  courants  décrut,  permettant  à  des  sédi- 
ments plus  fins,  graviers,  sables,  argiles  enfin,  de  se  déposer.  De 
nouvelles  crues  survinrent  encore,  correspondant  à  de  nouveaux 
cataclysmes;  elles  recouvrirent  les  premiers  sédiments  de  lits 
supérieurs,  comj)osés  de  gros  éléments. 

Enfin  les  grands  glaciers  disparurent  pour  toujours;  et  les  eaux 
lentes  de  leur  dernière  fonte,  jointes  à  celles  des  pluies,  terminèrent 
la  série  du  diliwium  par  des  dépôts  sableux  et  boueux.  Le  régime 
actuel  des  eaux,  la  topographie  moderne,  étaient  définitivement 
fixés. 

C'est  dans  les  cailloux  roulés  inférieurs,  reposant  sur  le  ter- 
tiaire ou  le  crétacé,  qu'à  Chelles,  à  Saint-Acheul  et  h  Abbeville 
ont  été  découverts  les  instruments  les  plus  anciens  connus  jusqu'ici 
comme  ayant  été  sûrement  façonnés  par  la  main  de  l'homme  (2). 

Ces  instruments,  non  roulés,  taillés  presque  sur  l'emplace- 
ment où  ils  ont  été  trouvés,  eussent  pu  être  attribués  au  pliocène 
comme  provenant  de  son  humus,  lavé  par  les  eaux  du  diliivium, 
s'ils    n'étaient    accompagnés    d'ossements    iVEIephas    antiquus, 

(1)  Cf.  Belgrand,  Conijràs  de  Bruxelles,  ISTJ,  (2)    Ces   couches    sont    considérées    comme 

p.  133   sq.  Ces  îilluvions  anciennes  portent  le  interglaciaires.  Cf.    Reu.    d'Anthrop.,   t.   XVI, 

nom  de   diluvium,  celui  (t'alluvium  étant  ré-  p.  388  sq.,  XVII,  p.  388  sq.  et  rm  sq. 
serve  pour  les  dépôts  Ihivialiles  récents. 


LA    ILOMK.     LA    FALiXE    LT    LMOMJMH    AUX     TKMPS    CILACLMRES     100 

Rhinocéros  Mercki,  Trongolheriuin  Cnvieri^  cLc,  animaux  consi- 
dérés comme  caractéristiques  du  pléistocène  dans  nos  pa\^s. 

Le  coup-de-poing,  c'est  ainsi  (|ue  G.  de  Morlillet  (1)  nomme 
ces  outils  primitifs,  est  un  instrument  de  forme  amygdaloïde, 
taillé  sur  toutes  ses  faces,  renllé  en  son  milieu,  arrondi  à  l'une 
de  ses  extrémités,  terminé  en  pointe  à  l'autre.  S'il  est  incomplète- 
ment façonné,  c'est  toujours  la  partie  arrondie,  le  talon,  qui 
demeure  négligé  ;  c'est  donc  par  sa  pointe  et  s(;s  côtés  tranchants 
qu'il  était  d'usage. 

Les  dimensions  du  coup-de-[)oing  sont  extrêmement  variables. 
On  en  trouve  présentant  une  longueur  de  0  m.  35  et  même  de 
0  m.  40,  tandis  <|uo  d'autres  sont  à  peine  longs  de  7  ou  8  centi- 
mètres. En  moyenne,  il  mesure  de  12  à  15  centimètres  de  lon- 
gueur. Dans  tous  les  cas,  ses  formes,  bien  que  variables,  appar- 
tiennent toujours  au  même  type  de  fabrication,  que  l'exemplaire 
soit  élancé,  ai'rondi  ou  ellij)tique. 

Les  matières  employées  pour  la  confection  de  ces  instruments 
sont  celles  de  la  région  même  où  ils  se  rencontrent  :  le  silex  pour 
les  pays  du  nord  de  la  France,  pour  la  Belgique,  le  sud  de  l'An- 
gleterre, l'Algérie,  la  Syrie,  l'Egypte;  les  grès  et  les  quartzites 
pour  les  contrées  voisines  des  P^a^énées,  les  Indes,  l'Amérique 
du  Nord;  le  pétro-silex  dans  le  nord  de  l'Afrique  (2).  Toutefois, 
l'obsidienne,  matière  abondante,  mais  tiop  fragile,  ne  semble 
pas  avoir  été  d'usage  à  réj)oc|ue  quaternaire  (8). 

Il  est  difficile  de  dire  si  ces  matières  ont  été  employées  avant 
leur  transport  alluvial  ou  après.  Beaucoup  furent  empruntées  aux 
montagnes,  dans  le  site  même  de  leur  formation  géologique; 
mais  aussi  bien  des  coups-de-poing  ont  certainement  été  taillés 
dans  des  rognons  déjà  roulés.  Fait  très  naturel  d'ailleurs,  au  point 
de  vue  technique,  et  dont  toutes  les  industries  de  la  pierre  four- 
nissent de  nombreux  exemples. 

Les  préhistoriens  conviennent  généralement  de  ranger,  parmi 
les  plus  anciens,  les  types  présentant  le  travail  le  plus  grossier: 
et  de  voir,  dans  la  perfection  de  la    taille,  un   signe  de  progrès. 

(1)  Cf.  enlrc  autres  ollv^0JiL■^-  tic  G.  ni;  Mou-  non  de  >ikx.  matière  résorvcc  aux  objets  «liin 

TiLLET,  Musée  prcliislorique.  Paris,  1881.  pi.  VI  travail  plus  soifinc.  (J.  M.) 

à  X.  (3   Les  fiisemenis  les  plus  importants  d'ob- 

(2^  Dans   les  gisements   de   Tunisie   où  lir,  sidienne  se  trouvent  dans    le  petit    Caucase, 

types    chcUéen   et    moustérien   coexistent,   il  les  iles  grecques,    le  Japon  et    le   Mexique, 

est  à  remarquer   que  tous  les  iuslruments  do  pays  où    il    n'a    pas    été    rencontre    jusqu'ici 

forme  clielléennc  sont    faits  de  pélro-silox  il  irinslrnmcnls  du  type  chelléen. 


I  10  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Cette  classification  ne  saurait  être  admise  (1)  ;  car  certaines  roches 
telles  que  les  quartz,  quartzites  et  grès  durs,  ne  se  prêtent  pas  à 
un  travail  fin  ;  et,  tous  les  instruments  n'étant  pas  destinés  aux 
mêmes  usages,  il  n'était  pas  nécessaire  de  leur  accorder  à  tous 
les  mêmes  soins.  11  ne  peut  donc  être  établi  de  classement  indus- 
triel et  à  fortiori  de  rangement  chronologique  d'après  ces  don- 
nées seulement.  C'est  ainsi  qu'il  semble  aujourd'hui  prouvé  que, 
dans  bien  des  localités,  les  formes  dites  nioustériennes  ne  sont 
autres  que  des  instruments  spéciaux,  voulus  par  les  besoins  de  la 
vie  et  contemporains  des  types  chelléen  et  acheuléen  (2). 

Quant  à  la  destination  et  au  mode  d'emploi  du  coup-de-poing, 
il  a  été  et  est  encore  très  discuté.  G.  de  Mortillet  admet  qu'on  em- 
ployait ces  instruments,  sans  emmanchement,  en  les  tenant  directe- 
ment dans  la  main  ;  d'autres  supposent,  au  contraire,  qu'ils  étaient 
munis  d'un  manche  et  citent  à  l'appui  de  leur  opinion  de  sembla- 
bles outils  emmanchés,  usités  encore  par  certaines  populations 
australiennes  (3). 

Débutant  avec  les  galets  inférieurs,  l'industrie  paléolithique 
se  poursuit,  sans  grands  progrès,  jusqu'au  sommet  du  lœss, 
sorte  de  boue  argileuse  assez  fortement  chargée  de  calcaire,  qui, 
sur  la  majeure  partie  du  globe,  couvre  les  alluvions  caillouteuses. 

On  rencontre  le  lœss  dans  le  nord  de  la  France,  en  Angle- 
terre méridionale,  en  Belgique,  dans  l'Allemagne  du  Nord  et  du 
Sud,  dans  le  bassin  du  Danube;  mais  on  ne  le  trouve  ni  en  Russie, 
ni  sur  les  bords  de  la  Baltique  ou  de  la  mer  du  Nord.  11  abonde 
en  Chine,  aux  Etats-Unis,  à  la  Plata  et  partout  ne  s'écarte  pas  des 
abords  des  grands  massifs  accidentés.  Le  dépôt  de  lœss  est  un 
fait  spécial,  qui  n'a  rien  à  voir  avec  le  classement  chronologique 
général  des  industries. 

Dans  ces  couches  et  dans  les  alluvions  sous-jacentes,  les  instru- 
ments paléolithiques  ont  été  rencontrés  dans  toute  la  France  (/|), 
la  Belgique,  le  sud  de  l'Angleterre  (5),  l'Espagne  (6),  l'Algérie  (7), 

^1)    On    ti    inùme    proposé    de     subdiviser  (4)  France.  Cf.   G.  de  IMortillet,  le  Préhi.<- 

Vépoque    itcheulêenne  en   quatre    périodes    sui-  torique 

vanl  la  forme   des  instruments    Cf.  Th.  Bau-  (5*  .Xnglelerre.  Cf.  .1.  Evans,  les  Agex  de  lu 

noT^, Congrès  préhist.deFrunre,\901{i'60'<),\)  97.  pierre  delà  Grande-Bretagne,  U'aà.  fr.,  1878. 

(2)  Pour  le  nord  de  la  France   la  succession  (6)  Espagne.  Cf.   Cartailhac,  Ages  préhisl. 

des  types  chelléen,   actieuléen  el  mouslérlen  de  l'Espagne  el  du  Portugal,  1880. 

semble  devoir  èlre  admise,  n  n'en  est  pas  de  (7)    Algérie.    Cf.    Matériaux,    t.    X,  p.   196; 

même  en  Tunisie  el  eu  Egypte   où   ces  trois  l.  XXII,  p.  iii.   —  Zabouowski,    Période  néo- 

vpes  ont  élé  contemporains.  litli.    Afr.  du    Nord.    ïn  Rev.  Ecole  Anthrop., 

(3><^:ABTAiLHAr., /a  France  préhistorique,  189G,  1899,  p.  41    —  Tunisie.  Cf.  Matériaux,  l.  XXI. 

P-  5.  p.  176.  —  R.  CoLLioo.N.  les  Ages  de  la  pierre 


LA     FLOUE,    LA     lAUNK    ET     LllO.MMi:     MX     I  EMPS    >iLACL\IRES    11| 

l'Italie  (l),  rAllemagne  méridionale  ;2,,  la  Hongrie,  Tl^gypte  (3), 
la  Syrie  (4),  le  désertsyro-arabique  (5),  la  Palestine  (6),  les  Indes  (7), 
le  Japon  (8),  le  Somal  (9),  le  Cap  do  nonne-Espérance  (10),  le 
Congo  (H),  le  paysdesTonarogs  (12),  la  Tnnisie  (13),  l'Algérie  (l/i  s 
rAmérique  du  Nord  (15),  le  Mexique  (16);  leur  présence  est  dou- 
teuse en  Grèce  (17),  en  Sicile  (18),  à  Malle  (19),  en  Sibérie  (20. 
lis  font  défaut  eu  Scandinavie,  Ecosse,  Irlande,  dans  le  nord 
de  l'Angleterre,  de  l'AUeniagne,  en  Suisse,  au  Tyrol,  dans  le 
plateau  iranien,  au  nord  de  l'Amérique  septentrionale  et  dans 
toute  la  région  inhabitable  à  l'époque  glaciaire  (21). 


en  Tunisie,  in  Malér.  Ilisl.  uni.  Homme,  1887, 

■.V  S('T.,   t..    IV. 

(1)  Ilalie.  Cf.  G.  de  Moutillet,  le  Préhislo- 
riqae.  —  Pigokini,  Bull,  di  palelnol,  ilal  ,  187G, 
p.  121.  —  Capei.lim,  L'elA  délia  [nelra  nella 
Valh'  delta  Vibrata.—  C.  Rosa.    liic.  di  Arch. 

prei.'^l.  n.   Valle   délia  Vibrata.   Florence,  1871. 

(2)  Sur  les  fjisemenls  paléolllbiques  dAlle- 
masrie.  Cf  Thiede  (Verli.  Be-l  Ge.s.,  1876, 
p.  207;  1878,  p.  259:    1880,  p    83;    1882,   p.  73). 

—  Westeregeln    Verh.  Bert.  Ges.,  187  ,  p.  2(X;). 

—  Weimar  {Verh.  Berl  Ges.,  1877,  p.  25- 
Paleontographica,  t.  XXV,  1878.  Arch.  f.  An- 
Ihrop.,  1887,  t.  X,  p.  13i).  Ces  gisements  sont 
situés  sur  la  lisière  des  dépôts  erra.iques.  — 
Cf.  Boule,  Heu  dAnlhrop.,\S?,S,  t.  XVII,  p  141. 

—  S.  Rkinach,  Anliq  nat.  Descr.  Mus.  Saint- 
Germain,  I,  p.  37,  note  i. 

(3)  Egypte.  Cf.  G.  DE  MoRTiLLET,  le  Préhisto- 
rique. \>.  Ml.  —  Reu.  d'Anthr., 1879,1.  \  IILp.lKi. 

—  J.  DE  Morgan,  Recherches  sur  les  Origines  de 
l'Egijple.  2  vol.  1896,  1897.  —  G.  Sciiwein- 
FURTH ,  Kiesel  Arlefacte  in  der  diiuvialen 
Schotler-Terrasse  und  auf  den  Plateau-H'ihen 
Yon  Ttieben,  in  Verhandl.  d.  Berliner  Gesell.  /. 
Anlhrop.,  elc  ,  1902,  p.  293. 

(4)  Syrie.  Cf.  Zumoffen,  la  Phénicie  avant 
les  Phéniciens.  —  E.  Cartailhac,  l'Age  de  la 
pieiTe  en  Asie.  Congr.  orientalistes.  3=  sess. 
(1878  ,  t.  I.  p.  315,  1880.  —  S.  Chauvët,  Age 
de  la  pierre  en  Asie.  Congr.  intern.  Arch. 
préhist.,  11»  sess..  t.  I,  p.  57.  Moscou,  1892. 

(5)  Désert  syro-arabique  l'almyre,  Soukhna. 
Cf.  J.  DE  Morgan,  Note  sur  la  basse  Mésopo- 
tamie, ds  la  Géographie,  1900,  t.  II,  pp.  246- 
2(i2.  —  Cf  Zlmoffeis.  la  Phénicie  avant  les 
Phéniciens.  Beyroutb,  1900.  pi   I-V. 

(6  Palestine  ?  Congrès  de  Paris,  p.  113.  - 
Galilée  (Cazalis  de  Fondouce  otMoretain).  — 
Babjlonie?  Congrès  de  Paris,  p.  118. 

(7;  Indes.  Cf.  Cockburn,  Joarn.  Anlhrop. 
fn.it.,  t.  XVI,  n"  4.  —  Rivett  Carnac,  Joarn. 
Anthr.  Inst.,  t.  XIII,  1884,  p.  119.  -  Mei.licot 
and  Blanford,  Man    Geol.  of  India.  Calcutta. 

(8)  Japon.  KouzNETzoF.  Age  de  la  pierre  au 
Japon,  in  Malér.  Hist.  Homme.  1879,  p  ;si. 

(9)  Somal  Setton  Karr,  Discov  of  Evid. 
Paleolith.  Age  in  Somaliland,  in  Journ.  An- 
lhrop. Insl.,  1896.  t.  XXV,  p.  271  et  id.,  août 
1897. 

(10)  Cap  de  Bonne- Espérance.  Gooch,  The 
Stono  .\ge  of  Soutb  Africa,  in  Journ.  Anlhrop. 


Inslituie,  IKsi,    —  A.   Rutot,  Bull.  Soc.   Belge, 
Géol.,  t.  XXI.  19W,  p.  212. 

(11)  Congo.  W.  GoocH,  Journ.  Anlhrop. 
Insl.,  1882,  t.  XI.  p    124. 

(12)  Touaregs  (Wcisgerber,  Lenz,  Collignon. 
(13^  Tunisie.  Gafsa,  environs  de  Rhadamès 

(J.  M..  19071. 

(1 1)  Algérie.  Dans  le  lac  Karar[Sud-Oranais], 
M.  Genlil  a  rencontré  en  même  temps  que  les 
restes  d'une  très  importante  industrie  acheu- 
léenne  une  faune  composée  d'éléphants,  hip- 
popotame, cheval,  bubale,  etc. 

vl5)  Amérique  du  Nord.  Cf.  Abbot.  Primilive 
industry,  Salem,  1881.  —  De  Nadaillac, /Amc'- 
rique  préhistorique,  p.  22.  —  Tu.  Wilso.n, 
Préhist.  Art,  in  Rep  of  Nul.  Muséum,  Was- 
hington, 1898.  p.  366.  —  Cf.  Th.  Wilson, 
Results  of  an  intpiiry  as  to  Ihe  existence  of 
Man  in  North  America  during  Ihe  palcolithic 
period,  in  Rep.  of  A'u/.  Muséum.  1887-1888, 
pp.  677-702  Washington,  1890.  —  Th.  Wilsoii 
{Congrès  internat.  d'Anthrop  et  d'Archéol. 
préhist.  (1889),  1891,  p.  118  sq.,  le  Phénom.  gla- 
ciaire à  Trenton  [New  Jersey]),  mel  en  paral- 
lèle les  classifications  du  quaternaire  dans 
les  Etats-Unis,  les  Alpes  allemandes  et  K; 
nord  de  la  France  Cf.  tableau,  p.  1-^7),  mais  il 
ne  semble  pas  que  les  synchronismes  soient 
établis  d'une  manière  bien  concluante. 

(16)  Hamy.  Anlhrop  du  Mexique;  Miss, 
scientif.  du  Mexique  {Rech.zool,  1"  partie).  — 
S.  Herrara,  J'roceed.  Am.  Ass  udv  Se.  Ma- 
dison,  1893,  pp.  42  et  312.  —  De  Nai>aillac, 
l'Amer,  préhist.,  1883. 

(17)  Grèce?  1879.  Instr.  signalé  sous  réserves 
par  Fr.  I  cnormant.  Ci.  Reu.  Arch.,  1867, 1.  p   1^. 

(18)  Sicile.  L'e.xistcnce  des  instrument-^ 
paléolithiques  en  Sicile  est  fort  douteuse.  Il 
n'en  existe  cpiun  -ipécimen  conservé  au  musée 
de  Syracuse,  mais  dont  la  provenance  n'est 
pas  certaine.  J.  M.) 

(19)  Malte.  Le  musée  de  vialte  conserve  un 
grand  nombre  d'ossements  d'éléphants  qua- 
ternaires ;  mais  on  n'a  pas  rencontré  dans 
cette  île,  à  ma  connaissance,  d'instruments 
chelléens.(J.  M.) 

(20  Sibérie.  Autour  du  lac  Baïkal  (Tchersky 
et  Poliakof),  près  de  Tomsk  iKouznelzof). 
Miltlteil.  Anthr.  Gciell.  W.en,  iS96,  n"  i  et  5.  — 
Ces  instruments  ne  présentent  pas  les  môme- 
caractères  que  le  type  européen. 

(21)    Cf.    la    carie    de    Penck    iRanke,     Der 


112  LK.-     l'KKMIÈRES    CIVILISATIONS 

Partout  ils  picsentciil  les  mêmes  caractères;  et  nulle  part,  dans 
les  alluvions,  ils  ne  se  montrent  in  silii,  c'est-à-dire  au  milieu  de 
débris  d'habitation  ou  accompagnés  d'ossements  et  de  fragments 
d'ivoire  portant  des  traces  de  travail.  Nous  ne  pouvons,  d'après 
l'examen  de  ces  restes  remaniés,  savoir  si  l'homme  paléolithique 
connaissait  le  feu,  construisait  des  abris,  s'il  se  vètissait,  s'il  était 
chasseur  et  pécheur. 

Mais,  fort  heureus<Muont,  à  cet  égard,  là  ne  se  bornent  pas 
uos  connaissances.  Si.  depuis  les  temps  chelléens,  le  sol  de  l'Eu- 
rope a  été  bouleversé  par  les  agents  atmosphériques,  il  n'en  a  pas 
été  de  même  dans  certaines  parties  de  l'Afrique  où,  par  suite  du 
j)eu  d'abondance  et  de  la  rareté  des  pluies,  le  terrain  n'a  guère 
changé   d'aspect  dei)uis  ré})oque  quaternaire. 

Au  lieu  dit  El  Mekta  près  de  Gafsa  en  Tunisie,  sont  de  vastes 
ateliers  chelléens  1  ,  s'étendant  sur  plusieurs  kilomètres  de 
lono-ueur  et  suivant  h's  affleurements  des  silex  crétacés.  Plus  loin, 
vers  le  sud,  au  li<Hi  dil  (  habet  Rechada,  entre  Dehibat  et  Rhadames, 
on  voit  (2;  d'autres  ateliers,  mieux  conservés  encore  que  ceux 
d'El  Mekta.  Là  se  retrouvent  près  des  enclumes,  au  milieu  d'éclats 
et  d'instruments  inachevés,  les  foyers  (3)  des  ouvriers  chelléens 
dont  l'emplacement  est  marqué  par  de  grosses  pierres  calcinées 
et  des  cendres.  Des  constatations  analogues  en  ce  qui  concerne 
les  ateliers  ont  été  faites  par  M.  M.  de  Morgan  et  M.  N.  W.  Selon 
Karr  (h)  dans  la  Haute-Egypte. 

On  admet  généralement  que  l'industrie  paléolithique  date  de 
l'époque  interglaciaire,  en  s'appuyant  sur  la  faune  qui  l'accom- 
nao-ne   dans   ses  crisemenls  et  sur   des   découvertes   démontrant 

I       !D  C) 

péremptoirement  l'existence  de  l'homme  en  ces  temps  (5). 

Lors  de  la  fonte  des  glaciers,  lors  des  pluies  diluviennes  qui 
l'accompagnèrent  et  la  suivirent,  tous  les  pays  furent  balayés  par 
les  eaux.  Ce  fut  un  déluge,  entraînant  tout  avec  lui,  forêts,  animaux, 
ossements,  rochers  et   Instruments  de  pierre,  détruisant  les  an- 

Mensch,  i.   I,  p.  385,    où    sont    iiuli(|aces   les  (3)    11  t'^l  à   remarquer  que,  dès  les  Icmp.s 

.-inciennes  limiles  de:^  glacier-,  et  le-  localité-  les  plus  anciens,  l'homme  connaissait  l'usage 

où  l'on  a  recueilli  des  vestiges  de   l'humanilé  ellallumage  du  feu. 

paléolilhique.   Elles   -ont    pre-jne  toutes   en  (4)  Cf.  H.    O.   Foubes,    Ballelin    of  llie    Lt 

dehors  <le  la  zone  des  moraines  récentes,  un  verpoo!    Mu.-<eums,    janv.    19j0,    vol.    II,    n»-   3 

|ietit  nombre  seulement  se  trouve   dan-  celle  et  i. 

<les  moraines  anciennes.  (•"))    Sile.x    du    type     ciielléen    trouvés    par 

(1)  La  découverte  en  est    due  à  M.  Boudy.  M.  Boule  entre  deux  couches  glaciaires  dans 

iuspeclcur  dos  Eau.v  et  Forêts.  (J.  M.'  le   Cantal,   f/iu//.    i^oc.   philomalhiqnc.    Pari-, 

2)  Au  cours  de  mon   vovaec   dr-   mars  liOT  1880.) 
avec  .M.  Roudv.  (.1.  M.' 


r.A  n.oru-,  r.\  fauxk   kt  l'hommr   aux  th.mi-s  (ii.AciAiur.s  \i:\ 

ciens  loyers,  les  huiles,  les  Iraces  (riuihilalion,  tous  les  produits  du 
travail  autres  que  les  outils  de  silex,  dont  la  matière,  inattaquable 


Stations  paléolittii(iues  et  alluvions  quaternairo-j  do  Gafsa  iTiini^ie;. 


par  les  agents  atmosphériques,  fui  cause   de    leur  conservation. 
L'homme  paléolithique  (1)   n'a    jamais    habile   Taire   glaciaire, 

M)  '  L'homme  paléolithique  rchelléen,  mous-        principalcri  dans  notre  pays  :  1»  une  phase  au 
térien  et  magdalénien)  a  travcr-A  d'MU  phases        .'liinat  chaud,    dnns  laquelle  I^m  hippopotames 


lU 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


le  fait  a  été  reconnu  pour  rAllemagne  par  Penk,  pour  l'Iran  par 
moi-même,  et  si,  dans  de  très  rares  cas,  on  rencontre  ses  vestiges 
situés  entre  deux  lits  d'alluvions  glaciaires,  ce  n'est  (ju'à  titre 
d'exception  ;  il  semble  s'être  toujours  tenu,  le  plus  ])Ossible,  hors 
des  limites  des  glaces. 

Il  résulte  de  cette  observation  que,  n'existant  pas  en  Europe 
occidentale  et  septentrionale  dans  les  derniers  temps  du  pliocène. 


Répartition  des    iiisilruinent»  paléolithiques  dans  rAmérique  septentrionale  (1). 

l'industrie  paléolithique  fit  son  apparition  durant  la  période  gla- 
ciaire(!>).  C'est  la  première  migration  civilisatrice  dont  nous  possé- 
dions des  preuves  indiscutables. 

L'étendue  énorme  que  ces  instruments  occupent  sur  le  globe, 
et  la  grande  homogénéité  de  cette  première  industrie,  montrent 
(|u'à  l'époque  de  son  expansion,  les  pays  constituant  l'aire  paléoli- 
thique étaient  en  relations  entre  eux. 


fréquenlent  les  rivières;  des  éléphants  et  des 
rhinocéros  de  type  africain,  des  cerfs,  des 
singes  vivent  avec  lui  au  milieu  d'une  riche 
végétation; 2"  une  phase  au  climat  froid:  alors 
le  ciel  se  voile,  la  neiy:e  tombe,  les  glaciers 
envahissent  la  plaine,  les  hippopotames  s'éloi- 
gnent, les  éléphants  et  les  rhinocéros  prennent 
d'épaisses  toisons,  le  renne  descend  des  con- 
trées boréales.  •>  (L'Age  des  derniers  volcans 
de  la  France,  ds  la  Géographie,  t.  XIIl,  1906, 
p.  287  sq.) 


(1)  D'après  les  listes  publiée»  par  T.  \Vilso>. 
Rep.  of  mil.  Hisl.  Mut;.,  Washington,  lOiXt. 

(2)  M  Boule  Essai  de  paléontologie  slrati- 
graphique  de  l'homme,  ds  liei'.  d'Anthiop., 
1888-1889)  place  l'af>parilion  des  instruments 
paléolithiques  dans  le  .Nord  de  la  France  et 
le  Sud  de  l'Angleterre  entre  la  deuxième  el 
la  troisième  glaciation.  —  Obermaier  (Bei- 
Iràqe  zitr  Kennlniss  des  quarlfirs  in  Pi/renaen, 
190G)  le  fait  coïncider  dans  les  Pjrénéesavec 
In  dernière  période  inteiglaciaire. 


LA     I  I.ORi:.     l.A     I  AINE    ET    LIIOMME     AUX    TEMPS    (ll.ACIAlRES     j  4  5 

On  a  pensé  que  ceitainos  régions,  comme  l'Amérique  du  Sud, 
s'étaient  trouvées  en  dehors  de  rinduence  clielléenne,  se  basant  sur 
la  présence  dans  lesalluvions  des  Pampas  d'instruments  d'un  type 
tout  spécial  (1)  ;  mais  les  récentes  découvertes  montrent  que  cette 
industrie  s'est  ])ropagée  jusqu'au  sud  du  nouveau  monde.  Certai- 
nement il  existe  des  régions  où  riiomme,  sans  communications 
avec  ses  congénères,  dut  évoluer  d'une  manière  spéciale;  mais,  ces 
districts,  nous  Jie  les  connaissons  pas  encore  et,  sauf  en  ce  qui 
concerne  la  Sibérie,  il  semble  qu'aux  temps  quaternaires  il  existait 
des  relations  entre  les  diverses  parties  des  continents  encore 
émergés  de  nos  jours. 

Toute  migration  procède  d'un  centre,  d'un  foyer  originel  ou 
transitoire,  d'un  point  d'où,  trouvant  les  chemins  libres  pour  les 
moyens  à  leur  disposition,  les  êtres  ou  les  idées  ont  pu  se  trans- 
porter en  pays  étrangers. 

Ce  centre  de  l'industrie  paléolithique,  dont  la  migration  est 
aujourd'hui  dûment  prouvée,  où  devons-nous  le  plac<3r  ?  Ce  n'est 
certes  pas  dans  les  pays  européens  ;  puisque  c'est  là  même  que 
nous  trouvons  les  traces  d'immigration,  sans  rencontrer  les 
vestiges  des  premiers  essais  dans  l'industrie  de  la  pierre.  Ce  n'est 
pas  en  Amérique,  région  qui  semble  être  l'un  des  points  extrêmes 
de  l'expansion,  si  toutefois  les  instruments  chelléens  de  cette 
région  peuvent  être  attribués  au  pléistocène.  Ce  n'est  pas  en 
Iran,  contrée  glacée  ;  ce  n'est  pas  non  plus  en  Sibérie,  pays  alors 
privé  de  communications  avec  le  reste  du  monde;  ce  serait  plutôt 
en  Orient,  peut-être  dans  les  pays  qui  forment  aujourd'hui  la 
Syrie,  l'Arabie  et  l'Egypte,  peut-être  même  plus  loin  vers  l'est, 
dans  ce  continent,  aujourd'hui  disparu, qui  semble  avoir  relié  jadis 
Sokotora  aux  Indes. 

Les  éolithes  signalées  par  Schw^infurth  dans  les  alluvions  égyp- 
tiennes (2)  et  tunisiennes  (3)  ne  sont-elles  pas  ces  premiers  essais 
qui  devaient  aboutir  à  l'outillage  paléolithique  ?  Et  celles  d'Europe, 
beaucoup  plus  anciennes,  ne  proviennent-elles  pas  d'autres  races 
étrangères   à   celles   du  coiip-de-poing  ?  Le  monde   n'étail-il  pas 

(1)  F.  Ameciiino,  Armes  et  instruments  de  n»  12.  Le  Caire,  1897.  —  Kiesel  Artcfacte  in 
l'époque  préhistorique  des  Pampas.  Peu.  der  diluvialen  Schotter-Terrasse  und  auf  den 
(ÏAnthrop.,  188»,  p.  4.  —  La  Anteguedad  del  Plateau-Hôhen  von  Theben,  in  Verliandl.  d. 
hombre  en  El  Ptala.  Buenos-Aires,  1880,  2  vol.  Reiiiner  Gesell.  f.  Anthrop.,  19  juillet.    1902. 

(2)  Cf.  Docteur  G.  ScnwEiNFCRTn,  De  l'Ori-  Berlin. 

gine   des    Egyptiens   et    de  quelques-uns  de  (3)  Cf.  Docteur  G.  Schweinpurtu,  Sleinzeil- 

leurs  usages  remontant  à  Tiige  de  la  pierre,  ds        liche  Forschungen  in  SUdlOnisien,  in  Zeilsch. 
Bull.  Soc.  khédiviale  de  Géncjraphie,   IV'  série,        /'.  Elhnol.  Berlin,  1907,  p.   137  sq. 


IK^^  LES    l'HKMFKHES    CIVILISATIONS 

habile,  déjà,  sur  une  partie  de  ses  terres;  et  la  civilisalion  paléo- 
litliique  n'est-elle  pas  venue  s'implanter,  par  migration  ou  mieux 
par  influence,  chez  des  peuplades  sauvages?  On  est  tenté  de  le 
croire;  car  c'est  là  la  seule  hypothèse  permettant  d'expliquer  l'im- 
mense ré|)artition  de  Tindustrie  paléolithique  sur  le  globe. 

Cette  propagation  du  type  chelléen,  ayant  eu  lieu  lors  de  la 
période  glaciaire,  n'aflecta  qu'une  partie  des  pays  alors  habitables, 
voire  même  i)eut-être  habités  ;  car  tous  ne  l'étaient  probablement 
pas  en  dehors  de  ceux  qui  no  le  pouvaient  être.  Ainsi  le  nord  de 
l'Europe,  de  rx\mérique,  le  plateau  central  de  l'Asie,  celui  de 
l'Iran  (1),  restèrent  impénétrables  parce  qu'ils  étaient  couverts  de 
o-laces;  mais  la  Sibérie  peuplée  (2)  se  trouvait  dans  des  conditions 
telles  que,  probablement,  idh'  resta  en  deliors  du  mouvement. 

Isolée  du  reste  du  monde,  à  l'ouest  par  les  glaciers  Scandinaves 
et  par  le  lac  aralo-caspien,  au  sud  par  les  plateaux  gelés  du 
centre  asiatique  et  de  la  Perse,  à  l'est  par  les  glaciers  du 
Kamchatka  et  du  Pôle,  la  Sibérie  dut  n'avoir  que  bien  peu  d<> 
communications  avec  le  foyer  paléolithique,  si  toutefois  elle  en  eut; 
et  quand  les  chemins  s'ouvrirent,  lorsque  devenues  glaciales 
elles-mêmes  ses  plaines  durent  être  abandonnées,  l'industrie 
paléolithique  avait  fait  son  temps  et  le  monde  entier,  sauf  peut-être 
quelques  pays  retirés,  en  était  à  l'état  archéolithique  ou  même  au 
mésolithique. 

La  propagation  du  paléolithiciiic  soulève  de  nombreux  pro- 
blèmes dont  la  solution  n'est  pas  encore  étayée  scientifiquement. 
Non,  en  ce  qui  concerne  l'Europe,  l'Afrique  et  l'Asie  antérieure 
où  les  communications  furent  toujours  aisées  ;  mais  en  ce  qui 
legarde    l'Amérique    (3)   et   l'Asie  orientale.  Elle  nous  oblige  à 

1)  Au   Caucase,  les   recherches  ont   été,  il  -glaciaires  (Cf.  Musée  de  Tiflis).  —  Argo  (Da- 

esl  vrai,   très    insuffisantes;    mais    jusqu'ici  ghestan)    Nourskodji    (Terek).  Elephax  anh- 

aucune  trace  certaine  «le  Ihomme  quaternaire  quus.  Alkhan-Djourkofki,  Vedeno  (Daghestan), 

n'a  été  rencontrée.    Seuls,  des   restes  à'Ele-  Mkhaaiti,  E.  primigeniu.f.  Mais  ces  ossements 

pkas  primigenius    et  d'E.  antiquus  sont  venus  n'ont   pas  été  recueillis  scientifiquement,  pas 

prouver    qu'avant    l'époque    actuelle,    l'Asie  plus  dailleurs  que  ceux  signalés  au  Mazandé- 

antérieure    présentait  des   conditids  d'e.xis-  ran.  (J    M.) 

tence  analogues  à  celles  de  la  France.  (J.  de  (2)  Découvertes  des  rives  du  lac  Baïkal  et 

Morgan,    Miss    Se.   au  Caucase,   t.    I.  p.  29.)  de  Tomsk. 

Cette  opinion  que  j'émettais  en  1889  n'a  pas  à  (3)    •    Pour   certains   savants,   le    nouveau 

être  modifiée  en  ce   qui  concerne  l'homme  ;  continent  est   un   centre  spécial   de  l'appari- 

mais,  en  ce  qui  regarde    les    pachydermes,  je  tion  des  espèces,  où  VHomo  Americanus  s'est 

dois  ajouter  que  les  très   rares  débris  de  leur  développé  surplace  ;  pourd'autres, les  ancêtres 

squelette,  découverts  dans  les  parties  basses  des   Indiens  actuels  seraient  venus  des  pays 

du  nord  de   la  Transcaucasie,  prouvent   sim-  voisins,  de    la    Sibérie,   de    la    Chine,   de  la 

plement,  comme  ceux  trouvés  au  Mazondéran,  Polynésie,    de    l'Europe.   »    (J.    Deniker,    les 

que  les  éléphants  se  sont  pendant  un  temps  Races  et  les  Peuples   de  ta  terre.  Paris,  1900, 

avancés  jusqu'au    pied    des    grands    massifs  p.  583.) 


LA     FLOIŒ.     LA     1  AL.NL     VA      LllOM.Mi;     AUX     TK.MI'S     GLACLMRES     117 

supposer  l'existence  de  leires,  trime  part  entre  le  vieux  monde 
et  les  Etats-Unis  (1)  ou  les  Antilles,  d'autre  part  entre  la  côte  afri- 
caine, ou  tout  au  moins  l'Arabie,  et  la  péninsule  hindoue;  et  à  cet 
égard,  nous  n'avons  encore  que  des  indications  bien  vagues,  tirées 
de  la  géologie  et  de  Tétude  des  faunes. 

Quoi  qu'il  on  soit,  l'hypothèse  d'une  même  race,  partie  d'un 
foyer  et  se  répandant  sur  presque  tout  le  globe,  ne  saurait  être 
admise;  une  i)areille  migration  eût  exigé  un  temps  si  long  que 
certainement,  durant  cette  période,  l'industrie  de  la  pierre  se  serait 
transformée  quelque  part, et  nous  ne  retrouverions  pas  partout  le 
type  chelléen  pur  2). 

La  théorie  qui  suppose  la  propagation  par  inducnce  est  bien  plus 
admissible  ;  car  elle  rentre  dans  les  phénomènes  que  nous  voyons 
se  produire  constamment  au  cours  du  })réhistorique  et  de  l'histoire 
même.  Cette  dillusion  put  être  relativement  rapide;  car  il  n'est 
pas  douteux  que  les  tribus  à  l'état  éolithique  ne  se  soient  empres- 
sées d'adopter  un  progrès  vers  lequel  tendaient  leurs  efforts 
inconscients. 

Si  même  nous  n'acceptons  pas  l'existence  de  l'état  éolithique, 
si  nous  rabaissons  l'homme  des  temps  pléistocènes  au  quadru- 
mane presque  voisin  du  singe,  il  n'en  était  pas  moins  un  être  doué 
de  raison  ;  et  le  jour  où  l'usage  d'un  instrument  de  pierre  lui  fut 
enseigné,  il  l'adopta. 

Le  paléolithique  représente  la  première  grande  étape  de 
l'homme  vers  la  civilisation,  et  ce  premier  progrès  notable,  cette 
entrée  de  VHomo  slupidus  dans  la  vie  de  V Homo  sapiens,  est  proba- 
blement due,  comme  d'ailleurs  presque  toutes  les  phases  de  l'évo- 
lution humaine,  à  un  foyer  unique  ou  à  un  petit  nombre  de 
foyers. 

Nous  ne  possédions,  hier  encore,  de  l'homme  de  cette  époque 
rien  autre  que  son  industrie.  Mais  voilà  que  tout  dernièrement, 
dans  la  Corrèze,  deux  savants  explorateurs,  MM.  Bouyssonie  et 
Bardon,  viennent  de  découvrir,  dans  le  moustérien  inférieur,  le 

(1)  "    L'Islande  ne    monire  an  jour  que   des  iuot.  Leçons  de   Geo;//'-    plii/s.,  1907,    p.  67»').) 
lorrains  volcanique -i.  Mais  à  la  base  se  trou-  (i»)  La   théorie    des  foyers  d'invention  niul- 

venl  (les  tufs  à   ligniles   tertiaires,  de  forma-  tiples  satisferait  beaucoup  mieux  lesprit  que 

lion     continentale.    Par    là.    comme    par    sa  celles  des  migrations  et  des  influences  ;  mais 

situaliiin  sur  un  socle  sous-marin  bien  accusé  elle  a  contre   elle  cette  conslatation  que  dans 

(jui    la    relie,    d'un    coté     au    Groenland,    de  le  monde  entier  les  types  paléolithiques  sont 

rautre,   par   les    îles    F'eroë,   à   l'Ecosse,  l'is-  absolument  semblables   et   qu'il   est  malaisé 

lande  se  révèle  comme  un  reste   du  |)ont  qui  de   concevoir  plusieurs  invenicurs,  indépen- 

unissait   autrefois  tous  ces   parages  en    fer-  dants  les   uns  des  autres,  parvenant  simulta- 

manl    lAtlantiqne  au    nord.  >>  (A.   de  Lappv-  nément  au  même  résultat. 


118  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

squelette  d'un  homme,  le  plus  ancien  connu.  Cet  être,  que  ses 
caractères  anthropologiques  rapprochent  tle  la  brute,  inférieur  à 
la  plus  inférieure  des  races  actuelles,  appartenant  au  groupe  dit 
de  Néanderthal,  caractérise-t-il  dans  son  district  la  race  paléoli- 
thique? Nous  ne  pouvons  encore  le  savoir,  parce  ([ue  sa  découverte 
est  unique  ;  mais  on  est  en  droit  de  penser  que  les  habitants  de 
l'Europe,  à  cette  époque,  étaient  vraiment  des  êtres  bien  primitifs. 
Avant  cette  heureuse  trouvaille  nous  ne  j)ossédions  aucun  débris 
de  squelette;  car  ceux  qui  avaient  été  signalés  jusqu'alors  sont 
tous  contestés  (1).  Malgré  l'apparition  de  ce  type  unique,  malgré 
la  lumière  qu'il  jette  sur  les  types  anciens  de  l'espèce  humaine, 
c'est  encore  à  l'archéologie  et  à  la  géologie  que  nous  devons 
jusqu'ici  le  peu  que  nous  possédons  sur  le  premier  grand  mouve- 
ment humain  parvenu  à  notre  connaissance  ;  car  cette  révélation 
zoologique  n'éclaircit  en  rien  les  mystères  des  premiers  pas 
vers  la  civilisation. 

Quant  à  la  période  elle-même,  dans  laquelle  apparaît  l'industrie 
humaine,  elle  ne  diflere  pas  sensiblement  du  pliocène  par  sa  flore, 
par  sa  faune,  par  son  climat;  les  groupes  végétaux  et  animaux 
de  la  fin  du  tertiaire  étaient  ceux  qui  vivent  encore  de  nos  jours 
sur  le  globe  Les  termes  pléistocène,  quaternaire,  etc., n'ont  donc 
qu'une  valeur  conventionnelle  ;  ils  n'existent  que  parce  que 
l'homme,  rapportant  les  faits  à  lui-même,  estime  que  les  eflbrts 
de  la  nature,  pendant  des  millions  d'années,  n'ont  eu  pour  but  que 
de  préparer  sa  venue  sur  la  terre.  Cet  événement  méritait-il  bien 
qu'une  division  spéciale  fût  faite  dans  la  géologie? 

Le  glaciaire,  débutant  avec  la  lin  du  pliocène,  dure  encore  de 
nos  jours.  La  situation  climatérique  de  nos  pays  s'est,  il  est  vrai, 
améliorée  depuis  quelques  milliers  d'années;  mais  les  glaces  n'ont 
pas  dispaiu,  elles  demeurent  comme  une  perpétuelle  menace. 
Peut-être  en  eflet,  ne  sommes-nous  que  dans  une  phase  inter- 
glaciaire. La  durée  de  l'ère  actuelle  est  bien  probablement  peu  de 
chose  en  comparaison  de  celle  des  temps  du  paroxysme  glaciaire; 
l'amplitude  d'oscillation  de  ces  lois  de  la  nature  échappe  à  notre 
imagination. 

Le  pliocène   a  vu   le  mal  glaciaire  s'attacher  à  notre  planète, 

(1)  Nehring,  Ze(7sc/î/-. /'.  EthnoL,  1893,  n°  6;  les  Restes  humainsqiiaternaires  dausl'Eui'ope 

Verli.,  pp.  455  el  573.  —  Salmon,   Races  hum  centrale,  ds    l'Anthropologie,   t.  XVl    (1905)  et 

préhisl.    Paris,    1888,     p.    9.    —     Cartailiiac,  t.  XVU  (190  •)  ;  de  Morlillel,  M.  Boule  ella  plii- 

France  prchisl.,  189(3,    p.    211.   —   Obermaier,  part  des  palelhnologues. 


l.A     1  LORE,     I.A     FAUNE     ET     L'HOMME     AUX     TE.MI'S     {'.LACIAIRES     l'|J) 

pciit-èlre  lui  sera-t-il  falal  ;  nous  ne  possédons  aucun  moyen  d'en 
préjuger  et  ne  pouvons  que  dire  :  la  ferre  traverse  en  ce  momenl 
une  période  d  accalmie,  donl  profite  la  civilisation. 

Pendant  lîien  des  années  il  a  élé  admis  qu'au  type  chelléen  et 
acheuléeu  succédait  (I),  dans  l'ordre  chronologi(|ue,  une  industrie 
plus  raflinée,  utilisant  les  éclats,  en  les  relouchant  sur  une  face,  et, 
de  cette  industrie,  G.  de  Mortillet  avait  fait  une  période  distincte, 
la  désignant  sous  le  nom  de  «  moustérienne(2)»;  mais  les  récentes 
découvertes,  venant  se  joindre  à  une  foule  de  faits,  constatés  de 
longue  date,  renversent  aujourd'hui  cette  théorie  ;  elles  montrent 
que  l'industrie  moustérienne  est  fréquemment, non  pas  postérieure, 
mais  contemporaine  de  celle  du  coiip-de-poing,  et  (jue  ses  instru- 
ments correspondent  seulement  à  des  besoins  dillerents  de  ceux 
auxquels  satisfaisait  l'instrument  amygdaloïde. 

A  Chelles  (3)  et  partout  dans  les  environs  de  Paris  (4),  on 
rencontre  dans  les  couches  inférieures,  avec  l'outil  classique 
amygdaloïde,  des  instruments  du  type  moustérien. 

Au  Moustiei-  lui-même,  la  hache  chelléenne,  d'un  type  spécial 
d'ailleurs,  se  trouve,  à  la  base  du  dépôt,  accompagnée  d'instru- 
ments grossiers;  tandis  que,  dans  les  couches  supérieures,  les 
foyers  renferment  un  outillage  varié  et  très  perfectionné  (5). 

En  Belgique,  le  coup-de-poiug  naît  dans  le  slrépijen,  pour  ne 
disparaître  que  dans  la  première  partie  du  solutréen. 

En  Tunisie  (6),  en  Egypte,  les  ateliers  contiennent  en  même 
temps  les  deux  types  chelléen  et  moustérien;  sans  qu'il  soit 
possible  de  distinguer  nettement  des  chantiers  plus  spéciaux  de 
fabrication  de  l'un  ou  de  l'autre  de  ces  instruments. 

On  objectera  qu'à  Abbeville  et  aux  environs  d'Amiens  (7j,  dans 
les  lits  inférieurs  recouverts  par  un  dépôt  de  marnes  blanches, 
on  ne    trouve  que  des  instruments  grossiers  tailh^s  sur  les  deux 


(1)  M  Boule  (l'Age  des  derniers  volcans  de 
la  France,  ds  la  GtO(jra[ihie,  t.  XIU,  lOuO, 
p.  287)  ditTérencie  le  chelléen  (non  l'aclieu- 
iéeni  du  moustérien  cl  le  considère  comme 
contemporain  de  l'hippopotame,  Elephas  an- 
tiquus  et  Hhinoceros  Mercki  correspondant  à 
deux  climats,  le  plus  ancien,  froid  et  humide, 
le  plus  récent,  doux. 

(2)  Cf  G.  et  A.  DE  MoRTiLLET,  Mnxée  préhis- 
torique. Paris  1-^81,  pl.XI-XIV  Pour  M.Boide 
(rAg(t  des  derniers  volcans  de  la  France,  ds 
la  Géoijraph  e,  I.  XIII,  1906,  p.  287  ,  le  mous- 
térien qu'il  sépare  du  chelléen  cor' espondant 
à  un  climat  froid  et  humide,  serait  contempo- 
rain du  mammouth,    du    rhinocéros  à  narines 


cloisonnées,  de  l'ours,  de  la  hyène  des  ca- 
vernes, etc. 

(3j  D'AcY,  Ihill.  Soc.  Anihrop.,   1884.  p.  411. 

(4)  Capit.w,  les  Alluv.  qiialernaires  auloiir 
de  Paris,  ds  Rer.  Ecole  d'Anlhrop..  XI,  190!, 
p.  337  sq. 

(5  Fouilles  Bourlon.  Cf.  Capitan,  le  Congre- 
de  19  )(>  »  Monaco,  ds  Peu.  Ecole  Anihrop.. 
VIII,  1  06,  p    269. 

(6  J.  DE  ÂloiiOAN,  Voijdtje  de  \9Qn .  Gis^enxenlx 
d'hl  Mekla  près  de  Gafsa,  de  Chabet  liechadn, 
près  Dehibat. 

(7)  Cf.  CoMMONT.  ds  Congr.  prèhist  France, 
1907  il908),  p.  ir.  sq. 


1-20  I.KS    r>P,EMIÈRES     CIVIIJSATIONS 

faces  (1);  mais  cetlo  constatation  ne  saurait  être  concluante  au  point 
(le  vue  chronologique  général.  Elle  prouve  simplement  qu'en 
amont  d'Abbeville  et  d'Amiens  se  trouvaient  des  ateliers  de  fabri- 
cation de  haches  seulement,  ou  tout  au  moins  que  ceux-là  seuls 
ont  été  lavés  par  les  eaux  et  transportés  (2 1  à  l'époque  du  dépôt 
des  graviers  qui  les  renferment. 

De  rares  arguments  négatifs  ne  sauraient  infirmer  le  grand 
nombre  de  preuves  positives  que  nous  possédons  aujourd'hui  sur 
le  parallélisme  de  ces  deux  types  industriels  (3). 

Comme  on  le  voit  par  ce  qui  précède,  dans  toutes  les  régions 
explorées  jusqu'ici,  la  première  industrie  renferme  les  types 
chelléen,  acheuléen  et  moustérien  ;  instruments  dont  l'usage, 
dans  bien  des  pays,  s'est  continué  après  la  période  glaciaire. 
(,)uelques  formes  même  ont  subsisté  jusqu'à  l'état  énéolithique  (4), 
se  mélangeant  avec  d'autres  beaucoup  plus  compliquées.  Quant 
a  la  prédominance,  dans  certains  gisements,  de  l'un  de  ces  types, 
(die  semble  n'être  due  qu'aux  exigences  des  besoins  locaux. 

Certains  auteurs  ont  pensé  que  l'idée  d'employer  les  éclats, 
j)rovenant  de  la  (aille  des  instruments  paléolithiques,  avait  été 
Torio-ine  des  outils  moustériens  et  que  la  transition  s'est  faite 
graduellement  entre  les  deux  industries  ;  d'autres  attribuent  à 
une  invasion  d'inlluences  étrangères  l'arrivée  dans  certains  pays 
(lu  type  dit  mouslérien.  Enfin,  les  mélanges  intimes,  dans  les 
alluvions  et  les  cavernes,  d'instruments  appartenant  aux  deux 
industries  démonlr(Mit  qu'elles  se  sont  développées  en  même 
lemps. 

11  est  probable  qii(^  les  partisans  de  ces  diverses  théories  sont 
également  dans  le  vrai;  c'est-à-diie  que,  dans  certaines  régions,  le 
moustérien  est  né  du  chelléen  ou  en  même  temps  que  lui  ;  tandis 
(|u'en  d'autres,  c'est  })ar  migration  ou  contact  que  les  populations 
l'ont  connu. 

Les  principales  découvertes  de  l'outillage  moustérien  ont  été 


1)  D'Ali.t  m    MtsMi.,    Nul.'  Mil-  If  lerniiii  liers   ciicoiù  tu  place,  comme   le   fait   a    lieu 

.liialeriiairc     des    environ-     .l'Abbeville,    <ls  dans  certaines  cavernes  el  dans  l'Afrique  sc])- 

Kui.de  l-EcoledAnlhrop.,  18'Jti,  i»    284.  tcnlrionnle. 

(-2)  En  Halie  (Pigorinii,  l'aire  occupé-e  par  les  {'»)  Cf.  J.  m:  MoRtiAN.  llcclienhe.'^  sur  les  Ori 

inslrumenls  chelléens  semble  différer  de  celle  (jines   de  l'Eijijpte,  1896,   p.  137,   figures  275  el 

où  se  rencontre  le  type  moustérien.  270,  pointes    acheuleennes  trouvées   dans  les 

(3)  On  a  fréquemment  invoqué  des  remanie-  kjœkkenraœddings  énéolilhiques   de   Toukh  : 

ments  pour  e.xidiquer  les  mélanges  d  indus-  figures  277  el    278,   pointes  monstériennes  de 

tries  ou    de   faunes;    mais  cet    argument   ne  même  provenance. 
l>eut  être  mis  en  avant  quand  il   s'agit    d'ate- 


LA     l'LORK,     I,\     FAUNE     ET     L'UCKMME     AUX     lEMl'S     (;LA(:IAIRES     {')[ 

faites  dans  los  cavernes,  là  où  l'homme  a  vécu.  On  y  retrouve  les 
cendres  de  ses  loyers  au  milieu  des  silex  travaillés  et  des  os  des 
animaux,  ses  contemporains,  dont  il  faisait  sa  nourriture. 

Les  Moustériens  vivaient  de  la  chasse  et  de  la  p(''che,  ils  con- 
naissaienl  le  feu.  Quant  aux  autres  détails  de  leur  vie,  nous  n'en 
savons  rien.  Se  vètissaient-ils  ?  Probablement  ;  car  ils  ont  vécu 
dans  un  pays  alors  froid.  S'ornaient-ils  (1)  ?  Possédaient-ils  des 
idées  superstitieuses  ou  leligieuses  ?  Autant  de  questions  qui 
restent  sans  réponse. 

Quelques  peuples  vivent  encore  de  l'existence  des  Moustériens. 
Il  est  intéressant  de  citer  leurs  mœurs,  si  rapprochées  de  celles 
des  tribus  pah'olithiques  du  Périgord. 

Pallas  (2),  dans  son  voyage  dans  les  pays  du  Nord,  vit  les 
Wogoules,  retirés  dans  des  cavernes,  vivre  uniquement  de  chasse 
et  de  pêche  et,  en  cas  de  disette,  concasser  les  os  j)our  en  extraire 
par  la  cuisson  une  sorte  de  bouillon. 

Les  Tchouktsches,  habitant  le  promontoire  sibérien  le  plus 
avancé  vers  l'orient,  entre  la  mer  (llaciale  et  le  Pacifique,  vivaient 
alors  comme  tous  les  Kamtchadales,  dans  destanièies  souterraines 
et  dans  des  antres  de  rochers,  dont  ils  bouchaient  l'ouverture  en 
suspendant  des  peaux  de  renne  devant  l'entrée.  Ils  n'avaient  aucun 
instrument  de  fer,  ni  de  métal;  leurs  couteaux  étaient  des  pierres 
tranchantes,  leurs  poinçons  des  os  effilés,  leur  vaisselle  de  bois 
ou  de  cuir,  leurs  armes,  l'arc,  la  flèche,  la  pique  et  la  fronde.  Les 
piques  étaient  armées  d'os  pointus. 

Les  femmes  tannaient  les  peaux  des  animaux  tués  à  la  chasse, 
en  les  raclant  pour  en  ôter  le  poil;  après  quoi  elles  les  frottaient 
de  graisse  et  de  frai  de  poisson  ;  puis  les  foulaient  à  tour  de  bras. 
Elles  se  servaient  pour  coudre  des  nerfs  des  quadrupèdes,  d'os 
pointus  et  d'aiguilles  faites  d'arêtes  de  poissons. 

Non  loin  des  Tchouktsches  et  des  autres  nations  kamtchadales, 
vivaient,  sur  de  petites  îles,  des  populations  encore  plus  sauvages, 
que  Pallas  désigne  sous  le  nom  d'insulaires  orientaux.  Ces 
hommes   se  nourrissaient  de  gibier  à  la  façon  des  précédents  et 

(1)  C'est  en  coinp.i^^nk-   ik-  l'industrie  mous-  i\^  illcpinme  prcliist.,  lilOti,  j).  i:U);  mais  il  esl  « 

lériennc   (|n'on    ;i    rencontré    les    premièies  penser    que  cet    usage  esl   aussi    vieux   que 

Imces  tic  l'emploi  imlustriel  de  l'os  (H.  Maiî-  celui  des  plus  anciens  silex  laillés. 
r\y.  Maillets  ou   enclumes  en  os  de  la  (Junia  {■>)  Pallas,   Description  de  toutes   les  nations 

(Charente/,  Dull.  Soc.  prclùsl.  Fr.,  l'.lOti,  [ip.  155  Je  lEmpiie  de  Russie,  1776.   --  Cf.  Cartailiiac, 

et  i8J.  —  A.   DE  MouTiLLET,  les  Os  utilisés  de  la  France  prcliist .,  p.  6-2  sq. 
la  ])ériode  moustériennc.  Station  de  la  Quina, 


j.22  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

leurs  fenimes  tannaient,  de  même,  les  peaux  et  les  fourrures. 
Leurs  occupations  et  leurs  ouvrages  n'avaient  d'autre  but  que  les 
besoins  les  plus  naturels  et  les  plus  indispensables  à  la  vie.  Us  ne 
possédaient  aucun  animal  domestique,  pas  même  le  chien.  Leurs 
armes,  leurs  meubles,  étaient  une  image  de  l'enfance  du  monde, 
l'arc  et  la  flèche,  le  dard  et  la  lance,  qu'ils  tâchaient  de  rendre 
meurtrières  en  les  armant  d'os  pointus. 

Leurs  habitations  étaient  des  tanières  souterraines,  longues  de 
20  à  100  mètres,  larges  de  0  à  10  mètres,  divisées  en  compartiments. 
Là,  s'entassaient  jusqu'à  trois  cents  personnes.  D'autres  passaient 
leur  vie  dans  des  antres  de  rochers  ou  dans  des  cavernes,  qu'ils 
s'elforçaient  d'arranger  de  leur  mieux  avec  du  bois  flotté  recueilli 
sur  les  plages,  des  peaux  et  des  nattes. 

Il  est  permis  de  penser  que  la  vie  des  primitifs  habitants  de  la 
caverne  du  ^loustier  ressemblait  ])oaucoup  à  celle  des  sauvages 
cités  par  l'expédition  russe  ;  car,  à  leur  époque,  la  France  offrait  un 
climat  comparable  à  celui  que  subissent  aujourd'hui  les  Kamlcha- 
dales.  Comme  eux,  ils  s'abritaient  dans  les  cavernes  et  comme  eux, 
probablement  aussi,  ils  se  construisaient  des  habitations. 

Les  instruments  du  lype  moustérien  sont  très  répandus  (l), 
mais  dans  les  anciens  continents  seulement.  On  les  rencontre  eu 
France,  Angleterre  méridionale,  fielgique,  Espagne,  Portugal, 
Italie,  Suisse,  Allemagne,  Autriche,  Hongrie,  Syrie,  Russie  méri- 
dionale, Caucase  (?),  Algérie,  Tunisie,  Egypte.  Us  semblent  faire 
défaut  en  Chaldée  et  dans  le  reste  du  monde. 

(1)  Pour  l'exlension  géographique  <le  l'in-  —  G.  et  A.  de  Mourii.LEr,  le  Préhistorique, 
(liistrie  moiislérienne,  consuUer  J.  Déçue-  :!«é(lit.,  p. f)23.— IlœKisEs, I>er  d//uyi"u/e  il/ensf/i. 
LETTE,  Mail.  Archéol.  préhist.,   1908,  p.  10G  sq.        p.  fl8.  —  Obedmaier,  Anthrop.,l9<X>,  p.  38'J,  elc. 


CHAPITRE  V 


La  civilisation  au  cours  des  derniers  temps  j^-laciaires. 


Lliomme  aux  élah  (irchéolilhique  el  mésolilhique. 


Les  industries  archéolilhique  et  mésolilhique  sont  celles  des 
instruments  de  pierre  laits  d'éclats  retouchés  de  diverses  ma- 
nières. En  cela,  elles  se  diflerencient  de  l'industrie  paléolithique 
qui,  surtout  (1),  transformait  le  noyau  môme  en  outil  et  ne  retou- 
chait l'éclat  que  d'un  seul  côté. 

Ces  industries  se  présentent  sous  un  grand  nombre  de  formes; 
les  unes  locales  et  indépendantes,  les  autres  successives  et  pro- 
cédant les  unes  des  autres  par  transformation. 

Certains  pays  ont  connu  toutes  les  formes  de  transition  entre 
le  type  chelléen  et  la  pierre  polie  ;  tandis  (|ue  d'autres  n'en  pos- 
sèdent que  quelques-unes  et  qu'un  certaiu  nombre  semble  être 
passé  de  l'état  paléolithique  à  l'état  néolithi(|ue,  sans  avoir  connu 
les  intermédiaires  archéolithiques. 

L'Egypte  paraît  jusqu'ici  n'avoir  vu  ni  l'industrie  archéoli- 
thique,  ni  l'industrie  mésolithique  (2);  l'Italie  passe  directement 
du  type  moustérien  au  type  campignien  sans  connaître  les  types 
solutréen,  magdalénien  (^t  leuis  dérivés. 

(1)  Les  éclats  divei-sfiiicnl  n'iouolics  se  Iroii-  (2)  A   moins  i|ii<;   la    skllion   dllrlouan,  ou- 

vont,   parloiil,,    mais   ne    pi-cnnonl   une    allure  jourd'liui  ilisparue  et  dont  la  plus  belle  série 

franchement  mousléfiennc  (|ne  dans  l'achen-  est  conservée  an  musée  Kirrlier  à   Rome,  ne 

léeri  (H.  Brei  ii,,  les  Divisions  du  Quaternaire  doive  être  rangée  dans  l'aurignacien.  (J.  M.) 
ancien,  (Is./.Vr.  <i  Arrh.,  l'J08,  I,  pp.  il5-il7.) 


\-l!l  LES     l'RKMIKHKS     CIVILISATIONS 

En  Amëri(jue,  rintlusliie  est  confuse  entre  la  forme  chelléenne 
el  la  pierre  polie.  On  y  trouve  en  même  temps  des  instruments 
appartenant  à  tous  les  types  européens,  depuis  celui  du  Moustier, 
jusqu'à  celui  des  kjœkkenmœddings,  sans  qu'il  soit  possible  de 
discerner  les  phases  de  la  transformation. 

Plusieurs  de  ces  industries  qui,  en  Europe  occidentale,  ont 
laissé  de  nombreuses  traces  dans  les  cavernes,  où  les  restes  d'iia- 
bitatiou  se  sont  le  mieux  conservés,  ont  improprement  reçu  le 
nom  de  Période  des  cavernes  ;  comme  si  l'homme,  en  ces  temps 
seulement,  eût  habité  les  cavernes  et  les  cavernes  seules. 

Il  serait  puéril  d'iusister  sur  le  troglodytisme.  L'homme  s'esl 
approprié  les  al^is  naturels,  comme  font  les  animaux,  dans  les 
pays  où  il  s'en  trouvait.  Ailleurs  il  s'est  construit  des  refuges  arli- 
liciels,  soit  en  les  bâtissant  sur  le  sol,  soit  en  les  creusant  dans 
la  terre.  Les  exemples  de  pareils  usages  abondent  dans  l'évolution 
préhistorique  et  histori<[ue  (1). 

L'idée  de  se  bàlir  un  abri  est  innée  chez  l'homme,  comme  chez 
bien  des  animaux,  de  même  que  celle  de  profiter  des  abris  natu- 
rels. Il  est  donc  à  penser  que  les  populations  réfugiées  dans  les 
cavernes  du  Périgord,  par  exemple,  avaient  des  congénères 
dissémiiK'S  dans  d'autres  régions  de  la  France,  vi\ant  comme 
eux,  mais  habitant  des  demeures  plus  fragiles. 

Cette  hypothèse  se  trouve  confirmée  par  ce  fait  que,  dans  bien 
des  districts  de  nos  j)a3S,  se  trouvent,  à  la  surface  du  sol  et  dans 
l'humus,  des  instruments  de  silex  des  types  magdalénien,  solutréen 
<»u   moustérien,  sans  (juil  existe  de   cavernes  dans  la  région. 

Le  seul  fait  à  retenir,  dans  cette  <lénomination  d'âge  des 
cavernes,  est  que  les  cavernes  seulement  ont  conservé,  réunis  ('2), 
jus(pi'à  nos  jours,  les  documents  sur  ces  époques  <|ui.  ailleurs, 
sont  disséminés  ou  détruits. 

l'^n  ces  temps  où  les  c(jmmunications  étaient  difficiles,  où 
d'ardentes  comj)étitions  s'élevaient  entre  triions  au  sujet  des  ter- 
ritoires de  chasse  on  do  pêche,  les  hommes,  vivant  en  groupes 
stqîarés  et  souvent  hostiles,  se  développaient  plutôt  sur  eux-mêmes, 
ne  recevant  de  proche  en  proche  (|ue  les  découvertes  les  plus 
notables. 

(1)  Cf.   s.     ni;iNAcii.    Anliq.    luil.    <-al.    .l/(i.v.  ;i   tous   les   poinls  (]«■    viif  est  sans   contredit 

S-iint-GeniKiin,  1869,  p.  160.  telle  de  Baoussé-Roussé  ^Cf.    M.    Bori.f,  /es 

;-2;    Parmi  les  grottes    nMifcrniant   des  ves-  Grottes    de   (iiiinaldi,  1.    l.   fasc.    II.    Monaco, 

tijjos  de    l'homme,    l'une   de'^    niieuv  étudiées  1906). 


(•.J\  [MSATION     m:     C.OUFIS     DES     DKUMKIÎS     1  KMPS     (  .1.  \<:i  AIF!i:s     {'>:) 

Dans  la  proscju  île  de  Malacca,  j'ai  vu  li  des  liibus  sakayes 
(négritos), distantes  de  quinze  jours  d<i  marche  des  villages  malais 
les  plus  avancés,  n'entretenir  que  peu  de  relations  avec  leurs 
voisins  et  entre  elles,  et  se  tenir  à  l'écart  des  peu[)lades  seumangs, 
d'origine  aussi  ancienne  (ju'elles  dans  le  pays,  dont  les  terri- 
toires sont  limitrophes. 

Dans  les  montagnes  du  Louristàn  (2),  entre  les  deux  branches 
de  l'Ab  é-Diz  frivière  de  Dizfoul),  sont  des  tri])us  loures  n'en- 
tretenant aucunes  relations  avec  leurs  \oisines  de  même  race 
qu'elles,  et  ayant  conservé  leurs  traditions  au  point  de  porter 
encore  le  costume  en  usage  au  temps  des  Acliéménides. 

Au  Caucase,  dans  le  Daghestan  (3),  chaque  valléii  est  hainfée 
par  une  tribu  étrangère  à  ses  voisines, j)arlant  un  dialecte  spécial, 
et  n'ayant  que  fort  peu  de  rapports  avec  les  montagnards  des 
autres  vallées. 

Celte  division  des  populations  en  trilius  distinctes,  pour  des 
causes  naturelles  ou  des  raisons  d'intérêt,  est  l'origine  du  déve- 
loppement inégal  et  varié  dans  les  diverses  provinces  d'un 
même  pays;  d'autres  causes  s'y  viennent  joindre  encore,  quand  co, 
pays  a  été  soumis  à  des  immigrations  étrangères.  On  ne  doit  pas, 
sans  raisons  péremptoires,  étendre  ni  géograj)hiquement  ni  chro- 
nologiquement les  conclusions  tirées  d'une  étude  locale. 

En  ce  (jui  concerne  les  instruments  de  silex,  généralement 
considérés  comme  caractéristiques  des  industries,  nous  devons 
être  d'une  extrême  prudence;  en  ellet,  les  néolithiques  d'Egypte 
ne  possédaient-ils  pas  des  instruments  du  type  acheuléen,  mous- 
térien,  solutréen,  en  même  temps  que  des  haches  polies,  et  ces 
mêmes  formes  ne  semblent-elles  pas  en  d'autres  lieux  caractéri- 
ser des  époques  difTérentes? 

Les  Susiens  employaient  en  même  temps  le  métal,  la  [)ierre 
polie  et  des  têtes  de  flèches  du  type  solutréen;  et  il  en  était  de 
même  dans  certaines  parties  de  la  Syrie.  Les  racloirs  de  la  Mad(^- 
laine  et  ceux  du  Campigny  ne  sont-ils  pas  identiques? 

En  se  basant  sur  la  superposition  des  couches  dans  un  m<'nie 
gisement  et  sur  la  comparaison  des  industries  de  stations  dilTé- 
rentes,  on  a  établi,  en  ce  qui  concerne  l'état  archéolithique,   des 

(1}  Cf.  J.    DK    MoiiGAN,  Exploration  dans  lo        en    Peiiic,  (.    II,  Kludex    (/ilographiques,   1895. 
Iircsqu'ilo  malaise,  ds /7/omme,  1885.  (3)  Cf.  .1.  dk  Moroan.  Mi^.-iion  .<:cientilique  an 

a]  Cf.    J.    DE   Morgan,   Mission  ■■fcienlifiqae       Caacasp,  l.  II.   1889. 


126  LES     PUEMIÈRES     CIVILISATIONS 

divisions  chronologiques;  et  il  n'est  pas  d'années  qu'on  n'en  voie 
surgir  de  nouvelles. 

Cependant,  rien  n'est  moins  prouvé  que  cette  succession;  car 
des  tribus,  de  mœurs  et  d'usages  différents,  vivant  parallèlement, 
ont  pu  occuper  successivement  certaines  localités,  sans  qu'il  y 
ait  pour  cela  succession  dans  le  sens  général  du  terme,  voire 
même  dérivation  et  passage  d'une  civilisation  à  une  autie. 

En  résumé,  l'Europe  occidentale  n'était  certainement  pas  peu- 
plée de  façon  homogène  ;  plusieurs  races  y  vivaient  côte  à  côte 
en  tribus  plus  ou  moins  nomades,  et  nous  ne  devons  pas  consi- 
dérer les  usages  de  chacune  comme  représentant  une  phase  spé- 
ciale s'étendant  à  tout  le  pays. 

En  Amérique  du  Nord,  par  exemple,  les  clans  indiens  diflèrent 
sensiblement  entre  eux,  par  les  usages  comme  par  l'outillage  et 
Farmement  qu'ils  emploient.  Avant  leur  anéantissement  par  les 
Européens,  ils  vivaient,  chaque  tribu  cantonnée  dans  son  district; 
mais  avaient  tour  à  lour  des  mouvements  d'expansion  et  de  con- 
centration, empiétant  parfois  sur  le  domaine  de  leurs  voisins, 
poussant  au  loin  leurs  expéditions.  Ainsi  les  industries  de  cha- 
cune de  ces  tribus  ont  pu  se  superposer  sur  bien  des  points  habi- 
tables, dans  les  cavernes  entre  autres;  tout  en  étant  contempo- 
raines et, par  les  restes  qu'elles  ont  laissés, faire  naître  des  idées 
de  chronologie  relative,  alors  que  cette  succession  n'est  qu'appa- 
rente. 

Certainement,  au  cours  de  la  longue  période  qui  sépare  le 
milieu  des  temps  glaciaires  de  l'apparition  de  la  pierre  polie,  les 
industries  ont  évolué,  et  il  doit  être  fait  une  large  part  à  la  succes- 
sion; mais  cette  part  ne  doit  pas  être  exagérée  suivant  certaines 
tendances  d'aujourd'hui. 

Ces  civilisations,  nous  devons  leur  appliquer  la  méthode 
usitée  en  ethnographie  pour  l'étude  des  primitifs  modernes.  Il 
nous  faut  procédei-  industrie  par  industrie,  puis  chercher  à 
retrouver  l'histoire  de  chacune,  l'aire  qu'elle  occupait  jadis  en  la 
considérant,  à  priori,  comme  isolée;  et  ne  faire  intervenir  les  carac- 
tères communs  entre  les  diverses  tribus,  qu'alors  qu'ils  peuvent 
être  tenus  pour  certains.  C'est  seulement  en  procédant  de  la  sorte 
qu'il  sera  possible  de  mettre  quelque  ordre  dans  cet  amas  confus 
de  peuplades,  bien  plus  nombreuses  que,  généralement,  on  est 
lente  de  le  penser. 


CIVILISATION     Al"    COURS    DKS     DERNIERS     TEMPS     (il.ACIAIHES     127 

Les  mêmes  lemaïques  s'appliquent  au  climat,  à  la  dore  et  à 
la  faune,  qui  ne  lurent  pas  partout  les  mêmes  pendant  la  durée 
de  la  période  glaciaire  et  de  celles  qui  la  suivirent  (J  ;.  Dans 
cette  étude,  encore,  il  est  nécessaire  d'établir  des  monographies 
locales,  permeltanl  de  reconstituer  les  districts  ;  et  c'est  de 
l'ensemble  de  ces  provinces  que  ressorti ront  les  lignes  géné- 
rales. 

En  fondant,  les  glaces,  dans  leur  retrait,  abandonnèrent  peu  à 
peu  d'immenses  territoires,  arides  d'abord,  quoique  trempés 
d'humidité,  coupés  en  tous  sens  par  des  cours  d'eau,  couverts  de 
Fondrières,  de  marais,  de  lacs,  d'îlots  de  glace  en  fusion.  C'est 
sur  ces  terres  que,  peu  à  peu,  gagna  la  zone  des  graminées.  Il 
se  forma  d'immenses  prairies,  dont  le  gibier  et  l'homme  s'empa- 
rèrent, sinon  d'une  manière  définitive  d'abord,  du  moins  pen- 
dant les  saisons  favorables  (2). 

La  largeur  de  ces  steppes  était  d'ailleurs  très  vaj'iable.  Dans 
les  pays  plats,  comme  le  nord  de  l'Allemagne,  elles  furent 
immenses  ;  tandis  que,  dans  les  régions  montagneuses,  elles  se 
trouvaient  réduites  par  la  pente  du  terrain.  Dans  tous  les  cas,  elles 
se  tinrent  toujours  au  voisinage  des  glaces  fondantes. 

Au  delà,  les  forets  gagnant  progressivement  sur  les  prairies 
et  suivant  de  loin  le  mouvement  des  glaces,  offraient  le  faciès  des 
pays  froids  ;  et  cette  première  zone  forestière,  de  profondeur  va- 
riable, se  trouvait  elle-même  remplacée,  plus  loin  encore,  par  des 
boisements  de  pays  plus  chauds,  semés  de  clairières  ;  et  ainsi  de 
suite  jusqu'aux  régions  tempérées. 

11  ne  faut  pas  oujjlier  que  la  fusion  d'un  amas  de  glaces  aussi 
important,  absorbant  une  énorme  quantité  de  chaleur,  produisit 
un  refroidissement  intense,  dans  les  régions  voisines  des  gla- 
ciers (3),  et  que^  si  l'abaissement  de  la  température  atmosphé- 
rique fut  général,  il  porta  principalement  sur  la  zone  des  steppes. 
Dans  de  telles  conditions,  l'inégalité  dans  les  climats  locaux  était 
alors  bien  plus  accentuée  que  de  nos  jours.  C'est  dans  ce  milieu, 

(1)  Il   existe  aujouid'luii    en  Europe    deux  ci)  C'est  ainsi  qu'on  rencontre  des  vestiges 

colonies  seulement  de    bisons,  Tune  en  Li-  du  mammouth  jusqu'au  cœnrde  la  Russie  d'Eu- 

Ihuanie,  l'autre   en    Circassie  (Kouhan)   Qui  rope  bien  en  deçà  de  la  limite  des  moraines, 

prouve  que,    dans    les    temps   qui   ont    suivi  (3)  Le    refroidissement  causé   par   la  fusion 

i'époq'ie  glaciaire,  il  n'a  pas  existé  également  d'importantes  masses   de   glace  est  intense, 

des    colonies    du    mammouth,    du    renne    cl  C'est  ainsi  qu'un   fort  abaissement  de  tempé- 

d'autres  animaux   aujourd'hui  éteints  et  aux-  rature  se  fait  sentir  même  au  cœur  de  l'été, 

quels  on  a    tendance  à    attribuer   un  habitat  quand,  entre  l'Irlande  et  l'Amérique  du  Nord 

général  dans  nos  pays  ?  les  paquebots  rencontrent  des  icebergs. 


128  t'K^    iMu:.Mira^i;s   civilisations 

extrèmemenl  varié,  que  l'homme  développa  ses  industries  archéo- 
lithiques  et  mésolithiques. 

Cantonnés,  durant  la  grande  extension  des  glaciers,  dans  des 
espaces  relativement  restreints,  l'homme  et  les  animaux  virent 
peu  à  peu  s'étendre  devant  eux  d'immenses  territoires.  Ils  les 
envahirent  lentement,  rompant  avec  leurs  usages  glaciaires,  modi- 
tiant  leur  manière  d'être  suivant  l'avancement  ou  le  recul  des 
terres  habitable.s.  Tout  fut  changé  dans  la  vie,  suivant  des  lois 
très  complexes  dans  lesquelles  entrent  maints  éléments  qui,  pour 
la  plupart,  échappent  à  notre  appréciation.  La  multiplicité  des 
races,  des  clans,  la  proportion  numérique  relative  des  diverses 
tribus,  la  variété  des  intérêts,  des  aptitudes,  les  conditions 
géologiques,  botaniques,  zoologiques,  climaticjues  des  divers 
pays,  les  facilités  plus  ou  moins  grandes  de  migration,  et  bien 
d'autres  considérations  encore,  influencèrent  la  vie  dans  ces 
temps. 

La  plupart  de  ces  conditions  ont  laissé  des  traces  ;  mais  com- 
bien sont  difficiles  l'étude  et  l'interprétation  de  ces  vestiges, 
combien  il  est  aisé  de  les  expliquer  de  façon  erronée  ! 

Les  récentes  études  amènent  à  conclure  que  l'industrie  paléo- 
lithique (type  moustérien)  a  coïncidé  avec  la  dernière  extension 
des  glaces,  en  sorte  que  raurignacien,  le  solutréen  et  toutes  les 
autres  industries  du  groupe  archéolithique  seraient  post-gla- 
ciaires. Mais  ces  déductions  tirées  de  cas  particuliers  et  locaux 
ne  doivent,  j)eut-étre  pas  encore,  être  généralisées  (1). 

Ces  remarques  étaient  nécessaires  avant  d'aborder  l'étude  des 
industries  archéolithiques  et  mésolithiques,  très  variées  dans 
leurs  détails  et  au  sujet  desquelles  on  a  commis  et  l'on  commet 
journellement  tant  d'erreurs.  N'e.st-il  pas  mieux  davouer  l'insuf- 
tisance  de  nos  observations,  la  fragilité  de  nos  théories,  plutôt 
(|ue  de  chercher  pai-  d'ingénieuses  hypothèses  à  nous  tromper 
nous-mêmes;' 

.le  passerai  simplement  en  revue  les  divers  types  d'industries 
des  derniers  temps  glaciaires,  en  conservant  l'ordre  dans  lequel 
ils  ont  été  présentés  jusqu'ici  ;  bien  qu'il  soit  nécessaire  de  faire 
des  réserves  au  sujet  de  la  succession  et  de  l'ascendance  de 
beaucoup  d'entre  eux. 

1,1)  Cf.  DocteiirHrGoOBERMAiEr,,  Beitriigczur        Arehiv    /.    Aidhropoloyie,    V.  :î    el     i.  Vienne, 
l<ennfniss   des  Qiiorh'trs  in  dcn  Pyrenacn,  in        KWi. 


CIVILISATION     AU    COUHS     DES     DERNIERS      TEMPS     GLACIAIRES     129 

Industrie  archéolithique.  —  Type  aiirignacien  (1).  —  Cette 
industrie,  pour  lacjuelle  le  nom  àe  pré-solutréen  avait  été  proposé, 
se  compose  de  types  intermédiaires  entre  les  formes  du  Moustier 
et  celles  de  Solutré;  on  y  rencontre  des  burins  assez  grossiers, 
des  grattoirs  courts  et  épais,  des  lames  très  retouchées  sur  tout 
leur  pourtour,  des  racloirs  simples  et  doubles,  et  enfin  des  éclats 
portant  de  larges  encoches  latérales. 

L'outillage  en  os  comprend  des  pointes  à  contours  ovoïdes 
parfois  fendues  à  la  base,  des  os  appointis,  des  lissoirs,  des  pen- 
deloques, des  épingles  ou  baguettes  souvent  incisées,  des  sifflets 
taillés  dans  des  phalanges  de  renne,  etc. 

Assez  répandue,  cette  industrie  a,  jusqu'ici,  été  rencontrée  en 
France,  dans  la  Dordogne,  à  la  Ferrassie  et  au  Moustier;  elle  est 
signalée  en  Belgique,  à  Montaigle  et  à  liastières(2),  dans  la  Basse- 
Autriche  (3),  en  Tunisie,  en  Algérie,  en  Syrie,  etc..  et  semble 
due  à  des  populations  très  diverses,  autres  que  celles  des  temps 
paléolithiques.  Peut-être  est-elle,  partout,  le  fruit  d'une  invasion. 

Type  solutréen  (li).  —  L'ensemble  de  cet  outillage  est  remar- 
quable par  la  finesse  de  sa  technique.  Les  instruments,  toujours 
composés  d'éclats  retouchés,  sont  de  deux  natures  :  les  uns  taillés 
seulement  sur  une  face,  grattoirs,  perçoirs,  scies,  etc.,  analo- 
gues à  ceux  des  types  moustérien  et  aurignacien  ;  les  autres, 
façonnés  sur  les  deux  faces,  sont  des  têtes  de  javelots,  d'épieux, 
des  poignards  (?)  généralement  d'un  travail  très  soigné.  Ces  der- 
niers instruments  aff"ectent  toujours  la  forme  lancéolée  de  la 
feuille  du  laurier  ou  du  saule  ;  ils  sont  parfois  arrondis  à  l'une  de 
leurs  extrémités,  tandis  que  l'autre  demeure  aiguë. 

Les  os  sont  grossièrement  travaillés,  façonnés  en  burins,  per- 
çoirs, etc.  ;  et  quelques  canines  perforées  de  loup  et  de  renard 
montrent  que  ces  populations  aimaient  à  se  parer.  Quant  aux  pro- 
duits artistiques,  ils  sont  peu  nombreux,  se  bornant  à  quelques 
figurations  de  renne  sculptées  grossièrement  dans  la  pierre 
tendre. 

Les  Solutréens  connaissaient  le  feu;  ils  vivaient  de  leur  chasse, 
plus  spécialement  de  celle  du  cheval,  dont  les  squelettes  forment 

(1)  Cf.  H.  Breuil,  la  Question  aurigna-  renne,  ds  Congrès  préhisl.  de  Pérlgueux,  1905. 
cienne,  ds  Rev.  préhisl.,  1907,  n»'  6  et  7.  (3)  Hi»;u\es,  Der  Diluuiale  Mensch. 

(2)  Cf.  Capitan-,  Congrès  de  Monaco,  lOOG,  (i)  Cf.  G.  et  A.  de  Mortili.et,  le  Musée  pré - 
mUev.  Ecole.  Anlhroi).,\\n,i>.r:Q. —  \^\\vxu.,  Iiislorique,  1881,  pi.  XVIII-XIX.  —  J.  Déciie- 
Essai  de  stratigraphie  des  dépôts  de  l'âge  du  LETTE,.U(i7!!ie/ti'arc/ieo/.prt'/i;.s(.,1908,pp. 131-148 


j30  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

d'énormes  amas  à  Tentrée  des  cavernes  ;  peut-être  même  étaient- 
ils  cannibales  (1).  Ils  donnaient  aux  morts  de  leur  clan  une  sépul- 
ture, suivant  des  usages  qui  paraissent  avoir  été  constants.  Là  se 
bornent  nos  connaissances  en  ce  qui  les  concerne. 

L'industrie  solutréenne  semblen  'avoir  été  que  fort  peu  répan- 
due ;  on  ne  l'a  rencontrée  jusqu'ici  que  dans  certaines  parties  de 
la  France  et  de  la  Belgique  (2). 

Tijpe  magdalénien  (3). —  Inférieure,  par  sa  technique  du  silex, 
aux  industries  du  Moustier  et  de  Solutré,  cette  civilisation  se 
fait  surtout  remarquer  par  la  perfection  qu'y  atteint  le  travail  de 
l'os  et  de  l'ivoire,  et  par  les  aptitudes  artistiques  très  développées 
des  tribus  magdaléniennes. 

Les  instruments  de  silex,  racloirs,  perçoirs,  burins,  montrent 
des  besoins  aussi  multiples  que  ceux  des  civilisations  dont  il  vient 
d'être  parlé  ;  toutefois  l'outillage,  tel  que  nous  le  connaissons, 
par  les  cavernes,  est  entièrement  composé  de  petites  pièces. 

On  serait  tenté  de  penser  avec  S.  Reinach  [h)  que,  près  du 
foyer  domestique,  le  Magdalénien  ne  se  livrait  qu'à  des  travaux 
délicats  et  que  la  grosse  besogne,  celle  exigeant  l'emploi  d'ins- 
truments plus  forts,  se  faisait  toujours  au  dehors;  mais  s'il  en 
avait  été  ainsi,  l'homme  eût  parfois  rapporté  à  son  habitation 
quelqu'un  de  ces  gros  instruments  et  il  en  serait  assurément  par- 
venu jusqu'à  nous  dans  certaines  stations. 

La  caractéristique  du  magdalénien  est  la  grande  abondance  et 
la  perfection  des  objets  d'os  et  d'ivoire  ;  têtes  de  harpons,  de 
lances,  de  sagaies,  spatules,  lissoirs,  perçoirs,  tous  objets  d'un 
travail  extrêmement  soigné,  et  ne  présentant  d'analogies  avec 
aucun  de  ceux  des  autres  industries  mésolithiques. 

Les  Magdaléniens  se  vêtissaient  ;  car  ils  nous  ont  laissé  de 
fines  aiguilles  d'os  et  d'ivoire.  Ils  se  paraient;  car  on  rencontre 
en  grand  nombre  les  perles,  les  pendeloques,  les  dents  per- 
forées d'animaux,  les  rondelles  d'os  parfois  gravées.  Ils  se  pei- 
gnaient ou  se  tatouaient  le  corps;  les  matières  colorantes  (limo- 
nite,   sanguine)   qu'on  trouve  près  de   leurs  foyers   en  font  foi. 


(1)  Cf.  A.  RiiTOT,le  cannibalisme  à  l'époque  (3)  G.  et  A.  de  Mortillet,  le  Musée  prèhislo- 
des  cavernes  en  Belgique,  ds  liull.  Soc.  pré-  rique,  \8Sl,  pi.  XXI-XXVHI.  —  J.  Dkchelette. 
hisl.  de  France,  iiTjuin  lï)07  Manuel  d'archéol.  préliist.,  1908,  pp.  149-279. 

(2)  On  a  dernièremenl  rallaclié  au  solu-  (i)  S.  Reinach,  Anliq.  nat.  cul.  Musée  de 
tréen  (|uelqiies  stations  <le  la  Basse-Autriclie.  Sainl-Germaln,  p.  231. 

Cf.   lloERNES,    Dec    Dilaviale   Menscli..   p.    121. 


CIVILISATION    AU    COUHS    DES    DERNIERS    TEMPS    GLACIAIRES      13i 

Ils  entretenaient  des  relations  commerciales  étendues;  car,  dans 
les  stations  magdaléniennes,  on  trouve  des  coquilles  marines  (1) 
et  des  silex  de  provenance  très  éloignée.  Ils  se  nourrissaient  des 
produits  de  la  pêche  et  de  la  chasse;  témoins  les  nombreux  osse- 
ments accompagnant  leurs  foyers. 

On  a  fréquemment  rencontré,  dans  les  cavernes  magdalé- 
niennes, des  os  travaillés  et  ornés  présentant  une  forme  étrange. 
Nommés  d'abord  bâtons  de  commandement  (2),  appellation  qui  ne 
faisait  que  déguiser  l'ignorance  dans  laquelle  on  se  trouvait  de 
leur  usage,  on  les  a  considérés,  plus  tard,  comme  étant  les  pièces 
rigides  de  chevêtres  (3),  à  l'aide  desquels  l'homme  aurait  dompté 
et  conduit  le  cheval.  Bien  que  les  figurations  de  têtes  de  che- 
vaux rencontrées  dans  les  cavernes  semblent  donner  quelque 
vraisemblance  à  cette  manière  de  voir,  elle  n'a  pas  été  partagée 
par  le  monde  savant.  Si  cette  hypothèse  se  trouvait  un  jour  véri- 
fiée, le  Magdalénien  aurait  fait  «  la  plus  grande  conquête 
de  l'homme  »,  ou  tout  au  moins  l'aurait  appliquée  ;  car  nous 
ignorons  si  les  Moustériens,  les  Solutréens  et  autres  tribus 
n'avaient  pas,  elles  aussi,  domestiqué  les  animaux,  si  elles  n'em- 
ployaient des  mors  ou  des  chevêtres  n'ayant  pas  laissé  de 
traces  {h). 

Il  se  peut  que  d'autres  quadrupèdes  eussent,  en  même  temps, 
été  domestiqués  et  que  les  Magdaléniens  fussent  aussi  bien  éle- 
veurs que  chasseurs.  Le  renne,  le  chien  étaient  peut-être  asservis. 
Les  hommes  néolithiques  d'Egypte  ne  possédaient-ils  pas  des 
troupeaux  d'antilopes,  dont  nous  ignorerions  l'existence,  si  les 
sculptures  de  l'ancien  empire  ne  nous  l'avaient  révélée  (5)  et  si 
moi-même,  je  n'avais  retrouvé  les  parcs  où  ces  bizarres  troupeaux 
étaient  réunis  pour  la  nuit  (6)? 

Cependant  la  plupart  des  préhistoriens,    se    basant  sur    des 
constatations  qui  semblent  être  fort  probantes,  nient  la  domesti- 

(\)  Chkimiis  Islandica,    Turrilella    rommunis,  (4)  Cette  explication   de  l'usage    du  «  bâton 

LillorinalHlorea.  de  commandement"  est    loin  d'être  acceptée 

(2)  Larlet,  Broca,  Cf.  Assoc.  franc.,  187-2,  par  tous  les  palethnologues  ;  beaucoup  consi- 
pp.  126-127.  —  De  Mortillet,  Mus.  préhi.tl.,  dorent  la  domestication  des  animaux  comme 
fig-  192.  l'une    des  caractéristiques    de    la  civilisation 

(3)  Cf.  PiETTf,  Eludes  (i'elhnogr    prélusL,  l\.  néolithique. 

Le  Chevêtre    et    la    semi-domestication     des  (5)  Bas-reliefs    des    Mastabas    de    l'ancien 

animauxaux  temps  pléistocènes,  in //ln//i;o/;.,  empire  à  Saqqarah   (tombeaux    de   Ti,  Mera, 

t.  XVIL  1906.  Les  tèlesde  chevaux  enchevê-  Kabin,  etc.). 

Irées  (?)  figurées  dans  cette  étude  ont  été  dé-  (6)  J.  de  Morgan,  Recherches  sur  les  orûjines 

couvertes  à  Saint-Michel    d'Arudy,   Brassem-  de  lÈ<jijple,  l.  H,  1807.  Kjœkkenmœddings  de 

pouy,auxEspélugues(Lourdes),au  Mas  d'Azil,  Kawamil,  Toukh,  etc. 

à  Laugerie-Basse,  à  Raymonden  (Chancelade). 


'132  I^ES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

calion  des  animaux  aux  temps  quaternaires,  et  reportent  sa  décou- 
verte à  l'état  néolithique. 

Le  caractère  principal  de  la  civilisation  magdalénienne  est 
l'art.  Il  nous  apparaît  tout  formé  et  ayant  atteint  déjà  une  rare 
perfection;  encore,  ne  connaissons-nous  pas  ses  chefs-d'œuvre.  Il 
semblerait  qu'il  soit  le  produit  d'une  population  étrangère  venue 
au  moment  où  le  renne  abondait  dans  nos  régions;  et  de  même 
qu'il  apparaît  soudain,  il  disparaît  subitement  sans  laisser  au- 
cune survivance. 

Rien  ne  s'oppose,  d'ailleurs,  à  ce  que  ces  goûts  esthétiques 
soient  nés  d'une  migration  affectant  quelques  districts  seulement 
de  la  Gaule  et  de  l'Espagne;  à  ce  que,  par  influences,  ces  arts  se 
soient  répandus  au  loin  ;  à  ce  qu'aussi  les  tribus  d'artistes,  pous- 
sées par  d'autres  peuplades  et  changeant  de  région,  aient  laissé, 
dans  les  cavernes,  des  traces  de  leur  séjour  momentané,  montrant 
ainsi  une  extension  apparente  beaucoup  plus  vaste  que  celle, 
qu'en  réalité  ils  ont  eue  dans  un  même  temps. 

Il  se  peut  aussi  que,  né  dans  un  district  de  la  France  ou  de 
l'Espagne  encore  ignoré,  cet  art  se  soit  développé  sur  place  et 
que  nous  n'en  ayons  pas  retrouvé  les  œuvres  primitives.  11  n'est 
donc  pas  nécessaire,  pour  expliquer  sa  présence,  de  faire  inter- 
venir des  causes  extérieures. 

Ces  arts  se  manifestent  sous  deux  formes  distinctes  :  dans  la 
sculpture,  la  gravure,  réduites  aux  dimensions  des  instruments 
et  des  objets  portatifs,  et  dans  la  gravure  de  sujets  de  grandeur 
naturelle  sur  les  parois  des  cavernes. 

Ils  nous  ont  laissé  des  ornements  géométriques,  de  rares 
figurations  de  végétaux  et  une  foule  de  représentations  animales, 
«  révélant  un  profond  esprit  d'observation,  un  sentiment  exquis 
de  la  nature.  Plusieurs  de  ces  dessins  sont  supérieurs  aux  illus- 
trations de  quelques-uns  de  nos  livres  d'histoire  naturelle;  et  il 
faut  avouer  que  plus  de  la  moitié  des  copies  qu'on  a  faites  de  ces 
œuvres,  pour  les  publier,  sont  au-dessous  des  originaux  (1).  » 

Dans  les  sculptures,  les  membres  des  figurines  ne  sont  jamais 
détachés  ;  parce  que  le  bloc  dont  l'artiste  disposait  n'en  permet- 
tait pas  l'isolement,  ou  parce  que  les  saillants  eussent  nui  à  l'usage 
des  objets.  Ce  fait,  nous  l'observons  dans  bien  des  ivoires  japo- 

(1)  Cautailhac.  la  Fnince  oré/iiglorique,\).Q~. 


CIVILISATION    AU    COURS    DES    DERNIERS    TEMPS    GLACIAIRES     133 

nais,  dans  beaucoup  de  menus  instruments  des  civilisations  pri- 
mitives de  l'Egypte  et  de  la  Chaldée. 

La  figuration  sur  les  parois  des  cavernes  (1)  est  autrement 
intéressante  encore  que  la  gravure  ou  la  sculpture  des  pelils 
objets,  parce  qu'elle  comprend  souvent  des  sujets  de  grandeur 
naturelle,  d'une  exécution  beaucoup  plus  difficile.  Non  seulement 
ces  représentations  sont  dessinées,  puis  gravées  au  burin;  mais, 
aussi,  elles  sont  peintes,  présentant  un  fini  plus  ou  moins  avancé 
et  des  caractères  si  conventionnels,  qu'on  est  tenté  d  y  voir  une 
stylisation  et  le  passage  de  l'art  figuré  à  l'art  décoratif  (2). 

Tout  en  possédant  très  nettement  le  sens  de  la  ligne  et,  géné- 
ralement des  proportions  d'un  même  motif,  l'artiste  semble  avoir 
méconnu  les  proportions  relatives  des  sujets  entre  eux;  à  moins 
que,  dans  les  représentations  que  nous  possédons,  il  ne  se  trouve 
que  des  essais,  des  ébauches  dans  lesquels,  copiant  un  modèle 
pour  s'exercer,  le  dessinateur  faisait  abstraction  de  celui  dont 
l'image  avait  été  précédemment  tracée  sur  la  même  surface. 

11  serait,  dès  maintenant,  prématuré  de  vouloir  classer  ces 
œuvres  d'art  (3),  soit  suivant  la  nature  de  leur  exécution,  soit 
suivant  leur  âge  relatif  ou  leur  distribution  géographique.  Nous 
ne  connaissons  pas  assez  les  limites  de  l'aire  habitée  par  les  popu- 
lations artistes,  ni  celles  de  l'extension  de  leur  art  par  influence, 
ni  les  changements  de  résidence  de  ces  tribus,  ni  la  durée  de 
leurs  établissements  dans  chacune  de  leurs  étapes,  pour  être  à 
même  de  nous  prononcer. 

(1)  Cf.  II.  Breuil,  Nouvelles  figurations  du  jours;  elle  existe  dès  les  temps  quaternaires 
mammout!i,ds  Rev.  de  /ÈVo/e  J'An/Zi/o/j.,  t.  XV,  (Cf.  II.  Breuil,  Exemples  de  figures  dégéné- 
1905.  —  La  dégénérescence  des  figures  d  ani-  rées  et  stylisées  à  l'époque  du  renne,  ds 
maux  et  motifs  ornementaux  à  lépoque  du  A7//'  Congrès  d'Anthrop.  et  dArcli.  prèhiRl., 
renne,  ds  Comptes  remln.-!  Arad.  Inscr.,  1905,  Monaco,  i90H)  et  se  rencontre  communément 
p.  105.  —  Os  gravé  de  la  grotte  des  Eyzies,  ds  dans  les  peintures  céramiques  les  plus  ancien- 
Rev  Ecol.  Anthrop.,  Paris,  n"  6,  juillet  1901.  nés  de  lAsie  antérieure.  (II.  Bukuil),  le  Pas- 
—  L.  Capitam  et  H.  Breuil,  les  Grottes  à  pa-  sage  de  la  figure  à  l'ornemetil  dans  la  cérnmùpie 
rois  gravées  ou  i)eintes,ds  Heu.  Er.  d'Anthrop.,  peinte  des  couches  arrhaï(jaes  et  de  Moussian  et 
Paris,  t.    XI,  1901.    —    E.    Cartailiiac  et  H.  de  Su.ve.  Monaco,  190H.) 

Breuil,  les  Peintures  et  gravures  murales  des  (3)  II.  Breuil,  l'Evolution    de   la  gravure  et 

caverne»    pyrénéennes,    ds     l'Anthropologie,  de  la  peinture  sur  les  murailles  dans  les  ca- 

l.  XV,  1904;  XVI,  1905.— L.Capitan,  II.  Breuil  vernes  ornées  de  l'âge   du  renne,  ds   Congrès 

et  Peyrony.  Une  Nouvelle  Grotte  à  paroisgra-  préhisl.  de  Périgueux,  1905.  -  II.  Breuil  {iEuo- 

\ee-i,  (\s Heu.  Ecole  Anthrop.,  1903.  —  lu  ,  les  Fi-  lution  de  l'art  pariétal.  Monaco,   1907)  recon- 

gures  gravées  (grotte  de  BernifaI).   Hev.  Ecole  naît  cinq   phases  successives  dans  l'évolution 

An//irop.,  1902.  —  Id.,  la  Calévie(Dordogne).  —  du  dessin   aux    temps    quaternaires;  la    pre- 

Capitan   et  Breuil,   Grotte  des  Combarelles.  mière  appartenant   aux    temps  pré-solutréens 

Rev.  Ec.  Anlhrop.,  t.  XII,  190-2.  —  Id.,  Grotte  (aurignacien),  la  dernière  étant  contemporaine 

de  Font-de-Gaume.  Rev.  Ec.  Anlhrop.,  t.  XII,  des  peintures   sur  galets  du    .Mas  d'Azil.  On 

1902.  —  L.  Capital,  les  Origines   de    l'art  en  remarquera   que  les  points  étudiés   étant  fort 

Gaule.  .4.  F.  A.  S.,  1902.  éloignés    les    uns  des   autres,  il  est    difficile 

(2)  La  stylisation  des  éléments  fournis  par  d  affirmer  la  succession  de  ces  diverses  ma- 
la   nature   est  un    fait  courant  chez   tous  les  iiifestalions  artistiques. 

primitifs,    tant  dans  l'antiquité    que    de   nos 


134 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


Les  sujets  traités  en  dehors  des  ornements  géométriques  (1)  et 
de  quelques  rares  végétaux  (2)  sont  :  le  brochet  (3),  la  truite  (/i), 
l'anguille  (5),  de  nombreuses  formes  indéterminables  de  pois- 
sons (6),  le  phoque  (7),  quelques  oiseaux  très  rares  d'ailleurs, 
l'éléphant  (8),  le  rhinocéros  (9),  le  bœuf  (10),  l'ours  (11),  le  che- 
val (12),  le  bouquetin  (13),  l'antilope  saïga  (l/i),  le  renne  (15),  divers 
cervidés  (lô),  l'homme  (17),  etc. 

Mais  la  représentation  humaine,  qu'elle  soit  gravée  ou  sculp- 
tée, est  toujours  fort  médiocre  et  bien  inférieure  à  celle  des  ani- 
maux; d'ailleurs,  elle  ne  se  montre  que  très  rarement. 

Gomme  on  le  voit,  la  civilisation  magdalénienne  est  de  beau- 
coup, la  plus  développée  des  temps  pléistocènes  ;  mais  elle  est  peu 
répandue.  C'est  en  France,  en  Belgique,  dans  le  nord  de  l'Es- 
pagne et  le  sud  de  l'Angleterre  qu'on  la  rencontre  le  mieux  carac- 
térisée. Son  centre  semble  avoir  été  dans  la  région  voisine  des- 
Pyrénées. 

On  a  signalé  également  cette  industrie  en  Suisse,  en  Allemagne, 
en  Pologne  et  jusqu'au  lac  Ladoga  où  elle  se  trouverait  sensible- 
ment modifiée;  tandis  qu'elle  paraît  faire  défaut  en  Egypte  (18), 
en  Tunisie,  en  Algérie,  en  Syrie,  en  Italie  et  dans  tout  l'orient  de 
la  Méditerranée. 

Je  me  dispenserai  d'entrer  dans  plus  de  détails  au  sujet  de 
l'industrie  magdalénienne;  bien  quelle  ait  donné  lieu  à  la  création 
d'une  foule  de  subdivisions  :  Eburnéenne  {\9),  Glyptique,  Gour- 
danienne^  Tarandienne,  Lorlhétienne,  Elapholarandienne,  Hippi- 


(1)  Ornements  géométriques.  —  Laugerie- 
Basse,  Gorge  d'Enfer,  La  Madelaine. 

(2)  Végétaux.  —  Bruniqufl,  Montgnudior, 
La  Madelaine. 

(3)  Brochet.  —  Montgaudier  (Charente). 

(4)  Truite.  —  Montgaudier. 

(5)  Anguille.  —  Montgaudier. 

(6)  Poissons  divers.  —  La  Madelaine. 

(7)  Phoque.  —  Montgaudier  ;  Sordes  (Lan- 
des), Ahri-Mège.  Une  portion  de  mâchoire  de 
phoque  a  été  trouvée  par  Hardy  et  Fraux  à 
Raymonden.  —  On  comprend  diflicilement 
comment  le  iihoipie,  animal  côtier,  a  pu  être 
connu  des  gens  du  centre  de  la  France. 

(8)  Eléphant.  —  Bruniquel,  La  Madelaine, 
P>aymonden. 

(9)  Rhinocéros. —  Grotte  du  Trilobile  à  Arcy- 
sur-Cure  (Yonne). 

(10)  Bœuf.  —  Masd'Azil,  Les  Eyzies,  Alta- 
inira,  Marsoulas,  Bernifal,  les  Combarelles. 

(11)  Ours.—  Massât  (Ariège). 

(1-2)  Cheval.  —  Chalïaut  (Vienne),  Laugerie- 
lîasse,  Les  Eyzies,  Altamira,  Marsoulas,  les 
Coiubarclles,  Thayngen   (Suisse),   Bruniquel, 


Lorthet,  La  Madelaine.  Le  cheval  n'apparaît 
dans  la  Bible  qu'après  la  sortie  des  Hébreux 
d'Egypte.  En  Egypte  après  la  XVM'  Dyn. (dix- 
neuvième  siècle?).  Prisse  d'Ave -sne  allribue 
sa  venue  aux  Hyksos. 

(i:{)  Bouquetin.  —  Marsoulas,  les  Comba- 
relles. 

(14)  Antilope  saïga.  —  Reconnu  par  P.  Ger- 
vais  sur  une  gravure  d'Aurensan,  mais  dont 
on  n'a  pas  encore  retrouvé  le  squelette. 

(lf>)  Renne.  —  Bruniquel,  Mas  d'Azil,  Cor- 
gnac,  Font-de-Gaume,  etc. 

(16)  Cervidés.  —  Mas  d'Azil,  Laugerie-Basse^ 
Lorthet,  La  Madelaine,  Les  Eyzies,  Altamira, 
les  Combarelles. 

(17)  Homme.  —  Laugerie-Basse,  Altamira, 
Marsoulas. 

(18)  n  se  peut  quaiijourd  hui  les  vestiges  de 
celte  industrie  soient  partout  recouverts  par 
les  limons  du  Nil. 

(lu)  En.  PiETTE,  l'Epoque  eburnéenne  et  les- 
rares  huinuines  de  lu  période  (jtyptique.  Saint- 
<^uentin,  1894. 


(•.1\  ILISATION    AU    COUHS    DES    DERNIERS    TEMPS    GLACIAIRES  135 

{jiiienne,  Équidienne  [\),  Elaphienne  {^),  etc.,  basées  soit  sur  des 
caractères  artistiques,  soit  sur  la  nature  de  l'outillage,  soit  sur  la 
faune  accompagnant  les  vestiges  humains.  Ces  subdivisions,  ou 
bien  n'ont  pas  lieu  d'être,  ou  bien  ne  correspondent  qu'à  des  cul- 
tures locales. 

A  côté  des  industries  caractérisées  dans  l'occident  de  l'Europe, 
nous  voyons,  dans  d'autres  pays,  les  traces  de  civilisation  post- 
paléolithiques oflrir  des  caractères  spéciaux  et  ne  rentrant  pas 
dans  les  classifications  établies  pour  nos  pays.  C'est  ainsi  que 
se  présentent  les  stations  du  versant  oriental  du  Liban  3),  sur 
lesquelles  nous  ne  sommes  encore  que  très  mal  renseignés,  celle 
d'Hélouan  en  Egypte  que  je  considérais  autrefois(A)  comme  néoli- 
thique; mais  qui  me  semble  aujourd'hui  devoir  être  reportée  plus 
loin  de  nous,  peut-être  jusqu'à  l'aurignacien. 

Les  kjœkkenmœddings,  dans  les  abris  sous  roche  tunisiens  et 
certaines  alluvions,  montrent  une  industrie  archéolilhique  spé- 
ciale, voisine  de  l'aurignacien;  mais  indépendante  des  cultures 
européennes.  On  y  rencontre,  en  même  temps  que  les  racloirs, 
les  burins,  les  encoches  et  les  lames  retouchées  sur  un  seul 
côté,  des  types  plus  anciens  tels  que  le  disque. 

L'une  des  stations  les  mieux  caractérisées  de  cette  industrie, 
dans  le  nord  de  l'Afrique,  se  trouve  au  lieu  dit  El  Mekta  (5),  à 
15  kilomètres  au  nord  de  Gafsa  (sud  Tunisien),  sur  le  flanc  des 
collines  qui  portent  en  même  temps  que  des  gisements  naturels 
de  silex,  de  vastes  ateliers  paléolithiques.  Sans  aucun  doute, 
dans  cette  localité  cette  culture  a  succédé  au  chelléo-moustérien. 
Elle  semble  occuper  tout  l'espace  de  temps  séparant  le  paléoli- 
thique du  néolithique.  Son  aire  géographique  était  extrêmement 
vaste;  car  on  la  retrouve  dans  le  centre  saharien  (6),  dans  les  pro- 
vinces de  Constantine  et  d'Oran  (7),  et  non  loin  de  Rhadamès  (8) 
sur  les  confins  de  la  Tripolitaine. 

Certainement  l'industrie  tunisienne  ne  peut,  en  aucun  cas,  être 
complètement  assimilée  à  celles  de  l'Europe  occidentale,  dont  en 

(1)  E.    PiETTE,    les   Subdirisionx   de    l'époque  5)  Découvei-le  en  1906  par  E.  Boudy,  signa- 

maijdalénienne  et  de  ivjj0<iue   néolilhique.  An-  lée  par  L.  Ca|)ilan  au  Congrès  de  Monaco, 

ger?,  1889.  I)   A  Uassi-lnife!,  près  d  El  Golea.  Environs 

(i)  E.  PiETTE,  in  Congrès   intenvitionnl  dWii-  de  W'argla. 

t/irop  ,  1889.  Paris,  1891,  p  -203.  (7)  Musée  d'Alger.    —  Grotte  d'Ali   Bâcha; 

(3)  Soukna,  Erek,  sur  la    route   de    Deir  el  Bir  Lascaria  (A'in  Be'i'da);  région  de  Tebessa, 
Zor  à  Palmyre.  (J.  M.  1900.)  de  Chellala    Prov.  de  Constantine].    Batterie 

(4)  Cf.    J.    i>E    MoROAN,  Eeclt.  sur  les  oriij.  espagnole  (Oran),  Moizana  [Prov.    d'Oran ^ 
de  lEyyple,  189C-1897.  (8)"a  Chabet-Réchada  près  de  Jénéyen. 


136  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Afrique  elle  tient  lieu.  Elle  correspond  à  l'existence  d'un  peuple 
qui,  à  ces  époques,  occupait  toute  la  partie  septentrionale  de  ce 
continent.  Je  propose  de  la  désigner  sous  le  nom  d'industrie  cap- 
sienne  (1  )  en  raison  de  la  localité  où  elle  semble  être  le  mieux  carac- 
térisée (2),  et  afin  de  lui  conserver  son  caractère  géographique. 

11  serait  aisé  de  signaler  un  grand  nombre  de  semblables 
industries  locales,  rentrant  dans  l'état  arcliéolithique;  mais  une 
telle  étude  sortirait  du  cadre  que  je  me  suis  tracé.  11  suffisait  d'en 
citer  quelques-unes,  pour  montrer  qu'au  sortir  des  temps  gla- 
ciaires, l'homme  vécut  en  tribus  plus  ou  moins  importantes, 
sortes  de  nationalités  dont  pour  la  première  fois  nous  rencontrons 
les  traces  indiscutables. 

Industries  mésolithiques.  —  Les  palethnologues  ont  coutume 
de  ranger  dans  l'état  néolithique  des  civilisations  (campignien, 
kjœkkenmœddings,  etc.)  (3)  très  différentes  de  celles  que  nous 
venons  d'examiner;  et  qu'ils  considèrent  comme  formant  la  transi- 
tion entre  les  industries  de  la  pierre  taillée  et  celles  de  la  pierre 
polie,  se  basant  principalement  sur  des  vues  chronologiques,  très 
discutables  d'ailleurs. 

Ne  tenant  compte  que  du  travail  de  la  pierre  dans  la  classifi- 
cation que  j'ai  choisie,  je  les  rangerai  dans  un  état  de  civilisa- 
tion auquel  je  donnerai  le  nom  spécial  d'étal  mésolilhique;  parce 
que,  d'une  part,  on  retrouve  dans  ces  industries  une  foule  de  traits 
communs  avec  celle  dite  magdalénienne  et  ses  analogues  ;  et  que, 
d'autre  part,  bien  des  formes  nouvelles  apparaissent,  montrant 
une  tendance  vers  l'état  néolithique  ne  s'oxpliquant  que  par 
l'apparition  d'influences  indépendantes  et  nouvelles. 

Industrie  toiirassienne.  —  Cette  division,  proposée  par  G.  de 
Mortillet  (i)  comme  marquant  la  dégénérescence  et  l'extinction 
de  l'industrie  quaternaire,  représente,  pour  cet  auteur,  une 
époque  spéciale  dont  il  retrouve  les  traces  dans  toute  lEurope, 
dans  le  bassin  méditerranéen  et  jusqu'aux  Indes.  Elle  serait 
caractérisée  par  de   tout  petits   instruments  de   silex  présentant 

(1)  De  Capsa,  nom   de  la  ville  romaine  qui  vue  des  industries  du  Campigny,  du  camp  de 

occupait  l'emplacement  actuel  de  Gafsa.  Calenoj-,  de  l'Yonne    et  du  Grand-Pressigny, 

(-2)  On  retrouve  celte  industrie  très  bien  ca-  ds  Conyr.  Anthr.  préhist.,  19(  0,  p.  206. 

ractérisée  jusqu'en    Syrie,  à    Antélias   entre  (i)  G.  de  Mortillet,  Evolution  quaternaire 

autres.  (Cf.  ZuMOFFEN,    la    Phénicie    nrant  les  de  la  pierre,  in /^ey.  E'-o/e  .l/i/Ziro/).,  1897,  p.  24. 

P/je>)/c/erî.'!.Beyrouth,1900,p.49sq.,pl.  VIel  Vil.  —  A.  de  Mortillet,  les  Petits  Silex  taillés  à 

(3)  Cf.    L.    Capital,   Passage   du   paléolitlii-  contours  géométriques,  ds/iey.  £co/e  A/ii/irop., 

que  au  néolithique.    —   Elude    à   ce  point  de  t.  VI,  1896. 


CIVILISATION    AU    COURS    DES    DERNIERS    TEMPS    GLACIAIRES   137 

des  formes  géométriques.  Cette  industrie  ne  semble  pas  corres- 
pondre à  une  culture  particulière;  mais  bien  à  des  besoins  spé- 
ciaux, mal  définis  encore,  communs  à  une  foule  de  pays. 

Industrie  des  kjœkkenmœddings  (1).  —  Les  débris  de  cuisine 
abondent  dans  les  pays  Scandinaves  (2),  le  nord  de  TAUemagne, 
les  côtes  de  Belgique,  d'Angleterre,  de  France,  de  Portugal,  dans 
les  îles  de  la  mer  du  Nord.  Ce  sont  des  amas  dont  les  plus  grands 
présentent  3  mètres  de  hauteur,  sur  100  à  300  de  longueur  et 
/i5  ou  50  de  largeur.  Tous  marquent  l'emplacement  d'anciennes 
aorarlomérations  humaines,  et  renferment  les  restes  de  la  vie, 
cendres,  charbon,  os  calcinés  et  brisés,  coquilles  marines  en 
très  grande  abondance,  nombreux  instruments  de  silex  et  frag- 
ments de  poterie  grossière. 

En  Danemark  (3),  où  ces  monticules  ont  été  l'objet  de  travaux 
nombreux  et  remarquables,  l'industrie  de  la  pierre  se  montre 
assez  grossière  :  sa  technique  semblerait,  à  certains  points  de  vue, 
être  une  descendance  du  paléolithique;  tandis  que,  par  d'autres, 
elle  se  rattache  franchement  au  néolithique. 

Les  formes  principales  sont  des  haches  oblongues  et  des  têtes 
d'épieux  taillées  à  grands  éclats  sur  les  deux  faces,  des  racloirs, 
des  lames  plus  ou  moins  retouchées  et  des  tranchets,  curieux 
instruments  qui  semblent  caractéristiques  de  cette  civilisation. 

Les  pré-Danois  de  ces  époques  étaient  chasseurs  et  pêcheurs, 
ils  se  construisaient  des  habitations,  fabriquaient  la  poterie,  creu- 
saient des  pirogues  dans  des  troncs  d'arbres  et  s'y  aventuraient 
au  large  de  leurs  côtes. 

Industrie  campignienne  ('i).  —  La  station  du  Campigny  (Blangy- 
sur-Bresle),  qui  a  donné  son  nom  à  cette  division,  a  été  décou- 
verte en  1872  par  Eugène  de  Morgan  (5),  mon  père,  et  j'ai  assisté 
aux  premières  fouilles. 


(1)  Les  kjœkkenmœddings  se  rencontrent  trie  de  la  pierre  en  pays  Scandinaves  et  pense 
sur  un  très  grand  nombre  de  côtes.  On  en  que  celte  civilisation  dérive  d'une  plus  an- 
trouve  en  Irlande,  en  France  [Hyères  (Var  ,  cienne  ilans  l'ouest  de  l'Lurope. 
Sainl-Georges-de-Didonne  (Cliarente-Inférieu-  (^.)  Lludiés  par  Forchamnier,  Sleenstrup, 
re),  Saint- Valéry  (Somme),  Wissant  (Pas-de-  Wor-.;ic,  etc.  Cf.  Mori.ot,  Etudes  géologico- 
Calais),  à  l'ile  d'Arz  (Morl)ilian),  à  l'île  de  Sein  arcluoingiqiies  en  Danemark  et  en  Suisse,  in 
(Finistère),]  en  Portugal  à  Mugem,  en  Asie,  Soc.  Vdudoise  des  sr.  nat.,  1859-1860.  Comptes 
dans  les  deux  Amériques  (Floride),  à  Omori  rendus  du  Congrès  intern.  d'AnUirop.  el  durcit. 
au  Japon,  etc.,  mais   ils  sont   loin  d'apparte-  préhisl.  Copenhague,  18G9,  pp.  135-160. 

nir  tous  à  la  même  époque.  (4)  Le  Campignien,  par  Pu.  Salmon.  d'.Vui.t 

(2)  Sophus     Muller     (Con(jrès    inlernalional  du  Mesnil  et   Capita.n,  ds  Bel-.  Ec.  Anthrop., 
d'Anthropologie  de    1889.    Paris,    1891,   p.  ir.i)  Paris,  1898. 

considère       les      kjœkkenmœddings      danois  {b)  Sotice  sur   le   Campiyny,  par  E.  el  IL  de 

comme  les  restes  les  plus  anciens  de  l'indus-  Mougan.  Amiens,  187:^. 


138  LKS    PREMIÈRES    CIX  ILISATIONS 

Le  petit  plateau  de  Campigny  domino  le  fond  de  la  vallée  d'une 
vingtaine  de  mètres.  11  portait  autrefois  un  village  de  huttes  et  ce 
sont  les  restes  de  ces  cabanes  qui  ont  fourni  les  découvertes. 

De  largeur  variable  (->  à  6  m.),  le  fond  de  ces  huttes  a  été  creusé 
dans  le  diluvium  rouge  sur  une  profondeur  de  0  m.  60  à  0  m.  80. 
On  y  rencontre,  avec  des  cendres  et  du  charbon,  une  grande  quan- 
tité de  fragments  de  poterie  grossière,  de  nombreux  instruments 
de  silex  analogues  à  ceux  des  kjœkkenmœddings  danois;  le  tran- 
chet,  le  racloir,  le  poinçon.  Les  lames  à  encoche  dominent;  et 
ces  pièces  se  trouvent  mélangées  à  une  foule  d'éclats  non  retou- 
chés. 

Au  Campigny,  les  instrui-uents  de  silex  sont  d'une  telle  fiaî- 
cheur  de  conservation  (jue  mon  pèr(\  ayant  fait  don  d'une  série 
provenant  de  ses  fouilles  au  Musée  de  Saint-Germain,  iNI.  Al.  Ber- 
trand les  déclara  faux  et  considéra  le  donateur  non  sans  pitié. 

Cette  découverte,  cependant,  devait  être  suivie  de  beaucoup 
d'autres;  de  nombreuses  stations  campigniennes  furent  reconnues 
dans  le  nord  de  la  France  et  en  Belgi((ue.  Plus  tard,  on  rencontra 
cette  industrie  en  T^spagne  et  en  Italie  où  elle  est  très  dévelop- 
pée et  le  Campigny  donna  son  nom  à  une  culture  très  nettement 
caractérisée. 

Après  avoir  passé  en  revue  les  divers  modes  d'existence  des 
peuples  antérieurs  à  la  pierre  polie,  les  envisageant  seulement 
au  point  de  vue  industriel  et  artistique,  je  dois  aborder  mainte- 
nant la  (|uestion  chronologique;  celle  de  la  succession  ou  du 
parallélisme  des  diverses  civilisations  et  des  peuplades  qu'élites 
caractérisent. 

Cette  question  est  de  beaucoup  la  plus  ardue.  Jusqu'à  ce  jour, 
les  préhistoriens  ont  pensé  la  résoudre  en  acceptant  la  succession 
des  industi-ies  presque  indépendamment  des  conditions  géogra- 
phiques. Il  en  est  résulté  qu'à  leurs  yeux,  toutes  les  civilisations 
se  sont  fondues  dans  une  évolution  générale  alîectant  non  seule- 
ment l'Occident  européen;  mais  aussi,  et  pour  beaucoup,  le  monde 
entier,  et  que,  non  contents  de  généraliser  leurs  conclusions,  ils 
leur  ont  aussi  accordé  une  portée  chronologique. 

Il  n'est  pas  besoin  d'insister  sur  l'exagération  de  telles  idées 
et  sur  les  fâcheux  résultats  aux(|uels  elle  conduit.  Toute  super- 
position stratigraphique  constitue  dès  lors  deux  âges  au  moins; 
et  dès  le  terme  d'époques  lancé,   il  devient  la  base  de   nouvelles 


CIVILISATION    AU    COURS    DES    DERNIERS    TEMPS    GLACIAIRES  1 39 

spéculations  Imaginatives.  Ces  spéculations  sont  contraires  à 
toute  méthode  scientifique. 

Si  la  chronologie  a  été  poussée  trop  loin,  absorbant  tout,  il  ne 
faudrait  pas,  par  réaction,  tomber  dans  l'excès  contraire  et  exa- 
gérer le  synchronisme  au  point  de  croire  toutes  les  industries 
contemporaines;  il  est  un  juste  milieu  que  seule  l'observation 
réfléchie  peut  atteindre. 

J'ai  exposé  les  raisons  qui  me  portent  à  penser  que  l'industrie 
paléolithique,  née  peut-être  dans  les  régions  méditerranéennes 
orientales,  et  même  possiblement  plus  loin,  vers  l'est,  s'est  pro- 
pagée dans  le  centre  et  l'occident  de  l'Europe  aux  temps  inter- 
glaciaires; j'ai  montré,  également,  que  le  type  moustérien,  con- 
temporain du  chelléen,  paraît  avoir  pris  naissance  dans  le 
cheiléen  lui-même,  sur  un  ou  plusieurs  points,  d'où  il  se  serait 
propagé  ;  que  le  Moustérien  ne  correspond  qu'à  des  besoins 
spéciaux  des  Chelléens  et  Acheuléens. 

Mais  en  même  temps  que  les  besoins  ayant  donné  naissance 
au  Moustérien  se  faisaient  sentir,  cette  industrie  se  transportait; 
sans  que,  forcément,  elle  fut  accompagnée  par  celles  au  milieu 
desquelles  elle  était  née. 

L'un  des  exemples  les  plus  frappants  de  cette  migration  est 
offert  par  l'Italie  où  Faire  d'habitat  du  type  moustérien  est  com- 
plètement différente  de  celle  de  l'instrument  amygdaloïde.  Pigo- 
rini  pense,  avec  juste  raison  selon  moi,  que  le  Moustérien  est  dû 
dans  son  pays  à  des  influences  extérieures. 

En  France,  au  contraire,  comme  dans  la  Belgique  et  l'Angle- 
terre méridionale,  la  coexistence  presque  générale  des  deux  types 
dans  les  alluvions.  comme  dans  les  cavernes,  ne  peut  être  inter- 
prétée qu'en  faveur  du  développement  sur  place  de  l'industrie  la 
plus  affinée,  simultanément  avec  la  plus  grossière. 

Je  ne  conclurai  certainement  pas  de  même  en  parlant  du  solu- 
tréen, civilisation  locale  des  steppes,  circonscrite  à  des  territoires 
peu  étendus  et  dont  l'importance  est  secondaire  ;  tandis  que 
l'aurignacien,  qui  la  précédé,  se  rencontrant  dans  des  régions 
fort  éloignées  les  unes  des  autres,  sans  lien  commun,  sans  parenté 
possible  de  races,  ne  peut  être  regardé  que  comme  un  groupe 
d'industries  indépendantes  entre  elles,  géographiquement  et 
chronologiquement. 

Le  magdalénien  semble  faire   époque,  ou   du  moins  dominer 


4/iO  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

par  son  importance  toute  une  période.  Déjà  la  civilisation  archéo- 
lithique  antérieure  avait,  en  se  développant,  produit  un  grand 
nombre  de  types,  multiples  comme  l'étaient  les  tribus  elles- 
mêmes  qui,  à  cette  époque,  peuplaient  l'occident  de  l'Europe;  car 
malgré  les  superpositions  apparentes,  on  ne  peut  s'empêcher  de 
voir  dans  la  plupart  des  industries,  depuis  l'aurignacien  (pré-solu- 
tréen) jusqu'au  campignien,  des  évolutions  pour  la  plupart  paral- 
lèles et  simultanées. 

Certainement  toutes  ne  sont  pas  contemporaines,  quelques- 
unes  sont  demeurées  homogènes,  pendant  de  longues  périodes, 
alors  que  d'autres,  s'améliorant  plus  rapidement,  ont  connu  des 
variations;  mais  il  est  bien  difficile,  dans  l'état  actuel  de  nos  obser- 
vations, d'assigner  à  chaque  civilisation  sa  place  dans  le  temps  et 
dans  l'espace.  Nous  n'en  pouvons  juger  que  par  ce  que  nous 
apprennent  l'histoire  et  l'ethnographie  en  ce  qui  concerne  les 
temps  voisins  de  nous.  On  constate  à  ces  époques  une  extrême 
variété  dans  les  civilisations  suivant  les  pays  et  les  peuples. 

On  remarquera  que  là  où  se  trouve  la  civilisation  des  kjœkken- 
mœddingsou  le  campignien,  le  magdalénien  fait  presque  toujours 
défaut;  et  que  s'il  existe  de  très  rares  mélanges,  ce  n'est  que  sur 
les  confins  de  l'aire  de  chacune  de  ces  industries.  En  Danemark, 
le  magdalénien  ;  manque,  il  en  est  de  même  en  Allemagne  du 
Nord,  en  Picardie,  en  Normandie,  en  Italie,  pays  où  le  campi- 
gnien est  très  largement  représenté;  tandis  qu'au  Périgord,  dans 
les  Pyrénées,  il  ne  se  montre  pas. 

Il  résulte  de  cette  constatation  que  ces  civilisations  ne  peuvent 
être  déclarées  successives  ;  puisqu'elles  n'aflectent  pas  les  mêmes 
pays  ;  qu'elles  sont  étrangères  les  unes  aux  autres  et  peut-être 
presque  contemporaines.  Dans  les  pays  retirés  comme  le  ^lassif 
Central  et  les  Pyrénées,  l'industrie,  se  développant  lentement  sur 
place,  serait  restée  sensiblement  semblable  à  elle-même  ;  tandis 
que,  dans  les  régions  plus  riches  et  plus  ouvertes,  elle  aurait  pris 
un  rapide  essor  et  bénéficié  d'influences  extérieures. 

Dans  les  pays  demeurés  en  retard,  la  pierre  polie  a  succédé 
directement  à  l'industrie  magdalénienne;  pour  ces  régions  existe 
l'hiatus  dont  on  a  tant  parlé,  lacune  fictive  ne  reposant  que  sur 
une  fausse  interprétation  des  faits.  Dans  d'autres  régions,  la 
pierre  polie  est  arrivée,  soit  par  invasion,  soit  par  influence, 
dans  des  milieux  mieux  préparés  à  la  recevoir. 


CIVILISATION    AU    COURS    DES    DERNIERS    TEMPS    GLACIAIRES  1 VI 

Cette  grande  variété  dans  les  civilisations,  peut-être  devons- 
nous  l'attribuer,  pour  une  grande  part,  à  des  influences  exté- 
rieures, à  des  invasions  ;  peut-être  n'est-elle  due  qu'à  des  diffé- 
rences de  milieux,  de  climat  dans  les  districts  divers. 

S'appuyer,  pour  établir  une  classification,  sur  les  conditions 
météorologiques,  chaudes,  froides,  sèches  ou  humides,  est  sup- 
poser le  même  climat  pour  tous  les  lieux  ;  se  baser  sur  la  faune 
est  méconnaître  l'existence  des  provinces  zoologiques. 

On  a  créé  des  époques  hippienne  et  iarandienne;  comme  si  les 
plaines  bourguignonnes  n'eussent  pu  être  habitées  de  préférence 
par  les  équidés;  tandis  qu'en  d'autres  régions,  à  la  même  époque, 
le  renne  était  prépondérant.  On  ne  doit  pas  oublier  que  presque 
toutes  les  espèces  pléistocènes  de  nos  régions  ont  vécu  côte  à 
côte  pendant  toute  la  durée  de  cette  période  et  que,  dans  toute 
faune,  les  divers  éléments  ont  des  habitats  préférés.  Ainsi,  de 
nos  jours,  le  renne  est  caractéristique  en  Laponie ,  le  cheval 
dans  les  Pampas,  le  bœuf  musqué  dans  le  nord  du  Canada  et  le 
Groenland,  l'éléphant  dans  l'Afrique  équatoriale,  l'Inde  et  l'Indo- 
Chine. 

La  fin  de  l'état  mésolithique  correspond  au  passage  de  l'ère 
glaciaire  ancienne  à  l'ère  glaciaire  moderne  ;  car  il  ne  faut  pas  se 
le  dissimuler,  et  d'ailleurs  je  l'ai  déjà  fait  observer,  les  temps 
actuels  ne  sont  que  la  continuation  naturelle  du  pléistocène,  et  le 
climat,  la  flore  et  la  faune  se  modifient  encore  sous  nos  yeux,  don- 
nant lieu  à  des  industries  nouvelles 

Le  renne  vivait  en  Danemark  au  temps  des  kjœkkenmœddings. 
Savons-nous  s'il  n'existait  pas  encore,  à  l'état  sporadique,  dans 
les  montagnes  du  centre  et  du  sud-ouest  de  la  France,  au  temps 
où  se  développait  dans  les  pays  plats  du  Nord  l'industrie  campi- 
o-nienne?  On  objectera  que  les  Campigniens  et  les  hommes  des 
kjœkkenmœdings  connaissaient  la  poterie,  tandis  que  les  Magda- 
léniens l'ignoraient;  mais  ne  savons-nous  pas  qu'en  Australie,  à 
une  même  époque  bien  rapprochée  de  nous,  certaines  peuplades 
fabriquaient  des  vases  de  terre;  alors  que  d'autres,  leurs  voisines, 
ne  possédaient  aucune  notion  de  cet  art? 

La  disparition  des  glaciers,  certaines  oscillations  de  la  croûte 
terrestre  ont,  à  la  fin  du  pléistocène,  complètement  modifié  les 
conditions  de  la  vie  sur  le  globe.  L'aire  habitable  s'est  restreinte 
par  places,   étendue   dans    d'autres.  Il   en   est  résulté  de  grands 


llyl  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

mouvements  dans  les  peuples  :  l'Orient  s'est  mêlé  à  l'Occident, 
les  diverses  tribus  se  sont  parfois  communiqué  leurs  progrès  les 
unes  aux  autres;  mais  enfin,  la  civilisation  la  plus  avancée,  la 
mieux  armée,  étouffant  les  cultures  inférieures,  l'état  néolithique 
s'est  établi  peu  à  peu  dans  toute  l'Europe. 


CHAPITRE  VI 


L'homme   à  l'état  néolithique. 


Avec  l'état  néolithique,  l'humanité  entre  dans  une  nouvelle 
phase  de  son  évolution  qui,  pour  bien  des  peuples,  s'étendra 
jusqu'aux  temps  modernes.  Tous  les  pays  ont  connu  cette  civili- 
sation; mais  alors  que,  chez  les  uns,  elle  ne  fut  que  de  courte 
durée,  elle  comprit  pour  d'autres  toute  la  vie  post-pléistocène. 

Ses  débuts  ne  furent  sûrement  pas  contemporains  dans  toutes 
les  régions.  S'épanouissant  rapidement  dans  quelques  centres, 
elle  rayonna  ;  et  son  mouvement  d'expansion  n'était  pas  encore 
complètement  accompli,  que  déjà  les  métaux  faisant  leur  appari- 
tion parmi  quelques  peuplades,  les  préparaient  à  l'ère  histo- 
rique. 

Nous  ne  possédons  aucun  moyen  scientifique  d'établir,  pour 
cette  époque,  l'état  de  culture  du  monde  entier  ;  mais  tout  porte 
à  croire  que  ses  diverses  parties  présentaient  au  moins  une  aussi 
grande  variété  dans  la  civilisation  de  la  pierre,  que  lors  des 
grandes  découvertes  des  navigateurs  de  la  Renaissance  et  des 
siècles  qui  la  suivirent. 

Il  serait  bien  difficile,  en  présence  d'une  telle  multitude  de 
mœurs  et  d'industries  diverses,  d'une  période  de  si  longue  durée, 
d'exposer  en  détails  les  divers  caractères  de  la  civilisation  néo- 
lithique. Ils  varient  suivant  les  temps  et  les  lieux;  très  souvent 
aussi  se  confondent,  soit  avec  ceux  des  industries  moins  perfec- 
tionnées, soit  avec  l'état  métallurgique  qui,  d'après  l'évolution  nor- 
male, ne  devait  les  remplacer  que  peu  à  peu. 


illll  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Je  serai  donc  obligé  de  m'en  tenir,  dans  ce  chapitre,  à  l'Eu- 
rope et  aux  pays  méditerranéens  seulement  ;  me  réservant  de 
parler,  au  cours  de  mon  travail,  des  civilisations  néolithiques  dans 
les  autres  parties  du  monde,  au  fur  et  à  mesure  qu'elles  se  pré- 
senteront, correspondant  à  une  phase  historique. 

Dans  nos  pays,  bien  que  profitant  des  notions  déjà  acquises 
indépendamment  de  lui,  le  néolithique  apporta  dans  la  civili- 
sation des  idées  nouvelles  ;  dans  l'industrie,  des  procédés  et  des 
instruments  inusités  jusqu'alors. 

Nous  avons  vu  que  les  hommes  des  kjœkkenmœddings  et  les 
Campigniens,  c'est-à-dire  ceux  qui,  tout  en  vivant  à  l'état  mésoli- 
thique, étaient  les  plus  avancés,  construisaient  des  habitations, 
creusaient  des  canots  sur  lesquels  ils  s'aventuraient  en  mer  (1), 
fabriquaient  de  la  poterie;  et  nous  avons  supposé  que,  peut-être 
d'ailleurs  comme  les  Magdaléniens,  ils  avaient  des  animaux 
domestiques. 

Nous  ignorons  si  les  Mésolithiques  connaissaient  l'usage  des 
plantes  textiles,  s'ils  étaient  agriculteurs  (2),  s'ils  possédaient  des 
croyances  religieuses  ou  superstitieuses;  bien  que  le  fait  soit  liés 
probable,  d'après  ce  que  nous  avons  remarqué  au  sujet  de  la 
sépulture  dans  les  temps  pléistocénes. 

Avec  l'arrivée  du  néolithique,  nous  voyons  apparaître  le  polis- 
sage de  la  pierre,  l'emploi  des  roches  dures  pour  la  confeclion 
des  armes  et  des  outils  polis,  l'usage  d'une  pointe  de  flèche  spé- 
ciale très  caractéristique,  une  céramique  abondante  (3),  la  ciillure 
des  céréales  (/i)  et  des  plantes  textiles  (5),  le  tissage  (6),  l'éle'.age 
du  bétail  (7)  ;  la  construction,  non  seulement  de  huttes  sur  le 
sol,  mais  de  véritables  villages  sur  l'eau. 

(1)  Presijue  toutes  les  iles  de  nos  mers  du  découvertes  de  céramique  néolitliiquc  dans 
Nord  ont  été  occupées  dès  les   temps  néoli-        l'Europe  centrale. 

tliiques,  beaucoup  l'ont  été  avant.  (4)  Céréales  de  Suisse  à  l'époque    drs  cités 

(2)  E.  Piette  (les  Plantes  cultivées  au  Mas  lacustres:  Trilicum  vuUjnve  (Willt  Vat  anli- 
d'Azil,  ds  l Anthropologie,  t.  VII,  n°  1)  a  quorum  (Heer)  =  ïromenl.  T.  dicoccum  'SvUvf.) 
cherché  à  établir  que,  dès  l'étal  archéoli-  =  épeautre,  T.  honococcum  (L.)  =  IVoinent, 
tliique,  certains  habitants  de  nos  pays  étaient  Ilordeuin  hexaslichon  [L.)—  orge  à  sîa  langs, 
cultivateurs  et  planteurs;  mais  rien  ne  prouve  H.  disticlium  (L.)  =  orge  à  deux  ranys.  — 
que  les  graines  et  les  fruits, dont  il  a  retrouvé  Cf.  Heer,  Plunzen  der  Pfnhlbuulen.  Zurich, 
les  traces,  n'aient  pas  été  recueillis  sur  des  1865. 

plantes  sauvages.  (5)  La   seule   plante   te.-stile    connue  était   : 

(3)  Sur  la  céramique  de  l'époque  néoli-  Linum  usitalissimum  (L.)  =  lin,  non  [)as  le 
thique  en  Allemagne,  Cf.  A.  Schliz,  Heil-  lin  actuel,  mais  une  variété  à  feirillr  (  troite 
bronn.  Der  Schnurkeramische  Kulturkreis  spontanée  et  indigène  dans  le  bassin  de  la 
und    seine  Stellung  zu  den  andcren  neolithis-  Méditerranée. 

clien    Kulturformen    in   Sudwestdeutschiand,  (G)  La  laine  ni  le   chanvre  n'étaient    encore 

in  Zellschrift  f.  Ethnologie.  Berlin,  1906,   Hcft,  employés,  seul  le  lin  était  lissé. 

111,  p.  312  et  la  carte  {id.,  pi.  VI),  sur  laquelle  (7)    Les  animau.v    domestiques    dont     on   a 

l'auteur   a    soigneusement   pointé   toutes   les  retrouvé   les    ossements    dans    les   palafittes 


L'HOMME    A    L'KTAT    NKOLITHIOUE 


l/i5 


Les  idées  religieuses  (I)  se  dessinent;  nous  en  trouvons  des 
traces  spécialement  dans  la  sépullure  qu'on  donne  aux  morts  (2). 
L'architecture  commence  avec  les  dolmens  et  les  pierres  levées  (3). 
L'industrie   se   développe  ;  on  creuse  de  véritables   mines   pour 


J^Jr3'"'T-i"      ..  „;f,/;-)R   faible  cifiip/uurff^ 


Climat  actuel  de  l'ancien  Monde. 


extraire  du  sol  le  silex  (/i),  matière  première  indispensable,  qui 
devient  l'objet  d'un  commerce  très  étendu.  De  vastes  ateliers  se 


sont  (d'après  Rulimeyer)  :  le  chien,  le  cheval, 
le  porc,  la  chèvre,  le  mouton,  le  bœuf. 

(1)  Divinités?  figurées  dans  les  grottes  de 
la  Marne  ;  crânes  perforés  et  trépanés. 

(2)  Cavernes  funéraires  naturelles,  cryptes 
artificielles  sépulcrales.  (Cf.  Cartailhac,  la 
France  préhistorique,  2°  édit.,  1896.  —  B"»  de 
Baye,  Archéol.  préhisl.  Paris,  1879  et  1889.) 
Des  indices  certains  d'incinération  ont  été 
retrouvés  dans  la  Marne  (B""  de  Baye),  en 
Bretagne  (F.  du  Châlellier),  dans  l'Aisne 
(Pilloy),  en  Suisse  (Morel-Fatio),  etc..  On  se 
trouverait  donc  en  présence  de  deu."c  rites 
funéraires  très  distincts,  l'inhumation  et  la 
crémation,  impliquant  des  idées  différentes 
chez  des  populations  qui,  cependant,  vivaient 
confondues;  ou,  comme  le  pense  Pigorini,  en 


face  de  l'usage  encore  en  vigueur  chez  bien 
des  peuples  sauvages  de  décharner  le  ca- 
davre avant  de  confier  les  os  à  la  terre. 

(3)  On  a  pensé  que  l'homme  à  l'étal  néoli- 
thique, celui  qui  construisit  les  dolmens, 
connaissait  l'usage  de  l'écriture.  (Cf.  Cu.  Le- 
TOURNEAU,  les  Signes  alphabéliformes  des  ins- 
criptions mégalithiques,  ds  Bull.  Soc.  Anlhrop. 
de  Paris,  t.  IV,  série  IV,  n»  2,  15  mars  1893, 
p.  28.)  Mais  cette  opinion,  contraire  d'ailleurs 
à  toute  vraisemblance,  a  été  réfutée  par 
Hervé  et  A.  et  G.  de  Mortillel  {id.,  p.  39  sq.). 

(4)  Bas  Meudon  (Seine),  Petit  Morin  (Marne), 
Noinlel  (Oise),  Mui  de  Barrez  (Aveyron, 
Spiennes(Belgiqne),  Cissbury  (.\ngleterre),  en 
Haute-Egypte,  etc. .. 


10 


U6 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


créent   pour  alimenter    l'exportation  de  la   pierre  (i)  ;    Thomme 
protège  ses  agglomérations  au  moyen  d'enceintes  fortifiées  (2). 

Les  arts  glyptiques  disparaissent  sans  laisser,  en  Europe,  la 
moindre  trace.  La  figuration  des  animaux,  de  l'homme,  de  la  na- 
ture, en  un  mot,  est  oubliée  ;  et  fait  place  à  de  grossières  orne- 
mentations géométriques  (3),  à  des  représentations  d'armes  (Zi), 
indignes  de  la  perfection  qu'atteint  la  taille  de  la  pierre.  En 
Egypte  (5),   en  Scandinavie  (6),  le  silex   se  transforme  en  véri- 


Figurcs  tracées  sur  une 
des  dalles  de  la  cham- 
bre du  lumulus  de 
Mané-Lud,  à  Locma- 
riaker  (Morbihan). 


"'jjiiiiiiiiiiii'"''^ 
JT 


\ 


iujjjj>^  lliiiimil J- 


Représentation  pictographi- 
que, sur  un  rocher  à  Skeb- 
bervall  (Bohiisland,  Suède). 


tables  œuvres  d'art,  sous  forme  de  couteaux,  de  poignards,  de  têtes 
de  javelots  et  de  lances,  de  pointes  de  fièches,  etc.;  et  dans  la 
vallée  du  Nil,  dans  les  pays  élamites,  en  Syrie  (7),  la  poterie 
peinte  se  montre,  semblant  n'être  que  la  survivance  d'aptitudes 
artistiques  de  races  antérieures. 

Mais,  suivant  les  régions,  il  s'établit  une  foule  de  foyers  dans 
cette  civilisation  même.  Les  types  des  instruments  diffèrent  (8) 
très   sensiblement  d'un  pays  à  un  autre  ;  au  point  que,  pour  un 


(1)  Grand -Pressigny,  Preuilly  (Indreel- 
Loire),  Spiennes  (Belgique). 

(2)  Sur  les  enceintes  préhistoriques",  Cf. 
A.  GuÉBHARD,  //'  Congrès  préhisl.  de  Vannes, 
1906  (le  Mans,  1907),  p.  157  sq.  ;  Soc.  préhisl.  de 
France,  28  mars  r,t07  ;  id..  2.î  avril  1907.  — 
XXXVI'  Congrès  (Reims,  lOOC}  de  fAss.  Fr.  p. 
l'Av.  sciences.  —  liull.  (25'-2fi')  de  la  sect.  des 
Alpes  Maritimes  du  Club  Alpin  Français.  Nice, 
1907. 

(3)  Poteries  des  cités  lacustres  et  des  né- 
cropoles néolithiques,  sculptures  sur  les 
dalles  des  dolmens  (allée  couverte  de  Ga- 
vr'inis).  Cf.  G.  cl  A.  de  Mortillet,  Mus.  pré- 
JiisL,  mi,  pi.  LV  et  LVI. 


(4j  Haches  sculptées  sur  les  monuments 
funéraires  de  la  Bretagne,  dans  les  cryptes 
de  la  Marne. 

(5)  J  DE  Morgan,  Reclierches  sur  tes  Origines 
de  l'Egypte,  2  vol..  1896-1897. 

(6)  Cf.  s.  MilLLER.  Nordiske  Forlidschminder. 
KjObenhavn,  18901903. 

(7)  Dernières  découvertes  de  J.  Garstang 
dans  les  tells  de  l'Euphrate  mnyen  au.\  en\'i- 
rons  d'Adana. 

(8)  Cf.  Hans  Hildebrand,  .Sur  la  subdivision 
du  nord  de  l'Europe  en  provinces  archéolo- 
giques pour  l'ùge  de  la  pierre  polie,  in  Congrès 
de  Bruxelles,  pp.  479-485. 


lhommf:  a  l'ktat  M'OLithique 


u: 


ethnologue  accoutumé  à  manier  des  objets  néolithiques,  il  est  aisé 
de  distinguer  à  première  vue  la  provenance  de  chacun  d'eux. 

L'origine,  étrangère  à  nos  régions,  de  la  civilisation  néolithique 
ne  fait  plus  aujourd'hui  de  doutes.  Cette  industrie  est  venue 
d'autres  pays  ;  que  ce  soit  par  le  Nord,  l'Orient  (1)  ou  le  Midi, 
nous  ne  le  saurions  préciser  pour  l'instant  ;  mais  le  fait  d'une 
invasion  brutale  ou  d(^  l'expansion  d'une  influence,  dans  nos 
régions,  est  accepté  par  tous  les  palethnologues.  On  serait  même 
tenté  de  l'attribuer  aux  peuples  venus  de  Sibérie,  lors  de  leur 
désertion  (2)  devant  le  froid  ;  et,  par  suite,  de  la  rattacher  au 
grand  ensemble   des   migra- 


tions  indo-européennes. 

On  a  vu,  d'après  l'exposé 
que  je  donnais  au  précédent 
chapitre,  combien  les  popu- 
lations de  l'Europe  occiden- 
tale étaient  déjà  mélangées 
vers  la  fin  de  la  phase  méso- 
lithique. C'est  dans  ce  milieu, 
déjà  si  compliqué,  que  s'im- 
plantèrent les  coutumes  étrangères  ;  et  elles  étaient  elles-mêmes 
bien  complexes,  par  suite  du  grand  nombre  de  tribus  nouvelles 
qui  entrèrent  alors  en  scène. 

Dans  bien  des  pays,  l'innovation  semble  avoir  été  acceptée 
sans  résistance;  car  les  dernières  industries  mésolithiques  j)arais- 
sent  s'être  laissé  influencer  par  l'approche  du  néolithique  (3)  ; 
mais  dans  d'autres,  où  la  transition  est  brusque,  il  semble  qu'il  y 
ait  eu  renvoi,  destruction  ou  absorption  immédiate  des  tribus 
anciennes  par  des  nouveaux  venus.  Ceci  expliquerait  la  disparition 
complète  en  Europe  des  arts  archéolitliiques. 

Si  le  milieu  recevant  était  compliqué,  le  flot  civilisateur  ne  l'était 
certes  pas  moins.   11  y  eut  sûrement  plusieurs  courants  (jui,   ne 


Représentations  pictographiques  des  ro- 
chers de  l'Irtych,  d'après  Spasskv,  Inscr. 
Siberiœ. 


(1)  La  civilisation  néoliliiique  de  la  Sibérie 
orientale  est  remarquable  par  l'abondance  des 
haches  en  néphrite  et  par  la  finesse  de  taille 
de  ses  pointes  de  flèches;  elle  ne  possède  pas 
de  monuments  sépulcraux,  les  animaux  do- 
mestiques ne  s'y  rencontrent  pas  encore.  Elle 
connaît  la  poterie  grossière,  l'os  travaillé  en 
harpons,  aiguilles,  poinçons,  etc.  fCf.  fiap.  s. 
les  foiiillex  des  tomb.  de  l'àye  de  la  pierre  ds  le 
Gouv.  d'Irkutsk,  par  Vitkovsky,  1883.) 

(2)  La    dépopulation    de    la    Sibérie   a   été 


telle  qu'aujourd'hui  encore,  malgré  la  coloni- 
sation russe,  ce  pays  ne  renferme,  villes 
comprises,  qu'un  habitant  par  4  kilomètres 
carrés.  Si  l'on  fait  abstraction  de  la  popula- 
tion des  villes,  presque  entièrement  euro- 
péenne, la  moyenne  tombe  à  0.1  par  kilomètre 
po\u-  certains  districts  et  à  0,02  pour  d'autres; 
enfin  beaucoup  sont  complètement  déserts. 

(3)  Dans  les  kjoekkenmœddingsdu  Portugal 
entre  autres,  l'industrie  campignienne  se 
trouve  mélangée  d'objets  polis. 


j/l8  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

touchant  pas  les  mêmes  pays,  se  recouvrirent  et  se  croisèrent 
parfois,  laissant  entre  eux  des  espaces  indemnes  de  leur  action 
directe.  Il  semble  certain,  en  effet,  que  ce  ne  sont  pas  les  mêmes 
hommes  qui  élevèrent  les  monuments  mégalithiques  et  bâtirent 
les  villages  lacustres;  que  les  divers  types  d'industrie  néolithique 
répondant  à  des  tendances  différentes,  représentent  une  grande 
variété  dans  le  degré  de  civilisation  des  hordes  envahissantes, 
ainsi  que  dans  l'époque  de  leur  venue. 

La  hache  polie  du  nord  de  la  France,  avec  ses  côtés  arron- 
dis (1);  celle  du  Danemark,  avec  ses  bords  anguleux  (2)  ;  celle 
des  palafittes,  simplement  polie  sur  le  tranchant  (3);  celle  d'Italie, 
avec  sa  large  rainure  (/i),  ne  sont  certainement  pas  issues  des 
mêmes  principes. 

Mais  ces  unités,  ces  tribus,  qui  nous  dira  jamais  leur  nom, 
leur  parenté  entre  elles,  la  voie  qu'elles  ont  suivie,  les  pays  où 
elles  se  sont  principalement  tixées,  leur  lieu  précis  d'origine  ? 
C'est  à  peine  si  nous  pouvons  deviner  leur  existence  ! 

En  se  généralisant,  le  problème  devient  plus  insoluble  encore. 
Est-ce  d'un  même  centre  qu'a  rayonné  ce  progrès  pour  se  répan- 
dre dans  le  monde  entier  ?  La  hache  caraïbe  a-t-elle  quelque 
parenté,  même  très  éloignée,  avec  celles  du  Danemark,  de 
rÉgy[)te  et  de  la  Polynésie  (5)  ?  Certainement  non.  Force  nous  est 
donc  d'admettre  la  pluralité  des  foyers  néolithiques. 

Inutile,  pour  le  moment,  de  chercher  à  percer  ce  mystère  ;  nos 
observations  sont  encore  insuffisantes  ;  car,  si  nous  constatons 
l'existence  du  néolithique  sur  presque  tous  les  points  du  globe, 
nous  sommes  encore  loin  d'avoir  étudié  l'évolution  de  la  pierre 
polie  dans  chaque  région;  et  c'est  seulement  de  ces  monographies 
qu'il  sera  possible,  un  jour,  de  déduire  les  lois  d'ensemble. 

Toutefois,  pour  quelques  rares  contrées,  mieux  explorées  que 
d'autres,  il  est  permis  d'établir,  dès  maintenant,  des  subdivisions 
dans  la  culture  locale  néolithique. 

Dans  les  pays  Scandinaves  (6),  on  constate  :  1°  l'existence  d'une 

(1)   Cf.    G.    et   A.    DE    MonTU.LET,   le  Musée  triiments   des    divers    Étals  européens.    (Cf. 

preVîisfor/que,  1881,  n"  446  (Vendée);  422  (Seine-  Hermann,    Die    Sleinartefakte  der  Australie!' 

et-Oise);  428  {id.)\  460  (Morbihan).  und  Tasmanier,  in  Zeilsch.  f  Ethnoloy.,  Berlin, 

(2) /d.,  n°  454  (Danemark).  1908,  p.    40tk   forme  éolitliique  (fig.    1,  p.  410), 

(3)  Id.,  n"  451  (lac  de  Bienne);  430  (Alpes-  f.  paléolithique  (f.  4,  p.  417),  f.  solutréenne 
Maritimes).  (f.  3,  p.  415,  fig.  5,  p.  417),   f.   magdalénienne 

(4)  Musée  Kircher  à  Rome.  (f.  7,  p.  419),  etc. 

(5)  En  Australie  et  en  Tasmanie,  l'indusliie  (6)  Cf.  Montelius-Reinach,  Temps  préhislo- 
néolilhique  récente  offre  tous  les  types  d'ins- 


L'IlOMMl-:    A    LKTAT    iNK OLlTlllOUE  1/|9 

industrie  dans  laquelle  la  liache  est  entièrement  polie,  ou  polie 
seulement  sur  son  tranchant;  2°  l'apparition  de  la  hache  percée 
ou  hache-marteau  (1),  dénotant  une  habileté  consommée  dans  le 
travail  de  la  pierre  ;  3°  l'établissement  d'une  phase  de  transition, 
répondant  à  l'apparition  du  métal  (énéolithique). 

En  Espagne  (2),  on  distingue  trois  époques  :  i°  une  industrie 
locale,  d'aspect  archaïque,  avec  quelques  objets  polis,  importés, 
répondant  à  l'épocjue  des  kjo'kkenmœddings  portugais,  mais  pas 
à  celle  de  la  civilisation  analogue  en  Scandinavie;  2"  le  plein  déve- 
loppement dans  le  travail  de  la  pierre  polie  et  dans  la  poterie 
ornée  ;  cette  industrie  rappelant  beaucoup  celle  des  deux  pre- 
mières villes  d'Hissarlik;  3"  l'apogée  dans  la  taille  du  silex  et  le 
commencement  des  métaux. 

En  Suisse  (3),  l'industrie  lacustre  comprend  trois  périodes  suc- 
cessives :  1''  Celle  des  haches,  petites,  à  peine  polies  et  fabriquées 
en  roches  indigènes  (!i)  ;  les  os  sont  alors  travaillés  d'une  façon 
rudimentaire  et  la  poterie,  grossière,  n'est  pas  ornée  ;  2"  Celle 
des  haches  plus  grandes,  simples  ou  perforées,  de  matière  (5) 
souvent  étrangère  à  la  Suisse;  la  poterie  moins  grossière  est  très 
simplement  ornée  ;  3"  Les  haches-marteaux  perforées  abondent, 
le  travail  de  la  pierre,  de  l'os,  de  la  corne  est  à  son  apogée  ;  on 
ne  voit  plus  de  roches  étrangères.  La  poterie  s'orne  de  plus  en 
plus;  le  métal  fait  son  apparition. 

En  Italie  (6),  où  l'on  ne  rencontre  jamais  de  haches  polies  en 
silex,  où  toutes  sont  façonnées  dans  des  roches  dures,  il  semble 
que  deux  courants  néolithiques  se  soient  réunis  :  l'un  venant  du 
Jura  et  de  la  Suisse,  traversant  les  Alpes,  serait  descendu  dans 
les  vallées  du  Pô  et  du  Tessin,  sans  dépasser  le  Pô  ;  l'autre,  arri- 
vant du  bassin  du  Danube  par  l'Istrie,  l'Emilie  et  la  Vénétie,  se 
serait  avancé,  en  longeant  les  côtes  adriatiques,  jusque  dans 
l'Apulie  (7). 

En  France  (8),  il  semble  que  nous  devons  adopter  trois  divi- 


riquex  en  Suède,  1895.  —  Sophus  Muller,  S;/n/.  (7)  Les  Cyclades  étaient  très  peu  habitées 

préhist.  du  Dimemark.  à    l'époque  néolithique.  (R.  Dussaud,  Fouilles 

(1)  Cf.     G.    et    A.    DE    MoRTiLLET,    Musre  récentes  dans    l(;s  Cyclades  et  en   Crèle,  ds 
préhisl  ,  1881,  n»'  512,  513,  519.  Bull,    el  Mèm.    Soc.   nnlhrop.,    l"   mars  190i;, 

(2)  Cf.   H.  et  L.  SiRET,  Prem.  Ages  du  mêlai  p.  110.) 

dans  le  sud-est  de  l'Espagne.  Anvers,  1887.  (8)  J.  Déchelette  {Man.    Arcli.  prcliisl.,  \90S, 

(3)  Gosse.  p.  33i)  établit  quatre   divisions  en  se   basant 

(4)  Serpentine,  diorite,  saussurite,  etc..  principalement    sur    le    mode    de    sépulture. 

(5)  Néphrite,  chloromélanite,  jadéite,  etc..  I.  Fosses(.'),  haches  taillées  et  polies  triangu- 

(6)  Pigorini.  Cf.  Musée  Kircher  à  Rome.  laires.  —  II.  Dolmens  simples,  haches  plutôt 


150 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


sions  :  l"  une  industrie  très  voisine  du  campignien;  mais  possé- 
dant la  hache  polie  et  la  tête  de  flèche  (1)  caractéristique  du 
néolithique  ;  2"  celle  de  la  hache-marteau  (2),  correspondant  à 
l'introduction  des  roches  étrangères  et  h  l'apogée  dans  la  taille 
du  silex;  3°  l'apparition  du  métal  concurremment  avec  l'indus- 
trie précédente.  La  poterie  s'améliorant  au  cours  de  ces  trois 
phases. 

En  Egypte,  je  n'ai  reconnu  que  deux  industries  :  celle  de  la 
pierre  polie  pure  (3),  où  le  silex  indigène  fait  seul  tous  les  frais 
de  l'outillage,  et  la  période  énéolithique  (û),  dans  laquelle  le  tra- 
vail du  silex  atteint  son  apogée  (5).  Alors  se  trouvent  en  même 
temps  l'usage  des  roches  dures  et  celui  du  métal  ;  et  la  poterie 
décorée  de  peintures  parvient  à  sa  plus  grande  perfection  (6). 

En  Elam  (7),  on  rencontre  également  deux  phases,  celle  de  la 
hache  polie  du  type  européen,  quoique  plus  plate,  et  l'industrie 
énéolitiiique  (8)  avec  son  admirable  céramique  peinte,  ses  ins- 
truments variés,  ses  haches-marteaux,  ses  pointes  du  type  solu- 
tréen et  ses  armes  métalliques.  La  peinture  céramique  commence 
dès  lors  à  décroître  et,  comme  en  Egypte,  ne  disparaît  que  dans 
les  temj)S  historiques.  Toutefois,  en  ce  qui  concerne  l'Elam,  je  ne 
saurais  affirmer  que  la  première  culture  ne  soit  pas  déjà  en  pos- 
session du  cuivre  (9). 

Là  se  bornent,  à  peu  de  chose  près,  nos  connaissances  sur  la 


rectangulaires  que  triangulaires.  — III.  Allées 
couvertes,  haches  épaisses.  —  IV.  Coffres  tle 
pierre,  haches-marteau.-ç  perforées. 

(l)Cf.  G.  et  A.  DK  MoRTiLi.ET,  Mus.  prvhisl., 
1881,  pi.  XLIII,  n"  368,  370,  375,  377,  383; 
])1.  XLIV,  n'"'  386,  390,  302,  318,  399,  types. 

(-2)  Id.,  pi.  LIV,  n°s514à  517,  types. 

(3)  Dimeh,  'Orn  el'  Atl,  Koni-Achem. 

(4)  Toukh,  Khattara,  El  Amrah,  Zawaidah, 
Gebelein,  Négadah,  Kawamil,  Abydos,  etc.. 

(5)  A  l'époque  néolithique,  la  Syrie  avait  déjà 
très  largement  subi  l'influence  égyptienne. 
Pour  s'en  convaincre,  il  suffît  de  jeter  les  yeu.x 
■sur  les  planches  de  l'ouvrage  de  Zumoffen  (la 
Phénicie  aranl  les  Phéniciens.  Beyrouth,  1900). 
Je  signalerai  entre  autres,  pi.  IX,  figs.  3,  4, 
10  et  11,  représentant  des  types  égyptiens 
purs.  (Les  fig.  7,  8  el  10  montrent  la  survi- 
vance de  l'industrie  caplienne  )  Il  en  est  de 
même  pour  pi.  XI,  figs.  1,  i  el  3  et  pi.  XII. 
fig.  8.  Ces  objets  proviennent  de  Ras  el  Kell>. 

(6)  J.  MoRG.\>,  Bech.  Orig.  Egypte,  2  vol., 
1896-1897.  —  G.  ScHWEiNFURTii.  Rech.  sur 
l'âge  delà  pierre  dans  la  Haute-Egypte.  .A;;;;. 
Seri'.  Aniiq.  Egypte.  VI,  pp.  9-64.  —  II.  W. 
SETTON-K-\rtR,  Discov.  of  a  neolith.  settlement 
in  the  \V.  désert  N.  of  the  Fayoum.  Ann.  Serv. 
Antiq.  Egypte,  VI,  pp.   185  7.  —  Id.,  Flint  im- 


plenients  of  the  Fayum,  Egypt.,  Rep.  U.  ^. 
Nal.  Mus.,  1904,  pp.  747-751,  pi.  .XII.  —  L.  W. 
KiNG  et  II.  R.  Hall,  Egypt  and  Western  Asia 
in  Ihellght  of  récent  discoueries.  Londres,  1907, 
ch.   I,  p.   1  sq. 

(7)  Délégation  scientifique  en  Perse,  Reclierches 
archéologiques,  t.  I,  VII,  VIII.  Mémoire  de 
J.  E.  Gautier  et  G.  Lampre  sur  les  fouilles  à 
Tépeh  Moussian. 

(8)  C'est  en  1908  que  nous  avons  atteint  à 
Suse  les  niveaux  les  plus  anciens.  La  pre- 
mière ville  (énéolithique)  repose  directement 
sur  les  collines  naturelles,  elle  est  recouverte 
par  25  mètres  de  débris  des  époques  posté- 
rieures. 

(9)  Localités  néolithiques  et  énéolithiques 
du  versant  occidental  des  montagnes  per- 
sanes. Hâroun;ibàd  (près  Mahi  Dècht),  Zohab, 
ser-ipoul,  Djeba'i  ben  Rouan,  Tèpèh  Goulàm 
plaine  de  Moussian  (Poucht  è  Kouh),  Tèpèh 
Gourghi  (Balityaris)  —  Quel<|ues  rares  indi- 
cations seulement  permettent  de  conjecturer 
que  le  plateau  iranien  connut  également,  dans 
quelques  districts,  l'état  néolithique.  [Polissoir 
de  Khalil-Dehlil  (Kurdistan  de  Moukri).  — Cf. 
J.  DE  MonGA>,  Miss.  Se.  en  Perse,  t.  IV,  1896. 
Rech.  Arch.,  p.  7,  fig.  9.]  Mais  s'il  fut  habité 
par  des  peuplades  appartenant  à  celte  civili- 


L'HOMME    A    LKTAT    Nr;OI.ITII [QL'H  loi 

division  des  industries  néolithiques  (1).  Les  pays  étudiés  sont 
peu  nombreux;  mais  ce  qu'ils  nous  enseignent  montre  que,  la 
plupart  du  temps,  le  développement  s'est  fait  spécialement  dans 
chaque  région.  Les  différences  ducs  aux  divers  milieux  s'augmen- 
tant  parfois  d'influences  étrangères. 

En  ce  qui  concerne  l'occident  de  l'Europe,  aucun  phénomène 
géologique  ne  semble  avoir  provoqué,  sui-  place,  la  révolution 
qui  s'opère  dans  la  vie  de  l'homme,  lors  de  l'arrivée  du  néoli- 
thique. Le  climat,  s'étant  réchaufTé,  devient  le  même  ({ue  celui  de 
nos  jours;  peut-être  est-il  quelque  peu  plus  humide  et  plus  froid; 
mais  nous  ne  pouvons  attribuer  les  changements  d'industries  à 
des  causes  climatériques  locales. 

De  vastes  forêts  couvrent  alors  toute  l'étendue  de  nos  pays, 
plateaux  entrecoupés  de  vallées  marécageuses  où  se  forme  la 
tourbe.  Ces  dépôts  déjà  commencés,  lors  du  campignien  et  des 
kjœkkenmœddings  danois,  se  poursuivent  dans  les  temps  qui 
suivent.  Les  sommets,  les  plaines,  les  marais  comblés  oiïrent  de 
vastes  prairies  où  abonde  le  gibier  (2),  le  cerf,  le  sanglier,  le 
chevreuil  et  tous  les  animaux  sauvages  de  nos  temps.  Le  chien 
est,  déjà  peut-être,  le  compagnon  de  chasse  de  l'homme  ;  tandis 
que  l'ours  et  le  loup  sont  ses  seuls  ennemis  naturels. 

Construisant  des  habitations,  il  délaisse  la  plupart  des  cavernes, 
les  réservant  pour  y  soustraire  ses  morts  aux  atteintes  des  car- 
nassiers. Quant  aux  troglodytes  d'antan,  que  sont-ils  devenus  ? 
Ont-ils  émigré,  ont-ils  été  exterminés  ou,  se  fondant  avec  l'en- 
vahisseur, ont-ils,  abandonnant  leurs  anciennes  coutumes,  adopté 
la  nouvelle  vie?  Nous  ne  savons. 

Nous  connaissons  assez  bien  l'industrie  et  la  civilisation  des 
peuplades  de  la  fin  de  l'archéolithique  et  du  mésolithique;  mais 
ces  peuplades  elles-mêmes  restent  mystérieuses,  quant  à  leur 
importance,  à  leur  répartition  géographique.  Savons-nous  s'il 
n'existait  pas  d'autres  populations  que  celles  des  chasseurs   de 

salion,  ce  n'était   que   sur   des    points  isolés  Melea  vulyaris,  Miislclla  foina,    M.  martes,  M. 

«t  très  peu   noinlireux.  puloriux,    M.    enninea.    Luira    vuhjaris,    Canis 

(1)  En  Belgique,  M.  Rutot  flivise  le  méso-  lupux,  C.  vuljies,  Felis  calas,  Erinaceas  euro- 
lilhique  et  le  néolithique  en  cinq  phases  :  pxus,  Caslor  fiber,  Sciurus  europasus,  Mus  si/l- 
i°  Tardenoisien  ;  2°  Flénusien  ;  ri»  Campignien  :  ralicus,  Lepus  limidus.  Sus  scrofa.  Sus  puluslris, 
4°  Robenhausien  et  5°  Omalien.  Cf.  Rutot,  Cerrus  aires,  C.  elaphas,  C.  capreolus,  Cnpra 
Esquisse  d'une  classiftcalion  de  l'époque  néoli-  ibex,  C.  hircus,  Anlilope  rupicapra,  Bos  primi- 
Ihique  en  France  el  en  Dehjique,  1907.  genius,  li.  bison.  Taurus  primiyenius,  T.  brachij- 

(2)  Voici  (fl  après  Rulimeyer)  les  principau.x  ceros,  T. /'ron/o.s-».'!,  dont  quelques  espèces,  peul- 
animau.x  sauvages  f|ui  peuplaient  la  Suisse  à  être  domesli(]Uées,  étaient  d'origine  élran— 
l'époque    des    cités    lacustres  :  Ursus   arclos,  gère. 


152  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

rennes  et  de  chevaux,  des  mangeurs  de  coquillages  et  des  cons- 
tructeurs de  huttes  ?  Nous  entrevoyons  certainement  des  mélan- 
ges lors  de  l'arrivée  des  tribus  néolithiques;  mais  la  complication 
n'était-elle  pas  bien  plus  grande  encore  que  nous  ne  le  pensons  ? 

Que  s'était-il  passé  en  Sibérie,  depuis  l'époque  glaciaire  ?  Les 
habitants  (1),  chassés  par  le  froid  toujours  croissant,  avaient 
quitté  leur  pays,  envahi  les  montagnes  et  les  steppes  laissés 
libres,  au  sud  et  à  l'ouest,  par  la  disparition  des  glaciers  et  des 
lacs  ;  ils  s'y  étaient  installés  provisoirement,  pour  continuer  ensuite 
leur  mouvement  vers  des  pays  meilleurs.  Peut-être  devons-nous 
rechercher  dans  cette  gigantesque  migration  l'origine  de  l'arrivée 
des  néolithiques  en  Europe  (2),  celle  des  constructeurs  de  cités 
lacustres,  de  monuments  mégalithiques,  celle  des  hommes  qui 
confièrent  leurs  morts  aux  grottes  sépulcrales  naturelles  ou  arti- 
ficielles, dont  les  idées  religieuses  ont,  dans  nos  régions,  présidé 
à  tant  de  coutumes  nouvelles. 

Partout  où  elle  rencontrait  des  lacs  (3),  la  population  bâtissait 
des  villages  (/j),  se  mettant  ainsi  à  l'abri  de  ses  ennemis.  On  en  fit 
autant  sur  beaucoup  de  marais  et  de  rivières;  mais  alors  que  les 
lacs  nous  en  ont  conservé  les  vestiges,  les  cours  d'eau  les  ont 
emportés  (5)  et  les  marais,  en  se  comblant,  les  ont  recouverts 
d'épaisses  couches  de  vase  ou  de  tourbe.  Là  où  ne  se  rencontraient 
pas  ces  moyens  naturels  de  défense,  le  Néolithique  construisit  des 
villages  de  huttes,  tout  comme  jadis  le  Campignien,  et  les  abords 
en  furent  quelquefois  défendus  par  des  enceintes. 

Cette  coutume  de  bâtir  sur  pilotis  n'a  rien  qui  doive  sur- 
prendre; elle  est  rationnelle  et,  de  nos  jours  encore,  usitée  dans 
bien  des  pays  (6).  Mais  il  est  à  remarquer  que,  dans  nos  contrées, 

(1)  L'origine  commune  des  peuples  de  la  base  d'un  tumulus  des  poteries  décorées 
l'Europe,  de  l'Iran  et  des  Indes,  prouvée  par  qu'il  pense  être  néolithiques,  puis  au-dessus 
la  linguistique,  oblige  à  placer  le  pays  d'ori-  les  vestiges  d'une  civilisation  plus  avancée 
gine  de  cette  famille  dans  une  région  d'où  les  comprenant  des  instruments  métalliques  (Cf. 
migrations   pouvaient  s'effectuer.    C'est  donc  la  Géographie,  t.  X,  t90i,  p.  l'2-2.) 

sur  des  considérations  géographiques  qu'il  (3)  Les  palafitles  abondent  dans  les  lacs  de 
faut  nécessairement  baser  la  recherche  du  la  Suisse,  du  Jura,  de  la  Savoie,  de  la  Haute- 
berceau  de  ces  peuples.  Or,  seule  la  Sibérie  Italie,  de  la  Hongrie,  etc. 
centrale  et  occidentale  résoud  toutes  les  diffi-  (4)  Crannoges  d'Irlande.  Cf.  Cu.  Lyell, 
cultes  du  problème.  On  verra  plus  loin  que  Anliq.  of  Man,  i'  éd.,  1873,  p.  31.  —  W  M. 
bien  des  considérations  tirées  de  la  linguis-  W\ue,  Archœoloijia,  t.  XXXVIII,  1859,  p.  8. — 
tique,  de  l'archéologie  et  de  la  tradition  Mudge,  Archœoloyia,  t.  XXVI. 
viennent  appuyer  cette  opinion.  (5)    Bordeaux    (?)    (C.^rtailhac,    la    France 

(2)  L'étal  néolithique   semble  être  fort  peu  préhisl  ,  1896,  p.  136). 

représenté  en  Sibérie.  (Cf.  A.  Heikel,  An?/»/.  (6)  Amériquedu  Sud,  Polynésie,  Malaisie,  etc. 

de   la  Sibérie   occidentale.    Helsingfors,    18.14.)  L'usage  de  construire   les   habitations  en  les 

,.  Mais  ces  pays  sont  encore  mal  connus.  Près  surélevant   sur    des   pieux  pour    les    tenir   à 

d'Askabad.  R.  Punipelly  a  découvert  (1902)  à  l'abri  de  l'humidité   répond  à  des  nécessités 


L'HOMME    A    L'ÉTAT    iNÉOLITIIlQUE 


153 


elle  est  absolument  spéciale  aux  états  de  la  pierre  polie  et  du  bronze. 

L'apparition  des  dolmens  (1)  semble  coïncider  avec  la  seconde 
phase  néolithique  dans  la  Suisse  et  la  France  ;  car  les  plus  anciens 
de  ces  monuments,  dont  les  mobiliers  datent  de  l'âge  de  la  pierre, 
renferment  des  instruments  en  roches  dures  importées.  Quant  aux 
autres,  ils  sont  énéolithiques,  le  fait  est  certain. 

L'extension  géographique  (2)  des    dolmens  est   immense;  on 


Distribution  géograpliique  des  dolmens. 

les  rencontre  depuis  le  sud  de  la  Scandinavie  jusqu'en  Algérie,  et 
depuis  le  Portugal,  jusqu'aux  Indes  (3)  et  au  Japon  (/j). 


et  ne  peut  être  consifléré  comme  une  survi- 
vance des  palafiltes.On  le  rencontre  en  Malai- 
sie,  en  Polynésie,  aux  Indes  méridionales, 
au  Mazandéran,  au  Ghilan,  en  Mingrélie,  au 
Laristan,  etc..  voire  même  en  Suisse  où  tous 
les  magasins  des  produits  de  la  culture  sont 
surélevés. 

(1)  En  1901,  A.  de  Mortillet  (Rev.  Ec.  Anlhrop., 
t.  XI)  signale  pour  la  France  seulement 
4.226  dolmens  relevés  et  6.192  menhirs.  La  dis- 
tribution maxima  des  dolmens  suit  une  ligne 
droite  tracée  du  déparlement  des  Bouches-du- 
Rhône  jusqu'à  la  pointe  de  la  Bretagne,  tandis 
que  les  menhirs  semblent  être  plutôt  concen- 
trés dans  l'Armorique. 

(2)  Les  principaux  pays  où  se  rencontrent 
des  dolmens  sont  :  aux  Indes,  l'Assam  (pays 
des  Khasias\  Serapoor  (Dekani,  Neilgherries 
(Malabar),  les  pays  du  nord  indien.'  —  En 
Perse,  les  montagnes  bordières  du  nord, 
Tâlyche,  Ghilan,  Mazandéran  —  au  Cau- 
case, le  Kouban,  lAfkhasie.  —En  Syrie,  la 
Palestine.  —  En  Russie,  la  Crimée,  les    envi- 


rons d'Odessa.  —  En  Allemagne,  dans  le 
Hanovre,  entre  l'Oder  et  l'Elbe.  —  En  Hollande 
et  dans  la  Belgique,  où  ils  sont  très  rares.  — 
Dans  le  Holstein,  le  Schleswig;  dans  toutes 
les  lies  danoises  et  la  presqu'île  du  Juthland. 
—  En  Scandinavie  méridionale,  jusqu'en  Ves- 
lergolhland.  —  Dans  toutes  les  îles  Britan- 
niques; dans  tout  l'ouest  de  la  France,  quel- 
ques-uns dans  les  Alpes;  sur  les  côtes  de 
Toscane;  en  Corse;  en  Espagne  et  Portugal 
sur  le  versant  océanien,  dans  les  Algarves, 
en  Andalousie;  en  Afri(iue  où  ils  abondent 
depuis  le  Maroc  jusqu'à  la  Tunisie.  (Cf.  Car- 
TAiLiiAC,  la  France  préliislorique, 'i'  éditilSdii, 
p.  179  sq.; 

(3)  Les  Khasias,  peujjle  habitant  dans  le 
coude  méridional  du  Brahmapoutre,  élèvent 
de  nos  jours  des  monuments  mégalithiques. 
Les  Va/.imbasdeMadagascaren  construisaient 
encore  il  y  a  quelques  siècles,  et  les  Hovas 
en  bâtissent  aujourd'hui  [CA.  GRAyDwiKi\,  lieu, 
elhnoijr..  1886). 

(4)  Les  dolmens  jai)onais  sont  de  date  rela- 


Voli 


LES    PREMIÈRES    CIMLISATIONS 


Tous  ceux,  et  ils  sont  nombreux,  que  j'ai  fouillés  en  Perse  (1), 
sur  les  confins  de  la  mer  Caspienne,  dataient,  au  plus  tôt,  du  pre- 
mier état  du  bronze  dans  ces  pays  ;  il  s'ensuit  que  si  l'usage  de 
construire  de  semblables  édifices  était  venu  d'Asie  orientale  par 
ce  chemin  jusqu'en  Europe,  cette  migration  eût  forcément  intro- 
duit en  même  temps  l'usage  des  métaux,  ce  qui   n'eut  pas  lieu. 

L'hypothèse  d'une  migration  de  l'Europe  vers  le  levant  est 
également  inacceptable;  car  elle  supposerait  que  le  premier  état 
du  bronze  dans  les  pays  caspiens  s'est  trouvé  postérieur  au  même 
état  dans  l'Armorique,  et  ce  ne  peut  être,  la  civilisation  asiatique 
remontant  à  des  âges  bien  plus  reculés  que  celle  de  l'Europe 
occidentale  (2). 

Reste  cà  supposer  que  l'idée  de  construire  ces  vastes  sépultures 
est  née  dans  plusieurs  pays;  et  que,  partie  de  divers  centres  (3), 
elle  a  rayonné  parmi  les  populations  possédant  les  mêmes  con- 
victions sur  la  vie  future  (4).  Les  croyances  seules,  et  non  les 
usages  qui  en  découlent,  auraient,  dans  ce  cas,  fait  l'objet  d'une 
o-rande  migration,  dans  l'ancien  monde  (5).  Cette  solution  semble 
être  la  plus  acceptable. 

L'Amérique  (6),  qui,  certainement  h  partir  du  néolithique,  et 
peut-être  avant,  se  développa  sur  elle-même,  presque  sans  con- 
tact avec  le  reste  du  globe,  parvint   aux   mêmes   idées;  témoin 


tivemenl  très  récente.  M.  Gowland  pense  que 
!es  plus  anciens  remontent  au  deuxième  ou 
au  troisième  siècle  avant  notre  ère  seulement, 
et  les  plus  récents  au  huitième  siècle ap.  J.-C. 
L'usage  de  leur  construction  serait  parvenu  au 
Japon  par  le  sud  de  l'Asie.  Cf.  W.  Gowland, 
The  dolmens  of  Japan  and  their  builders,  in 
Tians.  and  Proc.  of  Ihe  Japan  Soc,  London, 
1897-98,  IV,  pp.  128-183. 

(1)  Cf.  J.  DE  Morgan,  Mi.'ision  scienlifique  en 
Perse,  t.  IV,  1"  partie,  Recherches  archéolo- 
giques, p.  13  sq.—  H.  DE  Morgan,  in  Mémoires 
de  la  Déléijallon  scientifique  en  Perse,  t.  VIII, 
1905,  p.  251  sq. 

(2)  Il  existe  des  dolmens  jusqu'à  l'extrémité 
orientale  de  l'Asie.  Cf.  Marcel  Monnier,  ds  la 
Gconraphie,  t.  I,  1900,  p.  43,  figure  représen- 
tant un  dolmen  à  Kang-ouen-To  (Corée). 

(3)  Docteur  Capitan  et  U.  Du.mas,  les  Cons- 
tructions autour  des  Dolmens,  ds.  Comptes 
rendus  Acad.  inscr.  et  belles  -  lettres ,  1907, 
p.  425  sq. 

(4)  Le  mode  de  sépulture  en  usage  chez  les 
Touaregs  montre  une  survivance  des  usages 
répandus  dans  l'Europe,  l'Asie  antérieure  et 
les  pays  méditerranéens  dès  les  temps  préhis- 
toriques. (Cf.  Exploration  de  M.  R.  Chudeau 
dans  le  Sahara,  ds  la  Géographie,  IddC),  l.  XIII, 
p.  304  sq.,  fîg.  84  à  90.) 


(5)  G.  de  Morlillet,  le  premier,  a  pensé  que 
les  dolmens  n'étaient  pas  l'œuvre  d'un  seul 
peuple,  mais  d'une  même  idée. 

(6)  Le  continent  américain  a  vu,  tout  comme 
les  ])ays  classiques,  de  grands  mouvements 
de  peuples.  Malheureusement,  nous  n'en  pou- 
vons suivre  les  traces  que  d'une  manière  liieii 
vague  et  sans  qu'il  soit  possible  d  établir  la 
moindre  hypothèse  sur  la  chronologie  de  ces 
événements.  Sans  remonter  jusqu'à  l'état 
paléolithique,  nous  constatons  l'existence 
de  centres  divers  de  civilisation.  Aux  Etats- 
Unis,  l'homme  est  nomade,  chasseur,  pêcheur. 
Au  Mexique,  dans  l'Amérique  centrale,  l'Ari- 
zona  et  le  Nouveau-Mexique,  il  est  séden- 
taire, agriculteur,  constructeur  de  monu- 
ments remarquables  par  leurs  dimensions 
et  par  les  sentiments  artistiques  qu'ils  déno- 
tent de  la  part  de  leurs  auteurs.  Au  Nicara- 
gua, au  Yucatan,  à  Costa  Rica,  se  rencontrent 
des  traces  dune  civilisation  toute  différente 
de  celle  du  Mexique.  Le  Pérou,  la  Colombie 
sont  le  centre  d'une  évolution  spéciale,  dont 
l'influence  s'étend  jusque  dans  l'Orénoque, 
1  Amazone,  la  Plala  et  le  sud  de  laPatagonie. 
Quanta  l'origine  de  ces  peuples,  elle  estencore 
mystérieuse, cartoutesles  suppositions  émises 
jusqu'ici  à  son  sujet  ne  reposent  sur  aucune 
base  scientifique. 


LTIOMME    A    L'ÉTAT    NKOLITIIIOUE 


155 


les  chulpas  et  les  sépultures  du  Pérou  et  de  la  lîolivie.  Les 
croyances  primitives  se  compliquant,  furent,  il  est  vrai,  chez  elle 
l'origine  du  Panthéon  très  spécial  que  trouvèrent  les  Européens 
-en  abordant  ce  continent,  forme  apparente  d'un  ensemble  de  pen- 
sées   très    différent    de    celui    (|ai    naquit    dans    nos    cerveaux  ; 


mais  cette  évolution  personnelle  n'excluait  pas  la  communauté  de 
■certaines  idées  chez  deux  races. 

Quant  aux  sépultures  des  Géants  dans  la  Sardaigne,  monuments 
<jui,  comme  les  dolmens,  appartiennent  à  l'état  néolithique,  on  a 
cherché  à  expliquer  leur  origine  par  une  migration.  L'aire  spé- 
ciale qu'ils  occupent  ne  serait-elle  pas,  au  contraire,  la  preuve  d'un 
<léveloppement  sur  place  des  pratiques  dues  au  culte  des  morts  ? 


156  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Pour  les  Niiraghi  (1),  leurs  contemporains,  on  n'y  doit  voir  que 
des  habitations  fortifiées,  de  même  nature  que  les  tours  du  Sinaï, 
destinées  à  répondre  à  des  besoins  du  moment  ;  tout  comme  les 
enceintes  de  nos  pays,  et  les  Qala  de  la  Perse  septentrionale. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'état  néolithique  en  Europe  montre  la 
trace  d'au  moins  deux  grands  mouvements  de  peuples,  d'indus- 
tries ou  d'idées.  Le  premier  correspondant  à  l'introduction  de 
l'usage  de  la  pierre  polie,  le  second  à  celui  des  croyances  qui 
présidèrent  à  la  construction  des  dolmens. 

Mais  ces  mouvements,  affectant  tout  le  vieux  monde,  ne  sont 
pas  les  seuls  ;  chaque  progrès  a  certainement  eu  son  foyer  d'in- 
vention et  ses  migrations.  L'art  de  percer  la  pierre,  par  exemple, 
pour  en  faire  des  haches-marteaux,  est  peut-être  né  en  Suisse; 
pays  où  ce  tvpe  est  extrêmement  abondant,  pour  de  là  se  répandre 
dans  les  pays  voisins.  La  Chaldée  et  l'Amérique  le  connurent  aussi, 
sans  cependant  qu'il  soit  possible  de  lui  attribuer,  dans  ces  pays, 
une  origine  helvétique  ;  on  est  donc  conduit  à  supposer  la  plu- 
ralité des  centres,  même  pour  les  moindres  détails. 

Les  indications  sommaires  que  fournit  l'archéologie  sur  ces 
migrations  se  trouvent  être  corroborées,  bien  que  d'une  manière 
plus  vague  encore,  par  l'anthropologie  qui  ne  saisit  qu'une  seule 
transformation.  Cette  science  montre,  en  effet,  la  race  pré-néoli- 
thique dolichocéphale  pénétrée  par  une  race  brachycéphale,  lors 
de  l'apparition  de  la  pierre  polie. 

Nous  ne  possédons  qu'un  nombre  bien  restreint  de  documents 
sur  la  nature  physique  de  l'homme  pléistocène.  Quoiqu'il  en  soit, 
les  spécialistes  ont  établi  des  races,  s'appuyant  sur  la  confor- 
mation des  rares  ossements  parvenus  jusqu'à  nous;  et  les  déduc- 
tions qu'ils  tirent  de  leurs  études  concordent,  dans  les  grandes 
lignes,  avec  celles  que  fournit  l'archéologie. 

Trois    races    également   dolichocéphales  {'1)   sont,   jusqu'à    ce 

(1)  Le  Nouragiie    jouait  par  rapport  au  vil-  Fouille    et  In    terre    ilOtranle    en   Italie.    — 

lage  le  riMe  que  remplissait  le  donjon  dans  les  (Fr.  Lenormant,  Notes  archéol.   sur  la  terre 

châteaux    du  moven   âge  :  cïtait    le    refuge.  d'Otrante,  in    Gazelle  Archéol.,   VII'    année, 

Autour  se  trouvaient  les  habitations,   légère-  p.  32  sq.i.  Au  sujet  de  la  répailition  géogra- 

menl  construites,  les  ateliers  des  fondeurs  et  iihique   des    nonragues.  Cf.  Baix    et   Gouin, 

autres  industriels,  les  étables   pour  le   bélail.  Essai   sur   les  Xunujhes  et   les  bronzes  de  Sar- 

Non  loin  était  la  nécropole  avec  ses  tombes  dai<jne,   p.   189    sq.    Rien   ne    prouve  que  les 

des  géants.  (Cf.  La  Makmoba,  Voyaije  en  Sar-  premiers  nour.-igues  n'ont  pas  été    construits 

daujne.  —  Perrot  et  Chipiez,   Hisî.  de  l'Art,  par  des  hommes  ignorant  l'usage  des  métau.x. 

t.  IV,  p.  44.1   Des  monuments  analogues   aux  (2)   Cf.    Déchelette,  Man.   Arch.    préhisl., 

nouragues  se  trouvent  dans  les  Iles  Baléares.  1908.  p.  482. 
(Cf.  La   Marmora,    Atlas,    pi.    XL),   dans   la 


LHOMMK    A    L'KTAT    NKOLITIIIOUE 


157 


jour,  signalées  dans  la  Gaule  pléistocène  :  celle  de  Néanderthal- 
Spy,  qui  pour  certains  savants  appartiendrait  à  l'état  paléolithique 
dans  nos  pays  ;  mais  sur  la  haute  antiquité  de  laquelle  il  subsiste 
bien  des  doutes  ;  celle  de  la  Dordogne,  rencontrée  dans  les  ca- 
vernes magdaléniennes  (1)  et  celle,  au  type  négroïde,  des  grottes 
de  Grimaldi. 

On  remarquera  que  les  témoignages  étant  très  peu  nombreux, 
appartenant  à  des  peuplades  ayant  vécu  dans  des  temps  divers  et 
sur  des  points  fort  éloignés  les  uns  des  autres,  il  est  bien  difficile 
de  dire  si  ces  populations  ont  vécu  côte  à  côte  pendant  de  longs 
espaces  de  temps,  ou  si  celle  qui  possédait  la  civilisation  la  plus 
avancée  n'est  pas  venue  s'implanter  dans  les  pays  déjà  occupés 
par  l'autre.  Cette  seconde  hypothèse  impliquerait  une  migration 
extrêmement  ancienne,  contemporaine  de  l'usage  du  silex  mous- 
térien  ;  la  première  au  contraire,  supposerait  un  dualisme  de  races 
dès  l'état  paléolithique,  et  par  conséquent  un  mélange  plus  ancien 
encore. 

Toutefois  il  demeure  un  fait  acquis  :  c'est  que  tout  ce  que  nous 
connaissons  des   hommes   pléistocènes   de    l'Europe   centrale   et 


(1)  Tout  dernièrement,  MM.  Bouj-ssonie  et 
Bardon  (Cf.  Comptes  rendus  de  VAcadémie 
des  Sc'ences,  7  drc.  1908),  ont  découvert,  dans 
une  caverne  du  département  de  la  Corrèze, 
près  de  La  Chapelle  -  aux- Saints,  dans  des 
couches  non  remaniées  caractérisées  par  l'in- 
dustrie du  moiistérien  inférieur,  les  restes 
d'un  vieillard  jadis  enseveli  sous  un  foyer.  Le 
squelette,  qui  appartient  aujourd'hui  au  Mu- 
séum d'Histoire  naturelle  de  Paris,  est  en  fort 
mauvais  état;  mais  la  tète,  très  bien  conser- 
vée, est  encore  munie  de  son  maxillaire  infé- 
rieur. Ce  crâne  présente  les  caractères  néan- 
derthalo'ïdes  plus  marqués  encore  que  ceux 
de  celui  qui,  jusqu'ici,  était  pris  pour  type.  Il 
se  fait  remarquer:  par  l'aplatissement  exces- 
sif de  la  voûte  crânienne,  par  l'exagération 
des  saillies  sus-orbitaires,  la  largeur  des  or- 
bites, l'élargissement  extrême  de  la  base  du 
nez,  l'enfoncement  énorme  de  sa  racine,  par 
un  certain  degré  de  prognathisme,  par  l'apla- 
tissement des  condyles  occipitaux  (caractère 
indiquant  la  très  minime  amplitude  des  mou- 
vements de  flexion  et  de  rotation  de  la  tète). 
Enfin  par  l'absence  presque  complète  des 
fausses  canines,  disposition  rapprochant  cet 
être  des  anthropo'i'des.  Ce  crâne,  le  plus  an- 
cien connu  jusqu'à  ce  jour,  sur  l'âge  ducpiel 
aucun  doute  ne  peut  être  élevé,  est  d'aspect 
négroïde  et  dénote  un  être  de  beaucoup  infé- 
rieur aux  plus  inférieurs  des  hommes  vivant 
de  nos  jours  (certaines  tribus  australiennes). 
—  L'importance  de  celte  découverte  est  consi- 
dérable ;  car  elle  apporte  un  argument  très 
sérieux  en  faveur  du  transformisme  dans  l'es- 
pèce humaine;  mais  ne  fournit  pas  encore  le 


passage  entre  l'homme  et  l'anthropoïde.  Elle 
prouve  seulement  qu'il  existait  en  France, 
aux  temps  paléolithiques,  des  êtres  très  infé- 
rieurs à  l'Européen  d'aujourd'hui,  tout  comme 
il  en  vit  encore  dans  certains  districts  de 
l'Australie  et  de  l'Africiue;  que  cet  homme  a 
disparu  devant  des  races  |dus  développées, 
que  dès  le  pléistocène  avait  débuté  cette  sélec- 
tion naturelle  qui  s'opère  encore  de  nos  jours, 
par  extinction  des  groupes  inférieurs.  L'aspect 
négroïde  de  ce  crâne  yient  à  lappui  de  ce 
que  nous  savions  déjà  ;  c'est-à-dire  que  les 
couches  humaines  les  plus  anciennes  dans  les 
pays  méditerranéens  appartenaient  au  groupe 
négrito.  (J.  M.) 

M.  Boule  (Acad.  des  Se,  séance  du  li  déc. 
1908)  tire  les  conclusions  suivantes  de  ses 
observations  sur  ce  crâne  : 

«  Le  type  humain,  dit  de  Néanderthal,  doit 
être  considéré  comme  un  type  normal  carac- 
téristique, pour  une  certaine  partie  de  l'Eu- 
rope, du  Pléistocène  moyen  et  non,  comme  on 
le  dit  parfois,  du  Pléistocène  inférieur.  Ce 
type  humain  fossile  diffère  des  tyjjcs  actuels 
et  se  place  au-dessous  d'eux,  car,  dans  aucune 
race  actuelle,  on  ne  trouve  réunis  les  carac- 
tères d'infériorité  (|ue  l'on  observe  sur  la  tète 
osseuse  de  la  Chapelle-aux-Saints.  » 

«  Il  représente  un  type  inférieur  se  rappro- 
chant beaucoup  plus  des  singes  anthropoïdes 
qu'aucun  autre  groupe  humain  Morphologi- 
quement il  parait  se  placer  entre  le  Pithécan- 
thrope de  Java  et  les  races  actuelles  les  plus 
inférieures,  ce  qui  n'implique  pas,  ajoute 
M.  Boule,  l'existence  de  liens  génétiques  di- 
rects. » 


458  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

occidentale,  nous  les  montre  comme  dolichocéphales  ;  et  que  les 
brachycéphales  n'apparaissent  jusqu'ici  qu'avec  la  pierre  polie. 
Ce  fait  tendrait  à  prouver  l'invasion,  et  la  démontrerait,  si  des 
observations  plus  nombreuses  venaient  à  concorder.  Mais  jusque- 
là,  nous  sommes  en  droit  de  penser  que,  dans  les  pays  où  il  n  a- 
pas  encore  été  rencontré  d'ossements  humains  pléistocènes,. 
vivaient  peut-être,  dès  cette  époque,  des  tribus  de  brachycéphales- 
La  découverte  de  vestiges  de  cette  dernière  race  réduirait  dès  lors 
à  néant  toutes  les  déductions  qui  suivent,  toutes  celles  sur 
lesquelles  s'appuie  la  science  d'aujourd'hui. 

Acceptons  cependant,  que  la  dolichocéphalie  soit  la  caracté- 
ristique des  races  pléistocènes  de  l'Europe  occidentale;  nous 
voyons  les  brachycéphales  pénétrer  par  places,  influencer  seule- 
ment en  d'autres,  lors  de  la  diffusion  de  l'industrie  néolithique. 

En  France,  en  Suisse,  en  Allemagne,  en  Autriche,  les  deux, 
formes  se  trouvent  mélangées  dans  les  sépultures  de  la  pierre 
polie  et  montrent,  par  là,  que  le  vieux  fond  ne  disparut  pas  de 
suite.  Il  en  de  même,  mais  dans  de  moindres  proportions,  en 
Espagne,  en  Portugal,  en  Suède,  où  les  dolichocéphales  dominent; 
tandis  que  dans  les  îles  Britannicjues  et  en  Russie  ils  sont  seuls, 
Ce  fait  montrerait  que  ces  derniers  pays  ont  été  simplement 
envahis  par  influence,  mais  non  pénétrés  par  les  nouvelles 
couches  humaines. 

Ces  hypothèses  correspondent  à  ce  que  montre  l'archéologie; 
nous  les  devons  donc  accepter,  pour  l'instant,  comme  étant  celle& 
qui  satisfont  le  mieux  l'esprit.  Mais  ce  n'est  pas  sans  réserves  que 
nous  pouvons  les  admeltre  ;  car  elles  ne  reposent  que  sur  des  bases 
fragiles,  car  la  généralisation  des  faits  observés  peut  ne  pas  être 
justifiée. 

On  a  voulu  faire  des  envahisseurs  néolithiques(l)  des  aryens  (2)^ 
c'est-à-dire  des  peuples  de  langue  aryenne,  pour  expliquer  l'ori- 
gine de  notre  parler  européen  (3).  Cette  supposition  est  entière- 

(1)  Cf.    Otto    Scurader,  Sprnrhveryleirhang  l'un  excluant   les  branches  iranienne,    arnié- 

und  Un/eschichte,  2'  éd.,  1890  nienne,  hellène,  latine;  l'autre  néglifieant  les 

{%j  Le  terme    «  aryen  »  em])loyé  pour  dési-  Iraniens  et   les  Arméniens.   Tous    ces  termes 

gner    les    groupes    linguistiques    apparentés  étant  impropres  par  suite  de    leur  défaut  de 

aux   langues    européennes   indiennes  et    ira-  généralisation,  je  conserverai  le  plus  courant 

niennes  est    fautif  parce   qu'il  géuéralise  une  "  aryen  »    en    étendant,    dans  mon  esprit,  s» 

expression   qui,  historiquemeni,   ne  peut  être  portée  à  tous  les  groupes  linguistiques  étroi- 

appliquée    qu'aux    Iraniens  ou    Arias.    Il    en  lement  apparentés  de  l'Europe,  des  Indes  et 

est  de  même  pour  les  expressions  «  indo-ger-  de  la  Perse. 

manique  »,   «  indo-européenne  ■•.    Ces   termes  Ci)  Cf.  V.   Hehn.    Knltarpflitnzen   und  Hnux- 

ne  comprenant    qu'une  partie    de  renseml)le  ;  thiere  in    ihreiii    Urbergang    von    Asien     nack 


L'HOMME  A  i;état  nkolithique  159 

ment  gratuite,  car  rien  n'y  autorise.  Et,  d'ailleurs,  pourquoi  choisir 
la  migration  de  la  pierre  polie  plutôt  que  telle  ou  telle  innovation  ? 
et  ne  pas  reporter  l'aryanisation  de  nos  pays  à  l'arrivée  du  bronze, 
du  fer  et  de  toute  autre  culture.  Pouriiuoi  supposer  que  sa  venue 
ait  produit  une  révolution  ayant  laissé  des  traces  matérielles  (1); 
pourquoi  vouloir  que  les  brachycéphales  néolithiques  soient  uni- 
quement des  Aryens  ? 

11  n'y  a  pas  que  les  hommes  de  langue  aryenne  qui  soient  bra- 
chycéphales ;  les  Turcs,  les  Mongoles,  les  Lapons,  les  Patagons, 
les  Indiens  centraméricains  le  sont  également  et,  cependant,  au 
point  de  vue  linguistique,  ils  n'ont  rien  de  commun  avec  nos 
peuples.  De  par  ailleurs,  tous  les  Aryens  ne  sont  pas  brachycé- 
phales, tant  s'en  faut,  témoin  les  Européens  nordiques,  les  Indo- 
Afghans  qui  sont  dolichocéphales.  Il  se  peut  donc  que  l'Europe 
se  soit  aryanisée  dès  les  temps  pléistocènes,  aussi  bien  qu'à  l'au- 
rore de  l'époque  historique,  et  que  l'arrivée  d'une  race  brachycé- 
phale  dans  un  milieu  dolichocéphale  (2)  n'ait  rien  à  voir  avec 
celle  de  peuples  parlant  des  langues  à  flexion  dans  un  milieu 
d'idiomes  agglutinants  (3). 

La  question  aryenne  est  l'une  des  plus  compliquées  qu'il  soit 
en  ethnologie.  L'anthropologie,  ne  reconnaissant  aucun  des 
groupes  linguistiques,  nie  l'existence  d'une  race  aryenne  ;  et  je 
partage  sa  manière  de  voir  en  ce  qui  concerne  VHomo  sliipidus, 
l'être  zoologique.  Mais  en  ce  qui  regarde  les  progrès  de  la  civili- 
sation, l'œuvre  de  VHomo  sapiens  c'est  tout  autre  chose  ;  et  ce 
sont  ces  progrès  seuls  qu'il  importe  à  l'historien  de  constater  [Ix). 


Griechenland   und    Ilalien  sowie  in  das   iibrige  Ci)  3.  Ta\\or  (The  Origin  of  llie  Art/anx,  18' 0) 

Europa,  1870.  admet  dans  l'Europe   occidentale  à    l'époque 

(1)  Tout  d'abord,  dit  Broca  {Bull.  Soc.  An-  néolithique  quatre  types  humains:  les  Ibères, 

?/!rop.,  Paris,  18(54,  p.  193)  répondant  à  dOma-  les  Celtes,  les   Scandinaves    et    les    Ligures, 

lius    d'Halloy  ('cJ.,    p.    188),  il  faut  distinguer  Seuls  les  Celtes  auraient  été  des  Aryens, 

deu.v  questions  qui    doivent   être    examinées  (3)  Cf.    Hommel   (Arrhiu  fiir  Anlltropologie, 

isolément:  1°  d'où  viennent  les  races  qui  peu-  1891,  t.  XIX,  p.  260)  et  de  Cara  {Rei'ue  archéoL, 

plent  aujourdhui  l'Europe?   et  2°   d'où  vien-  189i,  I,  p.  136)  qui  considèrent  les  peuples  du 

nent  les  langues  parlées  aujourd'hui   en  Eu-  Caucase,  les  liétéens,  les  Pclasges,  les  Elrus- 

rope?  11  est    très    probable     que     ces    deux  ques,  les  Ligures,  les  Basques  comme  faisant 

((uestions,   souvent    confondues     à    tort,    ne  partie  du   vieux    fond  anaryen    de  la   popula- 

(loivent  pas  donner  lieu  à  des  solutions  iden-  tion. 

tiques.  <•  Je  suis  de  l'avis  de  notre  vénérable  (4)  Les  principauxouvrages  à  consulter  sur 
collègue  M.  d'Omaliiis,  dit  Broca;  en  ce  sens  la  question  aryenne  sont  :  O.  Schrader,  Coni- 
que, pour  moi,  les  habitants  de  l'Europe  sont  paraison  de.s  langue.^  el  histoire  primitive,  1890. 
aujourd'hui  à  peu  près  ce  qu'ils  étaient  au  —  J  Taylor,  The  Origin  of  Uie  Anjans,  1890. 
temps  de  l'immigration  asiatique  ;  mais  en  ce  —  Renuai.l,  The  Cradle  of  Ihe  Aryans,  1889.  — 
qui  touche  les  langues  indo-européennes,  je  M.  Mui.r.ER,  liiogrnphies  of  Words  and  llie 
crois  que  l'ona  raison  de  soutenir  (lu'ellesont  home  of  Ihe  Argnmt,  1888.  —Van  de.n  Giiev.n, 
suivi  leur  voie  d'Orientà  l'Occident.  »  (S.  Rei-  Congrè.'i  xcienlif.  internai,  des  catholiques. 
NACH,  VOngine    es  An;ens,  189-2,  p.  40.)  Paris,  1888,  t.  II,  pp.  718-760. 


160  LKS    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

On  reconnaîtra  probablement  un  jour  que  l'espèce  humaine  com- 
porte un  nombre  plus  ou  moins  grand  de  divisions,  suivant  la 
nature  des  caractères  servant  de  base  aux  diverses  classifications; 
mais,  qu'entre  elles,  ces  classifications  demeurent  indépendantes, 
les  groupements  de  l'une  n'ayant  rien  de  commun  avec  ceux  d'une 
autre.  La  divergence  d'opinion  entre  les  anthropologistes  et  les 
linguistes  n'existe  que  parce  qu'on  oublie  que  ces  deux  sciences 
doivent  poursuivre  des  buts  différents  et  non  le  même. 

Le  groupe  aryen,  composé  de  peuples  parlant  des  langues 
d'origine  commune,  plus  développé  que  les  autres,  a  été  le  grand 
ouvrier  de  la  civilisation;  et,  à  ce  titre,  il  vaut  qu'on  le  considère. 
Qu'il  ne  présente  aucune  homogénéité  dans  les  caractères  phy- 
siques de  ses  éléments,  qu'importe  !  si  par  ses  talents  il  a  mis  à 
ses  pieds  le  reste  du  monde  ! 

11  tombe  sous  le  sens  que  des  idiomes  présentant  entre  eux 
des  caractères  communs,  grammaticaux  et  lexicologiques  ont  une 
commune  origine;  qu'ils  sont  apparentés,  ou  qu'ils  ont  subi  des 
contacts  très  prolongés;  et  que  les  groupes  humains  parlant  ces 
langues  ne  sont  pas  étrangers  les  uns  aux  autres.  11  demeurera 
toujours  entre  eux  des  traditions,  des  coutumes,  des  croyances, 
des  aptitudes,  des  tendances  les  rapprochant  ;  tandis  que  forcé- 
ment ils  resteront  toujours  éloignés  des  peuples  dont  l'esprit,  et 
par  suite  le  parler,  est  différent  du  leur. 

Sous  le  prétexte  de  se  dégager  de  vieux  errements,  bien  des 
savants  de  nos  jours,  et  en  particulier  bien  des  anthropologistes, 
ont  fait  table  rase  de  tout  ce  qui  était  enseigné  autrefois,  de  tout 
ce  qui  était  admis  avant  eux,  parmi  les  données  fournies  par  la  lin- 
guistique et  la  tradition.  Confiants  dans  une  branche  nouvelle  de 
l'observation  qui,  dans  leur  pensée,  devait  bouleverser  toutes  les 
idées  admises,  dans  une  science  dont  ils  ne  pouvaient  encore 
mesurer  la  puissance,  ils  ont  tous  nié;  ne  remplaçant  d'ailleurs 
par  aucune  base  dûment  scientifique  les  suppositions  résultant 
de  siècles  d'observation. 

C'était  vite  aller  en  besogne  pour  une  Ecole  si  jeune;  malheu- 
reusement, en  examinant  sans  parti  pris  les  tendances  nouvelles, 
on  est,  à  regret,  forcé  de  reconnaître  que  bien  des  esprits  se 
laissent  trop  facilement  aller  à  des  spéculations  conscientes  ou 
inconscientes  n'ayant  rien  de  scientifique. 

L'aryanisme   montre   une  masse  humaine  unie  par  la  langue, 


L'HOMME    A    L'ÉTAT   NÉOLITHIQUE  461 

par  les  mauirs  cl  par  les  traditions,  faisant  la  conquête  du  monde, 
imposant  son  génie  à  l'univers  entier,  lui  donnant  cette  glorieuse 
civilisation  des  temps  modernes,  constituant  une  véritable  aris- 
tocratie qui,  comme  toutes  les  castes  supérieures,  excite  les  ja- 
lousies. De  nos  jours,  tous  les  peuples  anaryens  s'efforcent  d'ac- 
quérir la  mentalité  Indo-Européenne,  même  ceux  qui  sont  le 
plus  attachés  aux  sentiments  d'hérédité.  N'est-ce  pas  le  plus  bel 
hommage  (ju'on  puisse  rendre  à  notre  génie  ?  Anéantir  l'arya- 
nisme  serait  répartir  sur  toutes  les  races  l'honneur  des  progrès 
actuels,  serait  relever  les  peuples  inférieurs  au  détriment  de  ceux 
à  qui  l'humanité  doit  tout  (1);  nier  les  peuples  supérieurs  est 
nier  l'histoire. 

Certainement  les  linguistes  qui,  comme  Pott,  Grimm,  Max 
Millier,  ont  cherché  à  reconstituer  le  monde  aryen  primitif,  s'étant 
laissés  entraîner  par  la  spécialité  de  leurs  études  jusqu'à  pronon- 
cer le  mot  race,  ont  commis  une  faute  ;  mais  cette  erreur  était  bien 
excusable  puisque,  de  leur  temps,  l'anthropologie  n'existant  pas, 
n'avait  encore  pu  accaparer  ce  terme.  Elle  est  réparable  d'ail- 
leurs ;  et  O.  Schrader  (2)  semble  s'être  plus  rapproché  de  la  vérité 
en  parlant  d'une  famille  de  langues  aryennes  (3),  indépendante  de 
la  conformation  physique  des  hommes  qui  la  composent  (A),  et 
d'une  civilisation  aryenne. 

Aucune  des  langues  aryennes  ne  nous  a  livré  tous  ses  secrets; 
parce  que  pour  certaines,  le  zend  (5),  le  perse  (6),  le  sanskrit  (7), 


1,1)  J.  Deniker  (/e.s  Hdces  el  les  Peuples  de  l.-jngue  commune  ne  devait-elle  point  se  niodi- 
/a  /e//e,  1900,  p.  379)  résume  très  nettement  fier,  s'altérer,  se  corrompre  de  façon difft'rente 
l'opinion  des  adversaires  de  l'aryanisme.  «  En  dans  les  différentes  tribus  établies  sur  ee  ter- 
somme,  dit-il,  la  «question  aryenne  »  n'a  ritoire.  »  (A.  HovELAcyuE,  la  Linguistique, 
plus  aujourd'hui  l'importance  qu'on  lui  prêtait  Paris,  1888,  4'éd.,  p.  405). 

jadis    Tout    ce    que    nous    pouvons    supposer  (4)  Cf     A.     Hovelacoue,     lu     Linguistique, 

légitimement,  c'est   qu'à    l'époque  voisine  de  Paris,  1888,4"  éd.,  p.  407. 

l'âge    néolithique    les    habitants    de  l'Europe  (5)   Le    zend  ou   baktricn   semble  avoir  été 

ont  été  aryanwe'.s  au  point  de  vue  de  la  langue,  la  langue  de    l'Hyrcanie,  de    la  Margiane,  de 

sans  changement  notable   dans    la    constitu-  la  Bactriane,  de   la    Sogdiane  et  des  pays  rie 

tion  de    leur  type  physif|ue,  ni  probablement  l'Oxus.  La  rédaction  définitive  du  Zend  Avcsta 

de  leur  civilisation.  "—Autrement  dit,  les  civi-  est  attribuée    au    deuxième  siècle  ap.    .).-C. 

lisalions    grecque,  latine   et  finalement  euro-  (Cf.    J.    Dahmstete»,  le  Zend    Avesla.  Ornuizd 

péenne  moderne  sont   issues    des    anciennes  el  Ahriman,  -  Spieoei,,  Entnische  Alterthums 

races  aussi  bien  que  des  Aryens.  kunde),  mais   son    origine  e>l,  dans  tous   les 

(5)  O.  Schrader,   Spraclwergl.    a.    l'ryesch.  cas,   antérieure    à    la    dynastie    achéménide. 

2*  édit.,  léua,  1890.  (ti)  Les    plus    anciens    textes    achéménides 

(3)    «  Nous   ne    connaîtrons    jamais,    selon  datent  du  milieu  du  sixième   siècle   av.  J.C. 

toute  vraisemblance,    les  motifs  qui  délermi-  et  les  plus  récents  des  débuts  du  quatrième, 

nèrent   les   populations  dont  la    langue   était  (7)  Le    livre  le    plus  ancien  de  l'Inde,  les 

l'indo-européen  commun,  à  entreprendre  leurs  Védas,    est  attribué  au    troisième   siècle  av. 

grandes  migrations;   mais  nous  pouvons  peu-  J.-C.  tout  au  plus.  Mais    l'écriture  dite  dava- 

ser,  sans  crainte  d'erreur,  qu  avant  leurs  nu-  n.îgari    est    beaucoup    moins    ancienne,     de 

grations   ces  populations    occupaient   un   1er-  même  cpie  celle  dans  laquelle  les  Védas  nous 

ritoire  assez  vaste.  En  ces  larges  limites  la  sont  parvenus. 

U 


162 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


nous  ne  possédons  que  des  textes  relativement  archaïques  ;  tandis 
que  pour  les  autres,  nous  ne  connaissons  que  les  formes  modernes. 
Benfrey,  de  Saussure,  et  quelques  auteurs,  ne  sont  toutefois  pas 
justifiés  à  s'appuyer  sur  cette  inégalité  des  données,  pour  négli- 
ger la  solution  du  problème  aryen.  Quant  à  l'anthropologie,  ses 
tendances  et  les  résultats  encore  désordonnés  de  ses  déductions  (1) 
i'écartent  des  sciences  ayant  voix  dans  un  tel  examen.  La  parole 
n'est,  pour  longtemps  encore,  pour  toujours  peut-être,  qu'aux 
linguistes,  aux  archéologues  et  aux  historiens. 

Le  pays  d'origine  (2)  des  langues  et  de  la  civilisation  aryennes 
a  été  l'objet  de  bien  des  controverses;  les  uns  l'ont  placé  dans  le 
Pamir  (3)  et  l'Asie  centrale  (/i),  dans  le  plateau  iranien  (5),  l'Ar- 
ménie (6);  d'autres  dans  le  sud  et  le  sud-est  de  la  Russie  (7), 
dans  les  Carpathes  (8),  dans  le  bassin  inférieur  ou  moyen  du 
Danube  (9),  en  Allemagne  du  Nord  (1 0),  du  Centre  et  de  lOuest  (11)  ; 
voire  même  dans  la  Scandinavie  (12),  ou  dans  toute  autre  partie 
de  l'Europe  (13). 

La  mentalité  aryenne,  telle  que  les  langues  la  montrent,  quand 


l'drii/iiw  des  Arijens. 
.  —  S.  Reinach,  l'Ori- 
18'.t-2.  —  Tu.  PœscHE, 


(1)  «  En  vain  on  apporle  à  l'élude  de  l'homme 
une  science  matliématique  dont  les  paléonto- 
logistes n'ont  eu  nul  hesoin  pour  faire  avan- 
cer 1  histoire  des  animaux  fossiles;  en  vain 
on  invente  chacpie  année  de  nouveaux  instru- 
ments de  précision  pour  la  mesure  compara- 
tive des  os  du  squelette;  en  vain  on  donne 
quatre-vingts  chiffres  pour  un  seul  crâne, 
l'obscurité  se  dissipe  bien  lentement.  « 
(E.  Cartailhac.  In  France  iiréhislorique,  189G, 

p.  3:u.) 

(2)  Cf.    ISAAC    Tavlou. 

Trad.  franc.  Paris,  IB'.C) 
ijine  lies-  Anienx.  Paris, 
Die  Arier.  léna,  1878 

(3)  Cf.  Fu.  Lenormant,  Hist.  et  les  Orig.  de 
l'IIisl.  Cette  théorie  néglige  l'inhabiLabililé 
des  plateaux  du  Pamir  et  du  Tibet  qui,  cou- 
verts de  glaces  aux  temps  quaternaires,  pos- 
sèdent encore  aujoiinl'hui  l'un  des  climat'^  les 
plus  rigoureux  du  globe.  Elle  a  été  émise  pour 
la  première  fois  par  J.  G.  Rhode  [Die  heilige 
sage  des  Zenduulkes)  en  1820. 

(4)  F. -A.  Pott  (Eigmologische  Forschungen, 
1833.  Indogermanisciier  Sprachslamm.,ds  En- 
njclopédie  d'Enscu  et  Grùber,  1840)  place  le 
domaine  primitif  des  Aryas  dans  les  jiays  ar- 
rosés par  I  O.xus  et  llaxarle,  entre  le  Pamir  et 
la  mer  Caspienne.  -  Ch.  Lassen  (/nd/.s-r/ie  A/- 
lerthumskunde,  t  I,  1847)  le  met  au  nord  de  la 
Sogdiane  —  A.  Piclet  <les  Origines  Indo-Earo- 
fiiiennes  et  les  Argas  primitifs.  Essai  de  paléon- 
tologie lingustique,  Paris.  1850  1863),  en  Bac- 
Iriane.  —  Vircbow  {Reu.  scientif.,  4  juillet  1874) 
dit:  «  Toutes  les  races  etuopéeunes  d'origine 
aryenne  sont  venues  d  Orient.  » 

(5)  Cf.   PiCTET,   les   Origines    européennes    ou 


les  Aryas  primitifs.    Essai  de  paléontologie  lin- 
guistique. Taris,  1859,  l   I,p.  35. 

(6)  Bruninhofer,  Ueber  den  Ursilz  der  Indo- 
t;ermanen.  Bâle,  1885.  —  Fr.  Miii.i.ER,  Geo- 
graphisches  Juhrb.,  187-2. 

(71  Benfrey,  préface  au  Wœrterlnich  der  In- 
dogerm.  Grundsprache,  d'A.  Fick,  1868,  p.  ix. — 
ScuRADER,  Sprachvergleichung  und  Urges- 
chicble,  2'  éd.,  1890,  p.  Gii  et  Scuuader,  Real- 
lexikon,  1901,  p.  87^  s(|.  -  E.  Von  Stern, 
Die  Priimgkenische  Kullar  in  Snd  Russland. 
Moscou,  1905. 

(8)  llirt  {Die  Urheimat  d.  Dtdogermnnen  ; 
Geogr.  Zeilschr..  Leipzig,  1895,  t.  I,  p.  649) 
considère  un  foyer  secondaire  comme  le 
centre  primordial. 

;9  De  Michelis,  l'Origine  degli  indo-uropei^ 
1903. 

(10)  J.  d'Omalius  d'Hallov,  Des  Races  hu- 
maines ou  Eléments  d'ethnographie,  1859.  — 
R.  G.  LATHA.VI,  Eléments  of  comparative  Philo- 
logij,  1862. 

(il)  L.  Geiger,  '/au-  Entwicklungsgeschirhte 
der  Menschheik,  1871,  p.  113. 

112)  Penka,  Origines  nriacx,  1883,  Die  Her- 
kunft  der  Arier.  Wien,  1886.  —  Lombaro,  Bull. 
Soc  Anthrop.,  Paris,  t.  XII,  3"  sér.,  1890, 
p  472.  —  Pe.nka,  Die  Heimat  der  Germanen^ 
1893,  in  Mittheil.  Anthrop.  Ge^ell>chaft.  Wien. 
-  C.JULUAN,  Hist  delà  Gaule,  1908.1.  I,  p  233^ 
et  noie  3.  —  H.  Hirt,  Indogermanische  Fors- 
chungen, 1892. 

(13i  Cette  théorie  est  celle  des  grammai- 
riens qui  tiennent  le  i;rec  pour  le  mieux  con- 
servé des  idiomes  indo-européens.  '—  Cf. 
M.  MucH,  Die  Heimat  der  Indo-Germanen.. 
Berlin,  19U4. 


LHO.MME    A    I/ÉTAT    NÉOLITHIQUE 


103 


pour  la  preniicre  fois  nous  la  rencontrons  (1  ■,  a  exigé,  pour  se 
développer  et  parvenir  au  degré  qu'elle  possédait  (2),  un  énorme 
laps  de  siècles  et  fait  remonter  aux  temps  où  les  climats  conti- 
nentaux n'étaient  pas  ce  qu'ils  sont  aujourd'luii. 

L'Avesta  (8)  montre  les  Aryens  fuyant  devant  les  manœuvres 
(lu  mauvais  principe  qui,  toujours,  glaçait  et  rendait  inhabitables 
les  pays  qu'Ahouramazda  créait  pour  eux.  Cette  vieille  tradition 
est,  à  ne  pas  s'y  méprendre,  l'indication  des  causes  de  toute  la 
migration  aryenne.  \'ivant  dans  la  Sibérie  centrale  ou  occiden- 
tale, alors  que  la  majeure  partie  de  l'Europe  était  glacée  et  que 
les  plaines  de  l'Asie  septentrionale  leur  offraient  de  faciles  condi- 
tions d'existence,  ces  peuples  ne  commencèrent  leur  exode 
qu'au  moment  où  le  froid  se  déplaça  de  l'Europe  pour  passer  en 
Sibérie.  Chassés  de  leurs  pays  par  les  glaces  toujours  envahis- 
santes, toujours  poursuivis  par  elles,  lentement  ils  émigrèrent. 
C'est  alors  qu'eut  lieu  la  dispersion  (4)  :  une  horde  marchant  vers 
l'Occident  s'établit  en  Russie,  au  nord  du  lac  aralo-caspien,  dans 
la  Scythie  ;  un  autre  flot,  tournant  les  massifs  inhospitaliers  du 
Pamir,  s'écoula  plus  tard  vers  les  Indes  septentrionales,  l'Afgha- 
nistan et  la  Perse,  pays  depuis  peu  libre  de  glace  et  encore  inha- 
bité (5).  Tandis  que  des  peuples  sauvages,  arrivant  de  pays  plus 
déshérités  encore  que  la  Sibéiie,  venaient  occuper  les  districts 
abandonnés  par  les  Aryens, 

Cette  explication  est  celle  qui  satisfait  le  mieux  l'esprit;  car 
elle  se  justifie  par  toutes  les  observations  archéologi([ues,  par  les 


(1)  Les  Sardes   (Shordana:    et  les   Thurses 
Thursana    sont  les  seuls  peuples  européens 

dont  les  textes  égyptiens  fassent  mention 
antérieurement  au  treizième  siècle  av.  J.-C. 
(Max  Mûller,  Europa  u.  Asien,  1894).  Ce  sa- 
vant linguiste  oublie  de  parier  des  peuples 
aryens  contre  lesquels  Rnmsès  III  eut  à  lut- 
ter et  dont  l'apparition  dans  l'histoire  est 
d'un  millier  d'années  environ  plus  vieille  que 
celle  des  tribus  iraniennes  sur  le  jdateati  per- 
san ;  toutefois  nous  ne  possédons  aucune  trace 
des  langues  parlées  par  ces  peuples  très  an- 
ciens. Ce  n'est  qu'après  le  di.vième  siècle  av. 
.I.-C.  qu'apparaissent  les  œuvres  littéraires 
montrant  à  quel  haut  degré  la  pensée  était  déjà 
parvenue  chez  certains  peuples  indo-euro- 
péens. 

(2)  J.  Schmidt  (Die  Verwundtschaft-sverhaell- 
ninse  der  Jndogermanischen  Sprachen,  1872) 
suppose  qu'aux  temps  préhistoriques,  une 
langue  primitive  aryenne  était  parlée  depuis 
l'océan  .Mlanlique  jusqu'à  l'Indus;  (lue  dans 
ce  milieu  homogène  il  se  forma  bientôt  des 
dialectes   locaux  qui,  1res  prochemenl  appa- 


rentés au  début,  accrurent  graduellement  les 
différences  qui  les  séparaient  jusqu'à  former 
des  langues  diPTéreHles. 

(3)  Les  liadilions  avestiques  ne  concerneut 
que  la  branche  iranienne  des  Aryens.  Mais 
dans  le  cas  présent,  peut  être  doit-on  les  ap- 
pliquer à  l'ensemble  de  la  famille  qui,  forcé- 
ment tout  entière,  quitta  la  Sibérie  pour  les 
mêmes  causes.  Cependant  de  llarlez  et  Bréal 
déclarent  que  l'Avesta  ne  peut  fournir  aucune 
indication  sur  la  patrie  primitive  des  Aryen.*^. 
Cf.  DE  Haiîlez,  les  Aryas  et  leur  première 
patrie,  ds  Hevue  de  Unquislique,  juillet  1880.  — 
M.  Bréal.  Mélanges  de  mythologie  el  de  tin- 
gaislique.  p.  194. 

(4)  Cf.  A.  SCHLEICHER,  Keiler  allgemeine 
Monalschiift.  1853  et  Die  Deutsche  Sprache, 
i'  édit..  p.  8-2,  sq. 

(5  Les  linguistes  admettent  généralement 
que,  parmi  les  langues  aryennes,  le  sanskrit  et 
les  langues  iraniennes  sont  celles  qui  se  sont 
le  moins  éloignées  delà  région  où  était  parlé 
l'indo-européen  commun.  (Cf.  A.  IIovelacqle, 
In  Linguistique,  4*  éd.,  18S8,  p.  4U9.) 


IQll  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

données  historiques  et  se  base  sur  des  faits  géologiques  et  clinia- 
tériques  incontestables.  Elle  répond  à  toutes  les  hypothèses,  fort 
bien  étudiées  d'ailleurs,  des  partisans  du  centre  européen  de 
l'aryanisme,  en  réduisant  les  foyers  occidentaux  au  rôle  de  centres 
secondaires. 

La  limite  supérieure  de  Page  de  ces  migrations  est  fixée  par 
la  disparition  des  glaciers  en  Europe  et  dans  l'Asie,  par  l'époque 
de  l'ouverture  des  portes  de  Scythie,  par  celle  du  refroidissement 
de  la  Sibérie.  Quant  à  sa  limite  inférieure,  elle  nous  serait  donnée 
par  certaines  racines  communes  à  toutes  les  langues  aryennes, 
désignant  des  végétaux  et  des  animaux  caractéristiques;  si  beau- 
coup de  ces  mots  eux-mêmes  n'avaient  forcément  disparu  en  même 
temps  que  les  êtres  qui  en  motivaient  l'emploi,  tels  le  mam- 
mouth. 

Un  premier  mouvement,  d'une  extrême  lenteur,  affecta  les 
pays  inhabités,  jadis  couverts  de  glaciers  et  d'autres  qui,  déjà,  pos- 
sédaient une  population.  Certains  peuples  furent  absorbés,  d'autres 
émigrèrent,  portant  au  loin  des  civilisations  étrangères.  Cepen- 
dant le  plateau  iranien,  l'Arménie,  la  Transcaucasie  et  une 
partie  du  Taurus  semblent  ne  pas  avoir  été  touchés  par  l'inva- 
sion néolithique,  si  toutefois  nous  devons  rapporter  au  néoli- 
thique les  premières  invasions  aryennes.  Pour  la  Perse,  le  fait 
s'explique  aisément  ;  car  ce  pays,  couvert  en  majeure  partie  de 
lacs  salés,  stérile  dans  ses  parties  asséchées,  n'offrait  aucune 
ressource.  En  ce  qui  regarde  les  pays  caucasiens  et  arméniens, 
nous  les  voyons  occupés  dès  les  temps  les  plus  anciens  par  des 
races  apparentées  à  celles  de  l'Asie  antérieure,  que  la  grande 
muraille  caucasienne  défendait  contre  les  irruptions  venant  du 
Nord. 

Les  Aryens  formèrent  ainsi,  dans  l'Europe  centrale  et  orientale, 
de  nouveaux  centres  d'où  plus  tard,  à  des  époques  diverses  et  pour 
des  causes  qui  nous  échappent,  ils  se  répandirent  et  formèrent 
le  monde  aryen  moderne  de  l'Occident. 

Les  groupements  linguistiques  permettent  de  retrouver  les 
principales  de  ces  familles,  sans  toutefois  qu'il  soit  possible  de 
préciser  leurs  habitats  secondaires,  dont  chacun  mérite  une  recher- 
che spéciale.  La  j)atrie  de  ces  groupes  a,  d'ailleurs,  fréquemment 
changé;  chacun  d'eux  se  mouvant,  se  divisant  et  se  subdivisant, 
suivant  des  intérêts  la  plupart  du  temps  inconnus. 


L'HOMME    A    L'ÉTAT    NÉOLITHIQUE 


165 


Ces  branches  de  la  famille  aryenne  sont  :  lindo-iranienne  (1), 
qui  plus  tard  se  subdivisa  en  iranienne  et  indienne,  l'hellé- 
nique (2),  l'italique  (3),  la  celtique  (/i).  la  germanique  (5),  la 
slave  (6),  la  letti([ue  (7).  Enfin  des  peuplades  peu  connues,  parlant 
des  langues  (8)  dont  la  filiation  est  encore  indécise,  et  ne  ren- 
trant pas  dans  les  groupes  qui  précèdent. 

Les  premiers  mouvements  des  peuples  en  Asie  n'ont  pas  été 
sans  influence  sur  l'Europe,  avant  même  que  les  tribus  sibé- 
riennes fassent  leur  apparition.  Les  invasions  néolithiques  no 
sont  peut-être  pas  leur  œuvre  directe;  mais  elles  sont  certaine- 
ment la  conséquence  de  leurs  migrations. 

Entre  leur  départ  de  Sibérie  et  l'arrivée  des  Aryens  dans  nos 
pays,  il  s'est  écoulé  bien  des  milliers  d'années,  car  les  mouve- 
ments furent  lents,  les  séjours  |d'arrêt  prolongés.  11  serait  impos- 
sible d'évaluer  la  durée  d'un  pareil  exode.' 

Si  nous  pouvons  nous  rendre  compte  de  l'ensemble  des  phéno- 
mènes attachés  au  groupe  aryen,  si  les  Sémites  nous  fournissent 
également  des  renseignements  sur  leur  évolution,  nous  ne  con- 
naissons absolument  rien  en  ce  qui  regarde  les  autres  familles 
humaines;  le  mystère  le  plus  complet  enveloppe  leur  origine  el 
leur  vie.  Que  se  passa-t-il  en  Asie  centrale  au  moment  où  les  hauts 
plateaux  s'ouvrirent  à  l'homme;  en  Afiicjue,  après  les  inondations 
qui  suivirent  le  pléislocène;  et  dans  le  nouveau  monde,  alors  que 


(t)  Branche  hindoue  :  Sanskrit,  sindhi,  pand- 
jabi,  kachmiri,  nepàli,  bengali,  assami,  hindi, 
goudjarali,  maraLlii,  oiij'a.  —  Branche  ira- 
nienne :  Zend,  perse,  pehlevi  ou  huzvârèch. 
parsi,  kurde,  afghan,  baloulche,  ossèlhe  ; 
(juant  à  l'arménien,  bien  des  auteurs  le  ran- 
gent dans  la  branche  iranienne;  mais  en  le 
considérant  comme  s'éLant  séparé  de  très 
bonne  heure.  La  voie  suivie  par  la  migration 
arménienne  semblerait  devoir  exclure  celle 
langue  du  groupe  iranien. 

(-2   Le  grec  et  ses  dialectes. 

i3i  Latin,  osque,  ombrien,  italien,  espagnol, 
portugais,  français,  prQvent;al,ladin,  roumain. 

(4)  Groupe  gaélique  :  Irlandais,  erse,  nian- 
nois  —  Groupe  breton  ou  kimriqne  :  Gallois, 
comique,  breton,  «aulois. 

(5j  Le  ijroape  gotique  et  non  gothique,  au- 
quel apparlenaienl  le  lombard,  le  herule,  le 
vandale,  le  burgonde  qui  ont  disparu  sans 
laisser  de  traces.  Le  groupe  Scandinave  dont 
les  formes  actuelles  sont  l'islandais,  le  nor- 
végien, le  suédois,  le  danois.  Le  groupe  bni^ 
allemand  renfermant  le  saxon  et  ses  dérivés 
l'anglo  saxon,  d'où  l'anglais  ;  le  vicu.x  saxon, 
d'où  le  bas  allemand,  le  hollandais  et  le  fla- 
mand el  une  forme  spéciale,  le  frison.  Le 
groupe  haut  allemand. 


(6"i  Dont  l'aire  était  autrefois  en  Europe 
bien  plus  grande  qu'elle  n'est  aujourd  hui. 
Les  Slaves  occupaient  aux  septième,  huilième 
et  neuvième  siècles  ap.  J.-C.  la  Poméranie, 
le  Mecklemboiirg,  le  Brandebourg,  la  Saxe, 
la  Bohême  occidentale,  la  Basse  Autriche,  la 
plus  grande  partie  de  la  Haute  Autriche,  la 
Styrie  du  Nord  et  la  Carinlhie  septentrio- 
nale. On  parlait  des  idiomes  slaves  sur  les 
lieux  qu'occupent  à  présent  Kiel,  Lubeck, 
Magdebourg,  Halle,  Leipzig,  Baireuth,  Linz, 
Salzbourg.  Giatz  el  Vienne  Mais  dans  tous 
ces  pays  les  Slaves  furent  absorbés  par  l'élé- 
ment germanique.  Les  langues  slaves  sont 
les  suivantes  :  russe,  ruthène,  russe  blanc, 
slave  liturgique,  bulgare,  croato-sêrbe,  Slo- 
vène, tchèque,  slova(]ue,  polonais,  sorbe 
(serbe  de  Lusace)  el  polabe. 

(7)  Jadis  représentée  par  le  lithuanien  et  le 
lelle  qui  survivent  encore,  et  le  vieux  prus- 
si  1  qui  a  disparu  il  y  a  deux  siècles  envi- 
ron. 

;8)  Parmi  les  langues  indo-européennes  non 
classées  sont  :  I  étrusque  (Cf  Corssen,  Ueber 
die  Sprache  der  Etruxki'r.  Leipzig,  187i  1875),  le 
dace,  le  lydien,  le  carien,  le  lycien  et  quelques 
autres  langues  de  l'Asie  Mineure,   ralbanai.^. 


166 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


les  glaciers  eurent  disparu,  que  les  grands  lacs  se  furent  assé- 
chée? Les  peuples  ont  alors  dû  se  mouvoir  en  tous  sens,  se  mé- 
lano-er,  se  chasser,  s'entre-détruire  les  uns  les  autres;  et  nous  ne 
possédons  pas  la  moindre  notion  sur  ces  perturbations  d'où  est 
sorti  le  monde  moderne  inférieur,  celui  qui  n'a  pas  joué  de  rôle 
notoirement  utile. 

Quant  aux  évaluations  de  l'âge  auquel  on  doit  faire  remonter 
les  débuts  de  Tétat  néolithique  dans  les  divers  pays,  je  n'ai  pas 
besoin  de  dire  qu'elles  n'ont  rien  de  la  précision  scientifique. 
Elles  sont  très  variées  suivant  leurs  auteurs;  toutefois,  celles  qui 
suivent,  bien  qu'hypothétiques,  semblent  être  les  moins  mal  fon- 
dées et  les  plus  vraisemblables. 

Certains  savants  admettent  que  c'est  vingt  millénaires  avant 
nous  que  la  hache  polie  fit  son  apparition  dans  l'Asie  antérieure 
et  la  vallée  du  Nil(l);  d'autres  pensent  qu'en  Crète,  ce  phéno- 
mène se  produisit  six  mille  ans  plus  tard  (2),  qu'en  Suisse  il 
débuta  vers  lan  iOOO  avant  Jésus-Christ  (3). 

En  ce  qui  concerne  la  limite  inférieure,  nous  sommes  moins 
mal  renseignés,  parce  que  nous  approchons  des  temps  histo- 
riques. En  Chaldée,  l'âge  néolithique  aurait  cessé  vers  le  sixième 
millénium  avant  notre  ère  et  il  en  aurait  été,  à  peu  de  chose  près, 
de  même,  en  Egypte  {!x)\  tandis  que  c'est,  au  plus  tôt,  au  tren- 
tième siècle  que  serait  née  la  civilisation  égéenne,  et  que  la  Scan- 
dinavie n'aurait  connu  le  bronze  qu'au  dix-huitième  ou  vingt- 
deuxième  siècle  avant  J.-C.  En  Gaule,  en  Suisse,  c'est  vers  le  vingt- 
cinquième  siècle  que  se  serait  passée  cette  évolution;  tandis  que 
la  Finlande  aurait,  vers  le  cinquième  ou  le  troisième  siècle  seu- 
lement, remplacé  ses  armes  de  pierre  par  d'autres,  faites  de  fer, 
sans  passer  par  le  bronze;  et  que  la  Polynésie  aurait  attendu 
jusqu'au  dix-huitième  siècle  après  J.-C. 

Il  serait  aisé  d'établir  une  table  indiquant  l'apparition  des 
métaux  dans  les  diverses  régions  ;  mais  ce  serait  empiéter  sur 
l'histoire.  Mieux  vaut  réserver  cette  intéressante  question  pour 
les  siècles  où  ces  progrès  ont  pris  place,  afin  de  mieux  faire  sentir 
l'induence    des  foyers  de    civilisation.    Toutefois,    je   dois    faire 

(1)  O.  Montelius,  se  basant  sur  la  straligra-  (-2)  A.  Evans,  Congrès     id.   Reu.  Ecole   An- 

phie  des  fouilles  de  Suse,  fait  remonter  cette        'hrop.,  1906,  pp.  2/4  et2.5. 
orioine  à  iO  000  ans    Congrès  d'Anllirop.  prt-  >3)  S.  Reinach    Apollo. 

hisî  de  Monaco,  1906,  in  Rev.   Ecole  Anlhrop.  (D  Cf.  J.  de  Morgan.  Recherche,  sur  les  oii- 

P.ni^lU  1906.  p.  274).  'jines  de  l Egypte.  Pans,  1897.  Le  tombeau   de 

Negadah. 


LIIOMME    A    L'ÉTAT    NÉOLITHIQUE  167 

observer  que  les  tendances  actuelles  sont  de  réduire  notable- 
ment l'importance  et  la  durée  de  l'état  néolithique  pur  dans 
les  divers  pays,  et  de  reporter  à  l'énéolithique  bien  des  civilisa- 
tions attribuées  autrefois  à  la  pierre  polie.  Cette  tendance  se  jus- 
tifie par  une  foule  de  découvertes  montrant  le  métal,  bien  que 
peu  abondant,  en  compagnie  des  instruments  considérés  jadis 
comme  néolithiques  (1). 

L'apparition  du  métal  ne  donna  pas  lieu,  comme  on  serait 
tenté  de  le  penser,  à  une  révolution;  elle  se  fit  par  contact,  dans 
la  majeure  partie  des  cas,  plutôt  que  par  invasion,  et  lentement 
s'infiltra  dans  les  milieux  néolithiques.  Au  début,  les  armes  et  les 
instruments  métalliques  furent  peu  nombreux  par  suite  de  la  rareté 
du  cuivre;  au  point  que,  dans  bien  des  cas,  leurs  formes  recon- 
nues comme  supérieures,  furent  copiées  en  silex  (2).  Puis,  la 
métallurgie  s'établissant  dans  les  pays  miniers  (3)  et  les  relations 
commerciales  s'étendant  peu  à  peu,  le  métal  prit  la  place  de  la 
pierre.  Cette  période  de  transition,  qu'on  est  convenu  de 
désigner  sous  le  nom  d'énéolithique,  est  la  première  phase  de 
l'état  métallurgique. 

La  pierre  taillée  continua  cependant  d'être  en  usage  bien 
longtemps  encore;  on  l'employait  pour  armer  la  tête  des  projec- 
tiles qui,  par  la  force  des  choses,  devaient  être  perdus,  soit  à  la 
guerre,  soit  à  la  chasse.  Les  pointes  de  flèches  en  silex  étaient 
encore  employées  à  Fépoque  où  le  fer  était  depuis  longtemps 
connu  [h).  On  en  rencontre  des  milliers  sur  les  champs  de  bataille 
de  Marathon  et  de  Trasimène.  J'en  ai  trouvé  de  nombreux  spéci- 
mens dans  les  sépultures  de  l'Etat  du  fer  au  Nord  de  la  Perse,  et 
il  n'est  pas  certain  que  les  Huns  ne  s'en  fussent  pas  encore  ser- 
vis lors  de  leurs  invasions  dans  l'Europe  (5). 

(1)  En  1881,  dans  Minsion  scientifique  au  Cau-  aussi  les  in^tnimcnls  de  cui\  rr  ntil  :■[<■  fondus 

caxe,  l.  I,   p.  :<1,  je.Tivais:   «  Le  nombre  des  sur  des  modèles  de  silex  poli, 

objets   dôcouveris  jusqu'ici  est  si  restreint,  (3)  Les  premiers  centres  do  la  m.Mallurgie 

qu'il  serait  difficile  d  entrer  dans  des  compa-  furent  peu   nombreux.  On  ne  savait  alors  e.x- 

raisons  en  re    lùlat    néolithique    au    Caucase  ploilcr  que  les  affleurements  oxydi'-s  des  gise- 

<'t  le  même  état  dans  des  régions  plus  con-  menls  métallifères. 

nues;  d  est  même  impossible   d'affirmer  que  ^4)  Pointes  de    flcclies  en   silex   et  en  obsi- 

ies   Caucasiens  soient  jadis  passés  par  cette  dienne  dans  les  sépultures  de  l'étal  du  fer  au 

phase  de  la  civilisation.  »  Depuis  1889  toutes  Talyche  Russe.  Cf.  de  Morgan,  MIsxion  scien- 

mes  constatations   tendent  à  prouver  que  les  lifique  en   Perse,  t.    IV,  1«  partie,    1896,  p.  75, 

objets    caucasiens     d'apparence    néolithique  fig.  7i),  n'M3  et  14  (Musée  de  Saint-Germain), 

appartiennent  en    réalité   à  l'énéolithique  et  (5)  Ammien    Marcellin  ne   parle,  en   ce  qui 

sont  contemporains    de   l'usage  des  métaux  concerne  les  Huns,  que  do  pointes  «le  javelots 

(J-  M.).  et  de  flèches  faites  d'un  os  pointu.  Mais  il  e~t 

(-2)  Cf.    DE    Morgan,    Rech.  sur  les  oritj.  de  jvrobable  que  ces  barbares  pm|ilovaient  aussi 

t'Ktii![)le,  1897,    [1.  77,    fig.  179,   180,    haches  en  ],_•<,  |inintes  de  silex, 
silex  jaune    station   de    Licht).   Fré(picmrnonl 


168 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


Ainsi  l'emploi  de  la  pierre  ne  disparut  que  très  lentement  des 
usages  courants  ;  il  persista,  même  jusqu'aux  approches  de  notre 
ère,  dans  certaines  pratiques  cultuelles  telles  que  l'éviscération 
des  momies  en  Egypte  (1),  la  circoncision  chez  quelques  peuples 
asiatiques  (2). 

Dans  les  pays  où  se  développèrent  les  premières  grandes  civi- 
lisations comme  la  Chaldée  (3),  l'Elam  (/i)  et  l'Egypte  (5),  les 
populations  en  étaient  encore  à  l'état  énéolithique  quand  apparut 
l'écriture,  c'est-à-dire  quand  débuta  l'histoire;  mais,  dans  la  plu- 
part des  contrées,  à  l'énéolithique  succéda  l'usage  du  bronze,  puis 
celui  du  fer;  et  ce  n'est  que  longtemps  après  qu'apparut  l'écriture. 
C'est  ainsi  que  les  choses  se  passèrent  dans  tout  le  nord,  le  cen- 
tre et  l'ouest  de  l'Europe;  tandis  que  dans  la  région  méditerra- 
néenne, le  fer  ne  fut  connu  qu'après  la  science  de  figurer  la  pensée. 

Les  plus  anciens  instruments  métalliques  (6)  sont  faits  de 
cuivre  pur  (7)  ;  c'est  plus  tard  seulement  qu'apparut  Tétain  (8)  dans 
le  bronze.  Quant  à  l'or  (9),  il  accompagne  le  premier  métal  sous 
forme  d'électrum  (10),  produit  du  lavage  des  sables,  et  contient 
en  général  une  forte  proportion  d'argent.  Ce  n'est  que  longtemps 
après  qu'on  parvint  à  l'affiner;  car,  au  temps  encore  de  la  douzième 
dynastie  égyptienne,  les  feuilles  d'or  ornant  les  sarcophages  des 
j)rinces  (M)  renfermaient  17  p.  100  d'argent  (12). 


(1)  Itfisiohii,  liv.  11,  DiODOiiK  DE  SiciLi;,  liv.  I. 
—  J.  liVANS,  les  Ages  de  la  pierre,  Il  ad.  fr., 
1878,  p.  9. 

(4)  Chez  k^s  Juifs  el  les  Phéniciens  entre 
autres. 

(3)  Cf.  E.  DE  SkRzv.c.  Décoiiverles  en  Chaldée. 

(4)  Les  couclies  profondes  du  Tell  de  Suso 
renfermenlen  même  temps  que  le  silex  taillé 
des  instruments  en  cuivre  pur.  L'usaj^e  du 
silex  se  continue  pour  certains  instruments 
l)ien  longtemps  après  la  découverte  de  l'écri- 
ture. 

f5)  Cf.  DE  Morgan,  Recherches  s.  les  orig.  de 
l'Egyple,  1897,  p.  'i47,  sq.  L'usage  du  cuivic 
l>ur  apparaît  un  ijeu  avant  la  fondation  de  la 
royauté  pharaonique  et  se  conlinue  au  cours 
des  deux  premières  dynasties  au  moins. 

(G)  Dans  le  nouveau  monde,  le  cuivre  était 
d  un  usage  courant  avant  l'arrivée  des  Euro- 
l>éens.  Dans  les  lettres  de  Cortez  à  Charles- 
<^)uint  il  est  fait  mention  des  trihuls  payés 
aux  rois  mexicains  avant  la  conquête  Certains 
villages  étaient  taxés  tous  les  jours  à  cent 
haches  de  cuivre  Bernard  Diaz  raconte  que, 
liirs  de  sa  seconde  expédition  avec  Grisalva, 
les  habitants  de  Goatzacoalco  apportèrent  aux 
Espagnols  des  haches  de  cuivre  En  trois  jours 
il  en  fut  réuni  plus  de  600.  En  1873,  l'ingénieur 
Felipe   Larainzar    a    découvert  dans   la  mon- 


tagne de!  Ciguila  (État  de  Guerrero)  une  an- 
cienne mine  de  cuivre  exploitée  par  les  In- 
diens. Ce  métal  (Ciavigero  et  Torquemada) 
servait  pour  les  transactions,  comme  la  mon- 
naie dans  le  monde  classique,  comme  en  Chine 
les  couteaux  de  hronze. 

(7)  Cf.  Bektiiklot,  Hist.  des  sciences,  ou- 
tils et  armes  de  l'à^'e  du  cuivre  pur  en  Egypte, 
ds  Comptes  rendus  de  l'Acnd.  des  sciences. 
CXXIV,  pp.  1119-1125,  1897. 

(8)  Les  Indiens  envoyaient  létain  (Vava- 
nechla  =  désiré  des  Yavanas)  dans  l'Arabie 
et  peut-èlre  la  Grèce  (Yavnn)  (Cf  Fi-,.  Lemor- 
iMANi,  les  Orig.  de  l'Histoire,  t.  III,  ]i.  14.) 

('.)j  Le  plus  ancien  bijou  d'oi-  daté  (|iie  jr 
connaisse  est  la  grosse  [)erle  d'nr  découverte 
dans  la  tombe  de  Mènes  à  Ncgadah.De  celte 
époque  également  est  le  couteau  de  silex  orné 
d'une  lame  d'or  du  musée  de  Ghizeh;  je  le 
pense  contemporain.  Cf.  J  de  Morgan,  Rech. 
s.  les  orig.  de  l'Egypte,  p.  197,  fig    744  et  pi.  V. 

(10)  Toutes  les  monnaies  grecq.  es  archaï- 
ques sont  en  élcclrum  'Cf.  Bauci.ay  V.  IIead, 
Uisloria  namorum,  Oxford,  1887)  Les  plus 
anciennes  (Lyilie)  datent  du  huitième  siècle 
seulement  av.  J.-C 

(11)  Cf.  J.  DE  Morgan,  Fouilles  à  Duhchour, 
t.  I,  1894  ;  t.  II,  18E4-1895. 

(12)  Analyses  de  Berthelot. 


L'HOMME    A    L'ETAT    NÉOLITIIIOUE 


169 


Il  semblerait  (juil  y  eut  dans  l'antiquité  deux  foyers  des  inven- 
tions métallurgiques;  l'un,  le  plus  ancien,  correspondant  à  la 
Chaldée  ou  à  rElam,  dont  les  montagnes  sont  riches  en  minerais 
cuivreux;  l'autre  dans  l'Asie  centrale  (1),  qui  nous  aurait  trans- 
mis ses  découvertes  par  la  migration  des  peuples  sibériens  (2). 
Toutes  les  donnéesarchéologiquess'accordenteneiretpour  dévoiler 
l'existence  de  deux  courants  métallurgiques  bien  distincts 
dans  l'ancien  monde.  L'usage  des  métaux  était  courant  dans 
l'Egypte  (3)  et  l'Asie  antérieure,  bien  longtemps  avant  qu'il  n'ap- 
parût chez  les  peuples  du  Nord.  En  Amérique,  il  aurait  été  le 
fruit  d'une  découverte  indigène  (/|),  bien  que  de  nombreux  indices 
permettent  de  supposer  l'existence  de  relations  très  anciennes 
outre  le  nouveau  monde  ot  l'Asie  (5). 


(1)  Cf.  J.  DE  MoRGA>,  Mission  scientifique  au 
Caucase,  t.  II,  Fecherclies  s.  les  oriy.  des  peu- 
ples du  Caucase,  18S9,  p.  15  à  35,  pi.  (carte)  I. 

(2/  l'armi  les  migrations  les  plus  intéres- 
santes et  en  même  temps  les  plus  mysté- 
rieuses, on  doit  citer  celle  du  Swaslika  qui 
s'est  étendue  sur  les  deu.x  hémisphères  Cf. 
Th.  WiLsoN.  The  Swaslika.  in  Smilh.t.  inslil. 
Rep.  Washinglon,  896  .  Ce  signe  ne  semble 
pas  exister  d'ancienne  date  en  Chaldée  et  en 
Assyrie  Je  ne  l'ai  jamais  rencontré  en  Elam 
ni  vu  en  Egypte.  Il  semble  n'être  entré  dans 
le  monde  antique  qu  en  njème  temps  que  les 
peuples  aryens  (iraniens  et  européens)  ;  sa 
présence  dans  le  nouveau  monde  semblerait 
indiquer  un  contact  entre  les  populations  amé- 
ricaines et  celles   de   l'Asie.    Mais  il   est  im- 


possible de  préciser  l'époque  à  laquelle  cette 
inllucnce  se  serait  fait  sentir. 

(3)  S  Reinach,  le  Fer  en  Egypte,  ds  VAn- 
Ihrop.,  XV,  p    116. 

(4)  Fr.  Lenormant,  dans  les  Premières  Civi- 
lisations (t.  I,  p.  71),  a  traité  longuement  de 
l'invention  des  métaux  et  de  leur  introduction 
en  Occident,  reprenant  toutes  les  données 
fournies  par  les  auteurs  classiques  et  orien- 
taux. 

(5)  M.  Flint  a  découvert  dans  les  mounds 
de  Nicaragua  et  du  Costa  Rica  un  certain 
nombre  de  haches  et  d'ornements  en  jadéite 
(minéralogiquemenlidenlique  àcelle  del'Asie), 
roche  étrangère  au  nouveau  monde  [Maté- 
riaux. 1886,  p.  273).  Ce  fait  vient  a[»puyer  l'hy 
pothèse  relative  à    la   diffusion  du  Swastika. 


CHAPITRE  VII 


L'Asie    antérieure    et  lÉgrypte   anté-historiques. 


J.' expansion    sémilique    en     Chaldéc    et   dans    la    vallée    du  Nil. 
La   conquête  élamite. 

J'ai,  dans  les  pages  qui  précèdent,  esquissé  à  grands  traits 
l'histoire  du  globe  depuis  l'époque  où  Fliomme  a  été  à  même 
d'apparaître  sur  la  terre,  en  temps  que  type  zoologique,  jusqu'à 
l'aurore  des  temps  historiques  ;  j'ai  montré  cet  être  supérieur 
lépandu  sur  tous  les  continents,  aux  prises  avec  les  difficultés  de  la 
nature,  avec  l'instabilité  des  choses,  luttant  sans  cesse  pour  la  vie, 
pour  le  progrès.  Dans  ce  milieu  essentiellement  varié  et  varia 
ble,  quelques  groupes  humains  mieux  doués  que  les  autres,  êtres 
favorisés,  se  développèrent  plus  rapidement,  avancèrent  en 
civilisation  et  prirent  la  tête  de  l'évolution  intellectuelle.  Leur 
fpuvre  devait  dès  lors  conduire  le  monde. 

C'est  dans  l'Asie  antérieure,  dans  les  pays  situés  à  l'orient  de 
la  Méditerranée,  que  la  civilisation  prit  son  essor  (1)  ;  c'est  là 
({n'apparaissent  les  premières  lueurs  de  l'histoire.  Les  conditions 
naturelles  de  ces  pays  méritent  une  attention  toute  spéciale  ;  car 
les  variations  survenues  dans  la  forme  du  sol  et  dans  le  climat 
ont  pris  une  large  part  dans  les  causes  de  l'évolution  historique. 

1^'homme  se  meut  dans  une  ambiance  dont  la  mobilité  est 
extrême.  Ces  variations  sont  presque  insensibles  à  nos  yeux,  parce 

(1    La  C.haldée,  pays  où  s'est  développée  la        voisine  du  centre  de  figure  de  l'ancien  monde 
première  civilisation,  est,    fait   curieux,    très        qui,  exactement,  se  IrouvedansleMazandéran, 


L'ASIE    ANTÉRIEURE    ET    L'EGYPTE   ANTÉ-HISTORIQUES  171 

qu'elles  occupent,  en  général,  des  laps  de  temps  échappant  à  la 
vulgaire  observation;  parce  que  les  faits  humains  se  précipitent  par 
rapport  aux  phénomènes  naturels  et  que  les  termes  de  comparai- 
son sont  em[)runtés  à  notre  courte  vie  ;  mais  les  grands  mouve- 
ments de  la  nature  se  poursuivent  toujours,  imposant  leurs 
lois  aux  hommes  avec  une  implacable  ténacité. 

C'est  au  cours  des  périodes  tertiairesquel'Orient  méditerranéen 
dessina  les  formes  qu'il  affecte  aujourd'hui.  Ce  ne  fut  d'abord 
qu'une  esquisse  du  sol  que  nous  foulons;  mais,  par  des  modifica- 
tions successives,  les  reliefs  et  les  dépressions  s'établirent,  les  val- 
lées se  creusèrent,  les  plaines  alluviales  se  formèrent  ;  et  l'homme 
put  contempler  enfin  le  berceau  qui  devait  abriter  l'enfance  de  la 
grande  civilisation. 

Certes  ce  domaine  n'est  pas  resté  stable,  môme  au  cours  des 
époques  humaines  ;  il  s'est  modifié  et  se  modifiera  encore.  Demain 
peut-être  les  ruines  de  Babylone,  de  Ninive  ou  de  Suse  seront 
abîmées  sous  les  mers,  comme  l'était  le  sol  qui  les  porte,  au  début 
des  temps  tertiaires. 

A  l'époque  lutétienne  (éocène),  la  mer  couvrait  toute  l'Asie 
antérieure  et  le  nord  de  l'Afrique.  C'était  une  sorte  de  Méditer- 
ranée, comprise  entre  des  continents  européen  au  nord,  africain 
au  sud  et  asiatique  à  l'est.  Grandes  terres  émergées,  dont  la  sur- 
face égalait  presque  celles  de  nos  jours  ;  mais  qui  ne  ressemblaient 
en  rien  à  celles  qu'aujourd'hui  nous  désignons  par  ces  noms. 
Quelques  îles,  le  Caucase,  l'Arménie,  la  Macédoine,  peut-être  aussi 
l'Anatolie,  émergeaient  çà  et  là  de  ce  grand  lac  aux  eaux  salées. 
L'oligocène  ne  semble  pas  avoir  apporté  de  grands  change- 
ments à  cet  état  de  choses  ;  ce  n'est  qu'au  vindobonien  (miocène) 
que  sortirent  des  mers  l'Egypte,  l'Arabie,  une  grande  partie  de  la 
Perse  et  de  l'Asie  Mineure.  Un  bras  de  mer  traversait  alors  l'Asie 
antérieure,  se  prolongeant  en  un  golfe  profond  jusqu'aux  confins 
orientaux  de  l'Iran,  rejoignant  presque  la  mer  des  Indes,  prolon- 
gée vers  le  Nord;  alors  qu'une  autre  mer  salée  s'étendait  au  delà 
du  Taurus,  du  Caucase,  de  l'Elbourzet  de  l'Ilindou-Kouch. 

Le  plateau  iranien  n'était  pas  encore  soulevé,  ses  terres  se 
tenaient  près  du  niveau  des  eaux.  De  grandes  émergences  dont  le 
relief  est  inconnu  couvraient  l'Asie  Mineure,  le  Caucase,  le  sud 
de  la  Transcapienne  et  l'Arabie,  jointe  à  la  Perse  méridionale  et  à 
l'Egypte  tout  entière. 


/172  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Les  temps  sarmatiens  et  pontiens  (miocène  supérieur)  virent  se 
créer  de  grands  lacs  saumâtres  dans  la  dépression  située  au  nord 
du  Taurus,  du  Caucase  et  de  l'Iran.  Des  mouvements  de  l'écorce 
terrestre  s'étant  opérés,  les  uns  fermèrent  les  communications 
entre  la  mer  et  ces  fosses,  les  autres  surélevèrent  toute  l'Asie  anté- 
rieure, par  compensation  de  la  dépression  qui  venait  de  s'accen- 
tuer dans  le  Nord. 

Vers  cette  époque,  la  majeure  partie  des  pays  qui  nous  inté- 
ressent était  occupée  par  de  grandes  nappes  d'eau  salée  sans 
issue.  Ces  lacs  ont  laissé  d'épaisses  couches  de  marnes  et  de 
gypses;  on  en  rencontre  les  traces  depuis  l'anti-Liban  jusqu'au 
centre  du  plateau  persan,  depuis  les  déserts  de  l'Arabie  jusqu'au 
pied  des  montagnes  arméniennes  (1).  Ils  couvraient  une  surface 
d'un  demi-million  de  kilomètres  carrés  au  moins. 

C'est  en  ces  temps  que  s'est  constitué  le  bassin  fluvial  de  la 
mer  Morte  et  du  Jourdain  (2).  11  semble  qu'alors  les  fleuves  de 
Palestine  formaient  l'extrémité  d'un  vasle  système  fluvio- 
lacustre comprenant  le  Nil,  les  grands  lacs  d'Afrique,  les 
affluents  supérieurs  du  Zau)bèze  et  peut-être  aussi  la  mer 
Rouge  (3). 

La  configuration  du  sol  était  donc  toute  diflerente  de  ce  qu'elle 
est  aujourd'hui.  La  Méditerranée  n'existait  encore  que  partielle- 
ment ;  la  mer  Rouge  et  le  golfe  Persique  faisaient  partie  des 
continents.  Les  chaînes  du  sud  de  l'Iran,  se  rejoignant  avec  celles 
de  l'Arabie  par  la  région  d'Hormuz,  formaient  le  bord  d'une  vaste 
cuvette,  probablement  basse,  où  s'étendait  le  grand  lac  syro-ira- 
nien.  Au  loin,  sur  la  côte  orientale  d'Afrique  et  d'Arabie,  étaient 
des  terres  dont  Sokotra  semble  n'être  aujourd'hui  qu'une  ruine. 
Quant  à  l'Afrique,  elle  se  trouvait  soumise  à  un  régime  hydrogra- 
phique régulier  de  fleuves  et  de  lacs. 

Dans  le  nord,  au-delà  du  Taurus  et  du  Caucase,  déjà  depuis 
longtemps  formés  en  partie,  s'étendaient  les  vastes  lagunes 
sarmatiques  ;  puis  le  continent  européen. 

Le  plaisancien  (j)liocène  supérieur)  n'a  guère  altéré  le  tracé 
des  côtes;  mais  les  altitudes  se  modifièrent,  s'accroissant  dans  le 

(1)  J'ai    observé    les    afQeiiremenls    de   ces  enfin  dans  tout  le  pays   compris  entre  Delr  el 

conciles  gypseuses  dans  le  LoiiiisUin  cenlral,  Zor,  Palmyre  et  Damas. 

en  Arabislan  près  de  Siise,  au  pays  des   Bak-  (2)  Tristam,    The  Flora   and  Fauna  of  Pales- 

yaris.    dans     le     Pouciit    k    Kouh,    à    Zohàlj  Une,  188i. 

i.CL  Misaion  xcienlifique  en  l'erse.    Eludes  ttéo-  (3)    A.    DE    Lapparent,    Traité  de   Géologie^ 

lo>::i(pies\  en  Chalilén.  à  I!iU  sur    lEuplirale,  Vl"  rdil   ,  Paris,  lOifi,  p.  1915. 


L'ASIE    ANTÉRIEURE    ET    L'EGYPTE    ANTÉ-IIISTORIQUES 


173 


massif  de  l'Asie  Mineure  et  de  l'Iran.  Au  cours  de  Tastien,  la 
dépression  nilolique  se  creusa,  constituant  un  golfe  profond 
qu'envahirent  les  eaux  amères.  Des  cours  d'eau  venant  de  l'est 
s'y  jetaient,  semant  de  cailloux  le  désert  arabique  ;  quelques  lacs 
d'eau  douce  s'y  formèrent  (1).  11  en  fut  de  même  dans  le  sud  de 
la  mer  Morte  et  dans  la  région  de  l'Oronte. 


'GaraJi 


O.Bahari^ehç'/         ^;„.^^ 


/   O.Fdrafrah  Sioat 


0.  DakhÙeh 


Pays  égyptiens  et  syriens  au  cours  du  pliocène   moyen  (2). 

C'est  probablement  vers  la  fin  du  pliocène  que  s'est  effectuée 
la  grande  poussée  qui  fit  surgir  le  plateau  iranien  et  que,  par 
compensation,  se  sont  creusées  les  deux  fosses  qui  le  bordent  : 
la  dépression  aralo-caspienne,  au  nord,  qui  s'approfondit,  celle  du 
golfe  Persique  au  sud.  Plus  loin,  entre  l'Arabie  et  l'Egypte,  s'ou- 


(1)  Lacs  à  Melanopsis  Aegijpliaca.  Aegy\)\cn<,,  in Zeilscli.  d.  Deulschen  Geol.  Gesell. 

(2)  D'après  Max  Ulanke.nhorn,  Zur  Géologie        lUI.  LUI.  Urd.  :i.  .latirg.  l'JOl,  fig.  15,  p.  355. 


17/i  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

vrait   la   mer    Rouge   parallèlement  à  la    brisure  nilotique    mais 
tournée  en  sens  inverse  (1). 

x\insi  se  trouva  constituée  l'Asie  antérieure,  dans  ses  lignes 
principales.  Les  deux  grandes  dépressions  pontique  et  aralo-cas- 
pienne  (2)  étaient  séparées  entre  elles  par  le  Caucase  qui,  vaste 
promontoire,  s'avançait  dans  les  pays  plats  septentrionaux.  A 
l'ouest  s'étendait  la  ^Méditerranée,  parsemée  d'îles,  restes  de 
terres  disparues  ;  au  sud,  le  golfe  Persique  pénétrait  dans  l'Asie, 
et  ses  eaux  venaient  baigner  le  pied  des  monts  du  Sindjar,  du 
Kurdistan,  du  Louristan,  peut-être  même  les  dernières  pentes 
de  l'anti-Liban.  Plus  loin,  vers  le  sud,  s'allongeait  la  mer  Rouge, 
sans  communication  avec  la  Méditerranée  et  le  golfe  égyp- 
tien. 

Les  grandes  chaînes  du  Taurus  et  du  Caucase,  alors  reliées 
entre  elles  par  le  haut  massif  arménien,  se  rattachaient  par  le  pla- 
teau iranien  à  l'Hindou  Kouch  et  aux  grandes  hauteurs  de  l'Asie 
centrale  ;  tandis  ((ue  l'Arabie,  en  pente  douce  vers  sa  région 
septentrionale,  se  relevait  sur  ses  autres  bords  pour  former,  près 
de  ses  côtes,  d'importantes  chaînes  volcaniques. 

Plus  au  sud  encore,  le  massif  abyssin  se  reliant  aux  montagnes 
de  l'Afrique  centrale  et,  par  elles,  aux  plateaux  du  Darfour,  du 
Kordofàn  et  aux  monts  de  la  Lune,  n'est  que  la  continuation  des 
chaînes  arabes. 

Telle  est  la  conformation  de  l'Asie  antérieure  et  de  l'Egypte, 
quand  apparaît  le  pléislocène.  Dès  lors  Thumidité  s'accentue,  le 
pays  se  couvre  de  lacs,  de  forêts,  de  prairies  dans  les  parties 
basses,  et  l'homme  est  à  même  de  s'y  développer  en  compagnie 
des  pachydermes  et  d'une  faune  très  nombreuse. 

Mais  survient  la  période  glaciaire;  toutes  les  grandes  altitudes, 
peut-être  alors  plus  accentuées  qu'aujourd'hui,  se  garnissent  de 
névés;  le  Taurus,  l'Arménie,  le  Caucase,  tout  l'Iran  (3),  l'indou- 
Kouch  et  le  centre  asiatique  se  couvrent  de  glaciers,  de  champs 
de  neige,  et,  pendant  une  longue  succession  de  siècles,  de  millé- 
naires peut-être,  demeurent  inhabitables.  Quelques  îlots  glaciaires 

(1)  Cf.  docteur  Max  Blanckenmorn,  Zur  Geo-  Cf.  J.  de  Morgan,  Mission  scienlifique  en 
hgie  Aegyplenx  —  IV.  Das  Pliocân  iincl  Oiiar-  Per.se,  l.  111,  19U5.  Géol.  Stratigr.,  p.  44, 
lârzeilaller,  in  Zeitsch..  d.  Deulschen  Geolog.  Ge-        fig.  42. 

xellschafU  Bd   LUI,  Heft.  3,  Jahig.  lyOl.  Elude  (3)    Cf.    .1.  de    Morgan,  Le  plateau   Iranien 

fort  inttTessanle  et  très  complète  sur  les  der-  pendant  l'époque  pléislocène,  ds  Rev.  de  l'Ec. 

niers   temps  géologiques   dans  l'Egypte  et  la  d'Anlhrop.,  t.  XVII,  1907,  p.  213.  —  Commun i- 

yyrig  cation  à  l'Acad.  des   Inscript,  et    Delles-Lettn^s 

(2)  Anciens    rivages  de   la  mer   Caspienne.  du  5  juillet  1907. 


LASŒ    ANTÉRIEUIŒ    ET    L'ÉGVPTE    ANTÉ-HISTORIQUES  175 

se  loniient,  dans  le  Liban  entre  autres  ;  seule  la  zone  intermédiaire 
reste  habitée. 

Puis,  après  des  oscillations  restées  encore  inconnues,  arrive 
la  débâcle  et  ses  alluvions.  C'est  le  déluge  chaldéen  (1)  qui  détruit 
tout;  forets,  animaux  et  hommes  sont  engloutis.  A  peine  quelques 
familles,  campées  sur  les  hauteurs,  échappent-elles  au  désastre. 
L'homme  ne  survit  ([ue  grâce  à  ses  bateaux,  disent  les  légendes  (2). 

Le  souvenir  d'un  cataclysme  de  cette  nature  nous  a  été  trans- 
mis par  les  Sémites  de  Ghaldée  (3)  ;  mais  eux-mêmes  l'avaient 
j)eut-étre  reçu  de  peuples  plus  anciens  qu'eux  dans  le  pays,  des 
descendants  des  tribus    pléistocènes. 

Chassés  de  leurs  plaines  par  les  inondations,  ne  sachant  à 
([uels  territoires  confier  leur  existence,  les  humains  durent  vivre 
d'une  façon  bien  errante,  en  ces  temps  troublés  et  si  longs  que 
nous  n'en  saurions  évaluer  l'étendue. 

De  grandes  vallées  se  creusent  (/i),  comme  le  Bahrbéla  Ma  (5) 
pour  être   de  suite  abandonnées  par  les  eaux;  la  terre  se  couvre 
de  cailloux  roulés,  là  où  croissaient  jadis  de  luxuriantes  forêts. 
Après  l'eau,  c'est  le  désert,  la  solitude,  l'aridité  absolue  (6). 


(1)  H  est  peiil-Otre  téméraire  de  rapprocher 
(les  cataclysmes  qui  ont  marqué  la  fin  des 
grands  glaciers  des  légendes  chaldéennes, 
juives,  grecques,  etc.,  relatives  au  déluge.  Ce 
rapprochement  laisserait  supposer  qu'à  l'au- 
rore des  époques  historiques  le  souvenir  des 
temps  pléistocènes  était  encore  vivant  et 
que,  par  suite,  cette  période  de  la  fonte  des 
glaces  ne  serait  pas  aussi  éloignée  de  nous 
qu'on  le  pense  généralement. 

(2)  Cf.  P.  DoR.ME,  1007,  Choix  de  textes, 
p.  101. 

(:<)  Cf.  G.  Maspero,  llisl.  anr.  p.  Or.,  1893, 
p.  147  et  sq.;  pour  la  bihiiographie,  p.  150, 
note  1. 

CO  T. -G.  Bonncy  (Tiie  Kisclion  and  .Jordan 
valleys,  in  Geol.  Miii/.,  décembre  l'.)()l.  p.  57ri) 
considère  que  la  vallée  du  .Jourdain  s'est  des- 
sinée depuis  la  formalion  du  calcaire  nummu- 
litiijue,  probablement  au  début  de  la  période 
glaciaire.  Les  reliefs  des  pays  voisins  étaient 
certainemerit  difrérenls  de  ce  ((u'ils  sont  au- 
jourd'hui, l'aire  d;  drainage  beaucoup  plus 
vaste. 

(5)  Lorsqu'au  [jrinlemps  de  ISDGj'ai  visité  le 
Bahr  bélà  Ma,  mon  voyage  s'est  trouvé  sin- 
gulièrement facilité  par  l'e.xisLence,  dans  les 
dépressions,  de  nappes  d'eau  résidtant  des 
pluies  abondantes  de  l'hiver  précédent.  Cette 
eau  légèrement  amère  était  cependant  po- 
table pour  les  chameaux  de  l'cxiiédilion;  mais 
elle  ne  l'était  pas  pour  l'homme.  En  sorte 
qu'en  aucun  cas  ces  régions  ne  sont  habita- 
bles et  que  c'est  en  grande  hâte  qu'elles  doi- 
vent être  visilécs.  Le  Bahr  bélà  Ma  est  une 
vallée  de  10  à  25  kilomètres  de  large,  creusée 


par  les  érosions  dans  les  sédiments  (horizon- 
taux) éocènes  et  miocènes,  qui  s'élèvent  en 
falaises  sur  les  deux  bords  à  tiO  et  80  mètres 
de  hauteur.  Au  fond  de  cette  vallée  se  mon- 
trent partout  les  couches  géologiques  avec 
leurs  fossiles  uî-és  par  le  vent.  Nulle  part  on 
ne  rencontre  la  moindre  trace  d'humus  ou  de 
coquilles  ayant  appartenu  à  la  faune  terrestre 
pléistocène  ou  moderne.  D'énormes  dunes, 
semblables  aux  vagues  de  la  mer,  dirigées  du 
Nord-Ouest  au  Sud-Est,  recou|,ent  cette  vallée 
de  leurs  longues  crêtes  parallèles.  Elles  sont 
distantes  les  unes  des  autres  de  1.50Û  à 
2  01)0  mètres  et  larges  de  1.000  mètres  environ, 
laissant  affleurer  entre  elles  le  sol  géologi- 
que. En  pente  douce  vers  le  Nord-Ouest,  elles 
tombent  à  45"  environ  vers  le  Sud  Est.  Çà 
et  là,  quelques  collines  bordées  de  falaises 
viennent  troubler  la  régularité  de  cet  océan; 
les  sables  s'en  détournent  pour  aller  s'accu- 
muler derrière  elles  en  monticules  énormes. 
Du  sommet  des  collines  la  vue  découvre  une 
inlinilé  de  ces  vagues  parallèles  se  jierdant  à 
l'horizon.  Dans  les  parties  moins  encaissées 
du  «  fleuve  sans  eau  ■•,  les  dunes  atteignent 
parfois  50  mètres  de  hauteur,  elles  s'avancent 
au  loin  dans  le  désert  et  semblent  être  sans 
fin.  Lorsqu'il  vente  fort,  elles  se  déplacent  ra- 
pidement au  milieu  d'une  atmosphère  presque 
irrespirable  de  sable.  Ces  parages  sont  consi- 
dérés par  les  Bédouins  comme  exirèmement 
dangereux;  ils  ne  s'y  aventurent  ()u'avec  la 
plus  grande  circonspection  Aucun  animal  n'y 
vil,  aucune  plante  n'y  croit,  laridité  est  ab- 
solue. (J.  M.) 
(G)  Sur  les  déserts  d'Egypte.  Cf.  II. -T.  Fer- 


176  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Mais  pendant  ce  temps,  les  glaces  ayant  fondu,  l'équilibre  s'est 
établi;  les  fleuves  ont  adopté  le  cours  qu'ils  conserveront  jusqu'à 
nous,  tout  en  errant  encore  longtemps,  fous,  dans  les  plaines. 

Que  reste-t-il  après  ces  cataclysmes  ?  de  hautes  montagnes 
encore  glacées,  des  plateaux  couverts  de  lacs  immenses,  salés 
ou  saumâtres,  la  mer  pénétrant  jusqu'au  milieu  des  continents, 
et  ce  désert  caillouteux  qui  se  refuse  à  la  végétation.  Çà  et  là,  en 
Arabie,  en  Ethiopie,  sur  le  plateau  persan,  au  Caucase,  d'énormes 
volcans  vomissent  le  feu,  les  cendres  et  les  laves.  Le  pléistocène 
marque  pour  ces  pays  une  ère  de  dévastation. 

Mais  voici  que,  lentement,  la  nature  va  réparer  les  ruines  qu'elle 
a  semées;  ce  sont  les  fleuves  qui,  par  leurs  incessants  apports, 
vont  offrir  à  l'homme  des  terres  habitables. 

Traversant  les  alluvions,  y  creusant  leur  lit,  les  cours  d'eau 
issus  d'Arménie  et  des  pentes  iraniennes,  du  Taurus  et  du  Liban 
se  fraient  un  passage  jusqu'à  la  mer  et,  apportant  les  matériaux 
des  hauts  pays,  fertilisent  leurs  rives,  créent  leurs  deltas. 

L'Euphrate  avait  le  sien  bien  au  nord  de  Babylone,  à  la  sortie 
des  falaises  qu'il  venait  de  découper  dans  les  alluvions  durcies  ; 
le  Tigre  se  jetait  à  la  mer  quelque  peu  en  aval  de  Mossoul.  Deltas 
torrentiels,  ou  plutôt  véritables  cônes  de  déjection,  où  s'entassèrent 
d'abord  les  gros  matériaux. 

La  Diyala,  la  Kerkha,  le  Kâroun,  l'Ab-è-Diz,  le  Djerrâhi  réduits 
aujourd'hui  au  rang  de  rivières,  étaient  alors  des  fleuves.  Cent 
cours  d'eau  de  moindre  importance  descendant  du  Zagros,  du 
Poucht  è  Kouh,  des  monts  Baktyaris  se  jetaient  alors  directement 
à  la  mer,  ils  se  perdent  aujourd'hui  dans  la  plaine.  Quant  au 
désert  arabique,  il  ne  fournissait  aucun  apport  constant,  ne  possé- 
dant pas  même  un  ruisseau. 

Les  chaînes  bordières  de  l'Iran,  les  montagnes  d'Arménie, 
celles  du  Taurus,  couvertes  de  neige  pendant  l'hiver,  recevant  les 
pluies  du  printemps,  apportaient,  comme  de  nos  jours,  aux  diverses 
rivières  en  sortant,  des  quantités  énormes  d'eau,  très  variables 
suivant  les  saisons.  11  se  produisit  des  crues  violentes  qui,  entraî- 
nant à  la  mer  d'immenses  quantités  de  boues,  ont  fait,  dans  les 
débuts  surtout,  très  rapidement  progresser  les  estuaires  (1). 


BAR,  Some  désert  fealures,  in  Geological  Mnga-       core  dans  toutes    les    vallées  de  l'Asie  anlé- 

zine,  vol.  IV,  Londres,  1  07,  p.4F>9,  sq.  (J.  M.)       rieiire,  mais  elles  perdent  graduellement  de 

(t)  Ces  inondations  périodiques  existent  on-       leur  importance.  Au    printemps,  les    eaux  de 


i/Asii:  a.nti;i!Ii;li!i:  kt  lkgvpte  anti'miistoriques 


177 


Peu  à  peu,  bien  des  lleuves  devinrent  de  simples  affluents 
des  grands  cours  d'eau  dont  les  deltas,  avançant  toujours,  laissaient 
entre  eux  de  vastes  marécages  il)  et  des  lagunes  j)rès  des  [)lages. 


Avancement  de-  allusions  du  Chatl-el-Arab  dans  le  ii^olfe  Persique  (d'après  les 

cartes  marines)    2  . 

Ou  a  bien  souvent  essayé  d'évaluer  les  temps  écoub^s  au  moyen 
des  progrès  des  alluvions  '3i.  Celte  méthode  n'est  i)as  sûre  en 
ce  qui  concerne  les  parties  hautes  des  vallées,  el  ne  prend  de 
valeur  ([ue  du  moment  où  le  cours  d'eau  ne  dépose  plus  que  des 
éléments  très   fins  [h).   On   peut   compter  par  exemple,  en  ce  (|ui 


l'Euphralc,  travtr-ianl  la  plaine  prèï-  de  Bag- 
dad, vieiincnl  se  joiiulrc  à  ccl  les  du  Tigre-  (J.M.) 

(1)  Beaucoup  de  ces  terrains  marécageux, 
asséchés  depuis  lungtemps,  oui  été  livrés  à 
la  culture.  Dans  d'autres,  on  \oil  encore  les 
Unionidés  enfoui>  dans  la  t<'rre  dans  leur  po- 
sition d'existence.  (.).  M.) 

(2)  Cf.  J.de  Mni'.o.w,  Mrm.  I)rh->i.  en  Perse, 
t.  I,  1900. 

(3)  L'irrégulariti-  de  l'axanceinent  des  del- 
tas est    un  fait    jnijourd'liiii    reconnu.   Kn    ce 


(pii  concerne  l'avancement  du  P6.  Cf.  Sulle 
récente  transformazioni  del  delta  del  Po,  (1893- 
1904),  in  Riv.Geoijv.ll.,  1897,  fasc.  .\.  Pour  celui 
du  Danube,  Cf.  Semicnoii,  Tian-Clianski  Vénia- 
inine  k  voprousou  onarostanii  delty  Dounaia, 
in  Izcest.  lousskauo  geoijr.  obstcliesU'a,  XLI\', 
1908.  p.  Kil  et  cartes. 

1 4)  I.a  pro])orli()n  des  Itoues  charriées  par 
les  cours  d'eau  est  extrêmement  variable.  Le 
Khône  porte  à  la  mer  1  :  lO.OOO  du  volume 
total  de  ses  eau.x;  le  Danube  1  ;  2.40<t;  le  Mis 

12 


178 


LES    PHEMIKRES    r.IMF.ISATIONS 


concerne  le  Chatt  el  Arab,  que,  depuis  Korna  jusqu'à  l'ao,  les 
terres  ont  progressé  de  1.700  mètres  environ  par  siècle  (1).  Au 
delà,  en  amont,  les  évaluations  basées  sur  ce  phénomène  seraient 
téméraires. 

D'ailleurs,  ces  causes  de  modifications  des  rivages  n'ont  pas  été 
les  seules  ;  car  l'écorce  terrestre  n'est  pas  demeurée  en  repos. 
Depuis  les  temps  modernes,  le  fond  du  golfe  Persique,  comme 
celui  de  la  mer  Rouge,  s'est  sensiblement  relevé  (2);  tandis  que 
le  delta  du  Nil,  au  contraire,  s'enfonçait  (3).  Nous  ne  saurions  dire 
si  ces  oscillations  se  continuent  de  nos  jours. 

La  Chaldée,  nouvellement  née,  se  trouvait  alors  divisée  en 
une  foule  d'ilôts  et  de  presqu'îles,  bordées  de  roseaux,  couvertes 
d'arbres  et  de  prairies  où  vivaient  les  animaux  sauvages  les  plus 
divers  (ù)  :  l'hippopotame  (5),  le  sanglier  (6),  les  bovidés  (7),  le 
cerf  (8),  le  lion  sans  crinière    9^,  etc. 


sissipi  1  :  1.700;  le  Gaiiii»'  1  :  4-28. Jévaliir  pour 
le  Chatl  el  Aiab  à  1  :  1.000  la  propoilioii  de^ 
limons  renfermés  dans  ses  eaux.  Mais  pour 
le  même  fleuve  ces  proportions  varient  sui- 
vant les  saisons  et  suivant  aussi  que  les  es- 
sais sont  pris  à  la  surface,  au  fonii,  au  milieu, 
ou  sur  les  bonis  du  cours  d'eau.  (J. M.) 

(1)  Cf.  LoFTUs,  Chaldiiea  (ind  Susinna,  \i.  282. 
—  J.  DE  Morgan,  in  Màn.  Déléij.  en  Perse. 
t.  I.  p.  1,  sq. 

(2)  Dans  la  péninsule  Sinaïtiquc  j'ai  observé 
(18%)  des  cordons  corallins  relevés  de  10  el 
de  12  mètres.  A  Perim  (1904),  au  nord  de  l'ile, 
j'ai  visilé  une  |dage  relevée  de  30  à  35  mètres. 
Dans  la  baie  d'Obok  (1004),  j'ai  remarqué  des 
exhaussements  de  30  à  50  mètres.  Le  Geolo- 
gical  Survey  of  Egypl  (1897-9ft)  a  observé  des 
piaffes  soulevées  pléislocènes  sur  les  cotes 
de  la  mer  Rouge  ;  les  [dus  élevées  sont  à 
24  mètres  au-dessus  du  niveau  actuel  de  l.i 
mer.  La  faune  qu'elles  renferment  est  fran- 
chement indo-pacifique  et  composée  d'espè- 
ces actuellement  vivantes.  Dans  le  golfe  Per- 
sique, lile  entière  de  Bcnder  Bouchir  est  due 
à  une  émersion,  de  même  que  les  falaises  de 
grès  coquiller,  qui  s'élèvent  sur  la  rive  droite 
de  l'Euphrale,  près  de  Féloudja  (1900),  à  plus 
de  50  mètres  au-dessus  du  niveau  actuel  de  la 
mer.  (.1.  M  ) 

(3)  Toutes  les  villes  ruinées  du  lac  Menzaieh 
montrent  aujourd'hui  des  constructions  par 
3  ou  4  mètres  de  fond  ;  ea  sorte  qae  l'avan- 
cement du  delta  sur  la  mer  se  trouve  en 
partie  compensé  par  l'immersion  lente  du 
delta  lui-même.  (J.  M.  1906.) 

(4)  Il  semblerait  que  l'éléphant  vécut  en- 
core au  di.Y-septième  siècle  avant  notre  ère, 
dans  le  pays  des  Routonous  situé  à  l'est  et 
au  pied  de  l'Anli-Liban,  depuis  le  Haurànjus- 
qu'à  la  hauteur  «l'Antioche  Ce  pachyderme 
est  plusieurs  fois  cité  dans  les  textes  hiéro- 
glyphiques et,  jiarnii  les  tributs  qu'envoient  les 


Hétéens  aux  rois  assyriens,  on  voit  figurer  des 
meubles  d'ivoire  et  îles  défenses  d'éléphant. 
Certainement  ces  défenses  ne  venaient  pas 
de  l'Afrique  centrale.  <•  Prés  de  Nii,  dan-; 
la  Cœlesyrie  ou  la  Syrie  du  Nord  ■>  (Cf. 
G.  Maspero,  Hial.  anc.  peiip.  Orient,  V'  édit., 
1893,  p.  200),  Thoutraes  III  donna  la  chasse 
aux  éléphants  et  en  massacra  cent  vingt. 
Un  éléphant  figure  au  tombeau  de  Rekmaru 
n  Thèbes,  parmi  les  tributs  des  Routonous 
l  Syrie);  et  la  chasse  aux  éléphants  est  racon- 
lée  dans  l'inscription  il'Amenemhabi,  1.  22, 
23.  (Cf.  G.  Maspero,  op.  cit.,  p.  200,  note 
4.)  Toutefois,  on  est  en  droit  de  s'étouaer 
(le  sa  présence  dans  une  région  aride,  dont  le 
climat  n'a  certainement  pas  changé  depuis  ce 
temps.  Halévy  {Mél.  de  cril.  eld'hisl.  relatifs 
iiiix  peuples  sémitiques,  p.  27,  note  2)  transporte 
Nii  dans  la  Nubie  méridionale. 
l'i)  Disparu  depuis  les  temps  historiques. 

(6)  On  rencontre  encore  parfois  dans  ces 
pays  des  troupes  de  150  à  200  sangliers.  Cf. 
.).L)E  Morgan,  Mission  en  Perse,  Etudes  géo- 
graphiques, 1895,  t.  Il,  p.  192. 

(7)  Vn  vase  archaïque  de  pierre,  trouvé  à 
Suse,  représente  des  bovidés  sculptés  très 
finement  en  relief,  et  certaines  peintures  céra- 
miques de  Tépéh  Mouçian  fournissent  des 
représentations  du  même  animal  qui  vivait 
encore  à  l'état  sauvage  à  l'époque  des  rois 
d'Assyrie.  Chasse  à  l'Urus  sur  un  bas  relief 
uinivile(Cf.  L.vyard,  The  Monumenl.t  ofNineueii, 
t.  l,pl.  II). 

(8)  Le  cerf  moucheté  {Cervus  dama  L.), 
abondant  encore  aujourd'hui  dans  les  forêts 
de  l'Ab  è  Diz,  en  aval  de  Disfoul.  (J.  M.) 

(9)  Encore  fréquent  dans  les  pays  broussail- 
leux situés  à  la  frontière  de  la  Perse,  entre  la 
Kerkha  et  le  Tigre,  vers  les  marais  deHawi- 
zèli  ;  se  présente  quelquefois  aux  environs  do 
Suse.  (.1.  M.) 


L'ASIE    ANTÉRIEUilE    ET    I.r:(;M>Ti:    ANTK-ll  ISTOIÎKJUES  179 

A  l'orient,  s'élevait  le  massif  ii-anien,  aride,  désolé;  à  peine 
échappé  aux  glaces  et  aux  neiges,  pour  se  couvrir  de  lacs  et  de 
plaines  salés,  sans  populations  autres  que  l'ours  (1)  et  la  chèvre  (2) 
dans  ses  montagnes;  (|ue  l'àne  sauvage  (3)  et  la  gazelle  sur  les 
plateaux  ('i). 

Dans  le  désert  voisin  du  pays  des  deux  fleuves,  les  gazelles  (5) 
et  les  autruches  (6)  côtoyaient  les  bords  de  cette  immense  plaine 
marécageuse  où  abondaient  le  gibier  et  le  poisson  (7). 

En  Chaldée,  le  sol  d'une  richesse  extrême  et  perpétuellement 
humide,  couvert  de  tamaris,  de  saules,  d'acacias  et  de  dattiers, 
oflVait  des  fourrés  impénétrables  et  de  vastes  clairières  où  se 
développaient  les  graminées  parmi  lesquelles  le  froment,  l'orge, 
l'avoine  dont  ces  pays  sont  la  patrie  originelle. 

Les  marais,  peu  profonds,  vaseux,  entourés  d'une  ceinture 
d'énormes  roseaux,  large  parfois  de  plusieurs  kilomètres,  encom- 
brés de  plantes  aquatiques,  nourrissaient  le  poisson  en  extrême 
abondance  et  des  nuées  d'oiseaux  d'eau  (8). 

C'est  là,  dans  ce  pays  privilégié,  entouré  de  toutes  parts  de 
déserts,  que  l'imagination  des  Orientaux  a  placé  le  paradis  terrestre. 
C'était  en  effet  le  district  le  plus  plantureux  de  toute  l'Asie  anté- 
rieure, et,  quand  on  y  a  vécu,  il  est  aisé  de  se  représenter  ce  qu'il 
devait  renfermer  de  richesses  spontanées,  alors  que  lliomme  ne 
l'avait  point  encore  dévasté  par  ses  querelles. 

Cet  homme  (9;,  il  était  déjà  en  Chaldée,  sur  les  collines,  au 
bord  des  rivières,  près  des  sources,  dans   ces  mille   petites  oasis 


(1)  Ursus  arclos  (L.  )    dans    les   montagnes  rein,  en  même  temps  que  des  objets  d'ivoire 

du  nord,    U.  syriacus  (Henip.    et    Ehr)  dans  cl  de  cuivre  (Cf.  Th.  Be.nd,  ,4//ie?i((eum,  6  juil- 

celles  du  sud.  letlHSO}.  Le  sceaud'Ourzana,  roi  de  Mouzazir 

{•1)  Ovis    Cyloceros    (llulton)    dans    le    sud,  (Musée  de  La    Haye.  Cf.  J.  Menant,  Cal.    nj- 

O.   Gmeliiii    (Blyth.V  dans  le  sud    du   Bélout-  lijndres  orientaux  du  Cab.  r.  des   médailles  de 

chistan  et  la  Mésopotamie.  Ln  llaije,    pi.   VH,  n"  32),  porte  deux    autru- 

(3)  Equus  hermionus  (Pall).  Ce  (|uadrupèdc  ches  (huitième  siècle  av.  J.-C);  au  temps  de 
est  encore  très  abondant  dans  les  plaines  sa-  Julien  H,  cet  oiseau  vivait  encore  sur  les 
lées  du  Kirmân.  rives  ilo  l'Euphrate  (Ammien  Marcellin). 

(4)  Cf.  A.  vo.\  Kremer,  in  Aunland,  1875,  :"}  Dans  toutes  les  rivières  de  la  Chaldée 
n"^  1.  2,  4  et  5.  —  Fr  Hommkl,  Die  Xainen  <ler  et  de  l'Elam,  le  poisson  extrêmement  abondant 
Sœugelhiere  bei  den  Siidsemilischen  Voelkern,  atteint  parfois  des  dimensions  énormes.  L;i 
1879,  s'appuyant  sur  des  analogies  le.xico-  Kerkha  en  fournit  (dits  poissons  de  Tobie)  de 
logiques  dont  beaucoup  sont  combattues  par  ■?.  mètres  de  longueur,  et  à  Poul  è  Teng, 
JoH.  SciiMiDT,  Die  Urheimalh  der  Didoç/erma-  dans  la  même  rivière,  j'en  ai  vu  qui  certaine- 
nen,  ISÏK),  pp.  7-9.  —  Cf.  S.  Reinach,  l'Origine  ment  avaient  i  mètres  de  la  (pieue  à  la  tète. 
des  Aryens,  iddi,  p.  62,  sq.  (8)  Encore  aujourd'hui,  ces  pays  abondent 

(5)  Gazella  subyullurosa  (Giildenst),  G.  en  gibier  d'eau:  cygnes,  oies,  canards  de 
Bennetii  (Sykes);  (?)  G.  Dorcas  (L.)  ;  G.  fusci-  plusieurs  espèces,  sarcelles,  bécassines,  nom- 
frons  (\V.  Bl.).  breux  écbassiers,  etc.  (J.  M.) 

(6)  J'ai  fréquemment  rencontré  dans  le  tell  (9)  CA.  A.  Ovpev.t,  Eludes  .■iumériennes,çç.ii'i~ 
de  Suse  des  fragments  d'oeufs  d'autrnche  ;  8.^.  —  Fr.  Lenorma?(t.  la  Magie  chez  les  Chal- 
on  en  a  trouvé  dans  les   sépultures  de    Bah-  déen.s  et  les  Origines  accadiennes,  p.  315,  sq. 


180 


Li:S    l'UKMIKHES    (;i\  ILISATIONS 


(jui  s'étaient  formées  de  suite  après  les  grandes  inondations  (Ij. 
Il  suivit  pas  à  pas  les  progrès  des  limons  sur  la  mer,  occupant  ce 
sol  nouveau  dès  qu'il  ne  trembla  plus  sous  ses  pas.  D'abord 
chasseur  et  pêcheur,  il  devint  plus  tard  agriculteur  et  éleveur, 
se  concentra  dans  les  parties  riches  du  pays,  abandonnant  aux  bêtes 
sauvages  toute  la  région  désertique   ^j. 


La  Basse  Chaldée  et  l'Elain  ;i  l'époque  de  l'expédition  mariiimede 
Sennachéi'il),  en  (J99  av.  .I.-C.  (d"ap.  .1.  de  Mohcan,  Mém.  Délég.  en 
Perse,  l.   I,  19<i'i,  fii;.  C). 

On  a  cru  pouvoir  reconnaître  dans  les  non-Sémiles  de  la 
(Uialdée  des  peuples  d'origine  nordique,  voire  même  sibé- 
rienne (;>  qui,  occupant  d'abord  le  plateau  iranien,  seraient 
descendus  dans  la  plaine  des  deux  (leuves.  Cette  erreur  provenait 
d'une  fausse  interprétation  de  la  nature  ethnique  des  JNIèdes  consi- 
dérés à  tort  comme  Anaryens  (  Vi  et  dont,  par  suite,  la  migration 


(])  On  rencontre  fréquennneul  près  des 
sunrces  et  des  ruisseaux,  dans  les  vallons 
des  derniers  contreforts  de  l'Anti-Liban  el 
de  l'Iran,  des  stations  néolithiques  et  énéoli- 
lliiques:  Erek,  Soukhna  (Cœlesyrie"),  Tépéli 
Goulam,  ïéprli  Aliahad,  etc.' Poucht  è  Koidi). 
(.1.  M.) 


(i)  Pour  la  zoologie  de  la  Perse,  Cf.  \V.- 
T.  Blan'ford,  Easlev  Persia,  Londres,  1h7<V. 
t.  II,  Ihe  Zoology  and  Geology. 

(3)  Cf.  G.  Maspero,  Hist.  anc.  peiipl.  Or.. 
1893,  pp.  127  et  137. 

(1)  .1.  Oppeut,  le  l'euple  el  la  Langue  îles 
Mède.-<. 


I/ASIR    ANTl'r.IKURE    I:T    L'KriVPTK    ANTH-IIISIORK  KES 


1S1 


a  été  reportée  bien  des  inillénaiies  plus  haut  quelle  ne  remonte 
en  réalité  ;  mais  justice  a  été  faite  de  cette  opinion  (l). 

D'ailleurs,  mes  recherches  dans  le  Caucase  ('2),  l'Arménie  et 
le  nord  de  la  Perse  3j  montrent  d'une  façon  péremptoire  que  ces 
pays  n'ont  jamais  été  habités  antérieurement  à  l  existence  d'une 
industrie  des  métaux  déjà  fort  avancée  et  relativement  récente  (/i), 
u'avaul  lien  de  commun  avec  celle  de  la  Chakh'e. 


Itinéraire  d'un  voyage  de  l'auteur  en  (llialdée.  (J.  M.  1899.) 

Aucune  migration  très  ancienne  ne  semble  avoir  traversé  ces 
régions  jusqu'aux  invasions  aryennes.  Nous  devons  donc,  en  ce 
qui  concerne  les  pré-Sémites  de  la  Mésopotamie,  penser  qu'ils 
étaient  les  descendants  des  hommes  pléistocèues  de  l'Asie  anté- 
rieure, de  ceux  ([ui  avaient  connu  les  temps  glaciaires  et  le  déluge. 
Les  observations  anthropologiques  concordent  pleinement,  à  cet 
égard,  avec  les  données  archéologiques  et  linguistiques  que  nous 
possédons. 

En  Chaldée,  surtout  dans  le  bas  pays  voisin  de  la  mer,  la  distri- 
bution naturelle  du  sol  en  districts  séparés  entre  eux,  ne  se  prè- 


(1)  Uelaiue,  le  Peupla  <■/  IKinphe  des  Mrileii, 
Bruxelles,  1883. 

[i)  J.  DE  Morgan,  Mission  scienlifique  au 
Caucase,  i  vol.,  1889. 

(3)  J.  iJË  Moi'.GAN,  Mission  scientifique  en 
Perse,    t.     IV.    Recherclies     archéologiques. 


1"  pallie,  p.  13,  sq.  —  H.  de  Morgan,  in  Mé- 
moires   de   1(1  Délég.  se  en   PerAC,  l.  VHI. 

(4)  n  serait  exagéré  de  faire  remonter  l'an- 
tiquilé  «les  dolmens  ilu  bronze  dans  le  Nord 
Iranien   an  ilclù  du  XXV'  siècle  avant  noire 


182 


LES    TMIKMIÈRES    CIVILISATIONS 


tant  pas  a  la  vie  nomade,  imposa  aux  tribus  les  règles  de  leurs 
premiers  établissements,  des  usages  qu'ils  développèrent  plus 
tard.  Les  hommes  se  groupèrent  pour  se  protéger  en  commun 
des  ennemis  qui  les  entouraient,  animaux  féroces  contre  les- 
<|uels  leurs  combats  furent  incessants  (1). 

«  La  maison  sainte,  demeure  des  dieux,  en  un  lieu  saint  n'était 
])as  faite  ;  aucun  roseau  navait  poussé,  aucun  arbre  nétait  j)ro- 
duit,  aucun  fondement  n'était  posé,  aucun  moule  à  briques  n'était 
construit,  aucune  maison  n'était  faite,  aucune  ville  n'était  bâtie, 
aucune  ville  n'était  faite,  aucune  agglomération  n'existait; 
Nippour  n'('tait  ])as  faite,  È-Kour  n'était  pas  bâti,  Erech  n'était  pas 
faite,  E-Anna  n'était  pas  bâti,  etc.  (2i.  » 

Chaque  groupe  s'établit  dans  une  terre,  île  ou  presqu'île, 
grande  assez  pour  subvenir  à  ses  besoins.  11  se  forma  par  la  force 
des  choses  des  agglomérations  sédentaires,  qui  bientôt  construi- 
sirent de  petites  villes  (8),  centres  où  il  était  plus,  aisé  de  se 
défendre  Ti.  de  se  nourririons  ensemble  (5).  Des  gouvernemenls 
locaux  s'établirent,  chaque  ville  eut  ses  croyances,  son  dieu  ou  ses 
dieux  dont  un,  plus  grand  que  les  autres,  la  j)rotégeait  plus  spé- 
cialement. Anou  était  adoré  dans  ()iirouk\  Bel  à  Nipoui\  Sin  à 
Oiivoii,  Mai'dniik  à  Bahi)lont\  Chouchinak  à  Suse. 

Les  lois,  chaque  district  avait  son  cou  tumier,  tous  se  ressemblant; 
car  les  besoins  de  la  vie  étaient  les  mêmes  pour  toutes  les  tribus. 


(I)  Les  cylindres  archaïques  de  la  Cbaldée 
el  de  l'Elain  représentent,  pour  la  phiparl, 
des  scènes  d'animaux  sauvages  lultaiil  entre 
eux,  et  d'hommes  conil)attant  le  lion  et  le  tau- 
reau. 

Ci)  Cosmogonie  chaldécnne  (  1' .  DiioiiME  , 
1007,  Choix  de  textes,  p.  H\i). 

(3)  Dans  la  haute  antiquité,  chez  tous  les 
jxuiples,  la  ville  n'était  qu'un  leluge  de  très 
modestes  dimensions,  où  les  habitants  du 
voisinage  mettaient  à  l'ahri,  en  cas  de  néces- 
sité, leurs  hiens  el  leurs  personnes.  On  est 
surpris  par  l'e.xiguïté  de  ces  réduits,  dont 
quelques  chiffres  permettront  de  juger.  A 
Tell  el  Hesy,  la  ville  occupait  une  surface  de 
tout  au  plus  G  hectares  et  l'acropole  moins 
d'un  demi-hectape  (Bliss,  A  Mound,p.  18,  sq., 
pi.  1);  à  Tell  Zakariyà,  la  ville  est  de  3  hec- 
tares et  demi,  l'acropole  d'un  quart  d'hec- 
tare (Bliss  et  M\calistei;,  Excurfdionx.  p.  13 
et  pi.  I  et  II);  à  Tell  es  Safy.  la  ville  couvre 
environ  5  hectare-;  et  demi  {op.  cit.,  p.  29, 
j.l.  VIU)  ;  à  Tell  Djedeideh,  2  hectares  et 
quart  {op.  rit.,  p.  45,  pi.  X};  à  Ta'annak, 
4  hect.  80(Sei.un,  Tell  Tn-annak,j).  53);  à  Tell 
cl  Moiité'sellim,  5  hect.02  (Schumacuek,  Mil- 
llieil.  u.  Nnchr.  de.f  D.  P.    Vereins,  l'.t04,  p.  36). 

(i)  A  Suse,  les  premiers  rempaits,  ceux  dont 


nous  rencontrons  les  vestiges  à  25  mètres  de 
profondeur,  étaient  .simplement  faits  de  terre 
pilée.  Il  en  fut  de  même  dans  toute  la  Chal- 
dée  et  dans  les  pays  plus  occidentaiu:  de  Ca- 
naan. (Cf.  H.  Vincent,  Canaan,  1907,  p.  29. 
—  Bliss,  A  Mound,  p.  18.  —  Bliss  el  Macalis- 
TEH,  ExcuiK,\).  15.  —  Macalister,  0  S.,  1903, 
p.  113  et  22i;  1904,  p.  110,  sq.200j.  R.  VVeil 
{Journ.  asial.,  liK30,  p.  82)  estime  qu'antérieu- 
rement à  la  XII«  Dynastie  les  Asiatiques 
possédaient  une  science  de  fortification  bien 
supérieure  à  celle  que  révèlent  les  types 
égyptiens  de  la  même  époque. 

(.5)  Le  texte  suivant,  l'un  des  plus  anciens 
de  la  Chaldée,  montre  combien  les  premiers 
souverains  étaient  adonnés  aux  œuvres  de  la 
paix.  U  se  lit  sur  une  tablette  de  pierre  pro- 
venant de  Tello  (f)  et  est  certainement  anté- 
rieur au  quarantième  siècle  av.  J.-C.  »  Urnina 
roi  de  Lagacli,  fils  de  Gounidou,  fils  de  Gour- 
sar,  constiuisit  le  temple  de  Nina,  creusa  le 
canal  X  et  voua  ce  canal  à  Nina...  construi- 
sit l'A-edin  (?),  construisit  le  Ningar  f?),  cons- 
truisit l'Epa  ('?),  construisit  l'enceinte  de  La- 
gach,  fabriqua  la  statue  de  Lougalourou,  ras- 
sembla des  bois  dans...  la  montagne  »  (F. 
Thdreau-Dangin,  les  Inscr.  de  Sumer  el  d'Ak- 
kad,  1905,  p.  13). 


L'Asii:  .\NTKiur:ui5K   i;t   i/k<;vi'Te  antk-histoiîiques 


183 


Ces  dieux  locaux,  raélaugés  aux  divinités  des  Sémites,  formèrent 
le  panthéon  chaldéen;  ces  coutumes,  codifiées  plus  tard,  furent  les 
lois  de  Ilfimmoiirahi  et  prol)ablement  aussi  celles  de  ses  prédé- 
cesseurs. 

La  langue  était,  à  peu  cl(^  chose  près,  restée  commune  parce 
(ju'elle  descendait  d'une  seule  souche  et  aussi  parce  que  les 
diverses  tribus  n'étaient  pas  sans  communiquer  entre  elles  ;  mais 
elle  disparut  rapidement,  tout  au  moins  dans  les  relations  offi- 
cielles, faisant  place  à  celle  d'envahisseurs  (1). 

Mais  j'aborde  une  question  d'origines  qui  a  été  l'objet  de 
controverses  passionnées  (-2;. L'existence  de  pré-Chaldéens  (Sumé- 
riens), niée  et  combattue  par  les  uns,  admise  et  soutenue  })ar  les 
autres,  entraîne  à  sa  suite  le  grand  problème  de  l'origine  de  l'écri- 
ture (3)  et,  par  suite,  de  la  civilisation  que  certains  auteurs  attri- 
buent aux  Sémites  (Akkadiens);  tandis  que  d'autres  en  repoilent 
l'honneur  sur  les  vieilles  races  autochtones  [h). 

Aussi  loin  que  nous  j)uissions  remonter  dans  l'histoire  basée 
sur  des  inscriptions,  nous  ne  rencontrons,  pour  la  haute  antiquité, 
<jue  des  documents  écrits  en  langue  sumérienne  et  dans  lesquels 
<et  idiome  est  mélangé  de  <iuelques  traces  de  sémitisme.  Comme 
la  Chaldée  ])roprement  dite,  l'Elam  nous  fournit  des  textes  sumé- 


(1)  Les  textes  archaujues  en  fournisscnl  ce- 
pendant d'indéniables  traces. Cf.  .\.-Il.  S.xyce, 
The  Archeologij  of  the  Ciineiform  Inscriptions, 
1908,  p.  67,  sq.' 

(2)  Cf.  J.  Oppeiît  {Rap.  à  S.  E.  M.  le  Mi- 
nistre de  rinslr.  publ.,  mai  1856,  p.  11,  sq.)  dé- 
montre l'existence  d'une  langue  non  sémiti- 
(|ue  dans  la  Clialdéc  primitive.  —  Cf.,  contre 
cette  théorie,  J.  IIalévv,  Rech.  crit.  sur 
l'origine  de  la  civilis.  babylonienne,  in  Jonru. 
(isial.,  1874-1876.  —  Etude  snr  les  documents 
philologiques  Assyriens.  1878.  —  Les  nouvelles 
inscriptions  clidldêennes  el  la  question  de  Sumer 
et  d'Accad.,  188-2.  —  Obs.  sur  les  noms  de  nom- 
bre sumériens,  188,3.  —  Docum.  relig-  de  l'As- 
sijrie  et  de  la  liubi/lonie,  1883.  —  La  théorie 
de  J.  Oppert  a  été  généralement  adoptée, 
sauf  par  J.  Halévy,  qui,  en  1905,  publiait  une 
bi-ochure  intitulée  ;  Encore  l'inventeur  du  cri- 
térium sumérien  (E,.   Leroux,  Paris). 

(3)  Dans  les  textes  les  plus  anciens  de  la 
Chaldée  (d'épo<pie  antérieure  à  Narani-Sin/ 
on  se  trouve  en  présence  non  de  deux  langues, 
mais  de  deux  sj'stc mes  d'écriture,  l'un  plioné- 
tique  qui  semble  appartenir  aux  Sémites,  l'au- 
tre idéographique  dont,  comme  de  juste,  nous 
ne  pouvons  retrouver  la  langue.  En  sorte 
que  c'est  probablement  aux  Akkadiens  qu'est 
dû  le  passage  de  l'idéogramme  sumérien  aux 
signes  phonétiques.  La  présence,  dans  les 
anciens  textes,  de  noms  propres  non  séniili- 
ques  serait  due  à  ce  que  ces  noms  furent  ren- 


dus par  les  Akkadiens  par  des  signes  ayant 
une  valeur  phonétique  alors  qu'autrefois pio- 
bablement  ils  n'existaient  qu'à  l'état  d'idéo- 
grammes. Le  phonétisme  paraît  avoir  été  dé- 
gagé de  l'idéographisme,  dès  une  très  haute 
antiquité,  par  les  habilantsde  la  Babyloniedu 
Nord.  Je  citerai  par  exemple  l'inscription  en- 
tièrement linéaire  publiée  par  WinklerfFor.s-c/î. 
VL  p.  544).  Ce  document  contient  déjà  des 
termes  écrits  phonétiquement.  Un  texte  pro- 
venant de  .\bou-Habba  et  appartenant  à  une 
époque  moins  ancienne,  mais  encore  anté- 
rieure à  Sargon  l'ancien,  présente  un  système 
jjhonétique  plus  développé.  Avec  les  rois 
d'Agadé,  le  phonétisme  se  complète  et  la 
domination  de  ces  souverains  parait  avoir  eu 
pour  effet  l'introduction  partielle  et  momen- 
tanée du  système  phonétique  dans  la  Babylo- 
nie  du  Sud.  (F.  Tmuke.vu-Dangin,  Tubleltes 
chaldéennes   inédites.  Paris    1897,  p.  6,  sq.) 

(4)  Le  travail  le  plus  récent  el  le  plus  com- 
plet au  sujet  des  Sumériens,  est  celui  du  pro- 
fesseur A. -H.  Sayce.  Dans  The  Archeology  of 
the  cuneiform  inscriptions,  1908,  pp.  67-10(J, 
chap.  in.The  Sumerians,  l'auteurse  prononce 
nettement  (Cf.  p.  68).  »  Les  premiers  habi- 
tants civilisés  de  la  plaine  alluviale  de  Baby- 
lonie  n'étaient  ni  des  Sémites,  ni  des  Aryens; 
mais  ils  parlaient  une  langue  agglutinante  et 
c'est  à  eux  que  sont  dus  tous  les  éléments  de 
la  culture  babylonienne  des  derniers  jours.  » 


iSli  LES    PREMIÈRES    CIVILISAHO.NS 

riens  mélangés  de  sémitismes,  et  des  textes  sémites  mélangés  de 
suméiismes.  Mais  dans  ce  dernier  pays,  on  voit  apparaître  très 
anciennement  un  troisième  élément  linguislique,  des  noms  pro- 
pres ni  sumériens,  ni  sémitiques  (1),  appartenant  à  une  langue  (2) 
appelée  indifléremment  par  les  savants,  anzanite,  siisicnne  ou 
simplement  élamite,  qui,  dominée  pendant  des  siècles,  renaît  tout 
à  coup  vers  1500  avant  J.-C,  en  même  temps  que  se  reconstitue 
rindéj)endance  du  peuple  susien. 

Ainsi,  en  Elam,  plusieurs  éléments  se  trouvaient  en  j)résence 
dont  Tun,  l'élamite  (ou  anzanite)  semble  être  plus  ancien  que  les 
autres;  mais  dont  il  ne  reste,  aux  plus  anciens  temps,  que  des 
traces.  En  Ghaldée,  au  contraire,  l'élément  le  plus  ancien  domine 
au  début  et  le  nouveau  n'existe  qu'à  létat  d'inclusions,  d'in- 
fluence. 

Quant  aux  langues  sémitiques  (3),  elles  constituent  une  famille 
fort  bien  étudiée  {k)  que  les  linguistes  divisent  en  deux  sections 
principales  :  celle  du  nord  comprenant  l'akkadien,  l'araméen, 
l'assyrien,  l'hébreu  et  le  [)hénicien;  celle  du  sud  dans  laquelle  on 
range  l'himyarite,  l'arabe,  etc.  ('.es  diverses  langues  ne  procèdent 
pas  les  unes  des  autres;  mais  r<'pon(lent  à  des  évolutions  paral- 
lèles. Il  semblerait,  d'après  l'cHude  comparative  de  leurs  éléments 
constitutifs,  que  cette  famille  fût  originaire  de  TArabie. 

Schrader  (5)  suppose  que  le  groupe  sémitique  du  nord  se 
sépara  le  premier  pour  venir  essaimer  eji  Ghaldée  (akkadien);  puis 
cju'à  son  tour  il  se  divisa,  les  Araméens  puis  les  Hébreux  se  diri- 
geant vers  l'ouest,  les  Assyriens  vers  le  nord    ()). 

A  l'époque  où  écrivait  Schrader,  son  système  ne  reposait  ([ue 
sur  une  hypothèse;  mais  aujourd'hui,  depuis  les  récentes  décou- 
vertes de  Ghaldée  et  de  Susiane,  cette  supposition  prend  corps, 
s'appuyant  sur  des  déductions  archéologiques  et  épigraphiques. 

(1)  Mémoirede  hi  DéléyalionenPerseipassim).  moabite)  se  ressemblent  tellemenl  eiilic  eux 

(2)  Celle  langue  esl  de  la  forme  de  celles  qu'on  peul  les  considérer  comme  les  frac- 
qu'on  esl  convenu  de  nommer  louraniennes,  lionnemenls  d'une  même  langue.  Les  Sémites 
appellation  vague,  dont  il  ne  faut  retenir  que  ont  donc  vécu  ensemble  dans  une  union  plus 
ce  fait  quelle  n'est  ni  sémitique,  ni  aryenne.  étroite  que  celle    que  nous  font  connaître  les 

(3)  Fritz  Hommel  (Die  Nanien  der  S;iuge-  documents  écrits.  (M.  J.  Lagisange,  Relig. 
lliiere,  Leipzig.  1879,  pp.  xx  et 480.  —  La  patrie  .semi'/.,  1905,  p.  12.)  Et  il  en  esl  de  même  pour 
originaire  des  Sémites,  in  Alti  del  IV  Con-  les  peuples  parlant  des  langues  dites  aryen- 
gressodegli  orienlalisli,  Firenze  (1878).  1880,  p.  nés.  Quant  au.\  autres  groupes  linguistiques, 
217,  sq.,  place  le  berceau  des  Sémites  dans  la  leurs  origines  sont  encore  confuses. 

vallée  du  Tigre,  à    l'ouest  de   Uolwan.  Celle  (5)  Schradek,  Die  Abstammung  der   Chal- 

opinion  esl  aujourd'hui    complètement  aban-  daeer    und     die    Ursitze      der     Semiten,    in 

donnée.  Zeil.srh.    d.    d.     Mon/enl.    Ges.,     t.     XXXVU. 

fi)  L'assyro-babylonien,   l'araméen,  l'arabe,  Leipzig,  187.'^. 

l'éthiopien  et  le  cananéen  (hébreu,  pliénicien,  (G)  Bekose,  Fragin,  édil.  Lenormaut. 


I/ASIK    W'I  l-IÎIKUnE    ET    i;K(iVl'Ti:    A.MIMIISTOIUOUKS  ISÔ 

La  Chaldéo  à  elle  seule  ne  foiiiiiil  ([iie  l)ien  peu  de  rcnsei- 
gnenienls  sur  rinvasion  sémitique;  c'esl  clans  des  parlieularités 
linguisli(|ues,  déjà  savamment  exploit(''es,  et  dans  les  légendes 
chaldéenues,  (|ue  sont  les  meilleures  sources. 

Des  traditions  antiques,  recueillies  par  Bérose  (1),  l'ont  \euir 
ces  premières  invasions  de  la  péninsule  arabe  i'I),  des  îles  du  golfe 
Persique  (3)  et  des  côtes  avoisinantes. 

Le  nord  de  l'Arabie  était  alors  ce  (ju'il  est  aujourd'hui  :  un 
désert  semé  de  rares  oasis  où  les  caravanes  ne  s'aventurent 
guère  ('i).  11  formait  une  barrière  entre  la  (Uialdée  et  les  pays  habi- 
tés de  la  presqu'île;  mais  au  sud  s'ouvr;iit  le  golfe  Persique  et 
la  voie  maritime.  Les  Sémites  des  côtes  s'y  aventurant,  trouvè- 
rent au  fond  du  golfe  des  terres  fertiles,  des  habitants  encore 
plongés  dans  la  sauvagerie,  et  s'établirent  parmi  eux,  leur  ensei- 
gnant ce  (ju'ils  savaient  eux-mêmes,  profitant  des  notions  qu'ils 
rencontraient  chez  eux  et  enfin,  se  trouvant  |)eu  à  peu  en  giand 
nombre,  ils  les  absorhèrent.  Ainsi  ce  n'est  pas  du  centre  de 
l'Arabie  qu'il  convient,  semble-t-il,  de  faire  venir  l'invasion  sémi- 
tique; mais  bien  du  sud,   des  pays  d'Oman,   de  Hahrein  !  5  ,  etc. 

Ces  faits,  que  la  tradition  énonce,  tous  les  témoignages 
scientifiques  viennent  jusqu'ici  les  contrôler.  Cette  tradition  se 
rapporte  à  la  légende  d'Oannes  qui,  arrivé  par  la  mer,  civilisa  les 
peuples  vivant  jusqu'alors  sans  règle,  à  la  manière  des  animaux. 
Un  second  être  fabuleux,  Annèdolos,  sortit  encore  des  flots  après 
une  première  dynastie  dont  .4 /d/'os,  Ala/xiros  et  Amillaros  sont 
les  types  et  qui  gouverna  pendant  un  nombre  considérable  d'an- 
nées (92.800  ans,  suivant  Bérose)  (O).  Puis  les  Oannes,  sous  divers 
noms,  se  succèdent  à  intervalles  irréguliers;  de  sorte  <iu'en  tout 
six  apparitions,  venues  du  golfe  Persique,  guidèrent  la  conduite 


(1)  Cf.  SpRENOEH,  Lc'/f/i  ((.  1. élire  d.  Muluun-  (4,  Demis  jours,  lo  courrier  jiralx' qui  |ii(rl<- 
mad,  l,3H,  <,q. —  Id.  Aile  (ieoijr.  Anihienx,  p\\.  la  poste  ciilie  Ba<i(l;id  et  Damas  parcoiiit 
293-295,  note  p.  -29  .  —  Sciii'.adeiî,  Zeils.  d.  ccUe  distance  i/^OO  kilomètres)  en  neuf  jours 
Morg.  Gesell.,  t.  XXVII.  —  G.  Maspeuo,  Ilist.  sur  nn  cliameau,  cl  dans  la  >aison  scclie 
(inc.  p.  Or.,  lf<93,p.  I.'ÎT.  ne  rencontre  ipie  trois  points  d'eau.  La  roiilo 

(2)  Hérodote  (VII,  «•)  place  à  IJahrein  l'ha-  traverse  \Vadi  Haoïiràn.  W.  Kl  Gheira  el 
bital  primitif  des  Phéniciens.  Amloud  el  (Jhonmar.   J.  M.) 

(3)  11  semblerait  que  les  Sémites  fussent,  iTii  I.ile  lic  Balirein  renferme  uiir  mulliliide 
dès  leurs  débuts  en  Chaldée,  divisés  en  trois  de  tombeau.x  antiques;  mais  jus(pi'ici  nous  ne 
branches,  l'une  habitant  le  Djéziret  (pays  pouvons  leur  assigner  une  époque.  (Cf.  .\. 
situé  entre  les  deu.K  neuves),  les  Suméro-Acca-  .Iolan.mn,  Les  lumuli  de  nalircin,  ds  Méni. 
diens;  une  autre  plus  au  sud,  vers  les  déserts  t/c  ht  Dclr;/.  en  Perse,  l.  VIII,  !iK)5,  p.  1 1'.»- 
arabiques,  les  Araméens  ;  el  enfin   une  troi-  l.'iT.) 

sième  sur  les  côtes   et  dans  les  îles   du  golfe  (tJ)  Berose,  Fra/jm.   I.\,  X,  XI.   édit.  Lcnor- 

Persiqiie.  Cf.  Fr.  Deutzsch,  U'o  lag  dus  Para-  niant. 
dies  ?  pj).  -JI^T-^il,   ibl,  S(|. 


186  LES  PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

des  hommes  pendant  la  période  de  691.200  ans  qui  précéda  le 
grand  déluge. 

Dans  ce  «  grand  déluge  »,  on  ne  peut  voir  les  inondations  qui 
ont  marqué  la  fin  de  l'époque  glaciaire  ;  car,  en  ces  temps,  la 
Ghaldée  n'existant  pas,  l'Arabie  n'y  pouvait  venir  coloniser.  11  ne 
peut  donc  y  avoir  que  rappel  du  souvenir  d'un  cataclysme  d'im- 
portance secondaire,  quoique  mémorable,  dont  nous  ne  possédons 
pas  de  traces  géologiques  (1).  Il  demeure,  toutefois,  deux  faits 
dominants,  la  direction  de  l'invasion  et,  bien  que  très  exagérée,  la 
longue  durée  de  l'influence  sémitique,  souvent  renouvelée  avant 
l'absorption  définitive. 

Cette  conquête  ne  fut  pas,  à  proprement  parler,  une  invasion  : 
les  Sémites  occupèrent  d'abord  pacifiquement  les  points  mari- 
times et  de  là,  de  proche  en  proche  gagnèrent  lentement  tout  le 
pays.  S'il  y  eut  des  guerres,  elles  furent  de  peu  d'importance  ; 
car  la  population  se  trouvait  alors  politiquement  très  divisée.  Seul 
un  peuple,  habitant  une  région  plus  facile  à  défendre,  résista  (2) 
jusqu'à  rétablissement  de  Tempire  (3)  suméro-akkadien,  ce  fut 
celui  d'Élam  ;  d'autres  peuplades  moins  fortes  émigrèrent  plutôt 
que  de  se  soumettre. 

Ce  que  nous  savons  des  anté-Sémites  de  l'Asie  antérieure 
montre  (|u'avaut  la  conquête,  ces  pays  étaient  occupés  par  des 
populations  parlant  des  langues,  dites  sumériennes,  d"un  déve- 
lo|)pement  bien  moins  avancé  que  l'akkadien. 

L'élamite  aujourd'hui  mieux  connu,  grâce  aux  beaux  travaux 
de  Y.  Scheil,  se  montre  sous  cette  forme  primitive.  Ses   racines 


(1)  Dans  CCS  pays  il  se  produit,  parfDis  de  1er-  trouve  relatée  et  chantée  la  défaite  du  roi 
ribles  inondations.  Les  vieillards  d'Arabistan  d'Elam  et  lasservissenienl  de  son  pays, 
m'ont  narré  que,  dans  leur  jeunesse,  la  Kerka  Khoumbasitir  fut  aussi  roi  d'Ëlani  ;  mais  nous 
avait  débordé  de  telle  manière  que  toute  la  ne  possédons  que  son  nom.  Koudour-Koukou- 
l>laine  était  couverte  d'eau  et  que  les  ruines  mal  (également  roi  d'Elam),  plus  heureux  que 
de  Suse  formaient  une  ile.  D'autre  partj'ai  vu,  Khoumbaba,  prit  et  dévasta  Babylone;  les 
le  18  mars  1904,  la  rivière  de  Douéridj,  au  armes  élamites  avaient  alors  vaincu  celles  de 
Poucht-é-Kouh,  généralement  large  de  lu  ou  Chaldée;  c'est  tout  ce  que  nous  savons  jusqu'à 
1.")  mètres,  s  étendre  en  moins  d'une  heure,  ce  jour  sur  la  première  guerre  d'indépendance 
il  la  suite  d'un  orage,  sur  toute  la  plaine  large  élamite.  (.1.  M  ) 

en  cet  endroit  de  plusieurs  kilomètres,  entrai-  (3)  Le  premier  patési  <le  Susedonl  nous  con- 

nant  tout  dans  son  lit,  bestiaux,  gibier,  arbres  naissons  l'existence  est  Our-ilim  (nom   dou- 

et  broussailles.  Un  pareil  phénomène   se  pro-  teux);  il  vivait  au  temps  de  Charrou-oukin  qui, 

duisant  dans  des  grands  fleuves  est  de  nature  au  commencement  de  son  règne,  avait  soumis 

à  laisser  dans  l'esprit  des  liabitants  1  impres-  l'Elam  et  est  indique  dans  les   textes  comme 

sien  d'un  déluge  universel.  (J.  M.)  étant  le  père  de  Naram-Sin  qui,  suivant  Na- 

(2)  Klioumbaba  (roi  d  Elam),  comme  son  nom  bonide,  vivait  eu  3750  avant  notre  ère.  Or,  nous 
l'indique,  personnifie,  sans  aucun  doute,  la  savons  que  c'est  vers  â-280  que  Koudour-Na- 
puissance  élamite  dans  sa  lutte  contre  la  con-  khounte  secoua  le  joug  sémitique;  c'est  donc 
(|uètede  l'élément  sémitique.  Dans  l'épopée  (lu  1.500  ans  environ  que  dura  l'occupation  su- 
héros  national  misopotamicn  Ghilgamech,  se  méro-akkadienne  de  l'Elam.  (J.  M.) 


L'ASIF    ANTKIUEURK    ET    LKC.VPTi:    AXirMIISTOIUOUES 


187 


monosyllabiques  s'agglutinent  et,  si  les  mots  en  résultant  sont  sus- 
ceptibles de  flexions  simples,  c'est  que  la  langue  piimitive  agglu- 
tinante a  subi  rinniieiice  d'un  parler  plus  («levé,  lui  empruntant 
ridée  de  la  flexion  sans  toutefois  s'en  aj)proprier  les  formes. 

Il  en  est  d(>  môme  du  vamiique,  langue  parlée  dans  TArménie 
à  l'époque  ass\  riciiiic  et  qui  n'a  rieu  de  commun  avec  les  idiomes 
sémitiques. 

De  toutes  les  langues  de  l'Aslt»  aMléri<'ure,  ces  deux  seulement 
nous  ont  laissé  des  documents  écrits;  je  ne  parle  pas  du  hittite, 
(|ui,  probablement,  aj)partiei)t  au  môme  groupe  quant  à  sa  forme; 
mais  dont  les  hiéroglyphes  ïi'ont  pas  encore  été  déchifl'rés  (1). 


?)  cv. 


,^  /W  /\     ^ 


j^ 


^T=># 


Inscription  hiéroglyphique  hétéenne  de  Djerahlus  (d'ap.  Wright,  The 

Empire,  pi.  X). 


Quand  je  dis  groupe,  je  n'entends  pas  affirmer  que  ces  diverses 
langues  soient  parentes,  loin  de  là;  mais  je  réunis  ces  peuples,  non 
.sémites  et  anaryens,  comme  ayant  fait  le  fond  de  la  population 
dans  l'Asie  antérieure  et  comme  |)a riant  des  langues  moins  déve- 
loppées que  celles  des  envahisseurs.  Les  nombreux  dialectes 
karthweliens  (2)  seraient  aujourd'hui  les  derniers  représentants 


(1)  Les  récentes  fouilles  allemandes  à  Bop- 
liaz-Keuï  ont  mis  à  jour  un  «^rtind  nombre  de 
tablettes  écrites  en  caractères  ciinéifonnes 
dans  l'idiome  de-^  Hétéen  s,  et,  par  certains  mots, 
Winckler  se  croit  autorisé  à  reconnaître  dans 
cette  langue  des  indices  indo-européens.  Dans 
ce  cas,  les  llétéens  seraient  les  [)remiers  avant- 
coureurs  des  migrations  arvennes  ;  mais  ces 
affinités  linguistiques  sont  encore  trop  vagues 
liour  qu'on  puisse  les  faire  entrer  en  ligne. 


(2)«  La  première  tentative  faite  en  vue  d'ana- 
lyser scientilîquemenl  la  langue  géorgienne  se 
trouve  dans  un  article  de  J.-A.  Gattcyrias  (dans 
la  liev  de  linyuiftliqite  el  de  p/iilologr.  comparée, 
XIV,  juillet  1S81,  pp.  '275-:ill).  En  lisant  celte 
étude,  il  est  impossible  de  ne  pas  être  frappé 
de  la  ressenii)Iance  des  résultats  obtenus  par 
M.  Galteyrias  avec  les  faits  grammaticaux  des 
inscriptions  vanniques.  »  {.V.-H.  SAvcr;,  The 
Cuneifonn  inscr.  of  Van.  \k  H1.) 


188 


LES   prp:mièri::s  cimlisations 


de  cet  ensemble,  parlé  par  des  peuplades  auxquelles  certains  au- 
teurs ont  donné  le  nom  vague  de  blancs  allophyles. 


Développement  d'un  cylindre  hié- 
roglyphique trouvé  à  Suse.  Cf. 
Méin.  Délég.  en  Perse,  l.  II,  19U0. 
V.  SciiEiL,  textes  élamites-sé- 
mitiques,  \^.  129  (1). 


Empreinte  d'un  cylindre- 
cachet  portant  une  ins- 
cription hiéroglyphique 
pur  une  tablette  proto- 
élamite  [Ibid..,  t.  X,  fin^. 


L'écriture  fournit  également  des  renseignements  très  précieux. 
On  sait  que  les  caraclères  dits  cunéiformes  dérivent  d'un  système 
hiéroglyphique  (2)  qui,  probablement  lui-même,  descendait  de  la 
pictographie  (3).  Or,  les  fouilles  de  Suse  ont  non  seulement  fourni 
des   exemples  de  récriture  hiéroglyphique    <  V,    niais  aussi    une 


Inscription    proto-élamite 
sur  argile  (51. 


ticMïï 


Inscription  pndo  -  élainite  (sur 
pierre)  de  Knriliou-cha-Chou- 
chinak  (fi). 


série  nombreuse  de  documents  montrant  une  évolution  spéciale 
de  l'écriture,  indépendante  de  celle  de  la  Chaldée  (7). 


(1)  "  An  seul  aspect  (les signes  on  e>l  fiappé 
de  la  haute  anliquilé  qu'il  faut  leur  attribuer. 
Ce  sont,  semble-t-il,  de  vrais  hiéroglyphes 
et  cependant  de  tous  les  objets,  outils,  ani- 
maux, etc.,  il  n'en  est  pas  un  que  nous  puis- 
sions idenlifier  avec  certitude.  Le  premier  à 
gauche  est  peut-être  un  insecte  {amilu  ?)  ; 
le  deuxième,  un  séran  ou  un  double  peigne 
rabrabit  ?  ou  ak  ?]  ;  le  troisième,  un  homme  de- 
bout portant  quelqHe  charge  ina-zikara?)  ;  le 
quatrième,  des  grains  de  blé  ;  le  cinquième, 
le  signe  apin  (iriisu  ■?)  et  enfin,  le  dernier  signe 
à  droite  ne  présente  rien  de  bien  déterminé.  •> 
(V.  ScuEiL,  op.  cit.) 

(2)  Cf.  J.  DE  MoRG.\N.  Note  sur  les  procédés 
techniques  en  usage  chez  les  scribes  babylo- 
niens, ds  Recueil   de  Irauaax,   t.  XXVIL    1005. 


—  W.  HouGHTO.N,  On  the  hieroglypii  or  pict. 
orig.  of  Ibe  charact.  of  the  assyr.  syllabary.  ds 
Trnnsact.  oflhe  Soc.  of  Bibl.  arcliaeol.,  t.  VIL 

—  PiNCHES,  Archaïc  forms  of  Babyl.  charact, 
ds  Zeilschr.  /'.  Keilschriflfor.sclnmg,  t.  H,  p.  140- 
156. 

(3)  Cf.  W.  HoL-tiUTON,  op.  cil. 

(4)  Cf.  Mémoire.^  de  la  Délégalion  en  Perse. 
t.  IL  1000.  p.  1-29,  fig.  représentant  un  cylindre 
découvert  à  Suse,  portant  un  texte  hiérogly- 
phique. 

(5)  Cf.  Mém.  Délég.  en  Peine,  t.   VL   pi-  XXI. 
(tl)    CL    V.    ScnriL,  Mém.    Délég.  en    Perse 

t.  VL  textes  élainites-sémiliques,  pi.  II.  p-  f, 
sq.  xxxvn'  s.  av.  J.-C). 

(7)  Cf.  V.  ScuEiL,  ds  Mémoires  de  la  Déléga- 
lion en  Perse,  t.  \1.  VMb,  p.  59,  sq. 


i/Asii;   \Mi-i!ii;riu-:   i;t   i.kc.vi'Ii;  ANTK-iiisroiîioi  i:s 


189 


Plus  loin  vers  le  nord-ouosl,  dans  la  (lap{)adoce,  le  ])eu|)le 
liétéen,  probablement  apj)ai'enté  aux  peuples  anté-sémilcs  de  la 
Mésopotamie,  faisait  encore,  sous  les  lîamessides  (dix-huitième 
siècle  av.  J.-C),  usage  d'hiéroglyphes  dont  nous  ne  connaissons 
j)as  encore  la  ch^f,  il  est  vrai;  mais  qui  [)eut-être  sont  de  même 
origine  que  ceux  de  leurs  voisins  du  sud-est  (1 1. 

L'Egypte,  enfin,  semble  avoir  reçu  de  l'iVsie  les  hiéroglyphes 
on  tout  au  moins  les  principes  de  ce  procédé  graphique  (2j;  quant 
à  l'Arabie,  on  n'va  pas  encore  signalé  la  moindre  trace  d'écritures 
figuratives  ou  hiéroglyphiques.  11  semble  donc  que  les  Sémites 
n'en  possédaient  pas  la  notion  avant  leur  arrivée  sur  les  bords  de 
TEuphrate  et  du  Tigre. 

Par  contre,  nous  voyons  se  développer  en  Élam.  dès  les  temps 
les   plus   reculés  fénéolithi(jue  ou  même  néolithique),  l'art  de  la 


Oy@ 


! 


H 


^/^ 


Cunéifoi'iiie^^  linéaires  (3 


Cunéiformes  linéaires  (4). 


peinture   cérami(|ne.   La  figuration  de  l'homme,  des  animaux  et 

des  plantes  inn)li(|ue,  chez  ces  i)euples,  l'idée  de  la  |)ictographie. 

M'appuyant  sur  ces  considérations,  je  crois  pouvoir  attribuer 

aux  anté-Sémites  Tinvention  des  hiéroglyphes,  que  peu  à  peu  leurs 


(1)  Dernièrement  il  a  éli'-  découvert  à  Ani 
(Arménie  russe),  un  l'raginenl  de  polerie  por- 
tant des  signes  qui  semblent  cire  des  hiéro- 
glyphes. Ces  signes,  contemporains,  d'après  les 
conditions  de  la  trouvaille,  de  l'époque  on  les 
cunéiformes  étaient  encore  en  usage,  montrent 
(pie  dans  ce->  temps  relativement  très  bas 
(juelques  langues  du  Nord,  elles  aussi,  em- 
ployaient le  système  liiéroglyphique.  (Cf.  Ver- 
Itandluntjen  der  Ilerliiier  Gexellschaft.  f.  An- 
llirop.,  etc.,  1902,  p.  230,  lig.    18  et  19.) 

(-2)  C'est  dans  la  tombe  royale  de  Négadali 
que,  pour  la  première  fois,  nous  voyons  appa- 
raître les  hiéroglyphes  et,  jusqu'à  ce  jour,  au- 
cune trace  de  piclographie  n'a  été  rencontrée 
dans  la  vallée  du  Nil.  «  U  semble  évident  que 
la  connaissance  de  l'écriture  en  Egypte  dérive 
d'une  source  asialiipie  ;  mais  l'écriture  égyp- 
tienne ne  dérive  pa>.   des    caractère  linéaires 


babyloniens  et  encore  moins  des  cunéiformes. 
11  est  probablement  plus  e.xact  d'affirmer  que 
les  hiéroglyphes  égyptiens  et  les  cunéiformes 
primitifs  ont  eu  un  ancêtre  commun  dont  au- 
cune trace  n'a  survécu.  "  (E.-.\.  Wai.i.is-Bi  i>ge. 
r-lgijpl .  in  llip  neolilliic  and  archaïc  period,  1902, 
!>.  il  )  Quant  à  la  peinture  céramique,  comme 
on  ne  la  trouve  pas,  en  t;gyi)te,  dans  les  sta- 
tions antérieures  au  métal,  j'estime  qu'elle  est, 
comme  les  hiéroglyphes,  d'origine  étrangère. 

{:>.]  Sur  une  tablette  de  pierre  provenant  de 
Vokha  (Basse-Chaldée).  Cf.  Mém.  de  la  Délcy. 
en  Perse,  V.  Sciieu..  t.  II,  1;K)0,  te.\tes  élamites- 
sémitiipies,  p.  130. 

(i)  Inscri|ition  de  Karibou-clia-Choucliinak, 
jiatési  de  Suse,  conlemi)orain  de  Doungi,  roi 
d'Our  (.x-x-wn' siècle  av.' J.-C).  Cf.  'V.  Scueil, 
Mém.  Déléy.  en  Per.se,  t.   VI,  le.vteS  élamiles 
sémitii|ues,  1900,  p.  7. 


190  l^I^^    l'UKMIÈRES    CIVILISATIONS 

vainqueurs  ont  transformés  en  cunéiformes  linéaires  ;  alors  qu'eux- 
mêmes,  développant  leurs  signes  primitifs,  produisaient  récriture 
proto-élamite.  Ce  fait  semblerait  démontrer  que  l'Elam,  bien  que 
faisant,  à  tous  points  de  vue,  partie  de  la  plaine,  conserva  plus 
longtemps  que  la  Chaldée  une  large  part  d'indépendance. 

Les  tablettes  d'argile  et  les  textes  lapidaires,  malheureusement 
très  courts,  que  nous  possédons  en  ces  caractères,  montrent  une 
évolution  spéciale  de  l'écriture.  Toutes  deux,  la  proto-élamite  et 
la  sémite  de  Chaldée,  seraient,  semble-t-il,  issues  d'un  même  point 
de  départ;  mais  tandis  que  l'une,  celle  des  Sémites,  s'est  dévelop- 
pée jusqu'à  devenir  presque  alphabétique  (perse  achéménide), 
l'autre  s'est  éteinte  trois  mille  ans  environ  avant  notre  ère. 

Aucune  trace  d'écriture  proto-élamite  n'a  été  rencontrée  jus- 
qu'ici dans  la  Chaldée  })roprement  dite  ;  il  nest  donc  permis  de 
formuler  que  deux  hypothèses  :  ou  bien  la  Chaldée  a  été  conquise 
longtemps  avant  la  découverte  de  Pécriture  pictographique,  alors 
c'est  en  Elam  que  les  Sémites  auraient  piis  l'écriture  à  son  origine  ; 
et  le  développement  se  serait  fait  parallèlement  sous  deux  formes, 
l'une  en  Elam  (pré-élamile),  l'autre  en  Chaldée  (cunéiforme)  ;  ou 
bien  les  Akkadiens  auraient  apporté  avec  eux  l'écriture  cunéiforme 
archaïque  déjà  constituée.  Si  cette  dernière  supposition  corres- 
pondait à  la  réalité  des  faits,  si  l'Elam  lui-même  avait  reçu  les 
cunéiformes  tout  formés  ;  nous  ne  trouverions  pas,  dans  les 
ruines  de  Suse,  des  textes  hiéroglyphiques  et  surlout  les  traces 
d'une  évolution  des  signes  indépendante  de  celle  des  Sémites, 
rappelant  des  formes  plus  archaïques  que  celles  qu'on  rencontre 
en  Chaldée.  De  ces  deux  hypothèses,  la  seconde  semble  être  la 
moins  rationnelle. 

L'Elam,  inventeur  des  hiéroglyphes  en  même  temps  peut-être 
que  les  pré-Sémites  de  Chaldée,  les  aurait  dévelo[)pés pendant  de 
longssiècles;  alorsquelesSémites  qui  les  connaissaient  également, 
soit  par  contact  avec  TElam,  soit  par  les  peuples  qu'ils  avaient  sub- 
jugués, développaient  ce  système  indépendamment  de  l'Elam  (1). 
Suse,  par  les  conquêtes  des  empereurs  sémitiques,  fut  appelée  à 
faire  usage  de  l'écriture  de  ses  vainqueurs;  et  lors(|u'elle  reconf{uit 
son  indépendance,  ses  caractères  nationaux  étaient  depuis  long- 


(1)  Bien  des  auteurs,  admettant  une  invasion        l'écriture.  (Cf.  J.Oppert,  Rapport  à  S.E,  le  mi- 
lle la  Chaldée  par  les  Suméro-Akkadiens,  sup-        nislre  de  l'Inst.  pubL,  mai  1856,  p.  11,  sq.) 
posent   qu'à    leur    arrivée   ils    connaissaient 


L'ASIE     ANTÉUIKUUE    KT    L'ÉGVPTi:    A.M  K-HISTORIQUES 


191 


temps  oubliés.  Elle  mit  les  signes  sémitiques  au    service   de   la 
langue  anzanite. 

L'existence  en  Elam 
d'un  |)eu|)le  non  sémite  est 
également  prouvée  par 
l'anthropologie  qui  signale 
les  restes  d'une  race  doli- 
chocéphale, apparentée  aux 
négritos,  parmi  les  popula- 
tions actuelles  de  TArabis- 
tan  (1). 

Ces  observations  se 
confirment  par  ce  fait  que 
sur  les  bas-reliefs  les  plus 
anciens  (2),  trouvés  à  Suse 
comme  en  Chaldée,  on  voit 
fréquemment   figurer   des 

Fragments  de  lahleUe  découverte  à  Ninive, 
fournissant  l'explication,  en  caractères  cu- 
néiformes, des  liiéroglyphes  primitifs  (3). 

personnages  répondant  au  type 
négrito .  La  stèle  triomphale 
de  Naram  Sin  (4) ,  entre  autres 
(trente -huitième  siècle  avant 
J.-C),  montre  ce  souverain,  de 
type  sémitique,  marchant  à  la 
tète  de  ses  neuf  vassaux  qui, 
presque  tous,  présentent  les  ca- 
ractères de  la  race  signalée  par 
l'anthropologie. 

Les  négritos,  comme  on    le 
Uevzey deSai^zec,  DécouvertesenChaldée,      sait,  sont  des  populations  fort  aii- 

pl.  IV  ter,  fig.  2.  .      '  .         .    n, 

ciennes,  apparentées  a  1  homnii' 
pléislocène  de  l'Europe,  l'éparties  de  nos  jours  dans  des  habitats 


Fragment    du  texte  de  la  stèle  dite  des 
Vautours,  du  rci  Eannadou. 


(1)  Cf.  l'Acropole  de  Suse,  par  M.  Dieulafov, 
IS90.  Appendice  par  Frédéric  Houssay. 

(2)  Cf.  D"'  PiNCHEs,  in  Journal  of  Ihe  Roijal 
Axtatic  Socielij,  janvier  190<),  pp.  87-93. 

(3)  (Cf.  HoLGHTON,  On  the  hieroglyphic  or 
piclure  origin  of  the  characters  of  Ihe  assy- 
riari  syliahary,  in  Transactions,    I.  VI,  p.    i5i. 


—  Fu.  I.ENOUMANT,  llist.  ancienne  de  l'Orienl 
1881,  9'  édit.,  I.,  I  p.  420.  —  .J.  Menant,  Lero^s 
d'épi(jrapliie  assyrienne,  1873,  pp.  49  el  50.  — 
G.  iVIaspero,  Histoire  ancienne  de  l'Orienl  cltis- 
sique,  1895,  t.  1,  p.  727.) 

(i)  Cf.  Mémoires  de  la  Déléijalion  en  Perse, 
t.  I,  19O0,  pp.  14i-l.^)8,  pi.  X. 


\i)-)  Li-:s  phi:mières  civilisations 

sporadiques,  on  les  ont  cliassés  les  invasions  successives  des 
])euples  de  civilisalion  supérieure  occupant  aujourd'hui  leurs 
anciens  territoires. 

Sans  ])nrler  des  nc«-i-itos  de  la  .Mëlanésie  et  des  îles  de  la 
Sonde,  ni  de  ceux  de  Tlndo-Cliine  que  j'ai  visités  à  Malacca(l), 
je  citerai  ceux  qu'on  rencontre  aujourd'hui  confinés  dans  le  centre 
(h'  l'Inde  ;  alors  que  toute  la  péninsule  appartient  à  des  races  de 
venue  relativement  récente. 

Il  est  ])ossihle  qu'aux  temps  qui  nous  occupent  l'Indo-Ghine, 
l'ilindoustan,  le  versant  méridional  des  monts  de  Perside,  lElam 
el  la  Chaldée  eussent  été  peuplés  de  ces  négritos  dont  nous 
rcirouvons  les  traces  en  Arabistan  et  dans  les  Indes,  ou  tout  au 
moins  d'une  descendance  des  races  (juaternaiies.  Un  objectera 
(|ue  les  négritos  étudiés  juscju'à  ce  jour  sont  tous  brachycéphales 
ou  sous-dolichocépliales,  tandis  que  les  types  reconnus  en  l-]lani 
sont  dolichocéphales  comme  les  nègres  d'Afrique,  comme  les 
hommes  pléistocènes  (h>  ri^uroi)e  occidentale.  Mais  il  n'existe  pas 
de  raisons  pour  i-ejeter  Thypothèse  dune  parenté  éloignée  entre 
les  pré-Sémites  de  Chaldée  et  les  Africains  ou  les  Européens  qua- 
tei-naires  (2).  Je  dirai  plus,  il  importe  peu  (|ue  les  crânes  tle  ces 
pré-Sémites  appartiennent  a  une  forme  ou  h  une  autre;  le  fait, 
surtout,  qu'ils  ont  existé  intéresse  l'histoire  (3). 

Si  les  Sémites  ont  été  maîtres  politiques  en  Elam  pendant  deux 
mille  ans  environ,  ce  n'a  jamais  été  aussi  complètement  qu'ils  le 
furent  en  Chaldée.  Leur  domination  ne  vint  probal)lement  à  Suse 
(pie  bien  longtemps  après  la  conquête  du  pays  des  deux  fleuves; 
c'est  pourquoi  les  ]-:lamites.  subissant  moins  fortement  l'influence 
des  conquérants,  ayant  conservé  libres  leurs  territoires  monta- 
gneux et  là  un    reste  d'indépendance  nationale,  ont   gardé  leur 

(1)  Cf.  DE    MoiiGAN.   Bull.  Sur.  normande  de  saut  sur  la  distribulioii  géographique  des  di- 

Géoqraphie,  1881).  -  1d..  l'Homme,  188.-,.  verse-  e^>èce<,  aclucUes  de  Lémuriens  el  des 

ii)  Les   iiaturalisles.   IVapiiés  des  analogies  races  nègres  el  négritos  (rien  ne  prouve  d'ail- 

(pii  e.Yislenl  entre  rAfrii|ue  el  l'Asie  méridio-  leurs  que  ces  deux  races  huitaines  soient  ap- 

nale  au  point  de  vue  zooiogiqiie,  ont  cherclié  i)arentéesi.  Il  en  est  de  même,  d'ailleurs,  pour 

à   les  expliquer  |)ar  la  supv.osition   de   l'e.xis-  les  autres  mammifères,  car  l'Afrique  centrale 

knce  d'une  terre    aujourd'hui    di-parue.    La  el  méridionale,  dune  f.art,  et  l'Inde,  de  1  autre, 

>.  Lcmurie»  de  Hœckel  aurait  été  un  vaste  con-  forment,  au  point  de  vue  de  la   faune,  une  re- 

lincnt,  situé   à    hi  place  de  1  actuelle    mer  des  gion  naturelle.  (Cf.  A.  Murr.w,  The  Geogr.  dis- 

Irules,  reliant  1  Oueslde  l'Inde  à  l'i-lst  de  lAfri  trib.  of  mammah,  18G(;.) 

(pie.  C'est  là  que  Ha-cUel  place  le  l.erceau  de  ('3)  11  esl  fort  probable  que  les  autochtones 

llmmanité.  Le  nom  de  Lémurie  élanl   tiré  de  de  l'Asie  antérieure  appartenaient  à  plusieurs 

celui  des  Lémuriens,  famille  de  siMi;esdont  le  familles  .anllirppolùgiL|ues  et  linguistiques,  et 

naturuliste  allemand  fait  descendre  Ihomme.  ipie   les  peuiiles  du  Nord  étaient  entièrement 

G. de  jMortillet  {Malériaux,  188Lp.  Uli  accepte  différents  des  négritos  du  Sud.  fJ.  M.) 
I  li>pothèsf  de  l'existence  de  cette  terre,  se  ba- 


LASIE    ANTKHŒUIU-:    ET    L'EGYPTE    A.NTK-llISTOiUOUES  193 

langue,  leurs  usages  et  plus  tard  à  mrnu^  de  reprendre  leur  en- 
tière liberté. 

L'ElamforniaiL  prol)ablement  déjà  un  véritaljle  Etat  quand  les 
Sémites  l'occupèrent.  Seul,  un  peuple  constitué  est  capable  d'uu 
mouvement  de  rèaclion  comme  celui  (|ui  prit  place  vers  la  fin 
du  troisième  millénaire,  sous  la  couduile  de  Koudour  Nakli- 
khountè  l'Ancien  ;  tandis  qu'en  Chaldée,  assemblage  sans  cohé- 
sion de  petites  tribus,  l'asserx  issement  fut  rapide  et  définitif.  Si  les 
Sémites  ont  soumis  l'Elam,  ce  ne  fut  (|ue  pour  écraser  un  ennemi 
qui  menaçait  leur  empin»  ;  mais  ils  ne  colonisèrent  pas  sur  les 
bords  du  Kàroun  et  de  la  Kerkha,  comme  ils  l'avaient  pu  faire  sur 
les  rives  de  l'Euphrate  et  du  Tigre, 

Quant  à  la  cause  qui  porta  les  Akkadiens  à  (|uitler  leur  patrie 
d'Arabie,  elle  nous  échappe.  La  migra  Lion  ne  fut  d'ailleurs  que  par- 
tielle; la  péninsule  demeura  peuplée  de  Sémites.  Elle  fut  très 
importante  ;  en  eflet  non  seulement  elle  couvrit  la  Chaldée,  mais 
aussi  elle  essaima  en  Egypte,  enSyrie,  sur  lehaut  Tigre,  etfit  rayon- 
ner son  influence  jusque  dans  les  îles  de  la  Méditerranée.  De- 
vons-nous l'attribuer  à  des  éruptions  volcaniques  rendant  certains 
districts  arabes  inhabitables  (1)  ;  à  l'immersion  de  terres  autrefois 
peuplées  ;  à  des  modifications  climatéi  icjues,  transformant  en 
déserts  arides  des  provinces  jadis  riches  ;  ou  à  des  guerres,  à  des 
luttes  entre  tribus,  obligeant  les  vaincus  à  s'expatrier  .'  Il  n'est 
pas  nécessaire,  je  crois,  daller  chercher  si  loin  les  causes  de  ce 
mouvement.  Comparée  à  l'Arabie,  la  Chahb^e  était  un  pays  privi- 
légié ;  les  colons  y  affluèrent,  tentés  par  ses  richesses,  lente- 
ment d'abord  et  par  groupes  isolés;  puis  en  j)lus  grand  nombre, 
Jusqu'à  imposer  leurs  volontés  aux  indigènes.  Ne  voyons-nous 
pas  dans  l'histoire  cent  exemples  de  semblable  pénétration  lente  ? 

Le  premier  départ  des  Sémites  d'Ai-abie  remonte  siuemenl  a 
une  très  haute  antiquité,  à  cincj  ou  six  mille  ans  au  moins  avant 
notre  ère;  en  sorte  qu'au  moment  où  débute  pour  nous  l'histoire, 
vers  ùOOO  avant  J.-C,  les  premiers  habitants  de  la  Chaldée  étaient 
déjà  absorbés  (2). 

Il  ne  faudrait  pas,  comme  ou  Fa  lente,  s'appuyer  sur  \o  manque 

(i;Lapliiparldesvolcans<leriitliiopieclaioiit  lieu    i)rès  do   Mcdiiie   en    l-25t).   (Cf.    Holdas, 

viicore  en  feu  à  Tépoque   des  Ptolémées  (m'  à  Comptes  rendus  Acad.  Se,  t.  CXXXVHI,  p.  415.') 

i"s. av.  J.-C. )el  quelques  cônes, sur  les  bords  (i)  L'absorption   d'un    peuple  par  un  autre 

de  la  mer  Rouge,  en  Arabie,  n'ont  que  depuis  n'exige  pas  un  temps  aussi  long  que  bien  des 

peu  cessé  d'être  en  activité.  Une  éruption  eut  auteurs  sont  tentés  île  le  penser.   Ouel(|ues 

i:{ 


19Zi 


LES    PIŒMIÉRES    CIVILISATIONS 


I.ASIE    AXTKRIELIRE    KT    I.ÉGVI'TE    ANTK-IIISTORFOUES  195 

complet  de  textes  aj)|)arlenant  en  propre  aux  Sumériens  pour  nier 
leur  existence  ;  car  TElam,  (|ui  cependant  avait  conservé  sa  vie  à 
part  des  Sémites,  ne  nous  a  laissé  aucun  document  de  langue 
anzanite  pendant  qu'il  était  sous  le  joug  akkadien. 

C'est  aux  Sumériens  (1)  qu'on  doit  attribuer  les  premiers 
établissements  fixes  dans  la  Mésopotamie  ;  ce  sont  eux  qui  ont 
laissé  les  couches  })r(»l"()U{les  dans  les  tells  de  Suse,  de  l'Elam,  de 
la  Chaldée  et  dans  les  vallées  du  Zagros  et  du  Poucht  è  Kouh, 
du  Sirdjar,  de  TAnti-Liban  ouvertes  sur  la  plaine.  Leur  première 
industrie  est  néolilliicjue,  j)eut-(Hre  même  énéolilhique  ;  elle  se  fait 
remarquer  par  rexiguïlé  des  instruments.  Cela  tient  à  ce  que  le 
silex,  inconnu  dans  la  plaine,  faisait  l'objel  d'exportation  des 
vallées  voisines,  sous  forme  de  galets  roulés. 

La  poterie  primitive,  d'abord  certainement  très  grossière,  est 
encore  inconnue.  Elle  nous  apparaît  seulement  alors  qu'elle  est 
devenue  fine  el  habilement  ornée  de  ])einture  ;  c'est  l'une  des 
caractéristiques  principales  de  cette  civilisation  très  ancienne, 
mais  secondaire. 

Les  stations  néolithi(|ues  sont  nombreuses  ;  il  en  existe  vers  le 
Liban,  dans  les  plaines  (|ui  bordent  l'Euphrate,  à  tous  les  points 
d'eau  naturels.  Au  sud,  en  Chaldée,  les  tells  les  plus  anciens  repo- 
sent sur  des  couches  néolithiques  et  énéolithiques,  preuve  que 
ces  villes  remontent  à  des  âges  incalculables. 

A  Yokha,  ville  d'une  très  haute  antiquité  :'2l,  située  au  centre 
de  la  plaine,  au  nord  du  Chatt  el  Hay,  les  couches  inférieures 
abondent  en  silex  taillés.  Ce  sont  des  nuclei  provenant  de  galets 
roulés,  des  lames  levées  avec  une  extrême  habileté,  d'une  grande 
ténuité  et  ornées  de  retouches  extrêmement  fines,  de  très  petits 
instruments,  poinçons,  grattoirs  plats,  scies  à  un  ou  à  deux  Iran- 


^iècles   seulement  ont  suffi  aux  Romains  pour  anzanite    que  spcciule    à    rliacun    des    tieux 

absorber  tous  les  éléments  elhni(iues  de  leur  peuples?  (.1.  M.) 

péninsule;aux  Allemands,  pour  germaniser  les  (2)  Voklia  se  nommait  dans  l'antiquité  Ouh 

Slaves  de  Prusse;  aux  Américains,  aux  Austra-  ou  Onhhou  (je  lai  visitée  en  octobre  1899);  elle 

liens,  pour  supplanter  les  races  indigènes.  La  faisait  partie  dun  petit  royaume  composé  de 

rapidité   de  l'absorption   dépend    uniquement  trois  villes  très  voisines  l'une  de  l'autre  (au- 

de  l'importance  numérique  et  du  la  force  vilab^  jourdhui  Yokha,  El  Hammam  et  Oum  el  "Aga- 

de  la  race  nouvellement  arrivée.  Certainement  reb).  Les  ruines  en  sont  considérables  ;  la  base 

un  millier  d'années  a  dû  suffire  pour  sémitiscr  des  tells  est  composée  de  cendres  où  abondent 

la  Basse  Cbaldée  cl   l'amener  au   point  de  se  les  silex  taillés  et   les  débris  de  poterie  gros- 

constiluer  en  empire.  sière  ;  au  sommet  sont  des  murailles  très  an- 

(1)  n  est  certain  que  les  langues  sumérienne  ciennes,  car  ces  villes,  ruinées  par  Hammoii- 

et  anzanite  ne  sont  pas  apparentées;  maise>l-il  rabi  vers  le  vingtième  siècle,  ne  se  sont  jamais 

probable  que  les  deux   peuple-;  ai)partinssent  relevées.  On  voit  encore  près  d'elles  les  canaux 

à   une  même  souche  ;  et  que  la  culture  qui  se  qui  leur  apportaient  l'eau   nécessaire  à  la  vie 

développa,  aux  origines,   fût    pliitùl    suméro-  et  à  la  cidlurc.  (.1.  M.) 


iPetra 


o  Noms 
^  Pabnyre  +« 


o  Hamas 


CARTE    PRÉHISTORIQUE 

DE  LA 

Syrie 

d'après  H.VjIlCent  "Canaan ,,1907, 

ûgllGet  277,  G.  Zumoffen  "LaPhénu:. 

axtant  les  Phéniciens,  1900. p  2, 

et.  les  Notes  de  1  Auteur 

LÉS£/VO£ 
♦  Statwns  auaternair&s. 
+ n^xilUhicn^. 

nHoimens. 


L'ASIE    ANTKHIKLKH    HT    l/ÉGVPTI-     ANTÉ-IlISTOHir)LES  1<J7 

chants,  consliLuaiiL  un  oulillage  complet  tel  que  nous  le  rencon- 
trons dans  nos  stations  préhistoriques  d'Europe. 

Tépch  (loulam  (1),  au  Poucht  è  Kouh,  appartient  à  la  même 
phase,  que  je  considère  comme  la  plus  ancienne  dans  celte  partie 
du  pays,  où  l'industrie  mésolithique  n'apparaît  nulle  part. 

A  Suse,  (h\ns  les  niveaux  les  plus  bas  du  Tell  (énéolithique) 
(vers  25  mètres  de  profondeur),  on  rencontre  les  types  de  Yokha; 
mais  les  nuclei  et  les  instruments  sont  j)lus  grands  (2),  parce  que 
non  loin  coule  la  Kerklia,  fleuve  impétueux  roulant  de  gros  galets. 

Dans  ces  ruines,  quand  on  remonte  au  travers  des  couches,  la 
taille  du  silex  se  perfectionne  ;  les  tètes  de  flèches  et  de  lances 
apparaissent,  présentant  deux  formes  bien  distinctes  :  la  feuille  de 
laurier  (3)  (forme  dite  solutiéenne)  abondante,  et  la  pointe  bar- 
belée (V)  (type  robenhausien),  plus  rare  ;  mais  toutes  deux  sont 
contemporaines  et  appartiennent  à  l'industrie  énéolithique. 

A  ce  grouj)e  il  convient  de  rattacher  Tépèh'Aliabad  et  Té])èh 
Moussian  au  ])ied  du  Poucht  è  Kouh  (5  .  Là,  comme  à  Suse,  on  ren- 
contre dans  les  tombeaux  (Q)  avec  le  mobilier  néolithique,  les  vases 
peints  (7)  ornés  de  dessins  géométriques  (8),  de  figurations  d'ani- 
maux (9),  de  i)lantes  (10);  et  quelques  objets  de  cuivre  (11)  viennent, 
par  leur  présence,  témoigner  de  Page  relatif  de  ces  sépultures. 
Le  plus  grand  développement  de  la  céramique  peinte,  à  Suse  (12), 
corres|)ond  à  l'industrie  énéolithique,  puis  peu  à  peu  les  formes, 
les  qualités  techniques  et  les  goûts  artistiques  d'antan  s'altèrent 
pour  disparaître  lentement  au  cours  des  temps  historiques.  Les 
silhouettes  seules  persistent  pendant  bien  des  siècles  encore  (13). 
La  cérami<|ue  peinte  ne  se  montre  que  rarement  en  Chaldée  (1/i), 
parce  que  probablement  la  conquête  fut  efTectuée  par  les  Sémites 

(1)  Jai  dccouverl  celte  localité  en  1891.  Cf.  (12)  Cf.  Mémoires  de  la  Délégation  en  Perse, 
J.  DE  MoRt.AX,  Mission  scientifique  en  l'er.se,  t.  I,  l'JOO,  pp.  183-190,  pi.  XVII-XXII. 
t.  IV,  Etudes  archéologiques,  I"  partie,  p.  1.  (13)  Les  sépultures  de  Warka  et  de  Mou- 
Ce  n'était  qu'une  simple  station,  un  campe-  gheir  renferment  quelques  ornements  de  fer, 
ment,  sur  le  bord  d'un  des  nombreu.x  ruisseaux  tandis  que  tout  l'armement,  les  ustensiles 
qui  descendent  du  Pondit  è  Kouh.  métalliques   sont   de    hron/e.  J'ai  fait  à  Suse 

(i)  Cf.  Mém.  Déléij.  Perse,  t.  L  1900.  pp.  191-  (1908)  la  même   observation  lors  de   la  décou- 

195,  fig.  389-423.  verte,  à   15  mètres   de  profondeur,  d'une  ca- 

(3)  Cf.  /'/.,  fig.  414  et  41t').  chette  'ou  d'une  sépullucc),  remontant  certai- 

(4)  Cf.  ù/.,  lig.  417  et  418.  nement  à  1  époque  de  1  Empire  suméro-akka- 

(5)  Cf.   Mémoires  de  la  Déléijntion   en  Perse,  dien.  Le    fer   n'avait    été    employé    dans    ce 
l.  Vin,  litoe,  pp.  59-148.  mobilier  (jne  pour  de  très  petites  amulettes; 

(6)  Cf.  id.,  fig.  109,  110,  liri-UCi.  alors  que  tous   les  ustensiles,  instruments  et 
0)  Cf.  id.,  fig.  135-28G.                                               armes  étaient  en  bronze.  (J.  M.) 

(8)  CL  id..  fig.  135-HK).  (14)  Cf.  Heizey.  Cap.   Cros,  ds  Revue  d'As- 

(9)  Cf.  id  ,  fig.  200-2.53.  syriolojie,  1905,    p.     59.  —    A.-II.    Sayce  {The 

(10)  Cf.  id.,  fig.  191-196.  Àrcheol.  of  the  cuneif.  inscr.,  1908,  p.  48,   note 
(U)  Cf.  /'./.,  fig.  29.V308.  1)  est  d'avis  que   le  fragment  cité  par    le  cap. 

Gros  peut  avoir  été  importé  d'Elam  à  Telloh. 


198  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

peu  après  la  découverte  de  cet  art;  et  peut-être  aussi  parce  que,  nos 
recherches  dans  les  sites  archaïques  étant  encore  insuffisantes, 
nous  n'en  connaissons  que  peu  d'exemples.  Toutefois,  nous  la 
retrouvons  largement  représentée  en  Assyrie  (1),  en  Palestine  (2), 
à  Chypre  (3),  en  Crète  (û),  en  Syrie,  en  Cappadoce  (5)  et  surtout 
dans  l'Egypte  préhistorique.  11  est  rationnel  d'en  attribuer  l'ori- 
gine aux  peuples  non  sémites  et,  par  suite,  de  penser  que  ces 
arts  se  sont  développés  dans  tous  les  districts  de  l'Asie  anté- 
rieure où  l'évolution  indigène  put  librement  suivre  son  cours. 

Mais  il  ne  faut  pas  confondre  la  technique  asiatique  avec  celle 
de  l'Egypte  prédynastique;  l'une  emploie  une  sorte  de  vernis 
adhérent,  tandis  que  l'autre  n'use  que  de  couleurs  sans  fixité,  tout 
comme  les  peuples  primitifs  de  la  France,  du  nouveau  monde 
et  la  plupart  des  tribus  sauvages.  C'est  de  la  technique  susienne 
que  semblerait  dériver  celle  des  pays  hellènes;  tandis  que 
l'Egypte,  abandonnant  de  bonne  heure  ses  procédés  imparfaits, 
aurait  progressé  dans  la  voie  de  l'émail  ])roprement  dit,  qui, 
défectueux,  lui  aussi,  n'aurait  été  employé  jusqu'aux  basses 
époques  que  pour  les  menus  objets  d'art    0). 

Dans  la  vallée  du  Nil,  comme  en  Élam,  comme  probablement 
aussi  dans  la  Palestine  et  la  Syrie,  ces  arts  ont  disparu  peu  après 
que  les  anciennes  races  eurent  perdu  leur  indépendance  ;  se  prolon- 
geant plus  ou  moins  longtemps,  suivant  que  les  goûts  autochtones 
s'étaient  mieux  conservés  dans  certains  districts. 

Cette  céramique  prise  dans  son  enseml)le    est  Ijien  spéciale  à 

;i)  Le  Musée  liritanniqiie  possède  une  série  voisinage  dAilaua,  M.  J.Garstang  a  (iécoii- 
de  fragments  de  vases  peints,  provenant  d'As-  vert  (1908)  des  couches  néolitliiques  renfer- 
syrie,  et  qui  présentent  identiquement  les  mant  une  céramique  peinte  ai)solument  sem- 
caraclères  de  la  poterie  peinte  susienne  de  blable  à  celle  qu'ont  fournie  les  assises 
la  IP  période.  iCf.  G.  Perrot  etC.  Chipiez,  profondes  du  Tell  de  Suse. 
Hist.  de  rArl,l.  111,  1885,  lig.  373-375,  377-  (6)  Cf.  J.  de  Morcan,  Comptes  rendus  de 
379.^  -  Déjà  en  1875,  Helbig  Osservazioni  so-  IWcadémie  des  Inscriptions  et  Belles-lettres, 
pra  la  provenienza  délia  decorazione  geome-  1!K)7,  p.  397.  —  lu.,  Rev.  de  lEcole  d'Anthropo- 
trica,  ds  Ann.  de  l'Insl.  de  corresp.archcol.,  1875,  lojie,  1907.  —  En  Elara,  et  iieul-être  aussi  eu 
p.  â21)  signalait  les  analogies  qui  existent  Chaldée,  celte  céramique  se  présente  dès  les 
entre  la  céramique  ninivile  et  la  poterie  la  temps  énéolilhiques,  c'est-à-dire  antérieure- 
plus  ancienne  des  îles  de  la  mer  Egée  et  de  ment  au  quarantième  siècle  av.  J.C.  ;  en 
rAlti(iue.  Egypte  et  en  Syrie  quatre  ou  cinq  siècles  plus 

(-2)  Cf.  H   Vincent.   Canaan,  1907,  chap.  V,  tard  ;  en  Crète  et  dans  la  mer  Egée  au  plus 

La  Céramique,  p.  *17.  sq.,  et  les  publications  tôt  vers  le  quinzième  siècle  ;plus  tard  encore 

du  Palestine  explor.  fund.  dans  la  Grèce  continentale  et  l'Asie  Mineure. 

(3)  Cf.  Perrot  et  Chipiez,  Hist.  de  l'Arl.  -  Il  est  donc  rationnel  de  penser  que  c'est  du 
R.  DussAUD,  L'île  de  Chyi.re,  ds  Rei'.  Ecole  foyer  le  plus  ancien  qu'est  partie  celte  con- 
d'Anlhrop..  1907,  p.  145.     "  naissance   pour   se   répandre  vers  l'occident. 

(4)  Cf.  RoN.ALD  M.  BuRROws,  The  Discoue-  Les  analogie:-  dans  les  motifs  de  décoration, 
ries  in  Crète,  Londres,  1W7.  Biblioyr.  corn-  la  similitude  dans  les  procédés  techniques, 
plèle  à  la  page  231,  sq.  —  Ed.  Hall,  The  le  grand  nombre  de  notions  qui,  à  ces  époques, 
Décorative  art  of  Crele  in  Ihe  Bronze  A(je,  Phi-  passèrent  de  Chaldée  à  la  Méditerranée  par 
ladelphia,  1907.  l'intermédiaire    de   la    Syrie    et  de   l'Egypte, 

(5)  Au   cours   de    ses    récentes   fouilles  au        viennent  à  l'appui  de  cette  hypothèse. 


LASIK    AMKRIEURE    ET    I.KGVPTE    AXTIMIISTOHIOUES  ][)[) 

l'Asie  antérieure  et  à  l'Egypte  ;  on  la  loncontre  dans  le  Taurus  ; 
mais  elle  ne  se  montre  ni  dans  le  Caucase  (1),  ni  sur  le  plateau 
persan  (2).  Si  donc  ces  derniers  pays  ont  été  envahis  par  des 
peuples  venus  du  Sud,  ce  qui  n'est  d'ailleurs  pas  prouvé,  ce  ne 
le  fut  qu'antérieurement  ou  postérieurement  au  développement 
de  la  poterif  peinte;  or  nous  savons  que,  quatre  ou  cinq  mille  ans 
avant  notre  ère,  ces  plateaux  et  ces  montagnes  étaient  presqu'inha- 
bités.  Ce  n'est  donc  que  bien  plus  tard,  au  lemps  où  la  céra- 
mique peinte  avait  achevé  son  lôle,  (|ue  des  influences  méridio- 
nales pénétrèrent  dans  les  pays  du  Nortl.  Cette  industrie  persista 
sûrement  sur  les  côtes  de  la  Méditerranée  jusqu'à  l'époque  de  la 
civilisation  égéenne  qui,  s'en  emparant,  la  transfoi-ma  suivant  son 
génie  (3),  tout  en  conservant  les  procédés  techniques. 

L'ornementation  des  vases,  tant  en  Egypte  qu'en  Chaldée,  est 
fré({ueniment  géométrique,  presque  toujours  stylisée  ;  mais  par- 
fois aussi  naturiste.  Dans  tous  les  cas  elle  procède  d'un  art  pins 
ancien  s'inspirant  de  modèles  réels.  N'est-il  pas  bien  curieux  de 
rencontrer  chez  des  peuples  qui,  probablement,  descendaient  des 
hommes  pléistocènes,  les  aptitudes  artistiques  qui  nous  ont  été 
révélées  par  les  cavernes  de  l'Europe  occidentale  ? 

La  poterie  incisée,  dont  les  ornements  sont,  ou  ne  sont  pas 
remplis  de  pâte  blanche,  semble  devoirétre  attribuée,  dans  l'ancien 
monde,  à  la  fin  de  l'état  néolithique  et  aux  cultures  énéolithiques, 
et  dans  bien  des  pays  à  la  civilisation  du  bronze.  11  est  inutile  de 
dire  que,  dans  les  diverses  contrées  où  cet  art  est  signalé,  il  ne 
s'est  pas  présenté  à  la  même  époque.  Quarante-cinq  ou  cinquante 
siècles  avant  notre  ère,  il  existait  déjà  en  Asie  antérieure  (Elam, 
Chaldée,  Syrie,  Assyrie  [û])  et  en  Egypte;  quanta  l'époque  à  laquelle 
il  llorissait  en  Europe,  dans  le  Caucase,  l'Arménie  et  le  nord  de 
la  Perse,  il  est  difficile  de  la  préciser;  mais  bien  certainement  elle 
n'est  pas  aussi  reculée. 


(l)Cf.  J.  DE  Morgan,  Mission  scientifique  au  tièmc  siècle  env.  av.J.-C;  il  appartient  à  une 

Caucase,  1889,  2  vol.  in-8.  civilisation    énéolithique     (Musée     de   Syra- 

(t)  Cf.  J.  DE  MoriGA.\.  Mission  scienliftqae  en  cuse;  Nécropoles  de  Monteracello,  de  Castel- 

Perse,  t.    IV,  1896.  Uech.  archéol.,  l''   partie.  lucio,  Gava    Cana    lîarharia,  etc.),  très  diflV- 

—    H.  DE  Morgan-,   ds    Mém    de   la    Délé(j.  en  rente  de  l'industrie  néolithique  du  même  pays. 

Per.se,  t.  VIII,  190(5,  pp.  251-342.  (J.  M.) 

(3)  Onrencontredes  tracesdecelte  influence  (4)  Place  {Sinice,  t.    II,  p.  150)  a  découvert 

jusqu  en   Espagne  et  en  Sicile,  où  la  première  dans  le    tertre   de  Djigan    un  gobelet  incisé 

période  sicule  montre  des   ornements  idciili-  rappelant,  par  sa  technique  et  son  ornemen- 

ques  à  ceu.x  de  Susc  et   de  Moussiaii  ;  la  res-  tation,  les    poteries    analogues   de     Suse    et 

semhlance  est  si  complète  qu'elle  ne  peut  être  d'Egypte,   et  qu'on   retrouve  également  dans 

fortuite.  M.   Orsi   attribue   cet   art   au  ving-  lile  de  Chypre. 


•200  LES  pi;i;mikres  civilisations 

On  place  généi-aliMiieiil  la  constiiiclion  des  dolmens  et  des 
villages  lacustres,  dans  nos  régions,  entre  le  quatrième  et  le 
troisième  millénaire.  L'abandon  des  habitations  sur  pilotis  fut, 
on  le  sait,  postérieur  à  la  connaissance  des  métaux;  ce  serait  donc 
entre  3000  et  1500  avant  notre  ère  que,  dans  l'Europe,  Fusage  de 
la  poterie  incisée  aurait  été  à  son  apogée.  A  cette  époque,  en  Orient, 
les  empereurs  suméro-akkadiens  étaient  depuis  longtemps  dispa- 
rus et,  en  Egypte,  régnaient  les  Pharaons.  Tous  les  pays  du  Nord 
ont  donc  été,  au  point  de  vue  industriel,  de  plus  de  mille  ans  en 
retard  sur  le  foyer  oriental  de  la  civilisation. 

Les  récentes  découvertes  de  céramique  peinte,  dans  le  centre 
et  l'orient  de  rEurojx'.  ont  fait  penser  que  les  peuples  du  Nord 
a\aientexercé  uneinduence  artistique  sur  ceux  de  la  Méditerranée, 
et  que  la  civilisation  mirioenne,  entre  autres,  avait  été  largement 
aidée  par  celle  du  NortL 

Cette  théorie  est  celle  des  savants  (jui  phicent  en  Europe  le 
berceau  de  la  race  inth^-européenne,  ce  (|ui  ne  saurait  être 
admis  pour  les  raisons  que  j'ai  exposées  plus  haut(l).  Elle  suppo- 
serait une  très  ancienne  conquête  des  pays  méditerranéens  par 
des  peuples  aryens,  ap|)c>rtant  avec  eux  leurs  goûts  et  leurs  ]>ro- 
cédés  artisti(|ues. 

Or  cette  conquête,  si  elle  eut  lieu,  n'a  })u  prendre  place  qu'à 
l'époque  où  ces  peuph's  possédaient  les  goûts  et  les  procédés 
artistiques  qu'on  leur  attribue  comme  faisant  partie  de  leur  patri- 
moine, c'est-à-dire  entre  le  onzième  et  le  trentième  siècle  av. 
J.-C,  au  plus  tôt;  jjien  longtemps  après  l'apparition  de  ces  mêmes 
arts  dans  la  Chaldée  et  en  Egypte.  Soutenir  ujie  semblable  thèse 
est  Aouloir  faiie  instiiiire  les  maîtres  par  leurs  élèves;  car  l'Eu- 
rope ne  possédait  eneoi-e  ([u'une  civilisation  bien  rudimentaire 
(|uand  elle  entra  en  contact  avec  l'Asie,  déjà  vieille  de  plusieurs 
millénaires.  N'est-il  pas  In'en  plus  naturel  de  penser  que  les 
civilisations  avancées  ont  rayonné  et  se  sont  répandues  chez  les 
peuples  encore  barbares  .'  Hationnellement  et  chronologiquement, 
le  problème  semble  devoir  être  ainsi  résolu. 

Ces  théories,  bouleversant  toutes  les  idées  admises,  basées 
sur  des  observations  séculaires,  changeant  du  tout  au  tout  la 
valeur  des  données  hisloii(|ues  et  archéologiques,  peuvent   être 

(IjCf.  cha|i.  VI.  L'homme  à  lïtiit   m'olilhiqiio. 


L'ASIE    ANIKniI-URK    ET    I.'KC.VPTi;    AMI-MIISTOIUOUES 


201 


.'ittiayantes  par  Iciir  impicvii  ;  mais  elles  ne  rcposeiil  (|ue  sur  des 
hypothèses  ({u'on  ne  saurait  accepter,  lanl  en  ce  cpii  conccine 
l'origine  euro|)éeune  des  Aryens  qu'en  ce  <pii  regarde;  l'introduc- 
lion  des  arts  céranii(]ues  dans  le  bassin  de  la  Méditerranée  (1). 

Jusqu'ici  on  s'était  préoccupé  fort  peu  de  l'origine  des  civili- 
sations méditerranéennes,  parce  que  les  documents  faisaient 
défaut;  mais  aujourd'hui  (ju'ils  se  montrent,  il  faut  bien  se  tenir 
en  garde  contie  les  hypothèses  ne  concordant  pas  avec  les 
grandes  lois  du  progrès  mondial.  Or,  ces  lois,  nous  les  possédons 
dans  leurs  ligues  |)rincipales. 


Expansion  de  l'art  de  peinture  céramique  dans  l'Asie  antérieure 
et  l'Orient  méditerranéen. 


Les  fouilles  récentes  ont  prouvé  (|ue  l'île  de  Crète  avait  été  dès 
les  temps  fort  anciens  un  foyer  artistique  très  important;  mais, 
demain  peut-être,  il  sera  démontré  (jue  ce  foyer  n'était  pas  uni([ue 
dans  la  Méditerranée,  et  que  la  Crète  n'était  qu'une  partie  d'un 
monde  intellectuel  plus  avancé  qu'on  est  en  droit  de  le  suj)poser 


(1)  Cf.,  entre  autres,  G.  1*errot,///.s-/.  de  l'Art, 
l.  111,  1885,  p.  690,  fig.  5U7  (vase  d'Ormidi;i, 
Miiscc  (le  New- York),  cl  \).  711,  fi<^  523  (vase 
dOrmiilia,  Musée  de  New- York),  fij;ure  deux 
vases  oITranl  tous  les  caractères  de  la  cérami- 
<luo  clamite  de  seconde  époque.  On  y  retrouve, 
l)lus  spécialement  dans  le  second  e.\eniplaire, 


les  |)rincii)es  susiens  d  ornementation;  la  seule 
différence  consiste  en  ce  que,  sur  la  panse,  ce 
vase  porte  une  frise  de  pei-sonnages.  très  ca- 
ractéristique, du  goût  des  i)remiers  Indo-Euro- 
péens  de  la  Méditerranée,  mitigé  cependant 
d'iniluence  ég\])lienne. 


20-2  I-ES    PRKMIKRES    r.IMLISATIONS 

aujourd'hui.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  savons  déjà  que  le  Minoen, 
né  de  l'Orient,  a  produit  le  Mycénien  ;  que  les  côtes  méridionales 
de  l'Europe,  depuis  Chypre  jusqu'à  l'Espagne,  ont,  de  très  bonne 
heure,  reçu  la  civilisation;  que,  sur  ces  rivages,  des  populations 
très  développées  étaient  en  rapports  constants  avec  les  barbares 
du  Nord,  et  qu'elles  les  ont  instruits  de  mille  choses. 

C'est  bien  probablement  ainsi  que  s'est  formée  cette  vaste  zone 
dans  laquelle  l'art  de  peindre  les  vases  s'est  répandu.  Ce  n'est 
vraisemblablement  pas  les  populations  de  cette  aire  qui  ont  ensei- 
gné au  vieux  monde  ;  mais  bien  le  vieux  monde  qui  a  fait  rayonner 
ses  connaissances. 

En  ce  qui  concerne  la  poterie  ornée  de  décors  incisés,  il  ne 
peut  faire  aucun  doute  qu'elle  soit  née  dans  plusieurs  milieux  ;  car 
on  la  rencontre  aussi  bien  dans  l'Europe  qu'eu  Egypte,  qu'en 
Élam,  que  dans  l'Iran  septentrional,  la  Sibérie,  le  Japon,  voire 
même  dans  le  nouveau  monde.    » 

La  poterie  peinte  couvre  une  ère  moins  étendue.  Les  traces  de 
cette  culture  cessent  dans  le  district  de  Tchernigof,  au  nord-est 
de  Kief,  dans  le  sud  de  la  Russie  (1),  s'étendent  jusqu'au  nord  de 
la  Bohême  '2)  en  passant  par  la  Galicie  (3),  se  i-onconlrent  en 
Podolie  et  en  Bessarabie  d),  en  Roumanie  (ô),  Transylvanie  (6), 
Bukovine  (7),  dans  la  Haute-Autriche  (8),  descendent  jusqu'à 
Trieste  (9)  et  en  Bosnie  (10),  en  Hongrie  (11),  en  Serbie  (12),  en 
Bulgarie  (13).  Pour  les  provinces  européennes  de  la  Tiir([uie  (1/|) 
nos  informations  sont,  il  est  vrai,  encore  insuffisantes  ;  mais  bien 
certainement  cet  art  est  descendu  jusqu'à  la  côte. 

On  ne  conçoit  pas  aisément  qu'une  culture  géographiquc- 
ment  aussi  étendue  se  soit  uniquement  portée  vers  le  Sud,  sans 
influencer  le  nord  et  l'occident  de  l'Europe;  car  il  ne  faut  pas 
confondre  dans   un  même  art  la  poterie  incisée  et  celle  ornée  de 

(1)  E.  Von  STZRy,  Die«  Pramykenisclie  »  Kul-  (7)  Vo.\   Step-n,    ap.    cil.,    p.    77.    Vallée  du 
hirinSud-Rusf!hind.  Moscou, 1",I05,  p.  73.  Fouilles        Prulh. 

Chwoiko.  (H)  HoERNES,  op.  cit.,  pp.  51-!i5,  fig.   123-130. 

(2)  M.  HoERNES,  Die   neolitische  KeraniiU  in  (!•)  IIoernes,  op.  cit.,  p.  48,  fig.  118.  Gabro- 
Oslerreich  {Jahrbuch  der  K.   K.  Zenlral-Kom-        vizza  el  Duino. 

mission  fur  KCinst  and   Hislorische    Denkmale,  (10)    Hqernes,    op.    cit.,    pp.    7-10,   fig.  1-7. 

III.  i.  1905,  Vienne,  p.  72,  fig.  lH9-i;)5).  Butmir. 

(3)  HoERNEs,    id.,    p.    114,     sq.,    fig.   251-283.  (11)    HœRNES,  op.  cit..   p.    11,    fig.   19-22.— 
Cf.    Von  Stern,  Die  <•  PrâmT/kenische,    »  etc.,  Von  Stern,  op.  cit.,  p.  75. 

p.  74.  (12)  HœRNEs, op.  cit.,  p.  29,  sq.  —  Von  Stern, 

(4)  Fouilles  de  E.  Von  Slern  à  Peirény.  op.  cit.,  p.  78,  noie  2. 

(5)  VoN  Stern,  Die  Prtimykenische,  etc., p.  77.  (13)  Musée  de  Sofia  (.J.M  }. 

Cucuteni.  (14)    Jérôme,     Reo.     arch.,     XXXIX,     1901, 

(0)   ScHMiDT,  Zeitsch.  f.  EthnoL,  1903,  p.  438,        pp.  o28-349. 
sq.  —  HoEi-.NES,  op.  cit.,   pp.   19-2H,   fig.  25-72. 


ÉLAM    ET   CIIALDKE 

Paierie  peinle  avec  ornemenlalions  génmétriaiiex  et  naltirisles 
du  lM-'I  ou  xxx°  (?)  siècle  au.  J.-C. 

SYRIE,  palestim;,  phé.mcie,  cappadoce 

É(;ypte 

Poterie  peinte  avec  ornementation 

Poterie  i)einte  avec  ornementation 

géométrique  et  naturiste. 

géométri<iue  et  naturiste. 

Du  XLv°  {■?)  au  xxv"  siècle  av.  J.-C. 

Du  xLV  (?)  au  XL"  siècle  av.  J.-C. 

Vernis  indélébile 

Couleurs  fragiles. 

CUVPltE 

ILE  DE   CRÈTE 

SANTORIN 

Poterie  peinte. 

Poterie  peinte,  décoi- 

Poterie  peinte. 

(léror  géométrique. 

géoniétrifiue  et  naturiste. 
Minoen  ancien, 

décor  géométrique. 

Y 

jusqu'au  xv  s.  av.  J.-C. 

Y 

hi:llade 

0(;cif>F-\T  miî;diterranéen 

GRÈCE 

ILES 

ILEDECRÈIE 

SICILE 

ITALIE 

ESPAGNE 

Décor  géomé- 

Minoen 

I"  période 

Mycénien. 

trique  des 
Cyclades. 

moyen. 

Sicuie. 
Décor  géomé- 

trique et  na- 

rr 

'  ' 

turiste   sty- 

^ 

Minoen 

lisé. 

récent. 

XYiii^auxirs. 

1 

-Si 

Céramique 

1 

r 

Y 

IP  période 

--_       TU 

incisée. 

Invasion 

Art    g  r  é  c  0  - 

Invasion 

Sicuie. 

^  :i 

dorienne. 

phénicien    à 

dorienne. 

Décor  géomé- 

3    ^ 

Art 

XV  siècle. 

Chypre. 

xi"  siècle. 

trif|ue  et  na- 

■;^   ^    i'. 

indigène. 

Décadence 

turiste   sty- 

~   i    ■" 

décor  géo- 

lisé. 

métrique    et 

Spirale. 

1^2 

naturiste    à 

Décadence. 

xir  au  i\'  s. 

Vases 

Atliènes. 
x=  siècle. 

Y 
x'  au  \\V  s. 

•j:     ^     ^ 

peints. 
Influence 





5i  S 

minoenne. 

Y 

ATTIQLE 

COniNTIIE 

GRÈCE 

IIP  période 

•?^ 

I 

Sicuie. 

Zones 

IX"  au  vir  s. 

5 

d'animaux. 

Intluence 

-? 

ix"  siècle? 

phénicienne, 
i 

^' 

II 

1 
Y 

Personnages, 
viii»  siècle? 

IV«  période 
Sicuie. 

Influence 

grecque. 

virau  vs. 

III 

Inscriptions. 

Pein- 

Influence 
grec<pie. 

Importations 
corinthiennes 

VIT  siècle. 

ture 

Pein- 

vir siècle. 

noire 

ture 

1 

(;20-500. 

rouée 

Y 

1 

Y 

550-180. 

V'  période 

Cérami([ue  in- 

grec(iue. 

digène    du 

Lekytos 

type  corin- 

blancs. 

thien. 

i\    et  iir  s. 

1 

1 
Y 

■\ 

' 

^ 

r 

Y 

^ 

' 

Céramiqu 

e  au  tvpe  grec  dans  toute  la  Méditerranée  orientale 

et  centrale,  sauf  dans  les  Etats  carthaginois,  m'  siècle  av.  J.-C. 

Tableau  nionlranl  les  diverses  phases  des  avis  céramiques 
dans  VAsie  anlérieure  el  le  bassin  méditerranéen,  ri  leur  dérivation  hiipothétique 


•20/|  LES    IMiEMIÈRES    CIVILISATIONS 

peinture,  ces  deux  pi'océdés  étant  complèlenient  indépendants 
l'un  de  l'autre. 

La  solution  de  cet  inléressanl  problème  repose  donc  unique- 
ment sur  une  question  de  dates  ;  et  personne  ne  supposera  qu'en 
Europe,  ces  arts  céramiques  soient  antérieurs  à  ceux  de  Phéni- 
cie  (1),  d'Egypte  et  de  Chaldée.  La  priorité  appartient  sans  con- 
teste à  rÉlam,  mais  le  sud  de  la  Cappadoce  et  la  Syrie  ont  été 
rapidement  ses  élèves;  dès  le  quatrième  millénaire,  les  riverains 
de  la  Méditerranée  étaient  instruits  de  cette  industrie.  Comment 
admettre  quelle  soit  disparue  pour  revenir  plus  tard  dans  les 
mêmes  pays,  issue  d'un  nouveau  foyer  d'invention? 

Pour  se  mieux  rendre  compte  de  l'énorme  influence  ([u'eurent 
les  arts  orientaux  sur  les  pays  les  plus  éloignés,  il  est  intéressant 
de  (juitter  les  côtes  d'Asie  et  d'examiner  l'évolution  artistique 
dans  les  régions  lointaines  des  Portes  d'Hercule. 

A  l'extrémité  occidentale  du  vieux  monde,  en  Espagne,  lait 
de  peindre  les  vases  est  certainement  venu  d'Orient;  car  nous 
voyons,  à  partir  d'une  certaine  époque,  se  présenter  dans  la  pénin- 
sule les  mêmes  procédés  techniques  et  fréquemment  aussi  les 
nuMues  formes  ((ue  nous  connaissons  déjà  dans  l'Est  méditerra- 
néen. 

Les  recherches  en  i-^sj)agne  ont  été  jusqu'ici  j)eu  nombreuses 
et  généralement  mal  roordoniu'es;  aussi  ne  rencontrons-nous 
pres(jue  ([ue  des  documents  épars,  dépourvus  pour  la  plupart  de 
ces  certificats  d'origine  (|ui  leur  donneraient  une  si  grande  valeur. 
Toutefois, il  est  dès  aujourd'hui  possible  d'entrevoir  les  grandes 
lignes  de  l'art  céramique  espagnol. 

Je  ne  parlerai  pas  de  la  phase  dans  laquelle  l'aitiste  incisait  la 
pâte  et  remplissait  les  ornements  d  une  matière  blanche  (2).  Ce 
j)rocédé  est  troj)  répandu,  en  Europe  comme  dans  l'Asie  occiden- 
tale, pour  qu'on  puisse  tirer  de  sa  présence  de  solides  conclusions; 


(1)  Les  divisions  oUiiilits  poui-  la  <  iramique  270)  propose  poui-  les  iléijuts  de  lu  civilisation 

paleslinicnne  sont  les   suivantes  :  I.  Indigène  chananéenne,  la  <late  approximative  de  30(XJ 

!H.  Vincent)  =:  pré-israélite  arcliaïque  (Bliss)  av.  J.-C.  (chananéen  ancien  3000  à  1550).  Cette 

=  .\morile  (FI.  Pétrie);  11.  Chananéenne  (V.)=:  date,  à  mon  sens  est  beaucoup  trop  basse  en 

pré-israélite    postérieure  (B.)   =    phénicienne  raison  du  développement  que  nous  constatons 

(P.);  III.  Israélite  (V.)  =  juive  [B.  I'  );  IV.  Ju-  à  cette  époque  en  Egypte  et  en  Chaldée,  pays 

déo-hellénique   (V.)  =    séleiicide  (B.  P.).  La  qui,   forcément,  se   trouvaient    en    relations 

classidcalion  adoptée  jiarH.  Vincent  {Canaan.  constantes  avec  la  Syrie. 

l'.to7,  p.  18  et  chap.  V,  p.  -297.  sq.;  est  de  beau-  (2)  Cf.  Paris,  Essai  sur  l'ail  el  l industrie  de 

coiii)   la    plus  judicieuse.  R.  Dussaud  {Revue  l'Espagne   primilire,  t.    II,  1904,  p.    43,  fig.  20 

de  l  Histoire  des  religions,  1907,  I,  pp.  349-350,  el  (vases préhistoriques  de  la  coll.  Bonsor). 
Ilei'ue  de  l'Ecole  d'Anthropologie,   190S.  p|).  269- 


LASIK  ANTKRIEURE  ET  L'KGVP'I  H   \NTK-inST<JlUOL  ES  "200 

nous  le  considérons  comme  indigène.  Je  mCn  tiendrai  à  la  céra- 
mique peinte. 

Les  premières  influences  orientales  se  l'onljCii  I-^spagne  comme 
en  Sicile,  sentir  dès  les  temps  fort  anciens,  et  tout  i)orte  à  croire 
qu'elles  sont  dues  au  foyer  crétois,  ou  lout  au  moins  aux  mêmes 
enseignements  (1),  venus  de  proche  en  proche. 

Ce  n'est  cpu»  |)lus  lard  (|u'a|)|)arail  Tari  niinoen  dans  son 
entier  dévelo|)pement,  au  point  qu'on  serait  tenté  de  croire  que 
bien  des  spécimens  de  cette  céramique  ont  été  importés  de  Crète 
et  n'appartiennent  pas  aux  induslries  indigènes  (2).  On  y  voit 
l'ornementation  géométrifjue,  la  ligu ration  des  [)lautes  et  des 
animaux  (3)  par  des  procédés  crétois  et  mycéniens. 

La  poterie  grecc|ue  vint  ensuite,  i\u  septième  au  cinf|uième 
siècle,  importée  de  lAtlique  ;  mais  en  Espagne  elle  ne  lit  pas  école 
comme  en  Étrurie.  L  influence  phénicienne,  prenant  vile  le  des- 
sus, détruisit  le  peu  d'aptitudes  arlisli(pies  que  possédaient  les 
peuples  de  l'Ibérie. 

L'Espagne,  tant  par  sa  sculj)ture  que  par  sa  céramique,  ne 
semble  pas  devoir  jamais  montrer  des  tendances  artistiques  indi- 
gènes bien  élevées.  Tout  ce  quelle  [)OSS(''da  lui  vint  de  Tétran- 
e-er  et,  semble-t-il,  cette  semence  tomba  dans  un  terrain  stérile. 

Mais  revenons  aux  peuples  orientaux. 

A  la  question  de  l'origine  des  progrès  dans  la  Chaldée  et 
l'Élam  vient  s'ajouter  un  autre  problème  non  moins  inij)(>rtanl, 
celui  de  la  découverte  de  la  métallurgie;  car  nous  soyons  apj)a- 
j-aître  le  mêlai  vers  répocjue  où  l'homme  avait  inventé  l'écriture, 
plutôt  avant  qu'après  (/i).  Ces  divers  laits  sont  intimement  liés 
et  c'est  leur  ensemble  qui  a  élé  la  cause  ])rincipal(>  de  la  supé- 
riorité du  peuple  parvenu  le  premier  à  ces  connaissances. 

Je  pensais  auliefois  (5)  que  la  découverte  du  bronze  était  unique 
et  originaire  de  l'Extrême-Orient,  et  je  crois  encoi'e  (jue  ce  centi-e 
n'a  pas  été  sans  grande  influence  dans  le  monde,  surtout  en  ce  qui 


(1)  Cf.   p.  Paris,  o/>.  i-it.,  fi^.  -21   ù'J^  el  104),  surloul  If^l  i  .Musée  de  Madrid);  reprîseiUalion 
(^^_                           '  d'oiseau   rapi)elant  celles  de    la  Crète,   de  la 

(2)  Cf.  P.  Paris,  op.   cit.,  fig.   16  (urne   de  la  Syrie  el  de  Chypre. 

collection   Gil,   à   Sarafiosse),   fig.  99    (fragm.  (4)  Les  signes   des   métaii.x    usuels  et  pré- 

provenanl  d'Elche, Musée  de  Madrid),  fig.  101  cieu.v   sont  au   nombre  des   plus  anciens,  ce 

Mu-sée  de  Taiagone  ,  lig.  102,  103  (Musée  de  qui  tendrait  à  prouver  que   lécrilure  ne  prit 

-Madrid),  iig.     169-173  ^. M  usée     du     Louvre),  naissance  qu'après  la  découverte  de  la  mélal- 

fig.  17.5-170  (Musée  du  Louvre),  (ig.  178  (Musée  lurgiellChaldée). 

de  Saragosse).  i^)  CI"-  J-  oii  Morga.n-,  nech.  oikj.  peu/des  du 

(3)  Cf     P.    Paris,  vp.  ril.,  fig.  180  à    KK)  et  Otncaxe,  -2  vol.,  1889. 


stations  préhisloritiues  de  la  vallée  du  Nil,  entre  Koiifl  el  Louxor. 


L'ASIE    ANTÉRIEURE    ET    LÉCVPTE    A.XTÉ-HISTORIQL'Ey 


20: 


concerne  les  origines  euroj)éennes  ;  niais,  en  ce  (jni  regarde  les 
pays  chaldéo-élaniiles,  je  suis  aujourtriuii  amené  à  supposer  un 
foyer  spécial,  silué  vers  l'est  de  TAsie  anléiieure  el  dans  ses 
montagnes  riches  en  minerais  cuivreux  (i). 

Les  premiers  instruniciils  niélalli(|ucs,  lanl  en  l-^gyple  (ju'à 
Suse  et  en  Glialdée,  sont  en  cuivre  pur  (2);  mais  rapidement  inter- 
vient le  bronze,  et  c'est  en  vain  que  je  cherche  le  lieu  d'où  prove- 
nait Télain  que  renferme  cet  alliage.  Le  milieu  chaldéeu  de  civili- 
sation remonte  à  une  telle  antiquité  qu'il  est  bien  dillicile  dad- 
nietlie,  pour  lui,  des  relations  comnierciales  avec  les  lointains  pays 
où  gît  la  cassilérite  (3). 

Dans  la  Aallée  du  Nil,  I  ijidnslric  ncolilhicinc  avait  j)ris  une 
grande  extension  (Zi)  grâce  à  la  ([iialiiccla  Tabondancc  des  inatiè)-es 


(1)  De  toutes  les  villes  de  la  Glialdée,  Suse 
est  de  beaucoup  celle  dans  laquelle  les  fouil- 
les ont  mis  au  jour  la  plus  grande  quantité 
de  métal  (Cf.  Mém.  de  la  Délég.  en  Perse)  ;  la 
statue  de  la  reine  Napir-Asou,  seule,  pèse 
environ  2. (M)  kiloiframmes.  ITne  si  grande 
abondance  de  cuivre  laisse  à  penser  que 
l'Elani  était  un  centre  i)roducteur  important. 
Les  mines  se  trouvaient  probablement  dans 
le  massif  montagneu.v  du  Haut  Kàroun  et 
du  Haut  Ab  è  Diz,  là  où  existent  des  for- 
mations géologiques  propres  à  renfermer  des 
liions  cui)rifères.  Malheureusement,  ces  mon- 
tagnes sont  encore  peuplées  de  tribus  si  peu 
hospitalières,  qu'ai)rès  deu.x  tentatives  infruc- 
tueuses en  1891  et  en  1898,  j'ai  dû  renoncer 
à  leur  exploration,  (.f .  M.) 

(■2)  Cf.  Beuthelot,  Comples  rendus  de  l  Aca- 
démie des  sciences,  t.  CXXIV,  pp.  1119-1125.  — 
.1.  DE  MouGAN,  Recherches  sur  les  origines  de 
l'Ei/ypte,  le  Tombenu  de  Xégadah,  1897,  p.  247. 
—  li  en  est  de  môme  dans  toutes  les  civilisa- 
lions  métallurgiques  primitives  des  pays  mé- 
diterranéens. 

(3)  Cf.,  dans  J.  i>e  MoncAN,  Rech.  orig.  peu- 
ples du  Caucase,  t.  II,  carte  des  gisements 
d'élain  connus  dans  le  monde  entier.  L€s 
gisements  d'étain  de  la  Malaisie  n'ont  pas 
été  exploités  dans  la  haute  antiquité.  —  Cf. 
J .  OE  MoRCiAN,  La  géologie  et  l'industrie 
minière  du  royaume  de  Pérak,  ds  Ann.  des 
Mines,  mars-avril  1886. 

(4)  Avant  mes  découvertes  et  mes  publica- 
tions de  1896  et  1897,  sur  l'âge  de  la  pierre 
dans  la  vallée  du  Nil,  les  égyptologues  se  re- 
fusaient à  reconnaître  l'existence  du  préhis- 
torique en  Egypte.  Voici,  comment  en  1875, 
s'exprimait  à  cetégaid  P.  Pierret (Dic/.  d'arch. 
égyptienne,  p.  439,  article  Pierre),  résumant 
l'opinion  générale  qui  s'est  maintenue  jus- 
ipi'eii  1896:  «  On  a  trouvé,  à  Biban-el-Molouk, 
(le  nombreux  silex  de  forme  lancéolée,  évi- 
demment travaillés  par  la  main  de  l'homme  ; 
ilsappartiennentà  l'âge  hisloriiiue  de  l'Egypte. 
On  s'y  est  servi,  jusque  sous  les  Plolémées,  de 
silex  pour  faire  des  pointes  de  flèches  (nous 


en  avons  au  Louvre,  salle  civile,  armoire  il), 
des  pointes  de  lances,  dos  lames  de  couteaux 
emmanchées  dans  du  bois  ;  c'est  avec  des 
instruments  en  silex  qu'on  pratiquait  l'incision 
nécessaire  pour  l'éviscéral^ion  des  momies  el 
l>our  enlever  la  peau  de  la  plante  des  pieds. 
—  La  constitution  du  sol  de  l'Egypte  ne  per- 
met guère  d  espérer  qu'on  y  trouve  jamais  des 
traces  de  l'homme  préhistorique.  >■  Et  P.  Pier- 
rot cite,  à  l'appui  de  ce  qu'il  avance  :  Ihdlelin 
de  l'Instilut  égyptien,  n°  11,  pp.  57,  74;  Lei>- 
siLS,  Zeitschr.  /'.  JEgypl.  Sjirache,  1870,  p|i. 
89,  113  ;  Chabas,  f  Antiquité  historique,  p.  389.  — 
Le  vicomte  de  Rougé  écrivait,  en  189.j  (pen- 
dant même  que  je  coin])osais  le  premier  vo- 
lume de  mes  Recherches  sur  les  origines  de 
l'Egypte):  «  On  doit  écarter  du  débat  (sur  le> 
origines)  la  constatation  qu'on  avait  cru  faire 
en  Egypte,  comme  dans  d'autres  pays,  d'une 
époque  préhistorique,  par  la  découverte  de 
gisements  de  silex  taillés.  Les  remarques  de 
Mariette,  Chabas  el  d'aulres  savants,  ont 
montré  que  ces  instruments  avaient  été  em- 
ployés pendant  toute  la  durée  de  l'Empire 
égyptien  (Orig.  de  la  race  égyptienne,  in 
Mém.  Soc.  Antiq.  France,  t.  LIV,  189.^,  tirage  à 
part,  p.  15).  —  C'est  imbu  de  ces  principes 
plutôt  surprenants  que  Flinders  Pétrie,  ayant 
eu  main  tous  les  documents  pour  établir  l'exis- 
tence de  l'âge  de  la  pierre  en  Egypte,  mettait 
sous  presse,  en  1S96,  son  livre  I\'ag(idu  and 
Dallas,  expliquant  par  l'intervention  d'une 
New  race  ses  découvertes  que  la  science  offi- 
cielle ne  lui  permettait  pas  d'expliquer  natu- 
rellemenl.  Nos  deux  livres  sortirent  en  même 
temps  ;  la  Xeti'  race  rentra  dans  le  néant  d'où 
elle  n'aurait  jamais  dû  sortir,  et  le  préhisto- 
rique égyptien  devint  de  suite  l'objet  des 
études  d'une  foule  d'archéologues  heureux 
d'exploiter  un  filon  aussi  riche,  qu'ils  n'avaient 
pas  su  découvrir  eu.\-mêmes.  Les  stations  de 
l'Egypte  furent  mises  à  sac,  et  comme  on 
s'y  pouvait  attendre,  les  observations  scientifi- 
ques furent  presque  entièrement  négligées, 
les  chercheurs,  pour  la  pliqiart,  ne  s'attachant 
qu'à   la  valeur  vénale  des  objets  qu'on  vit  ai"- 


•208 


LES    PHKMIKRP:S    r.[\ILlSATlONS 


premières  que  fôuniisseuL  ses  montagnes  (1).  Parmi  les  restes  do 
ces  industries,  parvenus  jusqu'à  nous,  les  slalions  du  Fayoum  (2) 
sont,  à  coup  sûr,  les  plus  anciennes  ;  tandis  que  celles  de  la  Haute 
Egypte  (3)  semblent  avoir  précédé  de  fort  peu,  si  elles  n'en  sont 
contemporaines,  le  grand  événement  d'où  devait  sortir  l'Egypte 
pharaonique  {!i). 

L'histoire  de  ce  pays  nous  est  mieux  connue  que  celle  de  tout 
autre,  grâce  aux  facilités  rencontrées  par  les  savants  pour  son 
exploration.  L'homme  y  apparaît  par  son  industrie  paléolithique  (5), 
puis,  après  un  hiatus  compienant  les  industries  archéolilhique  et 
mésolithique  (6),  nous  le  retrouvons  taillant  et  jiolissant  le  silex 
avec  une  rare  perfection.  Enfin,  employant  les  roches  dures  (7) 
et  atteignant  dans  la  fabrication  des  objets  de  pierre  un  véritable 
art  qui  n'a  été  surpassé  dans  aucun  pays,  il  creuse  des  vases  dans 
les  matières  les  plus  résistantes,  sculpte  l'os  et  Tivoire  et  possède 
une  superbe  céramique,  quand  le  métal  fait  son  apparition. 

Entre  les  stations  du  Fayoum  et  celles  du  Saïd  avec  leurs 
nécropoles,  leurs  débris,  leurs  lestes  d'habitations,  est  une 
grande  distance,  et  cependant,  malgré  l'a ppari lion  de  formes 
nouvelles,  il  semble  (jue  ces  deux  civilisations  se  font  suite;  la 
seconde  étant  fortement   (Mnpreinli^    d'innucnces   étrangères  (8), 


parailrc  enfouie  sur  tous  les  marchés  de  1  Eu- 
rope. L'exposé  très  complet  des  discussions 
survenues  au  sujet  des  premières  civilisa- 
tions dans  la  vallée  ilu  Xil  est  donné  par 
E.-A.  Wallis  Budge  dans  H;iupt  in  Ihe  neoli- 
lliic  and  archaic  period,  IWi,  chap.  I,  Tlie  pre- 
dynastic  cgyplians. 

(1)  Le  silex  égyptien  du  Saïd  appartenant 
aux  étages  Turonien  et  Sénonicn  est  des  plus 
beaux  et  des  meilleurs  qu'on  puisse  rencon- 
trer pour  la  fabrication  des  instruments. 

(2)  Dimeh,  Om  el  Atl,  Kom  Hachim. 

(3)  El'Amrah,  Toukh,  etc. 

(4)  Nous  n'avons  pas  encore  retrou\é  de 
textes  chaldéens  faisant  mention  des  pre- 
mières colonisations  asiatiques  dans  la  vallée 
du  Nil;  mais  la  Bible  qui,  comme  on  le  sait,  a 
tiré  toutes  ses  données  historiques  des  archi- 
ves de  la  Babylonic  et  n'est,  somme  toute, 
qu'un  reflet  des  annales  primitives,  montre 
Mitzra'im,  fils  de  Cham,  quittant  la  Chaldée 
lors  de  la  dispersirm  des  peuples  et  venant 
s'établir  en  Egypte  [Genèse,  XI,  4).  Or,  cette 
dispersion  n'eut  lieu  qu'après  la  construction 
lie  la  tour  de  Babel,  c'est-à-dire  à  une  époque 
où  les  Suméro-Alikadiens  étaient  déjà  assez 
avancés  en  civilisation  pour  concevoir  et  exé- 
cuter de  grands  travaux.  C'est  donc  munis  de 
connaissances  avancées  que  Mitzra'im  et  ses 
hommes  gagnèrent  la  vallée  du  Nil.  Ces  indi- 
cations co'incident  de  jour  en  jour  plus  étroi- 
tement avec  les  données  fournies  par   la  lin- 


guistique et  l'archéologie.  La  dispersion  des 
peuples  de  la  Bible  ne  serait  donc  que  le  sou- 
venir imprécis  des  émigrations  qui  prirent 
place  dans  une  antiquité  extrêmement  reculée 
sous  la  pression  de  la  colonisation  sémitique 
grandissante  en  Chaldée. 

"  (5)  Cf.  J.  DE  MoR(;.*.N,  1896,  Rech.  sur  les 
orig.  de  ÏE<j]jide,  iùtje  de  la  pierre  el  les  mé- 
laux. 

(6)  La  station,  aujourd'hui  disparue,  d'Hé- 
louan  doit  peut-être  se  ranger  dans  les  temps 
(|ui  précédèrent,  en  Egypte,  l'usage  de  la 
pierre  polie.  La  collection  la  plus  importante 
de  cette  station  ^e  trouve  dans  les  galeries 
du  Musée  Kircher  à  Rome;  on  y  remarque  de 
grandes  analogies  avec  l'industrie  archéoli- 
lhique de  l'Afrique  du  Nord  (Tunisie,  Algérie). 

(7)  L'usage  des  roches  dures,  pour  la  con- 
fection des  haches,  n'apparaît  en  Egypte  que 
fort  peu  avant  l'arrivée  (les  métaux  si  ce  n'est 
en  même  temps. 

(8)  Les  relations  très  anciennes  de  l'Egypte 
avec  l'Arabie  sont,  suivant  le  professeur 
Schweinfurlh  (De  l'orig.  des  Egyptiens,  Bull. 
Soc.  Khédiv.  Géogr.,  W'  série,  n">  12,  1897),prou- 
vées  par  ce  fait  tjue  les  arbres  sacrés  de 
l'Egypte,  le  Persea  et  le  Sycomore,  cultivés 
dès  la  IV<^  dynastie  <t  avant,  appartiennent  à 
la  flore  spontanée  de  l'Arabie  Heureuse  et  de 
l'Abyssinie  du  Nord.  Cette  déduction  du  sa- 
vant botaniste  allemand  ne  semble  pas  justi- 
fiée; car  il   se   peut  que  ces   espèces  fussent 


L'ASIK    AMKIUEURE    ET    LÉC.VPTE    ANTÉ-IIISTORFOUES 


209 


tandis   ((iie   la   première    semble   être    fraiicheinent   africaine  (1). 

L'industrie  énéolithique  d'Egypte  montre  une  céramique  ornée. 
Comme  en  I*]lam,  ces  peintures  représentent  des  hommes,  des  ani- 
maux, des  plantes,  des  barques  et  cent  objets  inconnus  aujour- 
d'hui. Elle  apparaît  subitement  avec  le  métal;  c'est  une  révolu- 
tion complète  dans  l'industrie  de  la  vallée  du  Nil. 

J'ai  fourni  jadis  bon  nombre  de  preuves  de  l'origine  asia- 
ti(|U('  ['2)  de  la  civilisation  i)haraonique  (3).  Il  semble  utile  de  les 
reprend le  sommairement  aujourd'hui  que  le  préhisloj-i(|ne  égyp- 
tien a  été  plus  étudié  et  que,  pendant  ce  temps,  j'ai  moi-m(''me  fait 
de  nombreuses  observations  en  Chaldée,  en  Élani  et  dans  la 
majeure  partie  de  l'Asie  antérieure. 

Longtemps  avant  mes  découvertes  relatives  au  préhistorique 
égyptien,  les  égyptologues  les  plus  éminents,  de  liougé  (/j),  Lep- 
sius(5),  Maspero  (6)  et  d'autres  (7),  bien  des  assyriologues  (8),  s'ap- 


jadis  l)caucoup  plus  répandues,  et  que  les 
points  où  elles  croissent  aujourd'hui  ne  soient 
que  les  témoins  d  une  flore  beaucoup  plus 
étendue  et  en  grande  partie  disparue  par 
suite  des  changements  de  climat. 

(1)  Les  types  de  Fayoum  se  retrouvent  avec 
quelques  variations  jusqu'au  sud  de  l'Algérie 
et  dans  le  Maroc  ;  leurs  gisements  sont 
continus  au  travers  de  la  Tripolitaine,  de  la 
Tunisie  et  du  sud  algérien. 

(2)  Cf.  Genèse,  chap.  X,  V,  3-6.  Misraïm,  fils 
de  Kham,  frère  de  Koush  l'Ethiopien  et  de 
Canaan,  se  fixa  sur  les  bords  du  Nil  avec  ses 
enfants.  Loudini,  l'aîné  d'entre  eux,  personnifie 
les  Egyptiens  proprement  dits.  —  G.  Mas- 
PEHO,  Hisl.  anc.  p.  Or.,  1893,  p.  14.  —  Pline, 
Hist.  nul.,  VI,  c.  29,  attribue  à  des  Arabes  la 
fondation  dUéliopolis.  —  G.  de  Morlillel  (Cf. 
Matériaux,  1884,  p  119)  considère  la  civilisa- 
tion égyptienne  comme  d'origine  africaine,  se 
basant  sur  ce  que  :  1°  l'usage  du  bronze  i)arait 
avoir  manqué  en  Afrique;  or,  on  le  rencontre 
en  Egypte,  largement  représenté;  2°  la  domes- 
tication des  animaux,  que  nous  voyons  floris- 
sante en  Chaldée  et  en  Elam  dès  les  temps  les 
plus  anciens  et  qui  peut  avoir  appartenu  aussi 
bien  à  la  vallée  du  Nil  qu'à  celle  de  l'Eu- 
phrate-Tigre;  3»  sur  ce  que  cette  domestica- 
tion s'appliquait  à  des  espèces  africaines,  le 
chat,  le  chien,  l'anlilope,  l'âne, etc.;  or,  rien  ne 
prouve  que  le  chat,  le  chien  et  l'antilope  ne 
fussent  pas  également  à  l'état  sauvage  dans 
l'Asie  antérieure.  Quant  à  l'âne,  il  vit  en 
bandes  dans  le  grand  désert  de  Kirman.  Le 
bœuf  vivait  en  Asie  comme  en  Afrif|ue  et, 
d'ailleurs,  il  se  peut  que  les  procédés  de  do- 
mestication eussent,  en  Egypte,  été  ap])li(]ués 
aux  animaux  de  la  région  sans  que  pour  cela 
la  domestication  elle-même  y  ait  été  décou- 
verte; i"  sans  le  fer,  la  civilisation  égyptienne 
n'aurait  jamais  pu  atteindre  le  haut  degré  de 
développement  où  elle  est  parvenue.  Les  ro- 
ciics  d'Kgypte  sont  fort  dures,  le  fer  était  in- 


dispensable pour  les  tailler.  Or,  les  récentes 
découvertes  tant  en  Egypte  qu'en  Chaldée 
montrent  que  ces  roches  dures  étaient  déjà 
finement  ouvrées  dès  les  premiers  temps  du 
cuivre  pur  ;  on  est  donc  bien  loin  encore  de 
l'usage  du  fer.  L'absence  d'un  état  du  bronze 
dans  l'Afrique,  si  elle  est  réelle,  montrerait 
simplement  que  les  populations  extra-égyp- 
tiennes n'ont  connu  que  tardivement  le  fer  et 
sont  directement  passées  à  son  usage  en  sor- 
tant de  l'état  néolithique,  tout  comme  le  fait 
eut  lieu  dans  la  Finlande. 

(3j  Cf.  .1.  DE  Morgan,  Recherches  sur  les  ori- 
yines  de  l'Eijypte,  1890-1897. 

(4)  E.  DE  HoL'GÉ,  Rec/i.  s.  les  monum.  qu'on 
peut  attribuer  aux  six  prem.  dijn.  de  Manelhon, 
18()G,  p.  2- 

(5;  Lepsius  accordait  aux  Khamites  une 
origine  asiatique;  Schweinfurlh  les  suppose 
issus  de  l'Arabie  méridionale  et  leur  attribue 
un  développement  spécial  aux  conditions  afri- 
caines, tandis  que  les  Sémites,  «  leurs  congé- 
nères sauraient  évolué  suivant  celles  de  l'Asie. 
Cette  hypothèse  repose  sur  la  conception  de 
l'iioinme  primitif  unique.  Il  semblerait  plus 
rationnel  de  sujjposer  que  le  type  khamilique 
n'est  que  le  (iroduit  d'im  mélange  des  races 
africaines  avec  celles  de  l'Asie  antérieure  mé- 
ridionale, mélange  effectué  par  contact  dansles 
régions  voisines  de  la  mer  Rouge. 

(6)  G.  Maspero, //«?.  nnc,  p.  10. 

(7)  Vicomte  J.  de  Roucé,  Origine  de  la  race 
égyptienne,  ds  M(hn.  Soc.  anliq.  France,  t.  LIV, 
1895  —  E.-A.  Wallis  Bi'dge,  E(jijpt  in  the 
neolithic  and  archaic  period,  1902. 

(8)  Fritz  Ilommel  {Ancienl  Orient,  1895)  pense 
((ue  longtemps  avant  l'an  4000  av.  J.-C,  mille 
ans  |)eut-étre  auparavant,  les  ])remiers  émi- 
granls  bal)yloniens  seraient  arrivés  sur  les 
bords  du  Nil.  11  aflirme  que  la  moitié  des  mots 
égyi)tiensde  l'ancienne  jiériode  sont  de  racine 
sumérienne  et  cite,  à  rapi)ui  de  son  hypothèse, 
une    longue    liste    d'hiéroglyphes  démontrant 

11 


210  LES    PREMIÈRES    CniLISATIOXS 

puyaiit  sur  des  données  linguistiques,  avaient  conclu  à  l'origine  asia- 
tique des  Egyptiens  pharaoniques.  Voici  comment  ils  s'exprimaient  : 

«  La  race  égyptienne  se  rattache  aux  peuples  blancs  de  l'Asie 
antérieure  par  ses  caractères  ethnographiques  ;  la  langue  égyp- 
tienne se  rattache  aux  langues  dites  sémitiques  par  sa  forme 
grammaticale  (W  Non  seulement  un  grand  nombre  de  ses  racines 
appartiennent  au  type  hébréo-araméen  ;  mais  sa  constitution 
grammaticale  se  prête  à  de  nombreux  rapprochements  avec 
l'hébreu  et  le  syriaque  (2).  »  Et  «  s'il  y  a  un  rapport  de  souche 
évident  entre  les  langues  de  l'Egypte  et  celles  de  l'Asie,  ce 
rapport  est  cependant  assez  éloigné  pour  laisser  au  peuph'  qui 
nous  occupe  une  physionomie  distincte  »  (S). 

((■  Les  Egyptiens  appartiendraient  donc  aux  races  proto-sémi- 
tiques. N'enus  d'Asie  par  l'isthme  de  Suez,  ils  trouvèrent  établie 
sur  les  bords  du  Nil  une  autre  race  probablement  noire,  fju'ils 
refoulèrent  dans  l'intérieur  (Zi).  » 

A  ces  opinions,  basées  sur  l'étude  approfondie  des  langues, 
viennent  s'ajouter  une  foule  d'indications  concordant  toutes  avec 
les  conclusions  des  linguistes  (5). 

J.  Oppert  ((>)  a  remarqué  que  l'évaluation  du  temps,  chez  les 
Egyptiens  et  les  Chaldéens,  est  basée  sur  le  même  point  de  départ; 
car  les  deux  cycles,  sothiaque  (égyptien)  et  lunaire  (chaldéen\  se 
rencontrent  en  l'an  115^2  av.  J.-G.  (7);  ce  qui  tendrait  à  indi- 
cjuer  une  origine  commune. 

Or.  ces  appréciations,  basées  sur  des  faits  d'ordre  général,  se 
trouvent  appuyées  par  une  foule  de  détails  dont  l'intérêt  néchap 
pera  pas. 

Les  mesures  de  longueur  dans  les  deux  pays  concordent  exac- 
tement (8  . 

d'après  lui  1  identité   des  deux  systèmes  idéo-  (5)  A.   Thomson    et    D.  Randall   Me    Iver, 

graphiiiues.  The  anc.  races  of  Ihe  Thebaïd.  [Anlhrop.  <■  Lon- 

(1)    Benfrey,    Ueber   das     Verhaeltntss    der  dres,  1905. 

Aegypi.  Sprach.   z.  Sernitisch.  Sprwlisl  ,  Leip-  (6)   J.  Oppert,   Congrès    de    Bruxelle< .   1872, 

zig,  1844.  —  ScnwARTZE,  Dus   Aile  Aegypi,  t.  1,  p.  162. 

p.  2003,  sq.  —  E.  DE  RouGÉ,  Recherches  sur  les  (7;  Celle  date,  11&42  av.  J  -C.^  prise  comme 

monuments,    pp.    2-4     —    Lepsios,  Zeilschrifl,  indication   de   relations  entre    \a   Chaldi'e  et 

1870,  pp.  91,  92.  —  Maspero,  Hisl.  anc.  peup.  l'Egypte,  n'aurait  rien   qui   doive  surprendre; 

Or.,  1893,  p.  17.  elle  laisserait    une  période    de  quatre  à  cinq 

(2»  G  "Maspeho,  Ilisl.  anc.  f/eu]>les  de  rOrient,  mille  ans  pour   la  phase    d'incubation    de    la 

V«  éd.,  1893,  p.  16.  royauté   pharaonique.     Mais  si    elle  doit  être 

(3)E.  DE    RouGÉ,   Recherches  sur  les  monu-  prise  en  considération, elle  n'implique  pas  f.jr- 

menls,  p-  3.—  Cf-HoMiiEi.,  Die  Seniilischen  Vol-  cément   des    relations    chaldéo-égypliennes  à 

ker  und  Sprachen,  t.  I,  p.  9i,   sq.  ;  439,  sq.  —  cette  époque:  car  il  se  peut  que  le  système  chro- 

Maspero,  Hisl.  peup.  Or.,  V«éd.,  p.  17.  nomélrique   ne  soit   venu  que   plus  tard  dans 

(4)  Lepsius,  Zeitschrift,  iS'O,  p.   92.—   Mas-  la  vallée  du  Nil,  de  Chaldée  où  il  existait  déjà. 

PERo,  id.,  p.  17,  (8)    Cf.    C.   Mauss,   lEylise  Sainl-Ji-rcmie  à 


L'ASIE    ANTÉRIEURE    ET    L'EGYPTE    ANTK-IIISTORIQUES         211 

L'usage  du  cylindre  cachet  (1),  la  culture  du  blé  (2),  origi- 
naire de  Chaldëe,  l'emploi  de  la  faucille  armée  de  silex  (3), 
l'usage  de  la  brique  crue  (4),  les  arts  céramiques,  la  taille  des 
pierres  dures  (5),  la  figuralion  sur  les  vases  des  bateaux  et  des 
étendards  de  tribus  (6),  le  sentiment  artistique  guidant  la  sculp- 
ture des  menus  objets  (7),  enfin  l'incinération  des  sépultures  (8), 
l'analogie  dans  les  idées  religieuses,  sont  tous  caractères  communs 
aux  deux  pays.  Ainsi  bien  des  observations  se  réunissent  à  l'aj)- 
pui  de  l'hypothèse  supposant  l'origine  asiatique  de  la  civilisation 
dans  la  vallée  du  Nil. 

Certainement  le  panthéon  égyptien  (9)  diffère  notablement  de 
celui  de  la  Ghaldée  au  point  de  vue  des  formes  qu'il  revêt,  surtout 
dans  les  temps  historiques  ;  cependant  nous  rencontrons  là  encore 
des  traces  d'origine  commune  (10).  Les  divergences  ne  sont  dues 
qu'à  des  mélanges  et  à  des  développements  indépendants,  sous 
Tinfluence  de  clergés  guidés  par  des  intérêts  divers. 

Dans  les  deux  pays  l'origine  politique  repose  sur  la  théocratie. 
Puis  le  pouvoir  se  sépare  des  prêtres  ;  mais  les  souverains  con- 
servèrent toujours  un  caractère  sacerdotal,  voire  même  divin  (11). 

Dans  les  religions  de   l'Asie  antérieure  et  de  l'Egypte  se  mon- 


Abou-Gosch.  Mesure  Uiéorique  des  piliers  de 
Tello,  1894. 

(1)  Cf.  G.  Jeouier,  tls  J.  DE  Morgan,  1897, 
Bech.  ori(j.  Egypt.;  Tombeau  royal  de  Néyadah, 
p.  2-29,  sq  ,  fig.  78i-7,  816-821,  elc. 

;2)  Cf.  Mastabas  de  l'ancien  empire  à  Saq- 
qarali. 

(3)  Cf.  Fl.  Pétrie,  lllahun.  Kahun  <ind  Gurob, 
pi.  Vil,  fig.  27.  —  J.  DE  Morgan,  Rech.  oriy. 
Eyypjte,  1897,  p.  95,  fig.  266-273.  Méni.  Déléy. 
en  Perse,  1900,  t.  I,  fig.  404-408. 

(4)  Cf.  J.  DE  Morgan,  Recli.  oriy.  E</;/p/e,  1897, 
p.  194.  L'usage  de  la  i>rique  crue  chez  les  Cha- 
nanéens  de  même  qu'en  Egypte  est  sans  au- 
cun doute  d'origine  clialdéenne.  Quant  à  la 
brique  cuite  elle  ne  semble  pas  avoir  été  em- 
ployée dans  la  vallée  du  Nil  antérieurement  à 
l'époque  romaine.  Nous  ne  connaissons  en 
Ghaldée  (ju'un  seul  e.temple  de  construction 
en  pierre  appareillée,  dans  les  murs  du  temple 
d'Eridon,  déblayé  par  Taylor  en  185'i.  La  ma- 
tière employée  est  un  conglomérat  coquillier, 
de  formation  récente,  très  abondant  dans  les 
collines  arabiques,  bordant  la  vallée  de  1  Eu- 
phrate.  De  nombreux  fragments  de  cette  pierre 
tendre  se  rencontrent  dans  toutes  les  ruines 
chaldéennes;  on  n'en  trouve  que  très  rarement 
à  Suse. 

(5)  Cf.  J.  DE  Morgan,   id.,  1897,  p.  74  et  sq. 

—  Fl.   Pétrie,   1895,   Naqada  and  Ballas,  elc. 

—  E.  DE  Sarzec,  Découverles  en  Chaldée, 
pi.  XXVL 

(6)  Cf.  J.  DE  Morgan,  id.,  1897,  p.  92.  — 
Fl.  Pétrie,  Diospolis,  pi.  XX,  8;  Neqadah  and 


Ballas,  pi.  XXV,  XXVI,  etc.  Les  mêmes  repré- 
sentations se  montrent  sur  la  céramique  su- 
sienne. 

(7)  Entre  autres,  la  figuralion  du  lion  (Cf. 
J.  DE  Morgan,  Tomb.  Boijal.  Nèyadah,  1897, 
p.  192,  fig.  698,  699.  -  G.  Lampée,  ds  Mem. 
de  In  Déléy.  en  Perse,  1906,  t.  VHI,  p.  159  et  sq.), 
pieds  de  vases  et  de  meubles  en  forme  de 
jambe  de  taureau,  fréquents  dans  l'Egypte 
archaïque  et  en  Susiane,  gravures  sur  pierre 
et  sur  os,  etc. 

(8)  L'usage  d'incendier  les  .sépultures,  re- 
connu dans  les  tombes  de  Négadah  et  d'Aby- 
dos  (rois  thinites  de  la  I"  dynastie)  se  retrouve 
en  Chaldée  (Cf.  R.  Koldewey,  Zeilschr.  f.  As- 
syrioL,  vol.  II,  pp.  403-430),  à  El  Ilibba  et 
à  Zerghoul. 

(9)  Sur  le  polythéisme  et  le  fétichisme  chez 
les  anciens  Egyptiens,  Cf.  G.  Maspero,  Bibl. 
éyyplologique,  1893,  t.  1,  p.  127,  sq.  —  Lepage 
Renouf  (Hibbert  Lectures,  1879,  p.  99)  dit  que  le 
mot  Xuter  —  Dieu  n'a  jamais  été  un  nom 
propre,  mais  est  demeuré  toujours  nom 
commun. 

(10)  Fritz  Homme!  {Ancienl  Orienl.  1895)  croit 
pouvoir  affirmer  une  identité  parfaite  dans  la 
généalogie  des  divinités  égyptiennes  et  baby- 
loniennes, identité  qu'il  retrouve  dans  les 
noms  mêmes.  —.1.  Gaunier,  Worship  of  llie 
dead;  or,  oriy  in  and  nature  of  payan  idolalry 
upon  early  hisl.  of  Eyypt  and  Babi/lonia,  Lon- 
dres, 1904. 

(11)  Cf.  A.  Wiede.mann,  le  Roi  dans  Cancienne 
Eyyple. 


2J2  LES    PREMIÈRES    CI\  ILISATIONS 

trentles  traces  de  deux  conceptions  (1)  primitives  :  du  culte  sidéral 
qui  semble  appartenir  aux  Sémites  (2),  et  de  celle  des  éléments  et 
des  facultés  de  la  nature,  qui  paraît  être  l'héritage  des  Asiatiques 
non  Sémites  (3),  si  elle  n'appartient  pas  aux  couches  anciennes 
de  la  population  égyptienne. 

Pour  des  causes  politiques  les  deux  cultes  se  mélangèrent  en 
proportions  diverses;  de  là  ces  nombreuses  difterences  qui  feraient 
croire  à  des  religions  complètement  indépendantes  les  unes  des 
autres  [h]- 

Dans  son  remarquable  ouvrage  sur  les  religions  sémitiques, 
le  P.  M.  J.  Lagrange  (5)  reconnaît,  dans  les  concepts  de  la  Chaldée 
primitive,  ces  deux  éléments  bien  distincts,  le  naturisme  et  le  culte 
sidéral  (6)  et,  les  attribuant  tous  deux  aux  races  sémitiques,  se 
préoccupe  de  rechercher  l'antériorité  de  l'un  sur  l'autre.  ^lais  il 
me  semble  que  ce  serait  là  le  cas  de  faire  entrer  en  ligne  le  dua- 
lisme ethnique  des  Sumériens  et  des  Akkadiens,  dualisme  dont 
nous  ne  possédons  ((ue  des  traces  archéologiques  vagues,  parce 
qu'il  remonte  à  des  époques  très  lointaines. 

Ces  deux  éléments  se  retrouvent  dans  les  notions  religieuses 
parvenues  jusqu'à  novis.  Aux  Sumériens  revient  le  naturisme, 
aux  Akkadiens  le  culte  astral  (7).  C'est  ainsi,  par  la  superposition 
des  deux  systèmes,  que  serait  née  la  religion  suméro-akkadienne  ; 
les  anciennes  races  conservant  leurs  divinités  locales,  les  enva- 
hisseurs gardant  pour  leurs  dieux  le  rang  suprême. 

La  longue  durée  de  la  civilisation  babylonienne,  sa  grande 
supériorité  intellectuelle  sur  la  culture  des  populations  voisines, 
furent  les  causes  de  l'expansion  de  son  influence  qui  s'infiltra 
jusque  parmi  les  plus  pauvres  nomades  de  l'Arabie  (8).  Toutefois, 
la  péninsule  conserva  plus  pures   ses   traditions  astrales   et  c'est 

(1)  En  Chaldée,  la    triade    suprême,  Anoii.  (4)  Rien    ne    nous  permet  de   dire  ce  qu'é- 

Bèl  et   Ea,  est  issue  d'un    couple  antérieur:  talent    au   début  ces   divinités,  si    les   Egyp- 

Anchar,  élément  mâle  symbolisant  la  totalité  tiens  les   apportèrent  toutes   de    leur   patrie 

des    choses  célestes    et   Kichar,  élément    fe-  primitive,  ou  si  beaucoup  d'entre  elles  naqiii- 

melle,  symbolisant   celle    des  choses   terres-  rent  sur  les   bords  du   Nil.    Au    moment  où 

1res.  (Cf.  P.  DnoRME,  11K)7,  C/(o/x  de  ?ex(es,  etc.,  nous  les  rencontrons   pour  la   première    fois, 

introd.,  p.  xvni.)  leur  forme    s'était  modifiée  profondément  au 

(-2)  Le  dieu  principal  des  Sémites  était  le  So-  cours  des  siècles,  et  ne  renfermait  plus  tous 

leilqu'ilspla(;aientau-dessusdetouslesautres  les  traits  de  leur  nature    première.  (G.  Mas- 

dieux.  Ils  réunissaient  en  une  même  personne  pero,  Hisl.  une.  p.  Or..  189o,  p.  25.) 

les  principes  mâle  et  femelle,  Anou-Anat,  Bel-  (5^  Lagrange,  op.  cit.,  ]>.  448. 

Beltis.  MardoukZarpanit,  etc.  Cf.  Sayce,  T/iC  (6)  A.    Jere.mias,   Da^i  allé  Tetilamenl,    p.  23. 

Ancienl  Empires   of    //ig  Efi.s/,  pp.  389-390.  (7)    Saturne    (Ninip),     .Jupiter     (Mardouk), 

(3)  A  la  religion,  il  convient  d'ajouter,  pour  Mars  (Nergal),  Vénus  (Ishtar),  Mercure  (Na- 

la  Chaldée,  les    superstitions  magiques,    qui  bon). 

sernblent    être  l'apanage    de  toutes  les  popu-  (8)  Winckler. 
lations  primitives. 


LASIE     ANTÉRIEURE     ET     L'EGYPTE     ANTÉ-HISTORIOUES        213 

en  Chaltlée,  centre  du  mélange  originel,  que  le  naturisme  laissa 
le  plus  de  traces. 

A  quelle  phase  se  trouvait  la  religion  babylonienne  quand 
rÉgypte  fut  envahie  par  les  croyances  orientales?  Nous  ne  saurions 
le  préciser;  mais  il  est  aisé  de  retrouver  dans  le  panthéon  égyptien 
les  dieux  astraux  d'origine  sëmili(fuo,  et  de  les  séparer  des  divini- 
tés locales  (1).  Chaque  nome  possédait  son  protecteur,  élément 
terrestre  déifié  (2).  Quant  au  culte  des  forces  reproductrices  du 
genre  humain  si  répandu  dans  toute  l'Asie  (3),  il  est  rationnel 
d'en   attribuer  l'origine  aux  Sumériens  j)lulàl  (|u'aux  Akkadiens. 

En  Egypte  comme  en  Chaldée,  les  divinités  sidérales  occupent 
le  premier  rang,  parce  qu'elles  sont  celles  des  maîtres;  mais,  dans 
la  vallée  du  Nil,  les  planètes  ne  sont  pas,  con)me  en  Asie,  toutes 
divinisées;  parce  qu'en  Egypte  l'influence  sémitique  fut  moins 
intense. 

Malgré  cette  apparente  confusion,  on  peut  aisément  i-econnaîlre 
dans  Ra  en  Egypte,  Chamach  en  Chaldée,  Javeh  f/i),  Kamoch  (5), 
Melqarlh  (6)  chez  les  Ghananéens,  le  soleil  et  ses  manifestations, 
astre  que  nous  retrouvons  sous  forme  de  dieu  secondaire  (7), 
chez  les  Ourarthiens  non  Sémites,  sous  le  nom  cVArdinich  (8)  et 
qui  n'était  entré  dans  le  panthéon  de  ce  peuple  que  par  influence 
étrangère.  Quant  au  grand  dieu  susien  Choiichinak,  il  semble 
être  indépendant  de  toute  idée  astrale. 

Dans  les  deux  pays,  chaque  ville,  chaque  tribu  avait  son  dieu 


(1)  Sib  (la  terre),  Notit  (le  ciel),  Non  (l'eau 
primordiale),  etc.  Les  dieux  des  morts,  Sokari, 
Osiris,  Isis,  Anubis,  Nephthis  semblent  égale- 
ment correspondre  à  des  croyances  antérieu- 
res aux  Sémites. 

(-2)  En  Egypte,  Sib,  Nout,  Tonen,  dieux 
des  éléments,  semblent  avoir  été  délaissés 
de  bonne  heure. 

(3)  Cf.  M.-J.  Lagrange,  op.  cil.,  p.  450, 
note  3. 

(4)  La  religion  du  bas  peuple  d'Israël  ne 
différait  pas  sensiblement,  à  l'origine,  des  au- 
tres religions  chananéennes.  Elle  reconnais- 
sait des  dieux  de  nature  diverse  :  dieux  do- 
mestiques (teraphim),  particuliers  à  chaque 
famille  (Cf.  Histoire  de  Racbel,6'c/iè.se,  XX.XL 
19-38  ;  Juyes,  XVIH,  15.  sq.;  Samuel,  XIX,  13, 
sq.);  dieux  des  astres  et  du  ciel,  dont  le  plus 
important  s'appelait  Javeh.  (G.  Maspeuo, 
Ilixl.nnr.  dex  peupleA  de  l'Orient,  5'  édit..  ls;»3, 
p.  343,1.  Le  mot  Javeh  doit  appartenir  au 
vieux  fond  sémitique  (Schradeh,  Die  Kei- 
lin.schriften  und  dus  aile  Te.'ilamenl,  1883,  p. 
23,  sq.);  l'origine  et  le  sens  n'en  sont  pas  en- 
core bien    assurés  ;    certains    criti<|ues    sont 


portés  cependant  à  croire  qu'il  fut  le  dieu  des 
Kénites  avant  de  devenir  le  dieu  d'Israël. 
(TiELE,  Ven/elijkende  (ie.tcliiedeni.f,  pp.  j58, 
')W  ;  Stade,  Geschichle  des  Volkex  Israël,  pp. 
1:30-13-2.)  Ses  emblèmes  étaient  des  images 
(éphod)  d'homme,  de  taureau,  de  serpent  en 
métal  ou  en  bois,  des  pierres  lirutes.  des  co- 
lonnes. (Cf.  G.  Maspeuo,  op.  cil.,  1893,  p.  34i 
et  notes.) 

(F>)  Dieu  de  Moah. 

ftî)  Dieu  de  Tyr. 

(7)  Bien  des  conceptions  religieuses  asiati- 
ques ont  survécu  jusqu'aux  temps  de  l'anti- 
quité classique.  Cf.  Fiîieu  DEi.rrzscu,  The  ba- 
bylonian  origin  of  the  greek  cuit  of  Dcmeter 
and  Persephone,  Athenwum,  l'.)04.  II,  p-  S'ri. 

(8)  Khaldich  est  le  grand  dieu  de  l'Ourar- 
Ihou  ;  les  dieux  secondaires  ou  enfants  de 
Khaldich  sont  extrêmement  nombreux  :  Tei- 
chbach  (maiire  de  I  air  et  des  cieux).  .Vouich 
(l'eau),  .\yach  (la  terre),  Ardinich  (le  soleil), 
Silardich  (la  lune),  etc.  Les  dieux  sidéraux 
semblent  n'être  entrés  dans  le  |)anthéon  van- 
nique  que  par  contact  de  l'Ourartliou  avec  les 
Sémites. 


91/,  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

principal,  supérieur  pour  elle  à  tous  les  autres  (1),  même  aux  dieux 
])riucipaux  des  peuples  voisins,  qu'il  rejetait  au  second  rang  (2). 

En  agglomérant  les  divers  districts,  les  conquérants  réunirent 
aussi  leurs  dieux.  C'était  dune  politique  judicieuse;  car,  bien  que 
sémitisés,  les  clans  avaient  conservé  pour  leurs  divinités  d'an- 
tan  un  attachement  tel  que  chez  eux  l'idée  de  patrie  se  confon- 
dait avec  leur  culte  (3). 

Cet  indice  de  nationalisme  est  surtout  remarquable  chez  les 
Chananéens,  qui,  séparés  du  tronc  sémitique  dans  des  temps  fort 
reculés,  n'ayant  pas  éprouvé  les  vicissitudes  de  leurs  congénères, 
s'étant  développés  librement,  accordèrent  à  leur  dieu  principal  un& 
importance  prépondérante.  Dans  l'esprit  de  chaque  tribu,  le  dieu 
national  devint  celui  qui  devait  asservir  l'univers  entier,  parce  qu'il 
personnifiait  ses  intérêts,  ses  traditions,  son  désir  de  domination. 
Ne  serait-ce  pas  là  l'origine  du  dieu  unique  des  Hébreux,  du  Dieu 
juif  contempteur  des  autres  divinités,  comme  ses  adorateurs  haïs- 
saient tout  ce  qui  n'était  pas  eux  ?  On  aurait  tort  de  rechercher,  à 
ces  époques,  les  origines  du  monothéisme  dans  des  idées  philoso- 
jihiques  dont  des  pauvres  nomades  demi-sauvages  sont  inca- 
pables (/i). 

Plus  tard,  ce  principe  domina,  à  Texclusion  des  panthéons 
multiples  que  leur  complication  même  conduisit  à  la  ruine  (5). 
11  fut  d'abord  exploité  par  les  Assyriens,  par  les  Hébreux  et  beau- 
couj)  d'autres  dans  un  sens  exclusif;  puis  celte  idée  suivant  le  pro- 
grès, devint,  chez  une  élite  d'abord,  puis  chez  les  Aryens,  la  base 
lie  toute  la  philosophie  qui  régit  encore  le  monde.  Si  les  Chana- 
néens n'avaient  pas  quitté  la  Chaldée,  s'ils  ne  s'étaient  pas  affran- 
chis du  joug  des  polythéistes,  s'ils  avaient,  comme  leurs  congé- 
nères, accepté  pour  leur  dieu  un  rang  secondaire,  le  monothéisme 
n'aurait  peut-être  jamais  vu  le  jour  dans  l'antiquité  ((3). 

(1)  En  Egypte,  comme  en  Chaldt'-e,  les  dieux  de    l'Asie    antérieure,   le    dieu    disparaissait 

siiivircnllesdestinées  polili(|ues  de  leur  ville.  comme  dieu   devant  son   caractère  national  ; 

Sin  eut   la  suprématie  tant  que  dura  l'omni-  aujourd'hui  encore,  dans  tout  1  Orient,  la  reli- 

potence  dOurou  ;  il  en   fut  de  même  à  Lar-  gion  tient  lieu  de  race  et  de  nationalité, 

sam  pour  Chamach,  à  Thèbes  pour  Ammon,  à  (5)  Le  polythéisme  est  la  base  de  toutes  les 

Uéliopolis  pour  Râ,  à  Ninive  pour  Assour.  religions  sémitiques.  En    ce  qui    concerne   la 

(i)  En  Egypte,  le  même  nôme  pouvait  avoir,  Chaldée,  «  revenditiuer  pour  elle  le  culte  d'un 

en  même  temps,   ses  dieu.x  solaires,  ses  dieux  dieu    unique    ne   peut    être   que    le    résultat 

des  éléments  et  ses  dieux  des  morts,  c'est-à-  d'une  illusion  occasionnée  par  les  elTorts  d'un 

dire  trois  classes  divines,  ne   provenant  cer-  syncrétisme  tardif».  (P.  Dhorme,  op.  cit.,  in- 

laincment  pas  de   la   même  origine.  trod.,  p.  xvu.) 

(3]  En   Egypte,   Hator    à   Dendérah,  Nil    à  (G)  C'est  contre  le  cuite  sidéral,  dont   l'im- 

Saïs,    Nekiiah  à   El    Kab,  Râ  à    Uéliopolis,  porlance  allait   grandissant,  que  les  prophè- 

-Vmmon  à  Thèbes,  etc.  tes  eurent  le  plus  à  lutter.  (J.-M.  Laorange, 

(4)  Dans  l'antiquilé,  chez  tous  les  peuples  op.  cit.,  p.  4y(.i.) 


LASIE    ANTÉKIEURK     ET     L'EGYPTE    ANTÉ-IIISTORIQUES         215 

lui  l>gy|)te  (1),  comme  en  Chaldée  (2),  nous  voyons  les  ani- 
maux jouer  un  rôle  important  clans  les  concepts  religieux  (3).  Ils 
devienuenL  rincarnalion  ou  remblème  des  divinités,  croyance 
sûrement  étrangère  à  la  famille  sémitique,  mais  dont  l'acceptation 
était  destinée  à  concilier  les  idées  anciennes  avec  celles  des  nou- 
veaux venus. 

Nos  connaissances  des  religions  primitives  de  TAsie  antérieure 
sont  encore  trop  imparfaites  pour  qu'il  soit  possible  d'entreprendre 
leur  élude  comparée  ;  malgré  cela,  comme  on  le  voit,  il  est  aisé  de 
se  rendre  compte  du  mélange  qui  se  produisit  lors  de  la  concjuète 
akkadienne  de  la  Chaldée  et  de  celle  de  TÉgypte  par  les  peuples 
asiatiques  [fi). 

A  quelle  époque  s'est  passé  le  départ  des  tribus  mésopota- 
miennes  vers  l'Egypte  et  par  quelle  voie  sont-elles  parvenues 
dans  la  vallée  du  Nil  (/i)  ? 

Les  émigrants  connaissaient  le  métal  (5)  et  l'écriture  hiérogly- 
phique ou  tout  au  moins  figurative.  Ils  possédaient  l'art  de 
peindre  les  vases,  de  sculpter  des  figurines.  Ceci  nous  reporte 
au  lem[)S  où  se  déposèrent  les  couches  du  tell  de  Suse  aujour- 
d'hui situées  entre  25  et  28  mètres  de  profondeur;  c'est-à-dire  à 
cinq  milléniums  avant  notre  ère,  peut-être  même  avant. 

Ce  mouvement  des  tribus,  depuis  les  bords  de  l'Euphrate  jus- 
qu'aux rives  du  Nil,  se  fit  avec  lenteur  ;  si  toutefois  ce  sont  les 
mêmes  peuplades  qui,  parties  de  basse  Chaldée,  arrivèrent  en 
Egypte.  Il  est  plus  naturel  de  penser  que   les   hordes  se  chas- 


(1)  Tolli  (ibis  ou  cynocéphale),  Hor  (éper- 
vier),  Sovkou  (crocodile),  Amou  (oie),  Aniibis 
(cliaca!),  Fiitah  (bœuf) 

(2)  Les  Koudourroiis  cosséens  fournissent 
une  liste  très  importante  des  emblèmes  di- 
vins. (Cf.  J.  DE  MoiiGA>,  Mém.  Déléij.  en  Perse, 
l.  I,  l'JOO,  pp.  165-16-2;  t.  VU,  l'.)05,  pp.  137-153.) 

(3)  Parmi  les  animau.x  momifiés  de  l'an- 
cienne Egypte,  le  docteur  Lortel  et  M.  C. 
Gaillard  (/«  Faune  momifiée  de  l'ancienne 
Egiiple,  Lyon,  l'K)r>)  ont  reconnu  :  SZ/iye-s  : 
Papio  hamadryas  (Linné),  P.  Anubis  (F.  Cu- 
vier),  Cercopilhecus  grisco-viridis  (Desni.j  ; 
Chiens  et  Charal.s:  Canis  familiaris  (L.),  C.  au- 
reus  (L.);  Chais  :  Felis  maniculata  (Cretzs  )ou 
F.  l.>bica(Meyer),  id.  var.  domestica  (Fitz.); 
Insectivores  :  Crociduragiganlea  (GeolT.),C.re- 
ligiosa  (Geoff.); /îojiyeiir.s  :  Acomys  cahirinus 
(E.  Geoff.),  Mus  .\le,'sandrinus(.ls.  Geoff.);  Bo- 
vidés :  Bos  Africanus  (Fitzing);  Anlihiies:  Bu- 
balis  buseiaplius  /Pallas)  ;  Gazelles  :  Gazella 
dorcas  (Linné),  G.  Isabella  (Gray.)  ;  Moulons  : 
Ovis  longipes  (Fitz.),  race   palœotegyptiacus, 


O.  plalyura  (Wag),  race  .Egyptiaca  (Fitz.)  ; 
Mouflon  à  numcheltes  :  Ammotragus  tragela- 
pbus  (Cuvier)  ;  Chèvres  :  Hircus  mambricus 
(Linné);  H.  tbebaicus  (Dcsm),  H.  reversas 
(Linné)  ;  Oiseaux  :  :^8  espèces  ;  /?ep/i7es  .•  3  es- 
pèces ;  Poissons  :  Lates  nilolicus. 

(4)  Il  semblerait  qu  à  Eridou  (H.  Rawlin- 
son),  il  se  soit  formé  une  école  de  mono- 
théisme. Mais  celle  doctrine,  si  jamais  elle  a 
existé,  s'éteignit  sans  laisser  de  lraces.(A.-lL 
Sayciî,  The  Ancient  Em/iires,  p.  3H1.)  M  en  fut 
de  môme  de  la  conception  du  dieu  unique, 
dans  la  philosophie  grecque  et  pour  l'unité 
divine  d'Ammon  Ihébain  imaginée  par  les 
grands  prêtres  dans  un  but  politiiiue. 

(d)  L'anthropologie  signale  en  Egypte,  dès 
les  temps  néolithiques  et  énéolithi<iues  la 
présence  de  deux  races  juxtaposées,  l'une 
autochtone  (.')  sous  mésatiréphale,  l'autre 
envahissante  (?)  dolichocépliale.  (E.  Chamre, 
Congrès  de  Paris,  2-!»  aoiH  lîtOO.  Bec.  Ecole  An- 
thrôii.,  liKXi,  t.  VIII,  p.  287.) 


216 


LES    PREMIÈfŒS    CIVILISATIONS 


sèrent  les  unes  les  autres,  et  que  celles  qui  parvinrent  au  Nil 
n'étaient  pas  toutes  les  descendants  de  celles  qui  avaient  bu  l'eau 
du  Tigre  ou  de  l'Euphrate. 

En  route,  de  proche  en  proche,  ces  hommes  se  perfectionnèrent 
et,  partis  peut-être  avec  la  pictographie  pure  ou  l'hiéroglyphe 
rudimentaire,  il  se  peut  qu'ils  soient  arrivés  avec  un  système 
tout  constitué  d'écriture,  indépendant  de  celui  qui  s'était  formé  en 
Chaldée  après  leur  départ. 

Le  tombeau  de  Menés  (l),  à  Négadah,  qui  peut  être  placé  vers  les 
débuts  du  quatrième  millénium  av.  J.-C.  (2);  ne  doit  pas  être  con- 
sidéré comme  contemporain  de  l'invasion,  bien  loin  de  là.  Des 
siècles  se  sont  écoulés  entre  l'arrivée  des  premiers  envahisseurs 
et  la  fondation  d'une  monarchie.  11  fallut  se  trouver  en  nombre, 
subjuger  les  premiers  occupants  du  sol,  s'établir  dans  le  pays, 
s'emparer  des  foyers  de  résistance,  centres  de  la  richesse,  enfin 
reunir  les  éléments  d'un  pouvoir  politique  (3).  Cette  période  d'incu- 
bation de  la  monarchie  pharaonique  est  celle  des  dynasties  divines 
ou  des  serviteurs  d'Iiorus;  l'Egypte  elle-même  nous  en  a  transmis 
le  souvenir  dans  ses  légendes  (1). 

Par  quelle  voie  se  fit  cette  invasion  ?  Nous  l'ignorons  parce  que 
nous  ne  connaissons  pas  l'état  des  routes  d'alors.  L'Arabie  n'était 
peut-être  pas  infranchissable  comme  de  nos  temps,  et  la  mer 
Rouge  oflrait  peut-être  des  passages. 

Si  les  conditions  naturelles  étaient  les  mêmes  qu'aujourd'hui, 
ce  qui  semble  probable,   la  migration,  remontant  l'Euphrate  (5), 


(1)  Les  seuls  métaux  alors  connus  étaient  le 
cuivre  et  l'or.  O.  Montelius  (Soc.  d'Anlhrop.  et 
de  Géoijr.  de  Stockholm,  18  sept.  1885)  déclarait 
qu'on  ne  possédait  alors  (1885)  aucune  preuve 
certaine  de  l'emploi  du  fer  en  Egypte  avant 
l'an  1500  av.  J.-C.  et,  depuis,  aucun  fait  nou- 
veau n'est  venu  contredire  cette  assertion. 
En  1883,  M. G. Maspero (.Soc.  d'.An;/!rop. de Puri.s-, 
15  nov.  188rl),  se  basant  sur  des  découvertes 
de  viroles  de  fer  dans  la  pyramide  noire  de 
Dahciiour  qu'il  pensait  être  de  l'ancien  empire, 
émettait  l'opinion  que  le  fer,  quoique  très  rare, 
était  en  usage  dès  la  IV'  dynastie.  Mais, 
d'une  part,  il  a  été  démontré  que  la  pyramide 
noire  de  Dahciiour  ne  remonte  qu'à  la  XIP 
dynastie  ;  d'autre  part,  le  site  e.xact  dans  le- 
quel furent  trouvées  ces  viroles  n'ayant  pas 
été  observé  scientinquement,  celle  trouvaille 
n'infère  en  rien  les  assertions  de  M.  O.  Mon- 
telius. 

(2)  Suivant  FI.  Pétrie  (Royri/  Tombs,  part.  II, 
p.  4),  la  tombe  royale  de  Négadah  ne  serait 
pas  celle  de  Akha,  mais  celle  de  Nit-Khetep, 
femme    de    Menés.    Mais    celle    opinion    ne 


semble  pas  devoir  être  acceptée  par  les  égyp- 
tologiies.  (Cf.  BoRCHARDT,  in  Sitzungsberichte 
der  Kônig.  Preugs.  Akad.  der  Wissenschaften 
zu  nerlin  Ges.,  v.  25,  nov.  IB'JV,  p.  1054,  sq.  Ein 
neaer  Kùnigsname  der  Erslen  Dijnitstie.  —  E.-A. 
Wallis  Budgl-,  .1  Ilistory  of  Eyypt,  vol.  1, 
1902,  p.  174.  sq.) 

(3)  L'école  memphite  comptait  770  ans  pour 
la  durée  des  trois  premières  dynasties  pharao- 
niques et  pla(;ait  le  règne  de  Snéfrou  vers 
3998  avant  noire  ère.  Ce  calcul  donnerait 
pour  l'époque  de  Mènes  4777  ans  av.  J.-C.,  éva- 
luation d'ailleurs  vraisemblable. 

(4)  Le  professeur  Sergi,  dans  sa  Mediterra- 
nean  Race,  p.  91  (cité  par  E.-A.  Wali.is 
BuDGE,  A  History  of  Eyypt,  vol.  I,  1902,  p.  34, 
sq.),  soutient  l'origine  africaine  des  anciennes 
races  d'Egyi)te,  au  point  de  vue  anthropolo- 
gique. Je  partage  sa  manière  de  voir  en  ce 
qui  concerne  le  fond  de  la  population  dans  la 
vallée  du  Nil  ;  mais  cette  constatation  ne 
louche  en  rien  à  l'origine  asiatique  de  la  civi- 
lisation pharaonique.  (J.  M.) 

(5)  D'après  les   données  certainement  fan- 


L'ASIE     ANTÉRIEURE     ET     L  EGYPTE     A.NTÉ-lIiSTOaiOUES         217 

gagna  le  Jourdain  par  la  Cœlésyrie,  descendit  sa  vallée  jusqu'à 
la  mer  Morte  et  Édom  et  de  là  soit  par  le  Sinaï,  soit  par  le  désert 
voisin  de  la  côte  méditerranéenne,  parvint  à  la  limite  orientale; 
du  golfe  Nilothique,  aucune  autre  voie  ne  lui  étant  ouverte.  Mais 
comme  conséquence  forcée  de  ce  mouvement,  la  Syrie  et  la 
Palestine  reçurent  des  colonies  mésopotamicnnes  (1). 

Le  souvenir  de  cette  invasion  et  probablement  aussi  d'autres 
qui  se  sont  succédé,  était  resté  vif  en  Chaldée  ;  car  le  même  che- 
min fut  suivi,  à  Ijien  des  siècles  de  là,  par  les  llyksos  d'abord  et 
par  les  Hébreux  ensuite. 

En  quel  état  les  envahisseurs  trouvèrent-ils  l'Egypte  ?  Le  Nil, 
toujours  désordonné,  ne  déposait  pas  encore  ses  limons  comme  il 
le  fait  de  nos  jours.  Des  bancs  de  galets,  situés  à  quelques 
mètres  de  profondeur  près  de  Gebel-Abou-Fodah,  m'ont  appris 
que  le  temps  n'est  pas  encore  très  éloigné  où,  tout  au  moins  dans 
le  Saïd  (^2),  ce  fleuve  avait  encore,  sur  bien  des  points  de  son 
cours,  un  réo-ime  torrentiel. 

Sept  mille  ans  avant  nous,  le  Nil,  couvrant  le  fond  de  sa  vallée  de 
galets,  laissait  çà  et  là  de  longs  bancs  de  gravier  et  de  sable.  Chan- 
geant sans  cesse  son  cours,  abandonnant  des  bras  morts  de  tous 
côtés,  renversant  un  jour  ce  qu'il  avait  édifié  la  veille,  il  parcourait 
toute  la  haute  Egypte  et  une  partie  de  la  moyenne  sans  laisser  de 
limons  en  quantité  appréciable  (3).  Son  lit,  couvert  de  broussailles 
dans  les  parties  asséchées,  de  plantes  d'eau  dans  les  marais  et  les 
bras  morts  vieux  de  quelques  années,  laissait  à  droite  et  à  gauche 
deux  bandes  de  terres  fertiles,  inondées  au  moment  des  ciues  {f\). 
Plus   bas,  les  eaux  s'étant  calmées,  les   limons  se  déposaient 


taisisles  de  l'école  memphite,  la  durée  des 
temps  légendaiies  en  Egypte  aurait  été  de 
17.870  ans,  se  décomposant  comme  suit  : 
I"  dynastie  divine,  12.300  ;  II'  1.570;  III'  3.650  ; 
IV»  "(rois  de  This.),  350.  Les  trois  premières 
dynasties  historiques  auraient  donné  une  pé- 
riode de  779  années  (1"  dyn.,  263  ans  ;  II', 
302  ans  ;III%  214  ans).  Ce  qui  rapporterait  à 
18.649  ans  avant  Snéfrou  (3.998  av.  J.-C.),  à 
22.647  ans  avant  notre  ère,  les  débuts  de  l'in- 
cubation en  Egypte  delà  civilisation  pharao- 
nique. Inutile  de  dire  combien  ces  nombres 
sont  e.xagérés,  surtout  en  ce  qui  concerne  la 
période  légendaire. 

(li  Depuis  la  hauteur  de  Bagdad  ( Féloudj a) ju  i- 
qu'à  la  Commagcne,  les  émigrants  remontant 
l'Euplirate  ne  rencontrèrent  certainement  pas 
une  grande  résistance  ;  car  ces  pays  sont  in- 
capables d'une    population     nombreuse,     les 

terres  cultivables  se  bornant  à  deux  étroites 


bandes  (de  quelques  centaines  de  mètres  au 
plus)  à  droite  et  à  gauche  du  fleuve,  limitées 
par  des  falaises  caillouteuses.  Ils  durent 
même  parcourir  rapidement  celte  région  trop 
pauvre  pour  les  nourrir.  Ce  n'est  ([n'en  Syrie, 
pays  fertile,  qu'ils  rencontrèrent  les  premières 
tribus  assez  fortes  pour  résister  ([uelque  peu 
à  leur  invasion.  (J.  M.,  Voyatje  de  V.m  de  la 
Chahh'e  à  la  Si/rie.) 

(•2}  .lai  donné  dans  Hecli.  oriy.  Eyijple,  1896, 
chap.  I  et  II,  une  étude  détaillée  sur  le  creu- 
seiiieiit  de  la  vallée  du  Nil  et  sur  la  formation 
du  sol  fertile  actuel  de  l'Egypte.  (J.  M.) 

(3)  Dans  ces  lits  caillouteux  gris,  j'ai  trouvé 
à  .Malanah  (Haute-Egypte)  un  éclat  de  silex 
finement  relouché  semblant  appartenir  à  l'état 
néolithique.  (J.  M.) 

(4)  On  peut  se  faire  idée  de  ce  qu'était  l'al- 
lure de  la  vallée  du  >Jil  à  celte  époque,  en  la 
comparant  à  ce   qu'est  aujourd'hui   la   haute 


218 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


comme  de  nos  jours  et,  surélevant  le  lit  du  lleuve,  formaient  des 
digues  naturelles,  laissant  sur  les  bords  du  désert  de  longs  ma- 
récages. Une  végétation  luxuriante  se  développait  alors  grâce  à  la 
grande  humidité  de  ce  pays  sans  hivers  (4). 

Le  delta  n'existait  pas  encore,  le  Nil  rejoignant  le  golfe  non  loin 
du  site  actuel  du  Caire,  yia'is  ce  golfe,  naturellement  peu  profond,. 
se  comblait  peu  à  peu,  laissant  émerger  çà  et  là  des  bancs  de  vase 
à  peine  durcie,  bordés  de  roseaux  gigantesques,  couverts  de  gazon,, 
de  broussailles,  entremêlés  de  troncs  d"arbres,  de  branchages 
arrachés  par  le  fleuve  aux  forêts  d'amont,  chariés  par  le  courant 
et  rejetés  par  les  vagues. 

L'hippopotame,  le  crocodile  habitaient  ces  îlots  boueux  et  les. 
rives  du  fleuve,  le  sanglier  vivait  dans  les  fourrés  ;  des  milliers 
d'oiseaux  d'eau  volaient  en  tous  sens,  quittant  un  marais  pour 
s'abattre  dans  un  autre.  L'antilope,  l'autruche,  bétes  du  désert,, 
se  tenaient  sur  sa  lisière  et,  dans  le  bruit  confus  de  tant  d'ani- 
maux, le   rugissement  du    lion  jetait    la  terreur. 

A  droite  et  à  gauche  de  ce  vaste  oasis,  s'étendait  le  désert,  avec 
ses  immenses  solitudes  desséchées  ;  celui  de  l'ouest,  se  perdant  à 
l'infini,  couvert  de  dunes  de  sable,  mobiles  comme  les  vagues  de 
la  mer  ;  celui  de  l'est,  balayé,  dénudé,  semé  de  galets  brunis  et 
brûlés  par  le  soleil. 

Mais,  chaque  année  pendant  plusieurs  mois,  le  Nil  sortant  de 
son  lit  obligeait  à  fuir  tous  les  hôtes  de  sa  vallée.  Habitants  de 


vallée  tle  l.i  Loiie,  en  amonl  de  Nevers.  Tou- 
tefois, en  Egypte,  les  proportions  du  phéno- 
mène élaienl  hien  plus  grandes,  et  les  débor- 
dements annuels. 

(1)  Le  docteur  G.  Schwelnfurlli  qui, comme 
on  lésait,  fut  l'un  des  premiers  explorateurs 
du  haut  Nil,  compare  l'état  dans  lequel  se 
trouvait  jadis  l'Egypte  à  ce  qu'il  a  vu  en 
amonl  du  confluent  des  deux  fleuves.  »  Veut- 
on  se  faire  une  idée  de  ce  qu'était  la  vallée 
nilotique,  avant  l'introduction  de  la  civilisa- 
tion basée  sur  la  cuit  ure  des  céréales  ?  On  n'a 
qu'à  établir  une  comparaison  entre  le  Nil 
supérieur,  en  amonl  de  Kharthoum,  et  le 
lleuve  bleu  du  Senuaar,  dans  leur  étal  actuel. 
Des  forêts  épaisses  d'acacias,  de  palmiers 
doûms  et  un  certain  nombre  d'arbres  à  larges 
feuilles  couvrent  les  îles  et  les  plaines  acces- 
sibles aux  inondations  et  aux  crues.  Des 
taillis  impénétrables,  des  bosquets  épineux, 
des  festons  de  lianes  superbes  comblent  les 
lacunes  entre  les  gros  arbres.  Parfois,  s'of- 
frent à  nos  regards  do  vastes  clairières  cou- 
vertes de  prairies,  tout  aussi  infranchissa- 
bles, grâce  à  l'énorme  végétation  des  hautes 
herbes   qui  y  dominent.  l.e  cours    du    lleuve, 


nullement  réglé  par  des  digues,  marque,, 
selon  l'importance  des  crues,  entre  de  nom- 
breux îlots,  une  certaine  indécision  de  bran- 
ches et  de  canaux.  De  nombreuse  s  lagunes,, 
des  arrière-eaux  se  forment  isolées  pendant 
l'étiage  et  se  dessèchent.  Ailleurs,  dans  le& 
dépressions  abritées  pendant  la  crue,  des  in- 
filtrations donnent  naissance  à  des  marais- 
constants.  Les  bras  du  fleuve,  arrêtés  par  des 
obstructions  causées  par  la  végétation  aqua- 
tique, se  remplissent  de  papyrus  et  d'îlots 
flottants.  La  région  entourant  cette  vallée,  si 
richement  dotée  d'une  végétation  permanente, 
donne  lieu  souvent  aux  conliastes  les  plus- 
éclatants.  Dans  r.\frique  équatoriale  du 
Nord,  les  forêts  riveraines,  qu'on  classe 
parmi  les  plus  épaisses  du  monde,  forment 
des  bandes  relalivemenl  étroites,  qu'entou- 
rent des  prairies  desséchées  pendant  huit 
mois  de  l'année,  et  qui  n'ont  même  pas  sou- 
vent la  moindre  feuille  verte.  Dans  les  ré- 
gions du  Soudan  oriental,  ces  forêts  rive- 
raines sont  moins  nombreuses  et  ont  moins 
de  continuité.  Le  désert  gagne  partout  du 
terrain.  »  (G.  ScuwEiyFvimi,  Bull.  Khédiv. 
Géoyr.,  IV"  série,  n»  12,  le  Caire,  1897.1 


L'ASIE     ANTERIEURE     ET     L  ÉGVPTE    ANTÉ-IIISTORIOLES 


•21i> 


tout  genre  gagnaient  alors  le  désert,  ou  se  tenaient  dans  les  brous- 
sailles encore  découvertes  (1). 

C'est  dans  ce  milieu  que  s'était  dévelo])pé  1  lioninie  d'Egypte 
aux  temps  préhistoriques.  Isolé  du  monde  par  les  solitudes  qui 
l'entouraient,  attaché  à  sa  terre  et  à  son  fleuve  aux(|uels  il  devait 
tout,  n'ayant  d'autres  ennemis  ([ue  les  animaux  féroces,  nom- 
breux alors,  mais  trouvant  en  abondance  le  gibier,  le  poisson  et 
les  végétaux  comestibles  (2). 

Cependant  il  ne  pouvait,  lui  non  plus,  habiter  en  tout  temj)S  la 
vallée  d'une  manière  fixe.  Chassé  par  les  crues,  il  devait  gagner 
les  sables  ou  tout  au  moins  se  tenir  sur  les  bords  des  terrains 
inondés.  C'est  là,  en  efl'et,  qu'on  trouve  les  restes  de  ses  habita- 
tions, des  enclos  où  il  réunissait  les  troupeaux  pour  la  nuit  (3); 
quant  aux  traces  de  ses  campements  provisoires,  dans  les  terres 
soumises  à  l'inondation,  elles  ont  disparu  sous  les  limons. 

Si  le  fleuve  nourrissait  l'honime,  il  lui  imposait  aussi  ses  exi- 
gences ;  lors  des  débordements,  toute  la  terre  étant  couverte  par 
les  eaux,  on  ne  tiouvait  plus  sa  subsistance  au  jour  le  jour  ;  force 
fut  donc  de  s'approvisionner  à  l'avance.  C'est  ainsi  que  rEgy[)tieii 
devint  éleveur  et  agriculteur;  que,  semparant  des  bétes  du  désert 
et  de  la  vallée  (û),  il  en  fit  ses  troupeaux,  auxquels  il  joignit  plus 
tard  le  bétail  importé  d'Asie   (5)  ;    qu'ayant  choisi  les    plantes  les 


(1)  On  a  pensé  que  lea  marais  du  delta 
constituaient  alors  un  obstacle  infranchissa- 
ble pour  une  migration  venant  d'Asie  par 
l'isthme  de  Suez,  sans  songer  qu'à  l'ouest  du 
délia,  entre  Tell  el  Kel)ir  et  Suez,  est  un  large 
passage  quelque  peu  surélevé,  composé  de 
conglomérats  coquilliers  et  de  sables,  et  que 
celte  langue  de  terre  n'a  jamais  été  cou- 
verte par  les  eau.x  du  Nil.  (.1.  M.) 

(2)  Entre  autres,  le  lotus,  dont  les  graines 
demeurèrent,  jusqu'à  l'époque  romaine,  un 
comestible  recherché,  le  dattier  et  le  doum, 
dont  les  fruits  se  rencontrent  souvent  comme 
offrandes  dans  les  tombes  pharaoniques. 
(J.  M.) 

(3)  Les  troupeaux  égyptiens,  à  l'époque  des 
kjœkkenmœddings  de  "Toiikh,  se  composaient 
de  moutons  {Ovix  longifien,  Fitzingcr).  de 
mouflons  à  manchettes  (Ammolra<ius  Inige- 
laphiix,  Cuvier),  de  chèvres  (Hircuf;  thebdiriis. 
Desm.),  cl  probablement  aussi  d'antilopes 
(liubniis  buselaphus,  Pallas),  el  de  gazelles 
(Odzella  dorcns,  Linné;  G.  Isabella,  Gray.). 
(Cf.  docteur  Lohtet,/(i  Faune  momifiée  de  tan- 
cienne  Egijpte,  Lyon,  lîMJô) 

(il  Les  mammifères  dont  j'ai  retrouvé  les  re-; 
les  dans  les  kjœkkenmœddings  sont  :  Rox  lau- 
rus,  D.  bub'ilus,  Cnpra  liircux,  Gnzellit  Isabelln, 
Hippolrmjux  liakeri, Sua  Srrofi,  Canix  Ittmiliaris. 

(5)  D'après  le  docleurUlrichDurst^/i/eyîinf/cr 


von  Babylonien,  Assyrien  unJ  Eyypten,  Berlin. 
1899),  le  Bos  macroreros  des  monuments 
égyptiens  l'Cf.  Wilkinson,  Tlie  Ancient  Eyyp- 
lian.s,  vol.  I,  i)p.  249  et  370)  aurait  été  im- 
porté dans  la  vallée  du  Nil  par  une  race  hu- 
maine primitive  qui,  venant  du  Nord  de 
l'Inde,  à  une  époque  très  reculée,  aurait  tra- 
versé la  mer  Rouge  pour  se  répandre  sur 
toute  l'Afrique  orientale.  Le  docteur  Lortet 
{In  Faune  momifiée  de  l'ancienne  Eyypie,  Lyon, 
1905,  p.  07)  ne  partage  pas  cette  opinion  :  «  La 
vallée  du  Nil,  dit-il,  ainsi  que  le  centre  de 
r.Vfrique,  a  joui  probablement  depuis  l'épo- 
que crétacée  des  mêmes  conditions  climaléri- 
ques  qu'elle  présente  aujourd'hui  Dans  un 
tel  milieu,  d'une  stabilité  si  constante,  races 
humaines  et  races  animales  ont  dû  acquérir 
des  caractères  tout  à  fait  spéciaux,  en  har- 
monie avec  les  influences  climatériques  si 
remarquables.  ■>  .le  ne  partage  pas  l'opinion 
de  mon  savant  ami  au  sujet  de  la  permanence 
des  conditions  climatériques  de  lEgyple, 
depuis  les  temps  crétacés  ;  car,  au  pliocène, 
entre  autres,  le  relief  de  ces  pays  était  tout 
différent  de  ce  qu'il  est  aujourd  hui,  de  même 
que  le  régime  des  eaux.  l'.L  M.) 

i<  Le  mouton  préhistori<]ue  d'Eg>pte  n'est 
pas  iin  mouton  indigène,  comme  on  l'a  pré- 
tendu. 11  a  été  importé  probablement  de 
l'.Vsie,  aussi  bien  que  Bas  brachyceros,  dont  on 


220 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


plus  utiles  de  son  pays,  il  en  sema  les  graines;  qu'à  peine  eut-il 
connu  le  blé,  il  en  fit  son  principal  aliment  (1). 

Au  nord,  non  loin  de  l'embouchure  du  Nil,  sur  sa  rive  gauche, 
était  une  grande  dépression,  aujourd'hui  le  Fayoum,  jadis,  prétend- 
on, le  lac  Mœris,  beaucoup  plus  étendue  à  l'époque  anté-historique 
qu'elle  ne  l'est  de  nos  jours  (2).  Là,  l'homme  avait  placé  ses  sta- 
tions (3)  tout  autour  de  cette  nappe  d'eau  merveilleuse  par 
sa  richesse  en  poisson  (Zi). 

Jamais  rien  ne  variait  dans  ce  monde  à  part,  où  régnaient  la  quié- 
tude et  l'abondance  ;  les  peuples  y  prirent  ce  caractère  doux  et 
insouciant  qu'on  voit  encore  chez  le  fellah  de  nos  jours,  après 
sept  ou  huit  mille  ans  de  civilisation. 

Il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  les  bas-reliefs  de  l'ancien  empire  (5) 
pour  vivre  de  la  vie  de  ce  peuple  au  début  de  l'histoire.  Par- 
tout on  ne  voit  que  représentations  de  scènes  de  chasse  et  de 
pèche,  de  navigation  et  des  travaux  de  la  campagne.  Toujours  des 
œuvres  de  paix  ;  c'est  un  monde  à  part  qui  semble  n'avoir  connu 
que  bien  tard  les  horreurs  de  la  lutte,  les  calamités  de  la  guerre. 
Ce  milieu,  les  émigrés  asiatiques  l'envahirent  aisément  et  ils  en 
firent  un  grand  empire. 

Il  est  à  présumer,  d'après  les  indications  que  fournit  l'archéo- 
logie, que  l'avant-garde  des  Asiatiques,  apparaissant  dans  la  vallée 
du  Nil,  fut  le  premier  trouble  jeté  parmi  les  populations  autoch- 
tones. Jusqu'à  ce  temps,  les  Égyptiens  étaient  en  droit  d'ignorer 
qu'il  y  eut  au  monde  d'autres  hommes  qu'eux.  La  douceur  de  leurs 
mœurs  fut  cause  de  leur  malheur  d'abord,  de  leur  grandeur  ensuite. 


trouve  les  ossements  dans  les  Kjœkkenmœd- 
dings  (le  Toukh  •>  (Cf.  Gaillaru,  le  Bélier  Je 
Mendè.t,  Lyon,  l'JOl,  p.  22),  «  et  que  Balfelus 
antiquus,  et  de  nomi>reuses  gazelles.  Mais, 
en  présence  de  sa  grande  réi)arlilion  dans 
le  Nord  de  l'Afrique,  à  l'âge  de  la  |)ierre  polie, 
on  se  demande  si  la  souche  sauvage  de  ces 
races  de  moulons  n'est  pas  arrivée  en  Afrique 
avec  les  ruminants  cités  plus  haut,  à  une 
époque  hien  plus  ancienne,  au  moment  de  la 
grande  extension  glaciaire,  lorsque  les  mam- 
mifères des  régions  tempérées  de  l'Asie  et 
de  l'Europe  furent  détruits  ou  chassés  vers 
le  ?ud,  par  ces  modifications  du  climat  et  par 
l'arrivée  dans  les  mêmes  régions  des  espèces 
de  la  faune  horéale  »  lid.,  p.  3i).  M.  Piètre- 
ment (les  Chevaux  dans  les  temps  préhisloriques 
et  Bull.  Soc.  Aulhrop.,  Paris,  1906,  p.  658) 
reconnaît,  dans  l'âne  d'Egypte,  une  espèce 
africaine,  mais  pour  le  mouton,  la  chèvre  et 
le  bœuf,  il  démontre  l'origine  asiatique. 


(1)  La  grande  usure  des  dents  chez  les  Egyp- 
tiens pharaoni()ues  prouve  que  non  seule- 
ment les  céréales  étaient  consommées  sous 
forme  de  farine  mais  aussi  à  l'état  naturel  ; 
et  sans  cuisson. 

(2)  Les  fonds  d'anciens  lacs,  avec  leurs  osse- 
ments de  poissons  et  leurs  mollusques,  s'éten- 
dent au  loin;  autour  du  lac  actuel,  j'en  ai 
observé  à  40  mètres  environ  au  dessus  du  ni- 
veau   des  eaux.  {J.  M.) 

(3)  Les  stations  néolithiques  de  Dimeh,  Om 
El  Atl,  etc.,  se  trouvent  à  plus  de  30  mètres 
au  dessus  du  niveau  actuel  des  eaux  du  lac. 
On  ne  rencontre  pas,  au  Fayoum,  de  traces 
de  palafittes.  (J.  M.) 

(4)  Le  Birket-Karoum,  encore  très  poisson- 
neux, fournit  à  la  ville  du  Caire  une  énorme 
quantité  de  poissons  (carpes,  perches,  silu- 
res, anguilles,  elc  ).  (J.  M.) 

(5)  Tombeaux  de  Ti.de  Méra,de  Kabin,  etc., 
à  Saqqarah. 


L'ASIE     ANTK1UEL1U-:     ET      L'EGYPTE     ANTÉ-IIISTORKJUES        221 

Si  les  envahisseurs  s'étaient  heurtés  à  des  populations  belliqueu- 
ses, jamais  l'Egypte  pharaonique  n'aurait  vu  le  jour. 

Quelles  étaient  les  populations  qui  hajjitaient  l'Egypte  avant 
l'arrivée  des  Asiatiques  ?La  vallée  du  Nil  était  alors  très  peuplée;  car 
les  traces  de  cette  époque  sont  })artoul  (rimo  (>xlrèin(>  abondance. 

Après  bien  des  hésitations  et  des  tâtonnements,  je  suis  aujour- 
d'hui porté  à  croire  que  le  fond  de  la  poj)ulalion  était,  dans  la  val- 
lée, le  même  que  dans  les  oasis  et  dans  toutes  les  terres  habita- 
bles voisines  de  la  Méditerranée  ;  que  cette  race  était  blanche  et 
apparentée  aux  Berbères  de  noti'e  éj)0(|ue. 

Les  frappantes  analogies  qui  existent  entre  les  instruments 
néolithiques  de  l'Egypte  et  ceux  qu'on  rencontre  dans  tout  le 
nord  de  l'Afrique,  m'amènent  à  penser  que  l'habitat  de  cette 
race  était  extrêmement  vaste  et  couvrait  presque  tout  le  nord  du 
continent  africain. 

Est-ce  à  une  réaction  anti-akkadienne  en  Chaldée,  aux  mouve- 
ments violents  qui  en  seraient  résultés,  que  l'Egypte  dut  son 
envahissement  ;  est-ce  à  la  conquête  même  du  pays  des  deux 
fleuves  par  les  Sémites?  Nous  ne  le  pouvons  savoir;  mais  on  serait 
tenté  de  le  penser,  car  ces  faits  prirent  place  vers  l'époque  carac- 
térisée par  la  grande  expansion  akkadienne.  D'après  les  arts,  les 
industries,  les  connaissances  diverses  apportées  d'Asie  dans  la 
vallée  du  Nil,  il  semblerait  que  les  hordes  envahissantes  fussent 
composées  d'autochtones  asiates  demi-sémitisés  plutôt  que  de 
Sémites  purs,  dont  l'influence  fit  partout  périr  les  arts  nais- 
sants. 

La  conquête  de  l'Egypte  ne  fut  pas  un  mouvement  isolé.  Tous 
les  pays  de  la  Syrie,  de  la  Palestine,  furent  englobés  par  la  coloni- 
sation (1)  ;  et  c'est  là  l'origine  des  peuplades  semi-sémitiques  (2) 

(1)   Les  récentes  explorations  arcliéologiques  vingtième  siècle  et  peut-iire  bien  antérieurs, 

en  Palestine  ont  fourni  de   nombreuses  traces  Grotte   artificielle    sépulcrale   néolithique    de 

des  peuples  qui,  occupaient  le  sol  avant  les  pre-  Gezer  (Cf.  Alex.  Mac.^usteu,  Oaalerley  State- 

mières  invasions  sémitiques.  menl,  1902,  pp.  353-356  ;  1903,  p.  50,  sq.,  3-2-2  326) 

«  Chez  les  pré-Sémites  de  Palestine,  dont  entre  4.000  et  2.500  av.  J.-C.  (H.  Vince.nt,  Ca- 
le concept  religieux  nous  échappe  encore,  il  nuan,  1007,  p.  211),  incinération  des  corps, 
n'y  a  ni  sanctuaire  bien  déterminé,  ni  autel.  En  Palestine,  comme  d'aillem-s  en  Chaldée 
à  plus  forte  raison  pas  didole.  Tout  le  culh'  et  dans  lEgypte,  les  origines  de  la  céramique 
s'accomplit  devant  un  trou  creusé  à  même  le  peinte  ne  i)euvenl  être  datées,  même  approxi- 
sol  nourricier  ou  devant  des  roches  percées  de  malivement.  H.  Vincent  est  d'avis  que  la  po- 
cupules;ony  répand, en  hommage  à  ladivinité,  terie  indigène  s'éteignit  en  Palestine  vers  le 
des  libations  d'eau  probablement  pure  et  sim-  seizième  siècle  av.  J.-C.  (Cf.  CaïuKin,  p.  19.)  Sa 
pie  à  l'origine,  ou  de  lait,  plus  tard  de  vin  et  disparition  en  Susiane  comme  en  Egypte  est 
de  sang.  »  (Cf.  H.  Vincent,  Canaan,  1907, p. 201,  beaucoup  plus  ancienne;  elle  est,  dans  la  val- 
sq.)  Sanctuaires  indigènes  d'époque  néoli-  lée  du  Nil.  antérieure  à  l'époque  de  Snéfrou, 
thique  il  Gezer,  Tell  Djedeideh,  Megiddo  (Cf.  et  en  Chaldée  voisine  du  trentième  siècle. 
ll.ViNCENT,Canaa/i,1907,  p.92)du  trentièmeau  (2)    Chez  les  Chananéens,  on    rencontre    en 


4)99 


LES   PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


qui,  bien  longtemps  avant  Tarrivée  des  Araméens,  formèrent  le 
fond  des  populations  voisines  de  la  Méditerranée.  Ce  fut  égale- 
ment la  cause  du  départ  vers  le  nord  de  ces  tribus  qui,  plus  tard, 
«ur  le  haut  Tigre,  mélangées  avec  une  nouvelle  poussée  sémi- 
tique, devaient  créer  l'Empire  ninivite  (1). 

Dès  que  la  Chaldée  nous  apparaît  dans  l'histoire,  nous  la  voyons 
divisée  en  trois  régions  bien  distinctes  : 
•    Au   sud-ouest  et  au  sud,  le  pays  de  Shoumer  avec  ses  villes 
principales  dont  nous  connaissons  Ourou,  Eridou,  Bâb-Saliméti, 
Ourouk,  Larsam,  Sirpourla. 

Au   nord,  le   pays  d'Akkad    et    ses   capitales,  Nipour,  Barsip, 
Babylone,  Kouta,  Sippar,  Agadé... 

A  l'est,  au  pied  des  montagnes,  le  pays  d'Elam  avec  Suse  et  les 
nombreuses  villes  de  sa  j)laine. 

Les  rois  de  toutes  ces  villes  portaient  le  titre  de  patésis  ou 
princes  héréditaires  sacerdotaux  ;  sous  eux  gouvernaient  d'autres 
roitelets,  chacun  dans  sa  ville  de  second  ordre. 

Ce  régime   montre   les   dernières  traces  du    morcellement  en 
■clans  dans   la   ^lésopotamie    pré-akkadienne.  Plus   tard,  des   rois 


foule  lies  preuves  de  leur  origine  chaldéenne, 
par  la  langue,  par  les  connaissances  céra- 
miiiues,  architecturales,  glyptiques  ;  par  les 
■croyances  religieuses  ils  montrent  n  être  qu'un 
rameau  des  peuples  sémitisésdes  deux  lleuves. 

La  divinité  revêtait  deux  formes  principales: 
l'une  masculine  figurée  par  le  Ba'al  (Phallus), 
l'autre  féminine  personnifiée  dans  l'Aslarté  de 
l'Elam  et  de  la  Chaldée.  Le  concept  général 
■était  la  fécondité.  Plus  lard,  des  dieu.x  secon- 
daires vinrent  se  joindre  à  celte  idée  primi- 
tive, soit  pour  satisfaire  à  des  hesoins  locau.v, 
soit  pour  répondre  au.v  exigences  de  maîtres 
étrangers.  La  divinité  principale  elle-même 
obéira  dans  sa  forme  à  des  influences  exté- 
rieures changeantes  et  très  diverses. 

Les  sanctuaires  chananéens  de  Gezer  et  de 
Megiddo  (du  xx"'  au  x\"  s.  av.  J.-C.)  déblayés 
•depuis  peu  (Cf.  H.  Vincent,  Canaan,  1907, 
p.  102,  sq  )  présentent  de  grandes  analogies 
avec  celui  de  Seràbit  el  Khadim  (Sinai) 
reconnu,  malgré  ses  nombreuses  transforma- 
tions égyptiennes,  comme  d'origine  sémitique 
(iv<  millénium  av.  J.-C.)  ;  avec  la  représen- 
tation de  bronze  découverte  à  Suse  (xr  s.  av. 
J.-C);  avec  quelques  sanctuaires  très  anciens 
de  l'Abyssinie.  Ils  sont,  aux  débuts,  à  ciel 
ouvert  et  ornés  de  monolithes  plus  ou  moins 
grossièrement  taillés  :  une  simple  caverne  leur 
lient  lieu  d'adijlum  et  de  trésor,  aucune  antre 
construction,  palais  ou  demeure  des  prêtres 
ne  les  accompagne. 

.Sur  l'autel  les  sacrifices  sanglants  prennent 
de  plus  en  plus  une  place  prépondérante  et 
ies   sacrifices  humains  deviennent  fréquents. 


L'offrande  des  premiers  nés  dans  les  sanc- 
tuaires, l'immolation  de  victimes  humaines 
pour  la  fondation  ou  l'achèvement  d'un  édifice 
par  exemple,  montrent  à  quel  degré  le  Chana- 
néen  primitif  a  le  sens  de  la  suprématie  divine 
et  de  sa  propre  dépendance  vis-à-vis  de  celte 
force  redoutable  il'oij  émane  toute  vie  el  qui 
régit  la  mort.  (IL  Vincent,  Ca/J<ia;j,  1907,  p.  203. 

En  ce  premier  stade  de  la  religion  cliana- 
néenne,  si  une  influence  extérieure  est  saisis- 
sable,  elle  vient  plutôt  de  l'Orient  babylonien 
que  d'aucun  autre  point  du  monde  antique.  La 
Babylonie,  l'iilam  ou  la  Susiane  fouinissenl 
les  meilleurs  répondants  pour  les  éléments 
aujourd'hui  saisissables  du  culte  de  Canaan. 
(Cf.  H.  Vincent,  Canaan,  1907,  p    202.) 

Pendant  la  période  chananéenne,  les  sépul- 
tures se  faisaient  généralement  dans  des 
tombes  à  puits  rappelant  [)ar  leur  forme  celles 
de  l'ancien  et  du  moyen  Empire  égyptien  (sauf 
toutefois  celles  des  premières  dynasties  à  Né- 
gadah,  Abydos,  etc  ),  inhumation  des  corps 
accompagnés  d'offrandes. 

La  deuxième  période  céramique  (chana- 
néenne), dans  la  Palestine,  s'étend  du  seizième 
siècle  environ  jusque  vers  le  douzième-onzième 
siècle  I'  Les  éléments  spécifiques,  en  tant  que 
distincts  de  la  culture  antérieure,  nous  demeu- 
rent fort  obscurs;  mais  elle  est  caractérisée  à 
ce  moment  par  la  fusion  qu'elle  introduit  entre 
les  éléments  locaux  qu'elle  s'est  appropriés  et 
ceux  qu'elle  reçoit  du  dehors,  se  laissant  pé- 
nétrer par  le  grand  courant  égéen  si  puissant 
alors.  »  (H.  Vincent,  Canaan,  1907,  p.  19.) 

(1)  Genège,  X,  11-12. 


L'ASIE    ANTÉRIEURE     ET    L'ÉGVPTE     ANTÉ-IIISTORIOUES        2iZ 

conquérants  vinrent,  partant  d'Agadê  ou  tl'autres  villes,  sou- 
mirent ces  peuples  divisés  à  l'infini  el  en  formèrent  leurs 
•empires.  Mais  la  division  administi'ative  demeuia  la  môme  ;  les 
patésis,  jadis  indéj)endanls,  devinrent  Iribulaires  et  ainsi  se  créa 
■ce  vaste  système  féodal  qui  régit  la  Ghaldée  pendant  des  siècles. 
11  en  fui  de  même  en  l']gypte,  où  ces  divisions  primitives  (1),  con- 
tinuées jusqu'aux  temj)s  romains  pendant  (|uatre  mille  ans,  sont 
■connues  sous  le  nom  de  Nômes. 

Bien  des  siècles  après  l'installation  des  Akkadiens  dans  la 
Chaldée,  mais  encore  très  loin  avant  l'histoire,  les  envahisseurs, 
iiyant  affermi  leur  puissance,  organisé  le  premier  gouvernement 
•de  ce  pays,  écrasé,  absorbé  ou  chassé  les  tribus  sumériennes, 
songèrent  à  éloigner  d'eux  les  dangers  dont  les  menaçaient  sans 
cesse  leurs  voisins  non-sémites  de  l'Elam,  du  Zagros,  des  mon- 
tagnes qui  séparent  ces  deux  pays,  et  du  haut  cours  du  Tigre.  Des 
guerres  acharnées  furent  certainement  le  résultat  de  cette  lutte 
pour  la  conservation  de  l'indépendance,  mais  l'histoire  ne  nous 
«n  a  pas  laissé  de  traces. 

Au  sud-ouest  et  à  l'occident,  les  déserts  arabiques  et  svro- 
arabiques  constituaient  une  frontière  naturelle  sûre  et  n'offraient 
à  la  cupidité  aucune  tentation  ;  c'est  donc  vers  le  nord  et  lorient 
seulement  que  se  tournèrent  les   regards  des  Akkadiens. 

Mais  aussi,  la  conquête  du  pays  des  fleuves,  l'asservissement 
<le  ses  anciens  habitants,  l'établissement  définitif  des  Sémites 
•dans  la  plaine  basse,  étaient  pour  les  Etats  voisins  un  avertisse- 
ment; et  si  les  Akkadiens  redoutaient  un  retour  oflensif  des 
peuples  autochtones,  les  autochtones  eux-mêmes  craignaient 
d'être  subjugués  un  jour. 

Dans  cet  antagonisme,  l'Elam  lui  aussi  succomba.  L'Akkadien 
vainqueur  domina,  étendit  les  limites  de  sa  puissance  sur  toute  la 
plaine,  s'avança  peut-être  même  jusqu'à  la  ^léditerranée  et  im- 
posa dans  tout  le  sud  de  l'Asie  antérieure  une  dynastie  d'empe- 
reurs qui  dura  plus  de  mille  ans.  Ainsi  le  premier  grand  empire 
ne  naquit  pas  de  l'ambition  d'un  peuple  de  réunir  sous  un  même 


(1)  La  céramique  peinte  de  l'Egypte  énéol-  iand  Rallas,  etc.)  A  Suse,  nous  avons  trouve 

Ihique  fournil  un  grand  nombre  de  représen-  (Cf.  Méin.  de   la    Déléy.  en  l'erse,  l.  1,  1900,  fig. 

talions  de    barques  qui,  toutes,   sont   ornées  337,  p.  135)  un  fragment   de  poterie  arcliaïque 

d'emblèmes,    sortes    d'étendards     désignant  dont  l'ornenientalion   incisée  et  remplie  d'une 

certainement   les   tribus.  (Cf.  J.  de   Morg.\n,  pâle  blancbe   représente   également  une  bar- 

liecher.  s.  les  oriy.  de  l'Egypte,  t.  H,  1897,  fig.  que  munie  de  son  étendard.  iJ  .M.) 
240-204,  p.    93.   —    Flinders  Pétrie,  Naqada 


•12!\  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

sceptre  toutes  ses  tribus  afin  de  lutter  en  commun  plus  sûrement 
pour  la  vie,  mais  de  la  cupidité  d'un  homme,  d'une  famille  qui 
asservit  tous  les  peuples  civilisés  d'alors.  Seuls  les  soldats  de  cet 
autocrate  furent  ses  sujets,  les  autres  hommes  n'étaient  que  ses 
esclaves.  Quel  abîme  sépare  les  conceptions  gouvernementales 
d'alors  de  celles  des  sociétés  modernes  ! 

L'Elam,  important  encore  bien  que  politiquement  sémitisé,  for- 
mait dans  son  territoire,  comme  d'ailleurs  tous  les  Etats  du  monde 
à  cette  époque,  une  monarchie  féodale.  Suse  était  la  plus  populeuse 
de  ses  villes,  mais  Anchan,  x4damdoun  (llatamti)  et  bien  d'autres 
bourgades,  portant  le  titre  de  villes  royales,  étaient  gouvernées  par 
des  patésis,  dynastes  moins  asservis  que  ceux  de  la  Chaldée 
propi"ement  dite,  si  même  ils  n'étaient  entièrement  indépendants. 
Sharoukin,  ou  Sargon  l'Ancien,  ne  fut  probablement  pas,  des 
princes  suméro-akkadiens,  le  premier  qui  devint  empereur  ;  peut- 
être  fut-il  précédé  par  ^lanichtousou  et  d'autres  rois  de  Kich  ; 
mais  il  est  celui  sur  le  règne  duquel  se  sont  concentrées  toutes 
les  légendes  relatives  à  celte  grande  révolution  :  or,  il  vivait  au 
trente-huitième  siècle  avant  notre  ère. 

Si  nous  sommes  juslifiés  à  placer  vers  la  seconde  moitié 
du  cinquième  millénaire,  au  j)lus  tard,  la  concjuête  des  pays  éla- 
mites  époque  qui  correspond,  dans  le  pays  des  ])haraons,  aux 
dynasties  divines,  ce  serait  donc  mille  ans  au  moins  après  l'enva- 
hissement sémitique  de  l'Elam  que  la  Chaldée  se  présenterait  à 
nous  par  ses  monuments  et  ses  textes.  Est-il  dès  lors  surprenant 
que  nous  n'ayons,  jusqu'ici,  retrouvé  aucune  trace  précise  des 
jiopulalions  qui  couvraient  autrefois  le  sol  de  la  Mésopotamie? 

Ces  évaluations,  basées  sur  de  simples  approximations,  n'ont 
rien  de  la  rigueur  scientifique.  11  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
nous  connaissons  la  succession  des  faits,  des  mouvements  accom- 
plis, des  évolutions;  et  (|ue  l'idée  que  nous  pouvons  nousfaii*e  du 
temps  qu'ils  exigèrent  ne  doit  pas  être  très  éloignée  de  la  vérité. 
Les  questions  traitées  dans  ce  chapitre  laissent  subsister  une 
foule  de  doutes  que  l'avenir  éclaircira  certainement;  mais  nous 
entrevoyons  nettement  quel  était  l'état  du  monde  au  moment  où 
va  commencer  l'histoire. 

En  Chaldée,  l'Akkadien  domine  sur  tous  les  anciens  peuples. 
En  Egypte,  la  race  autochtone,  subjuguée  par  une  migration 
asiatique,  voit  s'étal^lir  la  royauté  pharaonique. 


L'ASIE    ANTÉRIEURE     ET    L  EGYPTE    ANTÉ-HISTORIQUES         225 

Les  deux  pays  possèdent  le  métal  et  rëciiluie  liiéioglyphique, 
connaissentrarchitectuie,prali(iuent  l'élevage  et  la  culture, adorent 
des  dieux  issus  d'une  même  pensée  religieuse,  bien  que  mélangée 
à  celle  des  autochtones,  parlent  des  langues  apparentées. 

Quant  au  reste  du  monde,  il  est  plongé  dans  les  ténèbres  de  la 
sauvagerie,  la  pierre  polie  règne  partout  en  maîtresse  et,  peut-être 
aussi,  bien  des  peuples  en  sont-ils  encore  à  l'état  mésolithique. 

Désormais,  au  cours  des  siècles,  les  divergences  entre  les 
Chaldéens  et  les  Egyptiens  n'iront  qu'en  saccenluant,  jusqu'à 
former  deux  peuples  entièrement  difTérenls.  Pendant  deux  mille 
ans  au  moins  ils  demeureront  sans  contact  direct  entre  eux, 
s'ignorant  presque  l'un  l'autre  et,  lorsqu'ils  se  retrouveront  en 
présence,  ce  sera  les  armes  à  la  main. 

Le  tableau  suivant  résume  les  principaux  faits  qui,  pendant  une 
période  de  trois  mille  ans  environ,  précédèrent  les  débuts  histori- 
ques. 11  ne  repose  que  sur  des  su|)positions  appuyées  par  les  tra- 
ditions et  les  découvertes  archéologi(|ues.  Les  dates,  indiquées 
en  milléniums,  ne  sont  basées  sui-  aucune  preuve  positive,  sauf  en 
ce  qui  concerne  celle  de  l'Empire  chaldéen  ;  et  s'il  est  des  correc- 
tions à  faire  dans  ces  évaluations,  on  devra  plutôt,  à  mon  sens, 
diminuer  qu'augmenter  ranti([uité  des  faits  antérieurs  à  Sargou 
l'Ancien. 


Y. 


IV. 


CHALDEE  ET  ELAM 


Z5 


m 


Tribus 

sumériennes 

(clans). 

Envahissement 
sémitique. 

Formation 
des  principautés 

(patésis). 


Premiers 
royaumes. 

Empire 
suméro -akkadien, 


EGYPTE 


Tribus 
nord-africaines. 


Conquête 
asiaticiue. 

Serviteurs 
d'Horus. 


Etablissement 
du  régime 

pharaonique. 
I"  Dynastie. 

IIP         — 
IV«         — 


o2 


MOUVEMENTS 

DE    PEUPLES 


i  o 

cr-r 


3       — 'r 


cQ 


■a-'-  — 


3-2 

a"" 


«   Sj  ^     « 


■a  c 


Vf  co  o 


'SI  "■  r . 


%  « 
>  1- 

3   4) 


U 


l.ô 


CHAPITRE  VIII 


L'expansion  sémitique. 


V Empire  sumét'o-ahhadien.  —  V Egypte  pharaonique  à  i ancien 
el  an  Moyen  Empire.  —  La  réaction  élamite.  —  Les  Hyksos  dans 
la  vallée  du  Nil. 


Quand  les  Sémites  eurent  étendu  leur  pouvoir  ou  leur 
influence  aux  pays  de  la  plaine,  lorsqu'ils  eurent  occupé  toute 
la  région  fertile,  depuis  les  bords  de  la  mer  jusqu'au  cours  moyen 
des  fleuves,  jusqu  au  pied  des  montagnes  iraniennes  et  à  la  bor- 
dure du  désert  arabique,  il  se  forma,  peu  à  peu,  dans  ce  milieu 
d'abord  sans  cohésion,  des  centres  politiques  correspondant  aux 
bourgades  les  plus  avantageusement  situées,  aux  districts  les 
mieux  administrés. 

Ces  villes,  grâce  à  leur  puissance  relative,  accrurent  leurs 
domaines  aux  dépens  des  communautés  voisines  plus  faibles,  les 
absorbèrent  et  réduisirent  leurs  patésis  au  rang  de  tributaires. 

Cette  période  d'incubation  politique  fut  longue;  elle  dura  vrai- 
semblablement })Ius  de  mille  années  et,  pendant  ce  temps,  les 
anciennes  populations  du  sol  chaldéen  se  fondirent  avec  les  nou- 
veaux venus.  Leur  civilisation  dénaturée  par  lesprit  étranger 
adopta  une  nouvelle  voie  ;  les  usages  se  modifièrent,  sadaptant 
au  récent  état  des  choses.  L'écriture  jadis  hiéroglyphique  se  trans- 
forma, j)eu  à  peu,  en  cunéiforme  linéaire  ;  on  oublia  mômejus- 
<|u"au  sens  de  ses  éléments  primitifs. 


L'EXPANSION    SKMITIQL'E  227 

L'ail,  demeuré  entre  les  mains  des  aborigènes,  mais  soumis  à 
la  volonté  des  maîtres,  prit  un  grand  essor,  si  nous  en  jugeons 
par  les  rares  œuvres  parvenues  jusqu'à  nos  jours. 

Dans  cette  civilisation  mixte  (1),  composée  de  deux  éléments 
originels  distincts  et  provenant  de  deux  races  aux  tendances  et 
aux  aptitudes  très  diverses,  il  est  bien  difficile  de  distinguer  la 
part  qui  appartient  aux  vainqueurs  de  celle  qui  revient  aux  vain- 
cus. Toutefois,  il  semble  qu'aux  Sémites  doivent  être  attribuées 
les  conceptions  gouvernementales  telles  que  l'administration,  les 
finances  et  la  guerre  ;  tandis  qu'aux  aborigènes  seraient  dus  les 
arts,  l'écriture,  les  industries,  la  culture  et  toutes  les  branches  des. 
connaissances  dérivant  des  soins  donnés  à  la  terre. 

Disposant  des  bras  de  leurs  serfs,  les  Akkadiens  ordonnèreiiL 
des  canaux,  assainirent  et  irriguèrent  le  pays  ;  sinsj)irant,  en  les 
améliorant,  des  méthodes  employées  avant  eux.  Ils  Idilifièreut 
leurs  villes,  élevèrent  des  temples  et  des  palais  et  réglemen- 
tèrent la  propriété,  en  vue  d'assurer  et  détendre  leur  pouvoir 
avec  leurs  revenus. 

Réunissant  les  coutumes  éparses,  propres  aux  besoins  locaux, 
les  adaptant  à  leurs  usages  et  à  leurs  intérêts,  ils  composèrent 
les  premiers  recueils  de  lois  qui,  comme  le  fait  a  lieu  pour  tous 
les  coutumiers,  différaient  d'un  district  à  l'autre  pour  mille  dé- 
tails ;  mais  demeuraient  toujours,  d'une  part  attachés  aux  néces- 
sités du  sol,  d'autre  part  liés  aux  vues  politiques  des  conquérants. 

11  se  forma  une  caste  militaire  ayant  à  sa  tête,  parfois  des 
Sumériens,  souvent  aussi  des  Akkadiens,  gens  de  vieille  race, 
dont  le  concours  était  assuré  aux  vainqueurs;  les  Patésis,  qui  déjà 
détenaient  l'administration,  en  furent  les  principaux  officiers. 
Cette  caste   était   nécessaire   au    maintien   dans   l'obéissance  des 


(1)  L'organisation  sociale  el  administrative  nauté. En  dehors  de  ce  partage,  des  lots  étaient 

d'un  royaume  chaldéen  nous  est    révélée  par  attribués  au  roi  et  aux   divers  fonctionnaires 

les  textes,  et  plus  spécialement  par  ceux  trai-  civils  el  militaires,  suivant   leur  grade,  avec 

tant  de  la  propriété  foncière.  En  tète,  se  trou-  obligation  de  rapport  à  la  communauté  en  cas 

vait  le  roi  ou  le  patési  ayant   pouvoir  sur   un  de  cessation  de  leurs  fonctions.  (Cf.  Ed.  Cuo, 

certain  nombre  de  tribus.  Chaque  tribu  avait  La  propriété   foncière  en  Chaldéc,  ds    Xotw. 

son  chef  (portant  souvent  aussi  le  litre  de  pa-  Reu.  kisl.  de  droit  franc,  et  étranger.,  nov.-déc. 

tési),  ses  administrateurs,  ses  conseillers,  ju-  1906,  p.  722,  sq.)  Cette  législation  est  le  reflet 

ges-prèlres,  scribes   el  autres  fontionnaires.  des  anciennes  coutumes  du  teniijs  où  les  pré- 

Les   terres    appartenaient  à  la  communauté;  Sémites,  plus  pasteurs  et  chasseursqu'agricul- 

mais    la    jouissance    en    était    attribuée    aux  leurs,  vivaient  sous  le  régime  de  la  propriété 

villes  et  villages,  chacun  pour  leur  part.  Lad-  collective    dans    les    territoires    attribués    à 

ministration  des  centres  secondaires  était  or-  chaque  tribu.  Elle  montre  également  de  quels 

ganisée  comme  celle  de  l'Etat.  Dans  chacune,  ménagements   durent  user  les  Akkadiens  en- 

les   terres   tirées  au    sort    étaient   remises  en  vers  les  Sumériens  lorsqu'ils  s'établirent  peu 

jouissance  aux  divers  membres  de  la  comnui-  à  peu  en  mailres  dans  le  pays. 


2-78  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

peuples  soumis,  ainsi  qu"à  la  protection  du  domaine  sémitique 
contre  un  retour  offensif  des  autochtones  non  asservis  encore  ou 
à  peine  vaincus. 

Le  risc(l),  comme  de  raison,  demeura  entre  les  mains  des 
Sémites.  Les  Akkadiens  percevaient  les  taxes  non  seulement 
comme  maîtres  politiques,  mais  aussi  comme  chefs  religieux; 
car  cette  aristocratie,  aussi  bien  sacerdotale  que  militaire,  s'as- 
surait de  toutes  les  ressources  par  sa  double  autorité.  La  religion 
avait  été  transformée,  les  panthéons  des  deux  races  s'étant  fondus 
lun  dans  lautre  ;  mais  dans  presque  toutes  les  grandes  villes, 
les  prêtres  de  rang  élevé  étaient  des  Sémites. 

La  caractéristique  de  l'esprit  akkadien  est  le  défaut  complet 
de  morale,  la  morale  étant  entendue  dans  le  sens  que  nos  cul- 
tures attribuent  à  ce  mot.  L'égoïsme  régna  toujours  en  maître  dans 
les  États  fondés  par  cette  race,  et  si  parfois,  dans  Ihistoire,  appa- 
raissent des  sentiments  généreux  chez  les  souverains,  c'est  que 
les  circonstances,  lintérèt  même,  les  obligeaient  à  masquer  leurs 
véritables  vues. 

La  cruauté  chez  les  Assyriens,  les  Arabes,  les  Chananéens,  les 
Phéniciens,  etc.,  nest  quune  conséquence  de  ce  principe  du 
mépris  de  l'intérêt  etde  la  vie  d'autrui,  sentiment  dominant  parmi 
ces  peuples.  Chez  les  adorateurs  dAssour,  toute  pitié  disparais- 
sait devant  lintérèt  du  dieu,  et  le  dieu  nétait  que  le  représen- 
tant des  appétits  de  chacun,  le  masque  déguisant  l'égoïsme. 

((  Les  Sémites  ont  à  leur  charge  deux  abominables  tares  (2), 
les  prostitutions  sacrées  pour  les  deux  sexes  et  les  sacrifices  hu- 
mains non  seulement  des  prisonniers  de  guerre,  mais  des  enfants 
immolés  par  leurs  parents,  avec  la  conviction  d'être  agréables 
aux  dieux  (3).  Il  est    vrai   que    les   courtisanes    plus    ou    moins 

(1)  Les  revenus    de  lElal  en   Chaldée    se  de  remparts,  etc.,  qui  s'effecluaienl  à   la  cor- 

composaient  de  deux  parties  distinctes  :  ceux  vée.  (Cf.    G.   Maspebo,  Histoire,   l,  P-  J63.  - 

provenant  des  terres  de  lEmpire  et  ceux  pro-  Metchmkoff,  la  Civilisation  el  les  Grands  Heu- 

duits  par  les  tributs  qu'envoyaient  les  peuples  ves  historiques,  1889.  -  Babelon,  Science  soc, 

étrangers   soumis.   Les   impôts  intérieurs   se  I,  3W-351,  etc.) 

réparlissaienl   suivant  les   produits  de  lagri-  (^2)  M.  J.  Lagrange,  Etudes  sur  les   religions 

culture  et  de  l'élevage  dans  des  proportions  sémitiques,  Pans,  1905,  p.  445. 

variables  suivant  les  districts  et  les  époques;  (3)  Les    sacrifices  humams  chez  les  Arabes 

en  outre   c'étaient   des   métaux,  des  produits  furent  d'usage  jusqu'à  I'hégire.En529,Mundhir, 

manufacturés,  des  esclaves  des  deux  sexes.  Le  prince  de  Hira,  vassal  de  Kavùdli,  roi  sassa- 

iribul  prélevé  sur   les    peuples  étrangers   se  nide  de  Perse,  envahit  la  Syrie  qu'il  ravagea 

payait  en  denrées,  produits  manufacturés,  mé-  jusqu'à  Antioche.  »  Celait  un  payen  sauvage, 

taux     pierres,   bois,   bétail   et    esclaves,    etc.  qui  en    un  seul  jour  offrit  les  4O0   nones  d'un 

L'intérieur    moins    taxé  que  les    tributaires,  couvent  syrien  en  sacrifice  sanglant  a  la  déesse 

avait  aussi'à  fournir  des  prestations  pour  les  Uzzâ  (la  planète  Vénus).  ..  (Noeldeke,  E/udes 

travaux  d'intérêt  public,  tels  que  création  et  hisloriquessurlaPerse  ancienne, \,rad.O.\\  irlb, 

entretien  de  canaux,  construction  de  digues,  1896,  p.  170.) 


L'EXPANSION    SK.MITIOUE  229 

sacrées  affluaient  en  pays  grec,  mais  la  prostitution  n'y  fut  jamais 
regardée  comme  un  acte  religieux  si  ce  n'est  peut-être  à  Co- 
rinlhe  et  à  Eryx  en  Sicile,  deux  points  où  l'influence  sémitique 
est  incontestable. 

«  Et  les  Grecs  aussi  ont  immolé  des  victimes  humaines,  mais 
il  est  très  vraisemblable  que  ces  cas  sporadiques  s'expliquent 
encore  par  l'influence  des  Sémites,  par  exemple  en  Arcadie  (1), 
en  Chypre  (2),  dans  l'île  de  I^hodes  (3),  pays  où  leur  action  a  été 
particulièrement  sensible. 

«  Chez  les  Sémites,  au  contraire,  ces  immolations  sont  enraci- 
nées par  l'usage.  On  les  trouve  en  Arabie  iZi)  et  en  Aramée  (5). 
Les  prophètes  ont  eu  beaucoup  de  peine  à  empêcher  qu'elles  ne 
prévalussent  dans  Israël. 

«  La  Phénicie  en  avait  comme  le  privilège  (6),  elle  le  transmit 
à  Carthage  qui  les  pratiqua  avec  fureur,  même  après  sa  ruine  po- 
litique (7).  On  vient  d'en  retrouver  au  pays  de  Chanaan  des  traces 
évidentes  (8).  Babylone  —  moins  purement  sémitique  à  ce  qu'on 
prétend  —  ne  paraît  pas  s'y  être  adonnée  avec  la  même  passion  ; 
cependant  les  critiques  nous  paraissent  bien  exigeants  s'ils  ne  se 
contentent  pas  des  traces  fournies  par  les  inscriptions  et  par  les 
monuments  (9).  Ce  ne  sont  point  là  des  faits  qu'on  se  préoccupe 
de  transmettre  à  la  postérité  (10).  » 

Ce  n'est  pas,  en  efïet,  dans  la  Babylonie  qu'il  faut  s'attendre  à 
retrouver  les  traces  du  véritable  esprit  sémitique.  Là,  dans  le  ber- 
ceau de  leur  puissance,  devant  appuyer  leur  pouvoir  sur  des  peu- 
ples étrangers  à  leur  sang,  qu'ils  cherchaient  à  s'assimiler,  ils 
durent  faire  une  large  part  à  la  mentalité  de  l'ancienne  popula- 
tion. 11  se  forma  une  religion,  des  lois,  des  coutumes  mixtes 
qui  décèlent  à  chaque  instant  la  présence  des  deux  éléments. 

C'est  dans  les  régions  éloignées  de  ce  foyer  mélangé,  dans  les 


(1)  Victor  Bérard,  De  lOrujine  des  cultes  ar-  (7)  Les  textes  sont  nombreux.  Pliitarque  note 
cadiens,  p.  58.  sq.  (De  supersl.,  13)   qu'il    eiU   mieux  valu  que  les 

(2)  TertulueiM,  Apo/. /A.  —  Porph.,  De  A6a^.  Carthaginois  n'eussent  pas  de  dieux  que  de 
II,  54.  leur  ofTrir  de  semblables  sacrifices. 

(3)  PoRPH.,  Cod.  loc,  sacrifice  à  Kronos.  (8)  A  Gezer;  voir  les  rapports  de  M.  Maca- 

(4)  L'histoire  de  saint  Nil,  les  captifs  immo-  lister  ;  Pn/  expl.  Fund.  Stal.,  Id03,  p.  17,33, 
lés  à  el-'Ouzza  (Noeldeke,  Tabiin,p.  171.)  —  223,  224.  Des  faits  analogues  ont  été  relevés  à 
PoRP».,  De  Abxt.,  II,  5G.  —  Procope,  liell.pers..  Ta'annek. 

II,  28.  —  EvAGRE,  Hint.  ecl,  VI,  22.  (U)  CL  Jeremias, Das  aile  Teslamenl  im  Lichle 

(5)  De  lie  syrià,  LVIIL—  Lampride,  Vie  dHé-  des  Allen  Orients,  p.  276. 

lioyabale,  8.  —  Cf.  Chwoi.son,  Die  Ssahier  und  (10)  Les  inscriptions  phéniciennes  sont  com- 

der  Ssabismus,  II,  p.  142,  sq.  —  D'après  Cler-  plètement  muettes,  et   les  auteurs  grecs  em- 

mont-Ganneau,  Recueil,  11, 66,  le  jeune  Neteiros.  ploient  volontiers  dans  ce  cas  des  périphrases 

(C)  PoRPH.,  De  Absl.,  II,  56.  mystérieuses. 


930  LES    PREMIÈRES   CIVILISATIONS 

pays  où,  comme  nombre,  l'élément  non  sémitique  était  sans 
importance,  dans  les  survivances  jusqu'à  nos  jours  au  milieu  de 
populations  presque  pures,  qu'il  faut  aller  chercher  les  tendances 
réelles  de  la  race  sortie  d'Arabie. 

Cet  égoïsme  féroce  n'est  d'ailleurs  pas  la  caractéristique  des 
Sémites  seuls;  on  le  retrouve  en  Extrême-Orient,  dans  la  Chine, 
en  Amérique,  où  les  gens  de  sang  rouge  offraient  constamment 
à  leurs  dieux  des  hécatombes  humaines  ;  dans  presque  toutes  les 
sociétés  primitives,  même  indo-européennes.  Mais,  chez  cette 
dernière  race,  il  ne  résista  pas  au  progrès  ;  tandis  que,  chez  les 
Sémites,  on  en  rencontre  d'abondantes  traces  en  plein  temps  de 
civilisation  philosophique. 

C'est  dans  un  esprit  de  domination  personnelle  que  les  pre- 
mières organisations  sociales  suméro-akkadiennes  furent  fon- 
dées. Le  temple,  demeure  des  dieux  des  deux  races,  où  le  peuple 
apportait  ses  offrandes  et  sa  dîme,  était  en  même  temps  le  trésor, 
Farsenal,  le  bureau  administratif  des  Patésis.  C'est  là  que  se 
passaient  tous  les  actes,  sous  la  protection  de  la  divinité  locale 
et,  par  suite,  sous  la  surveillance  de  l'État.  Les  scribes,  très  peu 
nombreux  alors,  presque  toujours  Sémites,  étaient  des  gens 
d'État  et  rien  ne  se  faisait  sans  eux.  Dans  les  édifices  sacrés  les 
devins,  les  sorciers  exerçaient  leur  métier  et  le  bas  peuple,  très 
attaché  à  ses  vieilles  croyances  divinatoires  (1),  se  trouvait  encore 
lié  de  ce  coté.  C'est  ainsi  qu'il  oublia  si  vite  sa  nationalité,  le 
parler  de  ses  ancêtres  et  jus({u'à  ses  intérêts  vitaux. 

Quanta  la  langue,  les  Akkadiens  imposèrent  la  leur;  tous  les 
actes,  tous  les  écrits,  quelle  qu'en  soit  la  nature,  se  faisaient  en 
sémitique;  c'est  au  point  qu'à  Suse  même  aucun  document  en 
langue  indigène  ne  fut  rédigé  pendant  l'occupation  chaldéenne. 
Dans  la  Mésopotamie  le  sumérien,  devenu  l'idiome  de  la  servi- 
tude, s'oublia  peu  à  peu  parce  qu'on  avait  tout  intérêt  à  parler 
la  langue  des  maîtres. 

En  Élam,  pays  où  les  Sémites  étaient  moins  nombreux  que 
dans  les  districts  de  l'Euphrate  et  du  Tigi-e,  où  par  suite  la 
puissance  absorbante   des    vainqueurs    était    beaucouj)    iiioindie, 

(1)  Ce  n'est  pas  seulement  en  ChaUU'e  que  mal  avait  deux  causes  :  lune  nalurelle,  contre 

la  divination  était  en  honneur,  elle  l'a  toujours  laquelle    on    administrait    des    médicaments, 

été  chez  tous  les  peuples  primitifs.  Les  pra-  l'autre  surnaturelle,  produite   par  les    esprits 

tiques  médicales  comportaient  en  Egypte  des  malfaisants.  (CLPapijrusdeLeijde,  1,34?,  verso, 

formules  conjuratoires  qui  n'ont  rien  à  envier  pi.    Xlil,  I.   5-G,  jd.  IV,  1.  9-10.  Pi.evte,  E/iH/e.* 

au.x   phrases  divinatoires    des  Chaldéens.  Le  é<jyptoloyiquex,l.  1,  pp.  61-62,  14.V146.) 


L'EXIWNSION    SK.MITIOLK 


231 


l'anzanite  ne  mourut  pas  coiuino  le  sumérien  ;  les  documents  sémi- 
tiques sont,  dès  l'origine,  l'emplis  de  noms  propres  indigènes,  et 
un  système  d'écriture  spécial  se  développa  même,  dans  les  débuts; 
en  sorte  qu'au  jour  où  les  événemenls  politi(|ues,  où  les  circons- 
tances permirent  aux  Susiens  de  secouer  le  joug  étrange)-,  l'Islam 
■était  encore  élamite. 

L'écriture,  dont  j'ai  déjà  parlé  au  précédent  chapitre,  aucun  do- 
-cument  positif  ne  permet  d'en  attribuer  la  découverte  aux  autoch- 
tones plutôt  qu'à  leurs  vain([ueurs.  Je  dirai  plus,  tous  les  textes 
archaïques  étant  rédigés  en  sémiticfue,  on  serait  tenté  de  croire 
à  son  origine  akkadienne.  Cependant,  nous  avons  vu  que  bien 
longtemps  avant  la  conquête,  les  peuples  de  F  Asie  antérieure 
■connaissaient  la  peinture,  la  gravure,  la  représentation  des  objets 
réels,  et  que  par  suite  ces  populations  possédaient  le  sentiment 
■de  la  figuration. 

Dans  ces  conditions,  n'est-il  pas  plus  rationnel  de  penser  que, 
peu  à  peu,  en  se  perfectionnant,  les  aborigènes  ont  fait  pailer 
leurs  images  et  sont  ainsi  parvenus  à  la  figuration 
•des  idées  ;  plutôt  que  d'attribuer  cette  invention 
à  une  race,  fort  bien  douée  par  ailleurs,  mais  dé- 
pourvue du  sentiment  artistique. 

Le  foyer  chaldéen  des  hiéroglyphes,  issus  de 
la  pictographie,  n'est  d'ailleurs  pas  unique,  nous 
en  connaissons  trois  autres  principaux  :  celui  de 
l'Amérique  centrale  pour  lequel  les  développe- 
ments nous  échappent;  celui  d'Extrême-Orient  (1), 
dans  lequel  révolution  fut  guidée  par  une  toute  autre  pensée  que 
celle  qui  prévalut  en  Occident;  et  enfin  celui  qu'on  a  récemment 
découvert  dans  lile  de  Crète,  mais  pour  lequel,  quant  à  lorigine 
indigène,  il  peut  subsister  des  doutes  ;  car  celte  île  avant,  dès  les 


Hiéroglyphes 
a  r  c  11  n  ï  q  u  e'  s 
(^'ou II  dynas- 
tie) (2). 


(1)  L'écriture  chinoise,  pictographique  à  l'ori- 
îïinc,  devint  peu  à  peu  hiéroglyphique  et,  par 
suite  du  grand  nomhre  des  formes  «lialeclales 
<lu  parler,  suivit  des  courants  divers,  éloignant 
de  plus  en  plus  les  dérivés  des  signes  primi- 
tifs. L'unification  de  l'écriture  fut  faite  par 
She  Chuu,  ministre  de  Suen  Wang,  souverain 
de  la  dynastie  chuu,  vers  s-20  av.  J.-C.  Repre- 
nant les  signes  à  leur  origine  hiéroglyphique, 
ShcChou  s'appliqua,  non  pas  à  leurdonncr  une 
valeur  phonétique,  mais  bien  un  sens  idéogra- 
phique capable  de  les  rendre  compréhensibles, 
quelle  que  soit  la  prononciation  qu'ils  suggè- 
rent, dans  les  divers  dialectes.  Celte  concep- 
tion de  l'écriture  est  toute  différente  de  celle 


qui  domina  le  monde  occideulal,  où  l'idéo- 
gramnic^fut  vile  remplacé  par  des  signes  n'of- 
frant plus  qu'une  valeur  phonétique.  .\u  qua- 
rantième siècle  av.  .L-C.  déjà.en  Egyplecommc 
en  Chaldée.la  proportion  des  idéogrammes  dans 
les  textes  est  fort  restreinte.  Toutefois,  leur 
usage  persista  tant  que  druèrent  les  hiérogly- 
phes égyptiens  {vers-210ap.  .I.-C.^el  les  signes 
cunéiformes  (premier  siècle  ap.  J.-C).  11  dispa- 
rut complètement  devant  l'usage  des  carac- 
tères alphabétiques. 

^2)  Graves  sur  un  vase  de  pierre  dure  dé- 
couvert dans  les  sépultures  royales  d'.Vbydos. 
Cf.  J.  DE  MoROAN,  liecli.  uriij.  Egypte.  1897, 
p.  211,  fig.  81-2. 


232 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


temps  très  anciens  (IV  Dynastie?),  reçu  crÉgypte  les  principes 
de  sa  culture  industrielle  et  artistique,  peut  aussi  bien  en  avoir 
acquis  en  même  temps  la  notion  de  l'écriture  hiéroglyphique. 

Quelques  autres  tentatives  de  figuration  de  la  pensée,   efforts 
dont    nous  ne  possédons   que  de  vagues   traces,  semblent  aussi 


T'i'i=>;^-  f^fi^/T'^ 


Ecriture  chypriote  (1). 


Inscription  hiéroglyphique 
d'Ani  (Transcaucasie)  (2). 


n'être  nées  que  du  contact  avec  les  peuples  en  possession  des 
hiéroglyphes.  LHétéen  d'une  part  se  serait  simplifié  dans  l'écri- 
ture chypriote  (3),  d'autres  auraient  peut- être  fourni  aux  peuples 
du  petit  Caucase  les  éléments  de  leurs  inscriptions. 

Nous  savons  qu'en  Chaldée  l'hiéroglyphe  a  été  l'origine  des 
cunéiformes;  les  écrits  de  l'antiquité  l'affirment  et  nos  travaux  de 
Suse  ont  matériellement  prouvé  l'existence  de  cette  conception. 
Nous  retrouvons  les  hiéroglyphes  en  Egypte  dès  les  premiers 
temps  dynastiques  (4},  plus  tard  chez  les  Météens  (5).  Il  semble- 
rait que  ces  trois  systèmes  d'écriture  fussent  nés  de  la  pictogra- 


(1)  Inscription  hypriole  (W.  Wright,  P.  Le 
Paoe-Renolf  et  Pu.  Bkrger,  Proc.  Soc.  of 
Bibl.  Arch.,  déc.  1886,  fév. -mars  1887.—  Cf.  Ph. 
Berger,  Comptes  renJux  Acad.  inscript.,  1887, 
p.  187-198.  —  Clermoist-Gan.ne.\u,  i<J.,  p.  198- 
201. 

(2)  Inscription  figurative  ou  hiéroglyi)liifnie 
sur  lin  fragment  de  vase  trouvé  à  Ani.  (Cf. 
Arch.  Forscli.  in  Transkauliasien.  Ivaiserlicti 
russiclie  Arch.  Commission  im  1900,  in  Ver- 
handl.  der BerUner Gesellschafl  fur  Anthropolo- 
gie, Ethnologie  iind  Urgeschichte,  1902,  p.  236, 
■fig.  19.) 

(3)  L'écriture  chypriote  (Cf.  Trans.  Soc  Bibl. 
\rch.  —  H.vMiLTO.\,  L«/i;/.,  t.  I.  1872,  p  116.  s(|. 
—  G.  S-viiTH,  id.,  p.  129,  sq.  —  S.  Birch,  /(/., 
p.  14E,  sq.  —  Breal,  Journ.  des  Savants,  aoùl- 
scpl  ,  1877)  est  syllabique.  Son  origine  est  cer- 
tainement asiati(iue  ; j)eut-élre  hétéenne  .  Les 
documents  que  nous  possédons  d'elle  sont  tous 
en  langue  grecque.  Cette  écriture  vécut  paral- 
lèlement avec  le^  alphabets  grec  et  phénicien 
jusqu'audeuxiéme  siècle  avantnolre  ère. L'ins- 
cription la  plus  imporlaiile  est  celle  de  Dali, 
gravée  sur  bronze,  ayant  trait  au  l'ôle  joué 
par  la  ville  d'Idalion  au  cours  des  guerres 
médiques  (Cf.  Bibliotliètpie  nat.,  Paris,  don 
de  Luynes). 

(4)  Sous  la  I'=  dynastie,  bien  que  le  système 


hiéroglyphiipie  fût  déjà  définitivement  établi, 
les  inscriptions  montrent  par  les  hésitations 
qu'elles  trahissent,  comme  par  le  désordre 
frécpient  des  signes,  que  ce  mode  d  écriture  en 
était  encore  à  ses  débuts.  (Cf.  Fl  Pétrie,  iîoy. 
Tombs  ofthe  firsl  Lhjn.  I,  pi.  IV  à  X.)  Ces  textes 
sont  très  brefs  et  ne  contiennent  en  général 
que  les  formules  du  protocole  royal. 

(ô)  Ce  système  d'écriture  s'est  éteint  avec  le 
peuple  qui  en  faisait  usage,  et  ses  textes  ont, 
jusqu'ici,  résisté  à  toutes  les  tentatives  d'inter- 
prétation. Sayce  croit  voir  dans  les  caractères 
chypriotes  une  survivance  de  ce  système  sim- 
plifié et  aiq)li(]né  à  la  langue  grecque.  Cf.  H. 
Sayce,  on  the  Hamalhile  inscriptions,  in 
Trans.  of  Ihe  Soc.  of  Bibl.  Arch.,  t.  V,  p.  31,  sq.  ; 
t.  Vil,  p.  278,  sq.  —  Conder  Hamath.  Inscrip- 
tions in  Palestine  expl.  f.  Quart.  Stnt.,  1883, 
p.  133. sq.;  189, sq.  pense  à  des  analogies  avec 
les  hiéroglyphes  d'Egypte.  —  Halévy  (Introd. 
au  déchiff.  des  inscr.  pseudo-hitiites  ou  anato- 
liennes,  in  Beu.  .sémitique,  1. 1,  p.56,sq.  ;  126,  sq.) 
j)ropose  de  remplacer  le  nom  de  Héléens,  Hit- 
tites, par  celui  d'Anatoliens.  —  Jensen  (Orund- 
lagtui  fiir  eine  Entzift'erung  der  Halischen  oder 
cilicischen  Iiischriften,  in  Z.  d.  D.  Moryenl. 
Ges..  l.  XL  Vin  )  propose  de  voir  dans  la  langue 
hétéenne  celle  des  tribus  ciliciennes. 


L'EXPANSION    SÉMITIQUE  233 

phie,  découverte  quelque  part  dans  l'Asie  antérieure,  et  qu'ils  se 
soient  développés  indépendamment  les  uns  des  autres,  évoluant 
suivant  les  conditions  locales,  les  aptitudes  et  les  besoins  des 
peuples  qui  les  ont  adoptés  et  nous  les  ont  transmis. 

Certainement  le  cunéiforme  linéaire  n'existait  pas  en  Clialdée 
lors  de  la  venue  des  Sémites  ;  la  preuve  s'en  trouve  dans  la 
double  évolution  en  l^]lam  et  sur  les  bords  de  TEuphiale.  Il  n'est 
pas  non  plus  venu  d'Arabie  avec  les  Akkadiens;  car  la  Chaldée, 
seule  au  monde,  impose  récriture  sur  argile  parla  nature  de  son 
sol.  C'est  donc  après  la  conquête  (jue,  développant  une  décou- 
verte sumérienne,  les  Sémites  ont  établi  le  système  cunéiforme, 
afin  de  répondre  aux  besoins  de  leur  administration  et  du  progrès 
dans  les  transactions.  De  grands  Empires  n'auraient  pu  se  fonder 
sans  le  secours  de  l'écriture. 

Les  arts,  ne  trouvons-nous  pas  leur  enfance  dès  le  néolithique 
et  l'énéolithique  ?  dans  les  poteries  peintes  de  Mouçian  et  de  Suse. 
non  loin  du  j)ays  où  se  développa  l'art  chaldéen  le  plus  pur  ? 

En  Egypte,  nous  voyons  la  culture  artistique  évoluer  à  partir 
de  l'époque  de  Menés  (Négadah)  (1).  Pendant  la  première  dynas- 
tie, la  grande  sculpture,  celle  qui  nous  est  révélée  par  les  stèles 
d'Abydos,  est  encore  grossière;  tandis  que  les  arts  réduits  attei- 
gnent une  incroyable  perfection  (2).  La  peinture  (3),  la  bijoute- 
rie {II)  sont  formées,  peut-être  même  a-t-on  déjà  découvert  l'émail 
sur  terre  cuite  (5). 

En  Chaldée,  et  mieux  dans  l'Élam,  nous  assistons  aux  mêmes 

(1)  A  l'époque  du  roi  Mènes,  tous  les   inslru-  Tombx,  II,  1901,  pi.    VI,   fig.  3-4)   fournit   un 

monts  étaient  encore  faits  de  silex;  ce  n'est  que  bel  exemple  de  ces  essais  primitifs. 

plustar(l,soussessuccesseursdelaI"dynastie,  (4)  La  perle  d'or  trouvée  dans  le  tombeau  de 

que  le  cuivre  devint    d'un  usage  courant.  (Cf.  Négadah  (Cf.  J.  de  MoriOAN,  liecli.   Orhj.,  1897) 

J.  DE  Morgan, /îec/i.  On'»/.,  1897.  —  Amelineau,  est  le  bijou  le  plus  ancien   connu   jusqu'à  ce 

Fouilles   à    Abydos,    1896-18-J7.   —   Fl.  Pétrie,  jour.  L'usage   de  l'or  élait  d'ailleurs   courant 

Royal  Tombs,  1900-1901.)  dès   la    I"   dynastie.    (Cf.   Fi..   Petiîie,    lioy . 

(i)  Les  spécimens  les  plus   anciens  connus  Tom^.s  II,  lWl,pl.  IX.) 

jusqu'à   ce   jour  de    la    sculpture   égyptienne  (5)   On    trouve   en   Egypte   des    indices   de 

sont  les  figurines  animales  découvertes  dans  l'usage  de  la  terre  émaillée  dès  les  débuts  de 

le   tombeau  de  Menés   à  Négadah  (Cf.  J.  de  la  monarchie.  (Cf.  Fl.  Pétrie,  A^ydo.s-.  remenos 

Morgan,  Rech.  orhj.,  1897),  et  celles  provenant  of  Osiris,  1902,  pi.  LUI,  fig.  7-11,  19-22  ;  Temp.e 

de  la  sépulture   du  roi   Zer-ta,    à  Abydos  (Cf.  l'.)03,  pi.  IV,  VII,  XI.)  Mais  ces  objets,  n'ayan 

Fl.    Pétrie,   Royal   Tombs,    II,   1901,    pi.   VI,  point  été  rencontrés  dans  des  sépullurcs, 

fig.  3  et  4).  sauraient  être  datés  d'une  manière  précise.  — 

(.3)  L'art  de  la  peinture  se  montre  en  Egvpte  Analyse  des  porcelaines  égyptiennes  par  H  Le 

dès  les  temps  antéhistoriques.  (Cf.  .LE.  Qui-  Chatellier  (A/m.    c/i/m.,  1907,    p.  3t;3  :    Silice, 

BELL  et  F.-W.  Green,  Londres,  1902,  Uivrukon-  88,6;  alumine,  1,4;  o.xyde   de  fer,  0,4;  chaux, 

/)0//.s,parl.  II, pi.  LXXV-LXXIX.)Les  couleurs  2,1  ;  soude,  5,8  ;  oxyde  de  cuivre,  1,7.)  H.  Le 

employées  sont  :  le  rouge,  le  jaune,  le   gris  et  Chatellier  a  reproduit  les  pâtes  en  mélangeant: 

le  noir.  La  composition  désorilonnée  et  l'e.xé-  verre  bleu, 40;  sable  broyé, 55;  argile  blanche, 

culion  barbare  montrent  combien  ces  premiers  5  ;  le  verre  bleu  ayant  été  obtenu  par  la  fusion 

essais  sont  voisins  des  origines.  La  sépulture  dun  mélangedcsable,6G;  carbonaledechaux,8; 

du  roi  Qa,  de  la  \"  dynastie  (Fl.  Pétrie,  Royal  carbonate  de  soude  sec,22;  o.xyde  de  cuivre,  4. 


-23/l  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

débuts,  aux  mêmes  efforts  ;  mais  par  suite  de  la  rareté  des  matériaux 
durables  et  de  qualité,  nous  ne  rencontrons  qu'un  très  petit 
nombre  de  grandes  œuvres.  Je  citerai  cependant  la  stèle  des  Vau- 
tours de  Telloh  et  quelques  pièces  archaïques  découvertes  à  Suse. 

Mais  les  goûts  artistiques  ne  se  donnèrent  pas  carrière  de 
même  façon;  dès  les  débuts,  l'Egypte  enferma  son  style  dans  des 
lois  rigoureuses,  tandis  que  l'Asie  conserva  toujours  une  grande 
liberté  dans  la  composition  comme  dans  l'exécution. 

L'Arabie,  malheureusement,  est  encore  bien  peu  connue  ;  quoi 
qu'il  en  soit,  aucune  sculpture  très  ancienne  n'y  a  encore  été 
signalée,  aucun  objet  n'en  a  été  rapporté  par  les  marchands  mu- 
sulmans qui  la  parcourent  en  tous  sens.  J'ai  fréquemment  inter- 
rogé les  hommes  du  pays  les  plus  à  même  de  me  renseigner  à 
•cet  égard  et  tous  m'ont  affirmé  qu'il  n'existe  rien  de  semblable 
dans  la  péninsule. 

C'est  donc  aux  Sumériens  que  nous  devons  attribuer  l'honneur 
d'avoir  fondé  l'art  asiatique  ;  sinon  à.  ces  autochtones  eux-mêmes, 
du  moins  à  quelque  tribu,  leur  parente,  habilant  vers  la  même 
région,  car  l'Egypte  n'a  pas  agi  sur  l'Asie  dans  ces  temps  très 
anciens,  c'est  elle-même  qui  a  subi  l'influence  artistique  pré- 
chaldéenne. 

L'aire  des  arts  primitifs  asiatiques  semble  s'être  étendue 
depuis  les  derniers  contreforts  de  l'Iran  jusc[u"aux  pays  médi- 
teri-auéens  et  depuis  le  Taurus  jusqu'à  la  vallée  du  Nil.  Il  y  a 
dans  tous  ces  pays  une  homogénéité  dans  les  tendances  qui  ne 
peut  être  l'eflêt  du  hasard;  d'autant  que  ce  groupe  est  unique 
au  monde  (I).  Plus  loin  vers  l'ouest  se  développa  plus  tard 
une  civilisation  dite  égéenne,  qui  ne  fut  pas  sans  puiser  largement 
<lans  celle  de  l'Asie,  mais  n'eut  certainement  aucune  influence 
sur  les  débuts  orientaux.  Ajoutons  aussi  que,  dès  les  temps  les 
plus  reculés,  peut  être  même  dès  le  néolithique,  tous  les  pays 
méditerranéens  ont  reçu  de  la  vallée  du  Nil  bien  des  notions  ('2). 

La  première  organisation  politique  de  l'Egypte  se  fit  comme  en 
Chaldée,  par  l'établissement  d'une  foule  de  principautés  indépen- 
dantes  les  unes  des  autres  (3),  correspondant  probablement  aux 


(1)  Dans  l'Amérique   centrale  et  au    Pérou,  méridionale  on  trouve,  ilès  l'élat   néolithique, 
•des  arts  céramiques  analogues  à  ceux  de  l'Asie  bien  des  traces  d  influence  orientale, 
antérieure  sont  nés  sur  place.  {Cf.  Musée  du  (3)  Ces  principautés  se  sont  conservées  dans 
ïrocadéro,  à  Paris.)  la  suite  sous  le  nom  de  nômes  ou  provinces. 

(2)  A  Chypre,  dans  l'ile  de  Crète  et  en  Italie  Chacun  se  composait  dune  ou  plusieurs  villes 


LEXPANSION    SKMITIOUE 


•23  ô 


territoires  des  anciennes  tribus.  Les  conquérants  les  conservè- 
rent dans  leurs  grandes  lignes  et,  pendant  bien  des  siècles,  cette 
division  du  pouvoir  contraignit  ri*]gypte  à  se  développer  sur 
elle-même,  sans   ambitions  militaires  extérieures. 

Le  premier  de  ces  princes  qui,  dit  la  tradition,  sut  concentrer 
•en  ses  mains  le  gouvernement  de  l'Egypte  entière  fut  Mini  (1), 
le  Menés  des  Grecs  (2).  Les  légendes  égyptiennes  lui  attri- 
buent des  améliorations  et  des  progrès  ([ui  certainement  furent 
l'œuvre  de  bien  des  générations;  il  aurait  réuni  sous  son  sceptre 
tous  les  princes  de  la  vallée,  construit  des  digues,  creusé  des  ca- 
naux, fondé  Mempliis,  codifié  les  lois,  fixé  la  religion.  L'imagi- 
nation des  Orientaux  se  plaisait  en  Egypte,  comme  en  Asie,  à  r«;- 
porter  sur  un  seul  nom  tous  les  événements  d'une  longue  période. 

Bien  que  les  prêtres  égyptiens  eussent  atli'ibué  à  Menés  la  for- 
mation de  l'unité  pharaoni(jue,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  les 
princes  dépossédés,  réduits  au  rang  de  vassaux,  si  ce  n'est  de 
simples  gouverneurs,  ne  supportèrent  que  difficilement  leur 
déchéance.  Après  la  mort  de  Menés  des  révoltes  éclatèrent  sur 
bien  des  points,  des  dynasties  illégitimes  se  fondèrent  même  ;  et 
les  noms  de  leurs  rois,  parvenus  jusqu'à  nous  dans  les  listes  pha- 
raoni({ues,   ne  sont  même  pas  cités  par  Manéthon. 

La  première  dynastie  sombra  dans  une  révolte  et  dans  des 
troujjles  ;  il   est  donc  fort  probable  que  les   550  ans   attribués  à 


et  d'un  territoire  très  restreint  (Cf.  A.  Bruosch, 
Vieogr.  Insclir.,  t.  I,  p.  03,  sq.)  grand  parfois 
<-omme  notre  département  de  la  Seine.  Le 
noml)re  de  ces  divisions  varia  suivant  les  épo- 
ques (DioDoiîE  DE  Sicile,  I,  41.  —  Strabon, 
XVII,  1.  —  PthNE,  Hisl.  nal.,  V,  9-9.  -  Ptolé- 
MÉE,  IV,  5)  entre  36  et  47.  Les  listes  piiaraoni- 
ques  en  comptent  44,  dont  2-2  pour  la  Haute- 
Egypte,  2-2  pour  la  Basse.  H.  Brugsch,  (jeogr. 
Inschr.,  t.  I,  p.  99.)  Contrairement  à  ce  que 
nous  voyons  en  Clialdée,  dans  l'Egypte  anti- 
que le  sol  est  propriété  du  roi,  les  habitants 
n'ont  que  la  possession  que  le  pharaon  veut 
bien  leur  accorder,  à  la  condition  de  i)ayer  cer- 
taines redevances  ou  de  supporter  certaines 
charges,  celles  du  service  militaire  par  exem- 
ple. (Cf.  Bouché-Leci-erco,  Hisl.  des  Lagides, 
t.  in,  190(3,  p.   178.) 

(1)  Jusqu'au.^  découvertes  de  Négadah  cl 
d'Abydos,  on  avait  considéré  les  princes  des 
<leux  luemières  dynasties  comme  «  de  simples 
fantômes  presque  au-;si  insaisissables  que  ces 
douteux  serviteurs  dllor,  dont  les  chroni- 
queurs égyptiens  peuplaient  le  monde  primi- 
tif ».  (G.  Maspero,  Ilist.  (inc.  des  peuples  de 
rOrienl,  V<^  éd.,  1893,  p.  49.)  Krall  {Die  Composi- 
lion,  p.  16-18)  les  considérait  comme  ayant  été 
sinon  inventés,  du  moins  ordonnés  arbitraire- 


ment par  les  prêtres  égyptiens  du  nouvrl  em- 
pire. 

(2)  Bien  que  la  tradition  ail  attribué  à  Menés 
l'unification  du  pouvoir  dans  la  vallée  du 
Nil,  nous  ne  pouvons,  d'après  les  récentes 
découvertes,  voir  dans  ce  prince  autre  chose 
qu'un  dynaste  local.  La  Haute-Egypte  semble 
avoir  été  gouvernée,  juscju'à  l'époque  du  der- 
nier roi  de  la  première  dMiasIie,  par  de  noin- 
breu.v  princes.  Il  se  lit  abu's  une  première  ten- 
tative d'unincation.  Mais  celte  unité,  encore 
toute  précaire,  fut  rompue  lors  de  la  deuxième 
dynastie,  ])our  être  réformée  à  nouveau  par 
le  roi  Perabsen.  Menés  ne  joua  certainement 
pas  le  rôle  qui  lui  fut  ■attribué  dans  la  suite. 
Son  nom,  tel  (|ue  nous  l'entendons  comnuiné- 
menl,  personnifie  les  elTorts  de  la  royauté, 
pendant  plusieurs  siècles,  pour  établir  l'unité 
pliaraoni(iue,  mais,  en  celtt;  qualité,  ne  répond 
cerlainenient  pas  ;i  la  réalité.  Il  suffira,  pour 
se  rendre  coiMple  (lu  désordre  qui  régnait  en- 
core en  Egypte  au  cours  des  premières  dynas- 
ties, de  consulter  le  beau  travail  de  IL  Gai:- 
Tiu^w  (Le  livre  des  rois,  ds.  Mém.  del'Insl.  Fr. 
d'Arrh.Or.daCaire,VMS)  où  tous  les  noms 
princiers  de  ces  épocpics  sont  repris  en  faisant 
usage  des  documents  fournis  par  h-s  dei-- 
nières  découvertes  archéologiques. 


236 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


"'1 


Tablette    d'ivoire     du     trésor 


la  durée  des  deux  premières  suites  de  souverains  furent  unique- 
ment consacrés  à  Fasservissement  de  la  noblesse,  à  la  consoli- 
dation du  trône. 

11  semblerait  qu'en  Egypte,  contrairement  à  ce  (jui  se  passa 
en  Chaldée,  l'adaptation  du    pays   au  réprime    royal  ne  se   fit  que 

longtemps  après  l'établissement  des 
Pharaons  ;  tandis  que  l'Asie,  dès  long- 
temps préparée,  se  serait  soumise  pres- 
que de  suite  à  l'autorité  des  empereurs 
chaldéens. 

C'est  à  Négadah,  non  loin  d'Abydos 
etdeThinis,  que  j'ai  découvert  la  sépul- 
ture de  Menés  (1),  et  la  nécropole  d'A- 

royal  de  Khemaka,  représen-      bydos    elle-même  a  fourni   les    tombes 
tant  le  roi  Ten  dansant  de-        ,,  ,  i  i  • 

vant  Orisis  (Semti,  I"  dyn.,      "^  "^^  g^'^nd  nombre  de  princes  ses  suc- 
vers  4266  av.  J.-C.)  (3 \  cesseurs  (2).  C'est  donc  dans  la  Haute- 
Egypte,    dans   le   Saïd,    pays    dorigine 
princière  de   leur  famille,  que    les    premiers  pharaons  établirent 
d'abord  le  siège  de  la  royauté  unique  (4). 

Ces  sépultures,  bien  que  détruites  en  grande  partie,  renfer- 
maient encore  une  foule  d'objets  présentant  de  grandes  analo- 
gies avec  ceux  de  la  Chaldée  et  de  FElam  dans  les  temps  les  plus 
anciens;  il  semble  donc  certain  que  les  deux  développements 
résultent  des  mêmes  influences  originelles.  Le  tombeau  de  Menés 
lui-même,  qui,  par  son  architecture,  rappelle  les  monuments  chal- 
déens, est  complètement  étranger  à  ce  que  nous  connaissons  de 
la  construction  égyptienne  dans  les  temps  postérieurs  (5).  Ce 
style  s'atrophie  déjà  dans  les  tombes  archaïques  d'Abvdos  (6), 
pour  ne  plus  laisser  de  traces  dès  le  règne  de  Snéfrou  (7),  à  la  fin 
de  la  troisième  dvnastie. 


(1)  Cf.  J.  DE  Morgan.  Recli.  sur  le.'<  orig.  de 
l'Egypte.  Le  tombeau  de  Xégadah,  Paris,  1897, 

(2)  Cf.  E.-A.\Vallis  Budge,  A  Ilist.of  Egijpt, 
vol.  I,  Egijpt  in  tlie  neoUthic  and  archnic  pe- 
riods,  1!HJ2,  p.  177  à  22-2. 

(3)  E.-A.  Wallis  BiDGE,  Egijpl  in  Ihe  neoU- 
thic and  archair  periodx,  1!102,  p.  195. 

(4)  Les  tombes  royales  de  la  I''  dynastie  se 
trouvent  toutes  concentrées  dans  la  région 
d  .\bydos.  (Cf.  J.  de  Morgan,  liech.  orig.  Le 
tombeau  de  Ve;/'/'/a/i,  1897.  —  Amelineau,  Foui/- 
les  à  Abgdon,  1890-1897.  —  W.-M.  Fl.  Pétrie, 
The  rtoijal  Tombs  of  Ihe  firsl  Dtinastg,  1900- 
1901.  —  in.,  Abydos,  1902-1904.) 

ô)  Comparer   l'architeclure  du  tombeau  de 


Menés  (.1.  DE  MoR(.AN.  op.  cit.,  1897,  fig.  518- 
biij  avec  celle  du  palais  de  Goudéa  à  Sirpourla 
(Telloh)  (E.DE  S.\RZEC,  Oécouuerte.'i  en  Chaldée. 
pi.  L;  pi.  LUI,  flg.  1.) 

(6j  Les  sépultures  archaïques  d'Abydos  sont 
creusées  dans  le  sol;  il  en  est  de  même  pour 
une  autre  qui,  à  Négadah,  se  trouve  près  de 
celle  de  Menés.  (t:f.  .J.  de  Morgan,  o/j.  ci7.,1897, 
fig.  513  [tombeau  spolié"). 

(7)  Les  mastabas  de  la  III'  dynastie  à  Dali- 
chour  (au  cartouche  de  Snéfrou)  sont  tous 
construits  en  briques  crues,  matériaux  dont 
l'usage  décroît  pendant  la  IV"  dynastie  et  qu'on 
rencontre  rarement  ensuite,  sauf  dans  l'ai- 
chileclure    militaire  (El  Kab,\    où    il  semble 


L'EXPANSION    SÉMITIQUE 


237 


Les  sépultures  des  premiers  temps  royaux  sont  énéolithiques, 
c'est-à-dire  que  le  métal  (le  cuivre  pur  [1])  sy  montre  en  même 
|.emps  que  le  silex  taillé;  or,  la  phase  énéolilhicjue  n'a  pu  remplir 


N  éCROPOLE  '\DU      MOYEN       EMPIRE 


Temple  de  Sétùi^  \       T^nnU  d/OsiriS 

*    ^                                                 ^,    .      -,   ,  i^m^          «^          Jcmpl&.dcJia^nses  \\  !■ 

iklhramiâe         ,  £l-Ar'aheJv^%  ,-,,--~,JZd^ >l  Ji 

Echelle  de  1  Mille  El-Kh£rbe}o  "" 

I  I  I 


Nécropole    royale   d'Abj  dos,  d'après   Fl.    Pétrie  (T/ie  Royal  Tonibs,   l:)00,  pi.  III) 

et  les  notes  de  l'auteur. 


en  Egypte  la  longue  période  qui  s'est  écoulée  entre  la  première 
apparition  des  Asiates  et  la  seconde  dynastie. 


n'être  maintenu  que  pour  donner  plus  de  mas-       ces,  19  août  1896.  IJ.  dans  J.  de  Morgam,  Reclu 
ses  aux  fortifications.  :iur  les  orig.  de  l'Egypte,  1896,  p.  223,  note  1. 

(1)  Cf.  Bertiielot,  Comptes  rendus  Acad.  Scien- 


53S  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Nous  devons  donc  admettre,  ou  bien  que  les  envahisseurs  ont 
établi  la  royauté  presque  de  suite  après  l'invasion,  ce  que  les 
récentes  découvertes  ne  permettent  plus  d'accepter,  ou  que  la  con- 
quête s'est  produite  graduellement,  en  plusieurs  phases.  La  pre- 
mière partie  de  l'occupation  par  ces  peuples  s'étant  faite  à  l'état 
néolithique  correspondrait  à  la  période  des  «  serviteurs  dllorus  », 
et  la  seconde  efïectuée  par  des  tribus  énéolithiques  aurait  apporté 
le  germe  du  régime  royal. 

D'une  part  les  dynasties  divines  ne  peuvent  être  considérées 
comme  autochtones,  sans  quoi  la  lutte  du  bien  contre  le  mal,  les 
fables  d'Osiris,  d'Hor,  de  Thot  l'inventeur  de  l'écriture,  seraient 
l'écho  de  faits  antérieurs  à  la  conquête  asiatique,  ce  qui  ne  peut 
être  admis,  les  nouveaux  maîtres  de  l'Egypte  n'ayant  eu  aucun 
intérêt  à  perpétuer  les  souvenirs  historiques  des  populations 
asservies.  D'autre  part  les  traditions  j)lacentle  mythe  d'Osiris  dans 
la  Haute-Egypte  et  son  sanctuaire  à  Abydos,  c'est-à-dire  dans  le 
pays  même  où  se  fonda  la  royauté.  Il  existe  donc  une  étroite 
liaison  entre  les  serviteurs  d'Ilorus  et  les  premiers  souverains. 

Une  première  partie  de  l'invasion  très  ancienne,  dont  le  point 
de  départ  reste  encore  inconnu;  mais  qui  ne  peut  être  indépen- 
dante des  mouvements  dont  l'issue  fut  la  royauté,  aurait  en- 
vahi la  vallée  du  Nil  et  s'y  serait  installée,  créant  ou  régulari- 
sant un  système  de  principautés  analogue  à  celui  de  la  (Hialdée, 
et  apportant  peut-être  les  éléments  de  l'écriture.  Dans  une  seconde 
migration,  d'autres  Asiatiques  apparentés  aux  premiers  venus,  en 
possession  des  métaux,  profitant  des  résultats  déjà  a((|uis  j)ar 
leurs  prédécesseurs,  auraient  fondé  la  royauté  pharaonique  après 
une  période  plus  ou  moins  longue  de  guerres.  En  ce  cas,  les  ser- 
viteurs d'Horus  seraient  les  chefs  asiatiques  des  ])remiei's  clans  ; 
et  l'on  s'explique  fort  bien  le  prestige  religieux  attaché  à  leurs 
souvenirs. 

Nous  devons  observer  toutefois,  en  ce  qui  regarde  l'(''ci'iture, 
qu'il  n'a  pas  été  trouvé  jusqu'à  ce  jour,  dans  la  vallée  du  Nil,  la 
moindre  trace  d'essais  hiéroglyphiques  ou  d'écriture  figurative, 
les  plus  anciens  textes  connus,  ceux  de  Négadah,  montrant  le  sys- 
tème graphique  déjà  complètement  fixé.  Par  suite,  nous  sommes, 
jusqu'à  plus  ample  informé,  autorisés  à  penser  que  l'écriture  ne 
s'est  pas  constituée  surplace;  mais  aété  importée  peu  avantl'époque 
de  Menés.  En  Chaldée,  non  plus,  là  où  nous  connaissons  le  pas- 


L'EXPANSION    SÉMITIQUE 


n9 


Hiéroglyphes  archai- 
c[ues.  Impression  d'un 
cylindre  sur  des  eônes 
d'argile  fermant  les^ 
vases  dofîrandes  du 
tombeau  de  Menés  à 
Négadah  (1). 


sage  du  signe  hiéroglyphi(jiie  au  cunéiforme,  nous  navons  encore 
rencontré  aucune  trace  des  tâtonnements  qui  prirent  sûrement 
place  entre  la  figuration  et  lidéographie.  Cette  remarque  fait  j)en- 
ser,  soit  (jue  les  tâtonnements  n'ont  pas  eu  lieu  dans  les  sites  explo- 
rés jusqu'à  ce  jour,  soit  qu'ils  ont  été  de  très 
courte  durée,  soit  enfin  que  nos  investiga- 
tions sont  encore  trop  imparfaites. 

Ces  origines  sont  bien  confuses,  malgré 
les  nombreuses  recherches  dont  l'Egypte  et  la 
Chaldée  ont  été  l'objet  ;  elles  l'étaient  plus 
encore  avant  les  découvertes  relatives  au  pré- 
historique égyptien.  Il  est  à  peine  conce- 
vable que  ces  questions  d'origine  n'eussent 
pas  été  élucidées  longtemps  auparavant;  alors 
que  depuis  plus  d'un  siècle  les  savants  les 
plus  éminents  de  l'Europe  étaient  venus  étu- 
dier le   sol  égyptien  (2).  Quoi  qu'il  en  soit,  il 

apparaît  clairement  aujourd'hui  que  l'Egypte  et  la  Chaldée  se  sont 
développées  parallèlement  et  dans  des  conditions  semblables. 
Toutes  deux  ont  droit  à  l'honneur  d'avoir  civilisé  le  monde  ;  mais 
tandis  que  l'Egypte,  enfermée  dans  ses  sables,  ne  pouvait  étendre 
son  influence  au  delà  de  certaines  limites  imposées  par  la  nature,  la 
Chaldée,  pays  ouvert  sur  toutes  ses  frontières,  entourée  de  tous 
côtés  de  dangers  et  de  menaces,  était  appelée  à  s'accroître  et  à 
fonder  le  premier  grand  empire  dominateur. 

Ainsi,  c'est  dans  ces  deux  vallées  jouissant  de  conditions  natu- 
relles analogues,  peuplées  de  races  pacifiques,  aux  mêmes  apti- 
tudes, que  se  formèrent  les  deux  premiers  foyers  civilisateurs. 
Les  facilités  de  la  vie  enfantèrent  les  progrès  initiaux  qui.  peut- 
être,  se  développant  sur  eux-mêmes,  eussent  donné  au  monde  une 
culture  toute  difterente  de  celle  que  nous  possédons  aujourd'hui  : 
si  l'élément  sémitique,  doué  d'un  génie  gouvernemental  et  admi- 
nistratif spécial,  n'était  venu,  pendant  trois  ou  quatre  mille  ans, 
dirisfer  cette  évolution,  lui  donner  une  tendance  à  la  domination 
inconnue  avant  lui  spécialement  en  Egypte,  et  qui,  probable- 
ment aussi,   eût    été   sans  lui  ignorée   en   Chaldée.  L'autochtone 


(1)   Cf.  J.  DE  Morgan,  Bech.   oriy.  Eyijple,        Cuneijorm  inscriptions.   Londres.  1908,  p.    101. 
Iû97,  p.  168,  fig.  558.  Chap.    IV.    The    relation    of    Babylonian    lo- 

2)  Cf.  A.-H.    S.wcE,  The  archaeoloyij  o/  Ihe        Egyptian  civilisation. 


•240  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

devint  la  main  de  cette  civilisation  hybride,  dont  le  Sémite  fut  la 
tête. 

Lhistoire  des  Patésis  chaldéens  nous  est  encore  presque  incon- 
nue; à  peine  savons-nous  quelques-uns  de  leurs  noms  attachés  à 
leurs  œuvres  de  paix;  quant  à  leurs  expéditions  militaires,  tant 
pour  la  conservation  du  trône  que  pour  l'extension  des  frontiè- 
res, nous  nen  connaissons  rien. 

Ourou,Eridou,  Ourouk,  Larsa,  Sirpourla  (Lagach),  etc.,  et  enfin 
Suse  et  Anchan  semblent  avoir  été  à  l'origine  les  principaux  centres 
chaldéens.  Il  y  régnait  des  princes  plus  ou  moins  puissants  sui- 
vant les  temps,  parfois  soumis  et  réduits  à  la  situation  de  feu- 
dataires  par  leurs  voisins  plus  forts,  souvent  aussi  maitres  eux- 
mêmes,  imposant  leurs  volontés. 

On  comprend  aisément  quun  tel  état  politique  chez  un  peuple 
ambitieux,  par  tempérament,  de  richesses  et  de  pouvoir,  amenait 
de  perpétuels  conflits  entre  les  principautés  et  faisait  souvent 
changer  de  mains  la  prépondérance  relative  des  petits  États. 

Dès  une  très  haute  antiquité,  Zi.OOO  ans  au  moins  avant  notre 
ère,  les  rois-prétres  (1)  de  Kich,  Manichtousou  et  autres,  étendi- 
rent au  loin  leur  domination,  faisant  peser  leur  joug  sur  les  pays 
d'Akkad  et  de  Choumir  et  sur  la  Susiane  même.  Nous  n'avons  jus- 
qu'ici retrouvé  d'eux  que  quelques-unes  de  leurs  constructions, 
dont  les  ruines  sont  éparses  dans  les  pays  jadis  soumis  à  leur 
sceptre.  Les  autres  Patésis,  ceux  des  villes  asservies,  avaient  con- 
servé leurs  titres,  leurs  prérogatives  et  une  grande  partie  de 
leur  pouvoir,  mais  sous  Paulorité  de  Kich. 

Ce  premier  royaume,  sans  frontières  définies,  ne  modifiait 
guère  les  conditions  politiques  du  début  ;  ce  n'était  encore  que  le 
régime  des  principautés  étendu,  à  peine  centralisé  entre  les  mains 
d'un  seul  prince.  D'ailleurs,  à  la  suite  de  ce  premier  essai  d'un 
gouvernement  couvrant  de  son  autorité  l'ensemble  des  pays  chal- 
déens, le  régime  des  petites  principautés  indépendantes  fut  resti- 
tué pour  un  temps. 

Cependant  l'extension  de  la  puissance  de  Kich  devait  enfanter 
l'Empire.  Elle  ne  fut  qu'une  première  tentative,  mais  prépara  l'esprit 

(1)  Les  patésis  et  souverains  les  plus  anciens  Suse,  dOur,  d'Isin,  de  Larsa  et  d'Ourouk.  Ces 
dont  les  noms  soient  parvenus  jusqu'à  nous  villes  dont,  pour  beaucoup,  nous  ne  connais- 
sent ceux  des  villes  de  Lagach,  de  Gichhou,  sons  pas  l'emplacement,  semblent  avoir  été 
de  Chouripak,  de  Kisourra,  de  Nippour,  de  les  premiers  foyers  de  la  culture  chaldéenne, 
Kich,  de  Gouliou,  d'Hourchilou,  de  Louloubi,  peut-être  même  sumérienne. 
d'Achnounak,  de    Dour-llou,  de    Kimach,  de 


L'EXPANSION    SKMITIOUE  'IM 

des  peuples  à  coopérer  aux  grandes  vues  politiques  des  souverains 
de  l'avenir.  Sargon  1,  dit  l'Ancien,  roi  d'Agadè,  détrônant  son 
oncle  et  maître  (vers  3800  av.  J.-C),  soumit  toute  la  Clialdée, 
lElam,  les  rives  du  golfe  Persique,  les  îles,  les  peuplades  à 
l'orient  du  Tigre  jusqu'aux  montagnes.  Il  porta  ses  ai-mes  en  Syrie, 
à  Chypre  même,  dit-on. 

Sargon  n'élait  pas  le  premier  des  empereurs  ;  mais  il  fut  le 
véritable  fondateur  de  l'empire.  Deux  petits  royaumes,  ceux  de 
Larsam  et  d'Apirak,  conservèrent  toutefois  leur  indépendance  ; 
il  la  leur  laissa,  soit  qu'ils  eussent  contribué  à  l'établissement  du 
pouvoir  suprême,  soit  pour  toute  autre  cause  qui  nous  échappe. 

Sargon  n'était  plus  un  Patési,  plus  puissant  que  les  autres, 
imposant  son  joug  à  ses  proches  voisins,  mais  bien  un  véritable 
empereur  féodal,  tel  que  plus  lard  les  invasions  des  barbares 
en  ont  établi  en  Europe,  tel  que  nous  en  voyons  encore  de  nos 
jours  un  frappant  exemple  de  l'autre  côté  du  llhin.  Non  seulement 
les  populations  suméro-akkadiennes  furent  réunies  sous  un  même 
sceptre  ;  mais  les  armes  d'Agadê  se  tournèrent  vers  les  peuples 
étrangers,  reculèrent  les  frontières  sémitiques  et  établirent  la 
première  grande  domination  d'un  seul. 

De  nos  temps,  cette  politique  a  pris  le  nom  d'unité  de  races  ; 
mais,  de  même  que  dans  l'antiquité,  elle  cache  simplement  un 
désir  de  conquête,  un  appétit  de  domination.  A  six  mille  ans  de 
distance,  les  mêmes  cupidités  se  traduisent  par  les  mêmes  ini- 
quités. 

Le  centre  du  pouvoir  se  trouvait  alors  dans  les  pays,  dès  long- 
temps sémitisés,  delà  Chaldée  et  du  golfe  Persique;  mais  déjà  des 
colonies  s'étaient  établies  sur  le  haut  Euphrate,  sur  les  côtes  et 
dans  les  montagnes  de  Syrie  et  de  Palestine,  vivant  côte  à  côte 
avec  les  tribus  d'origine  plus  ancienne.  C'est  de  cet  ensemble 
que  Sargon  fit  son  Empire,  sans  que  ses  armes  se  fussent  jamais 
tournées  vers  l'Arabie,  pays  d'origine  de  ses  ancêtres,  dont  il 
avait  plutôt  à  redouter  Tàpreté  qu'à  convoiter  les  biens. 

Cette  conquête  ne  se  fit  pas  sans  ébranler  l'équilibre  établi 
depuis  des  siècles  dans  1  Asie  antérieure  ;  des  migrations  eurent 
lieu,  les  unes  concentrant  dans  les  monlaguesdu  Nord  et  de  l'Est 
les  populations  autochtones,  les  autres  chez  les  Sémites  eux-mêmes, 
qui,  suivant  la  seule  route  ouverte,  s'avancèrent  jus(|u'à  la  pres- 
qu'île (lu  Siiiaï.  ^lais  là,  elles  se  licurtèrenl  à  la  puissance  <''gyp- 

IG 


n2 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


tienne  qui,  depuis  longtemps  déjà,  occupait  militairement  cette  bar- 
rière de  ses  domaines,  fermant  ainsi  la  porte  par  laquelle  elle  était 
venue.  Là,  pendant,  des  milliers  d'années,  les  nouveaux  arrivés, 
vaincus,  étaient  traînés  en  esclavage  sur  la   terre  du   Nil,  où  les 


La  presqu'île  du  Sinaï  au  temps  de  l'empire  Memphite  (1;. 

Pharaons  les   employaient  aux  grands  travaux  dont   ils  nous  ont 
laissé  les  ruines. 

On  a  pensé  que  la  possession  du  Sinaï  importait  aux  Egyptiens 
à  cause  des  mines  de  cuivre  que  renfermerait  cette  presqu'île. 
Cette  opinion  se  basait  sur  une  erreur  commise  par  Lepsius  qui^ 


(1)  D'après  G    Maspero,  Hisl.  anc.  des  peuples  de  l'Orient  classique,  t.  I,  p.  349. 


LEXl'AXSIOX    SKMITIOUE 


2A$ 


confouJaiit  des  minerais  naturels  de  manganèse  avec  les  scories 
résultant  de  la  métallurgie  du  cuivre,  crut  à  une  immense  exploi- 
tation minière.  Les  gisements  du  Sinaï  contiennent  de  la  tur- 
quoise, et  non  du  métal  en  (juantité  industrielle  ;  leur  richesse 
naturelle  neiilrait  donc  pour  rien  dans  les  vues  j)oliti(jues  des 
Pharaons. 

Cest  uniquement  au  point  de  vue  de  la  défense  de  ses  inté- 
rêts vitaux  que  rEgyj)te  occupait  le  Sinaï,  repaire  de  nomades 
toujours  prêts  à  fondre  sur  les  riches  contrées  du  Delta.  Ses 
efforts  étaient  d'ailleurs  largement  compensés  j)ar  la  quantité  des 
esclaves  quelle  capturait  dans  ce  district  asiatique. 

Le  désert  syro-arabi([ue  constituait  une  excellente  frontière 
entre  les  deux  empires  d'Asie  et  d'Afri({ue,  empêchant  leur  con- 
tact. Tandis  que  les  Pharaons  se  l)ornaient  à  conserver  le  Sinai\ 
les  Suméro-Akkadiens  ne  descendaient  pas  vers  le  sud  ;  leurs 
hordes,  pour  gagner  la  Syrie,  remontaient  lEuphrate  et  se  trou- 
vaient amenées  ainsi  vers  l'Oronte,  plutôt  que  dans  la  Phénicie 
méridionale. 

Les  dix  premières  dynasties  (1)  sont  généralement  appelées 
memphites,  parce  que  c'est  à  Menés  qu'est  attribuée  la  fondation 
de  Memphis,  et  aussi  parce  que  les  sépultures  de  la  plupart  des 
souverains  de  la  111%  de  la  IV**  dynastie  et  des  suivantes  s'y  trou- 
vant, on  supposait  que  celles  des  trois  premières  dynasties  s'y 
élevaient  également  et  que,  dès  les  débuts,  le  centre  du  pouvoir 
avait  été  établi  dans  le  nord  du  pays.  Manéthon,  toutefois,  désigne 
sous  le  nom  de  Thinites  les  deux  premières  suites  des  Pharaons. 


(1)  E.-A.\Vallis  Biidge  [Egijpl  in  Ihe  neolilhic 
and  arcliaic  periud,  190-2,  chap.  II,  Egyplian 
chronology.  fip.  lU-ltJl)  donne  avec  beaucoup 
de  clarté  les  résullals  de  loules  les  évaluations 
clironoloffiques  tentées  jusqu'ici  en  ce  qui  con- 
cerne l'Egypte  et  les  empires  asiatiques.  Jus- 
qu'à la  XVIIP  dynastie  (Amenophis  JV,  <;  1400 
<C  1450)  aucune  date  n'est  certaine  dans  la 
chronologie  égyptienne.  Les  dates  de  Lepsiiis 
ont  été  soumises  à  une  attentive  et  ingé- 
nieuse révision,  notamment  par  M.  Ediiard 
Meyer  (Aegyptische  Chronologie.  Berlin.  190'*, 
ds  Ablinndlungen  der  K.  pr.  Akademie  der 
Wisxenschaften,  1904).  Les  anciennes  estima- 
tions pour  les  époques  antérieures  à  la  XVIII'' 
dynastie  sont  sensiblement  réduites.  Ainsi  la 
XII'  dynastie  est  classée  de  l'an  2000  à  1788  ;  la 
XIII',  de  17^8  à  1660.  La  domination  Hyksos 
n'a  duré  qu'un  siècle  environ,  de  1660  à  1580. 
C'est  l'époque  d'anarchie  qui  vit  les  dynasties 
contemporaines  et  non  successives,  classées 


sous  les  n"  XIV-XVII  (Cf.  R.  Du.ssald,  Rev, 
École  anlhrop..  1908,  p.  268).  Ces  nombres  sont 
très  différents  de  ceu.x  adoptés  jusqu  alors  (G. 
Maspero,FI.,Petrieetc.);  on  considérait  la  XII» 
dynastie  comme  s'élendant  de3î60  à  .3248  pour 
les  uns,  de  2778  à  2565  pour  les  autres.  Les 
calculs  de  Ed.  Meyer  reportent  l'invasion  des 
Hyksos  à  une  époque  où,  aucune  grande  révo- 
lution ne  s'étanl opérée  en  Asie,  il  devient  dif- 
ficile d'expliquer  son  origine.  D'après  les  Iroi.s 
systèmes  de  FI.  Peirie,  Evans  et  E  Meyer,  le 
premier  palais  de  Cnossos  (Minoen  moyen  II) 
daterait  de  3460  à  3248  (FI .  Pétrie)  ;  2500  à  2200- 
(Evans)  et  2000  à  1800  (Ed.  Meyen.  De  ces 
trois  é]ioques.  celle  supposée  par  Evans 
m'apparait  comme  la  plus  rationnelle  et  cor- 
respondant le  mieu.x  aux  événements  dans  le 
monde  oriental.  Il  n'est  pas  irrationnel  d'ail- 
leurs de  placer  vers  la  fin  du  troisième  millé- 
naire I  apogée  de  la  civilisation  Cretoise. 


nii 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


Mais  les  découvertes  de  Négadahet  d'Abydos  iiioiitreiit,  au  con- 
traire, que  les  premiers  rois  eurent  le  siège  de  leur  pouvoir  dans 
la  Haute-Egypte,  et  ce  n'est,  sem])le-t-il,  qu'avec  la  IIP  dynastie  (I) 
que  le  centre  polititfue  fut  reporté  vers  le  nord  (2). 

Peut-être  devons-nous  voir  une  nécessité  polititjue  dans  ce 
transport  du  siège  du  gouvernement.  De  Memphis,  bien  mieux  que 
de  la  Haute-Egypte,  les  Pharaons  étaient  à  même  de  surveiller  la 
seule  frontière  dangereuse  de  leurs  Etats,  celle  de  lAsie,  qui  pro- 
bablement servait  de  passage  à  des  migrations  plus  ou  moins 
importantes  que  les  rois  d'Egypte  avaient  souci,  sinon  d'arrêter,  du 
moins  de  surveiller. 

Les  premiers  Pharaons  memphites  tournèrent  jjien  certaine- 
ment de  suite  leurs  regards  vers  le  Sinaï  ;  car  on  voit  dans  ces 
montagnes,  à  Wadi  Maghara,  la  stèle  triomphale  de  Sozir  (3), 
celle  de  Snéfrou,  dernier  roi  de  la  IIP  dynastie  (Zi),  relatant  une 
prise  de  possession  de  la  presqu'île  par  les  troupes  égyptiennes. 
Si  ces  campagnes  ne  sont  pas  les  premières,  ce  sont  du  moins 
les  plus  anciennes  dont  la  trace  se  soit  conservée  jusqu'à  nous. 
D'autres  monuments  montrent  com])ien  les  Pharaons  de  tous 
les  âges  attachaient  d'importance  à  leur  frontière  asiatique.  Cette 
attention  se  soutint  pendant  toute  la  durée  du  moyen  Empire  (5) 


(1)  En  ITOl,  J-  Garstang  découvrit  à  Bel  klial- 
laf,  près  «le  Girgeh,  les  tombes  îles  roi  Hen- 
neklil  et  Tchéser  de  la  III' dynastie  ;  c'est  donc 
au  cours  de  cette  dynastie  que  le  pouvoir  cen- 
tral se  déplaça  pour  venir  se  fixer  à  Mem- 
phis. 

(-2)  En  dehors  des  monuments  de  Négadah 
et  d'Abydosqui,  sans  contredit,  sont  les  plus 
anciens  des  temps  pharaoniques,  les  égyi)tolo- 
guesontcru  pouvoir  attribuer  à  la  IP  dynastie 
quelques-uns  des  monuments  découverts  dans 
la  nécropole  memphite;  tels  sont:  le  tombeau 
de  Thothpou  à  Saqqarah,  la  grande  stèle  de 
Shiri  (Cf.  G.  Maspero,  Guide  du  uisiteur  au 
Musée  de  Boalaq,  p.  31),  les  statues  de  Sapi 
(Cf.  E.  DE  RouGÉ,  Notice  dex  monuments  égijpl. 
du  Louvre,  1855,  p.  50)  ;  mais  ces  attrihulions 
sont  loin  d'être  prouvées,  car  ces  monuments 
[leuvent  aussi  bien  être  reportés  à  la  III'  dy- 
nastie, de  même  que  la  pyramide  à  degrés  de 
Saqqarah  (Sozir)  et  la  grande  enceinte  rectan- 
gulaire située  à  l'ouest  de  cette  pyramide 
(Cf.  J.  DE  Morgan,  Plan  de  la  nécropole  mem- 
phite, Caire,  1897).  La  chose  semble  même  plus 
vraisemblable,  car  nous  ne  connaissons  dans 
la  nécropole  memphite  aucun  monument  ap- 
partenant sûrement  à  la  IP  dynastie.  Les  plus 
anciens,  portant  un  cartouche  royal,  sont  jus- 
qu  ici  les  mastabas  de  Dahchour,  contempo- 
rains du  roi  Snéfrou  (Cf.  J.  de  Morgan, 
Fouilles  à  Dahchour  en  1895;  qui,  par  leur  grand 
nombre,  semblent   prouver   que   la    sépulture 


du  roi  se  trouvait  également  dans  ces  pai-ages. 

(3)  Le  roi  Sozir,  dont  le  tombeau  se  trouvait 
à  Saqqarah  (i)yramide  dite  à  degrés;  et  dont 
la  stèle  triomphale  se  montre  sur  les  rochers 
de  Wadi  Maggarah,  au  Sinoï  (Cf.  ii.Benedite, 
Recueil,  t.  XVI,  1891,  p.  loi;,  appartient  à  la 
IIP  dynastie. 

Ci)  Sur  cette  stèle,  Snéfrou  écrase  de  sa 
masse  un  nomade  (Mention)  terrassé.  L'ins- 
cription dit  :  «  Le  roi  des  deu.x  Egyiites,  le 
seigneur  des  diadèmes,  le  maître  de  justice, 
!  Ilorus  vainqueur,  Snéfrou,  le  dieu  grand.  » 
Ce  roi,  afin  de  protéger  ses  frontières  de  ce 
côté,  fonda  une  série  de  forteresses  dont  une, 
Shê-Snofrou  (l'ouadi  de  Snéfrou),  existait  en- 
core au  Moyen  Empire.  —  Cf.  LEPsius,I'e/iA-m., 
IL  2.  — J.  DE  Morgan,  Recherches  sur  lesorig. 
de  l'Egypte,  1896.  —  Chabas,  les  Papyrus  de 
Berlin,  p.  91.  —  E.  de  Bougé,  Recherches, 
p.  90.  —  G.  Maspero,  Hisl.  anc.  des  peuples  de 
lOrient,  V«  éd.,  1893,  p.  59.  . 

(5)  Les  expéditions  des  pharaons  contre  les 
nomades  du  Sinaï  (Mention)  sont  nombreuses 
au  cours  de  lancien  et  du  moyen  empire. 
Après  Snéfrou  (Illi^dyn.),  Cheops  (IV»),  puis 
Sahouri  (V-),  Ousirounri-An.  (V<^),  Dadkeri  (V) 
(Cf.  Lepsius,  Denkm.,  Il,  pi.  39  a,  152  a,  39  d. 
—  BiRCH,  Zeitsch.,  1869,  p.  26.  —  Ebeiîs,  Durch 
Gosen  zum  Sinaï.  p  536.  — J  .  de  Morgan,  liech. 
s.  les  oriy.  de  l'Egypte,  1896).  Pépi  I"  (Vp) 
(Cf.  G.  Maspero,  Hisl.  anc.  des  peuples  de  l'Or., 
V*  éd.,  1893,  p.  81)  envoya  son  ministre  Ouni 


L'EXPANSION    SKMITIOUE 


245 


jusqu'au  jour  où,  les  armées  égyptiennes  se  trouvant  écrasées 
par  un  (lot  humain,  la  vallée  du  Nil  fut  envahie. 

On  a  pr(''teu(lu  que,  sur  la  fin  de  ses  jours,  Sargon  aurait  péné- 
tré dans  la  presqu'île  du  Sinaï  (Magan),  rappelé  par  des  révoltes, 
et  qu'il  y  auiait  renversé  Kastouhila,  roi  de  Kazalla  (1). 

Si  les  Sumc'ro-Akkadieus  s'élaieul  avancés  jusqu'au  Sinaï,  ce 
n'est  pas  un  roi  indigène  qu'ils  y  auraient  rencontré,  mais  bien  les 
garnisons  égyptiennes.  De  plus,  comment  le  Sinaï  aurait-il  pu  se 
révolter  contre  Sargon  alors  (piil  appartenait  à  l'Egypte  ?  Ces 
deux  invraisemblances  eussent  dû  suffire  pour  faire  écarter  l'iden- 
tification du  pays  de  Magan  avec  le  Sinaï. 

M'appuyaut  sur  un  grand  nombre  de  textes  anciens  et  sur  des 
considérations  tirées  de  la  géologie,  j'ai  prouvé  (21  que  le  pavs  de 
Magan  était  situé  sur  le  Khabour,  affluent  de  l'Euphrate.  C'est  donc 
sur  la  route  de  Syrie,  déjà  conquise,  que  le  roi  d'Agadé  alla  pré- 
cipiter du  trône  le  prince  révolté  Kastoubila,  et  non  dans  les 
montagnes  du  Sinaï. 

La  légende  met  au  compte  de  Sargon  l'Ancien  toutes  les  grandes 
améliorations  de  son  époque;  il  est  le  Menés  de  la  Chaldée.  Les 
traditions  et  les  vieux  écrits  sacerdotaux  furent  compilés,  traduits 
en  langue  sémitique  et  coordonnés,  les  augures,  les  ouvrages 
d'astronomie,  de  mathématique  (3),  de  médecine,  de  magie,  de 
législation  (/i),  rédigés  primitivement  en  sumérien,  furent  aussi 
traduits  et  commentés.  Un  autre  ouvrage  donnait  les  règles  des 
deux  grammaires  sumérienne  et  akkadienne.  Tous  ces  documents 
furent  réunis  dans  le  grand  temple  d'Ourouk  où,  quinze  cents 
ans    plus    tard,   Assourbanipal    les   fit    copier.    A    ces    travaux. 


soumettre  les  Anioii  et  les  Hiroii-Shaitou  de 
la  presfiu'ile  (Cf.  Maspero,  o/<.  cit..  p.  82  ; 
d'autres  tribus  au  pays  de  Tobi,  toujours  dans 
le  Sinaï  (Cf.  Maspéko,  Zeilschrijl,  1888,  p.  6i). 
furent  également  vaincues  par  une  expédition 
marilime.  MirinrijVP)  (cf.  E.de  Rougé,  liech. 
sur  les  monum.,  p.  80  sq.  -  Erman,  Comm.  z. 
inschr.  d.  Una.,  in  Zeilschr.,  188-2,  pp.  1-29.  — 
Lkpsil-s,  Denkm,  II,  pi.  116  a.),  Entouf  IV  (XI") 
(cf.  BiRCH,  T'ap.  Ahholt,  p.  11-12.)  Les  souve- 
rains de  la  XII'  dynastie  restaurent  la  ligne 
de  forts  construite  sous  l'ancien  empire  et 
reliant  la  mer  Rouge  à  la  Méditerranée,  la 
muraille  qui  barrait  l'entrée  du  Ouadi  Tou- 
milat  (cf.  Chabas,  tes  Pnpi/rus  hiérnliques  de 
Berlin,  pp.  38-31».  81-82,  91)' e\,  défont  les  Slia- 
sou  et  les  Menlou  (Cf.  .1.  de  Morgan, /•ou///e.s 
à  Diihc/iour,  peclorau.\  royau.x). 

(1)  G.    Maspero,  Uisl.   anc.    des  peuples  de 
rOrienl,  V'  édit.  p.  158. 


(-2;  Cf.  Méin.  de  la  Déléy.  en  Perse,  t.  I,  1900; 
Recherches  archéologiques,  p.   3i,  sq. 

(3i  Dès  l'époque  de  Sargon  l'Ancien  et  de 
Naràrn  Sin,  les  connaissances  mathématiques 
en  Chaldée  permettaient  de  relever  des  plans 
exacts.  (Cf.  F.  Tuureau-Dangin,  Un  cadastre 
chaldéen,  ds  Rev.  d'Assi/r.  et  d'Arch.  orientale, 
vol.  IV,  n°l.  1897,  pp.l3-'27.  —  IIeuzev, Comptes- 
rendus  Acad.  Inscr.,  t.  XXIV,  p.  128.) 

(4)  L'obélisque  de  Manichlousou,  découvert 
à  Suse  et  portant  un  long  litre  de  propriété, 
prouve  que  déjà  vers  3800  avant  notre  ère  les 
coutumes  relatives  à  la  propriété  étaient  co- 
diliées.  Il  est  permis  d'en  conclure  qu'à  cette 
époque,  déjà,  tous  les  rapports  des  hommes 
entre  eux  étaient  réglementés  par  des  lois. 
Ce  document  est  relatif  à  des  domaines  situés 
près  de  la  ville  de  Kich  en  Chaldée.  (Cf.  V. 
SciiEiL,  Mém.  Déléy.  se.  en  Perse,  t.  II,  textes 
élamiles  sémitiques.) 


246  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

attribués  à  Sargon,  il  convient  d'ajouter  de  nombreuses  cons- 
tructions de  temples  et  de  palais,  le  tracé  d'une  foule  de 
canaux. 

Certainement  cette  œuvre  ne  fut  ni  celle  d'un  jour  ni  celle  d'un 
seul  homme  (1);  mais  c'est  vers  cette  époque,  au  moment  de  la 
fondation  de  l'Empire,  que  s'accomplirent  ces  progrès  ;  qu'un 
pouvoir  central  fut  à  même  de  coordonner  les  connaissances  du 
passé,  et  d'en  faire  ce  tout  qui,  pendant  des  milliers  dannées, 
régit  la  Chaldée,  et  dont,  pour  bien  des  choses,  l'effet  se  fait  en- 
core sentir  de  nos  jours.    • 

Déjà  la  civilisation  égyptienne  était  alors  très  développée;  mais 
il  lui  manquait  l'ambition  des  conquêtes  et  l'organisation  militaire 
de  l'Asie.  Pendant  toute  la  durée  de  l'ancien  et  du  moyen  empire, 
elle  n'eut  qu'une  politique  extérieure  restreinte,  se  contenta  de 
naviguer  dans  la  mer  Egée  et  d'opérer  des  razzias  sur  le  haut  Nil  ; 
et  lorsqu'après  l'invasion  des  Hyksos,  elle  entra  sur  la  scène  du 
monde,  les  idées  sémitiques  de  domination  avaient  fait  leur  che- 
min, gagnant  l'Assyrie,  la  Phénicie,  la  Judée,  toute  l'Asie  anté- 
rieure. Avec  l'énorme  développement  qu'elle  possédait  à  tous  les 
points  de  vue,  l'Égyjjte  eût  été  la  maîtresse  incontestée  du  monde 
si  elle  avait  su  conquérir,  comme  les  Akkadiens,  les  Assyriens  et 
plus  tard  les  Perses. 

Fils  et  successeur  de  Sargon,  Naràm  Sin  (vers  3750  av.  J.-C.  [2]) 
continua  l'œuvre  de  son  père.  Sans  cesse  en  campagne,  il  parcou- 
rut la  Syrie,  le  pays  de  Magan,  s'avança  peut-être  jusqu'à  Diar- 
békir,  guerroya  dans  les  montagnes  et  visita  l'Elam  a(in  d  y 
afTermir  l'autorité  akkadienne. 

Le  seul  danger  pour  l'empire  était  celui  qui  devait  plus  tard 
sortir  de  l'Est;  car  là  se  développait,  à  l'abri  des  atteintes  chal- 
déennes,  une  puissante  civilisation  autochtone  qui,  s'aidant  des 
progrès  suméro-akkadiens  dont  elle  s'inspirait,  devenait  de  jour  en 
jour  plus  menaçante.  Mais,  contre  ce  danger,  la  Chaldée  ne  pouvait 
rien  militairement;  une  bonne  administration  intérieure,  une  poli- 
tique étrangère  judicieuse  eussent  seules  pu  écarter  d'elle  le  péril, 

(1)    Les    souverains    (suzerains)     les    plus  ds     Rev.    SéiniliqLie    janvier     1909,     p.     110. 

anciens  dont  les  noms  soient   parvenus  jus-  (2)  Nabonide  dit  avoir  fait  pratiquer  à  Sip- 

qu'à    nous  ont   régné  dans    l'ordre    suivant:  par  une  tranchée  de  18  coudées  de  profondeur 

1°  Charrou  oukini  ;  2°  Manichtousou;  3°  Ourou  pour  retrouver  la  pierre  de  fondation  du  teni- 

mououch  (lous  trois  rois  de  Kich)  ;  4°  Char-  pie  de  Chamach    placée  par  Naràm  Sin,  3200 

gani-charri   et    5°    son    fils,  Naràm    Sin,  rois  ans   avant   lui.    (Cf.  Schrader,  Keilinsch.  Di- 

d'Agadè   (V.   3750    av.    J.-C.)   Cf.  J.    Halévy  6//o;/î.,  IIL  2,  p.  102,  sq.}. 


L'EXPANSION    SI:MITI0LE  O'jT 

on   coiisei'vaiiL  à  l'empitc,  avec   sa  vitalilé  économique,  la  force 
de  résislcr  à  l'orùge. 

Entre  3750  et  2300  av.  J.-C,  époque  tic  la  réaction  an/anile, 
nous  ne  connaissons  que  peu  de  chose  des  événements  qui  pri- 
rent |)lace;  l'empire  continua  d'exister  sous  les  rois  de  la  j)re 
mière  dynastie  d'Our,  Our-Engour,  Doungi,  etc.  ;  mais  vivant  sur 
lui-même,  administrant  tant  bien  que  mal  son  avoir,  réprimant  de 
son  mieux  les  révoltes,  n'entreprenant  plus  de  contjuètes.  Il  sem- 
blerait (|ue  les  successeurs  de  Sargon  et  de  Naràm  Sin,  prolitanl 
■des  efforts  de  leurs  ancêtres,  fussent  lombes  dans  l'insouciance; 
que,  peu  à  peu,  cette  vaste  organisation  militaire,  se  désagrégeant, 
soit  devenue  si  faible  que  la  première  secousse  la  devait  renverser; 
que,  presque  tous  les  princes  féodaux  sétant  affranchis,  il  y 
eut  encore,  dans  bien  des  provinces,  retour  au  régime  des  Patésis 
indépendants.  N'en  a-t-il  pas  été  toujours  ainsi  des  grands  États 
orientaux  ?  n'ont-ils  pas  tous  péri  par  linsouciance  des  descen- 
dants de  leurs  créateurs  ? 

Sous  Narâm  Sin,  le  régime  était  toujours  féodal.  Le  roi  mar- 
chait en  personne  à  la  guerre  entouré  de  ses  neuf  vassaux.  Les 
armées  se  composaient,  en  dehors  des  troupes  d'Agadê,  des  con- 
tingents tirés  des  grands  fiefs,  dont  tous  les  chefs  n'étaient  pas  des 
Sémites,  loin  de  là  ;  mais,  par  crainte  ou  par  intérêt,  ils  obéissaient 
au  roi  et  le  secondaient  dans  ses  entreprises.  11  faisait  bon,  en 
effet,  de  guerroyer  avec  un  chef  aussi  puissant  et  de  recevoir  sa 
part  dans  les  dépouilles  des  vaincus. 

Cette  époque  est  celle  de  l'apogée  des  arts  en  Chaldée.  Aux 
grandes  conquêtes,  à  l'opulence,  correspondent  presque  toujours 
les  grandes  œuvres  de  goût.  Les  monuments  au  nom  de  Naràm  Sin, 
ceux  de  l'Empire,  sont  d'une  composition  et  d'une  exécution  remar- 
quables, supérieurs  même,  comme  conception,  à  ce  que  nous  a  laissé 
l'Egypte  ;  mais  cet  art  souple  et  majestueux  devait  entrer  rapide- 
ment en  décadence,  dans  un  milieu  où  les  préoccupations  maté- 
rielles dominaient  chaque  jour  de  plus  en  plus.  Quant  à  la  sculp- 
ture provinciale,  elle  avait  conservé  la  rudesse  archaïque. 

Pendant  ce  temps,  l'Egypte  poursuivant  sa  destinée,  se  dévelop- 
pait sur  elle-même  en  dehors  de  la  scène  du  monde.  Quelques 
troubles  intérieurs,  quelques  expéditions  contre  les  nomades  du 
Sinaï,  des  côtes  de  l'Erythrée,  quel(|ues  campagnes  au  sud  dans 
les  pays  des   nègres,  vinrent  seuls   troubler  l'harmonie   de  cette 


9/48 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


évolution  si  homogène  et  si  suivie.  Les  arts  se  développèrent  au 
point  d'enfanter  des  merveilles  dans  tous  les  genres,  œuvres  très 
spéciales  d'ailleurs,  d'un  style  qui,  pour  manquer  de   souplesse, 

n'est  pas  sans  une 
extrême  élégance. 
Le  sol  se  couvrit 
de  digues,  de  ca- 
naux, de  villes  et 
de  villages,  de  tem- 
ples et  de  palais; 
la  richesse  devint 
immense  en  es- 
claves, en  métaux, 
en  biens  de  toute 
nature;  la  popula- 
tion s'accrut  dans 
d'incroyables  pro- 
portions. 

Le  pouvoir  cen- 
tral avait  plusieurs 
fois  changé  de  siè- 
ge; de  Memphis  il 
était  remonté  dans 
la  Haute  -  Egypte, 
j)uis  il  redescendit 
vers  le  nord  avec 
la  Xil»- dynastie.  La 
Nubie  fut  conquise, 
tandis  que  du  côté 
de  ri\sie  les  Égyp- 
tiens ne  dépassè- 
rent pas  le  Sinaï, 
souvent  envahi  par 
les  nomades  asia- 
tiques ;  mais  que  les  Pharaons  gardaient  avec  vigilance.  Les 
souverains  pressentaient  que,  de  l'Asie,  viendraient  un  jour  des 
hordes   barbares  portant  la  ruine  sous  leurs  pas. 


La  Nubie  au  temps  de  l'Empire  égyptien  (1). 


(1)  D'après  G.  Maspero,  Ilist.  anc.  des  peuples  de  lOrienl  classique,  l.  I,  p.   177. 


L'EXPANSION    SKMITIOUE  '2!i9 

Ceitainemciil  rÉgyptc  se  tint  à  l'écart  pendant  les  quatorze  pre- 
mières dynasties  qui  la  gouvernèrent  ;  mais  il  ne  faudrait  pas  croire 
qu'elle  soit  demeurée  sans  communication  avec  l'Asie.  Le  chemin 
entre  l'Euphrate  et  la  vallée  du  Nil,  connu  de  toute  antiquité,  était 
sans  cesse  parcouru  par  les  caravanes,  et  les  Pharaons  n'étaient 
pas  sans  savoir  ce  qui  se  passait  en  Chaldée  ;  peut-être  même  les 
marchés  du  Delta  recevaient-ils  bien  des  produits  asiatiques  (1). 
Avec  les  peuples  de  la  Méditerranée,  les  relations  commerciales 
étaient  constantes;  y  doit-on  voir  la  source  des  quantités  énormes 
de  métal  que  renfermait  l'Egypte  dans  un  temps  où  elle  ne  possé- 
dait de  district  minier  que  sur  le  Haut-Nil  ?  Je  suis  porté  à  le 
croire. 

Les  vaisseaux  égyptiens,  dès  la  IV"  dynastie,  s'aventuraient 
déjà  dans  les  îles  de  la  mer  Egée,  alors  à  peine  peuplées  (2),  sur 
les  côtes  de  Candie,  où  les  Cretois  reçurent  de  la  vallée  du  Nil 
tous  les  principes  de  leur  civilisation,  en  Chypre,  pays  de  cuivre. 

Peu  après  l'époque  où  les  empereurs  chaldéens  fondaient  la 
bibliothèque  d'Ourouk,  les  Pharaons  encourageaient  les  lettres; 
quelques-uns  même,  dit-on,  composèrent  personnellement  des  ou- 
vrages. Dès  la  VI'' dynastie,  un  haut  fonctionnaire  porte  le  titre  de 
((  Gouverneur  de  la  Maison  des  livres».  C'est  qu'en  Egypte,  les 
moyens  de  fixer  la  pensée  étaient  autrement  aisés  que  jamais  ils 
ne  furent  en  Chaldée  ;  le  papyrus  permettait  d'écrire  comme  on 
le  fait  de  nos  jours  sur  papier,  et  son  usage  se  perd  dans  la  nuit 
des  temps.  Rapidement  l'écriture  hiéroglyphique  avait  produit  un 
système  plus  cursif,  l'hiératique  (3),  tandis  qu'en  Mésopotamie 
l'argile  seule  se  prêtait  à  recevoir  les  signes  (i  . 

De  quels  ouvrages  se  composaient  les  bibliothèques  de  l'ancien 

(1)  C'était  déjà  de  l'Asie  (XII«  dynastie)  qi:e  (3)  L'usage  de  l'écriture  liiératique  est  fort 
l'Egypte  tirait  les  esclaves,  les  parfums  dont  ancien,  on  en  connaît  des  exemples  dès  l'ancien 
elle  faisait  une  si  grande  consommation,  le  empire.  L'un  des  plus  beaux  manuscrits  en 
bois  et  les  essences  du  cèdre,  les  vases  émail-  cette  écriture  parvenus  jusqu'à  nous  est  le 
lés,  les  pierreries,  le  lapis  et  les  étoffes  bro-  Papyrus  Prisse  de  la  XI'  dynastie.  —  Dans 
dées  ou  teintes  dont  la  Chaldée  se  réserva  les  constructions  de  la  XII'  dynastie  à  Dali- 
le  monopole  jusqu'au  temps  des  Romains.  chour,  toutes  les  indications  techniques  ins- 
{G.  'M.KSPEno.Hist.  anc.  des  peuples  de  I  Orient,  crites  sur  les  matériaux  sont  en  caractères 
éd.  V,  ISy.S,  p.  101.)  hiératiques  et  non  en  hiéroglyphes.  La  dernière 

(2)  «  Les  Cyclades  n'ont  pas  été  habitées  à  de  ces  écritures  était  réservéeaux  inscriptions 
l'époque  néolithique,  ou  du  moins  quelques  et  aux  textes  religieux,  tandis  que  la  première 
familles  suffisaientpourexploiterlesgisements  était  courante  et  servait  à  toutes  les  transac- 
d'obsidienne  de  l'île  de  Milo  et  pour  approvi-  lions  privées. 

sionner  un  commerce  restreint.  L'usage  des  (4)  Si  les  Chaldéens  avaient  écrit  s-ur  par- 
couteaux  en  obsidienne  s'est  développé  à  chemin,  les  signes  ciméiformes  n'auraient  pas 
l'époque  énéolithique  et  s'est  perpétué  pen-  pris  naissance.  Ct  ne  fut  que  plus  tard  que 
dant  tout  l'âge  du  bronze.  »  R.  Dlssaud,  Bull.  l'introduction  de  laraméen  permit  d'abandon- 
elMém.  Soc.  Anlhrop.,  Paris,  1896,  p.  110.  ner  l'argile. 


250 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


Empire  égyptien  ?  Nous  l'ignorons  ;  mais  d'après  les  indications 
sommaires  parvenues  jusqu'à  nous,  il  est  à  croire  qu'elles  ren- 
fermaient   des  traités   de  médecine    (1),  de    sciences  mathémati- 


Écriture  hiératique. 

Première   page  du  Traité  de  Morale  du   prince   Phtah- 

Holpou  écrit  à   la  fin   de  la  V=  dynastie. 

ques  (2)  et  astronomiques,  peut-être  même  d'histoire  mais   sur- 
tout des  livres  religieux  (3)  et  philosophiques  {^). 

Ce  que    nous  connaissons  de  la  littérature  égy})tienne  montre 


à'    'i.]àXi^ 


Théorème  de  géométrie  d'après  le  papj  rus  mathématique  du  Musée  Britannique 

(XlX-'dyn.)  (5). 

un  peuple  rapportant  toutes  choses  à  la  divinité,  et  attachant  à  ses 
croyances  une  importance  telle  qu'elles  dominent  au  point  d'effacer 


(1)  Les  sciences  médicales,  si  toutefois  on 
peut  donner  le  nom  de  science  aux  pratiques 
usitées  chez  les  Égyptiens,  sont  aussi  ancien- 
nes que  la  royauté,  peut-être  plus  même.  Le 
premier  traité  connu  jus((u'à  ce  jour  est  attri- 
bué au  règne  de  Clu'ops,  les  autres  datent 
des  rois  Menkeri  'Cf.  G.  Ebers,  Pdpijros 
Ebers,  Leipzig,  1875;  Cn.\B.is,  Délenninalion 
d'une  date  certaine,  Paris,  1877),  IlousapaïU 
(Cf.  Brugsch,  Rec.  monum.  EijijpU,  l.  M, 
p.  101-1-20,  pi.  LXXXV-CVII.  -  Chab.^s,  Mel. 
Eiji/plol.,  1"  série,  pp.  55-79).  Ces  deu.x  traités 
e.xistaienl  encore  à  1  époque  romaine  (GAr.i.iEN, 
De  compos.  medic.  Sec.  (jen  ,  V)  et  ([ueUpies- 
uns  des  remèdes  qu'ils  indiquaient  font  au- 
jourd  hui  encore  partie  de  noire  pharmacopée. 
Comme  tout  en  Egypte,  la  médecine  avait 
pris  un  caractère  divin  et  le  médecin  qui 
s'écartait  des  prescriptions  sacrées  était  pas- 
sible de  mort  comme  assassin  (DionoiiE  de 
Sicile,  L  8-2).  On  conçoit  aisément  quel  genre 
de  progrès  dut  faire  celle  science,  en  dépen- 
dance de  la  religion,  pendant  la  durée  des 
temps  pharaoniques. 

(2)  Les  connaissances  mathématiques  en 
Egypte  remontent  à   la  plus  haute  antiquité, 


si  Mcius  en  jugeons  par  les  travau.x  exécutés 
dè>  la  IV''  dynastie.  Malheureusement  nous 
ne  possédons  rien  des  traités  primitifs  Le 
plus  ancien  document  mathématique  parvenu 
jusiju'à  nous  est  le  papyrus  Rliina,  du  Musée 
Brilannique.  (Cf.  A.  Eisenlohr,  Ein  mathema- 
lisches  Handbuch  der  Allen  JEgijpler,  i'èll.) 

CX]  Parmi  ces  livres,  il  en  était  de  contem- 
porains de  Menés  et  même  d'antérieurs.  Celui 
des  morts  remonte  à  l'antiquité  la  plus  recu- 
lée ;  le  chapitre  LXIV  fut,  dit-on,  découvert 
sous  Housaphaiti  ou  sous  Chéops.  Toutefois 
les  tombes  archaïques  de  Négadahetd'Abydos 
n'en  renfermaient  aucun  fragment. 

(4)  I-a  philosophie  est  aussi  ancienne  que 
l'Egypte.  Le  plus  ancien  traité  connu  {Papijrux 
Prisse,  Bibl.  nat.  de  Paris),  écrit  au  début  de 
la  XII'  dynastie,  renferme  deux  ouvrages  :  l'un 
composé  sousla  IIP  dynastie  (Snéfrou), l'autre 
sous  la  V''  par  Ptahhotpou,  fils  d'un  des  rois 
de  cette  époque.  (Cf.  Ciiabas,  Pieu.  Archéol., 
1=  série,  t.  XIV,  p.  1,  sq.) 

(5)  Cf.  EisENLOiin,  Ein  niathematisches  Hand- 
buch der  Allen  y'Egypter  (Papyrus  Rind  des 
British  Ihiseum),  1877. 


LEXPANSIOX    SÉMITIOUE  251 

presque  les  autres  sujels.  L'honmie  songeait,  toute  sa  vie  duraiil, 
à  se  construire  un  tombeau,  ne  niédilait  que   sur   la  survivance. 

La  vallée  du  Nil  a  fourni  une  innombrable  quantité  de  textes 
écrits  sur  pierre,  sur  bois,  sur  papyrus,  e  til  en  est  bien  peu  qui 
présentent  un  caractère  profane.  Les  indications  historiques,  géné- 
ralement perdues  dans  l'encombrement  des  formules  rituelles, 
sont  souvent  bien  vagues  et  difficiles  à  retrouver.  C'est  que  la 
croyance  à  la  vie  future  absorbait  l'Kgyptien  au  point  de  lui  faire 
négliger  niill<^  choses  de  la  vie  sur  terre  ;  que  son  histoire  même 
avait  pour  lui  moins  d'attrait  que  ses  espérances  d'outre-tombe,  et 
que  les  prétreslentretenaient  dans  cetétat  d'esj)rit  afindeconserver 
sur  lui  un  ascendant  absolu  (1).  Tant  que  l'Egypte  vécut  en  dehors 
du  monde,  tant  cju'elle  n'eut  pas  senti  le  besoin  de  luller  pour 
l'existence,  l'idéalisme  fut  le  seul  mobile  de 
tous  ses  actes  privés  et   publics.  Elle  n'était  ^  ^^^    ^ 

pas  un  royaume  de  la  terre.  t/  ">    -^   ^ 

En   Chaldée,    au    contraire,    les    Sémites  /T'  '^   !t\    al 

moins  croyants,  plus  positifs,  plus  orgueil-  1J2    1,1\  ^  ^ 

leux,  plus  ambitieux  des  biens  de  ce  monde,  J^  ^^^^^  i* 
ont  sude  bonne  heure,  tout  en  rendant  hom-  ^it''^^  >C  /.i 
mage  à  leurs  divinités,  séparer  les  faits  des  iX  ^TT  t\  "^ 

formules,  étudier  les  sciences  sans  y  mélan-  «tC     ^    \}  ^ 

ger  les  dieux,  narrer  les  hauts  faits,  rédiger         ^^    ^  '^  u 
des  lois  en  les  déofag-eant  des   idées   et  des  5*     â     iZ  % 

formules  religieuses.  p^jA   tu-r   ~y 

Ces  deux  états  d'esprit  s'expliquent  aisé-  JY  ^r\   ^  ^^'i 

ment  par  la  nature  même   des    lieux  où    vi-  "^ 

vaient  les  deux  peuples,  par  leur  éducation.  Fragment  du  manusnit 
T  .,%  .•  .  .  1       r.^      .     <     c   •  hiératifiue    de    Sineli 

L  Egyptien  n  ayant  pas  grand  efïort  a  faire         ;papy,us  de  Berlin;  de 

pour  conserver  son  patrimoine,  protégé  qu'il  la  Xll»  dynastie  (2). 
était  de  tous  côtés  par  des  déserts,  avait  tout 

loisir  de  se  livrer  aux  spéculations  iinaginatives  ;  le  calme  de 
la  nature  et  la  régularité  de  la  vie  l'y  portaient,  de  même  que  ses 
dispositions  naturelles  et  ses  croyances  traditionnelles.  Tandis  que 
les  Sémites  ardents  à  la  con(|uête,  toujoui's  assoiffés  de  richesses 

(1)  Les  prêtres  qui  veillaient  sur  les  sépul-  of  DtbI.  ArcheoL,  t.  Vil,  p.  6,  sq.)  Ce  fui  une 

tures  étaient  gt'rants  des  biens   fin    tombeau  des  principales  causes  de  l'immense  richesse 

■que  l'Egyjjlien  donnait  de  son  vivant  par  con-  du  clergé. 

Irai  régulier  afin    d'assurer  après  sa  mort  le  (-2)  La  disposition  de  l'écriture  hiératique  en 

service  des  offrandes.  (Cf.  G.  Maspero,  Egypt.  colonnes    verticales  semble    cesser    avec    le 

docum.  relat.  to  the  dead,  in  Trans.  of  llieSoc.  moyen  Empire. 


252  Ll'^     PREMIERES     CIVII.ISATlttNS 

et  de  jouissances,  ayant  perpétuellement  à  lutter  contre  de  dan- 
gereux voisins,  envisageaient  la  vie  sous  un  jour  plus  réel.  Ils  fai- 
saient aux  dieux  leur  part  dans  leurs  inscriptions  triomphales,  au 
début  et  à  la  fin  des  textes;  mais  tout  le  cours  du  récit  conservait 
son  caractère  profane.  Dans  la  pratique,  ils  se  servaient  du  nom 
de  leur  divinité  pour  couvrir  leurs  iniquités;  car,  il  ne  faut  pas 
l'oublier,  les  dieux  n  ont  jamais  été,  surtout  entre  les  mains  des 
Sémites,  que  des  instruments  de  haines,  de  vengeances,  de 
rapines. 

Certainement  les  empereurs  chaldéens  durent  user  des  procédés 
que  nous  voyons  plus  tard  employés  par  1" Assyrie  où,  au  nom 
d'Assour,  se  commirent  tous  les  crimes  ;  mais  ils  étaient  tenus  à 
certains  ménagements  envers  le  vieux  fond  de  la  population,  assez 
nombreux  encore  pour  adoucir,  dans  une  certaine  mesure,  la 
cruauté  et  l'injustice  naturelle  de  ses  maîtres. 

Pendant  que  se  développait  l'Egypte  sous  ses  premières  dynas- 
ties, que  s'établissait  la  ])répondérance  sémiticjue  dans  l'Asie  an- 
térieure, de  grands  mouvements  de  peuples  s'opéraient  dans  le 
Nord.  Les  Aryens,  fuyant  devant  le  froid,  avaient  depuis  longtemps 
([uitté  leur  patrie  originelle  et,  lentement,  s'étaient  avancés  vers 
l'ouest  et  le  sud.  Les  plaines  de  la  Transcaspienne,  celles  de  la 
Russie  étaient  déjà  occupées,  peut-éti"e  même  les  avant-coureurs 
sétaient-ils  avancés  déjà  jusqu'en  Europe  centrale.  En  Extrême- 
Orient  des  migrations  analogues,  mais  plus  confuses  encore  pour 
notre  esprit,  jetaient  les  bases  de  ce  qui  fut  plus  tard  l'Empire 
chinois.  Les  hordes  tartares  et  turques  prenaient  leurs  positions 
dans  la  Sibérie  et  l'Altaï,  pa^s  abandonnés  par  les  Aryens. 

De  ces  mouvements,  nous  ne  connaissons  rien  de  précis  encore; 
mais  la  suite  de  l'histoire  les  fait  pressentir.  Ils  s'imposent,  et  si 
j'en  parle  en  traitant  du  quatrième  millénium,  c'est  que  bientôt 
nous  verrons  paraître,  dans  laire  historique,  les  premiers 
Aryens. 

Ces  hordes  du  Nord  n'étaient  point  encore  parvenues  jusqu'à 
la  mer  Méditerranée  où,  sous  l'influence  bienfaisante  des  naviga- 
teurs égyptiens,  les  vieilles  races  se  développèrent  et  acquirent, 
de  bonne  heure,  une  civilisation  digne  d'entrer  en  ligne  avec 
celle  de  leurs  maîtres. 

Ce  n'est  que  vers  la  IV''   dynastie    que    l'influence  égyptienne 
se    fit    sentir    en  Crète,  foyer  d'une    culture    intellectuelle    nais- 


LEXl'ANSION    SÉMITK  »l  E 


253 


saute  (1).  Auj)aravant,  jiis(|irà  la  III"  dynastie,  le  centre  du  pouvoir 
et  j)ar  suite  de  la  richesse  et  de  l'énergie,  se  trouvant,  en  Egypte, 
éloigné  de  la  mer  de  mille  kilomètres  environ,  le    nord  du  pays 
était  (jii('l(|ut>  peu  (Udaissé  et  ses  naviga- 
teurs, encore  barbares,  ne  s'aventuraient      ^\  ^^^-(•.-j-^ 
pas  loin  des  cotes.  I     l        i.1  ' 

Le  transj)orl  du  pouvoir  à  Memphis  ('2)  1 1  j  vi/.-^^  "^  M  1 1 
procura  la  richesse  et  la  force  aux  gens  ni  \  1^  ^  i  i  n 
du  délia.  Arrêtés  par  les  sables  et  les  no- 
mades pillards,  aussi  bien  du  côté  de 
l'Asie  que  de  celui  de  la  Lybie,  les  com- 
merçants s'élancèrent  sur  le  chemin  de 
la  mer  et,  dès  la  H"  dynastie,  nous  ren- 
controns des  traces  de  leur  passage. 

La  Crète  était  en  jadmirable  position 
pour  développer  la  culture  qui  lui  était 
enseignée  ;  entourée  d'eau  de  toutes  parts, 
elle  n'avait  à  redouter  que  la  piraterie, 
dont  ses  habiles  marins  la  protégeaient 
dès  les  temps  néolithiques.  Grande  assez 
pour  subvenir  à  ses  besoins  en  toutes 
choses,  elle  ne  l'était  pas  de  telle  sorte 
qu'il  s'y  put  développer  de  grands  pou- 
voirs absorbants.  Indemne  de  toute  inva- 
sion, elle  était  habitée  par  une  race  homogène  parente  de  celle  des 


-^'    r-,  "   I 
Y  /  4^ 

Inscriptions  Cretoises  sur 
argile,  découvertes  à 
H.  Triada  (3). 


(1)  R.  Dussaud  (BuU.  el  Mém.  Soc.  Anlhrop., 
Paris,  r.>06,  p.  112,  sq.)  ilonne,  d'après  M. 
Evans,  la  classification  chronologique  des 
anti(iiiilés  nouvellement  découvertes  en  Crète. 

1.  Minoeii  ancien  I.  —  Enéolithiqiie  que  IM. 
Evans  croit  contemporain  de  la  V'  dynastie 
égyptienne. 

i.  Minoen  ancien  II.  —  Vases  de  pierre, 
armes  de  bronze,  cachets,  figurines,  or  el  ar- 
gent, mobilier  présentant  de  grandes  analogies 
avec  celui  de  l'Egypte  à  la    IV«  dynastie. 

I.  Minoen  ancien  III.—  Objets  divers,  si- 
gnes ^pictographiques  d'un  type  primitif. 

II.  Minoen  moyen  I.  —  Plein  âge  du  bronze, 
polychromie  dans  la  céramique;  l'écriture  pic- 
tographique prend   la    forme   hiéroglyphique. 

il.  Minoen  moyen  II.  —  Premiers  palais  de 
Cnosse  et  de  Phaestos.  Belle  époque  des  va- 
ses de  Kamarés.  —  Xll»  dynastie.  Vingtième 
à  dix-neuvième  siècles. 

II.  Minoen  moyen  III.  —  Deu.ïièmes  palais 
de  Cnosse  et  de  Phaestos.  Premières  sculp- 
tures. Ecriture  linéaire  en  même  temps  (jue 
hiéroglyphique.  —  XIIP  dynastie. 

III.  Minoen    récent  I.    —   (Ilaghia  Triada.) 


Vases  en  stéatite  ornés  de  bas-reliefs.  Fres- 
ques très  habiles,  épées  de  bronze,  écriture 
linéaire,  encore  mélangée  de  linéiques  hiéro- 
glyphes. —  XVIIl^  dynastie  (xvii's.). 

ll\.  Minoen  récent  II.  -Traces  nombreuses 
d'influence  égyptienne.  Second  palais  rema- 
nié de  Cnosse.  Art  céramique  à  son  apogée.  — 
Deuxième  ville  de  Phylacopi  (Milo).  —  Ruines 
«le  Théra  (Santorin).  —  Tombes  à  fosses  de 
l'acropole    de    Mycènes.  —  XVIIP    dynastie. 

III.  Minoen  récent  III.  —  Mycénien.  L'hé- 
gémonie passe  sur  le  continent.  XVIII"  à 
XIX°  dynastie. 

IV.  Inrasion  Jorienne.  -  Apparition  du  fer, 
de  la  fibule,  de  l'incinéralion,  retour  de  la 
céramique  au  décor  géométrique. 

(-2)  Dès  les  débuts  de  la  royauté,  les  Pha- 
raons avaient  les  yeux  tournés  vers  le  delta, 
puisque  c'est  à  Menés  qu'on  attribue  la  fon- 
dation de  Memphis  ;  mais  cette  ville  ne  devait 
être,  au  début,  qu'im  simple  poste  militaire 
chargé  de  surveiller  la  route  d'.\sie  et  de  pro- 
téger la  vallée  du  Nil  en  la  Ijarrantà  son  entrée. 

(3)  Cf.  A.  Mosso,  G/(  .Scat'i  di  Cre/((,  Milano, 
p.  52,  fig.  29,  a,  b. 


Tôh 


LES   prp:mieres   civilisations 


iles  de  VÉgée,  des  terres  voisines  de  l'Europe  et  du  nord  de 
l'Afrique,  populations  possédant  des  tendances,  des  aptitudes  et 
des   besoins  analogues  aux  siens. 

Minos  est,  dit-on,  le  fondateur  de  cet  Etat  dont  le  développe- 


L'ile  de  Crète  dans  la  haute  antiquité. 

ment  fut  si  rapide  qfie,  dès  le  vingtième  siècle,  son  influence  régnait 
sur  la  majeure  partie  de  la  mer  Méditerranée. Commerçant  avec  tous 
les  pays  et  surtout  avec  l'Egypte,  chez  qui  elle  alla  puiser  des 
notions  artistiques,  la  Crète  sut  développer  chez  elle,  dans  une 
évolution  qui  lui  est  très  personnelle,  la  sculpture  (1),  l'architec- 
ture, la  peinture  à  fresques,  la  céramique  et  tous  les  autres  arts 
utiles. 

Libre  dans  son  progrès,  n'ayant  pas  à  restreindre,  par  des 
canons  religieux,  l'envolée  de  ses  conceptions,  elle  produisit  des 
œuvres  d'une  grâce  réaliste  parfaite,  que  seule  la  Grèce  de  labelle 
époque  devait  surpasser. 

Ce  peuple  Cretois  n'élait  ni  sémite,  ni  égyptien,  ni  aryen;  il 
appartenait  aux  vieilles  couches  de  la  population,  avait  du  sang  qua- 
ternaire dans  les  veines,  de  ce  même  sang  peut-être  que  les  pein- 
tres magdaléniens,  que  les  Berbères  de  l'Egypte  primitive,  que 
les  Sumériens  de  Chaldée  ;  mais  il  possédait  aussi  l'élément  prin- 
cipal du  progrès,  la  sécurité. 

Chypre,  également  visitée  par  les  Egyptiens,  était  peuplée  de 


II)  E.-li.  Ua\l  {The  decoralive  art  ofCrele  in  de    consulter    les    nombreuses     publications 

the  Bronze    Aije,    Philadelphie,  1907)  a   donné  parues  depuis  queltjues  années  sur  les  fouil- 

un  excellent    exposé    de  l'art  décoratif,  plus  les  en  Crète, 
spécialement  céramique.  Ce  travail   dispense 


LEXPANSION    SKMITIOUK  25^ 

congénères  des  Crélois,  mais  elle  était  trop  voisine  des  côtes^ 
d'Asie;  les  maîtres  du  continent,  en  la  visitant,  y  semèrent  la 
ruine  et  la  crainte.  Aussi  n  eul-elle  pas  le  loisir  de  se  développer 
à  l'égal  de  sa  nœuv  d'Occidcul. 

Ainsi  l'Egypte,  par  son  commerce,  avait  fait  naître  dans  la  Médi- 
terranée une  civilisation  raflinée  et  une  thalassocratie  puissante 
qui,  longtemps  avant  celle  de  la  Phénicie,  fut  maîtresse  des  mers. 

En  Asie,  l'Elam  avait  prospéré  en  dehors  du  monde  Méditei'- 
ranéen.  Il  n'avait  jamais  été  entièrement  soumis  aux  empereurs 
chaldéens;  si  quelques-unes  de  ses  villes,  telle  Suse,  obéissaient 
au  maître  d'Agadê,  les  Suméro-Akkadiens  n'avaient  d'autorité  que 
dans  la  plaine;  et  cette  j)laiue,  tiès  réduite  alors,  n'était  qu'une 
faible  partie  du  domaine  anzanite. 

La  mer  s'avançait  à  cette  époque  au  delà  du  Iniri-age  naturel  de- 
Nasseri-Ahwaz,  et,  en  amont  de  cette  ligne  d'îlols  rocheux,  étaient 
des  lagunes  et  des  marais  que  comblaient  peu  à  peu  les  apports  du 
Kâroun,  de  l'Ab-é-Diz  et  de  la  Kerkha.  Plus  loin  vers  le  Nord- 
Ouest,  la  mer  venait  baigner  les  collines  qui  séparent  aujourd'hui 
la  Kerkha  du  Tigre  et  le  pied  de  Kouh  Hamrîn  ;  en  sorte  que  la 
plaine  élamite  se  trouvait  réduite  à  une  longue  ])ande  de  terrain 
s'étendant  en  demi-cercle  au  pied  des  montagnes. 

Au  moment  où  les  Sémites,  venant  d'Arabie,  abordèrent  les 
côteschaldéennes,ilsdescendirent  également  dans  les  payssusiens, 
occupèrent  Dilmoun  (Bender  Dilem)  (1),  île  sableuse  située  au 
sud-est  de  l'Elam  et  tous  les  îlots  boueux  qui,  sortant  alors  des 
eaux,  font  aujourd'hui  partie  de  la  terre  ferme  (2). 

La  puissance  akkadienne  en  Elam  fut  probablement  longtemps 
disputée  parce  que  les  indigènes,  retirés  dans  les  vallées  du 
Poucht  è  Kouh,  du  Louristan  et  des  Baktyaris  {3},  étaient  toujours 
prêts  à  profiter  du  moindre  moment  de  faiblesse  des  conquérants; 
parce  que  les  montagnards  se  rendaient  insaisissables,  grâce  aux 
difficultés  naturelles  de  leur  pays  ;  enfin,  parce  qu'à  cette  époque 
la  Susiane  n'était  guère  attaquable  que  par  mer.  Dans  le  haut  pays,. 

(1)  C'est  à  tort  que  .1.  Oppert  a  placé  Dil-  ment  de  la  ville  arluelle  de  Bender-Bou- 
moun  dans  l'île  de  Bahrein;  ceUe  île,   aiijoiir-        chir. 

d'hui  réunie  au  continent,  étail  alors  située  à  (3)  Le  district   actuel  de    Mal-Emir,  sur  la 

quelques    kilomètres   de   la    côte.    (Cf.  .1.  de  route  de  Chousier  à  Ispalian,  était  une  princi- 

MoRGAN,    Mém.    de  la    Délég.    en  Perse,    t.    I,  pauté  élamite.    Elle  portail  le  nom  d'Aiapii-  : 

Rech.  archéol.)  on  y  voit  encore  des  ruines  el  plusieurs  stèles 

(2)  Lors  de  l'invasion  sémitique,  ces  pays  anzaniles.  (Cf.  V.  Scheil,  ds  Mém.  Déléij.  en- 
étaient  de  langue  anzanite.  Ils  furent  repris  Perse,  t.  IH,  1001,  p.  IWJ,  sq.  et  G.  Jéquieb, 
plus  tard  par  les  rois  susiens  et  Chilhak  in  Description  du  site  de  Malamir,  même  ou- 
Chouchinak  éleva  un    temple  sur  remplace-  vrage,  p.  133,  ^q-). 


256  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

les  Élamites  conservèrent  toujours  leur  indépendance.  Ils  avaient 
leurs  villes,  Madaktou  (J),  Khaïdalou  (2),  Naditou  (3),  Khamma- 
nou  (4),  etc.,où  le  vainqueur  ne  les  pouvait  atteindre.  Ces  villes 
gardèrent  toujours  le  titre  de  «  cités  royales  »,  même  au  temps 
de  la  splendeur  de  Suse,  de  l'indépendance  de  toute  la  nation. 

Comme  touteslesanciennes  monarchies, l'Elam  était  unroyaume 
féodal  divisé  en  principautés;  il  y  avait  les  Habardip,  les  Houssi, 
leNimé,  etc., obéissant  tous  au  roi  de  Suse;  et,  pendant  Toccupation 
akkadienne  de  la  plaine,  c'est  dans  leurs  cités  que  se  conserva  l'in- 
dépendance et  l'esprit  de  revanche. 

Entre  2300  et  2280  av.  J.-C.  (5),  profitant  de  la  faiblesse  des 
Sémites  et,  probablement  aussi,  de  dissensions  qui  troublaient 
l'empire,  un  roi  de  Suse,  Koudour-Nakhkhountè  I,  chassa  les  domi- 
nateurs de  l'Elam  et,  traversant  la  plaine  mamelonnée  qui  le 
sépare  de  la  vallée  du  Tigre,  pénétra  au  cœur  de  la  Chaldée,  s'em- 
para d'Ourou,  de  Babylone,  de  presque  toutes  les  villes  du  pays 
des  deux  fleuves  et  renversa  l'Empire  chaldéen(6).  Une  dynastie 
indigène  survécut  cependant  dans  la  ville  d'isin,  tandis  que  les 
Élamites  avaient  installé  leur  nouveau  centre  politique  à  Larsam. 

Le  peuple  d'Élam,  se  vengeant  de  sa  longue  servitude,  dévasta 
le  pays  de  ses  anciens  maîtres  ;  Suse  regorgea  des  trésors  des 
Choumirs  et  des  Akkads;  il  rapporta  dans  sa  ville  comme  tro- 
phées de  ses  victoires,  les  dieux  au  nom  de  qui  la  Chaldée  l'avait 
opprimé. 

Certainement  la  réaction  fut  dune  violence  extrême,  car  bien 
des  peuples  s  enfuirent  devant  les  armées  anzanites.  Ce  furent 
les  adorateurs  dAssour,  qui  gagnèrent  le  Nord  en  remontant  la 
vallée  du  Tigre,  les  habitants  des  bords  de  la  mer,  des  îles  de 
Sour,  Arad,  Dilmoun  qui,  émigrés  sur  les  côtes  de  Syrie,  devinrent 


(1)  Probablement  Derrè  i  Chahr,  dans  la  Nanâ  qui  avait  été  enlevée  de  la  ville  d'On- 
moyenne  vallée  de  la  Kerkha  (Seïn-Merrè).  rou  1.635  ans  auparavant  par  Koudour  Nakh- 
(Cf.  J.  DE   Morgan,   Mission  scienlif.  en  Perse,  khounlé  l'Ancien. 

t.  IV,  1"  partie,  Rech.  archéol.,  p.  2-29,  et  carte  (0)  Peut-être  devons-nous  attribuer  à  l'époque 

de  l'Elam.)  de    Koudour  Nakhkhounlé    l'Ancien  la  série 

(2)  Probablement  Khorremûbâd  dans  le  de  tablettes  proto-anzaiiites  découverte  à  Suse 
Louristan.  (Cf.  J.  de  Morgan,  op.  cit.,  p.-228. )  et  publiée  par  V.  Scheil  (Cf.  Mém.  de  la  Délé- 

(3)  Cf.  J.  DE  Morgan,  op.  cit.,  t.  IV,  1"  par-  galion  en  Perse,  t.  VI,  1905,  p.  59,  sq.);  la  pro- 
tie,  p.  230.  fondeur  à  laquelle  ces  tablettes  ont  été  Irou- 

(4)  Cf.  id..  p.  228.  vées  (15  mèlres)  légitimerait  cette  supposition, 

(5)  Cette  date  nous  est  fournie  d'une  ma-  d'autant  mieu.x  que  le  caractère  ciim])table 
nière  certaine  par  un  te.xte  d'Assourbanipal  des  textes  qu'elles  portent  en  faisait  des  do- 
(Cf.  G.  Smith,  Hisl.  of  Assurbanipal,  p.  251^  cuments  d'usage  passager  ;  on  n'avait  aucun 
où  il  est  dit  que  ce  souverain,  lors  du  sac  de  intérêt  à  les  conserver  toujours  dans  les 
la  ville  de  Suse  en  645  av.  J.-C.,  enleva  pour  archives  ou  la  bibliothèque  des  rois  su- 
la  rapporter  en  Chaldée  la  statue  de  la  déesse  siens. 


LEXPAXSION    SÉMITIOUK  257 

les  Phéniciens  ;  enfin  les  Ghananéens  et  autres  tribus  cantonnées 
dans  le  bas  Euphrate,  qui  remontèrent  le  fleuve,  grossissant  leur 
noniljre  des  peuplades  rencontrées  sur  leur  chemin. 

La  tradition  veut  que  les  Elamites,  vainqueurs,  aient  étendu 
leur  domination  jus({u'à  la  Syrie  ;  peut-être  j)Oursuivirent-ils  les 
fuyards  juscju'à  la  mer  du  Soleil  couchant  ;  toujours  est-il  que 
la  Cœlesyrie  et  la  Palestine  furent  envahies  par  des  populations 
trop  nombreuses  pour  qu'elles  fussent  à  même  de  trouver  dans 
cette  région  la  satisfaction  de  leurs  besoins. 

Là,  certainement,  est  l'origine  de  Tinvasion  des  pasteurs  en 
Egypte.  L'établissement  des  envahisseurs  dans  le  delta,  la  route 
quils  suivirent  pour  y  parvenir,  leur  nature  ethni([ue  montrent 
que  le  flot  venait,  non  des  déserts  du  sud  ou  du  sud-ouest  de 
l'Arabie,  mais  bien  de  la  Syrie  où  lavait  jeté  une  pression  que- 
seule  la  conquête  élamite  était  à  même  d'exercer  à  cette  époque.. 

L'invasion  de  TEgypte  ne  se  produisit  pas  de  suite  après  l'émi- 
gration de  Chaldée.  Les  peuples  nouveaux  venus  dans  la  Cœlesy- 
rie, la  Palestine  et  la  Phénicie,  cherchèrent  probablement  à  s'éta- 
blirdans  ces  pays  ;  mais  ce  surcroît  dépopulation  ne  trouvant  pas 
la  place  d'y  vivre,  et,  peut-être  aussi,  poussé  par  des  événements 
que  nous  ignorons  encore,  s'écoula  vers  le  sud. 

On  a  pensé  trouver  la  cause  du  départ  d'Asie  des  Hyksos  (1) 
dans  de  grandes  éruptions  volcaniques  qui,  ayant  eu  lieu  dans 
l'Arabie  centrale,  auraient  rendu  inhabitable  une  partie  de  la 
péninsule  ;  mais  la  position  même  que  les  massifs  volcaniques 
occupent  en  Arabie  exclut  cette  hypothèse. 

En  effet,  ces  chaînes  sont  situées  sur  les  rives  de  la  mer  Rouge 
et  de  l'océan  Indien.  Il  s'ensuit  que  leurs  éruptions  auraient 
causé  des  migrations  par  mer  et  non  par  terre  ;  que  les  émigrants 
auraient  abordé  la  côte  érythréenne  de  l'Egypte  et  non  la  pénin- 
sule sinaïtique  et  le  delta  ;  enfin  que  la  Chaldée  ne  serait  pas  restée 
indemne  d'une  nouvelle  invasion  sémitique,  et  que  les  tribus  pré- 
phéniciennes du  golfe  Persique  n'auraient  pas  été  chassées  de 
leur  pays,  de  même  que  les  Chananéens  de  l'Euphrate,  par  un 
cataclysme  se  passant  au  loin  dans  l'Arabie. 

Lorsque  le  flot  des  llyksosse  présenta  vers  l'isthme  de  Suez,  la 

(1)  Les  Égyptiens,  confondant  les  pasteurs  Shasou,  le  roi  des  Shasou,  au  pluriel  Hiqou- 

avec  les  nomades  qu  ils  étaient  accoutumés  à  Shosou  dont  les    Grecs  ont  fait  llyksos.  (Cf. 

combattre  sur    leur    frontière    asiatique,    les  G.  Maspero,  Ilisl.  anc.  des  peuples  de  l  Orient . 

avaient  nommés  Shasou,  et  leur  prince,  Iliq-  V  éd.,  1893,  p.  161,  note  2.) 

17 


258  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

science  de  la  guerre  (1)  était  bien  plus  développée  chez  les  Clial- 
déens  que  chez  les  Égyptiens,  et  la  race  sémitique,  bien  j)lus  ar- 
dente à  s'emparer  du  bien  dautrui,  voyait  ses  appétits  surexcités 
encore  par  les  privations  sans  nombre  qu'elle  avait  dû  supporter 
dans  son  long  voyage  au  travers  des  pays  pauvres.  Aussi  les 
États  du  Pharaon  furent-ils  pour  l'envahisseur  une  proie  facile,  en 
même  temps  qu'indispensable  à  l'existence  de  ces  hordes. 

Après  avoir  remonté  le  cours  de  lEuphrate,  les  pasteurs  eus- 
sent aussi  bien  pu  se  tourner  vers  le  Nord  plutôt  que  vers  le 
Midi;  mais,  sur  le  haut  fleuve,  dans  les  gorges  de  l'Amanus  et 
du  Taurus,  ils  eussent  rencontré  des  peuples  pauvres,  forts  et 
belliqueux,  qui  les  auraient  arrêtés. 

D'autre  part.  l'Egypte  enrichie  par  des  milliers  d'années  de 
paix,  encore  inviolée,  excitait  bien  plus  les  convoitises  que  tout 
autre  pavs.  Memphis  exerçait  sur  ces  bandes  la  même  fascination 
que  causèrent  plus  tard  Rome  et  Constantinople  sur  les  barbares. 

Il  est  à  remarquer  que  jamais  les  invasions  sémitiques  n'abor- 
dèrent, dans  un  esprit  de  conquête,  les  grands  massifs  montagneux; 
et  que,  si  quelques  expéditions  s'y  aventurèrent  parfois,  ce  ne  fut 
que  pour  piller  ou  par  mesure  de  protection.  La  Chaldée  ne  j)ut 
écraser  l'Élam,  TiVssyrie  laissa  subsister  TOurarthou  ;  si  elle  fran- 
chit les  chaînes  kurdes,  ce  ne  fut  (jue  pour  opérer  des  razzias  sur 
le  plateau  iranien.  Le  Sénùte  s'est  toujours  montré  homme  de  la 
plaine  (2);  l'I^gvptc  répondait  donc  à  ses  aptitudes  sous  ce  rap])()rt. 


(1)  Parmi  les  ressourcCb  militaires  spéciales  lii.fl.  unli(i.,    p   -202.  —  Max  Mulleu,    Biogr.  of 

aux  populations  de   l'Asie  se  trouvait  l'usage  Wordx.  p.  lit;.)  C.-F.  Kiel  (.Ua;i  of  bibl.  Arch  , 

du  cheval,  dont  l'emploi  semble  être  r.é  quel-  II,  219)    dit   qu'au    temps   de    Salomon  (vers 

que  part   dans    les   pays    situés   au  nord    de  lan    lOOO  av.    J.-C.)  les    rois    et   la  noblesse 

l'Asie  antérieure,  bien   plutôt  qu'en  Extrême-  montaient  des  clievaux  au    lieu  de    mules  el 

Orient    ou    dans  les    steppes    de    Sibérie.    Il  d'ànes  (2, /îo/.s,  IX,  21,  23  ;  XI,  16;  /sai'e,  XXX, 

semble  que,  bien  qu'avant   vécu  à  l'étal   sau-  li',  :  .Im.,  IV,  10).  Mais  cet  usage  était  déjà  à 

vage  dans  tout  le  monde  occidental,   le  che-  cette  époque  connu  depuis  des  siècles  ;  car  il 

val  ne  devinl.un  auxiliairedelhomme  que  très  existait  des  chevaux  en  Egypte  au  temps  de 

tardivement.  En  Chine,  dans  les  anciens  temp.-;,  Jacob,  à  l'époque  des  Hyksos  (Ge«.,  XLVII,17; 

le  cheval n'étaitpas  monté.  Cet  usage  apparaît  Exud.,  IX,  3;   Deul.    XVII,  16).  Dès  le  temps 

vers  la  fin  de  la  dynastie  Chi'Ju  (Liu  hiuen).  La  de  Thothmes  1»%   on    les  voit  figurer  sur   les 

cavalerie  fut,  pour  la  première  fois  en  Chine,  monuments. 

employée  à  la  guerre  à  l'époque  de  Su  Tsin,  (2i  Plus    tard,    l'invasion    musulmane   n'oc- 

c'est-à-dire  vers  350  av.  .f.-C.   Cf.  Terrien  de  cupa  ni  l'Iran,  ni  les  massifs  de  l'Arménie  et 

L\CouPERiE,    The   oldest  book  of  Ihe  Chinese,  du   Taura*.  En    Perse,  la    population   devint 

The   Yh-Kiiuj,  vol.     I,    Ilistory   and    Method,  musulmane;   mais    aucune   colonie  sémitique 

London,  1892,  p.  xviii,  note  5.)'—  A  la  bataille  ne  s'y  fixa.  Le    Taurus  et  l'Asie  Mineure   ne 

de  Marathon  (190  av.  J.-C),  les  Perses  firent  changèrent  de    religion    qu'avec    la   conquête 

usage    de    cavalerie,    mais     non    les   Grecs.  turque.  En  Espagne,  pays  montagneux,  l'élé- 

L'équitation,  à    l'époque    d'Homère   {Odiissée,  ment  arabe,    quoique   gouvernant,    fut     tou- 

V,  371;  Iltinde,  X,  513;  XV,  6791,  n'était  pas  en-  jours  très  peu  nombreux  ;  il  en  fut    de  même 

core  complètement    entrée    dans  les    usages.  en  .\lgérie.  au   Maroc,  où  les  indigènes    em- 

II  en  était  de  même  aux  Indes  à  l'époque  vé-  brassèrent  l'Islam.    Il  ne  faut  pas  confondre 

dique  (/?/<;.,    V,  Gl-2).  (Cf.  O.   Scnn.^DER,  P;-e-  dans  les   Arabes  tous  les  musulmans. 


L'EXPANSION     SI-MITIQLE  259 

Le  moment  était  craillcurs  propice  pour  envahir  la  terre  du 
Nil,  l'anarchie  y  régnait  en  maîtresse.  Depuis  la  XIP  dynastie,  le 
pouvoir  royal  s'était  aflaibli  au  point  que  la  XIV"  n'avait  plus 
guère  de  puissance  ([ue  dans  le  Deltad, autour  de  la  ville  de  Xoïs, 
dont  elle  avait  fait  sa  capitale.  Partout  ailleurs,  les  princes  révol- 
tés s'étaient  déclarés  indépendants,  luttaient  entre  eux  ou  contre 
les  restes  du  pouvoir  royal. 

La  faiblesse  des  souverains,  l'excès  des  richesses  résultant  de 
la  bonne  administration  des  Ousertesen  et  des  Amenemhat,  para- 
lysaient les  forces  pharaoniques  quand  le  flot  des  llyksos  se  pré- 
senta aux  portes  du  Delta. 

«  Il  nous  vint  un  roi  nommé  Timaeos,  dit  Manéthon  (1);  sous 
€6  roi  donc,  je  ne  sais  pourquoi.  Dieu  souffla  contre  nous  un  vent 
défavorable  ;  et,  contre  toute  vraisemblance,  des  parties  de 
l'Orient,  des  gens  de  race  ignoble,  venant  à  limproviste,  envahi- 
rent le  pays  et  le  subjuguèrent  facilement  et  sans  combat.  » 

Quelle  orgie  pour  ces  «  hommes  ignobles  »,  pour  ces  nomades 
pauvres,  cupides,  sensuels  et  cruels  !  L'Egypte  connut  toutes  les 
horreurs.  Et  quel  afl'reux  réveil  pour  les  paisibles  populations 
■de  la  vallée  du  Nil  que  l'arrivée  de  -ces  hordes  féroces  !  Le  patri- 
moine des  aïeux  mis  à  feu  et  à  sang,  ses  villes  incendiées,  ses 
temples  détruits  et  ses  habitants,  ceux  qui  échappèrent  au  car- 
nage, réduits  en  esclavage. 

Les  sépultures  des  rois  violées  (2),  le  llyksos  s'empara  des 
immenses  trésors  qu'elles  renfermaient.  Elles  furent  systémati- 
quement exploitées,  au  moyen  e  galeries  de  mines,  quand  les 
entrées  ne  purent  être  découvertes,  quand  les  prêtres  se  refusè- 
rent à  livrer  leurs  secrets. 

A  peine  quelques  sépultures  princières  échappèrent-elles  au 
pillage,  entre  autres  celles  de  la  Xll^  dynastie  que  j'ai  retrouvées 
dans  la  nécropole  memphite(3);  et  l'on  peut  juger  par  les  trésors 


(1)  Manétiiox,  édit.  Unger,  p.  liO.  dans   l'inUTieur    delà    pyramide    d'Ouscrlc- 

(-2)  Il  est  impossible    datlril)uer   à  d'autres  sen  III, ne  sonl  pas  l'œuvre  d'Egyptiens,  mais 

rju'aux   pasteurs  la  violation    des    sépultures  bien  d'étrangers.  (J.  M.) 

royales  et  princières  de  l'ancien  et  du   moyen  (3>Cf.  J.    de    Morgan,  Fouilles  à  Dahchour, 

Empire  dans    la    nécropole     memphite  ;    car  in-4,  2   vol.  1902-3.    Les  trésors  de  cinq   prin- 

l'ouverture  de  ces  tombeaux    exigea  des  Ira-  cesses   renfermaient    plus     de    ;0    kilogram- 

vaux  longs  et  importants  qui  ne  purent    être  mes   d'or  et   on    peut  évaluer  à    plus    de  10) 

faits  que  de  connivence  avec  le  gouvernement  kilogrammes,  au  moins,  ce  ([ue  renfermait  cha- 

dans  un  temps  où  les  prêtres  n'avaient  plus  cune  des  pyramides  royales  de  la  Xll''  dynas- 

le  pouvoir  de  proléger  les  monuments  confiés  tie.   On   com^oit   avec   quel    acharnement  les 

à  leurs  soins.  D'autre  part,  les   dessins  gros-  pasteurs  altatiuèrent  ces  monuments  pour  le» 

siers  tracés  par  les  ouvriers  sur  les  murs,  violer. 


260  LES    PREMIÈRES    CIMLISATIONS 

qu'elles  renfermaient  de  la  richesse  et  du  luxe  qui  régnaient  en 
Egypte,  lors  de  l'arrivée  des  Asiatiques. 

Dans  les  pyramides  royales  que  j'ai  ouvertes,  tout  avait  été 
enlevé,  jusqu'aux  cercueils  de  bois  lamés  d'or  et,  en  se  retirant 
avec  leur  butin,  les  pillards  avaient  tracé,  sur  les  murs  blancs  des 
cryptes,  des  caricatures  (l)  qui,  par  leur  facture,  décèlent  des 
mains  étrangères. 

Ce  qui  restait  de  Memphis('2)  fut  choisi  par  les  Hyksos  comme 
centre  de  la  nouvelle  royauté  ;  mais  les  forces  militaires  étaient 
concentrées  à  Avaris  (3),  dans  le  Delta.  Là  fut  élaljli  un  vaste  camp 
retranché  capable  de  contenir  2/iO.OOO  hommes,  tous  Asiatiques. 
C'est  d'Avaris  que  les  rois  pasteurs  exploitèrent  ce  qui  restait  de 
la    malheureuse   Egypte. 

L'invasion  avait  été  dès  longtemps  précédée  par  la  venue  paci- 
fique d'un  grand  nombre  d'hommes  d'Asie,  arrivant  par  petits 
groupes,  s'établissant  comme  commerçants  et  prospérant  sous  le 
régime  juste  et  doux  des  Pharaons  ;  tolérés  sans  méfiance, ils  de- 
vinrent bientôt,  par  leur  nombre,  un  élément  important  et  dange- 
reux. Lors  de  l'arrivée  des  Hyksos,  ces  étrangers  se  groupèrent 
autour  des  nouveaux  maîtres  de  leur  sang;  peut-être  même  les 
avaient-ils  attirés  et  facilitèrent-ils  singulièrement  l'écrasement 
de  l'Egypte,  qui,  pendant  si  longtemps,  les  avait  nourris. 

Toutefois  les  rois  pasteurs  n'avaient  pas  d'un  seul  coup  para- 
chevé leur  œuvre;  ils  s'étaient  substitués  aux  Pharaons  de  la 
XIV  dynastie  dans  leur  Etat,  mais  avaient  aussi  hérité  de 
l'hostilité  des  princes  de  la  Haute-Egypte.  Fuyant  devant  eux, 
une  partie  de  la  population  du  Nord  remontée  vers  le  Sud 
venait  renforcer  la  résistance.  Il  fallut,  dit-on,  deux  siècles  pour 
l'abattre.  Enfin  depuis  Syène  jusqu'à  la  Méditerranée,  toute  la 
vallée  du  Nil,  ravagée,  obéit  aux  nouveaux  maîtres  (/i). 


(1)  Cf.  DE  Morgan,  Fouilles  à  Dahchour,  1903,  J'ai  visité  les  ruines  en  1895.  (J.  M.)  (Cf.  Fouilles 
fig.  137  à  140.  de  Mnrielle,  Musée  du  Caire.) 

(2)  Dans  mes  fouilles  de  isg'î,  à  Mil-Ralii-  (4)  La  période  de  600  ans,  consacrée  au.x 
neh,  j'ai  retrouvé,  sous  les  dallages  du  temple  Hyksos  par  Manéthon,  semble  être  beaucoup 
ramesside  de  Phlah,  les  ruines  de  l'édifice  de  trop  longue.  L'historien  compte  250  ans  pour 
la  XII'  dynastie.  (J.  M.).  la  conquête,  200  ans  pour  l'occupation  du  pays 

(3)  Hàrouàrou  (Tanis),  ville  dont  les  ruines  et  150  ans  pour  la  guerre  d'indépendance.  On 
sont  situées  à  quelques  kilomètres  au  sud  du  convient  aujourd'hui  de  placer  au  cours  du 
lac  Menzaleh  ;  les  buttes  qui  les  composent,  vingtième  et  du  dix-neuvième  siècles  la  XI" 
rougies  par  un  formidable  incendie,  sont  en-  dynastie,  et  vers  le  di.\-septième  la  XVIIP 
combrées  d'obélisques  brisés,  de  fiagments  dynastie.  11  ne  resterait  donc  que  deux  ou  trois 
(le  statues  et  des  matériaux  de  grands  édifi-  siècles  au  plus  pour  répondre  aux  XIII»  et 
ces  en  granit.  On  voit  que  cette  ville  a  été  XIV'  dynasties,  à  l'invasion  des  pasteurs  (XV« 
détruite  avec  un  extraordinaire  acharnement.  et  XVI'  dyn.),  et  à  la  XVIP  dynastie  pharaoni- 


LEXPANSION    SKMITIOUE 


2(51 


Ce  fut  le  plus  grautl  pillage  de  ranliquilé  ;  il  eut  son  retentis- 
sement dans  le  monde  entier  d'alors.  Les  Asiatiques  se  présen- 
tèrent en  foule,  venant  sans  cesse,  par  la  voie  du  Sinaï,  pour 
prendre  leur  part  dans  cette  gigantesque  curée.  Les  uns  s'enrô- 
laient au  camp  d'Avaris,  les  autres  s'établissaient  dans  les  villes 
du  Delta,  afin  d'y  exercer  des  commerces,  devenus  très  lucratifs 
dans  ces  moments  troublés. 

Du  nombre  de  ces  derniers  était  une  tribu  chananéenne,  celle 
d'Israëlqui, issue  de  Clialdée(l)  en  même  temps  que  d'autres  nom- 
mées Ammon  et  Moab  (2),  se  serait  séparée  d'elles  et,  après 
de  longues  aventures,  les  laissant  en  Syrie, serait  entrée  en  Egypte. 

Cette  tribu  d'Israël,  nous  ignorerions  sa  venue  sur  la  terre  du 
Nil  si,  plus  tard,  elle  n'avait  joué  un  rôle  bien  supérieur  à  son 
importance  politique.  Comme  tous  les  autres  Asiaticjues,  elle  ne 
vint  qu'attirée  par  Fappàt  du  lucre  et  ne  mérite  de  considération 
spéciale  (3\  que  parce  que  nous  sommes  mieux  documentés  à  son 
sujet  que  sur  le  compte  des  autres  peuplades  ayant  j)ris  part  à 
ce  sfrand  mouvement. 

Les  Hyksos  importèrent  en  Egypte  les  principes  gouvernemen- 
taux de  l'Asie  ;  au  lieu  de  chercher  à  reconstituer  l'empire  de  la 
XII®  dynastie  avec  ses  nomes,  ils  se  créèrent  dans  le  Delta  un 
royaume  où  leur  autorité  était  directe.  Pour  la  haute  et  la 
moyenne  partie  du  pays,  ils  la  pillèrent  d'abord,  puis  soumirent 
au  tribut  les  princes  en  les  plaçant  sous  l'autorité  de  ceux  de 
Thèbes. 

C'était  le  caractère  propre  à  la  méthode  gouvernementale 
de   toutes  les    monarchies    asiatiques  ;    un    territoire  vaguement 


que;  ce  qui  semble  être  un  minimum  trop 
faible,  car  la  XIII'  el  la  XIV"-  dynasties  comp- 
tent 80  règnes,  les  Hyksos  81,  et  la  XII'  dy- 
nastie 43,  ce  qui  attribuerait  à  chaque  régne 
une  durée  maxima  d'un  an,  dix  mois  et  se|)t 
jours.  Or,  la  date  de  la  XVlIP  dynastie  semble 
certaine.  C'est  donc  celle  de  la  XII'  dynastie 
qu'il  faut  remonter.  D'autre  part,  la  date  de 
Koudour  Nakliounlé  l'Ancien,  -2300  ou  2280 
(G.  Smitu,  Hisl.  oj  Assurbanipal,  p.  251)  est 
certaine  etco'incide  avec  le  départ  des  Hyksos 
de  Chaldée.  Si  nous  ajoutons  à  cette  ilate 
les  600  ans  de  Manéthon,  nous  sommes  menés 
au  di.\-septième  siècle  pour  la  XVII' dynastie. 
Sans  compter  le  tem[)s  que  dura  le  vojagc 
des  pasteurs  entre  la  Chaldée  el  l'Egypte.  Or, 
nous  savons,  que  la  XVIIl'  dynastie  corres- 
pond au  seizième  siècle.  C'est  donc  100  à  ISOans 
au  moins  qu'il  faut  retrancher  de  l'évaluation 
des  prêtres  égyidiens. 
(1)  Abraham,   suivant   la    Bible,  serait  sorli 


d'Oiirou.  Si  les  Juifs  ont  choisi  cette  ville  pour 
lieu  de  leur  origine, c'est  probablement  parce 
quOurou  était  la  ville  sainte  où  les  rois  ve- 
naient se  faire  introniser.  Ils  pensaient  rele- 
ver ainsi,  aux  yeux  des  générations,  la  valeur 
de  leur  chef  originel.  (Cf.  G.  Rivière,  Le 
Code  de  Hammoural)i,ds  Rev.  de.-i  Idées,  15  fé- 
vr.,  1905,  p.  135.)  On  place  généralement  vers 
le  vingtième  siècle  le  départ  d'Abraham  de 
Chaldée.  Cette  date, comme  on  le  voit,  coïncide 
à  peu  de  chose  près  avec  le  mouvement  éla- 
mite. 

(2)  .\mmon  se  fixa  au  nord-est  de  la  mer 
Morte,  Moab  au  sud-est,  au  sud  des  monts 
du  Haourân,  sur  la  limite  du  désert  et  la  route 
du  Sinaï. 

(3)  La  Bible  (Genèse,  XLV,  17-18)  fait  dire  à  Jo- 
seph par  le  pharaon  Hyksos  :  «  Pressez  votre 
père  el  vos  familles,  el  revenez  vers  moi  ;  je 
vous  donnerai  du  meilleur  du  pays  d'Egypte 
cl  vous  mangerez  la  graine  de  la  terre.  » 


202  LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

limité  formant  l'apanage  direct  du  maître,  et  une  zone  plus  ou 
moins  étendue  de  royaumes  tributaires.  Au  delà,  on  se  contentait 
de  simples  expéditions  de  pillage,  d'où  la  métropole  tirait  ses- 
esclaves  et  une  partie  de  sa  richesse.  A  Rome,  plus  tard,  les 
trois  classes  territoriales  se  retrouvent  encore,  la  terre  romaine, 
les  colonies  et  les  royaumes  alliés;  mais  à  la  brutalité  orientale 
avait  alors  succédé  la  haute  intelligence  aryenne  des  affaires  pu- 
jiliques.  De  nos  jours,  la  métropole,  les  colonies  et  les  zones  d'in- 
fluence et  de  protectorat,  ne  résultent  que  de  la  persistance  de 
ces  principes  politiques  rationnels. 

Avec  des  idées  nouvelles,  les  Ilyksos  apportèrent  en  Egypte 
bien  des  améliorations  inconnues  jusqu'alors  dans  l'armement,, 
dans  la  science  militaire.  Il  semble  que  l'emploi  du  cheval  fut  du 
nombre;  car  ce  n'est  qu'après  leur  départ  que  nous  voyons  le 
char  figurer  sur  les  bas-reliefs  égyptiens.  Où  connurent-ils  le 
dressage  de  cet  animal  ?  Ce  ne  semble  pas  avoir  été  en  Ghaldée  ; 
car,  là  aussi,  nous  ne  le  voyons  apparaître  que  tardivement. 

L'écrasement  complet  de  l'Egypte  dura  plus  de  deux  siècles  et 
demi,  dit  la  légende  ;  car  deux  cents  ans  environ  auraient  été 
consacrés  à  la  réduction  des  princes  du  Sud.  Enfin,  dans  la  Haute- 
Egypte,  l'étendard  de  liiulépendance  se  leva  ;  tant  d'exactions, 
tant  d'humiliations  ne  pouvaient  durer  sans  que  disparût  à  jamais 
la  nationalité  égyptienne. 

Peu  à  peu  les  Hyksos,  gorgés  de  richesses,  s'étaient  adoucis  (1)» 
If  luxe  les  avait  gagnés  ;  et  leur  cour,  copiant  celle  des  anciens- 
pharaons,  était  devenue  aussi  somptueuse  et  d'un  protocole  aussi 
compliqué  que  celle  des  rois  indigènes.  Incapables  de  traiter  eux- 
mêmes  des  détails  administratifs,  ils  les  avaient  laissés  entre  les 
mains  de  fonctionnaires  égyptiens.  Les  Grecs,  les  Romains,  les 
Arabes  ne  firent  pas  autrement;  l'Égyptien  et  le  Copte  furent  tou- 
jours indispensables  aux  maîtres  du  pays. 

D'abord  proscrite,  la  religion  égyptienne  fut  enfin  tolérée. 
Quelques  temples  furent  ouverts  de  nouveau,  le  joug  devenait  de 
jour  en  jour  plus  supportable^  concessions  plutôt  dues  à  l'afl'ai- 

(1)  Les  arts  avaient  repris;  malheureusement  Manclhon  que  nous  le    tenon*.  U  existe   ce- 

louslesmonumenlsdeceltci'i.oqueontétésys-  iientlant,  au  Musée  du  Caire,  quelques  monu- 

lématiquement  détruits  lors  (le  la  réaction  ;  les  mcnts  hyksos  (/'oo ///es  de   Marielle   à    Taiiis) 

textes    hiéroglyphiques  qu'ils    portaient    ont  jirésentant    des    caractères    très  particuliers 

été  martelés  avec  tant  de  soin  qu'il  est  impos-  (Cf.    A.  Mariette,  Lettre  à    M.  le   vicumte  de 

sihie  d'y  reconnaître  un  seul   signe.  Tout  ce  Bougé,  sur  les  fouilles  de  Tanis,  p.  H)  mais  ne 

ijuc  nous  possédons  sur  les  jiasteurs,  c'est  de  fournissant  aucun  renseignement  historique. 


L'EXPANSION    SÉMITIQUE  263 

blisseinoiit  du  pouvoir  qu'à  des  scnlimenls  d'humanité.  L'heure 
élail  |)r'()|)ice  ])our  hi  réaction. 

Cliasscs  de  la  haule  et  de  la  moyenne  Egypte,  les  Ilyksos  se 
virent  assii^gés  dans  Mempliis,  puis  dans  leur  camp  d'Avaris. 
Enfin  rejclés  hors  du  Delta,  les  derniers  débris  de  leur  armée 
furent  encore  vaincus  en  Syrie  (1),  où  le  Pharaon  les  j)()ursuivit. 
C'était  la  première  fois  que  les  troupes  égyptiennes,  dépassant  le 
Sinaï,  pénétraient  en  Asie. 

Bien  que  l'armée  hyksos  se  fût  retirée,  il  restait  encore  sur  la 
terre  du  Nil,  et  plus  spécialement  dans  le  Nord,  une  foule  d'Asia- 
tiques, j)resque  tous  les  non-condjattanls.  Ils  refusèrent  de  partir; 
on  les  mit  en  servitude,  et  ils  devinrent  les  manœuvres  de  la 
réfection,  car  l'Egypte  nélait  plus  qu'un  monceau  de  ruines. 

Il  fallait  aussi  assurer  le  trône  à  la  XVIP  dynastie  ;  car,  dès  la 
libération  du  territoire,  des  révoltes  éclatèrent  contre  la  suprématie 
des  princes  thébains  et  la  Nubie  toujours  demeurée  indépendante 
prétendait  le  rester.  L'armée,  qui  venait  de  combattre  l'étranger, 
tourna  ses  armes  contre  ses  propres  congénères  et,  après  quelques 
eflbrts,  l'ordre  fut  rétabli.  L'histoire  moderne  ne  fournit-elle  pas 
bien  des  exemples  d'une  situation  politique  analogue  à  celle  dans 
laquelle  se  trouvait  lEgypte  après  sa  longue  servitude? 

Revenus  de  leur  stuj)eur  à  la  vue  de  leur  patrimoine  dévasté 
par  les  Asiatiques,  d'horreurs  dont  ils  ne  pouvaient  même  pas 
souj)çonner  l'existence,  les  Egyptiens,  comprenant  qu'un  royaume 
d  inqiortance  ne  peut  se  maintenir  sans  intervenir  dans  la  poli- 
tique générale,  modifièrent  du  tout  au  tout  leurs  vues.  Ils  avaient 
appris  la  guerre,  le  pillage,  l'injustice,  la  violence,  le  mépris  de 
la  vie  des  autres;  ils  entretinrent  dès  lors  de  formidables  armées, 
de  puissantes  flottes  de  guerre,  modifièrent  leur  administration 
intérieure  et  ne  révèrent  plus  que  conquêtes.  Leurs  troupes 
remontèrent  le  Nil  jusqu'aux  confins  de  la  terre,  portèrent  le 
nom  des  j)liaraons  en  Ethiopie,  sur  les  rives  mêmes  des  grands 
lacs,  dit-on,  et  revinrent  chargées  de  butin.  Ils  n'oublièrent  pas 
non  plus  le  chemin  suivi  par  les  pasteurs  et  l'Asie  paya  ses  crimes. 

C'est  longtemps  auj)aravant,  pendant  la  réaction  élamite  en 
Chaldée,  au  moment  où  les  maîtres  d'autan  étaient  devenus 
esclaves  à  leur  tour,  (|u'en  dehors  des  Ilyksos,  bien    des   tribus 

(I)  A  Sharoiiliana, probablement  Sliaroiiken,        G.  Maspero,  Ilisl.  anc.  de.<  peitple.-i  de  l'Orient, 
«lans  la  tribu  de  Siméoii.  Uosué,  XIX,  6.  —  Cf.        V'  édit.,  189:{,  p.  169.) 


•264  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

sémitiques  avaient  émigré.  Nous  avons  vu  ([ue  certaines  d'entre 
elles,  primitivement  cantonnées  dans  le  Nord,  peut-être  vers 
Agadé,  remontèrent  le  Tigre  et  s'installèrent  dans  sa  vallée  très 
en  amont  du  site  actuel  de  Bagdad,  assez  loin,  pensaient-elles, 
pour  ne  pas  être  inquiétées  par  lÉlam;  là  elles  fondèrent  une 
ville,  El  Assar  (aujourd'hui  Qal'a  tchergliat),  c'étaient  les  Assy- 
riens ;  que  d'autres  chassées  des  côtes  et  des  îles  du  golfe  Persi- 
que,  territoires  appartenant  jadis  aux  Élamites,  traversèrent  la 
Ghaldée,  remontèrent  l'Euphrate  et  vinrent  s'établir  sur  les  côtes 
syriennes  de  la  Méditerranée,  c'étaient  les  Phéniciens. 

La  position  primitive  de  ces  tribus  sur  la  mer  en  faisait  une 
race  de  navigateurs  et  de  marchands.  Autrefois  ils  avaient  par- 
couru le  golfe  Persique  et  la  mer  des  Indes,  abordé  sur  les  côtes 
d'Arabie,  aux  bouches  de  l'indus  et,  plus  au  sud,  le  cabotage  les 
avait  peut-être  même  conduits  dans  la  mer  Erythrée  et  sur  les 
côtes  de  l'Afrique.  Les  boutres  arabes  de  Mascate  ne  font-ils  pas 
encore  aujourd'hui  le  trafic  de  Zanzibar,  de  Bombay,  de  Cevlan 
et  de  la  mer  Rouge  ? 

Leur  nouvelle  j)atrie  permettait  aux  Phéniciens  de  développer 
leurs  aptitudes,  car  les  hasards  d'une  migration  ne  les  pouvaient 
mieux  servir.  Ils  occupèrent  les  îles,  les  caps  delà  côte  méditerra- 
néenne, tous  les  points  maritimes  présentant  quelque  avantage  et, 
dès  leur  fixation,  disposèrent  leur  vie  politique  en  vue  de  la  navi- 
gation, du  transit,  du  commerce,  accordant  aussi  peu  que  pos- 
sible aux  nécessités  territoriales,  mais  réservant  toute  leur  éner- 
gie, toutes  leurs  ressources  pour  la  colonisation  et  surtout  j)Our 
l'établissement  de  comptoirs  commerciaux. 

Par  tradition,  ils  connaissaient  toutes  les  routes  terrestres  et  ma- 
ritimes depuis  la  Syrie  jusqu'aux  Indes;  ils  apprirent  vite  celles 
de  l'Occident  et  devinrent,  pour  près  de  deux  mille  ans,  les  grands 
intermédiaires  commerciaux  du  monde,  remplaçant  peu  à  peu, 
dans  la  domination  de  la  mer,  les  Cretois  et  les  Égyptiens. 

Depuis  longtemps  déjà,  des  peuples  sémites  ou  sémitisés  étaient 
venus  se  fixer  dans  le  pays  du  Liban,  leur  apparition  en  Égvpte  et 
dans  le  Sinaï  en  est  la  preuve;  mais  la  majeure  partie  de  la  Syrie, 
surtout  la  montagne,  était    encore  occupée  |)ar  des  autochtones. 

Quand  les  Chananéens  traversèrent  ces  pays, ils  eurent  à  lutter 
contre  des  tribus  dont  ils  ne  nous  ont  pas  transmis  les  noms; 
mais   qu'ils   désignent   par   des    appellations    ne    laissant   aucun 


L'EXPANSION    SÉMITIQUE  2(35 

doute  sur  la  nature  ethnique  de  ces  peuplades.  Ce  sont  les  «  lîe- 
phaïni,  hommes  à  la  voix  boui-donnanle  et  indistincte  »  parlant 
des  idiomes  incompréhensibles  pour  les  Chaldéens  ;  les  «  Néfilim, 
monstres  formidables  »  ;  les  <(  Zomzoniim,  des  géants  »,  auprès 
desquels  les  Sémites  semblaient  n'être  que  des  sauterelles.  Le 
premier  passage  des  Chananéens  réduisit  l'importance  des  tribus 
indigènes;  leur  retour  d'Egypte,  quelques  siècles  plus  tard,  les  fit 
disparaître. 

La  réaction  anzanite  sur  les  peuples  sémitiques  avait  donc  pro- 
fondément modifié  la  face  du  monde.  En  anéantissant  l'empire 
summéro-akkadien,  elle  avait  créé  l'Assyrie  au  nord,  la  Phénicie  et 
la  Judée  à  l'ouest  ;  elle  était  cause  de  l'entrée  de  l'Egypte  sur  la 
scène  politique  mondiale.  La  conquête  de  KoudourNakhkhountè 
est  l'un  des  faits  dont  les  conséquences  ont  été  les  plus  graves 
dans  les  destinées  de  l'Orient. 

Dès  lors  commence  l'histoire  du  monde,  des  grandes  luttes 
pour  la  prépondérance,  des  grandes  étapes  du  progrès.  Deux 
puissances  seules  sont  en  présence,  les  Asiatiques  et  les  Africains, 
les  Sémites  et  les  Égyptiens^  deux  frères  ennemis.  Ils  se  dispute- 
ront la  suprématie  pendant  plus  de  mille  ans,  jusqu'au  jour  où 
interviendra  la  race  aryenne  qui,  en  quelques  années,  anéantira 
ces  États,  réduisant  leurs  empires,  si  puissants  jadis,  au  rang  de 
simples  provinces. 

Mais,  pendant  que  les  armées  élamites  franchissaient  le  Tigre, 
pendant  que  les  Hyksos  pillaient  l'Egypte,  les  grands  mouvements 
des  peuples  du  Nord  se  continuaientlentement.  Déjà  les  avant-cou- 
reurs iraniens,  longeant  les  plages  de  la  mer  Caspienne,  s  étaient 
avancés  jusqu'à  l'Araxe,  semant  leur  passage  de  dolmens,  appor- 
tant avec  eux  le  bronze  grossièrement  travaillé,  l'électrum,  Tor, 
la  poterie,  les  animaux  domestiques  de  l'Asie  centrale.  Cette 
avant-garde  resta  cantonnée  dans  les  montagnes  fertiles  et  boi- 
sées du  ^Nlazandéran,  du  Ghilan,  du  Talyche.  11  ne  semble  pas 
qu'elle  ait  pénétré  bien  loin  sur  le  plateau  iranien  déjà  occupé 
dans  sa  partie  occidentale  par  des  peuples  apparentés  aux  races 
primitives  de  la  Chaldée. 

Jamais  les  Sémites  ne  soumirent  les  j)euplades  montagnardes 
du  Zagros,  des  monts  Carduques  ;  mais  il  n'est  pas  douteux  ({ue, 
refoulés  de  la  plaine,  ces  peuples  n'eussent,  dès  une  époque  fort 
reculée,  gagné  le  plateau  persan  ou  tout  au  moins  les  pentes  orien  - 


266  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

taies  de  la  chaîne  bordière,  et  ne  s'y  fussent  installés  en  dépit 
des  rigueurs  du  climat.  Malgré  cela,  leurs  établissements  durent 
être  fort  peu  nombreux,  car  on  ne  rencontre  que  bien  rarement 
des  traces  de  la  pierre  taillée  dont  ils  se  servaient  certaine- 
ment en  même  temps  que  du  métal.  ' 

L'Iran  central,  encore  couvert  de  lacs,  de  déserts  salés,  aride 
et  desséché,  soumis  à  des  températures  extrêmes,  n'était  pas 
d'un  grand  attrait  pour  des  envahisseurs.  Les  premiers  Aryens 
le  négligèrent  ;  mais  ils  furent  rapidement  suivis  par  d'autres 
tribus,  leurs  congénères,  les  unes  s'avançant  par  le  nord,  les 
Mèdes  ;  les  autres  par  le  sud,  les  Perses,  après  avoir  traversé 
les  massifs  montagneux  de  la  Bactriane  et  les  déserts  d'Ara- 
chosie. 

Un  rameau  de  la  branche  du  Nord  passa  l'Araxe,  le  petit 
Caucase  et,  remontant  la  vallée  du  Cyrus,  vint  se  fixer  au  milieu 
de  la  grande  chaîne,  près  des  célèbres  défilés  du  Dariall;  ce  sont 
les  Ossèthes  de  nos  jours. 

Les  hordes  qui,  prenant  la  voie  de  l'Ouest,  s'étaient  avancées 
dans  les  steppes  de  Russie,  furent  arrêtées  par  la  Caspienne,  par 
le  Caucase  et  sa  grande  muraille,  par  la  mer  Noire  et  toujours 
empêchées  de  descendre  vers  le  sud,  dans  les  pays  du  Soleil.  Les 
unes,  poursuivies  par  le  froid,  continuèrent  leur  chemin  par  la 
vallée  du  Danube  ou  par  les  plaines  de  Germanie  ;  les  autres  en- 
vahirent la  Thrace,leur  nombre  allant  croissant  chaque  jour,  prêtes 
à  fondre  sur  l'Asie  Mineure  après  avoir  franchi  le  Bosphore. 

Ainsi,  pendant  que  dans  l'Asie  antérieure,  déjà  très  dévelop- 
pée, s'ouvraient  de  formidables  compétitions,  le  ciel  s'obscur- 
cissait au  nord  d'innombrables  fumées  de  campements;  un  déluge 
humain  se  préparait. 

En  Europe  centrale,  il  semble  que  ce  soit  au  cours  du  troisième 
millénium  qu'apparut  le  métal.  Dans  quelques  terres  méditerra- 
néennes il  était  depuis  longtemps  en  usage,  s'étant  de  proche  en 
proche  répandu  de  la  Chaldée  et  de  l'Egypte. 

Beaucoup  plus  loin  vers  l'Orient,  au  delà  des  chaînes  glacées 
de  l'Asie  centrale,  en  dehors  de  toute  communication  avec  le 
monde  méditerranéen,  une  autre  race  se  développait  sur  elle 
même,  préparant  une  civilisation  qui  plus  tard  devait  atteindre 
un  sommet.  La  Chine  qui,  malheureusement  nous  est  trop  peu 
connue   au  point  de   vue  archéologique,    était  déjà,  semble-t-il, 


I 
ce 


W      » 

5    I 


ï"  •(s.tuoSipiM  -^iiniiipiMil  -«i^  -{sançSipu!  snoijipwi  sgi'iIb.p) 
•onbiiniio.)!!  ii!ia  ■=  ■    s.uÙAip'  '  -  vl."  (<  sioinip 

•?  ^  soiisiJUAQ  ë-o  >.C       oiuncXo.i.iO!Uio.ui 


•POiiImnili.'S.iiu  siu.iiunuoui  S9\>  p.niopiMis;<io-.»  -  =  =  5  ç  i. 


T.  - 

=  n  =■ 


•s.tiiIniiiil'-'^-Jiu  siuaiunuoui  'é.*\)  «jii3piU)suo3  v^ 
s.i.i|snDci  S91P  sap  smciiqcn 


^•«0  O 


•r  c  («■- 

cï  o  -'  ~b 


5--/^§  = 


S910D  SOI  •'"*  aniiortS..)  uoocsjiiai;) 
soiioHoi]-._).kI  sop  uoi)i.iBddv 


=  •= 

>.  2 
c'E 
p:  o 


B   >   > 


r     r     X 


•s.mo^sud  s.')]) 

UOISIÎAIII 


't     s     •souu.iiuc.li  soi|.)ui!j(i  XII. )[> 

S      "^  U011I7.IU(I.>S 


•pus  iiB  S3S.I0J  sop 

UOISBAU] 

•p.iiifyl  lin  sopgi^  sop 

UO!SCAU[ 


-ss- 


.-=£ 


■ouii.i.iuBueq.) 


%:z     ioiiuiB].! 

■E'Z 

E_2       o.nduig 


9  5  i 


~  c  —  ■/. 


•hoija'ssc  ouiuB.Coy 

'•siso)Bd  sop 
OJjB.J.t.id  ouijo.iy 


•O-f  'AV 


■souSbiuoui  so|  suiîp 
oouupuod._>pui 

•ouii?|(I  B|  sui;]» 
oubli uiios  uoniMintiOQ 


.£'S.4>  =  =  c 


•01UUB]0 

o.iiduig 


OIIUIBI^ 

ouincXoy 


8. S 


■•<"0.1> 
ouniBA'oy 


i   0  0£_  C  ô  C 

■i;  5:S<»'^  -uoipoiiiB-ciouins  •- 

ra  t/:ô!=-^        o.iiduioi   op  = 

■à           Sic                    OJUOpBDOQ  Q 


'■^S   SUO.OJipîllDSoisBU 


^assSiSu,- 


OjUO|A(|Cq 


•iui!s.n;i  op 
oijuit'i.?  oi^sbua" 


■•sS-gE;'' 


fcu  ~ 


268  LES    PREMIÈRES    CIN ILISATIOXS 

en  possession  du  bronze  et  il  s'y  formait  des  groupements  poli- 
tiques (1). 

Quant  au  reste  du  monde,  encore  plongé  dans  la  barbarie,  il 
ne  connaissait  encore  que  l'usage  de  la  pierre.  Nous  ne  possé- 
dons aucune  donnée  exacte  sur  les  nombreux  mouvements  de 
peuples  qui  se  passèrent  alors.  Devons-nous  attribuer  à  ces  temps 
reculés  la  colonisation  de  Madagascar  par  les  hommes  de  race 
jaune  (2),  la  grande  expansion  du  type  malais  dans  l'océan  Pacifique, 
la  conquête  de  l'Inde  par  les  Dravidiens  sur  les  Négritos  ?  etc.. 
On  ne  saurait  dire  à  quelle  époque  prirent  place  ces  événements 
dont  la  réalité  ne  souffre  aucun  doute,  et  qui  jouèrent  un  si  grand 
rôle  dans  les  destinées  du  genre  humain  et  dans  sa  répartition  sur 
le  globe. 

(1)  Le  plus  ancien  livre    <ie   la  Chine  serait  le  sait,  accorder  (jiie    bien   peu    de    confiance 

le    Yi-Kinij,  qui,  d'après  les  autorités  indigè-  aux  évaluations   chronologiques  des   annales 

nés,   remonterait  dans   sa    forme     primitive  chinoises. 

au  vingt-troisième   ou   vingt-deuxième    siècle  ii)  L'expansion  de  la  race  malaise  est,  sans 

av.  J.-C.(Cf.  T.  DE  laCoui'erie,  r/ie  oWe*/ 6oo/r  aucun    doute,  de  date    relativement   récente 

of  the  Clunese,  Londres,   18'J2,   p.   18,  note  1,  mais  il  se  peut    qu'elle  ait  été   [u-écédée   par 

p.  28),  c'est-a-dire   à    l'époque    de    l'invasion  d'autres   mouvements    dont    les     populations 

des  Hyksos    en  Egypte,  1.500  ans  après  celle  australasialiciues  ont  conservé  de  nombreuses 

de  Naràm  Sin.  Toutefois,  nousne   pouvons,  on  traces. 


CHAPITRE  IX 


La    prépondérance    égryptienne  (I). 

Conquêtes  pharaoniques  en  Asie. 
La    C  ha  Idée  et  iÉlam,  l  Empire  Hétéen,  les  Phéniciens, 

les   Hébreux. 
Apparition  des  Aryens  en  Iran  et  dans  la  Méditerranée. 


Pendant  cette  longue  période  de  mille  années  et  plus  qui  sui- 
(i)  Liste  des  dynasties  égi/pliennes  d'après  Manélhon. 


I 

II 

III 

IV 

V 

VI 

VII 

VIII 

IX 

X 

XI 

XII 

XIII 

XIV 

XV 


CENTRE 

[>ORIGi>E 


This  .... 
This  .... 
Meniphis.  . 
Memphis.  . 
Elépnantine 
Memphis.  . 
Memphis.  . 
Memphis.  . 
Iléracléopol 
Héracléopol 
Thèbes.  . 
Thèbes.  . 
Thèbes.  . 
Xoïs.   .  . 
or.  Avaris. 
b.  Thèbes 


Yvi(Q-  Avaris. 

'^^'(6.  Thèbes 

Yvrito-  Avaris. 

'^^^^  b.  Thèbes 

XVIII  Thèbes.  . 

XIX  Thèbes.  . 

XX  Thèbes.  . 

XXI  Tanis  .    . 

XXII  Bubaste  . 

XXI II  Tanis.  .  . 

XXIV  Sais.  .  .  . 
XXV  Ethiopie  . 

XXVI  Sais.  .  .  . 

XXVII  Perses.  . 

XXVIII  Sais.  .  .  . 

X.XIX  Mendès  . 

XXX  SeJjennytu 

Domination  grecque 
Domination  romaine 


Smv.J.AFRICANOS 


8 

9 

9 

8 

8 

6 

70 

27 

19 

19 

1() 

7 

&) 

76 

6 

22 

43 
43 

ir, 

7 
12 
7 
9 
4 
1 
3 
9 
8 
1 
4 
3 


253 
302 
214 
271 

248 
203 
70  jours 
14« 
409 
185 
43 
160 
453 
184 
284 

508 

151 

151 

263 

209 

135 

130 

120 

89 

6 

40 

150  1/2 

124»  4m 

6 
20»  4  m 
38 


Smv.  EUSÈBE 


252 

297 

198 

448 

100 

203 

75  jours 

100 

100 

185 

43 

245 

453 

184ou484 

250 

190 
103 

348 

194 

178 

130 

49 

44 

44 

44 

163 

120»  4  m 

6 
21»  4m 
20 


OBSERVATIONS 

Ces  dates  proposées  par  Ed.  Meykr 
et  A.  ËisENLOHR  sont  encore  discutées. 


Menés,  env.  4483  av.  J.-C.  ? 


Ouserles  en  1111,876  ou  1872  av.J.-C. 


Aménophis  !«'•,  1.54.5  ou  1542 
Thouthmès  III,  1.503  à  1450. 
Aménophis  III,  vers  1450. 
Aménophis  IV,  vers  1400. 
Chéchonq  I,  vers  950. 


Sabacon,  716. 

Mort  (le  Psammctique  I",  .589. 

Conquête  de  Cambyse,  525. 


Con(iuèle  ilAle.xandre,  330. 


^70  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

TÏt  la  conquête  élamite  et  précéda  l'entrée  en  scène  de  l'Assyrie, 
le  monde  se  divisa  en  deux  parties  :  l'une,  l'Egypte  et  les  pays 
soumis  à  ses  armes  et  à  son  influence,  tels  la  Syrie,  l'Arabie, 
l'Afrique  ;  l'autre,  les  royaumes  indépendants  de  l'Asie,  Elam, 
Chaldée,  Assyrie  naissante,  Hétéens,  etc.,  dont  la  politique  exté- 
rieure, très  restreinte,  ne  comprit  guère  que  des  contacts  de  fron- 
tières. 

Délivrés  de  leurs  maîtres  étrangers  et  des  ambitions  impériales, 
les  Chaldéens  et  les  Élamites,  ayant  en  partie  retrouvé  leurs  apti- 
tudes d'antan,  accordèrent  le  principal  de  leurs  soins  au  dévelop- 
pement des  richesses  naturelles  de  leur  pays.  Ce  fut  une  renais- 
sance dans  la  culture,  dans  le  commerce  et  l'industrie  ;  les  arts 
se  développèrent,  la  littérature  reprit. 

En  Chaldée,  la  langue  antique  était  morte  ;  mais  en  Élam,  l'an- 
zanite,  qui  avait  encore  toute  sa  force,  s'épanouit  dans  des  textes 
parfois  très  littéraires  (1).  La  prospérité  revint  dans  ces  États;  il 
semblait  que,  sous  les  empereurs  suméro-akkadiens,  le  monde  eut 
vécu  un  mauvais  rêve. 

^lais  cette  paix  relative,  dans  la  majeure  partie  de  l'Orient  les 
peuples  ne  la  mirent  pas  à  profit.  C'est  que  le  monde  oriental 
n'avait  qu'une  conception  très  vague  des  devoirs  comme  des  inté- 
rêts d'un  gouvernement,  et  des  causes  de  la  vitalité  des  nations. 
Régner  pour  lui  était  exploiter,  recevoir  des  tributs.  Augmenter  sa 
richesse,  en  accroissant  la  zone  des  peuples  terrorisés,  était  con- 
quérir; quant  à  développer  les  ressources  des  territoires  acquis,  à 
les  administrer  avec  prévoyance,  rarement  il  y  songea. 

L'Egypte  primitive,  la  Chaldée,  l'Elam  avaient,  dans  les  dé- 
buts, compris  mieux  qu'on  ne  le  sut  faire  plus  tard,  l'utilité  de 
la  prospérité  nationale  ;  leur  développement  n'est  dû  qu'à  cette 
pensée,  qu'aux  eflbrts  des  princes  pour  améliorer,  pour  accroître 
les  revenus  de  leur  patrimoine. 

L'arrivée  des  Sémites  en  Asie  changea  du  tout  au  tout  ces 
dispositions.  Aux  tendances  progressistes  avaient  succédé  des 
appétits  de  rapine,  de  pillage,  d'exploitation  du  faible  par  le  fort; 
et  peu  à  peu  les  populations  heureusement  douées  se  laissèrent 
entraîner,  par  l'exemple  et  par  le  besoin,  dans  cette  néfaste  voie 
qui  devait  mener  à  la  ruine  le  berceau  des  civilisations. 

(1)  Cf.  V.  SciiEiL,  Méin.  delà  Délég.  en  Perse,  textes  élamites-anzaniles,  t.  III,  V  et  IX. 


LA    PUÉPONDKIIANCE     ÉGYPTIENNE  271 

L'Egypte  elle-même,  après  avoir  souffert  des  cupidités  de  l'Asie 
fut  prise  de  la  fièvre  des  conquêtes  et,  oubliant  ses  traditions,  son 
histoire,  se  lança  au  dehors,  en  quête  de  cette  richesse  éphémère, 
<{ui  ne  lui  devait  apporter  ([ue  l'épuisement  et  la  mort. 

L'autorité  de  l'Élam  sur  la  Ghaldée  n'avait  pas  été  de  longue 
durée  ;  elle  s'éteignit  bien  avant  ([ue  les  Ilyksos  n'eussent  quitté 
la  terre  d'Egypte.  Koudour  Lagamar,  l'un  des  successeurs  de  Kou- 
dour  Naklîkhounte,  étendit  encore  le  domaine  de  Suse,  aidé  de  ses 
vassaux  iVmraphel,  prince  de  Sinéar;  Arioldi  d'El  Assar,  Thargal, 
roi  des  Goutim,  etc.  11  envahit  la  Syrie  méridionale,  dont  il  battit 
les  rois  ligués  contre  lui;  et  obligea  les  peuples  riverains  de  la 
Méditerranée  à  lui  payer  tribut  (1).  Plusieurs  fois  il  dut  se  rendre 
en  Syrie  pour  réprimer  des  révoltes  et  l'un  de  ses  successeurs, 
Koudour  Mabouk,  y  fit  aussi  quelques  campagnes. 

La  présence  dans  les  armées  élamites  du  prince  d'El  Assar 
montre  que,  malgré  leur  exode,  les  Assyriens  avaient  été  réduits, 
soit  par  Koudour  Nakhkliounté  lui-même,  soit  par  ses  successeurs. 
Le  souvenir  de  cette  servitude  demeura  certainement  dans  l'esprit 
des  populations  du  Tigre  ;  car,  lors  de  l'apogée  de  leur  puissance, 
elles  considérèrent  toujours  comme  ennemi  héréditaire  ce 
peuple  «  qui  n'avait  pas  craint  Assour  leur  Seigneur  ». 

En  s'emparant  de  l'Asie,  les  souverains  susiens  n'avaient  pas  su 
l'organiseï-  ;  ils  laissèrent  à  chaque  pays  ses  chefs,  ses  institutions 
et  se  contentèrent  de  recevoir  le  tribut.  Aussi,  peu  à  peu,  la  fai- 
blesse des  Elamites  aidant,  bien  des  petits  États  se  déclarèrent- 
ils  indépendants. 

Ce  fut  d'abord  la  Syrie,  province  lointaine,  qui  échappa  ;  puis 
les  rois  de  Larsa,  ceux  de  Nipour  qui  secouèrent  le  joug;  ceux 
d'Agadê  qui,  non  contents  de  reprendre  leur  liberté,  accrurent 
leurs  Etats  ;  enfin  Babylone  qui,  absorbant  les  principautés  voi- 
sines, réunit  à  son  sceptre  les  pays  d'Akkad  et  de  Choumir  et 
fonda  un  premier  royaume  chaldéen  dont  la  durée  fut  de  trois 
siècles  (2). 

Bien  que  n'ayant  plus  la  vitalité  nécessaire  pour  conserver 
ses  provinces  extérieures,  l'Elam,  de  son  côté,  ne  renonçait  pas, 
à    ses    prétentions   sur    la   Ghaldée.    Perpétuellement,  il    fut   en 

(I)  Genèse.   XIV,  sq.  —   G.    P.awi.inso.n,  The  (-2)  Cf.  Pinciies,  Notes  on  a  iicw  list  of  earl 

fwegreal  monarchies,  p.  10-2.  —  Fr.  Lenorma.-st,        Babyloniaii  Kings,  in  Proc.  of  the  Soc.  of  liibl. 
la  Lamjiie  primilive  de  la  Chaldée,  p.  37-2-379.  Archacol.,  1881,  p.  37,  sq. 


272  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

guerre  contre  elle  ;  jusqu'au  jour  où,  devant  l'ennemi  commun, 
l'Assyrie,  elle  s'allia  à  sa  rivale. 

Parmi  les  princes  de  cette  première  monarchie  babylonienne, 
le  plus  célèbre  est,  sans  contredit,  l'auteur  de  cette  dynastie, 
Hammourabi  (1),  le  législateur,  qui  vivait  vers  l'an  2000  avant 
notre  ère. 

Ce  roi  était  déjà  connu  par  un  grand  nombre  d'inscriptions  (2) 
quand,  en  1903,  j'ai  eu  la  bonne  fortune  de  découvrir,  à  Suse,  le 
code  entier  des  lois  rédigé  par  ordre  de  ce  souverain. 

Magistralement  déchiffré  et  traduit  (3)  par  V.  Scheil,  ce  code, 
aujourd'hui  à  la  portée  de  tous,  est  le  plus  ancien  et  le  plus  im- 
portant document  d'ordre  moral  que  nous  ait  légué  l'antiquité  (/i). 
Certainement  il  ne  renferme  pas  la  première  rédaction  des  lois 
chaldéennes  ;  les  empereurs  avaient  déjà  fait  compiler  les  cou- 
tumes antiques,  mais  les  écrits  des  temps  primitifs  n'ont  pas 
encore  été  retrouvés. 

Le  code  d'Hammoural)!  fut  rédigé  pour  tout  le  royaume  baby- 
lonien et  l'exemplaire  que  nous  possédons,  gravé  pour  la  ville 
de  Sippar,  enlevé  comme  trophée  par  Choutrouk  Nakhkhountè 
lors  de  l'une  des  nombreuses  razzias  qu'exécutaient  les  Elamites 
en  Chaldée,  a  été  rapporté  à  Suse  et  c'est  ainsi  qu'il  est  parvenu 
jusqu'à  nous. 

D'autres  copies  furent  également  transportées  dans  la  capitale 
élamite,  nous  en  rencontrons  fréquemment  les  fragments  dans 
nos  travaux;  mais  elles  ont  été  mises  en  pièces,  probablement 
par  les  soldats  d'Assour,  lors  du  sac  de  la  ville. 

Ce  n'est  pas  ici  la  place  d'analyser  ces  lois  ;  cette  étude  a  été 
faite  déjà  par  d'éminents  juristes  (5).  Je  ne  citerai  donc  en  passant 


(1)  D'après  H.  Sayce  et  Vigoureux,  Hani-  nou,  qu'on  avait  cru  d'alionl  remonter  au 
mourabi  ne  serait  autre  qu'Amraiiliei,  roi  de  quinzième  siècle  av.  J.-C,  les  indianistes 
Senaar,  qui  ligure  avec  Chodorlahoniar  (Kou-  paraissent  aujourd'hui  d'accord  pour  la  pla- 
dour-Lagamar),  roi  des  Elamiles,  dans  le  ré-  cer  tout  au  plus  au  onzième  siècle.  La  pre- 
cit  de  la  guerre  de  la  Pentapole  (Genèse,  \l\').  mièrc  rédaction  du  code  chinois  serait  de    la 

(2)  Cf.  Fr.  Delitsch,  Die  Spraclie  der  Kossàei',  même  époque.  Le  seul  code  de  l'antiquité  qui 
Leipzig,  1884,  p.  Gl-75.  —  J.  Men.^.nt,  Inscript.  pût  être  contemporain  de  celui  d'Hammourabi 
de  Hammourabi, 1863;  Bec.  des  Irai'.,  i.  Il,  i>.  li^t,  est  le  code  égyptien  qui,  au  témoignage  de 
sq.  —  Amiaud,  Bec.  Irai'.,  t.  I,  p.  181,  sq.  ;  Diodore,  était  composé  de  huit  livres  (R.  Da- 
Journ   Asial.,  188-2,1.  XX,  p.  2o1-244.  reste).  Aucune  loi  de  l'antiquité,  sauf  le  code 

(3)  V.  SciiEiL,  Mém.  de  In  Délég.  en  Perse,  d'Hammourabi,  ne  nous  est  parvenue  en  te.xte 
t.  IV,  1902,  textes  sémitiques,  p.  1-162,  pi.  I  original;  nous  n'en  possédons  que  des  copies 
à  XV, et  la  Loi  de  Hammourabi,  in-8,  1903.  relativement  récentes  et  dont  par  suite  la  va- 

(i)  »  La  loi  de  Hammourabi  est  de  beaucoup  leur  est  sujette  à  caution, 

le  plus  ancien  texte  législatif  connu.  Moïse  a  (5)    Cf.    R.    Dareste,    Le    code    babylonien 

vécu  cinq   siècles    plus  tard,   la    loi    Gortyne  de  }iainmoiirub\,  in  Journal  des  savants, ocl.  el 

n  est  guère  plus   ancienne   que   le  cinquième  nov.  1002. 
siècle  avant  notre  ère.  Quant  à  la  loi  de  Ma- 


LA    PRKPONDERANCl::     KGVPTIEXNE 


273 


que     les     principaux     enseignements     se     dégageant     de     leur 
examen. 

Renfermant  les  idées  de  deux  races  très  diflérentes  comme  ten- 
dances, elles  sont  empreintes  d'une  part  de  ce  caractère  vindicatif 
du  talion,  d'aulie  pari  d'une  mansuétude  qui,  certainement,  tient 
au  vieux  fond  de  la  ])opulation.  Elles  réglementent  les  travaux  des 
champs  (1)  ;  mais  d'autre  part  ne  négligent  pas  les  intérêts  du  gou- 
vernement (2).  La  femme  (3)  y  occupe  parfois  une  situation  très 
supérieure  à  celle  que  lui  ont  faite  les  Sémites  ;  ailleurs  elle  est 
traitée  en  esclave.  Certainement  ces  différences  proviennent  du 
mélange  des  vieilles  coutumes  sumériennes  avec  celles  des  Akka- 
diens ;  car  en  Elam,  pays  ayant  mieux  que  la  Chaldée  conservé 
ses  traditions,  nous  voyons  la  femme  occuper  un  rang  bien  supé- 
rieur à  celui  que  lui  réservent  en  général  les  Orientaux. 

La  rédaction  de  ces  lois  est  entièrement  dégagée  de  toute  for- 
mule, presque  de  toute  pensée    religieuse  ;  fait  surprenant  pour 


(1)  «  Ce  qui  dislingue  surtoul  la  loi  baby- 
lonienne, c'est  l'étendue  et  l'importance  des 
dispositions  relatives  à  l'agriculture,  au 
louage  des  terres  et  des  maisons,  au  louage 
d'ouvrage  et  à  l'industrie  sous  toutes  ses 
formes.  Aucune  autre  loi  ancienne  ne  fournit 
sur  ce  sujet  des  renseignements  aussi  com- 
plets et  aussi  précieux.  i>  (R.  Dareste.)  En 
Chaldée,  comme  plus  tard  à  Rome,  la  pro- 
priété est  antérieure  à  l'Etat.  Le  roi  respecte 
la  propriété  des  tribus  qui  le  reconnaissenlpour 
chef.  S'il  veut  créer  des  apanages  au  profit  de 
ses  enfants,  si,  à  la  suite  d'une  guerre  heu- 
reuse, il  veut  donner  des  terres  pour  récom- 
penser les  services  de  ses  vassau.x,  il  doit 
traiter  avec  la  tribu  à  qui  la  terre  appartient 
et  lui  payer  une  indemnité  préalable.  C'est  là 
une  tradition  constante  chez  les  rois  Chal- 
déens  ;  on  peut  la  suivre  jusqu'au  quaran- 
tième siècle  avant  notre  ère  (Manichlou-Sou). 
(E.  Cuo,  La  propriété  foncière  en  Chaldée,  ds 
Nouv.  Rev.  Iiixl.  du  droit  français  el  étranger, 
nov.-déc.  190G,  p.  720.)  Cet  usage  est  la  consé- 
quence de  la  formation  lente  des  Etats  chal- 
déen  el  romain.  Il  était  de  bonne  politique  de 
respecter  la  propriété  foncière  chez  les  tribus 
nouvellement  annexées.  En  Egypte,  au  con- 
traire, où  tout  le  sol  appartenait  au  roi,  les  indi- 
gènes furent  dépossédés  parce  que  la  conquête 
se  fit  en  une  seule  campagne  et  par  des 
moyens  plus  énergiques  qu'en  Chaldée. 

(2)  La  situation  des  hommes  d'armes  néces- 
saires à  la  stabilité  de  l'Etat  est  particulière- 
ment favorisée.  C'est  là,  d'ailleurs,  le  seul  in- 
dice que  nous  possédions  au  sujet  des  castes 
privilégiées  ;  car  les  lois  ne  parlent  pas  des 
relations  entre  la  population  et  les  pouvoirs 
sacerdotal  et  royal.  U  existait  certainement 
un  autre  code  qui  n'a  pas  encore  été  re- 
trouvé   celui  que  nous  possédons  n'ayant  eu 


pour  but  que  de  régler  les  intérêts  privés  et 
d'assurer  au  pouvoir  royal  la  perception  des 
impôts  par  la  richesse  et  la  sécurité  des  peu- 
ples gouvernés. 

(3)  Cf.  Ed.  Cuq,  le  Mariaye  à  Dabiilone  d'aprèx 
les  lois  de  Hammourabi,  Paris,  1905.  Bien  (pi'il 
reste  encore  dans  les  lois  de  Hammourabi  des 
traces  de  l'ancienne  coutume  de  l'achat  de  la 
femme  (la  Tirkhalou),  elle  jouit  dans  la  société 
chaldéenne  d'une  situation  très  supérieure  à 
celle  qui  lui  est,  en  général,  attribuée  par  le 
monde  oriental  moderne.  Avant  le  mariage,  si 
son  mari  est  chargé  de  dettes,  elle  peut  se 
faire  promettre  qu'elle  ne  sera  pas  saisie  par 
les  créanciers  (art.  151).  Elle  conserve  la  capa- 
cité de  s'obliger,  car  le  mari  n'est  i)as  tenu 
des  dettes  qu'elle  a  contractées  avant  son  en- 
trée dans  la  maison  (art.  151).  Durant  le  ma- 
riage, la  femme  a  la  capacité  juridique  (art.  162, 
163).  Elle  est  libre  de  disposer  de  ses  esclaves 
(art.  146,  147).  Elle  peut  être  témoin  d'un  acte 
juridique.  (S.  Daiches,  Allbabylonische  Rechl- 
surkiinden,  «us  der  Zeil  der  Hanimurabi,  1903, 
I,  .32,  63,  72,  79.  —  B.  Meissner,  Deilriiye  :uni 
Allbabylonischen  Privatrecht.,  1893,  p.  14.)  En 
cas  d'absence  du  mari,  la  femme  d'un  militaire, 
dont  le  fils  est  en  bas  âge,  est  chargée  de  la 
gestion  d'une  partie  de  ses  biens  (art.  29).  En- 
lin  elle  peut,  dans  le  cas  prévu  par  l'article  142, 
refuser  de  cohabiter  avec  son  mari  et  rentrer 
dans  la  maison  paternelle;  et,  en  cas  de  dis- 
solution du  mariage  par  le  prédécès  du  mari, 
la  femme  exerce  la  puissance  paternelle. 
(B.  Mkissner,  op.  cit.,  n"  56  el  p.  136.)  Elle 
dirige  la  maison  et  ses  enfants  ne  peuvent  se 
soustraire  à  son  autorité  sans  la  permission  du 
juge.  Quant  au  mariage  par  achat  de  la  femme. 
Ed.  Cuq  démontre,  avec  la  grande  autorité 
(|u'on  lui  connaît  en  pareilles  matières,  qu'il 
n'existait  plus  à  répo(iue  de  Hammurabi. 

18 


27/i 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


ces  époques,  où  chez  tous  les  autres  peuples  la  législation  ne  fait 
qu'un  avec  les  préceptes  du  culte. 

Ces  lois,  complétées  par  les  textes  juridiques  que  nous  possé- 
dons en  langue  élamite  et  sémitique,  donnent  une  haute  idée  de 
la  morale  des  peuples  qui  habitaient  l'iVsie  antérieurement  à  la 
venue  des  Akkadiens.  Elles  ont  été  largement  utilisées  dans  la 
rédaction  de  la  loi  mosaïque  (1),  qui  en  a  pris  les  bons  comme 
les  mauvais  côtés,  replaçant  la  divinité  dans  ce  milieu  législatif 
d'où  Hammourabi,  ou  ses  prédécesseurs,  avaient  su  l'écarter. 

Nous  ne  possédons  pas  les  codes  assyriens  ;  mais  certainement, 
comme  celui  des  Hébreux,  ils  devaient  faire  jouera  la  divinité  un 
rôle  important,    si   nous  en  jugeons  par  les  actes   de  ce  peuple, 


T 


-,      <    -t  '"^  i^^i" 2»-"  r--      -    ''"-^ws 

^'^'-'^lins  f  L^:*:ifc- V'    --^    -^ 


^'Asie  Antérieure  à  lépoque  des  campagnes  égyptiennes  en   Syrie  (2). 


et  par  ses  tendances  à  toujours  faire  intervenir  Assour  comme  pré- 
texte de  sa  conduite.  Laisser  le  droit  dans  la  légalité  profane 
eût  été  lui  conserver  son  caractère  de  justice;  faire  intervenir  la 
divinité,  c'était  autoriser  et  couvrir  l'arbitraire. 

Celte  dynastie  babylonienne,  re^^renant  les  traditions,  semble 


(l)Cf.  Fred.  DEUTzscH,Ba6e/ u/iJ -B!6e/(con- 
lérence  faileà  Berlin  le  19  janvier  1902).  Le  sa- 
vant professeur  allemand  constatait,  en  s'ap- 
puvant  sur  les  textes  chaldéens,  que  non  seu- 
lement les  Juil's  avaient  forgé  leur  propre 
histoire  à  l'aide  de  documents  assyriens  et 
babyloniens,  mais  que  leurs  lois  étaient  en 
grande  partie  calquées  sur  celles  de  Babylone. 
Présentée  sous  une  forme  absolue  cette  thèse 
ne  saurait  être  acceptée  ;  car  tous  les  codes  po- 


sitifs présentent  des  analogies,  parce  que  tous 
se  fondent  sur  le  droit  naturel,  à  fortiori  lors- 
qu'ils prennent  naissance  dans  des  sociétés 
voisines  et  contemporaines.  Les  emprunts 
faits  aux  codes  chaldéens  par  les  Hébreux 
sont  certainement  très  importants  ;  mais  ils 
ne  portent  sûrement  pas  sur  l'ensemble  de  ta 
loi  mosa'ique. 
(3)  {D'après  G.  Maspero.) 


LA     PRÉPONDKIUNCE     ÉGYPTIENNE 


275 


s'ètio  suitoul  préoccupée  du  développeuieul  des  richesses  uatu- 
rellos  du  pays.  Elle  creusa  des  canaux,  nettoya  les  anciens,  rec- 
tifia le  cours  des  fleuves,  ré[)ara  les  monuments,  en  construisit  de 
nouveaux. 

Pendant  ce  temps,  TElam,  dëgao-é,  lui  aussi,  des  |)réoccu|)alions 
extérieures,  désabusé  dans  ses  ambitions  impériales,  organisait  et 
administrait  son  bien,  tout  comme  la  Chaldée  (1).  Il  semble  ((u'à 
cette  époque,  il  s'était  formé  en  Asie  des  groupements  ]>ar  natio- 
nalités, chacune  étant  |)lus  (bjsireuse  de  progresser  sur  soi-même 
que  de  soitir  de  ses  frontières  pour  dominer  ses  voisins.  Ce  fut 
un  temps  de  repos. 

Mais  si  l'Asie  demeurait  en  paix,  il  n'en  était  pas  de  même  du 
côté  de  l'Egvpte.  Là,  les  Pharaons,  à  peine  sortis  des  dil'licultés 
(|ni  suivirent  b^  départ  des  Hyksos,  pris  d'un  désir  de  con{juêtes(2) 
bien  étranger  au  caractère  de  leur  race,  entraient  en  campagne  (3), 


(1)  Rois  de  la  U'  dynastie  de  Babylone  (Cf. 
PiNCHES.  Noie  on  a  new  list  of  early  babylo- 
nian  kings,  Proc,  1880-81,  t.  III,  p.  2-2,  42-43. 
—  Id.,  The  babylonian  kings  of  llie  second 
period.,  Proc,  1883  84,  l.  VI,  p.  195.  —  Fr.  De- 
i.iTzscH,  Assvrische  Miscellen,  in  Berichle, 
Acaci.  Se.  Saxe,  1893,  t.  II,  p.  184.)  : 

Aiiman    Iloiimailou] 2082-2022 

Ki;innibi     lUi-llori-Nibi] 2022-1967 

DamUiliciiou  1967-1931 

Iclikil.al 1931-1916 

Choiiclichi  (frère  du  précédent) 1916-1889 

Goulkichar 1889-1834 

Koiirgalalamma  'fils  du  précédent).     1834-1780 
Adarakalama  (fils  du  précédent)...     1780-1756 

Ekouroulanna 1756-1730 

Melamkourkourra  [^Melammatati'.. .     1730-1723 
Eiigamil  :Eâgâ] 1723-1714 

[2)  L'existence  d'expéditions  de  rEgyi)le 
des  la  VP  dynastie  dans  les  pays  asiatiques  est 
fort  douleuse.  R.  Weil  (l'Asie  dans  les  textes 
égyptiens  de  l'ancien  et  du  moyen  Empire, 
w'Sphinr,  Vlll,  1904,  p.  179,  sq.,  LX,  \Mb, 
p.  1-17,  b3-t)9)  a  groupé  les  textes  relatifs  à 
cette  question  ;  mais  J.  Lévy  publie  une 
élude  [Sphinx,  1905,  p.  70-86),  dans  laquelle  il 
tend  à  localiser  Lofanu  Lolan  (nom  sous  lequel 
sont  désignés  les  pays  asiatiques)  à  la  région 
du  Sinai,  reportant  à  la  XVIIl'  et  la  XIX'  dy- 
nasties l'époque  d'entrée  en  contact  des  Egy- 
(itiens  avec  les  populations  syriennes.  Cette 
manière  de  voir  est  d'autant  ])liis  rationnelle 
qu'en  Palestine  les  traces  égyptiennes  les  plus 
anciennes  parvenues  jusqu'à  nous  (Gezer.  Ma- 
geddo;  datent  du  vingt-cinquième  siècle  envi- 
ron et  semblent  être  dues  à  des  influences  in- 
directes. Nous  savons  aussi  que,  sous  la  XH'  dy- 
nastie, quelques  caravanes  asiatiques  s'aven- 
turaient à  trafiquer  dans  la  vallée  du  Nil  (fres- 
que d'Abicha,  tombe  de  Kbnoumhotep  à  Béni 
Hassan  --  G.  Maspero,  ///.s/.,  1,  p.  468,  sq.). 
Les  Egyptiens  de  l'ancien  et  du  moyen  Em- 
pire, qui  nous  ont   transmis  avec  tant  de  soin 


la  nomenclature  de  leurs  expéditions  vers  la 
Nubie  et  le  Siiia'i,  n'eussent  pas  man(|ué  de 
laisser  quelques  souvenirs  de  leurs  incursions 
en  Syrie,  s'ils  s'y  étaient  aventurés.  Le  récit 
romanesque  des  aventures  de  Sinouliit  chez  le 
cheikh  sémite  Ammiânsi  (MuLLER,vl.s/e/i,  p.  38, 
sq.  —  G.  Maspero,  Hisl.,  I,p.  471,  sq.)  viendraità 
ra|)pui  de  cette  opinion  que,  pour  les  Egyptiens 
de  ces  époques,  tout  ce  qui  se  trouvait  au  nord 
du  Sina'i  était  un  pays  étranger  avec  lequel 
Mem|jhis  n'entretenait  que  des  relations  com- 
merciales d'abord  qui,  se  resserrant  peu  à  peu, 
amenèrent  plus  nombreux  les  Sémites  dans 
la  vallée  du  Nil  et  causèrent  plus  tard  l'inva- 
sion des  pasteurs. 

(3)  A;i  sortir  de  l'Egypte,  les  armées  suivaient 
la  Cote,  passaient  par  Raphia,  Gaza,  Ascalon, 
Jafa,  traversaient  le  Carmel,  arrivaient  à  Taa- 
nak  et  atteignaient  Magidi  où  généralement 
les  attendaient  leurs  adversaires,  puis,  traver- 
sanl  le  Tbabor,  gagnaient,  près  de  Tyr,  la  ri- 
vière deNazana  dont  elles  remontaient  la  val- 
lée jusqu'à  Tibekhat,  i)rès  de  sa  source,  fran- 
chissaient le  Liban  et  se  trouvant  dans  la 
vallée  de  l'Oronle  la  descendaient  jusqu'à 
Kadesh,  près  du  lac  de  Iloms,  prenaient  Ha- 
nialli,  Karkar,  tournaient  à  droite  à  la  hau- 
teur (1  Antioche,  passaient  par  Khaloupou, 
Gargamish  et  abordaient  l'Eiiphrate.  (G.  Mas- 
pero, Hisl.  anc.  de.s  peuples  de  l'Orient,  \'  éd., 
1893,  p.  191,  sq.)  Cette  route  était  fort  dange- 
reuse à  cause  du  passage  du  Carmel,  du  Tha- 
bor  et  du  Libm,  mais  elle  avait  l'avanlage  de 
traverser,  à  partir  de  Gaza, des  pays  riches  en 
a|)provisionnements.  Une  autre  route  bien  plus 
facile  etaujourdhui  encore  suivie  par  les  ca- 
ravanes suit  la  cote  orientale  de  la  mer  Morte, 
remonte  le.Jourdain  jusqu'au  lac  de  Tihériade 
gagne  sur  la  droite  le  désert,  passe  par  Damas 
et,  de  là,  permet  d'arriver  en  quelques  jours -au 
lac  de  Homs;  mais  la  jilupart,  dulemi>selle  tra- 
verse des  pays  arides.  (J.  M.) 


276 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


s'emparaient    de    la    Syrie  (1),  de    la   Phénicie  et,  dans  ces  pays, 
organisaient  le     tribut  avec   toute   l'imprévoyance    des    empires 

asiatiques,  des 
pasteurs  dans 
r  Egypte  elle- 
même    (3)  ;     ne 


bonis  de  l'Euphrate.  (E. 
DE  RouGÉ,  Annales  de 
Tout  mes,  III,  p.  17.) 
Thoiitmès  II  y  répri- 
ma quelques  révoltes. 
Tlioulmés  III  fil  trois 
campagnes  et  porta  ses 
armes  jusqu'aux  pays 
situés  enire  l'Oronle  et 
l'Euphrate.  (Cf.  E.  de 
RouGÉ,  Annalesde  Toul- 
mès  m,  p.  8,  sq.;  28, 
sq.  —  H.  BiiUGSCH,  Ges- 
chichle  Aeyyptens,  p. 
294-305.  —  G.  Maspero, 
Recueil,  t.  II,  p.  48  sq  ; 
139,  sq.).  Ameiihotep  II 
ravagea  les  hauts  dis- 
tricts du  Jourdain  et 
une  partie  de  la  Syrie 
révoltée.  Cf.  CuAMPOL- 
Lio.N,  Notices,  t.  II,  p. 
185,  sq.  —  G.  Maspero, 
Notes  sur  quehiues 
points,  dans  Zeitschrift, 
1879,  p.  55,  sq.)  Puis  ce 
furent  Tlioulniès  IV 
(Lepsius,  Denkm.,  III, 
pi.  LXIX,  e,  /■.),  Amen- 
hotep  m,  les  pharaons 
de  la  XIX'  dynastie. 

(2)  D  après  G.  Maspe- 
ro, Hi'^l-  <""■■  peuples 
de  lOrienl  classi(iue,  t. 
II,  p.  5). 

(3)  Le  gouvernement 
pharaonique  des  pos- 
sessions asiatiques  se 
réduisait  à  loccupation 
de  quelques  centres  im- 
portants au  moyen  de 
garnisons  suffisantes 
pour  se  maintenir,  mais 
incapables  de  réprimer 
de  grandes  révoltes.  Les 
officiers  royau.x  n  inter- 
venaient que  très  rare- 
ment dans  la  vie  intime 
des  petits  royaumes  pla- 
cés sous  leurs  ordres,  se 
contentant  de  recevoir 
les  tributs  imposés  à 
chacun  (contributions, 
présents,  pierres  pré- 
cieuses, femmes  des- 
tinées aux  harems  royaux,  esclaves,  etc.),  as- 
sistance aux  troupes,  leur  entretien,  etc.  Ils 
surveillaient  la  sécurité  des  courriers,  des  ca- 
ravanes, prélevaient  des  otages,  fils  de  chefs, 


C/l  E<ncrrrL\dti 


La  Syrie  à  l'époque  chaldéenne  (2). 


(1)  Thoulmès  I"  est  le  premier  souverain 
d'Egypte  qui  entra  en  Asie  ;  il  s'avança  jus- 
qu'au nord  de  la  Syrie  (Lepsius,  Denkm.,  III, 
5}  et   laissa    des   stèles  triomphales  sur   les 


LA     PRÉPONDÉRANCE     ÉGYPTIENNE 


277 


comprenant  pas  que  les  circonstances  qui,  dans  leur  patrimoine, 
avaient  été  favorables  à  la  libération  du  territoire,  devaient  se 
tourner  contre  eux  s'ils  les  laissaient  se  reproduire  en  pays  con- 
quis j)ar  It'ui-s  ai'ines. 

Tous  les  districts,  depuis  le  Sinaï  jusqu'aux  sources  de 
rOronte,  furent  asservis  ;  mais  chaque  chanorement  de  rèo-ne, 
chaque  signe  de  faiblesse  de  la  part  de  la  Métropole  devenait 
une  cause  de  révolte  et,  en  ({up1(|ii. «s  jours,  l'Egypte  perdait  le  fruit 
de  ses  victoires,  de  ses  efforts  pendant  de  longues  années  ;  les 
conquêtes  étaient  à  recommencer. 

Ce  qui  se  passait  en  Syrie  avait  également  lieu  dans  le  pays 
de  Pount  l  .  lArabie,  envahie  par  les  armées  de  la  reine  Hata- 
sou  (21,  dans  le  pays  des  nègres  sur  le  haut  Nil  Z\  Les  troupes 
égyptiennes  étaient  sans  cesse  en  mouvement  dune  frontière  à 
lautre. 

Si  la  politique  extérieure  des  Pharaons  était  inhabile,  celle  des 
Egyptiens  à  l'intérieur  était  plus  déplorable  encore.  Ce  n'étaient 
que  compétitions  religieuses  ou  civiles,  agitations  inutiles,  appor- 
tant mille  complications  dans  la  conduite  des  affaires. 

Les  souverains  de  la  XVII1«  dynastie  se  succédèrent,  douésd'une 
même  énergie,  animés  d'une  même  pensée  :  faire  régner  l'Egypte 
sur  l'Asie,  sur  l'Arabie,  sur  l'Afrique  ;  rapporter  à  Thèbes  et  à 
Memphis  les  trésors  du  monde. 

Les  territoires  asiatiques,  nouvellement  conquis,  étaient  soumis 
plutôt  au  régime  du  protectorat  qu'à  celui  du  gouvernement 
direct.  Les  chefs  et  rois  conservèrent  leurs  titres  et  une  partie  de 


qui  recevaient  à  Thèbes  ou  à  Memphis  une 
éducation  égyptienne  les  préparant  à  gouver- 
ner suivant  les  vues  des  maitres.  Le  pouvoir 
local  demeurait  aux  mains  des  roitelets  indi- 
gènes et  les  populations  conserAaienl  intactes 
leurs  mœurs,  leur  religion,  leur  langue.  Dans 
la  plupart  des  cas  même,  les  officiers  égyp- 
tiens n  intervenaient  d'aucune  manière  dans 
les  querelles  des  petits  rois  entre  eui.  Les  pha- 
raons ne  se  montraient  que  fort  peu  soucieux 
d'égyptianiser  les  pays  conquis  par  leurs  ar- 
més. (Cf.  G.  Maspero,  Histoire,  II,  p.  271  — 
ZimtERs-WiycKLER.Keilinsch,  p.  193,  sq.  —  Nie- 
BLR,  Die  Amarna  Zeit  ;  Aegyplen  a.  Vorderasien 
um  IVjOv.  Ohr.,  p.  6.  sq.  —  Winckler,  Die  Thon- 
tafeln  v.-el  Amarna.  —  Selun,  Tell  Ta'annek. 
(1)  Pays  de  Pounit  connu  des  Egyptiens 
dès  la  V<  dynastie.  ;Cf.  Maspero,  Rev.  crit.. 
18&1,  t.  II,  p.  177-179.)  Pays  compris  entre 
Massaouah  et  Souakin  ou  mieux  de  Suez  au 
cap  Guardafui,  sans  compter  la  côte  asiati- 
que de  Irt  mer  Rouge. 


(2)  Cf.  Temple  de  Deir  el  Bahri,  où  sont 
énumérés  et  figurés  la  plupart  des  produits 
rapportés  d'Arabie  par  lexpédition  ordonnée 
par  la  reine  Halasou.composéede  cinq  navires 
Cf  G.  Maspero,  De  quelques  navigations  des 
Egyptiens,  dans  Rev.  hisl.,  t.  I.\,  p.  12,  note  1'. 
qui  toucha  toutes  les  côtes  de  la  mer  Rouge 
et  poussa  jusqu  aux  environs  du  cap  Guarda- 
fui, où  elle  rencontra  des  peuples  apparentés 
aux  Nubiens  et  aux  gens  de  lArabie.  Cf. 
G-  Maspero,  ///.</.  anc.  peup.  Orient.  5'  édit  , 
1893,  p.  195.  —  Dlmichen,  Die  Flotte  einer  Aegp- 
ti.^chen  Kœnigin  et  Hi.<t  Inschriften,  t.  IL  — 
G.  Maspero,  Rev.  histor.,  t.  IX.  p.  1,  sq.  — 
IIoMMEL.  Die  semitischen  Vôlker,  t.  I,  p.  136,  sq. 
—  E.  Naville.  Deir  el  Bahri., 

13  Expéditions  de  Thoutmès  II!  i  G.  .Maspero. 
Hi-^t.  anc.  des  peuples  de  l'Orient,  5«  édit.  1893, 
p.  197  ,  d'.\menhotep  II  (Lepsius.  Denkm..  III, 
pi.  LX\n,  d'.\menhotep  III  Lepsics.  Den/i/n.,' 
IIL  pi.  LXXVII\  de  Séti  I  Lepsius,  Denkm., 
III,  121),  de  Ramsès  I. 


t>78  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

leurs  prérogatives  ;  au-dessus  d'eux  se  trouvaient  des  Égyptiens 
de  race,  gouverneurs,  préfets  de  villes  et  de  districts  et  inspec- 
teurs chargés  de  la  surveillance  pour  le  compte  des  gouverneurs 
et  du  pouvoir  central.  A  Khoutnaton  (Tell  el  Aniaina)  (l),  sous  les 
yeux  du  roi,  se  trouvaient  des  «  bureaux  asiatiques  »  chargés  de 
la  correspondance,  tant  avec  les  protectorats  qu'avec  les  cours 
étrangères. 

On  n'entretenait  pas  partout  des  gouverneurs  égyptiens;  le 
plus  généralement  le  pouvoir,  héréditaire  avec  l'autorisation 
royale,  était  confié  à  des  dynastes  indigènes  sur  lesquels  le  Pha- 
raon pensait,  à  tort  ou  à  raison,  pouvoir  appuyer  sa  domination. 
Ces  chefs  et  roitelets  étaient  en  nombre  infini;  chaque  vallée, 
chaque  boui'gade  avait  le  sien  ;  et  c'est  cette  division  même  qui 
rendait  la  tâche  plus  aisée  aux  gouverneurs  des  grands  centres  ; 
soutenus  par  des  garnisons  plus  ou  moins  importantes,  ils  étaient 
généralement  k  même  de  maintenir  dans  l'obéissance  les  districts 
placés  sous  leurs  ordres. 

La  correspondance  des  fonctionnaires  égyptiens  nous  échappe 
en  partie,  parce  qu'elle  était  souvent  rédigée  sur  papyrus  en  langue 
pharaonique  ;  nous  possédons  surtout  celle  des  indigènes,  tracée 
sur  argile  suivant  l'usage  chaldéo-assyrien.  La  langue  de  leur  ré- 
daction est  le  chananéen,  dialecte  sémitique  très  pioche  parent  du 
parler  de  la  Mésopotamie  ;  mais  présentant  cependant  des  formes 
et  des  termes  spéciaux,  montrant  par  leur  présence  que  les  Cliana- 
néens  avaient  depuis  de  longs  siècles  quitté  leur  pays  d'origine. 

Dans  certaines  lettres  le  chaldéencst  plus  pur  ;  mais  il  ne  faut 
pas  oublier  que,  si  la  masse  de  la  population  était  chananéenne,  il 
n'en  existait  pas  moins  d'autres  tribus  sémitiques  qui,  comme  les 
Ammonites,  nouvellement  venues  de  Chaldée  en  même  temps  que 
les  Hébreux,  étaient  demeurées  dans  le  bassin  de  la  mer  Morte, 
alors  que  leurs  congénères  gagnaient  la  vallée  du  Nil  ;  que  ceux-là 
parlaient  encore  le  chaldéen  pur  ;  que,  bien  certainement,  il 
exista  toujours  des  relations  étroites  entre  les  gens  de  Chanaan  et 


(1)  Les  lettres  d'El-Amarna  datent  approxi-  on  à  ses  fonctionnaires;  l'autre  renferme  les 

mativement  du   quinzième   siècle,    elles   sont  minutes  des    lettres   expédiées   d'Eî.'yple    en 

postérieures  par  conséquent  àl'arrivée  desHé-  Asie,  elles  ont  été  ]uibliées  par  Winckler  et 

breux  en   Egypte  el  antérieures  à  leur  exode.  Abel, Der  Thonlafelfund  v.  El-Amarna,  1«89  9(), 

Elles  se   divisent  en   deux  classes  :  les  unes  et  par  C.  Bezold,  The  El-Amarna  tablets,  in 

émanant  des  rois  d'Alactiiya,  deKhatti,  deMi-  The  Drit.  Mus.,  189-2)  et  V.  Scueil  {Mém.  de  la 

tanni,  de  Babylonie,  d'Assyrie  el  d'une   foule  Mission   du  Caire.  VI,  p.  297-312  et  Bullel .  de 

de  chefs  syriens,  sont  adressées  au   pharaon  l'Inst.  franc,  du  Caire,  II.  p.  110-118). 


LA     PRÉPONDKRANCE     KG  Vl'TlKNNH  '279 

ceux  de  la  Babylonie  et  que   ces  relations  entretinrent,   pendant 
bien  des  siècles,  la  pureté  du  langage  officiel. 

Les  gouverneurs  indigènes  étaient  responsables  du  liibiil  (|ii  ils 
levaient  sur  la  jjopulalioii,  aliu  de  salisfaire  aux  exigences  du 
Pharaon  et  de  ses  fonctionnaires  en  Asie,  à  l'entretien  des  troupes, 
aux  nécessités  administratives  et  à  leurs  propres  besoins.  C'étaient 
des  denrées,  du  bétail,  des  chevaux,  des  chars,  des  hommes, 
des  femmes,  des  esclaves,  des  l)()is  j)i-éci(Mi\  ou  utiles,  des  pierre- 
ries, des  métaux.  Aucun  fonctionnaire  n'était  rétribué,  cluicun 
faisait  valoir  ses  prétentions  ;  il  existait  des  coutumes  les  régle- 
mentant. 

Le  contribuable  attardé  ou  fautif  augmentait  de  son  plein  gré 
ses  taxes,  afin  d'obtenir  son  pardon;  ils'imposait  lui-même, envoyait 
au  Pharaon  ou  à  ses  fonctionnaires  ses  biens,  ses  filles  pour  con- 
server son  poste;  quitte  à  s'enrichira  nouveau  aux  dépens  de  ses 
subordonnés. 

Ce  mode  d'administrer  n'était  pas  seulement  en  vigueur  dans 
la  Syrie  ;  il  était  appliqué  par  les  Égyptiens  h  toutes  leurs  pos- 
sessions, que  ce  soit  dans  le  Pount  ou  dans  les  terres  du  haut 
Nil. 

Dans  l'Asie  antérieure,  tous  les  districts  ne  faisant  pas  partie 
d'une  métropole  étaient  exploités  de  la  sorte  ;  on  en  retrouve 
l'assurance  dans  les  textes  assyriens  et  babyloniens.  Cette  mé- 
thode qui,  plus  tard,  fut  celle  des  Achéménides,  des  successeurs 
d'Alexandre,  des  Sassanides  et  du  monde  musulman,  je  l'ai  vue 
appliquée  encore  dans  bien  des  pays  de  l'Orient. 

A  partir  d'Aménophis  IV  (Khouenaten), une  révolution  religieuse 
survint  (1),  provoquée  par  les  menées  and^itieuses  des  prophètes 
de  l'Ammon  thébain  ;  elle  préoccupa  plus  les  esprits  que  les  in- 
térêts vitaux  de  la  nation.  Après  ce  souverain,  des  désordres 
éclatèrent  et  la  XYllI"  dynastie  s'éteignit  dans  les  troubles. 

Malgré  cela,  sous  Khouenaten  encore,  les  princes  d'Asie  étaient, 
pour  la  plupart,  demeurés  dans  l'obéissance  ;  nous  avons  vu  qu'ils 
envoyaient  à  la  cour  des  lettres  et  des  rapports,  en  caractères 
cunéiformes,  dont  quelques-uns  sont  parvenus  jusqu'à  nous. 

Les  débuts  de  la  XIX"  dynastie  rétablirent,  en  même  temps 
que  le  culte  national  d'Ammon,  l'ordre  dans  l'intérieur  et  la  do- 

(1)  Cf.  G.  Maspei.o,  Bull,  (k-  la  religion  (lerEgypte.dans/îey.t/e  lliisl.  des  religions, 188-2,  l.  V.  p.  99. 


•280 


LES     PREMIÈRES    CI\  ILISATIOXS 


minatioii  à  l'extérieur.  Enfin,  avec  Séti  I,  commença  Fère  de  la  véri- 
table grandeur  de  l'Egypte  au  dehors.  Toutes  les  anciennes  pos- 
sessions furent  reprises  ;  mais, 
au  nord  de  la  Syrie,  les  Pharaons 
se  heurtent  contre  la  puissance 
des  rois  hétéens,  qu'en  dépit  de 
leurs  inscriptions  triomphales  (1) 
ils  ne  purent  vaincre,  et  avec 
lesquels  ils  s'accordèrent  après 
plusieurs  expéditions  (2). 

Ce  traité,  dont  fort  malheu- 
reusement nous  ne  possédons 
que  le  texte  égyptien  (3),  et  qui 
avait  été  écrit  dans  les  deux 
langues  (4),  est  la  plus  ancienne 
pièce  diplomatique  connue.  Ses 
clauses  révèlent,  de  la  part  des 
deux  chancelleries,  des  concep- 


(3)  On  Iroiivern  la  IraducUon  complète  du 
Irailù  entre  l'Egvple  et  le  Kliéla  (d'après  le 
texte  égyptien),  dans  les  Hétéens,  de 
A. -H.  Sayce,  trad.  J.  Menant,  IftH,  p.  24,  sq. 
(Cf.  Trad.  de  Rongé,  dans  Egger,  Etudes  liis 
loricines  sur  les  traités  jiublics  chez  les  Grecs  et 
les  liomains.  Le  le.xte  a  été  publié  ])ar  Cham- 
poi.uo,  Xol.  mnn.,  t.  II.  —  Bnucscn,  Monu- 
ments, l.  I,  pi.  XXVIII  cl  par  Lepsiiis.) 

(4)  Sur  la  langue  des  lléléens  Cf.  1VIE^•A^T, 
Etudes  liétéennes,  ds  Recueil  de  Intvaux  rela- 
tifs à  lu  philolotjie  el  à  l'archéologie  étfjjptienne 
et  assijrionne,  vol.  XIII,  18!)0.  —  Id.,  Elude  sur 
Karkemich,  in  Mém.  Acad.  Inscr.  et  Ilelles- 
Leltres,  t.  XXXU,  2'  partie,  18110,  p.  201.  sq. 
—  S.vYCE,  les  Hétéens,  trad.  fr.  par  J.  Menant 
Paris,  iwn. 

Les  inscriptions  liétéennes  se  distinguent  de 
celles  des  autres  pays  i)ar  des  caractères  spé- 
ciaux; les  hiéroglyphes  y  sont  toujours  taillés 
en  relief  el  non  en  creux  sur  les  monuments; 
tous  se  lisent  horizontalement  et  sont  bous- 
troi>hedon,  système  qu'on  ne  rencontre  ni  en 
Egypte,  ni  en  Chaldée,  ni  en  .\ssyrie,  ni  en 
Phénicie;  mais  qu'on  retrouve  dans  les  plus 
anciens  textes  grecs  (Thera,  osselet  de  Suse), 
ce  (lui  indique  des  liens  entre  les  usages 
hétéens  et  ceux  des  Grecs  du  début.  D'autre 
part,  les  hiérogl\phes  eux-mêmes  sont  entiè- 
rement indéiiendants  de  ceux  de  l'Egypte. 
Us  ont  bien  certainement  été  inventés  dans 
l'Anianuset  la  Cappadoce  ;  mais  peut-être  ce 
système  graphique  a-t-il  été,  dans  son  en- 
semble, inspiré  par  le  mode  d'écrire  usité  en 
Egypte. 

(5)  D'après  G.  Maspero,  Hisl.  anc.  peuple.'i 
de  l'Orient  classique. 


L'Egypte  vers  l'époque  de:- 
Ramessides  (5). 


(1)  A  la  bataille  de  Kadèch,  le  roi  Ramsès 
(1383  av.  J.-C.  date  discutée)  dut  donner  de 
sa  personne  ;  c'est  sur  cet  acte  de  courage  per- 
sonnel qu'a  été  édifié  tout  le  poème  du  Pen- 
laour  L'armée  égyptienne  avait  lâché  pied  et 
tout  porte  à  croire  qu'elle  subit  un  échec; 
l'empressement  avec  lequel  le  pharaon  traita 
est  éloquent  à  cet  égard.  —  (Cf.  A. -H.  Sayce, 
A  Forg.  Emp.,  éd.  J.  Menant,  p.  23.) 

(2)  Séti  II  (Cf.  CiiAMPOLLio.N,  yot.  man.,  t.  II. 
p.  96),  Ramsès  II. 


LA     PRÉPONDtnANCE     ÉGVPTIENNK 


281 


lions  qu'on  est  fort  surpris  de  rencontrer  à  cette  époque:  paix 
éternelle  entre  les  deux  peuples,  alliance  offensive  et  défensive, 
conditions  spéciales  pour  assurer  la  justice  et  les  facilités  com- 
merciales au  profit  des  résidents  d'un  peuple  chez  Tautre,  extra- 
dition des  criminels  et  des  transfuges,  restitution  des  sujets  passés 
sans  autorisation  d'un  territoire  dans  l'autre.  C'est  entre  Ram- 
sès  II,  roi  d'I'^gypte,  et  Khitisar,  fils  de  Môroussar,  roi  des  Khiti, 
que  fut  passé  ce  contrat  mémorable  (1). 

Ainsi  deux  grands  peuples,  appartenant  aux  anciennes  races, 
possédaient  déjà,  sur  le  droit  international,  des  principes  qui,  de 
nos  jours  encore,  ne  seraient  pas  désavoués  par  la  diplomatie.  En 
Chaldée,  en  Egypte  et  chez  les  Hétéens  le  sens  de  la  justice  était 
donc  encore  très  développé.  Il  fallait,  pour  le  malheur  des  hommes, 
que  l'Assyrie  surgît  et  réduisît  à  n(''aut  ces  progrès  issus  de 
tant  de  siècles  de  labeur. 

Les  Khiti  (Hétéens)  (2)  étaient  des  autochtones,  apparentés  plus 
ou  moins  étroitement  aux  anciens  peuples  de  l'Asie  antérieure  (3). 
Leurs  congénères  habitaient  encore  toute  l'Asie  Mineure,  le  Tau- 
rus,  l'Arménie  jusqu'au  Caucase  (^),  la  majeure  partie  des  monts 


(1)  Champollion,  \ol.  nian.,  t.  II.  —  Lepsius, 
Denkm.,  III,  46.  —  Brcgscii,  Monuments,  l.  I, 
pi.  XXVIII.  —  TradiicUons  :  E.  de  Rongé, 
dans  Eggeb,  Etude  sur  les  traités  publics, 
p.  243.  —  Chabas,  le  Voijaye  d'un  Eijijptien, 
p.  322,  sq.  —  GooDwiN,  Treaty  of  peace  bel- 
ween  Ramses  II  and  the  Hiltiles,  in  Records 
of  Ihe  past.,  t.  IV,  pp.  25-32.  La  minute  de  ce 
traité  avait  été  rédigée  en  langue  héléenne  et 
gravée  sur  des  laines  d'argent.  Ce  texte  hétéen 
s'est  perdu,  nous  n'en  possédons  que  la  traduc- 
tion égyptienne  gravée  sur  les  murs  du  temple 
du  Ramesséum  à  Thèbes. 

(2)  Les  Hétéens  doivent  être  considérés 
comme  les  premiers  maîtres  des  grossières 
populations  de  l'occident  de  l'Asie  Mineure. 
Ils  leur  apportèrent  une  civilisation  dont  les 
éléments  leur  avaient  été  inspirés  parles  Ba- 
byloniens, et  ils  y  joignirent  une  écriture  dont 
les  indigènes  tirèrent  ensuite,  selon  toute  pro- 
babilité, le  système  graphique  qu'ils  se  sont 
approprié. (A.-II.Sayce,  les  Hétéens,  éd.  J.  Me- 
nant, p.  77,  sq.)  Avec  les  fouilles  des  Alle- 
mands à  Boghaz-Keu'i,  l'histoire  des  Hétéens 
entre  dans  une  nouvelle  phase,  ou  mien.\, 
commence  enfin.  (On  prépare  la  pul)licalion 
de  ces  documents.) 

(3)  Il  est  évident  qu'il  faut  voir  dans  les  I ri- 
bus  héti'ennes  les  restes  d'une  race  |irimili- 
vement  établie  dans  les  chaînes  du  Taurus,  et 
qui  s'étaient  hasardées  à  se  fî,\er  ensuite  dans 
les  plaines  et  les  vallées  brûlantes  de  la  Syrie 
et  de  la  Palestine.  Ces  tribus  appartenaient 
originairement  à  lAsic  Mineure  et  non  à  la 
Svrie.  Nous  devons  considérer  comme  un  nom 


national  cette  appellation  d'Héléens,  qui  les 
désignait  comme  un  peuple  distinct  des  autres 
races  du  monde  oriental.  (A..-H.  S.wce,  les  Hé- 
téens, éd.  .1.  Menant,  p.  51,  sq.) 

(4)  Tout  porte  à  croire  que  les  peuples  cau- 
casiens de  nos  jours  sont  les  derniers  repré- 
sentants de  cette  famille  qui,  avant  la  pre- 
mière invasion  sémitique  (akkadienne),  cou- 
vrait toute  l'Asie  antérieure  depuis  les  déserts 
de  l'Arabie  jusqu'à  la  mer  Noire  et  de  la  Mé- 
diterranée jusqu'au  plateau  iranien  et  peut- 
être  au  delà  C'est  à  cette  race  qu'apparte- 
naient les  Hétéens,  les  gens  du  Nairi,  de  lOu- 
rartou,  duNamri,de  rElam(?)  et  peut-être  aussi 
les  Cosséens.  De  leurs  langues,  nous  ne  con- 
naissons que  l'élamile  et  le  vannique  ;  cette 
dernière  montre  une  parenté  avec  le  géorgien. 
Les  langues  caucasiennes  sont  agglutinantes 
et  possèdent  ce  caractère  au  point  d  être  capa- 
bles de  faire  entrer  toute  une  phrase  dans  un 
seul  mot.  Seul  legéorgien  est  une  langue  liUé- 
raire  possédant  récriture  depuis  la  conversion 
du  Caucase  au  christianisme  ;  les  autres  m- 
s'écrivent  pas,  on  les  divise  communément  en 
deu.x  groupes,  celui  du  Nor<l  el  celui  du  Sud. 
Le  groupe  septentrional  comprend:  le  les- 
ghien,  l'avare,  le  kazi-koumoukli,le  kourine,  le 
tchouch,  l'onde,  le  Iclielchenze,  etc.,  etie  tcher- 
kesse  lui-même  très  subdivisé.  Le  groupe  méri- 
dional ou  karthwélien comprend  legéorgien,  le 
mingrélien,  le  laze,  l'imérilhien,  le  souane,elc. 
Bien  que  pos-^édant  des  traits  communs,  la 
plupart  de  ces  idio.ncs  ne  présentent  entre 
eux  que  des  i)arentés  originelles,  beaucoup 
même  sont  irréductibles  par  rai)port  aux  au- 


282 


LES     PREMIÈRES     CIMIISATIONS 


Cardiiques  et  FÉlam  (?).  Leur  patrimoine  se  trouvait  situé  entre  le 
golfe  d'Alexandrette  et  l'Euphrate,  entre  l'Amanus  et  les  sources 
de  rOronte  ;  mais,  comme  tous  les  grands  souverains  asiatiques, 
le  roi  des  Khiti  avait,  à  l'époque  des  Ramessides,  une  foule  de 
vassaux  et  d'alliés.  Son  influence  s'étendait  jusqu'à  la  mer  Noire 
au  nord,  jusqu'à  la  pointe  de  l'Asie  Mineure  à  l'ouest  et  jusqu'au 
lac  de  Van  à  l'est,  à  la  vallée   de  l'Araxe  et    peut-être    aussi  jus- 


L'Einpire  liétéen  vers  l'époque  des  Ramessides. 

qu'à  l'extrémité  orientale  du  Petit  Caucase.  Ses  troupes  occupaient 
tout  le  bassin  de  l'Oronte.  C'était  un  puissant  souverain  (1). 

Mais  les  succès  égyptiens  en  Asie  devaient  être  de  courte 
durée  ;  déjà,  du  temps  de  Menej)htah,  les  provinces  syriennes 
avaient  échappé  aux  Pharaons  et,  du  vivant  de  Séti  II,  l'anarchie 


1res.  Au  Caucase,  on  compte  120  langues  el 
flialecles;  il  semblerait  que  ces  montai^nes  ont 
conservé  quelques  trilius  de  chacun  de  ces 
peui)les,qui  jadis  occupaient  l'Asie  Antrrieure, 
peuplades  qui,  tour  à  tour,  y  seraient  venues 
chercher  un  refuge  contre  les  envahisseurs. 
Au  Lazislan,  plus  particulièrement  le  nombre 
des  tribus  étrangères  les  unes  au.x  autres  est 
considérable.  (Cf.  Klaproth,  Voymje  au  Cau- 
case. —  .1.  DE  M0RG-4N,  Mission  sc.au  Caucase, 
t.  II,  1889.) 

{l)Les  monumenlshéléens, rencontrés  dans 
toute  l'Asie  Mineure,  prouvent  par  leur  pré- 


sence la  grande  étendue  de  cet  empire.  Ce- 
pendant, quelques-uns  semblent  dus  non  pas 
au.xllétéens  eux-mêmes,  maisà  leur  influence, 
tels  ceu.x  d'iberez,  sur  lesquels  le  dieu  el  son 
adorateur  présentent  un  type  sémitique  bien 
différent  de  celui  des  l)as  reliefs  de  Karahel, 
du  mont  Sipyle,  d'Hnmath,  de  Karkemich,etc., 
qui  sont  dus  aux  Hétéens  eux-mêmes.  Pour 
les  caractères  hiéroglyphiques,  l'unité  est 
frappante  dans  tous  les  textes  parvenus  à 
notre  connaissance.  (Cf.  A. -H.  Sayce,  A  for- 
ijot.  Emp.,  trad.  J.  Menant,  p.  78  ) 


LA     PRKruXDKlIANCE     ÉGYPTIENNE  -283 

régnant  clans  la  métropole  empêchait  le  gouvernement  de  son- 
ger aux  possessions  extérieures.  Les  princes  des  nomes  révoltés 
se  mirent  à  guerroyer  entre  eux  et  contre  ce  qui  restait  de  l'au- 
torité royale, 

La  politique  intérieure  et  extérieure  des  Pharaons  commettait 
toujours  les  mêmes  fautes.  Que  de  fois  n'avait-on  pas  vu  déjà, 
depuis  trois  mille  ans,  les  feudataires  se  révolter  à  la  faveur  des 
moments  de  faiblesse  de  leur  suzerain;  et  cependant,  aucun  pha- 
raon, même  des  plus  puissants,  n'avait  abaissé  cette  aristocratie 
féodale,  cause  d'une  telle  instabilité  dans  le  pouvoir  central.  Les 
fauteurs  du  désordre  étaient  punis,  privés  de  leur  principauté  ; 
mais  ces  fiefs  remis  entre  d'autres  mains  n'en  demeuraient  pas 
moins  un  foyer  de  révolte.  L'Egypte  ne  sut  pas,  |)aniii  ses  cen- 
taines de  rois,  trouver  un  Louis  XI. 

Cette  révolution,  qui  couvaiL  depuis  longtemps,  éclata  soudain 
€t,  après  la  mort  de  Séti  II,  l'Egypte  connut  tous  les  désastres 
de  l'anarchie.  Des  dynasties  usurpatrices  se  disputèrent  le  pou- 
A'Oir.  Les  princes,  indépendants  à  nouveau,  se  donnèrent  tour  à 
tour  aux  unes  et  aux  autres  ;  la  guerre  civile  s'étendit  depuis  les 
frontières  de  Nubie  jusqu'à  la  Méditerranée. 

Menephtah  avait  encore  entretenu  des  relations  diplomatiques 
avec  le  roi  des  Hétéens  et  conservé  les  garnisons  de  Syrie  ;  mais 
peu  à  peu  les  troupes  durent  être  rappelées,  si  toutefois  elles  ne 
se  retirèrent  d'elles-mêmes  pour  venir  peser  dans  la  balance  en 
faveur  de  l'un  ou  de  lautre  des  prétendants. 

C'est  à  l'époque  de  Menephtah  ou  de  Séti  II  qu'il  convient  de 
placer  le  départ  des  Hébreux  d'Egyj)te  ;  fuite  d'une  bande  d'es- 
claves, dont  les  Pharaons  s'inquiétèrent  bien  peu,  au  milieu  des 
graves  préoccupations  qui,  de  tous  côtés,  assaillaient  le  trône. 

Depuis  longtemps  l'Egypte  possédait  une  multitude  de  serfs 
appartenant  à  toutes  les  races  de  l'Asie  et  de  l'Afrique.  Ils  se 
révoltèrent;  et  les  étrangers  libres  habitant  le  pays,  presque  tous 
des  Asiatiques,  se  joignirent  à  eux.  A  la  guerre  civile  venait 
s'ajouter  une  lutte  plus  terrible  encore,  celle  des  oj)primés  contre 
leur  maître.  L'infiltration  lente  avait  amené,  au  comii-  même  de 
l'Egypte,  une  armée  étrangère. 

Les  rebelles  occupèrent  le  Delta  pendant  douze  ans  ;  c'étaient  les 
restes  des  pasteurs,  des  tribus  sémitiques  du  sud  de  la  Syrie,  du 
Sinaï,  des  Libyens,  des  esclaves.  Les  révoltés  choisirent  pour  capi- 


28li  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

taie  Avaris,  ce  site  de  l'ancien  camp  retranché  des  Hyksos,  dont 
ils  espéraient  restaurer  la  royauté  et  les  déprédations.  N'est-ce 
pas  même  l'issue  de  ces  événements  qu'attendirent  les  Hébreux 
pendant  quarante  ans  dans  les  gorges  du  Sinaï:  leur  sort  ne  dé- 
pendait-il pas  du  succès  ou  de  la  répression  de  cette  tentative  ? 

Pendant  ces  troubles  surgit  une  dynastie  nouvelle,  la  XX^  de 
Manéthon.Son  chef,  Nakhséti,  rétablit  Tordre,  chassa  les  révoltés, 
renversa,  non  sans  peine,  le  chef  syrien  Irisou  et  reprit  la  majeure 
partie  de  l'Egypte.  Il  était  réservé  à  son  fils  Ramsès  111  de  chasser 
les  Bédouins  de  l'est  du  Delta,  qu'ils  occupaient  encore  en  dépit  de 
leurs  défaites,  d'expurger  la  péninsule  sinaïtique  des  pillards  qui 
l'infestaient,  et  de  refouler  les  Lybiens  dans  leurs  territoires  de 
l'Ouest.  Peut-être  doit-on  voir,  dans  l'expédition  de  Ramsès  III  au 
Sinaï,  la  cause  du  départ  de  Moïse  et  de  ses  tribus  vers  le  Nord? 

La  Syrie  était  perdue  pour  l'Egypte;  mais,  fait  bien  plus  grave, 
son  allié  du  Nord,  le  roi  des  Hétéens,  avait  vu  s'écrouler  la  majeure 
partie  de  sa  force  et  ses  rêves  de  puissance.  D'une  part,  l'Assyrie 
grandissant  avait  déjà  vaincu  et  asservi  bien  des  peuples  du  Naïri 
et  du  Khoummoukh  inféodés  aux  Iletéens  ;  d'autre  parties  Aryens, 
nouveaux  venus  en  Asie  ^Mineure  et  sur  les  côtes  du  Pont-Euxin, 
avaient  formé  une  puissante  coalition  contre  les  royaumes  d'Asie, 
et  les  alliés  s'avançaient  vers  le  Sud. 

Vaincus  en  même  temps  que  leurs  congénères,  les  Hétéens 
furent  entraînés  parle  flot  qui,  descendant  en  Syrie,  vint  briser  ses 
forces  vers  Péluse  (1)  contre  l'armée  de  Ramsès  III. 

La  Libye  menaça  encore  le  Delta  ;  elle  fut  repoussée  et  quelques 
expéditions  heureuses  ramenèrent,  pour  un  temps,  dans  l'obéis- 
sance les  anciennes  possessions  de  l'Asie  et  de  l'Arabie. 

C'est  à  cette  époque  que  les  Philistins  furent  cantonnés  par 
Ramsès  en  Syrie  et  que  les  Tyrséniens  et  les  Shardanes,  n'ayant 
plus  de  patrie,  s'éloignèrent,  dit-on,  vers  l'Occident  sur  leurs 
vaisseaux;  les  uns  se  seraient  établis  au  nord  de  l'embouchure  du 
Tibre,  les  autres  auraient  colonisé  la  Sardaigne. 

L'Egypte  et  la  Syrie  étant  toutes  deux  épuisées  et  personne 
ne  voulant  plus  la  guerre,  les  règnes  des  Ramessides  se  passèrent 
en  paix.    Les  Egyptiens  avaient  assez  à   faire   pour  remettre  en 

(1)  Sur  la  marche  des  peu))les  du  Nord,  et  la  quelques  lestes  hiéroolyi>lii(|iies.  dans  VAlhe- 
hataille  de  Raphia-Péluse,  Cf.  Greene.  Fouil-  iieum  français,  1855.  —  Ciiabas,  Etudes  sal- 
les à  Thèbes,    1855.    —  De    Rougé,    notice  de        iantiquilé  historique,  pp.  250,  288. 


LA     PIUiPONDKUA.NCK     ÉGYPTIENNE  285 

ordre  leur  pays  ;  ([uanl  aux  Syriens,  les  appréhensions  que  leur 
causaient  les  progrès  rapides  de  l'Assyrie  étaient  autrement  graves 
que  la  crainte  des  Pharaons. 

Ainsi  livrée  à  elle-même  pour  plusieurs  siècles,  la  Syrie  entra 
dans  une  com[)lète  anarchie;  et  c'est  ce  désordre  même,  ce  manque 
de  surveillance  de  la  part  des  grands  États,  qui  permit  aux  Hébreux 
de  s'installer  en  Palestine.  En  tout  autre  temps,  ils  eussent  été  arrê- 
tés par  les  troupes  ninivites  ou  égyptiennes,  détruits  ou  refoulés 
dans  le  désert  arabique  et  se  seraient  fondus  avec  ces  Bédouins 
sans  histoire  qui,  de  tout  temps,  ont  erré  dans  ces  plaines. 

Gomme  il  en  advient  toujours  à  la  suite  de  longues  périodes 
guerrières,  l'élément  égyptien  de  la  population,  dans  la  terre  du 
Nil,  avait  diminué  dénombre;  mais  il  s'était  trouvé  remplacé  par  une 
foule  d'étrangers  appartenant  à  toutes  les  races  (1)  qui,  venus 
comme  esclaves,  s'étaient  vite  afTranchis  et,  adorateurs  des  dieux 
du  pays,  comptaient  pour  de  vrais  Egyptiens  dont  ils  n'avaient  ni 
le  caractère,  ni  les  aptitudes,  ni  l'énergie.  En  petite  proportion,  ils 
se  fussent  mélangés  à  la  masse,  sans  aflaiblir  sa  vitalité  ;  en  grand 
nombre,  ils  vicièrent  le  sang  indigène. 

Il  en  fut  de  même  à  Thèbes  qu'à  Rome,  qu'à  Constantinople 
plus  tard;  un  amalgame  de  tous  les  peuples  s'étant  peuà  peu  sub- 
stitué à  la  race  des  maîtres,  le  patriotisme,  les  qualités  guer- 
rières (2)  et  administratives  s'évanouirent. 

Cette  paix,  heureuse  en  apparence,  fut  pour  rEgyj)te  une  ère  de 
misère  et  de  malheur.  Les  bras  manquant  pour  la  culture,  il  y  eut 
de  terribles  famines  (3);  les  travaux  d'utilité  publique  furent 
délaissés  (û),  des  bandes  armées  parcoururent  le  pays  et,  l'admi- 
nistration se  relâchant,  les  nécropoles  furent  pillées. 

Le  souvenir  des  trésors  ravis  par  les  pasteurs  dans  les  sépul- 
tures antiques  était  encore  présent  à  la  mémoire  de  tous;  et  les 

(1)  Etrangers  au  service  de  l'Egypte  (Grecs)  fermer  dans  la  caserne,  etc.  »  {Papyrus 
XVin»  dvn.  Sayce.  Academii,  189-2,  I,  p.  164.  —  Ana.slasi,  III,  pi.  V.  1.  5  ;  pi.  VI  ;  1.  2  ;  IV,  pi. 
Les  Sicules  =  Shakalsha  (Sayce.  Acaci.,  1891,  I,  IX,  1.  4  ;  pi.  X,  1.  I.  —  E.  dr  Rougé,  Discours 
p.  222-2-23).  —  Sous  Setil"  (Cf.  Fl.  Pétrie,  —  d'oucerlure,  p.  34-35.—  G.  Maspero,  Du  yenre 
Kaliun,Garob   and  Hawara.  p.    3'5,.38,40),  Tur-  cpislolaire,  \k  il-i3.) 

sha=:  Thyrsénien.  (3)     Cf.      Lieblei.n-Chabas,    Deux    papyrus 

(2)  L'aniimilitarisme  faisait  son  apparition  ;  hiératiques,  p.  38.  —G.  Maspero, ///s/,  anc. 
on   rt'ciierchait   les    emiilois   civils,    mais   on       peup.  or.,  1893,  p.  275,  sq. 

raillait   tout    ce    qui   touchait     au    militaire.  (4)  Cf.  Pleyte  et  F.  Rossi,  Papyrus  de  Tun;!, 

«  Pourquoi  dis-tu  que  l'officier  d'infanterie  est  Leyde,  1869-1876,— documents  privés  montrant 

plus  heureux  que    le  scribe  !    demandait    un  lappauvrissement   graduel    de  l'Egypte.   (Cf. 

scribe  à  son  élève.  Arrive  que  je  te  peigne  le  Maspero,  Hisl.  anc.  peuplesde  l  Orient,  V«  édit., 

sort  de  l'officier  d'infanterie,  l'étendue  de  ses  1893,  p.  274.) 
misères  :  on  l'amène   tout  enfant  pour  l'en- 


286  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

prêtres  ne  se  trouvaient  pas  en  état  de  résister  par  eux-mêmes  aux 
spoliations  (1).  On  dut  enlever  de  leurs  tombeaux  les  momies 
des  rois  du  nouvel  empire,  celle  des  grands  personnages,  afin  de 
les  soustraire  à  la  profanation  que  la  police  était  incapable  de  ré- 
primer. 

Pendant  que  TEgypte  était  écrasée  par  le  malheur,  quelle  payait 
si  chèrement  ses  nombreuses  révolutions,  sa  gloire  militaire  à 
l'étranger,  les  prêtres  thébains  ne  restaient  pas  inactifs.  Us  rêvaient 
depuis  longtemps  de  posséder  un  jour  ce  trône  des  Pharaons 
qui,  sous  leurs  yeux,  faisait  Tol^jet  de  tant  de  compéti- 
tions (2). 

jNlodifiant  insensiblement  le  culte,  reprenant  le  dogme  qui,  par 
un  eflet  de  réaction  du  pouvoir  royal,  avait  amené  la  révolution 
religieuse,  le  schisme  d'Aménophis  IV,  ils  proclamèrent  Amnion 
le  seul  dieu  d'Egypte  et  s'emparèrent  de  l'esprit  de  la  haute  société 
et  du  roi  lui-même  au  point  que,  sous  Ramsès  111,  le  véritable  Pha- 
raon était  le  premier  prophète  du  dieu  théjjain  (3). 

On  a  pensé  que  cette  révolution  dans  les  croyances  était  le  ré- 
sultat de  déductions  philosophiques  (fi),  et  de  là  1  imagination  est 
partie  pour  construire  tout  un  système  de  monothéisme  chez  les 
Egyptiens.  Inutile  d  aller  chercher  dans  des  sphères  aussi  élevées 
l'origine  des  événemejits  (|ui  se  passaient  alors  à  Thèbes  ;  car 
seule  lambiliou  du  clero-é  thébain  en  fut  l'orio-ine. 

Thèbes  était  alors  une  ville  immense,  occupant  les  deux  rives  du 
fleuve  ;  ses  temples,  grands  eux-mêmes  comme  des  cités,  entre- 
tenaient la  majeure  partie  de  la  population  ;  leurs  servants  étaient 

(1)  Papyrus  Abiiot.  Cf.  Ciiabas,  Une  spolia-  cléopolis  magna  et  de  celui  de  Coptos), /î'(,//or!;.s' 
tion  des  hypogées  de  Thèbei  au  onzième  d'or  qui  saisit  avec  sa  force  Ions  les  pays,  ijui 
siècle,  dans  les  Mélanges  é<iijploloiii(iues,  eslyraiiden[ormalions,filsdiiSo!eil,Aménoplns, 
III"  série,  l.  I,  p.  1-172.  —  G.  Maspeiîo,  Une  le  réyenl  divin  d'IIéliopolis  (A.  Wiedemann, /e 
enqiièle  judiciaire  à  Thèbes  au  lemps  de  la  Roi  dans  l'ancienne  Eyyple.  Bonn,  p.  7;. 
XXJl'  t///'i(i.s;/e.  — A.  EiiMAN,  Beilr:igezur  Kent-  (3)  Cf.  G.  Maspero.  Note  sur  quelques  points 
niss  der  Aegyplischen  Gericlitsverfahrens,  de  grammaire  et  d'histoire,  ds  Recueil,  I, 
dans  Zeilschr  ,  1879,  p.  81-83,  148-152.  p.  157,  sq.  —  Lepsius,  Denkm.,  III,  pi.  219. 

(2)  En  Egypte,  le  roi  était  un  dieu  de  pas-  (4)  Si  les  événements  politiques  ne  venaient 
sage  sur  la  terre.  Maître  absolu  de  ses  sujets,  montrer  le  but  intéressé  des  prophètes  d'Ain- 
il  réglait  en  personne  (théoriquement)  toutes  mon,  on  serait  tenté  de  croire  qu'à  celte 
les  affaires  grandes  et  petites,  marchait  à  la  époque  l'Egypte  avait  atteint  une  philosophie 
lête  de  ses  armées;  tout  émanait  de  lui,  il  était  religieuse  très  élevée.  Ammon,  dieu  unicpie, 
l'auteur  de  tous  les  biens,  de  tous  les  succès.  e.xislant  par  essence,  le  seul  générateur  dans 
L'emphase  de  ses  litres  surpassait  tout  ce  le  ciel  et  sur  la  terre  qui  ne  fut  pas  engendré, 
que  jamais  la  pompe  des  Orienlau.x  a  pu  con-  le  père  des  pères,  la  mère  des  mères,  était 
cevoir.  Aménophis  il  est  nommé  :  Haras,  le  bien  le  dieu  qu'il  fallait  à  des  prêtres  rêvant 
Taureau  jmissant,  grand  par  la  valeur,  maiire  l'établissement  d'une  Ihéocialie.  —  Sur  les 
du  diadcme  du  Vaulour  et  décelai  du  SerpenI  ;de  papyrus  relatifs  au  dogme  théJjain,  Cf.  Gré- 
la  H;iuleet  delà  Basse-Egypie;  f/(i; /-e/if/ ;/;-'i/u/e  isaijt,  l'Hymne  à  Ammon-Rù  des  pajiyrus  de 
la  joie,  qui  laisse  solenniser  des  fcles   à  l'hcbes,  Doulaq.  1875. 

le  Sulen-nel  (grand  prêtre  du    nùme    d'Héra- 


288  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

une  véritable  armée.  Le  mystère  régnait  dans  ces  sanctuaires 
sombres,  à  peine  éclairés,  où  les  fidèles  ne  pouvaient,  suivant  leur 
rang,  dépasser  certaines  limites.  Le  roi  voyaitla  divinité  face  à  face. 
Le  premier  prophète  interprétait  la  volonté  dWmmon,  à  laquelle 
souscrivait  toujours  le  pharaon  prosterné;  Thèbes  était  la  ville  du 
merveilleux,  du  mystère,  de  Fomnipotence,  les  pèlerins  y 
affluaient  saisis  dune  terreur  mystique.  A  cette  plèbe  on  aban- 
donnait les  superstitions,  le  culte  des  animaux  (1),  tandis  que 
se  jouait  dans  le  sanctuaire  cette  comédie  dont  le  trône  était 
l'enjeu. 

Le  terrain  avait  été  dès  longtemps  et  habilement  préparé  ;  aussi,  à 
la  mort  de  Ramsès  XII,  le  premier  prophète  d'Ammon,  Hrilior, 
crut-il  le  moment  venu  de  fonder  une  dynastie  théocratique  et  se 
déclara-t-il  lui-même  «  maître  de  la  haute  et  de  la  basse  Egypte  ». 
Par  sa  mère  il  descendait  de  sang  royal  et  divin  (2). 

Il  ne  manquait  à  l'Egypte,  dans  ses  malheurs,  qu'une  usurpation 
religieuse;  elle  l'eut,  et  tandis  que  Thèbes  et  le  haut  du  pays 
reconnaissaient  pour  pharaons  ces  prêtres  qui,  par  la  richesse  de 
leurs  temples,  tenaient  la  population,  la  basse  Egypte  refusait  de 
s'associer  à  ce  retour  aux  temps  antiques  ;  dAvaris  sortait  une 
dynastie,  la  XXP,  qui  gouverna  le  Delta,  alors  que  les  prophètes 
d'x\mmon  étaient  omnipotents  dans  le  haut  pays. 

Pendant  que  ces  événements  se  passaient  en  Egypte,  les  Phé- 
niciens (3j  établis  déjà  sur  les  côtes  méditerranéennes  de  Syrie 
au  temps  de  la  venue  des  Hyksos,  affermissaient  leur  domination 
sur  les  mers  ( Ti),  devenues  presque  lilues  par  suite  du  déclin  de 
la  thalassocralie  Cretoise.   A  vrai   dire,  les  Phéniciens  ne    possé- 

(l)Cf.G.  MASPEno.Noles  sur  quelquespoints  épouse.   Ramsès   II  se   maria  avec  plusieurs 

de   grammaire    et   d'histoire,  ds    Recueil,    II,  de  ses  filles.  De  telles  unions,  réprouvées  par 

p.    108,    sq.    —  1d,   Éludes   égyptiennes,    t.    I,  nos  mœurs,   étaient  aux  yeux  de   l'Egyptien 

p.l45,  sq.  choses  natuielles  dictées  par  la  raison  d'Etat 

(2)    Cf.    E.    Naville,    Trois    reines    de    la  afin  d'éviter  les  usurpations,  i  A.  WiEDEMANN,/e 

XXP    dynastie,    ds    ZeitscJir.,   1878,   p.    29-30.  Roi  dans  l'ancienne  Éyyple,  Bonn,  p.  12.)  Quel- 

Pour  être  à  même  de  monter  sur  le  trône,  le  ques  divinités  épousèrent  leur  propre  mère  et 

prétendant  devait  être  de  sang  divin,  c'est-à-  le  titre  d'  «   époux   de  sa  mère  »    est  l'un  des 

dire  royal.  Aussi  les  pharaons  légitimes  veil-  litres  les  plus  ordinaires  d'un  dieu  (Id.  p.  16). 

laient-ils  avec  un   soin  jaloux  à  leur  descen-  (3)  Cf.  Fr.  Le.normant,  La   légende  de  Cad- 

dance,  contractant  les  alliances  les  plus  mons-  mus    et    les    établissements    phéniciens    en 

Irueuses,  alin  de  conserverintacte  leur  lignée.  Grèce,  dans  Annales  de  philosophie  chrélienne. 

Les  mariages  entre  parents   les  plus  proches  1867  et  dans    les   Premières  CiL'ilisations,  t.  II, 

étaient  d'usage    dans    la   famille   royale   qui  874,  p.  33-437. 

tenait   à    conserver    le   plus  pur  possible   le  (4)  Sur  les    parois  d'une    tombe    du    quin- 

sang   divin   coulant   dans   ses  veines.  Le  roi  zième  siècle  av.  J.-C,  à  Drah-abou-'l-neggah 

Pinet'em,   de  la   XXP  dynastie  (vers  1100  av.  (Thèbes),   une  fresque  représente  une   flotille 

J.-C),    épousa    sa    propre    fille,    née    de    son  phénicienne.  (Cf.    G.   Daressy,   Rev.  archéoL, 

mariage  avec  sa  propre  sceur  et  engendra  une  1895,  Une  flotille  phénicienne  d'après  une  pein- 

fille    qu'il    nomma,  aussitôt    née,    reine    et  ture  égyptienne.) 


LA    PRKPONDKRANCK     KGVrTIIvNM: 


289 


daient  sur  terre  que  des  points  d'attache  ;  leurs  diverses  cités, 
Aradus,  Ziniyra,  Gebel,  Beyroulli,  Si  don  et  Tyr  ne  pouvaient 
communiquer  sûrement  entre  elles  (|ue  j)ar  eau.  Dans  1  intrrieui' 
ils  avaient  des  comptoirs  jalonnant  les  grandes  étapes  des  cara- 
vanes (1),  lla- 
math  (2),  Thap- 
saque  (3),  Nisi- 
bis  (û),  en  plein 
continent  ;  Dor 
(5),  loppé  (6),  si- 
tués près  de  la 
mer  sur  la  route 
d'Egypte,   etc.. 

Sur  les  côtes 
étrangères ,  les 
Phéniciens 
étaientplus  puis- 
sants qu'au  voisinage  même  de  la  ^létropole.  Chypre  (7)  leur  ap- 
partenait en  grande  partie  dès  les  temps  les  plus  anciens.  Pa- 
phos,  Golgos,  Lapethos,  Kourion,  Karpasia,  Soli,  Tamassos  étaient 
de  leurs  villes.  En  Crète,  des  marins  sémites  s'étaient  établis  sur 
tout  le  rivage  méridional.  Partout  où  se  rencontrait  un  abri  natu- 
rel (8)  pour  les  vaisseaux,  station  facilement  défendable,  on  était 
sûr  de  rencontrer  desTyriens  ou  des  Sidoniens  (9). 

Lors  des  conquêtes  égyptiennes  en  Asie,  les  Phéniciens  eurent 
quelques  velléités  de  résister  aux  pharaons;  mais,  en  commerçants 


L'ile  de  Chypre  et  ses  colonies  phéniciennes  et  grecques. 


(1)  MovERS,  Die  Phônizier,  1.  II,  "2"'''  Iheil, 
p.  159,  sq. 

(2)  Au  pays  de  Chonaan. 

(3)  Sur  lEupliratcsen  amont  de  Deïr  cl  Zor, 
ville  héléenne. 

(4)  Ville  du  haut  Khabour. 

(5)  Sur  la  côte  méditerranéenne  où  les  Phé- 
niciens avaient  une  pêcherie  de  pourpre.  (Cf. 
E.  Renan,  Mission  en  Phénir.ie,  p.  40,   757.) 

(fi)  Jnffa  sur  la  côte. 

(7)  M.-W.  Max  Millier  pince  l'AIachiya 
(Cf.  Bezold,  The  Tell  el  Amarna  lablels,  1892, 
5-7.  —  WiN-cKLER  el  Abel,  Der  Thonlafelfund 
V.  El  Amarna,  1889-90,  11-17)  dans  l'île  de 
Chypre,  se  basant  sur  l'abondante  production 
du  cuivre  dans  cepovs.  {Zeitsch.f.  Assi/riolo(jie, 
t.  X,  1895,  |>.  257-2G8).  (Cf.  A.-J.  Delattre, 
Lettres  de  Tell  el  Amarna,  in  Proc.  Soc.  Dibl. 
ArcliaeoL,  t.  XIII,  1890-91,  p.  542.  —  Id.,  le 
Pai/s  de  Clianann,  1890,  p.  5i.) 

(8)  Temples  i)hénicicns  de  l'île  de  Gozzo  et 
de  Haginr  Ivriin  à  Malte.  Cf.  Fr.  Lenormant, 
Monuments  phi'niciens   de  Malte,  dans  Reu. 


générale  de  l'archileclure  el  des  Irav.  pub.,  1841, 
p.  497,  pi.  XXI.  —  J.-G.  Vance,  Descripl.  of 
an  ancienl  temple  near  Crendi,  Malta,  in 
Archaeologiii,  t.  XXIX,  p.  227,  sq.  —  Caruana, 
Report.  Il  y  eut  aussi  des  temples  phéniciens 
en  Sicile,  en  Sardaigne,  mais  on  n'en  a  pas 
retrouvé  les  ruines. 

(9)  En  Cilicie,  ils  possédaient  des  comptoirs 
à  Kybyra,  Masouru,  Rouskojjoiis,  Sylion, 
Mygdalé,  Phaselis,  Sidyma  (Movers,  Die  Phô- 
nizier,  II,  2,  p.  346),  Astyra  en  face  de  Rhodes 
(Movers,  /((.,  p.  217  sq.),à  Rhodes  même,  laly- 
sos,  Lindos,  Camyros  (Diodore,  IV,  2,  5,  etc  ), 
dans  lesSporades.les  Cyclades;  Delos.Rhénée, 
Paros,  Oliaros  (Sidoniens),  Melos(Giblites)  sur 
l'Hellespont,  Lampsaqiie  et  Abydos,  sur  les 
côtes  de  l'Anatolie.  Ils  s'aventurèrent  jus(]u'au 
Caucase.  A  l'ouest  ils  s'installèrent  en  Crète 
(Lappa,  Kairatos,  Phœniké,  Gorlyne.  Lebénê), 
à  Cythère,  dans  les  îles  Ioniennes,  on  Illyrie, 
en  Italie,  en  Grèce  même  (Egine,  Salamine, 
en  Argolide.  en  Attique),  en  Sicile,  sur  la  côte 
africaine,  etc. 

19 


LA    PRHPONDKHANC.E     K(iVPTir::NNE 


291 


habiles  ils  jugèrent  vite  quilétail  plus  |)rofitable  depayortribut  ([ue 


Établissements  grecs  et  phéniciens  de  la  Méditerranée  orientale. 
Villes  phéniciennes  (en  caractères  gras). 
Villes  grecques  (en  caractères  maigres). 

de  soutenir  une  guerre  inégale,  et  demeurèrent  loyaux  vassaux  (1^ 


(1)  La  correspondance  d'El  Amarna  montre 
que,  tout  au  moins  nominalement,  les  villes 
phéniciennes  de  S3  rie  étaient  pour  la  plupart 
vassales  de  l'Egypte  au  même  litre  que  les 
cités  de  Chanaan.  Rib-Adda,  de  Byblos,  écrit 
au  pharaon  :  «  Les  gens  d'Arwada  (Aradus) 
sont  maintenant  chez  toi  (sont  entrés  sur  ton 


territoire),  saisis  leurs  vaisseaux  qui  sont  en 
Egypte  ».  (C.  Bezolo,  The  Tell  El  Amurna 
lablets,  1892,  4't,  13-18).  Zurata  était  préfet 
d'Akka  pour  lÉgypte  {Id.,  93).  Çiduna  (Sidon), 
Biruta(Beyroalh),r:urri(Tyr),sonl  traitées  dans 
ces  documents  de  servantes  du  roi.  (Cf.  A.-L. 
Delattre,  le  Pays  de  Chanaan,  1896,  p.  51,  sq. 


292  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

Ils  avaient,  en  effet,  tout  à  gagner  à  s'attirer  la  clientèle  de 
rÉgvpte  (1)  ;  exportant  ses  marchandises  (2)  chez  les  peuples 
étrangers,  ils  importaient  chez  elle  les  produits  des  autres  pays 
et  du  leur  (3).  Cette  situation  privilégiée  les  poussa  à  fonder  des 
comptoirs  dans  toute  la  Méditerranée,  qui  devint  bientôt  une  mer 
phénicienne. 

Plus  tard,  ils  s'établirent  solidement  dans  les  parages  lointains, 
dès  longtemps  fréquentés  par  leurs  vaisseaux  ;  ils  fondèrent  des 
comptoirs  sur  les  côtes  d'Asie,  en  Italie,  en  Sicile,  en  Sardaigne, 
aux  îles  Baléares,  en  Espagne,  en  Afrique  et,  affrontant  l'océan, 
allèrent,  dit-on,  chercher  Fétain  jusque  dans  les  Cornouailles  {li). 

Leurs  expéditions,  toutes  parties  sous  le  couvert  commercial, 
ne  se  terminaient  pas  toujours  par  des  échanges  de  marchan- 
dises; lorsqu'ils  se  sentaient  en  force,  ils  n'hésitaient  pas  à  piller 
les  bourgades  des  côtes,  parfois  même  à  s'y  installer  et  à  fonder 
des  colonies  militaires  ;  mais,  lorsqu'ils  avaient  affaire  à  des  peuples 
forts,  ils  se  contentaient  d'un  commerce  lucratif.  Que  dépeuples  co- 
lonisateurs procèdent  encore  de  nos  jours  comme  les  Phéniciens  ! 

Sur  le  continent,  leurs  caravanes  ou  plutôt  les  convois  circu- 
lant pour  leur  compte,  chargés  de  marchandises  à  destination  de 
Tyr  ou  de  Sidon,  venaient  des  pays  lointains  du  Caucase,  de 
l'Arménie,  de  l'Iran,  des  Indes,  de  l'Arabie  et  tous  les  produits  du 
monde  affluaient  sur  leurs  marchés.  Dans  l'intérieur  ils  n'avaient 
guère  que  des  agences  commerciales;  il  eût  été  trop  dangereux 
de  chercher  à  conserver  des  villes. 

L'or  de  la  Lydie,  du  Phase  (5),  de  l'Altaï  (6),  des  Indes  (7);  le 

(1)  Grâce  à  leur  soumission  aux  pharaons,  vains  grecs  et  latins  qui  les  ont  consultées 
ils  avaientélé  autorisés  à  posséder  en  fivple  ne  nous  ont  pas  transmis  leurs  œuvres.  Sur 
même  des  entrepôts  :  ils  en  avaient  à  Mem-  les  périodes  les  plus  anciennes,  nous  ne  dis- 
nhis  Tanis  Bubaste,  Mandés,  Sais,  Ramsès-  posons  que  des  légendes  et  des  renseigne- 
Anakhtou   elc  raents  épars  relatifs  à  la  fondation  de  chacune 

(2)  Dans  le  palais  de  Mvcènes  se  trouvaient  des  colonies.  Le  meilleur  ouvrage  (déjàaucien) 
des  tuiles  émaillées  portant  le  cartouche  sur  les  Phéniciens  est  Movers,  D;e  P/ionirier. 
dAménophis  111,  de  travail  franchement  (5)  Presque  tous  les  cours  d'eau  de  1  Asie 
éovptien  (Cf.  R.  Seewëll,  Proc.  .Soc.  Bibl.  Mineure  et  du  Caucase  roulent  de  1  or  dans 
A/t/î.,  XXVI,  n»  6,  190i,  p- 258,  sq.)  —  La  quan-  leurs  sables.  Les  lavages  étaient  autrefois 
litc  des  objets  de  fabrication  égyptienne  de  rémunérateurs,  ils  ne  le  seraient  plus  au- 
basse  époque  qu'on  rencontre  sur  toutes  les  jourd'hui.  J  ai  fait  inoi-méme  un  essai  des  sa- 
côtes  de  la  Méditerranée  est  énorme  et  il  blés  du  Phase  et  ai  reconnu  la  présence  de 
semble  plus  rationnel  d'en  attribuerla  diffusion  l'or,  quoiqu'en  très  petite  quantité.  (J.  M.) 
auxPhéniciensplulôt(iuau.xnavigateursgrecs.  (6i  Les  gisements  d'or   de   1  Allai  «ont  au- 

(3)  Entre  autres  les  bols  de  cèdre  du  jourd'hui  connus  et  les  rivières  descendant  de 
Liban,  le  cuivre  de  l'île  de  Chypre,  la  pourpre  ce  massif  roulent  toutes  du  métal  précieux, 
de  leurs  pêcheries.  Leurs  importations  ren-  (7)  Dans  la  Tounghabadra  a  \idjayanagar 
daient  à  l'Egvpte  les  plus  grands  services.  (Mysore).  j'ai,  en  1884,  constate  la  présence  de 

(4)  Nous  ne  possédons  aucune  histoire  de  l'or  dans  les  sables.  Les  gisements  aurileres 
la  colonisation  phénicienne.  Les  archives  de  de  l'Inde  sont  très  nombreux,  «luoique  peu  n- 
Tvr  et  de  Sidon  ont  été  détruites,  et  les  écri-  ches.  (J.  M.) 


LA     IM\K1'()M)KHAXCE     KGVPTIENNE 


203 


cuivre  du  pays  du  Chalybes,  dos  Toubals  (1),  de  Chypre  ;  Targont 
de  la  Thrace,  duTaurus;les  pierres  précieuses  de  l'Iran  (2),  des 
Indes;  les  fins  tissus  babyloniens;  les  parfums  de  1" Arabie  et 
tous  les  procbiils  du  monde  passaient  j)ar  leurs  mains.  Ils  les 
revendaient  en  T^gypte,  grande  consommatrice,  en  même  temps 
([ue  les  produits  de  leur  propre  industrie,  tels  le  verre  (3),  la 
pourpre  (li). 

Par  contre,  ils  exportaient,  lant  en  Asie  que  sur  les  côtes  médi- 
terranéennes, les  marchandises  égyptiennes,  tissus,  pâtes  émail- 
lées,  meubles,  vases  de  j)ierre,  de  métal,  objets  d'art,  bibelots  de 
toute  nature,  qu'on  retrouve  aujourd'hui  dans  tous  les  pays  où 
s'étendaient  leurs  relations. 

La  voie  maritime  était  de  beaucoup  lapins  sûre  et  lapins  éco- 
nomique, car  les  Phéniciens  régnaient  encore  en  maîtres  dans  la 
Méditerranée.  Par  terre  les  marchandises  risquaientle  pillage,  et,  en 
tout  cas,  avaient  à  payer  des  droits  de  passage  souvent  fort  élevés. 

C'est  par  le  transit  que  s'enrichirent  David,  Salomon  et  bien 
des  roitelets  de  la  Palestine  et  de  la  Syrie;  c'est  par  les  caravanes 
que  plus  tard  se  créa  Palmyre  (5)  dont  la  richesse,  dans  un  site  dé- 
solé et  aride,  ne  peut  s'expliquer  autrement.  C'est  que  les  terri- 
toires de  ces  royaumes  se  trouvaient  sur  les  grandes  routes  reliant 
au  monde  oriental  l'Egypte  et  la  Phénicie  et,  par  suite,  ouvrant  les 
débouchés  de  l'Occident. 

L'invasion  des  llyksos  dans  la  vallée  du  Nil  fut  un  véritable 
cataclysme;  mais, comme  toutdésastre, elle  n'eut  pas  que  des  effets 
malheureux.  C'est  à  elle,  pense-t-on,  que  l'humanité  doit  la  propa- 
gation de  l'écriture. 


(1)  Les  gisements  île  pyrite  cuivreuse  sont 
très  nombreux  dans  le  Grand  et  le  Petit  Cau- 
case (Kedabek,  Akl;da,  Allah  Verdi,  Dilid- 
jan,  etc.).  le  Lazistan  (Gumuch  Kliani  près  de 
Trébizonde),  l'Arménie  et  le  Nord  de  la  Perse. 

(-2)  La  turquoise  du  Khoraçan. 

(3)  Le  verre,  dit  phénicien,  se  rencontre  en 
Egypte  dès  le  nouvel  empire.  J'en  ai  trouvé 
des  fragments  dans  une  sépulture  de  la  XVI U» 
dynastie.  A  Suse,  les  dépots  de  fondation  du 
temple  de  Chouchinak  (.\v"  s.  environ)  en  ren- 
fermaient également.  On  ne  le  voit  apparaître 
en  Ualie  méridionale  et  en  Sicile  (Syracuse) 
que  vers  le  VIL  siècle  (dans  les  sépidtures 
grecc|ues).  Les  Phéniciens  étaient  rapidement 
devenus  d'habiles  verriers,  aussi  leur  allri- 
huat-on  l'invenliou  du  verre.  Plini;  (Hisl. 
nal.,  V,  17,  XXXVL  00.)  —  Cf.  Perrot  et  Chi- 
piez, Hisl.  de  l'art  dans  l'antiquilc,  t.  III, 
p.  733,  sq.,  t.  VI,  p.  48-2,  550,  sq.;  7i5,  sq  ; 
850,  943,  sq. 


(I)  Ils  avaient  un  grand  nombre  de  pêche- 
ries de  pourpre,  entre  autres  à  Dor,  sur  la 
cote  au  nord  de  Péluse,  à  Nisyra,  à  Gyaros 
dans  les  îles  Itanos,  en  Crète,  etc.  On  a  pré- 
tendu que  cette  matière  colorante  avait  été 
découverte  par  les  Phéniciens.  Le  fait  n'est 
pas  exact,  car  bien  longtemps  avant  leur  ar- 
rivée en  Phénicie,  les  étoffes  teintes  en 
pourpre  étaient  d'usage  en  Egypte.  J'en  ai 
retrouvé  dans  les  sépultures  princières  de  la 
XIL  dynastie  à  Dahchour  (Cf.  J.  de  Mougan. 
Fouilles  à  Dahchour,  II). 

(5)  On  coni;oit  diflicilement  (ju'une  grande 
ville  se  soit  (lévelo|)pée  dans  un  pays  aussi 
aride  que  celui  de  Palmyre,  où  les  terres 
cultivai)les  suffisent  à  peine  aujourd'hui  i\ 
l'aliinentalion  du  village  de  Tedmour.  L'eau, 
qui  d'ailleurs  vient  de  fort  loin,  y  est  sau- 
niiitre  de  même  que  celle  des  rares  puits  sou- 
vent à  sec  ((u'on  renrontre  dans  les  ruines 
(.].  M.,   Voyaije  de  l'JUO;. 


29/i 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


Lorsqu'ils  étaient  en  Egypte,  les 
leurs  vaincus  un   procédé  cursif  de 
eomj)rirent  de  suite  le  grand  avan- 
tage qu'ils  en  pouvaient  tirer.  Ils  le 


Ghananéens  (1)  trouvant  chez 
fixer   la  pensée,  l'hiératique^ 


EGYPTE 


(1)  G.  Maspero,  Hist.  anc.  or.  classique,  t.  II,  p. 
573,  note  3,  place  l'inlroducUon  de  l'alphabet  phé- 
nicien entre  Amenôthés  IV  (xv  s.)  et  H  irùm  I"  (x*  s.), 
cl  en  prenant  le  terme  moyen,  vers  11(X),  comme 
(laie  pos>;ible  de  l'invention  ou  de  l'adoption.  Dans 


S 

eu 

0 

a. 

j 

'W 

j 

j 

K 

-^ 

4:2^ 

AA 

i^A 

>>p>>< 

flfl 

/iAA 

A. 

^3 

a^^ 

B 

M 

B 

-\ 

)1 

•y^r 

r 

v 

D 

<c 

C. 

•^ 

*\ 

^  f> 

A 

/^ 

D 

x>. 

m 

3 

^^ 

^ 

/^ 

33 

^EII 

E. 

^ 

r 

qyx 

f> 

:j  a 

FI' 

F. 

^ 

z. 

I 

I 

^  I 

G. 

o 

^H 

BH 

E 

B 

H 

H. 

*=y 

0 

© 

® 

TH. 

*< 

^ 

^/ 

1 

lî 

1 

1 

I. 

^ 

u 

^K 

NK 

K 

K 

K. 

L 

l 

AU 

A 

A 

^J 

JVL 

L. 

!  -^^ 

y 

/Vl-J 

r 

Mm 

wn-^ 

ANM 

M. 

, 

j 

M 

r 

N/^ 

^  n 

/v 

N. 

- 

^ 

E?^ 

KS. 

0 

0 

0 

B0^( 

00 

0. 

%-^ 

7 

1^ 

"r? 

prr 

in 

nrp 

P. 

\^ 

1^ 

M^ 

M 

• 

^ 

î 

9<p<j) 

4> 

+ 

ÇQ 

Q. 

•^ 

1 

^f> 

p  P 

p 

qo 

^  B 

H-. 

^ 

w 

3^ 

^^ 

^65 

^22 

h  S 

S. 

ï 

\ix-\ 

T 

T 

-r^ 

iT 

T. 

Tableau  comparatif  montrant  le 
lor^  signes  hiératiques    initia 


relations  entre 
ux  et  leurs   dé- 


A 

AA/^ 

AA  f\ 

a 

AAfi\ 

Y 

9 

ff 

? 

??9 

a 
e 

99 

\  ^ 

t^ 

î  ^ 

e 

$* 

P 

ï 

y, 
r 

n^ 

e 

PFf 

H  tf- 

m 

B    H 

hB+ 

B 

e 

HH 

na 

1 

on 
1 

a  n 

1 

on 

■ 

1 
t 

ai 

L 

1 

t-*/ 

V^  ^^ 

f^ 

L 

r  r<^M- 

0 

0 

a 

0 

0 

0 

ti-v 

VY 

vry  V 

YX. 

Yy  V 

U 

YH  y 

mt 

^f 

^ 

T<? 

(D<P(P 

W 

a}<î> 

^ 

^)CP 

OK 

(p(.)  cp 

D 

q 

d   b 

b 

PD  D 

a 

)  i. 

i  (  3 

:>   J 

â 

^<  r 

i  ^ 

!S 

A 

A 

d 

4^ 

F 

p/\ 

■^  F  A  Â\ 

■^^  A 

V 

J 

X  2: 

I 

z 

Z 

rx 

_t_ 

t  "^ 

Y 

Y^/ 

kK 

0 

0 

â)  èJ 

fK 

if 

ir 

1^ 

X 

X  U 

dK 

K 

K 

k 

K 

1 

^lA 

/^AT 

r 

r  AT 

L 

r/^A 

AA 

M 

AA 

m 

M 

r^i 

^ 

m 

,H^   /iA 

^ 

^t' 

NH/ 

HAyS 

n 

1^  M 

r 

^ 

^ 

r 

P 

rr  r 

1t 

f^^f 

prp 

r 

ppp 

>y^ 

> 

5 

s 

f  ss 

/A^ 

w 

M 

^ 

^AAAA^ 

5 

^$ 

m  LU 

mw.  Y 

mr 

Kn  m  /^ 

SK 

^T 

/^ 

T 

-r 

T   , 

T 

t 

T  î 

x  + 

x.-r 

>^-h\ 

x-H. 

h 

t^ 

\A  Ay\ 

Y\ 

v\  «^ 

^U 

x^ 

p 

-fi- 

re 

CXI 

00 

rd   tX(             ! 

E 

X 

X 

X 

k^ 

X. 

>f:; 

^x 

^ 

^h 

36 

T 

kl 

^<:^ 

^ 

a 

? 

F 

Tableau  de  l'origine    des  signes  alpha- 
bétiques, d'après  Flinders  Pétrie. 


cv  cas,  la  propagation  de  l'écriture  alphabé- 
lique  sérail  de  beaucoup  postérieure  au  séjour 
lies  Ilyksos  en    Egypte.  L'origine    égypliennc 


(Cf.  CiiAMPOi.i.iON,Lef/rc  à  M.  Dacier,p.80.  —  Sal- 
\oyi, Analyse  yrammatirale  de  Vinscriplion  de 
lioselle.  p.  W,  sq.    —  E.    de  Rougé,  Mém.  s. 


LA     PPvKPONDKRAXCK     KGYPTIKXNE 


295 


siiiiplitiricnl  on  ra(lii|)laiil  à  leurs  idiomes  an  poiiil de  rendre  ses 
signes  al|)lial)(Ui(nies(l),  el  lors  de  leur  l'elour  eu  Asie,  la  nouvelle 
écriture  se  répandit  rapidement  (2). 

(!(>t  alphabet,  passant  en  Europ(%  lui  l  origiiu'  de  tous  ceux  de 
nos  pays  (3).  C'est  d(»uc  aux  Ilyksos  (|ue  revieul  iliouueui-,  non 
d'avoir  inventé  l'écriture,  mais  d'avoir  simplifié  lexpression 
figurée  de  la  pensée,  presque  au  point  où  elle  se  trouve  encore 
de  nos  jours,  et  aux  Phéniciens  qu'appartient  celui  davoir  fait 
connaiire  à  l'Europe  cette  incomparable  dc'couverle  ;  lAsie  (/|) 
Fappril  de  la  Ghaldée.  après  l'avoir  reçue  elle-même  des  bords 
de  la  ^léditerranée. 

Bien   qu'aujourd'hui  la  filiation  de  nos  écritures  semble   être 


Torig.  égy|)l.  de  l'alphabet  phénicien,  in 
Comptea  rendut;  Acad.  Inscr.,  1851),  l.  III,  ])|(. 
115-12i.  —  Lauth,  II.  Brlgscii,  Vr.  Le.nou- 
mant)  est  anjiiiiid'hiii  fortement  allaqiiée,  liien 
qu'encore  admise  par  la  majorité  des  savants. 
(Cf.  Pu.  Berger,  Ilisl.  de  récrilure  dans  l'an- 
liijuité.  ])p.  11.5-122.) 

(1)  E.  de  Rongé  (Mém.  lu  en  ISt»  à  1  Acad. 
des  Inscr.,  publié  en  187i)  a  démontré  qu'au 
temps  des  pasteurs  en  Egjpte,  les  Chana- 
néens  avaient  choisi,  parmi  les  formes  de 
l'écriture  hiératique,  un  certain  nombre  de 
caractères  répondant  au.x  articulations  fonda- 
mentales de  leur  langue  et  qu'ils  en  avaient 
formé  un  alphabet  «|ui,  d'abord  employé  an 
pays  do  Chanaan,  s'y  modifia  suivant  les  lo- 
calités et  forma  les  alphabets  araméen,  pal- 
myrien,  hébreu,  etc.  C'est  de  ce  premier  al- 
phabet qu'est  venu,  par  des  transformations 
successives,  celui  dont  nous  faisons  usage. — 
Cf.  G.  M.vsptRo,  Les  écritures  du  monde  orien- 
tal, in  Ilisl.  une.  des  peuples  de  l'Orienl,  appen- 
dice, p.  745,  sq.  —  Cf.  Ph.  Berger,  //;.--/.  de 
l'écriture. 

(â)  L'origine  égyptienne  des  signes  alplia- 
bétiques  phéniciens,  qu'autiefois  on  admet- 
lait  couramment,  est  aujourd'hui  mise  en 
doute  par  quelques  savants  (J.  Ilalévy, 
Lids-Barski  .  On  a  proposé  d'admettre  que  les 
Phéniciens  avaient  emprunté  (juelques  let- 
tres, et  qu'ils  auraient  inventé  eu.x-mèmes 
les  autres.  Evans  et  à  sa  suite  S.  P.einach 
pensent  que  les  caractères  al])habéliques  dé- 
rivent plutôt  de  l'écriture  égéenne  ou  Cre- 
toise. Les  Philistins,  en  émigrant  de  la  mer 
Egée  en  Syrie,  l'auraient  apportée  avec  eu.x,  et 
à  leur  contact,  les  Phéniciens  auraient  pro- 
cédé au  traxail  éliminatoire,  d'où  est  sorti 
l'alpliMbct.  (Cf.  R.  DussAUD,  Bull.  Soc.  An- 
Ihrop.  Paris,  1!KJ6,  pp.  1-21-1-22.)  Cette  hypo- 
thèse, toute  séduisante  qu'elle  paraisse"  par 
sa  nouveauté,  ne  pourra  prendre  corps  qu'au 
jour  où  la  valeur  des  caractères  Cretois  sera 
connue  ;  ce  qui  malheureusement  n'est  pas 
encore  le  cas.  Les  uns  .sont  allés  chercher  le 
prototype  de  nos  écritures  en  Bahylonie  (Cf. 
Deeke.  Uer  Ursprung  des  altsemitischen  Al- 
phabets ans  der  Neuassyrischen  Keilschrifl, 


in  7.eil.  der  D.  Morgeiil.  Ge.'<ellscliaft,  1877,  pp 
102-15't.  —  Peters,  The  babylonian  origin  of 
the  plurnician  alphabet,  in  Proc.  .Soc  Bibl. 
An-h.,  t.  VI.  —  llo.MMEi.,  (k'schiclile  Babylo- 
niens und  Assyriens,  pp.  50-.'>5j;  d'autres  dans 
ces  hiéroglyphes  barbares,  nouvellement  dé- 
couverts en  Crète  (Cf.  A.  Evans,  Oe/an  pjc- 
loijraptis  and  prse-Pheniciun  script.,  pp.  it2-103, 
in  Joui-n.  of  llellenic  SUid.,  t.  XIV,  pp.  361- 
o72.  —  S.  Reinacu.  Chronique  d'Orient,  n"  XXX, 
l».  Ci,  sq)  ;  d'antres  enfin,  dans  les  signes 
primitifs  (l"  dynastie)  rencontrés  sur  les  po- 
teries de  l'ancienne  Egypte.  (Cf.  FI  Pétrie, 
Naqada  ;  Royal  tombs,  Kahun,  Gurob  and 
Ilawara.  Londres,  1890.  —  L.  Capitan,  Les  dé- 
buts de  l'art  en  Egypte,  in  Bei'.  Ecole.  An- 
throp.,l.  VI,  11)04,  p.  203.  -  R.  WEiLt.,  La  ques- 
tion de  récriture  linéaire  dans  la  Méditerranée 
primitive,  in  Rer.  Archéul.,  1"J03,  1,  p.  213,  sq., 
qui  combat  cette  thèse.) 

(3)  Cette  simplification  de  l'écriture  était 
déjà  un  grand  progrès  ;  mais  elle  avait  be- 
soin d  être  reprise  et  complétée  ;  au  début, 
l'alphabet  ne  comprenait  guère  que  des  signes 
répondant  aux  sons  des  consonnes  (araméen, 
phénicien,  hébreu).  Les  Sémites  lui  adjoigni- 
rent une  accentuation  pour  figurer  les  sons 
voyelles  (hébreu  moderne,  arabe),  tandis  que 
les  Aryens  (grec,  zend,  sanskrit  augmentèrent 
le  nombre  des  lettres  pour  répondre  à  ce  besoin. 

(i)  Les  alpliabets  sémitiques  se  rattachent 
à  trois  ou  quatre  grands  courants  |)arallèles  : 
1"  le  phénicien  qui,  à  l'époque  roniaiiie,  abou- 
tit eu  Afrique  à  l'écriture  néo-punitjue  ; 
2°  lancien  alphabet  hébreu,  dont  le  samari- 
tain est  un  rameau  détaché  qui  a  séché  sur 
place  ;  3°  l'écriture  araméciine.  qui  a  donné 
naissance,  d'une  part  à  l'hébreu  carré  et  au 
palmyréen  ;  de  l'autre,  au  nabatécn,  au  sy- 
ria(|ue  et  à  1  arabe  ;  4"  récriture  himyarite,  à 
laquelle  il  convient  de  joindre  lali)habet  des 
inscriptions,  que  l'on  trouve  dans  le  désert 
du  Sala.  Enfin,  il  faut  encore  rattacher  à 
l'écriture  araméenne  les  anciennes  écritures 
de  l'Inde,  qui  ont  donné  naissance  au  déva- 
nàgari  et  à  tous  les  alphabets  modernes  usi- 
tés dans  l'Asie  méridionale.  (Ph.  Berger, 
Ilisl.  de  l écriture,  1891,  p.  1()7,  sq.) 


296 


LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


K 
<^ 

o  \ 
o 

H 
O 

i 

CO 

Nabathéen. 

Y 

\ 

.a 

a 

a 

II 

1 

J; 

^i- 

î 

1; 

1 

•—  -a 
,      o 

—  s 

" 

2 

1  .ï] 

.2 — >" 
\ 

l 

3 
< 

a 

. 

a'>^ 

1    -f! 

-3 

3 

?!) 
O 

!fl 

"S 

o 

71 

X 

11 

3 
S 

i> 
.-5 

1 

■i. 

H 

-->-  {1 

6 

O     O 

sa 

/i     â     ^ 

■"1 

ci 

Ç.2.2, 

-^     OT     ° 

XX     3 

^ 

ci 

n 

Egypte  (?)                      Chine  (?) 

HIEROGLYPHES 

1                           1 

( 

•-S                ^  J 

< 

iv  î"^  i  i 

£5 

y  "^ 

1    ^ 

=■5 

[si 

_^/ 

1 

■0  = 

II 

P  r  "     -t  "S  "      2 

rW     .1^^ 

iy  — >- 

1 

ci"T^ 

9  'S 

X 

1.  ^'k^ 

1       ^>- 

O    ai    oî 

"l-J^ 

S' 
e 

>els  des   leinpks   bouddhiques,  de  la  dynastie 
lia,  Tiiibélain,  Pa'  ssé-pa,  Koutila.  Dévanâgari, 
ali,    Gouzarali.    Kiousa,    Pâli    carré,    Siamois, 
an,  Singalais,  Télégou  (Canara). 

s 

a 

-5 

o     •     l     —  -  X     • 

^       !   J 

2.3                            = 

■ZJ 

(Jylindre 
Antérieur  au  X 

Cunéiforme 
linéaire. 

duXL's.lav.  J.-C 
?  au|xV'  s. 

Cuneif(U-me 

vulgaire. 

du  XV"  8.  av.  J.-C 

aul'-'s.  ap.J.-C. 

Cunéiforme 
Perse. 

VI' àlV"  s.  av.  J.-C 

■s 

CD       i 

'o 

.s 

1                    .i  V 
1  lï    rt 

^  /  C3  ^'    j>  « 

£ 

—     3        '. 

■3 

1 

"èI 

■ 

ci 

1       3           — 

O  =J       — 

' 

O  a 

o  ,1) 
CG  .^ 

ïcli 

>^ 

1 

00 

03  câ 

Tableau  donnant  la  filiation  des  principales  écritures. 


LA    PRÉPONDÉRANCE    ÉGYPTIENNE  -297 

prouvée;  on  a,  en  ces  derniers  temps,  cherché  à  nier  cette  ascen- 
dance et  à  faire  remonter  à  d'autres  sources  l'origine  de  nos 
lettres.  Ces  essais,  bien  que  devant  èlrc  abandonnés,  n'en  sont 
pas  moins  fort  intéressants,  car  ils  montrent  que,  si  l'évolution 
chananéenne  prévalut,  elle  ne  fut  pas  la  seule. 

Flinders  Pétrie  a  montré  dans  le  tableau  ci-joint  (p.  29/i)  tout 
le  parti  qu'on  peut  tirer  des  tentatives  anciennes  de  simplifica- 
tion des  signes  ;  mais  je  ne  partage  pas  son  opinion  au  sujet  des 
déductions  ([u'il  croit  pouvoir  en  tirer. 

Ainsi  la  Phénicie  fut,  pour  ces  temps,  le  grand  agent  civilisa- 
teur du  monde,  non  qu'elle  eut  par  elle-même  une  culture  très 
élevée;  mais  parce  que,  servant  d'intermédiaire,  elle  répandit  au 
loin  les  idées,  les  industries  et  les  arls  de  ll^gypte  et  de  la 
Chaldée. 

Vers  le  Liban,  la  Palestine  et  la  mer  Morte,  des  mouvements  de 
peuples  s'opéraient,  issus  d'I']gypte.  De  nouveaux  venus,  les  Hé- 
breux, profitant  de  la  division  des  peuplades  syriennes,  envahis- 
saient peu  à  peu  les  districts  de  Galaad  et  de  Chanaan. 

La  tradition  biblique  nous  a  transmis  avec  amples  détails  la 
légende  de  cette  migration  (1);  curieux  récit  qui,  dégagé  du  côté 


Écriture  phénicienne  (2). 


mystique,  est  uni({ue  en  son  genre.  11  narre,  en  efîel,  tous  les 
actes  des  émigrants,  leurs  succès,  IcMirs  défaites,  leurs  espoirs 
et  leurs  désespérances.  Cette  histoire  est  celle  de  tous  les  peu- 
ples qui,  dans  ces  temps  de  barbr.iie,  ont  changé  de  pays; 
mais  elle  est  la  seule  dont  le  récit  vraisemblable  et  détaillé  soit 
parvenu  jusqu'à  nous. 

{[)  C(. Ed.  Bev»s,  1(1  Dible,  Ancien  Tcshimenl.  Baal-lal)nnoii    son   Seigneur,  des  prémices  de 

Wellhausen,   Proleijomena  zur  Ge.tcliichle   Is-  l'airain...  Inscription  la  plus  ancienne  connue 

rael.  en  longue  phénicienne  de    la  Coupe   du  dieu 

(i)  ...  Sôken  de  Kartliadast,  serviteur  de    Hi-  Liban  (x'  s.  av.  .T.-C;  Cf.  Corp.  In.'scr.  sem  , 

ram,   roi  des  Sidoniens.    Il  a  donné    ceci   au  1"  partie,  t.  I,  jil.  IV,  pp.  22-26. 


^298 


LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


OM/- 


C'est  à  l'époque  de  Ménephtah  (1)  ou  de  Séti  II  (2),  vers  le 
temps  où  le  Delta  était  menacé  parles  Lybiens,  que  les  Israélites, 
|)roritant  d'un  moment  où    leurs  maîtres   étaient  absorbés   par  la 

défense  du  territoire,  s'échappèrent 
d'Egypte  et,  tournant  la  ligne  des 
forts  de  l'isthme,  en  suivant  les  pla- 
ges de  la  mer  Rouge  (3),  s'enfon- 
cèrent dans  le  massif  du  Sinaï,  se 
dissimulant  au  milieu  des  monlagnes 
et  parmi  les  nomades,  leurs  parents, 
mal  soumis  aux  Pharaons. 

Depuis  l'expulsion  des  pasteurs, 
l'Egypte  s'était  montrée  dure  pour 
tous  les  étrangers  restés  sur  son  territoire;  elle  avait  appris 
à  connaître  ses  hôtes  (5)  et  les  traitait  en  conséquence  ;  mais  pour 
les  Hébreux,  qui  n'avaient  point  été  ])ellig(''rants,  la  mesure  était 
particulièrement  sévère  et  la  transition  brusque. 

En   même   temps   que  les  Pharaons  craignaient  (h'  nouvelles 


Graffilo  phénicien  des  mercenaires 
de  Psammélique  P'ou  de  Psam- 
métique  II  (de  650  à  595  av.  J.- 
C.)  sur  l'un  des  colosses  du 
grand  temple  dipsamboul  (4). 


^'',  d  vq-3   -^^^     ^ 

Décalogue  samaritain  de 
Naplouse  (<>). 


V  '\)S7t)jv'^l^viJV'v]  -Ul -^(11*1 

Inscription  nabalhcenne  (7j. 


tentatives  delà  part  des  Asiatiques,  ils  se  vengeaient  sur  eux  des 
maux  qu'avait  souflerts  l'Egypte  de  la  part  de  leurs  congénères. 


(Ij  C'est  sous  Menephlali,  qu'apparaît 
pour  la  première  fois  dans  les  textes  égyp- 
tiens le  nom  d'Israilou.  "  Israël  est  déraciné 
et  n'a  pas  de  graine.  »  (Cf.  Ph.  Vnu;Y,  Note 
sur  le  pharaon  Mene|)litali  et  les  temps  de 
lE.xode,  dans  la  Rec.  biblique,  1900,  )>.  f)85.  — 
Deiber,  La  stèle  de  Meneiditah  et  Israël,  in 
Reu.  bibl.,  189'J,  p.  267,  sq.)  —  W.  Spiegei.berg, 
Die  Ersle  Ervahnung  Israël  in  einem  a^gy|>lis- 
chen  Te.xte,  in  Sitzunijxberirhii;  der  K.  preus.f. 
Akademie  zii  Berlin,  "l8ilG,  XV,  p.  593.  —  G. 
Maspero  {Ilisl.  II.  pp.  430  et  443,  sq  )  traite 
des  Apouriou,  qu'on  avait  cru  pouvoir  identi- 
licr  avec  les  Ilélireux,  identification  aujour- 
<l  hui  rejetée. 


{■2)  Cf.  E.  DE  RouoÉ,  Examen  critique  de  l'ou- 
vraqe  de  M.  le  citev.  de  Bunxen,  2'  partie, 
p.  74. 

(3)  Exode,  I,  14;  XV,  1-10. 

(4)  >■  Cussaï,  fils  d  Abdpaam,  préposé  aux...  » 
(Corpus  Inscr.  sem.,  1"  partie,  n°  112.) 

(5)  Cf.  M.\MJTU0>J,  ds  JosepI).  contra  Apio- ^ 
nem,  1.  XXVI,  XXVII. 

(ti)  W.  Wrigut,  Proc.  of  the  Soc.  o/  Bibl.Ar- 
chaeol.,  6  nov.  1883,  p.  2R. 

(7)  Cf.  Pli.  Berger.  Nouvelles  Inscriptions, 
n"  19,  Euting,  n»  2  —  In.,  Ilist.  de  lécriiure, 
1891,  p.  274-5  (1"  s.  de  notre  ère)  (Arabie),  val- 
lée d'El  liedjr. 


(1)  Dapvès  G.  Maspc.0,  UisL  anc.  des  pc.ule.  cie  lOneni  classique,  l    H,  P-  G83. 


300 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


Tous  étaient  placés  en  servitude  sous  une  étroite  surveillance  (1). 

Jadis  bien  accueillis  sur  la  terre  du  Nil  (2),  les  Israélites,  devenus 
presque  les  maîtres  du  pays  sous  leurs  parents  les  pasteurs  (3^, 
se  trouvaient  subitement  tombés  au  rang  d'esclaves  {!\).  Ils  s'en- 
fuirent, ne  sachant  certainement  pas  où  se  fixer  ;  leurs  hésita- 
tions dans  le  Sinaï  en  sont  la  preuve.  La  police  égyptienne,  après 
avoir,  semble-t-il,  faiblement  tenté  de  les  reprendre  sur  la  fron- 
tière, ne  se  préoccupa  guère  d'eux  par  la  suite. 

Au  Sinaï,  ils  s'arrêtèrent  dans  les  gorges  et  les  vallées  où  ils 
trouvaient  de  l'eau  (5),  n'osant  ni  gagner  la  Syrie,  ni  revenir  sur 
leurs  pas,  attendant  les  événements;  ils  errèrent  longtemps,  qua- 
rante ans,  dit-on.  Là,  ils  souffrirent  de  la  faim,  car  le  Sinaï  est 
une  terre  aride,  et  peu  à  peu  reprirent  la  vie  nomade  de  leurs 
ancêtres.  Lorsque,  poussés  par  le  besoin,  ne  conservant  aucun 
espoir  de  rentrer  en  hommes  libres  dans  la  terre  du  Nil,  ils  se 
décidèrent  à  gagner  le  Nord,  ils  étaient  redevenus  Bédouins. 

Ce  flot,  avec  ses  tentes,  guenilles  tendues  au  vent,  ses  trous 
peaux,  son   bétail  chargé  des  bardes  et  du  peu  de  biens  emporté 


(1)  Cf.  Chabas,  Méhiivjes  é<juploloiji<jues, 
i"  série,  pp.  108-165. 

(2)  Exode,  I,  8. 

(3)  La  légende  bililiriue  de  Joseph,  fils  de 
Jacoi),  usant  du  crédil  qu'il  a  su  se  créer  pour 
servir  les  intérêts  de  sa  tribu,  est  l'un  des 
traits  caractérisant  le  mieux  les  habilelés  du 
peuple  hébreu.  Un  rôle  analogue  a  fréquem- 
ment été  joué  à  la  cour  des  pharaons  |)ar  des 
Sémites  araméens  ou  cliananéens  qui,  profi- 
tant des  préoccupations  politiques  de  leurs 
maîtres,  s  immiscèrent  dans  les  affaires  el  de- 
vinrent des  favoris.  Ben  .Vzana  sous  Mc- 
nepbtab,  Arisou  sou.s  le  règne  suivant,  L'in- 
khanou  en  Chanaan  sous  Aménopbis  IV. 
(Cf.  Maspei'.o,  ///.s/.,  h,  pp.  438  el  ViO.  — 
WmcKLKR,  Die  Thontafcin,  61^  31,  sq.  ;  GC),  1.5, 
sq.,  etc.) 

(4)  Exode,  I,  11-14.  On  jugera  des  conditions 
dans  lesquelles  vivaient  les  esclaves  et  con- 
damnés au.\  Iravau.x,  d'aiirès  le  récit  suivant 
d'Agalharchidès,  qui,  au  deuxième  siècle 
av.  J.-C,  vécut  à  la  cour  des  Plolémées 
(d'ap.  DiODORE  DE  Sicile,  Bibl.,  III,  12-41  et 
Photios,  Cod.,  COL,  11.  —  .V.-J.  Delattise,  le 
Pays  de  Chanmin,  180G,  p.  80,  noie  1).  «  Les 
rois  d'Egypte  envoient  aux  mines  (de  la  fron- 
tière nubienne)  les  malfaiteurs  condamnés, 
les  prisonniers  de  guerre,  et  même  ceux  de 
leurs  sujets  qui  ont  succombé  à  des  intrigues, 
el  que  la  disgrâce  a  fait  tomber  dans  les  fers. 
Ces  derniers  sont  envoyés  jiarfois  seuls,  par- 
fois avec  toute  leur  parenté...  La  multitude 
des  gens  ainsi  livrés  esl  mise  aux  entraves  ; 
elle  supporte  le  labeur  sans  relâche  ;  aucun 
repos  ne  lui  est  accordé  et,  grâce  à  une  sur- 
veillance jalouse,  aucune   évasion   n'est  pos- 


sible... En  ce  (pii  concerne  la  santé,  on  n'a 
aucun  souci  île  ces  malheureux,  dépourvus 
même  d'un  haillon  pour  couvrir  leur  nudité 
(excepté  les  femmes,  d'ajjrès  le  texte  de  Pho- 
lius),  et  personne  ne  peul  voir  un  tel  excès 
de  misère  sans  se  sentir  ému  de  compassion. 
Ni  le  malade,  ni  l'estropié,  ni  le  vieillard,  ni 
la  femme  si  faible,  personne  en  un  mot,  n'ob- 
tient ni  indulgence,  ni  relâche.  Les  coups  re- 
lienuenl,  lion  gré  mal  gré,  tout  le  monde  au 
travail,  en  allendant  la  mort,  suile  inévitable 
de  si  mauvais  Irailemenis.  Ces  mallieiireux 
reilouleut  l'avenir  encore  plus  (pie  le  pré- 
sent, tant  est  grand  leur  sup|)lice,  el  ils  pré- 
fèrent la  mori  à  la  vie.  »  Celte  fa(;ou  de  trai- 
ter les  condamnés  sous  le  régime  adouci  des 
Plolémées  permet  de  se  faire  idée  de  ce  cpii 
se  passait  au  (piinzième  siècle  av.  J.-C.  dans 
les  mines  de  Nubie,  du  Sina'i.  et  dans  les 
grands  chantiers  de  construction  ouverts 
après  le  déi)art  des  Ilyksos  pour  la  restaura- 
tion de  rEg\pte. 

(5)  La  principale  de  ces  vallées  esl  celle 
dile  Wadi  Faran,  où  coule  une  petite  rivière. 
Elle  esl  située  au  pied  du  pic  le  |)lus  élevé  de 
la  pres(pi  île.  C'est  là  que  les  traditions  pla- 
(;aient  les  fails  miraculeux  dont  Moïse  aurait 
été  témoin  Les  premiers  chrétiens  y  construi- 
sirent des  monastères  et  des  églises,  dont  on 
voit  encore  les  décombres  ;  les  cénobites  se 
creusèrent  des  demeures  dans  les  rochers. 
Mais,  constamment  inijuiétés  par  les  nomades, 
ils  durent  abandonner  Wadi  Faran,  el  s'ins- 
taller au  Sina'i  actuel,  dont  la  basilique  date 
de  l'époque  de  Justinienll.  (J.  M.,  Voyage  de 
1800.) 


LA     l'UKPONDÉRAXCE     KGVPTIENXE 


301 


d'Égyf)lP,  s'écoula  en  longue  traînée  par  la  dépression  joignant  la 

mer  Morte  au  golfe  d'Akaba,  ancienne  vallée  du  Jourdain.  Dans  ce 

désert,  ses  étapes  furent  marquées  par  les  points  d'eau;  mais  tous 

étaient  déjà  occupés,  il  fallut  les  con(|U('rir. 

D'autres  tribus  bédouines,  les  Kénites,  les  Madianites,  les  Édo- 

mites,  qui  déjà  flottaient  en  ces   lieux,  les  joignirent  et  après  un 

séjour    prolongé     dans    la 

région    de    Kadesh  (1),   la 

horde  entière  continua    sa 
route  vers  le  Nord. 

Les    Hébreux,    comme 

d'ailleurs  beaucoup  de  peu- 
plades nomades  de  ces 
temps  (3),  étaient  alors  ré- 
partis suivant  douze  (?)  tri- 
bus (fi),  groupes  d'importance  inégale  obéissant  tous  à  un  même 
chef,  leur  guide  ;  Moïse  d'abord,  Josué  ensuite,  suivant  la  tradition. 
Ce  chef,  malgré  tous  ses  efTorts  pour  en  imposer  par  la  reli- 
gion (5),  n'avait  qu'une  autorité  bien  relative;  car,  à  peine  sorties 
des  pays  arides,  les  tribus  se  divisèrent.  Juda,  Lévi,  Siméon,  joints 
aux  Kénites,  s'arrêtèrent  pour  un  lem])s  dans  le  ])ays  d'ilébron  (6), 
laissant  le  gros  de  la  nation   avec  les  Edomites  et  les  ^ladianites 


Inscriplion  palmyréenne  de  la  statue  de  Zéno- 
bie,  d'après  un  estampage  de  M.  J.-E.  Gau- 
tier (2). 


(1)  Aujourd'hui  Ain  Gadis.  Cf.  C.  Tbumbull, 
A  visil  lo  AïnQadis,  the  supposed  site  of  Ka- 
desh Barnea,  in  Pal.  Exploi.  Fund.  Quart.  SI., 
July,  1881,  p.  208,  sq.  Les  ruines  de  villes  cha- 
nanéennes  sont  nombreuses  (Cf.  H.  Vi.ncent, 
Canaan.  19)7,  chap.  I,  p.  23,  sq.);les  principales 
découvertes  jusqu'à  ce  jour  sont:  Tell  el  Ilesy, 
Tell  es-"^afv.  Tell  el  Moutésellini,  Tell  Zaka- 
riyâ.  Tell  ta'anak,  Tell  Sandaliannah,  Tell 
Djezer,  Tell  Djedeideh,  Oplie  1  (Jérusalem  pri- 
mitive), etc..  Epaisseurde  quelques  murailles: 
Gazer,  muraille  du  vingt-neuvième  siècle  au 
quinzième. 3  m.  35;  muraille  du  quinzième  siè- 
cle, 4  m. -25;  Tell  elHésy,  5  m.  20  à  3  m.  50;  Tell 
esSafy.  3  m. 66;  Megiddo,  8  m.  60  (Cf.  H.  Vin- 
cent, op.  cit.).  Le  rempart  de  Lâchis  (dix- 
huitième  siècle  av.  .I.-C.)  est  fait  de  briques 
crues,  séchées  au  soleil  etdonlla  pâte  est  mé- 
langée de  paille  hachée. (Bliss. A  .Ùound,  pp.  22 
et  44.  —  F.  Pétrie,  Tell  el  Hcsi/,  p.  21.)  Ce 
mode  de  construction,  prodigieusement  ancien 
en  Chaldée.  se  retrouve  en  Egypte  dès  l'épo- 
que de  Mènes. 

(2)  Statue  de  Septimia  Batzabba'i  (Zéno- 
biei.  Illustre  et  juste  |1  reine.  Les  Septimiens 
Zabda,  général  en  ||  chef  el  Zabbaï,  général 
de  Tliadmour  (Palmyre),  les  très  puissants,  || 
l'ont  ériiféc  à  leur  souveraine.  Dans  le  mois 
de  Ab  de  l'année  582  (août  271).  « 

(3)  Les  Edomites  avaient  douze  tribus,  aux- 


quelles était  adjointe  une  tribu  illégitime, celle 
d'Amalek  {Genèse,  XXXVI,  4-14;  16-22);  les 
Nakhorides  (Genèse,  XU,  20-24);  les  Ismaélites 
(Genèse,  XV,  12-16)  et  les  Qétouréens  (Genè.^e, 
XXV,  1-6)  étaient  dans  le  même  cas.  (Maspero, 
Hist.  anc.  peupl.  Orient,  \'  éd.,  1893.  p.  302, 
note  1.) 

(4)  1.  Ruben,  2.  Siméon,  3.  Lévi,  4.  .luda, 
5.  Issakhar,  6  Zébulon,  7.  Joseph,  8.  Benja- 
min, 9.  Dan,  10.  Naphtali,  11.  Gad,  12.  Ashs- 
her.  Piépondant  aux  noms  des  douze  fils  de 
Jacob,  1  à  6  descendant  de  sa  première  femme 
Léa,  7  et  8  de  sa  seconde  Rachel,  9  à  11  des 
servantes  de  son  harem. 

(5)  Au  souvenir  du  Sina'i  resta,  pour  les 
Hébreux,  attachée  l'idée  de  la  demeure  divine 
(Cf.  Cantique  de  Déborah  (Jaijes,  eh.  V,  v.  4-6), 
Deuléronome,  XXXIII,  2;  Ùahlnilaik,  111,2; 
Psaumes,  LXVIII,8-9,  etc.).— Sur  le  sommet  de 
la  stèle  des  lois  de  Hammourabi,  le  dieuCha- 
mach  (le  Soleil)  est  représenté  remettant  au  roi 
le  burin  avec  le(]uel  il  doit  graver  les  lois  dic- 
tées par  la  divinité.  C'est  ainsi  que  Moïse 
re(;ul  les  lois  de  Dieu  sur  le  Sina'i,  que  le 
prince  DoudouPhor,  (ils  de  Menkéri  (IX'  dyn.), 
découvrit  aux  lueds  du  dieu  Thot.  à  llernio- 
polis,  le  XLIV«  chapitre  du  Livre  des  morts. 

(6)  Cf.  B.  Stade,  Geschichle  des  Volkes  Israël, 
pp.  131-132. 


302  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

continuer    sa    route    par    la    rive    orientale    et     la    mer    Morte. 

Ces  neuf  tribus  et  leurs  alliés  longèrent  les  pays  de  Moab  et 
d'Ammon,  peuplés  de  congénères  que,  s'acheminant  vers  l'Egypte, 
les  Hébreux  avaient  laissés  des  siècles  auparavant. 

Il  semblerait  que  ces  peuples  leur  eussent  accordé  libre  pas- 
sage sur  leurs  terres  ;  car  ils  s'avancèrent  encore  et  lentement  pri- 
rent possession  du  pays  de  Galaad  (l),  district  situé  au  nord  de 
celui  des  Ammonites,  sur  la  rive  gauche  du  Jourdain. 

Là,  ils  rencontrèrent  des  peuples  dès  longtemps  fixés  dans  le 
pays,  les  Amorrhéens  et  les  Bashamites,  contre  lesquels  ils  eurent 
à  lutter;  eux  nomades,  forts  par  leur  mobilité, 
rilWIîA'rtlnX^  toujours  en  mesure  de  harceler  ou  de  fuir, 
î^  ]^A  ^a>I  S  guerroyant  contre  des  populations  sédentaires, 
HALVIUV?  Tl  S  attachées  au  sol  et  que  l'insécurité  perpétuelle 
iiirMi  Ai  Hp^       devait  forcément  abattre.    Peu    à    peu    ils    les 

*^Yhf(IÎH         absorbèrent. 
Écriture  Himyariie^  Galaad  devint   leur  centre;  de  là,  ils  pous- 

sèrent jusqu'aux  contreforts  du  Haurân,  jusqu'à 
Kénath  (3)  ;  mais,  devant  des  forces  supérieures  aux  leurs,  du- 
rent rétrograder.  Ils  se  tournèrent  alors  vers  les  autres  peuples 
leurs  voisins,  et  malgré  leurs  incursions  continuelles,  les  razzias 
qu'ils  opéraient  sans  relâche,  ils  ne  parvinrent  ni  à  s'enrichir, 
ni  à   se    procurer    de    nouveaux  territoires. 

A  la  longue,  le  pays  de  Ghanaan  fut  enfin  conquis.  Jéricho  forcé, 
les  Hébreux  s'y  installèrent  ;  mais,  rétablis  de  leurs  revers,  les 
indigènes  (/i)   tentèrent  un  premier  edbrt  pour  chasser  ces  intrus. 

Une  coalition  des  Chananéens  du  Sud  se  forma,  commandée 
par  Adonisédek,  roi  de  Jébus,  et  fut  défaite  ;  une  autre,  ayant  à 
sa  tète  Jabin,  roi  d'Hazor,  fut  également  écrasée  et  les  vainqueurs 
massacrèrent  les  vaincus. 

Dès  lors,  chaque  tribu  commença  de  guerroyer  pour  son  propre 
compte,  en  quête  de  butin  et  de  terrains  ;  c'est  ainsi  que  les  Am- 
monites furent  absorbés. 

Dans  les  montagnes  de  l'ouest  de  la  mer  Morte,  les  tribus  de 

(1)  Galaad  rapi)elaitaiixlsi'aéliles  les  noinsde  (3)  Cf.  Stade,  Gescli.  d.  Volkes  Israël, 
leurs   ancôtres  Esaii,  Laban,  Jacob.  (Cf.  Ge-        pp.  148-152. 

Mè.s-e,  XXIII,  V.  2-3,  v. 23-33.)  (l)  Beth-Anat,  Bet-Shemesh,  Magiddo,  Taa- 

(2)  Cf.  I.  et  A.  DEiiENBOURC,  £/ade.s- sur /Vp/-  nak,  Beth-Sheàn,  Sichem,  Jébus,  Gibéon, 
graphie  du.  Yémen.V  sëv\Q{Aans  Journ.  Asiat.)  Guézer,  Aialon,  etc.  {Juges,  l,  21,  sq.),  places 
Paris,  188i,  pp.  36  et  51,  n"  6.  «  Cippe  de  Ksm.  fortes  chananéennes,  avaient  conservé  leur  in- 
fîls    de  Daf.  a...   et   puisse    Athtar   l'oriental  dépendance. 

frapper  celui  qui  le  détruirait.  » 


LA    PRÉPO.XDÉRANCl-:     KGVPTIE.NM-:  303 

Lévi  et  de  Siinéoii  presque  détruites,  joignirent  leurs  restes  à 
celle  de  Juda  (1)  ;  tandis  que  leurs  alliés,  les  Danites,  plus 
habiles,  réussirent  à  s'emparer  de  Lais,  colonie  sidoniennc  où  ils 
s'installèrent,  après  en  avoir  massacré  toute  la''|)()j)iilalion  (2). 

Presque  partout  les  Hébreux  tenaient  la  campagne,  vivant  sur  le 

Hébreu  carré    (I"  s.    de   noli-e   ère)  (:5). 

pays;  mais  ils  ne  j)arvenaient  (pie  l'arement  à  s'emj)arer  des  villes 
chananéeunes  qui,  presque  toutes,  grâce  à  leurs  murailles,  conseï'- 
vèrent  pendant  longtemps  leur  indépendance.  Les  nomades,  c'est 
une  règle,  ne  peuvent  s(»  tlécider  au  siège  dos    places  fortes  (/i). 

11  résulta  de  cette  situation  une  extrême  division  politique  des 
<listricts  envahis  et  partant,  des  luttes  perpétuelles.. Du  haut  d(; 
leurs  citadelles  les  Ghananéens  assistaient  journellement  à  la 
razzia  de  leurs  cultures,  au  massacre  de  leurs  campagnards, voire 
même  aux  combats  entre  tribus  israélites  ;  car  elles  ne  s'épar- 
gnaient pas  entre  elles. 

Dans  ce  désordre  les  Hébreux,  abandonnant  leurs  vieilles  tra- 
ditions, s'allièrent  aux  femmes  indigènes;  et,  méconnaissant 
Yahwê,  adorèrent  les  dieux  étrangers  (5). 

Les  Amorrhéens,  les  Moabites,  les  Philistins,  cherchant  à  i-éagii* 
contre  les  incessants  brigandages  dont  ils  étaient  victimes,  furent 
vaincus  à  leur  tour.  Cette  lutte  de  toutes  les  peuplades  syriennes 
entre  elles  et  contre  les  Bédouins  du  désert  dura  de  longues  années  ; 
et  l'avantage  ne  resta  jamais  bien  longtemps   aux  mêmes  mains, 

(1)  Cf.  Genèse,  XLIX,  v.  7;  Josué,  XIX,  1-9;  {'->)  Jiujes,  111.  .'i-7.  La  (■on(iin''Le<''gy|ilienne  no 
I  C/i/'on.,  IV.  24-43.  semble    pas    avoir  apporlé    de    niodificalions 

(2)  Juges,  XVIII,  I,  27-31 .  fonfiamenlalesdans  les  concepts  religieux  clia- 

(3)  Cf.  DE  Vogue,  Rev.  avch.,  t.  IX,  I8Gi,  nancens.  L'intr()<lnclion  de  quelques  diviniirs 
p.  200  sq.,  pi.  VI,  d'un  des  sépulcres  de  la  nouvelles  (Amon)  el  de  (pu'hiues  objets  du 
vallée  deJosapbal.  —  «  Ceci  est  le  tombeau  et  culte  jieuvenl  nélre  que  lelTet  de  la  servilité 
le  [monument]  :  1°  d'Eléazar,  Onias,  Joazar,  des  Sémites  conquis.  Il  n'e.xiste  depuis  l'Oronte 
Juda,  Simon,  Johassan,  fils  de  .Jamah  (.'),  fils  jusqu'aux  frontières  du  Sinaï  aucun  vestige  de 
d'Azar;iahj;  2°  de...  fils  d'Eléazar;  ;.des|  fils  sanctuaire  égyptien  preuve  certaine  <|ue  les 
d'Onias  ..,  d'entre  les  Benè-Hézir.  pharaons  ne  tentèrent  pas  d'inqioser  leur  cuite 

(4)  La  plus  ancienne  preuve  de  l'e.xistence  de  au  dehors. (Consulter  sur  les  trouvailles  d'objets 
forleresseenpaysdeChanaanqiiisoitparvenue  cultuels  égyptiens  en  Palestine  :II.  Vincent, 
jusqu'à  nous  est  une  fresque  découverte  par  Canaan,  l'JU7,  ]).  447.  —  Sciiu.M.iCiiliR,  Mill.  d. 
Fl.Felrie  à  Desbasiieli  et  représentant  le  siège,  Deulsch.  PaUi.st.  Vereinx,  1904,  p.  55.  —  Bliss, 
par  les  Egyptiens,  d'un  château  fort  des  Sali  A  Moand,  p.  40,  67.  —  M.\CAUSTiiR,  Quai.,  Slal., 
par  un  officier   nommé  Anti,  pour  un  pharaon  1903,  p.  213;  1904,  p.  15,  etc.) 

de  la  V"  dynastie  (vers  3600  av.  J.-C). 


304 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


aucune  de  ces  principautés  n'ayant  la  force  nécessaire  pour  établir 
sa  suprématie. 

Çà  et  là,  quelques  tentatives  d'organisation  d'un  pouvoir  royal 
échouèrent.  Le  peuple  de  Manasché  établit  à  Ophra(l)  un  royaume 
dont  Jéroubal  fut  le  chef  et  Abimelech  lui  succéda,  bien  que  n'ayant 
aucun  droit  à  la  couronne.  Ce  premier  royaume  n'eut  d'autre 
objectif  que  de  piller  et  de  rançonner  les  caravanes,  de  razzier 
tous  les  pays  voisins.  Sichem  se  révolta,  elle  fut  détruite;  enfin 
Abimelech  ayant  péri  d'un  coup  de  pierre  devant  Tébez  qu'il 
assiégeait  (2),  son  royaume  disparut  avec  lui. 

Pendant  cette  période,  celle  des  Juges  de  la  Bible  (3),  la  Syrie, 
livrée  à  elle-même,  ne  se  trouvant  contrainte  ni  par  l'Egypte  qui 
avait  abandonné  ses  territoires  asiatiques,  ni  par  les  Hétéens  dont 
la  puissance  s'éteignait  peu  à  peu,  ni  par  l'Assyrie  dont  les  armées 
n'avaient  point  encore  franchi  l'Euphrate,  se  débattit  dans  la  plus 
affreuse  anarchie. 

Tour  à  loiir  et  pour  un  temps  très  court,  les  peuples  les  plus 
forts  dominèrent  les  autres  et  de  tous,  il  semble  que  ce  soit  les 
Philistins  (/|)  (qu'on  a  longtemps  pensé  d'origine  Cretoise  (5)  ou 
carienne  ((5),  alors  que  sûrement  ils  sont  Kgéens)  qui,  installés  jadis 
dans  le  pays  par  les  Piamessides  (7),  exercèrent  la  suprématie  la 
plus  durable. 


(1)  Ophra  (1  Aljiézur,  dont  rem])lacement  est 
inconnu. 

(-2)  Cf.  Stade,  Gesch.  d.  Fo/A-e.s-  Israël, 
pp.  190-101. 

(3)  Sortes  de  héros  spéciau.x  (sophet)  à  cha- 
que tribu,  mais  n'ayant  aucune  autorité  sur 
l'ensemble  de  la  nation.  Ehoud  (tribu  de  Ben- 
jamin), Japhtéh  (Galaad),  Gédéon  (Manasli- 
shé),  etc. 

(4)  E.  Renan  {Hisl.  gén.  des  langues  sémili- 
ques,  4«  éd.,  t.  1.  pp.  5:i-55  ;  Ilist.  peuple  Isriiël, 
II,  pp.  24-33)  considérait  les  Piiilistins  comme 
d'origine  Cretoise  et  leur  attribuait  un  dialecte 
gréco-latin.  Ce  dialecte  se  serait  perdu  après 
leur  arrivée  en  Palestine,  car  à  la  XXIP  dy- 
nastie on  parlait,  chez  les  Philistins,  la  langue 
chananéenne  (Cf.  Chassinat,  Bull.  Insl.  Fr. 
Caire,  I,  1901.  pp.  98-100.).  Cette  origine  Cretoise 
acceptée  par  M.  W.  Max-Miiller  entre  autres 
(Mitt.  der  Vorderasialisrhen  Gesellschafl,  1904, 
2,  pp.  14-15),  semble  cependant  encore  fort 
douteuse,  k  II  semble  que  les  Egéens  qui,  lors 
des  mouvements  des  peuples  de  la  mer  contre 
l'Egypte,  s'installèrent  en  Palestine,  apparte- 
naient à  diverses  tribus  :  au  premier  rang  les 
Poulousali  ou  Philistins  qui  donnèrent  leur 
nom  au  pays,  puis  des  Cretois  et  des  Pheléti. 
L'origine  de  ces  derniers,  tout  comme  celle 
des  E'oulousali,  resta  indéteiminée  ;  jusqu'ici, 


la  qualification  d'Egéens  leur  est  seule  appli- 
cable. (R.  Dussaud, Questions  mycéniennes,  ds 
lieu,  de  l'hist  des  religions,  1905,  tirage  à  part 
p.  31.) 

(5)  Juges,  III-IX.—  IIitzig.  Urgescli.  u.  Mglho 
log  der  Philislaeer.  p.  14,  sq.  —  GiiNESius, 
Thesanrus.  au.x  mots  Caplhor,  Erelhi,  etc.  — 
EwALD,  Geschichle  des  Volks  Israël,  I,  p  325, 
sq.  —  Bertheau,  Zur  Geschichle  der  Isr  lelilen, 
p.  188,  sq  —  MovERS,  Die  Phœnizier.  I,  pp.  3-4, 
10.  27-29,  33,  sq.;  663.  —  Tucn,  Commenlar  iiber 
die  Genesis,  p.  213.  -—  Lengerke,  Kenann.  I, 
p.  193,  sq.  —  KnObel,  Die  Vœlkerlufel  der  Ge- 
nesis, p.  215,  sq.  —  MuNK,  Palestine,  p.  82,  sq. 

rc)  II  Sam.,  XX,  23.  —  II  Rois,  XI.  !,  19.— 
IlSom  ,  VIII,  18.  Hakréli  est  un  nppollatif  et 
non  un  ethnique  (R.  Dussavd,  Ilev.  hisl.  relig,, 
1905.  Ouest.  Mijc,  tirage  à  j'art,  |i.  32,  note  1.) 

(7)  Le  territoire  qui  leur  fut  concédé,  enlre 
la  Syrie,  la  mer  et  le  désert,  s'étendait  du  tor- 
rent d  Egypte  aux  environs  de  .Joppé.dont  cinq 
villes  importantes  [lar  leurposition  stratégique, 
Gaza,  \scalon.  Ashdod.  Ékroii  '•',  Galh,  com- 
mandaient les  débouchés  de  I.T  Palestine  et  les 
abords  de  l'Isthme  de  Suez.  (G.  Maspero,  llist. 
nnc.  des  peuples  de  l'Orient,  V'  éd.,  1893.  p.  313. 
313,  et  note  4.  —  Fr.  Lenormant,  Hisl  an- 
cienne, t.  I,  p.  207-208. 


LA    riŒl'ONDKUA.NCE     ÉGYPTIENNE 


305 


Cependant,  grâce  à  plusieurs  expéditions  heureuses  contre  les 
peuplades  de  la  Phi listie,  Saûl,chef  de  la  tribu  israélite  de  Benjamin, 
était   parvenu  à  grouper  (|uel(|ues   districts    sous    son   autorité. 

Enfin  (1)  David,  un  aventurier,  secoua  le  joug  (|ui  pesait  sur 
les  Hébreux  (2)  el,  groupanl  auloiif  de  lui  les  mécontents,  sans 
distinction  de  nationalité,  fonda  le  royaume  juif;  non  sans  des 
luttes  acharnées  conlre  les  anciens  maîtres,  et  aussi  contre  les 
peuples  soumis  [)ar  les  Philisliusen  même  temps  que  les  Hébreux. 
Jérusalem,  l'ancienne  Jebus  des  Chananéens,  fut  choisie  comme 
capitale  du  nouvel  Etat  (3)  et  fortifiée  {!\). 

Profitant  de  la  division  du  pays,  de  l'antagonisme  des  divers 
roitelets  et  surtout  de  l'inattention  des  grandes  puissances,  David 
s'empara  de  toute  la  Palestine  et  de  toute  la  Syrie,  réduisit  à  son 
obéissance  Damas,  MaaUha,  Piohob,  Zobah,  Ilamath,  Moab  ;  mais 
n'entama  pas  les  domaines  de  Tyr  et  de  Sidon.  Il  étendit  son 
pouvoir  depuis  les  rives  de  l'Oronte  jusqu'aug  olfe  d'Akaba,  depuis 
les  frontières  de  Phénicie  jusqu'au  désert  syro-arabique  et,  en  un 
seul  elfort,  forma  son  royaume,  im])osant  sa  domination  par  des 
cruautés  dignes  des  rois  d'Assyrie. 

En  Idumée  (5),  Joab  fit  égorger  toute  la  partie  mâle  des  vain- 
cus ;  àMoab(6),  les  deux  tiers  de  la  population  fut  de  sang-froid 
mise  à  mort.  Les  Ammonites,  «  on  les  mit  sous  des  scies,  sous 
des  herses  de  fer,  sous  des  haches,  on  les  fit  passer  par  les 
fourneaux  où  Ton  cuit  la  brique  (7)  ». 

Partout  ce  ne  furent  que  massacres,  égorgements,  tortures  et 
finalement  pillages.  Les  dépouilles  des  victimes  furent  agréables 
à  Yahwé  ;  comme,  quel({ues  siècles  plus  tard,  celles  de  la  Judée 
elle-même  devaient  remplir  de  joie  le  cœur  d'Assour. 


(1)  Les  années  qui  précédèrent  l'apparition 
de  David  sV'Toulèrent  en  luttes  perpétuelles 
des  Hébreux  conlre  les  Philistins.  L'intérêt  de 
ces  guerre:^,  n  est  d'ailleurs  que  local  Cf. 
Stade.  Geschichte  des  Volkes  Israël,  p.  160.  sq. 

(2)  II  Sam..  V,  17-25.  —  I  Chroiu,  XIV, 
8-17.  —  I  Chron..  XVIII,  1.  —Cf.  Stade,  op. 
cil  ,  p.  2»;5-Jt)7. 

(3)  Salomun  s'efTorça  d'établir  dans  sa  capi- 
tale, près  (le  sa  résidence,  le  centre  du  culte 
de  son  petiiile,  mesure  politique  continuée  par 
tous  les  d\  nastes  israélites,  el  d'établir  ainsi  un 
culte  national.  "  Les  monarques  juifs  des  deu.x 
royaumes  essaient  vainement  (le  centraliser 
le  culte  dans  leurs  capitales  et  chacun  à  l'om- 
bre même  ih  son  palais  ;  celte  religion  officielle 
el  national-  mettra  de  longs  siècles  à  triom- 
pher des  cultes  locau.x,  issus  du  sol,  àcecpril 


semble,  plus  encore  qu'ils  ne  sont  inhérents  à 
une  race.»  (II.  Vincent,  Canaan,  1907,  p,  l.'il.) 

(4)  L'arrivée  des  Hébreux  au  pays  de  Cha- 
naan  semble  avoir  introduit  des  méthodes 
nouvelles  dans  la  construction.  Alors  que  les 
Chananéens  ne  connaissaient  que  l'appareil 
polygonal  en  matériaux  à  peine  dégrossis,  les 
Israélites  font  usage  de  blocs  équarris  de  cal- 
caire. (Cf.  H.  Vincent,  Canaan,  1907,  p.  .59.)  Les 
nouveaux  venus  avaient  bien  certainement 
appris  en  Egypte  les  jirincipes  de  construction 
qu'ils  appliquèrentjtrès gauchement  d'ailleurs, 
à  Tell  Ta'anek  (Cf.  Sei.li.x,  Tell  Tuanak,  p.  21, 
sq.,  pi.  1),  mais  d'une  manière  beaucoup  plus 
habile  à  Jérusalem. 

(5)  I  Rois,  XI,  15-11^. 

(fi)    II  Sam.,  X-XII;  I  Chron.,  XIX-XX. 
(7)    II  Sam.,  VIII,  2  ;  I  Chron.,  XVIII,  2. 

2Ô 


306  LES     PREMIÈRES     CIMLISATIONS 

Et  ce  royaume,  qu'était-il,  même  au  temps  si  court  de  son 
apogée,  sous  David  et  Salomon  (1)  ?  Un  district  montagneux, 
pauvre,  à  peine  long  de  200  kilomètres  et  large  de  150,  même 
pas  une  province  des  empires  asiatiques;  vingt  auties  princi- 
pautés tributaires  de  l'Egypte,  de  l'Assyrie  ou  de  la  Perse  ont, 
plus  que  lui,  des  droits  à  figurer  dans  l'histoire  ;  et,  cepemiant, 
l'imagination  des  exégètes  bibliques  l'avait  tellement  grandi 
qu'il  y  a  peu  d'années  encore  on  lui  accordait  une  importance 
dominant  toute  l'antiquité  orientale. 

Aujourd'hui  que,  grâce  aux  nombreux  textes  antiques  nouvelle- 
ment découverts,  il  est  aisé  de  comparer  l'état  d'esprit  des  Hé- 
breux et  leur  valeur  politique  à  ceux  des  autres  peuples  asiati- 
(jues,  ils  se  montrent  sous  leur  vrai  jour.  Ce  n'était  qu'une  peu- 
plade sémitique  comme  les  autres,  douée  des  mêmes  vices  et  des 
mêmes  qualités  ;  rien  de  plus,  rien  de  moins. 

Les  récentes  investigations  en  Palestine  (2)  ont  jeté  une  lumière 
toute  nouvelle  sur  les  progrès  de  la  culture  dans  I(\s  pays  bibli- 
ques, connus  autrefois  seidement  ])ar  des  traditions  souxcut  dou- 
teuses, toujours  tendancieuses.  Les  ruines  interrogées  j)ar  d'ha- 
biles observateurs  (3)  ont  montré  que  la  succession  des  faits  coïn- 
cide, comme  il  fallait  s'y  attendre,  avec  les  lignes  fournies  par 
l'histoire  générale  asiatique. 

Au  début,  de[)uis  les  temps  préhistoriques  les  j)lus  anciens 
jusqu'aux  environs  du  vingtième  siècle  avant  l'èie  vulgaii-e,  les 
peuples  palestiniens  seraient,  suivant  quelques  auteurs,  demeu- 
rés à  PEtat  néolithique. 

Celte  date  apj)roximalive  du  vingtième  siècle  ne  saurait,  à  mon 
sens,  être  acceptée  ;  car  il  est  inadmissible  que  la  Syrie,  placée  entre 
deux  foyers  très  anciens  des  connaissances  métallurgiques, 
exposée  à  de  fréquentes  invasions  asiatiques  dont  nous  jîossé- 
dons  d'exactes  notions,  se  trouvant  sur  le  passage  des  relations 
commerciales  entre  l'Egypte  et  la  Chaldée,  en    contact    constant 


(1)  Salomon  reconnaissail  la  suzeraineté   du  (3)    Les    principaux    ouvrages    à    consulter 

roi  d'Egypte,  recevait  une  de  ses  filles  en  ma-  sont  :  Zeilschrifl  des  deul.  Palaslina-vereins.  — 

riage,  adorait  ses  dieux  et  les  honorait  en  face  Milllieilunyen    u.   Nachrichten  des  deiit.  Palds- 

de  Yahwé.  (H.  Vincent,  Canaan,  1907,  p.  4(55.)  tina-L'ereins .   —   Quarlerii/   slatenienl   Palestine 

C'est  par  les  Hébreux  seuls  que  nous  connais-  Exploration  Fiind.  —  Bévue  biblique.—  Procee- 

sons  celte  alliance  de  la  fille  du  pharaon  avec  dimjs    of    Ihe     Soc.    biblical    Arcliaeoloijij.    — 

leur  roi  ;  et  il  est  permis  de  douter  de  lu  sin-  Ci, eumont-Ganneau,  Reçue// d'Arc/jeo/oy/V  orien- 

cérilé  de  cette  assertion.  taie,  1899.  —  Perbot  et  Chipiez,  Hist.  de  l'art. 

Ci)    Cf.     H.     Vincent,     Canaan,    Paris,   lib.  t.  111,  etc. 
V.  Lecoffre,  1'j07. 


LA    PRÉPONDÉRANCE     ÉGYPTIENNE 


307 


par  nier  avec  les  civilisations  égéennes  et  ci'étoises  (1),  soit  de- 
meurée ignorante  des  métaux  (2). 

Les  antiques  migrations  des  Chaldéens  se  rendant  dans  la  val- 
lée du  Nil  la  traversèrent;  les  armes  élamiles  la  con({uirent,  de 
même  que  les  empereurs  suinéro-aklcadiens  (3)  ;  les  Hyksos  la 
j)arcoururent.  Puis  les  hommes  d'Abraham  {!i)  y  laissèrent  les 
peuples  d'Ammon  et  de  Moab;  elle  eut  dès  la  haute  antiquité  des 
contacts  directs  avec  les  Sémites  de  l'iMiphi-ate  moyen  et,  forcé- 
ment, connut  de  1res  bonne  heure  les  arts  utiles,  tels  que  la  mé- 
tallurgie, la  construction  et  la  céramique  (5).  C'est  donc  vers  l'épo- 
que des  premiers  mouvements  des  Asiali(|ues  vers  TÉgypte  ((u'il 
<;onvient  de  reporter  les  débuts  de  l'étal  énéolilhique  en  Cœlésvrie, 
soit  antérieurement  au  quatrième  milléniuni  avant  notre  ère. 
Les  indices  sur  lesquels  ou  s'était  basé  pour  abaisser  réj)oque  de 
ce  fait  ne  peuvent  avoir  été  que  mal  interprétés. 

Dans  ces  pays  relativement  pauvres,  le  j)rogrès  peut  ne  s'être 
fait  que  lentement  ;  aussi  est-il  possible  d'admettre  une  longue 
durée  de  la  civilisation  énéolithique.  En  Chaldée,  en  Egypte,  pays 
riches,  la  période  d'incubation  n'exigea-t-elle  pas  des  dizaines  de 
siècles  ?  Puis,  cette  culture  se  modifia  peu  à  peu,  évoluant  sur 
elle-même  et  profitant  de  maintes  influences.  L'arrivée  d'élé- 
ments et]i]ii(|iies  nouveaux  forma  l'état  social  dit  chananéen,  dont 


(1)  La  seule  route  entre  la  Chaldée  et 
l'Egypte  remonte  l'Euphrate  jusqu'à  Deir  el 
Zor  ou  Mesqueneh.  gagne  la  montagne,  tra- 
verse la  Palestine,  suit  la  côte  de  la  Médi- 
terranée ou  celle  du  golfe  d'Akkaba  et  entre 
en  Egypte  par  Péluse  ou  Suez. 

(2)  i^a  connaissance  du  métal  en  Egypte  est 
contemporaine  de  Menés  ou  quelque  peu 
antérieure;  en  Chaldée  elle  est  plus  ancienne 
que  Narâm  Sin  (3800);  on  peut  lui  assigner 
dans  les  deux  pays  une  antiquité  supérieure 
à  4.000  ans  av.  J.-C.  Si  donc  en  l'an  2000  les 
Palestiniens  avaient  encore  été  à  l'état  néoli- 
thique, ils  eussent  vécu  vingt  siècles  entre 
ces  deux  foyers  :  l'un,  l'Egypte,  situé  à  400  kilo- 
mètres ;  l'autre,  la  Chaldée,  à  120O  (l'Oronte 
n'est  qu'à  150  kilomèlres  environ  de  l'Eu- 
phrate), sans  en  recevoir  le  plus  précieux  des 
enseignements,  supposition  invraisemblable 
amenante  rejeter  la  date  du  vingtième  siècle 
pour  les  débuts  de  l'énéolithique  dans  la 
Palestine. 

(3)  Cf.  G.  Maspero,  Histoire,  H,  p.  17,  sq.  — 
ZiMMERN-WiNCKLEH,  Die  KeiHnsrliriflen  und 
das  Alt.  Teslam.,  3'  éd.,  p.  15.  —  L.-'VV.  King. 
Art.  Babylonia,  ds.  Encyclopedia  biblica  (de 
Cheyne),  I,  col.  440,  §  41. 

(4)  n  fut  un  temps  où  certaine  classe  de 
savants  était  tellement  suggestionnée  par  la 


recherche  des  traces  du  peuple  d'Israël,  qu'au 
moment  de  la  découverte  du  tombeau  de 
Khnoumhotcp  (à  Béni  Hassan]  et  de  la  fresque 
qu  il  renferme  représentant  une  caravane,  on 
y  voulait  voir  1  arrivée  d'Abraham  en  Egypte 
{Genèse,  XIL  10,  20),  ne  doutant  pas  que  les 
Egyptiens  n'eussent  accordé  leur  attention  à 
cette  insignifiante  tribu  dont  ils  étaient  eux- 
mêmes  si  féru^..  Inutile  de  dire  que  nous  ne 
connaissons  et  probablement  ne  connaîtrons 
jamais  Abraham  ([ue  par  la  Bible.  C'est, 
semble-l-il,  vers  le  vingtième  siècle  que  les 
Hébreux,  conduits  par  leur  patriarche,  traver- 
sèrent le  pays  de  Chanaan. 

(5)  Bien  qu'avant  la  XVIII»  dynastie  les 
Egyptiens  n'eussent  pas  lancé  leur-;  armées 
en  .\sie,  ils  n'en  avaient  pas  moins  des  com- 
munications avec  les  peuples  de  la  Syrie 
(Cf.  Max  Mlller,  Asien  und  Europa  nach 
AUnejuipl.  Denkmaelern,  p.  2.  —  G.  Maspeuo, 
Histoire,  I,  p.  392).  «  Les  découvertes  contem- 
poraines en  Ctianaan  nous  ont  fait  constatera 
maintes  reprises  la  trace  des  Egyptiens,  à 
des  époques  parfois  fort  reculées,  le  vingt-cin- 
quième siècle  par  exemple,  pour  l'hypogée  de 
Gezer,probablement  aussi  pour  les  tombes  et 
un  palais  de  Megiddo.  »  (Cf.  Mittheil.  u.  Nach- 
vichlen  d.  d.  Paliisl.  vereins,  1906,  p.  50  et  52.^ 
(H.  Vi.NCE.NT,  Canaan,  1907,  p.  430,  note  1.) 


308  I^E^     PREMIÈRES     CIMLISATIONS 

on  a  voulu  placer  les  débuts  au  seizième  siècle  avant  notre  ère. 

Cette  dernière  date,  proposée  par  quelques  archéologues, 
semble,  elle  aussi,  beaucoup  trop  rapprochée  de  nous;  car  au  sei- 
zième siècle,  la  Palestine  était  parcourue  en  tous  sens  par  les 
Égyptiens,  les  Hétéens,  les  Phéniciens  et  le  degré  de  civilisation 
de  ces  peuples  était  trop  élevé  pour  que  les  pays  soumis  à  leur  in- 
fluence n'eussent  pas  très  largement  bénéficié  de  leur  incessant 
contact.  D'ailleurs,  depuis  bien  des  siècles,  la  Syrie  et  la  Palestine, 
de  même  que  les  pays  de  TOronte  et  du  haut  Euphrate,  n'étaient- 
ils  pas  sémitisés,  la  Crète  et  l'archipel  n'avaient-ils  pas  atteint 
l'apogée  de  leur  développement?  pourquoi  vouloir  faire  de  la  Syrie 
un   îlot  de  peuples  aussi  en  retard  sur  le  mouvement  général  ? 

Les  divisions  chronologiques  établies  pour  la  culture  dans  cette 
partie  de  l'Asie  antérieure,  considérées  au  point  de  vue  relatif, 
semblent  être  fort  judicieuses;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  en  ce 
(jui  concerne  les  dates  pour  les  raisons  énoncées  plus  haut.  Voici, 
d'ailleurs,  cette  classification  telle  qu'elle  est  présentée  dans  les 
récentes  publications  :  si  j'insiste  sur  cette  question,  c'est  unique- 
ment par  suite  de  l'intérêt  majeur  qu'elle  présente  au  point  de 
vue  de  l'ensemble  du  développement  dans  le  monde  antique. 

\  (\).  —  Entre  les  origines  imprécises  de  la  culture  et  le  sei- 
zième siècle  suivant  les  auteurs.  [Période  amorite  (FI.  Pétrie),  pré- 
israélite  archaïque  (lUiss),  indigène  (H.  Vincent)],  civilisation  dont 
je  crois  devoir  reporter  la  fin  vers  le  cinquième  milléniiim  av.  J.-C. 
Les  instruments  de  silex,  les  poteries  grossières  ornées  d'inci- 
sions, la  nature  primitive  des  sanctuaires  sont  ses  caractéristi- 
ques. Les  populations  qui  l'ont  produite  appartenaient  probable- 
ment aux  vieilles  races  de  l'Asie  antérieure  plus  proches  des 
Sumériens  et  des  Hétéens  que  des  Sémites. 

IL  —  Du  seizième  au  douzième-onzième  siècle  (auclorum) 
[Période  phénicienne  (Fl.  Pétrie),  préisraélite  postérieure  (Bliss), 
chananéenne  (H.  Vincent)].  Longue  phase  correspondant,  cà  mon 
sens,  à  l'influence  suméro-akkadienne  dont  le  début  se  perd  dans 
la  nuit  des  temps  et  qui  semble  se  terminer  avant  le  vingtième 
siècle.  Cette  civilisation  présente  non  seulement  des  caractères 
spéciaux  dus  au  vieux  fond  de  la  population  et  à  sa  culture,  mais 
aussi  des  analogies  frappantes  avec  celle  de  la  Chaldée. 

(1)    Les  termes    proposés    par    II.    Vincent        être    beaucoup    mieux   appropriés    que  ceux 
pour   désigner  ces  quatre  périodes  semblent       employés  par  Flinders  Pétrie  cl  par  Bliss. 


LA    PRÉPONDÉRANCE    ÉGYPTIENNE 


309 


Le  métal  j)araît  faire  son  apparilion  dès  les  débuis  de  cette 
période.  La  céramique  qui  se  couvre  de  peintures  est  inspirée,  dans 
sa  technique  comme  dans  sa  décoration,  par  les  œuvres  similaires 
de  Chaldée  et  non  d'I^gypte  (1).  Les  procédés  de  conslruclion 
sont  clialdéens  (2).  La  forlification  joue  un  rôle  important  et  s'ins- 
pire des  principes  suméro-akkadiens  (3).  Le  culte  franchement 
asiatique  [h]  donne  naissance  à  des  sanctuaires  d'une  disposition 
toute  spéciale  (5),  établis  sur  les  hauts  lieux  tles  anciens  habitants; 
preuve  qu'il  s'est  fait  une  sorte  de  fusion  entre  les  croyances 
anciennes  et  nouvelles. 

Au  cours  de  cette  longue  phase,  l'ornementation  céramique  se 
modifie  (6),  la  technique  demeurant  chaldéenne;  elle  est  d'abord 
purement  asiatique  puis,  vers  l'époque  du  développement  minoen 
se  laisse  pénétrer  par   dos  influences  artistiques  occidentales, 

III.  —  Du  douzième  ou  onzième  au  neuvième  ou  huitième 
siècle  (auctorum);  [Période  juive  (Fl.  Pétrie,  Bliss),  Israélite  (H.  Vin- 
cent)] dans  laquelle  la  culture  se  modifie  par  suite  de  l'arrivée  des 
Hébreux  et  des  contacts  de  plus  en  plus  fréquents  avec  les  pays 
du  Nil   et  de  la  mer. 

Les  vieille.s  traditions  céramiques  s'éteignent  peu  à  peu  pour 
faire  place  à  des  formes  plus  utilitaires  (7)  qu'artistiques.  Les 
objets  d'importation  étrangère  abondent  (8).  La  construction 
s'inspire  des  œuvres  égyptiennes  (9).  Le  temple  remplacera  bien- 
tôt les  hauts  lieux  chananéens  (10).  Je   verrais    j)lutôt  dans   cette 


(1)  Cf.  J.  DE  Morgan,  Comptes  rendus  de 
l'Acad.  des  inscr.  et  belles-lettres,  1907.  —  Revue 
de  l'Ecole  d'antlirop.  de  Paris,  1907. 

(2)  Cf.  les  observations  de  Fl.  Pétrie  au 
sujet  des  constructions  de  Lâchis  en  briques 
séchéei  au  soleil  (.wiii  s.  av.  J.-C.)  {Tell  el 
Hesi/,  p.  21.) 

(3)  Cf.  H.  Vincent,  Canaan,  1907,  p.  29,  II. 
Foi-tificalion  et  structure.  Les  malériau.x,  les 
remparts.  —  Les  restes  du  plus  ancien  rem- 
part connu  jusqu'à  ce  jour  en  Palestine  seraient 
la  muraille  antérieure  de  Gezcr  ;  elle  daterait, 
suivant  IMacalisterfOurt;^  S/af.  Pal.  Explor.F., 
1904,  p.  203;  1905,  p. 28,  sq  ),  de  la  période  s'éten- 
dant  du  vingt-neuvième   au  quinzième  siècle. 

(4)  Cf.  H.  Vincent,  Canaan,  1907,  chap.  III, 
p.  153. 

(5)  Tell  es  Sâfy.  (Bliss  et  Macalisteu, 
Excav.  in  Palestine,  p.  31,  sq.)  Gczer,  le  plus 
important  et  le  mieux  conservé  de  tous  ceu.\ 
découverts  jusqu'à  ce  jour.  (Cf.  Quart.  Slal., 
1903,  p.  23,  sq.) 

(6) Les  spécimens  les  plus  anciens  montrent 
une  ornamentalion  très  voisine  de  celle  (lu'oii 


rencontre  à  Suse  etàTepeh  Moussian  (Poucht 
è  Kouh),  dessins  géométriques  (H.  Vincent, 
Canaan,  1907,  pi.  VI H,  entière,  lig.  205',  repré- 
sentations d'animau.x  (/(/.,  tig.  2(JC  à  211),  se 
compliquant  {Id  ,  lig.  213,  214),  pour  enfin  sini- 
prégner  d'influence  occidentale  {Id.,  lig.  212, 
232).  —  Sellin,  Tell  Taanak,  (ig.  21.  A  ce 
dernier  type  appartient  le  vase  du  musée  du 
Louvre,  dit  de  Jériisaleni,  tous  deu.x  présen- 
tent nettement  le   caractère  susien. 

(7)  C'est  à  peine  si,  à  la  IIP  période,  on 
rencontre  encore  sur  les  vases  quelques  gros- 
sières peintures.  Cet  art  s'éteint  en  Ctianaan 
comme  en  Elam,  s'atrojjhianl  peu  à  peu  et  ne 
persistant  que  sous  formes  de  grossières  ban- 
des colorées  ornant  les  amphores. 

(8)  Cf.  Macalisteh,  Quart.  St.  Pal.  Explor. 
Fund.,  janv.  1905,  lig.  2.  —  Sellin,  Tell 
Taanak,  lig.  44,  94,  97,  219. 

(9;  Cf.  Sellin,  Tell  Ta'annak,  fig.  5.  Ap]ia- 
reil  en  grossières  pierres  de  taille  d'époque 
Israélite. 

(10)    Cf.    Perrot  et  Chipiez,    Hisl.   de  l'arl. 


'^[Q  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

transformation  une  action  réflexe  des  Chananéens  d'Egypte,  Tin- 
'luence  des  llyksos  chassés  de  la  vallée  du  Nil  et  aussi  des  Hé- 
breux dont,  au  début,  le  rôle  ne  fut  sûrement  que  bien  secon- 
daire. Cette  période  comprend  certainement  aussi  celle  des 
conquêtes  asiatiques  de  TÉgypte.  Elle  a  donc  débuté  vers  ran  2000 
av.  J.-C;  empreinte  d'influences  multiples,  par  suite  des  progrès 
efl'ectués  par  tous  les  pays  du  monde  antique  et  par  la  Méditer- 
ranée indo-européenne  nouvellement  entrée  en  scène,  cette  cul- 
ture ne  possède  plus  rien  de  personnel. 

lY.  —  Du  neuvième  ou  huitième  au  quatrième  siècle  [Période 
séleucide  (FI.  Pétrie,  Bliss),  judéo-hellénique  (IL  Vincent)]. 

J'ai  dû,  pour  faire  mieux  comprendre  la  vie  des  peuples  pales- 
tiniens, sortir  des  limites  tracées  par  ce  chapitre  que  seules  la 
deuxième  et  la  troisième  période  intéresse,  l'une  concernant  les- 
peuples  sur  lesquels  l'Hébreu  eut  à  conquérir  le  sol,  l'autre  s'ap- 
pliquant  à  la  civilisation  contemporaine  des  Israélites. 

Pendant  que  se  passaient  les  événements  dont  il  a  été  question 
plus  haut,  profitant  de  l'apathie  élamite,  les  Sémites  du  Tigre 
-moyen  avaient,  comme  leurs  congénères  du  Sud,  repris  leur  indé- 
pendance. Leurs  villes  de  Singar,  d'El  Assar,  de  Kalakh,  de  Ni- 
noua,  jadis  administrées  par  des  patésis  sous  la  suprématie  chal- 
déenne  ou  élamite,  se  groupèrent,  après  leur  affranchissement,  et 
formèrent  la  fédération  d'où  naquit  plus  tard  le  royaume  d'Assyrie. 
Entre  le  dix-huitième  et  le  seizième  siècles,  c'est-à-dire  au  temps 
de  la  conquête  égyptienne  des  pays  syriens,  vivaient,  sur  le  Tigre, 
des  princes  qui,  sans  être  déjà  rois,  étendaient  leur  influence  sur 
les  diverses  peuj)lades  sémitiques  cantonnées  sur  le  cours  moyen 
du  lleuve.  Ils  portaient  le  titre  à'ichakkoa  ou  palési  (1). 

Assour  n'était,  à  cette  époque,  qu'un  petit  royaume  correspon- 
dant à  la  partie  plate  de  la  vallée.  En  lutte  perpétuelle  contre  les 
anciens  habitants  dépossédés  et  retirés  dans  les  montagnes  kur- 
des (2)  et  arméniennes  (3),  ce  nouvel  Etat  était  menacé  vers  le 
Sud  par  ses  congénères  de  Chaldée  (4). 


(1)  Sur  cette  époque  encore  obscure  il  y  ;i  lien  (3)   Les  Bikni.  les    Mousri,   les  peuiiles  de 
il'espérer  que  les  fouilles  allemandes  jellerunl  Khoubouslda. 

bientôt  une  vive  lumière.  Voirplus  loin  la  liste  (4j  Les    Louloubi  entre  autres.   Cf.,    sur  la 

des  plus  anciens  princes  d'Assyrie,  telle  quelle  slèle  d'Anou  Baiiini,  au  pays  de  Bâtir  (Zohàb\ 

ressort  des  plus  récentes  découvertes.  J.  de   Morgan,    Mission  scientifique  en    Perse, 

(2)  Les  Kouti,  les  Namri.  t.   IV;    Reclierches    archéologiques,    l"    paitie. 


LA     PUKF^ONDKUANCK     ÉG  VI»  TIlilNNE  311 

Celte  siluation  périlleuse  développa  chez  les  gens  d'Assour  les 
qualités  giHMrières  de  leur  race.  Peu  à  peu  ils  se  rendirent  maîtres 
des  autochtones  leurs  voisins,  étendirent  leurs  territoires  dans  le» 
pays  accidentes  de  IKst  et  du  Nord,  dans  le  Sindjar  et  vers  le 
Khabour,  que. peut-être  ils  atteignirent  de  très  bonne  heure.  Ils 
accrurent  leurs  ressources  par  le  butin  fait  sur  les  tribus  vaincues 
et  pi'ospérèront  (1(^  telle  manière  qu'au  (|ualorzième  siècle  ils 
constituaient  déjà  une  puissance  traitant  d'égal  à  égal  avec  celle 
de  Babylone  (1). 

Ce  sont  les  princes  d'El  Assar  (|ui  fondèrent  le  royaume  d'As- 
syrie; leur  capitale  située  au  sud  de  leursEtats,  c'est  à-dire  près  des 
pays  1res  développés,  s'élevait  au  milieu  d'une  plaine  fertile  qui, 
par  les  soins  des  anciens  patésis  ou  ichakkous,  s'était  couverte 
de  canaux. 

Mais  si  la  lichesse  des  campagnes  d'El  Assar  rc'pondait  aux 
besoins  de  la  poj)ulation,  elle  ne  satisfaisait  pas  les  and)itions 
des  rois  dAssyrie  qui,  maîtres  d'un  peu})le  ardent  (4  ])elli([u<'ux  par 
nature  et  par  éducation,  ayant  goûté  au  butin  pris  sur  les  nations 
voisines,  ne  révèrent  plus  que  le  pillage  du  monde.  Dans  ces  temps 
d'ailleurs,  il  était  bien  difficile  [)Our  une  nation  de  vivre  sans  domi- 
ner. Telle  fut  lorigine  du  caractère  et  de  la  fortune  des  Ninivites. 

Au  moment  où  l'Assyrie  n'était  encore  qu'une  minuscule  prin- 
cipauté, l(^s  Cosséens  (2),  peuples  des  montagnes,  peut-être 
apparentés  aux  Elamites,  profitant  du  sommeil  des  rois  susiens, 
descendirent  en  Ghaldée,  renversèrent  la  dynastie  babylonienne 
et,  sul)sli tuant  leurs  rois  aux  princes  sémites,  fondèrent  la  mo- 
narchie dite  cassitequi,  pendant  quatre  siècles  environ,  gouverna 
la  plaine,  sans  grand  éclat  d'ailleurs. 

Ces  princes,  souvent  en  guerre  contre  leurs  voisins  y  compris 
l'Elam,  semblent  n'avoir  fait  d'expéditious  (|ue  sui-  leurs  frontières 
ou  contre  des  feudataires  révoltés.  Nous  possédons  de  leur  époque 
un  grand  nondjre  de  documents  dits  Koudourrous  (3),    titres  de 


p.  147,  sq.  fig.    US.   —  V.   Sciiuii.,    liecueil  des  Koxsiier,  in-8,    Liepzig,  188i.  —  Hai.iïvy, /?eci;e 

Irai'.,  1602,  p.  103.  cn7/V/u(*.  188i,i).  481-487.Lcs  (;o.s.séons(Ko7'Ja:o:) 

(Il  Entre   14œ  el,   1370,  Assourhelnisisou  et  ouKassiles,  en  assyrien  Kuclichou,  sont  inen- 

son  fils  Ba^ourassour  traitaient   sur    le   pied  lionnes  par  I^olybefN',  4i, 7),  Strahon  (XI,  13,6; 

d'égalité    Karainclacli  et  son  fils   Bournabou-  XVIl,  IH.  Dioilore  de  Sicile  ^XVII,  111),  Arrier 

riach  I",  roiscosséjns  de  Ghaldée.  Les  deux  fa-  (L'x/;/.  Alex  ,  VII,  15,  1). 

milles  royales  s'allièrent  par  des  mariages.  (3j  Cf.  J.  de  Mohgan,  dans  Méin. de   la  Délég 

(•2!Cf.  PoGNON,Ins(-ript.  do  Méroii-Nérari  I"',  en  Pente,    t.  I,  1900.  Rech.  nrchéoL,  p.  165,  sq. 

roi  d'Assyrie,   dans  Joarn.    asial.,  18s3,  t.    II,  /-/.,  t.  VII,  1905,  ii.  137,  sq. 
p.  351-431.   —  Fr.  Delitzsch,  Die  Sprache   der 


312  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

propriété  foncière  gravés  sur  pierre,  faisant  penser  qu'ils  ont 
pris  grand  souci  de  l'administration  intérieure  de   leurs   Etats  (1). 

Ces  écrits,  tous  rédigés  en  langue  sémitique,  n'offrent  guère 
d'enseignements  sur  la  nature  ethnique  des  Cosséens.  Ces  conqué- 
rants n'étaient  pas  des  sémites,  cela  résulte  de  leurs  noms  propres; 
c'est  tout  ce  que  nous  sommes  en  mesure  d'affirmer.  Quant  à  leur 
lieu  d'origine,  on  le  place  généralement  dans  les  montagnes  du 
Louristan  (Pouclit  é  Kouh)  ;  mais  il  se  peut  qu'ils  soient  venus  des 
massifs  qui  bordent  au  nord  le  golfe  Persique  et  que  les  Kas- 
hshi  des  Assyriens  ne  soient  que  les  restes  de  ces  tribus  après 
leur  expulsion  de  Cbaldée. 

Au  Nord-Est  et  à  l'Est,  la  migration  aryenne  s'était  continuée. 
Des  montagnes  voisines  de  la  Caspienne,  les  ^Nlèdes  étaient  entrés 
sur  le  plateau,  rencontrant,  surtout  en  Azerbaidjan  et  dans  le 
Kurdistan  actuel,  des  tribus  autochtones  probablement  issues  de 
la  vallée  du  Tigre,  des  montagnes  d'Arménie  ou  des  vallées  du 
Caucase.  Ils  s'emparèrent  des  meilleurs  territoires  et  sinstallè- 
rent  divisés  en  une  foule  de  tribus,  vivant  côte  à  côte  avec  les 
anciens  habitants  (2),  les  absorbant  ou  les  refoulant  devant  eux  ; 
de  même  que  plus  tard,  après  avoir  joué  leur  rôle,  ils  se  trou- 
vèrent eux-mêmes  repoussés  dans  les  montagnes  par  dautres 
invasions  (3). 

Leur  industrie  s'était  quelque  peu  perfectionnée  pendant  leur 
séjour  dans  le  nord  de  la  Perse,  si  nous  en  jugeons  par  ce  que 
nous  révèlent  les  fouilles  ih).  Us  avaient  probablement  exploité 
quelques  affleurements  des  riches  gisements  de  cuivre  du  Qara 
dagh  et  du  Ghilan  (5)  et  progressé  en  métallurgie  ;  leurs  armes, 
devenues  plus  meurtrières,  devaient  leur  donner  une  grande 
supériorité  sur  les  peuples  du  plateau. 

De  cette  époque  sont,  je  crois,  les  citadelles  dont  on  rencontre 
encore  les  ruines  dans  les  pays  caspiens  (6),    forteresses   situées 

(1)  En   s'élablis~anl   dans   la    Chaldée,   les        actuel,  il  en  C.-.1  Ijeaiicoup  dont  les  noms  ne 
Cosséens   introduisirent   de  nouveaux  usages        sont  sûrement  pas  indo-européens. 

dans  la  )iropriété   foncière  ;   le    collectivisme  (3j  C'est  plus  spécialement   l'invasion  turque 

avec    partage    et  jouissance    tem|ioraire   fut  qui  a  refoulé  les  anciens  peuples  du  Nord  de 

remplacé  par   la  propriété  exclusive  et  héré-  la  Perse  dans  les  montagnes. 

ditaire.  (Cf.    Ed.  Cuo,    La    propriété  foncière  (4)  Cf.  J.  de    Morgan,  Mission  se.   en  Perse, 

en  Chaldée,  ds  Noav.  Rer.  hist.    de  droit  fran-  t.  IV,  1"    partie,  chap.  II,  p.  13,  sq.  —  H.  de 

çais  et   étranger,  nov.-déc.   l'J06,    p.    728,    sq.)  Morgan,    dans    Mèm.   de  la    Délèy.  en    Perse, 

Cette  innovation  est  bien    le  fait  d'une  inva-  t.  VIII,  19tiG. 

sion  brutale  et  du  passage  de  l'autorité  en  des  '5)  Cf.    J.    de   Morgan,  Mission  se.  en  Perse, 

mains  étrangères.  t.  III.  Etudes  géologiques. 

(2)  Parmi  les  nombreux  peuples  cités   dans  (6)  Cf.  II.  de  Morgan,  op.  cit. 
les  textes   assyriens   comme    habitant  l'Iran 


LA    PRÉPONDÉRANCE     ÉGYPTIENNE  313 

sur  des  hauteurs  faciles  à  défendre,  et  entourées  d'immenses 
nécropoles  de  dolmens  imposants  par  leurs  dimensions,  et  d'une 
magnifupie  cousU'ucliou  (1). 

Les  arts  n'exislaient  pour  ainsi  dire  j)as  chez  ces  peuplades;  leur 
goût  se  contentait  de  quelques  dessins  géométrie] ucs  liés  simples 
tracés  au  brunissoir  sur  les  vases  de  terre  grossière  et  de  quel([ues 
ornements  de  métal  destinés  à  la  parure.  L'or  (2),rélectrum  (3)  et 
le  bronze  étaient  alors  les  seuls  métaux  en  usage  chez  eux.  On  ne 
rencontre  aucune  ciselure,  aucune  tentative  de  représenter 
Ihomme  ou  Tanimal.  Nous  nous  trouvons  là  en  présence  d"une 
race  ne  possédantpas  de  liens  communs  avec  celles  que,  jusqu'ici, 
nous  avons  rencontrées  dans  l'Asie  antérieure;  c'est  un  élément 
ethnique  spécial  analogue  en  tout  à  celui  (pii,  dans  l'Europe 
occidentale,  fit  disparaître  les  arts  archéolithicjues,  comparable 
aux  hommes  de  la  pierre  polie  et  du  bronze. 

Au  Sud,  une  autre  branche  aryenne,  celle  des  Perses,  ayant 
dans  sa  marche  vers  le  Sud^  atteint  le  versant  intérieur  de  la 
chaîne  bordière,  le  suivit  quelque  peu,  maintenue  sur  sa  droite 
par  les  déserts  salés,  sur  sa  gauche  par  les  montagnes  elles-mêmes. 
Elle  gagna  le  Fars  et  ne  sarrèta  qu'aux  territoires  d'Ispahan  oc- 
cupé peut-être  déjà  par  les  ^Nlèdes.  Se  butant  d'une  part  dans  les 
montagnes  à  des  tribus  probablement  apparentées  aux  Élamites. 
d'autre  part,  sur  le  plateau,  à  leurs  congénères  venus  des  pays  cas- 
piens  par  le  haut  bassin  du  Kizil  Ouzen  (Séfîd-roud)  (/i),  ils  s'éta- 
blirent dans  la  Perside  et,  peu  à  peu,  descendirent  jusqu'à  la  mer  (5). 

Ces  deux  pointes  avancées  de  la  migration  iranienne  avaient 
laissé  derrière  elles  bien  des  tribus  dont  les  noms  sont  devenus 
synonymes  des  satrapies  achéménides.  Derrière  les  Mèdes 
étaient  les  llyrcaniens  (6),  dans  le  «  pays  des  loups  »  (7)  bor- 
dant le  sud  de  la  mer  Caspienne.  Proches  parentes  des  Perses,  les 
tribus  caspiennes  semblent  n'être  qu'une  branche  de   ce   peuple, 

(1)    Cf.    n.   DE    McMîGAN,    dans    Mém.   de   la  dée.  Pour  3'  parvenir,  force  leur  élait  de   Irn- 

Délég.    en    Perse,    l.     VIII,    190G.    Recherches  verser  l;i    plaine  élamile,   et  je  suis   porté   à 

archéologiques.  croire  ((iiils  furent  pendant  un  temps  maîtres 

(i)  Cf.  J.  DE  Mono.KJS,  Miss.  se.  en  Perse,  l.W,  de  la  Siisiane. 

1"  partie.  Rech.  archéol.,  Nécropole  de  Véri.  (Gj    l.'Hyrcanie  formait  avec  la    Parthyène 

(3)  Cf.  H.  DE  Morgan,  op.  cit.  (Parihava)    la  XIIP  satrapie.  —   Je    n'ai   pas 

(4)  Districts  actuels  de  Bidjar  et  de  Glier-  cité  les  Parthes  ])arce  que  ce  peuple  non 
rhous,  |)ays  légèrement  accidentés.  Le  Kizil  Mazdéen  n'était  certainement  pas  arrivé  dans 
ouzen  i)rend  sa  source  à  peu  de  distance  au  le  pays  lors  de  la  composition  de  l'Avesta  et 
nord  d'Ecbatane  (Ramadan).  que  d'ailleurs  il  n'appartenait  pas,  semblc-t-il, 

(5)  C'est  peut-être  à  l'occupation  des    mon-       au  groupe  médo-pcrse. 

tagnes  du  sud  de  l'Iran  par  les  Perses  qu'est  (7)    Vehrkana,    Cf.   Fr.    Spiegel,    Eranisclie 

due  la  migration  des  Cosséens  vers  la   Chai-        Allerlhumskunde,  1871. 


31  à  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

qui,  entraînées  à  la  suite  des  Mèdes,  les  auraient  chassés  devant 
elles  mais  se  seraient  arrêtées  sur  les  bords  de  la  mer.  Derrière 
les  Perses,  les  Carmaniens  (1)  et  les  Gadrosiens  (2),  descendus 
tous  deux  jusqu'aux  rives  du  golfe  Persique  ;  les  Drangiens  (3) 
et  les  Arachosiens  (i)  arrêtés  dans  les  massifs  du  Baloutchistan  ; 
enfin  les  Margiens  (5)  et  les  Baktriens  (6)  demeurés  <à  la  limite 
des  steppes  de  l'Oxus. 

Un  autre  rameau  de  la  branche  aryenne  avait,  pendant  ce  temps, 
au  sortir  de  l'Aria  (7)  ou  de  la  Bactriane,  pris  la  route  du  Sud- 
Est  et,  traversant  l'indus,  s'était  avancé  jusqu'au  cœur  des  Indes, 
asservissant,  absorbant  ou  poussant  devant  lui  les  habitants,  la  plu- 
part de  langues  dravidiennes  qui,  eux-mêmes,  ne  devaient  l'occu- 
pation du  pays  qu"à  d'antiques  conquêtes. 

Il  est  impossible  d'assigner  une  date  à  ces  mouvements  et 
c'est  à  peine  si  nous  en  pouvons  suivre  les  traces  ;  mais,  vrai- 
semblablement, ils  se  terminèrent  entre  le  quinzième  et  le  dou- 
zième siècles  avant  notre  ère,  leur  origine  se  perdant  dans  la 
nuit  des  temps. 

Ce  n"est  qu\à  l'époque  de  Cyrus  (8)  qu"aj)paraissent  les  pre- 
mières inscriptions  en  langue  iranienne  ;  auparavant  ces  peuples 
ne  savaient  point  écrire.  Nous  en  serons  donc  toujours  ré- 
duits, pour  les  débuts  de  leur  histoire,  aux  légendes  de  l'Avesta 
et  aux  textes,  malheureusement  trop  laconiques,  dans  lesquels 
les  Assyriens  nous  entretiennent  de  leurs  campagnes  en  Iran. 
Les  premières  de  ces  inscrij)tions  remontent  au  temps  de  Baman- 
nirari  III,  c'est-à-dire  au  neuvième  siècle  i^9)  avant  notre  ère  seu- 
lement. 

Quanta  l'Avesta  (^10),  les  meilleures  autorités  s'accordent  pour 
placer  sa  rédaction  primitive,  ou  mieux  la  réunion  des  éléments 
qui  le  composent  (li\  vers  les  temps  où  la  nation  mède,  dont  les 
mages  semblent  n'avoir  été  qu'une  secte  ou  une  tribu,  avait  à 
peu  de  chose  près  terminé  son  mouvement  (P2\ 

il)  La  province  otiuelle   de  Kiiman   a  con-  celle  «le  J.    Darmsteter,  dans  les  Annales  du 

serve  leur  nom.  Musée  Gniniel,  t.  XXI  à  XXIII,  Paris,  1892. 

(2)  Cf.  Spiegei.,  op.  cit.,  1871.'  (11)  La  personnalité  de  Zoroasire  fZaralhoiis- 

(3)  Cf.  Spiegel,  op.  cit.,  1871,  p.  161,  219.  Ira)  est  rien  moins  que  prouvée.  (Cf.  Spiegel, 
(i)  Haraouvaslis  des  Perses,  XXIP  satrapie.  Erani.'iche  AllerlhumsKunde,  l.  I,  p.  ms,  sq.) 

(5)  Cf.  Spiegel,  op.  cit.,  1871.  (12j  La  rédacliondu  premierlivre  du  Vendidnd 

(G)  Bakhlris,  XVII'  satrapie.  tel  que  nous  le  possédons  daterait  seulement 

(7)  Ilaraïva,  XV»  satrapie.  du  deu.xième  siècle  de  notre  ère,  et  le  tableau 

(8)  549  av.  J.-C.  à  5-29.  (|u'ii  donne  des  provinces  iraniennes  ne  serait 

(9)  Ramannirari  III,  812  à  784  av.  J.-C.  pas   antérieur  à    cette    époque  (Cf.  J.  Darms- 

(10)  La    meilleure    traduction  de  l'-lccs/a  e-t       teter,   le  Zend  Auesla,    t.    III,   1893,    introd. 


LA     IMU.PONDLIUNCE     KGVl'TIENNE 


315 


Les  diverses  étapes  qu'assigne  celle  tradition  à  la  branche  indo- 
iranienne, bien  que  ne  présentant  guère  de  sécurités  scientifiques, 
sont  cependant  intéressanle^s  à  suivre;  parce  que  si  elles  ne  cor- 
respondent pas  exactement  à  la  réalité,  elles  l'ont  voir  du  moins 
l'ensemble  de  la  migration  (1). 

Ce  sont  (2)  :  la  Sogdiane  (3),  la  Margiane  /i),  la  Bactriane  (5), 
les  pays  situés  entre  cette  région    et  la  Margiane  (6)  elle-même, 


p.  L)  ;  TAvesla  porte  l'empreinle  grecque, 
issue  de  la  conquête  macédonienne,  se  mani- 
festant par  des  emprunts  de  docti'ine  (id., 
p.  I.I),  des  traces  d'influence  juive  dniis  les 
vues  générales  el  dans  la  forme  (id.,  p.  LVII); 
mais  ses  origines  remontent  sûrement  à  des 
âges  très  anciens,  puisque  dans  les  débuts  de 
la  monarchie  achéniénide  nous  voyons  Ahou- 
ramazda  apparaître  dans  les  inscriptions. 

(1)  G.  Maspero  (Ilisl.  anc  jieup  Or.  classique, 
t.  m,  18011,  p.  450,  noie  1)  expose  de  la  manière 
la  plus  claire  l'étal  des  études  sur  les  origines 
de  la  race  iranienne.  L'opinion,  dit-il,  que  le  pre- 
mier chapitre  du  Tend/rfaci  esl  d'une  haute  im- 
portance pour  l'histoire  des  origines  aryennes 
el  des  migrations  iraniennes  remonte  au  début 
de  notre  siècle.  Ileeren  [Ideen  :ar  Allen  Gea- 
chichle,  t.  I,  p.  498),  i)uis  Rohde  (De  Heili<je 
Sage  des  Zendvolks,  p.  Cl)  émirenl  d'abord  1  idée 
qu'il  nous  présentait  l'étal  de  l'Iran  tel  qu'il 
était  du  temps  de  Zoroastre  ;  Rhode  pensait 
même  que  l'ordre  dans  lequel  les  provinces 
élaient  énumérées  répondait  aux  étapes  suc- 
cessives de  la  conquête,  l.assen,  parlant  de  ce 
principe,  conjectura  que  l'Airyanem  Vaèjù, 
nommé  le  premierdans  la  liste,  était  le  berceau 
de  la  race  {Indische  Allerthumskunde.l"  ijd.,[.  I, 
p.  526)  el  bientôt  Haug  voulut  voir  dans  le 
chapitre  entier  une  sorte  de  journal  rédigé  au 
cours  de  la  migration  (Das  Erste  Kai)itel  des 
'Vendidads,  ds  Blnsen,  JEgyfilen's  Slelluny  in 
der  lVe.s;</e.sc/i/c/i/e,t.  V,2'parlie,p.  104.  127). Ces 
notions  ont  i)révalu  jusqu'au  moment  où  Kie- 
perl  les  réfuta  (dans  \esMonalsberirlile  de  l'Acd- 
démie  des  Sciences  de  Herlin,  1856,  ]>.  621,  sq.)  et 
où  Rréal  démontra  (dans  son  Mémoire  de  la 
géographie  de  l'Avesla  i)ublié  en  isti-i  dans 
le  Journal  asiatique  et  reproduit  dans  les  Mé- 
langes de  mijlhologie  el  de  linguislique,  p.  187, 
sq.)  que  toute  la  géographie  de  l'Avesla  est 
cssenliellemenl  fabuleuse.  Celte  opinion  est 
admise  par  J.  Darmsleler  [le  Zend  Avesla, 
t.  II,  p.  l-4\  —  D'après  de  nouvelles  théories, 
les  Iraniens  seraient  venus  d'Europe,  descen- 
dus des  plaines  de  la  Russie  méridionale  dans 
les  vallées  du  Kour  et  de  l'Araxe;  de  là,  re- 
jelés  d'Arménie  par  l'Ourartou,  ils  se  seraient 
étendus  sur  le  plateau  Persan,  les  Mèdes  dans 
le  Nord,  entre  l'Ararat  et  Ilamadan,  les  Perses 
plus  bas,  vers  l'Elam  ;  le  rameau  indien,  éga- 
lement venu  d'Europe,  serait  entré  dans  le 
pays  des  cinq  fleuves  par  la  Transoxiane. 

Si  l'ancienne  interprétation  des  te.vtes  axes- 
tiques  laissait  prise  à  la  critique,  certes  celle 
qu'on  propose  aujourd  hiii  n'est  pas  exempte 
de  reprociies,  car  elle  présente  des  invraisem- 
blances nombreuses.  D'abord  elle  se  relie  inti- 


mement à  celte  théorie  \>\us  que  hasardée  qui 
fait  venir  tous  les  Aryens  d'Europe,  comme 
si  l'Europe  des  temps  glaciaires  eût  présenté 
une  surface  suffisante  jiour  lincubation  de 
cette  race  qui,  en  moins  d'un  mlllénium,  couvrit 
presque  loul  l'ancien  monde.  Là  est  une  im- 
l)Ossibililé  matérielle,  ((ue  la  linguistique  ne 
soup(;onne  même  i)as.  Admettons,  cependant, 
que  le  point  de  départ  soit  bien  lEurojJe. 
Voici  donc  les  Iraniens  cantonnés  au  nord  du 
Caucase  dès  que  ces  terres  furent  débarras- 
sées des  lacs  el  des  glaciers.  Ce  serait  là 
qu'ils  auraient  inventé  la  métallurgie,  le  tis- 
sage, la  culture,  tous  les  arts  que  les  Aryas 
possédaient  au  début.  Où  en  auraient-ils  trouvé 
les  éléments?  dans  ces  alluvions  boueuses  à 
]ieine  sorties  des  eaux?  Admettons  encore  celte 
hypothèse  afin  de  ])ouvoir  suivre  dans  leur 
exode  imaginaire  les  Mèdes  el  les  Perses.  Ils 
traversent  le  Caucase,  se  répandent  dans  V\r- 
mcnie  el  font  du  Qarabagh  (pays  situé  aux 
alentours  du  Gheuk  tchaï)  leur  Anjanem-vaédjô 
(Cf.  Spieoel,  Eranisclie  Alterlhumskunde,  I.  I, 
p.  1114,  211.  —  J.  DAU.MSTETEB,  Thc  Zcud 
Avestn,  t.  I,  p.  3,  le  Zend  Avesla,  t.  II,  p.  5, 
note  4),  au  contact  des  Touraniens,  qui  les 
laissent  établir  dans  ces  montagnes  sans  que 
toutefois  aucune  trace  d'eux  soit  restée  dans 
ce  pays.  Ensuite  ils  sont  chassés  vers  le  Sud  ; 
mais  ce  ne  peut  pas  être  par  suite  du  froid 
qu'ils  quittent  le  Qara  daghi  pour  se  rendre, 
d  un  bond, dans  la  Sogdiane  el  le  pays  de  Merv, 
afin  d'y  trouver  un  climat  plus  doux  '■  El  dans 
tous  ces  mouvements,  en  contact  perpétuel  avec 
les  grandes  civilisations  asiatiques,  les  Iraniens 
restent  nomades  ignorants,  se  forment  à  peine 
en  société,  pas  encore  en  royaumes,  ne  se 
laissent  envahir  par  aucune  connaissance 
utile  !  Voilà  qui  dépasse  les  bornes  de  ce  qu'il 
est  permis  d  admettre  même  par  égard  pour 
les  noms  ([ui  se  sont  inscrits  en  lête  de  cette 
théorie.  (J.  M.) 

(2)  Cf.  .1.  Dar-msteteiî,  The  Zend  Aiestn,  t.  I, 
p.  1-10.—  Bréal,  Fragm.  de  critique  zende  : 
de  la  Géogr.  de  l'Avesla.  Jour,  usial  ,  18()2  ; 
Mélanges  lie  mijlhologie  el  de  lingui.'<lique,p  187.— 
Spieoel,  Eranische  AHertluanskunde,  t.I,  p.  litO 
106. 

{?)  Çoughdhà  (de  VAresla  Vendidùd,  Fr.  I), 
sur  le  haut  Oxus  au  nord  de  ce  tleuve,  aujour- 
d'hui Taciikent. 

(4)  Mouron  (jd.),  district  actuel  de  Merv. 

i5jBàkhdhi  (/ti.), district  actuel  de  Balk(Af- 
ghanislan). 

(6)  Xiçàya  (j(i.),  la  Ntaa-'a  de  Slrabon  et  de 
Plolémée,  VI,  10,  4. 


316  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

l'Ariana  (l),le  Seistan  (-i)  pour  la  première  partie  de  l'exode  en 
commun.  Les  triljus  se  seraient  alors  divisées  :  les  unes  traver- 
sant l'Arachosie  (3)  seraient  entrées  dans  le  Pundjâb  (/i)  et 
auraient  envahi  les  Indes  ;  les  autres,  par  l'Apavortène  (5), 
auraient  gagné  THyrcanie  (6),  puis  le  district  de  Rages  (7)  et  le 
Khoraçan  (8). 

Là  s'arrête  le  récit  (9),  il  n'y  est  pas  question  de  la  séparation 
des  Mèdes  et  des  Perses  ;  c'est  donc  dans  les  provinces  du  nord- 
est  de  l'Iran  qu'aurait  eu  lieu  cette  division,  les  uns  partant  vers 
l'Ouest,  les  autres  s'étendant  au  Sud. 

Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  ce  récit,  maintes  fois  certaine- 
ment arrangé  par  les  prêtres,  sest  pendant  plus  de  mille  ans 
uniquement  transmis  de  bouche  en  bouche  et  que  les  plus 
anciennes  copies  que  nous  en  possédons  ne  datent  que  du 
milieu  (10)  de  notre  ère.  Que  de  transformations  il  a  dii  subir, 
même  depuis  les  temps  où  il  fut  fixé  par  l'écriture  (^11),  sous 
les  Achéménides,  les  Grecs,  les  Parthes,  lors  de  la  renaissance 
sassanide  du  culte  mazdéen  et  enfin  tle  la  persécution  isla- 
mique ! 

Les  Aryens  arrivèrent  en  Iran  à  l'état  pastoral,  divisés 
en  un  grand  nombre  de  clans  rattachés  entre  eux  par  quelques 
liens,  saidant  mutuellement  dans  les  entreprises  d'où  dé- 
pendait le  salut  commun,  mais  vivant  chacun  d(^  ses  propres 
moyens. 

Peu  à  peu  les  tribus  se  fixèrent,  fondèrent  des  bourgades,  défi- 

(1)  Harùyou  (/J.),  Haravaiva  des   Perses,  au-  peutêtre  que  le  district  deVahmeh-RehncluIans 

jourd'liui  district  de  lierai  'Afghanistan).  la  moyenne  vallée  du   Lar,  cette  vallée  étant 

(2}Vaekerêla-Douhzaka  l'/J.)'  où  se   trouvent  la  seule  voie  par  laquelle    les  monts  Elbourz 

encore  près  de  Djellabad  les  ruines  de  Dous-  puissent  être  traversés  depuis  la  vallée  du  Sé- 

hak.  t'idroud  jusqu'à    la  passe   de   Chaliroud-Aste- 

(3)  Haraqaïti  ('/(/.), pays  compris  depuis  Kan-  ràbàb.  Cf.  J.  de  Mot.gan,  Miss.  se.  en  Perse, 
dahar  jusqu'à  la  rive  droite  de  l'Indus.  t.  IV,  1896,  Archéol.,  p.  133. 

(4)  Heplahendou(ù/.),le  f^endj-àb,aux  Indes.  1 10)  Le  plus  ancien  manuscrit  zend  connu  de 

(5)  D'après  Fr.  Lenormant,  TOurvâ  de  l'A vesta  est  celui  de  la  bibliothèque  de  Copen- 
l'Avesta  serait  rOurivàn  des  Assyriens;  1  Apa-        hague. 

varctisène  d'Isidore  de  Sic,  §  3  ;  l'Apavortène  ai)  L'écriture  zend  ne  semble  pas  être  beau- 

de  Pline,  VI,  18.  coup   plus  ancienne  que   le  pehlevie  ;  elle  re- 

(6)  Khnentà-Vehrkanà  (/(/.),  Varkàna  des  Per-  monterait  donc  tout  au  plus  au  premier  ou  au 
ses,  aujourd'hui  Djouardjân,  près  d'Astérâbâd.  second   siècle   de    notre   ère.    Auparavant  on 

(7)  Ragae  (Isidore  de  Sicile,  §  7),  dont  les  faisait  usage  en  Perse  de  caractères  araraéens, 
ruines  sont  à  Chah  Abdul  Azim,  près  de  Téhé-  employés  sur  les  monnaies  par  les  princes 
ran.  persépolitains,  ceu.x  de    1  Elymaïde  et  les  Ar- 

(8)Tshakhrà  (Ayes?o,/d.),  aujourd'hui  Karkh,  sacides  de  Persedepuis  MithridateV  (vers  150 

à  l'extrémité  nord-ouest  du  Khoraçan,  d'après  ap.  J.-C.)  jusqu'en  2-22,  où,  sous  Artaxerces  P' 

Haug.  (Sassanide),  ils  cédèrent  la  place  au  pehlevie. 

(9)  L'Avesla  parle  encore    d'un    district    de  Le  plus  ancien  manuscrit  conservé  du  Vendi- 

Varena  que  les   Aryens  auraient  traversé  en  dad  date  de  l'an  1324,  il  provient  d'une  copie 

descendant  du  plateau  vers  la  mer  Caspienne,  faite  en  1185  dans  le  Seistan.  (J.  Darmsteter, 

par  conséquent  entre   Rages  et  Amol.  Ce  ne  op.  cit.,  inlrod.,  I,  p.  15.) 


LA     rHÉPONDÉRANCL:     ÉGYPTIENNE 


317 


nircnl  leurs  fi'onlièi'os;  mais  le  morcellement  subsista  jusqu'au 
temps  où  les  Assyriens  ciilièrent  en  contact  avec  les  Mèdes  clans 
le  voisinage  du  lac  d'Ourmiah,  jusqu'à  celui  môme  des  Aché- 
ménides  ;  l'énumération  des  peuples  figurant  à  la  revue  des  ar- 
mées concentrées  sur  le  lk)S[)hore  en  témoigne. 

L'élément  nouveau  apportait  dans  l'Asie  antérieure  des  notions 
nouvelles.  C'étaient  dabord,  dans  la  vie  matérielle,  des  procédés 
métallurgiques  spéciaux,  des  animaux  domestiqués  inconnus  jus- 
qu'alors, tels  le  mouton  venu  de  l'Altaï,  le  l)iifnc  originaire  des 
Indes  ;  enfin,  dans  l'ordre  moral,  des  conceptions  religieuses  et 
philosophiques  (1)  autrement  élevées  que  celles  des  j)euples  les 
plus  civilisés  d'alors  (2). 

Ormazd  (Ahouramazda)  (3)  est  le  dieu  unique,  mais  émanant 
d'une  force  vague,  «  le  temps  infini  »,  créateur  (/i),  clément,  om- 
niscient, parfait.  Il  est  le  ciel  immense  (5),  son  œil  est  le  soleil  (6), 
Dieu  abstrait  qui  ne  peut  avoir  d'image.  Les  émanations  de  sa 
puissance  sont  personnifiées  dans  des  génies,  dans  des  esprits 
bienfaisants,  répondant  aux  diverses  nécessités  de  la  vie,  aux  diffé- 
rents actes  terrestres.  Mais  ces  génies,  ces  esprits  qui  sont  de 
son  essence  n'agissent  que  suivant  sa  volonté. 

Chaque  être,  vivant  ou  à  naître,  a  son  ange  protecteur,  son 
guide,  mais  nen  demeure  pas  moins  responsable  de  ses  actions, 
dont  il  rendra  compte  lors   du  jugement  dernier.  Après  la  mort, 


(1)  Le  zoroastrisme  ancien  présente  un  fond 
aryen  commun  avec  l'Inde  pour  certaines 
croyances  et  spécial  à  l'Iran  pour  d'autres, 
par  conséquent  une  part  provenant  des  temps 
antérieurs  à  la  séparation  et  une  postérieure, 
mais  cependant  spéciale  à  l'Iran  et  n'étant 
pas  le  produit  d'influences  extérieures.  Parmi 
les  croyances  les  plus  anciennes  sont:  le  dieu 
du  ciel,  dieu  suprême  Ahouramazda;  le  dieu 
de  la  lumière  céleste,  Milhra  ;  le  culte  des 
divinités  naturelles  (l'eau,  le  feu,  la  terre,  le 
vent),  un  ensemble  de  mythes  mettant  aux 
prises  le  dieu  de  l'éclair  et  le  serpent  de 
l'orage  ;  le  culte  de  Ilaoma.  (J.  Darmsteter, 
le  Zend  Avesla,  t.  III,  1893,  introd.,  lxxiii.) 

L'Avesta,telque  nous  le  jiossédons,  n'est  que 
le  débris  d'une  littérature  beaucoup  plus 
vaste,  divisée  en  vingt  livres  ou  Naska,  que 
l'on  possédait  au  temps  des  Sassanides. 
L'Avesta  sassanide  lui-même,  suivant  la  tra- 
dition parsie,  n'était  que  le  débris  d'une  col- 
lection antérieure,  détruite  en  grande  |>artie 
par  Alexandre,  qui  lit  traduire  en  grec  les 
nasks  traitant  d'astronomie  et  de  médecine 
et  lit  brûler  les  autres.  Après  lui,  les  grands 
prêtres  se  réunirent,  écrivirent  chacun  les 
parties    de    l'Avesta  qu'ils    se   rappelaient  et 


ainsi  fut  restauré  ce  que  l'on  possède  de 
l'Avesta.  Il  ne  resta  qu'un  nasks  complet,  le 
Vendidad.  (J.  Darmsteter,  le  Zend  Avesta, 
t.  III,  I8!i3,  Introd.,  p.  vu,  sq.) 

Le  culte  zoroastrien  ne  devint  religion 
d'Etat  que  lors  de  l'avènement  des  Sassanides 
(226  ap.  J.-C);  il  régna  jusqu'à  la  conquête 
arabe  (652)  et  l'introduction  de  l'Islamisme  eu 
Perse.  Il  survécut  dans  quebpies  villes,  Téhé- 
ran, Bahramàbâd,  Chirâz,  Kachari,  Bouchir, 
mais  plus  spécialement  à  Yezd  et  à  Kirman 
où  les  Parsis  sont  au  nombre  d'environ  six  à 
sept  mille.  La  majeure  partie  des  Zoroastriens 
émigra  aux  Indes  dans  la  présidence  de  Bom- 
bay et  forme  aujourd'hui  une  population  de  80  à 
lOÔ.OOO  âmes  (89.887  en  1891).(Cf..l.  Dahmsteter, 
le  Zend  Avesta,  1892,  introd.  I,  p.  xxxvm.) 

(2)  L'étude  la  plus  complète  sur  la  religion 
avestique  est  celle  de  J.  Darmsteter,  Ormazd 
el  Ahriman,  in-8,  Paris,  1877. 

(3)  Ahourùmazdàô  en  zend. 

(4)  SpiEGEL,£,'rn/iisc/ie  Alierlhumskunde,  i.W, 
p.  21,  sq. 

(5)  Spiegel,  op.  cil  ,  t.  I,  pp.  G68-711. 

(6)  .T.  Darmsteter,  Ormazd  el  Ahriman,  p.  30 
et  le  dieu  suprême  des  .\ryens  dans  Essais 
orienlaux,  p.  120-121. 


318  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

les  bons  entreront  au  paradis  près  d'Ahouramaztla,  les  mauvais 
seront  précités  en  enfer. 

Cette  croyance  en  un  Dieu  voulant  un  univers  bon,  l'ayant  créé 
dans  ce  but,  ne  pouvait  s'accorder,  à  priori,  avec  les  douleurs  de 
la  vie,  avec  le  malheur  et  la  lutte  pour  l'existence.  Les  Iraniens 
pensèrent  qu'une  sorte  de  génération  spontanée,  dans  la  ma- 
tière mise  en  mouvement,  avait  été  l'origine  d'un  être  mauvais, 
cVAhriman,  principe  du  mal,  venu  contre  la  volonté  créatrice 
pour  lutter  perpétuellement  contre  le  bien,  contre  l'œuvre  dOr- 
mazd. 

Ce  dogme,  comme  on  le  voit,  était  de  la  plus  parfaite  moralité, 
il  tendait  vers  la  perfection  et  résumait,  en  somme,  l'esprit  de 
toutes  les  idées  religieuses  modernes  :  la  confiance  et  l'espérance 
d'une  part,  et  d'autre  part  la  crainte. 

Certainement  cette  foi  ne  fut  pas  celle  des  Aryens  alors  qu'ils 
étaient  tous  réunis,  car  seuls  les  Iraniens  et  les  Indiens  ont 
atteint  cette  hauteur  de  pensée.  Les  autres  branches,  celles  qui 
gagnèrent  l'Europe  et  l'Asie  Mineure,  y  sont  arrivées  avec  des 
cultes  grossiers  peu  difïerents,  au  point  de  vue  philosophique  et 
moral,  des  religions  de  l'Asie  antérieure. 

C'est  donc  après  les  premières  séparations  que  prit  naissance 
la  conception  du  dieu  unique  et  bon.  Elle  naquit  avant  que  les 
tribus  n'allassent  coloniser  les  Indes  et  la  Perse.  Elle  évolua  des 
deux  côtés  d'une  manière  différente,  ])roduisant  d'une  part  les 
Védas,  de  l'autre  l'Avesta  (1),  c'est-à-dire  deux  des  livres  religieux 
les  plus  importants  de  la  haute  antiquité. 

Quant  aux  dieux  d'antan,  à  ceux  qui,  dans  les  pays  de  l'Altaï, 
recevaient  les  offrandes  et  les  prières,  ils  furent  oubliés  des  Indo- 
iraniens au  point  que  leurs  noms  mêmes  n'ont  pas  survécu. 

L'Avesta  devint  le  code  religieux  de  la  Perse  ;  mais  cette  loi, 
héritage  d'une  secte  ou  d'une  tribu,  ne  fut  certainement  pas  suivie 
iiu  pied  de  la  lettre  par  tous  les  peuples  iraniens  (2).  Elle  demeura 
pure  parmi  les  Zends  et  resta  confinée  dans  quelques  parties  du 
pays;  ailleurs  elle  fut   certainement  modifiée,  dénaturée    par  les 


(1)  U  ne  nous  esl  parvenu  qu'une  fail)le  par-  bornée.  C'est  un  Talmud,  un  livre   de  casuis- 

tie  de  1  Avesla.Nous  ne  possédons  que  le  Ven-  tique  cl  d'étroite  observance.  J'ai  peine  à  croire 

didad,  le  Vispered,  le  Ya.^na  et  quelques  mor-  que  ce  grand  empire  perse  ait  eu  une  loi  aussi 

ceaux   secondaires    connus  sous    le    nom   de  stricte.  «  (E.  Re.nan, /?ap/(.  sur  les  travaux  de 

Petit  Avesta.  la  Soc.  aaiat.,  1880,  p.  29.) 

(2j  «  C'est  le  code  dune  secte  religieuse  très 


LA    PRÉPONDÉRANCE     ÉGYPTIENNE  819 

prêtres,  jus(ju'à  devenir  presque  iiniqiiejueiit  une  règle  d'obser- 
Tances  et  de  pratiques. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ra[)parition  de  l'Avesta  sur  la  scène  du 
monde  fut  d'un  grand  poids  dans  les  destinées  de  la  philosophie 
et  de  la  morale  humaines.  La  concej)tion  diiu  dieu  uiii(iue  (1), 
immatériel,  élail  née.  Bien  longtemps  j)lus  lard,  nous  la  verrons 
apparaître  aussi  chez  les  Hébreux,  a|)p]i(|uée  à  Yahwè  terrible  et 
vengeur;  puis  le  christianisme,  rentrant  (hiiis  les  sentiments 
aryens,  fera  de  cette  même  divinité  un  dieu  de  bonté,  de  miséri- 
corde, d'égalité  des  hommes  devant  lui. 

r]n  même  temps  que  se  mouvaient  les  peuples  dans  l'Iran  et 
dans  rinde,  il  se  passait  aussi  d'importantes  migrations  dans 
le  Nord  de  l'Asie  antérieure  et  quelques-unes  des  tribus  aryennes 
nouvellement  venues  s'aventuraient  plus  au  Sud. 

Sous  les  Ramessides,  vers  le  quinzième  siècle  (2),  il  s'était  pro- 
duit en  Egypte  un  fait  anormal.  Des  peuples  nouveaux,  aux  noms 
jusqu'alors  inconnus,  parlant  des  langues  incompréhensibles  pour 
les  races  de  l'Asie  et  de  l'Afrique,  avaient  attaqué  le  Delta.  Les 
uns,  débarqués  sur  la  côte  de  la  Cyrénaïque,  s'étaient  alliés  aux 
Lybiens  ;  les  autres,  après  avoir  traversé  la  Syrie,  se  montraient 
du  côté  de  Péluse. 

Ils  se  nommaient  Danaens,  Troyens,  Tyrséniens,  Teukriens, 
Chakalach,  Chardanes,  Philistins,  Lyciens,  Cariens,  etc.,  et  des- 
cendaient de  l'Asie  ^lineure  où  se  passaient  alors  de  grands 
événements. 

Longtemps  les  rois  hétéens  avaient  tenu  sous  leur  influence, 
sinon  sous  leur  domination,  les  nations  de  l'Amanus,  de  la  Cap- 
padoce,  de  la  Phrygie,  du  Pont  et  de  l'Arménie  occidentale.  Ces 
peuplades,  dont  beaucoup  étaient  apparentées  entre  elles,  for- 
maient la  puissante  confédération  contre  laquelle  s'étaient  heur- 
tées les  armées  des  Pharaons  dans  le  nord  de  la  Syrie  (3). 

(1)  Ce  dieu,  au    début,  irélait  pas,  à  propre-  (-2)  Sur  la    fixation  du   l'époque  des  Hamcs- 

nienl  parler,  dieu   unirpie  ;  car  il  est  «  le  plus  sides.  Cf.  Ed.  Maher  (Chronolog.  Bestimmung 

grand   dus  dieux...  Darius  invoque   Ahoura-  der  Regierungszeit  der  Rainussidcn,  in  Zei/sc/ir. 

inazda  «  avec  tous  les  dieux  ».  Les  dieux  au.v-  f.Aefjijiil.Sprache  ii.  Allerlh.  Knnde.Bâ.  XXXH, 

quels  sacrifient  les  Perses  d'Hérodote  son!  des  Heft.  '2,  p.  91),  1895)  et  A.    Kisem.ouu  (Proc.  of 

dieux  naluralistes,  le  soleil,  la   terre,  la  lune,  Ihe    Soc.    of   Bibl.    Archaeol  ,  décembre  189ri). 

le  vunt,  les  eaux.  .\rta.xerxès  Mnémon  invoque  Suivant  ces  auteurs,  Tothmès  III  serait  monté 

nommément,  avec  Ahouramazda,  deux  aulrus  sur  lu  trône  en  1504  av.  J.-C.  et  mort  en  14.5u. 

dieux.  Mitbra  et  Anahala  f.\nûbita),  ledieu  de  (3)  On    a  tenté  de   prouver  que    les  peujjles 

la  lumière  et  la  déesse  des  eaux.  Mais  la  base  de   la    mer  étaient    doriginu    africaine.    (Cf. 

<lu    Mazdéisme    est    le    dieu    suprême.  (Cf.  J.  Dumkeh,  Geschiclite  de.t  Mteiiliums,  I,  p.   151, 

Dar-Msteter,  le  Zend  Aresla,  t.  III,  1893,  inirod.  sq.  —  Unger,  Chronohx/ie  des  ManeUio,  p.  118, 

p.  L.XV.)  cité  par  G.  Maspero,  Âevue  critique,  nouvelle 


320  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Parmi  ces  peuples,  tous  ceux  de  l'Asie  Mineure  jusqu'aux  rives 
du  Bosphore  et  à  la  Paphlagonie  étaient  des  Phrygopélasges,  de 
race  aryenne,  installés  dans  ces  pays  depuis  que,  chassés  de 
Thrace  par  d'autres  tribus,  leurs  congénères,  ils  avaient,  quelques 
siècles  auparavant,  quitté  l'Europe, 

Mais,  le  mouvement  aryen  se  poursuivant,  peu  à  peu  ce  furent 
les  Dardaniens,  les  Kébrènes,  les  Phrygiens,  les  Paphlagoniens, 
les  Ascaniens  (Arméniens),  les  Bithyniens,  les  Mysiens,  les  Teu- 
kriens,  etc.,  qui,  eux  aussi,  passant  le  Bosphore,  vinrent  demander 
des  terres  à  l'ancien  monde,  poussés  par  d'autres  tribus  qui 
prirent  leur  place  en  Europe  (1). 

Ils  trouvèrent,  en  entrant  en  Asie,  le  pays  occupé  au  Nord  par 
leurs  congénères,  et  à  TOuest  aussi  bien  qu'à  l'Est  et  au  Sud  par 
les  anciennes  races  (Ibères,  Chalybes,  Saspires,  Moschiens,  Tou- 
bals,  Hétéens,  gens  du  Nairi,  etc.),  enfin,  dans  les  districts  du 
Sud-Ouest,  par  des  peuplades  (Lyciens,  Lydiens,  Lèlègues,  Cares, 
etc.)  dont  la  nature  ethnique  ne  nous  est  pas  encore  connue. 

Dans  le  désordre  qui  accompagna  et  suivit  ces  mouvements,  la 
puissance  hétéenne  sombra  ;  les  peuples  qui  avaient  subi  son  joug  le 
secouèrent  et  entraînèrent  même  leurs  anciens  maîtres  à  leur  suite 
dans   l'expédition  que,  par   terre,  ils  projetaient   contre  l'Egypte. 

Si  les  Asiatiques  continentaux  avaient  souffert  des  Hétéens,  les 
gens  des  côtes  et  des  îles  avaient  aussi  fort  à  se  plaindre  des  Phé- 
niciens (}ui,  peu  à  peu,  s'étant  installés  sur  tous  les  points  favo- 
rables de  leurs  territoires,  exploitaient  de  là  les  contrées  envi- 
ronnantes. 

Les  Cariens  devenus  marins  ("2)  tenaient  depuis  quelque  temps 

série,  t.  V,  ]>.  320.  —  J.  IIalévy,  Etudes  ber-  menis.  (Cf.  Gr.   G.  Butzureano,  dans  Congrès 

bères,  inJourn.  Asiat.,  1874,  t.  IX,  p.  400,  sq.)  internai.  d'Anlhrop.  de  1889.  Paris,  1891,  p.  229, 

Cette  théorie  ne  peut  se  soutenir  en  présence  pi.  HI.)  Ces  objets,  qui  semblent  devoir  être 

des  noms  de  ces  peuples  qui,  pour  la  plupart,  reportés  vers    le    (juinzième  ou  le  douzième 

appartiennent    à     1  Asie      Mineure     (Iliouna  siècle,  avaient  déjà  subi  l'influence  asiatique 

=    Ilion  ;    Dardani    ;=    Dardaniens  ;    Piilasa  au  travers  de  l'Asie  Mineure  et  de  la  Thrace, 

=  Pedasiens  ;    Masou  =    Mysiens;  Aqaïou-  tout  en  conservant  leurs  caraclèi'es  artistiques 

cha  =:  Achéens  ;Tourcha  =  Tyrrhéniens,etc.).  et  industriels  indigènes. 

(1)  A  Getazina    (commune   de  Baiceni,  dis-  (2)  Les   types  des  bateaux  diffèrent  suivant 

trict  de  Jassy),  on  a  rencontré,  avec  des  ins-  les  régions.  Ceux  de  Phénicie  (Gf.    Daréssy, 

truments    en  pierre,,  en  os,  et  quelques   orne-  Rer.  Arch.,  18;i5,  pp.  286-292),  à  la  XVIIl»    dy- 

menls  en  bronze  et  en  argent,  une  céramique  nastie    égyptienne,  se   rapprochent   par   leur 

très  curieuse,  rappelant   en   même    temps  les  forme  générale   de  ceux  usités  sur  le  Nil  dès 

formes  et  ornements    du    Caucase    et    de    la  les  temps   préhistoriques  (Cf.  J.    de  Morgan, 

Perse    septentrionale  et  ceux    de    la    Grèce  Rech.  oriy.  Egypte,  I8dù,  \)\.  X),  et  à  la  XIP  dy- 

primitive(Mycènes,Tirynlhe,  Hissarlick,  etc.).  nastie.  (Cf.  J.   de  M.,    Fouilles    à    Dahchour,) 

Les  idoles,  spécialement,  sont  d'un  grand  in-  Les  navires  égéens  (Gf.  Tsoumtas,  Ephemeris 

térêt,  car  elles  reproduisent  dans  les  moindres  Archalogikè,  1899,  p.  90),  plus  légers,  se  rappro- 

détails  celles   de  l'énéolithique  égyptien,  sauf  chent  plus  des  navires  de  course  égyptiens  de 

toutefois  qu'au  lieu  d'être  peintes,  elles  sont  la    XVIIP   dynastie.    (G.     Maspero,   ///*■(.,    I, 

ornées  de  dessins   incisés  figurant  des  vête-  p.  393.)  La  barque    mycénienne  présentait  un 


o 


322  LES    PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

la  mer  et  y  disputaient  aux  Sidoniens,  sinon  la  suprématie,  du 
moins  le  monopole  de  la  piraterie.  Les  Aryens,  qui  eux-mêmes 
avaient  appris  à  naviguer,  entrant  en  lutte  contre  les  Phéniciens, 
les  chassèrent  de  Grèce  d'abord,  des  îles  ensuite,  de  Crète  entre 
autres. 

Dans  l'intérieur  de  l'Asie  Mineure,  la  lutte  pour  la  possession  de 
la  terre  fut  acharnée.  LV/zar/e  nous  a  transmis  les  échos  poétiques 
d'un  épisode  de  ces  guerres.  Enfin,  tous  les  peuples  ne  trouvant 
pas  la  place  d'y  vivre,  quelques-uns  durent  s'expatrier  ;  c'est  ainsi 
que,  par  mer  comme  par  terre,  beaucoup  d'entre  eux  cherchèrent 
à  envahir  la  terre  du  Nil;  tandis  que  d'autres  s'éloignaient  vers 
l'Occident,  emportant  sur  leurs  vaisseaux  toute  leur  fortune,  leurs 
armes. 

Par  les  navigateurs  phéniciens,  cariens  et  autres,  par  les  Hé- 
téens  et  les  Syriens,  les  peuplades  du  Nord  connaissaient  l'Egypte, 
dont  les  richesses,  grandies  à  leurs  yeux  par  les  récits  des  voya- 
geurs, excitaient  leurs  convoitises.  Mais  ils  furent  vaincus;  Piam- 
sès  111  les  arrêta  vers  sa  frontière  de  Péluse  d'une  part  et  dans 
l'ouest  du  Delta  de  l'autre. 

Les  Philistins  prisonniers  de  guerre  furent,  nous  l'avons  vu, 
cantonnés  en  Syrie,  les  Shardanes  (1)  gagnèrent  la  Sardaigne,  les 
Thyrséniens  l'Italie  centrale,  les  Lydiens  colonisèrent  l'Ombrie. 
D'autres  Pelasges-Thyrenniens  apparurent  à  Imbros,  à  Lemnos,  à 
Samothrace,  dans  la  péninsule  de  Ghalcis,  sur  les  côtes  et  dans 
les  îles  de  la  Propontide,  à  Cythère,  à  la  pointe  de  Laconie,  et  sur 
presque  tout  le  littoral  de  la  mer  Méditerranée;  ne  laissant  aux 
Phéniciens  que  bien  peu  de  leurs  anciens  comptoirs,  ceux  d'Afri- 
que, d'Espagne  et  des  Baléares,  entre  autres,  qui  ne  se  trouvaient 
pas  dans  la  sphère  hellène. 

Ainsi,  ce  passage  de  tribus  d'une  rive  à  l'autre  du  Bosphore 
fut  la  cause  de  cette  grande  migration  maritime  qui  répandit 
le  sang  phrygo-pélasge  dans  presque  tous  les  pays  méditerranéens 

autre  Ivpe   à  proue    et    poupe    relevées,  mais  numenls  égyptiens  trouvés  en  Sardaigne,  Chris- 

de    forme    spéciale.    (Cf.    R.     Dussaud,  Rev.  liana,  1><79  ;  M.  Pais,  Le  popolazione  egizie  in 

Ecole  d'Anthrop.,    1906,    p.    129,    fig.   53.)    En  Sardegna,    in     Ballelino     archeologico     sardo, 

sorte  qu'au  cours  du  second   millénium  avant  1884.  Les  preuves  apportées   par  Pais   contre 

notre  ère,  la  Méditerranée  était  sillonnée  par  cette  opinion  sont  insuffisantes.  Il  ne  faut  pas 

des  flottes  de  forme  et  de  nationalités diver:^es  cherchera  rattacher  les  objets  égyptiens  qu'on 

battant  chacune  pavillon  de   leur  pays.  (Celui  trouve  en  Sardaigne  à  la  migration  des  Shar- 

de  Svra  était  un  poisson  attaché  en  poupe.—  danes;  car  ces  peuples  vinrent  en  fugitifs  et 

Cf.  TsouNTAS,  op.  cit.)  non  en  commerçants  et,  en  quittant  l'EgypIe, 

U)  Au  sujet  de   la    migration  par   mer  des  ils  n'y  avaient  pas  laissé  les  attaches  qu'e.xige 

Shardanes  en  Sardaigne,  Cf.  Chabas,    Recher-  le  commerce. 
ches.p.  3>X>,  sq.  ;  Lieblei.n,  \olices  sur  les  mo- 


LA    PllKPONDÉRAXCE     ÉGYPTIENNE  323 

«t  prépara  la  coloriisalion  grecque,  d'où  devait  sortir  la  véritable 
civilisation. 

Dans  presque  tous  les  pays  qu'ils  envahirent,  les  émigrants 
rencontrèrent  des  peuples  aryens  comme  eux,  venus  de  l'Europe 
orientale  ou  centrale,  et  mélangés  avec  les  anciens  habitants;  mais 
•ces  tribus  étaient  encore  très  primitives,  tandis  que  les  nouveaux 
-arrivants  avaient  déjà  bénéficié  de  leur  contact  avec  les  civilisa- 
tions orientales. 

Le  coup  avait  été  si  violent  pour  les  llétéens,  et  par  suite  pour 
tous  les  autochtones  de  l'Asie  Antérieure,  qu'à  peine  s'en  relevè- 
rent-ils quelque  peu  devant  les  envahissements  assyriens.  C'en 
était  fait  de  leur  puissance;  peu  à  peu  leurs  voisins,  les  Indo- 
Européens  du  Nord,  s'infiltrèrent  parmi  eux;  certains  même, 
tels  les  Ascaniens,  les  traversèrent  pour  s'avancer  vers  les  pays 
•de  l'Ararat  et  de  Van  et  remplacer  plus  tard  les  Ourarthiens,  peu 
après  la  chute  de  Ninive. 

L'élément  nouvellement  venu,  l'Aryen,  ne  possédait  encore 
•qu'une  civilisation  bien  rudimentaire  par  rapport  à  celles  des 
vieux  peuples,  il  était  encore  très  voisin  de  la  phase  nomade  et 
pastorale,  ne  connaissait  pas  l'écriture  ;  et,  cependant  déjà,  se 
transmettaient,  de  bouche  en  bouche,  en  Hellade,  des  chefs-d'œuvre 
de  poésie,  littérature  dont  les  sociétés  asiatique  et  égyptienne 
s'étaient  toujours  montrées  incapables. 

Des  arts,  les  nouveaux  venus  ne  possédaient  même  pas  la 
notion;  ni  dans  l'Iran,  ni  dans  l'Europe  occidentale  ou  centrale, 
ni  même  dans  le  monde  hellénique  ;  mais  les  Grecs,  plus  que  tous 
les  autres  peuples,  en  avaient  les  aptitudes  naturelles  ;  et  ces  qua- 
lités, ils  devaient  plus  tard  les  développer  au  plus  haut  degré,  en- 
fantant des  merveilles. 

Si  les  Iraniens  et  les  Indiens  possédaient  seuls  alors  les  concep- 
tions philosophiques  élevées  qui,  chez  les  branches  européennes, 
ne  se  montrèrent  que  plus  tardivement,  tous  ces  peuples  n'en 
avaient  pas  moins  quelques  conceptions  religieuses  et  des  mœurs 
communes  (1);  mais  ils  ne  possédaient  j)as,  pour  la  plupart,  d'apti- 

(1)  Avant  leur  séparation,  les Indo-Eiiropîcns  devognala  =  née  d'un  dieu,  nom  propre);  vieil 

possédaient  la  notion  de  la  divinité  ;  le    radi-  islandais,  livar,  etc.].  Pour  eux,  le  dieu  est  un 

«al  dv,  commun  à  toutes  les  langues  de  leur  fait  naturel  ou  social,  aiuiuel  on   attaclie  une 

groupe,  en    fait    foi  [sanskrit,    deuas  ;    lithua-  importance  particulière  ;   le  dieu    n'a    i)as  un 

nien,    dëvas  ;    vieux    prussien,   deiws  (génitif  nom  distinct  de  celui  du  fait  en  ((uer-tion  ;  le 

<Jeiwas)  ;  latin,    deixs  et   ses   dérivés   (vocatif,  dieu    n'est  pas   une  personne  ayant    un  nom 

dive);   vieil  irlandais,  dia  \  gaulois,  dévo  (dans  propre  ;  c'est  le  fait  lui-même,  c'est  son  es- 


32Zi  LES    PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

tudes  gouvernementales.  Ils  empruntèrent  le  plus  souvent  au 
vieux  monde  ses  méthodes  avec  leurs  défauts  et  leurs  qualités,  et 
sïls  employèrent  la  forme  démocratique,  reste  de  leurs  usages 
d'antan,  ce  ne  fut  que  dans  un  cercle  très  restreint  et  sans  habi- 
leté soutenue.  C'est  aux  Italiotes  qu'étaient  réservées  les  grandes 
vues  politiques  qui  aboutirent  à  l'empire  du  monde. 

Les  qualités,  les  aptitudes  indo-européennes  devaient  encore, 
pendant  bien  des  siècles,  demeurer  à  l'état  latent;  ce  n'est  que 
peu  à  peu,  par  le  contact  de  ces  esprits  d'élite  avec  les  progrès 
réalisés  par  d'autres  races  que,  recevant  les  principes  de  leurs 
premiers  maîtres,  les  Aryens  porteront  au  sommet  les  arts  et  les 
sciences,  atteindront  toutes  les  habiletés. 

Aussi  serait-il  inexact  et  injuste  d'attribuer  à  une  race  plutôt 
qu'à  une  autre  l'origine  de  nos  civilisations  ;  toutes  y  ont  con- 
couru. Les  anciens  Asiates  fournirent  les  matériaux  dans  la  cons- 
truction de  ce  grand  édifice,  les  Sémites  les  dégrossirent,  les 
Aryens  les  assemblèrent  et  les  ornèrent. 

L'incubation  de  la  civilisation  grecque  dura  plus  de  mille  années. 
Négociants  habiles,  ils  remplacèrent  peu  à  peu  les  Phéniciens  dans 
la  colonisation  et  le  commerce  maritime,  visitèrent  le  monde  entier 
d'alors,  puisant  chez  les  divers  peuples  des  notions,  souvent 
rudimentaires  qu'ils  développèrent,  parfois  compliquées  ou  con- 
fuses qu'ils  eurent  le  talent  de  simplifier  ou  de  dégager  des 
broussailles  orientales. 

L'expédition  contre  l'Egypte  leur  avait  appris  à  respecter  la 
puissance  de  ses  souverains,  mais  aussi  à  connaître  sa  civilisation. 
Pacifiquement  et  isolément  ils  s'y  installèrent  dès  la  fin  de  la 
XXP  dynastie,  habitèrent  les  villes  de  la  côte,  les  portes  du 
Delta  ;  ils  y  trafiquèrent,  conservant  leurs  usages  nationaux,  leur 
manière  de  penser,  leur  langue.  C'est  ainsi  que,  de  très  bonne 
heure,  tout  ce  qui  se  faisait  dans  lo^cidentde  l'Asie  et  en  Egypte 
eut  son  écho  chez  les  peuples  de  la  Grèce,  de  l'Asie  Mineure  et 

des  îles. 

Les  pays  de  l'Euphrate  et  du  Tigre  étaient,  pour  les  Grecs,  plus 

sence  sa  force  intime.  Le  sens  de  deiwos  est  indo-européenne,  ds  Revue  des  Idées,  15  août 

celui  de  »  divinité  »,  pris  dans   l'acception   la  1907,  n"  44,  p.  689,  s(i.)  Pour  l'Avesla,  la   divi- 

idus  large  ;  duaush   (sanscrit  védique;,  Zej?,  n\li-    demeure     immatérielle.    Elle    prit     une 

Zeas     (Zeu  Trâiep  =  Jupiler),    aies   signifient  forme  en  Europe,  au    contact  des    panthéons 

..ciel.,    «jour  ..,1e  dieu  étant  ce/e./e  par  op-  du    vieux    monde,    mais    n  en    consenapas 

position  avec  l'homme   lerreslre  (latin,  humus,  moins  la  notion  générale  de  la  divinité  dan^ 

homo  ;  guma  en  gothique,  goma  en  vieux  haut  Ifi  racine  du. 
allemand,  etc.).  (Cf.  A.  Meillkt,  La  religion 


LA    PRÉPONDÉRANCE    ÉGYPTIENNE  325 

difficiles  à  alleindre;  aussi  ne  les  connurent-ils  que  plus  tard  et, 
malgré  quelques  expéditions  assyriennes  aux  confins  de  leurs 
territoires,  ils  ignorèrent  longtemps  cotte  puissance.  Pendant  plus 
de  mille  ans  Tintcrieur  de  l'Asie  demeura  le  domaine  commci- 
cial  des  Phéniciens  et  autres  Sémites  de  la  Syrie,  parce  que,  sur 
le  continent,  la  Grèce  ne  les  pouvait  atteindre.  La  civilisation 
grecque  euipiunta  bien,  il  est  vrai,  quelques  notions  aux  pays 
asiatiques;  mais  c'est  surtout  vers  l'Egypte,  la  Phénicie  et  la  Crète 
qu'elle  tourna  son  attention. 

Cette  influence  ne  pouvait  porter  que  sur  les  pays  proches  de  la 
Méditerranée;  elle  diminuait,  peu  à  peu,  lorsqu'on  s'avançait  vers 
le  Nord.  On  en  retrouve  cependantquelques  traces  jusqu'en  Scandi- 
navie (1) 

Dans  le  bassin  du  Danube,  en  Scythie,  en  Allemagne,  se  pres- 
saient alors  des  peuplades  sauvages,  sans  histoire,  sans  littéra- 
ture et  sans  arts;  demi-nomades,  demi-sédenlaires,  en  perpétuel 
conflit  entre  elles  sur  des  questions  de  territoires,  de  pâturages  et 
de  troupeaux. 

Le  métal,  cuivre,  bronze  et  or,  était  déjà  répandu  dans  toute 
l'Europe  centrale,  en  Gaule,  en  Grande-Bretagne,  en  Suisse,  dans 
les  Alpes,  où  les  tribus  sédentaires  vivaient  dans  leurs  villages  des 
lacs.  La  culture  des  céréales  et  des  plantes  textiles,  l'élevage  du 
bétail,  la  pèche  et  la  chasse,  la  lutte  contre  leurs  voisins  étaient 
les  seules  préoccupations  de  nos  ancêtres  de  ces  temps. 

La  civilisation  du  bronze,  qui  semble  s'être  répandue  vers  l'épo- 
que de  l'expansion  pharaonique  au  dehors,  prend  alors  un  grand 
développement  dans  les  pays  méditerranéens,  grâce  à  la  proximité 
des  vieilles  sociétés  de  l'Asie  Antérieure  et  de  l'Egypte.  Chaldéens, 
Assyriens,  Phéniciens,  Chananéens,  Hétéens  et  Egyptiens,  tous  ont 
leur  part  dans  l'influence  répandue   et,   que  ce  soit   en  Crète  (2), 


(1)  Les  peuples  celtiques  n'ont  jamais  ha-  avait  eu  dans  l'ile  (l'importants  mélanges  an- 
bilé  la  Suède  peuplée  dès  longtemps  par  la  térieurs  à  l'apparition  des  Hellènes  dans  la 
racegermanique,  maisleurcivilisation  a  exercé  Méditerranée.  Les  Cretois  appartenaient 
une  très  grande  influence  sur  la  Scandinavie  au  fond  de  la  vieille  population  de  ces  para- 
des le  quatrième  siècle  avant  notre  ère.  ges.  Evans  les  considère  comme  composés 
(O.  MoNTEt.ius,  Co/iyr.  /)ré/î. /"rfiAip.,  1907  (1908),  de  trois  éléments  :  l'un  apparenté  aux  peu- 
p.  80'i.)  Aiirès  la  conquête  de  la  Gaule  par  pies  de  l'Anatolie,  l'autre  issu  de  l'Europe, 
César,  l'influence  celtique  en  Suède  fut  hienti'jt  et,  par  suite,  voisin  des  Ligures,  et  le  dernier 
remplacée  par  l'influence  de  la  civilisation  ro-  venant  de  la  Libye.  (Cf.  A.-J.  Evans,  Prehi.tl. 
maine.  i/</.,p.  812.)  lombx    of  AVio.s.so.s-,  Londres,    1906,    p.    132.  — 

(2)  Il  est  impossible  de  dire,  d'une  manière  Seugi,  lex  Hacex  de  la  Méditerranée.  —  R.-M. 
certaine,  à  quelle  race  appartenaient  les  hom-  Brnuows,  The  dixcorerien  in  Crète,  Londres, 
mes  qui  habitaient  l'ile  de  Crète,  au  début  du  1907,  p.  170.) 

royaume  Minoen,  et  si,  dès  ces  époques,  il   y 


126 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


àMycène  ou  à  Troie,  les  traces  s'en  montrentbien  nettes  (I),  sans 
que,  souvent,  il  soit  aisé  de  faire  la  part  originelle  de  chacun. 

Entre  la  civilisation  méditerranéenne  du  bronze  et  celle  des. 
pays  du  centre,  de  Touest  et  du  nord  de  l'Europe,  il  existe  bien 
certainement  des  liens  ;  mais  ces  affinités  se  confondent  avec  les. 
connaissances  primitives  communes,  et  l'on  ne  peut  pas  dire  d'une 
manière  certaine  que  les  progrès  du  Nord  procèdent  de  ceux  du 
Sud  (2).  Les  divers  groupes  se  développèrent  sur  eux-mêmes,  su- 


co 

w 

w 

M 

II 

0. 

SYRIE 

> 

< 

ASIE 

EUROPE                  1 

-w 

CJ 

CAPPADOCS 

c/; 

< 

'W 

o: 

MINEURE 

MÉRIDIONALE 

CENTRALE 

'Si 

'W 

< 

''-^ 

— 

— 

XX' 

Aulochlones. 

Aryens. 

Aryens 

G 

et 

et 

autochtones. 

autochtones. 

C 

•/. 

O 

t) 

1^           -/v         ^ 

XV  IIP 

c 

"m 

>^ 

0. 

cf! 

c 

^; 

X 

a 

<u 

c« 

;ï 

c 

3 

C3 

a 

s 

■C 

a  cB 

Q 

.—  O 

«  o 

s 

"ï 

c 

ai   2 

XVP 

-T3 

3-  a; 

-C  o 

-C 

o 

O 

ce 

ce 

4) 

c 

te  -o 
te   J3 

« 

0-    c 

si 

«  — ' 

État  du  lironz 

les,  Italie,  Sicile 
paij;ne,  lllyrie,  T 

o  s 
i  ce 

-2     r/; 

-  c: 

•5  ~ 

^  <û 
n  te 

■M 

3    = 
•3    &, 

O   te 
C   « 

«  m 

s: 
r 

:  c 

S, 
5 

n 

« 

c 

G  '/.' 

c^ 

-. 

'-'  -M 

^ 

te 

'    "^ 

'-^ 

O  ■^- 

X 

2 

^rM 

C 

C 

c  ^ 

Ci, 

w 

y 

'? 

CO 

C3 

•a 

XV' 

-3 

S 

'Si 

bissant  toutefois  des  influences  d'autant  plus  marquées  qu'ils  se 
trouvaient  plus  rapprochés  des  foyers. 


(1)  Quelques  exemples  suffiront  à  montrer 
1  importance  des  iiilluences  étrangères  sur 
les  premières  civilisations  méditerranéennes. 
Certainement,  en  Crète,  l'usage  de  l'émail  est 
d'origine  orientale  ;  mais  il  est  difficile  de  dire 
s'il  provient  de  Ciialdée  par  les  Phéniciens, 
ou  d  Egypte,  ces  deux  pays  étant,  dès  la 
haute  antiquité,  en  possession  de  cette  indus- 
trie. Par  contre,  le  siège  de  pierre  dit  trône 
de  Minos,  les  tables  d'offrandes  (libations) 
sont  d'origine  franchement  pharaonique.  L'ap- 
pareil et  la  taille  de  la  pierre  semblent  être, 
eux  aussi,  de  môme  origine;  car  c'est  dans  la 
vallée  du  Nil  que  cette  architecture  se  déve- 
loppe tout  d'abord.  La  glyptique,  née  sur  les 
rives  de  l'Euphrate  et  du  Tigre,  sous  forme 
de  cachets  et  de  cylindres,  gagna  l'Egypte, 
la  Phénicie,  le  monde  préliellènique,  employant 


toujours  les  anciens  procédés  de  gravure.  A 
Uaghia  Triada,  entre  autres,  on  a  trouvé  un 
vase  de  stéatite,  portant  en  relief  des  scènes 
sculptées.  Il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  les 
o^-uvres  du  même  ordre  découvertes  à  Suse  et 
dans  les  nécropides  primitives  de  l'Egypte 
pour  se  rendre  compte  de  l'origine  de  l'art 
que  décèle  le  vase  en  question.  Enfin,  la  dif- 
fusion des  procédés  lei^hniques  de  la  céra- 
mique est  l'un  des  exemples  les  plus  curieux 
de  ces  migrations.  Partie  de  Chaldée,  elle 
gagna  la  Syrie  et  peut-être  l'Egypte,  puis  se 
répandit  dans  le  monde  préhellénique. 

(i)  Il  existait  cependant  des  relations  com- 
merciales entre  les  pays  du  nord  et  ceux  du 
midi,  puisque  l'ambre  découvert  dans  les 
ruines  de  yiycènes  est  d'origine  ballique.  (Cf. 
E.  CARTHAïLAC,Ma/énaux,  t.  XX,  1886,  p.  201.) 


LA    PRÉPONDKRAXCE     ÉGYPTIENNE  327 

Le  résullal  fut  (jiie,  dans  la  Méditerranée,  il  se  forma  deux 
centres  principaux  issus  des  données  primitives  et  des  contacts 
avec  l'étranger;  l'un,  le  plus  ancien,  en  Crète,  l'autre,  plus  récent, 
à  Mycènes  et  dans  les  régions  voisines  (1). 

Les  (Icniiércs  découvci'tcs,  si  impoilanles,  permctlcnl  aujour- 
d'hui d(^  tracer  un  tableau  des  civilisations  méditerranéennes  ; 
tableau  hien  sommaiie,  il  est  vrai,  et  souvent  bien  hypothétique^ 
mais  traduisant  nettement  les  conceptions  actuelles  (cf.  p.  32(3). 

Les  croyances  religieuses  ou  superstitieuses,  dont  on  trouve 
déjà  la  trace  chez  l'homme  néolithique  de  nos  pays,  étaient  encore 
bien  rudimentaires.  La  crainte  du  mal,  l'espérance  du  bien  et  de 
la  vie  future,  tels  étaient  les  sentiments  ([ui  poussaient  l'être  vers 
l'adoration  dun  monolithe,  d'une  grossière  statue  ou  d'images 
gravées  sur  les  rochers. 

Certainement  la  l^ranche  européenne  des  Aryens  n'avait  pas,  au 
point  de  vue  philosophi(|ue  et  moral,  évolué  comme  ses  sœurs  des 
Indes  et  de  l'Iran;  les  croyances,  chez  elle,  étaient  grossières,  ins- 
tables, plutôt  superstitieuses  que  religieuses  ;  et,  si  les  Grecs  ont 
su  les  colorer  d'une  délicieuse  poésie,  elles  n'en  étaient  pas  moins 
si  flottantes  chez  eux  qu'ils  adorèrent  la  plupart  des  dieux  de 
rOrient,  les  adaptant  à  leurs  goûts  et  à  leur  génie. 

Vers  l'Occident  méditerranéen,  l'influence  orientale  se  faisait 
d'autant  moins  sentir  qu'on  s'éloignait  plus  du  foyer  ;  certaine- 
ment les  métaux  étaient  depuis  longtemps  connus  sur  toutes  les 
côtes,  jusqu'à  celles  de  l'Espagne;  mais  les  peuples  occidentaux 
étaient  en  retard  sur  la  Sicile,  en  retard  elle-même  sur  l'Italie  et 
sur  les  pays  grecs. 

Bien  peu  de  peuples,  vers  le  quinzième  siècle,  connaissaient 
l'écriture.  L'Egypte,  la  Nubie,  les  Hétéens  faisaient  usage  des  hiéro- 
glyphes; la  Chaldée,  l'Assyrie,  l'Elam  employaient  uniquement  les 
cunéiformes;  tandis  {|u'en  Syrie  se  développait,  à  côté  de  cette  écri- 
ture, le  système  alj)ha]jéti(}ue  araméen  et  son  dérivé  le  phénicien. 
En  Crète,  une  écriture  spéciale,  dont  on  n'a  pas  encore  trouvé  la 
clef,  semble  être  née  spontanément,  et,  bien  qu'on  n'en  connaisse 

(1)  Dans  les  Cyclades,  la    poterie  peut  êlre  III.   Poterie     mycénienna    locale,  avec    des- 
classée comme  suit  :  sins  en  noir  mat,  noirs   et  ronges,  rouges  et 

I.  Poterie  primitive  avec  décor  incisé,  presque  noirs,  rouge  lustré, 

toujours  remi)li  de  pâle  blanche.  IV.   l'ase.s  mijcéniens  //iipor/e'.s-,  qui  peu  à  peu 

II    Poterie  peinte  à  ornements  (jéomélriqaes.  remplacèrent,  dans  les  Cyclades,  la  poterie  in- 

—   La    peinture  est  noire  sur   fond   blanc  ou  digène,  et  semblent  provenir  de  Crète.  (Edm. 

blanche  sur  fond  noir.  Pottier,  Cal.  vases  antiques,  18%,  I,  p.  198,  sq.) 


328 


LES     PREMIERES     CIVILISATIONS 


pas  encore  la  valeur,  les  archéologues  pensent  qu'elle  s'est  for- 
mée et  développée  sans  influence  extérieure. 

La  Chine,  également  pourvue  du  métal,  possédait  aussi  ses  hié- 
roglyphes issus  d'une  pictographie  d'origine   locale.   L'Amérique 


Pluie 


Aurore 


Feu        Mont      Poisson 


Œil 


Bouche 


li<2Ai^4<3>^ 


Jardin        Riz 


* 


P       â     ;K      tu     .§       a       P 

yu  tan  ho  chan       'yu  mou         kheou      yeou        mi 

Hiéroglyphes  primitifs  chinois,  avec  leur  valeur  moderne  (1). 


centrale  commençait  peut-être,  elle  aussi  déjà,  la  figuration  de  la 
pensée  ;  rien  n'autorise  cependant  à  faire  remonter  aussi  haut 
les  débuts  de  la  civilisation  dans  le  nouveau  monde. 

On  a  cherché,  pour  la  Chine,  à  rapprocher  ses  signes  hiérogly- 
phiques de  ceux  de  la  Chaldée('2),  espérant  trouver  entre  ces  deux 

systèmes  un  lien  commun.  Ces  efforts 
n'ont  pas  abouti  :  les  analogies  entre 
les  deux  écritures  j)rovenant  de  ce  que, 
dérivées  de  la  pictographie,  elles  ren- 
ferment forcément  un  certain  nombre 
de  signes  naturels  communs,  qui  se 
pourraient  aussi  bien  rencontrer  chez 
tous  les  peuples,  sans  que  pour  cela  il 
y  eut  eu  contact  de  l'un  à  l'autre  ou  in- 
fluence de  l'un  sur  l'autre. 

Si  nous  nous  en  rapportons  aux  an- 
nales indigènes,  l'archéologie  ne  four- 
nissant encore  aucune  donnée  sur  les 
origineschinoises,c'estvers  le  vingtième 
siècle  avant  notre  ère  que  l'organisation 
politique  et  sociale  de  cette  partie  de 
l'Asie  aurait  pris  une  forme.  Yao,  le 
premier  roi  de  la  première  dynastie,  le  ^Nlènès  de  la  Chine,  aurait 


1  2  3 

Caractères  chinois  de  di- 
verses époques  (3). 


(1)  D'après  A.  Remusat,  Rech.  sur  l'orig.  et 
la  format,  de  récriture  chinoise  (Mém.  Insl. 
royal,  de  France,  t.  VIII,  1827,i,  et  Klaproth, 
Aperçu  de  l'origine  des  direrses  écritures,  p.  4-13. 

(2)  Cf.  Terrien  de  Lacouperie,  Wheat  car- 
ried  from  Mesopotamia  to  early  China, dsBn^y- 
onian  and  oriental  record,  Londres,  juillet  1888. 


(3)  N°  1.  Caractères  dits  des  têtards  attribués 
à  Yu  le  Grand,  2278  av.  J.-C.  (d'après  les  co- 
pies conservées  dans  les  Archives  de  l'Empire 
à  Pékin.)  —  N»  2.  Ecriture  tchouen  usitée  de 
l'an  800  à  l'an  200  av.  J.C.  —  N"  3.  Écriture 
courante  moderne  —  (d'ap.  P.  Berger,  Hist. 
de  l  écriture,  189),  p.  44). 


LA    PRÉPONDÉRANCE     ÉGYPTIENNE  829 

vécu  vers  le  vingt-deuxième  siècle,  et  organisé  sous  la  royauté 
une  population  agricole  possédant  déjà,  outre  l'écriture  et  l'usage 
des  métaux,  cuivre  ou  bronze,  des  notions  astronomi{)ues  et  la  plu- 
part des  arts  utiles. 

Confucius,  dans  le  Chou-Ring  (I),  n'a  {)as  cru  devoir  enregis- 
trer les  temps  fabuleux  qui  précédèrent  Yao  ;  il  les  rangea  dans  les 
dynasties  divines,  tout  comme  l'école  memphile  attribuait  aux 
serviteurs  d'ilorus  les  faits  antérieurs  à  Menés.  Quoi  qu'il  en  soit, 
en  Extrême  Orient,  les  débuts  bislori(|ues  sont  certainement  pos- 
térieurs de  deux  à  trois  mille  ans  à  ceux  de  la  Chaldée  et  de 
l'Egypte.  Quant  à  la  période  d'incubation  de  la  monarchie,  peut- 
être  a-t-elle  été  aussi  longue  que  celle  dont  nous  entrevoyons  la 
durée  pour  les  pays  de  l'Asie  antérieure;  mais  sûrement  elle  dé- 
liuta  bien  longtemps  après. 

Le  Japon,  bien  moins  ancien  que  la  Chine,  a  vu  l'état  néolithi- 
que (2)  se  continuer,  chez  certaines  peuplades,  presque  jusqu'à 
nos  jours  ;  tandis  que  chez  d'autres,  d'arrivée  récente  dans  le  pays, 
les  métaux  furent  connus  vers  le  troisième  siècle  avant  notre 
ère  (3)  au  plus  tôt.  A  l'époque  de  la  XVllP  dynastie  d'Egypte,  ces 
îles  en  étaient  donc,  pour  longtemps  encore,  à  la  pierre  polie. 

Dans  le  sud  de  l'Asie,  l'Inde  et  l'Indo-Chine,  à  l'époque  qui 
nous  occuj)e,  l'influence  étrangère  était  encore  loin  de  faire  sen- 
tir ses  effets.  Nous  connaissons  de  ces  peuples  les  vestiges  de 
leurs  établissements  néolithiques  ou   énéolithiques  (li)  ;  quant  au 

(1)  Cf.  le  Chou-King  (Irad.  Couvreur);  le  lure,  construisaient  des  dolmens,  inconnus 
Ché-Ki,  de  Sé-ma-Tsien  (trad.  Chavannes);  avant  eux.  (Cf.  W.  Gowland,  The  dolmens  of 
le  Yi-King  (The  oldest  hook  of  liie  Ciiinese,  Japan  and  Iheir  l)uilders,  in  Trans.  and  Proc. 
par  A.  Terrien  DE  Lacol'Perie,  Londres,  190-2).  of  Ihe  Jap.  Soc,  London,  1897-1898,  IV,  pp. 
Dans  ce  dernier  ouvrage  (vol.  I,  p.  96,  sq.),  182-183.—  V.  Dickins,  Congr.  préhist.  France, 
l'auteur  cherche  encore  à  prouver  l'origine  1907(1908),  p.  47i,  sq.)  —  Michel  Revon  {le 
occidentale  de  l'écriture  chinoise.  Sliintlioï.sme,   Paris.  1907,  in-8)   pense    que   le 

(2)  La  céramique  japonaise  prend,  dès  l'é-  Japon  a  été  le  théâtre  de  deux  invasions  : 
poque  néolithique,  un  caractère  très  spécial  l'une,  venue  de  Corée,  qui  a  fourni  la  masse 
ne  présentant  aucune  analogie  avec  ce  que  de  la  population,  l'autre,  issue  de  l'archi- 
nous  connaissons  de  r.\sie  occidentale  et  des  pel  Malais,  qui  a  fourni  la  classe  aristocra- 
peuples  venus  de  Sibérie.  (Cf.  E.  B.^elz,  Zur  litiue. 

Vor-und  Urgeschichle  .Japans,  in  Zeituch.  fnr  (i)  Les  stations  de  Somron-Seng  et  de  Long- 

Ethnol..  Berlin,  1907,  p.  281,  sq.  —  Go\M..\>ii),  prao.au  Cainhodge,  montreni  la  Iransilionentre 

The  dolmens  and   lUirials  Mounds  in    Japan,  le   néolilhi(iue  et  rénéûliliii(iue.  Les  objets  de 

Arcliieologia,  London,  1897.  —  Dc'initz,  Vorge-  pierre     \    présentent    un    faciès    tout   parti- 

schichlliche  Graber   in   Japan,  1887.  —    Baelz,  cuIIli-.    Quant     aux    métaux    employés     sous 

Kôrperliche  Eigenscliaften  der  Japaner.  Tokio,  forme   d'alliage  (cuivre,    95  p.    100  ;    élain,  5 

1882  et  1883.  —  Id.,  Die  Menschenrassen  Os-  p.    100),  ils  diffèrent  par  la  forme  des  instru- 

tasien,  Berlin.  Anlhrop.  Gex.,  1901)  ments,  ainsi    que   par  la    teneur  en  étain,  de 

(3)  Les  premiers  imniii-'rants  de  race  japo-  ce  que  nous  connaissons  dans  lOccident. 
naise,  venant  du  nord-^pst  de  l'.Vsie  par  la  Cette  industrie  est  antérieure  à  la  civilisation 
Corée  et  Tchouchima,  apportèrent  peut-être  kmère,  dans  l'Indo-Chine  ;  mais  ne  semble 
à  leur  nouveau  pays  une  civilisation  qui,  pas  remonter  à  une  très  haute  antiquité.  (Cf. 
bienque  préhistorique, élait  déjà  très  avancée:  J.-B.  Noui.ët,  l'âge  de  la  pierre  polie  et  du 
ils  connaissaient  le   bronze,  le    fer,  l'agricul-  bronze  au  Cambodge,  ds  Arc/i.  du  3/usee  c/'/i/*/. 


330 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATION 


courant  qui  leur  apporta   l'usage  de  la  métallurgie,  nous  ne  pou- 
vons, jusqu'ici,  nous  faire  aucune  idée  de  son  époque. 

Pour  lAmérique,  nous  ne  savons,  de  manière  précise,  rien  sur 
l'évolution  de  l'écriture  ;  parce  que,  ne  pouvant  en   traduire  les 

textes,  nous  ne  sommes, 
pas  à  même  de  juger  de 
leur  époque  relative.  Quoi 
qu'il  en  soit,  il  n'est  peut- 
être  j)as  exagéré  de  faire 
remonter  jusqu'aux  envi- 
rons du  quinzième  siècle 
avant  notre  ère  les  dé- 
buts de  cette  curieuse  ci- 
vilisation et  de  son  sys- 
tème graphique,  dont  nous- 
ne  possédons  que  des 
types  relativement  moder- 
nes. 

Ailleurs,  dans  le  monde 
entiei',  il  n'existait  d'autre 
procédé  d'enregistrer  les 
faits  et  les  idées  que  la 
tradition  orale  ;  aussi  les 
premiers  hommes  qui  par- 
vinrent à  la  notion  de 
l'écriture,  sous  quelque 
forme  que  ce  soit,  pri- 
rent-ils sur  les  autres  une 

mexicaine  ocronipagnée       telle  avance  ciu'il  fallut  des 
de  légendes    explicatives    en  hiéroglyphes        Lt-i^*^ ''vaiiLe  qu  ii  laiiui  ue^ 

(dap.L.DE  RosNy,/es  Ecriiuresfi(juraiives)  (1).      milliers  d'années  pour  que 

l'équilibre    s'établisse    et^ 

d'ailleurs,  l'effet  de  cette    supériorité    n'est  encore  pas  terminé. 

Quant  aux  langues,  nous  ne  possédons,  pour   la  plupart,   que 

d'informes  vestiges  de  leur  état  en  ces  temps  si  reculés.  Cepen- 


Peintiire    figiiiative 


nal.  de  Toulouse,  1879.)  —  H.  Mansuy,  Stal. 
préhist.  de  Somronseng  et  de  Longprào,  Ha- 
noi, 1902. 

(1)  Le  registre  supérieur  représente  la  fon- 
dalion  de  la  ville  de  Mexico  (dont  l'aigle  A  esl 
le  symbole)  par  KouaoïiUi-Kelzki  et  Te- 
Nolch,  aidés  par  les  chefs  des  princii)ales  fa- 


milles (1.  Akassitli,  2.  Koiiapa,  3.  Oselopa. 
4.  Akecholl.ô.ïesineouh,  6.  Tenoiilch,  7.  Clio- 
niimill,  8.  Chokoyol,  9.  Chiouhcak,  10.  Alo- 
totl).  Le  registre  inférieur  figure  les  con(piètes 
d'Akamapichlli,  premier  roi  de  Wesico  sur  le* 
États  de  Colhuacan{B)  et  deTenolclititlan  (C). 


LA     PRHPOXDKRAXr.E     KCYPTIENNE  33| 

dant,  grâce  aux  loxles  laissés  par  quelques-unes  d'entre  elles  et 
aux  traces  encore  vivantes  de  certains  idiomes,  il  est  possible  de 
se  faire  une  idée  générale  de  la  carte  linguistique  du  monde  à 
cette  époque. 

En  Chaldée,  l'akkadien,  dans  tonte  la  force  de  son  développe- 
ment, se  transformait  déjà  en  babylonien,  différant  en  cela  quelque 
peu  de  l'assyrien,  qui  se  formait  sur  le  Tigre,  conservant  plus 
d'archaïsmes    que  le  dialecte  du  Midi. 

En  Syrie,  l'araméen,  le  chananéen,  le  phénicien  partis  de  Chal- 
dée, avaient  évolué  chez  de  petits  groupes  d'hommes,  dans  le  pays 
même  et  en  Egypte  au  temps  des  pasteurs.  Il  en  était  résulté  une 
foule  de  formes  dialectales  dans  chacun  des  idiomes  primitifs:  le 
tyrien,  le  sidonien  qui  essaima  plus  tard  le  punique,  l'hébreu, 
le  moabile,  l'ammonite,  le  galiléen,  ramorrhécMi,  le  samari- 
tain, etc.,  tous  plus  ou  moins  proches  parents,  s'entendant  les 
uns  les  autres,  mais  dont  la  plupart  ont  disparu  sans  laisser  de 
traces. 

En  Arabie  où,  malgré  la  proximité  de  l'Egypte  et  de  la  Chaldée, 
l'écriture  n'avait  point  encore  pénétré,  il  se  parlait  une  foule 
de  dialectes,  tous  voisins  entre  eux  et  plus  proches  de  la  lan<i-ue 
primitive  que  ceux  du  Nord  qui,  dans  leurs  migrations,  s'étaient 
mélangés  d'expressions  et  de  formes  étrangères. 

Tel  était  le  domaine  des  langues  sémitiques,  fort  restreint, 
comme  on  voit,  et  formant  un  groupe  homogène.  Ceci  explique 
les  affinités  étroites  qu'on  rencontre  toujours  entre  les  diverses 
branches  de  cette  famille,  quels  que  soient  les  matériaux  soumis 
à  l'examen. 

L'Egypte  n'avait  guère  modifié  son  parler  d'autan,  qui  était 
d'usage  dans  toute  la  vallée  du  Nil,  de  Syène  à  la  Méditerranée  ; 
mais  dans  la  vallée  du  Nil  seulement,  car  ce  pays  n'a  jamais 
essaimé  de  colonies  durables,  ses  fondations  à  l'étranger  n'étant 
que  des  postes  militaires,  aux  garnisons  sans  cesse  relevées.  Il 
existait  dans  la  langue  vulgaire  des  différences  de  terroirs  et, 
dans  le  Delta,  des  traces  très  marquées  d'influence  asiatique  (l). 

Au   sud    commençaient    les    langues  klianii tiques    des  nègres, 

(l)S.ir   le  haut  Nil,  les   dialectes   nubiens  iiHlécliifTi-és   sur   les   murs,    entre  autres   du 

étaient  restes    purs.  Quelques   siècles    seule-  temple  de  Philœ  ;   certains  se  sont  conservés 

ment   avant  noire    ère,   ils    employaient    une  jus(iuïi  nos  jours  (le  Biotiari) 
écriture  spéciale  dont  on  retrouve  des  textes 


332  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

qu'en  Nubie  on  écrivait  au   moyen   des    hiéroglyphes  égyptiens; 
plus  haut,  l'écriture  était  inconnue. 

Au  nord,  riiétéen,  dont  les  textes  encore  indéchiffrés  ne  nous 
renseignent  pas  sur  la  nature  delà  langue,  puis  des  tribus  autoch- 
tones, certainement  apparentées  aux  Hétéens,  et  s'étendant  jus- 
qu'au pied  du  mont  Caucase.  Les  peuples  de  ces  pays  parlaient 
probablement  des  langues  agglutinantes  comparables  au  géorgien 
de  nos  jours,  au  vannique  des  temps  assyriens,  mais  n'écrivaient 
pas. 

Seuls,  des  anciennes  races,  Van  et  l'Elam  possédaient  alors  les 
cunéiformes.  Suse  nous  a  transmis  une  abondante  littérature  mon- 
trant une   langue  agglutinante  avec  flexions 
simples. 

DansTIran,  un  grand  nombre  de  dialectes 
Aa^ g>T "--^'^TJ^>^^^^       divisaient    alors  le    plateau.    Sur    les    bords 
^^Tg^^^^l'^§H      occidentaux,    où    se    parlaient     encore     les 
idiomes  des    anciennes  races,  le  mède  et  le 
perse  se  trouvaient  en   îlots  ;    mais   ces  lan- 
gues   devenaient  plus  compactes  au   fur    et 

à  mesure   qu'on   avançait  vers   1  Orient,    au 

Texte  anzanite  de  <.hil-  i  i  ■  i  i  i  t^ 

.    ,     ■     r'u      11        nord  pour  le  mede,  au  sud  i)our  le  i)erse.  De 
nak    in    Chouchinak,  ^  'il 

sur  un  pommeau  de      tous  les  dialectes   iraniens,   il  ne   nous  reste 
terre  émaillée  (1).  ^^^^^ç  j^j^^^  ^^^^  ^^^  chose  :  le  zend,  dans  l'Avesta, 

et  le  perse,  dont  nous  ne  connaissons  qu'une 
forme  relativement  récente,  lachéménide. 

Ces  deux  langues  sont  parallèles  et  ne  j)rocèdent  pas  Tune  de 
l'autre. La  preniièreétaitprol)a])lementle  parlcrd  une  secte  oud'une 
tribu  habitant  le  Nord,  l'Hyrcanie  ou  la  Bactriane  ;  la  seconde 
acheva  son  développement  dans  les  pays  situés  au  Sud  du  plateau. 

Le  lieu  d'origine  du  zend  et  son  époque  ont  été  l'objet  de  lon- 
gues discussions;  les  uns  placent  son  berceau  vers  les  confins  de 
la  Scythie,  les  autres  en  Médie  ou  dans  l'Atropatène.  Certaines 
sources  le  montrent  parlé  à  l'époque  où  la  famille  iranienne  était 
encore  groupée  dans  le  pays  de  Balk,  c'est-à-dire  trois  à  quatre 
mille  ans  avant  notre  ère  ;  d'autres  abaissent  cette  date  jusqu'au 
quinzième  siècle,  voire  même  aux  temps  des  Achéméiiides.  (^uoi 

(1)  «  Moi    Chill)ak   in    Choiichinak,    fils   de  cl  la  bf-néilirtion  de    la   vie   de  noire  famille 

Choutrouk  Nakhkounte,  vaillant  chef,  pour  la  —  Cf.  V.  Scheil,  Mém.  Délcg.  en  Perse,  t.  111, 

bénédiction   de  ma  vie,  la  bénédiction    de  la  textes  élamites-anzanites,  1901,  p.  74. 
vie  de  Nakhkhoiinla-Oulou,  ma  femme  chérie. 


LA     rUKPONUKHANCE     ÉGYPTIENNE  333 

([u'il  en  soit,  cctlc  langue  ne  le  cède  sûrement  en  rien  au  perse 
pour  l'anticiuilé,  bien  que  son  écriture  soit  de  date  récente. 

A  côté  de  ces  deux  langues,  il  en  est  d'autres  qui  n'ont  jamais 
été  écrites,  et  dont  nous  ne  possédons  presque  rien;  tels  sont  le 
mède  dégénéré  en  kurde  actuel,  et  l'ossèthe  parlé  par  une  peuplade 
perdue  au  milieu  du  grand  Caucase. 

Mais  ces  types  n'étaient  pas  les  seuls,  ils  se  décomposaient 
eux-mêmes  en  une  foule  de  dialectes.  Toutes  ces  formes  ont  à 
jamais  disj)aru,  parce  que  l'écritui'c  n'est  arrivée  que  tard  en 
Iran,  et  qu'elle  n'a  januiis  été  mise  ([u'au  service  du  perse  d'abord 
et  du  zend  ensuite. 

Il  en  fut  de  même  dans  les  Indes,  où  l'invasion  aryenne  apporta 
probablement  un  grand  nombre  de  langues,  elles  aussi  divisées  en 
multiples  dialectes  (1).  Aucune  ne  fut  écrite  avant  le  second  ou 
tout  au  plus  le  troisième  siècle  av.  J.-C.  ;  elles  se  parlaient  seule- 
ment comme  la  plupart  des  langues  de  l'Iran  et  de  la  Grèce  un 
demi-millénaire  auparavant.  Dès  le  III*  siècle  avant  notre  ère,  la 
langue  védique  possédait  déjà  une  culture  ;  mais  son  dévoloppe- 
ment  avait  été  purement  oral.  Le  sanskrit  classique  en  sortit, 
provoqué  par  l'application  de  l'écriture.  Quant  au  sanskrit-mixte, 
il  n'est  qu'une  manière  d'écrire  le  prâkrit,  et  les  brahmanes  en 
ont  fait  sortir  le  sanskrit  profane.  Les  dialectes  pràkrits,  populaires 
par  leur  origine,  ont  également  évolué,  du  IP  au  IV  siècle  de 
notre  ère,  sous  l'influence  du  sanskrit. 

«  Tout,  dans  ce  système,  se  tient  et  se  suit  en  un  mouvement 
naturel  et  bien  lié.  Les  mêmes  inspirations  que  nous  voyons  à 
l'œuvre  dès  les  premiers  temps  continuent  leur  action  dans  la 
suite  ;  au  travers  des  évolutions  qui  se  commandent  et  s'engendrent 
l'une  l'autre,  les  principes  moteurs  restent  identiques  (2  .  » 

La  Scythie  (Russie  méridionale  et  Transcaspienne), alors  occupée 
par  des  tribus  aryennes,  ne  nous  a  rien  laissé;  et  ce  n'est  que  dans 
le  sud  et  l'occident  des  pays  méditerranéens  que  nous  rencontrons 
quelques   indices    permettant  de  suivre  les  Aryens.  Encore,  ces 


(1)  Nous  ne   possédons  aucun  document  sur  déjà  fermement  établis  dans  ces  pays.  Il  sem- 

linvasion    de  l'Inde   par  les  peuples  de    lan-  blerail  aussi  que  des  tribus  aryennes  ont,  éga- 

gues  dravidiennes,  de  môme  que  nous  n'avons  lement,  traverse  l'Altaï  pour  gagner  les  pla- 

aucun    renseignement    sur    l'époque   où     les  teaux  de  l'Asie  centrale  et  là  se  soient  fondues 

Indo-Européens  franchirent   l'Hindou   Kouch,  avec  les  populations  mongoliques. 

pour  pénétrer  dans  les  plaines  du   Pandj-Ab  (2)  Cf.  E.  Sénart,    les  Inscriptions  de  Pii/a- 

et  la    haute   vallée  du   Gange.  Les  premières  dasi,  t.  II,  1881,  p.  ,53. 
informations  historiques  montrent  les  Aryens 


33,i  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

traces  ne  nous  sont-elles  parvenues  qu'indirectement,  seulement 
par  quelques  noms  de  peuples  transmis  par  les  textes  égyptiens. 

Les  Lyciens,  les  Phrygiens,  les  Dardaniens,  les  Kébrènes,  les 
Paplîlagoniens,  les  Bithyniens,  les  INIysiens,  les  Ascaniens,  etc., 
de  l'Asie  Mineure,  parlaient  des  langues  apparentées  au  grec,  de 
même  qu'une  foule  d'autres  peuplades,  dont  les  noms  sont 
oubliés  aujourd'hui. 

Parmi  ces  peuples,  les  Ascaniens,  ancêtres  des  Arméniens,  ont 
plus  tard  gagné  le  bord  du  massif  persan,  dans  les  pays  de  l'Ara- 
rat;  ce  qui  porta  bien  des  savants,  des  linguistes  même,  à  cher- 
cher à  les  rapprocher  des  peuples  iraniens.  Mais  il  ne  faut  pas 
oublier  que  c'est  vers  le  XV^  siècle  avant  notre  ère  que  les 
Arméniens  passèrent  le  Bosphore,  en  compagnie  des  peuples  que 
je  viens  de  citer  et  que,  s'ils  sont  aujourd'hui  plus  rapprochés  géo- 
graphiquement  de  la  Perse  que  delà  Grèce,  ce  n'est  que  par  suite 
<le  leur  retour  vers  l'Orient.  Cette  famille  linguistique  semble 
former  le  passage  entre  le  groupe  gréco-ilaliote  et  la  souche 
irano-hindoue  (1). 

La  Grèce  et  l'Italie  furent  occupées  par  des  peuples  très  proches 
parents,  si  nous  en  jugeons  par  les  affinités  que  présentent  leurs 
langues. 

Le  grec  prit  des  formes  spéciales,  suivant  les  pays  où  se  fixèrent 
les  diflérentes  tribus,  et  il  n'est  pas  bien  certain  que  ces  variétés 
n'existaient  pas  déjà  avant  l'invasion.  C'est  ainsi  que  Téolien  fut 
parlé  vers  la  pointe  occidentale  de  l'Asie  Mineure;  le  dorien  dans  le 
Péloponèse  et  plus  tard  en  Crète  Ci),  dans  les  colonies  de  Sicile, 
de  Libye  et  d'Italie  méridionale;  le  béotien  au  nord  de  Corinthe; 
l'ionien,  la  langue  des  îles,  était  aussi  parlé  dans  certaines  localités 
de  l'Asie  Mineure,  en  Attique,  etc.  ;  sans  compter  les  nombreux  dia- 
lectes disparus  avant  l'introduction  de  l'écriture  chez  les  Hellènes. 

(l)Hûbschmanu  considère  l'arménien  comme  Perse,  t.  VI,  1905,  p.  59,  sq.)    dérive    des  hié- 

laisanl  partie  d'un    groupe  indépendant  dans  roglyphes  sumériens  primitifs.  Cette  descen- 

la   famille  indo-européenne.  (Cf.  Zeilschr.  de  dance  est  affirmée  par  des  rameaux,  des  têtes 

Kuhn,  t.  XXIII,  p.  407.)  C'est  à    lort   qu'on  a  humaines  schématisés  Quelques  signes  sem- 

pensé    (HovEL.\cijuE,    la    Linguistique,    Paris,  blant  appartenir    au    même    groupe    ont    été 

1888,   p.  288),    confondant    le    vannique   avec  rencontrés  dans    les  Cyclados,  à    Mile    entre 

l'arménien,  que  cette   langue   avait  été  écrite  autres,  en  sorte  qu'on  serait  tenté  d'attribuer, 

dans   I antiquité  en  caractères  cunéiformes.  dans    la    très   haute   antiquité,    un     système 

(2)  Les  peuples  qui  occupaient  la  Crète  d'écriture  figurative  ou  hiéroglyphique  à 
avant  l'invasion  dorienne  possédaient,  non  seu-  l'Orient  méditerranéen  et  de  songer  à  une  pa- 
iement une  langue  que  nous  ne  connaissons  rente  possible  entre  les  signes  hétéens  qui, 
pas,  mais  une  écriture  restée  indéchilïrable.  comme  on  le  sait,  furent  en  usage  jusqu'à  la 
Elle  résulte  siirement  de  la  simplification  d'un  côte  et  les  hiéroglyphes,  d'où  descendent  les 
système  hiéroglyphique,  tout  comme  le  proto-  curieux  signes  découverts  en  Crète  par  M. 
Elamite    (Cf.    V.     Scheil,    Mém.     Délég.    en  Evans ;etpeut-être  aussi  l'écriture  chypriote. 


LA     PRÉPONDÉRANCE     ÉGVPTIKNNE 


335 


C'est  vers  celte  époque  également  que  la  péninsule  italique  fut 
envahie  par  des  tribus  étroitement  apparentées  à  celles  de  la 
Orèce,  mais  ne  descendant  pas  d'elles.  \.c  lalinfri,  qui  renfei-me 
<l('s  lornies  plus  archaïques  (jue  le  grec,  est  la  langue  qui  a 
dominé  les  autres.  Il  avait  alors  une  foule  de  sœurs,  telles  (|ue  Tos- 
<iue,  l'ombrien,  qui  toutes  disparuient  de  bonne  heure.  L'ombrien 
était  parlé  dans  le  sud-est  de  la  Péninsule,  ros(|ue  au  sud,  le 
latin  vers  le  milieu, près  de  létrusque,  langue  que  quelques  au- 
teurs (2)  rattachent  au  groupe  indo-européen,  et  que  d'autres  (3) 
•croient  pouvoir  faire  rentrer  dans  celui  des  dialectes  qui,  avant 
la  venue  des  Aryens,  se  parlaient  au  sud  de  l'Europe. 

Dans  quelques  pays  isolés,  tels  que  les  montagnes,  les  anciens 
idiomes  se  seraient  conservés  encore  longtemps.  L'albanais  (li), 
le  basque  (5),  jusqu'à  nos  jours,  l'ibérien  (6),  dans  la  péninsule 
espagnole,  jusqu'au  milieu  de  l'empire  romain. 

Les  Celtes  (7)  s'étaient  avancés  dans  la  France  et  depuis  long- 
temps occupaient  nos  pays.  Ils  étaient  probablement  venus  de  la 
région  du  Dnieper  ou  du  Bas,-Danube,  en  passant  par  les  pays 
baltiques,  apportant  avec  eux  des  langues,  telles  que  le  breton, 
■dont  le  parler  s'est  perpétué  jusqu'à  nous. 

Pour  le  reste  de  l'Europe,  nous  ne  pouvons  nous  prononcer  ; 
certainement  il  avait  été,  plusieurs  fois  déjà,  envahi  par  les  peu- 
ples aryens  ;  mais  aucun  indice  ne  nous  permet  de  juger  des  lan- 
gues que  parlaient  ces  premiers  envahisseurs. 

Le  monde  situé  en  dehors  de  celui  que  je  viens  de  décrire  som- 
mairement était  en  entier  le  domaine  des  langues  inférieures, 
monosyllabiques  ou  agglutinantes. 

En   dehors  des  principaux   centres   de  culture   intellectuelle, 

(1)  Nous  en  pouvons  suivre    révolution  de-  bolais   (1542),    et    le    premier    livre    en    cette 

puis  le  troisième  siècle   avant  notre   ère.  (Cf.  langue  est  de  15i5.  Le  bnsipie,  dont  l'origine 

CoRSSE.-y,    Ueber  Ausspraclie,    Vokdlismus    iind  demeure  absolument  inconnue,    se   subdivise 

Belonunij   der    laleinischen    Sprache,  2"    édit.  en  une  vinglaine  de  dialectes,  parlés  tant  en 

Leipzig,  1868,  t.  I,  p.  695.)  Espagne  qu'en  France. 

{2)  CoRssEy,  Ueber  die  Sprache  der  Elrusker,  (6)    L'ibérien,  langue  parlée  jadis  dans  toute 

Leipzig,  1874,  1875.  l'Espagne  et  le    Portugal  jusciu'au.x  environs 

{3)  FuGviER,  Zur prechislorischen  Elhnol.  lia-  de  Narbonne   en   Gaule,   ne   nous   est   connu 

lienx,  1877.  que  par  les  médailles  (i"  s.  av.  J.-C.)  et  les 

(4)  L'albanais  ou  skipetar  sembleappartenir  inscri[)lions  encore  indécliillrées;  on  le  pense 
à  la  souche  aryenne.  apparenté  au  basque.   (Cf.  Van   Evs,  La   lan- 

(5)  Cf.  Broca,  Sur  l'origine  et  la  réparlilion  gue  ibérienne  et  la  langue  basque,  ds  Rev.de 
de  la  langue  bascjue,  ds  Rev.  d'Anlhrop.,  t.  linguistique,  Paris,  1874,  I.  VIH,  p.  1.  —  Vin- 
IV  et  carte,  pi.  IIL  —  Carte  du  prince  Bona-  son,  La  question  ibérienne,  ds  Mém.  Coiujr.  se. 
])arte,  1869.  Le  plus  ancien  document  en  lan-  de  France,  1874,  t.  Il,  p.  357.) 

gue    basque  n'est   pas   antérieur  au    di.xième  (7)  La  branche  celtique  (indo-européenne)  du 

siècle  de  notre  ère  (charte  latine  de  980,  don-  langage     se   subdivise    en   deu.v  groupes,    le 

nant  quelques  noms  propres  basques).  Quant  gaélique  et  le  kimrique. 
au  plus  ancien  te.xte   basque,  il  est  dan"s  Ba- 


336  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

il  se  forma,  dans  les  îles  et  sur  les  côtes,  une  multitude  de  foyers 
d'une  indépendance  relative,  où  chaque  peuplade  donna  cours  à 
ses  tendances.  Ces  foyers  s'influencèrent  les  uns  les  autres  et  ne 
manquèrent  pas  de  réagir  plus  ou  moins  sur  les  pays  d'antique 
civilisation. 

Tour  à  tour  on  a  voulu  attribuer  à  une  seule  origine  les  pro- 
grès dans  nos  pays.  Tantôt  ce  furent  les  Phéniciens  qui,  par 
l'étendue  de  leur  navigation,  auraient  porté  leurs  connaissances 
dans  toute  la  Méditerranée;  tantôt  ce  furent  l'Egypte,  la  Ghaldée,  la 
Grèce  même,  apportant  du  Nord  des  notions  qu'elle  ne  posséda 
jamais  aux  origines.  Aujourd'hui  que  la  Crète  entre  en  jeu  (1), 
l'on  exagère  déjà  les  conséquences  des  récentes  découvertes. 

11  faut  se  souvenir  (|ue  tous  les  éléments  en  contact  jouèrent  leur 
rôle  suivant  des  proportions  que  nous  ne  saurions,  dès  maintenant, 
évaluer  d'une  manière  précise;  mais  dans  lesquelles  les  grandes 
civilisations  asiatiques  tiennent  une  place  certainement  prépondé- 
rante, par  la  force  que  leur  donnaient  les  siècles  écoulés,  l'expé- 
rience, la  puissance  commerciale,  maritime  et  militaire. 

Dans  tel  pays,  l'influence  égyptienne  domina;  dans  d'autres  ce 
fut  celle  de  la  Phénicie,  de  l'Assyrie  ou  de  la  Chaldée,  souvent  plu- 
sieurs à  la  fois.  Quant  au  génie  indo-européen,  il  n'entra  sérieu- 
sement en  ligne  qu'après  avoir  dépassé  ses  maîtres  ;  et  l'on  peut 
affirmer,  sans  crainte,  qu'au  début  son  influence  fut  insignifiante 
sur  les  vieilles  civilisations. 

Dans  une  étude  aussi  compliquée,  ne  reposant  que  sur  des 
appréciations  souvent  discutables  et  sur  des  faits  d'une  analyse 
très  ardue,  il  ne  faut  jamais  perdre  de  vue  l'ensemble  de  l'évolu- 
tion et  laisser  son  esprit  s'attacher  outre  mesure  à  des  détails, 
quelque  séduisants  qu'ils  paraissent. 

(t)  Minos,  ayant  formé  la  première  marine  rat.  25).  Son  frère  Rliadamante  réunit  sous 
nationale,  domine  les  Cyclades  et  étend  son  son  sceptre  une  partie  de  la  côte  d'Asie  Mi- 
hégémonie  sur  toute  la  Grèce  (Thucyd.,  I,  i).  neure  au,x  îles  septentrionales  de  lArcliipel 
On  signale  des  établissements  crétois  de  (Dion.  Sic,  V,  7J).  Enfin,  son  autre  frère 
cette  époque  dans  la  plupart  des  îles  de  l'ar-  Sarpédon  se  forme  un  royaume  indépendant, 
chipel.  (Voy.  BoLANACHi  et  Fazy,  Préc/s  ciVi/s/.  mais  allié,  en  Lycie  (Hérodote,  I,  173.— 
de  CrÀie,  pp.  118-121.)  On  en  place  également  Diod.Sic,  V,  79),  et  dans  une  portion  de  la 
un  à  Ténare,  en  Laconie  (Plutarque,  De  .scr.  Carie  et  de  l'ionie.  (Cf.  Bolanachi  et  Fazy, 
numin.  vindict.,  p.  559.  —  Hesych).  Minos,  Précis  d'histoire  de  la  Crète,  pp.  121-126.)  Tel- 
avec  sa  flotte,  soumet  une  partie  de  la  Sicile,  les  sont  les  traditions  grecques  sur  la  thalas- 
où  il  lutte  contre  les  Sicanes,  les  rivau.x  des  socratie  Cretoise.  (Fr.  Lenormaist,  les  Premiè- 
Sicules  (DiOD.  Sic,  IV,  79.  —  Hérodote,  VIII,  ;e.s-  Civilisations,  t.  II,  1874,  p.  418, noie  1.)  Cer- 
170),  et  il  fonda  Ileraclea,  Minoa  et  Egyon.  tainement  elles  ne  répondent  pas  absolu- 
De  son  temps,  un  peu  après  lui,  les  Crétois  ment  à  la  réalité  des  faits,  mais  montrent 
dominent  sur  la  lapygie,  où  ils  bâtissent  combien  l'influence  minoenne  avait  laissé  de 
Ilyria,  Brentésion  et  Tarente  (Hérodote,  souvenirs  chez  les  Hellènes. 
VII,  170.   —  Strab.,  VT,  p.  279.  —  Cono.n,  nar- 


LA    PRKPOXDERANCE     EGYPTIENNE 


337 


Si,  dès  l'âge  du  bronze,  nous  rencontrons  parfois,  mais  très  ra- 
rement, dans  l'Europe  centrale  et  septentrionale,  des  traces  d'in- 
fluence de  l'Orient,  nous  n'en  devons  point  être  surpris;  car  les 
peuples  commerçaient  entre  eux  dès  la  plus  haute  antiquité.  Mais 

Tableau  monlranl  le  dcueloppemenl  de  la  connaissance  des  métaux 
dans  l'Asie  Anlérieiire,  l'Afrii^ue  du  Nord  el  l'Europe  |I). 


SIÈCLES 

< 

u 

H 

eu 

>" 
C! 

-a 

5 
>• 

r. 

ce 

w 
ta 

■r. 

■r.  'Û 

M  1 
<  = 

<  2 

a  „ 
II 

a 

a  M 

Si 

a  •-> 

<< 

Si 

■J 

LX" 

N 

N 

N 

N 

N 

? 

N 

N 

M  ? 
N 

M  ? 

N 

') 

LX- 

à 

L" 

N 

N 

N 

N 

N 

•) 

N 

N 

N 

N 

•> 

L" 

à 

XL' 

E 

E 

E 

N 

N 

■) 

N 

N 

N 

N 

■> 

XL" 

à 

XXXV" 

B 
F 

B 
F 

B 

E 
B 

N 

N 

N 

N 

N 

N 

■} 

xxxv= 

à 

XXX" 

B 
F 

B 
F 

B 
F 

B 

N 

N 

N 

N 

N 

N 

B? 

XXX' 

à 

XXV' 

B 
F 

B 
F 

B 
F 

B 

E 
B 

E 
B 

E 

E 

N 

N 

B 

XXV' 

à 

XX" 

B 
F 

B 
F 

B 
F 

B 
F 

B 

B 

B 

B 

E 

E 

B 

XX' 

à 

xv 

B 
1' 

B 
F 

B 
F 

B 
F 

B 

P. 

B 

B 

B 

B 

B 
F 

xv* 
à 

X' 

1- 

F 
F 

F 

F 

B 
F 

B 
F 

B 
F 

B 
F 

B 
F 

B 
F 

B 

X' 

à 

F 

F 

F 

F 

F 

F 

F 

F 

V 

F 

M  =  Mésolithique  ;  N  =  Néolithique;  E  =  Enéolitiiique;  B  —  Bronze; 
BF  —  Bronze  avec  connaissance  du  fer;  F  =  l-'er. 

partout  le  faciès  local  sautant  aux  yeux  aussi  jjien  dans  les  civili- 
sations  méditerranéennes  que   dans  celles  du  Nord,  il  est   sou- 


(1)  Les  indications  fournies  par  ce  tableau        elles  devront  être  rectiliées  au    furet   à  me- 
né sont,  et  ne  peuvent  être  qu'approximatives;        sure  des  découvertes. 

22 


338  LE^    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

vent  aisé  de  faire  la  part  des  principes  originels,  des  apports 
étrangers  et  des  efforts  personnels  à  un  peuple. 

La  forme  des  vases,  des  armes,  l'ornementation,  l'art,  la  techni- 
que industrielle  sont  autant  d'éléments  qui,  joints  aux  indications 
d'ordre  social  et  moral,  entrent  dans  la  balance  et  servent  à  classer 
les  diverses  phases  et  les  divers  foyers  de  l'évolution. 

Ces  fractions,  dans  le  temps  et  dans  l'espace,  sont  plus  ou 
moins  apparentées;  elles  se  groupent  naturellement,  montrant  des 
successions  et  des  familles.  C'est  ainsi  qu'il  est  permis  d'affir- 
mer que  l'évolution  méditerranéenne  envisagée  dans  son  ensemble,, 
est  étrangère  à  celle  des  pays  européens,  bien  qu'il  se  trouve  par- 
fois enchevêtrement  de  principes  nordiques  et  d'idées  orientales. 

Certaines  formes,  par  exemple,  très  anciennes  et  très  simples, 
occupant  une  large  surface,  indiquent,  par  leur  présence  même,  la 
parenté  des  efforts  dans  les  pays  où  elles  se  rencontrent.  Elles 
éloignent,  au  contraire,  de  leur  famille  celles  où  elles  font  défaut. 

Parmi  les  types  d'instruments  de  bronze  hongrois,  par  exemple, 
il  est  à  remarquer  que  les  plus  anciens,  seuls,  peuvent  être  suivis 
jusqu'au  cœur  de  l'Asie  septentrionale  (1).  L'un  d'entre  eux,  le  petit 
celt,  parfois  muni  de  deux  œillères,  qui  se  montre  dans  toute 
l'Europe,  la  Russie  méridionale  et  la  Sibérie,  s'avance  jusqu'au 
Japon  et  à  la  Chine  ;  mais  les  pays  méditerranéens,  l'Asie  anté- 
rieure, l'Iran  et  les  Indes  demeurent  en  dehors  de  sa  zone. 

Cet  instrument  est  donc  caractéristique  d'une  grande  famille 
nordique;  quant  à  son  point  d'origine,  il  est  difficile  de  le  préciser. 
Est-il  venu  de  Chine  en  Bretagne  ?  ou  de  Bretagne  en  Chine  ? 
Est-il  né  en  Hongrie,  en  Russie,  au  pied  de  l'Altaï,  pour  de  là 
s'étendre  à  l'est  et  à  l'ouest,  et  gagner  ses  limites  extrêmes  ?  Nous 
ne  le  pouvons  dire  ;  dans  tous  les  cas,  nous  savons  que  son  ori- 
gine n'a  aucun  lien  avec  les  vieilles  civilisations  du  Sud, 

Ce  que  je  viens  de  dire  d'un  seul  type  s'applique  à  une  foule 
d'objets,  d'ornements  ou  d'idées;  et  l'ensemble  de  leur  élude,  cor- 
roboré par  d'autres  observations,  par  les  traditions  et  par  les  lam- 
beaux d'histoire  écha])pés  à  la  destruction  générale  des  textes 
sur  les  origines,  permet  d'établir  le  sens,  l'intensité  et  les  bords 
de  ces  grands  courants,  auxquels  l'Europe  est  redevable  en  ma- 
jeure partie  de  ses  connaissances  initiales. 

(1)  Cf.  SopHusMuLi.EP,  L'origine  (Je  l'âge  du  bronze  en  Europe,  lra(l.ds.'\/(i/t?//(ua',  t.  XX, 1886,  p. 16-2- 


LA    PRÉPONDKnANCE    ÉGYPTIENNE  339 

Un  autre  exemple  est  celui  Je  rornement  en  spirale.  Né  en 
Egypte,  suivant  la  plupart  des  archéologues  il  aurait  de  la  vallée 
du  Nil  gagné  l'Asie  antérieure,  la  Perse,  le  Caucase,  la  Russie 
d'une  part;  d'autre  part  il  se  serait  répandu  dans  TArchipel,  la 
Grèce,  l'Italie,  l'Ibérie  et  aurait  atteint  la  Scandinavie  après  avoir 
envahi  toute  l'Europe. 

Pour  la  famille  méridionale,  je  choisirai  un  exemple  j)uisé  dans 
un  autre  ordre  d'idées,  celui  de  la  diffusion  du  culte  d'Astarté 
«  la  terre  mère,  la  fécondité  »  et  de  sa  représentation.  Née  en  Baby- 
lonie  et  dans  l'Elam,  la  déesse  Nana  se  répand  en  Asie,  en  Egypte, 
en  Syrie,  gagne  les  îles  grecques,  l'Asie  Mineure  et  s'étend  peu  à 
peu  jusqu'aux  portes  d'Hercule  ;  mais  ne  sort  pas  de  la  zone  médi- 
terranéenne, ne  pénètre  que  peu  ou  pas  dans  les  pays  situés  à 
l'Orient  du  Tigre.  Il  y  a  là  diffusion  de  principes  du  Sud  dans  la 
famille  nordique,  sans  invasions  comme  véhicules  des  notions. 

Le  phénomène  inverse  se  produit  aux  débuts  de  l'état  métal- 
lurgique dans  l'Asie  jNIineure  et  à  Chypre.  Là  on  reconnaît  des  in- 
fluences, dont  les  traces  plus  anciennes  se  montrent  dans  la  vallée 
du  Danube  (1).  Dans  ce  cas  il  y  a  diffusion  par  invasion  car,  on  le 
sait,  les  Indo-européens  qui,  vers  le  second  millenium,  apparu- 
rent dans  le  nord  de  l'Asie  antérieure,  venaient  de  Thrace  et 
avaient  séjourné  au-delà  des  Balkans. 

Les  exemples  qui  précèdent  sont  concluants,  mais  tous  les  faits 
ne  se  laissent  pas  interpréter  aussi  aisément.  Il  en  est  qui  résis- 
tent à  la  critique  la  plus  judicieuse.  Le  Swastika,  répandu  sur  le 
monde  entier,  aussi  bien  dans  le  Nord  que  dans  le  Sud,  en  Amé- 
rique qu'au  Japon  et  en  Chaldée,  ne  nous  a  pas  livré  ses  secrets; 
et,  malheureusement,  il  en  est  ainsi  pour  la  plupart  des  indices  du 
culte  que  nous  relevons  dans  les  vestiges  des  premiers  âges. 

(1)  R.  V.  LicHTENBERG,  Beilriige  z.   âUeslen    Geschiclite   v.  Kypros,  in    Milt.  d.   Vorderasiat. 
Ces.,  I'.t06,  2. 


CHAPITRE  X 

La  prépondérance  assyrienne. 

Décadence  de  l Egypte.  —  Les  Mèdes  et  Cyaxares. 

Invasion  des  Scythes.  —  Pelasges  et  Hellènes. 

Les   Ligures.  —   Les    Etrusques,  fondation   de  Borne. 

Origines  de  la  civilisation  chinoise. 


L'Assyrie  fut  le  nid  tFoiseaux  de  proie  d'où,  pendant  près  de 
dix  siècles,  partirent  les  expéditions  les  plus  terribles  qui  aient 
jamais  ensanglanté  le  monde. 

Assour,  Nimroud  (1)  et  finalement  Ninive,  furent  successive- 
ment les  capitales  de  cet  empire;  Assour  était  son  dieu,  le  pil- 
lage sa  morale,  les  jouissances  matérielles  son  idéal,  la  cruauté  (2) 
et  la  terreur  ses  moyens  (3). 

Jamais  peuple  ne  fut  plus  abject  que  celui  d'Assour  ;  jamais 
souverains  ne  furent  plus  despotes,  plus  cupides,  plus  vindicatifs, 
plus  impitoyables  (/i),  plus  fiers  de  leurs  crimes  (5). 


(1)  Le  transfert  de  la  capitale  d'Assour  à 
Kalach  se  fit  sous  Salmanasar  !"■  (Cf.  G.Mas- 
PERo,  Hixt.  Or.class.,  t.  II,  p.  608),  mais  ne 
semble  avoir  été  définitif  que  cent  ans  plus 
lard. 

(2)  Je  (Assournazirabal)  construisis  un  pilier 
à  la  porte  de  la  cité,  puis  j'enlevai  la  peau  de 
tous  les  notables,  et  j'en  recouvris  le  pilier; 
j'accrociiai  les  cadavres  au  pilier  même,  j'en 
empalai  d'autres  sur  le  sommet  du  pilier  ;  je 
rangeai  les  derniers  sur  des  pals  autour  du 
pilier.  »  {Ann.,  col.  I,  89-91.) 

(3)  «  La  terreur  de  ma  force  les  culbuta,  ils 
craignirent  le  combat  et  ils  embrassèrent  mes 
pieds.  »  {Ann.  de  Tiylalphalasar,  I,  col.  III, 
1.  4-6.) 

(4)  On  laissait  au.t  vaincus  leurs  rites  natio- 
naux, leurs  constitutions,  leurs  rois  (Cf.  An- 
nales de  Tiylalphalasar,  col.  II  à  V)  ;  même 
lorsque  l'un  de  ceux-ci  avait  été  empalé  ou 


décapité,  après  une  rébellion,  on  ne  lui  don- 
nait point  pour  successeur  un  personnage 
étranger  à  sa  famille  ;  mais  on  choisissait, 
parmi  ses  fils  ou  parmi  ses  parents,  celui  que 
l'âge  ou  le  degré  d  affinité  appelait  à  régner, 
et  on  l'intronisait  sur  les  débris  fumants  en- 
core. Il  devait  humilier  ses  dieux  devant  As- 
sour, payer  un  tribut  annuel  {Annales  de  Ti- 
glatphalasar,  id.),  prêter  aille  et  secours  aux 
commandants  des  garnisons  voisines,  joindre 
son  armée  au.\  troupes  royales  en  cas  de  be- 
soin {Ann.  Assourbanipal,  col.  III),  consigner 
ses  fils  ou  ses  frères  en  otages,  livrer  ses 
filles  et  ses  sœurs,  les  filles  et  les  sœurs  de 
ses  nobles  pour  le  service  ou  le  lit  du  vain- 
queur. (G.  Maspeko,  Hisl.  anc.  des  peuples  de 
l'Orient  classique,  t.  II,  1897,  p.  640,  sq.) 

(5)  «J'ai  (Sennacherib)  détruit  leur  (Elam  et 
Babylone)  plan  de  bataille  et  je  les  ai  mis  à 
mort.  Ils    jonchaient  la    terre    comme       des.. 


LA     PRKPONDKUANCE     ASSYRIENNE 


3/4 1 


L'Assyrie  résume  en  elle  tous  les  vices;  liornii  la  bravoure,  elle 
n'offre  aucune  vertu.  Il  faut  feuilleter  l'histoire  entière  du  monde 
pour  trouver  ç.à   et  là,  dans  les  époques  les  plus  troublées,  des 


Limites  de  L'Empire  assyrien =vers  I400av. J-C^ =  sous Teglalhpalasar^ vers  1120.. 

Tinirari  III, 8 12-784. ^._.j.  =  sous  Assourbanipal, 667-625. . 


=  sous  nama- 


Marche  du  développement  de  l'Empire  assyrien. 

crimes  publics  dont  l'odieux  soit  comparable  aux  horreurs  com- 
mises journellement  par  les  Ninivites  au  nom  de  leur  dieu  (1). 


les  harnais,  les  armes,  les  trophées  de  ma 
victoire  nageaient  dans  le  sang  des  ennemis, 
comme  dans  une  rivière.  Mes  chars  de  ha- 
taille  (jui  écrasent  les  hommes  elles  animau.K 
avaient  broyé  leurs  corps.  .lai  élevé  comme 
un  Irojdiée  des  monceau.t  de  cadavres  dont 
j'ai  coupé  les  extrémités  des  membres,  .l'ai 
mutilé  ceu.\  qui  sont  tombés  en  mon  jjouvoir, 
je  leur  ai  coupé  les  mains,  je  me  suis  em- 
paré  de   leurs  bracelets,  des  monceaux  d'or. 


des  objets  qu'ils  possédaient.  »  (Prisme  de 
Taylor,  VV.  A.  I.  I,  c.  V,  1.  .56;  c,  VI,  1.  1, 
trad.  J.  Menant,  Ann.  Assyr.,  p.  223.) 

(l)  Cf.  Annalex  d'Ax.foiirbcinipal,  col.  I,  pp- 
81-111,  II.  1.  107,  III,  col  111.  107-109,  111- 
li;{,  etc.  —  Cf.  Pkizkr,  Inscbriflen  Aschur- 
nàsir-abal's,  in  Schr.\der,  Keilinxchriflliche 
Bihliolhek,  t.  I,  pp.  66-f>7.  —  Cf.  G.  Maspero, 
llixt.  (inc.  des  peuples  de  l'Orient  classique,  l.  II, 
p.  G:î8,  sq. 


3/j2 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


L'Assyrien  n'est  ni  un  artiste,  ni  un  littérateur,  ni  un  légiste  ; 
c'est  un  parasite,  appuyant  l'organisation  du  pillage  sur  une  for- 
midable puissance  militaire  (1).  Si  loin  que  s'étende  son  empire, 
partout  il  domine  et  nul  part  ne  gouverne;  ses  appétits  sont  sans 
limites  (2).  En  lui  s'incarnent,  au  plus  haut  degré,  les  défauts  et 
les  vices  de  la  politique  asiatique.  11  est,  à  ce  point  de  vue,  celui  de 
tous  les  peuples  de  l'antiquité,  dont  l'étude  soit  la  plus  intéres- 
sante. 

Les  débuts  de  l'Assyrie,  nous  l'avons  vu,  furent  obscurs.  Des 
bandes  refoulées  de  Chaldée  par  la  venue  de  nouveaux  contin- 
gents sémitiques,  ou  peut-être  aussi  par  la  conquête  élamite, 
avaient  remonté  le  Tigre;  et,  s'arrêtant  à  dix  ou  douze  jours  de 
marche  de  Babylone,  avaient  fondé  une  ville,  Assour,  et  une  prin- 
cipauté gouvernée  par  des  Patésis. 

S'étant  peu  à  peu  développée,  ayant  agrandi  son  territoire,  cette 
colonie  devint  bientôt  un  véritable  royaume  (3)  qui,  dès  le 
quinzième  siècle,  comptait  déjà  dans  la  politique  de  l'Asie. 


(1)  L'armée  assyrienne  était  rationnellement  Pouzoïir  Achir,  1520. 
organisée,  les  divers  corps  de  troupes  étaient  Achir  rimnicliechou  II,  1500. 

séparés,    le    commandement    intelligemment  

réparti.  Elle  possédait    ses  sapeurs  ou  trou-  Achir  nadinakhè,  1478. 

pes   de  siège,    son   matériel    spécial,  etc   Cf . 

Layard,  The    Mon.  of  Nineveh,  t.    I,  pi.    XIX,  Elrha  Adad. 

XX,  XXIX,  LXVI  ;  t.  II,  iil.  XLIII,  etc.  Achour  ouballit,  1418-1370. 

(2)  ■•  Pour  assurer  la  puissance  de  mes  (Ti-  Enlil  nirari,  1370-1345. 
glatphalasar  I")  armes  au.Kquelles  le  dieu  As-  .\rik  denili,  134.5-1320. 
sour,  mon   seigneur,  a    promis    la  victoire  et  Adad  nirari  l'^  1320-1290. 
l'empire    du    monde.    »    (Prismes    de    Kalah  Chmilmanacharidou  I",  1290-1260. 
Cherghat.  Cf.  J.   Menant,  1874,  Ann.  des  rois  Toukoulti  Ninib,  1260-1240. 
d'Assi/rie,  p.  37.)  Achournasirapal  I",  1240-1235. 

,  .  ,     ,      „  .  .  Achournarara,  12.30. 

(3)  Liste  des  Souverains  assyriens.  Nahou  daïan. 

(D'après  Schnabel.   Mitllieil.   der     Vordera-  Ninib  toukoulti  Achour,  1220. 

sial.  Gesellsrhnft,  1908,  I.  Achour  choum  lichir,  1210-1198. 

Enlil  Koudoiir  ousour,  1198-1192. 

Kate-Achir,  vers  2100.  Ninip  apal  Ekour,  1192-1182. 

Chalim  Alioum.  Achour  daïan  1",  1182-1145. 

llouchouma.  Moutakkil  Nouskou,  1145-1135. 

Erichoum,  vers  2030.  Achourrichichi  I,  1135-1115. 

Ikounoum,  vers  20(X).  Toukoulti  apal  Echarra  I",  1115-1100. 

Chamchi  Adad  III,  1100. 

Sankenkale  Achir,  1930  (.';  Achour  bèlkala,  1080. 

Enlilkapkapou.  Achour  rabi  II,  10(X>. 

Samsi  .\dad  I",  1870.  Achourrris  iclii  II. 

Toukoulti  apal  Echarra  IL,  9.50. 

Ichme  Dagan  I".  Achour  daïan  IL 

Samsi  Adad  II,  1815.  Adad  nirari  II,  9iiO-890. 

Toukoulti  Xinip  II,  889-885. 

Ichme  Dagan  II.  Achour  nasir  apal  II,  884-860. 

Achirnirari  I",  1700.  Choulmanou  acharidou  II,  859-825. 

Samsi  Adad  IV,  824-812. 

Achir  rabi  I,  1600.  Adad  nirari  111,811-783. 
Achir  nirari  II.  Choulmanou  acharidou  111,782-773. 
Achir  rimnichechou,  1560.  Achour  daïan  111,  772-764. 
Adad  nirari  IV,  763-755. 


LA   prépo.ndérancp:  assyrienne 


348 


Vers  1370,  Boiiniabouriyach  I,roi  cosséen  de  Babylone,  traitait 
d'égal  à  égal  avec  Assoiirouballil,  roi  d'Assour,  et  lui  donnait 
sa  fille  en  mariage. 

Cent  ans  a|)rès,  Toukoultininip,  s'étant  adroitement  immiscé 
dans  les  aflaires  de  la  Chaldée,  imposait  son  joug  à  Babylone 
même,  dont  les  souverains  devenaient  ses  vassaux    1. 

Ainsi,  l'un  des  premiers  actes  des  Assyriens,  en  politique  exté- 
rieure, fut  d'asservir  leurs  frères  du  Sud  ;  et,  pendant  la  longue 
durée  de  leur  empire,  ils  ne  cessèrent  de  les  traiter  en  esclaves. 

Mais  Babylone  se  révolta;  les  Assyriens  furent  pour  un  temps 
•chassés  de  ses  territoires  et  El  Assar  elle-même  serait  tombée 
sous  les  coups  de  Ramânbaliddin,  si  vers  1220,  Ninippalékour, 
ayant  réorganisé  ses  armées,  n'avait  écrasé  les  Chaldéens  sous 
les  murs  mêmes  de  sa  capitale. 

La  guerre  entre  les  deux  grandes  puissances  sémitiques  se 
poursuivit  sans  relâche  pendant  plusieurs  règues,  l'une  et  l'autre 
prenant  alternativement  l'offensive  ;  l'avantage  resta  aux  Assy- 
riens, populations  plus  rudes  et  plus  entraînées  à  la  guerre,  et 
Babylone  y  perdit  son  indépendance  (2). 

Ces  guerres  perpétuelles  contre  la  Chaldée  et  contre  les  tribus 


Acliour  nirari  III,  754-746. 
Toukoulli  apal  Ecliarra  III,  745-7-27. 
dioulmanou  acliaridou  IV,  726-722. 
•Charroiikin,  721-705. 
Sin  ahe  irha,  704-681. 
Acliour  ah  iddin,  680-668. 
Acliourbanipal,  667-626. 
Sin  choiim  licliir,  625. 
Achour  elil  ilani,  625-620. 
Sin  char  ichki3iin,620-iU0. 
(l)  Toukoulliniiiip  profila  de  cequeles  Elami- 
tes  venaient  de  vaincre  Belnadiuchoumou, roi  île 
Babylone.  11  aUaqiia  son  successeur  Kadach- 
man  Kliarbé   II    avant  que  celui-ci  eût  pu  se 
remettre  de   ses    désastres,    prit    Habylone, 
massacra  une    partie    de   la    population,  pilla 
les  palais  et    les   temples,  enleva  les    statues 
•des  dieu.v  (Mardouk),  les  insignes  de  la  royauté 
et  rentra  dans  Kalakh  chargé  de  butin. 

(2)  Lisle  des  souverains  cosséens  de  linhi/lone 
(D'après  les  travaux  de   Schnabel,  MiUheit. 

<ler  Vorderasiul.  Gesellschafl,  I"J08,  I.) 

Gandach,  1761-1746. 

Agoiini,  1745-1724. 

Kachliliach  I",  1723-1702. 

Ouchclii  (?1,  1701-1604. 

Abi  ratlach. 

Tachclii  gcoroumacli. 

Agouni  Kakrime. 

Karaindach  I,  1560  (?) 
Kadachniaii  Kharbe  1". 


Bourna  Bouriacli  I"-,  1520  (?). 


Kourigaizou  I"  ( 
Melichihu  I"  (?). 


Karaindach  II,  1425-1408. 
Kadachnuin  Kharbe  II,  14<J8-1388. 
Nazi  Bougach.  1  88. 
Kourigaizou  II,  1388-1382. 
Bourna  Boiiriacli  II,  1381-1352. 
Kourigaizou  III,  1351-1327. 
Nazi  Marouttach,  1326-1.301. 
Kadachnian  Toiirgou,  1300-1284. 
Kadachmaii  Kharbe  III,  1283-1278. 
Koudourri  linlil,  1277-1270. 
Chagaraklî  Choiiriach.  1269-12,57. 
Kaclililiachou   II,  1256-1240. 
Enlil  uadiii  chouiii  124H-I247. 
Kailaclinian  Kharbe  I\',  1247-1246. 
Adad  cliouui  iddin,  1245-1240. 
Ada<l  chouni  nasir  1239-1210. 
Melichihou  II,  1200-1105. 
Mardouk  apal  idiiin  I.  1194-1182. 
ZaïiKiiiia  clioiiiii  iddin.  1181. 
Bel  nadin  ahè,  1180-1178. 

Cette  dynastie  aurait  compté  trente-six  rois 
au  moins,  occupant  une  durée  de  576  ans  et 
6  mois.  vCf.  G.  Maspeko.  Ilist.  anc.  Or.  clas- 
sique, t.  II,  p.  612.  —  Knudtzo.n,  Assyrische 
Gebele  an  den  Sonnengolt,  t.  I,  p.  60.  —  HiL- 
PRECHT,  The  lidiyl.  exped.  of  Ihe  University  of 
Pennsylmnia,  t.  I,  pp.  37-38.  —  Winckleb,  Àllo- 
rienlaiische  Forschunyen,  p.  133.) 


3/14 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


du  Kurdistan  entretenaient  l'humeur  belliqueuse  des  Assyriens, 
les  exerçaient  à  la  lutte;  et  dès  que  les  rois  d'Assour  eurent 
péniblement  groupé  autour  de  leur  capitale  ce  qu'il  fallait  de  peu- 
ples et  de  terres  pour  assurer  leur  force,  on  les  vit  fondre  sur 
l'Asie,  soumettre  à  leur  joug  tout  le  monde  civilisé  de  leur  temps. 

Après  les  expéditions  de  Chaldée,  l'Assyrie  ne  cessa  de 
s'agrandir  sur  toutes  ses  frontières.  Téglatj)halasar  I  (-1),  vers 
1130,  fut  le  premier  de  ses  grands  conquérants;  il  soumit  la 
Commagène  (2),  le  pays  des  Moschiens,  les  tribus  des  montagnes 
orientales  voisines  du  Tigre,  opéra  de  fructueuses  razzias  dans 
le  massif  arménien,  dans  les  pays  du  Naïri,  soumit  au  passage 
les  restes  des  Hétéens  (3),  les  Sémites  de  l'Oronte,  une  partie  du 
Liban  et  de  la  Phénicie  :  il  fut  le  véritable  fondateur  de  l'empire- 

Chez  les  souverains  ninivites  (4),  l'usage  était  d'exécuter 
chaque  été  une  razzia  sur  un  point  de  l'Asie.  Il  était  aisé  de 
faire  naître  les  prétextes;  car  il  suffisait  de  ne  point  être  adora- 
teur d'Assour  pour  avoir  mérité  sa  haine. 

Le  pays  sur  lequel  s'abattait  la  colère  des  dieux  (5),  district 
convoité  pour  ses  richesses,  était  alors  mis  à  sac,  dévasté  et  ses 
biens  partaient  pour  Ninive  (6),   accompagnés  d'une  partie    de  la 


(1)  Pour  l'histoire  de  ce  souveniin.  Cf. 
Rawlinson,  Cun.  Iinicr.  W.As.,  l.  I,|)l.  IX-XVI. 
—  WiNCKi.El!,  Sitmmluiuj  von  Keilsrlirifteii, 
I,  PI).  1-25.  —  LoTz,  Die  Insihriflen  Ttyldllipile- 
zers,  l,  pp.  12-188,  etc. 

(2)  "  Dans  ce  temps-là,  j'ai  (Teglatphala- 
sar  I")Tnarcht'  contre  le  pays  «le  Koummoukh, 
qui  m'était  rebelle.  Il  avait  refusé  au  dieu 
Assour,  mon  seigneur,  les  trihus  et  les  rede- 
vances qui  lui  sont  dus  ;  j'ai  envahi  tout  le 
pays  de  koummoukh  (la  Commagène).  .l'en  ai 
emporté  des  esclaves, des  butins,  des  trésors; 
j'ai  incendié  leurs  villes,  je  les  ai  démolies, 
je  les  ai  détruites.  ■>  (Prismes  de  Kalah  Cher- 
ghat.  —  Cf.  J.  Men.knt,  1874,  Ann.  des  rois 
d'Asxj/rie,  p.  36.) 

(3)  Peut-être  les  Assyriens,  en  abordant  les 
Hittites,  espéraient-ils  se  l'endre  maîtres  des 
régions  minières  de  l'Asie  Mineure,  de  l'Ania- 
nus  et  du  Taurus.  U  est  à  remarquer  que  les 
principaux  districts  miniers  de  l'Asie  anté- 
rieure se  trouvaient  très  éloignés  de  Ninive, 
et  que  cependant  ce  sont  eux  rpii  lui  fournis- 
saient, soit  par  le  commerce,  soit  par  le  pil- 
lage, les  métaux  dont  elle  avait  besoin.  Les 
mines  du  Petit  Caucase  débitaient  le  cuivre  en 
anneaux  suivant  le  système  pon<léral  assyrien. 
(Cf.  J.  DE  MoRG.\N,  Misa.  se.  au  Caucase,  t.  I, 
p.  109.) 

(4)  Les  titres  que  se  donne  Sennachérib (Cy- 
lindre de  Beliino,  Layard,pl.  LXIU,  I.  2.  Trad. 
J.  Menant,  Ann.  des  ro/.s  d'As.-ii/rie,  p.  225) 
résument  fort  bien  le  caractère  des  roisd'As- 


sniiiv  «  Sennakilérib,  roi  grand,  roi  puissant, 
roi  du  pays  d'Assour.  roi  des  nations,  pasteur 
suprême,  adorateur  des  Grands  Dieux  (Assour 
et  Isl.-ir),  fidèle  à  la  foi  jurée,  observateur  des 
traités,  exécuteur  de  la  justice,  marchant 
dans  le  sentier  du  droit,  le  juste,  le  vaillant, 
le  fort,  le  terrible,  le  premier  des  i)rinces, 
celui  (|ui  ané.Mitil  ses  ennemis.  » 

(5)  «  Dans  ma  quatrième  cam|)agne.  je  mobi- 
lisai mon  armée  el  la  dirigeai  contre  Akhchèri, 
roi  des  Mannéens,  sur  l'ordre  de  .Vssour.  Sin, 
Chamach,  Ramman,  Bel.  Nabou,  Ichiar  de  Ni- 
nive, Ichtar-Kilmouri,  Icbtar  d'Arbèles,  Ni- 
nip,  Nergal,  Nouskou  ;  j'entrai  chez  les  Man- 
néens et  m'v  promenai  victorieux  »  fCi/l.,  col.  II, 
120-130,  trad.j. 

(6)  .\ssour  nazir  habal  ayant  mis  le  siège 
•levant  Karkemich,  les  Hétéens  rachetèrent 
leur  ville  par  des  présents  ;  c'étaient  «  des 
coupes  d'or,  des  chaînes  d'or,  des  lames  d'or, 
100  talents  de  cuivre,  250  talents  de  fer,  des 
dieux  de  cuivre  sous  la  forme  de  taureaux  sau- 
vages, des  vases  de  cuivre,  une  bague  ('?)  de 
cuivre,  le  somptueux  mobilier  d'une  résidence 
royale,  des  lits  el  des  trônes  de  bois  rares  et 
d'ivoire.  2(X)  femmes  esclaves,  des  vêtements 
el  des  étoffes  de  diverses  couleurs,  du  cristal 
noir  el  bleu  (améthyste),  des  pierres  précieu- 
ses, des  défenses  d'éléphant,  un  chariot  blanc, 
de  ])etites  statuettes  en  or,  ainsi  que  de  sim- 
ples chars  et  des  chevaux  de  guerre.  »  (/n.s-rr. 
du  palais  dé  Niinroud,  col.  III,  I.  71,  trad.  Me- 
nant.) 


LA     FUKPONDÉRANCE    ASSYRIENNE 


345 


population  réduite  en  esclavage  (1);  le  temple  avait  sa  large  part 
des  dépouilles,  de  même  (jue  le  trésor  royal;  le  reste  était  par- 
tagé entre  les  principaux  feudataires  d'Assour  ou  vendu  sur  la 
place  publique;  les  hommes,  les  femmes,    les   enfants,  le  bétail 


Le  premier  Empire  assyrien  (2). 

s'écoulaient  en  énormes  troupeaux  (3)  vers  les  terres  encore  libres, 
que  les  vaincus  cultivaient  (/i)  pour  le  compte  d'Assour,  tandis  que 
les  Assyriens  menaient  ailleurs  d'autres  campagnes  de  dévastation. 


(1)  «J'ai  (Sennachérib)  emmené  comme  ca\)- 
tifs  (du  pays  des  Juifs)  200.150  personnes  de 
tout  âge.  des  hommes,  des  femmes,  des  che- 
vaux, des  ânes,  des  mulets,  des  chameaux, 
des  bœufs  et  des  moutons  sans  noml)re... 
Alors,  la  crainte  immense  de  Ma  Majesté  ter- 
rifia Kliazakiaou  (Ezechias),  roi  du  pays  de 
Vaouda  ides  .Juifs),  il  contrédia  les  troupes 
(|u'il  avail  réunies  pour  la  défense  de  la  ville 
d'Oursalimmi  (Jérusalem),  sa  capitale,  et  il 
envoya  des  ambassadeurs  vers  moi,  dans  la 
ville  de  Ninoua,  ma  capitale,  avec  30  talents 
d'or,  800  talents  d'argent,  des  métaux,  des 
pierreries,  des  perles...  du  bois  de  santal,  de 
l'ébène,  le  contenu  de  son  trésor,  ses  filles,  les 


femmes  de  son  palais,  ses  esclaves  mâles  et 
femelles,  et  il  délégua  vers  moi  son  ambassa- 
deur pour  m'olTrir  des  tributs  et  faire  sa  sou- 
mission. (J.  Me.na.nt,  187't,  Aitn.  Asxijr.,  pp. 
218-219.)  ' 

(2)  D'après  G.  Maspero,  Hisl.anc  despeuples 
de  l'Orienl  classique,  t.  II,  p.  bW. 

(3)  Cf.  Lavais  D.  TIte  mnnnmenls  oj  Ni- 
ni(v/i,  t.  I.  pi.  LVllI.  LX,  LXXIV  ;  t.  n,  pi. 
XXVI,  X.XIX.  XXX.  XXXI,  XXXIV,  XXXV, 
XXXVII,  XLII  figurant  «les  troupeaux  de 
captifs. 

(l)  Cf.  Delattre,  le  Peuple  et  l'Emp.  des 
Mèdes,  p.  110,  sq.  le  rôle  des  colonies  et  des 
captifs  dans  l'Empire  assyrien. 


346 


LES    PREMIERES    CIVILISATIONS 


Tout  pays  ayant  attiré  une  fois  la  colère  ou  mieux  la  cupidité 
du  roi  était  dès  lors  en  servitude;  chaque  année,  il  devait  payer 
tribut  (1)  et,  s'il  y  manquait,  était  considéré  comme  en  état  de 
rébellion. 

Les  x\nnales  assyriennes  abondent  en  récits  d'expéditions  des- 
tinées à  ramener  dans  l'obéissance  des  peuples  révoltés  (2),  et  la 
cruauté  de  la  soldatesque  s'y  révèle  dans  toute  son  horreur. 
Les  rois,  dans  leurs  inscriptions  triomphales,  se  plaisent,  en 
effet,  à  décrire  les  supplices  infligés  aux  vaincus  ;  ils  le  font 
afin  de  semer  la  terreur  chez  ceux  qui  ont  déjà  supporté  le 
poids  de  leurs  armes,  afin  d'avoir  toute  liberté  d'action  sur 
leurs  frontières,  et  d'être  à  même  de  dévaster  des  pays  encore 
vierges. 

L'Assyrien  est  soldat,  scribe  et  gouverneur  des  pays  conquis; 
au-dessous  de  lui  est  l'esclave,  qui  le  nourrit  de  son  labeur.  Cet 
homme,  libre  la  veille,  réduit  dès  lors  à  la  perpétuelle  dé- 
sespérance, n'est  plus  qu'une  sorte  de  bétail,  dont  on  vend 
les  enfants  alors  que,  lui-même  aussi  n'est  qu'une  marchandise. 

Ces  principes,  l'Assyrie  y  manquait  parfois  pour  des  raisons 
d'intérêt  qui  la  plupart  du  temps  nous  échappent.  Ninive  trai- 
tait alors  certains  peuples  avec  ménagements,  leur  reconnais- 
sant des  droits  et  des  privilèges. 

Le  bruit  des  victoires  de  Téglatphalasar  1  se  répandit  jusqu'en 
Egypte,  d'où  le  Pharaon,  par  politesse  diplomatique,  lui  envoya 
des   présents;  mais,  dans  ses  inscriptions,  le  roi  d'Assour  consi- 


(1)  «  De...  Chun,  du  pays  de  Patin,  je  reçus 
3  talents  d'or,  KX)  talents  d'argent,  3(HJ  talents 
de  cuivre,  300  talents  de  fer,  1.(hh)  vases  de 
cuivre,  1.000  vêtements  d'étoffe  brodée  et 
d'étotîe  de  lin,  sa  fille  avec  une  dot  considé- 
rable, 20  talents  de  bleu,  500  bœufs,  5.0iK)mou- 
lons  ;  je  lui  imposai  un  tribut  de  1  talent 
<ror,  2  talents  de  bleu,  KX)  madriers  de  cèdre 
que  je  reçus  chaiiue  année  dans  ma  ville 
d'Assour.  De  Khayanou,  fils  de  Gabbari,  habi- 
tant au  pied  de  1  Amanus,  je  ri'çus  10  talents 
<l'arsfnt,  90  talents  de  cuivre,  90  talents  de 
fer,  300  vêtements  d'étoiïe  brodée  et  d'étoffe 
de  lin,  300  bœufs,  3.000  moutons,  200  madriers 
lie  cèdre,  700  homerx  de  résine  de  cèdre,  sa 
fille  avec  une  dot.  Je  lui  imposai  un  tribut  de 
10  mines  d'argent.  2O0  madriers  de  cèdre,  100 
liomerx  de  résine  de  cèdre  que  je  reçus  cha- 
que année.  De  Arannui,  fils  d'Agousi,  je  reçus 
lO'mines  d'or,  6  talents  d'argent,  ,^iOO  bœufs, 
5.000  moulons.  De  Sangara  de  Kargamich,  je 
reçus  2  talents  il'or,  70  talents  d'argent,  30  ta- 
lents de  cuivre,  100  talents  de   fer,  20  talents 


de  bleu,  .%0  armes,  sa  fille  avec  une  dot  et 
1(K)  d'entre  les  filles  de  ses  grands,  .'SOO  bœufs 
et  .'S.iKX)  moutons  ;  je  lui  imposai  un  tribut 
d'une  mine  d'or,  de  1  talent  d'argent  et  de 
2  talents  de  l)leu,  et  le  reçus  annuellement.  • 
(Salrn.  Aniiaud  Scheil,  pp.  21-23.) 

(2)  Lorsque  les  rois  d'Assour  ne  pouvaient 
commander  en  personne,  ils  confiaient  la  di- 
rection des  campagnes  à  leurs  généraux.  «  J'ai 
(Samsi-Ramman)  envoyé  Moutarrits  Assour... 
vers  le  pays  de  Naïri.  U  s'avança  jusqu'à  la 
mer  du  soleil  couchant  ;  il  enleva  3.0(»  villes  à 
Khirtzina,  fils  de  Migdiara,  11  capitales  vl  200 
villes  à  Ouspina.  Il  tua  beaucoup  des  leurs  ; 
il  fit  des  i)risonniers,  il  s'empara  de  leurs  tré- 
sors, do  leurs  dieux,  de  leurs  fils,  de  leurs 
filles  ;  il  détruisit  ces  villes,  il  les  ravagea  ; 
il  les  livra  aux  flammes  ;  en  revenant,  il  tua 
beaucoup  de  monde  au  pays  de  Soumbaya,  et 
il  imposa  des  chevaux  en  tribut  à  tous  les  rois 
d;i  pays  de  Naïri.  (J.  Menant,  1874,  Ann.  As- 
syr.,  p.  120.) 


LA  im\i:pondérance  assyrienne  Su? 

dère   ces   cadeaux  comme  un  tribut,    un  acte   de   soumission  de 
l'Egypte  à  son  égard  {!). 

La  Chaldée  se  révolta  de  nouveau;  Téglatphalasar  I  la  rava- 
gea,   reprit  Babylone  et  arrosa  de  sang  tous  les  pays   du  Sud  (2). 

Mais  le  pouvoir  ninivite  s'aiïaiblit  vers  le  onzième  siècle,  sous 
les  successeurs  du  conquérant  et  sous  Téglatphalasar  lui-même  (3)  ; 
soit  que  les  guerres  eussent  épuisé  l'armée  assyrienne,  soit  que 
le  nouveau  domaine  de  Ninive  fût  trop  vaste  par  rapport  aux 
forces  militaires  dont  elle  disposait,  les  peuples  tributaires 
secouèrent  le  joug. 

Battus  par  les  lléléens,  les  Assyriens  j)erdirent  la  Syrie,  une 
partie  deNaïri  et  encore  une  fois  la  Chaldée  (/i),  le  Kurdistan  (5), 
l'Arménie.  A  peine,  vers  le  début  du  neuvième  siècle,  restait-il, 
aux  conquérants  de  la  veille,  la  banlieue  de  leur  capitale. 

Comme  les  souverains  Akkadiens  et  Klamites,  comme  les  Pha- 
raons, les  rois  d'Assyrie  savaient  conquérir,  exploiter  les  vain- 
cus, mais  non  organiser  leurs  conquêtes  ;  et  les  exactions  des 
faibles  contingents  qu'ils  laissaient  dans  chaque  pays  tributaire 
étaient  plutôt  une  excitation  à  la  révolte,  que  ces  garnisons  elles- 
mêmes  n'étaient  une  assurance  de  domination.  En  cent  ans  à 
peine,  ils  s'étaient  emparés  de  presque  toute  l'Asie,  imposant  au 
vieux  monde,  fatigué  de  luttes  séculaires,  les  volontés  d'un  peuple 
jeune  ;  mais  malgré  leur  affaiblissement,  les  anciens  royaumes 
avaient  enfin  secoué  le  joug,   et  l'Assyrie  fut  près  de  sa  perte. 

Cette  période  d'humiliation  dura  plus  d'un  siècle,  qu'Assour 

(1)  Les  souverains  musulmans    de  la  Tur-        Nabou   Uoudourri  ousour,  1152-1124. 
<iuie,  de  la  Perse  el  du  Maroc  ne  faisaient-ils        Enlil  nadin  apli,  1123-1117. 

pas  accroire  à  leurs  sujets,  il  y  a  bien  peu  de  Mardouk  nadin  abê,  1116-1105. 

temps   encore,   que  les    présents   qu'ils   rece-  Illi  Mardouk  balatliou,  Iin5-10il5. 

vaienl  des  cours  européennes  nélaient  autres  Mardouk  cbapik  zer  mati,  109,5-10'Jl. 

que  des  tributs  ?  Adad  a|.al  iddin,  lOnO-lOnO. 

(2)  «Il   (Téglali)balasar)   domina   depuis    la  Mardouk  ..1068. 
ville  de  Babilou  (Baliylone),    qui    est    située  Mardouk...  1067-1055. 

dans  le  i)ays  des  Akkads,   jusqu'au  pays  d'A-  Nabou  cboum  licbir,  1054-104G. 
mourrida  l'hénicie).  »  (IF.A./.J.pl.XXVilLc.l.) 

(3)  Les  dieux  Adad  (Ramnian)  et  Cbala,  les  Naboukodorosor,  contemporain  d'Acbcliour 
dieux  de  la  ville  d'Ekallàte  que  Mardoiik-na-  ricbiclii  (vers  1150),  battit  les  Assyriens,  mais 
din-Ousour,  roi  du  pays  d'Akkad,  au  temps  <le  fut  défait  lui-même  sous  les  murs  (l'El  Assar, 
Téglatpbalasar,  roi  du  pays  d'Assour,  avait  et  les  deux  Etats,  l'Assyrie  et  laCbaldée,  fu- 
pris  et  apportés  à  Babilou,  après  418  années,  rent  égaux  pour  un  temps. 

je  (Sennacbérib)  les  ai    enlevés  de  Babilou  et  (5)  Les  premiers  contacts  de  l'Assyrie  avec  la 

"les  ai  remis  à  leur  place  dans  la  ville  d'Eka-  Médie  sembleraient  êtrt-  vers  le  douzième  .-iè- 

iâte  [W.  A.  /.,  IIÏ,  pi.  XIV,  1.  48et  ,50).  de  av.  .L-C.  lors  de  l'expédition  de  Téglatiiha- 

(4)  La  dynastie  dite  de  Paché  régnait  alors  lasar  P^  au  sud  du  Zab  inférieur  (Prisme  de 
sur  la  Cbaldée.  Voici  la  suite  de  ses  rois,  telle  Téglatplialasar  I")  mais  jamais  ce  prince  ne 
que  nous  la  connaissons  aujourd'hui  :  poussa,  comme    on   l'a   dit   (MEyAyr,  Annales 

rois  Assi/r.,  ]).  34)  jusqu'aux  plages  de  la   mer 
Mardouk...  1177-1159.  Caspienne    (Delattrk,   le    Peuple     et    l'Emp. 

X,  11.58-1153.  des  Mèdes,  etc.,  1883,  p.  38). 


3/|8 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


employa  utilement  à  réparer  ses  désastres,  à  refaire  son  armée,  à 
organiser  son  propre  territoire  ;  et,  quand  Tougoullininip  II  monta 
sur  le  trône,  en  889,  l'Assyrie  disposait  de  forces  suffisantes  pour 
recommencer  l'ère  des  conquêtes. 

Cent  ans  de  paix  relative  n'avaient  pas  modifié  le  caractère  de 
ce  peuple;   il   avait  soufTert  dans   son   orgueil,  dans   son  intérêt; 
ses  haines  s'étaient  accrues,  et  avec  elles  la  soif  du  bien  d'autrui. 
Peu  après  ses  défaites,  au  moment  où,  dans  le  recueillement, 
il  se  préparait  pour  de  nouvelles  guerres,  Assour  jugea  que  la  po- 
sition stratégique  de  sa  capitale 
ne  répondait  pas  aux  aml)itions 
de  sa  nation.  Proche  de  la  Chal- 
dée  et  de  l'Elam,  ses  plus  puis- 
sants adversaires,  découverte  du 
côté    de  la    Syrie,  cette  capitale 
se  trouvait  trop  exj^osée.  Assour- 
rasiiahal  111  transporta   vers  le 
Nord  le    sièo-e  de    son   gouver- 
nement  (1)  et  l'installa  à    Nim- 
roud  (Kalakh)  (2),  bourgade  fon- 
dée cinq  siècles  auparavant  par 
Salmanasarl  comme  poste  avan- 
cé contre  les  peuplades  turbu- 
lentes du  Haut-Tigre.    La  posi- 
tion de  Niniroud  {présentait  comme  capitale  de  grands  avantages 
sur  Assour;  située    au  confinent  du  Zab  supérieur  et    du  Tigre, 
adossée  aux  montagnes  kurdes,  elle  était  défendue  vers  l'Occident 
et  le  Sud  par  ses  deux  fleuves. 

Plus  tard,  lorsque,  reportant  leur  résidence  à  Ninive,  les  rois, 
à  l'époque  de  Sargon,  délaissèrent  Kalakh,  ce  ne  fut  que  par 
fantaisie;  car  les  deux  sites,  très  voisins  d'ailleurs  l'un  de  l'autre, 
présentent  la  même  valeur  aux  points  de  vue  politique  et  straté- 


Le  triangle  de  l'Assyrie  (B). 


(1)  Déjà  Salmanasar  I"  avait  lemporaire- 
menl  habile  Kalakh  avec  sa  cour.  (Cf.  G. 
Maspero,  Hisl.  nnc.  des  peupL  Or.  clans.,  t.  II, 
p.  609.) 

(2)  "  La  ville  ancienne  de  Kalakh,  celle  qui 
avait  été  hâlie  par  Salmanasar,  roi  du  pavs 
(l'Assour,  le  prince  (pii  régna  avant  moi,  était 
loniliée  en  ruines,  elle  était  devenue  comme 
un  monceau  de  décombres.  J'ai  rebâti  cette 
ville; j'y  ai  réuni  les  peuples  que  ma  main 
avait  soumis,  les  habitants  des  pays  vaincus. 


ceu.v  du  pays  de  Soukbi,dupays  de  Lakiedans 
son  entier,  de  la  ville  de  Sirqou  sur  le  bord  du 
fleuve  Poiirat,  du  pays  de  Zamouya  et  de  tou- 
tes les  tribus  qui  en  dépendent,  du  pays  de 
Bit  Adini,  du  pays  de  Kbatti  (la  Syrie),  et 
ceu.x  lie  Libourna  (roi)  du  pays  de  Kbatti.  » 
(J.  Menant,  1874,  Ann.  des  rois  d'Assi/rie, 
p.  i>2,  Assour  nazir-Habal.) 

(.S)  D'après  G.  Maspero, ///s/,  anc.  des  peuples 
de  rOrienl  classique. 


LA     PRKPONDKUANCE     ASSVHIKNXE  3/^9 

giqiie.  Ninive  fut  le  Versailles  de  Ninuoud,  mais  un  Versailles 
fortifié,  un  arsenal  (1)  en  même  temps  qu'un  palais;  tandis  que 
les  grandes  demeures  des  dieux  étaient  restées  dans  les  anciennes 
capitales. 

Dès  que  l'Assyrie  se  sentit  assez  forte  pour  entreprendre  de 
nouvelles  campagnes,  elle  fit  valoir  les  droits  que  lui  donnaient 
ses  anciennes  conquêtes,  et  considéra  comme  rebelh's  les  peuples 
qui,  sous  Téglatphalasar  I,  avaient  subi  son  joug  et  repris  depuis 
leur  liberté. 

C'est  vers  Fan  884  av.  J.-C.  qu'Assournazirpal  (2)  entra  en 
guerre.  11  dirigea  d'aliord  ses  pas  vers  les  pays  voisins  de  l'Assy- 
rie, les  monts  du  Kurdistan,  TArménie  (3:,  la  Commagène,  afin 
d'assurer  la  banlieue  de  sa  résidence.  Un  soulèvement,  inlei-rom- 
pant  cette  campagne,  le  ramena  en  Mésopotamie;  mais  à  son 
approche  les  révoltés,  jetant  leurs  armes,  implorèrent  son  pardon, 
11  fut  impitoyable,  jugeant  qu'un  exemple  était  nécessaire. 

«  J'en  tuai,  dil-il,  un  sur  deux.  Je  bâtis  un  mur  devant  les 
grandes  portes  de  la  ville  ;  j'écorchais  (vif)  les  chefs  de  la  révolte 
et  je  recouvris  ce  mur  de  leurs  peaux.  Quelques-uns  furent  murés 
vifs  dans  la  maçonnerie,  quelques  autres  empalés  au  long  du 
mur  ;  j'en  écorchai  un  grand  nombre  en  ma  présence  et  je  revêtis 
le  mur  de  leurs  peaux  ;  j'assemblai  leurs  têtes  en  forme  de  cou- 
ronnes et  leurs  cadavres  transpercés  en  forme  de  guirlande  (/j).  » 

C'est  ainsi  que  délmta  le  second  empire  d'Assyrie.  Assour- 
nazirpal,  de  retour  de  cette  expédition,  mit  à  feu  et  à  sang  en  881, 
le  Zagros,  montagnes  dont  il  était  important  de  fermer  les  cols; 
en  880  l'Arménie,  où  le  royaume  d'Ourarthou  (Van)  était  pour  le 
haut  Tigre  une  perpétuelle  menace;  en  879  les  districts  des  envi- 
rons de  Diarbekir  les  montagnes  du  haut  Khabour  ;  il  vainquit  en 


(1)  "  Alorsj'ai  (Sennachêrib)  achevé  cepalais  of  Ihe  Pasl.,'î'  fiév.,  t.  [I,  p.  128-177.  —  Sciiua- 
au  milieu  de  Ninoua,  pour  la  demeure  de  ma  deu,  Ketlinschrifllische  Bibliol.,  t.  I,  p.  50-119. 
royauté.  J'ai  élevé  des  tours  (?)  pour  l'admi-  (3)  C'est,  semble-l-il,  vers  le  neuvième  siècle 
ration  des  hommes,  ce  palais  avait  été  cons-  av.  J.-C.  que  se  constituèrent  les  royaumes 
trait  parles  rois,  mes  pères,  pour  y  déposer  de  Mannaet  d'Ourarthou  ;autrefoisces  peuples 
des  richesses,  pour  y  exercer  les  chevaux,  se  confondaient  avec  les  autres  tribus  du 
pour  y    loger  des    troupes.    Ses    fondations  Naïri. 

n'étaient  plus  solides,  j'ai  entièrement  démoli  (4)  Les    cruautés  d'Assournazirabal    ont  été 

cette   antique   demeure.   «   (J.    Menant,    1874,  exagérées   par  Gutschmid  {.Veue  Ueiirueije  zur 

Ann.  assyr.,  p.  -224.)  Gescluchle  des  Allen  Orienls,  p.  Ii8,  sq  ),  atté- 

(2)  Cf.  J.  Oppert,  Hist.  emp.  Chaldée  el  nnées  i)ar  liommel  {Geschichle  Babyloniens  und 
Assyrie,  p.  72-102.—  J.  Menant,  Ann.  des  rois  Assyriens,  p.  588).  La  note  juste  sur  la  ques- 
d' Assyrie,  p.  66-93.  —  Rodwell,  Annals  of  lion  a  été  donnée  par  Tiele  (/irt6;//o«/.sc/i-A.ssy- 
Assur-Nasir-pal, in /îecor</.so/"//îeP«.-{/.,l" série,  rische  Geschichte,  p.  177).—  G.  Maspero,  Hisl. 
t.  in,  p.  37-80.  —A. -H.  Sayce,  The  Standard  anr.  peuples  Orient  classique,  t.  111,  p.  51, 
nscriptioa    of  Assur-Natsir-pal.    in    Records  note  3. 


350 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


877  les  Hétéens  sur  l'Euphrate  moyen,  s'ouvrant  ainsi  le  che- 
min de  la  Syrie  (1),  et  s'avança  jusqu'aux  plages  de  la  Méditer- 
ranée (2). 

Salmanasar  (3),  son  successeur,  entra  en  campagne  dès  son 
avènement  au  trône  (860),  traversa  l'Oronte,  envahit  la  Syrie  (Zi), 
vit  aussi  la  Méditerranée,  défit  en   854   le  roi  de   Damas  (5)  sans 


Les  pays  du  Xaïri  au  ix^  s.  av.  J.-C.  (fi). 

toutefois   entamer    son    royaume  ;   puis   rappelé   en    Chaldée   par 
une  nouvelle  révolte  de  Babylone  en  852,  répandit  la  terreur  dans 


(1)  «  J'ai  (Achchoiir-nazir-habal)  relevé  le 
courage  et  la  force  de  mes  soldats.  Ils  s'abat- 
tirent sur  la  ville  (de  Piloura,  au  pays  de 
Dirra)  comme  des  oiseaux  de  proie.  J'ai  pris 
la  ville,  j'ai  fait  passer  800  hommes  par  les 
armes,  je  leurai  coupé  la  lèle;  un  grand  nombre 
de  prisonniers  tombèrent  dans  mes  mains, 
j'ai  livré  aux  flammes  leurs  demeures,  j'ai 
élevé  un  mur  devant  la  porle  de  la  ville  avec 
les  cadavres  des  prisonniers.  J'ai  fait  ti'anclicr 
leur  tète,  j'ai  fait  mettre  en  croix  devant  la 
grande  porte  700  hommes,  j'ai  ravagé  la  ville, 
je  l'ai  démolie,  j'en  ai  fail  un  monceau  de 
ruines,  j'ai  brûlé  leurs  llls  et  leurs  filles.  ■>  (Cf. 
J.  MENA^T,  1874,  Ànn.  de  /'A.s.s(/r/e,  p.  81.) 

(2)  Le  point  où  Assour-nazir-pal  loucha  la 
mer  ne  saurait  être  fixé  exactement.  (<;f. 
G.  Maspero,  Hist.  nnr.  jieujilex  Orient  clii:isique, 
t.  m,  p.  il.  —  BoscAWEN,  The  monum.  and 
inscr.  on  the  rocks  at  tlie  Nakr  ef  Kelb,  in 
Trans.Soc.  Dibl.  Arch.,  t.  VII,  p.  339.) 

(3)  «Je  suis  Salmanasar,  le  roi  des  légions 
des  hommes,  le  souverain,  le  mandataire 
d'Assour,  le  roi  puissant,  le  roi  des  quatre 
régions  de  Chamach  et  des  légions  des  hom- 
mes, le  vainqueur  de  tous  les  pays,  fils  d'As- 


sour-Natzir-Habal,  le  seigneur  suprême,  dont 
la  puissance  émane  des  grands  dieux  et  qui 
soumet  toute  la  terre  à  son  empire  ;  descen- 
dant de  Téglatphalasar  qui  réduisit  sous  sa 
puissance  tous  les  jiays  et  les  couvrit  de 
ruines,  ..  (J.  Me.nant,  1874,  Ann.  Aft.sijr.,  p.  97, 
sq.) 

(4)  En  Palestine,  «  à  partir  du  douzième- 
onzième  siècle,  le  l)ays  a  de  nouveau  changé 
de  maîtres.  Comme  s'il  était  devenu  fermé  aux 
relations  extérieures,  son  art  ne  s'alimente  i)Uis 
des  créations  étrangères;  il  se  développe  sans 
progresser  ])ar  la  modification  des  formes 
antiques  et  une  tendance  marquée  à  sacrifier 
la  préoccupation  artisti([ue  au  souci  utilitaire.  » 
(H.  ViNCE.NT,  Canaan,  1907,  \).  20.) 

(5)  Le  royaume  de  Damas  devenait  de  jour 
en  jour  plus  puissant;  il  avait  soumis  à  sa 
vassalité  Hamalh,  Israël,  Ammon,  ])lusieurs 
tribus  arabes,  les  Iduméens,  les  principautés 
de  la  Phénicie  septentrionale,  Ousanata, 
Chianou,  Irkanala,  etc.  (Layaud,  InucrijilionK, 
pi.  XIV,  1.  16,  17,  3-2,  33,  45,  46.  —  Scuradeb, 
Keilinsrhriflen  und  Geschichlsforscliung.,   p.  46 

(6)  D'après  G.  Maspero,  Hisl  anc.  des  peuples 
de  l'Orient  classique,  t.  III,  p.  15. 


LA     PHKPONDÉHANCE     ASSYRIENNE 


351 


ce  pays  jusqu'aux  rives  du  golfe  Peisique  (1),  retourna  en  8/i5 
sur  le  haut  Euplirate,  razzia  en  8/1^4  le  nord-ouest  du  plateau 
iranien,  Kurdistan  (2)  et  Azerbaïdjan  de  nos  jours;  tourna  en  843 
ses  armes  contre  les  gens  de  l'Amanus,  sujets  ou  alliés  des  Hé- 
téens  (3);  vain(|uit  une  seconde  fois  le  roi  de  Damas  qu'il  ne 
réduisit  que  peu  après,  descendit  jusqu'au  llaurân,  imposa  tribut 
aux  rois  de  Tyr,  do  Sidon,  de  Oébel  (8ZiO);  puis,  se  retournant 
vers  le  Nord,  parcourut  à  nouveau  l'Amanus,  la  Cilicie,  s'empara 
de  Tarse  (831)  et  d'une  partie  du  pays  d'Ourarthou  (Van)  (/i). 

Chamchiramau,  son  fils,  continua  l'œuvre  dévastatrice  de 
son  père  ;  il  porta  ses  armes  en  Médie  (5),  jusqu'au  pays  des 
Parsouach   (6),    près   du    lac    d'Ourmiah,    vainquit   JJabylone    (7), 


(1)  Les  Assyriens  s'emparèrent  d'Enzoudi, 
Bil-Adini  posa  les  armes,  Bit-Yakîn  et  Bit- 
Amoukkàni  se  rachetèrent,  donnant  or;  argent, 
étain,  cuivre,  fer,  bois  d'acacia,  ivoii-e,  cuir 
d'éléphant,  etc.  (Amiaud-Sciieil,  Inscr.  de 
Sdliixindsar  II,  p.  i-2-51.  —  PElZEn-WirvCKLER, 
Die  Soyemmnle  Siinchronixlisrlie  Gesrhiclile.  — 
ScHR  ADEK,Keilii)schrifl  II  Kclieliibliol.,l.l,'H)0-'20\.-) 

(2)  L'inscription  de  Salmanasar  III  nous 
fournit  la  piemière  mention  des  Mèdes  clas- 
siques, Aniadai  étant  une  forme  en  a  pro- 
thétique  de  Madai,  comme  Agouzi,  Azala 
à  côté  de  Gouzi  et  de  Zala.  Cette  identifi- 
cation, reconnue  dès  le  début  par  H.  Raw- 
linson  (J.  B.  As.  Soc,  l"  sér.,  t.  XV,  p.  242),  n'a 
guère  été  contestée  que  par  Delaltre  (le  Peu- 
ple et  l'Empire  des  Mèdes,  p.  74).  L'Araziash, 
placé  trop  à  l'est  ;dans  la  Sagarténe  par 
Fr.  Lenormant  (Lettres  assi/riologiques,  t.  I, 
p.  25)  a  été  ramené  plus  à  l'est  par  Schrader 
(Keilinschriflen  und  Geschiclitsforschuiuj,  p.  178), 
au  cours  supérieur  de  la  Kerkha  ;  mais  les 
documents  de  toute  époque  cités  par  Schrader 
lui-même  (op.  cit.,  p.  172-173)  nous  le  montrent 
attenant  d'une  part  au  Kharkar,  c'est-à-dire 
au  bassin  du  Gamas-àb,  d'autre  part  aux 
Mèdes,  c'est-à-dire  au  pays  de  Hamadan.  Il 
faut  donc  le  placer  entre  les  deux,  dans  la  |iar- 
tie  nord  (b;  la  Gambadène  antique  (Isidore  -le 
Charax,  §  85,  ds  Muller-Didot,  Geogr.  Graeri 
minores,  t.  I,  p.  250),  dans  le  Tchamabadan 
actuel.  Le  Kharkhar  se  trouverait  en  ce  cas 
dans  la  partie  méridionale  de  la  Gambadène, 
sur  la  grand'route  qui  mène  des  |nirtes  du 
Zagros  à  Hamadan,  comme  Lenormant  l'av.iit 
déjà  indicpié  mais  en  lui  lu-êtantune  extension 
trop  forte  (Lettres  assyrioloyiques,  t.  I,  P-  24, 
43-44).  L'examen  des  conditions  générales  du 
pays  me  porte  à  croire  que  la  ville  de  Kharkhar 
devait  occuper  le  site  de  Kirmanchaliau,  ou 
plutôt  de  la  cité  antique;  qui  a  précédé  cette 
ville.  (J.  DE  MoncAN,  Mission  scientifique  en 
Perse,  Etudes  géographiques,  t.  II,  p.  100-lOi.) 
[G.  Maspero,  llisl.  une.  des  peuples  de  l'Orient 
classique,  t.  III,  p.  8it,  note  4.J  Lntre  les  portes 
du  Zagros  (|)ays  de  Bâtir.  Gf.  Stèle  de  Zohàb) 
et  Hamadan,  les  seuls  <listricts  ayant  été 
susceptibles  de  foi-mer  des  principautés  sont  : 
1°    Kérind,     2»    Ilàrouiiâhàd,     3°    Mahidechl, 


4°  Kirmanchahan  (avec  ses  ruines  importantes- 
à  Ser  Ab,  à  l'ouest  de  la  ville;,  5°  Bisoutonn- 
Takht  é  Ghirin,  G»  Kengàver,  7°  .\sadàbâd, 
8°  Néhàvend  sur  le  haut  Gamas  Ab.  A  mon 
sens  le  pays  d'Araziash  aurait  occupé  la  région 
de  Kengàver-Asadabad,  située  au  nord  du 
Gamas  Ab,  au  sud-ouest  d'Ecbatane  et  à  l'est 
de  Kharkhar.  Ce  district  renferme  une  grande 
quantité  de  ruines.  (J.  M,) 

(3)  Salmanasar  cherchait  à  briser  le  pouvoir 
de  la  race  hétéenne  en  Syrie,  afin  de  s'emparer 
des  gués  de  l'Eiiphrate  ainsi  que  de  la  grande 
voie  qui  amenait  les  marchandises  de  Pliénicie 
aux  trafiquants  de  Ninive  ;  |)uis,  à  l'occasion 
pour  détourner  le  commerce  de  la  Méditerranée 
au  ijrofit  de  sa  patrie.  (A.-H.  Sayce,  les 
Héléens,  trad.  J.  Menant,  p.  45.) 

(4)  Cf.  A. -II.  Sayce,  The  cuneiform  inscrip- 
tions of  Van,  in  J.  B.  As.  Soc,  t.  XIV,  p.  m-. 

(5)  Sous  Téglatphalasar,  l'apparition  des- 
Aryens  sur  le  plateau  et  l'importance  grandis- 
sante (juils  prenaient  de  jour  en  jour  semble 
avoir  déjà  préoccupé  l'Assyrie,  qui  tenta  une 
contre-invasion  et  pendant  quelques  années 
(X=  s.)  parcourut  les  pays  iraniens. 

Si  les  identifications  sont  exactes,  si  l'ins- 
cription de  Téglatphalasar  n'est  pas  une 
simple  vantardise,  les  armes  d'Assourauraienl 
I)arcouru  tout  l'Iran  jusqu'à  la  Sagarlie(Zikrali), 
l'Arie  (Ariarmij,  l'Arachosie  (ArakaiLou);  mais- 
cette  gigantesque  expédition  semble  être  bien 
peu  vraisemblable.  Peut-être  le  roi,  entré  par 
le  Namri  et  le  Parsoua  pour  ressortir  de  Perse 
par  le  Madaï,  fit-il  une  courte  campagne  jus- 
qu'au désert  salé  qui  l'arrêta  et  se  conlenta-t-il 
d'enregistrer  les  noms  des  pays  dont  on  lui 
signala  l'existence  au  delà  de  cette  barrière. 
Il  les  mit  d'oflice  parmi  ses  tributaires,  afin 
d'en  plus  imposer  aux  populations  asiatiques 
(|uin(piiétaient  à  juste  litre  les  progrès  de 
Iraniens.  (J.  M.) 

(6)  Cf.  Inscr.  archa'i'stique  de  Sliamsliiram- 
màn  IV,  col.  II,  1.  34-59;  col.  III,  I.  1-70.  —  Gf. 
L.  Auel,  Inschrift  Schamschiramman'.s,  in 
ScnuADER,  Keilinschriftische  Biliotlieli,  t.  1, 
]>.  178-183.  —  V.  ScnEii.,  Inscriplion  assijrienne 
archa'ique  de  Shamshiramman  IV,  p.  10-21. 

(7)  Inscr.   iircliiïïque  de  Sliamshirammdn   IV 
col.  m,  I.  711,  1.  1-15.  —  Peisiu-Winckler,  Die 


352  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

encore  une  fois    soulevée,  et  ravagea   les   districts    de   l'Orient. 

Dès  lors,  chaque  année  des  rois  assyriens  est  employée  soit  à 
réduire  quelque  révolte,  soit  à  razzier  les  peuples  des  frontières, 
depuis  la  mer  Noire  jusqu'au  golfe  Persique,  depuis  la  Méditer- 
ranée (1)  jusqu'au  centre  du  plateau  persan  (2). 

Encore  une  fois,  un  siècle  avait  suffi  aux  souverains  d'Assyrie 
pour  dominer  toute  l'Asie  antérieure  centrale;  parce  que  les  pays 
dont  ils  avaient  fait  leur  empire  étaient,  soit  des  Etats  usés  par  les 
guerres,  les  factions  et  les  discordes,  soit  des  tribus  isolées  sans 
force  de  résistance.  Cette  tâche  facilement  accomplie  était  dail- 
leurs  la  plus  aisée.  Restait  la  Chaldée  non  encore  complètement 
soumise  ;  l'Elam  puissant,  auquel  Assour  n'avait  point  encore 
touché  ;  l'Egypte,  proie  facile  mais  lointaine  ;  la  Médie  dont  d'inter- 
mittentes razzias  avaient  fait  une  terrible  ennemie  ;  l'Ourarthou  (3) 
qui,  bien  qu'ayant  sa  capitale  à  Van,  s'étendait  jusqu'au  centre  du 
Petit  Caucase,  dans  des  montagnes  difficiles  où  l'Assyrien  ne 
pouvait  s'aventurer.  Restaient  également  les  peuples  de  l'Asie 
Mineure,  race  nouvellement  venue,  énergique,  guerrière,  avec 
lesquels  Assour  n'osa  jamais  se  mesurer. 

Le  triomphe  de  l'Assyrie  semblait  bien  près  d'atteindre  son 
apogée,  quand  soudain  sa  puissance  s'afTaissa  de  nouveau:  d'une 
part,  un  ennemi  puissant  venait  de  se  lever  devant  elle,  l'Ourar- 
thou (4);  d'autre  part,  comme  lors  des  débuts  de  l'Empire,  la  con- 
quête avait  été  trop  rapide,  les  sacrifices  trop  lourds.  Ninive 
épuisée  partant  de  guerres,  ne  pouvait  faire  face  à  ses  obligations, 

Sogenannte   Synchronislisclie   Gescliichte,    in  i.inson,  Can.   inscr.    W.  As.,  t.  I,    pi.  35,    n"  1, 

ScHBADER,    Keilinschriftlische    Bibliolhek,  t.  I,  ti'fxl.  jd'ir,!.  Oppert, ///s/,  des  em/)/res  t/e  C/ciWce 

p.  200-203.  el  d'Assyrie,  p.  130-131.  —  J.  Menant,  Ann.  des 

(1)  Mari,  roi  de  Damas  (803),  eut  à  payer  pour  rois  d'Assyrie,  p.  126,  sq.) 

libérer  son  territoire  des  armées  assyriennes,  (3)  Conquêtes  de  Menuacii,  l'oi  d'Oiirarthou, 

20  talents  d'or,  23.0(.KJ  talents  d'argent,  3.000  de  à  l'ouest  et  au  sud-ouest  du  lac  d'Ourmiali.  Cf. 

cuivre,    5.000  de    fer,    des   étoffes  brodées  et  Stèle  de  Kèl-i-chin,  trad.  V.  Scheil,  ds  J.  de 

teintes,     un    lit    d'ivoire,    une    litière  garnie  Morgan,  Miss.  se.  en  Perse,  t.  IV,  1896,  p.  266, 

d'ivoire,    une  part    considérable    des   trésors  sq. 

amassés  aux  dépens  des  Hébreux  et  de  leurs  C-t)  Cf.  A. -H.  Sayce,  Tlie  cuneiform  inscript, 

voisins.   (G.    Maspero,    Hist.   anc.   peuples  Or.  of  Van,   in   J.  R.   As.  Soc,  new  séries,  I.  XIV, 

class.,    t.    III,    p.   102   et  note  1.    —  Canon  des  p.   377  à  732.  —  J.   de  Morgan,  Miss,  scienlif. 

Limmo[},ds  SciiRAVER,  Keilinsrhrifllisclie  Diblio-  au   Caucase,  1889,    t.    II,   ch.  V.  Le    rovaume 

Ihek,  t.  I,  p.  208-209.)  d'Ourarlliou,  p.  99.  —  G.  Maspero,  Hisl.  anc. 

(2)  Voici  la  liste  des  principales  campagnes  peuples  Or.  class.,  t.  III,  p.  108,  sq.  Le  premier 
de  Rammânniràri  IV  (812-782]  :  810,  contre  la  roi  de  Van  dont  nous  parlent  les  inscriptions 
Médie  ;  809,  le  Gozân;  808-807,  le  Mannal;  806,  ninivites  et  vanniques  est  Saridouri  I", 
Ari)ad;  805,  Khazarou;  804,  Baaii;  803,  les  cités  fils  de  Loutipri,  contemporain  de  Salniana- 
pbéniciennes  ;  802,  792  et  784,  contre  le  Kliou-  sar  II  (vers  835)  ;  puis  vient  son  fils  Ispouinich  et 
bonchkia  ;  801-80(J,  794-793,  770-787,  contre  les  pendant  un  siècle  environ,  les  Saridouries 
Mèdes;  799,  contre  Louchia;  798,  Namri;  796-795,  occupent  le  trône,  ce  sont:  Menouach,  fils 
785,  Diri;  791,  783-782,  Itoua  ;  785,  Kicbki.  (Cf.  d'Ispouinicli  ;  Argichtich,  son  fils  ;  Saridouri  II, 
Canon  des  Limmou,  ds  Scurader,  Keilin-  fils  d'Argichtich  (vers  734),  puis  Rousacb,  con- 
schriflische  Bibliolhek,  \.\.  p.  202-205.  —  H.  Raw-  teniporain  de  Sargon  et  son  fils  Argichtich  II. 


LA     PRÉPONDKRANr.E     ASSYRIKNNE 


353 


et  de   782   (Salmanasai-   IV)    à    7'|5  (Téglatphalasar    III),  les  pays 
soumis  reprirent  presque  tous  leur   liberté.  Cette   puissance   ne 
reposant  que  sur  d'incessantes   expéditions   militaires,   (juarante 
ans  de  paix  suffi- 
rent à  ])eaucoup  la 
diminuer;  les  sol- 
dats    n'étaient 
plus    aguerris    et 
les    souverains 
semblaient    avoir 
oublié  lapoliti([uc 
traditionnelle    de 
l'Etat.    Toutefois, 
la   lassitude  était 
si  grande  chez  ces 


La  Mésopotamie  au  i\' 


av.  J.-C.  (1). 


peuples  tour  à 
tour  libres  et  es- 
claves, riches  et  dépouillés,  fatigués  par  des  milliers  d'années  de 
guerre,  qu'aucun  d'eux  ne  songea,  dans  son  apathie,  à  profiter 
du  sommeil  d'.Vssour  pour  écraser  sa  puissance  et  rayer  son  nom 
de  l'histoire  du  monde.  G  était  la  seconde  fois  que  les  Asiates 
laissaient  passer  l'occasion  propice  d'assurer  leur  indépendance. 

Le  tigre  se  réveilla  enfin;  Téglatphalasar  III  ('2\  à  peine  monté 
sur  le  trône,  reprit  les  expéditions  d'antan.  Il  reçut  l'hommage  et 
le  tribut  des  peuples  du  Sud,  jadis  soumis  (7/i/i).  Babylone  et 
avec  elle  les  Choumirs  et  les  Akkads,  les  Chaldéens  et  les  Ara- 
méens,  ne  firent  aucune  opposition.  Le  roi,  après  avoir  châtié  une 
révolte  en  Arménie  (743),  envahit  la  Syrie  et  la  réduisit  en  entier. 

Les  pays  du  Nord,  du  Sud  et  de  l'Occident  étant  pacifiés  (3), 
Téglatphalasar  opéra  quelques  fructueuses  razzias  en  Médie  (738), 
mais  n'annexa,  de  ce  côté,  aucun  territoire.  Des  révoltes  en  Pales- 
tine, des  luttes  entre  de  petits  Etats  le  ramenèrent  en  Syrie,  où  il 


(1)  D'après  J.Maspero.  Ilisl.  anc.  des  peujilcs 
de  l'Orient  classique,  t.  III,  p.  29. 

(2)  Cf.  «i.  Smith,  The  annals  of  TiglaLli  Pilc- 
ser  II,  in  Zeitschrifl,  18(')9,  p.  9-17.  —  Rost, 
Die  Keilinschriflexle  Tigldl-Pilesers  III,  t.  II, 
pi.  XXXV  à  XXXVIII.  —  J.  Menant,  Ann.  des 
vois  d'Assyrie,  pp.  140-144.  -  Eneberg,  Inscript, 
(le  Teglat-Pilcscr  II,  in  Journ.  asiat.,  1875, 
t.  VI,  p.  4il,  sq. 

(3)  La  grande  puissance  de  l'Occident,  l'Em- 
pire liêléen,   reposait  comme  celui  d'Assyrie 


sur  une  sorte  de  féodalité  maintenue  par  la 
force  de  la  puissance;  souveraine,  ne  possédant 
d'autre  domaine  propre  ((ue  le  patrimoine  de 
la  nation.  Les  princes  vaincus  étaient  tenus 
de  fournir  leurs  contingents  sur  l'ordre  du 
souverain  et  de  verser  des  tributs  annuels. 
Celte  organisation  n'olTrait  aucune  sécurité  et 
le  moindre  revers  la  renversait.  Aussi,  après 
les  échecs  que  lui  fit  suhir  l'Assyrie,  l'Etat 
iiétéen  disi)arul-il  sans  retour 


23 


35/1 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


écrasa  le  royaume  d'Israël,  soumit  les  Philistins  (73/i),  réduisit 
Damas  soulevée  (733)  et,  lors  de  son  départ,  vingt-cinq  roi* 
Tenaient  déposer  à  ses  pieds  hommages  et  tributs  (732). 

Les  années  qui  précédèrent  l'avènement  de  Sargon  ne  virent 
qu'une  suite  d'expéditions  contre  les  princes  (1)  révoltés  de  Syrie 
et  de  Chaldée  et,  lorsque  ce  roi  monta  sur  le  trône,  les  troupes- 
ninivites  assiégeaient  Samarie.  Au  Sud,  une  puissante  coalition 
chaldéo-élamite  menaçait  l'Empire;  c'est  contre  elle  que  le  nou- 
veau souverain  tourna  d'al)ord  ses  armes.  11  la  vainquit  i2);  puis- 
Samarie  i3)  tomba  et,  sauf  la  ville  de  Tyr,  toujours  bloquée,  tout 
l'occident  fut  encore  une  fois  asservi. 

Les  o-randes  guerres  allaient  commencer,  non  plus  contre  des- 
tribus révoltées  ou  des  roitelets  sans  puissance  Vs  mais  contre  de 
grands  Etats. 

L'Egypte  et  l'Assyrie  se  rencontrèrent  en  Palestine  à  Piaphia. 
Le  Pharaon  Chabakou,  défait,  gagna  le  Saïd  dans  sa  déroute,  tout 
le  reste  de  ses  Etats  s'étant  soulevé  (714)  contre  lui. 

L'Ourarthou  avait  groupé  autour  de  lui  tous  les  peuples  du 
Nord,  ses  congénères,  et  formé  une  puissante  coalition.  Sargon 
dépensa  huit  années  pour  la  réduire  5). 


(1)  Cf.  Botta,  Moniim.  Ninive,\A.  LXII-XCII, 
CV-CXX,CLV-CLX.  Annales.  —  J.  Oppert,  Les 
inscriptions  de  Dour-Sarkayan.  dans  Place, 
Ninireel  i Assyrie,  t.  II,  pp.  309-.'îl9.-  Menant, 
Annales  des  rois  d'Assyrie,  jip.  158-179.  —  Ins- 
criptions des  fastes.  Botta,  Monum.  Ninive, 
pi.  Xr.III-CIV,  CXXI-CLIV.  CLXXXI.  - 
J.  Oppert  et  J.  Menant,  La  grande  inscription 
du  palais  de  Khorsâbàd,  ds  Joiirn.  asial.,  1863, 
t.I.pp.  5-;  261.  II,  pp.  475-517;  186i,  t.  III,  pp.  5-6-2  ; 
168-201;  209-265;  373-415;  1865,  t.  VI,  pp.  133- 
179;  289-330.  —  J.  Menant,  Ann.  des  rois  d'As- 
syrie, pp.  180-192,  etc.  —  Cf.  G.  Maspero, //îV/. 
anc.  peuples  Or.  classique,  l.  III,  p.  225,  note  2, 
qui  donne  une  bibliographie  très  complète  des 
sources  de  I  histoire  de  Sargon. 

(2)  Cf.  Winckler,  Die  Keilinsrhriflexle  Sar- 
gon's,  t.  I,  pp.  4-7.  —  Lyon,  Keilinschriflexle 
Sartjon's,  pp.  32-33.  —  Tiele,  Babylonisch-As- 
syrisclie  Geschiclde,  p.  239,  sq.;  614,  sq.  — 
Winckler,  Gescliichle  Babyloniens  twd  Assy- 
riens, y).  125,  sq.;  237,  sq. 

(3)  La  prise  de  Samarie  (722)  a  été  consi- 
dérée jusqu'ici  comme  un  événement  de 
grande  importance,  parce  que  nous  en  con- 
naissons le  récit  par  les  Hébreux  (CLLivredes 
Rois,  II,  XVIII,  9-10;  XVII,  6;  XVIII,  13;  haïe, 
XXXVI,  1.  —  Stade,  Geschichie  des  Volkes  Is- 
raël, 1. 1,  p.  605.  —  Winckler,  Altlestamentlis- 
che  Unlersuchungen,  p.  68,  sq.,  135,  sq.  — 
C.  NiEBUHR,  Die  Chronologie  der  Geschichie 
Israël,  p.  22,  sq.  —G.  Maspero,  H/.s/.  anc.  peu- 

.ples  ()r.  class-,  t.  III,  p-  213,  sq.  et  notes),  alors 


que   ce  ne  fui,  en  somme,  qu'un  épisode  sans 
relief  particulier  des  progrès  de  l'AssjTie. 

(4)  Les  Assyriens  ilécoraienl  du  titre  de 
Ville,  alou,  des  localités  insignifiantes.  Sen- 
nachérib  (cylindre  de  Bellino,  1.  11)  ne 
compte  pas  moins  de  820  pelites  villes  et 
85  villes  plus  inij)ortantes,  dans  la  Chaldéeou 
la  Babylonie  méridonale,  et  Chamchiraman 
allribue  2(XJ  villes  à  un  petit  district  de  la  rive 
gauche  du  Tigre  (stèle  de  Chamchiraman, 
col.  IV,  1.  15).  Ainsi,  les  buttes  qu'on  rencontre 
|)ar  milliers  dans  les  pays  antiques  de  l'Asie 
étaient  pour  les  Assyriens  autant  de  villes  et 
leurs  chefs  presque  autant  de  rois. 

(5)  Sargon  vain<iuit  l'un  après  l'autre  tous- 
les  vassau.x  de  lOurarthou,  entre  autres  le 
puissant  pays  de  Mouzazir  dans  les  monta- 
gnes; sa  capitale  fut  prise  d'assaut.  Ourzana, 
son  roi,  s'enfuit  seul,  abandonnant  au.x  Assy- 
riens toute  sa  famille  (jui  partit  en  esclavage 
avec  20.170  individus,  tout  ce  qui  survécut  de 
la  population.  Tous  les  biens  du  pays  tombè- 
rent aux  mains  de  Sargon  :  9U6  mulets, 
9-20  bœufs,  100.225  moutons,  de  l'or,  de  l'argent 
tous  les  trésors  du  Mouzazir,  le  mobilier  et  le 
sceau  royal.  Bousas,  roi  dOurarthou,  aban- 
donné de  tous  ses  appuis,  se  donna  la  mort  ; 
mais  lOurarthou,  bien  que  vaincu,  était  loin 
d'être  détruit.  Argistis  II  cessa  les  hostilités 
pour  réparer  autant  que  possible  les  désas- 
tres de  son  pays  et  se  retira  vers  le  nord  ;  en 
708,  il  est  mentionné  par  les  textes  assyriens 
(CL  Fastes,  I.  113. j 


LA    PRÉPONDÉRANnE    ASSYRIENNE 


355^ 


Enfin  ce  fut  le  tour  de  la  Chaldée  (1),  alliée  à  l'Élam  ;  les  coa- 
lisés furent  défaits  ;  mais  l'Islam,  protégé  par  ses  marais,  ses 
fleuves  et  ses  montagnes,  conserva  intacte  son  indépendance.  A 
peine  quelques-uns  de  ses  territoires  de  la  plaine  furent-ils  tou- 
chés; c'est  sur  Babylone   que    s'al)atlirent   toutes  les  colères  du 


Le  royaume  dOurarthou. 

monarque  assyrien;  Mardoukbaliddin,  terrifié,  poursuivi  jusqu'à 
Bit-Yakin  (2),  sur  la  mer,  renonça  au  trône. 

Toutes  les  richesses  de  la  Chaldée  tombèrent  aux  mains  des 
vainqueurs,  jusqu'au  camp  du  roi  de  Babylone  qui  fut  pillé  ;  et  Sar- 
gon  énumère  avec  orgueil  les  trésors  qu'il  renfermait  :  «  Les  insi- 
gnes de  la  royauté,  le  palanquin  d'or,  le  trône  d'or,  le  sceptre 
d'or,  le  char  d'argent,  les  ornements  d'or.  » 

Mais,  heureux  pendant  la  majeure  partie  de  son  règne  (3),  Sar- 


(1)  Depuis  i|uelr|ues  siècles,  les  Araméens, 
venus  (les  rives  du  golfe  Persique,  s'élaienl 
iinplanlés  en  Chaldée  et  y  avaient  prospùn'-. 
Ofcupjint  d'abord  les  embouchures  des  fleuves, 
ils  s'étaient  peu  ;'i  peu  avancés  dans  les  pays 
situés  entre  Babylone  et  l'Elam,  puis,  longeant 
le  pied  des  montagnes,  jusfju'au  pays  de  Khal- 
man  et  plus  près  encore  de  l'Assyrie.  (Cf. 
G.  Maspeko,  Hiiil.  anr. pen[iles  Or.class.,  t.  II, 
p.  660,  sq.;  t.  III,  p.  4,  sq.,  118,  sq.) 

(2)  «  J'ai  (Sargoii)  assiégé,  j'ai  occupé  la  ville 
de  Dour-Yakin,  sa  (Mardouk-baliddiu)  capi- 
tale; j'ai  pris  comme  esclaves  sa  femme,  ses 


fils,  ses  filles,  avec  l'or,  l'argent,  tout  ce 
(ju'elles  possédaient,  le  contenu  de  son  palais 
et  un  butin  considérable  dans  la  ville...  J'ai 
réduit  en  cendres  la  ville  de  Dour-Yakin,  j'ai 
renversé  ses  antiques  remparts,  j'en  ai  fait  un 
monceau  de  ruines.  «  (J.  Mena.nt,  1874,  Ann. 
Assijr.,  p.  188.) 

(3)  Sargon  voulant  avoir  un  palais  qui  lui 
fût  personnel, choisit  le  village  de.Maganoubba, 
au  nord-est  et  tout  près  de  Ninive  et  y  cons- 
truisit la  ville  de  Dour-Cliarroukin,dont  Place 
a  publié  les  ruines.  (Cf.  Place,  Ninive  et  l'As- 
sijrie,  pi.  II.) 


356 


LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


gon  devait,  à  la  fin  de  sa  vie,  connaître  par  lui-iuônie  raniertunie 
des  revers.  L'Ourarthou,  remis  de  ses  blessures,  avait  reconstitué 
sa  puissance;  et  1 708)  les  garnisons  assyriennes  furent  chassées  du 
Manna,  ainsi  que  de' tous  les  territoires  vanniques  qu'elles  occu- 
paient. L'Élani,  sous  son  roi  Choutrouk-Nakkhounté,  avait  eu 
plusieurs  campagnes  heureuses  (70Q).  Non  seulement  les  Assyriens 
s'étaient  vus  contraints  d'évacuer  tous  les  points  qu'ils  possédaient 
sur  les  territoires  susiens,  mais  les  Elamites  eux-mêmes  s'étaient 
emparés  d'un  certain  nombre  de  leurs  places  frontières. 

De  tous  les  souverains  asiatiques,  Sargon  est  peut-être  le  pre- 
mier (|ui  comprit  le  danger  d'établir  un  empire  féodal  uniquement 
basé  sur  l'ancienne  aristocratie  soumise.  Partout  où  ce  lui  fut  pos- 
sible, il  remplaça  les  dynastes  indigènes  par  des  gouverneurs  assy- 
riens, cherchant  à  transformer  en  provinces  ce  qui  n'était  avant  lui 
que  principautés  tributaires.  Ce  roi,  profitant  des  leçons  du  passé 
entrevoyait  l'organisation  de  son  empire  ;  mais  ses  ressources  ne 
lui  permettaient  pas  d'entretenir  près  de  chaque  gouverneur  les 
garnisons  nécessaires,  et  il  commit  la  grande  faute  de  ne  pas 
modifier  les  anciennes  divisions  du  pays  ;  en  sorte  que,  malgré  la 
présence  de  ses  officiers  dans  les  provinces,  les  intérêts  indigènes 
demeurèrent  groupés  comme  parle  passé  (1). 

Sennachêrib  (2)  (70/4-681)  et  Assaraddon  (3)  (680-668)  guer- 
royèrent pendant  toute  la  durée  de  leur  règne,  sans  succès  d'ail- 
leurs contre  l'Élam   /ii;  mais  plus  heureusement  contre  les  tribus 


(1)  Vers  la  fin  de  son  règne,  Sargon  s'en 
était  remis  sur  Sennachêrib  du  soin  de  répri- 
mer les  révoltes,  lui-même  s'étanl  retiré  à 
Dour-Charroukin,  quand  il  mourut  assassiné 
(7(1.5)  par  un  soldat  d'origine  étrangère. 

{i)  Cf.  Cylindre  de  Tavlor,publ.par  H.  P.aw- 
linson,  Cun.  In.^n:  W.  À.s.,  t.  I.  pi.  XXXVII- 
XLII,  Irad.  J.  Oppert,  les  Insci:  axsi/r.  des 
Sargonides,  p.  41,  sq.  -  J.  MEN-.\>iT,  Ann.  des 
rof'sd'Assyne,  p.  214,  sq.  —  Cylindre  de  Bel- 
lino,  trod.  J.  Oppert,  Expéd.  en  Mésopoiamie, 
t.  I.  p.  297,  sq.  —  J.  Menant,  Ann.  des  rois 
d'Assyrie,  p.  225,  sq.  —  La  stèle  de  Bavian, 
publ.  par  H.  Rawlinson,  Cun.  Inscr.  W.  As., 
t.  III,  pi.  XIV,  trad.  Pognon,  l'Inscription  de 
Bniùan,  texte,  traduction  et  commentaire  phi- 
lologique, in-8,  1870-1880.—  J.  Menant,  V;/»- 
ve  ei  l'Assyrie,  p.  234,  sq.  —  Cf.  G.  S.mith 
(achevé  et  publié  par  A  -H.  Sayee),  Hislory  of 
Sennachêrib,  translated  from  Ihe  cuneiform 
inscriptions,  1878. 

(3)  Cf.  Inscriptions  des  cylindres  de  Ko- 
voundjick.  (Layard,  pi.  XX-XXIX-LIV,  W.  A. 
/..  pi.  XLVIIXLVIII;  W.  A.  7,  III,  pi.  XV- 
XVI).—  Inscriptions  de  la  pierre  d'Aberdeen 


(W.  A.  /.,  I,  pi.  XLIX.  —  Inscriptions  diver- 
ses (  U'.  A. /.,  I,pl.  XLVIII).—  Canon  des  rois 
assyriens  (W.  A.  /.,  III,  pi.  I).  —  J.  Menant, 

Ann.  des  rois  d'Assyrie,  p.  2.39.  sq. 

(4)  C'est  par  mer  que  Sennachêrib  attaqua 
l'Elam.  Les  flottes  construites  sur  le  Tigre  et 
l'Euphrate  se  joignirent  dans  la  mer,  sur  l'em- 
placement actuel  de  Kornah  ou  de  Bassorah, 
et  de  là  gagnèrent  lembouchnre  du  Kâroun 
qui  se  trouvait  alors  à  quelques  kilomètres  en 
aval  de  Nasseri-Ahwaz.  Là  était  le  pays  de  Na- 
dilou  où  abordèrent  les  Assyriens.  La  suite 
des  événements  montre  qu'ils  furent  loin  d'y 
remporter  des  succès,  puisqu'ils  durent  repar- 
tir sans  avoir  rien  tenté  contre  Suse.  (Cf. 
S.mith-Sayce,  Hislory  of  Sennachêrib.,  p.  80,  sq.; 
^(,2,  sq.  —  Bezold,  Inscliriften  Sanherib's,  in 
Scuradek,  Keilinschriftliche  Biblioleck  ,  t.  II, 
p.  KXt,  sq.  —  La  Chronique  babylonienne  de 
Pinriies,  col.  II,  I.  36-3'.'.,  place  la  date  de 
l'expédition  en  694-693.  —  Cf.  J.  de  Morgan, 
Etude  géographique  sur  la  Susiane,  expédi- 
tion de  Sennachêrib  096  av.  J.-C],  dans  Mém. 
de  la  Délèij.  se.  en  Perse,  t.  I,  1900,  p.  17.) 


LA     PllÉPO.NUKHAXCK     ASSVlîIKNNE 


357 


révoltées  de  la  Palestine  (1)  et  les  villes  de  la  Pliénicie  (2),  il  les 
ra/./.ia.   Les   expéditions  de   pillage  continuèrent   comme   par   le 
passé  (3),  bien  que  la  gloire  d'Assour  fut  ((uolcjue  peu  ternie,  vers 
cette  épo(|ue,  j)ar  des  intrigues 
de  palais,  par  des  compétitions 
et  des  complots  autour  du  trône. 
Dès  les  débuts  de  la  monarchie, 
les  souverains  assyriens  ne  s'é- 
taient maintenus  qu'en   étayant 
leur  domination  sur  leurs  gens 
de    guerre;    mais    ces     soldats 
repus,  gorgés  de  richesses,  n'as- 
piraient plus  désormais  qu'à  la 
jouissance   des    biens    conquis 
l)ar  leurs  armes.  L'histoire  mo- 
derne n'offre-t-elle  pas  de  sem- 
blables exemples  de  lassitude  ? 
Ces  guerres,  ces  révoltes,  ces 
continuels  mouvements  des  ar- 
mées  en    quête    de    butin,  ces 
pillages,  ces  tributs  onéreux,  ces 
exactions  de    tous   genres    me- 
naient l'Asie  Antérieure  à   sa  perte,  enlevaient  aux  populations 
l'énergie,  le  labeur,  l'intérêt  de  la  vie.  Les  campagnes  dévastées 
s'appauvrissaient  (5),  les  terres  demeuraient  incultes,  les  canaux 


La  Syrie  au  ix-^  s.  av.  J.-C.   4). 


(Il  Prisme  de  Tavlor,  U'.  A.  I  I 
pi.  XXXVII-XLII,  c.  II,  I.  31-48,  65-61»; 
Trad.  J.  Menant,  ^1;;^.  Assi/r.,  p.  217,  sq.,  etc. 
12)  «  J'ai(Assour-Ahki-iddin)  atla(iué  la  ville 
de  Sidoiina(Sidon),  située  au  milieu  de  la  mer, 
j'ai  mis  à  mort  tous  ses  habitants,  j  ai  délnilt 
ses  murs,  ses  maisons,  je  les  ai  renversées 
dans  la  mer,  j'ai  renversé  ses  temples.  Abdi- 
milkout,  roi  de  la  ville  (de  Sidouna;,  s'était 
soustrait  à  ma  puissance,  il  s'était  enfui  au 
milieu  de  la  mer.  Jai  traversé  la  mer  et  j'ai 
brisé  son  orgueil.  Jj  me  suis  emparé  de  ses 
trésors,  de  l'or,  de  l'argent,  des  pierres  pré- 
cieuses, de  l'ambre,  de  peaux  de  .4m*/,  du  san- 
tal, de  lébène,  des  étoffes  de  laine  et  de  fil,  le 
contenu  de  son  palais.  Jai  transporté  au  pavs 
d'Assour  des  hommes,  des  femmes  en  nom- 
bre considérable,  des  bœufs,  des  moulons,  des 
bêles  de  charge.  »  (J.  Menant,  1874,  Ami.  As- 
syr.,  p.  241.) 

(3)  «  A  mon  retour  (de  ma  2«  campagnei,  jai 
(Sennachérib)  réduit  sous  ma  domination  les 
contrées  lointaines  du  pays  de  Madaï,  dont, 
parmi  les  rois  mes  pères,  personne  n'avait  en- 


tendu prononcer  le  nom  ;  je  leur  ai  imposé  de 
nombreux  tributs  et   je    les   ai   soumis  à  ma 
puissance.  »  (Prisme   de  Tavlor,    IV   A    I     I 
|.l.  XXXVII-XLII.  c.  II,  1.  20."  Trad.  J.  Menant' 
Ann    Assijr.,  p.  217.) 

(il  D'après  G.  Maspero,  Hisl.  une.  des  peuples 
de  l'Orient  classique,  t.  IH,  p.  3:). 

5;  <•  Alors  je  (Sennachérib)  me  suis  dirigé 
vers  le  pays  de  Bet-Vakin  (Basse-Chaldée). 
-Mardoukbaladdan  ..  prit  ses  dieux...  les  fit 
embarquer  sur  des  navires  et  s'enfuit  comme 
un  oiseau  vers  la  ville  de  Nagitrakki,  située  au 
milieu  de  la  mer.  .Je  fis  sortir  de  la  ville  de 
Bet-Vakin,  sur  les  rives  du  lleuve  Agammi, 
au  milieu  des  marais,  ses  frères,  ceux  de  sa 
race  qui  avaient  abandonné  les  rives  de  la  mer 
ainsi  que  les  grandes  familles  de  ce  pavs.  Je 
les  ai  emmenés  et  les  ai  vendus  comme  es- 
claves. Jai  démoli  les  villes,  j'en  ai  fait  un  dé- 
sert. .  (Prisme  de  Tavlor.  W.  A  I  1 
pi.  XXXVII-XLII,  c.  III,  I.  4!t.  Trad.  J.  Me- 
nant, Ann.  .l.s.^-;;/-..  p.  21!».;-  ..  Trente-quatre 
villes  (du  pays  d'Elam)  et  leurs  dépendances, 
dont  le  nombre  est  sans  égal.  Je  les  ai  assié- 


358  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

cessant  de  leur  fournir  l'eau  nécessaire.  Ce  n'était  partout  que 
ruines,  que  peuples  affamés,  que  transports  d'esclaves  qui,  venus 
.des  régions  les  plus  éloignées,  s'allongeaient  en  longs  troupeaux 
dans  les  vastes  plaines  de  la  Mésopotamie,  courbés  sous  le  faix  de 
leurs  pauvres  bardes,  la  corde  au  cou,  souvent  même  attacbés  les 
uns  aux  autres  au  moyen  de  cbaînes  leur  traversant  le  nez  ou  les 
lèvres,  livrés  à  la  brutalité  de  la  soldatesque.  C'étaient  les  survi- 
vants d'une  ville  révoltée  qu'Assour  déportait  ainsi  de  Syrie  en 
Médie,  de  Chaldée  en  Arménie  ;  il  y  avait  là  des  gens  de  tout 
rang,  des  femmes,  des  enfants,  et  malheur  à  celui  que  la  fatigue 
•empêchait  de  suivre  le  troupeau,  un  coup  de  lance  faisait  de  son 
corps  la  pâture  des  carnassiers  et  des  oiseaux. 

Les  textes  assyriens etles  bas-reliefs  ninivites  nous  ont  transmis 
le  souvenir  d'horreurs  dont  les  caravanes  d'esclaves,  traversant 
l'Afrique,  ne  sont  qu'une  pâle  image.  Pour  le  trafiquant  Arabe, 
le  nègre  est  une  valeur,  une  marchandise  rare  qu'il  ménage  ; 
pour  l'Assyrien,  le  rebelle  était  moins  qu'un  esclave,  un  être  haï, 
dont  les  souffrances  réjouissaient  le  cœur  des  dieux. 

Assour  s'enrichissait  toujours  ;  les  dépouilles  s'accumulaient 
dans  les  magasins  royaux  (l),  dans  les  temples,  dans  les  maisons 
particulières.  Il  jouissait  de  la  ruine  du  monde,  sans  même  songer 
à    tirer  un  parti  durable  de  si  grands  biens. 

La  Chaldée  étant  devenue  province  assyrienne  ('2),  les  rois 
d'Assour  sonii'èrent  à  étendre  vers  le  Sud  leur  domination  et  à 
s'emparer  de  l'Arabie  (3).  Sennachérib  s'avança  même  au  delà  de 
Bahrein,  dont  il  avait  fait  la  base  de  ses  opérations.  Mais  ce  ne 
fut  là  qu'une  course  sans  résultats  politiques  durables,  sans 
produit;    car    la    péninsule    arabique   est,  dans  la  partie    voisine 

gées,  je  les  ai  prises,  j'ai  fait  des  prisonniers,  père  des  dieux  et  de  Belit,  la  reine  des  dieux, 

je  les  ai    démolies,  je  les  ai  réduites  en  cen-  J  ai    habité  ce   palais  pour  la   salisfaclion   de 

dres.  J'ai  fait  monter  vers  les  cieux  la  fumée  mon  cœur,  la  joie   de  mon  esprit,  et  la  splen- 

des  incendies    comme    celle   d'un  sacrifice.  »  deur  de  mon    visage.    (Inscr.  de  Nabi-Vunus, 

(Prisme    de    Taylor,    Id.,    c.    IV,  1.   51,  trad.  U'.  A.  /.,  pi.  XLIII,  1.    90  et  91.  Trad.  J.  Me- 

J.  Menamt,   id.,  p.  221.)  «   J'ai   (Sennachérib)  n.\mt,  Ann.  Asxiir.,  p.  234.) 

soumis  à  ma  puissance    les   peuples  du  pays  (2)  Sennachérib  revint   de  Chaldée, amenant 

de  TaUharou.qui  habilenl  des  montages  inac-  avec  son  armée  208. ftCXj  prisonniers  hommes  et 

cessibles.  J'ai    changé    en  ruines  la  ville    de  femmes,  7.200  chevaux,  11.073  ânes,  5.230  cha- 

Oukoun  et  j'ai  mis  à  mort  ses  ]irinci|iaux  ha-  meaux,  80.100    bœufs,  8(Xt.50O  moutons  et  em- 

bitanls.J'ai  subjugué  les  hommes  du  pays  de  portant  à  Ninive  toutes  les  richesses  du  pays. 

Kliilakou   (la  Cilicie)  qui  habitent  les  forêts.  (Cf.  G.  Smith-Sayce,  Ilisl.  of  Sennachérib,  [K^2i, 

J'ai  détruit  leurs  villes,  je  lésai  démolies,  je  sq.) 

les  ai  livrées  aux  flammes.  ■>  (Inscr.  de  Nabi-  (3)  Assaraddon  rend  aux  Arabes  les  slalues 

Vunus,   U^.  A.7.,pl.  XLIII.  trad.  J.  Mexant,  des  dieux  qui   avaient  été  emportées  à  Ninive 

Ann.  A.ssi/r.,  p.  231.)  par  son  père  et  en  raison  de   cette  restitution 

(1)  J'ai  (Sennachérib)   réuni    dans    ce  palais  impose  l'Arabie  de  65  chameaux  de  plus. (J.  Me- 

toutes  ces  dépouilles,  avec  l'aide  d'Assour,  le  nant,  Ann.  Assyr.,  p.  213.) 


LA     PllÊPONDKlUiNCE     ASSYRIENNE 


359 


<lii   golfe  Pei'sique    et  de    la  Chalclce,    d'une    extrême   pauvreté. 

Un  seul  i^ays,  d'une  grande  richesse,  était  jusqu'alors  resté 
indemne,  l'Egypte  ri);  c'est  contre  elle  (|ue  marclirrent  les  ai'mées 
d'Assaraddon  (2).  Les  Sémites  l'envahirent  par  l 'cluse  et,  de 
suite,  toute  la  vallée  du 
Nil  tomba  en  leur  pou- 
voir. Le  phaiaon  Tahar- 
kou  s'enfuit  en  Nubie 
jusqu'à  Napata,  ^Nlem- 
phis  ouvrit  ses  portes, 
Thèbes  et  les  autres  vil- 
les furent  pillées.  Tout 
€e  qu'il  y  avait  de  ma- 
tières précieuses  dans 
les  temples  et  les  palais 
fut  enlevé  et  porté  au 
pavs  d'Assour  :  statues 
des  dieux  et  des  rois, 
orne  m  e  n  t  s  du  culte , 
meubles  précieux.  Les 
Assyriens  traitèrent  la 
vieille  l^^gypte  comme 
ils  avaient  coutume  d'en 
user  vis-à-vis  des  peu- 
plades demi-sauvages  de 
l'Asie. 

En  rentrant  dans  ses 
Etats  après  cette  colos- 
sale razzia,  le  roi  d'Assour   fit  graver  en  Syrie,  sur  les   rochers 
du  Nalir  el  Kelb,  une  longue  inscription  dans  hupielle  il  s'intitule 
roi  d'Egypte,  de  Thèbes  et  d'Ethiopie  (672). 

La  fin  du  règne  d'Assaraddon  fut,  comme  celle  de  presque 
tous  les  souverains  assyriens,  accompagnée  de  troubles.  Repu  de 
sang  et  de  pillage,  fatigué  par  la  vieillesse,  le  roi   ne  dirigeant 


Le  royaume  de  Tjr  à  l'époque  de  Sennachérib. 


(1)    Sennachérib    eiU  fait    la    conqiiole    de  (-2)    «  Assur-akliî-iddin,  roi   des  légions,  roi 

l'Ègvple  si  la    iiesle  (?)  n  était  venue  décimer  du  i)ays  d'Assour,  roi    du    pays    de  Mousouri 

+;on  armée    et  l'obliger   de   rentrera  Ninive.  (l'Egypte)  el  du    pays   de    Kous  (rElliiopie).  » 

(II  Rois,  XIX,  8-3.5.    -  Hérodote,  II,  CXLI.  —  Tels  sont  les  titres  que  se  donne  Assaraddon. 

JosÈPiiE.  .1(1/.  /))(/.,  X.  1,  §  4.  —  Cf.  J.  Opi'KiiT,  (U'.  A     /.,  I,    pi    XLVIII,  n»  4.    ïrad.  J.  Me- 

Mém.aur  les  nipports  de  ilù/iipte  cl  de  lAssijrie,  na>t,  Ann.  Assiir..  p.  54?.) 
p.3i,  sq.) 


360 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


plus  en  personne  les  campagnes  indispensables  à  la  vitalité  de 
Ninive,  FEgypte  se  ressaisit;  Taharkou  en  cliassa  les  garnisons 
assyriennes  (vers  67O),  et  le  vieux  monarque  abdiqua  (668)  en  faveur 
de  son  fils  Assourbanipal. 

Assaraddon  fut,  de  tous  les  rois  d'A'ssour,  le  seul  qui  parfois 
se  soit  montré  clément.  11  savait  pardonner,  par  calcul  surtout, 
comprenant  que  la  terreur  était  impuissante  à  maintenir  dans 
l'obéissance  de  pareilles  multitudes  et  que  d'ailleurs  son  armée 
ne  suffisait  plus  à  ses  vastes  devoirs.  Aussi,  les  inscriptions  qu'il 
nous  a  laissées  ne  renferment-elles  pas,  comme  celles  de  ses 
prédécesseurs  et  de  ses  successeurs,  uniquement  des  récits 
de  cruautés  ;  on  y  rencontre  parfois  des  exemples  de  mansué- 
tude (1). 

Devant  un  pareil  empire,  devant  les  menaces  dont  il  était  en- 
touré, la  tâche  d'Assourbanipal  était  bien  lourde.  Dans  tous  les  pays 
conquis,  la  révolte  se  trouvant  à  l'état  latent,  Ninive  devait  entre- 
tenir sur  tous  les  points  stratégiques  de  fortes  garnisons.  Ces 
corps  de  troupes,  composés  plutôt  de  sujets  que  d'Assyriens  de 
race,  n'en  était  pas  moins  une  cause  de  grand  affaiblissement  pour 
l'armée  de  combat,  pour  celle  de  l'Empire,  toujours  prête  à  s'élan- 
cer à  la  répression  des  révoltes,  à  la  conquête  de  nouveaux  terri- 
toires, au  pillage  des  peuples  dont  Assour  se  méfiait  ou  convoi- 
tait les  biens. 

Dès  son  avènement,  Assourbanipal  rl\  marcha  sur  IKgyple  (3); 
Taharkou  (/a)  vaincu  se  retira  encore,  abandonnant  la  vallée  du  Nil 


fl)  <•  Layalê,  roi  du  pays  de  Yadih,  s'était 
soustrait  à  ma  domination...  il  vint  auiirès  de 
moi  à  Ninoua  ma  capitale,  il  s'inclina  devant 
moi, je  lui  accordai  lagràceavecbienveillance." 
(W.  A.  /.,  ni,  pi.  XV,  col.  III,  I.  40.)..  Bel  Ba- 
gar,  fils  (le  Dnunani,  roi  du  pays  de  Gamboul, 
...  s'inclina  devant  moi,  je  lui  ai  accordé  son 
pardon,  j'ai  fortifié  Sapi  Bel,  sa  capitale,  j'y 
ai  logé  lui  et  ses  archers  et  je  l'ai  élevé  en 
Elam  comme  une  colonne,  s  (G.  III,  I.  53. 
Trad.  J.  Me.nant,  Ann.  assi/r.,  p.  244.) 

{i}  Le  règne  d'Assourbani|)al  (667-6:20]  fut 
dans  ses  premières  années  consacré  aux 
grandes  guerres  qui  devaient  amener  l'asser- 
vissemenl  définitif  de  l'Asie  :  667,  guerre 
contre  l'Egyple  ;  666,  deuxième  campagne 
conlre  rEgyi)le,  ruine  de  Thèbes  ;  665,  siège 
de  Tyr  et  guerre  contre  la  Lydie  ;  664,  guerre 
contre  le  pays  de  Manna'i  ;  663,  guerre  contre 
l'Elam,  conquête  du  pays  de  Gamboulou  ;  662, 
révolte  de  la  Clialdée  ;  661,  guerre  conlre  Ouni- 
manaldacli,  roi  d'Elam  ;  64;f,  seconde  guerre 
conlre   Oumnianalilacli,    ruine   de    Suse  ;  660, 


guerre  d'Arabie.  Nous  ne  connaissons  presque 
rien  des  Irenle-cinq  années  qui  suivirent  jus- 
qu'à la  mort  d'.\ssourbanipal.  L'Empire  tom- 
bait en  décadence,  les  Modes,  les  Cimmériens, 
les  Scythes  étaient  entrés  en  scène. 

(3)  «  Dans  ma  ])remière  campagne,  je  me  suis 
avancé  conlre  le  pays  de  Magan  et  de  Melouhha . 
Tarkoil  était  roi  du  pays  de  Moulsour  et  de 
Koùsi...Il  s'avança  et  s'établit  dans  Mempi 
(Memphis),  la  ville  que  mon  père  qui  m'a  en- 
gendré avait  prise  et  avait  ajoutée  aux  pro- 
vinces du  pays  d'Assour.  J'étais  occupé  dans 
la  ville  de  Xinoua  quand  on  vint  m'apprendre 
celte  nouvelle...  Je  me  suis  avancé  prompte- 
menl...  J'ai  livré  une  grande  bataille  et  je 
r  larmée  égyptienne)  ai  mise  en  fuite.  Tarkoû 
apprit  dans  la  ville  de  Mempi  la  défaite  de  son 
armée...  et  pour  sauver  ses  jours,  il  s'enfuit 
dans  la  ville  de  Ni'i  (Thèbes).  Je  me  suis  em- 
paré de  celle  ville,  mon  armée  y  entra  et  l'oc- 
cui)a.  >.  (J.  Menant,  Ann.  assyr.,  p.  254,  sq.) 

(4)  Les  monumenlsmontrenlceroi comme  de 
sang  mêlé.  Cf.  G.  Maspero,  Hisl.  anc.  peuples 


LA  PRHPOX  DÉRANGE  ASSYRIENNE  361 

jusqu'au  delà  de  Thébes.  Mais  ce  succès  ne  fut  qu'éphémère;  car, 
à  peine  l'armée  assyrienne  avait-elle  quitté  la  terre  des  Pharaons, 
que  les  garnisons  ninivites,  encore  une  fois  chassées,  cédaient 
Thèbes,  Memphis  et  le  Delta. 

Assourbanipal  comprit  qu'il  lui  serait  impossible  de  conserver 
uniquement  par  la  force  une  province  aussi  vaste  et  aussi  éloignée 
de  son  centre  d'action.  Profitant  des  rivalités  entre  les  princes 
saïtcs  et  ceux  de  lK'lhioi)ie,  il  favorisa  les  prétentions  de  la 
dynastie  du  Nord,  et  fit  Niko  pharaon  (1).  C'était  la  première 
fois  que  la  volonté  d'un  souverain  étranger  disposait,  au  bénéfice 
d  un  vassal,  de  l'antique  couronne  de  la  haute  et  de  la  basse 
Egypte. 

Mais  l'Ethiopie  ne  se  tenait  pas  pour  battue  ;  l'Egypte  fut 
reconquise  par  les  troupes  da  Sud,  et  les  Assyriens,  qui  soute- 
naient les  Saïtes,  en  furent  chassés.  Cette  fois,  Assourbanipal 
frappa  un  grand  coup  ;  il  reprit  la  terre  du  Nil  et  ruina  Thèbes, 
enleva  comme  butin  tout  ce  qu'elle  renfermait,  jusqu'à  ses  habi- 
tants, et  ne  laissa  derrière  lui  qu'un  monceau  fumant  de  décom- 
bres. La  ville  aux  cent  portes  n'était  j)lus,  jamais  elle  ne  se 
releva;  deux  des  obélisques  du  temple  d'Ammon  prirent,  dit-on, 
le  chemin  de  Ninive  (2). 

Assuré  de  l'obéissance  de  ce  côté,  Assourbanipal,  après  avoir 
réduit  quelques  soulèvements  en  Syrie  et  en  Phénicie  (3)  et  guer- 
royé en  pays  de  Manna  (4),  allait  reprendre  la  lutte  contre  l'Ou- 
rarthou,  quand  son  attention  fut  détournée  par  l'Élam  (5).  Ourtaki, 
un  usurpateur  susien,  profitant  de  l'éloignement  du  roi  d'Assyrie, 
avait  pillé  la  Chaldée  et  se  trouvait  devant  Babylone,  quand 
Assourbanipal  l'y  vainquit  et  le  contraignit  à  rentrer  dans  ses 
Etats. 

L'anarchie  régnait  alors  à  Suse;  Ninive,  par  ses  intrigues,  avait 
semé  la  discorde  au  sein  de  la  famille  royale,    préparant  ainsi   le 

Orient    Cla.tsique,    t.    III,    cliap.     IV    en-tête,  neur.  Je  lui  ai  rendu  la  place  que  mon  père, 

LusciiAN,  Die  Ausgrabungen  in  Sendschirli,  t.  I,  qui  m'a  engendré,  lui  avait  assignée  dans  la 

!''•  ^  ville  de  Saï.  »  (J.  Menant,  1874,  Ann.  Asst/r., 

(Ij  «  .1' (Assourbanipal)  imposai    à  Xikou  un  p.  256.) 

traité  i)lus  dur  que  celui  qui  existait  aujiara-  (2)  Cf.  J.   Menant,  Ann.  dea  rois   d'Assyrie, 

vanl,  mais  je  l'ai  renvoyé  chez  lui,  je  l'ai  re-  p.  257. 

vêtu  (le  vêlements  superbes,  de  laine  et  de  fil  (3)   W.  A.   /.,  III,  pi.    XVII-XXXVIII,  c.  II, 

avec  des  ornements  dor  ;  je  lui  ai  donné  une  I.  8*.  Trad.  J.  Menant,  op.  cit.,  p.  257.  sq. 

épée   d  acier   avec    un    fourreau  dor  ;  j'y  ai  (4)  W.  A.  /.,  III,   pi.  XVII-XXXVIII,  c.  III, 

écrit  la  gloire  de   mon  nom    et  je  lui   en    ai  1- 43.  Trad.  J.  Menant,  op.  cil.,  p.  259. 

fait  présent.  Je  lui  ai  donné  des  chariots,  dos  (5)  W.  A.  /.,    III,    p|.   XVII-XXXVIII, c.  III, 

chevau.v  et  des  bêles  de  somme  et  je  loi  en-  I.  83.  Trad.  J.  Menant,  op.  cit.,  p.  260. 
voyé  en  Egypte  avec  mou  préfet  pour  gouver- 


(1)  D'après  G.  Maspero,  Ilist.  anc.  des  peuples  de  iOrient  classique,  t.  III,  p.   VJb. 


LA     IMŒPONDÉHANCK    ASSVHIKNiNE  363 

succès  de  sa  prochaine   campagne   cl    la    ruine    de    la   puissance 
élamite. 

Alalo-ré  ces  conditions  défavorables,  une  vaste  coalition  se 
forma:  Babylone,  le  Gouli,  le  Martou,  le  Miloukhi,  l'Arabie  et 
enfin  r^lam  réunirent  leurs  forces.  Assourbanipal  avait  devant 
lui  les  armées  de  tout  le  sud  de  l'Asie,  contingents  des  pays 
sV'lendant  depuis  le  golfe  Persique  jusqu'à  la  mer  Rouge. 
En  Syrie,  Amouladdin,  roi  de  Kédar,  devait  opérer  une  diver- 
sion. 

Jamais,  depuis  cinq  cents  ans,  Ninive  ne  s'était  trouvée  en  si 
grave  posture  ;  mais  par  une  adroite  politique  et  une  stratégie 
judicieuse,  le  roi  d'Assour  sut  triompher  du  danger.  Suscitant 
des  troubles  en  Élam,  il  le  sépara  de  la  Ghaldée  qu'il  vainquit 
isolément.  Babylone  fut  encore  pillée  ainsi  que  la  plupart  des 
villes  du  sud,  et  ceux  des  habitants  qui  ne  périrent  pas  par  le 
fer  (1)  furent  soit  déportés,  soit  cantonnés  comme  esclaves  dans 
le  pays  même,  sous  la  surveillance  de  garnisons  ninivites. 

N'ayant  plus  qu'un  seul  ennemi  devant  lui,  Assourbanipal 
dirigea  toutes  ses  forces  contre  l'Élam  qu'il  atta(|ua  par  le  nord. 
11  y  pénétra  par  les  montagnes  et  le  parcourut  (hms  toute  sa  lon- 
gueur. Madaktou,  la  ville  royale,  Suse,  la  capitale,  tombèrent  en 
son  pouvoir  (6/i3i  ;  tout  le  pays  fut  dévasté,  réduit  en  province 
assyrienne. 

«  La  poussière  de  la  ville  de  Chouchân,  de  la  ville  de  jNIadak- 
tou  (2),  de  la  ville  de  Haltemach  (3)  et  le  reste  de  leurs  villes, 
j'ai  tout  emporté  au  pays  d'Assour.  » 

«  Pendant  un  mois  et  un  jour,  j'ai  balayé  le  pays  d'Élam  dans 
toute  son  étendue.  De  la  voix  des  hommes,  du  passage  des 
bœufs  et  des  moutons,  du  son  de  joyeuse  musique,  je  privai  ses 
campagnes.  J\ii  laissé  venir  les  animaux  sauvages,  les  serpents, 
les  bétes  du  désert  et  les  gazelles  {'x).  » 

(1)    «  Les  trésors  de  leurs  palais  furent  ap-  dieux,  mes  seigneurs.»  [W.  A.I.,  IIL  pi.  XVII- 

porlés  devant  moi.  Ces  hommes  dont  la  bouche  XXXVIII,  c.  V,   1.  3.  Trad.  J.    Men.^nt,  A/i/i. 

avait  tramé  des  complots  perfides  contre  moi  Assyr.,  p.  263.) 

«t  contre  Assour,  mon   seigneur,  j'ai  arraché  (2)    Cf.  J.  de  Morgan,  Miss.  se.  en  Perse,  t.  1\  , 

leur  langue  cl  jaiaccomi)li  leur  perle.  Le  reste  I"  partie,  1896,  p.  228.   Probablement  Tepeh 

du  peuple  fut  exposé  vivant  devant  les  grands  Sindjar,  à  10  kilomètres   environ   au   nord  de 

taureaux  de    pierre  que  Sennachérib,  le  père  Suse. 

.le  mon  père,  avait  élevés,  et  moi  je    les  (ces  (3)  Cf.  J.  de  Morgan,  .\/«.s.  se.  en /'er.'.e  t.  IV. 

hommes)  aijetés  dans  le  fo.ssé;j'ai  coupé  leurs  I"   partie,   18',t6,  p.  22!».  Probablement  Derre  i 

membres,  je  les  ai  fait  manger  par  des  chiens,  chahr,  sur  le  Sein  Mèrrè. 

d.".   bêles  fauves,  des    oiseaux  de    proie,    des  (4)  Cf.  ir.  .1./.,  III,  pi.  X\II-XX\V  III,  c.  \  . 

Animaux  du  ciel  el  de  la  mer.  En  accomplis-  VI,  VII,  jusqu'à  I.  76.  Trad.  J.  Men.vnt,  Ann. 

sant  ces  choses,  j'ai  réjoui  le  cœur  des  grands  Assijr.,  p.  26i,  sq. 


36/i 


LES     PREMIÈRES     CINILISATIONS 


Ainsi  s'exprime  Assourbanipal  lui-même,  à  la  fin  du  récit  qu'il 
nous  a  transmis  du  sac  de  l'Elam  (1). 


(1)  Succession  des  souverains  élumiles,  depuis   les   origines. 

(D'après  les  travaux  de  la  Délégation  en  Perse). 
Patésis.  Suzerains. 

Our-Iliml?)  Chargani  char  ali  ou  sarri  (Sargon  d'Agadê). 

Narani  Sin  (3750  av.  J.-C'. 


Chim-bi-ichkhouq. 

Karibou-cha-clwuchinaq. 

Khoulran  tepli. 

Idiidou  I". 

Kal  Roukhouralir. 

Idadou  II. 

Ebarti-Kindadou. 

badidimnju. 

Beliarik. 
Ourkioum. 


Alou  oucharchid  (roi  de  Kich). 
Doungiii  (rui  d'Our). 


Ghimil-Sin  (roi  d'Our). 
Bour  Sin  (roi  d'Our). 
Idê-Sin  (roi  d'Our). 
(Derniers  rois  d'Our). 


LiUi-Irtach 


Siinti  Chilliak 


Koudour  Nakhkhounlé.  (Roi  d'Elam).  Vers  2280  av.  J.-C. 

Chiruukdou  (vice-roi  de  Suse). 

Temli  wjoun  (vice-roi  de  Suse). 

(roi  d'Elam). 

Temli  Kliichn  Khanech  (vice-roi  de  Suse). 

Chimebular  Khouppak  (vice-roi  de  Suse^. 

(roi  d'Elam  et  de  Chaldée). 

Ebarti  (vice-roi  de  Suse). 

Chilkhaka  (vice-roi  de  Suse). 

Lankoukou  (vice-roi  de  Suse). 

Kouk-Kirpiach  (vice- roi  de  Suse). 

Allapakrhou  (vice-roi  de  Suse). 
Koudour  Mabou'j  (roi  d'Elam  et  de  Chaldée). 

Temli  Khalki  (vice-roi  de  Suse). 

Kal  oalt  (vice-roi  de  Suse). 
Koudour  Latjamnr  (?)  (roi  d'Elam  et  de  Chaldée). 

Kouk  Nachour  (vice-roi  de  Suse). 


Palii-Iclichan 


Iri  Khalki  (roi  de  Suse). 
Pakhir-ichchan       id. 
Altar-Kitlalih        id. 
Khoumban-oummenna  id . 
OunlarhGnl  id. 
Kidin  Khoulran  id. 
Khourpalila  id. 
Kidin  Khoulroulach  id. 

Khalloulouch  In  Chouchinak  id. 

Choulrouk  IWikhkhounlé  id. 
Koulir  Xakhkiiounté. 
Chilkhak  in  Chouchinak. 
Khouteloudouch  In  Cliouchinak. 
Chilkhina  Kliamrou  Laqamar. 
Khoumbanimmena. 
Choulrouk  Nakhkhounlé  II. 

X 

Chouchinak  char  Ilani. 
Tepli  Akhar. 

Khouban. 

Khalloulouch  in  Chouchinak. 

Chilhak  in  Chouchinak. 

Tepli-Khouban  in  Chouchinak. 

Indadari  (?). 

Choulour  Nakhkhounlé. 

Takhkhikhi  ('?) 

Khunni  (?) 


(dernier?  grand  roi  élamile  de  Chaldée). 
Contemporains 
Ilammourabi  (roi  de  Bab\  lone),  vers  2056. 


Kourigalzou  (roi  cosséen  de  Babylonc). 
Bèl-nadin-choum  (roi  cosséen  de  Babylone). 
Adad  choum  iddin  (roi  cosséen  de  Babylone). 
Melichikhou  (roi  cosséen  de  Babylone)  (1209-1195). 
Mardouk-apal-iddin  (roi  cosséen  de  Babylone)  (1191- 

1182). 
Zamama  chouni  iddin  (1181). 


Nabou  koudour  oulsour  I",  vers  1030. 

Teglalhpalasar  II,  roi  d'Assour  (950). 
X...  roi  élamite  en  Chaldée  (939-9.34). 

Mardouk-balalsou-iqbi  (roi  de  Babylone). 


LA    PKh'PONDÉHANCE    ASSYRIENNE 


365 


Les  gens  do  la  montagne  gardèrent  presqne  tous  leur  indé- 
pendance; mais  le  coup  avait  été  si  dur  que  la  puissance  élamite 
ne  s'en  releva  jamais. 

C'en  était  liai  de  l'Asie,  (l(>  Tl^gypte,  du  Monde  entier 
d'alors  (1);  toute  la  vieille  civilisation  était  écrasée;  mais  l'Assy- 
rie était  elle-même  épuisée,  de  sorte  qu'avant  même  la  mort 
d'Assourbanipal,  l'Egypte,  la  Lydie,  le  pays  de  Touhal  et  bien 
d'autres  concpiêtes,  ne  complaienl  plus  (pie  de  nom  dans  son 
empire,  et  que  la  Médie  victorieuse  était  descendue  sur  le  Tigre. 
L'Asie  Antérieure,  ruinée,  n'était  pas  encore  sortie  des  fléaux  (2). 
Un  ouragan,  hélas  !  plus  violent  encore  que  celui  (pii  partit  d'Assy- 
rie, allait  l'atteindre,  répandant  la  ruine  parmi  les  ruines,  effaçant 
tout,  jusqu'au  nom  et  au  souvenir  des  tyrans  d'Assour.  C'est 
du  nord  (prallait  souffler  cette  effroyable  tempête  (3). 


Oiimbaddrd  (vers  750). 
Khoumhanhjach  (742). 


Choulour  Nnkhkhounté  (719-701). 
Khallouch  (701-C)0i). 
Choulour  N<inhhkhoantii  (69l-6i«). 
Klioumbnn  Mennnnu  (G93-r>89). 
Khoubnn-Khnlbich  I"  (689-fiBl). 
Khouban-KhaUach  II  (G81-675). 
Ourtakou  ((î74-r.()l). 
Khoumbnnigarli  H,  à  Siise. 

Tamrilou  à  Khidaloii. 
Tamrilou. 

Indabiguch  (usurpateur) . 
Khoumbnn-nldasi  (dans  les  monlagnes). 
Khoumba  Khaboua  (usurpateur). 
Tamrilou  (roi  à  Suse.) 
Paé  (usurpateur). 
Khoumban-aldasi. 

Ruine  de  Suse  par  Assourbanipal  (643). 

(1)  La  légende  d'une  expédition  assyrienne 
jusqu'à  llndus,  en  736  av.  J.-C.,  sous  Téglat- 
phalasar,  ingénieusement  basée  par  Fr.  Le- 
normani  {Lellres  asuyriologiques)  sur  des  inter- 
prétations erronées,  avait  pour  un  temps  été 
adoptée  par  G.  Maspero  {Ilisl.  anc.  peuples  de 
rOrienl,-i'  éd.,  p.  371-372,)  Vinzi  {Richerche  per 
lo  sludio  delVanlichila  Assira,  p.  317,  sq.), 
Max  Diinker  (Gesch.  des  Allerlums,  b'  éd.,  t.  II, 
p.  260,  262;  t.  IV,  p.  15),  J.  Menant  (Ann.  des 
rois  d'Assi/rie,  p.  147),  Sclirader  (Z.Krilik  der 
Inschr.  Ihjlalhpileser-s  II,  p.  11),  a  été  jusle- 
ment  réfutée  par  Patkanof  (Journ.  asinl.  I.ou- 
don,  janv.  1880,  p.  76  ;  Acadennj,  I.  XVII, 
p.  198),  Fr.  Delitzsch  (Wo  Incj  dus  Paradies  1 
p.  KO)  et  Delattre  (le  Peuple  el  lEmpire  des 
Mèdes,  p.  91,  sq.). 

(2)  Les  rois  d'Assour  songeaient  alors  bien 
peu  à  rétablir  l'empire  de  leurs  ancêtres,  ils 
se  contentaient  de  souliaiter  de  vivre,  sen- 
tant l'orage  gronder  sur  leur  tête. 

»  Moi,  Assouretilili,  roi  des  légions,  roi  du 
pays  d'Assour,  fils  d'Assourbanipal,  roi  des 


Nabou  natsir  (roi  de  Babylone)  (747-734). 
Charrou-oukin  (roi  d'Assour)  (721-705). 
Mardouk-apal-iddin  (roi  de  Babylone)  (721-709). 
Sin-akhe-irba  (roi  d'Assour)  (704-681). 
Bèl-ibni  (Babylone)  (702-7(K)). 
Achciiour-nadin-choum  (Babylone)  (699-69*)- 


Assaraddon  (Assyrie)  (680-668). 
Assourbanipal  (Assyrie)  (666-628). 


légions,  roi  du  pays  d'Assour,  j'ai  ordonné  de 
mouler  des  brlipies  pour  la  constructifui  du 
Bit-Zida,  situé  dans  la  ville  de  Kalakh,  dans 
le  désir  de  [u-oionger  mes  jours.  »  (J.  Menant. 
1874,  Ann.  asst/r.,  p.  "295.) 

(3)  De|)uis  longtemps  liéjà,  les  Scytlies  se 
montraient  en  .\sie  et  entretenaient  des  rela- 
tions plus  ou  moins  hostiles  avec  les  peuples 
de  rOurarlbou,  les  Mèdes  et  les  petits  royau- 
mes du  Kurdistan  iranien.  Les  Assyriens  les 
connaissaient  tout  au  moins  dès  le  temps 
d' Assaraddon.  (Cf.  Knudtzon,  Assyrische  Ge- 
bele  an  den  Sonnentjolt,  p.  130.)  En  C72,  les 
Scythes,  sous  leur  roi  Ichpakaî  (nom  aryen.  — 
Cf.  JusTi,  Iranisches  Namenbuch. ,  pp.  46,  143. 
—  L.\TYScni;F,  Inscripl.  anliq  oris  sepl.  Ponli 
Euxini,l-  II.  P-  264),  furent  battus  par  les  .\s- 
syriens  et  rejetés  au  nord  du  lac  d'Ourmiah. 
.\ssaraddon  reçut  même  de  la  part  de  Barla- 
loua,  roi  des  Scythes  (Cf.  Winckleb.  Orien- 
lalische  Forscimngen,  t.  I,  p.  488),  la  demande 
d'une  de  ses  filles  en  mariage.  (Knudtzom,  As- 
syrische Gebete  an  den  Sonnemjoll,  pp.  119-122.) 


3(>(i 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


Les  premiers  flots  indo-européens  dont  l'histoire  puisse  suivre 
les  traces  s'étaient  écoulés  sur  l'Europe  centrale  et  méridionale, 
sur  la  pointe  occidentale  de  l'Asie  ;  peut-être  même  avaient- 
ils  envahi  quelques   pays  du  nord.  Ils  étaient  eux-mêmes   suivis 


Y    R     1^ 


L'Orient  vers  la  fin  de  l'Emi  ire  assyrien  (1). 

d'autres  vagues  humaines,  parmi  lesquelles  celle  des  Cimmériens 
(|ui,  arrêtés  durant  quelques  siècles  dans  les  plaines  de  l'Oxus 
et  du  \'olga,  semblaient  s'y  devoir  fixer. 

Les  Ciuiuiériens,  qui  avaient  poussé  vers  l'occident  les  tribus 
parties  avant  eux  des  steppes  de  Sibérie,  furent  eux-mêmes 
portés  en  avant  par  un  auti-e  flot  congénère,  celui  des  Scolotes 
(Scythes)  qui,  cantonné  pour  un  temps  dans  les  steppes  du  nord 
de  la  mer  d'Aral,  dut  céder  la  place  aux  Massagètes,  venus 
d'Orient  comme  les  autres  lndo-euroj)éens,  et  cherchant  des  pays 
au  climat  plus  doux. 

Les  Massagètes  sont  la  dernière  des  migrations  asiatiques 
connues,  pour  cette  époque,  comme  sorties  de  ce  grand  réservoir 
qu'était  la  Sibérie  ;  mais  bien  certainement  d'autres  la  suivaient, 
se  succédant  les  unes  les  autres  comme  les  vagues  de  la  mer. 

Tous  ces  peuples,  nomades  des  plaines,  n'osèrent  pas  aborder 
les  montagnes  de  la  Margiane,  de  la  Baktriane  et   de   l'Hyrcanie 


(1)  D'après  G.  Maspero,  llisl.  anc.  des  peujiks  de  l'Orienl  classique,  t.  III,  p.  421. 


LA     PRÉPONDKRANCE     ASSVIUENNE 


367 


occupées  déjà  par  des  tribus  de   leur  race;  c'est  vers  FOccident^ 
dans  la  plaine,  qu'ils  s'avancèrent. 

Chassés  de  leur  pays,  les  Scolotes  (1)  lianchirenl  les  lleuves 
qui,  presque  tous  coulant  du  nord  au  sud,  ou  inversement,, 
semblent  destinés  par  la  nature  à  jouer  le  rôle  de  frontières  entre 
les  diverses  tribus  nomades.  Ils  poussèrent  devant  eux  les  Gim- 
mériens  qui,  suivant  la  voie  tracée  par  leurs  prédécesseurs, 
envahirent  la  Thrace,  traversèrent  le  Bosphore  et  se  ruèrent  sur 
l'Asie,  ayant  grossi  leur  nombre  d'une 
foule  de  peuplades,  leurs  parentes,  (|u  ils 
rencontrèrent  sur  leur  route. 

En  Asie  Mineure,  les  royaumes  dispa- 
rurent, les  villes  furent  détruites,  ^'enus 
pour  chercher  des  terres   libres,  les   en- 


.^K|^:g^H^>^^M 


1^;^  r^j^  :gT  4^ 


W^^»^^^ 


<m^>ff^!B^^:^^ 


vahisseurs    n'ayant     rencontré    que     des    Écriture  cunéiforme  baby- 
pays    habités   et    riches,    de    pasteurs    se       '«"ienne   de   basse    épo- 

r  i       -Il        I  •  ,  que  2). 

tirent  pillards,  vainquant  par  le   nombre  ; 

aussi,  lorsqu'ils  se  heurtèrent  aux   légions  organisées  d'Assour, 

subirent-ils  de  sanglants  échecs    3). 

Las  de  rapines,  repus  de  richesses,  des  biens  de  l'Asie 
Mineure,  sentant  que  s'ils  s'avançaient  plus  au  sud  ils  rencontre- 
raient une  infranchissable  barrière,  ils  s'arrêtèrent  pour  jouir  de 
leur  conquête. 

Mais  les  Scolotes  émigraient,  eux  aussi;  maintenus,  pour  un 
temps,  par  la  muraille  caucasienne,  ils  lavaient  traversée  aux 
portes  Caspiennes(/i\  envahissaient  la  vallée   du  Gyrus,  celle   de 


(I)  Au  sujet  .les  Scvthes,  Cf.  TIérodoti;,  I, 
I-IV,  LXXIII-LXXIV,  CVI.  -  Justin,  II.  1- 
VhoiOL,  Cl/rus  iind  Herodot.  —F.  de  Sailcy, 
Chron  .Emp.Xinive  et  lifibylone.  —  G.  Rawlin- 
soy,The  five greni  monarchiex.—  Fr.  Le.normant, 
Lettres  as&ijrioloyiques,  les  Origines  de  [histoire. 
—  Ed.  Meyer,  (iesrhichle  des  Allerlhunis.  — 
Pn\9.UEK.  Medien  a  d.  Ilaus  des  Kyaxares,elc. 
-2)  Estamiiille  des  bri(|ues  de  Bai)ylone.  «  .\a- 
boiikoudo^urioiitsoiir,  roi  de  Babv'lone,  pour- 
voyeur dKsagil  (temple  de  MardoukjeldEzida 
(temple  de  Xaboil),  fils  aîné  de  Nabopolasar,  roi 
de  Babylone,  moi-uième  (604-561  av.  J.-C).  » 

(3)  Toukdami  lut,  en6i.5,  battu  dans  les  jïor- 
fres  fie  Cilicie  par  les  troupes  assyriennes. 
Son  fils,  Sandakbcliatrou,  ramena  vers  le  cen- 
tre de  la  péninsule  ce  qui  restait  des  Cimmé- 
rlens.  Ils  se  cantonnèrent  dans  la  Cai)padoce, 
les  vallées  de  Illalys  et  du  Thermodon.  C'est 
là  qu'ils  se  trouvaient  quand  les  Scythes  paru- 
rrrit  en  Arménie. 


(4)  Les  Scythes  ne  purent  venir,  comme  le- 
supposent  quelques  auteurs  (Cf.  G  Maspero, 
Hisl.  anc.  des  jieujAes  de  l  Orient.  5'  édit.,  1893, 
p.  511),  par  les  rives  de  la  Caspienne,  région 
e.xtrèmemeiil  difficile,  occu|)ée  parles  Mèdes^ 
et  dont  l'entrée  se  trouvait  à  l'orient  de  la*^ 
mer,  pays  alors  au.x  mains  des  Massagètes.  Il 
est  bien  plus  rationnel  de  penser  qu'ils  arri- 
vèrent par  les  Portes  Caspiennes,  que  rien 
encore  ne  fermait,  situées  en  face  des  ter- 
liloires  qu'ils  occupaient  au  nord  du  Cau- 
case. Cette  voie,  ils  la  connaissaient  depuis 
longtemps  ;  car  ils  avaient  déjà  fait  plusieurs- 
expéditions  sur  le  haut  Araxe  (Sacassènc)  où 
Assourbanipal  défit  leurs  deu.v  princes  Sarali 
et  Parikliia.  (Schrader.  Keilinschriflen  iind  Ge- 
schichlsforschung,  p.  159,  note.  —  Fr.  Deliz- 
Tscii,  \Vo  lag  das  Parodies  1  p.  247.  —  Fr.  Le- 
.NORMA.NT,  les  Origines  de  l'Histoire,  l-  IL  p.  46L 
s.|.) 


368  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

l'Araxe  et  la  steppe  de  Moiigân  (1),  menaçant  la  Médie  pendant 
que  son  chef  Cyaxares  (2),  victorieux  des  Assyriens,  assiégeait 
Ninive. 

Cyaxares,  abandonnant  pour  un  temps  ses  rancunes  contre 
Assour,  se  porta  vers  ses  districts  du  Nord  à  la  rencontre  des 
envahisseurs;  mais,  certainement  vaincu,  il  se  retira  dans  ses  pro- 
vinces méridionales  du  Kurdistan  et  d'Ecbatane,  abandonnant  des 
districts  d'Azerbaidjan  et,  en  partie,  le  haut  bassin  du  Kizil-Ouzen. 

Quelques  bandes  scythes  parcoururent  ces  pays  ouverts;  mais, 
dans  leur  marche  vers  FOccident,  se  heurtant  aux  montagnes  qui, 
depuis  TArarat,  traversent  du  nord  au  sud  le  pays  des  Cardu- 
ques  (3),  elles  durent  rétrograder.  Le  gros  de  la  nation,  remontant 
la  vallée  de  l'Araxe,  se  trouva  en  plein  cœur  du  royaume  d'Ourar- 
thou  [II]  qu'il  anéantit,  tourna  le  massif  du  Masis,  entra  sur  le  pla- 
teau arménien,  écrasa  les  Mouskhis  et  les  Tabals;  puis,  par  la  val- 
lée du  Tigre,  descendit  sur  Ninive,  laissant  libre  le  roi  des  Mèdes 
dans  sa  capitale  du  sud  (5). 

Les  Cimmériens,  affaiblis  au  moment  où  les  Scolotes  dévastè- 
rent le  Taurus,  vaincus  (G),  se  joignirent  à  leurs  anciens  ennemis, 
et  firent  cause  commune  avec  eux  pour  envahir  l'Assyrie  (7^,  dont 
ils  saccagèrent  les  territoires,  brûlèrent  les  villes,  massacrèrent 
ou  réduisirent  en  esclavage  la  population,  avec  une  férocité  digne 
des  Ninivites  eux-mêmes. 

Délivrée  pour  un  temps  par  la  retraite  précipitée  des  jNIèdes, 
Ninive,  s'attendant  de  leur  part  à  un  autre  siège,  s'y  était  prépa- 
rée ;  mais  ce  furent  les  Scythes  qui  se  présentèrent  sous  ses  mu- 
railles et  non  Cyaxares.  Elle  résista  ;  et,  inhabiles  dans  l'art  de 
prendre  les  places  fortes,  les  nomades  l'abandonnèrent,  ne  laissant 
autour  d'elle  que  des  pays  dévastés.  Le  vieux  roi  Assourbanipal, 
le  vainqueur  de  Suse,  qui  avait  vu  le  monde  entier  prosterné  à 
ses  pieds,  put  encore  assister  à  l'effondrement  de  son  œuvre  et 
de  celle  de  ses  pères,  car  il  ne  mourut  qu'en  (32(3. 

(1)  Il    existe  dans  ceUe  plaine,  sur  la  rive  Ichaï,  où  se  trouve  un  texte  vanniquc.  On  eu 

droite  de  l'Araxe  et  du  Cyrus,  un  grand  nom-  a  rencontré  un  autre   près   d'Echmiadzin,  où 

lire  de  tells  anti<|iies  qui  sont    peut-être    les  je  l'ai  vu  en  1903.  (J.  M.) 

ruines    des    établissements   scythes.  (J.   M.,  (5)  L'examen  des  routes  de  ces  pays  montre 

Voyage  de  1890.)  que  celte  voie  est   la    seule   par   laquelle   les 

(i)  Khrakhshatra,  Kashtaritou.  Scythes  pouvaient  atteindre  Ninive.  (J.  M.) 

(3)  Il  existepeu  de  i)assages  dans  ces  mon-  (6)  De  là  vient  que,  fréquemment,  les  Scy- 
tagnes;  ceux  de  Khoi  et  de  Revandouz  (Kèl-i-  llies  ont  été  confondus  avec  les  Cimmériens 
Chin)  sont  les  seuls  par  lesipiels  liassent  les  ipii.  habitant  l'Asie  depuis  déjà  longtemps, 
caravanes.  (.1.  M.)  étaient  plus  connus  que  les  nouveaux  venus. 

(4)  Ce   royaume    s'étendait    juscpiau   Glu'pk-  iTj  Stkabo.n,  I,  III,  21 . 


LA     PRÉPONDIMIANCI']     ASSYHIi:XNE  369 

Les  l>;iil)ares  parcoururciil   loiilc  l'Asie  Aiitérieurcî,  semant  la 


Ethnographie  de  la  Perse  à  l'époque  assyrienne. 

ruine  sous    leurs    pas;  la   Clialdée  (1),  la    Syrie,  la   Phénicie,  la 
Palestine  (2)  furent  tour  à  tour  dévastées  (3).  L'Egypte  n'échappa 

(1)  Cf.    SciiiîADER,   Keilinschriften  und    Gva-        les  Scythes  en  Palestine,  JÉuii.MiK,  V,   15,17; 
cliiclitsforsclnuui,    p.  150.   —    Fr.    Lenoii.mant,        V'I,  23,  24. 

les  Oritjines  Je  Ihisloire,  l.  II,  p.  547,  s(|.  (.1)  Hérodote,  I,  <:v  ;  Jusri>-,  II,  5. 

(2)  Cf.,  au  sujet  des   horreurs  commises  par 

24 


370 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


qu'à  prix  d'or,  la  Syrie  fut  encore  une  fois  ruinée  (1).  Puis  ils 
disparurent  ;  vaincus  peut-être  par  les  Mèdes,  harcelés  par  les 
populations  (2),  ils  rentrèrent  en  Europe  (S"),  ayant,  en  quelques 
années  (/i)  (63Zi  à  627),  achevé  le  renversement  de  l'ancien  monde 
et  laissant  aux  Iraniens  la  tâche  facile  de  soumettre  des  peuples 
déjà  écrasés  (5),  et  de  les  grouper  en  royaume. 

Mais  Cvaxare  n'était  pas  demeuré  inactif  pendant  que  les 
Scythes  préparaient  ainsi  sa  fortune.  11  avait  organisé  son  armée 
sur  le  mode  assyrien,  mis  en  valeur  quelques-unes  des  richesses 
de  son  pays,  noué  des  relations  diplomati(|ues  avec  tous  les 
anciens  ennemis  de  l'Assyrie  (6)  et,  avant  que  Ninive  ent  eu  le 
loisir  de  réparer  ses  désastres,  il  vint  l'assiéger  pour  la  seconde  et 
dernière  fois. 

Les  iVssyriens  résistèrent  avec  vaillance.  «■  Kachtaritou  avec  ses 
soldats,  avec  les  soldats  des  Kimmériens  (7),  les  soldats  des 
Mèdes,  les  soldats  de  Mannaï  et  bien  d'autres,  se  sont  répandus 
comme  une  inondation  (8)  »  ;  tandis  que  le  roi  de  Babylone  ame- 
nait les  contingents  du  sud. 


(1)  Zéphaniah,  H,  4-G. 

(2)  Une  épiflémie  les  aurait  également  déci- 
més. (HÉRODOTE,  I,  cv.  —  Xanthos  de  L>  die, 
Fragm.  11,  in  Moller-Didot,  Fragm.  histori- 
corum  greecoram,  l.  I,  ]>.  38.  —  DioD.  Sic. ,11,  4. 
Strabon,  XV[,  V,  17.  —  Pline,  Hist.  nal.,  V,  23. 
—  HiPPOGRATE,  De  aère,  acquà  el  locis,  VI,  108.) 

(.3)  HÉRODOTE,  IV,  i,dil  qu'ils  rentrèrent  par 
le  Caucase. 

(4)  Suivant  Hérodote  (I,  cvi),  ils  auraient 
dominé  l'Asie  pendant  28  ans,  mais  ce  nom- 
bre semble  devoir  être  réduit  à  7  ou  8  ans. 
Cf.  F.  DE  Saulcy,  Chron.  des  empires  de  Ni- 
nive, de  Babylone  el  d'Ecbalane,  p.  69.  —  F.  Le- 
normant,  Lellres  assijriologiques,  1"  série, 
t.  I,  pp.  74-83. 

(5)  Le  royaume  d'Assyrie  avait  été  fort 
malmené  par  les  Scythes  et  par  les  Mèdes. 
Layard  (Nineveli  and  Babylon,  p.  558)  a  cons- 
taté que  le  palais  d'Assaraddon,  à  Kalakb, 
avait  été  détruit  par  un  incendie,  et  que  celui 
d'Assouretililâni  avait  été  construit  sur  ses 
décombres.  Mais  on  ne  saurait  dire  si  cette 
destruction  est  due  au.x  Scytiies  (Rawlinso.n, 
The  five  greal  monarchies,  2'  édit.,  t.  II,  p.  228), 
ou  à  la  première  campagne  de  Cya.xare,  en 
Assyrie.  (Rawlinson,  Herodolus,  2'  édit.,  t.  I, 
p.  398.)  Assour  et  Dour  Charoukin  (le  palais 
de  Sargon)  disparurent  en  même  temps. 

(6)  La  diplomatie  niède  ne  fut  peut-être 
pas  étrangère  à  la  révolution  qui  mit  Nabopo- 
lassar  sur  le  trône  de  Chaldée.  La  tradition 
affirmait  qu'une  armée  venue  du  sud  avait 
débarqué  soudain  aux  embouchures  de  l'Eu- 
jdirale  et  du  Tigre.  Ne  doit-on  pas  voir  dans 
cette  invasion  le  souvenir  d'une  révolte  du 
Bit-Yakin,  des  tribus  voisines  de  la  mer,  des 


Elaniites  peut-être,  pi»|>Mlalions  qui,  à  cette 
époque,  étaient  en  relations  constantes  avec 
la  Médie?  Ecbatane  (Hamadan)  n'était  qu'à 
dix  ou  douze  jours  de  caravane  de  .Suse  par 
Khaïdâlou  (Kborremâbàd  ?)  Quoi  qu'il  en  soit, 
Nabopolassar,  chargé  par  Assouretililâui  de 
refouler  ces  envahisseurs,  s'allia  avec  eux  et 
se  déclara  indépendant.  La  Mésopotamie,  la 
Syrie  et  la  Palestine  ne  suivirent  jias  l'exemple 
tle  Babylone,  mais  ne  furent  d'aucun  secours 
pour  Ninive  à  l'heure  du  danger  (J.  M.). 

(7)  Des  bandes  cimmériennes  et  scythes,in- 
ilépendanles  de  celles  (jui  rentrèrent  en  Eu- 
rope, occupaient  bien  certainement  encore 
certaines  vallées  de  l'Arménie  et  du  petit 
Caucase.  Winckler  {Unlersachungen  zur  Alto- 
rienlalischen  Geschichte,  p.  125)  pense  que  les 
Scythes  auraient  possédé  une  partie  de  la 
Médie,  jusqu'au  moment  où  leur  chef  Astyage 
aurait  été  renversé  par  Cyrus.  Rost  [op.  cit., 
p.  93,  sq.)  i>ense  que  Cvaxare  lui-même  est 
un  Scythe.  Le  récit  d'Hérodote  (I,  cvi),  par 
lequel  Cyaxare  aurait  invité  Madyès  à  un 
banquet,  avec  les  principaux  chefs  scylhes,  et 
les  aurait  fait  tuer  après  les  avoir  enivrés, 
contredit  ces  ojjinions,  et  semble  être  plus  ac- 
ceptable, étant  donnée  l'époque  à  laquelle  il 
a  été  recueilli  par  l'historien  grec.  D'ailleurs, 
les  Scythes  ne  semblent  pas  s'être  avancés  en 
Médie  beaucoup  plus  au  sud  que  le  lac 
d'Ourmiah.  Toute  la  partie  méridionale  du 
royaume  aurait  donc  conservé  sa  liberté. 

(8)  Cf.  BoscAWEN,  Babylonian  dated  lablets, 
in  Trans.  o/  Ihe  Soc.  of  Bibl.  Archseol.,  t.  VI, 
pp. 21-22.  —  Sayce,  Babyl.  littéral.,  pp.  78-82. 
—  Id.,  Fresh  light  froin  Ihe  anc.  mon.,  pp.  132- 
136.  —  ScHR.\DER,  Keilinschr.  u.    Geschischtsf-, 


LA    PRÉPONDÉRANCE    ASSYRIENNE  374 

Vaincu  en  rase  campagne,  Sincharichkoun,  le  dernier  des  rois 
d'Assour,  s'enferma  dans  ses  murailles  et,  plutôt  que  de  tomber 
vivant  aux  mains  des  vainqueurs,  se  donna  la  mort  dans  les 
flammes  de  son  palais  (1)  (608  ou  600). 

L'Assyrie  avait  vécu  (2)  ;  après  s'être  trouvée,  sous  Assourbani- 
pal,  a  1  apogée  de   sa  gloire  et  de  sa  puissance,  elle  fut  écrasée 
par  sa  grandeur  même,  par  la  mauvaise  organisation  de  ses  États 
et  par  les  haines  mortelles  que  ses  cruautés  avaient  inspirées. 

Au  jour  du  danger,  au  lieu  de  trouver  dans  ses  provinces  les 
ressources  nécessaires  à  la  lutte  suprême,  elle  ne  rencontra  que 
des  ennemis  ne  voyant  dans  sa  perte  que  la  disparition  d'un  fléau 
qu'une  punition  du  Ciel.  ' 

Ainsi  les  Sémitesqui,  pendant  quatre  mille  ans  environ,  avaient 
a  des  titres  divers,  dominé  l'Asie  occidentale  ;  qui,  tout-puissants' 
auraient  pu  organiser  le  monde,  s'éteignaient  haïs,  détestés' 
maudits,  soudlésdu  sang  de  millions  de  victimes.  Le  souvenir  de 
leurs  atrocités  pèsera  comme  une  éternelle  opprobre  sur  cet  em- 
pire et  sur  la  race  qui  l'a  enfanté  (3). 

L'i:gypte,  malgré  les  succès  des  pharaons  de  la  XXW  dynas- 
tie et  des  llamessides,  était  réellement  en  décadence  dès 
l'époque  où  les  Ilyksos  l'envahirent.  Son  entrée  en  scène  dans 
l'histoire  générale,  lui  faisant  perdre  ses  caractères  nationaux,  la 
mettait  au  rang  des  autres  souverainetés  d'alors,  puissante  'un 
jour,  abattue  le  lendemain. 

Tant  qu'elle  vécut  sur  elle-même,  tant  qu'elle  ne  fit  usage  pour 
son  développement,  que  des  ressources  puisées  dans  sa  sphère 
naturelle,  sa  prospérité  s'accrut  ;  les  arts,  l'industrie,  le  com- 
merce, la  richesse,  en  un  mot,  atteignirent  leur  apogée  au  temps 
de  la  XIP  dynastie.  ^ 

Mais  lorsqu'elle  eut  de  constantes  relations  avec  les  peuples  de 
l'Asie,  quand  ses  frontières  furent  largement  ouvertes,  reculées 

n,T:;S>.  ~  ""■  ^^^•^""^'^^-  '-  ^'•'3-  "^  '■'-■^'■'  -l-tric^  et  de   son   agrioullure.  sa  littérature 

(1)   Diodore  de  Sicile    II   2^-18    dWn    n,'.  scientifique  et  religieuse  ;  une  seule  chose  lui 

sias-Abvdène,  ds  E^sèbe   Chron  can    nars    l"  "PP^'-\'^"^  en  propre,  la  tactique  de  ses  géné- 

c.  9.  ;  PÔ/y/^«/o'  ds  leTènfe    pars  1    c^  5        '  ';:v„''  'V^cellence   de  ses  soldats.  Du'jour 

(â)    Les'  anciennes   bandée  ' d'Ass'our    ^eni-  ïcu  ' mé  nom- h"''  ''  ?  ^'^'"^"'•'  '''"  "« 

^.  habitent  les  .onta^ÏÏ SSfll^!       ^^ ^^IliST ^IL^;^^  t  ^^J^ 

/Qi      i-A         •       »     .  ,  Ilisloire    ancienne  des  peuples  de   l'Orient  clns- 

(3    «  L  Assyrie  a  tout  reçu  de  la  Chaldée,  sa       sique,  l.  III,  n   486  )      ^    ^  ''•  "^   '  "'""'  <^"'* 
civilisation,  ses  mœurs,  le  matériel  de  ses  in- 


372  LES    PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

qu'elles  étaient  jusqu'à  l'Oronte  et  l'Euphrate,  quand  par  ses 
conquêtes  elle  eut  introduit  dans  son  patrimoine  des  éléments 
exotiques,  elle  subit  rapidement  leur  influence  et  l'esprit  égyptien 
s'atrophia  (1). 

Dès  la  XVIÏI'^  dynastie,  l'étranger  avait  pris  un  tel  pied 
dans  la  vallée  du  Nil  que  bien  des  fonctionnaires  étaient  des 
Asiates.  On  considérait  alors  comme  de  bon  ton  d'employer  dans 
la  langue  des  termes  sémitiques  et  de  négliger  les  vieilles  expres- 
sions indigènes. 

C'est  ainsi  qu'il  est  aujourd'hui  de  mode  chez  les  Persans,  chez 
les  Turcs,  d'émailler  les  anciens  dialectes  de  mots  arabes  ;  qu'à 
Rome  les  expressions  grecques  furent  en  honneur  au  temps  des 
Césars;  que  bien  des  peuples  de  l'Europe  se  piquent  d'employer 
un  grand  nombre  de  mots  français  ou  anglais,  plus  ou  moins 
écorchés,  toujours  improprement  apj)liqués. 

Il  est  peu  de  nations  qui  sachent  conserver  intact  leur  parler 
national  et,  paitant,  la  mentalité  de  leurs  ancêtres;  jeunes,  elles 
empruntent  aux  plus  développées  qu'elles;  vieillies,  elles  se 
laissent  envahir.  Ce  n'est  que  dans  leur  maturité  qu'elles  vivent 
de  leur  existence  propre  et  le  langage  est  le  plus  fidèle  miroir  de 
létat  moral  d'un  peuple. 

Celte  tendance  s'accentua  plus  encore  après  les  lîamessides. 
Déjà  une  grande  partie  de  la  population  du  Delta  était  étrangère; 
elle  adorait  ses  dieux  dans  des  temples  particuliers  élevés  auprès 
de  ceux  des  divinités  égyptiennes.  Tout  l'orient  du  f3elta  était 
occupé  par  des  Sémites,  sujets  égyptiens,  mais  demeurés  asia- 
tiques par  l'esprit,  la  langue,  les  mœurs  et  la  religion. 

A  l'occident,  c'étaient  les  Libyens  qui  dominaient  par  leur 
nombre  et  leur  influence.  ^Mercenaires  depuis  des  siècles,  ils 
fournissaient  au  pharaon  ses  meilleures  troupes,  sa  garde,  sa 
police  même,  répandue  dans  tous  les  nômes. 

En  dehors  de  ces  deux  centres,  presque  uniquement  étrangers, 
l'Egypte  renfermait  une  population  fort  mélangée  ;  c'étaient  des 
nègres,  des  Asiates,  des  Méditerranéens,  ceux-ci  employés  aux 
travaux  des  champs,  ou  se   livrant  au   commerce  dans  les  bour- 

(1)  Sur   le  nombre  (Ifsélningers  en  Egyple,  purus  Lee  et  Rullin,  pp.   138-162.  —  M.\x  Mll- 

Cf.  H.   Bruosch,  Geschichte    lEgyplens,  p.  !97,  ler,  Asien  imd  Europa,  p.  240.  —G.  Maspebo, 

sq.        Eh.man,  JEgijplen    und   JEijupthches  Le-  lU^l.  anc.  peuples  Orient  classique,    t.  Il,   1897, 

hen  im  Allerihums,  pp.  450,  S(i.,  683,  sq.  —  De-  ji.  485  et  note  2,  \>.  57U. 
VEBiA,  le  Papyrus  judiciaire  de  Turin  et  les  pu- 


LA    PRKPONDÉRANCE    ASSYRIENNE  373 

gades,  ceux-là  fonctionnaires  dans  l'administration,  tous  exer- 
çant une  influence  notable.  Ces  intrusions,  prépondérantes  dans 
la  Basse  ^'allée,  s'étendaient,  en  sallénuant,  Jus(|u'aux  frontières 
de  la  Nubie;  Yahwè  avait  son  temple  dans  l'île  d'Eléphantine. 

Tous  ces  étrangers  n'avaient,  comme  de  raison,  aucun  souci 
des  intérêts  du  pays  qui,  généreusement,  leur  donnait  l'hospita- 
lité ;  peu  leur  importait  la  conservation  de  ses  lois,  de  son  culte 
ou  de  son  prestige.  Egyptiens  aujourd'hui,  Syriens,  Assyriens  ou 
Perses  demain,  ils  n'entrevoyaient  que  leur  intérêt  personnel,  se 
donnant  au  plus  ofFrant,  dans  les  troubles  intérieurs  comme  dans 
les  guerres  contre  l'étranger;  et  Fégoïsme  de  leur  mentalité 
pénétra  vite  la  nation  tout  entière  (1). 

L'Egypte  avait  terminé  sa  carrière  ;  elle  se  mourait  de  vieillesse 
et,  si  elle  existait  encore,  ce  n'était  qu'en  vertu  delà  force  acquise 
par  des  milliers  d'années  d'une  administration  sage  et  patrio- 
ti({ue.  L'Empire  byzantin  ne  survécut-il  pas  pendant  plus  de  mille 
années,  grâce  au  seul  prestige  du  nom  romain? 

Une  dynastie  dite  libyenne,  la  XXII^,  dont  Ghechonq  fut 
le  chef,  avait  su,  non  seulement  s'emparer  de  la  couronne, 
mais  aussi  du  titre  de  premier  prophète  d'Ammon  ;  tandis  que 
l'ancienne  lignée  des  grands  prêtres  thébains  s'était  retirée  en 
Ethiopie,  à  Napata,  où  elle  avait  fondé  un  Etat  indépendant. 

Chéchonq  fut  l'un  des  derniers  souverains  d  Egypte  qui  dépas- 
sèrent le  Sinaï.  Il  marcha  contre  la  Syrie,  envahit  la  Judée,  pilla 
Jérusalem,  Habbit,  Tàanak,  Haphraïm,  Gibéon,  etc.,  et  les  vil- 
lages delà  plaine  de  Juda;  mais  ces  conquêtes  ne  furent  qu'éphé- 
mères, car,  dès  le  temps  des  successeurs  de  Chéchonq,  on  dut 
les  abandonner. 

A  l'intérieur,  la  haute  direction  dans  les  nômes  avait  été  chan- 
gée et  la  vieille  noblesse  mise  à  l'écart;  les  nouveaux  préfets 
étaient  tous  des  princes  de  la  famille  royale.  Cette  mesure  mala- 
droite constitua  une  nouvelle  aristocratie  héréditaire,  plus  dan- 
gereuse encore  que  celle  dont  elle  avait  pris  la  place;  car  chacun 
de  ces  seigneurs,  issu  de  sang  royal  et  divin,  pouvait  prétendre 
au  trône. 

Peu  à  peu  ces  princes  s'émancipèrent,  s'appuyant  sur  les  mer- 

(1)     Inlluence     nrtistique    mycénienne    en        S.Reinacii,  Ciiroi).  or.,  ds  Rev.    archéol.,  181t2, 
Egypte,  à  la  XVIH'^  dynastie.   Cf.   G.  Stei.n-        l.  I,  pp.  i06-7. 
DOBFF,    Archœol.    Anzeiger,  1892,  p.   11,  sq.  — 


37/(  LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

cenaires  dès  longtemps  à  la  solde  égyptienne.  L'anarchie  devint 
complète;  ce  fut  pour  le  pays  des  pharaons  lépoque  des  trente 
tvrans.  On  vit  à  la  fois  vingt-cinq  principautés  indépendantes 
dans  la  vallée  du  Nil,  el  quatre  de  leurs  dynastes  prendre  le  car- 
touche royal. 

Psamitik,  de  la  dynastie  saïte  (XXVll^),  ramena  la  prospérité 
pour  un  temps  très  court.  Les  arts  se  relevèrent;  mais  intervint 
rÉthiopie  qui,  renversant  la  dynastie  saïte,  reconstitua,  tout  au 
moins  géographiquement,  l'Empire  des  anciens  temps.  C'était 
l'époque  dAssourbanipal;  l'Assyrie  était  bien  trop  occupée,  d'une 
])art,  de  ses  grandes  guerres  d'Ourarthou,  d'Elam  et  de  Chaldée, 
d'autre  part  de  ses  revers,  pour  songer  à  l'Egypte. 

En  Syrie,  le  déclin  de  la  puissance  égyptienne  avait  permis  aux 
petits  peuples  de  s'affranchir  et  de  se  constituer  en  royaumes  ; 
c'est  alors  que  les  Hébreux  s'étaient  emparés  de  la  suprématie 
sur  les  Chananéens  du  sud. 

Lorsque  Salomon  monta  sur  le  trône,  il  n'existait  plus,  dans 
toute  la  région,  que  trois  puissances  méritant  ce  nom:  la  sienne, 
celle  des  Phéniciens,  avec  laquelle  il  s'entendit  pour  se  partager 
le  commerce  de  l'Orient,  et  le  royaume  de  Damas  tantôt  faible, 
tantôt  puissant  le  seul  ennemi  redoutable  pour  Jérusalem  et 
pour  les  villes  de  la  côte. 

Le  nouveau  roi  oiganisa  les  conquêtes  faites  par  son  père, 
construisit  des  places  fortes,  afin  de  maintenir  les  petits  peuples 
dans  l'obéissance  et,  certainement  aussi,  pour  surveiller  les 
grands  carrefours  commerciaux;  car  la  Judée  tirait  des  revenus 
considérables  des  taxes  qu'elle  imposait  aux  caravanes  d'Asie 
Mineure,  de  Chaldée,  d'Egypte,  d'Arabie,  de  Phénicie,  traversant 
son  territoire. 

La  métropole  elle-même,  véritable  maison  de  commerce,  tout 
comme  Tyr,  Sidon,  Beryte  et  Damas,  envoya  des  expéditions  jus- 
(ju'en  Arabie  et,  peut-être  aussi,  dans  tous  les  grands  centres 
producteurs  et  consommateurs  de  l'Asie  Antérieure.  La  richesse 
de  la  Judée  s'accrut  rapidement,  les  trésors  de  Salomon  prirent 
rang,  chez  les  Juifs,  parmi  les  fables  les  plus  accréditées.  Jéru- 
salem construisit  sou  temple,  centre  du  patriotisme  Israélite, 
embellit  sa  ville,  l'entoura  de  remparts.  Ce  fut  le  royaume  de  la 
Commission  ;  mais  sa  fortune,  ne  reposant  que  sur  le  transit  et 
le   crédit,  se  trouvait  exj)osée  au  moindre  caprice  du  sort. 


LAlPRÉPONDtHANCK     ASSVP.IENNE 


375 


Les  troubles  qui  éclatèrent  en  Palestine  après  la  mort  de  Salo- 
mon,  l'intervention  armée  des  Egyptiens  en  Syrie,  arrêtèrent  les 
ati'aires  et  le  pays  tomba  dans 
un  tel  état  de  faiblesse  (1^  que, 
dès  lors,  incapable  de  se  rele- 
ver, il  était  destine  à  devenir 
la  proie  de  celui  qui  se  donne- 
rait la  peine  de  le  parcourir 
militairement. 

Le  royaume  de  Damas  en- 
treprit celte  tâche;  les  désastres 
survenus  alors  aux  Assyriens, 
l'apathie  des  pharaons,  lui  en 
laissèrent  le  loisir.  Il  refoula 
vers  le  nord  les  restes  des 
Hétéens,  occupa  tout  le  pavs 
et,  malgré  TAssyrie  qui.  res- 
taurée de  ses  revers,  inter- 
vint bientôt  sur  TEuphrate  et 
rOronte,  ce  royaume  eut  en- 
core assez  de  vitalité  pour  se 
maintenir  jusqu'en  8^0,  époque 
à  laquelle  il  se  soumit  à  Xi- 
nive.  afin  de  pouvoir  en  toute 
sécurité  exercer  ses  vengean- 
ces contre  Israël. 

Ce  furent  ces  compétitions, 
ces  hainesdes  petits  Etats  entre 
eux.  qui  causèrent  en  Syrie  la 
fortune  de  Ninive  ;  son  habileté 
politique  lui  permit  d'en  j)ro- 
fiter  et,  grâce  à  sa  diplomatie, 
jamais  elle  ne  rencontra,  parmi 

ces   peuples,  d'ennemis  capables    tle    lutter  contre   elle   à   armes 
égales. 


La   Palestine  au  temps  du  royaume 
de  Damas  (vni«  s.  av.  J.-C.)  {2\ 


(1}  Jnmais  en  Palestine  il  n'y  eut  d'art  indi- 
gène: les  Juifs  se  contentèrent  de  copier  gau- 
chement la  Phénicie.  qui  elle-même  s'inspirait 
maladroitement  de  1  Egypte  et  de  la  Chaldée. 
Plus  lard,  à  parlirdu  neuvième-huitième  siècle, 
il   se  forma   des   procédés  nationaux  dans  la 


céramique  syrienne;  mais  leurs  produits  ne 
furent  que  d'inélégantes  copies  de  1  art  mycé- 
nien, déjà  gâté  par  les  influences  de  Rhodes  et 
de  Chypre. ,  Cf.  H.  Vincent.  Canaan,  1907,  p. 20.) 
(2)  D'après  J.  M.kspero.  Hisl  anc.  des  peuples 
de  l'Orienl  classique,  t.   UI,  p.  185. 


376  LES     PREMIÈRES     CIMLISATIONS 

Les  Phéniciens,  dont  les  attaches  sur  la  terre  ferme  étaient 
moins  fortes  que  celles  des  Hébreux,  dont  la  puissance  et  la 
richesse  résidaient  surtout  dans  les  flottes  et  dans  le  commerce 
de  terre  (1)  et  de  mer,  surent,  par  des  tributs  volontaires,  éloigner 
d'eux  les  Assyriens  :  procédant  en  cela  de  même  que  jadis  ils  en 
avaient  agi  vis-à-vis  de  l'Egypte.  Dans  quelques  rares  cas  ils  se 
départirent  de  cette  sage  politique  du  faible  à  l'égard  du  fort  et 
n'eurent  pas  lieu  de  s'en  louer. 

Tyr  avait  alors  la  suprématie  sur  toutes  les  villes  phéniciennes 
du  sud,  tandis  que  Beryte  dominait  au  nord.  Certainement  les 
possessions  de  ces  deux  villes,  sur  le  continent,  étaient  impor- 
tantes; mais  c'était  surtout  parleurs  colonies  qu'elles  florissaient. 
L'appui  des  Pharaons  avait  ouvert  aux  Phéniciens  tous  les  champs 
commerciaux  de  la  Méditerranée  et  l'intervention  des  Assvriens 
ne  modifia  pas  cette  fortune;  mais  les  navigateurs  sémites  se 
heurtèrent  bien  vite  à  d'habiles  et  intrépides  marins,  aux  (Irecs, 
leurs  élèves  dans  la  science  de  la  mer,  qui,  pendant  des  siècles, 
leur  en  disputèrent  le  domaine  (2). 

Les  rivalités  d'intérêts  sur  une  multitude  de  ])oints  firent  naître, 
dans  toute  la  ^léditerranée,  des  luttes  ardentes  pour  la  possession 
des  comptoirs.  Phéniciens  et  Hellènes  en  vinrent  aux  mains  dans 
l'Archipel,  dans  le  sud  de  l'Asie  Mineure,  en  Sicile,  en  Espagne, 
sur  la  côte  d'Afrique.  Ils  devinrent  d'irréconciliables  ennemis  et, 
lors  des  luttes  des  grands  empires  asiatiques  contre  la  Grèce,  les 
Phéniciens,  par  haine  et  par  intérêt,  prêtèrent  aux  Perses  l'appui 
de  leurs  vaisseaux. 

Les  Hellènes,  dont  nous  avons  (h\jà   rencontré  le  nom     3)  lors 

(l)V(<hin(petil-êtreWoil(kin,enlre  la  Mecque  ii.     l24-b2.'i.  —    Wiedemann,  Ilerodols  Zweiles 

el  Mé(line)  et  Yâvân  (en  Arabie)  de  Oùzâl  (fils  liarh,  p.  -207,  n»  1)  parle  des  >•  des  de  la  Très- 

de   Yâqtàn,   établi    dans   le   sud   de   l'Arabie)  Verte".   Ce  ne  peut  être  que  Chypre,  Khodes, 

pourvoyaient    les   (Tyr)   marchés  ;  le  fer   tra-  peul-èlre  même  les  Cyclades  (Cf.  D.  :Mai,i.et, 

vaille,  la  casse  et  la  canne  aromatique  étaient  IS[>'.\,  len  l^remiers  Etablissements  grecs  en  Eg;ii)le, 

échangés  avec   toi.  Dedân  trafiquait  avec   toi  introd.,  j).  5). 

en  couverturespoursasseoirà  cheval.  L'Arabie  XII'  dyn.  —  Le  i)haraon  Sonkheri  Amoni  se 

et  tous  les  princes  de  Qêdâr  trafiquaient  avec  vante  d'avoir  fait  faillir  les  Hanehou  (peuples 

toi,    et  faisaient  le  commerce  en   agneau.x,  en  <lu  nord)  qui  plus  tard  sous  les  Plolémées  furent 

béliers,  en  boucs.   Les  marchands  de   Schebâ  l'équivaknl  des  Ioniens.  (Cf.  Lepsius,  Denkm., 

et  de  Raemàh  trafiquaient  avec  toi;  de  tous  les  II,  150.   —  D.   Mali. et,   les    Premiers  Elablisse- 

ineilleurs  ar(jmales,  de  loute  espèce  de  i)ierres  ments  des  Grecs  en  Egi/ple,  1893,  introd.,  p.  5.) 
I)récieuses   et  d'or,  ils  i)Ourvoyaient  tes  mar-  Thoulmés  III    parle   de  ceu.\    qui   habitent 

chés.    {Ezechiel,   XXVII,   19-22.    -    Fr.  Le.nor-  les  îles  dans  la   Ci;  iule    Mer,    du  pays  d'Asi 

MANT,  les  Origines  Je  ihisloire,  t.  III,  p.  15.)  (Chypre)  [Lepsius,    Denkm.,  III,  5,  1.  3-4,  stèle 

(2)  Pour  les  Grecs  de  l'époque  homérique,  la  de  Tobosj.  Il  y  a\ail  alors  un  gouverneur  des 
piraterie  était  un  métier  avouable.  (Cf.  Odyssée,  pays  du  Nonl,  déh'gué  du  roi  dans  les  districts 
IX,  40  et  sq.  ;  XI,  401  et  sq.  ;  XIV,  85  rt  sq.',  etc.)  situés  dans  la  Trés-Verte.  (Cf.  D.  3Iallet,   les 

(3)  XIII"  dynastie.  —  Le  conte  de  Sinouhil  Prem.  Ehihl.  des  Crées  en  Egypte,  1893,  introd., 
(Cf.    G.     Maspero,    Contes    égyptiens,    1"  éd.,  p.  C.) 


LA     pnKPOXDKHANCE     ASSVUIENNK 


377 


d(^  la  prépondérance  égyptienne,  s'étaient,  aux  temps  assyriens, 
fermement  implantés  dans  les  pays  qu'ils  considéi'aient  déjà 
comme  leur  patrimoine  (1).  Le  rôle  éminent  qu'ils  étaient  destinés 
à  jouer  dans  la  grande  civilisation  leur  fait  une  |)lace  à  part  dans 
riiisloirc^  ;  aussi  méritenl-ils  (|u'on  remonte  dans  leurs  annales 
aussi  loin  que  faire  se  peut. 

Les  tribus  indo-européennes  qui  sinslallèrent  dans  la  Grèce 
continentale  et  insulaire  étaient  remarquablement  douées,  et  leur 
esprit,  ouvert  à  toutes  les  spéculations,  sut  tirei-  un  merveilleux 
parti  des  données  qu'ils  rencontrèrent  chez  les  peuples  asiati- 
ques (*2)  et  en  Egypte.  Les  arts  étaient  nés,  ils  les  développèrent 
dans  toutes  les  branches;  en  littérature,  en  philosophie  (S),  ils  sur- 
passèrent leurs  maîtres,  de  même  qu'en  mathématiques  et  en 
construction.  Ils  achevèrent,  en  la  perfectionnant,  l'œuvre  du 
vieux  monde;  mais  ne  créèrent  aucun  principe,  no  firent  aucune 
découverte  fondamentale  (  'i). 

Si  leurs  aptitudes  étaient  merveilleuses,  leur  progrès  fut  sin- 
gulièrement favorisé  pai-  la  position  géographique  (|u'ils  occu- 
paient. Isolés  du  reste  du  monde  dans  leurs  îles  et  dans  la  Grèce 


(1)  <■  La  j:raii(lf  migration  aryeiino  venue 
«l'Orient  s'est  partagée  en  trois  groupes:  l'un, 
traversant  1  riellesi)ont  et  la  Macédoine,  s'est 
établi  dans  les  régions  montagneuses  de  la 
Thrace;  c'est  le  lieu  d'origine  des  tribus  hellé- 
niques, qui  descendront  plus  tard  en  Grèce. 
Un  autre  s'est  cantonné  sur  les  plateaux  de 
Phrygie  d'où  il  n'est  pas  sorti.  Un  troisième 
enfin  a  occupé  les  cotes  d'Asie-Mineure  et 
colonisé  les  îles  de  la  mer  Egée  et  une  partie 
de  la  Grèce  continentale  :  c'est  la  race  pélas- 
gique  que  les  Grecs  considéraient  comme 
indigène  et  dont  les  monuments  attestent  la 
liante  antiquité.  >■  (M.  Collignon,  Man.  arcli. 
grecque,  p.  10.)  Cet  e.\posé  ne  semble  pas 
correspondre  exactement  à  la  réalité  des  faits; 
car  les  Pélasges  antérieurs  à  la  migration 
gréco-italiote  se  sont  répandus  aussi  bien  en 
Italie  qu'en  Grèce.  L'invasion  de  la  côte  d'Asie 
par  les  Ioniens  serait  dans  ces  conditions  une 
poussée  grecque  contemporaine,  ou  peu  s'en 
faut,  de  celle  des  Phrygiens. 

(-2)  La  tradition  grecque  affirmait  que  les 
chefs  de  My cènes  étaient  venus  de  Lydie  a|)poi-- 
tant  avec  eu.\  la  civilisation  et  les  trésors  de 
l'Asie-Mineure.  Ci'tte  tradition  a  été  confirmée 
par  les  recherches  de  la  science  moderne. 
Tandis  que  certains  éléments  appartenant  à 
la  culture  préhistorique  de  la  Grèce,  telle 
qu'elle  a  été  révélée  à  Mycènes  et  en  autres 
lieux,  étaient  tirés  de  l'Egypte  et  de  la  Phé- 
nicie,  d'autres  indiquentl'Asie-Mineure  comme 
lieu  de  provenance.  Or  la  culture  de  l'Asie 
Mineure  était  hétéenne.  (A.-II.  Sayce,  les 
Héléens,  trad.  J.  Menant,  p.  131.)  Les  Hèléens 


portèrent  la  civili>alion  vieillie  de  la  Baby- 
lonie  et  de  l'Egyple  jusqu'aux  limites  extrêmes 
de  l'Asie,  et  à  l'aurore  nébuleuse  de  l'histoire 
européenne,  ils  la  transmirent  à  l'Occident  ; 
mais  ne  franchirent  jamais  celte  fronlière. 
Avec  la  conquête  de  la  Lydie,  leur  mission 
était  terminée,  (/d.,  p.  132.) 

(3)  Les  idées  philosoi)hiques  émanent  de 
deux  foyers  principaux  :  celui  d'Occident, 
auquel  la  race  indo-euro])éenne  donna  son 
grand  essor,  et  celui  d'Extrême-Orient  dû  à  la 
race  chinoise. 

Chez  les  Indo-Européens,  aussi  loin  que 
nous  puissions  remonter,  nous  rencontrons  des 
idées  philosophiques  très  confuses  se  mani- 
festant sous  forme  de  mythes,  de  symboles, 
de  panthéisme  ou  de  fétichisme.  La  nature  y 
joue  un  très  grand  lôlc.  Aux  Indes,  le  jtan- 
Ihéisme  semble  ne  s'être  développé  qu'avec  les 
siècles,  tandis  que  chez  les  Iraniens  et  les 
Indo-Européens  de  l'Occident  il  s'atténua, 
enfanta  le  monothéisme  et,  peu  à  peu,  la  philo- 
sophie se  dégagea  même  des  idées  religieuses 
pour  tendre  vers  une  science  véritable. 
L'Orirnt  anaryen  ne  pcissédait,semble-l-il,  que 
des  idées  philosophiques  très  vagues  enve- 
loppées d'un  panthéisme  très  développé  et  tle 
naturisme. 

(4)  Les  Grecs  ont  moins  encore  que  les  Egyp- 
tiens proclamé  l'unité  du  divin. Les  dieux  grecs 
sont  individuels  et  variés,  louchent  de  1res 
près  à  la  nature;  il  y  avait  des  liens  très 
étroits  entre  Zeus  et  l'Elher,  entre  Poséidon 
et  la  mer,  elc.  (Laghangk, /7;sf.  relig.  scmil., 
p.  442.) 


378 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


continentale,  n'ayant  aucune  crainte  vers  le  nord,  protégés  par  la 
mer  des  peuples  qui,  en  les  subjuguant,  eussent  pu  anéantir  leur 
o-énie,  ils  furent  à  même  de  bénéficier  de  tous  les  avantaoes  de 
l'ancienne   civilisation,  sans    avoir    à   en    redouter    les    dangers. 


La  Grère  aux  temps  liéroïques. 


Divisés  avant  leur  venue  sur  la  Méditerranée,  ils  restèrent  divisés 
par  la  force  même  des  choses;  et  la  sécurité  dont  ils  jouirent  jus- 
qu'aux temps  achéméuides  leur  permit  de  se  développer  en  une 
multitude  de  foyers. 

Cette   sécurité  fut  leur  perte  au  point  de  vue  politique;  car, 
n'ayant  pas  à  se  grouper  contre  un  ennemi  commun,  ils  se  déchi- 


LA    PRÉPONDKRANT.E    ASSYRIENNE  379 

rèrent  entre  eux  et  ne  formèrent  jamais  une  nation.  Au  jour  du 
dant^er,  ils  ne  surent  même  pas  s'unir  et,  en  dépit  des  hauts  faits 
dont  leur  vanitc'  nous  entrelient,  furent  vaincus,  écrasés  par  des 
organisations  politiques  inf<Mieures  aux  leurs  comme  conceptions, 
mais  très  supérieures  par  l'unité  de  direction. 

Les  indications  les  plus  anciennes  relatives  aux  peuples  gréco- 
italiotes  sont  fournies  par  la  linguisti(|ue.  L'élude  comparée  des 
divers  dialectes  issus  de  cette  souche  commune  montre  qu'avant 
leur  séparation  toutes  ces  tribus,  dont  quelques-unes  sont  deve- 
nues plus  tard  de  grands  peuples,  n'étaient  que  les  fractions,  les 
clans  d'une  même  horde,  nomade  pendant  toute  la  durée  de  son 
exode,  et  qui  ne  devint  sédentaire  qu'après  avoir  atteint  les  terres 
les  plus  méridionales  et  le  contact  des  vieilles  monarchies. 

On  sait  que  les  mots  exprimant  les  animaux  domestiques,  les 
travaux  de  l'agriculture,  l'acte  de  moudre,  de  tisser,  de  forger,  sont 
communs  à  toutes  les  langues  indo-européennes  parvenues  jus- 
qu'à nous  ;  l'archéologie  vérifie  ces  assertions,  car  le  premier  flot 
humain  qu'on  j)eut,  avec  quelque  certitude,  considérer  comme 
aryen,  était  en  possession  de  toutes  ces  notions. 

En  dehors  de  ces  connaissances  communes  à  toute  la  race,  les 
Gréco-ltaliotes  en  acquirent  une  foule  d'autres,  alors  que,  séparés 
de  la  souche  mère,  ils  vivaient  encore  en  communauté  ;  car  ou 
retrouve,  dans  les  vocabulaires  hellénique  et  italiole,  les  mêmes 
racines  pour  indiquer  les  instruments  d'agriculture,  le  vin, 
l'huile,  etc.,  la  déesse  du  foyer,  et  ces  termes  ne  se  rencontrent 
pas  dans  les  autres  idiomes  indo-européens. 

La  langue,  produit  de  la  mentalité  grecque,  fut  en  même 
temps  la  cause  de  sa  conservation.  «  De  même  que  les  facultés  du 
peuple  hellénique  se  sont  manifestées  dans  l'épanouissement 
inconscient  d'où  est  sortie  la  langue,  de  même  la  langue,  une  fois 
formée,  a  exercé  sur  le  peuple  en  général  et  sur  chacun  de  ses 
membres,  l'influence  la  plus  puissante;  car  plus  l'organisme  d'une 
langue  est  parfait,  plus  celui  qui  s'en  sert  est  porté,  et  en  quelque 
sorte  oblio-é,  à  régler  logiquement  le  cours  de  ses  pensées  et  à 
préciser  ses  idées  (1).  » 

Dans  ses  grandes  lignes,  la  langue  était  une  quand,  aux  temps 
très  anciens,  les  Hellènes  apparurent  sur  les  territoires  de  la  Thrace 

(1)  E.  CuRTiu-,  Wis(.  grecque, Und.  Boiulier-Leclercci,  1883,  I.  I,  p-  25. 


380  LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

et  de  THellade.  De  nombreux  dialectes  fractionnaient,  il  est  vrai, 
ces  populations  et  chacun  de  ces  dialectes  était  en  droit  d'aspirer 
à  riiégémonie,  en  même  temps  que  les  tribus  en  faisant  usage 
pouvaient  prétendre  chacune  à  la  suprématie  ])()litique. 

De  bonne  heure  il  se  fit  un  tri  par  suite  de  Timporlance  rela- 
tive de  certains  peuples,  de  leur  vitalité,  de  la  situation  géogra- 
phique dans  laquelle  ils  se  trouvaient,  lors  de  leur  fixation.  Le 
rôle  politique  de  quelques  tribus  s'élargit  ;  et,  en  même  temps,  leurs 
dialectes  se  répandirent,  étouffant  ceux  des  clans  plus  faibles  ;  c'est 
ainsi  que  se  formèrent  les  dialectes  dorien  et  ionien  et  les  natio- 
nalités correspondantes,  florissant  dans  un  (h)niaine  nettement 
défini,  tandis  que  l'éolien,  d'un  caractère  plus  vague,  sans  patri- 
moine bien  net,  survécut  seulement  à  Pétat  sporadique  et  que  les 
autres  idiomes  disparurent  rapidement  (1). 

Grâce  à  leur  unitéd'esprit,lesGrecs  possédaient  les  mêmes  ten- 
dances, les  mêmes  aptitudes,  le  même  génie.  Ce  qu'ils  ont  emprunté 
du  dehors  a  été  si  complètement  régénéré  par  eux  ((u'ils  en  ont 
fait  leur  propriété  et  Tontmarqué  au  sceau  deleur  inépuisable  génie, 
portant  chacun  des  princij)es  qu'ils  reçurent  a  lapogée  de  l'exécu- 
tion par  leur  méthode,  leur  sentiment  de  l'esthétique,  leur  jugement 
droit,  leur  amour  an  beau  et  du  juste,  leur  morale  supérieure  (-2). 

Ces  qualités  intellectuelles  avaient  toujours  manqué  à  l'Asie 
comme  k  l'Egypte,  parce  que  l'ancien  monde  n'avait  pas  l'esprit 
ouvert  aux  conceptions  d'ensemble.  La  civilisalion  orientale  ne  sut 
ni  simplifier,  ni  idéaliser,  ni  généialiser. 

Peuples  jeunes,  nomades,  libres,  les  Hellènes  intervenaient 
dans  l'ancien  monde  réduit  a  l'esclavage  depuis  des  milliers  d'an- 
nées, apportant  avec  eux  un  invincible  amour  de  la  liberté  poli- 
tique et  individuelle  et  des  vertus  que  ne  pouvaient  plus  j)osséder 
des  êtres  opprimés.  Fieis,  conscients  de  leur  supériorité  phv- 
sique  et  intellectuelle,  méprisant  ce  vieux  monde  vermoulu,  ils 
firent  tous  les  eff'orts  pour  conserver  leur  indépendance  ;  et  leur 
destinée  eût  été  sublime  si,  par  leurs  divisions  intestines,  ils 
n'avaient  paralysé  l'essor  de  leui-  génie. 

(1  )  Les  Cariens  sont  désignés  (HoM.,///<i(ie,  II,  en  Grèce  comme  à  Rome,  quoiqu'à  un  moindre 

867)  comme   des  gens  -    parlant  un  jargon  ».  degré,   le    principe  d'admirables  vertus  fami- 

On  donnaitaussi  cettequalification  au.vEléens  liales.  Tout  cela  est  inconnu   des  Sémites  ;  la 

et  aux  Eréthriens.  (Deimling,  Leleger,    p.  22.)  polygamie    excluait  une    vie  de  famille  aussi 

(-2)    Malgré  bien  des  fictions  i)oétiques,  bien  intime  et  vraiment   sacrée.   fLAcnANCE,  Hisf. 

des  usages  contraires  à  la  morale,  la  religion  reli(j.  xémil.,  p.  i4i.) 
domestique    de   la  famille  fut  véritablement, 


(1)  D'nprès  G.  Maspero,  Hist.  une.  des  peuples  de  l'Orient  chissique,  t.  111,  p.  329. 


382 


LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


Les  Hellènes  n'avaient  aucun  souvenir  de  leurs  migrations  (1)  ; 
ils  se  considéraient  comme  autochtones  des  pays  où  ils  étaient  ve- 
nus se  fixer  et  savaient,  cependant, que  d'autres  peuples  disparus  (2) 
à  l'époque  historique  avaient,  pour  eux,  éclairci  les  forêts,  asséché 
les  marais,  aplani  les  rochers,  construit  les  premières  villes.  Ces 


LEGENDE 
Colomcs  Eolo-Doriznne*  1'  •    ^ 


Colonies  grecques  de  la  Propontide. 

peuples,  ils  les  désignaient  sous  le  nom  générique  de  Pélasges  (3). 
En  réalité,  ces  pré-Hellènes  n'étaient  point  les  aborigènes  ;  le  flot 
pélasgique,  de  beaucoup  antérieur  à  celui  des  Grecs,  bien  que 
son  congénère  (Zi), avait  absorbé  des  races  plus  anciennes  que  lui. 


1)  Suivant  V.  Lichtenberg  (Be/frn^e  :.  alles- 
leii  Gesch.  v.  Kijpros.,  Berlin,  1906)  et  d'autres 
(O.  Richler),  les  Thraco-Flirygiens,  descen- 
dus de  la  Hongrie  en  Asie  Mineure  et  à  Chy- 
pre, auraient  apporté  la  civilisation  pré-mycé- 
nienne, détruite  vers  le  onzième  siècle  par 
les  Doriens,  porteurs  de  la  culture  mycénienne 
(Reisch,  Dœrpfeld).  Mais  les  données  sur  les- 
quelles s'appuient  ces  auteurs  sont  fort  pré- 
caires (Cf.  A.-J.  Reinach,  Rev.  d'ethnog.  el  so- 
cial. Paris,  février  1908,  p.  107)  el  ne  prouvent 
en  aucune  manière  que  la  civilisation  pré-mycé- 
nienne de  Chypre  fut  thraco-plirygienne, 
c'est-à-dire  indo-européenne.  Il  semble,  au 
contraire,  qu  elle  fut  le  fait  d  une  race  médi- 
terranéenne anaryenne  et  non  sémite.  (Cf.  R. 
DossAUD,  L'île  de  Chypre  aux  âges  du  cuivre 
et  du  bronze,  ds  Rev.  Ecole  Anthrop.,  Paris, 
,  1907.) 

(2)  Les  Lélèges,  suivant  Suidas,  étaient  des 
gens  de   sang  mêlé  (Cf.   Deimling,  Leleger,  p. 


99),  formés  par  le  mélange  des  anciennes  ra- 
ces avec  les  Hellènes  et  les  Pélasges.  Kiepert 
[Monalschr .  der  Kyl.  Acad.  d.  lV/.s-.s.,  1861,  p. 
144)  les  assimile  aux  Illyrieiis,  dont  les  des- 
cendants se  retrouvent  aujourd'hui  dans  les 
Chkipélares  ou  Albanais.  (E.  Curtius,  Hisl.gr,. 
trad.  H.  Leclercq,  188.3,  p.  57,  notes  1  el  2.) 

(3)  Les  Pélasges  et  les  Tyrsenès  (Turses) 
ne  seraient  qu'un  même  peuple  (Cf.  d'ARBois 
DE  JuBAiNviLLE,  Ics  Premiers  Habitants  de  l'Eu- 
rope, p.  52,  sq.),  ou  du  moins  deux  branches 
d'une  même  race.  (Cf.  Fr.  Lenormant,  /e.5  Ori- 
gines de  l'histoire,  t.  III,  p.  127.) 

(4)  Le  premier  Hellène  pur  sang  que  nous 
connaissions,  l'Achille  d'Homère,  adresse  sa 
prière  au  «  Zeus  Pélagique  »,  el  Dodone,  con- 
sidérée en  tout  temps  comme  la  première  co- 
lonie des  Pélasges,  était  en  même  temps  le 
point  où  s'attacha  pour  la  première  fois  en 
Europe  le  nom  d'Helladt.  (Hésiode  ap.  Slrab., 
VII,  7,  10.)  Ce   sont  les  Pélasges  qui,  comme 


LA     PRÉPONDÉRANCE     ASSVlilKNM; 


3<S3 


Les  Ioniens  semblent  avoir  été  ravaiit-gaide  de  la  migration 
d'où  sortit  la  Grèce  ;  mais  il  est  impossible,  jusqu'ici,  de  connaître 
les  phases  de  leurs  mouvements  primitifs.  Dès  le  quinzième  siècle, 
nous  les  trouvons  installés  dans  les  îles  et  sur  les  côtes  d'Asie  (1). 

Les  Doriens  étaient  descendus  des  montagnes  de  la  Thessalie. 
Les  Phrygiens,  dont  la  langue  est  apparentée  au  grec,  après  avoir 
traversé  le  Bosphore,  s'arrêtèrent  en  Asie  pour  s'y  fixer.  Plus  tard, 
vers  l'époque  de  l'invasion  des  Cimmériens  et  des  Skolotes,  les 
Arméniens  traversant, 
eux  aussi,  le  Bosphore, 
s'avancèrent  jusqu'en 
Silicie;  puis  allèrent  se 
fixer  dans  l'ancien 
royaume  d'Ourarthou 
qu'ils  occupaient  en  en- 
tier déjà  sous  les  Aché- 
ménides. 

Certains  auteurs  pen- 
sent qu'après  le  départ 
des  Italiotes,  les   Phry- 

ffio-Hellènes    seraient  ,  ,  

"  Le  monde  grec  après  1  invasion  dorienne, 

venus  s'installer  dans  le  vers  le  xv  s.  avant  notre  ère. 

plateau  central  de  l'Asie 

Mineure  ;  que  c'est  là  que  se  serait  faite  la  scission  entre  les 
Grecs,  les  Phrygiens  et  les  autres  tribus,  et  que  les  Hellènes 
seraient  passés  en  Europe.  Il  semble  plus  rationnel  d'admettre 
que  les  nouveaux  venus  occupaient  en  même  temps  toute  la  Thrace 
et,  après  leur  passage  du  Danube,  la  majeure  partie  de  l'Asie 
Mineure  et  que,  dès  lors,  il  se  fit  dans  ce  domaine  des  mouvements 
dont  le  résultat  fut  l'hellénisation  des  îles  et  des  deux  péninsules. 
Les  branches  européenne  et  asiatique  de  la  nation  se  retrouvèrent 
dans  l'Archipel  et  sur  les  plages  de  l'Attique  etdelaMorée,  venant 
de  directions  différentes,  ayant  vécu  séparées  pendant  un  assez 
grand  nombre  de  siècles,  d'où  ce  dualisme  qui  domine  dans  toute 
l'histoire  grecque. 


^^.  ,  \  .J^,^^^' _^^^^=- 

Jf^?;=^ ^  ■"" 

1                       =^iZ2:is^^.^}=^= 1 

peuple  agricole  et  sédentaire  (Hérodote,  I, 
56),  ont  donné  au  pays  sa  première  consécra- 
tion. (E.  CuRTics,  W(s/.  grecque,  trad.  Bouché- 
Leclercq,  1883,  l.  I,  p.  33.—  Cf.  Deimling,  Lele- 
aer,  p.  108.)  Hérodote  {I,  58}  considère  la  race 


helléni<|iu'  comme  un  rameau   qui   s'est  gra- 
duellement détaché  du  tronc  pélasgique. 

(1)  Cf.  K.  CuRTius,  llisl.  grecque,   Irad.  Bou- 
ché-Leclercq,  1883,  l,  I,  p.  36  et  note  1. 


38/i 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


De  bonne  heure,  les  Ioniens  étaient  devenus  marins.  Ce  n'était 
sûrement  pas  dans  les  steppes  du  Nord,  en  Tlirace  ou  dans  TAsie 
Mineure,  qu'ils  j)ouvaient  avoir  acquis  des  notions  sur  la  naviga- 
tion ;  ce  ne  fut  qu'au  contact  des  colons  de  l'ancien  monde,  qu'ils 
rencontrèrent  dans  les  pays  qu'eux-mêmes  allaient  conquérir. 

Les  Egyptiens  (1),  les  Cretois,  les  Phéniciens  parcouraient 
depuis  longtemps  la  ^Méditerranée,  et  les  Hellènes  furent  sûrement 
en  relations  avec  les  navigateurs  crétois  répandus  dans  toutes  les 
îles.  Ils  Irouvèi'enl  les  Phéniciens  installés  à  Thasos,  à  Lemnos,  en 
E])ire,à  Cythère,  à  Théra,  à  Pihodes,  à  Chypre,  etc.  (2),  et  trali(|uant 
sur  toutes  les  côtes.  Argos  était  un  marché  asiatique  très  fré(|uen- 
té  (3).  Les  pêcheries  de  pourpre  (/|!  de  la  Morée.  des  baies  de  la 
Licaonie,  de  l'Argolide,  de  la  Béotie,  de  l'Eubée  étaient  depuis  tles 
temps  immémoriaux  exploitées  par  les  Tyriens  (5). 

C'est  la  branche  ionienne  des  Hellènes  c[ui,  vers  le  quinzième 
siècle,  ouvre  l'histoire  grecque.  Les  Ioniens  se  répandent  sur  les 
côtes  et  dans  les  îles,  j)oussent  jus(|u'en  Hasse-Eg\  pte,  daus  la 
Sardaigne,  la  Sicile,  en  Crète,  s'établissent  comme  commerçants 
dans  les  Etats  puissants,  comme  colons  dans  les  pays  où  ils  sont  en 
force,  occupent  la  Morécl'Attique  et,  bien  que  très  divisés  comme 
tribus,  se  constituent  en  nation,  absoiljaiil  ou  refoidanl  peu  a  ])eu 
les  Pélasges  et  les  peuplades  méditerranéennes.  Des  échanges 
constants  se  faisaient  alors  dans  la  j)opulali()n  des  tliverses  colo- 
nies;  le  monde  grec  n'était  pas  encore  fixé. 

L'époj)ée   homérique    montre    la   société  hellénique  primitive 


(1)  Dans  l'époiiùe  hoinrriqiie  fornu'e  entre  la 
fin  lin  onzième  siècle  et  le  coinniencenient  du 
neuvième,  c'est-à-dire  sons  la  XXI»  el  la  XXIP 
(lynasUes,  l'Egypte  est  fré(|nemment  men- 
tionnée avec  des  détails  ([ui  prouvent  que 
celle  lerre  élail  bien  connue  des  Grecs  qui 
sûrement  déjà  y  allaient  trafiquer,  et  lentaient 
d'y  exercer  la  piraterie.  (Cf.  Odyssée,  XIV' 
clianl,  199  el  sq.  (IV,  483).  Déjà,  sous  Améno- 
lliés  III,  les  Egyptiens  entretenaient  des 
vaisseaux  dans  les  différentes  branches  du 
Nil  i)Our  empêcher  les  incursions  des  pirates 
phéniciens  el  grecs.  Mais  cette  piraterie  ne 
devint  inquiétante  que  sous  la  XIX'    dynastie. 

(-2)    Cf.    ReINHOLD,     Fp.EIllEUli     VON      LlClITEN- 

BERG,  Beilràije  zur  alteslen  Gesrhichle  von  Kij- 
pros,  Berlin,  190(5.  —  Les  plusanciens  docu- 
ments écrits  i-elalifs  à  l'ileile  Chypre  sont  les 
annales  de  Tlioutmès  III  (1515-1461).  L'ile  en- 
vovait  alors  en  Egypte  des  lingots  de  cuivre 
et  de  plomb,  des  essences  et  des  bois,  des 
bœufs  et  des  esclaves,  des  dents  d'éléphant  et 
de  la  pierre  tdeue  (lapis-lazuli  '?)  sous  Amé- 
uophis  IV.  Cent  ans  plus  tard  (tablettes  d'El- 
Amarna),  les  rois  d'Alasi;i  envoyaient  jusqu'à 


500  talents  de  cuivre  en  échange  d'or  el  d'ar- 
gent. Chypre  ne  semble  pas  avoir  été  alors 
sous  la  domination  pharaonique,  mais  subissait 
grandement  lintluence  égy|)lienne,  directe- 
ment et  par  l'intermédiaire  de  la  Phénicie. 

(3)  Cf.  E.  CuRTius,  Die  Phœnizier  in  Argos, 
ap.  Fthein.  Mus.,  1850,  p.  455,  sq.  —  Hérodote, 

I,  1 

(4)  PoLLLV,  Onoin.,  I,  45.  —  Acuill,  Tal.,  I,  i; 

II,  II.  —  JoAN.Lvn,  De  Mens.,  I,  19.  —Dion.,  II, 
23.  —^  Dio..  Chrysost.  Oral.,  t.  II,  p.  323,  éd. 
Reisk.  —  Tertull.,  De  Pallio,  c.  4.  —  Lucien, 
Quoniddo  Hist.,  etc.,  c.  10.  —  Treb.  Poi.l.,  Triy. 
Tyr.,  c.  29.  —  Justin,  I,  3. 

(5)  Aphrodite  et  Héraclès  représentent  tous 
deux  un  point  culminant  de  l'influence  phé- 
nicienne, mais  exercée  par  deux  villes  diffé- 
rentes. En  effet,  de  1600  à  1100  av.  J.-C,  Sidon 
répand  le  culte  de  la  déesse  d'Ascalon,  Aphro- 
ilile  Ourania,  apportant  en  Grèce  la  blanche 
colombe:  Plus  tard,  la  colonisation  tyrienne 
est  représentée  par  Héraklès-Melkarl.  (E. 
CuRTius,  Hisl.  Grecque,  trad.  B.  L.,  1883,  t.  1, 
p.  65.  —  MovERS,  Col.  die  Phœnizier,  \i.  58, 
sq.i 


LA    PHKPON'DÉRAXCE    ASSYRIKNNK 


385 


basée  sur  l'agriculture,  Téconomio  luralc,  la  uavig-aiion  el  le  eoin- 
merce.  Les  anciennes  difTérences  eiilie  lril)us  se  sont  atténuées 
déjà,  on  sent  chez  ce  peuple  la  tendance  vers  une  unité,  résultant 
de  siècles   d'incubation.    Les    goùls  artistiques    se  sont  dévelop- 


Notions  géographiques  des  Grecs  à  répo(iue  liomédque. 

pés  (1),  les  classes  sociales  sont  bien  tranchées,  les  lois,  les  coi 
tûmes  sont  en  voie  de  se  fixer. 


(1)  HoM.,  IIUkL,  XXIII,  7«.  Le  roi  Tlioas 
échange  ail  roi  Minyen  Erneos,  qui  le  cède  à 
Palrocle,  une  urne  d'argent  contre  un  jeune 
prince  captif.  On  remarquera  combien  les  pre- 
miers essais  artistiques  (céramique)  des  Grecs 
sont  marqués  d'iniluence  asiatique.  (Cf.  Mo- 
num.  dell'  Inst.  archeol.,  IX,  tav.  XXXIX-XL, 
des  fragments  de  vases  peints  archaïques, 
trouvés  à  Athènes  el  portant  les  traces  évi- 
dentes de  rinfluence  syro-chahléenne. 


■■  Quant  aux  ol.jets  trouvés  à  Hissarlik,  il 
est  impossible  d'y  voir,  avec  M.  Schliemanii, 
des  restes  de  la  civilisation  décrite  par  Ho- 
mère. Ils  appartiennent  à  une  époque  demi- 
barbare,  et  le  peuple  qui  les  fabriquait  com- 
mençait à  peine  à  se  servir  du  métal.  On  n'y 
retrouve  aucune  trace  d'une  inlluence  égyp- 
tienne ou  assyrienne  et  aucun  caractère  hel- 
lénique. »  (M.  Coi.i.k;no.\,  .1/(171.  arch.  tirecaue. 
p   12)  J      H     , 


386 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


La  civilisation  mycénienne  est  à  son  apogée,  par  ses  arts,  par 
ses  constructions  (1);  elle  montre  le  peuple  grec  s'efforçant  de 
transformer  en  grand  art  les  principes  qu'elle  a  reçus  de  l'Asie, 
de  la  Crète  (2).  En  même  temps  les  premiers  royaumes  se  fondent, 
vers  cette  période  dont  la  poésie  nous  a  conservé  le  récit  imagé. 

Le  onzième  siècle  vit  en  Grèce  l'invasion  dorienne,  minuscule 
mouvement  par  rapport  à  l'histoire  du  monde;  mais  qui,  apportant 
un  sang  nouveau  dans  le  Péloponèse,  en  Crète,  dans  les  îles  et 
jusque  sur  les  côtes  d'xAsie  (Carie),  devait  sensiblement  modifier 
le  caractère  du  peuple  hellène  (3). 

L'évolution  ethnique  était  effectuée;  dès  lors  les  petits  Etats 
se  développèrent  en  nombre  infini.  Les  luttes  en  commun  pour 
un  temps  terminées,  on  vit  reparaître  les  rivalités,  les  jalousies 
d'antan;  et,  avec  elles,  ces  guerres  de  ville  à  ville,  de  district  à 
district,  dont  le  seul  intérêt  est  dans  l'admiralde  manière  dont 
elles  ont  été  narrées. 

Les  Grecs,  qui  se  considéraient  comme  des  êtres  très  supérieurs, 
nous  ont  laissé  de  volumineux  récits  de  leurs  querelles,  où  la  vanité 
grossit  les  faits  et  leurs  conséquences.  Il  semblerait,  à  les  entendre, 
(jue  d'une  rencontre  entre  Athéniens  et  Thébains  ou  Spartiates 
devaient  sortir  des  événements  d'une  importance  mondiale,  et 
malheureusement  cette  façon  de  voir  les  choses,  exploitée  par  la 
plupart  dos  historiens,  épris  de  la  belle  langue  hellène,  s'est 
hansmise  jusqu'à  nous;  faussant  ainsi  l'idée  qu'on  doit  se  faire  de 


(1)  M.  Steindorff  {Archœol.  AnzeUjer.,  WJ-2, 
|i.  11,  sq.),  en  s'appuyanl  sur  des  peintures  de 
lonibeaux  égyptiens,  montre  que  cette  civili- 
sation selendait  dès  le  temps  de  Thoiitniés  III 
(vers  1470),  non  seulement  aux  îles  de  la  mer 
Egée,  mais  au  Kiiiti,  aux  gens  de  Tourip  et 
de  Kadesch,  c'est-à-dire  aux  peuples  de  la 
Syrie  du  Nord,  des  pays  voisins  du  golfe  d'Is- 
sos,  et  probablement  à  l'ile  de  Chypre.  (D. 
MALLET,/es  Premiers  Elabl.  des  Grecs  en  E(ji/ple, 
1893,  p.  437-8.) 

(i)  Il  y  a  dix  ans  encore,  avant  les  décou- 
vertes d'Egypte,  de  Syrie  et  enfin  d'Elam,  on 
considérait  les  vases  à  ornementation  géomé- 
trique trouvés  dans  toute  la  Grèce,  à  Mycènes, 
à  Egine,  en  Attique,  etc.,  comme  <>  les  pro- 
duits d'un  art  national,  ne  devant  rien  à  l'imi- 
tation étrangère  (Cf.  A.  Couze,  Zur  Geschi- 
chle  der  AnfurKje  Griechischen  Kunst.  —  M. 
CoLLiGNON,  Mari.  arch.  grecque,  p.  274),  que 
l'on  retrouve  dans  le  nord  et  qui  a  été  com- 
mun à  tous  les  peuples  médio-européens 
avant  leur  séparation  ».  (M.  Collignon,  op.  cil., 
p.  276.)  —  L'ornementation  géométrique  chez 
les  peuples  aryens  primitifs  ne  présente  pas  du 
tout  les  mêmes  caractères  que   cette  même 


oruementation  chez  les  anciens  Asiates,  et 
c'est  cette  dernière,  un  i)eu  mélangée  de  goOt 
indigène,  qui  apparaît  dans  les  premiers  es- 
sais des  Hellènes.  Quant  à  la  peinture  céra- 
mique, nous  avons  vu  qu'elle  était  absolu- 
ment ignorée  des  Aryens  avant  leur  entrée 
en  contact  avec  les  Asiates. 

(3)  Colonnes  d'ordre  dorique,  dans  le  temple 
de  Karnak,  construites  sous  la  XIX«  dynastie, 
dans  les  tombeaux  de  Béni  Hassan.  Le  plus 
ancien  temple  grec  de  cet  ordre  est  celui  de 
Corinthe,  vin»  s.  (?)  ;  viennent  ensuite  ceux 
de  Sélinonte  (vii«  s.),  de  Syracuse,  de  Paes- 
tum  (vi«  s.),  d'Egine,  de  Thésée  à  Athènes 
(v  s.).  En  sorte  que  le  prétendu  ordre  do- 
rique ne  vint  au  monde  dans  les  pays  hellènes 
que  plus  de  mille  ans  après  qu'il  était  déjà 
connu  et  employé  en  Egypte  pour  les  grands 
monuments. 

L'ordre  ionique  n'appartient  pas  plus  aux 
Grecs  que  l'ordre  dorique.  Dans  le  palais  de 
Sargon  à  Khorsabad,  à  KouyoundjiJi,  à  Gol- 
gos,  en  Fhénicie,  en  Asie  Mineure  (Plerium), 
on  retrouve  tous  les  éléments  de  l'art  ioni- 
que. Seul,  l'ordre  corinthien  semble  jusqu'ici 
appartenir  en  propre  à  la  Grèce. 


LA     PRKPONDÉHANr.Ii    ASSYRIENNE  337 

la  politique  générale  du  vieux  monde.  Cela  tient  à  ce  que,  comme 
les  Hébreux,  les  Grecs  nous  ont  transmis  leur  histoire  ;  tandis  que 
les  autres  peuples  ne  nous  ont  presque  rien  laissé  jusqu'ici  ;  ou, 
tout  au  moins  ce  (|u'ils  ont  laissé  n'a  point  encore  été  retrouvé. 

Les  Grecs,  qui  dans  quelques  siècles  feront  la  conquête  du 
monde,  ne  seront  pas  ces  beaux  i)arleurs  d'Athènes  et  du  Pélo- 
ponèse  ;  mais  les  peuples  du  Nord  hellénique,  vigoureux,  éner- 
giques, dociles  aux  ordres  de  leurs  maîtres.  Hommes  qui  s'étaient 
appris  à  l'Ecole  du  Sud,  mais  n'avaient  retenu  de  cet  enseignement 
que  ce  qu'il  fallait  pour  ne  pas  cesser  d'être  des  soldats. 

Pendant  que  l'Ancien  Monde  s'abîmait  dans  l'anarchie,  en 
75/4-753  avant  notre  ère,  sur  les  rives  d'un  petit  fleuve  près  du 
bord  de  la  mer,  loin  du  centre  du  monde,  se  fondait  une  ville, 
modeste  hameau  de  huttes  peuplé  de  laboureurs  et  de  bergers 
barbares.  Son  territoire  ne  dépassait  pas  quelques  lieues  en  dehors 
de  ses  murs  ;  elle  ne  se  distinguait  en  rien  des  bourgades  de  son 
voisinage,  qui  toutes  l'égalaient  en  pouvoir,  étaient  aussi  obscures 
qu'elle  (1). 

Mais  Home  était  désignée  par  le  destin  pour  gouverner  le 
monde.  Elle  devait  un  jour  réduire  en  provinces  tous  ces  royau- 
mes, tous  ces  empires  qui,  au  moment  de  sa  naissance,  se  dis- 
putaient la  suprématie.  De  ces  rois  d'Assyrie,  de  Babylone,  de 
Syrie,  de  Phénicie,  des  Hétéens,  des  Pharaons,  des  Hellènes'qui 
tous  l'ignoraient  encore,  elle  devait  asservir  les  descendants,  en 
faire  ses  sujets,  ses  clients  (2),  ses  esclaves. 

La  péninsule  Italique  n'était  pas  restée  en  dehors  des  vicissi- 
tudes avant  même  l'arrivée  des  Italiotes  qui,  sur  les  bords  du 
Danube  ou  dans  la  Thrace,  venaient  de  se  séparer  des  Hellènes. 
Les  nouveaux  venus  trouvèrent  dans  le  pays  une  foule  de  peuples 
de  races  ligure  et  pélasgique  ainsi  que  des  autochtones  (3). 

(1)11  était  généralemeiil  admis  autrefois  que  (3)    Italie,    civilisation     de    Villanova      Cf 

phabet  giec  M.  Brea    (.l/em.  Soc.  Lmgui.s/(qae,       pressa    Bolayna,   Bologne,    1S55.    -    Z^nnovi 
L  \  II,   p.  129,  sq  ;  149,  sq,,  a    cherché  à    dé-        Gli  scavi  délia  Cerlosa  di  Dolonna,  1876.'- Bri- 

TfnJ'l^  T  '  ''r'^"'  f '';'^'  •'''"  '^^'  S'""'^'  ^■*''  ^''  ""''"■'  "^""  '•^!/'«"«  cirLnpadana,   mi. 

mais  par  1  mtermed.aire  de  l'étrusque,  et  que  -  G.  GHmAiu.LNi,  La  necropoll  antichisshna  di 

c  est,  non   des  Grecs^du  Sud  de   ritalie,  mais  Corneto.  Tarquinia,  1882.  Celte  civilisa  io^s  es 

lesBolTn"'""'/''^'"'".'"'^'  '^'  ^"'^'   ^'"^  surtout  développée  dans  la  vallée  du  PoE^e 

^.    Ror  .r.    t'^''"'"  '  'T'"-  ,      r.  ^°'°S"^^   ''  J"«^"«    ''«"^  l'Elrurie    centrale 

riniir.r    ^''^'"  ^''.•^'^"^'"^   '°"«  'es  Etats  de  (Poggio  Renzo.  Chiusi,  Cerveiri, Corneto,  etc.). 

lant.qu.te    par  1  autocratie  ;  puis,   en   510  av.  L'une  des  caractéristiques  de  la  poterie  vil- 

t'u:'\Z       otab  issement  du   régime  répuhli-  lanovienne  est  l'ornemenlation.  non  plus  inci- 

ro     rt.m  n  défenseurs  du  vieux        Ce  procédé  se  retrouve  dans  la  poterie  hellé- 

'  nique  primitive,  dans  le  Danube,  le  Caucase, 


388 


LES    PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


Il  est  bien  difficile  d'indiquer  Forigine  ethnique  de  ces  diverses 
tribus,  leurs  noms  seuls  nous  restent,  leur  langage  s'étant  perdu; 
mais,  pour  certaines  d'entre  elles,  nous  possédons  quelques  notions 
sur  leur  lieu  d'origine. 

La  migration  la  plus  ancienne  semble  être  celle  des  Ligures, 
peuple  couvrant  alors  tout  l'occident  et  le  centre  de  l'Europe,  et  sur 
lequel  j'aurai  l'occasion  de  revenir  ;  puis  vinrent  celles  des  Phrygo- 
Pélasges,  des  Sicanes  venus  d'Espagne,  des  Celtes  sénonais,  des 
Boïens,  des  Insubriens,  des  Cénomans  de  Gaule,  des  Étrusques 
descendus  des  Grandes  Alpes,  des  Vénètes  issus  des  Alpes  Ju- 
liennes. 

Dans  la  vallée  du  Pô  et  sur  la  côte  occidentale,  on  rencontrait 
des  Sicules(l);  tandis  qu'au  sud-est  se  trouvaient  les  Dauniens, 
Peucétiens,  Mésappiens,  (|u'une  tradition  fait  venir  de  l'île  de 
Crète,  Liburnes  de  race  illyrienne,  Thyrenniens  venus  de  Lydie. 

Le  seul  État  de  quelque  importance,  dans  l'Italie  d'alors,  était 
celui  des  Étrusques  (2)  ;  très  développé  au  point  de  vue  artis- 
tique  (3),    fournissant   d'habiles   navigateurs,   il    tenait,  avec   les 


le  Nord  de  la  Perse,  etc  (Cf.  J.  i-e  Mi)R<;an, 
Mis.tion  scientifique  nu  Ctiuctise,{.  I,  1889,  lig.  155 
el  162.  —  In.,  Mission  scientifique  en  Perse, 
l.  IV,  I"  partie,  p.  117,  fig.  122),  en  Scandiiiovie 
el  dans  la  majeure  partie  de  l'Europe.  Toute- 
fois, nous  ne  rencontrons  pas  exactement  cette 
technique  dans  les  anciens  pays  asiatiques; 
elle  semblerait  être  spéciale  au.v  Indo-Euro- 
péens  ou  tout  au  moins  aux  peuples  venus  de 
l'Asie  septentrionale.  Sur  les  terramares,  Cf. 
G.  DE  MoRTiLi.ET,  Les  terramares  du  Reggia- 
nais,  in  Rev.  nrch..  1865,  t.  XL  p.  302,  sq.  —  Id. 
le  Signe  Je  lu  croix  avant  le  christianisme.  Paris, 
1866— W.Uelbig,  Die  Ilaliker  in  der  Poetjene, 
Leipzig,  1879,  p.  7-'.t.  Bibliographie  des  terra- 
mares. 

(1)  Grote  {Hist.  nf  Greece,  t.  III,  P-  iSi^)  ad- 
met la  parenté  des  OEnotriens  et  des  Sicules 
avec  les  Epirotes  et  en  fait  une  branche  de  la 
race  hellénique.  Mais  il  semblerait,  d'après 
les  rècentesdéconverles  archéologiques  d'Oi'si, 
que  ces  peuples  étaient  des  aborigènes  ou  tout 
au  moins  le  produit  d'un  mélange  très  anté- 
rieur aux  Hellènes,  avec  les  anciennes  races 
méditerranéennes. 

(2)  Denys  iVHalicarnasse,  L  22,  2;  Silius  Ita- 
liens, XIV,  37.  Cf.  HouM,  Geschiclile  Siciliens. 
1870,  p.  360. 

(3)  Thuciidide,  VI,  2,  2.  Ai'ienus,  485  et  46i. 
Eralhosthène,  ap.  Strabon,  II,  1,  40. 

LinQuence  orientale  sur  l'art  étrusque  ne 
fait  aucun  doute  (Cf.  W.  Helbig,  Cerni  so- 
pra  l'arte  fenicia,  in  Ann.  dellinstii.  di  corr. 
nrcheoloyica.  1876,  p.  197,  sq.  —  Clermont-G.\n- 
MEAU,/a  Coupe  phénicienne  de  Palestrina,  Paris, 
1880);  elle  se  produisit  directement  de  Phénicie 
(Trésor  de  Palestrina)  ou  d'Egypte  et  aussi  par 


linlermédiaire  de  la  civilisation  minoenne 
(dont  le  rOle  fui  si  considérable  dans  la  Médi- 
terranée avant  le  xi'  s.)  el  des  comptoirs  phé- 
nico-carlhaginois.  Plus  tard,  à  jtartir  du  on- 
zième siècle  el  surtout  du  huitième  au  qua- 
trième, l'esprit  grec  domina  dans  toute  l'Italie. 
iCf.  Raoul  Rochette,  Hisl.  critique  de  l'établis- 
sement des  colonies  grecques,  4  vol.,  Paris,  1815. 
—  Fr.  Lenormant,  /((  Grande  Grèce,  2  vol.,  Pa- 
ris, 1881.  —  Saalfeld,  Der  Hellenismus  in  Ln- 
tium,  Wolfenbuttel,  1883.) 

Parmi  les  produits  importés  de  Grèce  en  Etru- 
rie,  il  faut  signaler  en  première  ligne  les  vases 
peints,  communément  appelés  étrusques,  mais 
(|ui  |>our  la  plupart  ont  été  fabriqués  en  Grèce. 
Les  importations  céramiques  en  Etrurie  ont 
duré  longtemps.  Dans  lescimelières  étrusques, 
tous  les  styles  sont  représentés  :  le  style  co- 
rinthien ou  asiatique  qui  fleurit  en  Grèce  aux 
septième  et  sixième  siècles,  les  vases  à  fond 
rouge  et  figures  noires  (fin  du  vi'  el  début 
du  v  s.),  les  vases  à  fond  noir  el  figures 
rouges  (v^  el  iv  s.),  sans  compter  une  foule 
d'objets,  de  bijoux  de  provenance  grecque 
mais  dont  l'origine  est  plus  difficile  à  établir. 
(Cf.  J.  Martha,  Man.  archéol.  étrusque  et  ro- 
maine, p.  39,  sq.) 

L'influence  Cretoise  fui  aussi  de  gramle  im- 
portance sur  le  développement  de  l'art  en 
Etrurie.  Le  joueur  de  cithare,  les  danseuses  de 
Cornelo  et  bien  d'autres  motifs  rappellent  beau- 
coup plus  l'art  minoen  à  son  apogée  (|ue  l'art 
grec  mycénien  ou  post-mycénien. 

La  céramique  nationale  de  l'Elrurie  est  la 
poterie  noire  à  reliefs  ;  on  la  trouve  seulement 
dans  les  territoires  compris  entre  le  Tibre  el 
Sienne.  Quant  à  la  céramique  peinte,  elle  ré- 


LA    PRKPONDÉRANCE    ASSYRIENNE  339 

Ligures  de  Gênes  et  de  Provence,  la  A[éditerranée  occidentale. 
Les  Lignres  poussaient  leurs  incursions  maritimes  jusqu'en  Sar- 
daigne,  en  Sicile  et  sur  la  côte  d'Afrique  (1),  malgré  la  présence 
des  comptoirs  phéniciens  et  grecs,  dont  peu  à  peu  les  côtes  se 
couvraient. 

C'est  de  ce  milieu  si  complexe  que  se  fit  le  |)euple  romain. 
Grand  i)ar  sa  majesté,  par  son  respect  de  soi-même,  habile  en 
toutes  choses  de  la  politique  et  du  gouvernement,  soldat  et  marin 
intrépide,  il  fut  le  j)remier  à  organiser  un  empire  sur  des  bases 
rationnelles,  sans  faiblesses,  sans  cruautés  inutiles.  Ayant  conquis 
le  monde,  il  organisa  ses  provinces  de  telle  manière  qu'aujourd'hui 
encore  les  Etats  fondés  sur  ses  ruines  vivent  de   ses   traditions. 

Le  Romain  n'était  pas  spontanément  artiste,  son  caractère  se 
rapprochant  beaucoup  j)lus  du  côté  utilitaire  que  de  celui  de  l'es^ 
thétique.  Il  posséda  cependant  de  fort  belles  choses;  parce  qua 
Rome  et  dans  toute  1  Italie  on  appréciait  les  œuvres  des  sculpteurs 
et  des  peintres  qui  prescjue  tous  étaient  des    Hellènes. 

En  littérature,  la  Grèce  fut  encore  sa  maîtresse;  mais  Rome 
produisit,  par  elle-même,  des  morceaux  qui  ne  le  cèdent  en  rien 
aux  plus  belles  œuvres  des  Hellènes.  Elle  emprunta  tout  du 
monde  grec,  sauf  ses  défauts  ;  aussi  pendant  que  les  tribus  se 
déchiraient  entre  elles  dans  l'Hellade,  la  ville  éternelle  marquait 
sa  destinée  au  sceau  de  la  gloire  durable. 

En  ce  qui  regarde  l'occident  et  le  centre  de  l'Europe,  il  n'est 
parvenu  jusqu'à  nous  aucune  indication  permettant  d'attribuer  un 
nom  aux  populations  qui,  descendant  des  hommes  pléistocènes, 
habitaient  le  pays  en  même  temps  que  d'autres  immigrées  depuis 
un  temps  plus  ou  moins  long.  Ces  hommes  se  sont  fondus  en  une 
masse  qui,  pour  les  premiers  géographes,  avait  reçu  l'appellation 
générale  de  Ligures  (2). 

Les  Ambrons  de  l'Apennin  étaient  des  Ligures  (3),  de  même 

snlte  <l  un.,  part,  nux  VI'  el  V  siècles,  dini-  senc-  en  Klrurie  de  poteries  grecques  p„rlanl 

porlalions  grecques,  d  autre  pari  de  fabri.fues  des   inscriptions    en    caractères    corintiiiens 

locales   coi)ianl  les   modèles  grecs  el  prenant  (M.  Collignon,  Man.  dfarch.  grecque   p   2^6  )  "  ' 

d'autant    plus    diniporlance     (pion    séloigne  (1)  Cf.  Possidonius,  ap.  S;rn6o/!    IH    ivl7 

plus  (le  la  l)e!le  epo(pie.  (Cf.  A.  DtiMONT,  Pe/n-  el  D/odore,  V,  39                                  '        '       '      • 

lures  '-^ranuqiw^  ■''J:i^i''^''  ^''^'P'^'  !'•  ^5,  sq.)  (-2)  Les  j.lus  anciens  lextes   sur  les    Ligures 

Vers  1  an  6r,.=i  (ol.  XXXI,  2),  le  Corinthien  Dé-  (A.'y.eç   Liguses,  Ligures)  sont  :  vers  6(X),  Ps. 

marale,  chasse  de  Corinlhe  par  le  lyran  Kyp-  Hésiode,  cité  par  Eraloslhène,  ap.  Slnibon,  VII, 

selos.   emigra   a  Tarquinies,  accompagné    de  3,  7  ;  vers  50(),  Hécatée  de  Milft,  fV  Hisl    Gr 

deux  artistes,  Eucheir  et  lùuirammos  (<pii  Irace  I,  i>.  2  ;  vers  500-470,  Ai'iemis,  132,  135,  190,  «28  ' 

de  belle- lignes)  ip///ie  IL  N..  XXXV,  12-43].  Il  £.sc/.,//e,  ap.  S/;vj6o/),  IV,  i   7   an  Demis    I    41  ^> 

semblerait  (|ue  Demarale  amena  avec  lui   des  (3)  Plutarqle,  3/(i;("(;.<,  19                                '" 
ouvriers  céramistes,  ainsi  s'expliquerait  la  pré- 


390  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

que  les  habitants  des  côtes  de  Provence  (1),  du  bassin  du  Rhône  (2), 


L^   I   G  U  R  E  S 


L'Italie  ver^  l'époque  de  la  fondation  de  Rome  '750  av.  J.-C). 

de  la  plaine  de  Narbonne  (3),  des    côtes   du   golfe  Atlantique  (û), 
de  la  Gaule  entière  (5)  et  de  bien  des  pays  riverains  de  la  mer  du 


fl)  Hécalée,  Fr.  2-2,  Didot. 

(2)  Aristote,  Météorologiques,  I,  13,  29. 

(r,  Hécalée,  Fr-  20,  Didol. 


(4)  Avienus,  196. 

(5)  Liicain,  I,  443-4.  Cf.     S.  Reinacii,  Culles, 
I,  1905,  p.  213. 


LA    PRÉPOXDKRANCE    ASSYniF-NNE  391 

Nord  (1),  en  Angleterre,  en  Irlande,  en  Allemagne  ;  on  les  retrou- 
vait encore  ailleurs,  en  Italie  (2),  en  Sicile  (3),  en  Espagne,  etc. 

Les  Anciens  ne  distinguaient  les  peuples  que  par  leur  parler  ; 
il  est  donc  à  peu  près  certain  que  la  même  langue  s'entendait, 
vers  le  dixième  siècle  avant  notre  ère,  dans  tout  l'occident  de 
l'Europe.  Les  traces  qu'on  en  retrouve  dans  les  noms  géogra- 
phi([ues  feraient  pencher  vers  cette  hypothèse  (^i),  qu'avant  la 
venue  des  Gaulois,  ces  pays  étaient  occupés  par  une  population 
sensiblement  homogène  (5),  tout  au  moins  par  le  langage. 

^lais  cette  homogénéité  ne  tarda  pas  à  être  troublée  par  de  nou- 
velles invasions;  il  s'installa  des  groupes  étrangers  par  le  parler, 
les  mcrurs  et  les  tendances,  vivant  au  milieu  des  pays  ligures,  mais 
conservant  leurs  traditions.  (Quelques  exemples  sont  parvenus 
jusqu'à  nous  :  celui  des  Étrusques  sur  l'Arno,  des  Ibères  dans  le 
bassin  de  l'Èbre,  des  Latins  sur  le  Tibre,  peut-être  aussi  des 
Sigynnes  sur  la  rive  droite  du  Danube,  foyer  de  la  civilisation 
dite  de  Hallstatt  (6). 

L'unité  des  Ligures  eux-mêmes  n'était  que  bien  relative  ;  car, 
malgré  notre  ignorance  sur  les  migrations  très  anciennes,  nous 
ne  pouvons  admettre  que  l'occident  de  l'Europe  n'ait  pas  été, 
comme  le  reste  du  monde,  troublé  i)ar  maints  cataclysmes  ame- 
nant des  mouvements  de  peuples,  par  une  foule  d'invasions  et  de 
guerres  mélangeant  les  races  entre  elles.  Tel  qu'il  nous  apparaît,  le 
Lio-ure  doit  donc  être  considéré  comme  étant  le  produit  d'éléments 
très  complexes  dont  les  détails  nous  échappent  (7).  Les  uns  le  con- 
sidèrent comme  un  fond  anaryen(8),  les  autres  comme  le  résultat 
des  premières  invasions  indo-européennes  (9)  dans  nos  pays. 

(1)  Avieniis,  129-145.  .'6)  Cf.   Hérodote,  V,  0.   -   G.  .Iullian,    IW, 

(2)  llELBiG,  Die  llfiliker  in  der  Pœbene,   1870,        Hist.  de  In  Gnule,  l.  I,  p.  118,  noie  3. 

p.  30,  sq.  -  Les  sept  collines  de  Rome  étaient  (7)  Cf.  G.  Juluan,  \mx,op.cit  ,p.  118. -R.  de 

primilivenicnt  liabilées  par  des  Ligures  {Denij s  Bei.loguet,  Elhnoijénie,  II,  p.  337.  —  Seroi,  On- 

d^Halicarrl(^.•i!te,  I,  10,  3).  .'/'"«  «  dijjuxione  delln  slirpe  mediterrnnm,  1805, 

(3)L  Ein|)ire'élnisque  dura  septsièclesrdux'  p.  6t;,sq.;  81,  sq.-    ScHiAPAREi.i.i,Leslirpiibero- 

aiî    m"    s.    av.   J.-C.).  Sur   les    Elrusqnes,  rf.  lifiuri,  ds  Alti  delln  R.  Acrndemia,  \èm,  Tarin, 

O.    MuLLEii,    Die   Etrusker,  2    vol.,  Slult-arl,  p.  103,  108,  etc.  -  Pruner  Bev,  Bu//    Je /a  Soc 

1877.    -  Noël  des  Vergers,    l  Elrurie   et  les  (i'.4;i//ir.,  Il- s.,  I,  1866,  p.  142-467.  —  Nicolucci, 

Etrusques, 'î  vol.,  1862-6i.  AUas.—  De.nnis,  The  Anlhrop.  dell  Ilalin,  1S87,  p.  78. 

citiesandcemeleriesofElruria,i\'o\.,Londvc<^,  (8)  Cf.    Mili.e.ndorf,  I,    1870,   p.  86.  —  Hirt. 

187g_  Die  Indotjennanen,  Strasbourg,  I,  lï)05,  p.  43,  40. 

(4)' Gf    G.  Jiiui\N,   1908,  Hist.    de   In   (inule,  ,''.i)  Glno, />/e  L(;/ii;er  ni /{/je/nisc/ie.s-    Muséum, 

t_  j^  p.  112.  XXVIII,  1873,   p.  103-210.   —   Id.    Vorgeschiclite 

(5)    «  Les  images  sculptées  proclaniciit  l'unilé  Homs.  l,  1878,  p.  80,   sq.,  p.   114,  sq.  —  Maurv, 

intellectuelle   des  habitants  du  pays  gaulois,  .!/<■/.  Ecole  Hautes  Etudes,  1878,  p.  7.  G-estégale- 

d'une  grande  partie  de  l'Europe  iiiènie,  à  celte  meut  lopinlon  de  G.  Jullian  {op.  a/.,  p.  122,  sq.). 

époque   lointaine  qui   est  la   fin   de    lâge   de  L;uilliropolugie  ne  saurait  résoudre  la  question 

pierre  et  le  commencement  de  lâge  de  bronze...  de  lorigine  ethnique,  vu  qu'on  rencontre  dans 

(E.  G.vRTAiLnAc,  l- Anthropologie,  1894,  p.  156.)  les    sépultun-s    des     crânes    brachycephales 


39-2  LES     PREMIÈRES    CIMLISATIONS 

Les  conceptions  religieuses  des  Ligures  semblent  avoir  été 
fort  rudimentaires.  Pour  eux,  des  myriades  d'esprits  peuplaient  la 
nature.  Ils  voyaient  alors,  dans  les  êtres  et  les  choses  qui  les  entou- 
raient, source,  rocher,  arbre  ou  corbeau,  serpent  ou  animal  quel- 
conque, des  génies  domiciliés  sur  la  terre,  ayant  chacun  son 
domaine  à  lui,  maître  et  protecteur  du  lieu  (i). 

On  rencontre  encore  sur  les  côtes  de  l'Océan  (2 1  les  restes  des 
sanctuaires  de  ces  peuples  ;  et  il  en  existait  dans  toute  l'Europe 
occidentale  et  méridionale  (3),  Là,  des  prêtres  et  prêtresses  apai- 
saient les  éléments  déchaînés,  soutenaient  de  loin  les  guer- 
riers  (/i),  conjuraient  les  cataclysmes,  immolaient  des  victimes, 
faisaient  souvent  aux  dieux  des  sacrifices  humains  (5i. 

C'est  à  cette  race  qu'il  convient  probablement  d'attribuer  la 
construction  des  monuments  mégalithiques;  car,  bien  que  l'âge  de 
ces  édifices  ne  puisse  être  fixé  d'une  manière  précise,  nous  savons 
qu'ils  sont  antérieurs  à  la  venue  des  Celtes  auxquels,  par  erreur, 
ils  ont  été  communément  rattachés.  Les  séj)ultures  étaient  tout 
aussi  bien  d'incinération  que  d'inhumation  (6j.  Les  fouilles  exé- 
cutées en  Bretagne  l'ont  prouvé,  et  cette  constatation  vient 
appuyer  l'opinion  de  la  pluralité  des  origines  ethniques  des 
Ligures. 

Quant  aux  industries  et  à  l'armement  de  ces  peuples,  il  semble- 
rait que,  connaissant  le  bronze  depuis  plus  de  cinq  cents  ans,  ils 
remployaient  déjà  au  treizième  siècle  à  la  fabrication  des  épées  et 
{|ue,  quatre  siècles  plus  tard,  vers  900,  ils  apprirent  à  connaître  le 
fer  (7i.  Mais  ces  dates  sont  loin  d'être  établies  sur  d'indiscutables 
preuves. 

(  hioi  qu'il  en  soit,  les  hommes  qui  ont  construit  les  monuments 
mégalithiques,  élevé  sur  pilotis  leurs  villages  lacustres,  creusé 
des  pirogues,  façonné  l'argile,  tissé  des  étofles,  fondu  le  bronze 
en  instruments  délicats,  étaient  déjà  en  possession  d'une   ci\ili- 

dil   Mongoloïdes   (Priiiu-i-Bey,    Nicolcci)   et  (6j  i:!'.    i>v  Chateluhu.  les  Époques  préhisto- 

d'aulres  dolichocéphales  .sf   raltachanl  à  une  ;/(/ue.s   <?/  ijauloises  duns   le  Finistère,  1889,  [).  9, 

grande  famille  médilerranéenne.  (Cf.    Colli-  sq. 

GNON,  Bull.  Soc.  AntlirojK,  l\'   série,   I,   1890,  (7)    Cf.  Deciielette,  Mun.    arch.  préhist.    — 

p.  448-150.)  Mo.NTEi.ius,  La  chronolo<:ie  préhist.  en  France 

(1)  Cf.  JuLLiAN,  1908,  Hisl.  de  In   Gaule,   l.  I,  el  ilans  daiilres  pays  celliques,  in  lAnlliropo- 
V- 135,  .sq.  loyie,  1901.  p.  609  à  i>2.'?.  —  Id.,  Die  Chronologie 

(2)  S/ra6o«,  IV,  4,  6.  der  alteslen  Bronzezeil  in   Nord-Deutscliland 
3,1  Cf.  C.  Jl-lli.\n,   1908,  Hisl.   de    la    Gaule,        und   Scandinavien,  in  Arch.  f.  Anlhrop.,  1900. 

I.  I,  p.  144,  sq.  —  SoPHUS  Mli.ler,  Nordische  Allerluinsknnde, 

l'i]  Tile-Live,  XXXVI,  38,   1.    —    Diodore,   II.  I.  1897,  p.  405.  — Id.,  Urgesch.  Europas.  —  lloen- 

■17,2-3.  ^.ES,  in  Archir  f    Anlhrop.,  1905,  p.  238,  ji.  270, 

(ô)    Cf.  Solin,  XII,  2.  —  Tite-Live,  XLI,  18,3.  sij.  —  C.  Juluax,  Hisl.  de   la   Gaule.  1908,  l.  J, 

—  Diodore,  IV,  19,  4  el  1.  j).  102,  noie  3. 


LA    PUÉPONDI'RANCE    ASSYRIENNE  393 

sation  bien  avancée.  L'éloignement  où  ils  se  trouvaient  des  foyers 
de  l'écriture  ne  leur  permit  pas  d'en  faire  usage  et  ils  ne  songèrent 
pas  à  l'inventer.  Leurs  goûts  artistiques,  très  restreints,  ne  les 
amenèrent  pas  à  découvrir  la  pictograpliie. 

L'occident  et  le  nord  de  l'Europe  demeurent  donc,  pour  Ihis- 
torien,  jusqu'à  l'époque  de  la  chute  de  Ninive,  plongés  dans  les 
ténèbres.  Mais  cette  ère  va  bientôt  cesser  ;  car,  avec  le  sixième 
siècle,  la  colonisation  grecque  prendra  une  imporlancc  prépondé- 
rante et,  avec  elle,  rinduencc  des  vieilles  civilisations  sur  les 
masses  confuses  du  Nord  s'étendra  rapidement. 

Le  Danube  et  les  plaines  de  la  r«ussie  méridionale  avaient  vu  les 
flots  cimmériens  et  scolotes  avant  leur  entrée  en  Asie.  De  ces 
peuples,  bien  des  vestiges  se  sont  probablement  conservés  jusqu'à 
nous,  d'énormes  tumuli,  une  foule  de  tombeaux  ;  mais  il  est 
impossible,  jusqu'ici,  de  donner  une  interprétation  certaine  de 
ces  restes  et  de  leur  assigner  une  époque  précise. 

En  Scandinavie  (1)  florissait  encore  l'état  du  bronze,  de  même 
que  dans  l'Allemagne  du  Nord  et  la  Gaule  ;  tandis  que  la  Fin- 
lande semble  être  restée  très  longtemps  en  dehors  du  mouvement 
des  connaissances  métallurgiques. 

L'Iran  et  la  Transcaucasie  ne  demeurèrent  pas  indemnes  des 
vicissitudes  qui  troublaient  alors  le  monde.  Les  portes  cauca- 
siennes de  Derbend  étaient  ouvertes,  bien  des  peuples  du  nord 
les  traversèrent;  c'est  par  elles  que  passèrent  les  Scythes,  pour 
venir  dévaster  l'Asie.  La  terreur  qu'inspiraient  ces  incursions  des 
Barbares  était  si  grande,  chez  les  peuples  du  sud,  que  la  garde 
des  passages  du  Caucase  fut  dès  lors  l'objet  d'un  soin  tout  parti- 
culier de  la  part  des  Achéménides,  des  Parthes  et  des  Sassanides; 
et  que  la  nouvelle  que  les  portes  étaient  forcées  répandait  l'ellroi 
dans  toute  la  Perse  et  l'Arménie. 

Lors  de  l'invasion  du  noid  de  l'Iran  par  les  peuples  en  pos- 
session du  bronze,  les  envahisseurs  ne  rencontrèrent  dans  le 
Mazandéran,  le  Ghilan,  le  Talyche  et  l'Azerbaidjan  aucune 
résistance  sérieuse  ;  car  ces  pays  étaient,  semble-t-il,  à  peine 
peuplés. 

(1)  700  ans  av.  .I.-C.   le  fer   élail  f^énérale-  fie   l'âge   du   fer,  ds  Comptes   rendus  du    XX' 

ment  connu  dans  les  pays  Scandinaves  ;  ((uant  Congrèx    de   la    Fédér.  Aiclicol.    et    histor.    de 

à  la  période  dite  delà   Téne,  elle  correspond  Belgique,  1907.  —    Id.,  La    période  de  la  Tène 

surtout    en    Suède  aux  trois  derniers  siècles  en   Suède,  ds   Congrès  prchisl.    France,    1907 

avant  notre  ère.  Cf.  O.  Montelils,  Les  débuts  (1908),  p.  804. 


39/|  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

Dans  le  Petit  Caucase,  il  en  fut  tout  autrement;  les  habitants, 
sujets  ou  vassaux  des  rois  d'Ourarthou,  étaient  depuis  longtemps 
en  possession  du  fer;  ils  avaient  reçu  ces  connaissances  de  leurs 
voisins  Assyriens,  ^loschiens,  Thybaréniens,  etc.,  et  se  trouvaient 
dans  un  état  de  civilisation  beaucoup  plus  avancée  que  les  nou- 
veaux arrivants. 

Des  tribus  armées  de  bronze  se  heurtent  à  des  peuples  en 
possession  du  fer  ;  elles  sont  refoulées  dans  les  pays  iraniens, 
tandis  que  l'une  d'elles,  traversant  toute  la  Transcaucasie,  va  se 
fixer  dans  cette  région  rigoureuse  du  Kazbek,  près  des  portes  du 
Dariall.  Là,  se  développant  sur  elle-même,  elle  devient  les 
Ossèthes  de  nos  jours. 

11  y  eut,  certainement  ensuite,  dans  tout  le  nord  de  la  Perse, 
réaction  de  la  civilisation  du  fer  sur  celle  du  bronze.  Les  mœurs, 
les  arts  se  modifièrent  alors  de  si  brusque  façon  qu'on  est  tenté 
d'attribuer  ces  changements  à  une  invasion  modifiant  les  condi- 
tions ethniques  ;  alors  qu'ils  ne  sont,  peut-être,,  que  le  résultat 
des  razzias  opérées  par  les  Assyriens  en  Médie. 

En  Afghanistan,  aux  Indes  (1),  il  se  j)roduisit  également  bien 
des  mouvements  ;  mais  nos  connaissances  archéologiques  sur  ces 
pays  sont  encore  trop  insuffisantes  pour  qu'il  soit  permis  de  se 
prononcer  quant  à  l'attribution  des  restes  qu'on  y  rencontre  (2). 
Toutefois,  nous  savons,  à  n'en  pas  douter,  que  les  Aryens  étaient 
en  possession  du  bronze,  des  animaux  domestiques,  de  l'agricul- 
ture, du  tissage,  de  l'art  du  potier,  d'une  architecture  primitive, 
quand  ils  entrèrent  dans  le  bassin  des  Cinq-Fleuves.  Issus  d'une 
même  souche,  ils  possédaient  les  mêmes  notions  que  leurs  con- 
génères d'Iran  (3)  et  de  l'Europe  occidentale. 

La  Sibérie  était  depuis  longtemps  en  possession  du  métal  ; 
c'est  de  ses  steppes  que,  semble-t-il,  partirent  les  migrations  ;  quant 

(1) L'histoire  fabuleuse  île  llndi' commence,  (2)  Les  traditions  les  pins  anciennes  mon- 
ri'après  le  Mrt/înb/fa/Yi/a,  avant  le  troisième  mil-  trent  (vers  le  vin»  s.)  l'Inde  divisée  en  seize 
lénaire  (310-2,  auct.,  v.  2500,  d'ap.  Cuningham,  royaumes  d'imporlance  plus  ou  moins  grande 
Indinn  Eras,])\).  Q-i:^]  avec  \a  guerre  entre  les  s'élendant  de  Gandhara,  à  lextrème  nord- 
fils  de  Kourou  et  de  ceux  de  Pandou  sur  les  ouest  du  Pundj-àb  (Pechawar  el  Rawal- 
rives  de  la  Djumna.  alors  que  les  récentes  pindi). jusqu'à  Awnnti  ou  Malwa,  dont  la  capi- 
découvertes  prouvent  que  dès  les  temps  qua-  taie  Oudjain  (Ujjain}  a,  jusqu'à  nos  jours,  con- 
ternaires  l'Inde  était  déjà  peuplée.  Mais  c'est  serve  son  nom  antique.  (Cf.  Rnvs  Davids, 
seulement  vers  le  septième  siècle  av.  J.-C.  que  Buddhist  India,  p.  'i'A.j 

se  montrent  les  premiers   laits   dûment  histo-  (3)  Sur    les  lapporls  entre  la  religion  aves- 

riques.  (Cf.   .1.  Kennedy,  The  early  commerce  tique  et  celle  des  Védas,  Cf.  J.  Darmsteter, 

of  India  with  Babylon,  7(X)-300,  B.  C.,  R.  A.  S.,  le  Zend-Ave.sta,  t.  III,  1893,  introd.,  p.  xliii,  sq. 

pp.  241-288.  —   BuHLER,   Indische    Palœogra-  Ces  rapports  peuvent  dériver   d'une  ancienne 

phie,    in     Cnindrisx    Indo-Ar.    Phil.  und  AU.,  religion  indo-iranienne,  antérieure  à  la  sépa- 

Strassburg,  1898.)  ration. 


LA    PRÉPONDKRANCE     AS^VHIENNK  395 

aux  peuplades  du  sud  de  l'Inde,  de  l'Indo-Chine,  des  terres  de 
l'Australasie,  elles  en  étaient  toutes  encore  à  l'état  néolithique  (1). 

Mais,  pendant  que  ces  événemenls  se  i)assaient  en  occident  de 
l'Asie  et  dans  l'Europe,  il  se  formait  en  Extrême-Orient  une  civi- 
lisation spéciale,  née  sur  elle-même,  appelée  à  une  grande  desti- 
née locale,  celle  de  la  Chine  (2),  dont  j'ai  déjà  dit  quelques  mois 
au  chapitre  précédent. 

Comme  toutes  les  légendesa  siatiques,  les  traditions  chinoises 
reportent  les  origines  de  leur  pays  à  des  temps  prodigieusement 
anciens  (3).  Elles  placent  vers  3/|68  av.  .I.-C.  un  certain  Fo-Hi,  être 
symbolique  qui  aurait  inventé  l'écriture,  réglementé  le  mariage, 
le  o-ouvernement,  institué  le  calendrier.  Puis,  serait  venu  Chin- 
Noung,  introducteur  de  l'usage  de  la  charrue  et  initiateur  des 
procédés  pour  tirer  le  sel  de  l'eau. 

llouang-Ti,  à  partir  duquel  débute  l'ère  des  lettrés,  lut  un 
conquérant  ;  il  organisa  en  dix  provinces  les  pays  placés  sous  son 
sceptre,  fonda  le  tribunal  de  l'histoire,  encouragea  l'astronomie, 
l'arithmétique  et  la  géométrie. 

lao  (2357),  qui  commence  le  premier  des  cinq  Kings  recueillis 
par  Confucius,  joua  en  Chine,  pour  la  tradition,  le  rôle  de  fonda- 
teur d'empire.  11  dessécha  les  marais,  défricha  les  terres  incultes, 
creusa  des  canaux,  fixa  les  attributions  des  divers  ministres, 
favorisa  les  observations  astronomi([ues  et  rendit  lui-même  la 
justice. 

Les  empereurs,  au  début,  étaient  électifs;  maisa  vec  You  com- 
mence l'hérédité.  11  est  le  premier  souverain  de  la  première 
dynastie  (vers  2205).  Une  autre  dynastie  succède,  débutant  en 
1766  av.  J.-C;  puis  une  troisième  en  1122.  Il  semble  que  cette 
dernière  date  puisse  réellement  être  prise  pour  le  point  de  départ 
début  des  temps  historiques;  et  que  tout  ce  {|ui  la  précède  doive 
être  attribué  aux  phases  mythiques. 

Comme  de  juste,  les  origines  de  la  Chine  sont  extrêmement 
confuses  ;   nous  ne  possédons  à  leur  sujet  que  les  légendes  indi- 

(1)  Peul-èlre    devons-nous   rcporlcr  à  c-Ue  chte  .hipons,  in   Zeil.'^rhrift  fiir  Ellmoloijie,  Uw- 

époipie  les  stations  néolithiques  el  énéolithi-  lin,  1907,  j).  281.)  L'usage  du  bronze  semblerait 

ques  du  Cambodge.  sclre   introduit  au  Jai>on    vers  le  quinzième 

(i)   Nous  ne   connaissons  que    fort,  peu  de  siècle  et  celui  du  f(>r  vers  7()0  avant  noire  ère. 

choses    des   temps   préhistoriques    en   Chine.  (3)  Les  Tao-ssé  le   (ont  remonter  à    (les  mil- 

Pour  le  Japon,  qui   forcément  évolua   dans   le  lions  dannées,  au   rèfine  du  ciel,  qui  précéda 

cercle  chinois,  nous    sommes   un    peu  mieux  le    règne  de    la    terre,  qui  fut   lui-même  .suivi 

renseignés.  Dans  ce    pays,  à  une  civilisation  du  rcgn<-  de  lliomine,  après  lequel,  vers  .'tir.s, 

néolithique  succéda  l'état  du  bronze,  puis  celui  ai'parui  Lo-hi. 
du   fer.  (Cf.  E.  BAEia,  Ziir  Vor-uud  Urgeschi- 


396  LES  PREMIÈRES  CIVILISATIONS 

Tat>lea.u.  cies  syncl:iroiaism.es  aux  teixips 


ASSYRIE 


Achirrimnichéchon  II 
Vers  1500. 


Adail  niiaii  I' 
Vurs  13^20. 


Toiikoulli  Niiiip. 
Vers  1260. 


réaliilpliala^ar  !• 
Vtrs  1115. 


Ciiamrhi  .\<la(llll. 

V.T>  10',)0. 


Tt'glatphalasai'  1! . 
Vers  950. 


Acluiiiiiiazii-apal  11 

'884-8(1(1;. 

Salmanasar  11 

(85!»-8'2'0. 

Samsi   Ailad    IV 

(8-21-81-2'. 
Atiadiiiràri  IV 

(812-78^). 


Salmanasar  III 

(78-2-773) . 
Achoiirdaiaii  III 

(7-2-7(;i). 
Achoiirniràri  III 
(754-74(5). 
Téglatphaïasar  III 
(745-727). 
S  argon  11 
(721-705). 


Scniiachérib 

(704-681). 

Assaraddon 

;680-66H). 

As.-iourbanipal 

((;67-626) 

Chulo  de  Niiiix  c 

(6081. 


CIIALDEE 


Karaïndach  II 

(1425-1408). 


Kourigalzou  III 

(1351  1327). 


Adail-clKium-iildin 

(1245-1240). 


Melicliikhod  II 

(120>.l-lly5). 
Mardouk-pal-iddin  I" 

(1194-1182). 
Zaïnara-choun-iddiii 

(1181). 


Nabou-koudiiiu- 
oiitsotir  !"■. 
Vers  1030. 


Roi  Elamite 

(939-934,:). 


Mardouk- 
l)alalsoii-ii|l>i. 


Naboii-nal>ir 

(747-734). 
Mardouk-pal-iddhi 

(721-709). 
Rel-ibiii  (702-700). 


La  C.haldée 
provini'e  assyrienne. 


ELAM 


Allar-Kiltakh 

(roi  de  Suse). 


Khoumban- 
ounimena 

(roi  de  Susc). 


Ountacligal 


Choiitrouk 
Nakbkbounté  P 


Cliilkhak- 
in-<-|ioiicbinak  1" 


Clioiitrniik 
Naklikliomilé  II 


Chonehinak- 

eiiari-lani. 

Tepli  akhar. 


Chiikliak- 
iii-clioucliinak  11 


o  =  "J  a 
'C  9  tcj 


Ruine  de  Suse 

par 
As^oiirbaiiipal. 

(643). 


Nabiicliodoniisor. 


Prfivinre 
baliyliinieniie. 


IRAN 


Rédaction 

du 

Zend-Avesla', 

Vers  1500? 


-M 


Oejocès  (?) 
Vers  710  (?) 


Cya.xarès. 


EGYPTE 


6     Thoulhmès  III. 
■■=(  1503-1450. 

cî\  Aniénophis  III. 

g.)       Vers  1450. 
a-   Aménophis  IV. 
Vers  1400. 


Ramsès  1" 
Vers  1325. 


^\      Ramsès  111. 
Vers  1219. 


Vers  1085. 


95(1. 
Chechonq  l' 

Vers  950. 


t 


750. 
O  1  Premier  contact, 
avec  l'Assyrie 

(720;.  ' 

'À 


Tai)arkou 

(692-6(;6). 

l"  invasion 

assyrienne  (670). 

ll«  invasion 

a'-syrienne  (664). 

Indépendance. 

Psammétique  I" 


LA    PRÉPONDÉRANCE    ASSYRIENNE 
de   la    prépondérance   assyrienne. 


397 


= 

SYRIE 

.\SIE 

AFRIOIJE 

HORD  ET  CEHTRE 

CHINE 

GRECE 

ARMENIE 

ITALIE 

Ji  i.i:i; 

MINKUIU; 

1>IT  >OltI) 

llK 

o  o-V 

es' 

3 

■■^ïl 

a. 

rr 

^^^ 

-â> 

c 

^ 

-  es 

5  /i 

■i» 

-J 

l.\:i   Ë 

"O.S 

t. 

i)  i> 

- 

= 

5  S""     .^J 

n  = 

"C 

■S -S 

o 

■c2.'{-     J 

"-  o 

4j 

a  r. 

Zi                — 

'::   =^ 

■1) 

c  3 

"           c 

o    -i 

s  « 

-      G 
■  -      O 

= 

-Fin  de  lai" 
•onze  très  dt 
nienne   dans 

Péninsule. 

E  3 
9 

'c 

P 

Siège 

~"ï 

de  Troie. 

.-S      »1 

a 

li^'K? 

7] 

§    . 

0; 

0.0. 

Versli50. 

/.      C3 

z  -/ 

/)  en 

i,  0) 

■s-s 

•~     C 

O  a 
-    -o 

"o.E 

o 

- 

r  ai 

veloppés  ; 
centre  du 

que. 

O 

-OX 

1)  = 

—  UJ 

—  ^ 

IIP 

Dynastie 

(112-2;. 

ce 

> 

?S 

•o  -     .= 

y: 

c 

y 

o 

p 

-a 

o 

- 

"" 

Dr/)          "^    et 

o. 

■^ 

David 

et  Salomon. 

Vers  1095. 

Invasion 
dorienne. 

Invasion 
dorienne. 

=  if  t  1 
I^H.    .1 

«  o  es  î^  s 

'■^ 

■ô  5 
■^1 

'2 

t-^ 

.t-^=-« 

a  u 

Séparation  en 
deux  royaumes. 

3 

i-'c^ïo, 

■ti-J: 

AI)andon 
des  cités 

975. 

c 

-a 

—  II"  époque  sic 
nce  orientale 
demeuré  barba 
entre  de  la  Péi 
Nord  de 

lacustres. 

Prépondérance 

te 
c 

Campagne 
assvrienne 

Fondation 
de  Carthafie 

o 

c    • 

N    1) 

5  £  S 

de  Damas. 

o 

(860). 

•T. 

(880.) 

■a  « 

Û 

F.  de  Cu mes. 

E'r. 

b 

Fondation 

» 

de  Rome  (754). 

- 

Soumission 

Invention 

Kenais.sance 

F.deSvracuse 

i- 

aux  Assyriens 

de  la 

de 

(735) 

Oi 

i< 

(80.3). 

monnaie. 

rOurarthon. 

F.  de  Sybaris 

(725). 
F.  de  Tarent!' 

(707). 

V 
N 

5 

S 

JS'£ 

J^ 

Chute 

-H  ^ 

r 

Lvdic 

,^  (Gygès) 
Vers  693-642. 

de 
rOurarthou. 

.\rrivée  des 
Arméniens. 

Tullus 
Hoslilius 

(671). 

F.deCyrène. 
Ver.?  648. 

ti 

S/: 
•1)  g 

3   S 

Captivité 

C 

(.n86;. 

398 


LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


gènes,  dont  la  sincérité  ne  saurait  être  acceptée  sans  contrôle,  et 
jusqu'ici  l'archéologie  et  l'épigraphie  ne  nous  ont  fourni  aucun 
renseignement. 

Toutefois,  ces  légendes  sont  un  précieux  guide,  sinon  chrono- 
logique, du  moins  au  point  de  vue  de  la  succession  des  faits  ;  car 
elles  concordent,  pour  l'évolution,  avec  ce  qui  s"est  passé  dans  le 
reste  du  monde.  Nous  voyons  à  l'origine  des  tribus  barbares  semi- 
nomades,  semi-sédentaires,  sans  lois,  sans  gouvernement  autre 
que  l'autorité  absolue  de  chefs  élus. 

L'un  de  ces  princes,  Fo-Hi,  mit  quelque  ordre  dans  son  propre 
royaume.  Ainsi  naquit  une  première  civilisation  en  possession  de 
l'écriture,  et  bien  certainement  aussi  du  métal. 

Hoang-Ti,  un  autre  prince,  peut-être  du  même  district  que 
Fo-Hi,  comme  Sargon  lAncien  en  Chaldée,  étendit  ses  domaines 
et  créa  l'Empire.  Enfin,  Yao  organisa  la  conquête. 

L'écriture,  qui  vers  ces  temps  était  hiéroglyphique  (1),  dérivait 
de  la  figuration  par  une  longue  suite  de  siècles.  Elle  demeura 
entièrement  indigène  et  semble  n'avoir  subi  aucune  influence 
extérieure  (2). 

Les  hiérogly})hes  eux-mêmes  disparurent  peu  à  peu  par  la 
force  des  choses,  faisant  place  à  des  signes  tout  aussi  compliqués 
que  ceux  de  la  Chaldée,  mais  répondant  aux  besoins  d'une  langue 
bien  difFérente  et  obtenus  graphiquement  par  des  procédés  spé- 
ciaux. 

Cette  langue  monosyllabique  ou  isolante,  ne  reposant  que  sur 
les  racines  et  la  position  relative  qu'elles  occupent  dans  la  phrase, 
exigea  de  l'écriture  (3)  une  précision  que  ne  réclament  pas  les 
autres  parlers.  Certains  radicaux  jouèrent  le  rôle  de  déterminants 
et  furent  adjoints  aux  autres,  afin  d'en  préciser  la  signification  ; 


(1)  Nous  ne  possédons  pas  d'inscriptions 
ciiiiioisesen  caractères  primitifs.  Presque  tous 
les  anciens  monuments  écrits  de  la  Cliine 
ont  péri  lors  de  l'incendie  des  livres  ordonné, 
d'après  la  tradition,  par  l'empereur  Tsin-chi 
Iloang-ti,  constructeur  de  la  Gi-ande  Muraille 
en  l'an  213  avant  notre  ère.  (Pu.  Behckh,  Hisl. 
écriture  ti.s   l  Antiquité,  1891,  p.  41.) 

(2j  Un  fait  anormal  est  l'existence  en  Corée, 
dès  le  début  de  notre  ère.  d'un  système  alpha- 
bétique très  complet.  Certainement  ce  système 
n'a  pu  prendre  naissance  au  contact  de  l'écri- 
ture chinoise;  il  a  fallu  qu'il  naisse  sponta- 
nément en  Corée  ou  qu'il  y  soit  apporté  !  Cette 
dernière  supposition  semble  être  le  plus  ra- 
tionnelle (de  Rosny,  Fr.  Lenormant,  Taylor)  ; 
en  ce  cas  il  eût  été  exporté   de  l'Inde  par  les 


missionnaires  bouddhistes.  Il  présente,  en  effet 
un  certain  air  de  parenté  avec  l'ancien  alpha- 
bet |)àli  lapidaire,  dit  Kiousa.  Mais  cette 
thèse  supposerait,  dès  le  commencement  de 
notre  ère,  la  présence  de  missionnaires  en 
Chine,  fait  qui  est  loin  d'être  prouvé.  De  Corée, 
cet  alphabet  aurait  été  introduit  avec  quelques 
modifications  au  Japon,  et  c'est  de  lui  que  se- 
rait sortie  cette  écriture  indigène,  qui  y  a  été 
usitée  jusqu'au  moment  où  les  Japonais  ont  à 
leur  tour  adopté,  en  la  simplifiant,  l'écriture 
chinoise.  (Cf.  Pu.  Berger,  Hist.  de  l'écriture, 
1891,  p.  2i3,  sq.  —  Faulm.'VNN,  Dus  Duch  der 
Schrift,  Vienne,  1878,  p.  64,  sq.) 

(3)  Cf.  A.  DE  RÉ.MLS.\T,  Recherches  sur  l'ori- 
gine et  la  formation  de  la  langue  chinoise,  in 
Méin.  Acad.  incr.  et  belles-lettres,  1820. 


LA    PRÉPONDÉRANCE    ASSYRIENNE  399 

tous  même  furent,  dans  certains  cas,  appelés  à    rendre  ce  service. 

C'est  ce  qui  arriva  en  Egypte,  en  Chaldée  et  probablement 
aussi  chez  les  Hétéens,  en  Amérique  et  dans  tous  pays  possédant 
des  systèmes  qui  procédaient  de  la  figuration;  et,  de  même  que 
dans  ces  contrées,  les  signes  chinois  prirent  également  un.e  valeur 
idéographique  et  une  phonétique.  Mais  ces  analogies  sont  dues 
uniquement  à  des  causes  naturelles,  et  non  à  des  parentés  de 
langues  ou  d'écritures,  ou  à  des  influences  réciproques. 

Les  nombreux  dialectes  parlés  en  Chine,  mais  descendant  tous 
d'une  souche  commune,  montrent  les  derniers  restes  des 
anciennes  divisions  en  tribus.  Ces  dialectes  diflerent  à  tel  point 
que  les  habitants  des  diverses  provinces  ne  s'entendent  pas  les 
uns  les  autres.  L'unité  chinoise  se  fit  sur  la  langue  mandarine; 
et  surtout  sur  l'écriture,  dont  les  idéogrammes  se  peuvent  lire 
et  prononcer  dans  tous  les  dialectes,  (^uant  aux  dialectes  eux- 
mêmes,  jamais  ils  n'ont  j)Ossédé  d'écriture  propre. 

La  race  chinoise  était  grand  observateur  de  la  nature  el  de 
tout  temps  elle  la  reproduisit  avec  une  exactitude  minutieuse  ; 
mais  son  amour  pour  le  baroque,  le  contourné,  le  fantastique 
l'éloigna  du  grand  art,  de  même  que  l'Egypte  en  avait  été  tenue 
à  l'écart  par  ses  canons  religieux. 

La  Chine  se  figea  dans  la  tradition,  aussi  bien  dans  les  lois 
que  dans  les  sciences,  dans  le  culte  que  dans  les  arts.  Aujourd'hui 
encore  elle  s'y  trouve  enfermée. 

La  religion  chinoise  (l)  des  origines  nous  est  complètement 
inconnue;  elle  était  fort  probablement  polythéiste,  car  Lao-tseu 
(vers  6ZiO  av.  J.-C),  bien  que  partant  du  principe  de  l'unité  divine, 
revient  au  panthéisme  ;  (juant  à  la  morale,  ce  même  Lao-tseu 
fonda  une  doctrine  surprenante  pour  ces  époques,  trancjuille, 
pleine  de  mansuétude,  supérieure  aux  passions,  aux  intérêts,  à 
la  gloire^  qui,  tendant  vers  l'impassibilité,  poussa  vers  lascétisme 
d'une  part,  l'égoïsme  de  l'autre.  11  est  pour  l'Extrême-Orient  le 
fondateur  du  stoïcisme. 

(I)   Le  Yi-Kinçi  (livre  des  Irausformalions)  el  d'aulre  jiart  la  passivité,  le  froid,  la  nuit,  le  re- 

le  Chou-Kiruj  (livre  des  annales)  sont  les  deux  pos,  l'inertie   Ces  écoles  primitives  eurent  une 

ouvrages  qui  renferment  les  principes  fonda-  nombreuse    descendance,   parmi   laquelle    les 

mentaux  de  la  philosopliie  chinoise.  Le  Yi-King  plus  intéressantes  sont  le  système  de  la  raison 

(attribué  à  Fou  Ili)  est  le  plus  important.  Ses  de  Lao-Tseu  et  celui  de  Confucius  cherchant 

principes  se  distinguent  de  ceux  des   i)hiioso-  le  perfectionnement  matérialiste  de  l'homme 

phies  occidentales  par  leur  dualisme.  Le  ciel  par  hii-mème  en   supprimant  l'idéal,  la  nolion 

el  la  terre  en  opposition  :  d'une  pari,  la   force  du  divin, 
créatrice, la  lumière, la  chaleur,  le  mouvement; 


/lOO  LKS    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Confiicius  eut  une  autre  méthode  ;  il  se  contenta  de  recueillir 
les  anciennes  doctrines  et  de  les  grouper,  les  ramenant  à  la  sagesse 
primitive  idéale  :  l'obéissance  envers  le  Dieu  du  ciel,  Tamour  du 
prochain,  la  lutte  contre  les  passions  et  les  mauvais  instincts,  écou- 
ter la  voix  de  la  raison.  Tout,  pour  Confucius,  aboutit  à  la  piété 
filiale,  aux  vertus  domestiques,  au  culte  des  ancêtres. 

Chez  Lao-tseu  comme  chez  Confucius,  la  morale  est  pure,  le 
souci  du  bien  d'autrui  domine;  cest  l'altruisme  dont,  à  la  même 
époque,  nous  voyons  apparaître  les  premières  traces  chez  les  nou- 
veaux venus  Indo-Européens  de  l'Europe  méridionale  et  de  la 
Perse.  11  se  peut  que  ces  idées  aient  eu  leur  foyer  initial  dans 
les  pays  voisins  de  rxVltaï,  par  exemple  ;  et  que,  de  là,  elles  se 
soient,  sous  diverses  formes,  répandues  vers  lOccident  et  l'Ex- 
trême-Orient. 


GHAPITIIE  XI 


La  prépondérance  iranienne. 


Depuis  longtemps  déjà,  dès  le  douzième  siècle  (1)  avant  notre 
ère,  les  armées  assyriennes,  en  pénétrant  sur  le  plateau  iranien, 
avaient  rencontré  des  tribus  d'une  nature  ethnique  diflérente  de 
la  leur,  de  celle  des  Elamites,  des  Ourarthiens  et  de  tous  les  autres 
peuples  avec  lesquels  ils  avaient  toujours  guerroyé. 

Ces  tribus  étaient  l'avant-garde  de  la  branche  septentrionale 
des  Iraniens  ;  telles  les  Parsoua,  les  Andiou,  les  Abdadana,  les 
Manda,  les  Bikni,  etc.,  et  enfin  les  Madaï  ou  Mèdes,  dont  les  rois, 
peu  de  temps  avant  la  chute  de  Ninive,  avaient  su  grouper  sous 
leur  autorité  les  peuplades  congénères,  donnant  à  ce  nouveau 
royaume   le  nom  de  la  tribu  dont  ils  étaient  princes. 

Cet  Etat  avait  son  siège  dans  les  pays  actuels  de  l'Azerbaidjan, 
du  Kurdistan,  de  Gherrous,  de  Bidjar  etd'Hamadan.  Il  était  limité 
au  nord  par  TOurarthou,  à  l'ouest  par  l'Assyrie,  au  sud  par  les 
tribus  iraniennes  de  Perside  et,  à  l'est,  s'étendait  sur  le  pla- 
teau jusqu'au  delà  de  Ragha  et  aux  limites  du  grand  désert 
salé  (2). 

Sur  sa  frontière  occidentale,  sa  population  n'était  certainement 
pas  homogène  en  tant  que  race;  car  une  partie  de  l'Atropatène  et 

(1)  Entre  Teglalplialasar   I"   et    Aclioiirnal-  (leliAntichilà  Assira.  p.  196.  —  Anii.  d'Achoar- 

sirpal  (1110  à   857;.    Les   Assyriens   semblent  nalzirpal,    col.    II,    II.    23-75.) 

avoir  fait  peu  d'e.vpêditions  contre   les  tribus  li]   Les    habitants    actuels    du    Gliilan,   du 

du   plateau   persan.  Cependant,   ils  restèrent  Mazandéran  et  d'une  partie  du  gouvernement 

en  contact  avec  elles;  ne  serait-ce  que  dans  d'Asterâbàd  appartiennent  à  la  souche  perse, 

le    pays    de   Zamoua    (vallée   de    la   Diyalà).  Il  semblerait  (jue  leur  venue  fut  postérieure  à 

(Xenopuon,  Anabase,   II,   IV,    23.   Cf.    Fried,  celle  des  Mèdes  et  que,  si  la  niasse  principale 

Deutzsch,    \Vo  lay  dus   Panidies,   p.    186.   —  des  Perses  gagna  le  Sud,  c'est  qu'elle  ne  put 

Plise, \l, VA. —Cf.  Fiszi,  Riceicheper  lo  Studio  s'avancer    vers   l'ouest    du  plateau    déjà    oc- 
cupé par  les  Mèdes. 

26 


^02  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

des  monts  Carduques  était  habitée  par  des  tribus  émigrées  des 
vallées  du  Tigre  et  des  deux  Zabs,  sans  compter  les  déportés 
dont  Assour  peupla  certains  districts  de  Médie  (1). 

En  sorte  que,  non  seulement  lesMèdes  reçurent  de  FAssyrie, 
par  contact,  les  principes  de  leur  civilisation,  mais  que  ces  prin- 
cipes eux-mêmes  tombèrent  dans  un  milieu  fortement  mélangé 
d'éléments  appartenant  aux  plus  anciennes  couches  humaines  de 
l'Asie  Antérieure. 

En  disparaissant,  les  Assyriens  n'avaient  rien  laissé  que  le 
monde  ensanglanté  par  leurs  crimes  et  fumant  des  incendies 
qu'ils  avaient  allumés.  Aucune  trace  ne  demeura  d'eux,  ni  dans 
les  arts  ou  la  littérature,  ni  en  philosophie,  ni  dans  les  principes 
moraux,  privés  ou  publics;  mais  leur  exemple  avait  corrompu  le 
monde. 

Le  nouvel  élément,  en  entrant  sur  la  scène,  avait  apporté  dans 
son  patrimoine  des  idées  philosophiques  élevées  (2),  la  notion  du 
bien  et  du  mal  (3),  de  la  charité,  de  la  pitié;  mais  son  contact  avec 
l'Assyrie  étouffa  vite  en  lui  les  qualités  naissantes.  Mèdes  et  Perses 
furent  cruels,  cupides,  orgueilleux,  tout  comme  des  Assyriens; 
c'est   par  les  procédés  des  vieux  États  qu'ils  gouvernèrent  leur 

Empire. 

La  culture  iranienne  forme,  pour  ainsi  dire,  la  transition  entre 
la  barbarie  de  l'ancienne  Asie  et  la  civilisation  dont  l'ère  va 
s'ouvrir;  sans  unité,  sans  originalité,  sans  esprit  national,  elle 
n'est  qu'un  assemblage  mal  ordonné  des  multiples  éléments 
empruntés  aux  peuples  soumis  à  son  joug.  L'Egypte,  la  Phénicie, 

(1)  Parmi  les  campagnes  des  Assyriens  en  desAclièménidesquepar  des  données  éparees, 
pays  mèdes,  il  convient  de  citer  :  la  soumis-  soit  dans  les  inscriptions  émanées  d'eux,  soit 
sion  des  peuples  du  Zagros  sous  Salmana-  dans  la  littérature  grecque.  (J.  Darmsteter, 
sar  II  (857-822),  et  Chamchiramman  (822-810).  le  Zend  Avesta,  t.  III,  1893.  Introd.  p.  IV.)  La 
Cf.  Obélisque,  11.92-93;  141-146,  etc.  ScHRADER,  morale  avestique  reposait  sur  le  culte  delà 
Keilin.^chr.  nnd  Gexch.);  la  campagne  de  vérité,  de  la  famille,  du  travail  et  de  l'agri- 
Médie  de  Rammannirari  III  (810-781)  ;  celle  de  culture.  Le  roi  donnait  chaque  année  des 
Teo-latphalasar  II  (745-727).  —  Salmanasar  V  prix  à  ceux  de  ses  sujets  qui  avaient  le  plus 
(726-72-2)  déporte  en  Médie  des  colons  israé-  d'enfants.  (Hérodote,  I,  136.)  Il  accordait  l'usu- 
liles  (II,  Bois,  XVH,  6).  Enfin  la  colonisation  fruit  du  terrain,  i)endant  cinq  gén-rations, 
par  Saro-on  (722-704)  de  toute  la  partie  occi-  aux  cultivateurs  qui  amenaient  l'eau  dans 
denlale^du  pays.  (Cf.  A.  Delattre,  le  Peuple  les  terres  arides  (Folybe,  X,  28).  Darius 
et  lEmpire  des  Mèdes,  p.  99,  sq.).  félicite  le   satrape  Gadatès  d'avoir  acclimate 

(2)  La  religion  de  l'Iran  ne  nous  est  direc-  en  Asie  Mineure  des  plantes  d'au-delà  de 
tement  connue  que  pendant  la  période  sassa-  l'Euphrate.  (J.  Darmsteter,  le  Zend  Avesta, 
nide  ;  nous  possédons  une   grande  partie  du  t.  III,  1893.  Introd.  LXVIL) 

livre    de  celte  époque,  ÏAvesla,  et  tout  une  (3)   Dès  l'époque  achéménide   les    Iraniens 

vaste    littérature    religieuse  qui   s'est    déve-  croyaient  déjà  à  la  défaite  d'Aliriman  et  con- 

loppée  sous  ces  souverains  et,  depuis,  autour  naissaient  le  dogme   de  la  résurrection  et  la 

de  VAi'esla.  L'Avesta  même  est  représenté  par  durée  limitée  du  monde  qu'ils  fixaient  ;i  douze 

les   Sassanides  comme  les  débris  d'un   livre  mille  ans.   (J.    Darmsteter,    le  Zend  Avesta, 

achéménide,  Nous  ne  connaissons  la  religion  l.  III,  1893.  Introd.  p.  LXVL) 


LA     PRKPONDÉHANCE     IRANIENNE 


/l03 


la  Grèce,  F  Assyrie,  la  Chaldée  contribuèrent,  chacune  pour  leur 
part,  à  cet  ensemble  disparate  auquel  on  a  donné  le  nom  de  civili- 
sation achéménide. 

C'était,  de  tous  côtés,  la  (in  des  vieilles  monarchies  ;  les  peuples 


La  Médie  vers  l'époque  de  l'apogée  de  l'Empire  assyrien. 

perdaient  jusqu'à  leur  nom,  et  les  races  se  fondaient  dans  cet 
ensemble  vague  dont  les  rois  mèdes  firent  leurs  sujets.  Le 
royaume  d'Ourarthou  s'était  évanoui  lors  du  passage  des  Scythes, 
mais  les  Ourarthiens  ne  disparurent  pas  (1)  de  suite.  Ils  demeu- 

(1)  Les  Ourarthiens  avecles  Matiènes  et  les  rent  devant  les  Arméniens,  qui,  à  celte  épo- 

Saspires  formaient  encore,  au  temps  d'Héro-  que,  formaient  la  XIII"  satrapie  entre  le  Tau- 

dote  (III,  103,   lOi),    une   satrapie,   la   XVIII».  rus  et  l'Arsanias.  Refoulés  vers   le  Nord,  les 

Ce  n'est  doue  que  peu   à  peu  qu'ils  disparu-  Ourarthiens  (Alarodiens)  se  fondirent  avec  les 


ûO'i 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


rèrent  dans  les  montagnes  de  Van,  de  l'Ararat  et  du  Petit  Cau- 
case. Là,  se  fondant  avec  les  Mèdes  (Kurdes)  et  les  Arméniens 
nouveau-venus,  ils  formèrent  encore,  jusqu'au  septième  siècle, 
une  nation  distincte  ;  ensuite  l'histoire  se  tait  à  leur  sujet. 

Lesrécentes  fouilles  dans  rArménierusse  \\),  dansleTàlyche(2), 
el  le  Ghilan  (3),  ont  montré  combien  les  différences  ethniques 
étaient  encore  tranchées,  bien  que  mal  définies,  à  l'époque  où  Mèdes 
et  Ourarthiens  se  trouvaient  en  contact  sur  les  rives  de  l'Araxe. 

Alors  que  le  Petit  Caucase  ne  présente  qu'un  état  du  bronze 
très  rudimentaire  et,  semble-t-il,  de  courte  durée,  les  pays  mèdes 
offrent  au  contraire  cette  même  industrie  très  développée,  se 
perfectionnant  sur  elle-même,  suivant  trois  phases  bien  caracté- 
risées, et  appartenant,  sans  nul  doute,  à  des  tribus  distinctes  dont 
les  noms  ne  nous  sont  pas  parvenus. 

Dans  la  première,  les  armes  sont  simples  et  la  poterie  est 
rudimentaire,  sans  art.  C'est  l'époque  de  construction  des  grands 
dolmens  en  matériaux  grossiers  (ù. 

Dans  la  seconde,  les  mobiliers  funéraires  accusent  de  très 
orands  progrès.  Les  sépultures  de  cette  époque  renferment  des 
parties  bâties,  remplaçant  les  monolithes  latéraux  (5). 

Enfin,  dans  la  troisième  jdiase  (6^  l'industrie  se  montre  très 
développée;  les  formes,  en  tout,  sont  élégantes;  mais  jamais  on 
ne  rencontre  la  moindre  velléité  de  copier  la  nature. 

Pendant  que  se  développaient  successivement  ces  civilisations 
chez  les  Iraniens  du  nord,  le  Petit  Caucase  était  en  possession 
du  fer  et  exploitait  activement  ses  mines  (7). 

Plus  tard,  aussi  bien  dans  la  Transcaucasie  que  dans  le  Chilan 
et  le  Talyche,  au  cours  de  l'industrie  du  fer  8  ,  s'opère   une    véri- 


].opulalions  couoasifiiiies  (Cf.  H.  Rawlinson, 
on  Ihe  Alarodians  of  Herodolus,  in  G.  Rawlin- 
soN,  Herodotux,  t.  IV,  p.  203  et  Fr.  Lemor- 
M\NT.  /es  Origines  de  l  Histoire,  t.  II.  p.  iW-) 

(1)  Cf.  J.  DE  MORG.A.N,  MiS'iion  scienliftque  au 
Caucase,  1889,  l.   I. 

(-2)  Cf.  J.  DE  Morgan.  Mission  scientifique  en 
Perse,  t.  IV,  189G.  Rech.  archéol.,  1"  partie, 
].]..  13-125. 

(3)  Cf.  H.  DE  Morgan,  in  Méin.  Déléij.  en  Perse, 
1".K)6,  t.  VIII.  Recl».  archéol. 

(4)  Nécropole  deChirchir.  Cf.  H.  de  Morgan, 
oji.  cit. 

(h)  Nécropole  de  Nâmin.  Cf.  II.  de  Morgan. 
o/).  cil. 

(6)  Nécropole  de  Véri.  Cf.  .).  ue  Morgan, 
.l//s.s;on  en  Perse,  l.  IV,  1896,  p.  35,  sq. 

(7)  Les    principales    nécropoles    examinées 


jusqu'à  ce  jour  se  trouvent  dans  le  voisinage 
immédiat  des  affleurements  de  cuivre,  à  Allah 
Verdi,  Tchamlou(i,  Akthala,  Dilidjan,  etc., 
dans  le  petit  Caucase. 

(8)  Il  n'existe  aucune  relation  entre  l'in- 
dustrie du  fer  dans  le  nord  de  l'Asie  Anté- 
rieure et  la  civilisation  dite  Hallslalticnne  de 
l'Europe  centrale.  Les  Chaldéens,  Assyriens, 
Egyptiens,  etc.,  connurent  le  fer  de  très 
bonne  heure,  mille  ans  au  moins  avant  que  la 
culture  de  Ilallstatt  se  développât  dans  le 
bassin  du  Danube.  Il  n'y  aurait  donc  rien  de 
surprenant  à  ce  que  la  connaissance  du  fer 
fût  parvenue  par  l'Ourarthou  et  le  Cauca.se 
au.Y  nomades  vivant  dans  les  steppes  de  Rus- 
sie el  que  de  là,  cette  industrie  eût  gagné  le 
Danube. 


LA     PHÉPONDÉRANCH     II^AMENNK  /jO.') 

table  révolution.  Non  seulement  les  foi-mes  humaines  et  animales 
apparaissent  dans  l'art  (1),  mais  aussi  la  gravure  sur  cuivre  (2)  très 
caractéristique  de  cette  nouvelle  ornementation  qui  s'est  conser- 
vée, jusqu'à  nos  jours,  dans  la  ciselure  persane  (3). 

Les  dolmens  ne  se  rencontrent  ni  dans  la  'rranscaucasie,  pays 
alors  touraniens,  ni  dans  la  Perside;  on  les  trouve  cantonnés  dans 
le  nord  de  la  Médie.  11  existait  donc,  en  Perse,  deux  branches 
ethniques:  celle  du  nord  avec  ses  constructeurs  de  dolmens,  et 
celle  du  sud  qui,  dans  son  patrimoine,  avait  apporté  d'autres 
idées  (û). 

Je  serais  porté  à  croire  que  l'apparition  du  naturisme  dans  les 
arts  correspondrait,  pour  les  pays  du  Nord,  au  moment  où  Thégé- 
monie  passa  des  Médes  aux  Perses,  que  les  coutumes  de  la  Perside 
gagnèrent  les  provinces  septentrionales  de  l'Empire,  et  que  l'art 
spécial  à  l'état  du  fer  est  originaire  du  midi.  Dans  ce  cas,  ce  serait 
vers  le  milieu  du  sixième  siècle  avant  notre  ère  qu'il  faudrait  pla- 
cer ce  courant  artistique  si  spécial. 

Une  partie  de  la  tiédie,  dira-t-on,  appartint  pour  un  temps  aux 
Assyriens;  mais  les  conquêtes  niniviles  définitives  se  trouvèrent 
être  limitées  aux  districts  des  montagnes  bordières  de  l'Iran  et  à 
quelques  pays  limitrophes,  tels  que  le  voisinage  du  lac  d'Our- 
miah  et  le  Kurdistan  de  Moukri.  Ailleurs  l'Assyrie  semble  n'avoir 
guère  opéré  que  des  razzias. 

Vers  722,  des  prisonniers  Israélites  furent  déportés  dans  des 
villes  de  Médie  (5;;  mais  ces  villes  |)ouvaient  être  situées  dans 
le  voisinage  de  la  frontière  naturelle  entre  l'Assyrie  et  l'Iran, 
telles  Khoi,  Ourmiah,  Revandouz,  Serdecht,  etc.  N'ai-je  pas 
retrouvé,  à  Sihneh,  une  colonie  israélite  dont  le  langage  est 
remarquable  par  les  archaïsmes  qu'il  renferme  \6)  ? 

En  713,  Sargon  soumet  le  petit  État  de  Dayakkou  (Déjocès),  de 

(1)  Nécropoles  de  Djonii,  Tiilii,  Hivi-ri  (Len-  J.  de  Morgan,  MUs.  seau  Cuucaxc,  L  I  «l 
koran)  de  la  Khevsoiirelliie,  de  Samlhn-  Commission  archéologique  russe  de  Traiis- 
vro,  etc.  Cf.  J.  de  Morga.n,  Miss,  en  l'erse,  Caucasie,  in  Verliandluiujen  der  Derliner  Ge- 
Op.  cit.,  p.  Wi.  xellsrhuft  fur  Anthrop.  Elhnol.  u.  Uryeschiclile, 

(2)  Cf.  J.  DE  Morgan,  Mi.^s.  au  Cauca.<<e.  Op.  Berlin.  18'.t'.t,  p.  243  s(i  ;  l'.tOl,  p.  81  sq  :  l'JOâ.  \>. 
cit.,  p.  141,  fig.  145:  p.  162,  fig.  182  à  185;  p.  134,  sq  :  ]>■  221,  s.|.  La  plupart  des  nécropoles 
163,  fig.  186  à  189;  p.  I(i4,  fig.  190;  p.  165,  fig.  explorées  par  celte  commission  apparlienneni 
ig^l.  à  l'étal  du  fer,  sous  iiilluence  iranienne. 

(3)  Dans  la  ciselure  persane  moderne  telle  (4)  L'usage  de  creuser  dans  les  rochers  les 
qu'elle  se  pratique  surtout  à  Ispahan,  on  re-  sépultures  des  rois  et  des  grands  est  cerlai- 
trouve  des  traces  évidentes  de  l'ancien  art,  nement  chez  les  Perses  une  importation  égyii- 
surtout  en  ce  qui  concerne   les  animaux,  tels  tienne. 

que  le   houquetin.   le   cerf,  le    cheval,   les  oi-  (h)  liois,  17,6;  48,  11. 

seaux.  Quant   au    procédé    de    gravure.il  e>l  (6)  Cf.  J.  de   ^tloROA^,  .Visaion  scientifique  en 

absolument  le  même  que  dans  l'anliijuité.  Cf.        Perse,  I.  V.  Eludes  linguistlipies. 


/,06  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

ce  personnage  dont  IJérodote  fait  le  premier  roi  des  Mèdes  (1). 
Dayakkou  n'était  certainement  qu'un  roitelet  sans  importance; 
mais  ses  ancêtres  et  lui  furent  les  fondateurs  de  l'un  des  plus 
grands  empires  asiatiques  i'2'.  Ses  successeurs  étendirent  son 
pouvoir;  Fravarti  (Fraortès)  ^3)  réunit  à  sa  couronne  la  Perse 
proprement  dite  c'est-à-dire  les  pays  situés  au  sud  d'Ecbatane 
(Ispahan,  peut-être  même  Cliiraz),  que  des  dynastes  continuèrent 
à  gouverner  sous  la  suprématie  méde  (/i). 

Le  règne  de  Fraortès  fut  certainement  encore  une  période  d'in- 
cubation pour  la  souveraineté  médique;  l'autorité  royale  s'étendit 
et  s'affermit  à  l'intérieur,  l'armée  s'organisa,  s'aguerrit  dans  les 
luttes  pour  l'établissement  de  l'empire.  Phraortès  guerroya,  non 
sans  succès,  contre  Tsinive  elle-même,  et  serra  de  bien  près  la 
capitale  assyrienne,  puisqu'il  périt  sous  ses  murs. 

Avec  Cyaxarès  (5)  (Huvacli-Scliatara),  la  Médie  atteignit,  sinon 
l'apogée  de  sa  puissance,  du  moins  une  situation  prépondérante 
en  Asie.  Organisée  à  l'assyrienne,  elle  se  montre,  dès  ce  temps^ 
sauf  par  la  religion  et  par  la  langue,  comme  étant  devenue  un 
véritable  Etat  asiatique. 

Ninive  tombe  sous  les  coups  de  Cyaxarès  et  de  Nabucliodo- 
nosor  et  les  deux  princes  alliés  (6)  se  partagent  l'Asie.  Baby- 
lone  étend  sa  domination  sur  la  Syrie  et  la  Palestine  ;  tandis 
qu'Ecbatane  conserve  l'Assyrie  proprement  dite,  s'empare  de 
l'ancien  royaume  d'Ourarthou,  devenu  l'Arménie  par  l'arrivée  des 


(Ij  Les    données  que  nous  possédons  sur  la  dien  Geschiclile,  |i|i.   l'23.   1-24.  —  Floigl,  Kyrua 

succession  des  rois  médes  (Hcrodofe,  I,  XCV-  und  Heredol.  pp.  'Jô-li:'..  —    Unger,  Kyaxares 

cm.  —  Ctesias,  Fr(iy;?i.,  25,  in  Muller-Didot  u.  Auli/ai/es,  pp.  39-41.  —  Prashek,  Medien  u. 

Clesiae  Cnidii  fragmenta,  i)[).  41-53),  sont  toutes  d.  Ilaus  des  Kyaxares,  pp.  51-63):  suivant  Hé- 

fanlaisisles.  (Cf.  Volney,  Jiecli.  s   l'Uisl.  anc,  rodote,    ce    roi    serait   mort    en    combattant 

I.  I,  p.  144,  s(j.  —  MAiiQu.vitT,  Die   Assyriaka  contre  l'Assyrie. 

des   Ktesias,  in  Philologus.  Sup.,  l.  V,  p.  562,  (4)   Les     Mèdes,     premiers    arrivés     dans 

f-q.  —  G.  Maspeiio,  Hist.  anc.  peuples  Or.  ilass.,  l'Iran,  se   déveloi)pcrent  vite    au    contact   de 

t.  IIL  1890,  p.  447,  note  2.)  l'Assyrie  ;   tandis  -<pie    les    Perses,    tenus   à 

f2)  Ctesias    (Diodore  de  S/ri'/e,  IL  33;.   donne  l'écart  des  centres  civilisateurs  du  Tigre  et  de 

l)Our    les   rois    mèdes    la    liste    suivante  :   —  rEujtlirale    par    les   montagnards   d'Anchan, 

Arbace    régna  28   ans.  —    Mandancès,  30.—  demeurèrent  pendant  quelques  siècles  encore 

Sosarmès,  20.  —  Artycas,  50.  —  Arbianès,  22.  à  l'état  primitif;  c'estee  quiexpliijue  pourquoi 

—   Artée,    40.    —    Arlynès,    22.   —    Astibaras  l'hégémonie  iranienne   débuta  par  la    royauté 

(Cyaxare),  40.  —   Aspadas   (Aslyage),  35.   Cle-  médique  et  pourcpioi  aussi  les  Perses  n'entrè- 

sias,  on  le  sait,  était  le  médecin  (ÎArtaserxès  rcnt  en  scène  que  plus  lard. 

II  et,  par  suite,  les  informations  qu'il   donne  (5)   Cyaxare     =  Houvaklichatara  (Inscr.  de 

résultent  de  traditions  postérieures  de  quel-  Bisouloun,  col.  Il,  1-  15,  81,  col.  IV,  1.  19,  22.— 

ques  siècles  seulement  aux  événements.  Cf.   .Justi,  Eranische  Nameiibuch,  p.  140.  —  G. 

(3)  L'existence  de  Phraorte   {Hérodote,  l,<:u),  Rawliisson,   The  five  Greal  Monarcliies,  2'' éd., 

Fravarlich  ou  Fravarti  {Inscr.  Bisouloan,    col.  t.    II  ,  pj).  414-415.  —    G.  Maspero,    Hist.   anc. 

H,    1.   14)   est   encore  douteuse  (Rawi.inson,  peuples  Or.  c/ass..  I.  III,  p.  465). 

Heredotus,     t.     I,    PP-    330,  331.    —    The    five  («)  Nabuchodonosor  épouse  Amytis,  fille   du 

(irent  Monarchies,  %'  éd.,  t.  II,  p.  883,  note  H».—  roi  mède. 
WiNCKLER,    Untersuchunyen     z.    Allorienlulis- 


(1)  Cf.  G.  Maspero,  Ilist.  anc.  des  peuples  de  l'Orient  classique,  L    III,  p.  180 


/(08  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Ascaniens  et  conquiert  la  Cappacloce,  encore  peuplée  en  partie 
des  débris  des  Hétéens.  Enfin,  sous  un  prétexte  futile  (11,  elle 
entre  en  guerre  contre  les  Lydiens  (^2).  Les  Médes  avaient  trouvé, 
dans  les  dépouilles  de  Ninive,  la  soif  des  conquêtes. 

Les  faits  qui  suivirent  la  mort  de  Cyaxarès  ne  nous  sont  parve- 
nus que  très  confusément.  11  y  eut,  semble-t-il,  une  période  de 
repos,  de  décadence  même,  dans  la  valeur  gouvernementale  de 
la  famille  royale;  et  c'est  cette  période  de  faiblesse,  représentée 
par  Astyages,  qui  permit  à  Cyrus  de  faire  passer  le  pouvoir  des 
mains  des  Mèdes  à  celles  des  Perses. 

Ecbatane  (Hamadan)  étant  la  capitale  de  l'empire  de  Cyaxarès, 
on  a  pensé,  et  moi-même  tout  le  premier  j'ai  cru  que  le  site  de 
cette  ville  fournirait  des  indications  utiles  sur  la  nature  ethnique 
et  sur  l'histoire  des  Mèdes. 

Or,  après  avoir,  pendant  près  de  vingt  ans,  suivi  les  trouvailles 
qui  se  font  dans  ce  site,  je  suis  aujourd'hui  convaincu  que 
jamais  il  ne  décèlera  rien  sur  ces  peuples,  parce  que  les  Mèdes, 
ne  possédant  pas  l'écriture,  n'ont  laissé  aucun  document. 

Une  partie  seulement  des  ruines  d'Ecbatane  se  trouve  sous  les 
maisons  de  la  ville  actuelle  d' Hamadan.  Le  reste  des  terrains 
antiques  a  été  exploité,  lavé  par  des  indigènes;  et  jamais  il  n'a  été 
rencontré  le  moindre  indice  relatif  aux  prédécesseurs  des  Perses. 
Inscriptions,  cylindres,  cachets  sont  tous  babyloniens,  assyriens 
ou  achéménides  (8). 

Dans  l'Elvend,  où  les  stèles  appartiennent  aux  successeurs  de 
Darius  (/i),  il  n'existe  pas  le  moindre   souvenir  des  Mèdes. 

Je  suis  porté  à  croire  que,  si  ces  premiers  Iraniens  ont  fait  par- 
fois usage  de  l'écriture,  qu'ils  connaissaient  forcément  j)ar  leur 
contact  avec  Ninive,  ils  ont  employé  en  même  temps  la  langue 
assyrienne.  C'est  ainsi  qu'aujourd'hui  les  Kurdes,  bien  que  fort 
attachés  à  leurs  dialectes,  n'écrivent  qu'en  persan. 

Il  ne  suffisait  pas,  pour  écrire  les  langues  iraniennes  en 
caractères  cunéiformes,  de  prendre  les  signes  assyriens,  baby- 
loniens ou  élamites  et  de  les  appliquer  au  dialecte  qu'on  désirait 

(1)  Le  prétexte  de  la  guerre  fut  la  désertion  (3)  CI".    J.    de  Moroan,  Miss.    se.  en    Perse, 
de  quelques  Scythes  qui,  fuyant  le  service  de  t.  IV,  1"  partie,  1805,  p.  235,  sq. 
Cyaxarès,  s'étaient  réfugiés  en  Lydie,  chez  le           (4)  Xerxes.   Cf.    J.    Oppert,    les   Inscriplions 
roi  Alyattes  (618-561).  Achéménides,  1851,  p.  280.  Darius.  —  .1.  Oppért, 

(2)  Une  éclipse  (28  mai  .585)    mil  fin  à  celte  le    Peuple    et     la     Langue    des    Mèdes,     187ït, 
guerre  et  les  deux    Etats  conservèrent   leurs  p.  191. 

possessions. 


l.A     PnKPONDÉRANr.H     ll'.ANIKNNE 


/|09 


transcrire  ;  il  fallait  les  transformer,  les  mettre  à  la  portée  d'une 
ianii-iie  indo-européenne,  afin  de  lui  conserver  la  valeur  de  ses 
voyelles.  Ce  travail  ne  pouvait  se  faire  d'un  seul  coup;  il  s'opéra 
probablement  dans  le  sud-ouest  du  domaine  perse  (1),  et  comme 


La  Perside  à  l'époque  de  Cyrus. 

don  d'avènement,  Cyrus  apporta  aux  Iraniens  la  fixation  de  leur 
parler  méridional. 

Au  point  de  vue  de  la  politique  intérieure,  la  révolution  qui  fit 
de  Cyrus  le  roi  des  Perses  et  des  Mèdes  fut  de  peu  d'importance; 
le  pouvoir  passa  simplement  d'une  tribu  iranienne  dans  une  autre, 


(1)  Les  AclR-ménides,  originaires  d'Elani, 
avaient  vécu  dans  un  pays  dès  longtemps  ac- 
coutumé à  l'usage  de  iécrilure  cunéiforme;  il 
n'est  donc  pas  surprenant  de  voir  Cyrus,  le 
premier   d'entre  eux   dont    l'autorité    se  soit 


ai)pliquée  au  perse  alors  que  dans  son  pays 
d'origine  on  l'employait  couramment  pour 
l'Assyrien  cl  l'Anzanile.  La  nécessité  d'écrire 
les  trois  langues  s'imposnnl,  dés  son  avène- 
ment on  appliqua  à  la   langue  iranienne  les 


tendue  sur  tout  l'empire,  introduire  l'écriture        principes  du  cunéiforme  en  les  simplifiant. 


!\\0 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


de  la  famille  de  Déjocès  à  celle  d'Achéménès  (1).  llien  ne  fut 
changé.  Mèdes  et  Perses  composèrent,  comme  par  le  passé,  les 
forces  militaires  de  Flùnpire,  fournirent  en  commun  les  satrapes 
et  les  généraux,  les  j)ersonnages  de  la  cour;  l'armement  demeura 
le  même,  ainsi  que  les  méthodes  de  conquêtes  et  de  gouverne- 
ment. Aux  yeux  de  bien  des  peuples  étrangers,  des  Grecs  entre 
autres,  les  Perses  de  ^larathon,  de  Platée,  de  Salamine,  étaient 
toujours  des  Mèdes. 

Mais,  en  ce  qui  concernait  la  politique  extérieure,  la  modifica- 
tion était  capitale.  Si  les  Mèdes  étaient  liés  par  traités  avec 
Babylone  et  avec  Sardes,  le  nouveau  roi  ne  l'était  avec  personne; 
aussi  devait-il  user  du  droit  du  plus  fort. 

Cyrus  n'était  pas,  comme  on  s'est  plu  à  le  dire,  de  basse 
extraction;  il  apj)artenait  à  une  famille  princière,  ayant  ses  apa- 
nages en  pays  de  langue  élamite  ("i).  Ses  ancêtres  et  lui-même 
étaient  rois  (seigneursi  d'Anchân  ou  Anzan  (3). 

C'est  en  raison  de  leur  origine  que,  dans  leurs  textes  lapidaires, 
les  souverains  achéménides  employèrent  toujours  trois  langues: 
le  babylonien,  langage  des  Sémites,  parlé  depuis  la  Chaldée  et 
l'Assyrie  jusqu'à  la  Phénicie  ;  le  perse,  langue  de  l'Empire,  et 
enfin  l'anzanite  (Zi;,  idiome  touranien  alors  en  usage  chez  tous  les 
montagnards  du  sud-ouest  et  dans  la  plaine  susienne. 


(1)  Souverains  acliémriiides  : 

Acliéménès. 

Teispès,    roi  d'Ancliari. 

Cambyses,  id. 

Cyrus,  id. 

Teispès,  id. 

Cyrus.  id. 

Cajubyses,  id. 

Cyrus,    roi  des  rois,  5.5',l-5-2'.i. 

Cambyses,      id.  5-29-53-2. 

[Gaumala,  usurpateur;,  522-521. 

Darius  I",     roi  des  rois.  521-i85. 

Xer.xès  I"',  id.  485-46't. 

Arlaxerxès  l'S     id.  464-424. 

Xer.xès  II,  id.  424 

Sogdianus,  id.  42i-423. 

Darius  II,  id.  423-410. 

Arlaxerxès  II.     id.  410-358. 

[Cyrus  II,  usurpateur". 

Arlaxerxès  III,  roi  des  rois.    358-338  ? 

Arsès.  id.  338-.3.3C  ? 

Darius  III,  id.  336-331. 

L'inscriplion  d'Artaxerxès-Oclius  (Cf.  .1. 
Oi'i'ERT,  Inscripliiins  Acliéménides,  1850,  p.  295) 
donne  la  liste  complète  des  souverains  de  la 
Perse  depuis  Darius  I",  et  contrôle  par  con- 
séquent les  assertions  des  historiens  classi- 
ques sur  leur  succession.  —  Déjà,  sous  Ar- 
laxerxès-Ochus,  la  langue  |)erse  était  en 
décomposition    et    passait   graduellement    au 


pehlevie,  le  texte  d'Ochus  regorge  de  fautes. 
(Cf.  J.  Oppert,  op.   cit.,  ]).  298.) 

(2)  Cf.  Cylindre  de  terre  cuite  (H.  Uawlin- 
so.N,  Journ.  of  Ihe  royal  Asial.  Soc.  N.  S,  12,  70 
et  sq.) Cyrus  ne  se  nomme  pas  lui-même  et  ne 
nomme  pas  davantage  ses  ancêtres  jusqu'à 
Teispès,  rois  de  Perse,  mais  désigne  les  rois 
de   la   ville  d'Anchân. 

(3)  J.  Ilalévy  est  le  premier  savant  qui  ail 
attribué  à  Cyrus  une  origine  anchanile,  c'est- 
à-dire  élamite.  (Cf.  Rev.  des  Eludes  juives  ; 
juillel-sept.,  1880,  pp.  .3-31.  Annales  de  philo- 
sophie chrétienne,  année  1880,  pp.  570-574),  et 
à  rattacher  les  textes  des  troisièmes  colonnes 
à  la  langue  susienne.  Inutile  de  dire  que  jamais 
J.  Opperl  ne  pardonna  à  son  savant  confrère 
cette  critique  de  son  Peuple el  Langue  des  Mèdes. 

(4)  Les  nombreuses  inscriptions  élamites- 
auzaniles  découvertes  à  Suse  (Cf.  V.  Scheil, 
Mém.  Délég.  en  Perse)  ont  prouvé  que  les 
pays  d'Anzan  et  la  Susiane  étaient  reliés  très 
étroitement  el  parlaient  la  même  langue. 
Cette  langue  avait  survécu  dans  laNéo-Anza- 
nite  jusqu'au  temps  des  Achéménides  et  se 
trouve  dans  la  troisième  colonne  des  textes 
de  ces  rois.  Delallre  (le  Peuple  et  l'Empire  des 
Mi'des,  p.  52,  sq.),  reconnaissant  que  les 
Mèdes  étaient  des  Anens,  ne  va  pas  jusqu'à 
retrouver  dans  la  langue  de  la  S'  colonne  le 
])arler  d'Anzan  et  par  suite  l'Elamite. 


LA    1'IU:P()NDKHA\CE    ihamfnne 


411 


<^n^K-¥fcmff!M^TI^ïïTVT<Tm^MeRM 


\tHim  mK^Wv^<r^m<m^K]  n  !<»-  ïït 


^<  TTr-nT\TV  TnàTr-  ■'"^<s:«^l<\  «ÏÏ«M<^T<T 


TTT«r<Kffr\^<rT  ft\<K«ïï  TTr-TffKTT^nT<-\ 


C'étaient  là  les  langues  officielles  de  la  monarchie;  mais,  en 
cas  de  besoin,  on  ajoutait  à  ces  triples  textes  Tidiome  de  la  pro- 
vince où  le  document  public  devait  être  placé,  si,  dans  ce  pays, 
l'une  au  moins  des  trois  langues  officielles  n'était  })as  comprise. 
C'est  ainsi  que,  sur  le  canal  des 
Deux-Mers  en  llgypte,  un  texte 
égyptien  venait  s  ajouter  aux 
trois  autres  et  que,  sur  la  plu- 
part des  vases  d'allnitre  aclié- 
ménides  que  nous  trouvons 
dans  les  fouilles  de  Suse,  le  nom 
du  souverain  est  exprimé  en 
quatre  langues  ;  parce  que,  fort 
j)robablement,  ces  vases  étaient 
de  fabrication  égyptienne.  C'est 
ainsi  également  que  les  satrapes 
de  Phénicie  et  de  Gappadoce 
firent  graver  sur  leurs  monnaies 
des  légendes  araméennes. 


Perse  Achéniénide. 
Xerxès,   roi  Grand    —   roi  des   rois 
—  nis    de  Darius    —  roi    Achémé- 
iiido  (1). 


IA<K^<I>^<T<I^ 


g^^fc^t^T^f 


n<Iïï>ff(!^Ifïï^^-f-«^ 


]mk'^  ^]«<h< 


Même  texte  Assvrien. 


^M^mllM^miii. 


-HHTTTî^Iïï^g^TPE-^T^ÏÏ 


iïï(B=fTM<;:^ïïnn^- 


-!ïï<Tfft-;^t'!::<-<T-5TT, 


Même  texte  en  néo-anzanite  (2). 


Le  néo-anzanite  des  textes 
de  Bisoutoun  avait  été  pris  par 
H.    Rawlinson    (3)  d'abord,   par 

Norris(Zi),  Fr.  Lenormant  (5)  et  J.  Oppert  ensuite,  pour  la  langue 
des  Mèdes  (6).  Dès  lors,  suivant  cette  interprétation,  les  .Mè<les 
devenaient  des  Touraniens,  et  la  religion  avesti(|ue  une  concej)- 
tion  touranienne,  malgré  la  nature  de  la  langue  zend  (7;  et  malgré 
le  texte  même  de  l'Avesta.  Celte  erreur  a,  pendant  longtemps,  jeté 
un  grand  trouble  dans  les  esprits  (8)  ;  mais  il  est  aujouid'hui  re- 
connu que  les  Mèdes  étaient  des  Iraniens,  tout  comme  les  Perses. 
Les  tendances  de  la  politique  générale  ne  subirent  donc  aucun 


(1)  Inscription  du  palais  de  Xerxès  à  Persé- 
polis  (J.  Menant,  Leronx  d'éphjraphie  axsij- 
rienne,  ISTri,  p.  2.')). 

(2)  MedoscyUij(iuc  de  J.  Menant  fid.,  (..  98). 

(3)  Cf.  Sir  n.  I<A\vLiNsoN.  in  Jnnrn.  of  Ihe 
Roijal  Asial.  Soc.  of  Gr.  Brilitin  and  IrelitnJ, 
t.  X,  p.  32,  sq. 

(4)  Cf.  NoRRis,  JoLirii.  of  tlie  Royal  Asial.  Soc. 
ofdr.  Dril.  et  Irelnnd.  t.  XV.  p.  .3,  sq. 

(5)  Cf.  Fr.  Lenorji.v.nt,  Lellres  assyriolo- 
giques,  p.  13,  sq. 

(6)  Celle  erreur  oblige  Th.  Xœldeke  (Et. 
Iiist.  sur  la  Perse  ancienne,  trad.  fi-.,  p.  28;  à 
chercher  du  cùlê  de  Passargadc  une  localité 


pouvant  .satisfaire  à  celle  d'Anchan  qu'Ojjperl 
se    refuse    obstinément    à    placer    en    Elani. 

(7)  Oppcrt  scnlait  bien  (pu'  celle  inlerpréla- 
lion  de  la  langue  des  troisièmes  colonnes  des 
inscriptions  achéménidcs  était  vicieuse  par 
quelipie  côlé  ;  mais  il  n'entrevoyait  pas  mw 
l'erreur  fut  aussi  générale.  Dans  le  Peuple  et 
la  lam/iie  de.s  .Mèdes  (p.  17,  sq.)  il  s'efforce  de 
prouver  que  les  noms  d'Hérodote  représen- 
taient /t'.s-  formes  ari/anisées  des  noms  loiiranien.'' 
dont  Clésias  avait  donné  la  Iraduclion  perse. 

(8)  Cf.  A.  Dei^ttiiE.  le  Peuple  et  l'Empire  des 
Méde-t  jusqu'à  la  fin  da  rèijne  de  Cija.rare. 
Bruxelles,  1883,  p.  4,  sq. 


{^{-2  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

changement  lors  de  la   révolution  opérée   par  les  Achéménides. 

Il  ne  suffisait  pas  à  Cyrus  d'avoir  ravi  la  couronne  d'Astyages  ; 
il  lui  fallait  d'abord  faire  accepter  son  autorité  dans  tout  l'Empire 
mède;  puis,  aucune  limite  ne  parvenant  jamais  à  satisfaire  les 
ambitions  des  souverains  orientaux,  il  fallait  que  le  nouveau  roi 
commençât  la  conquête  du  monde. 

La  Lydie,  qui  avait  échappé  aux  Mèdes,  tomba  sous  les  coups 
de  Cyrus  ibhl  ou  5/i6)  (1)  et  Crésus,  son  souverain,  devint  l'un 
des  suivants  du  roi  des  rois.  Ses  États  furent  absorbés  parce 
qu'ils  étaient  riches,  parce  que  leur  territoire  était  utile,  au  point 
de  vue  stratégique,  comme  centre  d'action  contre  l'Europe.  Quant 
aux  fictions  poétiques,  au  merveilleux  dont  les  (irecs  ont  revêtu 


A 


Al 
trapies  de  Mésopotamie.  papyrus    (vers  4ôO  av.  J.-C).  (2) 


Araméen  achéménide. 
Légende   d'une   monnaie   des  sa-  Araméen    d'époque    achéménide    sur 


la  ruine  de  Sardes,  il  n'y  a  pas  à  en  tenir  compte;  mais,  dans  la 
chute  de  Crésus,  les  Hellènes  avaient  senti  s'approcher  la  menace. 

En  effet,  c'est  alors  seulement  que  les  Perses  entrèrent  pour 
la  première  fois  en  contact  direct  avec  les  Grecs  de  la  côte  asia- 
tique. Les  Orientaux  n'avaient  aucune  idée  de  ce  qu'étaient  les 
Hellènes  ;  accoutumés  aux  tribus  demi-sauvages  de  l'Asie,  à 
l'obéissance  passive  des  peuples  vaincus,  ils  voulurent  appliquer 
aux  Grecs  la  même  méthode  qu'au  reste  de  leur  empire;  mais  il 
répugnait  trop  à  ces  villes  libres,  dans  lesquelles  l'intelligence  était 
si  développée,  tle  subir  la  domination  des  grossiers  élèves  de 
l'Assyrie. 

Les  Perses  exigeaient  des  vaincus  le  service  militaire  dans 
leurs  aimées,  en  outre  des  charges  et  des  tributs  onéreux  qu'ils 
faisaient  peser  sur  les  villes.   La  fierté  grecque   s'indigna  de  ces 

(1)  L'époque    de  la  prise  de  Sardes  par  Cyrus  in  Sitzunyberichte  der  l'hit-Hisl.  Cldsse  der  Kj 

est  la  date  la  plus  iniporlanle   de   ces    temps,  Akadd.  Wiss.,  Wien,  1878,  xcii;  I87'J,  p.  197  s(j. 

elle  sert  de  point  de  départ  à  la    chronologie  acceptant  la  date  de  541-540. 

de  la  période   tout   entière.    On  hésite   entre  (2)  Corpus  Inscr.  aemit.,  -2'  partie,  n°  141:  «  A 

557  et  534  ;  mais  les  deux    systèmes   les    plus  Monseigneur    Mithrawahicht,    ton    serviteur 

généralement  admis  sont  celui  de   Radet  (La  Pakim...  vivant,  joyeux  et  fort,  Monseigneur 

Lydie,   1893,   p.   140   S(i  )  correspondant  à   lan  qu  il  soit...  » 
54G-547   et  celui  de  BOdinger  (Krœsus   Sturz 


LA    1>RÉ1»0NI)KH.\NCE     IRANIENNE 


/4I3 


procédés  asiatiques.  Quelques  cités,  qui  résistèrent,  furent 
entièrement  détruites  ;  bon  nombre  cFIoniens,  les  Téiens  et  les 
Phocéens,  èmigrèreut.  Milet(l)  négocia;    passant  des  mains   de 


Comblement  du  golfe  Latmique  par  les  alluvions  des  rivières. 

Crésus    à    celles    de    Cyrus,    elle  obtint  que   ses   conditions   ne 
seraient  pas  aggravées.  Quant  aux  habitants  de  Xanthus,  capitale 


(1)  Certainement  la  colonisation  grecque  de 
presque  toutes  les  côtes  île  la  Méditerranée 
ne  s'était  pas  faite  sans  violences  ;  mais  les 
anciens  peuples,  attachant  au  début  une  faible 
importance  à  quelques  marins  venus  s'établir 
au  fond  d'une  baie,  les  avaient  laissés  faire.  Ce 
n'est  que  plus  tard,  alors  que  ces  étrangers 
eurent  construit  des  villes  et  des  murailles, 
que,  d'hôtes  devenus  intrus,  ils  commencèrent 
à  gêner,  <)ue,  descendant  de  l'intérieur  vers 
les  côtes,  les  aborigènes  cherchèrent  à  affran- 
chir leur  pays. 

Le  premier  royaumequienireprit  ces  guerres 
d  indépendance  fut  celui  de  Lydie.  Gyges  (fi87- 
65-2)  les  commença  ;  mais  des  invasions  cim- 
mériennes,  qui  furent  nombreuses  dans  l'Asie 
Mineure,  l'empêchèrent  de  mettre  ses  projets  à 
e.\écution.  (Strabon  suppose  deu.x  invasions 
des  Cimmériens;  la  première  aurait  eu  lieu  au 


huitième  siècle,  la  seconde  vers  (533;  Hérodote 
n'en  reconnaît  qu'une  au  début  du  septième 
siècle.  Les  Cimmériens  seraient  restés  cent  ans 
en  Asie  Mineure.  Cf.  E.  Cunrius,  Hisl.  ijrecque, 
1883,  t.  II,  p.  132  et  Deimi.i.no,  Le/eyer,  p.  51,  s(|. 
qui  propose  une  chronologie  entièrement  dif- 
férente.) Sardes  elle-même  aurait  été  dévastée 
tout  au  moins  dans  sa  ville  basse,  les  llammes 
du  temple  d'Ephèse  éclairèrent  au  loin  le  sac 
de  Magnésie. GuuL,  Efjliesiaca,  p.  3.5;  O.  Mui.- 
i.cn,  Griech.  Liler.,  I,  101. 

Quand,  en  G23,  le  fléau  fut  passé,  Sadyalle. 
roi  de  Lydie,  soumit  la  Phrygie  et  reprit  la 
guerre  contre  les  Grecs.  D'ailleurs  la  Lydie 
avait  d'autres  inquiétudes  :  les  Mèdes  en- 
traient sur  la  scène  politique,  revendiquant 
l'héritage  des  Assyriens  qu'ils  venaient  de 
vaincre. 


/ll'i  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

delà  Lycie,  ils  préférèrent  mourir  plutôt  que  de  se  soumettre  (1). 
Sardes  était  devenue  le  centre  de  l'action  perse  vers  l'Occi- 
dent. Toute  l'Asie  Mineure  était  conquise;  les  Grecs  qui  n'avaient 
pas  émigré  payaient  régulièrement  tribut,  fournissaient  les  vais- 
seaux et  les  contingents  auxquels  ils  étaient  taxés. 

Bien  qu'ils  eussent  été  à  même  de  se  rendre  compte,  par  les 
résistances  qu'ils  rencontrèrent,  de  la  j)uissance  de  l'amour  de 
la  liberté  chez  les  Hellènes,  les  Orientaux  ne  s'en  firent  aucune 
id(''e  juste  (2),  leur  mentalité  n'étant  pas  le  moins  du  monde  pré- 
parée à  des  sentiments  aussi  insolites  pour  des  hommes  d'Asie. 
Ils  assimilèrent  donc,  dans  leur  esprit,  les  Grecs  aux  autres 
peuples  qu'ils  connaissaient  et  pensèrent  qu'ainsi  postés  à  l'entrée 
de  l'Europe,  ils  feraient  rapidement  la  conquête  de  l'iiellade 
d'outre  mer. 

Mais,  avant  de  se  lancer  dans  d'aussi  lointaines  expéditions,  il 
fallait  aux  Perses  un  emj)ire  homogène,  et  la  Chaldée  possédait 
encore  la  moitié  méridionale  de  l'Asie.  Gyrus  marcha  contre 
elle  sans  prétexte,  et,  en  539,  Babylone  perdit  son  indépendance 
de  la  façon  la  plus  prosaïque,  quoi  qu'en  aient  pu  dire  les 
anciens. 

Vaincue  en  rase  campagne,  l'armée  chaldéenne,  une  fois  rentrée 
dans  ses  murs,  se  révolta  contre  son  souverain,  et  Nabounaïd  se 
rendit  à  Gyrus.  Le  passage  d'un  pouvoir  à  l'autre  se  fit  sans 
secousse.  Les  villes  de  Phénicie,  suivant  leur  politique  séculaire, 
se  prosternèrent  devant  le  soleil  levant. 

De  l'Occident,  Gyrus  ])artit  pour  aller  raffermir  son  autorité 
sur  les  frontières  orientales  de  son  empire.  11  possédait  la 
Khorasmie  (le  Khi  va  actuel),  la  Sogdiane  (pays  de  Samarkand 
et  de  Bokhara)  ;  son  pouvoir  s'étendait  jusqu'au  Jaxartès  (Syr 
actuel,  dans  le  Khokhand)  (3)  et  sur  une  partie  de  l'Afgha- 
nistan.   Quant    cà    son    expédition    aux     Indes   (Ji),    elle     semble 


(1)  De  foules  les  villes  ioniennes,  Piiocée  de  nature  à  donner  aux  Perses  une  fâcheuse 
fut  la  plus  héroïque  dans  sa  résistance  contre  idée  de  l'esprit  grec.  Ainsi,  dès  les  débuts  de 
Harpage,  général  de  Cyrus.  Après  un  long  leurs  relations,  les  Chiotes  leur  livrèrent, 
siège  les  habitants,  ne  conservant  plus  d'es-  contre  le  territoire  d'Alarnée  {Hérodote,  I, 
poir,  abandonnèrent  la  cité  et,  partis  sur  leurs  156,  160),  Pactyès  réfugié  dans  le  sanctuaire 
vaisseaux,  s'en  allèrent  retrouver  à  Alalia  en  d'Athêna.  Ce  sacrilège  ne  manqua  pas  de 
Corse  (Cyrnos)  leurs  compatriotes  déjà  établis  frapper  l'esprit  des  Orientaux. 

dans  cette  île;  mais, chassés  par  les  Carlhagi-  (3)  Arrien,  4.  2.  .3;   Q.  Cuftius,  7.  6.  16,  7.  6 

nois    et    les   Tyn-héniens,   ils    ne    purent    se  20;  Straboii,   .517;    Ptol.    6.    12;    Sleph.    Btjz.; 

nnaintenir  et  allèrent  se  fixer  à   Rhégion  et  à  Pline,  6,  §  4'.t;  Solinus,  49.  4. 

Ilyélé  (Lucanie).  (4)  Nearque  ds  Arrien,  6.  24.2;  Slrabon,  686, 

(2)  Malheureusement  quelques  faits  élaient  722. 


LA     PRÉPONDÉRANCE    IRANIENNE  /|J5 

tenir  plulôt  de  la  fable  et  n'avoir  été  ((ii'une  tontalive  peu  fruc- 
tueuse, si  toutefois  elle  eut  lieu. 

Les  pays  de  la  Baktriane,  de  rOxus,  étaient  encore  pour  les 
Perses  et  les  Mèdes  le  berceau  de  la  race,  le  patrimoine  par 
excellence  (1)  ;  et  rien  n'est  plus  naturel  que  de  voir  les  souve- 
rains achéménides  constamment  préoccupés  de  la  possession  de 
ces  provinces  menacées,  depuis  longtemps  déjà,  par  des  bandes 
asiaticfues,  probablement  elles  aussi  indo-européennes,  mais 
non  iraniennes.  C'est  en  guerroyant  contre  ces  nomades  que 
Cyrus  trouva  la  mort  dans  les  plaines  de  la  Turkomanie.  Los  Grecs 
ont  fait  de  sa  fin  un  récit  dramatique  et  merveilleux,  mettant  dans 
la  bouche  de  la  reine  des  Massagètes  des  paroles  dignes  de  la 
tribune  d'Athènes,  mais  bien  peu  natuiellcs  de  la  part  d'une 
nomade  sibérienne. 

Cyrus  fut  un  habile  [)olitique  et  un  \'aillanL  guerrier  ;  mais  ne 
nous  hâtons  pas  de  lui  accorder  ces  grandes  qualités  dont  les 
Grecs  honorent  sa  mémoire,  car  rien  ne  semble  justifier  en  lui 
une  aussi  flatteuse  opinion.  Ce  n'était  et  ne  pouvait  être  qu'un 
souverain  oriental  ;  ni  son  administration,  ni  son  armée,  ni  lui- 
même  n'étaient  à  même  d'avoir  les  sentiments  d'humanité  qu'on 
lui  attribue.  Les  Perses,  cependant,  semblent  avoir  été  moins 
barbares  que  les  Assyriens,  parce  qu'ils  ne  se  laissèrent  que 
moins  souvent  aller  à  des  cruautés  inutiles. 

La  Perside  demeura  le  centre  de  l'Empire  ;  mais  le  roi,  sans 
cesse   en   mouvement,   habitait    successivement    toutes  ses   pro- 

(1)  Llran  Vej  serait,  suivant  l'uiiinion  de  les((uels  les  Assyriens  lulleront  jusqu'au 
quelques  savants,  la  plaine  située  entre  l'Araxe  sixième  siècle.  Ces  pays  ont  cessé  d'être  tou- 
et  le  Kur,  c'est-à-dire  le  moderne  Qara-bagh  raniens  pour  la  Cappatloce  et  la  Lycie,  au  mo- 
(J.  Darmsteter,  le  Zend  Avesta,  t.  II,  p.  5,  ment  où  les  Grecs  se  sont  implantés  en  Asie 
note  4).  Or,  le  Qara-bagh  n'est  pas  une  riche  Mineure,  pour  les  pays  de  Van  et  de  l'Ararat, 
plaine,  mais  bien  un  massif  montagneux,  cou-  quand  les  Arméniens  les  ont  occupés,  sous 
vert  de  forêts,  riche  dans  ses  vallées  d'où  son  les  Achéménides  vers  l'époque  de  la  chute  de 
nom  de  jardin  (bagh)  par  opposition  avec  le  Ninive.  Il  n'est  pas  question  dans  les  écrits 
Qara  daghi  situé  de  l'autre  côté  de  l'Araxe.  assyriens,  d  Iraniens  dans  le  Qara-bagh  et  la 
Au  centre  du  Qara-bagh  est  le  lac  bleu  (GhiJk-  vallée  de  l'Araxe  ;  les  Mèdes  sont  cantonnés 
tchai,  le  Goktcha  des  Russes)  où  se  trouvent  beaucoup  ])lus  au  sud  vers  le  lac  d'Ourmiah. 
des  souvenirs  des  rois  d'Ourarthou.  Si  donc  les  Le  Qara-bagh  n'a  cessé  d'appartenir  aux 
Iraniens  s'étaient  formés  en  nations  dans  ce  peuples  caucasiens  qu'au  moment  de  l'exten- 
district,  ils  eussent  été  en  rapports  avec  les  sion  des  royaumes  d'Arménie;  quant  aux  val- 
peuples  civilisés  connaissant  l'écriture  et  les  lées  basses  de  l'Araxe  et  de  la  Kourah,  elles 
Mèdes  eussent  laissé  des  inscriptions.  D'autre  sont  demeurées  caucasiennes  jusqu'aux  inva- 
part,  la  branche  perse  des  Iraniens  serait  sions  des  Turcs.  Les  découvertes  archéolo- 
descendue  au  travers  de  la  Médie  vers  le  Fars  giques  viennent,  dans  celte  question,  contrôler 
et  VAvesla  en  ferait  mention,  ce  qui  n'est  pas,  les  données  historiques.  Le  premier  état  du  fer 
et  l'intluence  perse,  au  lieu  de  s'affirmer  du  sud  dans  le  petit  Caucase  est  très  certainement 
au  nord,  aurait  eu  des  effets  inverses.  De  par  anaryen;  l'influence  iranienne  ne  se  fait  sentir 
ailleurs,  dès  que  débute  l'histoire  pour  les  qu'au  second  étal  du  fer.  Il  faut  donc  cher- 
pays  du  Haut  Tigre,  nous  voyons  les  pays  du  cher  ailleurs  que  dans  la  Transcaucasie,  le 
Taurus,  de  l'Arménie,  du  Caucase,  habités  par  Qara-bagh  oii  les  vallées  de  l'Araxe  et  de  la 
des  peuples  louraniens,    ceux   même   contre  Kourah,  lAryanem  Vaèjô  de  VAvesla. 


/4l6  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

vinces  :  Suse  fut  une  capitale,  à  cause  des  liens  de  famille  qui 
rattachaient  les  Acliéménides  à  l'Elam;  Babylone  une  autre,  parce 
qu'elle  était  l'un  des  centres  politiques  les  plus  importants;  de 
même  pour  Ecbatane.  Quant  à  Ninive,  qui  ne  s'était  pas  relevée 
de  ses  ruines,  son  nom  même  s'effaçait  peu  à  peu. 

Aucune  capitale  ne  fut  choisie  pour  l'établissement  définitif  de 
la  «  Porte  royale  »  ;  les  trésors  demeurèrent  dans  les  villes  où  ils 
se  trouvaient,  à  Sardes,  à  Babylone,  à  Ecbatane,  en  Phénicie,  tou- 
jours prêts  à  payer  de  nouvelles  guerres.  Toutes  ces  richesses, 
comme  bien  on  pense,  appartenaient  au  Roi  des  rois,  et  si  quel- 
ques familles  en  bénéficièrent  pour  une  faible  part,  ce  ne  furent 
que  celles  des  Perses  et  des  Mèdes  occupant  les  grands 
emplois. 

Pendant  tout  le  cours  de  la  monarchie  achéménide,  comme 
d'ailleurs  toujours  jusque-là  en  Asie,  aucune  dépense  ne  fut 
faite  pour  l'amélioration  des  provinces  ;  tout  était  dû  au  roi,  mais 
le  roi  ne  devait  rien.  Une  seule  route  fut  construite  alors,  reliant 
Babylone  à  Sardes,  par  le  haut  Tigre  ;  mais  c'était  la  «  route 
royale  »,  uniquement  établie  dans  un  but  politique,  pour  le  pas- 
sage du  souverain  et  de  ses  armées. 

L'Oriental  n'a  jamais  compris,  de  nos  jours  encore,  qu'en 
accroissant  la  l'ichesse  de  ses  sujets  il  augmente  ses  propres 
revenus;  et  si  parfois  il  y  songe,  c'est  le  sourire  aux  lèvres,  car  il 
lui  faut  des  bénéfices  immédiats  et  non  des  espérances  qui  ne  se 
réaliseront  peut-être  que  pour  ses  successeurs.  Que  lui  importe 
ce  qui  se  passera  après  lui  ! 

Gambyse  (1)  devint  seul  roi  des  Perses  par  l'assassinat  de  son 
frère  Smerdis  (2),  et  à  peine  eut-il  posé  la  tiare  sur  sa  tête,  qu'il  se 
rua  sur  l'Egypte  dont  les  richesses  l'attiraient.  Là,  il  se  comporta 
en  barbare,  tout  comme  s'il  eût  été  Hyksos  ou  Assyrien. 

Le  pharaon  Psamménil,  fait  prisonnier  1 3  ,  fut  mis  à  mort;  les 

(1)  Kambouchiya  des  inscrijjlions  perses.  VI Arhiklichaijarchn 

(2)  Bardiya  des  inscriptions  perses.  (AoTaÇÉpÇriç  a'). 

(3)  Voici  la  liste  des  quatre  dernières  dvnas-  ..r,,  r-i  i  '  t  /— '  e  '  r-v 
tiesd  Egypte  d  après  G.  Maspero,  Htsl.  anc.  •'  ^  "'»  i*  f  ' 
des  peuples  de  l  Orient  classique,  t.  III,  p.    7G8, 

note  1.  ^^-    Miamounri.  iV/nrrtio«ac/ia(Aap£Îo;p'). 

XXVII"  dynastie,  Perse.  XXVIII'  dynastie.  Saïte- 

1.  Masoutri       Kanboali  (Ka[A6j(ir)Ç).  I ('A[xupTaroc). 

II [Gaunin?aJ  (SfxÉsSiç).  XXIX»  dynastie,  Mendesienne. 

III.  Salôoutrî       Ntaraioiiacha(\a.piiOici'),  '•  Binri-Minoulirou.  AVo//// 1.  (NEosptTriça') 

IV.  Sanentonen.SotpouniphtahKliabbicha  "'  Kl'nonmmari-Solpounikhnoumou.  Hakori 
V Khchai/nrcha  {Elp^rfi  7.'}.  (  Axwptç). 


LA     PRKPONDHRANCH     IRANIENNE:  /il  7 

temples  furent  transformés  en  casernes  et  en  écuries;  enfin  la 
momie  de  l'ancien  roi  Amasis  fut  brûlée  publiquement,  sacrilège 
aussi  abominable  aux  yeux  des  Perses  qu'à  ceux  des  Égyptiens. 

Cambyse  envoya  une  expédition  piller  l'oasis  d'Ammon,  elle 
se  perdit  dans  les  sables  ;  lui-même  alla  dévaster  ri<:tliiopie. 
Mais  ces  folies  se  payèrent  par  d'énormes  dépenses  en  hommes 
et  en  matériel,  pertes  qui  elTraN-aient  à  juste  titre  le  roi,  lors  de 
son  retour  à  Memphis.  f.à,  trouvant  la  ville  en  fête,  par  suite  de 
l'apparition  d'un  nouvel  Apis,  joie  contrastant  avec  ses  préoccu- 
pations, il  entra  dans  une  colère  aveugle  et,  de  sa  main,  tua  le 
bœuf  sacré. 

La  nouvelle  d'une  révolte  en  Perse,  celle  du  faux  Smerdisl), 
se  répandant,  Cambyse  quitta  brusquement  l'Egypte,  gagna  la 
Syrie,  et  là,  se  suicida  (2).  Le  caractère  violent  et  ])assionné  de  cet 
abject  personnage  expli(|ue  fort  bien  qu'il  se  soit  donné  la  mort 
dans  un  accès  de  rage  ou  de  désespoir. 

Cambyse  avait  vécu  de  l'œuvre  de  Cyrus,  dilapidant  les  biens 
dont  il  avait  hérité  et  par-dessus  tout  la  belle  armée  avec  l'aide  de 
laquelle  son  père  avait  créé  l'Empire  ;  ses  excès  amenèrent  une 
décomposition  du  pouvoir,  et,  lors  de  sa  mort,  la  puissance  aché- 
ménide  chancelait  de  toutes  parts. 

Gaumâta  se  donnait  comme  fils  de  Cyrus  et  par  suite  comme 
de  race  royale.  Il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  penser,  avec  Hérodote, 
que  cette  révolution  présentait  un  caractère  religieux  ou  politique, 
entre  Mages  et  Perses  ou  Perses  et  Mèdes. 

Comme  les  grandes  familles  perses  étaient  bien  mieux  rensei- 
gnées que  la  foule  sur  la  fausseté  de  ses  prétentions,  l'usurpa- 
teur eut  tout  intérêt  à  diminuer  leur  puissance  ;  il  les  abaissa  sans 
mesure  et  cet  excès  de  précautions  fut  cause  de  sa  perte. 

On  sait  comment  Darius  (3)  monta  sur  le  trône  (521).  Plus  tard, 
il  fit  de  son  père  Hystape  (Ji)  1  un  des  satrapes  les  plus  importants 
de  son   empire,   fait  extraordinaire  dans  les   annales  d'un  peuple 

ni.  Ousiriiihtahrî.  Ps«;»ouh'(^Fâ|7.[xou6tî).  (1)  Gaumâta  des  inscripUons  perses. 

I\' (2)  Cf.  Inscr.  de  Darius  à  Bisouloun. 

V XeforitlU.  {NiOsplzTii  fi,').  (3)  Dariyavaouch,  "    le  roi  Darius  déclare: 

vv\>   lie.  ^^"1  PCi"e  était  Hystaspc  (Vistàrpa);    le  père 

,    ,     ^>^.^\J>»«s<'e.  Sehennyfque.  d'Hyslaspe  Arsaniès  (Arsâma);   le  père  d'Ar- 

I.  Snotmihri   hotpounianhouri  Nakhtliarali-  samès,    Ariaramnès    (Arivàràmna);    le    père 
6i7-Mianliouri-Snsil  (Nsy-Tavigr,;   a').  d'Ariaramnès,   Tcispès   (Caispis),   le  père    de 

II.  Irimailnirî.  Zadhou.  Sotpounianliouri  Teispès,    Achaeménès  (Ilakhâmanis).    »  (Ins- 
(Tew;,  Tayciic).  cription    de    Darius   h    Bisouloun,   §   2,   Irad. 

III.  KhopirReri".  Nakhloumibouf  (Nîxxavï-  "'•  ^[j*''''^'  '^'  Inscripl.  des  Acliéménide.%  1851, 
pr.ç  [j'  NaxTOvâ6o).  '(4)'vichlûspa. 

27 


LA     PRÉPONDÉRAXCK     IRANIENNE  /jlQ 

(le  race  Aryenne,  que  de  voir  le  père  servir  sous  les  ordres  de 
son  fils,  et  (jui  montre  combien  les  idées  asiatiques  sur  le  pou- 
voir absolu  s'étaient  implantées  chez  le  peuple  perse. 

Le  jeune  roi,  tout  au  plus  âgé  de  trente  ans,  assumait  une 
lourde  tâche  en  gravissant  les  marches  du  trône  ;  il  avait  à 
remettre  sur  pied  un  Empire  immense  qui  se  disloquait  de  toute 
part.  Les  provinces,  se  révoltant  les  unes  après  les  autres,  créaient 
des  difficultés  sans  cesse  renaissantes. 

Darius  dut  agir,  par  ses  officiers  et  par  lui-même,  avec  une 
extrême  énergie  et  beaucoup  de  célérité.  Nabouchodouosor, 
révolté  dans  Babylone,  fut  d'abord  abattu  ;  puis  ce  furent  Martiya  (1) 
en  Susiane,  Fraortès  (2)  en  Médie.  De  nouvelles  révoltes  écla- 
tèrent encore  à  Babylone,  chez  les  Parthes,  les  Hyrcaniens,  en 
Arménie,  dans  la  Margiane,  chez  les  Sagartiens,  les  Sakes,  etc., 
et  Darius,  pendant  les  trois  premières  années  de  son  règne,  dut  se 
consacrer  entièrement  à  leur  répression.  La  stèle  triomphale  de 
Bisontoun  énumère  ces  campagnes  dans  tous  leurs  détails  3). 

En  dehors  de  ces  rébellions  ouvertes,  bien  des  satrapes, 
outrej)assant  leurs  droits,  empiétaient  sur  les  prérogatives 
royales  ;  Darius  dut  encore  porter  remède  à  ce  genre  de  danger. 
Oroetès,  satrape  de  Sardes,  Aryandès,  vice-roi  d'Egypte,  et  bien 
d'autres  furent,  soit  relevés  de  leurs  fonctions,  soit  ramenés  à  la 
stricte  obéissance. 

Devant  ces  révoltes,  ces  empiétements  sur  l'autorité  royale,  le 
souverain  jugea  utile  de  modifier  les  attributions  de  ses  gouver- 
neurs et  de  les  préciser.  Dès  lors,  le  satrape  eut,  il  est  vrai, 
comme  par  le  passé,  le  pouvoir  et  le  prestige  d'un  roi,  mais  fut 
étroitement  surveillé.  Des  fonctionnaires  spéciaux,  placés  à  ses 
côtés,  renseignaient  la  cour  sur  sa  conduite,  et  de  temps  à  autre, 
passaient  des  inspecteurs,  accompagnés  de  corps  d'armée.  Le 
satrape  commandait  les  troupes  de  sa  province,  mais  les  garnisons 
des  forteresses  étaient  fournies  par  le  pouvoir  central.  Ainsi  deux 
éléments  militaires  étaient  en  présence  ;  et  la  défection  de  l'un 
d'eux  ne  pouvait  plus,  comme  par  le  passé,  entraîner  la  perte  d'une 
province. 

Ces  règles  apportées  dans  l'exercice  de  l'autorité  étaient  déjà 

(1)  Imani.  ménides  conçues  dans  l'idiome  des  anciens  Perses. 

(2)  Fravarli.  Paris,  1851,  p.  8,  sq.  —  Id.,  le  Peuple  et  la  lan- 

(3)  Cf.  J.  Oppert,  les  InscrijiHons  des   Aclié-       gue  des  Mèdes.  Paris,  1879,  pp.  112-113,  sq. 


/,20  LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

un  orand  progrès  sur  les  procédés  administratifs  de  l'ancienne 
Asie  ;  mais  là  où  la  réforme  fut  grande  et  l'innovation  heureuse, 
c'est  quand  Darius  assigna  d'une  manière  fixe  et  définitive  la  taxe, 
que  devait  annuellement  payer  chaque  satrapie. 

C'était  pour  la  première  fois,  depuis  les  débuts  des  empires, 
qu'un  peu  d'ordre  était  mis  dans  la  perception  des  impôts.  L'ar- 
bitraire absolu  d'antan  cessait,  pour  faire  place  à  des  règlements 
qui,  bien  que  sûrement  injustes  et  créé  dans  l'intérêt  du  roi 
plutôt  que  dans  celui  des  peuples,  n'en  ofiVaient  pas  moins  quel- 
ques garanties.  C'est  ce  système  qui  régit  encore  l'Orient,  et  qui, 
transformé  peu  à  peu  par  les  Grecs  elles  Romains,  finit  par  abou- 
tir à  la  taxe  individuelle,  base  des  institutions  fiscales  modernes. 

Certainement,  déjà  les  Chaldéens  avaient  établi  des  taxes  pro- 
portionnelles, mais  leurs  édits  n'empêchaient  pas  l'arbitraire  ;  et 
c'est  justement  dans  la  suppression  de  l'arbitraire  que  résida 
l'innovation  de  Darius.  Ainsi,  grâce  à  ces  nouveaux  règlements, 
d'une  part  la  province  connaissait  à  l'avance  le  montant  de  ses 
contributions,  d'autre  part  le  gouvernement  savait  sur  quelles 
ressources  il  pouvait  annuellement  compter. 

Le  système  achéménide  fut  également  celui  des  Séleucides, 
des  Parthes,  des  Sassanides,  des  Arabes.  11  est  encore  celui  que 
j'ai  vu  en  vigueur  en  Perse,  qu'on  trouve  dans  les  principautés 
indiennes,  l'Afghanistan,  au  Maroc  et  dans  tous  les  États  orientaux 
qui  subsistent  encore. 

Un  gouverneur  général  achète,  pai-  exemple,  sa  charge  ])Our  un 
million,  une  fois  donné,  qu'il  verse  au  roi;  et  s'engage  à  fournir 
annuellement  à  la  couronne  un  autre  million.  Pour  conserver  sa 
charge,  il  doit,  chaque  année,  envoyer  à  son  souverain  un  nou- 
veau cadeau  ;  sans  quoi,  un  concurrent  viendrait  la  lui  enlever,  en 
versant  lui-même  un  prix  plus  important. 

Ainsi,  ce  gouverneur  général  doit  retrouver  en  une  année  les 
deux  millions  qu'il  a  dû  verser  au  Trésor,  plus  les  frais  auxquels 
son  gouvernement  l'oblige,  plus  enfin  le  bénéfice  sur  lequel  il 
comptait  en  sollicitant  cette  charge  ;  c'est  quatre  millions  envi- 
ron qu'il  lui  faudra  faire  entrer  dans  sa  caisse. 

Il  procède  alors  pour  ses  vice-  gouverneurs  comme  le  roi  en  a 
usé  envers  lui,  vendant  les  charges  moyennant  une  somme  fixe 
et  une  rente  annuelle.  Et  ses  subordonnés  suivent  son  exemple, 
mettant  aux  enchères  jusqu'aux  plus  petits  emplois. 


LA     PUKPONDHRAXCE     IRANIENNE  /^21 

Quant  à  riiabitant,  s'il  n'appartient  pas  au  clergé,  c'est  lui  qui 
supporte  toutes  les  charges,  souvent  de  dix  ou  (|uinze  fois  plus 
lourdes  (jue  si  ses  versements  allaient  diiectciucul au  Trésor. 

Ce  procédé  est  certainement  fort  onéreux  au  point  de  vue  des 
résultats  qu'il  fournit  à  l'Etat;  mais  tel  quel,  c'était,  pour  l'époque, 
un  grand  progrès.  11  n'est  plus  aujourd'hui,  qu'un  reflet  de  la 
barbarie  des  anciens  temj)s. 

Après  avoir  réglé  les  affaires  intérieures  de  l'Empire  (1),  Darius 
reprit  les  conquêtes  de  ses  prédécesseurs.  11  gagna  ses  f)rovinces 
orientales;  et,  ayant  fait  explorer  les  côtes  du  golfe  Persique  et 
les  bouches  de  llndus  par  le  Carien  Scylax,  fil,  dit-on,  la  con- 
quête des  provinces  voisines  de  ce  fleuve.  Il  est  à  penser  que 
cette  campagne  ne  rapporta  pas  tous  les  avantages  qu'en  attendait 
le  roi;  car  il  ne  poursuivit  pas  celte  conquête  et  abandonna 
l'Orient,  pour  se  retourner  vers  les  peuples  du  Nord. 

Les  Scythes,  dont  les  déprédations  en  Asie,  cent  vingt  ans 
auparavant,  avaient  laissé  dans  l'esprit  des  peuples  une  terreur 
folle,  s'agitaient  probablement,  à  cette  époque,  dans  la  steppe  au- 
delà  du  Danube,  et  causaient  des  inquiétudes.  Darius  jugea  utile 
d'aller  les  frapper  au  cœur  de  leur  ten-iloire,  et  de  prévenir  ainsi 
toute  velléité  d'invasion  de  leur  part. 

Les  portes  du  Caucase  étaient  gardées,  les  corps  d'armée  lais- 
sés en  Khorasmie,  en  Sogdiane,  en  Baktriane,  chez  les  Saces,  etc., 
joints  aux  milices  provinciales,  ne  permettaient  pas  aux  no- 
mades, vivant  entre  le  Borysthènes  et  l'Iaxartes,  de  porter  pré- 
judice à  l'Empire  ;  mais  il  n'en  était  pas  de  même  du  côté  de  la 
Thrace,  et  c'est  vers  le  Danube  que  Darius  dirigea  ses  pas. 

Les  Perses  ne  se  faisaient  pas,  comme  d'ailleurs  les  Grecs,  une 


(1)  Le   roi  Darius  déclare  :  C'est  ce   (niej'ai  rès  »;  et  il   ameuta  la    Médie.    Un   Sagartit-n 

fait  par   la  volonté   d'Ormazd  dans  toute  ma  nommé    Sithrakhmès,    qui     mentit    et    parla 

vie  ;  puisque  les  pays  étaient  rebelles  contre  ainsi  :  <•  Je  suis  roi  en  Sagarlie,   étant  de  la 

moi,  je  livrai  dix-neuf  batailles;  par  la  grâce  race  de  Cyaxarès  »;  il  ameula  la  Sagarlie.  L'n 

d'Ormazd,  je  détruisis  leurs  armées  et  je  pris  Margien  iiommé  Phraadès  (|ui  mentit  et  parla 

neuf   rois  :   un    mage    nommé    Gomalès,   qui  ainsi   :    «  .le   suis  roi   en    Margiane  •«;    et  il 

mentit  et  parla  ainsi  :  «  Je  suis  Smerdis,  le  fils  ameula  la  Margiane.  Un  Perse  nommé  Valiyaz- 

de  Cyrus  »;ct  il  ameuta  la  Perse.  Un   Susien,  dûtes,  qui    mentit  et  parla    ainsi  :    «  Je  suis 

nommé  Athrina,   qui   mentit    et  parla  ainsi  :  Smerdis,    fils   de    Cyrus    »;    et    il    ameula  la 

«  Je  suis  roi  en   Susiane   »;  et  il   ameula  la  Per.se.    Un    Arménien,    nommé    Arakha,    qui 

Susiane.   Un    Babylonien    nommé    Naililâbel,  mentit  et  parla  ainsi  :  «  Je   suis  Nabuchodo- 

qui  mentit  et  parla  ainsi  :  <■  Je  suis   Nabucho-  nosor,    le  fils  de   Nabonide   »  ;   et   il    ameuta 

donosor,   le  fils  de  Nabonide  »;  et  il    ameula  Ilabylone.    (Texte    de     Darius    à    Bisoutoun, 

Babylone.  Un  Perse  nommé  Martiya,  qui  men-  table  IV,   §  2,   Irad.  J.  Oppert,  les  Inscr.  des 

lit  et  parla  ainsi  :  «  Je   suis   Umanis,    roi  en  Acliéinénides,  1851,  p.  156.)  Comme  on  en  peut 

Susiane  »;   il    ameula  la   Susiane.    Un  Mède  juger,  les  Perses  ne  se  mettaient  pas  en  frais 

nommé  Pbraortès,  qui  mentit  et  parla  ainsi  :  lilléraires  dans  les  textes  qu'ils  composaient 

a   Je    suis  Xalbrilcs   de    la   race    de   Cyaxa-  en  vue  de  la  postérité. 


^22  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

idée  nette  de  ce  que  sont  ces  immenses  plaines  de  la  Scythie. 
Des  ténèbres,  pour  eux,  enveloppaient  tout  le  nord  ;  et  Darius 
n'eût  sûrement  pas  entrepris  cette  expédition  s'il  en  eût  connu 
les  difficultés  ;  mais  pour  lui,  le  Danube,  les  pyles  caspiennes  et 
les  steppes  sogdiennes  étaient  frontières  de  la  Scythie,  qu'il  pen- 
sait beaucoup  moins  étendue  qu'elle  n'est  en  réalité. 

Le  succès  ne  couronna  certes  pas  cette  entreprise  hardie.  Per- 
sonne ne  sait  jusqu'où  s'avancèrent  les  Perses  dans  ces  plaines 
sans  fin.  Vaincu  par  le  terrain,  n'ayant  jamais  à  faire  qu'à  des 
fuyards,  le  roi  des  rois  rentra  en  Asie,  après  avoir,  en  deux  mois, 
perdu  la  majeure  partie  de  son  armée. 

Les  Perses  conservèrent  les  pays  situés  entre  le  Danube  et  le 
Bosphore  ;  la  Thrace,  Lemnos,  Imbros  restèrent  entre  leurs 
mains.  Ils  attachaient  une  grande  importance  à  ces  territoires,  les 
considérant  comme  la  base  future  du  mouvement  qu'ils  comp- 
taient opérer  contre  la  Grèce  d'Europe,  dont  ils  convoitaient  la 
richesse  et  le  développement  commercial. 

Mais,  quoi  qu'ils  pussent  faire,  leur  prestige  vis-à-vis  des 
Grecs  s'était  écroulé  lors  de  leur  retraite  de  Scythie;  leur  grand 
nombre  n'effrayait  plus,  parce  qu'on  avait  reconnu  leurs  défauts, 
leurs  points  faibles.  En  attaquant  la  Grèce  après  1  expédition  de 
Lydie,  les  Perses  l'eussent  peut-être  terrorisée  et  conquise  ;  après 
la  campagne  du  Danube,  il  était  trop  tard. 

Si  même  ils  n'avaient  convoité  la  Grèce,  les  Perses  eussent 
été  amenés  à  s'y  présenter  un  jour  en  armes  ;  car  de  tous  côtés 
ils  étaient  sollicités  par  des  partis  opprimés,  des  dynastes 
détrônés,  des  tyrans  chassés  ou  menacés,  des  mécontents  qui 
tous  cherchaient  à  faire  intervenir  l'étranger  dans  leurs   affaires. 

Les  Grecs  étaient  non  seulement  des  brouillons,  mais  fréquem- 
ment aussi  des  traîtres  à  la  patrie  hellène.  L'aristocratie  de 
Naxos,  expulsée,  implora  l'assistance  d'Aristagoras,  tyran  de 
Milet,  et  par  suite,  celle  du  satrape  de  Sardes,  Artaphrènes, 
frère  du  Roi  des  Rois.  Cette  intrigue  conduisit  au  grand  soulè- 
vement des  Ioniens  et  des  autres  Grecs  mécontents.  Milet  s'érigea 
en  république  et  Aristagoras,  intrigant,  ambitieux,  finit  par  ame- 
ner dans  la  querelle  des  peuples  qui,  comme  les  Athéniens,  eus- 
sent toujours  dû  rester  dans  une  prudente  expectative. 

Les  alliés  marchèrent  sur  Sardes,  brûlèrent  la  ville  basse, 
tout  en  ne   pouvant  s'emparer  de  la  citadelle,  où   s'était  réfugié 


LA    prépondérance:    IUAMKNNE  /i93 

le  frère  du  roi  avec  ses  troupes.  Coup  de  tète  l)ien  malheureux; 
car,  non  seulement,  il  ne  porta  que  des  fruits  amers,  mais  aussi, 
en  se  retirant,  les  alliés  furent  défaits  près  d'I-^phèse. 

Les  villes  de  l'Hellespont,  Byzance  en  tête,  une  grande  partie 
des  Cariens,  les  Gergithes  de  la  Troade,  prescpie  toute  l'île  de 
Chypre  se  joignirent  au  soulèvement.  Non  seulement  l'incendie 
de  Sardes  avait  mortellement  blessé  l'orgueil  des  Perses,  mais  le 
soulèvement  des  Hellènes  devenait  pour  leurs  possessions  de 
l'Occident  un  réel  péril  ;  il  était  temps  pour  eux  d'agir. 

^lilet  prise  et  détruite,  ses  hommes  déportés  en  Susiane,  ses 
femmes  et  ses  enfants  mis  en  venle  comme  esclaves,  la  flotte 
grecque  anéantie,  l'Ionie  reconquise  et  livrée  au  pillage  des  Phé- 
niciens, la  Thrace,  l'Eubée  replacées  sous  l'autorité  de  la 
Perse,  tels  furent  les  résultats  de  la  répression  de  Darius. 
Et  la  Grèce  entière  serait  tombée  sous  le  joug  oriental  si,  à 
Marathon,  les  Athéniens  n'avaient  arrêté  les  progrès  du  Pioi  des 
Rois.  Cette  victoire  était  un  grand  succès  matériel  et  moral,  car 
elle  montrait  aux  Grecs  la  supériorité  de  leur  valeur  personnelle,  de 
leur  tactique  et  de  leur  armement  sur  ceux  des  Asiates. 

Pour  les  Perses,  c'était  la  dernière  des  humiliations  que  de 
voir  les  multitudes  appelées  de  tous  les  pays  de  l'Asie  succomber 
devant  une  poignée  d'hommes  ;  le  })restige  impérial  était 
entamé.  Quelques  années  encore,  et  il  ne  restera  plus  de  ces 
expéditions  formidables  que  l'expression  d'une  gigantesque  fan- 
faronnade. 

Darius,  malgré  ses  défauts,  était  un  grand  souverain.  Il  fut  le 
seul  de  sa  lignée;  car  ses  successeurs  se  montrèrent  lâches,  faibles 
et  indignes.  Humilié  par  l'affaire  de  Marathon,  le  roi  faisait  d'im- 
menses préparatifs  pour  se  laver  de  cet  aflront  au  moment  où, 
distrait  par  des  révoltes  en  Chaldée  et  en  Egypte,  il  dut  pour 
un  temps  ajourner  ses  projets  sur  la  Grèce. 

A  l'habileté  tactique,  à  la  vaillance,  à  l'armement  supérieur, 
Darius  comptait  opposer  la  masse  et  noyer,  sous  un  déluge 
humain,  cette  poignée  de  citoyens  qui  avait  osé  se  mesurer  avec 
lui.  Mais  le  temps  de  la  force  brutale  était  fini;  peu  à  peu,  la 
iruerre  devenait  une  science  et  la  Perse  allait  bientôt  faire  elle- 
même  l'expérience  de  ce  que  pouvait  devenir,  livrées  à  l'esprit 
judicieux  et  méthodique  des  Hellènes,   la  stratégie  et  la  tactique. 

Xerxès,  (ils   de  Darius,  embrassant   les  projets  de   son  père, 


Zi2/i 


LES     PREMIERES     CIVILISATIONS 


établissant  à  Sardes  son  quartier  général,  fît  venir  de  tout  son 
empire  d'innombrables  hordes,  un  matériel  et  des  approvision- 
nements énormes.  La  concentration  s'opéra  en  Lydie,  devenue  un 
vaste  camp.  Là,  on  vit  affluer  des  peuples  de  toutes  les  parties  de 
l'Asie,  parlant  des  langues  incompréhensibles,    portant  des   cos- 


Notions  géographiques  des  Hébreux  vers  le  v  s.  av.  J.-C. 

tûmes  et  un  armement  bizarres,  et  au  printemps  de  l'an  ^|80,  cette 
multitude  se  mit  en  route  pour  gagner  le  Bosphore. 

Le  camp  royal  (1),  avec  ses  bagages,  son  harem,  ses  esclaves 


{l)  Chez  les  Perse>;,  comme  chez  les  Assy- 
riens, le  roi  n'élailpas,  comme  en  Egypte,  un 
dieu.  Ce  n'est  que  plus  lard,  au.x  temps  Sassa- 
iiides  qu'il  prit  le  titre  de  «  Mincie lietri  men 
Yezdàn  »  (d'essence  divine).  Mais  le  souve- 
rain Acliéménide  recevait  les  hommages  dus 
en  tout  autre  pays  aux  divinités.  1!  était  le 
despote  j)ar  excellence,  disposant  de  la  vie  et 
de  la  niorl,  du  bonheur  et  du  malheur,  omni- 
potent; son  coslume,  la  robe  médique  (Xé.no- 
PHO.N,  CyropéJie,  Vlll,  1,  §  40),  teint  de  pourpre, 
était  hrodé  d'or,  de  |>erles  Unes  et  de  pierre- 
ries enchâssées  dans  de  l'or.  Plutarque  {Vie 
d'Aiiaxerxès,  §  21)  estime  à  douze  mille  talents 
(70.(HX).000  de  francs)  un  costume  royal.  Col- 
liers, bracelets,  bijoux  de  toute  nature  or- 
naient sa  personne  auguste.  (Cf.  .1.  de  Morga>, 
Sépulture  acliéménide,  ds  Méiii.  de  lu  Déléij. 
en  l'erse,  t.  Vlll.)  Il  ne  se  munirait  jamais  en 


public  autrement  qu'à  cheval  ou  sur  son  char, 

(Cf.  llÉliACIlDE  DE  CUMES,  Fiiujm.  1,  ds  MuL- 
LER-DinoT,  Fraym.  Ilixloric.  Grueconim,  t.  11, 
it5,  sq.)  accompagné  de  nombreux  gardes  el 
serviteurs,  passait  la  majeure  partie  de  sa  vie 
dans  son  harem  (Justin.,  I,  9)  prenait  seul  ses 
repas  (lléraclide  de  Cumes,  Muller-Didot, 
Fragw.  Hisl.  Graecorum,  t.  11,  'J6,  sq.)  et  par 
tous  les  moyens  cherchait  à  faire  croire  à  ses 
sujets  qu'il  était  un  être  supérieur  à  1  huma- 
nité vulgaire.  Son  titre,  roi  des  rois  (Khsâya- 
Ihiya  Khsâyatiyànâm)  chah  en  chah,  qui  plus 
tard  sous  les  Sassanides  devint  Malka  Malkàn, 
indiquait  que,  supérieur  aux  rois,  il  n'avait 
pas  d'égal. 

Le  palais  des  rois  Achéménides  était  une 
ville  entière  où  se  pressait  une  multitude  de 
serviteurs,  de  gardes  el  de  fonctionnaires;  un 
ndllier  de  bœufs,  d'ânes  (sic)  el  de  cerfs  était 


LA     PRÉPONDÉHANCK     IHANIKNNK 


/|25 


des  deux  sexes,  ses  prêtres,  ses  devins,  ses  scribes,  ses  officiers 
et  ses  serviteurs  de  tout  genre,  ses  trésors,  ses  gardes,  était  à  lui 
seul  plus  noiubr(->u\  et  plus  encombrant  (|u'un('  armée  entière; 
quant  aux  comballauts,  au  nombre  d'un  million  (1),  dit-on,  ils 
n'avaient  entre  eux  aucune  cohésion,  aucune  discipline,  mar- 
chaient par  groupes,  comme  des  troupeaux,  chaque  bande  cor- 
respondant à  une  nationalité.  Tous  ces  gens  étaient  allâmes,  car 
les  approvisionnements  manquaient  pour  une  telle  masse.  Douze 
cents  vaisseaux  (2),  recrutés  sur  loules  le!«  cotes,  baltaicjit  la 
mer. 

La  flotte  comme  l'armée  se  trouvaient  h  l'étroit  dans  le  champ 
restreint  où  devaient  se  passer  les  opérations.  A  Salamine,  les 
(îrecs,  par  des  prodiges  de  valeur,  mirent  en  grand  péril  !a  flotte 
f)erse,  au  point  que  Xerxès  s'étant  retiré  à  Sardes,  Mardonius 
jugea  prudent  d'évacuer  Athènes,  le  Pyrée,  et  d'aller  hiverner 
en  Thessalie,  A  Platée  l'armée  perse  fut  vaincue,  son  général 
tué  ;  à  Mycale,  les  restes  de  la  flotte  asiatique  furent  anéantis. 

Et  le  roi  qui,  confiant  dans  cette  nuée  humaine,  avait  assisté  à 
son  propre  désastre,  lors  de  la  bataille  de  Salamine,  épouvanté, 
éperdu,  s'était  lâchement  enfui,  ne  comprenant  rien  aux  causes  de 
sa  défaite,  incapable  même  d'en  sentir  la  portée. 

Les  corps  d'armée  les  mieux  organisés  se  retirèrent  en  bon 
ordre  vers  le  Bosphore  (3),  pour  rentrer  en  Asie  ;  quant  aux 
autres,  désagrégés,  ils  tombèrent  sous  les  coups  des  Thraces,  qui 
les  exterminèrent  au  passage.    La    terre   d'Europe   recueillit  les 


journellement  nécessaire  pour  nourrir  ceUe 
foule.  (Héraclide  de  Cumes,  Mlixer-Didot, 
Frngm.  Hisl.  Graer.,  1.  H,  p.  itô  sq.)  Les  femmes 
étaient  recluses  dans  1'  «  Andéroun  ».  U  n'y 
avait  qu'une  seule  reine,  trois  ou  quatre 
épouses  légitimes  choisies  parmi  les  sœurs  ou 
les  cousines  du  roi  (Cf.  .1.  Darmstetter,  le 
Zend  A:esla,  t.  I,  p.  12  5,  sq.)  ou  chez  les  si.v 
familles  princières  de   Perse.    (Hérodote,   lU, 

LXX.XIV.) 

(1)  Hérodote,  VU,  clx.v.\iv-cl,\xxvi,  l.Tœ.OCXi 
fantassins  et  80.0(X)  cavaliers.  Ailleurs  (VII, 
ccxxviii),  il  dit  que  3.000.000  d'hommes  ont 
attaqué  les  Tliermopyles.  Ctesias  (Fray;?;.,  2'.i. 
^23,  ds  MuLi.EU-DmoT,  Ctesine  Cnidiifnujmenta. 
p.  50),  et  Ephore  avaient  adopté  le  même  chiffre 
[Diodore  de  Sicile,  X,  3).  Isocrale  (Archiddinus, 
§99,  vl  Pniuititeniïïque,  "„  49,  éd.  Didol,  pp.  87, 
15»',)  compte  7(X).(XKJ  coiiihallarils  sur  5.(XHt.(iU0 
d'hoiiimes  composant  l'armée  asiatique,  (^ur- 
tius  (7//'.</.  (/recque)  accepte  un  million.  G.  Mas- 
pero  [Hisl.  tinc.  des  peuples  de  l'Orient  classique, 
t.  III,  p.  717)  réduit  ce  nomhre  à  12U.0OO  com- 
battants. Cette  dernière  opinion  semble  être 


la  ])liis  plausible,  car  il  faut  bien  évaluer  à 
2m.(XHj  le  nombre  des  non  combattants  de. 
cette  armée;  procurer  la  nourriture  à  300  ou 
350.000  bouches,  à  ces  époques  et  dans  ces 
pays  est  déjà  un  tour  de  force.  Sur  ces 
120.0(.Kj  condiattanls  bon  nondjre  dut  être  laissé 
en  arrière  pour  assurer  la  retraite,  en  sorte 
que  si  ^.■j  oii30.0(X)se  présentèrent  aux  Tliermo- 
pyles, c'est  assurément  un  effectif  énorme. 
Mais  il  ne  suffisait  pas  à  la  vanité  des  Grecs. 
Léonidas  avait  sous  ses  ordres  un  corps  de 
10.(X)0  hoplites.  (Hérodote,  VII,  clxxii-clxxiv. 
Cf.  A.  lI.vuvETTE,  Hérodote  historien  des  guerres 
mrdi(iues,  ji.  340,  sq.) 

1,2)  Eschyle,  7'er.<.,.339, 340,  indique  1.20"  vais- 
seaux comme  ayant  i)ris  part  à  la  bataille  de 
Salamine. 

(3)  Ouar.'inte  mille  hommes  environ  sous  la 
conduite  d'Artabaze  et  la  protection  de  la  ca- 
valerie. -Mardonius,  ajirès  le  départ  du  roi,  ne 
disposait  que  de  W.OOO  hommes,  en  sorte  que 
les  Grecs  ont  siniçulièrement  exagéré  l'impor- 
tance de  leur  victoire  de  Platée. 


426  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

cadavres  de  ces  malheureux  qui,  venus  du  fond  de  l'Asie  au 
pillage  de  la  Grèce,  ne  devaient  jamais  revoir  leur  patrie. 

La  puissance  perse  était  brisée,  son  prestige  abattu  (1).  La 
Thrace,  les  Iles,  la  Macédoine,  recouvrèrent  leur  indépendance. 
C'est  sur  la  côte  d'x\sie  que,  dès  lors,  se  transporta  la  guerre. 
Mais  les  Perses,  n'osant  plus  attaquer  en  face  de  pareils  adver- 
saires, remplacèrent  les  armes  par  l'intrigue.  Sur  ce  terrain, 
malheureusement,  ils  reprenaient  souvent  l'avantage,  car  le  Grec 
était  capable  de  toutes  les  trahisons.  L'or  des  Perses  fut,  pour 
les  Hellènes,  plus  dangereux  que   les  flèches. 

Seul  dans  la  Grèce,  le  Péloponèse  était  resté  indemne  du 
cataclysme  perse;  mais  toutes  les  colonies  demeurèrent  en  dehors, 
et  celles  d'Italie,  de  Sicile,  de  Cyrène,  de  la  mer  Noire,  conti- 
nuèrent sans  interruption  leur  développement.  En  sorte  que,  si 
les  Hellènes  avaient  été  vaincus  à  ^larathon,  rien  n'eût  été  perdu 
pour  le  progrès  humain.  L'histoire  de  l'évolution  de  riiellénisme 
en  Sicile  en  est  la  preuve. 

Cette  servitude,  d'ailleurs,  eût  été  de  courte  durée  ;  car  bien  que 
jeune  encore,  l'Empire  ])erse  était  vermoulu  et  déjà  se  décompo- 
sait. Si  la  victoire  ne  donna  pas  aux  Grecs  cette  entité  politique 
qui  leur  eût  permis  d'exécuter  de  grandes  choses,  peut-être  la 
défaite  leur  aurait-elle  fait  comprendre  la  nécessité  de  s'unir. 

Les  succès  des  Hellènes  n'aflranchirent  pas  définitivement  les 
eaux  et  les  terres  grecques.  EJien  des  villes  étaient  encore 
occupées  par  des  garnisons  perses;  il  fallut  les  prendre  les  unes 
après  les  autres.  Des  escadres  du  Iloi  des  Piois  battaient  la  mer, 
on  dut  les  poursuivre  et  les  détruire.  Ces  vaisseaux  étaient,  pour 
la  plupart,  montés  par  des  Phéniciens  ;  les  (^recs  les  traquèrent 
avec  rage,  cherchant  à  leur  rendre  le  mal  qu'ils  avaient  reçu 
d'eux  ;  ce  fut  un  renouveau  des  haines  séculaires. 

Sous  Artaxercès  1*"",  la  Bactriane  se  révolta;  elle  fut  réduite.  Puis 
l'Egypte  se  souleva,  soutenue  par  une  flotte    athénienne    {1};  car 

(1)  C'eslce  qui  ressorldes  récits  que  les  Grecs  qu'elles  ne  pouvaienl  être  avantageuses  dans 

nous    ont  laissés   de   ces  événements,    seuls  leurs  résultats,  nièine   les  meilleurs.  (Juanl  à 

comptes  rendus  d'ailleurs  que  nous  en   possé-  être  humiliés  par  Marathon   ou   Salamine,  ils 

dions.  Mais  il  est  permis  de  penser  qu'ils  ont  ne  le  furent  pas,  les  flatteurs  de  la  Cour  eu- 

exagéré  singulièrement  les    conséquences  de  rent    vite    fait    d'elTacer    le    souvenir    d'une 

leurs  victoires,  et  que  les  Orientaux  n'y  per-  all'aire  qui  n  avait  pas  tourné  à  l'avantage  de 

dirent   pas  en    jireslige    autant   que    veulent  leur  maître. 

bien  le  dire  leurs  adversaires.  L'empire  des  {ij  Takhos  était  parvenu  à  mettre  sur  pied 
Achéménides  continua  de  dominer  comme  par  une  armée  importante  d'Égyptiens  et  de  mer- 
le passé;  il  évita  d  engager  de  nouvelles  cenaires  grecs  et  une  Uotte  de  200  voiles. 
guerres  avec  la  Grèce,   parce  qu'il  considérait  Trahi  par  Agésilas,  il  fut  contraint  d'aller  im- 


LA     PUKl'ONDKRAXCi;     IHAMHXNE 


V27 


Athènes  pouisuivait  sans  merci  les  l^erses  et  les  Phéniciens,  ])ai- 
tout  où  elle  les  pouvait  rencontrer. 

Enfin  ce  petit  peuple  de  rAtti(|ue  et  le  (liancl  lloi  s'accor- 
dèrent pour  signer  une  convention.  Athènes  s'interdisait  d'en- 
voyer ses  \  aisseaux  de  guerre  entre  Chypre  et  l'Egypte,  sur  la 
côte  phénicienne  ;  tandis  ((ue   les  Perses  s'engageaient  à  en  agir 


Route  suivie  par  l'expédition  des  Dix-Mille. 

de  même  dans  les  eaux  considérées  comme  grecques,  c'est-à-dire 
depuis  l'île  de  Chypre  jusqu'à  la  Thrace,  la  côte  asiatique, 
l'Hellespont  et  le  Pont-Euxin.  Ce  traité,  comme  on  le  voit,  était 
tout  à  l'avantage  des  Hellènes. 

A  partir  de  /i24,  jusqu'à  la  chute  de  l'Empire  perse,  la  monar- 
chie achéménide  ne  se  maintint,  au  milieu  des  troubles,  que  par 
la  force  acquise  au  temps  de  Cyrus  et  de  Darius.  Cet  Etat  sem- 
blait à  tous  un  tel  colosse  que  personne  n'osait  l'atta(|uer.  Toutefois 
en  réalité,  la  plupart  des  satrapies  étaient  devenues  indépen- 
dantes ;  elles  ])ayaient,  il  est  vrai,  le  tribut,  mais  n'obéissaient 
que  fort  mal  à  la  cour.  Quel(|ues-unes,    voisines   de  la   frontière, 

plorcr  If  pardon  (lu  roi  <1l's  rois  (:!5'.)  av.  .I.-C).  fiu'il  devail  èlre  le  .Icrnit-r  à  porhi'.  Vaincu 
tandis  que  Neclaneijo,  prodlanl  de  la  fail)iesse  par  Darius  Oclius  (3i"2  av.  J.-C.;,  il  se  rcfuiiia 
desPerses,  s'emparait  (le  lacouronne  d'Egypte        en  Ethiojjie. 


428  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

plus  menacées  c[ue  les  autres,  se  réclamaient  parfois  du  roi,  afin 
de  se  protéger,  par   son  prestige,  contre  les  dangers   extérieurs. 

A  la  cour  de  Perse  on  ne  voyait  plus  aucun  courage  ;  ce 
n'étaient,  à  Suse,  qu'intrigues  de  palais,  assassinats,  empoisonne- 
ments, lâches  supplices;  mais  à  l'heure  du  danger,  en  présence  de 
Tennemi  ou  d'une  révolte,  le  roi  s'enfuyait.  Cet  état  de  décompo- 
sition, l'expédition  de  Cyrus  le  Jeune  (Z|05)  et  de  ses  dix-mille 
mercenaires  devait  le  divulguer  aux  Grecs.  Une  poignée 
d'hommes  traversa  tout  l'Empire,  sans  trouver  de  résistance.  Les 
Perses  avaient  remplacé  leurs  forces  militaires  d'antan  par  la 
fourberie,  la  trahison,  le  manque  à  la  foi  donnée.  Moralement, 
cet  Etat  était  aussi  vermoulu  que  matériellement. 

Au  cours  de  ces  luttes,  le  monde  grec  s'était  formé  définitive- 
ment, réglementant  les  anciens  usages,  adoptant  une  forme  gou- 
vernementale, soit  démocraticjue,  soit  autocratique,  toujours 
basée  sur  l'intérêt  de  la  ville,  du  clan  ;  mais  n'ayant  aucune  portée 
générale  touchant  l'ensemble  des  Hellènes. 

Chaque  Etat  grec,  même  régi  par  la  démocratie,  possédait  une 
puissante  aristocratie,  dont  le  poids  était  grand  dans  les  affaires 
publiques. 

Cette  noblesse  était  sacerdotale  ;  car  le  sacerdoce  de  chaque 
divinité  était  réservé  à  certaines  familles  possédant  ce  culte, 
comme  bien  propre,  au  moment  où  elles  étaient  entrées  dans 
l'Association  formant  l'Etat.  C'est  ainsi  que,  dans  tous  les  milieux 
grecs,  fut  constituée  une  aristocratie  héréditaire,  investie  de  pri- 
vilèges inviolables. 

Les  prêtres,  en  tant  que  clergé,  ne  formaient  pas  une  caste  ;  et, 
nulle  part,  n'étaient  étrangers  aux  droits  et  aux  devoirs  de  la  vie 
civile  ou  militaire.  Ils  étaient  des  citoyens  comme  les  autres; 
mais  leur  influence  particulière  se  traduisait,  aux  yeux  du  public 
dans  la  vie  civile,  par  leur  connaissance  de  ce  qui,  de  droit,  reve- 
nait aux  dieux  i^l),  par  ce  fait  qu'ils  étaient  en  contact  plus  intime 
avec  la  divinité  que  les  autres  mortels. 

Le  clergé,  ou  du  moins  les  familles  qui  en  tenaient  lieu,  sous 
le  prétexte  de  ménager  les  intérêts  matériels  du  dieu,  veillaient 
aux  leurs.  Aucun  morceau  de  terre  appartenant  au  temple  ne 
pouvait  être   distrait  ;    aucune  habitation  laïque    ne    pouvait  être 

(1;  E.  Cuitnis,  Ilisl.  grecque.  Tniil.    Bouclié-Leclerq,  1883,  I.  II,  p.  7. 


LA     PRÉPONDÉIUNCIC     IMANIENNE  /|29 

construite,  dans  un  voisinage  du  sanctuaire,  qui  eût  pu  porter 
atteinte  au  respect  dû  à  la  divinité  (1).  Tout  individu  qui  avait 
trouvé  asile  sur  le  sol  sacré  devenait  le  protégé  du  dieu  et  des 
prêtres,  échappant  ainsi  au  j)ouvoir  civil  ('2). 

Mais  en  dehors  du  sacrifice  et  de  la  garde  des  biens  divins, 
les  familles  sacerdotales  avaient  un  autre  moyen,  bien  plus  lucra- 
tif et  plus  sur,  d'exercer  une  induence  considérable.  Ce  moyen, 
c'était  la  divination  sous  toutes  ses  formes.  Elle  fut,  en  Grèce  et  à 
Rome,  poussée  bien  plus  loin  encore  que  chez  les  Chaldéens 
passés  maîtres,  cependant,  en  cette  supercherie,  et  que  chez  les 
Égyptiens,  dont  les  Indo-Européens  la  reçurent  plus  spéciale- 
ment. 

Il  revenait  à  certaines  familles  sacerdotales  d'expliquer  la 
volonté  des  dieux  d'api-ès  les  phénomènes  atmosphériques,  le 
vol  des  oiseaux,  en  un  mot  suivant  les  présages  naturels  ;  tandis 
qu'à  d'autres  appartenaient  l'interprétation  des  sacrifices,  l'élude 
attentive  des  flammes,  du  corps  des  victimes,  etc..  Enfin,  les 
dieux  parlant  par  leurs  oracles,  se  choisissaient  eux-mêmes  les 
organes  de  leurs  manifestations.  Et  pour  mieux  montrer  que  la 
volonté  divine  n'avait  rien  à  faire  avec  la  sagesse  ou  la  force 
des  intermédiaires,  leurs  instruments  étaient  de  faibles  femmes, 
des  jeunes  filles  ;  tout  comme  aujourd'hui,  en  hypnotisme,  les 
meilleurs  sujets  sont  les  femmes,  les  jeunes  filles  faibles,  mais 
douées  d'un  nervosisme  excessif. 

Ces  secrets  se  conservaient  avec  grand  soin  dans  les  familles, 
et  on  le  conçoit  sans  peine.  Peu  à  peu,  la  croyance  du  public 
s'éteignit  et,  à  l'époque  romaine,  deux  augures  ne  pouvaient  plus 
se  regarder  sans  rire.  N'est-il  pas  curieux  de  voir  que  les  deux 
plus  grands  peuples  de  l'Antiquité,  nos  maîtres  en  tant  de  choses, 
accordèrent  un  tel  crédit  aux  oracles,  que  de  pareilles  futilités 
jouèrent  un  si  grand  rôle  dans  leur  destinée  politique? 

Au  début,  le  dieu  faisait  entendre  sa  voix  alors  seulement  quil 
lui  semblait  bon.  Les  prêtres  laissaient  attendre  les  fidèles,  afin  de 
les  pouvoir  exploiter  tout  à  leur  aise,  comme  cela  se  pratique 
encore  de  nos  jours  dans  les  lieux  de  pèlerinages  musulmans  et 
autres,  à  la    Mecque,  à  Kerbala  et  ailleurs.    Plus   tard,   trouvant 

(l)Pausan,  IX,  2-2,  2. —Amm.,Uarc.,  XXVni,  yrecque.  Trad.   fr.,   1883,  t.   II,    p.  8.   —   CeUe 

9.  coutume  est  encore  en  usage  dans  l'Orient  où 

(2)   Cf.    BoETTicuER,    Andentungen   iiber  dus  les  mosquées,  les    tombeaux  des   saints, 

Ileilige  und  Profane,  1846.  —  E.  Curtius,  Hisl.  écuries  royales  sont  des  lieux  d'asile. 


/|30  LES     PliEMIÈRES     CIVILISATIONS 

avantageux  de  rendre  plus  souvent  les  oracles,  la  divinité  ne 
s'absenta  plus.  Enfin,  on  créa  des  collèges  pour  administrer  les 
sanctuaires  prophétiques;  ce  devint  une  véritable  ex])loitation 
commerciale  de  la  parole  divine. 

Le  plus  important  de  ces  sanctuaires  fut,  sans  contredit,  celui  de 
Delphes,  qui  joua  un  grand  rôle,  à  tous  points  de  vue,  dans  la  vie 
grecque.  Son  influence  conserva  une  sorte  de  cohésion  entre  les 
difterents  peuples  hellènes,  et  fut  toujours  d'un  bon  conseil  pour 
la  nation.  C'est  à  lui,  entre  autres,  qu'est  du  le  développement 
physique  de  la  race,  grâce  aux  exercices  du  corps  qu'il  préco- 
nisait. 

Consulté  sur  chaque  acte  de  la  vie  nationale,  l'oracle  encou- 
ragea la  colonisation,  les  entreprises  commerciales  ;  Région, 
Métaponte,  Crotone  et  beaucoup  d'autres  villes  se  fondèrent  sur 
le  conseil  du  dieu.  C'étaient  de  nouveaux  foyers  qui  s'établissaient 
ainsi,  centres  de  richesse  dont,  tôt  ou  tard,  l'oracle  devait  avoir  sa 
bonne  part. 

Certes,  l'Apollon  de  Delphes  n'était  pas  seul,  il  y  avait  bien 
d'autres  oracles  que  lui  ;  mais  leurs  affaires  étaient  restreintes, 
en  comparaison  de  celles  du  grand  sanctuaire  hellène. 

En  j)eu  de  temps,  les  temples  étaient  devenus  fort  riches  ;  et 
leurs  prêtres,  disposant  de  grands  capitaux,  dont  ils  savaient 
apprécier  le  pouvoir,  jouaient  un  rôle  de  plus  en  plus  important. 

Avides,  mais  dépensiers,  superstitieux  et  imaginatifs,  comme 
tous  les  artistes,  les  Grecs  donnaient  volontiers  à  leurs  dieux, 
et  les  temples  ne  rendaient  jamais.  C'étaient  des  terres  inalié- 
nables, des  lingots  d'or  (1)  et  d'argent,  de  bronze,  des  œuvres 
d'art,  des  objets  de  prix;  et  journellement  les  prêtres  voyaient 
croître  leur  richesse  par  des  offrandes,  des  dons,  des  dîmes,  par 
les  revenus  de  leurs  biens  fonds,  par  les  intérêts  de  leurs  capi- 
taux engagés  dans  les  affaires. 

Car  les  prêtres,  ayant  pour  mission  d'administrer  les  biens 
religieux,  plaçaient  l'argent  du  dieu  dans  des  entreprises  com- 
merciales ou  industrielles,  prêtaient  sur  gages,  soutenaient  des 
expéditions  pacifiques  ou  militaires.  Les  particuliers,  les  Etats 
mêmes,  faisaient  dans  les  temples  des  dépôts,  nul  lieu  n'étant 
plus  sur.  Bijoux,    titres,    métaux,   s'accumulaient  ainsi   dans   les 

(1)  Hérodote,  I,  14. 


LA    PRÉPONDÉRANCi:     IHAMENNE 


liU 


cryptes  du  sanctuaire.  Le  temple  de  Delphes  était  véritablement 
devenu  la  «   Ikinque  nationale  grecque  ». 

Sans  ses  oracles,  cependant,  la  Grèce  n'eût  jamais  atteint  une 
pareille  gloire  ;  car  les  divisions  profondes  qui  séparaient  les 
divers  peuples,  les  rendant  ennemis  irréconciliables,  eussent 
arrêté  tout  progrès,  si  d'un  sommet  élevé,  indépendant  des 
petitesses  locales,  dominant  toutes  les  querelles,  n'était  partie 
une  influence  bienfaitrice. 

Delphes  voulait  la  richesse  et  la  prospérité  des  Hellènes  parce 
que  c'était  vouloir  son  propre  bien.  Et,  pour  guider  ce  peuple 
difficile,  il  fallait  aux  prêtres  des  connaissances  profondes  de 
tout  ce  qui  était  alors. 

Personne  n'était  d'ailleurs  mieux  j)lacé  que  les  prêtres  d'Apol- 
lon pour  tout  apprendre.  De  chaque  pays  venaient  des  Hellènes, 
apportant  des  connaissances  nouvelles,  des  idées  (1),  des  notions 
étrangères  sur  la  géographie,  l'histoire,  la  politique  internatio- 
nale. C'est  ainsi  que  le  clergé  fut  à  même  de  se  tenir  au  courant 
des  moindres  détails  en  toutes  choses,  que  les  idées  philoso- 
phiques et  religieuses  de  l'Orient  furent  analysées,  que  le  génie 
hellène,  ne  retenant  que  les  notions  utiles  ;2  ,  fut  à  même  de  les 


(1)  La  doctrine  de  Zoroaslre  et  des  mages 
avait  éveillé  la  curiosité  des  Grecs,  dès  leurs 
premiers  rapports  avec  la  Perse.  Aristote, 
Hermippe  et  d'autres  avaient  composé  sur  le 
Magisme  des  livres  dont  il  ne  reste  que  le 
nom(DiOG.  Laert,  Proem,  1,  8.  —  Pline,  //(.</. 
nat.,  XXX,  1-2).  Les  historiens,  depuis  Héro- 
dote jusqu'à  Agathias,  sur  une  étendue  de  dix 
siècles  (450  av.  .I.-C.  à  550  ap.  J.-C.)  nous  ont 
fourni  une  foule  de  renseignements  directs  et 
indirects  de  liante  valeur  (Cf.  Wi>disciim.\n>, 
Zoroaslrisclie  Sludien,  p.  160  sq.),  et  le  résumé 
le  plus  clair  et  le  plus  fidèle  de  la  doctrine 
dualiste  se  trouve  dans  le  traité  d'isis  et  d'Osi- 
ris,  (|ui  probablement  ne  fait  que  reproduire 
Ihistorien  des  guerres  de  Philippe,  Theo- 
pompe  (Cf.  Il"  liv.  des  Philippiques).  Avec  le 
Néoplatonisme  et  le  Mjsticisme  éclectique 
(rAlexandrie,  le  sens  historique  s'obscurcit 
et  Zoroastre  et  sa  doctrine  s'évaporent,  sans 
profit  pour  la  science,  dans  l'éclectisme  théo- 
sophique  du  siècle.  l'Cf.  Klenker,  Anhang., 
n,  I,  17.  —  Clem.  d'Alex.,  Slromnld,  1,  xv.) 
(J.  Darmsteter,  le  7.end-Avefilri,im'2.  introd.  L 
]).  VIII.) 

(2)  Les  idées  philosophiques  trouvèrent  en 
Grèce  un  lerrain  plus  favorable  que  partout 
ailleurs;  le  peu  d'importance  du  clergé,  le 
manque  de  livres  saints,  permirent  aux  Hel- 
lènes de  se  lancer  dans  des  spéculations  que 
n'entravail  point  la  religion.  De  Thaïes  aux 
sophistes  (600  à  400  av.  J.-C),  ce  fut  le  temps 
de  la  méthode  cosmologicjue.  C'est  l'ensemble 


de  l'univers  qu'on  voulut  expliquer  d'un  terme. 
La  fantaisie  se  donna  largement  carrière  en 
une  foule  de  systèmes  aussitôt  abandonnés 
que  créés. 

Deux  écoles  sortirent  de  ce  chaos:  celle  des 
Ioniens  dans  laquelle  lu  philosophie  devient 
sensualisle,  expérimentale  :  l'autre,  celle  des 
Doriens  plus  réfléchie,  plus  rationnelle.  Pylha- 
gore  semble  avoir  été  son  fondateur;  l'école- 
d'Elée  (Xénophane)  en  développe  les  ])rinci- 
pes,  il  affirme  l'unité  et  l'éternité  d'un  être 
supérieur,  d'un  dieu.  De  la  multiplicité  des 
conceptions,  de  leur  impossibilité  de  se  fon- 
dre en  une  seule  s'imposant  aux  autres  naquit 
un  dégoût  qui  enfanta  le  scepticisme.  Socrate 
ramena  les  eprils  vers  la  raison,  l'examen  des 
choses  et  de  soi-même;  il  donna  la  méthode 
et  il  se  fonda  encore  une  foule  d'écoles;  mais 
toutes  ou  presque  toutes  restèrent  attachées  à 
la  méthode  socratique.  Celle  de  Platon  devait 
éclipser  toutes  les  autres.  Bien  qu'imprégné 
de  l'esprit  socratique,  le  platonisme  est,  par  le 
fond  et  par  la  forme,  un  système  original.  C'est 
l'intuition  de  la  vérité  absolue,  des  notions 
premières,  éternelles  et  nécessaires,  de  l'idéal, 
par  une  faculté  qui  pei'çoit  naturellement 
l'inTini,  savoir  la  raison. 

Aristole,  i(uoi(|ue  portant  d'autres  princi- 
pes, le  particulier,  le  réel  et  le  sensible,  créa 
une  doctrine  se  rapprochant  par  bien  des 
points  de  celle  de  Platon.  Malgré  les  efforts 
de  ces  deux  colosses,  la  précision  manquait, 
le    doute  revint  et   avec  lui    le    cynisme,   le 


^32 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


exploiter,  qu'enfin  l'écriture,  venant  de  Phénicie,  fut  transformée 
et  appliquée  à  la  langue  grecque  (1). 

Elle  servit  d'abord  pour  les  comptes,  pour  les  dédicaces  aux 

dieux   ci),     pour    les    sentences    morales, 

i  oIAÎ^  >I  4'^     '*°^*^  ^^^  listes  des  grands  prêtres  (3).  Vers 


le  huitième  siècle  av.  J.-C,  on  commença 
à  recueillir  et  à  inscrire  les  noms  des 
magistrats  des  Etats  et  des  villes,  les  listes 
des  vainqueurs  aux  jeux  nationaux  ('i). 
Ce  n'est  que  tardivement  qu'elle  entra 
dans  l'usage  de  la  littérature. 

Dans  les  arts,  la  poésie  et  la 
politique,  l'oracle  de  Delphes 
joua  un  rôle  très  important; 
c'est  lui  qui  soutint  le  peuple 
hellène  dans  les  moments  de 
crise.  Le  pillage  de  son  temple, 
par   les   Peises,  fut  un   de   ces 

Inscription  boustropliédon  de  l'osselet      crimes  qu'une  race  ne  pardonne 
de  Suse  (6).  jamais. 

Pendant  que  TAttique  vivait 
sur  les  principes  et  régie  par  les  lois  qu'elle  tenait  de  Solon, 
rionie,  en  perj)étuel  contact  avec  l'étianger,  émettait  des  théories 
philosophiques  nouvelles  pour  le  monde  grec. 

Depuis  longtemps,  ces  idées  fermentaient  dans  les  iles  et  sur 
les  côtes  d'x\sie,  quand  les  Perses  vinrent  y  écraser  la  civilisa- 
tion ;  et  de   même  qu'alors  les  Ioniens  s'en  furent  coloniser  au 


Inscription  boustropliédon 
de    Théra  (5). 


stoïcisme.  La  pliilosopliie  grecque  avait  fini 
sa  carrière;  elle  a  légué  ou  monde  l'enseiiilile 
de  la  philosophie,  traitée  avec  un  génie  (]ui 
de  longtemps  ne  sera  pas  dépassé  :  elle  montra 
la  prodigieuse  activité  de  cette  mentalité  hel- 
lène, suhlime  en  mille  choses  et  qui  s'est  tuée 
elle-même  par  l'exagération  de  cette  acti- 
vité. 

(1)  Pour  R.  Dussaud  (l'île  de  Chypre,  ds 
Reu.  Ecole  Anlhrop.  Paris,  11(07),  l'alphabet 
phénicien  ne  serait  qu'une  lointaine  filiale  du 
monde  égéen.  (A.  J.  Reiuach).  (Cf.  R.  Dus- 
saud, Journ.  Asial.,  1904,  I,  p.  357  et  les  Ara- 
bes en  Si/rie  avant  Flslam,  1907,  p.  85),  et  non 
une  descendance  du  démolique  égyptien.  Cette 
hypothèse,  qui  prend  le  contrepied  de  celle  ad- 
mise jusqu'ici,  ne  sendile  pas  appuyée  sur  des 
liases  bien  silres. 

(2)  Hérodote,  V,  sq.  —  Osselet  d'Arislagoras. 

(3)  Les  asclépiades  de  Cos,  les  boutades 
d'Athènes,  les  prêtresses  de  Héra,  à  Argosrè. 


[Fni;ini.  Ilist.  Graer..  I,  XXVII  ;  Tluicydlde,  II, 
i  ;  1\'.  VXi).  Ces  liïslfs  Jious  fournissent  pour 
la  chronologie  grec<|ue  les  points  de  repère 
les  plus  anciens.  (Cf.  Nitzscii,  Rôm.  Anna- 
lislik,  p.  208.) 

(4)  Liste  desolympioniques  dans  le  gymnase 
d'Olympie  {Paùsun.,  VI,  6,  3  :  13,  6.  — KmcH- 
noFF,  Arch.  Zeiluny,  1878,  p.  139). 

(5)  Cf.  RoECKL,  Mém.  Acad. Berlin,  1836;  Her- 
MANN  RoEHL,  Inscr.  (jr.  Antiquillima\  lSf^-2,  p.  2, 
n°  12  a. 

(Pr;Ço[vwp  -  ipyizxi  -  IIûo/.Xt);-  KÀsaycipaç 
(ospa'.S'Jî.) 

(G)  Cf.  B.  Haussoullier,  Offrande  à  Apol- 
lon Didymécn,  dans  Mém.  délég.  en  Perse, 
t.  VII,  1905.  p.  155,  sq.,  pi.  XXX.  TâSe 
TàyâÀiJLoiToc  [à]  r.ô  Xci'o'  ApiaTÔXoy  o;  ["/.«"i] 
Opâatov  àviÔetïav  T[(i>-~ciXÀwvt  SexaTr,v' 
£/^a[Àx£j£  S'aùià  TaixX^ç  ô  xu8tp.âvo[po 


LA     PRKPONDÉRAXCE     IRANIENNE  /i33 

loin,  de  même  la  philosophie  ionienne  s'en  alla  créer  de  nouveaux 
foyers.  Elée,  fondée  par  les  Phocéens  sur  la  mer  Tyrrhénienne, 
devint  un  centre  philosophique  du  jour  où  s'y  fixa  Xénophane 
de  Golophon.  ^'ers  la  même  époque,  Pythagore  se  transportait  de 
Samos  à  Crotone. 

Ces  deux  philosophes  diiïéraient  d'opinion  ;  mais  ils  ouvraient 
des  voies  nouvelles.  Toutefois,  ni  le  Nombre  des  pythagoriciens, 
ni  VElre  des  Eléates,  ne  parvinrent  à  faire  comprendre  le  monde 
phénoménal.  Les  Ioniens  inventèrent  le  Devenir  ;  Empédocle 
d'Agrigente  adopta  VElre  éternel^  Leucippe  supposa  VAiome; 
aucune  de  ces  écoles  ne  donna  satisfaction,  et  les  Eléates  en 
arrivèrent  à  dire  :  «  //  ni]  a  absolument  rien,  el  s'il  y  a  quel(/ue 
chose,  cela  esl  inconnaissable.  »  Les  germes  du  scepticisme 
étaient  semés. 

Quelle  révolution  dans  le  monde  que  cette  liberté  de  pensée, 
d'examen  des  questions  vitales  de  la  Nature  !  Jusqu'alors,  ces 
éléments,  à  peine  envisagés,  avaient  été  du  domaine  surnaturel 
dans  tous  les  pays  ;  et  voilà  que  cet  antique  édifice  menaçait 
de  s'écrouler,  entraînant  dans  sa  ruine,  en  même  temps  que  les 
convictions  plus  ou  moins  sincères,  l'état  social  tout  entier. 

En  d'autres  temps,  les  principes  du  Christianisme,  prêches 
dans  le  monde  romain,  semblèrent  un  véritable  crime  de  lèse- 
nation.  Ne  venait-on  pas  proclamer  V égalité  des  hommes  dans  une 
société  vivant  de  l'esclavage,  des  castes,  des  distinctions  entre 
homme  et  homme  !  Les  persécutions  n'eurent  d'autre  but  que 
d'étoulTer  des  idées  considérées  alors  comme  dangereuses  pour 
la  société  et  pour  l'Etat. 

Ce  ne  fut  pas  sans  déplaisir  qu'Athènes  vitapparaître  les  concep- 
tions nouvelles  qui,  mettant  en  discussion  les  croyances  antiques, 
les  traditions,  les  principes  reçus  des  ancêtres,  empoisonnaient  les 
mœurs.  L'Ionie,  d'ailleurs,  foyer  de  ces  idées  subversives,  était 
déjà  mal  vue  de  l'Attique,  par  suite  de  la  légèreté  de  ses  mœurs. 

11  se  forma  deux  partis  à  Athènes,  celui  des  vieilles  croyances 
et  celui  des  idées  nouvelles;  c'est  à  ce  dernier  qu'appartenait 
Périclès.  Les  longues  discordes  qui  avaient  troublé  sa  patrie 
depuis  les  guerres  médiques,  l'attitude  des  conservateurs, 
furent  les  causes  qui  portèrent  Périclès  au  pouvoir.  Il  n'y 
demeura  qu'une  quinzaine  d'années,  mais  ces  quinze  ans  suffirent 
pour  que  le  siècle  prit  son  nom. 

28 


434 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


La  prospérité  de  tonte  la  Grèce  atteignit  alors  son  apogée. 
Athènes  tenait  la  tète  du  mouvement,  aussi  bien  au  point  de  vue 
politique  qu'à  celui  de  l'intelligence  ;  capitale  d'un  petit  territoire 
de  TAttique,  elle  venait  de  passer  au  rang  de  chef-lieu  du  gou- 
vernement fédéral  des  villes  maritimes. 

Les  arts  (l)  et  les  industries  prirent  à  cette  époque  un  essor 
inconnu  jusqu'alors  (2).  Les  étrangers  affluaient,  apportant  cha- 
cun leurs  connaissances,  leur  métier.  Athènes  allait  devenir, 
comme  autrefois  Thèbes  et  Memphis,  comme  Rome  quelques 
siècles  plus  tard,  la  proie  de  l'étranger;  l'affluence  exotique  la 
conduisait  lentement  vers  la  dégénérescence. 

Périclès  comprit  le  danger  ;  il  remit  en  vigueur  une  vieille  loi 
tombée  en  désuétude  et  par  laquelle  «  ceux-là  seuls  pouvaient 
prétendre  au  droit  de  cité  qui  étaient,  par  leur  père  et  leur  mère, 
enfants  de  l'Attique  »  (3). 

Cette  décision  de  Périclès  fut  un   trait   de  génie  qui  sauva  sa 

patrie. 

Athènes  vivait  alors  de  ses  colonies  (4^  de  son  commerce  ma- 
ritime et  de  ses   mines  du  Laurium,   bien  plus  que  de  son  terri- 


(1)  {Macrobe,  V,  21,  10  ;  Hérodote,  V,  88.)  En 
llalie,  les  poteries  altiqiies  avaient  déjà  pé- 
nétré vers  le  milieu  ilu  cinquième  siècle  jus- 
que dans  la  région  du  Po,  comme  l'ont  mon- 
tré les  fouilles  d'Atria.  Elles  s'exportaient 
d'un  a\itrp  côté  jusque  chez  les  Ethiopiens. 
{Scylax,  m,  Cf.  H.  Blu.m.ner.  Gewerbliche  Tha- 
liykeil,  p.  66.  —  E.  Curtius,  Hisl.  grecque.  Trad. 
fr.,  1883,  t.  II,  p.  552,  note  1.) 

(2)  La  sculpture  grecque  est  généralement 
divisée  comme  suit  :  1"  période  iirimilive, 
depuis  les  origines  légendaires  (tout  au  plus 
le  X"  s.),  jusqu'au  septième  siècle  ;  2%  les 
maîtres  primitifs  depuis  la  fin  du  septième 
siècle  jusqu'à  540  av.  J.-C.  (LX*  olymp.)  ; 
3%  l'archaïsme,  de  540  à  460  av.  .I.-C.  (LXXX" 
olvmp.)  ;  4%  de  460  à  396  (XCVl-  olym.)  la 
grande  époque;  enfin,  5%  de  396  au  temps 
d'Alexandre  (CXX»  olymp.,  292  av.  J.-C).  Dès 
lors,  l'art  grec  entre  dans  son  déclin  ;  6%  de 
292  à  la  conquête  romaine  (146  av.  J.-C). 
L'art  du  fondeur  ne  se  développe  que  très  tar- 
divement. Les  plus  anciennes  statues  de 
bronze  étaient  faites  de  pièces  rapportées 
(tête  de  Zeus  d'Olympie).  L'art  du  fondeur 
n'existait  donc  pas  encore  dans  le  monde  hel- 
lénique au  septième  siècle  av.  J.-C  ;  ou  du 
moins,  il  était  tellement  rudimentaire  que  les 
fondeurs  n'osaient  pas  attaquer  des  sujets 
d'imi)or(ance.  Suse,  huit  cents  ans  auparavant, 
avait  déjà  fondu  des  pièces  de  gros  volume 
et  avec  une  perfection  qu'aujourd'hui  même 
aos  industries  ne   sauraient  guère    surpasser. 

(3)  La  loi  de  Périclès  ne  pouvait  être  appli- 


quée immédiatement  avec  une  rigueur  in- 
exorable. Mais  le  principe  fut  rétabli  ;  et 
comme  alors  en  une  année  de  grande  cherté 
(445-4,  LXXXIIl*  olymp.),  il  arriva  d'Egypte  un 
présent  de  40.CKK;)  boisseaux  de  blé  pour  être 
distribués  entre  les  citoyens,  ceu.x-ci,  par 
égo'isme,  saisirent  l'occasion  d'appuyer  l'exé- 
cution formelle  de  la  loi.  Le  nombre  de  ceux 
qui  profilèrent  de  cet  envoi  dépassa  14.1300, 
celui  des  exclus  monta  à  4.760.  (Cf.  E.  Cur- 
tius, Trad.  fr.,  1883,  t.  II,  p.  551.) 

(4)  Voici  quelques  exemples  des  taxes  aux- 
quelles étaient  soumises  les  villes  sous  la 
dépendance  d'Athènes.  Abydos  payait  4  ta- 
lents, Lamsaque  12,  Perinthe  10,  Selymbria  5, 
Chalcédoine  9,  Byzance  15,  Rhodes  (sans  ses 
possessions  continentales)  18,  et  plus  tard 
Lindos  15,  Paros  (à  cause  de  ses  marbres)  de 
16  à  30  talents,  Tbasos  (riche  en  mines)  30, 
Eginc  (()ue  la  politi(|ue  athénienne  voulait 
ruiner)  30,  Cos  5,  Milet,  Leros,  Tichioussia  et 
quelques  autres  villes  10;  CoIophon3,  Phocée 
3,  Ephèse  de  6  à  7  et  demi  ;  Naxos  6  talents, 
4.000  drachmes,  Andros  de  12  à  15  ;  Cylhmos 
3  ;  les  villes  d'Eubée  (après  la  pri.se  de  Chal- 
cis)  33  talents.  On  sait  que  la  valeur  moyenne 
du  talent  était  de  8.135  francs  de  notre  mon- 
naie, et  que  la  monnaie  courante  était  le 
letradrachme  atlique  (Av.  tète  de  Minerve, 
Rv.  Chouette  d'Athènes),  dont  la  valeur  était 
de  5  fr.  40  de  notre  monnaie.  (Cf.  E.  Curtius, 
Hisl.  <jrecque.  Trad.  fr.,  p.  530  sq.  —  In,  Bei- 
Iraqe  zur  Gesch.  und  Topogr.  v.  Kleinasien,  1872,- 
p.  21.) 


/|36  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

toire,  trop  exigu  pour  ses  besoins.  La  question  capitale  pour  son 
gouvernement  était  celle  des  blés,  car  il  fallait  donner  à  la  ville 
le  pain  à  bon  compte.  Les  règlements  les  plus  sévères  furent 
institués  pour  protéger  l'importation  des  céréales. 

Athènes  était  devenue  l'un  des  plus  grands  marchés  de  l'Orient 
méditerranéen  :  toutes  les  denrées,  tous  les  produits  étrangers  se 
trouvaient  au  Pyrée,  des  esclaves  de  toutes  races,  les  poissons  et 
les  peaux  de  la  mer  Noire,  les  bois  de  construction  de  la  Thrace, 
les  fruits  de  FEubée,  les  raisins  de  Rhodes,  les  vins  des  Iles,  les 
tapis  de  Milet,  les  métaux  de  Chypre  et  de  ses  propres  mines, 
l'encens  de  Syrie,  les  dattes  de  Phénicie  (1),  le  papyrus 
d'Egypte,  etc.  (2). 

La  monnaie  en  cours  était  le  tétradrachme  d'argent  à  l'ancien 
type  d'Athènes.  Il  existait  bien,  il  est  vrai,  de  l'or  monnayé;  mais 
ce  numéraire  était  rare  et  peu  courant.  Les  commerçants  préfé- 
raient, tout  comme  les  Orientaux  de  nos  jours,  l'argent  à  Tor. 

Inventé  par  l'Asie  Mineure,  le  monnayage  des  métaux  précieux 
avait  été  rapidement  adopté  par  tous  les  États,  grands  et  petits. 
Toutes  les  villes  de  Grèce,  de  Phénicie,  les  satrapies  perses,  la 
cour  achéménide  elle-même  émettaient  du  numéraire;  mais  il 
n'était  pas  estimé  au  prix  de  celui  d'Athènes,  qui  se  répandit  dans 
tout  l'Orient  et  longtemps  fut  en  usage.  Plus  tard,  on  le  remplaça 
par  le  tétradrachme  d'Alexandre  le  Grand,  dont  le  cours  fut  encore 
plus  étendu  (3). 

A  la  prospérité  politique  et  commerciale  correspondait  un 
essor  intellectuel  plus  complet  que  ce  qui  s'était  jamais  vu  (/i).  En 
sculpture,  en  architecture,  la  Grèce  atteignait  alors  des  sommets 

(1)  L'apparition,  dans  la  Palestine  méridio-  tion;  le  détail  dans  les  ornements,  si  courant 
nale,  de  la  peinture  cérami<|ue  grecque  à  su-  dans  les  arts  extrême-orientaux,  dans  le 
jets  noirs  sur  fond  rouge,  eut  lieu  au  cinquième  byzantin,  n'entrait  que  pour  la  proportion 
siècle  avant  lère  commune.  (H.  Vincent,  juste  nécessaire  dans  le  sentiment  artistique 
Canaan,  1907,  p.  14.)  chez  les  Gréco-romains.  Le  goût  existait  aussi 

(2)  E.'cuRTius,  Hisl.  grecque,  1883,  l.  II.  Trad.  bien  chez  l'homme  riche  et  instruit  que  chez 
fr.,  p.  556.  l'ignorant   et    pauvre  et  le  vase  d'argile  en 

(3)  C'est  ainsi  que  le  thalari  de  Mar  ie-  usage  dans  les  foyers  modestes  était  auss 
Thérèse  d'Autriche  a  encore  cours  dans  une  beau  par  .ses  lignes  que  les  cratères  d'or  des 
partie  de  rAfricjue  Orientale,  et  que  la  Chine  puissants.  Cette  aptitude  de  tout  un  peuple, 
préfère  la  piastre  mexicaine  à  toute  autre  nous  la  retrouvons  plus  anciennement  en 
monnaie.  Egypte,  avec    des  conceptions  différentes  du 

(4)  Ce  qui  caractérise  le  goût  romain  et  plus  beau.  De  nos  jours,  malgré  les  encourage- 
encore  celui  des  Grecs,  c'est  le  besoin  inné  menls  donnés  par  les  Etals  aux  arts,  le  senti- 
chez  ces  peuples  de  faire  en  tout  œuvre  d'ar-  ment  de  l'esthétique  est  l'apanage  des  clas- 
tiste.  Il  n'était  pas  un  artisan  qui  ne  cherchât  ses  instruites.  11  n'est  pas  inné  chez  les  peu- 
à  donner  au  produit  de  son  travail  un  aspect  pies  modernes;  la  richesse  ne  le  donne  pas. 
agréable  à  l'esprit  et  aux  yeux.  Le  moindre  L'utilitarisme  est  au  vingtième  siècle  le  but 
ustensile  de  cuisine,  par  exemple,  le  moindre  presque  unique  de  la  grande  majorité  dans 
des  objets  usuels  était  gracieux,  souvent  même  tous  les  pays. 

beau,  par  ses   lignes   et  par  son   ornementa- 


LA    PRÉPONDÉRANCE    IRANIENNE  437 

qui  n'ont  pas  été  dépassés  (1)  ;  l'histoire  naissait  avec  Cadmos  de 
Milet,  Acusilaos  d'Argos,  Ilécatée  et  enfin  [lérodote.  C'était  l'his- 
toire anecdoticjue  dont  les  vues  et  les  procédés  se  sont  conservés 
jusqu'à  nos  jours.  11  appartenait  aux  temps  modernes  de  se  placer 
au-dessus  des  anecdotes  et  d'envisager,  dans  l'histoire,  les  eflets 
et  les  causes. 

Celte  paix,  due  à  la  suprématie  d'Athènes,  ne  fut  pas  de  longue 
durée;  Gorinthe,  la  ligue  péloponésienne,  les  guerres  qui  se  sui- 
virent, d'insignifiantes  querelles,  amenèrent  le  déclin  de  l'Attique 
et,  en  même  temps,  celui  de  toute  la  Grèce.  L'hégémonie  passa 
aux  mains  des  Spartiates,  Thèbes  prit  une  situation  importante  ; 
les  jalousies  et  les  haines  régnèrent  en  maîtresses  dans  l'Hellade 
et,  avec  elles,  les  procédés  les  plus  honteux.  Les  Lacédémoniens, 
en  effet,  ne  rougirent  pas  d'appeler  les  Perses  contre  Athènes. 

La  Grèce  n'était  occupée  que  de  disputes  et  de  philosophie,  on 
analysait  tout,  on  discutait  tout,  jusqu'aux  choses  les  plus  essen- 
tielles de  la  vie  nationale:  c'était  le  déchaînement  de  l'égoïsme. 

«  Aucune  constitution,  et  la  constitution  républicaine  moins 
que  toute  autre,  ne  pouvait  longtemps  subsister  ;  car,  dès  que  le 
juste  et  l'injuste,  l'honneur  et  la  honte,  la  vertu  et  le  vice,  tout 
enfin  n'est  plus  qu'une  chose  relative,  qu'il  apparaît  à  l'un  de 
telle  façon,  à  l'autre  de  telle  autre,  un  pareil  état  d'esprit  mène 
fatalement  à  la  décomposition  de  toute  société  (2).  » 

Socrate,  sentant  le  péril  imminent  pour  sa  patrie,  voulut 
réagir  ;  et  ce  qu'il  demandait  n'était  certes  pas  nouveau  pour  les 
Hellènes,  car  on  le  lisait  inscrit  en  lettres  d'or  sur  le  fronton  du 
temple  de  Delphes  ;  «  Connais-toi  toi-même.  »  Socrate  était  un 
patriote,  cherchant  la  rénovation  morale  de  ses  concitoyens  ;  il 
mourut  victime  de  ses  sentiments  de  juste  humanité,  de  son 
nationalisme. 

Le  siècle  de  Périclès,  le  grand  siècle,  voit  apparaître,  pour  la 
première  fois,  des  hommes  faisant  non  plus  la  gloire  d'un  peuple, 

(1)  Il    ne   nous    est  malheureusement  rien  culanum   étaient   de   simples   décors  muraux 

resté  de  la  peinture  antique  ;  seules  les  fres-  n'ayant  aucune  prélention  à  la  f^rande  œuvre; 

ques  romaines   de  Pompéi,    d'Herculanum  et  aussi  ne  faudrait-il  pas  les  considérer  comme 

de    Rome   sont   parvenues  jusqu'à    nous,  '  de  types  de   la  i)einture   des  maîtres  dans  l'école 

même   que   la   fresque  dite   Aldobrandini,  du  romaine.   L'école  romaine    elle-même   n'était 

Vatican.    Ces  quelques  restes  ne  font  (ju'ac-  <]u'un  pâle   rellel   de   celles  de   Grèce,   et  en    . 

croître   nos  regrets  de  ne    rien   connaître   de  particulier  de  celle  d'Athènes  dont  nous  con- 

Polyf^note,  d'Apelle,de  Zeuxis,  de  Parrhasios,  naissons  sur  les  vases  (Lekylhos;  le  merveil- 

et  de  celle   pléiade  de   maîtres    dont    les  an-  leux  dessin. 

ciens  vantaient  le  talent  à  l'égal  de  celui  des  (2)    E.CvRtws,  Hisl.  grecque,  Trad.  fr.,  t.  IV, 

sculpteurs.  Les  fresques  de  Pompéi  el  d'Her-  p.  123. 


Zi38  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

d'une  cité  ;  mais  appartenant  à  celle  du  monde.  Périclès  lui- 
même,  Phydias,  Socrate,  et  tant  d'autres  de  cette  époque,  font 
honneur  au  genre  humain  tout  entier. 

Pendant  que  la  Grèce  rayonnait  de  toute  la  splendeur  de  sa 
civilisation,  un  autre  empire  hellène,  celui  de  l'Occident,  brillait, 
lui  aussi,  d'un  vif  éclat;  mais  la  Grèce  occidentale  était,  comme  sa 
mère-patrie,  divisée,  affaiblie  par  les  haines,  les  rancunes,  les 
jalousies.  De  perpétuelles  luttes  entre  villes  venaient  sans  cesse 
entraver  le  progrès.  En  Orient,  les  Perses  semaient  la  discorde 
dans  le  monde  grec  ;  en  Occident,  c'était  Cartilage  qui,  surveillant 
avec  un  soin  jaloux  les  moindres  fautes  de  la  Sicile,  ne  laissait 
pas  que  d'en  profiter  et  d'affaiblir,  par  tous  les  moyens,  ces  étran- 
gers venus  en  intrus  dans  des  parages  qu'elle  considérait  comme 
son  domaine. 

En  Italie,  la  colonisation,  commencée  à  lapygia,  s'était  rapide- 
ment continuée  au  long  de  toute  la  côte,  depuis  la  pointe  extrême 
de  la  péninsule  jusqu'à  la  Campanie.  Tarente,  Métapoiite,  Syba- 
ris,  Thurium,  Crotone,  Rhegium  située  en  face  de  Zanclé  en 
Sicile,  Eléa,  Posidonia  (Paestum),  Naples,  Cyniea  (Cumes)  étaient 
les  principaux  établissements  grecs  d'Italie. 

En  Sicile,  les  colonies  hellènes  occupèrent  la  côte  orientale  et 
TTiéridionale  de  l'ile  ;  les  principales  furent  Syracuse,  Mégare, 
Hyblaea,  Gela,  Camarina,  Agrigente,  Sélinonte,  Léontini, 
Catane,  Zanclé,  Himera,  etc. 

L'histoire  de  la  Sicile  est  celle  de  toutes  ces  villes  qui,  dispu- 
tant leur  indépendance  à  leurs  voisins  grecs  ou  carthaginois, 
luttant  sur  mer  contre  les  Tyrrhéniens,  dans  l'intérieur  de  l'île 
contre  les  anciennes  races  sicules,  passèrent  fréquemment  de  la 
puissance  à  la  déchéance,  d'une  domination  à  une  autre. 

Syracuse  sut  triompher  de  ses  voisins  d'Afrique  et  étendre  sa 
domination  sur  toute  la  partie  orientale  de  l'ile.  Riche  et  respectée, 
gouvernée  par  des  tyrans  amis  des  lettres  et  des  arts,  elle 
connut  une  splendeur  bien  comparable  à  celle  d'Athènes;  l'élo- 
quence, les  études  historiques  reçurent,  de  la  part  des  maîtres, 
une  impulsion  très  grande.  On  construisit  partout  de  superbes 
édifices  ;  Syracuse  devint  une  immense  cité.  En  /i66,  elle  chassa 
les  tyrans  pour  vivre  en  démocratie  ;  une  constitution  fédérale 
s'établit  alors  en  Sicile. 

Si  la  Grèce  occidentale  avait  connu,  en  Sicile,  une  unité  sous 


LA   i'iu':poM)i;uANCi-:   iuanienne 


/i3y 


l'hégémonie  de  Syracuse,  il  n'en  fut  pas  de  même  pour  l'Italie,  où 
Tantagonisme  entre  villes  d'origine  achéenne,  doriennc  ou 
ionienne,  demeura  faiouche.  L'histoire  de  ces  colonies,  pour  un 
temps  si  florissantes  et  si  riches,  n'est  qu'une  succession  de 
guerres  de  ville  à  ville,  do  |)illages  et  de  ruines. 


La  Sicile  gréco-punique. 


Sybaris,  Crotone,  Métaponte,  les  Achéennes,  furent  d'abord  les 
cités  les  plus  prospères  et  les  plus  puissantes.  Elles  cherchèrent  à 
s'emparer  de  tout  le  Sud  de  l'Italie.  Siris,  d'origine  dorienne,  fut 
détruite  {580  av.  J.-C),  puis  Crotone  et  Sybaris  entrèrent  en  lutte 
et  Sybaris  fut  entièrement  ruinée  (510).  Crotone  elle-même  s'étei- 
gnit dans  l'anarchie.  En  sorte  qu'au  temps  des  guerres  médi- 
ques  il  ne  restait  plus  rien  de  la  puissance  achéenne  dans  la 
Grande-Grèce. 

Tarente  devint  alors  la  ville  importante  de  l'Italie  méridionale. 
Thurium,  soutenue  par  Athènes,  eut  aussi  son  temps  d'éclat. 

Mais  la  haine  de  Corinthe  poussait  les  Athéniens  vers  ses  colo- 
nies de  Sicile.  En  attaquant  Léontini,  ville  ionienne,  les  Syracu- 
sains  lui  donnèrent  prétexte  d'intervenir  (427).  Des  flottes  et  un 
important  corps  d'armée  furent  envoyés  du  Pyrée;  la  guerre  dura 


ii/,0  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

(le  longues  années  et,  à  plusieurs  reprises,  Syracuse  fut  à  deux 
doigts  de  sa  perte.  Mais  cette  campagne  devait  se  terminer  pour 
Athènes  par  un  désastre  (/il3).  Son  armée  fut  anéantie,  six  à  sept 
mille  de  ses  citoyens  épargnés  dans  le  massacre  des  gorges 
d'Acrae  et  des  bords  de  l'Asinaros  devinrent  esclaves.  Les  géné- 
raux furent  mis  à  mort. 

Quant  aux  villes  siciliennes,  l'issue  de  la  guerre  ne  leur  fut  pas 
heureuse.  Les  vieilles  discordes  de  ville  à  ville  se  réveillèrent; 

Écriture  punique  (1). 

et  les  Egestains,  livrés  sans  défense  à  Syracuse  par  Teirondre- 
ment  de  la  puissance  athénienne,  appelèrent  les  Carthaginois  (/i09). 

Hannibal,  petit-fils  d'ilamilcar,  vint  en  Sicile  et  bientôt  Séli- 
nonte,  Himera,  Agrigente  ne  furent  plus  que  monceaux  de 
ruines. 

Ainsi,  partout  le  monde  hellène  se  déchirait  à  belles  dents  ;  les 
sentiments  théoriques  élevés,  les  rêves  des  rhéteurs  et  des  philo- 
sophes, n'avaient  été  d'aucune  influence  sur  les  haines  séculaires 
des  Grecs  entre  eux.  Les  temps  qui  succédèrent  aux  guerres 
médiques  et  qui  précédèrent  l'accession  d'Alexandre  ne  virent 
que  troubles,  querelles,  trahisons,  bassesses,  égoïsme  des  villes  et 
des  hommes.  On  se  demande  comment  il  se  peut  faire  que  les 
arts,  les  sciences  et  les  lettres  aient  pu  devenir  si  florissants  dans 
un  milieu  aussi  troublé,  comment  des  peuples  si  vindicatifs  et 
cruels  furent  aptes  à  émettre  des  théories  humanitaires  et  égali- 
taires  aussi  élevées. 

La  conduite  des  Hellènes  fut  toujours  en  contraste  avec  les 
principes  qu'ils  affichèrent  avec  tant  d'éclat:  leur  vie  privée 
comme  leur  vie  publique  en  montre  mille  exemples.  Fut-il,  entre 
autres,  un  régime  politique  plus  éloigné  de  la  forme  républicaine 
que  la  démocratie  hellène  ? 

Mais  entre  la  mentalité  de  ces  peuples  et  celle  des  Orientaux 
vermoulus,  quelle  difterence!  Malgré  leurs  défauts,  malgré  leur 
impuissance  politique,  les  Grecs  commençaient  à  diriger  le  monde. 

(1)  Cf.  Corpus  In.fcr,   sémil.,    l"  partie,  n*  176.   «  Vœu   fait  par    ton    serviteur   Melekjaton    le 
Suffêle,  fils  de  Maherbaal  le  Suffète.  » 


LA    PRKPONDÉRANCI-:     IRANIENNE  /,/|l 

Les  Perses  avaient  rêvé  l'Empire  universel  ;  leurs  forces  se 
brisèrent  devant  une  civilisation  supérieure  à  la  leur.  S'ils  avaient 
vaincu  la  Grèce,  il  n'en  serait  résulté  qu'un  accroissement  insi- 
gnifiant de  leur  domaine,  car,  au  delà,  se  présentaient  de  nou- 
velles terres  à  conquérir.  La  INIéditerranée  tout  onlière,  plus 
civilisée  déjà  que  l'Orient,  était  pour  les  ambitions  impériales 
une  proie  vraiment  désirable,  et  les  Aclièniénides  y  avaient 
songé  puisqu'ils  entrèrent  en  relations  avec  Carthage  ;  mais  c'eus- 
sent  été  ensuite  les  peuples  du  Nord  et  du  Centre  de  l'Europe, 
qu'il  eût  fallu  conquérii',  tribus  barbares  à  peine  améliorées  par 
quelque  peu  d'influence  grecque  ou  phénicienne,  fermement 
attachées  à  leur  indépendance. 

Darius  avait  fait  l'expérience  des  Scythes  ;  son  fils  et  lui-même, 
celle  des  Grecs;  ces  deux  guerres  eussent  du  suffire  pour  étein- 
dre chez  les  Orientaux  les  ambitions  impériales.  Ce  n'était  pas 
aux  royaumes  vermoulus  qu'il  était  réservé  de  commander  à  toute 
la  terre;  leurs  rois  avaient  dans  les  veines  trop  de  sang  asiatique, 
dans  la  tête  trop  de  cette  ancienne  mentalité  inapte  aux  concep- 
tions générales  (1). 

C'est  vers  600  av.  J.-C.  que  les  Phocéens  fondèrent,  sur  la  côte 
de  Ligurie,  la  ville  de  Marseille.  Déjà  les  autres  points  avan- 
tageux avaient  été  occupés,  ils  n'eurent  donc  pas  le  choix. 

Lorsque  les  Phocéens  apparurent  dans  l'Occident  de  la  Médi- 
terranée (2),  vers  la  fin  du  septième  siècle,  ces  mers  étaient  par- 
courues par  des  vaisseaux  appartenant  à  trois  ou  quatre  marines, 
dont  les  ports  d'attache  se  trouvaient  sur  les  côtes  voisines. 
C'étaient  les  Ligures,  en  Provence,  vers  Gênes,  dans  les 
Baléares,  sur  les  côtes  d'Espagne  ;  les  Étrusques  dont  les  flottes 
étaient  maîtresses  dans  la  mer  Tyrrhénienne  (3)  ;  les  Tartes- 
siens  (4)  (du  royaume  de  Cadix)  occupant  les  portes  d'Hercule  et  les 
côtes  voisines,  tant  en  Afrique  qu'en  Europe.  Enfin,  les  Cartha- 
ginois qui,  n'osant  guère  s'aventurer  en  vue  des  côtes  d'Italie,  se 

(1)  Il  est  curieux  de  rapprocher  des  textes  Cf.  Menant,  Ann.  a.tsyr.,  p.  221)  ou  «  Par  la 

assyriens  ceux  des  Perses   achôinénides,  en  volonté    d'Assour,   mon  seigneur,  j'ai  »  etc.. 

ce  qui  concerne  le  rôle  de  la  divinité  dans  les  (Assourbanipal). 

expéditions  militaires.  Le  Perse  dit  :•<  Ormazd  (2)   C'est    à  cette    époque    que    le    pharaon 

m'accorda    son    secours  ;  par  la  grâce    d'Or-  Necho    fil    exécuter    le    périple  de   l'Afrique 

mazd,  mon  armée  tua  beaucoup  de  monde  de  (Hérodole.  IV,  42). 

l'ennemi.  »  (.1.  Oppeut,  les  Inscripl.  des  Aché-  (3)  Tile-Live,  I,  23,  8;  V.  33,  7  ;  Velleius,  I,  7; 

ménides,   1851,    p.    121.  Inscr.   de   Darius    I,  à  Cf.   Muller   et  Deecke,  Die  Elrusker,   I,  1877, 

Bisoutoun)  ;  l'Assyrien    disait  :   «  .le   me  suis  p.  16(),  sq. 

recommandé  à  Assour,  mon  seigneur,  et  j'ai  (4)  Avienus.  462-463,  22^,  2^. 
marché  vers  le  pays  d'Elam.  »  (Sennacherib, 


/4/i2 


LES     PREMIÈRES     CIMLISATIOXS 


montraient  sur  celles  d'Espagne  (1),  de  Sardaigne  (2)  et  aux 
Baléares  8). 

Après  avoir  visité  le  royaume  de  Tartessus  /i  sans  s'y  fixer  (5) 
fait  escale  sur  le  Tibre  où  Tarquin  l'Ancien  les  reçut  en  hôtes  (6), 
les  Phocéens  s'arrêtèrent  enfin  dans  la  baie  de  Marseille  (7). 
Protégée  par  ses  îles,  apte  à  la  formation  d'un  centre  commercial 
important  8\  ]Marseille  formait  la  tète  de  ligne  des  voies  qui, 
remontant  le  Pihône,  conduisaient  en  Suisse,  en  Belgique  et 
dans  l'Allemagne  du  Nord,  de  celles  qui,  par  Carcassonne  et  Tou- 
louse, permettaient  de  gagner  les  plages  de  l'Océan  (9. 

La  nouvelle  colonie  se  développa  rapidement.  Les  Perses 
venaient  d'asservir  Phocée,  la  mère-patrie;  ce  fut  pour  Marseille 
et  Alalia,  en  Corse,  l'occasion  de  recevoir  d'importants  renforts. 

Mais  les  Etrusques  et  les  Carthaginois  ne  pouvaient  voir  que 
dun  très  mauvais  œil  cette  puissance  maritime  qui  grandissait 
dans  leurs  propres  mers.  Ils  s'unirent  (10)  et  l'écrasèrent  (11).  De 
tous  les  comptoirs  phocéens  de  l'Occident,  il  ne  resta  plus  que 
^Marseille  isolée,  sans  mère-patrie;  mais  qui,  renonçant  à  la  supré- 
matie maritime,  lança  ses  commerçants  vers  les  pays  neufs  de  l'in- 
térieur, et  commença  déjouer  un  rôle  très  important  dans  la  Gaule 
méridionale  (12  . 

Pendant  que  les  Phocéens  tentaient  vainement  de  s'emparer  de 
la  thalassocratie  dans  la  [Méditerranée  occidentale  c'était  alors  le 


(1)  Tyr,  (]ui  avait  fondé  des  comptoirs  sur 
les  côtes  espagnoles,  semljle  les  avoir  aban- 
donnés au  huitième  siècle,  lors  des  difficultés 
que  lui  causa  l'Assyrie.  Cf.  C.  Julli.\n,  llisl. 
Gaule,  t.  I.  1908.  p.  197.  note  4. 

f2)  Diodore  de  Sicile,  V,  15.  4. 

(?î)  Vers  t)54,  Carihage  semble  s'être  installée 
aux  îles  Baléares,  d'ap.  Tiniée  (Diodore,  V,  ttî,  .S). 

(4)  Le  royaume  de  Cadix  était  alors  extrê- 
mement florissant  et  riche  (Hérodote.  IV,  l.-)2) 
Stésichore  (ap.  Strabon,  III,  2,  11;  Jw<tii}.  xi.iv. 
1:4,  14,  etc.)  remontant  à  une  anti(|Milé  de 
six  mille  ans.  prétend-on  f./u.s///?,  xliv,  4;  S^viô. 
III,  1,  6:  Miicrobe.  I.  20,  12;. 

(.i;  Enire  6C0  et  601  ?  Cette  date  est  calculée 
ai)proxiniativement  d'après  l'avènement  d'Ar- 
ganlhonios  qui  aurait  régné  ((ualre-vingts  ans 
et  serait  mort  au  plus  tard  en  540  (Hérodote, 
I.  163  et  165),  C.  Juli.ian.  Hixl.  Gaule,  l.  I,  1908, 
p.  199,  note  4. 

(6;  Juxtin,  XLIII,  3,  4:  Cf.  C.  .Iullian,  Hist. 
Gaule,  1908,  t.  I,  p.  200  et  note  2. 

(7)  Vers  600  av.  J.-C.  (Arislote,  ap.  Athénée, 
XIII,  36,  p.  576;  Trogue  Pomi)ée,  ap.  Justin, 
XLIII,  3;  .S/r<if-..  IV,  i.  4)  ;  —  Plutaroie,  So- 
lon,  2.  Cf.  pour  le  récit  traditionnel  de  la  fon- 
dation de  Marseille,  C.  Jii.lian,  Hixt.  Gaule, 
1908,  t.  I,  p.  201. 


(8)  Les  archéologues  ne  s'accordent  pas  au 
sujet  de  l'emplacement  exact  de  la  ville  pho- 
céenne ;  les  uns  (Bayle,  1838;  Verdillon,  1866; 
Rouby,  1873;  StofTel,  1887,  etc.)  pensent  qu'elle 
occupait  la  hutte  des  Carmes,  les  autres 
(Albanès,  Clerc),  supposent  qu'elle  se  trouvait 
à  la  butte  de  Saint-Laurent. 

(<))  Cf.  C.  JuLLiAN,  Hist.  de  la  Gaule,  1908, 
p.  63,  VII.  Croisement  en  Gaule  des  voies  eu- 
ropéennes, p.  65.  VIII.  La  Gaule,  intermédiaire 
entre  le  Nord  et  le  Sud. 

(10)  Le  traité  de  509  entre  Rome  et  Car- 
ihage est  peut-être  relatif  à  ces  événements 
(Polybe,  IlL  22). 

(11)  En  5.35,  Cf.  Hérodote,  I,6G;  Strab.,  VI, 
1-1:  Aulu  Celle.  X,  16,  4. 

(12)  Les  Phocéens  de  Marseille  fréquen- 
taient tous  les  marchés  des  côtes  depuis 
Gênes  jusqu'à  la  Catalogne  et  plus  spéciale- 
ment celui  de  P>  réné{Port-Vendres)  (AL'ienus, 
558,  sq.  ;  Hérodote.  II,  .38).  Dans  l'intérieur,  ils 
avaient  installé  des  comptoirs;  le  plus  floris- 
sant fut  celui  d'Arles  {Avienu.^,  689),  au  pas- 
sage du  Rhône  et  au  port  des  bateaux  qui 
descendaient  et  remontaient  ce  fleuve.  Ils 
avaient  occupé  Monaco  (Hécatée,  ap.  Stepli, 
Byz.). 


LA    PRÉPONDÉRANCK     IRANIENNE 


.Wi 


temps  où  Cyrus  régnait  sur  les  Perses),  pendant  (jue  Marseille 
répandait  peu  à  peu  son  influence  bienfaisante  chez  les  popu- 
lations Ligures  (1),  les  peuples  du  Nord  de  l'Europe  s'agitaient. 

Les  Celles  (2)  habitaient  alors  les  plaines  basses  de  l'Alle- 
magne septentrionale,  les  îles  sur  les  côtes  de  la  Frise  (3),  et  la 
presqu'île  danoise,  sol  bas  et  marécageux,  où  les  hasards  des 
migrations  les  avaient  conduits  quand,  venant  d'Orient  au  travers 
des  plaines  de  la  Russie  centrale  et  de  la  Pologne,  ils  avaient  été 
poussés  vers  la  mer  du  Nord  par  les  flots  humains  qui  les 
suivaient. 

Les  Celtes  étaient  des  Aryens  (ù)  prochement  apparentés  aux 
■Gaulois  (|ui  les  joignirent  plus  tard  (5)  et  dont  vraisemblable- 
ment ils  n'étaient  ({u'un  rameau;  plus  éloignés  des  Germains  (6), 


(1)  Un  des  premiers  soins  des  Plioct'eiis 
fui  d'importer  en  Gaule  Tusage  de  la  mmi- 
Tiiiie,  base  de  toutes  les  trausaclions  coiiiiiht- 
■ciales.  Les  plus  anciens  coins  furent  au  lype 
de  Pliocée;  c'étaient  de  petites  monnaies  d'ar- 
:gent  (obole,  0  gr.  55  à  0  gr.  57)  qui  bientôt 
furent  usitées  et  imitées  dans  tout  le  sud  de 
la  Gaule.  (Cf.  Blaxcard  et  Lauoier,  Icon.  des 
mon.  du  Trésor  d'Auriol,  Marseille,  1872:  — 
Lauoier,  les  Monnaies  Mnssdlioles  du  cabinet 
des  médailles  de  Marseille,   1887;  —  Blanciiet, 

Traité  des  Monnaies  gauloises,  1905,  p.  'iH],  sq.). 

(2)  Le  nom  de  Celtes  était  au  début  inconnu 
•des  Romains  et  la  première  indication  qu'ils 
nous  fournissent  au  sujet  des  Gaulois  remonte 
au  sixième  siècle  avant  J.-C.  (Tarquin  l'An- 
cien). Hérodote  (IV',  .xi.iv)  dit  que  l'Ister  (Da- 
nube) prend  sa  source  au  pays  des  Celtes 
^Ke^-toi).  César  assimile  les  Celles  au.\  Gau- 
lois. Diodore  de  Sicile  (V,  xii)  les  distingue 
«omme  babilant  au-dessus  de  Marseille  près 
des  Alpes  et  en  deçà  des  Pyrénées.  Ceux  situés 
au-dessus  sont  les  Gaulois  {Id.  Slrabon,  IV,  i). 
Fauvelle  (l'Homme,  1885,  p.  395,  sq.)  est  d'avis 
qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  sé[)arer  ces  deux  peuples 
bien  qu'ils  eussent  parlé  deux  dialectes  spé- 
ciaux. (Cf.  Si'LPicE  SÉVÈRE,  Dialogue:  VLPiKy, 
Dig.,  XXXII.)  Les  Celles  semblent  n'avoir  été 
qu'une  brandie  de  la  famille  gaëli(iue.  Slrabon 
(IV,  i)  dit  que  les  A(|uilains  étaient  de  son 
temjjs  beaucoup  plus  rapprochés  par  leur 
idiome,  comme  par  leurs  traits,  des  Ibères  (|ue 
.des  Gaulois.  Les  Belges  (César)  issus  de  Ger- 
manie étaient  les  premiers  avant-coureurs  de 
l'invasion  germani(]ue  qui  devait  se  pour- 
suivre jiar  les  Cimbres  et  les  Teutons,  et  se 
terminer  au   cimpiième  siècle  par  les  Franks. 

(<)  Drasidae  memorant  rêvera  fuisse  piipuli 
partem  indigenas  [les  Ligures],  sed  alios  (|uo- 
que  ab  insulis  extremis  coniluxisse  et  traclibus 
transrhenanis  (Amm.  Marcellin,  XV,  9,  4,  d'ap. 
Timagène,  contemporain  d'AngusIe).  La  thèse 
courante  fait  monter  les  Celles  en  Gaule  de 
la  vallée  du  Danube  haute  ou  centrale.  (d'Ar- 
Bois,  II,  p.  "i79  ;  II).,  les  Celtes,  p.  G:  —  liER- 
TRAND,  la  Gaule  avant  les  Gaulois,  p.  25t>--2,'i8;  — 


NiEZE,  p.  151;  —  SciiRADER,  Heallexikon.  1901, 
p.  9u2;  —  IIiRT,  Die  Indogermanen,  I,  1905, 
p.  171,  s([.  Lu  Iradilion  druidique  est  accep- 
tée par  Marcks,  Bonner  Jalirbuclicr,  XCV,  189't, 
p.  :i()  et  par  C.  .Iui.uan,  Hist.  Gaule,  t.  I,  19U8, 
p.  227,  s(|. 

(4)  C'est  peut-être  dans  le  bassin  de  la  mer 
Baltique  «pi'il  faut  chercher  le  berceau  de  cette 
langue  indo-européenne  qui  donna  à  notre 
continent  sa  première  unité  sociale.  Je  ilis 
langue  et  non  pas  race  (C.  Jui.lian,  Hist. 
Gaule,  1908,  t.  I,  p.  233  et  note  3).  La  parenté 
des  racines  celtiques  et  germanitiues  a  fait 
émettre  celte  hypothèse.  D'autre  part  les  afli- 
nités  des  langues  phrygo-hellènes  et  italiotes 
avec  les  groupes  occidentaux  obligent  à 
reporter  plus  à  l'est  le  berceau  commun.  Enfin 
la  parenté  entre  tous  les  groupes  que  je  viens 
d'énumérer  et  les  langues  irano-indiennes 
nous  obligent  à  chercher  plus  loin  encore 
vers  l'Orient.  Il  se  i)eut  que  les  langues  celto- 
germaniques  se  soient  dé\elo])iiées  dans 
l'Allemagne  du  Nord  et  qu'elles  aient  pris  le 
faciès  que  nous  leur  connaissons,  mais  à  cou[> 
sûr  elles  ne  sont  pas  nées  dans  ces  pays  inha- 
bités jusfpi'à  la  fin  de  l'époque  glaciaire. 

(5)  Les  Galates  ou  Gaulois  qni  vinrent  se 
joindre  aux  Celtes  au  numient  où  Brennos 
marchait  sur  Delphes  étaient  leurs  proches 
parents.  Les  auteurs  de  l'antiquité  ne  surent 
jamais  distinguer  entre  ces  deux  branches, 
donnant  aux  Celles  le  nom  de  Gaulois  et  in- 
versement (t;f.  PuTARoiE,  l'aulEmile,  12,  etc.). 

(fi)  Les  pays  de  l'ambre  étaient  aussi, 
semble-l-il,  habités  par  des  Celles  sous  le  nom 
vague  <riIyperboréens  (Héraclide  de  Pont,  aj). 
Pi.iirARnnE,  Camille,  22:  —  C.  Jullian,  //i.v/. 
Gaule,  l.  I.  1908.  p.  237  et  note  5).  Celte  exten- 
sion des  Celles  jus(praux  plages  voisines  de 
Kœnigsberg  semble  bien  exagérée,  si  le  terme 
celtes  désigne  des  peuples  définis  autrement 
que  par  un  nom  vague,  tel  que  les  Anciens  en 
appliquèrent  aux  peuples  sur  lesquels  ils  ne 
possédaient  que  peu  de  notions.  Cf.,  sur  la 
parenté  des  Gaulois  et  des  Germains,  C.  Jul- 
LiAN,  Hist.  Gaule,  t.  I,  1908,  p.  2i3,  note  3. 


/IVI 


LES    PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


peuples  appartenant  à  une  autre  vague  indo-européenne.  Les 
Celtes  faisaient  partie  de  ces  hordes  qui  avaient  laissé  les 
Phrygo-Hellènes,  les  Ascaniens  sur  le  Danube,  les  Italiotes  dans 
la  Styrie,  la  Carinthie,  et  peut-être  aussi  qui  avaient  envoyé  déjà 
dans  la    Gaule  et  l'Espagne    les  éléments  indo-européens  de   la 


race  Ligure. 


Italiotes,  Phrygo-Hellènes,  Celtes,  Iraniens,  Ascaniens,  etc., 
étaient  séparés  les  uns  des  autres  depuis  de  longs  espaces  de 
temps;  leurs  langues  avaient  évolué  séparément,  accentuant  les 
différences  qui,  à  l'origine,  séparaient  déjà  ces  tribus. 

Leurs  mœurs,  leur  physique  même  s'étaient  modifiés,  s'adap- 
tant  aux  nécessités  du  sol  sur  lequel  ils  s'étaient  fixés  ;  en 
sorte  qu'au  moment  où,  pour  la  première  fois,  nous  rencontrons 
ces  diverses  branches,  elles  sont  si  éloignées  les  unes  des  autres 
qu'on  serait  tenté  d'en  faire  des  peuples  difïerents  (1). 

Les  Celtes  s'étaient  transmis  d'âge  en  âge  le  récit  de  leur 
exode.  Une  fatalité,  disaient-ils,  s'acharnait  contre  eux,  des 
guerres  incessantes  troublaient  leur  vie  ;  la  mer  inondait  les 
rivages  et  «ses  flots  bouillonnant»  leur  arrachaient  les  terres.  Ils 
avaient  pour  ennemis  et  les  hommes  et  la  nature,  il  fallut  partir  (!2). 

Nous  avons  vu,  antérieurement,  combien  les  côtes  du  Nord  de 
l'Europe  sont  exposées  aux  ravages  de  la  mer  ;  c'est  un  de  ces 
cataclysmes,  une  de  ces  inondations  causées  par  un  aflaissement 
du  sol,  qui,  joint  à  des  guerres  entre  tribus,  obligea  les  Celtes  à 
s'expatrier  vers  le  sud. 


(1)  Au  moment  de  leur  migration,  les  Celles 
connaissaient  le  bronze  et  en  étaient  mê-me  à 
cette  cinquième  et  dernière  phase  des  arcliéo- 
logues  Scandinaves  (Cf.  Worsaae,  Nordiske 
oldsager,  Copenhague,  1859;  —  Undset,  Jer- 
nalderens  Deijyndelse  i  Nord  Europa,  Christia- 
nia, 1881;  —  Mo.NTELUs,  lex  Temps  préhisto- 
riques en  Suî-de,  trad.  fr.  1895;  —  1d.,  Kullur- 
geschichle  Srhwedens,  190(5  ;  —  S.  Muller, 
Nordische^  Alterlumskunde ,  1897],  peut-être 
même  à  l'Etat  du  fer.  On  suit  leurs  traces  dans 
le  nord  de  l'Allemagne,  la  Belgique;  mais  plus 
loin  le  caractère  nordique  de  leur  industrie 
semble  s'être  modifié.  Les  Celles,  en  ellet, 
trouvèrent  chez  les  Ligures  la  connaissance 
de  tous  les  mêtau.\.  O.  Montelius  fait  venir  la 
connaissance  du  bronze  d'Orient  en  Scandi- 
navie (Cf.  Temps  préhist.  en  Suède,  Trad.  fr., 
1895,  pp.  57-02;  par  la  roule  de  terre,  plus  spé- 
cialement par  la  vallée  de  l'Elbe.  Cette  opi- 
nion concorde  avec  tous  les  documents  fournis 
par  l'archéologie.  D'autres  supposent  qu'il  a 
été  imaginé  sur  place  (en  Scandinavie);  d'autres 
enfin  qu'il  a  été  révélé  par  des  hommes  de  la 


mer.  Ces  deux  hypothèses  semblent  être  bien 
fantaisistes  lune  et  l'autre. 

Sur  les  rapports  entre  le  commerce  de 
l'ambre  et  le  développement  de  la  civilisation 
du  bronze  dans  le  Danemark,  Cf.  Sophus 
Miller,  Xordische  Allerlumskunde,  I,  p.  316,  sq. 

C.  Jùilian  (Hisl.  Gaule,  1908,  t.  I,  p.  228, 
noie  ^)  dit  qu'il  n'y  a  aucune  trace  de  char  de 
guerre  en  Gaule  avant  les  temps  gaulois  et 
que  les  anciens  ont  remarqué  que  les  Ligures 
étaient  surtout  des  fantassins.  Or,  dans  les 
tunuili  Halstattiens  de  la  forêt  des  Moidons 
(.lura),  j'ai  rencontré  les  restes  d'un  char.  Il 
n'est  pas  possible  de  dire  si  ce  véhicule  était 
utilisé  à  la  guerre  ;  mais  son  époque  se  trouve 
déterminée  par  l'observation  de  C.  Jullian. 

(2)  Aviénus,  d'ap.  le  per/p/e  d'Himilcon?  est 
le  premier  auteur  parlant  de  la  migration  des 
(Àdles  vers  la  Gaule.  —  Ephore,  ap.  Slrabon, 
VU,  2,  1  ;  —  Aristote,  Ethique  à  yicomaque, 
lu,  7  (10),  7;  Eudème  de  Rhodes,  III,  1,  25;  — 
Nicolas  de  Damas,  fr.  104;  —  Elien,  Hisl. 
Var.,  XII,  23  ;  —  Cf.  C.  Julll^n,  Hist.  Gaule, 
1908,  t.  I,  p.  228,  note  3,  p.  229,  note  1. 


LA     PHKPOXDÉUANCE     IRANIENNE 


llkb 


Ils  vinrent  so  présenter  sur  les  bords  du  Rhin  inférieur  (1)  ; 
les  uns  le  traversèrent  (vers  530)  et  s'avancèrent  (2)  jusqu'au 
centre  de  la  Gaule  après  avoir  parcouru  la  Belgique  (3),  les 
autres  se  tinrent  sur  la  rive  droite  du  Uhin  ;  tandis  que  des 
lambeaux  de  la  nation  continuèrent  de  vivre  dans  ce  que  la  mer 
avait  épargné  du  domaine  de  leurs  ancêtres  (/i). 

Les  Celtes  venus  se  fixer  en  Gaule  (5)  n'occupèrent  que  le 
centre  du  pays,  les  bassins  de  la  Seine,  de  la  Loire  et  de  la  Saône. 
Le  Midi  resta  aux  Ligures,  de  même  (jue  l'Armorique,  la  Nor- 
mandie et  la  Belgique  même,  dont  les  aborigènes  reprirent  pos- 
session après  le  passage  des  envahisseurs  (6). 

Mais  pendant  que  les  hordes  du  nord  s'avançaient  vers  le  pla- 
teau Central,  des  peuples  du  midi,  les  Ibères  (7),  venant  d'Es- 
pagne, franchissant  les  Pyrénées,  entraient  en  Gaule  (vers  500- 
475  av.  J.-C.)(8)  et,  absorbant  les  Ligures,  s'emparaient  de  tout 
le  sud  du  pays. 


(1)  Les  Celles,  en  franchissant  le  Rhin, 
avaient  laissé  dans  les  plaines  du  nord-ouest 
de  l'Allemagne  une  masse  de  tribus,  leurs 
congénères,  qui,  n'ayant  pas  les  mêmes  raisons 
qu'eux  de  s'expatrier,  demeurèrent  pour  long- 
temps dans  les  districts  où  elles  étaient  can- 
tonnées. Cependant  un  groupe  d'entre  elles, 
celui  des  Belges,  s'avança  vers  308  av.  J.-C, 
suivant  la  voie  suivie  jadis  par  les  Celtes,  les 
refoula  en  même  temps  que  les  Ligures  occu- 
pant le  nord  de  la  Gaule.  En  50  ans,  les  Bel- 
ges s'étaient  établis  dans  tout  le  nord  et  l'est 
des  pays  celtes.  Ils  occupèrent  toutes  les  val- 
lées des  deux  côtés  des  Ardennes,  la  Moselle, 
l'Aisne,  l'Oise,  la  Somme  et  ne  s'arrêtèrent 
qu'à  peu  de  distance  de  la  Seine.  Dans  l'Est 
ils  s'étendirent  sur  les  vallées  du  Doubs  et  de 
la  Saône,  le  long  des  lacs  de  Neuchatel  et  de 
Genève  et  jusque  dans  le  Valais.  (Cf.  Jullian, 
Hist.  de  la  Gaule,  t.  L  1908,  p.  313  sq.  et  notes.) 

(2)  La  même  voie  fut  suivie  plus  tard  par  la 
conquête  franque.  Tournai,  Cambrai,  Sois- 
sons,  etc.. 

(3)  Aviénus  (129-13i)  semble  indiquer  (141- 
142,  145)  que  les  Celtes  vinrent  par  le  rivage 
flamand  et  picard,  à  moins  que  ce  ne  soit  par 
mer,  comme  plus  lard  les  Saxons  et  les  Norlh- 
mands.  Dans  cette  dernière  hypothèse,  la 
colonisation  de  l'.Vnglelerre  se  serait  faite  en 
même  temps  que  celle  de  la  Gaule. 

(4)  Au  sujet  des  Celtes  qui  demeurèrent 
dans  le  nord  de  l'Allemagne,  Cf.  Tacite,  Ger- 
manie, 37;  —  Strabon,  VH, '2,  1;  —  Epuoue, 
fr.  38;  —  Ed.  Didot,  Fr.  Hisl.  Gr.,  l,  p.  213  ;  — 
Plutarque,  Marias,  11  ;  Denys  d'Halicarnasse, 
XIV,  1.* 

(5)  Les  Celtes  qui  parvinrent  en  Gaule  n'é- 
taient pas  très  nombreux,  deux  ou  trois  cent 
mille  hommes  au   plus.    Les  Cimbres  et   les 


Tenions,  lors  de  leur  départ,  étaient  trois  ceu 
mille  soldats  suivis  des  femmes  et  des  enfants 
(Plutarque,  Marias,  11).  Chez  les  Suèves, 
cent  mille  soldats  étaient  levés  chaque  année 
(César,  IV,  1,3).  Les  Gotlis,  lors  de  leur  entrée 
dans  l'empii-e  romain,  étaient  tout  au  plus  un 
demi-million  (Fustel  de  Coulanges  Inslilu- 
lions,  II,  p.  408;  —  Euxape,  Ed.  Didot,  Fr.  hist. 
Graec,  IV,  p.  31).  Les  Burgondes  n'étaient 
que  quatre-vingt  mille  combattants  correspon- 
dant à  une  population  de  trois  cent  mille  têtes 
environ.  (Orose,  VII,  32,  12).  On  est  surpris  de 
la  petitesse  de  ces  nombres  quand  on  songe 
aux  résultats  obtenus  pur  ces  diverses  inva- 
sions. 

(6)  Cf.  C.  Jullian,  Hisl.  Gaule,  1908,  l.  I, 
p.  244,  note  4. 

(7)  L'origine  des  Ibères  et  de  leur  langue 
a  suscité  les  hypothèses  les  plus  diverses. 
On  les  a  tour  à  tour  fait  venir  du  Caucase  et 
de  l'Egypte,  on  les  a  traités  d'aryens,  de  sé- 
mites, de  touraniens;  on  les  a  tantôt  assimilés 
et  tantôt  opposés  aux  Celtes  ;  et,  de  plus,  leur 
situation  à  l'extrême  Occident  leur  a  valu  de 
passer  aussi  pour  la  descendance  d'Améri- 
cains, immigrés  en  Europe  dans  les  temps 
fabuleux  où  la  terre  de  l'Atlantide  réunissait 
les  deux  continents.  (C.  Jullian,  Hisl.  Gaule, 
1908,  t.  I,  p.  256;  —  R.  de  Bei.loouet,  t.  II, 
p.  239,  s<i.;  —  Bladé,  Étude  sur  l'origine  des 
Basques,  1869;  —  Piiililps,  Die  Einwanderung 
der  Iberer,  1870,  in  Sitzumj.^b  d.  Akad  d.  Wiss. 
phil.  Hisl.  Classe,  Wien,  LXV  ;  —  Laoeau, 
Anthrop.  de  la  France,  1879,  p.  599,  in  Dicl. 
encycl.  des  se.  médic.  ;  —  d'ArboisJde  Jubain- 
ville,  les  Premiers  habitants  de  l'Europe,  I, 
1889,  p.  24,  sq.). 

(8)  L'antériorité  de  la  migration  celtique  sur 
celle   des  Ibères  est  établie   par    C.    Jullian 


/J^IO 


LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


Les  Ibères  (1),  dont,  pense-t-on,  les  Basques  (2)  sont  les  des- 
cendants, venaient,  semble-t-il,  du  Nord  de  l'Espagne,  des  pays 
situés  au  pied  des  Pyrénées.  Cent  suppositions  ont  été  faites  sur 
leur  origine,  aucune  n'en  a  résolu  le  problème.  Déjà,  bien  certai- 


Invasions  celtiques. 

nement,  les  populations  espagnoles  étaient  fort  mélangées.  En  con- 
tact avec  l'Europe  par  les  Pyrénées,  avec  l'Afrique  du  Nord  par 


Hisi.  Gaule,  1908,  t.  I,  p.  2-25,  noie  3),  d'après 
des  considérations  tirées  d'Aviénus  et  d'Hé- 
catée  de  Milel. 

(1)  G.  de  Huniboldl  (Priifuny  der  Unlersu- 
chuny  iiber  die  Urbewohner  Hispaniens,  1821  ; 
Werke,  IV,  11*05,  p.  57,  sq.)  avait  émis  l'opi- 
nion que,  dans  les  temps  très  anciens,  la  l'ace 
Ibère  avait  occupé  tout  l'Occident  de  1  Eu- 
rope. Celte  théorie  négligeait  les  Ligures  alors 
peu  connus  et  attribuait  aux  Ibères  une  jiartie 
des  documents  sur  lesquels  on  s'appuie  aujour- 
d'hui pour  établir  l'aire  d'habitat  des  Ligures. 

(2j  L'origine  des  Basques  est  complètement 
inconnue.  La  langue,  dont  le  lexiejue  est  bien 
plus   riche     en    mots     d'emprunt    qu'en    son 


propre  fond,  possède  une  grammaire  complè- 
tement étrangère  à  celle  des  langues  euro- 
péennes. Le  basque  est  une  langue  aggluti- 
nante, dépourvue  de  toute  fle.xion,  son  verbe 
à  formes  incorporées  et  à  conjugaisons  péri— 
phrasliques  ne  ressemble  en  rien  à  celles  dont 
le  vocabulaire  basque  a  pris  tant  de  termes. 
C'est  une  langue  touranienne,  commele  finnois,. 
le  turc,  le  madgyar,  etc.,  mais  n'ayant  aucun 
air  de  parenté  avec  les  autres  langues  agglu- 
tinantes connues.  Le  basque  a  donné  lieu  à 
des  études  très  considérables  demeurées- 
toutes  sans  résultat  en  ce  qui  concerne  l'ori- 
gine et  les  parentés  de  ce  peuple  et  de  soru 
parler. 


LA     PRÉPOXDÉRAXCK     IHAMENNE  l^l^J 

un  étroit  bras  de  mer,  probablement  aussi  avec  Tancien  conti- 
nent de  l'Atlantide,  l'Espagne  avait  servi  de  lieu  de  passage,  et 
les  races  les  plus  diverses  s'y  étaient  sûrement  rencontrées. 

On  a  cru  pouvoir  comparer  les  conditions  de  développement 
social  de  la  péninsule  Ibérique  avec  celles  des  autres  pays  situés 
dans  des  presqu'îles  ou  des  îles  telles  que  l'Armorique  et  la 
Grande-Bretagne,  négligeant  de  remarquer  que,  si  la  Bretagne  et 
l'Angleterre  forment  des  sortes  de  culs-de-sac  où  les  peuples 
les  moins  forts  devaient  être  forcément  enfermés,  il  n'en  est 
pas  de  même  pour  l'Espagne,  pour  l'Italie,  pour  la  Grèce,  qui^ 
de  tous  temps,  ont  servi  de  passage,  où  toutes  les  races  ont  laissé 
des  témoins  et  où,  par  suite,  les  peuples  sont  le  plus  confondus. 
11  semble  qu'à  l'époque  quaternaire  déjà,  les  Pyrénées  ne 
constituaient  pas  une  frontière  entre  la  Gaule  et  l'Espagne  ;  en 
effet,  ou  bien  les  artistes  des  cavernes  vécurent  à  la  fois  sur  les 
deux  versants  de  la  chaîne  et  jusqu'au  centre  de  la  Gaule,  ou  bien 
ces  troglodytes  ont  émigré,  se  mouvant  dans  un  territoire  mi- 
partie  espagnol,  mi-partie  français.  Dans  les  deux  hypothèses, 
les  Pyrénées,  pour  eux,  ne  formaient  pas  une  barrière. 

Plus  tard,  quand  les  Cretois,  les  Phéniciens  et  les  Grecs  vinrent 
apporter  en  Ibérie  les  principes  de  leur  civilisation,  il  existait 
déjà,  dans  cette  péninsule,  des  royaumes  et,  partant,  des  divisions 
ethniques.  Le  plus  important  et  le  premier  de  ces  États  semble 
avoir  été  celui  de  Tartessus  (Cadix);  puis,  vers  le  sixième  siècle, 
vint  celui  de  l'Èbre  (1)  ou  des  Ibères,  alors  que  le  fond  de  la 
population  renfermait  en  outre  les  Ligures  en  grand  nombre  (2). 
La  métallurgie  avait  alors  fait  de  grands  progrès  dans  la  Médi- 
terranée (3),  et  l'Espagne,  très  riche  en  métaux,  prenait,  de  ce  fait, 
une  importance  de  jour  en  jour  plus  grande.  Fut-elle  déjà  très 
convoitée  ?  nous  ne  le  savons;  mais  certainement  il  s'y  passa  des 
mouvements  de  peuples  dont  l'importance  a  été  grande  pour  les 
pays  voisins. 

(1)  Cf.  Tu.  Rei.nacii, /îei'.  det^  Eludes  grecques,  (2)    Cf.    texte    d'Avienus    sur  les  Draganes 

XI,    1808,   p.  46,   sq.  —    Une   des  principales  (196-198),  de  Thucydide  sur  les  Sicanes  (VI, 

questions  à  résoudre  en  Espafirne  est  celle  de  2,   2.  —  Avienus,   485,   464  ;   Eratostliène    ap.' 

la  parenté  ou  de  la  différence  de  la  lanjjrue  de  Slrab.,  II,  1,  40.)  —  Pline.  IV,  Uu  ;  —  P.  Meta, 

l'Ebre  ou  des  Ibères  avec  celle  de  Tartessus  :  III,  1.").   —  Plolêmée,   II,  6,  9.   —  Strab.,   III,' 

la  toponymie  permettrait  de  la  résoudre  dans  4,  11.  —  Silius,   III,  357.  —  Slrab.,    III,   4,  là 

le  sens  de   la   parenté,  s'il   était  bien   prouvé  et  13. 

que  les  noms  de  lieux  tartessiens   à  radicaux  (3)  Cf.  H.  et  L.  Siret,    les  Premiers  âges    du 

ibériques  ne  sont  pas  postérieurs  à  l'extension  métal  dans   le  sud-est  de  lEspayne,  1887.  An- 

de  l'Etat  de  l'Ebre.  l'C.   Julli.vn,   Hist.  Gaule,  ver:*. 
l'JJ8,  t.  I,  p.  258,  note  6.) 


!lllS  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

Nous  ignorons  quelles  furent  les  causes  de  l'invasion  des  Ibères; 
de  même  que  nous  ne  savons  pas  si  ce  mouvement  s'opéra  en 
plusieurs  flots  ou  en  un  seul  (1).  Il  semble  que  les  montagnes  furent 
traversées  par  tous  leurs  cols,  et  que  les  bandes  se  répandirent 
presque  en  même  temps  depuis  les  Pyrénées  jusqu'à  la  rive 
droite  du  Rhône  (2),  jusqu'au  plateau  Central  et  aux  Charentes(3), 
occupant  ainsi  toute  la  région  que,  douze  siècles  plus  tard,  enva- 
hirent les  Arabes,  venus,  eux  aussi,  d'Espagne  par  les  mêmes 
voies. 

Les  Celtes  qui,  pendant  ce  temps,  s'étaient  fermement  établis, 
n'en  continuèrent  pas  moins  leurs  expéditions  ;  après  la  conquête 
de  la  Gaule,  Brennos  ('4)  marcha  sur  la  Grèce  (5)  avec  environ 
deux  cent  mille  hommes  armés,  traînant  derrière  lui  les  femmes, 
les  enfants,  les  troupeaux  et  tous  les  biens  de  la  tribu  (6). 

C'est  vers  ZiOO,  dit-on,  que  le  sol  de  la  France  ne  suffisant  plus 
à  nourrir  sa  population  (7),  deux  chefs  celtes  émigrèrent,  emme- 
nant avec  eux  une  partie  de  la  nation  (8)  ;  Bellovèse  aurait  pris 
vers  le  sud  et  gagné  l'Italie,  tandis  que  Ségovèse  se  serait  dirigé 
vers  la  vallée  du  Danube. 

Ceux  des  Gaulois  qui  s'étaient  acheminés  vers  l'Italie  détrui- 
sirent la  puissance  étrusque  (9),  déjà  très  ébranlée  par  les  Romains 
et  les  autres  Italiotes  (10)  ;  fondèrent  entre  le  Tessin  et  l'Oglio  la 
nation  puissante  des  Insubres  (il),  plus  loin  au  sud  celles  des  Cé- 
nomans  (12),  des  Boïens  (13),  des  Lingons  (1/i),  des  Sénons  (15),  etc. 
Parcourant   la    majeure  partie   de  la   péninsule,    ils   saccagèrent 

(1)  Il  se  peut  que  les  Vascons  soient  descen-  (6)  Plutarque,  Cani.,  15.  —  Diodore,  XXII,  9, 
dus  par  le  Velate  et  par  Roncevaux,  les  lier-        1.  —  Strabon,  VII,  l,  3. 

gètes  par  le  Somporl,  les  Ausetans  et  autres  par  (7)  Slrabon,  IV,  1-2  ;  IV,  4,  2  et  3.  —  Tite-Live, 

le  Perlus.  (Cf.  Sieglin,  Prufung  des  iberischen  XXXVIII,  16,  13.  —  Justin,  XXV.  2,  8. 

Urspnmyes  einzelner  Slrammes  u.  Sladlenamen  (8)  Suivant  la   tradition  nationale  (Tite-Lli'e, 

im  Sadlkhen  Gallien,  1871,  Ak.  d.  Wiss.  Wien..  V,  34.    -  Justin,  XXIV,  4.  —  César,  VI,  24,  1-2. 

LXVII.)  —  Appiex,  Celtica,^.,  1),  le  vieux  roi  Ambigat, 

(2)  Avienus,  612-614;  628-620;  étang  de  Tliau,  chef  des  Biluriges  et  de  toute  la  Celtique,  au- 
(Taurus  palus).  —  Hérodote  (Didot,  Fr.  hisl.  rait  envoyé  une  partie  de  la  nation  à  la  con- 
Graec,  II,  p.  34.  —  Scylax,  Didot.  Géogr.  Min.  quèle  du  monde  sous  la  conduite  de  ses 
I,  p.  17.  —  Pline,   XXXVII,  32.  —  Ps.  Scijmnus,  deux  neveux. 

206-8.  —  Slrabon,  III,  4,  19).  ^9)  Polybe,   II,  17.   -    Tite-Live,  IV,  37,  1.    - 

(3)  Les  Ibères  de  l'Ebre  supérieur  s'appe-  Cf.  C.  .Illli.w.  H;s/.  Gau/e,  1908,  t.  I,  p.  290,  sq. 
laienl  déjà  Vascons  depuis  des  temps  fort  an-  (lOj  Pri>e  île  Capoue  par  les  Samniles,  en 
ciens.  {Avienus,  251;   Silius,    III,  358;   V.  197  ;  42i  {Tite-Live,  IV,  37,  1). 

IX,  232;  X,  15. —.S7;a6o?i,  III,  4, 10,  etc.; /*///!(>,  ai)  La  ville   principale  de  ce  royaume  fut 

III,  29.)  Milan.  {Tite-Live,  V,  34,  9.  —  Polybe',  11,34,  10.) 

(4)  Brennos  marcha  contre  la  Grèce  avec  (12)  Cf.  C.  ,Ii-llian,  Hist.  Gaule,  1908,  t.  I, 
152.(X)0  fantassins   et  20.400  cavaliers  suivant  p.  292,  note  1. 

Pausanias  (X,  19-9)  :  150.000  fantassins,  10.0<W  (13)  Suivant  Caton  {Fr.  44,  Pline,  III,  116),  les 

chevaux  et  20.000    chariots   suivant   Diodore  Boïens  se   composaient  de  cent  douze  tribus. 

(XXII,  9-1);  50.000  fantassins  et  15.000  cava-  (14)  Tite-Live,  V,  35,  2. 

iiers  suivant  Justin  (XXIV,  6,  1).               .  (15)  Tite-Live,  V,  35,  3.  —  Polybe,  II,  17,  7.  — 

(5)  Slrabon,  I,  13.                                       ,.   '  Diodore,  XIV,  113,  3. 


LA     IMIÉPONDÉUANCI-:    IHAMi:XNE 


lifi9 


Rome  (1),  mais  ne  purent  se  rendre  maîtres  de  son  Capitole  (2). 

La  horde  cellique,  marchant  vers  l'Orient,  traversa  le  Rhin  (3), 
la  forêt  Hercynienne  {lu  et  atteignit  le  Danuhe  (5j.  Les  Helvètes 
s'établirent  en  Suisse  (6),  les  Boïens  (7)  dans  le  quadrilatère  de 
la  Moldave,  les  Volsques  Tectosages  (8)  se  cantonnèrent  en 
Bavière  et  sur  le  haut  Danube,  les  Taurisques  (9)  s'arrêteront 
dans  les  Alpes  Autrichiennes  et  Styriennes. 

Certainement  qu'avant  l'arrivée  des  Celtes,  il  existait  dans  la 
Haute-Allemagne  des  ti'ibus  et  des  royaumes  (10);  l'état  des 
choses  fut  donc  complètement  modifié  comme,  deux  siècles  plus 
tard,  il  le  fut  une  fois  de  plus  par  l'arrivée  des  Germains  jusqu'au 
Rhin.  Les  Celtes  étaient  encore  dans  le  bassin  moyen  du  Danube 
que,  par  sa  con([uéte,  Alexandre  le  Grand  avait  transformé  l'Asie. 

On  s'accorde,  en  général,  à  faire  venir  de  la  Gaule  les  migra- 
tions qui  entrèrent  en  Italie,  ou  gagnèrent  la  Grèce  par  la  vallée 
du  Danube  ;  mais  il  est  plus  probable  que  le  point  de  départ 
d'une  partie  de  ces  mouvements  fut  les  rives  mêmes  de  la  mer  du 
Nord;  que  le  rameau  qui  s'empara  de  Rome  et  détruisit  la  puis- 
sance étrusque  partit  bien  de  nos  pays,  ainsi  que  les  tribus  qui 
pénétrèrent  en  Espagne  (11);  mais  que  celui  qui  gagna  la  Suisse, 
la  Bavière  et  surtout  la  Bohème  vint  directement  des  plaines 
du  Nord. 

On  s'est  appuyé,  pour  affirmer  l'origine  gauloise  (France)  de 
ces  conquêtes,  sur  ce  que  nous  retrouvons  dans  nos  pays  les  noms 
des  mêmes  tribus  qui  se  sont  fixées  à  l'étranger  ;  mais  rien  ne 
prouve  que  la  séparation  n'eut  pas  lieu  avant  le  premier  passage 


(1)  390  av.  J.-C,  prise  de  Rome  par  les 
Gaulois  et  siège  du  Capitole.  —  367,  nouvelle 
incursion  des  Gaulois  jusqu'à  Albe,  repoussée 
par  Camille.  —  360,  nouvelle  invasion  des 
Gaulois.  —  357,  défaite  des  Gaulois,  près  de 
Rome,  par  le  dictateur  Sulpicius.  —  349,  vic- 
toire de  Furius  Camillus  sur  les  Gaulois,  les 
chassant  pour  un  demi-siècle  du  territoire  ro- 
main. 

(2)  Peut-être  les  Gaulois  s'emparèrciit-ils 
du  Capitole  par  la  famine  (Silius,  IV,  l.')l, 
sq.),  peut-être  aussi  les  Romains  le  rache- 
tèrent-ils. (Tlle-Live,  V,  48;  Plitarque, 
Camille.  28.) 

(3)  Cf.  Tacite,  Germanie, 'iS.  —  Ce.9flr,VI,  2i,  1. 

(4)  Entre  les  montagnes  de  Souabe  et  de 
Franconie  (César,  VI,  25,  2.) 

(5)  Justin,  XXIV,  4,  3. 
^H)  Tacite,  Germ.,  28. 

(7)  Strabon,  VII,  1,3.  —  TACrrE,  Germ.,  28. 
—    Velleius,    II,    109.    Bohème,    Boihaemi  m, 


Boiohaemum   vient  de   Boii.  Ce   pays  fut  en- 
suite envahi  par  les  Slaves. 

(8)  César,  VI,  24,  2  et  3,  —  Cf.  C.  .Iullian, 
Hisl.  Gaule,  1908,  t.  I,  p.  297,  note  7. 

(9)  Cf.  C.  .Iullian,  op.  cil.,  p.  298,  note  1. 

(10)  Celui  des  Sigynncs  ou  de  Ilallstatt  entre 
autres.  (Cf.  C.  .Iullian,  Hi.^l.  Gaule,  1908,  t.  I, 
p.  298,  note  I.)  (Hérodote,  V,  9.) 

(11)  Cf.  KiEi'EHT,  Reilrag.  zurallen  Ethnogra- 
phie der  Iberischcn  Halbinsel,  1864,  in  Mo- 
nalsberichle  Akad.  Berlin,  p.  143,  sq.  —  Phil- 
lips, die  Wohnsitze  der  Kelten  auf  der  pyre- 
na'isclien  Ilalbinsel,  in  Silzungberichle  Akad. 
Wien.  Phil.  Hist.  Classe,  1872,  p.  695,  sq.  — 
IlAEBLEit,  Die  Nord  und  Weslkûste  llispa- 
niens.  Leipzig,  1886,  p.  22,  sq.  —  Garokalo, 
Bol.  de  la  real  Academia  de  la  Ilistoria, 
XXXIV,  1899,  p.  97,  sq.  —  id.  Revue  celtique, 
XXI,  1900,  p.  200,  sq.  --  Leite  de  Vasconcel- 
Los,  Reliyiôes  da  Lusitania,  II,  1905,  p.  52,  sq. 
—  C.  Jullian,  Hisl.  Gaule,  1908,  l.  I  ,p.  305,  sq. 

29 


450  LES    PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

du  Rhin,  et  que  les  fractions  de  tribu,  conservant  leur  nom,  n'ont 
pas  émigré  chacune  indépendamment. 

11  est,  en  effet,  plus  rationnel  d'admettre  qu'au  moment  de 
leur  exode,  les  Celtes  ont  gagné  le  sud  par  toutes  les  voies  qui 
se  présentaient  à  eux  ;  et  les  grands  fleuves  d'Allemagne  leur 
ofîraient  des  routes  sûres  pour  atteindre  la  Bohême  et  le  haut  Da- 
nube. Rien  n'oblige  également  à  penser,  que  la  tradition  druidique 
s'applique  à  toute  la  race  et  qu'elle  ne  vise  pas  simplement  ceux 
des  Celtes  qui  sont  venus  se  fixer  en  Gaule. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  Celtes  n'étaient  certainement  pas  abori- 
gènes dans  le  sud  de  lu  Baltique,  dont  les  côtes  demeurèrent 
inhabitées  durant  les  temps  glaciaires;  ils  étaient  venus  se  fixer 
dans  ces  parages  et  forcément  arrivaient  de  l'Orient  ;  peut-être 
même," au  cours  de  cette  première  migialion  ont-ils  laissé  des 
leurs  sur  le  haut  Danube. 


CHAPITRE  XII 


La  prépondérance  hellénique. 


L'Empire  perse  avait  atteint  ses  limites  naturelles. 

Au  nord,  dans  les  steppes  sans  fin  de  l'Asie,  où  Cyrus  avait 
trouvé  la  mort,  c'étaient  d'insaisissables  nations  plongées  encore 
dans  la  barbarie,  mais  indomptables,  fières  de  leur  liberté, 
mobiles  comme  les  vagues  de  la  mer,  ne  possédant  que  leurs 
troupeaux,  leurs»  tentes,  leurs  chevaux  et  leurs  armes.  C'étaient 
la  mer  Caspienne  et  ses  marais;  le  Caucase  avec  ses  infranchis- 
sables sommets,  ses  vallées  inaccessibles  peuplées  d'hommes 
rudes,  inattaquables,  n'ayant  jamais  connu  de  maîtres;  le  Pont- 
Euxin,  et  au  delà,  ces  plaines  immenses  dont  Darius  n'avait  pu 
sonder  les  limites;  c'était  le  pays  des  marais,  des  forêts,  du  froid 
et  de  la  neige. 

A  l'ouest,  s'étendaient  la  Méditerranée,  la  mer  Egée  et,  dans  les 
îles,  sur  les  terres  voisines,  des  peuples  énergiques,  remuants, 
belliqueux,  dont  Darius  et  Xerxès  avaient  éprouvé  la  valeur.  Les 
désastres  des  Achéménides  sur  la  terre  grecque  demeuraient  dans 
l'esprit  des  Perses  et,  cent  ans  après  Marathon  et  Platée,  leur  ins- 
piraient encore  la  terreur. 

Au  sud,  par  delà  de  l'Egypte,  les  sables  de  la  Libye,  meurtriers 
de  l'armée  de  Cambyse,  vagues  du  désert  s'étendant  à  l'infini, 
qu'on  ne  peut  ni  franchir,  ni  fixer;  les  marais  du  liaut  Nil,  les 
multitudes  noires  du  continent  africain,  sans  richesses,  sans  his- 
toire, sans  avenir;  puis  les  mers  des  Indes,  l'inconnu. 

A  l'orient,  de  grands  fleuves,  plus  loin  de  grands  déserts  ; 
puis   des    terres    fertiles,  des   royaumes,  des   populations  nom- 


/|52  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

breuses  et  guerrières,  de  grandes  montagnes,  des  plateaux  déso- 
lés; les  limites  du  monde. 

Certes,  Flndus,  le  pays  des  cinq  fleuves  (1),  la  riche  vallée  du 
Gange,  les  plaines  fertiles  de  la  péninsule,  ses  ressources  miné- 
rales, son  or,  ses  pierreries,  étaient  de  nature  à  tenter  la 
cupidité  des  Perses  ;  et  cependant  ils  ne  s'y  lancèrent  pas.  Vers 
512  (2)  il  est  vrai,  ils  abordèrent  l'Indus,  mais  se  retirèrent  aus- 
sitôt. Peut-être  subirent-ils  des  échecs  analogues  à  ceux  qui  les 
avaient  arrêtés  en  Occident;  peut-être  reconnurent-ils  que  la  dis- 
tance, les  difficultés  de  ravitaillement,  de  transport  des  troupes, 
leur  interdisaient  l'accès  des  Indes;  peut-être  aussi  le  brahma- 
nisme, qui  commençait  son  essor,  les  eflVaya-t-il;  toujours  est-il 
que  jamais  ils  ne  témoignèrent  la  velléité  de  conquérir  l'Orient, 
bien  que  de  ce  côté  leur  convoitise  fut  en  éveil;  c'est,  en  eflet,  au 
retour  de  l'expédition  de  512  que  Scylax  de  Caryanda  explora, 
pour  leur  compte,  les  mers  du  sud  (3). 

Les  échecs  subis  par  Xerxès  à  Salamine,  à  Platée,  à  Mycale, 
n'eussent  certainement  pas  arrêté  les  conquêtes  perses  en  Europe, 
si  ce  souverain  avait  su  gouverner  et  commander;  mais,  héritier 
indio-ne  de  Darius,  lâche,  indolent,  ennemi  des  soucis  de  la  guerre, 
il  ne  songeait  qu'aux  jouissances  de  la  royauté.  C'est  à  contre- 
cœur qu'il  était  venu  à  Sardes,  qu'il  avait  passé  le  Bosphore  ; 
vaincu,  il  abandonna  la  partie,  alors  qu'il  avait  à  relever  son 
prestige  et  qu'il  disposait  de  ressources  immenses,  tandis  que  ses 
adversaires  étaient  ruinés. 

Les  Perses,  cependant,  n'avaient  pas  entièrement  renoncé  aux 
ambitions  de  Cyrus  et  de  Darius,  à  l'espoir  de  gouverner  le 
monde  ;  ils  intriguaient  partout  en  dehors  de  leurs  frontières, 
en  Thrace,  en  ]NLacédoine,  à  Athènes,  dans  le  Péloponèse,  à 
Carthage  même;  mais  l'insouciance  des  rois,  les  intrigues  de 
palais  furent  cause  que  ces  grandes  vues  demeurèrent  un  rêve. 

L'empire  lui-même  était  formé  d'anciens  royaumes  déchus,  sans 
force,  sans  énergie;  livrés,  comme  la  cour  du  Roi  des  Rois,  aux 
intrigues,  aux  jalousies  ;  inaptes  à  seconder  des  projets  étendus, 
incapables  de  lutter  encore  pour  leur  indépendance.  Leur  vitalité 
s'était  éteinte  sous  les  coups  redoublés  du  sort,  beaucoup  n'exis- 

fl)  Pendj-ab.  (3)  Hérodote,  IV,  xuv.  La  relation  deJScylax 

(2)  Inscr.   de  Persêpolis  ^Weissbach-Bang,  qui  existait  encore  au  temps  d'Aristole  (Poli- 

Die  altpersischen  Keilinschri'flen,   p.  34,  sq.)  et  tique,  VIII,  13,  §  1)  est  aujourd'hui  perdue. 

de  Nakhch-i-Rousleni  {id.,  p.  36,  sq.)- 


LA    PRÉPONDÉRANCE    IIELLÉNIOUE  ^^53 

taient  plus  que  de  nom,  pour  certains  même  ce  nom  était  oublié. 
L'Egypte,  sous  ses  trois  dernières  dynasties,  eut  quelques 
velléités  de  liberté;  mais  vermoulue,  en  proie  à  l'anarchie, 
elle  ne  sut,  en  d'aussi  graves  occurrences,  calmer  les  haines  de 
partis.  Cette  renaissance  du  nationalisme  égyptien  se  traduisit 
simplement  |)ar  de  pieuses  constructions  ;  on  releva  les  ruines 
d'un  grand  nombre  de  temples.  Mais  ce  réveil  ne  dura  qu'un  ins- 
tant. 

En  Phénicie,  les  dernières  tenLalives  de  résistance  avaient  été 
noyées  dans  le  sang;  et  la  ruine  de  Sidon  était  d'un  tel  exemple 
qu'aucune  des  cités  de  la  côte  n'osa  plus  lever  la  tête. 

En  Asie  ^lineure,  les  petits  États  avaient  conservé  leurs 
dynastes,  mais  subissaient  le  joug.  Le  nom  même  des  Hétéens 
était  oublié  et  des  ruines  de  leur  royaume  étaient  nées  quelques 
petites  principautés,  entr'autres  celle  de  Lycie,  où  se  conservaient 
encore  les  goûts  et  la  langue  du  vieux  peuple. 

Ce  qui  faisait  vivre  jadis  tous  ces  royaumes,  ce  qui  leur  donnait 
cette  activité  indispensable  aux  nations  de  ces  temps,  c'était  la 
guerre.  Non  la  guerre  pour  le  compte  d'un  suzerain,  mais  la  lutte 
personnelle,  nationale,  l'appât  du  gain,  les  vengeances  à  exercer, 
les  rancunes  à  satisfaire.  Du  jour  où  ces  États  durent  renoncer  à 
l'entraînement  constant,  ils  en  moururent.  Ces  peuples  conser- 
vèrent leur  langue,  leur  religion,  leurs  usages,  mais  perdirent 
leurs  caractères  nationaux.  Les  dynastes  d'Asie  Mineure  étaient 
tous  devenus  de  simples  fonctionnaires  de  la  cour  susienne,  les 
serviteurs  du  Roi  des  Rois. 

Ne  serait-il  pas  aisé  de  citer,  parmi  ceux  qui  dans  les  temps 
modernes  ont  perdu  leur  indépendance,  bien  des  peuples  dont  peu 
à  peu  les  qualités  se  sont  évanouies,  la  bravoure  entre  autres  ? 

Partout  ailleurs,  dans  l'Empire  perse,  sur  les  côtes  de  la  Pro- 
pontide,  du  Pont-Euxin,  de  l'Asie  Mineure,  en  l'Egypte  même, 
l'influence  intellectuelle  de  la  Grèce  grandissait,  parce  qu'elle  se 
pouvait  retremper  au  dehors  dans  des  foyers  libres.  La  Méditer- 
ranée était  grecque  pour  plus  de  moitié;  de  nombreux  centres 
d'hellénisme  s'étaient  développés  en  Occident  comme  en  Orient, 
dans  l'Espagne,  la  Gaule,  l'Italie,  la  Sicile,  en  Cyrénaïque,  dans 
la  Grèce  continentale  et  des  îles,  en  Thrace,  en  Macédoine,  en 
Épire,  sur  les  côtes  septentrionales  de  la  mer  Noire.  Tous  ces 
nouveaux  foyers,  issus  de  cités  diverses,  conservèrent  malheureu- 


454  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

sèment  toujours  un  esprit  de  particularisme  néfaste  au  progrès 
de  la  concentration  hellénique. 

IJien  des  peuples  grecs  vivaient  sous  la  domination  iranienne^ 
mais  aucun  n'avait  renoncé  à  sa  nationalité.  Chacun  avait  conservé 
ses  usages,  ses  dieux,  ses  traditions,  les  légendes  de  ses  origines; 
aucun  n'avait  abdiqué  sa  nationalité,  l'espoir  de  temps  meilleurs. 

Ainsi  deux  puissances  se  trouvaient  en  présence  et  se  parta- 
o-eaient  le  monde  d'alors  ;  l'une,  celle  de  la  force  brutale,  née  des- 
principes  asiatiques  d'antan,  étendant  son  domaine  depuis  l'Indus 
jusqu'à  la  Méditerranée,  dominant  par  la  crainte;  l'autre,  celle  de 
l'intelligence,  couvrant  tout  le  sud  de  l'Europe,  la  Méditerranée 
entière,  régnant  sur  les  esprits  et  empiétant  largement  sur  les- 
territoires  de  sa  rivale. 

Le  Grec  était  devenu  indispensable,  aussi  bien  en  Asie  qu'en 
Europe.  Il  servait  tous  les  pays,  tous  les  régimes,  toutes  les  causes, 
parfois  même  celles  des  ennemis  de  sa  nation.  11  fournissait,  à 
qui  payait  le  mieux,  les  premiers  condottieri  du  monde,  était 
loyal  ou  traître  suivant  son  intérêt,  entrait  dans  les  cours  étran- 
gères comme  conseiller,  comme  médecin,  comme  artiste,  tou- 
jours comme  espion.  Les  Asiatiques  craignaient  sa  supériorité 
intellectuelle,  mais  ne  pouvaient  se  passer  de  ses  services. 

L'Hellade,  intellectuellement  si  puissante,  n'entrevoyait  même 
pas  ce  que  l'unité  politique  eût  pu  faire  d'elle.  Ses  haines,  ses 
querelles  intestines  l'aveuglaient;  elle  ne  sentait  pas  assez  son 
immense  supériorité  sur  les  Asiatiques;  car,  sans  obéir  officielle- 
ment au  Grand  Roi,  elle  suivait  avec  servilité  sa  politique,  lui 
louant  ses  flottes,  lui  vendant  la  vie  de  ses  citoyens,  appelant  les 
Perses  comme  arbitres  dans  ses  querelles  intérieures.  Elle  n'était, 
somme  toute,  qu'une  dépendance  de  Suse,  et  Suse  l'absorbait  peu 
à  peu  par  ses  richesses  éblouissantes;  au  point  que,  si  l'Empire 
achéménide  eût  duré,  la  Grèce  se  serait  faite  elle-même  satrapie 
d'un  Darius  ou  d'un  Xerxès,  par  la  cupidité  des  siens. 

Mais  la  Perse  n'était  qu'un  colosse  aux  pieds  d'argile  ;  son 
prestige,  elle  ne  le  devait  qu'à  Cyrus,  et  au  grand  Darius.  Après 
la  mort  de  Darius  Ochus,  ce  ne  furent  plus  à  Suse  qu'intrigues  de 
palais,  crimes  et  assassinats.  Les  préoccupations  de  la  cour  n'étaient 
plus  aux  frontières;  le  harem  royal  les  retenait  toutes.  On  ne  pen- 
sait ni  aux  Grecs,  ni  à  la  Macédoine,  qui  faisait  alors  son  entrée  en 
scène.  Les  satrapies  emplissaient  régulièrement  le  trésor  du  P«oi 


o 


456  '  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

des  Rois  ;  il  semblait  que  l'œuvre  de  Gyrus  et  de  Darius  dût  être 
éternelle. 

La  Grèce  qui,  après  Marathon  ou  Platée,  eut  pu  songer  à  consti- 
tuer Funité  hellène  et  à  s'emparer  de  riiégémonie;  qui,  par  ses  dis- 
cordes avait  refusé  l'Empire,  allait  périr  du  fait  de  ses  querelles. 
La  défaite  des  barbares  d'Asie  n'avait  point  eu  de  lendemain;  mais 
les  habiles  rois  de  Macédoine,  Grecs  eux-mêmes,  commandant  à 
des  troupes  grecques,  instruits  dans  les  idées  hellènes,  se  prépa- 
raient à  dominer  en  s'appuyant  sur  les  divisions  qui  régnaient  en 
maîtresses  dans  l'Hellade.  Ce  que  Darius  et  Xerxès  n'avaient  pas 
su  voir,  Philippe  et  Alexandre  l'allaient  exploiter  avec  astuce. 

La  guerre  sociale  n'était  pas  encore  terminée  qu'une  nouvelle 
lutte  naissait  dans  le  Nord,  enfantée  par  les  sentiments  vindicatifs 
des  Thébains. 

Jusqu'à  la  bataille  de  Leuctres,  Phocis  s'était  montrée  avec 
Sparte  dans  les  combats  et,  par  cela  même,  s'était  attiré  les  colères 
de  Thèbes,  qui  avait  juré  sa  ruine. 

L'assemblée  amphictyonique  se  fit  en  cette  occasion  l'instru- 
ment des  Thébains,  en  condamnant  Phocis  d'une  façon  si  dure 
qu'elle  ne  pouvait  s'acquitter.  Force  lui  fut  donc  d'entrer  en  cam- 
pagne. 

Dans  cette  guerre,  la  Guerre  Sacrée,  grâce  au  trésor  de  Delphes 
dont  elle  s'était  emparée,  grâce  au  concours  éventuel  des  Achéens, 
d'Athènes  et  de  Sparte,  Phocis  fut  à  même  de  résister  pendant 
onze  années  (357-3/i6  av.  J.-C.)  aux  Thébains  et  à  leurs  alliés. 

Enfin  Thèbes,  lasse  de  guerroyer,  aveuglée  par  son  ressenti- 
ment, fit  intervenir  dans  sa  querelle  Philippe  de  Macédoine.  Elle 
obtint  la  ruine  de  ses  ennemis,  mais  dut  la  payer  de  sa  propre 
perte  et  de  celle  de  tous  les  États  de  la  Grèce. 

Les  Macédoniens  n'attendaient  que  l'occasion  d'intervenir  dans 
les  affaires  de  l'Hellade.  P»econnaissant  dans  FAttique  la  seule 
puissance  grecque  capable  d'entraver  ses  projets,  Philippe  décla- 
rait la  guerre  à  Athènes  six  ans  après  la  soumission  de  Phocis. 

Les  premiers  efforts  des  Macédoniens  eurent  pour  but  le  Bos- 
phore et  FHellespont,  pays  rattachés  à  Athènes  par  l'absolue 
nécessité  pour  cette  ville  de  tirer  de  ces  pays  les  blés  que  lui 
refusait  le  sol  exigu  de  FAttique. 

La  seconde  Guerre  Sacrée  offrit  à  Philippe  l'occasion  de  franchir 
les  Thermopyles  et  de  pénétrer  dans  la  Grèce  centrale.  Thèbes 


LA    PRÉPONDÉRANCF    IIELLÉNIOUE  457 

et  Athènes,  les  deux  ennemies  séculaires,  se  joignirent  alors  poui- 
lui  résister,  oubliant  leurs  rancunes.  11  était  trop  tard.  A  Chéronée 
(338  av.  J.-C),  Philippe  les  écrasa  et  mit  la  Grèce  entière  à  ses 
pieds. 

Tous  les  États,  sauf  Sparte,  reconnurent  la  suprématie  du  roi 
de  Macédoine;  et,  pour  bien  marquer  la  (in  de  l'indépendance  des 
Etats  hellènes,  Philippe  se  fit  (337)  désigner  comme  généralissime 
de  toute  la  Grèce  contre  les  Perses. 

Philippe,  après  Gln^ronée,  était  maître  de  réduire  la  Grèce  en 
province  de  son  royaume  ;  il  s'en  garda.  Ses  vues  étaient  trop 
élevées,  ses  projets  trop  vastes,  pour  qu'il  cédât  à  de  mesquins 
intérêts.  Prince  de  la  race  d'Héraclès  ^1),  le  nouvel  Agamemnon  (2 1 
borna  l'exercice  de  sa  puissance  royale  à  ses  propres  domaines,  et 
ne  voulut  être  aux  yeux  des  Hellènes  que  le  généralissime  élu 
pour  une  guerre  nationale,  le  vengeur  des  aiïronts  subis  jadis. 

La  mesure  était  habile  :  sauveur  de  l'honneur  grec,  Philippe 
faisait  passer  à  la  Macédoine  Thégémonie  de  l'Hellade;  il  s'assurait 
des  sympathies  et  du  concours  des  peuples  qu'il  venait  de  vaincre, 
préparait  la  grande  guerre,  la  ruine  de  la  prépondérance  asia- 
tique, assurait  l'empire  du  monde  à  la  culture  grecque. 

Ayant  triomphé  de  la  Grèce,  réuni  sous  son  commandement 
toutes  ces  forces  qui,  avant  lui,  se  neutralisaient  les  unes  les  autres, 
Philippe  pensa  le  moment  venu  de  jeter  le  masque  et  entra  en 
Asie.  Parménion  et  Attale  débarquaient  sur  la  côte  en  336,  soule- 
vaient les  villes  de  leur  sang,  leur  rendant  en  apparence  la  liberté; 
mais,  en  fait,  les  rangeant  sous  l'autorité  d'un  chef  de  leur  race. 

Homme  mûr,  expérimenté,  aussi  habile  et  brave  soldat  que  fin 
diplomate,  entouré  de  conseillers  et  de  généraux  hors  de  pair, 
disposant  d'une  armée  aguerrie,  des  ressources  de  toute  la  Grèce, 
Philippe  apparaissait  comme  désigné  par  le  destin  pour  renverser 
la  puissance  des  Perses,  quand  il  mourut  assassiné. 

Ce  fut  une  grande  perte  pour  la  civilisation;  car  Alexandre,  qui 
ne  fit  pas  mieux  dans  la  conquête  de  l'Asie  que  neùt  fait  son  père, 
ne  sut  pas  organiser  rEmj)ire  macédonien;  et  cette  puissance 
matérielle,  morale  et  intellectuelle  qui,  par  sa  grandeur,  aurait  dû 
conduire  le  monde,  s'efi'ondra  de  suite  après  lui.  Philippe  ne  se 
fut  peut-être  pas  avancé  aussi  raj)idemcnt  ;  mais  il  n'eût  laissé  der- 

(1)  IsOCRAT.,   P/l/7//>/).,  §   32. 

(i)  Diodore  de  Sicile,  XVI,  87. 


!l^8  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

rière  soi  que  des  provinces  organisées,  il  eût  songé  à  l'avenir,  il 
eût  rendu  son  empire  durable. 

Alexandre  n'avait  que  dix-huit  ans  quand  il  fit  ses  premières 
armes  à  la  bataille  de  Cliéronée.  11  touchait  à  sa  vingtième  année 
quand  il  monta  sur  le  trône  (1),  héritant,  en  même  temps  que  de  l'ad- 
mirable organisation  militaire  des  Macédoniens,  d'un  royaume  et 
d'alliés  puissants,  mais  aussi  d'une  guerre  déclarée  au  plus  grand 
empire  du  monde,  aux  plus  implacables  ennemis  de  sa  race. 

Cette  guerre  désirée,  souhaitée  par  toute  1  Hellade,  avait  pour 
prétexte  la  libération  des  villes  grecques  d'Asie,  la  revanche  de 
l'affront  fait  par  les  Orientaux  lors  du  pillage  des  temples.  Mais 
en  réalité,  d'une  part  la  Grèce  sentait  qu'il  ne  lui  serait  pas 
possible  de  conserver  indéfiniment  son  indépendance  à  côté  d'un 
pareil  colosse;  d'autre  part  les  richesses  de  l'Asie  la  tentaient, 
ses  terres  fertiles  lui  semblaient  admirablement  aptes  à  la  colo- 
nisation (2). 

L'Empire  traversait  une  période  d'anarchie  et  de  faiblesse,  l'ex- 
pédition des  Dix-Mille  l'avait  montré.  C'était  le  moment  d'aljattre 
sa  puissance  ;  car  il  pouvait  survenir  un  nouveau  Cyrus  qui,  en 
quelques  années,  mettrait  à  ses  pieds  tout  ce  qui,  dans  le  monde, 
avait  encore  conservé  sa  liberté.  11  fallait  immédiatement  agir 
puisque  Philippe  avait  jeté  le  masque,  et  ne  pas  laisser  à  la  Perse 
le  temps  d'organiser  sa  défense. 

Cependant,  des  difficultés  survenues  en  Europe  (3)  empê- 
chèrent Alexandre  de  se  lancer  de  suite  en  Asie,  d'après  les  vues 
de  son  père  ;  ce  délai,  la  cour  de  Suse  l'employa  non  pas  à  grou- 
per ses  forces  et  à  les  ])réparer  au  combat,  mais  à  semer  son  or 
dans  l'Hellade,  espérant  la  soulever  contre  la  Macédoine.  Dans 
leur  orgueil,  les  Perses  ne  supposaient  pas  que  le  théâtre  de  la 
guerre  pût  jamais  s'étendre  au  delà  de  l'Asie  Mineure.  Que  pouvait, 
à  leurs  yeux,  le  roitelet  d'un  petit  État  grec,  contre  le  colosse 
obéissant  au  Pioi  des  Rois  ! 

On  conçoit  fort  bien  cet  état  d'esprit  de  la  part  d'un  monarque 
oriental  et  de  son  entourage,  vivant  dans  la  quiétude  et  les  plaisirs, 
loin  de  toute  frontière,  de  tout  souci,  dans  une  capitale  telle  que 
Suse,  éloignée  de  plusieurs  mois  de  route  de  la  plus  proche  limite 

(1)  Cf.  Arrien,  Irail.  Chaussard,  I,  p.  5,  (3)  (Arrien,  I,  2)  Expédition  contre  les  Thra- 
note  1,  p.  24:  —  Diod.  de  Sicile,  trad.  Terras-  oes  (3),  contre  les  Triballiens  (4),  contre  les 
son,  l.  V,  p.  4;  —  Justin,  etc.  Gèles    (5),   contre   Clitiis   et    les    T;iiilantiens 

(2)  Cf.  Polybe,  III,  2.  (cli.  II,  1),  contre  la  Béolie. 


LA     PRKI'ONDKUANC.E     HELLÉNIQUE  Zi59 

de  l'Empire.  L'expédition  des  Dix-Mille  avait  été  oubliée;  peut-être 
même  n'y  avait-oii  jamais  attribué  plus  d'intérêt  qu'aux  révoltes 
dans  l'Arménie  ou  le  pays  des  Sakes.  Le  roi  ne  connaissait 
d'ailleurs  la  vérité  sur  son  empire  que  par  l'intermédiaire  de  cent 
bouches  flatteuses.  L'étiquette,  en  Orient,  ne  veut-elle  pas  qu'un 
sujet  ne  dise  jamais  à  son  maître  «  non  »? 

Enfin,  après  avoir  assuré  sa  politique  en  Europe,  réglé  quelques 
difficultés  en  Thrace  et  dans  l'Illyrie,  détruit  Thèbes  révol- 
tée (335)  (1)  à  la  fausse  nouvelle  de  sa  mort,  Alexandre  fi'anchis- 
sait  le  Bosphore  (2)  sans  rencontrer  la  moindre  résistance.  Les 
Perses  n'avaient  même  pas  songé  à  garder  cette  frontière  tout 
particulièrement  menacée  et  d'une  défense  facile.  AGranique  (3) 
(33/i),  il  défit  les  satrapes,  et  l'Asie  Mineure  entière  tomba  dans 
ses  mains  (/i),   comme  conséquence  de  cette  première  rencontre. 

L'armée  macédonienne  se  composait  de  trente  mille  fantassins 
et  de  quatre  mille  cinq  cents  cavaliers  (5).  C'est  avec  un  aussi  faible 
effectif  qu'Alexandre  allait  se  mesurer  avec  les  Perses;  mais  cette 
poignée  d'hommes,  conduite  par  des  chefs  de  génie,  était  vaillante 
et  disciplinée,  instruite  des  choses  de  la  guerre  (6). 

Dix  mille  soldats  grecs  avaient  impunément  traversé  l'Empire; 
Alexandre  pensait,  avec  juste  raison,  que  trente-cinq  mille  suffi- 
raient pour  le  terrasser.  11  eût  pu  s'attaquer  de  suite  aux  forces 
principales  des  Perses,  marcher  sur  Babylone,  Suse  et  Persépo- 
lis;  dans  l'état  d'anarchie  et  d'afTaissement  où  se  trouvait  alors 
l'Empire,  il  était  certain  du  succès.  Mais,  par  prudence,  le  roi 
de  Macédoine  préféra  s'assurer  des  provinces  occidentales,  de 
celles  dont  il  aurait  besoin  en  cas  de  revers,  et  qui,  toujours  prêles 
à  la  révolte,  étaient  les  plus  aisées  à  détacher  des  Achéménides. 
Il  savait  d'ailleurs  que,  bien  certainement,  ce  nouveau  délai  ne 
serait  pas  utilisé  par  ses  adversaires. 

L'Asie  Mineure,  très  hellénisée,  ne  supportant  qu'avec  peine  le 


(1)  La  conquête  de  la  Grèce  par  les  Macédo-  XVII).    Alexandre   voulait    effrayer    la   Grèce 

niens  servit  encore  les  liaincs  des  Grecs  les  par  celte   terrible  répression   afin   de  ne  pas 

uns  vis-à-vis  des  aiilres.  «  Cependant   le  vain-  laisser  derrière  lui  de  révoltes  à  craindre, 
queur  (Alexandre)  irrité   fait  un  hiirrihle  car-  (2)  Arrien,  I,  m. 

nage  des  Thét)ains.  On  doit  moins  latlT-ihuer  (3)  Arrien,  I,  iv. 

aux  Macédoniens  (|n'à  ceux  de  Platée,  de  la  (4)  Arrien,  I,  v  et  vi  ;  it,  i  à  m. 

Phocide  et  autres  de  la  Béolie.  On  égorge  les  (fi)  Justin,  XT. 

uns  au  sein  de   leurs  ff)yers,    les   autres   aux  (6)  Arislid)nle  affirineque  le   trésor  de  guerre 

pieds   des  autels;   la    résistance  cl    la   prière  d"Alexandie  était  de  soixante-dix  talents.  Mais 
sont  inutiles  :  on  n'épargne  ni   les  femmes  ni    .     Onésicrile  prétend  (|ue,  bien  loin  de  posséder 

les  enfants  »  (Arrien,  !..  I.  C.  II,  §  3.  Cf.  Pi.u-  celle  somme,  il  était  endetté  de  deux  cenls. 
Tarque,    Vie   d'Alexandre;    Diodore   de  Sicile, 


/|60  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

joug  oriental  et  déjà  en  partie  occupée  par  les  troupes  que  Phi- 
lippe avait  fait  passer  en  Troade,  vit,  dans  bien  des  provinces, 
un  libérateur  en  Alexandre  ;  et  les  garnisons  perses  furent  rapi- 
dement chassées  de  toutes  les  villes. 

Il  n'en  fut  pas  de  même  en  Syrie  et  en  Phénicie  (1)  où,  malgré 
la  victoire  d'Issus  (2)  (333)  remportée  sur  Darius  Codoman  lui- 
même,  Alexandre  rencontra  une  assez  vive  résistance.  Les  Phé- 
niciens, ennemis  séculaires  des  Grecs,  dont  les  flottes  avait  puis- 
samment aidé  les  Achéménides,  se  montrèrent  loyaux  ;  il  fallut 
vingt  mois  pour  les  réduire. 

Pendant  ce  temps,  les  Macédoniens  visitaient  PÉgypte  (3),  où 
l'élément  grec,  très  nombreux,  fit  accepter  avec  joie  leur  domi- 
nation. 

Ayant  soumis  toutes  les  provinces  maritimes,  s'étant  même 
assuré  du  concours  de  beaucoup  d'entre  elles,  ne  laissant  sur  ses 
derrières  aucune  préoccupation,  Alexandre,  attaquant  le  cœur 
même  de  l'Empire,  marcha  sur  le  Tigre.  Là,  près  des  ruines  de 
Ninive,  dans  ce  pays  même  où  s'était  faite  la  grandeur  des  Ira- 
niens, à  Gaugamela  (331  ^,  il  écrasa  la  multitude  des  Perses  [h). 
Darius  Codoman  s'enfuit  dans  ses  provinces  occidentales,  où  l'as- 
sassinat, mettant  fin  à  ses  jours,  acheva  la  ruine  des  Achémé- 
nides (5). 

Babylone  (6),  Suse  (7),  Persépolis  (8)  tombèrent  en  quelques 
mois;  puis  (330)  ce  furent  Ecbatane,  Piagès  (9),  l'Hyrcanie  (10), 
l'Arie  (1 1  ),  laDrangiane,  laBactriane  .12),  la  Sogdiane  (13)  (328-327), 
et  enfin  l'Indus  (1Z|)(3*26),  qui  virent  la  phalange  macédonienne;  et 
le  roi  rentra  dans  Persépolis  (15)  (31 'i),  Suse  (10)  et  Babylone  (17), 
son  armée  refusant  de  conquérir  le  monde  entier  pour  lui. 

Les  affaires  de  Granique  et  d'Issus  n'avaient  été  que  d'impor- 
tance secondaire  ;  celle  d'Arbèles  (Gaugamela)  fut  décisive,  parce 
que  dans  la  vallée  du  Tigre,  boulevard  de  son  royaume,  Codoman 
avait   réuni   toutes  ses  forces.  Contingents  de  tous   les   pays  de 

(1)  Arrien,  II,  vu;  Ouinle-Curce,  IX,  6.  à   B;il)\  loue,     à     Ecbalane     et    à    Persépolis. 

(2)  Arrien,  II,  v.       ~  (t^j  Xrrien,  III,  vi,  §  4. 

(3)  Arrien,  III,  i-iii.  (il)  Arrien,  III,  vu,  §  1. 

(4)  Arrien,  III,  iv-v.  (10)  Arrien,  III,  viii,  §  1. 
(5)"A;T;>/i,  UI,  vu,  §  4.  (11)  Arrien,  III,  viii,  §  3. 

(6)  Arrien,  III,  vi.  (H)  Arrien,  III,  x. 

(7)  Alexandre    trouva    dans    le    trésor    de  (13)  Arrien,  III,  x,  §  4  ;  IV,  i-vii. 
Suse   cinquante  mille  talents  (1.787.500  francs  (14)  Arrien,  IV,  viii-x  ;  V,  i-iv. 
environ)    (Arrien,    III,  vi);    mais    ce     trésor           (1.5)  Arr/en,  VI,  viii. 

n'était  pas  le  seul,   il  y  en  avait  dans  toutes  (IH)  Arrien,  VII,  ji.  ji  1. 

les   villes   importantes    et  plus    spécialement  (17)  Arrien,  VII,  v,  §  1. 


LA     PRÉPONDÉliANCE     IIELLÉMOUE 


461 


TAsie,  éléphants,  chars  armés  de  faux,  tout  ce  qu'un  souverain 
oriental  pouvait  opposer  à  l'ennemi  se  trouvait  concentré  près  du 
Zab,  au  pied  des  montagnes  Kurdes  que  Darius,  en  cas  de  revers, 
pensait  utiliser  pour  sa  retraite.  Mais,  de  même  qu'à  Marathon  et 
à  Platée,  l'habileté   tactique,  l'instruclion  et  l'entraînement  des 


Notions  géographiques  des  Grecs  au  m'  siècle  av.  J.-C,  d'après  Eratosthène. 


troupes,  le  courage  individuel,  la  discipline  triomphèrent  du 
nombre.  Darius  Godoman  fut  défait  en  monarque  asiatique,  son 
armée  se  débanda,  s'enfuit,  disparut  ;  et  lui-même,  demeuré 
presque  seul,  gagna  les  gorges  des  montagnes. 

La  journée  de  Gaugamela  est  certainement  l'une  des  plus 
importantes  de  l'histoire  mondiale,  non  par  la  victoire  elle-même 
qui  s'y  remporta,  mais  par  ses  conséquences.  Elle  marque  la  fin 
de  la  prépondérance  politique  des  Asiatiques,  l'écrasement  de  la 
dernière  de  ces  puissances  brutales  qui,  jusqu'à  ce  jour,  avaient 
régi  le  monde  ;  elle  signale  l'entrée  en  scène  de  conceptions  poli- 
tiques nouvelles,  de  sentiments  humains,  de  notions  jusqu'alors 
inconnues  sur  les  devoirs  et  les  droits  du  citoyen  vis-à-vis  de  sa 
patrie  ou  de  son  roi,  de  ceux  du  souverain  envers  ses  sujets.  Ces 
notions,  l'Orient  ne  devait  jamais  les  comprendre  ;  mais  du 
moins,  venait-il  de  perdre  le  pouvoir,  d'en  arrêter  l'essor. 

Dès  ses  débuts,  la  Grèce  avait  tâtonné  au  milieu  de  toutes  les 
formes  de  gouvernement,  de  toutes  les  combinaisons  de  la  poli- 


UQ^  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

tique  ;  tour  à  tour  elle  avait  usé  de  tous  les  régimes.  Plus  avancée 
que  la  !^Iacédoine  son  élève,  elle  était  aussi  plus  versatile,  moins 
fortement  organisée,  moins  disciplinée.  Il  lui  fallait  un  chef  pour 
que,  dégagée  des  préoccupations  mesquines,  elle  fût  à  même  de 
répandre  sa  culture  ;  c'est  ce  qu'elle  fit  à  la  suite  des  armées  macé- 
doniennes. 

Esprit  cultivé,  entouré  dès  son  enfance  de  grands  penseurs, 
le  jeune  roi  aimait  le  commerce  des  sommités  intellectuelles,  et 
s'en  faisait  accompagner  dans  toutes  ses  guerres.  Ce  sont  ces 
hommes  qui  contribuèrent  le  plus  à  l'expansion  de  l'esprit  hellène 
jusqu'aux  frontières  de  l'Inde.  Fidèles  aux  traditions  de  leur  race, 
ils  eurent  une  influence  énorme  sur  les  officiers  et  les  soldats  de 
l'armée  victorieuse,  les  empêchant  de  trop  subir  l'attrait  des  mœurs 
orientales,  et  sur  les  Asiatiques  en  leur  montrant  la  supériorité 
de  leur  pensée. 

Alexandre  était  un  impulsif,  possédant  à  l'excès  toutes  les 
qualités  et  tous  les  défauts.  Aristote  essaya,  mais  en  vain,  de  don- 
ner le  change  à  cette  àme  ardente,  en  cherchant  à  lui  faire  oublier, 
par  la  passion  de  tout  savoir,  celle  de  tout  subjuguer  (1). 

Et  Alexandre  était  de  bonne  foi  quand  il  écrivait  à  son  ancien 
maître  :  «  Tu  publies  ta  doctrine;  en  quoi  difîérerais-je  du  reste  des 
hommes,  si  les  nobles  connaissances  que  je  te  dois  deviennent 
communes  ?  Ne  sais-tu  pas  que  j'ambitionne  et  que  je  place  la 
suprématie  de  la  science  au-dessus  de  celle  du  pouvoir  ?  » 

Le  récit  des  débuts  d'Alexandre  laisse  une  impression  d'ex- 
trême grandeur,  de  fougue  irrésistible,  même  parfois  de  sagacité. 
C'est  que  le  jeune  roi  était  encore  sous  l'impression  des  leçons 
d' Aristote,  sous  l'influence  des  grands  hommes  dont  son  père 
avait  su  s'entourer.  ^Nlais  peu  à  peu,  les  succès,  les  triomphes,  les 
adulations  corrompant  son  âme,  le  milieu  dans  lequel  il  se  déve- 
loppa en  fit  vite  un  monarque  oriental.  Se  croyant  l'égal  d'un 
dieu,  revêtu  du  costume  d'Hercule,  il  se  fit  adorer,  devint  débau- 
ché, cruel,  injuste,  même  pour  ces  généraux,  amis  de  son  père, 
dévoués  cà  son  trône,  qui,  plus  que  lui-même,  avaient  fait  l'Empire. 

Alexandre  n'avait  rien  créé  des  forces  qu'il  mit  en  œuvre  pour 
la  conquête  du  monde,  il  les  trouva  toutes  prêtes  ;  il  n'eut  pas  à 
remplir  son  trésor,  à  former  ses  officiers,  à  exercer  ses  soldats  ; 

(1)  p.  CiiAUSSARD,  His'.  des  expéd.  d'Alexandre,   trad.  «le  FI.  .' r.'ieii:  lSiJ-2.  inlrodiiclion,  p.  94. 


LA    PRÉPONDÉRANCE     HELLÉNIOUt: 


im 


11  hérita  de  tout,  même  du  titre  de  généralissime  des  Grecs.  Le 
<Jestin  le  choisit  pour  mettre  son  nom  sur  cette  grande  œuvre  ; 
mais  sans  lui  elle  se  serait  accomplie,  car  l'Asie  avait  vécu,  devait 
céder  la  place  aux  peuples  neufs.  C'était  une  loi  fatale,  et  l'ère 
nuxh^rne  devait  commencer. 


Notions  géographiques  à  l'époque  romaine  il"  s.  ap.  J.-C),  d'après  Strabon. 


Dans  sa  course  folle  au  travers  de  l'Asie,  Alexandre  renversa, 
mais  ne  construisit  pas.  Combattant  sans  cesse,  il  devait  souvent 
envisager  la  mort;  car  s'il  se  faisait  passer  pour  un  dieu,  il  n'igno- 
rait pas  sa  destinée.  11  aurait  dû  se  préoccuper  de  ce  qu'après  lui 
deviendrait  son  empire. 

Il  n'en  fit  rien  et  à  peine  eut-il  fermé  les  yeux  que  la  division 
se  mit  dans  son  œuvre.  Les  rivalités  grecques,  les  cupidités,  les 
jalousies  qui,  dans  l'Hellade,  avaient  paralysé  les  efïbrts,  s'éten- 
dirent de  suite  à  toute  l'Asie.  Chacun  des  généraux  voulut  avoir 
sa  part  dans  cet  immense  empire,  que  le  courage  de  tous  avait  créé. 

De  toutes  ces  conquêtes,  de  tous  ces  grands  faits  d'armes,  que 
restait-il?  d'admirables  morceaux  de  prose  et  de  poésie,  et  la  guerre 
pour  des  siècles.  Ce  n'étaient  plus,  comme  autrefois,  les  peuples 
(jui  se  battaient  pour  leur  indépendance  ;  mais  pai'tout  les  Grecs 
qui,  s'étant  donné  pour  champ  de  bataille  le  monde  entier,  aux 
vieilles  rancunes  en  ajoutaient  de  nouvelles  ;  qui,  disposant  de  la 
puissance  suprême,  montraient  dans  les  grandes  choses,  comme 


llQll  LES     PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

autrefois    dans    les    petites,    leur    incapacité    gouvernementale. 

Après  de  sanglantes  et  interminables  compétitions  (1),  bien  peu 
des  trente-quatre  généraux  d'Alexandre  fondèrent  des  royaumes 
importants  et  durables. 

L'Egypte  prospéra  sous  les  Lagides,  jusqu'au  moment  où  César 
s'en  empara. 

La  Syrie  et  la  Perse  devinrent  la  part  des  Séleucides,  royaume 
immense  (2)  mais  sans  cohésion,  qui  devait  tomber  sous  les  coups 
des  Parthes  et  des  Romains. 

La  Macédoine,  l'Épire  et  la  Grèce  proprement  dite,  dont  Rome 
avait  successivement  ravi  l'indépendance  dès  i!i6  av.  J.-C. 

Quant  aux  pays  hellènes  d'Asie,  ils  furent  divisés  en  une 
foule  de  petits  Etats,  tous  hostiles  les  uns  aux  autres  et  perpé- 
tuellement en  guerre. 

Le  royaume  de  Pergame,  le  plus  important  de  tous,  naquit 
des  guerres  entre  Séleucus  Nicator  etLysimaque.  Petit  et  insigni- 
fiant à  l'origine,  il  s'accrut  vite,  grâce  à  la  sagacité  de  ses  princes, 
et  s'étendit  bientôt  à  presque  toute  l'Asie  Mineure;  en  131  avant 
l'ère  vulgaire  il  devenait  province  romaine. 

La  Bithynie,  qu'en  7Zi  av.  J.-G.  Nicomède  III  légua  aux 
Romains. 

La  Paphlagonie  qui,  exposée  aux  ambitions  des  rois  de  Pont  et 
de  Bithynie,  vécut  cependant  jusqu'en  101  av.  J.-C. 

Le  Pont,  l'un  des  Etats  les  plus  célèbres  par  ses  guerres  contre 
Rome  et  par  son  grand  roi  ]\Iithridate  V,  s'étendait  sur  les  côtes 
méridionales,  orientales  et  septentrionales  de  la  mer  Noire, 
renfermait  les  peuples  caucasiens  du  bassin  du  Phase,  les  anciennes 
colonies  grecques  des  côtes  d'Afkhasie,de  Crimée,  du  Don.  Il  vécut 
jusqu'en  63  av.  J.-C. 

La  Cappadoce,  qui  ne  devint  province  romaine  qu'en  l'an  17 
avant  notre  ère. 

La  Grande-Arménie,  dont  les  rois,  politiques  habiles,  s'ap- 
puyaient tour  à  tour  sur  Rome  et  sur  les  Arsacides  de  Perse,  par- 
vint à  conserver  une  indépendance  relative  jusqu'à  l'époque  de 
Trajan  (114  ap.  J.-C). 

La  Petite-Arménie,  qui  succomba  sous  Néron  (5/i  ap.  J.-C). 

(1)  Alexandre  à   son  lil  de  mort  aiirnil  dit  :  (-2j    En   312,    Chandragoupta    (Sandracatlos) 

«  Les  jeux  funèbres  que  l'on  célébrera  sur  ma  s'empare  du  Pendjab  et  de  la  vallée  du  Gange, 

tombe   seront   sanglants.    »   (Arrien.   VII,   vu,  Il  traite  avec  Séleucus  qui  lui  reconnaît  toute 

6.;  la  vallée  de  l'Indus. 


LA     PRÉPONDÉRANCE     IIELLKNIOUE  /,65 

La  Bactriane  qui,  exposée  aux  Perses  d'une  part,  aux  nomades 
du  Nord  de  l'autre,  maintint  sa  liberté  jusqu'en  80  av.  J.-G. 

Le  royaume  des  Arsacides  (Partlies)  qui,  fondé  vers  256  av.  J.-G. , 
s'étendit  graduellement  sur  toute  la  Perse,  devint  le  plus  redou- 
table adversaire  des  Romains  en  Orient,  et  dont  les  dynastes  furent 
détrônés  en  226  par  une  famille  iranienne,  celle  des  Sassanides. 

Enfin,  le  royaume  juif,  minuscule  |)rincipauté  syrienne  qui,  à  la 
faveur  des  troubles,  put  se  reconstituer  et  conserva  un  semblant 
d'indépendance  jusqu'au  milieu  du  premier  siècle  de  notre 
ère  ('1). 

Si  la  conquête  d'Alexandre  ne  laissa  derrière  elle  aucun  édifice 
politique  durable,  du  moins  répandit-elle  jusqu'aux  confins  de 
l'Inde  et  de  la  Chine  (2)  les  goûts  et  la  culture  grecs. 

Bien  que  chacune  des  provinces  eût  son  centre  d'hellénisme, 
il  ne  se  forma  dans  l'Orient  que  deux  véritables  foyers  :  l'un,  celui 
de  Bactres,  dont  les  eflets  se  firent  sentir  vers  les  Indes  (3)  ; 
l'autre,  celui  de  Parthie,  qui,  pendant  quatre  siècles  environ,  éten- 
dit son  influence  sur  toute  la  Perse. 

Les  querelles  qui  survinrent  entre  Antiochus  Théos  et  Ptolé- 
mée  Philadelphe  occupant  en  Occident  toute  l'attention  des  Séleuci- 
des,  les  satrapies  de  l'Orient  eurent  tout  loisir  de  se  déclarer  indé- 
pendantes. C'est  alors  (255  av.  J.-C.)  que  Diodotus,  gouverneur  de 
Bactriane,  fonda  son  royaume. 

L'esprit  grec  se  conserva  longtemps  dans  ce  nouvel  État  ;  la 
langue  hellène  demeura  celle  de  la  cour  et  fut,  au  début,  la 
seule  usitée  pour  les  légendes  des  monnaies.  Les  arts,  purs 
d'abord,  s'imprégnèrent  peu  à  peu  de  l'esprit  et  des  goûts  du  pays; 
la  langue  indigène    [!i)  apparut  dans   les  légendes  bilingues  des 

(1)  Dcslruclioii  de  Jérusalem  par  Titus  en  (4;  L'origine  sémilique  de  lalphal)et  indo- 
70  après  J.-C.  baclrien  est  hors  de  doute  ;  pour  s'en  rendre 

(2)  Cf.  Ed.  Blanc,  Documents  archéol.reia-  compte,  il  suffit  de  comparer  cet  alphabet 
tifs  à  l'expansion  de  la  civilisation  gréco-bac-  avec  celui  des  inscriptions  «pie  portent  les 
Irienne  au-delà  du  Pamir,  ds  Actes  XI'  Cou-  monnaies  des  Satrapies  achêménides  de  l'Asie 
yrés  des  Orientalistes,  Paris,  1897  (1899),  p.  233.  Mineure,  de  la   Mésopotamie  et  de  la  Cilicie. 

(3)  La  philosophie  de  la  Grèce,  plus  que  sa  (Cf.  Pu.  Beroer,  Ilist.  de  l  Ecriture,  1891, 
religion,  avait  remué  la  pensée  iranienne  ;  non  p.  2-ÎH  ;  —  Luynes,  Numismali<]ue  des  Satrapies, 
point  toute  la  philosophie  grecque,  mais  le  Paris,  18Ki,  in-i,  pi.  III  cl  IV;  —  Waddi>g- 
plalonisme,  qui  fut  là  aussi,  comme  dans  to.n,  Mélaïujes  de  numismatique  et  de  philologie, 
l'Asie  occidentale,  le  nœud  d'alliance  de  Paris,  1867,  p.  71,  sq.  ;  —  Babelon,  Xum.  des 
l'Orient  et  delà  Grèce.  Et  ce  qui,  dans  le  néo-  Perses  achêménides.)  Il  semble  que  le  Irans- 
platonisme,  séduisit  les  penseurs  du  maz-  port  de  cet  alphabet  de  Mésopotamie  en 
déisme,  ce  fut  ce  qui.à  la  mêmeépo(|ue,  sédui-  Bactriane  s'est  fait  sous  les  Achêménides 
sait  les  juifs  hellénisants,  c'est-à-dire  celle  pour  les  besoins  administratifs.  Plus  tard,  en 
intelligence  divine,  ce  Logos,  détaché  de  la  Bactriane,  ces  signes  ont  évolué  d'une  manière 
divinité    et    s'inlerposanl    entre    elle     et    le  spéciale. 

monde(J.  DAR.MSTETER,  /e  ZcnJ  ^U'esin,  t.  III,  Les    alphabets    indiens    dérivent    tous    de 

1893,  inlrod.,  p.  99).  rali)habet  araméen  d'époque  acliéménide  (Pu. 

30 


/i66 


LES'    PREMIÈRES     CIVILISATIONS 


médailles  (4);  aux  dieux  grecs  se  substituèrent  peu  à  peu  les  divi- 
nités hindoues,  hellénisées  d'abord,  puis  oifrant  tous  leurs 
caractères  indigènes  (2). 

C'est  qu'après  la  chute  des  Séleucides  dans  l'Iran,  depuis  que 
les  Arsacides  occu[)aient  tout  le  plateau,  Bactres  se  trouvait  com- 
plètement isolée  du  monde  grec  ;  qu'elle  en  était  réduite  à  vivre 
sur  ce  qui  lui  avait  été  laissé  par  les  Séleucides,  sans  renouvelle- 
ment d'influence  hellénique.  Peu  à  peu  les  goûts  et  la  culture 
indigènes  prirent  le  dessus. 

L'art  indo-grec,  résultat  de  ce  mélange,  eut  plus  tard  une 
influence  considérable  sur  toute  l'Asie  orientale.  Quant  à  la  langue 
grecque,  elle  disparut  peu  à  peu  pour  faire  place  aux  idiomes 
locaux,  employant  une  écriture  spéciale  (3)  née,  semble-t-il,  de 
Taraméen  des  temps  achéménides. 

En  Parthie  proprement  dite,  et  ])lustard,  dans  toufle  royaume 


Berger,  Hist.  de  l'ccrilure  dans  l'antiquilé, 
1«91,  chap.  VII,  p.  -221,  s^q.)-  Le«  plus  anciennes 
inscriptions  parvenues  jusfpi'à  nous  sont  les 
textes  dits  do  Piyadasi  ou  d'Açoka,  datant  du 
milieu  du  troisième  siècle  avant  notre  ère  ; 
elles  sont  rédigées  dans  la  même  langue  mais 
en  faisant  usage  de  deux  alpliabets  différents: 
rindo-BacIrien  dans  le  nord-ouest  de  la  pé- 
ninsule et  l'Indien  dans  les  pays  du  centre. 
(Cf.  E.  SÉNART,  les  Insciiplinns  de  Pii/adasi, 
t.  I  et  II,  Paris,  1881.  —  Id.,  Notes  d'épigrapliie 
indienne,  ds /ou;/!.. 4 s/af.,  1888,  pp.  504-532,  avril- 
juin;  311-330,  sept. -ocl.  et  pi.).  De  ces  deux  types 
sont  dérivés  tous  les  alpliabets  de  l'Inde,  entre 
autres  le  Koulila,  qui  doit  son  nom  à  une  ins- 
cription de  l'an  092  de  notre  ère  et  qui  fournit 
un  type,  bien  daté,  de  la  forme  de  l'écriture 
d'où  est  sorti  le  Dévanagùri  (Pu.  Berger,  op. 
cit.,  p.  235)  dont  le  plus  connu  est  le  sanskrit. 
Cet  alphabet  parti  d'un  principe  simple  s'est 
compliqué  par  suite  des  ligatures  qui  ont  fini 
par  constituer  de  réels  signes  syllabiques  ;  le 
nombre  de  ces  signes  en  sanskrit  est  de  800. 

(1)  Cf.  .\.  CuNNiNGUAM,  Coins  of  llie  Indo- 
Scythians,  in  Niim.  Chron.,  vol.  VIII,  séries 
III,  pp.  l'.l9-248,  réimpression.  Londres,  1888. 
—  Id.,  Coins  of  Ancient  India.  Londres,  1891. 

(2)  Les  systèmes  religieux  que  nous  nom- 
mons Djainisme  et  Bouddhisme  descendent 
des  philosophies  oubliées  des  temps  préhis- 
toriques, mais  furent  fondés  par  les  deux 
philosophes  Vardhamana  Mahavira  et  Gau- 
tama  Bouddha,  qui  vécurent  à  la  même  époque 
environ,  dans  le  royaume  de  Magadha,  aujour- 
d'hui Bihar  (Cf.  IIoÈrnle.7Voc.  As.  S.  B.,  1898, 
pp.  39-53);  l'un  de  ces  personnages  était  appa- 
renté à  la  famille  régnante  de  Magadha  ;  l'autre, 
né  dans  le  territoire  de  Sakya  au  pied  des  mon- 
tagnes du  Néi)al  (Cf.  Rockhill,  Life  of  ihe  Dud- 
d/!a,p.  114),  descendit  dans  la  vallée  du  Gange 
où  il  prêcha  spécialement  dans  le  royaume  de 
Kosala,  l'Oudh  de  nos  jours.  Vers  celte 
époque,  avant  notre  ère,  l'Inde  jouissait  donc 


d'une  civilisation  déjà  quelque  peu  développée  : 
elle  se  divisait  en  une  foule  de  principautés 
correspondant  aux  anciennes  tribus  de  l'in- 
vasion aryenne.  C'étaient  le  royaume  de  Ma- 
gadha avec  son  tributaire  celui  d'Anga,  le 
royaume  de  Kosala  et  bien  d'autres,  tel  celui 
de  Kasi  (Benarès).  La  prépondérance  semble 
avoir  été  vers  le  sixième  siècle  entre  les  mains 
des  souverains  de  Kosala;  le  royaume  de  Kasi 
avait  été  absorbé  par  son  puissant  voisin  ;  ce 
n'est  (pie  plus  laid,  un  siècle  après  environ, 
(pie  les  rois  de  Magadlia  s'emparèreni  de 
l'hégémonie  (Bamhisara  vers  528  av.  J.-C.).  — 
Mort  de  Gautama  Bouddha,  vers  487  av.  J.-C. 
sous  le  rèaiie  d'Adjatasatrou  (V.  A.  SiMirn, 
The  earhj  Hist.  of  India,  Oxford,  1908,  p.  30  et 
42).  Le  Bouddhisme  a  commencé  à  sortir  de 
l'Inde  dès  le  règne  d'Açoka,  qui  envoya  des 
missionnaires  dans  l'empire  des  Séleucides. 
Mais  ce  n'est  que  sous  les  princes  grecs  de  la 
Bactriaue  qu'il  se  répandit  dans  l'Iran  oriental 
vers  le  deuxième  siècle  avant  notre  ère  ;  au 
premier  siècle  av.  .l.-C,  il  était  établi  à  Bac- 
tres et  y  subsista  jusqu'à  la  conquête  isla- 
mique (Cf.  Clément  d'Alexandrie,  Slromates, 
I  ;  —  J.  Dar.msteter,  le  Zend  Avesla,  t.  III, 
1893,  introd.  p.  48).  Le  synchronisme  de  toute 
l'histoire  de  l'Inde  antérieure  repose  sur 
l'identification  de  Sandrakottos  des  Grecs, 
contemporain  de  Seleucus  Nicalor,  avec 
Chandragupta-Manrya  (Cf.  V.  A.  Smith,  The 
earhj  Hisl.  of  India,  Oxford,  1908,  p.  17).  Jus- 
qu'à celte  époque  aucune  date  n'est  donc  fixée 
de  manière  positive. 

(3)  On  n'a  pas  jusqu'à  ce  jour  rencontré  aux 
Indes  une  seule  inscription  qui  soit  si"iremenl 
antérieure  à  celle  d'Açoka  (vers  250  av.  J.-C). 
Celle  du  vase  renfermant  les  reliques  de 
Bouddah  à  Piprawa,  attribue-e  jadis  au  milieu 
du  cinquième  siècle  av.  J.-C,  a  été  reconnue 
depuis  comme  très  postérieure  à  cette  époque 
(Cf.  Barth,  J.  des  Sauanls,  oct.  1906,  Ind.  An- 
liq.,  1907,  pp.  117-121). 


LA     PRÉPONDÉRANCE     IIELLÉNinUR  /,67 

arsacide,  le  grec  resta  en  honneur  comme  langue  et  comme  goûts 
artistiques;  il  domina  dans  rarchiteclure, la  sculpture, la  glyptique, 
la  gravure  des  métiailles,  jusqu'à  la  lin  du  premier  siècle  de  notre 
ère.  Puis,  peu  à  peu,  les  arts  déclinèrent  et  la  langue  indigène  prit 
la  place  du  grec;  on  récrivait  alors  en  caractères  araméens  (1). 
Lors  de  la  révolution  sassanide,  les  rois  parlhes  n'employaient 
plus  le  grec  sur  leurs  monnaies  <  2)  ;  peut-être  même  cette  langue 
avait-elle  complètement  disparu  du  parler  oflîciel,  pour  faire  place 
au  persan  sassanide,  très  imprégné  de  sémitisme. 

La  Transcaucasie  (3)  et  l'Arménie  (/i)  suivirent  l'influence  de 
leurs  voisins  les  rois  du  Pont  et  ceux  de  la  Perse.  Leur  numisma- 
tique en  fait  preuve;  mais  ces  pays,  qui  subirent  l'hellénisme  sans 
s'en  imprégner,  ne  nous  en  ont  laissé  aucune  trace,  en  dehors  de 
leur  monnayage. 

Les  langues  karthweliennes  ne  se  prêtaient  guère  à  l'emploi 
des  caractères  grecs,  pas  plus  d'ailleurs  que  le  parler  des  Armé- 
niens ;  en  sorte  que  ces  peuples  n'usèrent  pas  de  l'écriture  dans 
les  temps  qui  précédèrent  le  christianisme.  Leurs  alphabets 
furent,  dans  les  premiers  siècles  de  notre  ère,  forgés  de  toutes 
pièces  par  le  clergé  chrétien. 

En  Syrie,  en  Phénicie,  le  grec  devint  cà  la  mode  ;  mais  il  ne 
rentrait  pas  dans  les  tendances  indigènes.  Aussi  ne  connaissons- 
nous  de  ces  pays  que  des  œuvres  de  fort  mauvais  goût  et  d'exécu- 
tion plus  déplorable  encore.  Les  beaux  morceaux  rencontrés  dans 
cette  région  sont  tous  dus  à  des  artistes  de  l'Ilellade. 

Babylone  et  Suse  (5)  demeurèrent  en  dehors  du  mouvement 
hellénique;  c'est  à  Séleucie,  sur  la  rive  droite  du  Tigre,  que  s'était 
fixée  la  cour;  et  là  seulement  que  le  grec  fut  en  honneur.  Si 
nous  en  jugeons  par  la  numismatique  des  rois  de  Syrie,  les  arts 
n'étaient  pas  moins  développés  en  Chaldée  que  dans  la  Grèce 
elle-même.  Quant  à  la  capitale,  ruinée  de  fond  en  comble, 
elle  fut  exploitée,  comme  carrière,  pour  la  construction  de  Ktési- 
phon,  ville  située  sur  la  rive  opposée  du  fleuve,  et  n'a  pas 
laissé  de  traces.  En  parcourant  le  site  où  jadis  elle  s'éleva,  on  a 
peine  à  croire  que  là   se  trouvaient  autrefois  des  palais   et  des 

(1)  Cf.  Allotte  de  la  Fuye,  Monnaies  de  des  suites  monétaires  de  la  Géorgie.  Paris,  1860. 
lEIymaide,  ds  Mém.  Délég.  en  Perse,  t.  VIII,  (4)  Cf.  E.  Babelon,  les  Rois  de  Syrie,  d'Ar- 
1905,  p.  1  7,  sq.  ménie  et  de  Comnuujène.  Paris,  1890. 

(2)  Cf.  W.  Wroth,  Catalogue  of  tlie  Coins  of  (5)  Bien  qu'occupée  sous  les  Séleucides, 
Parlhia.  Londres,  1903.  Suse   avait   perdu    son  rang    de    capitale    et 

(3)  Cf.  V.  Langlois,  Essais   de  classi/icuK  n  uétait  plus  qu'un  clief-lieu  de  province. 


/,68  LES    PREMIÈRES     CIVILISATIONS 

temples  somptueux,  que  de  ses  murs  sont  parties  ces  armées  qui, 
si  longtemps,  ont  tenu  en  échec  les  légions  romaines. 

Tant  que  dura  le  régne  des  Séleucides,  le  grec  fut  la  langue 
officielle  de  la  Chaldée;  tandis  que  dans  les  villes  de  second  ordre, 
parmi  les  indigènes,  on  employait  encore  les  dialectes  sécrivant 
en  signes  cunéiformes  et  surtout  en  caractères  araméens.  Après 
la  chute  de  ce  royaume,  ses  provinces  suivirent  en  tout  la  fortune 
des  Arsacides  d'abord,  des  Sassanides  ensuite. 

En  Egypte,  déjà  l'influence  grecque  s'était  amplement  fait 
sentir  sous  les  dernières  dynasties  nationales.  La  renaissance  saïte 
décèle  des  tendances  vers  le  naturisme,  qui  n'étaient  certainement 
pas  dans  les  goûts  pharaoniques  de  cette  époque. 

Avec  les  Lagides,  deux  arts  se  développent  côte  à  côte  :  l'un, 
l'art  pharaonique,  gagnant  au  contact  des  Grecs  une  souplesse,  une 
élégance,  une  régularité  d'ordonnance  qui  lui  donnent  un  aspect 
agréable  et  caractéristique;  l'autre,  l'art  grec,  perdant  entre  des 
mains  indigènes  les  qualités  de  simplicité  et  de  vie  qu'on  ne 
retrouve  en  Egypte  que  dans  les  œuvres  importées  ou  produites 
par  des  artistes  de  sang  hellène. 

La  langue  nationale  et  religieuse  demeura  l'égyptien  (t),  tandis 
que  celle  de  la  cour,  de  la  haute  société,  était  le  grec.  Alexan- 
drie, la  nouvelle  capitale,  colonie  hellène,  était  le  grand  foyer 
intellectuel  de  toute  la  Méditerranée.  Littérateurs  et  savants  y 
venaient  en  foule,  attirés  par  sa  fameuse  bibliothè(|ue  et  par  le 
luxe  raffiné  de  sa  cour. 

Ainsi,  trois  siècles  après  la  mort  d'Alexandre,  il  ne  restait  plus 
de  son  œuvre  que  deux  ou  trois  centres  intellectuels,  grecs  d'abord  ; 
mais,  ayant  évolué  sur  les  aptitudes  et  les  tendances  locales, 
ils  produisaient  des  ceuvres  spéciales,  ouvrant  à  l'esprit  humain 
des  champs  nouveaux. 

Pendant  qu'Alexandre  envahissait  l'Asie,  Rome,  encore  mo- 
deste, aflermissait  son  pouvoir  dans  l'Italie  même,  luttait  contre 
tous  les  petits  peuples  occupant  presque  sa  banlieue,  établissait  ses 
usages,  ses  lois,  sa  constitution,  aguerrissait  son  armée  et,  la  tenant 
toujours  en  haleine,  l'entraînait  pour  des  luttes  sur  un  champ 
plus  vaste.  Les  Samnites,  les  Etrusques,  les  Gaulois,  les  Sabins, 


(I)  Au  conlacl  do   lalphabel  hellène,  l'usage        quelques    autres    spéciaux   à    sa  phonétique. 
(les  hiéroglyphes  se  perdit  peu  à  peu,  la  langue        Ainsi  se  forma  le  copie, 
indigène  fit  usage  des  caractères  grecs  el  de 


LA  PRKrONDKRAXCK  nF:LLKNIOUE 


!im 


Inscriplion  laline  de  Due- 
nos,   m*  s.  av.  J.-C.  (1) 


tour  à  lour  vaincus,  l'oiinèrent  le  noyau  de  la  puissance  romaine. 
C'est  à  force  de  battre  et  de  rel)attre  tous  ses  voisins,  sans  se 
lasser  un  seul  jour,  que  Home  forgea  ses  armes  pour  la  conquête 
du   monde.    Qui    négligerait,   par   ennui, 

d'étudier  ses  débuts,  risquerait  de  ne  rien  n^mOQloyi^Q]^  ?^V^' 
comprendre  à  la  désinvolture  avec  laquelle  Vyi^0J0(JkI'^(7^T/^HT^tf'^ 
la  ville  qui  avait  péniblement  usé  des  0\X\OVt(^^HMO)Vjl\ 
siècles  a  réduire  sa  banlieue,  renversa  w)V^^{]C:|^^û^vtl^OH^va 
ensuite  tous  les  Etats  riverains  de  la  0{V]\OV\^Q^O^\-^^O\1A 
Aletliterranee.  vjv,/-.vv,n 

Dès  le  sixième  siècle,  sa  politi(|ue 
avait  déjà  traversé  les  mers  :  le  traité  de 
510  avec  Carthage  en  est  la  preuve  ;  elle 

le  renouvela  en  279,  en  même  temps  que  celui  de  3/iO.  Pyrrhus 
alors  menaçait  les  deux  puissances,  l'une  en  Italie,  l'autre  en 
Sicile.  Carthaginois  et  llomains,  plus  avisés  (|ue  les  Grecs, 
s'allièrent  devant  l'ennemi  commun. 

Mais    cette   entente  ne    dura   que  tant  qu'il  y   avait    danger. 

Rome  et  Carthage  ne  pouvaient 
être    qu'ennemies,    car    toutes 
deux  ambitionnaient  la   supré- 
matie,  tout   au    moins   dans   la 
Méditerranée     du    soleil    cou- 
chant. 
Carthage  avait  créé  dans  l'Occident  un  véritable  empire.  Elle 
régnait  sur  toute  la  côte  d'Afrique,  depuis  laCrande-Syrte  jusque 
bien  au  delà  des  Colonnes  d'Hercule.  La  Sardaigne   (3),   les   îles 


^zo,^,V''7tV'7ijnj^^^ 


Inscription  punique.  !"•  s.  av.  J.-C.  Urne 
funéraire  de   Sousse  (2). 


(1)(M.  Bréai-,  Ecole  française  de  Rome,  Mé- 
langes d'nrchéoloijie  el  d'hisloire,  I.  M,  1882, 
p.  147-167,  pi.  IlL) 

lOVElS  (Jui)itcr)   AT.   faut)  DEIVOS    idcus) 
QOI    cui)  MED.  (me)  MITAT.  (miUal  iste) 
NEl.  (ne)  TEDI  (le)  ENDO  (endo)  COS.MISV 
(commissi.)  IRCO  (ergo)  SIED,  (sit  ). 
ASTED.  (asl  le)  NOIS  (nobis)  10  (eo) 
PETO  (penso)  ITES  (/..Ta.;)  lAI  (lis) 
PACARI  (pacari)  VOIS  (velis).  DVENOS 
(duenos)  MED.  (me)  FECED  (fecil.)  EX. 
(in)  MANOM  (boniim)  EINOM  (nunc.) 
DVENOI  (Dueno)  NE  (ne)  MED  (me)  MALO 
(malo)  ST.VTOD  (sistito.). 

Trad.  — .Jupiter  ou  quel  que  soit  le  dieu 
auquel  celui-ci  m'adressera,  que  celui-ci  ne 
tombe  point  enire  les  mains  pour  ce  qu'il  a  pu 
commettre.  Mais  laisse-toi  fléchir  par  nous 
au  moyen  de  ce  don,  au  moyen  de  ces  céré- 
monies. Duenos  m'a  offert  en  hommage  pour 


son  repos  ;  ne  me  prends  pas  en  mauvaise 
part  pour  Duenos. 

(2)  "  l'rne  à  ossements  de  Lalanmelek,  fils 
de  Bomilcar.  lils  d'Abdmelqari  le...  (Cf.  Rei<. 
Arch.,  1880,  p.  21-41.) 

(:<)  Les  Cai-Uiajiinois,  parvenus  au  comble  de 
leur  |)uissance,  se  rendirent  niailres  de  la 
Sardaigne,  mais  ne  réussirent  jias  à  soumel- 
Ire  les  populations  qui  vivaient  dans  1  ile 
avant  leur  arrivée.  Les  loléens  se  réfugièrent 
dans  les  montagnes  (Dioilore  de  Sicile,  V, 
XV,  4),  d'où  ils  ne  cessèrent  de  piller  les 
comptoirs  carthaginois,  puis  ensuite  les  colo- 
nies romaines  (Dion,  Cassius,  LXV,  25.  —  Ta- 
cite, Aniidles,  II,  8.')}.  On  ne  sait  pas  à  quelle 
souche  ethnique  se  rattachaient  ces  popula- 
tions primitives  ;  qu'elles  aient  été  ligures  ou 
libyennes,  juscpi'ici  nous  ne  saurions  le  dire. 
(Cf.  G.  DE  IIuMBoi.DT,  PvHfung  der  Unter- 
suclnmgen   iiber  die    Urbewohner    Hispaniens, 


Ii70 


LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


Baléares  lui  appartenaient  en  entier;  elle  se  disputait  la  Sicile 
avec  les  Grecs  de  Syracuse  ;  en  Espagne,  elle  possédait  de  nom- 
breux comptoirs. 

Sa    puissance,    tant   en   Afrique  qu'on   Europe,  ne  s'étendait 
pas  au  loin  dans  l'intérieur.  Sa  politique  commerciale  et  maritime 

réclamant  avant  tout  des  débou- 
chés et  des  comptoirs,  s'accom- 
modait mal  de  grandes  posses- 
sions territoriales.  Fille  de  la 
Phénicie,  elle  avait  conservé  les 
traditions  de  ses  ancêtres  sur  la 
conception  d'un  l^^tat.  Tant  qu'elle 
ne  rencontra  pas  d'oppositionstrés 
sérieuses,  elle  prospéra,  s'éten- 
dit; mais  du  jour  où  Rome  inter- 
vint, elle  dut  modifier  sa  façon 
d'être,  rejeter  la  raison  commer- 
ciale au  second  planetsefaire  puis- 
sance territoriale,  afin  de  lever  les 
armées  dont  elle  ne  pouvait  plus 
se  passer.  Ce  fut  sa  perte. 

Le  centie,  jadis  en  Orient,  à 
Babylone,  à  JNlemphis,  à  Ninive, 
à  Athènes,  s'était  déplacé  vers 
l'Occident.  Les  Grecs,  divisés  à 
l'infini,  toujours  en  guerre  les  uns  contre  les  autres,  ne  pesaient 
plus  dans  la  balance.  Seules,  Rome  et  Carthage  se  trouvaient  en 
présence  :  l'une,  jeune,  hère,  forte,  courageuse,  ])laçant  au-dessus 
de  tout  le  respect  d'elle-même,  consciente  de  sa  destinée  ;  l'autre, 
héritière  de  la  barbarie  de  l'Orient,  cruelle  dans  ses  mœurs, 
commerçante,  ne  rêvant  que  richesses  comme  toutes  les  races  asia- 
tiques, proj:)ortionnant  la  gloire  aux  trésors  acquis  par  la  guerre; 
mais  opulente,  puissante  par  son  or,  par  son  renom,  par  la  durée 
déjà  longue  de  sa  grandeur. 

La  lutte  était  inégale  ;  car  certes,  au  début  des  guerres  puniques, 


Possessions   carthaginoises 
en   Sai'daiene. 


Berlin,  1821,    p.    168.  —   Diefenbach,    Celtica,  Sarrlegna    prima   rlel   dominio  romano,  Sfadi 

p.  18.  —  Id.,  Orùiinex  Europae,  p.  09.   —  Nie-  Slorici  ed  (trcheohxfiei.  Ronia,    1881,  p.  16,  sq.) 

mmR,  Romisclie  Geschiclite,  II,  p.  585.  —  D'An-  Pansanias  amène    en  Sartlaigne  des  Lybiens 

BOIS  DE  JuBAiNViLLE,  les  Premiers  luthitants  de  (X,  xvn,  2),  puis  des  Il)ères  (X,  xvii,  4.) 
l'Earope.  Paris,    1877,    p.     43,    .sq.  —   Pais,   la 


LA     PRÉPU.XDKilAXCK     IIELLKMOUE 


/i71 


les  ressources  de  Rome  étaient  bien  inférieures  à  celles  de  ses 
adversaires.  ^lais,  aux  sentiments  patrioli(|ii(^s  de  la  ville  éter- 
nelle (1),  à  la  conscience  de  sa  valeur,  Carlliaoc  n'avait  cà  opi)Oser 
que  des  troupes  mercenaires,  que  des  calculs  d'intérêt.  Le  vieux 
monde    et     le     nouveau,     avec 


leurs  qualités  et  leurs  défauts, 
se  trouvaient  eu  préscMice.  lîonie 
écrasa  le  dernier  ^estige  des 
vieux  empires,  l'Asie  avait  vécu. 
Quant  aux  autres  contrées, 
la  Gaule,  l'Europe  centrale  et  septentrionale,  l'Inde  (3),  la  Chine, 
elles  n'étaient  point  encore  mûres  pour  entrer  sur  la  scène  de 
l'histoire  mondiale. 


w  vm-m-mv-nm-mum'- 

Ecriture   niiii(|ue  (issue  de  l'écriture 
latine;  '2). 


(1)  Les  Romains  allacliaiciil.  ilrs  les  drliuts 
de  leur  puissance,  une  si  haute  valeur  au 
titre  de  citoyen  de  Rome  qu'en  340  av.  .I.-C, 
ils  le  refusaient  aux  Latins,  leurs  allii'-s  dans 
toutes  les  guerres,  en  même;  leiups  (jue  l'éga- 
lité des  droits  politi(|ues,  (|ue  les  peuples  ré- 
clamaient. Cette  décision  du  Sénat,  qui  amena 
la  guerre  latine,  montre  à  quel  point  Rome 
était  soucieuse  de  ne  point  laisser  intervenir 
l'étranger  dans  ses  affaires  publiques. 

2)  Cf.  MoNTELius,  Suède  préhisL,  trad.  par 
J.  Kramer,  1874.  —  Stèle  de  Visby  (Apland). 
«  Brune  fît  élever  et  graver  celte  pierre  après 
Gud-Fast,  père  de  Brune,  et  Arnvi  (la  fit 
élever)  après  son  mari.  » 

(rt)  Pour  la  période  anlérieure  à  Alexandre 
le  Grand  (de  6(X>  à  .32G  av.  J.-C),  les  sources 
historiques  reposent  toutes  sur  la  tradition  lit- 
téraire dans  des  ouvrages  composés  à  diver- 
ses époques,  complétés  par  les  écrits  des 
auteurs  grecs  Ctesias,  Hérodote,  les  histo- 
riens d'Alexandre,  Megasthènes  et  autres.  Les 
principaux  ouvrages  indigènes  sont  la  chroni- 


que (lu  Cachiiiire.  (/w///Kj;i(i\  Riijatanuii/ini.  A 
Chroniche  ofthe  Kimjs  of  Kitslimir).  par  A.  Slein, 
{I!1(X»)  composée  vers  le  douzième  siècle  ap.J.-C. 
mais  renfermant  une  foule  d'indications  sur 
les  épocpies  précédentes  ;  le  Mahabhnrtila  et 
le  Rainayann,  les  livres  saints  des  Djaïns. 
(Cf.  docteur  A.  Guékikot,  Essai  de  bibliographie 
Jaina,  réperloire  analyUijue  et  mélhodique  des 
travaux  relatifs  an  Jaïnisme.  Paris,  1900)  ;  le 
Djatdiai  conlenantde  très  utiles  documents  sur 
l'Inde  au  sixième  et  cinquième  siècle  av.  .I.-C; 
(Cf.  professeur  Cowell,  et  W.  II.  D.  Rouse 
Cambridge.  —  Cf.  Riivs  Davids,  Ihtdahisl  In- 
dia);  la  chroniciue  pâlie,  Ceylau  (Cf.  Rnvs  Da- 
vids, The  vicissitudes  oflhe  buddhist  lilternture 
ofCeylon.  Ind.  Antiq.,X\n,  lW};ïesPouranas, 
où  se  trouvent  toutes  les  légendes  sur  la  pé- 
riode fabuleuse,  les  listes  des  premières  dy- 
nasties, etc.  (Cf.  Macdonell,  Hist.  of  the  sans- 
krit littérature.  —  Duff,  Chronologij  of  India. 
V.  A.  S.MiTii,  The  earhj  Hisl.  of  India,  Oxford, 
1908). 


CONCLUSIONS 


Les  grandes  lignes  de  révolution  historique. 


C'est  au  cours  des  temps  glaciaires  qu'apparaissent  les  pre- 
mières traces  positives  de  Texistence  de  l'homme  ;  et,  jusqu'à  ce 
jour,  nous  ne  possédons  aucune  donnée  scientifique  permettant 
d'affirmer  son  existence  antérieurement  à  cette  époque.  L'indus- 
trie de  ces  temps,  relativement  avancée  et  très  homogène,  montre 
que  l'espèce  humaine  occupait  alors  la  majeure  partie  des  régions 
habitables  de  notre  globe. 

Se  développant  peu  à  peu,  notre  ancêtre  perfectionna  ses 
industries  de  manière  variée,  suivant  les  temps  et  les  lieux. 
Ces  progrès  amenèrent  la  formation  d'un  grand  nombre  de  cul- 
tures spéciales,  contemporaines  ou  successives,  s'influençant  par- 
fois les  unes  les  autres,  mais  conservant,  toutes  et  partout,  certains 
des  caractères  généraux  particuliers  aux  temps  glaciaires. 

Un  phénomène  naturel  dont  nous  ne  saurions  préciser  la  cause 
survint,  modifiant  les  conditions  de  la  vie  sur  presque  toute  la 
surface  terrestre.  Les  glaciers  disparurent,  ouvrant  à  l'humanité  de 
nouvelles  terres  ;  tandis  que  de  vastes  territoires  disparaissaient 
sous  les  eaux  et  que  d'autres,  jadis  fertiles,  devenaient  stériles, 
quelques-uns  glacés. 

Il  se  produisit  alors,  par  la  force  même  des  choses,  de  grands 
mouvements  de  peuples,  les  premiers  dont  nous  connaissions 
scientifiquement  l'existence  ;  car,  s'il  en  fut  d'antérieurs,  il  ne  nous 
est  permis,  jusqu'ici,  que  de  les  soupçonner. 


CONCLUSIONS  ri78 

Après  la  fin  des  temps  glaciaires,  au  moment  où  les  conditions 
actuelles  d'habitabilité  s'établissaient  sur  le  globe,  l'homme,  dans 
plusieurs  pays,  apprit  à  polir  la  pierre,  et  introduisit,  avec  cetle 
découverte,  d'importantes  innovations  dans  les  mcrurs,  la  manière 
de  vivre  et  les  industries.  L'ère  moderne  s'ouvrait. 

INIais,  au  début,  ces  progrès  n'affectèrent  pas  toutes  les  régions; 
les  idées  nouvelles,  [)arlanttles  foyers  d'invention,  ne  colonisèrent 
le  monde  entier  que  peu  à  peu. 

C'est  alors  que  l'Europe  se  peupla  d'hommes  qui,  semble-t-il, 
chassés  par  le  froid,  (|uittèrent  le  Nord  de  l'Asie,  à  la  recherche 
de  conditions  meilleures.  Les  vieux  peuples  furent  absorbés;  en 
même  temps  que  la  nouvelle  race  établit  partout  l'état  néolithique, 
qu'elle  avait  probablement  apporté  d'Orient. 

11  y  eut  forcément,  pendant  de  longs  siècles,  des  milléniums 
peut-être,  lutte  des  nouveaux  venus  contre  les  aborigènes. 
Nous  ne  saurions  dire  quelle  fut  l'étendue  de  cet  antagonisme 
et,  par  suite,  s'il  existe  une  relation  d'origine  entre  la  culture  néo- 
lithique de  l'Europe  centrale  et  occidentale,  et  celle  des  pays 
méditerranéens,  de  l'Asie  antérieure  ou  de  toute  autre  partie 
du  monde. 

Rien  ne  permet  d'admettre,  comme  d'ailleurs  rien  n'autorise  à 
nier,  que  la  civilisation  néolithique  soit  issue  d'un  centre  unique. 
Tout  ce  qu'il  est  possible  d'affirmer,  c'est  l'extrême  variabilité  des 
époques  de  son  introduction  dans  les  divers  pays  et  la  variété  de 
ses  industries. 

L'apparition  du  métal  causa  la  grande  révolution  des  temps 
préhistoriques.  Elle  modifia  du  tout  au  tout  la  vie  et,  surtout,  l'im- 
portance de  certains  peuples  par  rapport  aux  autres  ;  elle  permit 
des  groupements  plus  vastes  ;  elle  fut  l'origine  de  la  constitution 
des  Etats. 

Les  centres  d'invention  devinrent  des  foyers  d'où,  rapidement, 
se  répandit  une  culture  plus  affinée.  11  se  lit  des  classes  dans  l'espèce 
humaine,  certaines  populations  demeurant  barbares,  tandis  que 
d'autres,  ayant  progressé,  devenaient  de  jour  en  jour  |)lus 
civilisées.  Ces  centres  furent-ils  nombreux?  furent-ils  conteni|)o- 
rains  dans  leur  influence  bienfaisante  ?  Nos  connaissances  à  cet 
égard  sont  encore  trop  sommaires,  pour  qu'il  soit  permis  de  se 
prononcer  d'une  manière  définitive. 

Toutefois,  il  semble  (jue  l'Asie  antérieure  fut  le  j)lus  ancien  (h^ 


47Û  LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

ces  foyers  ;  que  les  métaux  y  furent  découverts  quelque  part  dans 
les  riches  districts  miniers  du  Taurus,  de  FArabie,  de  l'Arménie 
ou  des  chaînes  iraniennes  ;  que  de  là,  les  connaissances  métallur- 
giques, encore  bien  primitives,  se  seraient  répandues  en  Syrie, 
en  Egypte  et  dans  toute  la  région  méditerranéenne  orientale  où, 
plus  tard,  elles  se  seraient  rencontrées  avec  celles  venant  de  l'Asie 
centrale. 

Dès  la  fin  des  temps  quaternaires,  nous  rencontrons  des 
preuves  de  goûts  artistiques  très  développés.  L'Occident  de  l'Eu- 
rope, seule  partie  de  l'ancien  monde  jusqu'ici  étudiée  à  ce  point 
de  vue,  a  révélé  des  traces  surprenantes  de  ces  arts  primitifs. 

D'autres  peuples,  peut-être  de  même  sang  que  les  Magdaléniens, 
ont,  dans  le  monde  oriental,  fait  preuve  des  mêmes  aptitudes. 
En  Chaldée.  en  Egypte,  la  peinture  se  développe  spécialement 
dans  la  céramique,  longtemps  avant  l'aurore  de  l'histoire.  Plus 
tard,  les  ferments  portés  en  Crète  par  des  navigateurs  égyptiens 
font  naître,  chez  les  peuples  méditerranéens  d'anciennes  races,  un 
art  très  élevé  par  l'ampleur  de  ses  conceptions,  comme  par  son 
exécution. 

Enfin,  l'homme  conçoit  la  pictographie,  fixe  sa  pensée  ])ar  des 
procédés  rudimentaires  d'abord,  mais  suffisants  pour  apporter  à 
ses  progrès  une  aide  jouissante.  Sa  mentalité  s'affine,  ses  concep- 
tions s'élargissent,  parce  qu'il  peut  bénéficier  des  pensées  de  ses 
devanciers,  correspondre  à  distance,  fixer  sa  volonté,  l'expression 
de  ses  intérêts.  De  véritables  sociétés  se  fondent  dans  un  petit 
district  voisin  du  golfe  Persique,  arrosé  par  deux  grands  fleuves. 

Dans  ce  pays  béni,  la  vie  est  facile  ;  l'homme  rencontre,  sur  le 
sol  et  sous  un  ciel  favorables,  la  satisfaction  de  tous  ses  besoins 
matériels;  il  cultive  la  terre,  élève  ses  troupeaux,  trouve  dans  la 
chasse  et  la  pêche  d'inépuisables  ressources,  fonde  les  premières 
bourgades. 

Mais  ce  sol  privilégié  excite  bientôt  les  convoitises  de  peu- 
plades pauvres,  vivant  misérablement  dans  les  sables  elles  mon- 
tagnes arides  de  l'Arabie.  Navigateurs,  comme  tous  les  habitants 
primitifs  des  côtes,  ces  gens  d'Orient  découvrent  bientôt  le  pa- 
radis terrestre,  trafiquent  avec  les  indigènes,  s'installent  jjeu  à 
])eu  dans  les  îles  marécageuses  du  delta,  prés  de  l'embouchure  des 
fleuves,  remontent  le  cours  d'eau  jusqu'aux  agglomérations  et  s'y 
installent,  d'al)ord  modestement.  Leurs  compatriotes  suivent  leur 


CO>.'CLUSIOXS  /^75 

exemple  ;  et,  du  jour  où  ces  étrangers  se  trouvent  en  nombre,  ils 
imposent  leurs  mœurs,  leurs  dieux  et  enfin  leur  joug  aux  paisibles 
agriculteurs  qui  les  ont  accueillis. 

Ainsi  se  produisit  la  première  ap[)arition  des  Sémites  dans  les 
l)as  pays  de  la  Chaldce  ;  uiigration  remontant  à  des  Ages  extrê- 
mement reculés,  dont  nous  ne  possédons  que  les  très  vagues 
échos  de  la  tradition,  et  dont  Tarchéologie  ne  fournit  que  des 
traces  fugitives. 

Ailleurs,  le  monde  est  encore  plongé  dans  la  barbarie  ;  les  néoli- 
thiques s'agitent,  étendent  leur  influence,  modifient  leur  habitat 
au  détriment  des  races  moins  développées  ;  mais,  de  ces  mouve- 
ments, nous  ne  |)OSsédons  (|ue  des  indices  confus. 

En  Chaldée,  le  nouvel  élément,  plus  Apre  (juo  l'ancien,  domine 
les  principautés  indigènes  et  en  fonde  de  nouvelles,  embryons 
des  a^rands  l{!tats  de  l'avenir. 

La  basse  vallée,  probablement  déjà  très  peuplée,  reçoit  peu  de 
colons  et  demeure,  sous  le  nouveau  régime,  le  pays  de  Choumir  ; 
tandis  que  plus  haut,  sur  des  terres  peut-être  libres  encore,  les 
Sémites  s'installent  en  grand  nombre  ;  et  la  Haute-Chaldée 
devient  le  pays  des  Akkads. 

Sous  la  pression  résultant  de  cet  accroissement  de  population, 
ou  par  suite  de  guerres  entre  les  anciens  habitants  et  les  nou- 
veaux venus,  une  partie  des  vieilles  tribus  émigré  ;  remonte  le 
Tigre,  l'Euphrate,  gagne  la  Syrie,  l'Egypte  ;  pays  que  les  émi- 
grants,  demi-sémitisés,  trouvent  à  peu  de  chose  près  dans  le 
même  état  de  civilisation  qu'offrait  leur  propre  patrie  avant  la 
venue  des  Akkadiens. 

La  vallée  du  Nil,  fertile,  abonde  en  tous  les  biens  utiles  à 
Ihomme.  Cette  terre,  propice  au  développement,  possédant  désor- 
mais les  mêmes  connaissances  initiales  que  la  Chaldée,  se  perfec- 
tionnera sur  elle-même  jusqu'à  produire  la  culture  pharaonique. 

Pendant  que  sur  le  Tigre,  l'Euphrate  et  l'Euleus  se  forment  les 
premiers  royaumes,  lAsiate  émigré  dans  la  vallée  du  Nil  soumet 
les  peuplades  berbères  autochtones  qui  l'habitent  et  les  serviteurs 
d'Horus  préparent  la  monarchie. 

Quant  aux  pays  montagneux  de  l'Asie,  la  Syrie,  la  Cappadoce, 
la  Haute-Mésopotamie,  où  les  conditions  de  l'existence  sont  plus 
après,  les  autochtones  plus  rudes,  la  lutte  contre  la  nature  y  sera 
plus  longue  et  partant  la  civilisation  moins  rapide  dans  son  essor. 


/l76  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Tel  est  l'état  du  monde  au  moment  où  l'histoire  va  naître,  Chal- 
déens  et  Egyptiens  ont  progressé  ;  leur  écriture  pictographique 
des  débuts  s'est  transformée  en  instruments  plus  souples,  l'hié- 
roglyphe et  son  dérivé  le  cunéiforme  permettant,  non  seulement 
de  fixer  le  récit  des  faits,  mais  aussi  d'exprimer  les  idées  abstraites. 

Quelques  siècles  avant  le  quatrième  millénaire,  les  gens  de  la 
ville  d'Agadé  dominent  sur  toute  la  Chaldée.  L'Empire  suméro- 
akkadien  est  fondé.  Mais  cet  Etat,  pour  vivre,  doit  occuper  toute  la 
plaine,  son  avenir  en  dépend  ;  il  lui  faut  refouler  dans  les  monta- 
gnes les  aborigènes  qui  n'acceptent  pas  son  joug  et  qui,  s'ils  res- 
taient dans  le  ])as  pays,  demeureraient  comme  une  perpétuelle 
menace  pour  ce  pouvoir  naissant. 

Antérieurement  à  ZiOOO  avant  notre  ère,  l'Élam,  dernier  boule- 
vard des  autochtones  dans  la  plaine,  tombe  sous  la  domination 
suméro-akkadienne.  Le  nouvel  État,  celui  de  Sargon  l'ancien  et 
de  Marâm  Sin,  libre  du  côté  de  la  mer,  de  l'Arabie,  des  monta- 
gnes de  Perse,  étend  alors  son  pouvoir  vers  l'Occident;  s'empare 
du  haut  Euphrate,  de  la  Syrie,  de  Chypre  même,  dit-on.  Cet  empire 
est  celui  de  la  plaine,  car  nulle  part  les  Akkadiens  n'abordent  les 
pays  difficiles.  Dans  les  montagnes,  même  au  Liban,  les  autoch- 
tones peuvent  en  toute  sécurité  conserver  leur  indépendance. 

Vers  la  même  époque,  l'oeuvre  des  serviteurs  d'Horus  étant 
achevée  dans  la  vallée  du  Nil,  Menés  fonde  en  Thébaïde  la  monar- 
chie pharaonique,  que  les  deux  premières  dynasties  affermissent 
et  rendent  assez  forte  pour  qu'il  soit  politique  de  transférer 
à  Memphis  le  siège  du  pouvoir.  Le  roi  devient  ainsi  effectivement 
maître  de  la  Haute  et  de  la  Basse-Egypte. 

En  Chaldée  comme  en  Egypte,  les  arts  brillent  de  tout  leur 
éclat  ;  ils  ne  sont  pas  encore  devenus  conventionnels.  Ce  demi- 
millénaire  sera  pour  ces  deux  pays  la  grande  époque  artistique. 

Dès  la  IV  dynastie,  les  navigateurs  égyptiens  se  lancent  sur  la 
Méditerranée,  abordent  toutes  les  côtes,  jettent  l'ancre  dans  tous 
les  abris  des  îles  égéennes  et  de  la  Phénicie,  apportent  aux  peu- 
plades primitives  qui  les  habitent  les  principes  qu'eux-mêmes  ont 
reçus  d'Asie,  et  dont  ils  ont  développé  les  conséquences. 

Ainsi  se  fonde  la  première  civilisation  Cretoise  qui,  aux  mains 
d'un  peuple  de  navigateurs,  se  propage  dans  les  autres  îles, 
en  Grèce,  jusqu'en  Italie,  en  Sicile  et  sur  les  côtes  orientales 
de  ribérie  espagnole. 


CONCLUSIONS  hll 

L'usage  du  iiK'tal,  de  l'écriture,  la  peinture,  la  sculpture,  tous  les 
arts  et  toutes  les  industries,  sont  déjà  répandus  dans  l'Asie  anté- 
rieure et  le  l)assin  de  la  Méditerranée,  (|ue  les  trois  quarts  de 
l'Europe,  les  Indiens  et  le  reste  du  globe  en  sont  encore,  tout  au 
plus,  à  l'étal  néolithi(|ue. 

Mais  [)araissent  les  peuj)les  émigrant  de  l'Asie  septenlrionale, 
qui  se  montrent  presque  en  même  temps  sur  toutes  les  frontières 
du  monde  civilisé  d'alors,  à  l'orient  comme  au  septentrion.  Ce  sont 
les  Iraniens,  s'avançant  en  deux  branches,  l'une  vers  le  nord,  l'autre 
vers  le  sud  du  plateau  persan  ;  ce  sont  les  pré-Hellènes  venus  du 
Danube,  qui  occupent  la  Thrace  et  menacent  l'Asie  Mineure  ;  ce 
sont,  enfin,  les  avant-coureurs  des  Celles  qui,  suivant  la  marche  du 
soleil,  vont  porter  jusqu'aux  confins  occidentaux  (lerEuro[)e  leurs 
connaissances  des  industries  métallurgiques. 

iVinsi  les  anciennes  races  de  l'Asie,  dominées  au  sud,  refoulées 
dans  les  montagnes  du  Taurus,  de  l'Arménie  et  du  Caucase,  sont 
menacées  vers  le  nord.  Elles  disparaîtront  peu  à  peu,  pour  ne 
laisser  que  les  peuplades  caucasiennes,  que  le  chaos  de  leurs  mon- 
tagnes conservera  jusqu'à  nous.  Les  vieux  peuples  de  l'Europe 
se  fondent  avec  les  envahisseurs  de  leur  sol.  Partout  les  des- 
cendants des  autochtones  font  place  à  de  nouveaux  venus,  sémites 
pour  les  pays  méridionaux,  indo-européens  dans  les  climats  plus 
froids. 

Après  quinze  cents  ans  d'existence,  l'empire  suméro-akkadien 
a  perdu  la  vitalité  de  ses  débuts.  Son  existence  ne  reposait  plus, 
depuis  longtemps,  que  sur  ses  anciennes  richesses  et  sur  ses  con- 
quêtes d'antan.  Pendant  son  sommeil,  ses  ennemis,  développés 
à  son  contact,  avaient  appris  la  guerre  elle  désir  de  la  domination. 
De  l'élément  sumérien  de  Chaldée,  il  ne  restait  alors  plus  rien. 
Dominé  d'abord,  absorbé  ensuite,  il  s'était  fondu  dans  la  masse  de 
ses  maîtres,  à  tel  point  qu'au  vingt-cinquième  siècle,  le  nom  de 
Choumirs  ne  présentait  plus  aucune  valeur  politique  ;  ce  n'était 
donc  pas  des  Sumériens  que  pouvait  surgir  le  danger  pour 
l'Empire. 

L'Élam,  au  contraire,  resté  indépendant  dans  ses  montagnes 
alors  c[ue  la  plaine  était  asservie,  n'avait  jamais  perdu  de  vue  la 
revanche,  la  conquête  des  provinces  perdues.  Les  siècles  avaient 
fait  de  lui  une  véritable  puissance,  la  seule  en  mesure  de  lutter 
contre  les  armées  suméro-akkadiennes. 


/j78  LES     l'IîKMIÈRES     CIVILISATIONS 

L'Egypte  se  développait,  étendant  son  influence  sur  le  haut  Nil, 
sur  les  côtes  d'Arabie,  dans  les  îles  méditerranéennes.  Elle  n'en- 
tretenait que  des  relations  vagues  avec  l'Asie;  mais,  de  ce  côté, 
gardait  soigneusement  sa  frontière  et,  pour  la  mieux  protéger, 
occupait  en  forces  le  Sinaï. 

C'est  vers  le  vingt-troisième  siècle  que  commença  dans  la 
Susiane  la  réaction  de  l'élément  autochtone  contre  la  domination 
sémitique.  LElam  descendit  de  ses  montagnes,  ravagea  le  pays 
de  ses  anciens  maîtres,  et,  à  l'exemple  des  empereurs  akkadiens, 
s'avança,  dit-on,  jusqu'aux  plages  du  soleil  couchant.  La  première 
phase  du  pouvoir  sémitique  était  achevée  ;  l'élément  touranien 
redevint,  pour  quelques  siècles,  maître  de  l'Asie. 

Mais  cet  élan  ne  devait  pas  être  de  longue  durée.  La  puissance 
militaire  de  Suse  s'affaiblit  peu  à  peu  et,  profitant  de  l'apathie  de 
l'Elam,  deux  royaumes  surgirent  dans  les  pays  sémitiques  :  celui 
de  Ghaldée  et  celui  d'Assyrie.  L'un,  s'élevant  sur  les  ruines  de 
l'ancien  empire  d'Agadè,  s'en  appropria  les  matériaux  et  devient 
de  suite  redoutable  ;  l'autre,  jeune,  occupant  la  moyenne  vallée 
du  Tigre,  modeste  au  début  parce  qu'il  avait  tout  à  créer,  n'in- 
tervint que  plus  tard  dans  les  destinées  de  l'Asie  antérieure. 

Si  la  réaction  élamite  renversa  le  premier  grand  empire  asia- 
tique, ses  effets,  semble-t-il,  ne  se  bornèrent  pas  là;  le  contre- 
coup s'en  serait  l'ait  cruellement  sentir  en  Egypte,  où  des  Asiates 
chassés  de  leurs  foyers  se  précipitant  en  foule,  la  dévastèrent,  la 
dominèrent  et  eussent  fait  disparaître  à  jamais  la  culture  pharao- 
nique, si  elle  ne  les  avait  absorbés  eux-mêmes.  Lors  de  la  libéra- 
tion du  territoire,  les  Pasteurs  étaient  devenus  l]gvptiens  dans 
leur  manière  de  vivre. 

C'est  vers  cette  époque  qu'il  y  a  lieu  de  [)lacer  les  débuts  de 
l'influence  des  Phéniciens  dans  la  Méditerranée.  Sémites  des  rives 
du  golfe  Persique,  ils  étaient  venus  s'établir  sur  les  côtes  de 
Syrie  ;  navigateurs,  ils  se  lancèrent  sur  la  mer  où,  jusqu'à  cette 
époque,  n'avaient  guère  navigué  que  des  vaisseaux  égyptiens  et 
Cretois.  Mais  en  ces  temps  la  marine  égyptienne  était  ruinée  par 
suite  de  l'occupation  du  Delta  par  les  Hyksos  et  la  thalassocratie 
Cretoise  commençait  son  déclin  alors  que  les  Grecs  ne  se  mon- 
traient pasencore;  c'est  à  ce  concours  de  circonstances  favorables 
que  la  colonisation  phénicienne  dut  sa  grandeur. 

La  monarchie  pharaonique  sortit  transformée  de  la  crise  des 


CONCLUSIONS  /,79 

Pasteurs.  Aux  anciens  Égyptiens  s'étaient  mélangés  beaucoup 
d'Asiates  ;  aux  mœurs  douces  d'un  peuple  heureux  succédaient 
les  colères,  les  rancunes  d'une  race  opprimée,  dépouillée  de  ses 
biens,  offensée  dans  ses  croyances.  La  véritable  Kgypte  avait  cessé 
de  vivre  après  une  existence  paisible  et  très  homogène  de  plus  de 
vingt  siècles.  Désormais,  c'est  l'Egypte  con(|uérante  qui  apparaît 
dans  l'histoire,  l'Egypte  vengeresse,  ambitieuse,  dominatrice. 

L'Elam  et  la  Chaldée,  repliés  sur  eux-mêmes  après  les  grands 
efforts  (ju'ils  venaient  de  fournir,  se  recueillaient  pour  réparer 
leurs  forces  quand  survint  l'invasion  cosséenne,  qui  domina  tons 
les  pays  de  l'Euphrate  et  du  Tigre,  mais  semble  avoir  à  peine 
effleuré  l'Elam. 

Nous  ne  savons  pasd'où  venaient  ces  envahisseurs  ;ilsarrivaient 
soit  des  contreforts  occidentaux  du  plateau  iranien,  soit  des  mon- 
tagnes qui  s'élèvent  au  nord  du  golfe  Persique.  Peut-être  même 
leur  mouvement  fut-il  dû  à  l'arrivée,  dans  le  sud  de  l'Iran,  des 
tribus  perses  qui,  chassant  devant  elles  les  anciens  occupants, 
s'emparaient  de  leur  patrimoine. 

A  la  faveur  de  tous  ces  troubles,  un  puissant  royaume  se  déve- 
loppa dans  le  nord  de  TAsie  antérieure,  celui  des  llétéens;  pouvoir 
autochtone,  semble-t-il,  dont  l'influence  s'étendit  depuis  Textré- 
mité  de  l'Asie  Mineure  jusqu'au  Caucase  et  à  l'Araxe,  État  ap- 
pelé à  jouer  un  rôle  important  vis-à-vis  de  l'Egypte  et  de  l'Assyrie. 

Les  Pharaons  con(|uirent  l'Asie,  mais  leur  domination  n'y  fut 
qu'éphémère  :  à  peine  dura-t-elle  quelques  siècles.  Leur  autorité  à 
l'intérieur  était  brisée,  leur  pouvoir  chancelant  ;  rapidement  leur 
monarchie  tomba  dans  cette  longue  agonie  (|ui  se  prolongea 
jusqu'au  temps  où  les  Achéménides  réduisirent  la  vallée  du  Nil 
en  province  de  leur  empire. 

C'est  que,  chez  les  Égyptiens,  la  vie  nationale  s'était  atroj)hiée, 
depuis  l'invasion  des  Pasteurs,  par  l'introduction  d'un  sang  nou- 
veau, celui  des  Asiates.  Ainsi,  et  pour  les  mêmes  causes,  périrent 
la  plupart  des  grands  États  ;  Rome  en  mourut,  Byzance  lutta  jus- 
qu'à l'aurore  des  temps  modernes,  ne  se  soutenant  que  par  le 
prestige  du  nom  romain.  Aucun  grand  État  ne  s'est  jamais 
maintenu  qu'en  basant  sa  puissance  sur  la  communauté  des  in- 
térêts et  des  tendances  du  peuple  et  de  ses  maîtres  ;  le  mélange 
du  sang,  cause  de  divergences  au  sein  même  du  pays,  a  toujours 
amené  la  décadence  d'abord,  la  ruine  ensuite. 


/|80 


LES    PREMIERES    CIVILISATIONS 


Pendant  les  trois  premiers  millénaires  dont  l'histoire  enre- 
gistre les  annales,  la  lutte  pour  la  prépondérance  s'est  toujours 
j)assée  entre  deux  éléments  ethniques  seulement,  le  Sémite  et 
l'autochtone,  Sémite  pur  ou  mitigé  d'autochtone,  autochtone  pur 
ou  mélangé  de  Sémite;  c'est  que  jusqu'alors  ces  deux  races,  les 


Expansion  sémitique  aux  temps  actuels. 


seules  en  présence,  détenaient  toute  la  civilisation  mondiale;  les 
autres  n'étaient  pas  encore  entrées  en  scène. 

Mais  les  temps  étaient  changés  ;  le  vieux  monde,  enserré  sur  les 
frontières  du  nord  par  les  hordes  sorties  de  l'Asie  septentrionale, 
était  menacé  par  ce  flot  qui,  lentement,  s'avançait  vers  le  sud, 
guettant  avec  convoitise  cette  belle  proie  qu'étaient  les  richesses 
de  l'Asie  antérieure  et  de  l'Egypte. 

Se  chassant  les  unes  les  autres,  des  tribus  sans  nom,  sans  his- 
toire, montraient  déjà  leurs  avant-coureurs  dans  la  Thrace  et  sur 
les  deux  rives  de  l'Hellespont,  sur  les  côtes  de  l'Anatolie,  dans  la 
(irèce  continentale,  en  Italie  et  dans  tout  le  plateau  iranien.  Elles 
avaient  envahi  le  nord  de  l'Inde,  refoulant  les  anciens  habitants  vers 


CONCLUSIONS  481 

le  sud  et  dans  les  montagnes.  Ce  déluge,  dont  quelques  vagues 
isolées  vinrent  se  briser  jusqu'en  Egypte,  menaçait  de  tout 
engloutir;  le  développement  de  la  puissance  assyrienne,  seul, 
retarda  de  quelques  siècles  la  chute  du  vieux  monde. 

Jamais  les  instincts  de  rapine  et  de  cruauté  ne  se  montrèrent, 
chez  aucun  peuple,  aussi  violents  que  chez  les  Assyriens.  Cette 
nation  fut  le  grand  fléau  de  l'antiquité  ;  elle  noya  dans  le  sang 
l'Asie  et  l'Egypte,  couvrit  le  monde  de  ruines,  courba  sous  son 
joug  odieux  tous  les  peuples  civilisés  d'alors,  arrêta  les  élans 
nationaux,  tua  les  aptitudes  des  vieilles  races. 

Rien  chez  elle  ne  décèle  d'autres  appétits  que  ceux  des  jouis- 
sances matérielles  ;  elle  se  complaît  dans  la  cruauté,  dans  l'écra- 
sement des  malheureux  dont  elle  fait  sa  proie,  et  ses  ambitions 
sont  sans  limites. 

Euquekjues  siècles  elle  a  ruiné  tous  les  anciens  peuples,  les  a 
épuisés,  désarmés  contre  les  luttes  de  la  vie.  En  sorte  qu'au  jour 
où  Ninive  elle-même  tombera,  aucun  d'entre  eux  ne  trouvera  le 
restant  nécessaire  de  vitalité  pour  se  relever.  C'en  sera  fait  de 
ces  vieilles  nations  ;  de  nouveaux  venus  se  partageront  leurs 
dépouilles  sans  rencontrer  la  moindre  résistance. 

Pendant  que  ces  événements  se  déroulaient  dans  l'occident  de 
l'Asie,  que  les  races  vieillies  agonisaient,  une  étoile  commençait 
à  luire  dans  l'Extrême-Orient.  Après  des  siècles  d'eiîorts,  la  Chine 
sortait  des  ténèbres.  Sa  civilisation  était  encore  bien  rudimen- 
taire  ;  mais,  née  vers  le  second  millénium  avant  notre  ère,  elle 
devrait  vivre  plus  de  cinq  mille  ans  et  est  encore  aujourd'hui 
dans  toute  la  verdeur  d'une  brillante  vieillesse.  Ce  peuple  nom- 
breux, isolé,  a  toujours  su  chasser  de  son  domaine  j)hysique  et 
intellectuel  tous  les  éléments  étrangers  capables  de  vicier  ses 
tendances  et  ses  traditions.  La  xénophobie  fut  la  principale  cause 
de  la  durée  et  de  la  conservation  de  cette  curieuse  culture. 

Sous  les  coups  des  Assyriens,  sous  la  pression  des  peuples  iu- 
doeuropéens,  le  royaume  hétéen  disparaît  et  avec  lui  les  derniers 
vestiges  de  la  puissance  touranienne  dans  l'Asie  antérieure  ; 
quant  au  vieux  royaume  crétois  et  aux  |)rincipautés  pré-hellé- 
niques, ils  ont  été  balayés  par  l'invasion  dorienne. 

L'Assvrie,  elle  aussi,  a  rempli  sa  destinée  :  voilà  qu'il  vient  tlu 
nord  de  terribles  hordes,  celles  des  Cimmériens  et  des  Scythes, 
<|ui,   traversant  l'Asie  comme  un  tourbillon,  anéantissent  la  puis- 

31 


Zi82 


LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 


sance  d'Assour  et  que,  quelques  années  après,  Ninive  elle-même 

tombe  sous    les  coups   des   Mèdes  que,  si  souvent  jadis,  elle  a 

vaincus  et  de  sa  sœur  de  ChaJdée,  dont  elle  avait  fait  son  esclave. 

Quant  aux  Cimmériens  et  aux  Scythes,  après  avoir,  semblables 


Expansion  de  la  race  jaune  aux  temps  actuels. 


à  l'ouragan,  ravagé  l'Asie,  ils  disparaissent,  comme  la  tourmente 
elle-même,  sans  laisser  d'autres  traces  que  des  ruines  jalonnant 
leur  passage. 

L'Assyrie,  l'Elam,  TOurarthou,  le  royaume  hétéen,  les  trônes  de 
Syrie,  ne  sont  plus;  il  ne  reste  du  monde  antique  que  Babylone 
et  l'Egypte,  toutes  deux  épuisées,  agonisantes. 

Quelques  siècles  s'écoulent  encore  avant  que  la  nouvelle  poli- 
tique mondiale  se  déclare.  Pendant  ce  temps,  les  INIèdes  régnent 
sur  le  haut  Tigre  et  le  Nord  de  l'Iran  ;  bien  des  tribus  se  dépla- 


CONCLUSIONS  Z|83 

cent;  de  nouveaux  lUats  se  forment  en  Asie  Mineure,  en  Grèce, 
en  Ilalie,  en  Afri(|ue  ;  la  mentalité  grecque  se  fait  jour,  couvre 
bientôt  toute  la  Méditerranée,  porte  dans  maints  J)ays  le  progrès 
matériel  et  intellectuel. 

Avec  l'Empire  mode  et  l'expansion  de  la  culture  hellène  com- 
mence l'incubation  de  l'ère  moderne,  de  celle  de  la  prépondérance 
indo-européenne  dans  laquelle  nous  vivons.  Elle  a  duré  mille 
ans  de  moins  que  celle  des  autres  races,  et  cependant,  a  su  mener 
le  monde  au  degré  de  ci\  ilisatiou  dont  nous  jouissons  aujourd'hui. 

En  peu  d'années,  l'Empiie  achéménide,  successeur  de  celui  de 
Cyaxares,  s'étend  des  rives  de  l'Indus  jusqu'à  la  Méditerranée,  du 
Caucase  et  de  l'Euxin  aux  oasis  de  l'Egypte.  Le  sceptre  des  Darius 
et  des  Xerxès  a  fondé  le  plus  grand  empire  du  monde,  n'ayant  en 
face  de  lui  que  des  peuples  soumis  d'avance,  épuisés  qu'il  étaient 
par  trois  mille  ans  de  luttes  et  de  désastres. 

^lais  cet  empire,  presque  sans  bornes,  n'est  que  le  reflet  des 
anciennes  monarchies  asiatiques;  comme  elles,  il  gouverne  par 
la  terreur  qu'il  inspire,  exploite  les  peuples  sans  les  administrer, 
C'est  que  Mèdes  et  Perses  ont  appris  à  l'école  de  l'Assyrie,  ([u'ils 
ont  renoncé  à|leurs  tendances  originelles,  aux  préceptes  de  leurs 
traditions  philosophiques.  Ce  ne  sont  plus  des  Indo-Européens  ; 
mais  bien  de  véritables  Asiates,  aux  objectifs  matériels,  aux 
moyens  violents. 

Peu  à  peu,  ne  rencontrant  plus  d'ennemis  contre  qui  lutter,  car, 
après  ses  échecs  en  Europe,  il  a  renoncé  à  ses  ambitions  d'hégé- 
monie mondiale,  l'Empire  perse  s'aflaiblit  au  point  qu'une  poi- 
gnée de  mercenaires  grecs,  dix  mille  hommes,  peut  impunément 
traverser  ses  provinces,  s'avancer  jusqu'en  Chaldée  et  gagner  la 
mer  Noire  par  l'Arménie. 

Cette  campagne  fameuse  présageait  la  ruine  de  la  puissance 
perse,  parce  que  les  Grecs  venaient  d'en  mesurer  la  faiblesse.  Mais 
divisésentreeux,  se  querellant  sans  cesse,  les  Hellènes  del'Attique 
et  du  Péloponèse  étaient  inaptes  aux  grands  efforts  de  politique 
extérieure.  C'est  aux  rois  de  Macédoine  qu'il  était  réservé  de 
venger  l'Hellade,  en  renversant  le  dernier  des  empires  orien- 
taux. 

Philippe  avait  préparé  son  État  et  son  peuple  aux  grandes 
choses,  Alexandre  les  accomplit.  En  quelques  années,  sous  les 
coups  de  la  Phalange,  la  Perse  avait  cessé  d'être  ;  et,  lors  de  la 


hS!x 


LES  PREMIÈRES  CIVILISATIONS 


mort  du  héros,  la  culture  grecque  régnait  depuis  l'Indus  jusqu'aux 
colonnes  d'Hercule,  depuis  le  Danube  jusqu'aux  sables  de  l'Afrique. 


Répartition  des  populations  d'origine  indo-européenne  dans  l'Asie  antérieure. 


L'Orient  était  aux  Macédoniens,  l'Occident  aux  colonies  d'Athènes, 
de  Phocée,  de  Milet,  de  Corinthe. 


CONCLUSIONS  /485 

Pendant  que  ces  événements  bouleversaient  l'Asie,  que  les  navi- 
gateurs hellènes  parcouraient  en  maîtres  la  Méditerranée,  une 
modeste  bourgade  se  fondait  sur  les  rives  du  Tibre,  Rome,  à  qui 
le  destin  réservait  la  couronne  du  monde. 

L'Empire  d'Alexandre  s'abima  lors  de  la  mort  du  conquérant  ; 
ses  généraux  se  le  partagèrent,  et  il  se  forma,  sous  l'égide  hellé- 
nique, une  foule  d'États  qui  tous,  après  de  terribles  luttes,  se 
développèrent,  pour  un  temps,  suivant  leur  génie. 

L'Egypte  sous  les  Lagides,  la  Syrie  sous  les  Séleucides,  la 
Baktriane,  le  Pont,  l'Arménie,  devinrent  des  foyers  de  civilisa- 
tions semi-grecques,  semi-indigènes  d'abord,  spéciales  ensuite. 

L'épopée  macédonienne  frappa  les  imaginations,  les  poètes  s'en 
emparèrent,  les  Hellènes  l'exaltèrent,  le  héros  fut  déifié,  et  son 
nom  devint  un  objet  d'orgueil  pour  les  peuples  de  la  Méditerranée. 
Qu'avait-il  fait,  cependant  ?  il  avait  vaincu  des  peuples  sans  cohé- 
sion, vermoulus,  et,  après  avoir  conquis,  n'avait  rien  su  fonder. 

La  postérité  se  montra  plus  juste  que  les  contemporains  et  les 
compatriotes  du  demi-dieu  :  elle  conserva  le  nom  fabuleux  d'Alexan- 
dre, le  glorifia,  le  chanta,  mais  ne  lui  réserva  pas,  comme  à  César 
l'impérissable  gloire  de  faire  de  son  nom  l'expression  de  la 
puissance  suprême. 

Ce  sont  les  ruines  de  cet  empire  grec  que  Rome  eut  à  vaincre, 
quand  elle  entra  en  scène  dans  l'Asie;  fille  de  la  Grèce  par  sa 
culture,  elle  avait  su  joindre  au  génie  de  sa  maîtresse  la  science 
du  gouvernement  qui,  jusqu'alors,  avait  manqué  à  tous  les  em- 
pires ;  avec  une  poignée  d'hommes,  elle  savait  maintenir  un 
royaume  sous  sa  domination. 

Elle  anéantit  Carthage,  sa  rivale  en  Occident,  débris  de  l'antique 
puissance  phénicienne  dans  la  Méditerranée;  convertit  en  pro- 
vinces l'Egypte,  la  Syrie,  les  États  des  successeurs  d'Alexandre, 
et  la  Grèce  elle-même  ;  étendit  son  pouvoir  jusqu'aux  peuples 
d'Albion  et  ne  s'arrêta,  d'une  part  qu'aux  pentes  du  plateau  persan 
presque  inabordable  pour  ses  armées,  d'autre  part  au  Rhin,  der- 
rière lequel  se  mouvaient  ces  peuples  qui,  quelques  siècles  plus 
tardi  devaient  la  renverser  elle-même,  mais  se  soumettre  à  son 
esprit. 

En  Extrême-Orient,  la  Chine  était  dans  toute  sa  puissance;  aux 
Indes  se  formaient  des  royaumes,  dont  ceux  de  l'Ouest  et  du  Nord 
qui,  au  contact  de  la  Baktriane,  s'étaient  imprégnés  des  idées  grec- 


CONCLUSIONS  /|87 

ques.  En  Perse,  la  dynastie  parthe  avait  constitué  un  puissant 
Etat,  guerroyant  contre  les  léoions  romaines  et  traitant  d'ég-al  à 
égal  avec  les  empereurs. 

Tout  le  monde  civilisé  d'alors,  sauf  la  Chine,  était  au  pouvoir 
des  Indo-Européens.  Un  vit  alors,  à  Home,  un  développement  intel- 
lectuel, moral  et  matériel  inouï;  ce  lut  la  grande  époque  pour 
les  lettres,  pour  les  arts,  pour  le  luxe,  pour  la  puissance.  Les 
Césars,  maîtres  du  monde,  virent  l'univers  entier  se  proster- 
ner à  leurs  pieds. 

Certainement  les  lîomains  n'excellaient  pas  en  toutes  choses  ; 
l'art  et  la  littérature  avaient  brillé  d'un  plus  vif  éclat  en  Grèce,  au 
siècle  de  Périclès  ;  les  sciences,  l'industrie,  la  navigation  devaient, 
dans  l'avenir,  surpasser  de  beaucoup  ce  qu'elles  furent  sous  les 
Augustes  ;  mais  Rome  avait  su  atteindre  en  cha(|ue  chose  un  deffré 
qui  force  l'admiration,  degré  que,  dans  bien  des  cas,  nous 
sommes  loin  d'atteindre  aujourd'hui. 

Les  Barbares,  détruisant  la  puissance  romaine,  se  taillèrent  des 
royaumes  dans  les  provinces  de  son  empire.  Victorieux  par  les 
armes,  ils  furent  vaincus  par  cette  culture  sublime  qui  régit  encore 
l'univers.  Indo-Européens,  ils  envahissent  peu  à  peu  tout  le  globe; 
et  le  jour  viendra  bientôt  où,  de  toutes  les  races  qui  le  peuplaient 
au  début  de  l'histoire,  deux'seules  resteront  en  présence  :  l'Aryen 
dans  les  deux  hémisphères  et  le  Jaune  dans  l'Extréme-Orienl.  Les 
Asiatiques  survivront  peut-être,  mais  la  prépondérance  de  l'es- 
prit indo-européen  semble  aujourd'hui  devoir  être  définitive. 


II 


Les   conceptions  religieuses  et  philosophiques. 


Dès  les  origines,  riioiiinie,  semble-t-il,  conçut  des  idées  reli- 
gieuses ou  superstitieuses.  On  retrouve  de  vagues  traces  d'un 
culte  dès  les  temps  glaciaires,  des  indices  certains  lors  de  l'ap- 
parition de  l'état  néolithique. 

Ces  sentiments  prirent  naissance,  chez  les  premiers  hommes, 
au  contact  des  phénomènes  dont  ces  esprits  simples  ne  pouvaient 
concevoir  les  causes  ;  il  s'établit  rapidement  un  lien  entre  les  cir- 
constances heureuses  ou  malheureuses  de  la  vie  et  les  faits  natu- 
rels inexpliqués.  L'homme  attribua  tout  ce  qui  dépassait  sa  com- 
préhension à  des  volontés  surnaturelles,  qu'il  rendit  responsables 
du  bien  et  surtout  du  mal  qui  lui  advenaient. 

C'est  ainsi  que,  de  l'impuissance  des  efforts  humains  sur  les 
phénomènes  incompréhensibles,  sont  nées  la  crainte  et  l'espérance 
mystérieuses  et  que,  pour  lléchir  les  auteurs  de  ces  phénomènes, 
Tètre  simple  inventa  la  prière  et  le  sacrifice,  forme  matérielle  de 
l'invocation.  A  la  multiplicité  des  efi'ets  correspondait  forcément, 
()Our  des  mentalités  primitives,  la  pluralité  des  causes.  Cette 
|)luralité  enfanta  d'abord  le  polythéisme,  dont  les  formes  varièrent 
à  l'infini  suivant  les  tendances  ethniques  et  les  caractères  d'am- 
])iance. 

«  L'homme  peupla  d'abord  l'espace  de  forces  libres,  passion- 
nées, susceptibles  d'être  invoquées  et  fléchies  (1).  »  L'histoire  en- 
seigne qu'au  début  ces  forces  étaient  considérées  comme  mul- 
tiples, que  l'idée  de  l'unité  divine  n'est  venue  que  très  tardive 
ment,  parce  qu'elle  exigeait  une  généralisation  des  causes,  que 
seuls  des  esprits  développés  étaient  aptes  à  concevoir. 

(1)  Renan,  Histoire   du  peuple  d'I.iidë.l,  I,  p.  27. 


CONCLUSIONS  /|89 

Les  premiers  peuples  n'étaient  pas  encore  sédentaires;  sous 
toutes  les  latitudes  ils  se  déplaçaient  comme  font  aujourd'hui 
encore  les  Bédouins  et  les  Tartares,  pour  les  besoins  de  leurs 
troupeaux.  «  La  réflexion  philosophique  du  nomade,  dit  Renan  (l), 
s'exerçant  avec  intensité  dans  un  petit  cercle  d'observations, 
l'amène  à  des  idées  extrêmement  simples,  et  comme  le  progrès 
religieux  consiste  toujours  à  simplifier,  il  se  trouve  très  vite  que 
le  nomade  (hq)asse  en  religion  les  peuples  (|ui  lui  sont  supé- 
rieurs en  civilisation.  »  Aussi,  dès  l'aurore  de  l'histoire,  consta- 
tons-nous chez  les  peuples  de  la  Chaldée  et  de  l'Egypte,  à  peine 
sortis  de  l'état  nomade,  une  religiosité  intense  ;  voyons-nous  le 
prêtre  jouer  un  rôle  prépondérant,  les  rois  chercher  à  faire  des- 
cendre leur  pouvoir  de  l'autorité  divine. 

Dans  chacun  des  foyers  de  croyance,  il  se  forma  bientôt  des 
coutumes  rituelles  réglementant  la  prière  et  le  sacrifice  ;  et  quel- 
ques esprits,  plus  développés  que  les  autres,  prenant  la  direction 
de  ces  lois,  il  se  forma  des  clergés,  le  prêtre  devenant  l'intermé- 
diaire nécessaire  entre  l'homme  et  la  divinité. 

Les  clergés  divers  de  l'antiquité  compliquèrent  à  plaisir  les 
cultes,  en  leur  adjoignant  une  foule  de  pratiques,  dont  ils  firent 
plus  d'état  que  de  la  croyance  elle-même.  Ces  rites  et  ces  pratiques 
devinrent  entre  leurs  mains  un  puissant  instrument  de  domination; 
et  les  religions  les  plus  philosophiques,  les  plus  morales,  les 
mieux  conçues  pour  réfréner  les  passions  humaines,  se  vicièrent 
entre  leurs  mains. 

Le  domaine  de  l'incompréhensible,  très  vaste  au  début,  se  res- 
treignit peu  à  peu  au  fur  et  à  mesure  du  progrès,  et  chez  quelques 
rares  intelligences  plus  affinées,  naquit  la  conception  d'une  force 
unique,  supérieure  à  toutes  les  autres,  les  englobant.  Mais  les 
rites  fixés  à  l'origine,  maintenus  plus  tard  pour  l'usage  et  la  con- 
duite des  masses,  reposant  sur  les  incompréhensions  primitives, 
n'étaient  pas  susceptibles  d'évolution  ;  en  sorte  que  les  connais- 
sances humaines  s'étendant  chaque  jour,  leur  progrès  ne  fut  pas 
suivi  par  les  règles  des  cultes  et  que  ces  cultes  en  furent  mortel- 
lement atteints.  C'est  ainsi  que  s'éteignirent  toutes  les  religions 
de  l'antiquité. 

L'idée  de  la  divinité,  pour  les  Sémites,  se  rattachait  aux  astres, 

(1)  Renan,  Histoire  du  /jeufjle  d'Ixrai'l,  I,  p.  li. 


490  LES    PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

pour  les  Sumériens  aux  forces  de  la  nature;  et  ces  deux  concep- 
tions partaient  du  besoin  de  s'adresser  à  quelqu'un  ou  à  quelque 
chose  pour  conjurer  le  mauvais  sort. 

Ces  deux  religions  primitives  n'avaient  rien  de  philosophi- 
que ;  l'intérêt  en  était  le  mobile  et  la  superstition  le  guide.  Elles 
se  fondirent  et,  se  répandant  sur  toute  l'x^sie  antérieure,  donnèrent 
le  jour  à  une  multitude  de  croyances  reposant  toutes  sur  les 
mêmes  principes.  Il  en  résulta  que  chaque  tribu  crut  en  un  dieu 
plutôt  qu'en  un  autre,  adora  le  sien,  celui  auquel  elle  avait  accordé 
sa  confiance  et  qui,  suivant  ses  prêtres,  l'avait  choisie  elle-même 
comme  son  peuple  privilégié.  C  est  ainsi  qu  il  y  eut  les  peuples 
de  Bel,  d'Assour,  de  Baal,  de  Yahwè,  etc.. 

En  Chaldée,  en  Assyrie,  en  Phénicie,  dans  Israël,  en  tout 
pays  sémitique,  le  dieu  était  un  dieu  national,  résumant  en  lui 
tous  les  intérêts,  tous  les  appétits,  toutes  les  espérances  de  la 
nation.  A  ce  point  de  vue  seulement,  il  était  dieu  unique  aux 
yeux  de  ses  adorateurs  ;  car  le  reste  de  l'humanité  ne  le  concernait 
pas. 

Les  Asiates  ont  ^énéré  les  arbres,  les  sources,  les  pierres;  ils 
étaient  naturistes  à  ce  point  de  vue  que,  pour  eux,  arbres,  sources, 
pierres  n'étaient  que  les  symboles  du  maître  de  toutes  choses, 
des  manifestations  matérielles  d'un  être  supérieur  très  éloigné 
de  l'homme  puisqu'il  halutait  les  cieux,  près  des  astres,  au  foyer 
de  la  lumière.  Ces  dieux  sont  terribles,  redoutables,  ne  se  laissent 
point  lléchir  (1). 

Ce  système  religieux  était  au  plus  haut  degré  contraire  au  pro- 
grès; il  prêchait  l'égoïsme,  le  mépris  des  intérêts  et  de  la  vie 
d'autrui,  la  vengeance  et  la  haine.  11  rendait,  il  est  vrai,  plus  soli- 
daires les  divers  éléments  d'une  même  nation  ;  mais  cette  solida- 
rité même  ne  faisait  ([u'accroître  les  distances  séparant  les  peuples 
entre  eux,  chacun  n'ayant  comme  objectif  que  de  dominer  son 
prochain,  de  le  déposséder  de  ses  biens.  Il  ajoutait  aux  rivalités 
entre  races  des  rivalités  entre  peuples  d'une  même  famille,  entre 
tribus  d'un  même  peuple,  entre  clans  d'une  même  tribu,  poussant 
ainsi  la  division  à  l'extrême.  11  fut  un  (léau  pour  le  progrès. 

Dans  la  société  compliquée  de  l'Egypte  où,  dès  les  origines, 
deux  cultes  au  moins  s'étaient  mélangés,  la  divinité  disparaissait 

(1)  Cf.  LAGnA.NGE,  Hisl.  des  relig.  sémiliques,  p.  442. 


CONCLUSIONS  /|9I 

presque  au  milieu  des  pratiques  couipliquécs,  créées  par  le  clergé 
pour  mieux  assurer  son  crédit  et,  partant,  son  pouvoir. 

«  Chaque  nome  avait  son  dieu  particulier,  tout  était  dieu  dans 
la  nature,  et  spécialement  les  animaux,  et  ce[)cn(lant  aucun  peuple 
polythéiste  dans  son  culte  n'a  afllrmé  avec  plus  d'énergie  ((ue 
l'Egypte  ancienne  l'unité  du  divin.  Les  égyptologues  ont  affirmé 
que  l'Egypte  était  monothéiste  ;  pour  les  uns  c'était  le  mono- 
théisme primitif,  pour  les  autres  c'était  le  résultat  de  la  spécula- 
tion philosophico-sacerdotale  ;  mais  il  est  impossible  de  constater 
sur  ce  point,  ni  un  progrès,  ni  une  décadence  (1).  » 

Quoi  (|u  il  en  soit,  le  cai-actère  égyptien,  plus  doux  que  celui  de 
l'Asiatique,  avait  introduit  dans  sa  religion  comme  dans  sa  morale 
plus  d'humanité,  plus  de  tolérance  vis-à-vis  de  l'étranger,  du 
prochain.  A  ce  titre,  comme  d'ailleurs  à  bien  d'autres  encore,  la 
mentalité  égyptienne  dépassait  de  cent  coudées  celle  des  Asiates. 

Les  dieux  grecs,  plus  rapprochés  des  hommes  que  ceux  de  la 
Chaldée  et  de  l'Egypte,  ont  été  s'en  approchant  chaque  jour 
davantage.  Ce  sont  des  héros,  des  liommes  comme  tous  les 
hommes,  devenus  dieux  par  leur  immortalité,  détenant  de  ce  fait 
une  partie  du  pouvoir  suprême.  Ayant  été  hommes,  ils  sont  aptes 
à  comprendre  les  besoins,  les  désirs  des  mortels;  on  peut  rai- 
sonner avec  eux,  les  convaincre  ;  ils  sont  compatissants. 

11  en  sera  de  même  plus  tard  chez  les  Romains  et  dans  toute 
l'Europe  latinisée  ;  nulle  part,  et  en  aucun  temps,  on  ne  rencon- 
trera chez  les  ancêtres  de  notre  race  le  dieu  impitovable.  Chez  les 
Iraniens,  le  dieu  de  l'Avesta  perpétuellement  en  lutte  contre 
l'esprit  du  mal  est  une  force  unique,  pitoyable,  même  pour  les 
animaux,  essentiellement  bonne,  recommandant  la  charité  :  c'est 
encore  là  une  divinité  indo  européenne.  Il  en  est  de  même  aux 
Indes  sous  d'autres  formes,  chez  ces  peuples  frères  des  Iraniens, 
qui  ont  fondé  le  brahmanisme. 

En  progressant,  la  Chaldée  avait  distingué  la  loi  humaine  d<^  la 
loi  religieuse,  concevant  la  conduite  des  hommes  autrement  que 
par  le  culte.  La  Grèce  fit  plus,  elle  sépara  la  science  et  la  philoso- 
phie de  la  religion  ;  elle  discuta  en  deiiors  des  dieux,  négligeant 
les  traditions,  se  plaçant  au-dessus  du  vulgaire  et  primitif  besoin 
de  tout  rapporter  à  la  divinité. 

(1)  Lagrange.  Hisl.   des    reliy.   sémiliqne.f,   p.   iiO. 


/l92  LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

Les  diverses  écoles  helléniques  de  la  pensée,  se  trouvant  en 
présence  des  plus  graves  problèmes  de  la  métaphysique,  les  réso- 
lurent suivant  un  entendement  très  varié  ;  les  seules  de  leurs 
conceptions  qui  demeurèrent  dans  l'antiquité  furent  le  plato- 
nisme, avec  sa  morale  élevée,  et  le  stoïcisme,  doctrine  très  sédui- 
sante, mais  contraire  au  progrès,  parce  qu'elle  pousse  l'homme 
vers  l'égoïsme,  qu'elle  abat  son  initiative,  sa  volonté  en  lui  enle- 
vant le  grand  mobile  de  tous  les  efforts,  la  suprême  espérance. 

Les  esprits  se  mouvaient  au  milieu  de  croyances  surannées  et 
de  théories  philosophiques  les  plus  diverses,  quand  le  christia- 
nisme survint  ;  très  supérieur  comme  morale  à  tout  ce  qui  avait 
été  conçu  avant  lui,  proclamant  l'égalité  des  hommes  devant  un 
dieu  unique  et  universel,  il  leur  faisait  un  devoir  de  considérer 
autrui  comme  soi-même. 

La  religion  nouvelle  était  trop  en  opposition  avec  les  traditions 
séculaires  et  les  tendances  anaryennes  pour  satisfaire  des  âmes 
sans  générosité;  l'Asie,  son  berceau,  la  méconnut.  L'hégire  devait 
apporter  aux  Orientaux  les  satisfactions  conformes  à  leur  caractère  ; 
mais  le  christianisme  devint  la  religion  de  l'Europe  parce  qu'il 
exprimait  les  sentiments  des  peuple  qui  l'habitent  et,  avec  eux,  sa 
morale  fit,  sous  diverses  formes,  la  conquête  du  monde. 


III 


La   littéral ur 


A  peine  l'écriture  était-elle  connue  dans  son  état  rudinieu- 
taire,  la  pictographie,  qu'il  se  forma  une  littérature.  Ce  furent 
d'abord  des  énumérations  de  titres,  des  formules  religieuses;  puis 
dès  le  quatrième  millénaire,  alors  qu'elle  s'était  transformée  en 
hiéroglyphes  et  leurs  dérivés,  nous  voyons  apparaître  en  Chal- 
dée  (1),  comme  dans  l'Egypte,  des  récits  de  campagnes  militaires, 
des  listes  de  peuples  vaincus.  C'est  ainsi  que  débutent  les  lettres. 

Mais  bientôt  les  conceptions  religieuses  se  compliquèrent, 
et  les  prêtres,  sentant  l'intérêt  qu'il  y  aurait  pour  eux  à  fixer  les 
traditions  et  les  lois  du  culte,  écrivirent  de  véritables  ouvrages 
rituels  et  théologiques.  Le  plus  ancien  d'entre  eux,  parvenu  juscju'à 
nous,  est  le  livre  des  pyramides  de  l'Egypte. 

Il  se  fonda,  dans  la  vallée  du  Nil  et  dans  la  Chaldée,  des  biblio- 
thèques malheureusement  perdues  aujourd'hui,  où  se  conser- 
vaient des  traités  de  morale,  d'histoire,  de  mathématiques,  d'astro- 
nomie, des  livres  sur  la  religion,  sur  les  lois,  sur  les  coutumes, 
sur  toutes  les  branches  des  connaissances  d'alors. 

Le  peu  que  nous  possédons  de  ces  époques  lointaines  ne  pro- 
duit pas  grande  impression  par  la  forme  du  discours  ;  ce  ne  sont 
que  des  énoncés  brefs,  secs,  sans  élégance,  et  bien  })eu  en  rap- 
port avec  le  goût  et  les  arts,  alors  si  développés. 

Les  premières  pages  vraiment  littéraires  sont  dues  à  l'Assyrie. 
Les  rois  y  dépeignent  les  horreurs  que  leurs  armées  commettaient 
de  par  le  monde  ;  mais  au  milieu  de  ces  scènes  sanglantes,  on  ren- 
contre parfois  des  passages  saisissants  de  réalisme. 

(i)  H.   DE    Genouillac,    a    travers   la   litléralurc   babvlonienne,  <is.   lieu,  des  Idées,   15  avril 
l'i)8,  n»  52. 


CONCLUSIONS  li9ô 

Vers  cette  époque,  d'ailleurs,  au  moment  où  l'empire  va  passer 
entre  les  mains  des  Perses,  toute  l'Asie  antérieure  est  en  posses- 
sion de  récriture,  et  la  Grèce  elle-même  fait  usage  de  l'alphabet. 

Toutes  les  côlos  de  la  Méditerranée  emploient  les  lettres  phé- 
niciennes ou  leurs  dérivés;  on  écrit  en  Judée,  à  Tvr,  à  Sidon,  à 
Cartilage,  en  Sicile,  en  Italie,  en  Grèce. 

La  JHble  qui,  comme  on  le  sait,  est  de  rédaction  relativement 
récente,  nous  a  laissé  de  très  belles  pages;  mais  ces  pages  sont 
contemporaines  des  débuts  de  la  grande  littérature  grecque,  et 
l'on  est  tenté  de  penser  (|ue  la  Judée  n'a  pas  été  sans  subir,  plus 
ou  moins  fortement,  l'influence  de  la  culture  gréco-égyptienne 
de  la  Basse-Egypte,  grecque  de  Chypre,  des  côtes  de  l'Asie 
Mineure  et  des  îles. 

La  Perse,  l'Inde,  la  Chine  ont  laissé  de  ces  époques  de  curieux 
écrits  ;  mais  que  sont  ces  |)ages  comj)arées  aux  récits  de  Ctésias, 
d'Hérodote,  d'Hécalée,  aux  vers  sublimes  altiibués  à  Homère,  à 
Hésiode  !  On  savait  écrire  en  Orient  maison  n'avait  j)oint  encore 
appris  à  penser  d'une  façon  élégante. 

C'est  à  la  Grèce  qu'il  était  réservé  de  créer  la  véritable  littéi'a- 
ture,  d'exploiter  toutes  les  finesses,  toutes  les  souplesses  d'une 
langue  et  de  surpasser,  en  quelques  siècles,  trois  mille  ans  des 
efforts  de  l'Asie.  Le  grec,  d'ailleurs,  était  un  instrument  admi- 
rable; il  répondait  au  génie  de  la  race  qui  l'avait  créé,  et  cette 
race  sut  en  tirer  un  incomparable  parti. 

Rome  s'empara  des  principes  de  l'Hellade,  s'instruisit  à  soîi 
école, développa  sa  propre  langue,  lui  appliqua  les  règles  grecques 
de  la  rhétorique,  produisit  des  merveilles  dans  tous  les  genres, 
au  point  que  nous  sommes  encore  ses  élèves.  Est-il  bien  cer- 
tain, d'ailleurs,  que  nous  surpassions  nos  maîtres  ? 


IV 


Les  arts. 


Les  premiers  essais  artistiques  dont  la  trace  nous  soit  parvenue 
se  révèlent  dans  les  cavernes  de  la  fin  des  temps  glaciaires, 
époque  à  laquelle  le  dessin  avait  acquis,  déjà,  un  surprenant  degré 
de  perfection. 

Certainement  nous  ne  possédons  pas  les  chefs-d'œuvre  de  ces 
âges  ;  cependant  nous  nous  rendons  aisément  compte  de  la 
grande  habileté  de  ces  premiers  artistes,  de  l'entendement  avec 
lequel  ils  s'inspiraient  de  la  nature,  ainsi  que  de  la  simplicité  de 
leurs  procédés  d'exécution.  Chez  presque  tous  les  primitifs  on 
trouve  des  essais  artistiques  ;  mais  ce  ne  sont  jamais  que  d'enfan- 
tines et  souvent  grossières  images,  en  comparaison  des  gravures 
laissées  par  les  Magdaléniens. 

Des  tendances  artistiques  aussi  marquées  eussent,  sans  nul 
doute,  donné  naissance  à  des  arts  supérieurs,  s'il  leur  avait  été 
permis  de  se  développer;  mais  l'invasion  de  l'Occident  européen 
par  des  peuples  encore  grossiers  les  tuèrent  au  berceau. 

L'époque  de  ces  premières  écoles  nous  reste  inconnue  ;  aussi 
ne  pouvons-nous  les  rattacher  d'aucune  manière  aux  tentatives, 
certainement  postérieures,  dont  on  rencontre  les  vestiges  dans 
d'autres  régions. 

En  Asie,  semble-t-il,  ce  fut  la  Chaldée  qui,  la  première,  rendit 
avec  une  certaine  habileté  ses  conceptions  artistiques.  De  là,  ces 
arts  naissants  passèrent  en  Egypte,  où  ils  se  développèrent  rapide- 
ment, mais  s'enfermèrent  de  suite  dans  des  règles  strictes  qui, 
toujours,  les  empêchèrent  d'atteindre  les  hauts  sommets.  Dans 
son  ensemble,  l'art  égyptien  manque  de  réalisme  ;  quelques 
rares  morceaux  parvenus  jusqu'à  nous,  plus  libres  dans  leur  com- 


CONCLUSIONS  li97 

position,  montrent,  cependant,  combien  les  canons  religieux 
durent,  dans  la  vallée  du  Nil,  entraver  le  génie  des   artistes  (1). 

En  Chaldée,  l'art  n'était  retenu  par  aucun  frein;  aussi  ce  pays 
a-t-il  produit,  à  côté  d'une  foule  de  sculptures  provinciales,  des 
œuvres  remarquables.  Les  tendances  esthétiques  étaient  bien  cer- 
tainement dans  le  patrimoine  des  SumérienS;,  car  on  rencontre 
leurs  traces  parmi  les  vestiges  antérieurs  à  l'arrivée  des  Sémites. 
Les  Akkadiens  ne  les  anéantirent  pas,  comme  les  Néolithiques 
avaient  fait  en  Europe  des  arts  magdaléniens  ;  ils  cherchèrent  à  se 
les  assimiler,  les  encouragèrent  même;  mais,  malgré  leur  bon 
vouloir,  les  atrophièrent,  parce  que  l'art  ne  rentrait  pas  dans 
leurs  aptitudes,  parce  que  leurs  préoccupations  étaient  ail- 
leurs. 

L'époque  de  l'Empire  suméro-akkadien  semble  être  celle,  de 
l'apogée  des  arts  chaldéens,  parce  qu'en  son  temps  l'ancien  élé- 
ment ethnique  jouait  encore  un  grand  rôle.  Mais  du  jour  où  le 
Sémite  domina,  non  plus  seulement  sur  les  peuples,  mais  sur 
les  esprits,  l'art  se  transforma,  devint  utilitaire,  fut  mis  unique- 
ment au  service  des  grands  et  de  la  politique.  Cette  évolution 
conduisit  l'art  chaldéen  jusqu'aux  conceptions  assyriennes, 
lourdes,  conventionnelles,  brutales. 

Il  suffit  de  comparer  les  oeuvres  portant  le  nom  de  Narâm  Siu 
aux  plus  beaux  morceaux,  leurs  contemporains,  de  l'ancien 
Empire  égyptien,  pour  saisir  d'un  seul  coup  d'œil  les  différences 
essentielles  qui  séparent  ces  deux  écoles.  L'Egypte  devait,  par  la 
force  des  choses  et  de  ses  institutions,  s'enfoncer  de  plus  en  plus 
dans  le  conventionnel;  tandis  que  les  arts  asiatiques,  plus  libres, 
étaient  malheureusement  destinés,  comme  l'Asie  entière,  à  devenir 
esclaves  des  maîtres  de  Babylone  et  de  Ninive.  Dans  les  deux 
pays,  pour  des  causes  différentes,  les  aptitudes  furent  atrophiées, 
les  efforts  sans  lendemain. 

L'art  égyptien,  dès  le  vingt-cinquième  siècle  avant  notre  ère, 
au  plus  tard,  inspira  celui  de  la  Crète  qui,  libre  de  toute  con- 
trainte religieuse,  donna  cours  à  ses  fantaisies  artistiques  et  par- 

(1)  Dans  les  arts  plasliciues,  l'égyplien  cher-  raclère  des  peuples  chez  qui  elles  se  sont 
che  à  pallier  les  brutalités  de  la  nature,  allé-  développées.  «  Le  goût  de  la  force  brutale, 
nue  l'importance  des  muscles,  allonge  le  corps  associée  celui  des  spectacles  cruels,  se  re- 
humain, cherche  à  le  rendre  gracieux.  Eu  trouve  dans  la  longue  série  des  bas-reliefs 
Chaldée  et  en  Assyrie,  tout  au  contraire  les  d'albâtre,  datant  des  années  800-600,  que  Botta 
sujets  sont  trapus  et  les  marques  de  la  force  et  Layard  ont  découverts  à  Ninive.  »  (S.  Hei- 
physique  exagérées  à  dessein.  Les  deu.t  éco-  nacu,  Apollo,  1!X)6,  p.  2i.) 
les  diffèrent  autant  l'une  de  l'autre  que  le  ca- 

32 


/|98  LES     PREMIÈRES    CIVILISATIONS 

vint  ainsi  à  surpasser  ses  maîtres;  mais  l'invasion  dorienne  devait 
l'anéantir. 

La  céramique  Cretoise,  qui  se  relie  très  nettement  à  celle  de 
l'Asie,  fit  elle-même  des  élèves  dans  toute  la  Méditerranée,  en 
Italie,  en  Sicile,  en  Espagne,  dans  les  îles.  Elle  enfanta  la  poterie 
mycénienne,  avec  quelques  mélanges  d'influence  asiatique  directe. 

Comme  les  Indo-Européens  de  l'Iran  et  de  l'Europe  occidentale 
leurs  congénères,  les  Hellènes  ne  possédaient,  lors  de  leur  arrivée 
dans  le  bassin  de  la  Méditerranée,  aucun  sens  des  arts;  mais  ils 
en  avaient,  au  plus  haut  degré,  les  aptitudes  latentes.  Rapide- 
ment ils  affinèrent  leur  mentalité  et  développèrent  leurs  faculté» 
au  contact  des  vieilles  civilisations  ;  et;,  inspirés  par  les  œuvres 
Cretoises,  égyptiennes,  syriennes,  liétéennes  et  chaldéennes,  par- 
vinrent en  peu  de  siècles,  dans  toutes  les  branches,  à  ce  degré 
artistique  qui  jamais  n'a  été  surpassé. 

Dans  les  monuments  et  les  objets  les  plus  anciens  de  la  Grèce, 
on  retrouve  sans  cesse  les  traces  de  l'esprit  dont  les  artistes  se 
sont  inspirés.  11  n'est  pas  toujours  aisé  d'en  reconnaître  l'origine 
d'une  manière  précise,  mais  ces  influences  sont  indéniables.  On 
sent  l'effet  des  conceptions  de  l'Egypte,  de  la  Phénicie,  de  la 
Chaldée,  mélangées  d'autres  tendances,  que  nos  connaissances 
actuelles  ne  nous  permettent  pas  encore  d'analyser. 

Peu  à  peu  ces  marques  s'atténuèrent  pour  disparaître  enfin  ; 
parce  que  les  Hellènes,  doués  au  plus  haut  degré  du  sentiment  de 
l'esthétique,  se  tournèrent  vers  la  nature,  dont  ils  se  rapprochèrent 
le  plus  possible,  ne  conservant  des  enseignements  de  leurs 
maîtres  que  les  procédés  et  quelques  motifs  de  décoration.  L'es- 
prit artistique  grec  était  entièrement  différent  de  celui  des  peu- 
ples orientaux  ;  alors  qu'Élamites  et  Chaldéens,  qu'Egyptiens  et 
Syriens,  partis  de  la  nature,  avaient  évolué  vers  le  conventionnel, 
les  Hellènes,  au  contraire,  s'inspirant  de  modèles  étrangers  lar- 
gement stylisés,  se  rapprochèrent  insensiblement  de  la  nature  et 
atteignirent  leur  apogée  lorsqu'elle  devint  leur  seul  guide. 

Pendant  que  la  Grèce  enfantait  des  merveilles,  la  Perse,  sa  sœur 
ethnique,  ne  savait  que  copier  grossièrement  les  œuvres  de  l'As- 
syrie et  de  l'Egypte.  N'inventant  rien  par  elle-même,  ne  sachant 
même  pas  imiter  fidèlement  ses  modèles,  elle  ne  devait  laisser 
que  de  médiocres  œuvres,  auxquelles  il  serait  indigne  de  l'Art 
d'attribuer  un  style. 


CONCLUSIONS  /|99 

De  même  que  la  culture  artistique  de  FOrient  s'était  répandue, 
de  même  l'art  grec  colonisa  ;  mais  ses  conceptions  sublimes  ne 
furent  jamais  comprises  en  dehors  des  Hellènes;  et  ce  que  nous  ont 
laissé  l'Egypte,  la  Syrie,  l'Asie  Mineure,  la  Baktriane,  dans  le  style 
grec,  ne  sont  ([ue  de  grossières  imitations  où  se  reconnaît  de  suite 
la  lourde  main  de  l'indigène. 

C'est  que  la  Grèce  seule,  et  à  cette  époque  seulement,  était 
capable  de  ces  merveilles;  l'apogée  de  la  puissance  intellectuelle 
et  artistique  fut,  dans  l'IIellade  continentale  et  maritime,  au 
siècle  de  Périclès.  Ensuite  l'amour  du  beau  déclina  lentement  et, 
sauf  dans  quelques  rares  exceptions,  n'était  plus,  à  l'époque  ro- 
maine, capable  d'inspirer  les  grandes  œuvres  d'antan.  Certes,  le 
génie  grec  dépassait  encore  de  cent  coudées  les  aptitudes  des 
autres  peuples,  mais  il  se  montrait  inférieur  à  lui-même. 

L'art  grec  est  le  seul  grand  art;  et  le  quatrième  siècle  avant 
notre  ère  fut  celui  où  le  sentiment  du  beau  a  été  le  plus  déve- 
loppé. Tout  ce  qui  l'a  précédé  ne  fut,  à  proprement  parler,  que 
l'incubation  de  cet  apogée  de  l'esthétique;  tout  ce  qui  l'a  suivi 
n'en  a  été  que  la  décadence.  Dès  lors,  ses  œuvres  gouvernèrent 
le  sentiment  artistique  dans  le  monde  entier.  A  bien  des  époques, 
et  plus  spécialement  à  la  Renaissance,  on  s'en  est  inspiré,  s'efl'or- 
çant  de  l'imiter,  sans  jamais  l'atteindre. 

Rome,  fille  de  la  Grèce  au  point  de  vue  du  goût,  comprit  rapi- 
dement que,  les  arts  ne  rentrant  pas  dans  son  génie,  jamais  elle  ne 
parviendrait  à  égaler  sa  maîtresse  ;  elle  s'en  remit  aux  artistes 
grecs  qui,  bien  qu'alors  d'un  talent  inférieur,  l'ornèrent  cependant 
de  belles  œuvres. 

Les  préoccupations  romaines  étaient  surtoutd  ans  la  politique, 
la  guerre,  le  gouvernement,  le  commerce.  Les  talents  de  la  reine 
du  monde  se  manifestaient  dans  les  grands  travaux,  les  construc- 
tions impérissables,  la  création  des  routes,  des  ports  ;  et  cepen- 
dant, son  peuple  montrait  un  goût  raffiné  jusque  dans  les  moin- 
dres détails  de  la  vie  courante  ;  on  ne  voyait  pas  dans  une  maison 
romaine  ce  choquant  utilitarisme  de  nos  habitations  modernes. 
Le  gracieux  était  de  mode  en  toutes  choses  et  chez  tous. 

La  belle  époque  fut  celle  des  douze  Césars^  parce  que  les 
Romains,  très  raffinés,  imbus  d'hellénisme,  avaient  attiré  dans 
leur  capitale  tout  ce  que  les  villes  grecques  renfermaient  alors 
de  littérateurs,  de  savants  et  d'artistes.  On  parlait  grec  à  la  cour 


500  LES  PREMIÈRES  CIVILISATIONS 

de   Néron,  on  jouait  en  grec   sur  les  théâtres   où    fréquentait  la 
haute  société. 

Les  troubles  survenus  dans  l'Empire  amenèrent  avec  eux  le 
déclin  des  sentiments  artistiques.  On  s'inspirait  toujours  des  belles 
œuvres  de  l'ancien  temps  que  le  peuple  admirait  encore  dans  les 
temples  et  sur  les  places  publiques  ;  mais  on  les  imitait  gau- 
chement à  Rome,  plus  maladroitement  encore  dans  les  pro- 
vinces. 

Vint  alors  l'invasion  des  Barbares  :  des  peuples  sans  goûts,  sans 
traditions  artistiques,  se  ruèrent  sur  l'Empire,  dévastant,  détrui- 
sant les  merveilles  du  passé.  Enfin,  le  Christianisme  et  l'Islam 
achevèrent,  par  fanatisme,  l'œuvre  d'anéantissement  commen- 
cée par  les  Barbares. 

Rien  ne  fut  respecté,  ni  les  admirables  temples  de  la  Grèce,  de 
l'Italie,  delà  Sicile,  de  l'Egypte,  ni  les  palais,  ni  les  bibliothèques, 
ni  les  statues  des  dieux,  des  grands  hommes,  des  empereurs.  On 
détruisit, pour  eflacer  le  souvenir  des  temps  païens;  on  abaissa  le 
monde,  on  le  plongea  dans  les  ténèbres  de  l'ignorance  afin  qu'il 
crût.  On  anéantit  le  fruit  de  milliers  d'années  d'efforts. 

Que  restait-il  alors  des  aspirations  artistiques  d'antan  ?  presque 
rien  ;  quelques  influences,  quelques  idées  premières  défigurées. 
Il  semblait  que  le  véritable  art  eût  été  condamné  à  jamais,  que  le 
monde  du  goût  allait  encore  périr,  comme  au  sortir  des  temps 
glaciaires. 

Le  christianisme  s'était  implanté  tout  d'abord  dans  la  lie  de  la 
population  ;  son  succès  avait  été  grand  chez  les  déshérités  du  sort, 
et  ces  déshérités  n'avaient  d'autre  objectif  que  de  relever  leur 
condition  sociale.  Les  arts  leur  importaient  peu;  ils  leur  étaient 
même  très  hostiles,  parce  qu'ils  étaient  le  luxe  de  leurs  oppres- 
seurs. En  abattant  les  dieux  pour  efTacer  les  dernières  traces  du 
paganisme,  les  premiers  chrétiens  n'agissaient  pas  seulement 
suivant  leur  conscience,  ils  eftaçaient  le  souvenir  de  temps  haïs. 

L'islamisme  se  montra  tout  aussi  cruel  que  le  christianisme. 
L'apparition  de  ces  deux  religions  fut  un  véritable  désastre  pour 
les  arts,  pour  les  sciences,  pour  toutes  les  branches  de  la  culture 
intellectuelle  ;  et  si  le  christianisme  apporta  au  monde  des  prin- 
cipes philosophiques  admirables,  il  les  lui  fit  chèrement  payer. 

Mais  au  fur  et  à  mesure  qu'elle  grandissait,  l'Eglise  s'adressait 
à  des  esprits  plus  cultivés;  le   goût  reparut,  atrophié,  défiguré; 


CONCLUSIONS  501 

peu  à  peu  le  style  byzantin  se  forma  des  survivances  du  romain, 
auxquelles  l'oriental  adjoignit  une  ornementation  lourde,  raide, 
conventionnelle.  Toute  souplesse  fut  exclue  de  la  peinture,  de  la 
sculpture,  on  ne  sut  môme  plus  dessiner. 

L'Islam  Ht  juieux  ;  proscrivant  la  représentation  de  Diomme  et 
des  animaux,  il  ramena  l'humanité  aux  temps  de  lorncmentation 
géométrique.  C'était  un  recul  de  quatre  mille  ans  au  moins  dans 
les  conceptions  artistiques. 

En  Italie,  le  style  byzantin  régnait  en  maître.  En  Egypte,  où 
l'introduction  du  christianisme  avait  mis  fin  au  style  pharaonique, 
il  se  forma  un  hideux  byzantin,  le  copte,  plus  barbare  encore  que 
ceux  de  l'Asie  Mineure,  de  la  Syrie  et  du  Nord  de  l'Afrique;  cet 
art  dura  jusqu'à  l'Islam. 

En  Perse,  au  gréco-parthe  avait  succédé  le  goût  sassanide  impré- 
gné de  romain  de  la  basse  époque  ;  cette  école  n'a  produit  que  des 
constructions  hâtives,  d'un  décor  lourd,  surchargé,  pauvre  en  idées. 

L'art  arabe,  né  de  l'art  perse,  de  la  polychromie  de  l'Orient, 
n'est  personnel  que  par  ses  détails.  11  se  forma  au  moment  où  les 
musulmans  pouvaient  encore  disposer  d'artistes  élevés  aux  écoles 
byzantines.  En  Syrie,  en  Egypte,  dans  l'Afrique  du  Nord,  en 
Espagne,  ce  sont  des  architectes  chrétiens,  ou  fils  de  chrétiens, 
qui  construisirent  les  plus  beaux  monuments  arabes.  Leur  dispa- 
rition entraîna  l'agonie  de  l'art  dit  musulman. 

L'Europe,  transformant  quelque  peu  le  byzantin,  en  fit  le  roman; 
tandis  que  les  chrétiens  d'Orient,  en  Grèce,  en  Piussie,  en  Géor- 
gie, dans  l'Arménie,  le  conservèrent  presque  pur  jusqu'à  nos 
jours.  Le  gothique  naquit,  dans  nos  pays,  de  l'influence  arabe  appli- 
quée au  vieux  style  chrétien. 

Tous  ces  arts  offrent  certainement  un  bien  grand  intérêt  au 
point  de  vue  historique;  beaucoup  ont  fourni  de  très  belles  choses, 
des  monuments  incomparables,  par  l'impression  profonde  qu'ils 
laissent  dans  l'esprit  ;  mais  il  faut  convenir  qu'ils  ne  correspon- 
dent pas  à  une  esthétique  bien  élevée.  Leur  beauté,  leur  grandeur, 
sont  particularistes  et  destinées  à  faire  concevoir  certaines  pensées 
voulues,  le  plus  souvent  mystiques.  L'esprit  qui  présidait  à  la 
construction  de  nos  plus  belles  cathédrales  est  le  même  que  celui 
qui,  deux  mille  ans  auparavant,  guida  les  architectes  de  l'Egypte. 
Dans  tous  ces  monuments,  l'esthétique  n'est  qu'un  accessoire,  le 
but  demeure  moins  élevé. 


502  LES  PREMIÈRES  CIVILISATIONS 

Ce  n'est  qu'à  la  Renaissance  que  la  nature  reprit  son  juste 
rôle  de  modèle  et  que  les  tendances  se  tournèrent  de  nouveau  vers 
le  naturalisme  ;  mais  ce  renouveau  n'est  dû  qu'à  l'étude  de  l'anti- 
quité grecque  et  romaine.  Des  esprits  éclairés,  versés  dans  les  litté- 
ratures classiques,  prirent  la  tête  du  mouvement  et,  bien  que  ne 
possédant  aucun  principe  spécial  à  leur  époque,  les  arts  atteignent 
un  très  haut  degré  de  perfection.  Il  avait  fallu  quinze  siècles  environ 
pour  réparer  le  mal  commis  dans  les  premiers  temps  de  notre  ère. 

Ailleurs,  dans  les  pays  situés  en  dehors  de  la  sphère  d'action  ou 
d'influence  de  l'ancien  monde,  parmi  les  nombreux  foyers  artisti- 
ques rudimentaires,  nés  en  tous  temps  et  en  tous  lieux,  deux 
seuls  étaient  capables  d'un  grand  essor  :  celui  de  la  Chine  et  celui 
du  Nouveau  Monde  ;  les  autres  s'éteignirent,  n'ayant  produit  que 
des  œuvres  barbares. 

En  Chine,  le  développement  fut  lent  et  particulier  dans  sa  na- 
ture ;  il  ne  produisitque  très  rarement  des  œuvres  naturalistes.  L'en- 
semble demeura  toujours  d'une  conception  spéciale,  entièrement 
étrangère  aux  vues  raisonnées  de  TOccident.  L'architecture,  la  sla- 
luaire,  la  peinture  reflètent  toutes  cette  même  pensée  de  compliquer 
la  nature,  d'en  exagérer  les  formes,  les  attitudes,  de  frapper  l'ima- 
gination par  l'étrange.  Telle  a  toujours  été  l'esthétique  des  Chinois. 

Cet  art  sortit  de  ses  fontières  en  même  temps  que  les  idées  reli- 
gieuses de  la  race  qui  l'avait  conçu  ;  il  gagna  le  Japon,  ITndo- 
Chine,  la  Birmanie,  le  Pégou  etTénassérin,  se  heurta  aux  concepts 
hindous  qui,  influencés  par  la  Baktriane,  possédaient  des  prin- 
cipes originels  opposés  à  ceux  de  l'Extrême-Orient,  ceux  de  la 
simplicité  artistique,  qui  peu  à  peu  s'évanouirent. 

Au'nord,  il  couvrit  toute  l'Asie  centrale  jusqu'au  Tibet,  et  dépas- 
sant les  grandes  chaînes,  vers  le  bassin  de  l'Amour,  gagna  quel- 
ques parties  de  la  Sibérie,  mais  j  n'eut  guère  de  contact  avec 
l'esprit  européen  que  dans  les  temps  modernes. 

L'art  américain  se  développa  dans  le  centre  du  nouveau  conti- 
nent, au  Yukatan,  au  Guatemala,  et  dans  les  provinces  voisines 
du  Mexique  d'une  part,  de  la  Colombie  de  l'autre.  L'époque  de  sa 
naissance  demeure  inconnue;  il  prit  fin  lors  de  la  conquête  de  ces 
pays  par  les  Espagnols. 

Très  spécial,  lui  aussi,  cet  art  montre,  comme  celui  de  la  Chine, 
une  conception  très  compliquée  du  beau.  Les  procédés,  les  motifs 
ne  sont  pas  les  mêmes  qu'en  Asie  orientale;  mais  on  serait  tenté 


CONCLUSIONS  503 

de  croire  à  des  influences  asiatiques,  sinon  dans  les  détails  du 
moins  dans  l'esprit  guidant  la  main  des  artistes  américains.  Il 
montre  chez  les  peuples  du  Nouveau  Monde  le  besoin  inné  de 
torturer  la  nature,  de  la  représenter  sous  ses  aspects  les  plus 
occasionnels.  Cet  état  d'esprit  eut  forcément  conduit  cette  école 
à  sa  ruine,  si  la  colonisation  européenne  ne  l'avait  fait  subitement 
disparaître  en  détruisant  sa  raison  d'exister,  le  culte  indigène. 

Ailleurs  sont  des  centres  barbares,  tels  ceux  de  l'Océanie,  dos 
peuples  septentrionaux;  ils  ne  présentent  aucun  intérêt  pour 
l'histoire  de  l'art. 

Des  trois  grandes  écoles  artistiques,  indépendantes  les  unes 
des  autres,  une  seule  parvint  donc  à  la  réalisation  des  concep- 
tions élevées  parce  qu'elle  sut  rendre  le  beau  par  la  simplicité. 
Trois  races  y  travaillèrent  pendant  des  milliers  d'années,  chacune 
suivant  ses  aptitudes  et  ses  tendances;  mais  c'est  aux  Grecs  qu'il 
était  réservé  d'achever  cette  grande  œuvre. 

Vingt  et  quelques  siècles  se  sont  écoulés  depuis  ce  triomphe  de 
l'art,  qui  avait  mis  plus  de  trente  siècles  à  se  préparer.  Aujour- 
d'hui nos  efforts  tendent  à  nous  rapprocher  de  la  hauteur  de  vue 
des  Hellènes,  sommet  que,  il  faut  l'avouer,  nous  sommes  encore 
bien  loin  d'atteindre. 


Ainsi,  la  civilisation,  telle  que  nous  en  jouissons  aujourd'hui, 
est  le  résultat  de  bien  des  labeurs,  l'œuvre  de  bien  des  races.  Les 
populations  primitives  firent  les  premiers  pas  ;  les  Sémites,  s'em- 
parant  de  ces  données  primordiales,  les  développèrent  sans  que 
leur  mentalité  fût  apte  à  les  porter  à  l'apogée.  Survinrent  les 
Indo-Européens;,  dont  le  génie  sut,  chez  quelques  peuples,  sim- 
plifier et  généraliser  en  toutes  choses.  C'est  aux  Hellènes  que 
revient  l'honneur  d'avoir  débrouillé  le  chaos  des  idées  orientales, 
et  aux  Romains  qu'appartient  celui  d'avoir  enfanté  la  civilisation 
moderne. 


TABLE 


DES 


CARTES  ET  ILLUSTRATIONS 


CHAPITRE  II 

Pages 

1.  Esquisse  de  la  géographie  lutétienne 48 

2.  L'Europe  à  l'époque  oligocène 50 

3.  Esquisse  de  la  géographie  vindobonienne 52 

4.  Esquisse  de  l'Europe  sarniatienne 54 

5.  Esquisse  de  l'Europe  plaisancienne 56 

CHAPITRE  III 

6.  Phénomènes  volcaniques  et  sismiques 66 

7.  Plateau  sous-marin  de  la  mer  du  Nord 68 

8.  Affaissement  de  100  mètres  dans  les  régions  du  Nord  de  l'Europe.  71 

9.  Ilot  d'Er-lanic  (Morbihan) 72 

iO.  Isanabases  delà  Norvège 77 

11.  Vallée  sous-marine  de  l'Islande 78 

12.  Fosse  du  Cap-Rreton 80 

13.  Extension  maxima  des  glaciers  pléistocènes 84 

CHAPITRE  IV 

14.  Distribution  du  genre  Elephas  sur  le  globe 102 

13.  Stationspaléolithiquesetalluvionsquaternairesde  Gafsa (Tunisie).  113 
16.  Répartition  des  instruments  paléolithiques  dans  l'Amérique  sep- 
tentrionale   114 


506  TABLE    DES     CARTES    ET    ILLUSTRATIONS 

CHAPITRE   VI 

Pages 

17.  Climat  actuel  de  Tancien  monde ...  145 

18.  Figures  gravées  sur  le  tumulus  de  Locmariaker  (Morbihan).    .     .  146 

19.  Représentation  pictographique  de   Skebbervall  (Suède).     .     .     .  146 

20.  Représentation  pictographique  d'Irtych  (Sibérie) 147 

21.  Distribution  géographique  des  dolmens  dans  l'ancien  monde.     .  153 

22.  Répartition  des  dolmens  en  France 155 

CHAPITRE  VII 

23.  Pays  égyptiens   et  syriens  au  cours  du  pliocène  moyen.     .     .     .  173 

24.  Avancement  des  alluvions  du   Chatt-el-Arab  dans  le  golfe  Per- 

sique 177 

25.  LaRasseChaldée  etl'Élam  àl'époque  de  Sennachérib  (699  av.  J.-C.)  180 

26.  Itinéraire  dun  voyage  de  l'auteur  en  Basse  Chaldée 181 

27.  Inscription  hiéroglyphique  hétéenne  de  Djerablus 187 

28.  Cylindre  hiéroglyphique  de  Suse 188 

29.  Empreinte  hiéroglyphique  de  Suse 188 

30.  Inscription  proto-élamite  sur  argile 188 

31.  Inscription  proto-élamite  sur  pierre 188 

32.  Signes  cunéiformes  linéaires  (Vokha) 189 

33.  Signes  cunéiformes  linéaires  (Suse) 189 

3i.  Tablette  de  Ninive  donnant  l'explication  des  signes  cunéiformes 

archaïques 191 

35.  Fragment  du  texte  de  la  stèle   des  Vautours  (Telloh) 191 

36.  Les  premières  invasions  sémitiques 194 

37.  La  Syrie   préhistorique 496 

38.  Expansion  des  arts  céramiques  dans  l'Asie  antérieure 201 

39.  Stations  préhistoriques  de  la  vallée  du  Nil  entre  Kouft  et  Louxor.  206 

CHAPITRE  VIII 

40.  Hiéroglyphes  archaïques  égyptiens  (I'"  ou  11^  Dyn.) 231 

41.  Écriture  chypriote 232 

42.  Inscription  hiéroglyphique  d'Ani 232 

43.  Tablette  d'ivoire  de  Khémaka  [l'"   Dyn.) 236 

44.  Nécropole  royale  d'Abydos 237 

45.  Hiéroglyphes  archaïques  de  Négadah 239 

46.  Presqu'île  du  Sinaï  au  temps  de  l'Empire  memphite 242 

47.  La  Nubie  au  temps  de  l'Empire  égyptien 248 

48.  Écriture  hiératique  (r/-a/7t' rft' mo7*a/e  du  prince  Phtah-Hotpou).     .  250 

49.  Papyrus  mathématique  du  Musée  britannique 250 

50.  Manuscrit  hiératique    de  Sineh 251 

51.  Inscriptions  Cretoises  sur  argile 253 

52.  L'île  de  Crète  dans  l'antiquité 254 

CHAPITRE    IX 

53.  L'Asie  antérieure  à  l'époque  des  campagnes  égyptiennes  en  Syrie.  274 

54.  La  Syrie  à  l'époque  chaldéenne 276 


TABLE    DES    CARTES    ET    ILLUSTRATIONS  507 

Pages 

5d.  L'Egypte  vers  l'époque  des  Ramessides 280 

■S6.  L'Kmpire   hétéen  vers  l'époque  des  Ramessides 282 

57.  Colonies  grecques  et  phéniciennes  de  la  Méditerranée  occidentale.  287 

58.  L'île  de  Chypre  et  ses  colonies  phéniciennes  et  grecques.     ...  289 

59.  Principales  routes  commerciales  de  l'Asie  antérieure  au   temps 

des  Phéniciens 290 

60.  Ktablissements  grecs  et  phéniciens  de  la  Méditerranée  orientale.  291 
Cl.  Tableau  montrant  les  relations  entre   les  signes  hiératiques  ini- 
tiaux et  leurs  dérivés 294 

■62.  Tableau  de  l'origine  des  signes  ali)habétiques,  d'après  FI.  Pétrie.  29i 

■63.  Écriture  phénicienne  de  la  coupe  du  dieu  Liban 297 

64.  Graffito  phénicien  des  mercenaires  de  Psammétique  I^'' ou  11.     .  298 

65.  Décalogue  samaritain  de  Naplouse 298 

■66.  Inscription  nabathéenne 298 

67.  La  Palestine  au  temps  des  Juges 299 

■68.  Inscription  palmyréenne  de  la  statue  de  Zénobie 301 

■69.  Écriture  himyarile 302 

70.  Hébreu  carré 3Q3 

71.  L'Asie  Mineure  au  quatorzième  siècle  avant  Jésus-Christ.     .     .     .  321 

72.  Hiéroglyphes  primitifs  chinois  avec  leur  valeur  moderne.    .     .     .  328 

73.  Caractères  chinois  de  diverses  époques 328 

74.  Écriture  figurative  mexicaine 330 

75.  Texte  anzanite  de  Chilhak  in  Chouchinak 332 

CHAPITRE  X 

76.  Marche  du  développement  de  l'Empire  assyrien 341 

77.  Le  premier  Empire  assyrien 345 

78.  Le  triangle  de  l'Assyrie 3/^8 

79.  Les  pays  du  Naïri  au  neuvième  siècle  avant  Jésus-Chrisl.     ...  350 

80.  La  Mésopotamie  au   neuvième  siècle  avant  Jésus-Christ  ....  333 
S\.  Le  royaume  d'Ourarthou 355 

82.  La  Syrie  au  neuvième  siècle  avant  Jésus-Christ 357 

83.  Le  royaume  de  Tyr  à  l'époque  de  Sennachérib 359 

84.  L'Empire  assyrien  sous  Téglatphalasar  III 362 

•85.  L'Orient  vers  la  fin   de  l'Empire  assyrien 366 

86.  Ecriture  babylonienne  cunéiforme  de  basse  époque 307 

87.  Ethnographie  de  la  Perse  à  l'époque  assyrienne 369 

88.  La  Palestine  au  temps  du  royaume  de  Damas  (huitième   siècle 

avant  Jésus-Christ) 3-g 

89.  La  Grèce  aux  temps  héroïques 378 

90.  L'Asie  Mineure  au  septième  siècle  avant  Jésus-Christ 381 

51.  Colonies  grecques  de  la  Propontide 382 

92.  Le  monde  grec  après  l'invasion  dorienne  (onzième  siècle   avant 

Jésus-Christ) "  383 

93.  Notions  géographiques  des  Grecs  à  l'époque  homérique.     .     .     .  385 
Si.  L'Italie  vers  l'époque  de    la  fondation   de  Rome  (730  ans   avant 

Jésus-Christ) 31)0 


508  TABLE    DES    CARTES    ET    ILLUSTRATIONS 

CHAPITRE  XI 

Pages 

93.  La  Médie  vers  lépoque  de  l'apogée  de  l'Empire  assyrien.     .     .     .  403 

96.  Le  Monde  oriental  à  l'époque  de  l'Empire  des  Mèdes <i07 

97.  La  Perside  à  l'époque  de  Cyrus 409 

98.  Inscription  de  Xerxès  (texte  perse) 4-11 

99.  —                 —        (texte  assyrien) 414 

400.            —                 —        (texte  néo-anzanite) 411 

101.  Araméen  d'époque  achéménide,  légende  d'une  monnaie.     .     .     .  412 

102.  Araméen  d'époque  achéménide,  sur  papyrus 412 

103.  Carte  du  site  de  Milet 413 

104.  Empire   des  Perses  achéménides  sous  Darius 418 

lOo.  Notions   géographiques   des  Hébreux  vers  le  cinquième  siècle 

avant  Jésus-Christ 424 

106.  Route  suivie  par  l'Expédition  des  Dix  mille 427 

107.  Inscription  grecque,  boustrophédon  de  Théra 432 

408.            —             —                    _              de  l'osselet  de  Suse.     ...  432 

109.  Expansion  de  l'usage  de  la  monnaie 435 

110.  La  Sicile  gréco-punique 439 

111.  Écriture  punique 440 

112.  Invasions  celtiques 446 

CHAPITRE  XII 

113.  L'Empire  d'Alexandre  le  Grand 455 

114.  Notions    géographi(iues   des    Grecs    au   troisième    siècle    avant 

Jésus-Christ 461 

Ho.  Notions  géographiques  à  lépoque  romaine  (premier  siècle  après 

Jésus-Christ) 463 

116.  Inscription  latine  de  Duenos  (troisième  siècle  avant  Jésus-Christ).  469 

117.  Inscription  punique 469 

118.  Possessions  carthaginoises  en  Sardaigne 470 

119.  Écriture  runique  (issue  de  l'écriture  latine) 471 

CONCLUSIONS 

120.  Expansion  sémitique  aux  temps  actuels 480 

12L  Expansion  de  la  race  jaune  aux  temps  actuels 482 

12-2.  Répartition  actuelle  des  populations  indo-européennes  dans  lAsie 

antérieure 484 

1-23.  Expansion  actuelle  de  la  race  indo-européenne 486 

124.  Expansion  des  diverses  écritures  sur  le  globe 494 


TàBLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES 


Préface,  p.  i-vii. 
Avertissement,  p.  ix-xii. 
Chapitre  premier,  p.  1-43. 

Des  sources  de  la  Préliisloire  el  de  V Hisloive .  —  I.  Les  sciences  diverses  sur  les- 
quelles s'appuie  la  Préhistoire,  p.  1.  —  La  Géologie,  p.  1.  —  Paléontologie, 
Botanique,  p.  2.  —  Ethnographie,  p.  2.  —  Les  diverses  phases  de  la  civi- 
lisation de  la  pierre,  p.  4.  —  Tableau  de  révolution   préhistorique,  p.  T. 

—  Les  États  métallurgiques,  p.  8.  —  V Anthropologie,  p.  9.  —  Son  incer- 
titude pour  la  classification  des  races,  p.  10.  —  Sociologie,  p.  15.  —  Lin- 
guistique, p.  15.  —  Classification  des  langues  suivant  leur  structure,  p.  17. 

—  Les  familles  linguistiques,  p.  20.  —  Chronologie,  p.  24.  —  Ch.  géologique 
et  préhistorique,  p.  24.  —  Ch.  historique,  p.  28.  —  IL  Des  sources  de  V his- 
toire proprement  dite,  p.  29.  —  Des  textes,  p.  29.  —  Des  monnaies  et 
médailles,  p.  33.  —  Des  recherches  archéologiques,  p.  38.  —  De  l'explo- 
ration des  divers  pays,  p.  40.  —  De  la  rédaction  de  l'histoire,  p.  42. 

Chapitre  IL  p.  44-63. 

Les  origines.  —  Des  origines  naturelles  de  l'homme,  p.  4i.  —  Possibilité  de 
l'existence  de  l'homme  sur  la  terre  dès  les  temps  tertiaires,  p,  49.  — 
Transformations  subies  par  les  reliefs  du  sol  ;  la  flore  et  la  faune  au 
cours  des  temps  tertiaires,  p.  50.  —  L'Asie  occidentale  à  l'époque  tertiaire, 
p.  57.  —  Les  éolithes,  p.  61.  —  Apparition  des  industries  humaines  au 
pléistocène,  p.  62. 

Chapitre  III,  p.  64-97. 

Les  phénomènes  glaciaires.  —  Oscillations  de  l'écorce  terrestre,  p.  64.  — 
Causes  des  phénomènes  glaciaires  pliocènes  et  pléistocènes,  p.  75.  —  Gla- 
ciers du  pôle  austral  et  du  Groenland,  p.  78.  —  Des  Alpes,  p.  81.  —  Allure 
des  glaciers  en  général,  p.  81.  —  Les  anciens  glaciers  Scandinaves,  p.  83. 

—  Leur  extension,  p.  85.  —Vitesse  d'avancement  et  de  recul  des  glaciers, 


510  TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES 

p.  88.  —  Climat  de  la  Sibérie  aux  temps  quaternaires,  p.  90.  —  Le  plateau 
central  de  l'Asie,  les  Indes,  p.  91.  —  Le  plateau  iranien,  p.  91.  —  Phases^ 
glaciaires  et  interglaciaires,  p.  93.  —  Érosions  et  alluvions,  p.  94. 

Chapitre  IV,  p.  98-12^2. 

La  flore,  la  faune  el  l'homme  aux  lemps  glaciaires.  — L'homme  à  Vélal paléoli- 
thique. —  Transformations  dans  la  faune  et  dans  la  flore,  p.  100.  —  Don- 
nées chronologiques  relatives  fournies  par  la  faune,  p.  103.  —  Animaux 
disparus  et  animaux  émigrés,  p.  104.  —  Premiers  vestiges  de  l'industrie 
humaine,  p.  108.  —  Le  coup-de-poing  chelléen,  p.  109.  —  Alluvions  et 
ateliers  paléolithiques,  p.  112.  —  Incertitudes  sur  les  origines  de  cette  pre- 
mière industrie,  p.  113.  — Le  squelette  de  la  Corrèze,  p.  U7.  —  Synchro- 
nisme des  types  Chelléen,  Acheuléen  et  Moustérien,  p.  119.  —  Vie  des 
habitants  du  nord  de  la  Sibérie  en  parallèle  avec  celle  des  hommes  qua- 
ternaires, p. 121. 

Chapitre  V,  p.  123-142. 

La  civilisalion  au  cours  des  derniers  temps  glaciaires.  —  L'homme  à  Vélaf 
archéolilhique  et  mésolithique.  — Grande  variété  des  industries  archéolithi- 
ques,  p.  123.  —  Les  cavernes,  p.  124.  —  Diversité  des  tribus,  p.  125.  — 
Diversité  des  conditions  naturelles  suivant  les  districts,  p.  127.  —  Aspect 
des  régions  cédées  par  les  glaciers,  p.  127.  —  Leur  colonisation  par  les^ 
animaux  et  l'homme,  p.  128. 

Industrie  archéolilhique.  —  Type  Aurignacien,  p.  129.  —  Type  Solutréen,, 
p.  129.  —  Type  Magdalénien,  p.  130.  —  Industrie  mésolithique,  p.  136.  — 
Industrie  tourassienne,  p.  136.  —  Industrie  des  kjœkkenmœddings,, 
p.  137.  —  Industrie  campignienne,  p.  137. 

Chapitre,  VI,  p.  143-169. 

L'homme  à  l'état  néolithique,  p.  143.  —  Subdivisions  du  néolithique  en  Scan- 
dinavie, p.  148.  —  En  Espagne,  p.  149.  —  En  Suisse,  p.  149.  —  En  Italie, 
p.  149.  —  En  France,  p.  149.  —  En  Egypte,  p.  loO.  —  En  Élam,  p.  150, 
—  Migrations  néolithiques,  p.  151.  —  Les  dolmens,  p.  153.  —  Les  nuraghi, 
p.  156.  —  Les  races  quaternaires  et  néolithiques,  p.  156.  —  Les  Aryens, 
p.  158.  —  Leur  pays  d'origine,  p.- 162  —  Leurs  migrations,  p.  463.  —  L'ap- 
parition du  métal  (énéolithique),  p.  166. 

Chapitre  Vil,  p.  170-225. 

L'Asie  antérieure  el  l'Egypte  antéhistoriques.  —  L'expansion  sémitique  en  Chai- 
dée  et  dans  la  vallée  du  Nil.  La  conquête  élamite,  p.  170.  —  Formation 
des  pays  de  l'Asie  antérieure  et  de  l'Egypte,  p.  171.  —  Le  pléistocène  dans- 
l'Asie  antérieure,  p.  174.  —  Formation  des  terres  habitables,  p.  176.  —  La 
faune  et  l'homme  dans  la  Chaldée  primitive,  p.  179.  —  Première  migra- 
tion des  Sémites,  p.  180.  —  Sumériens  et  Akkadiens,  p.  183.  —  Conquête 
sémitique  de  la  Chaldée,  p.  186.  —  L'invention  de  lécriture,  p.  188.  —  Les 
Négritos,  p.  191.  —  Causes  du  départ  des   Sémites  de  l'Arabie,  p.  193.  — 


TABLE    ANALYTIQUE    DES     MATIÈRES  51 1 

Les  étals  néolithique  et  énéolithique  en  Chaldée,  p.  193.  —  La  céramique 
peinte  en  Élam,  p.  197.  —  En  Syrie,  en  Cappadoce,  p.  198.  —  Considéra- 
tions d'ensemble  sur  les  arts  céramiques  primitifs,  p.  198.  —  Céramique 
incisée,  p.  199.  —  La  céramique  peinte  dans  la  Méditerranée  et  l'Europe 
méridionale,  p.  201.  —  Tableau  des  diverses  phases  des  arts  céramiques,, 
p.  203.  —  Les  arts  céramiques  en  Espagne,  204.  —  L'invention  de  la  mé- 
tallurgie, p.  203.  —  Industries  de  la    pierre  dans  la  vallée  du  Xil,  p.  207. 

—  Origine  chaldéenne  de  la  civilisation  égyptienne,  p.  209.  —  Cultes  égyp- 
tien et  chaldécn,  p.  211.  —  Conquête  de  la  vallée  du  Nil  par  la  culture 
asiatique,  p.  215.  —  Etat  de  l'Egypte  vers  le  VI«  millénaire  av.  J.-C.,p.  217. 

—  Habitants  primitifs  de  l'Egypte,  p.  220.  —  Etat  de  la  Chaldée  vers  le 
VP  millénaire  av.  J.-C,  p.  222.  —  Expansion  sémitique  en  Chaldée  ;  les 
premiers  Etats,  p.  223.  —  Tableau  des  faits  relatifs  aux  VL',  V«  et  1\'« 
millénaires  avant  notre  ère,  p.  225. 

Chapitre  Vill,  p.  226-268. 

L  Expansion  sémiliqiie.  —  L'Empire  swnéro-akkndicn.  L'ÉgtjpIe  pharaonique 
à  l'ancien  cl  au  moyen  empire.  —  La  réaclion  élamile.  —  Les  Ilijksos  dans 
la  Vallée  du  Nil.  —  Organisation  administrative  et  politique  de  la  Chal- 
dée par  les  Sémites,  p.  226.  —  Origines  de  l'écriture,  p.  231.  —  Les  arts 
primitifs  en  Chaldée  et  en  Egypte,  p.  233.  —Première  organisation  poli- 
tique de  l'Egypte,  p.  234.  —  Menés  et  les  premières  dynasties,  p.  233.  — 
Le  régime  des  Patésis  en  Chaldée  et  dans  FElam,  p.  240.  —  Manichtousou 
et  le  royaume  de  Kich,  p.  240.  —  Sargon  I"  dit  l'Ancien,  p.  241.  —  Les 
Égyptiens  au  Sinaï,  p.  242.  —  Les  premières  dynasties  égyptiennes,  p.  243. 

—  Les  premiers  livres  de  la  Chaldée,  p.  243.  —  Narâm-Sin  et  ses  succes- 
seurs, p.  246.  -  La  Xn«  dynastie  d'Egypte,  p.  248.  —  Les  premiers  livres 
de  l'Egypte,  p.  249.  —  Mouvements  des  Aryens  dans  les  pays  du  Nord, 
p.  252.  —  Débuts  de  la  civilisation  Cretoise,  p.  233.  —  La  réaction  éla- 
mite,  p.  236.  —  Émigrationdes  Assyriens  et  des  Phéniciens,  p.  236  et  263. 

—  Origine  de  l'invasion  des  pasteurs,  p.  237.  —  Les  Hyksos  en  Egypte, 
p.  239.  —  Arrivée  des  Hébreux  en  Egypte,  p.  261.  —  Expulsion  des  pas- 
leurs,  p.  262.  —  Première  apparition  des  Iraniens  sur  le  plateau  persan, 
p.  265.  —  Invasions  aryennes  en  Europe,  p.  266.  —  Les  débuts  de  la 
Chine  d'après  les  traditions,  p.  266.  —Tableau  des  principaux  événe- 
ments des  IV^  et  111«  millénaires,  p.  267. 

Chapitre  IX,  p.  269-339. 

La  prépondérance  égyptienne.  —  Conquéles  pharaoniques  en  Asie.  — La  Chal- 
dée et  l'Elam,  l'Empire  Iléléen,  les  Phéniciens,  les  Hébreux,  Apparition 
des  Aryens  en  Iran  et  dans  la  Méditerranée.  —  Liste  des  dynasties  égyp- 
tiennes d'après  Manéthon,  p.  269.  —  Royaume  de  Chaldée,  p.  270.  — 
Royaume  d'Elam,  p.  271.  —  AfTranchissement  des  petits  royaumes,  p.  271. 

—  Hamniourabi,  p.  272.  —  Ses  lois,  p.  273.  —  Liste  des  rois  de  la 
11^  dynastie  de  Babylone,  p.  273,  note  1.  —  Conquêtes  égyptiennes  en 
Syrie,  p.  273.  —  Administration  égyptienne  des  territoires  conquis, 
p.  277.  —  Révolution  religieuse  d'Aménophis  IV"  (Kouenaten),  p.  279.  — 
Campagne  de  Ramsès  II  contre  les  Hétéens,  p.  280.  —  Traité  entre  Ram- 
sès  II  et  Khitisar,  roi  des  Hétéens,  p.    280.  —  L'Empire  hétéen,  p.  281.  — 


512  TABLE    AAALYTIOUE     DES    MATIÈRES 

Troubles  intérieurs  en  Egypte,  p.  283.  —  Révolte  des  Métèques,  p.  283. 

—  Tentative  des  peuples  du  Nord  et  des  Libyens  contre  l'Egypte,  p.  284. 

—  Appauvrissement  de  l'Egypte,  anarchie,  p.  285.  —  Thèbes  et  les  prêtres 
d'Ammon,  p.  286.  —  Usurpation  delà  couronne  parles  prêtres  d'Ammon, 
XXP  dynastie  à  Avaris,  p.  288.  —  Les  Phéniciens,  extension  de  leur  puis- 
sance maritime  et  commerciale,  p.  288.  —  Invention  de  l'écriture  alpha- 
bétique, p.  293.  —  Tableau  donnant  la  libation  des  principales  écritures, 
p.  296.  —  L'exode  du  peuple  hébreu,  p.  297.  —  Conquête  de  la  Pa- 
lestine par  les  Hébreux,  p.  302.  —  David  et  Salomon,  p.  305.  —  Civili- 
sations chananéennes,  p.  308.  —  Débuts  de  l'Assyrie,  p.  310,  —  Invasion 
cosséenne,  p.3H.  —  Occupation  de  l'Iran  et  des  Indes  par  les  Indo-Euro- 
péens,  p.  312.  —  Le  Zend  Avesta,p.  317.  —  Apparition  des  Indo-Européens 
dans  l'Asie  Mineure,  p.  319.  —  Leur  expédition  contre  l'Egypte,  p.  319.  — 
Ecrasement  delà  puissance  hétéenne,  p.  320.  —  Colonisation  aryenne  des 
terres  méditerranéennes,  p.  322.  —  Débuts  de  la  civilisation  hellénique, 
p.  324.— Les  Indo-Européens  dans  l'Europe  centrale  etoccidentale,p.  32o' 

—  Tableau  des  événements  du  xx<^au  xvi*^  siècle  av.  J.-C,  p.  326.  —  Usage 
de  l'écriture  au  xv«  siècle,  p.  327.  —  Les  débuts  de  la  Chine,  p.  328.  —  De 
l'Amérique,  p.  330.  —  Les  langues  sémitiques,  p.  330.  —  L'Egyptien, 
p.  33i.  —  L'Hétéen,  l'Élamite,  p.  332.  —  Les  langues  Iraniennes,  p.  332.  — 
Indiennes,  p.  333.  —  L'Arménien,  p.  334.  —  Les  langues  du  groupe  gréco- 
italien,  p.  334.  —  Les  influences  civilisatrices  vers  le  xv<=  siècle  av. 
J.-C,  p.  336.  —  Tableau  des  industries  du  ix«  au  v«  siècles  avant  J.-C, 
p.  337.  —  Migiation  des  formes  et  des  notions,  p.  338. 

Chapitre  X,  p.  340-400. 

La  prépondérance  assyrienne.  —  Décadence  de  l'Egypte.  —  Les  Mèdes  et 
Cyaxares.  —Invasion  des  Scythes.  —  Pelasyes  et  Hellènes.  — Les  Ligures.— 
Les  Étrusques,  fondation  de  Rome.  —  Origines  de  la  civilisation  chinoise.  — 
L'Assyrie,  p.  340.  —  Caractère  du  peuple  assyrien,  p.  340.  —  Les  débuts 
de  l'Assyrie,  p.  342.  —  Liste  des  souverains  assyriens,  p.  342,  note  3.  — 
Achchourouballit,  roi  d'El  Assarvers  1370,  p.  343.  —  Guerres  de  l'Assyrie 
contre  la  Chaldée,  p.  343.  —  Le  premier  empire  assyrien,  p.  343.  —  Affai- 
blissement de  r  Assyrie  vers  le  xi«  siècle  av.  J.-C,  p.  347.  —  Liste  des  sou- 
verains chaldéens  de  Paché,  p.  347,  note  4.  —  Renaissance  de  l'Assyrie,  le 
second  empire,  p.  348.  -  Téglatphalasar  III,  p.  353.  -  Campagne  contre 
l'Egypte,  p.  354.  —  Sargon,  p.  355.  —  Sennachérib  et  Assaraddon,  p.  356. 

—  Assourbanipal,  p.  360.  —  Prise  de  S  use  par  les  Assyriens,  p.  363.  — 
Liste  des  souverains   élamites,  p.  364,  note  1.  —  Les  Cimmériens,  p.  366. 

—  Les  Scythes,  p.  367.  —  Ruine  de  Ninive,  p.  370.  —  XXll»  dynastie 
d'Egypte,  p.  373.  —  La  Palestine  et  le  royaume  de  Damas,  p.  374.  —  Les 
Phéniciens,  p.  376.  —  Les  Aryens  de  l'Hellade,  p.  377.  —  Fondation  de 
Rome,  p.  387.  —  Les  Ligures,  p.  390.  —  Les  débuts  de  la  monarchie  chi- 
noise, p.  395.  —  Tableau  des  synchronismes  aux  temps  de  la  prépondé- 
rance assyrienne,  p.  396, 

Chapitre  XI,  p,  401-450, 

La  prépondérance  iranienne.  —  Le  royaume  mède,  p,  401,  —  La  civilisation 
iranienne,  p.  402.  —  Les  peuples  de  l'Ourarthou  et  du  Petit  Caucase,  p.  403. 


TABLE    ANALYTIQUE     DES    MATIÈRES  513 

-  Expéditions  des  Assyriens  en  Médie,  p.  405.  -  Fraortès,  p.  406  - 
Cyaxarès  p.  406.  -  Pauvreté  des  renseignements  sur  le  penple  mède, 
p.  .08  -  Cyrus,  p.  409.  -  Conquête  de  la  Lydie,  p.  411  -  Premiers  con- 
tacts des  Perses  avec  les  Grecs,  p.  m.  -  Prise  de  Babylone,  p.  414  - 
Mort  ,1e  Cyrus  en  Turkomanie,  p.  415.  -Cambyse,  p.  416.  -  Expédition 
d  Egypte,  p.    416.  -  Darius,  p.  416.  -   Restauration  de  l'Empire,  p.  419 

-  Expédition  de  Scythie,  p.  421.  -  Expédition  contre  les  Grecs,  p.  422 
--  Xerxes,  p.  423.  -  Expédition  contre  la  Grèce,  p.  426.  -  Décadence  de 
I  Empire  perse,  p.  427.  -  Le  monde  hellène,  p.  428.  -  Socrate  et  Périclès, 
^■,1  ..  Hellènes  d'Occident,  p.  438.  -  Fondation  de  Marseille, 
p.  ,41.  _  Migration  des  Celtes,  p.  443.  -  Des  Ibères,  p.  443.  -  Expéditions 
des  Gaulois  en  Italie  et  en  Grèce,  p.  448. 

CllAPITRK  XI 1,  p.  4,->l-471. 

La  prépondérance  hellénique.  -  Limite  de  l'Empire  perse,  p.  4.^1  -État 
politique  de  l'Empire  à  l'époque  de  Darius  Codoman,  p .  452.  -  Expansion 
de  1  Hellénisme  dans  l'Empire  perse  et  dans  la  Méditerranée,  p  453  - 
La  guerre  sociale  et  la  guerre  sacrée  en  Grèce,  p.  456.  -  Philinne  de 
Macédoine,  p.  456.  -  Alexandre  le  Grand,  p.  438.  -  Les  États  nés  de 
I  Empire  d  Alexandre,  p.  464.  -  Rome  et  Carlhage,p.  468. 

Conclusions,  p.  472-5U3. 

1.  Les  grandes  lignes  de  l'évolution  historique,  p.  472  -  II  Les  concep 
tions  religieuses  et  philosophiques,  p.  488.  -  III.  La  littérature,  p.  493  - 
1\  .  Les  arts,  p.  496.  —  V.  Résumé  général,  p.  303. 

Table  des  caries  et  iltuslralions,  p.  505-508. 

Table  analyli(/ue  des  malière.s,  p.  509. 


2301.  —  Tours,  Imprimerie  E.  Arrault  et  C'V 

33 


^\   7\